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Full text of "Correspondance de Fénelon, archevêque de Canbrai : publiée pour la premìere fois sur les manuscrits originaux et la plupart inédits"

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M    JOHN  M.  KELLY  LIBCADY 


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Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


HOLY  R£OE€MER  U^fi^,  wmo^  y 


OEUVRES 

DE     FÉNELON 

ARCHEVÊQUE   DE   CAMBRAI, 
TOME    IV. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/correspondancede04fn 


CORRESPONDANCE 

DE    FÉNELON 

ARCHEVÊQUE    DE  CAMBRAI, 

PUBLIÉE    POUR    LA.    PREMIÈRE    FOIS 

SUR   LES   MANUSCRITS  ORIGINAUX 


ET     I.A.     Pr.TiPART     INÉDITS. 


TOME  QUATRIEME. 


Uc)iKlLotbcqii/6    t:^atBoudu6  ^e^   ïcc    v\)euuaiie. 


3"    OUVRAGE   POVK    1828. 


Prix  :  F».  3  -  5o. 


LOUVAIN, 

CHEZ     VANLINTHOUT     ET     VANDENZANDE. 

Et  citez  les  Libraires  désignés  ci-après, 

1828. 


HeWllttKllWUBR*t5.^^tN0S0R 


Imprimatur 

Martii  1828.  /.  FORGEUR  j   Fie.  gen,  Mechliniœ  dioec. 


Expédié  de  Louvain  aux  chefs-lieux  des  diocèses  du  6  au  ii 
Mai  1828. 


(jLbonneincau 
Ci     iiX.      Qioitliotbcaue       GawoCiqiic 


de    Icc      QioctaÛTiic. 


Les  Abonnes  reçoivent  un  exemplaire  de  chaque  Ouvrage  qui 
est  public  pour  l'aunce.  Ceux  qui  habitent  la  campagne  doivent 
indiquer  une  maisou  eu  ville  oii  leurs  Ouvrages  puissent  être  remis. 

L'Abonnement  est  de  onze  francs  cinquante  centimes  annuelle- 
ment ,  et  .se  paie  comptant.       * 

On  s'abonne  dans  les  villes  et  chez  les  Libraires  dont  les  noms 
suivent  : 


Alost ,  Ducaju. 

Arasterdaui ,  F.  E.  Wymans. 

Anvers ,  AnccIIe. 

Arlon 

Alh ,  Jouret-Themon. 

Aiulenartle 

Ijeaumont ,  la  v»  Hannccart. 

Béringen 

liinche ,  Hyppolite  Fontaine- 
Bois-le-Duc ,  Langcnhiiysen. 

Bouvignc  ,  près  Dinant 

Bruges ,  De  Vlicgher. 
Bruxelles  ,  J.  J.  Van  (1er  Borght. 
Charleroy ,  H.  J.  Lelong. 
Chimay  ,  la  V«  Preud  homme. 
Courtray  ,  De  Caluwé-Ovyn. 

Diest 

Dixmude 

Enghien 

Gand ,  de  Corte. 

Grammont ,  J.  Van  dcn  Eyckcn. 

Hal ,  De  Prins. 

Ilasselt 

lliiy 

Ipres,  J.  Van  der  Mccrsch. 
Jodoigne  ,  Allard. 
La  Haye  ,  J.  W.  Ten  Ilagen. 
Lcssines ,  Deitcnre. 


Liège  ,  Lemarié. 

Lokercu 

Louvain  ,    Vanlinthout  et 
Vandenzande. 

Luxembourg 

Maestricht,  Koymans. 

Malincs,  Van  VelzcnVander  Elit. 

Marche 

Mons ,  Jevenois. 
Namur ,  Dujardin. 
Nivelles  ,  M'e  Dujardin. 

Peruwelz 

Poperingue  ,  Duflocr. 

Renaix 

Rotlerdam  ,  Thompson  frères. 

Roulers ,  David  Van  Hée. 

S.  Nicolas  ,  Rukacrt-Vanbccsen. 

Soignies  ,  A.  F.  Robyns. 

Spa ,  la  veuve  Bodoa. 

ïcrmonde 

Thielt 

Tirleraont ,  Mcrckx. 
Tournay ,  Caslerman  aîn«. 

Turnhout 

Verviers,  W-^  Th.  Ogcr. 

Virton 

Utrecht,  A.  Schikliofl'. 
Wavre 


A  Aix-la-Chapelle,  M.  Nélessen ,  curé  de  St. -Nicolas. 

A  Munster,  M.  George  Kcllermann,  doyen  et  curé  de  St.-Ludger. 


Ouvrages  disirihuès  jusqu'au] ourd'lmi  aux  Abonnés 
de  1828^  pour  les  onze  francs  5o  cent,  de  V Abonne- 
ment,  et  (fui  se  trouvent  chez  les  susdits  Libraires: 

F'.     C. 

1°  Les  Jésuites  en  présence  des  deux  Chambres,  au 
mois  de  mars  1828.  104  pages 0-60 

2"  La  fin  des  Jésuites  et  de  bien  d'autres.  Par  M.  Bel- 
lemare .    100  pages o  -  60 

3°  Correspondance  de  Fcnelon  ,  Arclieyêque  de  Cam- 
brai ,  publiée  pour  la  première  fois  sur  les  manuscrits 
originaux  et  la  plupart  inédits,  Tom,  IV 3  -  5o 


SPIRITUELLES. 


CORRESP.    IV. 


EXPLICATION  DES  SIGNES 
employés  dans  les  titres   des  lettres. 


*  désigne  les  Lettres  imprime'es  dans  les  e'ditions  d'Anvers ,  1 7 1 8  , 
et  de  Lyon,  '7ï9>  in-12,  et  réimprimées  à  la  suite  des  Œu- 
vres spirituelles,  Rotterdam,  lySS,  2  vol.  in-4°,  ou  Paris,  1740, 
4  vol.  in- 12.  Le  second  11°  en  chiffres  plus  petits  et  entre 
parenthèses,  est  celui  que  portent  les  Lettres  spirituelles,  dans 
ces  deux  dernières  éditions ,  et  sous  lequel  on  les  cite  souvent. 

**  indique  les  Lettres  qui  ont  été   ajoutées  soit   dans  l'édition  de 
Didot  in-4°;  soit  dans  la  F^ie  de  Fénelon  du  P.  de  Querbeuf. 

E.  ajouté  aux  signes  précédens  marque  que  la  Lettre  a  été  revue 
sur  l'autographe  ou  sur  une  copie  authentique. 

A.  désigne  celle  oii  l'on  a  fait  des  additions  tirées  des  manuscrits. 

Les   Lettres  qui  n'ont  aucun  signe  sont  inédites. 

Les  dates  que  l'on  trouve  entre  parenthèses  sont  conjecturales. 
Comme  les  originaux  souvent  n'en  ont  aucune ,  ou  ne  portent  que 
celle  du  mois ,  on  a  mis  pour  l'année  celle  qu'on  a  cru  la  plus 
vraisemblable,  toutes  les  fois  qu'elle  a  paru  nécessaire. 


245 


LETTRES 

SPIRITUELLES. 

A    DIVERSES    PERSONNES   DE   PIÉTÉ 

QUI  VIVAIENT  DANS  LE  MONDE, 

101    *.  {^^C>) 

Le  travail  sur  nous-md-mcs  doit  s'opOrer  plus  pour  le  tlcilans  que  pour 
le  dehors.  L'oraison  doit  s'étendre  sur  tout  ce  cpic  nous  faisons. 

Vous  êtes  bonne.  Vous  voudriez  l'être  encore  da- 
vantage ,  et  vous  prenez  beaucoup  sur  vous  dans  le 
détail  de  la  vie  :  mais  je  crains  que  vous  ne  preniez 
un  peu  trop  sur  le  dedans ,  pour  accommoder  le  de- 
bors  aux  bienséances ,  et  que  vous  ne  fassiez  pas  assez 
mourir  le  fond  le  plus  intime.  Quand  on  n'attaque 
point  efficacement  un  certain  fonds  secret  de  sens  et 
de  volonté  propre  sur  les  clioses  qaon  aime  le  plus , 
et  qu'on  se  réserve  avec  le  plus  de  jalousie  ,  voici  ce 
qui  arrive.  D'un  côté ,  la  vivacité  ,  l'apreté  et  la  roi- 
deur  de  la  volonté  propre  sont  grandes  ;  de  l'autre 
côté ,  on  a  une  idée  scrupuleuse  d'une  certaine  sy- 
métrie des  vertus  extérieures ,  qui  se  tourne  en  pure 
régularité  de  bienséance.  L'extérieur  se  trouve  ainsi 
très-gènant ,  et  l'intérieur  très-vif  pour  y  répugner. 
C'est  un  combat  iiisupporlaljle. 

Prciiez  donc  moins  l'ouvrage  par  le  deliors ,  et  un 
peu  plus  par  le  dedans.  Choisissez  les  affections  les 


2^6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

plus  \ives  qui  dominent  dans  \otre  cœur ,  et  mettez- 
les  sans  condition  ni  bornes  dans  la  main  de  Bieu  , 
pour  les  lui  laisser  amortir  et  éteindre.  Abandonnez- 
lui  votre  hauteur  naturelle  ,  votre  sagesse  mondaine  , 
votre  goût  pour  la  grandeur  de  votre  maison ,  votre 
crainte  de  déchoir  et  de  manquer  de  considération 
dans  le  monde ,  votre  sévérité  âpre  contre  tout  ce 
qui  est  irrégulier.  Votre  humeur  est  ce  que  je  crains 
le  moins  pour  vous.  Vous  la  connaissez ,  vous  vous 
en  défiez  ;  malgré  vos  résolutions  ;  elle  vous  entraîne  , 
et  eu  vous  entraînant  elle  vous  humilie.  Elle  servira 
à  vous  corriger  des  autres  défauts  plus  dangereux.  Je 
serais  moins  fâché  de  vous  voir  grondeuse  ,  dépitée  , 
brusque  ,  ne  vous  possédant  pas  ,  et  ensuite  bien  dés- 
abusée de  vous-même  par  cette  expérience  ,  que  de 
vous  voir  régulière  de  tout  point  et  irrépréhensible 
de  tous  les  côtés  ,  mais  délicate  ,  haute  ,  austère  ,  roide  , 
facile  à  scandaliser ,  et  grande  en  vous-même. 

Mettez  votre  véritable  ressource  dans  l'oraison.  U]î 
certain   travail  de  courage  humain  et  de  goût  pour 
une    régularité    empesée   ne  vous  corrigera   jamais. 
Mais  accoutumez-vous  devant  Dieu  ,  par  l'expérience 
de  vos  faiblesses  incurables  ,  à  la  condescendance  ,  à 
la  compassion  et  au  support  des  imperfections  d'au- 
trui.  L'oraison  bien  prise  vous   adoucira  le  cœur  ,  et 
vous  le  rendra  simple,  souple,  maniable,  accessible, 
accommodant.  Voudriez-vous  que  Bieu  fût  pour  vous 
aussi  critique  et  aussi  rigoureux  que  vous  l'êtes  sou- 
vent pour  le  prochain  ?  On  est  sévère  pour  les  ac- 
tions extérieures ,  et  on  est  très-relâché  pour  l'inté- 
rieur. Pendant  qu'on  est  si  jaloux  de  cet  arrangement 
superficiel  de  vertus  extérieures ,  on  n'a  aucun  scru- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  247 

pille  de  se  laisser  languir  au  dedans ,  et  de  résister 
secrètement  à  Dieu.  On  craint  Dieu  plus  qu'on  ne 
1  aime.  Ou  veut  le  payer  d'actions ,  que  l'on  compte 
]>our  en  avoir  quittance  ,  au  lieu  de  lui  donner  tout 
par  amour ,  sans  compter  avec  lui.  Qui  donne  tout 
sans  réserve ,  n'a  plus  besoin  de  compter.  On  se  per- 
met certains  attachemens  déguisés  à  sa  grandeur  ,  à 
sa  réputation  ,  à  ses  commodités.  Si  on  cherchait  bien 
entre  Dieu  et  soi ,  on  trouv  crait  un  certain  retran- 
chement où  l'on  met  ce  qu'on  suppose  qu'il  ne  faut 
pas  lui  sacrifier.  On  tourne  tout  autour  de  ces  cho- 
ses ,  et  on  ne  veut  pas  même  les  voir ,  de  peur  de 
se  reprocher  qu'on  y  tient.  On  les  épargne  comme 
la  prunelle  de  l'œil  sous  les  plus  beaux  prétextes.  Si 
quelqu'un  forçait  ce  retranchement ,  il  toucherait  au 
vif,  et  la  personne  serait  inépuisable  en  belles  rai- 
sons pour  justifier  ses  attachemens  :  preuve  convain- 
cante qu'elle  nourrit  une  vie  secrète  dans  ces  sortes 
d'affections.  Plus  on  craint  d'y  renoncer,  plus  il  faut 
conclure  qu'on  en  a  besoin.  Si  on  n'y  tenait  pas , 
on  ne  ferait  pas  tant  d'efforts  pour  se  persuader  qu'on 
n'y  tient  point. 

U  faut  bien  qu'il  y  ait  en  nous  de  telles  misères 
qui  arrêtent  l'ouvrage  de  Dieu.  Nous  ne  fidsons  que 
languir  autour  de  nous-mêmes  ,  ne  nous  occupant 
jamais  de  Dieu  que  par  rapport  à  noua.  Nous  n'avan- 
çons point  dans  la  mort ,  dans  le  rabaissement  de 
notre  esprit  et  dans  la  sinlplicité.  D'où  vient  que  le 
vaisseau  ne  vogue  point?  est-ce  que  le  vent  manque? 
Nullement;  le  soufile  de  l'esprit  de  grâce  ne  cesse 
de  le  pousser  :  mais  le  vaisseau  est  retenu  par  des 
ancres  qu'on  n'a  garde  de  voir-,   elles  sont  au  fond 


n,^S  LETTRES    SPIRITUELLES. 

de  la  mer.  La  faute  ne  vient  point  de  Dieu ,  elle 
vient  donc  de  nous.  Nous  n'avons  qu'à  bien  chercher, 
et  nous  trouverons  les  liens  secrets  qui  nous  arrê- 
tent. L'endroit  dont  nous  nous  méfions  le  moins  , 
est  précisément  celui  dont  il  faut  se  défier  le  plus. 
Ne  faisons  point  avec  Dieu  un  marché  afin  que 
notre  commerce  ne  nous  coûte  pas  trop ,  et  qu'il  nous 
en  revienne  beaucoup  de  consolation.  N'y  cherchons 
que  la  croix ,  la  mort  et  la  destruction.  Aimons  ,  et 
ne  vivons  plus  que  d'amour.  Laissons  faire  à  l'amour 
tout  ce  qu'il  voudra  contre  l'amour-propre.  Ne  nous 
contentons  pas  de  faire  oraison  le  matin  et  le  soir , 
mais  vivons  d'oraison  dans  toute  la  journée  ;  et , 
comme  on  digère  ses  repas  pendant  tout  le  jour ,  di- 
gérons pendant  toute  la  journée  ,  dans  le  détail  de 
nos  occupations ,  le  pain  de  vérité  et  d'amour  que 
nous  avons  mangé  à  l'oraison.  Que  cette  oraison  ou 
vie  d'amour ,  qui  est  la  mort  à  nous-mêmes ,  s'étende 
de  l'oraison ,  comme  du  centre,  sur  tout  ce  que  nous 
avons  à  faire.  Tout  doit  devenir  oraison  ou  présence 
amoureuse  de  Dieu  dans  les  affaires  et  dans  les  con- 
versations. C'est  là  y  madame ,  ce  qui  vous  donnera 
une  paix  profonde. 


^%WV%«'V«%%'V^'«'«V«%%V«/V«%iVVWWV%%%V»>VW« 


103  *  *. 

Sisr  le  détachement  du  monde. 


('7'4) 


J'ai  tort ,  madame  ,  puisque  vous  êtes  sûre  de 
m'avoir  fait  l'honneur  de  m'écrire  ;  je  suis  charmé 
d'être   confondu  et  de   voir  vos  bontés.   Mais  votre 


LETTRES    SPIRITUELLES.  249 

santé  trouble  un  peu  ma  joie  :  Dieu  veuille  que  l'air 
de  la  campagne ,  un  peu  de  promenade  et  un  vrai 
repos  d'esprit  vous  rétablissent  parfaitement  !  Pour 
moi ,  je  ne  suis  plus  qu'un  squelette  qui  marclie  et 
qui  parle  ,  mais  qui  dort  et  qui  mange  peu  ;  mes 
occupations  me  surmontent ,  et  je  ne  me  couclie  ja- 
mais sans  laisser  plusieurs  de  mes  devoirs  en  arrière. 
Un  vaste  diocèse  est  un  accablant  fardeau  à  soixan- 
te-trois ans.  J'ai  beaucoup  trop  d'affaires  ,  et  vous 
n'en  avez  peut-être  pas  assez  pour  éviter  l'ennui  ; 
mais  la  sagesse  consiste  à  savoir  s'amuser.  Trompez- 
vous  vous-même ,  madame  ;  inventez  des  occupations 
qui  vous  raniment.  Les  jours  sont  longs ,  quoique  les 
années  soient  courtes ,  il  faut  accourcir  les  jours  en 
se  traitant  comme  un  enfant  ;  cette  enfance  est  une 
sagesse  profonde.  Souvenez-vous  que  vous  ne  feriez 
dans  le  plus  beau  monde  rien  de  plus  solide  que  ce 
que  vous  faites  dans  la  langueur  et  dans  ro])scurité 
de  votre  solitude;  vous  entendriez  beaucoup  de  mau- 
vais discours  ;  vous  verriez  beaucoup  de  personnes 
importunes  et  méprisables  avec  des  noms  distingués  ; 
vous  seriez  environnée  de  pièges  et  d'exemples  con- 
tagieux ;  vous  sentiriez  les  traits  de  l'envie  la  plus 
maligne-,  vous  éprouveriez  votre  propre  fragilité;  vous 
auriez  bien  des  fautes  à  vous  reprocher.  Il  est  vrai 
que  vous  paraîtriez  être  plus  dans  l'abondance  ;  mais 
vous  n'auriez  qu'un  superflu  très-dangereux  :  la  vanité 
le  dépenserait,  et  vous  rendrait  peut-être  encore  plus 
dérangée  et  plus  embarrassée  que  vous  ne  l'êtes  ; 
vous  ne  songeriez  sérieusement  ni  à  Dieu,  ni  à  vous , 
ni  à  la  mort ,  ni  à  votre  salut  ;  vous  seriez ,  comme 
les  autres,  enivrée,  ensorcelée,  endurcie.  Ne  vaut-il 


2 DO  LETTRES   SPIIUTUELLES. 

pas  mieux  demeurer  un  peu  tristement  loin  du  monde 
sous  la  main  de  Dieu  ,  qui  vous  fera  goûter  les  espé- 
rances de  la  Religion,  et  qui  vous  détachera  des  faux 
Jiiens  dont  il  vous  dépouille  ?  En  vérité ,  madame  , 
je  vous  donne  de  bon  cœur  les  conseils  que  je  prends 
pour  moi-même.  Le  monde  ne  donne  que  des  plaisirs 
de  vanité.  D'ailleurs  il  est  plein  d'épines,  de  troubles, 
de  procédés  lâches ,  trompeurs  et  odieux  ;  il  faut  que 
nous  soyons  bien  gâtés  ,  puisque  nous  avons  tant  de 
peine  à  demeurer  loin  du  mal.  J'ai  vu  ici ,  pendant 
trois  ou  quatre  ans  ,  l'armée  et  une  grande  partie  de 
la  cour.   Quoique  j'aie  mille  sujets  de  me  louer  de 
leur  politesse  ,  je  me  sens  infiniment  soulagé  de  ne 
les   voir  plus.  Pour  la  dépense ,  je  me  croirais  riche 
si  je  n'avais  à  dépenser  chaque  année  que  deux  mille 
francs  comme  en   ma  jeunesse.  Secouez  le  joug  du 
superflu;  faites-vous  riche  sans  argent;  vous  êtes  dis- 
pensée de  tout ,  et  heureuse  de  mépriser  pour  l'a- 
mour de  Dieu  tout  ce  qui  vous  manque. 

Je  prendrai  la  liberté  de  vous  envoyer  mon  nouvel 
ouvrage  (a)  pou.r  votre  Père  recteur  ;  je  l'aime  et  je 
le  révère  ,  puisqu'il  entre  dans  vos  peines.  Rien  n'é- 
gale mon  zèle  ,  mon  dévoûment  et  mon  respect. 

(et)  \J Instruction  pastorale  en  forme  de  Dialogues ,  sur  le  Jan- 
sénisme.  Voyez  tom.  XV  et  XVI   des  OEui>res. 

103   *.  (.G3) 

Allier  ensemble  rexaclituJe  et  la  liberté  d'esprit. 

Il  me  parait  nécessaire  que  vous  joigniez  ensemble 
une  grande  exactitude  et  une  grande  liberté.  L'exac- 


LETTllES    SPIRITUEELES.  23  1 

Ijlude  VOUS  rendra  Udèle  ,  et  la  liberté  ^()us  rendra 
courageuse.  Si  vous  vouliez  être  exacte  sans  être  libre  , 
vous  tomberiez  dans  la  servitude  et  dans  le  scrupule  -, 
et  si  vous  vouliez  être  libre  sans  être  exacte  ,  vous  iiicz 
bientôt  à  la  négligence  et  au  relticliement.  L'exacti- 
tude seule  nous  rétrécit  l'esprit  et  le  cœur  ,  et  la 
liberté  seule  les  étend  trop.  Ceux  qui  n'ont  nulle 
expérience  des  voies  de  Dieu ,  ne  croient  pas  qu'on 
puisse  accorder  ensemble  ces  deux  vertus.  Ils  com- 
prennent par  élre  exact  j  vivre  toujours  dans  la  gêne, 
dans  l'angoisse  ,  dans  une  timidité  intjuiète  et  scru- 
puleuse qui  fait  perdre  à  Famé  tout  son  repos ,  qui 
lui  fait  trouver  des  pécliés  partout ,  et  qui  la  met 
si  fort  à  l'étroit,  qu'elle  se  dispute  à  elle-même  jus- 
qu'aux moindres  choses  ,  et  qu'elle  n'ose  presque  res- 
pirer. Ils  appellent  élre  libre ,  avoir  une  conscience 
large  ,  n'y  prendre  pas  garde  de  si  près  ,  se  contenter 
d'éviter  les  fautes  considérables ,  et  ne  compter  pour 
fautes  considérables  que  les  gros  crimes  ;.se  permettre 
hors  de  là  tout  ce  qui  flatte  subtilement  l'amour-pro- 
pre  ;  et ,  quelque  licence  qu'on  se  donne  du  côté  des 
passions ,  se  calmer  et  se  consoler  aisément ,  par  la 
seule  pensée  qu'on  n'y  croyait  pas  un  grand  mal. 
Ce  n'était  pas  ainsi  que  saint  Paul  concevait  les  choses  , 
quand  il  disait  à  ceux  à  qui  il  avait  donné  la  vie  de 
la  grâce,  et  dont  il  tâchait  de  faire  des  chrétiens  par- 
faits :  Soyez  libres ,  mais  de  la  liberté  que  Jésus-Christ 
vous  a  acquise  *,  soyez  libres  ,  puisque  le  Sauveur  vous 
a  appelés  à  la  liberté  :  mais  que  cette  liberté  ne  vous 
soit  pas  une  occasion  ni  un  prétexte  de  faire  le  mal  [ti). 

l'a)   Galat.  v.    i3. 


2D2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Il  me  paraît  donc  que  la  véritable  exactitude  con- 
siste à  obéir  à  Dieu  en  toutes  choses ,  et  à  suivre  la 
lumière  qui  nous  montre  notre  devoir ,  et  la  grâce  qui 
nous  y  pousse  ;  ayant  pour  principe  de  conduite  de 
contenter  Dieu  en  tout,  et  de  faire  toujours  ce  qui 
lui  est  non-seulement  agréable  ,  mais  ,  s'il  se  peut ,  le 
plus  agréable  ^  sans  s'amuser  à  chicaner  sur  la  diffé- 
rence des  grands  péchés  et  des  péchés  légers  ,  des  im- 
perfections et  des  infidélités  :  car  ,  quoiqu'il  soit  vrai 
que  tout  cela  est  distingué  ^  il  ne  le  doit  pourtant 
plus  être  pour  une  ame  qui  s'est  déterminée  à  ne  rien 
refuser  à  Dieu  de  tout  ce  qu'elle  peut  lui  donner.  Et 
c'est  en  ce  sens  que  l'Apùtre  dit  [a) ,  que  la  loi  n^est 
point  établie  pour  le  juste.  Loi  gênante  ,  loi  dure  ,  loi 
menaçante  ;  loi ,  si  on  l'ose  dire  ,  tyrannique  et  capti-w 
vante  :  mais  il  a  une  loi  supérieure  qui  l'élève  au- 
dessus  de  tout  cela ,  et  qui  le  fait  entrer  dans  la  vraie 
liberté  des  enfans;  c'est  de  vouloir  toujours  faire  ce 
qui  plaît  le  plus  au  Père  céleste  ,  selon  cette  excel- 
lente parole  de  saint  Augustin  :  «  Aimez ,  et  faites 
y>  après  cela  tout  ce  que  vous  Aoudrez.  )) 

Car  si  à  cette  volonté  sincère  de  faire  toujours  ce 
qui  nous  paraît  le  meilleur  aux  yeux  de  Dieu  ,  vous 
ajoutez  de  le  faire  avec  joie  ,  de  ne  se  point  abattre 
quand  on  ne  l'a  pas  fait ,  de  recommencer  cent  et  cent 
fois  à  le  mieux  faire,  d'espérer  toujours  qu'à  la  lin  on 
le  fera ,  de  se  supporter  soi-même  dans  ses  faiblesses 
involontaires  comme  Dieu  nous  y  supporte ,  d'atten- 
dre en  patience  les  momens  qu'il  a  marqués  pour 
notre  parfaite  délivrance  ,  de  songer  cependant  à  mar- 

(a)  /  Tlin.  I.  9. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  253 

cher  avec  simplicité  et  selon  nos  forces  dans  la  voie 
qui  nous  est  ouverte  ,  de  ne  point  perdre  le  temps  à 
regarder  derrière  soi  ;  de  nous  étendre  et  de  nous 
])orler  toujours ,  comme  dit  l'Apôtre  {a) ,  à  ce  qui  est 
derant  nous  ;  de  ne  point  faire  sur  nos  chutes  une 
multitude  inutile  de  retours  qui  nous  arrêtent,  qui 
nous  embarrassent  l'esprit ,  et  qui  nous  abattent  le 
cœur  ;  de  nous  en  hunùlier  et  d'en  gémir  à  la  pre- 
mière vue  qui  nous  en  vient ,  mais  de  les  laisser  là 
aussitôt  après  pour  continuer  notre  route  ;  de  ne  point 
interpréter  tout  contre  nous  avec  une  rigueur  litté- 
rale et  judaïque  ;  de  ne  pas  regarder  Dieu  comme  un 
espion  qui  nous  observe  pour  nous  surprendre  ,  et 
comme  un  ennemi  qui  nous  tend  des  pièges ,  mais 
comme  un  père  qui  nous  aime  et  nous  veut  sauver  ; 
pleins  de  confiance  en  sa  bonté  ,  attentifs  à  invoquer 
sa  miséricorde  ,  et  parfaitement  détrompés  de  tout 
vain  appui  sur  les  créatures  et  sur  nous-mêmes  :  voilà 
le  chemin  et  peut-être  le  séjour  de  la  véritable  liberté. 
Je  vous  conseille,  autant  que  je  puis  ,  d'y  aspirer^ 
L'exaclilude  et  la  liberté  doivent  marcher  d'un  pas 
égal;  et  en  vous,  s'il  y  eu  a  une  des  deux  qui  de- 
meure derrière  l'autre  ,  c'est ,  à  ce  qu'il  me  paraît ,  la 
liberté ,  quoique  j'avoue  que  l'exactitude  ne  soit  pas 
encore  au  point  que  je  la  désire  :  mais  enfin  je  crois 
que  vous  avez  plus  besoin  de  pencher  du  côté  de  la 
conliance  en  Dieu  et  d'une  grande  étendue  de  cœur. 
C'est  pour  cela  que  je  ne  balance  point  à  vous  dire 
que  ^ous  devez  vous  livrer  tout  entière  à  la  grâce 
que  Dieu  vous  fait  quelquefois  de  vous  appliquer  as- 

(a)  Philip,  m.   i3. 


254  LETTRES    SPIRITUELLES. 

sez  iiitimenient  à  lui.  Ne  craignez  point  alors  de  voua 
perdre  de  vue  ,  de  le  regarder  uniquement  et  d'aussi 
près  qu'il  voudra  bien  vous  le  permettre ,  et  de  vous 
plonger  tout  entière  dans  l'océan  de  son  amour  : 
trop  heureuse  si  vous  pouviez  le  faire  si  bien ,  que 
vous  ne  vous  retrouvassiez  jamais.  Il  est  bon  néan- 
moins ,  lorsque  Dieu  vous  donnera  cette  disposition  , 
de  finir  toujours  ,  quand  la  pensée  vous  en  viendra  , 
par  un  acte  d'humilité  et  de  crainte  respectueuse  et 
filiale  ,  qui  préparera  votre  ame  à  de  nouveaux  dons. 
C'est  le  conseil  que  donne  sainte  Thérèse  ,  et  que  je 
crois  pouvoir  vous  donner. 


104*.  (,g4) 

L'oraison  est  bonne  à  tout  :  le  propre  esprit  fait  tout  le  contraire. 
Persévérer  dans  la  voie  de  la  perfection. 

Vous  ne  garderez  jamais  si  bien  M que  quand 

vous  serez  fidèle  à  fiiire  oraison.  Notre  propre  esprit , 
quelque  solide  qu'il  paraisse ,  gâte  tout  :  c'est  celui  de 
Dieu  qui  conduit  insensiblement  à  leur  fin  les  choses 
les  plus  difiiciles.  Les  traverses  de  la  vie  nous  sur- 
montent ,  les  croix  nous  abattent  ;  nous  manquons  de 
patience  et  de  douceur ,  ou  d'une  fermeté  douce  et 
égale;  nous  ne  parvenons  point  à  persuader  autrui. 
Il  n'y  a  que  Dieu  qui  tient  les  cœurs  dans  ses  mains  : 
il  soutient  le  nôtre  ,  et  ouvre  celui  du  prochain.  Priez 
donc  ,  mais  souvent  et  de  tout  votre  cœur  _,  si  vous 
voulez  bien  conduire  votre  troupeau.  ^S"*  le  Seigneur 
tie   (jarde   pas   la   ville  ,   celui  qui  veille   la  garda  en 


LETTRES    SPIRITUELLES.  2l»J 

i((in  [a).  Nous  ne  pouvons  attirer  en  noiis  le  bon  es- 
[)rit  que  par  l'oraison,  l^e  temps  qui  y  paraît  perdu 
est  le  mieux  employé.  En  tous  rendant  dépendante 
de  l'esprit  de  grâce  ,  vous  travaillerez  plus  pour  aos 
devoirs  extérieurs,  que  par  tous  les  travaux  inquiets  et 
empressés.  Si  votre  nourriture  est  de  faire  la  volonté 
«le  votre  Père  céleste ,  vous  vous  nourrirez  souvent 
en  puisant   cette  volonté  dans  sa  source. 

Pour  l'oraison  ,  vous  pouvez  la  faire  en  divers 
temps  de  la  journée,  parce  que  vous  avez  beaucou]) 
de  temps  lil)re  ,  et  que  vous  pouvez  être  souvent  en 
sdence.  Il  faut  seulement  prendre  garde  de  ne  ftiire 
point  une  oraison  avec  contention  d'esprit  qui  fatigue 
votre  tête. 

Je  remercie  Dieu  de  ce  que  vous  êtes  fatiguée  de 
votre  propre  esprit.  Rien  n'est  plus  fatigant  que  ce 
faux  appui.  Malheur  à  qui  s'y  confie  !  Heureux  qui 
en  est  lassé ,  et  qui  cherche  un  vrai  repos  dans  l'es- 
prit de  recueillement  et  de  renoncement  à  l'amour- 
propre  ! 

Si  vous  retourniez  à  une  vie  honnête  selon  le 
monde  ,  après  aA  oir  goûté  Dieu  dans  la  retraite ,  vous 
tomberiez  bien  bas  ,  et  vous  le  mériteriez  dans  un 
relâchement  si  infidèle  à  la  grâce.  J'espère  que  ce 
malheur  ne  vous  arrivera  point.  Dieu  vous  aime  bien  , 
puisqu'il  ne  vous  laisse  pas  un  moment  de  paix  dans 
ce  miheu  entre  lui  et  le  monde.  Dieu  nous  demande 
à  tous  la  perfection ,  et  il  nous  y  prépare  par  l'attrait 
de  sa  grâce  ;  c'est  pourquoi  Jésus-Christ  dit  à  ses  dis- 
ciples (e)  :  Soyez  j^^^r faits  coinme  votre  Père  céleste 

{à)  Ps.  cxxYi.  I.  (e)  Matlh.   y.  48. 


2  3G  LETTRES    SPIRITUELLES. 

ost  parfait.  Et  c'est  pour  cela  qu'il  nous  a  enseigné 
cette  i^rière  {a)  :  Que  votre  volonté  se  fasse  sur  la 
terre  comme  dans  le  ciel.  Tous  sont  invités  à  cette 
perfection  sur  la  terre  ;  mais  la  plupart  s'effarouchent 
et  reculent.  Ne  soyez  pas  du  nombre  de  ceux  qui, 
ayant  mangé  la  manne  au  désert,  regrettent  les  oi- 
gnons d'Egypte.  C'est  la  persévérance  qui  est  cou- 
ronnée. 


[a)  Matth.  VI.   lo. 


105  *.  (121) 

Support  des  défauts  d'autrui ,  et  facilité  à  se  laisser  reprendre. 

Il  m'a  paru  que  vous  aviez  besoin  de  vous  élargir 
le  cœur  sur  les  défauts  d'autrui.  Je  conviens  que  vous 
ne  pouvez  ni  vous  empêcher  de  les  voir  quand  ils 
sautent  aux  yeux  ,  ni  éviter  les  pensées  qui  vous 
viennent  sur  les  principes  qui  vous  paraissent  faire 
agir  certaines  gens.  Vous  ne  pouvez  pas  même  vous 
ôter  une  certaine  peine  que  ces  choses  vous  donnent. 
Il  suffit  que  vous  vouliez  supporter  les  défauts  cer- 
tains ,  ne  juger  point  de  ceux  qui  peuvent  être  dou- 
teux ,  et  n'adhérer  point  à  la  peine  qui  vous  éloigne- 
rait des  personnes. 

La  perfection  supporte  facilement  l'imperfection 
d'autrui  j  elle  se  fait  tout  à  tous.  Il  faut  se  familiari- 
ser avec  les  défauts  les  plus  grossiers  dans  de  bonnes 
âmes  ,  et  les  laisser  tranquillement  jusqu'à  ce  que  Dieu 
donne  le  signal  pour  les  leur  ôter  peu  à  peu;  autre- 
ment on  arracherait  le  bon  grain  avec  le  mauvais. 
Dieu  laisse  dans  les  âmes  les  plus  avancées  certaines 


LETTRES    SPIRITUELLES.  20^ 


iîiiblesses  entièrement  disproportionnées  à  leur  état 
éniinent ,  comme  on  laisse  des  morceaux  de  terre 
(pi'on  nomme  des  témoins ,  dans  un  terrain  qu'on  a 
rasé,  pour  faire  voir,  par  ces  restes,  de  riuelle  pro- 
fondeur a  été  l'ouvrage  de  la  main  des  Jionnnes.  Dieu 
laisse  aussi  dans  les  plus  grandes  âmes  des  témoiiis 
ou  restes  de  ce  qu'il  en  a  ôté  de  misère. 

Il  liurt  que  ces  personnes  travaillent ,  cliacvine  selon 
leur  degré  ,  à  leur  correction  ,  et  que  vous  travailliez 
au  support  de  leurs  faiblesses.  Vous  devez  compren- 
dre, par  votre  propre  expérience  en  cette  occasion  , 
que  la  correction  est  fort  amère  :  puisque  vous  en 
sentez  l'amertume ,  souvenez-vous  condjien  il  faut 
l'adoucir  aux  autres.  Vous  n'avez  point  un  zèle  em- 
pressé pour  corriger ,  mais  une  délicatesse  qui  vous 
serre  aisément  le  cœur. 

Je  vous  demande  plus  que  jamais  de  ne  m'épar- 
gner  point  sur  mes  défauts.  Quand  vous  en  croirez 
voir  quelqu'un  que  je  n'aurai  peut-être  pas ,  ce  ne 
sera  point  un  grand  malheur.  Si  vos  avis  me  blessent  , 
cette  sensibilité  me  montrera  que  vous  aurez  trouvé 
le  vif  :  ainsi  vous  m'aurez  toujours  fait  un  grand,  bien 
en  m'exerçant  à  la  petitesse ,  et  en  m'accoutumant  à 
être  repris.  Je  dois  être  plus  rabaissé  qu'un  autre  à 
proportion  de  ce  que  je  suis  plus  élevé  par  mon  ca- 
racj.ère ,  et  que  Dieu  demande  de  moi  une  plus  grande 
mort  à  tout.  J'ai  besoin  de  cette  simplicité ,  et  j'es- 
père qu'elle  augmentera  notre  union ,  loin  de  l'altérer. 


CORRESP.     IV. 


258  LETTRES    SPIRITUELLES. 


H  »^/V»»%%%%>%>»»<\>»V\^^  %»V\'Vfci%^%%»%<»%%%%%/%%*'%%% 


(238)  106  ♦. 

Exhortation  à  la  condescendance  pour  les  défauts  et  imperfections 
d'autrui. 

J'ai  toujours  eu  pour  vous  un  attachement  et  une 
constance  très-grande  ;  mais  mon  cœur  s'est  attendi*i 
en  sachant  qu'on  vous  a  blâmée  ,  et  que  vous  avez 
reçu  avec  petitesse  cette  remontrance.  Il  est  vrai  que 
votre  tempérament  mélancolique  et  âpre  vous  donne 
une  attention  trop  rigoureuse  aux  défauts  d'autrui  ; 
vous  êtes  trop  choquée  des  imperfections ,  et  vous 
souffrez  un  peu  impatiemment  de  ne  voir  point  la 
correction  des  personnes  imparfaites.  Il  y  a  long- 
temps que  je  vous  ai  souhaité  l'esprit  de  condescen- 
dance et  de  support  avec  lequel  N.  M.  se  proportionne 
aux  faiblesses  d'un  chacun.  Elle  attend  ,  compatit , 
ouvre  le  cœur,  et  ne  demande  rien  qu'à  mesure  que 
Dieu  y  dispose. 

Il  y  a  certains  défauts  extérieurs  sur  lesquels  il  faut 
bien  se  garder  de  juger  du  fond  ;  ce  serait  un  grand 
défaut  d'expérience.  Il  y  a  long-temps  que  je  vous  ai 
dit  que  M....,  avec  des  imperfections  visibles,  était 
beaucoup  plus  avancé  que  ceux  qui  sont  exempts  de 
ces  défauts  ^  et  qui  voudraient  les  corriger  en  elle. 
Souvent  une  certaine  vivacité  de  correction ,  même 
pour  soi ,  n'est  qu'une  activité  qui  n'est  plus  de  sai- 
son pour  ceux  que  Dieu  mène  d'une  autre-  façon  ,  et 
qu'il  veut  quelquefois  laisser  dans  une  impuissance  de 
vaincre  ces  imperfections ,  pour  leur  ôter  tout  appui 
intérieur.  La  correction  de  quelques  défauts  involon- 
taires serait  pour  eux  une  mort  beaucoup  moins  pro- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  aSo 

fonde  et  moins  avancée ,  que  celle  qui  leur  vient  de 
se  sentir  surmontés  par  leurs  misères  ,  pourvu  qu'ils 
soient  véritablement  et  sans  illusion  désabusés  et  dé- 
possédés d'eux-mêmes  par  celte  expérience  et  par  cet 
acquiescement.  Chaque  cliose  a  son  temps.  La  force 
intérieure  sur  ses  propres  défauts  nourrit  une  vie  se- 
crète de   propriété. 

Souffrez  donc  le  prochain,  et  apprivoisez-vous  avec 
nos  misères.  Quelquefois  vous  avez  le  cœur  saisi  quand 
certains  défauts  vous  choquent,  et  vous  pouvez  croire; 
que  c'est  une  répugnance  du  fond  qui  vient  de  la 
grâce  :  mais  il  peut  se  faire  qUe  c'est  votre  vivacité 
naturelle  qui  vous  serre  le  cœur.  Je  crois  qu'il  faut 
plus  de  support;  mais  je  crois  aussi  qu'il  faut  cor- 
riger vos  défauts  comme  ceux  des  autres  ,  non  par 
effort  et  par  sévérité  ,  mais  en  cédant  simplement  à 
Dieu  5  et  en  le  laissant  faire  pour  étendre  votre  cœur 
et  pour  le  rendre  plus  souple.  Acquiescez  ,  sans  savoir 
comment  tout  cela  se  pourra   faire. 


(22)  107  \ 

Les  cœurs  réunis  en  Dieu  sont  ensemble,  bien  que  séparés  par  les  lieux. 

Je  suis  toujours  uni  à  vous  et  à  votre  chère  famille 
du  fond  du  cœur;  n'en  doutez  pas.  Nous  sommes  bien 
près  les  uns  des  autres  sans  nous  voir  ,  au  lieu  que 
les  gens  qui  se  voient  à  toute  heure  sont  bien  éloi- 
gnés dans  la  même  chambre.  Dieu  réunit  tout ,  et 
anéantit  toutes  les  plus  grandes  distances  à  l'égard 
des  cœurs  réunis  en  lui.  C'est  dans  ce  centre  que  se 
touchent  les  hommes  de  la  Chine  avec  ceux  du  Pé- 


^•Oo  LETTHES   SPIRITUE'LLES. 

roii.  Je  ne  laisse  pas  de  sentir  la  privation  de  vons 
voir  ;  mais  il  la  faut  porter  en  paix  tant  qu'il  plaira  à 
Dieu,  et  jusqu'à  la  mort  s'il  le  veut.  Renfermez-vous 
dans  vos  véritables  devoirs.  Du  r-este,  soyez  retiré  et 
recueilli ,  appliqué  à  bien  régler  vos  affaires  ,  patient 
dans  les  croix  domestiques.  Pour  madame ,  je  prie 
Dieu  qu'elle  ne  regarde  jamais  derrière  elle  ^  et  qu'elle 
tende  toujours  en  avant  dans  la  voie  la  plus  droite. 
Je  souhaite  que  Notre-Seigneur  bénisse  toute  votre 
maison  ,  et  qu'elle  soit  la   sienne. 

108  ^  t3o) 

Comment  les  inficlélités  3'«ine  personne  attristent  rcsprit  de  Dieu  ,  dans 
une  autre  que  la  même  grâce  unit. 

Je  comprends  bien  ce  que  vous  me  dites  sur  une 
peine  qui  vous  paraît  trop  forte  et  trop  alongée  dans 

N sur  vos  fautes  ;  mais  ce  n'est  point   à  vous  à 

juger  si  cette  peine  va  trop  loin.  Quand  un  homme  , 
qui  ,  comme  vous  ,  est  depuis  si  long-temps  à  Dieu , 
duquel  il  a  reçu  des  grâces  capables  de  sanctifier  cent 
pécheurs  y  tombe  dans  certaines  infidélités ,  il  ne  faut 
pas  s'étonner  que  l'esprit  de  grâce  en  soit  vivement 
et  long-temps  contristé  dans  les  personnes  que  la 
même  grâce  unit  intimement  avec  lui. 

Vous  vous  impatientez  de  ce  que  Dieu  fait  souffrir 
votre  prochain  pour  vous  ;  c'est  de  la  pénitence  que 
vous  devriez  faire  ,  que  vous  ne  faites  pas ,  et  que 

N fait  dans  son  cœur   pour  vous ,  que  vous  êtes 

dépité  contre  elle.  C'est  au  contraire  ce  qui  devrait 
vous  attendrir  ,  redoubler  votre  confiance  ,  votre  sou- 


LETTRES   SPIRITUELLES.  2(>1 

mission ,  Tofre  docilité.  Peut-être  même  ayez-vous 
besoin  de  cette  triste  ,  forte  et  longue  peine ,  afin 
qu'elle  vous  fasse  sentir  toute  votre  infidélité  et  tout 
le  danger  où  vous  êtes.  Il  vous  faut  cette  petite  sévé- 
rité pour  faire  le  contre-poids  de  voire  légèreté  ;  vous 
avez  besoin ,  dans  votre  faiblesse,  d'être  retenu  par  la 
crainte.  Je  la  prie  néanmoins  de  proportionner  sa  tris- 
tesse à  votre  délicatesse  excessive.  Je  ne  lui  demande 
pas  de  la  supprimer  par  effort  et  par  industrie ,  pour 
vous  épargner  et  pour  flatter  votre  amour-propre 
dans  vos  fautes  :  à  Dieu  ne  plaise  !  Je  la  prie  seule- 
ment de  n'agir  que  par  grâce ,  suivant  le  fond  de  son 
cœur  ,  afm  qu'elle  ne  s'attriste  point  de  vos  infidéli- 
tés par  une  tristesse  naturelle.  Vous  me  donnez  une 
joie  incroyable  en  me  marquant  l'avancement  où  vous 
la  voyez.  Plus  elle  est  avancée ,  plus  vous  devez  la 
croire  et  regarder  toutes  ces  peines  à  votre  égard 
comme  des  impres^ons  de  la  grâce  qu'elle  reçoit 
pour  vous. 

Pendant  qu'elle  avance,  vous  reculez.  O  mon  cher! 
si  je  pouvais  vous  voir ,  je  ne  vous  laisserais  pas  res- 
pirer par  amour-propre  ;  je  ne  vous  laisserais  échap- 
per en  rien;  je  vous  ferais  petit  malgré  vous.  Il  n'y 
a  que  la  petitesse  qui  soit  la  ressource  des  faibles.  Un 
petit  enfant  ne  peut  marcher  ,  mais  il  se  laisse  tour- 
ner et  retourner,  porter,  emmailloter.  Pour  un  grand 
homme  qui  est  faible  et  se  croit  fort ,  il  tombe  au 
premier  pas  qu'il  fait  ;  il  n'a  ni  ressource  pour  se  con- 
duire ,  ni  souplesse  pour  se  laisser  conduire  par  au- 
trui. Dès  que  vous  sentez  de  la  répugnance  à  vous 
ouvrir  et  à  croire  _,  comptez  que  la  tentation  vous  en- 
traîne vers  le   ])récipice. 


202  LETTRES    SPIRITUELLES. 


(33)  109  *. 

L'union  des  âmes  ne  doit  point  être  une  société  de  vie ,  mais  de  mort , 
tant  pour  le  dehors  que  pour  le  dedans. 

Votre  lettre ,  monsieur ,  m'a  donné  une  très-sen- 
gible  consolation.  Béni  soit  Dieu  qui  vous  donne  des 
lumières  si  utiles  !  Mais  notre   fidélité  doit  être  pro- 
portionnée aux  lumières  que  nous  recevons.  Puisque 
vous  connaissez  que  votre  société  avec  N...  se  tourne 
en  piège  pour  vous ,  au  lieu  d'être  un  secours  ,  vous 
devez  redresser  cette   société,  Il  ne   faut  pas  songer 
à  la  rompre  ,  puisqu'elle  est  de  grâce  aussi  bien  que 
de  nature  ;  mais  il  faut  la  mettre ,  quoi  qu'il  en  coûte , 
au  peint  où  Dieu  1^  veut.  Hélas  !  que  sera-ce ,  si  ceux 
qui  sont  donnés  les   uns   aux   autres  pour  s'aider  à 
mourir,  ne  font  que  se  redonner  des  alimens  de  vie 
secrète  ?  Il  faut  que  toute  votre  union  ne  tende  qu'à 
la   simplicité ,    qu'à   l'oubli    de   vous-même ,    qu'à   la 
perte  de  tous  les  appuis.  En  perdant  ceux  du  dedans, 
vous  en  chercliez  encore  au    dehors.  Le   dedans  est 
souvent   simple  et  nu  ;  mais  le   dehors  est  composé  , 
étudié  ,  politique  ,  et  trouble  la  simplicité  intérieure, 
Vous  faites  bon  marché  du  principal  ,   et  vous  clii^ 
canez  le   terrain  sur  ce  qui  ne  regarde  que  le  monde, 
Ce  n'est  point  là  cette  unité  à  laquelle  il  faut  que 
tqut  homme  soit  réduit.  Soyez  tout  un  ou  tout  autre, 
L'intérieur  abandonné  à  Dieu  rède  assez  l'extérieur 
par  l'esprit  de  Dieu  même.  Dieu  fait  assez  faire  dans 
cette  simplicité  d'abandon    tout   ce  qu'il  faut  :   mais 
si  on  sort  de   la  simplicité   pour   le   dehors  par  des 
vues  humaines ,  cette   sortie   est  une   infidélité   qui 


LETTRES    SPIRITUELLES.  203 


dérange  tout  le  dedans.  Ce  n'est  point  à  vous,  nion- 
sit'iir ,  à  vous  laisser  entraîner  contre  votre  grâce  ; 
c'est  au  contraire  à  vous  à  redresser  les  autres  qui 
sont  encore  trop  humains.  Vous  devez  borner  votre 
docilité  ,  à  recevoir ,  par  petitesse ,  les  avis  de  tous 
ceux  qui  vous  montreront  que  vous  ne  suivez  pas 
assez  votre  grâce  ,  et  que  vous  agissez  trop  lumiai- 
nement  ;  mais  vous  laisser  entraîner  dans  riiumain 
par  les  autres  sous  de  beaux  prétextes  ,  c'est  reculer , 
et  leur  nuire  comme  ils  vous  nuisent.   Je   ne  man- 

([ucrai  pas  de  le  dire  à  N quand  il  repassera. 

Votre  union  ne  doit  faire  qu'augmenter,  mais  pour 
Ja  mort  conmiune  et  totale,  tant  du  dehors  que  du 
dedans.  Quand  celle  du  dehors  manque ,  elle  manque 
par  le  dedans ,  qui  veut  encore  se  réserver  quelque 
vie  secrète  par  le  dehors.  Il  est  temps  d'achever  de 
mourir,  monsieur.  En  retardant  le  dernier  coup,  vous 
ne  faites  que  languir  et  prolonger  vos  douleurs.  Vous 
ne  sauriez  plus  vivre  que  pour  souffrir  en  résistant 
à  Dieu.  Mourez  donc ,  laissez-vous  mourir  ;  le  dernier 
coup  sera  le  coup  de  grâce.  Il  ne  faut  plus  vouloir 
rien  voir  :  car  vouloir  voir  ,  c'est  vouloir  posséder  ;  et 
vouloir  posséder ,  c'est  vouloir  vivre.  Les  moits  ne 
possèdent  et  ne  voient  plus  rien.  Aussi  l)ien  que  ver- 
riez-\ous?  Vous  courriez  après  une  ombre  qui  écliappe 
toujours.  Mille  fois  tout  à  vous. 


2d4  lettres  spirituelles. 

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(3G)  110  *. 

Avis  pour  «ne  personne  attirée  an  recueillement ,  et  qui  songeait  à 
entrer  au  couvent. 

Je  ne  manquerai  à  aucune  des  personnes  que  la 
Providence  m'envoie,  que  quand  je  manquerai  à  Dieu 
même  ;  ainsi  ne  craignez  pas  que  je  vous  abandonne. 
D'ailleurs  Dieu  saurait  bien  faire  immédiatement  par 
lui-même  ce  qu'il  cesserait  de  faire  par  un  vil  in- 
strument. Ne  craignez  rien  ,  hoynme  de  peu  de  foi. 
Demeurez  exactement  dans  vos  bornes  ordinaires  ; 
réservez  votre  entière  coniiance  pour  N....  qui  vous 
connaît  à  fond ,  et  qui  peut  seul  vous  soulager  dans 
vos  peines  ;  il  lui  sera  donné  de  vous  aider  dans  tous 
vos  besoins.  Nul  couvent  ne  vous  convient  ;  tous 
vous  généraient  ,  et  vous  mettraient  sans  cesse  en 
tentation  très-dangereuse  contre  votre  attrait  :  la 
gêne  causerait  le  trouble.  Demeurez  libre  dans  la 
solitude ,  et  occupez-vous  en  toute  simplicité  entre 
Dieu  et  vous.  Tous  les  jours  sont  des  fêtes  pour  les 
personnes  qui  tâcbent  de  vivre  dans  la  cessation  de 
toute  autre  volonté  que  de  celle  de  Dieu.  Ne  lui  mar- 
quez jamais  aucune  borne.  Ne  retardez  jamais  ses 
opérations.  Pourquoi  délibérer  pour  ouvrir ,  quand 
c'est  l'Epoux  qui  est  à  la  porte  du  cœur  ?  Écoutez  et 

croyez   N Je  veux  au  nom  de  Notre-Seigneur  que 

vous  soyez  en  paix.  Ne  vous  écoutez  point.  Ne  clier- 
cliez  jamais  la  personne  qui  s'écarte  :  mais  tenez-vous 
à  portée  de  redresser  et  de  consoler  son  cœur ,  s'il  se 
rapprocbe. 

Il  y  a  une  extrême  différence  entre  la  peine  et  le 


LETTRES    SPIRITUELLES.  sGS 

trouljle.  La  simple  peine  fait  le  purgatoire;  le  trouble 
fait  l'enfer.  La  peine  sans  iiifidciité  est  douce  et  pai- 
sible ,  par  l'accord  où  toute  l'ame  est  avec  elle-même 
pour  vouloir  la  soullraiice  que  Dieu  donne.  Mais  le 
trouble  est  une  révolte  du  fond  contre  Dieu ,  et  une 
division  de  la  volonté  contraire  à  elle-même  ;  le  fond 
de  l'ame  est  comme  décbiré  dans  cette  division, 
O  cjue  la  douleur  est  puriliante  quand  elle  est  seule  ! 
0  qu'elle  est  douce ,  quoiqu'elle  fasse  beaucoup  souf- 
frir !  Vouloir  ce  qu'on  souffre  ,  c'est  ne  soulï'rir  rien 
dans  la  a  oloiilé  ;  c'est  y  être  en  paix.  Heureux  germe 
du  paradis  dans  le  purgatoire  !  Mais  résister  à  Dieu 
sous  de  beaux  prétextes  ,  c'est  engager  Dieu  à  nous 
résister  à  son  tour.  En  sortant  de  votre  grâce  ,  vous 
sortez  d'abord  de  la  paix  ;  et  cette  expérience  est 
conmie  la  colonne  de  feu  pour  la  nuit  et  celle  de  nuée 
pour  le  jour ,  qui  conduisait  dans  le  désert  les  Israé- 
lites. Vivez  de  foi ,  pour  mourir  à  toute  sagesse. 


VWVWV«.«%%VW%  Wk  «wwvwx  VWW%  W%WVV%%W%%W%%'V 


(i35)  111    *. 

Avis  sur  le  choix  des  sociétés.  Ne  pas  trop  raisonner  sur  notre  état 
intérieur. 


La  solitude  vous  est  utile  jusqu'à  un  certain  point, 
elle  vous  convient  mieux  qu'une  règle  de  commu- 
nauté ,  qui  gênerait  votre  attrait  de  grâce  ;  mais  vous 
pourriez  ll<cilement  vous  mécompter  sur  votre  goût 
de  retraite.  Contentez-vous  de  ne  voir  que  les  per- 
sonnes avec  lesquelles  vous  avez  des  liaisons  inté- 
rieures de  grâce  ,  ou  des  liaisons  extérieures  de  pro- 
vidence  :   encore  même  ne  faut-il   point  vous   faire 


26Ô  LETTRES   SPIRITUELLES, 

une  pratique  de  ue  voir  que  les  personnes  de  ces  deux 
sortes  ;  et ,  sans  tant  raisonner ,  il  faut  ,  en  chaque 
occasion ,  suivre  votre  cœur ,  pour  voir  ou  ne  pas  voir 
les  personnes  qu'il  est  permis  communément  de  voir  ; 
surtout  ne  vous  éloignez  point  de  celles[qui  peuvent 
vous  soutenir  dans  votre  vocation. 

Je  voudrais  que  vous  évitassiez  toute  activité  par 
rapport  à  la  personne  sur  laquelle  vous  me  deman- 
dez mon  avis.  Ne  vous  faites  point  une  règle  ni  de 
vous  éloigner ,  ni  de  vous  rapprocher  d'elle.  Tenez- 
vous  seulement  à  portée  de  lui  être  utile ,  et  de  lui 
dire  la  vérité  toutes  les  fois  qu'elle  reviendra  à  vous. 
Ne  la  rebutez  jamais  :  montrez-lui  un  coeur  toujours 
ouvert  et  toujours  uni.  Quand  elle  paraîtra  s'éloi- 
gner^ écrivezdui,  selon  les  occasions,  avec  simplicité, 
pour  la  rappeler  à  la  véritable  vocation  de  Dieu. 
Avertissez-la  des  pièges  à  craindre  ;  mais  ne  vous  in- 
quiétez point ,  et  n'espérez  pas  de  corriger  l'humain 
par  une  activité  humaine. 

Vous  doutez ,  et  vous  ne  pouvez  porter  le  doute. 
Je  ne  m'en  étonne  pas  ;  le  doute  est  un  supplice. 
Mais  ne  raisonnez  point  et  vous  ne  douterez  plus. 
L'obscurité  de  la  pure  foi  est  bien  différente  du  doute. 
Les  peines  de  la  pure  foi  portent  leur  consolation  et 
leur  fruit.  Après  qu'elles  ont  anéanti  l'homme  ,  elles 
le  renouvellent  et  le  laissent  en  pleine  paix.  Le  doute 
est  le  trouble  d'une  ame  livrée  à  elle-même ,  qui 
voudrait  voir  ce  que  Dieu  veut  lui  cacher  ,  et  qui 
cherche  des  sûretés  impossibles  par  amour-proj)re. 
Qu'avez- vous  sacrifié  à  Dieu  ,  sinon  votre  propre  ju- 
gement et  votre  intérêt?  Voulez-vous  perdre  de  vue 
ce  qui  a  toujours  été  votre  but  dès  le  premier  pas 


I^ETTRPS   SPIRITUELLES,  qG'] 

que  VOUS  avez  fait,  savoir,  de  vous  abandonner  à 
Dieu  ?  Voulez-vous  faire  naufrage  au  port ,  vous  re- 
prendre, et  demander  à  Dieu  qu'il  s'assujettisse  à  vos 
règles ,  au  lieu  qu'il  veut  et  que  vous  lui  avez  pro- 
mis de  marcher  comme  Abraham  dans  la  profonde 
jiuit  de  la  foi  ?  Et  quel  mérite  auriez-vous  à  faire  ce 
que  vous  faites ,  si  vous  aviez  des  miracles  et  des  ré- 
vélations pour  vous  assurer  de  votre  voie  ?  Les  mi^ 
racles  mêmes  et  les  révélations  s'useraient  bientôt , 
et  vous  retomberiez  encore  dans  vos  doutes.  Vous 
vous  livrez  à  la  tentation.  Ne  vous  écoutez  plus  vous- 
même.  Votre  fond ,  si  vous  le  suivez  simplement , 
dissipera  tous  ces  vains   fantômes. 

11  y  a  une  extrême  différence  entre  ce  que  votre 
esprit  rassemble  dans  sa  peine ,  et  ce  que  votre  fond 
conserve  dans  la  paix,  Le  dernier  est  de  Dieu  ;  l'autre 
u'est  que  votre  amour-propre.  Pour  qui  êtes-vous  en 
peine?  pour  Dieu,  ou  pour  vous?  Si  ce  n'était  que 
pour  Dieu  seul ,  ce  serait  une  vue  simple ,  paisible , 
forte  ,  et  qui  nourrirait  votre  cœur  ,  et  vous  dépouil- 
lerait de  tout  appui  créé.  Tout  au  contraire  ,  c'est  de 
vous  que  vous  êtes  en  peine,  C'est  uiie  inquiétude  , 
un  troid^le ,  une  dissipation  ,  un  dessèchement  de 
cœur ,  une  avidité  naturelle  de  reprendre  des  appuis 
humains ,  et  de  ne  vous  laisser  jamais  mourir. 

Que  puis-je  vous  répondre  ?  Vous  demandez  à 
être  revêtue  ;  je  ne  puis  vous  souhaiter  que  dépouille- 
ment. Vous  voulez  des  sûretés,  et  Dieu  est  jaloux  de 
ne  vous  en  souffrir  aucune,  Vous  cherchez  à  vivre , 
et  il  ne  s'agit  plus  que  d'achever  de  mourir  et  d'ex- 
pirer dans  le  délaissenient  sensible.  Vous  nie  deman- 
dez des  moyens  j  il  n'y  a  plus  de  moyeiis  :  c'est  en 


aGS  LETTRES    SPIRITUELLES. 

les  laissant  tomber  tous ,  que  l'œuvre  de  mort  se  con- 
somme. Que  reste-t-il  à  faire  à  celui  qui  est  sur  la 
roue  ?  Faut-il  lui  donner  des  remèdes  ou  des  alimens  ? 
lui  faut-il  donner  les  cordiaux  qu'il  demande  ?  Non  ; 
ce  serait  prolonger  son  supplice  par  une  cruelle  com- 
plaisance ,  et  éluder  l'exécution  de  la  sentence  du 
juge.  Que  faut-il  donc  ?  Rien  que  ne  rien  faire ,  et 
le  laisser  au  plus  tôt  mourir. 

(,;5)  112*. 

Réunion  en  unité  dans  notre  centre  commun. 

Demeurons  tous  dans  notre  unique  centre  ^  où 
nous  nous  trouvons  sans  cesse  ,  et  où  nous  ne  sommes 
tous  qu'une  même  chose.  0  qu'il  est  vilain  d'être 
deux  5  trois,  quatre,  etc.!  Il  ne  faut  être  qu'un.  Je 
ne  veux  connaître  que  l'unité.  Tout  ce  que  l'on  compte 
au-delà  vient  de  la  division  et  de  la  propriété  d'un 
chacun.  Fi  des  amis  !  Ils  sont  plusieurs  ,  et  par  con- 
séquent ils  ne  s'aiment  guère  ,  ou  s'aiment  fort  mal.  Le 
moi  s'aime  trop  pour  pouvoir  aimer  ce  qu'on  appelle 
lui  ou  elle.  Comme  ceux  qui  n'ont  qu'un  seul  amour 
sans  propriété  ont  dépouillé  le  moi  _,  ils  n'aiment  rien 
qu'en  Dieu  et  pour  Dieu  seul.  Au  contraire ,  chaque 
homme  possédé  de  l'amour-propre  n'aime  son  pro- 
chain qu'en  soi  et  pour  soi-même.  Soyons  donc  unis , 
.par  n'être  rien  que  dans  notre  centre  commun ,  où 
tout  est  confondu  sans  ombre  de  distinction.  C'est  là 
que  je  vous  donne  rendez-vous  ,  et  que  nous  habite- 
rons ensemble.  C'est  dans  ce  point  indivisible  ,  que  la 
Chine  et  le  Canada  se  viennent  joindre  ;  c'est  ce  qui 
anéantit  toutes  les  distances. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  2i)C) 

Au  nom  de  Dieu,   que  N soit  simple,  pelit , 

ouvert,  sans  réserve,  défiant  de  soi  et  dépendant  de 
vous.  11  trouvera  en  vous  non-seulement  tout  ce  qui 
lui  manque^  mais  encore  tout  ce  que  vous  n'avez 
point  ;  car  Dieu  le  fera  passer  par  vous  pour  lui ,  sans 
vous  le  donner  pour  vous-même.  Qu'il  croie  petite- 
ment ,  qu'il  vive  de  pure  foi ,  et  il  lui  sera  donné  à 
proportion  de  ce  qu'il  aura  cru. 

AVIS  SUR  L'EXERCICE  DE  LA  DIRECTION. 
(a45)  113  *. 

Sur  les  scrupules  et  leurs  remèdes. 

Je  suis  véritablement  affligé ,  monsieur  ,  des  peines 
que  vous  m'apprenez  que  madame  votre  sœur  souffre. 
J'ai  vu  souvent ,  et  je  vois  encore  tous  les  jours  des 
personnes  que  le  scrupule  ronge.  C'est  une  espèce  de 
martyre  intérieur  :  il  va  jusqu'à  une  espèce  de  dérai- 
son et  de  désespoir  ,  quoique  le  fond  soit  plein  de  rai- 
son et  de  vertu  .  L'unique  remède  contre  ces  peines 
est  la  docilité.  Il  faut  examiner  à  qui  est-ce  qu'on 
donne  sa  confiance  ;  mais  il  faut  la  donner  à  quelqu'un  , 
et  obéir  sans  se  permettre  de  raisonner.  Qu'est-ce  que 
pourrait  faire  le  directeur  le  plus  saint  et  le  plus 
éclairé  ,  pour  vous  guérir  ,  si  vous  ne  lui  dites  pas 
tout ,  et  si  vous  ne  voulez  pas  faire  ce  qu'il  dit  ?  Il  est 
Trai  qvie ,  quand  on  est  dans  l'excès  de  trouble  que  le 
scrupule  cause  ,  on  est  tenté  de  croire  qu'on  ne  peut 
être  entendu  de  personne ,  et  que  les  plus  expérimen- 
tés directeurs  ,  faute  d'entendre  cet  état ,  donnent  des 
conseils  disproportionnés  j  mais  c'est  une  erreur  d'une 


2'JO  LETTRES    SPIRITUELLES» 

imagination  dominante ,  qui  n'aboutît  qu'à  Une  îticîo- 
cilité  incural)le  ,  si  on  la  suit.  Doit-on  se  rendre  juge 
de  sa  propre  conduite ,  dans  un  état  de  tentation  et 
de  trouble  ou  l'on  n'a  qu'à  demi  l'usage  de  sa  raison  ? 
N'est-ce  pas  alors ,  plus  que  jamais  ,  qu'on  a  besoin 
de  redoubler  sa  docilité  pour  un  directeur ,  et  sa  dé-^ 
fiance  de  soi  ?  Ne  doit^on  pas  croire  que  DieU  ne  nous 
manque  point  dans  ces  rudes  épreuves ,  et  qu'alors  il 
éclaire  un  directeur  dans  lequel  on  ne  cberclie  que 
lui ,  afin  qu'il  nous  donne  des  conseils  proportionnés 
à  ce  pressant  besoin  ?  Dieu  ne  permet  pas  que  nous 
soyons  tentés  au-dessus  de  7ws  forces  ^  comme  saint 
Paul  nous  l'assure  (a).  Mais  c'est  aux  âmes  simples  et 
dociles ,  qu'il  promet  de  leur  tendre  toujours  la  main 
dans  ces  violentes  tentations.  C'est  manquer  à  Dieu , 
c'est  lui  faire  injure  ,  c'est  mal  juger  de  sa  bonté  ,  que 
de  douter  qu'il  ne  donne  à  un  bon  directeur  tout  ce 
qu'il  faut  pour  nous  préserver  du  naufrage  dans  cette 
tempête.  Je  conviens  qu'il  faut  tolérer  dans  une  per- 
sonne ,  pendant  l'excès  de  sa  peine  ,  certaines  impa^ 
tiences ,  certaines  inégalités ,  certaines  saillies  irrégu- 
lières ,  et  même  certaines  contradictions  de  paroles 
ou  de  conduite  passagère  ;  mais  il  faut  qu'après  ces 
coups  de  surprise  le  fond  revienne  toujours ,  et  qu'on 
y  trouve  une  détermination  sincère  à  une  docilité 
constante. 

Pour  tout  le  reste  ,  il  dépend  du  détail  que  j'ignore. 
Mais  enfin  quelque  remède  que  madame  votre  sœur 
cberclie,  quelque  cbangement  qu'elle  veuille  essayer, 
à  quelque  pratique  qu'elle  recoure ,  il  lui  faut  un  di- 

[a)  I  Cor.  X.   i3. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  2^1 

recteur  (ju'elle  ne  quitte  point.  Clianger  de  directeur , 
c'est  se  rendre  maître  de  la  direction  ,  à  laquelle  on 
devrait  être  soumis.  Une  direction  ainsi  variée  n'est 
plus  lUie  direction  ;  c'est  une  indocilité  qui  cherche 
partout  à  se  flatter  elle-même.  La  plus  sévère  de  toutes 
les  pénitences  est  l'humiliation  intime  de  l'esprit;  c'est 
le  renoncement  à  se  croire  et  à  s'écouter  ;  c'est  l'hum- 
ble dépendance  de  l'homme  de  Dieu  ;  c'est  la  pau- 
vreté d'esprit ,  qui ,  selon  l'oracle  de  Jésus-Christ , 
rend  Tliomme  bienheureux  :  autrement  on  tourne  la 
mortification  en  aliment  secret  de  l'amour-propre. 
Tâchez  de  faire  en  sorte  qu'elle  se  fixe  ,  et  qu'elle  cap- 
tive son  esprit  avec  foi  en  la  bonté  de  Dieu  ,  et  qu'elle 
obéisse  simplement.  C'est  la  source  de  la  paix. 


(i83) 


114 


Importance  de  s'ouvrir  sur  les  petites  choses ,  et  de  renoncer  à  ce  qu'on 
appelle  esprit. 

Il  y  a  une  chose  dans  voire  lettre  qui  ne  me  plaît 
point ,  c'est  de  croire  qu'il  ne  faut  point  me  dire  les 
petites  choses  qui  vous  occupent ,  parce  que  vous  sup- 
posez que  je  les  méprise  ,  et  que  j'en  serais  fatigué. 
Non,  en  vérité,  je  ne  méprise  rien,  et  je  serais  moi- 
même  bien  méprisable  si  j'étais  méprisant.  Il  n'y  a 
persoime  qui  ne  soit  malgré  soi  occupé  de  beaucoup 
de  petites  choses.  La  vertu  ne  consiste  point  à  n'avoir 
pas  cette  multitude  de  pensées  inutiles  ;  mais  la  fidé- 
lité consiste  à  ne  les  suivre  pas  volontairement ,  et  la 
simplicité  demande  qu'on  les  dise  telles  qu'elles  sont. 
Ces  choses ,  il  est  vrai ,  sont  petites  en  elles-mêmes  ; 


2^2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mais  il  n'y  a  rien  de  si  grand  devant  Dieu  ,  qu'une 
anie  qui  s'apetisse  pour  les  dire  sans  écouter  son 
amour-propre.  D'ailleurs  ces  petites  choses  feront 
bien  mieux  connaître  votre  fond  ,  que  certaines  cho- 
ses plus  grandes  ,  qui  sont  accompagnées  d'une  plus 
grande  préparation  et  de  certains  efforts  où  le  natu- 
rel paraît  moins.  Un  malade  dit  tout  à  son  médecin  , 
et  il  ne  se  contente  pas  de  lui  expliquer  les  grands 
accidens  ;  c'est  par  quantité  de  petites  circonstances , 
qu'il  le  met  à  portée  de  connaître  à  fond  son  tempé- 
rament ,  les  causes  de  son  mal ,  et  les  remèdes  propres 
à  le  guérir.  Dites  donc  tout ,  et  comptez  que  vous  ne 
ferez  rien  de  bon  ,  qu'autant  que  vous  direz  tout  ce 
que  la  lumière  de  Dieu  vous  découvrira  pour  vous 
le  faire  dire. 

Je  trouve  que  vous  avez  raison  de  ne  souhaiter  pas 
de  lire  présentement  sainte  Thérèse  :  ce  qui  vous  en 
empêche  est  très-bon.  Vous  ne  serez  jamais  tant  selon 
le  bon  plaisir  de  Dieu  ,  que  quand  vous  renoncerez 
à  ce  qu'on  appelle  esprit ,  et  que  vous  négligerez  le 
vôtre  ,  comme  une  femme  bien  détrompée  du  monde 
renonce  à  la  parure  de  son  corps.  L'ornement  de  l'es- 
prit est  encore  plus  ûatteur  et  plus  dangereux.  Lisez 
bien  saint  François  de  Sales.  Il  est  au-dessus  de  l'es- 
prit  •  il  n'en  donne  point ,  il  en  ôte  ,  il  fait  qu'on  n'en 
veut  plus  avoir  -,  c'est  une  maladie  dont  il  guérit. 
Bienheureux  les  pauvres  d'esprit  {a)  !  Cette  pauvreté 
est  tout  ensemble  leur  trésor  et  leur  saeesse. 

o 

(a)  Matih.  Y.  3. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  278 

***  v>rv*%vvvvv»%»<r»%%v»%%v»v»»v%%»v»v»vv»%%vyvvv»vv>v>%v>vvwm/\%»v%v»»»»vww\>%* 

115  *.  (,86) 

Etre  fidèle  à  déclarer  les  peines  intérieures. 

Je  ne  suis  nullement  surpris  de  vos  peines.  Il  est 
naturel  que  vous  les   ressentiez.  Elles  doivent  seule- 
ment servir  à  vous  faire  sentir  votre  impuissance  ,  et 
à  vous  faire  recourir  humblement  à  Dieu.  Quand  vous 
sentez  votre  cœur  vaincu  par  la  peine ,  soyez  simple 
et  ingénue  pour  le  dire.  N'ayez  point  de  honte  de 
montrer  votre  faiblesse  ,  et  de  deriiander  du  secours 
dans  ce  pressant  besoin.  Cette  pratique  vous  accou- 
tumera à  la  simplicité  ,  à  l'humilité  ,  à  la  dépendance. 
Elle  détruira  beaucoup   l'amour-propre ,  qui  ne  vit 
(|ue  de  déguisemens ,  pour  faire  bonne  mine  quand 
il  est  au  désespoir.  D'ailleurs ,  cherchez  à  vous  amu- 
ser à  toutes  les  choses  qui  peuvent  adoucir  votre  soli- 
tude et  vous  garantir  de  l'ennui ,  sans  vous  passionner 
ni  dissiper  par  le  goût  du  monde.  Si  vous  gardiez  sur 
le  cœur  vos  peines ,  elles  se  grossiraient  toujours,  et 
elles  vous  surmonteraient  enfin.  Le  faux  courage  de 
l'amour-propre  vous  causerait  des  maux  infinis.  Le 
venin  qui  rentre  est  mortel  ;  celui  qui  sort  ne  fait  pas 
grand  mal.   Il  ne  faut  point  avoir  de   honte  de  voir 
sortir  le  pus  qui  sort  de  la  plaie  du  cœur.  Je  ne  m'ar- 
rête nullement  à  certains  mots  qui  vous  échappent , 
et  que  l'excès  de  la  peii^e  vous  fait  dire  contre  le  fond 
de  votre  véritable  volonté.    Il   sullit  que  ces   saillies 
vous  apprennent  que  vous   êtes  faible  ,  et  que  vous 
consentiez  à  voir  votre  faiJjlesse  et   à  la  laisser  voir 
à  autrui. 

CoRRESP.    IV.  3 


i'j4  LETTRES    SPIRITUELLES. 


(.8;)  116   *. 

Pourquoi  tt  comment  on  floit  s'ouvrir  dans  ses  peines.  Manière  de 
converser  avec  Dieu. 


Rien  ii'est  meilleur  que  de  dire  tout.  On  ouvre  son 
cœur  ;  on  guérit  ses  peines  en  ne  les  gardant  point  : 
on  s'accoutume  à  la  simplicité  et  à  la  dépendance  ; 
car  on  ne  réserve  que  les  choses  sur  lesquelles  on 
craint  de  s'assujettir  :  enfin  on  s'humilie  ,  car  rien  n'est 
plus  humiliant  que  de  développer  les  replis  de  son 
cœur  pour  découvrir  toutes  ses  misères  ;  mais  rien 
n'attire   tant  de  bénédiction. 

Ce  n'est  pas  qu  il  faille  se  faire  Une  règle  et  une 
méthode  de  dire  avec  une  exactitude  scrupuleuse  tout 
ce  qu'on  pense  :  on  ne  finirait  jamais ,  et  on  serait 
toujours   en   inquiétude    de   peur  d'oublier  quelque 
chose.  Il  suffit  de  ne  rien  réserver  par  défaut  de  sim- 
plicité et  par  une  mauvaise  honte  de  l'amour-propre  , 
qui  ne  voudrait  jamais   se  laisser  voir  que  par  ses 
beaux  endroits  ;  il  suffit  de  n'avoir  nul  dessein  de  ne 
dire  pas  tout  selon  les  occasions  :  après  cela  ,  on  dit 
plus  ou  moins  sans  scrupule ,  suivant  que  les  occa- 
sions et  les  pensées  se  présentent.  Quoique  je  sois  fort 
occupé,  et  peut-être  souvent  fort  sec  ,  cette  simplicité 
de  grâce  ne  me  fatiguera  jamais;  au  contraire,  elle 
augmentera  mon  ouverture  et  mon  zèle.  Il  ne  s'agit 
point  de  sentir ,   mais  de  voi^iloir.   Souvent  le  senti- 
ment ne  dépend  pas  de  nous  ;  Dieu  nous  l'ôte  tout 
exprès  pour  nous  faire  sentir  notre  pauvreté ,  pour 
nous  accoutumer  à  la  croix  par  la  sécheresse  inté- 
rieure,  et  pour  nous  purifier  ,  en  nous  tenant  attachés 


LETTRES    SPIRITUELLES.  2'J.) 

à  lui  sans  cette  consolation  sensible.  Ensuite  il  nous 
rend  ce  soulagement  de  temps  eu  temps,  pour  com- 
])alir  à  notre  faiblesse. 

Soyez  avec  Dieu  ,  non  en  conversation  guindée , 
comme  avec  les  gens  qu'on  voit  par  cérémonie  et  avec 
qui  on  fait  des  complimens  mesurés ,  mais  comme 
avec  une  bonne  amie  qui  ne  vous  gêne  en  rien  ,  et  que 
vous  ne  gênez  point  aussi.  Ou  se  voit,  on  se  parle, 
on  s'écoute ,  on  ne  se  dit  rien  ,  on  est  content  d'être 
ensemble  sans  se  rien  dire  ;  les  deux  cœurs  se  repo- 
sent et  se  voient  l'un  dans  l'autre ,  ils  n'en  font  qu'un 
seul  ;  on  ne  mesure  point  ce  qu'on  dit ,  on  n^a  soin 
de  rien  insinuer ,  ni  de  rien  amener  ;  tout  se  dit  par 
simple  sentiment  et  sans  ordre  -,  on  ne  réserve ,  ni  ne 
tourne ,  ni  ne  façonne  rien  -,  on  est  aussi  content  le 
jour  qu'on  a  peu  parlé  ,  que  celui  qu'on  a  eu  beau- 
coup à  dire.  On  n'est  jamais  de  la  sorte  qu'imparfai- 
tement avec  les  meilleurs  amis  ;  mais  c'est  ainsi  qu'on 
est  parfaitement  avec  Dieu ,  quand  on  ne  s'enveloppe 
point  dans  les  subtilités  de  son  amour-propre.  Il  ne 
faut  point  aller  faire  à  Dieu  des  visites,  pour  lui  ren- 
dre un  devoir  passager  ;  il  faut  demeurer  avec  lui 
dans  la  privante  des  domestiques ,  ou ,  pour  mieux 
dire ,  des  enfans.  Soyez  avez  lui  comme  mad.  votre 
fille  est  avec  vous  ;  c'est  le  moyen  de  ne  s'y  point 
ennuyer.  Essayez-le  avec  cette  simplicité ,  et  vous 
m'en  direz  des  nouvelles. 


2-76  LETTRES    SPIRITUELLES. 

(.99)  '"•• 

La  simplicilô  h  s'onvinr  doit  être  sans  réserve  d'ainoiir-propre.  Ne  se 
point  dépiter  à  la  vue  de  ses  défauts. 

Il  ne  faut  point  délibérer  pour  savoir  si  tous  de- 
vez tout  dire.  On  ne  peut  rien  faire  de  bon ,  que  par 
une  entière  simplicité  et  par  une  ouverture  de  cœur 
sans  réserve.  Il  n'y  a  point  d'autre  règle  ,  que  celle  de 
ne  rien  réserver  volontairement  par  la  répugnance 
que  Tamour-propre  aurait  à  dire  ce  qui  lui  est  dés- 
avantageux. D'ailleurs  il  serait  bors  de  propos  de 
s'appliquer  ^  pendant  l'oraison  ,  aux  cboses  qui  se  pré- 
sentent ,  pour  les  dire  ;  car  ce  serait  suivre  la  distrac- 
tion. Il  sufîit  de  dire  dans  les  occasions ,  avec  épan- 
cliement  de  cœur ,  tout  ce  qu'on  connaît  de  soi.  Je 
comprends  bien  qu'un  certain  trouble  de  l'amour- 
propre  fait  que  diverses  choses  ,  que  l'on  comptait  de 
dire ,  échappent  dans  le  moment  où  l'on  en  doit  par- 
ler ;  mais ,  outre  qu'elles  reviennent  un  peu  plus  tard  , 
et  qu'on  ne  perd  pas  toujous  les  choses  importantes 
que  l'on  connaît  de  soi-même  ,  de  plus  Dieu  bénit 
cette  simplicité ,  et  il  ne  permet  pas  qu'on  ne  fasse 
point  connaître  ce  que  sa  lumière  nous  montre  en 
nous  de  contraire  à  sa  grâce.  Le  principal  point  est 
de  ne  pas  trop  siibtiliser  par  les  réflexions ,  et  de  dire 
tout  sans  façon  ,  selon  la  lumière  qu'on  en  a ,  quand 
l'occasion  vient.  Il  n'y  a  que  les  enveloppes  de  l'amour- 
propre  qui  puissent  cacher  le  fond  de  notre  cœur.  Ne 
vous  écoutez  point  vous-même  ;  alors  vous  vous  ou- 
vrirez sans  peine,  et  vous  parlerez  de  vous  avec  fa- 
cilité comme  d'autrui. 


I.ETTRI-S    SPIRITUELLIIS.  2'J'J 

T»nit  ce  que  vous  m'avez  mandé  de  votre  oraison 
est  très-bon.  J'en  remercie  Bleu,  et  je  vous  conjure 
de  continuer.  N'ou])liez  jamais  celte  bonne  parole  de 
votre  première  lettre  :  J'expérimefite  que  la  (/race  tte 
me  manque  }wint  quand  je  déaespère  bien  de  moi. 
Celle-ci  est  encore  excellente  :  Je  sens  que  la  croix 
7n'attache  à  Dieu.  Enlln  en  voici  une  troisième  que 
je  goûte  fort  :  //  me  semble  que  Dieu  ne  veut  i)as 
que  j'examine  tant  mes  disposilions ,  qu'il  demande 
que  je  m'abandonne  à  lui.  Tenez-vous  dans  cet  état, 
et  revenez-y  dès  que  vous  apercevez  que  vous  en 
êtes  déchue. 

La  seconde  lettre  marque  que  cet  état  est  altéré. 
Il  faut  le  rétablir  en  laissant  doucement  et  peu  à  peu 
tomber  vos  réflexions  ,  qui  ne  vont  qu'à  vous  distraire 
et  à  vous  troubler.  Les  tentations  de  vaine  complai- 
sance ne  doivent  pas  vous  empêcher  ni  de  me  parler 
ni  de  m'écrire.  Il  ne  faut  point  s'occuper  curieuse- 
ment de  soi  ',  mais  il  faut  dire  simplement  tout  ce  que 
la  lumière  de  Dieu  en  fait  voir. 

Je  ne  m'étonne  point  de  ce  que  Dieu  permet  que 
vous  fassiez  des  fautes ,  dans  le  temps  même  des  fer- 
veurs et  du  recueillement ,  où  vous  voudriez  le  moins 
en  faire.  La  Providence  qui  permet  ces  fautes  est  une 
des  grâces  que  Dieu  vous  fait  en  ce  temps-là  ;  car 
Dieu  ne  permet  ces  fautes ,  que  pour  vous  faire  sentir 
votre  impuissance  de  vous  corriger  par  vous-même. 
Qu'y  a-t-il  de  plus  convenable  à  la  grâce ,  que  de 
vous  désabuser  de  vous-même ,  et  de  vous  réduire  à 
rccoiu'ir  sajis  cesse  en  toute  humilité  à  Dieu?  Profitez 
de  vos  fautes,  et  elles  serviront  plus,  en  vous  rabais- 
sant à  vos  propres  yeux  ,  que  vos  bonnes  œuvres  en 


:i-:8  LETTRES    SPIRITUELLES. 

VOUS  consolant.  Les  fautes  sont  toujours  fautes  -,  mais 
elles  nous  mettent  dans  un  état  de  confusion  et  de 
retour  à  Dieu  qui  nous  fait  un  grand  bien. 

Je  ne  m'étonne  point  que  vous  ayez  des  saillies  de 
chagrin  ;  mais  il  faut  se  taire  dès  que  l'esprit  de  grâce 
avertit  et  impose  silence.  Alors  c'est  résister  à  Dieu  , 
contrister  le  Saint-Esprit ,  que  de  continuer  Lsuivre 
son  chagrin.  La  crainte  de  déplaire  à  Dieu  devrait 
vous  retenir  plus  que  la  crainte  de  déplaire  aux  créa- 
tures. Quand  vous  avez  fait  une  faute  par  amour- 
propre  ,  n'espérez  pas  que  l'amour-propre  la  répare 
par  ses  dépits,  par  sa  honte,  et  par  ses  impatiences 
contre  soi-même.  Il  faut  se  supporter  en  se  voyant 
sans  se  flatter  dans  toute  son  imperfection.  Il  faut 
vouloir  se  corriger  par  amour  de  Dieu,  sans  se  sou- 
lever contre  son  imperfection  par  amour-propre.  Il 
vaut  bien  mieux  travailler  paisiblement  à  se  corriger , 
que  de  se  dépiter  à  pure  perte  sur  ses  misères.  Il  faut 
retrancher  partout  les  retours  de  sagesse  pour  soi ,  et 
surtout  en  confession.  Mais  Dieu  permet  qu'on  trouve 
la  boue  au  fond  de  son  cœur  jusque  dans  les  plus 
maints  exercices. 


*'V%%'«'%«'%%%4%'«^'V% 


118*.  (,93) 

On  n'a  point  la  paix  eu  s'écoutant  soi-même. 

Ce  que  je  vous  ai  dit  ne  vous  a  fait  une  si  grande 
peine ,  qu'à  cause  que  j'ai  touché  l'endroit  le  plus  vif 
et  le  plus  sensible  de  votre  cœur.  C'est  la  plaie  de 
votre  amour-propre  que  j'ai  foit  saigner.  Vous  n'êtes 
point  entrée  avec  simplicité  dans  ce   que  Dieu  de- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  a'jg 

mande  de  vous.  Si  vous  aviez  acquiescé  à  tovit  sans 
vous  écouter  vous-même,  et  si  ^ous  eussiez  commu- 
nié pour  trouver  en  Notre-Seigneur  la  force  qui  vous 
manque  dans  votre  propre  fond,  vous  îuiriez  eu  d'abord 
une  véritable  paix  avec  un  grand  liiiit  de  votre  ac- 
quiescement. Ce  qui  n'a  pas  été  fait  peut  se  faire  ,  et 
je  vous  conjure  de  le  faire  au  plus  tût. 

(uoo)  119    *. 

Mettre  à  profit  nos  imperfjections  pour  i)ous  en  liumilicr.  Ne  regarder 
ijut;  Dieu  dans  la  créature. 

Il  est  vrai  que  vous  observez  trop,  que  vous  vou^ 
lez  trop  deviner  par  amour-propre  délicat  et  ombra- 
geux ,  et  que  vous  vous  piquez  facilement  ;  mais  il 
faut  porter  cette  croix  intérieui'e  comme  les  exté-r- 
rieures.  Elle  est  bien  plus  rude  que  celles  du  debors. 
On  soufiVe  bien  plus  volontiers  de  la  déraison  d'au- 
trui  ,  que  de  sa  déraison  propre.  L'orgueil  en  est  au 
désespoir,  il  se  pique  de  s'être  piqué;  mais  cette  dou- 
ble piqûre  est  un  double  mal.  Il  n'y  a  qu'un  seul 
remède,  qui  est  de  mettre  à  profit  nos  imperfections 
en  les  faisant  servir  à  nous  bumilier,  à  nous  confondre, 
à  nous  désabuser  de  nous-mêmes ,  et  à  nous  mettre 
en  défiance  de  notre  cœur. 

Vous  devez  remercier   Dieu  de  ce   qu'il  vous  fait 

sentir   que  le  travail  nécessaire  pour  gagner  M , 

est  un  de  vos  premiers  devoirs.  Mourez  à  vos  répu- 
gnances ,  pour  vous  mettre  à  portée  de  Ivii  apprendre 
à  mourir  à  tous  ses  défauts.  Vous  ne  vous  trompez 
nullement  quand  vous  me  regardez  comme  un  ami 
sincère  et  à  toute  épreuve  ;  mais  vous  faites  un  obs- 


280  LETTRES    SPIRITUELLES. 

tacle  à  la  grâce  ,  de  ce  qui  en  doit  être  le  pur  instru- 
ment ,  si  vous  n'êtes  pas  fidèle  à  chercher  Dieu  seul 
en  moi ,  et  à  n'y  voir  que  sa  lumière ,  comme  les 
ra3^ons  du  soleil  au  travers  d'un  verre  vil  et  fragile. 
Vous  ne  trouverez  la  paix  ni  dans  la  société  ni  dans 
la  solitude ,  quand  vous  y  voudrez  trouver  des  ra  - 
goûts  et  des  soulagemens  de  votre  amour-propre  dé- 
pité. Alors  la  solitude  d'un  orgueil  boudeur  est  encore 
pis  qu'une  société  un  peu  dissipée.  Quand  vous  serez 
simple  et  petite ,  les  compagnies  ne  vous  gêneront  ni 
ne  vous  dépiteront  pas  -,  alors  vous  ne  chercherez  la 
solitude  que  pour  Dieu   seul. 

120  *.  (m5) 

Renoncer  courageusement  aux  secours  humains  que  Dieu  nous  enlève. 

Dieu  ne  donne  son  esprit  qu'à  ceux  qui  le  lui  de- 
mandent avec  douceur  et  petitesse.  Rapetissez-vous 
donc  5  radoucissez  votre  cœur.  Devenez  un  bon  petit 
enfant ,  qui  se  laisse  porter  partout  où  l'on  veut ,  et 
qui  ne  demande  pas  même  où  est-ce  qu'on  le  porte. 
Pour  moi ,  je  ne  puis  plus  avoir  l'honneur  de  vous 
voir  ;  mais  vous  n'avez  aucun  besoin  de  moi ,  si  vous 
avez  le  courage  de  ne  rien  décider ,  et  de  vous  livrer 
à  la  volonté  de  ceux  qui  gouvernent.  Il  y  avait  au- 
trefois un  solitaire  qui  s'était  dépouillé  du  livre  des 
Evangiles  ,  et  qui  disait  :  «  Je  me  suis  dépouillé  de 
»  tout ,  même  du  livre  qui  m'a  enseigné  le  dépouil- 
y>  lement.  »  A  quoi  sert  l'abandon  que  vous  avez  tant 
aimé  ?  N'est-ce  pas  une  illusion  ,  si  on  ne  le  pratique 
quand  les  occasions  s'en  présentent  ?  Je  ne  suis  point 


LETTRES    SPIRITUELLES.  28 1 

comparaLle  au  livre  sacré  des  Evangiles,  où  est  la 
parole  de  vie  éternelle;  mais  quand  je  serais  un  ange 
du  ciel ,  au  lieu  que  je  ne  suis  qu'un  indigne  prêtre  , 
il  ne  faudrait  se  souvenir  de  moi  que  pour  se  sou- 
venir de  ce  que  j'ai  pu  dire  de  bon. 

Je  ne  vous  ai  jamais  parlé  que  d'abandon  sans  ré- 
serve et  de  docilité  enfantine.  Je  ne  vous  ai  donc  en- 
seigné qu'à  vous  détaclier  de  moi  comme  de  tout  le 
reste  ,  et  qu'à  vous  abandonner  sans  hésitation  à  la 
conduite  de  vos  supérieurs.  Ce  serait  vous  ôter  de 
votre  grâce  et  de  l'ordre  de  Dieu ,  que  de  vouloir  vous 
donner  encore  des  secours  auxquels  vous  devez  mou- 
rir. Quand  le  temps  de  mourir  à  certains  secours  est 
venu  ,  ces  secours  ne  sont  plus  secours  ,  ils  se  tournent 
en  pièges.  Au  lieu  d'être  des  moyens  qui  unissent  à 
Dieu  ,  ils  deviennent  un  milieu  humain  entre  Dieu  et 
nous ,  qui  nous  arrête ,  et  nous  empêche  de  nous  unir 
immédiatement  à  lui.  Je  le  prie  de  tout  mon  cœur , 
madame ,  de  vous  donner  l'esprit  de  foi  et  de  sacri- 
fice dont  vous  avez  besoin  pour  accomplir  sa  volonté. 
Personne  ne  vous  honorera  jamais  plus  parfaitement 
que   moi. 

(.4)  121  *. 

Contre  rattachement  excessif  aux  consolations  rjiron  reçoit  sous  la 
conduite  diin  directeur. 

Vous  me  faites  un  vrai  plaisir ,  monsieur ,  en  me 
témoignant  l'ouverlure  de  cœur  que  vous  auriez  pour 
moi  ;  je  vous  parlerai  dans  l'occasion  avec  la  même 
franchise.  Mais  il  ne  faut  point  parler  par  une  secrète 
recherche  de  (juelque  assurance  ;  car  il  ne  vous  con- 


282  LETTRES    SPIRITUELLES. 

\ient  point  d'en  cliercber.  Dieu  est  jaloux  de  tout  ce 
qui  se  tourne  en  appui ,  et  encore  plus  de  tout  ce  qui 
est  une  recherche  indirecte  de  ce  que  nous  ne  vou- 
drions pas  rechercher  directement.  Comptez  que  je 
sais  le  fond  qu'il  faut  faire  sur  ceux  que  Bieu  a  fait 
passer  par  beaucoup  d'épreuves  :  je  ne  puis  être  de 
même  avec  les  autres  ,  quoiqu'ils  soient  fidèles  selon 
leur  degré.  Mais  il  ne  faut  tenir  à  rien  ,  pas  même  à 
ses  dépouillemens ,  dont  on  peut  se  revêtir  insensi-^ 
blement.  Oubliez-vous  vous-même  ,  et  toutes  vos 
peines  se  dissiperont.  On  croit  que  l'amour  de  Dieu 
est  un  martyre  ;  non ,  toutes  les  peines  ne  viennent 
que  de  l'amour-propre.  C'est  l'amour-propre  qui 
doute,  qui  hésite,  qui  résiste,  qui  souifre,  qui  compte 
ses  souffrances ,  qui  varie  dans  les  occasions ,  et  qui 
empêche  la  paix  profonde  des  âmes  délivrées  d'elles^ 
mêmes.  En  voilà  trop  ;  mais  je  suis  sûr  que  vous 
voulez  que  je  parle  selon  mon  cœur  et  sans  mesure. 

122  *,  (34) 

JNéccssité  d'écouter  Dieu,  et  ceux  qu'il  nous  donne  pour  nous  conduire. 

J'ai  vu  N ;  je  l'ai  beaucoup  écouté  ;  je  lui  ai 

peu  parlé.  J'ai  suivi  en  ce  point  la  pente  de  mon 
cœur  :  peut-être  que  Dieu  a  voulu  lui  montrer  par 
là  comment  il  doit  retrancher  les  discours  superflus. 
Je  lui  ai  dit  en  peu  de  paroles  ce  qui  m'a  paru  con- 
venir à  ses  besoins.  Tout  se  réduit  au  silence  inté- 
rieur ,  qui  règle  toute  la  conduite  extérieure.  S'il 
n'amortit  sans  cesse  la  vivacité  de  son  imagination 
par  le  recueillement  de  son  degré ,  il  ne  sera  jamais 
en  état  d'écouter  Dieu  ,   et  d'agir  paisiblement  par 


LETTRES    SPIRITUELLES,  2S'S 

Tespiit  de  grâce.  La  nature  empressée  préviendia 
toujours  par  ses  saillies  tous  les  mouvemens  de  Dieu  ; 
qui  doivent  être  attendus.  S'il  ne  parlait  que  quand 
Dieu  le  fait  parler,  il  parlerait  peu  et  très-bien  ,  mais 
comme  son  imagination  l'entraîne  à  toute  heure,  la 
règle  qui  fera  la  sûreté  de  toutes  les  autres  est  qu'il 
vous  écoute  ,  qu'il  vous  croie  ,  qu'il  vous  obéisse  , 
qu'il  s'apetisse  sous  votre  main  ,  et  qu'il  s'arrête  tout 
court  dès  que  vous  parlez.  Il  faut  qu'il  vous  aide  , 
mais  il  faut  que  vous  le  décidiez, 

Je  le  charge  donc  de  vous  écouter  sans  écouter 
soi-même ,  et  je  vous  recommande  de  lui  décider 
avec  pleine  autorité  ,  de  faire  ce  que  vous  lui  direz. 
De  votre  côté  ,  vous  devez  recevoir  avec  simplicité 
et  petitesse  ce  qu'il  vous  dira  par  grâce  sur  vos  fai- 
blesses. Ne  les  craignez  point  par  anticipation  :  d 
chaque  Jour  suffit  son  mal.  Ne  craignez  point  pour 
h  jour  de  demain  ^  le  jour  de  demain  aura  soin  de 
lui-même  {a).  Celui  qui  fait  la  paix  du  cœur  aujour- 
d'hui ,  est  tout-puissant  et  tout  bon  pour  la  faire  en- 
core demain. 

Ne  vous  tentez  pas  vous-même  en  voulant  pré- 
venir des  épreuves  dont  vous  n'avez  pas  encore  la 
grâce.  Dès  que  vous  apercevrez  naître  ces  pensées , 
arrêtez-les  dans  leur  commencement.  On  mérite  la 
lentation  quand  on  l'écoute.  Coupez  court ,  non  par 
des  efforts  et  par  des  méthodes ,  mais  en  laissant  ces 
pensées  sans  leur  dire  ni  oui  ni  non.  Les  gens  aux- 
quels on  ne  répond  rien  se  taisent  bientôt.  Livrez- 
vous  à  Dieu  sans  vous  reprendre  sous  aucun  pré- 
texte ,  et  il  aura  soin  de  tout. 

fa)   Mallh.  V.   34. 


284  LETTRES    SPIRITUELLES. 

123  *.  (35) 

Comment  on  doit  agir  envers  une  personne  faible  et  dissipée. 

Pour  N ,  ce  n'est  que  faiblesse  et  dissipation. 

La  guerre  l'avait  trop  dissipé  -,  d'autres  tentations 
l'on  trouvé  affaibli  par  celle-là  :  mais  j'espère  que 
l'expérience  de  sa  faiblesse  se  tournera  à  profit.  Ayez 
une  patience  sans  bornes  avec  lui.  Parlez-lui  quand 
Dieu  vous  donne  des  paroles,  et  n'en  mêlez  jamais 
aucune  des  vôtres.  Ne  le  pressez  jamais  par  activité 
et  par  sagesse  humaine  ;  ne  patientez  jamais  par  po- 
litique et  par  méthode.  Quand  vous  lui  direz  les  pa- 
roles de  Dieu,  elles  seront  pleines  d'autorité,  et  vous 
serez  écouté.  On  peut  parler  avec  force,  et  attendre 
avec  patience  tout  ensemble  :  sa  faiblesse  même  aug- 
mentera votre  autorité.  Elle  doit  lui  faire  sentir  com- 
bien il  a  besoin  de  se  défier  de  lui ,  et  d'être  docile. 
Soyez  ferme  sur  les  points  essentiels ,  desquels  tous 
les  autres  dépendent. 

Je  l'aime  toujours  tendrement  ,  et  j'espère  que 
Dieu  ne  lui  aura  montré  le  bord  du  précipice ,  que 
pour  le  guérir  de  sa  dissipation ,  de  son  goût  pour 
le  monde  ,  et  de  sa  confiance  en  lui-même  -,  mais  il 
tomberait  enfin  bien  bas ,  s'il  refusait  d'être  simple  , 
docile  et  petit ,  parmi  tant  d'expériences  de  sa  fra- 
gilité et  de  sa  misère.  Quand  nous  ne  nous  humilions 
pas  au  milieu  même  de  l'humiliation  que  Dieu  nous 
donne  tout  exprès  pour  nous  réduire  à  la  petitesse 
et  à  la  souplesse  ,  nous  le  forçons  malgré  lui  à  frap- 
per des  coups  encore  plus  grands  ,  et  à  nous  faire 
éprouver  de  plus  humiliantes  faiblesses.  Au  contraire, 


LETTRES    SPIRITUELLES.  285 

notre  petitesse  et  notre  docilité  dans  la  misère  appai- 
sent  le  cœur  de  Dieu.  On  peut  lui  dire  avec  con- 
liance  :  P'^ous  ne  mépriserez  point  un  cœur  abattu, 
et  écrasé  {fi).  Dieu  s'attendrit ,  et  ne  résiste  point  à 
cette  souplesse  des  petits. 

Parlez  donc  suivant  qu'il  vous  sera  donné  une  bou- 
clie  et  une  sagesse.  Tenez  l'enfant  par  la  lisière  ;  ne 
le  laissez  pas  tomber.  Ménagez  votre  santé  ,  sur  la- 
quelle on  nie  met  en  quelque  inquiétude  ;  reposez- 
vous  et  soulagez-vous  en  tout  ce  que  vous  le  pourrez. 
Plus  vous  prendrez  les  croix  journalières  comme  le 
])ain  quotidien  ,  avec  paix  et  simplicité  ,  moins  elles 
détruiront  votre  santé  faible  et  délicate  ;  mais  les 
^prévoyances  et  les  réflexions  vous  tueraient  bientôt. 
Voulez-vous  mener  tout  comme  Dieu  ,  qui  atteint 
d'une  extrémité  à  l'autre  avec  force  et  douceur  ?  n'y 
mêlez  rien  d'iiumain  ,  et  surtout  mille  volonté  in- 
téressée pour  la  réputation  de  votre  famille. 

(il)  Ps.  L.   ig. 


(ii5)  124   *. 

Ke  pas  trop  pousser  une  amc  que  Dieu  attire  ;  mais  s'accommoder  à  sa 
grâce ,  et  en  attendre  les  momens. 

Pour  la  personne  dont  vous  me  parlez ,  vous  n'avez 
qu'à  faire  ce  que  je  m'imagine  que  vous  faites,  qui 
est  de  l'attendre,  de  ne  la  pousser  jamais,  de  la  lais- 
ser presser  intérieurement  à  Dieu  seul ,  de  lui  dire 
ce  que  Dieu  vous  donne  quand  elle  vient  à  vous  ;  de 
le  lui  dire  doucement ,  avec  amitié  ,  support ,  patience 
et  consolation.  Elle  aura  des  inégalités ,  des  irréso- 
lutions, des   déliances ,  des  tentations  contre  vous  : 


28(j  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mais  Diea  ne  la  laissera  point  sans  achever  son  ou- 
vrage ,  et  c'est  à  vous  à  la  soutenir.  Les  opérations 
de  la  grâce  sont  douloureuses.  On  vient  jusques  au 
bord  du  sacrifice  de  toutes  les  choses  du  monde  ,  et 
on  recule  souvent  d'horreur  avant  que  de  s'y  précipi- 
ter. Ces  hésitations  si  pénibles  sont  les  fondemens  de 
ce  que  Dieu  prépare.  Plus  on  a  été  faible  ,  plus  Dieu 
donne  sa  force.  Voyez  l'agonie  du  jardin  ,  où  Jésus^ 
Christ  est  triste  jusqu'à  la  mort,  et  demande  que  le 
calice  d'amertume  soit  détourné  de  lui  :  cette  fai- 
blesse  est  suivie  du  grand  sacrifice  de  la  croix. 

Pourvu  que  vous  ne  poussiez  jamais  trop  cette 
personne  ,  elle  reviendra  toujours  à  vous ,  et  ces  re- 
tours vous  donneront  ime  force  infinie.  Il  ne  faut 
souvent  qu'une  demi-parole ,  qu'un  regard ,  qu'un 
silence ,  pour  achever  la  détermination  d'une  ame 
que  Dieu  presse.  Quand  vous  ne  pourrez  lui  parler , 
donnez-lui  quelque  bonne  et  courte  lecture  à  faire  ^ 
ou  un  moment  d'oraison  à  pratiquer.  Si  son  esprit 
est  trop  peiné  pour  les  exercices ,  demeurez  en  si- 
lence avec  elle  ;  de  temps  en  temps  dites  deux  mots 
pour  la  calmer  \  souffrez  d'elle  tout  ce  que  l'humeur 
et  l'esprit  de  tentation  lui  feront  faire  ,  et  qu'elle 
vous  retrouve  ensuite  bonne  et  ouverte  comme  au- 
paravant. Il  n'y  a  que  l'infidélité  qu'il  ne  faut  jamais 
lui  passer  ;  mais  pour  les  saillies  qui  échappent ,  il  faut 
les  supporter.  Si  votis  pouviez  lui  faire  voir  quelque 
personne  d'expérience  et  de  grâce  qui  vous  aidât ,  ce 
serait  un  soulagement  pour  elle  et  pour  vous  -,  mais 
si  vous  n'avez  personne  qui  convienne ,  ou  bien  si 
elle  ne  peut  s'ouvrir  qu'à  vous  seule ,  il  faut  que  vous 
portiez  seule  tout  le  fardeau. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  28- 

/ 


(  13:,  ) 


125 


Ne  point  se  rebuter  des  îniperfccfions  d'aulrui ,  et  ne  pas  trop  presser 
les  couimenoaus. 

Je  suis  bien  fiiclié  de  tous  les  mécomptes  que  vous 
trouvez  clans  les  hommes  ;  mais  il  faut  s'accoutumer 
à  y  chercher  peu ,  c'est  le  moyen  de  n'être  jamais 
mécompte.  Il  faut  prendre  des  hommes  ce  qu'ils  don- 
nent ,  comme  des  arbres  les  fruits  qu'ils  portent  :  il 
V  a  souvent  des  arbres  où  l'on  ne  trouve  que  des 
feuilles  et  des  chenilles.  Dieu  sujipcrte  et  attend  les 
hommes  imparfaits ,  et  il  ne  se  rebute  pas  même  de 
leurs  résistances.  Nous  devons  miiter  cette  patience 
si  aimable  ,  et  ce  support  si  miséricordieux.  Il  n'y 
a  que  l'imperfection  qui  s'impatiente  de  ce  qui  est 
imparfait  ;  plus  on  a  de  perfection ,  plus  on  supporte 
patiemment  et  paisiblement  l'imperfection  d'autrui 
sans  la  flatter.  Laissez  ceux  qui  s'érigent  un  tribunal 
dans  leur  prévention  :  si  quelque  chose  les  peut  gué- 
rir ,  c'est  de  les  laisser  aller  à  leur  mode ,  et  de  con- 
tinuer à  marcher  de  notre  côté  devant  eux  avec  une 
simplicité  et  une  petitesse  d'enfant. 

Ne  pressez  point  N....  Il  ne  faut  demander  qu'à 
mesure  que  Dieu  donne.  Quand  il  est  serré ,  atten- 
dez-le ,  et  ne  lui  parlez  que  pour  l'élargir  :  quand  il 
est  élargi ,  une  parole  fera  plus  que  trente  à  contre- 
temps. Il  ne  faut  ni  semer  ni  labourer  quand  il  gèle 
et  que  la  terre  est  dure.  En  le  pressant ,  vous  le  dé- 
courageriez. Il  ne  lui  en  resterait  qu'une  crainte  de 
A  ous  voir ,  et  une  persuasion  que  vous  agissez  par 
A  ivacité  naturelle  pour  gouverner.  Quand  Dieu  vou- 


288  LETTRES    SPIRITUELLES. 

dra  donner  une  plus  grande  ouverture  ,  vous  vous 
tiendrez  toujours  toute  prête  pour  suivre  le  signal , 
sans  le  prévenir  jamais.  C'est  l'oeuvre  de  la  foi ,  c'est 
la  patience  des  Saints.  Cette  œuvre  se  fait  au  dedans 
de  l'ouvrier  ,  en  même  temps  qu'au  dehors  sur  au- 
trui ;  car  celui  qui  travaille  meurt  sans  fesse  à  soi 
en  travaillant  à  faire  la  volonté  de  Dieu  dans  les 
autres. 

AVIS  SUR  LES  ÉPREUVES   ET   LES  VICISSITUDES 

DE   LA  VIE   INTÉRIEURE. 

126*.  (.8) 

Abandon  à  Dieu  parmi  les  vicissitudes  de  la  vie  intérieure. 

Laissez  votre  cœur   aller   comme  Dieu  le   mène , 


tantôt  haut ,  tantôt  bas  \  cette  vicissitude  est  une  rude 
épreuve.  Si  on  était  toujours  dans  la  peine  ,  on  s'y 
endurcirait ,  ou  bien  on  n'y  durerait  guère  ;  mais  les 
intervalles  de  calme  et  de  respiration  renouvellent 
les  forces  ,  et  préparent  une  plus  douloureuse  sur- 
prise dans  le  retour  des  amertumes.  Pour  moi ,  quand 
je  soufi're  ,  je  ne  vois  plus  que  souffrance  sans  bornes  ; 
et  quand  le  temps  de  consolation  revient ,  la  nature 
craint  de  sentir  cette  douceur  ,  de  peur  que  ce  ne  soit 
une  espèce  de  trahison ,  qui  se  tourne  en  surprise 
plus  cuisante  quand  la  croix  recommencera.  Mais  il 
me  semble  que  la  vraie  fidélité  est  de  prendre  égale- 
ment le  bien  et  le  mal  comme  ils  viennent ,  voulant 
bien  essuyer  toute  cette  secousse.  Il  faut  donc  se  lais- 
ser soulager  quand  Dieu  nous  soulage  ,  se  laisser  sur- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  aSc) 

prendre  quand  il  nous  surprend ,  et  se  laisser  désoler 
(piaiid  il  nous  désole. 

En  vous  disant  tout  ceci ,  j'ai  horreur  de  tout  ce 
«pie  Texpérience  de  ces  choses  porte  avec  soi,  je  fré- 
mis à  la  seule  ombre  de  la  croix  :  mais  la  croix  ex- 
térieure sans  l'intérieure ,  qui  est  la  désolation ,  l'hor- 
ix'ur  et  l'agonie ,  ne  serait  rien.  Voilà ,  N.  ce  que  je 
vous  dis  sans  dessein,  parce  que  c'est  ce  qui  m'oc- 
cupe dans  ce  moment.  J'ai  aujourd'hui  le  cœur  en 
])aix  sèche  et  amère  ;  le  demain  m'est  inconnu  :  Dieu 
le  fera  ù  son  Lon  plaisir  ,  et  ce  sera  toujours  le  pain 
quotidien.  11  est  quelquefois  bien  dur  et  bien  pesant 
à  l'estomac.  Ecoutez  Dieu ,  et  point  vous-même  :  là 
est  la  vraie  liberté ,  paix  et  joie  du  Saint-Esprit. 
Tout  à  ^ous ,  etc. 


%«^^%«^/\/%/V%« 


(47)  127  *. 

En  f|uoi  consiste  la  véritable  fervenr. 

Soyez  en  paix,  M La  ferveur  sensible  ne  dé- 
pend nullement  de  vous  :  l'unique  chose  qui  en  dé- 
pend est  votre  volonté.  Donnez-la  à  Dieu  sans  ré- 
serve. Il  ne  s'agit  point  de  sentir  un  goût  de  piété  ; 
il  s'agit  de  vouloir  tout  ce  que  Dieu  veut.  Recon- 
naissez humblement  vos  fautes  ;  détachez-vous  ,  aban- 
donnez-vous -,  aimez  Dieu  plus  que  vous-même ,  et 
sa  gloire  plus  que  votre  vie  ;  du  moins  désirez  d'ai- 
mer ainsi  ,  et  demandez  ce  véritable  amour.  Dieu 
vous  aimera  et  mettra  sa  paix  au  fond  de  votre  cœur. 
Je  la  lui  demande  pour  vous ,  et  je  voudrais  souffrir 
pour  l'obtenir. 

CORRESP.    IV.  4 


2Q0  LETTRES    SPIRITUELLES. 

128*.  (IT9) 

Se  contenter  do  l'opération  de  Dieu,  <jnoique  eachée,  et  mc'langée  des 
saillies  du  naturel. 

Je  comprends  ,  ce  me  semble ,  assez  ce  qui  fait 
votre  peine.  Votre  état  est  si  simple  ,  si  sec  et  si  nu , 
que  vous  ne  trouvez  rien  pour  vous  soutenir ,  et  que 
toute  sûreté  sensible  vous  manque  au  besoin.  Mais 
votre  conduite  est  droite ,  et  éloignée  de  tout  ce  qui 
peut  causer  l'illusion.  Il  m'a  même  paru  que  vous 
êtes  plus  régulier  qu'autrefois  ,  sans  être  moins  lijjre 
et  nioins  simple.  Je  vous  trouve  plus  modéré  ,  moins 
décisif,  plus  accommodant,  moins  attentif  aux  dé- 
fauts d'autrui ,  plus  patient  dans  les  occasions ,  plus 
appliqué  à  vos  devoirs.  Quoiqu'il  vous  paraisse  que 
tout  se  fait  chez  vous  par  naturel ,  il  est  pourtant 
vrai  que  votre  naturel  ne  fait  point  tout  cela ,  et 
qu'il  faisait  tout  le  contraire. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  l'opération  de  la  grâce, 
pour  se  cacher  ,  se  confonde  insensiblement  avec  la 
nature.  De  plus_,  on  fait  toujours  bien  des  fautes  par 
les  saillies  du  naturel ,  surtout  quand  on  est  fort  vif; 
et  le  sentiment  intérieur  qu'on  a  ,  tente  de  croire  que 
la  vie  est  toute  pleine  de  ces  mouvemens  naturels 
auxquels  on  se  laisse  aller  :  mais  dans  le  fond  on  tra- 
vaille ,  malgré  ses  fautes ,  à  réprimer  ses  saillies  ;  et 
quoique  ce  travail  soit  Mmple  et  peu  sensible,  il  ne 
laisse  pas  d'être  très-réel.  D'un  autre  côté ,  les  fautes 
qu'on  voit  tiennent  l'âme  dans  la  défiance  d'elle- 
même  ,  et  dans  une  entière  péîuweté  d'esprit. 

Ne  vous  attristez  donc  point  ;  et  quoique  Dieu  ne 


LETTRES    SPIRITUELLES.  29 1 

VOUS  console  guère,  ne  vous  rebutez  point  de  de- 
meurer dans  son  sein.  Le  monde  ne  vous  convient 
point  dans  votre  état.  La  plupart  des  compagnies  ne 
vous  seraient  pas  propres,  (piand  même  elles  ne  se- 
raient pas  dangereuses  ;  mais  je  vous  souhaiterais 
cpielque  petite  société  innocente  qui  vous  put  amu- 
ser et  délasser  Tesprit.  Pour  moi ,  mon  cœur  est  sec 
et  languissant  :  la  vie  ne  me  fait  aucun  plaisir  ;  mais 
il  faut  toujours  aller  en  avant,  et  être  chaque  jour 
ce  qu'il  plait  à  Dieu.  Si  j'osais  ,  je  dirais  que  je  le  veux 
lui  seul  et  sans  mesure. 

(ijS)  129  *. 

Etre  fidèle  aux  esorciccs  de  piété ,  indépendamment  du  goût  sensible. 
Aimer  Dieu  ,  et  tendre  par  la  rolonté  à  cet  amour. 

J'ai  souvent  pensé  >  monsieur  ,  depuis  hier  aux 
choses  que  vous  me  fîtes  l'honneur  de  me  dire ,  et 
j'espère  de  plus  en  plus  que  Dieu  vous  sou.tiendra. 
Quoique  vous  ne  sentiez  pas  un  grand  goût  pour  les 
exercices  de  piété  ,  il  ne  faut  pas  laisser  d'y  être  aussi 
fidèle  que  votre  santé  le  permettra.  Un  malade  con- 
valescent est  encore  dégoûté  ;  mais  malgré  son  de- 
goût  ,  il  faut  qu'il   mange  pour  se  nourrir. 

Il  serait  même  très-utile  que  vous  pussiez  avoir 
quelquefois  un  peu  de  conversation  chrétienne  avec 
les  personnes  de  votre  famille  à  qui  vous  pourrez; 
vous  ouvrir  ;  mais  pour  le  choix  agissez  en  toute  li- 
berté selon  votre  goût  présent.  Dieu  ne  vous  attire 
point  par  une  touche  vive  et  sensible ,  et  je  m'en 
réjouis ,  pourvu  que  vous  demeuriez  ferme  dans  le 


2Q2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

bien  :  car  la  fidélité  soutenue ,  sans  goût ,  est  bien 
plus  pure  et  plus  à  l'épreuve  de  tous  les  dangers  ,  que 
les  grands  attendrissemens  qui  sont  trop  dans  l'ima- 
gination. Un  peu  de  lecture  et  de  recueillement  cha- 
que jour  vous  donnera  insensiblement  la  lumière  et 
la  force  de  tous  les  sacrifices  que  vous  devez  à  Dieu. 
Aimez-le;  je  vous  quitte  de  tout  le  reste  ;  tout  le  reste 
viendra  par  l'amour  :  encore  même  ne  veux-je  point 
vous  demander  un  amour  tendre  et  empressé  ;  il  suf- 
fit que  la  volonté  tende  à  l'amour ,  et  que  ,  malgré  les 
goûts  corrompus  qui  restent  dans  le  cœur,  elle  pré- 
fère Dieu  au  monde  entier  et  à  soi-même.  Vous  se- 
rez le  plus  ingrat  de  tous  les  hommes,  si  vous  n'ai- 
mez pas  Dieu  qui  vous  aime  tant ,  et  qui  ne  se  rebute 
point  de  frapper  à  la  porte  de  votre  cœur  pour  y  ré- 
pandre son  amour.  Quand  vous  ne  trouvez  point  cet 
amour  en  vous  ,  du  moins  demandez-le ,  désirez  de 
l'avoir ,  et  attendez-le  avec  une  ferme  confiance.  Voilà 
ce  que  je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  dire  ,  tant  je 
suis  plein  de  ce  qui  vous  touche. 


«/«v  v*^^^'^^^^  ^ 


(i84)  130*. 

Touchant  les  distractions  involontaires  et  les  sécheresses. 

Vous  ne  sauriez  me  dire  les  choses  trop  simplement. 
Ne  vous  mettez  point  en  peine  des  pensées  de  vanité 
qui  vous  importunent  par  rapport  aux  dispositions 
de  votre  cœur  que  vous  m'expliquez.  Dieu  ne  per- 
mettra pas  que  le  venin  de  l'orgueil  corrompe  ce  que 
vous  faites  par  nécessité  pour  aller  droit  à  lui.  De 
plus  ,  il  y  a  toujours  plus  à  s'humilier  et  à  se  confon- 
dre ,  qu'à  se  plaire  et  à  se  glorifier  dans  les  choses 


LETTRES    SPIRITUELLES.  29^ 

qu'on  est  obligé  de  dire  de  soi.  Il  en  faut  dire  avec 
simplicité  le  bien  comme  le  mal ,  afin  que  la  per- 
sonne à  qui  on  se  confie  sache  tout ,  comme  un  mé- 
decin ,  et  puisse  donner  des  remèdes  proportionnés 
aux  besoins. 

Il  ne  s'agit  point  de  ce  que  vous  sentez  malgré 
vous ,  ni  des  pensées  qui  se  présentent  à  votre  es- 
prit ,  ni  des  distractions  involontaires  qui  vous  fati- 
guent dans  votre  oraison  :  il  suffît  que  votre  volonté 
ne  veuille  jamais  être  distraite,  c'est-à-dire,  que  vous 
ayez  toujours  l'intention  .droite  et  sincère  de  faire  orai- 
son ,  et  de  laisser  tomber  les  distractions  dès  que  vous 
les  apercevez.  En  cet  état ,  les  distractions  ne  vous 
feront  que  du  bien  :  elles  vous  fatigueront ,  vous  hu- 
milieront ,  vous  accoutumeront  à  vivre  de  pain  sec  et 
noir  dans  la  maison  de  Dieu  :  vous  demeurerez  fidèle 
à  servir  Dieu  ,  à  l'aimer  ,  et  à  vous  unir  à  lui  dans  la 
prière  sans  y  goûter  les  consolations  sensibles  qu'on 
y  cherche  souvent  plus  que  lui-même.  L'illusion  est  à 
craindre  quand  on  ne  cherche  Dieu  qu'avec  un  plaisir 
goûté.  Ce  plaisir  peut  flatter  l'amour-propre  -,  mais 
quand  on  demeure  uni  à  Dieu  dans  les  ténèbres  de 
la  foi  et  dans  les  sécheresses  des  distractions  ,  on  le 
suit  en  portant  la  croix  pour  l'amour  de  lui.  Quand 
les  douceurs  viendront ,  vous  les  recevrez  pour  mé- 
nager votre  faiblesse.  Quand  Dieu  vous  en  sèvrera 
comme  on  sèvre  un  enfant  du  lait  pour  le  nourrir  de 
pain ,  vous  vous  passerez  de  cette  douceur  sensible  , 
pour  aimer  Dieu  dans  un  état  humble  et  mortifié. 
Gardez- vous  bien,  en  cet  état ,  de  reculer  sur  vos  com- 
mimions.  L'oraison  et  la  communion  marcheront  d'un 
pas   égal ,  sans  plaisir ,  mais  avec  une  pure  fidélité. 


Qn4  LETTRES    SPIllITL ELLES. 

Dieu  n'est  jamais  si  bien  servi  que  quand  nous  le  ser- 
vons ,  pour  ainsi  dire ,  à  nos  dépens ,  sans  eu  avoir 
sur-le-cliamp  un  profit  sensible. 

131   *.  (i85) 

Souffrir  la  tiédeur  et  ses  propres  dégoûts.  Oraison  de  silenco. 

Je  ne  suis  point  étonné  de  votre  tiédeur.  On  n'est 
point  toujours  en  ferveur;  Dieu  ne  permet  pas  qu'elle 
soit  continuelle  :  il  est  bon  de  sentir  ,  par  des  inéga- 
lités ,  que  c'est  un  don  de  Dieu ,  qu'il  donne  et  qu'il 
retire  comme  il  lui  plaît.  Si  nous  étions  sans  cesse 
en  ferveur ,  nous  ne  sentirions  ni  les  croix ,  ni  notre 
faiblesse  ;  les  tentations  ne  seraient  plus  des  tenta- 
tions réelles.  Il  faut  que  nous  soyons  éprouvés  par  la 
révolte  intérieure  de  notre  nature  corrompue,  et  que 
notre  amour  se  purifie  par  nos  dégoûts.  Nous  ne  te- 
nons jamais  tant  à  Dieu  ,  que  quand  nous  n'y  tenons 
plus  par  le  plaisir  sensible  ,  et  que  nous  demeurons 
fidèles  par  une  volonté  toute  nue  ,  étant  attachés  sur 
la  croix.  Les  peines  du  dehors  ne  seraient  point  de 
vraies  peines ,  si  nous  étions  exempts  de  celles  du  de- 
dans. Souffrez  donc  en  patience  vos  dégoûts  ,  et  ils 
vous  seront  plus  utiles  qu'un  goût  accompagné  de  con- 
fiance en  votre  état.  Le  dégoût  souffert  par  une  vo- 
lonté fidèle  est  une  bonne  pénitence.  Il  humilie ,  il 
met  en  défiance  de  soi ,  il  fuit  sentir  combien  on  est 
fragile  ,  il  fait  recourir  plus  souvent  à  Dieu,  Voilà  de 
grands  profits.  Cette  tiédeur  involontaire ,  et  cette 
pente  à  chercher  tout  ce  qui  peut  flatter  l'amour-pro- 
pre,  ne  doivent  pas  vous  empêcher  de  communier. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3(^5 


Vous  voulez  courir  après  un  goût  sensible  de  I>ieu  , 
qui  n'est  ni  son  amour ,  ni  l'oraison.  Prenez  ce  goût 
(juancl  Dieu  vous  le  donne ,  et  quand  il  ne  vous  le 
donne  pas ,  aime/ ,  et  tachez  de  luire  oraison  comme 
bi  ce  goût  ne  vous  manquait  pas.  C'est  avoir  Dieu 
que  de  l'attendre.  D'ailleurs  vous  faites  très-bien  de 
ne  demander  à  Dieu  les  goûts  et  les  consolations  qu'au- 
tant qu'il  lui  plaira  de  vous  les  donner.  Si  Dieu  veut 
vous  sancliiier  par  la  privation  de  ces  goûts  sensibles  , 
Aous  devez  vous  conformer  à  ces  desseins  de  misé- 
ricorde et  porter  les  séclieresses  :  elles  serviront  en- 
core plus  à  vous  rendre  humble ,  et  à  vous  faire  mou- 
rii"  à  vous-même  ;  ce  qui  est  l'œuvre  de  Dieu. 

Vos  peines  ne  vieiment  que  de  vous-même  :  vous 
vous  les  faites  en  vous  écoutant.  C'est  une  délica- 
tesse et  une  sensibilité  d'amour-propre  que  vous 
nourrissez  dans  votre  cœur  en  vous  attendrissant  sur 
vous-même.  Au  lieu  de  porter  fidèlement  la  croix  , 
et  de  remplir  vos  devoirs  en  portant  le  fardeau  d'au- 
trui  pour  lui  aider  à  le  porter,  et  pour  redresser  les 
personnes  que  Dieu  vous  confie  ,  vous  vous  resserrez 
en  vous-même,  et  vous  ne  vous  occupez  que  de  votre 
découragement.  Espérez  en  Dieu  ;  il  vous  soutiendra 
et  ^ous  rendra  utile  au  juochain ,  pourvu  que  vous 
ne  doutiez  point  de  son  secours ,  et  que  vous  ne  vous 
épargniez  point  dans   ce   travail. 

Gardez-vous  bien  d'interrompre  votre  oraison  ; 
vous  vous  feriez  un  mal  infini.  Le  silence  dont  vous 
me  parlez  vous  est  excellent  toutes  les  fois  que  vous 
y  sentez  de  l'attrait.  Sortez-en  pour  vous  occuper  des 
vérités  plus  distinctes ,  quand  vous  en  avez  la  facilité 
et  le  goût;  mais  ne  ci'aiguez  point  ce  silence  quand 


2dij  LETTRES    SPIRITUELLES. 

il  opère  en  vous  pour  la  suite  une  attention  plus  fidèle 
à  Dieu  dans  le  reste  de  la  journée.  Demeurez  libre 
avec  Dieu  de  la  manière  que  vous  pourrez ,  pourvu 
que  votre  volonté  soit  unie  à  lui ,  et  que  vous  cher- 
chiez ensuite  à  faire  sa  volonté  aux  dépens  de  la  vôtre. 

132  *.  (190) 

De  rinstinct  du  fond  ;  de  la  présence  de  Dieu  ;  des  amusemens  innoccns. 

Je  crois  que  vous  devez  être  en  repos  pour  votre 
oraison  ;  elle  me  paraît  Lonne ,  et  vous  n'avez  qu'à  la 
continuer  avec  confiance  en  celui  d'où  elle  vient  et 
avec  qui  vous  y  êtes.  Pour  ce  que  vous  nommez  iti- 
stinct ,  c'est  un  germe  secret  d'amour  et  de  présence 
de  Dieu ,  qu'il  faut  avoir  soin  de  nourrir ,  parce  que 
c'est  lui  qui  nourrit  tout  le  reste  dans  votre  cœur.  La 
manière  de  cultiver  cet  instinct  est  toute  simple  :  il 
faut,  i»  éviter  la  dissipation  qui  l'affaiblirait;  2°  le 
suivre  par  le  retour  au  silence  et  au  recueillement 
toutes  les  fois  que  ce  fond  se  reveille  et  vous  fait 
apercevoir  votre  distraction  ;  3»  céder  à  cet  instinct , 
en  lui  faisant  les  sacrifices  qu'il  demande  en  chaque 
occasion  pour  vous  faire  mourir  à   vous-même. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  la  présence  de  Dieu  soit 
imaginaire,  à  moins  qu  elle  ne  nous  donne  de  grandes 
lumières  pour  dire  de  belles  choses.  Cette  présence 
n'est  jamais  plus  réelle  et  plus  miséricordieuse  ,  que 
quand  elle  nous  enseigne  à  nous  taire  ,  à  nous  hu- 
milier ,  à  n'écouter  point  notre  amour-propre ,  et  à 
demeurer  avec  petitesse  et  fidélité  dans  les  ténèbres 
de  la  foi.  Ce  goût  intime  de  renoncement  à  soi  et  de 


LETTRES    SPUUTUEl.I.ES.  aOT 

j)elitesse  est  bien  plus  utile  que  des  lumières  éclatantes 
et  des  scntimens  vifs. 

Pour  cette  présence  sensible  de  Dieu  que  vous 
avez  moins  qu'autrefois  ,  elle  ne  dépend  pas  de  vous. 
Dieu  la  donne  et  l'ôte  comme  il  lui  plaît  ;  il  suflit  ([ue 
vous  ne  tombiez  point  dans  une  dissipation  volon- 
taire. Il  y  a  des  anuisemens  de  passion  ou  de  vanité , 
qui  tlisslpent  et  ([ui  mettent  quel(pie  entre-deux  entre 
J)ieu  et  nous.  Il  y  a  d'autres  amusemens ,  qu'on  ne 
prend  que  par  simplicité  et  dans  l'ordre  de  Dieu , 
pour  se  délasser  ,  pour  occuj)er  l'activité  de  son  ima- 
i;lnalion ,  pendant  que  le  cœur  a  une  autre  occupa- 
tion plus  intime.  On  peut  s'amuser  de  cette  façon 
dans  les  temps  de  la  journée  où  l'on  ne  pourrait  pas 
continuer  l'oraison  sans  se  fatiguer  :  alors  c'est  une 
demi  oraison ,  qui  vaut  quelquefois  autant  que  l'orai- 
son même  qu'on  fait  exprès. 


133*.  (.9,) 

Ne  pas  s'inquiéter  des  scntimens  ,  mais  du  fond  de  la  volontû. 

Il  faut  songer  à  réparer  le  dérangement  dont  vous 
vous  plaignez  dans  votre  intérieur.  Les  manières  trop 
naturelles  d'autrui  réveillent  tout  ce  qu'il  y  a  en  nous 
de  trop  naturel  ;  elles  nous  font  sortir  d'un  certain 
centre  de  la  vie  de  grâce  ;  mais  il  faut  y  rentrer  avec 
simplicité  et  défiance  de  soi.  La  dureté ,  l'injustice , 
la  fausseté ,  se  trouvent  dans  notre  cœur ,  quant  aux 
scntimens  ,  lorsque  nous  nous  trouvons  avec  des  per- 
sonnes qui  piquent  notre  amour-propre  \  mais  il  suf- 
fit que   notre  volonté   ne  suive  pas  ce  pencbant.    Il 


3g6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

faut  mettre  ses  défauts  à  profit  par  une  entière  dé- 
fiance de  notre  cœur. 

Je  suis  fort  aise  de  ce  que  vous  ne  trouvez  en  vous 
aucune  ressource  pour  soutenir  le  genre  de  \ie  que 
vous  avez  embrassé.  Je  craindrais  tout  pour  vous , 
si  vous  vous  sentiez  afi'ermie  dans  le  bien  ,  et  si  vous 
vous  promettiez  d*y  persévérer  r  mais  j'espère  tout 
quand  je  vois  que  vous  désespérez  sincèrement  de 
vous-même.  0  qu'on  est  faible  quand  on  se  croit 
fort  !  0  qu'on  est  fort  en  Dieu  quand  on  se  sent  fai- 
ble en  soi  ! 

Le  sentiment  ne  dépend  pas  de  vous  :  aussi  l'amour 
n'est-il  pas  dans  le  sentiment.  C'est  le  vouloir  qui 
dépend  de  vous ,  et  que  Dieu  demande.  Il  faut  que 
la  volonté  soit  suivie  de  l'action  ;  mais  souvent  Dieu 
ne  demande  pas  de  grandes  œuvres  de  nous.  Régler 
son  domestique ,  mettre  ordre  à  ses  affaires ,  élever 
ges  enfans  ,  porter  ses  croix. ,  se  passer  des  vaines  joies 
du  siècle ,  ne  flatter  en  rien  son  orgueil ,  réprimer  sa 
hauteur  naturelle;  travailler  à  devenir  simple,  naïve, 
petite  ;  se  taire ,  se  recueillir  ,  s'accoutumer  à  une  vie 
cachée  avec  Jésus-Christ  en  Dieu  :  voilà  les  œuvres 
dont  Dieu  se   contente. 

Vous  voudriez  ,  dites-vous ,  des  croix  pour  e^cpier 
vos  péchés  et  pour  témoigner  votre  amour  à  Dieu. 
Contentez-vous  des  croix  présentes  -,  avant  que  d'en 
chercher  d'autres ,  portez  bien  celles-là  ;  n'écoutez  ni 
vos  goûts ,  ni  vos  répugnances  ;  tenez-vous  dans  cette 
disposition  générale  de  dé|3endance  sans  réserve  de 
J'es])rit  de  grâce  en  toute  occasion.  C'est  la  mort  con- 
tinuelle à  soi-même.  Ne  refusez  rien  à  Dieu  ,  et  ne 
le  prévenez  sur  rien  pour  les  choses  où  vous  ne  voyez 


LETTRES    SPIRITUELLES.  OgC) 

point  encore  sa  volonté.  Cliaque  jour  apportera  ses 
cioix  et  ses  sacrifices.  Quand  Dieu  voudra  vous  faire 
passer  dans  un  autre  état ,  il  vous  y  préparera  insen- 
siltlemeiit.  Je  serai  volontiers  votre  inslrument  de 
ïuort  par  cette  dépendance  de  la  grâce.  Je  souhaite 
(jue  Dieu  poursuive  sans  relâche  en  vous  toute  vie 
de  l'amour-^propre. 


»W>%V\.V\»»V»%%'» 


(,9.)  134*. 

lloccYoir  «également  de  Dieu  la  tr;inquillit(j  et  la  sdchcrcssc  dans 
l'oiaisou. 


Vous  ne  devez  point  être  en  peine  sur  la  tranquil- 
lité que  Dieu  vous  donne  dans  l'oraison.  Quand  elle 
vient  5  il  la  faut  prendre  sans  aucun  scrupule  :  ce 
serait  résister  à  Dieu,  que  de  voul  Ir ,  sous  prétexte 
d'humilité  et  de  pénitence  ,  rejeter  cet  attrait  de  grâce 
pour  vous  occuper  de  vos  misé'  es.  La  vue  de  vos 
misères  reviendra  assez  à  son  to  iv.  Mais  quand  vous 
trouvez  lui  penchant  et  une  f  milité  à  être  dans  une 
douce  présence  de  Dieu ,  .  ien  n'est  si  bon  que  d'y 
tlemeurer.  Vous  a\ouez  que ,  hors  de  cette  tranquil- 
lité en  la  présence  de  Dieu ,  vous  ne  savez  ce  que 
c'est  quoraison.  Gardez-vous  bien  donc  de  sortir ,  par 
votre  propre  choLx,  d'une  disposition  hors  de  laquelle 
vour  dites   que  votre  oraison  se   perd. 

D'un  autre  côté ,  quand  une  certaine  douceur  vous 
manque  en  cet  état-là ,  ne  croyez  point  que  tout  soit 
perdu.  Dieu  ne  vous  ùte  ce  plaisir  ,  que  pour  vous 
sevrer  peu  à  peu  comme  un  enfant,  et  pour  vous 
accoutumer  à  du  pain  sec  en  la  place  du  lait.  Il  faut 


3oO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

sevrer  l'enfant ,  et  l'enfant  crie  :  mais  il  vaut  mieux 
le  laisser  crier  ,  et  le  sevrer  pour  le  mieux  nourrir 
et  le  faire  croître.  La  privation  de  cette  douceur  sen- 
sible ne  détruit  pas  l'oraison;  au  contraire,  elle  la  pu- 
rifie. C'est  avoir  Dieu  sans  Dieu,  comme  vous  le  disiez 
hier,  c'est-à-dire,  Dieu  seul  sans  ses  dons,  qui  rendent 
sa  présence  douce  ,  sensil)le  et  consolante  :  c'est  Dieu 
même  dans  un  état  de  plus  pure  foi  ;  c'est  Dieu  ca- 
ché, mais  Dieu  pourtant;  c'est  Dieu  qui  éprouve  notre 
amour  ;  ce  n'est  plus  Dieu  qui  charme  notre  goût  et 
qui  épargne  notre  faiblesse.  Il  faut  éprouver  la  vicis- 
situde de  ces  deux  états  ,  pour  ne  tenir  point  à  l'un 
et  pour  n'être  pas  découragé  de  l'autre.  Il  faut  être 
détaché  de  l'un  ,  et  ferme  dans  l'autre.  Il  faut  être 
indifférent  pour  tous  les  deux  ,  et  ne  changer  point 
dans  ces  changemens.  Il  faut  croire  que  nous  ne  pour- 
rons nous  donner  le  goût  consolant  :  c'est  Dieu  seul 
qui  le  donne ,  comme  et  quand  il  lui  plaît.  Il  faut 
s'en  laisser  priver ,  et  sacrifier  à  Dieu  ses  dons  quand 
il  les  retire ,  comme  une  fidèle  épouse  se  laisserait 
patiemment  priver  des  joyaux  et  des  caresses  de  son 
époux  pour  se  conformer  à  sa  volonté.  Il  est  encore 
plus  parfait  de  tenir  à  Dieu  qui  nous  rabaisse,  qui 
nous  dépouille,  qui  nous  éprouve,  que  de  tenir  à  Dieu 
qui  nous  enrichit ,  qui  nous  charme  et  qui  nous  caresse. 
Laissez  vos  fautes  :  il  suffit  de  les  voir  quand  la 
lumière  s'en  présente,  et  de  ne  vous  épargner  point 
sur  leur  correction.  Vos  tentations  se  tourneront  à 
profit.  La  véritable  union  à  Dieu ,  qui  est  un  amour 
simple  et  humble ,  diminue  les  imperfections.  De- 
meurez donc  unie  à  Dieu,  et  souffrez  tout  ce  qu'il 
donne  de  croix  et  d'épreuves. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3oi 


(.95)  135*. 

Recevoir  avco  une  égale  tranquillité  les  consolations  et  les  sécheresses, 
selon  qu'il  plait  à  Dieu. 

Dieu  vous  aime  ,  puisqu'il  a  tant  de  jalousie  à 
votre  égard  ,  et  qu'il  a  soin  de  vous  faire  sentir  jus- 
qu'aux moindres  fautes  que  vous  commettez.  Quand 
vous  apercevrez  (pielque  faute  qui  vous  indispose 
pour  l'oraison  ,  contentez-vous  de  vous  humilier  sous 
la  main  de  Dieu,  et  de  recevoir  cette  interruj^tion  des 
grâces  sensibles ,  comme  la  pénitence  que  vous  avez 
méritée.  Ensuite  demeurez  en  paix  ;  ne  recherchez 
point  par  amour-propre  ce  plaisir  qui  peut  vous  ve- 
nir de  la  société  des  bonnes  gens  qvii  vous  honorent  • 
mais  aussi  ne  vous  faites  point  un  scrupule  de  rece- 
voir cette  consolation  quand  la  Providence  vous  l'en- 
voie. Laissez  tomber  l'excès  de  sensibilité  que  vous 
éprouvez  dans  de  telles  consolations.  Il  suffit  que 
^  otre  volonté  ne  s'y  livre  pas ,  et  que  vous  soyez 
sincèrement  déterminée  à  vous  en  passer  toutes  les 
fois  qu'elles  cesseront. 

Vous  voulez  savoir  ce  que  Dieu  demande  de  vous 
là-dessus  ;  et  je  vous  réponds  que  Dieu  veut  que 
vous  preniez  ce  qui  vient ,  et  que  vous  ne  couriez 
point  au-devant  de  ce  qui  ne  se  présente  point.  Re- 
cevez avec  simplicité  ce  qui  vous  est  donné,  n'y  regar- 
dant que  Dieu  seul  qui  vous  le  donne  pour  soutenir 
votre  faiblesse  ,  et  portez  avec  foi  la  privation  de 
toutes  les  choses  dont  Dieu  vous  prive  pour  vous 
détacher.  Quand  vous  prendrez  ainsi  également  les 
inégalités  des  hommes  à  votre  égard ,  que  Dieu  per- 


3o2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

met  tout  exprès  pour  vous  éprouver  par  ces  espèces 
de  secousses  ,  vous  verrez  que  les  consolations  ne  vous 
saisiront  plus  jusqu'à  vous  dissiper  et  à  troubler  votre 
oraison  ,  et  que  les  privations  ne  se  tourneront  plus 
en  découragement  et  en  dépit. 

Ne  quittez  point  vos  deux  temps  réglés  d'oraison 
pour  le  matin  et  pour  le  soir.  Ils  sont  courts  :  vous 
les  passerez  facilement ,  moitié  ennui  et  distractions 
involontaires  ,  moitié  retour  à  votre  occupation  de 
Dieu.  Pour  le  reste  de  la  journée ,  laissez- vous  aller 
au  recueillement ,  à  mesure  que  vous  vous  y  trou- 
verez disposée.  Il  faut  seulement  y  mettre  deux  bornes: 
l'une,  qu'il  ne  vous  détournera  d'aucun  de  vos  de- 
voirs extérieurs  *,  l'autre  ,  que  vous  prendrez  garde 
que  ce  recu.eillement  n'épuise  peu  à  peu  votre  tête, 
et  ne  mine  insensiblement  votre  très-délicate  santé. 

Marcbez  avec  confiance  et  sans  crainte.  La  crainte 
resserre  le  cœur  ;  la  confiance  l'élargit  :  la  crainte  est 
le  sentiment  des  esclaves  ;  l'amour  de  confiance  est 
le  sentiment  des  enfans. 

Pour  vos  misères  ,  il  faut  vous  accoutumer  à  les 
voir  avec  une  sincère  condamnation ,  sans  vous  im- 
patienter ni  décourager.  Pour  un  travail  paisible ,  par 
rapport  à  la  correction  ,  ramenez  votre  cœur ,  autant 
que  TOUS  le  pourrez  ,  au  calme  de  l'oraison  et  à  la 
présence  familière  de  Dieu   pendant  la  journée. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3o3 


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('y?) 


136 


La  tlcsoccupation  de  soi-m6me  perfectionne  la  tîgilancê  pour  se 
corriger,  loin  de  rc\cliire.  Dieu  doit  être  aim«j  purcmenli 

Je  comprends  que  toutes  vos  peines  viennent  de 
ce  que  vous  voulez  trop  juger  de  vous-même ,  et 
de  ce  que  vous  en  jugez  par  une  fausse  apparence, 
(jui  est  votre  senliiiient.  Dès  que  vous  ne  trouvez 
point  un  certain  goût  et  un  attrait  sensible  dans  l'orai- 
son ,  vous  êtes  tentée  de  vous  décourager.  Comme 
vous  êtes  dans  une  solitude  sèche  ,  triste  et  languis- 
sante ,  vous  n'y  avez  guère  d'autre  soutien  que  le 
plaisir  de  goûter  la  piété  :  ainsi  il  n'est  pas  éton- 
nant que  vous  vous  trouviez  abattue  dès  que  cet  appui 
vient  à  vous  manquer.  Voulez-vous  être  en  paix  ? 
occupez-vous  moins  de  vous-même ,  et  un  peu  plus 
de  Dieu.  Ne  vous  jugez  point,  mais  laissez-vous  juger 
avec  une  entière  démission  d'esprit  par  celui  que  vous 
avez  choisi  pour  vous  conduire.  Il  est  vrai  qu'on  est 
souvent  occupé  de  soi  sans  le  vouloir ,  et  que  l'ima- 
gination nous  fait  souvent  retomber  dans  cette  occu- 
pation pénible  :  mais  je  ne  vous  demande  point  l'im- 
possible ',  je  me  borne  à  vouloir  que  vous  ne  soyez 
point  occupée  de  vous-même  par  choix  ,  et  que  vous 
n'entrepreniez  point  volontairement  de  juger  de  votre 
état  j)ar  vos  propres  lumières.  Dès  que  vous  aperce- 
vez en  vous  cette  occupation  et  ce  jugement ,  dé- 
tournez-en votre  vue  comme  d'une  tentation  ,  et  ne 
rendez  pas  volontaire  ,  par  une  continuation  de  pro- 
pos délibéré  ,  ce  qui  commence  par  pure  surprise 
d'imagination. 


3o4  LETTRES    SPIUITUELLES^ 

Au  reste,  ne  croyez  point  que  cette  conduite  que 
je  vous  conseille  vous  empêche  de  pratiquer  la  vigi- 
lance sur  vous-même  ,  que  Jésus-Christ  recommande 
dans  l'Evangile.  La  plus  parfaite  manière  de  veiller 
sur  soi  est  de  veiller  devant  Dieu  contre  les  illusions 
de  l'amour-propre.  Or  une  des  plus  dangereuses  il- 
lusions de  l'amour-propre  est  de  s'attendrir  sur  soi , 
d'être  sans  cesse  autour  de  soi-même ,  d'être  occupé 
de  soi  d'une  occupation  empressée  et  inqu.iète  ,  qui 
trouble  ,  qui  dessèche ,  qui  resserre  le  cœur  ,  qui  ôte 
la  présence  de  Dieu ,  enfin  qui  nous  fait  juger  de 
nous-mêmes  jusqu'à  nous  jeter  dans  le  décourage- 
ment. Dites  comme  saint  Paul  {a)  :  Et  même  je  ne 
me  ju^e  point  j  vous  n'en  veillerez  que  mieux  sur  vos 
défauts  pour  les  corriger ,  et  sur  vos  devoirs  pour  les 
remplir ,  quoique  vous  ne  soyez  point  volontairement 
dans  ces  occupations  inquiètes  d'amour-propre.  Ce 
sera  par  amour  pour  Dieu ,  que  vous  retrancherez 
d'une  manière  simple  et  paisible  tout  ce  que  cet  amour 
vigilant  et  jaloux  vous  fera  apercevoir  d'imparfait 
et  d'indigne  du  bien  aimé.  Vous  travaillerez  à  vous 
corriger  sans  impatience  et  sans  dépit  d'amour-propre 
contre  vos  faiblesses.  Vous  ^ous  supporterez  hum- 
blement sans  vous  flatter.  Vous  vous  laisserez  juger , 
et  vous  ne  ferez  qu'obéir. 

Cette  conduite  va  bien  plus  à  mourir  à  soi-même 
que  celle  de  suivre  les  délicatesses  ,  les  dépits  ,  les 
impatiences  de  l'amour-propre  sur  la  perfection.  De 
plus ,  c'est  prendre  une  fausse  règle  pour  juger  de 
soi ,  que  d'en  juger  par  les  sentimens  que  l'on  trouve 

(a)  /  Cor.  IV.   3. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  Oo5 


au  dedans  de  soi-même.  Dieu  ne  nous  demande  que 
ce  qui  dépend*  de  nous  ;  c'est  précisément  notre  vo- 
lonté qui  dépend  d'elle-même.  Le  sentiment  n'est 
point  en  notre  ])ouvoir  ;  nous  ne  ])ouvons  ni  nous  le 
donner  ni  nous  l'ùter  conmie  il  nous  ])laît.  Les  plus  en- 
durcis pécheure  ont  quelquefois  ,  malgré  eux,  de  bons 
mouvemens.  Les  plus  grands  Saints  ont  été  ■violem- 
ment tentés  j)ar  des  sentimens  corrompus  dont  ils 
aNaient  liorreur.  Ces  sentimens  ont  même  servi  à  les 
humilier,  à  les  mortilier ,  à  les  purifier.  La  vertu , 
dit  saint  Paul  («)  ,  se  perfectimine  da7is  tinjirmité. 
Ce  n'est  donc  pas  le  sentir,  mais  le  consentir  (pii  nous 
rend  coupables. 

Pourquoi  donc  croyez-vous  être  loin  de  Dieu  quand 
^  ous  ne  pouvez  pas  le  goûter  ?  Sachez  qu'il  est  tout 
auprès  de  ceux  qui  ont  le  cœur  en  tribulation  et  eo 
sécheresse.  Vous  ne  pouvez  point  vous  donner  par 
industrie  ce  goût  sensible.  Qu'est-ce  que  vous  voulez 
aimer  ?  Est-ce  le  plaisir  de  l'amour  ou  le  bien-aimé  ? 
Si  ce  n'est  que  le  ])laisir  de  l'amour  que  vous  cherchez, 
c'est  votre  propre  plaisir  ,  et  non  celui  de  Dieu  ,  qui 
est  l'objet  de  vos  prétentions.  On  impose  souvent  à 
soi-même  dans  la  vie  intérieure.  On  se  flatte  de  cher- 
cher Dieu  ,  et  on  ne  cherche  que  soi  dans  le  culte 
(U\  in.  On  ne  quitte  les  plaisirs  du  monde  ,  que  pour 
se  faire  un  plaisir  railiné  dans  la  dé\otion  ;  et  comme 
on  ne  tient  à  Dieu  que  par  le  plaisir  ,  on  ne  tient 
plus  à  lui  quand  la  source  du  plaisir  tarit.  Il  ne  faut 
jamais  se  priver  de  ce  plaisir  par  une  recherche  vo- 
lontaire des  autres  plaisirs  qui   rendent    intligne   de 


(a)  //  Cor.  XII.  g. 
CORRESP.    JV. 


3o6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

celui-là  :  mais  en(in,  quand  ce  plaisir  manque ,  il  faut 
continuer  à  aimer  sans  plaisir,,  et  mettre  la  consolation 
à  servir  Dieu  à  ses  dépens ,  malgré  les  dégoûts  qu'on 
éprouve.  0  que  l'amour  est  pur  quand  il  se  soutient 
sans  aucun  goût  sensible  !  O  que  tout  s'avance  quand 
on  est  tenté  de  croire  tout  perdu  !  0  que  l'amour 
souffrant  sur  le  Calvaire  est  au-dessus  de  l'amour 
enivré  sur  le  Thabor  !  On  ne  peut  guère  compter 
sur  une  ame  qui  n'a  point  encore  été  sevrée  du  lait 
des  consolations  spirituelles. 

Je  ne  veux  plus  que  vous  soyez  une  dame  sage  , 
forte  et  vertueuse  en  grand  ;  je  veux  tout  en  petit. 
Soyez  une  bonne  petite  enfant. 

137  *.  (aoi) 

Comment  se  conduire  parmi  les  vicissitudes  de  la  vie  intérieure. 

Il  faut  supposer  qu'il  se  mêle  beaucoup  d'imagi- 
nation ,  de  sentimens,  et  même  de  sensibilité  d'amour- 
propre  dans  notre  oraison.  De  là  vient  que  nous  sommes 
dans  une  espèce  d'ivresse  quand  notre  imagination 
nous  donne  de  belles  images  avec  des  sentimens  de 
plaisir ,  et  que  nous  sommes  découragés  dès  que  ces 
images  et  ces  sentimens  flatteurs  nous  manquent  ;  mais 
cette  confiance  dans  le  bon  temps  et  ce  décourage- 
ment dans  le  mauvais  ne  sont  que  pure  illusion.  Il 
ne  faudrait  ni  s'élever  quand  l'oraison  est  douce  ,  ni 
s'abattre  quand  elle  devient  sècbe  et  obscure.  Le  fond 
de  l'oraison  demeure  toujours  le  même  ,  pourvu  qu'on 
ait  toujours  la  même  volonté  d'être  uni  à  Dieu  ,  sans 
s'élever  des  dons  sensibles ,  et  sans  s'abattre  de  leur 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3o'J 

j)rivnlion.  Dieu  ,  par  ces  dons  sensibles,  soulage  quel- 
(juefois  notre  imagination  ,  il  aide  notre  esprit ,  il  sou- 
TuMil  noire  volonté  faible  et  prête  à  succomber.  Il  relire 
aussi  assez  souvent  ses  secours  pour  nous  enipcclier 
(le  nous  les  aj)proprier  avec  luie  \aine  confiance,  et 
])our  nous  accoutumer  à  sa  présence  malgré  les  dis- 
tractions et  les  sécheresses.  L'oraison  n'est  jamais  si 
pure,  que  quand  on  la  continue  par  fidélité  ,  sans  plai- 
sir ni  goût. 

Il  est  vrai  que ,  si  cette  présence  vous  est  facilitée 
])ar  la  considération  méthodique  de  quelques  vérités 
])articulières,  il  faut  vous  appliquer  à  ces  vérités  pour 
en  nourrir  votre  cœur;  mais  si  ces  vérités  ne  servent 
point  à  faciliter  la  présence  de  Dieu ,  et  si  ce  n'est 
qu'une  inquiétude  scrupuleuse  ,  vous  ne  ferez  qucî 
vous  embrouiller  en  vous  écoutant. 

11  ne  dépend  point  de  vous  de  dissiper  les  distrac- 
tions involontaires  ,  l'ennui ,  le  dégoût  et  l'obscurité. 
Ce  qui  dépend  de  vous ,  moyennant  la  grâce  de  Dieu  , 
est  la  patience  dans  cet  ennui ,  le  retour  paisible  à 
la  présence  de  Dieu  quand  vous  apercevez  la  sur- 
prise des  distractions  ,  et  la  fidélité  pour  demeurer 
attachée  à  Dieu  sans  plaisir  par  une  volonté  tèclie 
et  nue. 

Laissez  tomber  les  pensées  de  vaine  complaisance 
comme  celles  de  découragement ,  et  allez  toujours 
votre  train.  Le  tentateur  ne  cherche  qu'à  vous  arrêter; 
en  ne  vous  arrêtant  point ,  vous  vaincrez  la  tentation 
d'une  façon  simple  et  paisible. 


5^ 


3o8  LETTRES    SPIRITUELLES. 


138   ♦.  (206) 

Demeurer  fiJcle  dans  les  sécheresses ,  pour  vivre  de  la  vraie  vie  de 
Jésus-Cluisl  en  Dieu. 

Vous  ne  devez  point  douter  que  Yotre  santé  ne 
me  soit  fort  chère.  Ce  qui  m'est  encore  plus  cher  ,  est 
Totre  fidélité  à  Dieu.  Il  ne  s'agit  point  des  douceurs 
et  des  consolations  qu'on  voudrait  goûter  en  le  ser- 
vant. Il  ne  dépend  pas  même  de  notre  travail  de 
nous  procurer  toujoius  une  ferveur  sensible.  Quoi- 
qu'il ne  faille  jamais  s'attirer  cette  privation  par  la 
moindre  dissipation  ou  négligence  volontaire,  il  faut 
néanmoins  se  passer  de  ces  soutiens  si  consolans ,  et 
continuer  avec  une  humble  patience  au  milieu  des 
ténèbres  et  des  sécheresses  quand  Dieu  nous  y  met. 
C'est  même  un  grand  profit  pour  une  ame  constante 
dans  le  bien ,  que  de  voir  toute  sa  pauvreté  et  toute 
son  impuissance.  Il  importe  bien  plus  de  sentir  sa 
misère  pour  recourir  à  Dieu  ,  que  de  goûter  une  con- 
solation qui  tente  de  vaine  complaisance. 

O  mon  cher  enfant ,  toute  la  vie  chrétienne  consiste 
à  mourir  à  soi  pour  vivre  à  Dieu.  Il  faut  donc  mourir 
sans  cesse  à  toutes  les  vies  secrètes  et  flatteuses  de 
l'amour-propre.  Il  faut  être  jaloux  contre  l'amour- 
propre  pour  l'amour  de  Dieu.  Il  faut  s'exécuter  à  tout 
moment  pour  préférer  la  volonté  de  Dieu  aux  goûts 
naturels.  Voilà  le  vrai  contre-poison  de  l'illusion  dans 
la  vie  spirituelle.  On  ne  s'égare  sous  de  beaux  pré- 
textes de  perfection  ,  qu'en  recherchant  ce  qui  nous 
flatte  au  lieu  de  contenter  Dieu ,  et  qu'en  voulant 
accommoder  la  piété  à  nos  arrangemens ,  au  lieu  d'as- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3l)(J 

siijettir  tous  nos  goûts  à  la  croix  de  Jésus-Clirist.  La 
vie  qui  résiste  à  Dieu  est  une  vie  fausse  et  doulou- 
reuse ;  au  contraire ,  la  mort  qui  cède  à  Dieu  est  une 
mort  de  paix  et  d'union  avec  la  véiilable  vie.  Cette 
bienheureuse  mort  est  une  vie  cachée  avec  Jésus- 
Christ  en  Dieu ,  et  la  vie  des  consolations  mondaines 
est  une  vie  trompeuse.  0  mon  clier  enfant,  laissons-nous 
mourir  à  tout ,  afin  que  Jésus-Christ  seul  vive  en  nous. 


(a. 3)  139   *. 

Crainte  injurieuse  à  Dieu.  Utilitû  d'une  misère  qui  humilie. 

