M JOHN M. KELLY LIBCADY
K
..^
?^
Donated by
The Redemptorists of
the Toronto Province
from the Library Collection of
Holy Redeemer Collège, Windsor
University of
St. Michael's Collège, Toronto
HOLY R£OE€MER U^fi^, wmo^ y
OEUVRES
DE FÉNELON
ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI,
TOME IV.
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/correspondancede04fn
CORRESPONDANCE
DE FÉNELON
ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI,
PUBLIÉE POUR LA. PREMIÈRE FOIS
SUR LES MANUSCRITS ORIGINAUX
ET I.A. Pr.TiPART INÉDITS.
TOME QUATRIEME.
Uc)iKlLotbcqii/6 t:^atBoudu6 ^e^ ïcc v\)euuaiie.
3" OUVRAGE POVK 1828.
Prix : F». 3 - 5o.
LOUVAIN,
CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE.
Et citez les Libraires désignés ci-après,
1828.
HeWllttKllWUBR*t5.^^tN0S0R
Imprimatur
Martii 1828. /. FORGEUR j Fie. gen, Mechliniœ dioec.
Expédié de Louvain aux chefs-lieux des diocèses du 6 au ii
Mai 1828.
(jLbonneincau
Ci iiX. Qioitliotbcaue GawoCiqiic
de Icc QioctaÛTiic.
Les Abonnes reçoivent un exemplaire de chaque Ouvrage qui
est public pour l'aunce. Ceux qui habitent la campagne doivent
indiquer une maisou eu ville oii leurs Ouvrages puissent être remis.
L'Abonnement est de onze francs cinquante centimes annuelle-
ment , et .se paie comptant. *
On s'abonne dans les villes et chez les Libraires dont les noms
suivent :
Alost , Ducaju.
Arasterdaui , F. E. Wymans.
Anvers , AnccIIe.
Arlon
Alh , Jouret-Themon.
Aiulenartle
Ijeaumont , la v» Hannccart.
Béringen
liinche , Hyppolite Fontaine-
Bois-le-Duc , Langcnhiiysen.
Bouvignc , près Dinant
Bruges , De Vlicgher.
Bruxelles , J. J. Van (1er Borght.
Charleroy , H. J. Lelong.
Chimay , la V« Preud homme.
Courtray , De Caluwé-Ovyn.
Diest
Dixmude
Enghien
Gand , de Corte.
Grammont , J. Van dcn Eyckcn.
Hal , De Prins.
Ilasselt
lliiy
Ipres, J. Van der Mccrsch.
Jodoigne , Allard.
La Haye , J. W. Ten Ilagen.
Lcssines , Deitcnre.
Liège , Lemarié.
Lokercu
Louvain , Vanlinthout et
Vandenzande.
Luxembourg
Maestricht, Koymans.
Malincs, Van VelzcnVander Elit.
Marche
Mons , Jevenois.
Namur , Dujardin.
Nivelles , M'e Dujardin.
Peruwelz
Poperingue , Duflocr.
Renaix
Rotlerdam , Thompson frères.
Roulers , David Van Hée.
S. Nicolas , Rukacrt-Vanbccsen.
Soignies , A. F. Robyns.
Spa , la veuve Bodoa.
ïcrmonde
Thielt
Tirleraont , Mcrckx.
Tournay , Caslerman aîn«.
Turnhout
Verviers, W-^ Th. Ogcr.
Virton
Utrecht, A. Schikliofl'.
Wavre
A Aix-la-Chapelle, M. Nélessen , curé de St. -Nicolas.
A Munster, M. George Kcllermann, doyen et curé de St.-Ludger.
Ouvrages disirihuès jusqu'au] ourd'lmi aux Abonnés
de 1828^ pour les onze francs 5o cent, de V Abonne-
ment, et (fui se trouvent chez les susdits Libraires:
F'. C.
1° Les Jésuites en présence des deux Chambres, au
mois de mars 1828. 104 pages 0-60
2" La fin des Jésuites et de bien d'autres. Par M. Bel-
lemare . 100 pages o - 60
3° Correspondance de Fcnelon , Arclieyêque de Cam-
brai , publiée pour la première fois sur les manuscrits
originaux et la plupart inédits, Tom, IV 3 - 5o
SPIRITUELLES.
CORRESP. IV.
EXPLICATION DES SIGNES
employés dans les titres des lettres.
* désigne les Lettres imprime'es dans les e'ditions d'Anvers , 1 7 1 8 ,
et de Lyon, '7ï9> in-12, et réimprimées à la suite des Œu-
vres spirituelles, Rotterdam, lySS, 2 vol. in-4°, ou Paris, 1740,
4 vol. in- 12. Le second 11° en chiffres plus petits et entre
parenthèses, est celui que portent les Lettres spirituelles, dans
ces deux dernières éditions , et sous lequel on les cite souvent.
** indique les Lettres qui ont été ajoutées soit dans l'édition de
Didot in-4°; soit dans la F^ie de Fénelon du P. de Querbeuf.
E. ajouté aux signes précédens marque que la Lettre a été revue
sur l'autographe ou sur une copie authentique.
A. désigne celle oii l'on a fait des additions tirées des manuscrits.
Les Lettres qui n'ont aucun signe sont inédites.
Les dates que l'on trouve entre parenthèses sont conjecturales.
Comme les originaux souvent n'en ont aucune , ou ne portent que
celle du mois , on a mis pour l'année celle qu'on a cru la plus
vraisemblable, toutes les fois qu'elle a paru nécessaire.
245
LETTRES
SPIRITUELLES.
A DIVERSES PERSONNES DE PIÉTÉ
QUI VIVAIENT DANS LE MONDE,
101 *. {^^C>)
Le travail sur nous-md-mcs doit s'opOrer plus pour le tlcilans que pour
le dehors. L'oraison doit s'étendre sur tout ce cpic nous faisons.
Vous êtes bonne. Vous voudriez l'être encore da-
vantage , et vous prenez beaucoup sur vous dans le
détail de la vie : mais je crains que vous ne preniez
un peu trop sur le dedans , pour accommoder le de-
bors aux bienséances , et que vous ne fassiez pas assez
mourir le fond le plus intime. Quand on n'attaque
point efficacement un certain fonds secret de sens et
de volonté propre sur les clioses qaon aime le plus ,
et qu'on se réserve avec le plus de jalousie , voici ce
qui arrive. D'un côté , la vivacité , l'apreté et la roi-
deur de la volonté propre sont grandes ; de l'autre
côté , on a une idée scrupuleuse d'une certaine sy-
métrie des vertus extérieures , qui se tourne en pure
régularité de bienséance. L'extérieur se trouve ainsi
très-gènant , et l'intérieur très-vif pour y répugner.
C'est un combat iiisupporlaljle.
Prciiez donc moins l'ouvrage par le deliors , et un
peu plus par le dedans. Choisissez les affections les
2^6 LETTRES SPIRITUELLES.
plus \ives qui dominent dans \otre cœur , et mettez-
les sans condition ni bornes dans la main de Bieu ,
pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-
lui votre hauteur naturelle , votre sagesse mondaine ,
votre goût pour la grandeur de votre maison , votre
crainte de déchoir et de manquer de considération
dans le monde , votre sévérité âpre contre tout ce
qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains
le moins pour vous. Vous la connaissez , vous vous
en défiez ; malgré vos résolutions ; elle vous entraîne ,
et eu vous entraînant elle vous humilie. Elle servira
à vous corriger des autres défauts plus dangereux. Je
serais moins fâché de vous voir grondeuse , dépitée ,
brusque , ne vous possédant pas , et ensuite bien dés-
abusée de vous-même par cette expérience , que de
vous voir régulière de tout point et irrépréhensible
de tous les côtés , mais délicate , haute , austère , roide ,
facile à scandaliser , et grande en vous-même.
Mettez votre véritable ressource dans l'oraison. U]î
certain travail de courage humain et de goût pour
une régularité empesée ne vous corrigera jamais.
Mais accoutumez-vous devant Dieu , par l'expérience
de vos faiblesses incurables , à la condescendance , à
la compassion et au support des imperfections d'au-
trui. L'oraison bien prise vous adoucira le cœur , et
vous le rendra simple, souple, maniable, accessible,
accommodant. Voudriez-vous que Bieu fût pour vous
aussi critique et aussi rigoureux que vous l'êtes sou-
vent pour le prochain ? On est sévère pour les ac-
tions extérieures , et on est très-relâché pour l'inté-
rieur. Pendant qu'on est si jaloux de cet arrangement
superficiel de vertus extérieures , on n'a aucun scru-
LETTRES SPIRITUELLES. 247
pille de se laisser languir au dedans , et de résister
secrètement à Dieu. On craint Dieu plus qu'on ne
1 aime. Ou veut le payer d'actions , que l'on compte
]>our en avoir quittance , au lieu de lui donner tout
par amour , sans compter avec lui. Qui donne tout
sans réserve , n'a plus besoin de compter. On se per-
met certains attachemens déguisés à sa grandeur , à
sa réputation , à ses commodités. Si on cherchait bien
entre Dieu et soi , on trouv crait un certain retran-
chement où l'on met ce qu'on suppose qu'il ne faut
pas lui sacrifier. On tourne tout autour de ces cho-
ses , et on ne veut pas même les voir , de peur de
se reprocher qu'on y tient. On les épargne comme
la prunelle de l'œil sous les plus beaux prétextes. Si
quelqu'un forçait ce retranchement , il toucherait au
vif, et la personne serait inépuisable en belles rai-
sons pour justifier ses attachemens : preuve convain-
cante qu'elle nourrit une vie secrète dans ces sortes
d'affections. Plus on craint d'y renoncer, plus il faut
conclure qu'on en a besoin. Si on n'y tenait pas ,
on ne ferait pas tant d'efforts pour se persuader qu'on
n'y tient point.
U faut bien qu'il y ait en nous de telles misères
qui arrêtent l'ouvrage de Dieu. Nous ne fidsons que
languir autour de nous-mêmes , ne nous occupant
jamais de Dieu que par rapport à noua. Nous n'avan-
çons point dans la mort , dans le rabaissement de
notre esprit et dans la sinlplicité. D'où vient que le
vaisseau ne vogue point? est-ce que le vent manque?
Nullement; le soufile de l'esprit de grâce ne cesse
de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des
ancres qu'on n'a garde de voir-, elles sont au fond
n,^S LETTRES SPIRITUELLES.
de la mer. La faute ne vient point de Dieu , elle
vient donc de nous. Nous n'avons qu'à bien chercher,
et nous trouverons les liens secrets qui nous arrê-
tent. L'endroit dont nous nous méfions le moins ,
est précisément celui dont il faut se défier le plus.
Ne faisons point avec Dieu un marché afin que
notre commerce ne nous coûte pas trop , et qu'il nous
en revienne beaucoup de consolation. N'y cherchons
que la croix , la mort et la destruction. Aimons , et
ne vivons plus que d'amour. Laissons faire à l'amour
tout ce qu'il voudra contre l'amour-propre. Ne nous
contentons pas de faire oraison le matin et le soir ,
mais vivons d'oraison dans toute la journée ; et ,
comme on digère ses repas pendant tout le jour , di-
gérons pendant toute la journée , dans le détail de
nos occupations , le pain de vérité et d'amour que
nous avons mangé à l'oraison. Que cette oraison ou
vie d'amour , qui est la mort à nous-mêmes , s'étende
de l'oraison , comme du centre, sur tout ce que nous
avons à faire. Tout doit devenir oraison ou présence
amoureuse de Dieu dans les affaires et dans les con-
versations. C'est là y madame , ce qui vous donnera
une paix profonde.
^%WV%«'V«%%'V^'«'«V«%%V«/V«%iVVWWV%%%V»>VW«
103 * *.
Sisr le détachement du monde.
('7'4)
J'ai tort , madame , puisque vous êtes sûre de
m'avoir fait l'honneur de m'écrire ; je suis charmé
d'être confondu et de voir vos bontés. Mais votre
LETTRES SPIRITUELLES. 249
santé trouble un peu ma joie : Dieu veuille que l'air
de la campagne , un peu de promenade et un vrai
repos d'esprit vous rétablissent parfaitement ! Pour
moi , je ne suis plus qu'un squelette qui marclie et
qui parle , mais qui dort et qui mange peu ; mes
occupations me surmontent , et je ne me couclie ja-
mais sans laisser plusieurs de mes devoirs en arrière.
Un vaste diocèse est un accablant fardeau à soixan-
te-trois ans. J'ai beaucoup trop d'affaires , et vous
n'en avez peut-être pas assez pour éviter l'ennui ;
mais la sagesse consiste à savoir s'amuser. Trompez-
vous vous-même , madame ; inventez des occupations
qui vous raniment. Les jours sont longs , quoique les
années soient courtes , il faut accourcir les jours en
se traitant comme un enfant ; cette enfance est une
sagesse profonde. Souvenez-vous que vous ne feriez
dans le plus beau monde rien de plus solide que ce
que vous faites dans la langueur et dans ro])scurité
de votre solitude; vous entendriez beaucoup de mau-
vais discours ; vous verriez beaucoup de personnes
importunes et méprisables avec des noms distingués ;
vous seriez environnée de pièges et d'exemples con-
tagieux ; vous sentiriez les traits de l'envie la plus
maligne-, vous éprouveriez votre propre fragilité; vous
auriez bien des fautes à vous reprocher. Il est vrai
que vous paraîtriez être plus dans l'abondance ; mais
vous n'auriez qu'un superflu très-dangereux : la vanité
le dépenserait, et vous rendrait peut-être encore plus
dérangée et plus embarrassée que vous ne l'êtes ;
vous ne songeriez sérieusement ni à Dieu, ni à vous ,
ni à la mort , ni à votre salut ; vous seriez , comme
les autres, enivrée, ensorcelée, endurcie. Ne vaut-il
2 DO LETTRES SPIIUTUELLES.
pas mieux demeurer un peu tristement loin du monde
sous la main de Dieu , qui vous fera goûter les espé-
rances de la Religion, et qui vous détachera des faux
Jiiens dont il vous dépouille ? En vérité , madame ,
je vous donne de bon cœur les conseils que je prends
pour moi-même. Le monde ne donne que des plaisirs
de vanité. D'ailleurs il est plein d'épines, de troubles,
de procédés lâches , trompeurs et odieux ; il faut que
nous soyons bien gâtés , puisque nous avons tant de
peine à demeurer loin du mal. J'ai vu ici , pendant
trois ou quatre ans , l'armée et une grande partie de
la cour. Quoique j'aie mille sujets de me louer de
leur politesse , je me sens infiniment soulagé de ne
les voir plus. Pour la dépense , je me croirais riche
si je n'avais à dépenser chaque année que deux mille
francs comme en ma jeunesse. Secouez le joug du
superflu; faites-vous riche sans argent; vous êtes dis-
pensée de tout , et heureuse de mépriser pour l'a-
mour de Dieu tout ce qui vous manque.
Je prendrai la liberté de vous envoyer mon nouvel
ouvrage (a) pou.r votre Père recteur ; je l'aime et je
le révère , puisqu'il entre dans vos peines. Rien n'é-
gale mon zèle , mon dévoûment et mon respect.
(et) \J Instruction pastorale en forme de Dialogues , sur le Jan-
sénisme. Voyez tom. XV et XVI des OEui>res.
103 *. (.G3)
Allier ensemble rexaclituJe et la liberté d'esprit.
Il me parait nécessaire que vous joigniez ensemble
une grande exactitude et une grande liberté. L'exac-
LETTllES SPIRITUEELES. 23 1
Ijlude VOUS rendra Udèle , et la liberté ^()us rendra
courageuse. Si vous vouliez être exacte sans être libre ,
vous tomberiez dans la servitude et dans le scrupule -,
et si vous vouliez être libre sans être exacte , vous iiicz
bientôt à la négligence et au relticliement. L'exacti-
tude seule nous rétrécit l'esprit et le cœur , et la
liberté seule les étend trop. Ceux qui n'ont nulle
expérience des voies de Dieu , ne croient pas qu'on
puisse accorder ensemble ces deux vertus. Ils com-
prennent par élre exact j vivre toujours dans la gêne,
dans l'angoisse , dans une timidité intjuiète et scru-
puleuse qui fait perdre à Famé tout son repos , qui
lui fait trouver des pécliés partout , et qui la met
si fort à l'étroit, qu'elle se dispute à elle-même jus-
qu'aux moindres choses , et qu'elle n'ose presque res-
pirer. Ils appellent élre libre , avoir une conscience
large , n'y prendre pas garde de si près , se contenter
d'éviter les fautes considérables , et ne compter pour
fautes considérables que les gros crimes ;.se permettre
hors de là tout ce qui flatte subtilement l'amour-pro-
pre ; et , quelque licence qu'on se donne du côté des
passions , se calmer et se consoler aisément , par la
seule pensée qu'on n'y croyait pas un grand mal.
Ce n'était pas ainsi que saint Paul concevait les choses ,
quand il disait à ceux à qui il avait donné la vie de
la grâce, et dont il tâchait de faire des chrétiens par-
faits : Soyez libres , mais de la liberté que Jésus-Christ
vous a acquise *, soyez libres , puisque le Sauveur vous
a appelés à la liberté : mais que cette liberté ne vous
soit pas une occasion ni un prétexte de faire le mal [ti).
l'a) Galat. v. i3.
2D2 LETTRES SPIRITUELLES.
Il me paraît donc que la véritable exactitude con-
siste à obéir à Dieu en toutes choses , et à suivre la
lumière qui nous montre notre devoir , et la grâce qui
nous y pousse ; ayant pour principe de conduite de
contenter Dieu en tout, et de faire toujours ce qui
lui est non-seulement agréable , mais , s'il se peut , le
plus agréable ^ sans s'amuser à chicaner sur la diffé-
rence des grands péchés et des péchés légers , des im-
perfections et des infidélités : car , quoiqu'il soit vrai
que tout cela est distingué ^ il ne le doit pourtant
plus être pour une ame qui s'est déterminée à ne rien
refuser à Dieu de tout ce qu'elle peut lui donner. Et
c'est en ce sens que l'Apùtre dit [a) , que la loi n^est
point établie pour le juste. Loi gênante , loi dure , loi
menaçante ; loi , si on l'ose dire , tyrannique et capti-w
vante : mais il a une loi supérieure qui l'élève au-
dessus de tout cela , et qui le fait entrer dans la vraie
liberté des enfans; c'est de vouloir toujours faire ce
qui plaît le plus au Père céleste , selon cette excel-
lente parole de saint Augustin : « Aimez , et faites
y> après cela tout ce que vous Aoudrez. ))
Car si à cette volonté sincère de faire toujours ce
qui nous paraît le meilleur aux yeux de Dieu , vous
ajoutez de le faire avec joie , de ne se point abattre
quand on ne l'a pas fait , de recommencer cent et cent
fois à le mieux faire, d'espérer toujours qu'à la lin on
le fera , de se supporter soi-même dans ses faiblesses
involontaires comme Dieu nous y supporte , d'atten-
dre en patience les momens qu'il a marqués pour
notre parfaite délivrance , de songer cependant à mar-
(a) / Tlin. I. 9.
LETTRES SPIRITUELLES. 253
cher avec simplicité et selon nos forces dans la voie
qui nous est ouverte , de ne point perdre le temps à
regarder derrière soi ; de nous étendre et de nous
])orler toujours , comme dit l'Apôtre {a) , à ce qui est
derant nous ; de ne point faire sur nos chutes une
multitude inutile de retours qui nous arrêtent, qui
nous embarrassent l'esprit , et qui nous abattent le
cœur ; de nous en hunùlier et d'en gémir à la pre-
mière vue qui nous en vient , mais de les laisser là
aussitôt après pour continuer notre route ; de ne point
interpréter tout contre nous avec une rigueur litté-
rale et judaïque ; de ne pas regarder Dieu comme un
espion qui nous observe pour nous surprendre , et
comme un ennemi qui nous tend des pièges , mais
comme un père qui nous aime et nous veut sauver ;
pleins de confiance en sa bonté , attentifs à invoquer
sa miséricorde , et parfaitement détrompés de tout
vain appui sur les créatures et sur nous-mêmes : voilà
le chemin et peut-être le séjour de la véritable liberté.
Je vous conseille, autant que je puis , d'y aspirer^
L'exaclilude et la liberté doivent marcher d'un pas
égal; et en vous, s'il y eu a une des deux qui de-
meure derrière l'autre , c'est , à ce qu'il me paraît , la
liberté , quoique j'avoue que l'exactitude ne soit pas
encore au point que je la désire : mais enfin je crois
que vous avez plus besoin de pencher du côté de la
conliance en Dieu et d'une grande étendue de cœur.
C'est pour cela que je ne balance point à vous dire
que ^ous devez vous livrer tout entière à la grâce
que Dieu vous fait quelquefois de vous appliquer as-
(a) Philip, m. i3.
254 LETTRES SPIRITUELLES.
sez iiitimenient à lui. Ne craignez point alors de voua
perdre de vue , de le regarder uniquement et d'aussi
près qu'il voudra bien vous le permettre , et de vous
plonger tout entière dans l'océan de son amour :
trop heureuse si vous pouviez le faire si bien , que
vous ne vous retrouvassiez jamais. Il est bon néan-
moins , lorsque Dieu vous donnera cette disposition ,
de finir toujours , quand la pensée vous en viendra ,
par un acte d'humilité et de crainte respectueuse et
filiale , qui préparera votre ame à de nouveaux dons.
C'est le conseil que donne sainte Thérèse , et que je
crois pouvoir vous donner.
104*. (,g4)
L'oraison est bonne à tout : le propre esprit fait tout le contraire.
Persévérer dans la voie de la perfection.
Vous ne garderez jamais si bien M que quand
vous serez fidèle à fiiire oraison. Notre propre esprit ,
quelque solide qu'il paraisse , gâte tout : c'est celui de
Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses
les plus difiiciles. Les traverses de la vie nous sur-
montent , les croix nous abattent ; nous manquons de
patience et de douceur , ou d'une fermeté douce et
égale; nous ne parvenons point à persuader autrui.
Il n'y a que Dieu qui tient les cœurs dans ses mains :
il soutient le nôtre , et ouvre celui du prochain. Priez
donc , mais souvent et de tout votre cœur _, si vous
voulez bien conduire votre troupeau. ^S"* le Seigneur
tie (jarde pas la ville , celui qui veille la garda en
LETTRES SPIRITUELLES. 2l»J
i((in [a). Nous ne pouvons attirer en noiis le bon es-
[)rit que par l'oraison, l^e temps qui y paraît perdu
est le mieux employé. En tous rendant dépendante
de l'esprit de grâce , vous travaillerez plus pour aos
devoirs extérieurs, que par tous les travaux inquiets et
empressés. Si votre nourriture est de faire la volonté
«le votre Père céleste , vous vous nourrirez souvent
en puisant cette volonté dans sa source.
Pour l'oraison , vous pouvez la faire en divers
temps de la journée, parce que vous avez beaucou])
de temps lil)re , et que vous pouvez être souvent en
sdence. Il faut seulement prendre garde de ne ftiire
point une oraison avec contention d'esprit qui fatigue
votre tête.
Je remercie Dieu de ce que vous êtes fatiguée de
votre propre esprit. Rien n'est plus fatigant que ce
faux appui. Malheur à qui s'y confie ! Heureux qui
en est lassé , et qui cherche un vrai repos dans l'es-
prit de recueillement et de renoncement à l'amour-
propre !
Si vous retourniez à une vie honnête selon le
monde , après aA oir goûté Dieu dans la retraite , vous
tomberiez bien bas , et vous le mériteriez dans un
relâchement si infidèle à la grâce. J'espère que ce
malheur ne vous arrivera point. Dieu vous aime bien ,
puisqu'il ne vous laisse pas un moment de paix dans
ce miheu entre lui et le monde. Dieu nous demande
à tous la perfection , et il nous y prépare par l'attrait
de sa grâce ; c'est pourquoi Jésus-Christ dit à ses dis-
ciples (e) : Soyez j^^^r faits coinme votre Père céleste
{à) Ps. cxxYi. I. (e) Matlh. y. 48.
2 3G LETTRES SPIRITUELLES.
ost parfait. Et c'est pour cela qu'il nous a enseigné
cette i^rière {a) : Que votre volonté se fasse sur la
terre comme dans le ciel. Tous sont invités à cette
perfection sur la terre ; mais la plupart s'effarouchent
et reculent. Ne soyez pas du nombre de ceux qui,
ayant mangé la manne au désert, regrettent les oi-
gnons d'Egypte. C'est la persévérance qui est cou-
ronnée.
[a) Matth. VI. lo.
105 *. (121)
Support des défauts d'autrui , et facilité à se laisser reprendre.
Il m'a paru que vous aviez besoin de vous élargir
le cœur sur les défauts d'autrui. Je conviens que vous
ne pouvez ni vous empêcher de les voir quand ils
sautent aux yeux , ni éviter les pensées qui vous
viennent sur les principes qui vous paraissent faire
agir certaines gens. Vous ne pouvez pas même vous
ôter une certaine peine que ces choses vous donnent.
Il suffit que vous vouliez supporter les défauts cer-
tains , ne juger point de ceux qui peuvent être dou-
teux , et n'adhérer point à la peine qui vous éloigne-
rait des personnes.
La perfection supporte facilement l'imperfection
d'autrui j elle se fait tout à tous. Il faut se familiari-
ser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes
âmes , et les laisser tranquillement jusqu'à ce que Dieu
donne le signal pour les leur ôter peu à peu; autre-
ment on arracherait le bon grain avec le mauvais.
Dieu laisse dans les âmes les plus avancées certaines
LETTRES SPIRITUELLES. 20^
iîiiblesses entièrement disproportionnées à leur état
éniinent , comme on laisse des morceaux de terre
(pi'on nomme des témoins , dans un terrain qu'on a
rasé, pour faire voir, par ces restes, de riuelle pro-
fondeur a été l'ouvrage de la main des Jionnnes. Dieu
laisse aussi dans les plus grandes âmes des témoiiis
ou restes de ce qu'il en a ôté de misère.
Il liurt que ces personnes travaillent , cliacvine selon
leur degré , à leur correction , et que vous travailliez
au support de leurs faiblesses. Vous devez compren-
dre, par votre propre expérience en cette occasion ,
que la correction est fort amère : puisque vous en
sentez l'amertume , souvenez-vous condjien il faut
l'adoucir aux autres. Vous n'avez point un zèle em-
pressé pour corriger , mais une délicatesse qui vous
serre aisément le cœur.
Je vous demande plus que jamais de ne m'épar-
gner point sur mes défauts. Quand vous en croirez
voir quelqu'un que je n'aurai peut-être pas , ce ne
sera point un grand malheur. Si vos avis me blessent ,
cette sensibilité me montrera que vous aurez trouvé
le vif : ainsi vous m'aurez toujours fait un grand, bien
en m'exerçant à la petitesse , et en m'accoutumant à
être repris. Je dois être plus rabaissé qu'un autre à
proportion de ce que je suis plus élevé par mon ca-
racj.ère , et que Dieu demande de moi une plus grande
mort à tout. J'ai besoin de cette simplicité , et j'es-
père qu'elle augmentera notre union , loin de l'altérer.
CORRESP. IV.
258 LETTRES SPIRITUELLES.
H »^/V»»%%%%>%>»»<\>»V\^^ %»V\'Vfci%^%%»%<»%%%%%/%%*'%%%
(238) 106 ♦.
Exhortation à la condescendance pour les défauts et imperfections
d'autrui.
J'ai toujours eu pour vous un attachement et une
constance très-grande ; mais mon cœur s'est attendi*i
en sachant qu'on vous a blâmée , et que vous avez
reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que
votre tempérament mélancolique et âpre vous donne
une attention trop rigoureuse aux défauts d'autrui ;
vous êtes trop choquée des imperfections , et vous
souffrez un peu impatiemment de ne voir point la
correction des personnes imparfaites. Il y a long-
temps que je vous ai souhaité l'esprit de condescen-
dance et de support avec lequel N. M. se proportionne
aux faiblesses d'un chacun. Elle attend , compatit ,
ouvre le cœur, et ne demande rien qu'à mesure que
Dieu y dispose.
Il y a certains défauts extérieurs sur lesquels il faut
bien se garder de juger du fond ; ce serait un grand
défaut d'expérience. Il y a long-temps que je vous ai
dit que M...., avec des imperfections visibles, était
beaucoup plus avancé que ceux qui sont exempts de
ces défauts ^ et qui voudraient les corriger en elle.
Souvent une certaine vivacité de correction , même
pour soi , n'est qu'une activité qui n'est plus de sai-
son pour ceux que Dieu mène d'une autre- façon , et
qu'il veut quelquefois laisser dans une impuissance de
vaincre ces imperfections , pour leur ôter tout appui
intérieur. La correction de quelques défauts involon-
taires serait pour eux une mort beaucoup moins pro-
LETTRES SPIRITUELLES. aSo
fonde et moins avancée , que celle qui leur vient de
se sentir surmontés par leurs misères , pourvu qu'ils
soient véritablement et sans illusion désabusés et dé-
possédés d'eux-mêmes par celte expérience et par cet
acquiescement. Chaque cliose a son temps. La force
intérieure sur ses propres défauts nourrit une vie se-
crète de propriété.
Souffrez donc le prochain, et apprivoisez-vous avec
nos misères. Quelquefois vous avez le cœur saisi quand
certains défauts vous choquent, et vous pouvez croire;
que c'est une répugnance du fond qui vient de la
grâce : mais il peut se faire qUe c'est votre vivacité
naturelle qui vous serre le cœur. Je crois qu'il faut
plus de support; mais je crois aussi qu'il faut cor-
riger vos défauts comme ceux des autres , non par
effort et par sévérité , mais en cédant simplement à
Dieu 5 et en le laissant faire pour étendre votre cœur
et pour le rendre plus souple. Acquiescez , sans savoir
comment tout cela se pourra faire.
(22) 107 \
Les cœurs réunis en Dieu sont ensemble, bien que séparés par les lieux.
Je suis toujours uni à vous et à votre chère famille
du fond du cœur; n'en doutez pas. Nous sommes bien
près les uns des autres sans nous voir , au lieu que
les gens qui se voient à toute heure sont bien éloi-
gnés dans la même chambre. Dieu réunit tout , et
anéantit toutes les plus grandes distances à l'égard
des cœurs réunis en lui. C'est dans ce centre que se
touchent les hommes de la Chine avec ceux du Pé-
^•Oo LETTHES SPIRITUE'LLES.
roii. Je ne laisse pas de sentir la privation de vons
voir ; mais il la faut porter en paix tant qu'il plaira à
Dieu, et jusqu'à la mort s'il le veut. Renfermez-vous
dans vos véritables devoirs. Du r-este, soyez retiré et
recueilli , appliqué à bien régler vos affaires , patient
dans les croix domestiques. Pour madame , je prie
Dieu qu'elle ne regarde jamais derrière elle ^ et qu'elle
tende toujours en avant dans la voie la plus droite.
Je souhaite que Notre-Seigneur bénisse toute votre
maison , et qu'elle soit la sienne.
108 ^ t3o)
Comment les inficlélités 3'«ine personne attristent rcsprit de Dieu , dans
une autre que la même grâce unit.
Je comprends bien ce que vous me dites sur une
peine qui vous paraît trop forte et trop alongée dans
N sur vos fautes ; mais ce n'est point à vous à
juger si cette peine va trop loin. Quand un homme ,
qui , comme vous , est depuis si long-temps à Dieu ,
duquel il a reçu des grâces capables de sanctifier cent
pécheurs y tombe dans certaines infidélités , il ne faut
pas s'étonner que l'esprit de grâce en soit vivement
et long-temps contristé dans les personnes que la
même grâce unit intimement avec lui.
Vous vous impatientez de ce que Dieu fait souffrir
votre prochain pour vous ; c'est de la pénitence que
vous devriez faire , que vous ne faites pas , et que
N fait dans son cœur pour vous , que vous êtes
dépité contre elle. C'est au contraire ce qui devrait
vous attendrir , redoubler votre confiance , votre sou-
LETTRES SPIRITUELLES. 2(>1
mission , Tofre docilité. Peut-être même ayez-vous
besoin de cette triste , forte et longue peine , afin
qu'elle vous fasse sentir toute votre infidélité et tout
le danger où vous êtes. Il vous faut cette petite sévé-
rité pour faire le contre-poids de voire légèreté ; vous
avez besoin , dans votre faiblesse, d'être retenu par la
crainte. Je la prie néanmoins de proportionner sa tris-
tesse à votre délicatesse excessive. Je ne lui demande
pas de la supprimer par effort et par industrie , pour
vous épargner et pour flatter votre amour-propre
dans vos fautes : à Dieu ne plaise ! Je la prie seule-
ment de n'agir que par grâce , suivant le fond de son
cœur , afm qu'elle ne s'attriste point de vos infidéli-
tés par une tristesse naturelle. Vous me donnez une
joie incroyable en me marquant l'avancement où vous
la voyez. Plus elle est avancée , plus vous devez la
croire et regarder toutes ces peines à votre égard
comme des impres^ons de la grâce qu'elle reçoit
pour vous.
Pendant qu'elle avance, vous reculez. O mon cher!
si je pouvais vous voir , je ne vous laisserais pas res-
pirer par amour-propre ; je ne vous laisserais échap-
per en rien; je vous ferais petit malgré vous. Il n'y
a que la petitesse qui soit la ressource des faibles. Un
petit enfant ne peut marcher , mais il se laisse tour-
ner et retourner, porter, emmailloter. Pour un grand
homme qui est faible et se croit fort , il tombe au
premier pas qu'il fait ; il n'a ni ressource pour se con-
duire , ni souplesse pour se laisser conduire par au-
trui. Dès que vous sentez de la répugnance à vous
ouvrir et à croire _, comptez que la tentation vous en-
traîne vers le ])récipice.
202 LETTRES SPIRITUELLES.
(33) 109 *.
L'union des âmes ne doit point être une société de vie , mais de mort ,
tant pour le dehors que pour le dedans.
Votre lettre , monsieur , m'a donné une très-sen-
gible consolation. Béni soit Dieu qui vous donne des
lumières si utiles ! Mais notre fidélité doit être pro-
portionnée aux lumières que nous recevons. Puisque
vous connaissez que votre société avec N... se tourne
en piège pour vous , au lieu d'être un secours , vous
devez redresser cette société, Il ne faut pas songer
à la rompre , puisqu'elle est de grâce aussi bien que
de nature ; mais il faut la mettre , quoi qu'il en coûte ,
au peint où Dieu 1^ veut. Hélas ! que sera-ce , si ceux
qui sont donnés les uns aux autres pour s'aider à
mourir, ne font que se redonner des alimens de vie
secrète ? Il faut que toute votre union ne tende qu'à
la simplicité , qu'à l'oubli de vous-même , qu'à la
perte de tous les appuis. En perdant ceux du dedans,
vous en chercliez encore au dehors. Le dedans est
souvent simple et nu ; mais le dehors est composé ,
étudié , politique , et trouble la simplicité intérieure,
Vous faites bon marché du principal , et vous clii^
canez le terrain sur ce qui ne regarde que le monde,
Ce n'est point là cette unité à laquelle il faut que
tqut homme soit réduit. Soyez tout un ou tout autre,
L'intérieur abandonné à Dieu rède assez l'extérieur
par l'esprit de Dieu même. Dieu fait assez faire dans
cette simplicité d'abandon tout ce qu'il faut : mais
si on sort de la simplicité pour le dehors par des
vues humaines , cette sortie est une infidélité qui
LETTRES SPIRITUELLES. 203
dérange tout le dedans. Ce n'est point à vous, nion-
sit'iir , à vous laisser entraîner contre votre grâce ;
c'est au contraire à vous à redresser les autres qui
sont encore trop humains. Vous devez borner votre
docilité , à recevoir , par petitesse , les avis de tous
ceux qui vous montreront que vous ne suivez pas
assez votre grâce , et que vous agissez trop lumiai-
nement ; mais vous laisser entraîner dans riiumain
par les autres sous de beaux prétextes , c'est reculer ,
et leur nuire comme ils vous nuisent. Je ne man-
([ucrai pas de le dire à N quand il repassera.
Votre union ne doit faire qu'augmenter, mais pour
Ja mort conmiune et totale, tant du dehors que du
dedans. Quand celle du dehors manque , elle manque
par le dedans , qui veut encore se réserver quelque
vie secrète par le dehors. Il est temps d'achever de
mourir, monsieur. En retardant le dernier coup, vous
ne faites que languir et prolonger vos douleurs. Vous
ne sauriez plus vivre que pour souffrir en résistant
à Dieu. Mourez donc , laissez-vous mourir ; le dernier
coup sera le coup de grâce. Il ne faut plus vouloir
rien voir : car vouloir voir , c'est vouloir posséder ; et
vouloir posséder , c'est vouloir vivre. Les moits ne
possèdent et ne voient plus rien. Aussi l)ien que ver-
riez-\ous? Vous courriez après une ombre qui écliappe
toujours. Mille fois tout à vous.
2d4 lettres spirituelles.
k v%% v%^ %%v v«^ v%v v«% vv% V% V^^^* vvv ««^ vvv »^« v%« vv% vvv i-vx V^V V»4%% V%%%r »\% ^i% %«^
(3G) 110 *.
Avis pour «ne personne attirée an recueillement , et qui songeait à
entrer au couvent.
Je ne manquerai à aucune des personnes que la
Providence m'envoie, que quand je manquerai à Dieu
même ; ainsi ne craignez pas que je vous abandonne.
D'ailleurs Dieu saurait bien faire immédiatement par
lui-même ce qu'il cesserait de faire par un vil in-
strument. Ne craignez rien , hoynme de peu de foi.
Demeurez exactement dans vos bornes ordinaires ;
réservez votre entière coniiance pour N.... qui vous
connaît à fond , et qui peut seul vous soulager dans
vos peines ; il lui sera donné de vous aider dans tous
vos besoins. Nul couvent ne vous convient ; tous
vous généraient , et vous mettraient sans cesse en
tentation très-dangereuse contre votre attrait : la
gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la
solitude , et occupez-vous en toute simplicité entre
Dieu et vous. Tous les jours sont des fêtes pour les
personnes qui tâcbent de vivre dans la cessation de
toute autre volonté que de celle de Dieu. Ne lui mar-
quez jamais aucune borne. Ne retardez jamais ses
opérations. Pourquoi délibérer pour ouvrir , quand
c'est l'Epoux qui est à la porte du cœur ? Écoutez et
croyez N Je veux au nom de Notre-Seigneur que
vous soyez en paix. Ne vous écoutez point. Ne clier-
cliez jamais la personne qui s'écarte : mais tenez-vous
à portée de redresser et de consoler son cœur , s'il se
rapprocbe.
Il y a une extrême différence entre la peine et le
LETTRES SPIRITUELLES. sGS
trouljle. La simple peine fait le purgatoire; le trouble
fait l'enfer. La peine sans iiifidciité est douce et pai-
sible , par l'accord où toute l'ame est avec elle-même
pour vouloir la soullraiice que Dieu donne. Mais le
trouble est une révolte du fond contre Dieu , et une
division de la volonté contraire à elle-même ; le fond
de l'ame est comme décbiré dans cette division,
O cjue la douleur est puriliante quand elle est seule !
0 qu'elle est douce , quoiqu'elle fasse beaucoup souf-
frir ! Vouloir ce qu'on souffre , c'est ne soulï'rir rien
dans la a oloiilé ; c'est y être en paix. Heureux germe
du paradis dans le purgatoire ! Mais résister à Dieu
sous de beaux prétextes , c'est engager Dieu à nous
résister à son tour. En sortant de votre grâce , vous
sortez d'abord de la paix ; et cette expérience est
conmie la colonne de feu pour la nuit et celle de nuée
pour le jour , qui conduisait dans le désert les Israé-
lites. Vivez de foi , pour mourir à toute sagesse.
VWVWV«.«%%VW% Wk «wwvwx VWW% W%WVV%%W%%W%%'V
(i35) 111 *.
Avis sur le choix des sociétés. Ne pas trop raisonner sur notre état
intérieur.
La solitude vous est utile jusqu'à un certain point,
elle vous convient mieux qu'une règle de commu-
nauté , qui gênerait votre attrait de grâce ; mais vous
pourriez ll<cilement vous mécompter sur votre goût
de retraite. Contentez-vous de ne voir que les per-
sonnes avec lesquelles vous avez des liaisons inté-
rieures de grâce , ou des liaisons extérieures de pro-
vidence : encore même ne faut-il point vous faire
26Ô LETTRES SPIRITUELLES,
une pratique de ue voir que les personnes de ces deux
sortes ; et , sans tant raisonner , il faut , en chaque
occasion , suivre votre cœur , pour voir ou ne pas voir
les personnes qu'il est permis communément de voir ;
surtout ne vous éloignez point de celles[qui peuvent
vous soutenir dans votre vocation.
Je voudrais que vous évitassiez toute activité par
rapport à la personne sur laquelle vous me deman-
dez mon avis. Ne vous faites point une règle ni de
vous éloigner , ni de vous rapprocher d'elle. Tenez-
vous seulement à portée de lui être utile , et de lui
dire la vérité toutes les fois qu'elle reviendra à vous.
Ne la rebutez jamais : montrez-lui un coeur toujours
ouvert et toujours uni. Quand elle paraîtra s'éloi-
gner^ écrivezdui, selon les occasions, avec simplicité,
pour la rappeler à la véritable vocation de Dieu.
Avertissez-la des pièges à craindre ; mais ne vous in-
quiétez point , et n'espérez pas de corriger l'humain
par une activité humaine.
Vous doutez , et vous ne pouvez porter le doute.
Je ne m'en étonne pas ; le doute est un supplice.
Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus.
L'obscurité de la pure foi est bien différente du doute.
Les peines de la pure foi portent leur consolation et
leur fruit. Après qu'elles ont anéanti l'homme , elles
le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute
est le trouble d'une ame livrée à elle-même , qui
voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher , et qui
cherche des sûretés impossibles par amour-proj)re.
Qu'avez- vous sacrifié à Dieu , sinon votre propre ju-
gement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue
ce qui a toujours été votre but dès le premier pas
I^ETTRPS SPIRITUELLES, qG']
que VOUS avez fait, savoir, de vous abandonner à
Dieu ? Voulez-vous faire naufrage au port , vous re-
prendre, et demander à Dieu qu'il s'assujettisse à vos
règles , au lieu qu'il veut et que vous lui avez pro-
mis de marcher comme Abraham dans la profonde
jiuit de la foi ? Et quel mérite auriez-vous à faire ce
que vous faites , si vous aviez des miracles et des ré-
vélations pour vous assurer de votre voie ? Les mi^
racles mêmes et les révélations s'useraient bientôt ,
et vous retomberiez encore dans vos doutes. Vous
vous livrez à la tentation. Ne vous écoutez plus vous-
même. Votre fond , si vous le suivez simplement ,
dissipera tous ces vains fantômes.
11 y a une extrême différence entre ce que votre
esprit rassemble dans sa peine , et ce que votre fond
conserve dans la paix, Le dernier est de Dieu ; l'autre
u'est que votre amour-propre. Pour qui êtes-vous en
peine? pour Dieu, ou pour vous? Si ce n'était que
pour Dieu seul , ce serait une vue simple , paisible ,
forte , et qui nourrirait votre cœur , et vous dépouil-
lerait de tout appui créé. Tout au contraire , c'est de
vous que vous êtes en peine, C'est uiie inquiétude ,
un troid^le , une dissipation , un dessèchement de
cœur , une avidité naturelle de reprendre des appuis
humains , et de ne vous laisser jamais mourir.
Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à
être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouille-
ment. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de
ne vous en souffrir aucune, Vous cherchez à vivre ,
et il ne s'agit plus que d'achever de mourir et d'ex-
pirer dans le délaissenient sensible. Vous nie deman-
dez des moyens j il n'y a plus de moyeiis : c'est en
aGS LETTRES SPIRITUELLES.
les laissant tomber tous , que l'œuvre de mort se con-
somme. Que reste-t-il à faire à celui qui est sur la
roue ? Faut-il lui donner des remèdes ou des alimens ?
lui faut-il donner les cordiaux qu'il demande ? Non ;
ce serait prolonger son supplice par une cruelle com-
plaisance , et éluder l'exécution de la sentence du
juge. Que faut-il donc ? Rien que ne rien faire , et
le laisser au plus tôt mourir.
(,;5) 112*.
Réunion en unité dans notre centre commun.
Demeurons tous dans notre unique centre ^ où
nous nous trouvons sans cesse , et où nous ne sommes
tous qu'une même chose. 0 qu'il est vilain d'être
deux 5 trois, quatre, etc.! Il ne faut être qu'un. Je
ne veux connaître que l'unité. Tout ce que l'on compte
au-delà vient de la division et de la propriété d'un
chacun. Fi des amis ! Ils sont plusieurs , et par con-
séquent ils ne s'aiment guère , ou s'aiment fort mal. Le
moi s'aime trop pour pouvoir aimer ce qu'on appelle
lui ou elle. Comme ceux qui n'ont qu'un seul amour
sans propriété ont dépouillé le moi _, ils n'aiment rien
qu'en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire , chaque
homme possédé de l'amour-propre n'aime son pro-
chain qu'en soi et pour soi-même. Soyons donc unis ,
.par n'être rien que dans notre centre commun , où
tout est confondu sans ombre de distinction. C'est là
que je vous donne rendez-vous , et que nous habite-
rons ensemble. C'est dans ce point indivisible , que la
Chine et le Canada se viennent joindre ; c'est ce qui
anéantit toutes les distances.
LETTRES SPIRITUELLES. 2i)C)
Au nom de Dieu, que N soit simple, pelit ,
ouvert, sans réserve, défiant de soi et dépendant de
vous. 11 trouvera en vous non-seulement tout ce qui
lui manque^ mais encore tout ce que vous n'avez
point ; car Dieu le fera passer par vous pour lui , sans
vous le donner pour vous-même. Qu'il croie petite-
ment , qu'il vive de pure foi , et il lui sera donné à
proportion de ce qu'il aura cru.
AVIS SUR L'EXERCICE DE LA DIRECTION.
(a45) 113 *.
Sur les scrupules et leurs remèdes.
Je suis véritablement affligé , monsieur , des peines
que vous m'apprenez que madame votre sœur souffre.
J'ai vu souvent , et je vois encore tous les jours des
personnes que le scrupule ronge. C'est une espèce de
martyre intérieur : il va jusqu'à une espèce de dérai-
son et de désespoir , quoique le fond soit plein de rai-
son et de vertu . L'unique remède contre ces peines
est la docilité. Il faut examiner à qui est-ce qu'on
donne sa confiance ; mais il faut la donner à quelqu'un ,
et obéir sans se permettre de raisonner. Qu'est-ce que
pourrait faire le directeur le plus saint et le plus
éclairé , pour vous guérir , si vous ne lui dites pas
tout , et si vous ne voulez pas faire ce qu'il dit ? Il est
Trai qvie , quand on est dans l'excès de trouble que le
scrupule cause , on est tenté de croire qu'on ne peut
être entendu de personne , et que les plus expérimen-
tés directeurs , faute d'entendre cet état , donnent des
conseils disproportionnés j mais c'est une erreur d'une
2'JO LETTRES SPIRITUELLES»
imagination dominante , qui n'aboutît qu'à Une îticîo-
cilité incural)le , si on la suit. Doit-on se rendre juge
de sa propre conduite , dans un état de tentation et
de trouble ou l'on n'a qu'à demi l'usage de sa raison ?
N'est-ce pas alors , plus que jamais , qu'on a besoin
de redoubler sa docilité pour un directeur , et sa dé-^
fiance de soi ? Ne doit^on pas croire que DieU ne nous
manque point dans ces rudes épreuves , et qu'alors il
éclaire un directeur dans lequel on ne cberclie que
lui , afin qu'il nous donne des conseils proportionnés
à ce pressant besoin ? Dieu ne permet pas que nous
soyons tentés au-dessus de 7ws forces ^ comme saint
Paul nous l'assure (a). Mais c'est aux âmes simples et
dociles , qu'il promet de leur tendre toujours la main
dans ces violentes tentations. C'est manquer à Dieu ,
c'est lui faire injure , c'est mal juger de sa bonté , que
de douter qu'il ne donne à un bon directeur tout ce
qu'il faut pour nous préserver du naufrage dans cette
tempête. Je conviens qu'il faut tolérer dans une per-
sonne , pendant l'excès de sa peine , certaines impa^
tiences , certaines inégalités , certaines saillies irrégu-
lières , et même certaines contradictions de paroles
ou de conduite passagère ; mais il faut qu'après ces
coups de surprise le fond revienne toujours , et qu'on
y trouve une détermination sincère à une docilité
constante.
Pour tout le reste , il dépend du détail que j'ignore.
Mais enfin quelque remède que madame votre sœur
cberclie, quelque cbangement qu'elle veuille essayer,
à quelque pratique qu'elle recoure , il lui faut un di-
[a) I Cor. X. i3.
LETTRES SPIRITUELLES. 2^1
recteur (ju'elle ne quitte point. Clianger de directeur ,
c'est se rendre maître de la direction , à laquelle on
devrait être soumis. Une direction ainsi variée n'est
plus lUie direction ; c'est une indocilité qui cherche
partout à se flatter elle-même. La plus sévère de toutes
les pénitences est l'humiliation intime de l'esprit; c'est
le renoncement à se croire et à s'écouter ; c'est l'hum-
ble dépendance de l'homme de Dieu ; c'est la pau-
vreté d'esprit , qui , selon l'oracle de Jésus-Christ ,
rend Tliomme bienheureux : autrement on tourne la
mortification en aliment secret de l'amour-propre.
Tâchez de faire en sorte qu'elle se fixe , et qu'elle cap-
tive son esprit avec foi en la bonté de Dieu , et qu'elle
obéisse simplement. C'est la source de la paix.
(i83)
114
Importance de s'ouvrir sur les petites choses , et de renoncer à ce qu'on
appelle esprit.
Il y a une chose dans voire lettre qui ne me plaît
point , c'est de croire qu'il ne faut point me dire les
petites choses qui vous occupent , parce que vous sup-
posez que je les méprise , et que j'en serais fatigué.
Non, en vérité, je ne méprise rien, et je serais moi-
même bien méprisable si j'étais méprisant. Il n'y a
persoime qui ne soit malgré soi occupé de beaucoup
de petites choses. La vertu ne consiste point à n'avoir
pas cette multitude de pensées inutiles ; mais la fidé-
lité consiste à ne les suivre pas volontairement , et la
simplicité demande qu'on les dise telles qu'elles sont.
Ces choses , il est vrai , sont petites en elles-mêmes ;
2^2 LETTRES SPIRITUELLES.
mais il n'y a rien de si grand devant Dieu , qu'une
anie qui s'apetisse pour les dire sans écouter son
amour-propre. D'ailleurs ces petites choses feront
bien mieux connaître votre fond , que certaines cho-
ses plus grandes , qui sont accompagnées d'une plus
grande préparation et de certains efforts où le natu-
rel paraît moins. Un malade dit tout à son médecin ,
et il ne se contente pas de lui expliquer les grands
accidens ; c'est par quantité de petites circonstances ,
qu'il le met à portée de connaître à fond son tempé-
rament , les causes de son mal , et les remèdes propres
à le guérir. Dites donc tout , et comptez que vous ne
ferez rien de bon , qu'autant que vous direz tout ce
que la lumière de Dieu vous découvrira pour vous
le faire dire.
Je trouve que vous avez raison de ne souhaiter pas
de lire présentement sainte Thérèse : ce qui vous en
empêche est très-bon. Vous ne serez jamais tant selon
le bon plaisir de Dieu , que quand vous renoncerez
à ce qu'on appelle esprit , et que vous négligerez le
vôtre , comme une femme bien détrompée du monde
renonce à la parure de son corps. L'ornement de l'es-
prit est encore plus ûatteur et plus dangereux. Lisez
bien saint François de Sales. Il est au-dessus de l'es-
prit • il n'en donne point , il en ôte , il fait qu'on n'en
veut plus avoir -, c'est une maladie dont il guérit.
Bienheureux les pauvres d'esprit {a) ! Cette pauvreté
est tout ensemble leur trésor et leur saeesse.
o
(a) Matih. Y. 3.
LETTRES SPIRITUELLES. 278
*** v>rv*%vvvvv»%»<r»%%v»%%v»v»»v%%»v»v»vv»%%vyvvv»vv>v>%v>vvwm/\%»v%v»»»»vww\>%*
115 *. (,86)
Etre fidèle à déclarer les peines intérieures.
Je ne suis nullement surpris de vos peines. Il est
naturel que vous les ressentiez. Elles doivent seule-
ment servir à vous faire sentir votre impuissance , et
à vous faire recourir humblement à Dieu. Quand vous
sentez votre cœur vaincu par la peine , soyez simple
et ingénue pour le dire. N'ayez point de honte de
montrer votre faiblesse , et de deriiander du secours
dans ce pressant besoin. Cette pratique vous accou-
tumera à la simplicité , à l'humilité , à la dépendance.
Elle détruira beaucoup l'amour-propre , qui ne vit
(|ue de déguisemens , pour faire bonne mine quand
il est au désespoir. D'ailleurs , cherchez à vous amu-
ser à toutes les choses qui peuvent adoucir votre soli-
tude et vous garantir de l'ennui , sans vous passionner
ni dissiper par le goût du monde. Si vous gardiez sur
le cœur vos peines , elles se grossiraient toujours, et
elles vous surmonteraient enfin. Le faux courage de
l'amour-propre vous causerait des maux infinis. Le
venin qui rentre est mortel ; celui qui sort ne fait pas
grand mal. Il ne faut point avoir de honte de voir
sortir le pus qui sort de la plaie du cœur. Je ne m'ar-
rête nullement à certains mots qui vous échappent ,
et que l'excès de la peii^e vous fait dire contre le fond
de votre véritable volonté. Il sullit que ces saillies
vous apprennent que vous êtes faible , et que vous
consentiez à voir votre faiJjlesse et à la laisser voir
à autrui.
CoRRESP. IV. 3
i'j4 LETTRES SPIRITUELLES.
(.8;) 116 *.
Pourquoi tt comment on floit s'ouvrir dans ses peines. Manière de
converser avec Dieu.
Rien ii'est meilleur que de dire tout. On ouvre son
cœur ; on guérit ses peines en ne les gardant point :
on s'accoutume à la simplicité et à la dépendance ;
car on ne réserve que les choses sur lesquelles on
craint de s'assujettir : enfin on s'humilie , car rien n'est
plus humiliant que de développer les replis de son
cœur pour découvrir toutes ses misères ; mais rien
n'attire tant de bénédiction.
Ce n'est pas qu il faille se faire Une règle et une
méthode de dire avec une exactitude scrupuleuse tout
ce qu'on pense : on ne finirait jamais , et on serait
toujours en inquiétude de peur d'oublier quelque
chose. Il suffit de ne rien réserver par défaut de sim-
plicité et par une mauvaise honte de l'amour-propre ,
qui ne voudrait jamais se laisser voir que par ses
beaux endroits ; il suffit de n'avoir nul dessein de ne
dire pas tout selon les occasions : après cela , on dit
plus ou moins sans scrupule , suivant que les occa-
sions et les pensées se présentent. Quoique je sois fort
occupé, et peut-être souvent fort sec , cette simplicité
de grâce ne me fatiguera jamais; au contraire, elle
augmentera mon ouverture et mon zèle. Il ne s'agit
point de sentir , mais de voi^iloir. Souvent le senti-
ment ne dépend pas de nous ; Dieu nous l'ôte tout
exprès pour nous faire sentir notre pauvreté , pour
nous accoutumer à la croix par la sécheresse inté-
rieure, et pour nous purifier , en nous tenant attachés
LETTRES SPIRITUELLES. 2'J.)
à lui sans cette consolation sensible. Ensuite il nous
rend ce soulagement de temps eu temps, pour com-
])alir à notre faiblesse.
Soyez avec Dieu , non en conversation guindée ,
comme avec les gens qu'on voit par cérémonie et avec
qui on fait des complimens mesurés , mais comme
avec une bonne amie qui ne vous gêne en rien , et que
vous ne gênez point aussi. Ou se voit, on se parle,
on s'écoute , on ne se dit rien , on est content d'être
ensemble sans se rien dire ; les deux cœurs se repo-
sent et se voient l'un dans l'autre , ils n'en font qu'un
seul ; on ne mesure point ce qu'on dit , on n^a soin
de rien insinuer , ni de rien amener ; tout se dit par
simple sentiment et sans ordre -, on ne réserve , ni ne
tourne , ni ne façonne rien -, on est aussi content le
jour qu'on a peu parlé , que celui qu'on a eu beau-
coup à dire. On n'est jamais de la sorte qu'imparfai-
tement avec les meilleurs amis ; mais c'est ainsi qu'on
est parfaitement avec Dieu , quand on ne s'enveloppe
point dans les subtilités de son amour-propre. Il ne
faut point aller faire à Dieu des visites, pour lui ren-
dre un devoir passager ; il faut demeurer avec lui
dans la privante des domestiques , ou , pour mieux
dire , des enfans. Soyez avez lui comme mad. votre
fille est avec vous ; c'est le moyen de ne s'y point
ennuyer. Essayez-le avec cette simplicité , et vous
m'en direz des nouvelles.
2-76 LETTRES SPIRITUELLES.
(.99) '"••
La simplicilô h s'onvinr doit être sans réserve d'ainoiir-propre. Ne se
point dépiter à la vue de ses défauts.
Il ne faut point délibérer pour savoir si tous de-
vez tout dire. On ne peut rien faire de bon , que par
une entière simplicité et par une ouverture de cœur
sans réserve. Il n'y a point d'autre règle , que celle de
ne rien réserver volontairement par la répugnance
que Tamour-propre aurait à dire ce qui lui est dés-
avantageux. D'ailleurs il serait bors de propos de
s'appliquer ^ pendant l'oraison , aux cboses qui se pré-
sentent , pour les dire ; car ce serait suivre la distrac-
tion. Il sufîit de dire dans les occasions , avec épan-
cliement de cœur , tout ce qu'on connaît de soi. Je
comprends bien qu'un certain trouble de l'amour-
propre fait que diverses choses , que l'on comptait de
dire , échappent dans le moment où l'on en doit par-
ler ; mais , outre qu'elles reviennent un peu plus tard ,
et qu'on ne perd pas toujous les choses importantes
que l'on connaît de soi-même , de plus Dieu bénit
cette simplicité , et il ne permet pas qu'on ne fasse
point connaître ce que sa lumière nous montre en
nous de contraire à sa grâce. Le principal point est
de ne pas trop siibtiliser par les réflexions , et de dire
tout sans façon , selon la lumière qu'on en a , quand
l'occasion vient. Il n'y a que les enveloppes de l'amour-
propre qui puissent cacher le fond de notre cœur. Ne
vous écoutez point vous-même ; alors vous vous ou-
vrirez sans peine, et vous parlerez de vous avec fa-
cilité comme d'autrui.
I.ETTRI-S SPIRITUELLIIS. 2'J'J
T»nit ce que vous m'avez mandé de votre oraison
est très-bon. J'en remercie Bleu, et je vous conjure
de continuer. N'ou])liez jamais celte bonne parole de
votre première lettre : J'expérimefite que la (/race tte
me manque }wint quand je déaespère bien de moi.
Celle-ci est encore excellente : Je sens que la croix
7n'attache à Dieu. Enlln en voici une troisième que
je goûte fort : // me semble que Dieu ne veut i)as
que j'examine tant mes disposilions , qu'il demande
que je m'abandonne à lui. Tenez-vous dans cet état,
et revenez-y dès que vous apercevez que vous en
êtes déchue.
La seconde lettre marque que cet état est altéré.
Il faut le rétablir en laissant doucement et peu à peu
tomber vos réflexions , qui ne vont qu'à vous distraire
et à vous troubler. Les tentations de vaine complai-
sance ne doivent pas vous empêcher ni de me parler
ni de m'écrire. Il ne faut point s'occuper curieuse-
ment de soi ', mais il faut dire simplement tout ce que
la lumière de Dieu en fait voir.
Je ne m'étonne point de ce que Dieu permet que
vous fassiez des fautes , dans le temps même des fer-
veurs et du recueillement , où vous voudriez le moins
en faire. La Providence qui permet ces fautes est une
des grâces que Dieu vous fait en ce temps-là ; car
Dieu ne permet ces fautes , que pour vous faire sentir
votre impuissance de vous corriger par vous-même.
Qu'y a-t-il de plus convenable à la grâce , que de
vous désabuser de vous-même , et de vous réduire à
rccoiu'ir sajis cesse en toute humilité à Dieu? Profitez
de vos fautes, et elles serviront plus, en vous rabais-
sant à vos propres yeux , que vos bonnes œuvres en
:i-:8 LETTRES SPIRITUELLES.
VOUS consolant. Les fautes sont toujours fautes -, mais
elles nous mettent dans un état de confusion et de
retour à Dieu qui nous fait un grand bien.
Je ne m'étonne point que vous ayez des saillies de
chagrin ; mais il faut se taire dès que l'esprit de grâce
avertit et impose silence. Alors c'est résister à Dieu ,
contrister le Saint-Esprit , que de continuer Lsuivre
son chagrin. La crainte de déplaire à Dieu devrait
vous retenir plus que la crainte de déplaire aux créa-
tures. Quand vous avez fait une faute par amour-
propre , n'espérez pas que l'amour-propre la répare
par ses dépits, par sa honte, et par ses impatiences
contre soi-même. Il faut se supporter en se voyant
sans se flatter dans toute son imperfection. Il faut
vouloir se corriger par amour de Dieu, sans se sou-
lever contre son imperfection par amour-propre. Il
vaut bien mieux travailler paisiblement à se corriger ,
que de se dépiter à pure perte sur ses misères. Il faut
retrancher partout les retours de sagesse pour soi , et
surtout en confession. Mais Dieu permet qu'on trouve
la boue au fond de son cœur jusque dans les plus
maints exercices.
*'V%%'«'%«'%%%4%'«^'V%
118*. (,93)
On n'a point la paix eu s'écoutant soi-même.
Ce que je vous ai dit ne vous a fait une si grande
peine , qu'à cause que j'ai touché l'endroit le plus vif
et le plus sensible de votre cœur. C'est la plaie de
votre amour-propre que j'ai foit saigner. Vous n'êtes
point entrée avec simplicité dans ce que Dieu de-
LETTRES SPIRITUELLES. a'jg
mande de vous. Si vous aviez acquiescé à tovit sans
vous écouter vous-même, et si ^ous eussiez commu-
nié pour trouver en Notre-Seigneur la force qui vous
manque dans votre propre fond, vous îuiriez eu d'abord
une véritable paix avec un grand liiiit de votre ac-
quiescement. Ce qui n'a pas été fait peut se faire , et
je vous conjure de le faire au plus tût.
(uoo) 119 *.
Mettre à profit nos imperfjections pour i)ous en liumilicr. Ne regarder
ijut; Dieu dans la créature.
Il est vrai que vous observez trop, que vous vou^
lez trop deviner par amour-propre délicat et ombra-
geux , et que vous vous piquez facilement ; mais il
faut porter cette croix intérieui'e comme les exté-r-
rieures. Elle est bien plus rude que celles du debors.
On soufiVe bien plus volontiers de la déraison d'au-
trui , que de sa déraison propre. L'orgueil en est au
désespoir, il se pique de s'être piqué; mais cette dou-
ble piqûre est un double mal. Il n'y a qu'un seul
remède, qui est de mettre à profit nos imperfections
en les faisant servir à nous bumilier, à nous confondre,
à nous désabuser de nous-mêmes , et à nous mettre
en défiance de notre cœur.
Vous devez remercier Dieu de ce qu'il vous fait
sentir que le travail nécessaire pour gagner M ,
est un de vos premiers devoirs. Mourez à vos répu-
gnances , pour vous mettre à portée de Ivii apprendre
à mourir à tous ses défauts. Vous ne vous trompez
nullement quand vous me regardez comme un ami
sincère et à toute épreuve ; mais vous faites un obs-
280 LETTRES SPIRITUELLES.
tacle à la grâce , de ce qui en doit être le pur instru-
ment , si vous n'êtes pas fidèle à chercher Dieu seul
en moi , et à n'y voir que sa lumière , comme les
ra3^ons du soleil au travers d'un verre vil et fragile.
Vous ne trouverez la paix ni dans la société ni dans
la solitude , quand vous y voudrez trouver des ra -
goûts et des soulagemens de votre amour-propre dé-
pité. Alors la solitude d'un orgueil boudeur est encore
pis qu'une société un peu dissipée. Quand vous serez
simple et petite , les compagnies ne vous gêneront ni
ne vous dépiteront pas -, alors vous ne chercherez la
solitude que pour Dieu seul.
120 *. (m5)
Renoncer courageusement aux secours humains que Dieu nous enlève.
Dieu ne donne son esprit qu'à ceux qui le lui de-
mandent avec douceur et petitesse. Rapetissez-vous
donc 5 radoucissez votre cœur. Devenez un bon petit
enfant , qui se laisse porter partout où l'on veut , et
qui ne demande pas même où est-ce qu'on le porte.
Pour moi , je ne puis plus avoir l'honneur de vous
voir ; mais vous n'avez aucun besoin de moi , si vous
avez le courage de ne rien décider , et de vous livrer
à la volonté de ceux qui gouvernent. Il y avait au-
trefois un solitaire qui s'était dépouillé du livre des
Evangiles , et qui disait : « Je me suis dépouillé de
» tout , même du livre qui m'a enseigné le dépouil-
y> lement. » A quoi sert l'abandon que vous avez tant
aimé ? N'est-ce pas une illusion , si on ne le pratique
quand les occasions s'en présentent ? Je ne suis point
LETTRES SPIRITUELLES. 28 1
comparaLle au livre sacré des Evangiles, où est la
parole de vie éternelle; mais quand je serais un ange
du ciel , au lieu que je ne suis qu'un indigne prêtre ,
il ne faudrait se souvenir de moi que pour se sou-
venir de ce que j'ai pu dire de bon.
Je ne vous ai jamais parlé que d'abandon sans ré-
serve et de docilité enfantine. Je ne vous ai donc en-
seigné qu'à vous détaclier de moi comme de tout le
reste , et qu'à vous abandonner sans hésitation à la
conduite de vos supérieurs. Ce serait vous ôter de
votre grâce et de l'ordre de Dieu , que de vouloir vous
donner encore des secours auxquels vous devez mou-
rir. Quand le temps de mourir à certains secours est
venu , ces secours ne sont plus secours , ils se tournent
en pièges. Au lieu d'être des moyens qui unissent à
Dieu , ils deviennent un milieu humain entre Dieu et
nous , qui nous arrête , et nous empêche de nous unir
immédiatement à lui. Je le prie de tout mon cœur ,
madame , de vous donner l'esprit de foi et de sacri-
fice dont vous avez besoin pour accomplir sa volonté.
Personne ne vous honorera jamais plus parfaitement
que moi.
(.4) 121 *.
Contre rattachement excessif aux consolations rjiron reçoit sous la
conduite diin directeur.
Vous me faites un vrai plaisir , monsieur , en me
témoignant l'ouverlure de cœur que vous auriez pour
moi ; je vous parlerai dans l'occasion avec la même
franchise. Mais il ne faut point parler par une secrète
recherche de (juelque assurance ; car il ne vous con-
282 LETTRES SPIRITUELLES.
\ient point d'en cliercber. Dieu est jaloux de tout ce
qui se tourne en appui , et encore plus de tout ce qui
est une recherche indirecte de ce que nous ne vou-
drions pas rechercher directement. Comptez que je
sais le fond qu'il faut faire sur ceux que Bieu a fait
passer par beaucoup d'épreuves : je ne puis être de
même avec les autres , quoiqu'ils soient fidèles selon
leur degré. Mais il ne faut tenir à rien , pas même à
ses dépouillemens , dont on peut se revêtir insensi-^
blement. Oubliez-vous vous-même , et toutes vos
peines se dissiperont. On croit que l'amour de Dieu
est un martyre ; non , toutes les peines ne viennent
que de l'amour-propre. C'est l'amour-propre qui
doute, qui hésite, qui résiste, qui souifre, qui compte
ses souffrances , qui varie dans les occasions , et qui
empêche la paix profonde des âmes délivrées d'elles^
mêmes. En voilà trop ; mais je suis sûr que vous
voulez que je parle selon mon cœur et sans mesure.
122 *, (34)
JNéccssité d'écouter Dieu, et ceux qu'il nous donne pour nous conduire.
J'ai vu N ; je l'ai beaucoup écouté ; je lui ai
peu parlé. J'ai suivi en ce point la pente de mon
cœur : peut-être que Dieu a voulu lui montrer par
là comment il doit retrancher les discours superflus.
Je lui ai dit en peu de paroles ce qui m'a paru con-
venir à ses besoins. Tout se réduit au silence inté-
rieur , qui règle toute la conduite extérieure. S'il
n'amortit sans cesse la vivacité de son imagination
par le recueillement de son degré , il ne sera jamais
en état d'écouter Dieu , et d'agir paisiblement par
LETTRES SPIRITUELLES, 2S'S
Tespiit de grâce. La nature empressée préviendia
toujours par ses saillies tous les mouvemens de Dieu ;
qui doivent être attendus. S'il ne parlait que quand
Dieu le fait parler, il parlerait peu et très-bien , mais
comme son imagination l'entraîne à toute heure, la
règle qui fera la sûreté de toutes les autres est qu'il
vous écoute , qu'il vous croie , qu'il vous obéisse ,
qu'il s'apetisse sous votre main , et qu'il s'arrête tout
court dès que vous parlez. Il faut qu'il vous aide ,
mais il faut que vous le décidiez,
Je le charge donc de vous écouter sans écouter
soi-même , et je vous recommande de lui décider
avec pleine autorité , de faire ce que vous lui direz.
De votre côté , vous devez recevoir avec simplicité
et petitesse ce qu'il vous dira par grâce sur vos fai-
blesses. Ne les craignez point par anticipation : d
chaque Jour suffit son mal. Ne craignez point pour
h jour de demain ^ le jour de demain aura soin de
lui-même {a). Celui qui fait la paix du cœur aujour-
d'hui , est tout-puissant et tout bon pour la faire en-
core demain.
Ne vous tentez pas vous-même en voulant pré-
venir des épreuves dont vous n'avez pas encore la
grâce. Dès que vous apercevrez naître ces pensées ,
arrêtez-les dans leur commencement. On mérite la
lentation quand on l'écoute. Coupez court , non par
des efforts et par des méthodes , mais en laissant ces
pensées sans leur dire ni oui ni non. Les gens aux-
quels on ne répond rien se taisent bientôt. Livrez-
vous à Dieu sans vous reprendre sous aucun pré-
texte , et il aura soin de tout.
fa) Mallh. V. 34.
284 LETTRES SPIRITUELLES.
123 *. (35)
Comment on doit agir envers une personne faible et dissipée.
Pour N , ce n'est que faiblesse et dissipation.
La guerre l'avait trop dissipé -, d'autres tentations
l'on trouvé affaibli par celle-là : mais j'espère que
l'expérience de sa faiblesse se tournera à profit. Ayez
une patience sans bornes avec lui. Parlez-lui quand
Dieu vous donne des paroles, et n'en mêlez jamais
aucune des vôtres. Ne le pressez jamais par activité
et par sagesse humaine ; ne patientez jamais par po-
litique et par méthode. Quand vous lui direz les pa-
roles de Dieu, elles seront pleines d'autorité, et vous
serez écouté. On peut parler avec force, et attendre
avec patience tout ensemble : sa faiblesse même aug-
mentera votre autorité. Elle doit lui faire sentir com-
bien il a besoin de se défier de lui , et d'être docile.
Soyez ferme sur les points essentiels , desquels tous
les autres dépendent.
Je l'aime toujours tendrement , et j'espère que
Dieu ne lui aura montré le bord du précipice , que
pour le guérir de sa dissipation , de son goût pour
le monde , et de sa confiance en lui-même -, mais il
tomberait enfin bien bas , s'il refusait d'être simple ,
docile et petit , parmi tant d'expériences de sa fra-
gilité et de sa misère. Quand nous ne nous humilions
pas au milieu même de l'humiliation que Dieu nous
donne tout exprès pour nous réduire à la petitesse
et à la souplesse , nous le forçons malgré lui à frap-
per des coups encore plus grands , et à nous faire
éprouver de plus humiliantes faiblesses. Au contraire,
LETTRES SPIRITUELLES. 285
notre petitesse et notre docilité dans la misère appai-
sent le cœur de Dieu. On peut lui dire avec con-
liance : P'^ous ne mépriserez point un cœur abattu,
et écrasé {fi). Dieu s'attendrit , et ne résiste point à
cette souplesse des petits.
Parlez donc suivant qu'il vous sera donné une bou-
clie et une sagesse. Tenez l'enfant par la lisière ; ne
le laissez pas tomber. Ménagez votre santé , sur la-
quelle on nie met en quelque inquiétude ; reposez-
vous et soulagez-vous en tout ce que vous le pourrez.
Plus vous prendrez les croix journalières comme le
])ain quotidien , avec paix et simplicité , moins elles
détruiront votre santé faible et délicate ; mais les
^prévoyances et les réflexions vous tueraient bientôt.
Voulez-vous mener tout comme Dieu , qui atteint
d'une extrémité à l'autre avec force et douceur ? n'y
mêlez rien d'iiumain , et surtout mille volonté in-
téressée pour la réputation de votre famille.
(il) Ps. L. ig.
(ii5) 124 *.
Ke pas trop pousser une amc que Dieu attire ; mais s'accommoder à sa
grâce , et en attendre les momens.
Pour la personne dont vous me parlez , vous n'avez
qu'à faire ce que je m'imagine que vous faites, qui
est de l'attendre, de ne la pousser jamais, de la lais-
ser presser intérieurement à Dieu seul , de lui dire
ce que Dieu vous donne quand elle vient à vous ; de
le lui dire doucement , avec amitié , support , patience
et consolation. Elle aura des inégalités , des irréso-
lutions, des déliances , des tentations contre vous :
28(j LETTRES SPIRITUELLES.
mais Diea ne la laissera point sans achever son ou-
vrage , et c'est à vous à la soutenir. Les opérations
de la grâce sont douloureuses. On vient jusques au
bord du sacrifice de toutes les choses du monde , et
on recule souvent d'horreur avant que de s'y précipi-
ter. Ces hésitations si pénibles sont les fondemens de
ce que Dieu prépare. Plus on a été faible , plus Dieu
donne sa force. Voyez l'agonie du jardin , où Jésus^
Christ est triste jusqu'à la mort, et demande que le
calice d'amertume soit détourné de lui : cette fai-
blesse est suivie du grand sacrifice de la croix.
Pourvu que vous ne poussiez jamais trop cette
personne , elle reviendra toujours à vous , et ces re-
tours vous donneront ime force infinie. Il ne faut
souvent qu'une demi-parole , qu'un regard , qu'un
silence , pour achever la détermination d'une ame
que Dieu presse. Quand vous ne pourrez lui parler ,
donnez-lui quelque bonne et courte lecture à faire ^
ou un moment d'oraison à pratiquer. Si son esprit
est trop peiné pour les exercices , demeurez en si-
lence avec elle ; de temps en temps dites deux mots
pour la calmer \ souffrez d'elle tout ce que l'humeur
et l'esprit de tentation lui feront faire , et qu'elle
vous retrouve ensuite bonne et ouverte comme au-
paravant. Il n'y a que l'infidélité qu'il ne faut jamais
lui passer ; mais pour les saillies qui échappent , il faut
les supporter. Si votis pouviez lui faire voir quelque
personne d'expérience et de grâce qui vous aidât , ce
serait un soulagement pour elle et pour vous -, mais
si vous n'avez personne qui convienne , ou bien si
elle ne peut s'ouvrir qu'à vous seule , il faut que vous
portiez seule tout le fardeau.
LETTRES SPIRITUELLES. 28-
/
( 13:, )
125
Ne point se rebuter des îniperfccfions d'aulrui , et ne pas trop presser
les couimenoaus.
Je suis bien fiiclié de tous les mécomptes que vous
trouvez clans les hommes ; mais il faut s'accoutumer
à y chercher peu , c'est le moyen de n'être jamais
mécompte. Il faut prendre des hommes ce qu'ils don-
nent , comme des arbres les fruits qu'ils portent : il
V a souvent des arbres où l'on ne trouve que des
feuilles et des chenilles. Dieu sujipcrte et attend les
hommes imparfaits , et il ne se rebute pas même de
leurs résistances. Nous devons miiter cette patience
si aimable , et ce support si miséricordieux. Il n'y
a que l'imperfection qui s'impatiente de ce qui est
imparfait ; plus on a de perfection , plus on supporte
patiemment et paisiblement l'imperfection d'autrui
sans la flatter. Laissez ceux qui s'érigent un tribunal
dans leur prévention : si quelque chose les peut gué-
rir , c'est de les laisser aller à leur mode , et de con-
tinuer à marcher de notre côté devant eux avec une
simplicité et une petitesse d'enfant.
Ne pressez point N.... Il ne faut demander qu'à
mesure que Dieu donne. Quand il est serré , atten-
dez-le , et ne lui parlez que pour l'élargir : quand il
est élargi , une parole fera plus que trente à contre-
temps. Il ne faut ni semer ni labourer quand il gèle
et que la terre est dure. En le pressant , vous le dé-
courageriez. Il ne lui en resterait qu'une crainte de
A ous voir , et une persuasion que vous agissez par
A ivacité naturelle pour gouverner. Quand Dieu vou-
288 LETTRES SPIRITUELLES.
dra donner une plus grande ouverture , vous vous
tiendrez toujours toute prête pour suivre le signal ,
sans le prévenir jamais. C'est l'oeuvre de la foi , c'est
la patience des Saints. Cette œuvre se fait au dedans
de l'ouvrier , en même temps qu'au dehors sur au-
trui ; car celui qui travaille meurt sans fesse à soi
en travaillant à faire la volonté de Dieu dans les
autres.
AVIS SUR LES ÉPREUVES ET LES VICISSITUDES
DE LA VIE INTÉRIEURE.
126*. (.8)
Abandon à Dieu parmi les vicissitudes de la vie intérieure.
Laissez votre cœur aller comme Dieu le mène ,
tantôt haut , tantôt bas \ cette vicissitude est une rude
épreuve. Si on était toujours dans la peine , on s'y
endurcirait , ou bien on n'y durerait guère ; mais les
intervalles de calme et de respiration renouvellent
les forces , et préparent une plus douloureuse sur-
prise dans le retour des amertumes. Pour moi , quand
je soufi're , je ne vois plus que souffrance sans bornes ;
et quand le temps de consolation revient , la nature
craint de sentir cette douceur , de peur que ce ne soit
une espèce de trahison , qui se tourne en surprise
plus cuisante quand la croix recommencera. Mais il
me semble que la vraie fidélité est de prendre égale-
ment le bien et le mal comme ils viennent , voulant
bien essuyer toute cette secousse. Il faut donc se lais-
ser soulager quand Dieu nous soulage , se laisser sur-
LETTRES SPIRITUELLES. aSc)
prendre quand il nous surprend , et se laisser désoler
(piaiid il nous désole.
En vous disant tout ceci , j'ai horreur de tout ce
«pie Texpérience de ces choses porte avec soi, je fré-
mis à la seule ombre de la croix : mais la croix ex-
térieure sans l'intérieure , qui est la désolation , l'hor-
ix'ur et l'agonie , ne serait rien. Voilà , N. ce que je
vous dis sans dessein, parce que c'est ce qui m'oc-
cupe dans ce moment. J'ai aujourd'hui le cœur en
])aix sèche et amère ; le demain m'est inconnu : Dieu
le fera ù son Lon plaisir , et ce sera toujours le pain
quotidien. 11 est quelquefois bien dur et bien pesant
à l'estomac. Ecoutez Dieu , et point vous-même : là
est la vraie liberté , paix et joie du Saint-Esprit.
Tout à ^ous , etc.
%«^^%«^/\/%/V%«
(47) 127 *.
En f|uoi consiste la véritable fervenr.
Soyez en paix, M La ferveur sensible ne dé-
pend nullement de vous : l'unique chose qui en dé-
pend est votre volonté. Donnez-la à Dieu sans ré-
serve. Il ne s'agit point de sentir un goût de piété ;
il s'agit de vouloir tout ce que Dieu veut. Recon-
naissez humblement vos fautes ; détachez-vous , aban-
donnez-vous -, aimez Dieu plus que vous-même , et
sa gloire plus que votre vie ; du moins désirez d'ai-
mer ainsi , et demandez ce véritable amour. Dieu
vous aimera et mettra sa paix au fond de votre cœur.
Je la lui demande pour vous , et je voudrais souffrir
pour l'obtenir.
CORRESP. IV. 4
2Q0 LETTRES SPIRITUELLES.
128*. (IT9)
Se contenter do l'opération de Dieu, <jnoique eachée, et mc'langée des
saillies du naturel.
Je comprends , ce me semble , assez ce qui fait
votre peine. Votre état est si simple , si sec et si nu ,
que vous ne trouvez rien pour vous soutenir , et que
toute sûreté sensible vous manque au besoin. Mais
votre conduite est droite , et éloignée de tout ce qui
peut causer l'illusion. Il m'a même paru que vous
êtes plus régulier qu'autrefois , sans être moins lijjre
et nioins simple. Je vous trouve plus modéré , moins
décisif, plus accommodant, moins attentif aux dé-
fauts d'autrui , plus patient dans les occasions , plus
appliqué à vos devoirs. Quoiqu'il vous paraisse que
tout se fait chez vous par naturel , il est pourtant
vrai que votre naturel ne fait point tout cela , et
qu'il faisait tout le contraire.
Il n'est pas étonnant que l'opération de la grâce,
pour se cacher , se confonde insensiblement avec la
nature. De plus_, on fait toujours bien des fautes par
les saillies du naturel , surtout quand on est fort vif;
et le sentiment intérieur qu'on a , tente de croire que
la vie est toute pleine de ces mouvemens naturels
auxquels on se laisse aller : mais dans le fond on tra-
vaille , malgré ses fautes , à réprimer ses saillies ; et
quoique ce travail soit Mmple et peu sensible, il ne
laisse pas d'être très-réel. D'un autre côté , les fautes
qu'on voit tiennent l'âme dans la défiance d'elle-
même , et dans une entière péîuweté d'esprit.
Ne vous attristez donc point ; et quoique Dieu ne
LETTRES SPIRITUELLES. 29 1
VOUS console guère, ne vous rebutez point de de-
meurer dans son sein. Le monde ne vous convient
point dans votre état. La plupart des compagnies ne
vous seraient pas propres, (piand même elles ne se-
raient pas dangereuses ; mais je vous souhaiterais
cpielque petite société innocente qui vous put amu-
ser et délasser Tesprit. Pour moi , mon cœur est sec
et languissant : la vie ne me fait aucun plaisir ; mais
il faut toujours aller en avant, et être chaque jour
ce qu'il plait à Dieu. Si j'osais , je dirais que je le veux
lui seul et sans mesure.
(ijS) 129 *.
Etre fidèle aux esorciccs de piété , indépendamment du goût sensible.
Aimer Dieu , et tendre par la rolonté à cet amour.
J'ai souvent pensé > monsieur , depuis hier aux
choses que vous me fîtes l'honneur de me dire , et
j'espère de plus en plus que Dieu vous sou.tiendra.
Quoique vous ne sentiez pas un grand goût pour les
exercices de piété , il ne faut pas laisser d'y être aussi
fidèle que votre santé le permettra. Un malade con-
valescent est encore dégoûté ; mais malgré son de-
goût , il faut qu'il mange pour se nourrir.
Il serait même très-utile que vous pussiez avoir
quelquefois un peu de conversation chrétienne avec
les personnes de votre famille à qui vous pourrez;
vous ouvrir ; mais pour le choix agissez en toute li-
berté selon votre goût présent. Dieu ne vous attire
point par une touche vive et sensible , et je m'en
réjouis , pourvu que vous demeuriez ferme dans le
2Q2 LETTRES SPIRITUELLES.
bien : car la fidélité soutenue , sans goût , est bien
plus pure et plus à l'épreuve de tous les dangers , que
les grands attendrissemens qui sont trop dans l'ima-
gination. Un peu de lecture et de recueillement cha-
que jour vous donnera insensiblement la lumière et
la force de tous les sacrifices que vous devez à Dieu.
Aimez-le; je vous quitte de tout le reste ; tout le reste
viendra par l'amour : encore même ne veux-je point
vous demander un amour tendre et empressé ; il suf-
fit que la volonté tende à l'amour , et que , malgré les
goûts corrompus qui restent dans le cœur, elle pré-
fère Dieu au monde entier et à soi-même. Vous se-
rez le plus ingrat de tous les hommes, si vous n'ai-
mez pas Dieu qui vous aime tant , et qui ne se rebute
point de frapper à la porte de votre cœur pour y ré-
pandre son amour. Quand vous ne trouvez point cet
amour en vous , du moins demandez-le , désirez de
l'avoir , et attendez-le avec une ferme confiance. Voilà
ce que je ne puis m'empêcher de vous dire , tant je
suis plein de ce qui vous touche.
«/«v v*^^^'^^^^ ^
(i84) 130*.
Touchant les distractions involontaires et les sécheresses.
Vous ne sauriez me dire les choses trop simplement.
Ne vous mettez point en peine des pensées de vanité
qui vous importunent par rapport aux dispositions
de votre cœur que vous m'expliquez. Dieu ne per-
mettra pas que le venin de l'orgueil corrompe ce que
vous faites par nécessité pour aller droit à lui. De
plus , il y a toujours plus à s'humilier et à se confon-
dre , qu'à se plaire et à se glorifier dans les choses
LETTRES SPIRITUELLES. 29^
qu'on est obligé de dire de soi. Il en faut dire avec
simplicité le bien comme le mal , afin que la per-
sonne à qui on se confie sache tout , comme un mé-
decin , et puisse donner des remèdes proportionnés
aux besoins.
Il ne s'agit point de ce que vous sentez malgré
vous , ni des pensées qui se présentent à votre es-
prit , ni des distractions involontaires qui vous fati-
guent dans votre oraison : il suffît que votre volonté
ne veuille jamais être distraite, c'est-à-dire, que vous
ayez toujours l'intention .droite et sincère de faire orai-
son , et de laisser tomber les distractions dès que vous
les apercevez. En cet état , les distractions ne vous
feront que du bien : elles vous fatigueront , vous hu-
milieront , vous accoutumeront à vivre de pain sec et
noir dans la maison de Dieu : vous demeurerez fidèle
à servir Dieu , à l'aimer , et à vous unir à lui dans la
prière sans y goûter les consolations sensibles qu'on
y cherche souvent plus que lui-même. L'illusion est à
craindre quand on ne cherche Dieu qu'avec un plaisir
goûté. Ce plaisir peut flatter l'amour-propre -, mais
quand on demeure uni à Dieu dans les ténèbres de
la foi et dans les sécheresses des distractions , on le
suit en portant la croix pour l'amour de lui. Quand
les douceurs viendront , vous les recevrez pour mé-
nager votre faiblesse. Quand Dieu vous en sèvrera
comme on sèvre un enfant du lait pour le nourrir de
pain , vous vous passerez de cette douceur sensible ,
pour aimer Dieu dans un état humble et mortifié.
Gardez- vous bien, en cet état , de reculer sur vos com-
mimions. L'oraison et la communion marcheront d'un
pas égal , sans plaisir , mais avec une pure fidélité.
Qn4 LETTRES SPIllITL ELLES.
Dieu n'est jamais si bien servi que quand nous le ser-
vons , pour ainsi dire , à nos dépens , sans eu avoir
sur-le-cliamp un profit sensible.
131 *. (i85)
Souffrir la tiédeur et ses propres dégoûts. Oraison de silenco.
Je ne suis point étonné de votre tiédeur. On n'est
point toujours en ferveur; Dieu ne permet pas qu'elle
soit continuelle : il est bon de sentir , par des inéga-
lités , que c'est un don de Dieu , qu'il donne et qu'il
retire comme il lui plaît. Si nous étions sans cesse
en ferveur , nous ne sentirions ni les croix , ni notre
faiblesse ; les tentations ne seraient plus des tenta-
tions réelles. Il faut que nous soyons éprouvés par la
révolte intérieure de notre nature corrompue, et que
notre amour se purifie par nos dégoûts. Nous ne te-
nons jamais tant à Dieu , que quand nous n'y tenons
plus par le plaisir sensible , et que nous demeurons
fidèles par une volonté toute nue , étant attachés sur
la croix. Les peines du dehors ne seraient point de
vraies peines , si nous étions exempts de celles du de-
dans. Souffrez donc en patience vos dégoûts , et ils
vous seront plus utiles qu'un goût accompagné de con-
fiance en votre état. Le dégoût souffert par une vo-
lonté fidèle est une bonne pénitence. Il humilie , il
met en défiance de soi , il fuit sentir combien on est
fragile , il fait recourir plus souvent à Dieu, Voilà de
grands profits. Cette tiédeur involontaire , et cette
pente à chercher tout ce qui peut flatter l'amour-pro-
pre, ne doivent pas vous empêcher de communier.
LETTRES SPIRITUELLES. 3(^5
Vous voulez courir après un goût sensible de I>ieu ,
qui n'est ni son amour , ni l'oraison. Prenez ce goût
(juancl Dieu vous le donne , et quand il ne vous le
donne pas , aime/ , et tachez de luire oraison comme
bi ce goût ne vous manquait pas. C'est avoir Dieu
que de l'attendre. D'ailleurs vous faites très-bien de
ne demander à Dieu les goûts et les consolations qu'au-
tant qu'il lui plaira de vous les donner. Si Dieu veut
vous sancliiier par la privation de ces goûts sensibles ,
Aous devez vous conformer à ces desseins de misé-
ricorde et porter les séclieresses : elles serviront en-
core plus à vous rendre humble , et à vous faire mou-
rii" à vous-même ; ce qui est l'œuvre de Dieu.
Vos peines ne vieiment que de vous-même : vous
vous les faites en vous écoutant. C'est une délica-
tesse et une sensibilité d'amour-propre que vous
nourrissez dans votre cœur en vous attendrissant sur
vous-même. Au lieu de porter fidèlement la croix ,
et de remplir vos devoirs en portant le fardeau d'au-
trui pour lui aider à le porter, et pour redresser les
personnes que Dieu vous confie , vous vous resserrez
en vous-même, et vous ne vous occupez que de votre
découragement. Espérez en Dieu ; il vous soutiendra
et ^ous rendra utile au juochain , pourvu que vous
ne doutiez point de son secours , et que vous ne vous
épargniez point dans ce travail.
Gardez-vous bien d'interrompre votre oraison ;
vous vous feriez un mal infini. Le silence dont vous
me parlez vous est excellent toutes les fois que vous
y sentez de l'attrait. Sortez-en pour vous occuper des
vérités plus distinctes , quand vous en avez la facilité
et le goût; mais ne ci'aiguez point ce silence quand
2dij LETTRES SPIRITUELLES.
il opère en vous pour la suite une attention plus fidèle
à Dieu dans le reste de la journée. Demeurez libre
avec Dieu de la manière que vous pourrez , pourvu
que votre volonté soit unie à lui , et que vous cher-
chiez ensuite à faire sa volonté aux dépens de la vôtre.
132 *. (190)
De rinstinct du fond ; de la présence de Dieu ; des amusemens innoccns.