Ne  craignez  rien  :  vous  feriez  une  grande  injure 
à  Dieu,  si  vous  vous  défiiez  de  sa  bonté;  il  sait  mieux 
ce  qu'il  vous  faut ,  et  ce  que  vous  êtes  capable  de  por- 
ter ,  que  vous-même  ;  il  ne  vous  tentera  jamais  au- 
dessus  de  vos  forces.  Encore  un  coup  ;  ne  craignez 
rien,  ame  de  peu  de  foi.  Vous  voyez  ,  par  l'expérience 
de  votre  faiblesse  ,  combien  vous  devez  être  dés- 
abusée de  vous-même  et  de  vos  meilleures  résolutions. 
A  voir  les  sentimens  de  zèle  où  l'on  est  quelquefois,  on 
croirait  que  rien  ne  serait  capable  de  nous  arrêter;  ce- 
pendant, après  avoir  dit  comme  saint  Pierre  (a)  :  Quand 
même  il  faudrait  rnourir  avec  vous  cette  mât ,  je  ne 
vous  abandonnerai  poi7it ,  on  finit  comme  lui  par  avoir 
peur  d'une  servante  ,  et  par  renier  lâchement  le  Sau- 
veur. 0  qu'on  est  faible  !  Mais  autant  que  notre  fai- 
blesse est  déploraljle,  autant  l'expérience  nous  en  est- 
elle  utile  pour  nous  ùter  tout  appui  et  toute  ressource 
au  dedans  de   nous.   Une  misère   que  nous  sentons  , 

(a)  Malllu  XXVI.  35. 


3  I  O  LETTRES    SPIRITUELLES. 

et  (jiii  nous  humilie,  nous  vaut  mieux  qu'une  vertu 
angéiique  que  nous  nous  approprierions  avec  complai- 
sance. Soyez  donc  faible  et  découragée  si  Dieu  le  per- 
met ,  mais  humble ,  ingénue  et  docile  dans  ce  décou- 
ragement. Vous  rirez  un  jour  des  frayeurs  que  la  grâce 
vous  donne  maintenant ,  et  vous  remercierez  Dieu 
de  tout  ce  que  je^vous  ai  dit  sans  prudence,  pour  vous 
faire  renoncer  à  votre  sagesse  timide. 

140   *.  (a36) 

Langueur  de  l'ame  ;  sa  source  et  son  remède. 

Ma  vie  est  triste  et  sèche  comme  mon  corps  ;  mais 
je  suis  dans  je  ne  sais  quelle  paix  languissante.  Le 
fond  est  malade^  et  il  ne  peut  se  remuer  sans  une 
douleur  sourde.  Nulle  sensibilité  ne  vient  que  d'amour- 
propre  ;  on  ne  souffre  qu'à  cause  qu'on  veut  encore. 
Si  on  ne  voulait  plus  rien ,  que  la  seule  volonté  de 
Dieu  ,  on  en  serait  sans  cesse  rassasié ,  et  tout  le  reste 
serait  comme  du  pain  noir  qu'on  présente  à  un 
liomme  qui  vient  de  faire  un  grand  repas.  Si  la  vo- 
lonté présente  de  Dieu  nous  suffisait,  nous  n'étendrions 
point  nos  désirs  et  nos  ciu'iosités  sur  l'avenir.  Dieu 
fera  sa  volonté  ,  et  il  ne  fera  point  la  nôtre  :  il  fera 
fort  bien.  Abandonnons-lui  non-seulement  toutes  nos 
vues  humaines  ,  mais  encore  tous  nos  souhaits  pour 
sa  gloire ,  attendue  selon  nos  idées.  Il  faut  le  suivre 
en  pure  foi  et  à  tâtons.  Quiconque  veut  voir ,  désire  , 
raisonne  ,  craint  et  espère  pour  soi  et  pour  les  siens. 
Il  faut  avoir  des  yeux  comme  n'en  ayant  pas  :  aussi 
bien  ne  servent-ils  qu'à  nous  tromper  et  qu'à  nous 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3  I  I 

troubler.  Heureux  le  jour  où  nous  ne  voulons  pas  pré- 
voir le  lendemain  ! 

(a3;)  141    *. 

Supporter  paliemracnl  les  sécheresses  el  la  vue  de  nos  misères. 

Je  suis  fort  touché  de  la  peinture  que  vous  m'avez 
faite  de  votre  état.  Il  est  très-pénible  ;  mais  il  vous 
sera  fort  utile ,  si  vous  y  suivez  les  desseins  de  Dievi. 
L'obscurité  sert  à  exercer  la  pure  foi  et  à  déiuier 
l'ame.  Le  dégoût  n'est  qu'une  épreuve ,  et  ce  qu'on 
fait  en  cet  état  est  d'autant  plus  pur ,  qu'on  ne  le  fait 
ni  par  inclination  ni  par  plaisir  :  on  va  contre  le  vent 
à  force  de  rames.  Pour  l'état  qui  paraît  tout  naturel , 
je  ne  m'en  étonne  nullement.  Dieu  ne  peut  nous  ca- 
cher sa  grâce  que  sous  la  nature.  Tout  ce  qui  est 
sensible  se  trouve  conforme  aux  saillies  du  tempé- 
rament ,  et  le  don  de  Dieu  n'est  que  dans  le  fond 
le  plus  intime  et  le  plus  secret  d'une  volonté  toute 
sèche  et  toute  languissante.  Souffrir ,  passer  outre , 
et  demeurer  en  paix  dans  cette  douloureuse  obscu- 
rité ,  est  tout  ce  qu'il  faut.  Les  défauts  mêmes  les 
plus  réels  se  tourneront  en  mort  et  en  désappropria- 
tion ,  pourvu  que  vous  les  regardiez  avec  simplicité  , 
petitesse ,  détachement  de  votre  lumière  propre  ,  et 
docilité  pour  la  personne  à  qui  vous  vous  ouvrez.  Vous 
n'avez  rien  à  craindre  que  de  votre  esprit ,  qui  pour- 
rait vous  donner  un  art  que  vous  n'apercevriez  pas 
vous-même,  pour  tendre  au  but  de  votre  amour-pro- 
pre :  mais  conmie  vous  êtes  sincèrement  en  garde 
contre  vous ,  et  comme  vous  ne  cherchez  qu'à  mourir 


3  12  LETTRES    SPIRITUELLES. 

à  vous-même  de  bonne  foi ,  je  compte  que  tout  ira 
Lien.  Vos  peines  serviront  à  rabaisser  votre  courage , 
et  à  vous  déposséder  de  votre  propre  cœur  ;  la  vue 
de  vos  misères  démontera  votre  sasesse.  Il  faut  seu- 
lement  vous  soulager  et  vous  épargner  dans  les  ten- 
tations de  découragement ,  comme  une  personne  fai- 
ble qu'on  a  besoin  de  consoler  et  de  faire  respirer. 

Votre  tempérament  est  tout  ensemble  mélancolique 
et  vif  :  il  faut  y  avoir  égard  ,  et  ne  laisser  jamais  trop 
attrister  votre  imagination  -,  mais  il  lui  faut  des  soula- 
gemens  de  simplicité  et  de  petitesse  ,  non  de  hauteur 
et  de  sagesse  qui  flattent  l'amour-propre. 

Plus  vous  vous  livrerez  sans  mesure  pour  sortir 
de  vous ,  et  pour  en  perdre  toute  possession  ,  plus 
Dieu  en  prendra  possession  à  sa  mode  ,  qui  ne  sera 
jamais  la  vôtre.  Encore  une  fois  ,  laissez  tout  tomber , 
ténèbres  ,  incertitudes  ,  misères  ,  craintes  ,  sensibilité  , 
découragement  ;  amusez-vous  sans  vous  passionner  ; 
recevez  tout  ce  que  les  amis  vous  donneront  de  bon , 
comme  un  bien  inespéré  ,  qui  ne  fait  que  passer  au 
travers  d'eux ,  et  que  Dieu  vous  envoie.  Pour  les  choses 
choquantes ,  regardez-les  connne  venant  de  leurs  dé- 
fauts, et  supportez  les  leurs  comme  vous  supportez  les 
vôtres.  Vous  n'aurez  jamais  aucun  mécompte ,  si  vous 
ne  voulez  jamais  compter  avec  aucun  de  vos  amis. 
L'amour  de  Dieu  ne  s'y  méprend  jamais;  il  n'y  a  que 
l'amour-propre  qui  puisse  se  mécompter.  La  grande 
marque  d'un  cœur  désapproprié  est  de  voir  un  cœur 
sans  délicatesse  pour  soi ,    et  indulgent  pour  autrui. 

Je  contiens  que  la  simplicité  serait  d'un  excellent 
usage  avec  nos  bonnes  gens  \  mais  la  simplicité  de- 
mande dans  la  pratique  une  profonde  mort  de  la  part 


LETTRKS    SPIIUTL'ELLIiS.  3l3 

de  toutes  les  personnes  qui  composent  une  société. 
Les  imparfails  sont  iinpaif'aitenient  simples  ;  !ils  se 
blessent  mal  à  propos  ,  ils  critiquent ,  ils  veulent  de- 
viner, ils  censurent  avec  un  zèle  indiscret,  ils  gênent 
les  autres  :  insensiblement  les  défauts  naturels  se  glis- 
sent sous   raj)parence  de  simplicité. 


(aÎQ)  142  *. 

Avantages  des  croix  et  de  l'état  d'obscuritû  où  Dieu  nous  laisse. 

Vois  avez  bien  des  croix  à  porter  ;  mais  vous  en 
avez  besoin,  puis({ue  Dieu  vous  les  donne.  Il  les  sait 
bien  cboisir  :  c'est  ce  choix  qui  déconcerte  l'amour- 
propre  et  qui  le  fait  mourir.  Des  croix  choisies  et 
portées  avec  propriété ,  loin  d'être  des  croix  et  des 
moyens  de  mort ,  seraient  des  alimens  et  des  ragoûts 
pour  une  vie  d'amour-propre.  Vous  vous  plaignez 
d'un  état  de  pauvreté  intérieure  et  d'obscurité  -,  Bien- 
heureux les  yauvres  d'esprit  (a)  .'  Bienheureux  ceux 
qui  croient  sans  voir  (e)!  Ne  voyons-nous  pas  assez, 
pour\u  que  nous  voyions  notre  misère  sans  l'excu- 
ser? Voir  nos  ténèbres,  c'est  voir  tout  ce  qu'il  faut. 
En  cet  état ,  on  n'a  aucune  lumière  qui  flatte  notre 
curiosité  ,  mais  on  a  toute  celle  qu'il  faut  pour  se  dé- 
fier de  soi ,  pour  ne  s'écouter  plus,  et  pour  être  docile 
à  autrui.  Que  serait-ce  qu'une  vertu  qu'on  verrait  au 
dedans  de  soi,  et  dont  on  serait  content?  Que  serait- 
ce  qu'une  lumière  aperçue  ,  et  dont  on  jouirait  pour 
se   condiiiie?  Je  remercie  Notre-Seigneur  de  ce  qu'il 

(a)  Matlh.  v.  3.  [e)  Joan.  xx.  29. 


3l4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

VOUS  ùte  un  si  dangereux  appui.  Allez,  comme  Abraham, 
sans  savoir  oit  [a)  ;  ne  suivez  que  l'esprit  de  petitesse, 
de  simplicité  et  de  renoncement  ;  il  ne  vous  inspirera 
que  paix,  recueillement,  douceur,  détachement,  sup- 
port du  prochain  ,  et  contentement  dans  vos  peines. 

(a)  Hebr.  xi.  8,, 


<%%«  VV^'%%,%V^«/V.'»%%V%^%WV\«%%^^\'WV%X%%%V«^A^fc^A%%%%W%iV«<%V%^%«%^i««V«%^V%^%%'«V%^ 


143 


(243) 


Tendre  habituellement  à  Dieu  avec  paix  et  fidélité ,  sans  se  détourner 
pour  toutes  les  distractions  involontaires. 

Marchez  dans  les  ténèbres  de  la  foi  et  dans  la 
simplicité  évangélique,  sans  vous  arrêter  ni  aux  goûts, 
ni  aux  sentimens ,  ni  aux  lumières  de  la  raison ,  ni 
aux  dons  extraordinaires.  Contentez-vous  de  croire  , 
d'obéir  ,  de  mourir  à  vous-même ,  selon  l'état  de  yie 
oui  Dieu  vous   a  mis. 

Vous  ne  devez  point  vous  décourager  pour  vos  dis- 
tractions involontaires ,  qui  ne  viennent  que  de  vivacité 
d'imagination  et  d'habitude  de  penser  à  vos  affaires. 
Il  suffit  que  vous  ne  donniez  point  lieu  à  ces  distrac- 
tions ,  qui  arrivent  pendant  l'oraison  ,  en  vous  don- 
nant une  dissipation  volontaire  pendant  la  journée.  On 
s'épanche  trop  quelquefois  ;  on  fait  même  de  bonnes 
oeuvres  avec  trop  d'empressement  et  d'activité  ;  on 
suit  trop  ses  goûts  et  ses  consolations  :  Dieu  en  punit 
dans  l'oraison.  Il  faut  s'accoutumer  à  agir  en  paix ,  et 
avec  une  continuelle  dépendance  de  l'esprit  de  grâce  , 
qui  est  im.  esprit  de  mort  à  toutes  les  vies  les  plus 
secrètes  de  l'amour-propre. 

L'intention  habituelle  ,  qui  est  la  tendance  du  fond 


LETTRES    SPIRITUELLES. 


vers  Dieu  ,  suflit  :  c'est  marcher  en  la  présence  de 
Dieu.  Les  événemens  ne  vous  trouveraient  pas  dans 
celle  silualion ,  si  vous  n'y  étiez  point.  Demeurez-y 
en  paix  ,  et  ne  perdez  point  ce  que  vous  avez  chez 
A  ous ,  pour  courir  au  loin  après  ce  que  vous  ne  trou- 
Aeriez  point.  J'ajoute  qu'il  ne  faut  jamais  négliger,  par 
dissipation  ,  d'avoir  une  intention  plus  distincte  ;  mais 
Tintention  qui  n'est  pas  distincte  et  développée  est 
bonne.  La  paix  du  cœur  est  un  bon  signe  ,  quand  on 
\  eut  d'ailleurs  de  bonne  foi  oljéir  à  Dieu  par  aniovu' , 
avec  jalousie  contre  l'amour-propre. 

Prolitez  de  vos  imperfections  pour  vous  détacher 
de  A  ous-méme  ,  et  pour  vous  attacher  à  Dieu  seul. 
Travaillez  à  acquérir  des  vertus  ,  non  pour  y  cher- 
cher une  dangereuse  complaisance  ,  mais  poiu'  faire 
la  volonté  du  bien-aimé. 

Demeurez  dans  votre  simplicité  ,  retranchant  les 
retours  inquiets  sur  vous-même ,  que  l'amour-propre 
l'ournit  sans  cesse  sous  de  beaux  prétextes  :  ils  ne  fe- 
raient que  troubler  votre  paix  et  que  vous  tendre  des 
})iéges.  Quand  on  mène  une  vie  recueillie,  mortifiée, 
et  de  dépendance  par  le  a  rai  désir  d'aimer  Dieu  ,  la 
tlélicatesse  de  cet  amour  reproche  intérieurement  tout 
ee  qui  le  blesse.  Il  faut  s'arrêter  tout  court  dès  qu'on 
se'nt  cette  blessure  et  ce  reproche  au  cœur.  Encore 
une  fois  ,  demeurez  en  paix. 


3l6  LETTRES    SPIRITUELLES. 


W»/V,^%%HH««'VV>VX^/V»%%»llV».W»VXW^W»^*<^V»<*»'*%V»%%«»<%</<iVV»j%%% 


AVIS  SUR  LA  PRATIQUE  DE  L'HUMILITÉ  , 

DU  RENONCEMENT  A  SOI-MÊME, 
DE    LA.   RÉSIGNATION    DANS    LES    CROIX  ,    ETC. 

144  *.  (,7) 

Souffrir  avec  patience  et  courage  dans  les  peines  domestiques. 

Je  prends  ,  monsieur ,  une  très-grande  part  à  toutes 
vos  peines  domestiques,  et  je  comprends  qu'elles  doi- 
vent être  fort  grandes  ;  mais  vous  savez  que  la  croix 
est  faite  pour  nous,  et  nous  pour  elle.  C'est  notre  place 
que  d'y  demeurer  paisiblement  attachés  avec  Jésus- 
Christ  jusqu'au  dernier  soupir  de  la  vie.  Il  serait  glo- 
rieux d'y  avoir  été  patiemment,  si  on  pouvait  en  des- 
cendre ;  mais  y  être  cloué  et  y  expirer ,  c'est  ce  qui 
est  terrible.  C'est  seulement  dans  ce  dernier  moment 
qu'on  peut  dire ,  Tout  est  consommé. 

Je  prie  N de  faire  le  moins  de  réflexions  qu'elle 

pourra  sur  tout  ce  qui  ne  va  qu'à  troubler  sa  paix  et 
son  avancement,  en  la  jetant  dans  une  occupation  in- 
quiète d'elle-même  ,  qui  est  une  tentation  véritaljle. 
Pour  vous  ,  monsieur ,  prenez  courage  :  siistine  sus- 
tentationes  Dei  (a).  Toute  notre  piété  n'est  qu'imagi- 
nation ,  si  nous  ne  sommes  pas  contens  lorsque  Dieu 
nous  frappe  ,  et  si  nous  cherchons  ,  par  ragoût ,  des 
espérances  dans  les  temps  à  venir  de  cette  vie  pour 
nous  consoler.  Le  détachement  de  ce  monde  ne  sau- 
rait être  trop  absolu   et  trop  de  pratique. 

(a)  Eçcli,  II.  3. 


LETTRES    SPIRITUELLES. 


(:9)  145*. 

Avantages  de  se  laisser  rapetisser. 

Je  prie  souvent  Dieu  qu'il  vous  tienne  dans  sa  main. 
Le  point  essentiel  est  la  petitesse.  Il  n'y  a  rien  qu'elle 
ne  raccommode  ,  parce  que  la  petitesse  rend  docile , 
et  que  la  docilité  redresse  tout.  Vous  seriez  plus  cou- 
pable qu'un  autre  si  vous  résistiez  à  Dieu  en  ce  point. 
D'un  côté ,  vous  avez  reçu  plus  de  lumière  et  de 
grâce  qu'un  autre  pour  vous  laisser  rapetisser  :  d'un 
autre  côté ,  personne  n'a  plus  éprouvé  que  vous  ce 
qui  doit  raljaisser  le  cœur,  et  ôter  toute  confiance  en 
soi-même.  C'est  le  grand  fruit  de  l'expérience  de  nos 
infirmités ,  que  de  nous  rendre  petits  et  souples.  J'es- 
père que  Notre-Seigneur  vous  gardera ,  et  je  le  lui 
demande   avec  instance. 

(ai)  146  *. 

Quelle  doit  être  la  souffrance  pour  y  conserver  la  paix. 

Pour  N je  prie   Notre-Seigneur  de  lui  donner 

une  simplicité  qui  soit  la  source  de  la  paix  pour  elle. 
Quand  nous  serons  fidèles  à  laisser  tomber  d'abord 
tonte  réflexion  superflue  et  inquiète  ,  qui  vient  d'un 
amour  de  nous-mêmes  très-différent  de  la  charité  , 
nous  serons  au  large  au  milieu  de  la  voie  étroite  ;  et 
sans  manquer  ni  à  Dieu  ni  aux  liommes  ,  nous  serons 
dans  la  pure  liberté  et  dans  la  paix  innocente  des  en- 
fans  de   Dieu. 

Je  prends  pour  moi ,  monsieur ,  ce  que  je  donne 


3l8  LETTRES    SPIRITUELLES^ 

aux  autres ,  et  je  vois  bien  que  je  dois  clierclier  la 
paix  où  je  leur  propose  de  la  chercher.  J'ai  le  cœur 
en  souffrance.  C'est  la  vie  à  nous-mêmes  qui  nous  fait 
souffrir  ;  ce  qui  est  mort  ne  sent  plus.  Si  nous  étions 
morts  5  et  si  notre  vie  était  cachée  avec  Jésus-Christ 
en  Dieu,  comme  parle  l'Apôtre  {a) ,  nous  n'aurions  plus 
les  peines  de  l'esprit  que  nous  ressentons.  Nous  pour 
rions  bien  sentir  des  douleurs  du  corps  ,  comme  la 
fièvre,  la  goutte,  etc.;  nous  pourrions  bien  aussi  souf- 
frir des  douleurs  spirituelles ,  c'est-à-dire  des  dou- 
leurs imprimées  dans  l'âme ,  sans  qu'elle  y  eut  aucune 
part  :  mais  pour  les  peines  d'inquiétude  ,  où  l'ame 
ajoute  à  la  croix  imposée  par  la  main  de  Dieu  une 
agitation  de  résistance,  et,  pour  ainsi  dire  ,  une  non- 
volonté  de  souffrir ,  nous  n'avons  ces  sortes  de  dou- 
leurs qu'autant  que  nous  vivons  encore  à  nous-mêmes. 
Une  croix  purement  donnée  de  Dieu,  et  pleinement 
voulue  ,  sans  retour  inquiet  par  celui  qui  la  porte  , 
est  tout  ensemble  douloureuse  et  paisible.  Au  con- 
traire ,  une  croix  qui  n'est  pas  pleinement  et  simple- 
ment voulue ,  et  que  la  vie  propre  repousse  encore 
un  peu ,  est  une  double  croix  :  elle  est  encore  plus 
croix  par  la  résistance  vaine  que  l'ame  y  apporte , 
que  par  l'impression  de  douleur  qu'elle  fait  nécessai- 
rement. La  douleur  et  la  paix  sont  dans  un  merveil- 
leux mélange  en  purgatoire.  On  n'y  souffre  rien  que 
de  la  main  de  Dieu;  la  résistance  de  la  volonté  n'a 
aucune  part  à  cette  douleur.  0  heureux  qui  pourrait 
souffrir  dans  cette  paix  simple  de  plein  acquiesce- 
ment ,  ou  de  non-résistance  parfaite  !  Rien  n'abrège 

(«)  Colus,  III.  3. 


LETTRES    SPIRITUELLES,  3l() 

et  iriuloiiclt  tant  les  peines  ,  que  de  les  recevoir  ainsi. 
Mais  d'ordinaire  ou  marchande  avec  Dieu  ,  on  veut 
toujours  ]>oser  des  bornes  et  voir  le  bout  de  sa  peine. 
Le  même  fond  de  vie  opiniâtre  et  cachée  ,  qui  rend 
Ja  croix,  nécessaire  ,  fait  qu'on  la  repousse  à  demi  par 
(le  petits  coups  secrets  ,  et  qu'on  en  retarde  l'opéra- 
tion. Ainsi  c'est  toujours  à  recommencer  :  on  souffre , 
et  on  n'achève  point  Touvrage  pour  lequel  on  soulfre. 
Je  prie  Notre-Seigneur  que  nous  ne  tombions ,  ni  les 
luis  ni  les  autres  ,  dans  cet  état  de  langueur  où  la 
croix  ne  se  tourne  point  à  profit.  Saint  Paul  dit  (a) 
<pic  Dieu  aime  celui  qui  donne  (jaiment  l'aumône  : 
combien  plus  doit-il  aimer  celui  qui  donne  gaîment 
toute  sa  volonté  pour  s'abandonner  à  ses  opérations 
crucifiantes. 

(rt)  //  Cor.  IX.  7. 

147  *.  (.3) 

Bonheur  des  croix. 

,  Je  ne  puis  m'empêcher  d'admirer  la  vertu  de  la 
croix  :  nous  ne  valons  rien  que  par  elle.  Elle  me  fait 
fiémir  ,  et  me  donne  des  convulsions  dès  qu'elle  se 
fiiit  sentir  ;  et  tout  ce  que  j'ai  dit  de  ses  opérations 
salutaires  s'évanouit  dans  l'agonie  où  elle  met  le  fond 
du  cci'ur.  Mais ,  dès  qu'elle  me  laisse  respirer ,  je  rou- 
vre les  yeux  ,  je  la  vois  admirable  ,  et  je  suis  honteux 
d'en  avoir  été  si  accablé.  L'expérience  de  cette  in- 
égalité est  une  profonde  leçon. 

En  quelque  état  que  soit  votre  malade ,  et  quelque 


320  LETTRES    SPIRITUELLES. 

suite  que  Dieu  donne  à  son  mal ,  elle  est  bienheu- 
reuse d'être  si  souple  dans  la  main  de  Dieu.  Si  elle 
meurtj  elle  meurt  au  Seigneur;  si  elle  vit,  elle  vit  à 
lui.  Ou  la   croix  ,  ou  la  mort  {a). 

Rien  n'est  au-dessus  de  la  croix,  que  le  parfait  règne 
de  Dieu ,  et  encore  la  souffrance  en  amour  est  un  règne 
commencé,  dont  il  faut  se  contenter  pendant  que  Dieu 
difïère  la  consommation.  Vous  avez  besoin  de  croix 
aussi  bien  que  moi.  Le  fidèle  distributeur  des  dons 
nous  a  bien  partagés.  Qu'il  en  soit  béni  à  jamais. 
O  qu'il  est  bon  ,  de  nous  châtier  pour  nous  corriger  ! 

{a)   Parole  de  sainte  Thérèse. 

Souffrir  ici-bas  comme  les  araes  tlu  purgatoire. 

Je  n'ai  rien  à  vous  répondre  sur  ce  qui  vous  re- 
garde ;  je  ne  vois  rien  à  ajouter  sur  les  choses  que 
Dieu  vous  fait  voir ,  et  qu'il  est  capital  de  suivre  sans 
relâche.  Allez  toujours  mourant  de  plus  en  plus.  La 
mort  est  bien  plus  mort  quand  autrui  nous  la  donne. 
Demeurez  dans  la  dépendance  où  Dieu  vous  met  ; 
elle  sert  à  vous  décider,  à  vous  tirer  de  votre  sagesse, 
et  à  vous  apetisser ,  vous  dont  la  pente  était  de  me- 
ner les  autres.  Mais  ne  laissez  pas  de  dire  à  autrui 
votre  simple  pensée  ,  à  mesure  qu'elle  vous  vient  au 
cœur ,  sans  réflexion  ni  mesure. 

Je  prends  part  à  toutes  vos  croix  ,  et  je  me  sens 
attendri  pour  vous  tous  dans  cette  société  de  cruci- 
fiement. Il  me  semble  que  je  suis  intimement  uni  à 


LETTRES    SPIRITUELLES.  321 

tons  ceux  qui  sonlIVcut  en  Notre-Seigneur  :  jugez  par 

là  (le  la  manière  dont  je  suis  louché  de  l'état  de  N 

Les  souflrances  ne  sont  données  que  pour  l'avance- 
ment. Quand  Dieu  veut  se  hâter  de  faire  en  peu  do 
temps  un  grand  ouvrage,  il  fait  beaucoup  souflrir  ,  et 
il  redouble  ses  coups  rigoureux.  O  qu'ils  sont  ])leins 
d'amour ,  et  qu'ils  épargnent ,  lors  même  qu'ils  sem- 
Ment  écraser  impitoyablement  ! 

La  croix  est  une  bonne  relique  qu'il  faut  garder. 
L'amour  sans  croix  serait  un  charme  ,  et  il  se  tour- 
nerait en  illusion  ;  mais  la  croix  rabaisse  bien  tous 
les  beaux  sentimens ,  toutes  les  hautes  idées ,  toutes 
les  ferveurs  consolantes.  0  qu'on  est  petit  quand  on 
souffre,  quand  on  souffre  long-temps ,  et  qu'on  a  beau- 
coup de  peine  à  souffrir  !  La  souffrance  est  un  pur- 
gatoire de  miséricorde  en  ce  monde.  Mais  qui  est-ce 
({ui  soufïre  comme  les  âmes  que  Dieu  purifie  dans 
l'autre  monde  ?  Qui  est-ce  qui  souffre  comme  elles , 
sans  se  remuer  sous  la  main  de  Dieu ,  sans  chercher 
de  soulagement ,  et  sans  impatience  dans  l'attente 
d'èlre  déhvré  ,  sans  effort  pour  abréger  l'épreuve , 
avec  un  amour  paisible  et  qui  croît  tous  les  jours , 
avec  une  joie  pure  au  milieu  de  tout  ce  qui  est  dou- 
loureux ,  enfin  avec  une  petitesse  et  une  simplicité 
fjui  font  qu'en  souffrant  on  ne  songe  pas  que  l'on  sa- 
crifie quel([ue  chose  à  Dieu?  Tâchons  de  fonder  ce  pur- 
gatoire en  ce  monde  ,  comme  on  fonde  des  hôpitaux. 


CoRRESP.    IV. 


322  LETTRES    SPIRITUELLES. 

149  ♦.  (a9) 

Périls  de  Tactivité  et  de  la  dissipation  de  l'esprit. 

On  ne  peut  être  plus  touché  que  je  le  suis,  mon- 
sieur, de  la  très-bonne  lettre  que  vous  avez  pris  la 
peine  de  m'écrire  :  j'y  vois  votre  cœur,  et  je  le  goûte. 
Je  souhaite  que  Dieu  vous  conserve  au  milieu  de  la 
contagion  du  siècle.  Le  principal  pour  vous,  mon- 
sieur ,  est  de  vous  défier  de  votre  facilité  et  de  votre 
activité  naturelle.  Vous  avez  plus  de  penchant  qu'un 
autre  à  vous  dissiper  ;  dès  que  vous  êtes  dissipé  ^  vous 
êtes  afi'aihli.  Comme  votre  force  ne  peut  être  qu'en 
Dieu  seul ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  la  force  vous 
manque  dès  que  vous  manquez  à  Dieu.  C'est  bien 
assez  que  Dieu  nous  soutienne  quand  nous  ne  nous 
éloignons  pas  de  lui  ;  mais  il  doit  permettre  en  quel- 
que sorte  notre  chute  quand  nous  ne  craignons  pas 
de  tomber  ,  et  quand  nous  nous  éloignons  témérai- 
rement de  son  secours.  Nous  ne  pouvons  espérer  de 
ressource  contre  notre  fragilité  ,  que  dans  le  recueil- 
lement et  dans  la  prière. 

Vous  avez  plus  de  besoin  qu'un  autre  de  ce  secours -. 
vous  avez  un  naturel  facile  ,  qui  s'engage  et  qui  se 
passionne  bientôt ,  votre  vivacité  et  votre  activité  na- 
turelle vous  jetant  sans  cesse  au  dehors.  D'ailleurs 
vous  avez  un  air  ovivert  qui  fait  plaisir ,  et  qui  prévient 
le  monde  en  votre  faveur  :  il  n'y  a  rien  de  si  dan- 
gereux que  de  plaire  ;  l'amour-propre  en  est  charmé, 
et  ce  charme  empoisonne  le  cœur.  D'abord  on  s'amuse 
et  on    se  flatte  ,  puis  on  se  dissipe ,  et  on  sent  ra- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  323 

lenlir  toutes  ses  bonnes  résolutions  :  puis  on  s'enivre 
de  soi-niènie  et  du  monde  ,  c'est-à-dire  de  plaisir 
et  de  vanité.  Alors  on  se  trouve  dans  une  distance 
infinie  de  Dieu;  on  n'a  plus  le  courage  d'y  retourner; 
on  n'ose  même  plus  songer  à  se  fliire  cette  violence. 
A'ous  n'avez ,  monsieur ,  de  ressource  qu'à  vous 
précautionner  contre  la  dissipation.  Je  vous  conjure 
de  donner  tous  les  matins  un  petit  quart  d'heure  à 
luie  Icclure  méditée  avec  liberté,  simplicité  et  afFec- 
tioii  ;  encore  un  petit  moment  de  même  vers  le  soir  : 
de  temps  en  temps  dans  la  journée  renouvelez  la 
présence  de  Dieu  et  l'intention  d'agir  pour  lui  ;  hu- 
miliez-vous de  vos  fautes  ;  travaillez  de  bonne  foi 
à  A  ous  corriger ,  ayez  patience  avec  vous-même  , 
sans  vous  flatter ,  comme  vous  feriez  avec  un  autre  ; 
fréquentez  les  sacremens  dans  des  temps  réglés.  Je 
prierai  de   tout  mon  cœur  pour  vous. 


150  ♦.  (3i) 

Exhortation  à  la  simplicité  et  à  rcufance  chrétienne. 

O  que  vous  me  serez  chers,  vous  et  N ,  si  ce 

que  nous  avons  dit  ici  ensemble  fait  de  nous  un  cœur 
et  une  ame  !  Je  ne  le  répète  point ,  n'en  ayant  pas 
le  temps;  vous  le  savez.  Ce  n'est  pas  à  la  mémoire, 
mais  au  co'ur ,  que  je  l'ai  confié.  S'il  est  entré  dans 
^olre  cœur  ,  vous  le   verserez  fidèlement  dans  celui 

de  N Non,  mon  cher,  plus  d'ambilion  ,   plus  de 

curiosité  ni  de  \  i^  acité  sur  le  monde  ,  plus  de  ré- 
gularité politique.  Que  le  dehors  soit  simple  ,  droit 


324  LETTRES    SPIRITUELLES. 

et  petit ,  comme  le  dedans.   Si   spiritu  vivitnus  spi- 
l'itu  et  atnbulemus  (a). 

Soyons  sages ,  mais  de  la  sagesse  de  Dieu ,  et  non 
de  la  nôtre.  O  la  mauvaise  sûreté,  que  celle  qui  vient 
d'une  prudence  mondaine  !  Laissez  tomber  tout  em- 
pressement ,  toute  activité  ,  toute  dissipation  :  vous 
en  avez  un  besoin  infini.  Lors  même  qu'on  ne  se  re- 
cueille point  par  méthode ,  on  doit  laisser  tomber 
par  simple  fidélité  tout  ce  qui  dissipe  et  distrait ,  tout 
ce  qui  ébranle  l'imagination ,  qui  réveille  les  goûts 
et  les  désirs  naturels,  qui  trouble  la  paix,  le  silence, 
la  petitesse ,  et  la  nudité  intérieure.  On  parle  ma- 
gnifiquement de  la  passivité  avec  une  activité  perpé- 
tuelle. On  veut  des  sûretés  ,  des  lumières  extraor- 
dinaires ,  et  même  des  prédictions ,  pour  se  contenter 
dans  l'obscurité  de  la  pure  foi.  C'est  vouloir  voir  le 
soleil   à  minuit. 

Soyez  bien  petits ,  bien  simples  ;  qu'il  n'y  ait  plus 
ni  Céphas  ni  Apollon ,  mais  le  seul  enfant  Jésus  qui 
nous  réunisse  tous  dans  sa  seule  enfance.  Voilà  l'Avent 
qui  vient  ;   renaissons   avec  lui.    Mille    très-humbles 

complimens  à  M 3  aucun  à  N ;  car  je  ne  veux 

plus  qu'il  y  ait   un  quelqu'un  chez  elle   à  qui   nul 
compliment  puisse  s'adresser. 

(a)   Galat.  v .    25. 

(32)  151   *• 

Il  n'y  a  que  la  mort  de  Tesprit  qui  prépare  bien  à  celle  du  corps. 

J'apprends  ,  ma  chère  fille  ,  que  votre  santé  n'est 
pas  bonne  ,  et  mon  cœur  en  soufïVe  une  sensible  dou- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  SîS 

leur  ,  quoique  je  veuille  pour  vous  tout  ce  que  Dieu 
veut ,  connue  je  le  veux  pour  moi-même.  Je  suis 
persuadé  que  vous  acquiescez  à  tout ,  et  qu^au  lieu 
do  lui  donner  vous  lui  laissez  prendre  tout  ce  qu'il 
lui  plait.  On  ne  donne  que  du  sien ,  et  c'est  ce  que 
vous  ne  voulez  pas  avoir  en  ce  monde  ;  mais  un 
domestique  laisse  prendre  par  son  maître  le  tout  ou 
partie  de  ce  que  le  maître  lui  a  confie.  Faites  ainsi 
de  votre  \ie  corporelle.  Mon  ame  est  toujours  dans 
mes  mains  [a)  ;  laissez-la  passer  dans  celles  de  Dieu 
à  son  gré.  O  qu'on  est  vivant  dans  la  vie  cachée  avec 
Jésus-Chnst  en  Dieu  ,  quand  on  est  mort  à  la  fausse 
vie  de  la  terre  ! 

La  véritable  vie  est  inconnue  et  incompréhensible 
au  monde  insensé.  Il  y  a  même  une  infinité  de  sages 
et  demi- dévots  qui  bornent  leur  dévotion  à  regarder 
de  loin  la  mort  avec  une  certaine  soumission  à  la 
Providence ,  sans  laisser  Dieu  opérer  en  eux  le  dé- 
tachement foncier  de  la  vie.  Il  n'y  a  que  la  mort  de 
l'esprit  qui  prépare  bien  à  celle  du  corps.  Certaines 
gens  pensent  souvent  à  la  mort  du  corps  sans  laisser 
mourir  leur  esprit  :  au  contraire ,  la  mort  de  l'esprit 
rend  indifférent  à  la  mort  du  corps,  lors  même  qu^on 
n'en  est  pas  directement  occupé.  Sainte  Monique  di- 
sait à  son  fils  Augustin  {a)  :  a.  Mon  fils ,  il  n'y  a  plus 
»  rien  qui  me  plaise  en  celte  vie;  je  ne  sais  plus  ce 
»  que  je  fais  ici-bas ,  ni  pourquoi  j'y  suis ,  toute 
»  espérance  y  étant  éteinte  pour  moi.  »  Voilà  la  mort 
après  laquelle  il  ne  coiite  plus  rien  de  mourir.  Il 
n'y  a  de  fausse  vie  que  l'amour-propre  ;  il  n'y  a  de 

(a)  Ps.  cxviu.   109.  (e)  Confess.  lib.  ix,  eap.  x,  n.  26. 


320  LETTRES    SPIRITUELLES. 

véritable  vie  que  l'amour  de  Dieu.  Dès  que  Tamour 
tle  Dieu  a  pris  toute  la  place  de  ramour-j)ropre,  ou 
est  mort  à  toute   fausse  \ie  ,    et  \ivant   de  la  véri- 
table. Il  n'y  a  de  vie  que  dans  cette  beareuse  mort. 
Voilà  le  nouvel  bomme  qui  se  renouvelle  de  jour 
en  jour   pendant  que   le  vieux  se   corrompt.    Faites 
cela  et  vous  vivrez ,  dit  Jésus-Cbrist  {u).  Laissez  Dieu  j 
être  l'unique  Dieu  de  votre  cœur  ;  qu'il  y  brise  l'idole 
du  7iioi  ;  que  vous  ne  pensiez  plus  à  vous  par  amour 
propre  ;  que  vous  soyez  uniquement  occupée  de  Dieu , 
comme  vous  l'avez  été  du  moi  sous  de  beaux  pré- 
textes. Sacrifiez  le  moi  à  Dieu  ;  alors  paix ,  liberté  et 
vie  ,  malgré  la  douleur  ,  la  faiblesse  et  la  mort  même. 
Ménagez  vos  forces  d'esprit  et  de  corps.  Suppor- 
tez-vous avec   petitesse.  M est  votre  bâton  :   on 

porte  le  bâton  dont  on  est  soutenu.  Que  ne  puis-je 
vous  aller  voir  !  Mais  que  dis-je?  Dieu  nous  rappro- 
clie  et  nous  unit;  je  suis  en  esprit  au  milieu  de  vous 
tous.  Je  prie  Jésus  enfant  de  vous  apetisser  de  plus 
en  plus.  La  force  cacliée  de  Jésus  n'est  que  dans  son 
enfance  toute  nue ,  toute  pauvre  d'esprit ,  tout  aban- 
donnée. 

(a)  Luc.  X.  28. 

(48)  152  *. 

Changer  les  maux  en  Liens  par  la  patience. 

On  cliange  tous  les  maux  en  biens  quand  on  les 
souffre  en  patience  par  amour  pour  Dieu.  Au  con- 
traire ,  on  cbange  tous  les  biens  en  maux  quand  on 
s'y  attacbe   pour  flatter  son  amour-propre.  Le  vrai 


LETTRES   SPIRITUELLES.  827 

bien  n'est  que  clans  le  détacliement  et  l'abandon  à 
Dieu.  Voici  le  temps  de  réprouve.  C'est  dans  celle 
occasion  qu'il  faut  se  tenir  dans  les  mains  de  Dieu 
avec  conliance  et  union  sans  réserve.  Que  ne  \ou- 
drais-je  point  donner  pour  vous  voir  au  plus  tôt  par- 
faitement guérie  de  votre  maladie  ,  et  plus  encore 
de  Tamour  de  ce  monde  ?  L'attachement  à  soi  a  cent 
fois  plus  de  venin  que  la  petite  vérole.  Le  venin  de 
l'amour-propre  demeure  au  dedans.  Je  prie  de  tout 
mon  cœur  pour  vous. 


\V\i%%V*^»V%%^VW»%%f%'WV%%»»V\%%^^t»W»W%»Wfc*%^^><%%%%^^*^i%' 


(116)  153*. 

Dieu  humilie  l'ame  par  le  sentiment  de  sa  faiblesse. 

Je  suis  dans  une  honteuse  lassitude  des  croix.  Il 
me  semble  qu'il  ne  me  reste  plus  ni  force  ni  haleine 
pour  respirer  dans  la  soufïrance.  La  croix  me  fait 
horreur ,  et  ma  lâcheté  m'en  fait  aussi.  Je  suis  ,  entr.; 
ces  deux  horreurs ,  à  charge  à  moi-même.  Je  frémis 
toujours  par  la  crainte  de  quelque  nouvelle  occasion 
de  souffrance.  Ce  n'est  pas  vivre  que  de  vivre  ainsi  : 
mais  qu'importe  ?  Notre  vie  ne  doit  être  qu'une  mort 
lente.  Il  n'y  a  qu'à  se  délaisser  à  la  volonté  toute- 
puissante  qui  nous  crucilie  peu  à  peu. 

Mon  cœur  soulfre  dans  ce  moment  sur  ce  que 
vous  m'avez  mandé  ,  et  votre  souffrance  augmente  la 
mienne  :  mais  il  y  a  en  moi ,  ce  me  semble  ,  un  fond 
d'intérêt  propre  et  une  légèreté  dont  je  suis  honteux. 
La  moindre  chose  triste  pour  moi  m'accable  -,  la  moin- 
dre qui  me  flatte  un  peu  me  relève  sans  mesure. 
Rien  n'est  si  humiliant  que  de  se  trouver  si  tendre 


3^23  LETTRES    SPIRITUELLES. 

pour  soi ,  si  dur  pour  autnii ,  si  poltron  à  la  vue  àe 
l'ombre  d'une  croix  ,  et  si  léger  pour  secouer  tout  à 
la  première  lueur  flatteuse.  Mais  tout  est  bon.  Dieu 
nous  ouvre  un  étrange  livre  pour  nous  instruire , 
quand  il  nous  fait  lire  dans  notre  propre  cœur. 

154  *.  (,,j) 

Sur  le  même  sujet. 

Cette  tristesse ,  qui  vous  fait  languir ,  m'alarme  et 
nie  serre  le  cœur.  Je  la  crains  plus  pour  vous  que 
toutes  les  douleurs  sensibles.  Je  sais  par  expérience 
ce  que  c'est  que  d'avoir  le  cœur  flétri  et  dégoûté  de 
tout  ce  qui  pourrait  lui  donner  du  soulagement.  Je 
suis  encore  à  certaines  heures  dans  cette  disposition 
d'amertume  générale ,  et  je  sens  bien  que  si  elle  était 
sans  intervalle  ,  je  ne  pourrais  y  résister  long-temps. 

Je  viens  de  faire  une  mission  à  Tournai  :  tout  cela 
s'est  assez  bien  passé  ,  et  l'amour-propre  même  v  pour- 
rait avoir  quelque  petite  douceur  5  mais  dans  le  fond 
le  bien  que  nous  faisons  est  peu  de  chose.  Si  on  n'était 
soutenu  par  l'esprit  de  foi ,  pour  travailler  sans  voir 
le  fruit  de  son  travail ,  on  se  découragerait  -,  car  on 
ne  gagne  presque  rien  ,  ni  sur  les  hommes  pour  les 
persuader ,  ni  sur  soi-même  pour  se  corriger.  0  qu'il 
y  a  loin  depuis  le  mépris  et  la  lassitude  de  soi-même 
jusqu'à  la  véritable  correction  !  Je  suis  à  moi-même 
tout  un  grand  diocèse  ,  plus  accablant  que  celui  du 
dehors^  et  que  je  ne  saurais  réformer.  Mais  il  faut  se 
supporter  sans  se  flatter  ,  comme  on  doit  le  faire  pour 
le  prochain. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  '62C) 

**%v%Vv</vvv»v%vv»«/»»»»%%»w»»%-vv»»»>»v>->^»>«^»%>vv^»^»»>-vvv%«<v%vv%v«>VVVWVVtvv\vvv^v« 

(ia3)  155   *. 

SoiiiFrir  sans  penlrc  courage  et  aree  fulélilô  ,  sous  la  main  tic  Dieu, 
les  opérations  ilouloiireuscs  (jiii  nous  rapetissent. 

Cest  dans  la  peine  et  dans  l'amertume  que  je  tous 
goûte  davantage.  J'ai  vu  de  la  candeur  et  de  la  peti- 
tesse dans  vos  lettres  ,  et  j'en  remercie  Dieu  avec  at- 
tendrissement. Il  faut  aimer  ce  que  Dieu  aime  ,  et  je 
ne  doute  point  (ju'il  ne  nous  aime  davantage  (juand  il 
nous  rapetisse  en  nous  rabaissant.  Pendant  que  cette 
opération  vous  est  douloureuse  ,  comptez  qu'elle  vous 
est  utile  et  nécessaire.  Le  cliirurgien  ne  nous  fait  du 
mal ,  qu'autant  qu'il  coupe  dans  le  vif  Le  malade  ne 
sent  rien  quand  on  ne  coupe  que  la  chair  déjà  morte. 
Si  vous  étiez  mort  aux  choses  dont  il  s'agit ,  leur  re- 
trancliement  ne  vous  causerait  aucune  douleur.  Dé- 
tachez-vous absolument ,  si  vous  voulez  être  en  paix 
et  mourir  à  vous-même.  Ne  vous  contentez  pas  de 
faire  certains  efforts  ,  et  d'être  petit  par  secousses  :  dé- 
laissez-vous sans  aucune  réserve  à  Dieu  ,  pour  mourir 
à  vous-même  dans  toute  l'étendue  de  ses  desseins. 
Courage  sans  courage  humain  :  ne  perdez  pas  les  grands 
fruits  de  cette  croix.  Soumettez-vous  non-seulement 

à  N pour  vous  laisser  redresser,  mais  encore  aux 

plus  petits  qui  se  mêleront  de  vous  donner  des  avis 
à  propos  ou  hors  de  propos.  S'ils  ne  sont  pas  bons 
pour  ceux  qui  les  donneront  par  une  critique  indis- 
crète ,  ils  seront  excellens  pour  vous  qui  les  recevrez 
en  esprit  de  désappropriation  et  de  mort. 

Pour  vos  défauts ,  supportez-les  avec  patience  , 
comme  ceux  du  prochain ,  sans  les  flatter  ni  excuser. 


33o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Il  ne  faut  pas  les  vouloir  garder ,  puisqu'ils  déplaisent 
à  Dieu  :  mais  il  faut  sentir  votre  impuissance  de  les 
vaincre ,  et  profiter  de  Pabjection  qu'ils  vous  causent 
à  vos  propres  yeux  pour  désespérer  de  vous-même. 
Jusqu'à  ce  désespoir  de  la  nature  ,  il  n'y  a  rien  de  fait. 
Mais  il  ne  faut  jamais  désespérer  des  bontés  de  Dieu 
sur  nous ,  et  ne  nous  défier  que  de  nous-mêmes.  Plus 
on  désespère  de  soi  pour  n'espérer  qu'en  Dieu  sur  la 
correction  de  ses  défauts ,  plus  l'œuvre  de  la  correc- 
tion est  avancée.  Mais  aussi  il  ne  faut  pas  que  l'on 
compte  sur  Dieu  sans  travailler  fortement  de  notre 
part.  La  grâce  ne  travaille  avec  fruit  en  nous  _,  qu'au- 
tant qu'elle  nous  fait  travailler  sans  relâche  avec  elle. 
Il  faut  veiller ,  se  faire  "violence ,  craindre  de  se  flat- 
ter ,  écouter  avec  docilité  les  avis  les  plus  humilians  , 
et  ne  se  croire  fidèle  à  Dieu  qu'à  proportion  des  sacrifi- 
ces quon  fait  tous  les  jours  pour  mourir  à  soi-même. 

(,24)  153*. 

Se  laisser  juger ,  cl  se  corriger  en  suivant  l'esprit  de  grâce. 

C'est  à  N à  se  laisser  juger  par  les  personnes 

qui  le  connaissent ,  et  qui  sont  unies  avec  lui  dans  la 
même  voie.  Ce  n'est  pas  assez  de  croire  ce  dont  nous 
avons  l'expérience  j  il  faut  croire  tout ,  quoiqu'on  ne 
le  voie  pas ,  et  le  supposer  vrai.  Je  compte  que  c'est 
faute  d'attention  que  N....  ne  l'a  pas  vu.  Il  reste  le 
point  principal ,  qui  est  de  se  corriger  ;  c'est  à  quoi  il 
faut  travailler  en  la  manière  qui  convient  :  il  faut  le 
faire  avec  paix ,  simplicité  et  petitesse.  Dieu  veuille 
qu'il  le  fasse  comme  je  le  dis  ! 


LETTRES    SPIRITUELLES.  33  I 

Je  crois  qu'il  ne  doit  point  jnoir  tradivilé  pour  sa 
correction  ,  et  qu'elle  doit  venir  par  une  simple  fidé- 
lité à  l'attrait  de  chaque  moment ,  sans  former  des 
projets  ni  employer  certains  moyens.  H  sullit  de  de- 
meurer dans  une  certaine  paix  où  l'esprit  de  grâce 
fait  sentir  ce  qui  serait  d'un  mouvement  propre  et 
d'une  reclierclie  secrète  de  sa  satisfaction. 


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(.30)  157*. 

Sacrifice  absolu  de  ramour-proprc  par  un  continuel  abantlon  do 
soi-même  entre  les  mains  de  Dieu. 

N vous  dira  combien  je  suis  occupé  de  vous, 

et  avec  quel  plaisir  j'apprends  que  vous  êtes  en  paix. 
0  le  grand  sacrifice  que  la  simplicité  !  c'est  le  martyre 
de  Pamour-propre.  Ne  se  plus  écouter  ,  c'est  la  ^  éri- 
table  abnégation.  On  aimerait  mieux  souffrir  les  plus 
cruels  tourmens.  Dix  ans  d'austérités  corporelles  ne 
seraient  rien  en  comparaison  de  ce  retranchement 
des  jalousies  et  des  délicatesses  de  l'amour-propi e  , 
toujours  curieux  sur  soi. 

Cet  abandon  serait  le  plus  grand  de  tous  les  sou- 
tiens j  s'il  était  aperçu  avec  certitude  :  mais  il  ne 
serait  plus  abandon  ,  si  on  le  possédait  ;  il  serait  la 
plus  riche  et  la  plus  flatteuse  possession  de  nous-mêmes. 
11  faut  donc  que  l'abandon  qui  nous  donne  tout  nous 
cache  tout,  et  qu'il  soit  lui-même  caché.  Alors  ce 
dépouillement  total  nous  donne  en  réalité  toutes  les 
choses  qu'il  dérobe  à  notre  amour-propre.  C'est  (|ue 
l'unique  trésor  du  cœur  est  le  détachement.  Quicon- 
que est  détaché  de  tout  et  de  soi,  retrouve  tout  et 


332  LETTRES    SPIRITUELLES. 

soi-même   en   Dieu.  L'amour  de  Dieu  s'enrichit  de 
tout  ce  que  l'araour-propre  avare  a  perdu. 

Vivez  donc  et  mourez  tous  les  jours  sur  le  fumier 
de  Job.  Jésus-Christ  nous  a  enrichis ,  comme  parle 
saint  Paul  («) ,  non  de  ses  richesses  visibles  et  écla- 
tantes, mais  de  sa  seule  pauvreté.  Nous  voudrions 
des  étoffes  d'or ,  mais  il  ne  nous  faut  que  la  nudité 
de  Jésus-Christ  sur  la  croix ,  ou  ses  vêtemens  déchi- 
rés en  plusieurs  morceaux ,  et  abandonnés  à  ceux 
qui  le  crucifient.  Je  dis  tout  bien  à  mon  aise ,  moi  qui 
cherche  le  repos  et  la  consolation ,  moi  qui  crains  la 
peine  et  la  douleur ,  moi  qui  crie  les  hauts  cris  dès 
que  Dieu  coupe  dans  le  vif;  mais  enfin  c'est  la  vé- 
rité qui  me  condamne ,  et  à  la  condamnation  de  la- 
quelle je  souscris  au  fond  de  mon  cœur ,  si  je  ne 
me  trompe.  Faites  de  même. 

(«)  //  Cor.  viii.  9. 

(i3i)  158*. 

Abandon  à  la  seule  volonté  de  Dieu  ;  dôtachement  de  tout  le  reste. 

J'entre  dans  vos  peines.  Que  ne  puis-je  faire 
quelque  chose  de  plus  !  Il  faut  imiter  la  foi  d'Abra- 
ham ,  et  aller  toujours  sans  savoir  où.  On  ne  s'égare 
que  par  se  proposer  un  but  de  son  propre  choix. 
Quiconque  ne  veut  rien  que  la  seule  volonté  de  Dieu, 
la  trouve  partout,  de  quelque  côté  que  la  Providence 
le  tourne ,  et  par  conséquent  il  ne  s'égare  jamais.  Le 
véritable  abandon  n'ayant  aucun  chemin  propre,  ni 
dessein  de  se  contenter ,  va  toujours  droit  comme  il 


LETTRES    SPIRITUELLES.  33^ 

plaît  à  Dieu.  La  voie  droite  est  de  se  renoncer,  afin 
que  Dieu  seul  soit  tout ,  et  que  nous  ne  soyons  rien 
J'espère  que  celui  qui  nourrit  les  petits  oiseaux  aura 
soin  de  vous.  Heureux  celui  qui ,  comme  Jésus-Christ, 
n'a  pas  de  quoi  reposer  sa  tète  !  Quand  on  s'est  livré 
à  la  pauvreté  intérieure  même ,  doit-on  craindre  l'ex- 
térieure ?  Soyez  fidèle  à  Dieu ,  et  Dieu  le  sera  à  ses 
promesses.  Faites  honneur  à  la  Religion  qui  est  si  mé-« 
prisée ,  et  elle  vous  le  rendra  avec  usure.  Montrez 
au  monde  un  courtisan  qui  vit  de  pure  foi. 

Craignez  votre  vavacité  empressée  ,  votre  goût  pour 
le  monde  ,  votre  amJjition  secrète  qui  se  glisse  sans 
que  vous  l'aperceviez.  Ne  vous  engouez  point  de  cer- 
taines conversations  de  politique  ou  de  joli  badinage 
qui  vous  dissipent ,  qui  vous  indisposent  au  recueil- 
lement et  à  l'oraison.  Parlez  peu;  coupez  court;  mé- 
nagez votre  temps  ;  travaillez  avec  ordre  et  de  suite  ; 
mettez  les  œuvres  en  la  place  des  beaux  discours. 
Encore  une  fois ,  l'avenir  n'est  point  encore  à  vous  ; 
il  n'y  sera  peut-être  jamais.  Bornez-vous  au  présent; 
mangez  le  pain  quotidien.  Demain  aura  soin  de  lui- 
même -,  à  chaque  jour  suffit  son  mal  {a).  C'est  tenter 
Dieu  que  de  faire  provision  de  manne  pour  deux 
jours  ;  elle  se  corrompt.  Vous  n'avez  point  aujour- 
d'hui la  grâce  de  demain  :  elle  ne  viendra  qu'avec 
demain  lui-même.  Moment  présent ,  petite  éternité 
pour  nous. 

(a)  Malth.   vi.   34., 


334  LETTRES    SPIRITUELLES. 

159*.  (,32) 

Porter  la  croix  ,  et.  s'abandonner  à  la  Providence. 

On  ne  peut  être  plus  vivement  touché  que  je  le 
suis  de  tout  ce  qui  vous  est  arrivé.  Il  faut  porter 
la  croix  comme  un  trésor  ;  c'est  par  elle  que  nous 
sommes  rendus  dignes  de  Dieu  ,  et  conformes  à  son 
Fils.  Les  croix  font  partie  du  pain  quotidien.  Dieu  en 
règle  la  mesure  selon  nos  vrais  besoins,  qu'il  connaît, 
et  que  nous  ignorons.  Laissons-le  faire  ,  et  abandon- 
nons-nous à  sa  main.  Soyez  enfant  de  la  Providence. 
Laissez  raisonner  vos  parens  et  amis.  Ne  pensez  point 
de  loin  à  l'avenir.  La  manne  se  corrompait  quand  on 
voulait  par  précaution  en  faire  provision  pour  plus 
d'un  jour.  Ne  dites  point  :  Qu'est-ce  que  nous  ferons 
demain  ?  Le  jour  de  demain  aura  soin  de  lui-même. 
Bornez-vous  aujourd'hui  au  besoin  présent  ;  Dieu  vous 
donnera  en  chaque  jour  les  secours  proportionnés  à 
ce  besoin-là.  Inquirentes  autem  Bominum  non  mi- 
nuentur  omni  hono  («).  La  Providence  ferait  des  mi- 
racles pour  nous  ;  mais  nous  empêchons  ces  miracles 
à  force  de  les  prévenir.  Nous  nous  faisons  nous- 
mêmes  ,  par  une  industrie  inquiète  ,  une  providence 
aussi  fautive  que  celle  de  Dieu  serait  assurée. 

Quant  à  N il  aime  la  Religion  et  a   des  prin- 

cq^es  de  vertu;  mais  il  a  besoin  d'être  nourri  et  sou- 
teiui.  Il  faut  le  secourir  sans  le  gêner.  Vous  connais- 
sez son  esprit  vif  et  ses  longues  habitudes  ;  il  faut 
lui  passer  bien  des  choses  que  je  ne  vous  passerais  pas. 

(a)  Ps.    x\xiii.    II. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  335 

Dieu  sait  mieux  que  nous  ce  qu'il  a  mis  dans  clia- 
que  homme,  et  ce  qu'il  doit  exiger  de  lui.  Ménagez, 
supportez,  respectez,  espérez,  fiez-vous  au  maître  des 
cœurs ,  qui  est  fidèle  à  ses  promesses.  Soyez  fidèle  et 
docile  vous-même.  Mettez  à  profit  vos  faiblesses  par 
une  déliance  infinie  de  vous-même ,  et  par  une  sou- 
plesse enfantine  pour  vous  laisser  corriger.  La  peti- 
tesse sera  votre  force  dans  la   faiblesse  même. 


W%  %%%  %%%%%  V  V%%^VWV«%»%«%%WW  «««/««V^Mf 


(.33)  160*. 

Sur  le  même  sujet. 

Je  ne  doute  point  que  Notre-Seigneur  ne  vous  traite 
toujours  comme  l'un  de  ses  amis  ,  c'est-à-dire  avec 
des  croix ,  des  soulFiances  et  des  humiliations.  Ces 
voies  et  ces  moyens ,  dont  Dieu  se  sert  pour  attirer 
à  soi  les  âmes ,  font  Lien  mieux  et  plus  vite  cette 
affaire ,  que  non  pas  les  propres  efforts  de  la  créa- 
ture ;  car  cela  détruit  de  soi-même  et  arrache  les  ra- 
cines de  ramour-propre ,  que  nous  ne  pourrions  pas 
même  découvrir  qu'à  grande  peine  ;  mais  Dieu  ,  qui 
connaît  ses  tanières ,  le  va  attaquer  dans  son  fort  et 
sur  sou  fond. 

Si  nous  étions  assez  forts  et  fidèles  pour  nous  con- 
fier tout-à-fait  à  Dieu  ,  et  le  suivre  simplement  par 
où  il  voudrait  nous  mener ,  nous  n'aurions  pas  besoin 
de  grandes  applications  d'esprit  pour  travailler  à  la 
perfection  ;  mais  parce  que  nous  sommes  si  faibles 
dans  la  foi  ,  que  nous  voulons  savoir  partout  oii  nous 
allons,  sans  nous  en  fier  à  Dieu  ,  c'est  ce  qui  alonge 
notre  chemin  ,   et  qui  gâte   nos  affaires  spirituelles- 


336  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Abandonnez-vous  tant  que  vous  pourrez  à  Dieu  ,  et 
jusques  au  dernier  respir  j  et  il  ne  vous  délaissera  pas. 


161  *.  (i34) 

Ne  point  np;ir  par  naturel ,   et  amortir  sa  vivacité. 

Suivez  la  voie  de  mort  dans  laquelle  Notre-Sei- 
gneur  vous  a  mis ,  et  travaillez  à  amortir  cette  viva- 
cité de  votre  naturel  qui  vous  entraîne  dans  ce  que 
vous  faites.  Soyez  persuadé  que  tout  ce  que  nous  fai- 
sons par  ce  que  nous  sommes,  je  veux  dire  selon  notre 
humeur  et  tempérament ,  n'ayant  rien  de  surnaturel , 
nous  rend  ce  que  nous  faisons  inutile  pour  nous  avan- 
cer en  Dieu  ;  et  parce  que  sa  divine  Majesté  demande 
des  âmes  qu'elle  attire  à  soi  un  retour  ou  recoulement 
perpétuel  dans  notre  fin  dernière ,  et  dans  la  pléni- 
tude du  vrai  bien  ;  lorsque  nous  agissons  par  nous- 
mêmes  et  selon  notre  humeur ,  tout  ce  que  nous  fai- 
sons se  réfléchit  sur  nous-mêmes  et  en  demeure  là  , 
et  Dieu  n'y  a  point  de  part. 

Vous  voyez  donc  de  quelle  importance  il  vous  est 
de  réprimer  la  vivacité  de  vos  humeurs  et  passions  , 
et  que  c'est  très-peu  de  chose  de  voir  et  pénétrer  les 
secrets  de  la  vie  spirituelle ,  si  on  ne  met  point  en 
exécution  les  moyens  qui  sont  nécessaires  pour  par- 
venir à  sa  fin ,  qui  est  l'union  réelle  et  véritable  avec 
Dieu.  Ceci  ne  demande  point  d'occupation  de  tête  ni 
d'esprit ,  mais  bonne  volonté  dans  les  occasions  qui  se 
présentent. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  33^ 

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(.53)  1G2  *. 

Souinir  aycc  abandon  ,  nt  boirh  le  calice  d'amertume  jusqu'à  la 
dernière  goutte. 

J'espère,  monsieur,  que,  dans  cet  état  de  sépara- 
tion et  d'amertume  ;  vous  trouverez ,  loin  des  créa- 
tures ,  la  plus  puissante  consolation.  Dieu  vous  fera 
goûter  ce  qu'il  est  par  lui-même  quand  tout  le  reste 
manque.  La  longueur  de  celte  épreuve  servira  à  vous 
endurcir  contre  vous-même ,  et  à  pousser  sans  bornes 
votre  abandon.  Quand  on  se  livre  à  Dieu  pendant  le 
temps  de  paix  et  de  calme ,  on  ne  sait  ni  ce  qu'on 
veut  ni  ce  qu'on  promet  :  quoique  l'abandon  soit  sin- 
cère ,  il  est  encore  bien  superficiel  ;  mais ,  quand  le 
calice  plein  d'amertume  se  présente ,  alors  la  nature 
frémit,  on  est  triste  et  craintif  jusqu'à  la  mort,  comme 
Jésus -Christ  au  jardin  des  Oliviers  ;  on  sue  sang  et 
eau  ;  on  dit  :  Que  ce  calice  soit  éloigné  de  moi  (a)  ! 
Heureux  qui  étouffe  cette  répugnance  et  ce  soulève- 
ment de  la  nature  ,  pour  ajouter ,  comme  le  Fils  de 
Dieu  :  Cejje?idanf  que  votre  volonté  se  fasse ,  et  non 
pas  la  mienne.  En  vérité  ,  monsieur ,  je  serais  bien 
ITiclié  que  vous  perdissiez  la  moindre  goutte  du  ca- 
lice que  Dieu  vous  présente.  C'est  maintenant  qu'il 
faut  exercer  votre  foi  et  votre  amour.  0  que  Dieu 
vous  aime,  puisqu'il  vous  frappe  sans  pitié!  Quelque 
sacrifice  qu'il  vous  demande,  n'hésitez  jamais.  L'état 
de  tristesse  qui  serre  votre  cœur  ,  et  la  vue  d'un  objet 
affligeant  qui   est  à  toute  heure  devant  vos  yeux  ,  me 

[a)  MaLtli.   XXVI.    3r). 
CoRRESP.    IV.  7 


338  LETTRES    SPIRITUELLES. 

fait  craindre  pour  voire  santé.  Ménagez-la  ;  profitez 
des  petits  soulagemens  qui  se  présenteront  ;  faites-le 
avec  simplicité. 

163  *.  (,6i) 

La  volonté   de  Dieu  doit  ôti'e  notre  tout. 

Je  vous  souhaite  la  paix  du  cœur  et  la  joie  du  Saint- 
Esprit  ,  qui  se  trouve  au  milieu  de  toutes  les  croix  et 
de  toutes  les  tentations  de  la  vie.  C'est  la  différence 
essentielle  entre  la  Babylone  et  la  cité  de  Dieu.  Un 
habitant  de  Babylone  ,  quelque  prospérité  mondaine 
qui  l'enivre ,  a  un  je  ne  sais  quoi  qui  dit  au  fond  du 
cœur  :  Ce  n'est  pas  assez  ;  je  n'ai  pas  tout  ce  que  je 
voudrais,  et  j'ai  encore  ce  que  je  ne  voudrais  pas.  Au 
contraire,  l'habitant  de  la  cité  sainte  porte  au  fond  de 
son  cœur  un  fiat  et  un  at)ien  continuel.  Il  veut  toutes 
ses  peines ,  et  il  ne  veut  aucune  des  consolations  dont 
Dieu  le  prive.  Demandez-lui  ce  qu'il  veut,  il  vous  ré- 
pondra que  c'est  précisément  ce  qu'il  a.  La  volonté 
de  Dieu  ,  dans  le  moment  présent ,  est  le  pain  quoti- 
dien qui  est  au-dessus  de  toute  substance.  Il  veut 
tout  ce  que  Dieu  veut  en  lui  et  pour  lui.  Cette  vo- 
lonté fait  le  rassasiement  de  son  cœur  ;  c'est  la  manne 
de  tous  les  goûts.  Glorificaveris  eum ,  dit  Isaïe  {a) , 
dum  71071  facis  vias  tuas,  et  non  invenitur  voluntas 
tua  ut  loquaris  sermonem.  Aussi  est-il  dit  de  la  nou- 
velle Jérusalem  :  Vocaheris  voluntas  mea  in  ea  {e). 
Elle  n'aura  plus  d'autre  nom  ;  on  n'en  pourra  plus 
avoir  d'autre  idée  ;  elle  ne  sera  plus  rien  d'elle-même. 

(a)  Isai.  LVm.   i3.   (e)  Isai.    lxii,  ^. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  SSo 

Comme  saint  Jean  n'était  qu'une  voix  annonçant  Jésus- 
Cliiist,   Jérusalem  n'est  plus  que  la  seule  voloiité  de 
Dieu  en  elle.  Ce  n'est  plus  elle  qui  vit  et  qui  veut  ; 
c'est  l'époux  vivant  et  voulant  clans  l'épouse.  Quelle 
est  donc  sa  volonté  sur  vous  ?  c'est  que  vous  n'en  ayez 
plus  aucune  ,  que  vous  ne  trouviez  plus  en  vous  de 
quoi  vouloir ,  que  vous  laissiez  Dieu  vouloir  en  vous 
tout  ce  qui  est  selon  son  esprit.  Qui  autem  scrutatur 
corda ,   scit  quid  desideret  Spiritus  ;    tpiia   secundùm 
Denm  postulat  pro  sanctU  [it).  Soyez   donc  l'homme 
de  la  volonté   de  Dieu,  virum  voluntatis  meœ  (e).  Ne 
la  gênez  eu  vous  par  aucune  borne  de  volonté  et  de 
pensée  propre  ,  par  aucun  arrangement  à  votre  mode. 
La  plupart  des  gens  de  bien ,  sous  de  beaux  pré- 
textes ,   font  ce   que   saint    Augustin  reprochait  aux 
Demi^Pélagiens ,  qui  était  de  vouloir  que  les  mérites 
naturels  précédassent ,  et  que  la  grâce  suivît  la  na- 
ture ;  gratia  pedissequa.  On    veut  que  Dieu   veuille 
ce  que  nous  voulons  ,  afin  que  nous  voulions  notre 
propre  volonté  dans  la  sienne.   Il  faut  que  la  volonté 
de  Dieu  démonte  la  nôtre ,  et  qu'il  soit  lui  seul  toutes 
choses  en  nous. 

(a)   Rom.  viii.    ij .    (<?)   laai,    xlvi.    ii. 

vvv  v\  V  vwv -vw»  **A  >vv»  ^  V»  v%*  *v^  ft*^ -v-v» '*»^  ^'v*  *'V.  ^  V*  vfc  »  «*  v»'»'**  vvv  ^**>*%^  %  V» -wi  yw^  *^^  >».^^  .w% 

164  *.  (i64) 

Manière  de  bien  portci*  sa  croix. 

Portez  en  paix  vos  croix  intérieures.  Les  exté- 
rieures sans  celles  de  l'intérieur  ne  seraient  point  des 
croix  )  elles  ne  seraient  que  des  victoires  continuelles  , 

7* 


340  LETTRES    SPIRITUELLES. 

avec  une  flatteuse  expérience  de  notre  force  inyin- 
cible.  De  telles  croix  empoisonneraient  le  cœur ,  et 
charmeraient  notre  amour-propre.  Pour  bien  souf- 
frir ,  il  faut  souffrir  faiblement  et  sentant  sa  faiblesse  ; 
il  faut  se  voir  sans  ressource  au  dedans  de  soi  ;  il  faul 
être  sur  la  croix  avec  Jésus-Christ ,  et  dire  comme 
lui ,  Mo7i  Dieu  ,  mon  Dieu ,  combien  m' avez -vous 
ahandonné  !  0  que  la  paix  de  la  volonté  ,  dans  ce 
désespoir  de  l'amour-propre ,  est  précieuse  aux  yeux 
de  celui  qui  la  fait  en  nous  sans  nous  la  montrer  ! 
Nourrissez-vous  de  cette  parole  de  saint  Augustin  , 
qui  est  d'autant  plus  vivifiante  ,  qu'elle  porte  au  cœur 
une  mort  totale  de  l'amour-propre  :  «  Qu'il  ne  soit 
y>  laissé  en  moi  rien  de  moi-même  ,  ni  de  quoi  jeter 
»  encore  un  regard  sur  moi  ;  »  nihil  in  me  relin- 
quatur  mihi  ,  nec  quo  i^espiciam  ad  me  ipsum. 
N'écoutez  point  votre  imagination  ni  les  réflexions  ' 
d'une  sagesse  humaine  :  laissez  tomber  tout ,  et  soyez 
dans  les  mains  du  bien-aimé.  C'est  sa  volonté  et  sa 
gloire  qui  doivent  nous  occuper. 

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(i65)  165  *. 

Consentir  à  n'être  rien ,  et  se  laisser  consumer  par  une  mort  entière. 

Soyez  un  vrai  rien  en  tout  et  partout  ;  mais  il  ne 
faut  rien  ajouter  à  ce  pur  rien.  C'est  sur  le  rien  qu'il 
n'y  a  aucune  prise.  Il  ne  peut  rien  perdre.  Le  vrai 
rien  ne  résiste  jamais  ,  et  il  n'a  point  un  7noi  dont  il 
s'occupe.  Soyez  donc  rien ,  et  rien  au-delà  ;  et  vous 
serez  tout  sans  songer  à  l'être.  Soulfrez  en  paix  ;  aban- 
donnez-vous j  allez  ,  comme  Abraham  ,  sans  savoir  où. 


LETTIIES    SPUIITUELLBS.  34 1 

Recevez  des  hommes  le  Boulagemeiit  que  Dieu  vous 
donnera  par  eux.  Ce  n'est  pas  d'eux  ,  mais  de  lui  par 
eux  ,  qu'il  faut  le  recevoir.  Ne  mêlez  rien  à  l'abandon  , 
non  plus  qu'au  rien.  Un  tel  vin  doit  être  bu  tout  pur 
et  sans  mélange  ;  une  goutte  d'eau  lui  ôte  toute  sa 
vertu.  On  perd  inUniment  à  vouloir  retenir  la  moin- 
dre ressource  propre.  Nulle  réserve,  je  vous  conjure. 

Il  faut  aimer  la  main  de  Dieu  qui  nous  frappe  et 
qui  nous  détruit.  La  créature  n'a  été  faite  que  pour 
être  détruite  au  bon  plaisir  de  celui  qui  ne  l'a  faite 
que  pour  lui.  O  heureux  usage  de  notre  substance  ! 
Notre  rien  glorifie  l'Etre  éternel  et  le  tout  Dieu.  Pé- 
risse donc  ce  que  l'amour-propre  voudrait  tant  con- 
server !  Soyons  l'holocauste  que  le  feu  de  l'amour 
réduit  en  cendres.  Le  trouble  ne  vient  jamais  que 
d'amour-propre  ;  l'amour  divin  n'est  que  paix  et  aban- 
don. Il  n'y  a  qu'à  souffrir  ,  qu'à  laisser  tomber  ,  qu'à 
perdre  ,  qu'à  ne  retenir  rien  ,  qu'à  n'arrêter  jamais  un 
seul  moment  la  main  crucifiante.  Cette  non-résistance 
est  horrible  à  la  nature  :  mais  Dieu  la  donne  j  le  bien- 
aimé  l'adoucit  y  il  mesure  toute  tentation. 

Mon  Dieu ,  qu'il  est  beau  de  faire  son  purgatoire 
en  ce  monde  !  La  nature  voudrait  ne  le  faire  ni  en 
cette  vie  ni  en  l'autre  ;  mais  Dieu  le  prépare  en  ce 
monde  ,  et  c'est  nous  qui ,  par  nos  chicanes  ,  en  faisons 
deux  au  lieu  d'un.  Nous  rendons  celui-ci  tellement 
inutile  par  nos  résistances ,  que  tout  est  encore  à  re- 
commencer après  la  mort.  Il  faudrait  être  dès  cette 
vie  comme  les  âmes  du  purgatoire  ,  paisibles  et  sou- 
ples dans  la  main  de  Dieu ,  pour  s'y  abandonner  et 
pour  se  laisser  détruire  par  le  feu  vengeur  de  l'amour. 
Heureux  qui  souffre  ainsi  ! 


342  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Je  VOUS  aime  et  \o\is  respecte  de  plus  en  plus  sous 
la  main  qui  vous  brise  pour  vous  purifier.  O  que  cet 
état  est  précieux  !  Plus  vous  vous  y  trouverez  vide 
et  privée  de  tout ,  plus  vous  m'y  paraîtrez  pleine  de 
Dieu  et   l'objet  de  ses  complaisances.  Quand  on  est 
attaché  sur  la  croix  avec  Jésus-Christ ,  on  dit  comme 
lui ,  O  Dieu  ,  6  mon  Dieu  ,  cotnbien  vous  m^avez  dé- 
laissé !  Mais  ce  délaissement  sensible ,  qui  est  une  es- 
pèce de  désespoir  dans  la  nature  grossière  ,  est  la  plus 
pure  union  de  l'esprit ,  et  la  perfection  de  l'amour. 
Qu'importe  que  Dieu  nous  dénué  de   goûts  et  de 
soutiens  sensijjles  ou  aperçus ,  pourvu  qu'il  ne  nous 
laisse  pas  tomber  ?  Le  prophète  Habacuc  n'était-il  pas 
bien  soutenu  quand  l'ange  le  transportait  avec  tant 
d'impéaiosité  de  la  Judée  à  Babylone ,  en  le  tenant 
par  un  de  ses  cheveux  {a).  Il  allait  sans  savoir  où  ,  et 
sans  :  avoir  par  quel  soutien  ;  il  allait  nourrir  Daniel 
au  rùliiau  des  lions  ;  il  était  enlevé  par  l'esprit  invi- 
sible et  par  ;.a  vertu  de  la  foi.  Heureux  qui  va  ainsi 
par  une  unie  inconnue  à  la  sagesse  humaine  ,  et  sans 
toucher  du  pied  à  terre  ! 

Vous  n'avez  qu'à  souffrir  et  à  vous  laisser  consu- 
mer peu  à  peu  dans  le  creuset  de  l'amour.  Qu'y  a-t-il 
à  faire  ?  Rien  qu'à  ne  repousser  jamais  la  main  invi- 
sible qui  détruit  et  qui  refond  tout.  Plus  on  avance , 
plus  il  faut  se  délaisser  à  l'entière  destruction.  Il  faut 
qu'un  cœur  vivant  soit  réduit  en  cendre.  Il  faut  mou- 
l'ir  et  ne  voir  point  sa  mort  ;  car  une  mort  qu'on  aper- 
cevrait serait  la  plus  dangereuse  de  toutes  les  vies. 
Fous  êtes  morts,   dit  l'Apôtre  {e),  et  votre  vie  est  ca- 

(a)  Dan.  xiv.  35»  (e)  Colos.  m.   3. 


LETTJUiS    SPlIinUELLES.  343 

chée  avec  Jénus-Christ  en  Dieu.  Il  faut  que  la  mort 
soit  cachée  ,  pour  cacher  la  vie  nouvelle  que  cette 
mort  opère.  Ou  ne  vit  plus  que  de  mort ,  conmie 
parle  saint  Augustin.  Mais  qu'il  faut  être  simple  et 
sans  retour  pour  laisser  achever  cette  destruction  du 
vieil  honnne  !  Je  prie  Dieu  quil  fasse  de  vous  un  ho- 
locauste que  le  feu  de  l'autel  consume  sans  réserve. 

(i66)  166  *. 

Virre  eu  pur  abandon  et  simple  délaissement  au  bon  plaisir  de  Die». 

La  peine  que  je  ressens  sur  le  malheur  public  ne 
m'empêche  point  d'être  occupé  de  votre  jmîrmité. 
Vous  savez  quil  faut  porter  la  croix ,  et  la  porter  en 
pleines  ténèbres.  Le  parfait  amour  ne  cherche  ni  à 
voir  ni  à  sentir.  Il  est  content  de  souffrir  sans  savoir 
s'il  souflre  bien  ,  et  d'aimer  sans  savoir  s'il  aime.  0  que 
l'abandon ,  sans  aucun  retour  ni  repli  caché  ,  esc  pur 
et  digne  de  Dieu  !  Il  est  lui  seul  plus  détruisait  que 
mille  et  mille  vertus  austères  et  soutenues  d'un»  .:i- 
gularité  aperçue.  On  jeûnerait  comme  oaint  Simei^i 
Stylite  ,  on  demeurerait  des  siècles  sur  une  colon  ae  ; 
on  passerait  cent  ans  au  désert ,  comme  saint  Paul 
ermite  ;  que  ne  ferait-on  point  de  merveilleux  et 
digne  d'être  écrit ,  plutôt  que  de  mener  une  vie  unie  , 
qui  est  une  mort  totale  et  continuelle  dans  ce  simple 
délaissement  au  bon  plaisir  de  Dieu  !  Vivez  donc  de 
cette  mort  -,  qu'elle  soit  votre  unique  paix  quotidien. 
Je  vous  présente  celui  que  je  veux  manger  avec  vous. 

Soyez  simple  et  petit  enfant.  C'est  dans  l'enfance 


344  LETTRES    SPIRITUELLES. 

qu'habite  la  paix  inaltérable  et  à  toute  épreuve.  Toutes 
les  régularités  ov\  l'on  possède  sa  vertu  sont  sujettes 
à  l'illusion  et  au  mécompte.  Il  n'y  a  que  ceux  qui 
ne  comptent  jamais,  lesquels  ne  sont  sujets  à  aucun 
mécompte.  Il  n'y  a  que  les  âmes  désappropriées  par 
l'abnégation  évangélique  qui  n'ont  plus  rien  à  perdre. 
Il  n'y  a  que  ceux  qui  ne  cherchent  aucune  lumière, 
qui  ne  se  trompent  point.  Il  n'y  a  que  les  petits 
enfans  qui  trouvent  en  Dieu  la  sagesse ,  qui  n'est 
point  dans  les  grands  et  les  sages  qu'on  admire. 

167  *.  (iGj) 

Laisser  expirer  la  nature  dans  le  dépouillemcut  et  la  mort  totale. 

Tout  contribue  à  vous  éprouver  ;  mais  Dieu ,  qui 
vous  aime ,  ne  permettra  pas  que  vous  soyez  ten- 
tée au-dessus  de  vos  forces.  Il  se  servira  de  la  ten- 
tation pour  vous  faire  avancer.  Mais  il  ne  faut  chercher 
curieusement  à  voir  en  soi  ni  l'avancement ,  ni  les 
forces ,  ni  la  main  de  Dieu ,  qui  n'en  est  pas  moins 
secourable  quand  elle  se  rend  invisible.  C'est  en  se 
cachant  qu'elle  fait  sa  principale  opération  :  car  nous  ne 
mourrions  jamais  à  nous-mêmes  ,  s'il  montrait  sen- 
siblement cette  main  toujours  appliquée  à  nous  se- 
courir. En  ce  cas,  Dieu  nous  sanctifierait  en  lumière, 
en  vie  et  en  revêtissement  de  tous  les  ornemens  spiri- 
tuels ;  mais  il  ne  nous  sanctifierait  point  sur  la  croix , 
en  ténèbres,  en  privation,  en  nudité,  en  mort.  Jésus- 
Christ  ne  dit  pas  :  Si  quelqu'un  veut  venir  après 
moi ,  qu'il  se  possède  ,  qu'il  se  revête  d'ornemens  , 
qu'il   s'enivre  de  consolations,  comme  Pierre  sur  le 


LETTRES    SPIRITUELLES.  345 

Tliabor;  qu'il  jouisse  de  moi  et  do  soi-même  dans  su 
perfection  ,  qu'il  se  voie  :  et  que  tout  le  rassure  en 
se  voyant  parfait  :  mais  au  contraire  il  dit  (a)  :  Si 
(/uel(/u^u?i  veut  vanir  après  moi  ,  voici  le  chemin  par 
où  il  faut  qu'il  passe  ;  qu'il  se  renonce  ,  qu'il  porte 
sa  croix-  et  qu'il  me  suive  dans  le  sentier  bordé  de  pré- 
cipices où  il  ne  verra  que  sa  mort.  Saint  Paul  dit 
que  710US  voudrions  être  survêtus  (e) ,  et  qu'il  faut  au 
contraire  être  dépouillés  jusqu'à  la  ])liis  extrême  nu- 
dité pour  être  ensuite  revêtus  de  Jésus-Christ. 

Laissez-vous  donc  ôter  jusqu'aux,  derniers  orne- 
mens  de  l'amour-propre  ,  et  jusqu'aux  derniers  voiles 
dont  il  tache  de  se  couvrir  ,  pour  recevoir  la  robe 
qui  n'est  blanchie  que  du  sang  de  l'Agneau ,  et  qui 
n'a  plus  d'autre  pureté  que  la  sienne.  O  trop  heu- 
reuse l'ame  qui  n'a  plus  rien  à  soi  ,  qui  n'a  même 
rien  d'emprunté  non  plus  que  rien  de  propre,  et  qui 
se  délaisse  au  bien-aimé  ,  étant  jalouse  de  n'avoir  plus 
de  beauté  que  lui  seul  !  0  épouse ,  que  vous  serez 
belle  quand  il  ne  vous  restera  plus  nulle  parure  pro- 
pre !  Vous  serez  toute  la  complaisance  de  l'époux 
quand  l'époux  sera  lui  seul  toute  votre  beauté.  Alors 
il  vous  aimera  sans  mesure  ,  parce  que  ce  sera  lui- 
même  qu'il  aimera  uniquement  en  vous.  Écoutez  ces 
choses,  et  croyez-les.  Cet  aliment  de  pure  vérité  sera 
d'abord  amer  dans  votre  bouche  et  dans  vos  entrail- 
les ;  mais  il  nourrira  votre  cœur ,  et  il  le  nourrira 
de  la  mort  qui  est  l'unique  vie.  Croyez  ceci,  et  ne 
vous  écoutez  point.  Le  moi  est  le  grand  séducteur  : 
il  séduit  plus  que  le  serpent  séducteur  d'Eve.  Ileu- 


(a)   Mal/i.    XM,    2|.    (e)   //  Cor.    v,    4- 


346  LETTRES   SPIRITUELLES. 

reuse  Famé  qui  écoute   en   toute   simplicité   ce   qui 
l'empêche  de  s'écouter  et  de  s'attendrir  sur  soi  ! 

Que  ne  puis-je  être  auprès  de  vous  !  mais  Dieu  ne 
le  permet  pas.  Que  dis-je?  Dieu  le  fait  invisiblement, 
et  il  nous  unit  cent  fois  plus  intimement  à  lui ,  cen- 
tre de  tous  les  siens ,  que  si  nous  étions  sans  cesse 
dans  le  même  lieu.  Je  suis  en  esprit  tout  auprès  de 
vous  :  je  porte  avec  vous  votre  croix  et  toutes  vos 
langueurs.  Mais  si  vous  voulez  que  l'enfant  Jésus  les 
porte  avec  vous  ,  laissez-le  se  cacher  à  vos  yeux;  laissez- 
le  aller  et  venir  en  toute  liberté.  Il  sera  tout-puis- 
sant en  vous  ,  si  vous  êtes  bien  petite  en  lui.  On 
demande  du  secours  pour  vivre  et  pour  se  posséder  : 
il  n'en  faut  plus  que  pour  expirer  et  pour  être  dé- 
possédé de  soi  sans  ressource.  Le  vrai  secours  est  le 
coup  mortel  ;  c'est  le  coup  de  grâce.  Il  est  temps  de 
mourir  à  soi ,  afin  que  la  mort  de  Jésus-Christ  opère 
une  nouvelle  vie.  Je  donnerais  la  mienne  pour  vous 
ôter  la  vôtre ,  et  pour  vous  faire  vivre  de  celle  de 
Dieu. 

(.68)  168*. 

Nécessité  de  s'abandonner  en  pure  foi  à  l'opération  cachée  de  Dieu 
pour  donner  la  mort. 

Ce  que  je  vous  souhaite  au-dessus  de  tout ,  c'est 
que  vous  n'altériez  point  votre  grâce  en  la  cherchant. 
Voulez-vous  que  la  mort  vous  fasse  vivre  ,  et  vous 
posséder  en  vous  abandonnant?  Un  tel  abandon  se- 
rait la  plus  grande  propriété  ,  et  n'aurait  que  le  nom 
trompeur  d'abandon  -,  ce  serait  Fillusion  la  plus  ma- 
nifeste. Il  faut  manquer  de  tout  aliment  pour  achever 


LETTRES    SPIIUTUELLES.  347 

de  mourir.  C'est  une  cruaulé  et  une  trahison ,  que 
de]  vous  laisser  respirer  et  nourrir  pour  prolonj-er  votre 
agonie  dans  le  supplice.  Mourez  j  c'est  la  seule  parole 
qui  nie  reste  pour  vous. 

Qu'avez-vous  donc  cherché  dans  la  voie  que  Dieu 
vous  a  ou\erte?  Si  vous  vouliez  vivre,  vous  n'a\iez 
qu'à  vous  nourrir  de  tout.  Mais  combien  y  a-t-il  d'an- 
nées que  vous  vous  êtes  dévouée  à  l'obscurité  de  la 
foi ,  à  la  mort  et  à  l'abandon  ?  Etait-ce  à  condition 
de  le  faire  en  apparence,  et  de  trouver  une  plus  grande 
sûreté  dans  l'abandon  même?  Si  cela  était  ^  >ous  au- 
riez été  bien  fine  avec  Dieu  :  ce  serait  le  comble  de 
Tillusion.  Si,  au  contraire,  vous  n'avez  cherché  (  connue 
je  n'en  doute  pas  )  que  le  sacrifice  total  de  votre  es- 
prit et  de  ^  otre  volonté  ,  pourquoi  reculez-vous  quand 
Dieu  vous  fait  enfin  trouver  l'unique  chose  que  vous 
avez  cherchée  ?  Voulez-vous  vous  reprendre  dès  que 
Dieu  veut  vous  posséder  ,  et  vous  déposséder  de  vous- 
même  ?  Voulez-vous  ,  par  la  crainte  de  la  mer  et  de 
la  tempête  ,  vous  jeter  contre  les  rochers ,  et  faire 
naufrage  au  port  ?  Renoncez  aux  sûretés  ;  vous  n'en 
sauriez  jamais  avoir  que  de  fausses.  C'est  la  recherche 
infidèle  de  la  sûreté  qui  fait  votre  peine.  Loin  de  vous 
conduire  au  repos  ,  vous  résistez  à  votre  grâce  5  com- 
ment trouveriez-vous  la  paix  ? 

J'avoue  qu'il  faut  suivre  ce  que  Dieu  met  au  cœur  ; 
mais  il  faut  observer  deux  choses  :  l'une  est  que  l'at- 
trait de  Dieu,  qui  incline  le  cœur,  ne  se  trouve  point 
par  les  réflexions  délicates  et  inquiètes  de  l'amour- 
propre;  l'autre,  qu'il  ne  se  trouve  point  aussi  par  des 
mouvemens  si  marqués ,  qu'ils  portent  avec  eux  la 
certitude  qu'ils  sont  divins.  Cette  certitude  réfléchie , 


348  LETTRES    SPIRITUELLES. 

dont  on  se  rendrait  compte  à  soi-même ,  et  sur  la- 
quelle on  se  reposerait  y  détruirait  l'état  de  foi ,  ren- 
drait toute  mort  impossible  et  imaginaire ,  changeant 
l'abandon  et  la  nudité  en  possession  et  en  propriété 
sans  bornes  ;  enfin  ce  serait  un  fanatisme  perpétuel , 
car  on  se  croirait  sans  cesse  certainement  et  immé- 
diatement inspiré  de  Dieu  pour  tout  ce  qu'on  ferait 
en  chaque  moment.  Il  n'y  aurait  plus  ni  direction  ni 
docilité ,  qu'autant  que  le  mouvement  intérieur  ,  in- 
dépendant de  toute  autorité  extérieure  ,  y  porterait 
chacun.  Ce  serait  renverser  la  voie  de  foi  et  de  mort. 
Tout  serait  lumière  ,  possession  ,  vie  et  certitude  dans 
toutes  ces  choses.  Il  faut  donc  observer  qu'on  doit 
suivre  le  mouvement,  mais  non  pas  voiUoir  s'en  as- 
surer par  réflexion  ,  et  se  dire  à  soi-même^  pour  jouir 
de  sa  certitude  :  Oui,  c'est  par  mouvement  que  j'agis. 
Le  mouvement  n'est  que  la  grâce  ou  l'attrait  inté- 
rieur du  Saint-Esprit  qui  est  commun  à  tous  les  justes; 
mais  plus  délicat ,  plus  profond  ,  moins  aperçu  et  plus 
intime  dans  les  âmes  déjà  dénuées  ,  et  de  la  désap- 
propriation  desquelles  Dieu  est  jaloux.  Ce  mouvement 
porte  avec  soi  une  certaine  conscience  très-simple  , 
Irès-directe ,  très-rapide ,  qui  suffit  pour  agir  avec 
droiture  ,  et  pour  reprocher  à  Tame  son  infidélité  dans 
le  moment  où  elle  y  résiste.  Mais  c'est  la  trace  d'un 
poisson  dans  l'eau  *,  elle  s'efface  aussitôt  qu'elle  se 
forme  ,  et  il  n'en  reste  rien  :  si  vous  voulez  la  voir , 
elle  disparaît  pour  confondre  votre  curiosité.  Com- 
ment prétendez-vous  que  Dieu  vous  laisse  posséder 
ce  don ,  puisqu'il  ne  vous  l'accorde  qu'afin  que  vous 
ne  vous  possédiez  en  rien  vous-même  ?  Les  saints  pa- 
triarches ,  prophètes^  apôtres,  etc.  avaient,  hors  des 


LETTRES    SPiniTlEU-rS.  3/\C) 

choses  miraciilcnses,  un  attrait  continuel  qui  les  pous- 
sait à  une  mort  continuelle  ;  mais  ils  ne  se  rendaient 
point  juges  de  leur  grâce ,  et  ils  la  suivaient  simple- 
ment :  elle  leur  eût  échappé  pendant  qu'ils  auraient 
raisonné  pour  s'en  faire  les  juges.  Vous  êtes  notre  an- 
cienne ,  mais  c'est  votre  ancienneté  qui  fait  que  vous 
devez  à  Dieu  plus  que  toutes  les  autres.  Vous  êtes  notre 
sœur  aînée  ;  ce  serait  à  vous  à  être  le  modèle  de  toutes 
les  autres  pour  les  affermir  dans  les  sentiers  des  té- 
nèbres et  de  la  mort.  Marchez  donc ,  comme  Abra- 
ham ,  sans  savoir  où.  Sortez  de  votre  terre ,  qui  est 
votre  cœur  ;  suivez  les  mouvemens  de  la  grâce  ,  mais 
n'en  cherchez  point  la  certitude  par  raisonnement.  Si 
vous  la  cherchez  avant  que  d'agir  ,  vous  vous  rendez 
juge  de  votre  grâce ,  au  lieu  de  lui  être  docile ,  et  de 
vous  livrer  à  celle  comme  les  apôtres  le  faisaient.  Ils 
étaient  livrés  à  la  grâce  de  Dieu  ,  dit  saint  Luc  dans 
les  Actes  (a).  Si ,  au  contraire ,  vous  cherchez  cette 
certitude  après  avoir  agi ,  c'est  une  vaine  consolation 
que  vous  cherchez  par  un  retour  d'amour-propre , 
au  lieu  d'aller  toujours  en  avant  avec  simplicité  selon 
l'attrait ,  et  sans  regarder  derrière  vous.  Ce  regard  en 
arrière  interrompt  la  course  ,  retarde  les  progrès , 
brouille  et  afi'aiblit  l'opération  intérieure  :  c'est  un 
contre-temps  dans  les  mains  de  Dieu  ;  c'est  une  re- 
prise fréquente  de  soi-même  ;  c'est  défaire  d'une  main 
ce  qu'on  fait  de  l'autre.  De  là  vient  qu'on  passe  tant 
d'années  languissant ,  hésitant  ,  tournant  tout  autour 
de  soi. 

Je  ne  perds  de  vue  ni  vos  longues  peines ,  ni  vos 

{a)  Act.   XV.    fo. 


JDO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

épreuves ,  ni  le  mécompte  de  ceux  qui  me  parlent  de 
votre  état  sans  le  bien  connaître.  Je  conviens  même 
qxi'il  m'est  plus  facile  de  parler  ,  qu'à  vous  de  faire , 
et  que  je  tombe  dans  toutes  les  fautes  où  je  vous 
propose  de  ne  tomber  pas.  Mais  enfui  nous  devons 
plus  que  les  autres  à  Dieu  ,  puisqu'il  nous  demande 
des  choses  plus  avancées  ;  et  peut-être  sommes-nous 
à  proportion  les  plus  reculés.  Ne  nous  décourageons 
point  ;  Dieu  ne  veut  que  nous  voir  fidèles.  Recom- 
mençons ,  et  en  recommençant  nous  finirons  bientôt. 
Laissons  tout  tomber ,  ne  ramassons  rien  ;  nous  irons 
bien  vite  et  en  grande  paix. 

(1G9)  169  *. 

Abandon  simple  et  total. 

Je  vous  désire  une  simplicité  totale  d'abandon , 
sans  laquelle  on  n'est  abandonné  qu'à  condition  de 
mesurer  soi-même  son  abandon ,  et  de  ne  l'être  ja- 
mais dans  aucune  des  choses  de  la  vie  présente  qui 
touchent  le  plus  notre  amour-propre.  Ce  n'est  pas 
l'abandon  réel  et  total  à  Dieu  seul  ,  mais  la  fausseté 
de  l'abandon  et  la  réserve  secrète  ,  qui  fait  l'illusion. 

Soyez  petit  et  simple  au  milieu  du  monde  le  plus 
critique  ,  comme  dans  votre  cabinet.  Ne  faites  rien  , 
ni  par  sagesse  raisonnée ,  ni  par  goût  naturel ,  mais 
simplement  par  souplesse  à  l'esprit  de  mort  et  de  vie  ; 
de  mort  à  vous  ,  de  vie  à  Dieu.  Point  d'enthousiasme  , 
point  de  certitude  recherchée  au  dedans  de  vous , 
point  de  ragoût  de  prédictions  ,  comme  si  le  présent  ; 
tout  amer  qu'il  est ,  ne  suffisait  pas  à  ceux  qui  n'ont 


LETTRES    SPIRITUELLES. 


35i 


plus  d'autre  trésor  que  la  seule  volonté  de  Dieu  ,  et 
comme  si  on  voulait  dédommager  l'amour-propre  de 
la  tristesse  du  présent  par  les  prospérités  de  l'avenir. 
On  mérite  d'être  trompé  quand  on  ciierche  cette  vaine 
consolation.  Recevons  tout  par  petitesse  ;  ne  clier- 
clions  rien  par  curiosité  ;  ne  tenons  à  rien  par  un  in- 
térêt déguisé.  Laissons  faire  Dieu  ,  et  ne  songeons  qu'à 
mourir  sans  réserve  au  moment  présent ,  comme  si 
c'était  réteriiité  tout  entière.  Ne  faites  point  de  tours 
de  sagesse. 

170  *.  (,70) 

Eviter  la  dissipation,  et  réprimer  l'actiTité  de  l'esprit. 

Au  nom  de  Dieu ,  évitez  la  dissipation  ;  craignez 
votre  imagination  trop  vive  et  votre  goût  pour  le 
monde.  Il  ne  sidlit  pas  de  ne  voir  point  trop  de  gens , 
il  faut  de  plus  ne  laisser  pas  trop  exciter  votre  viva- 
cité avec  chacun  d'eux  ;  il  faut  retrancher  les  longues 
conversations ,  et  dans  les  courtes  mêmes  il  faut  re- 
trancher une  certaine  activité  d'esprit  qui  est  incom- 
patible avec  le  recueillement.  Il  ne  s'agit  point  d'un 
certain  recueillement  procuré  par  effort  et  par  indus- 
trie qui  n'est  pas  de  saison  :  je  vous  demande  l'union 
toute  simple  et  du  fond  avec  Dieu  ,  que  sa  grâce  nous 
donne  quand  nous  laissons  tomber  notre  activité  ,  qui 
nous  dissipe  et  qui  nous  engoue  de  l'amusement  des 
créatures.  En  vérité  ,  si  vous  n'êtes  fidèle  à  laisser 
tomber  toute  votre  activité ,  qui  est  de  nature  el 
d'habitude  ,  vous  perdrez  insensiblement  tout  votre 
intérieur;  et,  malgré  toutes  vos  pieuses  intentions, 


35a  LETTRES   SPIRITUELLES* 

VOUS  VOUS  trouverez  réduit  à  une  dévotion  de  senti- 
mens  passagers  et  superficiels ,  avec  de  grandes  fra- 
gilités et  de  grands  mélanges  de  choses  contraires  à 
votre  ancienne  grâce. 

Sur  le  même  sujet. 

Je  souîiaite  infiniment  que  vous  receviez  d'un  cœur 
ouvert  et  docile  tout  ce  qu'on  vous  dira  pour  votre 

correction  intérieure.   Vous  avez   besoin   que   N 

conserve  sur  vous  une  vraie  autorité.  Elle  vous  con- 
naît à  fond  :  Bieu  vous  l'a  donnée  pour  mère  spiri- 
tuelle ;  elle  est  le  canal  de  grâce  pour  vous  :  vous 
avez  besoin  qu'on  retienne  les  saillies  continuelles  de 
votre  imagination  trop  vive  :  tout  vous  amuse ,  tout 
vous  dissipe  ,  tout  vous  replonge  dans  le  naturel. 

Ce  qui  vous  rend  si  long  à  toutes  choses ,  est  que 
vous  suivez  trop  sur  chaque  chose  votre  imagination. 
Vous  aimez  trop  à  parler  de  choses  inutiles  ,  et  même 
de  circonstances  peu  importantes  sur  les  choses  les 
plus  nécessaires.  Vous  êtes  trop  occupé  de  vous  pro- 
curer de  la  considération ,  de  la  confiance  ,  des  dis- 
tinctions. Vous  aimez  trop  votre  rang  et  les  personnes 
qui  peuvent  vous  donner  du  crédit.  Vous  donnez  trop 
de  temps  à  tout  ce  qui  vous  plait  et  qui  vous  flatte. 
Vous  ne  mourrez  à  toutes  ces  choses  qu'en  coupant 
court. 

Il  faut  connaître  les  hommes  avec  qui  vous  avez 
besoin  de  bien  vivre.  Il  faut  s'instruire  solidement  de 
certains  principes  sur  lesquels  un  homme   de  votre 


I^TTRES    SPIRITUELLES.  353 

rang  peut  avoir  besoin  de  former  des  vues ,  et  même 
d'agir  selon  les  occasions  \  mais  il  faut  retrancher  tous 
les  empressemens  de  curiosité  et  d'ambition.  Il  ne  faut 
entrer  dans  ces  choses  que  par  pure  fidélité ,  et  par 
conséquent  y  mourir  à  toute  heure ,  lors  même  qu'on 
y   entre.   Craignez  non-seulement  de    recevoir  avec 
hauteur  ou  propriété  de  lumière  ce  que  l'on  vous  dit 
contre  vos  vues  pour  vous  corriger ,  mais  encore  de 
le  laisser  tomber  par  distraction,  par  dissipation,  par 
une  espèce  de  légèreté.  On  a  mal  reçu  un  bon  con- 
seil quand  il  échappe  si  promplement.  Pour  le  bien 
recevoir ,   il  faut  donner  à  l'esprit  intérieur  tout  le 
temps  de  l'imprimer  profondément  en   nous ,  et   de 
l'appliquer  paisiblement  à  toute  l'étendue  de  nos  be- 
soins dans  le   dernier  détail.    Laissez-vous   à  l'esprit 
d'oraison,  en  sorte  que  vous  ne  lui  résistiez  point  en 
^  ous  dissipant.  C'est  ce  recueillement  passif  qui  sera 
votre  unique  ressource.   Si  vous  ne  résistez  point  à 
cet  attrait  simple  et  intime  ,  il  vous  tiendra  dans  un 
recueillement  simple  de  votre  degré  ,  qui  durera  toute 
la  journée  au  milieu  des  occupations  les  plus  com- 
munes. Alors  vous  parlerez  peu ,  et  ne  le  ferez  que 
par  grâce.  Si  quis   loquitar  ,  quasi  sei'mones  Dei  {a). 

(a)  /  Peir.   iv.    1 1 . 

172*.  (,.,) 

Se  laisser  conduire  sans  résistance. 

Je  vous  embrasse  tendrement.  C'est  dans  votre  in- 
firmité que  ma  tendresse  pour  vous  redouble.  La  fai- 

CORRESP.    IV.  8 


354  LETTRES   SPIRITUELLES. 

blesse  se  tournera  en  force  désappropriée,  si  vous  êtes 
fidèle  dans  cette  épreuve.  A  mesure  que  l'enfant  est 
plus  affaibli,  il  doit  demeurer  plus  attaché  à  sa  mère. 
Dites-lui  tout  avec  une  simplicité  enfantine  ;  priez-la 
de  vous  garder  ;  ne  lui  soyez  jamais  difficile.  Ayez 
du  moins  l'intention  de  céder  dans  l'instant.  Privez- 
vous  de  tout  ce  qu'elle  voudra.  Rentrez  dans  un  re- 
cueillement proportionné  à  votre  besoin.  Evitez  tout 
ce  qui  vous  dissipe.  Remettez-vous  à  l'a,  b^  c,  s'il  le 
faut ,  pour  recommencer  l'édifice  par  les  fondemens. 
Ne  vous  étonnez  point  de  ne  trouver  aucune  res- 
source en  vous-même  contre  les  excès  les  plus  af- 
freux. C'est  cette  épreuve  d'impuissance  et  de  déses- 
poir de  vous-même  où  Dieu  vous  veut ,  et  qui  est , 
non  pas   le   mal ,  mais  le  vrai  remède  à  vos  maux. 

Mais   tournez-vous  du  côté  de  Dieu  et  de  N qui 

vous  est  donnée  dans  ce  besoin.  Vous  trouverez  en 
Dieu ,  par  elle  ,  tout  ce  qui  vous  manque  dans  votre 
propre  fond. 

Ne  vous  fiez  à  vous-même  sur  rien.  Ayez  horreur 
de  vous.  Ayez  votre  cœur  sur  vos  lèvres  et  dîins  les 
mains  de  cette  bonne  mère.  Le  grand  point  est  de 
céder  sans  cesse  à  Dieu ,  et  de  le  laisser  faire  en  nous 
par  simple  non-résistance.  Cette  non-résistance ,  qu'on 
est  tenté  de  regarder  comme  une  inaction ,  s'étend 
au-delà  de  tout  ce  qu'on  peut  croire.  Elle  ne  laisse 
aucune  vie  à  la  nature ,  et  lui  ôte  jusqu'à  l'activité 
qui  lui  servirait  de  dernier  appui.  On  aimerait  mieux 
travailler  sans  relâche  ,  et  voir  son  travail ,  que  se  ré- 
duire à  ne  résister  jamais.  Ne  résistez  jamais,  et  tout 
se  fera  peu  à  peu.  Soyez  simple  ,  petit  et  sans  raison- 
nement :  avec  souplesse  y  tout  s'applanira  ;  sans  sou- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  355 

plesse ,  tout  vous  deviendrait  comme  impossible ,  et 
vous  succomberiez  terriblement. 

Je  veux  que  vous  soyez  petit  à  proportion  de  votre 
faiblesse.  Ce  n'est  rien  que  d'être  fail)le ,  pourvu 
qu'on  soit  petit  et  qu'on  se  tienne  entre  les  bras  de 
sa  mère  :  mais  être  faible  et  grand ,  cela  est  insup- 
portable *,  tomber  à  cl)aque  pas,  et  ne  vouloir  passe 
laisser  porter ,  c'est  de  quoi  se  casser  la  tète. 


173  ♦.  (,,3) 

Aria  pour  deux  personnes  en  degré  différent  de  grâce. 

Je  vols  que  la  lumière  de  Dieu  est  en  vous  pour 
vous  montrer  vos  défauts  et  ceux  de  N. ..  C'est  peu 
de  voir  -,  il  faut  faire  ,  ou  pour  mieux  dire  il  n'y  au- 
rait qu'à  laisser  faire  Dieu  ,  et  qu'à  ne  lui  point  ré- 
sister. Pour  N... ,  il  ne  faut  jamais  lui  faire  quartier; 
nulle  excuse  ;  coupez  court  ;  il  faut  qu'il  se  taise , 
qu'il  croie ,  et  qu'il  obéisse  sans  s'écouter. 

Pour  vous ,  plus  vous  clierclierez  d'appui ,  moins 
vous  en  trouverez.  Ce  qui  ne  pèse  rien  n'a  pas  be- 
soin d'être  appuyé  ;  mais  ce  qui  pèse  rompt  ses  ap- 
puis. Un  roseau  sur  lequel  vous  voulez  vous  soute- 
nir ,  vous  percera  la  main  •,  mais  si  vous  n'êtes  rien 
faute  de  poids,  vous  ne  tomberez  plus.  On  ne  parle 
que  d'abandon  ,  et  on  ne  cliercbe  que  des  cautions 
bourgeoises.  La  bonne  fqi  avec  Dieu  consiste  à  n'a- 
voir point  un  faux  abandon ,  ni  un  demi-abandon  , 
quand  on  le  promet  tout  entier.  Ananias  et  Sapbira 
furent  terriljlement  punis  pour  n'avoir  pas  donné  sans 
réserve  un   bien  qu'ils  étaient  libres  de  garder  tout 

8* 


356  LETTRES   SPIRITUELLES. 

entier.  Allons  à  l'aventure.  Abraham  allait  sans  savoir 
oii ,  hors  de  son  pays.  Je  voudrais  bien  a  ous  chasser 
du  vôtre,  et  vous  mettre,  comme  lui,  loin  des  moin- 
dres vestiges  de  route. 

N...  n'avancera  qu'autant  qu'il  sera  subjugué.  On 
s'imagine  ,  quand  on  est  dans  une  certaine  voie  de 
simplicité ,  qu'il  n'y  a  plus  ni  recueillement  ni  mor- 
tification à  pratiquer;  c'est  une  grande  illusion,  i»  On 
a  encore  besoin  de  ces  deux  choses,  parce  qu'on  n'est 
point  encore  entièrement  dans  l'état  où  l'on  se  flatte 
d'être  ,  et  que  souvent  on  y  a  reculé.  2»  Lors  même 
qu'on  est  en  cet  état ,  on  pratique  le  recueillement 
et  la  mortification  sans  pratiques  de  méthode.  On 
est  recueilli  simplement,  pour  ne  se  point  dissiper  par 
des  vivacités  naturelles ,  et  en  demeurant  en  paix  au 
gré  de  l'esprit  de  grâce.  On  est  mortifié  par  ce  même 
esprit  qu'on  suit  uniquement  sans  suivre  le  sien  pro- 
pre. Ne  vivre  que  de  foi ,  c''est  une  vie  bien  morte. 
Quand  Dieu  seul  vit,  agit,  parle  et  se  tait  en  nous, 
le  moi  ne  trouve  plus  de  quoi  respirer.  C'est  à  quoi 
il  faut  tendre  ;  c'est  ce  que  le  principe  intérieur ,  quand 
on  ne  lui  résiste  point ,  avance  sans  cesse. 

Quand  on  n'est  que  faible  ,  la  faiblesse  d'enfant 
n'empêche  point  la  bonne  enfance  5  mais  être  faible 
et  indocile  ,  c'est  n'avoir  de  l'enfance  que  la  seule  fai- 
blesse ,  et  y  joindre  la  hauteur  des  grands.  Ceci  est 
pour  N....  Au  nom  de  Dieu,  qu'il  soit  ouvert  et  pe- 
tit. Je  voudrais  le  mettre  bas ,  bas ,  bas.  Il  ne  peut 
être  bon  qu'à  force  de  dépendre. 


LETTRES   SPIRITUELLES.  357 

(.74)  174  •. 

Trouver ,.  aTCC  l'Apôtre ,  sa  force  dans  la  faiblesse.  Caractères  de 
l'abandon  véritable. 

Vous  n'avez  ,  ma  chère  fille  ,  qu'à  porter  vos  infir- 
mités ,  tant  de  corjis  que  d'esprit.  C^est  quand  je  suis 
faible ,  dit  l' Apôtre  {a),  que  je  me  trouve  fort  :  la  vertu 
80  perfectionne  dans  Vinfirmité.  Nous  ne  sommes  forts 
en  Dieu,  qu'à  proportion  que  nous  sommes  faibles 
en  nous-mêmes.  Votre  faiblesse  fera  donc  votre  force, 
si  vous  y  consentez  par  petitesse. 

On  serait  tenté  de  croire  que  la  faiblesse  et  la  pe- 
titesse sont  incompatibles  avec  l'abandon ,  parce  qu'on 
se  représente  l'abandon  comme  une  force  de  l'anie , 
qui  fait ,  par  générosité  d'amour  et  par  grandeur  de 
sentimens ,  les  plus  héroïques  sacrifices.  Mais  l'alian- 
don  véritable  ne  ressemble  point  à  cet  abandon 
flatteur.  L'abandon  est  un  simple  délaissement  dans 
les  bras  de  Dieu  ,  comme  celui  d'un  petit  enfant  dans 
les  bras  de  sa  mère.  L'abandon  parfait  va  jusqu'à 
abandonner  l'aljandon  même.  On  s'abandonne  sans 
savoir  qu'on  est  abandonné  :  si  on  le  savait ,  on  ne 
le  serait  plus  ;  car  y  a-t  il  un  plus  puissant  soutien 
qu'un  abandon  connu  et  possédé  ?  L'abandon  se  ré- 
duit ,  non  à  faire  de  grandes  clioses  qu'on  puisse  se 
dire  à  soi-même ,  mais  à  souffrir  sa  faiblesse  et  son 
impuissance  ,  mais  à  laisser  faire  Dieu ,  sans  pouvoir 
se  rendre  témoignage  qu'on  le  laisse  faire.  Il  est  pai- 
sible ,  car  il  n'y  aurait  point  de  sincère  abandon  ,  si 

(a)   //  Cor,  xii.   (j ,    lu. 


358  LETTRES    SPIRITUELLES. 

on  était  encore  inquiet  pour  ne  laisser  pas  échapper 
et  pour  reprendre  les  choses  abandonnées.  Ainsi  l'a- 
bandon est  la  source  de  la  vraie  paix ,  çt  sans  la  paix 
l'abandon  est  très-imparfait. 

Si  TOUS  demandez  une  ressource  dans  l'abandon  , 
TOUS  demandez  de  mourir  sans  perdre  la  vie.  Tout 
est  à  recommencer.  Rien  ne  prépare  à  s'abandonner 
jusqu'au  bout ,  que  l'abandon  actuel  en  chaque  mo- 
ment. Préparer  et  abandonner  sont  deux  choses  qui 
s'entredétruisent.  L'abandon  n'est  abandon  qu'en  ne 
préparant  rien.  Il  faut  tout  abandonner  à  Bien,  jus- 
qu'à l'abandon  même.  Quand  les  Juifs  furent  scan- 
dalisés de  la  promesse  que  Jésus-Christ  faisait  de 
donner  sa  chair  à  manger ,  il  dit  à  ses  disciples  (a)  : 
Ne  voulez-vous  pas  aussi  vous  en  aller  ?  Il  met  le 
marché  à  la  main  de  ceux  qui  tâtonnent.  Dites-lui 
donc  comme  saint  Pierre  :  Seirjneur ,  à  qui  irions- 
nous  ?  voies  avez  les  paroles  de  vie  éternelle. 

(a)  Joan,  iv.  Ç>^ ,  69, 

(176)  175  *. 

Croix  et  morts  journalières. 

Portons  la  croix  :  la  plus  grande  est  nous-mêmes. 
Nous  ne  serons  point  hors  de  nous ,  pendant  que 
nous  ne  nous  regarderons  pas  simplement  comme  un 
prochain  qu'il  faut  supporter  avec  patience.  Si  nous 
nous  laissons  mourir  tous  les  jours  de  la  vie  ,  nous 
n'aurons  pas  beaucoup  à  mourir  le  dernier  ;  et  ce 
qui  nous  fait  tant  de  peur  de  loin  ne  nous  en  fera 


LETTRES    SPIIUTUELLES.  ^5^ 

guère  de  près,  pourvu  que  nous  ne  rexagérions  point 
par  nos  prévoyances  inquiètes  d'amour-piopre.  Sup- 
j)orlc'/-vous  vuus-niènio ,  et  consentez  petitement  à 
èhe  supportée  par  autrui.  O  que  les  petites  morts  jour- 
nalières  ôtent  de  force  à  la  grande  mort  ! 

(.„)  176  *. 

Les  douleurs  dans  la  mort  .'i  soi-mônienc  viennent  que  de  nos  résistances. 
L'abandon ,  pour  être  véritaJjle ,  ne  doit  point  ùlrc  aperçu. 

On  se  trompe  sur  la  mort  à  soi-même  ;  on  s'ima- 
gine que  c'est  elle  qui  cause  toutes  les  douleurs  qu'on 
soiiilVe.  Non  ,  il  n'y  a  que  les  restes  de  vie  secrète 
qui  font  souffrir.  La  douleur  est  dans  le  vif ,  et  non 
dans  le  mort.  Plus  on  meurt  soudainement  et  sans 
résistance  ,  moins  on  a  de  peine.  La  mort  n'est  pé- 
nijjle  qu'à  ce  qui  la  repousse  j  c'est  l'imagination  qui 
l'exagère  et  qui  en  a  horreur  ;  c'est  l'esprit  qui  rai- 
sonne sans  fin  pour  autoriser  les  propriétés  ou  vies 
cachées  ;  c'est  l'amour-propre  qui  vit  et  qui  combat 
contre  la  mort,  comme  un  malade  a  des  mouvemens 
con^ulsifs  à  l'agonie.  Mais  il  faut  mourir  intérieure- 
ment comme  dans  l'extérieur.  La  sentence  de  mort 
est  prononcée  contre  Fesprit ,  comme  la  sentence  de 
justice  contre  le  corps.  Le  grand  point  est  que  l'es- 
prit meure  avant  le  corps;  alors  la  mort  corporelle 
ne  sera  qu'un  sommeil.  Bienheureux  ceux  qui  dor- 
ment du   sommeil  de  paix. 

Quand  vous  vous  abandonnez  à  Dieu,  ne  le  faites 
point  en  raisonnant  et  en  recherchant  une  certi- 
tude intérieure ,  qui  serait  une  possession  imaginaire 


36o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

contre  le  véritable  abandon  ;  mais  sans  présumer  au- 
cune inspiration  ni  certitude ,  agissez  sans  retour , 
suivant  votre  cœur.  Ce  qu'on  mesure  pour  se  con- 
tenter ,  ou  pour  s'assurer  secrètement  sous  de  beaux 
prétextes,  est  un  effet  de  sagesse  et  d'arrangement; 
c'est  une  borne  qu'on  se  marque  pour  s'épargner ,  et 
en  se  la  marquant ,  on  la  marque  à  Dieu.  Plus  vous 
voudrez  faire  marcbé  avec  lui ,  et  en  être  quitte  à 
moindre  prix ,  plus  il  vous  en  coûtera.  Au  contraire  , 
laissez-lui  tout  sans  réserve  ;  il  vous  laissera  en  paix. 
De  sûreté  sensible  ,  il  n'y  en  a  dans  aucune  voie  , 
encore  bien  moins  dans  celle  de  la  pure  foi.  Il  faut 
aller ,  comme  Abraliam  ,  sans  savoir  où.  L'épreuve 
connue  pour  simple  épreuve  n'est  plus  une  épreuve 
véritable.  L'abandon  mesuré  et  exercé  comme  aban- 
don, n'est  plus  abandon  ;  cette  perte  n'est  qu'une  pos- 
session infinie  de  soi-même.  En  Voulant  éviter  l'illu- 
sion ,  on  tombe  dans  la  plus  dangereuse  des  illusions, 
qui  est  celle  de  se  reprendre  contre  sa  grâce. 

Là  où  est  la  paix  pour  votre  cœur  ,  là  est  Bieu 
pour  vous.  Ne  vous  mettez  donc  en  peine  de  rien. 
Vivez  sans  aliment.  Ce  jour  plein  de  nuages  sera 
suivi  du  jour  sans  ombre  et  sans  fm.  0  que  le  dé- 
clin du  jour  nous  doit  donner  une  pure  lumière  ! 

(178)  177  *^ 

Se  délaisser  à  Dieu ,  sans  retour  inquiet  sur  soi-môme  :  éviter  la 
dissipation  :  agir  sans  rien  présumer  de  son  travail. 

N...  n'aura  jamais  de  repos,  qu'autant  qu'elle  re- 
noncera à  s^en  procurer.  La  paix  de  cette  vie  ne  pe^it 


LETTRES    SPIRITUELLES.  36 1 

se  trouver  qiio  dans  l'incertitude.  L'amour  pur  ne 
sVxerce  que  dans  cette  privation  de  toute  assurance. 
Le  moindre  regard  inqui(it  est  une  reprise  de  soi,  et 
une  inlldélité  contre  la  grâce  de  l'aljundon.  Laissons 
iaire  de  nous  à  Dieu  ce  qu'il  lui  plaira  :  après  que 
nous  l'aurons  laissé  faire  ,  point  de  soutien.  Quand 
on  ne  veut  point  se  voir  soutenu  ,  il  faut  être  fidèle  à 
l'allrait  de  la  grâce  ,  et  puis  s'abandonner. 

II  faut  qu  elle  se  délaisse  dans  les  mains  de  Dieu. 
Soit  que  nous  vivions  y  soit  que  nous  mourions  ^  nous 
sommes  à  lui,  dit  saint  Paul  {a).  L'abandon  n'est  réel 
que  dajis  les  occasions  de  s'abandonner.  Dieu  est  le 
même  pour  l'autre  vie  que  pour  celle-ci,  également 
digne  qn'on  le  serve  pour  sa  gloire  et  pour  son  bon 
plaisir.  Dans  les  deux  cas ,  il  veut  également  tout 
pour  lui  ,  et  sa  jalousie  crible  partout  les  âmes  qui 
^culenl  le  suivre.  Le  paradis,  l'enfer  et  le  purgatoire 
ont  une  espèce  de  commencement  dès  cette  vie. 

Je  demande  pour  cette  chère  sœur  une  paix  de 
pure  foi  et  d'abnégation.  On  ne  perd  point  cette  paix, 
qui  n'est  exposée  à  aucun  mécompte ,  parce  qu'elle 
n'est  fondée  sur  aucune  propriété ,  sûreté ,  ni  conso- 
lation. Je  souhaite  qu'elle  ait  le  cœur  en  paix  et  en 
simplicité.  J'ajoute  en  simplicité ,  parce  que  la  sim- 
plicité est  la  vraie  source  de  la  paix.  Quand  on  n'est 
pas  simple ,  on  n'est  pas  encore  véritablement  enfant 
de  la  paix  :  aussi  n'en  goiite-t-on  point  les  fruits.  On 
mérite  l'inquiétude  qu'on  se  donne  par  les  retours 
inutiles  sur  soi  contre  l'attrait  intérieur.  L'esprit  de 
paix  repose  sur  cehii  qui  ne  trouble  point  ce  repos 

(a)  Rom.  XIV.  8. 


3G2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

en  s'écoutant  soi-même  au  lieu  d'écouler  Dieu.  Le 
repos  5  qui  est  un  essai  et  un  avant-goiit  du  sabbat 
éternel,  est  bien  doux-,  mais  le  chemin  qui  y  mène 
est  un  rude  martyre.  Il  est  temps  (je  dis  ceci  pour 

N )  de  laisser  achever  Dieu  après  tant  d'années  : 

Dieu  lui  demande  bien  plus  qu'aux  commençans. 

Je  prie  de  tout  mon  cœur  pour  votre  malade  ,  dont 
les  croix  sont  précieuses  à  Dieu.  Plus  elle  souffre  , 
plus  je  la  révère  en  celui  qui  la  crucifie  pour  la  ren- 
dre digne  de  lui.  Les  grandes  souffrances  montrent 
tout  ensemble  et  la  profondeur  des  plaies  qu'il  faut 
guérir  en  nous  ,  et  la  sublimité  des  dons  auxquels 
Bieu  nous  prépare. 

Pour  vous ,  monsieur  ,  évitez  la  dissipation  ;  crai- 
gnez votre  vivacité.  Cette  activité  naturelle  ,  que  vous 
entretenez  au  lieu  de  l'amortir,  fait  tarir  insensible- 
ment la  grâce  de  la  vie  intérieure.  On  ne  conserve 
plus  que  des  règles  et  des  motifs  sensibles  ;  mais  la 
vie  cachée  avec  Jésus-Christ  en  Diea  («)  s'altère,  se 
mélange  ,  et  s'éteint  faute  de  l'aliment  nécessaire  ,  qui 
est  le  silence  du  fond  de  l'ame.  J'ai  été  afthgé  de  ce 
que  vous  ne  serviez  pas  ;  mais  c'est  un  dessein  de 
pure  miséricorde  pour  vous  détacher  du  monde ,  et 
pour  vous  ramener  à  une  vie  de  pure  foi  qui  est  une 
mort  sans  relâche.  Ne  donnez  donc  au  monde  que 
le  temps  de  nécessité  et  de  bienséance.  Ne  vous  amu- 
sez point  à  des  vétilles.  Ne  parlez  que  pour  le  be- 
soin. Calmez  en  toute  occasion  votre  imagination. 
Laissez  tout  tomber.  Ce  n'est  point  par  l'empresse- 
ment que  vous  cesserez  d'être  empressé.  Je  ne  vous 

(«)  Colus.  m.   3. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  363 

demande  point  iiu  recueillement  de  travail  et  d'in- 
dustrie ;  je  vous  demande  un  recueillement  qui  ne 
consiste  qu'à  laisser  tomber  tout  ce  qui  vous  dissipe 
et  qui  excite  votre  activité. 

Je  me  réjouis  de  tout  ce  que  vous  trouvez  de  bon 
dans  N J'espère  que  vous  la  rendrez  encore  meil- 
leure,  en  lui  faisant  connaître,  par  une  pratique  sim- 
l)le  et  uniforme ,  combien  la  vraie  piété  est  aimable 
et  dillcreiite  de  ce  que  le  monde  s'en  imagine  ;  mais 
il  ne  faut  pas  que  M.  son  mari  la  gâte  par  une  passion 
aveugle  :  en  lu  gâtant,  il  se  gâterait  aussi  ;  cet  excès 
d'union  causerait  même  ,  dans  la  suite  ,  une  lassitude 
dangereuse  ,  et  peut-être  une  désunion.  Laissez  lui 
peu  le  torrent  s'écouler  ;  mais  profitez  des  occasions 
de  providence ,  pour  lui  insinuer  la  modération  ,  le 
recueillement ,  et  le  désir  de  préférer  l'attrait  de  la 
grâce  au  goût  de  la  nature.  Attendez  les  momens  de 

Dieu,   et  ne  les  perdez  pasj  N vous  càdera  à  ne 

faire  ni  trop  ni  trop  peu. 

Dieu  veut  que,  dans  les  œuvres  dont  il  nous  charge, 
nous  accordions  ensemble  deux  choses  très-propres 
à  nous  faire  mourir  à  nous-mêmes  :  l'une  est  d'agir 

o 

connue  si  tout  dépendait  de.  l'assiduité  de  notre  tra- 
vail -,  l'autre  est  de  nous  désabuser  de  notre  travail , 
et  de  compter  qu'après  qu'il  est  fait ,  il  n'y  a  encore 
rien  de  commencé.  Après  que  nous  avons  bien  tra- 
vaillé ,  Dieu  se  plaît  à  emporter  tout  notre  travail 
sous  nos  yeux ,  comme  un  coup  de  balai  emporte 
une  toile  d'araignée;  après  quoi  il  fait,  s'il  lui  piait, 
sans  que  nous  puissions  dire  comment,  l'ouvrage 
pour  lequel  il  nous  avait  fait  prendre  tant  de  peine , 
ce  semble ,  inutile.  Faites  donc  des  toiles  d'araignée  ; 


364  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Dieu  les  enlèvera ,  et  après  vous  avoir  confondu .  il 
travaillera  tout  seul  à  sa  mode. 

Je  ne  suis  point  surpris  de  vos  misères  ;  vous  les 
mériterez  tandis  que  vous  en  serez  encore  surpris. 
C'est  encore  arrogamment  quelque  chose  de  soi , 
que  d'être  surpris  de  se  trouver  eu  faute.  La  surprise 
ne  vient  que  d'un  reste  de  confiance. 

178*.  (,^9) 

Extinction  de  la  vie  propre.  Agir  par  grâce.  Attendre  tout  de  Dieu. 

Mon  état  ne  se  peut  expliquer  ,  car  je  le  comprends 
moins  que  personne.  Dès  que  je  veux  dire  quelque 
chose  de  moi  en  bien  ou  en  mal ,  en  épreuve  ou  en 
consolation ,  je  le  trouve  faux  en  le  disant ,  parce  que 
je  n'ai  aucune  consistance  en  aucun  sens.  Je  vois  seule- 
ment que  la  croix  me  répugne  toujours,  et  qu'elle  m'est 
nécessaire.  Je  souhaite  fort  que  vous  soyez  simple  , 
droite,  ferme,  sans  vous  écouter,  sans  chercher  aucun 
tour  dans  les  choses  que  vous  voudriez  mener  à  votre 
mode ,  et  que  vous  laissiez  faire  Dieu  pour  achever 
son  œuvre  en  vous. 

Ce  que  je  souhaite  pour  vous  comme  pour  moi , 
est  que  nous  n'apercevions  jamais  en  nous  aucun  reste 
de  vie  ,  sans  le  laisser  éteindre.  Quand  je  suis  à  l'of- 
fice de  notre  chœur ,  je  vois  la  main  d'un  de  nos  cha- 
pelains qui  promène  un  grand  éteignoir  qui  éteint 
tous  les  cierges  par  derrière  l'un  après  l'autre  ;  s'il  ne 
les  éteint  pas  entièrement ,  il  reste  un  lumignon  fu- 
mant qui  dure  long-temps  et  qui  consume  le  cierge. 
La  grâce  vient  de  même  éteindre  la  vie  de  la  nature  ; 


LETTRES    SPIRITUELLES.  365 

mais  cette  vie  opiniâtre  fume  encore  long-temps ,  et 
nous  consume  par  un  feu  secret ,  à  ïaoins  que  1  etei- 
gnoir  ne  soit  bien  appuyé  et  qu'il  n'étoufte  absolu- 
ment jusqu'aux  moindres  restes  Je    ce  feu  caché. 

Je  veux  que  vous  ayez  le  goût  de  ma  destruction 
comme  j'ai  celui  de  la  vôtre.  Finissons ,  il  est  bien 
temps,  une  vieille  vie  languissante  qui  chicane  tou- 
jours pour  échapper  à  la  main  de  Dieu.  Nous  vivons 
encore    ayant  reçu  cent  coups  mortels. 

Assurez-vous  que  je  ne  flatterai  en  rien  M et 

que  je  chercherai  même  à  aller  jusqu'au  fond.  Dieu 
fera  le  reste  par  vous.  Votre  patience  ,  votre  égalité  , 
votre  fidélité  à  n'agir  avec  lui  que  par  grâce  ,  sans 
prévenir ,  par  activité  ni  par  industrie ,  les  momens 
de  Dieu  ;  en  un  mot ,  la  mort  continuelle  à  vous- 
même  vous  mettra  en  état  de  faire  peu  à  peu  mourir 
ce  cher  fds  à  tout  ce  qui  vous  paraît  l'arrêter  dans 
la  voie  de  la  perfection.  Si  vous  êtes  bien  petite  et 
bien  dénuée  de  toute  sagesse  propre  ,  Dieu  vous  don- 
nera la  sienne  pour  vaincre  tous  les  obstacles. 

N'agissez  point  avec  lui  par  sagesse  précautionnée , 
mais  par  pure  foi  et  par  simple  aljandon.  Gardez  le 
silence,  pour  le  ramener  au  recueillement  et  à  la  fidé- 
lité ,  quand  vous  verrez  que  les  paroles  ne  seront 
pas  de  saison.  Souffiez  ce  que  vous  ne  pourrez  pas 
empêcher.  Espérez ,  comme  Abraham ,  contre  l'espé- 
rance ,  c'est-à-dire  attendez  en  paix  que  Dieu  fasse 
ce  qu'il  lui  j)laira  ,  lors  même  que  vous  ne  pourrez 
plus  espérer.  Une  telle  espérance  est  un  aljandon  -,  un 
tel  état  sera  votre  épreuve  très-douloureuse  et  l'œu- 
vre de  Dieu  en  lui.  Ne  lui  parlez  que  quand  vous 
aurez  au  cœur  de  le  faire ,  sans  écouter  la  prudence 


366  LETTRES    SPIRITUELLESi 

humaine.  Ne  lui  dites  que  deux  mots  de  grâce ,  sans 
y  mêler  rien  de  la  nature. 

179*.  (i8o) 

Dieu  proportionne  les  souffrances  et  réprcnve  aux  forces  qu"il  donne. 

Je  prends  toujours  grande  part  aux  souffrances  de 
votre  chère  malade  ,  et  aux  peines  de  ceux  cpre  Dieu 
a  mis  si  près  d'elle  pour  lui  aider  à  porter  sa  croix. 
Qu'elle  ne  se  défie  point  de  Dieu  ,  et  il  saura  mesurer 
ses  douleurs  avec  la  patience  qu'il  lui  donnera.  Il  n'y 
a  que  celui  qui  a  fait  les  cœurs  ^  et  qui  les  refait  par 
sa  grâce ,  qui  sache  ces  justes  proportions.  L'homme 
en  qui  il  les  oh  serve  les  ignore  ;  et  ne  connaissant  ni 
l'étendue  de  l'épreuve  future ,  ni  celle  du  don  de 
Dieu  préparé  pour  la  soutenir ,  il  est  dans  une  tenta- 
tion de  découragement  et  de  désespoir.  C'est  comme 
un  homme  qui  n'aurait  jamais  vu  la  mer  j  et  qui ,  étant 
sur  un  rivage  sans  pouvoir  fuir  à  cause  d'un  rocher 
escarpé  ,  s'imaginerait  que  la  mer ,  qui  ,  remontant , 
pousserait  ses  vagues  vers  lui ,  l'engloutirait  hientût. 
Il  ne  verrait  pas  qu'elle  doit  s'arrêter  à  une  certaine 
horne  précise  que  le  doigt  de  Dieu  lui  a  marquée, 
et  il  aurait  plus  de  peur  que  de  mal. 

Dieu  fait  de  l'épreuve  du  juste  comme  de  la  mer; 
il  l'enfle ,  il  la  grossit ,  il  nous  en  menace  ,  mais  il 
horne  la  tentation.  Fidelis  Deus  ,  qui  -non  patietur 
vos  tentari  supra  id  quod  potestis  (a).  Il  daigne  s'ap- 
peler lui-même  fidèle.  O  qu'elle  est  aimahle  cette  lidé- 

(rt)  /  Cor.  X.    i3. 


LETTRES    SPIRITUELLES*  367 

lilé  !  Dites-en  un  mot  à  votre  malade ,  et  dites-lui 
que  ,  sr.iis  regarder  plus  loin  que  le  jour  présent ,  elle 
laisse  i;nre  Dieu.  Souvent  ce  qui  paraît  le  plus  las- 
sant et  le  plus  terrible  ,  se  trouve  adouci.  L'excès 
vient,  non  de  Dieu,  qui  ne  donne  rien  de  trop, 
mais  de  notre  imagination,  qui  veut  percer  l'avenir, 
et  de  notre  amour-propre ,  qui  s'exagère  ce  qu  il 
souffre. 

Ceci  ne  sera  pas  inutile  à  N.... ,  qui  se  trouble  quel- 
(piefois  par  la  crainte  de  se  troubler  un  jour.  Tous 
les  momens  sont  également  dans  la  main  de  Dieu, 
celui  de  la  mort  comme  celui  de  la  vie.  D'une  pa- 
role il  commande  aux  vents  et  à  la  mer;  ils  lui  oljéissent 
et  se  calment.  Que  craignez-vous ,  ô  homme  de  peu 
de  foi  ?  Dieu  n'est-il  pas  encore  plus  puissant  que 
TOUS  n'êtes  faible  ? 

180  *.  (,8i) 

En  venir  enfin  à  la  pratique.  Simplicité  et  ses  effets. 

Vos  dispositions  sont  bonnes;  mais  il  faut  réduire 
à  une  pratique  constante  et  uniforme  tout  ce  qu'on 
a  en  spéculation  et  en  désir.  Il  est  vrai  qu'il  faut  avoir 
patience  avec  soi-même  comme  avec  autrui ,  et  qu'on 
ne  doit  ni  se  décourager  ni  s'impatienter  à  la  vue  de 
ses  fautes  :  mais  enfin  il  faut  se  corriger  ;  et  nous  en 
viendrons  à  bout ,  pourvu  que  nous  soyons  simples  et 
petits  dans  la  main  toute-puissante  qui  veut  nous 
façonner  à  sa  mode ,  qui  n'est  pas  la  nôtre.  Le  vrai 
moyen  de  couper  jusques  à  la  racine  du  mal  en 
vous ,  est  d'amortir  sans  cesse  votre  excessive  activité 


368  LETTRES    SPIRITUELLES. 

par  le  recueillement ,  et  de  laisser  tout  tomber  pour 
n'agir  qu'en  paix  et  par  pure  dépendance  de  la  grâce. 
Soyez  toujours  petit  à  l'égard  de  N ,  et  ne  lais- 
sez jamais  fermer  votre  cœur.  C'est  quand  on  sent 
qu'il  se   resserre  qu'il  faut  l'ouvrir.  La  tentation  de 

rejeter  le  remède  en  augmente  la  nécessité.  N a 

de  l'expérience  :  elle  vous  aime  ;  elle  vous  soutiendra 
dans  A  os  peines.  Chacun  a  son  ange  gardien  \  elle  sera 
le  vôtre  au  besoin  :  mais  il  faut  une  simplicité  entière. 
La  simplicité  ne  rend  pas  seulement  droit  et  sincère  , 
elle  rend  encore  ouvert  et  ingénu  jusqu'à  la  naïveté  ; 
elle  ne  rend  pas  seulement  naïf  et  ingénu  ,  elle  rend 
encore   confiant   et   docile. 

«     (188)  181  *. 

Suivre  Dieu  sans  égard  aux  sentiracns.  Avantages  des  croix ,  et  fruits 
qu'où  doit  tirer  de  ses  fautes. 

Je  m'en  tiens  à  ce  que  vous  dites ,  qui  est  que  vous 
résistez  sans  cesse  à  la  volonté  de  Dieu.  L'impression 
qu'il  vous  donne  est  d'être  occupée  de  lui  ;  mais  les 
réflexions  de  votre  amour-propre  ne  vous  occupent 
que  de  vous-même.  Puisque  vous  connaissez  que  vous 
seriez  plus  en  repos,  si  vous  ne  vouliez  pas  sans  cesse, 
par  vos  efforts ,  atteindre  à  une  oraison  élevée ,  et 
briller  dans  la  dévotion ,  pourquoi  ne  cherchez-vous 
pas  ce  repos  ?  Contentez-vous  de  suivre  Dieu  et  ne 
prétendez  pas  que  Dieu  suive  vos  goûts  pour  vous 
flatter.  Faites  l'oraison  comme  les  commençans  les 
plus  grossiers  et  les  plus  imparfaits ,  s'il  le  faut  :  ac- 
commodez-vous à  l'attrait  de  Dieu  et  à  votre  besoin. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  36c) 

11  est  vrai  qu'il  ne  faut  pas  se  troubler  quand  on  sent 
en  soi  les  goûts  corrompus  de  l'amour-propre.  Il  ne 
dépend  pas  de  nous  de  ne  les  sentir  point  ;  mais  il 
n'y  faut  donner  aucun  consentement  de  la  volonté  , 
et  laisser  tomber  ces  senlimens  involontaires  ,  en 
se  tournant  d'abord  simplement  vers  Dieu.  Moyen- 
nant cette  conduite^  il  faut  communier,  et  il  faut  même 
communier  pour  la  pouvoir  tenir.  Si  vous  attendiez 
à  communier  que  vous  fussiez  parfaite ,  vous  n'auriez 
jamais  ni  la  communion  ni  la  perfection  ;  car  on  ne 
devient  parfait  qu'en  communiant ,  et  il  faut  manger 
le  pain  descendu  du  ciel  pour  parvenir  peu  à  peu  à 
une  vie  toute  céleste. 

Pour  vos  croix ,  il  faut  les  prendre  comme  la  pé- 
nitence de  vos  pécliés ,  et  comme  l'exercice  de  mort 
à  vous-même  qui  vous  mènera  à  la  perfection.  0  que 
les  croix  sont  bonnes  !  0  que  nous  en  avons  besoin  ! 
Eh  !  que  ferions-nous  sans  croix  ?  nous  serions  livrés 
à  nous-mêmes ,  et  enivrés  d'amour-propre.  Il  faut 
des  croix  ,  et  même  des  fautes  ,  que  Dieu  permet  pour 
nous  humilier.  Il  faut  mettre  tout  à  profit ,  éviter  les 
fautes  dans  l'occasion ,  et  s'en  servir  pour  se  confon- 
dre dès  qu'elles  sont  faites.  Il  faut  porter  les  croix 
avec  foi ,  et  les  regarder  comme  des  remèdes  très- 
salutaires. 

Craignez  la  hauteur  ;  défiez- vous  de  ce  que  le 
monde  appelle  la  bonne  gloire  ;  elle  est  cent  fois  plus 
dangereuse  que  la  plus  sotte.  Le  plus  subtil  poison 
est  le  plus  mortel.  Soyez  douce,  patiente,  compa- 
tissante aux  faiblesses  d'autrui ,  incapable  de  toute 
moquerie  et  de  toute  critique.  La  charité  croit  tout 
le  bien  qu'elle  peut  croire  ,  et  supporte  tout  le  mal 

CoRREbP.    IV.  9 


3nO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

qu'elle  ne  peut  s'empêcher  de  voir  dans  le  prochain. 
Mais  ,  pour  être  ainsi  morte  au  monde  ,  il  faut  vivre 
à  Dieu  ;  et  cette  vie  intérieure  ne  se  puise  que  dans 
l'oraison.  Le  silence  et  la  présence  de  Dieu  sont  la 
nourriture  de  l'ame. 

182  *.  (X89) 

D'où  vient  la  diminution  des  consolations  et  du  recueillement.  Renoncer 
a  soi-même  et  aux  créatures. 

J'ai  reçu  votre  dernière  lettre.  Il  m'y  paraît  que 
Dieu  vous  fait  de  grandes  grâces ,  car  il  vous  éclaire 
et  poursuit  beaucoup;  c'est  à  vous  à  y  correspondre. 
Plus  il  donne ,  plus  il  demande  ;  et  plus  il  demande 
plus  il  €st  juste  de  lui  donner. 

Vous  voyez  qu'il  retire  ses  consolations  et  l'attrait 
du  recueillement ,  dès  que  vous  vous  laissez  aller  au 
goût  des  créatures  qui  vous  dissipent.  Jugez  par  là 
de  la  jalousie  de  Dieu  et  de  celle  que  vous  devez 
avoir  contre  vous-mêine ,  pour  n'être  plus  à  vous,  et 
pour  vous  livrer  toute  à  lui  sans  réserve. 

Vous  aviez  bien  raison  de  croire  que  le  renonce- 
ment à  soi-même ,  qui  est  demandé  dans  l'Evangile , 
consiste  dans  le  sacrifice  de  toutes  nos  pensées  et  de 
tous  les  mouvemens  de  notre  cœur.  Le  moi ,  auquel 
il  faut  renoncer ,  n'est  pas  un  je  ne  sais  quoi  ou  un 
fantôme  en  l'air  j  c'est  notre  entendement  qui  pensé , 
c'est  notre  volonté  qui  veut  à  sa  mode  par  amour- 
propre.  Pour  rétablir  le  véritable  ordre  de  Dieu  ,  il 
faut  renoncer  à  ce  moi  déréglé ,  en  ne  pensant  et  en 
ne  voulant  plus  que  selon  l'impression  de  l'esprit  de 
grâce. 


LETTRES   SPIRITUELLES.  ^l 

Voilà  l'état  où  Dieu  se  communique  familièrement. 
Dès  qu  on  sort  de  cet  état ,  on  résiste  à  l'esprit  de 
Dieu  ,  on  le  contriste  ,  et  on  se  rend  indigne  de  son 
connnerce.  C'est  par  miséricorde  que  Dieu  vous  re- 
bute ,  et  vous  fait  sentir  sa  privation  dès  que  vous 
vous  tournez  vers  les  créatures  :  c'est  qu'il  veut  vous 
reprocher  votre  faute  ,  et  vous  en  humilier ,  pour 
vous  en  corriger  et  pour  vous  rendre  plus  précau- 
lionnée.  Alors  il  faut  revenir  humblement  et  patiem- 
ment à  lui.  Ne  vous  dépitez  jamais,  c'est  votre  écueil; 
mais  comptez  que  le  silence,  le  recueillement,  la  sim- 
plicité ,  et  l'éloignement  du  monde  sont  pour  vous  ce 
que  la  mamelle  de   la  nourrice  est  pour  l'enfant. 

183  *.  (,96) 

Patience  envers  soi-même  et  envers  les  autres. 

Je  suis  véritablement  attristé  d'avoir  vu  hier  votre 
cœur  si  malade.  Il  me  semble  que  vous  devez  fair(^ 
également  deux  choses  :  l'une  est  de  ne  suivre  jamais 
volontairement  les  délicatesses  de  votre  amour-pro- 
pre ;  l'autre  est  de  ne  vous  décourager  jamais  en 
éi)rouvant  dans  votre  cœur  ces  dépits  si  déraisonna- 
bles. Voulez-vous  bien  faire  ?  demandez  à  Dieu  qu'il 
vous  rende  patiente  avec  les  autres  et  avec  vous- 
même.  Si  vous  n'aviez  que  les  autres  à  supporter ,  et 
si  vous  ne  trouviez  de  misères  qu'en  eux ,  vous  seriez 
violennnent  tentée  de  vous  croire  au-dessus  de  votre 
prochain.  Dieu  veut  vous  réduire,  par  une  expérience 
presque  continuelle  de  vos  défauts  ,  à  reconnaître 
combien  il   est  juste  de  supporter  doucement  ceux 

9* 


Z'JH  LETTRES    SPIRITUELLES. 

d'autrui.  Eh  !  que  serions-nous  ,  si  nous  ne  trouvions 
rien  à  supporter  en  nous  ;  puisque  nous  avons  tant 
de  peine  à  supporter  les  autres ,  lors  même  que  nous 
avons  besoin  d'un  continuel  support? 

Tournez  à  profit  toutes  vos  faiblesses  en  les  ac- 
ceptant ,  en  les  disant  avec  une  humble  ingénuité , 
et  en  vous  accoutumant  à  ne  compter  plus  sur  vous. 
Quand  vous  serez  bien  sans  ressource  ,  et  bien  dé- 
possédée de  vous-même  par  un  absolu  désespoir  de 
vos  propres  forces ,  Dieu  vous  apprendra  à  travailler 
dans  une  entière  dépendance  de  sa  grâce  pour  votre 
correction.  Ayez  patience  avec  vous-même  ;  rabais- 
sez-vous ;  rapetissez-vous  ;  demeurez  dans  la  boue 
de  vos  imperfections ,  non  pour  les  aimer  ni  pour 
négliger  leur  correction  ,  mais  pour  en  tirer  la  dé- 
fiance de  votre  cœur  et  l'humiliation  profonde,  comme 
on  tire  les  plus  grands  remèdes  des  poisons  mêmes. 
Dieu  ne  vous  fait  éprouver  ces  faiblesses ,  qu'afin  que 
vous  recouriez  plus  vivement  à  lui.  Il  vous  délivrera 
peu  à  peu  de  vous-même.  0  l'heureuse  délivrance  ! 

(198)  184  \ 

Se  supporter  soi-même  avec  patience. 

Vous  vous  réjouissez  par  jalousie  des  défauts  de 

M que  vous  supportez  le   plus  impatiemment  : 

vous  êtes  plus  choquée  de  ses  bonnes  qualités  que 
de  ses  défauts.  Tout  cela  est  bien  laid  et  bien  hon- 
teux. Voilà  ce  qui  sort  de  votre  cœur ,  tant  il  en  est 
plein  ;  voilà  ce  que  Dieu  vous  fait  sentir ,  pour  vous 
apprendre  à  vous  mépriser ,  et  à  ne  compter  jamais 


LETTRES   SPIRITUELLES.  Z'j3 

sur  la  bonté  de  votre  cœur.  Votre  amour-propre  est 
au  désespoir  quand ,  d'un  côté  ,  vous  sentez  au  dedans 
de  vous  une  jalousie  si  vive  et  si  indigne  ,  et  quand  , 
d'un  autre  côté  ,  vous  ne  sentez  que  distraction  ,  que 
sécheresse  ,  qu'ennui ,  que  dégoût  pour  Dieu.  Mais 
l'œuvre  de  Dieu  ne  se  fait  en  nous  qu'en  nous  dé- 
possédant de  nous-mêmes ,  à  force  d'ôter  toute  res- 
source de  confiance  et  de  complaisance  à  l'amour- 
propre.  Vous  voudriez  vous  sentir  bonne  j  droite  ,  forte 
et  incapable  de  tout  mal.  Si  vous  vous  trouviez  ainsi , 
vous  seriez  d'autant  plus  mal  que  vous  vous  croiriez 
assurée  d'être  bien.  Il  faut  se  voir  pauvre ,  se  sentir 
corrompue  et  injuste ,  ne  trouver  en  soi  que  misère  , 
en  avoir  horreur ,  désespérer  de  soi ,  n'espérer  plus 
qu'en  Dieu,  et  se  supporter  soi-même  avec  une  hum- 
ble patience  sans  se  flatter.  Au  reste,  comme  ces  choses 
ne  sont  que  des  sentimens  involontaires  ,  il  suffit  que 
la  volonté  n'y  consente  point.  Par  là  vous  en  tire- 
rez le  profit  de  l'humiliation  ,  sans  avoir  l'infidélité 
d'adhérer  à  des  sentimens  si  corrompus. 

Ne  cessez  point  de  communier  :  la  communion  est 
le  remède  à  la  faiblesse  des  âmes  tentées  qui  veulent 
vivre  de  Jésus-Christ  malgré  tous  les  soulèvemens  de 
leur  amour-propre.  Communiez ,  et  travaillez  à  vous 
corriger.  Vivez  de  Jésus-Christ  et  vivez  pour  lui. 
Le  point  le  plus  capital  pour  vous  n'est  point  la  force  , 
c'est  la  petitesse.  Laissez-vous  donc  apetisser  ;  ne  ré- 
servez rien  par  courage  et  par  sagesse  humaine. 
Soyez  docile ,  sans  écouter  votre  propre  raison.  Ap- 
prenez à  supporter  autrui  à  force  d'être  réduite  à  vous 
supporter  vous-même.  Vous  pensiez  vous  posséder  ; 
mais  l'expérience  vous  montrera  que  c'est  un  amour- 


3n4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

propre  ombrageux ,  dépiteux  et  bizarre  qui  vous  pos- 
sède. J'espère  que ,  dans  la  suite ,  vous  ne  songerez 
plus  à  vous  posséder  vous-même ,  et  que  vous  vous 
laisserez  posséder  de  Dieu. 


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185  *.  (20a) 

Ne  point  résister  à  l'attrait  intérieur,  acquiescer,  et  attendre  tout  de  Dieu. 

Vous  voyez  à  la  lumière  de  Dieu ,  au  fond  de  votre 
conscience  ,  ce  que  la  grâce  demande  de  vous  ;  mais 
vous  résistez  à  Dieu  :  de  là  vient  votre  trouble.  Vous 
commencez  par  dire  en  vous-même  :  Il  est  impossible 
que  je  prenne  sur  moi  de  faire  ce  qu'on  veut.  C'est 
une  tentation  de  désespoir.  Désespérez  de  vous  tant 
qu'il  vous  plaira ,  mais  non  pas  de  Dieu.  Il  est  tout 
bon  et  tout-puissant  :  il  vous  donnera  suivant  la  me- 
sure de  votre  foi.  Si  vous  croyez  tout ,  tout  vous  sera 
donné ,  et  vous  transporterez  les  montagnes.  Si  vous 
ne  croyez  rien,  rien  ne  vous  sera  donné;  mais  ce  sera 
votre  faute.  Regardez  Abraham  ,  qui  espéra  contre 
toute  règle  d'espérance.  Ecoutez  la  Sainte-Vierge ,  on 
lui  propose  ce  qu'il  y  a  de  plus  incroyable ,  et  sans 
hésiter  elle  s'écrie  (a)  :  Qu'il  me  soit  fait  selon  votre 
parole  ! 

Ne  fermez  donc  pas  votre  cœur.  Non-seulement 
vous  ne  pouvez  point  faire  ce  qu'on  vous  demande, 
tant  votre  cœur  est  resserré ,  mais  encore  vous  ne 
voulez  pas  le  pouvoir  ;  vous  ne  voulez  pas  laisser  élar- 
gir votre  cœur ,  et  vous  craignez  qu'on  ne  l'élargisse. 

(a)  Luc»  X.  38. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  S^S 

Comment  voulez-vous  que  la  grâce  entre  dans  un 
cœur  si  bouché  contre  elle  ?  Tout  ce  que  je  vous 
demande  est  d'acquiescer  j)ar  docilité  en  esprit  de  foi, 
et  de  ne  vous  point  écouter  vous-même.  Pourvu  que 
vous  acquiesciez  avec  petitesse  ,  et  que  vous  rentriez 
dans  la  paix  par  le  recueillement ,  tout  se  fera  peu 
à  peu  en  vous  ,  et  ce  qui  vous  paraît  impossible  dans 
votre  état  de  tentation ,  s'aplanira  insensiblement. 
Alors  vous  direz  :  Quoi  !  n'était-ce  que  cela  ?  Fal- 
lait-il tant  de  dépits  et  de  désespoir  pour  une  chose 
si  juste  que  Dieu  prépare  et  facilite  par  son  amour? 
Craignez  qu'en  lui  résistant  vous  ne  vous  éloigniez 
de  lui.  Toute  votre  piété  ne  serait  qu'illusion ,  si  vous 
manquiez  à  ce  point  essentiel.  Il  n'y  aurait  plus  en 
vous  que  délicatesse  ,  hauteur  et  art  pour  flatter  vos 
goûts.  Je  prie  Dieu  qu'il  ne  permette  pas  que  vous 
preniez  ainsi  le  change. 

Je  suis  occupé  de  vos  peines.  Je  suis  encore  plus 
touché  de  ce  qui  se  tourne  en  tentation  et  en  dan- 
ger de  résister  à  Dieu ,  que  des  croix  les  plus  pesantes. 
Les  croix  qu'on  porte  en  pure  souiTrance  y  avec  pe- 
titesse ,  simplicité ,  démission  de  son  propre  esprit  et 
abandon ,  unissent  à  Jésus-Christ  crucifié ,  et  elles 
opèrent  des  biens  infinis;  mais  les  croix  repoussées  par 
attachement  à  sa  propre  pensée,  et  par  retranchement 
dans  sa  propre  volonté ,  éloignent  de  Jésus-Christ , 
dessèchent  le  cœur ,  et  font  insensiblement  tarir  la 
grâce.  Au  nom  de  Dieu  ,  cédez  par  petitesse ,  et  di- 
tes ,  sans  compter  sur  vous ,  qui  n'êtes  qu'un  roseau 
brisé  :  Rien  n'est  impossible  à  celui  qui  est  tout  bon  et 
tout-puissa7if.  Dieu  ne  demande  de  vous  qu'un  oui  en 
pure  foi.  Consolez-moi  en  me  mandant  que  ce   oui 


3n6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

est  prononcé  au  fond  de  votre  cœur.  Vous  me  ferez 
sentir  une  vraie  joie  dans  ma  tristesse. 

186  ♦.  (208) 

Moyen  de  trouver  la  paix  au  milieu  des  croix. 

Il  y  a  partout  à  souffrir,  et  les  peines  d'une  com- 
munauté, quoique  vives,  si  on  les  comparait  aux  pei- 
nes des  personnes  engagées  dans  le  siècle,  ne  seraient 
presque  rien  ;  mais  on  s'échauffe  la  tête  dans  la  so- 
litude ,  et  les  croix  de  paille  y  deviennent  des  croix 
de  fer  ou  de  plomb.  Le  remède  à  un  si  grand  mal , 
c'est  de  ne  compter  point  de  pouvoir  être  heureux 
en  aucun  état  de  cette  vie,  et  de  se  borner  à  la  paix 
qui  vient  de  la  conformité  à  la  volonté  divine,  lors 
même  qu'elle  nous  crucifie.  Par  là  on  ne  trouve  jamais 
de  mécompte  ;  et  si  la  nature  n'est  pas  contente ,  du 
moins  la  foi  se  soutient  et  s'endurcit  contre  la  nature. 

Si  vous  aviez  le  courage  de  vous  abandonner  ainsi, 
et  de  sacrifier  vos  irrésolutions,  vous  auriez  plus  de 
paix  en  un  jour  que  vous  n'en  goûteriez  autrement 
en  toute  votre  vie.  Moins  on  se  cherche ,  plus  on 
trouve  en  Dieu  tout  ce  qu'on  a  bien  voulu  perdre. 
Une  occupation  douce  et  réglée  vous  garantira  de  l'en- 
nui. Dieu  vous  adoucira  les  dégoûts  inévitables  dans 
tous  les  états.  Il  vous  fera  supporter  les  esprits  incom- 
modes ,  et  vous  soutiendra  par  lui-même  quand  il 
vous  ôtera  les  autres  soutiens.  Mais  ne  comptez  que 
sur  lui  ,  si  vous  ne  \oulez  point  vous  mécompter. 

Pendant  votre  retraite,  nourrissez- vous  de  la  viande 
de  Jésus-Christ ,  qui  est  la  volonté  du  Père  céleste. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3^7 

Vous  trouverez ,  en  vous  abandonnant  aux  desseins 
de  Dieu  ,  tout  ce  que  votre  sagesse  inquiète  et  irré- 
solue ne  trouverait  jamais.  Ne  craignez  point  de  man- 
quer de  consolation  en  vous  jetant  entre  les  bras  du 
vrai  consolateur. 


(a,5)  187   * 

Contre  les  vaines  délicatesses  ileramour-propre,  et  contre  les  prévoyances 
inquiètes  de  l'avenir. 

Je  ne  m'étonne  pas  que  Dieu  vous  épargne  :  vous 
êtes  trop  faible  pour  être  moins  ménagé.  Je  vous  avais 
bien  dit  qu'il  ne  vous  ferait  pas  l'honneur  de  vous 
traiter  si  rudement  que  vous  le  craignez.  Ce  ne  sera 
pas  un  grand  malheur  quand  vous  direz  quelque  mot 
un  peu  vieux ,  et  que  deux  ou  trois  personnes  croi- 
l'ont  que  vous  n'êtes  pas  un  parfait  modèle  pour  la 
pureté  du  langage.  Ce  qui  irait  à  des  imprudences 
contre  le  secret ,  contre  la  charité  ,  contre  l'édilica- 
tion ,  ne  doit  jamais  être  permis  :  ce  qui  irait  contre 
le  sens  commun  serait  trop  fort.  Si  vous  vous  sentiez 
vivement  pressé  de  ce  côté-là ,  il  faudrait  m'avertir , 
et  cependant  suspendre  ;  mais ,  pour  les  choses  qui 
ne  vont  qu'à  la  politesse,  ou  qu'à  certaines  délica- 
tesses de  bienséance ,  je  crois  que  vous  devez  vous 
livrer  à  l'esprit  de  simplicité  et  d'humiliation.  Rien 
ne  vous  est  si  nécessaire  que  de  mourir  à  vos  ré- 
flexions ,  à  vos  goûts,  à  vos  vaines  sensibilités  sur  ces 
bagatelles.  Plus  vous  craignez  de  les  sacrifier  ,  plus 
le  sacrillce  en  est  nécessaire.  Cette  sensibilité  est  une 
marque  d'une  vie  très-forte ,  qu'il  faut  arracher  ;  mais 


378  LETTRES    SPIRITUELLES. 

n'iiésitez  point  avec  Dieu  :  vous  voyez  qu'il  ne  de- 
mande que  ce  que  vous  êtes  convaincu  vous-même 
qu'il  doit  demander  pour  détruire  votre  orgueil. 

N'envisagez  point  l'avenir ,  car  on  s'y  égare  et  on 
s'y  perd  quand  on  le  regarde.  Ne  cherchez  point  à 
deviner  jusqu'où  Dieu  vous  poussera  si  vous  lui  cé- 
dez toujours  sans  résistance.  Ce  n'est  point  par  des 
endroits  prévus  qu'il  nous  prend ,  la  prévoyance 
adoucirait  le  coup  ;  c'est  par  des  choses  que  nous  n'au- 
rions jamais  crues ,  et  que  nous  aurions  comptées 
pour  rien  :  souvent  celles  dont  nous  nous  faisons  des 
fantômes  s'évanouissent  ;  ainsi  nos  prévoyances  ne 
servent  qu'à  nous  inquiéter.  Obéissez  chaque  jour; 
l'obéissance  de  chaque  jour  est  le  véritable  pain  quo- 
tidien. Nous  sommes  nourris  comme  Jésus-Christ 
de  la  volonté  de  son  Père  ,  que  la  Providence  nous 
apporte  dans  le  moment  présent.  Ce  pain  céleste  est 
encore  la  manne  ;  on  ne  pouvait  en  faire  provision  ; 
l'homme  inquiet  et  défiant  qui  en  prenait  pour  le 
lendemain  la  voyait  aussitôt  se  corrompre. 

Ployez-vous  à  tout  ce  que  l'on  veut.  Soyez  souple 
et  petit ,  sans  raisonner  ,  sans  vous  écouter  vous-même , 
prêt  à  tout  et  ne  tenant  à  rien  ;  haut ,  bas  ;  aimé , 
haï  ;  loué  ,  contredit  j  employé  ,  inutile  ;  ayant  la  con- 
fiance ,  ou  l'envie  et  le  soupçon  des  gens  avec  qui 
vous  vivez.  Pourvu  que  vous  n'ayez  ni  hauteur  ,  ni 
sagesse  propre  ,  ni  volonté  propre  sur  aucune  chose  , 
tout  ira  bien.  En  voilà  beaucoup ,  mais  ce  n'est  pas 
trop.  Soyez  en  silence  le  plus  que  vous  pourrez. 
Nourrissez  votre  cœur ,  et  faites  jeûner  votre  esprit. 

Personne  n'entre  plus  sincèrement  que  moi  dans 
vos  vrais  intérêts ,  et  ne  souhaite  plus  que  vous  soyez 


LETTRES    SPIRITUELLES.  Z'JQ 

détaclié  de  tout  ce  qui  n'est  point  Dieu.  Heureux 
qui  a  rompu  avec  soi ,  qui  n'est  plus  de  ses  pro- 
pres amis  !  On  n'est  Cdèle  à  I)ie.u  qu'autant  qu'on  se 
manque  à  soi-même  par  le  sacrilice  de  tout  ce  que  la 
nature  recherche.  Paix ,  silence  ,  simplicité  ,  joie  en 
Dieu ,  et  non  dans  les  créatures ,  souplesse  à  tout 
dans  les  mains  de  Dieu. 

188  *.  (aai) 

Sur  ce  qui  donne  la  paix  ,  et  dans  quelle  disposition  on  doit  se  tenir 
sur  les  sacrifices  que  Dieu  exige. 

Vous  voudriez  être  parfaite  ,  et  vous  voir  telle , 
moyennant  quoi  vous  seriez  en  paix.  La  véritable 
paix  de  cette  vie  doit  être  dans  la  vue  de  ses  imper- 
fections ,  non  flattées  et  tolérées ,  mais  au  contraire 
condamnées  dans  toute  leur  étendue.  On  porte  en 
paix  riiumdiation  de  ses  misères ,  parce  qu'on  ne 
tient  plus  à  soi  par  amour-propre.  On  est  fâché  de 
ses  fautes  plus  que  de  celles  d'un  autre ,  non  parce 
qu'elles  sont  siennes  ,  et  qu'on  y  prend  un  intérêt  de 
propriété  ,  mais  parce  que  c'est  à  nous  à  nous  corri- 
ger ,  à  nous  vaincre ,  à  nous  désapproprier  ^  à  nous 
anéantir  pour  accomplir  la  volonté  de  Dieu  à  nos 
dépens.  Le  tempérament  convenable  à  votre  besoin 
est  de  vous  rendre  attentive  et  fidèle  à  toutes  les 
vues  intérieures  de  vos  imperfections  qui  vous  vien- 
nent par  le  fond,  et  de  n'écouter  jamais  volontaire- 
ment les  raisonnemens  inquiets  et  timides  qui  vous 
rejeteraient  dans  le  trouble  de  vos  anciens  scrupules. 
Ce  qui  se  présente  à  l'ame  d'une  manière  simple  et 


38o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

paisible  est  lumière  de  Dieu  pour  la  corriger  ;  ce 
qui  vous  vient  par  raisonnement  et  par  inquiétude 
est  un  effet  de  votre  naturel ,  qu'il  faut  laisser  tomber 
peu  à  peu  en  se  tournant  vers  Dieu  avec  amour. 

Il  ne  faut  non  plus  se  troubler  par  la  prévoyance 
de  l'avenir ,  que  par  les  réflexions  sur  le  passé.  Quand 
il  vous  vient  un  doute  que  vous  pouvez  consulter  , 
faites-le  :  hors  de  là  ,  n'y  songez  que  quand  l'occasion 
se  présente.  Alors  donnez-vous  à  Dieu  ,  et  faites  bon- 
nement le  mieux  que  vous  pourrez  selon  la  lumière 
du  moment  présent. 

Quand  les  occasions  de  sacrifice  sont  passées ,  n'y 
songez  plus.  Si  elles  reviennent ,  ne  faites  rien  par  le 
souvenir  du  moment  passé  :  agissez  par  la  pente  ac- 
tuelle du  cœur.  Pour  les  sacrifices  que  vous  prévoyez  , 
Dieu  vous  les  montre  de  loin  pour  vous  les  faire 
accepter.  Quand  l'acceptation  est  faite ,  tout  est  con- 
sommé pour  ce  moment.  Si  l'occasion  réelle  vient 
dans  la  suite,  il  faudra  s'y  déterminer,  non  par  l'ac- 
ceptation déjà  faite  par  avance ,  mais  suivant  l'im- 
pression présente. 


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(233) 


189 


Fidélité  à  laisser  tomber  tout  ce  qui  trouble  le  silence  intérieur. 
Indulgence  pour  les  défauts  d'aulrui. 

Vous  voulez  bien ,  monsieur ,  que  je  vous  demande 
de  vos  nouvelles  et  de  celles  de  tout  ce  qui  vous 
touche  le  plus.  Etes-vous  simple  et  uni  en  tout  ?  L'ex- 
térieur est-il  aussi  abandonné  à  Dieu  que  l'intérieur  ? 
Etes-vous  dans  un  recueillement  sans  activité ,  qui 
consiste  dans  la  fidélité  à  la  grâce ,  pour  laisser  tom- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  38 1 

ber  ce  qui  vient  de  la  nature  et  qui  trouble  le  silence 
du  fond ,  faute  de  quoi  on  ne  peut  point  écouter 
Dieu? 

N est  véritablement  bon,  quoiqu'il  ait  ses  dé- 
fauts ;  mais  qui  est-ce  qui  n'en  a  pas  ?  Et  que  serait-ce  , 
si  nous  n'en  avions  pas ,  puisque ,  étant  accablés  des 
nôtres ,  que  nous  ne  corrigeons  point ,  nous  sommes 
néanmoins  si  délicats  et  si  impatiens  contre  ceux  du 
prochain  ?  Rien  ne  peut  nous  rendre  indulgens ,  puis- 
que notre  propre  misère  incorrigible  ne  modère  point 
la  sévérité  de  notre  critique  contre  les  autres.  Nous 
faisons  plus  pour  les  autres  en  nous  corrigeant ,  qu'en 
voulant  les  corriger.  Demeurez  en  paix  ,  monsieur  ; 
laissez  tout  écouler ,  comme  l'eau  sous  les  ponts. 
Demeurez  dans  le  secret  de  Dieu  ,  qui  ne  s'écoule 
jamais. 


190  *.  (340 

Bonheur  des  souffrances.  L'amour  les  adoucit  toutes. 

J'apprends  que  Dieu  vous  donne  des  croix  ,  et 
j'y  prends  part  de  tout  mon  cœur.  En  tout  temps  , 
j'ai  été  sensible  à  tout  ce  qui  pouvait  vous  toucher  ; 
mais  l'expérience  ajoute  encore  un  nouveau  degré 
de  sensibilité  en  moi  pour  les  souffrances  d'autrui. 
Heureux  qui  souffre  !  Je  le  dis  au  milieu  de  l'occasion 
même ,  et  pour  vous  et  pour  moi  :  heureux  qui  souffre 
d'un  cœur  doux  et  humble  !  Ce  qui  est  le  bon  plaisir 
de  Dieu  ne  va  jamais  trop  loin.  Si  nous  étions  maî- 
tres de  nos  soufiVances ,  nous  ne  souffririons  jamais 
assez  pour  mourir  à   nous-mêmes.  Dieu ,  qui  nous 


382  LETTRES    SPIRITUELLES. 

connaît  mieux  que  nous  ne  pouvons  nous  connaître  , . 
et  qui  nous  aime  infiniment  plus  que  nous  ne  pouvons 
nous  aimer,  en  sait  la  juste  mesure,  et  ne  permettra  pas 
que  vous  soyez  tenté  au-dessus  de  vos  forces.  L'amour 
adoucit  toutes  les  souffrances  ,  et  l'on  ne  souffre  tant 
que  parce  qu'on  n'aime  point ,  ou  qu'on  aime  peu. 
Dieu  vous  veut  donc  à  lui ,  et  ce  n'est  que  sur  la 
croix  qu'il  prend  sa  pleine  possession.  Je  garde  main- 
tenant le  silence  à  l'égard  de  tous  mes  anciens  amis , 
et  je  ne  le  romps  pour  vous  ,  monsieur ,  qu'à  cause 
que  vous  êtes  dans  l'amertume  ,  et  que  cette  bien- 
heureuse société  de  croix  demande  un  épanchement 
de   cœur  pour  se  soutenir  dans   l'affliction. 

(243)  191  *. 

Sur  les  grâces  reçues  ,  le  recueillement  habituel ,  et  l'abandon  à  Dieu. 

18  août  1714- 

Il  n'y  a  point  d'ame  qui  ne  dût  être  convain- 
cue qu'elle  a  reçu  des  grâces  pour  la  convertir  et 
la  sanctifier  ,  si  elle  repassait  dans  son  cœur  toutes 
les  miséricordes  qu'elle  a  reçues.  Il  n'y  a  qu'à  admi- 
rer et  à  louer  Dieu,  en  se  méprisant  et  se  confondant 
soi-même.  Il  faut  conclure  de  ces  grandes  grâces  re- 
çues ,  que  Dieu  est  infineraent  libéral ,  et  que  nous 
lui  sommes  horriblement  infidèles. 

Il  faut  éviter  la  dissipation ,  non  par  une  conti- 
nuelle contention  d'esprit ,  qui  casserait  la  tête  et  qui 
en  userait  les  ressorts  ,  mais  par  deux  moyens  simples 
et  paisibles.  L'un  est  de  retrancher  dans  les  amuse- 
mens  journaliers  toutes  les  sources  de  dissipation  qui 


LETTRES    SPIRITUEF.LES.  383 

ne  sont  pas  nécessaires  pour  relâcher  Fesprit  à  pro- 
portion du  vrai  besoin  -,  l'autre  est  de  revenir  douce- 
ment et  avec  patience  à  la  présence  de  Dieu  toutes 
les  fois  qu'on  s'aperçoit  de  l'avoir  perdue. 

U  n'est  point  nécessaire  de  mettre  toujours  en  acte 
formel  et  réfléchi  tous  les  exercices  de  piété.  Il  suffit 
d'y  avoir  attention  habituelle  et  générale  ,  avec  l'in- 
tention droite  et  sincère  de  suivre  la  fin  qu'on  doit 
s'v  proposer.  Les  distractions  véritalilement  involon- 
taires ne  nuisent  point  à  la  volonté  qui  ne  veut  y 
a\  oir  aucune  part.  C'est  la  tendance  réelle  de  la  vo- 
lonté qui  fait  l'essentiel. 

Conservez  sans  scrupule  la  paix  simple  que  vous 
trouvez  dans  votre  droiture  en  cherchant  Dieu  seul. 
L'amour  de  Dieu  donne  une  paix  sans  présomption  : 
l'amour-propre  donne  un  trouble  sans  fruit.  Faites 
chaque  chose  le  moins  mal  que  vous  pourrez  pour 
le  bien-aimé.  Voyez  ce  qui  vous  manque  ,  sans  vous 
flatter  ni  décourager  •,  puis  abandonnez-vous  à  Dieu , 
travaillant  de  bonne  foi  sans  trouble  à  vous  corriser. 

Plus  VOUS  serez  vide  de  vos  propres  biens  et  de 
vos  ressources  humaines  ,  plus  vous  trouverez  une 
lumière  et  une  force  intime  qui  vous  soutiendiX)nt 
au  besoin,  en  vous  laissant  toujours  sentir  votre  fai- 
blesse ,  comme  si  vous  alliez  tomber  à  chaque  pas. 
Mais  n'attendez  point  ce  secours  comme  un  bien  qui 
vous  soit  dû.  Vous  mériteriez  de  le  perdre  ,  si  vous 
présumiez  de  l'avoir  mérité.  Il  faut  se  croire  indigne 
de  tout ,  et  se  jeter  humblement  entre  les  bras  de 
Dieu. 

Quand  c'est  l'amour  qui  vous  attire  ,  laissez-vous  à 
l'amour  :  mais  ne  comptez  point  sur  ce  qu'il  peut  y 


384  LETTRES   SPIRITUELLES. 

avoir  de  sensible  dans  cet  attrait ,  pour  vous  en  faire 
un  appui  flatteur  ;  ce  serait  tourner  le  don  de  Dieu 
en  illusion.  Le  vrai  amour  n'est  pas  toujours  celui 
qu'on  sent  et  qui  charme  ;  c'est  celui  qui  humilie , 
qui  détache  ,  qui  apetisse  l'ame ,  qui  la  rend  simple  , 
docile ,  patiente  sous  la  croix ,  et  prête  à  se  laisser 
corriger. 

Je  vous  suis  très-sincèrement  dévoué  en  Notre- 
Seigneur. 

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192  t 

Sur  la  vie  de  foi ,  le  détachement ,  et  la  paix  intérieure. 

16  octobre  t7i4- 

Je  reviens  d'un  assez  long  voyage  pour  des  visites. 
J'ai  trouvé  votre  lettre  du  3o  août ,  à  laquelle  je 
réponds. 

i»  Marchez  dans  les  ténèbres  de  la  foi  et  dans  la 
simplicité  é vangélique ,  sans  vous  arrêter ,  ni  au  goût , 
ni  au  sentiment,  ni  aux  lumières  de  la  raison,  ni  aux 
dons  extraordinaires.  Contentez-vous  de  croire ,  d'o- 
béir ,  de  mourir  à  vous-même ,  selon  l'état  de  vie  où 
Dieu  vous  a   mis. 

2°  Vous  ne  devez  point  vous  décourager  pour  vos 
distractions  involontaires  qui  ne  viennent  que  de  vi- 
vacité d'imagination ,  et  d'habitude  de  penser  à  vos 

(t)  Cette  lettre  et  la  précédente  ont  été  publiées  en  17 18,  dans 
la  troisième  édition  des  Prières  à  V usage  des  fidèles ,  qui  font 
partie  du  Manuel  de  piété ,  qui  se  trouve  au  tome  XVIII  àcs 
OEuvres.  Celle-ci  a  été  omise  dans  les  diverses  éditions  des  Lettres 
spirituelles. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  385 

airaires.  Il  sullit  que  vous  ne  donniez  point  lieu  à  ces 
distractions  (|ui  arrivent  pendant  l'oraison ,  en  "\  ous 
donnant  une  dissipation  volontaire  pendant  la  jour- 
née. On  s'épanche  trop  quelfpielbis  ;  on  fait  même 
de  bonnes  œuvres  avec  trop  d'empressement  et  d'ac- 
tivité -,  on  suit  trop  ses  goûts  et  ses  consolations  : 
Dieu  en  piuiit  dans  l'oraison.  Il  faut  s'accoutumer  à 
agir  en  paix,  et  avec  une  continuelle  dépendance  de 
l'esprit  <le  grâce ,  qui  est  un  esprit  de  mort  à  toutes 
les  œuNres  les   plus  secrètes  de  l'amour-propre 

3"  L'intention  habituelle ,  qui  est  la  tendance  du 
fond  vers  Dieu  ,  suffit.  C'est  marcher  en  la  présence 
de  Dieu.  Les  événemens  ne  vous  trouveraient  pas 
dans  cette  situation  ,  si  vous  n'y  étiez  point.  De- 
meurez-y en  paix,  et  ne  perdez  point  ce  que  vous 
avez  chez  vous  ,  pour  courir  au  loin  après  ce  que 
vous  ne  trouveriez  point.  J'ajoute  qu'il  ne  faut  ja- 
mais négliger,  par  dissipation,  d'avoir  une  intentipn 
plus  distincte  :  mais  l'intention  qui  n'est  pas  distincte 
et  développée  est  bonne. 

4**  La  paix  du  cœur  est  un  bon  signe  ,  quand  on 
veut  d'ailleurs  de  bonne  foi  obéir  à  Dieu  par  amour , 
avec  jalousie  contre  l'amour-propre. 

5°  Profitez  de  vos  imperfections  pour  vous  déta- 
cher de  vous-même  ,  et  pour  vous  attaclier  à  Dieu 
seul.  Travaillez  à  acquérir  les  vertus ,  non  pour  y 
chercher  une  dangereuse  complaisance ,  mais  pour 
faire  la  volonté   du  bien-aiiné. 

6'^  Demeurez  dans  votre  simplicité  ,  retranchant 
les  retoLiis  inquiets  sur  vous-même  ,  que  l'amour- 
propre  fournit  sans  cesse  sous  de  beaux  prétextes. 
Us  ne  feraient  que  troubler  votre  paix  ,  et  que  vous 

CORRESP.     IV.  lO 


386  LETTRES   SPIRITUELLES. 

tendre  des  pièges.  Quand  on  mène  une  vie  recueillie, 
mortifiée,  et  de  dépendance  ,  par  le  vrai  désir  d'ai- 
mer Dieu  ,  la  délicatesse  de  cet  amour  reproche  in- 
térieurement tout  ce  qui  le  blesse  ;  il  faut  s'arrêter 
tout  court  dès  qu'on  sent  cette  blessure  et  ce  repro- 
che au  cœur.  Encore  une  fois,  demeurez  en  paix.  Je 
prie  Dieu  tous  les  jours  à  l'autel ,  qu'il  vous  main- 
tienne en  union  avec  lui ,  et  dans  la  joie  de  son 
Saint-Esprit. 

Je  vous  suis  dévoué  avec  un  vrai  zèle. 


!«%%%%«  V*%%%A'%»*<V%»^*%*/»**^%»*^fc^»***V»'»»*^^^^V»%^A*»%  *»%>%%%< 


193. 

Avis  sur  la  conduite  des  domestiques  (i). 

Un  cavalier  qui  gourmande  la  bouche  de  son  cheval 
en  fait  bientôt  Une  rosse.  Au  contraire  ,  on  élève  l'es- 
prit et  le  cœur  de  ses  gens ,  en  ne  leur  montrant 
jamais  que  de  la  politesse  et  de  la  dignité ,  avec  des 
inclinations  bienfaisantes.  Si  on  n'est  pas  en  état  de 
donner  ^  il  faut  au  moins  faire  sentir  qu'on  en  a  du 
regret.  De  plus,  il  faut  donner  à  chacun  dans  sa  fonc- 
tion l'autorité  qui  lui  est  nécessaire  sur  ses  inférieurs  ; 
car  rien  ne  va  d'un  train  réglé  ,  que  par  la  subor- 
dination à  laquelle  il  faut  sacrifier  bien  des  choses. 
Quoique  vous  aperceviez  les  défauts  d'un  domestique , 
gardez- vous  bien  de  vous  en  rebuter  d'abord.  Faites 
compensation  du  bien  et  du  mal  :  croyez  qu'on  est  fort 
heureux,  si  on  trouve  les  qualités  essentielles.  Jugez 

(i)  Nous  ignorons  à  qui  ce  fragment  de  lettre  e'tait  adressé. 
Nous  l'avons  trouvé,  aussi  bien  que  le  suivant,  parpii  les  lettres 
de  Fcnelon  à  la  Duchesse  de  Mortemart. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^8'] 

de  ce  domeslique  par  comparaison  à  tant  d'autres 
plus  imparfaits  ;  songez  aux  moyens  de  le  corriger  de 
certains  défauts  ,  qui  ne  viennent  peut-être  que  de 
mauvaise  éducation.  Pour  les  défauts  du  fond  du 
naturel  ,  n'espérez  pas  de  les  guérir  ;  bornez-vous 
à  les  adoucir ,  et  à  les  supporter  patiemment.  Quand 
vous  voudrez,  malgré  l'expérience,  corriger  un  do- 
mestique de  certains  défauts  qui  sont  jusque  dans 
la  moelle  de  ses  os  ,  ce  ne  sera  pas  lui  qui  aura  tort 
de  ne  s'être  point  corrigé  ,  ce  sera  vous  qui  aurez 
tort  d'entreprendre  encore*sa  correction.  Ne  leur  dites 
jamais  plusieurs  de  leurs  défauts  à  la  fois;  vous  les 
instruiriez  peu,  et  les  décourageriez  beaucoup  :  il  ne 
faut  les  leur  montrer  que  peu  à  peu ,  et  à  mesure 
qu'ils  vous  montrent  assez  de  courage  pour  en  sup- 
porter utilement  la  vue. 

Parlez-leur ,  non^-seulement  pour  leur  donner  vos 
ordres  ,  mais  encore  pour  trois  autres  choses,  i"*  pour 
entrer  avec  affection  dans  leurs  affaires  ;  2°  pour  les 
avertir  de  leurs  défauts  tranquillement  -,  3»  pour  leur 
dire  ce  qu'ils  ont  bien  fait  ;  car  il  ne  faut  pas  qu'ils' 
puissent  s'imaginer  qu'on  n'est  sensible  qu'à  ce  qu'ils 
font  mal ,  et  qu'on  ne  leur  tient  aucun  compte  de  ce 
qu'ils  ont  bien  fait.  Il  faut  les  encourager  par  une 
modeste ,  mais  cordiale  louange.  Quelques  défauts 
qu'ait  un  domestique,  tant  que  vous  le  gaixlez  à  votre 
service  ,  il  faut  le  bien  traiter.  S'il  est  même  d'un 
certain  rang  entre  les  autres,  il  faut  que  les  autres 
soient  que  vous  lui  parlez  avec  considération  :  au- 
trement vous  le  dégraderiez  parmi  les  autres  ;  vous 
le  rendriez  inutile  dans  sa  fonction;  vous  lui  donneriez 
des  chagrins  horribles ,   et  il  sortirait  peut-être  enfin 

lO* 


388  LETTRES    SPIRITL  ELLES. 

de  chez  vous ,  semant  partout  ses  plaintes.  Pour  les 
domestiques  en  qui  vous  connaissez  du  sens ,  de  la 
discrétion,  de  la  probité,  et  de  l'affection  pour  vous, 
écoutez-les  -,  montrez-leur  toute  la  confiance  dont  vous 
pouvez  les  croire  dignes ,  car  c'est  ce  qui  gagne  le  cœur 
des  gens  désintéressés.  Les  manières  honnêtes  et  gé- 
néreuses font  beaucoup  plus  sur  eux ,  que  les  bienfaits 
mêmes.  L'art  d'assaisonner  ce  qu'on  donne  est  au- 
dessus  de  tout. 

Ne  devez  jamais  rien  à  vos  domestiques  :  autrement 
vous  êtes  en  captivité.  Il  vaudrait  mieux  devoir  à 
d'autres  gros  créanciers  mieux  en  état  d'attendre  , 
et  moins  en  occasion  de  vous  décrier,  ou  de  se  pré- 
valoir de  votre  retardement  à  les  payer.  Il  faut  que 
les  gages  ou  récompenses  des  domestiques  soient  sur 
un  pied  raisonnable ,  car  si  vous  donnez  moins  que 
les  autres  gens  modérés  de  votre  condition ,  ils  sont 
mécontens ,  vous  croient  avare,  cherchent  à  vous  quit- 
ter ,  et  vous  servent  sans  affection. 

Pour  pratiquer  toutes  ces  règles  ,  il  faut  commencer 
par  une  entière  conviction  de  la  nécessité  de  les  suivre, 
et  y  faire  une  sérieuse  attention  devant  Dieuj  ensuite 
prévoir  les  occasions  où  l'on  est  en  danger  d'y  man- 
quer -,  s'humilier  en  présence  de  Dieu  ,  mais  tranquil- 
lement et  sans  chagrin  ,  toutes  les  fois  qu'on  s'aperçoit 
qu'on  y  a  manqué  ;  et  enfin  laisser  faire  à  Dieu  dans 
le  recueillement  ce  que  nous  ne  saurions  faire  par 
nos  propres  forces. 


LETTRES    SPIRITUEF-LES.  889 

194. 

Détails  sur  l'intérieur  de  Féaclon,  et  sur  les  défauts  de  son  caractère. 

Je  ne  veux  jamais  flatter  qui  que  ce  soit ,  et  même 
dès  le  moment  que  j'aperçois ,  dans  ce  que  je  dis  ou 
dans  ce  que  je  fais,  quelque  recherche  de  moi-même  , 
je  cesse  d'agir  ou  de  parler  ainsi.  Mais  je  suis  tout 
pétri  de  boue ,  et  j'éprouve  que  je  fais  à  tout  moment 
des  fautes ,  pour  n'agir  point  par  grâce.  Je  me  re- 
tranche à  m'apetisser  à  la  vue  de  ma  hauteur.  Je  tiens 
à  tout  d'une  certaine  façon ,  et  cela  est  incroyable  , 
mais  d'une  autre  façon ,  j'y  tiens  peu  ,  car  je  me 
laisse  assez  facilement  détacher  de  la  plupart  des  choses 
qui  peuvent  me  flatter.  Je  n'en  sens  pas  moins  l'atta- 
chement foncier  à  moi-même.  Au  reste  ,  je  ne  puis 
expliquer  mon  fond.  Il  m'échappe  j  il  me  paraît  chan- 
ger à  toute  heure.  Je  ne  saurais  guère  rien  dire  qui 
ne  me  paraisse  faux  un  moment  après.  Le  défaut 
subsistant  et  facile  à  dire ,  c'est  que  je  tiens  à  moi , 
et  que  l'amour-propre  me  décide  souvent.  J'agis 
même  beaucoup  par  prudence  naturelle  ,  et  par  un 
arrangement  humain.  Mon  naturel  est  précisément  op- 
posé au  vôtre.  Vous  n'avez  point  l'esprit  complaisant 
et  flatteur ,  comme  je  l'ai ,  quand  rien  ne  me  fati- 
gue ni  ne  m'impatiente  dans  le  commerce.  Alors  vous 
êtes  bien  plus  sèche  que  moi  ;  vous  trouvez  que  je  vais 
alors  jusqu'à  gâter  les  gens ,  et  cela  est  vrai.  Mais 
quand  on  veut  de  moi  certaines  attentions  suivies 
qui  me  dérangent ,  je  suis  sec  et  tranchant ,  non  par 
indifférence   ou  dureté  ,  mais   par  impatience  et  par 


390  LETTRES    SPIRITUELLES. 

vivacité  de  tempérament.  Au  surplus  ,  je  crois  presque 
tout  ce  que  vous  me  dites  ;  et  pour  le  peu  que  je 
ne  trouve  pas  en  moi  conforme  à  vos  remarques  ^ 
outre  que  j'y  acquiesce  de  tout  mon  cœur ,  sans  le 
connaître ,  en  attendant  que  Dieu  me  le  montre  ; 
d'ailleurs  je  crois  voir  en  moi  infiniment  pis ,  par  une 
conduite  de  naturel ,  et  de  naturel  très-mauvais.  Ce 
que  je  serais  tenté  de  ne  croire  pas  sur  vos  remar- 
ques ,  c'est  que  j^aie  eu  autrefois  une  petitesse  que 
je  n'ai  plus.  Je  manque  beaucoup  de  petitesse ,  il  est 
vrai  ;  mais  je  doute  que  j'en  aie  moins  manqué  au- 
trefois. Cependant  je  puis  facilement  m'y  tromper. 
Vous  ne  me  mandez  point  si  vous  avez  reçu  des  nou- 
velles de  N...  Si  vous  en  avez,  pourquoi  ne  m'en  faites- 
vous  point   quelque  petite  part? 

LETTRES  DE  CONSOLATION. 
(12)  195  *• 

Les  grandes  douleurs  sont  un  remède  aux  maux  de  notre  nature.. 

C'est  ,  madame  ,  une  triste  consolation ,  que  de 
vous  dire  qu'on  ressent  votre  douleur.  C'est  pour- 
tant tout  ce  que  peut  l'impuissance  humaine  ;  et  pour 
faire  quelque  chose  de  plus,  il  faut  qu'elle  ait  re- 
cours à  Dieu.  C'est  donc  à  lui ,  madame ,  que  je  m'a- 
dresse ,  à  ce  consolateur  des  affligés ,  à  ce  protecteur 
des  infirmes.  Je  le  prie,  non  devons  ôter  votre  douleur, 
mais  qu^il  fasse  qu'elle  vous  profite,  qu'il  vous  donne 
des  forces  pour  la  soutenir,  qu'il  ne  permette  pas 
qu'elle  vous  accable.  Le  souverain  remède  aux  maux 
extrêmes  de  notre  nature ,  ce  sont  les  grandes  et  vives 


LEÏTUES    SPUUTUELLES.  Sqi 

(Iduleiirs.  C'est  parmi  les  douleurs  que  s'accomplit 
le  grand  mystère  du  Chrislianisme  ,  c'est-à-dire  le 
crucUiemeiit  intérieur  de  riiomnie.  C'est  là  que  se 
développe  toute  la  vertu  de  la  grâce ,  et  que  se  fait 
sou  opération  la  plus  intime ,  qui  est  celle  qui  nous 
apprend  à  nous  arracher  à  nous-mêmes  :  sans  cela , 
Taniour  de  Dieu  n'est  point  en  nous.  11  faut  sortir 
de  nous-mêmes  pour  être  capables  de  nous  donner 
à  Dieu.  Afui  que  nous  soyons  contraints  de  sortir  de 
nous-mêmes ,  il  faut  qu'une  plaie  profonde  de  notre 
cœur  fasse  que  tout  le  créé  se  tourne  pour  nous  en 
amertume.  Ainsi  notre  cœur  ,  blessé  dans  la  partie 
la  plus  intime  ,  troublé  dans  ses  attaches  les  plus 
douces  ,  les  plus  honnêtes  ,  les  plus  innocentes,  sent 
bien  qu'il  ne  peut  plus  se  tenir  en  soi-même ,  et 
s'échappe  de  soi-même  pour  aller  à  Dieu. 

Voilà ,  madame ,  le  grand  remède  aux  grands  maux 
dont  le  péché  nous  accable.  Le  remède  est  violent , 
mais  aussi  le  mal  est  bien  profond.  C'est  là  le  véritable 
soutien  des  Qiré tiens  dans  les  afllictions.  Dieu  frappe 
sur  deux  persoimes  saintement  unies  ;  il  leur  fait  un 
grand  bien  à  toutes  deux  :  il  en  met  l'une  dans  la 
gloire ,  et  de  sa  perte  il  fait  un  remède  à  celle  qui 
reste  au  monde.  C'est ,  madame  ,  ce  que  Dieu  a  fait 
pour  vous.  Puisse-t-il  par  son  Saint-Esprit  réveiller 
toute  votre  foi  pour  vous  pénétrer  de  ces  vérités  ! 
Je  l'eu  prierai  sans  cesse ,  madame ,  et  comme  j'ai 
beaucoup  de  confiance  aux  prières  des  gens  de  bien 
ailhgés ,  je  vous  conjure  de  prier  pour  moi  au  mi- 
lieu de  vos  douleurs.  Votre  charité  saura  bien  vous 
dire  de  quoi  j'ai  besoin  ,  et  vous  le  faire  demander 
avec    instance. 


'SÇ)2  LETTRES    SPIRITUELLES. 


V»*V%%WWVW»%vwl,V>%*%\VW«r%t«)Vt»v>»»*»»ai»*%l%»»^»»» 


196  *.  (.3) 

Sur  la  mort  d'un  ami,  qui  avait  été  éprouvé  par  de  grandes  peines. 

Dieu  a  pris  ce  qui  était  à  lui  :  n'a-t-il  pas  bien 

fait?  Il  était  bien  temps  que  F se  reposât  de  toutes 

ses  peines  ;  il  en  a  eu  de  grandes ,  et  ne  s'y  est  point 
regardé  :  il  n'était  pas  question  de  lui ,  mais  de  la 
volonté  de  celui  qui  le  menait.  Les  croix  ne  sont 
bonnes  qu'autant  qu'on  se  livre  sans  réserve,  et  qu'on 
s'y  oublie.  Oubliez-vous  donc ,  monsieur ,  autrement 
toute  souffrance  est  inutile.  Dieu  ne  nous  fait  point 
souffrir  pour  souffrir ,  mais  pour  mourir  à  force  de 
nous  oublier  nous-mêmes  dans  l'état  où  cet  oubli 
est  le  plus  difficile ,   qui  est  celui  de  la   douleur. 

Je  prends  part  à  la  peine  du  bon  abbé  sur  F 

Je  sais  combien  ils  étaient  unis  ,  et  j'en  ai  été  ravi. 
Une  telle  mort  n'a  rien  que  de  doux.  Il  est  plus  près 
de  nous  qu'il  n'y  était  :  il  n'y  a  plus  de  rideau  qui 
le  cacbe  ;  le  voile  même  de  la  foi  est  levé  pour  ceux 
qui  ont  l'amour  pur  et  désintéressé. 

(i5)  197  *. 

Sur  la  mort  édifiante  d'une  dame. 

Vous  avez  perdu  ,  madame  ,  une  bonne  amie ,  et 
je  suis  persuadé  que  vous  n'êtes  pas  insensible  à  cette 
perte.  Pour  moi ,  je  la  ressens  de  tout  mon  cœur  par 
rapport  à  vous.  De  plus  ,  je  suis  fort  touché  ,  et  le 
serai  toute  ma  vie  ,  de  tout  ce  que  j'ai  vu  en  cette 
dame.  Je  vous  dois  toute  l'édification  qui  m'en  reste. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3^ 

Elle  est  bienheureuse  d'être  Lors  de  cette  vie ,  et  de 
l'avoir  finie  dans  la  douleur.  J'ai  pourtant  peine  à 
croire  qu'il  ne  reste  plus  rien  à  expier  dans  ces  per- 
sonnes qui  ont  aimé  Dieu  avec  tant  de  goût ,  et  qui 
ont  eu  tant  de  plaisir  à  faire  pénitence.  Le  purgatoire 
de  cette  vie  me  paraît  moins  dans  ces  austérités  fer- 
ventes ,  que  dans  les  épreuves  intérieures.  Il  me  sem- 
ble qu'il  liuit  avoir  fait  de  grands  sacrifices  pour  avoir 
purilié  tous  les  restes  de  l'amour-propre ,  et  pour 
awÏT  rempli  parfaitement  tout  le  précepte  de  l'Evan- 
gile ,  de  se  renoncer  soi-même  par  le  pur  amour.  Je 
prie  Dieu ,  madame  ,  que  ce  feu  consume  tout  ce 
qu'il  y  a  de  paille  et  de  bois  dans  notre  ouvrage ,  et 
qu'il  ify  laisse  que  l'or  de  la  charité  désintéressée. 


198  *.  (20) 

Sur  la  mort  d'un  ami  commun.  Être  confcns  que  Dieu  fasse  de  nous 
tout  ce  qu'il  lui  plait. 

Dieu  a  fait  sa  volonté  :  il  a  pris  ce  qui  était  à  lui , 
et  il  vous  a  ôté  ce  qui  n'était  pas  à  vous.  Vous  êtes 
vous-même  tout  entier  à  lui.  Je  sais  combien  vous 
voulez  y  être  :  il  n'y  a  qu'à  lui  sacrifier  tout  dans  les 
occasions.  Il  a  pris  soin  de  tout ,  lors  même  qu'il  a 

retiré  notre  cher  A La  surprise  est  un  coup  de 

Providence  pour  lui  épargner  des  tentations.  Quand 
Dieu  a  mené  son  œuvre  au  point  qu'il  a  marqué  ,  il 
fixe  la  bonne  volonté  qu'il  a  inspirée  ,  et  il  délivre 
ses  enfans  de  leurs  irrésolutions.  Il  voile  le  dernier 
sacrifice  pour  leur  en  dérober  l'horreur.  Laissons-le 
faire.  Allons  tout  droit  à  lui.  Ne  vous  écoutez  point 


3o4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

vou9-même.  Défiez-vous  de  votre  tempérament  un 
peu  mélancolique ,  et  plus  encore  de  votre  esprit 
trop  réfléchissant. 

Je  suis  dans  une  paix  très-amère ,  et  je  vous  sou- 
haite cette  paix  sans  vous  en  souhaiter  l'amertume. 
Il  me  serait  impossible  de  vous  dire  plus  en  détail 
de  mes  nouvelles  :  je  ne  comprends  point  mon  état , 
tout  ce  que  j'en  veux  dire  me  semble  faux  ,  et  le  de- 
vient dans  le  moment.  Souvent  la  mort  me  console- 
rait :  souvent  je  suis  gai ,  et  tout  m'amuse.  De  vous 
dire  pourquoi  l'un  et  pourquoi  l'autre  ,  c'est  ce  que 
je  ne  puis  ;  car  je  n'en  ai  point  de  vraies  raisons.  A 
tout  prendre  ,  je  trouve  que  je  suis  dans  ma  place , 
et  je  ne  songe  point  qu'il  y  ait  au  monde  d'autres 
lieux  que  ceux  où  mes  devoirs  m'attachent.  Si  je 
pouvais  vous  voir  ,  j'en  serais  bien  aise  •,  mais  ne  le 
pouvant ,  il  me  suilit  de  me  trouver  tout  auprès  de 
vous  en  esprit ,  malgré  la  distance  des  lieux.  Demeu- 
rons unis  de  cette  façon ,  pendant  que  la  Providence 
nous  tient  si  séparés. 


199. 

La  religion  seule  nous  donne  de  véritables  consolations  dans  la  perte 
des  personnes  qui  nous  sont  chères. 

A  Cambrai ,  la  novembre  1701. 

Je  suis ,  monsieur  ,  sensiblement  touché  de  la  perte 
que  vous  venez  de  faire  (i).  Elle  est  grande  pour  le 

(  I  )  Celte  lettre  nous  a  été  communiquée  par  M.  Aime  Martin , 
ainsi  qu'une  autre  du  10  novembre  1697  ,  qui  se  trouve  dans  la 
Correspondance  sur  le   Quiéiisme.  Il   en  possède  les   originaux. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  3<)5 

jml)lic ,  et  je  sais  combien  il  est  rare  de  trouver  ,  dans 
luit»  place  si  importante ,  tant  d'estimables  qualités. 
D'aillcms ,  je  connais  la  tendresse  et  la  sensibilité  de 
voire  cœur  ,  et  je  comprends  tout  ce  que  vous  souf- 
l'rez  dans  une  si  triste  occasion.  Pour  moi ,  je  ne  sau- 
lais  jamais  ,  ce  me  semble  ,  sentir  trop  vivement  tout 
ce  qui  vous  touclie.  Plus  j'ai  éprouvé  votre  amitié 
pour  moi ,  plus  j'apprends  ,  par  votre  exemple  ,  à  quel 
jxtint  on  doit  s'intéresser  pour  ses  véritables  amis. 
Que  ne  puis-je  ,  monsieur ,  être  auprès  de  vous  ,  pour 
])rendre  part  à  votre  douleur ,  et  pour  tâclier  de 
Tadoucir  î  vous  savez  d'où  peut  venir  la  véritable 
consolation  dans  la  perte  des  personnes  qui  nous  sont 
clières.  La  Religion  ne  peut  nous  mieux  consoler , 
qu'en  nous  apprenant  qu'elles  ne  sont  pas  peixlues 
pour  nous ,  et  qu'il  y  a  une  patrie ,  dont  nous  ap- 
prochons tous  les  jours ,  qui  nous  réunira  tous.  Ne 


Le  contenu  de  la  dernière  montre  qu'elle  fut  écrite  ,  pendant  les 
ne'gociations  de  Rysvick,  à  l'un  des  ple'iiipotentiaires;  et  les  liai- 
sons étroites  qu'avait  Fénelon  avec  Nicolas-Auguste  de  Harlai  de 
Lonneuil,  un  des  négociateurs  de  Rysvick,  ne  permettent  guère  de 
douter  que  la  lettre  ne  lui  fût  adressée.  Celle-ci  veuant  de  la  lucmc 
source,  nous  conjecturons  qu'elle  fut  écrite  au  même  personnage,  et 
que  Fénelon  lui  donne  des  consolations  sur  la  perte  de  son  gendre, 
Adrien-Alexandre  de  Hanivel  de  Manncvillelte,  Marquis  de  Crève- 
cœur,  qui  avait  été  successivement  avocat  du  Roi  au  Chàtelet,  con- 
seiller au  grand  Conseil,  enfin  président  à  Mortier  au  Parlement  de 
Paris,  et  qui  venait  de  mourir  à  la  fleur  de  l'âge,  eu  lyoï.  Féne- 
lon chargea  l'abbé  de  Bcaumont  de  remettre  cette  lelire;  et  comme 
il  craignait  alors  que  ses  amis  ne  fussent  inquiétés  à  son  sujet ,  il 
témoigna  le  désir  qu'elle  fût  briàlée,  et  qu'elle  ne  parût  point.  Voyez 
ci-dessus,  dans  la  Correspondance  de  famille^  la  lettre  55,  tom.  il, 
pag.  89. 


SgG  LETTRES    SPIRITUELLES. 

nous  affligeons  donc  pas  comme  ceux  qui  n'ont  point 
d'espérance.  Je  suis  privé  du  plaisir  de  vous  voir , 
mais  je  compte  sur  l'écoulement  de  la  vie  ,  et  j'espère 
que  nous  nous  retrouverons  bientôt  pour  toujours  en 
Dieu.  Ceux  qui  meurent  ne  sont  de  même ,  à  notre 
égard  ,  qu'absens  pour  peu  d'années  ,  et  peut-être  de 
mois.  Leur  perte  apparente  doit  servir  à  nous  dé- 
goûter du  lieu  où  tout  se  perd ,  et  à  nous  faire  aimer 
celui  où.  tout  se  retrouve.  La  sincère  Religion ,  dont 
je  sais  que  vous  êtes  rempli ,  me  fait  espérer ,  mon- 
sieur, qu'un  coup  si  rude  vous  sera  salutaire.  Dieu 
ne  frappe  que  par  amour ,  et  il  n'ôte  que  pour  don- 
ner. Je  le  prie  de  vous  consoler  ,  de  conserver  votre 
santé  pour  laquelle  je  crains  dans  cette  épreuve ,  et 
de  tourner  entièrement  votre  cœur  vers  lui.  Heureux 
qui  vit  de  foi ,  qui  ne  compte  que  sur  Dieu  ,  qui  est 
en  ce  monde  comme  n'y  étant  plus  !  Personne  ne  peut 
vous  honorer  du  fond  du  cœur ,  plus  que  je  le  ferai 
toute  ma  vie.  C'est  un  sentiment  qui  me  fait  plaisir , 
et  je  ne  puis  penser  à  vous  sans  attendrissement. 
Après  ces  termes  ,  je  dois  ,  ce  me  semble  ,  laisser  tous 
les  autres  qui  sentiraient  la  cérémonie.  Je  vous  les 
dois  ;  mais  je  suis  sûr ,  monsieur ,  que  vous  m'en  dis- 
pensez y  et  que  vous  vous  contentez  d'un  cœur  dévoué 
sans  réserve. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  897 


»w»*»  >»»«»»»>»*«*%*>«**»*»******'»********* 


(xc.)  200  ♦.  R. 


AU  DUC  DE  CHEVREUSE. 

Consolatiou  sur  la  mort  de  son  fils  jiniS  (i). 

(Septembre  1704) 

Votre  douleur  m'est  toujours  présente.  Je  ne  perds 
point  de  vue  la  grande  perte  que  vous  avez  faite  ; 
mais  Dieu  prend  ce  qui  est  à  lui ,  et  non  pas  à  nous. 
Qui  est-ce  qui  lui  dira  :  Pourquoi  le  faites-vous? 
Vous  êtes  bien  éloigné  de  le  lui  dire.  Vous  savez 
qu'il  n'a  point  de  compte  à  nous  rendre.  Son  Ijon 
plaisir  est  la  suprême  raison.  Dire  :  Sit  pro  raiione 
voluntas  y  je  mets  ma  volonté  en  la  place  de  la  rai- 
son ,  est  un  caprice  insupportable  dans  toute  créa- 
ture ;  mais  en  Dieu ,  cela  même  est  la  parfaite  justice. 
D'ailleurs ,  nous  entrevoyons  toujours  ,  dans  les  coups 
les  plus  rigoureux  de  sa  main  paternelle  ,  un  dessein 
secret  de  miséricorde.  Il  enlève  dans  les  bons  mo- 
mens  cerlains  hommes  fragiles  que  l'enchantement 
du  siècle  aurait  peut-être  fait  retomber  :  Raptus  est  ;.. 
propefavit  educei^e  illum  de  medio  iniquitatum  {a). 
11  s'est  hâté  pour  prévenir  une  chute  funeste.  0  que 
nous  verrons  de  merveilles  dans  l'autre  vie ,  qui  nous 

(i)  Honoré-Charles,  Duc  de  Monlfort ,  tué  au  combat  de  Bel- 
likeira ,  près  de  Landau,  le  g  septembre  1704.  Cette  lettre  n'a 
point  été  insérée  dans  la  Correspondance  avec  le  Duc  de  Che- 
vreuse,  parce  que  nous  n'avons  découvert  que  depuis  peu  de  temps, 
dans  une  Vie  manuscrite  de  Fénelon  par  Ramsai ,  qu'elle  était 
adressée  à  ce  Seigneur. 

(a)  Sap.  IV.   11  et  14. 


398  LETTRES    SPIRITUELLES. 

échappent  en  celle-ci  '  Alors  nous  chanterons  le  can- 
tique de  joie  et  de  reconnaissance  éternelle  ,  pour  les 
événemens  qui  nous  font  pleurer  ici-bas.  Hélas  !  nous 
ne  voyons  dans  les  ténèbres  présentes  ni  le  vrai  bien 
ni  le  vrai  mal.  Si  Dieu  faisait  ce  qui  nous  flatte  ,  il 
perdrait  tout.  Il  sauve  tout  en  brisant  nos  liens ,  et 
en  nous  faisant  crier  les  hauts  cris.  Le  même  coup 
qui  sauve  ce  que  nous  aimons ,  en  l'ôtant  du  milieu 
de  l'iniquité  y  nous  détache  ,  et  nous  prépare  ,  par  la 
mort  d'autrui ,  à  la  nôtre.  Que  pouvons-nous  vouloir  , 
pour  nous  et  pour  les  nôtres  de  ce  monde  vain  et 
contagieux  ?  S'il  est  vrai  que  la  foi  et  l'amour  de  Dieu 
fassent  toute  la  vie  de  notre  cœur ,  devons-nous  pleu- 
rer ,  parce  que  Dieu  nous  aime  mieux  que  nous  ne 
.  savons  nous  aimer  nous-mêmes  ?  Nous  plaindrons- 
nous  de  ce  qu'il  tiie  de  la  tentation  et  du  péché  ceux 
qui  nous  sont  chers  ?  Nous  fait-il  du  mal  en  abré- 
geant les  jours  de  misère  ,  de  combat ,  de  séduction 
et  de  scandale  ?  Que  voudrions-nous  ?  Un  plus  long 
danger ,  des  tentations  plus  violentes ,  où  les  élus 
mêmes ,  s'il  était  possiljle  ,  succomberaient  ?  Nous  vou- 
drions tout  ce  qui  flatte  Famour-propre ,  pour  nous 
oublier  dans  ce  lieu  d'exil.  Dieu  nous  arrache  le  poi- 
son ,  et  nous  pleurons  comme  un  enfant  à  qui  sa 
mère  ôte  un  joli  couteau  dont  il  se  percerait  le  sein. 
M.  votre  fils  réussissait  au  milieu  du  monde  em- 
pesté :  c'est  ce  succès  qui  afflige  ,  et  c'est  ce  succès 
qui  a  fait  trancher  le  fd  de  ses  jours ,  par  un  conseil 
de  miséricorde  pour  lui  et  pour  les  siens.  Il  faut  ado- 
rer Dieu  5  et  se  taire.  Que  ne  puis-je  vous  aller  voir  , 
et  vous  montrer  à  quel  point  je  ressens  la  profonde 
plaie  que  je  voudrais   guérir  !  Il  n'y  a  que  le  vrai 


LETTRES   SPIRITUELLES.  SqQ 

consolateur  dont  la  société  puLsse  vous  consoler.  Dc- 
nu'iiroiis  donc  en  silence  avec  lui  ;  il  nous  consolera  , 
nous  retrouverons  tout  en  lui  seul.  Heureux  qui  ne 
veut  point  d'autre  consolation  !  Celle-ci  est  pure  et 
inépuisable. 


(a5o) 


201 


La  perte  des  personnes  qui  nous  sont  chères  sert  à  noQs  détacher 
entièrement  des  créatures. 


La  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrira 
m'a  coûté  des  larmes.  La  douleur  de  votre  perte  se 
joint  à  la  mienne  ;  mais  je  crois  que  nous  devons  en- 
trer ,  malgré  toute  notre  amertume  ,  d^ns  le  dessein 
de  Dieu.  H  a  voulu  récompenser  celui  que  nous  re- 
grettons ,  et  nous  détacher.  Il  a  voulu  même  nous 
ôter  un  appui  humain  pour  sa  gloire  ,  sur  lequel  nous 
comptions  trop.  Il  est  jaloux  des  plus  dignes  instru- 
mens ,  et  il  veut  que  nous  n'attendions  l'accomplis- 
sement de  son  ouvrage  que  de  lui-même. 

Le  principal  fruit  que  Dieu  vous  prépare  de  cette 
épreuve  ,  est  de  vous  apprendre ,  par  une  expérience 
sensible  ,  que  vous  n'étiez  point  encore  détachée  ,, 
comme  vous  vous  flattiez  de  l'être.  On  ne  se  connaît 
que  dans  l'occasion  ,  et  l'occasion  n'est  donnée  par 
la  Providence  ,  que  pour  nous  détromper  de  notre 
détachement  supeiliciel.  Dieu  permit  Thoriible  chute 
de  saint  Pierre ,  pour  le  désabuser  d'une  certaine  fer- 
veur sensible ,  et  d'un  courage  très-fragile  auquel  il 
se  confiait  vainement.  Si  vous  n'aviez  que  la  croix 
extérieure  ,  quelcjue  grande   et  douloureuse   qu'elle 


400  LETTRES    SPIRITUELLES. 

soit  5  elle  ne  vous  détromperait  point  de  votre  déta- 
chement :  au  contraire,  plus  la  croix  est  accablante 
en  soi ,  plus  vous  vous  sauriez  bon  gré  de  ne  vous  en 
trouver  point  accablée  ;  ce  serait  un  prodigieux  ac- 
croissement de  confiance  ,  et  par  conséquent  une  très- 
dangereuse  illusion.  La  croix  n'opère  la  petitesse  et 
le  sentiment  de  notre  misère ,  qu'autant  que  l'inté- 
rieur nous  paraît  vide  et  obscurci ,  pendant  que  le 
dehors  nous  ébranle.  Il  faut  voir  sa  pauvreté  au  de- 
dans et  la  supporter  ;  alors  la  pauvreté  se  tourne  en 
trésor  ,   et  ou  a  tout  en  n'ayant  rien. 

Unissons-nous  de  cœur  à  celui  que  nous  regret- 
tons. Il  nous  voit ,  il  nous  aime  ,  il  est  touché  de  nos 
besoins ,  il  prie  pour  nous.  Il  vous  dit  encore  ,  d'une 
voix  secrète ,  ce  qu'il  vous  disait  si  souvent  pendant 
qu'il  vivait  au  milieu  de  nous  :  ce  Ne  vivez  que  de 
))  foi  ;  ne  comptez  point  sur  la  régularité  de  vos  œu- 
»  vres  ni  sur  la  symétrie  de  vos  vertus;  portez  en 
))  paix  la  vue  de  vos  imperfections  ;  a])andonnez-vous 
»  à  la  Providence  ;  ne  vous  écoutez  point  vous-même  , 
»  n'écoutez  que  l'esprit  de  grâce.  »  Voilà  ce  qu'il  di- 
sait ;  voilà  ce  qu'il  dit  encore  à  votre  cœur.  Loin  de 
l'avoir  perdu ,  vous  le  trouverez  plus  présent ,  plus 
uni  à  vous  ,  plus  secourable  pour  votre  consolation  , 
plus  eflicace  dans  ses  conseils  de  perfection ,  si  vous 
voulez  bien  changer  en  société  de  pure  foi  la  société 
visible  où  vous  étiez  à  toute  heure  avec  lui.  Pour  moi , 
je  trouve  un  vrai  soulagement  de  cœur  d'être  très- 
souvent  en   esprit  avec  lui. 

Ménagez  votre  santé  pour  votre  famille  ,  qui  a  grand 
besoin  de  vous.  Que  le  courage  de  la  foi  vous  sou- 
tienne. C'est  un  courage  qui  n'a  rien  de  haut ,  et  qui 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^^ 

110  (loniio  point  une  force  sensible  sur  laquelle  ou 
])uisse  compter.  On  ne  trouve  nulle  ressource  en  soi , 
cl  on  ne  manque  de  rien  dans  Tot^casion  :  on  est  riche 
de  sa  pauvreté.  Si  on  l'ait  quelcpie  faute  contre  son 
intention  ,  on  la  tourne  à  profit  par  riiuniiliation  qui 
en  revient.  On  retombe  toujours  dans  son  centre  par 
racquiescement  à  tout  ce  qui  nous  dépossède  de  notre 
])ropre  cœur.  On  se  livre  à  Dieu,  ne  se  renfermant 
plus  en  soi ,  et  n'osant  plus  s'y  lier.  Alors  tout  de- 
>  ient  peu  à  peu  recueillement ,  silence  ,  dépendance 
de  la  grîice  pour  chaque  moment ,  et  vie  intérieure 
en  mort  perpétuelle.  En  cet  état ,  on  ne  possède  plus 
rien  de  tout  ce  qu'on  voit ,  et  on  retrouve  en  Dieu , 
avec  l'union  la  plus  simple  et  la  plus  intime ,  tout  ce 
tpi'on  croyait  avoir  perdu. 


CoRRESP.    IV.  Il 


402 

TABLE 

DE    LA  PREMIÈRE    PARTIE 

DES 

LETTRES    SPIRITUELLES. 


Pag. 

I .  A  V Electeur  de  Cologne.  Avis  à  ce  Prince  sur  la  manière  dont 
il  doit  se  préparer  à  Tépiscopat.  i 

a.  A  r Electeur  de  Cologne.  Avis  sur  le  choix  d'un  nouveau  con- 
fesseur ,  et  sur  la  prépai-ation  à  son  sacre.  7 

3.  A  M.  Colhert ,  Arche^'écjue  ch  Rouen.  Sur  le  luxe  des  bâtimens.      10 

4-  A  un  supérieur  de  communauté.  Principes  de  conduite  pour 
remplir  les  devoirs  de  sa  place.  l3 

5.  Félicitations  à  un  ecclésiastique  revenu  de  quelques  préventions 

en  matière  de  doctrine.  l6 

6.  Au  P.  Lami ,  Bénédictin.  Sur  les  dégoûts  et  les  sécheresses  de 
l'oraison.  18 

7.  — Avec  quelle  précaution  il  faut  conduire  les  âmes  qui  parais- 

sent être  dans  des  voies  extraordinaires.  23 

8. — Eloge  du  P.  Mabillon.  Avis  sur  la  manière  de  réciter  l'office 

divin.  25 

9.  — Contre  l'esprit  de  curiosité  et  la  science  qui  enfle.  26 

10.  —  Ses  inquiétudes  sur  la  santé  de  ce  Père  ;  exhortation  au  par- 
fait abandon.  27 

II. —  Sur  le  même  sujet.  82 

12.  — Ne  pas  croire  aisément  aux  opérations  extraordinaires  ;  sui- 
vre paisiblement  l'attrait  que  Dieu   nous  donne  dans    l'oraison.   29 

i3.  A  la  sœur  Charlotte  de  Saint-Cjjn-ien  ,  Carmélite.  Sur  l'oraison 
de  contemplation ,  et  sur  les  différens  états  de  la  perfection 
cbrélicnne.  3i 

14.  —  Sur  îa  doctrine  spirituelle  de  saint  Jean  de  la  Croix  j  recou- 
rir au  directeur  en  esprit  de  foi  et  d'obéissance.  4^ 

i5.  — Contre  le  goût  de  l'esprit.  4^ 


TADLE    DES    LiiTTRES    SPIRITUELLES.  4^3 

Pas. 
ï6.  —  Précautions  à  prendre  contre  rillnsion  dans  les  voies   inlé- 

riciires  ;  s'oNorcer  surtout  à  lluunililô.  An 

ly.  —  Sur  le  même  sujet.  /jo 

j8.  —  Exhortation  à  l'obéissance  et  à  la  simplicité.  5l 

ig.  —  Sur  le  même  sujet.  Sa 

ao.  —  Sur  la  mort  édifiante  de  l'aljbé  de  Langeron.  53 

21.  — •  L'esprit  de  prière,  préservatif  assuré  contre  les  nouveautés  en 
matière  de  doctrine.  Combien  l'amour  adoucit  les  dépouillo- 
mens  les  plus  terribles  à  la  nature.  55 

aa.  — '  Exhortation  à  souffrir  patiemment  le?  maux  que  Dieu  envoie; 

suivre  en  tout  et  avec  paix  l'attrait  de  la  grâce.  56 

a3.  A  une  religieuse.  Les  dons  les  plus  éminens  sont  soumis  à  l'o- 
béissance. 5o 
a4-   A  la  nicre  Marie  de  r.iscension  j  Carmélite  ^  sa  nièce.  Principes 

de  conduite  pour  une  supérieure.  62 

aS.  Â  une  personne  srw  le  point  d'entrer  en  religion.  La  paix  du 
cœur  ne  se  trouve  que  dans  un  entier  abandon  à  Dieu.  Dif- 
férence entre  la  sagesse  que  la  grâce  donne  ,  et  celle  qui  vient 
du  naturel.  64 

26.  Â  une  nouice  sur  le  point  de  /aire  profession  .  En  quoi  consiste 

le  vrai  sacrifice  de  soi-même  à  Dieu  ;  le  faire  sans  réserve.        G^ 

27.  A  une  religieuse.  Souffrir  avec  résignation  les  opérations  les 
plus  pénibles  de  la  main  de  Dieu.  Gg 

a8.  A  une  religieuse.  Comment  acquérir  la  véritable  discrétion.  71 

ag.  A   une  religieuse.    Obéissance ,   simplicité ,    rnort    à   soi-même. 

Sentimens   de  Fénelon  sur  sa  promotion  à  l'épiscopat.  72 

3o.  A  la  sœur  Céleste-Françoise  de  Lannny ,  religieuse  de  Saint- 
André  il  Tournai.  Il  l'exhorte  à  demeurer  en  paix  dans  la  place 
où  la  Providence  l'a  mise  ,  en  pratiquant  les  vertus  de  son  état.     76 

LETTRES   A   DIVERSES    PERSONNES   DU   MOîfDE    QUI    COMMENÇAIENT 
A    MENER    UNE    VIE    CHULTIENNE. 

3i.  Combien  les  voies    de  Dieu    sont   douces  à  quiconque  les  suit 

avec  amour;  avis   pour  le  réglomoiit  de  la  comhiitc.  -7 

82.  Bonlieur  de  se  donner  à  Dieu,  et  de  quitter  tout  le   reste   par 

une  véritable  conversion.  8  > 

RÉFLEXIONS  d'un   homme  qui   ne  connaît  point  la  Religion.     80 

33.  Instances  à  une  personne  irrésolue   sur  sa  conversion.  g4 

34.  Dangers  de  la  mollesse  et  de  ramusement.  Règles  de  conduite 
pour  les  combattre  et  les  surmonter.  9'^ 

11^ 


AoA  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

Pag. 

35.  Quelques  avis   sur  la  méditation  et  sur  la  manière  de  profiter 

de  SOS  lectures.  loG 

36.  Divers  avis  pour  la  conduite  inlc^rieure ,  et  pour  l'extérieure.  109 

37.  Règles  de  conduite  pour  une  ame  nouvellement  revenue  à  Dieu.  ii3 

38.  Ne  pas  se  presser  de  quitter  son  eaiploi ,  sous  préte.\to  de  la 
dissipation  à  laquelle  on  y  est  exposé.  117 

39.  A  une  clame  de  la  cour.  Avis  sur  la  manièi'C  de  faire  l'oraison 

et  les  autres  exerciceB  de  piété.  i  tq 

/^o.  À  madame  de  Maintenon.  Réponse  à  cette  dame ,  qui  l'avait 
prié  de  lui  faire  connaître  les  défauts  qu'il  avait  pu  remarquer 
en  elle.  i34 

4i.  A  un  militaire.  Il  lui  reproche  affectueusement  ses  écarts,  et 
l'exhorte  à  revenir'  à  cette  Religion  qu'il  a  pratiquée  avec  tant 
de  consolations.  i4'8 

^2.  —  Mépriser  les  jugemens  du  monde  ,  et  se  montrer  ouvertement 

chrétien.  i5i 

43.  —  L'onction  de  la  grâce  supplée  aux  lectures  qu'on  ne  peut 
pas  faire.  Pratique  de  recueillement  parmi  les  embarras  ordi- 
naires de  la  vie.  iS^ 

44-  —  Méthode  que  les  commençans  doivent  suivre  dans  l'oraison.    i55 

45.  —  Sur  le  même  sujet.  i58 

46.  —  Sur  la  pratiïjue  du  recueillement  habituel  ;  avis  pour  le  temps 

de  Foraison.  i6i 

47.  —  Sur  la  pratique  du  recueillement,  sur  les  jeux  de  hasard  et 

les  chansons  profanes.  162 

48.  —  Comment  un  homme  en  dignité  doit  travailler  à  arrêter  la  fou- 

gue des  jeunes  g:ens  de  la  cotir  j  discipline  qu'il  doit  maintenir 
parmi  les-  troupes.  i65 

49.  A  un  ami.  Prendre  en  esprit  de  pénitence  les  assujettissemens 

de  son  état  ;  mépriser  les  discours  du  monde.  »G8 

50.  —  Être  réservé  dans  ses  jugemens.  170 
5i. — Supporter   patiemment  ses   défauts;   ne   pas   trop  raisonner 

sur  soi-même.  171 

52.  —  Eviter  la  hauteur  et  la  décision  :  pratiquer  la  douceur  et  l'hu- 

milité. 172 

53.  —  Sur  le  rapport  d'autrui  ,  et  sur  l'oraison.  173 
54-  —  Bon  usage  des  maladies;  se  défier  de  ses  propres  jugemens.   174 

55.  —  Se  modérer  en  tout;  exhortation  à  une   conduite  simple   et 

ingénue.  175 

56.  — Divers  avis  pour  une  conduite  sage  et  chrétienne.  176 

57.  —  Eviter  la  hauteur,  et  s'appliquer  à  l'humilité.  179 


TAULE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES.  /\o[) 

l'ai,'. 

58.  —  Mourir  à  ses  goûts ,  et  vivre  dans  une  entière  dépendance 

lie  la  grâce.  i8i 

59.  —  Exhortation  à  la  franchise ,   h   la    candeur ,   à  la  petitesse  ; 

fuir  les  curiosités  de  l'esprit.  Ilntl. 

60.  —  Ellefs  d'une  amitié  chrétienne.  182 

61.  j4  un  Seigneur  (le  la  cour.  Réponse  à  une  consultation  sur  la 
sanctification  des  actions  indifférentes ,  et  sur  la  manière  de 
faire  les  exercices  de  piété.  i83 

Ga.  J  un  militaire.  Comment  se   soutenir  parmi  les  dangers  do  sa 

profession.  190 

G3.   yt  un  militaire.  Sur  la  méditation,    les  choix  des  lectures,  et 

lu  sainte  liberté  avec  laquelle  il  faut  at;ir  en  tout.  iga 

04  •   -^  ""^  clame  qui  faisait  profession  de  piété.  Écouter  Dieu  ,    et 

non  Tamour-proprc.  ig5 

65.  —  Se  mettre  sans  effort  en  la  présence  de  Dieu.  igCî 

6G.  —  Combattre  paisiblement  les  écarts  et  la  légèreté  de  l'imagi- 
nation. 197 

67.  —  Sur  le  même  sujet.  198 

68.  — Réponse  à  diverses  difficultés   sur  l'attrait  intérieur,  le  re- 

cueillement ,  l'ouvei'ture  de  cœur ,   etc.    et  la   manière  d'être 
avec  les  créatures.  Ibùf. 

G9.  — Divers  avis  sur  l'oraison.  201 

70.  — De  l'utilité  des  privations.  202 

71.  —  Précautions  à  prendre  contre  l'illusion.  2o5 

72.  —  Préférer  la  charité    et  Ihumililé  à  la  réputation  et  au  désir 

de  savoir.  Ibid. 

73.  —  Divers  avis  pour  la  paix  intérieure.  2o5 
74-  A  une  demoiselle  qui  vivait  dans  le   monde,  et  qui  faisait  pro- 
fession de  pieté.  User  bien  du  moment  présent;  exhortation  au 

recueillement  et  à  l'humilité.  206 

75.  —  Préférer  la  paix  et  l'édification  commune  à  sa  propre  justifi- 
cation. 207 
7G.  —  Péril  d'être  approuvé  des  hommes.  Caractère  de  l'humilité. 

IVIoyens  de  remédier  à  la  dissipation  et  à  la  sécheresse.  208 

77.  — Souffrir  les  outrages  avec  humilité  et  en  silence.  210 

78.  —  S'appliquer  au  recueillement  et  à  rhumilitc  ;  réprimer  la  cu- 

riosité dans  le  choix  tics  lectures.  212 

79.  —  Ne  point  prendre  feu  sur  les  dérèglemens  des  hommes,  mais 

remettre  tout  à   Dieu   en  paix  dans  l'accomplissement  de  nos 
devoirs.  21 4 

80.  —  Chercher  ses  amis  en  Dieu  ,  et  se  mortifier.  21D 


4o6  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

Pag. 

8i.  — Avantages  de  s'être  vu  près  de  la  mort.  216 
8a.  —  Souffrir  eu  pai.\  les  bas  sentimeus  que  les  autres  conçoivent 

de  nous.  217 

83.  —  Nécessité  et  bonheur  de  souffrir  dans  cette  vie.  218 

84.  —  Amortir  notre  activité  naturelle.  aig 

85.  —  Accorder  la  condescendance   pour  autrui,   avec  la  fermeté 

nécessaire  pour  ne  se  laisser  point  entraîner  au  relâchement.  220 

86.  —  Le  naturel  ne   se  surmonte  pas  tout  d'un  coup.  222 

87.  —  Réserver  toutes  ses    affections  pour  Dieu.  224 

88.  —  Porter  Tesprit  d'oraison  dans  tout  ce  que  l'on  fait.  225 

89.  —  Ménager  les  forces  du  corps  ;  amortir  l'activité  naturelle.  226 

90.  —  Contre  rcmprcssement  et  la  vivacité  naturelle.  227 
gi.  —  Pourquoi  Dieu  permet  la  diminution  de  la  faveur  sensible.  228 

92.  —  Utilité  de  sentir  notre  faiblesse  à  la  vue   de  la  mort.  Com- 

ment on    doit  porter  la  perte  de  ceux  qu'on  aime.  aSo 

93.  — S'accoutumer  à  la   perte  de  ce    qui   flatte,   dans  la  ferveur 

et  le  recueillement  sensibles.  23 1 

94-  —  Avis  pour  l'extérieur  et  l'intérieur,  lorsqu'on  est  en  sécheresse.  233 

95.  —  Moyens  pour  se  conserver  en  paix  avec  les  autres.  234 

96.  • —  Sur  l'impression  pénible  que  l'on  ressent  de  la  mort.  235 

97.  —  S'abandonner  à  Dieu,  obéir,  se  taire,  souffrir.  207 

98.  —  Pi'ix  des  exercices   de  piété  faits   sans   goût  et  avec  peine, 

pour  l'amour  de  Dieu.  a38 

99.  — Ce  qu'il  faut  faire  quand  on  se  trouve  en  paix.  241 
100. -— Comment  on  doit  porter  la   vue  de  la  mort,  quand  l'affai- 
blissement de  l'àge  nous  la  montre  plus  proche.  242 

lOi.  A  diverses  personnes  de  piété  qui  vitraient  dans  le  monde.  Le 
travail  sur  nous-mêmes  doit  s'opérer  plus  pour  le  dedans  que 
230ur  le  dehors.  L'oraison  doit  s'étendre  sur  tout  ce  que  nous 

faisons.  245 

102.  —  Sur  le  détachement  du  monde.  a48 

io3.  —  Allier  ensemble  l'exactitude  et  la  liberté  d'esprit.  200 
104.  —  L'oraison  est  bonne  à  tout   :  le   propre  esprit  fait   tout  le 

contraire.  Persévérer  dans  la  voie  de  la  perfection.  204 

io5.  —  Support  des  défauts  d'aulrui,  et  facilité  à  se  laisser  reprendre.  266 

1 06.  —  Exhortation  à  la  condescendance  pour  les  défauts  et  im- 
perfections d'autrui.  268 

107.  —  Les  cœurs  réunis  en  Dieu  sont  ensemble,  bien  que  séparés 
par  les  lieux.  259 

108.  — Comment  les  infidélités  d'une  personne  attristent  l'esprit  de 
Dieu,  dans  une  autre  que  la  même  grâce  unit.  260 


TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES.  4^7 

Pag. 
log.  —  I/iinion  des  âmes  ne    doit  point  ôtrc   une  socicHô  de  vie, 

mais  de  mort  taut  pour  le  deliors  ijue   pour  le   dedans.  aGa 

110.  —  Avis  pour  une  personne  attirée  au  recueillement,   et  qui 
songeait  à  entrer  au   couvent.  aG4 

111.  Avis  sur  le  choix  des  sociétés.  Ne  pas  trop  raisonner  sur  notre 
état  inférieur.  265 

iiu.  —  Réunion  en  unité  dans  notre  centre  commun  2G6 

AVIS    SUR   l'exercice    DE    LA   DIRECTlOir. 

II 3.  Sur  les  scrupules  et  leurs  remèdes.  aGg 

1 1 4-  Importance  de  s'ouvrir  sur  les  petites  choses ,  et  de  renoncer 

à  ce  qu'on  appelle  esprit.  271 

ii5.  Être  fidèle  à  déclarer  les  peines  intérieures.  2^3 

116.  Pourquoi  et  comment  on  tloit  s'ouvrir  dans   ses  peines.  Ma- 
nière de  converser  avec  Dieu.  274 

117.  I-a  simplicité  à  s'ouvrir  doit  être  sans  réserve  d'amour-propre. 

Ne  se  point  dépiter  à  la  vue  de  ses  défauts.  276 

118.  On  n'a  point  la  paix  en  sécoutant  soi-même.  278 

119.  Mettre  à  profit  nos  imperfections  pour  nous  en  humilier.  Ne 
regarder  que  Dieu  dans  la  créature.  279 

120.  Renoncer  courageusement  aux  secours  humains  que  Dieu  nous 
enlève.  280 

lai.  Contre  l'attachement  excessif  au.\  consolations  qu'on  reçoit  sous 

la  conduite  d'un  directeur.  281 

122.  Nécessité  d'écouter  Dieu,  et  ceux  qu'il  nous  donne  pour  nous 
conduire.  282 

123.  Comment  on  doit  agir  envers  une  personne  faible  et  dissipée.  284 
124- Ne  pas  trop  pousser  une  ame  que  Dieu  attire;  mais  s'accom- 
moder à  sa  grâce ,  et  en  attendre  les  momens.  285 

125.  Ne  point  se  rebuter  des  imperfections  d'autrui ,  et  ne  pas  trop 
presser  les  commençans.  207 

avis  sur  les  epreuves  et  les  vicissitudes  de  la  vie 
istÉrieure. 

126.  Abandon  à  Dieu  parmi  les  vicissitudes  de  la  vie  intérieure.      288 

127.  En  quoi  consiste  la  véritable  ferveur.  269 
1-28.  Se  contenter  de  l'opération  de  Dieu,  quoique  cachée  et  mélan- 
gée des  saillies  du  naturel.  290 

129.  Être  fidèle  aux  exercices  de  piété  ^  indépendamment  du  goût 

sensible.  Aimer  Dieu  ,  et  tendre  par  la   volonté  à  cet  amour.  291 


4o8  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

Pag. 

j3o.  Touchant  les  distractions  involontaires  et  les  sécheresses.  392 

i3i.  Souffrir  la  tiédeur  et  ses  propres  dégoûts.  Oraison  de  silence.  ay4 
i32.  De  Tinstiuct  dufond3  de  la  présence  de  Dieu  ;  des  amusemens 

innocens.  agO 

i33.  Ne  pas  s'inquiéter  des  scntiraens  ,  mais  du  fond  de  la  volonté.  297 
i34-  Recevoir  également  de  Dieu  la  tranquillité  et  la  sécheresse  dans 

l'oraison.  2(^9 

i35.  Recevoir  avec  une  égale  tranquillité  les  consolations   et  les 

sécheresses,  selon  qu'il  plaît  à  Dieu.  Soi 

136.  La  désoccupation  de   soi-même  perfectionne  la  vigilance  pour 

se  corriger,  loin  de  l'exclure.  Dieu  doit  être  aimé   purement.   3()3 

137.  Comment  se  conduire  parmi  les  vicissitudes  de  la  vie  intérieure.  3oG 
i38.  Demeurer  fidèle  dans  les  sécheresses ,  pour  vivre  de   la   vraie 

vie  de  Jésus-Clirist  eu  Dieu.  3o8 

139.  Crainte  injurieuse  à  Dieu.  Utilité  d'une  misère  qui  humilie.  309 
i4o.  Langueur  de  l'ame  ;  sa  source  et  son  remède.  3i() 

il\i.  Supporter  patiemment  les  sécheresses  et  la  vue  de  nos  misères.  3ii 

142.  Avantages  des  croix  et  de  l'état  d'obscurité  où  Dieu  nous  laisse.  3i3 

143.  Tendre  habituellement  à  Dieu  avec   paix  et   fidéhté,  sans  se 
détourner  pour  toutes   les  distractions  involontaires.  3i4 

ATIS     SUR    LA     PRATIQUE    DE     l'hUMILITÉ  ,    DU    RENONCEMENT    A 
SOI-MEME  ,    DE    LA    RESIGNATION    DANS    LES    CROIX  ,    ETC. 

i44'  Souffrir  avec  patience  et  courage  dans  les  peines  domestiques.  3i6 

i45-  Avantages  de  se  laisser  rapetisser.  317 

14G.  Quelle  doit  être  la  soufirance  pour  y  conserver  la  paix.  Ibid^ 

i47-  Bonheur  des  croix.  319 

148.  Soufl'rir  ici-bas   comme  les  âmes  du  purgatoire.  32o 

i49-  Périls  de  l'activité  et  de   la  dissipation  de  l'esprit.  322 

i5o.  Exhortation  à  la  simplicité  et  k  l'enfance  chrétienne.  32j 

l5i.  Il  n'y  a  que  la  mort  de  l'esprit  qui  prépare  bien   à  celle  du 

corps.  324 

102.  Changer  les  maux  en  biens  par  la  patience.                        »  3iG 

ï53.  Dieu  humilie  l'ame  par  le  sentiment  de  sa  faiblesse.  327 

154.  Sur  le  même  sujet.  328 

155.  Souffrir  sans  perdre  courage  et  avec  fidélité,  sous  la  main  de 
Diou ,  les  opérations  douloureuses  qui  nous  rapetissent.  329 

166.  Se  laisser  juger,  et  se  corriger  en  suivant  l'esprit  de  giAcc.     33o 
157.  Sacrifice   absolu  de  l'amour-propre  par  un  continuel  abandon 

de  soi-même  entre  les  mains  de  Dieu.  33 1 


TABLE    DKS    LETTRES    SPIRITUELLES.  4^9 

Pui;. 

i."j3.  Abandon  à  la  seule  volonlé  de  Dieu;  détachement  de  tout  le  reste.  33a 
l5;).  Porter  la  croix  ,  s'abandonner  à  la  Providoice.  334 

i()o.  Sur  le  même  sujet.  335 

j6i.  Ne  point  agir  par  naturel,  et  amortir  sa  vivacité.  33G 

iGa.  SoulFrir  avec  abandon ,  et  boire  le  calice  d'amertume  jusqu'à 

la  dernière  p;outte.  33t 

ifiS.  La  volonté  de  Dieu  doit  ôtre  notre  tout.  338 

iGJ.  Manière  de  bien  porter  sa  croix.  33q 

ïG5.  Consentir  à  n'ètie  lien ,  et  se  laisser  consumer  par  une  mort 

entière.  S^o 

ïGG.  Vivre  en  pur  abandon  et  simple  délaissement  au   bon  plaisir 

de  Dieu.  3 j3 

1G7.  Laisser  expirer  la  nature  dans  le  dépouillement  et  l.i  mort  totale.  3-j4 
1G8.  Nécessité  de  s'abandonner  en  pure  loi  à  Topérulion  cachée  de 

Dieu  pour  donner  la  mort.  3/5 

iGg.  Abandon  simple  et  total.  S5o 

170.  Eviter  la  dissipation,  et  réprimer  l'activité  de  Icsprit.  35ï 

171.  Sur  le  mémo  sujet.  352 

172.  Se  laisser  conduire  sans  résistance.  353 

173.  Avis  pour  deux  personnes  en  dej^ré  différent  de  grâce.  3j5 
174-  Trouver,  avec  l'Apotre,  sa  force  dans  la  faiblesse.  Giraetères 

de  l'abandon  véritable.  357 

175.  Croix  et  morts  journalières.  358 

17G.  Les  douleurs  dans  la  mort  à  soi-même  ne  viennent  c|uc  de  nos 

résistances.  L'abandon,  pour  être  véritable,  ne  doit  point  être 

aperçu.  359 

177.  Se  délaisser  à  Dieu ,  sans  retour  inquiet  sur  soi-même;  éviter 

la   dissipation  ;  agir  sans  rien  jirésiitucr   de  son  travail.  36o 

17S.  Extinction  de  la  vie  propre.  Agir  par  grâce;  attendre  tout  de 

Dieu.  3G4 

17g.  Dieu  proportionne  les  souffrances  et  l'épreuve  aux  forces  qu'il 

donne.  3GG 

i8m.  En  venir  enfin  ;i  l.i  pr-ilique.  Simplicité  et  ses  effets.  3G7 

181.  Suivre  Dieu    sans  égard  aux  sentimens.   Avantages  des  croix, 

et  frnit.s  qu'on  doit  tirer  de  ses  fautes.  3G8 

182    D'où  vient  la  diminution  des  consolations  et  du  recueillement. 

Renoncer  à  soi-même  et  aux  créatures.  370 

i83.  Patience  envers  soi-même  et  envers  les  autres.  37c 

184    Se  supporter  soi-même  avec  patience.  3^2 

i85.  Ne  point  résister  à  l'attrait  intérieur,  acquiescer,  et  attendre 

tout  de  Dieu.  374 


4lO  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

Pag. 

r86.  Moyen  de  trouver  la  paix  au  milieu  tles  croix.  376 

187.  Contre  les  vaines  délicatesses  de  lamour-propre ,  et  contre  les 
prévoyances  inquiètes  de  l'avenir.  877 

188.  Sur  ce  qui  donne   la  paix  ,  et  dans  quelle  disposition  on  doit 

se  tenir  sur  les  sacriûces  que  Dieu  exige.  879 

18g.  Fidélité  à  laisser  tomber  tout  ce  qui  trouble  le  silence  intérieur. 

Indulgence  pour  les  défauts  d'autrui.  38o 

190.  Bonheur  des  souffrances.  L'amour  les  adoucit  toutes.  38i 

191.  Sur  les  grâces  reçues ,  le  recueillement  habituel,  et  l'abandon 

à  Dieu.  382 

J92.  Sur  la  vie  de  foi,  le  détachement  et  la  paix  intérieure.  384 

193.  Avis  sur  la  conduite  des  domestiques.  386 

194.  Détails  sur  l'intérieur  de  Fénelon ,  et  sur  les  défauts  de  son 
caractère.  389 

LETTRES  DE  CONSOLATION. 

195.  Les  grandes  douleurs  sont  un  remède  aux  maux  de  notre  nature.   390 

196.  Sur  la  mort  d'un  ami,  qui  avait  été  éprouvé  par  de  grandes 
peines.  Sga 

197.  Sur  la  mort  édifiante  d'ime  dame.  Ibid. 

198.  Sur  la  mort  d'un  ami  commun.  Être  contens  que  Dieu  fasse 

de  nous  tout  ce  qu'il  lui  plaît.  3g3 

199.  La  Religion  seule  nous  donne  de  véritables  consolations  dans 

la  perte  des  personnes  qui  nous  sont  chères.  394 

200.  Au  Duc  de  Chei't^euse.  Consolation  sur  la  mort  de  son  fils  aîné.    397 
aoi.  La  perte  des  personnes  qui  nous  sont  chères  sert  à  nous  dé- 
tacher entièrement  des  créatures.  399 


LETTRES 

SPIRITUELLES 

DE    FÉNELON 

ARCHEVÊQUE   DE   CAMBRAI, 


PUBLIEES    POUR    LA    PREMIERE    FOIS 


SUR  LES   MANUSCRITS  ORIGINAUX 


ET     LA     PLUPART     INEDITS. 


DEUXIEME   PARTIE. 


iJbmuolbedue    walijolitiiie   de   icc   Voeïaicnizj. 


LOUVAIN, 

CHEZ      VANLINTHOUT      ET      VANDENZANDE. 

1828. 


Imprimatur 

Mechliniœf  3  Fehruarii  1828.  /.  FORGE UR,  Kic,  gen. 


4i3 
AVERTISSEMENT 

SUR     LES 

LETTRES  A  LA  COMTESSE  DE  GRAMONT. 


Elisabeth  Hamilton ,  Comtesse  de  Gramont ,  à  qui  sont  adres- 
sc'cs  les  lettres  suivantes,  naquit  en  1641,  de  Georges,  Comte 
Hamilton  ,  eu  Ecosse  ,  et  de  Marie  Butler.  Elle  e'pousa ,  vers  l'aa 
i()Go,  Philibert  de  Giamoot ,  fils  d'Antoine  de  Gramont,  second 
du  nom,  et  connu  par  les  Mémoires  publie's  sous  son  nom  (i). 
P.ir  suite  de  ce  mariage  ,  la  Comtesse  devint  bientôt  après  dame 
du  palais  de  la  Reine  Maric-Tlicrcse  d'Autriche ,  femme  de  Louis 
XIV.  Le  de'sir  de  se  donner  parfaitement  à  Dieu  l'engagea ,  vers 
l'an  1684,  à  se  mettre  sous  la  conduite  de  Fe'nelon  ,  qui,  sans 
être  son  confesseur,  la  dirigea  par  ses  avis  jusqu'à  l'e'poque  où  il 
fut  éloigné  de  la  cour.  Les  heureux  eflets  de  cette  direction  ne  tar- 
dèrent pas  à  se  faire  sentir ,  comme  on  peut  le  remarquer  en  par- 
ticulier par  le  Journal  de  Dangeau.  «  La  Comtesse  de  Gramont, 
yt  dit-il,  est  tout-à-fait  dans  la  dévotion.  11  y  a  long-temps  qu'elle 
))  s'en  cachait;  présentement  elle  n'en  fait  plus  mystère.  »  (  \  S  oc- 
tobre 1687.  )  La  Correspondance  de  Féuelon  avec  la  Comtesse  em- 
brasse un  intervalle  d'environ  douze  ans ,  et  elle  montre  que  ses 
avis  ne  furent  pas  moins  utiles  au  Comte  de  Gramont  qu'à  la  Com- 
tesse son  épouse.  Une  maladie  dangereuse ,  dont  le  Comte  fut  at- 
taqué en  1692,  le  fît  sérieusement  rentrer  en  lui-même  (2),  et  la 
Comtesse  profita  de  cette  occasion  pour  lui  faire  aimer  et  connaî- 
tre la  Religion  qu'il  avait  jusqu'alors  entièrement  négligée.  Le  Jour- 
nal déjà  cité ,  parlant  de  cette  maladie ,  sous  la  date  du  3  décem- 
bre 1692,  ajoute  que  le  Comte  reçut  les  sacremens  ;  et  une  note 
anonyme  y  jointe  à  cet  article  du  Journal,  fait  connaître  la  reli- 

(i)  Ces  Mémoires  ont  pour  auteur  Antoine  Hamilton  ,  frère  de  la  Com- 
tesse. Ih  sont  écrits  avec  beaucoup  d'esprit  et  de  délicatesse  ;  mais  ils 
n'ont  le  plus  souvent  pour  objet  que  les  aventures  scandaleuses  duConile 
de  Gramont. 

(•i)  Voyez  les  lettres  -2^1  ,  233  et  a34  ,  ci-après. 


4l4  AVERTISSEMENT. 

gietise  sollicitude  de  la  Comtesse  pour  la  conversion  de  son  ëpoux  : 
«(  Elle  lui  apprit  dans  cette  maladie  les  premiers  élémens  de  la  Re- 
«  ligion  ;  et  comme  elle  lui  récitait  le  Pater,  Comtesse,  lui  dit 
»  son  mari ,  répétez-moi  encore  cela  ;  cette  prière  est  belle  :  qui 
»  l'a  faite?  Telle  était  son  ignorance.  »  Le  Comte  et  la  Comtesse 
de  Gramont  honorèrent  également  leur  caractère ,  en  témoignant  le 
plus  ferme  attachement  à  l'Archevêque  de  Cambrai  dans  le  temps 
de  sa  disgrâce.  Toutefois  l'exil  du  Prélat  fut  dans  la  suite  funeste 
à  la  Comtesse ,  qui  accorda  peu  à  peu  sa  confiance  aux  instituteurs 
de  Port-Royal ,  et  se  laissa  entraîner,  par  ces  nouveaux  directeurs, 
dans  un  esprit  de  parti  peu  convenable  à  une  personne  de  son  sexe 
et  de  sa  condition.  Le  Comte  de  Gramont  mourut  le  3o  janvier  1707, 
âgé  de  quatre-vingt-six  ans,  et  la  Comtesse  le  3  juin  1708,  à  l'âge 
de  soixante-sept  ans. 

Les  lettres  originales  de  Fénelon  à  la  Comtesse  de  Gramont  se 
trouvèrent,  en  1780,  dans  la  succession  de  l'Impératrice  Marie- 
Thérèse  ,  qui  professait  nne  tendre  vénération  pour  la  mémoire  et 
\qs  vertus  de  l'Archevêque  de  Cambrai.  Elle  les  avait  reçues  de 
miladi  Hamilton,  propre  fille  de  la  Comtesse  de  Gramont,  mariée 
rn  169-f  à  Heni'i  How^ard ,  Comte  de  Straftord ,  et  connu  depuis 
sous  le  nom  de  milord  Hamilton.  A  la  mort  de  Marie-Thérèse ,  ces 
lettres  passèrent  dans  les  mains  de  la  Comtesse  de  Vasques,  sa  grande 
maîtresse,  qui  les  transmit  ensuite  à  sa  petite  nièce,  la  Comtesse  de 
Wolhenstein ,  née  Comtesse  de  Stahremberg.  Elles  sont  aujourd'hui 
â  Paris ,  entre  les  mains  de  M.  le  Général  Comte  Andréossy ,  qui 
les  acquit  en  i8og,  pendant  son  ambassade  à  Vienne  (3). 

Nous  avons  entre  les  mains  la  copie  de  ces  lettres  ,  dont  M.  le 
Cardinal  de  Bausset  a  fait  usage  dans  la  troisième  édition  de  V His- 
toire de  Fénelon,  et  qui  avait  été  tirée  en  1807,  à  Vienne,  par 
les  soins  de  M.  le  Baron  Joseph  de  Retzer ,  secrétaire  aulique,  et 
littérateur  distingué.  La  confrontation  de  cette  copie  avec  les  ma- 
nuscrits originaux  ,  que  M.  le  Comte  Andréossy  a  bien  voulu  nous 
communiquer,  nous  a  servi  à  rétablir  plusieurs  omissions,  à  rec- 
tifier bien  des  passages  ,  et  à  déterminer  la  date  d'un  grand  nom- 
bre de  lettres. 

{?))  Voyez ,  pour  de  plus  amples  dévcloppemens  ,  ÏHist.  de  Fénelon  , 
lom.  III,  liv.  v,  n.  7  ,  et  les  Pièces  justificatives ,  au  ilième  livre,  n.  2. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^^ 

LETTRES 

A    LA    COMTESSE    DE    GRAMONT. 


»««Vi^— 


202. 

Moyens  Je  se  soutenir  au  milieu  des  dangers  que  l'on  rencontre  dans 

le  monde. 

Paris  ,  1 1  juin. 


J'étais  à  la  campagne  ,  madame  ,  quand  vous  me 
fîtes  l'honneur  de  m'écrire  un  billet  daté  de  votre 
ermitage.  Je  n'aurais  pas  manqué  d'y  aller  recevoir 
vos  ordres ,  si  j'eusse  été  à  Paris.  J'espère  que  quel- 
que voyage  que  vous  y  ferez,  ou  quelque  affaire  qui 
me  mènera  à  Versailles ,  me  dédommagera  de  ce  que 
j'ai  perdu.  Ce  qui  est  certain,  madame,  c'est  que  je 
vous  souhaite  tous  les  jours ,  de  toute  l'étendue  de 
mon  cœur ,  le  recueillement  et  la  fidélité  à  l'esprit 
de  Dieu ,  dont  vous  avez  besoin  pour  vaincre  tous  les 
dangers  de  votre  état.  Vous  avez  beaucoup  à  craindre 
et  du  dedans  et  du  dehors.  Au  dehors ,  le  monde 
vous  rit ,  et  la  partie  du  monde  la  plus  capable  de 
nourrir  l'orgueil  donne  au  vôtre  ce  qui  peut  le  flat- 
ter ,  par  les  marques  de  considération  que  vous  rece- 
vez à  la  cour.  Au  dedans ,  vous  avez  à  surmonter  le 
goût  d'une  vie  délicate,  un  esprit  hautain  et  dédai- 
gneux, avec  une  longue  habitude  de  dissipation.  Tout 
cela,  mis  ensemble,  fait  comme  un  torrent  qui  en- 
traîne malgré  les  meilleures  résolutions.  Le  vrai  re- 
mède à  tant  de  maux ,  est  de  sauver ,  par  préférence 


4l(i  LETTRES   SPIRITUELLES. 

à  tout  le  reste  ,  quelques  heures  réglées  pour  la  prière 
et  pour  la  lecture.  Vous  savez ,  madame  ,  ce  que  j'ai 
eu  l'honneur  de  vous  dire  plusieurs  fois  là-dessus.  Je 
prie  Notre-Seigneur  qu'il  vous  arrache  à  tout ,  plutôt 
que  de  vous  laisser  en  proie  au  monde.  Je  suis ,  ma- 
dame ,  avec  un  grand  respect ,  etc. 

203. 

Sur  un  scandale  qui  venait  d'éclater  dans  lo  monde. 

Mardi,  lo  décembre    (1686) 

J'apprends  ,  madame ,  que  le  scandale  qui  vient 
d'éclater  renouvelle  de  justes  peines  que  des  aven- 
tures semhlables  vous  ont  causées.  J'y  prends  une 
véritable  part  :  et  je  m'intéresse  à  tout  ce  qui  vous 
touche.  Ce  qui  me  fâche  le  plus  dans  ces  affaires 
malheureuses,  c'est  que  le  monde,  qui  n'est  que  trop 
accoutumé  à  juger  mal  des  gens  de  bien  ,  conclut 
qu'il  n'y  en  a  point  sur  la  terre.  Les  uns  sont  ravis 
de  le  croire ,  et  en  triomplient  malignement  ;  les  au- 
tres en  sont  troublés,  et  malgré  un  certain  désir  qu'ils 
auraient  de  se  tourner  vers  le  bien  ,  ils  demeurent 
éloignés  de  la  dévotion  par  leur  défiance  de  tous  les 
dévots.  On  s'étonne  de  voir  un  homme  que  a  fait 
semblant  d'être  bon  ,  ou  ,  pour  mieux  dire ,  qui ,  ayant 
été  véritablement  converti  dans  la  solitude  ,  est  re- 
tombé dans  ses  inclinations  et  dans  ses  habitudes 
dès  qu'il  a  été  exposé  au  monde.  Ne  savait-on  pas 
({ue  les  hommes  sont  fragiles ,  que  le  monde  est  con- 
tagieux ,  que  les  gens  faibles  ne  peuvent  se  conserver 
qu'en  fuyant  les  occasions  ?  Qu'y  a-t-il  donc  de  nou- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^7 

veau?  Voilà  bien  du  bruit  pour  la  cliute  d'un  arbre 
sans  racines ,  et  attaqué  de  tous  les  vents.  Après 
tout ,  le  monde  n'a-t-il  pas  ses  hypocrites  de  probité 
comme  de  dévotion  ?  Les  faux  honnêtes  gens  doivent- 
ils  nous  faire  conclure  qu'il  n'y  en  a  point  de  véri- 
tables ?  Quand  le  monde  triomphe  d'un  tel  scandale, 
il  montre  qu'il  ne  connaît  guère  ni  les  lionnnes  ni  la 
vertu.  On  doit  être  aflligé  de  ce  scandale  ;  mais  il 
n'est  permis  d'être  surpris  de  rien ,  quand  on  connaît 
à  fond  la  misère  humaine ,  et  à  quel  point  le  peu  de 
bien  que  nous  faisons  est  en  nous  comme  une  chose 
empruntée.  Que  celui  qui  est  debout  tremble  ,  de 
peur  de  tomber,  que  celui  qui  est  par  terre,  crou- 
pissant dans  la  boue ,  ne  triomphe  point  de  voir  tom- 
ber un  de  ceux  qui  avaient  paru  se  soutenir.  Notre 
confiance  n'est  ni  dans  les  hommes  fragiles  ,  ni  en 
nous-mêmes,  aussi  fragiles  que  tout  le  reste  :  elle  est 
en  Dieu  seul,  qui  est  l'immuable  vérité.  Que  tous  les 
hommes  montrent  qu'ils  ne  sont  que  des  hommes  , 
c'est-à-dire  néant ,  mensonge  et  péché;  qu'ils  se  lais- 
sent entraîner  par  le  torrent  de  l'iniquité,  la  vérité 
de  Dieu  n'en  sera  point  afi'aiblie  ,  et  le  monde  n'en 
sera  que  pins  abomina])le  ,  pour  avoir  corrompu  ceux 
qui  cherchaient  la  vertu. 

Pour  les  hypocrites  ,  le  temps  les  démasque  ,  et 
ils  se  démentent  toujours  par  quelque  côté.  Ils  ne 
sont  hypocrites  que  pour  jouir  du  fruit  de  leur  hy-  , 
pocrisie.  Ou  leur  vie  est  molle  et  amusée ,  ou  leur 
conduite  est  intéressée  et  ambitieuse.  On  les  voit  se 
ménager  ,  flatter ,  faire  divers  personnages.  La  sincère 
vertu  est  simple  ,  unie  ,  sans  empressement ,  sans 
mystère  ;  elle  ne  se  hausse  ni  se  baisse  ;  elle  n'est  ja- 

CORRESP.    IV.  T  r>. 


^l8  LETTRES   SPIRITUELLE». 

louse  ni  de  réputation  ni  de  succès.  Elle  fait  le  moins 
mal  qu'elle  peut  ;  elle  se  laisse  juger ,  et  se  tait  ;  elle 
est  contente  de  peu;  elle  n'a  ni  cabale,  ni  dessein, 
ni  prétention.  Prenez-la,  laissez-la,  elle  est  toujours 
la  même.  L'hypocrisie  peut  imiter  tout  cela ,  mais 
très-grossièrement.  Quand  on  s'y  trompe  ,  c'est  ou 
défaut  d'attention  ,  ou  défaut  d'expérience  de  la  véri- 
table vertu.  Des  gens  qui  ne  se  connaissent  point  en 
diamans ,  ou  qui  ne  les  regardent  pas  d'assez  près , 
peuvent  en  prendre  de  faux  comme  s'ils  étaient  fins  : 
mais  il  est  pourtant  vrai  qu^il  y  en  a  de  fins ,  et  qu'il 
n'est  point  impossible  de  les  discerner.  Ce  qui  est 
vrai ,  c'est  que ,  pour  se  confier  aux  gens  qui  parais- 
sent vertueux  ,  il  faut  avoir  reconnu  en  eux  une  con- 
duite simple ,  solide ,  constante  et  éprouvée  dans  les 
dangers ,  éloignée  de  toute  affectation ,  mais  ferme  et 
vigoureuse  dans  l'essentiel. 

204. 

Agir  en  tout  avec  simplicité. 

Dimanche,  12  juin  (1689.) 

Ma  santé  va  bien,  Dieu  merci,  madame;  elle  est 
en  état  de  justifier  le  quinquina  ,  et  de  faire  taire 
tous  ses  ennemis.  Les  marques  de  bonté  que  vous 
me  donnez  me  font  un  plaisir  sensible ,  et  je  sais  bon 
gré  à  ma  fièvre  de  me  les  avoir  procurées.  Vous  vous 
moquez  ,  madame  ,  avec  vos  discrétions.  Quand  vous 
voulez  que  j'aie  l'honneur  de  vous  voir  ,  il  n'y  a  qu'à 
me  donner  vos  ordres.  Une  conduite  simple  et  ingé- 
nue plaît  trop  à  Dieu,  pour  choquer  les  gens  qui  veu- 


LETTRES    SPlRlTDELLliS.  ^HJ 

lent  le  servir ,  et  qui  doivent  parler  en  son  nom , 
pour  recommander  la  simplicité.  Soyez  donc  simple 
en  tout ,  madame  ,  et  simple  à  m'ordonner  de  vous 
\o\v ,  comme  à  tout  le  reste.  Je  souliaile  que  vous 
puissiez  mcUie  quelque  ordie  aux  aflaires  épineuses 
qui  vous  mènent  à  Paris.  Je  m'imagine  que  vous  ver- 
rez une  personne  Lien  ivre;  carie  voyage  aura  écliaufie 
sa  tète.  Il  y  a  des  ivresses  Lien  dilïérentes.  L'Ecriture 
dit  :  Malheur  à  vous  qui  êtes  ivixs ,  et  non  de  vin  (a)  \ 
Il  y  a  des  ivresses  d'orgueil ,  d'autres  de  colère  et  de 
vengeance  ;  il  y  en  a  d'autres  de  zèle  et  de  ferveur. 
C'est  ainsi  que  les  apôtres  paraissaient  ivres ,  quand 
ils  reçurent  le  Saint-Esprit.  A  votre  retour,  madame  , 
je  souhaite  de  vous  voir  dans  cette  ivresse.  Cepen- 
dant je  prierai  de  Lon  cœur  pour  vous. 

(a)  Isai.  XXIX.  9. 

205. 

Remerciaient  sur  rinlérêt  qu  elle  picnait  à  sa  nomination  à  la  place  de 
précepteur  du  Duc  de  Bourgogne. 

Paris  ,  a5  août  1G89. 

Je  suis  Lien  honteux  ,  madame  ,  de  la  promptitude 
avec  laquelle  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  , 
et  de  la  lenteur  avec  laquelle  je  vous  en  fais  mes 
Irès-humLles  remercimens  ;  mais  personne  ne  sait 
mieux  que  vous  ,  madame  ,  pardonner  les  fautes  qui 
vieiuient  d'emLarras.  Vous  savez  ce  que  je  dois  penser 
sur  ce  qui  vient  de  m'arriver.  Vous  qui  gémissez  à  la 
cour  ,  vous  devez  ,  madame  ,  prier  Dieu  charitaLle- 

12^ 


420  LETTRES   SPIRITUELLES. 

ment  pour  ceux  qui  y  vont.  Vous  n'y  trouverez  ja- 
mais personne  qui  soit  avec  un  respect  plus  sincère 
que  moi ,  madame  ,  votre ,   etc. 

208  *  A. 

Dérober  quelques  heures  aux  embarras  du  monde  pour  nourrir  la  piété. 
Ne  point  se  décourager  à  la  vue  de  ses  faiblesses. 

Dimanche,  2  octobre  (16S9.) 

Je  crois ,  madame  ,  que  vous  avez  deux  choses  à 
faire ,  l'une  dans  vos  affaires  ,  et  l'autre  sur  vous- 
même.  La  première  ,  qui  regarde  vos  affaires ,  con- 
siste dans  le  soin  que  vous  devez  prendre  de  dérober 
au  monde  un  peu  de  temps  pour  vos  lectures  et  pour 
vos  prières.  Il  me  semble  que  je  vois  tous  vos  em- 
barras ,  tant  je  me  les  représente  fortement  :  mais  , 
après  tout ,  il  faut  que  les  affaires  viennent  chacune 
en  leur  rang ,  et  que  celle  du  salut  soit  comptée  pour 
la  première.  Que  diriez-vous  d'une  personne  qui  ne 
trouverait  point  de  temps  pour  manger  et  pour  dor- 
mir ?  Le  temps  donné  aux  nécessités  de  la  vie  ,  lui 
diriez-vous ,  est  le  temps  le  mieux  employé  pour  les 
affaires  mêmes.  Si  votre  santé  succombe  ,  comment 
agirez-vous  ?  et  à  quoi  servira  votre  travail ,  si  la  vie 
vous  manque  pour  en  recueillir  le  fruit  ?  Je  vous  dis 
de  même ,  madame  :  si  vous  laissez  votre  ame  s'épui- 
ser et  tomber  en  défaillance  faute  de  nourriture,  à 
quoi    aboutiront   non-seulement    les    conversations  , 


(*)   Sentimens  chrétiens ,  r.  xux;  OEuvres  spir.   \']\o ,  t.  11^ 
pag,   i52. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^^ 

jnais  encore  les  affaires  qui  paraissent  les  plus  solides, 
les  plus  indispensables  et  les  plus  pressées  ?  Marthe  , 
Marthe ,  vous  vous  empressez  ,  et  vous  vous  trou- 
hlez  pour  beaucoup  de  choses  !  Marie  ,  que  vous  voyez 
recueillie  et  immobile ,  a  choisi  la  7neilleure  part , 
qui  ne  lui  sera  jamais  ôtée  {a). 

Au  reste ,  madame ,  je  ne  dis  pas  tout  ceci  pour 
vous  jeter  dans  des  scrupules  sur  les  occupations  né- 
cessaires ;  mais  soyez  persuadée  que  les  occupations 
nécessaires  n'iront  jamais  jusqu'à  ne  vous  laisser  point 
le  temps  de  manger  le  pain  quotidien  pour  votre 
nourriture  ;  car  Dieu  est  trop  bon ,  et  vous  a  trop 
fait  sentir  ses  miséricordes  ,  pour  vous  ôter  les  moyens 
de  le  prier ,  et  de  vous  soutenir  dans  les  sentimens 
qu'il  vous  inspire.  Songez  donc ,  madame  ,  à  sauver 
les  matins  et  les  soirs  quelque  demi-lieure.  En  faisant 
semblant  de  s'éveiller  plus  tard  le  matin,  et  le  soir 
d'avoir  quelque  lettre  à  écrire ,  on  se  débarrasse ,  eli 
les  affaires  véritables  n'en  vont  pas  moins  bien.  Il  faut 
aussi  mettre  à  profit  tous  les  petits  niomens  ;  quand 
on  attend  quelqu'un ,  quand  on  va  d'un  lieu  en  un 
autre ,  quand  on  est  avec  des  gens  qui  parlent  vo^ 
lontiers ,  et  qu'on  n'a  qu'à  laisser  parler ,  on  élève  un 
instant  son  cœur  à  Dieu ,  et  on  se  renouvelle  pour 
la  suite  de  ses  occupations.  Moins  on  a  de  temps, 
plus  il  importe  de  le  ménager.  Si  on  attend  d'avoir 
à  soi  des  beures  réglées  et  commodes  pour  les  rem- 
plir de  cboses  solides  ,  on  court  risque  d'attendre  trop 
long-temps  ,  surtout  dans  le  genre  de  vie  où  vous 
êtes  ;  mais   il   faut   prendre  tous  les  momens  inter- 

(o)  Luc.  X,  4^  >  4^* 


l  'j,^^  LETTRES    SPIRITUELLES. 

rompus.  Il  n'en  est  pas  de  la  piété  comme  des  af- 
faires temporelles.  Les  affaires  demandent  des  temps 
libres  et  réglés  pour  une  application  suivie  et  longue  -, 
niais  la  piété  n'a  pas  besoin  de  ces  applications  si 
fortes  et  si  suivies  ;  en  un  moment  on  peut  rappeler 
la  présence  de  Dieu ,  l'aimer ,  l'adorer  ,  lui  offrir  ce 
que  l'on  fait  ou  ce  que  l'on  souffre ,  et  calmer  devant 
lui  toutes  les  agitations  de  son  cœur.  Prenez  donc , 
madame ,  le  matin  une  demi-heure ,  et  une  autre 
demi-heure  l'après-midi ,  pour  réparer  les  brèches 
que  le  monde  fait;  et  dans  le  cours  de  la  journée, 
servez-vous  de  certaines  pensées  qui  vous  touchent 
le  plus ,  pour  vous  renouveler  en  la  présence  de 
Dieu. 

L'autre  chose  que  vous  avez  à  faire  par  rapport  à 
vous ,  c'est  de  ne  vous  point  décourager  ,  ni  par  l'ex- 
périence de  votre  faiblesse ,  ni  par  le  dégoût  de  la  vie 
agitée  que  vous  menez.  C'est  une  miséricorde  de  Dieu , 
qui  vous  fait  gémir  de  cette  agitation  ,  et  le  gémisse- 
ment est  le  contre-poison  qui  empêche  votre  cœur 
d'être  corrompu  par  la  dissipation  de  la  cour.  C'est 
pourquoi  je  serais  bien  fâché  que  cette  vie  cessât  de 
vous  déplaire.  Vos  gémissemens  et  votre  dégoût  me 
donnent  une  vraie  joie.  Dieu  vous  fera  mourir  à  vous- 
même  par  le  dégoût  du  monde  ,  s'il  est  sincère ,  au 
milieu  du  monde  même,  comme  il  fait  mourir  à  elles- 
mêmes  d'autres  personnes  par  la  solitude  ,  et  par  la 
privation  de  tout  ce  que  le  monde  peut  donner.  Il 
n'est  question  que  d'être  fidèle  ,  patiente  et  paisible 
dans  les  croix  de  l'état  présent,  qu'on  n'a  point  choisi, 
et  que  Dieu  a  donné  selon  ses  desseins. 

Pour  les  fautes,  elles  sont  plus  araères  à  suj^porter; 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^3 

mais  elles  se  tourneront  à  bien,  si  nous  nous  en  servons 
pour  nous  humilier,  sans  nous  ralentir  dans  l'applica- 
tion à  nous  corriger.  Le  découragement  ne  remédierait 
à  rien;  ce  ne  serait  qu'un  désespoir  de  l'amour-propre 
dépité.  Le  vrai  moyen  de  profiter  de  l'humiliation  de 
nos  fautes ,  est  de  les  voir  dans  toute  leur  laideur , 
sans  perdre  l'espérance  en  Dieu  ,  et  sans  espérer  ja- 
mais rien  de  soi-même.  Jamais  personne  n'a  eu  un 
plus  pressant  besoin  d'être  humiliée  par  ses  fautes 
que  vt)us.  Ce  n'est  que  par  là  que  Bieu  écrasera  votre 
orgueil ,  et  confondra  votre  sagesse  présomptueuse. 
Quand  Dieu  vous  aura  été  toute  ressource  en  vous- 
même  ,  il  bâtira  son  édifice.  Jusque-là ,  il  foudroiera 
tout  par  vos  propres  fautes.  Laissez-le  faire;  travaillez 
humblement  sans  vous  rien  promettre.  Quand  vous 
voudrez  que  j'aie  l'honneur  de  vous  voir  de  temps 
en  temps ,  je  me  rendrai  chez  madame  la  Duchesse 
de  Chevreuse. 


IV^tiV^^'HX^^^^^^^^^tKit^^^l^AV*»  WM4 


207. 

Se  r<$ser»er  des  heures  de  solitude;  supporter  patiemment  les  importunités 
d'autrui  et  nos  propres  imperfections  ;  moyens  d'acqucirir  l'humilité. 

Jeudi ,  23  février  1690. 

Je  suis  fort  aise ,  madame ,  d'apprendre  que  vous 
trouvez  enfin  le  moyen  de  vous  réserver  des  heures 
de  solitude.  Ouvrir  sa  porte  fort  tard  ,  et  faire  comme 
si  on  était  encore  à  dormir;  d'ailleurs  chercher  un 
asile  hors  de  chez  soi  :  voilà  de  bons  moyens  pour 
se  garantir  de  tous  les  importuns.  Dans  le  reste  du 
temps ,  vous  pouvez  couper  un  peu  court  avec  cer- 


J^2/^  LETTRES    SPIRITUELLES. 

taines  ^ens ,  qui  ne  clierchent  qu'à  vous  amuser ,  ou 
qu'à  vous  jeter  dans  leurs  affaires  au-delà  des  règles. 
A  l'égard  des  choses  journalières  ,  qui  sont  des  suites 
attachées  à  vos  devoirs ,  ou  des  occasions  de  provi- 
dence ,  quoiqu'elles  soient  incommodes  et  dissipantes , 
il  n'y  a  qu'à  les  souffrir  en  paix.  C'est  une  grande 
consolation ,  de  pouvoir  penser  que  Bieu  se  cache 
sous  l'importun ,  comme  il  se  cache  sous  les  amis  les 
plus  édifians.  Sous  la  figure  de  l'importun  ,  il  faut 
regarder  Dieu  qui  fait  tout ,  et  qui  n'est  pas  moins 
attentif  à  nous  mortifier  par  l'importunité,  qu'à  nous 
instruire  et  à  nous  toucher  par  les  bons  exemples. 
L'importun  que  Dieu  nous  envoie  sert  à  rompre  notre 
volonté  ,  à  renverser  nos  projets ,  à  nous  faire  dési- 
rer avec  plus  d'ardeur  le  silence  et  le  recueillement, 
à  nous  détacher  de  nos  arrangemens ,  de  notre  repos , 
de  nos  commodités  et  de  notre  goût;  à  humilier  notre 
esprit  pour  l'accommoder  à  celui  d'autrui  ;  à  nous 
confondre  toutes  les  fois  que  l'impatience  nous  échappe 
dans  ces  contre-temps  ;  à  exciter  dans  nos  cœurs  une 
faim  plus  grande  de  Dieu ,  pendant  qu'il  semble  s'é- 
loigner de  nous  à  cause  de  cette  agitation. 

Ce  n'est  pas  qu'il  faille  s'agiter,  et  s'exposer  jamais, 
par  son  propre  choix,  aux  compagnies  qui  dissipent; 
à  Dieu  ne  plaise  !  ce  serait  tenter  Dieu ,  et  cliercher 
le  péril  :  mais,  pour  les  assujettissemens  de  providence 
contre  lesquels  on  se  précautionne  ,  en  se  réservant 
des  heures  de  lecture  et  de  prière  ,  comptez  qu'ils 
se  tourneront  à  bien.  Tout  ce  qui  est  dans  la  main 
de  Dieu  y  fructifie.  Souvent  même  ces  choses  qui  vous 
font  soupirer  après  la  solitude ,  vous  sont  plus  utiles 
pour  vous  humilier ,  et  pour  mourir  à  vous-même  , 


LETTRES    SPUliTUELLES.  4^5 

que  la  solitude  la  plus  profonde.  Allons  selon  que 
Dieu  nous  mène,  au  jour  la  journée  ,  mettant  cha- 
que moment  à  profit ,  sans  regarder  plus  loin.  Quel- 
quefois une  lecture  mei'veilleuse,  une  méditation  fer- 
vente j  ou  une  conversation  dont  vous  seriez  charmée, 
flatterait  votre  goût ,  vous  rendrait  contente  et  pleine 
de  vous-même  ,  vous  persuaderait  que  vous  êtes  bien 
avancée ,  et  en  vous  donnant  de  Lelles  idées  sur  les 
croix ,  ne  ferait  que  vous  rendre  plus  hautaine ,  et 
plus  sensible  contre  celles  que  vous  trouveriez  sur 
votre  chemin  en  sortant  de  tous  ces  saints  exercices. 
Tenez-vous  donc  ,  madame  ,  à  cette  règle  simple  ; 
n'attirez  rien  qui  vous  dissipe  ,  mais  supportez  en 
paix  tout  ce  que  Dieu  vous  donne  malgré  vous,  pour 
vous  déranger.  Quelle  illusion  !  on  cherche  Dieu  bien 
loin ,  dans  des  projets  peut-être  impossibles ,  et  on 
ne  songe  pas  qu'on  le  possède  dès  à  présent  au  mi- 
lieu du  tracas ,  dans  un  état  de  pure  foi ,  pourvu 
qu'on  y  supporte  humblement  et  avec  courage  l'impor- 
tiinité  des  créatures  et  ses  propres  imperfections. 

Je  n'ai  qu'une  chose  à  vous  dire  sur  l'amour  du 
prochain ,  c'est  que  l'humilité  seule  vous  rendra  irai- 
table  là-dessus  :  la  vue  seule  de  vos  misères  peut 
vous  rendre  compatissante  et  indulgente  pour  celles 
d'autrui.  Vous  me  direz  ;  Je  vois  bien  que  l'humi- 
lité doit  produire  le  support  du  prochain  ;  mais 
qu'est-ce  qui  produira  l'humilité  ?  Deux  choses  mises 
ensendjle  la  produiront  \  ne  les  désunissez  jamais.  La 
première  est  la  vue  de  Fabîme  de  misère  d'où  la  puis- 
sante main  de  Dieu  vous  a  tirée ,  et  au-dessus  du- 
quel il  vous  tient  encore  comme  suspendue  en  l'air. 
La  seconde  est  la  présence  de  ce  Dieu  qui  est  tout  : 


426  LETTRES    SPIRITUELLES. 

ce  n'est  qu'en  voyant  Dieu  ,  et  en  l'aimant ,  qu'on 
s'oublie  soi-même ,  qu'on  se  désabuse  de  ce  néant 
qui  nous  avait  éblouis,  et  qu'an  s'accoutume  à  s'a- 
petisser  avec  consolation  sous  cette  baute  majesté  qui 
engloutit  tout.  Aimez  Dieu ,  et  vous  serez  humble , 
aimez  Dieu ,  et  vous  ne  vous  aimerez  plus  vous-même  ; 
aimez  Dieu ,  et  vous  aimerez  tout  ce  qu'il  veut  que 
vous  aimiez  pour  l'amour  de  lui. 

208. 

îfe  point  se  troubler  pour  les  fautes  involontairement  omises  en- 
confessioa. 

Mardi,  21  mars  (1690.) 

Je  ne  crois  point ,  madame ,  que  vous  deviez  vous, 
troubler  sur  vos  confessions  et  sur  vos  communions 
passées.  Si  les  commencemens  ont  été  irréguliers , 
du  moins  ils  ont  été  de  bonne  foi ,  et  vous  y  avez 
fait  des  fautes  par  le  principe  d'une  vertu  très-con- 
traire à  votre  caractère  naturel,  je  veux  dire,  la  sim- 
plicité dans  l'obéissance.  D'ailleurs,  il  faut  remarquer 
que  l'intrégité  des  confessions  passées  consiste ,  non 
à  n'avoir  rien  omis  de  ses  fautes ,  mais  seulement  à 
s'être  accusé  ingénument  de  toutes  celles  qu'on  con- 
naissait alors.  Alors  vous  n'aviez  pas  la  lumière  de 
découvrir  dans  votre  fond  beaucoup  de  mouvemens 
de  la  nature  maligne  et  dépravée,  qui  commencent 
à  se  développer.  A  mesure  que  la  lumière  croît ,  on 
se  trouve  plus  corrompu  qu'on  ne  croyait  ;  on  est 
tout  étonné  de  son  aveuglement  passé ,  et  on  voit 
sortir  du  fond  de  son  cœur,  comme  d'une  caverne 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^7 

j)roromle ,  une  iiifiiiilé  île  sciitimens  honteux  ,  sem- 
Jjlaljk'S  à  des  reptiles  sales  et  pleins  de  venin.  On 
n'aurait  jamais  cru  les  porter  dans  son  sein ,  et  on  a 
lK)rreur  de  soi,  à  mesure  qu'on  les  voit  sortir.  Il  ne 
faut  ni  s'étonner  ni  se  décourager.  Ce  n'est  pas  que 
nous  soyons  plus  médians  que  nous  ne  l'étions  ;  au 
contraire  ,  nous  le  sommes  moins  :  mais  tandis  que 
nos  maux  diminuent,  la  lumière  qui  nous  les  montre 
augmente,  et  nous  sonnnes  saisis  d'horreur.  Mais  re- 
marquez, pour  votre  consolation ,  que  nous  n'aper- 
cevons nos  maux ,  que  quand  nous  commençons  à 
en  guérir.  Quand  nous  sommes  privés  de  tout  principe 
de  guérison ,  nous  ne  sentons  point  le  fond  de  notre 
mal  :  c'est  l'état  d'aveuglement ,  de  présomption  et 
d'insensihilité  ,  où.  l'on  est  livré  à  soi-même.  En  se 
laissant  aller  au  torrent ,  on  n'en  sent  point  la  rapi- 
dité ;  mais  elle  commence  à  se  faire  sentir  ,  à  mesure 
qu'on  commence  à  se  roidir  plus  ou  moins  contre 
elle.  Si  vous  voyez  des  choses  précises  et  considéra- 
bles que  vous  ayez  omises  dans  vos  premières  con- 
fessions, dites-le  simplement  la  première  fois  que  vous 
vous  confesserez.  Votre  confesseur  est  droit,  discret, 
et  plein  de  Dieu.  Pour  tout  le  reste ,  allez  en  paix 
votre  chemin.  Comptez  que  l'humilité ,  le  fréquent 
silence  et  le  recueillement  vous  feront  plus  de  Lien, 
que  toutes  les  austérités  et  tous  les  troidjles  par  les- 
quels vous  voudriez  faire  pénitence.  Surtout  le  silence 
vous  est  capital.  Lors  même  que  vous  ne  pourrez 
vous  déroljer  au  monde  ,  vous  pourrez  vous  taire 
souvent,  et  laisser  aux  autres  les  honneurs  de  la  con- 
versation. Vous  ne  pouvez  dompter  votre  esprit  dé- 
daigneux, moqueur  et  hautain,  qu'en  le  tenant  conmie 


428  LETTRES   SPIRITUELLES. 

enchaîné  par  le  silence.  Mettez  une  sévère  garde  à 
vos  lèvres.  La  présence  de  Dieu ,  qui  retiendra  vos 
paroles ,  gardera  aussi  toutes  vos  pensées  et  tous  vos 
désirs.  Cet  ouvrage  se  fera  peu  à  peu.  Soyez  patiente 
avec  vous  comme  avec  les  autres. 

209  *. 

S'appliquer  au  silence  et  au  recueillement  ;  utilité  des  pénitences  qui 
ne  sont  pas  de  notre  goiït. 

Je  crois,  madame,  que  vous  devez  travailler  main- 
tenant à  vous  taire ,  autant  que  la  bienséance  du 
commerce  vous  le  permettra.  Le  silence  facilite  la 
présence  de  Dieu,  épargne  beaucoup  de  paroles  rudes 
et  hautaines  ,  enfin  supprime  un  grand  nombre  de 
railleries  ou  de  jugemens  dangereux  sur  le  prochain. 
Le  silence  humilie  l'esprit,  et  détache  peu  à  peu  du 
monde  ;  il  fait  dans  le  cœur  une  espèce  de  solitiide , 
qui  ressemble  à  celle  que  vous  souhaiteriez  ;  il  sup- 
pléera à  tout  ce  qui  vous  manque  dans  l'embarras  où 
vous  vous  trouvez  :  pourvu  que  vous  ne  parliez  point 
inutilement,  vous  aurez  bien  des  moniens  libres  au 
milieu  même  des  compagnies  qui  vous  tiennent  mal- 
gré vous.  Vous  voudriez  de  la  liberté  pour  prier  Dieu  ; 
et  Dieu ,  qui  sait  mieux  ce  qu'il  vous  faut  que  vous- 
même  ,  vous  donne  de  l'embarras  et  de  la  sujétion 
pour  vous  mortifier.  La  mortification  qui  vient  de 
l'ordre  de  Dieu  vous  sera  plus  utile ,  que  la  douceur 
de  la  prière  qui  serait  de  votre  choix  et  de  votre  goût. 

(*)  Sentimens  clirét.  n.  xxiv;  OEuvies  spir.  tom.  I,  p.  256. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^9 

Vous  savez  l)ien  ,  madame,  qu'il  ne  faut  point  de 
tc'iiij)s  de  retraite  pour  aimer  Dieu  ;  quand  il  vous 
donnera  du  temps ,  il  faudra  le  prendre  et  en  pro- 
fiter :  jusque-là  demeurez  en  état  de  foi ,  bien  per- 
suadée que  ce  (ju'il  vous  donne  est  le  meilleur.  Elevez 
souvent  votre  cœur  vers  lui ,  sans  laisser  rien  voir  au 
dehors  :  ne  parlez  que  pour  le  besoin  ;  souffrez  pa- 
tiemment ce  qui  vient  de  travers.  Comme  vous  savez 
la  Religion  y  Dieu  vous  traite  selon  votre  besoin  :  vous 
avez  plus  de  besoin  d'être  mortifiée,  que  de  recevoir 
des  lumières.  L'unique  chose  que  je  crains  pour  vous 
en  cet  état,  c'est  la  dissipation;  mais  vous  pouvez 
l'éviter  par  le  silence.  Si  vous  êtes  fidèle  à  vous  taire, 
quand  il  n'est  pas  nécessaire  de  parler ,  Dieu  vous 
fera  la  grâce  de  ne  vous  dissiper  point  en  parlant 
pour  les  vrais  besoins.  Quand  vous  ne  serez  pas  libre 
de  vous  réserver  de  grands  temps  ,  ne  négligez  pas 
d'en  ménager  de  courts.  Un  demi-quart  d'heure ,  pris 
avec  ce  ménagement  et  cette  fidélité  sur  vos  embar- 
ras, vous  vaudra  devant  Dieu  des  heures  entières  que 
vous  lui  donneriez  dans  des  temps  plus  lil)rcs.  De 
plus ,  divers  petits  temps  ramassés  dans  la  journée , 
ne  laisseront  pas  de  faire  tous  ensemble  quelque  chose 
de  considérable.  Peut-être  même  en  tirerez-vous 
cet  avantage  ,  de  vous  rnpp(der  plus  fréquemment  à 
Dieu,  que  si  vous  ne  lui  donniez  qu'un  certain  temps 
réglé. 

Aimer,  se  taire,  souffrir  ,  agir  contre  son  goût ,  pour 
accomplir  la  volonté  de  Dieu  en  s'acconmiodant  à 
celle  du  prochain  :  voilà,  madame ,  votre  partage.  Trop 
heureuse  de  porter  la  croix  que  Dieu  vous  donne  de 
ses  propres  mains  dans  le  cours   de  sa    providence  ! 


43o  LETTRES    SPIRITUELT-ES. 

Les  pénitences  que  nous  choisissons ,  ou  que  nous 
acceplons  quand  on  nous  les  impose ,  ne  font  point 
mourir  notre  amour-propre  ,  comme  celles  que  Bieu 
nous  distribue  lui-même  chaque  jour.  Celles-ci  n'ont 
rien  où  notre  volonté  puisse  s'appuyer  ;  et  comme 
elles  viennent  immédiatement  d'une  providence  mi- 
séricordieuse,  elles  portent  avec  elles  une  grâce  pro- 
portionnée à  tous  nos  besoins.  Il  n'y  a  donc  qu'à  se 
livrer  à  Dieu  cbaque  jour ,  sans  regarder  plus  loin  -, 
il  nous  porte  entre  ses  bras  ,  comme  une  mère  tendre 
porte  son  enfant.  Croyons  ,  espérons  ,  aimons  avec 
toute  la  simplicité  des  enfans.  Dans  tous  nos  î)esoins  , 
tournons  nos  regards  tendres  et  pleins  de  confiance 
vers  le  Père  céleste.  Voici  ce  qu'il  dit  dans  ses  Ecri- 
tures (a)  :  Quand  même  une  mère  oiihlierait  son  jiro- 
pre  fils  ,  le  fruit  de  ses  entrailles  y  et  moi  je  ne  vous 
oublierai  jamais. 

(a)  Isai.  XLix.    i5. 

210. 

Changer  sans  scrupule  Theurc  ilcs  exercices  de  piété  quand  les  devoirs 
d'état  le  demaudeul.  Exhortation  à  la  simplicité  et  à  l'enfance  chréticiuie. 

A  Versailles  ,  28  mai  (avant  i6()5.  ) 

Vous  craignez ,  madame ,  d'être  infidèle  à  Dieu  sur 
vos  devoirs ,  et  vous  avez  raison.  Rien  n'est  si  opposé 
à  la  grâce  qu'une  ame  lâche ,  qui ,  par  un  goût  de  li- 
berté ,  refuse  à  Dieu  ce  qu'elle  sent  qu'il  lui  demande  , 
ou  qui  retarde  de  le  faire  :  mais  aussi  il  faut  éviter 
de  tomber  dans  le  scrupule.  Voyez  donc  simplement , 


LETTRES    SPIUITUELLES.  4^* 

dans  les  occasions ,  ce  que  les  vraies  bienséances  de- 
mandent de  vous  par  exemple ,  dans  le  moment  où 
vous  allez  faire  votre  prière  et  votre  lecture ,  il  sur- 
vient une  personne  de  dehors ,  qui  ne  vient  jamais 
à  cette  heure  ,  qui  a  une  vraie  affaire  avec  vous  ,  avec 
qui  vous  n'êtes  point  sur  le  pied  d'une  liberté  assez 
grande  pour  la  renvoyer  à  une  autre  heure ,  et  qui 
serait  raisonnablement  choquée  si  vous  le  Taisiez  ;  il 
ne  faut  pas  douter ,  madame ,  que  vous  ne  deviez 
quitter  vos  exercices  de  piété  pour  remplir  ce  de- 
voir :  mais  en  ce  cas  il  faut  tacher  de  reprendre  sur 
quelque  autre  heure  de  la  journée  ce  que  vous  avez 
perdu  à  cette  heure-là ,  comme  on  dîne  à  deux  heures , 
quand  une  compagnie  survenue  à  contre-temps  a 
empêché  de  dîner  à  midi.  Pour  les  gens  qui  ne  sont 
point  pressés  par  une  vraie  affaire  ,  et  que  vous  pou- 
vez remettre  plus  tard  ,  ou  qui  ne  viennent  que  par 
amusement  et  pour  leur  plaisir  ;  à  ces  heures-là ,  ils 
ne  sont  bons  qu'à  renvoyer  :  il  en  faut  faire  rigou- 
reuse justice. 

Jamais  personne  n'a  eu  plus  de  besoin  que  vous 
de  nourriture  intérieure ,  de  silence  ,  de  réflexion  ,  de 
séparation  du  monde  ,  de  défiance  d'elle-même  et  de 
la  pente  de  son  cœur.  Vous  ne  sauriez  trop  rudement 
jeûner  des  plaisirs  d'une  conversation  mondaine.  Il 
faut  vous  rabaisser  sans  cesse  :  vous  ne  vous  relè- 
verez toujours  que  trop.  Il  faut  vous  apetisser  ,  vous 
faire  enfant ,  vous  emmaillotter  ,  et  vous  donner  de 
la  bouillie  ;  vous  serez  encore  une  méchante  enfant. 
Toutes  les  croix  que  Dieu  vous  donne ,  et  sous  les- 
(pielles  il  veut  vous  courber,  ne  répriment  point  en- 
core votre  hauteur.  Ce  ne  sera  qu'à  force  de  renoncer 


/32  LETTRES    SPIRITUELLES. 

à  votre  propre  esprit ,  dans  le  silence  devant  Dieu , 
que  vous  pourrez  être  apetissée  et  adoucie  par  la 
grâce.  Parlez  quand  vous  serez  seule  :  vous  ne  sau- 
riez alors  trop  parler ,  car  ce  sera  îà  Dieu  seul  que 
vous  parlerez  de  vos  misères  ,  de  vos  besoins  et  de 
vos  bons  désirs.  Mais  en  compagnie  vous  ne  sauriez 
presque  tomber  dans  l'excès  de  trop  peu  parler.  Il 
ne  faut  pourtant  pas  que  ce  soit  un  silence  sec  et 
dédaigneux  *,  il  faut  au  contraire  que  ce  soit  un  silence 
de  déférence  à  autrui.  Je  serai  ravi  que  vous  parliez 
pour  louer  ,  approuver ,  complaire  ,  déférer  ,  édifier  : 
mais  je  suis  sur  que,  quand  vous  ne  parlerez  que  de 
cette  sorte ,  vous  parlerez  fort  peu ,  et  que  la  con- 
versation vous  semblera  fade.  Retrancliez-vous  donc  , 
madame ,  à  parler  peu  ,  à  parler  simplement  et  mo- 
destement ,  à  préférer  les  autres  à  vous  en  tout ,  et 
à  conserver  le  recueillement  jusque  dans  la  conver- 
sation. Vous  avez  plus  de  besoin  qu'un  autre  de  ce 
contre- poison.  Vous  savez  quel  est  mon  zèle  et  mon 
respect  pour  vous. 

211. 

Eviter  les  airs  de  mépris  et  de  hauteur  ;  supporter  patiemment  les 
défauts  du  prochain. 

A  Versailles  ,  22  juin. 

La  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'bonneur  de  m'écrire , 
madame  ,  a  fait  un  étrange  chemin.  Je  viens  de  la 
recevoir  :  jugez  par  là  de  la  diligence.  Je  comprends 
que  vous  souffrez  et  faites  souflVir  les  autres.  Il  faut 
travailler  courageusement  et  sans  relâche  à  se  char- 


LETTRES    SnaiTL'ELLEâ.  4^3 

ger  du  fardeau  pour  le  soulagement  du  prochain.  Tout 
air  de  mépris  et  de  hauteur  ,  tout  esprit  de  critique 
et  de  moquerie  marque  une  ame  pleine  d'elle-même  , 
qui  ne  sent  point  ses  misères  ,  qui  se  livre  à  sa  déli- 
catesse,  qui  met  tout  son  plaisir  dans  \o  mal  d'aulrui. 
Rien  ne  devrait  être  si  propre  à  nous  humilier ,  que 
ce  genre  d'orgueil  facile  à  blesser,  moqueur ,  dédai- 
gneux ,  fier ,  jaloux  de  vouloir  tout  pour  soi ,  et  tou- 
jours implacable  sur  les  défauts  d'autrui.  On  est  bien 
imparfait  ,  quand  on  supporte  si  impatiemment  les 
imperfections  du  prochain.  A  tant  de  maux  je  ne  vois 
de  remède  que  l'espérance  en  Dieu  ,  qui  est  aussi  bon 
et  aussi  puissant  que  vous  êtes  faible  et  mauvaise.  II 
vous  laissera  néanmoins  languir  long-temps  ,  sans  dé- 
raciner le  naturel  et  l'habitude  •,  car  il  vous  vaut  bien 
jnieux  d'être  écrasée  par  votre  propre  misère ,  et  par 
l'expérience  de  votre  impuissance  d'en  sortir ,  que  de 
jouir  tout  à  coup  du  plaisir  de  vous  voir  perfection- 
née. Ne  songez  qu'à  supporter  les  autres  ,  qu'à  dé- 
tourner vos  yeux  des  gens  qui  ne  peuvent  vous  édi- 
fier ,  comme  on  ferme  les  yeux  à  une  tentation.  C'en 
est  une  très-dangereuse  pour  vous.  Priez  ,  lisez  ;  abais- 
sez votre  esprit  par  le  goût  des  choses  simples.  Adou- 
cissez votre  cœur  par  l'union  à  Jésus  enfant  et  pai- 
sible dans  l'humiliation.  Cherchez  votre  force  dans 
le  silence.  Je  suis  ra^i  de  ce  que  vous  êtes  touchée 
du  progrès  de  M™^  de  Mortemart  ;  elle  est  vérita- 
blement bonne  ,  et  désire  l'être  de  plus  en  plus.  La 
vertu  lui  coûte  autant  qu'à  un  autre,  et  en  cela  elle 
est  très-propre  à  vous  encourager.  Personne  ne  s'in- 
téresse plus  fortement  que  moi ,  madame  ,  aux  choses 
qui  vous  touchent  le  plus. 

CORRESP.    IV.  l3 


434  LEITRES    SPIRITUELLES. 

212. 

Confie  la  crainte  excessive  de  goûter  les  plaisirs  innocens.  Suivre  avec 
simplicité  les  a^is  des  médecins. 

Mardi  ,  27  juin  (i6go.) 

Je  suis ,  madame ,  sincèrement  touché  du  pénible 
état  où  vous  êtes-,  je  crois  en  voir  clairement  la  source. 
Si  vous  pouvez  vous  résoudre  à  user  du  remède  sim- 
ple f[ue  je  vais  vous  proposer  ,  vous  serez  bientôt  sou- 
lagée ;  mains  je  crains  qu'un  scrupule  ne  vous  empê- 
che de  vous   en  servir. 

La  crainte  excessive  de  goûter  du   plaisir  dans   les 
choses  innocentes  et  nécessaires  vous  fait  plus  de  mal 
pour  votre  avancement  spirituel ,  que  ce  plaisir  ne 
pourrait  vous  en  faire.  Il  est  vrai  qu'il  ne  faut  jamais 
se  flatter  soi-même  ,  surtout  quand  on   est  obligé  à 
se  punir  :  mais  une  contention  perpétuelle  pour  re- 
pousser jusqu'au  moindre  sentiment  involontaire  de 
plaisir  dans  une  vie   réglée  ,  vous  cause  un  trouble 
très-nuisible.  Je  voudrais  donc  re^ancher  fidèlement 
les   propretés  excessives   et  les   délicatesses  de  goût , 
toutes  les  fois  qae  vous  les  apercevez  tranquillement  ; 
mais  je  ne  voudrais  point  cette  attention  forcée  à  re- 
jeter sans  cesse  les  plaisirs  inévitablement  attachés  à 
la  nourriture   simple  et   au    repos  nécessaire.   Puis- 
qu'on vous  fait  prendre  du  lait  pour  rafraîchir  votre 
sang  ,  vous  devez  faire,  par  rapport  au  jeûne,  ce  que 
votre  médecin  vous  dira.  Il  faut ,  sans  raisonner ,  se 
laisser  juger  ,  après  qu'on  a  exposé  le  fait  :  autrement 
on  s'entortille   à   l'infini ,    et  on  se  ronge  soi-même. 
Sur  toutes  les  autres  choses   de  votre  santé,  parlez 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^Z5 

naïvement  au  médecin ,  pour  uètre  point  flattée  ; 
puis  laissez-le  décider ,  et  ne  vous  écoutez  plus  vous- 
même.  Mais  obéissez  tranquillement  :  c'est  à  quoi 
doit  se  tourner  votre  fidélité  et  votre  courage.  Sans 
cela  ,  vous  n'aurez  pas  la  paix  des  enfans  de  Dieu  , 
ni  ne  mériterez  de  l'avoir.  Portez  toutes  les  peines 
de  votre  élat ,  qui  est  plein  d'embarras  et  de  sujé- 
tions ,  en  esprit  de  pénitence  :  c'est  là  la  pénitence 
que  Dieu  vous  donne  y  bien  plus  sûre  que  celle  que 
vous  cboisiriez  vous-même.  Il  n'y  a  point  de  lieu  au 
monde  où  vous  ne  vous  retrouvassiez  vous-même  avec 
le  goût  des  plaisirs.  La  solitude  même  la  plus  austère 
aurait  ses  épines.  Le  meilleur  état  est  celui  où  la  main 
de  Dieu  vous  tient.  Ne  regardez  pas  plus  loin ,  et  ne 
songez  qu'à  recevoir  tout  de  moment  en  moment ,  en 
esprit  de  mort  et  de  renoncement  à  votre  propre  es- 
prit. Mais  cet  acquiescement  doit  être  plein  de  con- 
fiance en  Dieu,  qui  vous  aime  d'autant  plus  qu'il  vous 
épargne  moins. 

Dormez  autant  que  le  médecin  le  croira  nécessaire 
par  rapport  à  votre  tempérament  et  à  votre  indispo- 
sition présente.  Vous  devriez  avoir  du  scrupule  de 
vos  scrupules  mêmes ,  et  non  pas  de  votre  sommeil. 
Personne  vous  est ,  madame ,  plus  sincèrement  et 
plus  respectueusement  dévoué  que  moi. 


i3^ 


/|36  LETTRES   SPIRITUELLES. 

213  *  A. 

En  quoi  consiste  la  véritable  hiiinilift5  ;  espérer  en  Dieu  malgré  notre 
indignité. 

Samedi,  22  juillet  (1G90.) 

C'est  une  fausse  humilité  que  de  se  croire  indigne 
des  bontés  de  Dieu  ,  et  de  n'oser  les  attendre  avec 
confiance.  La  vraie  humilité  consiste  à  voir  toute  son 
indignité ,  et  à  demeurer  abandonné  à  Dieu ,  ne  dou- 
tant point  qu'il  ne  puisse  faire  en  nous  les  plus  grandes 
choses.  Si  Dieu ,  pour  ses  ouvrages ,  avait  besoin  de 
trouver  en  nous  des  fondemens  déjà  posés ,  nous  agi- 
rions raison  de  croire  que  nos  péchés  ont  tout  détruit , 
et  que  nous  sommes  indignes  d'être  choisis  par  la  sa- 
gesse divine.  Mais  Dieu  n'a  besoin  de  rien  trouver  en 
nous  ;  il  n'y  peut  jamais  trouver  que  ce  qu'il  y  a  mis 
lui-même  par  sa  grâce.  On  peut  dire  même  que  le 
néant  de  toute  créature,  joint  au  péché  dans  une  ame 
infidèle  ,  est  le  sujet  le  plus  propre  à  recevoir  ses  mi- 
séricordes. C'est  là  qu'elles  prennent  plaisir  à  couler 
pour  se  manifester  plus  sensiblement.  Ces  âmes  pé- 
cheresses, qui  n'ont  jamais  senti  en  elles  qu'infirmité  , 
ne  peuvent  s'attribuer  rien  des  dons  de  Dieu.  C'est 
ainsi  que  Dieu  choisit  les  choses  les  plus  faibles  du 
monde,  comme  dit  saint  Paul  {a),  pour  confondre  les 
plus  f 07^ tes. 

Ne  craignez  donc  point  ,  madame ,  que  vos  infidé- 

(*)  Sentimens  chrét,  partie  du  n.  vij  OEuvres  spir.  tome  I, 
page  109. 

(a)  /  Cor,  I.  27. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  /^'dj 

litcs  passées  vous  rendent  indigne  de  la  miséricorde 
de  Dieu.  Rien  n'est  si  digne  de  sa  miséricorde,  qu'une 
grande  misère.  Il  est  venu  du  ciel  en  la  terre  pour  les 
pécheurs,  et  non  pour  les  justes  ;  il  est  venu  clierclier 
ce  qui  était  perdu ,  et  tout  était  perdu  sans  lui.  Le 
médecin  clierclie  les  malades  ,  et  non  les  sains.  0  que 
Dieu  aime  ceux  qui  se  présentent  hardiment  à  lui, 
avec  leurs  haillons  les  plus  sales  et  les  plus  déchirés  , 
et  qui  lui  demandent ,  comme  à  leur  père ,  un  vête- 
ment digne  de  lui  !  Vous  attendez  que  Dieu  vous  mon- 
tre un  visage  doux  et  riant  pour  vous  familiariser 
avec  lui  ;  et  moi,  je  dis  que  ,  quand  vous  lui  ouvrirez 
simplement  votre  cœur  avec  une  entière  familiarité, 
vous  ne  vous  mettrez  plus  en  peine  du  visage  avec 
lequel  il  se  présentera  à  vous.  Qu'il  vous  montre  , 
tant  qu'il  lui  plaira ,  un  visage  sévère  et  irrité  ,  lais- 
sez-le faire  :  il  n'aime  jamais  tant  que  quand  il  me- 
nace ;  car  il  ne  menace  que  pour  éprouver,  pour  hu- 
milier ,  pour  détacher.  Est-ce  la  consolation  que  Dieu 
donne  ,  ou  Dieu  lui-même  sans  consolation  ,  que  votre 
cœur  cherche?  Si  c'est  la  consolation,  vous  n'aimez 
donc  pas  Dieu  pour  l'amour  de  lui-même  ,  mais  pour 
l'amour  de  vous.  En  ce  cas  ,  vous  ne  méritez  rien  de 
lui.  Si,  au  contraire,  vous  cherchez  Dieu  purement, 
vous  le  trouvez  encore  plus  quand  il  vous  éprouve, 
que  quand  il  vous  console.  Quand  il  vous  console  , 
vous  avez  à  craindre  de  vous  attacher  plus  à  ses 
douceurs  qu'à  lui  ;  quand  il  vous  traite  rudement,  si 
vous  ne  cessez  point  de  demeurer  unie  à  lui ,  c'est  à 
lui  seid  que  vous  tenez.  Hélas ,  madame  ,  qu'on  se 
trompe  !  On  s'enivre  d'une  vaine  consolation  ,  lors- 
qu'on est  soutenu  par  un  goût  sensihle  ;  on  s'imagine 


^38  LETTRES    SPIRITUELLES. 

être  déjà  ravi  au  troisième  ciel ,  et  on  ne  fait  rien  de 
solide  :  mais  quand  on  est  dans  la  foi  sèche  et  nue , 
alors  on  se  décourage ,  on  croit  que  tout  est  perdu. 
En  vérité  ,  c'est  alors  que  tout  se  perfectionne  ,  pourvu 
qu'on  ne  se  décourage  pas.  Laissez  donc  faire  Dieu  : 
ce  n'est  pas  à  vous  à  régler  les  traitemens  que  vous 
en   devez  recevoir  ;   il  sait  mieux  que  vous  ce  qu'il 
vous  faut.  Vous   méritez  bien  un  peu  de  sécheresse 
et  d'épreuve  ;   souffrez-la  patiemment.   Dieu  fait  de 
son  côté  ce  qui  lui  convient  quand  il  vous  repousse. 
De  votre  côté  ,  faites  aussi  ce  que  vous  devez  ,  qui  est 
de  l'aimer  sans  attendre  qu'il  vous  témoigne  aucun 
amour.    Votre  amour  vous  répondra   du  sien  ;   ^otre 
confiance   le  désarmera  ,    et  changera  toutes  ses  ri- 
gueurs en  caresses.  Quand  même  il  ne  devrait  point 
s'adoucir ,   vous  devriez  vous    abandonner  à  sa  con- 
duite juste ,  et  adorer  ses  desseins  de  vous  faire  ex- 
pirer sur  la  croix  dans  le   délaissement  avec  Jésus  , 
son  fils  bien-aimé.  Voilà  ,   madame ,  le  pain  solide  de 
pure  foi  et  d'amour  généreux  ,  dont  vous  devez  nour- 
rir votre  ame.  Je  prie  Dieu  qu'il  la  rende  robuste  et 
vigoureuse  dans  les  peines.  Ne  craignez  rien  :  ce  se- 
rait manquer  de  foi  que  de  craindre.  Attendez  tout  ; 
tout  vous  sera  donné  :  Dieu  et  sa  paix  seront  avec  vous. 

Lundi ,  24  juillet 

Il  y  a  deux  ou  trois  jours  ,  madame  ,  que  cette  lettre 
est  écrite  :  permettez-moi  d'y  ajouter  un  mot  sur  les 
nouvelles  d'Irlande  (i).    Personne  ne  prend  plus  de 

(1)  Ceci  est  relatif  à  la  bataille  de  la  Boiiie  ,  en  Irlande,  perdue 
par  Jacques  II  le  11  de  ce  même  mois.  Le  frère  de  la  Comtesse 
servait  dans  l'armée  du  Roi  Jacques. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^9 

part  c[iie  moi  à  la  juste  peine  où  vous  êtes.  Je  prie 
Dieu  qu'il  vous  console  ,  et  qu'il  vous  fasse  savoir  des 
suites  moins  mailieureuses  que  les  coinmeucemens. 

214. 
Adorer  les  desseins  de  Dieu  dans  les  révolutions  do  ce  monde. 

Jeudi  au  soir  (1G90.) 

Je  sais ,  madame  ,  combien  vous  êtes  sensiLle  aux 
affaires  d'Angleterre.  Ainsi  je  prends  part  à  la  peine 
que  vous  devez  ressentir  du  mauvais  succès  du  bon 
parti  en  Irlande.  Dieu  sait  ce  qu'il  veut  faire  ,  et  il 
est  jiiste  que  nous  l'ignorions.  Il  faut  adorer  ses  des- 
seins ,  sans  les  comprendre.  Quand  j'ai  appris  ces  mau- 
vaises nouvelles ,  j'ai  appréhendé  que  vous  n'eussiez 
en  ce  pays-là  quelque  parent  dont  vous  fussiez  en 
peine.  Vous  ne  sauriez ,  madame ,  avoir  rien  de  fâ- 
cheux dont  je  ne  sois  sincèrement  touché.  Quand 
vous  voudrez  que  j'aie  l'honneur  de  vous  voir,  don- 
nez-moi sans  façon  vos  ordres  pour  le  temps  et  pour 
le  lieu. 


»  ^/%/%JV\^  X1/\'^^%^^^V%/\%^%/%%/\%:l%/% 


215. 

Ne  point  s'appuyer  sur  les  crcaUiros  ;  s'abaisser  sous  la  main  do  Dieu. 

Vendredi,   17  novembre  (1690.) 

Je  suis  très-sincèrement  affligé ,  madame ,  du  mal- 
heur de  messieurs  vos  frères  ;  mais  ,  pendant  que  les 
hommes  les  abandonnent,  il  faut  intéresser  Dieu  par 
votre  patience  à   les  secourir.  Il  est  Tasile  de  ceux 


440  LETTRES    SPIRITUELLES. 

qu'on  persécute ,  et  le  consolateur  des  affligés.  Il  vous 
éprouve  par  les  choses  qui  arrivent  à  messieurs  vos 
IVères;  mais  il  ne  vous  éprouve  que  pour  vous  détacher, 
et  pour  vous  rendre  digne  de  lui.  Quiconque  ,  dit-il  {a), 
aime  ou  son  père  y  ou  sa  mare ,  ou  ses  frères ,  etc.  plus 
(lue  moi ,  n'est  pas  digne  de  moi.  Il  faut  lui  sacrifier 
la  chair  et  le  sang;  il  fau.t  vous  sacrifier  vous-même. 
Il  est  le  meilleur  de  nos  amis ,  et  le  plus  proche  de 
nos  parens.  Hélas  i  madame ,  qu'attendiez-vous  des 
hommes?  vous  ne  les  connaissiez  donc  pas.  Ils  sont 
faibles  ,  inconstans  ,  aveugles  :  les  uns  ne  veulent  pas 
ce  qu'ils  peuvent  ;  les  autres  ne  peuvent  pas  ce  qu'ils 
veulent.  La  créature  est  un  roseau  cassé  :  si  on  veut 
s'appuyer  dessus ,  le  roseau  plie ,  ne  peut  vous  sou- 
tenir ,   et  vous  perce  la  main. 

Pour  la  pratique ,  voici  ce  que  je  pense  :  Dieu  vous 
a  touchée  au  vif  en  vous  humiliant  ;  le  médecin  cha- 
ritable a  mis  le  remède  sur  l'endroit  malade  et  sen- 
sible :  tant  mieux  ;  c'est  qu'il  veut  vous  guérir.  Tai- 
sez-vous ;  adorez  celui  qui  vous  frappe  ;  n'ouvrez  la 
bouche  que  pour  dire  :  Je  l'ai  bien  mérité.  Tous  les 
discours  contre  le  Roi  et  la  Reine  ne  serviraient  qu'à 
vous  venger ,  sans  vous  servir.  Vous  leur  feriez  du 
mal  sans  vous  faire  aucun  bien  ;  ainsi  vous  ne  pouvez 
en  conscience  parler  :  ce  déchaînement  serait  scan- 
daleux. Pour  moi,  je  crois  que  Dieu  vous  attendait 
en  cette  occasion  ;  elle  décidera  pour  votre  avance- 
ment spirituel.  Si  vous  perdez  le  fruit  d'une  telle 
croix  y  vous  serez  doublement  malheureuse  ,  et  vous 
manquerez  à   Dieu  d'une    manière  très-dangereuse. 

(a)  Malth.  x.   87. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  44  ^ 

Mais  combien  de  grîices  atlaclices  à  cette  croix ,  si 
vous  la  porte?,  courageusement  !  C'est  par  là  que  vous 
entrerez  dans  une  nouvelle  voie  pour  courir  vers 
la  perleclion  évangélique.  N'hésitez  donc  pas ,  ma- 
dame ;  quelque  amer  que  soit  le  calice  ,  avalez-le  jus- 
(ju'à  la  lie  ,  comme  Jésus-Christ.  Je  le  prie  de  vous 
en  donner  la  force ,  et  de  ne  permettre  pas  que  vous 
vous  abandonniez  aux  saillies  injustes  du  ressenti- 
ment. Jésus-Christ  est  mort  pour  ceux  qui  le  faisaient 
mourir  ,  et  il  nous  a  enseigné  à  aimer,  à  bénir,  à  aider 
par  nos  prières  ceux  qui  nous  maudissent  et  nous 
persécutent.  Redoublez  vos  prières  dans  ces  temps 
de  trouble  et  de  tentation.  Vous  trouverez  dans  le 
cœur  de  Jésus-Christ  mourant  sur  la  croix ,  tout  ce 
qui  manque  au  vôtre  pour  aimer  ceux  que  votre 
orgueil  voudrait  haïr  et  confondre. 


216. 

Sur  la  compassion  qu'elle  doil  témoigner  à  son  frère  disgracié. 
Dimanche,  ly  novembre  (1690) 

Vous  pouvez,  madame,  témoigner  à  monsieur  votre 
frère  beaucoup  de  tristesse ,  de  douleur ,  et  même 
d'accablement ,  sur  les  malheurs  qui  lui  arrivent.  Vous 
pouvez  y  ajouter  un  grand  empressement  jwur  cher- 
cher les  moyens  inuocens  de  le  secourir;  mais  il  faut 
éviter  de  lui  montrer  du  ressentiment  contre  les  gens 
qui  sont  contre  lui  :  ce  serait  aigrir  son  esprit  ,  et 
autoriser  la  passion  de  haine  et  de  vengeance  que  vous 
devez  tâcher  d'appaiser.  Ne  lui  racontez  que  les  faits 
précis  qui  lui  sont  nécessaires  pour  entendre  la  suite 


442  LETTRES    SPIRITUELLES. 

de  ses  affaires ,  et  pour  prendre  les  partis  convenables 
à  son  véritable  intérêt  ;  ne  lui  dites  point  les  circon- 
stances qui  ne  vont  qu'à  envenimer  le  cœur  :  vous 
lui  épargnerez  non-seulement  des  tentations  ,  mais 
encore  beaucoup  de  peine  d'esprit.  Si  vous  voulez 
demain  lundi  venir  dans  l'entresol  de  M^^  la  Ducliesse 
de  Beauvilliers ,  j'y  serai  à  sept  heures  trois  quarts , 
après  l'étude  du  soir.  Je  serais  ravi ,  madame ,  d'aller 
vous  rendre  mes  devoirs  cliez  vous;  mais  vous  y  seriez 
moins  liJjre,  et  je  serais  un  peu  emJjarrassé  à  le  faire. 

217. 

Voir  ses  fautes  avec  humilité,  mais  sans  trouble. 

Mercredi,  4  avril  (1691.) 

Je  suis  bien  fâché ,  madame ,  de  ce  que  vous  faites 
si  mal  ;  mais  ce  qui  m'en  console  est  que  vous  êtes 
mécontente  de  vous.  Ce  mécontentement  sincère  vaut 
mieux  qu'une  merveilleuse  conduite ,  dont  on  se  sait 
bon  gré.  Si  vous  voulez  que  j'ai  l'honneur  de  vous 
voir  ce  soir,  je  serai  hbre  environ  à  six  heures,  et 
je  me  rendrai  dans  l'endroit  que  vous  me  marque- 
rez. Quoique  je  tâche  de  vous  endurcir  contre  vos 
croix  ,  et  même  contre  le  découragement  causé  par 
vos  fautes ,  je  ne  laisse  pas  d'être  touché  de  vos  em- 
barras. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  44^ 


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218. 

Poilei"  SCS  croix  avec  paix  cl  liumililc. 

Samedi,  a  juin  (i6yi  ) 

Vous  voulez  Lien  ,  matlaii.c  ,  que  je  me  dispense 
(Valler  cliez  vous  ,  à  cause  d'un  gros  rliuine  qui  me 
lail  garder  ma  chambre.  Il  ne  lu'a  pas  empêché  de 
faire  un  projet  de  lettre  que  je  vous  .envoie.  Vous  en 
prendrez  sans  laçon  ,  s'il  vous  plaît ,  ce  que  vous  ju- 
gerez à  propos ,  et  ne  douterez  point  de  ma  Lonne 
>  olonté.  Je  prie  Dieu  ,  non  de  vous  délivrer  de  vos 
croix  ,  si  elles  vous  sont  nécessaires ,  mais  de  vous 
les  faire  porter  avec  un  courage  humble  et  paisible. 
La  nature  n'inspire  qu'un  courage  fier ,  dédaigneux 
et  irrité  contre  les  personnes  dont  Dieu  se  sert  pour 
nous  humilier.  Soyez  donc  grande  en  Dieu  et  point 
en  A  ous ,  grande  par  la  douceur  et  la  patience  ,  pe- 
tite par  l'humilité. 

219. 

Pardonner  facilcmcut  aux  atilrcs  leurs  préventions. 

A  Versailles,  17  juin  (1691.) 