Je crois que vous devez être en repos pour votre
oraison ; elle me paraît Lonne , et vous n'avez qu'à la
continuer avec confiance en celui d'où elle vient et
avec qui vous y êtes. Pour ce que vous nommez iti-
stinct , c'est un germe secret d'amour et de présence
de Dieu , qu'il faut avoir soin de nourrir , parce que
c'est lui qui nourrit tout le reste dans votre cœur. La
manière de cultiver cet instinct est toute simple : il
faut, i» éviter la dissipation qui l'affaiblirait; 2° le
suivre par le retour au silence et au recueillement
toutes les fois que ce fond se reveille et vous fait
apercevoir votre distraction ; 3» céder à cet instinct ,
en lui faisant les sacrifices qu'il demande en chaque
occasion pour vous faire mourir à vous-même.
Il ne faut pas croire que la présence de Dieu soit
imaginaire, à moins qu elle ne nous donne de grandes
lumières pour dire de belles choses. Cette présence
n'est jamais plus réelle et plus miséricordieuse , que
quand elle nous enseigne à nous taire , à nous hu-
milier , à n'écouter point notre amour-propre , et à
demeurer avec petitesse et fidélité dans les ténèbres
de la foi. Ce goût intime de renoncement à soi et de
LETTRES SPUUTUEl.I.ES. aOT
j)elitesse est bien plus utile que des lumières éclatantes
et des scntimens vifs.
Pour cette présence sensible de Dieu que vous
avez moins qu'autrefois , elle ne dépend pas de vous.
Dieu la donne et l'ôte comme il lui plaît ; il suflit ([ue
vous ne tombiez point dans une dissipation volon-
taire. Il y a des anuisemens de passion ou de vanité ,
qui tlisslpent et ([ui mettent quel(pie entre-deux entre
J)ieu et nous. Il y a d'autres amusemens , qu'on ne
prend que par simplicité et dans l'ordre de Dieu ,
pour se délasser , pour occuj)er l'activité de son ima-
i;lnalion , pendant que le cœur a une autre occupa-
tion plus intime. On peut s'amuser de cette façon
dans les temps de la journée où l'on ne pourrait pas
continuer l'oraison sans se fatiguer : alors c'est une
demi oraison , qui vaut quelquefois autant que l'orai-
son même qu'on fait exprès.
133*. (.9,)
Ne pas s'inquiéter des scntimens , mais du fond de la volontû.
Il faut songer à réparer le dérangement dont vous
vous plaignez dans votre intérieur. Les manières trop
naturelles d'autrui réveillent tout ce qu'il y a en nous
de trop naturel ; elles nous font sortir d'un certain
centre de la vie de grâce ; mais il faut y rentrer avec
simplicité et défiance de soi. La dureté , l'injustice ,
la fausseté , se trouvent dans notre cœur , quant aux
scntimens , lorsque nous nous trouvons avec des per-
sonnes qui piquent notre amour-propre \ mais il suf-
fit que notre volonté ne suive pas ce pencbant. Il
3g6 LETTRES SPIRITUELLES.
faut mettre ses défauts à profit par une entière dé-
fiance de notre cœur.
Je suis fort aise de ce que vous ne trouvez en vous
aucune ressource pour soutenir le genre de \ie que
vous avez embrassé. Je craindrais tout pour vous ,
si vous vous sentiez afi'ermie dans le bien , et si vous
vous promettiez d*y persévérer r mais j'espère tout
quand je vois que vous désespérez sincèrement de
vous-même. 0 qu'on est faible quand on se croit
fort ! 0 qu'on est fort en Dieu quand on se sent fai-
ble en soi !
Le sentiment ne dépend pas de vous : aussi l'amour
n'est-il pas dans le sentiment. C'est le vouloir qui
dépend de vous , et que Dieu demande. Il faut que
la volonté soit suivie de l'action ; mais souvent Dieu
ne demande pas de grandes œuvres de nous. Régler
son domestique , mettre ordre à ses affaires , élever
ges enfans , porter ses croix. , se passer des vaines joies
du siècle , ne flatter en rien son orgueil , réprimer sa
hauteur naturelle; travailler à devenir simple, naïve,
petite ; se taire , se recueillir , s'accoutumer à une vie
cachée avec Jésus-Christ en Dieu : voilà les œuvres
dont Dieu se contente.
Vous voudriez , dites-vous , des croix pour e^cpier
vos péchés et pour témoigner votre amour à Dieu.
Contentez-vous des croix présentes -, avant que d'en
chercher d'autres , portez bien celles-là ; n'écoutez ni
vos goûts , ni vos répugnances ; tenez-vous dans cette
disposition générale de dé|3endance sans réserve de
J'es])rit de grâce en toute occasion. C'est la mort con-
tinuelle à soi-même. Ne refusez rien à Dieu , et ne
le prévenez sur rien pour les choses où vous ne voyez
LETTRES SPIRITUELLES. OgC)
point encore sa volonté. Cliaque jour apportera ses
cioix et ses sacrifices. Quand Dieu voudra vous faire
passer dans un autre état , il vous y préparera insen-
siltlemeiit. Je serai volontiers votre inslrument de
ïuort par cette dépendance de la grâce. Je souhaite
(jue Dieu poursuive sans relâche en vous toute vie
de l'amour-^propre.
»W>%V\.V\»»V»%%'»
(,9.) 134*.
lloccYoir «également de Dieu la tr;inquillit(j et la sdchcrcssc dans
l'oiaisou.
Vous ne devez point être en peine sur la tranquil-
lité que Dieu vous donne dans l'oraison. Quand elle
vient 5 il la faut prendre sans aucun scrupule : ce
serait résister à Dieu, que de voul Ir , sous prétexte
d'humilité et de pénitence , rejeter cet attrait de grâce
pour vous occuper de vos misé' es. La vue de vos
misères reviendra assez à son to iv. Mais quand vous
trouvez lui penchant et une f milité à être dans une
douce présence de Dieu , . ien n'est si bon que d'y
tlemeurer. Vous a\ouez que , hors de cette tranquil-
lité en la présence de Dieu , vous ne savez ce que
c'est quoraison. Gardez-vous bien donc de sortir , par
votre propre choLx, d'une disposition hors de laquelle
vour dites que votre oraison se perd.
D'un autre côté , quand une certaine douceur vous
manque en cet état-là , ne croyez point que tout soit
perdu. Dieu ne vous ùte ce plaisir , que pour vous
sevrer peu à peu comme un enfant, et pour vous
accoutumer à du pain sec en la place du lait. Il faut
3oO LETTRES SPIRITUELLES.
sevrer l'enfant , et l'enfant crie : mais il vaut mieux
le laisser crier , et le sevrer pour le mieux nourrir
et le faire croître. La privation de cette douceur sen-
sible ne détruit pas l'oraison; au contraire, elle la pu-
rifie. C'est avoir Dieu sans Dieu, comme vous le disiez
hier, c'est-à-dire, Dieu seul sans ses dons, qui rendent
sa présence douce , sensil)le et consolante : c'est Dieu
même dans un état de plus pure foi ; c'est Dieu ca-
ché, mais Dieu pourtant; c'est Dieu qui éprouve notre
amour ; ce n'est plus Dieu qui charme notre goût et
qui épargne notre faiblesse. Il faut éprouver la vicis-
situde de ces deux états , pour ne tenir point à l'un
et pour n'être pas découragé de l'autre. Il faut être
détaché de l'un , et ferme dans l'autre. Il faut être
indifférent pour tous les deux , et ne changer point
dans ces changemens. Il faut croire que nous ne pour-
rons nous donner le goût consolant : c'est Dieu seul
qui le donne , comme et quand il lui plaît. Il faut
s'en laisser priver , et sacrifier à Dieu ses dons quand
il les retire , comme une fidèle épouse se laisserait
patiemment priver des joyaux et des caresses de son
époux pour se conformer à sa volonté. Il est encore
plus parfait de tenir à Dieu qui nous rabaisse, qui
nous dépouille, qui nous éprouve, que de tenir à Dieu
qui nous enrichit , qui nous charme et qui nous caresse.
Laissez vos fautes : il suffit de les voir quand la
lumière s'en présente, et de ne vous épargner point
sur leur correction. Vos tentations se tourneront à
profit. La véritable union à Dieu , qui est un amour
simple et humble , diminue les imperfections. De-
meurez donc unie à Dieu, et souffrez tout ce qu'il
donne de croix et d'épreuves.
LETTRES SPIRITUELLES. 3oi
(.95) 135*.
Recevoir avco une égale tranquillité les consolations et les sécheresses,
selon qu'il plait à Dieu.
Dieu vous aime , puisqu'il a tant de jalousie à
votre égard , et qu'il a soin de vous faire sentir jus-
qu'aux moindres fautes que vous commettez. Quand
vous apercevrez (pielque faute qui vous indispose
pour l'oraison , contentez-vous de vous humilier sous
la main de Dieu, et de recevoir cette interruj^tion des
grâces sensibles , comme la pénitence que vous avez
méritée. Ensuite demeurez en paix ; ne recherchez
point par amour-propre ce plaisir qui peut vous ve-
nir de la société des bonnes gens qvii vous honorent •
mais aussi ne vous faites point un scrupule de rece-
voir cette consolation quand la Providence vous l'en-
voie. Laissez tomber l'excès de sensibilité que vous
éprouvez dans de telles consolations. Il suffit que
^ otre volonté ne s'y livre pas , et que vous soyez
sincèrement déterminée à vous en passer toutes les
fois qu'elles cesseront.
Vous voulez savoir ce que Dieu demande de vous
là-dessus ; et je vous réponds que Dieu veut que
vous preniez ce qui vient , et que vous ne couriez
point au-devant de ce qui ne se présente point. Re-
cevez avec simplicité ce qui vous est donné, n'y regar-
dant que Dieu seul qui vous le donne pour soutenir
votre faiblesse , et portez avec foi la privation de
toutes les choses dont Dieu vous prive pour vous
détacher. Quand vous prendrez ainsi également les
inégalités des hommes à votre égard , que Dieu per-
3o2 LETTRES SPIRITUELLES.
met tout exprès pour vous éprouver par ces espèces
de secousses , vous verrez que les consolations ne vous
saisiront plus jusqu'à vous dissiper et à troubler votre
oraison , et que les privations ne se tourneront plus
en découragement et en dépit.
Ne quittez point vos deux temps réglés d'oraison
pour le matin et pour le soir. Ils sont courts : vous
les passerez facilement , moitié ennui et distractions
involontaires , moitié retour à votre occupation de
Dieu. Pour le reste de la journée , laissez- vous aller
au recueillement , à mesure que vous vous y trou-
verez disposée. Il faut seulement y mettre deux bornes:
l'une, qu'il ne vous détournera d'aucun de vos de-
voirs extérieurs *, l'autre , que vous prendrez garde
que ce recu.eillement n'épuise peu à peu votre tête,
et ne mine insensiblement votre très-délicate santé.
Marcbez avec confiance et sans crainte. La crainte
resserre le cœur ; la confiance l'élargit : la crainte est
le sentiment des esclaves ; l'amour de confiance est
le sentiment des enfans.
Pour vos misères , il faut vous accoutumer à les
voir avec une sincère condamnation , sans vous im-
patienter ni décourager. Pour un travail paisible , par
rapport à la correction , ramenez votre cœur , autant
que TOUS le pourrez , au calme de l'oraison et à la
présence familière de Dieu pendant la journée.
LETTRES SPIRITUELLES. 3o3
*<*^%»»^ %^^%^^^'%%»»»% »%'»»%%^%%%»»%»»%%V%%^»»V% »^^%»%%%% %%»'»%%»»% l*%^»»»%»»<m>»%i» %»»
('y?)
136
La tlcsoccupation de soi-m6me perfectionne la tîgilancê pour se
corriger, loin de rc\cliire. Dieu doit être aim«j purcmenli
Je comprends que toutes vos peines viennent de
ce que vous voulez trop juger de vous-même , et
de ce que vous en jugez par une fausse apparence,
(jui est votre senliiiient. Dès que vous ne trouvez
point un certain goût et un attrait sensible dans l'orai-
son , vous êtes tentée de vous décourager. Comme
vous êtes dans une solitude sèche , triste et languis-
sante , vous n'y avez guère d'autre soutien que le
plaisir de goûter la piété : ainsi il n'est pas éton-
nant que vous vous trouviez abattue dès que cet appui
vient à vous manquer. Voulez-vous être en paix ?
occupez-vous moins de vous-même , et un peu plus
de Dieu. Ne vous jugez point, mais laissez-vous juger
avec une entière démission d'esprit par celui que vous
avez choisi pour vous conduire. Il est vrai qu'on est
souvent occupé de soi sans le vouloir , et que l'ima-
gination nous fait souvent retomber dans cette occu-
pation pénible : mais je ne vous demande point l'im-
possible ', je me borne à vouloir que vous ne soyez
point occupée de vous-même par choix , et que vous
n'entrepreniez point volontairement de juger de votre
état j)ar vos propres lumières. Dès que vous aperce-
vez en vous cette occupation et ce jugement , dé-
tournez-en votre vue comme d'une tentation , et ne
rendez pas volontaire , par une continuation de pro-
pos délibéré , ce qui commence par pure surprise
d'imagination.
3o4 LETTRES SPIUITUELLES^
Au reste, ne croyez point que cette conduite que
je vous conseille vous empêche de pratiquer la vigi-
lance sur vous-même , que Jésus-Christ recommande
dans l'Evangile. La plus parfaite manière de veiller
sur soi est de veiller devant Dieu contre les illusions
de l'amour-propre. Or une des plus dangereuses il-
lusions de l'amour-propre est de s'attendrir sur soi ,
d'être sans cesse autour de soi-même , d'être occupé
de soi d'une occupation empressée et inqu.iète , qui
trouble , qui dessèche , qui resserre le cœur , qui ôte
la présence de Dieu , enfin qui nous fait juger de
nous-mêmes jusqu'à nous jeter dans le décourage-
ment. Dites comme saint Paul {a) : Et même je ne
me ju^e point j vous n'en veillerez que mieux sur vos
défauts pour les corriger , et sur vos devoirs pour les
remplir , quoique vous ne soyez point volontairement
dans ces occupations inquiètes d'amour-propre. Ce
sera par amour pour Dieu , que vous retrancherez
d'une manière simple et paisible tout ce que cet amour
vigilant et jaloux vous fera apercevoir d'imparfait
et d'indigne du bien aimé. Vous travaillerez à vous
corriger sans impatience et sans dépit d'amour-propre
contre vos faiblesses. Vous ^ous supporterez hum-
blement sans vous flatter. Vous vous laisserez juger ,
et vous ne ferez qu'obéir.
Cette conduite va bien plus à mourir à soi-même
que celle de suivre les délicatesses , les dépits , les
impatiences de l'amour-propre sur la perfection. De
plus , c'est prendre une fausse règle pour juger de
soi , que d'en juger par les sentimens que l'on trouve
(a) / Cor. IV. 3.
LETTRES SPIRITUELLES. Oo5
au dedans de soi-même. Dieu ne nous demande que
ce qui dépend* de nous ; c'est précisément notre vo-
lonté qui dépend d'elle-même. Le sentiment n'est
point en notre ])ouvoir ; nous ne ])ouvons ni nous le
donner ni nous l'ùter conmie il nous ])laît. Les plus en-
durcis pécheure ont quelquefois , malgré eux, de bons
mouvemens. Les plus grands Saints ont été ■violem-
ment tentés j)ar des sentimens corrompus dont ils
aNaient liorreur. Ces sentimens ont même servi à les
humilier, à les mortilier , à les purifier. La vertu ,
dit saint Paul («) , se perfectimine da7is tinjirmité.
Ce n'est donc pas le sentir, mais le consentir (pii nous
rend coupables.
Pourquoi donc croyez-vous être loin de Dieu quand
^ ous ne pouvez pas le goûter ? Sachez qu'il est tout
auprès de ceux qui ont le cœur en tribulation et eo
sécheresse. Vous ne pouvez point vous donner par
industrie ce goût sensible. Qu'est-ce que vous voulez
aimer ? Est-ce le plaisir de l'amour ou le bien-aimé ?
Si ce n'est que le ])laisir de l'amour que vous cherchez,
c'est votre propre plaisir , et non celui de Dieu , qui
est l'objet de vos prétentions. On impose souvent à
soi-même dans la vie intérieure. On se flatte de cher-
cher Dieu , et on ne cherche que soi dans le culte
(U\ in. On ne quitte les plaisirs du monde , que pour
se faire un plaisir railiné dans la dé\otion ; et comme
on ne tient à Dieu que par le plaisir , on ne tient
plus à lui quand la source du plaisir tarit. Il ne faut
jamais se priver de ce plaisir par une recherche vo-
lontaire des autres plaisirs qui rendent intligne de
(a) // Cor. XII. g.
CORRESP. JV.
3o6 LETTRES SPIRITUELLES.
celui-là : mais en(in, quand ce plaisir manque , il faut
continuer à aimer sans plaisir,, et mettre la consolation
à servir Dieu à ses dépens , malgré les dégoûts qu'on
éprouve. 0 que l'amour est pur quand il se soutient
sans aucun goût sensible ! O que tout s'avance quand
on est tenté de croire tout perdu ! 0 que l'amour
souffrant sur le Calvaire est au-dessus de l'amour
enivré sur le Thabor ! On ne peut guère compter
sur une ame qui n'a point encore été sevrée du lait
des consolations spirituelles.
Je ne veux plus que vous soyez une dame sage ,
forte et vertueuse en grand ; je veux tout en petit.
Soyez une bonne petite enfant.
137 *. (aoi)
Comment se conduire parmi les vicissitudes de la vie intérieure.
Il faut supposer qu'il se mêle beaucoup d'imagi-
nation , de sentimens, et même de sensibilité d'amour-
propre dans notre oraison. De là vient que nous sommes
dans une espèce d'ivresse quand notre imagination
nous donne de belles images avec des sentimens de
plaisir , et que nous sommes découragés dès que ces
images et ces sentimens flatteurs nous manquent ; mais
cette confiance dans le bon temps et ce décourage-
ment dans le mauvais ne sont que pure illusion. Il
ne faudrait ni s'élever quand l'oraison est douce , ni
s'abattre quand elle devient sècbe et obscure. Le fond
de l'oraison demeure toujours le même , pourvu qu'on
ait toujours la même volonté d'être uni à Dieu , sans
s'élever des dons sensibles , et sans s'abattre de leur
LETTRES SPIRITUELLES. 3o'J
j)rivnlion. Dieu , par ces dons sensibles, soulage quel-
(juefois notre imagination , il aide notre esprit , il sou-
TuMil noire volonté faible et prête à succomber. Il relire
aussi assez souvent ses secours pour nous enipcclier
(le nous les aj)proprier avec luie \aine confiance, et
])our nous accoutumer à sa présence malgré les dis-
tractions et les sécheresses. L'oraison n'est jamais si
pure, que quand on la continue par fidélité , sans plai-
sir ni goût.
Il est vrai que , si cette présence vous est facilitée
])ar la considération méthodique de quelques vérités
])articulières, il faut vous appliquer à ces vérités pour
en nourrir votre cœur; mais si ces vérités ne servent
point à faciliter la présence de Dieu , et si ce n'est
qu'une inquiétude scrupuleuse , vous ne ferez qucî
vous embrouiller en vous écoutant.
11 ne dépend point de vous de dissiper les distrac-
tions involontaires , l'ennui , le dégoût et l'obscurité.
Ce qui dépend de vous , moyennant la grâce de Dieu ,
est la patience dans cet ennui , le retour paisible à
la présence de Dieu quand vous apercevez la sur-
prise des distractions , et la fidélité pour demeurer
attachée à Dieu sans plaisir par une volonté tèclie
et nue.
Laissez tomber les pensées de vaine complaisance
comme celles de découragement , et allez toujours
votre train. Le tentateur ne cherche qu'à vous arrêter;
en ne vous arrêtant point , vous vaincrez la tentation
d'une façon simple et paisible.
5^
3o8 LETTRES SPIRITUELLES.
138 ♦. (206)
Demeurer fiJcle dans les sécheresses , pour vivre de la vraie vie de
Jésus-Cluisl en Dieu.
Vous ne devez point douter que Yotre santé ne
me soit fort chère. Ce qui m'est encore plus cher , est
Totre fidélité à Dieu. Il ne s'agit point des douceurs
et des consolations qu'on voudrait goûter en le ser-
vant. Il ne dépend pas même de notre travail de
nous procurer toujoius une ferveur sensible. Quoi-
qu'il ne faille jamais s'attirer cette privation par la
moindre dissipation ou négligence volontaire, il faut
néanmoins se passer de ces soutiens si consolans , et
continuer avec une humble patience au milieu des
ténèbres et des sécheresses quand Dieu nous y met.
C'est même un grand profit pour une ame constante
dans le bien , que de voir toute sa pauvreté et toute
son impuissance. Il importe bien plus de sentir sa
misère pour recourir à Dieu , que de goûter une con-
solation qui tente de vaine complaisance.
O mon cher enfant , toute la vie chrétienne consiste
à mourir à soi pour vivre à Dieu. Il faut donc mourir
sans cesse à toutes les vies secrètes et flatteuses de
l'amour-propre. Il faut être jaloux contre l'amour-
propre pour l'amour de Dieu. Il faut s'exécuter à tout
moment pour préférer la volonté de Dieu aux goûts
naturels. Voilà le vrai contre-poison de l'illusion dans
la vie spirituelle. On ne s'égare sous de beaux pré-
textes de perfection , qu'en recherchant ce qui nous
flatte au lieu de contenter Dieu , et qu'en voulant
accommoder la piété à nos arrangemens , au lieu d'as-
LETTRES SPIRITUELLES. 3l)(J
siijettir tous nos goûts à la croix de Jésus-Clirist. La
vie qui résiste à Dieu est une vie fausse et doulou-
reuse ; au contraire , la mort qui cède à Dieu est une
mort de paix et d'union avec la véiilable vie. Cette
bienheureuse mort est une vie cachée avec Jésus-
Christ en Dieu , et la vie des consolations mondaines
est une vie trompeuse. 0 mon clier enfant, laissons-nous
mourir à tout , afin que Jésus-Christ seul vive en nous.
(a. 3) 139 *.
Crainte injurieuse à Dieu. Utilitû d'une misère qui humilie.
Ne craignez rien : vous feriez une grande injure
à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté; il sait mieux
ce qu'il vous faut , et ce que vous êtes capable de por-
ter , que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-
dessus de vos forces. Encore un coup ; ne craignez
rien, ame de peu de foi. Vous voyez , par l'expérience
de votre faiblesse , combien vous devez être dés-
abusée de vous-même et de vos meilleures résolutions.
A voir les sentimens de zèle où l'on est quelquefois, on
croirait que rien ne serait capable de nous arrêter; ce-
pendant, après avoir dit comme saint Pierre (a) : Quand
même il faudrait rnourir avec vous cette mât , je ne
vous abandonnerai poi7it , on finit comme lui par avoir
peur d'une servante , et par renier lâchement le Sau-
veur. 0 qu'on est faible ! Mais autant que notre fai-
blesse est déploraljle, autant l'expérience nous en est-
elle utile pour nous ùter tout appui et toute ressource
au dedans de nous. Une misère que nous sentons ,
(a) Malllu XXVI. 35.
3 I O LETTRES SPIRITUELLES.
et (jiii nous humilie, nous vaut mieux qu'une vertu
angéiique que nous nous approprierions avec complai-
sance. Soyez donc faible et découragée si Dieu le per-
met , mais humble , ingénue et docile dans ce décou-
ragement. Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce
vous donne maintenant , et vous remercierez Dieu
de tout ce que je^vous ai dit sans prudence, pour vous
faire renoncer à votre sagesse timide.
140 *. (a36)
Langueur de l'ame ; sa source et son remède.
Ma vie est triste et sèche comme mon corps ; mais
je suis dans je ne sais quelle paix languissante. Le
fond est malade^ et il ne peut se remuer sans une
douleur sourde. Nulle sensibilité ne vient que d'amour-
propre ; on ne souffre qu'à cause qu'on veut encore.
Si on ne voulait plus rien , que la seule volonté de
Dieu , on en serait sans cesse rassasié , et tout le reste
serait comme du pain noir qu'on présente à un
liomme qui vient de faire un grand repas. Si la vo-
lonté présente de Dieu nous suffisait, nous n'étendrions
point nos désirs et nos ciu'iosités sur l'avenir. Dieu
fera sa volonté , et il ne fera point la nôtre : il fera
fort bien. Abandonnons-lui non-seulement toutes nos
vues humaines , mais encore tous nos souhaits pour
sa gloire , attendue selon nos idées. Il faut le suivre
en pure foi et à tâtons. Quiconque veut voir , désire ,
raisonne , craint et espère pour soi et pour les siens.
Il faut avoir des yeux comme n'en ayant pas : aussi
bien ne servent-ils qu'à nous tromper et qu'à nous
LETTRES SPIRITUELLES. 3 I I
troubler. Heureux le jour où nous ne voulons pas pré-
voir le lendemain !
(a3;) 141 *.
Supporter paliemracnl les sécheresses el la vue de nos misères.
Je suis fort touché de la peinture que vous m'avez
faite de votre état. Il est très-pénible ; mais il vous
sera fort utile , si vous y suivez les desseins de Dievi.
L'obscurité sert à exercer la pure foi et à déiuier
l'ame. Le dégoût n'est qu'une épreuve , et ce qu'on
fait en cet état est d'autant plus pur , qu'on ne le fait
ni par inclination ni par plaisir : on va contre le vent
à force de rames. Pour l'état qui paraît tout naturel ,
je ne m'en étonne nullement. Dieu ne peut nous ca-
cher sa grâce que sous la nature. Tout ce qui est
sensible se trouve conforme aux saillies du tempé-
rament , et le don de Dieu n'est que dans le fond
le plus intime et le plus secret d'une volonté toute
sèche et toute languissante. Souffrir , passer outre ,
et demeurer en paix dans cette douloureuse obscu-
rité , est tout ce qu'il faut. Les défauts mêmes les
plus réels se tourneront en mort et en désappropria-
tion , pourvu que vous les regardiez avec simplicité ,
petitesse , détachement de votre lumière propre , et
docilité pour la personne à qui vous vous ouvrez. Vous
n'avez rien à craindre que de votre esprit , qui pour-
rait vous donner un art que vous n'apercevriez pas
vous-même, pour tendre au but de votre amour-pro-
pre : mais conmie vous êtes sincèrement en garde
contre vous , et comme vous ne cherchez qu'à mourir
3 12 LETTRES SPIRITUELLES.
à vous-même de bonne foi , je compte que tout ira
Lien. Vos peines serviront à rabaisser votre courage ,
et à vous déposséder de votre propre cœur ; la vue
de vos misères démontera votre sasesse. Il faut seu-
lement vous soulager et vous épargner dans les ten-
tations de découragement , comme une personne fai-
ble qu'on a besoin de consoler et de faire respirer.
Votre tempérament est tout ensemble mélancolique
et vif : il faut y avoir égard , et ne laisser jamais trop
attrister votre imagination -, mais il lui faut des soula-
gemens de simplicité et de petitesse , non de hauteur
et de sagesse qui flattent l'amour-propre.
Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir
de vous , et pour en perdre toute possession , plus
Dieu en prendra possession à sa mode , qui ne sera
jamais la vôtre. Encore une fois , laissez tout tomber ,
ténèbres , incertitudes , misères , craintes , sensibilité ,
découragement ; amusez-vous sans vous passionner ;
recevez tout ce que les amis vous donneront de bon ,
comme un bien inespéré , qui ne fait que passer au
travers d'eux , et que Dieu vous envoie. Pour les choses
choquantes , regardez-les connne venant de leurs dé-
fauts, et supportez les leurs comme vous supportez les
vôtres. Vous n'aurez jamais aucun mécompte , si vous
ne voulez jamais compter avec aucun de vos amis.
L'amour de Dieu ne s'y méprend jamais; il n'y a que
l'amour-propre qui puisse se mécompter. La grande
marque d'un cœur désapproprié est de voir un cœur
sans délicatesse pour soi , et indulgent pour autrui.
Je contiens que la simplicité serait d'un excellent
usage avec nos bonnes gens \ mais la simplicité de-
mande dans la pratique une profonde mort de la part
LETTRKS SPIIUTL'ELLIiS. 3l3
de toutes les personnes qui composent une société.
Les imparfails sont iinpaif'aitenient simples ; !ils se
blessent mal à propos , ils critiquent , ils veulent de-
viner, ils censurent avec un zèle indiscret, ils gênent
les autres : insensiblement les défauts naturels se glis-
sent sous raj)parence de simplicité.
(aÎQ) 142 *.
Avantages des croix et de l'état d'obscuritû où Dieu nous laisse.
Vois avez bien des croix à porter ; mais vous en
avez besoin, puis({ue Dieu vous les donne. Il les sait
bien cboisir : c'est ce choix qui déconcerte l'amour-
propre et qui le fait mourir. Des croix choisies et
portées avec propriété , loin d'être des croix et des
moyens de mort , seraient des alimens et des ragoûts
pour une vie d'amour-propre. Vous vous plaignez
d'un état de pauvreté intérieure et d'obscurité -, Bien-
heureux les yauvres d'esprit (a) .' Bienheureux ceux
qui croient sans voir (e)! Ne voyons-nous pas assez,
pour\u que nous voyions notre misère sans l'excu-
ser? Voir nos ténèbres, c'est voir tout ce qu'il faut.
En cet état , on n'a aucune lumière qui flatte notre
curiosité , mais on a toute celle qu'il faut pour se dé-
fier de soi , pour ne s'écouter plus, et pour être docile
à autrui. Que serait-ce qu'une vertu qu'on verrait au
dedans de soi, et dont on serait content? Que serait-
ce qu'une lumière aperçue , et dont on jouirait pour
se condiiiie? Je remercie Notre-Seigneur de ce qu'il
(a) Matlh. v. 3. [e) Joan. xx. 29.
3l4 LETTRES SPIRITUELLES.
VOUS ùte un si dangereux appui. Allez, comme Abraham,
sans savoir oit [a) ; ne suivez que l'esprit de petitesse,
de simplicité et de renoncement ; il ne vous inspirera
que paix, recueillement, douceur, détachement, sup-
port du prochain , et contentement dans vos peines.
(a) Hebr. xi. 8,,
<%%« VV^'%%,%V^«/V.'»%%V%^%WV\«%%^^\'WV%X%%%V«^A^fc^A%%%%W%iV«<%V%^%«%^i««V«%^V%^%%'«V%^
143
(243)
Tendre habituellement à Dieu avec paix et fidélité , sans se détourner
pour toutes les distractions involontaires.
Marchez dans les ténèbres de la foi et dans la
simplicité évangélique, sans vous arrêter ni aux goûts,
ni aux sentimens , ni aux lumières de la raison , ni
aux dons extraordinaires. Contentez-vous de croire ,
d'obéir , de mourir à vous-même , selon l'état de yie
oui Dieu vous a mis.
Vous ne devez point vous décourager pour vos dis-
tractions involontaires , qui ne viennent que de vivacité
d'imagination et d'habitude de penser à vos affaires.
Il suffit que vous ne donniez point lieu à ces distrac-
tions , qui arrivent pendant l'oraison , en vous don-
nant une dissipation volontaire pendant la journée. On
s'épanche trop quelquefois ; on fait même de bonnes
oeuvres avec trop d'empressement et d'activité ; on
suit trop ses goûts et ses consolations : Dieu en punit
dans l'oraison. Il faut s'accoutumer à agir en paix , et
avec une continuelle dépendance de l'esprit de grâce ,
qui est im. esprit de mort à toutes les vies les plus
secrètes de l'amour-propre.
L'intention habituelle , qui est la tendance du fond
LETTRES SPIRITUELLES.
vers Dieu , suflit : c'est marcher en la présence de
Dieu. Les événemens ne vous trouveraient pas dans
celle silualion , si vous n'y étiez point. Demeurez-y
en paix , et ne perdez point ce que vous avez chez
A ous , pour courir au loin après ce que vous ne trou-
Aeriez point. J'ajoute qu'il ne faut jamais négliger, par
dissipation , d'avoir une intention plus distincte ; mais
Tintention qui n'est pas distincte et développée est
bonne. La paix du cœur est un bon signe , quand on
\ eut d'ailleurs de bonne foi oljéir à Dieu par aniovu' ,
avec jalousie contre l'amour-propre.
Prolitez de vos imperfections pour vous détacher
de A ous-méme , et pour vous attacher à Dieu seul.
Travaillez à acquérir des vertus , non pour y cher-
cher une dangereuse complaisance , mais poiu' faire
la volonté du bien-aimé.
Demeurez dans votre simplicité , retranchant les
retours inquiets sur vous-même , que l'amour-propre
l'ournit sans cesse sous de beaux prétextes : ils ne fe-
raient que troubler votre paix et que vous tendre des
})iéges. Quand on mène une vie recueillie, mortifiée,
et de dépendance par le a rai désir d'aimer Dieu , la
tlélicatesse de cet amour reproche intérieurement tout
ee qui le blesse. Il faut s'arrêter tout court dès qu'on
se'nt cette blessure et ce reproche au cœur. Encore
une fois , demeurez en paix.
3l6 LETTRES SPIRITUELLES.
W»/V,^%%HH««'VV>VX^/V»%%»llV».W»VXW^W»^*<^V»<*»'*%V»%%«»<%</<iVV»j%%%
AVIS SUR LA PRATIQUE DE L'HUMILITÉ ,
DU RENONCEMENT A SOI-MÊME,
DE LA. RÉSIGNATION DANS LES CROIX , ETC.
144 *. (,7)
Souffrir avec patience et courage dans les peines domestiques.
Je prends , monsieur , une très-grande part à toutes
vos peines domestiques, et je comprends qu'elles doi-
vent être fort grandes ; mais vous savez que la croix
est faite pour nous, et nous pour elle. C'est notre place
que d'y demeurer paisiblement attachés avec Jésus-
Christ jusqu'au dernier soupir de la vie. Il serait glo-
rieux d'y avoir été patiemment, si on pouvait en des-
cendre ; mais y être cloué et y expirer , c'est ce qui
est terrible. C'est seulement dans ce dernier moment
qu'on peut dire , Tout est consommé.
Je prie N de faire le moins de réflexions qu'elle
pourra sur tout ce qui ne va qu'à troubler sa paix et
son avancement, en la jetant dans une occupation in-
quiète d'elle-même , qui est une tentation véritaljle.
Pour vous , monsieur , prenez courage : siistine sus-
tentationes Dei (a). Toute notre piété n'est qu'imagi-
nation , si nous ne sommes pas contens lorsque Dieu
nous frappe , et si nous cherchons , par ragoût , des
espérances dans les temps à venir de cette vie pour
nous consoler. Le détachement de ce monde ne sau-
rait être trop absolu et trop de pratique.
(a) Eçcli, II. 3.
LETTRES SPIRITUELLES.
(:9) 145*.
Avantages de se laisser rapetisser.
Je prie souvent Dieu qu'il vous tienne dans sa main.
Le point essentiel est la petitesse. Il n'y a rien qu'elle
ne raccommode , parce que la petitesse rend docile ,
et que la docilité redresse tout. Vous seriez plus cou-
pable qu'un autre si vous résistiez à Dieu en ce point.
D'un côté , vous avez reçu plus de lumière et de
grâce qu'un autre pour vous laisser rapetisser : d'un
autre côté , personne n'a plus éprouvé que vous ce
qui doit raljaisser le cœur, et ôter toute confiance en
soi-même. C'est le grand fruit de l'expérience de nos
infirmités , que de nous rendre petits et souples. J'es-
père que Notre-Seigneur vous gardera , et je le lui
demande avec instance.
(ai) 146 *.
Quelle doit être la souffrance pour y conserver la paix.
Pour N je prie Notre-Seigneur de lui donner
une simplicité qui soit la source de la paix pour elle.
Quand nous serons fidèles à laisser tomber d'abord
tonte réflexion superflue et inquiète , qui vient d'un
amour de nous-mêmes très-différent de la charité ,
nous serons au large au milieu de la voie étroite ; et
sans manquer ni à Dieu ni aux liommes , nous serons
dans la pure liberté et dans la paix innocente des en-
fans de Dieu.
Je prends pour moi , monsieur , ce que je donne
3l8 LETTRES SPIRITUELLES^
aux autres , et je vois bien que je dois clierclier la
paix où je leur propose de la chercher. J'ai le cœur
en souffrance. C'est la vie à nous-mêmes qui nous fait
souffrir ; ce qui est mort ne sent plus. Si nous étions
morts 5 et si notre vie était cachée avec Jésus-Christ
en Dieu, comme parle l'Apôtre {a) , nous n'aurions plus
les peines de l'esprit que nous ressentons. Nous pour
rions bien sentir des douleurs du corps , comme la
fièvre, la goutte, etc.; nous pourrions bien aussi souf-
frir des douleurs spirituelles , c'est-à-dire des dou-
leurs imprimées dans l'âme , sans qu'elle y eut aucune
part : mais pour les peines d'inquiétude , où l'ame
ajoute à la croix imposée par la main de Dieu une
agitation de résistance, et, pour ainsi dire , une non-
volonté de souffrir , nous n'avons ces sortes de dou-
leurs qu'autant que nous vivons encore à nous-mêmes.
Une croix purement donnée de Dieu, et pleinement
voulue , sans retour inquiet par celui qui la porte ,
est tout ensemble douloureuse et paisible. Au con-
traire , une croix qui n'est pas pleinement et simple-
ment voulue , et que la vie propre repousse encore
un peu , est une double croix : elle est encore plus
croix par la résistance vaine que l'ame y apporte ,
que par l'impression de douleur qu'elle fait nécessai-
rement. La douleur et la paix sont dans un merveil-
leux mélange en purgatoire. On n'y souffre rien que
de la main de Dieu; la résistance de la volonté n'a
aucune part à cette douleur. 0 heureux qui pourrait
souffrir dans cette paix simple de plein acquiesce-
ment , ou de non-résistance parfaite ! Rien n'abrège
(«) Colus, III. 3.
LETTRES SPIRITUELLES, 3l()
et iriuloiiclt tant les peines , que de les recevoir ainsi.
Mais d'ordinaire ou marchande avec Dieu , on veut
toujours ]>oser des bornes et voir le bout de sa peine.
Le même fond de vie opiniâtre et cachée , qui rend
Ja croix, nécessaire , fait qu'on la repousse à demi par
(le petits coups secrets , et qu'on en retarde l'opéra-
tion. Ainsi c'est toujours à recommencer : on souffre ,
et on n'achève point Touvrage pour lequel on soulfre.
Je prie Notre-Seigneur que nous ne tombions , ni les
luis ni les autres , dans cet état de langueur où la
croix ne se tourne point à profit. Saint Paul dit (a)
<pic Dieu aime celui qui donne (jaiment l'aumône :
combien plus doit-il aimer celui qui donne gaîment
toute sa volonté pour s'abandonner à ses opérations
crucifiantes.
(rt) // Cor. IX. 7.
147 *. (.3)
Bonheur des croix.
, Je ne puis m'empêcher d'admirer la vertu de la
croix : nous ne valons rien que par elle. Elle me fait
fiémir , et me donne des convulsions dès qu'elle se
fiiit sentir ; et tout ce que j'ai dit de ses opérations
salutaires s'évanouit dans l'agonie où elle met le fond
du cci'ur. Mais , dès qu'elle me laisse respirer , je rou-
vre les yeux , je la vois admirable , et je suis honteux
d'en avoir été si accablé. L'expérience de cette in-
égalité est une profonde leçon.
En quelque état que soit votre malade , et quelque
320 LETTRES SPIRITUELLES.
suite que Dieu donne à son mal , elle est bienheu-
reuse d'être si souple dans la main de Dieu. Si elle
meurtj elle meurt au Seigneur; si elle vit, elle vit à
lui. Ou la croix , ou la mort {a).
Rien n'est au-dessus de la croix, que le parfait règne
de Dieu , et encore la souffrance en amour est un règne
commencé, dont il faut se contenter pendant que Dieu
difïère la consommation. Vous avez besoin de croix
aussi bien que moi. Le fidèle distributeur des dons
nous a bien partagés. Qu'il en soit béni à jamais.
O qu'il est bon , de nous châtier pour nous corriger !
{a) Parole de sainte Thérèse.
Souffrir ici-bas comme les araes tlu purgatoire.
Je n'ai rien à vous répondre sur ce qui vous re-
garde ; je ne vois rien à ajouter sur les choses que
Dieu vous fait voir , et qu'il est capital de suivre sans
relâche. Allez toujours mourant de plus en plus. La
mort est bien plus mort quand autrui nous la donne.
Demeurez dans la dépendance où Dieu vous met ;
elle sert à vous décider, à vous tirer de votre sagesse,
et à vous apetisser , vous dont la pente était de me-
ner les autres. Mais ne laissez pas de dire à autrui
votre simple pensée , à mesure qu'elle vous vient au
cœur , sans réflexion ni mesure.
Je prends part à toutes vos croix , et je me sens
attendri pour vous tous dans cette société de cruci-
fiement. Il me semble que je suis intimement uni à
LETTRES SPIRITUELLES. 321
tons ceux qui sonlIVcut en Notre-Seigneur : jugez par
là (le la manière dont je suis louché de l'état de N
Les souflrances ne sont données que pour l'avance-
ment. Quand Dieu veut se hâter de faire en peu do
temps un grand ouvrage, il fait beaucoup souflrir , et
il redouble ses coups rigoureux. O qu'ils sont ])leins
d'amour , et qu'ils épargnent , lors même qu'ils sem-
Ment écraser impitoyablement !
La croix est une bonne relique qu'il faut garder.
L'amour sans croix serait un charme , et il se tour-
nerait en illusion ; mais la croix rabaisse bien tous
les beaux sentimens , toutes les hautes idées , toutes
les ferveurs consolantes. 0 qu'on est petit quand on
souffre, quand on souffre long-temps , et qu'on a beau-
coup de peine à souffrir ! La souffrance est un pur-
gatoire de miséricorde en ce monde. Mais qui est-ce
({ui soufïre comme les âmes que Dieu purifie dans
l'autre monde ? Qui est-ce qui souffre comme elles ,
sans se remuer sous la main de Dieu , sans chercher
de soulagement , et sans impatience dans l'attente
d'èlre déhvré , sans effort pour abréger l'épreuve ,
avec un amour paisible et qui croît tous les jours ,
avec une joie pure au milieu de tout ce qui est dou-
loureux , enfin avec une petitesse et une simplicité
fjui font qu'en souffrant on ne songe pas que l'on sa-
crifie quel([ue chose à Dieu? Tâchons de fonder ce pur-
gatoire en ce monde , comme on fonde des hôpitaux.
CoRRESP. IV.
322 LETTRES SPIRITUELLES.
149 ♦. (a9)
Périls de Tactivité et de la dissipation de l'esprit.
On ne peut être plus touché que je le suis, mon-
sieur, de la très-bonne lettre que vous avez pris la
peine de m'écrire : j'y vois votre cœur, et je le goûte.
Je souhaite que Dieu vous conserve au milieu de la
contagion du siècle. Le principal pour vous, mon-
sieur , est de vous défier de votre facilité et de votre
activité naturelle. Vous avez plus de penchant qu'un
autre à vous dissiper ; dès que vous êtes dissipé ^ vous
êtes afi'aihli. Comme votre force ne peut être qu'en
Dieu seul , il ne faut pas s'étonner si la force vous
manque dès que vous manquez à Dieu. C'est bien
assez que Dieu nous soutienne quand nous ne nous
éloignons pas de lui ; mais il doit permettre en quel-
que sorte notre chute quand nous ne craignons pas
de tomber , et quand nous nous éloignons témérai-
rement de son secours. Nous ne pouvons espérer de
ressource contre notre fragilité , que dans le recueil-
lement et dans la prière.
Vous avez plus de besoin qu'un autre de ce secours -.
vous avez un naturel facile , qui s'engage et qui se
passionne bientôt , votre vivacité et votre activité na-
turelle vous jetant sans cesse au dehors. D'ailleurs
vous avez un air ovivert qui fait plaisir , et qui prévient
le monde en votre faveur : il n'y a rien de si dan-
gereux que de plaire ; l'amour-propre en est charmé,
et ce charme empoisonne le cœur. D'abord on s'amuse
et on se flatte , puis on se dissipe , et on sent ra-
LETTRES SPIRITUELLES. 323
lenlir toutes ses bonnes résolutions : puis on s'enivre
de soi-niènie et du monde , c'est-à-dire de plaisir
et de vanité. Alors on se trouve dans une distance
infinie de Dieu; on n'a plus le courage d'y retourner;
on n'ose même plus songer à se fliire cette violence.
A'ous n'avez , monsieur , de ressource qu'à vous
précautionner contre la dissipation. Je vous conjure
de donner tous les matins un petit quart d'heure à
luie Icclure méditée avec liberté, simplicité et afFec-
tioii ; encore un petit moment de même vers le soir :
de temps en temps dans la journée renouvelez la
présence de Dieu et l'intention d'agir pour lui ; hu-
miliez-vous de vos fautes ; travaillez de bonne foi
à A ous corriger , ayez patience avec vous-même ,
sans vous flatter , comme vous feriez avec un autre ;
fréquentez les sacremens dans des temps réglés. Je
prierai de tout mon cœur pour vous.
150 ♦. (3i)
Exhortation à la simplicité et à rcufance chrétienne.
O que vous me serez chers, vous et N , si ce
que nous avons dit ici ensemble fait de nous un cœur
et une ame ! Je ne le répète point , n'en ayant pas
le temps; vous le savez. Ce n'est pas à la mémoire,
mais au co'ur , que je l'ai confié. S'il est entré dans
^olre cœur , vous le verserez fidèlement dans celui
de N Non, mon cher, plus d'ambilion , plus de
curiosité ni de \ i^ acité sur le monde , plus de ré-
gularité politique. Que le dehors soit simple , droit
324 LETTRES SPIRITUELLES.
et petit , comme le dedans. Si spiritu vivitnus spi-
l'itu et atnbulemus (a).
Soyons sages , mais de la sagesse de Dieu , et non
de la nôtre. O la mauvaise sûreté, que celle qui vient
d'une prudence mondaine ! Laissez tomber tout em-
pressement , toute activité , toute dissipation : vous
en avez un besoin infini. Lors même qu'on ne se re-
cueille point par méthode , on doit laisser tomber
par simple fidélité tout ce qui dissipe et distrait , tout
ce qui ébranle l'imagination , qui réveille les goûts
et les désirs naturels, qui trouble la paix, le silence,
la petitesse , et la nudité intérieure. On parle ma-
gnifiquement de la passivité avec une activité perpé-
tuelle. On veut des sûretés , des lumières extraor-
dinaires , et même des prédictions , pour se contenter
dans l'obscurité de la pure foi. C'est vouloir voir le
soleil à minuit.
Soyez bien petits , bien simples ; qu'il n'y ait plus
ni Céphas ni Apollon , mais le seul enfant Jésus qui
nous réunisse tous dans sa seule enfance. Voilà l'Avent
qui vient ; renaissons avec lui. Mille très-humbles
complimens à M 3 aucun à N ; car je ne veux
plus qu'il y ait un quelqu'un chez elle à qui nul
compliment puisse s'adresser.
(a) Galat. v . 25.
(32) 151 *•
Il n'y a que la mort de Tesprit qui prépare bien à celle du corps.
J'apprends , ma chère fille , que votre santé n'est
pas bonne , et mon cœur en soufïVe une sensible dou-
LETTRES SPIRITUELLES. SîS
leur , quoique je veuille pour vous tout ce que Dieu
veut , connue je le veux pour moi-même. Je suis
persuadé que vous acquiescez à tout , et qu^au lieu
do lui donner vous lui laissez prendre tout ce qu'il
lui plait. On ne donne que du sien , et c'est ce que
vous ne voulez pas avoir en ce monde ; mais un
domestique laisse prendre par son maître le tout ou
partie de ce que le maître lui a confie. Faites ainsi
de votre \ie corporelle. Mon ame est toujours dans
mes mains [a) ; laissez-la passer dans celles de Dieu
à son gré. O qu'on est vivant dans la vie cachée avec
Jésus-Chnst en Dieu , quand on est mort à la fausse
vie de la terre !
La véritable vie est inconnue et incompréhensible
au monde insensé. Il y a même une infinité de sages
et demi- dévots qui bornent leur dévotion à regarder
de loin la mort avec une certaine soumission à la
Providence , sans laisser Dieu opérer en eux le dé-
tachement foncier de la vie. Il n'y a que la mort de
l'esprit qui prépare bien à celle du corps. Certaines
gens pensent souvent à la mort du corps sans laisser
mourir leur esprit : au contraire , la mort de l'esprit
rend indifférent à la mort du corps, lors même qu^on
n'en est pas directement occupé. Sainte Monique di-
sait à son fils Augustin {a) : a. Mon fils , il n'y a plus
» rien qui me plaise en celte vie; je ne sais plus ce
» que je fais ici-bas , ni pourquoi j'y suis , toute
» espérance y étant éteinte pour moi. » Voilà la mort
après laquelle il ne coiite plus rien de mourir. Il
n'y a de fausse vie que l'amour-propre ; il n'y a de
(a) Ps. cxviu. 109. (e) Confess. lib. ix, eap. x, n. 26.
320 LETTRES SPIRITUELLES.
véritable vie que l'amour de Dieu. Dès que Tamour
tle Dieu a pris toute la place de ramour-j)ropre, ou
est mort à toute fausse \ie , et \ivant de la véri-
table. Il n'y a de vie que dans cette beareuse mort.
Voilà le nouvel bomme qui se renouvelle de jour
en jour pendant que le vieux se corrompt. Faites
cela et vous vivrez , dit Jésus-Cbrist {u). Laissez Dieu j
être l'unique Dieu de votre cœur ; qu'il y brise l'idole
du 7iioi ; que vous ne pensiez plus à vous par amour
propre ; que vous soyez uniquement occupée de Dieu ,
comme vous l'avez été du moi sous de beaux pré-
textes. Sacrifiez le moi à Dieu ; alors paix , liberté et
vie , malgré la douleur , la faiblesse et la mort même.
Ménagez vos forces d'esprit et de corps. Suppor-
tez-vous avec petitesse. M est votre bâton : on
porte le bâton dont on est soutenu. Que ne puis-je
vous aller voir ! Mais que dis-je? Dieu nous rappro-
clie et nous unit; je suis en esprit au milieu de vous
tous. Je prie Jésus enfant de vous apetisser de plus
en plus. La force cacliée de Jésus n'est que dans son
enfance toute nue , toute pauvre d'esprit , tout aban-
donnée.
(a) Luc. X. 28.
(48) 152 *.
Changer les maux en Liens par la patience.
On cliange tous les maux en biens quand on les
souffre en patience par amour pour Dieu. Au con-
traire , on cbange tous les biens en maux quand on
s'y attacbe pour flatter son amour-propre. Le vrai
LETTRES SPIRITUELLES. 827
bien n'est que clans le détacliement et l'abandon à
Dieu. Voici le temps de réprouve. C'est dans celle
occasion qu'il faut se tenir dans les mains de Dieu
avec conliance et union sans réserve. Que ne \ou-
drais-je point donner pour vous voir au plus tôt par-
faitement guérie de votre maladie , et plus encore
de Tamour de ce monde ? L'attachement à soi a cent
fois plus de venin que la petite vérole. Le venin de
l'amour-propre demeure au dedans. Je prie de tout
mon cœur pour vous.
\V\i%%V*^»V%%^VW»%%f%'WV%%»»V\%%^^t»W»W%»Wfc*%^^><%%%%^^*^i%'
(116) 153*.
Dieu humilie l'ame par le sentiment de sa faiblesse.
Je suis dans une honteuse lassitude des croix. Il
me semble qu'il ne me reste plus ni force ni haleine
pour respirer dans la soufïrance. La croix me fait
horreur , et ma lâcheté m'en fait aussi. Je suis , entr.;
ces deux horreurs , à charge à moi-même. Je frémis
toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion
de souffrance. Ce n'est pas vivre que de vivre ainsi :
mais qu'importe ? Notre vie ne doit être qu'une mort
lente. Il n'y a qu'à se délaisser à la volonté toute-
puissante qui nous crucilie peu à peu.
Mon cœur soulfre dans ce moment sur ce que
vous m'avez mandé , et votre souffrance augmente la
mienne : mais il y a en moi , ce me semble , un fond
d'intérêt propre et une légèreté dont je suis honteux.
La moindre chose triste pour moi m'accable -, la moin-
dre qui me flatte un peu me relève sans mesure.
Rien n'est si humiliant que de se trouver si tendre
3^23 LETTRES SPIRITUELLES.
pour soi , si dur pour autnii , si poltron à la vue àe
l'ombre d'une croix , et si léger pour secouer tout à
la première lueur flatteuse. Mais tout est bon. Dieu
nous ouvre un étrange livre pour nous instruire ,
quand il nous fait lire dans notre propre cœur.
154 *. (,,j)
Sur le même sujet.
Cette tristesse , qui vous fait languir , m'alarme et
nie serre le cœur. Je la crains plus pour vous que
toutes les douleurs sensibles. Je sais par expérience
ce que c'est que d'avoir le cœur flétri et dégoûté de
tout ce qui pourrait lui donner du soulagement. Je
suis encore à certaines heures dans cette disposition
d'amertume générale , et je sens bien que si elle était
sans intervalle , je ne pourrais y résister long-temps.
Je viens de faire une mission à Tournai : tout cela
s'est assez bien passé , et l'amour-propre même v pour-
rait avoir quelque petite douceur 5 mais dans le fond
le bien que nous faisons est peu de chose. Si on n'était
soutenu par l'esprit de foi , pour travailler sans voir
le fruit de son travail , on se découragerait -, car on
ne gagne presque rien , ni sur les hommes pour les
persuader , ni sur soi-même pour se corriger. 0 qu'il
y a loin depuis le mépris et la lassitude de soi-même
jusqu'à la véritable correction ! Je suis à moi-même
tout un grand diocèse , plus accablant que celui du
dehors^ et que je ne saurais réformer. Mais il faut se
supporter sans se flatter , comme on doit le faire pour
le prochain.
LETTRES SPIRITUELLES. '62C)
**%v%Vv</vvv»v%vv»«/»»»»%%»w»»%-vv»»»>»v>->^»>«^»%>vv^»^»»>-vvv%«<v%vv%v«>VVVWVVtvv\vvv^v«
(ia3) 155 *.
SoiiiFrir sans penlrc courage et aree fulélilô , sous la main tic Dieu,
les opérations ilouloiireuscs (jiii nous rapetissent.
Cest dans la peine et dans l'amertume que je tous
goûte davantage. J'ai vu de la candeur et de la peti-
tesse dans vos lettres , et j'en remercie Dieu avec at-
tendrissement. Il faut aimer ce que Dieu aime , et je
ne doute point (ju'il ne nous aime davantage (juand il
nous rapetisse en nous rabaissant. Pendant que cette
opération vous est douloureuse , comptez qu'elle vous
est utile et nécessaire. Le cliirurgien ne nous fait du
mal , qu'autant qu'il coupe dans le vif Le malade ne
sent rien quand on ne coupe que la chair déjà morte.
Si vous étiez mort aux choses dont il s'agit , leur re-
trancliement ne vous causerait aucune douleur. Dé-
tachez-vous absolument , si vous voulez être en paix
et mourir à vous-même. Ne vous contentez pas de
faire certains efforts , et d'être petit par secousses : dé-
laissez-vous sans aucune réserve à Dieu , pour mourir
à vous-même dans toute l'étendue de ses desseins.
Courage sans courage humain : ne perdez pas les grands
fruits de cette croix. Soumettez-vous non-seulement
à N pour vous laisser redresser, mais encore aux
plus petits qui se mêleront de vous donner des avis
à propos ou hors de propos. S'ils ne sont pas bons
pour ceux qui les donneront par une critique indis-
crète , ils seront excellens pour vous qui les recevrez
en esprit de désappropriation et de mort.
Pour vos défauts , supportez-les avec patience ,
comme ceux du prochain , sans les flatter ni excuser.
33o LETTRES SPIRITUELLES.
Il ne faut pas les vouloir garder , puisqu'ils déplaisent
à Dieu : mais il faut sentir votre impuissance de les
vaincre , et profiter de Pabjection qu'ils vous causent
à vos propres yeux pour désespérer de vous-même.
Jusqu'à ce désespoir de la nature , il n'y a rien de fait.
Mais il ne faut jamais désespérer des bontés de Dieu
sur nous , et ne nous défier que de nous-mêmes. Plus
on désespère de soi pour n'espérer qu'en Dieu sur la
correction de ses défauts , plus l'œuvre de la correc-
tion est avancée. Mais aussi il ne faut pas que l'on
compte sur Dieu sans travailler fortement de notre
part. La grâce ne travaille avec fruit en nous _, qu'au-
tant qu'elle nous fait travailler sans relâche avec elle.
Il faut veiller , se faire "violence , craindre de se flat-
ter , écouter avec docilité les avis les plus humilians ,
et ne se croire fidèle à Dieu qu'à proportion des sacrifi-
ces quon fait tous les jours pour mourir à soi-même.
(,24) 153*.
Se laisser juger , cl se corriger en suivant l'esprit de grâce.
C'est à N à se laisser juger par les personnes
qui le connaissent , et qui sont unies avec lui dans la
même voie. Ce n'est pas assez de croire ce dont nous
avons l'expérience j il faut croire tout , quoiqu'on ne
le voie pas , et le supposer vrai. Je compte que c'est
faute d'attention que N.... ne l'a pas vu. Il reste le
point principal , qui est de se corriger ; c'est à quoi il
faut travailler en la manière qui convient : il faut le
faire avec paix , simplicité et petitesse. Dieu veuille
qu'il le fasse comme je le dis !
LETTRES SPIRITUELLES. 33 I
Je crois qu'il ne doit point jnoir tradivilé pour sa
correction , et qu'elle doit venir par une simple fidé-
lité à l'attrait de chaque moment , sans former des
projets ni employer certains moyens. H sullit de de-
meurer dans une certaine paix où l'esprit de grâce
fait sentir ce qui serait d'un mouvement propre et
d'une reclierclie secrète de sa satisfaction.
b vw«AfWW«^w«% www %wv«» V«WWV«W%% %%W«^ ««A %%««%«
(.30) 157*.
Sacrifice absolu de ramour-proprc par un continuel abantlon do
soi-même entre les mains de Dieu.
N vous dira combien je suis occupé de vous,
et avec quel plaisir j'apprends que vous êtes en paix.
0 le grand sacrifice que la simplicité ! c'est le martyre
de Pamour-propre. Ne se plus écouter , c'est la ^ éri-
table abnégation. On aimerait mieux souffrir les plus
cruels tourmens. Dix ans d'austérités corporelles ne
seraient rien en comparaison de ce retranchement
des jalousies et des délicatesses de l'amour-propi e ,
toujours curieux sur soi.
Cet abandon serait le plus grand de tous les sou-
tiens j s'il était aperçu avec certitude : mais il ne
serait plus abandon , si on le possédait ; il serait la
plus riche et la plus flatteuse possession de nous-mêmes.
11 faut donc que l'abandon qui nous donne tout nous
cache tout, et qu'il soit lui-même caché. Alors ce
dépouillement total nous donne en réalité toutes les
choses qu'il dérobe à notre amour-propre. C'est (|ue
l'unique trésor du cœur est le détachement. Quicon-
que est détaché de tout et de soi, retrouve tout et
332 LETTRES SPIRITUELLES.
soi-même en Dieu. L'amour de Dieu s'enrichit de
tout ce que l'araour-propre avare a perdu.
Vivez donc et mourez tous les jours sur le fumier
de Job. Jésus-Christ nous a enrichis , comme parle
saint Paul («) , non de ses richesses visibles et écla-
tantes, mais de sa seule pauvreté. Nous voudrions
des étoffes d'or , mais il ne nous faut que la nudité
de Jésus-Christ sur la croix , ou ses vêtemens déchi-
rés en plusieurs morceaux , et abandonnés à ceux
qui le crucifient. Je dis tout bien à mon aise , moi qui
cherche le repos et la consolation , moi qui crains la
peine et la douleur , moi qui crie les hauts cris dès
que Dieu coupe dans le vif; mais enfin c'est la vé-
rité qui me condamne , et à la condamnation de la-
quelle je souscris au fond de mon cœur , si je ne
me trompe. Faites de même.
(«) // Cor. viii. 9.
(i3i) 158*.
Abandon à la seule volonté de Dieu ; dôtachement de tout le reste.
J'entre dans vos peines. Que ne puis-je faire
quelque chose de plus ! Il faut imiter la foi d'Abra-
ham , et aller toujours sans savoir où. On ne s'égare
que par se proposer un but de son propre choix.
Quiconque ne veut rien que la seule volonté de Dieu,
la trouve partout, de quelque côté que la Providence
le tourne , et par conséquent il ne s'égare jamais. Le
véritable abandon n'ayant aucun chemin propre, ni
dessein de se contenter , va toujours droit comme il
LETTRES SPIRITUELLES. 33^
plaît à Dieu. La voie droite est de se renoncer, afin
que Dieu seul soit tout , et que nous ne soyons rien
J'espère que celui qui nourrit les petits oiseaux aura
soin de vous. Heureux celui qui , comme Jésus-Christ,
n'a pas de quoi reposer sa tète ! Quand on s'est livré
à la pauvreté intérieure même , doit-on craindre l'ex-
térieure ? Soyez fidèle à Dieu , et Dieu le sera à ses
promesses. Faites honneur à la Religion qui est si mé-«
prisée , et elle vous le rendra avec usure. Montrez
au monde un courtisan qui vit de pure foi.
Craignez votre vavacité empressée , votre goût pour
le monde , votre amJjition secrète qui se glisse sans
que vous l'aperceviez. Ne vous engouez point de cer-
taines conversations de politique ou de joli badinage
qui vous dissipent , qui vous indisposent au recueil-
lement et à l'oraison. Parlez peu; coupez court; mé-
nagez votre temps ; travaillez avec ordre et de suite ;
mettez les œuvres en la place des beaux discours.
Encore une fois , l'avenir n'est point encore à vous ;
il n'y sera peut-être jamais. Bornez-vous au présent;
mangez le pain quotidien. Demain aura soin de lui-
même -, à chaque jour suffit son mal {a). C'est tenter
Dieu que de faire provision de manne pour deux
jours ; elle se corrompt. Vous n'avez point aujour-
d'hui la grâce de demain : elle ne viendra qu'avec
demain lui-même. Moment présent , petite éternité
pour nous.
(a) Malth. vi. 34.,
334 LETTRES SPIRITUELLES.
159*. (,32)
Porter la croix , et. s'abandonner à la Providence.
On ne peut être plus vivement touché que je le
suis de tout ce qui vous est arrivé. Il faut porter
la croix comme un trésor ; c'est par elle que nous
sommes rendus dignes de Dieu , et conformes à son
Fils. Les croix font partie du pain quotidien. Dieu en
règle la mesure selon nos vrais besoins, qu'il connaît,
et que nous ignorons. Laissons-le faire , et abandon-
nons-nous à sa main. Soyez enfant de la Providence.
Laissez raisonner vos parens et amis. Ne pensez point
de loin à l'avenir. La manne se corrompait quand on
voulait par précaution en faire provision pour plus
d'un jour. Ne dites point : Qu'est-ce que nous ferons
demain ? Le jour de demain aura soin de lui-même.
Bornez-vous aujourd'hui au besoin présent ; Dieu vous
donnera en chaque jour les secours proportionnés à
ce besoin-là. Inquirentes autem Bominum non mi-
nuentur omni hono («). La Providence ferait des mi-
racles pour nous ; mais nous empêchons ces miracles
à force de les prévenir. Nous nous faisons nous-
mêmes , par une industrie inquiète , une providence
aussi fautive que celle de Dieu serait assurée.
Quant à N il aime la Religion et a des prin-
cq^es de vertu; mais il a besoin d'être nourri et sou-
teiui. Il faut le secourir sans le gêner. Vous connais-
sez son esprit vif et ses longues habitudes ; il faut
lui passer bien des choses que je ne vous passerais pas.
(a) Ps. x\xiii. II.
LETTRES SPIRITUELLES. 335
Dieu sait mieux que nous ce qu'il a mis dans clia-
que homme, et ce qu'il doit exiger de lui. Ménagez,
supportez, respectez, espérez, fiez-vous au maître des
cœurs , qui est fidèle à ses promesses. Soyez fidèle et
docile vous-même. Mettez à profit vos faiblesses par
une déliance infinie de vous-même , et par une sou-
plesse enfantine pour vous laisser corriger. La peti-
tesse sera votre force dans la faiblesse même.
W% %%% %%%%% V V%%^VWV«%»%«%%WW «««/««V^Mf
(.33) 160*.
Sur le même sujet.
Je ne doute point que Notre-Seigneur ne vous traite
toujours comme l'un de ses amis , c'est-à-dire avec
des croix , des soulFiances et des humiliations. Ces
voies et ces moyens , dont Dieu se sert pour attirer
à soi les âmes , font Lien mieux et plus vite cette
affaire , que non pas les propres efforts de la créa-
ture ; car cela détruit de soi-même et arrache les ra-
cines de ramour-propre , que nous ne pourrions pas
même découvrir qu'à grande peine ; mais Dieu , qui
connaît ses tanières , le va attaquer dans son fort et
sur sou fond.
Si nous étions assez forts et fidèles pour nous con-
fier tout-à-fait à Dieu , et le suivre simplement par
où il voudrait nous mener , nous n'aurions pas besoin
de grandes applications d'esprit pour travailler à la
perfection ; mais parce que nous sommes si faibles
dans la foi , que nous voulons savoir partout oii nous
allons, sans nous en fier à Dieu , c'est ce qui alonge
notre chemin , et qui gâte nos affaires spirituelles-
336 LETTRES SPIRITUELLES.
Abandonnez-vous tant que vous pourrez à Dieu , et
jusques au dernier respir j et il ne vous délaissera pas.
161 *. (i34)
Ne point np;ir par naturel , et amortir sa vivacité.
Suivez la voie de mort dans laquelle Notre-Sei-
gneur vous a mis , et travaillez à amortir cette viva-
cité de votre naturel qui vous entraîne dans ce que
vous faites. Soyez persuadé que tout ce que nous fai-
sons par ce que nous sommes, je veux dire selon notre
humeur et tempérament , n'ayant rien de surnaturel ,
nous rend ce que nous faisons inutile pour nous avan-
cer en Dieu ; et parce que sa divine Majesté demande
des âmes qu'elle attire à soi un retour ou recoulement
perpétuel dans notre fin dernière , et dans la pléni-
tude du vrai bien ; lorsque nous agissons par nous-
mêmes et selon notre humeur , tout ce que nous fai-
sons se réfléchit sur nous-mêmes et en demeure là ,
et Dieu n'y a point de part.
Vous voyez donc de quelle importance il vous est
de réprimer la vivacité de vos humeurs et passions ,
et que c'est très-peu de chose de voir et pénétrer les
secrets de la vie spirituelle , si on ne met point en
exécution les moyens qui sont nécessaires pour par-
venir à sa fin , qui est l'union réelle et véritable avec
Dieu. Ceci ne demande point d'occupation de tête ni
d'esprit , mais bonne volonté dans les occasions qui se
présentent.
LETTRES SPIRITUELLES. 33^
•* *■** *-*^ *%A %*vv*% «w «%%%%%,«««^ vv« •-*% V%^ %%% W% V». Vv«^ %V^ %«% W^ w» %v% vw»w%%%ww%*w*w
(.53) 1G2 *.
Souinir aycc abandon , nt boirh le calice d'amertume jusqu'à la
dernière goutte.
J'espère, monsieur, que, dans cet état de sépara-
tion et d'amertume ; vous trouverez , loin des créa-
tures , la plus puissante consolation. Dieu vous fera
goûter ce qu'il est par lui-même quand tout le reste
manque. La longueur de celte épreuve servira à vous
endurcir contre vous-même , et à pousser sans bornes
votre abandon. Quand on se livre à Dieu pendant le
temps de paix et de calme , on ne sait ni ce qu'on
veut ni ce qu'on promet : quoique l'abandon soit sin-
cère , il est encore bien superficiel ; mais , quand le
calice plein d'amertume se présente , alors la nature
frémit, on est triste et craintif jusqu'à la mort, comme
Jésus -Christ au jardin des Oliviers ; on sue sang et
eau ; on dit : Que ce calice soit éloigné de moi (a) !
Heureux qui étouffe cette répugnance et ce soulève-
ment de la nature , pour ajouter , comme le Fils de
Dieu : Cejje?idanf que votre volonté se fasse , et non
pas la mienne. En vérité , monsieur , je serais bien
ITiclié que vous perdissiez la moindre goutte du ca-
lice que Dieu vous présente. C'est maintenant qu'il
faut exercer votre foi et votre amour. 0 que Dieu
vous aime, puisqu'il vous frappe sans pitié! Quelque
sacrifice qu'il vous demande, n'hésitez jamais. L'état
de tristesse qui serre votre cœur , et la vue d'un objet
affligeant qui est à toute heure devant vos yeux , me
[a) MaLtli. XXVI. 3r).
CoRRESP. IV. 7
338 LETTRES SPIRITUELLES.
fait craindre pour voire santé. Ménagez-la ; profitez
des petits soulagemens qui se présenteront ; faites-le
avec simplicité.
163 *. (,6i)
La volonté de Dieu doit ôti'e notre tout.
Je vous souhaite la paix du cœur et la joie du Saint-
Esprit , qui se trouve au milieu de toutes les croix et
de toutes les tentations de la vie. C'est la différence
essentielle entre la Babylone et la cité de Dieu. Un
habitant de Babylone , quelque prospérité mondaine
qui l'enivre , a un je ne sais quoi qui dit au fond du
cœur : Ce n'est pas assez ; je n'ai pas tout ce que je
voudrais, et j'ai encore ce que je ne voudrais pas. Au
contraire, l'habitant de la cité sainte porte au fond de
son cœur un fiat et un at)ien continuel. Il veut toutes
ses peines , et il ne veut aucune des consolations dont
Dieu le prive. Demandez-lui ce qu'il veut, il vous ré-
pondra que c'est précisément ce qu'il a. La volonté
de Dieu , dans le moment présent , est le pain quoti-
dien qui est au-dessus de toute substance. Il veut
tout ce que Dieu veut en lui et pour lui. Cette vo-
lonté fait le rassasiement de son cœur ; c'est la manne
de tous les goûts. Glorificaveris eum , dit Isaïe {a) ,
dum 71071 facis vias tuas, et non invenitur voluntas
tua ut loquaris sermonem. Aussi est-il dit de la nou-
velle Jérusalem : Vocaheris voluntas mea in ea {e).
Elle n'aura plus d'autre nom ; on n'en pourra plus
avoir d'autre idée ; elle ne sera plus rien d'elle-même.
(a) Isai. LVm. i3. (e) Isai. lxii, ^.
LETTRES SPIRITUELLES. SSo
Comme saint Jean n'était qu'une voix annonçant Jésus-
Cliiist, Jérusalem n'est plus que la seule voloiité de
Dieu en elle. Ce n'est plus elle qui vit et qui veut ;
c'est l'époux vivant et voulant clans l'épouse. Quelle
est donc sa volonté sur vous ? c'est que vous n'en ayez
plus aucune , que vous ne trouviez plus en vous de
quoi vouloir , que vous laissiez Dieu vouloir en vous
tout ce qui est selon son esprit. Qui autem scrutatur
corda , scit quid desideret Spiritus ; tpiia secundùm
Denm postulat pro sanctU [it). Soyez donc l'homme
de la volonté de Dieu, virum voluntatis meœ (e). Ne
la gênez eu vous par aucune borne de volonté et de
pensée propre , par aucun arrangement à votre mode.
La plupart des gens de bien , sous de beaux pré-
textes , font ce que saint Augustin reprochait aux
Demi^Pélagiens , qui était de vouloir que les mérites
naturels précédassent , et que la grâce suivît la na-
ture ; gratia pedissequa. On veut que Dieu veuille
ce que nous voulons , afin que nous voulions notre
propre volonté dans la sienne. Il faut que la volonté
de Dieu démonte la nôtre , et qu'il soit lui seul toutes
choses en nous.
(a) Rom. viii. ij . (<?) laai, xlvi. ii.
vvv v\ V vwv -vw» **A >vv» ^ V» v%* *v^ ft*^ -v-v» '*»^ ^'v* *'V. ^ V* vfc » «* v»'»'** vvv ^**>*%^ % V» -wi yw^ *^^ >».^^ .w%
164 *. (i64)
Manière de bien portci* sa croix.
Portez en paix vos croix intérieures. Les exté-
rieures sans celles de l'intérieur ne seraient point des
croix ) elles ne seraient que des victoires continuelles ,
7*
340 LETTRES SPIRITUELLES.
avec une flatteuse expérience de notre force inyin-
cible. De telles croix empoisonneraient le cœur , et
charmeraient notre amour-propre. Pour bien souf-
frir , il faut souffrir faiblement et sentant sa faiblesse ;
il faut se voir sans ressource au dedans de soi ; il faul
être sur la croix avec Jésus-Christ , et dire comme
lui , Mo7i Dieu , mon Dieu , combien m' avez -vous
ahandonné ! 0 que la paix de la volonté , dans ce
désespoir de l'amour-propre , est précieuse aux yeux
de celui qui la fait en nous sans nous la montrer !
Nourrissez-vous de cette parole de saint Augustin ,
qui est d'autant plus vivifiante , qu'elle porte au cœur
une mort totale de l'amour-propre : « Qu'il ne soit
y> laissé en moi rien de moi-même , ni de quoi jeter
» encore un regard sur moi ; » nihil in me relin-
quatur mihi , nec quo i^espiciam ad me ipsum.
N'écoutez point votre imagination ni les réflexions '
d'une sagesse humaine : laissez tomber tout , et soyez
dans les mains du bien-aimé. C'est sa volonté et sa
gloire qui doivent nous occuper.
%/VV »«^ «««V VV% V«^ V«^ «V^' V%^ »VV V%% ««/\ VV% «/Vb VVV V«^ Vt/fc ««fc' %««««%%«« v«^
(i65) 165 *.
Consentir à n'être rien , et se laisser consumer par une mort entière.
Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne
faut rien ajouter à ce pur rien. C'est sur le rien qu'il
n'y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai
rien ne résiste jamais , et il n'a point un 7noi dont il
s'occupe. Soyez donc rien , et rien au-delà ; et vous
serez tout sans songer à l'être. Soulfrez en paix ; aban-
donnez-vous j allez , comme Abraham , sans savoir où.
LETTIIES SPUIITUELLBS. 34 1
Recevez des hommes le Boulagemeiit que Dieu vous
donnera par eux. Ce n'est pas d'eux , mais de lui par
eux , qu'il faut le recevoir. Ne mêlez rien à l'abandon ,
non plus qu'au rien. Un tel vin doit être bu tout pur
et sans mélange ; une goutte d'eau lui ôte toute sa
vertu. On perd inUniment à vouloir retenir la moin-
dre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure.
Il faut aimer la main de Dieu qui nous frappe et
qui nous détruit. La créature n'a été faite que pour
être détruite au bon plaisir de celui qui ne l'a faite
que pour lui. O heureux usage de notre substance !
Notre rien glorifie l'Etre éternel et le tout Dieu. Pé-
risse donc ce que l'amour-propre voudrait tant con-
server ! Soyons l'holocauste que le feu de l'amour
réduit en cendres. Le trouble ne vient jamais que
d'amour-propre ; l'amour divin n'est que paix et aban-
don. Il n'y a qu'à souffrir , qu'à laisser tomber , qu'à
perdre , qu'à ne retenir rien , qu'à n'arrêter jamais un
seul moment la main crucifiante. Cette non-résistance
est horrible à la nature : mais Dieu la donne j le bien-
aimé l'adoucit y il mesure toute tentation.
Mon Dieu , qu'il est beau de faire son purgatoire
en ce monde ! La nature voudrait ne le faire ni en
cette vie ni en l'autre ; mais Dieu le prépare en ce
monde , et c'est nous qui , par nos chicanes , en faisons
deux au lieu d'un. Nous rendons celui-ci tellement
inutile par nos résistances , que tout est encore à re-
commencer après la mort. Il faudrait être dès cette
vie comme les âmes du purgatoire , paisibles et sou-
ples dans la main de Dieu , pour s'y abandonner et
pour se laisser détruire par le feu vengeur de l'amour.
Heureux qui souffre ainsi !
342 LETTRES SPIRITUELLES.
Je VOUS aime et \o\is respecte de plus en plus sous
la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet
état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide
et privée de tout , plus vous m'y paraîtrez pleine de
Dieu et l'objet de ses complaisances. Quand on est
attaché sur la croix avec Jésus-Christ , on dit comme
lui , O Dieu , 6 mon Dieu , cotnbien vous m^avez dé-
laissé ! Mais ce délaissement sensible , qui est une es-
pèce de désespoir dans la nature grossière , est la plus
pure union de l'esprit , et la perfection de l'amour.
Qu'importe que Dieu nous dénué de goûts et de
soutiens sensijjles ou aperçus , pourvu qu'il ne nous
laisse pas tomber ? Le prophète Habacuc n'était-il pas
bien soutenu quand l'ange le transportait avec tant
d'impéaiosité de la Judée à Babylone , en le tenant
par un de ses cheveux {a). Il allait sans savoir où , et
sans : avoir par quel soutien ; il allait nourrir Daniel
au rùliiau des lions ; il était enlevé par l'esprit invi-
sible et par ;.a vertu de la foi. Heureux qui va ainsi
par une unie inconnue à la sagesse humaine , et sans
toucher du pied à terre !
Vous n'avez qu'à souffrir et à vous laisser consu-
mer peu à peu dans le creuset de l'amour. Qu'y a-t-il
à faire ? Rien qu'à ne repousser jamais la main invi-
sible qui détruit et qui refond tout. Plus on avance ,
plus il faut se délaisser à l'entière destruction. Il faut
qu'un cœur vivant soit réduit en cendre. Il faut mou-
l'ir et ne voir point sa mort ; car une mort qu'on aper-
cevrait serait la plus dangereuse de toutes les vies.
Fous êtes morts, dit l'Apôtre {e), et votre vie est ca-
(a) Dan. xiv. 35» (e) Colos. m. 3.
LETTJUiS SPlIinUELLES. 343
chée avec Jénus-Christ en Dieu. Il faut que la mort
soit cachée , pour cacher la vie nouvelle que cette
mort opère. Ou ne vit plus que de mort , conmie
parle saint Augustin. Mais qu'il faut être simple et
sans retour pour laisser achever cette destruction du
vieil honnne ! Je prie Dieu quil fasse de vous un ho-
locauste que le feu de l'autel consume sans réserve.
(i66) 166 *.
Virre eu pur abandon et simple délaissement au bon plaisir de Die».
La peine que je ressens sur le malheur public ne
m'empêche point d'être occupé de votre jmîrmité.
Vous savez quil faut porter la croix , et la porter en
pleines ténèbres. Le parfait amour ne cherche ni à
voir ni à sentir. Il est content de souffrir sans savoir
s'il souflre bien , et d'aimer sans savoir s'il aime. 0 que
l'abandon , sans aucun retour ni repli caché , esc pur
et digne de Dieu ! Il est lui seul plus détruisait que
mille et mille vertus austères et soutenues d'un» .:i-
gularité aperçue. On jeûnerait comme oaint Simei^i
Stylite , on demeurerait des siècles sur une colon ae ;
on passerait cent ans au désert , comme saint Paul
ermite ; que ne ferait-on point de merveilleux et
digne d'être écrit , plutôt que de mener une vie unie ,
qui est une mort totale et continuelle dans ce simple
délaissement au bon plaisir de Dieu ! Vivez donc de
cette mort -, qu'elle soit votre unique paix quotidien.
Je vous présente celui que je veux manger avec vous.
Soyez simple et petit enfant. C'est dans l'enfance
344 LETTRES SPIRITUELLES.
qu'habite la paix inaltérable et à toute épreuve. Toutes
les régularités ov\ l'on possède sa vertu sont sujettes
à l'illusion et au mécompte. Il n'y a que ceux qui
ne comptent jamais, lesquels ne sont sujets à aucun
mécompte. Il n'y a que les âmes désappropriées par
l'abnégation évangélique qui n'ont plus rien à perdre.
Il n'y a que ceux qui ne cherchent aucune lumière,
qui ne se trompent point. Il n'y a que les petits
enfans qui trouvent en Dieu la sagesse , qui n'est
point dans les grands et les sages qu'on admire.
167 *. (iGj)
Laisser expirer la nature dans le dépouillemcut et la mort totale.
Tout contribue à vous éprouver ; mais Dieu , qui
vous aime , ne permettra pas que vous soyez ten-
tée au-dessus de vos forces. Il se servira de la ten-
tation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher
curieusement à voir en soi ni l'avancement , ni les
forces , ni la main de Dieu , qui n'en est pas moins
secourable quand elle se rend invisible. C'est en se
cachant qu'elle fait sa principale opération : car nous ne
mourrions jamais à nous-mêmes , s'il montrait sen-
siblement cette main toujours appliquée à nous se-
courir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière,
en vie et en revêtissement de tous les ornemens spiri-
tuels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix ,
en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. Jésus-
Christ ne dit pas : Si quelqu'un veut venir après
moi , qu'il se possède , qu'il se revête d'ornemens ,
qu'il s'enivre de consolations, comme Pierre sur le
LETTRES SPIRITUELLES. 345
Tliabor; qu'il jouisse de moi et do soi-même dans su
perfection , qu'il se voie : et que tout le rassure en
se voyant parfait : mais au contraire il dit (a) : Si
(/uel(/u^u?i veut vanir après moi , voici le chemin par
où il faut qu'il passe ; qu'il se renonce , qu'il porte
sa croix- et qu'il me suive dans le sentier bordé de pré-
cipices où il ne verra que sa mort. Saint Paul dit
que 710US voudrions être survêtus (e) , et qu'il faut au
contraire être dépouillés jusqu'à la ])liis extrême nu-
dité pour être ensuite revêtus de Jésus-Christ.
Laissez-vous donc ôter jusqu'aux, derniers orne-
mens de l'amour-propre , et jusqu'aux derniers voiles
dont il tache de se couvrir , pour recevoir la robe
qui n'est blanchie que du sang de l'Agneau , et qui
n'a plus d'autre pureté que la sienne. O trop heu-
reuse l'ame qui n'a plus rien à soi , qui n'a même
rien d'emprunté non plus que rien de propre, et qui
se délaisse au bien-aimé , étant jalouse de n'avoir plus
de beauté que lui seul ! 0 épouse , que vous serez
belle quand il ne vous restera plus nulle parure pro-
pre ! Vous serez toute la complaisance de l'époux
quand l'époux sera lui seul toute votre beauté. Alors
il vous aimera sans mesure , parce que ce sera lui-
même qu'il aimera uniquement en vous. Écoutez ces
choses, et croyez-les. Cet aliment de pure vérité sera
d'abord amer dans votre bouche et dans vos entrail-
les ; mais il nourrira votre cœur , et il le nourrira
de la mort qui est l'unique vie. Croyez ceci, et ne
vous écoutez point. Le moi est le grand séducteur :
il séduit plus que le serpent séducteur d'Eve. Ileu-
(a) Mal/i. XM, 2|. (e) // Cor. v, 4-
346 LETTRES SPIRITUELLES.
reuse Famé qui écoute en toute simplicité ce qui
l'empêche de s'écouter et de s'attendrir sur soi !
Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne
le permet pas. Que dis-je? Dieu le fait invisiblement,
et il nous unit cent fois plus intimement à lui , cen-
tre de tous les siens , que si nous étions sans cesse
dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de
vous : je porte avec vous votre croix et toutes vos
langueurs. Mais si vous voulez que l'enfant Jésus les
porte avec vous , laissez-le se cacher à vos yeux; laissez-
le aller et venir en toute liberté. Il sera tout-puis-
sant en vous , si vous êtes bien petite en lui. On
demande du secours pour vivre et pour se posséder :
il n'en faut plus que pour expirer et pour être dé-
possédé de soi sans ressource. Le vrai secours est le
coup mortel ; c'est le coup de grâce. Il est temps de
mourir à soi , afin que la mort de Jésus-Christ opère
une nouvelle vie. Je donnerais la mienne pour vous
ôter la vôtre , et pour vous faire vivre de celle de
Dieu.
(.68) 168*.
Nécessité de s'abandonner en pure foi à l'opération cachée de Dieu
pour donner la mort.
Ce que je vous souhaite au-dessus de tout , c'est
que vous n'altériez point votre grâce en la cherchant.
Voulez-vous que la mort vous fasse vivre , et vous
posséder en vous abandonnant? Un tel abandon se-
rait la plus grande propriété , et n'aurait que le nom
trompeur d'abandon -, ce serait Fillusion la plus ma-
nifeste. Il faut manquer de tout aliment pour achever
LETTRES SPIIUTUELLES. 347
de mourir. C'est une cruaulé et une trahison , que
de] vous laisser respirer et nourrir pour prolonj-er votre
agonie dans le supplice. Mourez j c'est la seule parole
qui nie reste pour vous.
Qu'avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu
vous a ou\erte? Si vous vouliez vivre, vous n'a\iez
qu'à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d'an-
nées que vous vous êtes dévouée à l'obscurité de la
foi , à la mort et à l'abandon ? Etait-ce à condition
de le faire en apparence, et de trouver une plus grande
sûreté dans l'abandon même? Si cela était ^ >ous au-
riez été bien fine avec Dieu : ce serait le comble de
Tillusion. Si, au contraire, vous n'avez cherché ( connue
je n'en doute pas ) que le sacrifice total de votre es-
prit et de ^ otre volonté , pourquoi reculez-vous quand
Dieu vous fait enfin trouver l'unique chose que vous
avez cherchée ? Voulez-vous vous reprendre dès que
Dieu veut vous posséder , et vous déposséder de vous-
même ? Voulez-vous , par la crainte de la mer et de
la tempête , vous jeter contre les rochers , et faire
naufrage au port ? Renoncez aux sûretés ; vous n'en
sauriez jamais avoir que de fausses. C'est la recherche
infidèle de la sûreté qui fait votre peine. Loin de vous
conduire au repos , vous résistez à votre grâce 5 com-
ment trouveriez-vous la paix ?
J'avoue qu'il faut suivre ce que Dieu met au cœur ;
mais il faut observer deux choses : l'une est que l'at-
trait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point
par les réflexions délicates et inquiètes de l'amour-
propre; l'autre, qu'il ne se trouve point aussi par des
mouvemens si marqués , qu'ils portent avec eux la
certitude qu'ils sont divins. Cette certitude réfléchie ,
348 LETTRES SPIRITUELLES.
dont on se rendrait compte à soi-même , et sur la-
quelle on se reposerait y détruirait l'état de foi , ren-
drait toute mort impossible et imaginaire , changeant
l'abandon et la nudité en possession et en propriété
sans bornes ; enfin ce serait un fanatisme perpétuel ,
car on se croirait sans cesse certainement et immé-
diatement inspiré de Dieu pour tout ce qu'on ferait
en chaque moment. Il n'y aurait plus ni direction ni
docilité , qu'autant que le mouvement intérieur , in-
dépendant de toute autorité extérieure , y porterait
chacun. Ce serait renverser la voie de foi et de mort.
Tout serait lumière , possession , vie et certitude dans
toutes ces choses. Il faut donc observer qu'on doit
suivre le mouvement, mais non pas voiUoir s'en as-
surer par réflexion , et se dire à soi-même^ pour jouir
de sa certitude : Oui, c'est par mouvement que j'agis.
Le mouvement n'est que la grâce ou l'attrait inté-
rieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes;
mais plus délicat , plus profond , moins aperçu et plus
intime dans les âmes déjà dénuées , et de la désap-
propriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement
porte avec soi une certaine conscience très-simple ,
Irès-directe , très-rapide , qui suffit pour agir avec
droiture , et pour reprocher à Tame son infidélité dans
le moment où elle y résiste. Mais c'est la trace d'un
poisson dans l'eau *, elle s'efface aussitôt qu'elle se
forme , et il n'en reste rien : si vous voulez la voir ,
elle disparaît pour confondre votre curiosité. Com-
ment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder
ce don , puisqu'il ne vous l'accorde qu'afin que vous
ne vous possédiez en rien vous-même ? Les saints pa-
triarches , prophètes^ apôtres, etc. avaient, hors des
LETTRES SPiniTlEU-rS. 3/\C)
choses miraciilcnses, un attrait continuel qui les pous-
sait à une mort continuelle ; mais ils ne se rendaient
point juges de leur grâce , et ils la suivaient simple-
ment : elle leur eût échappé pendant qu'ils auraient
raisonné pour s'en faire les juges. Vous êtes notre an-
cienne , mais c'est votre ancienneté qui fait que vous
devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre
sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes
les autres pour les affermir dans les sentiers des té-
nèbres et de la mort. Marchez donc , comme Abra-
ham , sans savoir où. Sortez de votre terre , qui est
votre cœur ; suivez les mouvemens de la grâce , mais
n'en cherchez point la certitude par raisonnement. Si
vous la cherchez avant que d'agir , vous vous rendez
juge de votre grâce , au lieu de lui être docile , et de
vous livrer à celle comme les apôtres le faisaient. Ils
étaient livrés à la grâce de Dieu , dit saint Luc dans
les Actes (a). Si , au contraire , vous cherchez cette
certitude après avoir agi , c'est une vaine consolation
que vous cherchez par un retour d'amour-propre ,
au lieu d'aller toujours en avant avec simplicité selon
l'attrait , et sans regarder derrière vous. Ce regard en
arrière interrompt la course , retarde les progrès ,
brouille et afi'aiblit l'opération intérieure : c'est un
contre-temps dans les mains de Dieu ; c'est une re-
prise fréquente de soi-même ; c'est défaire d'une main
ce qu'on fait de l'autre. De là vient qu'on passe tant
d'années languissant , hésitant , tournant tout autour
de soi.
Je ne perds de vue ni vos longues peines , ni vos
{a) Act. XV. fo.
JDO LETTRES SPIRITUELLES.
épreuves , ni le mécompte de ceux qui me parlent de
votre état sans le bien connaître. Je conviens même
qxi'il m'est plus facile de parler , qu'à vous de faire ,
et que je tombe dans toutes les fautes où je vous
propose de ne tomber pas. Mais enfui nous devons
plus que les autres à Dieu , puisqu'il nous demande
des choses plus avancées ; et peut-être sommes-nous
à proportion les plus reculés. Ne nous décourageons
point ; Dieu ne veut que nous voir fidèles. Recom-
mençons , et en recommençant nous finirons bientôt.
Laissons tout tomber , ne ramassons rien ; nous irons
bien vite et en grande paix.
(1G9) 169 *.
Abandon simple et total.
Je vous désire une simplicité totale d'abandon ,
sans laquelle on n'est abandonné qu'à condition de
mesurer soi-même son abandon , et de ne l'être ja-
mais dans aucune des choses de la vie présente qui
touchent le plus notre amour-propre. Ce n'est pas
l'abandon réel et total à Dieu seul , mais la fausseté
de l'abandon et la réserve secrète , qui fait l'illusion.
Soyez petit et simple au milieu du monde le plus
critique , comme dans votre cabinet. Ne faites rien ,
ni par sagesse raisonnée , ni par goût naturel , mais
simplement par souplesse à l'esprit de mort et de vie ;
de mort à vous , de vie à Dieu. Point d'enthousiasme ,
point de certitude recherchée au dedans de vous ,
point de ragoût de prédictions , comme si le présent ;
tout amer qu'il est , ne suffisait pas à ceux qui n'ont
LETTRES SPIRITUELLES.
35i
plus d'autre trésor que la seule volonté de Dieu , et
comme si on voulait dédommager l'amour-propre de
la tristesse du présent par les prospérités de l'avenir.
On mérite d'être trompé quand on ciierche cette vaine
consolation. Recevons tout par petitesse ; ne clier-
clions rien par curiosité ; ne tenons à rien par un in-
térêt déguisé. Laissons faire Dieu , et ne songeons qu'à
mourir sans réserve au moment présent , comme si
c'était réteriiité tout entière. Ne faites point de tours
de sagesse.