Vous  avez  toujours,  madame,  à  souffrir  et  des  au- 
tres et  de  vous-même.  Si  vous  n'aviez  à  soulïrir  que 
des  autres,  et  que  vous  nV'prouvassiez  en  vous  au- 
cune des  misères  (|ue  vous  condamnez  en  autrui ,  le 
pauvre  piochain  vous  paraîtrait  un  monstre  à  étouf- 
fer.  Mais  Dieu  permet   (pae   vous   ayez    beaucoup   à 


444  LETTRES    SPIRITUELLES. 

souffrir  de  votre  humeur  hautaine ,  injuste  et  révol- 
tée ,  pour  vous  apprendre  à  supporter  tout  ce  qu'il  y 
a  d'impatientant  dans  les  personnes  imparfaites.  Re- 
marquez ,  madame ,  que  l'amour-propre  est  insatia- 
ble ,  et  qu'il  veut  toujours  murmurer.  Vous  vous  se- 
riez crue  trop  heureuse ,  il  y  a  quelques  mois ,  si  on 
vous  eût  promis  la  délivrance  de  monsieur  votre 
frère,  et  la  joie  de  le  voir  deux  jours  avant  qu'il  s'en 
retournât  servir  son  Roi.  Tout  cela  est  venu  ;  et  loin 
de  remercier  Dieu  d'une  grâce  si  inespérée,  vous  vous 
plaignez  de  l'avoir  vu  si  peu.  Prenez  garde  que  vous 
ne  le  voyiez  trop  long- temps. 

Pourquoi  vous  irritez-vous  contre  le  Roi  et  la  Reine 
d'Angleterre  ?  Peut-être  sont-ils  ,  par  des  raisons  se- 
crètes ,  dans  l'impuissance  de  faire  ce  que  vous  vou- 
driez ;  peut-être  demandez-vous  trop  ;  peut-être  ont- 
ils  d'autres  idées  que  vous  ,  par  la  prévention  où.  on 
les  aura  mis.  Quoi  !  la  prévention  est-elle  chez  vous 
un  crime  irrémissible  ?  N'est-ce  pas  une  faiblesse 
ordinaire  aux  hommes?  et  où  sont  ceux  qui  s'en 
garantissent ,  quelque  bonne  intention  qu'ils  aient  ? 
N'avez-vous  jamais  été  prévenue  en  rien  ?  ne  sau- 
riez-vous  pardonner  aux  autres  de  l'être?  Revenez, 
madame ,  aux  sentimens  d'humanité ,  en  attendant 
que  la  charité  dompte  votre  cœur.  Si  vous  ne  pouvez 
entièrement  vous  modérer  et  vous  retenir ,  du  moins 
humiliez-vous  ;  gourmandez  votre  orgueil ,  sans  vous 
décourager.  Tâchez  de  vous  appaiser  en  silence  de- 
vant Dieu,  comme  une  mère  appaise  son  enfant  san- 
glottant  sur  ses  genoux.  Peu  à  peu  le  calme  reviendra 
avez  le  recueillement.  Pourvu  que  vous  profitiez  du 
loisir  de   Diiian  pour  être  exacte  à  lire  et  à  prier , 


LETTRES    SPIRITUELLES.  44^ 

tout  ira  bien.  Les  croix  vous  sont  nécessaires;  et  Dieu, 
qui  vous  aijiie  ,  ne  vous  en  laisse  point  manquer.  Je 
le  prie  d'y  ajouter  la  force  de  les  porter. 

220. 

Conserver  la  paix  au  milieu  des  croix  ;  adorer  la  maiu  qui  nous  les 
cn\oie. 

A  Versailles,  23  juin   (ifigi.) 

Je  ne  puis  ,  madame  ,  être  aussi  sensible  que  je 
voudrais  l'être  à  votre  douleur.  J'y  vois  tant  de  mar- 
ques de  miséricorde ,  et  une  si  grande  moisson  de 
grâce  pour  vous ,  que  si  la  nature  s'en  afflige ,  la  foi 
doit  s'en  réjouir.  Vous  perdez  l'espérance ,  et  sans 
espérance  vous  trouvez  la  paix  par  la  soumission  et 
par  le  sacrifice  sans  réserve.  Voilà  précisément  comme 
Dieu  vous  veut  ;  il  vous  pousse  jusque-là  pour  vous 
détacber  de  tout  ce  qui  n'est  point  lui-même.  Que 
reste-t-il ,  que  d'embrasser  la  croix  qu'il  vous  pré- 
sente ,  et  de  vous  laisser  crucifier  ?  Quand  il  vous  aura 
bien  crucifiée  ,  il  vous  consolera.  Mais  il  ne  fait  pas 
comme  les  créatures  ,  qui  donnent  des  consolations 
empoisonnées  ,  pour  nourrir  le  venin  de  l'amour- 
propre  ;  il  ne  console  qu'après  avoir  ôté  toute  res- 
source à  la  nature  superbe  et  molle.  La  paix  que  vous 
trouvez  dans  la  soumission ,  sans  aucun  adoucisse- 
ment extérieur  des  affaires ,  est  un  grand  don.  Par  là 
Dieu  vous  accoutume  à  être  exercée  sans  être  abat- 
tue. Quoique  la  nature  làcbe  et  sensible  s'abatte ,  le 
fond  demeure  soutenu.  C'est  une  paix  d'autant  plus 
pure  qu'elle  est  sèclie.  La  vue  de  Dieu ,  qui  a  tout 


4  j6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

droit  sur  sa  créature ,  et  celle  de  vos  misères  ,  qui  ne 
méritent  qu'humiliation  et  croix  ,  sont  le  pain  dont 
il  faut  vous  nourrir  dans  cette  épreuve.  Vous  y  con- 
sentez ;  mais  vous  ne  pouvez  comprendre  pourquoi 
Dieu  frappe  sur  l'innocent  pour  purifier  la  coupable. 
Sachez  madame ,  que  personne  n'est  innocent ,  et  ne 
peut  entrer  en  jugement  avec  lui.  Que  savez-vous  si 
le  même  coup  qui  vous  humilie  ,  n'iiumiliera  point 
aussi  monsieur  votre  frère  sous  la  puissante  main  de 
Dieu?  Il  faut  adorer  ses  profonds  conseils  sans  les 
pénétrer.  Peut-être  veut-il  préparer  de  loin  ,  par  tant 
de  malheurs  ,  monsieur  votre  frère  à  se  tourner  soli- 
dement vers  lui  ;  peut-être  que  vous  vous  réjouirez 
tous  deux  un  jour  de  ce  qui  vous  afilige  maintenant. 
Laissez  faire  Dieu ,  madame  ,  les  hommes  ne  peuvent 
rien.  Quand  tout  semble  perdu ,  tout  est  quelquefois 
sauA^é.  Dieu  se  plaît  à  nous  précipiter  ,  et  à  nous  re- 
lever du  précipice  par  sa  seule  main.  Mais  quoi  qu'il 
fasse  pour  monsieur  votre  frère  ,  songez  à  vous ,  pour 
accepter  la  croix ,  et  pour  adorer  la  main  qui  vous 
en  charge  afin  de  vous  sanctifier.  Heureux  qui  est 
prêt  à  tout,  qui  ne  dit  jamais,  c'est  trop;  qui  compte 
non  sur  soi-même  ,  mais  sur  le  Tout-Puissant ,  qui 
ne  veut  de  consolation  ,  qu'autant  que  Dieu  lui-même 
en  veut  donner ,  et  qui  se  nourrit  de  sa  pure  volonté  ! 


LETTRES    SPIRITUELLES.  44? 

221  *  A. 

Avantigcs  des  croix  supportées  chrétiennement. 

A  Versailles,  9  septembre  (1G91.) 

Je  suis  bien  honteux ,  madame  y  de  n'avoir  appris 
que  depuis  deux  heures  que  vous  avez  été  malade. 
On  m'avait  bien  dit  que  vous  étiez  à  Paris  dans  un 
régime  et  dans  l'usage  de  certains  longs  remèdes  ,  que 
vous  m'aviez  dit  que  vous  vouliez  faire  avant  le 
voyage  de  Dinan  ;  mais  je  ne  savais  point  que  vous  fus- 
siez moins  bien  qu'à  l'ordinaire  ,  et  je  suis  tout  honteux 
d'être  si  mal  informé  des  choses  auxquelles  je  prends 
tant  d'intérêt.  On  m'assure  ,  madame ,  que  nous  aurons 
l'honneur  de  vous  voir  à  Fontainebleau ,  et  qu'avec 
beaucoup  de  souffrances  vous  ne  laissez  pas  de  sen- 
tir que  la  nature  surmonte  le  mal.  C'est  ce  qu'on 
peut  souhaiter  de  mieux  pour  vous  dans  la  mala- 
die -,  une  ressource  pour  guérir  ,  et  en  même  temps  le 
fruit  de  la  croix.  Je  prie  celui  qui  vous  fait  souffrir 
de  vous  donner  la  paix  et  la  soumission  dans  la 
douleur. 

Qu'on  est  heureux  quand  on  souffre  ,  pourvu  qu'on 
veuille  bien  souffrir,  et  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  ! 
Que  ne  lui  devons-nous  pas ,  et  quelles  peines  mé- 
riterions-nous en  rigueur  !  Une  éternité  de  supplices 
cliangés  en  quelques  dartres  ;  la  perte  de  Dieu  ,  la  rage 
et  le  désespoir  des  démons  changés  en  une  souffrance 

(*)  Sentiniens  chiét,  partie  du  n.  xxix^  OEuvres  spir,  tom.  I, 
page   278. 


^Z|.b  LETTRES    SPIRITUELLES. 

tranquille  et  courte  ,  où  l'on  arlore  avec  consolation 
et  espérance  la  main  dont  on  est  frappé  par  miséri- 
corde :  de  telles  croix  méritent  des  lemercîmens ,  et 
non  pas  des  plaintes.  Ce  sont  des  grâces  qu'il  faut 
sentir  avec  un  coeur  attendri  sur  les  bontés  de  Dieu. 
Vous  eût-il  couverte  de  la  lèpre ,  il  vous  épargne 
encore.  La  lèpre  de  l'orgueil ,  du  péclié ,  et  de  l'ido- 
latrie  de  soi-même ,  était  bien  plus  affreuse.  C'est 
de  quoi  il  vous  a  guérie.  Il  me  tarde  ,  madame ,  de 
vous  demander  à  Fontainebleau  comment  vous  vous 
trouvez  de  la  pénitence  et  de  la  retraite  oii  Dieu  vous 
a  mise.  Celles  qu'on  choisit  ne  sont  rien  j  il  n'y  a  que 
Dieu  qui  sache  crucifier. 

222. 

Ne  point  ajourner  ses  projets  de  perfection.  Le  parfait  amour  chasse 
la  crainte. 

A  Versailles,  17  septembre  (iGyi.) 

Je  suis  ravi ,  madame ,  d'apprendre  que  votre  santé 
se  rétablit.  Les  sentimens  où  vous  me  témoignez  être 
font  voir  que  la  croix  n'est  jamais  sans  fruit ,  quand 
on  la  reçoit  en  esprit  de  sacrifice.  J'espère  ,  madame  , 
que  nous  aurons  l'honneur  de  vous  revoir  à  Fontai- 
nebleau avec  un  renouvellement  de  grâce  et  de  déta- 
chement du  monde.  Vous  avez  bien  raison  de  croire 
qu'il  ne  faut  pas  attendre  la  liberté  et  la  retraite  pour 
se  détacher  de  tout ,  et  pour  vaincre  le  vieil  homme. 
Cette  situation  libre  n'est  qu'une  belle  idée.  Peut-être 
<n'y  parviendrons-nous  jamais,  et  il  faut  se  tenir  prêt 
à  mourir  dans  la  servitude  de  notre  état  si  la  Pro- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  449 

vitlcTice  prévient  nos  projets  tle  retraite.  Vous  n'êtes 
}x>int  ù  vous ,  et  Dieu  ne  vous  demande  que  ce  qui 
dépend  de  vous.  Les  Israélites  dans  Babylone  sou- 
piraient après  Jérusalem  ;  mais  combien  y  en  eut-il 
(pli  ne  revirent  jamais  Jérusalem  ,  et  qui  finirent  leur 
vie  à  Babylone!  Quelle  illusion,  s'ils  eussent  toujours 
différé  jusqu'au  temps  de  leur  retour  dans  leur  patrie , 
à  servir  fidèlement  le  vrai  Dieu ,  et  à  se  perfectionner  ! 
Peut-être  ferez-vous  comme  ces  Israélites. 

Ce  que  vous  me  mandez  de  M^^e  de  la  Sablière  (i) 
me  touclie  et  m'édifie.  Je  ne  l'ai  vue  qu'une  fois  ; 
mais  il  m'en  est  resté  une  grande  impression.  Elle  a 
Jjien  raison  de  ne  clierclier  plus  rien  dans  les  hommes , 
ayant  trouvé  Dieu ,  et  de  faire  le  sacrifice  de  ses 
meilleurs  amis.  Le  bon  ami  est  au  dedans  du  cœur  : 
c'est  l'époux  qui  est  jaloux ,  et  qui  écarte  tout  le  reste. 
Pt)ur  la  mort ,  elle  ne  trouble  que  les  personnes  cbar- 

(i)  M™*  de  la  Sablière  est  connue  pour  avoir  donné  chez  elle 
asile  à  La  Fontaine,  qui  lui  adressa  une  de  ses  fables.  (  Liv.  vni.  i.  ) 
Après  avoir  "vécu  dans  le  grand  monde  et  à  la  cour ,  où  clic  se 
distingua  par  ses  qualités  solides  et  brillantes ,  par  l'étendue  et  la 
variété  de  ses  connaissances,  la  mort  de  son  mari,  et  le  refroidis- 
sement du  Marquis  de  la  Fare  qui  l'avait  aimée  avec  passion,  la 
ramenèrent  à  la  pratique  de  la  Religion.  Elle  consacra  les  dernières 
années  de  sa  vie  à  soulager  les  pauvres  et  les  malades.  «  C'était 
»  dit  Dangeau ,  (  Journal^  9  janvier  1698  )  une  femme  qui  avait 
))  une  grande  réputation  par  sou  esprit,  et  qui,  depuis  Icnglemps, 
»  était  retirée  aux  Incurables ,  oîi  elle  menait  une  vie  fort  austère 
»  et  fort  exemplaire.  »  On  a  d'elle  des  Pensées  chrétiennes ,  im- 
primées quelquefois  à  la  suite  des  Maximes  du  Duc  de  la  Roche- 
foucauld. Elle  mourut  le  8  janvier  1693.  Voyez  à  son  sujet  les 
lettres  de  M™'^  de  Sévigné  des  21  juin  et  14  juillet  i68oj  t.  YI, 
édit.  de  Biaise,    1818,  in-8" ,  pag.   335  et  S^S. 

CoRRESP.    IV.  l4 


45o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

nelles  et  mondaines.  Le  parfait  amour  chasse  la 
crainte  {a).  Ce  n'est  point  par  se  croire  juste  qu'on 
cesse  de  craindre  ;  c'est  par  aimer  simplement ,  et 
s'abandonner  sans  retour  sur  soi  à  celui  qu'on  aime. 
Voilà  ce  qui  rend  la  mort  douce  et  précieuse.  Quand 
on  est  mort  à  soi ,  la  mort  du  corps  n'est  plus  que 
la  consommation  de  l'œuvre  de  grâce. 

N'auriez-vous  point  la  bonté  ,  madame  ,  puisque 
TOUS  écrivez  à  la  malade  ,  de  lui  témoigner  combien 
je  me  réjouis  selon  la  foi  de  ce  que  Dieu  met  en  elle , 
et  combien  j'espère  que  tous  ses  maux  seront  des 
biens  ? 

(a)  /  Joan.  iv.   18. 

223. 

Il  lui  indique  un  lieu  où  elle  pourra  le  voir,  et  badine  sur  son  humeur. 

Jeudi,  20  septembre  (1691.) 

Si  vous  voulez ,  madame  ,  venir  tantôt  vers  les 
sept  heures  chez  M™^  la  Duchesse  de  Chevreuse ,  j'es- 
père qu'elle  nous  recevra  charitablement ,  quoique 
je  n'aie  point  encore  mis  le  pied  à  sa  porte.  Vous 
voyez  par  là  ,  madame ,  que  je  ne  suis  pas  moins 
sauvage  pour  elle  que  pour  vous.  Je  ne  le  suis  plus 
même  pour  vous ,  ce  me  semble  :  vos  peines  m'ont 
ôté   mon  humeur  farouche. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^' 

224. 

Recevoir  les  humiliations  comme  venant  de  la  main  de  Dieu. 
A  Versailles,  i5  novembre  (1691.) 

Il  y  a  long-temps  madame ,  que  je  ne  vous  aï 
tienne  aucune  marque  de  mon  respect  ;  mais  je  n'ai 
cessé  de  demander  de  vos  nouvelles  à  tous  ceux  qui 
])ouvaicnt  m'en  dire ,  et  de  parler  de  vos  peines  avec 
les  personnes  qui  s'y  intéressent.  Dieu  vous  a  donné 
une  rude  croix  par  le  mal  que  vous  souffrez.  Il  est 
opiniâtre ,  il  est  douloureux  i  outre  les  douleurs  du 
mal  ,  vous  avez  celles  des  remèdes.  Mais  la  douleur 
n'est  pas  ce  qui  vous  fait  le  plus  de  peine  :  vous  êtes 
courageuse  et  dure  contre  vous-même ,  pour  souffrir 
patiemment  ;  mais  Dieu  vous  a  prise  par  un  autre 
endroit  plus  sensible  ,  qui  est  votre  faible  :  il  attaque 
votre  délicatesse  et  votre  propreté.  Vous  qui  êtes  d'un 
goût  si  exquis  et  si  dédaigneux  j  vous  êtes  réduite  à 
être  dégoûtée  de  vous-même  ,  et  à  craindre  que  les 
autres  ne  s'en  dégoûtent.  C'est  Dieu  qui  le  fait ,  et 
tout  ce  qu'il  fait  est  bien ,  et  tout  ce  qu'il  fait  est  mi- 
séricorde. Il  faut  qu'il  écrase  notre  amour-propre  et 
notre  orgueil.  Adorons  sa  main ,  et  Immilions-nous. 
Je  le  prie  ,  madame  ,  de  vous  donner ,  pour  le  corps 
et  pour  l'esprit  ,  tout  ce  que  sa  bonté  doit  répandre 
sur  vous. 


H' 


452  LETTRES    SPIRITUELLES. 


»V»«*»\*%%<»<»IV»V«I%  «%%««<»%»»  «o»  »»»%»> 


225. 

Félicitafious  à  la  Comtesse  sur  l'adoucissement  à  la  disgrâce  de  son  frère. 

Vendredi,  3o  novembre  (1691.) 

J'apprends  ,  madame ,  que  l'éloquence  de  M.  le 
Comte  de  Gramont  a  fait  plus  que  "vous  n'osiez  es- 
pérer pour  la  liberté  de  monsieur  votre  frère.  Souffrez 
que  je  vous  en  témoigne  ma  joie  dans  ce  billet,  en  at- 
tendant que  je  puisse ,  dans  quelque  entresol ,  ou  au- 
près de  la  petite  cheminée  de  marbre  blanc  ,  vous 
dire  combien  je  prends  de  part  à  cet  heureux  succès. 


/»'%«/V»%%%%'« 


226, 

Ne  point  ajourner  sa  perfection  ;  la  faire  consister  dans  la  fidélité  aux 
petites  choses  aussi-bien  qu'aux  grandes. 

J'aurai  de  la  peine ,  madame ,  à  me  souvenir  des 
choses  que  je  vous  dis  Dimanche  dernier.  Toute  l'idée 
qui  m'en  reste  est ,  ce  me  semble  ,  que  je  vous  dis 
deux  choses  :  la  première  ,  que  nous  devions  nous 
sanctifier  dans  l'état  oijl  la  Providence  nous  a  mis  , 
sans  nous  faire  des  projets  ou  des  desseins  de  vertu 
pour  l'avenir  -,  et  la  seconde  ,  que  nous  devions  avoir 
une  fort  grande  fidélité  à  Dieu  dans  les  plus  petites 
choses. 

La  plupart  des  gens  passent  la  meilleure  partie  de 
leur  vie  à  connaître  et  à  regretter  leur  manière  de 
vivre  ,  à  se  proposer  de  la  changer  ,  à  se  faire  des 
réglemens  pour  un  temps  qu'ils  espèrent  avoir  et  qui 
souvent  ne  leur  est  point  donné ,  et   à   perdre  ainsi 


LETTRES    SPIRITUELLES.  /\5'6 

en  rcsolulions  un  temps  qu'ils  devraient  employer  à 
faire  de  bonnes  œuvres  ,  et  à  travailler  utilement  à 
leur  salut. 

Il  faut,  madame,  regarder  ces  sortes  d'idées  comme 
une  tentation  fort  dangereuse.  Notre  salut  est  l'ou- 
vrage de  tous  les  jours  et  de  tous  les  momens  de 
notre  vie.  Il  n'y  a  point  de  temps  plus  propre  pour 
le  faire ,  que  celui  que  Dieu  nous  donne  maintenant 
par  sa  miséricorde ,  parce  que  nous  l'avons  aujour- 
d'hui ,  et  peut-être  nous  ne  l'aurons  pas  demain.  Le 
salut  ne  se  fait  point  en  désirant  de  le  faire  ,  mais 
en  s'y  appliquant  de  tout  son  mieux.  L'incertitude 
dans  laquelle  nous  vivons  nous  doit  faire  comprendre 
que  notre  volonté  doit  être  arrêtée  par  cette  seule 
affaire ,  et  que  toute  autre  occupation  est  indigne  de 
nous  puisqu'elle  ne  nous  conduit  point  à  Dieu  ,  qui 
doit  être  la  fin  de  toutes  nos  actions ,  et  qui  est  le 
Dieu  de  noire  salut,  qui  est  le  nom  que  David  lui 
donne  souvent  dans  les  Psaumes. 

Pourquoi,  madame,  faisons -nous  des  projets  de 
perfection  ?  C'est  que  nous  les  croyons  nécessaires 
pour  nous  sauver.  Pourquoi  différons-nous  donc  de 
les  exécuter ,  puisqvi'il  est  aussi  nécessaire  que  nous 
travaillions  aujourd'hui  à  notre  salut ,  que  d'ici  à  dix 
ans;  à  la  cour,  comme  dans  une  vie  plus  retirée?  Il 
faut  toujours  prendre  le  plus  sûr  dans  l'affaire  de  son 
salut  :  ou  on  perd  tout ,  ou  on  gagne  tout.  L'état  de 
la  vie  auquel  Dieu  nous  a  appelés  est  sûr  pour  nous , 
quand  nous  y  remplissons  tous  nos  devoirs.  Si  Dieu 
eût  prévu  que  dans  les  cours  des  Princes  on  n'ei\t  pas 
pu  se  sauver  ,  il  nous  aurait  commandé  de  n'y  ja- 
mais demeurer.  Bien  loin  de  nous  a\oir  fuit  ce  coni- 


454  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mandement ,  c'est  lui  qui  fait  les  Rois  et  qui  règle 
leurs  cours  ,  et  qui  permet  que  la  naissance  ou  les 
emplois  qu'on  y  a  y  donnent  entrée.  Il  veut  donc 
qu'on  s'y  sauve ,  et  qu'on  y  trouve  le  chemin  qui  con- 
duit au  ciel ,  qui  consiste  dans  l'attachement  à  la  vé- 
rité, à  cette  vérité  ,  dis-je ,  que  Jésus-Christ  nous  a  dit 
nous  devoir  délivrer  (a)  ,  c'est-à-dire  ,  nous  retirer 
de  tous  les  dangers  auxquels  on  est  exposé  en  ce 
monde. 

Tant  plus,  madame ,  vous  en  rencontrez  dans  l'état 
où  vous  êtes ,  tant  plus  aussi  vous  devez  veiller  sur 
vous-même  ,  pour  n'y  pas  succomber.  Veiller  sur  soi , 
c'est  être  attentif  à  Dieu  ;  c'est  l'avoir  toujours  pré- 
sent -,  c'est  i^ntrer  en  soi-même  ;  c'est  ne  se  point 
dissiper  ou  distraire  volontairement  parmi  les  créa- 
tures*, c'est  aimer,  autant  qu'on  le  peut,  la  retraite,  les 
saints  livres  et  la  prière;  ',  c'est  rêjjandre ,  comme  dit 
le  Prophète  (e) ,  son  cœur  en  la  présmice  de  Dieu ,' 
c'est  le  trouver  en  soi-même  \  c'est  le  chercher  par 
la  ferveur  de  ses  désirs  ,  c'est  l'aimer  plus  que  toutes 
choses  ,  et  éviter  tout  ce  que  nous  savons  lui  dé- 
plaire. Cette  vertu ,  madame  ,  est  la  vertu  de  tous  les 
états  ;  elle  est  d'un  merveilleux  secours  à  la  cour ,  et 
3e^  ne  trouve  rieu  qui  puisse  aider  davantage  à  n'ai- 
mer point  le  monde,  au  milieu  du  monde,  que  l'usage 
qu'on  en  sait  faire.  Rendez-vous-la  donc  familière  , 
madame  ,  et  tâchez  de  n'oublier  jamais  que  vous  êtes 
avec  Dieu  ,  et  que  Dieu  est  en  vous ,  aiin  que  vous 
vous  conserviez  toujours  fidèle  à  son  service. 

Accoutumez-vous  à  adorer  souvent  sa  sainte  vo- 

(a)  Joan,  vui.  32.  («)  Ps.  lxi.  9. 


LETTRES   SPIRITUELLES.  4^^ 

lonté  par  une  huniLle  soumission  tic  la  vôtre  ù  ses 
onli-es  et  à  sa  providence.  Priez-le  qu'il  vous  sou- 
tienne ,  de  peur  que  vous  ne  tombiez.  Suppliez-le 
qu'il  achève  en  vous  son  ouvrage  ^  et  que  vous  ayant 
inspiré  le  désir  de  vous  sauver  dans  l'état  où  vous 
êtes  ,  vous  vous  sauviez  en  effet  daiis  l'état  où.  il  vous 
a  mise.  Il  ne  demande  pas  de  vous  de  jurandes  choses 
pour  y  réussir.  Lo  royaumo  de  Dieu  est  au  dedans 
do  vous-ynémo  ;  c'est  ce  que  Jésus -Christ  nous  dit 
dans  son  Evangile  («)  ;  nous  l'y  rencontrons  quand 
nous  le  voulons.  Faisons  ce  que  nous  savons  qu'il  de- 
mande de  nous  \  mais  dès  que  nous  connaissons  sa 
volonté,  ne  nous  épargnons  point,  et  soyons-lui  très- 
lidèles.  Cette  fidélité  ne  doit  pas  seulement  nous  en- 
gager à  faire  de  grandes  choses  pour  son  service  ,  et 
pour  notre  salut ,  mais  toutes  celles  indiliéremment 
qui  se  présentent ,  et  qui  sont  de  Tétat  où  nous 
sommes.  Si  on  ne  se  sauvait  que  par  de  grandes  ac- 
tions ,  il  y  aurait  peu  de  personnes  qui  pussent  es- 
pérer de  se  sauver.  Le  salut  est  attaché  à  la  volonté 
de  Dieu  que  nous  accomplissons.  Les  plus  petites 
choses  deviennent  grandes  ,  quand  Dieu  les  demande 
de  nous  :  elles  ne  sont  petites  qu'eu  elles-mêmes  ; 
elles  sont  toujours  grandes  ,  dès  qu'elles  sont  faites 
pour  Dieu,  qu'elles  nous  conduisent  à  Dieu,  et  (pi'elles 
nous  servent  de  moyens  pour  le  ])Osséder  éternel- 
lement. 

Souvenez-vous ,  madame ,  qu'il  nous  a  dit  dans 
l'Evangile  (e) ,  que  celui  i^ui  serait  inlldèl^i  dans  les 
jyeiites  choses   le   serait    aussi    dans    les  grandes ,  et 

(a)  Luc.  xvu.  21.  [e)  Luc.  xvi.  lo. 


^56  LETTRES    SPIRITUELLES. 

(lue  celui  qui  serait  fidèle  dans  les  plus  petites  le  se  •> 
7'ait  aussi  dans  les  plus  considérables.  Il  me  semble 
aucune  ame  qui  désire  être  très-sincèrement  à  Dieu, 
n'examine  jamais  si  une  chose  est  petite  ou  grande. 
Il  lui  suffit  de  savoir  que  celui  pour  l'amour  duquel 
elle  le  fait  est  infiniment  giand ,  et  qu'il  mérite  que 
toutes  les  créatures  soient  uniquement  occupées  à  lui 
donner  la  gloire  qui  lui  est  due',  et  qu'on  ne  lui  rend 
que  dans  l'accomplissement  de  sa  volonté. 

Pour  vous^  madame  ,  je  crois  que  vous  devez  re- 
cevoir vos  croix  comme  votre  principale  pénitence  ;  les 
importunités  du  monde  doivent  vous  détacher  de  lui , 
et  vos  misères  doivent  vous  détacher  de  vous.  Por- 
tez en  paix  ce  fardeau  perpétuel  -^  et  vous  ne  cesserez 
d'avancer  dans  la  voie  étroite.  Elle  est  étroite  par  les 
peines  qui  serrent  le  cœur  ;  mais  elle  est  large  par 
l'étendue  que  Dieu  donne  au  cœur  par  le  dedans.  On 
souffre ,  on  est  environné  de  contradictions  ,  on  est 
privé  des  consolations  même  spirituelles;  mais  on  est 
libre  ,  parce  qu'on  veut  tout  ce  qu'on  a ,  et  on  ne 
voudrait  pas  s'en  délivrer.  On  souffre  sa  propre  lan- 
gueur ,  et  on  la  préfère  aux  états  les  plus  doux , 
parce  que  c'est  le  choix  de  Dieu.  Le  grand  point  est 
de  souffrir   sans  se  décourager. 

227. 

Dispositions  qui  conviennent  au  temps  de  TAvent. 

Le  temps  de  l'Avent  nous  doit  inspirer ,  madame, 
de  grands  désirs  de  nous  donner  à  Dieu  ,  de  prépa- 
rer  notre  cœur   pour   recevoir  la   plénitude  de   ses 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^7 

grâces  ,  et  noiis  disposer  à  renaître  avec  Jésus- Christ, 
ou  ,  pour  mieux  dire  ,  à  protiter  des  i'ruils  de  sa  nais- 
sance par  l'union  que  nous  devons  avoir  avec  lui, 
et  que  le  seul  amour  de  Dieu  peut  foiiner  en  nous. 

Nous  devons  nous  persuader  qu'on  dit  à  cliacun 
de  nous  en  particulier  ce  que  saint  Jean  disait  au- 
trefois aux  Juifs  ,  pour  les  exciter  à  faire  pénitence  : 
Préparez  les  voies  du  Seigneur  j  rendez  droits  ses 
sentiers  (a)  ,  alin  qu'il  trouve  vos  cœurs  en  état  de 
le  recevoir  et  d'y  répandre  ses  bénédictions. 

Cette  préparation  du  cœur  consiste  dans  un  désir 
ardent  de  le  posséder.  C'est  pourquoi  la  Sainte-Eglise 
nous  fait  souvenir  en  ce  temps  des  désirs  des  saints 
patriarches  qui  soupiraient  après  la  venue  du  Messie  , 
qui ,  pour  cela  ,  est  appelé  dans  les  saintes  Ecritures 
le  Désiré  ou  le  Désir  de  tous  les  peuples.  Nous  exci- 
tons en  nous  ces  désirs  dans  l'oraison ,  lorsque  nous 
répandons  nos  cœurs  en  la  présence  de  Dieu  ,  et  que 
nous  le  supplions  de  venir  en  nous  pour  en  prendre 
possession.  Jésus-Christ  nous  a  lui-même  enseigné 
cette  manière  de  prier,  quand  il  nous  a  ordonné  de 
demander  à  son  Père  que  son  règne  arrive ,  c'est-à- 
dire  qu'il  règne  paisiblement  en  nous ,  et  que  nous 
soyons  par  amour  attachés  à  ses  lois  et  à  son  Evangile. 

Nous  ne  pouvons  mieux  former  en  nous  ces  désirs 
que  dans  la  solitude.  C'est  pourquoi ,  madame,  je  vous 
conseille  de  vous  retirer  le  plus  souvent  et  le  plus 
long-temps  que  vous  le  pourrez  ,  pour  attirer  sur  vous 
les  grâces  de  Dieu  ;  étant  persuadée  que  ,  comme  Dieu 
fit  autrefois  entendre  sa  voix  à  Jean-Baptiste  dans  les 

(a)  Mat  th.  m.  3. 


458  LETTRES   SPlRITUELLEâ. 

déserts ,  et  que  ce  fut  dans  ces  lieux  écartés  de  la  foule 
du  monde ,  qu'il  donna  au  peuple  la  connaissance  du 
Messie ,  il  vous  éclairera  aussi ,  et  vous  remplira  de 
ses  grâces  et  de  son  esprit ,  quand ,  dans  la  retraite, 
vous  tâcherez  de  vous  occuper  de  lui ,  et  le  prierez 
de  vous   donner  part  à  ses  mérites. 

Je  crois  donc ,  madame ,  qu'il  est  à  propos  que 
vous  employiez  beaucoup  de  temps  à  la  prière ,  et 
que  vous  preniez  pour  le  sujet  de  vos  oraisons  le  troi- 
sième chapitre  de  saint  Matthieu ,  une  partie  du  pre- 
mier chapitre  de  saint  Mar-c ,  le  troisième  de  saint 
Luc  3  et  le  premier  de  saint  Jean.  Vous  y  trouverez 
les  sujets  des  exhortations  de  saint  Jean-Baptiste  au 
peuple  ,  qui  contiennent  ce  que  nous  devons  faire 
pour  nous  disposer  à  profiter  de  la  venue  de  Jésus- 
Christ  dans  le  monde  et  dans  nos  cœurs. 

Nous  pouvons  réduire  tout  ce  qu'il  a  dit  aux  cho- 
ses suivantes  : 

i»  A  la  pénitence  ,  qui  nous  doit  porter  à  nous 
éloigner  du  monde ,  à  pleurer  l'attachement  que  nous 
y  avons  pu  avoir ,  et  à  embrasser  les  maximes  de 
l'Evangile  pour  marcher  dans  la  voie  étroite  ; 

2°  A  des  sentimens  d'une  profonde  humilité ,  nous 
estimant  indignes  de  ]:)araître  devant  Jésus-Christ , 
beaucoup  plus  de  nous  unir  à  lui ,  et  de  le  recevoir 
en  notre  cœur  ; 

3«  A  un  grand  courage  et  une  fermeté  inébran- 
lable pour  le  bien  ,  ne  nous  décourageant  jamais  à 
la  vue  des  difficultés  qui  s'y  rencontrent ,  et  résistant 
avec  vigueiu'  au  torrent  du  monde. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^9 

228. 

Avantages  des  croix. 

A  Versailles,  21  décembre  (1691.) 

Je  vous  assure ,  madame ,  que  la  lettre  que  vous 
m'a\  ez  fait  riioiineur  de  m'écrire  ,  m'a  causé  une  sen- 
sihle  joie.  J'y  appi^ends  que  vous  vous  portez  mieux , 
que  vous  devez  revenir  ici  au  commencement  de  Fan- 
née  ,  et  ce  qui  est  encore  meilleur ,  que  vous  avez 
taclïé  de  faire  un  Lon  usage  de  vos  croix.  Ce  qui  at- 
taque votre  délicatesse  et  votre  propreté  dédaigneuse 
va  droit  au  but.  Dieu  sait  bien  choisir  ce  qu'il  nous 
faut  _,  et  tous  les  coups  dont  il  nous  frappe  sont  des 
miséricordes.  Votre  mal  vous  vaut  mieux  que  tous 
les  talens  naturels  qui  vous  ont  attachée  au  monde. 
Vous  êtes  fort  heureuse  de  faire  cette  pénitence  ;  elle 
doit  vous  apprendre  à  ne  mépriser  rien  ,  à  n'avoir 
horreur  de  rien ,  à  ne  vous  préférer  à  personne ,  à 
supporter  les  misères  d'autrui.  La  lèpre  de  l'orgueil , 
de  l'amour-propre ,  et  de  toutes  les  autres  passions 
de  l'esprit ,  si  nous  n'étions  point  aveugles ,  nous  pa- 
raîtrait bien  plus  horrible  et  plus  contagieuse  que 
les  plus  sales  maladies ,  qui  ne  défigurent  que  la 
chair.  J'attends ,  madame  ,  avec  une  sincère  impa- 
tience A  otre  retour  ;  personne  n'en  sera  plus  touché 
que  moi ,  et  n'a  plus  de  respect  pour  vous. 


JJUO  LETTRES    SPIRITUELLES. 


229. 

Dérober  quelques  heures  aux  embarras ,  pour  se  fortilier  par  les 
exercices  de  jiiétû. 

Vendredi,  ai    mars  (1692.) 

Ce  n'est  pas  moi ,  madame  ,  qui  suis  diflicile  à  voir  ; 
c'est  vous.  Souvenez-vous-en  bien ,  et  n'allez  plus 
gronder  contre  les  gens  qui  me  gardent  comme  une 
relique.  Je  n'oserais  vous  aller  chercher  entre  M.  le 
Comte  de  Gramont  et  tous  ces  autres  gens  qui  vous 
tiennent  si  bonne  compagnie  :  à  parler  bien  sérieu- 
sement ,  je  vous  plains  de  vos  embarras.  Vous  auriez 
grand  besoin  de  certaines  heures  libres ,  où  vous  pus- 
siez vous  recueillir.  Tâchez  de  les  dérober ,  et  comp- 
tez que  ces  petites  rognures  de  vos  journées  seront 
le  meilleur  de  votre  bien.  Surtout ,  madame ,  sauvez 
Totre  matin  ,  et  défendez-le  comme  ou  défend  une 
place  assiégée.  Faites  des  sorties  vigoureuses  sur  les 
importuns  ;  nettoyez  la  tranchée ,  et  puis  renfermez- 
vous  dans  votre  donjon.  L'après-dînée  même  est  trop 
longue,  pour  ne  reprendre  point  haleine. 

Le  recueillement  est  l'unique  remède  à  vos  hau- 
teurs _,  à  l'âpreté  de  votre  critique  dédaigneuse  ,  aux 
saillies  de  votre  imagination  ,  à  vos  impatiences  conti-e 
ceux  qui  vous  servent ,  à  votre  goût  pour  le  plaisir , 
et  à  tous  vos  autres  défauts.  Ce  remède  est  excellent , 
mais  il  a  besoin  d'être  fréquemment  renouvelé.  Vous 
êtes  une  bonne  montre  ,  mais  dont  la  corde  est  courte , 
et  qu'il  faut  remonter  souvent.  Reprenez  les  lectures 
qui  vous  ont  touchée  ;  elles  vous  toucheront  encore  , 
et  vous   en  profiterez  mieux   que  la    première    fois. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^^ 

Snpix)rtez-vous  \ous-inême  ,  sans  vous  flatter  ni  dé- 
coiirager.  On  trouve  rarement  ce  milieu  -,  on  se  pro- 
met beaucoup  de  soi  et  de  sa  bonne  intention ,  ou 
l)ien  on  désespère  de  tout.  N'espérez  rien  de  vous  ; 
attendez  tout  de  Dieu.  Le  désespoir  de  notre  propre 
faiblesse  ,  qui  est  incorrigible ,  et  la  confiance  sans  ré- 
serve en  la  toute-puissance  de  Dieu ,  sont  les  vrais 
fondemens  de  tout  l'édifice  spirituel.  Quand  vous 
n'aurez  pas  de  grands  temps  à  vous  ,  ne  laissez  pas  de 
profiter  des  moindres  momens  qui  vous  restent.  Il 
ne  faut  pas  beaucoup  de  temps  pour  aimer  Dieu  , 
pour  se  renouveler  en  sa  présence ,  pour  élever  son 
cfjL'ur  vers  lui ,  ou  l'adorer  au  fond  de  son  cœur,  pour 
lui  oll'rir  ce  que  l'on  fait  et  ce  qu'on  souffre.  Voilà  le 
vrai  royaume  de  Dieu  au  dedans  de  nous,  que  rien 
ne  peut  troubler. 

230. 

Sur  la  mauvaise  santé  du  Comte  tle  Gramont. 

A  Versailles,  i  novembre  (i6g>.) 

Je  ne  puis ,  madame  ,  savoir  la  continuation  de  la 
mauvaise  santé  de  M.  le  Comte  de  Gramont ,  sans 
vous  témoigner  la  part  que  je  prends  à  voire  peine. 
Klle  vient  dans  un  temps  où  vous  sembliez  avoir  plus 
besoin  de  soulagement  que  de  croix  et  d'épreuves  ; 
mais  Dieu  seul  sait  ce  qu'il  nous  faut ,  et  il  n'y  a 
qu'à  le  laisser  faire  aux  dépens  de  la  nature.  Je  soii- 
liaite  donc,  madame  ,  qu'il  vous  donne  un  redoujjle- 
iiient  de  patience  et  de  courage  ,  pour  secourir  le 
malade ,  et  pour  satisfaire  à  tous  ses  besoins.   Ceux 


463  LETTRES    SPIRITUELLES. 

du  corps  ne  sont  pas  les  plus  grands,  et  je  prie  Dieu 
de  vous  donner  des  paroles  assez  fortes ,  pour  lui 
mettre  dans  le  cœur  les  vérités  du  salut.  Personne 
ne  vous  sera  jamais,  madame,  plus  sincèrement  ni 
plus  respectueusement  dévoué  que  moi. 

231. 

Fruits  que  l'on  doit  retirer  des  embarras  et  des  contradiclions  de  la  vie. 

Mardi ,  4  novembre  (1692.) 

Vous  ne  devez  point  douter ,  madame  ,  de  ce  qui  fait 
votre  consolation  dans  vos  embarras.  C'est  Dieu  qui 
les  veut  faire  servir  à  vous  détacher  de  vous-même 
et  des  commodités  de  la  vie.  Le  recueillement  et  la 
ferveur  seraient  moins  propres  à  rabaisser  votre  hau- 
teur naturelle  ,  et  à  crucifier  vos  sens  trop  amollis. 
Par  votre  propre  choix  tendez  toujours  à  la  lecture , 
à  la  prière  ,  à  la  solitude  et  au  silence.  Tenez  ferme  , 
retranchez-vous  ,  surtout  le  soir ,  pour  vous  préparer 
une  matinée  plus  libre  ;  mais  quand  la  Providence 
vous  entraine  dans  des  embarras  inévitables  ,  ne  vous 
troublez  point  ;  vous  trouverez  Dieu  partout  où  il 
vous  aura  menée  ,  dans  les  affaires  les  plus  embrouil- 
lées ,  comme  à  l'oraison  la  plus  tranquille.  Vous  y 
trouverez ,  avec  la  nourriture  intérieure  ,  la  mort  à 
vous-même.  Quand  les  dames  dont  vous  parlez  seront 
ici ,  je  serai  ravi  qu'elles  me  procurent  l'honneur  de 
vous  voir.  Cependant  je  prie  Dieu  de  tout  mon  cœur 
qu'il  soit  votre  lumière  dans  les  conjonctures  où  vous 
vous  trouvez.  En  vérité ,  madame ,  je  pense  souvent 
à  vous ,  et  aux  grâces  dont  vous  avez  besoin ,  lors 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^*^ 

même  que  vous  ciT>yez  peut-être  que  je  n'y  songe  pas. 
Rien  ne  surpasse  le  zèle  avec  lequel  je  \ous  suis 
dévoué. 

232  "  R. 

Sur  la  maladie  du  Comte  de  Gramont.  Avantages  des  croix. 

A  Versailles,  mercredi  12  novembre  (1G92.) 

Je  suis  ravi ,  madame ,  des  bonnes  nouvelles  que 
vous  nie  faites  l'iionneur  de  me  donner  de  M.  le  Comte 
de  Gramont.  Je  lui  souhaite  plus  que  jamais  une 
longue  et  heureuse  vie  ,  puisqu'il  pense  sérieusement 
à  en  faire  un  bon  usage.  Si  je  croyais  que  je  pusse  le 
voir  sans  l'incommoder,  je  tacherais  de  me  dérober 
un  de  ces  jours  dans  l'entre-deux  de  nos  études  du 
matin  et  du  soir  ,  pour  aller  le  féliciter  sur  ses  bonnes 
intentions  ;  mais  je  ne  voudrais  aller  faire  l'empressé  , 
pour  courir  sur  le  marclié  des  autres ,  ni  prendre  un 
ton  de  harangue.  D'ailleurs  je  ne  sais  même  si  ma 
santé  me  le  permettra  ;  car  elle  est  assez  mauvaise 
depuis  quinze  jours.  Ayez  donc ,  s'il  vous  plaît ,  ma- 
dame ,  la  bonté  de  pressentir  doucement  M.  le  Comte 
sans  m'ensager  à  rien.  Il  a  tous  les  meilleurs  se- 
cours  que  vous  pouvez  lui  souhaiter.  Si  je  faisais  ce 
vovage ,  ce  serait  non  pour  son  besoin ,  mais  pour 
vous  témoigner  mon  zèle ,  et  avoir  simplement  l'hon- 
neur de  vous  voir  tous  deux.  Mandez-moi  sans  façon 
ce  que  vous  pensez  là-dessus. 

Pour  vous,  madame,  vous  n'avez  qu'à  porter  pa- 

(*)  Sentimens  chrét.  partie  du  n.  xxixj  OEuvres  spir,  1. 1,  p.  274* 


4G4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

tiemment  votre  croix.  Les  choses  pénibles  que  vous 
croyez  qui  se  mettent  entre  Dieu  et  vous  ne  seront 
que  des  moyens  pour  vous  unir  à  lui ,  si  vovis  le  souf- 
frez humblement.  Les  choses  qui  nous  accablent ,  et 
qui  confondent  notre  orgueil ,  nous  font  encore  plus 
de  bien  que  celles  qui  nous  recueillent  et  qui  nous 
animent.  Vous  avez  plus  de  besoin  qu'un  autre  d'être 
abattue ,  comme  saint  Paul  aux  portes  de  Damas ,  et 
de  ne  trouver  plus  de  ressource  en  vous-même.  Plus 
la  plaie  est  profonde ,  plus  il  faut  que  l'incision  soit 
grande  et  douloureuse.  Tout  ce  que  vous  souffrez , 
c'est  l'opération  de  la  main  de  Dieu  qui  veut  vous 
guérir  d'un  mal  que  vous  ne  sentiez  pas ,  et  qui  est 
mille  fois  plus  grand  que  ceux  dont  la  nature  se  plaint. 
L'orgueil  est  plus  sale  que  vos  abcès  ,  et  vous  n'en 
avez  pas  horreur.  Ne  perdez  point  courage  ,  madame  : 
livrez-vous  à  la  main  de  Dieu ,  qui  vous  frappe  par 
miséricorde  ,  et  au  dehors  par  vos  emJjarras ,  et  au 
dedans  par  l'infirmité.  Il  vous  aime ,  et  veut  que  vous 
l'aimiez  avec  Jésus-Christ  sur  la  croix.  Attendez  tout 
de  lui,  et  vous  recevrez  suivant  la  mesure  de  votre  foi. 

233. 

Il  souhaite  que  le  Corale  de  Gramont  agisse  noblement  avec  Dieu, 
comme  il  a  fait  avec  le  monde. 

A  Versailles  ,  25  janvier  (iGgS.) 

Je  fus  bien  fâché  ,  madame  ,  de  n'avoir  point  l'hon- 
neur de  vous  voir  quand  vous  vîntes  ici  la  dernière 
fois.  J'espère  que  la  bonne  santé  de  M.  le  Comte  de 
Gramont  vous  permettra  d'y  revenir  bientôt ,  et  d\ 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^5 

demeurer  plus  long-temps.  Celte  bonne  santé  est , 
dit-on,  admira])le;  elle  e&t  le  don  de  Dieu,  et  il  ne 
serait  pas  juste  de  s'en  servir  contre  lui.  Il  faut  que 
M.  le  Comte  ait  un  procédé  net  et  plein  d'honneur 
avec  Dieu ,  conune  il  Fa  toujours  eu  avec  le  monde. 
Dieu  s'accommode  des  sentimens  noljles.  La  vraie  no- 
blesse demande  de  la  fidélité ,  de  la  fenneté  et  de  la 
constance.  Un  homme  si  reconnaissant  pour  le  Roi , 
qui  ne  donne  que  des  biens  périssables  ,  voudrait-il 
èlre  ingrat  et  inconstant  pour  Dieu  ,  qui  donne  tout? 
Je  ne  saurais  le  croire ,  et  je  ne  veux  pas  seulement 
le  penser.  Je  crois  avoir  vu  son  bon  cœur ,  et  j'en  es- 
père un  courage  à  mépriser  la  mauvaise  honte  et  les 
froides  railleries.  Vous  saurez  mieux  que  personne , 
madame ,  le  précautionner  contre  les  habitudes  et  les 
engagemens  insensibles  des  compagnies.  Il  doit  pen- 
ser sérieusement  que  sa  guérison ,  qui  retarde  sa  mort , 
ne  fait  que  la  retarder  un  peu  ,  et  que  la  plus  longue 
vie  sera  toujours  courte.  Pour  moi ,  qui  ne  veux  point 
prêcher ,  je  me  borne  à  me  réjouir  avec  vous  ,  ma- 
dame ,  de  cette  heureuse  guérison.  Il  me  tarde  d'avoir 
l'honneur  de  vous  voir  tous  deux  ici  en  pleine  santé  , 
et  dans  les  mêmes  sentimens.  Vous  savez ,  madame , 
mon  zèle  et  mon  respect. 


CoRREsp.  ir.  i5 


^(36  LETTRES    SPIRITUELLES. 

(tnnVVVVWE-VVV««W»*««VV»»«VV^>A«%VVV»VVI«t«VVVVt«^V«VIIVVV«IV»»«««t'V>«««%»«VVVVV>«vv»v 

234. 

Ne  faire  aucun  pas  ,  même  clans  le  bien ,  sans  pi'endre  conseil  5 
exhortation  à  la  petitesse  et  à  la  siruplicité  d'esprit. 

A  Versailles  ,  28  mars  (iGgS.) 

Je  vous  remercie  très-humblement,  madame  ,  de 
m'avoir  fait  part  de  cette  lettre  (i);  elle  est  bonne  et 
touchante.  J'aime  encore  mieux  son  humilité  et  sa 
défiance  de  lui-même ,  que  toute  sa  ferveur.  Pourvu 
qu'il  ne  fasse  aucun  pas,  même  dans  le  bien,  que  par 
les  conseils  d'une  personne  sainte  et  expérimentée , 
tout  ira  à  merveille  ;  mais  le  bien  n'est  plus  bien  dès 
qu'on  le  fait  à  sa  mode.  Le  premier  et  l'unique  bien 
solide  est  de  mourir  sans  réserve  à  sa  propre  volonté 
et  à  son  propre  jugement.  Je  vous  plains  dans  vos 
embarras  ;  mais  pourvu  que  vous  soyez  fidèle  à  tout 
ce  que  vous  pouvez ,  Dieu  suppléera  par  lui-même  à 
ce  que  vous  ne  pouvez  pas ,  dans  la  sujétion  conti- 
nuelle où  sa  providence  vous  met.  Ce  que  je  vous 
souliaite  le  plus  ,  est  la  petitesse  et  la  simplicité  d'es- 
prit. Je  crains  pour  vous  une  dévotion  lumineuse  , 
haute  ,  qui ,  sous  prétexte  d'aller  au  solide  en  lecture 
et  en  pratique  ,  nourrisse  en  secret  je  ne  sais  quoi  de 
grand  et  de  contraire  à  Jésus-Christ  enfant ,  simple  , 
et  méprisé  des  sages  du  siècle.  Il  faut  être  enfant 
avec  lui.  Je  le  prie  de  tout  mon  cœur  ,  madame ,  de 
vous  ôter  non-seulement  vos  défauts ,  mais  encore 
ce  goût  de  grandeur  dans  les  vertus ,  et  de  vous  ra- 
petisser par  grâce. 

(i)  C'était  vraisemblablement  une  lettre  du  Comte  de  Gramont 
à  la  Comtesse. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^>7 

235  *  R. 

Eviter  In  prévoyance  inquiète  de  l'avenir;  fruits  que  nous  devons  retirer 
de»  coutraïUctious  intérieures  j  vanité  des  biens  de  la  terre. 

A  Issy ,  a5  mai  (i). 

Les  croix  que  nous  nous  faisons  à  nous-mêmes, 
par  une  prévoyance  inquiète  de  l'avenir  ,  ne  sont  point 
clos  croix  qui  viennent  de  Dieu.  Nous  le  tentons  par 
noire  fausse  sagesse  ,  en  voulant  prévenir  son  ordre  , 
et  en  nous  efforçant  de  suppléer  à  sa  providence  par 
notre  providence  propie.  Le  fruit  de  notre  sagesse 
est  toujours  amer,  et  Dieu  le  permet  pour  nous  con- 
fondre ,  quand  nous  sortons  de  sa  conduite  pater- 
nelle. L'avenir  n'est  point  encore  à  nous  :  peut-être 
n'y  sera-t-il  jamais.  S'il  vient ,  il  viendra  peut-être 
tout  autrement  que  nous  ne  l'avons  prévu.  Fermons 
donc  les  yeux  sur  ce  que  Dieu  nous  cache  ,  et  qu'il 
tient  en  réserve  dans  les  trésors  de  son  profond  con- 
seil. Adorons  sans  voir  ;  taisons-nous  ;  demeurons  en 
paix. 

Les  croix  du  moment  présent  apportent  toujours 
leur  grâce,  et  par  conséquent  leur  adoucissement  avec 
elle  :  on  y  voit  la  main  de  Dieu  qui  se  fait  sentir. 
Mais  les  croix  de  prévoyance  inquiète  sont  vues  au- 
delà  de  l'ordre  de  Dieu  :  on  les  voit  sans  grâce  pour 
les   supporter  -,   on    les  voit  même   par  une   fidélité 

(*)  Sentimens  chrét.  partie  du  n.  xxix;  QEuures  spir.  t.  \,  p.  279. 

(i)  On  lit  au  dos  de  l'original  celte  note,  de  la  main  de  l'Im- 
pératrice Marie-Thérèse  :  Lettre  de  M.  L.  de  F,  sur  les  peines 
qui  viennent  de  la  part  du  prochain, 

i5* 


468  LETTRES   SPIRITUELLES. 

qui  éloigne  la  grâce.  Ainsi  tout  y  est  amer  et  insup- 
portable :  tout  y  est  noir  ;  tout  y  est  sans  ressource , 
et  l'ame  qui  a  voulu  goûter  par  curiosité  le  fruit  dé- 
fendu ,  ne  trouve  plus  que  mort  et  révolte  sans  con- 
solation au  dedans  d'elle-même.  Voilà  ce  que  c'est 
que  de  ne  se  fier  pas  à  Dieu ,  et  que  d'oser  violer  son 
secret  dont  il  est  jaloux.  A  chaque  jour  ^  dit  Jésus-^ 
Christ  j  sufjp^t  son  mal  ;  le  mal  de  chaque  jour  devient 
un  bien  lorsqu'on  laisse  faire  Dieu.  Qui  sommes- 
nous  pour  lui  dire  :  Par  quel  motif  faites-vous  cela  ? 
Il  est  le  Seigneur ,  et  cela  suffit  :  il  est  le  Seigneur  ; 
qu'il  fasse  tout  ce  qui  est  bon  à  ses  yeux.  Qu'il  élève 
ou  qu'il  abaisse  ;  qu'il  frappe  ou  qu'il  console  ;  qu'il 
brise  ou  qu'il  guérisse  toutes  les  blessures  ;  qu'il 
donne  la  mort  ou  la  vie  ,  il  est  toujours  le  Seigneur  ; 
nous  ne  sommes  que  l'ouvrage  ^  et  par  conséquent  le 
jouet  de  ses  mains.  Qu'importe ,  pourvu  qu'il  se  glo- 
rifie ,  et  que  sa  volonté  s'accomplisse  en  nous  ?  Sor- 
tons de  nous-mêmes  ;  plus  d'intérêt  propre ,  et  la  vo- 
lonté de  Dieu  ,  qui  se  développe  à  chaque  moment 
en  tout ,  nous  consolera  aussi  en  chaque  moment  de 
tout  ce  que  Dieu  fera  autour  de  nous ,  ou  en  nous 
aux  dépens  de  nous-mêmes.  Les  contradictions  des 
hommes ,  leur  inconstance ,  leurs  injustices  mêmes , 
nous  paraîtront  les  effets  de  la  sagesse  ,  de  la  justice, 
et  de  la  bonté  invariable  de  Dieu  :  nous  ne  verrons 
plus  que  Dieu  infiniment  bon ,  qui  se  cache  sous  les 
faiblesses  des  hommes  aveugles   et  corrompus. 

Ainsi  cette  figure  trompeuse  du  monde  ,  qui  passe 
comme  une  décoration  de  théâtre ,  nous  deviendra 
un  spectacle  très-réel ,  et  digne  d'éternelle  louange 
du  côté  de  Dieu.  Les  hommes  ,  quelque  grands  qu'ils 


LETTRES    SPlîllTUELLES.  4^^) 

pc naissent ,  ne  sont  rien  en  eux-mêmes  :  mais  que 
Dieu  est  grand  en  eux  !  C'e«t  lui  qui  fait  servir  l'hu- 
meur bizarre,  l'orgueil  chagrin  ,  la  dissimulation,  la 
vanité  ,  et  toutes  les  folles  passions  ,  au  conseil  éter- 
nel qu'il  a  sur  ses  élus.  Il  emploie  et  le  dedans  et  le 
dehors ,  et  la  corruption  des  autres  hommes ,  et  nos 
propres  imperfections  ,  et  notre  propre  sensibilité  ; 
en  un  mot,  il  emploie  tout  à  notre  propre  sanctifica- 
tion ;  il  remue  le  ciel  et  la  terre;  rien  ne  se  fait  que 
pour  nous  purifier,  et  nous  rendre  dignes  de  lui.  Re- 
jouissons-nous  donc  lorsque  notre  Père  céleste  nous 
éprouve  ici-bas  par  diverses  tentations  intérieures  et 
extérieures  ,  qu'il  nous  rend  tout  contraire  au  dehors 
et  tout  douloureux  au  dedans.  Réjouissons-nous ,  car 
c'est  par  de  telles  douleurs  que  notre  foi ,  plus  pré- 
cieuse que  l'or,  est  purifiée.  Réjouissons-nous  d'éprou- 
ver ainsi  le  néant  et  le  mensonge  de  tout  ce  qui  n'est 
point  Dieu  ;  car  c'est  par  cette  expérience  crucifiante  , 
que  nous  sommes  arrachés  à  nous-mêmes  et  aux  désirs 
du  siècle.  Réjouissons-nous,  car  c'est  par  ces  douleurs 
de  l'enfantement  que  l'homme  nouveau  naît  en  nous. 
Quoi  nous  nous  décourageons ,  et  c'est  la  main 
de  Dieu  qui  se  hâte  de  faire  son  oeuvre  !  C'est  ce  que 
nous  souhaitons  tous  les  jours  qu'il  fasse  ,  et  dès  qu'il 
commence  à  le  faire  ,  nous  nous  troublons  -,  notre,  lâ- 
cheté et  notre  impatience  arrêtent  la  main  de  Dieu. 
Je  dis  que  nous  éprouvons,  dans  les  peii-?s  de  la  vie, 
le  néant  et  le  mensonge  de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  : 
le  néant,  parce  qu'il  y  a  un  vide  infini  dans  tout  ce 
qui  n'est  pas  le  bien  infini  et  Tunique  bien  ;  de  plus  , 
on  y  trouve  le  mensonge.  La  créature  promet  beau- 
coup ,  et  elle  ment.  Le  néant  paraît  quelque  chose  ; 


4^0  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mais  il  n'est  rien  qu'un  néant  menteur.  Que  ne  fait- 
il  point  espérer  !  mais  ,  dans  le  fond  y  que  donne-t-il  '? 
Vanité  et  afiliction  d'esprit  de  toutes  parts  sous  le 
soleil ,  mais  surtout  dans  les  plus  hautes  places.  Le 
néant  n'y  est  pas  moins  néant  qu'ailleurs  •,  car  il  est 
également  rien  partout  :  mais  il  y  est  plus  menteur. 
C'est  une  décoration  qui  n'est  pas  moins  creuse  ,  mais 
qui  est  plus  ornée  ;  elle  allume  les  espérances  ,  elle 
irrite  les  désirs ,  mais  elle  ne  remplit  jamais  le  cœur. 
Ce  qui  est  vide  soi-même  ,  ne  saurait  rien  remplir. 
Ces  créatures  faibles  et  malheureuses  ,  qui  sont  les 
divinités  de  la  terre  ^  ne  peuvent  donner  la  force  et 
le  bonheur  qu'elles  n'ont  pas.  Va-t-on  puiser  de  l'eau 
dans  une  fontaine  tarie  ?  Non  ,  sans  doute.  Pourquoi 
donc  vouloir  aller  puiser  la  paix  et  la  joie  chez  ces 
grands  qu'on  voit  soupirer  ,  qui  mendient  eux-mêmes 
de  l'amusement ,  et  que  l'ennui  vient  dévorer  au  mi- 
lieu de  tous  les  appareils  de  plaisir  ?  Que  ceux-là 
soient  faits  semblables  à  eux  ,  qui  mettent  leur  con- 
fiance en  eux ,  ainsi  que  le  Prophète  le  disait  pour 
ceux  qui  adoraient  les  idoles  [a).  Mettons  nos  espé- 
rances plus  haut ,  et  dans  un  lieu  plus  inaccessible 
aux  accidens  de  cette  vie. 

Enfin  j'ai  dit  que  la  vanité  et  le  mensonge  se  trou- 
vent dans  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu  :  par  conséquent 
ils  se  trouvent  aussi  en  nous-mêmes.  Le  néant  : 
hélas  !  qu'y  a-t-il  de  si  vide  et  qui  soit  plus  néant 
que  notre  cœur?  Le  mensonge  :  qu'est-ce  que  nous 
ne  nous  promettons  pas  à  nous-mêmes  ?  Mais  nos  pro- 
messes sont  pleines  de  mensonge  ;  heureux  celui  qui 

(a)   Ps.  ex III.  8. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  47  I 

en  est  à  jamais  détrompé  !  Notre  cœur  est  aussi  vain 
et  aussi  faux  que  tout  ce  qu'il  y  a  au  dehors  de  plus 
corrompu.  Ne  méprisons  donc  point  le  monde  sans 
nous  mépriser  nons-mcmes  :  nous  sommes  plus  nié-» 
prisables  que  lui ,  puisque  ayant  plus  reçu  de  Dieu 
nous  sommes  plus  ingrats  et  plus  infidèles.  Consen- 
tons que  le  monde  ,  par  une  secrète  justice  ,  nous 
trompe,  nous  manque  et  nous  maltraite  ,  comme  nous 
avons  voulu  tromper  Dieu ,  comme  nous  lui  avons 
manqué ,  et  comme  nous  avons  tant  de  fois  fait  in- 
jure à  l'esprit  de  grâce.  Plus  le  monde  nous  dégoû- 
tera de  lui ,  plus  il  avancera  l'œuvre  de  Dieu  ;  et  il 
nous  fera  autant  de  bien  ,  en  voulant  nous  faire  du 
mal,  qu'il  nous  aurait  fait  de  mal,  si  nous  avions  reçu 
tous  les  faux  Liens  qu'il  semblait  nous  devoir  faire. 
Je  prie  Dieu  ,  madame ,  que  votre  foi  se  nourrisse 
chaque  jour  de  ces  vérités ,  qu'elles  germent  dans 
votre  cœur,  qu'elles  y  jettent  de  profondes  racines, 
et  surtout  qu'elles  vous  aident  à  vous  renouveler  dans 
l'esprit  de  Jésus-Christ  pendant  votre  retraite.  Que 
la  paix  de  Dieu,  dit  saint  Paul  (a),  qui  suî'passe  tout 
sentiment,  gai'de  en  Jésus-Christ  vos  cœurs  et  vos 
intelligences  !  Coupons  toute  racine  d'amertume  ,  et 
rejetons  toute  tristesse  qui  trouble  la  paix  et  la  con- 
fiance simple  des  enians  de  Dieu.  Tournons-nous  vers 
iiotre  Père  dans  tous  nos  maux ,  enfoncons-nous  dans 
ce  sein  si  tendre ,  où  rien  ne  peut  nous  manquer  ;  ré- 
jouissons-nous en  espérance ,  et  goûtons ,  loin  du 
monde  et  de  la  chair  ,  la  pure  joie  du  Saint-Esprit. 
Que  notre  foi  soit  immobile  au  milieu  des  tempêtes  ; 

(a)   Philip.  IV.  7. 


4^2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

tenons-nous  attacliés  à  cette  grande  parole  de  l'Apô- 
tre (a)  :  Tout  se  tourne  à  hien  pour  ceux  qui  aiment 
Dieu  3  et  qu'il  a  choisis  selon  son  bon  plaisir, 

(a)  Rom,  yi\\.  28. 

236. 

S'accoutumer  au  recueillement  ;  voir  ses  fautes  sans  trouble  j  se  donner 
4  Dieu  sans  réserve. 

Mercredi,  17  novembre  (1694.) 

Je  crois  ,  madame  ,  que  vous  devez  tâcher ,  sans  au- 
cun effort  pénible  ,  de  vous  occuper  de  Dieu  toutes 
les  fois  que  le  goût  du  recueillement ,  et  le  regret  de 
ne  pouvoir  le  pratiquer,  touchent  votre  cœur.  Il  ne 
faut  point  attendre  les  heures  libres ,  où  Ton  peut 
fermer  la  porte ,  et  ne  voir  personne.  Le  moment  qui 
nous  fait  regretter  le  recueillement  peut  nous  le  faire 
pratiquer.  Aussitôt  tournez  votre  cœur  vers  Dieu  d'une 
manière  simple ,  familière  et  pleine  de  confiance.  Tous 
les  momens  les  plus  entrecoupés  sont  bons ,  non-seu- 
lement en  carrosse  ou  en  chaise  ,  mais  encore  en  s'ha- 
Lillant ,  en  se  coiffant ,  même  en  mangeant ,  et  en 
écoutant  les  autres  parler.  Les  histoires  inutiles  et 
ennuyeuses  ,  au  lieu  de  vous  fatiguer  ,  vous  soulage- 
ront ,  en  vous  donnant  des  intervalles.  Au  lieu  d'ex- 
citer votre  moquerie  ,  elles  vous  donneront  la  liberté 
de  vous  recueillir.  Ainsi  tout  se  tourne  à  profit  pour 
ceux  qui  cherchent  Dieu. 

Une  autre  règle  très-importante  ,  c'est  de  vous  abs- 
tenir d'une  faute  toutes  les  fois  que  vous  l'apercevez 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^'j'ô 

avant  que  de  la  faire ,  et  d'en  porter  courageusemenl 
riiumiliation ,  si  vous  ne  l'apercevez  qu'après  qu'elle 
est  commise.  Si  vous  l'apercevez  avant  que  de  la 
l'aire  ,  gardez-vous  bien  de  résister  à  l'esprit  de  Dieu  , 
qui  vous  avertit  intérieurement,  et  que  vous  étein- 
driez. 11  est  délicat ,  il  est  jaloux  ;  il  veut  être  écouté 
et  suivi.  Si  on  le  contriste ,  il  se  retire  ;  la  moindre 
résistance  lui  est  une  injure  :  que  tout  lui  cède  en 
vous  ,  dès  qu'il  se  fait  sentir.  Les  fautes  de  précipita- 
lion  ou  de  fragilité  ne  sont  rien  en  comparaison  de 
celles  où  l'on  se  rend  sourd  à  la  voix  secrète  du  Saint- 
Esprit,  qui  commence  à  parler  dans  le  fond  de  l'ame. 

Pour  les  fautes  qu'on  n'aperçoit  qu'après  qu'elles 
sont  commises ,  l'inquiétude  et  le  dépit  de  l'amour- 
propre  ne  les  raccommoderont  jamais  :  au  contraire  , 
ce  dépit  n'est  qu'une  impatience  de  l'orgueil  à  la  vue 
de  ce  qui  le  confond.  L'unique  usage  à  faire  de  ces 
fautes ,  est  donc  de  s'ei)  humilier  en  paix.  Je  dis  eri 
paix ,  parce  que  ce  n'est  point  s'humilier,  que  de  pren  - 
dre  l'humiliation  avec  chagrin  et  à  contre-cœur.  Il 
faut  condamner  sa  faute  ,  sans  chercher  l'adoucis,'  e- 
ment  d'aucune  excuse  ,  et  se  voir  soi-même  devant 
Dieu  dans  cet  état  de  confusion  ,  sans  s'aigiir  cori  tre 
soi-même  et  sans  se  décourager  ,  mais  profitant  en 
])aix  de  l'huniiliation  de  sa  faute.  Ainsi  on  tire  du  ser- 
pent même  le  remède  pour  se  guérir  du  venin  de  i  a 
morsure.  La  confusion  du  péché  ,  quand  elle  est  roçue 
dans  une  ame  qui  ne  la  supporte  point  impatiem- 
ment,  est  le  remède  contre  le  péché  même  :  mais  ce 
n'est  pas  être  humhle ,  que  de  se  soulever  contre 
l'humiliation. 

Ln  peu  de  présence  de  Dieu  pendant  les  rejms  , 


4-74  LETTRES    SPIRITUELLES. 

surtout  quand  ils  sont  longs ,  et  qu'on  y  est  souvent 
de  loisir ,  servira  beaucoup  à  vous  retenir  dans  les 
bornes  de  la  sobriété ,  et  à  vous  fortifier  contre  votre 
excessive  délicatesse.  U  y  a  encore  certains  moniens 
de  la  table  où  la  première  faim  fait  qu'on  parle  peu  ; 
alors  on  peut ,  en  mangeant ,  penser  un  peu  à  Dieu  : 
mais  tout  cela  ne  doit  se  faire  qu'à  mesure  que  la  vue 
et  le  goût  en  viennent ,  sans  se  gêner. 

Il  y  a  un  autre  article  sur  lequel  je  vous  avoue 
que  je  suis  en  peine  ,  et  dont  nous  n'avons  point  parlé 
aujourd'bui  ;  mais  il  faut  le  remettre  à  la  prochaine 
occasion  où  j'aurai  l'honneur  de  vous  voir.  Vous  le 
comprendrez  aisément.  Je  suis  très-convaincu  que 
vous  devez  y  user  d'une  extrême  fermeté  contre  vous- 
même  ,  et  vous  défier  de  vos  meilleures  intentions. 
Peut-être  arrêteriez-vous  par  là  toutes  les  grâces  que 
Dieu  vous  prépare.  Souvent  tout  ce  que  nous  offrons 
à  Dieu  n'est  point  ce  qu'il  veut.  Ce  qu'il  veut  le  plus 
de  nous  ,  c'est  ce  que  nous  voulons  moins  lui  donner  , 
et  que  nous  craignons  qu'il  ne  nous  demande.  C'est 
Isaac  5  fils  unique  ,  fils  bien-aimé  ,  qu'il  veut  qu'on  im- 
mole sans  compassion.  Tout  le  reste  n'est  rien  à  ses 
yeux  ,  et  il  permet  que  tout  le  reste  se  fasse  d^une 
manière  pénible  et  infruçtr.euse  ,  parce  que  sa  béné- 
diction n'est  point  dans  ce  travail  d'une  ame  parta- 
gée ;  il  veut  tout ,  et  jusque-là  point  de  repos.  Qui 
est-ce j  dit  l'Ecriture  (a),  qui  a  résisté  à  Dieu^  et  qui 
a  pu  être  e?i  paix  ?  Voulez-vous  y  être ,  et  engager 
Dieu  à  bénir  vos  travaux  ?  ne  réservez  rien  ;  coupez 
jusques  au  vif;  brûlez  ,  n'épargnez  rien  ,  et  le  Dieu  de 

[a]  Joh,  IX.  4- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4?^ 

paix  sera  avec  vous.  Quelle  consolation ,  quelle  li- 
berté ,  quelle  force ,  quel  élargissement  de  cœur  ,  quel 
accroissement  de  grâce  ,  quand  on  ne  laisse  plus  rien 
entre  Dieu  et  soi  ,  et  qu'on  a  l'ait ,  sans  liésiter  ,  les 
derniers  sacrilices  !  Je  prie  Notre-Seigneur  ,  et  je  le 
prierai  chaque  jour ,  madame ,  de  vous  en  donner  le 
courase. 


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237  *  R. 

Supporter  les  tentations  avec  paix  et  luimililû  (i). 

Je  ne  me  souviens  pas  trop  bien  ,  madame ,  de  ce 
que  je  disais  ,  et  que  vous  m'avez  ordonné  d'écrire  ; 
mais  il  me  semble  qu'il  était  question  de  la  trop 
grande  sensibilité  qu'on  éprouve  au  dedans  de  soi , 
et  qu'on  ne  peut  modérer.  Bien  des  gens  se  tour- 
mentent et  se  chagrinent  mal  à  propos  là-dessus. 

Cette  sensibilité  ne  dépend  point  de  nous.  Dieu 
nous  l'a  donnée  avec  notre  tempérament ,  pour  nous 
exercer.  Il  ne  veut  point  nous  en  délivrer ,  mais  s'en 
servir  au  contraire  pour  nous  exercer.  Entrons  donc 
dans  ses  desseins.  Les  tentations  nous  sont  nécessai- 
res -,  il  ne  s'agit  que  de  n'y  succomber  pas.  Celles  du 
dedans  sont  comme  celles  du  dehors  ;  elles  tendent 
loutcs  à  nous  mener  à  la  victoire  par  le  combat.  Les 
tentations  du  dedans  sont  encore  plus  utiles ,  en  ce 
qu'elles  servent  plus  directement  à  nous  humilier  par 

[^)  Sentimens  vhrét.  n.  xxx;   OEuvres  spir.  tom.  II,  pig.    I. 
(i)  Ou  lit  sur  l'original  cette  note,  de  la  main  de  Marie-Thérèse  : 
Encril  de  M.  L.  de  F.  sur  la  sensibilité  dans  les  cruix. 


476  LETTRES    SPIRITUELLES. 

l'expérience  de  notre  corruption  intérieure.  Celles  du 
dehors  ne  vont  qu'à  nous  montrer  la  malignité  du 
monde  qui  nous  environne.  Celles  du  dedans  nous 
font  sentir  que  nous  sommes  aussi  dépravés  dans  nos 
inclinations ,  que  le  monde  même.  Supportons  donc 
avec  une  humble  confiance  et  une  paix  inaltérable 
nos  soulèvemens  intérieurs ,  et  toutes  les  tentations 
qui  naissent  de  notre  propre  fond ,  aussi-bien  que  les 
orages  qui  viennent  des  autres  créatures.  Tout  vient 
également  de  la  main  de  Dieu ,  qui  sait  autant  se  ser- 
vir de  nous  que  des  autres ,  pour  nous  faire  mourir 
à  nous-mêmes. 

C'est  souvent  l'orgueil  qui  s'inqiiiète  ,  et  qui  se  dé- 
courage de  voir  tant  de  révoltes  opiniâtres  au  dedans , 
pendant  qu'il  voudrait  voir  toutes  les  passions  sou- 
mises ,  pour  se  nourrir  de  cette  gloire  ,  et  pour  se 
complaire  en  sa  propre  perfection.  Tachons  d'être 
fidèles  par  le  fond  de  la  volonté ,  malgré  les  répu- 
gnances et  les  ébranlemens  de  la  nature  ;  et  laissons 
faire  Dieu  ,  quand  il  veut  nous  montrer  par  ces  tem- 
pêtes à  quels  naufrages  nous  serions  exposés ,  si  sa 
puissante  main  ne  nous  en  préservait.  Que  s'il  nous 
arrive  même  de  tombe^  volontairement  par  fragilité , 
alors  humilions-nous  ,  anéantissons-nous  ,  corrigeons- 
nous  sans  pitié  pour  nous-mêmes.  Ne  perdons  pas  un 
moment  pour  nous  retourner  vers  Dieu  •,  mais  faisons- 
le  simplement  et  sans  trouble.  Relevons-nous ,  et  re- 
prenons fortement  notre  course ,  sans  nous  chagriner 
et  nous  décourager  de  notre  chute. 


LETTRES    SPIRITUELLES. 


477 


238  *  R. 

Comment  los  passions  litimaines  s'cntrechoqiiont  ;  le  renoncement  et 
l'uLaiiilun,  uiiiijuu  moyeu  de  conserver  la  paix. 

Tandis  que  nous  demeurons  renfermés  en  nous- 
mêmes  ,  nous  sommes  en  butte  à  la  contradiction  des 
liommes,  à  leur  malignité  et  à  leur  injustice.  Notre 
humeur  nous  expose  à  celle  d'autrui  ;  nos  passions 
s'entrechoquent  avec  celles  de  nos  voisins  ;  nos  désirs 
sont  autant  d'endroits  par  où  nous  donnons  prise  à 
tous  les  traits  du  reste  des  hommes.  Notre  orgueil , 
qui  est  incompatible  avec  l'orgueil  du  prochain,  s'élève 
comme  les  flots  de  la  mer  irritée  :  tout  nous  combat , 
tout  nous  repousse,  tout  nous  attaque;  nous  sommes 
ouverts  de  toutes  parts  par  la  sensibilité  de  nos  pas- 
sions et  par  la  jalousie  de  notre  orgueil.  Il  n'y  a  nulle 
paix  à  espérer  en  soi ,  où  Pon  vit  à  la  merci  d'une 
foule  de  désirs  avides  et  insatiables ,  et  où  l'on  ne 
saurait  jamais  contenter  ce  moi  si  délicat  et  si  om- 
brageux sur  tout  ce  qui  le  touche.  De  là  vient  qu'on 
est  dans  le  commerce  du  prochain  ^  comme  les  ma- 
lades qui  ont  langui  lonj^-temps  dans  un  lit  :  il  n'y  a 
aucune  partie  du  corps  où  l'on  puisse  les  toucher  sans 
les  blesser.  L'amour-propre  malade  ,  et  attendri  sur 
lui-même ,  ne  peut  être  touché  sans  crier  les  hauts 
cris.  Touchez-le  du  bout  du  doigt ,  il  se  croit  écor- 
ché.  Joignez  à  cette  délicatesse  la  grossièreté  du  pro- 
chain plein  d'imperfections  qu'il  ne  connaît  pas  lui- 
même  ;  joignez-y  la  révolte  du  prochain  contre  nos 
. 1 

(*)  Seniimens  chrét.  partie  du  n.  xxix  )  OEuvres  spir.  1. 1,  p.  283. 


J^nl^  LETTRES    SPIRITUELLES. 

défauts  ,  qui  n'est  pas  moins  grande  que  la  nôtre  contre 
les  siens  ;  voilà  tous  les  enfans  d'Adam  qui  se  servent 
de  supplice  les  uns  aux  autres  ;  voilà  la  moitié  des 
îionmies  qui  est  rendue  malheureuse  par  l'autre,  et 
qui  le  rend  misérable  à  son  tour  ;  voilà  dans  toutes 
les  nations  ,  dans  toutes  les  villes ,  dans  toutes  les  com- 
munautés, dans  toutes  les  familles,  et  jusqu'entre  deux 
amis ,  le  martyre  de  l'amour-propre. 

L'unique  remède  est  donc  de  sortir  de  soi  pour 
trouver  la  paix.  Il  faut  se  renoncer ,  et  perdre  tout 
intérêt ,  pour  n'avoir  plus  rien  à  perdre ,  ni  à  crain- 
dre ,  ni  à  ménager.  Alors  on  goûte  la  vraie  paix  ré- 
servée aux  hommes  de  bonne  volonté,  c'est-à-dire  à 
ceux  qui  n'ont  plus  d'autre  volonté  que  celle  de  Dieu, 
qui  devient  la  leur.  Alors  les  hommes  ne  peuvent  plus 
rien  sur  nous  ;  car  ils  ne  peuvent  plus  nous  prendre 
par  nos  désirs  ni  par  nos  craintes  :  alors  nous  voulons 
tout ,  et  nous  ne  voulons  rien.  C'est  être  inaccessible 
à  l'ennemi  ;  c'est  devenir  invulnérable.  L'homme  ne 
peut  que  ce  que  Dieu  lui  donne  de  faire  ;  et  tout  ce 
que  Dieu  lui  donne  de  faire  contre  nous  ,  étant  la  vo- 
lonté de  Dieu ,  est  aussi  la  nôtre.  En  cet  état ,  on  a 
mis  son  trésor  si  haut ,  que  nulle  main  ne  peut  y  at- 
teindre pour  nous  le  ravir.  On  déchirera  notre  répu- 
tation ;  mais  nous  y  consentons,  car  nous  savons  com- 
bien il  est  bon  d'être  humilié  quand  Dieu  humilie.  On 
trouve  du  mécompte  dans  les  amitiés  ,  tant  mieux  : 
c'est  le  seul  véritable  ami  qui  est  jaloux  de  tous  les 
autres  ,  et  qui  nous  en  détache  pour  purifier  nos  at- 
tachemens.  On  est  importuné  ,  assujetti ,  gêné  ;  mais 
Dieu  le  fait ,  et  c'est  assez.  On  aime  la  main  qui  écrase  ; 
la  paix  se  trouve  dans  toutes  ces  peines  :  heureuse 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^'JiJ 

paix ,  qui  nous  suit  jusques  à  la  croix  !  On  veut  ce 
qu'on  a  ;  on  ne  veut  rien  de  ce  qu'on  n'a  pas.  Plus 
cet  a])anclon  est  parlait,  plus  la  paix  est  profonde.  S'il 
rosle  quelque  allaclie  et  quelque  désir ,  la  paix  n'est 
qu'à  demi  :  si  tout  lien  était  rompu,  la  liberté  serait 
sans  bornes.  Que  l'opprobre ,  la  douleur ,  la  mort , 
viennent  fondre  sur  moi ,  j'entends  Jésus-Christ  qui 
me  dit  («)  :  JVe  crai(j?iez  point  ceux  qui  tuent  le 
corps  y  et  qui  ensuite  ne  peuvent  plus  rien.  0  qu'ils 
sont  faibles,  lors  même  qu'ils  ôtent  la  vie  !  que  leur 
puissance  est  courte  !  Ils  ne  peuvent  que  briser  un 
pot  de  terre  ,  que  faire  mourir  ce  qui  de  soi-même 
meurt  tous  les  jours  ,  qu'avancer  un  peu  cette  mort , 
qui  est  une  délivrance  ;  après  quoi ,  on  échappe  de 
leurs  mains  dans  le  sein  de  Dieu ,  où  tout  est  tran- 
quille et  inaltérable. 

(a)  Matth.  x.  28. 

239. 

Peinture  de  la  vie  de  la  cour. 

A  Versailles,  4  juillet  (iGgS). 

Il  y  long-temps ,  madame ,  que  j'ai  envie  de  ré- 
veiller votre  souvenir ,  et  d'avoir  l'honneur  de  vous 
écrire  ;  mais  vous  savez  que  la  vie  se  passe  en  bons 
désirs  sans  eOêts ,  sur  des  matières  encore  plus  im- 
portantes que  les  devoirs  de  la  société.  Mon  bon  pro- 
pos a  été  donc ,  madame ,  de  vous  demander  de  vos 
nouvelles  ;  et  beaucoup  de  vilains  petits  embarras 
m'en  ont  toujours  ôté  la  liberté.  Je  n'ai  pourtant  pas 


^8o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

ignoré  l'état  où  vous  êtes  ;  car  M.  le  Comte  de  Gra- 
mont  me  l'a  expliqué.  Si  Bourbon  vous  est  aussi  fa- 
vorable qu'à  lui ,  je  ne  m'étonne  pas  qu'il  vous  fasse 
oublier  la  cour.  Bourbon  est  pour  lui  la  véritable 
fontaine  de  Jouvence  ,  où  je  crois  qu'il  se  plonge  soir 
et  matin.  Versailles  ne  rajeunit  pas  de  même  ;  il  y 
faut  un  visage  riant ,  mais  le  cœur  ne  rit  guère.  Si 
peu  qu'il  reste  de  désirs  et  de  sensibilité  d'amour- 
propre  ,  on  a  toujours  ici  de  quoi  vieillir  :  on  n'a 
pas  ce  qu'on  veut  ;  on  a  ce  qu^on  ne  voudrait  pas.  On 
est  peiné  de  ses  malbeurs ,  et  quelquefois  du  bon- 
heur d'autrui  ;  on  méprise  les  gens  avec  lesquels  on 
passe  sa  vie  ,  et  on  court  après  leur  estime.  On  est 
importuné ,  et  on  serait  bien  fâché  de  ne  l'être  pas, 
et  de  demeurer  en  solitude.  H  y  a  une  foule  de  pe- 
tits soucis  voltigeans  ,  qui  viennent  chaque  matin  à 
votre  réveil ,  et  qui  ne  vous  quittent  plus  jusqu'au 
soir  ;  ils  se  relaient  pour  vous  agiter.  Plus  on  est  à 
la  mode ,  plus  on  est  à  la  merci  de  ces  lutins.  Voilà 
ce  qu'on  appelle  la  vie  du  monde  ,  et  l'objet  de  l'en- 
vie des  sots.  Mais  ces  sols  sont  tout  le  genre  humain 
aveuglé.  Tout  homme  qui  ne  connaît  point  Dieu  qui 
est  tout ,  et  le  néant  de  tout  le  reste ,  est  un  de  ces 
sots  qui  admirent  et  qui  envient  un  état  très-miséra- 
ble. Aussi  le  Sage  a-t-il  dit  que  le  nombre  des  sots 
est  infini  (a).  Je  souhaite  de  tout  mon  cœur  ,  ma- 
dame, que  vous  ayez  le  bon  esprit  que  Dieu  donne, 
comme  il  est  écrit  dans  l'Evangile  (e) ,  à  tous  ce%ix 
qui  le  lui  demandent.  Ce  remède ,  pour  guérir  les 
cœurs ,  est  préférable  aux  eaux,  qui  ne  guérissent  que 

(rt)  Eccles.  I.  i5.  {e)   Luc.  ïi.   i3. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^^ 

le  corps.  Il  faut  songer  à  rajeunir  en  Jésus-Clirist 
[iour  la  vie  éternelle  ,  et  laisser  vieillir  cet  homme 
extérieur,  qui  est,  selon  saint  Paul  (a),  le  corjjs  du 
péché.  C'est  vous  faire  un  trop  long  sermon.  Par- 
tlonnez-le  ,  s'il  vous  plaît  ^  madame,  à  un  homme  qui 
a  gardé  un  long  silence. 

FR.  BE  FÉ]NELON,  n.  Arch.  de  Cambrai  (i). 


(a)  lîoni.  M.  6. 

(i)  Cette  lettre,  où  Fe'neloa  signe  nommé  Arch.  de  Cambrai, 
sert  à  montrer  que  son  sacre  n'eut  pas  lieu  le  lo  juin  i6y5, 
comme  le  marque  V Histoire  de  Fénelon ,  liv.  11,  n.  2'j.  D'ailleurs 
ou  sait  que  cette  cérémonie  ne  peut  se  faire  que  le  dimanche  ou  à 
certaines  fctes  ;  et  le  lo  juin  tombait  celte  année  un  vendredi.  Il 
faut  donc  substituer  le   lo  juillet,  à  l'eudroit  indiqué. 


240. 

Adieux  à  la  Cooilessc ,  partant  pour  les  eaux  de  Bourbon. 

Mercredi,  3i  juillet  (1697.) 

Je  ne  puis,  madame,  avoir  l'honneur  d'aller  chez 
vous ,  parce  que  l'étude  des  Princes  va  commencer. 
Je  NOUS  souhaite  un  heureux  voyage,  une  santé  par- 
faite ,  un  profond  oubli  de  toutes  les  épines  que  vous 
quittez,  et  autant  de  consolations  que  j'ai  de  croix. 
Je  prie  Dieu  qu'il  vous  sanctifie  ,  et  qu'il  vous  comble 
de  ses  grâces.  Soyez  persuadée  ,  madame ,  que  je 
conserverai  toute  ma  vie  un  attachement  très-res- 
pectueux pour  vous. 


-ORr.F.cp.    IV 


/32  LETTRES    SPIRITUELLES. 


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241. 

Dispositions  de  Fénclon  par  rapport  au  livre  des  Maximes. 
A  Cambrai ,   12  septembre  (1657.) 

J'ai  toujours  été  très-sensible ,  madame  ,  aux  mar- 
ques de  votre  bonté.  Jugez  si  ma  sensibilité  dimi- 
nuera ,  lorsque  vous  redoublez  si  obligeamment  vos 
attentions  dans  des  circonstances  où  le  reste  du  monde 
manque  de  mémoire.  C'est  le  pur  amour ,  que  d'ai- 
mer les  gens  qui  ne  sont  plus  à  la  mode.  L'amour 
intéressé  est  celui  de  la  cour.  C'est  le  pays  du  monde 
où  l'on  entend  plus  mal ,  et  où  l'on  devrait  mieux 
entendre  cette  distinction.  Je  suis  ravi,  madame,  que 
TOUS  soyez  contente  de  Mp-^  la  Duchesse  de  Beauvil- 
liers  ;  elle  est  véritablement  bonne ,  et  désire  de  bonne 
foi  de  vaincre  en  elle  tout  ce  qui  peut  être  moins 
conforme  à  Dieu.  Elle  vous  rend  bien  les  sentimens 
que  vous  avez  pour  elle. 

Je  suis  ici  dans  l'attente  et  dans  la  soumission  d'un 
enfant  de  l'Église  ,  qui  doit  lui  être  plus  soumis  qu'un 
autre ,  parce  qu'il  doit  plus  à  l'Eglise  à  cause  de  sa 
place  ,  et  qu'il  n'est  digne  d'être  pasteur  qu'autant 
qu'il  est  brebis  docile.  Si  je  me  trompe  ,  je  serai  ce- 
lui qui  gagnera  le  plus  à  cette  affaire  ;  car  je  serai 
détrompé.  La  vérité  est  bien  plus  précieuse  qu'un 
triomphe. 

Je  ne  puis  finir ,  madame ,  sans  vous  supplier  de 
dire  à  M.  le  Comte  de  Graraont  que  je  n'oublierai  de 
ma  vie  qu'il  n'a  point  rougi  de  moi ,  et  qu'il  m'a 
confessé    sans  honte   devant  les  courtisans    à    Marli. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^3 

Il  n'attendra  pas  ce  langage  inconnu  à  la  cour  ;  mais 
vous  aurez  la  bonté  de  le  lui  expliquer.  SouflVez , 
madame ,  que  je  dise  aussi  deux  mois  pour  la  bonne 
compagnie  que  je  laissai  dans  votre  chambre  la  der- 
nière fois  :  ce  sont  des  gens  que  j'aime  et  que  j'ho- 
nore. Il  n'y  a  que  vous ,  madame  ,  qui  n'aurez  aucun 
compliment  de  moi.  Je  me  contente  de  vous  souhai- 
ter un  cœur  abaissé  sous  la  main  de  Dieu  et  adouci 
pour  le  prochain  ,  un  esprit  simple  comme  la  colombe 
et  prudent  comme  le  serpent ,  pour  écarter  tout  ce 
qui  peut  vous  dissiper  ;  enfui  un  véritable  détache- 
ment du  monde  et  de  vous-même  ,  dont  la  pratique 
soit  réelle  et  constante.  Toutes  nos  affaires  vont  bien , 
quand  nous  avançons  celle-là  ;  car  celle-là  est  l'uni- 
que pour  nous.  Succès  ,  réputation ,  faveur ,  talent , 
commodités ,  ne  sont  que  des  pièges. 


i6^ 


/j84  LETTRES    SPIRITUELLES. 


LETTRES 

A    LA    COMTESSE    DE    MONTBERON. 

242  *  R.  (63) 

Caractère  de  saint  François  de  Sales.  En  quoi  consiste  Tesprit  du  foi. 

29  janvier    1700. 

Le  jour  de  saint  François  de  Sales  est  une  grande 
fête  pour  moi ,  madame.  Je  prie  aujourd'hui  de  tout 
mon  cœur  le  Saint  d'obtenir  de  Dieu  pour  vous  l'es- 
prit dont  il  a  été  lui-même  rempli.  Il  ne  comptait 
pour  rien  le  monde.  Vous  Verrez  par  ses  Lettres  et 
par  sa  Fie  y  qu'il  recevait  avec  la  même  paix  ,  et  dans 
le  même  esprit  d'anéantissement,  les  plus  grands  hon- 
neurs et  les  plus  dures  contradictions.  Son  style  naïf 
montre  une  simplicité  aimable ,  qui  est  au-dessus 
de  toutes  les  grâces  de  l'esprit  profane.  Vous  voyez 
un  homme  qui ,  avec  une  grande  pénétration ,  et  une 
parfaite  délicatesse  pour  juger  du  fond  des  choses  , 
et  pour  comiaître  le  cœur  humain,  ne  songeait  qu'à 
parler  en  bon  homme  ,  pour  consoler  ,  pour  éclairer, 
pour  perfectionner  son  prochain.  Personne  ne  con- 
naissait mieux  que  lui  la  plus  haute  perfection  ;  mais 
il  se  rapetissait  pour  les  petits ,  et  ne  dédaignait  ja- 
mais rien.  Il  se  faisait  tout  à  tous  ,  non  pour  plaire 
à  tous,  mais  pour  les  engager  tous,  et  pour  les  gagner 
à  Jésus-Christ  et  non  à  soi.  Voilà  ,  madame  ,  l'esprit 
du  Saint  que  je  souliaite  de  voir  répandre  en  ■sous. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^5 

Compter  pour  rien  le  monde  ,  sans  hauteur  ni  dé- 
pit ,  c'est  vivre  de  la  foi.  N'être  point  enivré  de  ce 
qui  nous  flatte ,  ni  découragé  par  ce  qui  nous  con- 
tredit ,  mais  porter  d'un  esprit  égal  ces  deux  extré- 
mités ,  et  aller  toujours  devant  soi  avec  une  fidélité 
paisible  et  sans  relâche  ,  ne  regardant  jamais  dans  les 
divers  procédés  des  hommes  que  Dieu  seul ,  tantôt 
soulageant  notre  faiblesse  par  les  consolations ,  et 
tantôt  nous  exerçant  miséricordieusement  par  les  croix: 
voilà  ,  madame  ,  la  véritable  vie  des  enfans  de  Dieu. 
Vous  serez  heureuse ,  si  vous  dites  du  fond  du  cœur 
avec  Jésus-Christ ,  mais  d'une  parole  intime  et  per- 
manente :  Malheur  au  monde  à  cause  de  ses  scan- 
dales (a)  !  Ses  discours  et  ses  jugemens  ont  encore 
trop  de  pouvoir  sur  vous  -,  il  ne  mérite  point  qu'on 
soit  tant  occupé  de  lui.  Moins  vous  voudrez  lui  plaire  , 
plus  vous  serez  au-dessus  de  lui.  Notre  bon  Saint 
était  autant  désabusé  de  l'esprit  que  du  monde  ;  et 
en  effet ,  ce  qu'on  appelle  esprit  n'est  qu'une  vaine 
délicatesse  que  le  monde  inspire.  Il  n'y  a  point  d'autre 
vrai  esprit  que  la  simple  et  droite  raison.  La  raison 
n'est  jamais  droite  dans  les  enfans  d'Adam  ,  si  Dieu 
ne  la  redresse  ,  en  corrigeant  nos  jugemens  par  les 
siens ,  et  en  nous  donnant  son  esprit ,  pour  nous  en- 
seigner toute  vérité. 

Si  vous  voulez  que  l'esprit  de  Dieu  vous  possède , 
n'écoutez  plus  le  monde  ,  ne  vous  écoutez  plus  vous- 
même  dans  vos  goûts  mondains  ;  n'ayez  plus  d'autre 
esprit  que  celui  de  l'Evangile,  plus  d'autre  délicatesse 
que  celle  de  l'esprit  de  foi,  <jui  sent  jusqu'aux  moin- 

(a)  Mallh,  xviii.  7. 


486  LETTRES    SPIRITUELLES. 

dres  imperfections.  En  vous  perfectionnant  avec  cette 
simplicité  humble  ,  vous  serez  compatissante  pour  les 
infirmités  d'autrui ,  et  vous  aurez  la  véritable  déli- 
catesse ,  sans  mépris  ni  dégoût  pour  les  choses  qui 
paraissent  faibles ,  petites  et  grossières.  0  que  la  dé- 
licatesse dont  le  monde  se  glorifie ,  est  grossière  et 
basse ,  en  comparaison  de  celle  que  je  vous  souliaite 
de  tout  mon  cœur  ! 

243  *  R.  (64) 

Exhortation  à  l'entière  confiance  en  Dieu. 

Lundi,  22  février  (1700.) 

Ne  croyez  point,  s'il  vous  plaît ^  madame,  que  je 
manque  de  zèle  pour  vous  aider  dans  vos  besoins. 
On  ne  peut  être  plus  touché  que  je  le  suis  de  tout 
ce  qui  vous  regarde.  Je  vois  vos  bonnes  intentions  , 
et  la  soif  que  Dieu  vous  donne  pour  toutes  les  vé- 
rités qui  peuvent  vous  mettre  en  état  de  lui  plaire. 
Si  je  suis  réservé ,  ce  n'est  que  par  pure  discrétion 
pour  vous  (i)  ;  et  comme  je  ne  le  suis  que  pour  vous, 
c'est  à  vous  à  régler  la  manière  dont  il  convient  que 
je  le  sois.  Du  reste ,  j'aimerais  mieux  mourir  que  de 
manquer  aux  besoins  des  âmes  qui  me  sont  confiées, 
et  surtout  de  la  vôtre  qui  m'est  très-chère  en  Notre- 
Seigneur. 

(1)  Fénelon,  dans  cette  lettre  et  dans  plusieurs  des  suivantes,  parle 
de  la  re'serve  qu'il  était  obligé  de  garder  dans  la  fréquentation  même 
de  ses  parens  et  de  ses  amis,  pour  ne  pas  les  entraîner  dans  la  dis- 
grâce où  il  était  tombé  lui-mcme  à  l'occasion  du  livre  dis  Maximes. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  4^7 

Votre  piété  est  un  peu  trop  -vive  et  trop  inquiète. 
Ne  ^ous  déliez  point  de  Dieu  :  pourvu  que  tous  ne 
lui  manquiez  point,  il  ne  vous  manquera  pas,  et  il 
Aous  donnera  les  secours  nécessaires  pour  aller  à  lui. 
Ou  sa  providence  vous  procurera  des  conseils  au  de- 
hors, ou  son  esprit  suppléera  au  dedans  ce  qu'il  vous 
ôtera  extérieurement.  Croyez-en  Dieu  fidèle  dans  ses 
promesses  ,  et  il  vous  donnera  selon  la  mesure  de 
voire  foi.  Fussiez-vous  abandonnée  de  tous  les  hommes 
dans  un  désert  inaccessible ,  la  manne  y  tomberait 
du  ciel  pour  vous  seule,  et  les  eaux  abondantes  cou- 
leraient des  rochers.  Ne  craignez  donc  que  de  man- 
quer à  Dieu,  et  encore  ne  faut-il  pas  le  craindre  jus- 
qu'à se  troidjler.  Supportez-vous  vous-même,  comme 
on  supporte  le  prochain ,  sans  le  flatter  dans  ses  im- 
perfections. Laissez  là  toutes  vos  délicatesses  d'esprit 
et  de  sentimens  ;  vous  voudriez  les  avoir  avec  Dieu 
comme  avec  les  hommes.  Il  se  glisse  dans  ces  mer- 
veilles un  raflinement  de  goût ,  et  un  retour  subtil 
sur  soi-même.  Soyez  simple  avec  celui  qui  aime 
à  se  communiquer  aux  âmes  simples.  Devenez  gros- 
sière, non  par  vraie  grossièreté,  mais  par  renoncement 
à  toutes  les  déhcatesses  que  le  goût  de  l'esprit  donne. 
Bienheureux  les  jpauvres  d'esprit  qui  ont  fait  vœu  de 
pauvreté  spirituelle  ,  et  qui  n'ont  jamais  pour  l'esprit 
que  le  nécessaire  dans  une  continuelle  mendicité,  et 
dans  un  abandon  sans  réserve  à  la  Providence!  O  que 
je  serais  ravi ,  si  je  vous  voyais  négligée  pour  l'es- 
prit ,  comme  une  personne  pénitente  l'est  pour  les 
parures  du  corps!  Je  ne  parle  point  à  madtuue  la  Com- 
tesse—  ,  mais  j'en   suis  très-édifié. 


488  LETTRES    SPIIIITUELLES. 


244  *  R.  (65) 

Eviter  l'activilû  inquiète  dans  le  service  de  Dieu  j  avis  pour  la  conduite 

ordinaire. 

Mercredi,  3  mars  (1700.) 

Si  je  n'ai  point  en  l'honneur ,  madame  ,  de  vons 
répondre  plus  tôt,  c'est  que  je  n'ai  pas  eu  un  moment 
de  libre.  Je  prends  la  liberté  de  vous  répéter  que  je 
ne  suis  réservé  que  par  discrétion  pour  vous.  Quoi- 
que vous  n'ayez  point  de  ménagemens  politiques  pour 
votre  personne ,  celle  de  M.  le  Comte  de  Montberon 
et  sa  place  en  demandent. 

Vous  ne  vous  trompez  pas ,  madame  ,  en  croyant 
qu'il  ne  suffit  point  d'avoir  changé  d'objet  pour  l'ar- 
deur ,  et  qu'il  y  a  une  ardeur  inquiète  qu'il  faut  mo- 
dérer ,  même  dans  le  service  de  Dieu ,  et  dans  la 
correction  de  nos  défluits.  Cette  vue  pourra  beau- 
coup servir  à  vous  calmer ,  sans  relâchement ,  dans 
votre  travail.  L'ardeur  que  vous  mettez  dans  les  meil- 
leures choses  les  altère  et  vous  donne  une  agitation 
d'autant  plus  contraire  à  la  paix  de  l'esprit  de  Dieu  , 
que  vous  prenez  davantage  sur  vous  par  pure  bien- 
séance ,  pour  la  renfermer  avec  effort  tout  entière 
au  dedans.  Un  peu  de  simplicité  vous  ferait  prati- 
quer la  vertu  plus  utilement  avec  moins  de  peine. 

J'approuve  fort ,  madame  ,  qu'on  vous  fasse  com- 
munier tous  les  quinze  jours.  Ce  n'est  point  trop  pour 
une  personne  retirée  ,  qui  tâche  de  se  renfermer  dans 
ses  devoirs^  et  qui  s'occupe  à  la  lecture  et  à  la  prière. 
Vous  avez  besoin  de  chercher  dans  le  sacrement  de 
vie   et  d'amour  la  nourriture ,  la  consolation ,    et  la 


LETTRES    SPIRITIEL1.es.  4^9 

force  pour  porter  vos  croix ,  et  pour  vaincre  vos  im- 
perfections. Laissez-vous  donc  conduire  ,  sans  vous 
juger  vous-nicnie  ,  et  n'écoutez  aucun  scrupule  pour 
vos  communions. 

A  regard  des  confessions  ,  je  ne  saurais  vous  en 
rien  dire.  Il  n'y  a  que  votre  confesseur  qui  puisse 
vous  parler  juste  là-dessus.  Dieu  ne  permettra  pas 
qu'il  manque  à  votre  besoin  ,  si  vous  cherchez  en 
simplicité  ce  que  l'esprit  de  grâce  demande  de  vous. 
Marchez  avec  une  foi  pleine  et  entière.  Tâchez  de 
faire  ce  que  le  confesseur  vous  dira.  Si  vous  êtes  gê- 
née ,  faites-le  moi  savoir  ;  je  vous  répondrai  le  mieux 
que  je  pourrai  sur  les  doutes  que  vous  me  propo- 
serez. 

Je  ne  saurais  vous  dire  des  choses  assez  précises 
et  assez  proportionnées  sur  vos  lectures  et  sur  votre 
oraison.  Je  ne  connais  pas  assez  votre  goiit ,  votre 
attrait,  votre  besoin  :  une  demi-heure  de  conversa- 
tion me  mettrait  au  fait  ;  après  quoi  je  pourrais  vous 
écrire ,  et  même  vous  entendre  sur  un  billet  d'une 
demi-page.  Voyez  là-dessus  ce  qui  convient ,  sans 
vous  engager  à  rien  faire  de  trop  par  rapport  aux 
conjonctures  présentes. 

A  l'égard  de  vos  habits ,  il  me  semble  que  vous 
devez  avoir  égard  au  goût  et  à  la  pente  de  M,  le 
Comte  de  Monlberon  :  c'est  à  lui  à  décider  sur  les 
bienséances.  S'il  penche  à  l'épargne  là-dessus ,  vous 
devez  retrancher  autant  qu'il  le  croira  à  propos ,  pour 
payer  ses  dettes.  S'il  veut  que  vous  souteniez  un  cer- 
tain extérieur  ,  faites  par  pure  complaisance  ce  que 
vous  croirez  apercevoir  qu'il  veut ,  et  rien  au-delà 
par  votre  propre  goût  ou  jugement.  S'il  ne  veut  rien 


490  LETTRES    SPIRITUELLES. 

à  cet  égard ,  et  qu'il  vous  laisse  absolument  à  vous- 
même  ,  je  crois  que  le  parti  de  la  médiocrité  est  le 
meilleur  pour  mourir  à  vous-même.  Les  extrémités 
sont  de  votre  goût.  Une  entière  magnificence  peut 
seule  contenter  voti^  délicatesse  et  votre  hauteur  raf- 
finée. Une  simplicité  austère  est  un  autre  raffinement 
d'amour-propre  :  alors  on  ne  renonce  à  la  grandeur , 
que  par  une  manière  éclatante  d'y  renoncer.  Le  mi- 
lieu est  insupportable  à  l'orgueil  :  on  paraît  manquer 
de  goût ,  et  se  croire  paré  avec  un  extérieur  Jjour- 
geois.  J'ai  ouï  dire  qu'on  vous  a  vue  autrefois  vêtue 
comme  les  sœurs  de  communauté.  C'est  trop  en  ap- 
parence ,  et  c'est  trop  peu  dans  le  fond.  Un  extérieur 
modéré  vous  coûtera  bien  davantage  au  fond  de  votre 
coeuri  Mais  votre  règle  absolue  est  de  parler  à  cœur 
ouvert  à  M.  de  Montberon  ,  et  de  suivre  sans  hésiter 
ce  que   vous  verrez  qui  lui  plaira   le  plus. 

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245. 

Il  croit  à  propos  d'avoir  une  conversation  avec  la  Comtesse ,  snr  ses 
(lispositious  intérieures. 

Lundi,   i5  mars  (1700.) 

Nous  aurons  ,  madame ,  quand  il  vous  plaira  ,  une 
conversation  particulière  sur  vos  exercices  de  pieté. 
Je  la  crois  à  propos ,  puisque  vous  ne  voyez  rien  qui 
doive  l'empêcher ,  et  ce  sera  dans  le  lieu  que  vous 
clîoisirez.  Je  n'ai  eu  jusqu'ici  de  ménagemens  que 
pour  vous  et  pour  votre  maison.  Quand  on  a  la  peste, 
on  craint  de  la  donner  aux  gens  qu'on  aime  :  moins 
ils  la   craignent,   plus  on   la  craint  pour   eux.  Une 


LETTRES    SPIRIITELLES.  49  ^ 

demi-lieure  de  conversation  simple  fera  plus  que  cent 
lettres ,  et  nous  mettra  à  portée  de  rendre  toutes  les 
lettres  utiles ,  en  les  rendant  proportionnées  aux  vrais 
Lesoins.  En  attendant ,  je  me  réjouis  de  ce  que  le 
conseil  de  pratiquer  la  médiocrité  vous  entre  dans  le 
cœur.  Vous  ne  deviendrez  simple  que  par  là.  Toutes 
les  extrémités ,  même  en  Lien  ,  ont  leur  all'ectation 
railinée.  La  médiocrité ,  qui  ne  se  fait  point  remar- 
quer ,  ne  laisse  aucun  ragoût  à  l'amour-propre.  Il  n'y 
a  que  l'amour  de  Dieu  qui  ne  souffre  point  ces  bornes 
étroites. 

(GG)  246  *  A. 

Avis  sur  l'oraison,  les  lectures,  la  coufession,  et  quelques  autres  articles. 

Jeudi ,  i5  avril  (ijoo.) 

J'ai  ressenti ,  madame  ,  dans  la  conversation  d'au- 
jourd'hui ,  une  joie  que  je  ne  puis  vous  exprimer,  et 
que  vous  auriez  peine  à  croire.  Il  me  paraît  que  Dieu 
agit  véritablement  en  vous  et  qu'il  veut  posséder 
tout  ^otre  cœur. 

Pour  l'oraison ,  faites-la  non-seulement  dans  les 
temps  réglés  ,  mais  encore  au-delà ,  et  dans  les  in- 
tervalles de  vos  occupations  ,  autant  que  vous  en  au- 
rez la  facilité  et  l'attrait  ;  mais  prenez  garde  à  ména- 
ger vos  forces  de  corps  et  d'esprit ,  et  arrêtez-vous 
dès  que  vous  éprou\erez  quelque  lassitude.  Votre 
manière  de  faire  oraison  est  très-bonne.  Commencez 
toujours  par  les  plus  solides  sujets  qui  vous  ont  tou- 
cliée  dans  vos  lectures.  Suivez  la  pente  de  votie  cœur , 
pour  vous  nourrir  d'une  présence  amoureuse  do  Dieu  , 


492  LETTRES   SPIRITUELLES. 

des  personnes  de  la  Sainte-Trinité ,  et  de  l'humanité 
de  Jésus-Christ.  Attachez-vous  intimement  à  cette 
adorable  société  ;  demeurez-y  avec  une  confiance  sans 
hornes ,  et  dites-leur  tout  ce  que  la  simplicité  de 
l'amour  vous  inspirera.  Après  leur  avoir  parlé  de 
l'abondance  du  cœur ,  écoutez-les  intérieurement , 
en  faisant  taire  votre  esprit  délicat  et  inquiet.  Pour 
les  distractions,  elles  tomberont  comme  d'elles-mêmes, 
pourvu  que  vous  ne  les  suiviez  jamais  volontaire- 
ment ,  que  vous  demeuriez  toujours  par  votre  choix 
occupée  à  aimer ,  que  vous  ne  soyez  point  distraite 
par  la  crainte  des  distractions ,  et  que  ,  sans  vous  en 
mettre  beaucoup  en  peine  ,  vous  reveniez  tranquille- 
ment à  votre  exercice  ,  dès  que  vous  avez  aperçu  que 
votre  imagination  vous  en  détourne.  La  facilité  avec 
laquelle  vous  faites  oraison  marque  que  Dieu  vous 
aime  beaucoup  ;  car  sans  une  grâce  bien  forte ,  votre 
naturel  scrupuleux  vous  donnerait  de  grandes  in- 
quiétudes pendant  que  vous  voudriez  penser  à  Dieu. 
Pour  vos  lectures ,  je  ne  crains  point  de  consentir 
que  vous  lisiez  la  plupart  des  livres  de  l'Ecriture 
sainte  ,  puisque  vous  en  avez  l'attrait ,  que  vous  les 
avez  déjà  lus  avec  consolation ,  que  vous  ne  voulez 
point  les  lire  par  curiosité ,  et  que  vous  avez  toute  la 
docilité  nécessaire  pour  vous  édifier  des  choses  que 
vous  ne  pourrez  point  approfondir.  La  permission 
que  je  vous  donne  à  cet  égard  vous  doit  mettre  en 
paix  ,  et  je  vous  supplie  de  ne  consulter  plus  là-des- 
sus pour  finir  tous  vos  scrupules.  Les  livres  que  je 
vous  conseille  principalement  sont  ceux  du  Nouveau- 
Testament  ;  mais  évitez  les  questions  profondes  de 
YÉpître    aKx   Romains  jusqu'au    douzième   chapitre. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  49^ 

Si  VOUS  les  lisez  ,  n'entrez  point  dans  les  raisonnemens 
dessavans.  Vous  pouvez  lire  aussi  les  livres  liistori(pies 
de  rAncien-Testanient ,  avec  les  Psaumes  ;  certains 
lu  res  (prou  nomme  Sapientiaux ,  tels  que  les  Pro- 
verbes j  la  Sagesse  et  V Ecclésiastique  ,  et  certains  en- 
tlroits  les  plus  touchans  des  prophètes  ;  mais  n'aban- 
donnez ni  \  Imitation  de  Jésus-Christ,  ni  les  ouvrages 
de  saint  François  de  Sales.  Ses  Lettres  et  ses  Entre- 
tiens sont  remplis  de  grâce  et  d'expérience.  Quand 
la  lecture  vous  met  en  recueillement  et  en  oraison  , 
laissez  le  livre  :  vous  le  reprendrez  assez  quand  l'orai- 
son cessera.  Lisez  peu  chaque  fois  j  lisez  lentement  et 
sans  avidité;  lisez  avec  amour. 

Ne  songez  plus  à  's  os  confessions  générales ,  qui  ne 
vous  ont  que  trop  embarrassée  ,  et  qui  ne  feraient  plus 
(pie  vous  troubler.  Ce  serait  un  retour  inquiet  et  hors 
de  tout  propos  ,  qui  serait  contraire  à  la  paix  où  Dieu 
\ous  appelle  ,  et  qui  réveillerait  vos  scrupules.  Tout 
ce  qui  excite  vos  réflexions  ardentes  et  délicates  vous 
est  un  piège  dangereux.  Suivez  avec  confiance  le 
goût  d'amour  que  Dieu  vous  donne  pour  ses  per- 
lections  infinies.  Aimez-le  comme  vous  voudriez  être 
aimée  :  ce  n'est  pas  lui  donner  trop  ;  cette  mesure  n'est 
])oint  excessive.  Aimez-le  suivant  les  idées  qu'il  vous 
donne  du  plus  grand  amour. 

Les  deux  hommes  que  vous  voyez  sont  bons.  L'un 
vous  aide  moins  -,  mais  aussi  il  court  moins  de  risque 
de  vous  gêner ,  et  de  vous  retarder  d-î.:iis  votre  voie. 
L'autre  entend  mieux  et  est  plus  secourable  ;  mais 
faute  d'expérience  en  certaines  choses,  il  pourrait 
vous  embarrasser  ,  et  vous  rétrécir  le  cœur.  Si  cet 
inconvénient  vous  arrivait ,  avertissez-m'en  ,  et  tâcliez 


/^q/j^  LETTRES   SPIRITUELLES. 

de  le  prévenir ,  eîi  ne  retouchant  point  avec  lui  les 
choses  déjà  réglées,  comme ,  par  exemple,  la  lecture 
de  FÈcriture  sainte. 

Ne  soyez  point  martyre  des  hienséances ,  et  d'une 
certaine  perfection  de  politesse  :  cette  délicatesse  dé- 
vore l'esprit ,  et  occupe  toujours  une  ame  d'elle- 
même.  Agissez  et  parlez  sans  tant  de  circonspection. 
Si  vous  êtes  hien  occupée  de  Dieu  ,  vous  le  serez 
moins  de  plaire  aux  hommes ,  et  vous  leur  plairez 
davantage. 

Pour  Mll«  votre  petite  fille ,  n'agissez  point  avec 
elle  suivant  vos  goûts  naturels.  Ne  lui  parlez  qu'en 
présence  de  Dieu ,  suivant  la  lumière  du  moment 
où  il  faudra  lui  parler.  Si  vous  y  êtes  fidèle  ,  vous 
ne  la  gâterez  jamais ,  et  personne  ne  lui  sera  aussi 
utile  que  vous.  Laissez-la  ou  auprès  de  vous,  ou  ail- 
leurs, comme  M.  le  Comte  de  Montberon,  M.  son  père 
et  M™e  sj^  mère  le  souhaiteront  ;  mais  évitez  ,  si  vous 
le  pouvez  ,  un  couvent.  Le  meilleur  la  gênera ,  l'en- 
nuiera ,  la  révoltera ,  la  rendra  fausse ,  et  passionnée 
pour  le  monde. 

Je  suis  ,  madame  ,  uni  à  vous  en  Notre-Seigneur , 
et  zélé  pour  tout  ce  qui  vous  touche ,  au-delà  de 
tout  ce  que  j'aurais  cru,  quoique  je  vous  honorasse 
infuiiment. 

(66)  247  *  A. 

Eviter  la  trop  grande  activité  dans  l'oraison. 

Vendredi,   i6  avril  (1700) 

Ne  soyez  en  peine  de  rien ,  madame.  Je  n'ai  voulu 
que  vous  parler  franchement  sur  la  réserve  que  vous 


LETTRES    SPIRITUELLES.  49^ 

VOUS  reprocliiez  d'avoir  eue  dinis  notre  conversaliou  ; 
pour  moi ,  je  ne  manquerai  point  de  vous  parler  et 
de  vous  écrire,  selon  les  occasions,  avec  tout  le  zèle 
dont  je  suis  capable.  Ménagez  vos  foices  dans  l'exer- 
cice de  l'oraison.  C'est  parce  que  cette  occupation 
intérieure  épuise  et  mine  insensiblement ,  qu'il  faut 
s'y  donner  des  bornes,  et  éviter  une  cerLaine  avidité 
spirituelle.  La  vie  intérieure  amortit  l'extéiieure ,  et 
cause  souvent  une  espèce  de  langueur.  Votre  faible 
santé  a  besoin  d'être  épargnée  ,  et  votre  vivacité  est 
à  craindre,  même  dans  le  bien.  Dieu  sait  combien  il 
m'unit  à  vous   dans  son  amour. 

(f.;)  248  *  A. 

Comniciil  il  f.uit  suivre  les  cUnTcrens  allraits  de  la  grâce  dans  l'oraison. 

A  Mons,  3o  avril  (1700.) 

On  ne  peut  être  plus  éloigné  que  je  le  suis ,  ma- 
dame, de  toute  inégalité  de  sentimens  à  votre  égard. 
Si  vous  en  voyez  des  marques  extérieures,  ma  volonté 
n'v  a  aucune  part.  J'ai  souvent  des  distractions  et  des 
négligences  -,  mais  je  ne  cliange  point ,  surtout  pour 
vous,  madame,  et  je  suis  touché  de  plus  en  plus  du 
désir  de  votre  sanctification.  Je  vois  avec  joie  que 
Dieu  ^ous  donne  certaines  lumières,  qui  ne  viennent 
point  de  l'esprit  ni  de  la  délicatesse  qui  vous  est  na- 
turelle ,  mais  de  rexpérience  et  d'un  fonds  de  grâce. 
C'est  ainsi  qaon  connnence  à  penser  ,  quand  Dieu 
ouvre  le  cœur,  et  qu'il  veut  mettre  dans  la  vie  inté- 
rieure. L'homme  qui  vous  a  parlé  est  bon,  sage,  pieux, 
et  solide  dans  ses  maximes  ;  mais  il  n'a    pas  l'expé- 


496  LETTRES    SPIRITUELLES. 

rience  des  choses  sur   lesquelles  vous  le  consultez  , 
et  faute  de  cette  expérience  ,  il  yous  retarderait ,  en 
vous  gênant ,  au  lieu  de  vous  aider.  Ne  quittez  point 
vos  sujets  d'oraison  ,  ni  les  livres  d'où  vous  les  tirez  ; 
mais  quand  vous  éprouvez  un  attrait  au  silence  de- 
vant Dieu,  et  que  vos  lectures  ou  sujets  font  ce  que 
vous  appelez  un  bruit  qui  vous  distrait ,  laissez  tomber 
le  livre  de  vos  mains,  laissez  disparaître  votre  sujet, 
et  ne  craignez  point  d'écouter  Dieu  au  fond  de  vous- 
même  ,  en  faisant  taire  tout  le  reste.  Les  sujets  pris 
d'abord  avec  fidélité  vous  mèneront  à    ce  silence  si 
profond  ,  et  ce  silence  vous  nourrira  des  vérités  plus 
substantiellement  que  les  raisonnemens  les  plus  lu- 
mineux. Mais  ne  cessez  point  de  prendre  toujours  des 
sujets  solides  ,    et  de  choisir  ceux  qui  sont   les  plus 
propres  à  vous  occuper  et  à  vous  toucher  le  cœur. 
Quand  vous  apercevez  que  vous  êtes  en    distrac- 
tion ou  en  sécheresse  ,  et  en  danger  d'oisiveté  ,  re- 
mettez-vous doucement  et  sans  inquiétude   en  pré- 
sence de  Dieu,  et  reprenez  votre  sujet.  S'il  vous  tient 
en  recueillement ,  continuez  à  vous  en  nourrir  ;  si , 
au  contraire ,   vous  éprouvez   qu'il  vous  gêne ,   qu'il 
vous  distraie  et  qu'il  vous  dessèche  dans  ce  temps- 
là,  et  que  vous  ayez  de  l'attrtdt  pour  le  silence  amou- 
reux en  présence  de  Dieu,  ne  craignez  point  de  suivre 
librement  cet  attrait  de  grâce.  Cette  liberté  ne  peut 
être  suspecte  d'illusion,  quand  on  se  propose  toujours 
des  sujets  solides,  qu'on  ne  se  permet  aucune  oisiveté 
volontaire ,  qu'on  s^occupe  dans  les  temps  de  silence 
intérieur  d'une  vue  amoureuse  de  Dieu  ;  qu'on  re- 
vient à  la  méditation  des  sujets  ,  dès  qu'on  aperçoit 
la  distraction  et  la  cessation  de  ce  silence  amoureux  ; 


LETTRES    SPIRITUELLES.  497 

qii\'nfin  on  se  lient  cVailleurs  dans  toutes  les  règles 
coininiines ,  pour  juger  de  Tarbre  par  le  fruit  des 
Acrlus. 

Je  ne  sais  si  vous  avez  bien  lu  les  livres  de  saint 
François  de  Sales  ;  mais  il  nie  semble  que  vous  pour- 
riez lire  fort  utilement  ses  Entretiens  ,  quelques-unes 
de  ses  E^itres ,  et  divers  morceaux  de  son  grand 
Traité  de  Vamour  de  Dieu.  En  parcourant  ,  vous 
^  errez  assez  ce  qui  vous  convient.  L'esprit  de  ce  bon 
Saint  est  ce  qu'il  faut  pour  ^ous  éclairer,  sans  nourrir 
en  vous  le  goût  de  l'esprit,  qui  est  plus  dangereux  pour 
\ous  que  pour  une  autre.  Je  souhaite  de  tout  mon 
cœur  ,  madame  ,  que  votre  santé  soit  bonne  ,  et  que 
vous  croissiez  en  notre  Seigneur  Jésus-Clirist  selon 
ses  desseins  sur  vous.  Rien  ne  peut  vous  être  dévoué 
en  lui  au  point  que  je  le  suis  pour  toute  ma  vie. 

'%«^  WVk  >%%«  VV%  ^^«i«  «VtA  %%% 'VVk  V^%  ««<«  %«>«^«^WX^^A  %^/ft  VV\  V»«« '«%«'V«/»  «^«  ^/V%  VV«  Vk<« -«^ 

249  *  R.  (68) 

De  rabandon  à  la  Providence  à  l'occasion  de  la  perte  <le  nos  amis.  Sui- 
vre sans  crainte  l'attrait  qu'on  é|)roiivc  dans  l'oraisou  pour  le  simple 
recueillement. 

Dimanche,  i3  juin  (ijoo.) 

Je  prends  véritablement  part ,  madame  ,  à  la  dou- 
leur  que   vous   cause   l'extrémité   de   la   maladie   de 

M'i*" L'incertitude  où  vous  êtes  depuis  deux 

jours ,  en  attendant  de  ses  nouvelles ,  est  encore  une 
rude  croix.  Rien  ne  fait  tant  de  peine  à  la  nature , 
que  cette  suspension  entre  une  faible  espérance  et 
iine  forte  crainte  :  mais  nous  devons  vivre  en  foi  pour 
la  mesure  de  nos  peines  ,  comme  pour  tout  le  reste. 
Notre  sensibilité  fait  que  nous  sommes  souvent  len- 

CoRRESP.    IV.  l'J 


/q3  LETTilES    SPIRITUELLES. 

tés  de  croire  que  nos  épreuves  surpassent  nos  forces  -, 
mais  nous  ne  connaissons  ni  les  forces  de  notre  cœur  , 
ni  les  épreuves  de  Dieu.  C'est  celui  qui  connaît  tout 
ensemble  ,  et  notre  cœilr  qu'il  a  fait  de  ses  propres 
mains  avec  tous  les  replis  que  nous  y  ignorons  ,  et 
l'étendue  des  peines  qu'il  nous  donne  ,  auquel  est  re 
serve  de  proportionner  ces  deux  choses.  Laissons-le 
donc  faire  y  et  contentons-nous  de  souffrir ,  sans  nous 
écouter.  Ce  que  nous  croyons  impossible ,  ne  l'est 
qu'à  notre  délicatesse  et  à  notre  lâcheté.  Ce  que  nous 
crovons  accablant ,  n'accable  que  l'orgueil  et  l'amour- 
propre ,  qui  ne  peuvent  être  trop  accablés.  Mais 
l'homme  nouveau  trouve ,  dans  ce  juste  accablement 
du  vieil  homme ,  de  nouvelles  forces  et  des  consola- 
tions toutes  célestes.  Offrez  à  Dieu  votre  amie  ,  ma- 
dame :  voudriez-vous  la  lui  refuser  ?  voudriez-vous  la 
mettre  entre  vous  et  lui ,  comme  un  mur  de  sépara- 
tion ?  Que  sacrifieriez-vous  ,  qu'une  vie  courte  et  mi- 
sérable d'une  personne  qui  ne  pouvait  que  souffrir 
ici-bas  ,  et  voir  son  salut  en  danger  ?  Vous  la  rever- 
rez bientôt ,  non  sous  ce  soleil  qui  n'éclaire  que  la 
vanité  et  l'affliction  d'esprit ,  mais  dans  cette  lumière 
pure  de  la  vérité  éternelle  ,  qui  rend  ])ienlieureux  tous 
ceux  qui  la  voient^  Plus  votre  amie  était  droite  et 
solide ,  plus  elle  est  digne  de  ne  vivre  pas  plus  long- 
temps dans  un  monde  si  corrompu.  Il  est  vrai  qu'il 
y  a  peu  d'amis  sincères ,  et  qu'il  est  rude  de  les  per- 
dre :  mais  on  ne  les  perd  point ,  et  c'est  nous  qui  cou- 
rons risque  de  nous  perdre  ,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons 
suivi  ceux  que  nous  regrettons. 

Pour  votre  oraison  ,  ne  craignez  rien ,  madame.  Il 
n'y  a  point  d'illusion  à  suivre  l'attrait  de  Dieu  pour 


LETTRKS    SP1U1TUEM.es.  409 

denienrer  en  sa  présence  occupé  de  son  admiration  (  t 
de  son  amour  ,  pourvu  que  celte  occupation  ne  nous 
donne  jamais  la  folle  persuasion  que  nous  sommes 
bien  avancés  ;  pourvu  qu'elle  ne  nous  empêche  pas 
de  sentir  nos  fragilités  ,  nos  imperfections ,  et  le  be- 
soin de  nous  corriger  ;  pourvu  qu'elle  ne  nous  fasse 
négliger  aucvui  de  nos  devoirs ,  et  pour  l'intérieur  et 
pour  l'extérieur  ^  pourvu  que  nous  demeurions  sin- 
cères ,  luimbles  ,  simples  et  dociles  dans  la  main  de 
nos  supérieurs.  N'hésitez  donc  point  :  recevez  le  don 
de  Dieu  ;  ouvrez-lui  votre  cœur  -,  nourrissez-vous-en. 
L'hésitation  générait  votre  cœur  ,  troublerait  l'opéra- 
tion de  la  grâce ,  et  vous  jeterait  dans  une  conduite 
pleine  de  contrariétés  ,  où  vous  déferiez  sans  cesse 
d'une  main  ce  que  vous  auriez  fait  de  l'autre.  Tandis 
que  vous  ne  ferez  que  penser  à  Dieu ,  l'aimer ,  vous 
occuper  de  sa  présence  ,  et  vous  attacher  à  sa  volonté, 
sans  rien  présumer  de  vous  ,  sans  négliger  aucune 
règle  ,  sans  vous  relâcher  dans  la  voie  des  préceptes 
et  des  conseils  ,  sans  vous  écarter  de  l'obéissance  et  de 
la  voie  commune ,  vous  ne  serez  point  en  péril  de 
vous  tromper.  Suivez  donc  l'attrait;  dites  à  l'Epoux  : 
u4Uirez-moi  après  vous  ,  je  suivrai  l'odeur  fie  vos 
parfums  (a).  Ne  donnez  de  bornes  à  votre  recueille- 
ment, qu'autant  que  le  besoin  de  ménager  votre  santé, 
et  de  remplir  les  devoirs  de  votre  état ,  le  deman- 
dera. Prenez  garde  seulement  que  le  corps  ne  soullVe 
de  ce  que  l'esprit  fait  au  dedans.  L'oraison  la  plus 
simple  ,  la  plus  facile  ,  la  plus  douce  ,  la  plus  bornée 
au  cœur  ,  et  la  plus  exempte  de  raisonnement ,  ne 


(a)  Cant,  i.  3. 


5oO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

laisse  pas  de  miner  sourdement  les  forces  corporelles , 
et  de  causer  une  espèce  de  langueur  insensilile.  On 
ne  s'en  aperçoit  pas ,  parce  qu'on  est  trop  plein  de 
son  goût ,  et  que  la  peine  douce  ne  paraît  point  peine. 
Voilà  ce  que  je  crains  ,  et  non  pas  l'illusion  ,  dans  une 
conduite  aussi  droite  et  aussi  régulière  que  la  vôtre. 

250  *  A,  (69) 

En  quoi  consiste  l'oraison  de  silence  ;  excellence  et  effets  de  cette  oraison. 

Jeudi,  17  juin  (1700.) 

Vous  avez  raison  ,  madame  ,  de  croire  que  dans 
les  momens  de  recueillement  et  de  paix  ,  dont  vous 
m'avez  parlé,  on  ne  peut  qu'aimer  y  et  se  livrer  à  la 
grâce  quon  i^eçoit.  Ce  que  vous  ajoutez  a  encore  un 
sens  très-véritable.  Vous  dites  que  vous  avez  cru 
sentir  que  notre  travail  doit  cesser ,  quand  Bleu  veut 
hien  agir  par  lui-même.  Ce  n'est  pas  qu'on  cesse  alors 
de  coopérer  à  la  grâce ,  et  de  correspondre  à  ce  que 
Dieu  imprime  intérieurement  ;  car  vous  reconnaissez 
vous-même  qu'alors  on  aime  et  on  se  livre  à  la  grâce. 
L'amour  est  sans  doute  le  plus  parfait  exercice  de  la 
volonté.  Se  livi^er  à  la  grâce  par  un  choix  libre ,  c'est 
sans  doute  y  coopérer  de  la  manière  la  plus  réelle  et 
la  plus  parfaite.  Il  n'y  a  donc  point  d'oisiveté  ni  de 
cessation  d'actes  dans  ces  momens  de  recueillement 
et  de  paix ,  où  vous  dites  que  notre  travail  doit  ces- 
ser.  Ce  sont  des  momens  où  Dieu  veut  bien  agir  par 
lui-même ,  c'est-à-dire  ,  prévenir  l'ame  par  des  im- 
pressions plus  puissantes  ,  et  la  tenir  en  silence  ,  pour 
écouter  ses  intimes  communications  ;  mais  alors  elle 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5oi 

n'est  point  sans  correspondance.  Elle  aime  ,•  elle  se 
Une  à  la  grâce  y  c'est-à-dire  qu'elle  fait  les  actes  les 
])liis  simjjles  et  les  plus  paisibles ,  mais  les  plus  réels  , 
d'amour  et  de  foi  pour  l'Epoux  qu'elle  écoule  inté- 
rieurement ;  c'est-à-dire  qu'elle  acquiesce  à  tout  ce 
qui  est  dû  à  l'Epoux ,  et  à  tout  ce  qu'il  demande  par 
sa  grâce  ;  c'est-à-dire  que  l'ame  s'enfonce  de  plus  en 
plus  dans  l'amour  de  l'Epoux ,  dans  la  mort  à  tous 
les  désirs  terrestres  ,  et  dans  toutes  les  vertus  que  l'es- 
prit de  grâce  peut  inspirer  selon  les  divers  besoins. 
Ces  actes ,  quoique  très-réels  ,  ne  paraissent  qu'une 
disposition  de  l'ame  ;  et  ils  sont  si  généraux ,  qu'ils 
paraissent  confus  :  mais  ils  ne  laissent  pas  de  conte- 
nir dans  cette  généralité  le  germe  de  chatjue  vertu 
particulière  pour  les  occasions.  Ne  craignez  donc 
pas ,  madame  ,  de  suivre  l'attrait  intérieur  dans  ces 
momens  de  7'eciieil[eme?if  et  de  paix.  Ces  momens 
ne  remplissent  pas  toute  la  vie.  Vous  en  trouverez 
assez  d'autres  où  vous  pourrez  revenir  aux  règles 
communes. 

Je  suis  ravi  de  vous  entendre  dire  avec  admira- 
tion ,  que  la  conduite  de  Dieu  est  aimable ,  et  yio- 
yortionnée  à  nos  besoins.  Oui ,  madame  ,  il  se  fait 
tout  à  tous  pour  se  proportionner  à  cbacun  de  nous. 
Il  nous  enseigne  ,  par  l'expérience  de  ses  communi- 
cations ,  qu'il  est  comme  une  mère  qui  porte  son  en- 
fant entre  ses  bras.  Nous  ne  saurions  trop  nous  fami- 
liariser avec  lui.  Cette  confiance  _,  comme  vous  le  dites 
très-bien  ,  appartient  toute  à  V amour  et  ne  peut 
venir  que  de  lui.  Cette  familiarité  ne  diminue  ni  le 
respect ,  ni  l'admiration  ,  ni  la  crainte  fdiale.  Au  con- 
trçiire  ,  on  ne  craint  jamais  tant  de  contrister  l'Epoux  , 


i)02  LETTRES    SPIRITUELLES. 

que  quand  on  est  dans  cette  union  de  cœur  avec  lui. 
Il  est  vrai  que  plus  cette  union  est  douce ,  plus 
l'ame  craint  d'en  être  sevrée.  Quand  on  tient  aux 
créatures ,  on  ne  sent  point  les  privations  de  Dieu  : 
niais  quand  on  se  détache  des  créatures ,  et  qu'on 
commence  à  goûter  les  dons  intérieurs ,  les  moindres 
privations  sont  très-rudes  ,  et  elles  font  tomber  dans 
une  solitude  intérieure  qui  accable.  Mais  quand  Dieu 
se  communique  ,  il  faut  se  nourrir  ;  et  quand  il  retire 
ses  communications  sensibles ,  la  croix  est  un  autre 
aliment  moins  doux ,  mais  très-pur  :  il  faut  être  prêt 
à  ces  deux  états.  Laissez  votre  amie  entre  les  mains 
du  parfait  ami ,  qui  est  le  seul  lien  des  vraies  et  pures 
amitiés  :  il  fera  sa  volonté  ,  qui  sera  la  vôtre.  J'espère , 
madame  ,  que  j'aurai  l'honneur  de  vous  voir  à 

V%%  »'VV  VWV  VXV Vk^  V^ V VV»  VVV  V%% VVV  V^i^  V%V  W«/%  V%V  VV^  V»«  VV/V  VVV  VVV 1^%  VVV  ««VV  l/VV  V%%  W%>  Vli%  1^^ 

251. 

Consolation  siii-  la  mort  d'une   des  amies  de  la  Comtesse. 

A  Cambrai,  23  juin  (i^oo.) 

J'ai  voulu  ,  madame ,  vous  laisser  tout  le  temps 
d'apprendre  par  d'autres  la  perte  de  votre  amie.  Dieu 
l'a  retirée  des  pièges  de  ce  monde  ,  après  l'y  avoir 
préparée  par  une  assez  longue  maladie  ,  et  il  a  voulu 
vous  détacher  d'une  personne  fort  estimable  ,  qui  con- 
tentait la  délicatesse  de  votre  goût.  Tout  ce  qu'il  fait 
paraît  rigueur ,  et  n'est  que  miséricorde.  Bientôt  tout 
ceci  sera  fini ,  et  nous  verrons ,  à  la  lumière  de  la  vé- 
rité ,  combien  Dieu  nous  aime  ,  quand  il  nous  donne 
quelque  croix.  Mon  zèle  et  mon  respect  pour  vous , 
madame  ,  sont  très-grands  et  très-sincères. 


LETTRES   SPIRITUELLES.  5o3 


((■•y-  :^)  252  *  A. 

Abandou  simple  et  enfantin  à  l;i  conduite  do  la  Providence  ;  ardeur  et 
\ivacité  de  l'amour  nai^^anl. 

Au  Càtcau ,  2G  juillet  1700. 

Je  suis  fort  irrégulier ,  madame  ;  mais  vous  avez 
besoin  de  mes  irrégularités  et  de  mes  sécheresses. 
En  attendant  que  nos  amis  de^  ienncnt  parfaits ,  il 
faut  tourner  à  profit  pour  nous  leurs  imperfections. 
En  nous  mortifiant  et  en  nous  détachant ,  elles  nous 
seront  plus  utiles  que  leurs  perfections.  Pardonnez- 
moi  donc  toutes  mes  fautes  ,  et  comptez  (je  vous  parle 
en  toute  simplicité  clirétiemie)  que  personne  au  monde 
ne  peut  être  à  vous  avec  plus  d'union  de  cœur  ,  de 
zèle  et  d'attachement  à  toute  épreuve  ,  que  moi. 

Vous  êtes  emmaillottée  ;  mais  on  démaillotte  les  en- 
fans  à  mesure  qu'ils  croissent.  Il  y  a  néanmoins  une 
lîianière  de  croître  que  je  ne  vous  souhaite  point. 
A  Dieu  ne  plaise  que  vous  soyez  grande  comme  on 
l'est  dans  le  monde  !  Jésus-Christ  ne  voulait  ])oint  que 
ses  apôtres  ,  qui  étaient  encore  grands  ,  empêchassent 
les  petits  enfans  de  venir  à  lui.  C'est  à  eux  qu'appar- 
tient le  royaume  du  ciel  ^  et  malheur  aux  grands  qui 
ne  se  rapetissent  pas  pour  leur  ressemhler  !  J'aime 
cent  fois  mieux  vos  langes  et  votre  honte  enfantine , 
que  cette  grandeur  roide  et  hautaine  des  sévères  Pha- 
risiens. 

Quand  Dieu  accoutume  une  ame  à  lui ,  elle  se  passe 
sans  pnine  de  tout  ce  qu'il  ne  lui  laisse  point  au  de- 
hors. L'amour  est  un  giand  casuiste  pour  décider  les 


5o4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

doutes.  Il  a  une  délicatesse  et  une  pénétration  de  ja- 
lousie ,  qui  va  au-delà  de  tous  les  raisonnemens  des 
Lommes.  Il  faut  être  dépendant  de  l'ordre  extérieur , 
et  docile  aux  hommes  qui  ont  l'autorité  ;  mais  quand 
le  dehors  manque  ,  il  faut  être  détaché ,  vivre  de  foi , 
et  suivre  l'amour. 

Je  suis  ravi  de  ce  que  vous  aimez  sainte  Magde- 
leine.  Elle  me  charme  :  en  elle  ,  tout  est  vie  de  grâce 
et  d'amour  simple  ,  mais  transporté.  Je  la  joins  à  la 
troupe  de  la  Sainte-Yierge  ,  de  saint  Joseph  et  de 
saint  Jean-Baptiste.  J'aime  bien  aussi  le  disciple  bien- 
aimé ,   qui  est  le  docteur  de  l'amour. 

Ce  que  vous  sentez  est  une  grande  nouveauté  pour 
vous  ;  c'est  une  vie  toute  nouvelle  et  inconnue.  On 
ue  se  connaît  plus  ;  on  croit  songer  les  yeux  ouverts. 
Recevez  et  ne  tenez  à  rien  -,  aimez  ,  souffrez ,  aimez 
encore.  Peu  d'attention  aux  dons ,  sinon  pour  louer 
l'Époux  qui  donne  ;  grande  simplicité  ,  docilité ,  fidé- 
lité dans  l'usage  en  chaque  moment.  L'amour  rend 
libre  ,  en  simplifiant  sans  dérégler. 

Dormez  autant  que  vous  pourrez  ;  votre  corps  en 
a  besoin  ,  et  vous  ne  devez  point  y  manquer  par  ava- 
rice d'oraison.  L'esprit  d'oraison  fait  quitter  l'oraison 
même  ,   pour  se  conformer  aux  ordres  de  la  Provi- 
dence. Pendant  que  vous  dormirez  ,  votre  cœur  veil- 
lera. Dans  les  temps  des  insomnies  ,  ne  rejetez  point 
la  présence  de  Dieu  ;  mais  ne  l'excitez  pas  au  pi'éju- 
dice  du  sommeil.  Ce  que  vous  éprouvez  n'est  qu'un 
commencement.  Ce  qui  est  le  plus  vif  et  le  plus  sen- 
sible ,  n'est  ni  le  plus  pur  ni  le  plus  intime.  Cette  vi- 
vacité d'amour  naissant  jette  dans  l'ame  les  principes 
de  vie  qui  sont  nécessaires  pour  les  suites.  Sucez  donc 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5o5 

le  lait  le  plus  doux  de  l'amour  à  la  mamelle  des  di- 
vines miséricordes.  Aimez ,  connue  Dieu  vous  donne 
l'aniour  dans  le. temps  présent.  Quand  il  vouilra  vous 
l'aire  languir  dans  les  privations  ,  vous  Taimerez  d'une 
autre  sorte  ,  et  ce  sera  une  autre  nouveauté  bien 
étrange. 

Votre  chute  ne  ^  eus  a  point  effrayée  :  est-ce  que 
vous  n'êtes  plus  timide  ?  Je  voudrais  bien  savoir  com- 
ment vous  avez  été  en  cette  occasion.  Ne  vous  trou- 
blez point  par  trop  de  retours  sur  vos  fautes.  C'est 
voire  pente  qui  est  à  craindre.  Je  lirai  assez  votre 
écriture.  Dieu  soit  tout  en  vous  :  rien  que  lui. 

253  *  R.  (7O 

Sur  les  douceurs  que  Dieu  fait  éprouver  aux  commençans  ;  fidélité  à 
suivre  l'attrait  de  la  grâce. 

Jeudi,  5  août  (ijoo. ) 

Votre  dernière  lettre ,  madame  ,  m'a  fait  un  sen- 
sible plaisir.  Je  vois  que  Dieu  vous  éclaire  et  vous 
nourrit.  Prenez  ce  qu'il  vous  donne  ;  demeurez  à  la 
mamelle.  Vous  avez  vu  des  Saints  que  l'amour  a  in- 
struits sans  science  :  il  n'y  avait  là  aucune  œuvre  de 
main  d'homme.  Faut-il  s'étonner  que  l'amour  ap- 
prenne à  aimer  ?  Ceux  qui  aiment  sincèrement ,  et 
que  l'esprit  de  Dieu  enivre  de  son  vin  nouveau  ,  par- 
lent une  langue  nouvelle.  Quand  on  sent  ce  que  les 
autres  ne  sentent  pas,  et  qu'on  n'a  point  encore  senti 
soi-même  ,  on  l'exprime  comme  on  peut,  et  on  trouve 
presque  toujours  que  l'expression  ne  dit  la  chose  qu'à 
demi.  Si  FÈglise  trouve  qu'on  ne  s'exprime  pas  cor- 


5oG  LETTRES    SPIRITUELLES. 

rectemenl ,  on  est  tout  prêt  à  se  corriger ,  et  on  n'a 
que  docilité  ,  que  simplicité  en  partage.  On  ne  tient 
ni  aux  termes  ni  aux  pensées.  Une  ame  qui  aime 
dans  le  véritable  esprit  de  désappropriation,  ne  veut 
s'approprier  ni  son  langage  ni  ses  lumières.  On  ne 
saurait  rien  ôter  à  quiconque  ne  veut  rien  avoir  de 
propre. 

Quand  vous  éprouvez  un  attrait  de  paix  amour- 
reuse  ,  qui  est  gêné  par  l'arrivée  de  l'heure  où  vous 
faites  une  oraison  réglée ,  continuez  sans  scrupule 
cette  paix  autant  qu'elle  pourra  durer  ;  elle  sera  une 
très-bonne  oraison.  Si  vous  apercevez  qu'elle  tombe, 
et  que  vous  soyez  oisive  ou  distraite ,  prenez  alors 
la  règle  d'oraison   pour  vous  relever  doucement. 

L'avarice  du  temps  est  une  vraie  imperfection;  c'est 
un  empressement  naturel ,  et  une  recherche  des  goûts 
spirituels  :  mais  Dieu  se  sert  de  cette  imperfection  , 
pour  tenir  les  commençans  dans  un  plus  grand  dé- 
goût ,  et  dans  une  séparation  plus  fréquente  de  tout 
ce  qui  est  extérieur.  Le  temps  de  l'enfance  est  celui 
où  riiomme  se  nourrit  à  la  mamelle  presque  à  tou- 
tes les  heures ,  il  tette  même  quelquefois  étant  presque 
endormi  ;  il  n'y  a  point  de  repas  réglés  :  l'enfant  est 
avide;  mais  il  se  nourrit,  et  croît  sensiblement.  L'uni- 
que chose  à  observer ,  est  de  ne  manquer  jamais  à 
aucun  devoir  extérieur  pour  contenter  cet  attrait. 

Je  ne  suis  point  pressé  de  ravoir  les  livres;  ne  les 
lisez  que  quand  vous  n'avez  rien  de  meilleur  à  faire. 
Peut-être  ne  serez-vous  pas  fâchée  de  les  relire  en 
certains  momens ,  ou  du  moins  d'en  revoir  des  mor- 
ceaux. Ces  traits  de  grâce,  qui  sont  si  originaux,  ne 
sont  pas  précisément  ce   qu'on  éprouve  ;  mais  c'est 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5o'^ 

quel({iie  chose  de  la  nièiiie  source.  Les  paroles  propres 
des  Saillis  sont  bien  autres  que  les  discours  de  ceux 
qui  ont  ^  oulu  les  dépeindre.  Sainte  Catherine  de  Gênes 
est  un  prodige  d'amour.  Le  frère  Laurent  est  grossier 
par  nature  ,  et  délicat  par  grâce.  Ce  mélange  est  ai- 
mable ,  et  montre  Dieu  en  lui.  Je  l'ai  vu  ,  et  il  y  a 
un  endroit  du  livre,  où  l'auteur,  sans  me  nommer 
par  mon  nom  ,  raconte  en  deux  mots  une  excellente 
conversation  que  j'eus  avec  lui  sur  la  mort,  pendant 
qu'il  était  fort  malade   et  fort  gai. 


k  VWVV%'«^^%%«r%^V«^^  V*%  VW*V%%** 


254  *  R.  (7,) 

Combattre  les  scrupules  ,   en  allant  à  Dieu  avec  une  confiance  et  una 
simplicité  sans  réserve. 

A  Cambrai,  2  septembre  (1^00.) 

Je  suis  ravi,  madame,  non-seulement  de  ce  que 
Dieu  fait  dans  votre  cœur ,  mais  encore  du  commen- 
cement de  simplicité  qu'il  vous  donne  ,  pour  me  le 
confier.  Je  voudrais  que  vous  fussiez  aussi  simple  pour 
vos  confessions ,  que  vous  l'êtes  dans  votre  oraison. 
Mais  Dieu  fait  son  œuvre  peu  à  peu  :  cette  lenteur 
avec  laquelle  il  opère ,  sert  à  nous  humilier ,  à  exer- 
cer notre  patience  à  l'égard  de  nous-mêmes ,  à  nous 
rendre  plus  dépendans  de  lui.  Il  faut  donc  attendre 
que  votre  simplicité  croisse,  et  qu'elle  s'étende  in- 
sensiblement jusque  sur  la  manière  dont  vous  vous 
confessez  ,  et  où  je  vois  que  vous  écoutez  trop  vos 
réflexions  scrupuleuses.  Il  n'y  a  aucun  inconvénient 
que  vous  alliez  à  la  communion  ,  sans  vous  confes- 
ser ,  les  jours  de  communioji ,    où  vous  n'avez  au- 


5o8  LETTRES     SPIRITUELLES. 

cune  faute  marquée  à  vous  reprocher  depuis  la  dernière 
confession.  C'est  ce  qui  peut  vous  arriver  dans  les 
courts  intervalles  d'une  confession  à  l'autre.  Dieu  veut 
qu'on  soit  libre  avec  lui ,  quand  on  ne  cherche  que 
lui  seul.  L'amour  est  familier  ;  il  ne  réserve  rien  ;  il 
ne  ménage  rien  ;  il  se  montre  dans  tous  ses  premiers 
mouvemens  au  bien-aimé.  Quand  on  a  encore  des 
ménagemens  à  son  égard ,  il  y  a  dans  le  cœur  quel- 
que autre  amour  qui  partage ,  qui  retient ,  qui  fait 
hésiter.  On  ne  retourne  tant  sur  soi  avec  inquiétude, 
qu'à  cause  qu'on  veut  garder  quelque  autre  affection , 
et  qu'on  borne  l'union  avec  le  bien-aimé.  Vous  qui 
connaissez  tant  les  délicatesses  de  l'amitié ,  ne  senti- 
riez-vous  pas  les  réserves  d'une  personne  pour  qui 
vous  n'en  auriez  aucune ,  et  qui  mesurerait  toujours 
sa  confiance ,  pour  ne  la  laisser  jamais  aller  au-delà 
de  certaines  bornes  ?  Vous  ne  manqueriez  pas  de  lui 
dire  :  Je  ne  suis  point  avec  vous  comme  vous  êtes 
avec  moi  ;  je  ne  mesure  rien  ;  je  sens  que  vous  me- 
surez tout.  Vous  ne  m'aimez  point  comme  je  vous 
aime,  et  comme  vous  devriez  m'aimer.  Si  vous  ,  créa- 
ture indigne  d'être  aimée  ,  voudriez  une  amitié  sim- 
ple et  sans  réserve  ,  combien  l'Epoux  sacré  est-il  en 
droit  d'être  plus  jaloux  !  Soyez  donc  fidèle  à  croître 
en  simplicité.  Je  ne  vous  demande  point  des  choses 
qui  vous  troublent,  ou  qui  vous  gênent;  je  suis  con- 
tent ,  pourvu  que  vous  ne  résistiez  point  à  l'attrait  de 
simplicité  ,  et  que  vous  laissiez  tomber  tous  les  re- 
tours inquiets  qui  y  sont  contraires  dès  que  vous  les 
apercevez. 

Suivez  librement  la  pente  de  votre  cœur  pour  vos 
lectures;  et  à  l'égard  de  l'oraison,  que  l'épouse  ne  soit 


LETTRES    SPIRITUELLES.  SOQ 

point  éveillée  jusqu'à  ce  qu'elle  s'éveille  d'elle-même. 
N'y  ménagez  que  votre  santé  ,  qui  peut  souffrir  dans 
cet  exercice,  quoique  le  goût  intérieur  vous  enipèclie 
de  le  remarquer.  Amusez  un  peu  votre  imagination 
et  vos  sens  ,  quand  vous  éprouverez  que  vous  aurez 
besoin  de  quelque  petite  occupation  extérieure  qui 
les  soulage.  Ces  amusemens  innocens  ne  trouble- 
ront point  alors  la   présence  amoureuse  de  Dieu. 

\  ous  pou\ez  compter,  madame,  sur  les  deux  choses 
dont  nous  avons  parlé.  Je  ne  vous  manquerai  jamais , 
s'il  plaît  à  Dieu ,  en  rien.  Je  suis  sec  et  irrégulier;  mais 
Dieu  est  bon  dans  ceux  qui  ont  besoin  de  bonté  pour 
faire  son  œuvre  et  dont  il  se  sert.  Confiez-vous  donc 
à  Dieu ,  et  ne  regardez  que  lui  seul.  C'est  le  bon 
ami ,  dont  le  cœur  sera  toujours  infiniment  meilleur 
que  le  vôtre.  Défiez-vous  de  vous-même,  et  non  de 
lui.  Il  est  jaloux  ;  m.ais  sa  jalousie  est  un  grand  amour, 
et  nous  devons  être  jaloux  pour  lui  contre  nous  _, 
conmie  il  l'est  lui-même.  Fiez-vous  à  l'amour  :  il 
ôte  tout ,  mais  il  donne  tout.  Il  ne  laisse  rien  dans 
le  cœur  que  lui ,  et  il  ne  peut  y  rien  souffrir  ;  mais 
il  suflit  seul  pour  rassasier ,  et  il  est  lui  seul  toutes 
clioses.  Pendant  qu'on  le  goûte  ,  on  est  enivré  d'un 
torrent  de  volupté ,  qui  n'est  poin  tant  qu'une  goutte 
des  biens  célestes.  L'amour  goûté  et  senti  ravit ,  trans- 
porte ,  absorbe  ,  rend  tous  les  dépouillemens  indiffé- 
rens;  mais  l'amour  insensible,  qui  se  cache  pour  dénuer 
l'ame  au  dedans  ,  la  martyrise  plus  que  mille  dé- 
pouillemens extérieurs.  Laissez-vous  maintenant  eni- 
vrer dans  les  celliers  de  l'Epoux. 


5io  LETTRES    SPIRITUELLES. 

255. 

Avec  quelle  simplicité  les  amis  doivent  agir  entre  eux. 

A  Cambrai,  2  novembre  (ijoo.) 

J'attends  ,  madame  ,  sans  impatience  ^  mais  de  bon 
cœur ,  samedi  ou  lundi.  Vous  avez  bien  raison  de 
compter  sur  moi.  Dieu  ne  laisse  aucune  cérémonie 
entre  les  siens  ,  quand  ils  sont  siens  sans  réserve.  Il 
met  à  la  place  des  délicatesses  de  l'amour-propre  , 
celles  de  la  charité ,  qui  sont  infinies ,  sans  être  gê- 
nantes ni  contraires  à  la  simplicité.  Je  me  réjouis  des 
bons  sentimens  de  M'i''...,  et  j'espère  qu'elle  se  sou- 
tiendra dans  le  bien  ,  puisque  Dieu  a  soin  de  redou- 
bler ses  coups.  Pour  M^i^  de  N....,  prenez  tout  pour 
vous ,  s'il  vous  plaît ,  madame ,  et  ne  me  renvoyez 
rien.  Je  l'honore  assez  sincèrement  pour  être  bien 
aise  qu'elle  pense  ce  qu'il  faut  sur  vous  ,  et  je  me  re- 
jouis encore  davantage  de  ce  que  l'attention  du  monde 
ne  vous  touche  guère. 

(37)  256  *  R. 

Source  des  scrupules  ;  moyens  d'y  remédier. 

Dimanche  au  soir ,  7  novembre. 
Celte  lettre  est  écrite  d'hier  au  soir  ,  lundi  8  novembre  (1700.) 

On  ne  peut,  madame,  être  plus  touché  que  je  le 
suis  de  ce  qui  vous  regarde.  Il  m'a  paru ,  dans  notre 
conversation,  que  vos  scrupules  vous  ont  un  peu  re- 
tardée et  desséchée.  Ils  vous  feraient  des  torts  irrépa- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  D  I  l 

rables  ,  si  vous  les  écouliez  :  c'est  une  vraie  infidélité. 
Vous  avez  la  lumière  pour  les  laisser  tomber ,  et  si 
vous  y  manquez,  vous  contristerez  en  vous  le  Saint- 
Esprit.  Où  est  l'esprit  de  Dieu  ,  là  est  la  liberté  {a)  •  où 
est  la  gène  ,  le  trouble  et  la  servitude  ,  là  est  l'esprit 
propre  ,  et  un  amour  excessif  de  soi.  O  que  le  parlait 
amour  est  éloigné  de  ces  inquiétudes  !  On  n'aime  guère 
le  l)i(Mî-aimé  ,  quand  on  est  si  occupé  de  ses  propres 
délicatesses.  Vos  peines  ne  sont  venues  que  d'infi- 
délité. Si  vous  n'eussiez  point  résisté  à  Dieu ,  pour 
vous  écouter ,  vous  n'auriez  pas  tant  souffert  :  rien  ne 
coûte  tant  que  ces  recbercbes  d'un  soulagement  ima- 
ginaire. Comme  un  bydropique  en  buvant  augmente 
sa  soif,  un  scrupuleux  ,  en  écoutant  ses  scrupules  ,  les 
augmente  ,  et  le  mérite  bien.  Le  seul  remède  est  de  se 
faire  taire  ,  et  de  se  tourner  d'abord  vers  Dieu.  C'est 
l'oraison  ,  et  non  pas  la  confession  qui  guérit  alors  le 
cœur.  Travaillez  donc  à  réparer  le  temps  perdu ,  car 
francbement ,  je  vous  trouve  un  peu  déchue  et  affai- 
blie ;  mais  cet  affaiblissement  se  tournera  à  profit  ;  car 
l'expérience  de  la  privation  ,  de  l'épreuve  et  de  votre 
faiblesse  ,  portera  sa  lumière  avec  elle  ,  et  vous  empê- 
cliera  de  tenir  trop  à  ce  que  l'état  de  paix  et  d'abon- 
dance a  de  doux  et  de  lumineux.  Courage  donc  :  soyez 
simple  ;  vous  ne  l'êtes  pas  assez  ,  et  c'est  ce  qui  vous 
empêche  souvent  de  tout  dire ,  et  de  questionner. 

Pour  moi ,  je  suis  dans  une  paix  sèche  ,  obscure  et 
languissante;  sans  ennui,  sans  plaisir,  sans  pensée 
d'en  avoir  jamais  aucun  ;  sans  aucune  vue  d'avenir  en 
ce  monde  ;  aACc  un  présent  insipide  et  souvent  épi- 

(a)  //   Cvr.  m.   17. 


^12  LETTRES    SPIRITUELLES. 

neux  ;  avec  un  je  ne  sais  quoi  qui  me  porte  ,  qui  m'a- 
doucit chaque  croix ,  qui  me  contente  sans  goût.  C'est 
un  entraînement  journalier  ;  cela  a  l'air  d'un  amuse- 
ment par  légèreté  d'esprit  et  par  indolence.  Je  vois 
tout  ce  que  je  porte  ;  mais  le  monde  me  paraît  comme 
une  mauvaise  comédie  ,  qui  va  disparaître  dans  quel- 
ques heures.  Je  me  méprise  encore  plus  que  le  monde  : 
je  mets  tout  au  pis  aller  ;  et  c'est  dans  le  fond  de  ce  pis 
aller  pour  toutes  les  choses  d'ici-bas  ,  que  j  e  trouve  la 
paix.  Il  me  semble  encore  que  Dieu  me  traite  trop  dou- 
cement ,  et  j'ai  honte  d'être  tant  épargné  ,  mais  ces 
pensées  ne  me  vierment  pas  souvent ,  et  la  manière  la 
plus  fréquente  de  recevoir  mes  croix ,  est  de  les  lais- 
ser venir  et  passer ,  sans  m'en  occuper  volontairement. 
C'est  connue  un  domestique  indiflérent  ,  qu'on  voit 
entrer  et  sortir  de  sa  chambre  ,  sans  lui  rien  dire.  Du 
reste  ,  je  ne  veux  vouloir  que  Dieu  seul  pour  moi ,  et 
pour  vous  aussi ,  madame.  Qu'est-ce  qui  sufhra  à  celui 
à  qui  le  vrai  amour  ne  suffit  pas  ? 

(38)  257  *  R. 

Tort  que  font  les  scrupules  outrés. 

Dimanclie ,  la  décembre  (1700.) 

J'ai  toujours  pour  vous  ,  madame  ,  au  cœur  ces 
paroles  :  «  Comme  l'eau  éteint  le  feu ,  le  scrupule 
éteint  l'oraison.  »  Ne  vous  écoutez  point  vous-même 
sur  vos  scrupules ,  et  vous  serez  en  paix.  Il  y  a  deux 
choses  qui  doivent  vous  ôter  toute  crainte.  L'une  est 
l'expérience  de  votre  vivacité  ,  de  votre  subtilité  ,  de 
vos  tours  ingénieux  pour  vous  tioubler  vous-même 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5l3 

sur  des  riens.  Vous  l'avez  souvent  reconnu;  tous  vos 
directeurs  el  confesseurs  vous  l'ont  unanimement  dé- 
claré. C'était  une  tentation  reconnue  pour  telle  avant 
que  vous  fissiez  oraison  :  l'oraison  n'y  doit  rien  ajouter. 
Pour  faire  oraison  ,  vous  n'en  devez  pas  moins  reje- 
ter vos  scrupules  comme  des  tentations  anciennes, 
qu'on  vous  a  de  tout  temps  ordonné  de  n'écouter  plus. 
L'oraison  ne  fait  pas  que  ce  (pii  était  autrefois  très- 
innocent  ,  devienne  mauvais  ou  dangereux.  L'orai?on 
ne  fait  pas  que  vos  anciens  directeurs  aient  mal  réglé 
ce  qu'ils  ont  réglé  indépendamment  de  toute  oraison  , 
et  sur  quoi  ils  sont  uniformes. 

La  seconde  chose  qui  doit  vous  rassurer  ,   est  le  pré- 
judice qui  vous  vient  de  ces  scrupules.  Toutes  les  fois 
que  vous  voulez  ,  contre  l'obéissance  et  contre  votre 
attrait  intérieur  ,  rentrer  dans   ces  examens  tant  de 
fois  condamnés  par  vos   directeurs  ,   vous  vous  dis- 
trayez ,   vous   vous   troublez  ,   vous  vous   desséchez  , 
vous  vous  éloignez  de   l'oraison ,   et  par  conséquent 
de  Dieu  -,  vous  rentrez  en  vous-même  ,  vous  retombez 
dans  votre  naturel  ;  vous  réveillez  vos  vivacités  ,  vos 
délicatesses  et  vos  autres  défauts;  vous  n'êtes  pres- 
que plus  occupée  que  de  vous.  En  vérité,  tout  cela 
est-il  de  Dieu  ?  est-ce  en  suivant  Tattrait  de  sa  grâce  , 
qu'on  s'éloigne  tant  de  lui?  A  mon  retour,  je  vous 
trouvai  si  déchue ,  et  si  prête  à  vous  dissiper  entiè- 
rement ,   que   je  ne   vous  connaissais    presque  plus. 
Est-ce  là  l'ouvrage  de  Dieu?  y  reconnaissez-vous  sa 
main  ?    L'amoiu   détourne-t-il   d'aimer  ?  D'ailleurs  ; 
dans  la  ^ie  simple  et  régulière  que  vous  menez  de- 
puis que  vous  faites  oraison  encore  plus  qu'aupaïa- 
vant,  vous  ne  pouvez  repasser  dans  votre  esprit  que 

CoRRESP.     IV.  I^'^ 


5l4  IvETTRES    SPIKITUELLES. 

des  vétilles  pour  plusieurs  années.  Ne  seriez-vous  pas 
bien  coupable  devant  Dieu  ,  si  vous  vous  détourniez  de 
sa  société  familière  dans  Foraison ,  par  la  reclierclie 
inquiète  de  toutes  ces  vétilles  que  vous  grossissez  dans 
votre  imagination?  Je  les  mets  toutes  au  pis,  et  je  les 
suppose  de  vrais  pécliés  :  du  moins  elles  ne  peuvent 
être  que  des  pécliés  véniels ,  dont  il  faut  s'humilier ,  et 
travailler  fortement  à  se  corriger  ,  mais  que  la  ferveur 
de  l'amour  dans  foraison  efface  promptement.   Mais 
vous   devriez    tourner  votre  délicatesse   scrupuleuse 
principalement   contre   vos  scrupules  mêmes.    Est-il 
permis ,  sous  prétexte  de  rechercher  les  plus  légères 
fautes ,    de   se  troubler ,    de  faire  tarir  la  grâce  de 
l'oraison ,  et  de  se  faire  tant  de  grands  maux ,  pour 
en  subtiliser   de  petits?  Ce  n'est  pas  pour  le  temps 
présent  que  je  vous  dis  toutes  ces  choses  :  vous  n'en 
avez  pas  besoin  maintenant-,  mais  le  besoin  en  peut 
revenir.  Le  scrupule  est  une  illusion  en  mal ,  comme 
la  fausse  oraison  est  une  illusion  en  bien.  Pour  l'orai- 
son qui  met  en  paix ,  qui  nourrit  le  cœur ,  qui  déta- 
che ,  qui  humilie ,  qui  ne  cesse  que  quand  on  tombe 
dans  le  scrupule  ,    et   qu'on  ne  peut  quitter   qu'en 
s'éloignant  de  l'amour,  elle  ne  peut  être  que  bonne. 
Il  ne  peut  y  avoir  aucune  illusion  à  croire  sans  voir,  à 
aimer  sans  s'attacher  à  ce  qu'on  sent,  à  recevoir  simple- 
ment sans  s'arrêter  à  ce  qu'on  reçoit,  à  renoncer  à  toute 
imagination,  au  propre  sens  et  à  la  proj)re  volonté. 
Voici  une  lettre  qui  était  déjà  faite  ,  madame^  et 
laquelle  je  n'ajouterai  rien  ,  sinon  que  je  me  servi- 
rai d'une  voie  particulière  qui  se  présente  ,  pour  faire 
la  réponse  qu'on  attend ,  sans  craindre  l'inconvénient 
que  vous  craignez. 


LETTRES    SPIIUTUELI  ES.  5l5 


« 'WV^^'V  %^V«'V« 'V 


(73)  258  *  R. 

Le  véritable  amour  do  Dieu  humilie  ,  et  dissipe  les  scrupules. 
Dimanche,  2G  décembre  1700. 

Vous  ne  vous  trompez  point ,  madame  ,  en  disant 
que  l'élévation  que  l'amour  donne  n'enfle  point  le 
cœur.  C'est  une  marque  qui  rassure  contre  la  crainte 
de  l'illusion.  L'amour,  selon  l'expérience  intime  ,  est 
bien  plus  Dieu  que  nous  :  c'est  Dieu  qui  s'aime  lui- 
même  dans  notre  c(rur.  On  trouve  que  c'est  quelque 
chose  qui  fait  toute  noire  vie  ,  et  qui  est  néanmoins 
supérieur  à  nous.  Nous  n'en  pouvons  rien  prendre 
pour  nous  en  glorifier.  Plus  on  aime  Dieu ,  plus  on 
sent  que  c'est  Dieu  qui  est  tout  ensemble  l'amour  et 
le  bien-aimé.  O  qu'on  est  éloigné  de  se  savoir  bon  gré 
d'aimer  ,  quand  on  aime  véritablement  !  l'amour  est 
emprunté  -,  on  sent  qu'il  fait  tout ,  et  que  rien  ne  se 
ferait  s'il  ne  nous  était  donné  pour  tout  faire.  ïïé- 
las  !  qu'aimerais-je  ,  si  ce  n'est  moi-même ,  si  je  n\'ii- 
mais  que  de  mon  propre  fond  ?  Dieu ,  qui  sait  tout 
assaisonner ,  ne  donne  jamais  le  plus  sublime  amour 
sans  son  contre-poids.  On  éprouve  tout  ensemble  au 
dedans  de  soi  deux  principes  infiniment  opposés  :  on 
sent  une  faiblesse  et  une  imperfection  étonnante  dans 
tout  ce  qui  est  propre  ;  mais  on  sent  par  emprunt 
un  transport  d'amour,  qui  est  si  disproportionné  à  tout 
le  reste,  qu'on  ne  peut  se  l'attribuer.  Un  enfant  qu'on 
enlève  bien  haut,  bien  loin  de  s'en  croire  plus  grand  , 
a  peur  de  tomber,  si  on  ne  le  tient  à  deux  mains  dans 
cette  élévation.  C'est  l'amour  qui  rend  véritablement 

18^ 


5lO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

liiimble;  car  il  avilit  infiniment  tout  ce  qni  n'est  point 
le  bien-aimé.  Il  en  occupe  tellement,  qu'il  fait  qu'on 
s'oublie.  Enfui  il  fait  sentir  quelque  cliose  de  si  dilTcrent 
delà  nature,  qu'il  convainc  de  sa  corruption  et  de  son 
impuissance.  Il  reproche  intimement,  avec  une  vivac;ilé 
perçante,  jusqu'aux  moindres  rechercbes  de  la  nature. 
Tenez  ferme  ,  madame ,  pour  vos  communions.  Les 
consciences  scrupuleuses  ont  besoin  d'être  poussées 
au-delà  de  leurs  bornes ,  comme  les  chevaux  rétifs 
et  ombrageux.  Plus  vous  hésiterez  dans  vos  scru- 
pules ,  plus  vous  les  nourrirez  secrètement.  Il  faut 
les  gourmander  pour  les  guérir.  Plus  vous  les  vain- 
crez ,  plus  vous  serez  en  paix.  En  passant  au-delà  , 
vous  trouverez  non-seulement  une  paix  véritable  , 
mais  encore  une  paix  lumineuse  ,  qui  vous  apportera 
un  profond  discernement  sur  le  piège  de  vos  scru- 
pules, et  qui  sera  suivie  de  fruits  solides.  Voilà  la 
marque  qu'une  conduite  est  de  Dieu.  Rien  n'est  si  con- 
traire à  la  simplicité  que  le  scrupule.  Il  cache  je  ne 
sais  quoi  de  double  et  de  faux.  On  croit  n'être  en  peine 
que  par  délicatesse  d'amour  pour  Dieu  ;  mais  dans  le 
fond  on  est  inquiet  pour  soi ,  et  on  est  jaloux  pour  sa 
propre  perfection ,  par  un  attachement  naturel  à  soi. 
On  se  trompe  pour  se  tourmenter ,  et  pour  se  distraire 
de  Dieu  sous  prétexte  de  précaution. 


(74)  259  *  R. 

Comment  l'amour  de  Dieu  apprciiil  à  souffrir;  différence  entre  le  courage 
qui  vient  de  l'homme  ,  et  la  résignation  que  Dieu  inspire. 

A  Cambrai,  5  janvier  1701. 

Je  suis  touché  ,  madame ,  de  ce  que  votre  malade 
souffre  ;  mais  je  me  réjouis  de  ce  qu'elle  souffre   si 


LETTUtS    SPIRITUELLES.  5l7 

bien.  Souvenez-vous  de  ce  (jue  dit  le  Chrétien  inté^ 
rieur  (i)  :  c(  Ceux  qui  ne  veulent  point  souffrir  ri'ai- 
y>  nient  point,  car  l'amour  veut  toujours  souiFrir  pour 
»  le  bien-ainié.  »  Vous  ne  vous  trompez  point ,  en 
distinguant  la  hmne  volonté  du  couraije.  Le  courage 
est  une  cerUiine  force  et  une  certaine  grandeur  de 
sentiment ,  avec  laquelle  on  surmonte  tout.  Pour  les 
âmes  que  Dieu  veut  tenir  petites  ,  et  à  qui  il  ne  veut 
laisser  <jue  le  sentiment  de  leur  propre  faiblesse,  elles 
font  tout  ce  qu'il  faut,  sans  trouver  en  elles  de  quoi 
le  faire  ,  et  sans  se,  promettre  d'en  venir  à  bout.  Tout 
les  siumonte  selon  leur  sentiment ,  et  elles  surmon- 
tent tout  par  un  je  ne  sais  quoi ,  qui  est  en  elles  sans 
(qu'elles  le  saclient ,  qui  s'y  trouve  tout  à  propos  au 
besoin  ,  connne  d'emprunt ,  et  qu'elles  ne  s'avisent 
pas  même  de  regarder  comme  leur  étant  propre. 
Elles  ne  pensent  point  à  bien  souffrir  ;  mais  insensi- 
blement chaque  croix  se  trouve  portée  jusqu'au  bout 
dans  une  paix  simple  et  amére ,  où  elles  n'ont  voulu 
que  ce  que  Dieu  voulait.  Il  n'y  a  rien  d'éclatant,  rien 
de  fort,  rien  de  distinct  aux  yeux  d'autrui  ,  et  en» 
core  moins  aux  yeux  de  la  personne.  Si  vous  lui  di- 
siez qu'elle  a  bien  souftért  ,  elle  ne  le  comprendrait 
pas.  Elle  ne  sait  pas  elle-même  comment  tout  cela 
s'est  passé.  A  peine  trouve-t-elle  son  cœur ,  et  elle 
ne  le  cherche  pas.  Si  elle  voulait  le  chercher ,  elle 
en  prendrait  la  simplicité ,  et  sortirait  de  son  attrait. 
C'est  ce  que  vous  a{)pelez  une  honne  volonté  ,  qui  pa- 

(i)  Cet  ouvrage  a  pour  auteur  M.  de  Bcrnicrcs-Louvigny,  mort 
en  odeur  de  saiuteté  ,  à  Cacn ,  le  3  mai  iGSg,  âgé  de  ciuquante- 
scpt  ans. 


5l8  LETTRES    SPIRITUELLES. 

raît  moins ,  et  qui  est  beaucoup  plus  que  ce  qu'on  ap- 
pelle d'ordinaire  courage.  La  bonne  eau  ne  sent  rien  ; 
plus  elle  est  pure,  moins  elle  a  de  goiit.  Elle  n'est 
d'aucune  couleur  -,  sa  pureté  la  rend  transparente  ,  et 
fait  que,  n'étant  jamais  colorée,  elle  paraît  de  toutes 
les  couleurs  des  corps  solides  où.  vous  la  mettez.  La 
bonne  volonté  ,  qui  n'est  plus  qu'amour  de  celle  de 
Dieu  ,  n'a  plus  ni  éclat  ni  couleur  par  elle-même  : 
elle  est  seulement  en  chaque  occasion  ce  qu'il  faut 
qu'elle  soit ,  pour  ne  vouloir  que  ce  que  Dieu  veut, 
Heureux  ceux  qui  ont  déjà  quelque  commencement 
et  quelque  semence  d'un  si  grand  bien  ! 

C'est  à  vous,  madame,  à  préparer,  à  ouvrir,  à  fa- 
çonner peu  à  peu  l'homme  nouveau  dans  votre  pro- 
chain ,  qui  vous  est  si  cher.  Ne  hâtez  rien  ,  ne  préve- 
nez rien ,  ne  vous  empressez  sur  rien  ;  mais  suivez 
pas  à  pas  tout  ce  que  Dieu  commence.  Il  y  a  une 
espèce  de  signal  qu'il  donne  :  il  faut  y  être  attentif, 
et  être  aussi  éloigné  de  la  négligence  et  de  la  retenue 
politique ,  que  de  l'empressement. 

Je  souhaite  que  votre  malade  ne  nous  empêche 
point  d'avoir  l'honneur  de  vous  revoir  samedi.  Aurez- 
vous  la  bonté  de  dire  un  mot  pour  moi  aux  deux 
personnes  chez  qui  vous  êtes  ? 

(75)  2G0  *  A. 

Proportionner  les  pratiques  de  piété  aux  forces  corporelks. 
Veutlrccli  au  soir,  aS  j:invier  1701. 

Puisque  vous  êtes  faiblç ,  ^nadame ,  reposez-vous , 
et   ne   sortez   point.  Le  bon  Saint  que  nous  aimons 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5x 


9 


tant  sera  avec  vous  au  coin  de  votre  feu.  Vous  sa- 
vez combien  il  s'accommodait  à  toutes  les  faiblesses 
des  corps  et  des  esprits.  L'auiour  aime  partout.  La 
faiblesse  du  corps  ne  dimiiuie  point  la  force  du  cœur. 
L'amour  n*est  jamais  si  puissant ,  que  quand  il  se  re- 
pose dans  le  sein  du  bien-aimé.  Vous  avez  apparem- 
ment trop  pris  sur  vous  dans  votre  voyage  :  c'est  un 
reste  de  courage  naturel  et  de  délicatesse  de  senti- 
ment qui  vous  a  menée  au-delà  de  vos  forces  corpo- 
relles. Les  liommes  pourront  vous  en  tenir  compte  ; 
mais  Dieu  veut  des  choses  moins  belles  et  plus  sim- 
ples. Si  vous  sentez  que  votre  langueur  ne  vous  per- 
mette pas  d'aller  demain  à  la  messe  ,  renoncez-y  bon- 
nement. Souvenez-vous  que  ,  si  saint  François  de 
Sales  était  au  monde ,  et  qu'il  fut  votre  directeur ,  il 
vous  défendrait  d'y  aller  en  ce  cas.  Il  ne  vous  le  dé- 
fend pas  moins  du  paradis.  En  quittant  la  solennité 
de  sa  fête  ,  vous  suivrez  son  esprit.  Vous  le  trouverez 
dans  la  faiblesse  et  dans  la  simplicité  ,  bien  plus  que 
dans  une  régularité  forcée.  Aimons  comme  lui ,  et 
nous  aurons  bien  célébré  sa  fête.  Si  vous  croyez  pou- 
voir aller  à  l'église  ,  n'y  demeurez  que  le  temps  d'une 
messe  ;  mais  défiez-vous  de  vous-même  ,  et  condam- 
nez-vous à  n'y  aller  pas ,  si  peu  que  la  chose  vous 
paraisse  douteuse ,  selon  la  première  pente  de  votre 
coeur  sans  réflexion. 

Bonsoir,  madame',  je  n'ai  pas  eu  un  moment  pour 
vous  répondre  plus  tôt.  Je  vous  irai  voir  dès  demain  , 
ai  y3  le  puis. 


530  LETTRES    SPIRITUELLES. 


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261  ♦  A.  (55) 

Même  ïiijet. 

Samedi  matin,  -29  janvier  1701. 

Je  vous  conjure  encore  une  fois ,  madame ,  de  ne 
songer  point"  encore  aujourd'hui  à  entendre  la  messe  , 
si  votre  faiblesse  et  votre  langueur  ne  vous  le  permet- 
tent pas.  Vous  manqueriez  à  Dieu  et  au  Saint  par  ce 
défaut  de  simplicité  ,  vertujque  le  Saint  a  tant  aimée  et 
recommandée.   Mais  si  votre   santé  se   trouvait   assez 
fortitiée  pour  entendre  une  messe ,  venez  simplement 
à  onze  heures  et  demie  entendre  la  mienne  dans  la 
chapelle   de  céans.  Nous  nous  unirons  ensemble  au 
bon  Saint.  Il  m'a  donné  le  jour  de  sa  fête   les  pré- 
mices de  mes  plus  grandes  croix.    Ce  fut  ce   même 
jour ,  il  y  a  précisément  quatre  ans  ,  que  mon  livre  (i) 
fut  publié.  Je  dois  faire  de  bon  cœur  l'anniversaire  de 
ce  jour  crucifiant  pour  moi. 

Je  reviens  à  votre  santé.  Si  elle  demande  que  vous 
ne  partiez  point  du  coin  de  votre  feu ,  n'hésitez  pas 
à  le  faire.  Pour  la  langueur  intérieure ,  vous  ne  la 
guérirez  point  avec  le  P.  S. ,  ni  par  vos  recherches. 
La  paix  en  la  souffrant  est  le  vrai  remède. 

(1)  V Explication  des  Maximes  des  Saints. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  J2I 


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262. 

Se  confesser  sans  inquiûlmlc  et  sans  scrupule. 

Mardi,  8  fcvrier  170t. 

Je  vous  rentirai ,  madame  ,  en  main  propre  ,  la  let- 
tre de  M.  le  Comte  de  MontLeron.  Vous  pouvez  comp- 
ter que  j'accepte  de  plein  cœur  ce  que  Dieu  m'en- 
voie •,  soyons   fidèles  à  le  suivre. 

Je  crois  que  vous  pouvez  vous  confesser  un  de  ces 
jours-ci  ;  mais  à  condition  que  vous  bornerez  votre 
confession  à  dire  les  fautes  qui  se  font  remarquer 
sans  peine  ,  et  qu'après  les  avoir  dites  simplement  se- 
lon la  lumière  que  vous  en  aurez  alors  ,  vous  n'y 
penserez  plus  après  votre  confession  ,  et  que  vous  en 
laisserez  tomber  la  pensée  avec  la  même  fidélité  qu'il 
faut  avoir  contre  une  pensée  de  tentation.  Je  prie 
Dieu  ,  madame  ,  qu'il  vous  fasse  telle  qu'il  veut  que 
vous  soyez. 


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263  *  R.  (76) 

Se  supporter  soi-même ,  comme  on  supporte  le  prochain  ;  travailler 
paisiblement  à  la  correction  de  ses  défauts. 

Samedi,  19  février  T701. 

Les  personnes  qui  ne  s'aiment  que  par  clmrité, 
comme  le  procbain ,  se  supportent  cliaritablement, 
sans  se  flatter  ,  comme  on  supporte  le  procbain  dans  ses 
imperfections.  On  coiniaît  ce  qui  a  besoin  d'être  corrigé 
en  soi  comme  en  autrui  :  on  y  travaille  de  bonne  foi 
et   sans  mollesse  ;  mais   on   fait  pour  soi  comme  on 


522  LETTRES    SPIR1TUELL,ES. 

ferait  pour  une  personne  que  l'on  conduirait  à  Dieu. 
On  fait  le  travail  avec  patience;  on  ne  se  demande, 
non  plus  qu'au  prochain ,  que  ce  qu'on  est  capable 
de  porter  dans  les  circonstances  présentes  ;  on  ne  se 
décourage  point  à  force  de  vouloir  être  parfait  en  un 
seul  jour^  On  condamne  sans  adoucissement  ses  plus 
légères  imperfections  \  on  les  voit  dans  toute  leur  dif- 
formité -,  on  en  porte  toute  l'iiumiliation  et  toute 
l'amertume»  On  ne  néglige  rien  pour  se  corriger  ; 
mais  on  ne  se  chagrine  point  dans  ce  travail.  On 
n'écoute  point  les  dépits  de  l'orgueil  et  de  l'amour- 
propre  ,  qui  mêlent  leurs  vivacités  excessives  avec  les 
sentimens  forts  et  paisiljïes  que  la  grâce  ik)us  inspire 
pour  la  correction  de  nos  défauts.  Ces  dépits  si  cui- 
sans  ne  servent  qu'à  décourager  une  ame  ,  qu'à  l'oc- 
cuper de  toutes  les  délicatesses  de  l'amour-propre , 
qu'à  la  rebuter  de  servir  Bieu ,  qu'à  la  lasser  dans  sa 
voie  ,  qu'à  lui  faire  chercher  des  ragoûts  et  des  sou- 
lagemens  contraires  à  sa  grâce,  qu'à  la  dessécher ,  qu'à 
la  distraire,  qu'à  l'épuiser,  qu'à  lui  préparer  une  es- 
pèce de  dégoût ,  et  de  désespoir  de  pouvoir  achever 
sa  route.  Rien  n'arrête  tant  les  âmes ,  que  ces  dépits 
intérieurs ,  quand  on  s'y  laisse  aller  volontairement  ; 
mais  quand  on  ne  fait  que  les  souihir  sans  y  adhé- 
rer, et  sans  se  les  procurer  par  des  réflexions  d'amour- 
propre  ,  ces  peines  se  tournent  en  pures  croix  ,  et  par 
conséquent  en  sources  de  grâce.  Elles  se  trouvent  au 
rang  de  toutes  les  autres  épreuves  par  lesquelles  Dieu 
nous  purifie  et  nous  perfectionne.  Il  faut  donc  laisser 
passer  cette  souffrance  ,  comme  on  laisse  passer  un 
accès  de  fièvre  ou  une  migraine  ,  sans  faire  aucune 
chose  qui  puisse  exciter  ou  entretenir  le  mal. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5  23 

Cependant  il  faut  demeurer  dans  son  occupation 
intérieure  ,  et  dans  ses  devoirs  extérieurs ,  autant 
qu'on  en  conserve  la  liberté.  L'oraison  en  est  moins 
douce  et  moins  aperçue  ;  l'amour  en  est  moins  vif  et 
moins  sensible  ;  la  présence  de  Dieu  en  est  moins 
distincte  et  moins  consolante  •,  les  devoirs  extérieurs 
mêmes  en  sont  remplis  avec  moins  de  facilité  et  de 
t;c»ùt  :  mais  la  fidélité  en  est  encore  plus  grande  ,  lors- 
qu'elle se  soutient  dans  ces  circonstances  pénibles  ,  et 
c'est  tout  ce  que  Dieu  demande.  Un  bâtiment  à  rames 
MX  de  plus  grande  force  de  rameurs,  en  ne  faisant 
«|u\in  quart  de  lieue  contre  vent  et  marée  ,  que  quand 
il  iiiit  une  lieue  à  la  faveur  de  la  marée  et  d'un  ])on 
vent.  Il  faut  traiter  les  dépits  de  l'amour-propre 
comme  certaines  gens  traitent  leurs  vapeurs.  Ils  ne 
les  écoutent  point ,  et  font  comme  sHls  ne  les  sentaient 
pas. 

Je  vous  conjure  bien  sérieusement ,  madame ,  de 
ne  supprimer  point  les  lettres  que  vous  m'écrivez  ;  il 
est  bon  que  je  vous  voie  au  naturel  dans  ces  premiers 
mouvcmens.  Les  supprimer  ,  c'est  une  mauvaise  bonté 
de  l'amour-propre.  Les  tours  et  retours  sont  con- 
traires à  la  simplicité.  Faut-il  s'étonner  que  nous 
soyons  faibles ,  inégaux  et  épineux  ? 

264  *  R.  (39) 

Surmouter  les  scrupules ,  en  se  dûrrant  de  la  vivacité  de  rimagination- 

Vendredi,  3  mars  1701. 

Il  s'en  faut  bien,  madame,  que  je  ne  sois  rebuté. 
Je  vous  plains ,  et  je  ne  songe  point  à  vous  gronder. 


524  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Je  n'ai  d'autres  peines  que  celle  de  ne  pouvoir  gué- 
rir les  vôtres;  mais  je  voudrais  que  vous  fussiez  fidèle  à 
faire  ce  qu'il  me  semble  que  Dieu  demande  de  vous. 
Les  choses  que  vous  vous  reprochez  ,  et  dont  vous 
dites  que  vous  avez  horreur  ,  ne  sont  que  des  faits 
sans  malignité,  et  sans  aucune  véritable  conséquence 
pour  le  prochain  ,  que  vous  dites  en  conversation. 
En  vérité ,  est-ce  là  de  quoi  se  troubler  ?  Ces  ba- 
gatelles excitent  vos  scrupules  -,  vos  scrupules  excités 
troublent  votre  oraison,  vous  éloignent  de  Dieu,  vous 
dessèchent ,  vous  dissipent ,  réveillent  vos  goûts  na- 
turels ,  et  vous  mettent  en  tentation  contre  votre 
grâce.  Voyez  combien  le  remède  est  pire  que  le  mal. 
Le  mal  n'est  qu'imaginaire  ;  le  remède  est  un  mal 
réel. 

Je  ne  m'étonne  point  que  votre  imagination  trop 
vive  ,  et  une  habitude  de  vous  laisser  trop  aller  à  vos 
réflexions ,  qui  n'a  point  été  assez  réprimée ,  vous 
fassent  de  la  peine  ;  mais  il  serait  tenq)s  de  vaincre 
ces  obstacles ,  qui  vous  arrêtent  dans  la  voie  de  Dieu. 
Au  moins  vous  devez  vous  défier  de  votre  imagina- 
tion ,  sentir  le  mal  qu'elle  vous  fait,  recoiniaître  com- 
bien elle  vous  occupe  de  bagatelles  ,  et  vous  dérobe 
la  vue  des  plus  grandes  choses  ;  enfin  être  docile ,  et 
demeurer  ferme  dans  la  pratique  des  conseils  qu'on 
vous  donne.  Loin  de  vous  abandonner,  je  vous  per- 
sécuterai sans  relâche.  Je  ne  me  décourage  point  pour 
tous  vos  scrupules  ;  ne  vous  découragez  point  de  les 
vaincre.  C'est  de  tout  mon  cœur  que  je  vous  con- 
jure de  communier  demain,  sans  vous  confesser.  Vous 
manquerez  à  Dieu,  si  vous  ne  faites  pas  ce  que  je 
vous  demande  en  son  nom ,  et  pour  l'amour  de  lui. 


LETTRES    SPIRITLELLES. 


20)5. 


AI:il.i(lic  (lu  Danpliiii  ;  mort  de  IM.  do  rioisillcs.  S'ouMÎr  avec  siinplicilC- 
au  (lirt'clcur. 


Mai  il 


1 ,  0/2  mars  j^oi. 


Monseigneur  le  Dauphin  loniLa  diinanclie  en  apo- 
])le\ie  ,  et  on  lui  lira  d'abord  cinq  palettes  de  sanj>  : 
nous  n'en  savons  pas  davantage  ;  mais  cette  nouvelle 
se  répandra  bientôt  avec  toutes  ses  circonstances.  En 
allendant,  je  vous  supplie,  madame,  de  n'en  point 
palier. 

Mon  bon  ami  M.  de  Croisllles  (i)  est  mort  en  vrai 
Chrétien.  J'en  suis  bien  touché  ;  mais  Dieu  prend  ce 
(jui  est  à  lui ,  et  non  pas  à  nous. 

Vous  n'êtes  point  simple  avec  moi ,  et  vous  supposez 
que  je  ne  veux  point  entrer  simplement  dans  les  des- 
seins de  Dieu  sur  vous.  Vos  besoins  sont  des  droits  que 
vous  avez  de  me  demander  du  secours.  Puisque  Dieu 
le  veut,  je  le  veux  aussi;  mais  je  vous  demande  deux 
choses  :  l'une  est  de  ne  rien  cacher  ,  et  l'autre  ,  de  faire 
ce  que  je  vous  dirai  pour  vaincre  vos  scrupules.  Que 
si  vous  V  manquez  j  au  moins  faut-il  m'en  avertir  de 
bonne  foi.  Je  prie  Notre-Seigneur  qu'il  vous  élargisse 
le  cœur ,  qu'il  vous  désoccupe  de  vos  vains  scrupules 
sur  des  bagatelles  ,  et  qu'il  vous  empêche  de  lui  man- 
quer véritablement  en  résistant  à  son  attrait.  Rien  ne 
«Tuérit   tant  du  scrupule ,  que  de  le  forcer  sans  hé- 
sitation. Dieu  vous  aidera  :  rien  ne  lui  est  irapossi- 
l)le.  Croyez  ,   et  vous  recevrez  suivant  la  mesure  de 
votre  foi. 

(i)  Fi  ère  du  Maréchal  de  Catiiiat. 


520  LETTRES    SPIRITUELLES. 

266  *  A.  (4o) 

Elargir  son  cœur  par  la  confiance. 

Samedi,  2  avril  1701. 

Je  vous  envoie  ,  madame ,  ma  réponse  pour  ma- 
dame d'Oisy.  Il  nie  paraît  qu'elle  hasarde  trop ,  en 
écrivant  avec  confiance  par  la  voie  d'un  petit  gar- 
çon. Je  lui  fais  néanmoins  réponse ,  de  peur  de  la 
peiner  en  la  laissant  trop  en  suspens. 

Pour  vous,  madame,  je  vous  conjure  de  commu- 
nier demain  sans  vous  confesser ,  et  de  forcer  tous 
vos  scrupules  ,  pour  donner  à  Dieu  cette  preuve  de 
votre  sincère  docilité  à  son  ministre.  Vous  pouvez 
croire  que  je  n'ai  envie  de  charger  ni  votre  conscience 
ni  la  mienne  ;  mais  votre  conscience  a  hesoin  d'être  un 
peu  élargie.  L'amour,  quand  il  se  perfectionne,  chasse 
la  crainte  (ff)  ;  et  quand  il  ne  le  fait  pas  ,  c'est  qu'on 
le  gêne ,  et  qu'on  t'arrête  dans  sa  pente.  Voulez-vous 
par  crainte  étouffer  l'amour,  et  par  une  délicatesse 
déplacée  pour  Dieu,  résister  à  Dieu  même?  J'aurai 
l'honneur  de  vous  voir  dès  que  vous  croirez  en  avoir 
besoin. 

(Même  jour.  ) 

Communiez  demain,  je  vous  supplie,  et  priez  pour 
quelque  chose  que  je  recommande  à  Dieu.  J\ii  les 
Lettres  de  madame  de  Cliantal  :  les  voulez-vous  lire? 
Pardon  du  mécompte  pour  ma  réponse  à  Oisy.  Dieu 
soit  avec  vous ,  et  toutes  choses  lui   seul  en  vous. 

(a)  /  Joan,  iv.   18. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  52' 

(4o)  267  *  A. 

Môme   sujet. 

Lundi  {  4  avril   i;oi.  ) 

N'hésitez  point,  madame,  à  communier  aujour- 
d'hui. O  la  grande  et  l'aimable  fête  (i)  !  C'est  l'anéan- 
tissement du  \  erbe  fait  chair  :  anéantissons-nous 
avec  lui.  Cet  anéantissement  est  le  prodige  de  l'amour. 
O  que  la  vie  du  Fils  de  Dieu  était  cachée  en  cet 
état  !  0  que  ce  mystère  est  intérieur  ! 

Ce  qui  n'est  point  du  tout  volontaire ,  et  que  nous 
avons  sujet  de  croire  de  bonne  foi  étranger  à  notre 
volonté ,  n'est  ni  péché  ni  imperfection.  Ne  craignez 
point  ce  que   vous  ne  voulez  pas. 

(i)  La  fclc  de  V Annoncialion,  qui,  cette  auuée,  tombait  dans  la 
sciuainc-sainte,  a\ait  été  transférée  à  ce  jour. 

268. 

Résignation  dans  les  pertes  et  les  revers. 

Mardi,  2G  avril  ijoi. 

Tout  est  pot  au  lait  en  ce  monde  ;  chacun  de  nous 
est  la  pauvre  Ptvvx'^^e  (i).  Qu'y  faire  ,  madame?  Se 
consoler ,  perdre  en  paix  ce  que  la  Providence  nous 
ôte ,  et  ne  tenir  qu'à  celui  qui  est  jaloux  de  tout.  En 
perdant  tout  de  la  sorte,  on  ne  perd  jamais  rien.  La 

(i)  Allusion  à  la  fable  de  La  Fontaine,  la  Laitière  et  le  Pot 
au  lait,  liv.  VII,  fable  x. 


528  LETTRES    SPIRITUELLES. 

jalousie  ,  qui  est  si  tyrannique  et  si  déplacée  dans  les 
hommes  ,  est  en  sa  place  en  Dieu.  Là  elle  est  juste  , 
nécessaire,  miséricordieuse.  En  ne  nous  laissant  rien, 
elle  nous  donne  tout. 

Ne  communiâtes-vous  pas  dimanche  ?  Je  crois  que 
vous  devriez  prendre  des  règles  fixes  avec  le  hon  père , 
surtout  pour  le  temps  de  mon  absence.  Vous  le  mè- 
nerez au  Lut  mieux  que  personne. 

Si  M.  le  Comte  de  Montberon  pouvait  arriver 
dimanche ,  ou  même  lundi  ,  nous  pourrions  encore 
dîner  ensemble ,  et  cela  serait  fort  joli  :  sinon  ,  il  sera 
bien  joli  d'en  être  privé;  car  tout  est  joli  dans  la 
volonté  qui  décide. 

Dieu  vous  bénisse.  J'aurai  l'honneur  de  vous  voir 
et  de  vous  écrire  avant  mon  départ. 


(42)  269  *  A. 

Eviter  les  raisonncmens  et  les  retours  subtils  sur  soi-même. 

Vendredi,  6  mai  1701. 

Il  fiut  que  je  parte  de  bonne  heure  ,  madame  , 
pour  aller  dire  la  messe  à  Saulsoir  (i) ,  où  je  vais  faire 
la  visite  en  passant-,  mais  je  vous  donne  la  bénédiction 
de  Dieu  notre  Père  ,  et  de  notre  Seigneur  Jésus- 
Christ.  La  paix  soit  avec  vous.  Elle  y  sera  ,  si  vous 
êtes  simple  ;  et  vous  mériterez  de  la  perdre  ,  si  peu 
que  vous  sortiez  de  cet  attrait  de  simplicité.  Vous 
en  avez  l'expérience  ,  et  cette  expérience  si  sensible 

(i)  Voyez  la  note  2  de  la  lettre  88  de  la  i^'^  section,  tom.  I, 
pnge  2/18. 


LETTRES    SPIRITUELLES»  52Q 

vient  d'une  bonté  qui  veut  vous  convaincre  ,  et  vous 
l'aire  honte  de  vos  liésitalioiis  dans  la  foi.  Le  raison- 
nement sublil  pour  vous  lournicnler  vous-même  , 
est  pour  vous  comme  le  fruit  défendu.  Dès  que  vous 
apercevrez  que  vous  vous  serez  écoutée  vous-même  , 
laissez  tomber  vos  raisoiniemens  ,  et  revenez  à  votre 
vrai  centre ,  hors  duquel  vous  ne  trouverez  aucun 
repos.  Le  bon  père ,  que  vous  avez  vu  depuis  peu  , 
vous  sera  utile  pour  vous  faiie  passer  outre  ,  quand 
•vos  subtilités   vous   arrêteront. 

Je  ^  ous  envoie  une  lettre  pour  M'"«=  d'Oisy  ;  mais 
je  crains  que  vous  \o\is  inconmioderez  à  l'aller  voir. 
Rien  n'est  plus  opposé  à  votre  grâce  que  de  prendre 
trop  sur  votre  santé;  car  c'est  aux  dépens  de  votre 
corps  déjà  faible,  nourrir  votre  esprit  naturel  et  votre 
amour-propre ,  qui  se  plaît  à  ces  sortes  de  délicatesses 
et  de  politesses  pour  le  prochain.  Tàcliez  de  faire 
entendre  au  P....  le  mal  qu'on  vous  fait  en  vous  écou- 
tant. On  fait  que  vous  vous  écoutez ,  et  on  vous  accou- 
tume à  ne  supprimer  jamais  ce  qui  ne  se  surmonte 
jamais  bien  qu'en  le  supprimant. 

Ne  m'oubliez  pas  ,  je  vous  conjure  ,  en  écrivant  à 
Tournai  et  à  Malines.  Je  vous  manderai  au  plus  tôt 
le  temps  précis  de  mon  séjour  à  Saint-Denis  (i).  Je 
suis  véritablement  fâché  de  n'avoir  pas  vu  M'"^  J^ 
Comtesse  de  Souastre.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  garde 
contre  vous-même  :  c'est  la  seule  chose  dont  je  suis 
en  peine.  Il  voit ,  madame ,  et  il  fait  tout  ce  qui  est 
dans  le  fond  de  mon  cœur  par  rapport  à  vous. 

(i)  Abbaye  de  Ijcnc'dictiiis  du  diocèse  de  Cambrai,  située  près 
de  Mous   en  Ilaiuaut. 

CORKESP.    IV.  IQ 


53o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

270. 

Itinéraire  Je  sa  visite  épisoopale. 

A  Valenciomies ,  7  mai  170t. 

Je  dois,  madame,  vous  rendre  compte  de  mes  pro- 
jets. Je  ne  compte  point  de  m'arréter  à  Mons  ,  et  je 
vais  droit  à  Saint-Denis.  La  mission  ne  peut  com- 
mencer à  Binch  ,  que  le  jour  de  la  Pentecôte ,  ce  qui 
me  donne  une  semaine  pour  la  visite  des  environs 
de  Saint-Denis  ,  et  pour  aller  à  Engliien  voir  M'^^  ]a 
Duchesse  d'Aremberg.  Si  M.  le  M.  de  M.  veut  venir 
au  désert ,  nos  deux  abbés  le  posséderont  à  certaines 
heures  ,  et  je  me  délasserai  le  soir ,  de  mes  visites  de 
la  journée  ,  en  trouvant  une  si  bonne  compagnie , 
avec  laquelle  nous  nous  promènerons  dans  des  bois 
assez  agréables.  Ne  m'oubliez  pas,  s'il  vous  plaît ,  dans 
le  lieu  où  vous  voulez  aller.  Je  suis  fort  touclié  de 
bien  des  choses  ,  et  entr'autres  de  la  dernière  lettre. 
Portez-vous  bien ,  madame.  Ne  regardez  point  der- 
rière vous ,  si  vous  voulez  aller  en  avant.  Je  ne  vous 
dis  rien  de  mon  zèle   et  de  mon  respect. 

271. 

Ordre  de  sa  visite  épiscopale.  Elargir  le  cœur  par  la  confiance. 
A  Binch,  i5  mai,  jour  de  la  Pentecôte,  1701. 

J'ai  reçu  ,  madame ,  deux  paquets  de  vous ,  et  rien 
de  vous-même  :  pas  un  mot  qui  m'apprenne  com- 
ment vous  vous  portez.  Cela  est  bien  sec  :  mais  tout 
est  bon ,  pourvu  que  vous  vous  portiez  bien ,  et  que 


LETTRES    SPIRITUELLES.  53  I 

VOUS  soyez  en  paix.  J'eus  l'honneur  de  vous  écrire  de 
Valenciennes  ,  pour  ^ous  dire  que  je  serais  à  Saiiit- 
Denis  toute  la  semaine  qui  vient  de  finir.  En  eiFet , 
j\  ai  passé  tout  ce  temps-là^  pensant  souvent  à  M.  le 
M.  de  M.  que  j'eusse  été  ravi  de  posséder  dans  cette 
solitude ,  ou  les  promenades  sont  très-agréables  pen- 
dant les  beaux  jours.  Mais  je  ne  me  flattais  d'aucune 
espérance  ,  sachant  combien  il  doit  être  assujetti  à  sa 
résidence  ,  par  le  voisinage  d'un  certain  homme  qu'il 
doit  vouloir  contenter,  et  qui  ne  se  contente  pas  faci- 
lement. J'espère  qu'il  se  trouvera  quelque  autre  tejnps 
plus  favorable  que  la  Providence  nous  fournira  pour 
nous  voir  en  liberté.  Me  voici  fixé  pour  une  dixaine 
de  jours.  Je  compte  qu'après  la  fête  du  Saint-Sacre- 
ment ,  je  pourrai  aller  vers  Maubeuge.  De  là  ,  je  me 
rapprocherai  insensiblement  de  Cambrai ,  ou  je  sou- 
haite de  tout  mon  cœur  de  vous  trouver  avec  un  cœur 
plus  large  que  celui  que  vous  rétrécissez  si  souvent. 
Si  quelque  peine  vous  arrête  ,  n'hésitez  pas  à  parler 

au  P.  R ,  en  cas  que  le  P.  S ne  vous  décide 

pas  assez  nettement.  Surtout  que  le  soleil  ne  se  cou- 
che pas  sur  vos  hésitations  j  car  plus  elles  durent  , 
plus  elles  deviennent  diiUclles  à  guérir. 

Je  vous  envoie  une  lettre  pour  M"^«  d'Oisy ,  qui  a 
besoin  d'être  donnée  sûrement  en  main  propre  ;  mais 
n'y  allez  pas  ,  je  vous  conjure  :  il  suffit  d'y  envoyer 
une  personne  sûre.  N'allez  pas  faire  des  merveilles 
d'amitié ,  qui  prennent  trop  sur  votre  santé  :  ces  mer- 
veilles sont  des  ragoûts  d'amour-propre. 

Mlle  dU....  a  besoin  et  mérite  d'être  soutenue  par 
des  lettres  d'amitié  et  d'édification  ,  qui  la  consolent 
et  qui  l'encouragent.  Répondez-lui  bonnement.  M'"'  la 

^9* 


532  LETTRES    SPIRITUELLES. 

C,  de  s.  (  Souastre  )  n'a-t-elle  point  passé  à  CamlDrai , 
et  n'y  est-elle  point  encore  ?  Si  elle  y  est ,  je  vous 
conjure  de  lui  dire  mille  choses  ,  qui  ne  sont  point 
des  complimens.  Je  n'espère  pas  de  la  trouver  cliez 
vous  à  mon  retour  ;  mais  j'ai  bien  envie  d'avoir  Flion- 
neur  de  l'aller  voir  chez  elle.  Je  souliaite  fort  que 
M.  le  Comte  de  Montberon  fasse  cet  été  de  petits 
tours  à  Cambrai  ,  et  que  Tournai  nous  le  prête. 

Je  suis  toujours  ,  madame ,  l'homme  du  monde  qui 
vous  est  le  plus  dévoué.  Je  souhaite  que  l'esprit  de 
simplicité  ,  de  vérité ,  de  paix  et  d'amour  ,  descende 
et  repose  sur  vous  ;  que  son  feu  consume  en  vous 
tout  ce  qui  n'est  pas  de  lui ,  et  qu'il  soit  l'ame  de 
votre  ame. 

(78)  272  *  A. 

Éviter  les  prévoyances  ;  vivre  de  foi  et  d'abandon  à  Dieu. 

A  Cambrai,  10  juin  ijoi. 

J'avais  compté ,  madame ,  que  je  vous  trouverais 
ici ,  et  cette  espérance  me  faisait  un  grand  plaisir  : 

mais  Dieu  vous  a  envoyée  à La  bonne  place  est 

celle  où  il  met  :  toute  autre  est  d'autant  plus  mau- 
vaise ,  qu'elle  flatterait  notre  goût ,  et  serait  de  notre 

propre  choix.  Etes-vous  libre  à pour  être  seule? 

D'ailleurs  n'y  êtes-vous  point  embarrassée  par  vos 
confessions  ?  Je  suis  fort  aise  que  l'homme  que  vous 
avez  vu  soit  propre  à  vous  soulager  le  cœur ,  et  à 
vous  aider.  Je  l'aime  et  je  l'estime  beaucoup.  Je  suis 
persuadé  qu'il  pourra  souvent  vous  faire  du  bien  : 
mais  je  ne  veux  point  cesser  de  vous  donner  mes  soins. 


LtTTULS    SinillTL'ELLES.  533 

C'est  une  union  que  Dieu  a  l'aile,  et  qui,  étant  de 
son  ordre ,  doit  durer.  Je  ne  vois  rien  qui  puisse  ni'é- 
loii^ner  de  ce  pays  ,  et  ce  qu'on  vous  a  écrit  ne  peut 
avoir  aucun  fondement.  Ne  songez  donc  point  à  des 
clioses  éloignées.  Cette  incpiiélude  sur  l'avenir  est 
contraire  à  votre  grâce.  Quand  Dieu  vous  donne  un 
secours ,  ne  regardez  que  lui  seul  dans  le  secours  qui 
vous  est  donné  ,  et  prenez-le  cluupie  jour  ,  connne  les 
Israélites  prenaient  la  manne,  sans  en  faire  jamais 
de  provision  d'un  jour  à  Tautre. 

La  vie  de  pure  foi  a  deux  choses  :  la  première  est 
qu'elle  fait  voir  Dieu  sous  toutes  les  enveloppes  im- 
parfaites où  il  se  cache  ',  la  seconde  est  de  tenir  une 
anie  sans  cesse  en  suspens.  On  est  toujouis  comme 
en  l'air,  sans  pouvoir  toucher  du  pied  à  terre  :  la 
consolation  d'un  moment  ne  répond  jamais  de  la  con- 
solation du  moment  qui  suivra.  Il  faut  laisser  faire 
Dieu  dans  tout  ce  qui  dépend  de  lui ,  et  ne  songer 
qu'à  être  fidèle  dans  tout  ce  qui  dépend  de  nous.  Cette 
dépendance  de  moment  à  autre ,  cette  obscurité  ,  et 
cette  paix  de  Famé  dans  l'incertitude  de  ce  qui  lui 
doit  arriver  chaque  jour ,  est  un  vrai  mail} re  in- 
térieur et  sans  bruit  :  c'est  être  brûlé  à  petit  feu. 
Cette  mort  est  si  lente  et  si  interne,  qu'elle  est  souvent 
[)resque  aussi  cachée  à  l'âme  ([ui  la  soulhe ,  qu'aux 
personnes  qui  ignorent  son  état.  Quand  Dieu  vous 
otera  ce  qu'il  vous  donne  ,  il  saura  bien  le  remplacer, 
ou  par  d'autres  instrumens,  ou  par  lui-même.  Les  pier- 
res mêmes  de\iennent  dans  sa  main  des  e;ifans  d'A- 
braham (^/).  Un  corbeau  portait  tous  les  jours  la  moitié 

[a]  Luc.  m.  8. 


534  LETTRES    SPIRITUELLES. 

d'un  pain  à  saint  Paul  ermite ,  dans  un  désert  inconnu 
aux  hommes.  Si  le  Saint  eût  hésité  dans  la  foi  ,  et 
s'il  eût  voulu  s'assurer  un  jour  d'un  autre  demi-pain 
pour  le  jour  suivant,  le  corheau  ne  serait  peut-être 
point  revenu.  Mangez  donc  en  paix  le  demi-pain  de 
chaque  jour ,  que  le  corbeau  vous  apporte.  A  cha- 
que joui'  suffît  son  mal.  Le  jour  de  demain  aura  soin 
de  lui-même  {a).  Celui  qui  nourrit  aujourd'hui  est  le 
même  qui  nourrira  demain.  On  reverra  la  manne  tom- 
ber du  ciel  dans  le  désert ,  plutôt  que  de  laisser  les 
enfans  de  Dieu  sans  nourriture.  Mais  ,  encore  une 
fois  ,  ce  qu'on  vous  a  mandé  n'est  rien  :  les  choses 
sont  à  une  distance  infinie  de  ce  que  vous  craignez. 

Je   serai  ravi    de  revoir  M.   le  Comte    de Ne 

pourrais-je  point  vous  le  mener  à  —  ,  et  l'y  laisser? 
Je  pourrai  cet  été  aller  faire  quelque  petit  séjour  au 
Câteau ,  et  profiter  de  votre  voisinage.  La  continua- 
lion  des  incommodités  de  M™®  la  Comtesse  de  Souastre 
m'aflîige  :  je  l'honore  du  fond   du  cœur. 

Mon  Dieu ,  que  M"^"  d'Oisy  me  fait  de  pitié  !  elle 
aurait  besoin  du  corbeau  de  saint  Paul.  Elle  n'avait 
de  consolation  que  de  vous.  J'irai  la  voir  ;  mais  je 
ne  puis  le  faire  qu'une  fois.  Ne  pourriez-vous  point 

l'inviter  à  vous  aller  voir  à ?  Pour  les  lettres , 

je  n'en   crois   pas  devoir   confier  à  W-^^  de pour 

les  donner  à  une  femme  inconnue, 

{a)  Malt.   V.  34, 


LETTRES    SPIRITUELLES.  535 


(4-.)  273  *  A. 

RcccToir  les  clou*  de  Dieu  avec  reconnaissance  cl  humilité  ; 'mort  de 
Monsieur,  frère  de  Louis  XIV. 

A  Cambrai,    i6  juin  i^oi. 

Je  suis  ravi ,  madame  ,  de  vous  savoir  en  paix  et 
en  abondance  :  mais  ne  dites  point  dans  votre  aboti- 
dance  intérieure  ;  Je  ne  serai  jamais  èhranlèe  [a). 
Quand  on  est  orgueilleux  pour  des  biens  empruntés , 
le  préteur  prend  plaisir  à  confondre  l'emprunteur  in- 
grat. Profitez  de  l'abondance  ,  sans  vous  l'approprier. 

Je  suis  ici  depuis  huit  heures  du  matin  jusqu'à 
sept  du  soir  au  concours.  Dès  que  j'en  serai  sorti , 
j'irai  voir  cette  pauvre  recluse  ,  qui  me  fait  grande 
pitié  :  elle  a  été  ici  gardée  à  vue. 

La  mort  de  Monsieur  (i)  a  été  un  coup  de  foudre  ; 
il  est  tombé  comme  roide  mort.  Dieu  veuille  qu'il 
ait  eu  à  son  jubilé  les  pensées  sérieuses  qu'on  lui 
attribue  \  mais  le  monde  trouve  bien  sérieux  ce  qui 
ne  l'est  guère. 

Ne  faites  rien  qui  déconcerte  votre  petite  santé. 
Pour  la  crainte  des  consolations  ,  elle  va  trop  loin  : 
prenez  simplement  celles  qui  vous  viennent ,  au  ha- 
sard d'en  être  châtiée  ,  si  votre  cœur  n'y  est  pas  assez 
sobre.  Il  ne  faut  jamais  passer  outre  ,  dès  qu'on  sent 
intérieurement  la  jalousie  de  l'Epoux  sacré  \  mais  on 

(a)  Ps.  XXIX.    "j. 

(i)  Philippe  de  France  ,  Duc  d'Orlc'ans  ,  second  fils  de  Louis  XTII, 
et  frère  unique  de  Louis  XIV,  mort  subitement  à  Saiut-Cloud,  le 
9  juin  précddent ,  à   l'âge  de  soixante-un  ans. 


536  LETTRES    SriRITUELEES. 

retomberait  dans  les  réflexions  contraires  à  la  sim- 
plicité ,  et  dans  le  trouble  ,  si  on  voulait  prévenir 
toutes  les  jalousies  de  l'Epoux  :  il  y  aurait  même  une 
Tolonté  propre  ,  et  une  espèce  de  délicatesse  pour 
soi-même ,  à  aimer  mieux  renoncer  aux  consolations 
pour  être  délivré  des  épreuves  quelles  attirent.  Ce 
serait  vouloir  décider,  et  rejeter  le  bénéfice  de  peur 
des  cliarges.  Je  conclus  que  je  vous  enverrai  diman- 
che un  relais  à  S pour  venir  coucher  à  Cambrai. 

Je  comprends  que  vous  voudriez  que  j'allasse  le  mardi 

à et  c'est  à  quoi  je  suis  tout  prêt. 

Souvenez-vous  toujours  de  ce  que  vous  dîtes  :  Mes 
disposiiioiis  sent  moins  sensibles  y  moins  connues ,  et 
plus  vraies.  J'aime  la  jalousie  de  Dieu  :  il  faut  la 
laisser  détruire  tout  autour  d'elle  \  elle  ne  divise  que 
pour  mieux  réunir. 


274. 

La  docilité ,  seule  ressource  contre  le  scrupule. 

A  Cambrai,  27  juin  ijoi. 

La  lettre  de  M^^  d'Oisy  est  fort  touchante  ,  madame. 
Il  était  trop  tard ,  quand  je  la  reçus ,  pour  l'avertir 
que  je  prêchais  hier  :  mais  je  prêcherai  encore  di- 
manche prochain  _,  et  je  l'en  avertirai  de  bonne  heure. 
Il  me  tarde  beaucoup  d'aller  à  ;  mais  j'ai  plu- 
sieurs chevaux  boiteux,  qui  me  font  retarder.    Mon 

impatience   regarde  plus  M"^*'  la   Comtesse qne 

vous ,  madame.  Je  suis  presque  fâché  ,  depuis  votre 
départ  d'ici.  Vous  ne  voulûtes  jamais  me  promettre 
ce  que  j'avais  raison   de  vous   demander.  Il  est  vrai 


LETTRLS    SPIUITL'ELLLS.  53"^ 

qu'il  ne  faut  pas  pronicUro  ,  pans  vouloir  tenir  ;  mais 
il  Ihiit  vouloir  lenir  tout  ce  qui  est  jjien  demandé. 
La  docilité  est  la  seule  ressource  contre  le  scrupule. 
Vous  êtes  scrupuleuse  sur  des  bap;a telles ,  et  vous  ne 
Fêles  point  sur  une  si  grande  indocilité  :  elle  est  très- 
contraire  au  véritable  esprit  d'oraison.  Pardonnez  ce 
reproche.  D'ailleurs,  j'entre  dans  vos  peines,  et  je 
vous  plains-,  mais  il  faut  être  fidèle  et  ferme  dans  la 
voie   droite. 


%'%%%%%%  V%%«^^<^%%^V%  %«4  4<%i%/%%«^%%V«^  « 


275. 

Discrétion  dans  la  pratique;  des   auslûrités. 

A  Camlirai  ,    ii  juillet  1701. 

J'ai  fort  au  cœur  cette  parole  :  La  persomie  que 
vous  aimez  est  malade  [a).  Vous  m'êtes  en  vérité  très- 
chère  en  Notre-Scigneur.  Jugez  par  là ,  madame , 
condjjen  il  me  tarde  de  vous  savoir  guérie.  Je  crains 
que  vous  ne  vous  soyez  épuisée  ,  sans  y  prendre  garde. 
On  prétend  même  que  vous  avez  fait  diverses  austé- 
rités. Si  vous  les  avez  faites  sans  consulter  ,  votre 
propre  volonté  s'y  trouve.  C'est  cette  propre  volonté 
qu'il  était  bien  plus  important  de  mortifier  ,  qu'un 
corps  déjà  si  afiàiJjli.  Ménagez  vos  forces ,  je  vous 
(^n  conjure.  Je  ne  perdrai  pas  un  moment  pour  vous 
aller  voir.  Je  suis  ravi  de  penser  que  M'"'=  la  C.  de 
S.  est  unie  de  cœur  avec  vous  dans  votre  solitude. 
Ne  me  faites  aucune  réponse ,  et  ne  songez  qu'à  réta- 
blir votre  santé. 

(a)  Jean.  xi.  4- 


538  LETTRES    SPIRITUELLES. 

276  ♦  A.  (40 

Obéissance  simple  et  aveugle  ,  seul  remède  coutrc  les  scrupules. 

A  Cambrai,  3o  juillet  1701. 

Je  ne  fais,  madame,  aucun  remercîment  ni  à  vous  , 

ni  à  M'i^*-*  la  Comtesse  de Il  y  en  aurait  trop 

à  faire  ,  et  je  ne  suis  pas  bien  préparé  à  cette  fonction. 

Venons  à  vous  ,  dont  je  suis  fort  en  peine.  Vous 
vous  consumez  en  plusieurs  manières  ,  qui  sont  toutes 
contraires  à  Dieu ,  étant  contraires  à  l'obéissance. 
Vous  vous  ôtez  les  consolations  que  Dieu  ne  vous  ôte 
point.  Il  est  aussi  dangereux  de  s'ôter  ce  qu'il  n'ôte 
pas  ,  que  de  se  donner  ce  qu'il  ne  donne  point.  D'ail- 
leurs le  scrupule  vous  dévore  ,  et  c^est  ce  scrupiile 
qui  ne  vous  laisse  ni  joie  ,  ni  repos ,  ni  soulagement , 
ni  respiration.  En  même  temps  il  vous  rejette  dans 
des  confessions  perpétuelles  de  vétilles ,  qui  doivent 
casser  la  tête  à  vous  et  à  votre  confesseur.  Il  n'y  au- 
rait que  l'obéissance  qui  pourrait  remédier  à  un  mal 
si  pressant  :  mais  elle  vous  manque ,  et  j'avoue  que 
j'en  suis  scandalisé.  Si  vous  étiez  simple ,  vous  obéi- 
riez sans  raisonner  et  sans  vous  écouter.  Les  vrais 
enfans  se  taisent  ,  et  font  ce  qu'on  leur  dit.  L'amour 
véritable  ne  sait  ce  que  c'est  que  d'bésiter  dans 
l'obéissance.  C'est  un  grand  mallieur  de  souffrir  par 
infidélité.  Ce  qui  mine  votre  santé  minera  tout  votre 
intérieur ,  et  vous  réduira  à  une  certaine  vivacité  d'i- 
magination sur  l'amour ,  sans  aucune  docilité.  Pour 
moi ,  je  souffre  de  voir  ce  que  vous  souffrez  contre 
Tordre  de  Dieu.    Je   n'ai  garde  d'entrer    dans  votre 


LETTRES    SPIRITUELLES.  53() 

coiicluite,  ni  même  de  demeurer  uni  à  vous,  si  vous 
ne  me  promettez  les  choses  suivantes  : 

1°  Vous  ferez  tout  ce  qu'on  vous  dira  pour  augmen- 
ter Aotre  sonuneil  et  votre  nourriture  ,  alin  de  rentrer 
à  cet  c^ard  dans  le  premier  état. 

2^^  Vous  suivrez  la  règle  du  P.  R.  pour  vos  confes- 
sions. 

3«  Vous  chercherez  simplement  les  consolations  et 
les  souhij^emens  d'esprit  (pii  vous  convieinient. 

Je  demande  là-dessus  une  réponse  prompte  ,  fran- 
che et  décisive.  Dieu  sait  la  peine  que  vous  me  faites. 


277. 

Même   sujet. 

A  Cambraî ,  i  août  i^oi. 

Si  mes  paroles  sont  dures  ,  madame  ^  n'oubliez 
})as  ,  s'il  vous  plaît ,  mes  expériences.  Les  termes  mo- 
dérés ne  sont  pas  assez  forts  pour  réprimer  vos  scru- 
pules. Vous  savez  bien  que  mon  cœur  est  très-éloi- 
gné  de  vous  traiter  durement.  Ma  peine  très-sensible 
sur  votre  état  montre  assez  qu'il  n'y  a  en  moi  rien 
de  dur  que  l'expression.  Voulez-vous  que  je  vous 
laisse  dépérir  pour  l'intérieur  et  pour  l'extérieur  par 
vos  scrupules?  Puis-je  être  uni  à  vous  en  Notre-Sei- 
gneur  ,  contre  l'attrait  de  la  grâce  de  Notre-Seigneur 
même  ?  Je  puis  bien  continuer  à  vous  honorer  ,  res- 
])ecter  et  plaindre  ;  mais  pour  cette  union  intérieure 
de  grâce  ,  c'est  vous  qui  la  rompez  par  votre  indoci- 
lité obstinée  dans  vos  sciiipules.  Si  j'étais  plusieurs 
jours  de  suite  avec  vous,  je  vous  contraindrais  à  me 


54o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

dire  certaines  vérités  sur  le  prochain  y  que  vous  re- 
partiez comme  des  médisances ,  et  qui  ne  sont  rien. 
Je  ne  m'effraie  point  de  votre  activité  involontaire , 
mais  seulement  de  votre  indocilité  et  de  votre  ré- 
serve volontaire  ,  qui  rend  inutiles  tous  les  secours 
de  la  direction  ,  et  qui  vous  replonge  dans  vos  maux. 
Vous  désobéissez  ,  et  ensuite  vous  ne  parlez  plus , 
parce  que  vous  craignez  qu'on  ne  vous  ramène  de 
votre  égarement ,  et  que  vous  ne  voulez  pas  être  re- 
dressée. La  docilité  serait  le  remède  de  tous  vos  maux. 
L'indocilité  rend  tous  les  remèdes  inutiles  -,  par  là  on 
est  toujours  à  recommencer.  Vous  avez  comme  un 
Landeaii  qui  vous  couvre  les  yeux  ,  et  vous  ne  vo3^ez 
pas  combien  vous  devriez  être  scrupuleuse  sur  vos 
vains  scrupules ,  pendant  que  vous  vous  endurcissez 
sur  les  désobéissances  les  plus  contraires  à  l'esprit  de 
Dieu.  C'est  quelque  chose  ,  que  vous  reconnaissiez  et 
confessiez  de  bonne  foi  votre  tort  sur  la  diminution 
du  sommeil  et  des  alimens  ;  mais  vous  y  retomberez 
bientôt,  si  vous  continuez  à  écouter  vos  scrupules  qui 
vous  rongent ,  et  à  faire  des  confessions  qui  vous 
épuisent.  Je  reviens  donc  aux  règles  du  P.  R.  ,  et  je 
demande  absolument  pour  condition  essentielle ,  que 
vous  les  observerez  ,  et  que  vous  tournerez  vos  scru- 
pules de  ce  côté-là. 

Je  compte  que  j'irai  mercredi  au  Gâteau ,  et  de  là 
à Nous  parlerons  du  lieu  où  vous  devez  demeu- 
rer ,  et  je  A  ous  déclare  par  avance  ,  quoiqu'il  ne  faille 
pas  prévoir  de  si  loin ,  qu'Oisy  ne  me  parait  point  un 
lieu  qui  vous  convienne.  Je  prie  Notre-Seigneur  de 
vous  faire  surmonter  ce  qui  vous  éloigne  de  lui.  Des  le 
moment  que  vous  reviendrez  sur  vos  pas ,  vous  sen- 


LETTRES    SPIRlTrEI.LES.  54  I 

tiivz  ]c  l)rs()iii  (le  la  coniTiiunion  ,  et  vous  en  serez 
iill'amée.  Dès  que  la  maladie  cesse  ,  le  besoin  de  la 
iu)iirnlure  se   lait   sentir. 


278. 

Même  sujet. 
Au  Càtcau  ,  vcmlrctli  5  août  (1701.) 

C'est  avec  le  plus  sensible  regret ,  madame  ,  que 
je  vous  ai  aflligée  ;  mais  j'ai  été  le  premier  aflligé  par 
votre  indocilité ,  et  par  votre  véritable  résistance  à 
Dieu.  Je  lui  manquerais  ,  si  je  vous  laissais  sans  scru- 
pule sur  ces  résistances  ,  pendant  que  vous  êtes  scru- 
puleuse sur  des  riens  qui  vous  tuent. 

Je  compte  d'aller  aujourd'hui  à  ,  et  j'y  arri- 
verai en  effet  au  sortir  de  votre  dîner ,  a2)rès  avoir 
achevé  quelques  affaires  que  j'ai  ici.  Si  vous  voulez 
me  venir  voir  demain  ,  j'en  serai  ravi.  Il  me  tarde 
infiniment  de  me  raccommoder  avec  vous ,  madame  , 
et  beaucoup  plus  encore  de  vous  raccommoder  avec 
Dieu  ,  dont  vous  vous  éloignez  à  force  de  vouloir 
hors  de  propos  vous  en  rapprocher  par  des  confes- 
sions scrupuleuses.  Pardonnez-moi  des  duretés  que 
vous  avez    rendues  inévitables. 

279. 

Calmer  l'imagination  ;  ne  pas  entretenir  le  trouble  par  des  réflexions 
scrupuleuses. 

Au  Cùlcau ,  7  août  r^oi. 

Je  vous  envoie,  madame,  une  lettre  pour  M^^^^  d'Oisy. 
Je  vous  conjure  d'y  ajouter  un  bon  commentaire  de 


542  LETTRES    SPIRITUELLES. 

votre  façon  ;  elle  a  besoin  de  ce  secours ,  et  le  mérile 
fort.  Plus  je  la  vois,  plus  je  l'estime  ,  et  espère  que 
Dieu  la  prendra  toute  à  lui.  Ce  qui  se  passera  dans 
les  repas  ne  sera  point  sur  son  compte ,  et  la  com- 
pagnie ne  saura  que  trop  que  rien  ne  roule  sur  ses 

soins  :   ainsi    ce  qu'elle  sacrifiera   à  M ,  ou  plutôt 

à  Dieu  même ,  en  cette  occasion ,  n'est  pas  grande 
chose. 

Je  vous  conjure,  madame,  de  demeurer  dans  votre 
lit  autant  que  vous  y  demeuriez  autrefois ,  et  d'y  at- 
tendre le  sommeil  quand  il  vous  a  échappé.  Il  re- 
vient,  quand  on  l'attend  en  paix;  mais  quand  ensuit 
son  imagination  ,  on  1  éloigne  de  plus  en  plus.  Je 
n'aurai  bonne  opinion  de  votre  état  intérieur  ,  que 
quand  vous  posséderez  assez  votre  ame  en  patience  , 
pour  bien  dormir.  Je  ne  vous  demande  que  calme 
et  docilité.  Vous  me  direz  que  le  calme  de  l'imagi- 
nation ne  dépend  pas  de  nous.  Pardonnez-moi  ;  il  en 
dépend  beaucoup.  Quand  on  retranche  toutes  les  in- 
quiétudes auxquelles  la  volonté  a  quelque  part ,  on 
diminue  beaucoup  celles-là  mêmes  qui  sont  involon- 
taires. Moins  on  s'agite  volontairement  ,  plus  on  se 
met  en  état  de  ne  s'agiter  d'aucune  façon,  et  de  tem- 
pérer une  imagination  trop  émue.  Une  petite  pierre 
qu'on  fait  tomber  dans  l'eau,  la  trouble  quelque  temps, 
et  on  ne  pourrait  d'abord  en  arrêter  l'agitation  ;  mais 
cessez  de  l'agiter  ,  elle  se  calme  peu  à  peu  d'elle- 
même.  Dieu  aura  soin  de  votre  imagination ,  dès 
que  vous  n'en  entretiendrez  plus  le  trouble  par  vos 
réflexions  scrupuleuses. 

J'aurais  voulu  pouvoir  parler  hier  à  M™*  la  C , 

et  je  me  sentais  le  cœur  fort  ouvert  pour  elle  ;  mais 


LETTRES    SPIRITUELLES.  S /{'S 

l'occasion  ne  fut  pas  favorable,  il  fallait  se  so'parer. 
Diles-lni  ,  je  vous  prie  ,  (pie  je  suis  véritablenient 
occu[)é  (Vclle  devant  Notre-SelL,n leur  ,  et  fpie  je  lui 
souhaite  une  simplicité  au-dessus  de  toute  sagesse 
liumaine  et  de  tout  courage  naturel.  Si  vous  voulez 
être  enfant  devant  Dieu  ,  et  bien  petite  ,  vous  ne  de- 
vez avoir  en  partage  que  docilité  et  obéissance. 


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280  *  A. 


(43) 


Déclarer  ses  peines  avec  simplicité  ;  écouter  Dieu  clans  ceux  qui  le 
représentent. 

A  Cambrai,  14  août  1701. 

Je  voudrais  bien  ,  madame  ,  n'avoir  qu'à  vous 
consoler  ;  mais  souffrez  que  je  commence  par  vous 
gronder  un  peu  ;  vous  en  avez  besoin.  Vos  peines , 
qui  devraient  m'engager  à  vous  épargner ,  sont  ce  qui 
me  presse  de  vous  en  faire  reproche.  Faut-il  que 
vous  soyez  si  long-temps  à  passer  ,  comme  vous  le 
dites  ,  par  le  fer  et  par  le  feu,  sans  en  dire  un  mot? 
Est-ce  être  simple  ?  est-ce  être  fidèle  à  Tattrait  de 
Dieu?  est-ce  être  sincère"^  Si  vous  cachez  votre  cœur, 
on  ne  peut  en  guérir  la  plaie  :  une  plaie  cachée  ne 
fait  que  s'envenimer.  Je  voyais  bien  en  gros  que  vous 
souffriez  ;  mais  vous  faisiez  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
me  le  laisser  ignorer.  Au  nom  de  Dieu  ,  ne  soyez 
point  si  forte  pour  vous  passer  de  conseil  et  de 
consolation  ,  et  soyez-le  un  peu  plus  contre  vos  scru- 
pules. 

J'avoue  néanmoins  que  votre  dernière  lettre  me 
fait  un  sensible  plaisir  ,  et  qu'elle  achève  de  nous  rnc- 


5X1  LETTRES    SPIRITUELLES. 

commoder.  Non-seulement  vous  me  dites  que  vous 
avez  souUert  de  longues  peines  ,  mais  encore  vous 
ajoutez  un  trait  de  vraie  ingénuité  ,  contraire  à  votre 
naturel  :  c'est  de  me  demander  sans  façon  quelque 
lettre  qui  vous  console.  O  je  prie  le  Père  des  misé- 
ricordes ,  et  le  Dieu  de  toute  consolation ,  de  répan- 
dre abondamment  la  sienne  dans  votre  cœur  !  Que  la 
paix  de  Jésus-Christ  soit  avec   vous.  Amen. 

Si  je  savais  en  détail  a^os  peines  ,  je  tacherais  de 
vous  dire  en  détail  des  choses  proportionnées  à  vos 
besoins  ;  mais  nous  sommes  encore  trop  heureux  de 
savoir  en  gros  que  vous  avez  le  cœur  malade.  Si  c'est 
de  scrupule,  j'a.voue  que  c'est  un  martyre;  mais  l'obéis- 
sance seule  peut  finir  toutes  vos  douleurs.  Ecoutez- 
vous  vous-même ,  vous  vous  rongerez  le  cœur  ,  et 
dépérirez  tous  les  jours  :  écoutez  la  voix  de  Dieu 
dans  ceux  qui  vous  le  représentent ,  la  paix  renaîtra. 
Mais  quand  on  s'écoute  contre  l'attrait  intérieur ,  et 
contre  l'autorité  extérieure ,  on  sent  la  vérité  de  cette 
parole  :  Qui  est-ce  qui  a  résisté  à  Dieu  ,  et  qui  a  eu 
la  paix  (a)  ?  Vous  avez  voulu  vous  donner  ce  que  Dieu 
ne  vous  donnait  pas  ,  et  vous  ùter  par  courage  ce  qu'il 
ne  vous  ôtait  point ,  et  qui  vous  était  nécessaire  Vous 
étiez  un  petit  enfant  à  la  mamelle ,  qui ,  par  fantaisie , 
quitte  le  lait ,  et  veut  manger  du  pain  dur  sans  avoir 
des  dents.  Revenez  à  la  mamelle  des  divines  conso- 
lations, ployez  et  goitfez  combien  le  Seigneur  est 
doux-  (e).  Vous  le  sentirez ,  pourvu  que  vous  vous  je- 
tiez entre  ses  bras  sans  raisonner  ,  et  que  vous  obéis- 
siez à  son  serviteur.  Essavez-le;  croyez-moi  du  moins 

(a)  Job.  IX.  4*  (^}   ^^''^-  xxsiii.  g. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  54 5 

pour  l'essai.  Priez  bonnement  et  ingénument  Dieu  de 
vous  soulager,  et  de  vous  élargir  le  cœur  :  cette  prière 
simple  et  lamilière  ne  peut  (jue  lui  être   agréable. 

Je  ne  manquerai  pas  de  dire  tout  ce  qu'il  faut  à 
Mm»  d'Oisy.  L'avenir  n'est  pas  à  nous  ;  laissons-le  à 
Dieu.  Soyons-lui  fidèles  dans  le  présent  qui  nous  est 
donné. 


281  *  A.  (44) 

Réprimer  ractivité  de  Timagination  ;  se  tenir  clans  le  calme  pour 
t-couler  Dieu. 

A  Cambrai,  21    aoi'it   1701. 

Je  ne  voudrais ,  madame  ,  vous  donner  que  de  la 
consolation  ,  et  je  ne  puis  éviter  de  vous  contredire. 
Votre  vivacité  vous  fait  imputer  aux  lionimes  comme 
à  Dieu ,  ce  qu'ils  n'ont  jamais  pensé.  Sur  quel  fon- 
dement pensez-vous  que  je  veuille  me  décbarger  de 
votre  conduite,  et  vous  renvoyer  au  père...  ?  Je  n'ai, 
en  vérité ,  jamais  eu  cette  pensée.  Je  crois  bien  qu'il 
peut  vous  être  fort  utile  pour  vous  soutenir  en  mon 
absence  contre  vos  scrupules  ,  et  contre    vos  impa- 
tiences de  vous  confesser  :   mais  je  ne  vais  pas  plus 
loin  -,  et  si  vous  vouliez  me  quitter  pour  vous  mettre 
absolument  dans  ses  mains,  je  crois  que  je  vous  dirais 
avec  simplicité  :  Ne  le  faites  pas.   Quoique   j'estime 
fort  sa  grâce  et  son  expérience  ,  il  me  semble  qu'il 
ne  vous  convient  pas  tout-à-fait ,  et  que  vous  man- 
queriez à  Dieu  en  quittant  l'attrait  qu'il  vous  a  donné 
pour  me  croire.  Demeurez  donc  en  paix  -,  n'écoutez 
point  votre   imagination   trop    vive    et  trop  féconde 

CoRRESP.    IV.  20 


546  LETTRES    SPIRITUELLES. 

en  vues.  Cette  actmté  prodigieuse  consume  votre 
corps,  et  dessèche  votre  intérieur.  Vous  vous  dévorez 
inutilement.  Il  n'y  a  que  votre  inquiétude  qui  sus- 
pende la  paix  et  l'onction  intérieure.  Comment  vou- 
lez-vous que  Dieu  parle  de  cette  voix  douce  et  intime 
qui  fait  fondre  l'ame  ,  quand  vous  faites  tant  de  bruit 
par  tant  de  réflexions  rapides  ?  Taisez-vous  ,  et  Dieu 
reparlera.  N'ayez  qu'un  seul  scrupule  ,  qui  est  d'être 
scrupuleuse  en  désobéissant.  Loin  de  vouloir  quitter 
l'autorité  ,  je  voudrais  la  prendre  ;  et  c'est  vous  qui 
me  la  refusez ,  en  ne  voulant  pas  me  croire  sur  vos 
confessions. 

J'ai  dit  à  M.  le  Comte  de  Montberon ,  que  j'aper- 
cevais combien  vos  scrupules  nuisaient  à  votre  santé  , 
afin  qu'il  sentît  combien  vous  avez  besoin  du  séjour 
de  Cambrai.  Il  m'a  paru  croire  que  la  lecture  de 
sainte  Thé-^èse  et  des  autres  livres  spirituels  avait 
réveillé  vos  scrupules  par  des  idées  de  perfection.  Je 
n'ai  pas  insisté  ,  de  peur  qu'il  ne  me  crut  prévenu. 
Vous  voyez  ce  que  fait  votre  activité  ,  sur  laquelle 
vous  n'êtes  point  docile. 

Vous  demandez  de  la  consolation  :  sachez  que  vous 
êtes  sur  le  bord  de  la  fontaine  ,  sans  vouloir  vous 
désaltérer.  La  paix  et  la  consolation  ne  se  trouvent  que 
dans  la  simple  obéissance.  Soyez  fidèle  à  obéir  contre 
vos  scrupules,  et  les  fleuves  d'eau  vive  couleront,  selon 
la  promesse.  Vous  recevrez  selon  la  mesure  de  votre 
foi  -,  beaucoup  ,  si  vous  croyez  beaucoup  5  rien ,  si 
vous  ne  croyez  rien ,  et  si  vous  continuez  à  écouter 
vos  vaines  réflexions ,  qui  se  multiplient  à  l'infini. 

M™^  la  Comtesse  de m'a  promis  de  gouverner 

votre  santé.  Je  la  conjure  de  me  tenir  parole,  et  de 


LETTRES    SPIRITUELLES.  547 

prendre ,  malgré  vous  ,  à  cet  égard ,  une  véritable 
autorité.  Vous  déshonorez  le  pur  amour.  Vous  faites 
croire  qu'il  est  sans  cesse  occupé  de  toutes  nos  vétilles, 
au  lieu  qii  il  va  toujours  droit  à  Dieu  en  pleine  simpli- 
cité. Je  prie  Noire-Seigneur  de  vous  soutenir  contre 
vous-même ,  et  de  vous  rendre  la  véritable  paix. 


%%^v%^^«>«^« 


282. 

Réprimer  Tactivité  trop  natiir«lle  dans  le  service  de  nos  amis. 

A  Cambrai,  a5  août  1701. 

M.  l'abbé  de...  a  égaré  la  lettre  de  recommandation 
que  vous  aviez  eu  la  bonté  de  lui  donner  pour  mon-) 
sieur  votre  frère.  Son  procès  presse ,  et  je  vous  sup- 
plie ,  madame ,  de  vouloir  m'en  envoyer  promptemenfc 
une  autre  pour  ce  bon  abbé.  Je  sais  comment  vous 
faites ,  dès  qu'il  s'agit  d'amitié  :  ainsi  je  n'ai  rien  à 
ajouter.  Vous  n'avez  que  trop  de  vivacité  et  de  dé- 
licatesse pour  vos  amis.  N'allez  pas  croire  que  c'est 
une  louange  que  je  vous  donne  :  non ,  c'est  un  vrai 
blâme.  Dieu  ne  veut  cette  vivacité  et  cette  délica- 
tesse ,  ni  pour  lui ,  ni  pour  les  siens.  C'est  ce  qui 
fait  faire  tant  de  dépense  en  réflexion  superflue,  et  ce 
qui  cause  tant  d'insomnie.  C'est  ce  qui  cause  tant  de 
scrupules  sur  les  devoirs  vers  Dieu  et  vers  les  hommes. 
Je  prie  Dieu  qu'il  vous  fasse  sentir  la  vérité  de 
cette  parole  de  David  :  J^ai  couru  dans  la  voie  de  vos 
commande men s  j  quajid  vous  avez  élai^gi  mon  cœur  (a)» 

(a)  Ps.  cxviii.  32. 


20^ 


54o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

(44)  283  *  A. 

Être  ferme  contre  soi-même  dans  la  pratique  de  l'obéissance. 

A  Cambrai,  j  septembre  i^oi. 

On  vous  aura  dit,  madame,  la  faute  que  je  fis  à... , 
oubliant  de  dire  que  M.  le  Comte  de  Montberon  partait 
pour  Tournai.  Je  suis  le  premier  homme  du  monde 
pour  supposer  que  j'ai  dit  ce  que  je  ne  dis  point,  et 
pour  vouloir  que  l'on  comprenne  sans  que  je  parle. 
Vous  avez  vu  une  troupe  assez  joyeuse.  Comment  ne 
le  serait-elle  pas  ?  On  marche  sur  sa  foi ,  mais  il  faut 
être  bien  sage  pour  ne  réveiller  aucune  inquiétude. 

Je  reviendrai  ici,  comme  vous  le  savez,  après  la  pro- 
cession de  Valenciennes  (i)  ,  pour  traiter  la  capitation 
avec  M.  le  Comte  de  M. , .  En  attendant  que  j'aie  l'hon- 
neur de  vous  revoir,  soyez  ferme  contre  vous-même. 
L'ange  de  Satan  se  transforme  en  ange  de  lumière.  Il 
se  présente  à  vous  sous  la  belle  apparence  d'un  amour 
délicat  et  d'une  conscience  tendre  *,  mais  vous  connais- 
sez les  troubles  et  les  dangers  où  il  vous  jette  par  des 
scrupules  violens.  Tout  dépend  de  la  fidélité  à  repous- 
ser simplement  les  premières  impressions.  Dès  qu'elles 
sont  reçues ,  vous  n'êtes  plus  maîtresse  de  vous.  Je 
prie  Notre-Seigneur  de  vous  garder. 


(i)  Fénelon  a  fait  en  latin,  pour  le  Duc  de  Bourgogne,  une 
description  de  cette  singulière  procession.  Voyez  tome  XIX  des 
Œuvres  f  pag.  494* 


LETTRKS    SPllUTUELLKS.  549 

284. 

Le  scrupule  Cermc  à  Dieu  la  porte  de  notre  cœur. 

A  Valcnciennes ,  9  septembre  1701. 

Je  n'ai  qu'un  moment ,  madame ,  pour  vous  remer- 
cier. Je  pai's  d'ici  quand  la  bonne  compagnie  y  doit 
arriver.  J'avoue  néanmoins  que  je  ne  suis  pas  lâché 
d'en  partir  ;  car  je  trouve  ici  trop  de  gens  à  voir ,  et 
trop  de  choses  inutiles  à  dire.  Pendant  mon  voyage  ,  je 
déroberai  des  momens  pour  vous  demander  de  vos 
nouvelles  et  de  celles  de  votre  amie.  Ce  que  vous  me 
mandez  de  votre  état  me  donne  une  joie  sensible.  Vous 
vovez  que  Dieu  a  la  patience  de  revenir ,  toutes  les  fois 
que  le  scrupule  ne  lui  ferme  point  votre  cœur.  Il  n'y 
a  rien  à  vous  dire  ,  sinon  que  vous  demeuriez  comme 
vous  êtes.  J'aime  de  tout  mon  cœur  la  femme  forte , 
et  vous  n'avez  rien  à  souhaiter  de  moi  là-dessus.  Dieu 
Faime  :  pourquoi  ne  l'airaerais-je  pas  ?  Si  elle  avance  , 
comme  elle  le  doit ,  elle  deviendra  moins  forte  d'une 
certaine  façon  ,  et  plus  petite.  Dieu  soit  toutes  choses 
en  vous,  madame,  et  nous,  une  seule  en  lui. 


«»»»»1>»D«<V»«»««»»W  *—<'«»*»«' 


Oir»i«il  «—«W  i«»»w«<»>iM<«i»iV«*%*^B^/»***^ 


285. 

Demeurer  avec  simplicité  dans  l'état  où  Dieu  nous  met. 
A  Cambrai,  27  septembre  1701. 

Voila,  madame,  une  lettre  de  votre  amie.  Quel- 
que petit  nuage  avait  obscurci  les  derniers  jours  ; 
mais  M....  a  tout  raccommodé.   U  faut  souvent  re- 


55o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

commencer  avec  certaines  têtes.  Je  prends  part ,  ma- 
dame ,  à  votre  joie  sur  l'arrivée  de  M.  le  M.  de  M. 
Il  me  paraît  capital  qu'il  s'explique  a  fond  en  hon- 
nête homme  (i).  Il  ne  lui  est  point  permis  de  laisser 
aller  les  choses  plus  loin ,  sans  les  vouloir  mener  de 
bonne  foi  et  de  tout  son  cœur  jusqu'au  bout.  Il  doit 
cette  franchise  à  monsieur  son  père  ,  qui  est  si  pas- 
sionné pour  ses  intérêts ,  et  à  une  famille  qui  montre 
tant  d'inclination  pour  le  préférer  à  d'autres.  Il  n'y 
a  pas  un  moment  à  perdre  là-dessus.  Dieu  veuille 
que  tout  se  tourne  heureusement  ! 

Je  me  console  des  incertitudes  et  des  longueurs  qui 
me  tiennent  ici ,  dans  l'espérance  que  vous  y  revien- 
drez peut-être  avant  mon  départ.  Demeurez  comme 
Dieu  vous  met,  et  souvenez-vous  que  vous  serez  en 
paix ,  toutes  les  fois  que  vous  ne  sortirez  point  de 
votre  place  par  inquiétude.  On  quitte  Dieu  pour  cher- 
cher sa  sûreté  en  soi-même. 

Je  ne  saurais  révérer  ni  chérir  en  Notre-Seigneur , 
plus  que  je  le  fais  ,  la  femme  forte.  Il  me  semble 
qu'elle  va  toujours  uniment  comme  une  bonne  pen- 
dule. La  fidélité  simple  au  moment  présent  est  le  tré- 
sor du  cœur.  C'est  la  manne  du  désert,  qui  a  tous 
les  goûts  selon  les  divers  besoins ,  et  qui  rassasie  sans 
cesse.  On  a  tout  ce  qu'on  veut ,  car  on  ne  veut  que 
ce  qu'on  a.  Le  moment  présent  est  une  espèce  d'éter- 
nité, qui  prépare  à  la  véritable,  et  qui  en  est  un  avant- 
goût. 


(i)  Ceci  a  rapport  à  un  mariage  dont  il  s'agissait  pour  le  Mar- 
quis de  Montberon.   Voyez  ci- après  la  lettre  290. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  OJ  l 

286  *  R.  (45) 

Recevoir  les  grâces  et  les  consolations  sans  s'y  attacher. 
Samedi  an  soir,  8  octobre  1701. 

Je  suis  ravi ,  madame  ,  de  vos  prospérités  inté- 
rieures. Elles  vous  sont  données  pour  vous  apprendre 
tout  ce  que  vous  perdez,  quand  vous  vous  livrez  à 
vos  réflexions  scrupuleuses  ,  et  combien  Dieu  veut 
vous  attirer  à  une  sainte  liberté.  Les  grâces  doivent 
être  reçues  avec  fidélité  pour  exécute  ce  qu'elles  in- 
spirent ,  ou  pour  le  leur  laisser  opérer  sans  résistance. 
Mais  il  y  a  une  manière  de  les  recevoir ,  et  de  n'y 
point  tenir  ;  c'est  de  n'être  point  attaché  à  la  conso- 
lation qu'elles  donnent ,  et  d'être  tout  prêt  à  en  por- 
ter la  privation,  quand  il  plaira  à  Dieu  de  les  ôter. 

J'aime  mieux  que  vous  veniez  demain  communier 
de  ma  main,  à  la  chapelle  de  Notre-Dame,  après  la 
grand'messe.  Bonsoir  ,  madame.  Dieu  sait  ce  que  je 
vous  suis  à  jamais  en  lui. 


287  *  R.  (46) 

IS'c  point  exiger  d'une  ame  plus  qu'elle  ne  peut  encore  porter. 

A  Tournai,  16  octobre  1701. 

Vous  me  pressez ,  madame ,  de  retourner  voir  les 
personnes  dont  je  dois  prendre  soin ,  et  vous  ,  qui 
m'attendez  ,  vous  ne  songez  qu'à  vous  enfuir  ,  dès  que 
je  serai  revenu.  Je  n'ai  pas  le  temps  aujourd'hui 
d'écrire   à  M"^^  d'Oisy  ;  mais  j'espère  que  vos  lettres 


552  LETTRES    SPIRITUELLES. 

ne  lui  manqueront  pas.  Elle  a  du  courage  et  de  l'ami- 
tié :  ces  deux  choses  la  portent  au-delà  de  ses  forces. 
Elle  croit  pouvoir  plus  qu'elle  ne  peut.  Ce  que  vous 
lui  dites  la  touche;  mais  son  fond  n'est  pas  encore 
capable  de  tous  les  sacrifices  que  vous  lui  demandez. 
Jésus-Christ ,  qui  connaissait  mieux  ses  disciples  qu'ils 
ne  se  connaissaient  eux-mêmes  ,  leur  disait  (a)  :  Fous 
9)0  pouvez  à  présent  porter  ces  choses.  Il  leur  di- 
sait (e)  :  Fous  se7'ez  tous  scandalisés  de  moi  cette 
nuit.  Saint  Pierre  soutenait  que  pour  lui  il  n'en  se- 
rait rien.  Quand  même ,  disait-il  ,  tous  les  autres 
seraient  scandalisés  ,  pour  moi  y  je  ne  le  serai  pas. 
Quand  même  il  faudrait  mourir  avec  vous  ,  Je  ne 
vous  J'énoncerai  jamais.  Jésus-Christ  insiste ,  et  lui 
prédit  qu'il  le  reniera  trois  fois  ,  avant  que  le  coq 
chante  ;  et  en  effet,  l'interrogation  d'une  servante  lui 
fait  renier  son  maître  avec  serment.  Voilà  l'homme; 
voilà  ce  qu'il  donne  ,  dès  qu'il  donne  du  sien  ,  et  qu'il 
se  promet  quelque  force  de  soi. 

Laissez  M^^^  d'Oisy  lire  ,  goûter  ,  prier  ,  se  nourrir. 
Il  faut  donner  patiemment  aux  âmes ,  avant  que  de 
leur  demander.  Il  faut  qu'elles  aient  été  nourries  in- 
térieurement de  l'oraison ,  et  avoir  mis  en  elles  un 
certain  trait  d^amour  ,  avant  que  de  pouvoir  espérer 
qu^elles  fassent  certains  travaux  extérieurs.  Que  fait 
laf  mère  à  son  petit  enfant  ?  elle  l'allaite  et  le  porte. 
Si  elle  voulait  d'abord  le  faire  marcher,  il  tomberait. 
Quand  le  lait  Ta  fortifié ,  vous  voyez  que  de  lui-même 
il  cherche  à  former  ses  premiers  pas.  Il  faut  donc 
attendre  et  porter  l'enfant,  pendant  qu'il  est  encore 


(a)  Joan.  xvi.   12.  (e)  Marc.  -xiv.  27  et  seq. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  55!i 

à  la  mamelle.  Quand  Dieu  commencera  à  ee  faire 
sentir  assez  pour  ilcuiaii(l(3r  un  dernier  adieu  au 
monde ,  ce  sera  le  moment  où  il  faudra  aider  l'ame 
pour  celle  tlouloureuse  décision.  Mille  sincères  com- 
plimens  à  la  femme  forte.  Je  vous  suis  dévoué  sans 
réserve. 


288. 

Se  mettre  en  libcrtô  pour  le  dedans  el  pour  le  deliors. 

A  Tournai ,  dimanche  3o  octobre  1701. 

Je  n'ai  eu ,  madame  ,  aucun  moment  à  moi ,  et  je 
suis  encore  aujourd'luii  surchargé  de  travail.  Pardon- 
nez mon  silence;  je  l'ai  gardé  avec  beaucoup  de  peine. 
Voilà  mes  visites  finies.  Je  serai  encore  ici  trois  ou 
quatre  joure ,  pour  les  communautés  de  la  ville  ,  et 
pour  les  civilités  à  rendre.  Ainsi  j'arriverai  à  Cambrai 
avant  la  fin  de  la  semaine.  Mais  je  ne  vous  y  trou- 
verai pas  :  c'est  de  quoi  je  suis  bien  fàclié.  Je  ressens 
encore  plus  la  cause  de  votre  absence  ,  qvie  votre  ab- 
sence même  ;  car  je  suis  plus  sensible  à  ce  qui  vous 
afflige  y  qu'à  ce  qui  me  prive  d'une  grande  consola- 
tion. Je  vous  offre  tout  ce  qui  dépend  de  moi  ;  c'est 
le  plus  grand  plaisir  que  vous  me  puissiez  faire  ,  et 
si  vous  êtes  simple ,  vous  en  userez  simplement. 

J'aime  beaucoup  en  Notre-Seigneur  votre  l)onne  et 
chère  fille  :  cultivez-la  pour  lui.  Je  plains  votre  pau- 
vre amie  ,  et  je  souhaite  qu'elle  puisse  vous  aller  voir 

à Je  ne  négligerai  rien  pour  sa  consolation  ;  mais 

je  ne  puis  prcscjue  rien  tout  seul.  Dieu  supplée ,  et 
on  ne  manque  de  quelque  chose ,  que  quand  on  man- 


554  LETTRES    SPIRITUELLES. 

que  de  foi.  Ma  santé  s'est  soutenue  comme  le  beau 
temps.  Je  crains  pour  la  vôtre  les  politesses  et  les 
complaisances.  Mettez-vous  en  liberté  pour  le  dedans 
et  pour  le  dehors. 


»««V«%'VW%'%«%'»WW%A/V«'« 


289. 

Excuses  à  la  Comtesse ,  pour  un  oubli. 

A  Cambrai,  9  novembre  1^01. 

J'ai  fait,  madame,  une  faute  ridicule  ,  en  oubliant 
de  faire  ce  que  j'avais  promis  à  M"^«  la  C.  D.  Il  s'agis- 
sait d'avoir  l'honneur  de  vous  écrire.  Jugez  si  cette 
omission  peut  venir  d'ailleurs  que  d'un  pur  défaut 
de  mémoire.  Raccommodez-moi,  s'il  vous  plaît,  avec  la 
personne  à  qui  j'ai  manqué.  Vous  n'aurez  pas  grande 
peine  ;  car  elle  me  paie  de  mes  fautes  par  des  pré- 
sens. Si  ces  lapins  sont  bons,  je  courrai  risque  d'être 
souvent  de  mauvaise  mémoire.  J'aurais  à  vous  de- 
mander des  nouvelles  de  M.  le  Comte  de  Montberon , 
et  des  affaires  d'Auvergne.  Je  voudrais  aussi  vous 
dire  combien  les  causes  de  votre  absence  m'aflligent , 
et  combien  vous  devez  user  librement  de  tout  ce  qui 
est  à  moi.  Mais  je  n'ai  que  le  temps  de  fermer  cette 
lettre. 


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290. 

Sur  la  bienséance  des  habits  et  ries  compagnies.  Sur  un  manage  projeté 
pour  un  ûls  de  la  Comtesse. 

A  Cambrai,  20  novembre   1701. 

Je  ne  crois  point ,  madame ,  que  vous  deviez  vous 
gêner  pour  aller  chercher  les  compagnies  ;  mais  seu- 


LETTFxES    SPUUTUELLES.  555 

lemeiit  qu'il  ne  vous  convient  point  de  reculer  quand 
les  gens  vous  cherclient.  Pour  vos  habits  ,  je  ne  vous 
demande  aucune  attention  forcée.  Contentez-vous  de 
sui\  re  la  médiocrité  et  la  bienséance  ,  quand  les  avis 
d'autrui  ou  vos  propres  vues  vous  font  penser. 

Il  me  tarde  bien  de  savoir  l'état  présent  de  notre 
mariage.  Je  le  souhaite  autant  que  je  puis  souhaiter 
ce  que  je  ne  sais  point  s'il  est  de  la  volonté  de  Dieu. 
Mais  je  vous  avoue  que  je  m'affectionne  pour  notre 
beau-père.  S'il  compte  qu'au  défaut  des  deux  cent 
mille  francs  de  ....,  il  trouvera  vos  biens  et  ceux  de 
M.  le  C.  de  Monlberon  pour  la  sûreté  du  douaire  ,  etc. 
Je  souhaite  fort  qu'on  prenne  des  mesures  justes ,  afin 
qu'il  ne  coure  pas  risque  de  se  mécompter.  Pour  M... , 
il  ne  peut  être  que  très-bien  reçu.  Si  l'affaire  réus- 
sit ,  il  sera  triomphant ,  et  vous  savez  combien  on 
est  d'humeur  d'applaudir  à  ceux  qui  triomphent.  Si , 
au  contraire,  tout  va  mal,  je  me  croirai  en  obliga- 
tion de  le  consoler.  Quoi  qu'il  arrive  ,  il  mérite  de 
grandes  louanges.  L'affaire  est  excellente ,  possible , 
bien  conduite.  Le  cœur  de  M....  attendrit  le  mien. 
Le  malheur  ajoute  au  mérite  un  nouveau  lustre. 

Je  n'ai  rien  à  vous  dire  aujourd'hui  de  moi;  je  ne 
sais  qu'en  dire  ni  qu'en  penser.  Il  me  semble  que 
j'aime  Dieu  jusqu'à  la  folie  ,  quand  je  ne  recherche 
point  cet  amour.  Si  je  le  cherche ,  je  ne  le  trouve 
])lus.  Ce  qui  me  paraît  vrai  en  le  pensant  d'une  pre- 
mière vue ,  devient  un  mensonge  dans  ma  bouche , 
quand  je  le  veux  dire.  Je  ne  vois  rien  qui  soulage 
mon  cœur  ;  et  si  vous  me  demandiez  ce  qu'il  scjuilre  , 
je  ne  saurais  vous  l'expliquer.  Je  ne  désire  rien  ;  il 
n'y  a  rien  que  j'espère  ni  que  j'envisage  avec  com- 


556  LETTRES    SPIRITUELLES. 

plaisance.  Mon  état  ne  me  pèse  point,  et  je  suis  sur- 
monté des  moindres  bagatelles.  D'un  autre  côté ,  les 
moindres  bagatelles  m'amusent  ;  mais  le  cœur  de- 
meure sec  et  languissant.  Dans  le  moment  que  j'écris 
ceci ,  il  me  paraît  que  je  mens.  Tout  se  brouille. 
Dans  ces  changemens  perpétuels ,  je  ne  sais  quoi  ne 
change  point ,  ce  me  semble. 

Je  ne  sais ,  madame ,  si  l'on  prend  garde  à  Paris 
que  sept  mille  livres  de  rentes  en  belles  terres  d'Au- 
^  vergne  ,  portables  ,  bon  an  ,  mal  an  ,  à  Paris  ,  valent 
plus  de  deux  cent  trente  mille  francs ,  et  même  deux 
cent  cinquante  mille.  Si  peu  qu'on  y  joignît  de  pier- 
reries et  de  meubles ,  avec  l'espérance  très-solide  de 
l'entière  succession  ,  cela  ne  vaudrait-il  pas  mieux 
que  Mlle  f|g  _^  avec  cent  mille  écus  sujets  à  des  re- 
cherches ?  Les  terres  d'Auvergne  s'estiment  commu- 
nément au  denier  quarante  ,  et  ne  se  vendent  guère 
moins.  Vous  n'avez  pas  tant  besoin  de  revenu  que 
d'autres ,  pendant  la  vie  de  M.  le  Comte  de  Montbe- 
ron ,  qui  a  de  gros  appointemens  de  charges.  Ce  se- 
rait un  engagement  pour  garder  souvent  votre  belle- 
fille  auprès  de  vous.  La  mère  est  hors  d'apparence 
d'avoir  des  enfans.  Il  est  naturel  que  cette  famille 
s'affectionne  à  la  vôtre.  Si  le  père  et  la  mère  vivent 
ensemble  encore  un  peu  de  temps  ,  ils  verront  des 
enfans  qui  les  attacheront.  Le  péril  diminuera  tous 
les  jours  ,  et  l'espérance  augmentera.  Sans  ce  péril , 
ces  gens-là  trouveraient  les  plus  grands  partis. 


LETTRES    SPIIUTUELLES.  55'J 

291. 

Sur  qiiclqucs  aflaires  de  famille. 

A  Cambrai ,  ai  novembre  1701. 

Je  ne  puis  m'empecher ,  madame  ,  de  vous  envoyer 
les  deux  lettres  que  j'ai  rerues ,  Fune  de  M.  le  Comte 
de  Monlberon  ,  et  Tautre  de  M"^*  d'Oisy.  Vous  ver- 
rez ,  dans  Tune  et  dans  l'autre ,  une  candeur  et  une 
bonté  touchante.  Je  suis  ravi  que  le  mariage  ne  soit 
point  rompu  par  un  mécompte  de  la  part  de  madame 
votre  sœur.  Le  procédé  de  monsieur  votre  fds  vaut 
cent  fois  mieux  que  toutes  les  fortunes  les  plus  écla- 
tantes. Je  ne  comprends  rien  à  celui  de  M.  de  Co- 
lomtines.  Sa  femme  et  lui  sont-ils  de  concert  pour 
vouloir  chacun  se  remarier,  en  cas  de  mort  de  l'autre  ? 

Mandez-moi  votre  pensée  sur  ce  voyage  de  ma- 
dame d'Oisy  à  Paris.  Je  ne  le  goûte  point  ;  il  n'est 
pas  nécessaire  pour  remercier  :  elle  n'a  que  trop  son 
excuse.  L'affaire  même  est  trop  incertaine  et  trop 
partagée ,  pour  mériter  tant  de  pas.  S^il  lui  en  re- 
vient quelque  bonne  somme  ,  c'est  ce  qu^on  ne  pourra 
savoir  de  long-temps.  Les  frais  du  voyage  seraient 
réels  et  grands  -,  les  profits  petits  et  incertains.  Elle 
doit  épargner  les  frais  de  son  voyage  à  ses  créanciers. 
Ce  voyage  pourrait  réveiller  les  mauvais  rapports ,  et 
les  ombrages  de  M.  d'Oisy.  Je  craindrais  même  que 
ce  voyage  ne  facilitât  la  prétention  d'entrer  chez  Ma- 
dame. Tout  cela  ne  me  plaît  point.  Mais  il  me  semble 
qu'on  peut  lui  conseiller  d'attendre  de  voir  clair  dans 
le  revenant  bon ,  et  en  attendant  de  ne  parler  plus 


558  LETTRES    SPIRITUELLES. 

d'aller  remercier.  Je  laisserais  le  reste  à  la  Providence , 
et  j'attendrais  que  la  grâce  la  disposât  peu  à  peu  à 
laisser  tomber  cette  pensée.  Ayez  soin  de  notre  excel- 
lente pendule  :  c'est  à  vous  à  la  monter.  Le  cœur  est 
droit  et  réglé  ,  mais  sec.  Il  faut  lui  donner  un  peu 
d'onction  au  dedans. 

(44)  292  *  A. 

Sur  quelques  affaires  de  famille  ;  s'abstenir  des  réflexions  superflues. 

A  Cambrai,  i5  décembre  1701. 

Je  vous  envoie  ,  madame ,  la  lettre  que  je  viens  de 
recevoir  :  vous  y  verrez  de  très-bons  sentimens  ,  et 
un  triste  état  :  mais  Dieu  sait  mettre  tout  à  profit. 
]yime  cfOisy  eût  été  ravie  d'aller  faire  la  cérémonie 
pour  M'"e  la  Maréchale  de  Boufïlers ,  par  rapport  à 
vous  et  à  M™«  la  Comtesse  de  Souastre  ;  mais  vous 
savez  combien  elle  est  en  tutèle.  Il  y  a  des  momens 
où  sa  patience  paraît  à  bout;  mais  son  naturel  cou- 
rageux et  un  sentiment  de  religion  la  soutiennent. 
On  va  encore  bien  loin  ,  dit  le  proverbe  ,  depuis  qu'on 
est  las. 

Pour  moi ,  je  suis  fort  content  des  nouvelles  que 

M me  donne  de  votre  santé.  Il  assure  que  votre 

mal  est  fini,  et  que  vous  êtes  en  très-bon  chemin. 
Dieu  le  veuille  !  mais  je  me  défie  un  peu  de  vous  ;  ce 
n'est  pas  sans  fondement.  Vous  avez  ,  par  scrupule  et 
par  délicatesse ,  des  réserves ,  des  duplicités ,  des  in- 
docilités ,  comme  d'autres  en  ont  par  intérêt.  Si  vous 
deveniez  ingénue  et  simple  sur  vos  besoins ,  je  croi- 
rais que  vous  auriez  plus  sacrifié  à  Dieu  ,  que  si  vous 


LETTRES    SPIRITUELLES.  55r) 

aviez  soiifTort  cent  martyres.  Tournez  votre  scrupule 
contre  le  retardement  d'un  sacrillce  qui  ferait  tant 
de  ])laisir  au  cœur  de  Dieu.  Le  vrai  amour  liésite-t-il 
quand  il  s'agit  de  plaire  au  Lien-aimé  ?  Vous  ne  lui 
voulez  donner  que  des  privations  de  soulagemens  dont 
vous  avez  un  vrai  besoin  ,  et  qu'il  ne  veut  point  rece- 
voir ;  mais  pour  le  sacrifice  de  vos  réflexions  super- 
flues ,  de  vos  raisonnemens  subtils ,  de  vos  délica- 
tesses d'amour-propre  ,  de  vos  pratiques  de  propre 
volonté  ,  vous  savez  bien  que  c'est  ce  qu'il  demande , 
et  vous  le  lui  refusez  toujours  sur  de  beaux  prétextes. 
Je  vous  demande  sérieusement  et  absolument  que 
vous  ayez  soin  de  vous ,  comme  vous  auriez  soin  de 
M™*"  la  Comtesse  de  Souastre.  On  dit  qu'elle  se  porte 
bien  ,  et  j'en  ai  une  sensible  joie.  Je  prie  pour  elle, 
et  je  désire  fort  sa  sanctification ,  aussi-bien  que  la 
votre. 


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293. 

Avis  à  la  Comtesse ,  pour  elle  et  pour  sa  fille.  Avantages  de  l'oraison. 

(Décembre  1701.) 

Je  me  réjouis ,  madame ,  de  l'beureux  accouche- 
ment de  M™e  la  Comtesse  de  Souastre  ,  et  j'en  remer- 
cie Dieu  de  tout  mon  cœur  ;  mais  je  ne  cesse  point 
d'èlre  en  peine  de  votre  santé.  Vous  avouez  qu'il  vous 
reste  une  petite  fièvre  :  elle  ne  peut  être  que  dange- 
reuse dans  un  état  d'épuisement  et  de  langueur.  Vous 
ne  dites  rien  des  eaux  de  Spa ,  que  M.  Bourdon  vous 
conseillait.  Je  vous  conjure  de  suivre  ses  conseils,  et 
de  ne  rien  négliger  pour  le  rétablissement  de  votre 


56o  LETTRES   SPIRITUELLES. 

santé.  Pour  M'^^  la  Comtesse  de  Souastre  ,  je  liii  sou- 
haite ,  après  sa  couche  ,  assez  de  sauté  et  de  calme 
pour  pouvoir  s'accoutumer  un  peu  à  suspendre  les 
occupations  extérieures  ,  et  à  ne  s'occuper  que  de 
Dieu  dans  des  temps  réglés.  Elle  sentira  combien 
l'oraison  nourrit  le  cœur  ,  détache  du  monde  ,  et  pré- 
pare à  faire  en  paix  toutes  les  choses  extérieures ,  qui 
sont  dans  l'ordre  de  la  Providence.  Vous  la  persua- 
derez mieux,  que  personne ,  eu  lui  racontant  vos  ex- 
périences. 

Je  souhaite  fort  pour  W^^  d'Oisy ,  qu'elle  puisse 
aller  au  plus  tôt  vous  voir  :  c'est  lui  souliaiter  conso- 
lation et  profit.  De  plus,  j'espérerais  qu'elle  prendrait 
soin  de  vous  bien  gouverner  pendant  que  M™^  votre 
fille  ne  peut  le  faire.  J'espère  que  nous  verrons  avant 
la  fête  M.  le  Comte  de  Montberon.  Je  prie  l'amour 
qui  s'est  incarné  ^  d'opérer  son  mystère  en  vous  dans 
cette  fête  d'anéantissement ,  d'enfance  et  de  vie  toute 
cachée. 


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(77)  294  *  R. 

Utilité  des  privations  et  de  sécheresses. 

Je  suis  sensible  à  votre  peine,  et  je  comprends  que 
les  privations  sont  fort  amères,  quand  on  est  accoutumé 
à  sentir  les  dons  de  Dieu  :  mais  les  privations  ont  je  ne 
sais  quoi  qui  met  Dieu  plus  avant  dans  le  cœur  ,  lors- 
qu'il seml^le  s'éloigner.  On  voit  bien  plus  facilement  ce 
qui  est  sur  la  peau  ,  que  ce  qui  est  dans  les  chairs.  Les 
superficies  sont  plus  apparentes  ,  et  moins  réelles.  Dieu 
ne  va  pas  se  cacher  loin  pour  nous  alarmer.  Il  n'est 


LETTRES    SPlRiri'ELLES.  56l 

jamais  si  bien  caclié ,  quo  quand  il  so  caclie  au  fond 
de  notre  cœur.  Ce  que  je  cmlns  des  privations,  n'est 
pas  la  séelicresse  et  Fanierhune  qu'elles  vous  causent  • 
car  il  faulsoufiiir  pour  aller  tout  de  Loii  à  Dieu  :  mais 
je  crains  ce  qui  cause  les  privations,  je  veux  dire  les 
petites  infidélités  par  lesquelles  vous  les  attirez ,  pour 
vous  soulager  dans  vos  scrupules.  Si  vous  ne  suiviez 
pas  vos  réilexions  scrupuleuses ,  votre  simplicité  vous 
tiendrait  en  paix  ,  votre  paix  conserverait  votre  orai- 
son ,  et  votre  oraison  serait  votre  vie.  Tournez  votre 
scrupule  contre  vos  recherches  scrupuleuses  ,  qui  sont 
des  inlidélités  contre  votre  grâce. 

Pour  l'état  de  sécheresse  et  de  privation  sensible , 
il  faut  s'y  accoutumer.  On  est  trop  à  son  aise  ,  et  on 
sert  Dieu  à  trop  bon  marché  quand  il  se  fait  sentir. 
Une  mère  caresse  moins  les  grands  enfans  que  les 
petits. 

295  *  A.  (43) 

S'appliquer  à  la  mortification  intérieure  bien  pins  qu'à  restérieurc. 

A  Cambrai,  5  janvier  1702. 

Je  reviens,  madame^  d'un  voyage  de  huit  jours, 
et  je  trouve  ici  de  vos  nouvelles  ,  moins  mauvaises  que 
celles  des  temps  passés  :  mais  il  s'en  faut  beaucoup  que 
je  ne  sois  rassuré  sur  yotre  santé.  M.  Bourdon  va  vous 
voir,  et  je  vous  conjure,  au  nom  de  Notre-Seigneur ,  do 
faire  ,  pour  vous  remettre ,  tout  ce  qu'il  réglera.  Si 
^  ous  avez  quelque  confiance  en  moi ,  vous  n'hésite- 
rez pas  à  lui  obéir.  C'est  une  des  plus  sensibles  peines 
que  je  puisse  avoir ,  que  celle  de  vous  trouver  indo- 

CoRRESP.  IV.  21 


562  LETTRES    SPIRITUELLES. 

cile.  Vous  feriez  encore  plus  de  mal  à  votre  ame  qu'à 
votre  corps  ,  et  vous  résisteriez  encore  plus  à  Dieu  qu'à 
M.  Bourdon. 

Vous  prenez  le  change  en  cherchant  à  contre-temps 
les  mortifications  corporelles  :  ce  n'est  point  ce  que 
Dieu  demande  de  vous.  C'est  votre  imagination  trop 
vive ,  et  non  pas  votre  corps ,  qu'il  faut  affaiblir.  La 
moindre  docilité  contre  vos  scrupules  vous  ferait  plus 
mourir  à  vous-même  ,  que  toutes  les  austérités.  Passer 
par-dessus  vos  vains  scrupules  ,  ce  serait  l'holocauste 
de  votre  cœur.  Encore  une  fois ,  si  vous  croyez  que 
Dieu  nous  ait  unis  en  lui ,  je  vous  demande  ,  par  son 
amour,  d'avoir  soin  de  vous,  et  de  croire  le  médecin. 

On  travaille  à  votre  petit  tableau  de  Moïse  exposé  : 
il  sera  très-joli ,  et  le  peintre  réussit  très-bien.  Je  vois 
avec  attendrissement  et  complaisance  ,  dans  cet  ou- 
vrage ,  l'amour  jaloux  qui  pousse  aux  plus  affreuses 
extrémités  ceux  qu'il  veut  sanctifier ,  et  qui  sacrifia 
en  apparence  celui  dont  il  veut  faire  de  si  grandes 
choses.  C'est  ainsi  qu'il  traite  ses  favoris  ;  voilà  le  fon- 
dement de  ses  ouvrages. 

J'écrirai  au  phis  tôt  à  notre  bonne  et  digne  pen- 
dule. 

Je  ferai  volontiers  tout  ce  que  voudra  votre  amie  ; 
mais  il  faudra  prendre  un  temps  où  vous  serez  en 
tiers  :  autrement  nous  serions  fort  embarrassés.  Je 
l'estime  et  l'aime  en  Notre -Seigneur  de  plus  en 
plus.  Mon  Dieu  ,  qu'il  me  tarde  de  vous  voir  !  Quand 
sera-ce  ? 


LETTRES    SPIRITUELLES.  563 


296. 

Il  lOilcmandc   à  la   Comtesse  le   traité  de  l'Existence  de  Dieu ,  et  lui 
recommande  le  soin  de  sa  santé. 

A  Cambrai,  6  janvier  170a. 

Je  vous  supplie  ,  madame ,  d'avoir  la  bonté  de  me 
renvoyer  Técrit  que  je  vous  ai  donné  pour  monsieur 
votre  iils  ,  où  j'ai  ramassé  diverses  preuves  de  la  Di- 
vinité, tirées  de  l'art  qui  éclate  dans  toute  la  nature. 
J'aurais  besoin  de  le  revoir.  Vous  n'en  avez  aucun  be- 
soin présentement.  M.  le  Comte  de  Montberon  pourra 
me  l'apporter  à  son  retour. 

Au  nom  de  Dieu  ,  ayez  soin  de  vous.  Je  ne  vous 
demande  point  des  soins  extraordinaires  :  je  souliaite 
seulement  que  vous  ayez  la  pleine  volonté  de  faire 
pour  vous  ce  que  vous  feriez  pour  une  autre ,  et  de 
vous  laisser  sans  réserve  à  la  décision  du  médecin  ; 
après  quoi  vous  suivrez  ce  dessein  sans  vous  gêner , 
suivant  que  vous  en  aurez  la  lumière  en  chaque  oc- 
casion. 

Je  prie  Dieu  qu'il  vous  déli\Te  d'un  certain  zèle , 
qui  n'est  pas  moins  contraire  à  votre  grâce  ,  qu'à  votre 
faible  santé. 


fc  ».  \A  Vl/W**  **%  *%VV*%  Vfc*  ww  %*%  vwv**.  *%*  vw\^* 


297. 

Proportionner  les  pratiques  de  piété  aux  forces  du  corps. 
A  Cambrai,  18  janvier  1702. 

Je  comprends  bien  ,  madame ,  qu'il  ne  faut  songer 
qu'à  vous  consoler  et  qu'à    vous  guérir  ;  mais  quel 

21* 


5(54  LETTRES    SPIRITUELLES. 

moyen  de  le  faire  ,  si  vous  vous  abandonnez  toujours 
à  vos  ferveurs  et  à    vos   scrupules^   aux  dépens    de 
votre  faible  santé?  Comlùen  de  fois  m'avez- vous  pro- 
mis des  merveilles  !  C'est   toujours  à  recommencer , 
et  en  recommençant  vous  vous  poussez  à  bout.  J'ai 
le  déplaisir  de   vous  voir  tuer  votre  corps  ,  et  faire 
lancuir  votre  ame  ,  contre  le  véritable  attrait  de  votre 
grâce.  Puisque  vous  êtes  persuadée  que  Dieu  veut 
que  vous  me  croyiez  ,  pourquoi  ne  me  croyez-vous 
pas?  Pourquoi  ne   faites-vous  point  de  scrupule  de 
passer  au-delà   des  règles  que    je    vous  ai  données, 
pendant  que   vous  en  faites  à  tout  moment  sur  des 
riens  qui  vous  troublent  ?  Que  peut-on  faire  de  solide , 
quand  le  fondement  de  la  docilité  manque  ?  vous  me 
faites  entendre  que  vous  avez  souflbrt,  parce  que  je 
n'ai  pas  continué  à  vous  confesser ,  et  que  vous  avez 
remarqué  en  moi  une  répugnance  pour  vous  donner 
ce  secours.  Souffrez  que  je  vous  représente  que  ,  quand 
on  croit  qu'une   liaison   est   de   Dieu ,   comme  vous 
supposez  la  nôtre,  il  finit  s'éclaircir  simplement,  et 
ne  vouloir  jamais  deviner.  Toute  mon  bésitation  ne 
regardait  que  M.  le  Comte  de   Montberon ,  par  rap- 
port à  la  cour  et  au  public.  Si  vous  m'eussiez  ouvert 
votre  cœur  sur  votre  désir,  je  vous  aurais  répondu 
que  de  ma  part  je  n'avais  aucune  mesure  à  garder 
pour  vos  confessions  ,  et  que  toute  ma  pente  était  de 
vous  donner  les  secours  nécessaires.  C'eût  été  à  vous 
à  prendre  vos  mesures  du  côté  de   M.  le  Comte  de 
Montberon.  Quand  on  veut  pénétrer  ,  au  lieu  de  de- 
mander ingénument ,  on  devient  ingénieux  à  se  peiner 
soi-même  ,  et  la  délicatesse  se  tourne  en  gêne  d'es- 
prit. Vous  m'avez  assez  déclaré  qu'Arras  n'est  point 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5G5 

le  lieu  où  voire  cœur  est  lui  lari^e  ,  et  que  votre  jiaix 
intérieure  ne  se  trou\ait  qu'à  Cambrai.  Cependant 
vous  êtes  2)artie  sans  ni'avoir  consulté.  Je  conqirends 
bien  (|ue  certains  embarras (i). 

(i)  La  fia  de  celte  lettre   manque. 


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298  ♦  A. 


(•.34) 


Défiances  de  la  Comtesse  sur  le  zèle  de  son  directeur.  Abandon  simple 
et  absolu  aux  opéralious  de  la  grâce. 

A  Cambrai,  -27  janvier  1702. 

Ne  croyez  pas ,  je  vous  conjure  ,  madame  ,  que 
^  otre  lettre  m'ait  fait  d'autre  peine  que  celle  de  pren- 
dre part  à  ce  qui  vous  afflige.  Vos  défiances  sur  mon 
zèle  pour  vous  vous  ont  coûté  beaucoup  de  travail 
d'esprit ,  et  vous  pouvez  juger  par  là  de  vos  délica- 
tesses. En  vérité ,  je  n'ai  jamais  eu  qu'une  véritable 
pente  à  faire  tout  ce  qui  pourrait  vous  être  bon ,  et  je 
n'ai  été  retenu  que  par  des  égards  pour  votre  situa- 
tion. Puisque  votre  mal  ne  vous  permet  pas  d'aller 
en  carrosse,  il  faut  demeurer  tranquille  à  ,  jus- 
qu'à ce  que  vous  soyez  en  état  de  marcher.  Alors  ne 
vous  gênez  en  rien  pour  la  dépense  :  vous  n'en  ferez  ici 
aucune  de  sensijjle  au-dessus  de  celle  que  votre  do- 
mesli(|ue  y  flàt  déjà.  Vous  pourrez  vous  servir  de  la 
raison  de  votre  santé  ,  (jui  n'est  que  trop  bonne,  pour 
ne  sortir  point.  Vous  aurez  même  des  chevaux  et 
un  carrosse  de  céans  à  vos  ordres.  De  plus  ,  vous  pou- 
"Nez  compter  sur  telle  somme  qu'il  vous  plaira  ,  sans 
que  persoinie  en  sache  rien.  Il  n'y  aura  aucune  ex- 


566  LETTRES    SPIRITUELLES. 

ception.  Vous  me  paierez  à  votre  très-grande  com- 
modité. Vous  ne  répondez  rien  à  tout  cela  ,  et  vous 
devriez  bien  répondre  simplement.  Vous  devriez  faire 
un  vrai  scrupule  d'être  si  réservée^  puisque  vous  êtes 
convaincue  que  Dieu,  veut  de  l'ouverture  et  une  en- 
tière simplicité.  Comment  auriez-vous  la  paix  pen- 
dant que  vous   résistez  à  Dieu  ? 

M.  Bourdon  m'a  soulagé  le  cœur ,  en  me  disant 
que  les  remèdes  qu'il  vous  a  conseillé  de  prendre  ,  en 
attendant  les  eaux ,  peuvent  avancer  beaucoup  votre 
guérison  ,  et  qu'elle  sera  achevée  par  les  eaux  prises 
au  mois  de  juin. 

Votre  amie  est  bonne ,  et  s'affermit  dans  ses  bons 
désirs.  Ses  croix  sont  grandes  5  mais  il  les  lui  faut 
aussi  grandes  qu'elle  les  a.  Il  n'y  a  que  Dieu  qui  sache 
bien  prendre  la  mesure  à  chacun  de  nous.  Vous  en 
prendriez  trop  en  un  sens  ,  et  trop  peu  en  un  autre  ; 
trop  sur  votre  santé  et  sur  votre  courage  naturel ,  mais 
trop  peu  sur  votre  délicatesse  :  toutes  ces  mesures 
sont  fausses.  Il  n'y  a  qu'à  laisser  faire  Dieu.  C'est  pro- 
fondément couper  dans  le  vif ,  que  de  ne  retenir  rien 
de  ce  qu'il  ôte  ,  sans  vouloir  retrancher  ce  qu'il  ne 
retranche  pas.  Ce  qu'on  y  ajoute  n'est  pas  un  retran- 
cliement  véritable;  c'est,  au  contraire,  une  recherche 
déguisée  :  car  c'est  pour  se  donner  une  vie  fine  et 
cachée  ,  qu'on  pratique  une  mort  extérieure  et  con- 
solante. 

Je  ne  saurais  vous  rien  dire  de  moi,  car  très-sou- 
vent je  n'en  sais  pas  de  grandes  nouvelles.  Quand 
j'en  cherche  ,  j'en  trouve  de  fort  tristes.  Je  suis  fort 
occupé  de  détails  d'affaires  ,  et  de  lettres  à  écrire. 
Les  heures  et  les  jours  coulent  en  paix  sèche ,  avec 


LETTRES    SPIRITUELLES.  567 

un  certain    soulagement  de  me   sentir  bien  loin  du 
moiidc.  Dieu  vous  fasse  simple  et  petite  ! 


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299. 

Suivre  avec  simplicitu  les  ouvertures  que  donne  la  Providence. 

A  Cambrai,  4  ftîvricr  i-oa. 

Je  vous  envoie,  madame  ,  une  lettre  de  votre  amie. 
En  vérité ,  elle  est  en  Lon  chemin  ,  et  son  cœur  est 
trop  droit  pour  n'être  pas  agréable  à  Dieu.  J'espère 
que  nous  la  verrons  telle  que  ces  bons  commencemens 
la  promettent.  J'irai  la  Voir  un  de  ces  jours.  Sa  santé 
n'est  pas  bonne.  Comment  va  la  vôtre  ?  Ne  pourriez- 
"vous  pas  m'en  mander  smiplement  l'état ,  ou  prier 
M'""^  la  Comtesse  de  Souastre  de  le  faire  ?  J'attends  le 

retour  de  M pour  en  savoir  la   vérité.  Dieu  soit 

avec  vous?  Je  voudrais  bien  vous  voir,  et  je  voudrais 
que  vous  voulussiez  simplement  tout  ce  que  vous 
pourrez  vouloir  là-dessus.  Quand  il  ne  tiendra  point 
à  vous  que  cela  n'arrive  ,  je  m'accommoderai  de  tout 
dans  l'ordre  de  Dieu.  Ce  que  Dieu  empêche  est  bien 
empêché;  mais  ce  que  nous  empêchons,  faute  d^être 
assez  simples  ,  est  un  dérangement  de  sa  providence  , 
qui  ne  peut  causer  que  du  trouble  et  de  l'imperfection. 
Encore  une  fois ,  Dieu  soit  avec  vous ,  et  rien  en  vous 
que  son   seul  esprit. 

J'ai  été  fâché  de  ne  pas  voir  dans  la  promotion  (i) 
M.  le  C.  de M.  le  M.  de y  mériterait  une  place  ; 

(i)  Le  Roi  venait  de  faire  une  promoliou  de  dix-sept Xieutcnans- 
généraux  ,  cinquante  Maréchaux  de  camp,  etc.  Voyez  le  Journal 
dti  Dang^^au ,   2g  janvier  1702. 


568  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mais  il  y  a  de  ses  aînés  qu'on  veut  bien  traiter ,  et 
qu'on  a  laissés  comme  lui. 

300. 

Suivre  avec  simplicité  et  sans  scrupule  les  avis  du  médecin. 

A  Cambrai,  i5  février  ij02. 

Je  crains  ,  madame  ,  autant  que  je  le  dois  ,  de  vous 
fatiguer  en  l'état  où  vous  êtes  ;  mais  je  ne  puis  m'em- 
pêcher  de  vous  représenter  l'oljligation  de  conscience 
où  vous  êtes ,  de  renoncer  à  la  consolation  d'aller  à 
l'église  les  jours  ouvriers.  On  assure  que  vous  y  allez 
deux  fois  chaque  jour ,  et  M.  Bourdon  n'hésite  pas  à 
croire  que  'vous  ne  pouvez  point  ces  jours-là  descen- 
dre de  votre  appartement ,  ni  même  sortir  de  votre 
lit.  Je  ne  puis  douter  ni  de  l'hahileté  très-grande ,  ni 
de  la  piété  sincère  et  exacte  de  M.  Bourdon.  Il  ne 
raisonne  point  sur  votre  rapport  :  ainsi  vous  ne  de- 
vez pas  craindre  de  vous  être  flattée  en  lui  rappor- 
tant l'état  de  votre  santé.  Il  ne  décide  que  sur  ce 
qu'il  a  vu ,  et  sur  les  faits  dont  personne  ne  peut  dou- 
ter. De  plus  ,  quand  même  vous  vous  tromperiez  en 
exagérant  vos  maux  ,  et  que  M.  Bourdon  ,  trompé 
par  vous ,  vous  tromperait  à  son  tour  ,  et  vous  dis- 
penserait d'aller  à  l'église  les  jours  ouvriers  sans  né- 
cessité, vous  devriez  suivre  sans  scrupule  sa  décision. 
Il  ne  s'agit  que  d'une  chose  qui  n'est  pas  de  précepte 
dans  l'Eglise,  et  vous  ne  commettriez  pas  le  plus  lé- 
ger péché  A^éniel  en  obéissant.  D'ailleurs ,  je  suis  vo- 
tre pasteur  ,  et  je  vous  connais  beaucoup  plus  que 
la  plupart  des  pasteurs  et  des  directeurs  ne  connaissent 


LETTRES    SPIRITUELLES.  56c) 

les  ames  qu'ils  coiululseiit.  Je  prends  entièrement  la 
chose  sur  moi  devant  Dieu.  Quand  même  vous  croi- 
riez voir  clairement  que  vous  vous  êtes  flattée  ,  et 
que  vous  êtes  cause  que  M.  Bourdon  vous  flatte  dans 
sa  décision  ,  vous  devriez  vous  délier  de  votre  fond 
scrupuleux.  Ne  vaut-il  pas  mieux  obéir  à  votre  mé- 
decin très-liabile  ,  à  votre  époux  très-pieux  ,  à  votre 
pasteur  qui  ^ous  connaît  à  fond,  et  qui  ne  veut  point 
engager  témérairement  sa  conscience  ?  Autrement , 
à  force  de  vouloir  assurer  votre  conscience ,  vous  l'ex- 
])Oserez  par  présonqilion  au  plus  grand  péril;  car  vous 
])référerez  votre  propre  sens  ù  l'ordre  de  Dieu,  et  à 
l'autorité  légitime  de  tous  les  supérieurs  que  la  Pro- 
vidence vous  a  donnés  pour  votre  conduite.  Que  ré- 
pond riez-vous  à  Dieu  ,  s'il  vous  disait  :  Vos  supérieurs 
ont  décidé  ;  vous  leur  ave^  représenté  toutes  vos  rai- 
sons ;  ils  les  ont  pesées  \  ils  ne  les  ont  pas  crues  suf- 
fisantes pour  vous  laisser  aller  à  l'église?  Vous  avez 
j)ersisté  à  désobéir  ;  vous  avez  préféré  vos  scrupules 
à  l'obéissance  et  à  la  docilité  •,  vous  vous  êtes  tuée 
•vous-même  par  indocilité.  Vous  auriez  été  décliargée 
à  mon  jugement ,  quand  même  a  ous  auriez  manqué 
à  garder  le  précepte ,  ne  le  faisant  qu'après  avoir  re- 
présenté toutes  vos  raisons ,  et  par  pure  ojjéissance 
à  >os  supérieurs,  qui  ne  les  ont  pas  jugées  bonnes  (i). 

(i)  Nous  ii'a\ous  poiul  liomc  la  suilc  de  cette  lettre. 


b'JO  LETTRES    SPIRITUELLES. 


301. 

Craintes  et  délicatesses  de  la  Comtesse  sur  le  zèle  du  Prélat  à  son  égard. 

A  Cambrai,   i3  mars  1702, 

Mme  d'Oisy  me  fit  comprendre  hier  confusément 
et  à  la  hâte  ,  quand  j'allais  prêcher,  ce  que  je  n'avais 
pas  encore  compris.  En  vérité  ,  madame  ,  j'en  ai  le 
cœur  pénétré.  Je  ne  raisonne  point  pour  savoir  si 
votre  peine  est  hien  fondée  ;  je  commence  par  me 
donner  un  tort  infini  ,  et  je  ne  songe  qu'à  compatir 
du  fond  de  mon  cœur  à  la  peine  du  vôtre.  Mais  Dieu 
m'est  témoin  que  je  n'ai  jamais  cru  vous  manquer  en 
rien.  Je  ne  le  dis  ni  par  politesse ,  ni  par  envie  de 
vous  consoler.  Il  sait  que  rien  ne  pourrait  me  faire 
dire  ce  que  je  ne  croirais  pas  exactement  vrai.  Mais 
laissons  tout  le  passé ,  et  ne  regardons  que  le  présent. 
Supposons  que  je  vous  aie  manqué  :  est-ce  une  bonne 
raison  pour  faire  à  Dieu  ce  que  je  vous  ai  fait ,  et 
pour  lui  manquer  comme  je  vous  ai  manqué  ?  Vou- 
lez-vous que  Dieu  soit  aussi  mécontent  de  vous  ,  que 
vous  l'êtes  de  moi  ?  Vous  crovez  que  Dieu  veut  que 
je  vous  aide  à  le  servir  et  à  faire  sa  volonté  :  je  suis 
prêt  à  le  faire;  je  m'y  office  de  toute  l'étendue  de  mon 
cœur.  Dieu  voit  que  je  ne  saurais  aimer  en  lui  une 
sœur  plus  cordialement,  et  que  je  donnerais  ma  vie 
pour  vous  ;  il  voit  combien  vos  peines  m'afîligenf  , 
et  à  quel  point  je  souliaite  de  les  guérir. 

Prenez-moi  tel  que  je  suis,  sec,  rebutant,  irré- 
gulier  y  négligent  ,  manquant  d'attention  et  de  déli- 
catesse. Je  veux  me  corriger  pour  vous ,  et   l'envie 


LETTRES    SPIRITUELLES.  S-J  I 

de.  bien  faire  à  votre  égard  me  redressera.  Mais  enfin  , 
regardez  en  moi ,  non  mes  défauts  naturels ,  mais  le 
dessein  de  Dieu,  dont  je  ne  suis  (jue  le  vil  et  indigne 
instrument.  Mes  défauts  serviront  plus  que  mes  bonnes 
qualités  à  vous  rendre  telle  que  Dieu  vous  veut.  Je 
suis  tout  propre  à  vous  faire  mourir  à  vous-même 
par  ma  sécberesse.  Votre  délicatesse  excessive  a  be- 
soin de  mes  irrégularités  et  de  mes  négligences.  Si 
vous  cbercliez  à  satisfaire  votre  goût ,  vous  manquez 
à  Dieu.  Si  vous  ne  cbercliez  que  Dieu  seul ,  il  faut 
me  regarder  d'une  vue  de  pure  foi ,  et  sacrifier  toutes 
les  délicatesses  de  votre  amour-propre.  Encore  une 
fois  ,  Dieu  veut  que  je  vous  aide ,  et  je  veux  vous 
aider.  Ne  vous  serviriez-vous  pas  d'un  Arabe  ou  d'un 
Cbinois  ,  si  Dieu  vous  le  donnait  pour  guide  ? 

Je  n'ai  aucune  peine  à  vous  confesser  ;  je  vous  don- 
nerai avec  plaisir  le  temps  nécessaire.  En  vous  of- 
frant ce  secours  ,  je  ne  crois  vous  rien  olîrir.  Ne  me 
comptez  pour  rien;  mais  voyez  ce  que  Dieu  demande, 
et  ne  lui  opposez  pas  vos  délicatesses.  C'est  aux  siennes 
que  toutes  les  vôtres  doivent  céder.  Ce  que  je  vous 
demande  pour  la  paix  de  votre  cœur ,  et  pour  l'ac- 
complissement des  volontés  de  Dieu  sur  vous  ,  c'est 
que  vous  reveniez  ici  dés  le  moment  que  votre  santé 
vous  le  permettra.  Je  soufïre  beaucoup  d'une  très- 
opiniàtre  douleur  de  dents  depuis  prés  de  trois  se- 
maines; mais  rien  ne  m'empécbera  de  vous  aller  voir , 
si  vous  me  laissez  espérer  que  ma  visite  vous  sera 
utile  et  consolante.  Au  nom  de  Dieu ,  madame  ,  ne 
lui  résistez  pas  pour  vous  priver  d'un  secours  au- 
quel il  veut  vous  assujettir. 


5'] 2  LETTRES    SPIRITUELLES. 


(59)  302  *  A. 

Recevoir  avec  reconnaissance  les  dons  de  Dieu ,  quel  que  soit  le  canal 
par  où  il  les  communique. 

A  Cambrai  ,  i8  mars  i^oa. 

Quoique  votre  réponse ,  madame ,  ne  me  donne 
pas  tout  ce  que  je  souhaite  ,  elle  ne  laisse  pas  de  me 
faire  sentir  une  véritable  joie.  Vous  voyez  ce  que  Dieu 
demande  de  vous  :  voudriez-vous  le  lui  refuser?  Vous 
voyez  que  ce  qui  résiste  en  vous  à  l'attrait  de  grâce, 
n'est  qu'une  délicatesse  d'amour-propre  :  oseriez-vous 
opposer  aux  miséricordes  de  Dieu  les  raliinemens  de 
forgueil  et  les  recherches  les  plus  subtiles  de  vous- 
même  ?  Vous  ,  madame  ,  qui  faites  tant  de  scrupule 
d'une  pensée  involontaire  ,  et  par  conséquent  très- 
innocente  ;  vous  qui  vous  confessez  si  souvent  pour 
les  choses  qui  ne  méritent  aucune  confession ,  ne  vous 
ferez-vous  aucun  scrupule ,  et  ne  vous  confesserez- 
vous  point  d'avoir  résisté  au  Saint-Esprit  pendant 
une  année,  par  une  délicatesse  d'amour-propre,  qui 
rejette  les  dons  de  Dieu  ,  à  moins  qu'ils  ne  viennent 
par   un  canal  propre  à  vous  flatter  ? 

Eh  !  qu'importe  quand  vous  recevriez  les  dons  de 
grâce  comme  les  pauvres  mendians  reçoivent  du  pain? 
Ces  dons  n'en  seraient  que  plus  purs  et  plus  pré- 
cieux. Votre  cœur  n'en  serait  que  plus  digne  de  Dieu, 
s'il  attirait  par  son  humilité  et  par  son  anéantisse- 
ment le  secours  que  Dieu  lui  prépare.  Est-ce  ainsi 
que  vous  vous  désappropriez  de  vous-même?  est-ce 
ainsi  que  vous  regardez  l'instrument  de  Dieu  en 
pure  foi?  est-ce  ainsi  que  vous  mourez  à  toute  vie 


LETTRES    SPIRITUELLES.  S'y 3 

au  dedans  i]c  vons-inènio?  A  quoi  vous  servent  les  lec- 
tures sur  rainoui"  le  plus  pur,  et  vos  oraisons  fré- 
quentes? comment  pouvez-vous  lire  ce  qui  condamne 
le  l'ond  de  votre  cœur?  Non-seulement  l'intérêt  pro- 
pre ,  mais  l'intérêt  d'un  oij^ueil  railiné  vous  domine 
jusqu'à  vous  faire  rejeter  le  don  de  Dieu ,  parce  qu'il 
ne  vous  vient  pas  d'une  manière  à  contenter  votre 
délicatesse.  Comment  pouvez-vous  faire  oraison?  Qu'est- 
ce  que  Dieu  dit  dans  le  silence  amoureux  de  l'ame? 
il  ne  demande  que  mort ,  et  vous  ne  voulez  que  vie 
propre.  Lui  pourriez- vous  dire  dans  l'oraison  :  Je  ne 
veux  de  votre  grâce  ,  qu'à  condition  que  vous  la  ferez 
passer  par  quelqu'un  à  qui  je  n'arrache  rien  ,  et  qui 
contente  la  vaine  délicatesse  de  mon  cœur  ?  Lui  ose- 
riez-vous  dire  :  Je  suis  jalouse  ?  Ne  vous  répondrait-il 
pas  :  Et  moi ,  je  suis  jaloux  ;  mais  la  jalousie  n'ap- 
partient qu'à  moi  seul ,  et  c'est  à  la  mienne  qu'il 
faut  sacrifier  la  vôtre?  0  mon  Dieu!  ramenez  ce  cœur  ; 
montrez-lui  riiorri])le  danger  de  cette  tentation.  Ren- 
dez-la jalouse  pour  vous ,  et  non  pour  elle  ;  ôtez-lui 
ces  indignes  délicatesses  pour  elle  ,  et  donnez-lui 
toutes  celles   de  votre  pur  amour. 

Mes  dents  ne  me  tourmentent  plus..  J'irai  Lientôt 
vous  voir,  et  je  compte  qu'ensuite  vous  viendrez  ici. 
Je  loue  Dieu  de  ce  que  le  mal  est  découvert;  la  dé- 
cou\erte  est  la  guérison.  Ne  vous  troublez  point^  mais 
soyez  simple  et  petite.  Abandonnez-vous  à  Dieu  avec 
confiance. 


5^4  LETTRES    SPIRITUELLES. 


V  k««A/%%V^^  V«%  %%V 


303. 

Il  la  félicite  siu'  la  simplicité  avec  laquelle  elle  a  découvert  ses  peines 
intérieures ,  et  l'exhorte  à  reprendre  avec  le  calme  ses  exercices 
ordinaires. 

A  Cambrai,  3o  mars  1702. 

Votre   lettre  ,   madame ,    me   donne  une  des  plus 
sensibles   consolations   dont  je    sois   capable.  J'y  \ois 
renaître  dans  votre  cœur  les  principes  de  grâce  ,  qui 
étaient  comme  étouffés   par   la   peine   d'esprit.    C'est 
l'enfant  qui  revient  à  sa  mère ,  et  qui  la  reconnaît. 
Béni  soit  celui  qui  rend  la  paix  à  ses  enfans  !  Ma  joie 
présente  vous  répond  de  ma  bonne  intention  passée. 
Je  ne  rappelle  point  le  passé  pour  me  justifier,  mais 
seulement  pour  vous  épargner  une  peine  à  vaincre, 
je  veux  dire  celle  de  croire  que  j'ai  bien  voulu  vous 
abandonner  dans  votre  besoin.  Donnez-moi  tous  les 
autres  torts  que  vous  croirez  me  devoir  donner  ;  mais  , 
au  nom  de  Dieu,  ne  me  donnez  jamais  celui  d'avoir 
voulu   vous  refuser  le  secours  que  vous  me  deman- 
diez. Mon  intention  n^a  jamais  été  que  de  faire  pour 
vous   tout   ce  que  votre  besoin  et  mon  attacbement 
pouvaient  demander.  N'y  pensons  plus  ,  et  reprenons 
avec  simplicité,  en  parfaite  union  de  cœur,  tout  ce 
que   la   tentation    a    interrompu.    Vous   marchiez    si 
bien  ,  dit  l'Apôtre  aux  Galates  {a)  :  vous  am-iez  arra- 
ché vos  yeux  pour  me  les  donner.  Qui  est-ce  qui  vous 
a  enchantés  ,   afin  que  vous  n^ obéissiez  plus  à  la  vé- 
rité ? 

Ne  vous  étonnez  point  que  vos  peines  se  réveillent , 

(a)    Galat.  iv.   \5)  v.  7. 


I.ETTRKS    SPIUITUELLES. 


f.r.; 


et  vous  ébranlent.  C'est  une  croix  qu'il  faut  porter 
patiennnent  connue  les  autres.  Elle  diminuera  chaque 
jour 5  si  vous  ne  la  grossissez  point,  en  vous  l'exagé- 
rant à  vous-même,  et  si  vous  rentrez  avec  foi  dans 
vos  lectures  et  dans  votre  oraison.  C'est  là  que  vous 
trouverez  tout  ce  qui  vous  manque.  Il  faut  remettre 
peu  à  peu  votre  cœur  flétri  et  resserré  ,  comme  on 
remet  peu  à  peu  un  malade ,  en  Taccoutumant  par 
un  régime  presque  insensible  aux  alimens  solides  , 
dont  sa  langueur  Tavait  privé. 

Notre  pe)uhde  est  excellente  *,  elle  m'édifia  et  me 
contenta  infiniment ,  quand  je  la  vis  dans  votre  cabi- 
net. Je  ne  saurais  la  blâmer  de  m'avoir  tout  dit  sur 
les  lettres.  Je  n'en  dirai  jamais  rien  à  votre  amie,  et 
ce  que  je  sais  est  comme  si  je  ne  le  savais  pas.  Je 
n'en  ferai  aucun  usage  que  pour  me  corriger  ,  et  pour 
agir  avec  plus  d'attention ,  si  je  le  puis  ,  et  si  vous  le 
voulez.  Il  me  tarde  de  vous  voir  ici.  J'espère  que 
j'en  aurai  la  joie  ,  si  vous  avez  bien  soin  de  votre  santé 
pour  pouvoir  revenir  d'abord  après  Pâque.  En  at- 
tendant ,  prenez  quelquefois  le  bon  Saint  que  vous 
avez  Xant  aimé.  Je  ne  saurais  croire  qu'il  soit  hors 
de  votre  cœur.  Il  vous  parlera  mieux  que  moi ,  et  en 
faisant  sa  paix  ,  il  fera  la  mienne.  Il  n'est  pas  sec  et 
irrégulier  comme  moi  :  vous  ne  sauriez  tenir  contre 
lui.  Il  vous  renouvellera  en  Notre-Seigneur  ,  en  vous 
faisant  sentir  l'onction  de  l'esprit  de  Dieu. 


S-yG  LETTRES     SPIRITUELLES. 


304. 

Sur  le  combat  tic  la  parïie  inft'rioiirc  de  Tame  contre  la  partie 
supérieure. 

A  Oisy ,  6  avril    1702. 

Je  ne  saurais ,  madame ,  assez  louer  M™^  la  Com- 
tesse de  Souastre  qui  m'a  apporté  vos  deux  lettres. 
La  seconde  avait  besoin  de  la  première  pour  me  con- 
soler. On  ne  peut  vous  plaindre  plus  que  je  le  fais , 
ni  être  moins  en  peine  de  votre  état.  Les  deux  per- 
sonnes que  j'aperçois  en  vous  ne  m'étonnent  point. 
Chacune  parle  sa  langue  naturelle  :  il  faut  que  l'une 
cède  à  l'autre  ;  c'est  de  quoi  je  ne  saurais  douter. 
Les  sentimens  et  les  discours  de  la  personne  révol- 
tée ne  sont  pas  de  votre  véritable  fond.  L'autre  per- 
sonne est  la  véritable  ,  qui  veut  ce  qu'elle  pense  et  ce 
qu'elle  dit.  Vous  le  voulez  lors  même  que  vous  ne 
croyez  plus  le  vouloir  ,  et  vous  ne  voulez  ni  ne  croyez 
jamais  ce  qui  passe  par  l'imagination  et  par  le  sen- 
timent de  cette  autre  personne  ,  qui  assure  tout  ce 
qu'elle  sent  et  imagine.  Il  n'y  a  que  l'expérience  des 
peines  intérieures  qui  donne  la  clef  de  ce  mystère. 
Encore  une  fois,  je  suis  très-sensible  à  votre  peine, 
mais  nullement  en  doute  de  ce  que  Dieu  veut  et  fait 
en  vous.  Je  vous  réponds  de  votre  cœur ,  et  je  suis  sûr 
de  sa  fidélité  uniforme  dans  toutes  ces  variétés  ap- 
parentes. 

Je  vais  savoir  de  M.  Bourdon  le  temps  précis  où 
vous  pourrez  nous  revenir  voir.  Dieu  sait  quelle  sera 
ma  joie.  Je  retarderai  mon  départ  le  plus  que  je 
pourrai ,   pour  avoir  l'honneur  de  vous  entretenir  à 


LETTRES    SPIRITUELLES.  br-j 

Cam})rai  avant  mon  déjwrt.  Deniaiuloz  à  notre  Ijou 
Saint ,  qu'il  vous  obtienne  la  paix  et  rélargissement 
(le  votre  cœur.  Unissez-vous,  je  vous  conjure,  à  mes 
intentions  pour  l'œuvre  de  Dieu  en  vous.  Notre  visite 
se  passe  gaîment  ;  mais  elle  eiit  été  Lien  plus  jolie , 
si  chacun  n'eût  pas  senti  que  vous  y  manquiez.  Notre 
bonne  pendule  est  toute  d'or  :  rendez-lui  tous  les  se- 
cours qu'elle  vous  donne. 


305. 

Suivre  avec  simpliril6  l'attrait  divin. 

A  Cambrai,  lu  avril  1702. 

M.  Bourdon ,  que  j'ai  entretenu  depuis  son  retour 
d'Arras  ,  pense  que  vous  pourriez  ,  madame  ,  revenir 
ici  la  semaine  de  Pàque  ,  c'est-à-dire,  avant  le  di- 
manche de  Quasimodo.  Mon  Dieu  ,  que  je  serais  aise 
de  vous  y  voir  avant  mon  départ  S'il  ne  fallait  que 
le  différer  un  peu  pour  vous  attendre,  je  n'y  man- 
querais pas  :  mais  j'espère  que  vous  viendrez  dans 
ce  temps  que  M.  Bourdon  propose.  Si  vous  ne  venez 
point  dans  ce  temps-là  ,  il  croit  qu  il  faudra  relarder 
d'un  mois  votre  retour.  C'est  sur  quoi  je  conjure  M'^c  la 
Comtesse  de  Souastre  de  prendre  des  mesures  justes  ; 
car  je  ne  me  lie  à  vous,  madame,  qu'à  demi  sur  ce 
chapitre.  J'espère  qu'elle  examinera  vos  forces ,  pour 
décider  du  parti  à  prendre.  J'avoue  que  je  crains  un 
peu  le  long-  séjour  que  vous  feriez  ici  toute  seule ,  si 
vous  veniez  tard  ;  mais  d'un  autre  côté  ,  je  serais  ravi 
de  vous  voir  dans  votre  place  naturelle  et  de  vo- 
cation ,  et  de  vous  entretenir  avant  mon  départ.  Si 

CoRRESP.  TV.  22 


5n8  LETTRES    SPIRITUELLES. 

VOUS  ne  voulez  point  m'écrire  là-dessus ,  dU  lïioins 
faites-moi  mander  toutes  choses  par  M^^^  la  Comtesse 
de   Souastre. 

Je  sais  que  vous  n'irez  point  du  tout  à  l'église  pen- 
dant ces  fêtes.  Je  m'en  réjouis ,  car  c'est  une  précau- 
tion nécessaire  pour  la  vie  de  votre  corps  ,  et  Lieu 
permet  ce  besoin  pour  en  tirer  la  mort  de  l'esprit. 
J'irai  à  l'église  pour  vous  ,  et  ne  cesserai  point  de 
vous  y  porter  devant  Dieu  ,  pour  lui  demander  la 
paix  du  cœur  ,  dont  vous  avez  un  si  grand  besoin.  // 
vous  est  dur  de  regimber  contre  V aiguillon  («).  Toutes 
vos  peines  ne  viennent  que  de  résistance  et  de  tra- 
vail d'esprit  contre  la  simplicité  de  Pattrait  divin. 
Qui  estr-ce  qui  a  résisté  à  Dieu ,  et  qui  a  eu  la 
-paix  (e)  ?  Ce  trouble  est  un  trait  de  la  miséricorde , 
qui  veut  subjuguer  votre  cœur.  Cédez ,  et  ]a  paix 
sera  sur  vous.  Je  la  demande  ;  demandez-la  de  votre 
côté.  Que  notre  bonne  et  chère  pendule  se  joigne  à 
nous  dans  cette  demande.  Trois ,  assemblés  en  foi 
au  nom  du  Seigneur  (t),  lui  feront  violence,  et  il  ne 
pourra  pas  nous  refuser.  J'en  ai  la  foi  ;  ayez-la  aussi  : 
mais  dites-le  de  plein  cœur  au  maître  ,  et  puis  ne 
vous  écoutez  plus.  Je  donnerais  ma  vie  pour  vous 
voir  dans  cette  bienheureuse  paix  ,  où  Dieu  règne 
seul.  Amen ,  amen. 

Je  ne  saurais  guère  partir  d'^ici  avant  le  27  de  ce 
mois  -,  mais  je  serai  alors  fort  pressé  de  le  faire. 

(a)  Act.  IX.  5.  (e)  Joh.  ix.  4»  (i)  Matth,  xvin,  20. 


LETTRES    SPIRITUELT.es.  O-JQ 


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306  *  A.  (60) 

Nom  confier  en  Dieu  malprô  nos  infulclitcs  ;  imion  des  amcs  en  Dieu  ; 
se  condiiiio  on   tout  p;u'  les  vues  de  la  foi. 

A  Cambrai,  17  avril   1702. 

Je  suis  yéritablement  affligé,  madame,  du  fâcheux 
contre-lemps    du  passage  de    M'"^^   la    Maréchale  de 
BouOlers  :  mais  je  ne  puis  m'empécher  d'entrer  dans 
la  pensée  de  M.  le  Comte  de  Montberôn  et  de  M.  Bour- 
don. Si  A  ous  arriviez  ici  dans  le  temps  de  ce  passage  , 
vous  auriez  ,  outre  la  fatigue  de  votre  voyage,  les  pei- 
nes ,  les  inquiétudes  ,  et  les  assujettissemens  que  votre 
naturel  rendrait  inévitables.  En  voilà  plus  qu'il  n'en 
faudrait  pour  vous  faire  retomber  dans   un  mal  qui 
pourrait  être  incurable.   D'ailleurs  ^    ce  temps  étant 
une  fois  passé ,  M.  Bourdon  n'oserait  vous  faire  par- 
tir. Je  lui  ai  dit  tète  à  tète   tout  ce  que  je  pouvais 
lui  dire  discrètement ,  pour   l'engager   à  vous   faire 
partir  ,  dès  que  M™^  la   Maréchale  sera  passée.  Il  ne 
croit  pas  qu'il  lui   soit  permis  de  vous  mettre  dans 
un  si  évident  péril.  Voilà  donc  la  Piovidence  qui  dé- 
cide absolument ,  et  nous  n'avons  plus  qu'à  l'adorer 
en  paix.  Ce  qu'il  y  a  de  bon ,  c'est  que  ma  course  ne 
peut  être  longue ,  parce  que  je  suis  engagé  à  revenir 
pour  le    concours   à  la   Pentecôte  au  plus  tard.    En 
attendant ,  malgré   mes  embarras  de   visites  je   vous 
écrirai  souvent  :   du  moins  je  le  ferai  toutes  les  fois 
que  j'aurai  des  occasions  sûres  par  Cambrai.  A  mon 
retour ,  j'espère  que  nous  aurons  ici  M"^»  la  Duchesse 
de  Mortemart ,  qui   viendra  aux  eaux.  Je  serai  ravi 
que  vous  puissiez  faire  connaissance  :  vous  en  serez 

22^ 


58o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

bien  contente  et  bien  édifiée.  En  attendant ,  je  vous 
recommande  à  Dieu  et  à  notre  bonne  pendule. 

Ne  vous  défiez  jamais  de  l'ami  fidèle  qui  ne  nous 
manque  point ,  quoique  nous  lui  manquions  si  sou- 
vent. Je  suppose  toutes  les  infidélités  imaginaljles  en 
vous  ,  et  je  mets  tout  au  pis-aller  :  lié  bien  !  que  s'en- 
suit-il de  là  ?  Si  vous  avez  manqué  à  Dieu ,  en  vous 
éloignant  d'ici ,  il  n'y  a  qu'à  ne  plus  lui  résister ,  et 
qu'à  rentrer  dans  votre  place.  Dieu  n'est  pas  comme 
les  liommes ,  dont  la  vaine  délicatesse  se  tourne  en 
dépit  et  en  indignation  sans  retour.  Quand  vous  au- 
riez manqué  à  Dieu  cent  et  cent  fois  ,  revenez  sincè- 
rement ,  cessez  de  lui  résister  ;  aussitôt  il  vous  tend 
les  bras.  C'est  lui-même  qui  vous  a  prévenue  de  mi- 
séricorde ,  et  qui  a  mis  dans  votre  cœur  le  désir  de 
retourner  vers  lui.  Comment  ne  recevrait-il  pas  avec 
bonté  un  sentiment  de  votre  cœur  que  sa  bonté  même 
y  a   formé  ? 