170 *. (,70)
Eviter la dissipation, et réprimer l'actiTité de l'esprit.
Au nom de Dieu , évitez la dissipation ; craignez
votre imagination trop vive et votre goût pour le
monde. Il ne sidlit pas de ne voir point trop de gens ,
il faut de plus ne laisser pas trop exciter votre viva-
cité avec chacun d'eux ; il faut retrancher les longues
conversations , et dans les courtes mêmes il faut re-
trancher une certaine activité d'esprit qui est incom-
patible avec le recueillement. Il ne s'agit point d'un
certain recueillement procuré par effort et par indus-
trie qui n'est pas de saison : je vous demande l'union
toute simple et du fond avec Dieu , que sa grâce nous
donne quand nous laissons tomber notre activité , qui
nous dissipe et qui nous engoue de l'amusement des
créatures. En vérité , si vous n'êtes fidèle à laisser
tomber toute votre activité , qui est de nature el
d'habitude , vous perdrez insensiblement tout votre
intérieur; et, malgré toutes vos pieuses intentions,
35a LETTRES SPIRITUELLES*
VOUS VOUS trouverez réduit à une dévotion de senti-
mens passagers et superficiels , avec de grandes fra-
gilités et de grands mélanges de choses contraires à
votre ancienne grâce.
Sur le même sujet.
Je souîiaite infiniment que vous receviez d'un cœur
ouvert et docile tout ce qu'on vous dira pour votre
correction intérieure. Vous avez besoin que N
conserve sur vous une vraie autorité. Elle vous con-
naît à fond : Bieu vous l'a donnée pour mère spiri-
tuelle ; elle est le canal de grâce pour vous : vous
avez besoin qu'on retienne les saillies continuelles de
votre imagination trop vive : tout vous amuse , tout
vous dissipe , tout vous replonge dans le naturel.
Ce qui vous rend si long à toutes choses , est que
vous suivez trop sur chaque chose votre imagination.
Vous aimez trop à parler de choses inutiles , et même
de circonstances peu importantes sur les choses les
plus nécessaires. Vous êtes trop occupé de vous pro-
curer de la considération , de la confiance , des dis-
tinctions. Vous aimez trop votre rang et les personnes
qui peuvent vous donner du crédit. Vous donnez trop
de temps à tout ce qui vous plait et qui vous flatte.
Vous ne mourrez à toutes ces choses qu'en coupant
court.
Il faut connaître les hommes avec qui vous avez
besoin de bien vivre. Il faut s'instruire solidement de
certains principes sur lesquels un homme de votre
I^TTRES SPIRITUELLES. 353
rang peut avoir besoin de former des vues , et même
d'agir selon les occasions \ mais il faut retrancher tous
les empressemens de curiosité et d'ambition. Il ne faut
entrer dans ces choses que par pure fidélité , et par
conséquent y mourir à toute heure , lors même qu'on
y entre. Craignez non-seulement de recevoir avec
hauteur ou propriété de lumière ce que l'on vous dit
contre vos vues pour vous corriger , mais encore de
le laisser tomber par distraction, par dissipation, par
une espèce de légèreté. On a mal reçu un bon con-
seil quand il échappe si promplement. Pour le bien
recevoir , il faut donner à l'esprit intérieur tout le
temps de l'imprimer profondément en nous , et de
l'appliquer paisiblement à toute l'étendue de nos be-
soins dans le dernier détail. Laissez-vous à l'esprit
d'oraison, en sorte que vous ne lui résistiez point en
^ ous dissipant. C'est ce recueillement passif qui sera
votre unique ressource. Si vous ne résistez point à
cet attrait simple et intime , il vous tiendra dans un
recueillement simple de votre degré , qui durera toute
la journée au milieu des occupations les plus com-
munes. Alors vous parlerez peu , et ne le ferez que
par grâce. Si quis loquitar , quasi sei'mones Dei {a).
(a) / Peir. iv. 1 1 .
172*. (,.,)
Se laisser conduire sans résistance.
Je vous embrasse tendrement. C'est dans votre in-
firmité que ma tendresse pour vous redouble. La fai-
CORRESP. IV. 8
354 LETTRES SPIRITUELLES.
blesse se tournera en force désappropriée, si vous êtes
fidèle dans cette épreuve. A mesure que l'enfant est
plus affaibli, il doit demeurer plus attaché à sa mère.
Dites-lui tout avec une simplicité enfantine ; priez-la
de vous garder ; ne lui soyez jamais difficile. Ayez
du moins l'intention de céder dans l'instant. Privez-
vous de tout ce qu'elle voudra. Rentrez dans un re-
cueillement proportionné à votre besoin. Evitez tout
ce qui vous dissipe. Remettez-vous à l'a, b^ c, s'il le
faut , pour recommencer l'édifice par les fondemens.
Ne vous étonnez point de ne trouver aucune res-
source en vous-même contre les excès les plus af-
freux. C'est cette épreuve d'impuissance et de déses-
poir de vous-même où Dieu vous veut , et qui est ,
non pas le mal , mais le vrai remède à vos maux.
Mais tournez-vous du côté de Dieu et de N qui
vous est donnée dans ce besoin. Vous trouverez en
Dieu , par elle , tout ce qui vous manque dans votre
propre fond.
Ne vous fiez à vous-même sur rien. Ayez horreur
de vous. Ayez votre cœur sur vos lèvres et dîins les
mains de cette bonne mère. Le grand point est de
céder sans cesse à Dieu , et de le laisser faire en nous
par simple non-résistance. Cette non-résistance , qu'on
est tenté de regarder comme une inaction , s'étend
au-delà de tout ce qu'on peut croire. Elle ne laisse
aucune vie à la nature , et lui ôte jusqu'à l'activité
qui lui servirait de dernier appui. On aimerait mieux
travailler sans relâche , et voir son travail , que se ré-
duire à ne résister jamais. Ne résistez jamais, et tout
se fera peu à peu. Soyez simple , petit et sans raison-
nement : avec souplesse y tout s'applanira ; sans sou-
LETTRES SPIRITUELLES. 355
plesse , tout vous deviendrait comme impossible , et
vous succomberiez terriblement.
Je veux que vous soyez petit à proportion de votre
faiblesse. Ce n'est rien que d'être fail)le , pourvu
qu'on soit petit et qu'on se tienne entre les bras de
sa mère : mais être faible et grand , cela est insup-
portable *, tomber à cl)aque pas, et ne vouloir passe
laisser porter , c'est de quoi se casser la tète.
173 ♦. (,,3)
Aria pour deux personnes en degré différent de grâce.
Je vols que la lumière de Dieu est en vous pour
vous montrer vos défauts et ceux de N. .. C'est peu
de voir -, il faut faire , ou pour mieux dire il n'y au-
rait qu'à laisser faire Dieu , et qu'à ne lui point ré-
sister. Pour N... , il ne faut jamais lui faire quartier;
nulle excuse ; coupez court ; il faut qu'il se taise ,
qu'il croie , et qu'il obéisse sans s'écouter.
Pour vous , plus vous clierclierez d'appui , moins
vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n'a pas be-
soin d'être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses ap-
puis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soute-
nir , vous percera la main •, mais si vous n'êtes rien
faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle
que d'abandon , et on ne cliercbe que des cautions
bourgeoises. La bonne fqi avec Dieu consiste à n'a-
voir point un faux abandon , ni un demi-abandon ,
quand on le promet tout entier. Ananias et Sapbira
furent terriljlement punis pour n'avoir pas donné sans
réserve un bien qu'ils étaient libres de garder tout
8*
356 LETTRES SPIRITUELLES.
entier. Allons à l'aventure. Abraham allait sans savoir
oii , hors de son pays. Je voudrais bien a ous chasser
du vôtre, et vous mettre, comme lui, loin des moin-
dres vestiges de route.
N... n'avancera qu'autant qu'il sera subjugué. On
s'imagine , quand on est dans une certaine voie de
simplicité , qu'il n'y a plus ni recueillement ni mor-
tification à pratiquer; c'est une grande illusion, i» On
a encore besoin de ces deux choses, parce qu'on n'est
point encore entièrement dans l'état où l'on se flatte
d'être , et que souvent on y a reculé. 2» Lors même
qu'on est en cet état , on pratique le recueillement
et la mortification sans pratiques de méthode. On
est recueilli simplement, pour ne se point dissiper par
des vivacités naturelles , et en demeurant en paix au
gré de l'esprit de grâce. On est mortifié par ce même
esprit qu'on suit uniquement sans suivre le sien pro-
pre. Ne vivre que de foi , c''est une vie bien morte.
Quand Dieu seul vit, agit, parle et se tait en nous,
le moi ne trouve plus de quoi respirer. C'est à quoi
il faut tendre ; c'est ce que le principe intérieur , quand
on ne lui résiste point , avance sans cesse.
Quand on n'est que faible , la faiblesse d'enfant
n'empêche point la bonne enfance 5 mais être faible
et indocile , c'est n'avoir de l'enfance que la seule fai-
blesse , et y joindre la hauteur des grands. Ceci est
pour N.... Au nom de Dieu, qu'il soit ouvert et pe-
tit. Je voudrais le mettre bas , bas , bas. Il ne peut
être bon qu'à force de dépendre.
LETTRES SPIRITUELLES. 357
(.74) 174 •.
Trouver ,. aTCC l'Apôtre , sa force dans la faiblesse. Caractères de
l'abandon véritable.
Vous n'avez , ma chère fille , qu'à porter vos infir-
mités , tant de corjis que d'esprit. C^est quand je suis
faible , dit l' Apôtre {a), que je me trouve fort : la vertu
80 perfectionne dans Vinfirmité. Nous ne sommes forts
en Dieu, qu'à proportion que nous sommes faibles
en nous-mêmes. Votre faiblesse fera donc votre force,
si vous y consentez par petitesse.
On serait tenté de croire que la faiblesse et la pe-
titesse sont incompatibles avec l'abandon , parce qu'on
se représente l'abandon comme une force de l'anie ,
qui fait , par générosité d'amour et par grandeur de
sentimens , les plus héroïques sacrifices. Mais l'alian-
don véritable ne ressemble point à cet abandon
flatteur. L'abandon est un simple délaissement dans
les bras de Dieu , comme celui d'un petit enfant dans
les bras de sa mère. L'abandon parfait va jusqu'à
abandonner l'aljandon même. On s'abandonne sans
savoir qu'on est abandonné : si on le savait , on ne
le serait plus ; car y a-t il un plus puissant soutien
qu'un abandon connu et possédé ? L'abandon se ré-
duit , non à faire de grandes clioses qu'on puisse se
dire à soi-même , mais à souffrir sa faiblesse et son
impuissance , mais à laisser faire Dieu , sans pouvoir
se rendre témoignage qu'on le laisse faire. Il est pai-
sible , car il n'y aurait point de sincère abandon , si
(a) // Cor, xii. (j , lu.
358 LETTRES SPIRITUELLES.
on était encore inquiet pour ne laisser pas échapper
et pour reprendre les choses abandonnées. Ainsi l'a-
bandon est la source de la vraie paix , çt sans la paix
l'abandon est très-imparfait.
Si TOUS demandez une ressource dans l'abandon ,
TOUS demandez de mourir sans perdre la vie. Tout
est à recommencer. Rien ne prépare à s'abandonner
jusqu'au bout , que l'abandon actuel en chaque mo-
ment. Préparer et abandonner sont deux choses qui
s'entredétruisent. L'abandon n'est abandon qu'en ne
préparant rien. Il faut tout abandonner à Bien, jus-
qu'à l'abandon même. Quand les Juifs furent scan-
dalisés de la promesse que Jésus-Christ faisait de
donner sa chair à manger , il dit à ses disciples (a) :
Ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? Il met le
marché à la main de ceux qui tâtonnent. Dites-lui
donc comme saint Pierre : Seirjneur , à qui irions-
nous ? voies avez les paroles de vie éternelle.
(a) Joan, iv. Ç>^ , 69,
(176) 175 *.
Croix et morts journalières.
Portons la croix : la plus grande est nous-mêmes.
Nous ne serons point hors de nous , pendant que
nous ne nous regarderons pas simplement comme un
prochain qu'il faut supporter avec patience. Si nous
nous laissons mourir tous les jours de la vie , nous
n'aurons pas beaucoup à mourir le dernier ; et ce
qui nous fait tant de peur de loin ne nous en fera
LETTRES SPIIUTUELLES. ^5^
guère de près, pourvu que nous ne rexagérions point
par nos prévoyances inquiètes d'amour-piopre. Sup-
j)orlc'/-vous vuus-niènio , et consentez petitement à
èhe supportée par autrui. O que les petites morts jour-
nalières ôtent de force à la grande mort !
(.„) 176 *.
Les douleurs dans la mort .'i soi-mônienc viennent que de nos résistances.
L'abandon , pour être véritaJjle , ne doit point ùlrc aperçu.
On se trompe sur la mort à soi-même ; on s'ima-
gine que c'est elle qui cause toutes les douleurs qu'on
soiiilVe. Non , il n'y a que les restes de vie secrète
qui font souffrir. La douleur est dans le vif , et non
dans le mort. Plus on meurt soudainement et sans
résistance , moins on a de peine. La mort n'est pé-
nijjle qu'à ce qui la repousse j c'est l'imagination qui
l'exagère et qui en a horreur ; c'est l'esprit qui rai-
sonne sans fin pour autoriser les propriétés ou vies
cachées ; c'est l'amour-propre qui vit et qui combat
contre la mort, comme un malade a des mouvemens
con^ulsifs à l'agonie. Mais il faut mourir intérieure-
ment comme dans l'extérieur. La sentence de mort
est prononcée contre Fesprit , comme la sentence de
justice contre le corps. Le grand point est que l'es-
prit meure avant le corps; alors la mort corporelle
ne sera qu'un sommeil. Bienheureux ceux qui dor-
ment du sommeil de paix.
Quand vous vous abandonnez à Dieu, ne le faites
point en raisonnant et en recherchant une certi-
tude intérieure , qui serait une possession imaginaire
36o LETTRES SPIRITUELLES.
contre le véritable abandon ; mais sans présumer au-
cune inspiration ni certitude , agissez sans retour ,
suivant votre cœur. Ce qu'on mesure pour se con-
tenter , ou pour s'assurer secrètement sous de beaux
prétextes, est un effet de sagesse et d'arrangement;
c'est une borne qu'on se marque pour s'épargner , et
en se la marquant , on la marque à Dieu. Plus vous
voudrez faire marcbé avec lui , et en être quitte à
moindre prix , plus il vous en coûtera. Au contraire ,
laissez-lui tout sans réserve ; il vous laissera en paix.
De sûreté sensible , il n'y en a dans aucune voie ,
encore bien moins dans celle de la pure foi. Il faut
aller , comme Abraliam , sans savoir où. L'épreuve
connue pour simple épreuve n'est plus une épreuve
véritable. L'abandon mesuré et exercé comme aban-
don, n'est plus abandon ; cette perte n'est qu'une pos-
session infinie de soi-même. En Voulant éviter l'illu-
sion , on tombe dans la plus dangereuse des illusions,
qui est celle de se reprendre contre sa grâce.
Là où est la paix pour votre cœur , là est Bieu
pour vous. Ne vous mettez donc en peine de rien.
Vivez sans aliment. Ce jour plein de nuages sera
suivi du jour sans ombre et sans fm. 0 que le dé-
clin du jour nous doit donner une pure lumière !
(178) 177 *^
Se délaisser à Dieu , sans retour inquiet sur soi-môme : éviter la
dissipation : agir sans rien présumer de son travail.
N... n'aura jamais de repos, qu'autant qu'elle re-
noncera à s^en procurer. La paix de cette vie ne pe^it
LETTRES SPIRITUELLES. 36 1
se trouver qiio dans l'incertitude. L'amour pur ne
sVxerce que dans cette privation de toute assurance.
Le moindre regard inqui(it est une reprise de soi, et
une inlldélité contre la grâce de l'aljundon. Laissons
iaire de nous à Dieu ce qu'il lui plaira : après que
nous l'aurons laissé faire , point de soutien. Quand
on ne veut point se voir soutenu , il faut être fidèle à
l'allrait de la grâce , et puis s'abandonner.
II faut qu elle se délaisse dans les mains de Dieu.
Soit que nous vivions y soit que nous mourions ^ nous
sommes à lui, dit saint Paul {a). L'abandon n'est réel
que dajis les occasions de s'abandonner. Dieu est le
même pour l'autre vie que pour celle-ci, également
digne qn'on le serve pour sa gloire et pour son bon
plaisir. Dans les deux cas , il veut également tout
pour lui , et sa jalousie crible partout les âmes qui
^culenl le suivre. Le paradis, l'enfer et le purgatoire
ont une espèce de commencement dès cette vie.
Je demande pour cette chère sœur une paix de
pure foi et d'abnégation. On ne perd point cette paix,
qui n'est exposée à aucun mécompte , parce qu'elle
n'est fondée sur aucune propriété , sûreté , ni conso-
lation. Je souhaite qu'elle ait le cœur en paix et en
simplicité. J'ajoute en simplicité , parce que la sim-
plicité est la vraie source de la paix. Quand on n'est
pas simple , on n'est pas encore véritablement enfant
de la paix : aussi n'en goiite-t-on point les fruits. On
mérite l'inquiétude qu'on se donne par les retours
inutiles sur soi contre l'attrait intérieur. L'esprit de
paix repose sur cehii qui ne trouble point ce repos
(a) Rom. XIV. 8.
3G2 LETTRES SPIRITUELLES.
en s'écoutant soi-même au lieu d'écouler Dieu. Le
repos 5 qui est un essai et un avant-goiit du sabbat
éternel, est bien doux-, mais le chemin qui y mène
est un rude martyre. Il est temps (je dis ceci pour
N ) de laisser achever Dieu après tant d'années :
Dieu lui demande bien plus qu'aux commençans.
Je prie de tout mon cœur pour votre malade , dont
les croix sont précieuses à Dieu. Plus elle souffre ,
plus je la révère en celui qui la crucifie pour la ren-
dre digne de lui. Les grandes souffrances montrent
tout ensemble et la profondeur des plaies qu'il faut
guérir en nous , et la sublimité des dons auxquels
Bieu nous prépare.
Pour vous , monsieur , évitez la dissipation ; crai-
gnez votre vivacité. Cette activité naturelle , que vous
entretenez au lieu de l'amortir, fait tarir insensible-
ment la grâce de la vie intérieure. On ne conserve
plus que des règles et des motifs sensibles ; mais la
vie cachée avec Jésus-Christ en Diea («) s'altère, se
mélange , et s'éteint faute de l'aliment nécessaire , qui
est le silence du fond de l'ame. J'ai été afthgé de ce
que vous ne serviez pas ; mais c'est un dessein de
pure miséricorde pour vous détacher du monde , et
pour vous ramener à une vie de pure foi qui est une
mort sans relâche. Ne donnez donc au monde que
le temps de nécessité et de bienséance. Ne vous amu-
sez point à des vétilles. Ne parlez que pour le be-
soin. Calmez en toute occasion votre imagination.
Laissez tout tomber. Ce n'est point par l'empresse-
ment que vous cesserez d'être empressé. Je ne vous
(«) Colus. m. 3.
LETTRES SPIRITUELLES. 363
demande point iiu recueillement de travail et d'in-
dustrie ; je vous demande un recueillement qui ne
consiste qu'à laisser tomber tout ce qui vous dissipe
et qui excite votre activité.
Je me réjouis de tout ce que vous trouvez de bon
dans N J'espère que vous la rendrez encore meil-
leure, en lui faisant connaître, par une pratique sim-
l)le et uniforme , combien la vraie piété est aimable
et dillcreiite de ce que le monde s'en imagine ; mais
il ne faut pas que M. son mari la gâte par une passion
aveugle : en lu gâtant, il se gâterait aussi ; cet excès
d'union causerait même , dans la suite , une lassitude
dangereuse , et peut-être une désunion. Laissez lui
peu le torrent s'écouler ; mais profitez des occasions
de providence , pour lui insinuer la modération , le
recueillement , et le désir de préférer l'attrait de la
grâce au goût de la nature. Attendez les momens de
Dieu, et ne les perdez pasj N vous càdera à ne
faire ni trop ni trop peu.
Dieu veut que, dans les œuvres dont il nous charge,
nous accordions ensemble deux choses très-propres
à nous faire mourir à nous-mêmes : l'une est d'agir
o
connue si tout dépendait de. l'assiduité de notre tra-
vail -, l'autre est de nous désabuser de notre travail ,
et de compter qu'après qu'il est fait , il n'y a encore
rien de commencé. Après que nous avons bien tra-
vaillé , Dieu se plaît à emporter tout notre travail
sous nos yeux , comme un coup de balai emporte
une toile d'araignée; après quoi il fait, s'il lui piait,
sans que nous puissions dire comment, l'ouvrage
pour lequel il nous avait fait prendre tant de peine ,
ce semble , inutile. Faites donc des toiles d'araignée ;
364 LETTRES SPIRITUELLES.
Dieu les enlèvera , et après vous avoir confondu . il
travaillera tout seul à sa mode.
Je ne suis point surpris de vos misères ; vous les
mériterez tandis que vous en serez encore surpris.
C'est encore arrogamment quelque chose de soi ,
que d'être surpris de se trouver eu faute. La surprise
ne vient que d'un reste de confiance.
178*. (,^9)
Extinction de la vie propre. Agir par grâce. Attendre tout de Dieu.
Mon état ne se peut expliquer , car je le comprends
moins que personne. Dès que je veux dire quelque
chose de moi en bien ou en mal , en épreuve ou en
consolation , je le trouve faux en le disant , parce que
je n'ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seule-
ment que la croix me répugne toujours, et qu'elle m'est
nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple ,
droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun
tour dans les choses que vous voudriez mener à votre
mode , et que vous laissiez faire Dieu pour achever
son œuvre en vous.
Ce que je souhaite pour vous comme pour moi ,
est que nous n'apercevions jamais en nous aucun reste
de vie , sans le laisser éteindre. Quand je suis à l'of-
fice de notre chœur , je vois la main d'un de nos cha-
pelains qui promène un grand éteignoir qui éteint
tous les cierges par derrière l'un après l'autre ; s'il ne
les éteint pas entièrement , il reste un lumignon fu-
mant qui dure long-temps et qui consume le cierge.
La grâce vient de même éteindre la vie de la nature ;
LETTRES SPIRITUELLES. 365
mais cette vie opiniâtre fume encore long-temps , et
nous consume par un feu secret , à ïaoins que 1 etei-
gnoir ne soit bien appuyé et qu'il n'étoufte absolu-
ment jusqu'aux moindres restes Je ce feu caché.
Je veux que vous ayez le goût de ma destruction
comme j'ai celui de la vôtre. Finissons , il est bien
temps, une vieille vie languissante qui chicane tou-
jours pour échapper à la main de Dieu. Nous vivons
encore ayant reçu cent coups mortels.
Assurez-vous que je ne flatterai en rien M et
que je chercherai même à aller jusqu'au fond. Dieu
fera le reste par vous. Votre patience , votre égalité ,
votre fidélité à n'agir avec lui que par grâce , sans
prévenir , par activité ni par industrie , les momens
de Dieu ; en un mot , la mort continuelle à vous-
même vous mettra en état de faire peu à peu mourir
ce cher fds à tout ce qui vous paraît l'arrêter dans
la voie de la perfection. Si vous êtes bien petite et
bien dénuée de toute sagesse propre , Dieu vous don-
nera la sienne pour vaincre tous les obstacles.
N'agissez point avec lui par sagesse précautionnée ,
mais par pure foi et par simple aljandon. Gardez le
silence, pour le ramener au recueillement et à la fidé-
lité , quand vous verrez que les paroles ne seront
pas de saison. Souffiez ce que vous ne pourrez pas
empêcher. Espérez , comme Abraham , contre l'espé-
rance , c'est-à-dire attendez en paix que Dieu fasse
ce qu'il lui j)laira , lors même que vous ne pourrez
plus espérer. Une telle espérance est un aljandon -, un
tel état sera votre épreuve très-douloureuse et l'œu-
vre de Dieu en lui. Ne lui parlez que quand vous
aurez au cœur de le faire , sans écouter la prudence
366 LETTRES SPIRITUELLESi
humaine. Ne lui dites que deux mots de grâce , sans
y mêler rien de la nature.
179*. (i8o)
Dieu proportionne les souffrances et réprcnve aux forces qu"il donne.
Je prends toujours grande part aux souffrances de
votre chère malade , et aux peines de ceux cpre Dieu
a mis si près d'elle pour lui aider à porter sa croix.
Qu'elle ne se défie point de Dieu , et il saura mesurer
ses douleurs avec la patience qu'il lui donnera. Il n'y
a que celui qui a fait les cœurs ^ et qui les refait par
sa grâce , qui sache ces justes proportions. L'homme
en qui il les oh serve les ignore ; et ne connaissant ni
l'étendue de l'épreuve future , ni celle du don de
Dieu préparé pour la soutenir , il est dans une tenta-
tion de découragement et de désespoir. C'est comme
un homme qui n'aurait jamais vu la mer j et qui , étant
sur un rivage sans pouvoir fuir à cause d'un rocher
escarpé , s'imaginerait que la mer , qui , remontant ,
pousserait ses vagues vers lui , l'engloutirait hientût.
Il ne verrait pas qu'elle doit s'arrêter à une certaine
horne précise que le doigt de Dieu lui a marquée,
et il aurait plus de peur que de mal.
Dieu fait de l'épreuve du juste comme de la mer;
il l'enfle , il la grossit , il nous en menace , mais il
horne la tentation. Fidelis Deus , qui -non patietur
vos tentari supra id quod potestis (a). Il daigne s'ap-
peler lui-même fidèle. O qu'elle est aimahle cette lidé-
(rt) / Cor. X. i3.
LETTRES SPIRITUELLES* 367
lilé ! Dites-en un mot à votre malade , et dites-lui
que , sr.iis regarder plus loin que le jour présent , elle
laisse i;nre Dieu. Souvent ce qui paraît le plus las-
sant et le plus terrible , se trouve adouci. L'excès
vient, non de Dieu, qui ne donne rien de trop,
mais de notre imagination, qui veut percer l'avenir,
et de notre amour-propre , qui s'exagère ce qu il
souffre.
Ceci ne sera pas inutile à N.... , qui se trouble quel-
(piefois par la crainte de se troubler un jour. Tous
les momens sont également dans la main de Dieu,
celui de la mort comme celui de la vie. D'une pa-
role il commande aux vents et à la mer; ils lui oljéissent
et se calment. Que craignez-vous , ô homme de peu
de foi ? Dieu n'est-il pas encore plus puissant que
TOUS n'êtes faible ?
180 *. (,8i)
En venir enfin à la pratique. Simplicité et ses effets.
Vos dispositions sont bonnes; mais il faut réduire
à une pratique constante et uniforme tout ce qu'on
a en spéculation et en désir. Il est vrai qu'il faut avoir
patience avec soi-même comme avec autrui , et qu'on
ne doit ni se décourager ni s'impatienter à la vue de
ses fautes : mais enfin il faut se corriger ; et nous en
viendrons à bout , pourvu que nous soyons simples et
petits dans la main toute-puissante qui veut nous
façonner à sa mode , qui n'est pas la nôtre. Le vrai
moyen de couper jusques à la racine du mal en
vous , est d'amortir sans cesse votre excessive activité
368 LETTRES SPIRITUELLES.
par le recueillement , et de laisser tout tomber pour
n'agir qu'en paix et par pure dépendance de la grâce.
Soyez toujours petit à l'égard de N , et ne lais-
sez jamais fermer votre cœur. C'est quand on sent
qu'il se resserre qu'il faut l'ouvrir. La tentation de
rejeter le remède en augmente la nécessité. N a
de l'expérience : elle vous aime ; elle vous soutiendra
dans A os peines. Chacun a son ange gardien \ elle sera
le vôtre au besoin : mais il faut une simplicité entière.
La simplicité ne rend pas seulement droit et sincère ,
elle rend encore ouvert et ingénu jusqu'à la naïveté ;
elle ne rend pas seulement naïf et ingénu , elle rend
encore confiant et docile.
« (188) 181 *.
Suivre Dieu sans égard aux sentiracns. Avantages des croix , et fruits
qu'où doit tirer de ses fautes.
Je m'en tiens à ce que vous dites , qui est que vous
résistez sans cesse à la volonté de Dieu. L'impression
qu'il vous donne est d'être occupée de lui ; mais les
réflexions de votre amour-propre ne vous occupent
que de vous-même. Puisque vous connaissez que vous
seriez plus en repos, si vous ne vouliez pas sans cesse,
par vos efforts , atteindre à une oraison élevée , et
briller dans la dévotion , pourquoi ne cherchez-vous
pas ce repos ? Contentez-vous de suivre Dieu et ne
prétendez pas que Dieu suive vos goûts pour vous
flatter. Faites l'oraison comme les commençans les
plus grossiers et les plus imparfaits , s'il le faut : ac-
commodez-vous à l'attrait de Dieu et à votre besoin.
LETTRES SPIRITUELLES. 36c)
11 est vrai qu'il ne faut pas se troubler quand on sent
en soi les goûts corrompus de l'amour-propre. Il ne
dépend pas de nous de ne les sentir point ; mais il
n'y faut donner aucun consentement de la volonté ,
et laisser tomber ces senlimens involontaires , en
se tournant d'abord simplement vers Dieu. Moyen-
nant cette conduite^ il faut communier, et il faut même
communier pour la pouvoir tenir. Si vous attendiez
à communier que vous fussiez parfaite , vous n'auriez
jamais ni la communion ni la perfection ; car on ne
devient parfait qu'en communiant , et il faut manger
le pain descendu du ciel pour parvenir peu à peu à
une vie toute céleste.
Pour vos croix , il faut les prendre comme la pé-
nitence de vos pécliés , et comme l'exercice de mort
à vous-même qui vous mènera à la perfection. 0 que
les croix sont bonnes ! 0 que nous en avons besoin !
Eh ! que ferions-nous sans croix ? nous serions livrés
à nous-mêmes , et enivrés d'amour-propre. Il faut
des croix , et même des fautes , que Dieu permet pour
nous humilier. Il faut mettre tout à profit , éviter les
fautes dans l'occasion , et s'en servir pour se confon-
dre dès qu'elles sont faites. Il faut porter les croix
avec foi , et les regarder comme des remèdes très-
salutaires.
Craignez la hauteur ; défiez- vous de ce que le
monde appelle la bonne gloire ; elle est cent fois plus
dangereuse que la plus sotte. Le plus subtil poison
est le plus mortel. Soyez douce, patiente, compa-
tissante aux faiblesses d'autrui , incapable de toute
moquerie et de toute critique. La charité croit tout
le bien qu'elle peut croire , et supporte tout le mal
CoRREbP. IV. 9
3nO LETTRES SPIRITUELLES.
qu'elle ne peut s'empêcher de voir dans le prochain.
Mais , pour être ainsi morte au monde , il faut vivre
à Dieu ; et cette vie intérieure ne se puise que dans
l'oraison. Le silence et la présence de Dieu sont la
nourriture de l'ame.
182 *. (X89)
D'où vient la diminution des consolations et du recueillement. Renoncer
a soi-même et aux créatures.
J'ai reçu votre dernière lettre. Il m'y paraît que
Dieu vous fait de grandes grâces , car il vous éclaire
et poursuit beaucoup; c'est à vous à y correspondre.
Plus il donne , plus il demande ; et plus il demande
plus il €st juste de lui donner.
Vous voyez qu'il retire ses consolations et l'attrait
du recueillement , dès que vous vous laissez aller au
goût des créatures qui vous dissipent. Jugez par là
de la jalousie de Dieu et de celle que vous devez
avoir contre vous-mêine , pour n'être plus à vous, et
pour vous livrer toute à lui sans réserve.
Vous aviez bien raison de croire que le renonce-
ment à soi-même , qui est demandé dans l'Evangile ,
consiste dans le sacrifice de toutes nos pensées et de
tous les mouvemens de notre cœur. Le moi , auquel
il faut renoncer , n'est pas un je ne sais quoi ou un
fantôme en l'air j c'est notre entendement qui pensé ,
c'est notre volonté qui veut à sa mode par amour-
propre. Pour rétablir le véritable ordre de Dieu , il
faut renoncer à ce moi déréglé , en ne pensant et en
ne voulant plus que selon l'impression de l'esprit de
grâce.
LETTRES SPIRITUELLES. ^l
Voilà l'état où Dieu se communique familièrement.
Dès qu on sort de cet état , on résiste à l'esprit de
Dieu , on le contriste , et on se rend indigne de son
connnerce. C'est par miséricorde que Dieu vous re-
bute , et vous fait sentir sa privation dès que vous
vous tournez vers les créatures : c'est qu'il veut vous
reprocher votre faute , et vous en humilier , pour
vous en corriger et pour vous rendre plus précau-
lionnée. Alors il faut revenir humblement et patiem-
ment à lui. Ne vous dépitez jamais, c'est votre écueil;
mais comptez que le silence, le recueillement, la sim-
plicité , et l'éloignement du monde sont pour vous ce
que la mamelle de la nourrice est pour l'enfant.
183 *. (,96)
Patience envers soi-même et envers les autres.
Je suis véritablement attristé d'avoir vu hier votre
cœur si malade. Il me semble que vous devez fair(^
également deux choses : l'une est de ne suivre jamais
volontairement les délicatesses de votre amour-pro-
pre ; l'autre est de ne vous décourager jamais en
éi)rouvant dans votre cœur ces dépits si déraisonna-
bles. Voulez-vous bien faire ? demandez à Dieu qu'il
vous rende patiente avec les autres et avec vous-
même. Si vous n'aviez que les autres à supporter , et
si vous ne trouviez de misères qu'en eux , vous seriez
violennnent tentée de vous croire au-dessus de votre
prochain. Dieu veut vous réduire, par une expérience
presque continuelle de vos défauts , à reconnaître
combien il est juste de supporter doucement ceux
9*
Z'JH LETTRES SPIRITUELLES.
d'autrui. Eh ! que serions-nous , si nous ne trouvions
rien à supporter en nous ; puisque nous avons tant
de peine à supporter les autres , lors même que nous
avons besoin d'un continuel support?
Tournez à profit toutes vos faiblesses en les ac-
ceptant , en les disant avec une humble ingénuité ,
et en vous accoutumant à ne compter plus sur vous.
Quand vous serez bien sans ressource , et bien dé-
possédée de vous-même par un absolu désespoir de
vos propres forces , Dieu vous apprendra à travailler
dans une entière dépendance de sa grâce pour votre
correction. Ayez patience avec vous-même ; rabais-
sez-vous ; rapetissez-vous ; demeurez dans la boue
de vos imperfections , non pour les aimer ni pour
négliger leur correction , mais pour en tirer la dé-
fiance de votre cœur et l'humiliation profonde, comme
on tire les plus grands remèdes des poisons mêmes.
Dieu ne vous fait éprouver ces faiblesses , qu'afin que
vous recouriez plus vivement à lui. Il vous délivrera
peu à peu de vous-même. 0 l'heureuse délivrance !
(198) 184 \
Se supporter soi-même avec patience.
Vous vous réjouissez par jalousie des défauts de
M que vous supportez le plus impatiemment :
vous êtes plus choquée de ses bonnes qualités que
de ses défauts. Tout cela est bien laid et bien hon-
teux. Voilà ce qui sort de votre cœur , tant il en est
plein ; voilà ce que Dieu vous fait sentir , pour vous
apprendre à vous mépriser , et à ne compter jamais
LETTRES SPIRITUELLES. Z'j3
sur la bonté de votre cœur. Votre amour-propre est
au désespoir quand , d'un côté , vous sentez au dedans
de vous une jalousie si vive et si indigne , et quand ,
d'un autre côté , vous ne sentez que distraction , que
sécheresse , qu'ennui , que dégoût pour Dieu. Mais
l'œuvre de Dieu ne se fait en nous qu'en nous dé-
possédant de nous-mêmes , à force d'ôter toute res-
source de confiance et de complaisance à l'amour-
propre. Vous voudriez vous sentir bonne j droite , forte
et incapable de tout mal. Si vous vous trouviez ainsi ,
vous seriez d'autant plus mal que vous vous croiriez
assurée d'être bien. Il faut se voir pauvre , se sentir
corrompue et injuste , ne trouver en soi que misère ,
en avoir horreur , désespérer de soi , n'espérer plus
qu'en Dieu, et se supporter soi-même avec une hum-
ble patience sans se flatter. Au reste, comme ces choses
ne sont que des sentimens involontaires , il suffit que
la volonté n'y consente point. Par là vous en tire-
rez le profit de l'humiliation , sans avoir l'infidélité
d'adhérer à des sentimens si corrompus.
Ne cessez point de communier : la communion est
le remède à la faiblesse des âmes tentées qui veulent
vivre de Jésus-Christ malgré tous les soulèvemens de
leur amour-propre. Communiez , et travaillez à vous
corriger. Vivez de Jésus-Christ et vivez pour lui.
Le point le plus capital pour vous n'est point la force ,
c'est la petitesse. Laissez-vous donc apetisser ; ne ré-
servez rien par courage et par sagesse humaine.
Soyez docile , sans écouter votre propre raison. Ap-
prenez à supporter autrui à force d'être réduite à vous
supporter vous-même. Vous pensiez vous posséder ;
mais l'expérience vous montrera que c'est un amour-
3n4 LETTRES SPIRITUELLES.
propre ombrageux , dépiteux et bizarre qui vous pos-
sède. J'espère que , dans la suite , vous ne songerez
plus à vous posséder vous-même , et que vous vous
laisserez posséder de Dieu.
WV%»%%»V»%%t^fV%^^%%%^fc»»%%V%»l»%%%»»V»%%V>\i»%»
185 *. (20a)
Ne point résister à l'attrait intérieur, acquiescer, et attendre tout de Dieu.
Vous voyez à la lumière de Dieu , au fond de votre
conscience , ce que la grâce demande de vous ; mais
vous résistez à Dieu : de là vient votre trouble. Vous
commencez par dire en vous-même : Il est impossible
que je prenne sur moi de faire ce qu'on veut. C'est
une tentation de désespoir. Désespérez de vous tant
qu'il vous plaira , mais non pas de Dieu. Il est tout
bon et tout-puissant : il vous donnera suivant la me-
sure de votre foi. Si vous croyez tout , tout vous sera
donné , et vous transporterez les montagnes. Si vous
ne croyez rien, rien ne vous sera donné; mais ce sera
votre faute. Regardez Abraham , qui espéra contre
toute règle d'espérance. Ecoutez la Sainte-Vierge , on
lui propose ce qu'il y a de plus incroyable , et sans
hésiter elle s'écrie (a) : Qu'il me soit fait selon votre
parole !
Ne fermez donc pas votre cœur. Non-seulement
vous ne pouvez point faire ce qu'on vous demande,
tant votre cœur est resserré , mais encore vous ne
voulez pas le pouvoir ; vous ne voulez pas laisser élar-
gir votre cœur , et vous craignez qu'on ne l'élargisse.
(a) Luc» X. 38.
LETTRES SPIRITUELLES. S^S
Comment voulez-vous que la grâce entre dans un
cœur si bouché contre elle ? Tout ce que je vous
demande est d'acquiescer j)ar docilité en esprit de foi,
et de ne vous point écouter vous-même. Pourvu que
vous acquiesciez avec petitesse , et que vous rentriez
dans la paix par le recueillement , tout se fera peu
à peu en vous , et ce qui vous paraît impossible dans
votre état de tentation , s'aplanira insensiblement.
Alors vous direz : Quoi ! n'était-ce que cela ? Fal-
lait-il tant de dépits et de désespoir pour une chose
si juste que Dieu prépare et facilite par son amour?
Craignez qu'en lui résistant vous ne vous éloigniez
de lui. Toute votre piété ne serait qu'illusion , si vous
manquiez à ce point essentiel. Il n'y aurait plus en
vous que délicatesse , hauteur et art pour flatter vos
goûts. Je prie Dieu qu'il ne permette pas que vous
preniez ainsi le change.
Je suis occupé de vos peines. Je suis encore plus
touché de ce qui se tourne en tentation et en dan-
ger de résister à Dieu , que des croix les plus pesantes.
Les croix qu'on porte en pure souiTrance y avec pe-
titesse , simplicité , démission de son propre esprit et
abandon , unissent à Jésus-Christ crucifié , et elles
opèrent des biens infinis; mais les croix repoussées par
attachement à sa propre pensée, et par retranchement
dans sa propre volonté , éloignent de Jésus-Christ ,
dessèchent le cœur , et font insensiblement tarir la
grâce. Au nom de Dieu , cédez par petitesse , et di-
tes , sans compter sur vous , qui n'êtes qu'un roseau
brisé : Rien n'est impossible à celui qui est tout bon et
tout-puissa7if. Dieu ne demande de vous qu'un oui en
pure foi. Consolez-moi en me mandant que ce oui
3n6 LETTRES SPIRITUELLES.
est prononcé au fond de votre cœur. Vous me ferez
sentir une vraie joie dans ma tristesse.
186 ♦. (208)
Moyen de trouver la paix au milieu des croix.
Il y a partout à souffrir, et les peines d'une com-
munauté, quoique vives, si on les comparait aux pei-
nes des personnes engagées dans le siècle, ne seraient
presque rien ; mais on s'échauffe la tête dans la so-
litude , et les croix de paille y deviennent des croix
de fer ou de plomb. Le remède à un si grand mal ,
c'est de ne compter point de pouvoir être heureux
en aucun état de cette vie, et de se borner à la paix
qui vient de la conformité à la volonté divine, lors
même qu'elle nous crucifie. Par là on ne trouve jamais
de mécompte ; et si la nature n'est pas contente , du
moins la foi se soutient et s'endurcit contre la nature.
Si vous aviez le courage de vous abandonner ainsi,
et de sacrifier vos irrésolutions, vous auriez plus de
paix en un jour que vous n'en goûteriez autrement
en toute votre vie. Moins on se cherche , plus on
trouve en Dieu tout ce qu'on a bien voulu perdre.
Une occupation douce et réglée vous garantira de l'en-
nui. Dieu vous adoucira les dégoûts inévitables dans
tous les états. Il vous fera supporter les esprits incom-
modes , et vous soutiendra par lui-même quand il
vous ôtera les autres soutiens. Mais ne comptez que
sur lui , si vous ne \oulez point vous mécompter.
Pendant votre retraite, nourrissez- vous de la viande
de Jésus-Christ , qui est la volonté du Père céleste.
LETTRES SPIRITUELLES. 3^7
Vous trouverez , en vous abandonnant aux desseins
de Dieu , tout ce que votre sagesse inquiète et irré-
solue ne trouverait jamais. Ne craignez point de man-
quer de consolation en vous jetant entre les bras du
vrai consolateur.
(a,5) 187 *
Contre les vaines délicatesses ileramour-propre, et contre les prévoyances
inquiètes de l'avenir.
Je ne m'étonne pas que Dieu vous épargne : vous
êtes trop faible pour être moins ménagé. Je vous avais
bien dit qu'il ne vous ferait pas l'honneur de vous
traiter si rudement que vous le craignez. Ce ne sera
pas un grand malheur quand vous direz quelque mot
un peu vieux , et que deux ou trois personnes croi-
l'ont que vous n'êtes pas un parfait modèle pour la
pureté du langage. Ce qui irait à des imprudences
contre le secret , contre la charité , contre l'édilica-
tion , ne doit jamais être permis : ce qui irait contre
le sens commun serait trop fort. Si vous vous sentiez
vivement pressé de ce côté-là , il faudrait m'avertir ,
et cependant suspendre ; mais , pour les choses qui
ne vont qu'à la politesse, ou qu'à certaines délica-
tesses de bienséance , je crois que vous devez vous
livrer à l'esprit de simplicité et d'humiliation. Rien
ne vous est si nécessaire que de mourir à vos ré-
flexions , à vos goûts, à vos vaines sensibilités sur ces
bagatelles. Plus vous craignez de les sacrifier , plus
le sacrillce en est nécessaire. Cette sensibilité est une
marque d'une vie très-forte , qu'il faut arracher ; mais
378 LETTRES SPIRITUELLES.
n'iiésitez point avec Dieu : vous voyez qu'il ne de-
mande que ce que vous êtes convaincu vous-même
qu'il doit demander pour détruire votre orgueil.
N'envisagez point l'avenir , car on s'y égare et on
s'y perd quand on le regarde. Ne cherchez point à
deviner jusqu'où Dieu vous poussera si vous lui cé-
dez toujours sans résistance. Ce n'est point par des
endroits prévus qu'il nous prend , la prévoyance
adoucirait le coup ; c'est par des choses que nous n'au-
rions jamais crues , et que nous aurions comptées
pour rien : souvent celles dont nous nous faisons des
fantômes s'évanouissent ; ainsi nos prévoyances ne
servent qu'à nous inquiéter. Obéissez chaque jour;
l'obéissance de chaque jour est le véritable pain quo-
tidien. Nous sommes nourris comme Jésus-Christ
de la volonté de son Père , que la Providence nous
apporte dans le moment présent. Ce pain céleste est
encore la manne ; on ne pouvait en faire provision ;
l'homme inquiet et défiant qui en prenait pour le
lendemain la voyait aussitôt se corrompre.
Ployez-vous à tout ce que l'on veut. Soyez souple
et petit , sans raisonner , sans vous écouter vous-même ,
prêt à tout et ne tenant à rien ; haut , bas ; aimé ,
haï ; loué , contredit j employé , inutile ; ayant la con-
fiance , ou l'envie et le soupçon des gens avec qui
vous vivez. Pourvu que vous n'ayez ni hauteur , ni
sagesse propre , ni volonté propre sur aucune chose ,
tout ira bien. En voilà beaucoup , mais ce n'est pas
trop. Soyez en silence le plus que vous pourrez.
Nourrissez votre cœur , et faites jeûner votre esprit.
Personne n'entre plus sincèrement que moi dans
vos vrais intérêts , et ne souhaite plus que vous soyez
LETTRES SPIRITUELLES. Z'JQ
détaclié de tout ce qui n'est point Dieu. Heureux
qui a rompu avec soi , qui n'est plus de ses pro-
pres amis ! On n'est Cdèle à I)ie.u qu'autant qu'on se
manque à soi-même par le sacrilice de tout ce que la
nature recherche. Paix , silence , simplicité , joie en
Dieu , et non dans les créatures , souplesse à tout
dans les mains de Dieu.
188 *. (aai)
Sur ce qui donne la paix , et dans quelle disposition on doit se tenir
sur les sacrifices que Dieu exige.
Vous voudriez être parfaite , et vous voir telle ,
moyennant quoi vous seriez en paix. La véritable
paix de cette vie doit être dans la vue de ses imper-
fections , non flattées et tolérées , mais au contraire
condamnées dans toute leur étendue. On porte en
paix riiumdiation de ses misères , parce qu'on ne
tient plus à soi par amour-propre. On est fâché de
ses fautes plus que de celles d'un autre , non parce
qu'elles sont siennes , et qu'on y prend un intérêt de
propriété , mais parce que c'est à nous à nous corri-
ger , à nous vaincre , à nous désapproprier ^ à nous
anéantir pour accomplir la volonté de Dieu à nos
dépens. Le tempérament convenable à votre besoin
est de vous rendre attentive et fidèle à toutes les
vues intérieures de vos imperfections qui vous vien-
nent par le fond, et de n'écouter jamais volontaire-
ment les raisonnemens inquiets et timides qui vous
rejeteraient dans le trouble de vos anciens scrupules.
Ce qui se présente à l'ame d'une manière simple et
38o LETTRES SPIRITUELLES.
paisible est lumière de Dieu pour la corriger ; ce
qui vous vient par raisonnement et par inquiétude
est un effet de votre naturel , qu'il faut laisser tomber
peu à peu en se tournant vers Dieu avec amour.
Il ne faut non plus se troubler par la prévoyance
de l'avenir , que par les réflexions sur le passé. Quand
il vous vient un doute que vous pouvez consulter ,
faites-le : hors de là , n'y songez que quand l'occasion
se présente. Alors donnez-vous à Dieu , et faites bon-
nement le mieux que vous pourrez selon la lumière
du moment présent.
Quand les occasions de sacrifice sont passées , n'y
songez plus. Si elles reviennent , ne faites rien par le
souvenir du moment passé : agissez par la pente ac-
tuelle du cœur. Pour les sacrifices que vous prévoyez ,
Dieu vous les montre de loin pour vous les faire
accepter. Quand l'acceptation est faite , tout est con-
sommé pour ce moment. Si l'occasion réelle vient
dans la suite, il faudra s'y déterminer, non par l'ac-
ceptation déjà faite par avance , mais suivant l'im-
pression présente.
^»%%*»%%»/»»%/\%%%»*<»»%>%%%^*%«\a^»^*^*»**%^
(233)
189
Fidélité à laisser tomber tout ce qui trouble le silence intérieur.
Indulgence pour les défauts d'aulrui.
Vous voulez bien , monsieur , que je vous demande
de vos nouvelles et de celles de tout ce qui vous
touche le plus. Etes-vous simple et uni en tout ? L'ex-
térieur est-il aussi abandonné à Dieu que l'intérieur ?
Etes-vous dans un recueillement sans activité , qui
consiste dans la fidélité à la grâce , pour laisser tom-
LETTRES SPIRITUELLES. 38 1
ber ce qui vient de la nature et qui trouble le silence
du fond , faute de quoi on ne peut point écouter
Dieu?
N est véritablement bon, quoiqu'il ait ses dé-
fauts ; mais qui est-ce qui n'en a pas ? Et que serait-ce ,
si nous n'en avions pas , puisque , étant accablés des
nôtres , que nous ne corrigeons point , nous sommes
néanmoins si délicats et si impatiens contre ceux du
prochain ? Rien ne peut nous rendre indulgens , puis-
que notre propre misère incorrigible ne modère point
la sévérité de notre critique contre les autres. Nous
faisons plus pour les autres en nous corrigeant , qu'en
voulant les corriger. Demeurez en paix , monsieur ;
laissez tout écouler , comme l'eau sous les ponts.
Demeurez dans le secret de Dieu , qui ne s'écoule
jamais.
190 *. (340
Bonheur des souffrances. L'amour les adoucit toutes.
J'apprends que Dieu vous donne des croix , et
j'y prends part de tout mon cœur. En tout temps ,
j'ai été sensible à tout ce qui pouvait vous toucher ;
mais l'expérience ajoute encore un nouveau degré
de sensibilité en moi pour les souffrances d'autrui.
Heureux qui souffre ! Je le dis au milieu de l'occasion
même , et pour vous et pour moi : heureux qui souffre
d'un cœur doux et humble ! Ce qui est le bon plaisir
de Dieu ne va jamais trop loin. Si nous étions maî-
tres de nos soufiVances , nous ne souffririons jamais
assez pour mourir à nous-mêmes. Dieu , qui nous
382 LETTRES SPIRITUELLES.
connaît mieux que nous ne pouvons nous connaître , .
et qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons
nous aimer, en sait la juste mesure, et ne permettra pas
que vous soyez tenté au-dessus de vos forces. L'amour
adoucit toutes les souffrances , et l'on ne souffre tant
que parce qu'on n'aime point , ou qu'on aime peu.
Dieu vous veut donc à lui , et ce n'est que sur la
croix qu'il prend sa pleine possession. Je garde main-
tenant le silence à l'égard de tous mes anciens amis ,
et je ne le romps pour vous , monsieur , qu'à cause
que vous êtes dans l'amertume , et que cette bien-
heureuse société de croix demande un épanchement
de cœur pour se soutenir dans l'affliction.
(243) 191 *.
Sur les grâces reçues , le recueillement habituel , et l'abandon à Dieu.
18 août 1714-
Il n'y a point d'ame qui ne dût être convain-
cue qu'elle a reçu des grâces pour la convertir et
la sanctifier , si elle repassait dans son cœur toutes
les miséricordes qu'elle a reçues. Il n'y a qu'à admi-
rer et à louer Dieu, en se méprisant et se confondant
soi-même. Il faut conclure de ces grandes grâces re-
çues , que Dieu est infineraent libéral , et que nous
lui sommes horriblement infidèles.
Il faut éviter la dissipation , non par une conti-
nuelle contention d'esprit , qui casserait la tête et qui
en userait les ressorts , mais par deux moyens simples
et paisibles. L'un est de retrancher dans les amuse-
mens journaliers toutes les sources de dissipation qui
LETTRES SPIRITUEF.LES. 383
ne sont pas nécessaires pour relâcher Fesprit à pro-
portion du vrai besoin -, l'autre est de revenir douce-
ment et avec patience à la présence de Dieu toutes
les fois qu'on s'aperçoit de l'avoir perdue.
U n'est point nécessaire de mettre toujours en acte
formel et réfléchi tous les exercices de piété. Il suffit
d'y avoir attention habituelle et générale , avec l'in-
tention droite et sincère de suivre la fin qu'on doit
s'v proposer. Les distractions véritalilement involon-
taires ne nuisent point à la volonté qui ne veut y
a\ oir aucune part. C'est la tendance réelle de la vo-
lonté qui fait l'essentiel.
Conservez sans scrupule la paix simple que vous
trouvez dans votre droiture en cherchant Dieu seul.
L'amour de Dieu donne une paix sans présomption :
l'amour-propre donne un trouble sans fruit. Faites
chaque chose le moins mal que vous pourrez pour
le bien-aimé. Voyez ce qui vous manque , sans vous
flatter ni décourager •, puis abandonnez-vous à Dieu ,
travaillant de bonne foi sans trouble à vous corriser.
Plus VOUS serez vide de vos propres biens et de
vos ressources humaines , plus vous trouverez une
lumière et une force intime qui vous soutiendiX)nt
au besoin, en vous laissant toujours sentir votre fai-
blesse , comme si vous alliez tomber à chaque pas.
Mais n'attendez point ce secours comme un bien qui
vous soit dû. Vous mériteriez de le perdre , si vous
présumiez de l'avoir mérité. Il faut se croire indigne
de tout , et se jeter humblement entre les bras de
Dieu.
Quand c'est l'amour qui vous attire , laissez-vous à
l'amour : mais ne comptez point sur ce qu'il peut y
384 LETTRES SPIRITUELLES.
avoir de sensible dans cet attrait , pour vous en faire
un appui flatteur ; ce serait tourner le don de Dieu
en illusion. Le vrai amour n'est pas toujours celui
qu'on sent et qui charme ; c'est celui qui humilie ,
qui détache , qui apetisse l'ame , qui la rend simple ,
docile , patiente sous la croix , et prête à se laisser
corriger.
Je vous suis très-sincèrement dévoué en Notre-
Seigneur.
%»»1^/»<«»»»*»*«»»»*V»IV»»»»*»'V«* «***»*»**'**'*****»»»*»***** *<»**»**v«'**»»»«vt»»vv*i(
192 t
Sur la vie de foi , le détachement , et la paix intérieure.
16 octobre t7i4-
Je reviens d'un assez long voyage pour des visites.
J'ai trouvé votre lettre du 3o août , à laquelle je
réponds.
i» Marchez dans les ténèbres de la foi et dans la
simplicité é vangélique , sans vous arrêter , ni au goût ,
ni au sentiment, ni aux lumières de la raison, ni aux
dons extraordinaires. Contentez-vous de croire , d'o-
béir , de mourir à vous-même , selon l'état de vie où
Dieu vous a mis.
2° Vous ne devez point vous décourager pour vos
distractions involontaires qui ne viennent que de vi-
vacité d'imagination , et d'habitude de penser à vos
(t) Cette lettre et la précédente ont été publiées en 17 18, dans
la troisième édition des Prières à V usage des fidèles , qui font
partie du Manuel de piété , qui se trouve au tome XVIII àcs
OEuvres. Celle-ci a été omise dans les diverses éditions des Lettres
spirituelles.
LETTRES SPIRITUELLES. 385
airaires. Il sullit que vous ne donniez point lieu à ces
distractions (|ui arrivent pendant l'oraison , en "\ ous
donnant une dissipation volontaire pendant la jour-
née. On s'épanche trop quelfpielbis ; on fait même
de bonnes œuvres avec trop d'empressement et d'ac-
tivité -, on suit trop ses goûts et ses consolations :
Dieu en piuiit dans l'oraison. Il faut s'accoutumer à
agir en paix, et avec une continuelle dépendance de
l'esprit <le grâce , qui est un esprit de mort à toutes
les œuNres les plus secrètes de l'amour-propre
3" L'intention habituelle , qui est la tendance du
fond vers Dieu , suffit. C'est marcher en la présence
de Dieu. Les événemens ne vous trouveraient pas
dans cette situation , si vous n'y étiez point. De-
meurez-y en paix, et ne perdez point ce que vous
avez chez vous , pour courir au loin après ce que
vous ne trouveriez point. J'ajoute qu'il ne faut ja-
mais négliger, par dissipation, d'avoir une intentipn
plus distincte : mais l'intention qui n'est pas distincte
et développée est bonne.
4** La paix du cœur est un bon signe , quand on
veut d'ailleurs de bonne foi obéir à Dieu par amour ,
avec jalousie contre l'amour-propre.
5° Profitez de vos imperfections pour vous déta-
cher de vous-même , et pour vous attaclier à Dieu
seul. Travaillez à acquérir les vertus , non pour y
chercher une dangereuse complaisance , mais pour
faire la volonté du bien-aiiné.
6'^ Demeurez dans votre simplicité , retranchant
les retoLiis inquiets sur vous-même , que l'amour-
propre fournit sans cesse sous de beaux prétextes.
Us ne feraient que troubler votre paix , et que vous
CORRESP. IV. lO
386 LETTRES SPIRITUELLES.
tendre des pièges. Quand on mène une vie recueillie,
mortifiée, et de dépendance , par le vrai désir d'ai-
mer Dieu , la délicatesse de cet amour reproche in-
térieurement tout ce qui le blesse ; il faut s'arrêter
tout court dès qu'on sent cette blessure et ce repro-
che au cœur. Encore une fois, demeurez en paix. Je
prie Dieu tous les jours à l'autel , qu'il vous main-
tienne en union avec lui , et dans la joie de son
Saint-Esprit.
Je vous suis dévoué avec un vrai zèle.
!«%%%%« V*%%%A'%»*<V%»^*%*/»**^%»*^fc^»***V»'»»*^^^^V»%^A*»% *»%>%%%<
193.
Avis sur la conduite des domestiques (i).
Un cavalier qui gourmande la bouche de son cheval
en fait bientôt Une rosse. Au contraire , on élève l'es-
prit et le cœur de ses gens , en ne leur montrant
jamais que de la politesse et de la dignité , avec des
inclinations bienfaisantes. Si on n'est pas en état de
donner ^ il faut au moins faire sentir qu'on en a du
regret. De plus, il faut donner à chacun dans sa fonc-
tion l'autorité qui lui est nécessaire sur ses inférieurs ;
car rien ne va d'un train réglé , que par la subor-
dination à laquelle il faut sacrifier bien des choses.
Quoique vous aperceviez les défauts d'un domestique ,
gardez- vous bien de vous en rebuter d'abord. Faites
compensation du bien et du mal : croyez qu'on est fort
heureux, si on trouve les qualités essentielles. Jugez
(i) Nous ignorons à qui ce fragment de lettre e'tait adressé.
Nous l'avons trouvé, aussi bien que le suivant, parpii les lettres
de Fcnelon à la Duchesse de Mortemart.
LETTRES SPIRITUELLES. ^8']
de ce domeslique par comparaison à tant d'autres
plus imparfaits ; songez aux moyens de le corriger de
certains défauts , qui ne viennent peut-être que de
mauvaise éducation. Pour les défauts du fond du
naturel , n'espérez pas de les guérir ; bornez-vous
à les adoucir , et à les supporter patiemment. Quand
vous voudrez, malgré l'expérience, corriger un do-
mestique de certains défauts qui sont jusque dans
la moelle de ses os , ce ne sera pas lui qui aura tort
de ne s'être point corrigé , ce sera vous qui aurez
tort d'entreprendre encore*sa correction. Ne leur dites
jamais plusieurs de leurs défauts à la fois; vous les
instruiriez peu, et les décourageriez beaucoup : il ne
faut les leur montrer que peu à peu , et à mesure
qu'ils vous montrent assez de courage pour en sup-
porter utilement la vue.
Parlez-leur , non^-seulement pour leur donner vos
ordres , mais encore pour trois autres choses, i"* pour
entrer avec affection dans leurs affaires ; 2° pour les
avertir de leurs défauts tranquillement -, 3» pour leur
dire ce qu'ils ont bien fait ; car il ne faut pas qu'ils'
puissent s'imaginer qu'on n'est sensible qu'à ce qu'ils
font mal , et qu'on ne leur tient aucun compte de ce
qu'ils ont bien fait. Il faut les encourager par une
modeste , mais cordiale louange. Quelques défauts
qu'ait un domestique, tant que vous le gaixlez à votre
service , il faut le bien traiter. S'il est même d'un
certain rang entre les autres, il faut que les autres
soient que vous lui parlez avec considération : au-
trement vous le dégraderiez parmi les autres ; vous
le rendriez inutile dans sa fonction; vous lui donneriez
des chagrins horribles , et il sortirait peut-être enfin
lO*
388 LETTRES SPIRITL ELLES.
de chez vous , semant partout ses plaintes. Pour les
domestiques en qui vous connaissez du sens , de la
discrétion, de la probité, et de l'affection pour vous,
écoutez-les -, montrez-leur toute la confiance dont vous
pouvez les croire dignes , car c'est ce qui gagne le cœur
des gens désintéressés. Les manières honnêtes et gé-
néreuses font beaucoup plus sur eux , que les bienfaits
mêmes. L'art d'assaisonner ce qu'on donne est au-
dessus de tout.
Ne devez jamais rien à vos domestiques : autrement
vous êtes en captivité. Il vaudrait mieux devoir à
d'autres gros créanciers mieux en état d'attendre ,
et moins en occasion de vous décrier, ou de se pré-
valoir de votre retardement à les payer. Il faut que
les gages ou récompenses des domestiques soient sur
un pied raisonnable , car si vous donnez moins que
les autres gens modérés de votre condition , ils sont
mécontens , vous croient avare, cherchent à vous quit-
ter , et vous servent sans affection.
Pour pratiquer toutes ces règles , il faut commencer
par une entière conviction de la nécessité de les suivre,
et y faire une sérieuse attention devant Dieuj ensuite
prévoir les occasions où l'on est en danger d'y man-
quer -, s'humilier en présence de Dieu , mais tranquil-
lement et sans chagrin , toutes les fois qu'on s'aperçoit
qu'on y a manqué ; et enfin laisser faire à Dieu dans
le recueillement ce que nous ne saurions faire par
nos propres forces.
LETTRES SPIRITUEF-LES. 889
194.
Détails sur l'intérieur de Féaclon, et sur les défauts de son caractère.
Je ne veux jamais flatter qui que ce soit , et même
dès le moment que j'aperçois , dans ce que je dis ou
dans ce que je fais, quelque recherche de moi-même ,
je cesse d'agir ou de parler ainsi. Mais je suis tout
pétri de boue , et j'éprouve que je fais à tout moment
des fautes , pour n'agir point par grâce. Je me re-
tranche à m'apetisser à la vue de ma hauteur. Je tiens
à tout d'une certaine façon , et cela est incroyable ,
mais d'une autre façon , j'y tiens peu , car je me
laisse assez facilement détacher de la plupart des choses
qui peuvent me flatter. Je n'en sens pas moins l'atta-
chement foncier à moi-même. Au reste , je ne puis
expliquer mon fond. Il m'échappe j il me paraît chan-
ger à toute heure. Je ne saurais guère rien dire qui
ne me paraisse faux un moment après. Le défaut
subsistant et facile à dire , c'est que je tiens à moi ,
et que l'amour-propre me décide souvent. J'agis
même beaucoup par prudence naturelle , et par un
arrangement humain. Mon naturel est précisément op-
posé au vôtre. Vous n'avez point l'esprit complaisant
et flatteur , comme je l'ai , quand rien ne me fati-
gue ni ne m'impatiente dans le commerce. Alors vous
êtes bien plus sèche que moi ; vous trouvez que je vais
alors jusqu'à gâter les gens , et cela est vrai. Mais
quand on veut de moi certaines attentions suivies
qui me dérangent , je suis sec et tranchant , non par
indifférence ou dureté , mais par impatience et par
390 LETTRES SPIRITUELLES.
vivacité de tempérament. Au surplus , je crois presque
tout ce que vous me dites ; et pour le peu que je
ne trouve pas en moi conforme à vos remarques ^
outre que j'y acquiesce de tout mon cœur , sans le
connaître , en attendant que Dieu me le montre ;
d'ailleurs je crois voir en moi infiniment pis , par une
conduite de naturel , et de naturel très-mauvais. Ce
que je serais tenté de ne croire pas sur vos remar-
ques , c'est que j^aie eu autrefois une petitesse que
je n'ai plus. Je manque beaucoup de petitesse , il est
vrai ; mais je doute que j'en aie moins manqué au-
trefois. Cependant je puis facilement m'y tromper.
Vous ne me mandez point si vous avez reçu des nou-
velles de N... Si vous en avez, pourquoi ne m'en faites-
vous point quelque petite part?
LETTRES DE CONSOLATION.
(12) 195 *•
Les grandes douleurs sont un remède aux maux de notre nature..
C'est , madame , une triste consolation , que de
vous dire qu'on ressent votre douleur. C'est pour-
tant tout ce que peut l'impuissance humaine ; et pour
faire quelque chose de plus, il faut qu'elle ait re-
cours à Dieu. C'est donc à lui , madame , que je m'a-
dresse , à ce consolateur des affligés , à ce protecteur
des infirmes. Je le prie, non devons ôter votre douleur,
mais qu^il fasse qu'elle vous profite, qu'il vous donne
des forces pour la soutenir, qu'il ne permette pas
qu'elle vous accable. Le souverain remède aux maux
extrêmes de notre nature , ce sont les grandes et vives
LEÏTUES SPUUTUELLES. Sqi
(Iduleiirs. C'est parmi les douleurs que s'accomplit
le grand mystère du Chrislianisme , c'est-à-dire le
crucUiemeiit intérieur de riiomnie. C'est là que se
développe toute la vertu de la grâce , et que se fait
sou opération la plus intime , qui est celle qui nous
apprend à nous arracher à nous-mêmes : sans cela ,
Taniour de Dieu n'est point en nous. 11 faut sortir
de nous-mêmes pour être capables de nous donner
à Dieu. Afui que nous soyons contraints de sortir de
nous-mêmes , il faut qu'une plaie profonde de notre
cœur fasse que tout le créé se tourne pour nous en
amertume. Ainsi notre cœur , blessé dans la partie
la plus intime , troublé dans ses attaches les plus
douces , les plus honnêtes , les plus innocentes, sent
bien qu'il ne peut plus se tenir en soi-même , et
s'échappe de soi-même pour aller à Dieu.
Voilà , madame , le grand remède aux grands maux
dont le péché nous accable. Le remède est violent ,
mais aussi le mal est bien profond. C'est là le véritable
soutien des Qiré tiens dans les afllictions. Dieu frappe
sur deux persoimes saintement unies ; il leur fait un
grand bien à toutes deux : il en met l'une dans la
gloire , et de sa perte il fait un remède à celle qui
reste au monde. C'est , madame , ce que Dieu a fait
pour vous. Puisse-t-il par son Saint-Esprit réveiller
toute votre foi pour vous pénétrer de ces vérités !
Je l'eu prierai sans cesse , madame , et comme j'ai
beaucoup de confiance aux prières des gens de bien
ailhgés , je vous conjure de prier pour moi au mi-
lieu de vos douleurs. Votre charité saura bien vous
dire de quoi j'ai besoin , et vous le faire demander
avec instance.
'SÇ)2 LETTRES SPIRITUELLES.
V»*V%%WWVW»%vwl,V>%*%\VW«r%t«)Vt»v>»»*»»ai»*%l%»»^»»»
196 *. (.3)
Sur la mort d'un ami, qui avait été éprouvé par de grandes peines.
Dieu a pris ce qui était à lui : n'a-t-il pas bien
fait? Il était bien temps que F se reposât de toutes
ses peines ; il en a eu de grandes , et ne s'y est point
regardé : il n'était pas question de lui , mais de la
volonté de celui qui le menait. Les croix ne sont
bonnes qu'autant qu'on se livre sans réserve, et qu'on
s'y oublie. Oubliez-vous donc , monsieur , autrement
toute souffrance est inutile. Dieu ne nous fait point
souffrir pour souffrir , mais pour mourir à force de
nous oublier nous-mêmes dans l'état où cet oubli
est le plus difficile , qui est celui de la douleur.
Je prends part à la peine du bon abbé sur F
Je sais combien ils étaient unis , et j'en ai été ravi.
Une telle mort n'a rien que de doux. Il est plus près
de nous qu'il n'y était : il n'y a plus de rideau qui
le cacbe ; le voile même de la foi est levé pour ceux
qui ont l'amour pur et désintéressé.
(i5) 197 *.
Sur la mort édifiante d'une dame.
Vous avez perdu , madame , une bonne amie , et
je suis persuadé que vous n'êtes pas insensible à cette
perte. Pour moi , je la ressens de tout mon cœur par
rapport à vous. De plus , je suis fort touché , et le
serai toute ma vie , de tout ce que j'ai vu en cette
dame. Je vous dois toute l'édification qui m'en reste.
LETTRES SPIRITUELLES. 3^
Elle est bienheureuse d'être Lors de cette vie , et de
l'avoir finie dans la douleur. J'ai pourtant peine à
croire qu'il ne reste plus rien à expier dans ces per-
sonnes qui ont aimé Dieu avec tant de goût , et qui
ont eu tant de plaisir à faire pénitence. Le purgatoire
de cette vie me paraît moins dans ces austérités fer-
ventes , que dans les épreuves intérieures. Il me sem-
ble qu'il liuit avoir fait de grands sacrifices pour avoir
purilié tous les restes de l'amour-propre , et pour
awÏT rempli parfaitement tout le précepte de l'Evan-
gile , de se renoncer soi-même par le pur amour. Je
prie Dieu , madame , que ce feu consume tout ce
qu'il y a de paille et de bois dans notre ouvrage , et
qu'il ify laisse que l'or de la charité désintéressée.
198 *. (20)
Sur la mort d'un ami commun. Être confcns que Dieu fasse de nous
tout ce qu'il lui plait.
Dieu a fait sa volonté : il a pris ce qui était à lui ,
et il vous a ôté ce qui n'était pas à vous. Vous êtes
vous-même tout entier à lui. Je sais combien vous
voulez y être : il n'y a qu'à lui sacrifier tout dans les
occasions. Il a pris soin de tout , lors même qu'il a
retiré notre cher A La surprise est un coup de
Providence pour lui épargner des tentations. Quand
Dieu a mené son œuvre au point qu'il a marqué , il
fixe la bonne volonté qu'il a inspirée , et il délivre
ses enfans de leurs irrésolutions. Il voile le dernier
sacrifice pour leur en dérober l'horreur. Laissons-le
faire. Allons tout droit à lui. Ne vous écoutez point
3o4 LETTRES SPIRITUELLES.
vou9-même. Défiez-vous de votre tempérament un
peu mélancolique , et plus encore de votre esprit
trop réfléchissant.
Je suis dans une paix très-amère , et je vous sou-
haite cette paix sans vous en souhaiter l'amertume.
Il me serait impossible de vous dire plus en détail
de mes nouvelles : je ne comprends point mon état ,
tout ce que j'en veux dire me semble faux , et le de-
vient dans le moment. Souvent la mort me console-
rait : souvent je suis gai , et tout m'amuse. De vous
dire pourquoi l'un et pourquoi l'autre , c'est ce que
je ne puis ; car je n'en ai point de vraies raisons. A
tout prendre , je trouve que je suis dans ma place ,
et je ne songe point qu'il y ait au monde d'autres
lieux que ceux où mes devoirs m'attachent. Si je
pouvais vous voir , j'en serais bien aise •, mais ne le
pouvant , il me suilit de me trouver tout auprès de
vous en esprit , malgré la distance des lieux. Demeu-
rons unis de cette façon , pendant que la Providence
nous tient si séparés.
199.
La religion seule nous donne de véritables consolations dans la perte
des personnes qui nous sont chères.
A Cambrai , la novembre 1701.
Je suis , monsieur , sensiblement touché de la perte
que vous venez de faire (i). Elle est grande pour le
( I ) Celte lettre nous a été communiquée par M. Aime Martin ,
ainsi qu'une autre du 10 novembre 1697 , qui se trouve dans la
Correspondance sur le Quiéiisme. Il en possède les originaux.
LETTRES SPIRITUELLES. 3<)5
jml)lic , et je sais combien il est rare de trouver , dans
luit» place si importante , tant d'estimables qualités.
D'aillcms , je connais la tendresse et la sensibilité de
voire cœur , et je comprends tout ce que vous souf-
l'rez dans une si triste occasion. Pour moi , je ne sau-
lais jamais , ce me semble , sentir trop vivement tout
ce qui vous touclie. Plus j'ai éprouvé votre amitié
pour moi , plus j'apprends , par votre exemple , à quel
jxtint on doit s'intéresser pour ses véritables amis.
Que ne puis-je , monsieur , être auprès de vous , pour
])rendre part à votre douleur , et pour tâclier de
Tadoucir î vous savez d'où peut venir la véritable
consolation dans la perte des personnes qui nous sont
clières. La Religion ne peut nous mieux consoler ,
qu'en nous apprenant qu'elles ne sont pas peixlues
pour nous , et qu'il y a une patrie , dont nous ap-
prochons tous les jours , qui nous réunira tous. Ne
Le contenu de la dernière montre qu'elle fut écrite , pendant les
ne'gociations de Rysvick, à l'un des ple'iiipotentiaires; et les liai-
sons étroites qu'avait Fénelon avec Nicolas-Auguste de Harlai de
Lonneuil, un des négociateurs de Rysvick, ne permettent guère de
douter que la lettre ne lui fût adressée. Celle-ci veuant de la lucmc
source, nous conjecturons qu'elle fut écrite au même personnage, et
que Fénelon lui donne des consolations sur la perte de son gendre,
Adrien-Alexandre de Hanivel de Manncvillelte, Marquis de Crève-
cœur, qui avait été successivement avocat du Roi au Chàtelet, con-
seiller au grand Conseil, enfin président à Mortier au Parlement de
Paris, et qui venait de mourir à la fleur de l'âge, eu lyoï. Féne-
lon chargea l'abbé de Bcaumont de remettre cette lelire; et comme
il craignait alors que ses amis ne fussent inquiétés à son sujet , il
témoigna le désir qu'elle fût briàlée, et qu'elle ne parût point. Voyez
ci-dessus, dans la Correspondance de famille^ la lettre 55, tom. il,
pag. 89.
SgG LETTRES SPIRITUELLES.
nous affligeons donc pas comme ceux qui n'ont point
d'espérance. Je suis privé du plaisir de vous voir ,
mais je compte sur l'écoulement de la vie , et j'espère
que nous nous retrouverons bientôt pour toujours en
Dieu. Ceux qui meurent ne sont de même , à notre
égard , qu'absens pour peu d'années , et peut-être de
mois. Leur perte apparente doit servir à nous dé-
goûter du lieu où tout se perd , et à nous faire aimer
celui où. tout se retrouve. La sincère Religion , dont
je sais que vous êtes rempli , me fait espérer , mon-
sieur, qu'un coup si rude vous sera salutaire. Dieu
ne frappe que par amour , et il n'ôte que pour don-
ner. Je le prie de vous consoler , de conserver votre
santé pour laquelle je crains dans cette épreuve , et
de tourner entièrement votre cœur vers lui. Heureux
qui vit de foi , qui ne compte que sur Dieu , qui est
en ce monde comme n'y étant plus ! Personne ne peut
vous honorer du fond du cœur , plus que je le ferai
toute ma vie. C'est un sentiment qui me fait plaisir ,
et je ne puis penser à vous sans attendrissement.
Après ces termes , je dois , ce me semble , laisser tous
les autres qui sentiraient la cérémonie. Je vous les
dois ; mais je suis sûr , monsieur , que vous m'en dis-
pensez y et que vous vous contentez d'un cœur dévoué
sans réserve.
LETTRES SPIRITUELLES. 897
»w»*» >»»«»»»>»*«*%*>«**»*»******'»*********
(xc.) 200 ♦. R.
AU DUC DE CHEVREUSE.
Consolatiou sur la mort de son fils jiniS (i).
(Septembre 1704)
Votre douleur m'est toujours présente. Je ne perds
point de vue la grande perte que vous avez faite ;
mais Dieu prend ce qui est à lui , et non pas à nous.
Qui est-ce qui lui dira : Pourquoi le faites-vous?
Vous êtes bien éloigné de le lui dire. Vous savez
qu'il n'a point de compte à nous rendre. Son Ijon
plaisir est la suprême raison. Dire : Sit pro raiione
voluntas y je mets ma volonté en la place de la rai-
son , est un caprice insupportable dans toute créa-
ture ; mais en Dieu , cela même est la parfaite justice.
D'ailleurs , nous entrevoyons toujours , dans les coups
les plus rigoureux de sa main paternelle , un dessein
secret de miséricorde. Il enlève dans les bons mo-
mens cerlains hommes fragiles que l'enchantement
du siècle aurait peut-être fait retomber : Raptus est ;..
propefavit educei^e illum de medio iniquitatum {a).
11 s'est hâté pour prévenir une chute funeste. 0 que
nous verrons de merveilles dans l'autre vie , qui nous
(i) Honoré-Charles, Duc de Monlfort , tué au combat de Bel-
likeira , près de Landau, le g septembre 1704. Cette lettre n'a
point été insérée dans la Correspondance avec le Duc de Che-
vreuse, parce que nous n'avons découvert que depuis peu de temps,
dans une Vie manuscrite de Fénelon par Ramsai , qu'elle était
adressée à ce Seigneur.
(a) Sap. IV. 11 et 14.
398 LETTRES SPIRITUELLES.
échappent en celle-ci ' Alors nous chanterons le can-
tique de joie et de reconnaissance éternelle , pour les
événemens qui nous font pleurer ici-bas. Hélas ! nous
ne voyons dans les ténèbres présentes ni le vrai bien
ni le vrai mal. Si Dieu faisait ce qui nous flatte , il
perdrait tout. Il sauve tout en brisant nos liens , et
en nous faisant crier les hauts cris. Le même coup
qui sauve ce que nous aimons , en l'ôtant du milieu
de l'iniquité y nous détache , et nous prépare , par la
mort d'autrui , à la nôtre. Que pouvons-nous vouloir ,
pour nous et pour les nôtres de ce monde vain et
contagieux ? S'il est vrai que la foi et l'amour de Dieu
fassent toute la vie de notre cœur , devons-nous pleu-
rer , parce que Dieu nous aime mieux que nous ne
. savons nous aimer nous-mêmes ? Nous plaindrons-
nous de ce qu'il tiie de la tentation et du péché ceux
qui nous sont chers ? Nous fait-il du mal en abré-
geant les jours de misère , de combat , de séduction
et de scandale ? Que voudrions-nous ? Un plus long
danger , des tentations plus violentes , où les élus
mêmes , s'il était possiljle , succomberaient ? Nous vou-
drions tout ce qui flatte Famour-propre , pour nous
oublier dans ce lieu d'exil. Dieu nous arrache le poi-
son , et nous pleurons comme un enfant à qui sa
mère ôte un joli couteau dont il se percerait le sein.
M. votre fils réussissait au milieu du monde em-
pesté : c'est ce succès qui afflige , et c'est ce succès
qui a fait trancher le fd de ses jours , par un conseil
de miséricorde pour lui et pour les siens. Il faut ado-
rer Dieu 5 et se taire. Que ne puis-je vous aller voir ,
et vous montrer à quel point je ressens la profonde
plaie que je voudrais guérir ! Il n'y a que le vrai
LETTRES SPIRITUELLES. SqQ
consolateur dont la société puLsse vous consoler. Dc-
nu'iiroiis donc en silence avec lui ; il nous consolera ,
nous retrouverons tout en lui seul. Heureux qui ne
veut point d'autre consolation ! Celle-ci est pure et
inépuisable.
(a5o)
201
La perte des personnes qui nous sont chères sert à noQs détacher
entièrement des créatures.
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrira
m'a coûté des larmes. La douleur de votre perte se
joint à la mienne ; mais je crois que nous devons en-
trer , malgré toute notre amertume , d^ns le dessein
de Dieu. H a voulu récompenser celui que nous re-
grettons , et nous détacher. Il a voulu même nous
ôter un appui humain pour sa gloire , sur lequel nous
comptions trop. Il est jaloux des plus dignes instru-
mens , et il veut que nous n'attendions l'accomplis-
sement de son ouvrage que de lui-même.
Le principal fruit que Dieu vous prépare de cette
épreuve , est de vous apprendre , par une expérience
sensible , que vous n'étiez point encore détachée ,,
comme vous vous flattiez de l'être. On ne se connaît
que dans l'occasion , et l'occasion n'est donnée par
la Providence , que pour nous détromper de notre
détachement supeiliciel. Dieu permit Thoriible chute
de saint Pierre , pour le désabuser d'une certaine fer-
veur sensible , et d'un courage très-fragile auquel il
se confiait vainement. Si vous n'aviez que la croix
extérieure , quelcjue grande et douloureuse qu'elle
400 LETTRES SPIRITUELLES.
soit 5 elle ne vous détromperait point de votre déta-
chement : au contraire, plus la croix est accablante
en soi , plus vous vous sauriez bon gré de ne vous en
trouver point accablée ; ce serait un prodigieux ac-
croissement de confiance , et par conséquent une très-
dangereuse illusion. La croix n'opère la petitesse et
le sentiment de notre misère , qu'autant que l'inté-
rieur nous paraît vide et obscurci , pendant que le
dehors nous ébranle. Il faut voir sa pauvreté au de-
dans et la supporter ; alors la pauvreté se tourne en
trésor , et ou a tout en n'ayant rien.
Unissons-nous de cœur à celui que nous regret-
tons. Il nous voit , il nous aime , il est touché de nos
besoins , il prie pour nous. Il vous dit encore , d'une
voix secrète , ce qu'il vous disait si souvent pendant
qu'il vivait au milieu de nous : ce Ne vivez que de
)) foi ; ne comptez point sur la régularité de vos œu-
» vres ni sur la symétrie de vos vertus; portez en
)) paix la vue de vos imperfections ; a])andonnez-vous
» à la Providence ; ne vous écoutez point vous-même ,
» n'écoutez que l'esprit de grâce. » Voilà ce qu'il di-
sait ; voilà ce qu'il dit encore à votre cœur. Loin de
l'avoir perdu , vous le trouverez plus présent , plus
uni à vous , plus secourable pour votre consolation ,
plus eflicace dans ses conseils de perfection , si vous
voulez bien changer en société de pure foi la société
visible où vous étiez à toute heure avec lui. Pour moi ,
je trouve un vrai soulagement de cœur d'être très-
souvent en esprit avec lui.
Ménagez votre santé pour votre famille , qui a grand
besoin de vous. Que le courage de la foi vous sou-
tienne. C'est un courage qui n'a rien de haut , et qui
LETTRES SPIRITUELLES. 4^^
110 (loniio point une force sensible sur laquelle ou
])uisse compter. On ne trouve nulle ressource en soi ,
cl on ne manque de rien dans Tot^casion : on est riche
de sa pauvreté. Si on l'ait quelcpie faute contre son
intention , on la tourne à profit par riiuniiliation qui
en revient. On retombe toujours dans son centre par
racquiescement à tout ce qui nous dépossède de notre
])ropre cœur. On se livre à Dieu, ne se renfermant
plus en soi , et n'osant plus s'y lier. Alors tout de-
> ient peu à peu recueillement , silence , dépendance
de la grîice pour chaque moment , et vie intérieure
en mort perpétuelle. En cet état , on ne possède plus
rien de tout ce qu'on voit , et on retrouve en Dieu ,
avec l'union la plus simple et la plus intime , tout ce
tpi'on croyait avoir perdu.
CoRRESP. IV. Il
402
TABLE
DE LA PREMIÈRE PARTIE
DES
LETTRES SPIRITUELLES.
Pag.
I . A V Electeur de Cologne. Avis à ce Prince sur la manière dont
il doit se préparer à Tépiscopat. i
a. A r Electeur de Cologne. Avis sur le choix d'un nouveau con-
fesseur , et sur la prépai-ation à son sacre. 7
3. A M. Colhert , Arche^'écjue ch Rouen. Sur le luxe des bâtimens. 10
4- A un supérieur de communauté. Principes de conduite pour
remplir les devoirs de sa place. l3
5. Félicitations à un ecclésiastique revenu de quelques préventions
en matière de doctrine. l6
6. Au P. Lami , Bénédictin. Sur les dégoûts et les sécheresses de
l'oraison. 18
7. — Avec quelle précaution il faut conduire les âmes qui parais-
sent être dans des voies extraordinaires. 23
8. — Eloge du P. Mabillon. Avis sur la manière de réciter l'office
divin. 25
9. — Contre l'esprit de curiosité et la science qui enfle. 26
10. — Ses inquiétudes sur la santé de ce Père ; exhortation au par-
fait abandon. 27
II. — Sur le même sujet. 82
12. — Ne pas croire aisément aux opérations extraordinaires ; sui-
vre paisiblement l'attrait que Dieu nous donne dans l'oraison. 29
i3. A la sœur Charlotte de Saint-Cjjn-ien , Carmélite. Sur l'oraison
de contemplation , et sur les différens états de la perfection
cbrélicnne. 3i
14. — Sur îa doctrine spirituelle de saint Jean de la Croix j recou-
rir au directeur en esprit de foi et d'obéissance. 4^
i5. — Contre le goût de l'esprit. 4^
TADLE DES LiiTTRES SPIRITUELLES. 4^3
Pas.
ï6. — Précautions à prendre contre rillnsion dans les voies inlé-
riciires ; s'oNorcer surtout à lluunililô. An
ly. — Sur le même sujet. /jo
j8. — Exhortation à l'obéissance et à la simplicité. 5l
ig. — Sur le même sujet. Sa
ao. — Sur la mort édifiante de l'aljbé de Langeron. 53
21. — • L'esprit de prière, préservatif assuré contre les nouveautés en
matière de doctrine. Combien l'amour adoucit les dépouillo-
mens les plus terribles à la nature. 55
aa. — ' Exhortation à souffrir patiemment le? maux que Dieu envoie;
suivre en tout et avec paix l'attrait de la grâce. 56
a3. A une religieuse. Les dons les plus éminens sont soumis à l'o-
béissance. 5o
a4- A la nicre Marie de r.iscension j Carmélite ^ sa nièce. Principes
de conduite pour une supérieure. 62
aS. Â une personne srw le point d'entrer en religion. La paix du
cœur ne se trouve que dans un entier abandon à Dieu. Dif-
férence entre la sagesse que la grâce donne , et celle qui vient
du naturel. 64
26. Â une nouice sur le point de /aire profession . En quoi consiste
le vrai sacrifice de soi-même à Dieu ; le faire sans réserve. G^
27. A une religieuse. Souffrir avec résignation les opérations les
plus pénibles de la main de Dieu. Gg
a8. A une religieuse. Comment acquérir la véritable discrétion. 71
ag. A une religieuse. Obéissance , simplicité , rnort à soi-même.
Sentimens de Fénelon sur sa promotion à l'épiscopat. 72
3o. A la sœur Céleste-Françoise de Lannny , religieuse de Saint-
André il Tournai. Il l'exhorte à demeurer en paix dans la place
où la Providence l'a mise , en pratiquant les vertus de son état. 76
LETTRES A DIVERSES PERSONNES DU MOîfDE QUI COMMENÇAIENT
A MENER UNE VIE CHULTIENNE.
3i. Combien les voies de Dieu sont douces à quiconque les suit
avec amour; avis pour le réglomoiit de la comhiitc. -7
82. Bonlieur de se donner à Dieu, et de quitter tout le reste par
une véritable conversion. 8 >
RÉFLEXIONS d'un homme qui ne connaît point la Religion. 80
33. Instances à une personne irrésolue sur sa conversion. g4
34. Dangers de la mollesse et de ramusement. Règles de conduite
pour les combattre et les surmonter. 9'^
11^
AoA TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
Pag.
35. Quelques avis sur la méditation et sur la manière de profiter
de SOS lectures. loG
36. Divers avis pour la conduite inlc^rieure , et pour l'extérieure. 109
37. Règles de conduite pour une ame nouvellement revenue à Dieu. ii3
38. Ne pas se presser de quitter son eaiploi , sous préte.\to de la
dissipation à laquelle on y est exposé. 117
39. A une clame de la cour. Avis sur la manièi'C de faire l'oraison
et les autres exerciceB de piété. i tq
/^o. À madame de Maintenon. Réponse à cette dame , qui l'avait
prié de lui faire connaître les défauts qu'il avait pu remarquer
en elle. i34
4i. A un militaire. Il lui reproche affectueusement ses écarts, et
l'exhorte à revenir' à cette Religion qu'il a pratiquée avec tant
de consolations. i4'8
^2. — Mépriser les jugemens du monde , et se montrer ouvertement
chrétien. i5i
43. — L'onction de la grâce supplée aux lectures qu'on ne peut
pas faire. Pratique de recueillement parmi les embarras ordi-
naires de la vie. iS^
44- — Méthode que les commençans doivent suivre dans l'oraison. i55
45. — Sur le même sujet. i58
46. — Sur la pratiïjue du recueillement habituel ; avis pour le temps
de Foraison. i6i
47. — Sur la pratique du recueillement, sur les jeux de hasard et
les chansons profanes. 162
48. — Comment un homme en dignité doit travailler à arrêter la fou-
gue des jeunes g:ens de la cotir j discipline qu'il doit maintenir
parmi les- troupes. i65
49. A un ami. Prendre en esprit de pénitence les assujettissemens
de son état ; mépriser les discours du monde. »G8
50. — Être réservé dans ses jugemens. 170
5i. — Supporter patiemment ses défauts; ne pas trop raisonner
sur soi-même. 171
52. — Eviter la hauteur et la décision : pratiquer la douceur et l'hu-
milité. 172
53. — Sur le rapport d'autrui , et sur l'oraison. 173
54- — Bon usage des maladies; se défier de ses propres jugemens. 174
55. — Se modérer en tout; exhortation à une conduite simple et
ingénue. 175
56. — Divers avis pour une conduite sage et chrétienne. 176
57. — Eviter la hauteur, et s'appliquer à l'humilité. 179
TAULE DES LETTRES SPIRITUELLES. /\o[)
l'ai,'.
58. — Mourir à ses goûts , et vivre dans une entière dépendance
lie la grâce. i8i
59. — Exhortation à la franchise , h la candeur , à la petitesse ;
fuir les curiosités de l'esprit. Ilntl.
60. — Ellefs d'une amitié chrétienne. 182
61. j4 un Seigneur (le la cour. Réponse à une consultation sur la
sanctification des actions indifférentes , et sur la manière de
faire les exercices de piété. i83
Ga. J un militaire. Comment se soutenir parmi les dangers do sa
profession. 190
G3. yt un militaire. Sur la méditation, les choix des lectures, et
lu sainte liberté avec laquelle il faut at;ir en tout. iga
04 • -^ ""^ clame qui faisait profession de piété. Écouter Dieu , et
non Tamour-proprc. ig5
65. — Se mettre sans effort en la présence de Dieu. igCî
6G. — Combattre paisiblement les écarts et la légèreté de l'imagi-
nation. 197
67. — Sur le même sujet. 198
68. — Réponse à diverses difficultés sur l'attrait intérieur, le re-
cueillement , l'ouvei'ture de cœur , etc. et la manière d'être
avec les créatures. Ibùf.
G9. — Divers avis sur l'oraison. 201
70. — De l'utilité des privations. 202
71. — Précautions à prendre contre l'illusion. 2o5
72. — Préférer la charité et Ihumililé à la réputation et au désir
de savoir. Ibid.
73. — Divers avis pour la paix intérieure. 2o5
74- A une demoiselle qui vivait dans le monde, et qui faisait pro-
fession de pieté. User bien du moment présent; exhortation au
recueillement et à l'humilité. 206
75. — Préférer la paix et l'édification commune à sa propre justifi-
cation. 207
7G. — Péril d'être approuvé des hommes. Caractère de l'humilité.
IVIoyens de remédier à la dissipation et à la sécheresse. 208
77. — Souffrir les outrages avec humilité et en silence. 210
78. — S'appliquer au recueillement et à rhumilitc ; réprimer la cu-
riosité dans le choix tics lectures. 212
79. — Ne point prendre feu sur les dérèglemens des hommes, mais
remettre tout à Dieu en paix dans l'accomplissement de nos
devoirs. 21 4
80. — Chercher ses amis en Dieu , et se mortifier. 21D
4o6 TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
Pag.
8i. — Avantages de s'être vu près de la mort. 216
8a. — Souffrir eu pai.\ les bas sentimeus que les autres conçoivent
de nous. 217
83. — Nécessité et bonheur de souffrir dans cette vie. 218
84. — Amortir notre activité naturelle. aig
85. — Accorder la condescendance pour autrui, avec la fermeté
nécessaire pour ne se laisser point entraîner au relâchement. 220
86. — Le naturel ne se surmonte pas tout d'un coup. 222
87. — Réserver toutes ses affections pour Dieu. 224
88. — Porter Tesprit d'oraison dans tout ce que l'on fait. 225
89. — Ménager les forces du corps ; amortir l'activité naturelle. 226
90. — Contre rcmprcssement et la vivacité naturelle. 227
gi. — Pourquoi Dieu permet la diminution de la faveur sensible. 228
92. — Utilité de sentir notre faiblesse à la vue de la mort. Com-
ment on doit porter la perte de ceux qu'on aime. aSo
93. — S'accoutumer à la perte de ce qui flatte, dans la ferveur
et le recueillement sensibles. 23 1
94- — Avis pour l'extérieur et l'intérieur, lorsqu'on est en sécheresse. 233
95. — Moyens pour se conserver en paix avec les autres. 234
96. • — Sur l'impression pénible que l'on ressent de la mort. 235
97. — S'abandonner à Dieu, obéir, se taire, souffrir. 207
98. — Pi'ix des exercices de piété faits sans goût et avec peine,
pour l'amour de Dieu. a38
99. — Ce qu'il faut faire quand on se trouve en paix. 241
100. -— Comment on doit porter la vue de la mort, quand l'affai-
blissement de l'àge nous la montre plus proche. 242
lOi. A diverses personnes de piété qui vitraient dans le monde. Le
travail sur nous-mêmes doit s'opérer plus pour le dedans que
230ur le dehors. L'oraison doit s'étendre sur tout ce que nous
faisons. 245
102. — Sur le détachement du monde. a48
io3. — Allier ensemble l'exactitude et la liberté d'esprit. 200
104. — L'oraison est bonne à tout : le propre esprit fait tout le
contraire. Persévérer dans la voie de la perfection. 204
io5. — Support des défauts d'aulrui, et facilité à se laisser reprendre. 266
1 06. — Exhortation à la condescendance pour les défauts et im-
perfections d'autrui. 268
107. — Les cœurs réunis en Dieu sont ensemble, bien que séparés
par les lieux. 259
108. — Comment les infidélités d'une personne attristent l'esprit de
Dieu, dans une autre que la même grâce unit. 260
TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES. 4^7
Pag.
log. — I/iinion des âmes ne doit point ôtrc une socicHô de vie,
mais de mort taut pour le deliors ijue pour le dedans. aGa
110. — Avis pour une personne attirée au recueillement, et qui
songeait à entrer au couvent. aG4
111. Avis sur le choix des sociétés. Ne pas trop raisonner sur notre
état inférieur. 265
iiu. — Réunion en unité dans notre centre commun 2G6
AVIS SUR l'exercice DE LA DIRECTlOir.
II 3. Sur les scrupules et leurs remèdes. aGg
1 1 4- Importance de s'ouvrir sur les petites choses , et de renoncer
à ce qu'on appelle esprit. 271
ii5. Être fidèle à déclarer les peines intérieures. 2^3
116. Pourquoi et comment on tloit s'ouvrir dans ses peines. Ma-
nière de converser avec Dieu. 274
117. I-a simplicité à s'ouvrir doit être sans réserve d'amour-propre.
Ne se point dépiter à la vue de ses défauts. 276
118. On n'a point la paix en sécoutant soi-même. 278
119. Mettre à profit nos imperfections pour nous en humilier. Ne
regarder que Dieu dans la créature. 279
120. Renoncer courageusement aux secours humains que Dieu nous
enlève. 280
lai. Contre l'attachement excessif au.\ consolations qu'on reçoit sous
la conduite d'un directeur. 281
122. Nécessité d'écouter Dieu, et ceux qu'il nous donne pour nous
conduire. 282
123. Comment on doit agir envers une personne faible et dissipée. 284
124- Ne pas trop pousser une ame que Dieu attire; mais s'accom-
moder à sa grâce , et en attendre les momens. 285
125. Ne point se rebuter des imperfections d'autrui , et ne pas trop
presser les commençans. 207
avis sur les epreuves et les vicissitudes de la vie
istÉrieure.
126. Abandon à Dieu parmi les vicissitudes de la vie intérieure. 288
127. En quoi consiste la véritable ferveur. 269
1-28. Se contenter de l'opération de Dieu, quoique cachée et mélan-
gée des saillies du naturel. 290
129. Être fidèle aux exercices de piété ^ indépendamment du goût
sensible. Aimer Dieu , et tendre par la volonté à cet amour. 291
4o8 TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
Pag.
j3o. Touchant les distractions involontaires et les sécheresses. 392
i3i. Souffrir la tiédeur et ses propres dégoûts. Oraison de silence. ay4
i32. De Tinstiuct dufond3 de la présence de Dieu ; des amusemens
innocens. agO
i33. Ne pas s'inquiéter des scntiraens , mais du fond de la volonté. 297
i34- Recevoir également de Dieu la tranquillité et la sécheresse dans
l'oraison. 2(^9
i35. Recevoir avec une égale tranquillité les consolations et les
sécheresses, selon qu'il plaît à Dieu. Soi
136. La désoccupation de soi-même perfectionne la vigilance pour
se corriger, loin de l'exclure. Dieu doit être aimé purement. 3()3
137. Comment se conduire parmi les vicissitudes de la vie intérieure. 3oG
i38. Demeurer fidèle dans les sécheresses , pour vivre de la vraie
vie de Jésus-Clirist eu Dieu. 3o8
139. Crainte injurieuse à Dieu. Utilité d'une misère qui humilie. 309
i4o. Langueur de l'ame ; sa source et son remède. 3i()
il\i. Supporter patiemment les sécheresses et la vue de nos misères. 3ii
142. Avantages des croix et de l'état d'obscurité où Dieu nous laisse. 3i3
143. Tendre habituellement à Dieu avec paix et fidéhté, sans se
détourner pour toutes les distractions involontaires. 3i4
ATIS SUR LA PRATIQUE DE l'hUMILITÉ , DU RENONCEMENT A
SOI-MEME , DE LA RESIGNATION DANS LES CROIX , ETC.
i44' Souffrir avec patience et courage dans les peines domestiques. 3i6
i45- Avantages de se laisser rapetisser. 317
14G. Quelle doit être la soufirance pour y conserver la paix. Ibid^
i47- Bonheur des croix. 319
148. Soufl'rir ici-bas comme les âmes du purgatoire. 32o
i49- Périls de l'activité et de la dissipation de l'esprit. 322
i5o. Exhortation à la simplicité et k l'enfance chrétienne. 32j
l5i. Il n'y a que la mort de l'esprit qui prépare bien à celle du
corps. 324
102. Changer les maux en biens par la patience. » 3iG
ï53. Dieu humilie l'ame par le sentiment de sa faiblesse. 327
154. Sur le même sujet. 328
155. Souffrir sans perdre courage et avec fidélité, sous la main de
Diou , les opérations douloureuses qui nous rapetissent. 329
166. Se laisser juger, et se corriger en suivant l'esprit de giAcc. 33o
157. Sacrifice absolu de l'amour-propre par un continuel abandon
de soi-même entre les mains de Dieu. 33 1
TABLE DKS LETTRES SPIRITUELLES. 4^9
Pui;.
i."j3. Abandon à la seule volonlé de Dieu; détachement de tout le reste. 33a
l5;). Porter la croix , s'abandonner à la Providoice. 334
i()o. Sur le même sujet. 335
j6i. Ne point agir par naturel, et amortir sa vivacité. 33G
iGa. SoulFrir avec abandon , et boire le calice d'amertume jusqu'à
la dernière p;outte. 33t
ifiS. La volonté de Dieu doit ôtre notre tout. 338
iGJ. Manière de bien porter sa croix. 33q
ïG5. Consentir à n'ètie lien , et se laisser consumer par une mort
entière. S^o
ïGG. Vivre en pur abandon et simple délaissement au bon plaisir
de Dieu. 3 j3
1G7. Laisser expirer la nature dans le dépouillement et l.i mort totale. 3-j4
1G8. Nécessité de s'abandonner en pure loi à Topérulion cachée de
Dieu pour donner la mort. 3/5
iGg. Abandon simple et total. S5o
170. Eviter la dissipation, et réprimer l'activité de Icsprit. 35ï
171. Sur le mémo sujet. 352
172. Se laisser conduire sans résistance. 353
173. Avis pour deux personnes en dej^ré différent de grâce. 3j5
174- Trouver, avec l'Apotre, sa force dans la faiblesse. Giraetères
de l'abandon véritable. 357
175. Croix et morts journalières. 358
17G. Les douleurs dans la mort à soi-même ne viennent c|uc de nos
résistances. L'abandon, pour être véritable, ne doit point être
aperçu. 359
177. Se délaisser à Dieu , sans retour inquiet sur soi-même; éviter
la dissipation ; agir sans rien jirésiitucr de son travail. 36o
17S. Extinction de la vie propre. Agir par grâce; attendre tout de
Dieu. 3G4
17g. Dieu proportionne les souffrances et l'épreuve aux forces qu'il
donne. 3GG
i8m. En venir enfin ;i l.i pr-ilique. Simplicité et ses effets. 3G7
181. Suivre Dieu sans égard aux sentimens. Avantages des croix,
et frnit.s qu'on doit tirer de ses fautes. 3G8
182 D'où vient la diminution des consolations et du recueillement.
Renoncer à soi-même et aux créatures. 370
i83. Patience envers soi-même et envers les autres. 37c
184 Se supporter soi-même avec patience. 3^2
i85. Ne point résister à l'attrait intérieur, acquiescer, et attendre
tout de Dieu. 374
4lO TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
Pag.
r86. Moyen de trouver la paix au milieu tles croix. 376
187. Contre les vaines délicatesses de lamour-propre , et contre les
prévoyances inquiètes de l'avenir. 877
188. Sur ce qui donne la paix , et dans quelle disposition on doit
se tenir sur les sacriûces que Dieu exige. 879
18g. Fidélité à laisser tomber tout ce qui trouble le silence intérieur.
Indulgence pour les défauts d'autrui. 38o
190. Bonheur des souffrances. L'amour les adoucit toutes. 38i
191. Sur les grâces reçues , le recueillement habituel, et l'abandon
à Dieu. 382
J92. Sur la vie de foi, le détachement et la paix intérieure. 384
193. Avis sur la conduite des domestiques. 386
194. Détails sur l'intérieur de Fénelon , et sur les défauts de son
caractère. 389
LETTRES DE CONSOLATION.
195. Les grandes douleurs sont un remède aux maux de notre nature. 390
196. Sur la mort d'un ami, qui avait été éprouvé par de grandes
peines. Sga
197. Sur la mort édifiante d'ime dame. Ibid.
198. Sur la mort d'un ami commun. Être contens que Dieu fasse
de nous tout ce qu'il lui plaît. 3g3
199. La Religion seule nous donne de véritables consolations dans
la perte des personnes qui nous sont chères. 394
200. Au Duc de Chei't^euse. Consolation sur la mort de son fils aîné. 397
aoi. La perte des personnes qui nous sont chères sert à nous dé-
tacher entièrement des créatures. 399
LETTRES
SPIRITUELLES
DE FÉNELON
ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI,
PUBLIEES POUR LA PREMIERE FOIS
SUR LES MANUSCRITS ORIGINAUX
ET LA PLUPART INEDITS.
DEUXIEME PARTIE.
iJbmuolbedue walijolitiiie de icc Voeïaicnizj.
LOUVAIN,
CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE.
1828.
Imprimatur
Mechliniœf 3 Fehruarii 1828. /. FORGE UR, Kic, gen.
4i3
AVERTISSEMENT
SUR LES
LETTRES A LA COMTESSE DE GRAMONT.
Elisabeth Hamilton , Comtesse de Gramont , à qui sont adres-
sc'cs les lettres suivantes, naquit en 1641, de Georges, Comte
Hamilton , eu Ecosse , et de Marie Butler. Elle e'pousa , vers l'aa
i()Go, Philibert de Giamoot , fils d'Antoine de Gramont, second
du nom, et connu par les Mémoires publie's sous son nom (i).
P.ir suite de ce mariage , la Comtesse devint bientôt après dame
du palais de la Reine Maric-Tlicrcse d'Autriche , femme de Louis
XIV. Le de'sir de se donner parfaitement à Dieu l'engagea , vers
l'an 1684, à se mettre sous la conduite de Fe'nelon , qui, sans
être son confesseur, la dirigea par ses avis jusqu'à l'e'poque où il
fut éloigné de la cour. Les heureux eflets de cette direction ne tar-
dèrent pas à se faire sentir , comme on peut le remarquer en par-
ticulier par le Journal de Dangeau. « La Comtesse de Gramont,
yt dit-il, est tout-à-fait dans la dévotion. 11 y a long-temps qu'elle
)) s'en cachait; présentement elle n'en fait plus mystère. » ( \ S oc-
tobre 1687. ) La Correspondance de Féuelon avec la Comtesse em-
brasse un intervalle d'environ douze ans , et elle montre que ses
avis ne furent pas moins utiles au Comte de Gramont qu'à la Com-
tesse son épouse. Une maladie dangereuse , dont le Comte fut at-
taqué en 1692, le fît sérieusement rentrer en lui-même (2), et la
Comtesse profita de cette occasion pour lui faire aimer et connaî-
tre la Religion qu'il avait jusqu'alors entièrement négligée. Le Jour-
nal déjà cité , parlant de cette maladie , sous la date du 3 décem-
bre 1692, ajoute que le Comte reçut les sacremens ; et une note
anonyme y jointe à cet article du Journal, fait connaître la reli-
(i) Ces Mémoires ont pour auteur Antoine Hamilton , frère de la Com-
tesse. Ih sont écrits avec beaucoup d'esprit et de délicatesse ; mais ils
n'ont le plus souvent pour objet que les aventures scandaleuses duConile
de Gramont.
(•i) Voyez les lettres -2^1 , 233 et a34 , ci-après.
4l4 AVERTISSEMENT.
gietise sollicitude de la Comtesse pour la conversion de son ëpoux :
«( Elle lui apprit dans cette maladie les premiers élémens de la Re-
« ligion ; et comme elle lui récitait le Pater, Comtesse, lui dit
» son mari , répétez-moi encore cela ; cette prière est belle : qui
» l'a faite? Telle était son ignorance. » Le Comte et la Comtesse
de Gramont honorèrent également leur caractère , en témoignant le
plus ferme attachement à l'Archevêque de Cambrai dans le temps
de sa disgrâce. Toutefois l'exil du Prélat fut dans la suite funeste
à la Comtesse , qui accorda peu à peu sa confiance aux instituteurs
de Port-Royal , et se laissa entraîner, par ces nouveaux directeurs,
dans un esprit de parti peu convenable à une personne de son sexe
et de sa condition. Le Comte de Gramont mourut le 3o janvier 1707,
âgé de quatre-vingt-six ans, et la Comtesse le 3 juin 1708, à l'âge
de soixante-sept ans.
Les lettres originales de Fénelon à la Comtesse de Gramont se
trouvèrent, en 1780, dans la succession de l'Impératrice Marie-
Thérèse , qui professait nne tendre vénération pour la mémoire et
\qs vertus de l'Archevêque de Cambrai. Elle les avait reçues de
miladi Hamilton, propre fille de la Comtesse de Gramont, mariée
rn 169-f à Heni'i How^ard , Comte de Straftord , et connu depuis
sous le nom de milord Hamilton. A la mort de Marie-Thérèse , ces
lettres passèrent dans les mains de la Comtesse de Vasques, sa grande
maîtresse, qui les transmit ensuite à sa petite nièce, la Comtesse de
Wolhenstein , née Comtesse de Stahremberg. Elles sont aujourd'hui
â Paris , entre les mains de M. le Général Comte Andréossy , qui
les acquit en i8og, pendant son ambassade à Vienne (3).
Nous avons entre les mains la copie de ces lettres , dont M. le
Cardinal de Bausset a fait usage dans la troisième édition de V His-
toire de Fénelon, et qui avait été tirée en 1807, à Vienne, par
les soins de M. le Baron Joseph de Retzer , secrétaire aulique, et
littérateur distingué. La confrontation de cette copie avec les ma-
nuscrits originaux , que M. le Comte Andréossy a bien voulu nous
communiquer, nous a servi à rétablir plusieurs omissions, à rec-
tifier bien des passages , et à déterminer la date d'un grand nom-
bre de lettres.
{?)) Voyez , pour de plus amples dévcloppemens , ÏHist. de Fénelon ,
lom. III, liv. v, n. 7 , et les Pièces justificatives , au ilième livre, n. 2.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^^
LETTRES
A LA COMTESSE DE GRAMONT.
»««Vi^—
202.
Moyens Je se soutenir au milieu des dangers que l'on rencontre dans
le monde.
Paris , 1 1 juin.
J'étais à la campagne , madame , quand vous me
fîtes l'honneur de m'écrire un billet daté de votre
ermitage. Je n'aurais pas manqué d'y aller recevoir
vos ordres , si j'eusse été à Paris. J'espère que quel-
que voyage que vous y ferez, ou quelque affaire qui
me mènera à Versailles , me dédommagera de ce que
j'ai perdu. Ce qui est certain, madame, c'est que je
vous souhaite tous les jours , de toute l'étendue de
mon cœur , le recueillement et la fidélité à l'esprit
de Dieu , dont vous avez besoin pour vaincre tous les
dangers de votre état. Vous avez beaucoup à craindre
et du dedans et du dehors. Au dehors , le monde
vous rit , et la partie du monde la plus capable de
nourrir l'orgueil donne au vôtre ce qui peut le flat-
ter , par les marques de considération que vous rece-
vez à la cour. Au dedans , vous avez à surmonter le
goût d'une vie délicate, un esprit hautain et dédai-
gneux, avec une longue habitude de dissipation. Tout
cela, mis ensemble, fait comme un torrent qui en-
traîne malgré les meilleures résolutions. Le vrai re-
mède à tant de maux , est de sauver , par préférence
4l(i LETTRES SPIRITUELLES.
à tout le reste , quelques heures réglées pour la prière
et pour la lecture. Vous savez , madame , ce que j'ai
eu l'honneur de vous dire plusieurs fois là-dessus. Je
prie Notre-Seigneur qu'il vous arrache à tout , plutôt
que de vous laisser en proie au monde. Je suis , ma-
dame , avec un grand respect , etc.
203.
Sur un scandale qui venait d'éclater dans lo monde.
Mardi, lo décembre (1686)
J'apprends , madame , que le scandale qui vient
d'éclater renouvelle de justes peines que des aven-
tures semhlables vous ont causées. J'y prends une
véritable part : et je m'intéresse à tout ce qui vous
touche. Ce qui me fâche le plus dans ces affaires
malheureuses, c'est que le monde, qui n'est que trop
accoutumé à juger mal des gens de bien , conclut
qu'il n'y en a point sur la terre. Les uns sont ravis
de le croire , et en triomplient malignement ; les au-
tres en sont troublés, et malgré un certain désir qu'ils
auraient de se tourner vers le bien , ils demeurent
éloignés de la dévotion par leur défiance de tous les
dévots. On s'étonne de voir un homme que a fait
semblant d'être bon , ou , pour mieux dire , qui , ayant
été véritablement converti dans la solitude , est re-
tombé dans ses inclinations et dans ses habitudes
dès qu'il a été exposé au monde. Ne savait-on pas
({ue les hommes sont fragiles , que le monde est con-
tagieux , que les gens faibles ne peuvent se conserver
qu'en fuyant les occasions ? Qu'y a-t-il donc de nou-
LETTRES SPIRITUELLES. 4^7
veau? Voilà bien du bruit pour la cliute d'un arbre
sans racines , et attaqué de tous les vents. Après
tout , le monde n'a-t-il pas ses hypocrites de probité
comme de dévotion ? Les faux honnêtes gens doivent-
ils nous faire conclure qu'il n'y en a point de véri-
tables ? Quand le monde triomphe d'un tel scandale,
il montre qu'il ne connaît guère ni les lionnnes ni la
vertu. On doit être aflligé de ce scandale ; mais il
n'est permis d'être surpris de rien , quand on connaît
à fond la misère humaine , et à quel point le peu de
bien que nous faisons est en nous comme une chose
empruntée. Que celui qui est debout tremble , de
peur de tomber, que celui qui est par terre, crou-
pissant dans la boue , ne triomphe point de voir tom-
ber un de ceux qui avaient paru se soutenir. Notre
confiance n'est ni dans les hommes fragiles , ni en
nous-mêmes, aussi fragiles que tout le reste : elle est
en Dieu seul, qui est l'immuable vérité. Que tous les
hommes montrent qu'ils ne sont que des hommes ,
c'est-à-dire néant , mensonge et péché; qu'ils se lais-
sent entraîner par le torrent de l'iniquité, la vérité
de Dieu n'en sera point afi'aiblie , et le monde n'en
sera que pins abomina])le , pour avoir corrompu ceux
qui cherchaient la vertu.
Pour les hypocrites , le temps les démasque , et
ils se démentent toujours par quelque côté. Ils ne
sont hypocrites que pour jouir du fruit de leur hy- ,
pocrisie. Ou leur vie est molle et amusée , ou leur
conduite est intéressée et ambitieuse. On les voit se
ménager , flatter , faire divers personnages. La sincère
vertu est simple , unie , sans empressement , sans
mystère ; elle ne se hausse ni se baisse ; elle n'est ja-
CORRESP. IV. T r>.
^l8 LETTRES SPIRITUELLE».
louse ni de réputation ni de succès. Elle fait le moins
mal qu'elle peut ; elle se laisse juger , et se tait ; elle
est contente de peu; elle n'a ni cabale, ni dessein,
ni prétention. Prenez-la, laissez-la, elle est toujours
la même. L'hypocrisie peut imiter tout cela , mais
très-grossièrement. Quand on s'y trompe , c'est ou
défaut d'attention , ou défaut d'expérience de la véri-
table vertu. Des gens qui ne se connaissent point en
diamans , ou qui ne les regardent pas d'assez près ,
peuvent en prendre de faux comme s'ils étaient fins :
mais il est pourtant vrai qu^il y en a de fins , et qu'il
n'est point impossible de les discerner. Ce qui est
vrai , c'est que , pour se confier aux gens qui parais-
sent vertueux , il faut avoir reconnu en eux une con-
duite simple , solide , constante et éprouvée dans les
dangers , éloignée de toute affectation , mais ferme et
vigoureuse dans l'essentiel.
204.
Agir en tout avec simplicité.
Dimanche, 12 juin (1689.)
Ma santé va bien, Dieu merci, madame; elle est
en état de justifier le quinquina , et de faire taire
tous ses ennemis. Les marques de bonté que vous
me donnez me font un plaisir sensible , et je sais bon
gré à ma fièvre de me les avoir procurées. Vous vous
moquez , madame , avec vos discrétions. Quand vous
voulez que j'aie l'honneur de vous voir , il n'y a qu'à
me donner vos ordres. Une conduite simple et ingé-
nue plaît trop à Dieu, pour choquer les gens qui veu-
LETTRES SPlRlTDELLliS. ^HJ
lent le servir , et qui doivent parler en son nom ,
pour recommander la simplicité. Soyez donc simple
en tout , madame , et simple à m'ordonner de vous
\o\v , comme à tout le reste. Je souliaile que vous
puissiez mcUie quelque ordie aux aflaires épineuses
qui vous mènent à Paris. Je m'imagine que vous ver-
rez une personne Lien ivre; carie voyage aura écliaufie
sa tète. Il y a des ivresses Lien dilïérentes. L'Ecriture
dit : Malheur à vous qui êtes ivixs , et non de vin (a) \
Il y a des ivresses d'orgueil , d'autres de colère et de
vengeance ; il y en a d'autres de zèle et de ferveur.
C'est ainsi que les apôtres paraissaient ivres , quand
ils reçurent le Saint-Esprit. A votre retour, madame ,
je souhaite de vous voir dans cette ivresse. Cepen-
dant je prierai de Lon cœur pour vous.
(a) Isai. XXIX. 9.
205.
Remerciaient sur rinlérêt qu elle picnait à sa nomination à la place de
précepteur du Duc de Bourgogne.
Paris , a5 août 1G89.
Je suis Lien honteux , madame , de la promptitude
avec laquelle vous m'avez fait l'honneur de m'écrire ,
et de la lenteur avec laquelle je vous en fais mes
Irès-humLles remercimens ; mais personne ne sait
mieux que vous , madame , pardonner les fautes qui
vieiuient d'emLarras. Vous savez ce que je dois penser
sur ce qui vient de m'arriver. Vous qui gémissez à la
cour , vous devez , madame , prier Dieu charitaLle-
12^
420 LETTRES SPIRITUELLES.
ment pour ceux qui y vont. Vous n'y trouverez ja-
mais personne qui soit avec un respect plus sincère
que moi , madame , votre , etc.
208 * A.
Dérober quelques heures aux embarras du monde pour nourrir la piété.
Ne point se décourager à la vue de ses faiblesses.
Dimanche, 2 octobre (16S9.)
Je crois , madame , que vous avez deux choses à
faire , l'une dans vos affaires , et l'autre sur vous-
même. La première , qui regarde vos affaires , con-
siste dans le soin que vous devez prendre de dérober
au monde un peu de temps pour vos lectures et pour
vos prières. Il me semble que je vois tous vos em-
barras , tant je me les représente fortement : mais ,
après tout , il faut que les affaires viennent chacune
en leur rang , et que celle du salut soit comptée pour
la première. Que diriez-vous d'une personne qui ne
trouverait point de temps pour manger et pour dor-
mir ? Le temps donné aux nécessités de la vie , lui
diriez-vous , est le temps le mieux employé pour les
affaires mêmes. Si votre santé succombe , comment
agirez-vous ? et à quoi servira votre travail , si la vie
vous manque pour en recueillir le fruit ? Je vous dis
de même , madame : si vous laissez votre ame s'épui-
ser et tomber en défaillance faute de nourriture, à
quoi aboutiront non-seulement les conversations ,
(*) Sentimens chrétiens , r. xux; OEuvres spir. \']\o , t. 11^
pag, i52.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^^
jnais encore les affaires qui paraissent les plus solides,
les plus indispensables et les plus pressées ? Marthe ,
Marthe , vous vous empressez , et vous vous trou-
hlez pour beaucoup de choses ! Marie , que vous voyez
recueillie et immobile , a choisi la 7neilleure part ,
qui ne lui sera jamais ôtée {a).
Au reste , madame , je ne dis pas tout ceci pour
vous jeter dans des scrupules sur les occupations né-
cessaires ; mais soyez persuadée que les occupations
nécessaires n'iront jamais jusqu'à ne vous laisser point
le temps de manger le pain quotidien pour votre
nourriture ; car Dieu est trop bon , et vous a trop
fait sentir ses miséricordes , pour vous ôter les moyens
de le prier , et de vous soutenir dans les sentimens
qu'il vous inspire. Songez donc , madame , à sauver
les matins et les soirs quelque demi-lieure. En faisant
semblant de s'éveiller plus tard le matin, et le soir
d'avoir quelque lettre à écrire , on se débarrasse , eli
les affaires véritables n'en vont pas moins bien. Il faut
aussi mettre à profit tous les petits niomens ; quand
on attend quelqu'un , quand on va d'un lieu en un
autre , quand on est avec des gens qui parlent vo^
lontiers , et qu'on n'a qu'à laisser parler , on élève un
instant son cœur à Dieu , et on se renouvelle pour
la suite de ses occupations. Moins on a de temps,
plus il importe de le ménager. Si on attend d'avoir
à soi des beures réglées et commodes pour les rem-
plir de cboses solides , on court risque d'attendre trop
long-temps , surtout dans le genre de vie où vous
êtes ; mais il faut prendre tous les momens inter-
(o) Luc. X, 4^ > 4^*
l 'j,^^ LETTRES SPIRITUELLES.
rompus. Il n'en est pas de la piété comme des af-
faires temporelles. Les affaires demandent des temps
libres et réglés pour une application suivie et longue -,
niais la piété n'a pas besoin de ces applications si
fortes et si suivies ; en un moment on peut rappeler
la présence de Dieu , l'aimer , l'adorer , lui offrir ce
que l'on fait ou ce que l'on souffre , et calmer devant
lui toutes les agitations de son cœur. Prenez donc ,
madame , le matin une demi-heure , et une autre
demi-heure l'après-midi , pour réparer les brèches
que le monde fait; et dans le cours de la journée,
servez-vous de certaines pensées qui vous touchent
le plus , pour vous renouveler en la présence de
Dieu.
L'autre chose que vous avez à faire par rapport à
vous , c'est de ne vous point décourager , ni par l'ex-
périence de votre faiblesse , ni par le dégoût de la vie
agitée que vous menez. C'est une miséricorde de Dieu ,
qui vous fait gémir de cette agitation , et le gémisse-
ment est le contre-poison qui empêche votre cœur
d'être corrompu par la dissipation de la cour. C'est
pourquoi je serais bien fâché que cette vie cessât de
vous déplaire. Vos gémissemens et votre dégoût me
donnent une vraie joie. Dieu vous fera mourir à vous-
même par le dégoût du monde , s'il est sincère , au
milieu du monde même, comme il fait mourir à elles-
mêmes d'autres personnes par la solitude , et par la
privation de tout ce que le monde peut donner. Il
n'est question que d'être fidèle , patiente et paisible
dans les croix de l'état présent, qu'on n'a point choisi,
et que Dieu a donné selon ses desseins.
Pour les fautes, elles sont plus araères à suj^porter;
LETTRES SPIRITUELLES. 4^3
mais elles se tourneront à bien, si nous nous en servons
pour nous humilier, sans nous ralentir dans l'applica-
tion à nous corriger. Le découragement ne remédierait
à rien; ce ne serait qu'un désespoir de l'amour-propre
dépité. Le vrai moyen de profiter de l'humiliation de
nos fautes , est de les voir dans toute leur laideur ,
sans perdre l'espérance en Dieu , et sans espérer ja-
mais rien de soi-même. Jamais personne n'a eu un
plus pressant besoin d'être humiliée par ses fautes
que vt)us. Ce n'est que par là que Bieu écrasera votre
orgueil , et confondra votre sagesse présomptueuse.
Quand Dieu vous aura été toute ressource en vous-
même , il bâtira son édifice. Jusque-là , il foudroiera
tout par vos propres fautes. Laissez-le faire; travaillez
humblement sans vous rien promettre. Quand vous
voudrez que j'aie l'honneur de vous voir de temps
en temps , je me rendrai chez madame la Duchesse
de Chevreuse.
IV^tiV^^'HX^^^^^^^^^tKit^^^l^AV*» WM4
207.
Se r<$ser»er des heures de solitude; supporter patiemment les importunités
d'autrui et nos propres imperfections ; moyens d'acqucirir l'humilité.
Jeudi , 23 février 1690.
Je suis fort aise , madame , d'apprendre que vous
trouvez enfin le moyen de vous réserver des heures
de solitude. Ouvrir sa porte fort tard , et faire comme
si on était encore à dormir; d'ailleurs chercher un
asile hors de chez soi : voilà de bons moyens pour
se garantir de tous les importuns. Dans le reste du
temps , vous pouvez couper un peu court avec cer-
J^2/^ LETTRES SPIRITUELLES.
taines ^ens , qui ne clierchent qu'à vous amuser , ou
qu'à vous jeter dans leurs affaires au-delà des règles.
A l'égard des choses journalières , qui sont des suites
attachées à vos devoirs , ou des occasions de provi-
dence , quoiqu'elles soient incommodes et dissipantes ,
il n'y a qu'à les souffrir en paix. C'est une grande
consolation , de pouvoir penser que Bieu se cache
sous l'importun , comme il se cache sous les amis les
plus édifians. Sous la figure de l'importun , il faut
regarder Dieu qui fait tout , et qui n'est pas moins
attentif à nous mortifier par l'importunité, qu'à nous
instruire et à nous toucher par les bons exemples.
L'importun que Dieu nous envoie sert à rompre notre
volonté , à renverser nos projets , à nous faire dési-
rer avec plus d'ardeur le silence et le recueillement,
à nous détacher de nos arrangemens , de notre repos ,
de nos commodités et de notre goût; à humilier notre
esprit pour l'accommoder à celui d'autrui ; à nous
confondre toutes les fois que l'impatience nous échappe
dans ces contre-temps ; à exciter dans nos cœurs une
faim plus grande de Dieu , pendant qu'il semble s'é-
loigner de nous à cause de cette agitation.
Ce n'est pas qu'il faille s'agiter, et s'exposer jamais,
par son propre choix, aux compagnies qui dissipent;
à Dieu ne plaise ! ce serait tenter Dieu , et cliercher
le péril : mais, pour les assujettissemens de providence
contre lesquels on se précautionne , en se réservant
des heures de lecture et de prière , comptez qu'ils
se tourneront à bien. Tout ce qui est dans la main
de Dieu y fructifie. Souvent même ces choses qui vous
font soupirer après la solitude , vous sont plus utiles
pour vous humilier , et pour mourir à vous-même ,
LETTRES SPUliTUELLES. 4^5
que la solitude la plus profonde. Allons selon que
Dieu nous mène, au jour la journée , mettant cha-
que moment à profit , sans regarder plus loin. Quel-
quefois une lecture mei'veilleuse, une méditation fer-
vente j ou une conversation dont vous seriez charmée,
flatterait votre goût , vous rendrait contente et pleine
de vous-même , vous persuaderait que vous êtes bien
avancée , et en vous donnant de Lelles idées sur les
croix , ne ferait que vous rendre plus hautaine , et
plus sensible contre celles que vous trouveriez sur
votre chemin en sortant de tous ces saints exercices.
Tenez-vous donc , madame , à cette règle simple ;
n'attirez rien qui vous dissipe , mais supportez en
paix tout ce que Dieu vous donne malgré vous, pour
vous déranger. Quelle illusion ! on cherche Dieu bien
loin , dans des projets peut-être impossibles , et on
ne songe pas qu'on le possède dès à présent au mi-
lieu du tracas , dans un état de pure foi , pourvu
qu'on y supporte humblement et avec courage l'impor-
tiinité des créatures et ses propres imperfections.
Je n'ai qu'une chose à vous dire sur l'amour du
prochain , c'est que l'humilité seule vous rendra irai-
table là-dessus : la vue seule de vos misères peut
vous rendre compatissante et indulgente pour celles
d'autrui. Vous me direz ; Je vois bien que l'humi-
lité doit produire le support du prochain ; mais
qu'est-ce qui produira l'humilité ? Deux choses mises
ensendjle la produiront \ ne les désunissez jamais. La
première est la vue de Fabîme de misère d'où la puis-
sante main de Dieu vous a tirée , et au-dessus du-
quel il vous tient encore comme suspendue en l'air.
La seconde est la présence de ce Dieu qui est tout :
426 LETTRES SPIRITUELLES.
ce n'est qu'en voyant Dieu , et en l'aimant , qu'on
s'oublie soi-même , qu'on se désabuse de ce néant
qui nous avait éblouis, et qu'an s'accoutume à s'a-
petisser avec consolation sous cette baute majesté qui
engloutit tout. Aimez Dieu , et vous serez humble ,
aimez Dieu , et vous ne vous aimerez plus vous-même ;
aimez Dieu , et vous aimerez tout ce qu'il veut que
vous aimiez pour l'amour de lui.
208.
îfe point se troubler pour les fautes involontairement omises en-
confessioa.
Mardi, 21 mars (1690.)
Je ne crois point , madame , que vous deviez vous,
troubler sur vos confessions et sur vos communions
passées. Si les commencemens ont été irréguliers ,
du moins ils ont été de bonne foi , et vous y avez
fait des fautes par le principe d'une vertu très-con-
traire à votre caractère naturel, je veux dire, la sim-
plicité dans l'obéissance. D'ailleurs, il faut remarquer
que l'intrégité des confessions passées consiste , non
à n'avoir rien omis de ses fautes , mais seulement à
s'être accusé ingénument de toutes celles qu'on con-
naissait alors. Alors vous n'aviez pas la lumière de
découvrir dans votre fond beaucoup de mouvemens
de la nature maligne et dépravée, qui commencent
à se développer. A mesure que la lumière croît , on
se trouve plus corrompu qu'on ne croyait ; on est
tout étonné de son aveuglement passé , et on voit
sortir du fond de son cœur, comme d'une caverne
LETTRES SPIRITUELLES. 4^7
j)roromle , une iiifiiiilé île sciitimens honteux , sem-
Jjlaljk'S à des reptiles sales et pleins de venin. On
n'aurait jamais cru les porter dans son sein , et on a
lK)rreur de soi, à mesure qu'on les voit sortir. Il ne
faut ni s'étonner ni se décourager. Ce n'est pas que
nous soyons plus médians que nous ne l'étions ; au
contraire , nous le sommes moins : mais tandis que
nos maux diminuent, la lumière qui nous les montre
augmente, et nous sonnnes saisis d'horreur. Mais re-
marquez, pour votre consolation , que nous n'aper-
cevons nos maux , que quand nous commençons à
en guérir. Quand nous sommes privés de tout principe
de guérison , nous ne sentons point le fond de notre
mal : c'est l'état d'aveuglement , de présomption et
d'insensihilité , où. l'on est livré à soi-même. En se
laissant aller au torrent , on n'en sent point la rapi-
dité ; mais elle commence à se faire sentir , à mesure
qu'on commence à se roidir plus ou moins contre
elle. Si vous voyez des choses précises et considéra-
bles que vous ayez omises dans vos premières con-
fessions, dites-le simplement la première fois que vous
vous confesserez. Votre confesseur est droit, discret,
et plein de Dieu. Pour tout le reste , allez en paix
votre chemin. Comptez que l'humilité , le fréquent
silence et le recueillement vous feront plus de Lien,
que toutes les austérités et tous les troidjles par les-
quels vous voudriez faire pénitence. Surtout le silence
vous est capital. Lors même que vous ne pourrez
vous déroljer au monde , vous pourrez vous taire
souvent, et laisser aux autres les honneurs de la con-
versation. Vous ne pouvez dompter votre esprit dé-
daigneux, moqueur et hautain, qu'en le tenant conmie
428 LETTRES SPIRITUELLES.
enchaîné par le silence. Mettez une sévère garde à
vos lèvres. La présence de Dieu , qui retiendra vos
paroles , gardera aussi toutes vos pensées et tous vos
désirs. Cet ouvrage se fera peu à peu. Soyez patiente
avec vous comme avec les autres.
209 *.
S'appliquer au silence et au recueillement ; utilité des pénitences qui
ne sont pas de notre goiït.
Je crois, madame, que vous devez travailler main-
tenant à vous taire , autant que la bienséance du
commerce vous le permettra. Le silence facilite la
présence de Dieu, épargne beaucoup de paroles rudes
et hautaines , enfin supprime un grand nombre de
railleries ou de jugemens dangereux sur le prochain.
Le silence humilie l'esprit, et détache peu à peu du
monde ; il fait dans le cœur une espèce de solitiide ,
qui ressemble à celle que vous souhaiteriez ; il sup-
pléera à tout ce qui vous manque dans l'embarras où
vous vous trouvez : pourvu que vous ne parliez point
inutilement, vous aurez bien des moniens libres au
milieu même des compagnies qui vous tiennent mal-
gré vous. Vous voudriez de la liberté pour prier Dieu ;
et Dieu , qui sait mieux ce qu'il vous faut que vous-
même , vous donne de l'embarras et de la sujétion
pour vous mortifier. La mortification qui vient de
l'ordre de Dieu vous sera plus utile , que la douceur
de la prière qui serait de votre choix et de votre goût.
(*) Sentimens clirét. n. xxiv; OEuvies spir. tom. I, p. 256.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^9
Vous savez l)ien , madame, qu'il ne faut point de
tc'iiij)s de retraite pour aimer Dieu ; quand il vous
donnera du temps , il faudra le prendre et en pro-
fiter : jusque-là demeurez en état de foi , bien per-
suadée que ce (ju'il vous donne est le meilleur. Elevez
souvent votre cœur vers lui , sans laisser rien voir au
dehors : ne parlez que pour le besoin ; souffrez pa-
tiemment ce qui vient de travers. Comme vous savez
la Religion y Dieu vous traite selon votre besoin : vous
avez plus de besoin d'être mortifiée, que de recevoir
des lumières. L'unique chose que je crains pour vous
en cet état, c'est la dissipation; mais vous pouvez
l'éviter par le silence. Si vous êtes fidèle à vous taire,
quand il n'est pas nécessaire de parler , Dieu vous
fera la grâce de ne vous dissiper point en parlant
pour les vrais besoins. Quand vous ne serez pas libre
de vous réserver de grands temps , ne négligez pas
d'en ménager de courts. Un demi-quart d'heure , pris
avec ce ménagement et cette fidélité sur vos embar-
ras, vous vaudra devant Dieu des heures entières que
vous lui donneriez dans des temps plus lil)rcs. De
plus , divers petits temps ramassés dans la journée ,
ne laisseront pas de faire tous ensemble quelque chose
de considérable. Peut-être même en tirerez-vous
cet avantage , de vous rnpp(der plus fréquemment à
Dieu, que si vous ne lui donniez qu'un certain temps
réglé.
Aimer, se taire, souffrir , agir contre son goût , pour
accomplir la volonté de Dieu en s'acconmiodant à
celle du prochain : voilà, madame , votre partage. Trop
heureuse de porter la croix que Dieu vous donne de
ses propres mains dans le cours de sa providence !
43o LETTRES SPIRITUELT-ES.
Les pénitences que nous choisissons , ou que nous
acceplons quand on nous les impose , ne font point
mourir notre amour-propre , comme celles que Bieu
nous distribue lui-même chaque jour. Celles-ci n'ont
rien où notre volonté puisse s'appuyer ; et comme
elles viennent immédiatement d'une providence mi-
séricordieuse, elles portent avec elles une grâce pro-
portionnée à tous nos besoins. Il n'y a donc qu'à se
livrer à Dieu cbaque jour , sans regarder plus loin -,
il nous porte entre ses bras , comme une mère tendre
porte son enfant. Croyons , espérons , aimons avec
toute la simplicité des enfans. Dans tous nos î)esoins ,
tournons nos regards tendres et pleins de confiance
vers le Père céleste. Voici ce qu'il dit dans ses Ecri-
tures (a) : Quand même une mère oiihlierait son jiro-
pre fils , le fruit de ses entrailles y et moi je ne vous
oublierai jamais.
(a) Isai. XLix. i5.
210.
Changer sans scrupule Theurc ilcs exercices de piété quand les devoirs
d'état le demaudeul. Exhortation à la simplicité et à l'enfance chréticiuie.
A Versailles , 28 mai (avant i6()5. )
Vous craignez , madame , d'être infidèle à Dieu sur
vos devoirs , et vous avez raison. Rien n'est si opposé
à la grâce qu'une ame lâche , qui , par un goût de li-
berté , refuse à Dieu ce qu'elle sent qu'il lui demande ,
ou qui retarde de le faire : mais aussi il faut éviter
de tomber dans le scrupule. Voyez donc simplement ,
LETTRES SPIUITUELLES. 4^*
dans les occasions , ce que les vraies bienséances de-
mandent de vous par exemple , dans le moment où
vous allez faire votre prière et votre lecture , il sur-
vient une personne de dehors , qui ne vient jamais
à cette heure , qui a une vraie affaire avec vous , avec
qui vous n'êtes point sur le pied d'une liberté assez
grande pour la renvoyer à une autre heure , et qui
serait raisonnablement choquée si vous le Taisiez ; il
ne faut pas douter , madame , que vous ne deviez
quitter vos exercices de piété pour remplir ce de-
voir : mais en ce cas il faut tacher de reprendre sur
quelque autre heure de la journée ce que vous avez
perdu à cette heure-là , comme on dîne à deux heures ,
quand une compagnie survenue à contre-temps a
empêché de dîner à midi. Pour les gens qui ne sont
point pressés par une vraie affaire , et que vous pou-
vez remettre plus tard , ou qui ne viennent que par
amusement et pour leur plaisir ; à ces heures-là , ils
ne sont bons qu'à renvoyer : il en faut faire rigou-
reuse justice.
Jamais personne n'a eu plus de besoin que vous
de nourriture intérieure , de silence , de réflexion , de
séparation du monde , de défiance d'elle-même et de
la pente de son cœur. Vous ne sauriez trop rudement
jeûner des plaisirs d'une conversation mondaine. Il
faut vous rabaisser sans cesse : vous ne vous relè-
verez toujours que trop. Il faut vous apetisser , vous
faire enfant , vous emmaillotter , et vous donner de
la bouillie ; vous serez encore une méchante enfant.
Toutes les croix que Dieu vous donne , et sous les-
(pielles il veut vous courber, ne répriment point en-
core votre hauteur. Ce ne sera qu'à force de renoncer
/32 LETTRES SPIRITUELLES.
à votre propre esprit , dans le silence devant Dieu ,
que vous pourrez être apetissée et adoucie par la
grâce. Parlez quand vous serez seule : vous ne sau-
riez alors trop parler , car ce sera îà Dieu seul que
vous parlerez de vos misères , de vos besoins et de
vos bons désirs. Mais en compagnie vous ne sauriez
presque tomber dans l'excès de trop peu parler. Il
ne faut pourtant pas que ce soit un silence sec et
dédaigneux *, il faut au contraire que ce soit un silence
de déférence à autrui. Je serai ravi que vous parliez
pour louer , approuver , complaire , déférer , édifier :
mais je suis sur que, quand vous ne parlerez que de
cette sorte , vous parlerez fort peu , et que la con-
versation vous semblera fade. Retrancliez-vous donc ,
madame , à parler peu , à parler simplement et mo-
destement , à préférer les autres à vous en tout , et
à conserver le recueillement jusque dans la conver-
sation. Vous avez plus de besoin qu'un autre de ce
contre- poison. Vous savez quel est mon zèle et mon
respect pour vous.
211.
Eviter les airs de mépris et de hauteur ; supporter patiemment les
défauts du prochain.
A Versailles , 22 juin.
La lettre que vous m'avez fait l'bonneur de m'écrire ,
madame , a fait un étrange chemin. Je viens de la
recevoir : jugez par là de la diligence. Je comprends
que vous souffrez et faites souflVir les autres. Il faut
travailler courageusement et sans relâche à se char-
LETTRES SnaiTL'ELLEâ. 4^3
ger du fardeau pour le soulagement du prochain. Tout
air de mépris et de hauteur , tout esprit de critique
et de moquerie marque une ame pleine d'elle-même ,
qui ne sent point ses misères , qui se livre à sa déli-
catesse, qui met tout son plaisir dans \o mal d'aulrui.
Rien ne devrait être si propre à nous humilier , que
ce genre d'orgueil facile à blesser, moqueur , dédai-
gneux , fier , jaloux de vouloir tout pour soi , et tou-
jours implacable sur les défauts d'autrui. On est bien
imparfait , quand on supporte si impatiemment les
imperfections du prochain. A tant de maux je ne vois
de remède que l'espérance en Dieu , qui est aussi bon
et aussi puissant que vous êtes faible et mauvaise. II
vous laissera néanmoins languir long-temps , sans dé-
raciner le naturel et l'habitude •, car il vous vaut bien
jnieux d'être écrasée par votre propre misère , et par
l'expérience de votre impuissance d'en sortir , que de
jouir tout à coup du plaisir de vous voir perfection-
née. Ne songez qu'à supporter les autres , qu'à dé-
tourner vos yeux des gens qui ne peuvent vous édi-
fier , comme on ferme les yeux à une tentation. C'en
est une très-dangereuse pour vous. Priez , lisez ; abais-
sez votre esprit par le goût des choses simples. Adou-
cissez votre cœur par l'union à Jésus enfant et pai-
sible dans l'humiliation. Cherchez votre force dans
le silence. Je suis ra^i de ce que vous êtes touchée
du progrès de M™^ de Mortemart ; elle est vérita-
blement bonne , et désire l'être de plus en plus. La
vertu lui coûte autant qu'à un autre, et en cela elle
est très-propre à vous encourager. Personne ne s'in-
téresse plus fortement que moi , madame , aux choses
qui vous touchent le plus.
CORRESP. IV. l3
434 LEITRES SPIRITUELLES.
212.
Confie la crainte excessive de goûter les plaisirs innocens. Suivre avec
simplicité les a^is des médecins.
Mardi , 27 juin (i6go.)
Je suis , madame , sincèrement touché du pénible
état où vous êtes-, je crois en voir clairement la source.
Si vous pouvez vous résoudre à user du remède sim-
ple f[ue je vais vous proposer , vous serez bientôt sou-
lagée ; mains je crains qu'un scrupule ne vous empê-
che de vous en servir.
La crainte excessive de goûter du plaisir dans les
choses innocentes et nécessaires vous fait plus de mal
pour votre avancement spirituel , que ce plaisir ne
pourrait vous en faire. Il est vrai qu'il ne faut jamais
se flatter soi-même , surtout quand on est obligé à
se punir : mais une contention perpétuelle pour re-
pousser jusqu'au moindre sentiment involontaire de
plaisir dans une vie réglée , vous cause un trouble
très-nuisible. Je voudrais donc re^ancher fidèlement
les propretés excessives et les délicatesses de goût ,
toutes les fois qae vous les apercevez tranquillement ;
mais je ne voudrais point cette attention forcée à re-
jeter sans cesse les plaisirs inévitablement attachés à
la nourriture simple et au repos nécessaire. Puis-
qu'on vous fait prendre du lait pour rafraîchir votre
sang , vous devez faire, par rapport au jeûne, ce que
votre médecin vous dira. Il faut , sans raisonner , se
laisser juger , après qu'on a exposé le fait : autrement
on s'entortille à l'infini , et on se ronge soi-même.
Sur toutes les autres choses de votre santé, parlez
LETTRES SPIRITUELLES. ^Z5
naïvement au médecin , pour uètre point flattée ;
puis laissez-le décider , et ne vous écoutez plus vous-
même. Mais obéissez tranquillement : c'est à quoi
doit se tourner votre fidélité et votre courage. Sans
cela , vous n'aurez pas la paix des enfans de Dieu ,
ni ne mériterez de l'avoir. Portez toutes les peines
de votre élat , qui est plein d'embarras et de sujé-
tions , en esprit de pénitence : c'est là la pénitence
que Dieu vous donne y bien plus sûre que celle que
vous cboisiriez vous-même. Il n'y a point de lieu au
monde où vous ne vous retrouvassiez vous-même avec
le goût des plaisirs. La solitude même la plus austère
aurait ses épines. Le meilleur état est celui où la main
de Dieu vous tient. Ne regardez pas plus loin , et ne
songez qu'à recevoir tout de moment en moment , en
esprit de mort et de renoncement à votre propre es-
prit. Mais cet acquiescement doit être plein de con-
fiance en Dieu, qui vous aime d'autant plus qu'il vous
épargne moins.
Dormez autant que le médecin le croira nécessaire
par rapport à votre tempérament et à votre indispo-
sition présente. Vous devriez avoir du scrupule de
vos scrupules mêmes , et non pas de votre sommeil.
Personne vous est , madame , plus sincèrement et
plus respectueusement dévoué que moi.
i3^
/|36 LETTRES SPIRITUELLES.
213 * A.
En quoi consiste la véritable hiiinilift5 ; espérer en Dieu malgré notre
indignité.
Samedi, 22 juillet (1G90.)
C'est une fausse humilité que de se croire indigne
des bontés de Dieu , et de n'oser les attendre avec
confiance. La vraie humilité consiste à voir toute son
indignité , et à demeurer abandonné à Dieu , ne dou-
tant point qu'il ne puisse faire en nous les plus grandes
choses. Si Dieu , pour ses ouvrages , avait besoin de
trouver en nous des fondemens déjà posés , nous agi-
rions raison de croire que nos péchés ont tout détruit ,
et que nous sommes indignes d'être choisis par la sa-
gesse divine. Mais Dieu n'a besoin de rien trouver en
nous ; il n'y peut jamais trouver que ce qu'il y a mis
lui-même par sa grâce. On peut dire même que le
néant de toute créature, joint au péché dans une ame
infidèle , est le sujet le plus propre à recevoir ses mi-
séricordes. C'est là qu'elles prennent plaisir à couler
pour se manifester plus sensiblement. Ces âmes pé-
cheresses, qui n'ont jamais senti en elles qu'infirmité ,
ne peuvent s'attribuer rien des dons de Dieu. C'est
ainsi que Dieu choisit les choses les plus faibles du
monde, comme dit saint Paul {a), pour confondre les
plus f 07^ tes.
Ne craignez donc point , madame , que vos infidé-
(*) Sentimens chrét, partie du n. vij OEuvres spir. tome I,
page 109.
(a) / Cor, I. 27.
LETTRES SPIRITUELLES. /^'dj
litcs passées vous rendent indigne de la miséricorde
de Dieu. Rien n'est si digne de sa miséricorde, qu'une
grande misère. Il est venu du ciel en la terre pour les
pécheurs, et non pour les justes ; il est venu clierclier
ce qui était perdu , et tout était perdu sans lui. Le
médecin clierclie les malades , et non les sains. 0 que
Dieu aime ceux qui se présentent hardiment à lui,
avec leurs haillons les plus sales et les plus déchirés ,
et qui lui demandent , comme à leur père , un vête-
ment digne de lui ! Vous attendez que Dieu vous mon-
tre un visage doux et riant pour vous familiariser
avec lui ; et moi, je dis que , quand vous lui ouvrirez
simplement votre cœur avec une entière familiarité,
vous ne vous mettrez plus en peine du visage avec
lequel il se présentera à vous. Qu'il vous montre ,
tant qu'il lui plaira , un visage sévère et irrité , lais-
sez-le faire : il n'aime jamais tant que quand il me-
nace ; car il ne menace que pour éprouver, pour hu-
milier , pour détacher. Est-ce la consolation que Dieu
donne , ou Dieu lui-même sans consolation , que votre
cœur cherche? Si c'est la consolation, vous n'aimez
donc pas Dieu pour l'amour de lui-même , mais pour
l'amour de vous. En ce cas , vous ne méritez rien de
lui. Si, au contraire, vous cherchez Dieu purement,
vous le trouvez encore plus quand il vous éprouve,
que quand il vous console. Quand il vous console ,
vous avez à craindre de vous attacher plus à ses
douceurs qu'à lui ; quand il vous traite rudement, si
vous ne cessez point de demeurer unie à lui , c'est à
lui seid que vous tenez. Hélas , madame , qu'on se
trompe ! On s'enivre d'une vaine consolation , lors-
qu'on est soutenu par un goût sensihle ; on s'imagine
^38 LETTRES SPIRITUELLES.
être déjà ravi au troisième ciel , et on ne fait rien de
solide : mais quand on est dans la foi sèche et nue ,
alors on se décourage , on croit que tout est perdu.
En vérité , c'est alors que tout se perfectionne , pourvu
qu'on ne se décourage pas. Laissez donc faire Dieu :
ce n'est pas à vous à régler les traitemens que vous
en devez recevoir ; il sait mieux que vous ce qu'il
vous faut. Vous méritez bien un peu de sécheresse
et d'épreuve ; souffrez-la patiemment. Dieu fait de
son côté ce qui lui convient quand il vous repousse.
De votre côté , faites aussi ce que vous devez , qui est
de l'aimer sans attendre qu'il vous témoigne aucun
amour. Votre amour vous répondra du sien ; ^otre
confiance le désarmera , et changera toutes ses ri-
gueurs en caresses. Quand même il ne devrait point
s'adoucir , vous devriez vous abandonner à sa con-
duite juste , et adorer ses desseins de vous faire ex-
pirer sur la croix dans le délaissement avec Jésus ,
son fils bien-aimé. Voilà , madame , le pain solide de
pure foi et d'amour généreux , dont vous devez nour-
rir votre ame. Je prie Dieu qu'il la rende robuste et
vigoureuse dans les peines. Ne craignez rien : ce se-
rait manquer de foi que de craindre. Attendez tout ;
tout vous sera donné : Dieu et sa paix seront avec vous.
Lundi , 24 juillet
Il y a deux ou trois jours , madame , que cette lettre
est écrite : permettez-moi d'y ajouter un mot sur les
nouvelles d'Irlande (i). Personne ne prend plus de
(1) Ceci est relatif à la bataille de la Boiiie , en Irlande, perdue
par Jacques II le 11 de ce même mois. Le frère de la Comtesse
servait dans l'armée du Roi Jacques.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^9
part c[iie moi à la juste peine où vous êtes. Je prie
Dieu qu'il vous console , et qu'il vous fasse savoir des
suites moins mailieureuses que les coinmeucemens.
214.
Adorer les desseins de Dieu dans les révolutions do ce monde.
Jeudi au soir (1G90.)
Je sais , madame , combien vous êtes sensiLle aux
affaires d'Angleterre. Ainsi je prends part à la peine
que vous devez ressentir du mauvais succès du bon
parti en Irlande. Dieu sait ce qu'il veut faire , et il
est jiiste que nous l'ignorions. Il faut adorer ses des-
seins , sans les comprendre. Quand j'ai appris ces mau-
vaises nouvelles , j'ai appréhendé que vous n'eussiez
en ce pays-là quelque parent dont vous fussiez en
peine. Vous ne sauriez , madame , avoir rien de fâ-
cheux dont je ne sois sincèrement touché. Quand
vous voudrez que j'aie l'honneur de vous voir, don-
nez-moi sans façon vos ordres pour le temps et pour
le lieu.
» ^/%/%JV\^ X1/\'^^%^^^V%/\%^%/%%/\%:l%/%
215.
Ne point s'appuyer sur les crcaUiros ; s'abaisser sous la main do Dieu.
Vendredi, 17 novembre (1690.)
Je suis très-sincèrement affligé , madame , du mal-
heur de messieurs vos frères ; mais , pendant que les
hommes les abandonnent, il faut intéresser Dieu par
votre patience à les secourir. Il est Tasile de ceux
440 LETTRES SPIRITUELLES.
qu'on persécute , et le consolateur des affligés. Il vous
éprouve par les choses qui arrivent à messieurs vos
IVères; mais il ne vous éprouve que pour vous détacher,
et pour vous rendre digne de lui. Quiconque , dit-il {a),
aime ou son père y ou sa mare , ou ses frères , etc. plus
(lue moi , n'est pas digne de moi. Il faut lui sacrifier
la chair et le sang; il fau.t vous sacrifier vous-même.
Il est le meilleur de nos amis , et le plus proche de
nos parens. Hélas i madame , qu'attendiez-vous des
hommes? vous ne les connaissiez donc pas. Ils sont
faibles , inconstans , aveugles : les uns ne veulent pas
ce qu'ils peuvent ; les autres ne peuvent pas ce qu'ils
veulent. La créature est un roseau cassé : si on veut
s'appuyer dessus , le roseau plie , ne peut vous sou-
tenir , et vous perce la main.
Pour la pratique , voici ce que je pense : Dieu vous
a touchée au vif en vous humiliant ; le médecin cha-
ritable a mis le remède sur l'endroit malade et sen-
sible : tant mieux ; c'est qu'il veut vous guérir. Tai-
sez-vous ; adorez celui qui vous frappe ; n'ouvrez la
bouche que pour dire : Je l'ai bien mérité. Tous les
discours contre le Roi et la Reine ne serviraient qu'à
vous venger , sans vous servir. Vous leur feriez du
mal sans vous faire aucun bien ; ainsi vous ne pouvez
en conscience parler : ce déchaînement serait scan-
daleux. Pour moi, je crois que Dieu vous attendait
en cette occasion ; elle décidera pour votre avance-
ment spirituel. Si vous perdez le fruit d'une telle
croix y vous serez doublement malheureuse , et vous
manquerez à Dieu d'une manière très-dangereuse.
(a) Malth. x. 87.
LETTRES SPIRITUELLES. 44 ^
Mais combien de grîices atlaclices à cette croix , si
vous la porte?, courageusement ! C'est par là que vous
entrerez dans une nouvelle voie pour courir vers
la perleclion évangélique. N'hésitez donc pas , ma-
dame ; quelque amer que soit le calice , avalez-le jus-
(ju'à la lie , comme Jésus-Christ. Je le prie de vous
en donner la force , et de ne permettre pas que vous
vous abandonniez aux saillies injustes du ressenti-
ment. Jésus-Christ est mort pour ceux qui le faisaient
mourir , et il nous a enseigné à aimer, à bénir, à aider
par nos prières ceux qui nous maudissent et nous
persécutent. Redoublez vos prières dans ces temps
de trouble et de tentation. Vous trouverez dans le
cœur de Jésus-Christ mourant sur la croix , tout ce
qui manque au vôtre pour aimer ceux que votre
orgueil voudrait haïr et confondre.
216.
Sur la compassion qu'elle doil témoigner à son frère disgracié.
Dimanche, ly novembre (1690)
Vous pouvez, madame, témoigner à monsieur votre
frère beaucoup de tristesse , de douleur , et même
d'accablement , sur les malheurs qui lui arrivent. Vous
pouvez y ajouter un grand empressement jwur cher-
cher les moyens inuocens de le secourir; mais il faut
éviter de lui montrer du ressentiment contre les gens
qui sont contre lui : ce serait aigrir son esprit , et
autoriser la passion de haine et de vengeance que vous
devez tâcher d'appaiser. Ne lui racontez que les faits
précis qui lui sont nécessaires pour entendre la suite
442 LETTRES SPIRITUELLES.
de ses affaires , et pour prendre les partis convenables
à son véritable intérêt ; ne lui dites point les circon-
stances qui ne vont qu'à envenimer le cœur : vous
lui épargnerez non-seulement des tentations , mais
encore beaucoup de peine d'esprit. Si vous voulez
demain lundi venir dans l'entresol de M^^ la Ducliesse
de Beauvilliers , j'y serai à sept heures trois quarts ,
après l'étude du soir. Je serais ravi , madame , d'aller
vous rendre mes devoirs cliez vous; mais vous y seriez
moins liJjre, et je serais un peu emJjarrassé à le faire.
217.
Voir ses fautes avec humilité, mais sans trouble.
Mercredi, 4 avril (1691.)
Je suis bien fâché , madame , de ce que vous faites
si mal ; mais ce qui m'en console est que vous êtes
mécontente de vous. Ce mécontentement sincère vaut
mieux qu'une merveilleuse conduite , dont on se sait
bon gré. Si vous voulez que j'ai l'honneur de vous
voir ce soir, je serai hbre environ à six heures, et
je me rendrai dans l'endroit que vous me marque-
rez. Quoique je tâche de vous endurcir contre vos
croix , et même contre le découragement causé par
vos fautes , je ne laisse pas d'être touché de vos em-
barras.
LETTRES SPIRITUELLES. 44^
h vww»*««w%v»%%v **rv%%**%* V** v%* vw«w«vw w vwW».vv*v**viw*%
it%%VV%W«.«^
218.
Poilei" SCS croix avec paix cl liumililc.
Samedi, a juin (i6yi )
Vous voulez Lien , matlaii.c , que je me dispense
(Valler cliez vous , à cause d'un gros rliuine qui me
lail garder ma chambre. Il ne lu'a pas empêché de
faire un projet de lettre que je vous .envoie. Vous en
prendrez sans laçon , s'il vous plaît , ce que vous ju-
gerez à propos , et ne douterez point de ma Lonne
> olonté. Je prie Dieu , non de vous délivrer de vos
croix , si elles vous sont nécessaires , mais de vous
les faire porter avec un courage humble et paisible.
La nature n'inspire qu'un courage fier , dédaigneux
et irrité contre les personnes dont Dieu se sert pour
nous humilier. Soyez donc grande en Dieu et point
en A ous , grande par la douceur et la patience , pe-
tite par l'humilité.
219.
Pardonner facilcmcut aux atilrcs leurs préventions.
A Versailles, 17 juin (1691.)
Vous avez toujours, madame, à souffrir et des au-
tres et de vous-même. Si vous n'aviez à soulïrir que
des autres, et que vous nV'prouvassiez en vous au-
cune des misères (|ue vous condamnez en autrui , le
pauvre piochain vous paraîtrait un monstre à étouf-
fer. Mais Dieu permet (pae vous ayez beaucoup à
444 LETTRES SPIRITUELLES.
souffrir de votre humeur hautaine , injuste et révol-
tée , pour vous apprendre à supporter tout ce qu'il y
a d'impatientant dans les personnes imparfaites. Re-
marquez , madame , que l'amour-propre est insatia-
ble , et qu'il veut toujours murmurer. Vous vous se-
riez crue trop heureuse , il y a quelques mois , si on
vous eût promis la délivrance de monsieur votre
frère, et la joie de le voir deux jours avant qu'il s'en
retournât servir son Roi. Tout cela est venu ; et loin
de remercier Dieu d'une grâce si inespérée, vous vous
plaignez de l'avoir vu si peu. Prenez garde que vous
ne le voyiez trop long- temps.
Pourquoi vous irritez-vous contre le Roi et la Reine
d'Angleterre ? Peut-être sont-ils , par des raisons se-
crètes , dans l'impuissance de faire ce que vous vou-
driez ; peut-être demandez-vous trop ; peut-être ont-
ils d'autres idées que vous , par la prévention où. on
les aura mis. Quoi ! la prévention est-elle chez vous
un crime irrémissible ? N'est-ce pas une faiblesse
ordinaire aux hommes? et où sont ceux qui s'en
garantissent , quelque bonne intention qu'ils aient ?
N'avez-vous jamais été prévenue en rien ? ne sau-
riez-vous pardonner aux autres de l'être? Revenez,
madame , aux sentimens d'humanité , en attendant
que la charité dompte votre cœur. Si vous ne pouvez
entièrement vous modérer et vous retenir , du moins
humiliez-vous ; gourmandez votre orgueil , sans vous
décourager. Tâchez de vous appaiser en silence de-
vant Dieu, comme une mère appaise son enfant san-
glottant sur ses genoux. Peu à peu le calme reviendra
avez le recueillement. Pourvu que vous profitiez du
loisir de Diiian pour être exacte à lire et à prier ,
LETTRES SPIRITUELLES. 44^
tout ira bien. Les croix vous sont nécessaires; et Dieu,
qui vous aijiie , ne vous en laisse point manquer. Je
le prie d'y ajouter la force de les porter.
220.
Conserver la paix au milieu des croix ; adorer la maiu qui nous les
cn\oie.
A Versailles, 23 juin (ifigi.)
Je ne puis , madame , être aussi sensible que je
voudrais l'être à votre douleur. J'y vois tant de mar-
ques de miséricorde , et une si grande moisson de
grâce pour vous , que si la nature s'en afflige , la foi
doit s'en réjouir. Vous perdez l'espérance , et sans
espérance vous trouvez la paix par la soumission et
par le sacrifice sans réserve. Voilà précisément comme
Dieu vous veut ; il vous pousse jusque-là pour vous
détacber de tout ce qui n'est point lui-même. Que
reste-t-il , que d'embrasser la croix qu'il vous pré-
sente , et de vous laisser crucifier ? Quand il vous aura
bien crucifiée , il vous consolera. Mais il ne fait pas
comme les créatures , qui donnent des consolations
empoisonnées , pour nourrir le venin de l'amour-
propre ; il ne console qu'après avoir ôté toute res-
source à la nature superbe et molle. La paix que vous
trouvez dans la soumission , sans aucun adoucisse-
ment extérieur des affaires , est un grand don. Par là
Dieu vous accoutume à être exercée sans être abat-
tue. Quoique la nature làcbe et sensible s'abatte , le
fond demeure soutenu. C'est une paix d'autant plus
pure qu'elle est sèclie. La vue de Dieu , qui a tout
4 j6 LETTRES SPIRITUELLES.
droit sur sa créature , et celle de vos misères , qui ne
méritent qu'humiliation et croix , sont le pain dont
il faut vous nourrir dans cette épreuve. Vous y con-
sentez ; mais vous ne pouvez comprendre pourquoi
Dieu frappe sur l'innocent pour purifier la coupable.
Sachez madame , que personne n'est innocent , et ne
peut entrer en jugement avec lui. Que savez-vous si
le même coup qui vous humilie , n'iiumiliera point
aussi monsieur votre frère sous la puissante main de
Dieu? Il faut adorer ses profonds conseils sans les
pénétrer. Peut-être veut-il préparer de loin , par tant
de malheurs , monsieur votre frère à se tourner soli-
dement vers lui ; peut-être que vous vous réjouirez
tous deux un jour de ce qui vous afilige maintenant.
Laissez faire Dieu , madame , les hommes ne peuvent
rien. Quand tout semble perdu , tout est quelquefois
sauA^é. Dieu se plaît à nous précipiter , et à nous re-
lever du précipice par sa seule main. Mais quoi qu'il
fasse pour monsieur votre frère , songez à vous , pour
accepter la croix , et pour adorer la main qui vous
en charge afin de vous sanctifier. Heureux qui est
prêt à tout, qui ne dit jamais, c'est trop; qui compte
non sur soi-même , mais sur le Tout-Puissant , qui
ne veut de consolation , qu'autant que Dieu lui-même
en veut donner , et qui se nourrit de sa pure volonté !
LETTRES SPIRITUELLES. 44?
221 * A.
Avantigcs des croix supportées chrétiennement.
A Versailles, 9 septembre (1G91.)
Je suis bien honteux , madame y de n'avoir appris
que depuis deux heures que vous avez été malade.
On m'avait bien dit que vous étiez à Paris dans un
régime et dans l'usage de certains longs remèdes , que
vous m'aviez dit que vous vouliez faire avant le
voyage de Dinan ; mais je ne savais point que vous fus-
siez moins bien qu'à l'ordinaire , et je suis tout honteux
d'être si mal informé des choses auxquelles je prends
tant d'intérêt. On m'assure , madame , que nous aurons
l'honneur de vous voir à Fontainebleau , et qu'avec
beaucoup de souffrances vous ne laissez pas de sen-
tir que la nature surmonte le mal. C'est ce qu'on
peut souhaiter de mieux pour vous dans la mala-
die -, une ressource pour guérir , et en même temps le
fruit de la croix. Je prie celui qui vous fait souffrir
de vous donner la paix et la soumission dans la
douleur.
Qu'on est heureux quand on souffre , pourvu qu'on
veuille bien souffrir, et satisfaire à la justice de Dieu !
Que ne lui devons-nous pas , et quelles peines mé-
riterions-nous en rigueur ! Une éternité de supplices
cliangés en quelques dartres ; la perte de Dieu , la rage
et le désespoir des démons changés en une souffrance
(*) Sentiniens chiét, partie du n. xxix^ OEuvres spir, tom. I,
page 278.
^Z|.b LETTRES SPIRITUELLES.
tranquille et courte , où l'on arlore avec consolation
et espérance la main dont on est frappé par miséri-
corde : de telles croix méritent des lemercîmens , et
non pas des plaintes. Ce sont des grâces qu'il faut
sentir avec un coeur attendri sur les bontés de Dieu.
Vous eût-il couverte de la lèpre , il vous épargne
encore. La lèpre de l'orgueil , du péclié , et de l'ido-
latrie de soi-même , était bien plus affreuse. C'est
de quoi il vous a guérie. Il me tarde , madame , de
vous demander à Fontainebleau comment vous vous
trouvez de la pénitence et de la retraite oii Dieu vous
a mise. Celles qu'on choisit ne sont rien j il n'y a que
Dieu qui sache crucifier.
222.
Ne point ajourner ses projets de perfection. Le parfait amour chasse
la crainte.
A Versailles, 17 septembre (iGyi.)
Je suis ravi , madame , d'apprendre que votre santé
se rétablit. Les sentimens où vous me témoignez être
font voir que la croix n'est jamais sans fruit , quand
on la reçoit en esprit de sacrifice. J'espère , madame ,
que nous aurons l'honneur de vous revoir à Fontai-
nebleau avec un renouvellement de grâce et de déta-
chement du monde. Vous avez bien raison de croire
qu'il ne faut pas attendre la liberté et la retraite pour
se détacher de tout , et pour vaincre le vieil homme.
Cette situation libre n'est qu'une belle idée. Peut-être
<n'y parviendrons-nous jamais, et il faut se tenir prêt
à mourir dans la servitude de notre état si la Pro-
LETTRES SPIRITUELLES. 449
vitlcTice prévient nos projets tle retraite. Vous n'êtes
}x>int ù vous , et Dieu ne vous demande que ce qui
dépend de vous. Les Israélites dans Babylone sou-
piraient après Jérusalem ; mais combien y en eut-il
(pli ne revirent jamais Jérusalem , et qui finirent leur
vie à Babylone! Quelle illusion, s'ils eussent toujours
différé jusqu'au temps de leur retour dans leur patrie ,
à servir fidèlement le vrai Dieu , et à se perfectionner !
Peut-être ferez-vous comme ces Israélites.
Ce que vous me mandez de M^^e de la Sablière (i)
me touclie et m'édifie. Je ne l'ai vue qu'une fois ;
mais il m'en est resté une grande impression. Elle a
Jjien raison de ne clierclier plus rien dans les hommes ,
ayant trouvé Dieu , et de faire le sacrifice de ses
meilleurs amis. Le bon ami est au dedans du cœur :
c'est l'époux qui est jaloux , et qui écarte tout le reste.
Pt)ur la mort , elle ne trouble que les personnes cbar-
(i) M™* de la Sablière est connue pour avoir donné chez elle
asile à La Fontaine, qui lui adressa une de ses fables. ( Liv. vni. i. )
Après avoir "vécu dans le grand monde et à la cour , où clic se
distingua par ses qualités solides et brillantes , par l'étendue et la
variété de ses connaissances, la mort de son mari, et le refroidis-
sement du Marquis de la Fare qui l'avait aimée avec passion, la
ramenèrent à la pratique de la Religion. Elle consacra les dernières
années de sa vie à soulager les pauvres et les malades. « C'était
» dit Dangeau , ( Journal^ 9 janvier 1698 ) une femme qui avait
)) une grande réputation par sou esprit, et qui, depuis Icnglemps,
» était retirée aux Incurables , oîi elle menait une vie fort austère
» et fort exemplaire. » On a d'elle des Pensées chrétiennes , im-
primées quelquefois à la suite des Maximes du Duc de la Roche-
foucauld. Elle mourut le 8 janvier 1693. Voyez à son sujet les
lettres de M™'^ de Sévigné des 21 juin et 14 juillet i68oj t. YI,
édit. de Biaise, 1818, in-8" , pag. 335 et S^S.
CoRRESP. IV. l4
45o LETTRES SPIRITUELLES.
nelles et mondaines. Le parfait amour chasse la
crainte {a). Ce n'est point par se croire juste qu'on
cesse de craindre ; c'est par aimer simplement , et
s'abandonner sans retour sur soi à celui qu'on aime.
Voilà ce qui rend la mort douce et précieuse. Quand
on est mort à soi , la mort du corps n'est plus que
la consommation de l'œuvre de grâce.
N'auriez-vous point la bonté , madame , puisque
TOUS écrivez à la malade , de lui témoigner combien
je me réjouis selon la foi de ce que Dieu met en elle ,
et combien j'espère que tous ses maux seront des
biens ?
(a) / Joan. iv. 18.
223.
Il lui indique un lieu où elle pourra le voir, et badine sur son humeur.
Jeudi, 20 septembre (1691.)
Si vous voulez , madame , venir tantôt vers les
sept heures chez M™^ la Duchesse de Chevreuse , j'es-
père qu'elle nous recevra charitablement , quoique
je n'aie point encore mis le pied à sa porte. Vous
voyez par là , madame , que je ne suis pas moins
sauvage pour elle que pour vous. Je ne le suis plus
même pour vous , ce me semble : vos peines m'ont
ôté mon humeur farouche.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^'
224.
Recevoir les humiliations comme venant de la main de Dieu.
A Versailles, i5 novembre (1691.)
Il y a long-temps madame , que je ne vous aï
tienne aucune marque de mon respect ; mais je n'ai
cessé de demander de vos nouvelles à tous ceux qui
])ouvaicnt m'en dire , et de parler de vos peines avec
les personnes qui s'y intéressent. Dieu vous a donné
une rude croix par le mal que vous souffrez. Il est
opiniâtre , il est douloureux i outre les douleurs du
mal , vous avez celles des remèdes. Mais la douleur
n'est pas ce qui vous fait le plus de peine : vous êtes
courageuse et dure contre vous-même , pour souffrir
patiemment ; mais Dieu vous a prise par un autre
endroit plus sensible , qui est votre faible : il attaque
votre délicatesse et votre propreté. Vous qui êtes d'un
goût si exquis et si dédaigneux j vous êtes réduite à
être dégoûtée de vous-même , et à craindre que les
autres ne s'en dégoûtent. C'est Dieu qui le fait , et
tout ce qu'il fait est bien , et tout ce qu'il fait est mi-
séricorde. Il faut qu'il écrase notre amour-propre et
notre orgueil. Adorons sa main , et Immilions-nous.
Je le prie , madame , de vous donner , pour le corps
et pour l'esprit , tout ce que sa bonté doit répandre
sur vous.
H'
452 LETTRES SPIRITUELLES.
»V»«*»\*%%<»<»IV»V«I% «%%««<»%»» «o» »»»%»>
225.
Félicitafious à la Comtesse sur l'adoucissement à la disgrâce de son frère.
Vendredi, 3o novembre (1691.)
J'apprends , madame , que l'éloquence de M. le
Comte de Gramont a fait plus que "vous n'osiez es-
pérer pour la liberté de monsieur votre frère. Souffrez
que je vous en témoigne ma joie dans ce billet, en at-
tendant que je puisse , dans quelque entresol , ou au-
près de la petite cheminée de marbre blanc , vous
dire combien je prends de part à cet heureux succès.
/»'%«/V»%%%%'«
226,
Ne point ajourner sa perfection ; la faire consister dans la fidélité aux
petites choses aussi-bien qu'aux grandes.
J'aurai de la peine , madame , à me souvenir des
choses que je vous dis Dimanche dernier. Toute l'idée
qui m'en reste est , ce me semble , que je vous dis
deux choses : la première , que nous devions nous
sanctifier dans l'état oijl la Providence nous a mis ,
sans nous faire des projets ou des desseins de vertu
pour l'avenir -, et la seconde , que nous devions avoir
une fort grande fidélité à Dieu dans les plus petites
choses.
La plupart des gens passent la meilleure partie de
leur vie à connaître et à regretter leur manière de
vivre , à se proposer de la changer , à se faire des
réglemens pour un temps qu'ils espèrent avoir et qui
souvent ne leur est point donné , et à perdre ainsi
LETTRES SPIRITUELLES. /\5'6
en rcsolulions un temps qu'ils devraient employer à
faire de bonnes œuvres , et à travailler utilement à
leur salut.
Il faut, madame, regarder ces sortes d'idées comme
une tentation fort dangereuse. Notre salut est l'ou-
vrage de tous les jours et de tous les momens de
notre vie. Il n'y a point de temps plus propre pour
le faire , que celui que Dieu nous donne maintenant
par sa miséricorde , parce que nous l'avons aujour-
d'hui , et peut-être nous ne l'aurons pas demain. Le
salut ne se fait point en désirant de le faire , mais
en s'y appliquant de tout son mieux. L'incertitude
dans laquelle nous vivons nous doit faire comprendre
que notre volonté doit être arrêtée par cette seule
affaire , et que toute autre occupation est indigne de
nous puisqu'elle ne nous conduit point à Dieu , qui
doit être la fin de toutes nos actions , et qui est le
Dieu de noire salut, qui est le nom que David lui
donne souvent dans les Psaumes.
Pourquoi, madame, faisons -nous des projets de
perfection ? C'est que nous les croyons nécessaires
pour nous sauver. Pourquoi différons-nous donc de
les exécuter , puisqvi'il est aussi nécessaire que nous
travaillions aujourd'hui à notre salut , que d'ici à dix
ans; à la cour, comme dans une vie plus retirée? Il
faut toujours prendre le plus sûr dans l'affaire de son
salut : ou on perd tout , ou on gagne tout. L'état de
la vie auquel Dieu nous a appelés est sûr pour nous ,
quand nous y remplissons tous nos devoirs. Si Dieu
eût prévu que dans les cours des Princes on n'ei\t pas
pu se sauver , il nous aurait commandé de n'y ja-
mais demeurer. Bien loin de nous a\oir fuit ce coni-
454 LETTRES SPIRITUELLES.
mandement , c'est lui qui fait les Rois et qui règle
leurs cours , et qui permet que la naissance ou les
emplois qu'on y a y donnent entrée. Il veut donc
qu'on s'y sauve , et qu'on y trouve le chemin qui con-
duit au ciel , qui consiste dans l'attachement à la vé-
rité, à cette vérité , dis-je , que Jésus-Christ nous a dit
nous devoir délivrer (a) , c'est-à-dire , nous retirer
de tous les dangers auxquels on est exposé en ce
monde.
Tant plus, madame , vous en rencontrez dans l'état
où vous êtes , tant plus aussi vous devez veiller sur
vous-même , pour n'y pas succomber. Veiller sur soi ,
c'est être attentif à Dieu ; c'est l'avoir toujours pré-
sent -, c'est i^ntrer en soi-même ; c'est ne se point
dissiper ou distraire volontairement parmi les créa-
tures*, c'est aimer, autant qu'on le peut, la retraite, les
saints livres et la prière; ', c'est rêjjandre , comme dit
le Prophète (e) , son cœur en la présmice de Dieu ,'
c'est le trouver en soi-même \ c'est le chercher par
la ferveur de ses désirs , c'est l'aimer plus que toutes
choses , et éviter tout ce que nous savons lui dé-
plaire. Cette vertu , madame , est la vertu de tous les
états ; elle est d'un merveilleux secours à la cour , et
3e^ ne trouve rieu qui puisse aider davantage à n'ai-
mer point le monde, au milieu du monde, que l'usage
qu'on en sait faire. Rendez-vous-la donc familière ,
madame , et tâchez de n'oublier jamais que vous êtes
avec Dieu , et que Dieu est en vous , aiin que vous
vous conserviez toujours fidèle à son service.
Accoutumez-vous à adorer souvent sa sainte vo-
(a) Joan, vui. 32. («) Ps. lxi. 9.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^^
lonté par une huniLle soumission tic la vôtre ù ses
onli-es et à sa providence. Priez-le qu'il vous sou-
tienne , de peur que vous ne tombiez. Suppliez-le
qu'il achève en vous son ouvrage ^ et que vous ayant
inspiré le désir de vous sauver dans l'état où vous
êtes , vous vous sauviez en effet daiis l'état où. il vous
a mise. Il ne demande pas de vous de jurandes choses
pour y réussir. Lo royaumo de Dieu est au dedans
do vous-ynémo ; c'est ce que Jésus -Christ nous dit
dans son Evangile («) ; nous l'y rencontrons quand
nous le voulons. Faisons ce que nous savons qu'il de-
mande de nous \ mais dès que nous connaissons sa
volonté, ne nous épargnons point, et soyons-lui très-
lidèles. Cette fidélité ne doit pas seulement nous en-
gager à faire de grandes choses pour son service , et
pour notre salut , mais toutes celles indiliéremment
qui se présentent , et qui sont de Tétat où nous
sommes. Si on ne se sauvait que par de grandes ac-
tions , il y aurait peu de personnes qui pussent es-
pérer de se sauver. Le salut est attaché à la volonté
de Dieu que nous accomplissons. Les plus petites
choses deviennent grandes , quand Dieu les demande
de nous : elles ne sont petites qu'eu elles-mêmes ;
elles sont toujours grandes , dès qu'elles sont faites
pour Dieu, qu'elles nous conduisent à Dieu, et (pi'elles
nous servent de moyens pour le ])Osséder éternel-
lement.
Souvenez-vous , madame , qu'il nous a dit dans
l'Evangile (e) , que celui i^ui serait inlldèl^i dans les
jyeiites choses le serait aussi dans les grandes , et
(a) Luc. xvu. 21. [e) Luc. xvi. lo.
^56 LETTRES SPIRITUELLES.
(lue celui qui serait fidèle dans les plus petites le se •>
7'ait aussi dans les plus considérables. Il me semble
aucune ame qui désire être très-sincèrement à Dieu,
n'examine jamais si une chose est petite ou grande.
Il lui suffit de savoir que celui pour l'amour duquel
elle le fait est infiniment giand , et qu'il mérite que
toutes les créatures soient uniquement occupées à lui
donner la gloire qui lui est due', et qu'on ne lui rend
que dans l'accomplissement de sa volonté.
Pour vous^ madame , je crois que vous devez re-
cevoir vos croix comme votre principale pénitence ; les
importunités du monde doivent vous détacher de lui ,
et vos misères doivent vous détacher de vous. Por-
tez en paix ce fardeau perpétuel -^ et vous ne cesserez
d'avancer dans la voie étroite. Elle est étroite par les
peines qui serrent le cœur ; mais elle est large par
l'étendue que Dieu donne au cœur par le dedans. On
souffre , on est environné de contradictions , on est
privé des consolations même spirituelles; mais on est
libre , parce qu'on veut tout ce qu'on a , et on ne
voudrait pas s'en délivrer. On souffre sa propre lan-
gueur , et on la préfère aux états les plus doux ,
parce que c'est le choix de Dieu. Le grand point est
de souffrir sans se décourager.
227.
Dispositions qui conviennent au temps de TAvent.
Le temps de l'Avent nous doit inspirer , madame,
de grands désirs de nous donner à Dieu , de prépa-
rer notre cœur pour recevoir la plénitude de ses
LETTRES SPIRITUELLES. 4^7
grâces , et noiis disposer à renaître avec Jésus- Christ,
ou , pour mieux dire , à protiter des i'ruils de sa nais-
sance par l'union que nous devons avoir avec lui,
et que le seul amour de Dieu peut foiiner en nous.
Nous devons nous persuader qu'on dit à cliacun
de nous en particulier ce que saint Jean disait au-
trefois aux Juifs , pour les exciter à faire pénitence :
Préparez les voies du Seigneur j rendez droits ses
sentiers (a) , alin qu'il trouve vos cœurs en état de
le recevoir et d'y répandre ses bénédictions.
Cette préparation du cœur consiste dans un désir
ardent de le posséder. C'est pourquoi la Sainte-Eglise
nous fait souvenir en ce temps des désirs des saints
patriarches qui soupiraient après la venue du Messie ,
qui , pour cela , est appelé dans les saintes Ecritures
le Désiré ou le Désir de tous les peuples. Nous exci-
tons en nous ces désirs dans l'oraison , lorsque nous
répandons nos cœurs en la présence de Dieu , et que
nous le supplions de venir en nous pour en prendre
possession. Jésus-Christ nous a lui-même enseigné
cette manière de prier, quand il nous a ordonné de
demander à son Père que son règne arrive , c'est-à-
dire qu'il règne paisiblement en nous , et que nous
soyons par amour attachés à ses lois et à son Evangile.
Nous ne pouvons mieux former en nous ces désirs
que dans la solitude. C'est pourquoi , madame, je vous
conseille de vous retirer le plus souvent et le plus
long-temps que vous le pourrez , pour attirer sur vous
les grâces de Dieu ; étant persuadée que , comme Dieu
fit autrefois entendre sa voix à Jean-Baptiste dans les
(a) Mat th. m. 3.
458 LETTRES SPlRITUELLEâ.
déserts , et que ce fut dans ces lieux écartés de la foule
du monde , qu'il donna au peuple la connaissance du
Messie , il vous éclairera aussi , et vous remplira de
ses grâces et de son esprit , quand , dans la retraite,
vous tâcherez de vous occuper de lui , et le prierez
de vous donner part à ses mérites.
Je crois donc , madame , qu'il est à propos que
vous employiez beaucoup de temps à la prière , et
que vous preniez pour le sujet de vos oraisons le troi-
sième chapitre de saint Matthieu , une partie du pre-
mier chapitre de saint Mar-c , le troisième de saint
Luc 3 et le premier de saint Jean. Vous y trouverez
les sujets des exhortations de saint Jean-Baptiste au
peuple , qui contiennent ce que nous devons faire
pour nous disposer à profiter de la venue de Jésus-
Christ dans le monde et dans nos cœurs.
Nous pouvons réduire tout ce qu'il a dit aux cho-
ses suivantes :
i» A la pénitence , qui nous doit porter à nous
éloigner du monde , à pleurer l'attachement que nous
y avons pu avoir , et à embrasser les maximes de
l'Evangile pour marcher dans la voie étroite ;
2° A des sentimens d'une profonde humilité , nous
estimant indignes de ]:)araître devant Jésus-Christ ,
beaucoup plus de nous unir à lui , et de le recevoir
en notre cœur ;
3« A un grand courage et une fermeté inébran-
lable pour le bien , ne nous décourageant jamais à
la vue des difficultés qui s'y rencontrent , et résistant
avec vigueiu' au torrent du monde.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^9
228.
Avantages des croix.
A Versailles, 21 décembre (1691.)
Je vous assure , madame , que la lettre que vous
m'a\ ez fait riioiineur de m'écrire , m'a causé une sen-
sihle joie. J'y appi^ends que vous vous portez mieux ,
que vous devez revenir ici au commencement de Fan-
née , et ce qui est encore meilleur , que vous avez
taclïé de faire un Lon usage de vos croix. Ce qui at-
taque votre délicatesse et votre propreté dédaigneuse
va droit au but. Dieu sait bien choisir ce qu'il nous
faut _, et tous les coups dont il nous frappe sont des
miséricordes. Votre mal vous vaut mieux que tous
les talens naturels qui vous ont attachée au monde.
Vous êtes fort heureuse de faire cette pénitence ; elle
doit vous apprendre à ne mépriser rien , à n'avoir
horreur de rien , à ne vous préférer à personne , à
supporter les misères d'autrui. La lèpre de l'orgueil ,
de l'amour-propre , et de toutes les autres passions
de l'esprit , si nous n'étions point aveugles , nous pa-
raîtrait bien plus horrible et plus contagieuse que
les plus sales maladies , qui ne défigurent que la
chair. J'attends , madame , avec une sincère impa-
tience A otre retour ; personne n'en sera plus touché
que moi , et n'a plus de respect pour vous.
JJUO LETTRES SPIRITUELLES.
229.
Dérober quelques heures aux embarras , pour se fortilier par les
exercices de jiiétû.
Vendredi, ai mars (1692.)