Que  craignez- vous  ,  ù  ame  de  peu  de  foi?  Vous 
serez  seule  ,  il  est  vrai ,  cinq  ou  six  semaines  :  mais 
est-ce  être  seule  que  d'être  avec  Dieu?  Quand  il  nous 
unit  à  quelque  créature ,  et  nous  assujettit  à  cette 
union  ,  il  faut  y  être  attaché  non  par  espérance  en  la 
créature ,  mais  par  pure  fidélité  à  Dieu ,  qui  veut  se 
servir  de  cet  instrument.  Mais  tout  consiste  à  ne  ré- 
sister point  à  cet  ordre  de  Dieu,  et  à  le  suivre  avec 
petitesse.  Désirez  la  chose ,  cessez  d'y  résister  inté- 
rieurement ;  tout  est  fait.  Dieu  n'a  pas  Ijesoin  de  la 
présence  sensible ,  pour  tirer  le  finit  des  unions  qu'il 
opère  :  la  seule  volonté  suffit.  On  demeure  uni ,  la 
mer  entre  deux  :  on  est  intimement  en  société  dans 
le  sein  de  celui  qui  ne  connaît  aucune  distance  des 


LETTRES    SPIRITUELLES.  58  I 

lieux ,  et  qui  anéantit  toutes  les  distances  par  son 
imiiieiisilé.  On  se  communique,  on  s'entend,  on  se 
console,  on  se  nourrit,  sans  se  voir  et  sans  s'en- 
lendre.  Dieu  prend  plaisir  à  suppléer  tout.  Est-on 
ensemble  sans  correspondre  de  cœur  ,  et  sans  acquies- 
cer à  Tunion  que  Dieu  veut?  on  s'agite,  on  se  des- 
sèche ,  on  s'épuise  ,  on  dépérit ,  et  la  paix  fuit  d'un 
cœur  qui  résiste  à  Dieu.  Est-on  à  mille  lieues  les  uns 
des  autres ,  sans  espérance  de  se  voir  ni  de  s'écrire  ? 
la  seule  correspondance  de  volonté  détruit  toutes  les 
distances  :  il  n'y  a  point  d'entre-deux  entre  des 
volontés  dont  Dieu  est  le  centre  commun.  On  s'y 
rclrouA  e  ,  et  c'est  une  présence  si  intime  ,  que  celle 
qui  est  sensible  n'est  rien  en  comparaison.  Ce  com- 
merce est  tout  autre  que  celui  de  la  parole.  Les  âmes 
mêmes  qui  sont  dans  cette  union ,  sont  souvent  en- 
semble sans  pouvoir  se  résoudre  à  se  parler.  Elles 
sont  trop  unies  pour  parler  ,  et  trop  occupées  de  leur 
vie  commune  pour  se  donner  des  marques  d'atten- 
tion. Elles  sont  ensemble  une  même  chose  en  Dieu , 
comme  sans  distinction  :  Dieu  est  alors  comme  une 
même  ame  dans  deux  corps  difFérens. 

Demeurez  donc ,  madame ,  en  paix  dans  le  lieu  011 
Dieu  ^  ous  retient  ;  mais  que  votre  cœur  soit  tout 
entier  où  il  vous  appelle.  La  paix  ne  dépend  que  de 
la  non  résistance  de  la  volonté.  Reprenez  doucement 
vos  anciennes  lectures  ;  remettez-vous  en  commerce 
avec  votre  bon  et  ancien  ami  saint  François  de  Sales. 
Faites  comme  une  personne  convalescente.  11  la  faut 
nourrir  d'alimens  délicats ,  et  lui  en  donner  peu  et 
souvent  :  c'est  une  espèce  d'enfance.  La  lecture  ra- 
mènera peu  à  peu  l'oraison;  l'oraison  élargira  le  cœur. 


582  LETTRES    SPIRITUELLES. 

et  rappellera  la  familiarité  avec  l'Epoux.  Laissez  faire 
Dieu  :  unissez- vous ,  je  vous  conjure,  à  mes  inten- 
tions. Pour  moi ,  je  vous  porterai  devant  Dieu  par- 
tout où  j'irai ,  et  vous  me  serez  partout  présente  en 
foi.  Je  ne  saurais  douter  sur  votre  retour,  et  sur  les 
desseins  de  Dieu  ;  mais  ne  résistez  pas.  Continuez  à 
vous  ouvrir  bonnement  et  simplement  à  votre  chère 
fille.  Je  lui  donne  puissance  pour  vous  consoler  et 
soutenir ,  en  attendant  mon  retour.  C'est  l'Esprit  con- 
solateur qui  fait  par  lui-même  tout  ce  qu'il  lui  plaît. 
Rien  de  tout  ce  qu'il  ne  fait  pas  dire ,  n'^est  parole 
de  vie  :  ce  qu'il  fait  dire ,  par  quelque  bouche  que 
ce  soit ,  se  fait  sentir,  et  opère  jusqu'au  fond  de  l'ame  : 
c'est  la  voix  toute-puissante  du  Créateur.  Un  mot 
dit  tout  et  fait  tout  :  les  plus  solides  discours  ne  di- 
sent et  ne  font  rien.  0  qu'il  me  tarde  de  vous  re- 
voir !  mais  sans  impatience.  Dieu  soit  avec  vous. 
Amen ,  amen. 

307. 

Ke  point  entretenir  volonlairemeufc  les  peines  intérieures.  Entrevue  de 
IFénelou  et  du  Duc  de  Bourgogne, 

A  Cambrai,  2G  avril  1702. 

Je  vous  envoie ,  madame  ,  deux  lettres  de  votre 
amie.  Elle  était  ici  avant-hier,  toujours  en  grande  im- 
patience de  votre  retour.  Je  ne  l'attendrais  pas  moins 
impatiemment  qu^elle  ,  si  je  ne  devais  partir  après- 
demain.  J'aimerais  pourtant  beaucoup  mieux ,  pen- 
dant mon  absence ,  vous  savoir  à  Cambrai  qu'à  Arras. 
Donnez-moi  de  vos  nouvelles  ,    comme  j'espère  vous 


LETTRES    SPIRITUELLES.  583 

donner  des  miennes.  Le  temps  de  mes  visites  est  si 
peu  à  moi ,  que  je  ne  saurais  vous  répondre  de  faire, 
dans  cette  agitation  continuelle ,  tput  ce  que  je  vou- 
drais pour  votre  consolation  ;  mais  au  moins  je  ne 
perdrai  aucun  moment  de  libre ,  et  lors  même  que 
je  ne  pourrais  vous  écrire  ,  je  vous  porterai  devant 
Dieu  au  Ibnd  de  mon  cœur. 

Votre  dernière  lettre  m'a  rempli  de  joie.  J'en  avais 
besoin ,  et  vous  m'avez  bien  soulagé  le  cœur ,  en 
m'apprenant  ce  que  Dieu  rétablit  dans  le  vôtre.  Quand 
vous  soufirirez  la  peine  intérieure  ,  comme  on  soullre 
la  lièvre  ou  la  colique ,  sans  la  causer  ni  l'entretenir 
volontairement ,  votre  peine  sera  modérée ,  et  se  tour- 
nera à  profit.  Le  bon  Saint,  auquel  je  vous  ai  renvoyée, 
aura  soin  de  vous  jusqu'à  mon  retour.  Je  le  prie  de 
garder  votre  cœur,  et  de  ne  le  laisser  plus  écbapper. 
J'espère  que  notre  honne  pe?idule  ^  qui  est  toute  d'or, 
vous  ramènera  ici  vers  le  i5  du  mois  prochain.  Pour 
votre  santé ,  je  n'en  suis  nullement  en  peine,  pourvu 
que  A'otre  esprit  soit  simple  et  paisible.  Soyez  donc, 
je  vous  en  conjure,  telle  que  Dieu  vous  veut. 

J'ai  vu  aujourd'hui,  après  cinq  ans  de  séparation, 
M.  le  Duc  de  Bourgogne  ;  mais  Dieu  a  assaisonné 
cette    consolation   d'une  très-sensible  amertume ,  en 

voyant Je   n'ai  aucun  plaisir    qui  ne  porte  avec 

lui  sa  croix.  Revenez  dans  votre  place  où  Dieu  vous 
attend  :  il  me  tarde  de  vous  retrouver.  Au  reste 
je  vous  conjure  de  rendre  à  notre  pendule  ce  qu'elle 
vous  donne.  Ayez  soin  de  son  avancement.  Dieu  soit 
avec  vous  et  avec  elle.  Amen ,  amen. 


LETTRES    SPIRITUELLES. 


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308. 

Sur  reiitrevue  de  Fénelon  avec  le  Duc  do  Bourgogne. 
A  Cambrai ,  27  avril  1702. 

Je  n'ai  vu  M.  le  Duc  de  Bourgogne  qu'en  public, 
et  un  petit  quart  d'heure.  Ce  qui  parait  un  adou- 
cissement n'en  est  pas  un;  mais  il  faut  prendre  chaque 
chose  comme  elle  Tient,  et  se  laisser  sans  réserve  à 
la  Providence.  Je  ne  vous  remercie  point ,  madame , 
de  tout  ce  que  vous  pensez  là-dessus  ;  je  suis  au- 
delà  de  tout  compliment  avec  vous.  Je  pars,  et  je  n'ai 
pas  un  moment  pour  répondre  à  Mi»^  la  Comtesse  de 
Souastre.  J'espère  de  la  trouver  ici  avec  vous  à  mon 
retour,  et  d'aller  ensuite  la  voir  à  Vendegies  pen- 
dant l'été. 


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309. 


Sur  l'entrevue  qu'il  a  eue  avec  le  Duc  de  Bourgogne.  La  paix  intérieure 
incompatible  avec  la  résistance  à  Tattrait  divin. 

A  Valenciennes  ,  3  mai  1J02. 

La  révérence  que  j'ai  faite  à  M.  le  Duc  de  Bourgogne 
n'est  pas ,  madame ,  ce  que  vous  croyez  :  il  s'en  faut 
bien  que  ce  ne  soit  un  véritable  adoucissement  de  mes 
affaires  ;  mais  il  faut  demeurer  en  paix.  Demeurez-y 
aussi ,  puisque  Dieu  vous  y  met.  Vous  voyez  com- 
ment Dieu  vous  ménage.  Dès  que  vous  résistez  à  votre 
attrait ,  le  trouble  suit  la  résistance  ;  dès  que  la  ré- 
sistance cesse,  la  paix  revient.  Peut-on  voir  rien  de  plus 
sensible  ?  C'est  la  colonne  de  nuée  le  jour ,  et  de  feu 


LETTIŒS    SPIRITUELLES.  585 

la   nuit ,   qui   conduisait    les  Israélites.  Gardez   donc 
votre  paix  ,   et  que  votre  paix  garde  votre  cœur. 

Nourrissez-vous  de  bonnes  lectures ,  pour  rappeler 
l'oraison.  Surtout  soyez  simple  et  ou\erte.  Déliez- 
vous  de  votre  délicatesse ,  qui  est  pour  vous  le  plus 
dangereux  écueil.  Il  ne  faut  plus  coiniaître  qu'une 
seule  délicatesse ,  qui  est  celle  de  Dieu  :  il  est  juste 
qu'il  soit  délicat  et  jaloux.  Notre  partage  doit  être  la 
simplicité  toute  pure,  et  la  fidélité  à  la  grâce.  Je  vous 
recommande  M'"*'  d'Oisy  j  elle  a  grand  Lesoin  de  votre 
secours.  Son  attachement,  sa  conliance  et  sa  situation 
méritent  tous  vos  soins ,  quand  vous  serez  à  portée 
de  les  lui  donner.  Je  suis  plein  de  zèle  et  de  véné- 
ration pour  notre  honne  pe?idule.  Que  la  paix  de  Dieu, 
qui  surpasse  tout  sentiment  humain^  garde  votre  cœur 
et  votre  esprit  eti  Jésus-Christ  {a). 

(o)  Philip.  IV.   ^. 


310. 

Il  annonce  à  la  Comtesse  qu'il  a  promis  au  Comte ,  son  époux ,  de  la 

confesser. 

A  Tournai,  ii  mai  ijo2. 

M.  le  Comte  de  Montberon  m'a  demandé ,  ma- 
dame ,  de  votre  part ,  que  je  m'engageasse  à  vous 
confesser  ,  quand  vous  en  auriez  besoin.  J'ai  répondu 
un  oui  tout  simple,  et  sans  façon,  de  très-bonne  grâce. 
Voyez  combien  je  suis  honnête  homme.  Vous  voilà 
en  liberté  à  cet  égard ,  et  il  ne  tiendra  pas  à  moi  que 
vous  ne  donniez  à  votre  cœur  toute  la  paix  dont  il  a 


586  LETTRES    SPIRITUELLES. 

besoin.  Il  me  tarde  de  vous  savoir  à  Cambrai,  comme 
le  poisson  dans  l'eau.  Je  souhaite  fort  que  la  chère 
pendule  vous  y  tienne  un  peu  compagnie.  O  que  je 
lui  sais  bon  gré  de  tout  ce  qu'elle  a  fait  pour  vous  ! 
Dieu  le  lui  rende  avec  usure. 

On  dit  que  M'^^  d'Oisy  a  été  à  Arras.  Elle  sera  bien 
dans  ses  affaires  ,  quand  elle  vous  aura  à  Cambrai.  Je 
suis  fâché  de  ce  que  M.  son  frère  s'en  retourne  si 
promptement.  Je  n'ai  fait  jusqu'ici  que  des  débau- 
ches dans  la  ville  de  Tournai.  Je  vais  demain  visiter 
les  villages.  M.  le  Comte  de  Montberon  vous  dira  tous 
nos  excès  scandaleux. 

311. 

C'est  daus  la  privation  des  douceurs  sensibles ,  que  l'on  acquiert  la 
vertu  solide. 

A  Vezon ,  i3  mai  ijo2. 

M.  le  Comte  de  Montberon  vient ,  madame  ,  de 
m'envoyer  de  Tournai  un  courrier  dans  ce  village , 
pour  me  porter  votre  paquet.  Voyez  jusqu'où  va  la 
vivacité  de  ses  soins.  Vous  en  devez  prendre  la  prin- 
cipale partie  sur  votre  compte  j  mais  j'ose  en  prendre 
un   peu  sur  le  mien. 

Je  suis  ravi  de  voir  l'égalité  et  la  fidélité  de  notre 
bonne  pendule  dans  la  sécheresse  qu'elle  éprouve.  On 
ne  sait  encore  rien ,  quand  on  n'a  point  passé  par  les 
privations  des  ferveurs  sensibles.  Un  jour  de  persé- 
vérance dans  la  peine  est  plus  agréable  à  Dieu  ,  et 
avance  davantage  une  ame,  que  plusieurs  années  dans 
Fenivrement  des  prospérités  spirituelles,  où  l'on  dit 


LETTRES    SPIRITUELLES.  SSy 

comme  saint  Pierre  :  Nous  sommes  bien  ici  {a).  Votre 
amie  a  besoin  de  vous  ,  et  vous  voyez  le  bien  que 
vous  lui  faites.  Je  vous  la  lecomjnantlerais  de  tout 
mon  cœur,  si  ce  n'était  vous  l'aire  injure,  (jue  de 
vous  recommander  une  personne  qui  vous  est  si  chère. 
J'en  espère  beaucoup  ,  et  il  me  tarde  bien  de  voir  ce 
([ue  vous  avez  fait  dans  son  cœur.  Mais  vous  ,  qui 
faites  du  bien  aux  autres  ,  ne  vous  faites  plus  de  mal 
à  vous-même.  Ne  vous  écoutez  plus;  n^écoutez  que 
celui  dont  la  voix  vivifie  l'ame  ,  en  l'anéantissant. 
Surtout  défiez-vous  de  votre  délicatesse ,  comme  de 
la  plus  dangereuse  tentation.  Dieu  soit  en  vous ,  et 
vous  possède ,  jusqu'à  ne  vous  plus  permettre  de  vous 
posséder. 

(a)  Matth.  xvii.  4» 

312. 

S'ouvrir  avec  une  entière  libertë.  Avis  à  la  Comtesse  pour  ses  confessions. 

A  Saiiil-Ghislaiu  ,  19  mai  1702. 

Il  n'y  a  ,  madame ,  trop  de  vivacité  que  dans  la 
crainte  d'en  avoir  eu  trop.  Ne  craignez  jamais  ,  je 
vous  conjure ,  de  n'être  pas  assez  mesurée  avec  moi. 
Quand  je  verrai  du  trop  en  quelque  genre  ,  je  n'at-^ 
tendrai  pas  que  vous  me  le  demandiez  ;  je  vous  pré- 
viendrai très-librement.  Pour  vos  confessions  ,  faites 
le  moins  mal  que  vous  pourrez  jusqu'à  mon  retour. 
Je  n'ose  vous  donner  aucune  règle  précise  là-dessus, 
parce  que  toute  règle  peut  se  tourner  chez  vous  en 
gêne  et  en  scrupule.  Tout  dépend  du  confesseur.  Le 
moins  vous   confesser  est  certainement  le   meilleur. 


588  LETTRES    SPIRITUELLES. 

O  que  je  révère  et  aime  en  Notre-Seigneur  notre  bonne 
pendule  !  Je  n'ai  pas  un  seul  moment  pour  écrire  à 
Oisy  ;  mais  je  conjure  Mm^"  la  Comtesse  de  Souastre  d'y 
mander  que  je  suis  ravi  des  larmes  qu'on  a  versées , 
et  de  la  joie  que  cause  la  guérison  (i).  Il  ne  faut  pas 
s'en  applaudir ,  mais  renvoyer   tout  à  Dieu. 

Qu'il  me  tarde  d'avoir  l'Iionneur  de  vous  revoir  ! 
mais  hâtez-vous  d'être  bien   guérie. 

M.  le  Comte  de  Montberon  est  le  meilleur  homme 
que  je  connaisse  ,  et  je  ne  puis  songer  à  lui  sans  avoir 
le  cœur  attendri. 


(l)  Voyez  la  lettre  Sg  de  la  Correspondance  de  famille ,  tom.  II, 
pag,   95. 


313. 

Sur  la  santé  de  la  Comtesse ,  et  sur  le  progrès  spirituel  d'une  de  ses  amies. 

A  Bavay ,  26  mai  ijoa. 

Je  ne  suis  point  surpris  ,  madame  ,  de  tout  le  bien 
que  vous  trouvez  de  plus  en  plus  dans  le  cœur  de 
votre  amie.  Son  fond  naturel  est  bon  ,  et  Dieu  le  fait 
croître  chaque  jour.  0  que  les  âmes  toutes  neuves  , 
et  qui  n'ont  point  encore  pris  de  travers  sur  la  piété , 
sont  agréables  à  Dieu ,  et  susceptibles  de  progrès  ! 
N'avez-vous  pas  grondé  cette  amie  d'avoir  fait  à  pied 
un  pèlerinage  à ?  C'était  vouloir  guérir  une  ma- 
ladie par  une  autre  aussi  dangereuse.  Mon  Dieu  ,  que 
je  voudrais  que  vous  fussiez  en  état  de  commettre 
de  pareilles  fautes  !  Quand  reviendra  le  temps  où  vous 
alliez  en  plein  hiver  à  pied  à Hâtez-\  ous ,   s'il 


LETTRES    SPIRITUELLES.  58g 

VOUS  plaîl ,  de  vous  remettre  dans  le  même  état. 
Pour  moi ,  je  jugerai  de  votre  esprit  par  votre  corps  , 
et  je  ne  croirai  Dieu  content,  ([ue  ([uand  M.  Bour- 
don le  sera.  Je  ne  prêcherai  point  à  la  Pentecôte ,  à 
moins  que  Tarrivée  de  M.  le  Comte  de  ]VIontl)eron  ne 
m'inspire  quelque  sermon  d'enthousiasme.  Samedi  , 
veille  de  la  fête,  j'aurai  l'honneur  de  vous  voir  et 
il  n'y  a  que  votre  santé  qui  puisse  rendre  ma  joie 
imparfaile. 

314. 

Chacun  doit  être  content  de  ce  que  Dieu  lui  donne. 

Mardi ,  6  juin   1702. 

Vous  voilà  bien  seul ,  madame ,  et  moi  en  trop 
nombreuse  compagnie.  Votre  solitude  est  plus  douce  -, 
mais  chacun  doit  être  content  de  garder  son  partage. 
Il  me  tarde  de  retourner  chez  vous  ;  mais  je  n'en  ai 
pas  le  temps  aujourd'hui.  Ne  touchez  point  du  pied 
à  terre,  et  demeurez  en  paix  avec  les  bons  amis  que 
vous  foulez  aux  pieds.  Vous  serez  encore  plus  à  votre 
aise,  quand  vous  serez  contente  sans  avoir  besoin 
d'eux.  Je  prie  Dieu  qu'il  soit  lui  seul  toutes  choses 
en  vous. 

315  *.  (22G) 

Reconnaître  ses  fautes  avec  humilité  ,  mais  sans  trouble. 
A  Cambrai,  vendredi  aS  juin  1^02. 

En  A'érité ,  madame  ,  je  ne  saurais  vous  exprimer 
toute  ma  douleur  sur  votre  état.  Les  choses  que  vous 


5qO  LETTRES    SPIRITUEIXES. 

VOUS  reprochez  ne  sont  rien  :  ce  n'est  pas  l'esprit  de 
Dieu^  mais  le  vôtre,  qui  les  rappelle.  Dieu  ne  donne 
point  de  ces  retours  inquiets.  Lors  même  qu'il  nous 
montre  nos  fautes ,  il  nous  les  représente  avec  dou- 
ceur ;  il  nous  condamne  et  nous  console  tout  ensem- 
ble. Il  humilie  sans  troubler ,  et  il  nous  tourne  pour 
lui  contre  nous,  de  manière  que  nous  avons  la  con- 
fusion de  notre  misère  avec  la  paix  la  plus  intime. 
Le  Seiyneur  n'est  jpoint  dans  V agitation  [a). 

Je  suppose  que  le  goût  de  la  conversation  vous  a 
un  peu  entraînée  ,  que  vous  avez  donné  trop  de  U- 
berté  à  -^tre  esprit ,  que  l'amour-propre  a  voulu 
prévaloir  :  en  un  mot ,  je  suppose  tout  ce  que  la  vi- 
vacité et  la  délicatesse  de  vos  scrupules  peut  vous 
exagérer.  Hé  bien  !  qu'en  faut-il  conclure  ?  Voulez- 
vous  renoncer  à  toute  société  ?  Voulez-vous  fermer 
votre  porte  à  vos  meilleures  amies  ,  qui  ont  besoin 
de  vous ,  et  à  ceux  mêmes  de  qui  vous  êtes  convain- 
cue que  vous  avez  besoin  pour  aller  à  Dieu  ?  Voulez- 
vous  rejeter  les  consolations  mêmes ,  sans  lesquelles 
vous  ne  pouvez  raisonnablement  espérer  de  guérir 
votre  corps  abattu  et  languissant  ?  Voulez-vous  ache- 
ver de  vous  épuiser  dans  une  vie  solitaire ,  qui  mine 
votre  tempérament ,  et  ne  vous  laisse  aucune  res- 
source ?  On  dit  que  saint  Bernard  prêchant  avec  un 
grand  succès,  il  se  sentit  flatté  de  vaine  complaisance, 
et  fut  sur  le  point  de  descendre  de  chaire.  Mais  l'es- 
prit de  Dieu  lui  fit  connaître  que  c'était  une  subtile 
tentation  de  scrupule ,  qui  l'alarmait  trop  sur  la  ten- 
tation de  vanité ,  et  il  se  répondit  à  soi-même  en  con- 

(a)  ///  Reg>  XIX.   II. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5c)  [ 

tinuant  son  sermon  :  «  Ce  n'est  point  la  vanité  qui 
»  m'a  liùt  monter  ici ,  elle  a  beau  me  flatter ,  elle 
»  ne  m'en  fera  pas  descendre.  » 

Supposé  même  que  vous  commettiez  de  véritables 
inlidélités  dans  ces  occasions ,  a  ous  ne  pouvez  y  re- 
noncer. Il  ne  s'agit  point  de  péchés  mortels  ni  con- 
sidérables ,  il  ne  s'agit  que  de  ces  fautes  vénielles  que 
ramour-pro})re  renouvelle  si  souvent,  et  qu'on  n'évite 
jamais  entièrement  en  cette  vie.  Les  occasions  que 
vous  voudriez  quitter  sont  nécessaires  et  de  provi- 
dence ;  elles  entrent  dans  votre  vocation.  En  les  re- 
tranchant, vous  vous  rendriez  responsable  de  la  chute 
d'autrui ,  et  de  votre  propre  dommage  spirituel;  vous 
vous  fermeriez  le  cœur  ,  vous  vous   le  dessécheriez. 

De  plus  ,  ne  croyez  pas  qu'au  sortir  de  telles  con- 
versations ,  Dieu  se  retire  de  vous ,  pour  vous  punir , 
et  qu'il  vous  prive  des  grâces  de  l'oraison.  Non,  c'est 
votre  scrupule  seul ,  qui ,  en  vous  agitant  et  en  vous 
occupant  de  vos  prétendues  fautes  ,  vous  trouble  , 
vous  fait  agir  contre  l'attrait  de  simplicité  et  de  paix, 
vous  dérobe  la  présence  de  Dieu,  et  fait  tarir  la  source 
des  grâces  sensibles  dans  votre  intérieur.  N'écoutez 
point  vos  vains  scrupules  ;  tâchez  de  vous  calmer  ; 
accoutumez-vous  à  compter  pour  rien  ce  qui  ne  mé- 
rite point  de  vous  distraire  de  Dieu.  N'admettez  d'au- 
tre regret  de  telles  fautes ,  que  celui  que  la  paisible 
présence  de  Dieu  vous  inspirera.  Vous  verrez  que 
cette  privation  des  douceurs  de  l'oraison  vous  vient, 
non  de  Dieu ,  qui  veuille  vous  punir  de  vos  conver- 
sations ,  mais  au  contraire  de  vos  retours  sur  vous- 
même  ,  par  lesquels  vous  vous  desséchez ,  et  résistez 
à  l'esprit  de  grâce. 


5c)2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Je  dois  vous  dire  devant  Dieu  ,  que  je  ne  connais 
point  d'état  plus  dangereux  ,  ni  plus  opposé  à  la  per- 
fection ,  que  l'extrémité  où  vous  voudriez  vous  jeter 
pour  être  parfaite.  La  véritable  conduite  des  âmes  de 
grâce  est  simple  ,  paisible  ,  commune  à  l'extérieur, 
éloignée  des  extrémités.  Vous  êtes  scrupuleuse  sans 
mesure  pour  des  vétilles  qui  n'ont  besoin  que  d'un 
seul  remède  ,  qui  est  de  les  laisser  passer  sans  y 
songer;  et  vous  ne  faites  aucun  scrupule  de  tuer  votre 
corps ,  de  dessécher  votre  intérieur ,  de  résister  à 
votre  grâce ,  d'être  indocile ,  et  de  vous  ronger  de 
scrupules  qu'on  ne  pourrait  souffrir  à  un  enfant  de 
sept  ans.  Au  nom  de  Dieu  ,  croyez-moi ,  et  essayez 
de  passer  par-dessus  vos  peines  touchant  les  conver- 
sations et  autres  choses  semblables.  Si  vous  pouvez 
parvenir  à  n'y  avoir  volontairement  aucun  égard  , 
vous  sentirez  la  liberté  des  enfans  de  Dieu  ;  et  loin 
de  perdre  votre  oraison ,  vous  la  verrez  plus  forte 
et  plus  intime.  Il  suffit  de  s'arrêter ,  quand  l'esprit 
de  grâce  fait  voir  paisiblement  que  ce  qu'on  dirait 
n'est  pas  au  goût  de  Dieu ,  et  qu  à  se  condamner  en 
paix ,  quand  on  a  fait  la  faute  de  ne  s'arrêter  pas  ; 
après  quoi  il  faut  aller  bonnement  son  chemin.  Tout 
ce  que  vous  y  mettez  de  plus  est  de  trop ,  et  c'est 
ce  qui  forme  un  nuage  entre  Dieu  et  vous. 

316. 

Il  est  bon  de  sentir  notre  impuissance ,  pour  ne  compter  que  sur  Dieu, 

A  Cambrai  ,  jeudi  ag  juin  1702. 

Le  courage  me  manque  pour  vous  aller  voii'.  Don- 
nez-le-moi ce  courage,  madame;  je   meurs  d'envie 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5g3 

<le  le  tenir  de  vous.  En  attendant,  je  prie  celui  qui 
])^ut  seul  tenir  votre  cœur  ,  pendant  qu'il  échappe  à 
tjiil  ce  qui  devrait  le  modérer  et  le  remettre  en  paix. 
Ce  qui  me  console  dans  la  tristesse  où  vous  me  ré-- 
duisez,  c'est  qu'il  est  bon  de  sentir  toute  notre  im^ 
puissance  de  bien  faire ,  et  de  ne  voir  plus  de  res- 
source humaine ,  pour  ne  compter  plus  que  sur  la 
seule  grîice  de  Dieu.  Vous  faites  bien  tout  ce  qu'il 
faut ,  pour  me  mettre  dans  cet  état  de  pure  foi*  J'es- 
père contre  toute  espérance ,  et  je  vous  poursuivrai 
partout,  pour  ne  vous  laisser  jamais  écarter  de  là 
voie  de  Dieu.  Lui  seul  sait ,  et  je  le  prie  de  voua 
faire  sayoir  avec  quel  zèle  je  vous  suis  dévoué  eti  lui* 


317. 

Agir  eu  tout  avec  paix ,  simplicité  et  confiance. 

1  juillet  1702. 

Je  viens ,  madame  ,  d^écrire  à  votre  amie ,  et  de 
lui  mander  qu'elle  sera  ravie  de  vous  voir  demain. 
Ce  que  vous  cherchez  n'est  point  dans  le  portefeuille 
<{ue  vous  m'avez  rendu  -,  je  l'ai  visité  très-exactementi 
Ne  faites  rien  pour  le  dîner  de  demain  ,  qui  vous 
gène  ,  ni  qui  dérange  M.  Bourdon  pour  les  besoins 
de  votre  santé.  Comme  il  faut  dire  à  d'autres  de  ce 
coîïtraindre,  il  faut  vous  vous  dire  sans  cesse  de  ne  vous 
contraindre  pas.  Tout  se  tournera  pour  vous  en  nour - 
liture  ,  dès  que  votre  cœur  ne  se  fermera  point.  Vous 
n'avez  pas  besoin  de  grands  discours;  il  ne  vous  faut 
que  la  paix  et  la  simplicité  avec  la  conliance.  O  que 
Dieu  est  loin  de  Daiival  ,  et  que  Danval  est  proche 

CORRESP.    IV.  23 


5q1  lettres  spirituelles. 

de  vous-même  !  Si  la  paix  est  dans  l'occupation  de 
soi ,  vous  seriez  en  paix  à  Danval  ;  mais  si  la  paix 
est  en  Dieu ,  c'est  à  Cambrai  que  vous  la  trouverez. 
N'en  parlons  plus  de  ce  vilain  Danval  :  l'air  y  est 
malsain ,  la  terre  ingrate ,  les  eaux  bourbeuses  ,  les 
fruits  amers.  Un  désert  plein  de  nous-mêmes  n'est 
plus  désert.  Tout  lieu  oii  Dieu  habite ,  et  nous  invite 
à  être  avec  lui ,  est  la  terre  promise  d'où  découlent 
le  lait  et  le  miel. 

318. 

Il  annonce  à  la  Comtesse  rarrivée  prochaine  de  la  Duchesse  de  Mortemart. 

(Juillet  170a.  ) 

Je  serai  ravi ,  madame ,  pour  votre  satisfaction  et 
pour  celle  de  votre  amie ,  que  vous  alliez  la  voir.  Je 
suis  même  très-aise  de  voir  que  rien  ne  vous  gêne. 
Mais  je  n'ose  entreprendre  de  parler  sur  tout  ce  qui 
touche ^votre  santé;  c'est  à  M.  Bourdon  à  décider,  et 
à  en  rendre  compte  à  M.  le  Comte  de  Montberon. 
Pour  tout  le  reste ,  je  ne  vois  rien  qui  ne  me  paraisse 
à  souhait. 

]\/[me  la  Duchesse  de  Mortemart  me  mande  que  son 
humeur  est  très-sauvage  ,  mais  que  tout  ce  qu'on  lui 
dit  de  vous  ne  lui  fait  point  de  peur.  Elle  arrivera 
ici  après-demain.  Je  ne  vous  dis  point  combien  je 
sens  tous  vos  soins  pour  M^^^  de  Chevry  ;  je  vous  dois 
là-dessus  plus  que  des  remercîmens,  et  je  vous  sup- 
plierai de  souffrir  un  paiement  de  somme  avancée 
pour  les  eaux  de  Spa. 


LETTRES    .SPI«ITl'EI,LES.  5r)5 


fc'V%%^;»»i%%%^iV*'%%%  ■»»%/»%/% 


319. 

S'occuper  beaucoup  de  Dieu  ,  et  peu  de  soi-môme. 

A  Cambrai.  8  jnilh't  Tjoa. 

La  personne  sauv«^ge  (i)  ne  le  sera  point  pour  vous , 
madame.  Jouissez,  tant  qu'il  vous  plaira,  du  repos, 
du  beau  temps  et  de  la  bonne  compagnie.  Faites  du- 
rer ,  le  plus  que  vous  pourrez  ,  le  plaisir  d'une  amie 
qui  est  ravie  de  vous  posséder  chez  elle.  Ensuite , 
quand  vous  reviendrez  ici  ,  je  serai  très-aise  que  vous 
apprivoisiez  les  gens  sauvages.  Portez-vous  l)ien  ;  mé- 
nagez vos  jambes  ,  et  encore  plus  votre  esprit.  Occu- 
pez-vous beaucoup  de  Dieu ,  et  peu  de  vous  :  vous 
vous  retrouverez  assez  en  lui.  J'ai  coui'u  dans  la 
roie  de  vos  commandeinens  ,  quand  vous  avez  élargi 
mo7i  cœur  (a). 

:  '  Le  pain  d'Oisy  est  de  bon  goût  :  il  sent  le  cœur 
de  la  personne  qui  l'a  envoyé.  Je  n'ai  pas  un  moment 
pour  lui  écrire  ;  mais  elle  me  dispensera  bien  d'un 
remercîment.  Je  suis  bien  hardi  quand  je  compte  sur 
vous.  J'espère  que  vous  voudrez  bien  rendre  compte 
de  mes  sentimens  pour  M.  et  pour  M'^e  la  C.  d'Oisy. 
Je  voudrais  bien  que  vos  bons  olfices  s'étendissent 
jusqu'auprès  de  M'"«  la  Marquise  de  Risbourg. 

(i)  La  Duchesse  de  Mortemart.  Voyez,  la  lettre  pre'ce'dente. 
[a)  Ps.  cxviii.    32. 


2.) 


"IV 


5q6  lettres  spirituelles. 

32a 

Même  sujet. 

A  Cambrai,  12  juillet  1702. 

Je  suis  ravi ,  madame ,  de  savoir  les  beaux  jours 
que  vous  avez  passés  à  Oisy.  Votre  amie  est  charmée 
de  vous  y  posséder  encore.  Je  l'ai  vivement  pressée 
pour  l'engager   à  aller  à  Arras.   Demeurer  chez  soi 
pour  les  étrangers  qui  y  sont ,  c'est  la  politesse  ordi- 
naire :  laisser  chez  soi  son  amie  seule  et  maîtresse , 
c'est  un  trait  d'amitié  intime  ;  c'est  être  au-delà  de 
toute  cérémonie  ;  c'est  la  marque  d'une  confiance  mu^ 
tuelle.  En  parlant  ainsi ,  j'ai  cru  être  assuré  de  suivre 
votre  cœur.  Au  nom  de  Dieu,  ne  laissez  former  au- 
cun nuage  qui  trouble   votre  paix.   Les  grossièretés 
de   l'amour-propre    excitent  ,    beaucoup  moins   que 
ses  délicatesses,  la  jalousie  de  Dieu.  Oubliez-vous; 
ne  vous  écoutez  point  ;  laissez  tomber  les  réflexions, 
et  vous  serez  en  paix  :  c'est  ce  que  je  demande  sou- 
vent pour  vous  à  Dieu.  Si  peu  qu'il  vous  convienne 
que  j'aille   vous   voir   à   Oisy,   j'irai  d'abord  :  sinon 
j'attendrai  votre  retour  pour  avoir  l'honneur  de  vous 
voir.  Je  suis  toujours  surchargé  de  menues  occupa- 
tions, qui  sont  assez  épineuses;  mais  aucune  ne  me 
retiendra ,  dès  que  vous  me  donnerez  sans  façon  le 
moindre  signal. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  5ç)'J 

321. 

L'obéissance,  seul  remode  contre  les  scrupules. 

Au  Qucsnoy,  iG  scplembre   170a. 

Je  suis  en  peine  de  vous ,  madame ,  et  les  expé- 
riences jwssées  me  rendent  ondjiageux.  Quelqu'un 
m'a  dit  que  vous  vouliez  aller  avec  M™^  la  Comlesse 
de  Sonaslre  à  Valencieimes.  Votre  santé  permet-elle 
ce  \  oyage  ?  M.  Bourdon  Tapprouve-t-il  ?  Toute  ab- 
sence de  Cambrai  m'est  suspecte.  J'y  retournerai  mer- 
cretli  prochain ,  et  je  vous  supplie  de  faire  en  sorte 
que  je  vous  y  trouve.  Si  vous  avez  quelque  peine  , 
lacliez  de  la  vaincre ,  et  de  communier.  L'obéissance 
est  le  seul  remède  à  ces  sortes  de  maux.  Les  peines 
ne  sont  qu'à  demi  peines ,  tandis  qu'on  ne  les  écoute 
point  volontairement.  Elles  ne  deviennent  si  domi- 
nantes ,  que  quand  on  les  fortifie  contre  soi-même , 
en  leur  prêtant  l'oreille.  Il  ne  faut  donc  pas  s'excu- 
ser sur  leur  violence ,  puisque  c'est  de  votre  volonté 
qu'elles  reçoivent  ce  qui  vous  entraîne.  Votre  pré- 
texte pour  désobéir  est  de  dire  (pi'on  ne  sait  pas  votre 
état ,  et  qu'on  n'a  pas  écouté  toutes  vos  raisons.  Mais 
quelle  est  la  personne  indocile  dans  ses  vains  scru- 
pules ,  qui  n'en  dise  pas  autant  pour  s'autoriser  dans 
sa  désobéissance  ?  Tournez  votre  scrupule  contre  votre 
indocilité  :  vous  avez  l'expérience  que  vos  raisons, 
(lès  que  vous  les  dites ,  ne  sont  plus  des  raisons.  Il 
ne  faut  donc  plus  les  écouter ,  mais  obéir  simplement , 
et  ne  compter  pour  rien  une  imagination  vive  et  in- 
épuisable ,  à  laquelle  vous  vous  êtes  livrée  si  lon^- 


5q8  LETTRES    SPIRITUELLES. 

temps.  Je  prie  Notre-Seigneur  de  vous  donner  sa  paix  , 
et  je  vous  suis  dévoué  en  lui  sans  réserve. 

% V%  V«^  %W%  VV%  V%A  VV« '%%^  X%%  V%«  %'«(«  %V%'VV%  %%A -«^A  Vl^'Vt^  VV%/VV«  V^  1 /VVl '%%«  "VVk  <VV%  VV%  «/V« /%%^ A%« 

322. 

Même  sujet. 

A  Haspres,  29  septembre  170a. 

Je  suis  toujours  en  peine  de  vous ,  madame  ,  et  je 
voudrais  vous  pouvoir  garder  à  vue  ,  tant  je  me  défie 
de  vos  scrupules.  J'espère  néanmoins  que  vous  aurez 
à  l'avenir  des  vues  qui  n'étaient  pas  auparavant  assez 
distinctes  dans  votre  esprit ,  et  que  vous  serez  plus 
ferme  dans  la  simplicité  que  Dieu  demande  de  vous. 
Je  ne  puis  arriver  à  Cambrai  que  mercredi  prochain. 
Si  vous  pouvez  vers  ce  temps-là  dérober  'W^^  la  Com- 
tesse de  Souastre  à  sa  compagnie  de  Vendegies  pour 
un  jour  ou  deux ,  j'en  serai  ravi.  L'arrivée  de  M.  le 
Comte  de  Montberon ,  qui  doit  arriver  à  Cambrai  vers 
le  même  temps ,  pourra  être  une  forte  raison  pour 
faire  agréer  à  ses  amies  qu'elle  fasse  une  petite  alisence. 

Je  vous  laisse  la  paix  ,  dit  Jésus-Christ  (a)  :  je  vous 
donne  ma  paix.  Je  ne  vous  la  donne  pas  cotnme  le 
inonde  donne  la   sienne. 

[a)  Juan.  xiv.  27. 

•%%«  X-V%  V%«  %%«  «V»  V»« -VIA  %•%/«  <v%«  v«%  ^v«  «««  vv«  vv«  vv%««%  «««  %%%■%%«%««  «««-«««^ -vv*  >««« -^^^  vv»  «%« 

323  *  R.  (228) 

Pratiquer  Texercice  de  la  direction  avec  un  grand  esprit  de  foi  et  de 
mort  à  soi-même. 

Vendredi,  i3  octobre  1702. 

Dieu  m'a  donné  bien  des  croix ,  madame  ;  mais  je 
n'en  ai  jamais  porté  aucune  avec  plus  de  douleur  que 


LElTr>ES    SPIRITLELLCS.  SoQ 

celle  de  ce  soir.  J'espère  que  Dieu  fera  tout  seul  ce 
qu'il  n'a  point  lait  par  ma  parole.  Je  le  prie  de  \ous 
faire  sentir  combien  vos  réflexions  vous  trompent,  et 
combien  je  suis  éloigné  de  ce  que  vous  croyez  voir 
en  moi.  Supposé  même  que  je  lusse  tel  que  vous  le 
croyez  ,  a  ous  ne  devriez  pas  hésiter  un  moment  à  sui- 
vre le  choix  de  Dieu  ,  et  à  recevoir  ses  dons  par  le 
canal  qu'il  aurait  choisi.  Le  canal  n'en  serait  que  plus 
pur  à  voire  égard ,  et  que  plus  sur  pour  A  ous  por- 
ter la  grâce  sans  mélange.  Votre  délicatesse  ne  serait 
qu'une  tentation  d'amour-propre  qu'il  faudrait  reje- 
ter ,  et  vous  devriez  recoiuiaître  ,  à  cette  marque  , 
combien  vous  êtes  encore  trop  sensible  aux  choses 
auxquelles  il  faut  mourir. 

La  direction  n'est  point  un  commerce  où  il  doive 
entrer  rien  d'humain,  quelque  innocent  et  régulier 
qu'il  soit  :  c'est  une  conduite  de  pure  foi ,  toute  de 
grâce  ,  de  fidélité  ,  et  de  mort  à  soi-même.  Qu'im- 
porte que  la  médecine  céleste  soit  dans  un  vase  d'or 
ou  dans  un  vase  d'argile ,  pourvu  qu'il  soit  présenté 
de  la  main  de  Dieu  ,  et  qu'il  contienne  ses  dons.  Si 
j'agis  sans  goût  et  avec  répugnance  par  pure  fidélité  , 
Dieu  en  sera  plus  purement  et  plus  eflicacement  en 
moi  pour  vous.  Que  voulez-vous ,  sinon  Dieu  seul  ? 

Ne  vous  suflit-il  pas  ?  Voulez-vous  lui  faire  la  loi 
pour  rejeter  ses  dons  ,  à  moins  qu'il  ne  les  fasse  pas- 
ser par  une  personne  qui  suive  son  goût ,  et  qui  con- 
tente votre  amour -propre  ?  Peut-on  voir  une  ten- 
tation plus  marquée  que  celle-là  ?  Reconnaissez  une 
miséricorde  inlinie  en  Dieu  ,  qui  veut ,  par  cet  endroit , 
vous  convaincre  d'un  fonds  d'amour-propre  très-vif 
et   Irès-rafliné.  N^est-ce  pas   un  grand  bonheur  que 


GOO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

VOUS  nous  ayez  découvert  votre  peine  ?  Vous  ne  pour- 
riez jamais  bien  juger  toute  seule  de  votre  cœur  là- 
dessus. 

Je  conclus  ,  madame ,  que ,  supposé  même  que  je 
sois  disposé  comme  vous  l'avez  cru ,  vous  n'en  devez 
être  que  plus  fidèle  et  plus  constante  à  vous  assujettir 
à  l'instrument  que  Dieu  emploie  pour  vous  exercer , 
et  pour  vous  faire  mourir  à  vous-même.  Eh!  peut-il 
y  avoir  rien  de  plus  propre  à  opérer  la  mort ,  que  la 
docilité  pour  un  homme  qui  ne  donne  aucun  aliment 
à  la  vie  de  l'amour-propre  ?  Reconnaissez  donc  en 
simplicité  devant  Dieu  l'excès  de  la  tentation  ,  puis- 
que ce  qui  vous  soulève  et  vous  déconcerte  ,  n'est 
qu'une  peine  de  la  nature ,  qui  ne  trouve  point  de 
quoi  se  nourrir ,  et  qui  voudrait  un  appui  flatteur. 


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324. 

Découvrir  ses  tentations  et  ses  peines  intérieures  promplement  et  avec 
simplicité. 

Lundi  au  soir,   17  octobre  1702. 

Vous  m'avez  causé  ,  madame  ,  une  peine  que  je  ne 
saurais  vous  exprimer  :  elle  a  été  suivie  d'une  joie 
qui  n'a  pas  été  moindre.  Au  nom  de  Dieu  ,  ne  la  trou- 
blez pas.  Dès  que  ^ous  verrez  naître  la  tentation  sur 
quelque  chose  que  vous  croirez  voir  ,  ne  vous  laissez 
point  aller  à  juger  \  mais  hâtez-vous  de  vous  éclair- 
cir  avec  moi.  La  simplicité  et  la  fidélité  avec  la- 
quelle vous  m'ouvrirez  votre  cœur ,  portera  sa  grâce 
avec  elle  ,  et  sera  votre  contre-poison.  Je  ne  vous 
déguiserai  jamais  aucun  fait ,  et  je  vous  avouerai  les 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6oi 

choses  les  plus  capables  de  vous  ])lesser,  plutôt  que 
de  les  adoucir  par  le  moindre  déguisement.  Mais  ne 
vous  aîlaeliez  jamais  à  de  vraisendjlances  :  si  on 
doit  se  délier  de  son  propre  sens  ,  et  s'en  détaclier 
avec  une  humble  docilité ,  dans  les  choses  même  les 
plus  certaines  selon  nos  vues ,  à  plus  forte  raison 
doit-on  éviter  la  présomption,  l'indocilité,  et  l'atta- 
chement à  son  seus ,  quand  il  s'agit  de  conjectures 
sur  lesquelles  on  veut  deviner  contre  le  prochain. 
Vous  avez  même  l'expérience  de  divers  mécomptes 
dans  cet  art  de  deviner.  Le  scrupule  doit  se  tourner 
contre  ces  sortes  de  jugemens  téméraires.  La  cha- 
rité croit  tout  y  espère  tout ,  attend  tout  j  et  7ie  soup- 
çonne point  le  mal  (a).  Au  contraire  ,  l'amour-propre 
est  délicat ,  jaloux  ,  soupçonneux  ,  empressé  à  de- 
viner ,  et  ingénieux  pour  se  tourmenter  soi-^méme. 
0  que  la  simplicité  vous  donnerait  de  paix  ,  et  que  la 
paix  vous  ferait  faire  de  progrès  sans  interruption  l 
Mon  Dieu ,  agissons  simplement ,  avec  la  conliance 
réciproque  que  donne  l'esprit  de  Dieu  à  ceux  qui 
n'écoutent  que  lui ,  et  qui  veulent  bien  s'oublier. 
Si  je  vous  manquais,  ce  serait  tant  pis  pour  moi. 
Dieu  ne  vous  manquerait  pas  :  des  pierres  mêmes  il 
en  forme  des  enfans  à  Abraliam. 


(a)  /  Cor,  xiu.  5,7. 


325. 

Même  sujet. 

Dimanche,  22  octobre  1702. 

Votre  billet  d'hier  au  soir  ,  madame  ,  était  ex(el- 
lent  :  c'est  Dieu  ,  et  non  pas  vous  ,  ([iii  l'écrivil.  Je 


Go'A  LETTIŒS    SPHUTIELLES. 

voudrais  ^ous  le  faire  relire  loules  les  semaines. 
Dieu  ^olls  le  produira  pour  vous  condamner  ,  si  vous 
ne  sui\  ez  pas  ce  qu'il  contient.  Dites-moi  tout ,  mais 
d'abord  ,  et  tout  ira  hien.  Les  plaies  qu'on  n'ou\re 
pas  d'abord  par  des  incisions  ,  ne  font  que  s'enveni- 
mer :  il  se  fôit  des  sacs  d'apostume. 

J'irai  dire  la  messe  ,  et  recevoir  des  filles  à  Pré- 
m\  (i)  :  mais  je  ne  consens  point  que  vous  y  veniez , 
à  moins  que  vous  n'en  ayez  une  permission  de 
M.  Bourdon ,  qui  ne  soit  point  arracbée.  Je  veux  lui 
donner,  à  quelque  heure,  un  rendez-vous  chez  vous, 
madame  ,  pour  convenir  de  règles  certaines  sur  les 
moyens  de  vous  guérir  ;  mais  comme  on  dit  cjue 
MM.  de  Magalotti  et  du  Renclier  arrivent  ici  ce  ma- 
tin ,  je  ne  puis  compter  que  sur  quelque  heure  vers 
le  soir.  Que  la  paix  de  Dieu  ,  qui  surjiasse  tout 
se?is  humain  ^  garde  votre  cœur  et  votre  intelligence 
en  Jésus-Christ  («). 

(i)  Abbaye  de  filles,  de  1  Ordre  de  saint  Augustin,  à  Cambrai, 
(a)  Philip.  IV.  7. 

326. 

Se  détacher  de  ses  propres  vues,  pour  suivre  la  voie  de  l'obéissance. 

Samedi,  4  novembre  IJ02. 

Je  ne  puis  vous  parler  utilement ,  madame  ;  mais 
je  parlerai  à  Dieu  seul ,  afin  qu'il  vous  persuade.  Il 
n'y  a  que  lui  qui  puisse  se  faire  écouter  par  vous. 
Pour  moi  ,  je  ne  me  rebuterai  jamais  ;  et  je  croirais 
manquer  à  Dieu,  si  je  vous  laissais  faire  ce  que  vous 


LLTTKLS    SPlRlTL'ELLliS.  6o3 

projetez.  Quand  vous  partirez  de  Caiidjrai ,  Dieu  sera 
témoin  que  vous  le  ferez  malgré  moi ,  et  contre  le 
fond  de  voire  cœur  ,  qui  vous  porterait  à  vine  entière 
docilité  ,  si  vous  faisiez  laiie  votre  })ropre  esprit,  pour 
n'écouter  que  ce  fond  ,  où  Dieu  règne ,  dès  que  tout 
est  en  silence  ,  en  simplicité  et  en  paix.  Encore  une 
lois ,   je  m'oppose  ,   et  je   m'opposerai  sans    relâche , 
pour  Dieu  ,  à  votre  départ.  Si  vous  voulez  Lien  vous 
lier  à  Dieu ,  et  à  celui  dont  vous  avez  tant  cru  qu'il 
daigne  se  servir  pour  ^ous  conduire  à  lui,  je  vous 
réponds  que  vous  n'aurez  aucun  endjarras  ,  et  que  les 
choses  que  vous  craignez  ne  seront  rien  dans  la  pra- 
tique. Dieu  ,   quand  on  s'abandonne  à  lui  ,  tempère 
toutes  choses  :  mais  par  défiance  ,  et  par  attachement 
à  nos  propres  vues  ,  nous  nous  faisons  des  monstres  ; 
et  pour  des  maux  qui  n'arrivent  jamais  ,  nous  nous 
en  faisons  de   réels  qui  deviennent  irrémédiables.  Je 
vous  conjure  par  les  entrailles  de  Notre-Seigneur ,  et 
par  son  amour  pour  vous  ,  de  ne  me  fermer  pas  votre 
cœur  et  de  ne   vous  livrer  pas  à  vous-même. 


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(227.  228)  327  *  A. 

Contre  les  scrupules  et  la  recherche  des  goûts  sensibles  dans  le  service 

de  Dieu. 

Mardi,  10  novembre  1702. 

Vous  avez ,  madame  ,  deux  choses  qui  s'entre-sou- 
tiennent ,  et  qui  vous  font  des  maux  infinis.  L'une 
est  le  scrupule  enraciné  dans  votre  cœur  depuis  votre 
enfance  ,  et  poussé  jusqu'aux  derniers  excès  pendant 
tant  d'années  j  l'autre  est  votre  attachement  à  vouloir 


6o4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

toujours  goûter  et  sentir  le  bien.  Le  scrupule  vous 
ôte  souvent  le  goût  et  le  sentiment  de  l'amour ,  par 
le  trouble  où  il  vous  jette.  D'un  autre  côté  ,  la  cessa- 
tion du  goût  et  du  sentiment  réveille  et  redouble  tous 
vos  scrupules  ;  car  vous  croyez  ne  rien  faire ,  avoir 
perdu  Dieu,  et  être  dans  l'illusion,  dès  que  vous  ces- 
sez de  goûter  et  de  sentir  la  ferveur  de  l'amour.  Ces 
deux  clioses  devraient  au  moins  servir  à  vous  con- 
vaincre de  la  grandeur  de  votre  amour-propre. 

Vous  avez  passé  votre  vie  à  croire  que  vous  étiez 
toujours  toute  aux  autres  ,  et  jamais  à  vous-même. 
Rien  ne  flatte  tant  l'amour-propre ,  que  ce  témoi- 
gnage qu'on  se  rend  intérieurement  à  soi-même ,  de 
n'être  jamais  dominé  par  l'amour-propre  ,  et  d'être 
toujours  occupé  d'une  certaine  générosité  pour  le  pro- 
chain. Mais  toute  cette  délicatesse  ,  qui  paraît  pour  les 
autres,  est  dans  le  fond  pour  vous-même.  Vous  vous 
aimez  jusqu'à  vouloir  sans  cesse  vous  savoir  bon  gré 
de  ne  vous  aimer  pas;  toute  votre  délicatesse  ne  va 
qu'à  craindre  de  ne  pouvoir  pas  être  assez  contente 
de  vous-même  :  voilà  le  fond  de  tos  scrupules.  Vous 
en  pouvez  découvrir  le  fond  par  votre  tranquillité 
sur  les  fautes  d'autrui.  Si  vous  ne  regardiez  que  Dieu 
seul  et  sa  gloire ,  vous  auriez  autant  de  délicatesse  et 
de  vivacité  sur  les  fautes  d'autrui  que  sur  les  vôtres. 
Mais  c'est  le  ?noi  qui  vous  rend  si  vive  et  si  délicate. 
Vous  voulez  que  Dieu  ,  aussi-bien  que  les  hommes , 
soit  content  de  vous ,  et  que  vous  soyez  toujours  con- 
tente de  vous-même  dans  tout  ce  que  vous  faites  par 
rapport    à  Dieu. 

D'ailleurs ,  vous  n'êtes  point  accoutumée  à  vous 
contenter  d'une  bonne  volonté  toute  sèche  et  toute 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6o5 

niic.  Comme  vous  clicrdiez  nu  ragoût  d'amour- 
propre  ,  vous  voulez  uu  snilimcnt  vif,  un  plaisir  qui 
vous  réponde  de  votre  amour,  une  espèce  de  charme 
et  de  transport.  Volis  êtes  trop  accoutumée  à  agir  par 
imagination ,  et  à  supposer  que  voire  esprit  et  votre 
volonté  ne  font  point  les  choses  ,  quand  votre  imagi- 
nation ne  vous  les  rend  pas  sensibles.  Ainsi  tout  se 
réduit  chez  vous  à  un  certain  saisissement ,  semblable 
à  celui  des  passions  grossières ,  ou  à  celui  que  cau- 
sent les  spectacles.  A  force  de  délicatesse ,  on  tombe 
dans  l'extrémité  opposée  ,  qui  est  la  grossièreté  de 
l'imagination.  Rien  n'est  si  opposé ,  non-seulement  à 
la  vie  de  pure  foi  ,  mais  encore  à  la  vraie  raison.  Rien 
n'est  si  dangereux  pour  rillusion  ,  que  l'imagination 
à  laquelle  on  s'attache  pour  éviter  l'illusion  même.  Ce 
n*est  que  par  l'imagination  qu'on  s'égare.  Les  certitu- 
des qu'on  cherche  par  imagination,  par  goût  et  par  sen- 
limentj  sont  les  plus  dangereuses  sources  du  fanatisme. 
Il  faut  prendre  le  goût  sensible ,  quand  Dieu  le 
donne ,  comme  un  enfant  prend  la  mamelle  quand 
la  mère  la  lui  présente  :  mais  il  faut  se  laisser  sevrer 
quand  il  plaît  à  Dieu.  La  mère  n'abandonne  et  ne 
rejette  point  son  enfant ,  quand  elle  lui  ôte  le  lait 
pour  le  nourrir  d'un  aliment  moins  doux  et  plus  so- 
lide. Vous  savez  que  tous  les  Saints  les  plus  expéri- 
mentés ont  compté  pour  rien  l'amour  sensible  ,  et 
même  les  extases,  en  comparaison  d'un  amour  nu  et 
souiïrant  dans  l'obscurité  de  la  pure  foi.  Autrement 
il  ne  se  ferait  jamais  ni  épreuve  ni  purification  dans 
les  âmes;  le  dépouillement  et  la  mort  ne  se  feraient 
qu'en  paroles,  et  on  n'aimerait  Dieu  qu'autant  qu'on 
sentirait   toujours   un   goût  délicieux  et  une  espèce 


6o6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

d'ivresse  en  l'aimant.  Est-ce  clone  là  à  quoi  aboutit 
celle  délicatesse  et  ce  désintéressement  d'amour  dont 
on  veut  se  flatter  ? 

Voilà ,  madame  ,  le  fond  vain  et  corrompu  que 
Dieu  veut  vous  montrer  dans  votre  cœur.  Il  faut  le 
voir  avec  cette  paix  et  cette  simplicité  qui  font  l'hu- 
milité véritable.  Etre  inconsolable  de  se  voir  impar- 
fait, c'est  un  dépit  d'orgueil  et  d'amour-propre  ;  mais 
voir  en  paix  toute  son  imperfection ,  sans  la  flatter 
ni  tolérer  ;  vouloir  la  corriger ,  mais  ne  s'en  dépiter 
point  contre  soi-même  ,  c'est  vouloir  le  bien  pour  le 
bien  même ,  et  pour  Dieu  qui  le  demande ,  sans  le 
vouloir  pour  s'en  faire  une  parure^  et  pour  contenter 
ses  propres  yeux. 

Pour  venir  à  la  pratique  ,  tourner,  vos  scrupules 
contre  cette  vaine  recbercbe  de  votre  contentement 
dans  les  vertus.  Ne  vous  écoutez  point  vous-même; 
demeurez  dans  votre  centre  ,  où  est  votre  paix.  Pre- 
nez également  le  goût  et  le  dégoût.  Quand  le  goût 
vous  est  ôté  ,  aimez  sans  goûter  et  sans  sentir  ,  comme 
il  faut  croire  sans  voir  et  sans  raisonner. 

Surtout  ne  me  cachez  rien.  Votre  délicatesse ,  qui 
paraît  si  régulière  ,  se  tourne  en  irrégularité  :  rien 
ne  vous  éloigne  tant  de  la  simplicité  ,  et  même  de 
la  franchise  ;  elle  vous  donne  des  duplicités  et  des 
replis  que  vous  ne  connaissez  pas  vous-même.  Dès 
que  vous  vous  sentez  hors  de  votre  simplicité  et  de 
votre  paix ,  avertissez-moi.  L'enfant ,  dès  qu'il  a  peur , 
se  jette  sans  raisonner  au  cou  de  sa  mère.  Si  vous 
ne  pouvez  me  parler ,  au  moins  dites-moi  que  vous 
ne  le  pouvez  pas  ,  afin  que  je  rompe  malgré  vous  les 
glaces ,  et  que  j'exorcise  le  démon  muet. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  Ch)~ 

\oiis  n'avez  jamais  rien  fait  de  si  Lien,  que  ce  que 
vous  fîtes  Tautre  jour;  gardez-vous  bien  de  vous  en 
repentir  :  il  ne  faut  ni  s'en  rc]K'nlir,  ni  s'en  savoir 
l)on  gré.  Le  prix  de  ces  sortes  d'actions  consiste  dans 
leur  simplicité  :  il  faut  qu'elles  échappent  sans  aucun 
retour;  on  les  gâte  en  les  regardant.  Le  vrai  moyen 
de  faire  souvent  des  choses  à  peu-près  semhlahles  , 
c'est  de  ne  se  souvenir  point  d'avoir  fait  celle-là. 

De  plus,  je  dois  vous  dire  en  présence  de  Notre- 
Seigneur ,  qui  voit  les  derniers  replis  des  consciences , 
ce  que  vous  n'avez  jamais  voulu  croire  jusqu'ici  , 
mais  que  je  ne  cesserai  jamais  de  vous  dire  :  c'est 
que  je  n'ai  jamais  senti,  jusqu'au  moment  présent, 
ni  répugnance,  ni  dégoût,  ni  fioideur,  ni  peine  pour 
tout  ce  qui  a  rapport  à  vous.  Si  j'en  sentais,  je  vous 
le  dirais  ,  et  je  n'en  ferais  pas  moins  tout  ce  qu'il  fau- 
drait pour  vous  aider  dans  la  voie  de  Dieu.  J'espé- 
rerais même  qu'en  vous  l'avouant,  j'appaiserais  votre 
trouhle  intérieur  ;  car  cette  franchise  devrait  vous 
toucher.  On  n'est  pas  maître  de  ses  goûts  et  de  ses  sen- 
timens.  Si  on  ne  l'est  pas  à  l'égard  de  Dieu,  faut-il 
s'étonner  qu'on  ne  le  soit  pas  à  l'égard  des  hommes? 
Vous  savez  qu'on  n'en  aime  et  qu'on  n'en  sert  pas 
moins  Dieu ,  quoiqu'on  soit  souvent  privé  de  tout 
goût  dans  son  amour  ,  et  qu'on  y  éprouve  des  répu- 
gnances horribles.  Dieu  veut  bien  être  aimé  et  servi 
de  cette  façon,  il  y  prend  ses  plus  grandes  complai- 
sances :  pourquoi  n'en  feriez-vous  pas  autant  ?  Encore 
une  fois  ,  madame  ,  je  vous  l'avouerais  ,  si  Dieu  per- 
mettait que  je  fusse  dans  cette  peine  à  votre  égard  , 
mais  j'en  suis  infiniment  éloigné,  et  ne  l'ai  jamais 
éprouvée  une  seule  fois. 


008  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Mais  tout  ce  que  je  vous  dis  ne  peut  vous  persua- 
der ;  vous  voulez  croire  vos  réflexious,  plus  que  mes 
propres  sentimens  sur  moi-même.  Comment  pour- 
riez-vous  me  croire  avec  quelque  docilité  sur  d'autres 
choses ,  puisque  vous  refusez  de  me  croire  sur  ce  qui 
se  passe  en  moi  ?  Il  ne  s'agit  point  de  certains  motifs 
subtils ,  qui  peuvent  se  déguiser  dans  le  cœur  -,  il  s'agit 
de  goût  et  de  dégoût  sensible ,  journalier^  continuel. 
Vous  voulez  deviner  sur  autrui  avec  infaillibilité,  et 
supposer  que  je  sens  à  toute  heure  ce  que  je  n'aper- 
çois jamais  ,  ou  bien  vous  voulez  croire  que  je  ne  fais 
que  vous  mentir.  Au  reste  ,  je  vous  déclare  devant 
Dieu  que  je  ne  vous  ai  jamais  crue  fausse  ,  et  que  je 
n'ai  jamais  eu  aucune  pensée  qui  approche  de  celle-là  , 
mais  j'ai  pensé  et  je  pense  encore  que  votre  délica- 
tesse pour  prendre  tout  sur  vous  ,  et  pour  cacher  vos 
peines  à  celui  qui  devrait  les  savoir  ,  vous  fait  faire 
des  réserves  que  d'autres  font  par  fausseté.  Si  c'est  là 
dire  que  vous  êtes  fausse  ,  j'avoue  que  je  ne  sais  pas 
la  valeur  des  termes.  Pour  moi  ^  je  crois  avoir  dit 
que  vous  n'êtes  pas  fausse,  en  parlant  ainsi.  Oserai-je 
aller  plus  loin?  Supposé  même  (ce  qui  a  toujours  été 
infiniment  contraire  à  ma  pensée  )  que  j'eusse  dit  que 
vous  étiez  fausse  en  certaines  démonstrations  par  dé- 
licatesse et  par  politesse ,  devriez-vous  être  si  sen- 
sible à  cette  opinion  injuste  que  j'aurais  de  vous  ? 

Plusieurs  saintes  âmes  se  sont  laissé  condamner 
injustement  par  leurs  directeurs  prévenus  ;  elles  leur 
ont  laissé  croire  qu'elles  étaient  hypocrites ,  et  elles 
sont  demeurées  humbles  et  dociles  sous  leur  con- 
duite. Pourquoi  faut-il  que  vous  soyez  si  vive  sur 
une  prévention  infiniment  moindre  ,  et  que  je  ne  cesse 


LETTRES    SPIRITUELLES.  Cci) 

(le  VOUS  désavouer  devant  Dieu  ?  En  vérité  ,  madame  , 
Dieu  permet ,  en  cette  occasion  ,  que  tout  le  venin  de 
>  otre  amour-propre  se  montre  au  dehors ,  alin  qu'il 
sorte  de  votre  fond,  et  que  votre  cœur  en  soit  vidé. 
Vous  ne  l'auriez  jamais  pu  bien  connaître  autrement. 
Pour  moi ,  loin  d'être  fatigué  de  vous  ,  et  du  soin  de 
vous  conduire  à  Dieu,  je  ne  le  suis  que  de  vos  discré- 
tions. Je  ne  crains  que  de  n'avoir  pas  cette  prétendue 
fatigue.  Mais  vous  ne  m'échapperez  point  ;  je  vous 
poursuivrai  sans  relâche ,  et  j'espère  (pie  Dieu ,  après 
que  l'orage  sera  diminué  ,  ^  ous  fera  voir  combien  je 
suis  attaché  à  vous  pour  sa  gloire.  Du  moins  acquiescez 
en  général  à  ce  que  vous  ne  voyez  pas  encore  pen- 
dant le  trouble  de  votre  cœur.  Unissez-vous  à  moi 
devant  Dieu ,  pour  le  laisser  opérer  en  vous  ce  que 
la  nature  révoltée  craint.  Défiez-vous  non-seulement 
de  votre  imagination  ,  mais  encore  de  votre  esprit , 
et  des  vues  qui  vous  paraissent  les  plus  claires.  Pour 
moi ,  je  vais  prier  sans  relâche  pour  vous  -,  mais  je  le 
fais  avec  une  amertume  et  une  souffrance  intérieure 
qui  est  pis  que  la  fièvre.  Je  vous  conjure  ,  au  nom  de 
Dieu  et  de  Jésus-Christ  notre  vie  ,  de  ne  sortir  point 
de  l'obéissance.  Je  vous  attends ,  et  rien  ne  peut  me 
consoler  que  votre  retour. 


«  JW%%V«  «%^  W\/W«'%^%'Wt  «%r«.^ 


(..8)  328  *  R. 

La  volonté  de  Dicii  rend  agréables  les  occupations  les  plus  pénibles. 
S'abstenir  de  retours  subtils  sur  soi-même. 

Samedi,  2  décembre  1702. 

Je  voudrais  bien  vous  aller  voir ,  madame  ;   mais 
je  n'en  ai  pas  le  temps.  Il  faut  que  je  confère  avec 
CoRRESP.  IV.  '      24 


6lO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

le  Chapitre  pour  un  procès,  que  j'expédie ,  que  j'é- 
crive des  lettres ,  que  j'examine  un  compte.  0  que 
la  vie  serait  laide  dans  un  détail  si  épineux  ,  si  la 
volonté  de  Dieu  n'embellissait  toutes  les  occupations 
qu'il  nous  donne  !  C'est  être  libre ,  que  de  consentir 
à  ne  l'être  pas  pour  porter  un  joug  si  aimable.  Il 
vaut  mieux  essayer  des  chicanes  dans  l'ordre  de  Dieu, 
que  d'être  dans  la  plus  sublime  contemplation  de  Dieu 
même  sans  son  ordre.  On  retrouve  Dieu ,  en  parais- 
sant le  perdre  povu'  lui  obéir.  Pour  vous ,  madame , 
vous  êtes  dans  la  liberté  entière  que  donnent  le  si- 
lence et  la  solitude  :  jouissez-en  en  pleine  paix.  Mais 
malheur  à  quiconque  est  avec  soi-même  !  il  n'est  plus 
seul,  n  n'y  a  plus  de  vrai  silence  dès  qu'on  s'écoute. 
Après  s'être  écouté  ,  on  se  répond ,  et  dans  ce  dialo- 
gue d'un  subtil  amour-propre ,  on  fait  taire  Dieu.  La 
paix  est  pour  vous  dans  une  simplicité  très-délicate. 
Mandez-moi  de  vos  nouvelles ,  si  vous  le  pouvez.  Deux 
mots  me  mettront  en  repos  pour  vous.  Il  me  tarde 
de  vous  aller  voir  au  désert  de  la  Tliébaïde. 


itmivwt  /w»**»^*»**»*»»*»!»)! 


329  *  R.  (229) 

Voir  ses  impei-fections  avec  humilité ,  mais  sans  trouble. 
A  Cambrai ,  |8  décembre  1702. 

Les  moindres  commencemens  de  peine  me  font 
peur  pour  vous  ,  madame.  Ce  n'est  pas  la  peine  que 
je  crains  ,  mais  l'iniidélité  qui  la  fait  écouter.  Au  nom 
de  Dieu ,  ne  vous  y  laissez  pas  aller ,  et  demeurez 
dans  cette  heureuse  simplicité  dont  la  paix  est  le  cen- 
tuple promis  dès  cette  vie.  Surtout  n'interrompez  point 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6ll 

VOS  coniiiuinioiis.  Mandez-moi ,  s'il  vous  plait ,  com- 
ment votre  cœur  est  aujourd'hui,  et  si  vous  avez  com- 
munié ce  matin.  Tandis  qu'on  ne  peut  supporter  avec 
paix  les  imperfections  où  l'on  est  tombé,  c'est  un  reste 
d'amour-propre  soulevé  et  dépité  de  ne  se  trouver 
point  parfait.  Au  contraire ,  l'amour  de  Dieu  donne 
une  humiliation  profonde,  mais  paisible  et  sans  trou- 
ble ,  parce  qu^elle  est  exempte  de  tous  les  dépits  de 
l'orgueil.  L'amour-propre  gâte  tout,  quand  il  veut 
raccommoder  le  passé.  Il  A'oudrait  faire  de  belles 
choses ,  et  prendre  sur  lui  plus  qu'il  ne  pourrait  por- 
ter. Il  cherche  à  flatter  les  hommes ,  pour  se  flatter 
soi-même  par  un  subtil  contre-coup  *,  et  il  le  veut 
faire  contre  l'attrait  de  Dieu,  parce  qu'il  craint  moins 
de  résister  secrètement  à  Dieu  sous  de  beaux  pré- 
textes ,  que  de  choquer  les  hommes  en  manquant  de 
délicatesse  et  de  régularité.  Si  vous  voulez  faire  cre- 
ver toute  la  grandeur  de  l'amour-propre  par  une  véri- 
table petitesse,  tâchez^  quand  vous  verrez  M'^«  d'Oisy, 
de  lui  montrer  à  nu  la  misère  de  votre  cœur ,  et  de 
lui  dire  ce  que  vous  ne  pouvez  plus  faire,  en  ajoutant 
tout  ce  que  vous  pouvez  lui  olfrir  sans  sortir  de  vos 
bornes.  J'irai  demain  vous  demander  ce  que  Dieu 
fait  en  vous  ,  et  ce  que  vous  faites  avec  lui.  Je  le  prie 
souvent  pour  vous. 


(aag)  330  *  R. 

Même  sujet. 


25  janvier   1703. 


J'envoie  savoir  de  vos  nouvelles ,  madame ,  et  je 
souhaite  de  tout  mon  cœur  que  vous  en  ayez  de  bonnes 


4* 


6l2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

à  me  cloiiTier-  Mon  Dieu,  qu'il  y  aurait  de  plaisir  à 
jt^us  voir  tranquille  ,  simple ,  désoccupée  de  vos  re- 
tours et  de  vos  vaines  délicatesses  sur  vous-même  ! 
Vous  faites  votre  trouble  et  votre  supplice  :  Dieu  fe- 
rait alors  votre  paix  et  votre  consolation.  Vous  le 
quittez  à  toute  heure  contre  son  attrait,  pour  discourir 
avec  vous-même  sur  vos  fautes.  Hé  bien  !  supposons 
ces  fautes;  qu'y  a-t-il  à  faire?  Les  réparer  par  l'amour 
dans  l'oubli  de  tout  amour-propre.  Le  trouble  ne  ré- 
pare rien ,  et  gâte  tout.  L'oraison  dominicale  efface 
les  péchés  véniels.  Par  où  le  fait-elle?  C'est  par  l'amour, 
qui  dit ,  Notre  Père  ,  qui  êtes  au  ciel.  Aimez  ce  Père  ; 
dites-lui  que  sa  volonté  se  fasse,  et  toutes  ces  fautes 
qui  vous  troublent  seront  consumées  dans  le  feu  de 
l'amour.  Comparez  ce  qui  vous  occupe ,  à  Dieu  qui 
voudrait  vous  occuper.  Il  veut  que  vous  soyez  toute 
pleine  de  lui ,  et  vous  l'interrompez  indignement  en 
repassant  sans  cesse  tout  ce  que  vous  avez  ,  non  pas 
voulu  et  cru  ,  mais  rêvé  et  songé.  O  quelle  infidélité , 
dont  vous  ne  faites  aucun  scrupule  !  Vous  coulez  le 
moucheron,  et  vous  avalez  le  chameau. 

Dieu  ne  peut  rien  faire  en  vous  ,  parce  que  vous 
préférez  votre  imagination  à  sa  grâce ,  et  à  la  convic- 
tion intime  de  votre  conscience.  Vous  me  dites  tou- 
jours :  Que  ferai-je?  Ce  que  vous  ne  faites  point,  et 
ne  voulez  pas  faire  :  c'est  de  laisser  tomber  la  tenta- 
tion dès  sa  première  pointe  ;  c'est  de  dire  tout  ;  c'est 
de  ne  douter  jamais  volontairement ,  ni  de  ce  qu'on 
vous  dit ,  ni  du  secours  de  Dieu  pour  l'exécuter  ;  c'est 
de  vouloir  faire  quand  vous  n'avez  point  de  goût  con- 
solant ,  et  quand  vous  êtes  obscurcie  ,  comme  quand 
vous  êtes  dans  la  lumière  et  la  consolation.  Croyez  , 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6l3 

cl  il  VOUS  sera  donné  selon  votre  foi.  Ecoulez  Dieu , 
et  vous  n'écouterez  plus  vos  imaginations.  Que  ne 
«lonncrais-je  point  pour  vous  voir  enfin  respirer  dans 
la  liberté   des  enfans  de  Dieu  ! 

Je  suis  ravi  d'apprendre ,  depuis  ma  lettre  écrite  , 
par  M.  l'abbé  de  Langeron ,  que  vous  avez  le  cœur 
en  paix. 

331. 

Éviter  les  retours  trop  subtils  sur  soi-même. 

Lundi, février  ijoS. 

Je  suis  véritablement  fâché  ,  madame  ,  de  ce  que 
nous  n'aurons  point  M.  le  Marquis  de  Montberon  ; 
mais  Dieu  prend  plaisir  à  déranger  tout ,  et  ce  dé- 
rangement vaut  mieux  que  tous  les  plans  de  notre 
sagesse.  Il  sait  bien  où  il  attend  chaque  homme  ,  et 
il  l'y  mène ,  lors  même  que  cet  homme  semble  lui 
échapper.  M.  le  Marquis  a  le  cœur  bon  ;  il  ne  hait 
point  la  Religion  ;  il  ne  met  rien  d'invincible  entre 
lui  et  elle.  U  faut  faire  comme  Dieu ,  et  l'attendre. 
Dieu  ne  veut  d'inquiétude  ni  pour  nous  ni  pour  notre 
prochain. 

Conunent  vous  portez-vous  ?  C'est  toujours  votre 
faute  quand  votre  santé  va  mal.  On  peut  dire  de  la  paix 
du  cœur  ce  que  le  Sage  dit  de  la  sagesse  (a)  :  Tous 
les  biens  vie7ment  avec  elle.  D'une  certaine  fidélité 
simple  et  tranquille  dépendent  le  sommeil ,  l'appétit , 
les  digestions ,  la  vigueur  pour  les  promenades.  S'il 

(a)  Sap.  VII.   1 1 . 


6l4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

ne  vous  est  pas  permis  de  vous  tuer  ,  tournez  votre 
scrupule  contre  vos  scrupules  mêmes ,  qui  vous  tuent 
manifestement.  Je  ne  crains  que  les]  retours  volon- 
taires et  d'infidélité.  Je  ne  vous  demande  que  le  re- 
tranchement de  ceux-là  ;  le  reste  ne  dépend  pas  de 
vous.  Dieu  saura  bien  le  modérer  ,  et  tout  ce  qui 
vient  immédiatement  de  lui  seul ,  sans  infidélité  de 
notre  part ,  est  sans  trouble  ,  et  porte  sa  consolation. 
O  que  je  voudrais  vous  voir  pleine  de  Dieu ,  et  vide 
de  vous-même  ! 

(80)  332  *  R. 

La  vue  de  nos  imperfections  ne  doit  pas  nous  faii-e  perdre  la  paix  et  la 

conliance. 

A  Vaucclles  ,  mercredi  8  mai  ijo3. 

Je  ne  saurais ,  madame  ,  être  plus  long-temps  ab- 
sent de  Cambrai ,  sans  vous  demander  de  vos  nou- 
velles. Je  souhaite  que  vous  ne  puissiez  pas  m'en 
dire,  faute  d'en  savoir.  Il  y  a  une  illusion  très-sub- 
tile dans  vos  peines,  car  vous  vous  paraissez  à  vous- 
même  tout  occupée  de  ce  qui  est  dû  à  Dieu  ,  et  de 
sa  pure  gloire  ;  mais  dans  le  fond ,  c'est  de  vous  dont 
vous  êtes  en  peine.  Vous  voulez  bien  que  Dieu  soit 
glorifié,  mais  vous  voulez  qu'il  le  soit  par  ^ot^e  per- 
fection ,  et  par  là  vous  rentrez  dans  toutes  les  délica- 
tesses de  votre  amour-propre.  Ce  n'est  qu'un  détour 
rafiiné;  pour  rentrer,  sous  un  plus  beau  prétex^te,  en 
vous-même.  Le  vrai  usage  à  faire  de  toutes  les  im- 
perfections qui  vous  paraissent  en  vous,  est  de  ne 
les  justifier  ni  condamner;  car  ce  jugement  ramène- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6l5 

mit  tous  VOS  scrupules  ,  mais  de  les  abandonner  à 
Dieu  ,  conformant  votre  cœur  au  sien  sur  ces  choses 
(juc  vous  ne  pouvez  éclaircir  ,  et  demeurant  en  paix  , 
parce  que  la  paix  est  d'ordre  de  Dieu  ,  en  quelque 
état  qu'on  puisse  être.  Il  y  a  en  ellet  une  ])aix  de 
confiance  que  les  pécheurs  mêmes  doivent  avoir  dans 
la  pénitence  de  leurs  péchés.  Leur  douleur  est  pai- 
sible ,  et  mêlée  de  consolation.  Souvenez-vous  de 
cette  bonne  parole  qui  vous  a  touchée  :  Le  Seujneur 
vCest  point  daiis  le  trouble   (a). 

Si  vous  ne  pouvez  pas  me  mander  des  nouvelles 
de  votre  intérieur ,  mandez-m'en  de  votre  santé.  N'en 
avez-vous  point  de  M.   le  Comte  de  Montberon? 

(a)  ///  Reg.  XIX.    II. 

(62)  333  ♦. 

De  la  vue  et  de  la  mort  de  l'amour-proprc. 

Oui  ,  je  consens  avec  joie  que  vous  m'appeliez  vo- 
tre père  ;  je  le  suis ,  et  le  serai  toujours.  Il  n'y  man- 
que qu'une  pleine  persuasion  et  confiance  de  votre 
part  ;  mais  il  faut  attendre  que  votre  cœur  soit  élargi. 
C'est  l'amour-propre  qui  le  resserre.  On  est  bien  à 
l'étroit ,  quand  on  se  renferme  au  dedans  de  soi  :  au 
contraire,  on  est  bien  au  large,  quand  on  sort  de 
cette  prison  ,  pour  entrer  dans  l'immensité  de  Dieu 
et   dans  la  liberté  de  ses    enfans. 

Je  suis  ravi  de  vous  voir  dans  les  impuissances  où 
Dieu  vous  réduit.  Sans  ces  impuissances ,  l'amour- 
propre  ne  pouvait  être  ni  convaincu  ni  renversé.  Il 


6l6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

avait  toujours  des  ressources  secrètes  et  des  retnni- 
chemeiis  impénétrables  dans  votre  courage  et  dans 
votre  délicatesse.  Il  se  cachait  à  vos  propres  yeux  , 
et  se  nourrissait  du  poison  sul^til  d'une  générosité 
apparente  ,  où  vous  vous  sacrifiiez  toujours  pour  au- 
trui. Dieu  a  réduit  votre  amour-propre  à  crier  les 
liauts  cris  ,  à  se  démasquer ,  à  découvrir  l'excès  de  sa 
jalousie.  0  que  cette  impuissance  est  douloureuse  et 
salutaire  tout  ensemble  !  Tant  qu'il  reste  de  l'amour- 
propre  ,  on  est  au  désespoir  de  le  montrer  \  mais  tant 
qu'il  y  a  encore  un  amour-propre  à  poursuivre  jus- 
que dans  les  derniers  replis  du  cœur ,  c'est  un  coup 
de  miséricorde  infmie  que  Dieu  vous  force  à  le  lais- 
ser voir.  Le  poison  devient  un  remède.  L'amour- 
propre  poussé  à  bout  ne  peut  plus  se  caclier  et  se 
déguiser.  Il  se  montre  dans  un  transport  de  déses- 
poir ;  en  se  montrant,  il  déshonore  toutes  les  délica- 
tesses ,  et  dissipe  les  illusions  flatteuses  de  toute  la 
vie  :  il  paraît  dans  toute  sa  difformité.  C'est  vous- 
même  idole  de  vous-même ,  que  Dieu  met  devant 
vos  propres  yeux.  Vous  vous  voyez  ,  et  vous  ne  pou- 
vez vous  empêcher  de  vous  voir.  Heureusement  vous 
ne  vous  possédez  plus ,  et  vous  ne  pouvez  plus  em- 
pêcher de  vous  laisser  voir  aux  autres.  Cette  vue  si 
îionteuse  d'un  amour-propre  démasqué  fait  le  supplice 
de  l'amour-propre  même.  Ce  n'est  plus  cet  amour- 
propre  si  sage ,  si  discret ,  si  poli ,  si  maître  de  lui- 
même  ,  si  courageux  pour  prendre  tout  sur  soi ,  et 
lien  sur  autiui.  Ce  n'est  plus  cet  amour-propre  qui 
vivait  de  cet  aliment  subtil  de  croire  qu'il  n'avait 
besoin  de  rien ,  et  qui ,  à  force  d'être  grand  et  gé- 
néreux ,  ne  se  croyait  pas  même  un  amour-propre. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  617, 

C'est  un  araour-prapre  d'enfant  jaloux  d'une  pomftie  , 
qui   j)lcure   pour  Tavoir.  Mais    à    cet  amour-propre 
enfantin  est  joint  un  autre  amour-propre  bien  plus 
tourmentant.  C'est  celui  qui  pleure   d'avoir  pleuré , 
qui  ne  peut  se   taire  ,  et  qui  est  inconsolable  de  ne 
pouvoir  plus  cacher  son  venin.  Il  se  voit  indiscret, 
grossier,  importun,  et  il  est  forcené  de  se  voir  dans 
cette  affreuse  situation.  Il  dit  comme  Job  (a)  :  Ce  que 
je  Cî'aigiiais  le  jtlus  est  précisément  ce  qui  ni' est  arrivé. 
En  eifet,  pour  faire  mourir  l'amour-propre^  ce  que 
nous  craignons  le  plus  est  précisément  ce  qui  nous 
est  le  plus   nécessaire.  Nous  n'avons  pas  besoin ,  pour 
mourir ,  que  Dieu  attaque  en  nous  ce  qui  n'est  ni  vif 
ni  sensible.  L'opération  de  mort  ne  prend  que  sur  la 
vie  du  cœur  ;  tout  le  reste  n'est  rien.  Il  vous  fal- 
lait donc  ce  que  vous  avez  ,  un  amour-propre  con- 
vaincu ,  sensible  ,  grossier ,  palpalile.  Il  ne  vous  reste 
qu'à  vouloir  bien  le  voir  en  paix  :  voir  en  paix  cette 
misère ,    c'est  ne    l'avoir   plus.    Vous  demandez  des 
remèdes  pour  guérir.  Il  ne  s'agit  point  de  guérison  , 
mais  au  contraire  de  mort.  Laissez-vous  mourir  ;  ne 
cherchez  par  impatience  aucun  remède  :  mais  prenez 
garde  qu'un  certain  courage  pour  se  passer  de  tout 
remède ,  serait  un  remède  déguisé  et  une  ressource 
de  vie  maudite.  Il  ne  faut  point  chercher  de  remède 
pour  consoler  l'amour-propre  *,  mais  il   ne  faut    pas 
cacher  le  mal.  Dites  tout  par  simplicité  et  par  peti- 
tesse ,  puis  laissez-vous  mourir.  Ce  n'est  pas  se  lais- 
ser mourir ,  que  de  retenir  quelque  chose  avec  force. 


{a]  Joh.  m.  25. 


6l8  LETTRES    SPIRITUELLES. 

La  faiblesse  est  devenue  votre  unique  partage.  Toute 
force  est  à  contre-temps  ;  elle  ne  servirait  qu'à  ren- 
dre l'agonie  plus  longue  et  plus  violente.  Si  vous  ex- 
pirez de  faiblesse ,  vous  en  expirerez  plus  tôt  et  moins 
rudement.  Toute  vie  mourante  n'est  que  douleur. 
Tous  les  cordiaux  deviennent  poison  au  patient  frappé 
à  mort ,  et  attaché  sur  la  roue  pour  y  expirer.  Que 
lui  faut-il?  Rien  que  le  coup  de  grâce;  nul  aliment 
nul  soutien.  Si  on  pouvait  l'affaiblir  pour  avancer  sa 
mort ,  on  abrégerait  ses  souffrances  :  mais  on  n'y  peut 
rien  ,  et  il  n'y  a  que  la  main  qui  l'a  attaché  et  frappé , 
qui  puisse  le  délivrer  de  ce  reste  de  vie  cruelle. 

Ne  demandez  donc  ni  remèdes  ,  ni  alimens ,  ni 
mort.  Demander  la  mort  ,  c'est  impatience  ;  deman- 
der des  remèdes  ou  des  alimens  ,  c'est  vouloir  retar- 
der l'œuvre  de  mort.  Que  faut-il  donc  ?  Se  délaisser  ; 
ne  rien  rechercher' ,  ne  rien  retenir  ;  dire  tout ,  non 
par  recherche  de  consolation ,  mais  par  petitesse  et 
non-résistance.  Il  faiit  me  regarder ,  non  comme  la 
ressource  de  vie  ,  mais  comme  l'instrument  de  mort. 
De  même  qu'un  instrument  de  vie  serait  mauvais , 
s'il  ne  vivifiait  pas  :  un  instrument  de  mort  serait  à 
contre-sens  ,  s'il  nourrissait  la  vie ,  au  lieu  de  l'étein- 
dre et  de  donner  le  coup  de  la  mort.  Souffrez  donc 
que  je  sois ,  ou  du  moins  que  je  vous  paraisse  sec  , 
dur ,  indifférent ,  impitoyable  ,  importuné  ,  dégoiité  , 
plein  de  mépris.  Dieu  sait  combien  tout  cela  est  con- 
traire à  la  vérité ,  mais  il  permet  que  tout  cela  paraisse; 
et  c'est  bien  plus  par  ces  choses  fausses  et  imaginaires, 
que  par  mon  affection  et  mon  secours  réel ,  que  je 
v»<3us  suis  utile  ;  puisqu'il  s'agit,  non  d'être  appuyé  et 
de  "vivre,  mais  de  manquer  de  tout  et  de  mourir. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  619 


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33-4  *  A.  (81) 

Ne  point  écouter  l'imagination. 

A  Harouozc ,  21  mai  1703. 

Voici  une  occasion  ,  ma  cl i ère  fille ,  pour  vous 
donner  de  mes  nouvelles  :  j'aurais  Lien  voulu  rece- 
\oir  des  vôtres.  J'espère  (|ue  Notre-Seigneur  vous 
aura  gardée  contre  vous-même  pour  vous  conserver 
la  paix.  L'état  des  apôtres  ,  entre  l'ascension  du  Fils 
de  Dieu  et  la  descente  du  Saint-Esprit,  était  un  état 
d'oraison  et  de  retraite  ,  où  ils  attendaient  la  Ferlu 
iVen  haut.  La  préparation  que  je  vous  demande  pour 
recevoir  le  Saint-Esprit ,  est  de  ne  point  écouter  le 
vôtre.  L'inquiétude  est  le  seul  obstacle  que  je  crains  : 
je  ne  me  délie  que  de  vous.  Laissez  tomber  toutes 
^  os  pensées  de  doute  et  de  scrupule  ;  laissez-les  bruire 
dans  votre  imagination  ,  comme  des  mouches  dans 
une  ruche  :  si  vous  les  excitez ,  elles  s'irriteront ,  et 
vous  feront  beaucoup  de  mal  ;  si  vous  les  laissez  sans 
y  mettre  la  main ,  vous  n'en  aurez  que  le  bourdon- 
nement et  la  peur.  Accoutumez-vous  à  demeurer 
en  paix  dans  votre  fond ,  malgré  voJ;re  imagination 
agitée. 

Voici  ma  course  bien  avancée  :  je  n'ai  plus  de  vi- 
sites à  faire  que  pour  peu  de  jours,  et  je  serai  samedi 
prochain  à  midi  à  Cambrai.  Cependant  je  vous  porte 
souvent  devant  Dieu ,  afin  qu'il  vous  plie  et  vous 
rende  souple  à  son  gré.  Laissez-le  faire ,  et  soyez 
lidèle.  11  sait  à  quel   point  je  vous  suis  dévoué. 


620  LETTRES    SPIRITUELLES. 


335. 

Contre  les  iiicjuiétiules  de  l'amour-propie. 

A  Cambrai,  lo  juin  lyoS. 

Je  vous  envoie ,  madame ,  une  lettre  que  j'ai  reçue 
pour  vous.  Je  ne  vous  l'envoyai  point  hier,  parce 
que  j'espérais  de  vous  l'aller  rendre  moi-même  j  mais 
diverses  occupations  m'en  ôtèrent  la  liberté.  Me  voilà 
embarqué  dans  notre  concours  :  pendant  qu'il  du- 
rera ,  je  serai  presque  hors  d'état  d'aller  chez  vous  ; 
mais  je  ne  laisserais  pas  de  le  faire ,  dès  que  je 
saurais  que  vous  auiiez  le  moindre  besoin  de  moi. 
Je  souhaite  que  ce  besoin  n'arrive  pas ,  et  que  Dieu 
vous  suffise  ,  sans  sa  petite  et  inutile  créature.  La 
simplicité  de  l'amour  porte  avec  soi  quelque  chose 
qui  ne  suffit  à  soi-même ,  et  qui  est  un  commence- 
ment de  béatitude.  Malheur  à  (jui  trouble  cette  sim- 
plicité par  des  réflexions  d'amour-propre  !  Bonnez- 
moi  de  vos  nouvelles  ,  sans  songer  à  ce  que  vous  me 
manderez  :  ce  sont  là  les  bonnes  lettres. 


336*  A.  (,9) 

Ne  pas  singérer  facilement  dans  la  direction  des  autres  ;  supporter  en 
paix  la  vue  de  ses  misères. 

Dimanche ,  jour  de  la  saint  Jean  ,  i  ^oS. 

J'ai  plusieurs  carrosses  et  huit  chevaux  qui  ne  font 
rien.  Le  temps  ne  me  permet  pas  d'aller  me  prome- 
ner ;  de  plus  ,  je  n'y  vais  jamais  qu'à  deux  chevaux  : 
ainsi  je   puis  vous  en  prêter  six  avec  un   carrosse  ^ 


LETTRES    SPIRITUELLES.  62  I 

sans  me  priver  de  rien  jioiir  mes  promenades.  Si 
\ous  n'acceptez  pas  cette  oflVe  ,  ma  clièixî  lille ,  je 
bouderai  long-temps. 

Puisque  vous  êtes  emmailloltée  ,  pourquoi  n'êtes- 
vous  j)as  petit  enfant?  Voulez-vous  n'a\oir  de  Ten- 
fance  que  le  maillot?  Il  en  faut  avoir  la  simplicité. 
Votre  amie  est  bonne  selon  son  degré  ;  mais  il  faut 
aimer  Dieu  plus  qu'elle.  Il  vous  veut  dans  la  liberté 
de  votre  solitude  ;  il  ne  vous  appelle  point  à  la  con- 
duire :  il  ne  souffre  point  que  vous  vous  gâtiez ,  et 
que  vous  la  gâtiez  ,  pour  contenter  son  amour-propre , 
et  le  vôtre  par  contre-coup.  Demeurez  donc  en  paix 
dans  votre  petit  désert.  Contentez-vous  de  la  conso- 
ler et  de  l'édifier  ,  sans  aucune  suite  de  soins  ,  quand 
elle  vous  va  voir.  Le  surplus  ne  serait  qu'un  ragoût 
d'amour-propre  pour  vous  et  pour  elle. 

Pour  moi ,  souvenez-vous  que  je  ne  vous  suis  donné 
que  pour  vous  appauvrir  et  vous  dénuer.  Vous  vou- 
driez vous  trouver  en  Dieu  toute  parfaite,  toute  dj<>ne 
de  lui  toute  pleine  d'amour ,  et  sans  aucun  défaut  : 
mais  il  faut  dire  ,  à  la  vue  de  l'Epoux ,  comme  saint 
Jean  :  //  faut  qu'il  croisse ,  et  que  je  diminue  {a). 
Je  ne  vous  suis  bon  qu'à  vous  faire  décroître ,  qu'à 
vous  rapetisser  ,  qu'à  vous  accoutumer  au  vide  ,  au 
néant ,  à  porter  les  privations  en  pure  foi.  Quand 
vous  y  serez  accoutumée  ,  vous  reconnaîtrez  que  ce 
n'est  pas  l'amour  de  Dieu  ,  mais  celui  de  nous-mêmes, 
qui  nous  rend  si  délicats  et  si  désolés ,  dès  que  nous 
ne  sentons   pas  en  nous  l'abondance  spirituelle. 

Dieu  vous  bénisse ,  et  vous  apjirenne  à  être  en  paix  , 

(rt)  Joan.  III.  3o. 


622  LETTRES    SPIRITUELLES. 

sans  paix  sensible  et  goûtée.  Tout  le  reste  est  plus 
imagination  que  réalité  d'amour  et  de  foi. 


«%%%</V*/V»VU**^*%^*^'***'V»%»%>t^Vfc%W»/W%%%^^^fc%' 


(79)  337  *  A. 

S'accoutumer  à  la  privation  des  goûts  sensibles. 

A  Cambrai,  lundi  3o  juillet  i^oS. 

Il  y  a  long-temps  ,  ma  clière  fille  ,  que  rien  ne  m'a 
fait  un  plus  sensible  plaisir  que  votre  lettre  d'iiier. 
Elle  vient  d'un  seul  trait ,  comme  vous  le  dites  :  c'est 
ainsi  qu'il  faut  s'épancher  sans  réflexion.  Il  faut  vous 
accoutumer  à  la  privation.  La  grande  peine  qu'elle 
cause  montre  le  grand  besoin  qu'on  en  a.  Ce  n'est 
qu'à  cause  qu'on  s'approprie  la  lumière ,  la  douceur 
et  la  jouissance  ,  qu'il  faut  être  dénué  et  désapproprié 
de  toutes  ces  choses.  Tandis  qu'il  reste  à  l'arae  un 
attachement  à  la  consolation ,  elle  a  besoin  d'en  être 
privée.  Dieu  goûté  ,  senti  et  bienfaisant ,  est  Dieu  ; 
mais  c'est  Dieu  avec  des  dons  qui  flattent  l'ame.  Dieu 
en  ténèbres ,  en  privations  et  en  délaissemens  ,  est 
tellement  Dieu  ,  que  c'est  Dieu  tout  seul ,  et  nu  pour 
ainsi  dire.  Une  mère  qui  veut  attirer  son  petit  enfant 
se  présente  à  lui  les  mains  pleines  de  douceurs  et  de 
jouets ,  ïuais  le  père  se  présente  à  son  fils  déjà  rai- 
sonnable ,  sans  lui  donner  aucun  présent.  Dieu  fait 
encore  plus  ;  car  il  voile  sa  face ,  il  cache  sa  présence , 
et  ne  se  donne  souvent  aux  âmes  qu'il  veut  épurer , 
que  dans  la  profonde  nuit  de  la  pure  foi.  Vous  pleu- 
rez ,  comme  un  petit  enfant ,  le  bonbon  perdu.  Dieu 
vous  en  donne  de  temps  en  temps.  Cette  vissicitude 
console  l'ame  par  intervalles,  quand  elle  commence 


LETTRES    SPIRITUELLES.  62Z 

à  perdre  courage ,  et  l'accoutume  néanmoins  peu  à 
peu  à  la   privation. 

Dieu  ne  veut  ni  vous  décourager  ni  vous  gâter. 
Abandonnez-vous  à  cette  vicissitude  qui  donne  tant 
de  secousses  à  l'ame,  et  qui ,  en  raccoutuinant  à  n'avoir 
ni  état  lixe  ni  consistance ,  la  rend  souple  et  comme 
liquide  pour  prendre  toutes  les  formes  qu'il  plaît  à 
Dieu.  C'est  une  espèce  de  fonte  du  cœur.  C'est  à  force 
de  changer  de  forme  qu'on  n'en  a  plus  aucune  à  soi. 
L'eau  pure  et  claire  n'est  d'aucune  couleur  ni  d'au- 
cune figure  :  elle  est  toujours  de  la  couleur  et  de  la 
ilgure  que  lui  donne  le  vase  qui  la  contient.  Soyez 
de  même  en  Dieu. 

Pour  les  réflexions  pénibles  et  humiliantes ,  soit  sur 
vos  fautes  ,  soit  sur  votre  état  temporel ,  regardez-les 
comme  des  délicatesses  de  votre  amour-propre.  La 
douleur  sur  toutes  ces  choses  est  plus  humiliante  que 
les  choses  mêmes.  Mettez  le  tout  ensemble ,  la  chose 
qui  afflige  avec  l'afiliction  de  la  chose ,  et  portez  cette 
croix  sans  songer  ni  à  la  secouer  ni  à  l'entretenir. 
Dès  que  vous  la  porterez  avec  cette  indifférence  pour 
elle ,  et  cette  simple  fidélité  pour  Dieu ,  vous  aurez 
la  paix  ;  et  la  croix  deviendra  légère  dans  cette  paix 
toute  sèche  et  toute  simple.  Mandez-moi  votre  fond  ; 
envoyez-moi  tout  \x)tre  cœur.  Ne  craignez  de  me  de- 
mander ni  visite  ,  ni  lettre  ,  ni  autre  chose  plus  forte. 
Tout  est  à  vous  sans  réserve  en  Notre-Seigneur. 


6^4  LETTRES  SPIRITUELLES. 

338. 

n  se  réjouit  de  voir  la  Comtesse  plus  tranquille. 

A  Cambrai,  mercredi  8  août  ijoo. 

M.  le  Comte  de  Montberon  vient  de  me  soulager 
le  cœur  en  m'assurant ,  ma  chère  fille  ,  que  vous  êtes 
aujourd'hui  plus  tranquille.  Dieu  en  soit  béni.  Je  suis 
trop  sec ,  trop  distrait ,  trop  occupé  d'ailleurs ,  trop 
peu  compatissant  ;  mais  j'ai  bonne  volonté ,  et  les 
moindres  rayons  de  consolation  que  j'entrevois  en 
vous  me  donnent  une  joie  que  je  ne  puis  vous  ex- 
primer. Dieu  nous  a  unis  en  lui.  Supportez-moi ,  et 
soyez  persuadée  que  vous  ne  sauriez  me  fatiguer. 
Vous  ne  m'échapperez  point  et  Dieu  ne  le  permet- 
tra pas.  J'ai  reçu  une  lettre  de  M"^^  la  Duchesse  de 
Mortemart  pleine  des  choses  les  plus  fortes  et  les  plus 
cordiales  pour  vous. 

339  *  A.  (82) 

Desseins  de  Dieu  en  permettant  nos  tentations  et  nos  peines  intérieures. 

Jeudi,  23  août  i^oS. 

Vous  voyez  bien ,  ma  chère  fille ,  que  toutes  vos 
peines  ne  viennent  jamais  que  de  jalousie  ,  ou  de 
délicatesse  d'amour-propre  ,  ou  d'un  fonds  de  scrupule 
qui  est  encore  un  amour-propre  enveloppé.  D'ail- 
leurs ces  peines  portent  toujours  le  trouble  avec 
elles.  Leur  cause  et  leur  effet  montrent  clairement 
qu'elles  sont  de  véritables  tentations.  L'esprit  de  Dieu 
ne   nous   occupe  jamais  des  sentimens  de  l'amour- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  625 

})ropre  5  et  loin  de  nous  troubler ,  il  répand  la  paix 
dans  le  cœur.  Qu'y  a-t-il  de  plus  marqué  pour  la 
tentation,  que  de  vous  voir  dans  un  demi  déses- 
poir ,  révoltée  contre  tout  ce  qui  ^ous  est  donné 
de  Dieu  pour  aller  à  lui  ?  Ce  soulèvement  n'est  point 
naturel  ;  mais  Dieu  permet  que  la  tentation  vous 
pousse  aux  plus  grandes  extrémités  ,  a  fui  que  la  ten- 
tation soit  plus  facile  à  reconnaître.  Il  permet  aussi 
que  vous  tombiez  dans  certaines  choses  très-con- 
traires à  votre  excessive  délicatesse  et  discrétion,  aux 
yeux  d'antrui ,  pour  vous  faire  mourir  à  cette  dé- 
licatesse et  â  cette  discrétion ,  dont  vous  étiez  si  ja- 
louse. Il  vous  fait  perdre  terre ,  alin  que  vous  ne 
trouviez  plus  aucun  appui  sensible  ,  ni  dans  votre  pro- 
pre cœur ,  ni  dans  l'approbation  du  prochain.  Enfin  il 
permet  que  vous  croyiez  voir  le  prochain  tout  autre 
qu'il  n'est  à  votre  égard ,  afni  que  votre  amour-pro- 
pre perde  toute  ressource  flatteuse  de  ce  côté-là.  Le 
remède  est  violent  -,  mais  il  n'en  fallait  pas  moins 
pour  vous  déposséder  de  vous-même ,  et  pour  forcer 
tous  les  retrancliemens  de  votre  orgueil.  Vous  vou- 
driez mourir  ,  mais  mourir  sans  douleur  en  pleine 
santé.  Vous  voudriez  être  éprouvée,  mais  discerner 
l'épreuve  ,  et  lui  être  supérieure  en  la  discernant.  Les 
jurisconsultes  disent ,  sur  les  donations  :  Donner  et 
retenir  ne  vaut.  Il  faut  même  doimer  tout  ou  rien, 
quand  Dieu  veut  tout.  Si  vous  n'avez  pas  la  force  de 
le  donner ,  laissez-le  prendre. 

Votre  franchise  sur  M'"*^  d'Oisy  ,  loin  d'être  une 
faute,  est  ce  que  vous  avez  fait  de  mieux.  Plût  à  Dieu 
que  vous  fissiez  souvent  de  même  !  Mais  vos  cnlor- 
lillemens    vous    empêchent   de    montrer    votre   mal. 

CORRESP.    IV.  33 


626  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Comment  voulez-vous  qu'on  le  guérisse  ,  quand  on 
lie  peut  pas  même  le  savoir  ?  Croyez-vous  qu'on  de- 
vine ?  Parlez  comme  vous  croyez  que  vous  parleriez 
à  la  mort.  Demeurons  unis ,  Dieu  le  veut ,  avec  ce 
qui  nous  est  vmi  en  lui  et  pour  lui.  Pardon  de  mes 
fautes. 

(83)  340  *  A. 

Se  soutenir  par  la  vie  de  foi  au  milieu  des  croix. 

Lundi   au  soir,  23  septembre  ijoS. 

Je  croyais ,  ma  chère  fille  ,  vous  aller  voir  ce  soir  ; 
mais  je  n'ai  pu  le  faire  :  on  m'a  tenu  malgré  moi. 
J'en  ai  le  cœur  peiné  5  car  je  voulais  m'aller  consoler 

avec  vous  sur  la  pauvre  mad ,  que  j'aime  fort, 

et  qui  est  bien  malade.  Tout  est  croix  :  je  n'ai  aucun 
goût  que  d'amertume.  Mais  il  faut  porter  en  paix  ce 
qui  est  le  plus  pesant  :  encore  n'est-ce  point  porter 
ni  traîner  -,  c'est  demeurer  accablé  et  enseveli.  Je 
souhaite  que  Dieu  vous  épargne  autant  qu'il  le  faut 
pour  vous  donner  de  quoi  souffrir  :  c'est  le  pain  quo- 
tidien. Dieu  seul  en  sait  la  juste  mesure ,  et  il  faut 
vivre  de  foi  sur  les  moyens  de  mort ,  pour  croire  , 
sans  le  voir ,  que  Dieu  proportionne  avec  une  cer- 
taine miséricorde  l'épreuve  au  secours  qui  est  en 
nous  à  notre  insu.  Cette  vie  de  foi  est  la  plus  pro- 
fonde de  toutes  les  morts. 

Mon  Dieu ,  qu'il  me  tarde  de  vous  voir  !  Croyez-le ,  et 
soyez  docile  :  croyez-le  sans  le  voir  ;  foi  sur  cela  comme 
sur  tout  le  reste.  O  que  vous  m'êtes  chère  en  celui 
qui  le  veut  !  Cela  croît  tous  les  jours  en  moi  ;  mais 
quand  je  vous  verrai ,  je  ne  vous  dirai  peut-être  rien. 


i.ETTiu:s  si'ium  i:Lhi:s.  62-7 

341. 

INV  pas  s'iii({iiit'ter  tles  jugcraciis  des  huininos. 

A  Cumbrui  .  4  octobre  1703. 

Je  Aoiis  plains  ,  ma  clière  lille  ,  quoique  jamais 
douleur  n'ait  eu  moins  de  fondement  que  la  vôtre  : 
n'inqiorlej  vous  souHrez  beaucoup  ,  et  je  souffre  avec 
^ous.  Mais  souffrez  que  je  vous  représente  l'illusion 
où  vous  èles.  D'un  côlé,  vous  dites  :  //  faut  vivre 
iliUis  la  simplicité  de  l'amour  ,  ou  mourir  dans  le 
désespoir  du  travail.  D'un  autre  côté ,  vous  dites  : 
Je  ne  jiuis  rester  ici  sans  une  humiliation  affreuse 
et  continuelle.  C'est  la  crainte  de  riiumilialion  qui 
vous  trouble ,  et  qui  vous  révolte  contre  Perdre  de 
Dieu ,  pendant  que  vous  ne  parlez  que  de  vivre  dans 
la  simplicité  de  l'amour.  Au  reste ,  vous  entrâtes 
dans  la  conversation  avec  moi,  étant  tranquille  y  sou- 
mise à  Dieu  et  à  moi ^  et  très-jjersuadée  que  rien 

ne  vous  empêcherait  d'obéir  ,  pas  même  la  crainte  de 
vous  laisser  voir  avec  toutes  vos  misères.  Vous  étiez 
donc  bien  dans  ce  moment-là.  Qu'est-ce  qui  vous 
changea  tout  à  coup  ?  C'est  votre  imagination  que 
NOUS  suivez  par  infidélité.  Dès  que  vous  avez  com- 
mencé à  écouter  la  tentation  ,  et  à  résister  à  Dieu , 
Aous  êtes  livrée  à  vous-même,  et  vous  n'êtes  plus  la 
même  personne  :  la  résistance  à  Dieu  vous  met  dans 
une  esi)èce  de  possession.  Mais  je  compte  pour  rien 
toutes  vos  saillies  ,  et  je  ne  me  lasserai  jamais  de 
vous  poursuivre  ,  pour  vous  ramener.  Demandez  à 
Dieu,  Dieu  même,  afin  qu'il  aous  dompte.  Je  vous 
irai  voir  demain,  et  nous  parlerons  de  tout. 

25^ 


628  LETTRES   SPIRITUELLES. 

Saint  François  était  bien  éloigné  de  craindre  Tliu- 
miliation  :  Il  ne  se  serait  guère  mis  en  peine  des  ju- 
gemens  de  M'^»  d'Oisy.  0  mon  Dieu ,  que  tous  êtes 
encore  vaine  dans  yos  délicatesses  ,  puisque  l'idole 
d'un  cœur  généreux  et  romanesque  est  ce  que  vous 
ne  pouvez  sacrifier  à  Dieu,  et  que  vous  voulez  lui 
manquer  plutôt  que  de  paraître  une  amie  impar- 
faite !  Revenez  à  Dieu ,  et  sortez  de  vous.  //  vous  est 
dur  de  retjimher  contre  l'aiguillon  {a). 

(«)  ^ct.  IX.  5. 

342  *  A.  (61) 

Supporter  patiemment  la  vue  de  nos  défauts. 

Lundi  au  soir,  3  novembre  ijoS. 

Comment  pouvez-vous  vous  imaginer  que  je  puisse 
être  tenté  de  vous  abandonner?  C'est  moi  qui  ne  veux 
pas  que  vous  m'abandonniez.  Aucun  de  vos  défauts 
ne  me  lasse.  Je  voudrais  que   vous  les  pussiez  voir 
comme  je  les  vois ,  et  que  vous  les  supportassiez  avec 
la  même  paix  dont  je  les  supporte  :  ils  se  tourneraient 
tous  à  profit  pour  vous.  Quand  Dieu  vous  laisse  un 
peu  respirer ,  vous  voyez  sa   bonté ,   mais  dès  qu'il 
recommence  en  vous  son  ouvrage ,  vous  défaites  ce 
qu'il   fait  à  mesure  qu'il  y  travaille.    Vous  écoutez 
votre  imagination  ,  jusqu'à  n'écouter  plus  ni  Dieu  ,  ni 
l'homme  qui  doit  vous  parler  en  son  nom.  Vous  êtes 
alors  indocile  ,  et  comme  possédée  d'un  esprit  de  dés- 
espoir. Ce  n'est  point  la  peine  qui  cause  l'infidélité  ; 
mais  c'est  l'infidélité  qui  cause  la  peine.   Une  cer- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  G2r) 

taine  douleur  paisible  clans  l'obscurité  et  dans  la  sé- 
clieresse  ne  serait  rien  que  de  bon.  Il  faut  bien  souf- 
frir pour  mourir;  le  dépouillement  ne  se  fait  pas 
sans  douleur  :  mais  le  trouble  du  fond  ne  vient  que 
de  rinlidélité  avec  laquelle  vous  écoutez  la  tenlation. 
C'est  dés  le  commencement  qu'il  faudrait  lui  fermer 
vos  oreilles.  Voire  imagination  ,  qui  vous  tente ,  est 
ensuite  ce  qui  vous  punit  ;  car  elle  fait  votre  supplice. 
Ne  la  croyez  plus ,  mais  croyez-moi.  Vous  m'avez 
rendu  triste  depuis  liier.  Au  nom  de  Dieu,  consolez- 
moi.  Il  me  tarde  de  vous  aller  voir  ,  et  de  vous  trou- 
ver meilleure  que  vous  n'étiez  liier.  Faut-il  que  je 
^  oiis  rende   mécliante  ? 

Ne  vous  rembarquez  point  avec  M^^  d'Oisy;  je  n'y 
consens  pas.  Dieu  ne  le  veut  point ,  et  il  n'y  a  que 
Tamour-propre  qui  le  veuille  en  vous.  Je  vais  de- 
main à  quatre  lieues  d'ici  voir  M.  de Sans  cela 

je  vous  irais  voir.  J'enverrai  vos  deux  lettres,  si  je 
ne  les  brouille  pas  dans  le  cbaos  de  mes  paperasses. 


^%^  %%%%*»  V*  »  %'%«^VV%  %v%  ***  *v»  %%****■*%*  ^^^  "«-^^  ■*■**  ^■^^  ^-^^  ^'**  *** 'VV*  vv%  v%*  %*^  ^v* -vv^ 

343. 

Ne  point  se  tourmenter  pour  trouver  clans  son  cœur  l'amour  tic  Dieu. 

I""'  jour  (le  lan  170  |. 

J'ai  beaucoup  de  peine  à  condamner  à  la  mort  ces 
trois  petits  innocens.  Blondel  a  envie  de  les  associer 
à  sa  troupe  d'oiseaux.  Ils  chantent  un  peu  ,  et  ne  con- 
naissent pas  le  péril  ;  car  mon  vieux  cliat  a  rappelé 
son  ancienne  vigueur  et  toutes  ses  finesses ,  pour  les 
attraper. 

O   que  je  vous  souhaite  une  bonne  année ,  toute 


53o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

simple  et  tout  unie  !  Le  sentiment  ne  tlépentl  pas  de 
nous  ;  il  n'y  a  que  la  volonté.  Notre  volonté  même 
ne  peut  pas  être  approfondie  ;  on  ne  trouve  pas  son 
propre  vouloir  ,  comme  on  trouve  son  gant  dans  sa 
main ,  en  sorte  qu'on  puisse  dire  :  Le  voici.  Vous 
qui  aimez  M.  votre  fils  ,  vous  ne  vous  tourmentez 
point  pour  trouver  dans  votre  cœur  cette  amitié  , 
comme  vous  vous  tourmentez  pour  y  trouver  l'amour 
de  Dieu.  On  se  contente  de  vouloir  aimer,  et  d'agir 
le  mieux  qu'on  peut ,  suivant  ce  fond  d'amour  Dieu 
n'a  point  une  délicatesse  épineuse  ,  comme  nous.  Al- 
lons droit  avec  lui ,  et  tout  est   fait. 

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344  *  R.  (84) 

Avantages  des  croix  ol  des  peines  intérieures. 

Lundi,  28  janvier  1704. 

Non  ,  je  ne  saurais  ,  ma  chère  tille  ,  être  en  peine 
pour  vous  des  choses  qui  vous  agitent  tant;  mais  je 
suis  bien  loin  de  les  mépriser  :  au  contraire ,  j'y  fais 
une  singulière  attention.  Je  sais  que  Dieu  choisit  ex- 
près ces  choses  sans  fondement ,  pour  nous  éprouver 
d'une  façon  qui  est  tout  ensemble  rigoureuse  et  hu- 
miliante. La  délicatesse  de  notre  orgueil  a  besoin  de 
cet  assaisonnement  de  nos  croix.  Il  faut  qu'elles  soient 
imaginaires ,  et  qu'elles  nous  surmontent  ;  il  faut  que 
nous  soyons  accablés  par  notre  propre  imagination , 
et  que  nos  propres  chimères  nous  crucifient.  Loin  de 
mépriser  ces  choses ,  j'y  reconnais  le  doigt  de  Dieu. 
C'était  précisément  ce  qu'il  vous  fallait.  Je  vous  plains 
de  tout  mon  cœur  ;  mais  je  vois  une  grande  miséri- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  63  l 

conle  dans  celte  jurande  misère.  Consolons-nous  de  la 
tlouloureiise  Oj>ération  ,  par  le  bien  qu'elle  fera.  Nous 
ne  sonnnes  ici-bas  que  pour  souflrir  ,  mourir ,  sacri- 
fier ,  perdre  sans  aucune  réserve.  Comme  la  moindre 
partie  morte  ,  dans  les  cbairs  vivantes ,  iait  souffrir 
tles  douleurs  étranges  ,  de  même  le  mointlre  reste  de 
vie  dans  une  ame  mourante  fait  un  supplice  affreux. 
Ne  laissons  donc  rien  de  cette  vie  secrète  et  nialiuiie 

o 

en  nous.  Il  faut  que  Dieu  nous  arrache  tout  :  ne  re- 
poussons pas  sa  main  crucifiante  ;  ce  serait  à  recom- 
mencer. Je   vous  irai  voir  tantôt. 

345. 

Abandon  à  Dieu  dans  les  afflictions. 

Mardi,  29  janvier  1704. 

Je  souffre ,  ma  chère  fille ,  de  vous  laisser  seule  ; 
mais  je  n'ose  sortir  de  céans,  parce  que  voici  l'heure 
où  il  est  naturel  que  M.  le  Comte  de  Montberon  ar- 
rive ,  et  que  je  ne  dois  pas  le  faire  attendre.  Il  ne 
faut  perdre  aucun  des  premiers  momens  pour  le  pré- 
parer, et  pour  adoucir  sa  surprise.  Pendant  que  je 
serai  avec  lui ,  Dieu  sera  avec  vous.  O  le  doux  en- 
tretien ,  pourvu  qu'on  soit  dans  le  silence  d'acquies- 
cement !  Il  se  plaît  avec  les  âmes  afthgées  ;  il  est  le 
Dieu  de  toute  consolation.  Ne  retenez  ni  ne  nourris- 
sez point  votre  douleur  :  portez-la  en  esprit  d'aban- 
don. Dieu  mesure  la  tentation  aux  forces  que  son 
amour  donne  ;  il  faut  que  l'amour  se  taise ,  souffre , 
et  fasse  tout  lui  seul. 


632  LETTRES    SPIRITUELLES. 

346. 

User  de  patience  avec  soi-même ,  comme  avec  le  prochain. 

Dimanche,  lo  février  1704. 

Je  serai  ravi  que  tous  veniez  au  sermon  ,  ma  chère 
fille.  Venez-y  ,  je  vous  prie  :  suivez  librement  ce  qui 
vous  vient  dans  l'esprit ,  pour  vous  soulager.  Vous  ne 
sauriez  trop  vous  accoutumer  à  vous  supporter.  Pour 
moi  ,  je  n'ai  aucune  peine  à  votre  égard ,  que  celle 
de  vous  voir  souffrir.  Il  faut  user  de  patience  avec 
vous-même  ,  comme  avec  un  autre.  Le  support  n'est 
pas  moins  pour  nous  que  pour  le  prochain.  On  se 
supporte  sans  se  flatter ,  de  même  qu'on  le  fait  pour 
autrui.   Bonjour  jusqu'au  sermon, 

347. 

Sacrifier  sa  volonté  à  celle  d'autrui  ;  élargir  son  cœur. 

Dimanche  au  soir,  10  février  1704. 

La  souplesse  de  volonté  pour  céder  à  celle  d'au- 
trui vaut  mieux  que  tous  les  sermons.  C'est  par  un 
excès  de  précaution  pour  votre  santé,  ou  par  quelque 
délicatesse  de  bienséance ,  que  M.  le  Comte  de  Mont- 
beron  vous  aura  apparennnent  refusé  cette  complai- 
sance :  c'est  la  moindre  chose  du  monde.  Il  faut  s'ac- 
commoder à  ses  vues  :  c'est  le  moins  que  vous  puissiez 
lui  sacrifier ,  qu'un  sermon.  C'est  le  meilleur  homme 
que  je  connaisse.  Le  sermon  ne  vous  convenait  point, 
et  vous  devez  être  bien  consolée  de  ne  l'avoir  pas 
entendu.  Quatre  petits  mots  ,  qui  échappent  ajîrès  un 


LETTRES    SPIRITUELLES»  633 

long  silence  au  coin  de  voire  feu ,  sont  Lien  meil- 
leurs. Élargissez ,  élargissez  votre  pauvre  cœur.  Dieu 
n'est  point  à  son  aise  clans  les  cœurs  rétrécis.  Le  vrai 
amour  est  trop  simple  pour  être  scrupuleux.  Là  où, 
est  le  Seùjtieiir  ,  là  est  la  liberté  {a). 

(«)  //  Cor.  III.   17. 

(85)  348  ♦  A. 

Retrancher  les  subtilités  inquiètes  sur  soi-même. 

Mardi,  4  mars  1704. 

J'avais  bien  cru ,  ma  chère  fille ,  que  j'aurais  plus 
de  joie  que  vous.  Dieu  soit  béni.  Voilà  les  créanciers 
en  sûreté  ,  et  Mi"^  la  Comtesse  de  Souastre  aura  une 
succession.  J'espère  que  ce  sera  tard.  Il  faut  songer 
à  vendre  au  moins  une  terre.  M.  le  Comte  de  Mont- 
beron  m'y  a  paru  disposé  ce  matin.  Le  voilà  en  re- 
pos ,  et  il  n'a  plus  rien  à  demander  au  monde. 

Pour  vous ,  ma  chère  fille  ,  je  ne  vous  souhaite 
que  le  retranchement  de  vos  réflexions.  La  vUe  de 
nous-mêmes  cause  le  trouble  :  c'est  la  juste  peine  de 
Tamour-propre.  Au  contraire ,  la  simple  vue  de  Dieu 
donne  la  paix  :  c'est  la  récompense  d'un  amour  pur 
et  direct-,  c'est  un  petit  commencement  du  paradis. 
Sans  plaisir  sensible,  et  même  avec  des  douleurs  ,  on 
sent  un  je  ne  sais  quoi  très-profond  et  très-intime , 
qui  ne  veut  rien  au-delà ,  et  qui  fait  un  rassasiement 
de  volonté.  On  ne  sort  de  ce  paradis  ,  que  par  des 
subtilités  inquiètes  sur  soi-même. 


034  LETTRES    SPIRITUELLES. 


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(84)  349  *  R. 

Même   sujet. 

Jeudi ,  6  mars  1704. 

Vos  peines  ,  ma  chère  fille  ,  m'affligent  jusqu'au 
fond  du  cœur  -,  mais  elles  ne  font  que  redoubler  mon 
attachement  et  mon  zèle.  O  que  vos  douleurs  seraient 
douces  ,  si  vous  ne  faisiez  que  sentir  simplement ,  et 
qu'adorer  sans  résistance  ni  réflexion  volontaire  les 
coups  de  la  main  de  Dieu  !  Mais  les  coups  que  votre 
propre  main  vous  porte  sont  les  plus  douloureux. 
Unissez-vous ,  je  vous  en  conjure ,  à  ceux  qui  veu- 
lent la  paix  pour  vous  ;  unissez-vous  à  eux  avec  pe- 
titesse et  sans  raisonner.  Que  devez-vous  penser  des 
peines  qui  ne  viennent  que  d'un  amour-propre  mani- 
feste ?  Que  la  paix  de  Dieu  soit  avec  vous.  Que  celui 
qui  commande  aux  vents  et  à  la  mer  commande  à  vo- 
tre imagination  ,  pour  y  mettre  le  silence  et  le  calme. 

350. 

Même  sujet. 

A  Cambrai ,  12  mars   1704. 

Vous  ne  devez  jamais  avoir  nulle  inquiétude  ,  ma 
chère  fille ,  sur  ma  persévérance  à  prendre  soin  de 
vous.  Plus  vous  êtes  peinée ,  plus  je  me  crois  obligé 
à  vous  soutenir  :  vos  peines  ne  font  qu'augmenter  mon 
union  avec  vous.  Je  vous  quittai  l'autre  jour ,  non  par 
impatience  ,  ni  par  indiiférence  pour  votre  état  ;  mais 
parce  qu'il  m'a  paru  que  ,  dans  ce  temps-là ,  ma  pré- 
sence ne  fait  que  redoubler  vos  réflexions  et  votre 
trouble.  Au  reste,  je  suis  très-éloigné  de  vouloir  que 


LETTRES    SnUlTUEt.LES.  G35 

VOUS  ne  me  disiez  pas  vos  peines  :  mais  je  ne  vou- 
drais pas  que,  sous  prétexte  de  me  les  dire,  vous  vous 
en  entretinssiez  vous-même ,  ee  qui  est  nourrir  vos 
scrupules  ,  et  augmenter  la  tentation  de  Iroidjle.  Je 
vous  irai  voir  demain.  Dieu  sait  à  quel  point  je  vous 
suis  dévoué. 


«  ^^«/«  ^«^  <%%«  ^^^  \  A  t  ««f«  i^X^  1 


351. 

N'espérer  rien  de  soi,  et  no  dûsircr  rien  pour  soi. 

Vendredi,  \G  mai  1704. 

Comme  je  n'avais  pas  vu  depuis  long-temps  M.  le 
Comte  de  Montberon ,  je  n'osai  point  avant-hier  vous 
proposer ,  devant  lui ,  de  me  parler  en  particulier. 
Hier  j'espérai  de  vous  trouver  libre  ;  mais  il  faut 
attendre  que  je  sois  débarrassé  de  Tordination.  En 
attendant ,  je  loue  Dieu  de  la  paix  où  il  vous  met. 
O  qu'il  est  bon  de  n'espérer  rien  de  soi,  et  de  ne  cber- 
clier  rien  pour  soi-même!  Vivez  ,  ma  chère  fdle,  dans 
cette  bienheureuse  simplicité ,  et  vous  aurez  la  pléni- 
tude de  Dieu  dans  le  \itle  de  vous-même.  Je  vous 
porte  tous  les  jours  à  l'autel  avec  une  union  intime. 


352. 

Contre  les  sensibilités  d'amour-propre. 

Jeudi,   i^  juillet  1704. 

Vous  êtes  bien  ingénieuse  pour  vous  tourmenter. 
Tout  ce  qui  est  dans  votre  tête  n'a  pas  seulement 
passé  un  instant  par  la  mienne.  J'ai  pu  craindre  que 
quelque  délicatesse  sur  les  bienséances  ne  nous  gênât  ; 


636  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mais  je  ne  croirai  jamais  que  tous  ayez  aucun  ména- 
gement politique.  Faut-il  que  ces  sensibilités  d'amour- 
propre  vous  rongent  le  cœur ,  pendant  que  l'amour 
de  Dieu  devrait  le  nourrir ,  l'élargir ,  le  consoler  et 
le  remplir  de  paix?  Si  j'osais,  je  vous  gronderais; 
mais  il  vaut  mieux  entrer  dans  votre  peine,  pour  vous 
en  soulager.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  occupe  tellement 
de  lui,  que  vous  puissiez  vous  oublier  vous-même. 

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353  *  A.  (86) 

Voîr  ses  fautes  avec  paix,  en  esprit  d'amour. 

Mai'di ,  3o  septembre  1704. 

Je  n'évite  le  basard  de  la  poste  ,  ma  cbère  fdle  , 
que  par  rapport  à  l'affaire  présente  de  la  pension. 

Ne  vous  inquiétez  ni  sur  vos  fautes ,  ni  sur  vos 
confessions.  Aimez  sans  cesse ,  et  il  vous  sera  heau- 
coup  remis  ,  parce  que  vous  aurez  heaucoup  aimé  {a). 
On  cbercbe  des  ragoûts  d'amour-propre,  et  des  appuis 
sensibles,  au  lieu  de  cbercber  l'amour.  On  se  trompe 
même  ,  en  cliercbant  moins  à  aimer ,  qu'à  voir  qu'on 
aime.  On  est ,  dit  saint  François  de  Sales ,  plus  oc- 
cupé de  l'amour  que  du  bien-aimé.  C'est  pour  le 
bien-aimé  seul  qu'on  s'occupe  directement  de  lui  ; 
mais  c'est  par  retour  sur  soi ,  qu'on  veut  s'assurer 
de  son  amour.  Les  fautes  vues  en  paix  ,  en  esprit 
d'amour ,  sont  aussitôt  consumées  par  l'amour  même  ; 
mais  les  Aiutes  vues  avec  un  dépit  d'amour-propre 
troublent  la  paix  ,  interrompent  la  présence  de  Dieu , 
et  l'exercice  du  parfait  amour.  Le  cbagrin  de  la  faute 

{a\  Luc.  VII.  47* 


LETTRES    SPIRITUELLES.  C37 

est  d'ordinaire  encore  plus  faute  que  la  faute  même. 
Vous  tournez  tout  votre  scruj)ule  vers  la  moindre 
infidc'lité.  Je  juge  de  votre  lidélilé  par  votre  paix, 
et  par  la  liLerté  de  votre  cœur.  Plus  votre  cœur  sera 
paisible  et  au  large  ,  plus  vous  serez  unie  à  Dieu. 
Ce  que  vous  craignez  est  ce  que  vous  devriez  le  plus 
désirer. 

Je  viens  de  voir  un  homme  qui ,  ayant  lu  dans 
le  noviciat  des  Bénédictins  la  vie  de  saint  Benoît ,  se 
dépita  tellement  de  ne  lui  point  ressendjler,  qu'il  sor- 
tit du  noviciat. 


fc.V»%^%%V»% 


(87)  354  *  A. 

Se  supporter  soi-mùmc ,  comme  le  prochain. 

Samedi,  11  octobre  1704. 

Je  donne  avec  joie,  à  l'ecclésiastique  dont  il  s'agit , 
le  pouvoir  de  confesser  cette  novice  autant  de  fois 
que  lui  et  M™"=  l'abbesse  le  jugeront  à  propos.  Je  suis 
consolé  de  voir,  ma  chère  fille  ,  que  vous  reconnais- 
sez que  Dieu  est  glorifié  par  votre  humiliation.  Nous 
ferions  du  poison  de  toutes  nos  vertus,  si  nous  ne  trou- 
vions en  nous  rien  dont  l'amour-propre  ne  fût  con- 
tent. Accoutumez-vous  peu  à  peu  à  n'être  pas  si  dé- 
licate sur  vous-même.  La  délicatesse  du  pur  amour 
est  simple  ,  douce ,  paisible  :  celle  de  l'amour-propre 
est  ondjrageuse  ,  inquiète,  et  tout  auprès  du  désespoir. 
Supportez-vous  vous-même,  comme  le  prochain; 
vous  ne  vous  devez  pas  moins  la  charité  qu'à  autrui. 
Pour  moi ,  loin  d'être  las  de  vos  peines  ,  je  ne  les 
ressens  que  par  rapport  à  vous. 


G38  LETTRES    SPIRITUELLES. 


355. 

Contre  les  sensibilités  de  ramour-propre. 

Lundi,  17  novembre  1704- 

Je  vous  envoie,  ma  chère  fille,  une  copie  de  la 
lellre  que  j'ai  écrite  à  M.  de  ... ,  afin  que  vous  ayez 
la  bonté  de  la  fiiire  tenir  à  M.  le  Comte  de  Mont- 
Leron  ,  et  qu'après  l'avoir  lue  ,  il  puisse ,  avant  son 
départ ,  prévenir  là-dessus  M.  de 

Vos  peines  m'affligent  sensiblement.  Non-seulement 
je  suis  sensible  à  votre  extrême  souffrance ,  mais  en- 
core je  suis  en  peine  sur  l'inlidélité  avec  laquelle  vous 
vous  livrez  à  la  tentation.  Dans  ces  momens ,  je  vois 
en  vous  tous  les  sentimens  d'un  amour-propre  ré- 
volté. Cela  seul  devrait  vous  faire  apercevoir  com- 
bien vous  sortez  de  l'ordre  de  Dieu ,  sous  le  beau 
prétexte  d'y  vouloir  rentrer.  Je  ne  saurais  vous  em- 
pêcher de  manquer  à  Dieu  •,  mais  j'espère  qu'il  vous 
en  empêchera  malgré  vous.  Pour  moi ,  je  ne  veux 
point  lui  manquer  ;  et  je  croirais  le  faire  ,  si  je  ne 
A  ous  poursuivais  pas  doucement ,  mais  sans  relâche  , 
])our  vous  ramener  à  la  vraie  ])aix  par  la  simplicité 
à  laquelle  il  vous  attire.  Ne  faites  rien  sans  mon 
consentement,  je  vous  en  conjure.  Je  demeurerai  fidè- 
lement uni  à  vous  :  ne  me  refusez  pas  cette  union 
de  cœur  en  notre  Seigneur  Jésus-Christ. 


LETTRES   SPIRITUELLES.  63() 


«  ^/«^4>^  ■W\%^^'%%%  \/V^  IVV% 


356. 

Les  scrupules,  cfTot  do  l'aniour-propre. 

Mardi,  i8  novembre  1704. 

On  ne  peut  être  plus  en  peine  que  je  le  suis  de 
"VOUS,  ma  chère  fille.  Consolez-moi,  si  vous  le  pouvez; 
mandez-moi  quelque  Lonne  nouvelle  de  votre  cœur. 
Si  j'étais  libre  ,  j'irais  tout  à  l'heure  vous  voir  ;  mais 
il  faut  que  j'aille  à  l'hôpital  Saint-Jean.  Ecoutez  Dieu  ; 
ne  vous  écoutez  point  :  dès  que  vous  vous  écoutez, 
tout  est  perdu.  C'est  un  amour-propre  désespéré  qui 
cause  toutes  vos  peines.  Il  est  visible  ,  et  vous  ne  le 
voyez  pas,  tant  il  vous  préoccupe!  Si  vous  pouviez 
le  voir,  vous  reconnaîtriez  la  tentation  où  il  vous 
jette.  J'attends  de  vos  nouvelles.  Que  ne  donnerais- 
je  point  pour  vous  voir  toujours  dans  la  paix  et  dans 
la  fidélité  où  je  vous  vois  ,  quand  vous  êtes  simple  ! 

357. 

L'obéissance  ,  seul  remède  au  scrupule. 

Mercredi,  19  novembre  1704. 

Votre  lettre  d'hier  au  soir  ,  ma  chère  fdle,  m'af- 
ilige  plus  que  tout  le  reste.  Les  premiers  mouvemens 
de  peine  ne  sont  rien  ;  ils  ne  viennent  pas  du  fond 
du  cœur  :  mais  vous  vous  livrez  à  la  tentation  sans 
mesure.  0  si  vous  ouvriez  un  moment  les  yeux  ,  vous 
verriez  la  fureur  de  votre  amour-propre  !  Il  n'en  fau- 
drait pas  davantage  pour  vous  montrer  que  ce  que 
vous  voulez  regarder  comme  un  retour  à  une  règle 
plus  sure,  n'est  qu'une  illusion  grossière  et  un  éga- 


G4o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

rement  manifeste.  Mais  j'espère  en  Dieu  malgré  tou- 
tes \'os  infidélités-,  vous  ne  lui  échapperez  pas.  Pour 
moi  ,  je  vous  poursuivrai  sans  relâche  jusqu'à  ce  que 
vous  rentriez  dans  la  petitesse ,  dans  la  mort  à  votre 
amour- propre  ,  et  dans  l'obéissance  aveugle  que  Dieu 
demande  de  vous.  Répondez-moi,  je  vous  le  demande 
au  /nom  de  Dieu  même.  Obéissez  ,  et  souvenez-vous 
que  vous  ne  trouverez  jamais  ni  paix  ni  ressource 
que  dans  l'obéissance.  Dès  que  vous  en  sortez ,  vous 
êtes  comme  une  personne  possédée.  Dès  que  vous  y 
rentrez.  Dieu  est  avec  vous;  vous  êtes  bonne,  simple , 
douce  ,  et  petite  comme  un  enfant.  Réponse ,  je  vous 
conjure ,   et  ne  résistez  pas  plus  long-temps  à  Dieu. 

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358. 

Ne  point  trop  réfléchir  sur  ses  fautes. 

Mercredi,  ig  novembre  1704- 

Je  n'ai  aucune  peine  à  croire ,  ma  très-chère  fille  , 
que  vous  ne  trouvez  pas  en  moi  ce  que  vous  cher- 
chez selon  Dieu;  mais  Dieu  lui-même  suppléera.  Si  je 
connaissais  ici  un  homme  qui  vous  convînt,  je  vous 
le  donnerais ,  et  je  demeurerais  aussi  intimement  uni 
à  vous  que  je  le  suis  :  mais  je  ne  connais  personne 
qui  vous  soit  propre;  et  à  tout  prendre,  je  dois  vous 
dire  simplement  que  je  suis  ici  le  plus  en  état  de 
vous  secourir.  Je  crois  même  que  notre  liaison  est 
de  vocation  et  de  providence.  Vous  le  croirez  vous- 
même  toutes  les  fois  que  vous  serez  hors  de  la  ten- 
tation. 

Je  vous  irai  voir  demain  au  matin,  et  je  verrai 


LETTRES    SI'IIUTL  ELLES.  64  I 

avec  vous  ce  (jiii  est  à  propos.  Mais  je  veux  absolu- 
ment A  ous  Taire  communier.  Vos  fautes  vous  font  mille 
lois  plus  (le  mal  par  vos  réflexions  d'amour  propre , 
que  par  elles-mêmes.  En  quel  état ,  en  quelle  voie 
sous  quelle  direction  vous  flattez-vous  de  ne  faire  plus 
aucune  faute  ni  contre  Bieu  ni  contre  les  lionuncs? 
Espérez-vous  de  "vous  délivrer  de  votre  amour-propre, 
en  vous  abandonnant  à  ses  saillies  ,  et  en  vous  reti- 
rant de  la  mort  à  vous-même.  Si  vous  aviez  fait  ce 
pas,  ce  serait  une  espèce  d'enfer.  Le  mal  est  que 
vous  vous  écoutez  ,  et  que  vous  n'êtes  point  docile. 
Mais  courage  ;  tout  ceci  ne  sera  rien.  J'espère  que 
demain  Dieu  vous  rendra  la  paix.  Il  sait  avec  quel 
zèle  je   le  désire. 

359. 

Sur  une  dislrihulion  que  les  magislrals  de  Cambrai  devaient  faire  aux 

pauvres. 

A  Cambrai ,  iG  décembre  1704. 

Je  vous  supplie ,  ma  très-clière  fdle ,  d'avoir  la 
bonté  d'écrire  dès  ce  soir  à  M.  le  Comte  de  Mont- 
beron ,  pour  le  prier  d'écrire  très-promptement  aux 
magistrats  de  Cambrai  ,  a(in  qu'ils  ne  fassent  point , 
le  jour  de  saint  Thomas ,  la  distribution  du  revenu 
de  leur  fondation,  parce  que  s'ils  ibnt  leur  distribution 
ce  jour-là ,  suivant  leur  coutume  qui  ne  soulage  en 
rien  les  pauvres  ,  ils  n'auront  plus  de  quoi  donner  à 
la  Cliarité  ,  qui  en  a  un  besoin  très-pressant.  Deux 
mots  que  M.  le  Comte  de  Montberon  leur  écrira,  ou 
leur  fera  dire  ,  pour  les  prier  de  différer  jusqu'à  son 

CORRESP.    IV.  26 


642  LETTRES    SPIRITUELLES. 

retour ,  suffiront  pour  avoir  le  loisir  de  prendre  en'- 
suite  des  mesures  pour  cette  bonne  œuvre. 

Comment  vous  portez-vous  ?  comment  va  la  faible 
santé  de  M^i®  de  Souastre  ?  Mil«  du  Mesnil  est-elle 
en  humeur  de  bien  jouer   avec  mon  manchon  ? 

360. 

Ne  prendre  aucune  résolution  importante  danS  le  troublé  et  Tagitatio^ 
des  peines  intérieures. 

Lundi,  26  janvier  i^o5. 

Il  n'est  question ,  ma  très-chère  fille ,  ni  de  moi 
ni  d'aucune  autre  personne  :  il  s'agit  de  Dieu  seul. 
Si  vous  pouviez ,  sans  lui  manquer  ^  faire  la  rupture 
que  vous  projetez,  je  vous  laisserais  faire,  et  je  serais 
ravi  de  vous  voir  dans  la  fidélité  et  dans  la  paix , 
par  une  autre  voie.  Mais  c'est  un  désespoir  d'amour- 
propre  qui  veut  rompre  tous  les  liens  de  grâce ,  pour 
chercher  un  soulagement  chimérique.  Votre  déses- 
poir redoublerait,  si  vous  aviez  fait  cette  démarche 
contre  Dieu.  Mais  si  vous  vous  livrez  à  lui  sans  con- 
dition et  sans  bornes ,  le  simple  acquiescement  en 
esprit  d'abandon  sans  réserve  vous  remettra  en  paix. 

Je  vous  pardonne  d'avoir  contre  moi  les  pensées  les 
plus  outrageantes.  Je  me  compte ,  Dieu  merci ,  pour 
rien.  Mais  malgré  cet  outrage  que  je  n'ai  jamais  mé- 
rité de  vous ,  vos  véritables  intérêts  me  sont  si  chers, 
que  je  donnerais  de  bon  cœur  ma  vie ,  pour  vous 
empêcber  de  détruire  en  vous  l'œuvre  de  Dieu.  Vous 
ne  pourriez  le  faire  sans  perdre  la  vie ,  et  sans  la 
finir  dans  une  résistance  horrible  à  la  grâce.  Jamais 


LETTRES    SPIRITUELLES.  643 

tentation  de  jalousie,  et  de  fureur  d'un  amoui^propre 
ombrageux  ,   ne  fut  si  manifeste.  C'est  pendant  que 
\Tous  êtes  livrée  à  celte  tentation  affreuse ,  que  vous 
voulez  faire  les  pas  les  plus  décisifs.  Au  moins ,  lais- 
sez un  peu  calmer  cet  orage  ;  attendez  d'être  tran- 
quille ,  comme   les  gens  sages  l'attendent  toujours , 
pour  prendre  une  résolution  de  sang-froid;  ou,  pour 
mieux  dire ,  ne  vous  défiez  que  de   vous-même ,  et 
nullement  de  Dieu.    Mettez  tout  au   pis-aller.  Sup- 
posez comme  vraies  toutes  les  étranges  chimères  que 
votre  imagination  vous  représente.  Acceptez  tout  sans 
réserve  ;  n'y  mettez  aucune  borne  pour  la  durée.  As- 
sujettissez-vous à  moi  par  pure  fidélité  à  Dieu  ,  sans 
compter  sur  moi.  Demeurez  dans  cette  disposition  du 
fond  ,   en  silence  ,  sans  vous  écouter  y  et  n'écoutant 
que  Dieu  seul  ;  je  suis  assuré  que  la  paix ,  qui  sur- 
passe tout  sentiment  humain ,  renaîtra  d'abord  dans 
votre  cœur,  et  que  les  écailles  tomberont  de  vos  yeux. 
Faites-en  l'expérience,  je  vous  conjure.  Dieu  permet 
qu'avec  le  meilleur  esprit  du  monde ,  vous  soyez  dans 
l'illusion  grossière  et  la  plus  étrange  sur  un  seul  point. 
C'est  une  chimère  qui  fait  le  plus  réel  de  tous  les 
supplices.  Il  ne  fallait  rien  moins  pour  démonter  cet 
amour-propre  si  délicat  et  si  déguisé.  L'opération  est 
crucifiante  :  mais  il  faut  mourir.  Laissez-vous  mourir, 
et  vous  vivrez. 


26^ 


(344  LETTRES    SPIRITUELLES. 

361. 

Saint  Joseph  ,  modèle  de  la  \-ie  intérieure. 

A  Cambrai ,  19  mars  lyoS. 

Je  crois ,  ma  très-cbère  fille  ,  que  vous  ferez  très- 
bien  d'envoyer  votre  équipage  à  M^^^  d'Oisy  ,  pour 
soulager  le  sien  ;  mais  le  lieu  où  vous  êtes  vous  dis- 
pense de  lui  donner  à  diner.  Aussi  bien  ai-je  entendu 
dire  que  M}^^  de doit  venir  au  sermon  ce  jour- 
là.  Vous  ne  pouvez  point  donner  à  dîner  à  toute  la 
troupe.  Le  prêt  de  l'équipage  ne  vous  causera  aucun 
embarras;  mais  le  dîner  vous  mènerait  plus  loin.  Vous 
êtes  toujours  dans  un  pencbant ,  prête  à  glisser ,  et 
à  faire  trop  bien. 

Je  suis  ravi  de  ce  que  saint  Josepb  nous  réunit.  Je 
l'aime  au-delà  de  toute  expression  :  c'est  un  Saint 
tout  intérieur.  Il  me  tarde  de  vous  voir  dans  le  si- 
lence de  ce  bon  Saint.  Je  le  prie  de  vous  obtenir  la 
délivrance  de  vous-même. 

362. 

Abandon  à  Dieu  dans  les  peines  intérieures. 

II  août  1705. 

Je  ressens ,  ma  chère  fille ,  une  vraie  peine  de  celle 
que  je  vous  fis  hier  au  soir.  Je  vous  pressai  trop  :  je 
vous  conjure  de  me  le  pardonner ,  et  de  ne  perdre 
point  de  vue  ce  que  Dieu  demande  de  vous.  Celui 
qui  le  demande  le  donnera  -,  il  veut  que  vous  le  fas- 
siez ,  et  il  le  fera  lui-même  avec  vous.  Ne  regardez 


LETTRES    SPIRITUELLES.  G45 

que  lui,  et  ne  me  comptez  pour  rien,  qu'autant  qu'il 
lui  pl;»il  de  se  servir  de  moi  ;  mais  coniiez-YOus  à 
lui.  11  ne  iaut  pas  vous  étonner  que  ce  qui  touche 
le  vif  vous  cause  beaucoup  de  douleur.  Le  vif  en  vous 
est  une  industrie  et  un  courage  propre  pour  \ous 
décider  vous-même  sans  vous  livrer  à  autrui.  Dès  qu'on 
attaque  ce  vif,  on  vous  trouble.  Mais  vous  vous  ima- 
f>inez  les  choses  comme  impossibles  :  Dieu  ,  qui  les 
veut,  les  adoucira.  Le  moment  le  plus  douloureux 
est  celui  de  laisser  faire  l'incision.  Cette  fidélité  por- 
tera la  grâce  avec  elle  pour  tout  le  reste  ;  c'est  l'in- 
fidélité qui  vous  cause  tant  de  souffrances  :  c'est  en 
vous  livrant  que  vous  vous  soulagerez.  Encore  une 
fois ,  ne  me  regardez  que  comme  un  instrument 
d'épreuve  ,  auqviel  Dieu  vous  assujettit.  Vous  verrez 
un  jour  en  lui  à  quel  point  je  vous  suis  dévoué. 

363. 

fie  point  trop  raisonner  sur  soi-même. 

A  Maubeugc  ,  20  septembre  lyoS. 

Je  suis  ravi ,  ma  chère  et  bonne  fille  ,  de  vous  sa- 
\o\v  en  paix.  Il  me  tarde  de  vous  revoir  en  cet  état 
où  je  vous  souhaite  depuis  si  long-temps.  Demeurez-y; 
ne  vous  écoutez  point  :  tout  dépend  des  commen- 
cemens.  O  quon  est  éclairé,  quand  on  est  simple! 
et  qu'on  s'obscurcit  en  raisonnant  !  On  a  une  péné- 
tration et  une  subtilité  infinie ,  mais  toute  tournée 
à  se  séduire  et  à  se  tourmenter.  Vous  écouterez  tou- 
iours  Dieu,  dès  que  vous  vous  ferez  taire  vous-même. 
Dieu  parle  toujours  dans  ce  silence  intime  d'un  ame 


646  LETTRES    SPIRITUELLES. 

qui  n'est  attentive  qu'à  lui.  Mais  au  nom  de  Dieu  , 
plus  d'esprit ,  ni  de  délicatesse,  ni  de  courage  ,  ni  de 
goût  du  monde.  Il  n'y  a  plus  que  la  simplicité  de 
l'Evangile,  l'enfance  des  petits ,  la  folie  de  la  croix, 
et  le  goût  de  la  foi  toute  pure.  C'est  là  que  vous 
trouverez  la  paix  durable  ,  et  le  véritable  élargisse- 
ment de  votre  cœur.  Je  salue  M^i®  de  Souastre  et  ma 
chère  filleule.  Mille  beaux  discours  à  Meny. 

364. 

Sur  un  voyage  que  la  Comtesse  projetait  à  Chaulnes. 

A  Maubeuge ,  ai  septembre  ijo5. 

Je  ne  vois ,  ma  très-chère  fdle  ,  que  deux  raisons 
qui  puissent  vous  empêcher  d'aller  à  Chaulnes.  La 
première  est  ce  que  vous  savez  du  côté  de  la  cour. 
M.  le  Comte  de  Montberon  n'en  sait  rien  ;  et  si  ^  par 
la  suite  ,  le  Roi  venait  à  lui  témoigner  quelque  cha-= 
grin  sur  votre  voyage ,  M.  le  Comte  de  Montberon 
pourrait  se  plaindre  de  ce  qu'on  ne  l'aurait  pas  averti. 
Il  est  vrai  que  je  crois  seulement  que  la  peine  qu'on 
a  inspirée  au  Roi  ne  regarde  que  le  séjour  de  ces  dames 
à  Cambrai ,  et  que  votre  voyage  à  Chaulnes  ne  me 
regardant  point ,  ferait  peu  de  bruit  :  cependant  je 
dois  vous  laisser  examiner  ce  qui  a  rapport  à  M.  le 
Comte  de  Montberon. 

Ma  seconde  difficulté  est  par  rapport  à  M™«  votre 
fille  et  à  M.  le  Comte  de  Souastre  pour  Arras.  Vous 
savez  qu'après  l'exemple  de  ce  voyage ,  on  pourra 
vous  presser  d'aller  voir  M>^e  votre  fille  ;  et  vous  vous 
souvenez  bien  de  ce  qui  doit  voua  empêcher  de  quitter 


LETTRES   SPIRITUELLES.  647 

jamaîs  Cambrai  pour  faire  un  séjour  ailleurs.  Si  vous 
avez  de  bonnes  raisons  pour  vous  défendre  après  ce 
voyage  contre  fille  et  gendre ,  je  ne  vois  plus  rien 
qui  doive  vous  arrêter.  Je  souhaite  infiniment  votre 
consolation  et  l'élargissement  de  votre  cœur. 

Je  n'ai  pas  un  seul  moment  pour  avoir  l'honneur 
d'écrire  à  M.  le  Comte  de  Montberon  ;  mais  vous  au- 
rez bien  la  bonté  de  lui  dire  tout  ce  qu'il  faut ,  et  de 
me  faire  excuser  par  lui.  Je  suis  de  plus  en  plus  avec 
union  et  confiance  sans  réseiTC  tout  à  ma  très-chère 
fille. 

865. 

S'oublier  soi-même  en  esprit  d'amour. 

Samedi  au  soir ,  7  novembre  i^oS. 

Je  suis  véritablement  affligé  ,  ma  chère  fille,  de 
ne  pouvoir  aller  chez  vous  avant  mon  départ.  Il  faut 
que  je  sois  bien  pressé,  puisque  je  dérange  tout,  et 

que  je  n'attends  pas  même  que  M^^^  ^q ait  passé. 

Notre  cher  petit  abbé  vous  aura  dit  mon  embarras. 
Demeurez  dans  les  mains  de  Dieu.  Si  vous  préférez 
l'amour  de  foi  à  votre  imagination  et  à  votre  amour- 
propre,  vous  serez  en  paix.  0  que  la  présence  de  Dieu, 
qui  va  jusqu'à  oublier  toutes  nos  délicatesses,  est 
heureuse  ! 


G.iS  LETTRES    SPllUTUELLES. 


^«  «^%  V%%iVV*  ««'%  ^'*^'V«^  V%« /VV*  «^'«'V^^  %^%^^V« 'V'V%^%%  VV^'VV%  %%^  %V«  %<V%  %'V«^'^«  «^i'V««'««^ 

366  *  A.  (23o) 

Se  soiifi'rir  sans  trouble. 

A  Cambrai,  vencbretli  lo  décembre  ijoS. 

PouvEz-vous  bien ,  ma  chère  fille ,  me  mander 
simplement  de  vos  nouvelles?  Je  serai  véritablement 
soulagé ,  si  votre  cœur  s'ouvre  assez  pour  m'appren- 
dre  avec  simplicité  en  quel  état  il  se  trouve.  O  que 
je  souhaite  que  la  fidélité  à  n'écouter  point  les  ré- 
flexions de  l'amour-propre  vous  mette  en  paix  !  Alors 
ou  souffre  sans  trouble  :  c'est  le  trouble  ,  et  non  la 
souffrance ,  qui  nuit  à  l'ame.  La  souffrance  sans  trou- 
ble profite  toujours  :  c'est  la  douleur  paisible  des 
âmes  du  purgatoire.  Mais  le  trouble  est  une  double 
peine  :  c'est  une  peine  que  la  volonté  repousse ,  et 
quelle  augmente  en  la  repoussant  ;  c'est  une  peine 
qui  vient  de  résistance  à  Dieu ,  et  qui ,  loin  d'être 
utile,  est  nuisible.  Consolez-moi,  ma  chère  fille,  en 
m'apprenant  que  l'abandon  vous  soulage. 


367  *  A.  (23o) 

Souffrir  les  peines  intérieures  sans  trouble  et  avec  résignation. 
Dimanche,  i3  décembre  ijoS. 

Votre  dernière  lettre  d'hier  au  soir ,  ma  chère 
fille ,  m'a  consolé.  Je  vois  bien  que  vous  souffrez  une 
grande  douleur;  mais  la  douleur,  quand  elle  est  seule, 
ne  déplaît  jamais  à  Dieu.  Au  contraire ,  elle  purifie 
l'ame,  et  est  très-agréable  à  Dieu,  quand  elle  ne  porte 
à  aucune  infidélité.  La  douleur  même  n'est  jamais  si 


LETTRES    SPmiTUEI>LES.  649 

\  iolente  ni  si  longue ,  quand  elle  est  sans  résistance 
Il  la  grâce  ;  car  dès  que  la  volonté  ne  lui  résiste  point , 
elle  est  sans  trouble ,  et  de  plus  elle  ne  dure  pas  , 
parce  que  Dieu  ne  la  donne  que  pour  rompre  la  pro- 
pre volonté.  Ainsi ,  dès  que  la  volonté  propre  est 
rompue  ,  Dieu  finit  l'épreuve  qui  n'était  destinée  qu'à 
opérer  la  desappropriation.  On  désarme  Dieu  en  lui 
cédant  :  la  non-résistance  est  le  remède  à  tous  nos 
maux.  Livrez  tout  à  Dieu  sans  bornes  et  sans  condi- 
tion. Il  ne  faut  pas  le  faire  pour  en  avoir  meilleur 
marché  ;  mais  il  est  pourtant  vrai  que  c'est  ce  qui 
modère  et  qui  abrège  les  peines.  Je  voudrais  vous 
soulager;  mais  je  ne  le  puis  :  pour  guérir  le  mal,  il 
ne  faut  point  le  flatter.  Dieu  sait  combien  je  compa- 
tis à  vos  peines ,  loin  de  m'en  impatienter. 
Bonsoir,  ma  très-chère  fille. 


(232)  368  *  A. 

Pratique  de  la  circoncision  spirituelle  ;  w  livrer  paisiblement  à 
l'opération  crucifiante  de  Dieu. 

I  janvier  i^o6. 

UoRDRE  de  Dieu  n'est  point ,  ma  chère  fille ,  que 


vous  vous  rengagiez  en  communauté  avec  M""*^  

Pour  moi ,  je  ne  lui  dois  dans  cet  ordre  ,  et  je  ne  veux 
lui  donner  que  les  soins  dont  elle  a  besoin  pour  le 
spirituel.  Laissez-la  venir,  si  elle  vient,  et  recevez-la 
avec  amitié,  comme  une  personne  que  vous  n'atten- 
dez nullement  ;  mais  ne  prévenez  rien.  L'empresse- 
ment ne  viendrait  que  de  générosité  humaine ,  et  d'un 
raffinement  d'amour-propre.  Le  même  amour-propre 


Ç5o  LETTRES    SPIRITpELLES. 

qui  serait  empressé ,  se  tournerait  bientût  au  dépit  et 
au  désespoir.  La  vraie  charité  est  simple ,  paisible  ,  et 
égale  pour  le  prochain ,  parce  qu'elle  est  humble  et 
sans  retour  sur  soi.  Tout  ce  qui  n'est  point  cet  amour 
pur  doit  être  circoncis. 