Ce n'est pas moi , madame , qui suis diflicile à voir ;
c'est vous. Souvenez-vous-en bien , et n'allez plus
gronder contre les gens qui me gardent comme une
relique. Je n'oserais vous aller chercher entre M. le
Comte de Gramont et tous ces autres gens qui vous
tiennent si bonne compagnie : à parler bien sérieu-
sement , je vous plains de vos embarras. Vous auriez
grand besoin de certaines heures libres , où vous pus-
siez vous recueillir. Tâchez de les dérober , et comp-
tez que ces petites rognures de vos journées seront
le meilleur de votre bien. Surtout , madame , sauvez
Totre matin , et défendez-le comme ou défend une
place assiégée. Faites des sorties vigoureuses sur les
importuns ; nettoyez la tranchée , et puis renfermez-
vous dans votre donjon. L'après-dînée même est trop
longue, pour ne reprendre point haleine.
Le recueillement est l'unique remède à vos hau-
teurs _, à l'âpreté de votre critique dédaigneuse , aux
saillies de votre imagination , à vos impatiences conti-e
ceux qui vous servent , à votre goût pour le plaisir ,
et à tous vos autres défauts. Ce remède est excellent ,
mais il a besoin d'être fréquemment renouvelé. Vous
êtes une bonne montre , mais dont la corde est courte ,
et qu'il faut remonter souvent. Reprenez les lectures
qui vous ont touchée ; elles vous toucheront encore ,
et vous en profiterez mieux que la première fois.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^^
Snpix)rtez-vous \ous-inême , sans vous flatter ni dé-
coiirager. On trouve rarement ce milieu -, on se pro-
met beaucoup de soi et de sa bonne intention , ou
l)ien on désespère de tout. N'espérez rien de vous ;
attendez tout de Dieu. Le désespoir de notre propre
faiblesse , qui est incorrigible , et la confiance sans ré-
serve en la toute-puissance de Dieu , sont les vrais
fondemens de tout l'édifice spirituel. Quand vous
n'aurez pas de grands temps à vous , ne laissez pas de
profiter des moindres momens qui vous restent. Il
ne faut pas beaucoup de temps pour aimer Dieu ,
pour se renouveler en sa présence , pour élever son
cfjL'ur vers lui , ou l'adorer au fond de son cœur, pour
lui oll'rir ce que l'on fait et ce qu'on souffre. Voilà le
vrai royaume de Dieu au dedans de nous, que rien
ne peut troubler.
230.
Sur la mauvaise santé du Comte tle Gramont.
A Versailles, i novembre (i6g>.)
Je ne puis , madame , savoir la continuation de la
mauvaise santé de M. le Comte de Gramont , sans
vous témoigner la part que je prends à voire peine.
Klle vient dans un temps où vous sembliez avoir plus
besoin de soulagement que de croix et d'épreuves ;
mais Dieu seul sait ce qu'il nous faut , et il n'y a
qu'à le laisser faire aux dépens de la nature. Je soii-
liaite donc, madame , qu'il vous donne un redoujjle-
iiient de patience et de courage , pour secourir le
malade , et pour satisfaire à tous ses besoins. Ceux
463 LETTRES SPIRITUELLES.
du corps ne sont pas les plus grands, et je prie Dieu
de vous donner des paroles assez fortes , pour lui
mettre dans le cœur les vérités du salut. Personne
ne vous sera jamais, madame, plus sincèrement ni
plus respectueusement dévoué que moi.
231.
Fruits que l'on doit retirer des embarras et des contradiclions de la vie.
Mardi , 4 novembre (1692.)
Vous ne devez point douter , madame , de ce qui fait
votre consolation dans vos embarras. C'est Dieu qui
les veut faire servir à vous détacher de vous-même
et des commodités de la vie. Le recueillement et la
ferveur seraient moins propres à rabaisser votre hau-
teur naturelle , et à crucifier vos sens trop amollis.
Par votre propre choix tendez toujours à la lecture ,
à la prière , à la solitude et au silence. Tenez ferme ,
retranchez-vous , surtout le soir , pour vous préparer
une matinée plus libre ; mais quand la Providence
vous entraine dans des embarras inévitables , ne vous
troublez point ; vous trouverez Dieu partout où il
vous aura menée , dans les affaires les plus embrouil-
lées , comme à l'oraison la plus tranquille. Vous y
trouverez , avec la nourriture intérieure , la mort à
vous-même. Quand les dames dont vous parlez seront
ici , je serai ravi qu'elles me procurent l'honneur de
vous voir. Cependant je prie Dieu de tout mon cœur
qu'il soit votre lumière dans les conjonctures où vous
vous trouvez. En vérité , madame , je pense souvent
à vous , et aux grâces dont vous avez besoin , lors
LETTRES SPIRITUELLES. 4^*^
même que vous ciT>yez peut-être que je n'y songe pas.
Rien ne surpasse le zèle avec lequel je \ous suis
dévoué.
232 " R.
Sur la maladie du Comte de Gramont. Avantages des croix.
A Versailles, mercredi 12 novembre (1G92.)
Je suis ravi , madame , des bonnes nouvelles que
vous nie faites l'iionneur de me donner de M. le Comte
de Gramont. Je lui souhaite plus que jamais une
longue et heureuse vie , puisqu'il pense sérieusement
à en faire un bon usage. Si je croyais que je pusse le
voir sans l'incommoder, je tacherais de me dérober
un de ces jours dans l'entre-deux de nos études du
matin et du soir , pour aller le féliciter sur ses bonnes
intentions ; mais je ne voudrais aller faire l'empressé ,
pour courir sur le marclié des autres , ni prendre un
ton de harangue. D'ailleurs je ne sais même si ma
santé me le permettra ; car elle est assez mauvaise
depuis quinze jours. Ayez donc , s'il vous plaît , ma-
dame , la bonté de pressentir doucement M. le Comte
sans m'ensager à rien. Il a tous les meilleurs se-
cours que vous pouvez lui souhaiter. Si je faisais ce
vovage , ce serait non pour son besoin , mais pour
vous témoigner mon zèle , et avoir simplement l'hon-
neur de vous voir tous deux. Mandez-moi sans façon
ce que vous pensez là-dessus.
Pour vous, madame, vous n'avez qu'à porter pa-
(*) Sentimens chrét. partie du n. xxixj OEuvres spir, 1. 1, p. 274*
4G4 LETTRES SPIRITUELLES.
tiemment votre croix. Les choses pénibles que vous
croyez qui se mettent entre Dieu et vous ne seront
que des moyens pour vous unir à lui , si vovis le souf-
frez humblement. Les choses qui nous accablent , et
qui confondent notre orgueil , nous font encore plus
de bien que celles qui nous recueillent et qui nous
animent. Vous avez plus de besoin qu'un autre d'être
abattue , comme saint Paul aux portes de Damas , et
de ne trouver plus de ressource en vous-même. Plus
la plaie est profonde , plus il faut que l'incision soit
grande et douloureuse. Tout ce que vous souffrez ,
c'est l'opération de la main de Dieu qui veut vous
guérir d'un mal que vous ne sentiez pas , et qui est
mille fois plus grand que ceux dont la nature se plaint.
L'orgueil est plus sale que vos abcès , et vous n'en
avez pas horreur. Ne perdez point courage , madame :
livrez-vous à la main de Dieu , qui vous frappe par
miséricorde , et au dehors par vos emJjarras , et au
dedans par l'infirmité. Il vous aime , et veut que vous
l'aimiez avec Jésus-Christ sur la croix. Attendez tout
de lui, et vous recevrez suivant la mesure de votre foi.
233.
Il souhaite que le Corale de Gramont agisse noblement avec Dieu,
comme il a fait avec le monde.
A Versailles , 25 janvier (iGgS.)
Je fus bien fâché , madame , de n'avoir point l'hon-
neur de vous voir quand vous vîntes ici la dernière
fois. J'espère que la bonne santé de M. le Comte de
Gramont vous permettra d'y revenir bientôt , et d\
LETTRES SPIRITUELLES. 4^5
demeurer plus long-temps. Celte bonne santé est ,
dit-on, admira])le; elle e&t le don de Dieu, et il ne
serait pas juste de s'en servir contre lui. Il faut que
M. le Comte ait un procédé net et plein d'honneur
avec Dieu , conune il Fa toujours eu avec le monde.
Dieu s'accommode des sentimens noljles. La vraie no-
blesse demande de la fidélité , de la fenneté et de la
constance. Un homme si reconnaissant pour le Roi ,
qui ne donne que des biens périssables , voudrait-il
èlre ingrat et inconstant pour Dieu , qui donne tout?
Je ne saurais le croire , et je ne veux pas seulement
le penser. Je crois avoir vu son bon cœur , et j'en es-
père un courage à mépriser la mauvaise honte et les
froides railleries. Vous saurez mieux que personne ,
madame , le précautionner contre les habitudes et les
engagemens insensibles des compagnies. Il doit pen-
ser sérieusement que sa guérison , qui retarde sa mort ,
ne fait que la retarder un peu , et que la plus longue
vie sera toujours courte. Pour moi , qui ne veux point
prêcher , je me borne à me réjouir avec vous , ma-
dame , de cette heureuse guérison. Il me tarde d'avoir
l'honneur de vous voir tous deux ici en pleine santé ,
et dans les mêmes sentimens. Vous savez , madame ,
mon zèle et mon respect.
CoRREsp. ir. i5
^(36 LETTRES SPIRITUELLES.
(tnnVVVVWE-VVV««W»*««VV»»«VV^>A«%VVV»VVI«t«VVVVt«^V«VIIVVV«IV»»«««t'V>«««%»«VVVVV>«vv»v
234.
Ne faire aucun pas , même clans le bien , sans pi'endre conseil 5
exhortation à la petitesse et à la siruplicité d'esprit.
A Versailles , 28 mars (iGgS.)
Je vous remercie très-humblement, madame , de
m'avoir fait part de cette lettre (i); elle est bonne et
touchante. J'aime encore mieux son humilité et sa
défiance de lui-même , que toute sa ferveur. Pourvu
qu'il ne fasse aucun pas, même dans le bien, que par
les conseils d'une personne sainte et expérimentée ,
tout ira à merveille ; mais le bien n'est plus bien dès
qu'on le fait à sa mode. Le premier et l'unique bien
solide est de mourir sans réserve à sa propre volonté
et à son propre jugement. Je vous plains dans vos
embarras ; mais pourvu que vous soyez fidèle à tout
ce que vous pouvez , Dieu suppléera par lui-même à
ce que vous ne pouvez pas , dans la sujétion conti-
nuelle où sa providence vous met. Ce que je vous
souliaite le plus , est la petitesse et la simplicité d'es-
prit. Je crains pour vous une dévotion lumineuse ,
haute , qui , sous prétexte d'aller au solide en lecture
et en pratique , nourrisse en secret je ne sais quoi de
grand et de contraire à Jésus-Christ enfant , simple ,
et méprisé des sages du siècle. Il faut être enfant
avec lui. Je le prie de tout mon cœur , madame , de
vous ôter non-seulement vos défauts , mais encore
ce goût de grandeur dans les vertus , et de vous ra-
petisser par grâce.
(i) C'était vraisemblablement une lettre du Comte de Gramont
à la Comtesse.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^>7
235 * R.
Eviter In prévoyance inquiète de l'avenir; fruits que nous devons retirer
de» coutraïUctious intérieures j vanité des biens de la terre.
A Issy , a5 mai (i).
Les croix que nous nous faisons à nous-mêmes,
par une prévoyance inquiète de l'avenir , ne sont point
clos croix qui viennent de Dieu. Nous le tentons par
noire fausse sagesse , en voulant prévenir son ordre ,
et en nous efforçant de suppléer à sa providence par
notre providence propie. Le fruit de notre sagesse
est toujours amer, et Dieu le permet pour nous con-
fondre , quand nous sortons de sa conduite pater-
nelle. L'avenir n'est point encore à nous : peut-être
n'y sera-t-il jamais. S'il vient , il viendra peut-être
tout autrement que nous ne l'avons prévu. Fermons
donc les yeux sur ce que Dieu nous cache , et qu'il
tient en réserve dans les trésors de son profond con-
seil. Adorons sans voir ; taisons-nous ; demeurons en
paix.
Les croix du moment présent apportent toujours
leur grâce, et par conséquent leur adoucissement avec
elle : on y voit la main de Dieu qui se fait sentir.
Mais les croix de prévoyance inquiète sont vues au-
delà de l'ordre de Dieu : on les voit sans grâce pour
les supporter -, on les voit même par une fidélité
(*) Sentimens chrét. partie du n. xxix; QEuures spir. t. \, p. 279.
(i) On lit au dos de l'original celte note, de la main de l'Im-
pératrice Marie-Thérèse : Lettre de M. L. de F, sur les peines
qui viennent de la part du prochain,
i5*
468 LETTRES SPIRITUELLES.
qui éloigne la grâce. Ainsi tout y est amer et insup-
portable : tout y est noir ; tout y est sans ressource ,
et l'ame qui a voulu goûter par curiosité le fruit dé-
fendu , ne trouve plus que mort et révolte sans con-
solation au dedans d'elle-même. Voilà ce que c'est
que de ne se fier pas à Dieu , et que d'oser violer son
secret dont il est jaloux. A chaque jour ^ dit Jésus-^
Christ j sufjp^t son mal ; le mal de chaque jour devient
un bien lorsqu'on laisse faire Dieu. Qui sommes-
nous pour lui dire : Par quel motif faites-vous cela ?
Il est le Seigneur , et cela suffit : il est le Seigneur ;
qu'il fasse tout ce qui est bon à ses yeux. Qu'il élève
ou qu'il abaisse ; qu'il frappe ou qu'il console ; qu'il
brise ou qu'il guérisse toutes les blessures ; qu'il
donne la mort ou la vie , il est toujours le Seigneur ;
nous ne sommes que l'ouvrage ^ et par conséquent le
jouet de ses mains. Qu'importe , pourvu qu'il se glo-
rifie , et que sa volonté s'accomplisse en nous ? Sor-
tons de nous-mêmes ; plus d'intérêt propre , et la vo-
lonté de Dieu , qui se développe à chaque moment
en tout , nous consolera aussi en chaque moment de
tout ce que Dieu fera autour de nous , ou en nous
aux dépens de nous-mêmes. Les contradictions des
hommes , leur inconstance , leurs injustices mêmes ,
nous paraîtront les effets de la sagesse , de la justice,
et de la bonté invariable de Dieu : nous ne verrons
plus que Dieu infiniment bon , qui se cache sous les
faiblesses des hommes aveugles et corrompus.
Ainsi cette figure trompeuse du monde , qui passe
comme une décoration de théâtre , nous deviendra
un spectacle très-réel , et digne d'éternelle louange
du côté de Dieu. Les hommes , quelque grands qu'ils
LETTRES SPlîllTUELLES. 4^^)
pc naissent , ne sont rien en eux-mêmes : mais que
Dieu est grand en eux ! C'e«t lui qui fait servir l'hu-
meur bizarre, l'orgueil chagrin , la dissimulation, la
vanité , et toutes les folles passions , au conseil éter-
nel qu'il a sur ses élus. Il emploie et le dedans et le
dehors , et la corruption des autres hommes , et nos
propres imperfections , et notre propre sensibilité ;
en un mot, il emploie tout à notre propre sanctifica-
tion ; il remue le ciel et la terre; rien ne se fait que
pour nous purifier, et nous rendre dignes de lui. Re-
jouissons-nous donc lorsque notre Père céleste nous
éprouve ici-bas par diverses tentations intérieures et
extérieures , qu'il nous rend tout contraire au dehors
et tout douloureux au dedans. Réjouissons-nous , car
c'est par de telles douleurs que notre foi , plus pré-
cieuse que l'or, est purifiée. Réjouissons-nous d'éprou-
ver ainsi le néant et le mensonge de tout ce qui n'est
point Dieu ; car c'est par cette expérience crucifiante ,
que nous sommes arrachés à nous-mêmes et aux désirs
du siècle. Réjouissons-nous, car c'est par ces douleurs
de l'enfantement que l'homme nouveau naît en nous.
Quoi nous nous décourageons , et c'est la main
de Dieu qui se hâte de faire son oeuvre ! C'est ce que
nous souhaitons tous les jours qu'il fasse , et dès qu'il
commence à le faire , nous nous troublons -, notre, lâ-
cheté et notre impatience arrêtent la main de Dieu.
Je dis que nous éprouvons, dans les peii-?s de la vie,
le néant et le mensonge de tout ce qui n'est pas Dieu :
le néant, parce qu'il y a un vide infini dans tout ce
qui n'est pas le bien infini et Tunique bien ; de plus ,
on y trouve le mensonge. La créature promet beau-
coup , et elle ment. Le néant paraît quelque chose ;
4^0 LETTRES SPIRITUELLES.
mais il n'est rien qu'un néant menteur. Que ne fait-
il point espérer ! mais , dans le fond y que donne-t-il '?
Vanité et afiliction d'esprit de toutes parts sous le
soleil , mais surtout dans les plus hautes places. Le
néant n'y est pas moins néant qu'ailleurs •, car il est
également rien partout : mais il y est plus menteur.
C'est une décoration qui n'est pas moins creuse , mais
qui est plus ornée ; elle allume les espérances , elle
irrite les désirs , mais elle ne remplit jamais le cœur.
Ce qui est vide soi-même , ne saurait rien remplir.
Ces créatures faibles et malheureuses , qui sont les
divinités de la terre ^ ne peuvent donner la force et
le bonheur qu'elles n'ont pas. Va-t-on puiser de l'eau
dans une fontaine tarie ? Non , sans doute. Pourquoi
donc vouloir aller puiser la paix et la joie chez ces
grands qu'on voit soupirer , qui mendient eux-mêmes
de l'amusement , et que l'ennui vient dévorer au mi-
lieu de tous les appareils de plaisir ? Que ceux-là
soient faits semblables à eux , qui mettent leur con-
fiance en eux , ainsi que le Prophète le disait pour
ceux qui adoraient les idoles [a). Mettons nos espé-
rances plus haut , et dans un lieu plus inaccessible
aux accidens de cette vie.
Enfin j'ai dit que la vanité et le mensonge se trou-
vent dans tout ce qui n'est pas Dieu : par conséquent
ils se trouvent aussi en nous-mêmes. Le néant :
hélas ! qu'y a-t-il de si vide et qui soit plus néant
que notre cœur? Le mensonge : qu'est-ce que nous
ne nous promettons pas à nous-mêmes ? Mais nos pro-
messes sont pleines de mensonge ; heureux celui qui
(a) Ps. ex III. 8.
LETTRES SPIRITUELLES. 47 I
en est à jamais détrompé ! Notre cœur est aussi vain
et aussi faux que tout ce qu'il y a au dehors de plus
corrompu. Ne méprisons donc point le monde sans
nous mépriser nons-mcmes : nous sommes plus nié-»
prisables que lui , puisque ayant plus reçu de Dieu
nous sommes plus ingrats et plus infidèles. Consen-
tons que le monde , par une secrète justice , nous
trompe, nous manque et nous maltraite , comme nous
avons voulu tromper Dieu , comme nous lui avons
manqué , et comme nous avons tant de fois fait in-
jure à l'esprit de grâce. Plus le monde nous dégoû-
tera de lui , plus il avancera l'œuvre de Dieu ; et il
nous fera autant de bien , en voulant nous faire du
mal, qu'il nous aurait fait de mal, si nous avions reçu
tous les faux Liens qu'il semblait nous devoir faire.
Je prie Dieu , madame , que votre foi se nourrisse
chaque jour de ces vérités , qu'elles germent dans
votre cœur, qu'elles y jettent de profondes racines,
et surtout qu'elles vous aident à vous renouveler dans
l'esprit de Jésus-Christ pendant votre retraite. Que
la paix de Dieu, dit saint Paul (a), qui suî'passe tout
sentiment, gai'de en Jésus-Christ vos cœurs et vos
intelligences ! Coupons toute racine d'amertume , et
rejetons toute tristesse qui trouble la paix et la con-
fiance simple des enians de Dieu. Tournons-nous vers
iiotre Père dans tous nos maux , enfoncons-nous dans
ce sein si tendre , où rien ne peut nous manquer ; ré-
jouissons-nous en espérance , et goûtons , loin du
monde et de la chair , la pure joie du Saint-Esprit.
Que notre foi soit immobile au milieu des tempêtes ;
(a) Philip. IV. 7.
4^2 LETTRES SPIRITUELLES.
tenons-nous attacliés à cette grande parole de l'Apô-
tre (a) : Tout se tourne à hien pour ceux qui aiment
Dieu 3 et qu'il a choisis selon son bon plaisir,
(a) Rom, yi\\. 28.
236.
S'accoutumer au recueillement ; voir ses fautes sans trouble j se donner
4 Dieu sans réserve.
Mercredi, 17 novembre (1694.)
Je crois , madame , que vous devez tâcher , sans au-
cun effort pénible , de vous occuper de Dieu toutes
les fois que le goût du recueillement , et le regret de
ne pouvoir le pratiquer, touchent votre cœur. Il ne
faut point attendre les heures libres , où Ton peut
fermer la porte , et ne voir personne. Le moment qui
nous fait regretter le recueillement peut nous le faire
pratiquer. Aussitôt tournez votre cœur vers Dieu d'une
manière simple , familière et pleine de confiance. Tous
les momens les plus entrecoupés sont bons , non-seu-
lement en carrosse ou en chaise , mais encore en s'ha-
Lillant , en se coiffant , même en mangeant , et en
écoutant les autres parler. Les histoires inutiles et
ennuyeuses , au lieu de vous fatiguer , vous soulage-
ront , en vous donnant des intervalles. Au lieu d'ex-
citer votre moquerie , elles vous donneront la liberté
de vous recueillir. Ainsi tout se tourne à profit pour
ceux qui cherchent Dieu.
Une autre règle très-importante , c'est de vous abs-
tenir d'une faute toutes les fois que vous l'apercevez
LETTRES SPIRITUELLES. ^'j'ô
avant que de la faire , et d'en porter courageusemenl
riiumiliation , si vous ne l'apercevez qu'après qu'elle
est commise. Si vous l'apercevez avant que de la
l'aire , gardez-vous bien de résister à l'esprit de Dieu ,
qui vous avertit intérieurement, et que vous étein-
driez. 11 est délicat , il est jaloux ; il veut être écouté
et suivi. Si on le contriste , il se retire ; la moindre
résistance lui est une injure : que tout lui cède en
vous , dès qu'il se fait sentir. Les fautes de précipita-
lion ou de fragilité ne sont rien en comparaison de
celles où l'on se rend sourd à la voix secrète du Saint-
Esprit, qui commence à parler dans le fond de l'ame.
Pour les fautes qu'on n'aperçoit qu'après qu'elles
sont commises , l'inquiétude et le dépit de l'amour-
propre ne les raccommoderont jamais : au contraire ,
ce dépit n'est qu'une impatience de l'orgueil à la vue
de ce qui le confond. L'unique usage à faire de ces
fautes , est donc de s'ei) humilier en paix. Je dis eri
paix , parce que ce n'est point s'humilier, que de pren -
dre l'humiliation avec chagrin et à contre-cœur. Il
faut condamner sa faute , sans chercher l'adoucis,' e-
ment d'aucune excuse , et se voir soi-même devant
Dieu dans cet état de confusion , sans s'aigiir cori tre
soi-même et sans se décourager , mais profitant en
])aix de l'huniiliation de sa faute. Ainsi on tire du ser-
pent même le remède pour se guérir du venin de i a
morsure. La confusion du péché , quand elle est roçue
dans une ame qui ne la supporte point impatiem-
ment, est le remède contre le péché même : mais ce
n'est pas être humhle , que de se soulever contre
l'humiliation.
Ln peu de présence de Dieu pendant les rejms ,
4-74 LETTRES SPIRITUELLES.
surtout quand ils sont longs , et qu'on y est souvent
de loisir , servira beaucoup à vous retenir dans les
bornes de la sobriété , et à vous fortifier contre votre
excessive délicatesse. U y a encore certains moniens
de la table où la première faim fait qu'on parle peu ;
alors on peut , en mangeant , penser un peu à Dieu :
mais tout cela ne doit se faire qu'à mesure que la vue
et le goût en viennent , sans se gêner.
Il y a un autre article sur lequel je vous avoue
que je suis en peine , et dont nous n'avons point parlé
aujourd'bui ; mais il faut le remettre à la prochaine
occasion où j'aurai l'honneur de vous voir. Vous le
comprendrez aisément. Je suis très-convaincu que
vous devez y user d'une extrême fermeté contre vous-
même , et vous défier de vos meilleures intentions.
Peut-être arrêteriez-vous par là toutes les grâces que
Dieu vous prépare. Souvent tout ce que nous offrons
à Dieu n'est point ce qu'il veut. Ce qu'il veut le plus
de nous , c'est ce que nous voulons moins lui donner ,
et que nous craignons qu'il ne nous demande. C'est
Isaac 5 fils unique , fils bien-aimé , qu'il veut qu'on im-
mole sans compassion. Tout le reste n'est rien à ses
yeux , et il permet que tout le reste se fasse d^une
manière pénible et infruçtr.euse , parce que sa béné-
diction n'est point dans ce travail d'une ame parta-
gée ; il veut tout , et jusque-là point de repos. Qui
est-ce j dit l'Ecriture (a), qui a résisté à Dieu^ et qui
a pu être e?i paix ? Voulez-vous y être , et engager
Dieu à bénir vos travaux ? ne réservez rien ; coupez
jusques au vif; brûlez , n'épargnez rien , et le Dieu de
[a] Joh, IX. 4-
LETTRES SPIRITUELLES. 4?^
paix sera avec vous. Quelle consolation , quelle li-
berté , quelle force , quel élargissement de cœur , quel
accroissement de grâce , quand on ne laisse plus rien
entre Dieu et soi , et qu'on a l'ait , sans liésiter , les
derniers sacrilices ! Je prie Notre-Seigneur , et je le
prierai chaque jour , madame , de vous en donner le
courase.
%VV**» -V^^ *■*%%%* W» *^'* *V* ***V%^ V%% *V% \.%» ^^-VVV* V»*» *V» VX ^f**» %V» %%A'*V*'W%^^V* *v%
237 * R.
Supporter les tentations avec paix et luimililû (i).
Je ne me souviens pas trop bien , madame , de ce
que je disais , et que vous m'avez ordonné d'écrire ;
mais il me semble qu'il était question de la trop
grande sensibilité qu'on éprouve au dedans de soi ,
et qu'on ne peut modérer. Bien des gens se tour-
mentent et se chagrinent mal à propos là-dessus.
Cette sensibilité ne dépend point de nous. Dieu
nous l'a donnée avec notre tempérament , pour nous
exercer. Il ne veut point nous en délivrer , mais s'en
servir au contraire pour nous exercer. Entrons donc
dans ses desseins. Les tentations nous sont nécessai-
res -, il ne s'agit que de n'y succomber pas. Celles du
dedans sont comme celles du dehors ; elles tendent
loutcs à nous mener à la victoire par le combat. Les
tentations du dedans sont encore plus utiles , en ce
qu'elles servent plus directement à nous humilier par
[^) Sentimens vhrét. n. xxx; OEuvres spir. tom. II, pig. I.
(i) Ou lit sur l'original cette note, de la main de Marie-Thérèse :
Encril de M. L. de F. sur la sensibilité dans les cruix.
476 LETTRES SPIRITUELLES.
l'expérience de notre corruption intérieure. Celles du
dehors ne vont qu'à nous montrer la malignité du
monde qui nous environne. Celles du dedans nous
font sentir que nous sommes aussi dépravés dans nos
inclinations , que le monde même. Supportons donc
avec une humble confiance et une paix inaltérable
nos soulèvemens intérieurs , et toutes les tentations
qui naissent de notre propre fond , aussi-bien que les
orages qui viennent des autres créatures. Tout vient
également de la main de Dieu , qui sait autant se ser-
vir de nous que des autres , pour nous faire mourir
à nous-mêmes.
C'est souvent l'orgueil qui s'inqiiiète , et qui se dé-
courage de voir tant de révoltes opiniâtres au dedans ,
pendant qu'il voudrait voir toutes les passions sou-
mises , pour se nourrir de cette gloire , et pour se
complaire en sa propre perfection. Tachons d'être
fidèles par le fond de la volonté , malgré les répu-
gnances et les ébranlemens de la nature ; et laissons
faire Dieu , quand il veut nous montrer par ces tem-
pêtes à quels naufrages nous serions exposés , si sa
puissante main ne nous en préservait. Que s'il nous
arrive même de tombe^ volontairement par fragilité ,
alors humilions-nous , anéantissons-nous , corrigeons-
nous sans pitié pour nous-mêmes. Ne perdons pas un
moment pour nous retourner vers Dieu •, mais faisons-
le simplement et sans trouble. Relevons-nous , et re-
prenons fortement notre course , sans nous chagriner
et nous décourager de notre chute.
LETTRES SPIRITUELLES.
477
238 * R.
Comment los passions litimaines s'cntrechoqiiont ; le renoncement et
l'uLaiiilun, uiiiijuu moyeu de conserver la paix.
Tandis que nous demeurons renfermés en nous-
mêmes , nous sommes en butte à la contradiction des
liommes, à leur malignité et à leur injustice. Notre
humeur nous expose à celle d'autrui ; nos passions
s'entrechoquent avec celles de nos voisins ; nos désirs
sont autant d'endroits par où nous donnons prise à
tous les traits du reste des hommes. Notre orgueil ,
qui est incompatible avec l'orgueil du prochain, s'élève
comme les flots de la mer irritée : tout nous combat ,
tout nous repousse, tout nous attaque; nous sommes
ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos pas-
sions et par la jalousie de notre orgueil. Il n'y a nulle
paix à espérer en soi , où Pon vit à la merci d'une
foule de désirs avides et insatiables , et où l'on ne
saurait jamais contenter ce moi si délicat et si om-
brageux sur tout ce qui le touche. De là vient qu'on
est dans le commerce du prochain ^ comme les ma-
lades qui ont langui lonj^-temps dans un lit : il n'y a
aucune partie du corps où l'on puisse les toucher sans
les blesser. L'amour-propre malade , et attendri sur
lui-même , ne peut être touché sans crier les hauts
cris. Touchez-le du bout du doigt , il se croit écor-
ché. Joignez à cette délicatesse la grossièreté du pro-
chain plein d'imperfections qu'il ne connaît pas lui-
même ; joignez-y la révolte du prochain contre nos
. 1
(*) Seniimens chrét. partie du n. xxix ) OEuvres spir. 1. 1, p. 283.
J^nl^ LETTRES SPIRITUELLES.
défauts , qui n'est pas moins grande que la nôtre contre
les siens ; voilà tous les enfans d'Adam qui se servent
de supplice les uns aux autres ; voilà la moitié des
îionmies qui est rendue malheureuse par l'autre, et
qui le rend misérable à son tour ; voilà dans toutes
les nations , dans toutes les villes , dans toutes les com-
munautés, dans toutes les familles, et jusqu'entre deux
amis , le martyre de l'amour-propre.
L'unique remède est donc de sortir de soi pour
trouver la paix. Il faut se renoncer , et perdre tout
intérêt , pour n'avoir plus rien à perdre , ni à crain-
dre , ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix ré-
servée aux hommes de bonne volonté, c'est-à-dire à
ceux qui n'ont plus d'autre volonté que celle de Dieu,
qui devient la leur. Alors les hommes ne peuvent plus
rien sur nous ; car ils ne peuvent plus nous prendre
par nos désirs ni par nos craintes : alors nous voulons
tout , et nous ne voulons rien. C'est être inaccessible
à l'ennemi ; c'est devenir invulnérable. L'homme ne
peut que ce que Dieu lui donne de faire ; et tout ce
que Dieu lui donne de faire contre nous , étant la vo-
lonté de Dieu , est aussi la nôtre. En cet état , on a
mis son trésor si haut , que nulle main ne peut y at-
teindre pour nous le ravir. On déchirera notre répu-
tation ; mais nous y consentons, car nous savons com-
bien il est bon d'être humilié quand Dieu humilie. On
trouve du mécompte dans les amitiés , tant mieux :
c'est le seul véritable ami qui est jaloux de tous les
autres , et qui nous en détache pour purifier nos at-
tachemens. On est importuné , assujetti , gêné ; mais
Dieu le fait , et c'est assez. On aime la main qui écrase ;
la paix se trouve dans toutes ces peines : heureuse
LETTRES SPIRITUELLES. ^'JiJ
paix , qui nous suit jusques à la croix ! On veut ce
qu'on a ; on ne veut rien de ce qu'on n'a pas. Plus
cet a])anclon est parlait, plus la paix est profonde. S'il
rosle quelque allaclie et quelque désir , la paix n'est
qu'à demi : si tout lien était rompu, la liberté serait
sans bornes. Que l'opprobre , la douleur , la mort ,
viennent fondre sur moi , j'entends Jésus-Christ qui
me dit («) : JVe crai(j?iez point ceux qui tuent le
corps y et qui ensuite ne peuvent plus rien. 0 qu'ils
sont faibles, lors même qu'ils ôtent la vie ! que leur
puissance est courte ! Ils ne peuvent que briser un
pot de terre , que faire mourir ce qui de soi-même
meurt tous les jours , qu'avancer un peu cette mort ,
qui est une délivrance ; après quoi , on échappe de
leurs mains dans le sein de Dieu , où tout est tran-
quille et inaltérable.
(a) Matth. x. 28.
239.
Peinture de la vie de la cour.
A Versailles, 4 juillet (iGgS).
Il y long-temps , madame , que j'ai envie de ré-
veiller votre souvenir , et d'avoir l'honneur de vous
écrire ; mais vous savez que la vie se passe en bons
désirs sans eOêts , sur des matières encore plus im-
portantes que les devoirs de la société. Mon bon pro-
pos a été donc , madame , de vous demander de vos
nouvelles ; et beaucoup de vilains petits embarras
m'en ont toujours ôté la liberté. Je n'ai pourtant pas
^8o LETTRES SPIRITUELLES.
ignoré l'état où vous êtes ; car M. le Comte de Gra-
mont me l'a expliqué. Si Bourbon vous est aussi fa-
vorable qu'à lui , je ne m'étonne pas qu'il vous fasse
oublier la cour. Bourbon est pour lui la véritable
fontaine de Jouvence , où je crois qu'il se plonge soir
et matin. Versailles ne rajeunit pas de même ; il y
faut un visage riant , mais le cœur ne rit guère. Si
peu qu'il reste de désirs et de sensibilité d'amour-
propre , on a toujours ici de quoi vieillir : on n'a
pas ce qu'on veut ; on a ce qu^on ne voudrait pas. On
est peiné de ses malbeurs , et quelquefois du bon-
heur d'autrui ; on méprise les gens avec lesquels on
passe sa vie , et on court après leur estime. On est
importuné , et on serait bien fâché de ne l'être pas,
et de demeurer en solitude. H y a une foule de pe-
tits soucis voltigeans , qui viennent chaque matin à
votre réveil , et qui ne vous quittent plus jusqu'au
soir ; ils se relaient pour vous agiter. Plus on est à
la mode , plus on est à la merci de ces lutins. Voilà
ce qu'on appelle la vie du monde , et l'objet de l'en-
vie des sots. Mais ces sols sont tout le genre humain
aveuglé. Tout homme qui ne connaît point Dieu qui
est tout , et le néant de tout le reste , est un de ces
sots qui admirent et qui envient un état très-miséra-
ble. Aussi le Sage a-t-il dit que le nombre des sots
est infini (a). Je souhaite de tout mon cœur , ma-
dame, que vous ayez le bon esprit que Dieu donne,
comme il est écrit dans l'Evangile (e) , à tous ce%ix
qui le lui demandent. Ce remède , pour guérir les
cœurs , est préférable aux eaux, qui ne guérissent que
(rt) Eccles. I. i5. {e) Luc. ïi. i3.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^^
le corps. Il faut songer à rajeunir en Jésus-Clirist
[iour la vie éternelle , et laisser vieillir cet homme
extérieur, qui est, selon saint Paul (a), le corjjs du
péché. C'est vous faire un trop long sermon. Par-
tlonnez-le , s'il vous plaît ^ madame, à un homme qui
a gardé un long silence.
FR. BE FÉ]NELON, n. Arch. de Cambrai (i).
(a) lîoni. M. 6.
(i) Cette lettre, où Fe'neloa signe nommé Arch. de Cambrai,
sert à montrer que son sacre n'eut pas lieu le lo juin i6y5,
comme le marque V Histoire de Fénelon , liv. 11, n. 2'j. D'ailleurs
ou sait que cette cérémonie ne peut se faire que le dimanche ou à
certaines fctes ; et le lo juin tombait celte année un vendredi. Il
faut donc substituer le lo juillet, à l'eudroit indiqué.
240.
Adieux à la Cooilessc , partant pour les eaux de Bourbon.
Mercredi, 3i juillet (1697.)
Je ne puis, madame, avoir l'honneur d'aller chez
vous , parce que l'étude des Princes va commencer.
Je NOUS souhaite un heureux voyage, une santé par-
faite , un profond oubli de toutes les épines que vous
quittez, et autant de consolations que j'ai de croix.
Je prie Dieu qu'il vous sanctifie , et qu'il vous comble
de ses grâces. Soyez persuadée , madame , que je
conserverai toute ma vie un attachement très-res-
pectueux pour vous.
-ORr.F.cp. IV
/32 LETTRES SPIRITUELLES.
•<*»%*V»»VW«**WV*V%%»(V**
V«««IOVV«« WWKK vwvv»v«vwv«wvwvv»«*wv%%% v\v vw««\ v%«*wv
241.
Dispositions de Fénclon par rapport au livre des Maximes.
A Cambrai , 12 septembre (1657.)
J'ai toujours été très-sensible , madame , aux mar-
ques de votre bonté. Jugez si ma sensibilité dimi-
nuera , lorsque vous redoublez si obligeamment vos
attentions dans des circonstances où le reste du monde
manque de mémoire. C'est le pur amour , que d'ai-
mer les gens qui ne sont plus à la mode. L'amour
intéressé est celui de la cour. C'est le pays du monde
où l'on entend plus mal , et où l'on devrait mieux
entendre cette distinction. Je suis ravi, madame, que
TOUS soyez contente de Mp-^ la Duchesse de Beauvil-
liers ; elle est véritablement bonne , et désire de bonne
foi de vaincre en elle tout ce qui peut être moins
conforme à Dieu. Elle vous rend bien les sentimens
que vous avez pour elle.
Je suis ici dans l'attente et dans la soumission d'un
enfant de l'Église , qui doit lui être plus soumis qu'un
autre , parce qu'il doit plus à l'Eglise à cause de sa
place , et qu'il n'est digne d'être pasteur qu'autant
qu'il est brebis docile. Si je me trompe , je serai ce-
lui qui gagnera le plus à cette affaire ; car je serai
détrompé. La vérité est bien plus précieuse qu'un
triomphe.
Je ne puis finir , madame , sans vous supplier de
dire à M. le Comte de Graraont que je n'oublierai de
ma vie qu'il n'a point rougi de moi , et qu'il m'a
confessé sans honte devant les courtisans à Marli.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^3
Il n'attendra pas ce langage inconnu à la cour ; mais
vous aurez la bonté de le lui expliquer. SouflVez ,
madame , que je dise aussi deux mois pour la bonne
compagnie que je laissai dans votre chambre la der-
nière fois : ce sont des gens que j'aime et que j'ho-
nore. Il n'y a que vous , madame , qui n'aurez aucun
compliment de moi. Je me contente de vous souhai-
ter un cœur abaissé sous la main de Dieu et adouci
pour le prochain , un esprit simple comme la colombe
et prudent comme le serpent , pour écarter tout ce
qui peut vous dissiper ; enfui un véritable détache-
ment du monde et de vous-même , dont la pratique
soit réelle et constante. Toutes nos affaires vont bien ,
quand nous avançons celle-là ; car celle-là est l'uni-
que pour nous. Succès , réputation , faveur , talent ,
commodités , ne sont que des pièges.
i6^
/j84 LETTRES SPIRITUELLES.
LETTRES
A LA COMTESSE DE MONTBERON.
242 * R. (63)
Caractère de saint François de Sales. En quoi consiste Tesprit du foi.
29 janvier 1700.
Le jour de saint François de Sales est une grande
fête pour moi , madame. Je prie aujourd'hui de tout
mon cœur le Saint d'obtenir de Dieu pour vous l'es-
prit dont il a été lui-même rempli. Il ne comptait
pour rien le monde. Vous Verrez par ses Lettres et
par sa Fie y qu'il recevait avec la même paix , et dans
le même esprit d'anéantissement, les plus grands hon-
neurs et les plus dures contradictions. Son style naïf
montre une simplicité aimable , qui est au-dessus
de toutes les grâces de l'esprit profane. Vous voyez
un homme qui , avec une grande pénétration , et une
parfaite délicatesse pour juger du fond des choses ,
et pour comiaître le cœur humain, ne songeait qu'à
parler en bon homme , pour consoler , pour éclairer,
pour perfectionner son prochain. Personne ne con-
naissait mieux que lui la plus haute perfection ; mais
il se rapetissait pour les petits , et ne dédaignait ja-
mais rien. Il se faisait tout à tous , non pour plaire
à tous, mais pour les engager tous, et pour les gagner
à Jésus-Christ et non à soi. Voilà , madame , l'esprit
du Saint que je souliaite de voir répandre en ■sous.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^5
Compter pour rien le monde , sans hauteur ni dé-
pit , c'est vivre de la foi. N'être point enivré de ce
qui nous flatte , ni découragé par ce qui nous con-
tredit , mais porter d'un esprit égal ces deux extré-
mités , et aller toujours devant soi avec une fidélité
paisible et sans relâche , ne regardant jamais dans les
divers procédés des hommes que Dieu seul , tantôt
soulageant notre faiblesse par les consolations , et
tantôt nous exerçant miséricordieusement par les croix:
voilà , madame , la véritable vie des enfans de Dieu.
Vous serez heureuse , si vous dites du fond du cœur
avec Jésus-Christ , mais d'une parole intime et per-
manente : Malheur au monde à cause de ses scan-
dales (a) ! Ses discours et ses jugemens ont encore
trop de pouvoir sur vous -, il ne mérite point qu'on
soit tant occupé de lui. Moins vous voudrez lui plaire ,
plus vous serez au-dessus de lui. Notre bon Saint
était autant désabusé de l'esprit que du monde ; et
en effet , ce qu'on appelle esprit n'est qu'une vaine
délicatesse que le monde inspire. Il n'y a point d'autre
vrai esprit que la simple et droite raison. La raison
n'est jamais droite dans les enfans d'Adam , si Dieu
ne la redresse , en corrigeant nos jugemens par les
siens , et en nous donnant son esprit , pour nous en-
seigner toute vérité.
Si vous voulez que l'esprit de Dieu vous possède ,
n'écoutez plus le monde , ne vous écoutez plus vous-
même dans vos goûts mondains ; n'ayez plus d'autre
esprit que celui de l'Evangile, plus d'autre délicatesse
que celle de l'esprit de foi, <jui sent jusqu'aux moin-
(a) Mallh, xviii. 7.
486 LETTRES SPIRITUELLES.
dres imperfections. En vous perfectionnant avec cette
simplicité humble , vous serez compatissante pour les
infirmités d'autrui , et vous aurez la véritable déli-
catesse , sans mépris ni dégoût pour les choses qui
paraissent faibles , petites et grossières. 0 que la dé-
licatesse dont le monde se glorifie , est grossière et
basse , en comparaison de celle que je vous souliaite
de tout mon cœur !
243 * R. (64)
Exhortation à l'entière confiance en Dieu.
Lundi, 22 février (1700.)
Ne croyez point, s'il vous plaît ^ madame, que je
manque de zèle pour vous aider dans vos besoins.
On ne peut être plus touché que je le suis de tout
ce qui vous regarde. Je vois vos bonnes intentions ,
et la soif que Dieu vous donne pour toutes les vé-
rités qui peuvent vous mettre en état de lui plaire.
Si je suis réservé , ce n'est que par pure discrétion
pour vous (i) ; et comme je ne le suis que pour vous,
c'est à vous à régler la manière dont il convient que
je le sois. Du reste , j'aimerais mieux mourir que de
manquer aux besoins des âmes qui me sont confiées,
et surtout de la vôtre qui m'est très-chère en Notre-
Seigneur.
(1) Fénelon, dans cette lettre et dans plusieurs des suivantes, parle
de la re'serve qu'il était obligé de garder dans la fréquentation même
de ses parens et de ses amis, pour ne pas les entraîner dans la dis-
grâce où il était tombé lui-mcme à l'occasion du livre dis Maximes.
LETTRES SPIRITUELLES. 4^7
Votre piété est un peu trop -vive et trop inquiète.
Ne ^ous déliez point de Dieu : pourvu que tous ne
lui manquiez point, il ne vous manquera pas, et il
Aous donnera les secours nécessaires pour aller à lui.
Ou sa providence vous procurera des conseils au de-
hors, ou son esprit suppléera au dedans ce qu'il vous
ôtera extérieurement. Croyez-en Dieu fidèle dans ses
promesses , et il vous donnera selon la mesure de
voire foi. Fussiez-vous abandonnée de tous les hommes
dans un désert inaccessible , la manne y tomberait
du ciel pour vous seule, et les eaux abondantes cou-
leraient des rochers. Ne craignez donc que de man-
quer à Dieu, et encore ne faut-il pas le craindre jus-
qu'à se troidjler. Supportez-vous vous-même, comme
on supporte le prochain , sans le flatter dans ses im-
perfections. Laissez là toutes vos délicatesses d'esprit
et de sentimens ; vous voudriez les avoir avec Dieu
comme avec les hommes. Il se glisse dans ces mer-
veilles un raflinement de goût , et un retour subtil
sur soi-même. Soyez simple avec celui qui aime
à se communiquer aux âmes simples. Devenez gros-
sière, non par vraie grossièreté, mais par renoncement
à toutes les déhcatesses que le goût de l'esprit donne.
Bienheureux les jpauvres d'esprit qui ont fait vœu de
pauvreté spirituelle , et qui n'ont jamais pour l'esprit
que le nécessaire dans une continuelle mendicité, et
dans un abandon sans réserve à la Providence! O que
je serais ravi , si je vous voyais négligée pour l'es-
prit , comme une personne pénitente l'est pour les
parures du corps! Je ne parle point à madtuue la Com-
tesse— , mais j'en suis très-édifié.
488 LETTRES SPIIIITUELLES.
244 * R. (65)
Eviter l'activilû inquiète dans le service de Dieu j avis pour la conduite
ordinaire.
Mercredi, 3 mars (1700.)
Si je n'ai point en l'honneur , madame , de vons
répondre plus tôt, c'est que je n'ai pas eu un moment
de libre. Je prends la liberté de vous répéter que je
ne suis réservé que par discrétion pour vous. Quoi-
que vous n'ayez point de ménagemens politiques pour
votre personne , celle de M. le Comte de Montberon
et sa place en demandent.
Vous ne vous trompez pas , madame , en croyant
qu'il ne suffit point d'avoir changé d'objet pour l'ar-
deur , et qu'il y a une ardeur inquiète qu'il faut mo-
dérer , même dans le service de Dieu , et dans la
correction de nos défluits. Cette vue pourra beau-
coup servir à vous calmer , sans relâchement , dans
votre travail. L'ardeur que vous mettez dans les meil-
leures choses les altère et vous donne une agitation
d'autant plus contraire à la paix de l'esprit de Dieu ,
que vous prenez davantage sur vous par pure bien-
séance , pour la renfermer avec effort tout entière
au dedans. Un peu de simplicité vous ferait prati-
quer la vertu plus utilement avec moins de peine.
J'approuve fort , madame , qu'on vous fasse com-
munier tous les quinze jours. Ce n'est point trop pour
une personne retirée , qui tâche de se renfermer dans
ses devoirs^ et qui s'occupe à la lecture et à la prière.
Vous avez besoin de chercher dans le sacrement de
vie et d'amour la nourriture , la consolation , et la
LETTRES SPIRITIEL1.es. 4^9
force pour porter vos croix , et pour vaincre vos im-
perfections. Laissez-vous donc conduire , sans vous
juger vous-nicnie , et n'écoutez aucun scrupule pour
vos communions.
A regard des confessions , je ne saurais vous en
rien dire. Il n'y a que votre confesseur qui puisse
vous parler juste là-dessus. Dieu ne permettra pas
qu'il manque à votre besoin , si vous cherchez en
simplicité ce que l'esprit de grâce demande de vous.
Marchez avec une foi pleine et entière. Tâchez de
faire ce que le confesseur vous dira. Si vous êtes gê-
née , faites-le moi savoir ; je vous répondrai le mieux
que je pourrai sur les doutes que vous me propo-
serez.
Je ne saurais vous dire des choses assez précises
et assez proportionnées sur vos lectures et sur votre
oraison. Je ne connais pas assez votre goiit , votre
attrait, votre besoin : une demi-heure de conversa-
tion me mettrait au fait ; après quoi je pourrais vous
écrire , et même vous entendre sur un billet d'une
demi-page. Voyez là-dessus ce qui convient , sans
vous engager à rien faire de trop par rapport aux
conjonctures présentes.
A l'égard de vos habits , il me semble que vous
devez avoir égard au goût et à la pente de M, le
Comte de Monlberon : c'est à lui à décider sur les
bienséances. S'il penche à l'épargne là-dessus , vous
devez retrancher autant qu'il le croira à propos , pour
payer ses dettes. S'il veut que vous souteniez un cer-
tain extérieur , faites par pure complaisance ce que
vous croirez apercevoir qu'il veut , et rien au-delà
par votre propre goût ou jugement. S'il ne veut rien
490 LETTRES SPIRITUELLES.
à cet égard , et qu'il vous laisse absolument à vous-
même , je crois que le parti de la médiocrité est le
meilleur pour mourir à vous-même. Les extrémités
sont de votre goût. Une entière magnificence peut
seule contenter voti^ délicatesse et votre hauteur raf-
finée. Une simplicité austère est un autre raffinement
d'amour-propre : alors on ne renonce à la grandeur ,
que par une manière éclatante d'y renoncer. Le mi-
lieu est insupportable à l'orgueil : on paraît manquer
de goût , et se croire paré avec un extérieur Jjour-
geois. J'ai ouï dire qu'on vous a vue autrefois vêtue
comme les sœurs de communauté. C'est trop en ap-
parence , et c'est trop peu dans le fond. Un extérieur
modéré vous coûtera bien davantage au fond de votre
coeuri Mais votre règle absolue est de parler à cœur
ouvert à M. de Montberon , et de suivre sans hésiter
ce que vous verrez qui lui plaira le plus.
*'k'V%%«/V«i^^«i««. V«^ tA, V V»V V%V VV%. V% V w«% VVV «-«^ «>«» V«^ «VV V^^ V% V VVV V%> VV V V%% V»fV V« V *iV\ %v»> «>w^
245.
Il croit à propos d'avoir une conversation avec la Comtesse , snr ses
(lispositious intérieures.
Lundi, i5 mars (1700.)
Nous aurons , madame , quand il vous plaira , une
conversation particulière sur vos exercices de pieté.
Je la crois à propos , puisque vous ne voyez rien qui
doive l'empêcher , et ce sera dans le lieu que vous
clîoisirez. Je n'ai eu jusqu'ici de ménagemens que
pour vous et pour votre maison. Quand on a la peste,
on craint de la donner aux gens qu'on aime : moins
ils la craignent, plus on la craint pour eux. Une
LETTRES SPIRIITELLES. 49 ^
demi-lieure de conversation simple fera plus que cent
lettres , et nous mettra à portée de rendre toutes les
lettres utiles , en les rendant proportionnées aux vrais
Lesoins. En attendant , je me réjouis de ce que le
conseil de pratiquer la médiocrité vous entre dans le
cœur. Vous ne deviendrez simple que par là. Toutes
les extrémités , même en Lien , ont leur all'ectation
railinée. La médiocrité , qui ne se fait point remar-
quer , ne laisse aucun ragoût à l'amour-propre. Il n'y
a que l'amour de Dieu qui ne souffre point ces bornes
étroites.
(GG) 246 * A.
Avis sur l'oraison, les lectures, la coufession, et quelques autres articles.
Jeudi , i5 avril (ijoo.)
J'ai ressenti , madame , dans la conversation d'au-
jourd'hui , une joie que je ne puis vous exprimer, et
que vous auriez peine à croire. Il me paraît que Dieu
agit véritablement en vous et qu'il veut posséder
tout ^otre cœur.
Pour l'oraison , faites-la non-seulement dans les
temps réglés , mais encore au-delà , et dans les in-
tervalles de vos occupations , autant que vous en au-
rez la facilité et l'attrait ; mais prenez garde à ména-
ger vos forces de corps et d'esprit , et arrêtez-vous
dès que vous éprou\erez quelque lassitude. Votre
manière de faire oraison est très-bonne. Commencez
toujours par les plus solides sujets qui vous ont tou-
cliée dans vos lectures. Suivez la pente de votie cœur ,
pour vous nourrir d'une présence amoureuse do Dieu ,
492 LETTRES SPIRITUELLES.
des personnes de la Sainte-Trinité , et de l'humanité
de Jésus-Christ. Attachez-vous intimement à cette
adorable société ; demeurez-y avec une confiance sans
hornes , et dites-leur tout ce que la simplicité de
l'amour vous inspirera. Après leur avoir parlé de
l'abondance du cœur , écoutez-les intérieurement ,
en faisant taire votre esprit délicat et inquiet. Pour
les distractions, elles tomberont comme d'elles-mêmes,
pourvu que vous ne les suiviez jamais volontaire-
ment , que vous demeuriez toujours par votre choix
occupée à aimer , que vous ne soyez point distraite
par la crainte des distractions , et que , sans vous en
mettre beaucoup en peine , vous reveniez tranquille-
ment à votre exercice , dès que vous avez aperçu que
votre imagination vous en détourne. La facilité avec
laquelle vous faites oraison marque que Dieu vous
aime beaucoup ; car sans une grâce bien forte , votre
naturel scrupuleux vous donnerait de grandes in-
quiétudes pendant que vous voudriez penser à Dieu.
Pour vos lectures , je ne crains point de consentir
que vous lisiez la plupart des livres de l'Ecriture
sainte , puisque vous en avez l'attrait , que vous les
avez déjà lus avec consolation , que vous ne voulez
point les lire par curiosité , et que vous avez toute la
docilité nécessaire pour vous édifier des choses que
vous ne pourrez point approfondir. La permission
que je vous donne à cet égard vous doit mettre en
paix , et je vous supplie de ne consulter plus là-des-
sus pour finir tous vos scrupules. Les livres que je
vous conseille principalement sont ceux du Nouveau-
Testament ; mais évitez les questions profondes de
YÉpître aKx Romains jusqu'au douzième chapitre.
LETTRES SPIRITUELLES. 49^
Si VOUS les lisez , n'entrez point dans les raisonnemens
dessavans. Vous pouvez lire aussi les livres liistori(pies
de rAncien-Testanient , avec les Psaumes ; certains
lu res (prou nomme Sapientiaux , tels que les Pro-
verbes j la Sagesse et V Ecclésiastique , et certains en-
tlroits les plus touchans des prophètes ; mais n'aban-
donnez ni \ Imitation de Jésus-Christ, ni les ouvrages
de saint François de Sales. Ses Lettres et ses Entre-
tiens sont remplis de grâce et d'expérience. Quand
la lecture vous met en recueillement et en oraison ,
laissez le livre : vous le reprendrez assez quand l'orai-
son cessera. Lisez peu chaque fois j lisez lentement et
sans avidité; lisez avec amour.
Ne songez plus à 's os confessions générales , qui ne
vous ont que trop embarrassée , et qui ne feraient plus
(pie vous troubler. Ce serait un retour inquiet et hors
de tout propos , qui serait contraire à la paix où Dieu
\ous appelle , et qui réveillerait vos scrupules. Tout
ce qui excite vos réflexions ardentes et délicates vous
est un piège dangereux. Suivez avec confiance le
goût d'amour que Dieu vous donne pour ses per-
lections infinies. Aimez-le comme vous voudriez être
aimée : ce n'est pas lui donner trop ; cette mesure n'est
])oint excessive. Aimez-le suivant les idées qu'il vous
donne du plus grand amour.
Les deux hommes que vous voyez sont bons. L'un
vous aide moins -, mais aussi il court moins de risque
de vous gêner , et de vous retarder d-î.:iis votre voie.
L'autre entend mieux et est plus secourable ; mais
faute d'expérience en certaines choses, il pourrait
vous embarrasser , et vous rétrécir le cœur. Si cet
inconvénient vous arrivait , avertissez-m'en , et tâcliez
/^q/j^ LETTRES SPIRITUELLES.
de le prévenir , eîi ne retouchant point avec lui les
choses déjà réglées, comme , par exemple, la lecture
de FÈcriture sainte.
Ne soyez point martyre des hienséances , et d'une
certaine perfection de politesse : cette délicatesse dé-
vore l'esprit , et occupe toujours une ame d'elle-
même. Agissez et parlez sans tant de circonspection.
Si vous êtes hien occupée de Dieu , vous le serez
moins de plaire aux hommes , et vous leur plairez
davantage.
Pour Mll« votre petite fille , n'agissez point avec
elle suivant vos goûts naturels. Ne lui parlez qu'en
présence de Dieu , suivant la lumière du moment
où il faudra lui parler. Si vous y êtes fidèle , vous
ne la gâterez jamais , et personne ne lui sera aussi
utile que vous. Laissez-la ou auprès de vous, ou ail-
leurs, comme M. le Comte de Montberon, M. son père
et M™e sj^ mère le souhaiteront ; mais évitez , si vous
le pouvez , un couvent. Le meilleur la gênera , l'en-
nuiera , la révoltera , la rendra fausse , et passionnée
pour le monde.
Je suis , madame , uni à vous en Notre-Seigneur ,
et zélé pour tout ce qui vous touche , au-delà de
tout ce que j'aurais cru, quoique je vous honorasse
infuiiment.
(66) 247 * A.
Eviter la trop grande activité dans l'oraison.
Vendredi, i6 avril (1700)
Ne soyez en peine de rien , madame. Je n'ai voulu
que vous parler franchement sur la réserve que vous
LETTRES SPIRITUELLES. 49^
VOUS reprocliiez d'avoir eue dinis notre conversaliou ;
pour moi , je ne manquerai point de vous parler et
de vous écrire, selon les occasions, avec tout le zèle
dont je suis capable. Ménagez vos foices dans l'exer-
cice de l'oraison. C'est parce que cette occupation
intérieure épuise et mine insensiblement , qu'il faut
s'y donner des bornes, et éviter une cerLaine avidité
spirituelle. La vie intérieure amortit l'extéiieure , et
cause souvent une espèce de langueur. Votre faible
santé a besoin d'être épargnée , et votre vivacité est
à craindre, même dans le bien. Dieu sait combien il
m'unit à vous dans son amour.
(f.;) 248 * A.
Comniciil il f.uit suivre les cUnTcrens allraits de la grâce dans l'oraison.
A Mons, 3o avril (1700.)
On ne peut être plus éloigné que je le suis , ma-
dame, de toute inégalité de sentimens à votre égard.
Si vous en voyez des marques extérieures, ma volonté
n'v a aucune part. J'ai souvent des distractions et des
négligences -, mais je ne cliange point , surtout pour
vous, madame, et je suis touché de plus en plus du
désir de votre sanctification. Je vois avec joie que
Dieu ^ous donne certaines lumières, qui ne viennent
point de l'esprit ni de la délicatesse qui vous est na-
turelle , mais de rexpérience et d'un fonds de grâce.
C'est ainsi qaon connnence à penser , quand Dieu
ouvre le cœur, et qu'il veut mettre dans la vie inté-
rieure. L'homme qui vous a parlé est bon, sage, pieux,
et solide dans ses maximes ; mais il n'a pas l'expé-
496 LETTRES SPIRITUELLES.
rience des choses sur lesquelles vous le consultez ,
et faute de cette expérience , il yous retarderait , en
vous gênant , au lieu de vous aider. Ne quittez point
vos sujets d'oraison , ni les livres d'où vous les tirez ;
mais quand vous éprouvez un attrait au silence de-
vant Dieu, et que vos lectures ou sujets font ce que
vous appelez un bruit qui vous distrait , laissez tomber
le livre de vos mains, laissez disparaître votre sujet,
et ne craignez point d'écouter Dieu au fond de vous-
même , en faisant taire tout le reste. Les sujets pris
d'abord avec fidélité vous mèneront à ce silence si
profond , et ce silence vous nourrira des vérités plus
substantiellement que les raisonnemens les plus lu-
mineux. Mais ne cessez point de prendre toujours des
sujets solides , et de choisir ceux qui sont les plus
propres à vous occuper et à vous toucher le cœur.
Quand vous apercevez que vous êtes en distrac-
tion ou en sécheresse , et en danger d'oisiveté , re-
mettez-vous doucement et sans inquiétude en pré-
sence de Dieu, et reprenez votre sujet. S'il vous tient
en recueillement , continuez à vous en nourrir ; si ,
au contraire , vous éprouvez qu'il vous gêne , qu'il
vous distraie et qu'il vous dessèche dans ce temps-
là, et que vous ayez de l'attrtdt pour le silence amou-
reux en présence de Dieu, ne craignez point de suivre
librement cet attrait de grâce. Cette liberté ne peut
être suspecte d'illusion, quand on se propose toujours
des sujets solides, qu'on ne se permet aucune oisiveté
volontaire , qu'on s^occupe dans les temps de silence
intérieur d'une vue amoureuse de Dieu ; qu'on re-
vient à la méditation des sujets , dès qu'on aperçoit
la distraction et la cessation de ce silence amoureux ;
LETTRES SPIRITUELLES. 497
qii\'nfin on se lient cVailleurs dans toutes les règles
coininiines , pour juger de Tarbre par le fruit des
Acrlus.
Je ne sais si vous avez bien lu les livres de saint
François de Sales ; mais il nie semble que vous pour-
riez lire fort utilement ses Entretiens , quelques-unes
de ses E^itres , et divers morceaux de son grand
Traité de Vamour de Dieu. En parcourant , vous
^ errez assez ce qui vous convient. L'esprit de ce bon
Saint est ce qu'il faut pour ^ous éclairer, sans nourrir
en vous le goût de l'esprit, qui est plus dangereux pour
\ous que pour une autre. Je souhaite de tout mon
cœur , madame , que votre santé soit bonne , et que
vous croissiez en notre Seigneur Jésus-Clirist selon
ses desseins sur vous. Rien ne peut vous être dévoué
en lui au point que je le suis pour toute ma vie.
'%«^ WVk >%%« VV% ^^«i« «VtA %%% 'VVk V^% ««<« %«>«^«^WX^^A %^/ft VV\ V»«« '«%«'V«/» «^« ^/V% VV« Vk<« -«^
249 * R. (68)
De rabandon à la Providence à l'occasion de la perte <le nos amis. Sui-
vre sans crainte l'attrait qu'on é|)roiivc dans l'oraisou pour le simple
recueillement.
Dimanche, i3 juin (ijoo.)
Je prends véritablement part , madame , à la dou-
leur que vous cause l'extrémité de la maladie de
M'i*" L'incertitude où vous êtes depuis deux
jours , en attendant de ses nouvelles , est encore une
rude croix. Rien ne fait tant de peine à la nature ,
que cette suspension entre une faible espérance et
iine forte crainte : mais nous devons vivre en foi pour
la mesure de nos peines , comme pour tout le reste.
Notre sensibilité fait que nous sommes souvent len-
CoRRESP. IV. l'J
/q3 LETTilES SPIRITUELLES.
tés de croire que nos épreuves surpassent nos forces -,
mais nous ne connaissons ni les forces de notre cœur ,
ni les épreuves de Dieu. C'est celui qui connaît tout
ensemble , et notre cœilr qu'il a fait de ses propres
mains avec tous les replis que nous y ignorons , et
l'étendue des peines qu'il nous donne , auquel est re
serve de proportionner ces deux choses. Laissons-le
donc faire y et contentons-nous de souffrir , sans nous
écouter. Ce que nous croyons impossible , ne l'est
qu'à notre délicatesse et à notre lâcheté. Ce que nous
crovons accablant , n'accable que l'orgueil et l'amour-
propre , qui ne peuvent être trop accablés. Mais
l'homme nouveau trouve , dans ce juste accablement
du vieil homme , de nouvelles forces et des consola-
tions toutes célestes. Offrez à Dieu votre amie , ma-
dame : voudriez-vous la lui refuser ? voudriez-vous la
mettre entre vous et lui , comme un mur de sépara-
tion ? Que sacrifieriez-vous , qu'une vie courte et mi-
sérable d'une personne qui ne pouvait que souffrir
ici-bas , et voir son salut en danger ? Vous la rever-
rez bientôt , non sous ce soleil qui n'éclaire que la
vanité et l'affliction d'esprit , mais dans cette lumière
pure de la vérité éternelle , qui rend ])ienlieureux tous
ceux qui la voient^ Plus votre amie était droite et
solide , plus elle est digne de ne vivre pas plus long-
temps dans un monde si corrompu. Il est vrai qu'il
y a peu d'amis sincères , et qu'il est rude de les per-
dre : mais on ne les perd point , et c'est nous qui cou-
rons risque de nous perdre , jusqu'à ce que nous ayons
suivi ceux que nous regrettons.
Pour votre oraison , ne craignez rien , madame. Il
n'y a point d'illusion à suivre l'attrait de Dieu pour
LETTRKS SP1U1TUEM.es. 409
denienrer en sa présence occupé de son admiration ( t
de son amour , pourvu que celte occupation ne nous
donne jamais la folle persuasion que nous sommes
bien avancés ; pourvu qu'elle ne nous empêche pas
de sentir nos fragilités , nos imperfections , et le be-
soin de nous corriger ; pourvu qu'elle ne nous fasse
négliger aucvui de nos devoirs , et pour l'intérieur et
pour l'extérieur ^ pourvu que nous demeurions sin-
cères , luimbles , simples et dociles dans la main de
nos supérieurs. N'hésitez donc point : recevez le don
de Dieu ; ouvrez-lui votre cœur -, nourrissez-vous-en.
L'hésitation générait votre cœur , troublerait l'opéra-
tion de la grâce , et vous jeterait dans une conduite
pleine de contrariétés , où vous déferiez sans cesse
d'une main ce que vous auriez fait de l'autre. Tandis
que vous ne ferez que penser à Dieu , l'aimer , vous
occuper de sa présence , et vous attacher à sa volonté,
sans rien présumer de vous , sans négliger aucune
règle , sans vous relâcher dans la voie des préceptes
et des conseils , sans vous écarter de l'obéissance et de
la voie commune , vous ne serez point en péril de
vous tromper. Suivez donc l'attrait; dites à l'Epoux :
u4Uirez-moi après vous , je suivrai l'odeur fie vos
parfums (a). Ne donnez de bornes à votre recueille-
ment, qu'autant que le besoin de ménager votre santé,
et de remplir les devoirs de votre état , le deman-
dera. Prenez garde seulement que le corps ne soullVe
de ce que l'esprit fait au dedans. L'oraison la plus
simple , la plus facile , la plus douce , la plus bornée
au cœur , et la plus exempte de raisonnement , ne
(a) Cant, i. 3.
5oO LETTRES SPIRITUELLES.
laisse pas de miner sourdement les forces corporelles ,
et de causer une espèce de langueur insensilile. On
ne s'en aperçoit pas , parce qu'on est trop plein de
son goût , et que la peine douce ne paraît point peine.
Voilà ce que je crains , et non pas l'illusion , dans une
conduite aussi droite et aussi régulière que la vôtre.
250 * A, (69)
En quoi consiste l'oraison de silence ; excellence et effets de cette oraison.
Jeudi, 17 juin (1700.)
Vous avez raison , madame , de croire que dans
les momens de recueillement et de paix , dont vous
m'avez parlé, on ne peut qu'aimer y et se livrer à la
grâce quon i^eçoit. Ce que vous ajoutez a encore un
sens très-véritable. Vous dites que vous avez cru
sentir que notre travail doit cesser , quand Bleu veut
hien agir par lui-même. Ce n'est pas qu'on cesse alors
de coopérer à la grâce , et de correspondre à ce que
Dieu imprime intérieurement ; car vous reconnaissez
vous-même qu'alors on aime et on se livre à la grâce.
L'amour est sans doute le plus parfait exercice de la
volonté. Se livi^er à la grâce par un choix libre , c'est
sans doute y coopérer de la manière la plus réelle et
la plus parfaite. Il n'y a donc point d'oisiveté ni de
cessation d'actes dans ces momens de recueillement
et de paix , où vous dites que notre travail doit ces-
ser. Ce sont des momens où Dieu veut bien agir par
lui-même , c'est-à-dire , prévenir l'ame par des im-
pressions plus puissantes , et la tenir en silence , pour
écouter ses intimes communications ; mais alors elle
LETTRES SPIRITUELLES. 5oi
n'est point sans correspondance. Elle aime ,• elle se
Une à la grâce y c'est-à-dire qu'elle fait les actes les
])liis simjjles et les plus paisibles , mais les plus réels ,
d'amour et de foi pour l'Epoux qu'elle écoule inté-
rieurement ; c'est-à-dire qu'elle acquiesce à tout ce
qui est dû à l'Epoux , et à tout ce qu'il demande par
sa grâce ; c'est-à-dire que l'ame s'enfonce de plus en
plus dans l'amour de l'Epoux , dans la mort à tous
les désirs terrestres , et dans toutes les vertus que l'es-
prit de grâce peut inspirer selon les divers besoins.
Ces actes , quoique très-réels , ne paraissent qu'une
disposition de l'ame ; et ils sont si généraux , qu'ils
paraissent confus : mais ils ne laissent pas de conte-
nir dans cette généralité le germe de chatjue vertu
particulière pour les occasions. Ne craignez donc
pas , madame , de suivre l'attrait intérieur dans ces
momens de 7'eciieil[eme?if et de paix. Ces momens
ne remplissent pas toute la vie. Vous en trouverez
assez d'autres où vous pourrez revenir aux règles
communes.
Je suis ravi de vous entendre dire avec admira-
tion , que la conduite de Dieu est aimable , et yio-
yortionnée à nos besoins. Oui , madame , il se fait
tout à tous pour se proportionner à cbacun de nous.
Il nous enseigne , par l'expérience de ses communi-
cations , qu'il est comme une mère qui porte son en-
fant entre ses bras. Nous ne saurions trop nous fami-
liariser avec lui. Cette confiance _, comme vous le dites
très-bien , appartient toute à V amour et ne peut
venir que de lui. Cette familiarité ne diminue ni le
respect , ni l'admiration , ni la crainte fdiale. Au con-
trçiire , on ne craint jamais tant de contrister l'Epoux ,
i)02 LETTRES SPIRITUELLES.
que quand on est dans cette union de cœur avec lui.
Il est vrai que plus cette union est douce , plus
l'ame craint d'en être sevrée. Quand on tient aux
créatures , on ne sent point les privations de Dieu :
niais quand on se détache des créatures , et qu'on
commence à goûter les dons intérieurs , les moindres
privations sont très-rudes , et elles font tomber dans
une solitude intérieure qui accable. Mais quand Dieu
se communique , il faut se nourrir ; et quand il retire
ses communications sensibles , la croix est un autre
aliment moins doux , mais très-pur : il faut être prêt
à ces deux états. Laissez votre amie entre les mains
du parfait ami , qui est le seul lien des vraies et pures
amitiés : il fera sa volonté , qui sera la vôtre. J'espère ,
madame , que j'aurai l'honneur de vous voir à
V%% »'VV VWV VXV Vk^ V^ V VV» VVV V%% VVV V^i^ V%V W«/% V%V VV^ V»« VV/V VVV VVV 1^% VVV ««VV l/VV V%% W%> Vli% 1^^
251.
Consolation siii- la mort d'une des amies de la Comtesse.
A Cambrai, 23 juin (i^oo.)
J'ai voulu , madame , vous laisser tout le temps
d'apprendre par d'autres la perte de votre amie. Dieu
l'a retirée des pièges de ce monde , après l'y avoir
préparée par une assez longue maladie , et il a voulu
vous détacher d'une personne fort estimable , qui con-
tentait la délicatesse de votre goût. Tout ce qu'il fait
paraît rigueur , et n'est que miséricorde. Bientôt tout
ceci sera fini , et nous verrons , à la lumière de la vé-
rité , combien Dieu nous aime , quand il nous donne
quelque croix. Mon zèle et mon respect pour vous ,
madame , sont très-grands et très-sincères.
LETTRES SPIRITUELLES. 5o3
((■•y- :^) 252 * A.
Abandou simple et enfantin à l;i conduite do la Providence ; ardeur et
\ivacité de l'amour nai^^anl.
Au Càtcau , 2G juillet 1700.
Je suis fort irrégulier , madame ; mais vous avez
besoin de mes irrégularités et de mes sécheresses.
En attendant que nos amis de^ ienncnt parfaits , il
faut tourner à profit pour nous leurs imperfections.
En nous mortifiant et en nous détachant , elles nous
seront plus utiles que leurs perfections. Pardonnez-
moi donc toutes mes fautes , et comptez (je vous parle
en toute simplicité clirétiemie) que personne au monde
ne peut être à vous avec plus d'union de cœur , de
zèle et d'attachement à toute épreuve , que moi.
Vous êtes emmaillottée ; mais on démaillotte les en-
fans à mesure qu'ils croissent. Il y a néanmoins une
lîianière de croître que je ne vous souhaite point.
A Dieu ne plaise que vous soyez grande comme on
l'est dans le monde ! Jésus-Christ ne voulait ])oint que
ses apôtres , qui étaient encore grands , empêchassent
les petits enfans de venir à lui. C'est à eux qu'appar-
tient le royaume du ciel ^ et malheur aux grands qui
ne se rapetissent pas pour leur ressemhler ! J'aime
cent fois mieux vos langes et votre honte enfantine ,
que cette grandeur roide et hautaine des sévères Pha-
risiens.
Quand Dieu accoutume une ame à lui , elle se passe
sans pnine de tout ce qu'il ne lui laisse point au de-
hors. L'amour est un giand casuiste pour décider les
5o4 LETTRES SPIRITUELLES.
doutes. Il a une délicatesse et une pénétration de ja-
lousie , qui va au-delà de tous les raisonnemens des
Lommes. Il faut être dépendant de l'ordre extérieur ,
et docile aux hommes qui ont l'autorité ; mais quand
le dehors manque , il faut être détaché , vivre de foi ,
et suivre l'amour.
Je suis ravi de ce que vous aimez sainte Magde-
leine. Elle me charme : en elle , tout est vie de grâce
et d'amour simple , mais transporté. Je la joins à la
troupe de la Sainte-Yierge , de saint Joseph et de
saint Jean-Baptiste. J'aime bien aussi le disciple bien-
aimé , qui est le docteur de l'amour.
Ce que vous sentez est une grande nouveauté pour
vous ; c'est une vie toute nouvelle et inconnue. On
ue se connaît plus ; on croit songer les yeux ouverts.
Recevez et ne tenez à rien -, aimez , souffrez , aimez
encore. Peu d'attention aux dons , sinon pour louer
l'Époux qui donne ; grande simplicité , docilité , fidé-
lité dans l'usage en chaque moment. L'amour rend
libre , en simplifiant sans dérégler.
Dormez autant que vous pourrez ; votre corps en
a besoin , et vous ne devez point y manquer par ava-
rice d'oraison. L'esprit d'oraison fait quitter l'oraison
même , pour se conformer aux ordres de la Provi-
dence. Pendant que vous dormirez , votre cœur veil-
lera. Dans les temps des insomnies , ne rejetez point
la présence de Dieu ; mais ne l'excitez pas au pi'éju-
dice du sommeil. Ce que vous éprouvez n'est qu'un
commencement. Ce qui est le plus vif et le plus sen-
sible , n'est ni le plus pur ni le plus intime. Cette vi-
vacité d'amour naissant jette dans l'ame les principes
de vie qui sont nécessaires pour les suites. Sucez donc
LETTRES SPIRITUELLES. 5o5
le lait le plus doux de l'amour à la mamelle des di-
vines miséricordes. Aimez , connue Dieu vous donne
l'aniour dans le. temps présent. Quand il vouilra vous
l'aire languir dans les privations , vous Taimerez d'une
autre sorte , et ce sera une autre nouveauté bien
étrange.
Votre chute ne ^ eus a point effrayée : est-ce que
vous n'êtes plus timide ? Je voudrais bien savoir com-
ment vous avez été en cette occasion. Ne vous trou-
blez point par trop de retours sur vos fautes. C'est
voire pente qui est à craindre. Je lirai assez votre
écriture. Dieu soit tout en vous : rien que lui.
253 * R. (7O
Sur les douceurs que Dieu fait éprouver aux commençans ; fidélité à
suivre l'attrait de la grâce.
Jeudi, 5 août (ijoo. )
Votre dernière lettre , madame , m'a fait un sen-
sible plaisir. Je vois que Dieu vous éclaire et vous
nourrit. Prenez ce qu'il vous donne ; demeurez à la
mamelle. Vous avez vu des Saints que l'amour a in-
struits sans science : il n'y avait là aucune œuvre de
main d'homme. Faut-il s'étonner que l'amour ap-
prenne à aimer ? Ceux qui aiment sincèrement , et
que l'esprit de Dieu enivre de son vin nouveau , par-
lent une langue nouvelle. Quand on sent ce que les
autres ne sentent pas, et qu'on n'a point encore senti
soi-même , on l'exprime comme on peut, et on trouve
presque toujours que l'expression ne dit la chose qu'à
demi. Si FÈglise trouve qu'on ne s'exprime pas cor-
5oG LETTRES SPIRITUELLES.
rectemenl , on est tout prêt à se corriger , et on n'a
que docilité , que simplicité en partage. On ne tient
ni aux termes ni aux pensées. Une ame qui aime
dans le véritable esprit de désappropriation, ne veut
s'approprier ni son langage ni ses lumières. On ne
saurait rien ôter à quiconque ne veut rien avoir de
propre.
Quand vous éprouvez un attrait de paix amour-
reuse , qui est gêné par l'arrivée de l'heure où vous
faites une oraison réglée , continuez sans scrupule
cette paix autant qu'elle pourra durer ; elle sera une
très-bonne oraison. Si vous apercevez qu'elle tombe,
et que vous soyez oisive ou distraite , prenez alors
la règle d'oraison pour vous relever doucement.
L'avarice du temps est une vraie imperfection; c'est
un empressement naturel , et une recherche des goûts
spirituels : mais Dieu se sert de cette imperfection ,
pour tenir les commençans dans un plus grand dé-
goût , et dans une séparation plus fréquente de tout
ce qui est extérieur. Le temps de l'enfance est celui
où riiomme se nourrit à la mamelle presque à tou-
tes les heures , il tette même quelquefois étant presque
endormi ; il n'y a point de repas réglés : l'enfant est
avide; mais il se nourrit, et croît sensiblement. L'uni-
que chose à observer , est de ne manquer jamais à
aucun devoir extérieur pour contenter cet attrait.
Je ne suis point pressé de ravoir les livres; ne les
lisez que quand vous n'avez rien de meilleur à faire.
Peut-être ne serez-vous pas fâchée de les relire en
certains momens , ou du moins d'en revoir des mor-
ceaux. Ces traits de grâce, qui sont si originaux, ne
sont pas précisément ce qu'on éprouve ; mais c'est
LETTRES SPIRITUELLES. 5o'^
quel({iie chose de la nièiiie source. Les paroles propres
des Saillis sont bien autres que les discours de ceux
qui ont ^ oulu les dépeindre. Sainte Catherine de Gênes
est un prodige d'amour. Le frère Laurent est grossier
par nature , et délicat par grâce. Ce mélange est ai-
mable , et montre Dieu en lui. Je l'ai vu , et il y a
un endroit du livre, où l'auteur, sans me nommer
par mon nom , raconte en deux mots une excellente
conversation que j'eus avec lui sur la mort, pendant
qu'il était fort malade et fort gai.
k VWVV%'«^^%%«r%^V«^^ V*% VW*V%%**
254 * R. (7,)
Combattre les scrupules , en allant à Dieu avec une confiance et una
simplicité sans réserve.
A Cambrai, 2 septembre (1^00.)
Je suis ravi, madame, non-seulement de ce que
Dieu fait dans votre cœur , mais encore du commen-
cement de simplicité qu'il vous donne , pour me le
confier. Je voudrais que vous fussiez aussi simple pour
vos confessions , que vous l'êtes dans votre oraison.
Mais Dieu fait son œuvre peu à peu : cette lenteur
avec laquelle il opère , sert à nous humilier , à exer-
cer notre patience à l'égard de nous-mêmes , à nous
rendre plus dépendans de lui. Il faut donc attendre
que votre simplicité croisse, et qu'elle s'étende in-
sensiblement jusque sur la manière dont vous vous
confessez , et où je vois que vous écoutez trop vos
réflexions scrupuleuses. Il n'y a aucun inconvénient
que vous alliez à la communion , sans vous confes-
ser , les jours de communioji , où vous n'avez au-
5o8 LETTRES SPIRITUELLES.
cune faute marquée à vous reprocher depuis la dernière
confession. C'est ce qui peut vous arriver dans les
courts intervalles d'une confession à l'autre. Dieu veut
qu'on soit libre avec lui , quand on ne cherche que
lui seul. L'amour est familier ; il ne réserve rien ; il
ne ménage rien ; il se montre dans tous ses premiers
mouvemens au bien-aimé. Quand on a encore des
ménagemens à son égard , il y a dans le cœur quel-
que autre amour qui partage , qui retient , qui fait
hésiter. On ne retourne tant sur soi avec inquiétude,
qu'à cause qu'on veut garder quelque autre affection ,
et qu'on borne l'union avec le bien-aimé. Vous qui
connaissez tant les délicatesses de l'amitié , ne senti-
riez-vous pas les réserves d'une personne pour qui
vous n'en auriez aucune , et qui mesurerait toujours
sa confiance , pour ne la laisser jamais aller au-delà
de certaines bornes ? Vous ne manqueriez pas de lui
dire : Je ne suis point avec vous comme vous êtes
avec moi ; je ne mesure rien ; je sens que vous me-
surez tout. Vous ne m'aimez point comme je vous
aime, et comme vous devriez m'aimer. Si vous , créa-
ture indigne d'être aimée , voudriez une amitié sim-
ple et sans réserve , combien l'Epoux sacré est-il en
droit d'être plus jaloux ! Soyez donc fidèle à croître
en simplicité. Je ne vous demande point des choses
qui vous troublent, ou qui vous gênent; je suis con-
tent , pourvu que vous ne résistiez point à l'attrait de
simplicité , et que vous laissiez tomber tous les re-
tours inquiets qui y sont contraires dès que vous les
apercevez.
Suivez librement la pente de votre cœur pour vos
lectures; et à l'égard de l'oraison, que l'épouse ne soit
LETTRES SPIRITUELLES. SOQ
point éveillée jusqu'à ce qu'elle s'éveille d'elle-même.
N'y ménagez que votre santé , qui peut souffrir dans
cet exercice, quoique le goût intérieur vous enipèclie
de le remarquer. Amusez un peu votre imagination
et vos sens , quand vous éprouverez que vous aurez
besoin de quelque petite occupation extérieure qui
les soulage. Ces amusemens innocens ne trouble-
ront point alors la présence amoureuse de Dieu.
\ ous pou\ez compter, madame, sur les deux choses
dont nous avons parlé. Je ne vous manquerai jamais ,
s'il plaît à Dieu , en rien. Je suis sec et irrégulier; mais
Dieu est bon dans ceux qui ont besoin de bonté pour
faire son œuvre et dont il se sert. Confiez-vous donc
à Dieu , et ne regardez que lui seul. C'est le bon
ami , dont le cœur sera toujours infiniment meilleur
que le vôtre. Défiez-vous de vous-même, et non de
lui. Il est jaloux ; m.ais sa jalousie est un grand amour,
et nous devons être jaloux pour lui contre nous _,
conmie il l'est lui-même. Fiez-vous à l'amour : il
ôte tout , mais il donne tout. Il ne laisse rien dans
le cœur que lui , et il ne peut y rien souffrir ; mais
il suflit seul pour rassasier , et il est lui seul toutes
clioses. Pendant qu'on le goûte , on est enivré d'un
torrent de volupté , qui n'est poin tant qu'une goutte
des biens célestes. L'amour goûté et senti ravit , trans-
porte , absorbe , rend tous les dépouillemens indiffé-
rens; mais l'amour insensible, qui se cache pour dénuer
l'ame au dedans , la martyrise plus que mille dé-
pouillemens extérieurs. Laissez-vous maintenant eni-
vrer dans les celliers de l'Epoux.
5io LETTRES SPIRITUELLES.
255.
Avec quelle simplicité les amis doivent agir entre eux.
A Cambrai, 2 novembre (ijoo.)
J'attends , madame , sans impatience ^ mais de bon
cœur , samedi ou lundi. Vous avez bien raison de
compter sur moi. Dieu ne laisse aucune cérémonie
entre les siens , quand ils sont siens sans réserve. Il
met à la place des délicatesses de l'amour-propre ,
celles de la charité , qui sont infinies , sans être gê-
nantes ni contraires à la simplicité. Je me réjouis des
bons sentimens de M'i''..., et j'espère qu'elle se sou-
tiendra dans le bien , puisque Dieu a soin de redou-
bler ses coups. Pour M^i^ de N...., prenez tout pour
vous , s'il vous plaît , madame , et ne me renvoyez
rien. Je l'honore assez sincèrement pour être bien
aise qu'elle pense ce qu'il faut sur vous , et je me re-
jouis encore davantage de ce que l'attention du monde
ne vous touche guère.
(37) 256 * R.
Source des scrupules ; moyens d'y remédier.
Dimanche au soir , 7 novembre.
Celte lettre est écrite d'hier au soir , lundi 8 novembre (1700.)
On ne peut, madame, être plus touché que je le
suis de ce qui vous regarde. Il m'a paru , dans notre
conversation, que vos scrupules vous ont un peu re-
tardée et desséchée. Ils vous feraient des torts irrépa-
LETTRES SPIRITUELLES. D I l
rables , si vous les écouliez : c'est une vraie infidélité.
Vous avez la lumière pour les laisser tomber , et si
vous y manquez, vous contristerez en vous le Saint-
Esprit. Où est l'esprit de Dieu , là est la liberté {a) • où
est la gène , le trouble et la servitude , là est l'esprit
propre , et un amour excessif de soi. O que le parlait
amour est éloigné de ces inquiétudes ! On n'aime guère
le l)i(Mî-aimé , quand on est si occupé de ses propres
délicatesses. Vos peines ne sont venues que d'infi-
délité. Si vous n'eussiez point résisté à Dieu , pour
vous écouter , vous n'auriez pas tant souffert : rien ne
coûte tant que ces recbercbes d'un soulagement ima-
ginaire. Comme un bydropique en buvant augmente
sa soif, un scrupuleux , en écoutant ses scrupules , les
augmente , et le mérite bien. Le seul remède est de se
faire taire , et de se tourner d'abord vers Dieu. C'est
l'oraison , et non pas la confession qui guérit alors le
cœur. Travaillez donc à réparer le temps perdu , car
francbement , je vous trouve un peu déchue et affai-
blie ; mais cet affaiblissement se tournera à profit ; car
l'expérience de la privation , de l'épreuve et de votre
faiblesse , portera sa lumière avec elle , et vous empê-
cliera de tenir trop à ce que l'état de paix et d'abon-
dance a de doux et de lumineux. Courage donc : soyez
simple ; vous ne l'êtes pas assez , et c'est ce qui vous
empêche souvent de tout dire , et de questionner.
Pour moi , je suis dans une paix sèche , obscure et
languissante; sans ennui, sans plaisir, sans pensée
d'en avoir jamais aucun ; sans aucune vue d'avenir en
ce monde ; aACc un présent insipide et souvent épi-
(a) // Cvr. m. 17.
^12 LETTRES SPIRITUELLES.
neux ; avec un je ne sais quoi qui me porte , qui m'a-
doucit chaque croix , qui me contente sans goût. C'est
un entraînement journalier ; cela a l'air d'un amuse-
ment par légèreté d'esprit et par indolence. Je vois
tout ce que je porte ; mais le monde me paraît comme
une mauvaise comédie , qui va disparaître dans quel-
ques heures. Je me méprise encore plus que le monde :
je mets tout au pis aller ; et c'est dans le fond de ce pis
aller pour toutes les choses d'ici-bas , que j e trouve la
paix. Il me semble encore que Dieu me traite trop dou-
cement , et j'ai honte d'être tant épargné , mais ces
pensées ne me vierment pas souvent , et la manière la
plus fréquente de recevoir mes croix , est de les lais-
ser venir et passer , sans m'en occuper volontairement.
C'est connue un domestique indiflérent , qu'on voit
entrer et sortir de sa chambre , sans lui rien dire. Du
reste , je ne veux vouloir que Dieu seul pour moi , et
pour vous aussi , madame. Qu'est-ce qui sufhra à celui
à qui le vrai amour ne suffit pas ?
(38) 257 * R.
Tort que font les scrupules outrés.
Dimanclie , la décembre (1700.)
J'ai toujours pour vous , madame , au cœur ces
paroles : « Comme l'eau éteint le feu , le scrupule
éteint l'oraison. » Ne vous écoutez point vous-même
sur vos scrupules , et vous serez en paix. Il y a deux
choses qui doivent vous ôter toute crainte. L'une est
l'expérience de votre vivacité , de votre subtilité , de
vos tours ingénieux pour vous tioubler vous-même
LETTRES SPIRITUELLES. 5l3
sur des riens. Vous l'avez souvent reconnu; tous vos
directeurs el confesseurs vous l'ont unanimement dé-
claré. C'était une tentation reconnue pour telle avant
que vous fissiez oraison : l'oraison n'y doit rien ajouter.
Pour faire oraison , vous n'en devez pas moins reje-
ter vos scrupules comme des tentations anciennes,
qu'on vous a de tout temps ordonné de n'écouter plus.
L'oraison ne fait pas que ce (pii était autrefois très-
innocent , devienne mauvais ou dangereux. L'orai?on
ne fait pas que vos anciens directeurs aient mal réglé
ce qu'ils ont réglé indépendamment de toute oraison ,
et sur quoi ils sont uniformes.
La seconde chose qui doit vous rassurer , est le pré-
judice qui vous vient de ces scrupules. Toutes les fois
que vous voulez , contre l'obéissance et contre votre
attrait intérieur , rentrer dans ces examens tant de
fois condamnés par vos directeurs , vous vous dis-
trayez , vous vous troublez , vous vous desséchez ,
vous vous éloignez de l'oraison , et par conséquent
de Dieu -, vous rentrez en vous-même , vous retombez
dans votre naturel ; vous réveillez vos vivacités , vos
délicatesses et vos autres défauts; vous n'êtes pres-
que plus occupée que de vous. En vérité, tout cela
est-il de Dieu ? est-ce en suivant Tattrait de sa grâce ,
qu'on s'éloigne tant de lui? A mon retour, je vous
trouvai si déchue , et si prête à vous dissiper entiè-
rement , que je ne vous connaissais presque plus.
Est-ce là l'ouvrage de Dieu? y reconnaissez-vous sa
main ? L'amoiu détourne-t-il d'aimer ? D'ailleurs ;
dans la ^ie simple et régulière que vous menez de-
puis que vous faites oraison encore plus qu'aupaïa-
vant, vous ne pouvez repasser dans votre esprit que
CoRRESP. IV. I^'^
5l4 IvETTRES SPIKITUELLES.
des vétilles pour plusieurs années. Ne seriez-vous pas
bien coupable devant Dieu , si vous vous détourniez de
sa société familière dans Foraison , par la reclierclie
inquiète de toutes ces vétilles que vous grossissez dans
votre imagination? Je les mets toutes au pis, et je les
suppose de vrais pécliés : du moins elles ne peuvent
être que des pécliés véniels , dont il faut s'humilier , et
travailler fortement à se corriger , mais que la ferveur
de l'amour dans foraison efface promptement. Mais
vous devriez tourner votre délicatesse scrupuleuse
principalement contre vos scrupules mêmes. Est-il
permis , sous prétexte de rechercher les plus légères
fautes , de se troubler , de faire tarir la grâce de
l'oraison , et de se faire tant de grands maux , pour
en subtiliser de petits? Ce n'est pas pour le temps
présent que je vous dis toutes ces choses : vous n'en
avez pas besoin maintenant-, mais le besoin en peut
revenir. Le scrupule est une illusion en mal , comme
la fausse oraison est une illusion en bien. Pour l'orai-
son qui met en paix , qui nourrit le cœur , qui déta-
che , qui humilie , qui ne cesse que quand on tombe
dans le scrupule , et qu'on ne peut quitter qu'en
s'éloignant de l'amour, elle ne peut être que bonne.
Il ne peut y avoir aucune illusion à croire sans voir, à
aimer sans s'attacher à ce qu'on sent, à recevoir simple-
ment sans s'arrêter à ce qu'on reçoit, à renoncer à toute
imagination, au propre sens et à la proj)re volonté.
Voici une lettre qui était déjà faite , madame^ et
laquelle je n'ajouterai rien , sinon que je me servi-
rai d'une voie particulière qui se présente , pour faire
la réponse qu'on attend , sans craindre l'inconvénient
que vous craignez.
LETTRES SPIIUTUELI ES. 5l5
« 'WV^^'V %^V«'V« 'V
(73) 258 * R.
Le véritable amour do Dieu humilie , et dissipe les scrupules.
Dimanche, 2G décembre 1700.
Vous ne vous trompez point , madame , en disant
que l'élévation que l'amour donne n'enfle point le
cœur. C'est une marque qui rassure contre la crainte
de l'illusion. L'amour, selon l'expérience intime , est
bien plus Dieu que nous : c'est Dieu qui s'aime lui-
même dans notre c(rur. On trouve que c'est quelque
chose qui fait toute noire vie , et qui est néanmoins
supérieur à nous. Nous n'en pouvons rien prendre
pour nous en glorifier. Plus on aime Dieu , plus on
sent que c'est Dieu qui est tout ensemble l'amour et
le bien-aimé. O qu'on est éloigné de se savoir bon gré
d'aimer , quand on aime véritablement ! l'amour est
emprunté -, on sent qu'il fait tout , et que rien ne se
ferait s'il ne nous était donné pour tout faire. ïïé-
las ! qu'aimerais-je , si ce n'est moi-même , si je n\'ii-
mais que de mon propre fond ? Dieu , qui sait tout
assaisonner , ne donne jamais le plus sublime amour
sans son contre-poids. On éprouve tout ensemble au
dedans de soi deux principes infiniment opposés : on
sent une faiblesse et une imperfection étonnante dans
tout ce qui est propre ; mais on sent par emprunt
un transport d'amour, qui est si disproportionné à tout
le reste, qu'on ne peut se l'attribuer. Un enfant qu'on
enlève bien haut, bien loin de s'en croire plus grand ,
a peur de tomber, si on ne le tient à deux mains dans
cette élévation. C'est l'amour qui rend véritablement
18^
5lO LETTRES SPIRITUELLES.
liiimble; car il avilit infiniment tout ce qni n'est point
le bien-aimé. Il en occupe tellement, qu'il fait qu'on
s'oublie. Enfui il fait sentir quelque cliose de si dilTcrent
delà nature, qu'il convainc de sa corruption et de son
impuissance. Il reproche intimement, avec une vivac;ilé
perçante, jusqu'aux moindres rechercbes de la nature.
Tenez ferme , madame , pour vos communions. Les
consciences scrupuleuses ont besoin d'être poussées
au-delà de leurs bornes , comme les chevaux rétifs
et ombrageux. Plus vous hésiterez dans vos scru-
pules , plus vous les nourrirez secrètement. Il faut
les gourmander pour les guérir. Plus vous les vain-
crez , plus vous serez en paix. En passant au-delà ,
vous trouverez non-seulement une paix véritable ,
mais encore une paix lumineuse , qui vous apportera
un profond discernement sur le piège de vos scru-
pules, et qui sera suivie de fruits solides. Voilà la
marque qu'une conduite est de Dieu. Rien n'est si con-
traire à la simplicité que le scrupule. Il cache je ne
sais quoi de double et de faux. On croit n'être en peine
que par délicatesse d'amour pour Dieu ; mais dans le
fond on est inquiet pour soi , et on est jaloux pour sa
propre perfection , par un attachement naturel à soi.
On se trompe pour se tourmenter , et pour se distraire
de Dieu sous prétexte de précaution.
(74) 259 * R.
Comment l'amour de Dieu apprciiil à souffrir; différence entre le courage
qui vient de l'homme , et la résignation que Dieu inspire.
A Cambrai, 5 janvier 1701.
Je suis touché , madame , de ce que votre malade
souffre ; mais je me réjouis de ce qu'elle souffre si
LETTUtS SPIRITUELLES. 5l7
bien. Souvenez-vous de ce (jue dit le Chrétien inté^
rieur (i) : c( Ceux qui ne veulent point souffrir ri'ai-
y> nient point, car l'amour veut toujours souiFrir pour
» le bien-ainié. » Vous ne vous trompez point , en
distinguant la hmne volonté du couraije. Le courage
est une cerUiine force et une certaine grandeur de
sentiment , avec laquelle on surmonte tout. Pour les
âmes que Dieu veut tenir petites , et à qui il ne veut
laisser <jue le sentiment de leur propre faiblesse, elles
font tout ce qu'il faut, sans trouver en elles de quoi
le faire , et sans se, promettre d'en venir à bout. Tout
les siumonte selon leur sentiment , et elles surmon-
tent tout par un je ne sais quoi , qui est en elles sans
(qu'elles le saclient , qui s'y trouve tout à propos au
besoin , connne d'emprunt , et qu'elles ne s'avisent
pas même de regarder comme leur étant propre.
Elles ne pensent point à bien souffrir ; mais insensi-
blement chaque croix se trouve portée jusqu'au bout
dans une paix simple et amére , où elles n'ont voulu
que ce que Dieu voulait. Il n'y a rien d'éclatant, rien
de fort, rien de distinct aux yeux d'autrui , et en»
core moins aux yeux de la personne. Si vous lui di-
siez qu'elle a bien souftért , elle ne le comprendrait
pas. Elle ne sait pas elle-même comment tout cela
s'est passé. A peine trouve-t-elle son cœur , et elle
ne le cherche pas. Si elle voulait le chercher , elle
en prendrait la simplicité , et sortirait de son attrait.
C'est ce que vous a{)pelez une honne volonté , qui pa-
(i) Cet ouvrage a pour auteur M. de Bcrnicrcs-Louvigny, mort
en odeur de saiuteté , à Cacn , le 3 mai iGSg, âgé de ciuquante-
scpt ans.
5l8 LETTRES SPIRITUELLES.
raît moins , et qui est beaucoup plus que ce qu'on ap-
pelle d'ordinaire courage. La bonne eau ne sent rien ;
plus elle est pure, moins elle a de goiit. Elle n'est
d'aucune couleur -, sa pureté la rend transparente , et
fait que, n'étant jamais colorée, elle paraît de toutes
les couleurs des corps solides où. vous la mettez. La
bonne volonté , qui n'est plus qu'amour de celle de
Dieu , n'a plus ni éclat ni couleur par elle-même :
elle est seulement en chaque occasion ce qu'il faut
qu'elle soit , pour ne vouloir que ce que Dieu veut,
Heureux ceux qui ont déjà quelque commencement
et quelque semence d'un si grand bien !
C'est à vous, madame, à préparer, à ouvrir, à fa-
çonner peu à peu l'homme nouveau dans votre pro-
chain , qui vous est si cher. Ne hâtez rien , ne préve-
nez rien , ne vous empressez sur rien ; mais suivez
pas à pas tout ce que Dieu commence. Il y a une
espèce de signal qu'il donne : il faut y être attentif,
et être aussi éloigné de la négligence et de la retenue
politique , que de l'empressement.
Je souhaite que votre malade ne nous empêche
point d'avoir l'honneur de vous revoir samedi. Aurez-
vous la bonté de dire un mot pour moi aux deux
personnes chez qui vous êtes ?
(75) 2G0 * A.
Proportionner les pratiques de piété aux forces corporelks.
Veutlrccli au soir, aS j:invier 1701.
Puisque vous êtes faiblç , ^nadame , reposez-vous ,
et ne sortez point. Le bon Saint que nous aimons
LETTRES SPIRITUELLES. 5x
9
tant sera avec vous au coin de votre feu. Vous sa-
vez combien il s'accommodait à toutes les faiblesses
des corps et des esprits. L'auiour aime partout. La
faiblesse du corps ne dimiiuie point la force du cœur.
L'amour n*est jamais si puissant , que quand il se re-
pose dans le sein du bien-aimé. Vous avez apparem-
ment trop pris sur vous dans votre voyage : c'est un
reste de courage naturel et de délicatesse de senti-
ment qui vous a menée au-delà de vos forces corpo-
relles. Les liommes pourront vous en tenir compte ;
mais Dieu veut des choses moins belles et plus sim-
ples. Si vous sentez que votre langueur ne vous per-
mette pas d'aller demain à la messe , renoncez-y bon-
nement. Souvenez-vous que , si saint François de
Sales était au monde , et qu'il fut votre directeur , il
vous défendrait d'y aller en ce cas. Il ne vous le dé-
fend pas moins du paradis. En quittant la solennité
de sa fête , vous suivrez son esprit. Vous le trouverez
dans la faiblesse et dans la simplicité , bien plus que
dans une régularité forcée. Aimons comme lui , et
nous aurons bien célébré sa fête. Si vous croyez pou-
voir aller à l'église , n'y demeurez que le temps d'une
messe ; mais défiez-vous de vous-même , et condam-
nez-vous à n'y aller pas , si peu que la chose vous
paraisse douteuse , selon la première pente de votre
coeur sans réflexion.
Bonsoir, madame', je n'ai pas eu un moment pour
vous répondre plus tôt. Je vous irai voir dès demain ,
ai y3 le puis.
530 LETTRES SPIRITUELLES.
k»%r«'«>«^W»
261 ♦ A. (55)
Même ïiijet.
Samedi matin, -29 janvier 1701.
Je vous conjure encore une fois , madame , de ne
songer point" encore aujourd'hui à entendre la messe ,
si votre faiblesse et votre langueur ne vous le permet-
tent pas. Vous manqueriez à Dieu et au Saint par ce
défaut de simplicité , vertujque le Saint a tant aimée et
recommandée. Mais si votre santé se trouvait assez
fortitiée pour entendre une messe , venez simplement
à onze heures et demie entendre la mienne dans la
chapelle de céans. Nous nous unirons ensemble au
bon Saint. Il m'a donné le jour de sa fête les pré-
mices de mes plus grandes croix. Ce fut ce même
jour , il y a précisément quatre ans , que mon livre (i)
fut publié. Je dois faire de bon cœur l'anniversaire de
ce jour crucifiant pour moi.
Je reviens à votre santé. Si elle demande que vous
ne partiez point du coin de votre feu , n'hésitez pas
à le faire. Pour la langueur intérieure , vous ne la
guérirez point avec le P. S. , ni par vos recherches.
La paix en la souffrant est le vrai remède.
(1) V Explication des Maximes des Saints.
LETTRES SPIRITUELLES. J2I
k V%% V%^ «%> V%^ V«^V^'V«%VW%%%'XV^^\ %v% v«w««wv
262.
Se confesser sans inquiûlmlc et sans scrupule.
Mardi, 8 fcvrier 170t.
Je vous rentirai , madame , en main propre , la let-
tre de M. le Comte de MontLeron. Vous pouvez comp-
ter que j'accepte de plein cœur ce que Dieu m'en-
voie •, soyons fidèles à le suivre.
Je crois que vous pouvez vous confesser un de ces
jours-ci ; mais à condition que vous bornerez votre
confession à dire les fautes qui se font remarquer
sans peine , et qu'après les avoir dites simplement se-
lon la lumière que vous en aurez alors , vous n'y
penserez plus après votre confession , et que vous en
laisserez tomber la pensée avec la même fidélité qu'il
faut avoir contre une pensée de tentation. Je prie
Dieu , madame , qu'il vous fasse telle qu'il veut que
vous soyez.
fV%^>»»%»^^'%%^^'%%»%^X%%%%%V^<%'%.^^^^^^^%%%^^'^^<^»^^^^V%'»^^
263 * R. (76)
Se supporter soi-même , comme on supporte le prochain ; travailler
paisiblement à la correction de ses défauts.
Samedi, 19 février T701.
Les personnes qui ne s'aiment que par clmrité,
comme le procbain , se supportent cliaritablement,
sans se flatter , comme on supporte le procbain dans ses
imperfections. On coiniaît ce qui a besoin d'être corrigé
en soi comme en autrui : on y travaille de bonne foi
et sans mollesse ; mais on fait pour soi comme on
522 LETTRES SPIR1TUELL,ES.
ferait pour une personne que l'on conduirait à Dieu.
On fait le travail avec patience; on ne se demande,
non plus qu'au prochain , que ce qu'on est capable
de porter dans les circonstances présentes ; on ne se
décourage point à force de vouloir être parfait en un
seul jour^ On condamne sans adoucissement ses plus
légères imperfections \ on les voit dans toute leur dif-
formité -, on en porte toute l'iiumiliation et toute
l'amertume» On ne néglige rien pour se corriger ;
mais on ne se chagrine point dans ce travail. On
n'écoute point les dépits de l'orgueil et de l'amour-
propre , qui mêlent leurs vivacités excessives avec les
sentimens forts et paisiljïes que la grâce ik)us inspire
pour la correction de nos défauts. Ces dépits si cui-
sans ne servent qu'à décourager une ame , qu'à l'oc-
cuper de toutes les délicatesses de l'amour-propre ,
qu'à la rebuter de servir Bieu , qu'à la lasser dans sa
voie , qu'à lui faire chercher des ragoûts et des sou-
lagemens contraires à sa grâce, qu'à la dessécher , qu'à
la distraire, qu'à l'épuiser, qu'à lui préparer une es-
pèce de dégoût , et de désespoir de pouvoir achever
sa route. Rien n'arrête tant les âmes , que ces dépits
intérieurs , quand on s'y laisse aller volontairement ;
mais quand on ne fait que les souihir sans y adhé-
rer, et sans se les procurer par des réflexions d'amour-
propre , ces peines se tournent en pures croix , et par
conséquent en sources de grâce. Elles se trouvent au
rang de toutes les autres épreuves par lesquelles Dieu
nous purifie et nous perfectionne. Il faut donc laisser
passer cette souffrance , comme on laisse passer un
accès de fièvre ou une migraine , sans faire aucune
chose qui puisse exciter ou entretenir le mal.
LETTRES SPIRITUELLES. 5 23
Cependant il faut demeurer dans son occupation
intérieure , et dans ses devoirs extérieurs , autant
qu'on en conserve la liberté. L'oraison en est moins
douce et moins aperçue ; l'amour en est moins vif et
moins sensible ; la présence de Dieu en est moins
distincte et moins consolante •, les devoirs extérieurs
mêmes en sont remplis avec moins de facilité et de
t;c»ùt : mais la fidélité en est encore plus grande , lors-
qu'elle se soutient dans ces circonstances pénibles , et
c'est tout ce que Dieu demande. Un bâtiment à rames
MX de plus grande force de rameurs, en ne faisant
«|u\in quart de lieue contre vent et marée , que quand
il iiiit une lieue à la faveur de la marée et d'un ])on
vent. Il faut traiter les dépits de l'amour-propre
comme certaines gens traitent leurs vapeurs. Ils ne
les écoutent point , et font comme sHls ne les sentaient
pas.
Je vous conjure bien sérieusement , madame , de
ne supprimer point les lettres que vous m'écrivez ; il
est bon que je vous voie au naturel dans ces premiers
mouvcmens. Les supprimer , c'est une mauvaise bonté
de l'amour-propre. Les tours et retours sont con-
traires à la simplicité. Faut-il s'étonner que nous
soyons faibles , inégaux et épineux ?
264 * R. (39)
Surmouter les scrupules , en se dûrrant de la vivacité de rimagination-
Vendredi, 3 mars 1701.
Il s'en faut bien, madame, que je ne sois rebuté.
Je vous plains , et je ne songe point à vous gronder.
524 LETTRES SPIRITUELLES.
Je n'ai d'autres peines que celle de ne pouvoir gué-
rir les vôtres; mais je voudrais que vous fussiez fidèle à
faire ce qu'il me semble que Dieu demande de vous.
Les choses que vous vous reprochez , et dont vous
dites que vous avez horreur , ne sont que des faits
sans malignité, et sans aucune véritable conséquence
pour le prochain , que vous dites en conversation.
En vérité , est-ce là de quoi se troubler ? Ces ba-
gatelles excitent vos scrupules -, vos scrupules excités
troublent votre oraison, vous éloignent de Dieu, vous
dessèchent , vous dissipent , réveillent vos goûts na-
turels , et vous mettent en tentation contre votre
grâce. Voyez combien le remède est pire que le mal.
Le mal n'est qu'imaginaire ; le remède est un mal
réel.
Je ne m'étonne point que votre imagination trop
vive , et une habitude de vous laisser trop aller à vos
réflexions , qui n'a point été assez réprimée , vous
fassent de la peine ; mais il serait tenq)s de vaincre
ces obstacles , qui vous arrêtent dans la voie de Dieu.
Au moins vous devez vous défier de votre imagina-
tion , sentir le mal qu'elle vous fait, recoiniaître com-
bien elle vous occupe de bagatelles , et vous dérobe
la vue des plus grandes choses ; enfin être docile , et
demeurer ferme dans la pratique des conseils qu'on
vous donne. Loin de vous abandonner, je vous per-
sécuterai sans relâche. Je ne me décourage point pour
tous vos scrupules ; ne vous découragez point de les
vaincre. C'est de tout mon cœur que je vous con-
jure de communier demain, sans vous confesser. Vous
manquerez à Dieu, si vous ne faites pas ce que je
vous demande en son nom , et pour l'amour de lui.
LETTRES SPIRITLELLES.
20)5.
AI:il.i(lic (lu Danpliiii ; mort de IM. do rioisillcs. S'ouMÎr avec siinplicilC-
au (lirt'clcur.
Mai il
1 , 0/2 mars j^oi.
Monseigneur le Dauphin loniLa diinanclie en apo-
])le\ie , et on lui lira d'abord cinq palettes de sanj> :
nous n'en savons pas davantage ; mais cette nouvelle
se répandra bientôt avec toutes ses circonstances. En
allendant, je vous supplie, madame, de n'en point
palier.
Mon bon ami M. de Croisllles (i) est mort en vrai
Chrétien. J'en suis bien touché ; mais Dieu prend ce
(jui est à lui , et non pas à nous.
Vous n'êtes point simple avec moi , et vous supposez
que je ne veux point entrer simplement dans les des-
seins de Dieu sur vous. Vos besoins sont des droits que
vous avez de me demander du secours. Puisque Dieu
le veut, je le veux aussi; mais je vous demande deux
choses : l'une est de ne rien cacher , et l'autre , de faire
ce que je vous dirai pour vaincre vos scrupules. Que
si vous V manquez j au moins faut-il m'en avertir de
bonne foi. Je prie Notre-Seigneur qu'il vous élargisse
le cœur , qu'il vous désoccupe de vos vains scrupules
sur des bagatelles , et qu'il vous empêche de lui man-
quer véritablement en résistant à son attrait. Rien ne
«Tuérit tant du scrupule , que de le forcer sans hé-
sitation. Dieu vous aidera : rien ne lui est irapossi-
l)le. Croyez , et vous recevrez suivant la mesure de
votre foi.
(i) Fi ère du Maréchal de Catiiiat.
520 LETTRES SPIRITUELLES.
266 * A. (4o)
Elargir son cœur par la confiance.
Samedi, 2 avril 1701.
Je vous envoie , madame , ma réponse pour ma-
dame d'Oisy. Il nie paraît qu'elle hasarde trop , en
écrivant avec confiance par la voie d'un petit gar-
çon. Je lui fais néanmoins réponse , de peur de la
peiner en la laissant trop en suspens.
Pour vous, madame, je vous conjure de commu-
nier demain sans vous confesser , et de forcer tous
vos scrupules , pour donner à Dieu cette preuve de
votre sincère docilité à son ministre. Vous pouvez
croire que je n'ai envie de charger ni votre conscience
ni la mienne ; mais votre conscience a hesoin d'être un
peu élargie. L'amour, quand il se perfectionne, chasse
la crainte (ff) ; et quand il ne le fait pas , c'est qu'on
le gêne , et qu'on t'arrête dans sa pente. Voulez-vous
par crainte étouffer l'amour, et par une délicatesse
déplacée pour Dieu, résister à Dieu même? J'aurai
l'honneur de vous voir dès que vous croirez en avoir
besoin.
(Même jour. )
Communiez demain, je vous supplie, et priez pour
quelque chose que je recommande à Dieu. J\ii les
Lettres de madame de Cliantal : les voulez-vous lire?
Pardon du mécompte pour ma réponse à Oisy. Dieu
soit avec vous , et toutes choses lui seul en vous.
(a) / Joan, iv. 18.
LETTRES SPIRITUELLES. 52'
(4o) 267 * A.
Môme sujet.
Lundi { 4 avril i;oi. )
N'hésitez point, madame, à communier aujour-
d'hui. O la grande et l'aimable fête (i) ! C'est l'anéan-
tissement du \ erbe fait chair : anéantissons-nous
avec lui. Cet anéantissement est le prodige de l'amour.
O que la vie du Fils de Dieu était cachée en cet
état ! 0 que ce mystère est intérieur !
Ce qui n'est point du tout volontaire , et que nous
avons sujet de croire de bonne foi étranger à notre
volonté , n'est ni péché ni imperfection. Ne craignez
point ce que vous ne voulez pas.
(i) La fclc de V Annoncialion, qui, cette auuée, tombait dans la
sciuainc-sainte, a\ait été transférée à ce jour.
268.
Résignation dans les pertes et les revers.
Mardi, 2G avril ijoi.
Tout est pot au lait en ce monde ; chacun de nous
est la pauvre Ptvvx'^^e (i). Qu'y faire , madame? Se
consoler , perdre en paix ce que la Providence nous
ôte , et ne tenir qu'à celui qui est jaloux de tout. En
perdant tout de la sorte, on ne perd jamais rien. La
(i) Allusion à la fable de La Fontaine, la Laitière et le Pot
au lait, liv. VII, fable x.
528 LETTRES SPIRITUELLES.
jalousie , qui est si tyrannique et si déplacée dans les
hommes , est en sa place en Dieu. Là elle est juste ,
nécessaire, miséricordieuse. En ne nous laissant rien,
elle nous donne tout.
Ne communiâtes-vous pas dimanche ? Je crois que
vous devriez prendre des règles fixes avec le hon père ,
surtout pour le temps de mon absence. Vous le mè-
nerez au Lut mieux que personne.
Si M. le Comte de Montberon pouvait arriver
dimanche , ou même lundi , nous pourrions encore
dîner ensemble , et cela serait fort joli : sinon , il sera
bien joli d'en être privé; car tout est joli dans la
volonté qui décide.
Dieu vous bénisse. J'aurai l'honneur de vous voir
et de vous écrire avant mon départ.
(42) 269 * A.
Eviter les raisonncmens et les retours subtils sur soi-même.
Vendredi, 6 mai 1701.
Il fiut que je parte de bonne heure , madame ,
pour aller dire la messe à Saulsoir (i) , où je vais faire
la visite en passant-, mais je vous donne la bénédiction
de Dieu notre Père , et de notre Seigneur Jésus-
Christ. La paix soit avec vous. Elle y sera , si vous
êtes simple ; et vous mériterez de la perdre , si peu
que vous sortiez de cet attrait de simplicité. Vous
en avez l'expérience , et cette expérience si sensible
(i) Voyez la note 2 de la lettre 88 de la i^'^ section, tom. I,
pnge 2/18.
LETTRES SPIRITUELLES» 52Q
vient d'une bonté qui veut vous convaincre , et vous
l'aire honte de vos liésitalioiis dans la foi. Le raison-
nement sublil pour vous lournicnler vous-même ,
est pour vous comme le fruit défendu. Dès que vous
apercevrez que vous vous serez écoutée vous-même ,
laissez tomber vos raisoiniemens , et revenez à votre
vrai centre , hors duquel vous ne trouverez aucun
repos. Le bon père , que vous avez vu depuis peu ,
vous sera utile pour vous faiie passer outre , quand
•vos subtilités vous arrêteront.
Je ^ ous envoie une lettre pour M'"«= d'Oisy ; mais
je crains que vous \o\is inconmioderez à l'aller voir.
Rien n'est plus opposé à votre grâce que de prendre
trop sur votre santé; car c'est aux dépens de votre
corps déjà faible, nourrir votre esprit naturel et votre
amour-propre , qui se plaît à ces sortes de délicatesses
et de politesses pour le prochain. Tàcliez de faire
entendre au P.... le mal qu'on vous fait en vous écou-
tant. On fait que vous vous écoutez , et on vous accou-
tume à ne supprimer jamais ce qui ne se surmonte
jamais bien qu'en le supprimant.
Ne m'oubliez pas , je vous conjure , en écrivant à
Tournai et à Malines. Je vous manderai au plus tôt
le temps précis de mon séjour à Saint-Denis (i). Je
suis véritablement fâché de n'avoir pas vu M'"^ J^
Comtesse de Souastre. Je prie Dieu qu'il vous garde
contre vous-même : c'est la seule chose dont je suis
en peine. Il voit , madame , et il fait tout ce qui est
dans le fond de mon cœur par rapport à vous.
(i) Abbaye de Ijcnc'dictiiis du diocèse de Cambrai, située près
de Mous en Ilaiuaut.
CORKESP. IV. IQ
53o LETTRES SPIRITUELLES.
270.
Itinéraire Je sa visite épisoopale.
A Valenciomies , 7 mai 170t.
Je dois, madame, vous rendre compte de mes pro-
jets. Je ne compte point de m'arréter à Mons , et je
vais droit à Saint-Denis. La mission ne peut com-
mencer à Binch , que le jour de la Pentecôte , ce qui
me donne une semaine pour la visite des environs
de Saint-Denis , et pour aller à Engliien voir M'^^ ]a
Duchesse d'Aremberg. Si M. le M. de M. veut venir
au désert , nos deux abbés le posséderont à certaines
heures , et je me délasserai le soir , de mes visites de
la journée , en trouvant une si bonne compagnie ,
avec laquelle nous nous promènerons dans des bois
assez agréables. Ne m'oubliez pas, s'il vous plaît , dans
le lieu où vous voulez aller. Je suis fort touclié de
bien des choses , et entr'autres de la dernière lettre.
Portez-vous bien , madame. Ne regardez point der-
rière vous , si vous voulez aller en avant. Je ne vous
dis rien de mon zèle et de mon respect.
271.
Ordre de sa visite épiscopale. Elargir le cœur par la confiance.
A Binch, i5 mai, jour de la Pentecôte, 1701.
J'ai reçu , madame , deux paquets de vous , et rien
de vous-même : pas un mot qui m'apprenne com-
ment vous vous portez. Cela est bien sec : mais tout
est bon , pourvu que vous vous portiez bien , et que
LETTRES SPIRITUELLES. 53 I
VOUS soyez en paix. J'eus l'honneur de vous écrire de
Valenciennes , pour ^ous dire que je serais à Saiiit-
Denis toute la semaine qui vient de finir. En eiFet ,
j\ ai passé tout ce temps-là^ pensant souvent à M. le
M. de M. que j'eusse été ravi de posséder dans cette
solitude , ou les promenades sont très-agréables pen-
dant les beaux jours. Mais je ne me flattais d'aucune
espérance , sachant combien il doit être assujetti à sa
résidence , par le voisinage d'un certain homme qu'il
doit vouloir contenter, et qui ne se contente pas faci-
lement. J'espère qu'il se trouvera quelque autre tejnps
plus favorable que la Providence nous fournira pour
nous voir en liberté. Me voici fixé pour une dixaine
de jours. Je compte qu'après la fête du Saint-Sacre-
ment , je pourrai aller vers Maubeuge. De là , je me
rapprocherai insensiblement de Cambrai , ou je sou-
haite de tout mon cœur de vous trouver avec un cœur
plus large que celui que vous rétrécissez si souvent.
Si quelque peine vous arrête , n'hésitez pas à parler
au P. R , en cas que le P. S ne vous décide
pas assez nettement. Surtout que le soleil ne se cou-
che pas sur vos hésitations j car plus elles durent ,
plus elles deviennent diiUclles à guérir.
Je vous envoie une lettre pour M"^« d'Oisy , qui a
besoin d'être donnée sûrement en main propre ; mais
n'y allez pas , je vous conjure : il suffit d'y envoyer
une personne sûre. N'allez pas faire des merveilles
d'amitié , qui prennent trop sur votre santé : ces mer-
veilles sont des ragoûts d'amour-propre.
Mlle dU.... a besoin et mérite d'être soutenue par
des lettres d'amitié et d'édification , qui la consolent
et qui l'encouragent. Répondez-lui bonnement. M'"' la
^9*
532 LETTRES SPIRITUELLES.
C, de s. ( Souastre ) n'a-t-elle point passé à CamlDrai ,
et n'y est-elle point encore ? Si elle y est , je vous
conjure de lui dire mille choses , qui ne sont point
des complimens. Je n'espère pas de la trouver cliez
vous à mon retour ; mais j'ai bien envie d'avoir Flion-
neur de l'aller voir chez elle. Je souliaite fort que
M. le Comte de Montberon fasse cet été de petits
tours à Cambrai , et que Tournai nous le prête.
Je suis toujours , madame , l'homme du monde qui
vous est le plus dévoué. Je souhaite que l'esprit de
simplicité , de vérité , de paix et d'amour , descende
et repose sur vous ; que son feu consume en vous
tout ce qui n'est pas de lui , et qu'il soit l'ame de
votre ame.
(78) 272 * A.
Éviter les prévoyances ; vivre de foi et d'abandon à Dieu.
A Cambrai, 10 juin ijoi.
J'avais compté , madame , que je vous trouverais
ici , et cette espérance me faisait un grand plaisir :
mais Dieu vous a envoyée à La bonne place est
celle où il met : toute autre est d'autant plus mau-
vaise , qu'elle flatterait notre goût , et serait de notre
propre choix. Etes-vous libre à pour être seule?
D'ailleurs n'y êtes-vous point embarrassée par vos
confessions ? Je suis fort aise que l'homme que vous
avez vu soit propre à vous soulager le cœur , et à
vous aider. Je l'aime et je l'estime beaucoup. Je suis
persuadé qu'il pourra souvent vous faire du bien :
mais je ne veux point cesser de vous donner mes soins.
LtTTULS SinillTL'ELLES. 533
C'est une union que Dieu a l'aile, et qui, étant de
son ordre , doit durer. Je ne vois rien qui puisse ni'é-
loii^ner de ce pays , et ce qu'on vous a écrit ne peut
avoir aucun fondement. Ne songez donc point à des
clioses éloignées. Cette incpiiélude sur l'avenir est
contraire à votre grâce. Quand Dieu vous donne un
secours , ne regardez que lui seul dans le secours qui
vous est donné , et prenez-le cluupie jour , connne les
Israélites prenaient la manne, sans en faire jamais
de provision d'un jour à Tautre.
La vie de pure foi a deux choses : la première est
qu'elle fait voir Dieu sous toutes les enveloppes im-
parfaites où il se cache ', la seconde est de tenir une
anie sans cesse en suspens. On est toujouis comme
en l'air, sans pouvoir toucher du pied à terre : la
consolation d'un moment ne répond jamais de la con-
solation du moment qui suivra. Il faut laisser faire
Dieu dans tout ce qui dépend de lui , et ne songer
qu'à être fidèle dans tout ce qui dépend de nous. Cette
dépendance de moment à autre , cette obscurité , et
cette paix de Famé dans l'incertitude de ce qui lui
doit arriver chaque jour , est un vrai mail} re in-
térieur et sans bruit : c'est être brûlé à petit feu.
Cette mort est si lente et si interne, qu'elle est souvent
[)resque aussi cachée à l'âme ([ui la soulhe , qu'aux
personnes qui ignorent son état. Quand Dieu vous
otera ce qu'il vous donne , il saura bien le remplacer,
ou par d'autres instrumens, ou par lui-même. Les pier-
res mêmes de\iennent dans sa main des e;ifans d'A-
braham (^/). Un corbeau portait tous les jours la moitié
[a] Luc. m. 8.
534 LETTRES SPIRITUELLES.
d'un pain à saint Paul ermite , dans un désert inconnu
aux hommes. Si le Saint eût hésité dans la foi , et
s'il eût voulu s'assurer un jour d'un autre demi-pain
pour le jour suivant, le corheau ne serait peut-être
point revenu. Mangez donc en paix le demi-pain de
chaque jour , que le corbeau vous apporte. A cha-
que joui' suffît son mal. Le jour de demain aura soin
de lui-même {a). Celui qui nourrit aujourd'hui est le
même qui nourrira demain. On reverra la manne tom-
ber du ciel dans le désert , plutôt que de laisser les
enfans de Dieu sans nourriture. Mais , encore une
fois , ce qu'on vous a mandé n'est rien : les choses
sont à une distance infinie de ce que vous craignez.
Je serai ravi de revoir M. le Comte de Ne
pourrais-je point vous le mener à — , et l'y laisser?
Je pourrai cet été aller faire quelque petit séjour au
Câteau , et profiter de votre voisinage. La continua-
lion des incommodités de M™® la Comtesse de Souastre
m'aflîige : je l'honore du fond du cœur.
Mon Dieu , que M"^" d'Oisy me fait de pitié ! elle
aurait besoin du corbeau de saint Paul. Elle n'avait
de consolation que de vous. J'irai la voir ; mais je
ne puis le faire qu'une fois. Ne pourriez-vous point
l'inviter à vous aller voir à ? Pour les lettres ,
je n'en crois pas devoir confier à W-^^ de pour
les donner à une femme inconnue,
{a) Malt. V. 34,
LETTRES SPIRITUELLES. 535
(4-.) 273 * A.
RcccToir les clou* de Dieu avec reconnaissance cl humilité ; 'mort de
Monsieur, frère de Louis XIV.
A Cambrai, i6 juin i^oi.
Je suis ravi , madame , de vous savoir en paix et
en abondance : mais ne dites point dans votre aboti-
dance intérieure ; Je ne serai jamais èhranlèe [a).
Quand on est orgueilleux pour des biens empruntés ,
le préteur prend plaisir à confondre l'emprunteur in-
grat. Profitez de l'abondance , sans vous l'approprier.
Je suis ici depuis huit heures du matin jusqu'à
sept du soir au concours. Dès que j'en serai sorti ,
j'irai voir cette pauvre recluse , qui me fait grande
pitié : elle a été ici gardée à vue.
La mort de Monsieur (i) a été un coup de foudre ;
il est tombé comme roide mort. Dieu veuille qu'il
ait eu à son jubilé les pensées sérieuses qu'on lui
attribue \ mais le monde trouve bien sérieux ce qui
ne l'est guère.
Ne faites rien qui déconcerte votre petite santé.
Pour la crainte des consolations , elle va trop loin :
prenez simplement celles qui vous viennent , au ha-
sard d'en être châtiée , si votre cœur n'y est pas assez
sobre. Il ne faut jamais passer outre , dès qu'on sent
intérieurement la jalousie de l'Epoux sacré \ mais on
(a) Ps. XXIX. "j.
(i) Philippe de France , Duc d'Orlc'ans , second fils de Louis XTII,
et frère unique de Louis XIV, mort subitement à Saiut-Cloud, le
9 juin précddent , à l'âge de soixante-un ans.
536 LETTRES SriRITUELEES.
retomberait dans les réflexions contraires à la sim-
plicité , et dans le trouble , si on voulait prévenir
toutes les jalousies de l'Epoux : il y aurait même une
Tolonté propre , et une espèce de délicatesse pour
soi-même , à aimer mieux renoncer aux consolations
pour être délivré des épreuves quelles attirent. Ce
serait vouloir décider, et rejeter le bénéfice de peur
des cliarges. Je conclus que je vous enverrai diman-
che un relais à S pour venir coucher à Cambrai.
Je comprends que vous voudriez que j'allasse le mardi
à et c'est à quoi je suis tout prêt.
Souvenez-vous toujours de ce que vous dîtes : Mes
disposiiioiis sent moins sensibles y moins connues , et
plus vraies. J'aime la jalousie de Dieu : il faut la
laisser détruire tout autour d'elle \ elle ne divise que
pour mieux réunir.
274.
La docilité , seule ressource contre le scrupule.
A Cambrai, 27 juin ijoi.
La lettre de M^^ d'Oisy est fort touchante , madame.
Il était trop tard , quand je la reçus , pour l'avertir
que je prêchais hier : mais je prêcherai encore di-
manche prochain _, et je l'en avertirai de bonne heure.
Il me tarde beaucoup d'aller à ; mais j'ai plu-
sieurs chevaux boiteux, qui me font retarder. Mon
impatience regarde plus M"^*' la Comtesse qne
vous , madame. Je suis presque fâché , depuis votre
départ d'ici. Vous ne voulûtes jamais me promettre
ce que j'avais raison de vous demander. Il est vrai
LETTRLS SPIUITL'ELLLS. 53"^
qu'il ne faut pas pronicUro , pans vouloir tenir ; mais
il Ihiit vouloir lenir tout ce qui est jjien demandé.
La docilité est la seule ressource contre le scrupule.
Vous êtes scrupuleuse sur des bap;a telles , et vous ne
Fêles point sur une si grande indocilité : elle est très-
contraire au véritable esprit d'oraison. Pardonnez ce
reproche. D'ailleurs, j'entre dans vos peines, et je
vous plains-, mais il faut être fidèle et ferme dans la
voie droite.
%'%%%%%% V%%«^^<^%%^V% %«4 4<%i%/%%«^%%V«^ «
275.
Discrétion dans la pratique; des auslûrités.
A Camlirai , ii juillet 1701.
J'ai fort au cœur cette parole : La persomie que
vous aimez est malade [a). Vous m'êtes en vérité très-
chère en Notre-Scigneur. Jugez par là , madame ,
condjjen il me tarde de vous savoir guérie. Je crains
que vous ne vous soyez épuisée , sans y prendre garde.
On prétend même que vous avez fait diverses austé-
rités. Si vous les avez faites sans consulter , votre
propre volonté s'y trouve. C'est cette propre volonté
qu'il était bien plus important de mortifier , qu'un
corps déjà si afiàiJjli. Ménagez vos forces , je vous
(^n conjure. Je ne perdrai pas un moment pour vous
aller voir. Je suis ravi de penser que M'"'= la C. de
S. est unie de cœur avec vous dans votre solitude.
Ne me faites aucune réponse , et ne songez qu'à réta-
blir votre santé.
(a) Jean. xi. 4-
538 LETTRES SPIRITUELLES.
276 ♦ A. (40
Obéissance simple et aveugle , seul remède coutrc les scrupules.
A Cambrai, 3o juillet 1701.
Je ne fais, madame, aucun remercîment ni à vous ,
ni à M'i^*-* la Comtesse de Il y en aurait trop
à faire , et je ne suis pas bien préparé à cette fonction.
Venons à vous , dont je suis fort en peine. Vous
vous consumez en plusieurs manières , qui sont toutes
contraires à Dieu , étant contraires à l'obéissance.
Vous vous ôtez les consolations que Dieu ne vous ôte
point. Il est aussi dangereux de s'ôter ce qu'il n'ôte
pas , que de se donner ce qu'il ne donne point. D'ail-
leurs le scrupule vous dévore , et c^est ce scrupiile
qui ne vous laisse ni joie , ni repos , ni soulagement ,
ni respiration. En même temps il vous rejette dans
des confessions perpétuelles de vétilles , qui doivent
casser la tête à vous et à votre confesseur. Il n'y au-
rait que l'obéissance qui pourrait remédier à un mal
si pressant : mais elle vous manque , et j'avoue que
j'en suis scandalisé. Si vous étiez simple , vous obéi-
riez sans raisonner et sans vous écouter. Les vrais
enfans se taisent , et font ce qu'on leur dit. L'amour
véritable ne sait ce que c'est que d'bésiter dans
l'obéissance. C'est un grand mallieur de souffrir par
infidélité. Ce qui mine votre santé minera tout votre
intérieur , et vous réduira à une certaine vivacité d'i-
magination sur l'amour , sans aucune docilité. Pour
moi , je souffre de voir ce que vous souffrez contre
Tordre de Dieu. Je n'ai garde d'entrer dans votre
LETTRES SPIRITUELLES. 53()
coiicluite, ni même de demeurer uni à vous, si vous
ne me promettez les choses suivantes :
1° Vous ferez tout ce qu'on vous dira pour augmen-
ter Aotre sonuneil et votre nourriture , alin de rentrer
à cet c^ard dans le premier état.
2^^ Vous suivrez la règle du P. R. pour vos confes-
sions.
3« Vous chercherez simplement les consolations et
les souhij^emens d'esprit (pii vous convieinient.
Je demande là-dessus une réponse prompte , fran-
che et décisive. Dieu sait la peine que vous me faites.
277.
Même sujet.
A Cambraî , i août i^oi.
Si mes paroles sont dures , madame ^ n'oubliez
})as , s'il vous plaît , mes expériences. Les termes mo-
dérés ne sont pas assez forts pour réprimer vos scru-
pules. Vous savez bien que mon cœur est très-éloi-
gné de vous traiter durement. Ma peine très-sensible
sur votre état montre assez qu'il n'y a en moi rien
de dur que l'expression. Voulez-vous que je vous
laisse dépérir pour l'intérieur et pour l'extérieur par
vos scrupules? Puis-je être uni à vous en Notre-Sei-
gneur , contre l'attrait de la grâce de Notre-Seigneur
même ? Je puis bien continuer à vous honorer , res-
])ecter et plaindre ; mais pour cette union intérieure
de grâce , c'est vous qui la rompez par votre indoci-
lité obstinée dans vos sciiipules. Si j'étais plusieurs
jours de suite avec vous, je vous contraindrais à me
54o LETTRES SPIRITUELLES.
dire certaines vérités sur le prochain y que vous re-
partiez comme des médisances , et qui ne sont rien.
Je ne m'effraie point de votre activité involontaire ,
mais seulement de votre indocilité et de votre ré-
serve volontaire , qui rend inutiles tous les secours
de la direction , et qui vous replonge dans vos maux.
Vous désobéissez , et ensuite vous ne parlez plus ,
parce que vous craignez qu'on ne vous ramène de
votre égarement , et que vous ne voulez pas être re-
dressée. La docilité serait le remède de tous vos maux.
L'indocilité rend tous les remèdes inutiles -, par là on
est toujours à recommencer. Vous avez comme un
Landeaii qui vous couvre les yeux , et vous ne vo3^ez
pas combien vous devriez être scrupuleuse sur vos
vains scrupules , pendant que vous vous endurcissez
sur les désobéissances les plus contraires à l'esprit de
Dieu. C'est quelque chose , que vous reconnaissiez et
confessiez de bonne foi votre tort sur la diminution
du sommeil et des alimens ; mais vous y retomberez
bientôt, si vous continuez à écouter vos scrupules qui
vous rongent , et à faire des confessions qui vous
épuisent. Je reviens donc aux règles du P. R. , et je
demande absolument pour condition essentielle , que
vous les observerez , et que vous tournerez vos scru-
pules de ce côté-là.
Je compte que j'irai mercredi au Gâteau , et de là
à Nous parlerons du lieu où vous devez demeu-
rer , et je A ous déclare par avance , quoiqu'il ne faille
pas prévoir de si loin , qu'Oisy ne me parait point un
lieu qui vous convienne. Je prie Notre-Seigneur de
vous faire surmonter ce qui vous éloigne de lui. Des le
moment que vous reviendrez sur vos pas , vous sen-
LETTRES SPIRlTrEI.LES. 54 I
tiivz ]c l)rs()iii (le la coniTiiunion , et vous en serez
iill'amée. Dès que la maladie cesse , le besoin de la
iu)iirnlure se lait sentir.
278.
Même sujet.
Au Càtcau , vcmlrctli 5 août (1701.)
C'est avec le plus sensible regret , madame , que
je vous ai aflligée ; mais j'ai été le premier aflligé par
votre indocilité , et par votre véritable résistance à
Dieu. Je lui manquerais , si je vous laissais sans scru-
pule sur ces résistances , pendant que vous êtes scru-
puleuse sur des riens qui vous tuent.
Je compte d'aller aujourd'hui à , et j'y arri-
verai en effet au sortir de votre dîner , a2)rès avoir
achevé quelques affaires que j'ai ici. Si vous voulez
me venir voir demain , j'en serai ravi. Il me tarde
infiniment de me raccommoder avec vous , madame ,
et beaucoup plus encore de vous raccommoder avec
Dieu , dont vous vous éloignez à force de vouloir
hors de propos vous en rapprocher par des confes-
sions scrupuleuses. Pardonnez-moi des duretés que
vous avez rendues inévitables.
279.
Calmer l'imagination ; ne pas entretenir le trouble par des réflexions
scrupuleuses.
Au Cùlcau , 7 août r^oi.
Je vous envoie, madame, une lettre pour M^^^^ d'Oisy.
Je vous conjure d'y ajouter un bon commentaire de
542 LETTRES SPIRITUELLES.
votre façon ; elle a besoin de ce secours , et le mérile
fort. Plus je la vois, plus je l'estime , et espère que
Dieu la prendra toute à lui. Ce qui se passera dans
les repas ne sera point sur son compte , et la com-
pagnie ne saura que trop que rien ne roule sur ses
soins : ainsi ce qu'elle sacrifiera à M , ou plutôt
à Dieu même , en cette occasion , n'est pas grande
chose.
Je vous conjure, madame, de demeurer dans votre
lit autant que vous y demeuriez autrefois , et d'y at-
tendre le sommeil quand il vous a échappé. Il re-
vient, quand on l'attend en paix; mais quand ensuit
son imagination , on 1 éloigne de plus en plus. Je
n'aurai bonne opinion de votre état intérieur , que
quand vous posséderez assez votre ame en patience ,
pour bien dormir. Je ne vous demande que calme
et docilité. Vous me direz que le calme de l'imagi-
nation ne dépend pas de nous. Pardonnez-moi ; il en
dépend beaucoup. Quand on retranche toutes les in-
quiétudes auxquelles la volonté a quelque part , on
diminue beaucoup celles-là mêmes qui sont involon-
taires. Moins on s'agite volontairement , plus on se
met en état de ne s'agiter d'aucune façon, et de tem-
pérer une imagination trop émue. Une petite pierre
qu'on fait tomber dans l'eau, la trouble quelque temps,
et on ne pourrait d'abord en arrêter l'agitation ; mais
cessez de l'agiter , elle se calme peu à peu d'elle-
même. Dieu aura soin de votre imagination , dès
que vous n'en entretiendrez plus le trouble par vos
réflexions scrupuleuses.
J'aurais voulu pouvoir parler hier à M™* la C ,
et je me sentais le cœur fort ouvert pour elle ; mais
LETTRES SPIRITUELLES. S /{'S
l'occasion ne fut pas favorable, il fallait se so'parer.
Diles-lni , je vous prie , (pie je suis véritablenient
occu[)é (Vclle devant Notre-SelL,n leur , et fpie je lui
souhaite une simplicité au-dessus de toute sagesse
liumaine et de tout courage naturel. Si vous voulez
être enfant devant Dieu , et bien petite , vous ne de-
vez avoir en partage que docilité et obéissance.
• %%««%.%^>%««^>«<V*A^^«% %%«'%%% •%V%^V«,^%V«'%%«'VV%«%«/V%%VVk%%%iV«A'%«^
%%««%V«%««^
280 * A.
(43)
Déclarer ses peines avec simplicité ; écouter Dieu clans ceux qui le
représentent.
A Cambrai, 14 août 1701.
Je voudrais bien , madame , n'avoir qu'à vous
consoler ; mais souffrez que je commence par vous
gronder un peu ; vous en avez besoin. Vos peines ,
qui devraient m'engager à vous épargner , sont ce qui
me presse de vous en faire reproche. Faut-il que
vous soyez si long-temps à passer , comme vous le
dites , par le fer et par le feu, sans en dire un mot?
Est-ce être simple ? est-ce être fidèle à Tattrait de
Dieu? est-ce être sincère"^ Si vous cachez votre cœur,
on ne peut en guérir la plaie : une plaie cachée ne
fait que s'envenimer. Je voyais bien en gros que vous
souffriez ; mais vous faisiez tout ce qu'il fallait pour
me le laisser ignorer. Au nom de Dieu , ne soyez
point si forte pour vous passer de conseil et de
consolation , et soyez-le un peu plus contre vos scru-
pules.
J'avoue néanmoins que votre dernière lettre me
fait un sensible plaisir , et qu'elle achève de nous rnc-
5X1 LETTRES SPIRITUELLES.
commoder. Non-seulement vous me dites que vous
avez souUert de longues peines , mais encore vous
ajoutez un trait de vraie ingénuité , contraire à votre
naturel : c'est de me demander sans façon quelque
lettre qui vous console. O je prie le Père des misé-
ricordes , et le Dieu de toute consolation , de répan-
dre abondamment la sienne dans votre cœur ! Que la
paix de Jésus-Christ soit avec vous. Amen.
Si je savais en détail a^os peines , je tacherais de
vous dire en détail des choses proportionnées à vos
besoins ; mais nous sommes encore trop heureux de
savoir en gros que vous avez le cœur malade. Si c'est
de scrupule, j'a.voue que c'est un martyre; mais l'obéis-
sance seule peut finir toutes vos douleurs. Ecoutez-
vous vous-même , vous vous rongerez le cœur , et
dépérirez tous les jours : écoutez la voix de Dieu
dans ceux qui vous le représentent , la paix renaîtra.
Mais quand on s'écoute contre l'attrait intérieur , et
contre l'autorité extérieure , on sent la vérité de cette
parole : Qui est-ce qui a résisté à Dieu , et qui a eu
la paix (a) ? Vous avez voulu vous donner ce que Dieu
ne vous donnait pas , et vous ùter par courage ce qu'il
ne vous ôtait point , et qui vous était nécessaire Vous
étiez un petit enfant à la mamelle , qui , par fantaisie ,
quitte le lait , et veut manger du pain dur sans avoir
des dents. Revenez à la mamelle des divines conso-
lations, ployez et goitfez combien le Seigneur est
doux- (e). Vous le sentirez , pourvu que vous vous je-
tiez entre ses bras sans raisonner , et que vous obéis-
siez à son serviteur. Essavez-le; croyez-moi du moins
(a) Job. IX. 4* (^} ^^''^- xxsiii. g.
LETTRES SPIRITUELLES. 54 5
pour l'essai. Priez bonnement et ingénument Dieu de
vous soulager, et de vous élargir le cœur : cette prière
simple et lamilière ne peut (jue lui être agréable.
Je ne manquerai pas de dire tout ce qu'il faut à
Mm» d'Oisy. L'avenir n'est pas à nous ; laissons-le à
Dieu. Soyons-lui fidèles dans le présent qui nous est
donné.
281 * A. (44)
Réprimer ractivité de Timagination ; se tenir clans le calme pour
t-couler Dieu.
A Cambrai, 21 aoi'it 1701.
Je ne voudrais , madame , vous donner que de la
consolation , et je ne puis éviter de vous contredire.
Votre vivacité vous fait imputer aux lionimes comme
à Dieu , ce qu'ils n'ont jamais pensé. Sur quel fon-
dement pensez-vous que je veuille me décbarger de
votre conduite, et vous renvoyer au père... ? Je n'ai,
en vérité , jamais eu cette pensée. Je crois bien qu'il
peut vous être fort utile pour vous soutenir en mon
absence contre vos scrupules , et contre vos impa-
tiences de vous confesser : mais je ne vais pas plus
loin -, et si vous vouliez me quitter pour vous mettre
absolument dans ses mains, je crois que je vous dirais
avec simplicité : Ne le faites pas. Quoique j'estime
fort sa grâce et son expérience , il me semble qu'il
ne vous convient pas tout-à-fait , et que vous man-
queriez à Dieu en quittant l'attrait qu'il vous a donné
pour me croire. Demeurez donc en paix -, n'écoutez
point votre imagination trop vive et trop féconde
CoRRESP. IV. 20
546 LETTRES SPIRITUELLES.
en vues. Cette actmté prodigieuse consume votre
corps, et dessèche votre intérieur. Vous vous dévorez
inutilement. Il n'y a que votre inquiétude qui sus-
pende la paix et l'onction intérieure. Comment vou-
lez-vous que Dieu parle de cette voix douce et intime
qui fait fondre l'ame , quand vous faites tant de bruit
par tant de réflexions rapides ? Taisez-vous , et Dieu
reparlera. N'ayez qu'un seul scrupule , qui est d'être
scrupuleuse en désobéissant. Loin de vouloir quitter
l'autorité , je voudrais la prendre ; et c'est vous qui
me la refusez , en ne voulant pas me croire sur vos
confessions.
J'ai dit à M. le Comte de Montberon , que j'aper-
cevais combien vos scrupules nuisaient à votre santé ,
afin qu'il sentît combien vous avez besoin du séjour
de Cambrai. Il m'a paru croire que la lecture de
sainte Thé-^èse et des autres livres spirituels avait
réveillé vos scrupules par des idées de perfection. Je
n'ai pas insisté , de peur qu'il ne me crut prévenu.
Vous voyez ce que fait votre activité , sur laquelle
vous n'êtes point docile.
Vous demandez de la consolation : sachez que vous
êtes sur le bord de la fontaine , sans vouloir vous
désaltérer. La paix et la consolation ne se trouvent que
dans la simple obéissance. Soyez fidèle à obéir contre
vos scrupules, et les fleuves d'eau vive couleront, selon
la promesse. Vous recevrez selon la mesure de votre
foi -, beaucoup , si vous croyez beaucoup 5 rien , si
vous ne croyez rien , et si vous continuez à écouter
vos vaines réflexions , qui se multiplient à l'infini.
M™^ la Comtesse de m'a promis de gouverner
votre santé. Je la conjure de me tenir parole, et de
LETTRES SPIRITUELLES. 547
prendre , malgré vous , à cet égard , une véritable
autorité. Vous déshonorez le pur amour. Vous faites
croire qu'il est sans cesse occupé de toutes nos vétilles,
au lieu qii il va toujours droit à Dieu en pleine simpli-
cité. Je prie Noire-Seigneur de vous soutenir contre
vous-même , et de vous rendre la véritable paix.
%%^v%^^«>«^«
282.
Réprimer Tactivité trop natiir«lle dans le service de nos amis.
A Cambrai, a5 août 1701.
M. l'abbé de... a égaré la lettre de recommandation
que vous aviez eu la bonté de lui donner pour mon-)
sieur votre frère. Son procès presse , et je vous sup-
plie , madame , de vouloir m'en envoyer promptemenfc
une autre pour ce bon abbé. Je sais comment vous
faites , dès qu'il s'agit d'amitié : ainsi je n'ai rien à
ajouter. Vous n'avez que trop de vivacité et de dé-
licatesse pour vos amis. N'allez pas croire que c'est
une louange que je vous donne : non , c'est un vrai
blâme. Dieu ne veut cette vivacité et cette délica-
tesse , ni pour lui , ni pour les siens. C'est ce qui
fait faire tant de dépense en réflexion superflue, et ce
qui cause tant d'insomnie. C'est ce qui cause tant de
scrupules sur les devoirs vers Dieu et vers les hommes.
Je prie Dieu qu'il vous fasse sentir la vérité de
cette parole de David : J^ai couru dans la voie de vos
commande men s j quajid vous avez élai^gi mon cœur (a)»
(a) Ps. cxviii. 32.
20^
54o LETTRES SPIRITUELLES.
(44) 283 * A.
Être ferme contre soi-même dans la pratique de l'obéissance.
A Cambrai, j septembre i^oi.
On vous aura dit, madame, la faute que je fis à... ,
oubliant de dire que M. le Comte de Montberon partait
pour Tournai. Je suis le premier homme du monde
pour supposer que j'ai dit ce que je ne dis point, et
pour vouloir que l'on comprenne sans que je parle.
Vous avez vu une troupe assez joyeuse. Comment ne
le serait-elle pas ? On marche sur sa foi , mais il faut
être bien sage pour ne réveiller aucune inquiétude.
Je reviendrai ici, comme vous le savez, après la pro-
cession de Valenciennes (i) , pour traiter la capitation
avec M. le Comte de M. , . En attendant que j'aie l'hon-
neur de vous revoir, soyez ferme contre vous-même.
L'ange de Satan se transforme en ange de lumière. Il
se présente à vous sous la belle apparence d'un amour
délicat et d'une conscience tendre *, mais vous connais-
sez les troubles et les dangers où il vous jette par des
scrupules violens. Tout dépend de la fidélité à repous-
ser simplement les premières impressions. Dès qu'elles
sont reçues , vous n'êtes plus maîtresse de vous. Je
prie Notre-Seigneur de vous garder.
(i) Fénelon a fait en latin, pour le Duc de Bourgogne, une
description de cette singulière procession. Voyez tome XIX des
Œuvres f pag. 494*
LETTRKS SPllUTUELLKS. 549
284.
Le scrupule Cermc à Dieu la porte de notre cœur.
A Valcnciennes , 9 septembre 1701.
Je n'ai qu'un moment , madame , pour vous remer-
cier. Je pai's d'ici quand la bonne compagnie y doit
arriver. J'avoue néanmoins que je ne suis pas lâché
d'en partir ; car je trouve ici trop de gens à voir , et
trop de choses inutiles à dire. Pendant mon voyage , je
déroberai des momens pour vous demander de vos
nouvelles et de celles de votre amie. Ce que vous me
mandez de votre état me donne une joie sensible. Vous
vovez que Dieu a la patience de revenir , toutes les fois
que le scrupule ne lui ferme point votre cœur. Il n'y
a rien à vous dire , sinon que vous demeuriez comme
vous êtes. J'aime de tout mon cœur la femme forte ,
et vous n'avez rien à souhaiter de moi là-dessus. Dieu
Faime : pourquoi ne l'airaerais-je pas ? Si elle avance ,
comme elle le doit , elle deviendra moins forte d'une
certaine façon , et plus petite. Dieu soit toutes choses
en vous, madame, et nous, une seule en lui.
«»»»»1>»D«<V»«»««»»W *—<'«»*»«'
Oir»i«il «—«W i«»»w«<»>iM<«i»iV«*%*^B^/»***^
285.
Demeurer avec simplicité dans l'état où Dieu nous met.
A Cambrai, 27 septembre 1701.
Voila, madame, une lettre de votre amie. Quel-
que petit nuage avait obscurci les derniers jours ;
mais M.... a tout raccommodé. U faut souvent re-
55o LETTRES SPIRITUELLES.
commencer avec certaines têtes. Je prends part , ma-
dame , à votre joie sur l'arrivée de M. le M. de M.
Il me paraît capital qu'il s'explique a fond en hon-
nête homme (i). Il ne lui est point permis de laisser
aller les choses plus loin , sans les vouloir mener de
bonne foi et de tout son cœur jusqu'au bout. Il doit
cette franchise à monsieur son père , qui est si pas-
sionné pour ses intérêts , et à une famille qui montre
tant d'inclination pour le préférer à d'autres. Il n'y
a pas un moment à perdre là-dessus. Dieu veuille
que tout se tourne heureusement !
Je me console des incertitudes et des longueurs qui
me tiennent ici , dans l'espérance que vous y revien-
drez peut-être avant mon départ. Demeurez comme
Dieu vous met, et souvenez-vous que vous serez en
paix , toutes les fois que vous ne sortirez point de
votre place par inquiétude. On quitte Dieu pour cher-
cher sa sûreté en soi-même.
Je ne saurais révérer ni chérir en Notre-Seigneur ,
plus que je le fais , la femme forte. Il me semble
qu'elle va toujours uniment comme une bonne pen-
dule. La fidélité simple au moment présent est le tré-
sor du cœur. C'est la manne du désert, qui a tous
les goûts selon les divers besoins , et qui rassasie sans
cesse. On a tout ce qu'on veut , car on ne veut que
ce qu'on a. Le moment présent est une espèce d'éter-
nité, qui prépare à la véritable, et qui en est un avant-
goût.
(i) Ceci a rapport à un mariage dont il s'agissait pour le Mar-
quis de Montberon. Voyez ci- après la lettre 290.
LETTRES SPIRITUELLES. OJ l
286 * R. (45)
Recevoir les grâces et les consolations sans s'y attacher.
Samedi an soir, 8 octobre 1701.
Je suis ravi , madame , de vos prospérités inté-
rieures. Elles vous sont données pour vous apprendre
tout ce que vous perdez, quand vous vous livrez à
vos réflexions scrupuleuses , et combien Dieu veut
vous attirer à une sainte liberté. Les grâces doivent
être reçues avec fidélité pour exécute ce qu'elles in-
spirent , ou pour le leur laisser opérer sans résistance.
Mais il y a une manière de les recevoir , et de n'y
point tenir ; c'est de n'être point attaché à la conso-
lation qu'elles donnent , et d'être tout prêt à en por-
ter la privation, quand il plaira à Dieu de les ôter.
J'aime mieux que vous veniez demain communier
de ma main, à la chapelle de Notre-Dame, après la
grand'messe. Bonsoir , madame. Dieu sait ce que je
vous suis à jamais en lui.
287 * R. (46)
IS'c point exiger d'une ame plus qu'elle ne peut encore porter.
A Tournai, 16 octobre 1701.
Vous me pressez , madame , de retourner voir les
personnes dont je dois prendre soin , et vous , qui
m'attendez , vous ne songez qu'à vous enfuir , dès que
je serai revenu. Je n'ai pas le temps aujourd'hui
d'écrire à M"^^ d'Oisy ; mais j'espère que vos lettres
552 LETTRES SPIRITUELLES.
ne lui manqueront pas. Elle a du courage et de l'ami-
tié : ces deux choses la portent au-delà de ses forces.
Elle croit pouvoir plus qu'elle ne peut. Ce que vous
lui dites la touche; mais son fond n'est pas encore
capable de tous les sacrifices que vous lui demandez.
Jésus-Christ , qui connaissait mieux ses disciples qu'ils
ne se connaissaient eux-mêmes , leur disait (a) : Fous
9)0 pouvez à présent porter ces choses. Il leur di-
sait (e) : Fous se7'ez tous scandalisés de moi cette
nuit. Saint Pierre soutenait que pour lui il n'en se-
rait rien. Quand même , disait-il , tous les autres
seraient scandalisés , pour moi y je ne le serai pas.
Quand même il faudrait mourir avec vous , Je ne
vous J'énoncerai jamais. Jésus-Christ insiste , et lui
prédit qu'il le reniera trois fois , avant que le coq
chante ; et en effet, l'interrogation d'une servante lui
fait renier son maître avec serment. Voilà l'homme;
voilà ce qu'il donne , dès qu'il donne du sien , et qu'il
se promet quelque force de soi.
Laissez M^^^ d'Oisy lire , goûter , prier , se nourrir.
Il faut donner patiemment aux âmes , avant que de
leur demander. Il faut qu'elles aient été nourries in-
térieurement de l'oraison , et avoir mis en elles un
certain trait d^amour , avant que de pouvoir espérer
qu^elles fassent certains travaux extérieurs. Que fait
laf mère à son petit enfant ? elle l'allaite et le porte.
Si elle voulait d'abord le faire marcher, il tomberait.
Quand le lait Ta fortifié , vous voyez que de lui-même
il cherche à former ses premiers pas. Il faut donc
attendre et porter l'enfant, pendant qu'il est encore
(a) Joan. xvi. 12. (e) Marc. -xiv. 27 et seq.
LETTRES SPIRITUELLES. 55!i
à la mamelle. Quand Dieu commencera à ee faire
sentir assez pour ilcuiaii(l(3r un dernier adieu au
monde , ce sera le moment où il faudra aider l'ame
pour celle tlouloureuse décision. Mille sincères com-
plimens à la femme forte. Je vous suis dévoué sans
réserve.
288.
Se mettre en libcrtô pour le dedans el pour le deliors.
A Tournai , dimanche 3o octobre 1701.
Je n'ai eu , madame , aucun moment à moi , et je
suis encore aujourd'luii surchargé de travail. Pardon-
nez mon silence; je l'ai gardé avec beaucoup de peine.
Voilà mes visites finies. Je serai encore ici trois ou
quatre joure , pour les communautés de la ville , et
pour les civilités à rendre. Ainsi j'arriverai à Cambrai
avant la fin de la semaine. Mais je ne vous y trou-
verai pas : c'est de quoi je suis bien fàclié. Je ressens
encore plus la cause de votre absence , qvie votre ab-
sence même ; car je suis plus sensible à ce qui vous
afflige y qu'à ce qui me prive d'une grande consola-
tion. Je vous offre tout ce qui dépend de moi ; c'est
le plus grand plaisir que vous me puissiez faire , et
si vous êtes simple , vous en userez simplement.
J'aime beaucoup en Notre-Seigneur votre l)onne et
chère fille : cultivez-la pour lui. Je plains votre pau-
vre amie , et je souhaite qu'elle puisse vous aller voir
à Je ne négligerai rien pour sa consolation ; mais
je ne puis prcscjue rien tout seul. Dieu supplée , et
on ne manque de quelque chose , que quand on man-
554 LETTRES SPIRITUELLES.
que de foi. Ma santé s'est soutenue comme le beau
temps. Je crains pour la vôtre les politesses et les
complaisances. Mettez-vous en liberté pour le dedans
et pour le dehors.
»««V«%'VW%'%«%'»WW%A/V«'«
289.
Excuses à la Comtesse , pour un oubli.
A Cambrai, 9 novembre 1^01.
J'ai fait, madame, une faute ridicule , en oubliant
de faire ce que j'avais promis à M"^« la C. D. Il s'agis-
sait d'avoir l'honneur de vous écrire. Jugez si cette
omission peut venir d'ailleurs que d'un pur défaut
de mémoire. Raccommodez-moi, s'il vous plaît, avec la
personne à qui j'ai manqué. Vous n'aurez pas grande
peine ; car elle me paie de mes fautes par des pré-
sens. Si ces lapins sont bons, je courrai risque d'être
souvent de mauvaise mémoire. J'aurais à vous de-
mander des nouvelles de M. le Comte de Montberon ,
et des affaires d'Auvergne. Je voudrais aussi vous
dire combien les causes de votre absence m'aflligent ,
et combien vous devez user librement de tout ce qui
est à moi. Mais je n'ai que le temps de fermer cette
lettre.
X%«'«^«%«i%>«^%/«>V«%X^V«^^>%^'%«'%^A'%'%««'*>^^>^«'%%*'«^«^'«'%^^*^^'^^^'^^ ^%*
290.
Sur la bienséance des habits et ries compagnies. Sur un manage projeté
pour un ûls de la Comtesse.
A Cambrai, 20 novembre 1701.
Je ne crois point , madame , que vous deviez vous
gêner pour aller chercher les compagnies ; mais seu-
LETTFxES SPUUTUELLES. 555
lemeiit qu'il ne vous convient point de reculer quand
les gens vous cherclient. Pour vos habits , je ne vous
demande aucune attention forcée. Contentez-vous de
sui\ re la médiocrité et la bienséance , quand les avis
d'autrui ou vos propres vues vous font penser.
Il me tarde bien de savoir l'état présent de notre
mariage. Je le souhaite autant que je puis souhaiter
ce que je ne sais point s'il est de la volonté de Dieu.
Mais je vous avoue que je m'affectionne pour notre
beau-père. S'il compte qu'au défaut des deux cent
mille francs de ...., il trouvera vos biens et ceux de
M. le C. de Monlberon pour la sûreté du douaire , etc.
Je souhaite fort qu'on prenne des mesures justes , afin
qu'il ne coure pas risque de se mécompter. Pour M... ,
il ne peut être que très-bien reçu. Si l'affaire réus-
sit , il sera triomphant , et vous savez combien on
est d'humeur d'applaudir à ceux qui triomphent. Si ,
au contraire, tout va mal, je me croirai en obliga-
tion de le consoler. Quoi qu'il arrive , il mérite de
grandes louanges. L'affaire est excellente , possible ,
bien conduite. Le cœur de M.... attendrit le mien.
Le malheur ajoute au mérite un nouveau lustre.
Je n'ai rien à vous dire aujourd'hui de moi; je ne
sais qu'en dire ni qu'en penser. Il me semble que
j'aime Dieu jusqu'à la folie , quand je ne recherche
point cet amour. Si je le cherche , je ne le trouve
])lus. Ce qui me paraît vrai en le pensant d'une pre-
mière vue , devient un mensonge dans ma bouche ,
quand je le veux dire. Je ne vois rien qui soulage
mon cœur ; et si vous me demandiez ce qu'il scjuilre ,
je ne saurais vous l'expliquer. Je ne désire rien ; il
n'y a rien que j'espère ni que j'envisage avec com-
556 LETTRES SPIRITUELLES.
plaisance. Mon état ne me pèse point, et je suis sur-
monté des moindres bagatelles. D'un autre côté , les
moindres bagatelles m'amusent ; mais le cœur de-
meure sec et languissant. Dans le moment que j'écris
ceci , il me paraît que je mens. Tout se brouille.
Dans ces changemens perpétuels , je ne sais quoi ne
change point , ce me semble.
Je ne sais , madame , si l'on prend garde à Paris
que sept mille livres de rentes en belles terres d'Au-
^ vergne , portables , bon an , mal an , à Paris , valent
plus de deux cent trente mille francs , et même deux
cent cinquante mille. Si peu qu'on y joignît de pier-
reries et de meubles , avec l'espérance très-solide de
l'entière succession , cela ne vaudrait-il pas mieux
que Mlle f|g _^ avec cent mille écus sujets à des re-
cherches ? Les terres d'Auvergne s'estiment commu-
nément au denier quarante , et ne se vendent guère
moins. Vous n'avez pas tant besoin de revenu que
d'autres , pendant la vie de M. le Comte de Montbe-
ron , qui a de gros appointemens de charges. Ce se-
rait un engagement pour garder souvent votre belle-
fille auprès de vous. La mère est hors d'apparence
d'avoir des enfans. Il est naturel que cette famille
s'affectionne à la vôtre. Si le père et la mère vivent
ensemble encore un peu de temps , ils verront des
enfans qui les attacheront. Le péril diminuera tous
les jours , et l'espérance augmentera. Sans ce péril ,
ces gens-là trouveraient les plus grands partis.
LETTRES SPIIUTUELLES. 55'J
291.
Sur qiiclqucs aflaires de famille.
A Cambrai , ai novembre 1701.
Je ne puis m'empecher , madame , de vous envoyer
les deux lettres que j'ai rerues , Fune de M. le Comte
de Monlberon , et Tautre de M"^* d'Oisy. Vous ver-
rez , dans Tune et dans l'autre , une candeur et une
bonté touchante. Je suis ravi que le mariage ne soit
point rompu par un mécompte de la part de madame
votre sœur. Le procédé de monsieur votre fds vaut
cent fois mieux que toutes les fortunes les plus écla-
tantes. Je ne comprends rien à celui de M. de Co-
lomtines. Sa femme et lui sont-ils de concert pour
vouloir chacun se remarier, en cas de mort de l'autre ?
Mandez-moi votre pensée sur ce voyage de ma-
dame d'Oisy à Paris. Je ne le goûte point ; il n'est
pas nécessaire pour remercier : elle n'a que trop son
excuse. L'affaire même est trop incertaine et trop
partagée , pour mériter tant de pas. S^il lui en re-
vient quelque bonne somme , c'est ce qu^on ne pourra
savoir de long-temps. Les frais du voyage seraient
réels et grands -, les profits petits et incertains. Elle
doit épargner les frais de son voyage à ses créanciers.
Ce voyage pourrait réveiller les mauvais rapports , et
les ombrages de M. d'Oisy. Je craindrais même que
ce voyage ne facilitât la prétention d'entrer chez Ma-
dame. Tout cela ne me plaît point. Mais il me semble
qu'on peut lui conseiller d'attendre de voir clair dans
le revenant bon , et en attendant de ne parler plus
558 LETTRES SPIRITUELLES.
d'aller remercier. Je laisserais le reste à la Providence ,
et j'attendrais que la grâce la disposât peu à peu à
laisser tomber cette pensée. Ayez soin de notre excel-
lente pendule : c'est à vous à la monter. Le cœur est
droit et réglé , mais sec. Il faut lui donner un peu
d'onction au dedans.
(44) 292 * A.
Sur quelques affaires de famille ; s'abstenir des réflexions superflues.
A Cambrai, i5 décembre 1701.
Je vous envoie , madame , la lettre que je viens de
recevoir : vous y verrez de très-bons sentimens , et
un triste état : mais Dieu sait mettre tout à profit.
]yime cfOisy eût été ravie d'aller faire la cérémonie
pour M'"e la Maréchale de Boufïlers , par rapport à
vous et à M™« la Comtesse de Souastre ; mais vous
savez combien elle est en tutèle. Il y a des momens
où sa patience paraît à bout; mais son naturel cou-
rageux et un sentiment de religion la soutiennent.
On va encore bien loin , dit le proverbe , depuis qu'on
est las.
Pour moi , je suis fort content des nouvelles que
M me donne de votre santé. Il assure que votre
mal est fini, et que vous êtes en très-bon chemin.
Dieu le veuille ! mais je me défie un peu de vous ; ce
n'est pas sans fondement. Vous avez , par scrupule et
par délicatesse , des réserves , des duplicités , des in-
docilités , comme d'autres en ont par intérêt. Si vous
deveniez ingénue et simple sur vos besoins , je croi-
rais que vous auriez plus sacrifié à Dieu , que si vous
LETTRES SPIRITUELLES. 55r)
aviez soiifTort cent martyres. Tournez votre scrupule
contre le retardement d'un sacrillce qui ferait tant
de ])laisir au cœur de Dieu. Le vrai amour liésite-t-il
quand il s'agit de plaire au Lien-aimé ? Vous ne lui
voulez donner que des privations de soulagemens dont
vous avez un vrai besoin , et qu'il ne veut point rece-
voir ; mais pour le sacrifice de vos réflexions super-
flues , de vos raisonnemens subtils , de vos délica-
tesses d'amour-propre , de vos pratiques de propre
volonté , vous savez bien que c'est ce qu'il demande ,
et vous le lui refusez toujours sur de beaux prétextes.
Je vous demande sérieusement et absolument que
vous ayez soin de vous , comme vous auriez soin de
M™*" la Comtesse de Souastre. On dit qu'elle se porte
bien , et j'en ai une sensible joie. Je prie pour elle,
et je désire fort sa sanctification , aussi-bien que la
votre.
« '«^^ v%« v%^ x^^ ««« '%««%^%« A%^ ««^ vv« '«%<%%««'%«« 'vvm
293.
Avis à la Comtesse , pour elle et pour sa fille. Avantages de l'oraison.
(Décembre 1701.)
Je me réjouis , madame , de l'beureux accouche-
ment de M™e la Comtesse de Souastre , et j'en remer-
cie Dieu de tout mon cœur ; mais je ne cesse point
d'èlre en peine de votre santé. Vous avouez qu'il vous
reste une petite fièvre : elle ne peut être que dange-
reuse dans un état d'épuisement et de langueur. Vous
ne dites rien des eaux de Spa , que M. Bourdon vous
conseillait. Je vous conjure de suivre ses conseils, et
de ne rien négliger pour le rétablissement de votre
56o LETTRES SPIRITUELLES.
santé. Pour M'^^ la Comtesse de Souastre , je liii sou-
haite , après sa couche , assez de sauté et de calme
pour pouvoir s'accoutumer un peu à suspendre les
occupations extérieures , et à ne s'occuper que de
Dieu dans des temps réglés. Elle sentira combien
l'oraison nourrit le cœur , détache du monde , et pré-
pare à faire en paix toutes les choses extérieures , qui
sont dans l'ordre de la Providence. Vous la persua-
derez mieux, que personne , eu lui racontant vos ex-
périences.
Je souhaite fort pour W^^ d'Oisy , qu'elle puisse
aller au plus tôt vous voir : c'est lui souliaiter conso-
lation et profit. De plus, j'espérerais qu'elle prendrait
soin de vous bien gouverner pendant que M™^ votre
fille ne peut le faire. J'espère que nous verrons avant
la fête M. le Comte de Montberon. Je prie l'amour
qui s'est incarné ^ d'opérer son mystère en vous dans
cette fête d'anéantissement , d'enfance et de vie toute
cachée.
kl»%«W«t/%%VW>'Vk«'W»1
(77) 294 * R.
Utilité des privations et de sécheresses.
Je suis sensible à votre peine, et je comprends que
les privations sont fort amères, quand on est accoutumé
à sentir les dons de Dieu : mais les privations ont je ne
sais quoi qui met Dieu plus avant dans le cœur , lors-
qu'il seml^le s'éloigner. On voit bien plus facilement ce
qui est sur la peau , que ce qui est dans les chairs. Les
superficies sont plus apparentes , et moins réelles. Dieu
ne va pas se cacher loin pour nous alarmer. Il n'est
LETTRES SPlRiri'ELLES. 56l
jamais si bien caclié , quo quand il so caclie au fond
de notre cœur. Ce que je cmlns des privations, n'est
pas la séelicresse et Fanierhune qu'elles vous causent •
car il faulsoufiiir pour aller tout de Loii à Dieu : mais
je crains ce qui cause les privations, je veux dire les
petites infidélités par lesquelles vous les attirez , pour
vous soulager dans vos scrupules. Si vous ne suiviez
pas vos réilexions scrupuleuses , votre simplicité vous
tiendrait en paix , votre paix conserverait votre orai-
son , et votre oraison serait votre vie. Tournez votre
scrupule contre vos recherches scrupuleuses , qui sont
des inlidélités contre votre grâce.
Pour l'état de sécheresse et de privation sensible ,
il faut s'y accoutumer. On est trop à son aise , et on
sert Dieu à trop bon marché quand il se fait sentir.
Une mère caresse moins les grands enfans que les
petits.
295 * A. (43)
S'appliquer à la mortification intérieure bien pins qu'à restérieurc.
A Cambrai, 5 janvier 1702.
Je reviens, madame^ d'un voyage de huit jours,
et je trouve ici de vos nouvelles , moins mauvaises que
celles des temps passés : mais il s'en faut beaucoup que
je ne sois rassuré sur yotre santé. M. Bourdon va vous
voir, et je vous conjure, au nom de Notre-Seigneur , do
faire , pour vous remettre , tout ce qu'il réglera. Si
^ ous avez quelque confiance en moi , vous n'hésite-
rez pas à lui obéir. C'est une des plus sensibles peines
que je puisse avoir , que celle de vous trouver indo-
CoRRESP. IV. 21
562 LETTRES SPIRITUELLES.
cile. Vous feriez encore plus de mal à votre ame qu'à
votre corps , et vous résisteriez encore plus à Dieu qu'à
M. Bourdon.
Vous prenez le change en cherchant à contre-temps
les mortifications corporelles : ce n'est point ce que
Dieu demande de vous. C'est votre imagination trop
vive , et non pas votre corps , qu'il faut affaiblir. La
moindre docilité contre vos scrupules vous ferait plus
mourir à vous-même , que toutes les austérités. Passer
par-dessus vos vains scrupules , ce serait l'holocauste
de votre cœur. Encore une fois , si vous croyez que
Dieu nous ait unis en lui , je vous demande , par son
amour, d'avoir soin de vous, et de croire le médecin.
On travaille à votre petit tableau de Moïse exposé :
il sera très-joli , et le peintre réussit très-bien. Je vois
avec attendrissement et complaisance , dans cet ou-
vrage , l'amour jaloux qui pousse aux plus affreuses
extrémités ceux qu'il veut sanctifier , et qui sacrifia
en apparence celui dont il veut faire de si grandes
choses. C'est ainsi qu'il traite ses favoris ; voilà le fon-
dement de ses ouvrages.
J'écrirai au phis tôt à notre bonne et digne pen-
dule.
Je ferai volontiers tout ce que voudra votre amie ;
mais il faudra prendre un temps où vous serez en
tiers : autrement nous serions fort embarrassés. Je
l'estime et l'aime en Notre -Seigneur de plus en
plus. Mon Dieu , qu'il me tarde de vous voir ! Quand
sera-ce ?
LETTRES SPIRITUELLES. 563
296.
Il lOilcmandc à la Comtesse le traité de l'Existence de Dieu , et lui
recommande le soin de sa santé.
A Cambrai, 6 janvier 170a.
Je vous supplie , madame , d'avoir la bonté de me
renvoyer Técrit que je vous ai donné pour monsieur
votre iils , où j'ai ramassé diverses preuves de la Di-
vinité, tirées de l'art qui éclate dans toute la nature.
J'aurais besoin de le revoir. Vous n'en avez aucun be-
soin présentement. M. le Comte de Montberon pourra
me l'apporter à son retour.
Au nom de Dieu , ayez soin de vous. Je ne vous
demande point des soins extraordinaires : je souliaite
seulement que vous ayez la pleine volonté de faire
pour vous ce que vous feriez pour une autre , et de
vous laisser sans réserve à la décision du médecin ;
après quoi vous suivrez ce dessein sans vous gêner ,
suivant que vous en aurez la lumière en chaque oc-
casion.
Je prie Dieu qu'il vous déli\Te d'un certain zèle ,
qui n'est pas moins contraire à votre grâce , qu'à votre
faible santé.
fc ». \A Vl/W** **% *%VV*% Vfc* ww %*% vwv**. *%* vw\^*
297.
Proportionner les pratiques de piété aux forces du corps.
A Cambrai, 18 janvier 1702.
Je comprends bien , madame , qu'il ne faut songer
qu'à vous consoler et qu'à vous guérir ; mais quel
21*
5(54 LETTRES SPIRITUELLES.
moyen de le faire , si vous vous abandonnez toujours
à vos ferveurs et à vos scrupules^ aux dépens de
votre faible santé? Comlùen de fois m'avez- vous pro-
mis des merveilles ! C'est toujours à recommencer ,
et en recommençant vous vous poussez à bout. J'ai
le déplaisir de vous voir tuer votre corps , et faire
lancuir votre ame , contre le véritable attrait de votre
grâce. Puisque vous êtes persuadée que Dieu veut
que vous me croyiez , pourquoi ne me croyez-vous
pas? Pourquoi ne faites-vous point de scrupule de
passer au-delà des règles que je vous ai données,
pendant que vous en faites à tout moment sur des
riens qui vous troublent ? Que peut-on faire de solide ,
quand le fondement de la docilité manque ? vous me
faites entendre que vous avez souflbrt, parce que je
n'ai pas continué à vous confesser , et que vous avez
remarqué en moi une répugnance pour vous donner
ce secours. Souffrez que je vous représente que , quand
on croit qu'une liaison est de Dieu , comme vous
supposez la nôtre, il finit s'éclaircir simplement, et
ne vouloir jamais deviner. Toute mon bésitation ne
regardait que M. le Comte de Montberon , par rap-
port à la cour et au public. Si vous m'eussiez ouvert
votre cœur sur votre désir, je vous aurais répondu
que de ma part je n'avais aucune mesure à garder
pour vos confessions , et que toute ma pente était de
vous donner les secours nécessaires. C'eût été à vous
à prendre vos mesures du côté de M. le Comte de
Montberon. Quand on veut pénétrer , au lieu de de-
mander ingénument , on devient ingénieux à se peiner
soi-même , et la délicatesse se tourne en gêne d'es-
prit. Vous m'avez assez déclaré qu'Arras n'est point
LETTRES SPIRITUELLES. 5G5
le lieu où voire cœur est lui lari^e , et que votre jiaix
intérieure ne se trou\ait qu'à Cambrai. Cependant
vous êtes 2)artie sans ni'avoir consulté. Je conqirends
bien (|ue certains embarras (i).
(i) La fia de celte lettre manque.
%vk ^ •'%'«%%«% v«%/\/%«^/^ ^^kv«« %%^ ^^^ «
298 ♦ A.
(•.34)
Défiances de la Comtesse sur le zèle de son directeur. Abandon simple
et absolu aux opéralious de la grâce.
A Cambrai, -27 janvier 1702.
Ne croyez pas , je vous conjure , madame , que
^ otre lettre m'ait fait d'autre peine que celle de pren-
dre part à ce qui vous afflige. Vos défiances sur mon
zèle pour vous vous ont coûté beaucoup de travail
d'esprit , et vous pouvez juger par là de vos délica-
tesses. En vérité , je n'ai jamais eu qu'une véritable
pente à faire tout ce qui pourrait vous être bon , et je
n'ai été retenu que par des égards pour votre situa-
tion. Puisque votre mal ne vous permet pas d'aller
en carrosse, il faut demeurer tranquille à , jus-
qu'à ce que vous soyez en état de marcher. Alors ne
vous gênez en rien pour la dépense : vous n'en ferez ici
aucune de sensijjle au-dessus de celle que votre do-
mesli(|ue y flàt déjà. Vous pourrez vous servir de la
raison de votre santé , (jui n'est que trop bonne, pour
ne sortir point. Vous aurez même des chevaux et
un carrosse de céans à vos ordres. De plus , vous pou-
"Nez compter sur telle somme qu'il vous plaira , sans
que persoinie en sache rien. Il n'y aura aucune ex-
566 LETTRES SPIRITUELLES.
ception. Vous me paierez à votre très-grande com-
modité. Vous ne répondez rien à tout cela , et vous
devriez bien répondre simplement. Vous devriez faire
un vrai scrupule d'être si réservée^ puisque vous êtes
convaincue que Dieu, veut de l'ouverture et une en-
tière simplicité. Comment auriez-vous la paix pen-
dant que vous résistez à Dieu ?
M. Bourdon m'a soulagé le cœur , en me disant
que les remèdes qu'il vous a conseillé de prendre , en
attendant les eaux , peuvent avancer beaucoup votre
guérison , et qu'elle sera achevée par les eaux prises
au mois de juin.
Votre amie est bonne , et s'affermit dans ses bons
désirs. Ses croix sont grandes 5 mais il les lui faut
aussi grandes qu'elle les a. Il n'y a que Dieu qui sache
bien prendre la mesure à chacun de nous. Vous en
prendriez trop en un sens , et trop peu en un autre ;
trop sur votre santé et sur votre courage naturel , mais
trop peu sur votre délicatesse : toutes ces mesures
sont fausses. Il n'y a qu'à laisser faire Dieu. C'est pro-
fondément couper dans le vif , que de ne retenir rien
de ce qu'il ôte , sans vouloir retrancher ce qu'il ne
retranche pas. Ce qu'on y ajoute n'est pas un retran-
cliement véritable; c'est, au contraire, une recherche
déguisée : car c'est pour se donner une vie fine et
cachée , qu'on pratique une mort extérieure et con-
solante.
Je ne saurais vous rien dire de moi, car très-sou-
vent je n'en sais pas de grandes nouvelles. Quand
j'en cherche , j'en trouve de fort tristes. Je suis fort
occupé de détails d'affaires , et de lettres à écrire.
Les heures et les jours coulent en paix sèche , avec
LETTRES SPIRITUELLES. 567
un certain soulagement de me sentir bien loin du
moiidc. Dieu vous fasse simple et petite !
^ «w» vv^ %%« ^'%% 'Vb%<«%«
299.
Suivre avec simplicitu les ouvertures que donne la Providence.
A Cambrai, 4 ftîvricr i-oa.
Je vous envoie, madame , une lettre de votre amie.
En vérité , elle est en Lon chemin , et son cœur est
trop droit pour n'être pas agréable à Dieu. J'espère
que nous la verrons telle que ces bons commencemens
la promettent. J'irai la Voir un de ces jours. Sa santé
n'est pas bonne. Comment va la vôtre ? Ne pourriez-
"vous pas m'en mander smiplement l'état , ou prier
M'""^ la Comtesse de Souastre de le faire ? J'attends le
retour de M pour en savoir la vérité. Dieu soit
avec vous? Je voudrais bien vous voir, et je voudrais
que vous voulussiez simplement tout ce que vous
pourrez vouloir là-dessus. Quand il ne tiendra point
à vous que cela n'arrive , je m'accommoderai de tout
dans l'ordre de Dieu. Ce que Dieu empêche est bien
empêché; mais ce que nous empêchons, faute d^être
assez simples , est un dérangement de sa providence ,
qui ne peut causer que du trouble et de l'imperfection.
Encore une fois , Dieu soit avec vous , et rien en vous
que son seul esprit.
J'ai été fâché de ne pas voir dans la promotion (i)
M. le C. de M. le M. de y mériterait une place ;
(i) Le Roi venait de faire une promoliou de dix-sept Xieutcnans-
généraux , cinquante Maréchaux de camp, etc. Voyez le Journal
dti Dang^^au , 2g janvier 1702.
568 LETTRES SPIRITUELLES.
mais il y a de ses aînés qu'on veut bien traiter , et
qu'on a laissés comme lui.
300.
Suivre avec simplicité et sans scrupule les avis du médecin.
A Cambrai, i5 février ij02.
Je crains , madame , autant que je le dois , de vous
fatiguer en l'état où vous êtes ; mais je ne puis m'em-
pêcher de vous représenter l'oljligation de conscience
où vous êtes , de renoncer à la consolation d'aller à
l'église les jours ouvriers. On assure que vous y allez
deux fois chaque jour , et M. Bourdon n'hésite pas à
croire que 'vous ne pouvez point ces jours-là descen-
dre de votre appartement , ni même sortir de votre
lit. Je ne puis douter ni de l'hahileté très-grande , ni
de la piété sincère et exacte de M. Bourdon. Il ne
raisonne point sur votre rapport : ainsi vous ne de-
vez pas craindre de vous être flattée en lui rappor-
tant l'état de votre santé. Il ne décide que sur ce
qu'il a vu , et sur les faits dont personne ne peut dou-
ter. De plus , quand même vous vous tromperiez en
exagérant vos maux , et que M. Bourdon , trompé
par vous , vous tromperait à son tour , et vous dis-
penserait d'aller à l'église les jours ouvriers sans né-
cessité, vous devriez suivre sans scrupule sa décision.
Il ne s'agit que d'une chose qui n'est pas de précepte
dans l'Eglise, et vous ne commettriez pas le plus lé-
ger péché A^éniel en obéissant. D'ailleurs , je suis vo-
tre pasteur , et je vous connais beaucoup plus que
la plupart des pasteurs et des directeurs ne connaissent
LETTRES SPIRITUELLES. 56c)
les ames qu'ils coiululseiit. Je prends entièrement la
chose sur moi devant Dieu. Quand même vous croi-
riez voir clairement que vous vous êtes flattée , et
que vous êtes cause que M. Bourdon vous flatte dans
sa décision , vous devriez vous délier de votre fond
scrupuleux. Ne vaut-il pas mieux obéir à votre mé-
decin très-liabile , à votre époux très-pieux , à votre
pasteur qui ^ous connaît à fond, et qui ne veut point
engager témérairement sa conscience ? Autrement ,
à force de vouloir assurer votre conscience , vous l'ex-
])Oserez par présonqilion au plus grand péril; car vous
])référerez votre propre sens ù l'ordre de Dieu, et à
l'autorité légitime de tous les supérieurs que la Pro-
vidence vous a donnés pour votre conduite. Que ré-
pond riez-vous à Dieu , s'il vous disait : Vos supérieurs
ont décidé ; vous leur ave^ représenté toutes vos rai-
sons ; ils les ont pesées \ ils ne les ont pas crues suf-
fisantes pour vous laisser aller à l'église? Vous avez
j)ersisté à désobéir ; vous avez préféré vos scrupules
à l'obéissance et à la docilité •, vous vous êtes tuée
•vous-même par indocilité. Vous auriez été décliargée
à mon jugement , quand même a ous auriez manqué
à garder le précepte , ne le faisant qu'après avoir re-
présenté toutes vos raisons , et par pure ojjéissance
à >os supérieurs, qui ne les ont pas jugées bonnes (i).