C'est  la  circoncision  du  cœur ,  qui  nous  rend  les 
enfans  et  les  héritiers  de  la  foi  d'Abraham  ,  pour  aller 
comme  lui,  sans  savoir  où,  hors  de  notre  patrie  ter^ 
restre.  0  le  beau  partage  que  de  quitter  tout ,  et  de 
se  livrer  à  la  jalousie  de  Dieu ,  qui  est  le  couteau  de 
la  circoncision!    Notre  main  ne  fait  jamais  en  nous 
que    des   retranchemens  superficiels.  Nous   ne  nous 
connaissons  pas  nous--mêmes  ,  et  nous  ne  savons  pas 
où  il  faut  frapper.  Les  endroits  où  notre  main  frappe 
ne  sont  jamais  ceux  où  Dieu  veut  couper.  L'amour^ 
propre  nous  arrête  toujours  la  main  ,  et  se  fait  épar- 
gner ;  il  ne  coupe  jamais  jusqu'au  vif  sur  lui-même. 
De  plus,  il  y  a  toujours  un  choix  propre  ,  et  une  pré-^ 
paration  de  l'amour-propre  dans  ce  choix ,  qui  amor- 
tit le  coup  :  mais  quand  la  main  de  Dieu  vient ,  elle 
donne  des  coups  imprévus  ;  elle  sait  choisir  précisé- 
ment les  jointures ,  pour  diviser  l'ame   d'avec  elle- 
même*,  elle  ne  laisse  rien  d'intime  qu'elle  ne  pénètre. 
Alors  c'est  l'arnourr-propre  qui  est  le  patient  :  il  faut 
le  laisser  crier.  Le  grand  point  est  de  ne  se  remuer 
pas  sous  la  main  de  Dieu,  de  peur  de  faire  un  contre- 
temps ,  et  de  retarder  son  opération  détruisante.  Il 
faut  demeurer  immobile  sous  le  couteau  :  c'est  tout 
faire  que  d'être  fidèle  à  ne  repousser  aucun  coup.  On 
n'agit  jamais  tant,  que  quand  la  volonté  veut  ne  résis- 
ter point  à  Dieu;  car  toute  notre  action  utile  est  dans 
la    volonté.   Les   âmes   sont  merveilleusement   puri- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  65  I 

fiées  dans  le  purgatoire ,  par  leur  simple  non-résis- 
taiice  à  la  main  de  Dieu  qui  les  fait  souffrir.  Que 
votre  volonté  veuille  simplement  ne  résister  point  ; 
c'est  assez  :  Dieu  fera  son  ouvrage  de  destruction. 
Poi-tez  vos  misères  et  les  coups  de  Dieu  :  c'est  tout 
ce  qu'il  demaude. 


309. 

Ne  regarder  que  Dieu  dans  les  créatures. 

Mardi ,    ....  féyrier  1706. 

Jamais  je  ne  ressentis  ,  ma  chère  fille  ,  une  plus 
grande  joie   que  celle   que   vous   me   donnez.    Béni 
soit  c^ui  qui  tient   votre  cœur  !  0  que   vous  serez 
en  paix  ,  si  vous  vous   livrez  à  lui  sans  condition  et 
sans   bornes  !  Ne  cherchez  que  lui  seul  en  moi ,  et 
vous  l'y  trouverez  toujours  :  mais  si  vous  vous  y  cher- 
chez vous-même ,  l'amour-propre    sera  votre  tour- 
ment. Souffrez  toutes  mes  fautes  ;  contentez-vous  de 
ma  l>Gnne  volonté  ;   regardez  Dieu  qui  vous  éprouve 
par  moi,  quand  vous  ne  pouvez  plus  voir  Dieu  qui 
vous  aide  par  moi.  Que   notre  union   soit   toute   de 
foi.  Il  faut  voir  Dieu  dans  mon   indigne   personne, 
comme  vous  voyez  Jésus-Clirist  dans  ce  vil  pain  que 
le   prêtre    tient  à  la    messe.    J'espère    que   tous  ces 
ébranlemens  si  violens  serviront  à  affermir  l'édifice. 
Mille   fois  tout  à  vous ,  en  celui  qui  veut  que  tout 
soit  un. 


652  LETTRES    SPIRITUELLES. 


370. 

Déclarer  avec  simplicité  ses  peines  intérieures. 

Mardi,  20  avril  IJ06- 

Mandez-moi  simplement ,  ma  chère  fille  ,  si  vous 
n'êtes  point  dans  la  peine.  Vous  ne  sauriez  m'aflliger 
plus  sensiblement  ,  qu'en  ne  m'ouvrant  pas  votre 
cœur.  Vous  savez  combien  cette  ouverture  coûte  à 
l'amour-propre  ,  et  par  conséquent  combien  l'amour 
de  Dieu  en  est  jaloux.  Cette  fidélité  fait  seule  cent 
fois  plus  mourir  à  soi ,  que  toutes  les  austérités  que 
vous  auriez  envie  de  pratiquer,  au  préjudice  de  votre 
faible  santé.  Deux  mots,  je  vous  prie,  mais  du  cœur 
tout  seul.  Ils  vous  soulageront ,  si  vous  le  faites  sans 
vous  écouter. 

371. 

Le  trouble  vient  de  ce  qu'on  raisonne  trop  sur  la  tentation. 

Vendredi,  3o  avril  1706. 

J'espère  ,  ma  très-clière  fille  ,  que  l'esprit  de  grâce 
vous  aura  un  peu  calmée,  ou  du  moins  que  votre 
trouble  sera  diminué.  Vous  ne  tomberiez  jamais  dans 
ces  extrémités ,  si  vous  n'aviez  pas  l'infidélité  d'écou- 
ter intérieurement  la  tentation.  Vous  m'avez  avoué 
plusieurs  fois  que  ce  trouble  ne  vient  jamais  qu'après 
avoir  long-temps  écouté  le  tentateur  en  vous-même. 
Ainsi  la  paix  est  dans  vos  mains  ;  c'est  vous-même 
qui  vous  l'ôtez.  Quand  le  trouble  est  parvenu  jusqu'à 
un  certain  degré ,   vous  ne  pouvez  plus  le  finir ,  ni 


LETTRES    SPIRITUELLES.  653 

VOUS  posséder  :  il  faut  ([ue  Dieu  fusse  un  coup  d'au- 
torité sur  votre  cœur ,  pour  commander  aux  vents 
et  à  la  tempête.  Tout  ce  que  vous  imaginez  est  comme 
le  songe  le  plus  creux  et  le  plus  bizarre  :  mais 
Dieu  permet  qu'une  lèle  nalurellement  très-bonne 
ait  celle  espèce  de  songe ,  pour  la  punir  de  s'être 
écoutée  elle-même  ,  pour  la  convaincre  de  l'excès 
de  son  amour-propre  par  celui  de  sa  jalousie ,  et 
pour  la  réduire  à  un  entier  renoncement  à  elle- 
même.  La  tentation  aura  son  fruit.  Je  compatis  à 
vos  souffrances  :  je  respecte  l'épreuve  de  Dieu.  Rien 
ne  me  lasse  ;  je  n'ai  de  peine  que  de  ne  pouvoir 
guérir  la  vôtre.  Unissez-vous  à  ceux  qui  vous  ai- 
ment, et  qui  vous  portent  sans  cesse  dans  le  sein 
de  Jésus-Christ.  Je  vais  à  l'autel  vous  mettre  entre 
ses  bras. 

372. 

Même   sujet. 

Luiiili  au  soir,  28  juin  1706. 

Je  ne  suis  point  étonné  de  cet  orage ,  ma  clière 
fille  :  il  passera  bien  vite ,  s'il  plaît  à  Dieu  ,  pouivu 
que  vous  ne  l'alongiez  pas.  Tout  se  tourne  à  profit, 
pour\T.i  qu'on  soit  simple ,  en  défiance  contre  soi  et 
contre  son  amour-propre  pour  l'amour  de  Dieu.  La 
jalousie  ,  qui  est  le  fond  évident  de  ces  tentations  , 
montre  combien  elles  sont  de  tentations  manifestes  , 
et  combien  la  voie  dont  ces  tentations  détournent  , 
est  une  voie  de  grâce  pure  et  de  mort  à  soi.  Ne 
manquez  pas  de  communier  demain ,  et  tout  dispa- 


654  LETTRES    SPIRITUELLES. 

raîlra.  Je  vous  en  réponds  au  nom  de  celui  qui  com- 
mande aux  vents  et  aux  tempêtes.  Que  si  vous  hé- 
sitiez encore  ,  j'irais  d'abord  à  Premy  dire  la  messe  , 
et  vous  faire  communier.  Ne  songez  ni  au  passé  ni 
à  l'avenir  sur  les  choses  qui  enveniment  votre  jalou- 
sie. Ne  la  flattez  point  ;  mais  supportez-vous  vous- 
même.  Il  y  a  bien  des  choses  qui  vous  paraissent 
volontaires ,  et  qui  ne  le  sont  pas  :  abandonnez  le 
tout  à  Dieu. 

373  *  A.  (a3i) 

Combien  est  heureuse  Tame  à  qui  Dieu  parle  immédiatement. 
A  Bourbon,  8  septembre   1706. 

On  n'est  jamais  moins  seul ,  que  quand  on  est  dans 
la  seule  bonne  société  avec  l'ami  fidèle.  On  n'est  jamais 
moins  abandonné ,  que  quand  on  est  porté  dans  les 
bras  du  Tout-Puissant.  Rien  n'est  si  touchant  que  les 
secours  immédiats  de  Dieu.  Ce  qu'il  nous  donne  par 
le  canal  de  ses  créatures  ne  tire  aucune  vertu  de  ce 
vil  et  stérile  canal  :  c'est  la  source  qui  donne  tout. 
Ainsi  5  quand  la  source  roule  immédiatement  dans  le 
cœur  ,  on  est  bien  éloigné  d'avoir  besoin  du  canal  ;  il 
ne  ferait  qu'un  entre-deux.  Dieu  avait  patrie  à  son 
ancien  peuple  par  l'organe  des  Prophètes  ;  mais  en- 
fin dit  saint  Paul ,  il  nous  a  parlé  lm-7néme  en  son 
Fils  (a).  Fallait-il  alors  regretter  la  faible  voix  des  Pro- 
phètes ?  O  que  la  communication  immédiate  est  pure 
et  puissante  !  D'ailleurs  elle  est  certaine  toutes  les  fois 

(a)  Hebr,  i.  1,2. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  655 

que  la  Providence  retranche  les  canaux.  Ne  vous  écou- 
tez point,  (M.),  et  vous  n'écouterez  pas  l'amour-pro- 
pre qui  raisonne  ,  qui  murmure ,  qui  fait  le  scrupu-^ 
leux ,  et  qui  nous  occupe  de  nous  sous  prétexte  de 
nous  occuper  de  Dieu.  Vous  serez  en  paix  et  au  large  , 
si  vous  n'écoutez  point  la  tentation. 

Nous  nous  portons  tous  assez  Jjien  ':  nous  pensons 
souvent  à  vous.  Il  me  tarde  de  retourner  à  Cambrai  , 
et  je  n'y  perdrai  pas  un  moment.  Dieu  seul  sait  ce 
que  je  vous  suis  en  lui. 

374. 

Se  tenir  en  paiv  pour  écouter  Dieu. 

A  Bourbon,  i3  septembre  1706. 

J'écouterai  ce  que  le  Seigyieur  dit  au  dedans  de 
moi  ;  car  il  ne  -parlera  que  de  paix  sur  son  peuple  (a). 
Pourquoi  donc ,  M.  ,  écoutei  ions-nous  tout  ce  qui 
porte  l'inquiétude  et  le  trouble  ?  Jésus-Christ  ressus- 
cité n'entrait  dans  l'assemblée  de  ses  disciples ,  qu'en 
commençant  par  leur  annoncer  la  paix.  Ayez-la  donc 
cette  paix  ,  afin  qu'elle  conserve  votre  cœur  et  votre 
intelligence  en  Jésus-Christ  {e).  Nous  nous  portons 
tous  assez  bien ,  et  nous  buvons  avec  impatience  de 
nous  revoir  à  Cambrai.  Jugez  de  la  joie  que  je  res- 
sentirai ,  si  je  vous  y  trouve  dans  cette  paix  qui  est 
le  don  de  Dieu.  Mille  complimens ,  je  vous  supplie , 
à  M.  le  Comte  de  Montberon  ,  à  M"^*  la  Comtesse  de 
Souastre,  à  M^^^'  ses  fdles,  sans  oublier  la  chère  Meny. 

(a)  Ps.  Lxxxiv.  9.  («)  Philip,  iv,  7. 


656  LETTRES    SPIKITUELLES. 


375. 

Même  sujet. 

A  Bourbon,  20  septembre  1706. 

Tai  appris  avec  douleur  par  votre  lettre,  (M.),  que 
vous  vous  écoutez.  Eh  !  qu'espérez-vous  en  écoutant 
un  amour-propre  scrupuleux  ^  et  subtil  pour  se  tour- 
menter? Ne  voyez-vous  pas  que  vous  préparez  vous- 
même  la  séduction  ,  contre  la  lumière  intime  et  Fat- 
trait  que  Bieu  vous  donne  ?  Si  vous  ne  pouvez  pas 
vous  faire  taire  ,  du  moins  ne  vous  écoutez  plus  vo- 
lontairement. O  qu'il  me  tarde  de  vous  revoir  !  Quelle 
joicj  si  je  vous  retrouve  telle  que  je  vous  ai  laissée, 
et  que  Dieu  vous  veut  !  Toutes  les  fois  que  vous  ne 
gâterez  point  l'oeuvre  de  Dieu  par  une  imagination 
que  l'amour-propre  excite  ,  vous  serez  dans  une  paix 
qui  vous  montrera  d'où  elle  vient.  Je  donnerais  toutes 
choses  pour  vous  y  voir  affermie ,  par  n'écouter  point 
ce  qui  \ous  trouhle  si  dangereusement. 

Je  me  porte  bien  et  les  eaux  font  assez  leur  de- 
voir. L'abbé  de  Beaumont  a  eu  un  peu  de  fièvre  :  ce 
n'est  rien.  Je  compte  les  jours.  Point  d'impatience  : 
mais  je  ne  perdrai  pas  un  moment  pour  mon  retour. 
Je  suis  en  peine  de  notre  pauvre  M.  Bourdon.  Je  vous 
recommande  de  plus  en  plus  sa  bonne  fille  :  c'est  à 
vous  et  à  moi  à  en  prendre  soin ,  et  à  la  consoler. 
Mille  complimens  très-sincères  à  M.  le  Comte  de  Mont- 
beron ,  à  M^e  la  Comtesse  de  Souastre ,  et  à  toute 
la  famille. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  657 


376. 

Même  sujet. 

A  Bourbon,  S8  septembre  i^oG. 

Je  ne  suis  ni  mort  ni  malade  ,  M.  Mon  impatience 
pour  mon  retour  est  grande  :  je  n'y  perdrai  pas  un 
quart  d'heurCi  En  attendant ,  je  prie  le  Dieu  de  paix 
de  garder  votre  cœur ,  et  de  le  garder  contre  yous- 
même.  Je  ne  me  défie  que  de  vous  :  le  reste  ne  peut 
rien.  O  qu'on  est  bien  ,  quand  on  ne  résiste  point  à 
Dieu ,  et  qu'on  se  résiste  !  Ecoutez  Dieu  ,  et  faites- vous 
taire.  Hors  de  la  paix ,  point  de  fidélité  véritable.  Dès 
que  vous  mettez  un  os  hors  de  sa  place  ,  il  ne  cesse 
point  de  vous  causer  de  la  douleur  :  mais  remettez-le  , 
vous  êtes  d'abord  en  repos.  La  paix  est  pour  vous  le 
signe  de  la  fidélité.  Qui  est-ce  qui  a  7'ésisté  à  Dieu  , 
et  qui  a  eu  la  j)aij:  {a)  ?  Je  vous  donne ,  au  nom  de 
Jésus-Christ ,  celle  que  le  monde  ne  peut  ni  donner 
ni  ôter.  Mille  complimens  à  toute  votre  maison.  Il  me 
tarde  de  vous  retrouver  telle  que  Dieu  vous  veut. 

(a)  Job.  IX.  4« 

377. 

Même  sujet. 

A  Bourbon,  a  octobre  1706. 

Rien  que  deux  mots ,  (M.),  pour  vous  dire  que  je 
partirai  dans  très-peu  de  jours ,  et  qu'il  me  tarde  bien 
de  vous  retrouver  paisible  dans  la  main  de  Dieu.  N  en 
sortez  sous  aucun  prétexte ,  et  laissez  faire  celui  qui 
fait  bien.  Je  vous  ramènerai  le  P.  A.  (  de  Lan(jeron  ). 

CoRRESP.  IV.  27 


(558  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Je  souhaite  de  tout  mon  cœur  de  trouver  M.  Bour- 
don en  \ie  ,  et  moins  malade.  Soutenez  sa  bonne  fille  , 
qui  le  mérite.  Mille  et  mille  choses  pour  M.  le  Comte 
de  Montberoïi ,  et  pour  tout  ce  qui  vous  appartient. 

•/»/V  VWV  VVV**%  V»*  V*V  VV V  *^V*  *  XA  •/*%  *%V  V»»  »^%V  VVl/ %'VV  V.V%  V%\/ W%V  V%*  V**  VX*  V*V  V^/V'^^ 

378. 

Le  mal  tlécouvert  avec  {.implicite  devient  moins  dangereux. 

Lundi,  i3  décembre  iJo6. 

Souffrez-vous  vous-même  ,  et  ce  sera  faire  beau- 
coup. L'ulcère  découvert  est  moins  dangereux  :  rien 
n'est  plus  terrible  qu'un  venin  rentré.  J'espère  que 
celui  qui  vous  a  fait  parler  vous  délivrera  ,  si  vous  le 
laissez  faire.  0  que  vous  avez  besoin  d'être  jalouse  ! 
La  jalousie  est  le  remède  spécifique  contre  un  amour- 
propre  qui  se  pare  d'une  merveilleuse  délicatesse  sur 
le  désintéressement  et  sur  la  générosité.  On  est  heu- 
reux quand  le  poison  se  tourne  en  remède,  La  jalousie 
la  plus  grossière  et  la  plus  honteuse  vous  guérira  de 
l'amour-propre  le  plus  raffiné  et  le  plus  flatteur.  Dites 
tout  ;  cédez  ;  laissez  faire  Dieu  ;  ne  vous  écoutez  point 
vous-même.  Bonsoir ,  ma  chère  fille.  Je  ne  m'éloi- 
gnerai de  vous ,  que  quand  je  manquerai  à  Dieu  qui 
nous  unit  intimement  en  lui. 


*»*v****vv*%vv»*vi*-»vv«/x««».v»v«.»»v»*vv».v»*v%»***vvv«*».v%»vv«.»-*»'VV\»%i(ivv«***»«v*v 

(0.10)  379  *  A. 

Éviter  les  retours  inquiets  sur  soi-même. 

Lundi,  21   mars  1707. 

On  ne  peut  pas  dire  qu'une  personne  est  malade  , 
quand  elle  n'a  besoin  ,  pour  se  bien  porter ,  que  de 


LETTRES    SPIRITUEFJ.ES.  G5q 

n'user  (rniicun  remède.  Une  sanlé  est  honne,  quanti 
on  n'a  l)i'soin  ,  pour  renlrctenir ,  que  de  n'y  rien 
Caire.  Alors  on  n'a  point  d'autres  maux  que  ceux 
qu'on  se  fait  à  soi-même  ,  en  voulant  se  guérir  de 
ceux  qu'on  n'a  pas.  Voilà,  ma  très-cbère  (ille  ,  votre 
véritable  état.  Si  vous  demeuriez  sans  vous  croire 
malade  ,  et  sans  vouloir  vous  guérir ,  vous  vous  por- 
teriez l)ien  ;  mais  vous  voulez  vous  écouter  ,  et  vous 
tater  le  pouls  :  vous  vous  fiiites  malade  par  vos  re- 
tours inquiets  sur  vous-même.  Les  remèdes  spirituels 
auxquels  vous  avez  recours  sans  besoin ,  et  contre 
votre  grâce  ,  ne  font  que  troubler  votre  santé  et  votre 
paix  intérieure.  Pourquoi  n'ètes-vous  pas  fidèle  à 
couper  court  dans  les  commencemens  ?  Ce  qui  se 
grossit ,  et  qui  vous  coûte  tant  dans  les  suites ,  ne 
serait  rien  ,  si  vous  ne  le  laissiez  pas  croître  dans  votre 
cœur. 

Ne  vous  embarrassez  point  de  l'avenir  pour  les 
dames  dont  il  s'agit.  Vous  avez  eu  bonne  intention 
pour  M™«"  de  Risbourg;  mais  il  ne  faut  jamais  ni  vous 
gêner ,  ni  vous  déranger  pour  elle.  La  liberté  exté- 
rieure est  nécessaire  à  votre  état  intérieur.  Aidez-la 
doucement  en  ce  que  vous  pourrez  ;  mais  comptea 
que  vous  ne  le  ferez  utilement  qu'en  demeurant  en 
votre  place ,  et  en  agissant  par  pure  grâce.  Si  vous  y 
mêlez  de  la  délicatesse  d'amour-propre ,  et  de  la  gé- 
nérosité mondaine  ,  vous  ne  ferez  aucun  bien  à  M""*"  de 
Risljourg.  Vous  vous  ferez  beaucoup  de  mal  ;  il  ne 
vous  en  reviendra  que  mécompte  et  que  trouble. 
Pour  la  manière  d'accorder  tout  ceci  avec  M"^^  d  Oisy , 
Dieu  y  pourvoi  la.  yï  chaque  Jour  suffît  son  mal  ^  celui 
de  detnain  aura  soin   de  lui-même.   Si  vous  demeu- 


27» 


66o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

rez  dans  la  simplicité  que  Dieu  demande  de  vous , 
TOUS  ne  ferez  que  ce  qu'il  vous  fera  faire  de  part  et 
d'autre.  Alors  vous  laisserez  chacun  s'accommoder  ou 
ne  s'accommoder  pas  de  votre  procédé.  Pour  Paris , 
vous  ne  pouvez  en  aucune  façon  y  aller ,  et  encore 
moins  vous  occuper  de  cette  pensée.  Délaissez-vous 
à  Dieu,  sans  voir  jamais  au-delà  du  moment  présent. 
C'est  la  plus  grande  de  toutes  les  morts ,  et  la  plus 
opposée  à  toute  illusion  de  l'amour-propre.  Bonsoir. 
Dieu  sera  avec  vous ,  si  vous  n'êtes  pas  avec  vous- 
même. 

380. 

Réparer  promptement  ses  fautes  par  un  aveu  humble  el  ingénu. 

Lundi,  onze  avril  1707. 

J'aime  cent  fois  mieux ,  ma  chère  fille ,  une  saillie 
qui  échappe ,  et  qui  est  suivie  du  billet  humble  et 
ingénu  que  vous  m'avez  écrit ,  que  la  plus  grande  ré- 
gularité ,  et  la  plus  parfaite  symétrie  de  spiritualité. 
Rien  n'est  tel  que  de  dire  tout ,  et  ensuite  de  ne  tenir 
à  rien.  Il  me  tarde  bien  de  vous  aller  voir.  Je  par- 
tagerai mon  après-dinée  en  trois  points ,  comme  un 
sermon.  Compagnie  céans  pour  la  cérémonie ,  visite 
cordiale  chez  vous,  et  promenade  au  soleil.  Soyez 
bonne  et  petite  :  tout  ira  à  merveille. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  66 1 

(ati  381  ♦  A. 

Souflrir  paisiblement  la  vik'  <1c  nos  misères. 

Jeudi  au  soir,  ai   avril  1707. 

Je  demeure  devant  Dieu  coiiune  si  j'allais  mourir, 
ma  chère  lille ,  et  je  ne  trouve  dans  mon  cœur  au- 
cune des  dispositions  que  vous  y  croyez  voir.  Au 
contraire ,  malgré  votre  opposition ,  je  suis  toujours 
de  plus  en  plus  dans  vine  pente  à  l'union  fixe  avec 
vous  en  Notre-Seigneur  ,  que  je  ne  saurais  expliquer, 
et  que  vous  pouvez  encore  moins  comprendre.  Tou- 
tes vos  infidélités  se  réduisent  h.  ne  pouvoir  vous  ré- 
soudre à  voir  dans  votre  cœur  des  impressions  hu- 
miliantes ,  et  des  sentimens  qui  font  honte  à  votre 
amour-propre.  En  quelque  terre  inconnue  que  vous 
allassiez,  avec  cette  délicatesse  d'amour-propre  ,  cher- 
cher le  repos ,  vous  ne  l'y  trouveriez  jamais.  L'Ecri- 
ture nous  dit  (a)  :  Qui  est-ce  qui  a  eu  la  jjaix  en 
résistant  à  Dieu  ?  Vous  porteriez  partout  cet  amour 
délicat  et  inconsolable  sur  ses  misères  ;  vous  y  ajou- 
teriez le  dessèchement ,  le  vide  ,  et  le  trouble  d'un 
cœ'ur  égaré  de  sa  voie ,  avec  le  reproche  intime  d'a- 
voir manqué  à  Dieu  pour  donner  du  soulagement  à 
votre  orgueil.  Dieu  vous  poursuivrait  sans  relâche  : 
dussiez-vous  fuir  devant  sa  face,  comme  Jonas,  vous 
seriez  plutôt  jetée  dans  la  mer,  et  engloutie  par  un 
monstre.  Il  vous  faudrait  revenir  au  point  où  Dieu 
vous  veut.  D  n'y  a  qu'à  consentir  de  se  voir  dans 
toute  sa  laideur.  La  laideur  des  misères  est  comme  la 

(a)  Job.  IX.  4» 


663  LETTRES    SPIRITUELLES. 

beauté  des  dons  de  Dieu;  l'une  et  l'autre  disparaît  dès 
qu'on  la  regarde.  Le  regard  de  complaisance  fait  dispa- 
raître le  Lien,  et  le  regard  d'humilité  paisible  fait  dispa- 
raître le  mal.  Souffrez  de  vous  voir,  et  tout  sera  guéri. 
Ne  me  cherchez  que  comme  le  simple  instrument 
de  Dieu,  ne  voyant  que  lui  seul  en  moi.  Regardez- 
moi  comme  la  roche  qui  donnait  de  l'eau  dans  le  dé- 
sert au  peuple  d'Israël.  Moins  je  contente  la  nature , 
plus  je  sers  à  la  faire  mourir ,  et  à  faire  suivre  la  pure 
grâce.  La  tentation  est  évidente  ;  mais  vous  avez  les 
yeux  fermés  pour  ne  la  pas  voir ,  et  vous  vous  roi- 
dissez  contre  Dieu.  J'ai  voulu  aujourd'hui  laisser  cou- 
ler le  torrent.  Si  vous  voulez  demain  vous  confesser, 
je  serai  prêt  à  vous  écouter,  et  à  aller  chez  vous.  Mais 
votre  principal  et  presque  unique  péché  sera  d'avoir 
écouté  et  suivi  la  tentation.  Pour  moi ,  je  ne  vous 
laisserai  point  vous  éloigner  de  moi  ;  je  vous  porterai 
sans  cesse  dans  le  fond  de  mon  cœur.  Je  l'ai  bien 
serré  et  bien  abattu  ;  je  vois  bien  que  je  fais  votre 
peine,  mais  vous  faites  aussi  la  mienne  :  car  je  souffre 
de  vous  voir  souffrir ,  et  de  trouver  votre  cœur  re- 
tranché contre  la  grâce.  O  que  ne  donnerais -je  point 
pour  vous  guérir  ! 

(2i4)  382  *  A. 

Même  sujet. 
A  Cambrai,  (vendredi)  2a  avril  1707. 

Je  remercie  Dieu ,  ma  très-chère  fdle ,  de  ce  qu'il 
fait  en  vous  :  j'en  ai  le  cœur  infiniment  soulagé.  Ne 
songez  point  maintenant  à  vous  confesser.  J'ai  le  pou- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  663 

voir  de  diflërer  :  je  prends  tout  sur  moi.  Quand  votre 
cœur  sera  entièrement  calmé  ,  nous  verrons  ce  qu'il 
faudra  fiiire.  Ne  songez  qu'à  laisser  tomber  toutes 
vos  réflexions ,  qui  vous  nuisent  tant  pour  le  corps 
et  pour  l'esprit.  Vous  savez  où  habite  la  paix  ;  allez 
l'y  chercher ,  pour  n'en  plus  partir.  Les  sentimens  qui 
vous  font  horreur  sont  naturels  et  ordinaires.  Tout 
le  monde  lès  ressent  en  soi  comme  vous  ;  mais  per- 
sonne ne  s'en  alarme  et  ne  s'en  trouble ,  comme  vous 
le  faites.  Ce  qui  n'est  que  pente ,  que  sentiment , 
qu'impression  ,  n'est  jamais  péché.  Vos  réflexions 
mêmes  ,  quand  elles  sont  involontaires ,  ne  sont  rien. 
Il  n'y  a  que  la  volonté  qui  cause  toute  votre  prin- 
cipale peine.  Vous  avez  trop  de  lélicatesse ,  et  vous 
tombez  dans  une  espèce  de  désespoir ,  dès  que  vous 
trouvez  dans  votre  cœur  quelque  sentiment  humi- 
liant. C'est  le  commencement  qui  cause  toute  votre 
peine.  Tous  ces  monstres  ne  sont  point  réels.  Pour 
les  faire  disparaître  ,  il  n'y  a  qu'à  ne  les  voir  ni  ne 
les  écouter  jamais  volontairement;  il  n'y  a  qu'à  les 
laisser  s'évanouir  :  une  simple  non-résistance  les  dis- 
sipera ,  et  appaisera  votre  cœur.  Non ,  en  vérité  ,  ma 
chère  fille ,  vous  n'êtes  point  telle  que  vous  le  croyez, 
et  je  ne  suis  nullement  pour  vous  comme  votre  amour- 
propre  vous  le  persuade.  Vous  n'avez  que  le  seul  sen- 
timent involontaire  des  choses  que  vous  vous  repro- 
chez. Pour  moi,  je  suis  rempli  de  tout  ce  que  Dieu 
peut  me  donner  de  zèle  et  d'affection  pour  vous  ; 
mais  il  permet  que  vous  n'en  croyiez  rien ,  afin  que 
votre  amour-propre  se  détruise. 

J'entre  dans  la  raison  que   vous  m'avez  mandée , 
et  elle  m'empêchera  de  vous  aller  voir  aujourd'hui. 


664  l-ETTRES    SPIRITUELLES. 

J'espère  que  le  glaive  de  douleur  qui  a  percé  votre 
ame,  servira  à  vous  faire  mourir,  et  à  vous  mettre, 
en  ce  saint  temps  ,  au  pied  de  la  croix  avec  la  Sainte- 
Vierge.  Demeurons,  je  vous  conjure,  vous  et  moi, 
unis  avec  elle  auprès  de  Jésus  mourant. 

383, 

Il  souhaite  que  la  Marquise  de  Risbourg  quitte  le  logement  qu'elle  occupait 
dans  une  communauté  religieuse.  Ne  point  troubler  la  paix  intérieure 
jiar  des  retours  inquiets  sur  soi-uaême. 

Au  Gâteau,  aS  mai  ^'^o'j. 

J'apprends  ,  à  n'en  pouvoir  douter ,  ma  bonne  et 
très-chère  fille ,  que  les  religieuses  de  Prémy  sont 
toujours  agitées  et  dans  le  trouble  sur  l'affaire  que 
vous  savez.  Il  n'est  pas  nécessaire  que  M'^«  la  Mar- 
quise de  Risbourg  y  loge  ,  et  il  est  nécessaire  que  la 
paix  de  la  maison  ne  soit  point  altérée.  Rien  n'est  si 
délicat  et  si  fragile  que  l'union  des  cœurs  :  il  faut 
sacrifier  tout  le  reste  pour  ce  point-là.  Je  vous  con- 
jure donc  de  ne  travailler  plus  à  cette  affaire,  qui  a 
beaucoup  plus  ému  les  esprits  qu'elle  ne  le  méritait. 
]V[rae  la  Manjuise  de  Risbourg  a  fait  une  chose  très- 
raisonnable  et  très -édifiante  en  demandant  ce  petit 
logement  ;  mais  elle  est  trop  pieuse  et  trop  bonne , 
pour  vouloir  mettre  en  péril  la  paix  d'une  commu- 
nauté. Comme  je  connais  parfaitement  son  coeur  et 
sa  prudence  ,  je  prends  tout  hardiment  sur  moi  vers 
elle.  Montrez-lui ,  je  vous  supplie  ,  sans  façon  cette 
lettre ,  afin  qu'elle  y  voie  combien  il  est  nécessaire 
qu'elle  renonce  à  ce   logement ,   ou  tout  au  moins 


LETTRES    SPIRITUELLES.  665 

qu'elle  laisse  tomber  insensiblement  la  chose  jusqu'à 
mon  retour ,  qui  s'approche  beaucoup. 

Je  souhaite  de  tout  mon  cœur  que  le  vôtre  soit  en 
paix.  Vous  savez  ce  qui  l'y  maintient  :  il  n'y  a  qu'à 
n'y  point  toucher;  le  ressort  va  tout  seul.  N'est-ce 
pas  un  état  bienheureux  ,  que  celui  où.  l'on  n'a  besoin 
que  de  ne  rien  faire  sur  soi  pour  être  comme  il  faut, 
et  où  l'on  n'a  aucune  peine  que  quand  on  s'en  fait 
tout  exprès  malgré  Dieu  ?  Je  le  prie  de  ne  vous  lais- 
ser point  à  vous-même.  Il  me  tarde  de  vous  revoir 
dans  votre  centre.  Je  vous  donne  le  bonjour ,  et  je 
vous  supplie  de  dire  mille  chpses  pour  moi  à  M™^  de 
Risbourg.  Je  vous  recommande  W^^  Bourdon. 

(2i4)  384  *  A. 

Ne  point  grossir  ses  croix  par  des  réflexions  inquiètes. 

Au  Gâteau,  aj  mai  1707. 

J'ai  le  cœur  alïïigé ,  ma  très-chère  fdle ,  d'appren- 
dre la  peine  où  vous  êtes;  mais  je  vous  conjure  de 
ne  point  grossir  vos  croix  par  vos  réflexions.  La  dé- 
licatesse et  la  vivacité  de  votre  amour-propre  ne 
man(juerait  pas  de  vous  les  exagérer  très-dangereu- 
sement. Ne  prenez  aucune  résolution  pour  changer 
de  demeure  ;  n'écoutez  pas  même  votre  esprit  là- 
dessus.  Je  serai  dans  fort  peu  de  jours  à  Cambrai ,  et 
nous  verrons  ce  qu'il  conviendra  de  faire.  En  atten- 
dant ,  souffrez  comme  on  souffre  en  purgatoire ,  sans 
repousser  la  souffrance  pour  se  soulager ,  et  sans  l'aug- 
menter en  s'occupant  de  ce  qui  la  cause.  Ne  projetez 
rien  ,  ne  formez  même  aucune  opinion  ;  mais  demeu- 


666  LETTRES    SPIRITUELLES. 

rez  immobile  sous  la  main  de  Dieu  qui  se  cache  sous 
celle  des  hommes.  La  croix  diminue  beaucoup  ,  quand 
on  la  porte  avec  cette  simplicité.  Il  y  en  a  souvent 
plus  de  la  moitié  qui  est  de  notre  façon,  et  non  de 
celle  de  Dieu,  Souffrez  ;  mais  ne  vous  faites  pas  souffrir. 
S'il  fallait  tout  quitter  pour  vous  aller  revoir  ,  je 
n'y  manquerais  pas  ;  mais  il  me  reste  peu  de  temps , 
et  il  serait  fâcheux  de  manquer  si  tôt  à  des  visites 
commencées  si  tard.  Ne  vous  embarrassez  point  de 
M}^^  de  Risbourg  :  vous  avez  assez  fait  pour  entrer 
dans  ses  vues  j  elle  aurait  tort  de  n'être  pas  contente. 
Si  elle  ne  l'était  pas ,  il  faudrait  demeurer  en  paix.  • 
Je  ne  saurais  croire  qu'elle  ne  le  soit  pas.  Bonjour, 
ma  très-chère  fille. 

385. 

Même  sujet. 

A  Cambrai,   14  juin  1707. 

Les  nouvelles  d'Arras  sont  très-bonnes ,  ma  chère 
fille  :  Dieu  en  soit  loué.  Mais  il  faut  attendre  la  suite  ; 
vous  verrez  jeudi  l'état  de  la  main  ,  et  les  pensées  du 
gentilhomme.  Pour  faire  prendre  un  bon  parti ,  rien 
ne  sera  plus  utile  que  votre  présence.  J'y  irais ,  si 
je  croyais  y  pouvoir  être  utile.  Je  suis  ravi  de  vous 
voir  en  paix.  Elle  ne  vous  manquera  jamais  du  côté 
de  Dieu  •  le  trouble  ne  peut  vous  venir  que  de  vous- 
même  ,  par  une  tentation  manifeste  d'amour-propre. 
Ne  soyez  rien  ,  ne  veuillez  être  rien  ;  vous  trouverez 
Dieu  sans  bornes.  Amen ,  amen. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  667 

386. 
Même  sujet. 
A  Cambrai,  inarili  au  soir  21  juin  1707. 

J'ai  été  bien  fâché  tantôt ,  ma  très-chère  fille ,  de 
vous  trouver  sortie  de  chez  vous.  J'avais  une  véritable 
impatience  de  travailler  à  vous  calmer  le  cœur.  Ce 
que  vous  éprouvez  n'est  qu'un  sentiment  involon- 
taire :  il  ne  vous  troublerait  pas  tant ,  et  vous  le 
souffririez  bien  plus  facilement ,  si  votre  volonté  y 
consentait.  C'est  seulement  une  sensibilité  d'amour- 
propre  qui  vous  tourmente.  Au  lieu  de  la  porter  avec 
patience  et' petitesse  ,  vous  êtes  au  désespoir  de  trou- 
ver en  vous  ce  sentiment  humiliant;  mais  si  vous  vous 
en  laissiez  bumilier ,  vous  trouveriez  bientôt  le  repos 
du  cœur.  Acquiescez  à  éprouver  ce  qui  humilie  votre 
orgueil ,  et  vous  serez  soulagée.  Ne  songez  point  à 
tous  vos  projets  :  Dieu  ne  les  souffrira  point ,  et  vous 
ne  pouvez  point  échapper  par  là  à  ses  poursuites  pour 
vous  faire  mourir  aux  délicatesses  de  votre  amour- 
])ropre.  Laissez-vous  traîner  dans  la  boue.  Jamais  dé- 
A  otion  ne  fut  plus  impatiente  que  la  vôtre ,  sur  tous 
les  sentimens  que  l'ainour-propre  voudrait  n'éprou- 
ver pas.  Croyez-vous  qu'on  n'aime  point  Dieu ,  dès 
qu'on  sent  une  jalousie  qu'on  veut  si  peu  avoir  ,  qu'on 
est  au  désespoir  dès  qu'on  la  ressent?  Ce  que  je  vous 
demande  avec  la  dernière  instance ,  au  nom  du  petit 
Maître  (i),  c^est  de  communier  demain  matin.  Sans 

(i)  On  a  déjà  vu  ailleurs  qu'entre  les  amis  de  Fcnclon ,  Dieu 
et  Je'sus  étaient  souvent  désignés  par  l'expression  simple  et  affec- 
tueuse de  petit  Maître. 


668  LETTRES    SPIRITUELLES. 

le  vicariat ,  j*irais  dès  le  matin  vous  faire  communier. 
L'après-midi ,  j'irai  vous  voir.  La  lettre  de  M™e  la 
Comtesse  de  Souastre  me  fait  plaisir.  Je  compte  que 
nous  irons  ensemble  à  , Nous  en  parlerons  demain. 

887  *  A.  (209) 

Contre  la  tentation  qui  portait  la  Comtesse  à  quitter  son  directeur. 

Jeudi,  23  juin  1707. 

Je  prie  la  Sagesse  éternelle ,  qui  s'est  faite  chair , 
mais  chair  d'enfant,  et  chair  cachée  sous  les  appa- 
rences du  pain ,  de  vous  arracher  votre  fausse  sa- 
gesse ,  qui  vous  troulile  et  qui  vous  tourmente ,  pour 
vous  donner  son  enfance ,  sa  petitesse  et  sa  paix. 
Pourquoi  voulez-: vous  vous  éloigner  de  moi  ?  C'est 
pour  soulager  votre  amour-propre.  Espérez-vous  qu'en 
le  soulageant  vous  trouverez  Dieu  ?  Ne  voyez-vous 
pas  que  c'est  vouloir  vous  guérir  en  flattant  le  fond 
de  votre  mal?  Pourquoi  croyez-vous  que  vous  êtes 
loin  de  Dieu  auprès  de  moi  ,  puisque  vous  savez  que 
je  ne  travaille  qu'à  vous  faire  mourir  à  vous-même, 
et  que  vous  ne  pouvez  vous  plaindre  que  d'une  trop 
douloureuse  mort?  Mais  d'où  vous  vient  cette  dou- 
leur accablante  ?  Avouez  la  vérité  :  elle  ne  vient 
que  de  vos  réflexions  volontaires.  Vous  vous  en  pre- 
nez à  Dieu  et  à  moi  ,  de  tout  ce  que  vous  vous 
faites  souffrir ,  malgré  lui  et  malgré  moi  ,  en  vous 
écoutant ,  en  vous  croyant ,  et  en  vous  livrant  à  la 
séduction  de  votre  amour-propre.  C'est  s'en  prendre 
au  médecin  du  poison  qu'on  avale  contre  sa  défense. 
Si  vous  étiez  loin  d^ici ,  vous  seriez  dans  un  trouble 


LETTRES    SPIRITUELLES.  66c) 

à  mourir.  Dieu  vous  poursuivrait  partout ,  et  votre 
propre  cœur  ne  vous  laisserait  point  en  repos.  Les 
réflexions  qui  vous  tentent  se  tourneraient  alors  contre 
vous  pour  venger  i)ieu.  La  paix  ne  se  trouve  qu'en 
cédant ,  et  en  cédant  sans  retarder  ni  hésiter.  O  que 
vous  vous  faites  de  maux!  Vous  en  accusez  la  voie, 
et  c'est  contre  la  voie  que  vous  vous  les  faites.  Je 
vous  demande  au  nom  de  Notre-Seigneur^  et  avec  la 
pleine  autorité  du  petit  Maître  ,  de  venir  communier 
à  la  grand'messe.  Je  suis  sûr  que  Dieu ,  si  vous  l'é- 
coutez  sans  vous  écouter ,  vous  ramènera  à  la  paix. 

Les  nouvelles  d'Arras  me  font  un  sensible  plaisir. 
Je  vous  irai  voir  l'après-midi,  au  sortir  des  vêpres. 
Bonjour,  ma  chère  iille  :  vous  la  serez  toujours  mal- 
gré vous. 

(232)  388  *  A. 

S'oublier  soi-même ,  pour  ne  penser  qu'à  Dieu. 

Vendredi  ,  i\  juin  17O7. 

J'irai  ,  ma  chère  fille  ,  vous  voir  tantôt  au  sortir 
de  vêpres.  Cependant  je  vous  invite  à  venir  com- 
munier à  ma  messe  après  la  grande ,  dans  la  cha- 
pelle de  la  Sainte-Vierge.  J'aime  fort  saint  Jean  ,  qui 
s'est  sans  cesse  oublié  pour  ne  penser  qu'à  Jésus- 
Christ.  Il  le  montrait  ;  il  n'était  que  la  voix  destinée 
à  l'annoncer  ;  il  lui  renvoyait  tous  ses  disciples.  Aussi 
était-il  par  là  ,  bien  plus  que  par  sa  vie  solitaire  et 
pleine  d'austérité ,  le  plus  grand  d'entre  les  enfans 
des  femmes.  Bonjour  ,  ma  chère  fille  ;  oubliez-vous , 
et  vous  serez  Jean  au  désert. 


6to  lettres  spirituelles. 

389. 

Ne  point  écouter  l'imagination. 

Lundi,  (aj)  juin  1707. 

Ne  soyez  point  en  peine  de  votre  confession,  ma 
chère  fille  :  elle  a  été  faite  cent  fois  mieux  que  si 
TOUS  aviez  eu  le  loisir  de  vous  envelopper  dans  vos 
réflexions.  Vous  y  dîtes  tout  le  principal  avec  une 
naïveté  que  vous  n'avez  jamais  eue  si  parfaite  :  vous 
y  touchâtes  même  suffisamment  les  choses  dont  vous 
croyez  n'avoir  point  parlé.  Enfui  vous  acceptâtes  et 
promîtes  tout  au  moment  de  l'ahsolution  :  ainsi  vous 
n'avez  jamais  rien  fait  de  si  hon.  Je  me  charge  devant 
Dieu  de  cette  confession  ,  la  meilleure  de  toute  votre 
vie.  Bientôt  après  ,  vous  vous  reprîtes  en  écoutant 
\os  réflexions  :  mais  je  crois  que  l'excès  du  trouble 
et  de  la  peine  diminue  beaucoup  la  faute  que  \ous 
faites  en  vous  écoutant  de  la  sorte.  Il  n'est  question 
que  de  communier  par  pure  obéissance  ,  sans  vous 
permettre  de  raisonner,  et  de  laisser  tomber  douce- 
ment vos  vaines  imaginations  ,  pour  retrouver  le  si- 
lence et  la  paix. 

Pour  M™e  de  Risbourg  ,  j'ai  peine  à  croire  qu'elle 
ait  mal  pris  ce  qu'elle  a  vu.  Quand  même  elle  en 
serait  peinée ,  ce  serait  à  moi  à  raccommoder  tout  : 
n'en  ayez  aucune  inquiétude.  Elle  aurait  grand  tort , 
si  elle  se  scandalisait  de  vous  voir  quelquefois  triste 
et  peinée  :  il  faut  bien  qu'elle  s'accoutume  à  voir  que 
cliacun  a  ses  peines.  Au  reste ,  tout  ce  qui  vous  a 
éloignée  de  Dieu  servira  à  vous  en  rapprocher ,  si 
vous  êtes  simple  et  docile.  Ces   expériences  doivent 


LETTRES   SPIRITUELLES.  G'J  I 

VOUS  moDtrer  combien  il  ^ous  est  pernicieux  d'écou- 
ter \olre  imagination  sur  des  chimères,  puisque  ces 
cliimèrcs  vous  mènent  si  violennnent  aux  dernières 
exlrémités.  Coiimnmiez  ce  malin  ,  et  laissez  faire  le 
petit  Maître  :  il  vous  calmera.  Dieu  vous  gâte ,  à 
force  de  vous  flatter  dès  que  vous  revenez  à  lui. 
Communiez,  communiez,  et  taisez-vous,  ou  du  moins 
ne  vous  écoutez  pas.  Je  vous  irai  voir  tantôt.  Je  suis 
plus  uni  à  vous,  ma  chère  fdle,  que  jamais,  et  vos 
écarts  ne  me  fatiguent  point. 

390. 

Môme  sujet. 

Lundi,   i8  juillet  «707. 

Je  comprends ,  ma  chère  fille ,  par  les  clioses  que 
\ous  me  dîtes  hier  et  avant-hier,  que  votre  cœur  est 
dans  la  peine.  Au  nom  de  Dieu ,  ne  laissez  pas  gros- 
sir l'orage.  Vous  avez  l'expérience  de  tout  ce  que  la 
tentation  fait  sur  votre  cœur ,  dès  que  vous  Fécoute/. 
Vous  devez  voir  qu'il  ne  s'agit  jamais  que  de  votre 
amour-propre ,  qui  est  dépité  et  au  désespoir.  Est-ce 
le  moyen  de  suivre  Dieu,  que  de  suivre  un  amour- 
propre  désespéré?  Cet  amour  ne  s'irrite  que  sur  des 
chimères,  que  votre  vivacité  vous  représente  comme 
réelles.  De  là  viennent  un  trouble  et  des  résolutions 
manifestement  contraires  à  Dieu.  Dieu  n'est  jamais  que 
dans  la  paix  ;  et  partout  où  la  paix  n'est  point ,  Dieu 
n'y  est  pas ,  quoiqu'on  s'imagine  l'y  mettre  sous  de 
beaux  prétextes.  Je  vous  dis  tout  ceci  étant  prêt  à 
partir ,  et  ne  pouvant  retarder  mon  départ  pour  le 


6^2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Quesnoi.  C'est  que  je  crains  pour  vous  les  commen- 
cemens  de  peine.  Si  vous  comptez  sur  votre  courage 
pour  la  surmonter ,  vous  y  succomberez.  Si  vous 
écoutez  votre  peine,  cette  infidélité  en  attirera  d'au- 
tres avec  un  trouble  liorrible. 

Que  faut-il  donc  faire  ?  Ne  rien  édoUter  volontai- 
rement, et  me  dire  tout  avec  simplicité  dans  une  en- 
tière défiance  de  vous-même.  Je  vous  voyais  liier  et 
avaUt-bier  avec  un  certain  courage  naturel  qui  me 
fait  peur.  O  ma  cbère  fille ,  que  je  voudrais  pouvoir 
voua  aller  voir  avant  mon  départ  !  mais  il  est  impos- 
sible ,  le  temps  me  manque.  Mon  cœur  est  peiné  par 
la  crainte  de  votre  peine.  Que  ne  donnerais-je  point, 
et  que  ne  voudrais-je  point  qu'il  m'en  coûtât  pour 
vous  affermir  dans  la  simplicité  !  Une  peine  non- 
écoutée  ne  serait  plus  qu'à  demi  peine  :  une  peine 
d'abord  expliquée  se  dissiperait.  Je  vous  conjure  de 
vous  tourner  du  côté  du  consolateur ,  et  de  croire 
que  vous  n'êtes  en  état  de  rien  résoudre  pendant  la 
tentation.  C'est  dans  un  état  d'oraison  paisible  qu'on 
peut  prendre  des  résolutions  selon  Dieu.  Tout  le  reste 
ne  peut  être  que  projets  de  tentation  et  égarement. 
Je  ne  manquerai  pas  de  vous  aller  voir  demain  à  l'heure 
qu'il  vous  plaira,  et  même  dès  aujourd'hui,  si  je  puis 
revenir  d'assez  bonne  heure.  Dieu  sait  combien  je 
ressens  tout  ce  qui  peut  vous  troubler ,  et  vous  dé- 
tourner de  votre  voie. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6'^'^ 


%'%i%/%'^y/%  v%^  JV%^  1 


(u.;)  391  *  A. 

Même  sujet. 


Mardi ,  9  aoiit  1707. 


Je  ne  veux  point ,  ma  chère  fille ,  vous  entraîner 
]iar  art ,  ni  par  aucune  voie  humaine.  Je  me  contente 
de  demeurer  devant  Dieu  uni  à  vous  malgré  vous  et 
souflVant  pour  v  otre  retour.  Je  vous  laisse  à  Dieu ,  et 
je  souhaite  que  vous  vous  y  laissiez  aussi.  O  si  vous 
récoutiez  ,  et  si  vous  ne  vous  écoutiez  point ,  quelle 
serait  votre  paix  !  Mais  vous  commencez  par  prêter 
l'oreille  aux  délicatesses  et  aux  dépits  de  l'amour- 
propre.  Cette  infidélité  manifi^ste  en  attire  cent  au- 
tres ,  qui  sont  moins  faciles  à  découvrir.  Vous  cher- 
chez à  vous  étourdir  ,  et  à  autoriser  votre  égarement. 
Vous  voulez  vous  soustraire  à  la  soulTrance ,  comme 
si  l'amour-propre  pouvait  échapper  au  feu  vengeur. 
Vous  espérez  du  repos  loin  de  Dieu  :  vous  fermez 
votre  cœur ,  et  vous  employez  toute  votre  industrie 
pour  repousser  la  gi^âce.  Eh  !  qui  est-ce  qui  a  i^ésisté 
à  Dieu ,  et  qui  a  eu  la  paix  {a)  ?  Rendez-vous  ;  reve- 
nez ;  hâtez-vous  :  chaque  moment  de  délai  est  une 
infidélité  nouvelle. 

J'irai  chez  vous  ,  ou  ce  matin  à  Premy  ,  ou  l'aprés- 
mitli  au  gouvernement ,  dès  que  vous  me  voudrez 
ouvrir  votre  cœur.  Le  mien  est  bien  serré  :  c'est  en 
vous  que  je  devrais  trouver  un  vrai  soulagement. 
0  ma  chère  fille  ,  laissez-vous  dompter  par  l'esprit 
de  grâce  ! 

(a)  Job,  IX.  4- 
CoRRESP.    IV.  28 


6'-'4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

392  ♦.  (2.7) 

Amour-propre  déguisé  sous  l'apparence  de  délicatesse  et  de  générosité  j 
souffrir  en  paix  l'opération  crucifiante  de  la  main  de  Dieu. 

Mercredi,  10  août  1707. 

Souffrez,  ma  chère  fille,  que  je  vous  représente 
ce  qu'il  me  semble  que  Dieu  veut  que  je  vous  mette 
devant  les  yeux.  Le  fonds  que  vous  avez  nourri  dans 
votre  cœur  depuis  l'enfance ,  en  vous  trompant  vous- 
même  ,  est  un  amour-propre  effréné ,  et  déguisé  sous 
l'apparence  d'une  délicatesse  et  d'une  générosité  hé- 
roïque ;  c'est  un  goût  de  roman ,  dont  personne  ne 
TOUS  a  montré  l'illusion.  Vous  l'aviez  dans  le  monde> 
et  vous  l'avez  porté  jusque  dans  les  choses  les  plus 
pieuses.  Je  vous  trouve  toujours  un  goût  pour  l'es- 
prit ,  pour  les  choses  gracieuses ,  et  pour  la  délica- 
tesse profane  ,  qui  me  fait  peur.  Cette  habitude  vous 
a  fait  trouver  des  épines  dans  tous  les  états.  Avec  un 
esprit  très-droit  et  très-solide,  vous  vous  rendez  in- 
férieure aux  gens  qui  en  ont  beaucoup  moins  que 
vous.  Vous  êtes  d'un  excellent  conseil  pour  les  autres; 
mais  pour  vous-même  les  moindres  bagatelles  vous 
surmontent.  Tout  vous  ronge  le  cœur  -,  vous  n'êtes 
occupée  que  de  la  crainte  de  faire  des  fautes ,  ou  du 
dépit  d'en  avoir  fait.  Vous  vous  les  grossissez  par  un 
excès  de  vivacité  d'imagination ,  c'est  toujours  quel- 
que rien  qui  vous  réduit  au  désespoir.  Pendant  que 
vous  vous  voyez  la  plus  imparfaite  personne  du 
monde  ,  vous  avez  l'art  d'imaginer  dans  les  autres  des 
perfections  dont  elles  n'ont  pas  l'ombre.  D'un  côté, 
vos   délicatesses  et  vos  générosités  ;  de  l'autre ,   vos 


DETTRES    SPIRITUELLES.  C'y  5 

jalousies  et  vos  déliances,  sont  outrées  et  sans  mesure. 
Vous  voudriez  toujours  vous  oublier  vous-même , 
pour  vous  donner  aux  autres  ;  mais  cet  oubli  tend  à 
vous  faire  l'idole  de  vous-même  et  de  tous  ceux  pour 
qui  vous  paraissez  vous  oublier.  Voilà  le  fond  d'ido- 
làlrie  rafllnée  de  vous-même  que  Dieu  veut  arracher. 

L'opération  est  violente ,  mais  nécessaire.  Allas- 
siez-vous  au  bout  du  monde  pour  soulaj^er  votre 
amour-propre,  vous  n'en  seriez  que  plus  malade.  Il 
faut ,  ou  le  laisser  mourir  sous  la  main  de  Dieu ,  ou 
lui  fournir  quelque  aliment.  Si  vous  n'aviez  plus  les 
personnes  qui  vous  occupent ,  vous  en  cliercberiez 
bientôt  d'autres  sous  de  beaux  prétextes  ,  et  vous  des- 
cendriez jusqu'aux  plus  vils  sujets ,  faute  de  meil- 
leurs. Dieu  vous  bumilierait  même  par  quelque  en- 
têtement méprisable  ,  où  il  vous  laisserait  tomber  ; 
l'amour-propre  se  nourrirait  des  plus  indignes  ali- 
mens  ,  plut<jt  que  de  mourir  de  faim. 

Il  n'y  a  donc  qu'un  seul  véritable  remède  ,  et  c'est 
celui  que  vous  fuyez.  Les  douleurs  horribles  que  vous 
souffrez  \^ennent  de  vous ,  et  nullement  de  Dieu. 
Vous  ne  le  laissez  pas  faire.  Dès  qu'il  commence  l'in- 
cision ,  vous  repoussez  sa  main  ,  et  c'est  toujours  à 
recommencer.  Vous  écoutez  votre  amoui-propre  dès 
que  Dieu  l'attaque.  Tous  vos  atlachemens,  faits  par 
goût  naturel ,  et  pour  flatter  la  vaine  délicatesse  de 
votre  amour,  se  tournent  pour  vous  en  supplice.  C'est 
une  espèce  de  nécessité  où  vous  mettez  Dieu  de  vous 
traiter  ainsi.  Allassiez-vous  au  bout  du  monde ,  vous 
trouveriez  les  mêmes  peines,  et  vous  n'échapperiez 
pas  à  la  jalousie  de  Dieu  ,  qui  veut  confondre  la  vôtre 
en  la  démasquant.  Vous   porteriez  partout  la  plaie 


QrjQ  LETTRES    SPIRITUELLES. 

envenimée  de  votre  cœur.  Vous  fuiriez  en  vain  comme 
Jonas  ',  la  tempête  veus  engloutirait. 

Je  veux  bien  prendre  pour  réel  tout  ce  qui  n'est 
que  chimérique  :  hé  Lien  !  cédez  à  Dieu ,  et  accou- 
tumez-vous à  vous  voir  telle  que  vous  êtes.  Accoutu- 
mez-vous à  vous  voir  vaine,  ambitieuse  pour  l'amitié 
d'autrui ,  tendant  sans  cesse  à  devenir  l'idole  d'autrui 
pour  l'être  de  vous-même  ,  jalouse  et  défiante  sans 
aucune  borne.  Vous  ne  trouverez  à  affermir  vos  pieds 
qu'au  fond  de  l'abîme.  Il  faut  vous  familiariser  avec 
tous  ces  monstres  :  ce  n'est  que  par  là  que  vous  vous 
désabuserez  de  la  délicatesse  de  votre  cœur.  Il  en 
faut  voir  sortir  toute  cette  infection;  il  en  faut  sen- 
tir toute  la  puanteur.  Tout  ce  qui  ne  vous  serait  pas 
montré  ne  sortirait  point ,  et  tout  ce  qui  ne  sortirait 
point  serait  un  venin  rentré  et  mortel.  Voulez-vous 
accourcir  l'opération  ?  ne  l'interrompez  pas.  Laissez 
la  main  crucifiante  agir  en  toute  liberté  ;  ne  vous 
dérobez  point  à  ses  incisions  salutaires. 

N'espérez  pas  de  trouver  la  paix  loin  de  l'oraison 
et  de  la  communion.  Il  ne  s'agit  pas  d'appaiser  votre 
amour-propre  en  l'épargnant ,  et  en  résistant  à  l'es- 
prit de  grâce  ;  mais  au  contraire ,  il  s'agit  de  vous 
livrer  sans  réserve  à  l'esprit  de  grâce  ,  pour  n'épar- 
gner plus  votre  amour-propre.  Vous  pouvez  vous  étour- 
dir, vous  enivrer  pour  un  peu  de  temps,  et  vous  donner 
des  forces  trompeuses ,  telles  que  la  fièvre  ardente 
en  donne  aux  malades  qui  sont  en  délire  *,  mais  la 
vraie  paix  n'est  que  dans  la  mort.  On  voit  en  vous 
depuis  quelques  jours,  un  mouvement  convulsif  pour 
montrer  du  courage  et  de  la  gaîté ,  avec  un  fond 
d'agonie.  0  si  vous  faisiez  pour  Dieu  ce  que  vous  faites 


LETTRES    SPIRITUELLES.  677 

coiilrc  ,  quelle  paix  ii'auriez-vous  pas  !  0  si  vous  soul- 
Iriez  ,  pour  laisser  faire  Dieu  ,  le  quart  de  ce  que  vous 
vous  failes  souflrir  pour  rempêclier  de  déraciner  vo- 
tre amour-propre,  quelle  serait  votre  tranquillité! 
Je  prie  celui  à  qui  vous  résistez  ,  de  vaincre  vos  ré- 
sistances ,  d'avoir  pitié  de  cette  force  contre  lui ,  qui 
n'est  que  faiblesse  ,  et  de  vous  faire  malgré  vous  au- 
tant de  bien  que  vous  vous  faites  de  mal.  Pour  moi , 
comptez  que  je  vous  poursuivrai  sans  relâche  ,  et  que 
je  ne  vous  quitterai  point.  J'espère  beaucoup  moins 
(le  mes  paroles  et  de  mes  travaux  pour  vous,  que 
lie  ma  peine  intérieure ,  et  de  mon  union  à  Dieu  dans 
le  désir  de  vous  rapprocher  de  lui. 

/««%  V»«.%%A  «V« ■%%%%«/«  ^^i^V^^  ««Vt  «VV^  VVk  ^V%  ^V%  ^•'»^  ^^/k  VW^ 'VV%  VV%  ««^  V%%  V\  *  1%%^  T%*  V"!  >  «««Vl  ^ 

393. 

Simplicité  h  dire  ses  fautes. 

A  Cambrai,   i^  aoi'it  170^. 

Jamais  ,  ma  chère  fdle  ,  je  n'ai  rien  fait  de  si  con- 
traire à  mon  intention  que  ce  que  je  fis  hier ,  s'il  est 
^rai  que  votre  petitesse  à  me  dire  vos  fautes  n'ait 
trouvé  en  moi  que  du  rebut.  J'avoue  que  je  ne  trou- 
vai pas  vos  fautes  telles  que  vous  les  croyez ,  et  que 
je  voulus  vous  délivrer  de  vos  scrupules  :  mais  j'étais 
infiniment  éloigné  de  vouloir  rebuter  votre  petitesse. 
Rien  ne  me  fait  tant  de  plaisir  ,  rien  n'est  si  agréable 
à  Dieu ,  rien  n'est  si  important  pour  votre  conduite 
vers  lui.  Cette  petitesse  me  charma  ,  et  me  parut 
beaucoup  édifier  M'^^  Je  Risbourg.  Pour  ce  qu'elle 
vous  dit ,  je  ne  sais  pas  quelle  fut  son  intention.  Vous 
m'assurâtes  que  vous  ne  la  soupçonniez  point  d'être 
mauvaise.  La  chose  en  soi  ne  méritait  aucune  alten- 


6" 8  LETTRES    SPIRITUELLES, 

lion.   Rien  n'est  moins  une  humiliation  que  ce  petit 
mot,  s'il  n'est  pas  dit  à  mauvaise  intention. 

Pour  le  diner ,  je  n'avais  pas  compté  de  le  donner 
sans  vous.  C'est  vous  qui  décidâtes  pour  aujourd'hui , 
et  je  "VOUS  priai  deux  fois  de  ne  vous  contraindre  en 
rien  là-dessus.  Je  vous  conjure  encore  de  ne  vous 
gêner  point.  Si  vous  n'y  venez  pas,  je  ne  sais  point 
si  Mi^e  de  Risbourg  y  viendra.  Je  la  recevrai  très-bien  , 
si  elle  vient;  mais  je  remettrais  la  partie  à  une  autre 
fois,  à  cause  que  voiis  n'y  serez  point,  si  je  ne  crai- 
gnais de  vous  faire  de  la  peine  par  un  changement. 
Tout  m'est  bon ,  pourvu  que  votre  cœur  rentre  dans 
la  paix  ,  et  que  vous  ne  vous  écoutiez  point  dans  vos 
peines  par  amour-propre.  En.  vérité  ,  ma  chère  fille , 
je  ressens  vos  peines  au-delà  de  tout  ce  que  vous  pou^ 
vez  croire.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  y  soutienne. 


v**vvvv»*v»»v»***v*»*vvwv%'v*^v*»^»™*v»*»**v»*vv»«/»>*^/»,v»>v^vv%v*'»>'*'vvv»vvvvv»<i.»»« 

394, 

Contre  les  sensibilités  de  lamour-propre. 

A  Cambrai,  vcudreili  malin  19   août  1707. 

Souffrez  encore,  je  vous  conjure,  ma  chère  fille, 
mes  importunités.  Du  moins  elles  vous  montreront 
combien  je  suis  éloigné  de  la  hauteur  et  du  dédain 
que  vous  m'imputez.  Dieu  sait  que,  par  sa  grâce,  je 
n'aime  et  n'estime  que  la  petitesse  qui  va  jusqu'à 
l'enfance.  Je  serais  bien  infidèle  ,  si  j'avais  d'autres 
goûts  et  d'autres  sentimens.  Jamais  rien  ne  m'a  fait 
tant  de  plaisir  que  votre  ouverture  de  l'autre  jour. 
J'en  fus  si  gai  et  si  content ,  que  je  vous  fis  un  compte 
de  scrupules ,  vous  croyant  dans  une  disposition  ou 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6'JC) 

il  n'y  avait  qu'à  se  réjouir  avec  vous.  En  vérité ,  pou- 
^e/.-vous  croire  que  j'aie  voulu  vous  rendre  ridicule 
devant  M'"«  de  Kisbourg ,  moi  qui  n'espère  son  sou- 
tien et  son  avancement  dans  la  piété  que  par  son 
union  avec  vous?  Si,  contre  toutes  mes  intentions, 
j'ai  dit  une  chose  de  travers ,  je  vous  en  demande 
mille  pardons.  Je  condamne  mon  indiscrétion ,  puis- 
cju'elle  vous  a  blessée  ;  mais  je  ne  puis  condamner 
mon  intention ,  car  Dieu  sait  à  quel  point  elle  a  été 
pure  et  droite.  Mais  après  toutes  les  marques  de  zèle 
<}ue  je  tâche  de  vous  donner ,  devez-vous  être  blessée 
sans  retour ,  pour  une  indiscrétion  qui  m'afflige  au- 
tant que  vous  ,  et  que  je  cherche  à  réparer.  Vous  est- 
il  permis,  selon  Dieu ,  de  rompre ,  pour  cette  indis- 
crétion ,  une  union  de  grâce  que  Dieu  lui-même  a 
faite  ,  et  de  vous  priver  du  secours  auquel  il  lui  a 
plu  de  vous  assujettir  ?  De  telles  sensibilités  d'amour- 
propre  doivent-elles  faire  rompre  les  liens  spirituels , 
et  abandonner  toute  la  voie  où  l'on  a  senti  Dieu  ? 

Ne  dites  point  :  Cela  est  fait  ;  cela  est  fini  ;  c^est 
trop  tard ,  comme  vous  le  disiez  hier  au  soir.  Rien 
n'est  trop  tard  pour  Dieu  :  il  faut  que  tout  lui  cède. 
Il  n'y  a  rien  de  fait  qu'il  ne  défasse;  il  n'y  a  rien  de 
fini  qu'il  ne  recommence.  Vous  êtes  à  lui,  et  non  pas 
à  vons.  Est-ce  à  vous  à  dire  :  Cela  est  fini  ?  Cette  pa- 
role décisive  ne  montre-t-elle  pas  un  cœur  proprié- 
taire qui  se  reprend ,  et  qui  ne  veut  plus  se  livrer  à 
Dieu  pour  mourir  à  soi-même  ?  Je  vous  ai  dit ,  il  est 
vrai ,  un  défaut  qui  vous  ôte  souvent  l'usage  de  tou- 
tes vos  excellentes  qualités  naturelles  ,  et  qui  met  en 
péril  toute  la  grâce  qui  est  en  vous.  Ce  défaut  est 
une  ancienne  habitude  de  vous  tromper  vous-même 


68o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

par  un  raffinement  d'amour-propre  ,  qui  vous  paraît 
une  générosité  sans  aucun  retour  sur  vous  :  voilà  la 
source  de  toutes  vos  tentations.  Eh  !  qui  est-ce  qui 
vous  montrera  ce  défaut ,  pour  vous  accoutumer  à 
vous  en  défier ,  si  ce  n'est  l'homme  qui  vous  conduit  ? 
Je  tâche  de  vous  mettre  au-dessus  de  vos  scrupules. 
Eh  !  n'est-ce  pas  ce  qu'on  fait  aux  plus  saintes  et  aux 
plus  grandes  âmes ,  quand  Dieu  permet  qu'elles  soient 
troublées  par  de  vains  scrupules  ?  Je  méprise  le  fond 
du  scrupule  ,  afin  que  vous  vous  accoutumiez  à  le 
mépriser  avec  moi  ;  mais  je  sais  combien  les  personnes 
les  plus  estimables  sont  scrupuleuses  ^  et  j'estime  in- 
finiment la  petitesse  qui  aous  a  fait  dire  votre  peine. 
J'espère  que  Dieu  ne  vous  laissera  pas  à  vous-même. 
Ecoutez  non  votre  peine ,  mais  le  fond  de  votre  cœur. 

395. 

Écouter  Dieu  malgré  toutes  les  suggestions  de  l'amour-propre. 

Jeudi,  I  septembre  1707. 

Comme  vos  fautes,  ma  chère  fille,  consistent  dans 
une  résistance  à  Dieu,  votre  retour  consiste  à  céder 
à  la  grâce.  Ne  craignez  point  de  revenir  trop  légère- 
ment. Quand  il  s'agit  de  revenir  à  Dieu  ,  on  ne  peut 
jamais  revenir  avec  trop  de  promptitude  et  de  sim- 
plicité. Voir  sa  faiblesse ,  la  laisser  voir ,  s'y  accoutu- 
mer, désespérer  à  jamais  de  soi,  et  se  livrer  à  Dieu 
sans  mesure  ,  c'est  la  plus  parfaite  pénitence  de  ces 
fautes  ,  et  la  plus  opposée  à  l'amour-propre.  Com- 
ment voulez-vous  que  Dieu  se  communique  à  vous 
pour  vous  faire  connaître  sa  volonté ,  pendant  que  la 


LETTRES    SPIRITUELLES.  G8r 

vôtre  lui  résiste  encore?  En  quelque  état  que  vous 
soyez  ,  et  en  quelque*  lieu  du  monde  que  vous  allie/  , 
il  faut  céder  à  Dieu,  revenir  au  recueillement,  et 
écouter  Dieu  malgré  ramour-proprc.  Jusque-là  vous 
ne  pouvez  point  espérer  la  lumière  de  Dieu  pour  mar- 
cher dans  la  voie  où  il  vous  appelle.  Croyez-vous  lui 
échapper?  Fussiez-vous  au  bout  du  monde,  il  vouS' 
fera  sentir  votre  amour-propre  ,  (pie  vous  voudriez 
vous  dé2;iiiser ,  et  dont  il  est  jaloux.  Espérez-vous  la 
paix  en  flattant  cet  amour-propre  qui  est  la  cause  de 
tous  vos  désespoirs,  et  que  l'amour  de  Dieu  poursuit 
sans  relâche  dans  votre  cœur  ?  Est-ce  moi  qui  suis  la 
cause  d'un  combat  si  douloureux?  N'est-ce  pas  vous 
qui  le  prolongez  ,  en  nourrissant  en  secret  celui  qu'il 
faudrait  laisser  mourir  ?  Ce  n'est  pas  moi ,  c'est  Dieu 
qui  vous  presse.  Au  bout  du  monde ,  les  principes 
que  vous  avez  dans  le  cœur  vous  feraient  sentir  tout 
ce  que  vous  sentez.  L'amour-propre  Hatté  se  relève- 
rait encore  plus  violemment.  L'amour  de  Dieu  vous 
reprocherait  votre  infidélité  et  votre  fuite  :  vous  en 
mourriez  de  douleur.  Dieu  vous  poursuit  sans  relâ- 
che :  puis-je  ,  dois-je  l'empêcher? 

Pour  moi ,  si  vous  y  prenez  garde ,  je  ne  fais  que 
vous  consoler ,  qu'attendre  ,  qu'adoucir  les  plaies  de 
votre  cœur.  Un  autre,  qui  les  connaîtrait  moins,  ne 
pourrait  pas  avoir  les  mêmes  ménagemens.  Voudriez- 
vous  que  Dieu  vous  fît  mourir  sans  douleur  ?  Vou- 
driez-vous  qu'il  vous  laissât  trouver  quelque  ressource 
en  vous-même  pour  partager  votre  cœur  entre  vous 
et  lui  ?  Après  avoir  été  infidèle  en  résistant  à  Dieu 
pour  vous  éloigner  de  moi ,  voulez-vous  encore  lui 
être  infdèle  en  ne  cédant  pas  à  son  attrait  pour  votre 


682  LETTRES    SPIRITUELLES. 

retour  ?  Jetez-vous  entre  ses  bras ,  sans  condition ,  les 
yeux  fermés.  Ne  cherchez  plus  un  moyen  sur  de  ne 
retomber  pas  :  il  n'y  en  a  point.  L'amour-propre 
voudrait  une  sûreté  qui  n'est  point  de  l'état  présent. 
L'unique  sûreté  est  de  n'en  chercher  point ,  de  s'aban- 
donner à  Dieu  ,  et  de  ne  se  plus  écouter  soi-même. 
Dès  que  vous  céderez ,  la  paix  reviendra.  Vous  vous 
en  prenez  à  lui  et  à  moi  de  tout  le  mal  que  vous  vous 
faites.  Cédez ,  et  votre  pénitence  sera  faite  :  c'est  celle 
qui  vous  coûtera  et  servira  le  plus.  J'irai  vous  voir 
quand  vous  voudrez  :  ne  tardez  pas ,  ma  chère  fille. 

398  *  R.  (220) 

La  paix  ne  se  trouve  que  dans  l'abanclon  absolu. 

Samedi,  3  septembre  1707. 

Depuis  les  huit  heures  du  matin  ,  je  me  tiendrai 
prêt ,  ma  chère  fdle  ,  pour  vous  recevoir  ,  et  j'irais 
avec  plaisir  chez  vous  ,  si  cela  vous  était  plus  com- 
mode. L'unique  source  de  la  paix  et  l'abandon  sans 
réserve.  L'abandon  ne  permet  plus  de  s'écouter  vo- 
lontairement. N'espérez  point  la  paix ,  ni  en  écoutant 
les  délicatesses  de  l'amour-propre  ,  ni  en  voulant  fuir 
Dieu.  Vous  trouveriez  dans  les  solitudes  les  plus  éloi- 
gnées tous  les  tourmens  de  l'amour-propre  ,  si  vous 
y  alliez  pour  vous  soustraire  aux  jalousies  de  l'amour 
de  Dieu ,  et  pour  flatter  celles  de  l'amour-propre. 
Mais  livrez-vous  à  Dieu.  Mettez  tout  au  pis-aller; 
supposez  la  vérité  de  toutes  les  imaginations  les  plus 
fausses ,  et  acceptez  tout  sans  bornes.  C'est  dans  ce 
désespoir  qu'est  la  paix.  Si  vous  pouviez  me  quitter 


LETTRES    SPIRITUELLES.  683 

sans  quitter  Dieu  ,  je  vous  conseillerais  de  le  l'aire 
dès  ce  soir;  mais  vous  ne  me  voulez  quitter,  que  pour 
vous  reprendre ,  et  épargner  votre  amour-propre  : 
eu  me  quittant ,  vous  résistez  ù  la  grâce ,  et  vous  re- 
tombez dans  une  vie  qui  n'est  plus  intérieure.  Voilà 
l'unique  raison  qui  m'empêche  de  consentir  à  vos 
jM'ojets.  Encore  une  fois ,  l'acceptation  simple  et  ab- 
solue de  tout  ce  qui  se  présente  decliiméiique  à  votre 
esprit  fera  votre  paix.  Dieu  vous  attend  là.  Ce  qui  vous 
cause  les  plus  violentes  douleurs,  ne  vous  les  causera 
j)lus,  quand  vous  l'aurez  pleinement  accepté  sans  au- 
cun adoucissement.  O  que  ne  puis-je  vous  épargner  ! 
Mais  Dieu  veut  tout ,  et  l'amour-propre  est  furieux. 
Paix ,  paix  :  Dieu  seul  est  la  paix. 

(2>9)  397  *  R. 

Même  sujet. 

A  Cambrai,  3  septembre  1707. 

Je  comptais  hier ,  ma  chère  fille  ,  que  vous  étiez  à 
l'ordinaire  au  gouvernement ,  et  je  n'osai  y  aller  de 
peur  de  vous  y  gêner.  Si  je  vous  avais  sue  à  Premy ,  j'y 
serais  allé  plus  librement.  L'abbé  de  Beaumont ,  qui 
devait  vous  aller  voir ,  se  trouva  incommodé.  Rien 
n'est  plus  sincère  que  la  douleur  que  je  ressens  de 
votre  état.  Vos  projets  ne  sont  qu'illusion.  Vous  vou- 
lez retrouver  Dieu  en  quittant  l'oraison.  Hélas  !  l'orai- 
son est  Dieu  même ,  ou  du  moins  l'union  avec  lui. 
Vous  voulez  lui  faire  la  loi ,  et  ne  vous  plus  donner 
à  lui  qu'à  votre  mode ,  pour  adoucir  votre  souffrance. 
Espérez-vous  qu'il  sera  content  de  ce  partage  de  votre 


684  LETTRES    SPIRITUELLES. 

cœur?  Vous  croyez  que  Famour-propre  vous  fera 
moins  souiîVir  quand  vous  lui  céderez,  et  vous  ne 
voulez  pas  céder  à  l'amour  de  Dieu ,  de  peur  qu'il 
ne  prenne  trop  sur  l'amour-propre.  En  vérité ,  ce 
dessein  est-il  selon  Dieu?  Prétendez-vous  que  Dieu 
consente  que  la  jalousie  de  son  amour  cède  à  la  ja- 
lousie de  Famour-propre?  Prétendez-vous  que  l'amour- 
propre  flatté  et  soulagé  en  soit  moins  jaloux  ,  et  moins 
tyrannique  dans  sa  jalousie?  O  que  vous  vous  trompez , 
et  que  vous  manquez  à  Dieu  !  Est-ce  donc  là  ce  que 
vous  lui  avez  promis  tant  de  fois?  Est-ce  là  ce  que 
l'amour  sincère  demande  ?  Voudriez-vous  faire  à  une 
créature  estimable  ce  que  vous  faites  à  Dieu  ?  Vou- 
driez-vous la  quitter  pour  soulager  les  dépits  de  votre 
amour-propre  ? 

Si  vous  laissiez  faire  Dieu ,  vous  souffririez  infini- 
ment moins.  C'est  dans  les  coinmencemens  de  vos 
peines  que  vous  pourriez  ne  vous  écouter  pas.  Cette 
fidélité  ,  qui  vous  serait  alors  possible  ,  vous  attire- 
rait une  grâce  merveilleuse  ,  et  vous  élargirait  le 
cœur.  Faute  d'agir  ainsi ,  vous  êtes  toujours  occupée 
des  délicatesses  de  votre  amour-propre.  Dieu ,  jaloux 
de  vous  ,  vous  livre  à  vous-même  et  à  votre  propre 
jalousie,  pour  vous  montrer,  malgré  vous,  combien 
votre  cœur ,  dont  vous  avez  admiré  le  désintéresse- 
ment ,  est  jaloux  de  son  intérêt. 

Rentrez  dans  les  desseins  de  Dieu  ;  livrez-vous  à  lui 
sans  condition.  N'espérez  plus  rien  de  vous-même  ;  ce 
désespoir  fera  votre  paix.  Tout  ce  qui  flatte  Famour- 
propre  ne  peut  plus  être  de  saison  ;  c'est  une  douceur 
empoisonnée.  Revenez  avec  docilité  et  petitesse  au 
recueillement  ;  vous  aurez  meilleur  marché  de  Dieu 


LETTRES    SPIRITUELLES.  685 

«[ue  de  vous.  Ce  n'est  pas  lui ,  c'est  l'amour-propre 
({ui  vous  tourmente.  C'est  au  tourment  que  vous  vous 
livrez  en  croyant  le  fuir.  Plus  on  donne  à  l'amour- 
propre  ,  plus  il  exv^e  :  il  est  insatiable  et  ti'ompeur. 
Entre  ces  deux  jalousies ,  pourquoi  craignez-vous  da- 
vantage celle  de  Dieu  ?  elle  est  si  juste ,  si  sage ,  si 
miséricordieuse,  si  mesurée.  Celle  de  l'amour-propre 
est  aveugle  ,  lyrannique  ,  et  sans  bornes.  Vous  n'au- 
rez point  la  paix  en  ilattant  l'ennemi  ;  vous  ne  l'au- 
rez qu'en  donnant  tout  à  Dieu  seul ,  et  en  le  laissant 
faire.  O  si  vous  aviez  des  yeux  pour  voir ,  et  un  cœur 
pom*  sentir  le  don  de  Dieu  !  tout  cela  vous  était 
donné  ;  mais  vous  n'en  voulez  plus.  0  ma  clière 
fille  ,  revenez  !  Que  ne  soull'rirais-je  point  pour  ob- 
tenir votre  retour  ! 


«  ^A«  ^«%««%'«i«A  t 


398, 

Dieu  nesl  que  dnns  la  paix. 

A  Haumont,  23  septembre  1707. 

Je  soubaite  de  tout  mon  cœur,  ma  très-cbère  fille , 
que  Dieu  seul  parle  en  vous.  Sa  parole  est  silen- 
cieuse :  au  contraire  ,  la  nôtre  est  toujours  inquiète  , 
tumultueuse  ,  et  semblable  au  bruit  d'une  balle.  Dieu 
j l'est  que  dans  la  paix.  Dès  que  la  paix  se  perd  ,  Dieu 
se  retire.  Parlez  à  l'abbé  de  Beaumont  ;  Dieu  lui 
donnera  en  mon  absence  de  quoi  vous  consoler.  Ne 
vous  gênez  point ,  par  complaisance  bumaine  ,  pour 
M™c  J(3  Risbourg  ;  mais  aidez-la  par  pure  grâce.  Man- 
dez-moi de  vos  nouvelles  ,  de  celles  de  M.  le  Comte 
de  Monlberon  ,  et  de  celles  de   M'"^  la  Comtesse  de 


686  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Souastre.  Soyez  exacte ,  je  vous  conjure,  à  ne  renouer 
point  avec  M'"^  d'Oisyun  commerce  humain,  qui  n'irait 
qu'à  l'amuser  ,  et  qu'à  vous  faire  agir  contre  votre 
grâce.  Vous  nuiriez  infiniment  et  à  elle  et  à  vous  ; 
vous  n'en  tireriez  que  du  trouble  ,  et  des  tentations 
contre  votre  état.  Faites  bien  avec  elle  ;  mais  ne  l'at- 
tirez point  à  venir  troubler  un  silence  qu'elle  ne  peut 
pas  garder.  Admettez  M™«  de  Risbourg  à  votre  si- 
lence ,  puisqu'elle  y  entre  sans  le  troubler  ;  mais  n'y 
mêlez  aucune  façon  humaine.  Pour  M.  le  Comte  de 
Montberon  ,  après  avoir  représenté  vos  craintes ,  lais- 
sez décider  M.  Bourdon  par  rapport  au  voyage  de 

Dieu  sait ,  ma  chère  fdle  ,  comment  il  fait  que  je 
vous  suis  tout  dévoué  en  lui  à  jamais. 


399. 

Découvrir  ayec  simplicité  ses  peines   intérieures.  Sur  les  amitiës 
spirituelles. 

A  Cambrai,  lundi   lo  octobre  1707. 

Je  suis  sensiblement  touché  de  votre  peine  ,  ma 
chère  fdle.  Dieu  sait  tout  ce  que  je  voudrais  faire  et 
souffrir  pour  vous  en  tirer.  Ne  vous  écoutez  point 
volontairement.  Vous  avez  très-bien  fait  de  me  man- 
der à  cœur  ouvert  ce  que  vous  souffrez  :  une  telle 
ouverture  porte  grâce  avec  soi.  Si  j'ai  le  goût  de 
l'esprit ,  il  faut  m'en  corriger.  Je  sais  bien  que  rien 
ne  me  fait  tant  de  peine  ,  que  quand  je  vous  vois 
estimer  les  talens  luimains  ,  et  supposer  que  les  au- 
tres  doivent  les  estimer. 

Pour  M'^e   cl'Oisy  ,  je  suis  très-éloigné    de  l'aban- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6S'J 

donner  ni  de  la  négliger  ;  au  contraire  ,  je  tâche  de  la 
servir  de  tout  mon  cœur  pour  le  spirituel  et  pour 
le  temporel.  Mais  que  puis-je  faire  ?  Le  peu  qu'elle 
avait  pour  la  piété  paraît  fort  déchu.  Quoiqu'elle 
veuille  faire  son  salut ,  et  vivre  avec  une  certaine 
règle  )  elle  est  fort  dissipée  ,  et  opposée  au  recueille- 
ment. Elle  doit  venir  ici  pour  se  confesser  le  jour  de 
sainte  Thérèse.  Pour  M™«  de  Rishourg  ,  ne  soyez  point 
unie  à  elle  pour  vous ,  mais  pour  elle-même.  Ne 
comptez  ni  sur  un  ragoût  d'amitié ,  ni  sur  une  dé- 
charge de  cœur  pour  la  confiance  ,  puisque  vous  n'y 
trouvez  pas  ce  soulagement.  Bornez-vous  à  la  recevoir 
avec  amitié  ,  afin  qu'elle  trouve  en  vous  un  soutien 
dans  sa  faihlesse ,  et  qu'elle  puisse  demeurer  avec 
vous  en  silence.  Si  elle  ne  se  taisait  pas  avec  vous , 
elle  se  dissiperait  d'abord  avec  M™^  d'Oisy.  Que  si 
vous  éprouviez  qu'elle  ne  conservât  point  le  recueille- 
ment auprès  de  vous ,  ou  qu'elle  vous  gênât ,  je  ne 
vous  demanderais  point  de  continuer  un  commerce 
qui  ne  paraîtrait  plus  être  de  grâce. 

Je  vous  conjure  de  communier  à  l'ordinaire  :  vous 
n'en  avez  jamais  tant  de  besoin  que  quand  vous  avez 
le  cœur  pressé.  Vous  ne  me  dîtes  hier  aucun  mot  qui 
doive  vous  faire  hésiter.  Vous  craignez  trop  de  pé- 
cher :  cette  crainte  sans  fondement  trouble  tout  en 
vous  par  son  excès.  Je  prie  le  Dieu  de  paix  de  calmer 
votre  cœur. 


(jS6  lettres  spirituelles. 

400  *  R.  (2a2) 

Découvrir  ses  misères  en  esprit  croliéissance,    faire  mourir  le   goût  de 
resprit  5  s'abandonner  à  Dieu  en  esprit  d'amour. 

A  Cambrai,  9  novembre  1707. 

Vous  ne  m'avez  rien  dit ,  ma  très-clière  fille  ,  qui 
doive  vous  faire  la  moindre  peine.  Ce  n'est  point  pour 
se  soustraire  à  la  souffrance  qu'on  explique  son  état  ; 
c'est  par  pure  et  simple  fidélité  ;  c'est  pour  n'écouter 
point  l'amour-propre  ,  qui  voudrait ,  sous  de  beaux 
prétextes,  cacher  ses  misères.  Il  est  vrai  seulement 
que  cette  simplicité  ,  qui  est  selon  Dieu  ,  est  souvent 
utile  pour  soulager  le  cœur  ,  quoiqu'on  ne  la  pratique 
pas  en  vue  du  soulagement. 

Si  vous  ne  conserviez  pas  au  fond  de  votre  cœur 
une  vaine  estime  de  l'esprit ,  vous  ne  craindriez  pas 
tant  d'en  manquer ,  et  de  n'en  montrer  pas  autant  que 
les  autres.  Vous  ne  croiriez  pas  même  que  j'eusse  ce 
grand  goût  de  l'esprit ,  qui  est  si  vilain  ,  si  corrompu  , 
et  si  indigne  de  l'esprit  de  Dieu.  J'ai  toujours  remar- 
qué que  l'estime  de  l'esprit  est  enracinée  dans  votre 
cœur  _,  et  que  vous  ne  la  laissez  point  tomber.  C'est 
néanmoins  ce  que  l'esprit  de  grâce  éteint  le  plus  , 
quand  on  le  laisse  agir  librement.  Vivre  d'oraison  et 
d'amour  est  incompatible  avec  ce  goût  dépravé  de 
ramour-propre. 

Il  ne  s'agit  point  maintenant  de  vous  confesser , 
mais  de  céder  à  Dieu  avec  petitesse ,  pour  vous  cal- 
mer. Je  connais  en  vous  les  deux  personnes  que  vous 
y  voyez.  Il  faut  souffrir  l'une  avec  patience  ,  sans 
l'écouter  volontairement  ;  il  faut  que  l'autre  demeure 


LETTRES    SPIRITUELLES.  689 

ilaus  sa  simplicité.  La  communion,  le  silence,  la  sou f- 
france,  comme  vous  le  dites,  sont  ce  qui  lui  con- 
vient. Quand  elle  a  manqué  ,  elle  ahandoiuie  sa  fauta 
à  Dieu  y  et  se  livre  à  lui  en  esprit  d'amour.  Vous  souf- 
IViiiez  beaucoup  moins ,  si  vous  laissiez  passer  vos 
imaginations  et  vos  sentimens  involontaires ,  sans  en 
liiire  aucun  cas ,  et  sans  vouloir  vous  assurer  de  leur 
résister  positivement.  Cette  résistance  positi\e  est  une 
recherche  de  votre  propre  sûreté  ,  et  une  activité 
d'amour-propre ,  qui  est  contre  votre  grâce*  C'est  ce 
travail  douloureux  que  Dieu  ne  vous  demande  point  î 
il  vous  demande ,  au  contraire ,  de  le  supprimer. 
Faut-il  s'étonner  que  vous  soullriez ,  quand  vous  vous 
donnez  des  contorsions  continuelles ,  pour  vous  assu- 
rer de  voir  ce  que  Dieu  ne  veut  pas  que  vous  puis- 
siez voir  en  cette  vie  avec  cette  sûreté  ?  On  n'a  jamais 
la  ]Knx  en  lui  résistant. 

Faites  ce  que  vous  dites  très-bien ,  et  vous  soufl'ri- 
rez  moins.  Quand  vous  craignez  de  manquer,  aban- 
donnez simplement  le  tout  à  Dieu.  Un  amour  simple 
^ous  garantira  bien  plus  du  ])éché  ,  que  cet  effort  em- 
jsressé  où  vous  vous  recherchez  vous-même.  Cette 
vaine  crainte  d'un  péclié  imaginaire  vous  jette  dans 
un  état  réel  et  affreux  ,  où  vous  tentez  Dieu  ,  où  vous 
ne  vous  occupez  que  de  vous  ^  où  vous  vous  tuez ,  et 
où  vous  vous  mettez  en  tentation  violente  contre  l'at- 
trait de  Dieu.  Ce  n'est  donc  pas  Dieu  qui  vous  fait 
souffrir  :  au  contraire  ,  c'est  malgré  lui  que  vous  vous 
martyrisez  ^ ous-mème.  0  ma  chère  fdle  ,  cherchez  la 
])ai\  au  lieu  où  elle  est  !  Vous  la  trouverez  dans  le 
simple  non-consentement  à  vos   sentimens  involon- 

CORRESP.     IV.  2Ç) 


6qO  LETTRIiS    SPIRITUELLES. 

taires  de  jalousie,  et  dans  la  patience  à  supporter  ce 
sentiment  honteux. 

Je  suis  en  peine  de  M.  le  G^mte  de  Montberon  :  il 
a  besoin ,  ce  me  semble ,  de  toute  votre  attention. 


401  *  R.  (207) 

Ne  point  augmenter  ses  peines  par  la  contention  de  l'esprit. 
A  Cambrai,  37  novembre  1707. 

La  lettre  de  M^^^  la  Comtesse  de  Souastre  est  par- 
faitement bien  ma  chère  fille  ,  et  je  vous  la  renvoie  , 
afin  qu'on  y  mette  une  enveloppe.  M.  de  — .  s'en 
chargera.  Je  voulais  ce  soir  vous  entretenir  ;  mais 
Mlle  Bourdon  a  emporté  tout  notre  temps  d'une  triste 
et  inutile  façon.  En  vérité  ,  je  suis  bien  touché  de  vos 
peines  ,  et  je  désire  de  tout  mon  cœur  tout  ce  qui 
peut  soulager  le  vôtre.  Il  me  semble  que  vous  souf- 
fririez moins  ,  si  vous  étiez  moins  en  contention  per- 
pétuelle contre  un  danger  imaginaire  de  pécher  ,  et 
si  vous  cherchiez  moins  à  vous  convaincre  de  votre 
résistance  sensible  par  des  efforts  empressés.  Une  paix 
tout  unie  en  présence  de  Dieu ,  en  souffrant  hum- 
blement un  sentiment  involontaire  ,  vous  épuiserait 
moins  ,  et  serait  d'une  beaucoup  plus  grande  fidélité  , 
parce  qu'elle  serait  plus  conforme  à  votre  grâce.  Je 
prie  Notre-Seigneur  qu'il  vous  ouvre  le  cœur  à  l'in- 
telligence  et  à  la  pratique  d'un   si  simple   moyen. 

J'irai  vous  voir  demain.  En  attendant ,  je  vous  con- 
jure de  communier  à  l'ordinaire.  Je  vous  envoie  une 
lettre  pour  W^^  Bourdon.  Voyez  si  elle  convient.  Bon- 
soir. Dieu  sait  combien  je  vous  suis  dévoué. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  Gq  l 

402. 

Elargir  le  cœur  par  l'amour. 

A  Cambrai,  mercredi  3o  novembre  1707. 

Je  vous  envoie  ,  ma  chère  fille  ,  un  billet  pour 
M'i*^  Bourdon.  Je  crains  qu'après  avoir  été  d'abord 
courageuse  ,  elle  ne  relomlje  dans  le  découragement 
par  réflexion.  Si  mon  billet  vous  paraît  convenable  , 
ayez,  s'il  vous  plaît,  la  bonté  de  l'envoyer,  afin  qu'elle 
puisse  venir  communier  à  ma  messe  à  Notre-Dame 
après  la  grand'messe.  Laissez  Dieu  élargir  votre  cœur. 
On  n'élargit  rien  sans  efforts;  mais  l'élargissement,  qui 
fait  d'abord  du  mal ,  soulage  pour  les  suites.  Vous  ré- 
sistez à  la  main  de  Dieu  qui  vous  presse  pour  élar- 
gir votre  cœur  :  vous  le  tenez  resserré  malgré  lui  par 
des  délicatesses  d'amour-propre  ,  et  par  de  vaines 
craintes.   O  que   l'amour  élargit  !   Bonjour. 


403. 

Sur  les  inquiétudes  de  la  Comtesse  à  l'occasion  d'une  conversation 
qu'elle  avait  eue  avec  le  Prélat. 

A  Cambrai,  3  décembre   1707. 

J'ai  compris  ,  ma  très-cbère  fille  ,  que  je  vous  bles- 
sai hier  au  soir  jusqu'au  fond  du  cœur  ,  et  que  je  vous 
laissai  dans  une  extrême  peine.  Je  vous  en  demande 
pardon  ,  et  je  vous  le  demanderais  encore  avec  plus 
d'instance  ,  si  je  pouvais  comprendre  en  quoi  précisé- 
ment je  vous  ai  blessée.  Dieu  m'est  témoin  que,  dans  la 
conversation ,  dont  je  vous  ai  rendu  compte  si  naïve- 

29^ 


Gn2  LETTRES    SPIRITrELLES. 

ment ,  il  ne  fut  dit  aucun  mot  de  vous  ni  directement 
ni  indirectement  ;  qu  on  ne  m'y  parut  avoir  aucune 
peine  à  votre  égard  ,  mais  au  contraire  plein  conten- 
tement de  vos  secours  ;  et  que  je  vous  racontai  sim- 
plement ,  comme  une  pure  précaution ,  les  causes  de 
ma  retenue  ,  qui  roulaient  sur  le  public  et  sur  M^^ 
d'Oisy,  afin  que  M^^^  Je  Risbourg  ne  pût  jamais, 
en  aucun  cas  de  cbagrin  et  de  peine  ,  soupçonner 
que  rien  pût  être  sur  votre  compte.  Si  cette  précau- 
tion ,  prise  avec  tant  de  bonne  volonté  ,  et  expliquée 
avec  tant  de  candeur ,  vous  blesse ,  encore  vuie  fois  , 
je  vous  conjure  de  me  la  pardonner.  Au  nom  de 
Dieu ,  que  ma  faute  ne  vous  éloigne  point  de  ce 
que  Dieu  demande  de  vous  ,  et  de  ce  qui  peut  met- 
tre votre  cœur  en  paix.  Lui  seul  sait  à  quel  point 
je  suis  uni  à  vous  ,  et  sensible  à  toutes  vos  peines. 
Ecoutez-le ,  et  ne  tous  écoutez  point. 


l^^i^'^^A^^^^ 


404  *  R.  (223) 

Il  n'appartient  point  à  riiomme  de   changer  sa  voie  :  on  ne  diminue 
pas  ses  souffrances  en  rôsistajit  à  Dieu. 

A  Cambrai,  4  ilécembre  l'o^. 

Non  ,  en  vérité ,  ma  très-chère  fille  ,  je  r.'^  veux 
point  vous  tourmenter  -,  je  ne  veux  que  souffrir  en 
pensant  à  vos  souffrances.  Eh  !  qui  est-ce  qui  vou- 
drait plus  que  moi  soulager  votre  cœur,  et  le  mettre 
en  paix  ?  Jespère  seulement  que  Dieu  sera  plus  fort 
que  vous ,  et  qu'il  vaincra  vos  résistances  ;  j'espère 
que  sa  jalousie  prévaudra  sur  la  vôtre.  Autant  que 
la  vôtre  est  injuste  et  ingénieuse  pour  vous  accabler  , 


LETTRES    SPIRITUELLES.  GqS 

autant  la  sienne  est-elle  pure,  juste,  aimable,  et  pro- 
pre à  vous  rendre  la  paix. 

Vous  dites,  ma  chère  lille,  que  vous  allez  changer 
de  L-oie  :  mais  ne  savez- vous  pas  que  le  Saint-Esprit 
nous  enseiij;ne  que  la  voie  de  Vhomme  n'est  point  à 
lui  (ff)  ?  Il  ne  lui  appartient  point  de  choisir  sa  voie 
sur  ses  prétendues  convenances  ;  il  doit  suivre  celle 
que  l'attrait  de  grâce  lui  marque  ,  quoi  qu'il  lui  en 
coûte.  Mais  encore  êtes-vous  en  droit  de  changer 
votre  voie  ,  parce  qu'elle  ])lcsse  la  délicatesse  de  voire 
amour-propre  ?  Eli  !  on  ne  doit  suivre  une  voie  que 
pour  mourir  à  l'amour-propre  même.  La  voie  qui 
a\ance  le  plus  cette  mort  douloureuse  est  précisé- 
ment celle  que  nous  devrions  préférer  ,  s'il  nous  ap- 
partenait de  faire  aucun  choix. 

Vous  voulez  éviter  la  souffrance  ,  mais  on  ne  l'évite 
jamais  en  résistant  à  Dieu.  Au  contraire ,  c'est  en  lui 
résistant,  tantôt  plus  ^  tantôt  moins  ,  que  vous  souffrez 
tant.  Vous  vous  en  prenez  à  l'amour  de  Dieu  ,  de 
tout  ce  que  l'amour-propre  vous  fait  souffrir.  Un  ma- 
lade doit-il  s'en  prendre  au  remède ,  des  douleurs 
que  son  mal  lui  fait  souffrir  ?  Il  faut  bien  que  l'opé- 
lation  du  remède  l'expose  à  la  soulïrance  ;  mais  la 
souffrance  vient  de  la  maladie  que  le  remède  ne  peut 
déraciner  sans  quelque  violence.  D'ailleurs  c'est  votre 
amour-propre  que  vous  écoutez ,  et  qui  est  ingénieux 
pour  inventer  de  faux  sujets  de  peine.  Voulez-vous , 
connue  le  prophète  Jouas ,  fuir  devant  la  face  du 
Seigneur ,  pour  n'exécuter  pas  ses  ordres  ?  La  ba- 
leine vous  engloutira  plutôt  que  de  vous  laisser  échap- 

(a)  Jerem.  x.  23. 


6q4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

per  aux  volontés  de  Dieu.  J'espère  qu'il  ne  vous 
abandonnera  pas  aux  dépits  et  aux  désespoirs  de  votre 
amour-propre. 

Si  je  vous  ai  blessée,  c'a  été,  Dieu  le  sait,  contre 
mon  intention.  Pardonnez  mon  indiscrétion  en  faveur 
de  ma  bonne  volonté.  Voudriez-vous  être  inexorable , 
si  quelqu'un  vous  avait  fait  les  injures  les  plus  atroces  ? 
Je  suis  sûr  que  non.  Quoi  !  devez-vous  manquer  à 
Dieu  et  lui  résister^  parce  que  j'ai  fait  une  faute?  Je 
ne  veux  point  la  justifier;  j'en  laisse  l'examen  entre 
Dieu  et  vous ,  quand  vous  serez  tranquille  devant 
lui ,  et  que  vous  aurez  les  yeux  ouverts  pour  recon- 
naître la  tentation  de  votre  amour-propre  ,  qui  est 
évidente.  Pour  moi ,  je  ne  veux  qu'avoir  tort ,  qu'être 
confondu ,  et  que  me  corriger  ,  pour  votre  consolation. 
Je  ne  crains  ni  ma  confusion  ni  ma  peine  :  je  ne 
crains  que  votre  infidélité ,  et  votre  résistance  à  des 
grâces  infinies.  O  ma  cbère  fille  ,  abandonnez-vous  à 
Dieu  !  Vos  souffrances ,  loin  d'augmenter ,  diminue- 
ront. Dieu  en  réglera  la  mesure  sur  celle  des  forces 
qu'il  vous  donnera.  Défiez-vous  ,  non  de  sa  bonté , 
mais  de  votre  amour-propre. 

405  *  A.  (224) 

Ne  pas  augmenter  les  peines  intérieures  par  des  réflexions  inquiètes  et 
multipliées  sur  soi-même. 

A  Cambrai,  g  décembre  1707. 

Vous  voulez ,  ma  chère  fille ,  appliquer  le  remède 
à  l'endroit  où  le  mal  n'est  point.  Votre  mal  n'est  point 
dans  vos   sentimeus  \  il  n'est  que  dans  vos  réflexions 


LETTRES    SPIRITUELLES.  6()5 

volontaires.  Vos  senlimens  sont  vifs ,  injustes  ,  et  con- 
traires à  la  charité  ;  mais  la  volonté  n'y  a  aucune  part, 
et  par  consécpient  ils  ne  sont  point  des  péchés.  Ce 
([ui  montre  qu'ils  ne  sont  pas  volontaires ,  c'est  que 
la  volonté  ne  s'attache  que  trop  à  les  rejeter  d'une 
façon  positive  et  marquée;  c'est  que  vous  avez,  par 
délicatesse  d'amour-propre  ,  trop  horreur  de  ces  sen- 
timens  :  c'est  que  cette  horreur  va  jusqu'à  vous  trou- 
bler. Ainsi  vous  vous  en  prenez  à  ce  qui  n'est  que 
Tomljre  du  mal ,  et  c'est  le  remède  qui  devient  un 
mal  véritable.  Ce  premier  mal  ne  serait  qu'une  sim- 
ple douleur  ,  comme  celle  des  dents  ou  de  la  colique  : 
elle  n'aurait  rien  de  raisonné;  ce  serait  une  amer- 
tume ,  une  tristesse ,  une  plaie  douloureuse  au  tra- 
veis  du  cœur.  Mais  ce  qui  la  rend  insupportable , 
c'est  le  désespoir  de  l'amour-propre ,  que  vous  y  ajou- 
tez par  vos  réflexions.  Vous  ne  faites  que  deviner,  et 
deviner  faux  sur  les  autres ,  que  subtiliser  sur  vous 
pour  vous  tourmenter  pour  des  riens  :  ensuite  vous 
vous  faites ,  par  réflexion ,  un  second  tourment  du 
premier  tourment  déjà  passé. 

En  laissant  tout  tomber  ,  vous  contenteriez  Dieu 
tout  d'un  coup.  C'est  le  plus  grand  sacrifice  que  vous 
lui  puissiez  faire ,  que  celui  de  lui  abandonner  tout 
ce  tourbillon  de  vaines  pensées  ,  et  de  revenir  tout 
court  à  lui  seul.  Rien  n'expiera  tant  vos  prétendus 
péchés  d'amour- propre ,  que  le  simple  délaissement 
de  vous-même.  C'est  le  remède  spécifique  à  l'idolâ- 
trie de  soi  ,  que  le  délaissement  de  soi-même  :  tout 
autre  remède  aigrit  et  envenime  la  plaie  délicate  du 
cœur ,  à  force  de  la  retoucher.  C'est  un  dangereux  re- 
mède contre  l'amour-propre ,   que  de  faire  souvent 


6qG  lettres  spirituelles. 

Tanatomie  de  son  propre  cœur.  Enfin  vous  n'êtes 
point  docile ,  et  c'est  de  quoi  vous  devriez  faire  plus 
de  scrupule ,  que  de  vos  sentimens  involontaires , 
dont  je  me  charge  devant  Dieu.  Je  le  prie  de  vous 
l'amener  sans  détour  à  la  simplicité.  Vous  résistez  à 
Dieu  ;  vous  refusez  la  communion ,  que  vous  savez 
Lien  que  Dieu  demande  de  vQus  :  au  nom  de  Dieu , 
finissez  cette  résistance. 

Je  voudrais  vous  aller  voir;  mais  j'ai  aujourd'hui 
l'examen  de  tous  nos  séminaristes  pour  l'ordination , 
qui  ne  me  laissera  pas  cette  liberté.  J'oubliai  hier  au 
soir  cet  examen,  quand  je  dis  à  W^^  Bourdon  que  je 
la  verrais  aujourd'hui  chez  vous.  Ayez  la  bonté  de 
lui  faire  savoir  que  je  ne  le  pourrai  que  demain  au 
soir.  En  attendant ,  donnez-moi  de  vos  nouvelles  avec 
simplicité  ,  et  soulagez-moi  le  cœur  ,  ma  très-chère 
fille  ,  en  m'apprenant  que  vous  avez  rouvert  le  vôtre 
à  l'attrait  de  la  grâce. 

406. 

Ouvrir  son  cœur  avec  simplicité,  par  pure  fidélité  à  Tordre  de  Dieu. 

A  Cambrai,  2  janvier  ijoS. 

Je  vous  irai  voir  tantôt ,  ma  chère  fille  ,  et  je  serai 
ravi ,  si  vous  voulez  bien  me  dire  tout  sans  réserve. 
Le  péché  ne  se  trouve  jamais  à  ouvrir  simplement  son 
cœur ,  par  une  fidélité  de  pure  dépendance  à  l'ordre 
de  Dieu.  Il  n'y  a  qu'à  ne  rien  retenir  par  sagesse 
propre  ,  et  puis  se  laisser  juger ,  sans  juger  de  rien. 
Il  me  tarde  de  vous  voir  dans  la  simplicité  de  l'a- 
mour de  Dieu. 


Ï.E',TRES    SPIRITUELLES.  6i)n 


b  «•%%  t«iV«%%  /%^  «««J%%«'V»^'%%* 


407. 

Se  défier  de  ses  propres  réflexions. 

7  janvier  1708. 

0  que  j'ai  de  joie  ,  ma  clicre  fille ,  de  vous  savoir 
moins  iigilce  !  Fiez-vous  à  Dieu  ,  et  défiez-vous  de  vos 
réflexions.  Tournez  vos  scrupules  à,  n'hésiter  jamais 
pour  suivre  l'attrait  de  la  grâce.  La  souffrance  sera 
hieii  moindre ,  quand  vous  vous  y  livrerez  sans  rien 
mesurer.  Puisque  vous  me  défendez  de  vous  aller  voir 
ce  soir,  je  n'y  irai  pas,  parce  que  j'aurais  à  craindre 
quelque  embarras  ;  mais  rien  ne  me  retiendrait ,  si 
vous  aviez  besoin  de  moi.  Dieu  m'a  donné  à  vous ,  et 
j'y  suis  sans  réserve  de  tout  mon  cœur. 


%«'««^4«4^%\««^^%i%«««'%W%V%«<W»«««%«A'*«*«Vk 


(•-^44)  408  *  A. 

Les  Icutatioiis  et  les  senlimcns  involontaires  ne  doivent  point  empêcher 
la  communion. 

7  janvier  1707. 

La  tentation  et  le  sentiment  involontaire  ne  doi- 
vent jamais  empêcher  la  communion ,  ma  très-chère 
fille.  Quoi  !  parce  que  vous  avez  le  cœur  déchiré  par 
des  sentimens  injustes  que  vous  voudriez  n'avoir 
jioiiit ,  vous  vous  priverez  de  Jésus-Christ  ?  Eh  !  n'est- 
ce  ])as  dans  le  temps  de  l'épreuve  qu'on  doit  cher- 
cher son  secours?  n'est-ce  pas  dans  la  douleur  qu'on 
doit  recourir  à  la  vraie  consolation  ?  Vous  avouez  que 
vous  vous  êtes  écoutée ^  et  que  vous  y  avez  réfléchi;  de 
sorte  que  de  réflexions  en  réflexions  _,  vous  avez  mis  a 


698  LETTRES    SPIRITUELLES. 

bout  toute  confiance  en  Notre-Seigneur.  Vous  voyez 
le  fruit  de  vos  réflexions.  Voulez-vous  les  continuer, 
pour  vous  précipiter  dans  le  désespoir  ?  Les  réflexions 
vous  conduisent  au  précipice  :  la  fidélité  à  les  laisser 
tomber    est  votre   unique   ressource.    Qu'est-ce   que 

M pourra  vous  dire?  Vous  ôtera-t-il  la  jalousie 

du  cœur,  comme  on  ôte  une  épine  du  pied?  Vous 
rendra-t-il  patiente ,  pour  souffrir  sans  trouble  votre 
jalousie  ?  Vous  apprendra-t-il  à  distinguer  avec  sû- 
reté les  sentiraens  involontaires  de  jalousie ,  d'avec  la 
jalousie  volontaire  ?  Il  ne  peut  faire  aucune  de  ces 
choses.  Si  vous  le  voulez  ,  nous  lui  parlerons  vous  et 
moi ,  et  vous  verrez  qu'il  sera  dans  la  nécessité  de 
vous  dire  précisément  tout  ce  que  je  vous  dis.  Vous 
ne  vous  guérirez  point  en  vous  confessant ,  car  la  con- 
fession ne  vous  ôtera  point  la  jalousie  qui  vous  trou- 
ble j  elle  n'appaisera  ni  vos  douleurs  ni  vos  scrupules. 
Il  ne  vous  en  restera  qu'une  occupation  inquiète  de 
vous-même. 

Pour  M ,  je  voudrais  que  vous  ne  lui  fissiez 

point  tant  de  caresses  forcés  :  tout  cela  est  d'un  cou- 
rage trop  humain  ,  et  n'est  pas  de  la  simplicité  que 
Dieu  demande  de  vous  en  tout.  0  si  vous  n'agissiez 
avec  elle  que  par  grâce,  et  sans  y  mêler  votre  in- 
dustrie ,  vous  lui  seriez  utile ,  vous  la  redresseriez , 
vous  lui  feriez  de  grands  biens,  sans  souffrir  les  maux 
que  vous  souffrez  !  Je  crois  que  votre  souffrance  est 
extrême-,  mais  ce  que  vous  vous  faites  souffrir  par  ré- 
flexion est  infiniment  plus  rude  ,  que  ce  quj  Dieu 
vous  fait  souffrir.  Toute  douleur  soufferte  simplement 
dans  la  paix  de  Dieu ,  quelque  grande  qu'elle  soit  en 
elle-même,  porte  sa  consolation.  Il  n'y  a  que  le  trouble 


LETTRES    SPIRITUELLES.  Gi^ij 

de  la  volonté  qui  résiste  à  Dieu  sous  de  l>eaux  pré- 
textes ,  qui  puisse  causer  vos  extrémités  de  désespoir. 
Revenez  peu  à  peu  à  vous  taire  et  à  écouter  Dieu. 
Ce  chemin ,  qui  vous  paraît  le  plus  long ,  est  le  plus 
court. 

J'ai  pris  ce  matin  de  la  rhubarbe  :  je  ne  l'aurais 
pas  fait ,  si  j'eusse  su  la  peine  où  vous  êtes  ;  j'aurais 
voulu  demeurer  en  liberté  de  vous  aller  voir.  Je  tâ- 
cherai d'y  aller  vers  la  lin  de  la  journée.  L'entretien 
dliier  ne  m'a  point  incommodé.  Je  prie  Dieu  de  vous 
convaincre  de  la  manière  dont  je  vous  suis  tout  dé- 
voué en  lui. 


('38)  409  *  A. 

Ne  point  prendre  de  résolutions  dans  un  état  de  trouble. 

la  janvier  1708. 

Je  ne  savais  plus  que  dire  hier  au  soir ,  ma  chère 
fille.  L'excès  de  votre  peine  était  comme  un  torrent 
([u'il  faut  laisser  écouler.  Nulle  parole  ne  faisait  im- 
pression sur  vous ,  et  vous  pensiez  voir  ,  avec  la  der- 
nière évidence  ,  les  choses  les  moins  réelles  :  mais 
c'est  l'effet  ordinaire  des  grandes  peines.  Dieu  permet 
que  nonobstant  tout  votre  bon  esprit ,  et  votre  dé- 
licatesse pour  sentir  jusqu'aux  moindres  égards  qu'on 
a  pour  vous ,  vous  n'apercevez  pas  ce  qui  saute  aux 
yeux ,  et  vous  croyez  voir  clairement  ce  qui  n'est 
point.  Dieu  tirera  sa  gloire  de  tout  dans  votre  cœur, 
pourvu  que  vous  soyez  fidèle  à  vous  délaisser  dans 
ses  mains.  Mais  rien  ne  serait  plus  inexcusable  que 
de  prendre  des  résolutions  dans  un  état  de  trouble , 


^OO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

qui   porte  manifestement  avec  soi  l'impuissance  de 
rien  faire  selon  Dieu. 

Quand  vous  serez  calmée ,  faites  en  esprit  de  re- 
cueillement ce  que  vous  croirez  le  plus  conforme  aux 
intentions  de  Dieu  sur  vous.  Remettez-vous  peu  à 
peu  à  l'oraison  ,  à  la  simplicité  ,  à  l'oubli  de  vous- 
même.  Allez  communier  ;  écoutez  Dieu  sans  vous  écou- 
ter :  alors  faites  tout  ce  que  vous  aurez  au  cœur; 
je  ne  crains  pas  qu'un  tel  esprit  vous  laisse  prendre 
aucun  mauvais  parti.  Mais  vouloir  se  croire  soi-même  , 
quand  on  est  dans  le  dernier  excès  de  la  peine ,  et 
quand  on  s'est  livré  à  une  tentation  violente  d'amour- 
propre  ,  c'est  vouloir  s'égarer.  Demandez-le  à  tel  con- 
fesseur droit  et  sensé  qu'il  vous  plaira  de  choisir  ;  il 
vous  dira  qu'il  ne  vous  est  permis  de  penser  à  un 
changement ,  qu'après  que  vous  serez  rentrée  dans 
la  tranquillité  et  le  recueillement.  Il  vous  dira  que 
c'est  vouloir  se  tromper  soi-même ,  que  de  ne  se  dé- 
fier pas  de  soi  dans  un  état  de  jalousie  si  injuste  et 
si  irritée. 

Vous  me  répondrez  que  je  veux  empêcher  votre 
changement ,  en  vous  empêchant  de  le  faire  dans  le 
seul  temps  où  vous  êtes  capable  de  Texécuter.  Non, 
Dieu  le  sait  -,  je  ne  songe  ni  à  le  permettre  ni  à  l'em- 
pêcher :  je  ne  songe  qu'à  faire  en  sorte  que  vous  ne 
manquiez  pas  à  Dieu.  Or  il  est  plus  clair  que  le  jour 
que  vous  lui  manqueriez ,  si  vous  preniez  conseil 
d'un  amour-propre  piqué  au  vif,  et  d'un  dépit  poussé 
au  désespoir.  Voulez-vous  changer  pour  contenter 
votre  amour-propre ,  quand  même  Dieu  ne  le  vou- 
drait pas?  A  Dieu  ne  plaise  !  Attendez  donc  que  vous 
soyez  en  état  de  le  consulter.  Pour  mériter  ses  lu- 


LETTRES   SPIRITUELLES.  7OI 

luitMCS  ,  il  faut  être  également  prêt  à  tout ,  et  ne  tenir 
à  rien  qu'on  ne  soit  disposé  à  lui  sacrilier.  0  si  je 
pouvais  vous  ouvrir  les  yeux ,  que  ne  verriez-vous 
pas  de  mon  zèle  et  de  mon  atlacliement  pour  vous. 
J'espère  que  Dieu  vous  dira  tout ,  si  vous  Técoutez. 

410. 

Ouvrir  son  cœur  avec  simplicité. 

i3  janvier  1708. 

Lors  même  que  l'excès  de  la  peine  vous  fait  par- 
ler ,  ma  très-clière  iille  ,  vous  ne  dites  rien  d'oflbn- 
sant  ni  dans  le  fond  ni  dans  les  termes.  On  voit  seu- 
lement une  douleur  profonde  avec  une  vivacité  de 
sentiment.  Ainsi  vous  ne  devez  avoir  aucun  scrupule 
de  tout  ce  que  vous  dites.  Il  est  vrai  seulement  que 
vous  vous  trompez  sur  les  personnes  dont  il  s'agit  ; 
mais  "S  ous  vous  trompez  de  bonne  foi ,  croyant  voir 
les  préiérences  (|ue  vous  ne  voyez  point,  parce  quelles 
ne  sont  pas  véritables.  Encore  une  fois,  n'ayez  aucun 
scrupule  de  ce  que  vous  dites.  Vous  devriez  en  avoir , 
si  vous  ne  le  disiez  pas  ;  car  la  simplicité  demande 
que    vous  ne   réserviez   rien    par   sagesse    d'amour- 
propre-  D'ailleurs ,  il  n'y  a  aucun  liomme  à  qui  vous 
puissiez  dire  toutes  ces  cboses  plus  librement  que  moi. 
Je  le  sais  toutes  par  cœur  ;  j'entends   tout  à    demi 
mot  ',  j'ai  la  clef  de  votre  cœur.  Vous  pouvez  remar- 
quer que  ce  que  vous  me  dites  ne  m'aliène  nullement 
de  vous,  ne  me  cause  aucune  impatience,  et  ne  fuit 
que  redoubler  ma  sensibilité  pour  vos  peines.  Je  vous 
])roteste  seulement ,  que  les  cboses  ne  sont  pas  comme 


n02  LETTRES    SPIRITUELLES. 

votre  amour -propre  vous  les  représente.  Ainsi  vous 
ne  sauriez  jamais  trouver  aucun  homme  sans  excep- 
tion ,  qui  soit  plus  en  état ,  en  toute  manière ,  de 
vous  écouter  et  de  vous  soulager  le  cœur.  Un  autre, 
quelque  bon  et  discret  qu'il  puisse  être  ,  nourrira  vos 
scrupules ,  et  ne  vous  passera  point  ce  que  je  vous 
passe  contre  moi.  Je  sais  la  juste  valeur  de  ces  choses, 
où  votre  imagination  et  votre  douleur  vous  entraînent 
involontairement.  Un  autre  ne  saurait  en  juger  comme 
moi ,  et  troublera  tout  le  fond  de  votre  intérieur ,  par 
une  exactitude  et  une  fermeté  à  contre-temps. 

De  plus ,  il  n'est  point  question  de  toutes  ces  cho- 
ses ;  il  ne  s'agit  que  de  ce  que  Dieu  demande  de  vous , 
pour  le  faire  ,  quoi  qu'il  vous  en  coûte.  (  Et  il  vous  en 
coûterait  toujours  moins  ,  si  vous  alliez  d'abord  tout 
droit  à  donner  tout  à  Dieu  ,  sans  vous  écouter  ni 
marchander.  )  Vous  ne  sauriez  nier  ,  quand  vous  serez 
paisible ,  et  que  vous  n'écouterez  point  la  fureiu^  de 
votre  jalousie ,  que  Dieu  vous  a  unie  à  moi ,  et  que 
vous  me  trouvez  en  lui  sans  distinction ,  dès  que 
vous  revenez  à  votre  oraison.  Pourquoi  donc  voulez- 
vous  quitter  celui  que  Dieu  vous  donne  ,  qui  vous  en- 
tend mieux  qu'aucun  autre ,  et  qui  n'a  alicune  peine 
de  ce  que  vous  lui  dites  ?  Si  j'étais  dans  les  disposi- 
tions que  vous  vous  imaginez ,  je  vous  laisserais  faire 
ce  pas ,  après  avoir  sauvé  toutes  les  apparences.  Au 
contraire  ,  je  vous  conjure  ,  ma  chère  fille  ,  de  reve- 
nir au  recueillement,  de  communier  sans  scrupule, 
et  de  rentrer  avec  petitesse  et  sans  résistance  à  Dieu 
dans  l'union  qu^il  veut. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  'jo'i 


411. 

Surmont<;r  en  esprit  d'abandon  les  peines  intéiicurc*  qui  éloignent  de 
la  comniiinion. 

ag  janvier  1708. 

Dieu  m'est  témoin  ,  ma  chère  fille  ,  de  la  peine  que 
je  ressens  en  voyant  la  vôtre  ,  quoique  je  n'en  puisse 
point  pénétrer  la  cause.  Je  prie  Notre-Seigneur  de 
vous  faire  parler  malgré  vous.  Cependant  je  vous 
conjure  de  lui  sacrifier  votre  douleur  avec  abandon, 
et  de  communier.  Si  je  vous  ai  manqué ,  sans  le  sa- 
voir et  sans  le  vouloir,  Dieu  n'en  doit  pas  souffrir. 
N'espérez  pas  de  vous  soulager  en  vous  éloignant 
de  lui  sous  de  beaux  prétextes ,  que  Famour-propre 
cliercbe  dans  son  désespoir.  0  que  j'aurai  de  joie ,  si 
je  vous  vois  communier  aujourd'liui  de  ma  main  , 
aux  pieds  de  la  Sainte-Vierge  ! 

J'espère  que  Fonction  de  saint  François  de  Sales 
découlera  de  son  cœur  dans  le  vôtre ,  pour  Fadoucir 
et  pour  le  calmer.  Si  vous  vous  tournez  vers  lui ,  il 
vous  obtiendra  la  paix.  Je  vous  demande  ,  par  tout  ce 
que  vous  avez  jamais  goûté  dans  ses  écrits^  de  suivre 
ses  conseils  contre  les  dépits  de  votre  amour-propre , 
et  de  venir  le  jour  de  sa  fête  vous  unir  de  cœur  avec 
moi.  Je  voudrais  être  mort  à  moi-même ,  et  qu'il 
n'y  eût  plus  en  moi  que  ce  bon  Saint,  pour  vous  par- 
ler ,  pour  vous  conduire,  et  pour  vous  aider  à  mou- 
rir sans  réserve. 


7o4 


LETTRES    SPIRITUELLES. 


412; 
Point  de  paix  en  résistant  à  l'attrait  divin. 

A  Cambrai,  3o  janvier  ijoS. 

Èn  vérité  ,  ma  chère  fille  ,  je  ne  saurais  croire  que 
Dieu  permette  que  tous  vous  éloigniez  de  moi  pour 
des  peines  qui  n'ont  point  d'autre  source  qu'un  amour- 
propre  jaloux  ,.et  qui  se  livre  à  son  imagination.  D'un 
côté  5  c'est  l'attrait  de  la  grâce  ;  vous  en  convenez  : 
Dieu  vous  poursuit  sans  relâche.  D'un  autre  côté , 
c'est  la  tentation  grossière  de  l'amour-propre  déses- 
péré. Espérez-vous  de  trouver  la  paix  en  résistant  à 
Dieu  pour  flatter  cet  amour-propre  bizarre  et  tyran- 
nique  ?  Tout  le  mal  vient  de  lui  seul.  Trouverez-vous 
votre  guérison  en  vous  abandonnant  au  mal  même? 
D'autres  ne  pourront  pas  même  vous  entendre.  Vous 
leur  ferez  ,  dans  vos  soupçons  jaloux  ,  des  peintures 
fausses  de  ce  qui  se  passe  au  dehors  ;  vous  leur  ferez , 
dans  vos  scrupules  ,  des  relations  fausses  contre  vous- 
même  de  ce  qui  se  passe  au  dedans.  Ils  ne  pourront 
vous  donner  que  des  conseils  disproportionnés  et  à 
vos  soupçons ,  et  à  vos  scrupules ,  et  aux  voies  par 
où  Dieu  vous  mène  j  car  ils  ne  les  connaissent  pas.  Si 
je  pensais  comme  vous  vous  l'imaginez  ,  après  avoir 
satisfait  aux  règles  du  ministère  et  à  la  bienséance, 
je  vous  laisserais  enfin  doucement  prendre  ce  parti. 
Tout  au  contraire  ,  j'insiste  sans  relâche  pour  vous 
ramener.  Est-il  possible  que  vous  ayez  cent  yeux 
ouverts  pour  voir  ce  qui  n'est  ni  vrai  ni  apparent ,  et 
que  vous  ayez  les  yeux  fermés  pour  ne  voir  pas  ce 


LETTRES    SPIRITUELLES.  TO:) 

(|iii  est  manifeste  ?  Dieu  permet  que  votre  boti  esixit 
ne  sert  qu'à  vous  rendre  subtile  pour  vous  tromper. 
Faites  taire  votre  imagination  excitée  par  votre  amour- 
propre  ,  et  revenez  à  écouter  Dieu  dans  le  recueille- 
ment. C'est  là  que  Dieu  vous  attend  :  c'est  ce  que  vous 
fuyez.  Voilà  la  seule  infidélité  qui  devrait  vous  causer 
du  scrupule.  Revenez ,  revenez  dans  le  sein  de  Dieu. 


VVWWVVfr^V  »%%  *>VVVfc%  v%%  %w  %%%  v%v 


413. 

Exhortation  à  la  pauvreté  d'esprit. 

3i  janvier  1708. 

Jugez-vous  vous-même,  ma  chère  fille.  D'un  côté , 
vous  dites  :  Tout  est  faux  presque  ,  quand  on  hésiia 
j)our  se  donner  le  loisir  de  se  consulter  ^  et  encore  : 
Dieu  n'est  content ,  qu'autant  que  je  suis  sotte  et 
pauvre  d'esprit.  D'un  autre  côté,  vous  dites  que  vous 
ne  voulez  point  me  voir,  que  vous  7i'ayez  soutenu  une 
épreuve  en  personne  raisoiuiuhle.  \ouloir  trouver  en 
vous  cette  force  et  cet  appui  de  raison  au  milieu  de 
l'épreuve ,  est-ce  consentir  à  la  pauvreté  d'esprit  ? 
est-ce  vouloir  contenter  Dieu  ?  Vous  avez  donc  grande 
raison  de  dire  :  Je  craifis  que  cette  lettre  ne  soit 
point  du  goût  de  Dieu.  En  eflét,  elle  n'en  est  point. 
Rien  n'est  plus  opposé  à  Dieu^  que  de  ne  vouloir  pas 
être  pauvre  d'esprit  pour  le  contenter  ,  et  de  vouloir 
être  riche  d^esprit  et  de  courage ,  de  sorte  qu'on  ait 
soutenu  une  épreuve  en  personne  raisonnable.  Ce 
vain  projet  de  l'amour-propre ,  qui  ne  veut  revenir 
à  Dieu  qu'après  qu'il  aura  trouvé  sa  force  et  sa  res- 
source en  soi ,  mérite  d'être  confondu  par  les  chutes 

CORRLSP.    IV.  3o 


noG  LETTRES    SPIRITUELLES. 

les  plus  honteuses.  Revenez  donc ,  ma  chère  fille  , 
avec  une  véritable  pauvreté  d'esprit.  N'hésitez  point; 
ne  vous  donnez  point  le  loisi?'  de  vous  consulter. 
Venez  tantôt  me  voir  céans ,  ou  bien  j'irai  chez  vous 
dans  votre  appartement  d'en  haut.  Il  faut  sans  doute 
que  vous  demeuriez  ici  ;  mais  que  vous  y  demeuriez 
simple  ,  petite ,  docile ,  sans  réflexion ,  sans  hésita- 
tion ,  voulant  être  sotte  et  pauvre  d^ esprit.  C'est  tout 
ce  que  Dieu  veut  de  nous.  0  qu'il  est  riche ,  quand 
nous  sommes  pauvres  !  ô  qu'il  est  sage ,  quand  nous 
sommes  sots  ,  et  que  nous  voulons  l'être  pour  lui  ! 
Soyez  girouette.  Malheur  aux  sages  qui  se  possèdent 
avec  égalité  !  Venez ,   ou  j'irai  vous  poursuivre. 

414  *  A.  (i36) 

Souffrir  les  peines  intérieures  avec  patience  et  humilité. 
A  Cambrai,  lo  février  1708. 

On  ne  peut  être  plus  en  peine  que  je  le  suis ,  ma 
chère  fille ,  de  l'état  où  je  vous  ai  laissée.  Vos  dou- 
leurs sont  involontaires  ,  et  elles  se  tourneront  en  mé- 
rite dès  que  vous  les  souffrirez  avec  patience  et  hu- 
milité. Vous  feriez  de  vos  souffrances  agréables  à  Dieu 
une  infidélité  dangereuse ,  si  vous  les  écoutiez  trop. 
Ce  n'est  rien  que  d'avoir  le  sentiment  des  passions 
les  plus  injustes  ,  pourvu  qu'on  n'en  ait  pas  la  vo- 
lonté. Ne  vous  troublez  donc  point.  Ce  qui  vous  a 
blessée  ne  devrait  en  soi  vous  faire  aucune  peine , 
car  il  s'est  passé  d'une  façon  à  ne  pouvoir  pas  même 
blesser  votre  délicatesse.  Mais  Dieu  permet  que  votre 
imagination  vous  grossisse  les  objets  ,  pour  vous  faire 


LETTRES    SPIRITUELLES.  707 

soufl'rir  ,  et  pour  vous  liumilicr.  Entrez  dans  ses  des- 
seins crucifians  :  laissez-vous  attacher  à  la  croix  que 
Dieu  vous  présente  •,  mais  n'y  en  ajoutez  aucune  de 
voire  invention.  C'est  dans  les  commencemens  de  la 
tentation  qu'il  faut  en  arrêter  les  progrès  par  une 
fidélité  toute  simple.  Mon  Dieu  ,  que  je  crains  pour 
vous  cette  nuit ,  et  les  agitations  de  votre  cœur.    Si 

N a  quelque   tort  vers  vous  de   ne   vous    avoir 

pas  avertie ,  contentez-vous  de  lui  pardonner  devant 
Dieu  ,  et  tachez  de  vous  remettre  dans  la  paix  du 
cœur.  0  que  je  ^oudi•ais  que  vous  eussiez  le  cou- 
rage de  venir  demain  à  ma  messe!  je  la  dirais  à  l'heure 
qui  vous  serait  la  plus  commode.  Je  prie  le  Dieu  de 
paix ,  d'amour  et  de  bonté ,  de  calmer  votre  cœur^. 
Amen ,  amen. 


(13;)  415  *  R. 

Mèiue  sujet. 

A  Cambrai,  11  février   1^08. 

Il  me  tarde  ,  ma  chère  fille ,  de  vous  aller  voir. 
En  attendant ,  je  vous  conjure  d'écouter  Dieu  dans 
un  vrai  silence  intérieur.  La  tentation  ,  quelque  hu- 
miliante qu'elle  paraisse  ,  se  tourne  à  profit ,  quand 
on  la  souffre  en  paix ,  sans  y  consentir  :  c^est  l'hu- 
miliation même  qui  en  est  le  vrai  profit.  Ce  qui  fait 
horreur  à  l'amour-propre  est  précisément  de  quoi 
nous  avons  besoin.  Vous  fîtes  très-bien  hier  de  me 
dire  votre  peine.  Il  n'y  a  aucun  sentiment  injuste 
dont  je  sois  en  peine  ,  quand  on  le  découvre  avec 
simplicité ,  et  qu'on  n'y  adhère   pas  volontairement. 

3o* 


708  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Au  nom  de  Dieu,  communiez.  Sacrifiez  votre  peine; 
à  celui  qui  ne  la  permet  qu'afin  que  vous  lui  en, 
fassiez  le  sacrifice.  Cherchez  en  Jésus-Christ  la  paix 
que  vous  ne  trouvei*ez  jamais  en  vous-même.  Dieu 
sait  avec  quelle  sincérité  et  de  quel  coeur  il  me  fait 
être  à  jamais  tout  à  vous. 

416   *  R.  (13;) 

S'abstenir  des  réflexions  inquiètes  sur  soi-même. 

A  Cambrai ,  i4  février  1708. 

En  sortant  de  chez  vous  ,  ma  chère  fille  ,  je  ne  vous 
ai  point  quittée.  Je  suis  demeuré  devant  Dieu  avec 
vous  ;  j'espère  qu'il  calmera  votre  cœur.  Je  ne  veux 
vous  ôter  ni  le  sentiment  vif  et  douloureux  ,  ni  même 
les  réflexions  involontaires  qui  vous  tourmentent.  Je 
voudrais  seulement  que  vous  n'y  ajoutassiez  pas  des 
réflexions  délibérées.  Vous  vous  écoutez  à  plusieurs 
reprises  :  j'ai  remarqué  qu'après  un  peu  de  relâclie 
vous  reprenez  vos  réflexions.  Voilà  la  vraie  source 
tle  vos  plus  grandes  peines.  D'ailleurs  vous  dites  que 
vous  ne  sauriez  vous  empêcher  d'écouter  vos  raisons, 
parce  qu'elles  vous  paraissent  claires  ;  mais  prenez 
garde  que  toutes  les  personnes  soupçonneuses  et  in- 
dociles en  disent  autant.  Il  faut  se  faire  taire,  non 
par  effort ,  mais  par  simple  et  paisible  volonté  de 
laisser  faire  Dieu  ,  et  par  pur  abandon  à  sa  grâce.  Un 
rien  vous  dure  des  heures  et  des  jours ,  parce  que 
vous  attisez  le  feu  ,  comme  vous  ii^ritez  la  fluxion  de 
votre  nez  à  force  de  le  toucher.  Par  là  un  rien  s'en- 
venime dans  vetre  cœur.  Je  vous  demande  pardon  , 


LETTRES    SPIRITUELLES.  709 

si  je  VOUS  ai  manqué  ;  mais  j'élais  à  une  dislance  in- 
linie  de  le  >ouloir.  Rien  au  monde  ne  vous  est  uni 
au  point  que  je  le  suis  pour  porter  avec  vous  toutes 
vos  croix  ;  mais  ne  vous  en  faites  point  au-delà  de 
celles  que  la  main  de  Dieu  vous  fait  elle-même.  Vous 
sentez  ce  qu'il  veut  :  ne  voyez  et  n'écoutez  f[ue  cela; 
tout  le  reste  est  tentation.  Obéissez  sans  consulter  ni 
votre  raison  ni  vos  forces.  Dieu  fera  tout ,  si  vous  le 
laissez  faire  :  je  ne  cesse  point  de  le  prier  de  vous 
soutenir. 


417, 

yc  point  prendre  de  résolutions  pendant  le  (rouble.  La  paix  ne  s'obtient 
qu  en  combattant  l'amour-proprc. 

A  Cambrai  ,  i6  mars  1^08. 

Je  vous  conjure,  au  nom  de  Notre-Seigneur ,  et  par 
toutes  les  grâces  qu'il  vous  a  faites,  de  ne  prendre 
aucun  parti  dans  votre  trouble  ,  et  d'attendre  pendant 
quelques  jours  la  réponse  à  la  consultation  que  j'ai 
faite  pour  vous.  Après  ce  temps ,  vous  serez  libre 
d'aller  où  vous  croirez  que  Dieu  vous  appellera  ,  s'il 
est  vrai  qu'il  ne  vous  veuille  plus  à  Cambrai.  Mais  si 
vous  aviez  pris  de  certains  engagemens  ,  vous  auriez 
de  la  peine  à  reculer.  Retarder  un  départ  n'est  rien  : 
le  retardement  laisse  une  pleine  liberté  de  partir  dès 
qu'on  le  voudra  ;  mais  le  départ  est  un  engagement 
qui  tire  à  conséquence.  Pour  moi ,  je  ne  veux  ,  ce 
me  semble ,  que  la  volonté  de  Dieu  sur  vous ,  quoi- 
qu'il me  donne  une  union  avec  vous ,  et  une  vivacité 
pour  tout  ce  qui  vous  touche ,  que  vous  ne  croyez 


niO  LETTRES    SPIRITUELLES. 

point.  Je  ne  vous  demande  que  peu  de  jours.  C'est 
Dieu  ,  plutôt  que  moi,  qui  vous  les  demande.  Espérez- 
vous  la  paix  en  prenant  un  parti  de  désespoir,  dans 
un  trouble  visible ^  où,  loin  d'écouter  Dieu  en  silence, 
vous  n'écoutez  que  votre  passion  ?  C'est  une  fureur 
d'amour-propre  qui  vous  transporte.  Ne  porterez- 
vous  pas  au  bout  du  monde  cet  amour-propre  forcené? 
Prétendez-vous  l'appaiser  en  lui  obéissant?  Croyez- 
vous  que  l'absence  de  certains  objets  ôtera  à  cet 
amour-propre  ,  si  ingénieux  pour  vous  tourmenter , 
des  prétextes  pour  vous  troubler  encore  ?  Votre  ima- 
gination vive  ne  vous  rendra-t-elle  pas  présent  ce 
que  vous  aurez  quitté  ?  L'éloignement  gi"ossira  le  fan- 
tôme ,  et  vous  privera  du  remède  que  le  détail  vu  de 
près  fournit,  quand  on  écoute  Dieu.  L'absence  ajou- 
tera le  remords  et  le  désespoir  à  toutes  vos  peines. 
Pourquoi  ne  consenterais-je  pas  à  votre  départ  ,  si 
je  croyais  que  Dieu  le  voulût ,  ou  si  j'étais  tel  que 
vous  voulez  le  croire  ?  Je  vais  me  mettre  devant  Dieu  , 
pour  lui  demander  avec  humiliation  et  amertume 
quil  A'ous  retienne  ,  et  qu'il  fasse  ce  que  je  ne  sais 
pas  faire.  C'est  son  ouvrage  ;  je  ne  suis  qu'un  vil 
et  indigne  instrument.  Je  crains  même  que  mes 
infidélités  ne  vous  nuisent.  Mais  vous  verrez  un 
jour  à  la  pure  lumière  de  Dieu  ,  combien  je  cher- 
che à  mettre  votre  cœur  eu  paix ,  et  à  le  faire  en- 
trer dans  celui  de  Dieu  ,  à  qui  vous  résistez.  J'irai 
vous  voir  demain  de  bonne  heure.  Laissez  faire  l'es- 
prit consolateur. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  -J  1  I 


418. 

Ne  point  s'écouler  soi-mômc  ,  t^coufer  Dieu  en  silence. 
A  Cambrai ,   i5   avril  ijo8. 

J'apprends,  ma  chère  fille,  que  votre  cœur  est  dans 
la  peine  :  j'en  souffre  une  véritable ,  de  vous  savoir  en 
cet  état.  C'est  le  bon  Leschelle  qui  a  fait  ce  qui  cause 
votre  agitation.  Il  m'en  dit  un  mot.  Je  lui  répondis 
que  ,  si  vous  sentiez  que  l'esprit  de  grâce  demandât  de 
vous  cette  ouverture  ,  il  ne  faudrait  pas  lui  résister. 
Nous  comptâmes  que  je  vous  verrais  ,  et  que  vous 
m'expliqueriez  vous-même  votre  disposition ,  avant 
qu'il  fût  question  de  rien.  J'appris  hier  tout  à  coup 
que  vous  aviez  tout  dit.  Comme  je  suis  persuadé  que 
vous  l'avez  fait  avec  simplicité ,  pour  céder  à  l'esprit  de 
Dieu  ,  vous  ne  sauriez  jamais  vous  trouver  mal  d'une 
si  bonne  action  :  il  n'y  aurait  que  les  réflexions  de 
Tamour-propre  qui  pourraient  la  gâter.  Demeurez 
dans  la  situation  d'oubli  de  vous-même ,  où.  vous 
étiez  quand  ^ous  avez  parlé  ,  et  vous  vous  retrouverez 
dans  la  paix  où  vous  étiez  en  parlant. 

Je  ne  compris  point  hier  qu'il  fût  pressé  de  vous 
aller  voir;  je  crus  que  vous  étiez  tranquille ,  puisque 
vous  aviez  si  bien  parlé  ,  et  avec  tant  de  dégagement 
de  vous-même.  De  plus ,  j'avais  un  besoin  très-pres- 
sant de  voir  M™« ,  faute  de  quoi  elle  n'aurait  pas 

pu  faire  aujourd'hui  ses  pâques.  Il  fallut  me  pres- 
ser de  revenir  ici ,  où  j'étais  surchargé  d'affaires. 
Je  ne  manquerai  pas  de  vous  aller  voir  aujourd'hui 
après  vêpres.  En  attendant ,  je  vous  conjure  d'écou- 
ter le  bon  Leschelle ,  qui  vous  dira  avec  zèle  d'ex- 


rj  I  2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

cellentes  vérités  pour  appaiser  votre  cœur.  Laissez- 
vous  à  Dieu.  Le  grand  malheur  est  de  se  reprendre  : 
on  perd  le  fruit  du  délaissement  qu^on  a  fait.  Ne 
vous  écoutez  point  ;  écoutez  Dieu  en  silence. 


419. 

Contre  les  troubles  et  les  délicatesses  de  ramour-propre. 
A  Cambrai,   i6  avril  1708. 

Puisque  vous  voulez  faire  des  réflexions ,  ma  chère 
fille  ,  au  moins  souffrez  que  je  vous  en  propose  quel- 
ques-unes. 

Vous  regrettez  d'avoir  fait  ce  que  vous  croyez  que 
î'esprit  de  grâce  vous  a  fait  faire. 

Vous  vous  êtes  percée  de  clous  pour  vous  attacher 
à  la  croix  ;  puis  vous  faites  des  eflbrts  pour  vous  en 
détacher  :  mais  vos  efforts  n'aboutissent  qu'à  déchi- 
rer vos  plaies  ,  et  vous  vous  faites  plus  de  mal  que 
le  crucifiement  ne  vous  en  a  fait. 

Si  vous  étiez  demeurée  dans  la  petitesse  avec  M^^^ . . . , 
cette  petitesse  vous  aurait  donné  grâce  et  autorité 
pour  elle. 

Vous  ne  pouvez ,  dites-vous  ,  n'écouter  pas  votre 
jalousie  ;  mais  vous  savez  bien  n'écouter  pas  l'amour 
de  Dieu ,  et  résister  à  la  grâce  qui  vous  invite  à  re- 
venir humblement. 

Vous  êtes  forcenée  d'amour-propre ,  et  c'est  dans 
cette  tentation  de  désespoir  ,  que  vous  voulez  prendre 
un  parti. 

Vous  voulez  quitter  tout  pour  aller  soulager  votre 
amour-propre ,  et  échapper  à  la  main  crucifiante  de 


LETTRES    SPIRITUELLES.  "J  I  3 

Dieu ,  comme  saint  Paul  et  saint  Antoine  ont  quitté 
tout  pour  aller  crucilier  l'amour-propre  au  désert  , 
et  y  mourir   sans  relâche. 

Vous  croyez  appaiser  l'amour-propre  jaloux  ,  en 
vous  dérobant  à  Dieu,  et  en  irritant  sa  jalousie. 

Vous  voulez  faire  la  loi  à  Dieu  sur  le  genre  de 
mort  dont  il  vous  plaira  de  nioimr,  et  à  condition 
i[ue  l'amour-propre  évite   l'humiliation. 

Vous  ne  voyez  pas  que  vous  porterez  partout  votre 
imagination  ,  qui  vous  rendra  présent  tout  ce  que 
vous  aurez  fui ,  qui  vous  le  grossira ,  et  qui  y  ajou- 
tera le  remords  d'avoir  manqué  à  Dieu. 

Il  ne  s'agit  ni  de ni  de Il  ne  s'agit  que 

de  votre  cœur  empoisonné  d'un  amour-propre  de 
démon ,  et  de  Dieu  qui  vous  poursuivra  jusqu'au 
bout  du  monde  y  pour  vous  faire  sentir  l'infection  de 
votre  cœur ,  et  pour  faire  du  venin  même  le  contre- 
poison. 

Si  j'étais  las  de  prendre  soin  de  vous ,  qu'est-ce  qui 
m'empêcherait  de  vous  laisser  partir  pour  me  débar- 
rasser? N'ai-je  pas  rempli  toutes  les  bienséances?  n'ai-je 
pas  épuisé  tous  les  moyens  de  vous  retenir  ?  ne  pour- 
rais-je  pas  me  rendre  le  témoignage  d'avoir  fait  pres- 
que l'impossible  pour  vous  contenter  ? 

Vous  êtes  scrupuleuse  sur  des  riens ,  et  vous  ne 
faites  aucun  scrupule  sur  une  foule  de  jugemens  té- 
méraires et  chimériques  ,  sur  une  indocilité  obstinée  , 
sur  des  délicatesses  inouies  d'amour-propre. 

Vous  supposez  sans  scrupule  en  autrui  des  senti- 
mens  et  des  motifs  opposés  à  la  grâce  ,  pour  pouvoir 
croire  toutes  les  chimères   de  votre  jalousie. 

Il  faut  changer  de  cœur  ,  et  avoir  un  vrai  mépris 


7  I  4  LETTRES    SPIRITUELLES. 

de  celui  que  vous  avez  cru  si  bon,  eu  quelque  en- 
droit du  monde  que  vous  pviissiez  fuir.  Ce  n'est  point 
guérir  un  abcès  ,  que  de  l'emporter  dans  ses  entrailles, 
loin  du  médecin  qui  veut  le  percer. 

Mes  paroles  sont  dures  ;  raai§  elles  sont  nécessaires. 
Dieu  voit ,  ma  chère  fille  ,  le  zèle  avec  lequel  je  vous 
suis  dévoué  à  Jamais, 

420. 

Ne  point  augmenter  ses  peines  par  une  agitation  volontaire. 

(Juillet  1708.) 

Sx  je  n'eusse  craint  de  vous  alarmer ,  ma  clière 
fille ,  je  serais  allé  tâcher  de  vous  consoler.  La  na- 
ture du  mal  ne  permet  pas  d'être  sans  crainte  ;  mais 
vous  craignez  trop.  Notre  malade  apercevra  l'excès 
de  votre  peine ,  et  il  n'en  faut  pas  davantage  pour  la 
troubler.  Cette  surprise  pourrait  même  lui  faire  un 
grand  mal.  Je  vous  conjure ,  pour  l'amour  d'elle ,  et 
au  nom  de  Dieu ,  de  ne  vous  alarmer  pas  au-delà 
de  toute  règle.  Je  suis  vivement  touché  de  votre  juste 
peine  ;  mais  portez-la  avec  confiance  en  Dieu ,  et  en 
lui  demandant  avec  simplicité  la  force  qui  vous  man- 
que. N'ajoutez  rien ,  par  vos  agitations  volontaires , 
à  ce  que  Dieu  vous  fait  souffrir.  C'est  le  détachement 
du  cœur  qui  fait  que  Dieu  se  contente  de  la  bonne 
volonté ,  et  nous  dispense  du  sacrifice.  Il  ne  rendit 
Isaac  à  Abraham  qu'après  que  le  père  eut  levé  le 
bras  pour  immoler  son  fils.  Je  ne  vous  demande  point 
que  vous  leviez  le  bras  ;  il  suffit  que  vous  demeuriez 
souffrante  et  immobile  sous  la  main  de  Dieu,  en  re- 


I.ETTRES    SPIRH  UEI.I.ES.  "J  1  ù 

courant  à  sa  bonté.  Que  ne  donncrais-]e  point ,  et 
que  ne  voudrais-je  point  souffrir ,  ma  chère  fille,  pour 
votre  soulagement ,  et  pour  la  guérison  de  notre  ma- 
lade ! 

421. 

Sur  la  maladie  d'une  fille  de  la  Comtesse.  Tristei  nouvelles  de  l'armée. 

A  Cambrai,  i3  juillet  1708. 

J'envoie  ,  ma  chère  fille  ,  savoir  comment  se  porte 
votre  malade.  J'en  suis  en  peine ,  et  j'ai  prié  Dieu  de 
tout  mon  cœur  pour  sa  conservation.  Une  si  bonne 
et  si  sage  mère  est  infiniment  nécessaire  à  sa  famille. 
Mandez-moi  en  deux  mots  en  quel  état  elle  est.  Si  je 
pouvais  lui  être  utUe  ,  ou  vous  soulager ,  je  partirais 
d'abord  pour  Vendegies  ;  mais  je  souhaite  fort  que  sa 
bonne  santé  vous  permette  de  revenir  sans  retardement. 

Les  nouvelles  qui  viennent  de  l'armée  par  Tour- 
nai sont  fort  tristes  ;  mais  elles  sont  encore  très-con- 
fuses ,  et  nous  attendons  à  tout  moment  d'apprendre 
la  vérité  du  fait.  On  prétend  qu'il  y  eut  un  combat 
désavantageux  pour  nous  auprès  d'Oudenarde(i)avant- 
hier  au  soir.  Pendant  que  nous  ne  pouvons  point  avoir 
la  paix  au  dehors ,  tachons  du  moins  de  la  conserver 
au  fond  du  cœur.  Que  la  paix  de  Dleu^  qui  surpasse 
tout  sentiment  humain  ,  gat^de  votre  cœur  et  votre 
esprit  en  Jésus- Christ  [a). 

(i)  Ce  combat  s'était  donné  le  11  juillet.  Voyez  les  lettres  89 
et  (ji   de  la  i'«  section,  tom.  I,  pag.  246  et  25i. 
(a)  Philip.  IV.  7. 


nib  LETTRES   SPIRITUELLES. 

■»%<  ■vv»  <%»**<<»«******'****** '**^**'***^*'***^**''^**^'**  *************<*****»*»»»<*»  ^**v 

422. 

S'abstenir  des  réflexions  inquiètes  et  multipliées  sur  soi-même.  NouveMes 
de  l'armée. 

A  Cambrai,  i4  juillet  1708. 

Je  suis  ravi,  ma  clière  fille,  d'apprendre  que  notre 
malade  se  porte  mieux  que  vous  n'aviez  cru  ;  mais 
ces  langueurs ,  ces  douleurs  de  tête  et  de  reins,  cette 
faiblesse  d'estomac  avec  le  dévoiement,  font  beau- 
coup craindre  qu'elle  n'accouche  dans  les  neuf  jours, 
et  il  ne  me  paraît  pas  possible  que  vous  l'abandon- 
niez avant  ce  temps-là.  Vous  kii  devez  non-seulement 
le  secours ,  mais  encore  la  consolation  qu'elle  espère 
de  votre  présence. 

Je  ne  saurais  craindre  que  votre  petit  séjour  de 
Vendegies  nuise  à  votre  grâce  ,  et  trouble  votre  cœur  , 
quand  je  songe  que  ce  petit  séjour  est  d'une  provi- 
dence très-marquée.  Ce  n'est  point  sur  des  réflexions 
d'amour-propre ,  ni  par  votre  propre  raison ,  que  vous 
êtes  allée  en  ce  lieu  ;  c'est  pour  y  remplir  un  devoir 
essentiel  de  borme  mère ,  en  faveur  d'une  très-bonne 
et  très-digne  fille.  C'est  par  pure  et  simple  obéissance 
que  vous  l'avez  fait.  Je  conclus  donc  que  vous  devez 
y  demeurer  tranquillement,  jusqu'au  bout  des  neuf 
jours  qu'on  dit  être  périlleux.  Cependant  je  ne  man- 
querai pas  d'envoyer  fréquemment  savoir  de  vos  nou- 
velles ,  et  vous  donner  des  miennes.  De  plus ,  j'irai  à 
Vendegies  au  premier  signal ,  si  je  puis  y  être  utile , 
et  si  vous  me  le  mandez  simplement.  J'y  irais  même , 
sans  attendre  que  vous  le  souhaitassiez ,  si  je  ne  crai- 
gnais d'y  embarrasser  dans  l'état  embarrassant  où  l'on 


LETTRES    SPIRITUELLES.  'Jl'J 

y  est  déjà.  Votre  lettre ,  ma  chère  fille ,  m'a  rempli 
de  consolation ,  en  me  montrant  combien  vous  vou- 
lez être  simple  avec  moi.  Commencez  par  l'être  avec 
Dieu  ,  en  vous  repliant  moins  sur  vous-même  par  rap- 
port à  vos  fautes.  La  simplicité  pratiquée  avec  Dieu 
vous  apprendra  à  la  pratiquer  avec  l'homme  qui  ne 
doit  jamais  être  pour  vous  que  sa  pure  et  simple 
représentation.  Plus  vous  serez  simple ,  plus  vous  me 
trouverez  luii  à  vous.  Il  n'y  a  que  le  défaut  de  sim- 
plicité qui  puisse  vous  en  làire  douter. 

Les  nouvelles  de  l'armée  se  tix)uvent  infiniment 
moins  mauvaises  que  le  bruit  public.  Une  partie  de 
notre  infanterie  a  voit  attaqué  les  ennemis  entre  des 
fossés  et  des  haies  ,  où  notre  cavalerie  ne  pouvait  agir 
et  où  notre  artillerie  ne  nous  servait  de  rien.  Il  y  a 
eu  là  un  combat  particulier  assez  disputé  par  la  grande 
vigueur  des  nôtres  -,  mais  où  il  y  a  eu  néanmoins  peu 
de  gens  tués  de  part  et  d'autre ,  en  sorte  qu'on  n'en 
marque  aucun  d'un  nom  connu.  Comme  il  a  fallu  se 
retirer,  les  nôtres  ont  un  peu  souffert  en  se  retirant. 
Les  ennemis  peuvent  avoir  quelques  prisonniers  ;  mais 
les  vanteries  de  leurs  gazettes  sont  ridicules.  Un  hon- 
nête homme  revenant  de  Tournai  m'assura  hier  qu'il 
y  avait  vu  un  de  ses  amis  ,  qui  avait  été  ,  depuis  l'ac- 
tion ,  témoin  de  la  bonne  santé  de  M 


423  *  A.  (i4o) 

La  jalousie  de  Dieu  se  tourne  moins  contre  nos  fautes ,  que  contre  les 
dépits  de  l'amour-propre  blessé. 

A  Cambrai,  17  juillet  1708. 

J'envoie  savoir ,  ma  chère  fille ,  comment  se  porte 
la  vôtre.  J'en  suis  toujours  en  peine,  et  je  crains  un 


r^lS  LETTRES    SPIRITUELLES. 

accouchement  prématuré.  L'abbé  de  L et ont 

grande  envie  de  vous  aller  voir.  Je  ne  l'ai  pas  moins 
qu'eux;  mais  il  faut  prendre  un  temps  libre.  J'enver- 
rai demain  mes  chevaux  à  M"»* M.  le  C a 

écrit  à  mon  neveu  l'abbé  une  lettre  sage  ,  qui  vous 
fera  plaisir  et  à  tous  les  habitans  de  Vendegies. 

Il  m'a  paru  ,  par  vos  lettres ,  que  votre  coeur  est  un 
peu  élargi.  0  que  je  vous  désire  cette  largeur  !  L'amour 
la  donne  ;  la  crainte  l'ôte.  Vous  n'avez  pas  les  craintes 
de  l'amoLir-propre  sur  les  peines  -,  mais  vous  les  avez 
au  dernier  excès  sur  les  fautes.  C'est  faire  injure  au 
bien-airaé  ,  que  de  le  croire  sans  condescendance  sur 
les  petites  fautes  qui  échappent  sans  mauvaise  vo- 
lonté. Sa  jalousie  ne  se  tourne  point  de  ce  côté-là; 
elle  se  tourne  bien  plus  vers  les  rafîinemens  d'un 
amour-propre  composé ,  qui  se  mire  dans  la  symé- 
trie de  ses  vertus.  L'amour  dépris  de  soi-même  n'est 
pas  si  délicat  sur  soi  ;  il  est  bien  plus  occupé  du  bien- 
aimé  :  il  est  simple ,  confiant ,  et  ne  sait  qu'aimer. 
Soyez  ainsi ,  et  la  paix  abondera  dans  votre  cœur.  Il 
me  tarde  de  vous  revoir  ;  mais  je  crois  qu'il  faut  que 
tout  cède  encore  pour  quelques  jours  au  besoin  pres- 
sant de  votre  malade.  J'honore  très-fortement  tout 
ce  qui  vous  environne ,  et  Dieu  seul  sait ,  ma  chère 
fille ,   à  quel  point  je  vous  suis  dévoué. 

424. 

Il  approuve  la  conduite  de  la  Comtesse  envers  sa  fille. 

A  Cambrai,  aS  juillet  ijo8. 

Je  crois  .  ma  chère  fdle  ,  que  vous  avez  bien  fait  de 
donner  à  M'^«  la  Comtesse  de  Souastre  la  consolation 


LETTRES    SPIRITUELLES.  "J  1 9 

qu'elle  désire.  Dieu  vous  bénira  d'avoir  eu  cette  com- 
plaisance pour  une  1111e  qui  en  est  si  digne  ,  et  qui  en  a 
un  si  pressant  besoin.  J^irai  l'après-midi  chez  M^^^^ . . . , 
et  je  ferai,  selon  vos  intentions,  ce  qui  dépendra  de 
moi.  Il  me  semble  qu'elle  ne  doit  avoir  aucune  peine 
d'un  dérangement  de  son  voyage  à  Vendegies  ,  qui 
ne  venait  que  du  parti  que  nous  avions  pris  ensem- 
ble ,  vous  et  moi ,  pour  votre  prompt  retour  à  Cam- 
brai. Ne  pensez  à  rien  -,  laissez  faire  Dieu  ,  et  conten- 
tez-vous de  ce  qu'd  fera.  Bonjour  ,  ma  clière  iille.  Je 
suis  à  vous  sans  réserve  en  Notre-Seigneur. 