(i) Nous ii'a\ous poiul liomc la suilc de cette lettre.
b'JO LETTRES SPIRITUELLES.
301.
Craintes et délicatesses de la Comtesse sur le zèle du Prélat à son égard.
A Cambrai, i3 mars 1702,
Mme d'Oisy me fit comprendre hier confusément
et à la hâte , quand j'allais prêcher, ce que je n'avais
pas encore compris. En vérité , madame , j'en ai le
cœur pénétré. Je ne raisonne point pour savoir si
votre peine est hien fondée ; je commence par me
donner un tort infini , et je ne songe qu'à compatir
du fond de mon cœur à la peine du vôtre. Mais Dieu
m'est témoin que je n'ai jamais cru vous manquer en
rien. Je ne le dis ni par politesse , ni par envie de
vous consoler. Il sait que rien ne pourrait me faire
dire ce que je ne croirais pas exactement vrai. Mais
laissons tout le passé , et ne regardons que le présent.
Supposons que je vous aie manqué : est-ce une bonne
raison pour faire à Dieu ce que je vous ai fait , et
pour lui manquer comme je vous ai manqué ? Vou-
lez-vous que Dieu soit aussi mécontent de vous , que
vous l'êtes de moi ? Vous crovez que Dieu veut que
je vous aide à le servir et à faire sa volonté : je suis
prêt à le faire; je m'y office de toute l'étendue de mon
cœur. Dieu voit que je ne saurais aimer en lui une
sœur plus cordialement, et que je donnerais ma vie
pour vous ; il voit combien vos peines m'afîligenf ,
et à quel point je souliaite de les guérir.
Prenez-moi tel que je suis, sec, rebutant, irré-
gulier y négligent , manquant d'attention et de déli-
catesse. Je veux me corriger pour vous , et l'envie
LETTRES SPIRITUELLES. S-J I
de. bien faire à votre égard me redressera. Mais enfin ,
regardez en moi , non mes défauts naturels , mais le
dessein de Dieu, dont je ne suis (jue le vil et indigne
instrument. Mes défauts serviront plus que mes bonnes
qualités à vous rendre telle que Dieu vous veut. Je
suis tout propre à vous faire mourir à vous-même
par ma sécberesse. Votre délicatesse excessive a be-
soin de mes irrégularités et de mes négligences. Si
vous cbercliez à satisfaire votre goût , vous manquez
à Dieu. Si vous ne cbercliez que Dieu seul , il faut
me regarder d'une vue de pure foi , et sacrifier toutes
les délicatesses de votre amour-propre. Encore une
fois , Dieu veut que je vous aide , et je veux vous
aider. Ne vous serviriez-vous pas d'un Arabe ou d'un
Cbinois , si Dieu vous le donnait pour guide ?
Je n'ai aucune peine à vous confesser ; je vous don-
nerai avec plaisir le temps nécessaire. En vous of-
frant ce secours , je ne crois vous rien olîrir. Ne me
comptez pour rien; mais voyez ce que Dieu demande,
et ne lui opposez pas vos délicatesses. C'est aux siennes
que toutes les vôtres doivent céder. Ce que je vous
demande pour la paix de votre cœur , et pour l'ac-
complissement des volontés de Dieu sur vous , c'est
que vous reveniez ici dés le moment que votre santé
vous le permettra. Je soufïre beaucoup d'une très-
opiniàtre douleur de dents depuis prés de trois se-
maines; mais rien ne m'empécbera de vous aller voir ,
si vous me laissez espérer que ma visite vous sera
utile et consolante. Au nom de Dieu , madame , ne
lui résistez pas pour vous priver d'un secours au-
quel il veut vous assujettir.
5'] 2 LETTRES SPIRITUELLES.
(59) 302 * A.
Recevoir avec reconnaissance les dons de Dieu , quel que soit le canal
par où il les communique.
A Cambrai , i8 mars i^oa.
Quoique votre réponse , madame , ne me donne
pas tout ce que je souhaite , elle ne laisse pas de me
faire sentir une véritable joie. Vous voyez ce que Dieu
demande de vous : voudriez-vous le lui refuser? Vous
voyez que ce qui résiste en vous à l'attrait de grâce,
n'est qu'une délicatesse d'amour-propre : oseriez-vous
opposer aux miséricordes de Dieu les raliinemens de
forgueil et les recherches les plus subtiles de vous-
même ? Vous , madame , qui faites tant de scrupule
d'une pensée involontaire , et par conséquent très-
innocente ; vous qui vous confessez si souvent pour
les choses qui ne méritent aucune confession , ne vous
ferez-vous aucun scrupule , et ne vous confesserez-
vous point d'avoir résisté au Saint-Esprit pendant
une année, par une délicatesse d'amour-propre, qui
rejette les dons de Dieu , à moins qu'ils ne viennent
par un canal propre à vous flatter ?
Eh ! qu'importe quand vous recevriez les dons de
grâce comme les pauvres mendians reçoivent du pain?
Ces dons n'en seraient que plus purs et plus pré-
cieux. Votre cœur n'en serait que plus digne de Dieu,
s'il attirait par son humilité et par son anéantisse-
ment le secours que Dieu lui prépare. Est-ce ainsi
que vous vous désappropriez de vous-même? est-ce
ainsi que vous regardez l'instrument de Dieu en
pure foi? est-ce ainsi que vous mourez à toute vie
LETTRES SPIRITUELLES. S'y 3
au dedans i]c vons-inènio? A quoi vous servent les lec-
tures sur rainoui" le plus pur, et vos oraisons fré-
quentes? comment pouvez-vous lire ce qui condamne
le l'ond de votre cœur? Non-seulement l'intérêt pro-
pre , mais l'intérêt d'un oij^ueil railiné vous domine
jusqu'à vous faire rejeter le don de Dieu , parce qu'il
ne vous vient pas d'une manière à contenter votre
délicatesse. Comment pouvez-vous faire oraison? Qu'est-
ce que Dieu dit dans le silence amoureux de l'ame?
il ne demande que mort , et vous ne voulez que vie
propre. Lui pourriez- vous dire dans l'oraison : Je ne
veux de votre grâce , qu'à condition que vous la ferez
passer par quelqu'un à qui je n'arrache rien , et qui
contente la vaine délicatesse de mon cœur ? Lui ose-
riez-vous dire : Je suis jalouse ? Ne vous répondrait-il
pas : Et moi , je suis jaloux ; mais la jalousie n'ap-
partient qu'à moi seul , et c'est à la mienne qu'il
faut sacrifier la vôtre? 0 mon Dieu! ramenez ce cœur ;
montrez-lui riiorri])le danger de cette tentation. Ren-
dez-la jalouse pour vous , et non pour elle ; ôtez-lui
ces indignes délicatesses pour elle , et donnez-lui
toutes celles de votre pur amour.
Mes dents ne me tourmentent plus.. J'irai Lientôt
vous voir, et je compte qu'ensuite vous viendrez ici.
Je loue Dieu de ce que le mal est découvert; la dé-
cou\erte est la guérison. Ne vous troublez point^ mais
soyez simple et petite. Abandonnez-vous à Dieu avec
confiance.
5^4 LETTRES SPIRITUELLES.
V k««A/%%V^^ V«% %%V
303.
Il la félicite siu' la simplicité avec laquelle elle a découvert ses peines
intérieures , et l'exhorte à reprendre avec le calme ses exercices
ordinaires.
A Cambrai, 3o mars 1702.
Votre lettre , madame , me donne une des plus
sensibles consolations dont je sois capable. J'y \ois
renaître dans votre cœur les principes de grâce , qui
étaient comme étouffés par la peine d'esprit. C'est
l'enfant qui revient à sa mère , et qui la reconnaît.
Béni soit celui qui rend la paix à ses enfans ! Ma joie
présente vous répond de ma bonne intention passée.
Je ne rappelle point le passé pour me justifier, mais
seulement pour vous épargner une peine à vaincre,
je veux dire celle de croire que j'ai bien voulu vous
abandonner dans votre besoin. Donnez-moi tous les
autres torts que vous croirez me devoir donner ; mais ,
au nom de Dieu, ne me donnez jamais celui d'avoir
voulu vous refuser le secours que vous me deman-
diez. Mon intention n^a jamais été que de faire pour
vous tout ce que votre besoin et mon attacbement
pouvaient demander. N'y pensons plus , et reprenons
avec simplicité, en parfaite union de cœur, tout ce
que la tentation a interrompu. Vous marchiez si
bien , dit l'Apôtre aux Galates {a) : vous am-iez arra-
ché vos yeux pour me les donner. Qui est-ce qui vous
a enchantés , afin que vous n^ obéissiez plus à la vé-
rité ?
Ne vous étonnez point que vos peines se réveillent ,
(a) Galat. iv. \5) v. 7.
I.ETTRKS SPIUITUELLES.
f.r.;
et vous ébranlent. C'est une croix qu'il faut porter
patiennnent connue les autres. Elle diminuera chaque
jour 5 si vous ne la grossissez point, en vous l'exagé-
rant à vous-même, et si vous rentrez avec foi dans
vos lectures et dans votre oraison. C'est là que vous
trouverez tout ce qui vous manque. Il faut remettre
peu à peu votre cœur flétri et resserré , comme on
remet peu à peu un malade , en Taccoutumant par
un régime presque insensible aux alimens solides ,
dont sa langueur Tavait privé.
Notre pe)uhde est excellente *, elle m'édifia et me
contenta infiniment , quand je la vis dans votre cabi-
net. Je ne saurais la blâmer de m'avoir tout dit sur
les lettres. Je n'en dirai jamais rien à votre amie, et
ce que je sais est comme si je ne le savais pas. Je
n'en ferai aucun usage que pour me corriger , et pour
agir avec plus d'attention , si je le puis , et si vous le
voulez. Il me tarde de vous voir ici. J'espère que
j'en aurai la joie , si vous avez bien soin de votre santé
pour pouvoir revenir d'abord après Pâque. En at-
tendant , prenez quelquefois le bon Saint que vous
avez Xant aimé. Je ne saurais croire qu'il soit hors
de votre cœur. Il vous parlera mieux que moi , et en
faisant sa paix , il fera la mienne. Il n'est pas sec et
irrégulier comme moi : vous ne sauriez tenir contre
lui. Il vous renouvellera en Notre-Seigneur , en vous
faisant sentir l'onction de l'esprit de Dieu.
S-yG LETTRES SPIRITUELLES.
304.
Sur le combat tic la parïie inft'rioiirc de Tame contre la partie
supérieure.
A Oisy , 6 avril 1702.
Je ne saurais , madame , assez louer M™^ la Com-
tesse de Souastre qui m'a apporté vos deux lettres.
La seconde avait besoin de la première pour me con-
soler. On ne peut vous plaindre plus que je le fais ,
ni être moins en peine de votre état. Les deux per-
sonnes que j'aperçois en vous ne m'étonnent point.
Chacune parle sa langue naturelle : il faut que l'une
cède à l'autre ; c'est de quoi je ne saurais douter.
Les sentimens et les discours de la personne révol-
tée ne sont pas de votre véritable fond. L'autre per-
sonne est la véritable , qui veut ce qu'elle pense et ce
qu'elle dit. Vous le voulez lors même que vous ne
croyez plus le vouloir , et vous ne voulez ni ne croyez
jamais ce qui passe par l'imagination et par le sen-
timent de cette autre personne , qui assure tout ce
qu'elle sent et imagine. Il n'y a que l'expérience des
peines intérieures qui donne la clef de ce mystère.
Encore une fois, je suis très-sensible à votre peine,
mais nullement en doute de ce que Dieu veut et fait
en vous. Je vous réponds de votre cœur , et je suis sûr
de sa fidélité uniforme dans toutes ces variétés ap-
parentes.
Je vais savoir de M. Bourdon le temps précis où
vous pourrez nous revenir voir. Dieu sait quelle sera
ma joie. Je retarderai mon départ le plus que je
pourrai , pour avoir l'honneur de vous entretenir à
LETTRES SPIRITUELLES. br-j
Cam})rai avant mon déjwrt. Deniaiuloz à notre Ijou
Saint , qu'il vous obtienne la paix et rélargissement
(le votre cœur. Unissez-vous, je vous conjure, à mes
intentions pour l'œuvre de Dieu en vous. Notre visite
se passe gaîment ; mais elle eiit été Lien plus jolie ,
si chacun n'eût pas senti que vous y manquiez. Notre
bonne pendule est toute d'or : rendez-lui tous les se-
cours qu'elle vous donne.
305.
Suivre avec simpliril6 l'attrait divin.
A Cambrai, lu avril 1702.
M. Bourdon , que j'ai entretenu depuis son retour
d'Arras , pense que vous pourriez , madame , revenir
ici la semaine de Pàque , c'est-à-dire, avant le di-
manche de Quasimodo. Mon Dieu , que je serais aise
de vous y voir avant mon départ S'il ne fallait que
le différer un peu pour vous attendre, je n'y man-
querais pas : mais j'espère que vous viendrez dans
ce temps que M. Bourdon propose. Si vous ne venez
point dans ce temps-là , il croit qu il faudra relarder
d'un mois votre retour. C'est sur quoi je conjure M'^c la
Comtesse de Souastre de prendre des mesures justes ;
car je ne me lie à vous, madame, qu'à demi sur ce
chapitre. J'espère qu'elle examinera vos forces , pour
décider du parti à prendre. J'avoue que je crains un
peu le long- séjour que vous feriez ici toute seule , si
vous veniez tard ; mais d'un autre côté , je serais ravi
de vous voir dans votre place naturelle et de vo-
cation , et de vous entretenir avant mon départ. Si
CoRRESP. TV. 22
5n8 LETTRES SPIRITUELLES.
VOUS ne voulez point m'écrire là-dessus , dU lïioins
faites-moi mander toutes choses par M^^^ la Comtesse
de Souastre.
Je sais que vous n'irez point du tout à l'église pen-
dant ces fêtes. Je m'en réjouis , car c'est une précau-
tion nécessaire pour la vie de votre corps , et Lieu
permet ce besoin pour en tirer la mort de l'esprit.
J'irai à l'église pour vous , et ne cesserai point de
vous y porter devant Dieu , pour lui demander la
paix du cœur , dont vous avez un si grand besoin. //
vous est dur de regimber contre V aiguillon («). Toutes
vos peines ne viennent que de résistance et de tra-
vail d'esprit contre la simplicité de Pattrait divin.
Qui estr-ce qui a résisté à Dieu , et qui a eu la
-paix (e) ? Ce trouble est un trait de la miséricorde ,
qui veut subjuguer votre cœur. Cédez , et ]a paix
sera sur vous. Je la demande ; demandez-la de votre
côté. Que notre bonne et chère pendule se joigne à
nous dans cette demande. Trois , assemblés en foi
au nom du Seigneur (t), lui feront violence, et il ne
pourra pas nous refuser. J'en ai la foi ; ayez-la aussi :
mais dites-le de plein cœur au maître , et puis ne
vous écoutez plus. Je donnerais ma vie pour vous
voir dans cette bienheureuse paix , où Dieu règne
seul. Amen , amen.
Je ne saurais guère partir d'^ici avant le 27 de ce
mois -, mais je serai alors fort pressé de le faire.
(a) Act. IX. 5. (e) Joh. ix. 4» (i) Matth, xvin, 20.
LETTRES SPIRITUELT.es. O-JQ
V%%V«%W%%W%'««%\%\V%%V%^V^%%^%%%« V«.%^^^^»^«V«.«%%%«V%V%VV»%%%VW\«WV%%««V%«%%%«%'%V
306 * A. (60)
Nom confier en Dieu malprô nos infulclitcs ; imion des amcs en Dieu ;
se condiiiio on tout p;u' les vues de la foi.
A Cambrai, 17 avril 1702.
Je suis yéritablement affligé, madame, du fâcheux
contre-lemps du passage de M'"^^ la Maréchale de
BouOlers : mais je ne puis m'empécher d'entrer dans
la pensée de M. le Comte de Montberôn et de M. Bour-
don. Si A ous arriviez ici dans le temps de ce passage ,
vous auriez , outre la fatigue de votre voyage, les pei-
nes , les inquiétudes , et les assujettissemens que votre
naturel rendrait inévitables. En voilà plus qu'il n'en
faudrait pour vous faire retomber dans un mal qui
pourrait être incurable. D'ailleurs ^ ce temps étant
une fois passé , M. Bourdon n'oserait vous faire par-
tir. Je lui ai dit tète à tète tout ce que je pouvais
lui dire discrètement , pour l'engager à vous faire
partir , dès que M™^ la Maréchale sera passée. Il ne
croit pas qu'il lui soit permis de vous mettre dans
un si évident péril. Voilà donc la Piovidence qui dé-
cide absolument , et nous n'avons plus qu'à l'adorer
en paix. Ce qu'il y a de bon , c'est que ma course ne
peut être longue , parce que je suis engagé à revenir
pour le concours à la Pentecôte au plus tard. En
attendant , malgré mes embarras de visites je vous
écrirai souvent : du moins je le ferai toutes les fois
que j'aurai des occasions sûres par Cambrai. A mon
retour , j'espère que nous aurons ici M"^» la Duchesse
de Mortemart , qui viendra aux eaux. Je serai ravi
que vous puissiez faire connaissance : vous en serez
22^
58o LETTRES SPIRITUELLES.
bien contente et bien édifiée. En attendant , je vous
recommande à Dieu et à notre bonne pendule.
Ne vous défiez jamais de l'ami fidèle qui ne nous
manque point , quoique nous lui manquions si sou-
vent. Je suppose toutes les infidélités imaginaljles en
vous , et je mets tout au pis-aller : lié bien ! que s'en-
suit-il de là ? Si vous avez manqué à Dieu , en vous
éloignant d'ici , il n'y a qu'à ne plus lui résister , et
qu'à rentrer dans votre place. Dieu n'est pas comme
les liommes , dont la vaine délicatesse se tourne en
dépit et en indignation sans retour. Quand vous au-
riez manqué à Dieu cent et cent fois , revenez sincè-
rement , cessez de lui résister ; aussitôt il vous tend
les bras. C'est lui-même qui vous a prévenue de mi-
séricorde , et qui a mis dans votre cœur le désir de
retourner vers lui. Comment ne recevrait-il pas avec
bonté un sentiment de votre cœur que sa bonté même
y a formé ?
Que craignez- vous , ù ame de peu de foi? Vous
serez seule , il est vrai , cinq ou six semaines : mais
est-ce être seule que d'être avec Dieu? Quand il nous
unit à quelque créature , et nous assujettit à cette
union , il faut y être attaché non par espérance en la
créature , mais par pure fidélité à Dieu , qui veut se
servir de cet instrument. Mais tout consiste à ne ré-
sister point à cet ordre de Dieu, et à le suivre avec
petitesse. Désirez la chose , cessez d'y résister inté-
rieurement ; tout est fait. Dieu n'a pas Ijesoin de la
présence sensible , pour tirer le finit des unions qu'il
opère : la seule volonté suffit. On demeure uni , la
mer entre deux : on est intimement en société dans
le sein de celui qui ne connaît aucune distance des
LETTRES SPIRITUELLES. 58 I
lieux , et qui anéantit toutes les distances par son
imiiieiisilé. On se communique, on s'entend, on se
console, on se nourrit, sans se voir et sans s'en-
lendre. Dieu prend plaisir à suppléer tout. Est-on
ensemble sans correspondre de cœur , et sans acquies-
cer à Tunion que Dieu veut? on s'agite, on se des-
sèche , on s'épuise , on dépérit , et la paix fuit d'un
cœur qui résiste à Dieu. Est-on à mille lieues les uns
des autres , sans espérance de se voir ni de s'écrire ?
la seule correspondance de volonté détruit toutes les
distances : il n'y a point d'entre-deux entre des
volontés dont Dieu est le centre commun. On s'y
rclrouA e , et c'est une présence si intime , que celle
qui est sensible n'est rien en comparaison. Ce com-
merce est tout autre que celui de la parole. Les âmes
mêmes qui sont dans cette union , sont souvent en-
semble sans pouvoir se résoudre à se parler. Elles
sont trop unies pour parler , et trop occupées de leur
vie commune pour se donner des marques d'atten-
tion. Elles sont ensemble une même chose en Dieu ,
comme sans distinction : Dieu est alors comme une
même ame dans deux corps difFérens.
Demeurez donc , madame , en paix dans le lieu 011
Dieu ^ ous retient ; mais que votre cœur soit tout
entier où il vous appelle. La paix ne dépend que de
la non résistance de la volonté. Reprenez doucement
vos anciennes lectures ; remettez-vous en commerce
avec votre bon et ancien ami saint François de Sales.
Faites comme une personne convalescente. 11 la faut
nourrir d'alimens délicats , et lui en donner peu et
souvent : c'est une espèce d'enfance. La lecture ra-
mènera peu à peu l'oraison; l'oraison élargira le cœur.
582 LETTRES SPIRITUELLES.
et rappellera la familiarité avec l'Epoux. Laissez faire
Dieu : unissez- vous , je vous conjure, à mes inten-
tions. Pour moi , je vous porterai devant Dieu par-
tout où j'irai , et vous me serez partout présente en
foi. Je ne saurais douter sur votre retour, et sur les
desseins de Dieu ; mais ne résistez pas. Continuez à
vous ouvrir bonnement et simplement à votre chère
fille. Je lui donne puissance pour vous consoler et
soutenir , en attendant mon retour. C'est l'Esprit con-
solateur qui fait par lui-même tout ce qu'il lui plaît.
Rien de tout ce qu'il ne fait pas dire , n'^est parole
de vie : ce qu'il fait dire , par quelque bouche que
ce soit , se fait sentir, et opère jusqu'au fond de l'ame :
c'est la voix toute-puissante du Créateur. Un mot
dit tout et fait tout : les plus solides discours ne di-
sent et ne font rien. 0 qu'il me tarde de vous re-
voir ! mais sans impatience. Dieu soit avec vous.
Amen , amen.
307.
Ke point entretenir volonlairemeufc les peines intérieures. Entrevue de
IFénelou et du Duc de Bourgogne,
A Cambrai, 2G avril 1702.
Je vous envoie , madame , deux lettres de votre
amie. Elle était ici avant-hier, toujours en grande im-
patience de votre retour. Je ne l'attendrais pas moins
impatiemment qu^elle , si je ne devais partir après-
demain. J'aimerais pourtant beaucoup mieux , pen-
dant mon absence , vous savoir à Cambrai qu'à Arras.
Donnez-moi de vos nouvelles , comme j'espère vous
LETTRES SPIRITUELLES. 583
donner des miennes. Le temps de mes visites est si
peu à moi , que je ne saurais vous répondre de faire,
dans cette agitation continuelle , tput ce que je vou-
drais pour votre consolation ; mais au moins je ne
perdrai aucun moment de libre , et lors même que
je ne pourrais vous écrire , je vous porterai devant
Dieu au Ibnd de mon cœur.
Votre dernière lettre m'a rempli de joie. J'en avais
besoin , et vous m'avez bien soulagé le cœur , en
m'apprenant ce que Dieu rétablit dans le vôtre. Quand
vous soufirirez la peine intérieure , comme on soullre
la lièvre ou la colique , sans la causer ni l'entretenir
volontairement , votre peine sera modérée , et se tour-
nera à profit. Le bon Saint, auquel je vous ai renvoyée,
aura soin de vous jusqu'à mon retour. Je le prie de
garder votre cœur, et de ne le laisser plus écbapper.
J'espère que notre honne pe?idule ^ qui est toute d'or,
vous ramènera ici vers le i5 du mois prochain. Pour
votre santé , je n'en suis nullement en peine, pourvu
que A'otre esprit soit simple et paisible. Soyez donc,
je vous en conjure, telle que Dieu vous veut.
J'ai vu aujourd'hui, après cinq ans de séparation,
M. le Duc de Bourgogne ; mais Dieu a assaisonné
cette consolation d'une très-sensible amertume , en
voyant Je n'ai aucun plaisir qui ne porte avec
lui sa croix. Revenez dans votre place où Dieu vous
attend : il me tarde de vous retrouver. Au reste
je vous conjure de rendre à notre pendule ce qu'elle
vous donne. Ayez soin de son avancement. Dieu soit
avec vous et avec elle. Amen , amen.
LETTRES SPIRITUELLES.
iW%'«««'««A '«%^ ^^^ '*
/\%^^/vkfv\/%i\.%^x'%/\^'*/%i%'^/%%/%^'%^/%'\/\^%ivx^i>fk/\'%fV%%/s/%%f%f%/%/vk%\^'\%/%\%/%%/%/t
308.
Sur reiitrevue de Fénelon avec le Duc do Bourgogne.
A Cambrai , 27 avril 1702.
Je n'ai vu M. le Duc de Bourgogne qu'en public,
et un petit quart d'heure. Ce qui parait un adou-
cissement n'en est pas un; mais il faut prendre chaque
chose comme elle Tient, et se laisser sans réserve à
la Providence. Je ne vous remercie point , madame ,
de tout ce que vous pensez là-dessus ; je suis au-
delà de tout compliment avec vous. Je pars, et je n'ai
pas un moment pour répondre à Mi»^ la Comtesse de
Souastre. J'espère de la trouver ici avec vous à mon
retour, et d'aller ensuite la voir à Vendegies pen-
dant l'été.
k%W%/««/%^'«^/W«'V«^i\^'«««'Vk«'W«Af«%«^««^«%«^'««f\««^«A«f%« '%%'%««'«/%««'«
309.
Sur l'entrevue qu'il a eue avec le Duc de Bourgogne. La paix intérieure
incompatible avec la résistance à Tattrait divin.
A Valenciennes , 3 mai 1J02.
La révérence que j'ai faite à M. le Duc de Bourgogne
n'est pas , madame , ce que vous croyez : il s'en faut
bien que ce ne soit un véritable adoucissement de mes
affaires ; mais il faut demeurer en paix. Demeurez-y
aussi , puisque Dieu vous y met. Vous voyez com-
ment Dieu vous ménage. Dès que vous résistez à votre
attrait , le trouble suit la résistance ; dès que la ré-
sistance cesse, la paix revient. Peut-on voir rien de plus
sensible ? C'est la colonne de nuée le jour , et de feu
LETTIŒS SPIRITUELLES. 585
la nuit , qui conduisait les Israélites. Gardez donc
votre paix , et que votre paix garde votre cœur.
Nourrissez-vous de bonnes lectures , pour rappeler
l'oraison. Surtout soyez simple et ou\erte. Déliez-
vous de votre délicatesse , qui est pour vous le plus
dangereux écueil. Il ne faut plus coiniaître qu'une
seule délicatesse , qui est celle de Dieu : il est juste
qu'il soit délicat et jaloux. Notre partage doit être la
simplicité toute pure, et la fidélité à la grâce. Je vous
recommande M'"*' d'Oisy j elle a grand Lesoin de votre
secours. Son attachement, sa conliance et sa situation
méritent tous vos soins , quand vous serez à portée
de les lui donner. Je suis plein de zèle et de véné-
ration pour notre honne pe?idule. Que la paix de Dieu,
qui surpasse tout sentiment humain^ garde votre cœur
et votre esprit eti Jésus-Christ {a).
(o) Philip. IV. ^.
310.
Il annonce à la Comtesse qu'il a promis au Comte , son époux , de la
confesser.
A Tournai, ii mai ijo2.
M. le Comte de Montberon m'a demandé , ma-
dame , de votre part , que je m'engageasse à vous
confesser , quand vous en auriez besoin. J'ai répondu
un oui tout simple, et sans façon, de très-bonne grâce.
Voyez combien je suis honnête homme. Vous voilà
en liberté à cet égard , et il ne tiendra pas à moi que
vous ne donniez à votre cœur toute la paix dont il a
586 LETTRES SPIRITUELLES.
besoin. Il me tarde de vous savoir à Cambrai, comme
le poisson dans l'eau. Je souhaite fort que la chère
pendule vous y tienne un peu compagnie. O que je
lui sais bon gré de tout ce qu'elle a fait pour vous !
Dieu le lui rende avec usure.
On dit que M'^^ d'Oisy a été à Arras. Elle sera bien
dans ses affaires , quand elle vous aura à Cambrai. Je
suis fâché de ce que M. son frère s'en retourne si
promptement. Je n'ai fait jusqu'ici que des débau-
ches dans la ville de Tournai. Je vais demain visiter
les villages. M. le Comte de Montberon vous dira tous
nos excès scandaleux.
311.
C'est daus la privation des douceurs sensibles , que l'on acquiert la
vertu solide.
A Vezon , i3 mai ijo2.
M. le Comte de Montberon vient , madame , de
m'envoyer de Tournai un courrier dans ce village ,
pour me porter votre paquet. Voyez jusqu'où va la
vivacité de ses soins. Vous en devez prendre la prin-
cipale partie sur votre compte j mais j'ose en prendre
un peu sur le mien.
Je suis ravi de voir l'égalité et la fidélité de notre
bonne pendule dans la sécheresse qu'elle éprouve. On
ne sait encore rien , quand on n'a point passé par les
privations des ferveurs sensibles. Un jour de persé-
vérance dans la peine est plus agréable à Dieu , et
avance davantage une ame, que plusieurs années dans
Fenivrement des prospérités spirituelles, où l'on dit
LETTRES SPIRITUELLES. SSy
comme saint Pierre : Nous sommes bien ici {a). Votre
amie a besoin de vous , et vous voyez le bien que
vous lui faites. Je vous la lecomjnantlerais de tout
mon cœur, si ce n'était vous l'aire injure, (jue de
vous recommander une personne qui vous est si chère.
J'en espère beaucoup , et il me tarde bien de voir ce
([ue vous avez fait dans son cœur. Mais vous , qui
faites du bien aux autres , ne vous faites plus de mal
à vous-même. Ne vous écoutez plus; n^écoutez que
celui dont la voix vivifie l'ame , en l'anéantissant.
Surtout défiez-vous de votre délicatesse , comme de
la plus dangereuse tentation. Dieu soit en vous , et
vous possède , jusqu'à ne vous plus permettre de vous
posséder.
(a) Matth. xvii. 4»
312.
S'ouvrir avec une entière libertë. Avis à la Comtesse pour ses confessions.
A Saiiil-Ghislaiu , 19 mai 1702.
Il n'y a , madame , trop de vivacité que dans la
crainte d'en avoir eu trop. Ne craignez jamais , je
vous conjure , de n'être pas assez mesurée avec moi.
Quand je verrai du trop en quelque genre , je n'at-^
tendrai pas que vous me le demandiez ; je vous pré-
viendrai très-librement. Pour vos confessions , faites
le moins mal que vous pourrez jusqu'à mon retour.
Je n'ose vous donner aucune règle précise là-dessus,
parce que toute règle peut se tourner chez vous en
gêne et en scrupule. Tout dépend du confesseur. Le
moins vous confesser est certainement le meilleur.
588 LETTRES SPIRITUELLES.
O que je révère et aime en Notre-Seigneur notre bonne
pendule ! Je n'ai pas un seul moment pour écrire à
Oisy ; mais je conjure Mm^" la Comtesse de Souastre d'y
mander que je suis ravi des larmes qu'on a versées ,
et de la joie que cause la guérison (i). Il ne faut pas
s'en applaudir , mais renvoyer tout à Dieu.
Qu'il me tarde d'avoir l'Iionneur de vous revoir !
mais hâtez-vous d'être bien guérie.
M. le Comte de Montberon est le meilleur homme
que je connaisse , et je ne puis songer à lui sans avoir
le cœur attendri.
(l) Voyez la lettre Sg de la Correspondance de famille , tom. II,
pag, 95.
313.
Sur la santé de la Comtesse , et sur le progrès spirituel d'une de ses amies.
A Bavay , 26 mai ijoa.
Je ne suis point surpris , madame , de tout le bien
que vous trouvez de plus en plus dans le cœur de
votre amie. Son fond naturel est bon , et Dieu le fait
croître chaque jour. 0 que les âmes toutes neuves ,
et qui n'ont point encore pris de travers sur la piété ,
sont agréables à Dieu , et susceptibles de progrès !
N'avez-vous pas grondé cette amie d'avoir fait à pied
un pèlerinage à ? C'était vouloir guérir une ma-
ladie par une autre aussi dangereuse. Mon Dieu , que
je voudrais que vous fussiez en état de commettre
de pareilles fautes ! Quand reviendra le temps où vous
alliez en plein hiver à pied à Hâtez-\ ous , s'il
LETTRES SPIRITUELLES. 58g
VOUS plaîl , de vous remettre dans le même état.
Pour moi , je jugerai de votre esprit par votre corps ,
et je ne croirai Dieu content, ([ue ([uand M. Bour-
don le sera. Je ne prêcherai point à la Pentecôte , à
moins que Tarrivée de M. le Comte de ]VIontl)eron ne
m'inspire quelque sermon d'enthousiasme. Samedi ,
veille de la fête, j'aurai l'honneur de vous voir et
il n'y a que votre santé qui puisse rendre ma joie
imparfaile.
314.
Chacun doit être content de ce que Dieu lui donne.
Mardi , 6 juin 1702.
Vous voilà bien seul , madame , et moi en trop
nombreuse compagnie. Votre solitude est plus douce -,
mais chacun doit être content de garder son partage.
Il me tarde de retourner chez vous ; mais je n'en ai
pas le temps aujourd'hui. Ne touchez point du pied
à terre, et demeurez en paix avec les bons amis que
vous foulez aux pieds. Vous serez encore plus à votre
aise, quand vous serez contente sans avoir besoin
d'eux. Je prie Dieu qu'il soit lui seul toutes choses
en vous.
315 *. (22G)
Reconnaître ses fautes avec humilité , mais sans trouble.
A Cambrai, vendredi aS juin 1^02.
En A'érité , madame , je ne saurais vous exprimer
toute ma douleur sur votre état. Les choses que vous
5qO LETTRES SPIRITUEIXES.
VOUS reprochez ne sont rien : ce n'est pas l'esprit de
Dieu^ mais le vôtre, qui les rappelle. Dieu ne donne
point de ces retours inquiets. Lors même qu'il nous
montre nos fautes , il nous les représente avec dou-
ceur ; il nous condamne et nous console tout ensem-
ble. Il humilie sans troubler , et il nous tourne pour
lui contre nous, de manière que nous avons la con-
fusion de notre misère avec la paix la plus intime.
Le Seiyneur n'est jpoint dans V agitation [a).
Je suppose que le goût de la conversation vous a
un peu entraînée , que vous avez donné trop de U-
berté à -^tre esprit , que l'amour-propre a voulu
prévaloir : en un mot , je suppose tout ce que la vi-
vacité et la délicatesse de vos scrupules peut vous
exagérer. Hé bien ! qu'en faut-il conclure ? Voulez-
vous renoncer à toute société ? Voulez-vous fermer
votre porte à vos meilleures amies , qui ont besoin
de vous , et à ceux mêmes de qui vous êtes convain-
cue que vous avez besoin pour aller à Dieu ? Voulez-
vous rejeter les consolations mêmes , sans lesquelles
vous ne pouvez raisonnablement espérer de guérir
votre corps abattu et languissant ? Voulez-vous ache-
ver de vous épuiser dans une vie solitaire , qui mine
votre tempérament , et ne vous laisse aucune res-
source ? On dit que saint Bernard prêchant avec un
grand succès, il se sentit flatté de vaine complaisance,
et fut sur le point de descendre de chaire. Mais l'es-
prit de Dieu lui fit connaître que c'était une subtile
tentation de scrupule , qui l'alarmait trop sur la ten-
tation de vanité , et il se répondit à soi-même en con-
(a) /// Reg> XIX. II.
LETTRES SPIRITUELLES. 5c) [
tinuant son sermon : « Ce n'est point la vanité qui
» m'a liùt monter ici , elle a beau me flatter , elle
» ne m'en fera pas descendre. »
Supposé même que vous commettiez de véritables
inlidélités dans ces occasions , a ous ne pouvez y re-
noncer. Il ne s'agit point de péchés mortels ni con-
sidérables , il ne s'agit que de ces fautes vénielles que
ramour-pro})re renouvelle si souvent, et qu'on n'évite
jamais entièrement en cette vie. Les occasions que
vous voudriez quitter sont nécessaires et de provi-
dence ; elles entrent dans votre vocation. En les re-
tranchant, vous vous rendriez responsable de la chute
d'autrui , et de votre propre dommage spirituel; vous
vous fermeriez le cœur , vous vous le dessécheriez.
De plus , ne croyez pas qu'au sortir de telles con-
versations , Dieu se retire de vous , pour vous punir ,
et qu'il vous prive des grâces de l'oraison. Non, c'est
votre scrupule seul , qui , en vous agitant et en vous
occupant de vos prétendues fautes , vous trouble ,
vous fait agir contre l'attrait de simplicité et de paix,
vous dérobe la présence de Dieu, et fait tarir la source
des grâces sensibles dans votre intérieur. N'écoutez
point vos vains scrupules ; tâchez de vous calmer ;
accoutumez-vous à compter pour rien ce qui ne mé-
rite point de vous distraire de Dieu. N'admettez d'au-
tre regret de telles fautes , que celui que la paisible
présence de Dieu vous inspirera. Vous verrez que
cette privation des douceurs de l'oraison vous vient,
non de Dieu , qui veuille vous punir de vos conver-
sations , mais au contraire de vos retours sur vous-
même , par lesquels vous vous desséchez , et résistez
à l'esprit de grâce.
5c)2 LETTRES SPIRITUELLES.
Je dois vous dire devant Dieu , que je ne connais
point d'état plus dangereux , ni plus opposé à la per-
fection , que l'extrémité où vous voudriez vous jeter
pour être parfaite. La véritable conduite des âmes de
grâce est simple , paisible , commune à l'extérieur,
éloignée des extrémités. Vous êtes scrupuleuse sans
mesure pour des vétilles qui n'ont besoin que d'un
seul remède , qui est de les laisser passer sans y
songer; et vous ne faites aucun scrupule de tuer votre
corps , de dessécher votre intérieur , de résister à
votre grâce , d'être indocile , et de vous ronger de
scrupules qu'on ne pourrait souffrir à un enfant de
sept ans. Au nom de Dieu , croyez-moi , et essayez
de passer par-dessus vos peines touchant les conver-
sations et autres choses semblables. Si vous pouvez
parvenir à n'y avoir volontairement aucun égard ,
vous sentirez la liberté des enfans de Dieu ; et loin
de perdre votre oraison , vous la verrez plus forte
et plus intime. Il suffit de s'arrêter , quand l'esprit
de grâce fait voir paisiblement que ce qu'on dirait
n'est pas au goût de Dieu , et qu à se condamner en
paix , quand on a fait la faute de ne s'arrêter pas ;
après quoi il faut aller bonnement son chemin. Tout
ce que vous y mettez de plus est de trop , et c'est
ce qui forme un nuage entre Dieu et vous.
316.
Il est bon de sentir notre impuissance , pour ne compter que sur Dieu,
A Cambrai , jeudi ag juin 1702.
Le courage me manque pour vous aller voii'. Don-
nez-le-moi ce courage, madame; je meurs d'envie
LETTRES SPIRITUELLES. 5g3
<le le tenir de vous. En attendant, je prie celui qui
])^ut seul tenir votre cœur , pendant qu'il échappe à
tjiil ce qui devrait le modérer et le remettre en paix.
Ce qui me console dans la tristesse où vous me ré--
duisez, c'est qu'il est bon de sentir toute notre im^
puissance de bien faire , et de ne voir plus de res-
source humaine , pour ne compter plus que sur la
seule grîice de Dieu. Vous faites bien tout ce qu'il
faut , pour me mettre dans cet état de pure foi* J'es-
père contre toute espérance , et je vous poursuivrai
partout, pour ne vous laisser jamais écarter de là
voie de Dieu. Lui seul sait , et je le prie de voua
faire sayoir avec quel zèle je vous suis dévoué eti lui*
317.
Agir eu tout avec paix , simplicité et confiance.
1 juillet 1702.
Je viens , madame , d^écrire à votre amie , et de
lui mander qu'elle sera ravie de vous voir demain.
Ce que vous cherchez n'est point dans le portefeuille
<{ue vous m'avez rendu -, je l'ai visité très-exactementi
Ne faites rien pour le dîner de demain , qui vous
gène , ni qui dérange M. Bourdon pour les besoins
de votre santé. Comme il faut dire à d'autres de ce
coîïtraindre, il faut vous vous dire sans cesse de ne vous
contraindre pas. Tout se tournera pour vous en nour -
liture , dès que votre cœur ne se fermera point. Vous
n'avez pas besoin de grands discours; il ne vous faut
que la paix et la simplicité avec la conliance. O que
Dieu est loin de Daiival , et que Danval est proche
CORRESP. IV. 23
5q1 lettres spirituelles.
de vous-même ! Si la paix est dans l'occupation de
soi , vous seriez en paix à Danval ; mais si la paix
est en Dieu , c'est à Cambrai que vous la trouverez.
N'en parlons plus de ce vilain Danval : l'air y est
malsain , la terre ingrate , les eaux bourbeuses , les
fruits amers. Un désert plein de nous-mêmes n'est
plus désert. Tout lieu oii Dieu habite , et nous invite
à être avec lui , est la terre promise d'où découlent
le lait et le miel.
318.
Il annonce à la Comtesse rarrivée prochaine de la Duchesse de Mortemart.
(Juillet 170a. )
Je serai ravi , madame , pour votre satisfaction et
pour celle de votre amie , que vous alliez la voir. Je
suis même très-aise de voir que rien ne vous gêne.
Mais je n'ose entreprendre de parler sur tout ce qui
touche ^votre santé; c'est à M. Bourdon à décider, et
à en rendre compte à M. le Comte de Montberon.
Pour tout le reste , je ne vois rien qui ne me paraisse
à souhait.
]\/[me la Duchesse de Mortemart me mande que son
humeur est très-sauvage , mais que tout ce qu'on lui
dit de vous ne lui fait point de peur. Elle arrivera
ici après-demain. Je ne vous dis point combien je
sens tous vos soins pour M^^^ de Chevry ; je vous dois
là-dessus plus que des remercîmens, et je vous sup-
plierai de souffrir un paiement de somme avancée
pour les eaux de Spa.
LETTRES .SPI«ITl'EI,LES. 5r)5
fc'V%%^;»»i%%%^iV*'%%% ■»»%/»%/%
319.
S'occuper beaucoup de Dieu , et peu de soi-môme.
A Cambrai. 8 jnilh't Tjoa.
La personne sauv«^ge (i) ne le sera point pour vous ,
madame. Jouissez, tant qu'il vous plaira, du repos,
du beau temps et de la bonne compagnie. Faites du-
rer , le plus que vous pourrez , le plaisir d'une amie
qui est ravie de vous posséder chez elle. Ensuite ,
quand vous reviendrez ici , je serai très-aise que vous
apprivoisiez les gens sauvages. Portez-vous l)ien ; mé-
nagez vos jambes , et encore plus votre esprit. Occu-
pez-vous beaucoup de Dieu , et peu de vous : vous
vous retrouverez assez en lui. J'ai coui'u dans la
roie de vos commandeinens , quand vous avez élargi
mo7i cœur (a).
: ' Le pain d'Oisy est de bon goût : il sent le cœur
de la personne qui l'a envoyé. Je n'ai pas un moment
pour lui écrire ; mais elle me dispensera bien d'un
remercîment. Je suis bien hardi quand je compte sur
vous. J'espère que vous voudrez bien rendre compte
de mes sentimens pour M. et pour M'^e la C. d'Oisy.
Je voudrais bien que vos bons olfices s'étendissent
jusqu'auprès de M'"« la Marquise de Risbourg.
(i) La Duchesse de Mortemart. Voyez, la lettre pre'ce'dente.
[a) Ps. cxviii. 32.
2.)
"IV
5q6 lettres spirituelles.
32a
Même sujet.
A Cambrai, 12 juillet 1702.
Je suis ravi , madame , de savoir les beaux jours
que vous avez passés à Oisy. Votre amie est charmée
de vous y posséder encore. Je l'ai vivement pressée
pour l'engager à aller à Arras. Demeurer chez soi
pour les étrangers qui y sont , c'est la politesse ordi-
naire : laisser chez soi son amie seule et maîtresse ,
c'est un trait d'amitié intime ; c'est être au-delà de
toute cérémonie ; c'est la marque d'une confiance mu^
tuelle. En parlant ainsi , j'ai cru être assuré de suivre
votre cœur. Au nom de Dieu, ne laissez former au-
cun nuage qui trouble votre paix. Les grossièretés
de l'amour-propre excitent , beaucoup moins que
ses délicatesses, la jalousie de Dieu. Oubliez-vous;
ne vous écoutez point ; laissez tomber les réflexions,
et vous serez en paix : c'est ce que je demande sou-
vent pour vous à Dieu. Si peu qu'il vous convienne
que j'aille vous voir à Oisy, j'irai d'abord : sinon
j'attendrai votre retour pour avoir l'honneur de vous
voir. Je suis toujours surchargé de menues occupa-
tions, qui sont assez épineuses; mais aucune ne me
retiendra , dès que vous me donnerez sans façon le
moindre signal.
LETTRES SPIRITUELLES. 5ç)'J
321.
L'obéissance, seul remode contre les scrupules.
Au Qucsnoy, iG scplembre 170a.
Je suis en peine de vous , madame , et les expé-
riences jwssées me rendent ondjiageux. Quelqu'un
m'a dit que vous vouliez aller avec M™^ la Comlesse
de Sonaslre à Valencieimes. Votre santé permet-elle
ce \ oyage ? M. Bourdon Tapprouve-t-il ? Toute ab-
sence de Cambrai m'est suspecte. J'y retournerai mer-
cretli prochain , et je vous supplie de faire en sorte
que je vous y trouve. Si vous avez quelque peine ,
lacliez de la vaincre , et de communier. L'obéissance
est le seul remède à ces sortes de maux. Les peines
ne sont qu'à demi peines , tandis qu'on ne les écoute
point volontairement. Elles ne deviennent si domi-
nantes , que quand on les fortifie contre soi-même ,
en leur prêtant l'oreille. Il ne faut donc pas s'excu-
ser sur leur violence , puisque c'est de votre volonté
qu'elles reçoivent ce qui vous entraîne. Votre pré-
texte pour désobéir est de dire (pi'on ne sait pas votre
état , et qu'on n'a pas écouté toutes vos raisons. Mais
quelle est la personne indocile dans ses vains scru-
pules , qui n'en dise pas autant pour s'autoriser dans
sa désobéissance ? Tournez votre scrupule contre votre
indocilité : vous avez l'expérience que vos raisons,
(lès que vous les dites , ne sont plus des raisons. Il
ne faut donc plus les écouter , mais obéir simplement ,
et ne compter pour rien une imagination vive et in-
épuisable , à laquelle vous vous êtes livrée si lon^-
5q8 LETTRES SPIRITUELLES.
temps. Je prie Notre-Seigneur de vous donner sa paix ,
et je vous suis dévoué en lui sans réserve.
% V% V«^ %W% VV% V%A VV« '%%^ X%% V%« %'«(« %V%'VV% %%A -«^A Vl^'Vt^ VV%/VV« V^ 1 /VVl '%%« "VVk <VV% VV% «/V« /%%^ A%«
322.
Même sujet.
A Haspres, 29 septembre 170a.
Je suis toujours en peine de vous , madame , et je
voudrais vous pouvoir garder à vue , tant je me défie
de vos scrupules. J'espère néanmoins que vous aurez
à l'avenir des vues qui n'étaient pas auparavant assez
distinctes dans votre esprit , et que vous serez plus
ferme dans la simplicité que Dieu demande de vous.
Je ne puis arriver à Cambrai que mercredi prochain.
Si vous pouvez vers ce temps-là dérober 'W^^ la Com-
tesse de Souastre à sa compagnie de Vendegies pour
un jour ou deux , j'en serai ravi. L'arrivée de M. le
Comte de Montberon , qui doit arriver à Cambrai vers
le même temps , pourra être une forte raison pour
faire agréer à ses amies qu'elle fasse une petite alisence.
Je vous laisse la paix , dit Jésus-Christ (a) : je vous
donne ma paix. Je ne vous la donne pas cotnme le
inonde donne la sienne.
[a) Juan. xiv. 27.
•%%« X-V% V%« %%« «V» V»« -VIA %•%/« <v%« v«% ^v« ««« vv« vv« vv%««% ««« %%%■%%«%«« «««-«««^ -vv* >««« -^^^ vv» «%«
323 * R. (228)
Pratiquer Texercice de la direction avec un grand esprit de foi et de
mort à soi-même.
Vendredi, i3 octobre 1702.
Dieu m'a donné bien des croix , madame ; mais je
n'en ai jamais porté aucune avec plus de douleur que
LElTr>ES SPIRITLELLCS. SoQ
celle de ce soir. J'espère que Dieu fera tout seul ce
qu'il n'a point lait par ma parole. Je le prie de \ous
faire sentir combien vos réflexions vous trompent, et
combien je suis éloigné de ce que vous croyez voir
en moi. Supposé même que je lusse tel que vous le
croyez , a ous ne devriez pas hésiter un moment à sui-
vre le choix de Dieu , et à recevoir ses dons par le
canal qu'il aurait choisi. Le canal n'en serait que plus
pur à voire égard , et que plus sur pour A ous por-
ter la grâce sans mélange. Votre délicatesse ne serait
qu'une tentation d'amour-propre qu'il faudrait reje-
ter , et vous devriez recoiuiaître , à cette marque ,
combien vous êtes encore trop sensible aux choses
auxquelles il faut mourir.
La direction n'est point un commerce où il doive
entrer rien d'humain, quelque innocent et régulier
qu'il soit : c'est une conduite de pure foi , toute de
grâce , de fidélité , et de mort à soi-même. Qu'im-
porte que la médecine céleste soit dans un vase d'or
ou dans un vase d'argile , pourvu qu'il soit présenté
de la main de Dieu , et qu'il contienne ses dons. Si
j'agis sans goût et avec répugnance par pure fidélité ,
Dieu en sera plus purement et plus eflicacement en
moi pour vous. Que voulez-vous , sinon Dieu seul ?
Ne vous suflit-il pas ? Voulez-vous lui faire la loi
pour rejeter ses dons , à moins qu'il ne les fasse pas-
ser par une personne qui suive son goût , et qui con-
tente votre amour -propre ? Peut-on voir une ten-
tation plus marquée que celle-là ? Reconnaissez une
miséricorde inlinie en Dieu , qui veut , par cet endroit ,
vous convaincre d'un fonds d'amour-propre très-vif
et Irès-rafliné. N^est-ce pas un grand bonheur que
GOO LETTRES SPIRITUELLES.
VOUS nous ayez découvert votre peine ? Vous ne pour-
riez jamais bien juger toute seule de votre cœur là-
dessus.
Je conclus , madame , que , supposé même que je
sois disposé comme vous l'avez cru , vous n'en devez
être que plus fidèle et plus constante à vous assujettir
à l'instrument que Dieu emploie pour vous exercer ,
et pour vous faire mourir à vous-même. Eh! peut-il
y avoir rien de plus propre à opérer la mort , que la
docilité pour un homme qui ne donne aucun aliment
à la vie de l'amour-propre ? Reconnaissez donc en
simplicité devant Dieu l'excès de la tentation , puis-
que ce qui vous soulève et vous déconcerte , n'est
qu'une peine de la nature , qui ne trouve point de
quoi se nourrir , et qui voudrait un appui flatteur.
ft ««%>%%«>%%« <w»
324.
Découvrir ses tentations et ses peines intérieures promplement et avec
simplicité.
Lundi au soir, 17 octobre 1702.
Vous m'avez causé , madame , une peine que je ne
saurais vous exprimer : elle a été suivie d'une joie
qui n'a pas été moindre. Au nom de Dieu , ne la trou-
blez pas. Dès que ^ous verrez naître la tentation sur
quelque chose que vous croirez voir , ne vous laissez
point aller à juger \ mais hâtez-vous de vous éclair-
cir avec moi. La simplicité et la fidélité avec la-
quelle vous m'ouvrirez votre cœur , portera sa grâce
avec elle , et sera votre contre-poison. Je ne vous
déguiserai jamais aucun fait , et je vous avouerai les
LETTRES SPIRITUELLES. 6oi
choses les plus capables de vous ])lesser, plutôt que
de les adoucir par le moindre déguisement. Mais ne
vous aîlaeliez jamais à de vraisendjlances : si on
doit se délier de son propre sens , et s'en détaclier
avec une humble docilité , dans les choses même les
plus certaines selon nos vues , à plus forte raison
doit-on éviter la présomption, l'indocilité, et l'atta-
chement à son seus , quand il s'agit de conjectures
sur lesquelles on veut deviner contre le prochain.
Vous avez même l'expérience de divers mécomptes
dans cet art de deviner. Le scrupule doit se tourner
contre ces sortes de jugemens téméraires. La cha-
rité croit tout y espère tout , attend tout j et 7ie soup-
çonne point le mal (a). Au contraire , l'amour-propre
est délicat , jaloux , soupçonneux , empressé à de-
viner , et ingénieux pour se tourmenter soi-^méme.
0 que la simplicité vous donnerait de paix , et que la
paix vous ferait faire de progrès sans interruption l
Mon Dieu , agissons simplement , avec la conliance
réciproque que donne l'esprit de Dieu à ceux qui
n'écoutent que lui , et qui veulent bien s'oublier.
Si je vous manquais, ce serait tant pis pour moi.
Dieu ne vous manquerait pas : des pierres mêmes il
en forme des enfans à Abraliam.
(a) / Cor, xiu. 5,7.
325.
Même sujet.
Dimanche, 22 octobre 1702.
Votre billet d'hier au soir , madame , était ex(el-
lent : c'est Dieu , et non pas vous , ([iii l'écrivil. Je
Go'A LETTIŒS SPHUTIELLES.
voudrais ^ous le faire relire loules les semaines.
Dieu ^olls le produira pour vous condamner , si vous
ne sui\ ez pas ce qu'il contient. Dites-moi tout , mais
d'abord , et tout ira hien. Les plaies qu'on n'ou\re
pas d'abord par des incisions , ne font que s'enveni-
mer : il se fôit des sacs d'apostume.
J'irai dire la messe , et recevoir des filles à Pré-
m\ (i) : mais je ne consens point que vous y veniez ,
à moins que vous n'en ayez une permission de
M. Bourdon , qui ne soit point arracbée. Je veux lui
donner, à quelque heure, un rendez-vous chez vous,
madame , pour convenir de règles certaines sur les
moyens de vous guérir ; mais comme on dit cjue
MM. de Magalotti et du Renclier arrivent ici ce ma-
tin , je ne puis compter que sur quelque heure vers
le soir. Que la paix de Dieu , qui surjiasse tout
se?is humain ^ garde votre cœur et votre intelligence
en Jésus-Christ («).
(i) Abbaye de filles, de 1 Ordre de saint Augustin, à Cambrai,
(a) Philip. IV. 7.
326.
Se détacher de ses propres vues, pour suivre la voie de l'obéissance.
Samedi, 4 novembre IJ02.
Je ne puis vous parler utilement , madame ; mais
je parlerai à Dieu seul , afin qu'il vous persuade. Il
n'y a que lui qui puisse se faire écouter par vous.
Pour moi , je ne me rebuterai jamais ; et je croirais
manquer à Dieu, si je vous laissais faire ce que vous
LLTTKLS SPlRlTL'ELLliS. 6o3
projetez. Quand vous partirez de Caiidjrai , Dieu sera
témoin que vous le ferez malgré moi , et contre le
fond de voire cœur , qui vous porterait à vine entière
docilité , si vous faisiez laiie votre })ropre esprit, pour
n'écouter que ce fond , où Dieu règne , dès que tout
est en silence , en simplicité et en paix. Encore une
lois , je m'oppose , et je m'opposerai sans relâche ,
pour Dieu , à votre départ. Si vous voulez Lien vous
lier à Dieu , et à celui dont vous avez tant cru qu'il
daigne se servir pour ^ous conduire à lui, je vous
réponds que vous n'aurez aucun endjarras , et que les
choses que vous craignez ne seront rien dans la pra-
tique. Dieu , quand on s'abandonne à lui , tempère
toutes choses : mais par défiance , et par attachement
à nos propres vues , nous nous faisons des monstres ;
et pour des maux qui n'arrivent jamais , nous nous
en faisons de réels qui deviennent irrémédiables. Je
vous conjure par les entrailles de Notre-Seigneur , et
par son amour pour vous , de ne me fermer pas votre
cœur et de ne vous livrer pas à vous-même.
««« «V%% % V« %%« ^^A ^«^^'^^^ ^i'^^ '\«^ w%
«««^>%V%/V»i%^/»«<V%i«'«^V^>^^«%%% 1
(227. 228) 327 * A.
Contre les scrupules et la recherche des goûts sensibles dans le service
de Dieu.
Mardi, 10 novembre 1702.
Vous avez , madame , deux choses qui s'entre-sou-
tiennent , et qui vous font des maux infinis. L'une
est le scrupule enraciné dans votre cœur depuis votre
enfance , et poussé jusqu'aux derniers excès pendant
tant d'années j l'autre est votre attachement à vouloir
6o4 LETTRES SPIRITUELLES.
toujours goûter et sentir le bien. Le scrupule vous
ôte souvent le goût et le sentiment de l'amour , par
le trouble où il vous jette. D'un autre côté , la cessa-
tion du goût et du sentiment réveille et redouble tous
vos scrupules ; car vous croyez ne rien faire , avoir
perdu Dieu, et être dans l'illusion, dès que vous ces-
sez de goûter et de sentir la ferveur de l'amour. Ces
deux clioses devraient au moins servir à vous con-
vaincre de la grandeur de votre amour-propre.
Vous avez passé votre vie à croire que vous étiez
toujours toute aux autres , et jamais à vous-même.
Rien ne flatte tant l'amour-propre , que ce témoi-
gnage qu'on se rend intérieurement à soi-même , de
n'être jamais dominé par l'amour-propre , et d'être
toujours occupé d'une certaine générosité pour le pro-
chain. Mais toute cette délicatesse , qui paraît pour les
autres, est dans le fond pour vous-même. Vous vous
aimez jusqu'à vouloir sans cesse vous savoir bon gré
de ne vous aimer pas; toute votre délicatesse ne va
qu'à craindre de ne pouvoir pas être assez contente
de vous-même : voilà le fond de tos scrupules. Vous
en pouvez découvrir le fond par votre tranquillité
sur les fautes d'autrui. Si vous ne regardiez que Dieu
seul et sa gloire , vous auriez autant de délicatesse et
de vivacité sur les fautes d'autrui que sur les vôtres.
Mais c'est le ?noi qui vous rend si vive et si délicate.
Vous voulez que Dieu , aussi-bien que les hommes ,
soit content de vous , et que vous soyez toujours con-
tente de vous-même dans tout ce que vous faites par
rapport à Dieu.
D'ailleurs , vous n'êtes point accoutumée à vous
contenter d'une bonne volonté toute sèche et toute
LETTRES SPIRITUELLES. 6o5
niic. Comme vous clicrdiez nu ragoût d'amour-
propre , vous voulez uu snilimcnt vif, un plaisir qui
vous réponde de votre amour, une espèce de charme
et de transport. Volis êtes trop accoutumée à agir par
imagination , et à supposer que voire esprit et votre
volonté ne font point les choses , quand votre imagi-
nation ne vous les rend pas sensibles. Ainsi tout se
réduit chez vous à un certain saisissement , semblable
à celui des passions grossières , ou à celui que cau-
sent les spectacles. A force de délicatesse , on tombe
dans l'extrémité opposée , qui est la grossièreté de
l'imagination. Rien n'est si opposé , non-seulement à
la vie de pure foi , mais encore à la vraie raison. Rien
n'est si dangereux pour rillusion , que l'imagination
à laquelle on s'attache pour éviter l'illusion même. Ce
n*est que par l'imagination qu'on s'égare. Les certitu-
des qu'on cherche par imagination, par goût et par sen-
limentj sont les plus dangereuses sources du fanatisme.
Il faut prendre le goût sensible , quand Dieu le
donne , comme un enfant prend la mamelle quand
la mère la lui présente : mais il faut se laisser sevrer
quand il plaît à Dieu. La mère n'abandonne et ne
rejette point son enfant , quand elle lui ôte le lait
pour le nourrir d'un aliment moins doux et plus so-
lide. Vous savez que tous les Saints les plus expéri-
mentés ont compté pour rien l'amour sensible , et
même les extases, en comparaison d'un amour nu et
souiïrant dans l'obscurité de la pure foi. Autrement
il ne se ferait jamais ni épreuve ni purification dans
les âmes; le dépouillement et la mort ne se feraient
qu'en paroles, et on n'aimerait Dieu qu'autant qu'on
sentirait toujours un goût délicieux et une espèce
6o6 LETTRES SPIRITUELLES.
d'ivresse en l'aimant. Est-ce clone là à quoi aboutit
celle délicatesse et ce désintéressement d'amour dont
on veut se flatter ?
Voilà , madame , le fond vain et corrompu que
Dieu veut vous montrer dans votre cœur. Il faut le
voir avec cette paix et cette simplicité qui font l'hu-
milité véritable. Etre inconsolable de se voir impar-
fait, c'est un dépit d'orgueil et d'amour-propre ; mais
voir en paix toute son imperfection , sans la flatter
ni tolérer ; vouloir la corriger , mais ne s'en dépiter
point contre soi-même , c'est vouloir le bien pour le
bien même , et pour Dieu qui le demande , sans le
vouloir pour s'en faire une parure^ et pour contenter
ses propres yeux.
Pour venir à la pratique , tourner, vos scrupules
contre cette vaine recbercbe de votre contentement
dans les vertus. Ne vous écoutez point vous-même;
demeurez dans votre centre , où est votre paix. Pre-
nez également le goût et le dégoût. Quand le goût
vous est ôté , aimez sans goûter et sans sentir , comme
il faut croire sans voir et sans raisonner.
Surtout ne me cachez rien. Votre délicatesse , qui
paraît si régulière , se tourne en irrégularité : rien
ne vous éloigne tant de la simplicité , et même de
la franchise ; elle vous donne des duplicités et des
replis que vous ne connaissez pas vous-même. Dès
que vous vous sentez hors de votre simplicité et de
votre paix , avertissez-moi. L'enfant , dès qu'il a peur ,
se jette sans raisonner au cou de sa mère. Si vous
ne pouvez me parler , au moins dites-moi que vous
ne le pouvez pas , afin que je rompe malgré vous les
glaces , et que j'exorcise le démon muet.
LETTRES SPIRITUELLES. Ch)~
\oiis n'avez jamais rien fait de si Lien, que ce que
vous fîtes Tautre jour; gardez-vous bien de vous en
repentir : il ne faut ni s'en rc]K'nlir, ni s'en savoir
l)on gré. Le prix de ces sortes d'actions consiste dans
leur simplicité : il faut qu'elles échappent sans aucun
retour; on les gâte en les regardant. Le vrai moyen
de faire souvent des choses à peu-près semhlahles ,
c'est de ne se souvenir point d'avoir fait celle-là.
De plus, je dois vous dire en présence de Notre-
Seigneur , qui voit les derniers replis des consciences ,
ce que vous n'avez jamais voulu croire jusqu'ici ,
mais que je ne cesserai jamais de vous dire : c'est
que je n'ai jamais senti, jusqu'au moment présent,
ni répugnance, ni dégoût, ni fioideur, ni peine pour
tout ce qui a rapport à vous. Si j'en sentais, je vous
le dirais , et je n'en ferais pas moins tout ce qu'il fau-
drait pour vous aider dans la voie de Dieu. J'espé-
rerais même qu'en vous l'avouant, j'appaiserais votre
trouhle intérieur ; car cette franchise devrait vous
toucher. On n'est pas maître de ses goûts et de ses sen-
timens. Si on ne l'est pas à l'égard de Dieu, faut-il
s'étonner qu'on ne le soit pas à l'égard des hommes?
Vous savez qu'on n'en aime et qu'on n'en sert pas
moins Dieu , quoiqu'on soit souvent privé de tout
goût dans son amour , et qu'on y éprouve des répu-
gnances horribles. Dieu veut bien être aimé et servi
de cette façon, il y prend ses plus grandes complai-
sances : pourquoi n'en feriez-vous pas autant ? Encore
une fois , madame , je vous l'avouerais , si Dieu per-
mettait que je fusse dans cette peine à votre égard ,
mais j'en suis infiniment éloigné, et ne l'ai jamais
éprouvée une seule fois.
008 LETTRES SPIRITUELLES.
Mais tout ce que je vous dis ne peut vous persua-
der ; vous voulez croire vos réflexious, plus que mes
propres sentimens sur moi-même. Comment pour-
riez-vous me croire avec quelque docilité sur d'autres
choses , puisque vous refusez de me croire sur ce qui
se passe en moi ? Il ne s'agit point de certains motifs
subtils , qui peuvent se déguiser dans le cœur -, il s'agit
de goût et de dégoût sensible , journalier^ continuel.
Vous voulez deviner sur autrui avec infaillibilité, et
supposer que je sens à toute heure ce que je n'aper-
çois jamais , ou bien vous voulez croire que je ne fais
que vous mentir. Au reste , je vous déclare devant
Dieu que je ne vous ai jamais crue fausse , et que je
n'ai jamais eu aucune pensée qui approche de celle-là ,
mais j'ai pensé et je pense encore que votre délica-
tesse pour prendre tout sur vous , et pour cacher vos
peines à celui qui devrait les savoir , vous fait faire
des réserves que d'autres font par fausseté. Si c'est là
dire que vous êtes fausse , j'avoue que je ne sais pas
la valeur des termes. Pour moi ^ je crois avoir dit
que vous n'êtes pas fausse, en parlant ainsi. Oserai-je
aller plus loin? Supposé même (ce qui a toujours été
infiniment contraire à ma pensée ) que j'eusse dit que
vous étiez fausse en certaines démonstrations par dé-
licatesse et par politesse , devriez-vous être si sen-
sible à cette opinion injuste que j'aurais de vous ?
Plusieurs saintes âmes se sont laissé condamner
injustement par leurs directeurs prévenus ; elles leur
ont laissé croire qu'elles étaient hypocrites , et elles
sont demeurées humbles et dociles sous leur con-
duite. Pourquoi faut-il que vous soyez si vive sur
une prévention infiniment moindre , et que je ne cesse
LETTRES SPIRITUELLES. Cci)
(le VOUS désavouer devant Dieu ? En vérité , madame ,
Dieu permet , en cette occasion , que tout le venin de
> otre amour-propre se montre au dehors , alin qu'il
sorte de votre fond, et que votre cœur en soit vidé.
Vous ne l'auriez jamais pu bien connaître autrement.
Pour moi , loin d'être fatigué de vous , et du soin de
vous conduire à Dieu, je ne le suis que de vos discré-
tions. Je ne crains que de n'avoir pas cette prétendue
fatigue. Mais vous ne m'échapperez point ; je vous
poursuivrai sans relâche , et j'espère (pie Dieu , après
que l'orage sera diminué , ^ ous fera voir combien je
suis attaché à vous pour sa gloire. Du moins acquiescez
en général à ce que vous ne voyez pas encore pen-
dant le trouble de votre cœur. Unissez-vous à moi
devant Dieu , pour le laisser opérer en vous ce que
la nature révoltée craint. Défiez-vous non-seulement
de votre imagination , mais encore de votre esprit ,
et des vues qui vous paraissent les plus claires. Pour
moi , je vais prier sans relâche pour vous -, mais je le
fais avec une amertume et une souffrance intérieure
qui est pis que la fièvre. Je vous conjure , au nom de
Dieu et de Jésus-Christ notre vie , de ne sortir point
de l'obéissance. Je vous attends , et rien ne peut me
consoler que votre retour.
« JW%%V« «%^ W\/W«'%^%'Wt «%r«.^
(..8) 328 * R.
La volonté de Dicii rend agréables les occupations les plus pénibles.
S'abstenir de retours subtils sur soi-même.
Samedi, 2 décembre 1702.
Je voudrais bien vous aller voir , madame ; mais
je n'en ai pas le temps. Il faut que je confère avec
CoRRESP. IV. ' 24
6lO LETTRES SPIRITUELLES.
le Chapitre pour un procès, que j'expédie , que j'é-
crive des lettres , que j'examine un compte. 0 que
la vie serait laide dans un détail si épineux , si la
volonté de Dieu n'embellissait toutes les occupations
qu'il nous donne ! C'est être libre , que de consentir
à ne l'être pas pour porter un joug si aimable. Il
vaut mieux essayer des chicanes dans l'ordre de Dieu,
que d'être dans la plus sublime contemplation de Dieu
même sans son ordre. On retrouve Dieu , en parais-
sant le perdre povu' lui obéir. Pour vous , madame ,
vous êtes dans la liberté entière que donnent le si-
lence et la solitude : jouissez-en en pleine paix. Mais
malheur à quiconque est avec soi-même ! il n'est plus
seul, n n'y a plus de vrai silence dès qu'on s'écoute.
Après s'être écouté , on se répond , et dans ce dialo-
gue d'un subtil amour-propre , on fait taire Dieu. La
paix est pour vous dans une simplicité très-délicate.
Mandez-moi de vos nouvelles , si vous le pouvez. Deux
mots me mettront en repos pour vous. Il me tarde
de vous aller voir au désert de la Tliébaïde.
itmivwt /w»**»^*»**»*»»*»!»)!
329 * R. (229)
Voir ses impei-fections avec humilité , mais sans trouble.
A Cambrai , |8 décembre 1702.
Les moindres commencemens de peine me font
peur pour vous , madame. Ce n'est pas la peine que
je crains , mais l'iniidélité qui la fait écouter. Au nom
de Dieu , ne vous y laissez pas aller , et demeurez
dans cette heureuse simplicité dont la paix est le cen-
tuple promis dès cette vie. Surtout n'interrompez point
LETTRES SPIRITUELLES. 6ll
VOS coniiiuinioiis. Mandez-moi , s'il vous plait , com-
ment votre cœur est aujourd'hui, et si vous avez com-
munié ce matin. Tandis qu'on ne peut supporter avec
paix les imperfections où l'on est tombé, c'est un reste
d'amour-propre soulevé et dépité de ne se trouver
point parfait. Au contraire , l'amour de Dieu donne
une humiliation profonde, mais paisible et sans trou-
ble , parce qu^elle est exempte de tous les dépits de
l'orgueil. L'amour-propre gâte tout, quand il veut
raccommoder le passé. Il A'oudrait faire de belles
choses , et prendre sur lui plus qu'il ne pourrait por-
ter. Il cherche à flatter les hommes , pour se flatter
soi-même par un subtil contre-coup *, et il le veut
faire contre l'attrait de Dieu, parce qu'il craint moins
de résister secrètement à Dieu sous de beaux pré-
textes , que de choquer les hommes en manquant de
délicatesse et de régularité. Si vous voulez faire cre-
ver toute la grandeur de l'amour-propre par une véri-
table petitesse, tâchez^ quand vous verrez M'^« d'Oisy,
de lui montrer à nu la misère de votre cœur , et de
lui dire ce que vous ne pouvez plus faire, en ajoutant
tout ce que vous pouvez lui olfrir sans sortir de vos
bornes. J'irai demain vous demander ce que Dieu
fait en vous , et ce que vous faites avec lui. Je le prie
souvent pour vous.
(aag) 330 * R.
Même sujet.
25 janvier 1703.
J'envoie savoir de vos nouvelles , madame , et je
souhaite de tout mon cœur que vous en ayez de bonnes
4*
6l2 LETTRES SPIRITUELLES.
à me cloiiTier- Mon Dieu, qu'il y aurait de plaisir à
jt^us voir tranquille , simple , désoccupée de vos re-
tours et de vos vaines délicatesses sur vous-même !
Vous faites votre trouble et votre supplice : Dieu fe-
rait alors votre paix et votre consolation. Vous le
quittez à toute heure contre son attrait, pour discourir
avec vous-même sur vos fautes. Hé bien ! supposons
ces fautes; qu'y a-t-il à faire? Les réparer par l'amour
dans l'oubli de tout amour-propre. Le trouble ne ré-
pare rien , et gâte tout. L'oraison dominicale efface
les péchés véniels. Par où le fait-elle? C'est par l'amour,
qui dit , Notre Père , qui êtes au ciel. Aimez ce Père ;
dites-lui que sa volonté se fasse, et toutes ces fautes
qui vous troublent seront consumées dans le feu de
l'amour. Comparez ce qui vous occupe , à Dieu qui
voudrait vous occuper. Il veut que vous soyez toute
pleine de lui , et vous l'interrompez indignement en
repassant sans cesse tout ce que vous avez , non pas
voulu et cru , mais rêvé et songé. O quelle infidélité ,
dont vous ne faites aucun scrupule ! Vous coulez le
moucheron, et vous avalez le chameau.
Dieu ne peut rien faire en vous , parce que vous
préférez votre imagination à sa grâce , et à la convic-
tion intime de votre conscience. Vous me dites tou-
jours : Que ferai-je? Ce que vous ne faites point, et
ne voulez pas faire : c'est de laisser tomber la tenta-
tion dès sa première pointe ; c'est de dire tout ; c'est
de ne douter jamais volontairement , ni de ce qu'on
vous dit , ni du secours de Dieu pour l'exécuter ; c'est
de vouloir faire quand vous n'avez point de goût con-
solant , et quand vous êtes obscurcie , comme quand
vous êtes dans la lumière et la consolation. Croyez ,
LETTRES SPIRITUELLES. 6l3
cl il VOUS sera donné selon votre foi. Ecoulez Dieu ,
et vous n'écouterez plus vos imaginations. Que ne
«lonncrais-je point pour vous voir enfin respirer dans
la liberté des enfans de Dieu !
Je suis ravi d'apprendre , depuis ma lettre écrite ,
par M. l'abbé de Langeron , que vous avez le cœur
en paix.
331.
Éviter les retours trop subtils sur soi-même.
Lundi, février ijoS.
Je suis véritablement fâché , madame , de ce que
nous n'aurons point M. le Marquis de Montberon ;
mais Dieu prend plaisir à déranger tout , et ce dé-
rangement vaut mieux que tous les plans de notre
sagesse. Il sait bien où il attend chaque homme , et
il l'y mène , lors même que cet homme semble lui
échapper. M. le Marquis a le cœur bon ; il ne hait
point la Religion ; il ne met rien d'invincible entre
lui et elle. U faut faire comme Dieu , et l'attendre.
Dieu ne veut d'inquiétude ni pour nous ni pour notre
prochain.
Conunent vous portez-vous ? C'est toujours votre
faute quand votre santé va mal. On peut dire de la paix
du cœur ce que le Sage dit de la sagesse (a) : Tous
les biens vie7ment avec elle. D'une certaine fidélité
simple et tranquille dépendent le sommeil , l'appétit ,
les digestions , la vigueur pour les promenades. S'il
(a) Sap. VII. 1 1 .
6l4 LETTRES SPIRITUELLES.
ne vous est pas permis de vous tuer , tournez votre
scrupule contre vos scrupules mêmes , qui vous tuent
manifestement. Je ne crains que les] retours volon-
taires et d'infidélité. Je ne vous demande que le re-
tranchement de ceux-là ; le reste ne dépend pas de
vous. Dieu saura bien le modérer , et tout ce qui
vient immédiatement de lui seul , sans infidélité de
notre part , est sans trouble , et porte sa consolation.
O que je voudrais vous voir pleine de Dieu , et vide
de vous-même !
(80) 332 * R.
La vue de nos imperfections ne doit pas nous faii-e perdre la paix et la
conliance.
A Vaucclles , mercredi 8 mai ijo3.
Je ne saurais , madame , être plus long-temps ab-
sent de Cambrai , sans vous demander de vos nou-
velles. Je souhaite que vous ne puissiez pas m'en
dire, faute d'en savoir. Il y a une illusion très-sub-
tile dans vos peines, car vous vous paraissez à vous-
même tout occupée de ce qui est dû à Dieu , et de
sa pure gloire ; mais dans le fond , c'est de vous dont
vous êtes en peine. Vous voulez bien que Dieu soit
glorifié, mais vous voulez qu'il le soit par ^ot^e per-
fection , et par là vous rentrez dans toutes les délica-
tesses de votre amour-propre. Ce n'est qu'un détour
rafiiné; pour rentrer, sous un plus beau prétex^te, en
vous-même. Le vrai usage à faire de toutes les im-
perfections qui vous paraissent en vous, est de ne
les justifier ni condamner; car ce jugement ramène-
LETTRES SPIRITUELLES. 6l5
mit tous VOS scrupules , mais de les abandonner à
Dieu , conformant votre cœur au sien sur ces choses
(juc vous ne pouvez éclaircir , et demeurant en paix ,
parce que la paix est d'ordre de Dieu , en quelque
état qu'on puisse être. Il y a en ellet une ])aix de
confiance que les pécheurs mêmes doivent avoir dans
la pénitence de leurs péchés. Leur douleur est pai-
sible , et mêlée de consolation. Souvenez-vous de
cette bonne parole qui vous a touchée : Le Seujneur
vCest point daiis le trouble (a).
Si vous ne pouvez pas me mander des nouvelles
de votre intérieur , mandez-m'en de votre santé. N'en
avez-vous point de M. le Comte de Montberon?
(a) /// Reg. XIX. II.
(62) 333 ♦.
De la vue et de la mort de l'amour-proprc.
Oui , je consens avec joie que vous m'appeliez vo-
tre père ; je le suis , et le serai toujours. Il n'y man-
que qu'une pleine persuasion et confiance de votre
part ; mais il faut attendre que votre cœur soit élargi.
C'est l'amour-propre qui le resserre. On est bien à
l'étroit , quand on se renferme au dedans de soi : au
contraire, on est bien au large, quand on sort de
cette prison , pour entrer dans l'immensité de Dieu
et dans la liberté de ses enfans.
Je suis ravi de vous voir dans les impuissances où
Dieu vous réduit. Sans ces impuissances , l'amour-
propre ne pouvait être ni convaincu ni renversé. Il
6l6 LETTRES SPIRITUELLES.
avait toujours des ressources secrètes et des retnni-
chemeiis impénétrables dans votre courage et dans
votre délicatesse. Il se cachait à vos propres yeux ,
et se nourrissait du poison sul^til d'une générosité
apparente , où vous vous sacrifiiez toujours pour au-
trui. Dieu a réduit votre amour-propre à crier les
liauts cris , à se démasquer , à découvrir l'excès de sa
jalousie. 0 que cette impuissance est douloureuse et
salutaire tout ensemble ! Tant qu'il reste de l'amour-
propre , on est au désespoir de le montrer \ mais tant
qu'il y a encore un amour-propre à poursuivre jus-
que dans les derniers replis du cœur , c'est un coup
de miséricorde infmie que Dieu vous force à le lais-
ser voir. Le poison devient un remède. L'amour-
propre poussé à bout ne peut plus se caclier et se
déguiser. Il se montre dans un transport de déses-
poir ; en se montrant, il déshonore toutes les délica-
tesses , et dissipe les illusions flatteuses de toute la
vie : il paraît dans toute sa difformité. C'est vous-
même idole de vous-même , que Dieu met devant
vos propres yeux. Vous vous voyez , et vous ne pou-
vez vous empêcher de vous voir. Heureusement vous
ne vous possédez plus , et vous ne pouvez plus em-
pêcher de vous laisser voir aux autres. Cette vue si
îionteuse d'un amour-propre démasqué fait le supplice
de l'amour-propre même. Ce n'est plus cet amour-
propre si sage , si discret , si poli , si maître de lui-
même , si courageux pour prendre tout sur soi , et
lien sur autiui. Ce n'est plus cet amour-propre qui
vivait de cet aliment subtil de croire qu'il n'avait
besoin de rien , et qui , à force d'être grand et gé-
néreux , ne se croyait pas même un amour-propre.
LETTRES SPIRITUELLES. 617,
C'est un araour-prapre d'enfant jaloux d'une pomftie ,
qui j)lcure pour Tavoir. Mais à cet amour-propre
enfantin est joint un autre amour-propre bien plus
tourmentant. C'est celui qui pleure d'avoir pleuré ,
qui ne peut se taire , et qui est inconsolable de ne
pouvoir plus cacher son venin. Il se voit indiscret,
grossier, importun, et il est forcené de se voir dans
cette affreuse situation. Il dit comme Job (a) : Ce que
je Cî'aigiiais le jtlus est précisément ce qui ni' est arrivé.
En eifet, pour faire mourir l'amour-propre^ ce que
nous craignons le plus est précisément ce qui nous
est le plus nécessaire. Nous n'avons pas besoin , pour
mourir , que Dieu attaque en nous ce qui n'est ni vif
ni sensible. L'opération de mort ne prend que sur la
vie du cœur ; tout le reste n'est rien. Il vous fal-
lait donc ce que vous avez , un amour-propre con-
vaincu , sensible , grossier , palpalile. Il ne vous reste
qu'à vouloir bien le voir en paix : voir en paix cette
misère , c'est ne l'avoir plus. Vous demandez des
remèdes pour guérir. Il ne s'agit point de guérison ,
mais au contraire de mort. Laissez-vous mourir ; ne
cherchez par impatience aucun remède : mais prenez
garde qu'un certain courage pour se passer de tout
remède , serait un remède déguisé et une ressource
de vie maudite. Il ne faut point chercher de remède
pour consoler l'amour-propre *, mais il ne faut pas
cacher le mal. Dites tout par simplicité et par peti-
tesse , puis laissez-vous mourir. Ce n'est pas se lais-
ser mourir , que de retenir quelque chose avec force.
{a] Joh. m. 25.
6l8 LETTRES SPIRITUELLES.
La faiblesse est devenue votre unique partage. Toute
force est à contre-temps ; elle ne servirait qu'à ren-
dre l'agonie plus longue et plus violente. Si vous ex-
pirez de faiblesse , vous en expirerez plus tôt et moins
rudement. Toute vie mourante n'est que douleur.
Tous les cordiaux deviennent poison au patient frappé
à mort , et attaché sur la roue pour y expirer. Que
lui faut-il? Rien que le coup de grâce; nul aliment
nul soutien. Si on pouvait l'affaiblir pour avancer sa
mort , on abrégerait ses souffrances : mais on n'y peut
rien , et il n'y a que la main qui l'a attaché et frappé ,
qui puisse le délivrer de ce reste de vie cruelle.
Ne demandez donc ni remèdes , ni alimens , ni
mort. Demander la mort , c'est impatience ; deman-
der des remèdes ou des alimens , c'est vouloir retar-
der l'œuvre de mort. Que faut-il donc ? Se délaisser ;
ne rien rechercher' , ne rien retenir ; dire tout , non
par recherche de consolation , mais par petitesse et
non-résistance. Il faiit me regarder , non comme la
ressource de vie , mais comme l'instrument de mort.
De même qu'un instrument de vie serait mauvais ,
s'il ne vivifiait pas : un instrument de mort serait à
contre-sens , s'il nourrissait la vie , au lieu de l'étein-
dre et de donner le coup de la mort. Souffrez donc
que je sois , ou du moins que je vous paraisse sec ,
dur , indifférent , impitoyable , importuné , dégoiité ,
plein de mépris. Dieu sait combien tout cela est con-
traire à la vérité , mais il permet que tout cela paraisse;
et c'est bien plus par ces choses fausses et imaginaires,
que par mon affection et mon secours réel , que je
v»<3us suis utile ; puisqu'il s'agit, non d'être appuyé et
de "vivre, mais de manquer de tout et de mourir.
LETTRES SPIRITUELLES. 619
» *« %%fcVVM*« V%» W «V*» **• *V»*V» * V» »
ft v«^%^%%%« %-v%%%>%%%V^%%»%<<^»%%%%*^ %%«%
33-4 * A. (81)
Ne point écouter l'imagination.
A Harouozc , 21 mai 1703.
Voici une occasion , ma cl i ère fille , pour vous
donner de mes nouvelles : j'aurais Lien voulu rece-
\oir des vôtres. J'espère (|ue Notre-Seigneur vous
aura gardée contre vous-même pour vous conserver
la paix. L'état des apôtres , entre l'ascension du Fils
de Dieu et la descente du Saint-Esprit, était un état
d'oraison et de retraite , où ils attendaient la Ferlu
iVen haut. La préparation que je vous demande pour
recevoir le Saint-Esprit , est de ne point écouter le
vôtre. L'inquiétude est le seul obstacle que je crains :
je ne me délie que de vous. Laissez tomber toutes
^ os pensées de doute et de scrupule ; laissez-les bruire
dans votre imagination , comme des mouches dans
une ruche : si vous les excitez , elles s'irriteront , et
vous feront beaucoup de mal ; si vous les laissez sans
y mettre la main , vous n'en aurez que le bourdon-
nement et la peur. Accoutumez-vous à demeurer
en paix dans votre fond , malgré voJ;re imagination
agitée.
Voici ma course bien avancée : je n'ai plus de vi-
sites à faire que pour peu de jours, et je serai samedi
prochain à midi à Cambrai. Cependant je vous porte
souvent devant Dieu , afin qu'il vous plie et vous
rende souple à son gré. Laissez-le faire , et soyez
lidèle. 11 sait à quel point je vous suis dévoué.
620 LETTRES SPIRITUELLES.
335.
Contre les iiicjuiétiules de l'amour-propie.
A Cambrai, lo juin lyoS.
Je vous envoie , madame , une lettre que j'ai reçue
pour vous. Je ne vous l'envoyai point hier, parce
que j'espérais de vous l'aller rendre moi-même j mais
diverses occupations m'en ôtèrent la liberté. Me voilà
embarqué dans notre concours : pendant qu'il du-
rera , je serai presque hors d'état d'aller chez vous ;
mais je ne laisserais pas de le faire , dès que je
saurais que vous auiiez le moindre besoin de moi.
Je souhaite que ce besoin n'arrive pas , et que Dieu
vous suffise , sans sa petite et inutile créature. La
simplicité de l'amour porte avec soi quelque chose
qui ne suffit à soi-même , et qui est un commence-
ment de béatitude. Malheur à (jui trouble cette sim-
plicité par des réflexions d'amour-propre ! Bonnez-
moi de vos nouvelles , sans songer à ce que vous me
manderez : ce sont là les bonnes lettres.
336* A. (,9)
Ne pas singérer facilement dans la direction des autres ; supporter en
paix la vue de ses misères.
Dimanche , jour de la saint Jean , i ^oS.
J'ai plusieurs carrosses et huit chevaux qui ne font
rien. Le temps ne me permet pas d'aller me prome-
ner ; de plus , je n'y vais jamais qu'à deux chevaux :
ainsi je puis vous en prêter six avec un carrosse ^
LETTRES SPIRITUELLES. 62 I
sans me priver de rien jioiir mes promenades. Si
\ous n'acceptez pas cette oflVe , ma clièixî lille , je
bouderai long-temps.
Puisque vous êtes emmailloltée , pourquoi n'êtes-
vous j)as petit enfant? Voulez-vous n'a\oir de Ten-
fance que le maillot? Il en faut avoir la simplicité.
Votre amie est bonne selon son degré ; mais il faut
aimer Dieu plus qu'elle. Il vous veut dans la liberté
de votre solitude ; il ne vous appelle point à la con-
duire : il ne souffre point que vous vous gâtiez , et
que vous la gâtiez , pour contenter son amour-propre ,
et le vôtre par contre-coup. Demeurez donc en paix
dans votre petit désert. Contentez-vous de la conso-
ler et de l'édifier , sans aucune suite de soins , quand
elle vous va voir. Le surplus ne serait qu'un ragoût
d'amour-propre pour vous et pour elle.
Pour moi , souvenez-vous que je ne vous suis donné
que pour vous appauvrir et vous dénuer. Vous vou-
driez vous trouver en Dieu toute parfaite, toute dj<>ne
de lui toute pleine d'amour , et sans aucun défaut :
mais il faut dire , à la vue de l'Epoux , comme saint
Jean : // faut qu'il croisse , et que je diminue {a).
Je ne vous suis bon qu'à vous faire décroître , qu'à
vous rapetisser , qu'à vous accoutumer au vide , au
néant , à porter les privations en pure foi. Quand
vous y serez accoutumée , vous reconnaîtrez que ce
n'est pas l'amour de Dieu , mais celui de nous-mêmes,
qui nous rend si délicats et si désolés , dès que nous
ne sentons pas en nous l'abondance spirituelle.
Dieu vous bénisse , et vous apjirenne à être en paix ,
(rt) Joan. III. 3o.
622 LETTRES SPIRITUELLES.
sans paix sensible et goûtée. Tout le reste est plus
imagination que réalité d'amour et de foi.
«%%%</V*/V»VU**^*%^*^'***'V»%»%>t^Vfc%W»/W%%%^^^fc%'
(79) 337 * A.
S'accoutumer à la privation des goûts sensibles.
A Cambrai, lundi 3o juillet i^oS.
Il y a long-temps , ma clière fille , que rien ne m'a
fait un plus sensible plaisir que votre lettre d'iiier.
Elle vient d'un seul trait , comme vous le dites : c'est
ainsi qu'il faut s'épancher sans réflexion. Il faut vous
accoutumer à la privation. La grande peine qu'elle
cause montre le grand besoin qu'on en a. Ce n'est
qu'à cause qu'on s'approprie la lumière , la douceur
et la jouissance , qu'il faut être dénué et désapproprié
de toutes ces choses. Tandis qu'il reste à l'arae un
attachement à la consolation , elle a besoin d'en être
privée. Dieu goûté , senti et bienfaisant , est Dieu ;
mais c'est Dieu avec des dons qui flattent l'ame. Dieu
en ténèbres , en privations et en délaissemens , est
tellement Dieu , que c'est Dieu tout seul , et nu pour
ainsi dire. Une mère qui veut attirer son petit enfant
se présente à lui les mains pleines de douceurs et de
jouets , ïuais le père se présente à son fils déjà rai-
sonnable , sans lui donner aucun présent. Dieu fait
encore plus ; car il voile sa face , il cache sa présence ,
et ne se donne souvent aux âmes qu'il veut épurer ,
que dans la profonde nuit de la pure foi. Vous pleu-
rez , comme un petit enfant , le bonbon perdu. Dieu
vous en donne de temps en temps. Cette vissicitude
console l'ame par intervalles, quand elle commence
LETTRES SPIRITUELLES. 62Z
à perdre courage , et l'accoutume néanmoins peu à
peu à la privation.
Dieu ne veut ni vous décourager ni vous gâter.
Abandonnez-vous à cette vicissitude qui donne tant
de secousses à l'ame, et qui , en raccoutuinant à n'avoir
ni état lixe ni consistance , la rend souple et comme
liquide pour prendre toutes les formes qu'il plaît à
Dieu. C'est une espèce de fonte du cœur. C'est à force
de changer de forme qu'on n'en a plus aucune à soi.
L'eau pure et claire n'est d'aucune couleur ni d'au-
cune figure : elle est toujours de la couleur et de la
ilgure que lui donne le vase qui la contient. Soyez
de même en Dieu.
Pour les réflexions pénibles et humiliantes , soit sur
vos fautes , soit sur votre état temporel , regardez-les
comme des délicatesses de votre amour-propre. La
douleur sur toutes ces choses est plus humiliante que
les choses mêmes. Mettez le tout ensemble , la chose
qui afflige avec l'afiliction de la chose , et portez cette
croix sans songer ni à la secouer ni à l'entretenir.
Dès que vous la porterez avec cette indifférence pour
elle , et cette simple fidélité pour Dieu , vous aurez
la paix ; et la croix deviendra légère dans cette paix
toute sèche et toute simple. Mandez-moi votre fond ;
envoyez-moi tout \x)tre cœur. Ne craignez de me de-
mander ni visite , ni lettre , ni autre chose plus forte.