425. 

Ne  point  écouter  les  délicatesses  <\e  ramour-propre. 

A  Cambrai,  i  septembre  1708, 

Je  fus  véritablement  facbé  liier ,  ma  chère  fille ,  de 
savoir  que  vous  aviez  été  ici,  sans  que  j'eusse  pu  vous 
voir.  Mandez-moi  de  vos  nouvelles.  Vous  feriez  en- 
core mieux  de  m'en  venir  donner  vous-même.  Gardez- 
vous  bien  d'écouter  vos  délicatesses  gênantes  :  laissez 
élargir  votre  cœur.  Je  vous  croirai  une  Sainte  de  pa- 
radis, quand  vous  dormirez  bien  la  nuit ,  et  que  vous 
serez  sans  façon  le  jour.  Je  voudrais  profiter  du  goût 

que  M™«  de  a  pour  vous ,  afin  que  vous  puissiez 

lui  aider  dans  ses  besoins  spirituels.  Si  vous  étiez 
moins  enveloppée  en  vous-même ,  vous  feriez  des 
merveilles  pour  les  autres.  Bonjour.  Je  n'ai  pas  le 
temps  d'écrire  à  M'^^  Bourdon.  Décidez-la,  et  faites- 
la  communier ,  en  attendant  que  je  la  puisse  voir. 


-y  20  LETTRES    SPIRITUELLES. 

426*.  (,3y) 

Tourment  d'une  ame  que  Dieu  veut  faire  mourir  à  elle-même ,  et  qui 
résiste  à  l'opération  de  Dieu. 

Votre  lettre ,  ma  chère  fille ,  me  donne  une  vraie 
consolation.  J'y  vois  Dieu  qui  ne  se  lasse  point  de 
vous  poursuivre  avec  amour ,  lors  même  que  vous 
faites  tant  d'efforts  pour  le  fuir.  0  que  vous  vous 
donnez  de  peine  pour  lui  échapper  !  0  si  vous  vous 
en  donniez  autant  pour  le  laisser  faire  !  Pourquoi 
craignez- vous  tant  la  mort,  puisque  vous  vous  don- 
nez tant  de  torture  toutes  les  fois  que  vous  voulez 
retenir  un  reste  de  vie  mourante  et  douloureuse  ? 
Laissez-vous  achever.  Vous  ne  voulez  que  des  ra- 
goûts d'amour-propre.  Il  ne  vous  faut  que  de  la  sim- 
plicité ,  et  que  de  l'ouhli  de  vous-même.  Vous  vou- 
driez que  je  vous  donnasse  des  remèdes  pour  vivre 
encore ,  quand  il  ne  faut  plus  que  mourir.  Allez  au 
bout  du  monde ,  vous  y  trouverez  votre  cœur  délicat, 
épineux  ,  industrieux  pour  se  ronger  soi-même  ;  vous 
y  trouverez  Dieu  jaloux,  et  inexorable  pour  deman- 
der l'entière  mort.  Vous  portez  en  vous  ces  deux  ja- 
lousies qui  déchireront  vos  entrailles.  Mourez  :  le 
moindre  reste  de  vie  n'est  que  douleur  -,  il  n'y  a  que 
la  mort  qui  ôte  le  sentiment.  Délaissez-vous  au  coup 
de  la  main  de  Dieu. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ']2 


t»lr%%%»V»%» 


427. 

S'oublier  sol-même  pour  écouler  Dieu. 

Mardi,  ii  septembre  1708. 

Je  tous  prie ,  ma  chère  fille ,  de  faire  communier 
M'^*^  Bourdon ,  jusqu'à  ce  que  je  puisse  la  voir  en  al- 
lant chez  vous.  Elle  n'aura  jamais  de  paix  ,  ni  de 
règle,  ni  de  fidélilé  soutenue,  pendant  qu'elle  se  lais- 
sera aller  à  la  vivacité  de  son  imagination ,  et  qu'elle 
suivra  ses  goûts  et  ses  répugnances.  Montrez-lui  le 
chemin  le  plus  droit  par  votre  exemple.  Apprenez- 
lui  comment  il  faut  ne  se  point  écouter ,  et  écouter 
Dieu.  Ce  n'est  pas  assez  :  à  mesure  qu'on  l'écoute ,  il 
faut  le  suivre  sans  regarder  jamais  derrière  soi.  Celui 
qui  y  meUant  la  main  à  la  charrue  ,  regarde  encore 
derrière  lui  ,  n'est  pas  propre  au  royaume  de  Dieu  (a). 

(a)  Luc.  IX.  62. 

428. 

Renoncer  avec  simplicité  aux  exercices  de  piété  quand  la  santé  l'exige. 

Dimanche,  7  octobre  1708. 

Si  vous  voulez  être  bonne  et  simple,  comme  je 
vous  en  conjure,  ma  chère  fdle,  vous  garderez  tout 
aujourd'hui  le  grand  jeûne  de  messe ,  d'office ,  et  de 
toute  entrée  dans  l'église.  Votre  santé  le  demande , 
et  par  conséquent  Dieu  le  demande  aussi.  Il  faut  le 
servir  à  sa  mode  ,  et  non  à  la  vôtre.  Plus  vous  avez 
de  peine  à  quitter  cette  pratique  excellente  en  soi, 

CoRRESP.    IV.  3l 


n22  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mais  déplacée  dans  les  circonstances ,  plus  il  faut  y 
mourir.  Je  vous  le  demande  très-instamment.  Dieu 
vous  en  tiendra  compte  comme  d'un  vrai  sacrifice. 

t.v%i tint  v%ilr*»W»^ 'V*"'  *** v**  «*»■  v»*%«»v*v»<*».»*v«»A,  vfcvvy» »»%»%% »»l»»%%»»w»v>v» »%»%»»  vw 

429  *  A.  (244) 

Piepousser  la  tentation  avec  paix. 

A  Cambrai,  dimanche  21  octobre  170S'. 

Je  suis  cliarmé  ,  ma  chère  fille ,  de  la  simplicité 
avec  laquelle  vous  m'ouvrez  votre  cœur  sur  votre 
peine.  Dieu  bénira  cette  conduite  ,  et  elle  est  de  pure 
grâce.  Les  sentimens  les  plus  violens  de  votre  jalou- 
sie sont  involontaires.  La  peine  excessive  que  vous 
en  avez  ne  le  montre  que  trop.  Si  cette  jalousie  était 
moins  opposée  au  fond  de  votre  volonté ,  elle  vous 
serait  infiniment  moins  douloureuse.  Vous  n'avez  même 
que  trop  d'activité  et  d'ardeur  pour  la  repousser.  Votre 
opposition  à  la  jalousie  ,  que  vous  poussez  jusqu'à 
l'excès ,  accable  votre  esprit  et  votre  corps.  En  même 
temps ,  votre  ardeur  pour  repousser  sans  cesse  la  ten- 
tation par  des  actes  marqués ,  vous  dessèche  l'inté- 
rieur ,  et  trouble  l'opération  de  la  grâce ,  qui  vous 
attire  à  la  paix  et  au  simple  recueillement.  0  si  je 
pouvais  vous  persuader  de  ne  faire  que  souffrir  ce 
que  vous  sentez,  sans  y  consentir,  je  rétablirais  tout 
d'un  coup  votre  santé  et  votre  intérieur  !  Je  suppose 
que  vous  suivez  un  peu  trop  certaines  réflexions  de 
dépit  ;  encore  même  n'est-ce  qu'un  entraînement 
d'imagination.  Mais  pour  le  sentiment  de  jalousie , 
vous  ne  faites  que  le  soufii'ir  avec  horreur  :  ainsi  il 
n'y  a  aucun  péché. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  '^2^ 

Communiez  donc  ,  je  yous  en  conjure  au  nom  de 
celui   qui  sera  votre  paix ,  quand  vous  l'aurez  reçu 
par  pure  foi  et  par  obéissance  aveugle.  Dieu  sait  le 
mal  réel  que  vous  vous  feriez  en  vous  ôtant  le  pain 
quotidien ,  pour  un  mal  imaginaire  auquel  votre  vo- 
lonté n'a  aucune  part ,  et  qu'elle  repousse  avec  trop 
de  délicatesse  et  d'activité.   Bonsoir.  J'espère  que  le 
pain  de  vie  vous  attirera  demain ,  pour  guérir  toutes 
les  plaies  de  votre  cœur.  Il  faut  être  sans  péché  mor- 
tel ,    mais  non   sans  imperfection ,  pour  le  recevoir. 
Il  est  le  pain  qui  fait  croître  les  petits  ,   qui  fortifie 
les  faibles  ,  et  qui  guérit  les  malades.  Je  vous  ordonne 
absolument ,  au  nom  de  Notre-Seigneur ,  de  commu- 
nier demain.  Ce  sacrifice  de  vos  peines  et  de  tous  les 
retours    de   votre    amour-propre  vaudra    mieux  que 
tous  les  actes  inquiets  et  turbulens,  par  lesquels  vous 
troublez  sans  cesse  votre  recueillement.  Ne  soyez  plus 
comme  une  personne  qui  se  ferait  sans  cesse  éveiller 
en  sursaut.  Tous  vos  actes ,  auxquels  vous  avez  tant 
de  confiance ,   sont ,   de   votre  propre  aveu ,  comme 
convulsifs.  Paix ,    paix ,    oubli  de  vous ,    abandon    à 
Dieu   :  il  sait  le  zèle  qu'il  me  donne  pour  vous. 

430  *  R.  (i3G) 

Même  sujet. 

Vendredi  j   i6  novembre  1708. 

Votre  lettre,  ma  clière  fille,  m'a  donné  une  grande 
joie.  En  attendant  que  vous  puissiez  tout  dire ,  écri- 
vez-moi tout  avec  simplicité.  Mon  Dieu ,  quelle  paix 
n'auriez-vous  point   au  milieu  de  vos  sentimens  les 

3i^ 


n24  LETTRES    SPIRITUELLES. 

plus  Denibles  ,  si  vous  vouliez  Lien  les  soufFrir ,  et 
vous  délaisser  sans  aucun  retour  volontaire  de  déli- 
catesse pour  vous-même  !  Famour-propre  désespéré 
crie  les  hauts  cris  :  je  ne  m'en  étonne  pas.  Tant  mieux 
qu'il  ait  sujet  de  bien  crier  :  allez  toujours  votre  che- 
min sans  écouter  ses.  cris.  Cette  fidélité  toute  simple 
ferait  tomber  les  trois  quarts  de  vos  peines.  Le  trou- 
ble n'y  serait  plus  ,  et  le  trouble  est  ce  qui  les  rend 
insupportables.  Demeurez  dans  le  sein  de  Dieu,  et 
il  vous  soulagera.  Bonjour  ;  on  m'interrompt. 

431  *  A.  ("5) 

Même  sujet. 

A  Cambrai  j  5  janvier  1709. 

Jamais  les  cœtirs ,  ma  chère  fille ,  ne  vous  furent 
plus  ouverts  qu'ils  le  sont-,  mais  Dieu  permet  que 
vous  ne  le  voyez  pas,  et  que  vous  croyez  voir  le 
contraire.  Toutes  vos  sensibilités  et  toutes  vos  pensées 
sans  fondement  se  tourneront  à  bien ,  pourvu  que 
vous  n'y  ajoutiez  aucun  consentement  libre.  Quand 
même  vous  seriez  rongée  par  la  plus  cruelle  jalousie, 
vous  ne  seriez  que  dans  la  peine  des  âmes  du  pur- 
gatoire, qui,  comme  vous  savez,  souffrent  une  extrême 
douleur  dans  une  profonde  paix.  Une  douleur  qui 
n'ôte  point  la  paix  de  la  volonté,  et  qu'on  accepte 
avec  amour ,  peut  être  grande  ;  mais  elle  porte  avec 
soi  une  très-douce  consolation.  On  souffre  beaucoup, 
mais  on  est  content  de  souffrir ,  et  on  ne  voudrait 
pas  diminuer  sa  souffrance.  Si  nous  pouvions  inter- 
roger les  âmes  du  purgatoire  sur  leur  état ,  elles  nous 


LETTRES    SPIRITUELLES.  725 

repondraient  :  Nous  soufTrons  nue  douleur  terrible  ; 
mais  rien  n'ôte  tant  à  la  douleur  sa  cruauté  ,  qu'un 
plein  acquiescement  -,  nous  ne  voudrions  pas  avancer 
d'un  moment  notre  béatitude.  C'est  le  feu  de  l'amour 
jaloux  et  vengeur  qui  les  brûle  :  c'est  le  feu  de  la 
jalousie  de  l'amour-propre  qui  vous  brùle  ,  et  que 
Dieu  tourne  contre  lui-même  pour  sacrifier  tout  au 
pur  amour.  Acquiescez  avec  abandon.  Ne  vous  écou- 
tez plus  :  vous  ne  faites  qu'alonger  votre  purgatoire; 
et  vous  le  cliangeriez  en  enfer ,  si  vous  résistiez  à 
l'esprit  de  Dieu.  0  ma  clière  fille  ,  quand  verrez-vous 
combien  je  vous  suis  uni  ?  Je  n'ose  vous  aller  voir , 
de  peur  d'exciter  votre  peine  par  votre  raisonnement  ; 
mais  j'y  irai  dès  que  je  vous  saurai  prête  à  me  bien 
recevoir.  Communiez  :  votre  plus  grande  faute  est 
d'interrompre  vos  communions. 

%VWlVVV«<V**VVW%*VVVVfcV«r»VV%V*VV«*VVfcVVkVVV»V»VVV*»»<**%VV*Vl*V««**»i»l»^»V|/*V»VV»%*« 

432. 

Sur  quelques  affaires  d'inlérèt.  L*oubll  de  soi-même ,  source  de  p.iix, 
A  Cambrai,   mercredi,  a3  janvier  1709. 

Je  ne  pus  point  parler  bier  d'affaires ,  ma  cbère 
fille;  mais  j'en  ai  parlé  aujourd'hui.  M.  de  Bernières 
avait  reçu  la  lettre  de  M™^  la  Comtesse  de  Souastre. 
Il  dit  que  les  trésoriers  de  ce  pays  ont  manqué  de 
fonds;  qu'il  a  manqué  plusieurs  millions  pour  le  paie- 
ment de  l'année  dont  il  s'agit  ;  que  cette  année-là 
étant  finie  ,  sans  qu'il  ait  resté  aucun  argent  auj^  Iré- 
soriers ,  et  leurs  comptes  étant  rendus  ,  il  n'est  plus 
question  pour  eux  de  payer  votre  somme  ,  et  qu'elle 
ne  peut  plus  être  payée  qu'à  Paris.  C'est  sur  quoi  il 


y  26  LETTRES    SPIRITUELLES. 

importe  d'avertir  proraptement  M™^  la  Comtesse  de 
Soiiastre  ,  afin  qu'elle  prenne  sur  les  lieux  des  me- 
sures justes. 

La  paix  que  Dieu  vous  fait  trouver  dans  l'oubli  de 
vous-même  ,  vous  montre  ce  que  vous  pouvez  trouver 
en  ne  vous  écoutant  point.  Nul  mort  à  soi-même 
ne  coûte  rien  dans  l'oubli  de  soi ,  parce  que  cet  ou])li 
est  lui-même  la  vraie  mort.  Laissez  tout  tomber.  La 
fidélité  du  premier  moment  de  tentation  est  le  point 
décisif.  On  ne  vit  que  de  mort ,  et  il  n'y  a  que  les 
vies  secrètes  qui  font  mourir  à  toute  heure. 

433. 

Se  livrer  sans  réserve  aux  opérations  de  la  grâce. 

5  février  ijog. 

Votre  lettre  ,  ma  chère  fille  ,  me  touche  jusqu'au 
fond  du  cœur.  C'est  la  grâce  ,  et  non  pas  vous ,  qui 
Fa  écrite.  Ne  vous  flattez  pas  de  la  suivre.  Afin  que 
vous  accomplissiez  la  vérité  de  cette  lettre ,  il  faut 
que  vous  soyez  le  roseau  agité  de  tout  vent ,  et  que 
la  nature  délicate  s'accoutume  à  n'avoir  plus  aucune 
ressource ,  et  qu'elle  se  tienne  pour  subjuguée.  Ne 
pensez  ni  au  passé  qui  vous  trouble ,  ni  à  l'avenir 
que  vous  voudriez  assurer  pour  la  consolation  de  votre 
amour-propre  ;  mais  soyez  fidèle  au  moment  présent 
par  petitesse.  Plus  on  fuit  la  croix ,  plus  on  l'attire. 
Jonas ,  qui  fuit  la  main  de  Dieu ,  est  englouti.  Désar- 
mez Dieu  à  force  de  vous  livrer  à  lui. 


LETTRES   SPIRITUELLES.  727 

434. 

Même  sujet. 
A  Cambrai,  mercredi  i3  février  1709. 

Je  viens  ,  ma  chère  fille  ,  d'apprendre  par  M.  l'abbé 
de  Langeron  l'extrême  peine  où  vous  êtes ,  et  je  me 
bâte  ,  eu  attendant  que  je  puisse  vous  aller  voir  de- 
main ,  de  vous  conj  urer  de  vous  abandonner  à  Dieu , 
sans  vous  écouter  volontairement  vous-même.  Je 
ne  veux  point  ici  me  justifier  ,  quoique  je  le  puisse 
faire  aisément  ,  dès  que  vous  voudrez  vous  calmer  et 
savoir  le  détail.  Mais  ce  n'est  nullement  de  moi 
qu'il  s'agit ,  c'est  de  Dieu  seul ,  auquel  il  ne  faut 
pas  résister ,  quand  vous  êtes  mécontente  des  hom- 
mes. Plus  le  trouble  est  grand  ,  plus  vous  devez 
communier  ;  car  il  n'y  a  que  Jésus-Christ  seul  qui 
puisse  commander  aux  vents  et  à  la  mer  pour  appai- 
ser  la  tempête.  Votre  trouble  n'est  point  un  péché  ; 
mais  c'est  une  violente  tentation  ,  qui  vous  met 
hors  d'état  d'agir  avec  une  entière  liberté.  Recourez 
avec  confiance  à  celui  qui  est  notre  unique  paix  , 
et  ne  prenez  aucune  lésolution  loin  de  Jésus-Clirist , 
dans  la  violence  d'im  état  où  l'amour-propre  est  dés- 
espéré. Je  demande  à  Dieu  qu'il  ne  vous  laisse 
point  à  vous-même  ,  et  qu'il  vous  tienne  malgré 
vous.  Bonsoir ,  ma  chère  fille.  Dieu  vous  fera  con- 
naître combien  je  suis  loin  de  tout  ce  qui  vous  passe 
par  l'esprit.  Je  ne  m'y  regarde  que  pour  lui  et  pour 
vous  ,  afin  que  vos  préventions  ne  vous  empêchent 
pas  de  lui  être  fidèle. 


'J2S  LETTRES    SPIRITUELLES. 

M.  l'abbé  de  Langeron  m'a  expliqué  toutes  choses  , 
et  je  crois  vous  devoir  dire  devant  Dieu  ,  comme 
si  j'allais  mourir  ,  que  vous  devez  communier  demain. 
Si  vous  y  manquez ,  vous  manquerez  à  Dieu ,  et 
vous  vous  livrerez  à  la  tentation.  O  ma  cbère  et  très- 
clière  fille  ,  je  vous  conjure  de  communier  !  La  paix 
viendra  avec  Jésus-Christ. 

435. 

Ne  point  «upprimer  ses  csotnmunions  ordinaires ,  pour  les  troubles 
d'ipiagination. 

A  Cambrai,  i6  fpvrier  170g. 

Je  Vous  irai  voir ,  ma  chère  fille  ,  dès  que  vous  le 
voudrez,  et  je  ne  m'en  abstiens  dans  ce  moment, 
qu'à  cause  que  vous  me  paraissez  aimer  mieux  une 
lettre  qu'une  visite^  et  craindre  d'exciter  trop  la  vi- 
vacité de  vos  sentimens  dans  une  conversation.  Dieu 
sait  combien  je  souffre  de  vous  savoir  souffrante ,  et 
avec  quelles  dispositions  je  lui  demande  qu'il  vous 
console.  Rien  ne  me  lasse  ,  rien  ne  me  désunit  d'avec 
vous.  Je  porte  vos  croix ,  comme  m'étant  aussi  pro- 
pres et  aussi  personnelles  que  les  miennes  sans  dis- 
tinction. Ce  que  je  souhaite  fort ,  est  que  vous  ne 
tardiez  point  à  communier.  L'Eucharistie  est  à  la  lettre 
votre  pain  de  chaque  jour.  Le  jour  que  vous  ne  la 
recevez  point  n'est  pas  un  jour  pour  vous  ;  Jésus- 
Christ  ne  reluit  point  ce  jour-là  dans  votre  cœur  ; 
vous  êtes  en  défaillance  et  sans  votre  vie.  Tous  vos 
troubles  n'ont  été  que  dans  l'imagination.  Le  fond 
de  votre  volonté  n'a  point  été  rebelle ,  mais  votre  es- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  729 

prit  nV>talt  pas  libre  :  ainsi  je  crois  que  vous  pouvez 
communier.  Que  si  vous  ne  pouvez  pas  surmonter 
votre  crainte  de  communier  mal  ,  j'irai ,  au  moindre 
mot  de  votre  part ,  vous  écouter  et  vous  répondre. 
Je  ne  vous  contesterai  rien  ,  pour  éviter  tout  ce  qui 
pourrait  vous  exciter.  Quand  vous  aurez  communié , 
nous  parlerons  de  Paris ,  et  de  tout  ce  que  vous  vou- 
drez. Dieu  sait  combien  je  veux  contribuer  à  votre 
paix  ,  loin  de  la  vouloir  altérer.  Il  ne  la  faut  cliercher 
qu'en  Dieu  ;  elle  ne  manque  jamais  de  ce  côté'-là,  et 
manque  partout  ailleurs. 


436. 

Ne  point  résister  à  l'esprit  de  grâce  en  suivant  les  suggestions  de 
l'amour-propre. 

A  Cambrai,   16  février  1709. 

Si  vous  voulez  la  paix  ,  ma  clière  fille  ,  abandonnez- 
vous  à  Dieu ,  afin  qu'il  vous  donne  la  force  de  me 
compter  pour  rien.  Ne  vous  occupez  que  de  lui.  Si 
vous  m'y  trouvez ,  à  la  bonne  lieure  \  mais  ne  m'y 
chercbez  point.  Je  ne  dois  pas  être  cause  que  vous 
manquiez  à  Dieu.  Si  peu  que  vous  retourniez  à  lui 
pour  vous  laisser  subjuguer  par  la  grâce,  vous  verrez 
ce  qui  est  clair  comme  le  jour  ,  savoir  que  vous  sui- 
vez un  dépit  damour-propre.  N'espérez  pas  d'avoir 
jamais  la  paix  en  le  suivant.  Ce  n'est  point  à  force  de 
se  faire  malade  qu'on  se  guérit  :  l'amour-propre ,  qui 
vous  ronge  le  cœur  ,  vous  le  rongera  partout.  Eli  ! 
comment  ne  vous  suivrait-il  pas  dans  les  lieux  où 
vous  ne  voulez  aller  qu'à  cause  qu'il  vous  y  conduit  ? 


n3o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

Il  faudrait  un  terrMe  abandon  de  Dieu ,  afin  que 
vous  pussiez  trouver  une  fausse  paix  dans  cette  fuite 
d'amour-propre.  Vous  voulez  fuir  comme  Jonas  ;  vous 
voulez  vous  soustraire  à  la  grâce  de  mort  à  vous- 
même  ,  pour  vous  reprendre  après  vous  être  donnée  : 
mais  saint  Paul  dit  que  Venfant  de  soustraction  ne 
-plaît  point  à  son  ame  (a).  Espérez-vous  d'échapper  à 
Dieu ,  et  de  sauver  de  ses  mains  votre  amour-propre  ? 
Ne  voyez-vous  pas  qu'il  se  sert  de  cet  amour-propre 
même ,  comme  du  plus  cruel  bourreau ,  pour  vous 
donner  la  mort  ?  L'état  de  trouble  et  de  résistance 
visible  à  Dieu  ,  où  vous  êtes  ,  ne  vous  permet  de  pren- 
dre aucune  résolution.  Revenez  au  joug  du  Seigneur, 
abandonnez-vous  \  communiez  ;  remettez-vous  dans 
la  paix  des  vrais  enfans  ;  ensuite  faites  tout  ce  que 
l'amour  vous  inspirera.  Fartez  ;  ne  revenez  jamais  ; 
oubliez-nous  ;  condamnez  tous  nos  conseils  :  j'y  con- 
sens ,  si  c'est  l'esprit  de  grâce  qui  vous  y  porte  en 
pleine  paix  et  sans  aucun  dépit  d'amour-propre  ;  mais 
ne  manquez  pas  à  Dieu ,  supposé  même  que  je  vous 
aie  manqué.  Tournez  ma  faute  à  profit ,  en  ]  a  sacri- 
fiant de  bon  cœur  au  bien-aimé.  Eh  !  que  lui  sacri  - 
fierez-vous,  si  vous  ne  lui  sacrifiez  pas  même  une 
délicatesse  de  jalousie?  Surtout  ne  faites  point  atten- 
dre Dieu  à  la  porte  de  votre  cœur  ;  ne  lui  résistez 
point  par  une  mauvaise  honte.  Le  désespoir  de  la  ja- 
lousie vous  a  éloignée,  et  la  honte  d'un  orgueil  pi- 
qué pourrait  vous  empêcher  de  revenir.  Eh  !  qu'avez- 
vous  à  ménager  avec  vos  bons  et  intimes  amis?  Ne 
voient-ils  pas   l'inconstance  où  l'excès  de  l'épreuve 

(a)  Hehu  X.  38, 


LETTRES    SPIRITUELLES,  «^Sl 

VOUS  met  ?  Une  peine  si  violente  fait  que  vous  n'êtes 
pas  libre  dans  certains  nioniens  ;  mais  dès  que  la  li- 
berté revient ,  il  faut  être  fidèle  à  revenir ,  et  porter 
riiuniiliation  du  retour  avec  celle  du  départ.  0  que 
vous  serez  précieuse  aux  yeux  de  Dieu ,  quand  vous 
voudrez  être  le  jouet  de  ses  mains  ! 

437. 

Renoncer  en  esprit  d'obcissance  à  certains  exercices  de  piété ,  en  temps 
de  maladie. 

Lundi,  8  avril  1709. 

J'apprends  ,  ma  chère  fdle ,  que  vous  avez  fait 
un  faux  pas  ,  et  que  vous  avez  au  pied  un  mal  consi- 
dérable. Je  vous  conjure,  au  nom  de  Dieu,  de  ne 
sortir  pas  de  votre  lit ,  même  pour  la  messe  ,  sans 
une  très-expresse  permission  de  M.  le  Comte  de  Mont- 
beron  et  du  chirurgien  ;  mais  n'arrachez  point  leur 
consentement ,  et  laissez-les  décider  librement  selon 
leur  conscience.  Voilà  ce  que  je  me  hâte  de  vous 
dire  ,  en  attendant  que  je  puisse  vous  aller  voir  :  j'en 
ai  une  très-grande  impatience. 

438. 

Agir  en  tout  avec  paix  et  ingénuité. 

A  Cambrai,  mardi  28  mai  170g. 

0  que  vous  êtes  une  bonne  fdle  !  Dieu  en  soit  béni  ! 
Lui  seul  sait  la  joie  que  vous  me  donnez.  Commu- 
niez :  je  me  charge  devant  Dieu  de  tout  ce  qui  vous 
arrête.  Toutes  ces  impressions  horribles  ne  sont  rien 


7 32  LETTRES    SPIRITUELLES. 

en  comparaison  de  la  moindre  résistance.  Supportez 
tout  en  paix ,  et  dites  tout  :  ce  ne  sera  rien.  Paix 
et  ingénuité.  Je  consens  au  voyage ,  et  je  suis  ravi 
du  plaisir  que  vous  ferez  à  M™«  votre  fille  ,  que 
j'aime  et  honore  de  tout  mon  cœur.  Pour  le  voyage 

de ,  faites-le  ,  ou  ne  le  faites  pas  en  toute  liberté  , 

suivant  ce  que  vous  aurez  au  fond  du  cœur.  Ni  com- 
plaisance ni  politesse  ,  mais  simplicité.  Je  crois  que 
vous  vous  épargneriez  des  peines  infinies ,  si  vous  ne 
vous  contraigniez  point.  Allez  ,  au  nom  de  Dieu  ;  don- 
nez à  Mme  votre  fille  jusqu'à  lundi  :  ce  jour-là  ,  je  vous 
enverrai  chercher. 


IV»«W««««« 


439. 

Ne  point  changer  de  confesseur  par  scrupule. 

A  Cambrai,  mardi  28  mai  176g. 

Quand  vous  voudrez  me  quitter ,  ma  chère  fille , 
pour  chercher  d'autres  conseils  plus  propres  à  vous 
faire  mourir  à  vous-même  ,  je  ne  pourrai  pas  m'em- 
pêcher  de  céder  à  Dieu  pour  lequel  seul  nous  sommes 
unis.  Mais  vous  ne  voulez  changer  que  pour  sou- 
lager votre  amour-propre  ,  que  pour  vous  livrer  à 
vos  vains  scrupules  ,  et  que  pour  tomber  dans  une  vé- 
ritable infidélité  en  résistant  à  l'attrait  de  Dieu.  N'é- 
coutez que  le  fond  de  votre  cœur  ,  et  l'esprit  de  mort 
à  vous-même  ,  vous  reconnaîtrez  d'abord  que  la  pen- 
sée de  ce  changement  est  une  manifeste  tentation  ,  et 
un  dépit  violent.  Vous  verrez  que  ce  n'est  que  par 
délicatesse  et  jalousie  ,  que  vous  voulez  changer.  Tout 
directeur  éclairé  que  vous  iriez  trouver  ,  et  à  qui  vous 


LETTRES    SPIRITUELLES.  "ySS 

diriez  nettement  le  vrai  fond  de  votre  cœur ,  devrait 
vous  renvoyer  à  celui  que  vous  ne  voulez  quitter  que 
pour  vous  soustraire  à  l'opération  de  mort  qu'il  doit 
opérer  en  vous.  Vous  êtes  comme  une  personne  qui 
retire  son  bras  dans  le  moment  où  le  chirurgien  y 
enfonce  la  lancette  :  c'est  vouloir  se  faire  estropier. 
Celui  )  dit  saint  Paid_,  qui  se  soustrait  ^  ne  plaira  point 
à  mon   ame   (a). 

Au  lieu  de  suivre  Dieu,  quoi  qu'il  vous  en  coûte, 
vous  lui  résistez  sans  cesse ,  et  vous  ne  faites  que 
vous  reprendre.  Vous  suivez  avec  une  étrange  indo- 
cilité toutes  vos  imaginations.  Vous  ne  pourriez  les 
dire  à  aucune  personne  sage ,  qui  ne  vous  répondît, 
qu'il  n'y  a  au  monde  que  vous  seule  qui  puissiez  y 
faire  attention.  Dieu  permet  que  ces  bizarres  imagi- 
nations vous  occupent  j  c'est  pour  vous  humilier  qu'il 
le  fait.  Vous  avez  besoin  d'être  bien  rabaissée  du  côté 
de  l'esprit ,  pour  lequel  vous  avez  un  si  indigne  goût. 
Vous  avez  besoin  de  sentir  toute  votre  jalousie  ,  pour 
voir  combien  votre  cœur  est  loin  de  cette  générosité 
désintéressée  qui  était  l'idole  de  votre  cœur.  Il  faut 
vous  démonter  :  voilà  l'ouvrage  de  Dieu  en  vous. 
C'est  pour  l'évàter ,  et  pour  prendre  le  change  ,  que 
vous  voulez  me  quitter.  Pour  moi ,  je  ne  vous  quit- 
terai jamais  ,  et  j'espère  que  Dieu  vous  fera  obéir  mal- 
gré vous.  Je  serais  guéri ,  si  j'avais  la  consolation  de 
vous  voir  fidèle. 

(a)  Hebr.  x.  38. 


y  34  LETTRES    SPIRITUELLES. 

440  ♦  R.  ^xaG) 

S^accoutumer  à  voir  ses  défauts  avec  paix. 

A  Cambrai ,  7  juin  «709. 

J'ai  vu  ,  ma  trés-clière  fille  ,  la  lettre  que  vous  avez 
reçue  :  elle  est  excellente ,  et  vous  lui  ressemLlerez ,  si 
TOUS  êtes  fidèle  à  la  suivre.  Désespérez  toujours  de 
vos  propres  efforts  qui  vous  épuisent  sans  vous  soute- 
nir, et  n'espérez  qu'en  la  grâce,  à  l'opération  simple, 
unie  et  paisible  de  laquelle  il  faut  s'accommoder.  Ne 
résistez  point  à  Dieu ,  et  vous  aurez  la  paix  dans  vos 
souffrances  mêmes.  Dites-nous  tout^  non  pour  vous 
livrer  à  la  tentation  par  des  raisonnemens  sans  fin, 
mais  par  pure  simplicité  en  écoutant  ce  qu'on  vous 
dit.  Votre  grand  mal  n'est  point  dans  le  sentiment 
involontaire  de  jalousie  ,  qui  ne  ferait  que  vous  hu- 
milier très-utilement  ;  il  est  dans  la  révolte  de  votre 
cœur ,  qui  ne  peut  souffrir  un  mal  si  honteux ,  et  qui , 
sous  prétexte  de  délicatesse  de  conscience ,  veut  se- 
couer le  joug  de  l'humiliation.  Vous  n'aurez  ni  fidé- 
lité ni  repos  ,  que  quand  vous  consentirez  pleinement 
à  éprouver  toute  votre  vie  tous  les  sentimens  indignes 
et  honteux  qui  vous  occupent.  Vos  vains  efforts  ne 
feront  qu'irriter  le  mal  à  l'infini  ;  mais  ce  mal  sera  un 
merveilleux  remède  à  votre  orgueil ,  dès  que  vous 
voudrez  vous  le  laisser  appHquer  patiemment  par  la 
main  de  Dieu. 

Accoutumez-vous  donc  à  vous  voir  injuste,  jalouse  , 
envieuse ,  inégale,  ombrageuse,  et  laissez  votre  amour- 
propre  crever  de  dépit.  La  paix  est  là  ;  vous  ne  la 
trouverez  jamais  ailleurs.   Quel   fruit  avez-vous  eu 


LETTRES    SPIRITUELLES.  735 

jusqu'ici  à  dc'sobéir  ?  Il  faut  que  Dieu  fasse  à  chaque 
fois  un  miracle  de  grâce  pour  vous  dompter.  Vous 
usez  tout ,  et  votre  amour-propre  se  déguise  en  dé- 
votion bien  empesée  pour  défaire  l'ouvrage  de  Dieu , 
qui  est  une  opération  détruisante.  Laissez-vous  dé- 
truire ,  et  Dieu  fera  tout  en  vous.  Bonjour  :  je  ne 
pourrai  pas  vous  aller  vwr  aujourd'hui ,  à  cause  d'une 
assemblée  pour  les  pauvres.  Je  vous  prie  de  dire  à 
W^^  Bourdon,  qu'elle  doit  communier  sans  s'écouter, 
et  que  je  lui  parlerai  la  première  fois  que  j'irai  chez 
vous. 

441  *  A.  (137) 

S'oublier  soi-même  pour  écouter  Dieu. 

A  Cambrai,  jcurli  8  août  ijog. 

Je  meurs  d'envie  de  vous  aller  voir  ,  ma  chère  fille , 
mais  je  crains  de  le  faire ,  parce  que  je  vois  que  mes 
visites  réveillent  vos  peines,  et  troublent  votre  paix. 
Mandez-moi  simplement  ce  qui  vous  convient.  J'irai 
demain  vous  voir,  si  je  n'ai  point  de  vos  nouvelles. 
Cependant  je  vous  conjure  de  ne  vous  point  écouter. 
L'amour-propre  parle  à  une  oreille,  et  l'amour  de 
Dieu  à  l'autre.  L'amour-propre  est  impétueux  ,  in- 
quiet ,  hardi  et  entraînant.  L'amour  de  Dieu  est  sim- 
ple, paisible,  de  peu  de  paroles;  il  parle  d'une  voix 
douce  et  délicate.  Dès  qu'on  prête  l'oreille  à  l'amour- 
propre  qui  crie  ,  on  ne  peut  plus  discerner  la  voix 
tranquille  et  modeste  du  saint  amour.  Chacun  ne 
parle  que  de  son  ol)jet.  L'amour-propre  ne  parle  que 
du  moi  y  qui ,  selon  lui ,  n'est  jamais  assez  bien  traité  : 


n36  LETTRES    SPIRITUELLES. 

il  n'est  question  que  d'amitié  ,  d'égards ,  d'estime  ;  il 
est  au  désespoir  de  tout  ce  qui  ne  le  flatte  pas.  Au 
contraire  ,  l'amour  de  Bieu  veut  que  le  moi  soit  ou- 
blié ,  qu'on  le  compte  pour  rien  ;  que  Dieu  seul  soit 
tout  ;  que  le  7noi,  qui  est  le  dieu  des  personnes  pro- 
fanes, soit  foulé  aux  pieds  ;  que  l'idole  soit  brisée  ;  et 
que  Dieu  devienne  le  moi  des  âmes  épouses ,  en  sorte 
que  Dieu  soit  ce  qui  les  occupe ,  comme  les  autres 
sont  occupées  du  moi. 

Faites  taire  l'amour-propre  parleur  vain  et  plaintif, 
pour  écouter  dans  le  silence  du  cœur  cet  autre  amour, 
qui  ne  parle  qu'autant  qu'on  le  consulte.  Ne  laissez 
pas  de  dire  par  simplicité  vos  peines  aux  personnes 
qui  peuvent  vous  soulager.  A  demain,  si  vous  l'agréez. 


^»%«W%%%^Mb /»«%%'%'««'«««  W%«(V««'W%'VW^b«'«W««W«W«%%Vm^V^Ai^«A««««««>WW«% 


442. 

Il  n'y  a  de  vraie  liberté  que  dans  l'amour  de  Dieu. 

A  Cambrai,  4  octobre  1709. 

Partez,  ma  chère  fille  :  que  Dieu  soit  avec  vous. 
Tout  ce  que  ^-otre  cœur  fera  avec  liberté  sera  bien 
fait  :  là  où  est  V esprit  du  Seigneur  y  là  est  la  liberté  («),- 
il  n'y  a  de  gène  que  dans  l'amour-propre.  Le  monde 
croit  qu'elle  est  dans  l'amour  de  Dieu;  il  se  trompe 
grossièrement.  Le  joug  de  Dieu  met  en  liberté;  et  le 
moi ,  qui  promet  la  liberté  ,  donne  des  entraves  de 
fer.  Allez  donc ,  et  parlez  à  cette  personne  en  esprit 
de  pure  grâce.  Vous  nous  en  direz  des  nouvelles. 
Dieu  sait  que  j'irai  en  lui  avec  vous.  Bonsoir. 

(rt)  //  Cor.  m.  1 7. 


LETTRES    SPIRITUEM.KS. 


i  %%^  v%%*i%w%viv^  v%%vfc^%%x^k%% 


443. 

Suivre  avec  simplicilù  laltiait  intûricur. 

A  Cambrai,  12  octobre  1709. 

Vous  ayez  très-Lien  fait,  ma  chère  fille,  de  don- 
ner encore  quelqnes  jours  à  votre  famille;  rien  n'est 
mieux  employé.  Tout  ce  que  vous  ferez  d'un  cœur 
libre  et  tranquille  pour  ces  chères  personnes,  viendra 
de  Dieu.  Je  ne  crains  que  ce  qui  serait  fait  par  peine 
et  par  tentation  d'amour-propre.  Quoique  je  sois  ravi 
de  vous  savoir  en  si  hon  lieu  et  en  paix ,  je  ne  laisse 
pas  d'avoir  quelque  impatience  de  votre  retour;  mais 
cette  inqralience  ne  m'empêche  pas  de  désirer  que 
vous  suiviez  librement  jusqu'au  bout  votre  fond  in- 
time ,  pour  ce  voyage  et  pour  toute  autre  chose.  Je 
ne  m'opposerai  jamais  en  vous  qu'à  ce  qui  n'est  pas 
vous-même  y  et  qui  y  est  comme  un  esprit  étranger. 
Achevez  donc  votre  séjour  à  —  ,  et  revenez  voir 
ensuite  des  gens  que  Dieu  a  unis  à  vous  par  les  liens 
que  sa  main  forme  et  serre.  Personne  ne  vous  est 
dévoué  en  Notre-Seigneiu'  au  point  où  je  le  suis  pour 
toujours. 


If  «%%  V^  %A>W%V  W\  Vl/V%%  V 


444. 

Mf'rne  siijof. 

A  Cambrai  .   iq  oflobrc  1709. 

Vous  serez  bien ,  ma  chère  fdle  ,.  à pendant 

que  votre  cœur  vous  y  tiendra  en  paix  et  en  union. 
Je  suis  ravi  de  tout  ce  qui  peut  contenter  votre  fa- 

CORRESP.    IV.  3?. 


n38  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mille ,  et  lui  montrer  votre  tendresse ,  sans  blesser 
votre  grâce.  Je  ne  crains  que  les  conseils  de  l'amour- 
propre.  Pourvu  que  vous  suiviez  avec  simplicité  votre 
fond  ,  et  que  l'amour  de  Dieu  vous  mène ,  vous  irez 
loin.  Que  la  joie  du  Saint-Esprit ,  qui  est  une  joie 
de  mort  à  tout  et  de  recueillement  en  Dieu,  nour- 
risse votre  cœur.  Je  serai  ravi  quand  vous  reviendrez  , 
et  Dieu  sait  combien  je  suis  uni  à  vous  de  loin  comme 
de  près.  Mais  il  ne  faut  rien  précipiter.  On  est  charmé 
de  voir  l'enfant  qui  commence  à  marcher  un  peu  loin 
de  sa  mère ,  pourvu  qu'il  ne  tombe  pas  :  il  revien- 
dra ensuite  avec  empressement  sur  ses  genoux.  Soyez 
libre  de  la  liberté  que  Jésus-Christ  vous  a  donnée. 
C'est  en  lui ,  ma  chère  fille ,  que  je  vous  suis  dé- 
voué sans  réserve. 


445. 

Même  saijet.  OEuvre  de  charité  recommandée  à  la  Comlesse.  Nouvelles 

de  famille. 

A  Cambrai  ,  27  octobre  1709. 

Je  vous  supplie ,  ma  chère  fille  ,  de  vouloir  bien 
vous  charger  de  deux  mille  livres  pour  les  pauvres 
de  quelques  paroisses  de  notre  voisinage ,  quand  vous 
reviendrez  nous  voir.  Je  vous  envoie  une  quittance, 

pour   retirer  cette  somme  des  mains  de  M Je 

n'ai  garde  de  prétendre  que  vous  entriez  dans  cette 
petite  affaire  ;  mais  j'espère  que  M.""^  la  C.  de  Souastre 
ne  vous  refusera  pas  un  homme  sensé ,  qui  fasse  sû- 
rement cette  conmiission  pour  une  œuvre  de  charité. 
Notre  petit  abbé  de  Souastre  étudie  fort  bien  ;  on  en 
est  t^s-content. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^.)Ç) 

Que  ^ous  dirai-je  ,  ma  chère  fille  ,  sur  votre  ab- 
sence ?  Je  suis  ravi  du  plaisir  que  vous  faites  à  votre 
famille  ,  et  du  repos  que  vous  y  trouvez ,  quoique 
d'ailleurs  je  sente  que  mon  cœur  sera  véritablement 
réjoui  quand  nous  vous  reverrons.  Mais  je  dis  sur 
vous  ces  paroles  que  vous  connaissez  :  Gardez-vous 
bien  d' interrompj^e  son  sommeil ,  jusqu'à  ce  qu'elle 
veuille  s'éveiller^  {a).  La  paix  est  le  signe  de  la  volonté 
de  Dieu ,  et  de  la  fidélité  à  la  grâce.  Suivez  votre 
cœur  ;  il  ne  vous  éloignera  point  de  nous ,  mais  il 
vous  donnera  une  vraie  liberté.  Vous  volerez  hors  de 
la  cage  ,  mais  avec  un  fdet  au  pied.  Soyez  simple, 
en  oubli  de  vous  ,  en  familiarité  avec  le  bon  ami ,  et 
sans  attention  volontaire  à  tout  ce  qui  vient  à  la  tra- 
verse. 

M»»« est  retournée   à  ;   presque  toute  la 

famille  est  venue  à  l'assaut.  J'ai  cru  devoir  mettre 

M dans  cette  négociation,  afin  qu'il  vît  que  je 

ne  conseillais  rien  de  dur  ni  d'outré.  La  fille  ,  crai- 
gnant que  sa  mère  ne  la  frustrât  de  son  partage  ,  a 
voulu  enfin  rentrer  dans  sa  famille ,  et  je  l'ai  laissé 
faire.  Elle  s'est  réservé  la  liberté  de  vous  aller  voir 
deux  fois  la  semaine. 

Nous  avons  toujours  nombreuse  compagnie  :  elle 
va  encore  grossir  beaucoup  à  la  séparation  de  l'ar- 
mée. Tout  va  passer ,  et  à  peine  pourrons-nous  res- 
pirer pendant  quelques  jours.  Bonsoir ,  ma  chère  fdle. 
Dieu  sait  combien  il  me  fait  être  tout  à  vous  sans 
réserve. 

(a)  Cant.  m.  5. 


n^O  LETTRES    SPIRITUELLES. 

446  *  A.  (129) 

Écouter  Dieu  en  silence  ;  Lonlieur  de  l'ame  qui  laisse  parler  Dieu  en 

liberté. 

À  Cambrai,  2  juin  1710. 

Quoique  vous  ne  m'écriviez  point,  ma  chère  fîlle, 
je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  écrire  ,  et  de  vous 
presser  de  me  donner  de  vos  nouvelles.  Etes-vous  en 
paix  dans  votre  solitude  (i)  ?  N'y  êtes- vous  point  avec 
vous-même  ?  On  n'est  jamais  moins  seul ,  que  quand 
on  est  avec  soi.  Au  moins  on  se  sépare  des  autres  à 
certaines  heures ,  et  on  trouve  des  entre-deux  pour 
se  retrancher  ;  mais  dès  qu'on  est  li^Té  à  soi ,  il  n'y 
a  plus  de  milieu  ni  d'heure  de  réserve.  L'amour-propre 
parle  nuit  et  jour  :  plus  il  est  solitaire ,  plus  il  est  vif 
et  importun.  Je  prie  Dieu  de  prendre  sa  place ,  et 
de  faire  lui  seul  toute  la  société  de  votre  cœur. 

Heureuse  l'ame  qui  se  tait  pour  n'écouter  que  lui  ! 
O  qu'il  dit  de  vérités  consolantes,  quand  il  parle  en 
liberté  î  Comme  on  dit  tout  à  Dieu  ,  sans  lui  dire  une 
certaine  suite  de  paroles ,  il  dit  tout  aussi  de  son 
coté  sans  suite  de  discours.  Le  coeur  de  Thomme  ne 
parle  jamais  si  parfaitement ,  que  quand  il  se  montre 
et  se  livre  siaiplement  à  Dieu.  C'est  tout  dire  sans 
parole  distincte ,  que  de  s'exposer  au  regard  divin  , 
et  que  de  s'abandonner  à  toute  volonté  du  bien-aimé. 
De  même  Dieu  dit  tout  sans  parole  ,  quand  il  montre 
sa  vérité  et  son  amour.  Aimez  ,  et  vous  avez  tout  dit. 

(i)  La  Comtesse  e'tait  alors,  pour  quelques  jours,  dans  Tabbaye 
de  Fcrvaques ,  près  de  Saint-Quentin. 


LETTRES    SPlRITUEfXBS.  n^i 

Laissez-vous  à  l'amour  infini,  et  vous  avez  tout  écouté 
et  tout  compris. 

Bonsoir  ma  chère  fille;  donnez-moi  des  nouvelles 
de  votre  ermitage ,  vous  me  fierez  un  vrai  plaisir. 
Nous  sommes  un  peu  débarrassés  ;  mais ,  selon  les 
apparences  ,  pour  peu  de  temps.  Le  siège  de  Douai 
traîne.  Après  la  fin,  nous  venons  ce  que  Dieu  vou- 
dra faire.  Les  hommes  croient  faire  tout,  et  ils  ne 
font  rien;  ils  ne  sont  que  comme  des  échecs  qu'on 
remue.  Quelle  nouvelle  avez-vous  de  madame  votre 
sœur  ?  Je  pense  souvent  à  elle,  et  j'espère  toujours 
quelque  temps  où  elle  pourra  vous  venir  voir.  Je 
>ous  suis  dévoué  à  jamais  et  sans  mesure. 


447. 

Remercîmens  pour  un  petit  présent.  Bonheur  de  l'amc  qui  trouve 
Dieu  dans  la  sollitude. 

A  Cambrai,  g  juin  1710. 

Vous  m'avez  envoyé ,  ma  chère  fille ,  une  petite 
merveille  que  je  ne  mérite  point.  Elle  est  de  trop 
bon  goût  pour  moi.  Tout  y  est  digne  d'un  homme 
d'un  discernement  exquis.  Quoique  je  trouve  la  por- 
celaine bien  fine  ,  et  l'ouvrage  d'argent  très-joli ,  en 
.sorte  que  le  tout  est  fort  gracieux ,  je  ne  m'en  fie 
pourtant  pas  à  mes  propres  yeux.  Je  ne  me  vante 
de  connaître  le  prix  que  de  la  bonté  de  cœur,  qui  est 
la  source  de  ce  présent  :  c'est  ce  que  je  ressens  comme 
je  le  dois.  Au  reste ,  on  me  fait  entendre  que  ce  pré- 
sent vient  de  plus  loin  :  faut-il  le  savoir  ?  est-il  per- 
mis d'en  écrire  ?  Je  ne  voudrais  point  fatiguer  par 


riA2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

une  lettre  à  laquelle  on  voudrait  répondre  :  mandez- 
moi  ce  qu'il  faut. 

Quelle  nouvelle  avez-vous  ?  Ne  se  console-t-on  pas 
un  peu?  voit-on  toujours  le  P.  S.?  Et  vous,  ma  chère 
fille ,  je  suis  ravi  de  vous  savoir  en  paix.  La  solitude 
est  votre  centre  ;  mais  la  solitude  n'est  rien  si  elle 
n'est  pas  la  société  avec  Dieu.  On  est  avec  lui,  dès 
qu'on  veut  y  être.  Le  simple  penchant  d'un  cœur 
qui  quitte  tout  pour  le  rien  en  Dieu  ,  fait  trouver  le 
vrai  tout ,  quoiqu'on  se  trouve  vide  ,  sec  ,  faible  ,  in- 
égal et  obscurci.  O  mon  Dieu ,  soyez  vous  seul  tout 
en  elle. 

448, 

État  des  affaires  polilifiues. 

A  Cambrai,   20  juin  1710. 

J'ai  un  vrai  déplaisir  ,  ma  chère  fille  ,  de  vous  sa- 
voir si  près  et  si  séparée  de  nous.  Il  me  tarde  que 
nous  puissions  nous  réunir.  Je  vois  deux  raisons  de 
l'espérer  :  l'une  est  qu'on  nous  assure  que  les  enne- 
mis ne  pourront  point  assiéger  Cambrai ,  à  moins  qu'il 
n'arrive  des  malheurs  après  lesquels  ils  n'auraient 
pas  besoin  de  faire  ce  siège  ;  l'autre  est  un  bruit  gé- 
néral de  paix  répandu  dans  toute  l'armée  ,  et  venu 
de  Hollande.  Il  a  besoin  de  confirmation  ;  mais  il  n'est 
pas  à  mépriser.  Nous  pourrons  bientôt  savoir  des 
choses  plus  précises.  Si  les  nouvelles  sont  bonnes , 
il  ne  faudra  pas  perdre  un  moment  pour  votre  re- 
tour :  je   le   désire  avec  la  plus  sincère  impatience. 

Je  n'ai  point  écrit  à  M^e  votre  sœur  sur  la  porce- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  '^/\'5 

laine  ,  à  caiisc  du  inallicur  qui  lui  est  arrivé  dans  les 
cruelles  mains  de  M.  l'abbé  de  Langeron.  J'espérais 
que  celte  funeste  aventure  ne  serait  pas  sue  ;  mais 
la  renommée  parle  trop.  Puisqu'il  n'y  a  plus  de  se- 
cret à  ménager ,  je  m'en  vais  écrire  des  remercîmens 
et  des  lamentations.  Le  présent  était  d'un  excellent 
goût ,  et  la  bonté  avec  laquelle  il  était  fait  m'a  vive- 
ment touché.  Ma  reconnaissance  n'est  pas  fragile 
comme  la  tasse.  Si  la  paix  vient ,  j'espère  que  la  per- 
ëonne  qui  sait  si  bien  donner ,  nous  donnera  ce  que 
nous  désirons  le  plus  ,  qui  est  sa  présence  à  Cambrai. 
Alors  je  lui  donnerais  un  appartement  neuf,  que  nous 
meublerions  exprès  pour  la  recevoir.  En  attendant , 
je  souhaite  qu'elle  trouve  une  solide  consolation  dans 
la  véritable  source  où  elle  a  commencé  à  en  chercher  : 
elle  n'en  trouvera  jamais  ailleurs.  Les  enfans  souffrent 
et  crient  quand  onlessèvre  ;  mais  dès  qu'ils  ont  changé 
d'alimens ,  ils  croissent  et  se  fortifient.  Je  pense  à 
vous  ,  ma  chère  fille  ,  avec  plaisir  devant  Dieu.  Je  ne 
lui  demande  pour  vous  que  le  calme  intérieur  fondé 
sur  Toubli  de  toutes  les  réflexions  de  ramour-piopre. 
Toutes  les  fois  que  vous  êtes  tentée  de  faire  du  moi 
votre  objet  y  mettez  Dieu  en  la  place  ,  et  votre  cœur 
sera  en  paix.  Je  vous  suis  dévoué  à  toute  épreuve  et 
sans  mesure ,  eu  celui  qui  doit  être  à  jamais  toutes 
choses  en  tous. 


ni^  LETTPlES    spirituelles. 

449. 

obéir  au  mûdecin  avec  simplicité.  Les  pénitences  contraires  àrobéissancc- 
sont  reflet  cl' un  amour-propre  secret. 

A  Cambrai,  8  juillet  ijio. 

J'ai  été  véritablement  affligé  ,  ma  chère  lille  ,  d'ap- 
prendre que  \ous  ne  voulez  pas  vous  bien  nourrir. 
Vous  en  avez  un  extrême  besoin  ,  et  vous  feriez  un 
grand  scrupule  à  une  autre  personne  qui  se  ferait  le 
mal  que  vous  vous  faites.  Vous  pouvez  juger  des  pri- 
vations que  vous  pratiquez  ,  par  le  jugement  que  les 
médecins  du  corps  et  de  Famé  en  font.  Vous  savez 
bien  en  votre  conscience ,  que  les  uns  et  les  autres 
désapprouvent  cette  conduite.  Pourquoi  faites-vous 
ce  que  vous  savez  qui  est  contraire  au  sentiment  des 
personnes  que  vous  devez  croire  ?  Espérez-vous  de 
pratiquer  la  vertu  et  de  plaire  à  Dieu  par  la  dés- 
obéissance ?  Il  n'y  a  ,  dans  vos  austérités ,  que  volonté 
propre ,  et  que  recherche  d'un  appui  en  vous-même. 
L'attachement  que  vous  y  avez  ,  la  résistance  que  vous 
faites  en  ce  point  aux  personnes  que  vous  croyez 
chargées  de  vous ,  enfin  votre  soin  très-contraire  à  la 
simplicité ,  de  cacher  ces  pénitences ,  devraient  suf- 
lire  pour  vous  convaincre  du  fonds  d'amour-propre 
qui  y  est  déguisé.  Soyez  docile ,  et  mangez  bien.  Soyez 
lidèle  contre  les  délicatesses  de  l'amour-propre ,  et 
dormez  bien.  Soyez  petite  ,  et  vivez  dans  la  paix  du 
petit  enfant  Jésus. 

Il  me  tarde  beaucoup  de  voir  notre  destinée  pour 
songer  à  vous  revoir  ici.  Les  ennemis  ne  peuvent 
plus  guère  tarder  à  faire  quelque  mouvement.  Leurs 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^4^ 

(k'niarclics  régleront  les  nôtres.  Dès  que  nous  verrons 
rarniée  ennemie  hors  de  portée  de  nous  assiéger,  je 
ne  perdrai  pas  un  seul  moment  pour  vous  conjurer 
de  reprendre  le  chemin  de  Cambrai.  Cependant  je  me 
réjouis  de  ce  que  la  maison  où  vous  êtes  est  paisible 
et  régulière.  Bonsoir  ,  ma  chère  lille.  Donnez-moi  de 
vos  nouvelles  et  de  celles  de  M'n"=  votre  sœur.  Je  suis 
à  vous  de  toute  Tétendue  de  mon  cœur  dans  celui  de 
Dieu  et  à  jamais. 

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450. 

Nouvelles  politiques. 

A  Cambrai,   2i  juillet  1710. 

Quoique  vous  ne  me  fassiez  point  de  réponse  ,  ma 
chère  fille ,  je  ne  cesse  point  de  vous  écrire.  Ce  que 
j'ai  à  vous  dire  aujourd'hui  me  fait  grand  plaisir  : 
je  ne  sais  s'il  vous  en  fera  autant  qu'à  moi.  Les  en- 
nemis sont  attachés  à  Béthune ,  et  paraissent  vouloir 
percer  vers  la  France  par  l'Artois ,  du  côté  de  Hes- 
din  et  de  Montreuil.  D'ailleurs  notre  armée  est  dans 
un  camp  bien  retranché  ,  qui  couvre  Cambrai  et  Ar- 
ras  :  ainsi  je  ne  vois  nulle  apparence  de  siège  pour 
nous.  Il  faudrait  des  coups  qu'on  ne  peut  prévoir 
pour  changer  notre  état  dans  le  reste  de  cette  cam- 
pagne. On  ne  saurait  vous  répondre  absolument  de 
ces  coups  ;  mais  les  apparences  ,  auxquelles  on  se  borne 
communément  en  cette  vie ,  sont  que  nous  verrons 
beaucoup  de  misères ,  sans  être  assiégés.  J'en  conclus 
que  vous  pouvez  maintenant  revenir  dans  votre  er- 
mitage. Je  vous  y  invite  avec  plaisir  ,  et  je  vous  oflfre 


n^6  LETTRES    SPIRITUELLES. 

mes  chevaux  pour  vous  aller  chercher.  Donnez  vos 
ordres.  Nous  avons  tous  céans  une  vraie  impatience 
de  vous  revoir  ;  mais  personne ,  ma  chère  fille  ,  ne 
vous  est  dévoué  au  point  où  je  le  suis  pour  le  reste 
de  mes  jours. 


>V*.*%%%%*%^>V%%\%^%%%%^V»i»^Vt%^'*^V»%'%%%^^%V»*Vl^»l%^%%W%%%%^^^%»^ 


451. 

Contre  les  raines  délicatesses  de  l'amour-propre. 

A  Cambrai,   17  septembre  1710. 

Je  ne  doute  nullement ,  ma  chère  fille ,  que  vous 
ne  deviez  communier.  Vous  manqueriez  à  Dieu ,  si 
vous  manquiez  à  la  communion.  Une  défiance  de  pre- 
mier mouvement  n'est  point  un  jugement  délibéré 
contre  la  fidélité  d'une  personne.  Vous  avez  pour  vous- 
même  une  délicatesse  d'amour-propre  contre  ce  que 
l'apparence  du  péché  a  de  laid  et  de  défigurant. 
Communiez.  Je  me  réjouis  de  ce  que  votre  santé  se 
rétablit  un  peu ,  malgré  vos  soins  pour  la  détruire, 

452. 

Même  sujet. 

A  Cambrai,  19  septembre  1710. 

Il  n'y  a  ,  ma  chère  fille ,  qu'une  seule  chose  qui 
me  fasse  hésiter  sur  votre  voyage  de  Vendegies  :  c'est 
la  crainte  de  quelque  dépit  d'amour-propre.  Dès  que 
l'amitié  vous  y  mènera  sans  tentation  contre  votre 
grâce  ,  je  serai  ravi  de  vous  y  voir  aller  pour  quel- 
ques jours.  Partez  donc  simplement,  au  nom  de  Dieu, 


LETTRES    SPIRITUELLES.  74? 

pourvu  que  vous  trouviez  voire  cœur  en  paix  :  mais 
je  ne  consens  pas  que  vous  y  alliez  dans  cette  chaise , 
et  je  vous  conjure  de  prendre  mon  carrosse.  Ce  n'est 
]ias  une  ofiVe  faite  par  compliment  ;  c'est  un  vrai  dé- 
sir du  cœur.  Je  vous  donne  le  bonsoir ,  et  je  vou- 
drais que  riieure  me  permît  de  vous  aller  voir  pré- 
sentement. 


453. 

Sur  la  maladie  de  labbô  de  Langeron. 

Jeudi,  6  novembre  1710. 

Je  viens  de  dire  à  notre  malade  que  vous  offrez 
d'être  comme  une  troisième  religieuse  auprès  de  lui  ; 
il  en  a  souri ,  et  vous  remercie  de  tout  son  cœur. 
Pour  moi,  je  ressens  vivement,  ma  clière  fdle,  tout 
ce  que  vous  me  mandez.  Continuez  à  dire  à  Dieu  que 
nous  en  avons  besoin.  Il  faut  bien  lui  parler  avec 
cette  franchise ,  et  lui  déclarer  les  besoins  où  nous 
sommes  pour  son  service.  Si  le  malade  a  la  tète  plus 
libre  dans  quelques  jours  ,  je  vous  inviterai  à  le  venir 
voir  toute  seule.  Cependant  je  vous  supplie  de  me 
mander  si  a^ous  avez  eu  occasion  de  travailler  pour 
le  prochain ,  comme  vous  me  l'aviez  promis.  Je  suis 
en  peine  pour  les  âmes  en  tentation  de  résister  à 
Dieu ,  et  de  manquer  à  leur  grâce.  Remplissez  tous 
les  vides  de  la  vôtre ,  en  ne  vous  écoutant  point,  et 
en  ne  vous  tourmentant  pas  vous-même. 

(Même  jour.  ) 

Ne  parlez  point  comme  chargée  de  parler  :  un  cœur 
déjà  blessé  pourrait  en  avoir  de  la  peine.  Il  faut  l'on- 


n^S  LETTRES    SPIRITUELLES. 

vrir  par  la  pure  coniiance  ,  et  tâcher  de  l'élargir  par 
la  consolation.  J'espère  ,  ma  chère  fille ,  que  vous 
ferez  des  merveilles.  Bonsoir.  Le  redoublement  de 
notre  pauvre  malade  est  dans  sa  force  ;  priez  pour 
lui.  Mon  cœur  souffre. 


(laS)  454   *  R. 

?s'e  point  ûcoutcr  rimagination ,  mais  suivx-e  paisiblement  les  mouveraens 
de  la  grâce. 

Vendredi,    i4  novembre  ijio. 

Je  suis ,  ma  chère  fille  ^  véritablement  en  inquié- 
tude sur  vos  peines.  Je  vous  envoie  notre qui  vous 

parlera  avec  grâce  et  simplicité  ,  en  attendant  que  je 
puisse  vous  aller  voir  demain.  Ce  que  je  me  borne  à 
vous  demander  ,  est  que  vous  ne  preniez  point  jîour 
des  jugemens  arrêtés  et  volontaires  toutes  les  chi- 
mères qui  passent  dans  votre  imagination  comme 
dans  celle  de  tout  le  genre  humain.  Plus  on  est  om- 
brageux contre  ces  chimères  ,  plus  elles  excitent  une 
imagination  vive  et  effarouchée.  La  crainte  du  mal 
le  redouble.  Pour  la  violence  de  vos  sentimens  dou- 
loureux 5  il  la  faut  porter  comme  la  fièvre.  Cette  vio- 
lence se  calme  bientôt  quand  on  ne  l'entretient  pas 
en  l'écoutant  par  des  réflexions  d'amour-propre.  Un 
feu  qu'on  n'attise  pas  est  bientôt  éteint. 

Soyez  faible,  mais  soyez  petite.  Sovez  impuissante 
pour  le  bien ,  mais  soyez  simple.  Supportez-vous , 
supportez  les  autres  :  consentez  qu'ils  vous  supportent 
à  leur  tour.  Ne  vous  occupez  pour  le  fond  ni  d'au- 
trui  ni  de  vous.  Le  fond  doit  être  tout  de  Dieu  :  la  vvie 


LETTRES    SPIRITUEIJ.ES.  n /^q 

volontaire  de  soi  et  craulrui  no  doit  venir  que  comme 
par  occasion,  sui\ant  que  Dieu  nous  y  applique  j)our 
remplir  des  devoirs. 

Ne  me  regardez  que  comme  un  simple  instrument 
de  providence.  Il  faut  que  je  vous  sois,  pour  votre 
conduite  vers  Dieu,  comme  un  cocher  pour  un  voyage. 
H  faut  mourir  à  moi ,  afin  que  je  vous  sois  un  moyen 
de  mort  pour  tout  le  reste.  Ne  soyez  point  facliée  de 
trouver  en  moi  tant  de  sujets  d'y  mouiir.  Vous  ne 
ferez  jamais  rien  de  bon  par  moi  qu'en  esprit  de  foi 
pure.  Quand  même  je  serais  le  plus  indigne  et  le  plus 
mécliant  des  hommes,  je  ne  laisserais  pas  de  faire 
l'œuvre  de  Dieu  en  vous ,  pourvu  que  vous  vous  prê- 
tiez à  ses  desseins.  Mais  par  votre  résistance  conti- 
nuelle sous  des  prétextes  imaginaires  ^  vous  défaites 
à  toute  heure  d'une  main  ce  que  vous  faites  de  l'autre. 
Le  grand  mal  vient  de  ce  que  vous  suivez ,  non-seule- 
ment votre  esprit ,  mais  encore  votre  imagination  dans 
tout  ce  qu'elle  vous  présente  de  plus  faux  et  de  moins 
vraisemblable  ,  par  préférence  à  tout  ce  qu'on  vous 
dit  de  plus  constant  et  de  plus  nécessaire.  Cette  in- 
docilité brouille  tout.  Non-seulement  vous  ne  cédez 
point  dans  les  temps  de  trouble,  mais  encore  vous 
n'acquiescez  jamais  pleinement  par  démission  d'es- 
prit, pour  laisser  tomber  votre  activité.  0  mon  Dieu  ! 
quand  serez-vous  pauvre  d'esprit,  et  consentant  à 
cette  bienheureuse  pauvreté  ?  Vous  passez  votre  vie 
dans  des  songes  douloureux.  0  ma  chère  fille,  soyez 
petite   et  docile  ! 


y5o  LETTRES    SPIRITUELLES. 

455. 

Atλ  à  la  Corûtpsse  sur  quelques  affaires  de  famille. 

ï6  septembre  1711. 

M.  le  Comte  de  Souastre  vous  parle  iiumainement 
avec  un  bon  esprit  et  un  arrangement  raisonnable 
pour  sa  famille.  Mais  vous  savez  bien  ,  ma  chère  fille, 
qu'il  ne  peut  pas  connaître  ce  que  la  grâce  demande 
de  vous  pour  la  paix  de  votre  cœur.  Si  vous  demeu- 
rez ici ,  comme  je  crois  que  vous  le  devez  faire  ,  vous 
pouvez  offrir  à  M'^^  votre  fdle  de  la  loger  et  de  la 
garder  chez  vous  jusqu'au  printemps.  Jusque  là  il 
n'y  aura  pas  le  moindre  danger.  Alors  vous  verrez  ce 
que  la  Providence  fera.  Votre  dépense  à  Premy  est  si 
petite  ,  que  M.  de  Souastre  ne  doit  pas  la  craindre. 
En  la  faisant  avec  M^^^  votre  fille  ,  vous  diminuerez 
la  sienne  :  il  vous  restera  même  de  quoi  la  secou- 
rir. Dieu  sait  combien  je  la  révère  ,  et  avec  quelle  sin- 
cérité tous  ses  intérêts  me  sont  chers.  Je  vous  offre 
mes  chevaux  ,  non  pour  vous  mener  à  Danval,  mais 
pour  mener  ici  Mj^^  de  Souastre.  Mes  embarras  con- 
tinuels m'empêchent  de  vous  aller  voir,  comme  je  le 
voudrais;  mais  cet  orage  va  bientôt  passer,  et  nous 
nous  retrouverons  en  liberté ,  au  moins  pour  six  ou 
sept  mois.  Ne  craignez  rien  :  U  ne  tombera  pas  un 
seul  cheveu  de  votre  tête  sans  la  voloyité  de  votre  Père 
qui  est  dans  le  ciel  («)  ,  et  qui  est  plus  puissant  que 
tous  les  hommes  de  la  terre.  Bonjour,  ma  chère  fille  : 
tout  à  vous  sans  réserve  en  Notre-Seigneur. 

(aj  Luc.  xu.  ^.  XXI.  18. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ""Si 


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(ao,5) 


45( 


Persévérer  ilans  l'oraison  et  la  communion  malgré  les  sécliercsjei  j 
combattre  ructivité  naturelle  qui  dessèche  le  coeur. 

A  Cambrai,  Jeudi-saint  (24  mars)  1712. 

Remettez-vous  ,  ma  chère  fille ,  quoi  qu'il  tous 
en  puisse  coûter ,  à  l'oraison  et  à  la  communion.  Vous 
avez  desséché  votre  cœur  par  votre  vivacité  à  vou- 
loir une  affaire  ;  sans  savoir  si  Dieu  la  voulait  :  c'est 
la  source  de  tout  votre  mal.  Vous  avez  passé  des  temps 
infinis  dans  l'infidélité  à  former  des  projets  qui  étaient 
des  toiles  d'araignée  :  un  soufïle  de  vent  les  dissijîe. 
Vous  vous  êtes  retirée  insensiblement  de  Dieu  ,  et 
Dieu  s'est  retiré  de  vous.  Il  faut  retourner  à  lui,  et 
lui  abandonner  tout  sans  aucune  réserve  :  vous  n'au- 
rez de  paix  que  dans  cet  abandon.  Laissez  tous  vos 
desseins ,  Dieu  en  fera  ce  qu'il  voudra.  Quand  même 
ils  réussiraient  par  des  voies  humaines ,  Dieu  ne  les 
bénirait  pas.  Mais  si  vous  lui  en  faites  l'entier  sa- 
crifice ,  il  tournera  tout  selon  ses  conseils  de  miséri- 
corde ,  soit  qu'il  fasse  ce  que  vous  avez  désiré ,  ou 
qu'il  ne  le  fasse  jamais.  L'essentiel  est  de  recommen- 
cer l'oraison ,  quelque  sécheresse  ,  distraction  et  ennui 
que  vous  y  éprouviez  d'abord.  Vous  méritez  bien  les 
rebuts  de  Dieu,  après  Ta  voir  si  long-temps  rebuté  pour 
les  créatures  :  cette  patience  le  rapprochera  de  vous. 

En  même  temps  reprenez  la  communion  ,  pour 
soutenir  votre  faiblesse  :  les  faibles  ont  besoin  d'être 
nourris  du  pain  au-dessus  de  toute  substance.  Ne  rai- 
sonnez point ,  et  n'écoutez  point  votre  imagination  ; 
mais  communiez  tout   au  plus  tôt.  Pour  votre  ami , 


n^2  LETT1\ES    SPIRITUELLES. 

ne  l'éloignez  point  ;  mais  ne  le  voyez  que  sobrement. 
Vous  lui  l'eriez  beaucoup  de  mal ,  et  vous  vous  en  fe- 
riez un  infini  à  vous-même,  si  vous  n'observiez  pas 
cette  sobriété.  Dites-lui  doucement  la  vérité  selon  le 
besoin.  Ne  lui  parlez  que  par  grâce  et  par  mort  à 
vous-même.  Du  reste ,  ne  vous  arrêtez  point  à  votre 
imagination  sur  une  privation  entière  et  absolue.  Nous 
en  parlerons  quand  j'aurai  l'honneur  de  vous  voir. 

457. 

Sur  un  voyage  que  la  Comtesse  se  proposait  de  faire  à  Paris. 

A  Cambrai,  i3  mai  1712. 

Je  ne  saurais  ,  ma  chère  fdle  ,  deviner  votre  cœur  ; 
mais  si  vous  êtes  en  j^aix  ,  et  si  votre  paix  demande 
Paris ,  vous  pouvez  y  aller  faire  un  voyage  en  esprit 
de  retour  :  je  ne  craindrais  qu'un  voyage  de  peine 
et  de  tentation.  Pour  le  voyage  fait  par  amitié  pour 
j^ïme  Yotre  sœur  ^  sans  dépit ,  sans  trouble ,  sans  au- 
cune résistance  à  la  grâce ,  et  en  vue  d'un  prochain 
retour ,  je  ne  puis  que  l'approuver.  Là  oit  est  V esprit 
de  Dieu  là  est  la  libeî'tè  (a)  ;  là  où  est  la  gêne  et  le 
trouble  ,  là  est  l'esprit  propre.  Vous  savez  que  vous 
avez  toujours  cru  que  Dieu  vous  voulait  ici  en  union 
avec  nous.  Ne  manquez  point  à  celui  que  vous  devez 
préférer  à  vous-même.  En  allant  à  Paris  ,  il  faut  bien 
prendre  garde  au  choix  d'un  confesseur ,  qui  ne  vous 
trouble  ni  ne  vous  gêne.  Vous  connaissez  de  vrais 
amis  qui  vous  conseilleront   là-dessus.  Jamais  je   ne 

(a)  //  Cor.  iii.   1 7. 


LETTIŒS    SPIRITUELLES.  «JJ^ 

VOUS  fus  uui  et  dévoué  en  Noire-Seigneur  autant  que 
je  le  suis. 

Mille  choses  à  M.  et  à  M'"'"  la  Comtesse  de  Souastre. 
Je  suis  ravi  de  ce  que  le  malade  est  mieux. 


•%%<*  1%%^  «v*^  ^/%^  ^%« -wt^^^  ^^^  «< 


458. 

Suivre  l'attrait  avec  simplicité,  quand  il  est  paisililc. 

A  Camljrai  ,    12  juin   iji2. 

Vous  ne  sauriez  mieux  faire ,  ma  chère  fille  ,  que 
de  suivre  votre  cœur  quand  il  est  en  paix.  Demeurez 
donc  à  Arras  avez  ma  filleule  ,  puisque  vous  y  trou- 
vez un  vrai  repos ,  et  attendez  le  retour  de  M'"^  votre 
fille.  Alors  vous  suivrez  encore  votre  goût  pour  aller 
à  Paris  ou  pour  revenir  ici.  Ce  que  votre  cœur  déci- 
dera par  son  propre  fond  devant  Dieu ,  sera  hon  : 
mais  il  ne  faut  y  mêler  ni  peine,  ni  réflexion  d'amour- 
propre.  Je  ne  veux  que  le  cœur  simple  ,  paisible ,  et 
abandonné  à  Dieu.  Vous  avez  grande  raison  d'aimer 
]yïme  votre  sœur  ,  et  de  désirer  de  la  revoir.  J'aurai 
une  véritable  joie  de  la  vôtre  et  de  la  sienne  ,  si  vous 
allez  la  voir  à  Paris  :  mais  je  serais  encore  plus  con- 
tent ,  si  elle  pouvait  dans  la  suite  venir  ici.  Les  nou- 
velles de  la  paix  ,  qui  se  confirment  de  plus  en  plus 
de  tous  côtés,  m'en  donnent  l'espérance.  Bonsoir,  ma 
chère  fille.  Rien  ne  vous  sera  jamais  dévoué  au  point 
où  je   le  suis  pour  toute  ma  vie. 


CoRRESP.  IV.  33 


'"O.^  LETTRES    SPIRITUELLES. 

459. 

Servir  Dieu  avec  paix. 

A  Cambrai,  4  juin  ijiS. 

Je  suis  en  peine  de  votre  santé  ,  ma  clière  fille ,  et 
je  souliaite  qu'elle  soit  aussi  bonne  que  la  mienne. 
Tachez  de  trouver  en  vous  la  paix  :  c'est  le  vrai  don 
du  Saint-Esprit.  Jésus-Christ  dit  souvent  à  ses  dis- 
ciples :  La  paix  soit  avec  vous  j  et  la  plupart  des 
personnes  qui  veulent  servir  Dieu  repoussent  cette 
paix  sous  de  beaux  prétextes.  Ils  font  consister  leur 
vertu  dans  l'inquiétude  et  dans  le  trouble.  Etrange 
illusion  !  où  l'on  tombe  en  voulant  éviter  l'illusion 
même.  Demeurez  avec  votre  famille  autant  que  votre 
cœur,  mis  en  paix  devant  Dieu,  vous  y  portera.  Rien 
ne  vous  est  dévoué  au  point  où  je  le  suis  pour  le 
reste  de  ma  vie. 

460. 

Même  sujet. 

A  Cambrai ,  8  juin  lyiS. 

Je  suis  ravi ,  ma  chère  fille ,  de  voir  par  vos  lettres 
quelque  apparence  de  tranquillité.  Pendant  que  vous 
serez  dans  cette  disposition,  vous  pouvez  suivre  libre- 
ment votre  cœur,  pour  contenter  votre  famille  ;  mais 
il  faut  revenir  à  Cambrai ,  comme  à  l'air  natal.  Mon 
neveu  me  parait  respirer  l'air  de  votre  campagne 
avec  un  grand  plaisir  ;  mais  il  faut  des  bornes  à  tout , 


LETTRES    SPIRITUELLES.  "^55 

et  il  a  besoin  île  revenir  ici  pour  ces  occupations  or- 
ilinaires.  Je  l'exliorte  à  vous  obéir  ,  si  vous  voulez 
absolument  le  retenir  encore  quelques  jours.  Il  con- 
viendrait ,  ce  me  semble  ,  qu'il  revînt  ici  avant  la  fête 
(lu  Saint-Sacrement ,  pour  faire  son  devoir  dans  notre 
éi^iise.  Portez-vous  bien  :  que  la  jjaix  de  Dieu  ,  qui 
surpasse  tout  sens  liumain ,  garde  votre  cœur  et  votre 
esprit  en  Jésus-Christ  [a).  Je  ne  puis  vous  exprimer 
à  quel  point  je  vous  suis  dévoué  en  lui. 

(a)  Philip.  IV.   7. 

461, 

Satisfaire  librement  nnx  bienséances  de  famille. 

A  Cambrai,  14  juin  17 13. 

Vous  avez  très-bien  fait ,  ma  très-clière  fille ,  de 
ne  refuser  point  à  W^^  la  Comtesse  de  Souastre  une 
consolation  qu'elle  mérite  infiniment.  Vous  allez  si 
rarement  la  voir  ,  qu'il  faut  bien  au  moins  que  quand 
vous  y  allez  ,  elle  vous  retienne  un  peu.  Mon  neveu 
est  fort  toucbé  de  toutes  les  marques  de  bonté  dont 
il  a  été  comblé  par  tout  ce  qui  vous  appartient.  Je 
serai  ravi  que  vous  soyez  avec  une  si  aimable  com- 
pagnie ,  pendant  que  vous  y  serez  par  l'attrait  de  la 
grâce  ,  et  le  pencbant  de  votre  cœur.  Je  vous  en- 
verrai mon  carrosse ,  au  moindre  signal,  pour  revenir. 
Mon  neveu  l'abbé  doit  par  reconnaissance  être  votre 
gazetier.  Dieu  sait ,  ma  très-clière  fille  ,  à  quel  point 
je  vous  suis  dévoué. 


33^ 


n56  LETTRES    SPIRITUELLES. 

462. 

Bonheur  de  Tarae  attentive  à  écouter  Dieu. 

A  Cambrai,  mardi  27  juin  1713. 

J'ai  lu  avec  plaisir ,  ma  très-clière  fille ,  une  lettre 
que  vous  avez  écrite  à  mon  neveu  :  elle  montre  votre 
bon  cœur.  Dieu  vous  le  rende.  Je  suis  en  peine  de 
votre  santé  :  vous  ne  dormez  point ,  et  j'en  sais  bien 
la  cause.  On  fait  tant  de  bruit  autour  de  vous  dès 
le  sçrand  matin ,  que  vous  ne  pouvez  dormir.  Vous 
ne  prendrez  jamais  sur  vous  d'en  avertir.  M™^  votre 
fille ,  qui  est  très-infirme ,  n'en  aurait  pas  moins  be- 
soin que  vous.  Faites  donc  pour  elle  ce  que  vous  ne 
voudriez  pas  faire  pour  vous.  M."^*^  de  Souastre  se  tue 
pour  sa  famille  :  c'est  accabler  sa  famille ,  que  de 
ne  ménager  pas  la  santé  d'une  telle  mère.  Les  com- 
pagnies qui  vont  vous  voir  vous  gêneront  encore ,  et 
dérangeront  vos  faibles  santés.  Je  serai  ravi  du  temps 
que  vous  donnerez  à  M^^  votre  fille  ,  selon  votre 
cœur ,  et  en  suivant  en  paix  l'esprit  de  grâce  ;  mais 
je  sentirai  une  véritable  joie ,  quand  Dieu  vous  ra- 
mènera ici. 

O  qu'on  est  lieureux  quand  on  n'écoute  que  Dieu 
et  qu'on  n'écoute  point  les  réflexions  de  l'amour- 
propre  !  D'un  côté  ,  sont  la  simplicité  ,  la  paix ,  l'a- 
bandon ,  et  le  commencement  du  paradis  sur  terre. 
De  l'autre  ,  sont  la  fausse  sagesse  ,  les  incertitudes , 
les  délicatesses  ,  les  dépits  ,  le  trouble  ,  et  la  résis- 
tance à  Dieu  qui  divise  le  cœur.  Heureux  qui  n'a 
plus  d'autre  délicatesse  ni  d'autre  jalousie  ,  que  celle 


LETTRES    SPIIUTLELEES.  ^'Ci'J 

que  la  glace  nous  inspire  pour  Dieu  contre  nous- 
mêmes  !  Bonsoir ,  ma  très-chère  fille  :  rien  ne  vous 
est  plus  dévoué   (jue  je  le  serai  le  reste  de  ma  vie. 


463. 

La  paix  est  la  marque  des  opéralious  de  Dieu. 

A  Cambrai,  29  juin  iji3. 

Je  n'ai  qu'un  moment ,  ma  clièrc  fille ,  pour  vous 
dire  ce  que  je  suis  persuadé  que  Dieu  vous  dit  bien 
plus  fortement.  Rien  n'est  bon  hors  de  la  paix.  La 
paix  est  la  marque  du  doigt  de  Dieu.  Tout  ce  qui 
n'est  point  paix  n'est  qu'illusion  et  trouble  d'aïuour- 
propre.  Suivez  le  fond  de  votre  cœur,  sans  vous 
écouter.  C'est  ce  fond  qui  est  sur  et  simple  :  le  reste 
n'est  que  vaine  réflexion  et  entortillement  de  l'esprit. 
Ne  vous  gênez  point  ;  allez  comme  un  enfant  ;  vous 
n'aurez  encore  que  trop  de  symétrie.  Je  suis  en  peine 
de  M™*=  la  Comtesse  de  Souastre  ,  que  je  respecte  du 
fond  du  cœur.  Dieu  soit  avec  ^ous.  J'y  suis  avec  lui, 
ce  me  semble ,  tout  auprès  de  vous. 

464. 

Sans  la  paix  ^u.  résiste  à  Dieu, 

Jeudi  matin,  a  novembre  17 13. 

J'ai  un  vrai  déplaisir ,  ma  chère  fille ,  de  partir 
pour  Chaulnes  ,  sans  avoir  pris  congé  de  vous  ;  mais 
vous  savez  les  raisons  qui  m'en  empêchent.  Je  re- 
viendrai tout  au   plutôt.  En  attendant ,   je  vous  dé- 


n58  LETTRES    SPIRITUELLES. 

sire  la  paix  du  cœur ,  sans  laquelle  on  résiste  à  l'es- 
prit de  Dieu  ,  et  on  ne  s'occupe  que  de  soi ,  sous  le 
beau  prétexte  de  la  régularité  des  vertus.  Dieu  sait 
à  quel  point  je  yous  suis  dévoué  à  jamais. 

465  *.  (-^6) 

Effets  contraires  de  ramour-projirc  et  de  l'amour  de  Dieu. 

Comment  pouvez-vous  douter  ,  ma  chère  fille  ,  du 
zèle  avec  lequel  je  suis  inviolablement  attaché  à  tout 
ce  qui  vous  regarde  ?  Je  croirais  manquer  à  Dieu  si 
je  vous  manquais.  Je  vous  proteste  que  je  n'ai  rien 
à  me  reprocher  là-dessus  :  mon  union  avec  vous  ne 
fut  jamais  si  grande  qu'elle  l'est.  Je  piie  souvent  le 
^rai  Consolateur  de  vous  consoler.  On  n'est  en  paix 
que  quand  on  est  bien  loin  de  soi  ;  c'est  l'amour- 
propre  qui  trouble ,  c'est  l'amour  de  Dieu  qui  calme. 
L'amour-propre  est  un  amour  jaloux ,  délicat ,  om- 
brageux ,  plein  d'épines ,  douloureux ,  dépité.  Il  veut 
tout  sans  mesure  ,  et  sent  que  tout  lui  échappe ,  parce 
qu'il  n'ignore  pas  sa  faiblesse.  Au  contraire ,  l'amour 
de  Dieu  est  simple ,  paisible  ,  pauvre  et  content  de 
sa  pauvreté ,  aimant  l'oubli ,  abandonné  à  tout ,  en- 
durci à  la  fatigue  des  croix ,  et  ne  s'écoutant  jamais 
dans  ses  peines.  Heureux  qui  trouve  tout  dans  ce  tré- 
sor du  dépouillement!  Jésus-Christ,  dit  l'Apôtre  (a), 
nous  a  enrichis  de  sa  pauvreté  ,  et  nous  nous  ap- 
pauvrissons par  nos  propres  richesses.  N'ayez  rien ,  et 
vous  aurez  tout.  Ne  craignez  point  de  perdre  les  ap- 

(a)  //  Cor.  Tiii.  9. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  ^Sq 

puis  et  les  consolations  -,  vous  trouverez  un  gain  in- 
liiii  dans   la   perle. 

Vous  èles  en  société  de  croix  avec  M :  il  faut 

le  soutenir  dans  ses  inQrmités.  Dieu  vous  rendra , 
selon  le  besoin  ,  tout  ce  que  vous  lui  aurez  donné. 
C'est  à  vous  à  être  sa  ressource ,  vous  qui  avez  reçu 
luie  nourriture  plus  forte  pour  la  piété,  et  qui  avez 
été  moins  accoutumée  à  la  dissipation  flatteuse  du 
monde.  Ne  prenez  pourtant  pas  trop  sur  vous.  Don- 
nez vous  simplement  et  avec  petitesse  pour  faifjle. 
Demandez  au  besoin  qu'on  vous  soulage  et  qu'on  vous 
épargne. 

Je  ne  suis  point  surpris  de  ce  que  le  torrent  du 

monde  entraîne  un  peu  N Il  est  facile,  vif,  et 

dans  l'occasion  ;  mais  il  est  bon.  Il  sent  la  vivacité 
de  ses  goûts ,  et  j'espère  qu'il  s'en  défiera  :  se  dé- 
lier de  soi  et  se  confier  à  Dieu  seul ,  c'est  tout.  G a 

le  cœur  excellent  ;  mais  il  ne  commencera  à  se  tourner 
solidement  vers  le  bien  ,  que  quand  le  recueillement 
fera  tomber  peu  à  peu  ses  saillies  et  ses  amusemens. 
Il  faut  prier  beaucoup  pour  lui,  et  lui  parler  peu; 
l'attendre ,  et  le  gagner  en  lui  ouvrant  le  cœur. 

466  *.  (^34) 

L'oubli  <le  soi  est  la  source  de  la  paix. 

Soyez  simple  ,  petite  ,  et  livrée  à  l'esprit  de  grâce  , 
comme  il  est  dit  des  Apôtres;  la  paix  en  sera  le  fruit. 
Il  n'y  a  que  vous  seule  qui  puissiez  troubler  votre 
paix  ;  les  croix  extérieures  ne  la  troubleront  jamais. 
Vos  seules  réflexions  d'amour-propre  peuvent  inter- 


j6o  LETTIŒS    SPIRITUELLES. 

rompre  ce  grand  don  de  Dieu.  Ne  vous  en  prenez 
doue  jamais  qu'à  vous-même  du  mal  que  vous  souf- 
frirez au  dedans.  Vous  n'avez  aucun  autre  mal  que 
celui  du  faux  remède.  Je  souhaite  fort  que  votre  cœur 
soit  dans  la  paix  du  pur  abandon  ,  qui  est  une  paix 
sans  bornes  et  inaltérable ,  mais  non  pas  dans  la  paix 
qui  dépend  des  appuis  recherchés  et  aperçus. 

Ce  que  je  vous  désire  plus  que  tout  le  reste  ,  est 
un  profond  oubli  de  vous-même.  On  veut  voir  Dieu 
en  soi ,  et  il  faut  ne  se  voir  qu'en  Dieu.  Il  faudrait 
ne  s'aimer  que  pour  Dieu ,  au  lieu  qu'on  tend  tou- 
jours ,  sans  y  prendre  garde ,  à  n'aimer  Dieu  que 
pour  soi.  Les  inquiétudes  n'ont  jamais  d'autres  sour- 
ces que  l'amour-propre  :  au  contraire ,  l'amour  de 
Dieu  est  la  source  de  toute  paix.  Quand  on  ne  se  voit 
qu'en  Dieu ,  on  ne  s'y  voit  plus  que  dans  la  foule  ,  et 
que  des  yeux  de  la  charité  ,  qui  ne  trouble  point  le 
cœur. 

Il  n'y  a  jaxiiais  que  l'amour-propre  qui  s'inquiète 
et  qui  se  trouble.  L'amour  de  Dieu  fait  tout  ce  qu'il 
faut  d'une  manière  simple  et  eOicace  _,  sans  hésiter  ; 
mais  il  n'est  ni  empressé  ,  ni  inquiet ,  ni  troublé.  L'es- 
prit de  Dieu  est  toujours  dans  une  action  paisible. 
Retranchez  donc  tout  ce  (jui  irait  plus  loin  ,  et  qui 
vous  donnerait  quelque  agitation.  Le  parfait  amour 
chasse  la  crainte  (a).  Calmez  ^'Ot^e  esprit  en  Dieu  , 
et  que  l'esprit  calmé  prenne  soin  de  rétablir  le  corps. 
Retirez-vous  en  celui  qui  tranquilHse  tout ,  et  qui  est 
la  paix  même.  Enfoncez-vous  en  lui  jusqu'à  vous  y 
perdre   et  à  ne  vous  plus  trouver. 

(a)   /  Joan.  iy.    i8. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  7G  [ 

C'est  dans  roubli  du  mol  qu'habite  la  paix.  Partout 
où  le  mui  rentre  ,  il  mot  le  cœur  en  convulsion  ,  et 
il  n'y  a  point  de  bon  antidote  contre  ce  venin  subtil, 
lleuieux  qui  se  livre  à  Dieu  sans  réserve ,  sans  re- 
tour j  sans  songer  qu'il  se  livre  ! 

Je  prie  Dieu  qu'il  parle  lui-même  à  votre  cœur  , 
et  que  vous  suiviez  lidèlement  ce  qu'il  vous  dira. 
Ecouter  et  suivre  sa  parole  intérieure  de  grâce  ,  c'est 
tout  :  mais  pour  écouter ,  il  faut  se  taire  ;  et  pour 
suivre  ,  il  faut  céder. 

Je  vous  souhaite  la  paix  du  cœur  et  la  joie  du  Saint- 
Esprit.  Toute  pratique  de  vertu  et  toute  recherche 
de  sûreté  ,  qui  ne  s'accorde  point  avec  cette  paix  hum- 
ble et  recueillie ,  ne  vient  point  de  Notre-Seigneur. 


-^62  LETTRES    SPIRITUELLES. 


LETTRES 

A    LA   MARQUISE    DE    RISBOURG. 

467. 

Il  explique  à  la  Marquise  sa  conduite  par  rapport  à  quelques  personnes 
qui  désiraient  l'avoir  pour  directeur. 

A  Cambrai,  mardi  2  décembre   1710. 

Vous  avez  fait  de  merveilles  ,  ma  chère  fille  ,  en 
m'ouvrant  votre  cœur  sur  vos  peines.  Dieu  vous  bé- 
nira quand  vous  agirez  ainsi  avec  simplicité.  Il  per- 
met que  vous  soyez  peinée  ,  sans  voir  les  choses  comme 
elles  sont  ;  mais  si  vous  ne  les  voyez  pas  ,  il  les  voit , 
et  il  sait  tout  ce  que  je  fais  pour  vous  servir  solide- 
ment. Je  serais  bien  soulagé,  si  je  cessais  de  prendre 
soin  de  ce  qui  doit  vous  intéresser.  Vous  ne  faites 
justice  ni  à  moi  ni  à  d'autres  ,  quand  vous  croyez 
qu'on  m'a  éloigné  de  travailler  pour  la  plus  jeune 
personne.  Ce  soupçon  n'a  aucun  fondement.  J'ai  tou- 
jours été  prêt  à  le  faire  de  très-bon  cœur  ;  mais  je 
n'ai  cru  devoir  faire  aucune  avance ,  comme  je  n'en 
fais  jamais  aucune  vers  qui  que  ce  soit  en  tel  cas. 
J'ai  cru  qu'il  fallait  voir  si  elle  venait  à  moi  par  un 
choix  de  confiance ,  ou  par  une  complaisance  politi- 
que. Du  reste ,  mon  zèle  était  sans  aucune  réserve. 
Pour  vous ,  ma  chère  fille  ,  vous  devez  regarder  votre 
peine  de  la  cliarité  que  j'exerce  pour  votre  véritable 
intérêt ,  comme  une  tentation.  Il  sufiit  que  votre  vo- 
lonté n'y  consente  pas  y  et  que  vous  portiez  cette  ré- 


LETTRES    SPIRITUELLES.  -^63 

pngnance  avec  humilité  et  abandon  à  Dieu.  Commu- 
niez ,  et  tiiiles-vous  violence  pour  ne  parler  point 
contre  les  personnes  qui  vous  choquent.  Dieu  sait 
avec  quel   zèle  je  vous  suis  tout  dévoué  en  lui. 


468. 

Sur  une  inquiétude  qui  éloignait  la  Marquise  du  la  communion, 

A  Cambrai  ,  9  décembre  1710. 

Vous  devez  supposer ,  ma  chère  fille  ,  que  vous  avez 
dit  dans  le  temps  ce  que  vous  ne  vous  souvenez  point 
d'avoir  voulu  taire.  Il  n'y  a  qu'à  demeurer  en  paix , 
et  qu'à  communier.  Il  est  vrai  que  vous  devez  être 
dans  la  disposition  de  vaincre  votre  orgueil ,  en  di- 
sant par  simplicité  et  humilité  une  chose  humiliante  : 
mais  il  suffit  d'être  bien  déterminée  à  la  dire  ,  quand 
j'irai  chez  vous  ,  quoi  qu'il  vous  en  coûte.  Moyen- 
nant cette  détermination  ,  vous  n'avez  qu'à  commu- 
nier. Pour  l'exécution ,  Dieu  vous  aidera.  Il  ne  faut 
point  s'écouter  ,  et  dire  d'abord  tout ,  sans  se  donner 
aucun  loisir  d'y  faire  des  réflexions  d'amour-propre. 

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(■^o:\)  469  *. 

Gjntrc  les  délicatesses  excessives  de  l'amitié. 

Dimauclie,  24  avril  171a. 

C'est  vous-même  que  vous  cherchez  ,  ma  chère 
fille ,  en  cherchant  l'amitié  des  créatures  ;  mais  vous 
n'y  trouverez  point  ce  que  vous  y  cherchez.  Vos  déli- 
catesses d'amitié  ne  sont  que  des  rallinemens  d'amour- 


'J0:y  LETTRES    SPIRITUELLES. 

propre  :  mais  les  créatures  ont  un  amour-propre  aussi 
bien  que  vous  ;  chacun  veut  tout  pour  soi.  D'ailleurs 
vous  ne  trouverez  jamais  ni  paix  ni  consolation  dans 
un  amour-propre  affamé  d'amitié  ;  il  n'aura  pour  vous 
que  douleurs  et  qu'épines.  Ne  le  méritez-vous  pas  , 
puisque  l'infini  même  ne  vous  suffit  point ,  et  que  vous 
ne  trouvez  point  Dieu  assez  aimable ,  à  moins  que 
vous  n'y  joigniez  les  amusemens  les  plus  frivoles?  Re- 
venez au  recueillement  ;  mais  ne  tardez  pas.  Chaque 
moment  où  vous  retardez  est  une  grande  infidélité. 
Il  faut  que  l'oraison  soit  votre  pénitence ,  en  atten- 
dant qu'elle  redevienne  votre  nourriture.  Bonsoir.  Je 
suis  à  vous  sans  mesure  ,  mais  en  Dieu  seul  à  jamais. 

470. 

Il  lui  reproche  une  infidélité  à  Dieu. 

Lundi,  4  juillet  17 12. 

Vous  m'avez  manqué  de  parole ,  ma  chère  fille  , 
et  ce  qui  est  cent  fois  pis ,  vous  en  avez  manqué  à 
Dieu  même.  On  ne  peut  être  plus  en  peine  que  je  le 
suis  de  votre  état.  Je  me  rendrai  chez  vous  dès  que 
vous  le  voudrez  ;  mais  je  vous  deviens  inutile  malgré 
moi ,  par  votre  résistance  à  Dieu  ,  par  le  resserre- 
ment de  votre  cœur,  et  par  une  dissipation  volontaire, 
qui  vous  expose  aux  plus  grands  périls.  Consolez-moi , 
et  rendez-vous  la  paix  à  vous-même  ,  en  cédant  à 
Dieu  sans  aucun  délai.  Que  ne  voudrais-je  point  faire 
pour  votre  véritable  bien  ! 


LETTRES    SPIRITUELLES.  'jGS 


471. 

Tl  11  prie  de  suspendre  ses  démarches  sur  une  afTairc  importante. 
A  Cambrai  ,  dimanche  18  septembre  1712. 

Je  suis  ravi  des  dispositions  où  Dieu  vous  met, 
ma  chère  fdle.  Demeurez-y  en  paix ,  avec  petitesse  , 
sans  écouter  votre  amour-propre.  Mais  ne  faites  au- 
cune démarche  avant  que  j'aie  eu  Fiionneur  de  vous 
voir.  U  faudra  que  je  concerte  ,  s'il  vous  plaît ,  toutes 
choses  avec  vous,  et  qu'ensuite  je  parle  de  l'autre  côté, 
pour  empêcher ,  par  rapport  à  l'avenir ,  les  inconvé- 
niens  que  vous  craignez.  En  attendant ,  communiez  , 
puisque  vous  êtes  prête  à  tout.  N'hésitez  point. 


472. 

Acquiescement  aux  croix  journalières. 

25  septembre  17 12. 

Cette  raison  ne  doit  nullement  vous  arrêter ,  ma 
chéie  fdle.  Travaillez  à  rentier  dans  le  recueillement  : 
ne  laissez  rien  dans  votre  tête  ,  ni  dans  votre  cœur. 
Point  de  dépit,  point  de  raisonuemens,  point  de  pro- 
jets :  paix  ,  simplicité ,  petitesse  ,  acquiescement  aux 
croix  journalières.  Bonjour.  Il  est  temps  de  revenir 
au  point  essentiel  ,  qui  est  la  dépendance  de  la  grâce 
pour  mourir  à  soi. 


nQQ  LETTRES    SPIRITUELLES. 

473  *  R.  (-^^3) 

Exhortation  à  reprendre  la  première  ferveur. 

i3  avril  1713. 

Je  ne  puis  ,  ma  chère  fille,  vous  rien  dire  de  plus 
convenable  que  ces  paroles  de  saint  Jean  d  Vanye , 
c'est-à-dire  à  l'Évéque  de  l'église  d'Éphèse  ,  qui  était, 
selon  les  apparences  ,  Timothée  {a)  :  J'ai  contre  vous , 
que  vous  avez  quitté  votre  pre?nière  charité  ,  souve- 
nez-vous donc  d'où  vous  êtes  déchu  j  faites  pénitence  , 
et  reprenez  vos  premières  œuvres.  Si  vous  y  man^ 
quez  ,  je  viendrai  à  vous  ,  et  fêterai  votre  chandelier 
de  sa  'place.  C'est  ainsi  que  l'esprit  de  Dieu  aime  les 
hommes  sans  les  flatter.  Il  aime ,  et  il  menace  :  il  ne 
menace  même  que  par  amour.  Il  montre  la  peine , 
afin  que  l'homme  ne  le  contraigne  pas  de  la  lui  faire 
souffrir.  Voyez  combien  les  personnes  les  plus  par- 
faites déchoient  facilement  et  peu  à  peu ,  sans  y  pren- 
dre garde.  Voilà  Timothée  que  saint  Paul  appelle 
Vhomme  de  Dieu  [e]  voilà  Vange  d'une  des  plus  saintes 
églises  de  tout  POrient ,  dans  ces  beaux  jours  où  la 
Religion  était  si  florissante  :  cet  ange  tombe  ;  il  oublie 
son  ancien  amour ,  son  recueillement ,  son  oraison ,  ses 
œuvres-,  il  se  relâche, 'il  se  dissipe.  Il  n aperçoit  pas 
d'abord  son  égarement  et  sa  chute.  Il  dit  en  lui-même  : 
Que  fais-je  de  mal?  Ma  conduite  n'est-elle  pas  honnête 
et  régulière  aux  yeux  du  monde?  N'a-t-on  pas  besoin 
de  quelque  consolation?  serait-ce  vivre  ,  que  de  n'a- 
voir jamais  rien  qui  soutienne  et  qui  ranime  le  cœur 

{a)   Jpoc.  II.  4^   5.  {e)  I  Tim.  vu   11. 


LETTRES    SPIRITUELLES.  76'^ 

C'est  ainsi  (ju'on  ost  ingénieux  à  se  tromper  ,  et  à  dé- 
ii;iiiser  son  relâchement,  llàtez-vous ,  dit  le  Saint- 
Es])nt,  d'ouvrir  les  yeux,  et  de  voir  d'oïc  vous  êtes 
déchu.  0  que  vous  êtes  au-dessous  de  votre  ancienne 
place  !  Souvenez-vous  de  la  ferveur  de  vos  oraisons  , 
de  votre  solitude  paisible  ,  de  votre  jalousie  pour  le 
recueillement ,  et  de  la  iidélité  avec  laquelle  vous  vou- 
liez  fuir  tout  ce  qui  pouvait  l'altérer.  Si  vous  ne  vous 
en  souvenez  plus  ,  les  autres  ne  l'ont  pas  oublié  ,  et  ils 
ne  manquent  pas  de  dire  :  Qu'est  devenue  cette  fer- 
veur ?  On  ne  voit  plus  qu'amusement  au  dehors ,  et 
qji'ennui  au  dedans  dès  que  les  amusemens  sont  finis. 
Ce  n'est  plus  la  même  personne  :  croit-elle  être  encore 
dévote  ? 

C'est  ainsi  qu'on  tombe  ,  par  degrés  insensibles ,  et 
sous  de  beaux  prétextes,  d'un  état  de  sincère  mort 
à  soi ,  jusque  dans  un  relâchement  où  l'on  voit  re- 
naître toutes  les  vies  les  plus  grossières  de  l'amour- 
propre.  Au  moins  faut-il  se  souvenir  de  l'état  d'où 
on  est  déchu.  Il  faut  regretter  ce  pî'emier  amour  qui 
nourrissait  le  cœur.  11  faut  reprendre  ces  premières 
onivres  qu'on  a  abandonnées  si  lâchement  pour  des 
œuvres  de  vanité.  Il  faut  regarder  de  loin  la  solitude 
où  l'on  était  en  paix  avec  le  véritable  consolateur.  Il 
faut  dire  comme  l'enfant  prodigue  {a)  :  Je  sais  ce  que 
je  ferai  :  je  retournerai  chez  mon  jfère  ;  je  lui  dirai  : 
O  père  y  j'ai  péché  contre  le  ciel  et  contre  vous  ;  je 
ne  suis  plus  digne  d'être  nommé  votre  eiifant.  S'il 
vous  fait  sentir  d'abord  quelque  froideur  et  quel- 
que sécheresse  ,  recevez  humblement  cette  pénitence  , 

(a)  Luc.  XV.   i8  ,  19. 


^-68  LETTRES    SPIRITUELLES. 

dont  vous  avez  im  besoin  infini.  Si  vous  manquez  à 
rentrer  proraptement  dans  son  sein  paternel ,  voici  ce 
qu'il  ferait  :  Je  viendrai  ,  dit-il^  à  vous  ,  et  j'ôterai  vo- 
tre chandelier  de  sa  place.  Il  vous  ôterait  le  flambeau 
dont  vous  ne  faites  aucun  usage  ,  et  il  vous  laisserait 
dans  les  ténèbres  ;  il  transporterait  ses  grâces  si  pré- 
cieuses ,  et  si  long-temps  foulées  aux  pieds  ,  à  quel- 
que autre  ame  plus  simple ,  plus  docile  et  plus  fidèle. 
Il  faut  reprendre  vos  lectures ,  votre  oraison ,  votre 
silence  ,  votre  première  simplicité  et  petitesse.  Polu' 
la  communion  ,  il  faut  l'augmenter  chaque  semaine 
d'un  jour  ,  jusqu'à  ce  que  vous  l'ayez  rétablie  au  pre- 
mier état. 

474  *  A.  (2o4) 

Même  sujet.  Nouvelles  du  Marquis  de  Fénelon. 

A  Cambrai,  i3  septembre  i^i3. 

Je  suis  fort  aise  ,  ma  chère  fdle  ,  de  ce  que  vous  avez 
vu  M™^  la  princesse  d'Espinoi  (i);  je  l'ai  vue  aussi  un 
moment.  Mettez  à  profit  votre  solitude  pour  rentrer 
dans  le  recueillement.  Vous  ne  pouvez ,  hors  de  ce 
centre  ,  ni  vous  soutenir  dans  une  vraie  piété  ,  ni 
modérer  la  sensibilité  de  votre  cœur ,  ni  adoucir  vos 
croix,  ni  jouir  d'aucune  paix.  Vous  commencerez  par 
une  violence  pénible ,  pour  vous  ramener  à  cette  vie 
intérieure  et  à  cette  dépendance  de  l'esprit  de  grâce  , 
qui  est  jaloux  de  toutes  les  vies  secrètes  de  l'amour- 


(i)   Thérèse   de    Lorraine,    veuve   de  Louis   de   Melun  ,  Prince 
d'E-ipinoi.  Le  Marquis  de  Risbourg  e'tait  de  la  racrae  famille.    . 


LETTRES    SPIRITUELLES.  rG() 

])iopre,  et  qui  les  éteint  peu  à  peu;  mais  cette  gène 
se  changera  enliu  en  liberté.  Elle  mérite  bien  d'èlrc 
aclielée  ]»ar  une  sujétion  constante.  Ce  travail  est 
moins  pénible ,  que  celui  de  se  livrer  aux  vaines  dé- 
licatesses d'un  amour-propre  toujours  dépité. 

Mon  neveu  est  très-éloigné  de  se  relâcher  sur  les 
sentimens  qu'il  vous  doit  ;  il  m'écrit  en  homme  qui 
en  est  vivement  occupé.  Je  ne  sais  point  encore  quand 
est-ce  qu'il  viendra.  11  a  encore  une  espèce  d'écor- 
chure  à  la  cicatrice ,  dont  on  veut  voir  la  fin. 

Pour  moi ,  je  compte  d'aller  vous  rendre  mes  de- 
voirs ,  et  de  dîner  à  Valincour  tout  au  plus  tôt  ;  mais» 
je  ne  puis  vous  en  mander  le  jour  ,  qu'après  que  je 
me  serai  débarrassé  de  deux  affaires  qui  me  sont  très- 
importantes  et  irès-épineuses.  Rien  ne  peut  surpas- 
ser mon  zèle  et  mon  respect. 


475. 

Reijonf rr  à  son  pioprc  esprit. 

Dimnnche,  20  mai  i'}i\. 

Vous  ne  devez  pas  manquer,  ma  chère  fille,  de 
communier  aujourd'hui  :  la  grande  fète(i)le  demande. 
Je  prie  Notre-Seigneur  de  vous  donner  son  esprit , 
et  de  vous  ùter  le  vôtre.  La  sagesse  de  l'amour  de 
Dieu  est  bien  opposée  à  la  sagesse  de  l'amour-propre. 
L'une  travaille  à  se  déposséder  de  soi  _,  pour  laisser 
régner  Dieu  en  tout  :  l'autre  ne  veut  que  se  posséder 
en  tout ,  pour  mettre  Dieu  même  à  sou  point.  Soyer, 

(i)  Celait  le  jour  de  la  Prntecôtc. 

Conp.KPP,   IV.  3| 


nno  LETTRES    SPIRITUELLES. 

simple  et  petite  :  je  prie  Dieu  qu'il  vous  rapetisse  dans 
ses  mains.  Il  sait  combien  je  vous  suis  dévoué  en  lui. 

««V  vv%  vv«  v«%  v% -i  v«%  vvw  V%%  %V«>  V«4  V%^  VVV  l^«  VVV  «, v\  vvv  vvw  w»w  vv%^ V«  «««t/ t^V^VV V  «%%  %«V  Vb^ 

476. 

Il  compatit  à  ses  peines  intérieures. 

Je  prends  part  à  tous  vos  souffrances  ,  ma  très- 
chère  fille  ;  mais  je  suis  consolé  de  voir  votre  bonne 
résolution.  Il  fut  dit  à  saint  Paul  :  //  vous  est  dur  de 
regimbe}'  contre  V aiguillon  {(i).  Si  vous  ne  résistiez 
jamais  à  Dieu ,  vous  n'auriez  que  paix  dans  les  dou- 
leurs mêmes.  Il  me  tarde  de  vous  aller  voir  :  un  autre 
moi-même  y  va  pour  moi. 

(a)  Act,  IX.  5. 


477  *  R.  (240) 

Sur  une  pauvre  villageoise  du  diocèse  d'Arras  ,  qui  paraissait  être  dans 
un  état  extraordinaire. 

Je  crois  que  la  bonne  personne  dont  il  s'agit  doit 
faire  deux  choses.  La  première  est  de  ne  s'arrêter  ja- 
mais à  aucune  de  ses  lumières  extraordinaires.  Si  ces 
lumières  sont  véritablement  de  Dieu ,  il  suffit ,  pour  ne 
leur  point  résister  et  pour  en  recevoir  tout  le  fruit ,  de 
demeurer  dans  un  acquiescement  général  et  sans  au- 
cune borne  à  toute  volonté  de  Dieu  ,  dans  les  ténèbres 
de  la  plus  simple  foi.  Si ,  au  contraire  ,  ces  lumières 
ne  viennent  pas  de  Dieu  ,  cette  simplicité  paisible  dans 
l'obscurité  de  la  foi  est  le  remède  assuré  contre  toute 
illusion.   On  ne  se  trompe  point  quand  on  ne  veut 


LETTRES    SPIRITUELLES.  -^T 

rien  voir ,  et  qu'on  ne  s'arrête  à  rien  de  distinct  pour 
le  croire ,  excepté   les  vérités  de   l'Evangile.   Il  ar- 
rive même  souvent  que  les  lumières  sont  mélangées  : 
auprès  de  Tune  ,  qui  est  vraie  et  (jui  vient  de  Dieu , 
il  s'en  présente  une  autre  qui  vient  de  notre  imagi- 
nation ,  ou  de  notre  amour-propre  ,  ou  du  tentateur 
qui  se  transforme  en  ange  de  lumière.  Les  vraies  lu- 
mières mêmes  sont  à  craindre;  car  on  s'y  attache  avec 
ime  complaisance  subtile  et  secrète  :  elles  font  insensi- 
Llement  un  appui  et  une  propriété  *,  elles  se  tournent 
par  là  en  illusion  malgré  leur  vérité  ;  elles  empêchent 
la  nudité  et  le  dépouillement  que  Dieu  demande  des 
âmes  a\ancées.   De  là  vient  que   ces  dons  lumineux 
ne  sont  d'ordinaire  que  pour  des  âmes  médiocrement 
mortes  à  elles-mêmes  ,  au  lieu  que  celles  que  Dieu 
mène  plus  loin  outrepassent  par  simplicité  tous  ces 
dons  sensibles.  On  voit  les  rayons  du  soleil  distincte- 
ment à  un  demi-jour ,  près  d'une  fenêtre  ;  mais  de- 
hors en  plein  air  on  ne  les  distingue  plus. 

Je  conjure  cette  bonne  personne  de  laisser  tomber 
simplement  tous  ces  dons ,  sans  les  rejeter  positive- 
ment ,  et  se  bornant  à  n'y  faire  aucune  attention  par 
son  propre  choix.  S'ils  sont  de  Dieu,  ils  opéreront  assez 
ce  qu'il  faudra  ;  mais  je  crois  qu'ils  cesseront  peu  à 
peu  ,  à  mesure  que  la  simplicité  et  le  dénuement 
croîtront.  Voilà  le  premier  point,  qui  est  d'une  con- 
séquence extrême ,  si  je  ne  me  trompe. 

Le  second  point  est  que  je  crois  qu'elle  doit  par 
simplicité  suivre  sans  scrupule  les  pentes  du  fond  de 
son  cœur.  Si  elle  suit  toujours  avec  méthode  et  exac- 
titude toutes  les  règles  que  des  gens  d'ailleurs  très- 
pieux   lui  donneront ,  elle  se  gênera  beaucoup  y  et 


nn2  LETTRES    SPIRITUELLES. 

gênera  en  elle  l'esprit  de  Dieu.  Là  où  es^  cet  esj)7'it , 
là  est  la  libet'té ,  dit  saint  Paul  (a).  A  Dieu  ne  plaise 
que  cette  liberté  d'amour  soit  l'ombre  du  moindre 
libertinage  !  C'est  cette  liberté  qui  élargira  son  cœur, 
et  qui  l'accoutumera  à  être  familièrement  avec  Dieu. 
Il  ne  suffit  pas  de  nourrir  un  enfant  -,  à  un  certain 
âge,  il  faut  le  démaillotter.  Elle  doit  suivre  simple- 
ment en  esprit  d'enfance  l'attrait  intérieur  pour  les 
temps  d'oraison,  pour  les  objets  dont  elle  s'y  occupe 
pour  parler  ,  pour  se  taire  ,  pour  agir  ,  pour  souffrir. 
Cette  dépendance  de  l'esprit  de  mort ,  qui  est  celui 
de  la  véritable  vie ,  fera  tout  son  état.  Je  ne  parle 
point  des  pentes  qui  ne  viennent  que  par  contre- 
coup et  par  réflexion  ;  c'est  en  écoutant  l'amour-propre 
et  ses  arrangemens ,  que  de  telles  pentes  nous  vien- 
nent. Ce  bijut  des  pentes  étrangères  à  notre  vrai  fond  : 
on  se  les  donne  -,  on  les  prépare  ;  elles  sont  raison- 
nées  :  on  ne  les  trouve  point  toutes  formées  en  nous 
comme  sans  nous.  Les  bonnes  sont  celles  qui  se  trou- 
vent dans  le  fond  le  plus  intime  en  paix  et  devant 
Dieu ,  quand  on  se  prête  à  lui ,  et  qu'on  suspend 
tout  le  reste  pour  le  laisser  opérer. 

Voilà  ce  que  je  soubaiterais  que  cette  personne 
suivit  sans  retour ,  et  par  simple  souplesse  ,  comme 
la  plume  se  laisse  emporter  sans  hésitation  au  plus 
léger  souffle  de  vent.  Il  ne  fliut  point  craindre  de 
suivre  celte  impression  si  intime  et  si  délicate  ;  car 
elle  ne  mène  qu'à  la  mort,  qu'à  l'obscurité  de  la  foi, 
qu'au  dénuement  total ,  et  qu'à  un  rien  de  soi ,  qui 


{a)  II  Cor.  m.  17, 


LETTRES    SPIRITUELLES.  'y 7  3 

est  le  tout  de  Dieu  seul  ,  sans  mairf[uer  à  aucun 
véritable  devoir. 

Pour  les  souffrances  ,  il  n'y  a  qu'à  les  recevoir  sans 
altenlion,  et  qu'à  les  outrepasser  comme  les  lumières  , 
ne  comptant  point  avec  Dieu  pour  ce  que  l'on  souffre, 
et  ne  le  remarquant  qu'autant  que  la  remarque  en 
>  ient ,  sans  la  chercher  ni  entretenir. 

Il  faut  recevoir  tout  le  monde  avec  petitesse  ,  sur- 
tout les  prêtres  en  autorité  ;  mais  il  ne  faut  pas  se 
laisser  brouiller  et  dérouter  par  toutes  sortes  de  bonnes 
gens  sans  expérience  suflisante.  Dieu  donnera  tout 
ce  qu'il  faut  sans  lumière  distincte  ^  si  on  se  contente 
des  ténèbres  de  la  foi ,  et  si  on  ne  veut  point  des 
sûretés  à  sa  mode  pour  s'appuyer  sensiblement.  Je 
me  recommande  aux  prières  de  cette  bonne  personne , 
et  je  ne  l'oublierai  pas  dans  les  miennes. 


riN     DU     TOME     QUATRIEME. 


rj^A.  TABLE    COMPARATIVE 

J  J    T 


TABLE    COMPARATIVE 

DE    l'ordre    ancien    ET    DE    l'oRDRE    KOtJVEAU 

DES     LETTRES     SPIRITUELLES     (i). 


Nota.  "L'ordre  ancien  est  celui  qu'a  suivi  le  Marquis  de  Fénelon  dans 
les  OEuures  spirituelles,  publiées  en  Hollande  en  tjSS,  et  auquel  on 
s'est  conformé  dans  les  éditions  faites  à  Paris  depuis  174»  L'ordre  nou- 
veau est  celui  de  notre  édition.  tJn  petit  nombre  de  Lettres  spirituelles 
appartiennent  à  la  i^e  et  à  la  n«  section  de  cette  Correspondance  ,  comme 
on  le  marque  dans  la  Table  suivante.  Celles  qui  n'ont  d'autre  indica- 
tion que  leur  numéro ,  sont  toutes  de  la  v«  section ,  qui  comprend  la 
moitié  du  tome  III  et  le  tome  IV  entier. 


Ordre  ancien.  Ordre  nouveau.  Ordre  ancien.  Ordre  nouveau. 

I  tom.  I,  l'^^sect.     34  XIX  145 

II  ibid.     35  XX  198 

III  ibid.     36  XXI  i4(i 

IV  ibid.  82,  86,  88  XXII  107 

V  ibid.     83  XXIH  147 

VI  iJ/t^.  92,94  XXIV  148 

VII  Si  XXV  27 

VIII  3a  XXVI  465 

IX  33  XXVII  lom.  II ,  H»  sect.     67 

X  38  XX  VIII  ibid.     68 

XI  i'»3cct.     19  XXIX  149 

XII  195  XXX  108 

XIII  196  XXXI  i5o 

XIV  121  XXXII  i5i 

XV  197  XXXIII  109 

XVI  62  XXXIV  122 

XVII  144  XXXV  123 

XVIII  126  XXXVI  110 

(i)  Voyez  Y  Avertissement  de  la  cinquième  section,  tome  III,  à  la  tète 
des  Lettres  spirituelles. 


DES   LETTRES    SPIRITUELLES. 


J  J 


1'-^ 


Ordre  ancien. 

OrJre  nouveau.     Ordre  ancien. 

Ordre  nouveau. 

XXXVIl 

a56    LXXVIII 

272 

XXWIII. 

25;     LXXIX 

336 

,337 

XXXIX 

a64     LXXX 

332 

XL 

266,  267     LXXXI 

334 

XLI 

276     LXXXII 

339 

XLir 

269,273     LXXXIII 

340 

XLIII 

280,  295     LXXXIV 

344: 

>  '"'49 

XLIV 

281,283,292     LXXXV 

348 

XLV 

286     LXXXVI 

353 

XL  VI 

287     LXXXVII 

35.J 

xLvrr 

i»7     LXXXVIII 

74 

XLVIII 

i52     LXXXIX 

75 

XLLX 

64     XG 

7G 

L 

65     XCI 

77 

LI 

66    XCII 

78 

Lir 

67     XCIII 

79 

Liir 

68     XCIV 

80 

LIV 

69     XCV 

8t 

LV 

70     XCVI 

Si 

Lvr 

7 1     XCVIT 

83 

LVII 

72    XCVIII 

84 

Lvin 

73    XCIX 

85 

LIX 

3o2     C 

80 

LX 

3o6     CI 

87 

LXI 

34a   eu 

88 

LXII 

333   cm 

89 

LXI  II 

24a     CIV 

9" 

LXIV 

243    CV 

91 

LXV 

244    CVI 

92 

LXVI 

246,247     CVII 

93 

Lxvn 

248   cvm 

94 

Lxvni 

249     CIX 

95 

LXIX 

a5o,  2ja    CX 

9<' 

LXX 

252      CXI 

97 

LXXI 

253     CXII 

9« 

LXXII 

254    CXIII 

99 

Lxxm 

258    CXIV 

100 

LXXIV 

a59    CXV 

ia4 

LXXV 

260,261     CXVI 

i53 

LXXVI 

263  -  CXVII 

1.54 

LXXVII 

294     CXVIir           tom. 

I ,  I"  sect. 

80 

-7« 

TAliLE    t;0.>JPARATiVE 

Ordre  ancien.          Ordre  nouveau.     Ordre  ancien. 

Oidre'  nouveau. 

CXIX 

128     CLX 

ibid.  25 

cxx 

tom.  I.  1"  secl.   178     CLXI 

i63 

CXXI 

loj     CLXir 

aoo 

cxxir 

luiu.  I,  l'^scct.    i36     CLXIII 

io3 

CXXIII 

i53     CLXIV 

164 

CXXIV 

i56     CLXV 

1(55 

cxxv 

431     CLXVI 

j6e; 

CXXVI 

440     CLXVir 

167 

cxxvir 

441     CLXVIII 

168 

CXXVIII 

454     CLXIX 

169 

OXXIX 

446     CLXX 

17a 

CXXX 

157     CLXXI 

171 

CXXXI 

i58     CLXXII 

172 

€XXXIl 

ï59     CLXXIII 

173 

CXXXIII 

160     CLXXIV 

174 

CXXXIV 

161     CLXXV 

112 

cxxxv 

iri     CLXXVr 

175 

CXXXVI 

44,  430    CLXxvii 

176 

CXXXVII 

41 5,  416    CLXXVIII 

J77 

CXXXVIII 

409     CLXXIX 

178 

CXXXIX 

426     CLXXX 

Ï79 

CXL 

423     CLXXXI 

180 

CXLI 

tom.  I,  1"  sect.   195     CLXXXII 

37 

CXLII 

ihid.   198     CLXXXIII 

114 

CXLIII 

ibid.   19g     CLXXXIV 

j3o 

CXLIV 

63     CLXXXV 

i3i 

CXLV 

Ï29     CLXXXVI 

ii5 

CXLVI 

34     CLXXXVII 

116 

CXLVII 

35     CLXXXVIII 

iSi 

CXLVIII 

59     CLXXXIX 

18a 

CXLIX 

57 ,  60    CXC 

l32 

CL 

5i  ,  54     CXCI 

i33 

CLI 

49 ,  5o     CXCII 

134 

CLII 

36     CXC  III 

118 

CLIII 

162     CXCIV 

io4 

CLIV 

tom.I,  i«secl.    18,20     CXCV 

i35 

CLV 

ibid.  22  ,  27     CXCVI 

i85 

CLVI 

ihid.  23     CXCVIl 

i36 

(XVII 

ibid.  24     CXCVIM 

1S4 

CLVIII 

ibid.  29     CXCIX 

117 

CLIX 

ihid.  3i    ce 

»'9 

ULaO       i'Lj  l    1 

i\i:,;>    , 

srini  1  L  ir^JUL-iLS. 

/  ;  / 

Orilrc  ancien. 

Orilre  nouveau 

Ordrr"  ancien. 

Ordre  nouve.-xu. 

(CI 

i37 

CCXXVI 

3i,-> 

(  Cil 

i85 

ccxxvri 

327 

(  iClII 

473 

ce  XXVI II 

323 ,  32.S 

CCIV 

¥b^ 

474 

CCXXIX 

329 ,  33o 

CCV 

456 

CCXXX 

3G6,  367 

CCVI 

i38 

CCXXXI 

37.i 

(CM! 

401 

CCXXXII 

3G8.  388 

CCVIII 

186 

CCXXXI  II 

,89 

CCIX 

387 

CCXXXIV 

agS ,  46G 

<CX 

•579 

CCXXXV 

123 

tCXI 

38 1 

CCXXXVI 

i4o 

CCXII 

16 

CCXXXVII 

,41 

CCXIII 

139 

CCXXXVIII 

106 

CCXIV 

382. 

,  384 

CCXXXIX 

142 

CCXV 

187 

CCXL 

477 

ccx\'r 

28 

CCXLI 

190 

ccxvir 

391 

,  39a 

CCXLII 

191 

CCXVIII 

a5 

CCXLIII 

143 

rcxix 

397 

CCXLIV 

408 ,  429 

ccxx 

396 

crxLv 

ii3 

ccxxi 

188 

CCXLM 

lOI 

CCXXII 

400 

CCXLVII 

29 

CCXXIII 

404 

CCXLVIII 

a4 

CCXXIV 

4o5 

CCXLIX 

4 

CCXXV 

lao 

rcL 

aoi 

FIN  DE   LA  TABLE  COMPARATIVE. 


778 

TABLE 

DE   LA   DEUXIÈME   PARTIE 

DES 

LETTRES     SPIRITUELLES. 


Averlissemeut  sur  les  lettres  suivantes.  ^iS 

LETTRES   A   LA   COMTESSE   DE    GRAMONT. 

202.  Moyens  de  se  soutenir  au  milieu  des  dangers  que  l'on  rencon- 
tre dans  le  monde.  4^5 

203.  Sur  un  scandale  qui  venait  d'éclater  dans  le  monde.  4*^ 

204.  Agir  en  tout  avec  simplicité.  4 '8 

205.  Remercîment  sur  rintérêt  qu'elle  prenait  à  sa  nomination  à  la 
place  de  précepteur  du  Duc  de  Bourgogne.  419 

206.  Dérober  quelques  heures  aux  embarras  du  monde  pour  nourrir 

la  piété.  ]Ne  point  se  décourager  à  la  vue  de  ses  faiblesses.         42Q 
aoj.  Se  réserver  des  heures  de  solitude;  supporter  patiemment  les 
importuuités    d'autrui   et  nos  propres   impei'fectious  ;  moyens 
d'acquérir  l'humilité.  4^3 

208.  Ne  point  se  troubler  pour  les  fautes  involontairement  omises 

en  confession.  4^6 

209.  S'appliquer  au  silence  et  au  recueillement;  utilité  des  pénitences 

qui  ne  sont  pas  de  notre  goût.  428 

210.  Changer  sans  scrupule  l'heure  des  exercices  de  piété  quand  les 
devoirs  d'état  le  demandent.  Exhortation  à  la  simplicité  et  à 
l'enfance  chrétienne.  4^^ 

211.  Eviter  les  airs  de  mépris  et  de  hauteur  ;  supporter  patiemment 

les  défauts  du  prochain.  4-^'^ 

212.  Contre  la  crainte  excessive  de  goûter  les  plaisirs  innocens.  Sui- 
vre avec  simplicité  les  avis  des  médecins.  4^4 

2x3.  En  quoi  consiste  la  véritable  humilité  ;  espérer  en  Dieu  malgré 

notre  indignité.  /|36 

214.  Adorer  les  desseins  de  Dieu  dans  les  révolutions  de  ce  monde.  4^9 

21 5.  Ne  point  s'appuyer  sur  les  créatures  ;  s'abaisser  sous  la  main 

de  Dieu.  Ibid. 


TABLE    DES    LETTUliS    SPIRITUELLES. 


'9 


2i6.  Sur  la  compassion  qu'elle  doit  témoigner  à  son  frère  disgracie.       \^i 
317.  Voir  ses  lautes  avec  liuuiililé  ,  mais  sans  trouble.  ^4^ 

ai 8.  Porter  ses  croix  avec  pai.\  et  iuiinilité.  44^ 

•J19.  Pardonner  facilement  aux  autres  leurs  préventions.  Jbid. 

aao.  Conserver  la  paix  au  milieu  des  croix  ;  adorer  la  main  qui  nous 

les  envoie.  44^ 

aai.  Avantages  des  croix  supportées  chrétiennement.  447 

aaa.  Ne  point  ajourner  ses  projets  de  perfection.  Le  parfait  amour 

chasse  la  crainte.  44^ 

aa3.  Il  lui  indique  un  lieu  où  elle  pourra  le  voir ,  et  badine  sur  son 

humeur.  4^0 

324-  Recevoir  les  humiliations  comme  venant  de  la  main  tle  Dieu.  4^^ 
2^5.  Félicitations  à  la  Comtesse  sur  l'adoucissement  apporté  à  la  dis- 
grâce de  son  frère.  !\^ii 
320.  IVe  point  ajourner  sa  perfection  ;  la  faire  consisler  dans  la  fidé- 
lité aux  petites  choses  aussi-bien  qu'aux  grandes.  Ibid. 
227.  Dispositions  qui  conviennent  au  temps  de  TAvent.  4-^^ 
328.  Avantages  des  croix.  4^9 
aag.  Dérober  quelque»  Imures  aux  embarras ,  pour  se  fortifier  par 

les  exercices  de  piété.  4G0 

a3o.  Sur  la  mauvaise  santé  du  Comte  de  Gramont.  4^^ 

23 1.  Fruits  que  l'on  doit  retirer  des  embarras  et  des  contradictions 

de  la  vie.  462 

a3a   Sur  la  maladie  du  Comte  de  Gramont.  Avantages  des  croix.  4^3 

233-  Il  souhaite  que  le  Comte  de  Gramont  agisse  noblement  avec 
Dieu  ,  comme  il  a  fait  avec  le  monde.  4^4 

234-  ^c  faille  aucun  pas,  même  dans  le  bien,  sans  prendre  conseil  ; 
exhortation  à  la  petitesse  et  à  la  simplicité  d'esprit.  46S 

a35.  Eviter  la  prévoyance  inquiète  de  l'avenir;  fruits  que  nçus  de- 
vons retirer  des  contradictions  intérieures  j  vanité  des  biens  de 
la  terre.  4^^? 

236.  S'accoutumer  au  recueillement  5  voir  ses  fautes  sans  trouble  j 

se  donner  à  Dieu  sans  réserve.  47^ 

a3-.  Supporter  les  tentations  avec  pai.x  et  humilité.  47^ 

23S.  Comment  les  passions  humaines  s'entrechoquent;    le  renonce- 
ment et  l'abandon  ,  unique  moyen  de  conserver  la  paix.  4/7 
339.  Peinture  de  la  vie  de  la  cour.                                                                479 
340-  Adieux  .H  la  Comtesse,  partant  pour  les  eaux  de  Bourbon.          4^1 
241.  Dispositions  de  Fcnclon  par  rapport  au  livre  des  Maximes.         4^* 


7^t)  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

LETTRES  A  LA  COMTESSE  DE  MONTBERON. 

24a.  Caracléie  de  saint  François  de  Sales.  En  cjiioi  consiste  î'esprit 

de  foi.  /J84 

^43.  Exhortation  à  lentière  conCance  en  Dieu.  486 

•j44-  Eviter  l'activité  inquiète  dans  le  semce  de  Dieu;  avis  pour  la 

conduite  ordinaire.  488 

l^45.   Il  croit  à  propos  d'avoir  une  conversation  avec  la  Comtesse, 

sur  ses  dispositions  intérieures-.  490 

•2^6.  Avis  sur  l'oraison ,  les  lectures  ,  la  confession ,  cl  quelques  au- 
tres articles.  491 

•j47-  Eviter  la  trop  grande  activité  dans  l'oraison.  494 

248.  Comment  il  faut  suivre  les  différens  attraits  de  la  grâce  dans 
l'oraison.  ^q5 

249.  De  l'abandon  à  la  Providence  à  l'occasion  de  la  perte  de  nos 
amis.  Suivre  sans  crainte  l'attrait  qu'on  éprouve  dans  l'oraison 
pour  le  simple  recueillement.  497 

250.  En  quoi  consiste  l'oraison  de  silence  ;  excellence  et  effets  de 
cette  oraison.  5oo 

2.'ji.  Consolation  sur  la  mort  d'une  des  amies  Ju  la  Comtesse.  5oa 

25-2.  Abandon  simple  el  enf.intin  2.  la  conduite  de  la   Providence; 

ardeur  et  vivacité  de  l'amour  naissant.  5o3 

253.  Sur  les  douceurs  que  Dieu  fait  éprouver  aux  commençans;  fidélité 

à  suivre  l'attrait  de  la  grâce.  5o5 

254.  Combattre  les  scrupules  ,  en  allant  à  Dieu  avec  une  confiance 

et  une  simplicité  sans  réserve.  ^oj 

2.55.  Avec  quelle  simplicité  les  amis  doivent  agir  entre  eux.  5io 

256.  Source  des  scrupules  ;  moyens  d'y  remédier.  .  Ibid. 

2.57.  Tort  que  fond  les  scrupules  outrés.  5i2 

258.  Le  véritable  amour  de  Dieu  humilie,  et  dissipe  les  scrupules.  5i5 
'j5q.  Comment  l'amoin-  de  Dieu  apprend  à  souffrir  ;  différence  entre 
le  courage  qui  vient  de  l'homme ,  et  la  résignation  que  Dieu 
inspire.  5 16 

2(10.  Proportionner  les  piatiques  de  piété  aux  forces   coi'porelles.     5i8 
261.  Même  sujet.  52o 

2G2.  Se  confesser  sans  inquiétude  et  sans  scrupule.  5ai 

263.  Se  supporter  soi-même,  comme  on  supporte  le  prochain  ;  tra- 
vailler paisiblement  à  la  correction  de  ses  défauts.  Ibid. 

264.  Surmonter  les  scrupules  ,  en  se  défiant  de  la  vivacité  de  Tima- 
gination.  SzS 

25.T.  Maladie  du  Dauphin  ;  mort  de  M.  de  Croisilles.  S'ouvrir  avec 

.simplicité  an  directeur.  525 

2<i6.  Elargir  «on  cœur  par  la  confiance,  ^26 


TABLE    DES    LETTRES    SPilUTL'ELLEE.  -jSl 

Paç;. 
367.  Mi^me  sujet.  5-.>.- 

a(i8.  Résignation  tlans  les  pertes  et  les  rcveis.  Ibùf. 

atk).  Eviter  les  raisonnemens  et  les  retours  subtils  sur  soi-ini^ine.  5uS 
370.  Itinériiire  de  sa  visite  épiscopale.  53() 

■J71.  Ordre  de  sa  visite  (épiscopale.  Elargir  le  ccrur  parla  confiance.  Ibid. 
"i-]!.  Eviter  les  prévoyances  ;  vivre  de  foi  et  d'abandon  à  Dieu.  532 

•j^S.  Recevoir  les  dons  de  Dieu    avec  reconnaissance  et  humilité  j 

mort  de  Monsieur,  frère  de  Louis  XIV.  .'53"» 

274-  La  docilité  ,  seule  ressource  contre  le  scrupule.  5.1f> 

•i75.  Discrétion  clans  la  pratique  des  aiistérilés,  537 

•J76.  Obéissance  simple  et  aveugle,  seul  remède  contre  les  scrupules.  ")3.S 
•J77.  Même  sujet.  53<; 

•J78.  Même  sujet.  54 1 

■279.  Calmer  l'imagination  ;  ne  pas  entretenir  le  trouble  par  des  ré- 
flexions scrupuleuses.  IlùL 
u8o.  Déclarer  ses  peines  avec  simplicité;  écouter  Dieu  dans  ceux  qui  le 

représentent.  5|3 

aSi.  Réprimor  Tactivité  de  l'imagination  ;  se  tcii'rùans  le  calme  pour 

écouter  Dieu.  5/j'; 

282.  Réprimer  l'activité  trop  naturelle  dans  le  terviro  .l,.  nos  amis.  5W 

283.  Etre  ferme  contre  soi-même  dans  la  pratique  de  l'obéissance.  S/jS 
9.8.'} ■  Le  scrupule  ferme  à  Dieu  la  porte  de  notre  ccnnr.  S^rj 
285.  Demeurer  avec  simplicité  dans  létat  où  Dieu  notis  met.  Ibitl. 
•2S6.  Recevoir  les  grâces  et  les  consolations  sans  s'y  attacher.  55  c 
387.  Ne  point  exiger  d'une  ame  plus  qu'elle  ne  peut  encore  porter.       Ibid. 

288.  Se  mettre  en  liberté  pour  le  dedans  et  pour  le  dehors.  5."),'r 

289.  Excuses  à  la  Comtesse  ,  pour  un  oubli .  5.*4 

290.  Sur  la  bienséance  des  habits  et  des  cocipagnies.  Sur  un  mariage 
projeté  pour  un  filo  de  la  Comtesse.  Ibid. 

291.  Sur  quelques  affaires  de  famille.  55^ 
29a.  Sur  quelques  affaires  de  famille  j  s'abstenir  des  réflexions  super- 
flues. Sfiii 

293.  Avis  à  la  Comtesse,  pour  elle  et  pour  sa  GUe.  Avantages  de 

l'oraison.  55. > 

294-  Utilité  des  privations  et  des  sécheresses.  56i> 

295.  S'appliquer  à  l.i  mortification  intérieure  bien  plus  qu'à  l'esté- 
neure.  5Gt 

296.  Il  redemande  à  la  Comtesse  le  traité  de  l'Existence  deDieu.  et  lui 
recommande  le  soin  de  sa  santé.  563 

237.  Proporlionncr  les  pratiques  de  piété  aux  forces  du  corp*.  fui.,'. 

298.   Défiances  de  la  Comtesse  sur  lezélede  son  directeur.  Ab.indon 

simple  cl  absolu  aux  opérations  de  la  grâce.  "-G.5 


'j83  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

399.  Suivre  avec  simplicité  les  ouvertures  que  donne  la  Providence        567 

3oo.  Suivre  avec  simplicité  et  sans  scrupule  les  avis  du  médecin.  5G8 

3oi.  Craintes  et  délicatesses  de  la  Comtesse  sur  le  zèle  du  Prélat  à  son 

égard.  5^0 

3oa.  Recevoir  avec  reconnaissance  les  dons  de  Dieu ,  quel  que  soit 

le  canal  par  où  il  les  communique.  5^2 

3o3.  Il  la  félicite  sur  la  simplicité  avec  laquelle  elle  a  découvert  ses 
peines  intérieures,  etlexliorte  à  reprendre  avec  calme  ses  exerci- 
ces ordinaires.  S"! 

3o4-  Sur  le  combat  de  la  partie  inférieure  de  Tame  contre  la  partie  su- 
périeure. 575 

3o.^.  Suivre  avec  simplicité  Pattrait  divin.  677 

306.  Nous  confier  en  Dieu  malgré  nos  infidélités  ;  union  des  âmes 

en  Dieu  ;  se  conduire  en  tout  par  les  vues  de  la  foi.  679 

307.  Ne  point  entretenir  volontairement  les  peines  intérieures.  En- 
trevue de  Fénelon  et  du  Duc  de  Bourgogne.  58a 

308.  Sur  l'entrevue  de  Fénelon  avec  le  Duc  de  Bourgogne.  584 

309.  Sur  Pentrcvue  qu'il  a  eue  avec  le  Duc  de  Bourgogne  La  paix 
intérieure  incompatible   avec  la  résistance  i  l'attrait  divin.        Ibid. 

3 10.  Il  annonce  à  la  Comtesse  quil  a  promis  au  Comte  ,  son  époux  , 

de  la  confesser.  585 

3ii.  C'est  dans  la    privation  des  douceurs  sensibles,   que  l'on  ac- 
quiert la  vertu  solide.  586 
3 12.  S'ouvrir  avec  une  entière  liberté.  Avis  à  la  Comtesse  pour  ses 

confessions.  587 

3i3.  Sur  la  santé  de  la  Comtesse,  et  sur  le  progrès  spirituel  d'une 

de  ses   amies.  588 

3i4-  Chacun  doit  être  content  de  ce  que  Dieu  lui  donne.  5S9 

3i5.  Reconnaître  ses  fautes  avec  humilité  .  mais  sans  trouble.         Ibid. 
3i6.  Il  est  bon  de  sentir  notre  impuissance,  pour  ne  compter  que 

sur  Dieu.  .îga 

317.  Agir  en  tout  avec  paix,  simplicité   et  confiance.  593 

3 18.  Il  annonce  à  la   Comtesse  l'arrivée  procbame  de  la  Duchesse 

de  Mortemart.  594 

319.  S'occuper  beaucoup  de  Dieu,  et  peu  de  soi-même.  5^5 
3jo.  Même  sujet.  596 

321.  L'obéissance,  seul  remède  contre  les  scrupules.  597 

322.  Même  sujet.  6g8 

323.  Pratiquer  l'exercice  de  la   direction  avec  un   grand  esprit  de 

foi  et  de  mort  à  soi-même.  Ihid. 

324-  Découvrir  ses  tentations  et  ses  peines  intérieures  promptomcnt 

et  avec  simplicité.  ^"" 


TABLE    DES   LETTRES    SPIRITUELLES.  -jBj 

Pag. 

3a5.  Mémp  sujet.  Goi 

3aG.  Se  détacher  de  ses  propres  vues  ,  pour  suivre  la  voie  de  l'o- 
béissance. 6oa 

3a-.  Contre  les  scrupules  et  la  recherche  des  goûts  sensibles  dan» 

le  service  de   Dieu.  6o3 

3j8.  La  volonté  de  Dieu  rend  açjréables  les  occupations  les  plus  pé- 
nibles. S'abstenir  de  refours  subtils  sur  soi-même-  609 

329.  Voir  SCS  impeilections  avec  humilité  ,  mais  sans  trouble.  610 

330.  Mcmc  sujet.  6n 
33i.  Eviter  les  retours  trop  subtils  sur  soi-même.  6i3 
33a.  La  vue  de  nos  imperfections  ne  doit  pas  nous  faire  perdre  la 

paix  et  la  confiance.  614 

333.  De  la  vue  et  de  la  mort  de  1  amour-propre.  6i5 

334.  r^e  point  écouter  l'imagination.  619 

335.  Contre  les  inquiétudes   de  l'araour-propre.  620 

336.  Ne  pas  singérer  facilement  dans  la  direction  des  autres;  sup- 
porter en  paix  la  vue  de  ses  misères.  Ibid. 

337.  S'acooiitumcr  à  la  privation   des  goûts  sensibles.  62a 

338.  Il  se  réjouit  de  voir  ig  Comtesse  plus  tranquille.  6a4 

339.  Desseins  de  Dieu  en  permctiaui  noo  tentntinns  et  nos  peines 
intérieures.  Ibid. 

340.  Se  soutenir  par  la  vie  de  foi  au  milieu  des  croix.  62G 
341-  Ne  pas  s'inquiéter  des  jugemens  des  hommes.  G27 
34a.  Supporter  patiemment  la  vue  de  nos  défauts.  628 
343.  i\e  point  se  tourmenter  pour  trouver  dans  son  cœur  l'amour  de 

Dieu.  G29 

34'(-  Avantages  des  croix  et  des  peines  intérieures.  G3o 

340.  Abandon  à  Dieu  dans  les  afflictions.  63 1 
346.  User  de  patience  avec  soi-même,  comme  avec  le  prochain.       63a 

347-  Sacrifier  sa  volonté  à  celle  d'autrui  ;  élargir  sou  cœur.  Ibid. 

3/|8.  Retrancher  les  subtilités  inquiètes  sur  soi-même.  G33 

349.  Même  sujet.  634 

330.  Même  sujet.  Ibid. 

3)1.  N'espérer  rien  de  soi,  et  ne  désirer  rien  pour  soi.  635 

302.  Contre  les  sensibilités  d'amour-propre.  Ibid. 

353.  Voir  ses  fautes  avec  paix  ,  en  esprit  d'amour.  636 

354.  Se  supporter  soi-même,  comme  le  prochain.  G37 

355.  Contre  les  sensibilités  de  l'amour-propre.  638 

356.  Les  scrupules,  effet  de  l'amour-propre.  G39 

357.  L'obéissance  ,  seul  remède  au  scrupule.  Ihid. 

358.  Ne  point  trop  réfléchir  sur  ses  fautes.  G,^o 


784  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

359.  Sur  une  distribution  que  les  magistrats  de  Cambrai  devaient 
fiure  aux  pauvres.  64 1 

360.  Ne  prendre  aucune  résolution  importante  dans  le  trouble  et 
l'agitation  des  peines  intérieures.  642 

36i.  Saint  Joseph,  modèle  de  la  vie  intérieure.  644 

3G2.  Abandon  à  Dieu  dans  les  peines  intérieure».  Ibid. 

363.  Ne  point  trop  raisonner  sur  soi-même.  64:^ 

304.  Sur  un  voyage  <jue  la  Comtesse  projetait  à  Cliaulnes.  £4^ 

365.  S'oublier  soi-même  en  esprit  d  amour.  647 

366.  Se  souffrir  sans  trouble.  64^ 
3G7.  Souffrir  les  peines  intérieures  sans  trouble  et  avec  résignation  Ibid. 

368.  Pratique  de  la  circoncision  spirituelle  )  se  livrer  paisiblement 

à  l'opération  crucifiante  de  Dieu.  649 

369.  Ne  regarder  que  Dieu  dans  les  créatures.  65 1 
3jo.  Déclarer  avec  simplicité  ses  peines  intérieures.  652 

371.  Le  trouble  vient  de  ce  qu'on  raisonne  trop  sur  la  tentation.       Ibid. 

372.  Même  sujet.  653 

373.  Combien  est  heureuse  lame  à  qui  Dieu  parle  imraédiatcn>pnt.    6)4 
374-  Se  tenir  en  paix  pour  écouter  Dieu.  ^^'î 

375.  Même  sujet.                      . — - — "  656 

376.  Même  sujet.  657 

377.  Même  sujet.  Ibid. 
S-S.  Le  mal  découvert  avec  simplicité  devient  moins  dangereux.  658 

379.  Eviter  les  retours  inquiets  sur  soi-même.  Ibid. 

380.  Piéparer  promptement  ses  fautes  par  un  aveu  humble  et  ingénu.  GGn 

38 1.  Souffrir  paisiblement  la  vue  de  nos  misères.  6G1 

382.  Même  sujet  6G3 

383.  Il  souhaite  que  la  Marquise  de  Risbourg  quitte  le  logement 
qu'elle  occupait  dans  une  communauté  religieuse.  Ne  point  trou- 
bler la  pai.x  intérieure  par  des  retours  inquiets  sur  soi-même.  664 

334.  Ne  point  grossir  ses  croix  par  des  réflexions  inquiètes.  665 

385.  Même  sujet.  C66 

386.  Même  sujet.  G67 

387.  Contre  la  tentation  qui  portait  la  Comtesse  à  quitter  sou  direc- 
teur. 66S 

388.  S'oublier  soi-même,  pour  ne  penser  qu'à  Dieu  66j 

389.  Ne  point  écouter  rimnginatio.n.  670 

390.  Même  sujet.  671 

391.  Même  sujet.  67J 

392.  Amour-propre  déguisé  sous  l'apparence  de  délicatesse  et  de  gé- 
nérosité ;  souffrir  eu  p.-5î\  l'opération  crucifiante  «le  !a  main  do 
Dieu.  ^7! 


TABLE    DES    LETTRES   SPIRITUELLES.  "^85 

'>•?• 

393.  Simplicilé  à  «lire  ses  fautes.  Gn^ 

394.  Contre  les  sensibilités  de  l 'amour-propre.  fijH 

395.  Ecouler  Dieu  malgrô  toutes  les  suggestions  de  ramour-proprc.  G80 
3y6.  La  paix  ue  se  trouve  que  dans  labandoii  absolu.  €82 

397.  Même  sujet.  683 

398.  Dieu  n'est  que  dans  la  paix.  685 
39g.  Découvrir  avec  simplicité  ses  peines  intérieures.  Sur  les  amitiés 

spirituelles.  68G 

400.  Découvrir  ses  misères  en  esprit  d'obéissance  ;  faire  mourir  le 

goût  de  l'esprit,  s'abandonner  à  Dieu  en  esprit  d'amour.  688 

4oi.  Ne  poiut  augmenter  ses  peines  par  la  contention  de  l'esprit.  G90 
4oa.  Elargir  le  cœur  par  l'amour.  691 

403.  Sur  les  inquiétudes  de  la  Comtesse  à  l'occasion  d'une  conver- 
sation qu'elle  avait  eue  avec  le  Prélat.  Ihicl. 

404.  Il  n'appartient  point  à  l'homme  de  changer  sa  voie  j  on  ne  di- 
minue pas  ses  souffrances   en  résistant  à  Dieu.  Cnyi 

f\f)5.  IS'e  pas    augmenter  les  peines    intérieures  par  des  réflexions 

inqiiictps  />f  multipliées  sur  soi-même.  G94 

406.  Ouvrir  son  cœur  .-.v-..  c.mplicité ,  par  pure  fidélité  à  l'ordre  de 
Dieu.  GgG 

407.  Se  défier  de  ses  propres  réflexions.  (J^n 

408.  Les  tentations  et  les  sentimens  involontaires  ne  Joivent  point 
empêcher  la  communion.  Ibid. 

409.  Ne  point  prendre  de  résolutions  dans  un  état  de  trouble.  G99 

410.  Ouvrir  son  cœur  avec  simplicité.  ^oi 

411.  Surmonter  en  esprit  d'abandon  les  peines  intérieures  qui  éloi- 
gnent de  la  communion.  ^o3 

4î2.  Point  de  paix  en  résistant  à  l'attrait  divin.  704 

41 3.  Exhortation  à  la  pauvreté   d'esprit.  70^ 

414  Souffrir  les  peines  intérieures  avec  patience  et  humilité.  706 

4i5.  Même  sujet.  707 

4iG.  S'abstenir  des  réflexions  inquiètes  sur  soi-même.  708 

417.  Ne  point  prendre  de  résolutions  pendant  le  trouble.   La  pai.x 

ne  s'obtient  qu'en  combattant  l'amour-propre.  709 

418.  Ne  point  s'écouter  soi-même;  écouter  Dieu  en  silence.  711 

419.  Contre  les  troubles  et  les  délicatesses  de  l'amour-propre.  712 

420.  Ne  point  augmenter  ses  peines  par  une  agitation  volontaire.  714 
411.  Sur  la  maladie  d'une  fille  de  la  Comtesse.  Tristes  nouvelles  de 

larmée.  7i5 

422.  S'abstenir  des  réflexions  inquiètes  et  multipliées  sur  soi-même. 

fi'ouvelles  de  l'armée.  71G 

CoRRESP.    IV.  35 


^86  TABLE    DES    LETTRES    SPIRITUELLES. 

4-^3.  La  jalousie  de  Dieu  se  tourne  moins  contre  nos  fautes,  que 

contre  les  dépiti  de  Tamour-propre  blessé.  71- 

424-  Il   approuve  la  condirite   de  la  Comtesse  envers  sa  fille.  718 

420.  Ne  point  écouter  les  délicatesses  de  Tamour-propre.  719 

426.  Tourment  d'une  ame  que  Dieu  veut  faille  mourir  à  elle-même , 

et  qui  résiste  à  l'opération  de  Dieu.  720 

4^7.  S'oublier  soi-même  pour  écouler  Dieu.  721 

428.  Renoncer  avec  simplicité  aux  exercices  de  piété  quand  la  santé 

l'exige.  Jbid. 

4^9.   Repousser  la  tentation  avec  pai.i.  72a 

430.  Même  sujet.  723 

431.  Même  sujet.  724 

432.  Sur  quelques  affaires  d'intérêt  L'oubli  de  soi-même,  source 

de  paix.  7^5 

433.  Se  livrer  sans  réserve  aux  opérations  de  la  grâce.  726 

434.  Même  sujet.  727 

435.  Ne  point  supprimer  ses  communions  ordinaires  ,  pour  les  trou- 
bles d'imagination.  "2° 

436.  Ne  point  résister  à  l'esprit  de  grâce  en  suivait  les  suggestions 

lie  l'amour  propre.  /  -y 

437.  Renoncer  en  esprit  d'obéîssauce  k  certains  exercices  de  piété, 

en  temps   de  maladie.  7  J  I 

438.  Agir  en  tout  avec  paix  et  ingénuité.  Ibid. 

439.  Ne  point  changer  de  confesseur  par  scrupule.  732 

440.  S'accoutumer  à  voir  ses  défauts  avec  paix.  734 

441.  S'oublier  soi-même  pour  écouter  Dieu.  735 

442.  Il  n'y  a  de  vraie  liberté  que   dans  l'amour  de  Dieu.  736 

443.  Suivre  avec  simplicité  l'attrait  intérieur.  73; 

444.  Même  sujet.  ^^id. 

445.  Mêmesujet.  OEnvre  de  charité  recommandée  à  la  Comtesse.  Nou- 
velles de  famille.  7^° 

446.  Ecouter  Dieu  en  silence  ;  bonheur  de  Tame  qui  laisse  parler 
Dieu  en  liberté.  74'^ 

44; .  Remercîmens  pour  un  petit  présent.  Bonheur  de  l'arae  qui  trouve 

Dieu  dans  la  solitude.  74' 

448.  Etat  des  affaires  politiques.  74* 

4''l9.  Obéir  au  médecin  avec  simplicité.  Les  pénitences  contraires 

à  l'obéissance  sont  l'effet  dun  amour-propre  secret.  744 

450.  Nouvelles  politiques.  7-*-^ 

4.51.  Contre  les  vaines  délicatesses  de l'amour-propre.  74^ 

452.  Même  sujet.  '^*"' 

453.  Sur  la  maladie  de  l'abbé  de  Langeron.  747 


TABLE    DES    LETTRES   SPIRITUELLES.  ^87 

j  ij.  Ne  point  écouler  1  imagination  ,  mais  suivre  paisiblement  les 

raoïivcmens  ilo  la  grâce.  n '.8 

455.  Avis  à  la  Comtesse  sur  quelques  affaires  de  famille.  njo 

456.  Persévérer  dans  l'oraison  et  la  communion  malgré  les  séche- 
resses ;  combattre  l'activité  naturelle  qui  dessèche  le  cœur.  ^Si 

457.  Sur  un  voyage  que  la  Comtesse  se  proposait  de  faire  à  Paris.  ^52 

458.  Suivre  Tattrait  avec  simplicité,  quand  il  est  paisible.  ^dS 

459.  Servir  Dieu  avec  paix.  n")  i 

460.  Même  sujet.  Ibid. 

461.  Satisfaire  librement  aux  bienséances  de  famille.  755 

462.  Bonheur  de  l'ame  attentive  à  écouter  Dieu.  j56 
4^3.  La  paix  est  la  marque  des  opérations  de  Dieu.  767 

464.  Sans  la  paix  on  résiste  à  Dieu.  Ibicf. 

465.  Effet  contraire  de  l'amour-propre  et  de  lamour  de  Dieu.  jiS 

466.  L'oubli  de  soi  est  la  source  de  la  paix.  ^59 

LETTRES   A   LA   MARQUISE   DE    RISBOURG. 

467.  Il  explique  à  la  Marquise  sa  conduite  par  rapport  à  quelques 
personnes  qui  df^siraient  l'avoir  pour  directeur.  76a 

468.  Sur  une  inquiétude  qui  éloignait  la  M.irqiiise  de  la  commuuioD.  763 
46g.  Contre  les  délicatesses  excessives  de  l'amitié.  Ibid. 

470.  Il  lui  reproche  une  infidélité  à  Dieu.  ^64 

471.  Il  la  prie  de  suspendre  ses  démarches  sur  une  affaire  importante.  nOiS 

472.  Acquiescement  aux  croix  journalières.  Ibicf. 

473.  Exhortation  à  reprendre  la  première  ferveur.  766 
474-  Même  sujet.  Nouvelles  du  Marquis  de  Féuelon.                               768 

475.  Renoncer  à  son  propre  esprit.  769 

476.  Il  compatit  à  ses  peines  intérieures.  770 

477.  Sur  une  pauvre  villageoise  du  diocèse  d'Arras ,  qui  paraissait 
être  dans  un  état  extraordinaire.  Ibid. 

Table    comparative  de   l'ordre  ancien  et  de  l'ordre    nouveau   des 

Lettres  spirituelles.  774 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  LETTRES  SPIRITUELLES. 


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PQ  17  95  .L7  182  7 

V.4  SMC 

Finelon,  Frangxjis  de 

Salignac  de  La  Mothe-, 
Correspondance  de 

Finelon,    archevêque 
AXH-9109    (racih) 

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