Tout est à vous sans réserve en Notre-Seigneur.
6^4 LETTRES SPIRITUELLES.
338.
n se réjouit de voir la Comtesse plus tranquille.
A Cambrai, mercredi 8 août ijoo.
M. le Comte de Montberon vient de me soulager
le cœur en m'assurant , ma chère fille , que vous êtes
aujourd'hui plus tranquille. Dieu en soit béni. Je suis
trop sec , trop distrait , trop occupé d'ailleurs , trop
peu compatissant ; mais j'ai bonne volonté , et les
moindres rayons de consolation que j'entrevois en
vous me donnent une joie que je ne puis vous ex-
primer. Dieu nous a unis en lui. Supportez-moi , et
soyez persuadée que vous ne sauriez me fatiguer.
Vous ne m'échapperez point et Dieu ne le permet-
tra pas. J'ai reçu une lettre de M"^^ la Duchesse de
Mortemart pleine des choses les plus fortes et les plus
cordiales pour vous.
339 * A. (82)
Desseins de Dieu en permettant nos tentations et nos peines intérieures.
Jeudi, 23 août i^oS.
Vous voyez bien , ma chère fille , que toutes vos
peines ne viennent jamais que de jalousie , ou de
délicatesse d'amour-propre , ou d'un fonds de scrupule
qui est encore un amour-propre enveloppé. D'ail-
leurs ces peines portent toujours le trouble avec
elles. Leur cause et leur effet montrent clairement
qu'elles sont de véritables tentations. L'esprit de Dieu
ne nous occupe jamais des sentimens de l'amour-
LETTRES SPIRITUELLES. 625
})ropre 5 et loin de nous troubler , il répand la paix
dans le cœur. Qu'y a-t-il de plus marqué pour la
tentation, que de vous voir dans un demi déses-
poir , révoltée contre tout ce qui ^ous est donné
de Dieu pour aller à lui ? Ce soulèvement n'est point
naturel ; mais Dieu permet que la tentation vous
pousse aux plus grandes extrémités , a fui que la ten-
tation soit plus facile à reconnaître. Il permet aussi
que vous tombiez dans certaines choses très-con-
traires à votre excessive délicatesse et discrétion, aux
yeux d'antrui , pour vous faire mourir à cette dé-
licatesse et â cette discrétion , dont vous étiez si ja-
louse. Il vous fait perdre terre , alin que vous ne
trouviez plus aucun appui sensible , ni dans votre pro-
pre cœur , ni dans l'approbation du prochain. Enfin il
permet que vous croyiez voir le prochain tout autre
qu'il n'est à votre égard , afni que votre amour-pro-
pre perde toute ressource flatteuse de ce côté-là. Le
remède est violent -, mais il n'en fallait pas moins
pour vous déposséder de vous-même , et pour forcer
tous les retrancliemens de votre orgueil. Vous vou-
driez mourir , mais mourir sans douleur en pleine
santé. Vous voudriez être éprouvée, mais discerner
l'épreuve , et lui être supérieure en la discernant. Les
jurisconsultes disent , sur les donations : Donner et
retenir ne vaut. Il faut même doimer tout ou rien,
quand Dieu veut tout. Si vous n'avez pas la force de
le donner , laissez-le prendre.
Votre franchise sur M'"*^ d'Oisy , loin d'être une
faute, est ce que vous avez fait de mieux. Plût à Dieu
que vous fissiez souvent de même ! Mais vos cnlor-
lillemens vous empêchent de montrer votre mal.
CORRESP. IV. 33
626 LETTRES SPIRITUELLES.
Comment voulez-vous qu'on le guérisse , quand on
lie peut pas même le savoir ? Croyez-vous qu'on de-
vine ? Parlez comme vous croyez que vous parleriez
à la mort. Demeurons unis , Dieu le veut , avec ce
qui nous est vmi en lui et pour lui. Pardon de mes
fautes.
(83) 340 * A.
Se soutenir par la vie de foi au milieu des croix.
Lundi au soir, 23 septembre ijoS.
Je croyais , ma chère fille , vous aller voir ce soir ;
mais je n'ai pu le faire : on m'a tenu malgré moi.
J'en ai le cœur peiné 5 car je voulais m'aller consoler
avec vous sur la pauvre mad , que j'aime fort,
et qui est bien malade. Tout est croix : je n'ai aucun
goût que d'amertume. Mais il faut porter en paix ce
qui est le plus pesant : encore n'est-ce point porter
ni traîner -, c'est demeurer accablé et enseveli. Je
souhaite que Dieu vous épargne autant qu'il le faut
pour vous donner de quoi souffrir : c'est le pain quo-
tidien. Dieu seul en sait la juste mesure , et il faut
vivre de foi sur les moyens de mort , pour croire ,
sans le voir , que Dieu proportionne avec une cer-
taine miséricorde l'épreuve au secours qui est en
nous à notre insu. Cette vie de foi est la plus pro-
fonde de toutes les morts.
Mon Dieu , qu'il me tarde de vous voir ! Croyez-le , et
soyez docile : croyez-le sans le voir ; foi sur cela comme
sur tout le reste. O que vous m'êtes chère en celui
qui le veut ! Cela croît tous les jours en moi ; mais
quand je vous verrai , je ne vous dirai peut-être rien.
i.ETTiu:s si'ium i:Lhi:s. 62-7
341.
INV pas s'iii({iiit'ter tles jugcraciis des huininos.
A Cumbrui . 4 octobre 1703.
Je Aoiis plains , ma clière lille , quoique jamais
douleur n'ait eu moins de fondement que la vôtre :
n'inqiorlej vous souHrez beaucoup , et je souffre avec
^ous. Mais souffrez que je vous représente l'illusion
où vous èles. D'un côlé, vous dites : // faut vivre
iliUis la simplicité de l'amour , ou mourir dans le
désespoir du travail. D'un autre côté , vous dites :
Je ne jiuis rester ici sans une humiliation affreuse
et continuelle. C'est la crainte de riiumilialion qui
vous trouble , et qui vous révolte contre Perdre de
Dieu , pendant que vous ne parlez que de vivre dans
la simplicité de l'amour. Au reste , vous entrâtes
dans la conversation avec moi, étant tranquille y sou-
mise à Dieu et à moi ^ et très-jjersuadée que rien
ne vous empêcherait d'obéir , pas même la crainte de
vous laisser voir avec toutes vos misères. Vous étiez
donc bien dans ce moment-là. Qu'est-ce qui vous
changea tout à coup ? C'est votre imagination que
NOUS suivez par infidélité. Dès que vous avez com-
mencé à écouter la tentation , et à résister à Dieu ,
Aous êtes livrée à vous-même, et vous n'êtes plus la
même personne : la résistance à Dieu vous met dans
une esi)èce de possession. Mais je compte pour rien
toutes vos saillies , et je ne me lasserai jamais de
vous poursuivre , pour vous ramener. Demandez à
Dieu, Dieu même, afin qu'il aous dompte. Je vous
irai voir demain, et nous parlerons de tout.
25^
628 LETTRES SPIRITUELLES.
Saint François était bien éloigné de craindre Tliu-
miliation : Il ne se serait guère mis en peine des ju-
gemens de M'^» d'Oisy. 0 mon Dieu , que tous êtes
encore vaine dans yos délicatesses , puisque l'idole
d'un cœur généreux et romanesque est ce que vous
ne pouvez sacrifier à Dieu, et que vous voulez lui
manquer plutôt que de paraître une amie impar-
faite ! Revenez à Dieu , et sortez de vous. // vous est
dur de retjimher contre l'aiguillon {a).
(«) ^ct. IX. 5.
342 * A. (61)
Supporter patiemment la vue de nos défauts.
Lundi au soir, 3 novembre ijoS.
Comment pouvez-vous vous imaginer que je puisse
être tenté de vous abandonner? C'est moi qui ne veux
pas que vous m'abandonniez. Aucun de vos défauts
ne me lasse. Je voudrais que vous les pussiez voir
comme je les vois , et que vous les supportassiez avec
la même paix dont je les supporte : ils se tourneraient
tous à profit pour vous. Quand Dieu vous laisse un
peu respirer , vous voyez sa bonté , mais dès qu'il
recommence en vous son ouvrage , vous défaites ce
qu'il fait à mesure qu'il y travaille. Vous écoutez
votre imagination , jusqu'à n'écouter plus ni Dieu , ni
l'homme qui doit vous parler en son nom. Vous êtes
alors indocile , et comme possédée d'un esprit de dés-
espoir. Ce n'est point la peine qui cause l'infidélité ;
mais c'est l'infidélité qui cause la peine. Une cer-
LETTRES SPIRITUELLES. G2r)
taine douleur paisible clans l'obscurité et dans la sé-
clieresse ne serait rien que de bon. Il faut bien souf-
frir pour mourir; le dépouillement ne se fait pas
sans douleur : mais le trouble du fond ne vient que
de rinlidélité avec laquelle vous écoutez la tenlation.
C'est dés le commencement qu'il faudrait lui fermer
vos oreilles. Voire imagination , qui vous tente , est
ensuite ce qui vous punit ; car elle fait votre supplice.
Ne la croyez plus , mais croyez-moi. Vous m'avez
rendu triste depuis liier. Au nom de Dieu, consolez-
moi. Il me tarde de vous aller voir , et de vous trou-
ver meilleure que vous n'étiez liier. Faut-il que je
^ oiis rende mécliante ?
Ne vous rembarquez point avec M^^ d'Oisy; je n'y
consens pas. Dieu ne le veut point , et il n'y a que
Tamour-propre qui le veuille en vous. Je vais de-
main à quatre lieues d'ici voir M. de Sans cela
je vous irais voir. J'enverrai vos deux lettres, si je
ne les brouille pas dans le cbaos de mes paperasses.
^%^ %%%%*» V* » %'%«^VV% %v% *** *v» %%****■*%* ^^^ "«-^^ ■*■** ^■^^ ^-^^ ^'** *** 'VV* vv% v%* %*^ ^v* -vv^
343.
Ne point se tourmenter pour trouver clans son cœur l'amour tic Dieu.
I""' jour (le lan 170 |.
J'ai beaucoup de peine à condamner à la mort ces
trois petits innocens. Blondel a envie de les associer
à sa troupe d'oiseaux. Ils chantent un peu , et ne con-
naissent pas le péril ; car mon vieux cliat a rappelé
son ancienne vigueur et toutes ses finesses , pour les
attraper.
O que je vous souhaite une bonne année , toute
53o LETTRES SPIRITUELLES.
simple et tout unie ! Le sentiment ne tlépentl pas de
nous ; il n'y a que la volonté. Notre volonté même
ne peut pas être approfondie ; on ne trouve pas son
propre vouloir , comme on trouve son gant dans sa
main , en sorte qu'on puisse dire : Le voici. Vous
qui aimez M. votre fils , vous ne vous tourmentez
point pour trouver dans votre cœur cette amitié ,
comme vous vous tourmentez pour y trouver l'amour
de Dieu. On se contente de vouloir aimer, et d'agir
le mieux qu'on peut , suivant ce fond d'amour Dieu
n'a point une délicatesse épineuse , comme nous. Al-
lons droit avec lui , et tout est fait.
*%;% Vl^ *** *V^\ *^A /\Vfc 'VV* ***'»** V*^ -l^** ^** ^%* '\'%^A/»^ -V»^ -VV» >*^A'*'V» **^ «V»^ %^
344 * R. (84)
Avantages des croix ol des peines intérieures.
Lundi, 28 janvier 1704.
Non , je ne saurais , ma chère tille , être en peine
pour vous des choses qui vous agitent tant; mais je
suis bien loin de les mépriser : au contraire , j'y fais
une singulière attention. Je sais que Dieu choisit ex-
près ces choses sans fondement , pour nous éprouver
d'une façon qui est tout ensemble rigoureuse et hu-
miliante. La délicatesse de notre orgueil a besoin de
cet assaisonnement de nos croix. Il faut qu'elles soient
imaginaires , et qu'elles nous surmontent ; il faut que
nous soyons accablés par notre propre imagination ,
et que nos propres chimères nous crucifient. Loin de
mépriser ces choses , j'y reconnais le doigt de Dieu.
C'était précisément ce qu'il vous fallait. Je vous plains
de tout mon cœur ; mais je vois une grande miséri-
LETTRES SPIRITUELLES. 63 l
conle dans celte jurande misère. Consolons-nous de la
tlouloureiise Oj>ération , par le bien qu'elle fera. Nous
ne sonnnes ici-bas que pour souflrir , mourir , sacri-
fier , perdre sans aucune réserve. Comme la moindre
partie morte , dans les cbairs vivantes , iait souffrir
tles douleurs étranges , de même le mointlre reste de
vie dans une ame mourante fait un supplice affreux.
Ne laissons donc rien de cette vie secrète et nialiuiie
o
en nous. Il faut que Dieu nous arrache tout : ne re-
poussons pas sa main crucifiante ; ce serait à recom-
mencer. Je vous irai voir tantôt.
345.
Abandon à Dieu dans les afflictions.
Mardi, 29 janvier 1704.
Je souffre , ma chère fille , de vous laisser seule ;
mais je n'ose sortir de céans, parce que voici l'heure
où il est naturel que M. le Comte de Montberon ar-
rive , et que je ne dois pas le faire attendre. Il ne
faut perdre aucun des premiers momens pour le pré-
parer, et pour adoucir sa surprise. Pendant que je
serai avec lui , Dieu sera avec vous. O le doux en-
tretien , pourvu qu'on soit dans le silence d'acquies-
cement ! Il se plaît avec les âmes afthgées ; il est le
Dieu de toute consolation. Ne retenez ni ne nourris-
sez point votre douleur : portez-la en esprit d'aban-
don. Dieu mesure la tentation aux forces que son
amour donne ; il faut que l'amour se taise , souffre ,
et fasse tout lui seul.
632 LETTRES SPIRITUELLES.
346.
User de patience avec soi-même , comme avec le prochain.
Dimanche, lo février 1704.
Je serai ravi que tous veniez au sermon , ma chère
fille. Venez-y , je vous prie : suivez librement ce qui
vous vient dans l'esprit , pour vous soulager. Vous ne
sauriez trop vous accoutumer à vous supporter. Pour
moi , je n'ai aucune peine à votre égard , que celle
de vous voir souffrir. Il faut user de patience avec
vous-même , comme avec un autre. Le support n'est
pas moins pour nous que pour le prochain. On se
supporte sans se flatter , de même qu'on le fait pour
autrui. Bonjour jusqu'au sermon,
347.
Sacrifier sa volonté à celle d'autrui ; élargir son cœur.
Dimanche au soir, 10 février 1704.
La souplesse de volonté pour céder à celle d'au-
trui vaut mieux que tous les sermons. C'est par un
excès de précaution pour votre santé, ou par quelque
délicatesse de bienséance , que M. le Comte de Mont-
beron vous aura apparennnent refusé cette complai-
sance : c'est la moindre chose du monde. Il faut s'ac-
commoder à ses vues : c'est le moins que vous puissiez
lui sacrifier , qu'un sermon. C'est le meilleur homme
que je connaisse. Le sermon ne vous convenait point,
et vous devez être bien consolée de ne l'avoir pas
entendu. Quatre petits mots , qui échappent ajîrès un
LETTRES SPIRITUELLES» 633
long silence au coin de voire feu , sont Lien meil-
leurs. Élargissez , élargissez votre pauvre cœur. Dieu
n'est point à son aise clans les cœurs rétrécis. Le vrai
amour est trop simple pour être scrupuleux. Là où,
est le Seùjtieiir , là est la liberté {a).
(«) // Cor. III. 17.
(85) 348 ♦ A.
Retrancher les subtilités inquiètes sur soi-même.
Mardi, 4 mars 1704.
J'avais bien cru , ma chère fille , que j'aurais plus
de joie que vous. Dieu soit béni. Voilà les créanciers
en sûreté , et Mi"^ la Comtesse de Souastre aura une
succession. J'espère que ce sera tard. Il faut songer
à vendre au moins une terre. M. le Comte de Mont-
beron m'y a paru disposé ce matin. Le voilà en re-
pos , et il n'a plus rien à demander au monde.
Pour vous , ma chère fille , je ne vous souhaite
que le retranchement de vos réflexions. La vUe de
nous-mêmes cause le trouble : c'est la juste peine de
Tamour-propre. Au contraire , la simple vue de Dieu
donne la paix : c'est la récompense d'un amour pur
et direct-, c'est un petit commencement du paradis.
Sans plaisir sensible, et même avec des douleurs , on
sent un je ne sais quoi très-profond et très-intime ,
qui ne veut rien au-delà , et qui fait un rassasiement
de volonté. On ne sort de ce paradis , que par des
subtilités inquiètes sur soi-même.
034 LETTRES SPIRITUELLES.
^/%%%«*%«A^
\^^'\^^%f%^i\/%f%'*^^'*^/^^^v\'v%/\/\/x%%fkfk>%%/%iv%/k'%iv%/v%/%
(84) 349 * R.
Même sujet.
Jeudi , 6 mars 1704.
Vos peines , ma chère fille , m'affligent jusqu'au
fond du cœur -, mais elles ne font que redoubler mon
attachement et mon zèle. O que vos douleurs seraient
douces , si vous ne faisiez que sentir simplement , et
qu'adorer sans résistance ni réflexion volontaire les
coups de la main de Dieu ! Mais les coups que votre
propre main vous porte sont les plus douloureux.
Unissez-vous , je vous en conjure , à ceux qui veu-
lent la paix pour vous ; unissez-vous à eux avec pe-
titesse et sans raisonner. Que devez-vous penser des
peines qui ne viennent que d'un amour-propre mani-
feste ? Que la paix de Dieu soit avec vous. Que celui
qui commande aux vents et à la mer commande à vo-
tre imagination , pour y mettre le silence et le calme.
350.
Même sujet.
A Cambrai , 12 mars 1704.
Vous ne devez jamais avoir nulle inquiétude , ma
chère fille , sur ma persévérance à prendre soin de
vous. Plus vous êtes peinée , plus je me crois obligé
à vous soutenir : vos peines ne font qu'augmenter mon
union avec vous. Je vous quittai l'autre jour , non par
impatience , ni par indiiférence pour votre état ; mais
parce qu'il m'a paru que , dans ce temps-là , ma pré-
sence ne fait que redoubler vos réflexions et votre
trouble. Au reste, je suis très-éloigné de vouloir que
LETTRES SnUlTUEt.LES. G35
VOUS ne me disiez pas vos peines : mais je ne vou-
drais pas que, sous prétexte de me les dire, vous vous
en entretinssiez vous-même , ee qui est nourrir vos
scrupules , et augmenter la tentation de Iroidjle. Je
vous irai voir demain. Dieu sait à quel point je vous
suis dévoué.
« ^^«/« ^«^ <%%« ^^^ \ A t ««f« i^X^ 1
351.
N'espérer rien de soi, et no dûsircr rien pour soi.
Vendredi, \G mai 1704.
Comme je n'avais pas vu depuis long-temps M. le
Comte de Montberon , je n'osai point avant-hier vous
proposer , devant lui , de me parler en particulier.
Hier j'espérai de vous trouver libre ; mais il faut
attendre que je sois débarrassé de Tordination. En
attendant , je loue Dieu de la paix où il vous met.
O qu'il est bon de n'espérer rien de soi, et de ne cber-
clier rien pour soi-même! Vivez , ma chère fdle, dans
cette bienheureuse simplicité , et vous aurez la pléni-
tude de Dieu dans le \itle de vous-même. Je vous
porte tous les jours à l'autel avec une union intime.
352.
Contre les sensibilités d'amour-propre.
Jeudi, i^ juillet 1704.
Vous êtes bien ingénieuse pour vous tourmenter.
Tout ce qui est dans votre tête n'a pas seulement
passé un instant par la mienne. J'ai pu craindre que
quelque délicatesse sur les bienséances ne nous gênât ;
636 LETTRES SPIRITUELLES.
mais je ne croirai jamais que tous ayez aucun ména-
gement politique. Faut-il que ces sensibilités d'amour-
propre vous rongent le cœur , pendant que l'amour
de Dieu devrait le nourrir , l'élargir , le consoler et
le remplir de paix? Si j'osais, je vous gronderais;
mais il vaut mieux entrer dans votre peine, pour vous
en soulager. Je prie Dieu qu'il vous occupe tellement
de lui, que vous puissiez vous oublier vous-même.
*>%• «v« ^.Vk^^* v%% %%«%«« xv« vi% v»^ v«i« •%«« ^^v» -vv» iv«« ^^b« /v%« <«%« ^%%y««vv%%'«%%««%>«v« %'v»^
353 * A. (86)
Voîr ses fautes avec paix, en esprit d'amour.
Mai'di , 3o septembre 1704.
Je n'évite le basard de la poste , ma cbère fdle ,
que par rapport à l'affaire présente de la pension.
Ne vous inquiétez ni sur vos fautes , ni sur vos
confessions. Aimez sans cesse , et il vous sera heau-
coup remis , parce que vous aurez heaucoup aimé {a).
On cbercbe des ragoûts d'amour-propre, et des appuis
sensibles, au lieu de cbercber l'amour. On se trompe
même , en cliercbant moins à aimer , qu'à voir qu'on
aime. On est , dit saint François de Sales , plus oc-
cupé de l'amour que du bien-aimé. C'est pour le
bien-aimé seul qu'on s'occupe directement de lui ;
mais c'est par retour sur soi , qu'on veut s'assurer
de son amour. Les fautes vues en paix , en esprit
d'amour , sont aussitôt consumées par l'amour même ;
mais les Aiutes vues avec un dépit d'amour-propre
troublent la paix , interrompent la présence de Dieu ,
et l'exercice du parfait amour. Le cbagrin de la faute
{a\ Luc. VII. 47*
LETTRES SPIRITUELLES. C37
est d'ordinaire encore plus faute que la faute même.
Vous tournez tout votre scruj)ule vers la moindre
infidc'lité. Je juge de votre lidélilé par votre paix,
et par la liLerté de votre cœur. Plus votre cœur sera
paisible et au large , plus vous serez unie à Dieu.
Ce que vous craignez est ce que vous devriez le plus
désirer.
Je viens de voir un homme qui , ayant lu dans
le noviciat des Bénédictins la vie de saint Benoît , se
dépita tellement de ne lui point ressendjler, qu'il sor-
tit du noviciat.
fc.V»%^%%V»%
(87) 354 * A.
Se supporter soi-mùmc , comme le prochain.
Samedi, 11 octobre 1704.
Je donne avec joie, à l'ecclésiastique dont il s'agit ,
le pouvoir de confesser cette novice autant de fois
que lui et M™"= l'abbesse le jugeront à propos. Je suis
consolé de voir, ma chère fille , que vous reconnais-
sez que Dieu est glorifié par votre humiliation. Nous
ferions du poison de toutes nos vertus, si nous ne trou-
vions en nous rien dont l'amour-propre ne fût con-
tent. Accoutumez-vous peu à peu à n'être pas si dé-
licate sur vous-même. La délicatesse du pur amour
est simple , douce , paisible : celle de l'amour-propre
est ondjrageuse , inquiète, et tout auprès du désespoir.
Supportez-vous vous-même, comme le prochain;
vous ne vous devez pas moins la charité qu'à autrui.
Pour moi , loin d'être las de vos peines , je ne les
ressens que par rapport à vous.
G38 LETTRES SPIRITUELLES.
355.
Contre les sensibilités de ramour-propre.
Lundi, 17 novembre 1704-
Je vous envoie, ma chère fille, une copie de la
lellre que j'ai écrite à M. de ... , afin que vous ayez
la bonté de la fiiire tenir à M. le Comte de Mont-
Leron , et qu'après l'avoir lue , il puisse , avant son
départ , prévenir là-dessus M. de
Vos peines m'affligent sensiblement. Non-seulement
je suis sensible à votre extrême souffrance , mais en-
core je suis en peine sur l'inlidélité avec laquelle vous
vous livrez à la tentation. Dans ces momens , je vois
en vous tous les sentimens d'un amour-propre ré-
volté. Cela seul devrait vous faire apercevoir com-
bien vous sortez de l'ordre de Dieu , sous le beau
prétexte d'y vouloir rentrer. Je ne saurais vous em-
pêcher de manquer à Dieu •, mais j'espère qu'il vous
en empêchera malgré vous. Pour moi , je ne veux
point lui manquer ; et je croirais le faire , si je ne
A ous poursuivais pas doucement , mais sans relâche ,
])our vous ramener à la vraie ])aix par la simplicité
à laquelle il vous attire. Ne faites rien sans mon
consentement, je vous en conjure. Je demeurerai fidè-
lement uni à vous : ne me refusez pas cette union
de cœur en notre Seigneur Jésus-Christ.
LETTRES SPIRITUELLES. 63()
« ^/«^4>^ ■W\%^^'%%% \/V^ IVV%
356.
Les scrupules, cfTot do l'aniour-propre.
Mardi, i8 novembre 1704.
On ne peut être plus en peine que je le suis de
"VOUS, ma chère fille. Consolez-moi, si vous le pouvez;
mandez-moi quelque Lonne nouvelle de votre cœur.
Si j'étais libre , j'irais tout à l'heure vous voir ; mais
il faut que j'aille à l'hôpital Saint-Jean. Ecoutez Dieu ;
ne vous écoutez point : dès que vous vous écoutez,
tout est perdu. C'est un amour-propre désespéré qui
cause toutes vos peines. Il est visible , et vous ne le
voyez pas, tant il vous préoccupe! Si vous pouviez
le voir, vous reconnaîtriez la tentation où il vous
jette. J'attends de vos nouvelles. Que ne donnerais-
je point pour vous voir toujours dans la paix et dans
la fidélité où je vous vois , quand vous êtes simple !
357.
L'obéissance , seul remède au scrupule.
Mercredi, 19 novembre 1704.
Votre lettre d'hier au soir , ma chère fdle, m'af-
ilige plus que tout le reste. Les premiers mouvemens
de peine ne sont rien ; ils ne viennent pas du fond
du cœur : mais vous vous livrez à la tentation sans
mesure. 0 si vous ouvriez un moment les yeux , vous
verriez la fureur de votre amour-propre ! Il n'en fau-
drait pas davantage pour vous montrer que ce que
vous voulez regarder comme un retour à une règle
plus sure, n'est qu'une illusion grossière et un éga-
G4o LETTRES SPIRITUELLES.
rement manifeste. Mais j'espère en Dieu malgré tou-
tes \'os infidélités-, vous ne lui échapperez pas. Pour
moi , je vous poursuivrai sans relâche jusqu'à ce que
vous rentriez dans la petitesse , dans la mort à votre
amour- propre , et dans l'obéissance aveugle que Dieu
demande de vous. Répondez-moi, je vous le demande
au /nom de Dieu même. Obéissez , et souvenez-vous
que vous ne trouverez jamais ni paix ni ressource
que dans l'obéissance. Dès que vous en sortez , vous
êtes comme une personne possédée. Dès que vous y
rentrez. Dieu est avec vous; vous êtes bonne, simple ,
douce , et petite comme un enfant. Réponse , je vous
conjure , et ne résistez pas plus long-temps à Dieu.
%'Vt. %%% V«4 %«% V%% W«% >'%«*'•««'«>% V«>« %%%%%«' %%i^ »VVV«« %«^ VVk' «%^ vv% %«^ %«% v«% «^^
358.
Ne point trop réfléchir sur ses fautes.
Mercredi, ig novembre 1704-
Je n'ai aucune peine à croire , ma très-chère fille ,
que vous ne trouvez pas en moi ce que vous cher-
chez selon Dieu; mais Dieu lui-même suppléera. Si je
connaissais ici un homme qui vous convînt, je vous
le donnerais , et je demeurerais aussi intimement uni
à vous que je le suis : mais je ne connais personne
qui vous soit propre; et à tout prendre, je dois vous
dire simplement que je suis ici le plus en état de
vous secourir. Je crois même que notre liaison est
de vocation et de providence. Vous le croirez vous-
même toutes les fois que vous serez hors de la ten-
tation.
Je vous irai voir demain au matin, et je verrai
LETTRES SI'IIUTL ELLES. 64 I
avec vous ce (jiii est à propos. Mais je veux absolu-
ment A ous Taire communier. Vos fautes vous font mille
lois plus (le mal par vos réflexions d'amour propre ,
que par elles-mêmes. En quel état , en quelle voie
sous quelle direction vous flattez-vous de ne faire plus
aucune faute ni contre Bieu ni contre les lionuncs?
Espérez-vous de "vous délivrer de votre amour-propre,
en vous abandonnant à ses saillies , et en vous reti-
rant de la mort à vous-même. Si vous aviez fait ce
pas, ce serait une espèce d'enfer. Le mal est que
vous vous écoutez , et que vous n'êtes point docile.
Mais courage ; tout ceci ne sera rien. J'espère que
demain Dieu vous rendra la paix. Il sait avec quel
zèle je le désire.
359.
Sur une dislrihulion que les magislrals de Cambrai devaient faire aux
pauvres.
A Cambrai , iG décembre 1704.
Je vous supplie , ma très-clière fdle , d'avoir la
bonté d'écrire dès ce soir à M. le Comte de Mont-
beron , pour le prier d'écrire très-promptement aux
magistrats de Cambrai , a(in qu'ils ne fassent point ,
le jour de saint Thomas , la distribution du revenu
de leur fondation, parce que s'ils ibnt leur distribution
ce jour-là , suivant leur coutume qui ne soulage en
rien les pauvres , ils n'auront plus de quoi donner à
la Cliarité , qui en a un besoin très-pressant. Deux
mots que M. le Comte de Montberon leur écrira, ou
leur fera dire , pour les prier de différer jusqu'à son
CORRESP. IV. 26
642 LETTRES SPIRITUELLES.
retour , suffiront pour avoir le loisir de prendre en'-
suite des mesures pour cette bonne œuvre.
Comment vous portez-vous ? comment va la faible
santé de M^i® de Souastre ? Mil« du Mesnil est-elle
en humeur de bien jouer avec mon manchon ?
360.
Ne prendre aucune résolution importante danS le troublé et Tagitatio^
des peines intérieures.
Lundi, 26 janvier i^o5.
Il n'est question , ma très-chère fille , ni de moi
ni d'aucune autre personne : il s'agit de Dieu seul.
Si vous pouviez , sans lui manquer ^ faire la rupture
que vous projetez, je vous laisserais faire, et je serais
ravi de vous voir dans la fidélité et dans la paix ,
par une autre voie. Mais c'est un désespoir d'amour-
propre qui veut rompre tous les liens de grâce , pour
chercher un soulagement chimérique. Votre déses-
poir redoublerait, si vous aviez fait cette démarche
contre Dieu. Mais si vous vous livrez à lui sans con-
dition et sans bornes , le simple acquiescement en
esprit d'abandon sans réserve vous remettra en paix.
Je vous pardonne d'avoir contre moi les pensées les
plus outrageantes. Je me compte , Dieu merci , pour
rien. Mais malgré cet outrage que je n'ai jamais mé-
rité de vous , vos véritables intérêts me sont si chers,
que je donnerais de bon cœur ma vie , pour vous
empêcber de détruire en vous l'œuvre de Dieu. Vous
ne pourriez le faire sans perdre la vie , et sans la
finir dans une résistance horrible à la grâce. Jamais
LETTRES SPIRITUELLES. 643
tentation de jalousie, et de fureur d'un amoui^propre
ombrageux , ne fut si manifeste. C'est pendant que
\Tous êtes livrée à celte tentation affreuse , que vous
voulez faire les pas les plus décisifs. Au moins , lais-
sez un peu calmer cet orage ; attendez d'être tran-
quille , comme les gens sages l'attendent toujours ,
pour prendre une résolution de sang-froid; ou, pour
mieux dire , ne vous défiez que de vous-même , et
nullement de Dieu. Mettez tout au pis-aller. Sup-
posez comme vraies toutes les étranges chimères que
votre imagination vous représente. Acceptez tout sans
réserve ; n'y mettez aucune borne pour la durée. As-
sujettissez-vous à moi par pure fidélité à Dieu , sans
compter sur moi. Demeurez dans cette disposition du
fond , en silence , sans vous écouter y et n'écoutant
que Dieu seul ; je suis assuré que la paix , qui sur-
passe tout sentiment humain , renaîtra d'abord dans
votre cœur, et que les écailles tomberont de vos yeux.
Faites-en l'expérience, je vous conjure. Dieu permet
qu'avec le meilleur esprit du monde , vous soyez dans
l'illusion grossière et la plus étrange sur un seul point.
C'est une chimère qui fait le plus réel de tous les
supplices. Il ne fallait rien moins pour démonter cet
amour-propre si délicat et si déguisé. L'opération est
crucifiante : mais il faut mourir. Laissez-vous mourir,
et vous vivrez.
26^
(344 LETTRES SPIRITUELLES.
361.
Saint Joseph , modèle de la \-ie intérieure.
A Cambrai , 19 mars lyoS.
Je crois , ma très-cbère fille , que vous ferez très-
bien d'envoyer votre équipage à M^^^ d'Oisy , pour
soulager le sien ; mais le lieu où vous êtes vous dis-
pense de lui donner à diner. Aussi bien ai-je entendu
dire que M}^^ de doit venir au sermon ce jour-
là. Vous ne pouvez point donner à dîner à toute la
troupe. Le prêt de l'équipage ne vous causera aucun
embarras; mais le dîner vous mènerait plus loin. Vous
êtes toujours dans un pencbant , prête à glisser , et
à faire trop bien.
Je suis ravi de ce que saint Josepb nous réunit. Je
l'aime au-delà de toute expression : c'est un Saint
tout intérieur. Il me tarde de vous voir dans le si-
lence de ce bon Saint. Je le prie de vous obtenir la
délivrance de vous-même.
362.
Abandon à Dieu dans les peines intérieures.
II août 1705.
Je ressens , ma chère fille , une vraie peine de celle
que je vous fis hier au soir. Je vous pressai trop : je
vous conjure de me le pardonner , et de ne perdre
point de vue ce que Dieu demande de vous. Celui
qui le demande le donnera -, il veut que vous le fas-
siez , et il le fera lui-même avec vous. Ne regardez
LETTRES SPIRITUELLES. G45
que lui, et ne me comptez pour rien, qu'autant qu'il
lui pl;»il de se servir de moi ; mais coniiez-YOus à
lui. 11 ne iaut pas vous étonner que ce qui touche
le vif vous cause beaucoup de douleur. Le vif en vous
est une industrie et un courage propre pour \ous
décider vous-même sans vous livrer à autrui. Dès qu'on
attaque ce vif, on vous trouble. Mais vous vous ima-
f>inez les choses comme impossibles : Dieu , qui les
veut, les adoucira. Le moment le plus douloureux
est celui de laisser faire l'incision. Cette fidélité por-
tera la grâce avec elle pour tout le reste ; c'est l'in-
fidélité qui vous cause tant de souffrances : c'est en
vous livrant que vous vous soulagerez. Encore une
fois , ne me regardez que comme un instrument
d'épreuve , auqviel Dieu vous assujettit. Vous verrez
un jour en lui à quel point je vous suis dévoué.
363.
fie point trop raisonner sur soi-même.
A Maubeugc , 20 septembre lyoS.
Je suis ravi , ma chère et bonne fille , de vous sa-
\o\v en paix. Il me tarde de vous revoir en cet état
où je vous souhaite depuis si long-temps. Demeurez-y;
ne vous écoutez point : tout dépend des commen-
cemens. O quon est éclairé, quand on est simple!
et qu'on s'obscurcit en raisonnant ! On a une péné-
tration et une subtilité infinie , mais toute tournée
à se séduire et à se tourmenter. Vous écouterez tou-
iours Dieu, dès que vous vous ferez taire vous-même.
Dieu parle toujours dans ce silence intime d'un ame
646 LETTRES SPIRITUELLES.
qui n'est attentive qu'à lui. Mais au nom de Dieu ,
plus d'esprit , ni de délicatesse, ni de courage , ni de
goût du monde. Il n'y a plus que la simplicité de
l'Evangile, l'enfance des petits , la folie de la croix,
et le goût de la foi toute pure. C'est là que vous
trouverez la paix durable , et le véritable élargisse-
ment de votre cœur. Je salue M^i® de Souastre et ma
chère filleule. Mille beaux discours à Meny.
364.
Sur un voyage que la Comtesse projetait à Chaulnes.
A Maubeuge , ai septembre ijo5.
Je ne vois , ma très-chère fdle , que deux raisons
qui puissent vous empêcher d'aller à Chaulnes. La
première est ce que vous savez du côté de la cour.
M. le Comte de Montberon n'en sait rien ; et si ^ par
la suite , le Roi venait à lui témoigner quelque cha-=
grin sur votre voyage , M. le Comte de Montberon
pourrait se plaindre de ce qu'on ne l'aurait pas averti.
Il est vrai que je crois seulement que la peine qu'on
a inspirée au Roi ne regarde que le séjour de ces dames
à Cambrai , et que votre voyage à Chaulnes ne me
regardant point , ferait peu de bruit : cependant je
dois vous laisser examiner ce qui a rapport à M. le
Comte de Montberon.
Ma seconde difficulté est par rapport à M™« votre
fille et à M. le Comte de Souastre pour Arras. Vous
savez qu'après l'exemple de ce voyage , on pourra
vous presser d'aller voir M>^e votre fille ; et vous vous
souvenez bien de ce qui doit voua empêcher de quitter
LETTRES SPIRITUELLES. 647
jamaîs Cambrai pour faire un séjour ailleurs. Si vous
avez de bonnes raisons pour vous défendre après ce
voyage contre fille et gendre , je ne vois plus rien
qui doive vous arrêter. Je souhaite infiniment votre
consolation et l'élargissement de votre cœur.
Je n'ai pas un seul moment pour avoir l'honneur
d'écrire à M. le Comte de Montberon ; mais vous au-
rez bien la bonté de lui dire tout ce qu'il faut , et de
me faire excuser par lui. Je suis de plus en plus avec
union et confiance sans réseiTC tout à ma très-chère
fille.
865.
S'oublier soi-même en esprit d'amour.
Samedi au soir , 7 novembre i^oS.
Je suis véritablement affligé , ma chère fille, de
ne pouvoir aller chez vous avant mon départ. Il faut
que je sois bien pressé, puisque je dérange tout, et
que je n'attends pas même que M^^^ ^q ait passé.
Notre cher petit abbé vous aura dit mon embarras.
Demeurez dans les mains de Dieu. Si vous préférez
l'amour de foi à votre imagination et à votre amour-
propre, vous serez en paix. 0 que la présence de Dieu,
qui va jusqu'à oublier toutes nos délicatesses, est
heureuse !
G.iS LETTRES SPllUTUELLES.
^« «^% V%%iVV* ««'% ^'*^'V«^ V%« /VV* «^'«'V^^ %^%^^V« 'V'V%^%% VV^'VV% %%^ %V« %<V% %'V«^'^« «^i'V««'««^
366 * A. (23o)
Se soiifi'rir sans trouble.
A Cambrai, vencbretli lo décembre ijoS.
PouvEz-vous bien , ma chère fille , me mander
simplement de vos nouvelles? Je serai véritablement
soulagé , si votre cœur s'ouvre assez pour m'appren-
dre avec simplicité en quel état il se trouve. O que
je souhaite que la fidélité à n'écouter point les ré-
flexions de l'amour-propre vous mette en paix ! Alors
ou souffre sans trouble : c'est le trouble , et non la
souffrance , qui nuit à l'ame. La souffrance sans trou-
ble profite toujours : c'est la douleur paisible des
âmes du purgatoire. Mais le trouble est une double
peine : c'est une peine que la volonté repousse , et
quelle augmente en la repoussant ; c'est une peine
qui vient de résistance à Dieu , et qui , loin d'être
utile, est nuisible. Consolez-moi, ma chère fille, en
m'apprenant que l'abandon vous soulage.
367 * A. (23o)
Souffrir les peines intérieures sans trouble et avec résignation.
Dimanche, i3 décembre ijoS.
Votre dernière lettre d'hier au soir , ma chère
fille , m'a consolé. Je vois bien que vous souffrez une
grande douleur; mais la douleur, quand elle est seule,
ne déplaît jamais à Dieu. Au contraire , elle purifie
l'ame, et est très-agréable à Dieu, quand elle ne porte
à aucune infidélité. La douleur même n'est jamais si
LETTRES SPmiTUEI>LES. 649
\ iolente ni si longue , quand elle est sans résistance
Il la grâce ; car dès que la volonté ne lui résiste point ,
elle est sans trouble , et de plus elle ne dure pas ,
parce que Dieu ne la donne que pour rompre la pro-
pre volonté. Ainsi , dès que la volonté propre est
rompue , Dieu finit l'épreuve qui n'était destinée qu'à
opérer la desappropriation. On désarme Dieu en lui
cédant : la non-résistance est le remède à tous nos
maux. Livrez tout à Dieu sans bornes et sans condi-
tion. Il ne faut pas le faire pour en avoir meilleur
marché ; mais il est pourtant vrai que c'est ce qui
modère et qui abrège les peines. Je voudrais vous
soulager; mais je ne le puis : pour guérir le mal, il
ne faut point le flatter. Dieu sait combien je compa-
tis à vos peines , loin de m'en impatienter.
Bonsoir, ma très-chère fille.
(232) 368 * A.
Pratique de la circoncision spirituelle ; w livrer paisiblement à
l'opération crucifiante de Dieu.
I janvier i^o6.
UoRDRE de Dieu n'est point , ma chère fille , que
vous vous rengagiez en communauté avec M""*^
Pour moi , je ne lui dois dans cet ordre , et je ne veux
lui donner que les soins dont elle a besoin pour le
spirituel. Laissez-la venir, si elle vient, et recevez-la
avec amitié, comme une personne que vous n'atten-
dez nullement ; mais ne prévenez rien. L'empresse-
ment ne viendrait que de générosité humaine , et d'un
raffinement d'amour-propre. Le même amour-propre
Ç5o LETTRES SPIRITpELLES.
qui serait empressé , se tournerait bientût au dépit et
au désespoir. La vraie charité est simple , paisible , et
égale pour le prochain , parce qu'elle est humble et
sans retour sur soi. Tout ce qui n'est point cet amour
pur doit être circoncis.
C'est la circoncision du cœur , qui nous rend les
enfans et les héritiers de la foi d'Abraham , pour aller
comme lui, sans savoir où, hors de notre patrie ter^
restre. 0 le beau partage que de quitter tout , et de
se livrer à la jalousie de Dieu , qui est le couteau de
la circoncision! Notre main ne fait jamais en nous
que des retranchemens superficiels. Nous ne nous
connaissons pas nous--mêmes , et nous ne savons pas
où il faut frapper. Les endroits où notre main frappe
ne sont jamais ceux où Dieu veut couper. L'amour^
propre nous arrête toujours la main , et se fait épar-
gner ; il ne coupe jamais jusqu'au vif sur lui-même.
De plus, il y a toujours un choix propre , et une pré-^
paration de l'amour-propre dans ce choix , qui amor-
tit le coup : mais quand la main de Dieu vient , elle
donne des coups imprévus ; elle sait choisir précisé-
ment les jointures , pour diviser l'ame d'avec elle-
même*, elle ne laisse rien d'intime qu'elle ne pénètre.
Alors c'est l'arnourr-propre qui est le patient : il faut
le laisser crier. Le grand point est de ne se remuer
pas sous la main de Dieu, de peur de faire un contre-
temps , et de retarder son opération détruisante. Il
faut demeurer immobile sous le couteau : c'est tout
faire que d'être fidèle à ne repousser aucun coup. On
n'agit jamais tant, que quand la volonté veut ne résis-
ter point à Dieu; car toute notre action utile est dans
la volonté. Les âmes sont merveilleusement puri-
LETTRES SPIRITUELLES. 65 I
fiées dans le purgatoire , par leur simple non-résis-
taiice à la main de Dieu qui les fait souffrir. Que
votre volonté veuille simplement ne résister point ;
c'est assez : Dieu fera son ouvrage de destruction.
Poi-tez vos misères et les coups de Dieu : c'est tout
ce qu'il demaude.
309.
Ne regarder que Dieu dans les créatures.
Mardi , .... féyrier 1706.
Jamais je ne ressentis , ma chère fille , une plus
grande joie que celle que vous me donnez. Béni
soit c^ui qui tient votre cœur ! 0 que vous serez
en paix , si vous vous livrez à lui sans condition et
sans bornes ! Ne cherchez que lui seul en moi , et
vous l'y trouverez toujours : mais si vous vous y cher-
chez vous-même , l'amour-propre sera votre tour-
ment. Souffrez toutes mes fautes ; contentez-vous de
ma l>Gnne volonté ; regardez Dieu qui vous éprouve
par moi, quand vous ne pouvez plus voir Dieu qui
vous aide par moi. Que notre union soit toute de
foi. Il faut voir Dieu dans mon indigne personne,
comme vous voyez Jésus-Clirist dans ce vil pain que
le prêtre tient à la messe. J'espère que tous ces
ébranlemens si violens serviront à affermir l'édifice.
Mille fois tout à vous , en celui qui veut que tout
soit un.
652 LETTRES SPIRITUELLES.
370.
Déclarer avec simplicité ses peines intérieures.
Mardi, 20 avril IJ06-
Mandez-moi simplement , ma chère fille , si vous
n'êtes point dans la peine. Vous ne sauriez m'aflliger
plus sensiblement , qu'en ne m'ouvrant pas votre
cœur. Vous savez combien cette ouverture coûte à
l'amour-propre , et par conséquent combien l'amour
de Dieu en est jaloux. Cette fidélité fait seule cent
fois plus mourir à soi , que toutes les austérités que
vous auriez envie de pratiquer, au préjudice de votre
faible santé. Deux mots, je vous prie, mais du cœur
tout seul. Ils vous soulageront , si vous le faites sans
vous écouter.
371.
Le trouble vient de ce qu'on raisonne trop sur la tentation.
Vendredi, 3o avril 1706.
J'espère , ma très-clière fille , que l'esprit de grâce
vous aura un peu calmée, ou du moins que votre
trouble sera diminué. Vous ne tomberiez jamais dans
ces extrémités , si vous n'aviez pas l'infidélité d'écou-
ter intérieurement la tentation. Vous m'avez avoué
plusieurs fois que ce trouble ne vient jamais qu'après
avoir long-temps écouté le tentateur en vous-même.
Ainsi la paix est dans vos mains ; c'est vous-même
qui vous l'ôtez. Quand le trouble est parvenu jusqu'à
un certain degré , vous ne pouvez plus le finir , ni
LETTRES SPIRITUELLES. 653
VOUS posséder : il faut ([ue Dieu fusse un coup d'au-
torité sur votre cœur , pour commander aux vents
et à la tempête. Tout ce que vous imaginez est comme
le songe le plus creux et le plus bizarre : mais
Dieu permet qu'une lèle nalurellement très-bonne
ait celle espèce de songe , pour la punir de s'être
écoutée elle-même , pour la convaincre de l'excès
de son amour-propre par celui de sa jalousie , et
pour la réduire à un entier renoncement à elle-
même. La tentation aura son fruit. Je compatis à
vos souffrances : je respecte l'épreuve de Dieu. Rien
ne me lasse ; je n'ai de peine que de ne pouvoir
guérir la vôtre. Unissez-vous à ceux qui vous ai-
ment, et qui vous portent sans cesse dans le sein
de Jésus-Christ. Je vais à l'autel vous mettre entre
ses bras.
372.
Même sujet.
Luiiili au soir, 28 juin 1706.
Je ne suis point étonné de cet orage , ma clière
fille : il passera bien vite , s'il plaît à Dieu , pouivu
que vous ne l'alongiez pas. Tout se tourne à profit,
pour\T.i qu'on soit simple , en défiance contre soi et
contre son amour-propre pour l'amour de Dieu. La
jalousie , qui est le fond évident de ces tentations ,
montre combien elles sont de tentations manifestes ,
et combien la voie dont ces tentations détournent ,
est une voie de grâce pure et de mort à soi. Ne
manquez pas de communier demain , et tout dispa-
654 LETTRES SPIRITUELLES.
raîlra. Je vous en réponds au nom de celui qui com-
mande aux vents et aux tempêtes. Que si vous hé-
sitiez encore , j'irais d'abord à Premy dire la messe ,
et vous faire communier. Ne songez ni au passé ni
à l'avenir sur les choses qui enveniment votre jalou-
sie. Ne la flattez point ; mais supportez-vous vous-
même. Il y a bien des choses qui vous paraissent
volontaires , et qui ne le sont pas : abandonnez le
tout à Dieu.
373 * A. (a3i)
Combien est heureuse Tame à qui Dieu parle immédiatement.
A Bourbon, 8 septembre 1706.
On n'est jamais moins seul , que quand on est dans
la seule bonne société avec l'ami fidèle. On n'est jamais
moins abandonné , que quand on est porté dans les
bras du Tout-Puissant. Rien n'est si touchant que les
secours immédiats de Dieu. Ce qu'il nous donne par
le canal de ses créatures ne tire aucune vertu de ce
vil et stérile canal : c'est la source qui donne tout.
Ainsi 5 quand la source roule immédiatement dans le
cœur , on est bien éloigné d'avoir besoin du canal ; il
ne ferait qu'un entre-deux. Dieu avait patrie à son
ancien peuple par l'organe des Prophètes ; mais en-
fin dit saint Paul , il nous a parlé lm-7néme en son
Fils (a). Fallait-il alors regretter la faible voix des Pro-
phètes ? O que la communication immédiate est pure
et puissante ! D'ailleurs elle est certaine toutes les fois
(a) Hebr, i. 1,2.
LETTRES SPIRITUELLES. 655
que la Providence retranche les canaux. Ne vous écou-
tez point, (M.), et vous n'écouterez pas l'amour-pro-
pre qui raisonne , qui murmure , qui fait le scrupu-^
leux , et qui nous occupe de nous sous prétexte de
nous occuper de Dieu. Vous serez en paix et au large ,
si vous n'écoutez point la tentation.
Nous nous portons tous assez Jjien ': nous pensons
souvent à vous. Il me tarde de retourner à Cambrai ,
et je n'y perdrai pas un moment. Dieu seul sait ce
que je vous suis en lui.
374.
Se tenir en paiv pour écouter Dieu.
A Bourbon, i3 septembre 1706.
J'écouterai ce que le Seigyieur dit au dedans de
moi ; car il ne -parlera que de paix sur son peuple (a).
Pourquoi donc , M. , écoutei ions-nous tout ce qui
porte l'inquiétude et le trouble ? Jésus-Christ ressus-
cité n'entrait dans l'assemblée de ses disciples , qu'en
commençant par leur annoncer la paix. Ayez-la donc
cette paix , afin qu'elle conserve votre cœur et votre
intelligence en Jésus-Christ {e). Nous nous portons
tous assez bien , et nous buvons avec impatience de
nous revoir à Cambrai. Jugez de la joie que je res-
sentirai , si je vous y trouve dans cette paix qui est
le don de Dieu. Mille complimens , je vous supplie ,
à M. le Comte de Montberon , à M"^* la Comtesse de
Souastre, à M^^^' ses fdles, sans oublier la chère Meny.
(a) Ps. Lxxxiv. 9. («) Philip, iv, 7.
656 LETTRES SPIKITUELLES.
375.
Même sujet.
A Bourbon, 20 septembre 1706.
Tai appris avec douleur par votre lettre, (M.), que
vous vous écoutez. Eh ! qu'espérez-vous en écoutant
un amour-propre scrupuleux ^ et subtil pour se tour-
menter? Ne voyez-vous pas que vous préparez vous-
même la séduction , contre la lumière intime et Fat-
trait que Bieu vous donne ? Si vous ne pouvez pas
vous faire taire , du moins ne vous écoutez plus vo-
lontairement. O qu'il me tarde de vous revoir ! Quelle
joicj si je vous retrouve telle que je vous ai laissée,
et que Dieu vous veut ! Toutes les fois que vous ne
gâterez point l'oeuvre de Dieu par une imagination
que l'amour-propre excite , vous serez dans une paix
qui vous montrera d'où elle vient. Je donnerais toutes
choses pour vous y voir affermie , par n'écouter point
ce qui \ous trouhle si dangereusement.
Je me porte bien et les eaux font assez leur de-
voir. L'abbé de Beaumont a eu un peu de fièvre : ce
n'est rien. Je compte les jours. Point d'impatience :
mais je ne perdrai pas un moment pour mon retour.
Je suis en peine de notre pauvre M. Bourdon. Je vous
recommande de plus en plus sa bonne fille : c'est à
vous et à moi à en prendre soin , et à la consoler.
Mille complimens très-sincères à M. le Comte de Mont-
beron , à M^e la Comtesse de Souastre , et à toute
la famille.
LETTRES SPIRITUELLES. 657
376.
Même sujet.
A Bourbon, S8 septembre i^oG.
Je ne suis ni mort ni malade , M. Mon impatience
pour mon retour est grande : je n'y perdrai pas un
quart d'heurCi En attendant , je prie le Dieu de paix
de garder votre cœur , et de le garder contre yous-
même. Je ne me défie que de vous : le reste ne peut
rien. O qu'on est bien , quand on ne résiste point à
Dieu , et qu'on se résiste ! Ecoutez Dieu , et faites- vous
taire. Hors de la paix , point de fidélité véritable. Dès
que vous mettez un os hors de sa place , il ne cesse
point de vous causer de la douleur : mais remettez-le ,
vous êtes d'abord en repos. La paix est pour vous le
signe de la fidélité. Qui est-ce qui a 7'ésisté à Dieu ,
et qui a eu la j)aij: {a) ? Je vous donne , au nom de
Jésus-Christ , celle que le monde ne peut ni donner
ni ôter. Mille complimens à toute votre maison. Il me
tarde de vous retrouver telle que Dieu vous veut.
(a) Job. IX. 4«
377.
Même sujet.
A Bourbon, a octobre 1706.
Rien que deux mots , (M.), pour vous dire que je
partirai dans très-peu de jours , et qu'il me tarde bien
de vous retrouver paisible dans la main de Dieu. N en
sortez sous aucun prétexte , et laissez faire celui qui
fait bien. Je vous ramènerai le P. A. ( de Lan(jeron ).
CoRRESP. IV. 27
(558 LETTRES SPIRITUELLES.
Je souhaite de tout mon cœur de trouver M. Bour-
don en \ie , et moins malade. Soutenez sa bonne fille ,
qui le mérite. Mille et mille choses pour M. le Comte
de Montberoïi , et pour tout ce qui vous appartient.
•/»/V VWV VVV**% V»* V*V VV V *^V* * XA •/*% *%V V»» »^%V VVl/ %'VV V.V% V%\/ W%V V%* V** VX* V*V V^/V'^^
378.
Le mal tlécouvert avec {.implicite devient moins dangereux.
Lundi, i3 décembre iJo6.
Souffrez-vous vous-même , et ce sera faire beau-
coup. L'ulcère découvert est moins dangereux : rien
n'est plus terrible qu'un venin rentré. J'espère que
celui qui vous a fait parler vous délivrera , si vous le
laissez faire. 0 que vous avez besoin d'être jalouse !
La jalousie est le remède spécifique contre un amour-
propre qui se pare d'une merveilleuse délicatesse sur
le désintéressement et sur la générosité. On est heu-
reux quand le poison se tourne en remède, La jalousie
la plus grossière et la plus honteuse vous guérira de
l'amour-propre le plus raffiné et le plus flatteur. Dites
tout ; cédez ; laissez faire Dieu ; ne vous écoutez point
vous-même. Bonsoir , ma chère fille. Je ne m'éloi-
gnerai de vous , que quand je manquerai à Dieu qui
nous unit intimement en lui.
*»*v****vv*%vv»*vi*-»vv«/x««».v»v«.»»v»*vv».v»*v%»***vvv«*».v%»vv«.»-*»'VV\»%i(ivv«***»«v*v
(0.10) 379 * A.
Éviter les retours inquiets sur soi-même.
Lundi, 21 mars 1707.
On ne peut pas dire qu'une personne est malade ,
quand elle n'a besoin , pour se bien porter , que de
LETTRES SPIRITUEFJ.ES. G5q
n'user (rniicun remède. Une sanlé est honne, quanti
on n'a l)i'soin , pour renlrctenir , que de n'y rien
Caire. Alors on n'a point d'autres maux que ceux
qu'on se fait à soi-même , en voulant se guérir de
ceux qu'on n'a pas. Voilà, ma très-cbère (ille , votre
véritable état. Si vous demeuriez sans vous croire
malade , et sans vouloir vous guérir , vous vous por-
teriez l)ien ; mais vous voulez vous écouter , et vous
tater le pouls : vous vous fiiites malade par vos re-
tours inquiets sur vous-même. Les remèdes spirituels
auxquels vous avez recours sans besoin , et contre
votre grâce , ne font que troubler votre santé et votre
paix intérieure. Pourquoi n'ètes-vous pas fidèle à
couper court dans les commencemens ? Ce qui se
grossit , et qui vous coûte tant dans les suites , ne
serait rien , si vous ne le laissiez pas croître dans votre
cœur.
Ne vous embarrassez point de l'avenir pour les
dames dont il s'agit. Vous avez eu bonne intention
pour M™«" de Risbourg; mais il ne faut jamais ni vous
gêner , ni vous déranger pour elle. La liberté exté-
rieure est nécessaire à votre état intérieur. Aidez-la
doucement en ce que vous pourrez ; mais comptea
que vous ne le ferez utilement qu'en demeurant en
votre place , et en agissant par pure grâce. Si vous y
mêlez de la délicatesse d'amour-propre , et de la gé-
nérosité mondaine , vous ne ferez aucun bien à M""*" de
Risljourg. Vous vous ferez beaucoup de mal ; il ne
vous en reviendra que mécompte et que trouble.
Pour la manière d'accorder tout ceci avec M"^^ d Oisy ,
Dieu y pourvoi la. yï chaque Jour suffît son mal ^ celui
de detnain aura soin de lui-même. Si vous demeu-
27»
66o LETTRES SPIRITUELLES.
rez dans la simplicité que Dieu demande de vous ,
TOUS ne ferez que ce qu'il vous fera faire de part et
d'autre. Alors vous laisserez chacun s'accommoder ou
ne s'accommoder pas de votre procédé. Pour Paris ,
vous ne pouvez en aucune façon y aller , et encore
moins vous occuper de cette pensée. Délaissez-vous
à Dieu, sans voir jamais au-delà du moment présent.
C'est la plus grande de toutes les morts , et la plus
opposée à toute illusion de l'amour-propre. Bonsoir.
Dieu sera avec vous , si vous n'êtes pas avec vous-
même.
380.
Réparer promptement ses fautes par un aveu humble el ingénu.
Lundi, onze avril 1707.
J'aime cent fois mieux , ma chère fille , une saillie
qui échappe , et qui est suivie du billet humble et
ingénu que vous m'avez écrit , que la plus grande ré-
gularité , et la plus parfaite symétrie de spiritualité.
Rien n'est tel que de dire tout , et ensuite de ne tenir
à rien. Il me tarde bien de vous aller voir. Je par-
tagerai mon après-dinée en trois points , comme un
sermon. Compagnie céans pour la cérémonie , visite
cordiale chez vous, et promenade au soleil. Soyez
bonne et petite : tout ira à merveille.
LETTRES SPIRITUELLES. 66 1
(ati 381 ♦ A.
Souflrir paisiblement la vik' <1c nos misères.
Jeudi au soir, ai avril 1707.
Je demeure devant Dieu coiiune si j'allais mourir,
ma chère lille , et je ne trouve dans mon cœur au-
cune des dispositions que vous y croyez voir. Au
contraire , malgré votre opposition , je suis toujours
de plus en plus dans vine pente à l'union fixe avec
vous en Notre-Seigneur , que je ne saurais expliquer,
et que vous pouvez encore moins comprendre. Tou-
tes vos infidélités se réduisent h. ne pouvoir vous ré-
soudre à voir dans votre cœur des impressions hu-
miliantes , et des sentimens qui font honte à votre
amour-propre. En quelque terre inconnue que vous
allassiez, avec cette délicatesse d'amour-propre , cher-
cher le repos , vous ne l'y trouveriez jamais. L'Ecri-
ture nous dit (a) : Qui est-ce qui a eu la jjaix en
résistant à Dieu ? Vous porteriez partout cet amour
délicat et inconsolable sur ses misères ; vous y ajou-
teriez le dessèchement , le vide , et le trouble d'un
cœ'ur égaré de sa voie , avec le reproche intime d'a-
voir manqué à Dieu pour donner du soulagement à
votre orgueil. Dieu vous poursuivrait sans relâche :
dussiez-vous fuir devant sa face, comme Jonas, vous
seriez plutôt jetée dans la mer, et engloutie par un
monstre. Il vous faudrait revenir au point où Dieu
vous veut. D n'y a qu'à consentir de se voir dans
toute sa laideur. La laideur des misères est comme la
(a) Job. IX. 4»
663 LETTRES SPIRITUELLES.
beauté des dons de Dieu; l'une et l'autre disparaît dès
qu'on la regarde. Le regard de complaisance fait dispa-
raître le Lien, et le regard d'humilité paisible fait dispa-
raître le mal. Souffrez de vous voir, et tout sera guéri.
Ne me cherchez que comme le simple instrument
de Dieu, ne voyant que lui seul en moi. Regardez-
moi comme la roche qui donnait de l'eau dans le dé-
sert au peuple d'Israël. Moins je contente la nature ,
plus je sers à la faire mourir , et à faire suivre la pure
grâce. La tentation est évidente ; mais vous avez les
yeux fermés pour ne la pas voir , et vous vous roi-
dissez contre Dieu. J'ai voulu aujourd'hui laisser cou-
ler le torrent. Si vous voulez demain vous confesser,
je serai prêt à vous écouter, et à aller chez vous. Mais
votre principal et presque unique péché sera d'avoir
écouté et suivi la tentation. Pour moi , je ne vous
laisserai point vous éloigner de moi ; je vous porterai
sans cesse dans le fond de mon cœur. Je l'ai bien
serré et bien abattu ; je vois bien que je fais votre
peine, mais vous faites aussi la mienne : car je souffre
de vous voir souffrir , et de trouver votre cœur re-
tranché contre la grâce. O que ne donnerais -je point
pour vous guérir !
(2i4) 382 * A.
Même sujet.
A Cambrai, (vendredi) 2a avril 1707.
Je remercie Dieu , ma très-chère fdle , de ce qu'il
fait en vous : j'en ai le cœur infiniment soulagé. Ne
songez point maintenant à vous confesser. J'ai le pou-
LETTRES SPIRITUELLES. 663
voir de diflërer : je prends tout sur moi. Quand votre
cœur sera entièrement calmé , nous verrons ce qu'il
faudra fiiire. Ne songez qu'à laisser tomber toutes
vos réflexions , qui vous nuisent tant pour le corps
et pour l'esprit. Vous savez où habite la paix ; allez
l'y chercher , pour n'en plus partir. Les sentimens qui
vous font horreur sont naturels et ordinaires. Tout
le monde lès ressent en soi comme vous ; mais per-
sonne ne s'en alarme et ne s'en trouble , comme vous
le faites. Ce qui n'est que pente , que sentiment ,
qu'impression , n'est jamais péché. Vos réflexions
mêmes , quand elles sont involontaires , ne sont rien.
Il n'y a que la volonté qui cause toute votre prin-
cipale peine. Vous avez trop de lélicatesse , et vous
tombez dans une espèce de désespoir , dès que vous
trouvez dans votre cœur quelque sentiment humi-
liant. C'est le commencement qui cause toute votre
peine. Tous ces monstres ne sont point réels. Pour
les faire disparaître , il n'y a qu'à ne les voir ni ne
les écouter jamais volontairement; il n'y a qu'à les
laisser s'évanouir : une simple non-résistance les dis-
sipera , et appaisera votre cœur. Non , en vérité , ma
chère fille , vous n'êtes point telle que vous le croyez,
et je ne suis nullement pour vous comme votre amour-
propre vous le persuade. Vous n'avez que le seul sen-
timent involontaire des choses que vous vous repro-
chez. Pour moi, je suis rempli de tout ce que Dieu
peut me donner de zèle et d'affection pour vous ;
mais il permet que vous n'en croyiez rien , afin que
votre amour-propre se détruise.
J'entre dans la raison que vous m'avez mandée ,
et elle m'empêchera de vous aller voir aujourd'hui.
664 l-ETTRES SPIRITUELLES.
J'espère que le glaive de douleur qui a percé votre
ame, servira à vous faire mourir, et à vous mettre,
en ce saint temps , au pied de la croix avec la Sainte-
Vierge. Demeurons, je vous conjure, vous et moi,
unis avec elle auprès de Jésus mourant.
383,
Il souhaite que la Marquise de Risbourg quitte le logement qu'elle occupait
dans une communauté religieuse. Ne point troubler la paix intérieure
jiar des retours inquiets sur soi-uaême.
Au Gâteau, aS mai ^'^o'j.
J'apprends , à n'en pouvoir douter , ma bonne et
très-chère fille , que les religieuses de Prémy sont
toujours agitées et dans le trouble sur l'affaire que
vous savez. Il n'est pas nécessaire que M'^« la Mar-
quise de Risbourg y loge , et il est nécessaire que la
paix de la maison ne soit point altérée. Rien n'est si
délicat et si fragile que l'union des cœurs : il faut
sacrifier tout le reste pour ce point-là. Je vous con-
jure donc de ne travailler plus à cette affaire, qui a
beaucoup plus ému les esprits qu'elle ne le méritait.
]V[rae la Manjuise de Risbourg a fait une chose très-
raisonnable et très -édifiante en demandant ce petit
logement ; mais elle est trop pieuse et trop bonne ,
pour vouloir mettre en péril la paix d'une commu-
nauté. Comme je connais parfaitement son coeur et
sa prudence , je prends tout hardiment sur moi vers
elle. Montrez-lui , je vous supplie , sans façon cette
lettre , afin qu'elle y voie combien il est nécessaire
qu'elle renonce à ce logement , ou tout au moins
LETTRES SPIRITUELLES. 665
qu'elle laisse tomber insensiblement la chose jusqu'à
mon retour , qui s'approche beaucoup.
Je souhaite de tout mon cœur que le vôtre soit en
paix. Vous savez ce qui l'y maintient : il n'y a qu'à
n'y point toucher; le ressort va tout seul. N'est-ce
pas un état bienheureux , que celui où. l'on n'a besoin
que de ne rien faire sur soi pour être comme il faut,
et où l'on n'a aucune peine que quand on s'en fait
tout exprès malgré Dieu ? Je le prie de ne vous lais-
ser point à vous-même. Il me tarde de vous revoir
dans votre centre. Je vous donne le bonjour , et je
vous supplie de dire mille chpses pour moi à M™^ de
Risbourg. Je vous recommande W^^ Bourdon.
(2i4) 384 * A.
Ne point grossir ses croix par des réflexions inquiètes.
Au Gâteau, aj mai 1707.
J'ai le cœur alïïigé , ma très-chère fdle , d'appren-
dre la peine où vous êtes; mais je vous conjure de
ne point grossir vos croix par vos réflexions. La dé-
licatesse et la vivacité de votre amour-propre ne
man(juerait pas de vous les exagérer très-dangereu-
sement. Ne prenez aucune résolution pour changer
de demeure ; n'écoutez pas même votre esprit là-
dessus. Je serai dans fort peu de jours à Cambrai , et
nous verrons ce qu'il conviendra de faire. En atten-
dant , souffrez comme on souffre en purgatoire , sans
repousser la souffrance pour se soulager , et sans l'aug-
menter en s'occupant de ce qui la cause. Ne projetez
rien , ne formez même aucune opinion ; mais demeu-
666 LETTRES SPIRITUELLES.
rez immobile sous la main de Dieu qui se cache sous
celle des hommes. La croix diminue beaucoup , quand
on la porte avec cette simplicité. Il y en a souvent
plus de la moitié qui est de notre façon, et non de
celle de Dieu, Souffrez ; mais ne vous faites pas souffrir.
S'il fallait tout quitter pour vous aller revoir , je
n'y manquerais pas ; mais il me reste peu de temps ,
et il serait fâcheux de manquer si tôt à des visites
commencées si tard. Ne vous embarrassez point de
M}^^ de Risbourg : vous avez assez fait pour entrer
dans ses vues j elle aurait tort de n'être pas contente.
Si elle ne l'était pas , il faudrait demeurer en paix. •
Je ne saurais croire qu'elle ne le soit pas. Bonjour,
ma très-chère fille.
385.
Même sujet.
A Cambrai, 14 juin 1707.
Les nouvelles d'Arras sont très-bonnes , ma chère
fille : Dieu en soit loué. Mais il faut attendre la suite ;
vous verrez jeudi l'état de la main , et les pensées du
gentilhomme. Pour faire prendre un bon parti , rien
ne sera plus utile que votre présence. J'y irais , si
je croyais y pouvoir être utile. Je suis ravi de vous
voir en paix. Elle ne vous manquera jamais du côté
de Dieu • le trouble ne peut vous venir que de vous-
même , par une tentation manifeste d'amour-propre.
Ne soyez rien , ne veuillez être rien ; vous trouverez
Dieu sans bornes. Amen , amen.
LETTRES SPIRITUELLES. 667
386.
Même sujet.
A Cambrai, inarili au soir 21 juin 1707.
J'ai été bien fâché tantôt , ma très-chère fille , de
vous trouver sortie de chez vous. J'avais une véritable
impatience de travailler à vous calmer le cœur. Ce
que vous éprouvez n'est qu'un sentiment involon-
taire : il ne vous troublerait pas tant , et vous le
souffririez bien plus facilement , si votre volonté y
consentait. C'est seulement une sensibilité d'amour-
propre qui vous tourmente. Au lieu de la porter avec
patience et' petitesse , vous êtes au désespoir de trou-
ver en vous ce sentiment humiliant; mais si vous vous
en laissiez bumilier , vous trouveriez bientôt le repos
du cœur. Acquiescez à éprouver ce qui humilie votre
orgueil , et vous serez soulagée. Ne songez point à
tous vos projets : Dieu ne les souffrira point , et vous
ne pouvez point échapper par là à ses poursuites pour
vous faire mourir aux délicatesses de votre amour-
])ropre. Laissez-vous traîner dans la boue. Jamais dé-
A otion ne fut plus impatiente que la vôtre , sur tous
les sentimens que l'ainour-propre voudrait n'éprou-
ver pas. Croyez-vous qu'on n'aime point Dieu , dès
qu'on sent une jalousie qu'on veut si peu avoir , qu'on
est au désespoir dès qu'on la ressent? Ce que je vous
demande avec la dernière instance , au nom du petit
Maître (i), c^est de communier demain matin. Sans
(i) On a déjà vu ailleurs qu'entre les amis de Fcnclon , Dieu
et Je'sus étaient souvent désignés par l'expression simple et affec-
tueuse de petit Maître.
668 LETTRES SPIRITUELLES.
le vicariat , j*irais dès le matin vous faire communier.
L'après-midi , j'irai vous voir. La lettre de M™e la
Comtesse de Souastre me fait plaisir. Je compte que
nous irons ensemble à , Nous en parlerons demain.
887 * A. (209)
Contre la tentation qui portait la Comtesse à quitter son directeur.
Jeudi, 23 juin 1707.
Je prie la Sagesse éternelle , qui s'est faite chair ,
mais chair d'enfant, et chair cachée sous les appa-
rences du pain , de vous arracher votre fausse sa-
gesse , qui vous troulile et qui vous tourmente , pour
vous donner son enfance , sa petitesse et sa paix.
Pourquoi voulez-: vous vous éloigner de moi ? C'est
pour soulager votre amour-propre. Espérez-vous qu'en
le soulageant vous trouverez Dieu ? Ne voyez-vous
pas que c'est vouloir vous guérir en flattant le fond
de votre mal? Pourquoi croyez-vous que vous êtes
loin de Dieu auprès de moi , puisque vous savez que
je ne travaille qu'à vous faire mourir à vous-même,
et que vous ne pouvez vous plaindre que d'une trop
douloureuse mort? Mais d'où vous vient cette dou-
leur accablante ? Avouez la vérité : elle ne vient
que de vos réflexions volontaires. Vous vous en pre-
nez à Dieu et à moi , de tout ce que vous vous
faites souffrir , malgré lui et malgré moi , en vous
écoutant , en vous croyant , et en vous livrant à la
séduction de votre amour-propre. C'est s'en prendre
au médecin du poison qu'on avale contre sa défense.
Si vous étiez loin d^ici , vous seriez dans un trouble
LETTRES SPIRITUELLES. 66c)
à mourir. Dieu vous poursuivrait partout , et votre
propre cœur ne vous laisserait point en repos. Les
réflexions qui vous tentent se tourneraient alors contre
vous pour venger i)ieu. La paix ne se trouve qu'en
cédant , et en cédant sans retarder ni hésiter. O que
vous vous faites de maux! Vous en accusez la voie,
et c'est contre la voie que vous vous les faites. Je
vous demande au nom de Notre-Seigneur^ et avec la
pleine autorité du petit Maître , de venir communier
à la grand'messe. Je suis sûr que Dieu , si vous l'é-
coutez sans vous écouter , vous ramènera à la paix.
Les nouvelles d'Arras me font un sensible plaisir.
Je vous irai voir l'après-midi, au sortir des vêpres.
Bonjour, ma chère iille : vous la serez toujours mal-
gré vous.
(232) 388 * A.
S'oublier soi-même , pour ne penser qu'à Dieu.
Vendredi , i\ juin 17O7.
J'irai , ma chère fille , vous voir tantôt au sortir
de vêpres. Cependant je vous invite à venir com-
munier à ma messe après la grande , dans la cha-
pelle de la Sainte-Vierge. J'aime fort saint Jean , qui
s'est sans cesse oublié pour ne penser qu'à Jésus-
Christ. Il le montrait ; il n'était que la voix destinée
à l'annoncer ; il lui renvoyait tous ses disciples. Aussi
était-il par là , bien plus que par sa vie solitaire et
pleine d'austérité , le plus grand d'entre les enfans
des femmes. Bonjour , ma chère fille ; oubliez-vous ,
et vous serez Jean au désert.
6to lettres spirituelles.
389.
Ne point écouter l'imagination.
Lundi, (aj) juin 1707.
Ne soyez point en peine de votre confession, ma
chère fille : elle a été faite cent fois mieux que si
TOUS aviez eu le loisir de vous envelopper dans vos
réflexions. Vous y dîtes tout le principal avec une
naïveté que vous n'avez jamais eue si parfaite : vous
y touchâtes même suffisamment les choses dont vous
croyez n'avoir point parlé. Enfui vous acceptâtes et
promîtes tout au moment de l'ahsolution : ainsi vous
n'avez jamais rien fait de si hon. Je me charge devant
Dieu de cette confession , la meilleure de toute votre
vie. Bientôt après , vous vous reprîtes en écoutant
\os réflexions : mais je crois que l'excès du trouble
et de la peine diminue beaucoup la faute que \ous
faites en vous écoutant de la sorte. Il n'est question
que de communier par pure obéissance , sans vous
permettre de raisonner, et de laisser tomber douce-
ment vos vaines imaginations , pour retrouver le si-
lence et la paix.
Pour M™e de Risbourg , j'ai peine à croire qu'elle
ait mal pris ce qu'elle a vu. Quand même elle en
serait peinée , ce serait à moi à raccommoder tout :
n'en ayez aucune inquiétude. Elle aurait grand tort ,
si elle se scandalisait de vous voir quelquefois triste
et peinée : il faut bien qu'elle s'accoutume à voir que
cliacun a ses peines. Au reste , tout ce qui vous a
éloignée de Dieu servira à vous en rapprocher , si
vous êtes simple et docile. Ces expériences doivent
LETTRES SPIRITUELLES. G'J I
VOUS moDtrer combien il ^ous est pernicieux d'écou-
ter \olre imagination sur des chimères, puisque ces
cliimèrcs vous mènent si violennnent aux dernières
exlrémités. Coiimnmiez ce malin , et laissez faire le
petit Maître : il vous calmera. Dieu vous gâte , à
force de vous flatter dès que vous revenez à lui.
Communiez, communiez, et taisez-vous, ou du moins
ne vous écoutez pas. Je vous irai voir tantôt. Je suis
plus uni à vous, ma chère fdle, que jamais, et vos
écarts ne me fatiguent point.
390.
Môme sujet.
Lundi, i8 juillet «707.
Je comprends , ma chère fille , par les clioses que
\ous me dîtes hier et avant-hier, que votre cœur est
dans la peine. Au nom de Dieu , ne laissez pas gros-
sir l'orage. Vous avez l'expérience de tout ce que la
tentation fait sur votre cœur , dès que vous Fécoute/.
Vous devez voir qu'il ne s'agit jamais que de votre
amour-propre , qui est dépité et au désespoir. Est-ce
le moyen de suivre Dieu, que de suivre un amour-
propre désespéré? Cet amour ne s'irrite que sur des
chimères, que votre vivacité vous représente comme
réelles. De là viennent un trouble et des résolutions
manifestement contraires à Dieu. Dieu n'est jamais que
dans la paix ; et partout où la paix n'est point , Dieu
n'y est pas , quoiqu'on s'imagine l'y mettre sous de
beaux prétextes. Je vous dis tout ceci étant prêt à
partir , et ne pouvant retarder mon départ pour le
6^2 LETTRES SPIRITUELLES.
Quesnoi. C'est que je crains pour vous les commen-
cemens de peine. Si vous comptez sur votre courage
pour la surmonter , vous y succomberez. Si vous
écoutez votre peine, cette infidélité en attirera d'au-
tres avec un trouble liorrible.
Que faut-il donc faire ? Ne rien édoUter volontai-
rement, et me dire tout avec simplicité dans une en-
tière défiance de vous-même. Je vous voyais liier et
avaUt-bier avec un certain courage naturel qui me
fait peur. O ma cbère fille , que je voudrais pouvoir
voua aller voir avant mon départ ! mais il est impos-
sible , le temps me manque. Mon cœur est peiné par
la crainte de votre peine. Que ne donnerais-je point,
et que ne voudrais-je point qu'il m'en coûtât pour
vous affermir dans la simplicité ! Une peine non-
écoutée ne serait plus qu'à demi peine : une peine
d'abord expliquée se dissiperait. Je vous conjure de
vous tourner du côté du consolateur , et de croire
que vous n'êtes en état de rien résoudre pendant la
tentation. C'est dans un état d'oraison paisible qu'on
peut prendre des résolutions selon Dieu. Tout le reste
ne peut être que projets de tentation et égarement.
Je ne manquerai pas de vous aller voir demain à l'heure
qu'il vous plaira, et même dès aujourd'hui, si je puis
revenir d'assez bonne heure. Dieu sait combien je
ressens tout ce qui peut vous troubler , et vous dé-
tourner de votre voie.
LETTRES SPIRITUELLES. 6'^'^
%'%i%/%'^y/% v%^ JV%^ 1
(u.;) 391 * A.
Même sujet.
Mardi , 9 aoiit 1707.
Je ne veux point , ma chère fille , vous entraîner
]iar art , ni par aucune voie humaine. Je me contente
de demeurer devant Dieu uni à vous malgré vous et
souflVant pour v otre retour. Je vous laisse à Dieu , et
je souhaite que vous vous y laissiez aussi. O si vous
récoutiez , et si vous ne vous écoutiez point , quelle
serait votre paix ! Mais vous commencez par prêter
l'oreille aux délicatesses et aux dépits de l'amour-
propre. Cette infidélité manifi^ste en attire cent au-
tres , qui sont moins faciles à découvrir. Vous cher-
chez à vous étourdir , et à autoriser votre égarement.
Vous voulez vous soustraire à la soulTrance , comme
si l'amour-propre pouvait échapper au feu vengeur.
Vous espérez du repos loin de Dieu : vous fermez
votre cœur , et vous employez toute votre industrie
pour repousser la gi^âce. Eh ! qui est-ce qui a i^ésisté
à Dieu , et qui a eu la paix {a) ? Rendez-vous ; reve-
nez ; hâtez-vous : chaque moment de délai est une
infidélité nouvelle.
J'irai chez vous , ou ce matin à Premy , ou l'aprés-
mitli au gouvernement , dès que vous me voudrez
ouvrir votre cœur. Le mien est bien serré : c'est en
vous que je devrais trouver un vrai soulagement.
0 ma chère fille , laissez-vous dompter par l'esprit
de grâce !
(a) Job, IX. 4-
CoRRESP. IV. 28
6'-'4 LETTRES SPIRITUELLES.
392 ♦. (2.7)
Amour-propre déguisé sous l'apparence de délicatesse et de générosité j
souffrir en paix l'opération crucifiante de la main de Dieu.
Mercredi, 10 août 1707.
Souffrez, ma chère fille, que je vous représente
ce qu'il me semble que Dieu veut que je vous mette
devant les yeux. Le fonds que vous avez nourri dans
votre cœur depuis l'enfance , en vous trompant vous-
même , est un amour-propre effréné , et déguisé sous
l'apparence d'une délicatesse et d'une générosité hé-
roïque ; c'est un goût de roman , dont personne ne
TOUS a montré l'illusion. Vous l'aviez dans le monde>
et vous l'avez porté jusque dans les choses les plus
pieuses. Je vous trouve toujours un goût pour l'es-
prit , pour les choses gracieuses , et pour la délica-
tesse profane , qui me fait peur. Cette habitude vous
a fait trouver des épines dans tous les états. Avec un
esprit très-droit et très-solide, vous vous rendez in-
férieure aux gens qui en ont beaucoup moins que
vous. Vous êtes d'un excellent conseil pour les autres;
mais pour vous-même les moindres bagatelles vous
surmontent. Tout vous ronge le cœur -, vous n'êtes
occupée que de la crainte de faire des fautes , ou du
dépit d'en avoir fait. Vous vous les grossissez par un
excès de vivacité d'imagination , c'est toujours quel-
que rien qui vous réduit au désespoir. Pendant que
vous vous voyez la plus imparfaite personne du
monde , vous avez l'art d'imaginer dans les autres des
perfections dont elles n'ont pas l'ombre. D'un côté,
vos délicatesses et vos générosités ; de l'autre , vos
DETTRES SPIRITUELLES. C'y 5
jalousies et vos déliances, sont outrées et sans mesure.
Vous voudriez toujours vous oublier vous-même ,
pour vous donner aux autres ; mais cet oubli tend à
vous faire l'idole de vous-même et de tous ceux pour
qui vous paraissez vous oublier. Voilà le fond d'ido-
làlrie rafllnée de vous-même que Dieu veut arracher.
L'opération est violente , mais nécessaire. Allas-
siez-vous au bout du monde pour soulaj^er votre
amour-propre, vous n'en seriez que plus malade. Il
faut , ou le laisser mourir sous la main de Dieu , ou
lui fournir quelque aliment. Si vous n'aviez plus les
personnes qui vous occupent , vous en cliercberiez
bientôt d'autres sous de beaux prétextes , et vous des-
cendriez jusqu'aux plus vils sujets , faute de meil-
leurs. Dieu vous bumilierait même par quelque en-
têtement méprisable , où il vous laisserait tomber ;
l'amour-propre se nourrirait des plus indignes ali-
mens , plut<jt que de mourir de faim.
Il n'y a donc qu'un seul véritable remède , et c'est
celui que vous fuyez. Les douleurs horribles que vous
souffrez \^ennent de vous , et nullement de Dieu.
Vous ne le laissez pas faire. Dès qu'il commence l'in-
cision , vous repoussez sa main , et c'est toujours à
recommencer. Vous écoutez votre amoui-propre dès
que Dieu l'attaque. Tous vos atlachemens, faits par
goût naturel , et pour flatter la vaine délicatesse de
votre amour, se tournent pour vous en supplice. C'est
une espèce de nécessité où vous mettez Dieu de vous
traiter ainsi. Allassiez-vous au bout du monde , vous
trouveriez les mêmes peines, et vous n'échapperiez
pas à la jalousie de Dieu , qui veut confondre la vôtre
en la démasquant. Vous porteriez partout la plaie
QrjQ LETTRES SPIRITUELLES.
envenimée de votre cœur. Vous fuiriez en vain comme
Jonas ', la tempête veus engloutirait.
Je veux bien prendre pour réel tout ce qui n'est
que chimérique : hé Lien ! cédez à Dieu , et accou-
tumez-vous à vous voir telle que vous êtes. Accoutu-
mez-vous à vous voir vaine, ambitieuse pour l'amitié
d'autrui , tendant sans cesse à devenir l'idole d'autrui
pour l'être de vous-même , jalouse et défiante sans
aucune borne. Vous ne trouverez à affermir vos pieds
qu'au fond de l'abîme. Il faut vous familiariser avec
tous ces monstres : ce n'est que par là que vous vous
désabuserez de la délicatesse de votre cœur. Il en
faut voir sortir toute cette infection; il en faut sen-
tir toute la puanteur. Tout ce qui ne vous serait pas
montré ne sortirait point , et tout ce qui ne sortirait
point serait un venin rentré et mortel. Voulez-vous
accourcir l'opération ? ne l'interrompez pas. Laissez
la main crucifiante agir en toute liberté ; ne vous
dérobez point à ses incisions salutaires.
N'espérez pas de trouver la paix loin de l'oraison
et de la communion. Il ne s'agit pas d'appaiser votre
amour-propre en l'épargnant , et en résistant à l'es-
prit de grâce ; mais au contraire , il s'agit de vous
livrer sans réserve à l'esprit de grâce , pour n'épar-
gner plus votre amour-propre. Vous pouvez vous étour-
dir, vous enivrer pour un peu de temps, et vous donner
des forces trompeuses , telles que la fièvre ardente
en donne aux malades qui sont en délire *, mais la
vraie paix n'est que dans la mort. On voit en vous
depuis quelques jours, un mouvement convulsif pour
montrer du courage et de la gaîté , avec un fond
d'agonie. 0 si vous faisiez pour Dieu ce que vous faites
LETTRES SPIRITUELLES. 677
coiilrc , quelle paix ii'auriez-vous pas ! 0 si vous soul-
Iriez , pour laisser faire Dieu , le quart de ce que vous
vous failes souflrir pour rempêclier de déraciner vo-
tre amour-propre, quelle serait votre tranquillité!
Je prie celui à qui vous résistez , de vaincre vos ré-
sistances , d'avoir pitié de cette force contre lui , qui
n'est que faiblesse , et de vous faire malgré vous au-
tant de bien que vous vous faites de mal. Pour moi ,
comptez que je vous poursuivrai sans relâche , et que
je ne vous quitterai point. J'espère beaucoup moins
(le mes paroles et de mes travaux pour vous, que
lie ma peine intérieure , et de mon union à Dieu dans
le désir de vous rapprocher de lui.
/««% V»«.%%A «V« ■%%%%«/« ^^i^V^^ ««Vt «VV^ VVk ^V% ^V% ^•'»^ ^^/k VW^ 'VV% VV% ««^ V%% V\ * 1%%^ T%* V"! > «««Vl ^
393.
Simplicité h dire ses fautes.
A Cambrai, i^ aoi'it 170^.
Jamais , ma chère fdle , je n'ai rien fait de si con-
traire à mon intention que ce que je fis hier , s'il est
^rai que votre petitesse à me dire vos fautes n'ait
trouvé en moi que du rebut. J'avoue que je ne trou-
vai pas vos fautes telles que vous les croyez , et que
je voulus vous délivrer de vos scrupules : mais j'étais
infiniment éloigné de vouloir rebuter votre petitesse.
Rien ne me fait tant de plaisir , rien n'est si agréable
à Dieu , rien n'est si important pour votre conduite
vers lui. Cette petitesse me charma , et me parut
beaucoup édifier M'^^ Je Risbourg. Pour ce qu'elle
vous dit , je ne sais pas quelle fut son intention. Vous
m'assurâtes que vous ne la soupçonniez point d'être
mauvaise. La chose en soi ne méritait aucune alten-
6" 8 LETTRES SPIRITUELLES,
lion. Rien n'est moins une humiliation que ce petit
mot, s'il n'est pas dit à mauvaise intention.
Pour le diner , je n'avais pas compté de le donner
sans vous. C'est vous qui décidâtes pour aujourd'hui ,
et je "VOUS priai deux fois de ne vous contraindre en
rien là-dessus. Je vous conjure encore de ne vous
gêner point. Si vous n'y venez pas, je ne sais point
si Mi^e de Risbourg y viendra. Je la recevrai très-bien ,
si elle vient; mais je remettrais la partie à une autre
fois, à cause que voiis n'y serez point, si je ne crai-
gnais de vous faire de la peine par un changement.
Tout m'est bon , pourvu que votre cœur rentre dans
la paix , et que vous ne vous écoutiez point dans vos
peines par amour-propre. En. vérité , ma chère fille ,
je ressens vos peines au-delà de tout ce que vous pou^
vez croire. Je prie Dieu qu'il vous y soutienne.
v**vvvv»*v»»v»***v*»*vvwv%'v*^v*»^»™*v»*»**v»*vv»«/»>*^/»,v»>v^vv%v*'»>'*'vvv»vvvvv»<i.»»«
394,
Contre les sensibilités de lamour-propre.
A Cambrai, vcudreili malin 19 août 1707.
Souffrez encore, je vous conjure, ma chère fille,
mes importunités. Du moins elles vous montreront
combien je suis éloigné de la hauteur et du dédain
que vous m'imputez. Dieu sait que, par sa grâce, je
n'aime et n'estime que la petitesse qui va jusqu'à
l'enfance. Je serais bien infidèle , si j'avais d'autres
goûts et d'autres sentimens. Jamais rien ne m'a fait
tant de plaisir que votre ouverture de l'autre jour.
J'en fus si gai et si content , que je vous fis un compte
de scrupules , vous croyant dans une disposition ou
LETTRES SPIRITUELLES. 6'JC)
il n'y avait qu'à se réjouir avec vous. En vérité , pou-
^e/.-vous croire que j'aie voulu vous rendre ridicule
devant M'"« de Kisbourg , moi qui n'espère son sou-
tien et son avancement dans la piété que par son
union avec vous? Si, contre toutes mes intentions,
j'ai dit une chose de travers , je vous en demande
mille pardons. Je condamne mon indiscrétion , puis-
cju'elle vous a blessée ; mais je ne puis condamner
mon intention , car Dieu sait à quel point elle a été
pure et droite. Mais après toutes les marques de zèle
<}ue je tâche de vous donner , devez-vous être blessée
sans retour , pour une indiscrétion qui m'afflige au-
tant que vous , et que je cherche à réparer. Vous est-
il permis, selon Dieu , de rompre , pour cette indis-
crétion , une union de grâce que Dieu lui-même a
faite , et de vous priver du secours auquel il lui a
plu de vous assujettir ? De telles sensibilités d'amour-
propre doivent-elles faire rompre les liens spirituels ,
et abandonner toute la voie où l'on a senti Dieu ?
Ne dites point : Cela est fait ; cela est fini ; c^est
trop tard , comme vous le disiez hier au soir. Rien
n'est trop tard pour Dieu : il faut que tout lui cède.
Il n'y a rien de fait qu'il ne défasse; il n'y a rien de
fini qu'il ne recommence. Vous êtes à lui, et non pas
à vons. Est-ce à vous à dire : Cela est fini ? Cette pa-
role décisive ne montre-t-elle pas un cœur proprié-
taire qui se reprend , et qui ne veut plus se livrer à
Dieu pour mourir à soi-même ? Je vous ai dit , il est
vrai , un défaut qui vous ôte souvent l'usage de tou-
tes vos excellentes qualités naturelles , et qui met en
péril toute la grâce qui est en vous. Ce défaut est
une ancienne habitude de vous tromper vous-même
68o LETTRES SPIRITUELLES.
par un raffinement d'amour-propre , qui vous paraît
une générosité sans aucun retour sur vous : voilà la
source de toutes vos tentations. Eh ! qui est-ce qui
vous montrera ce défaut , pour vous accoutumer à
vous en défier , si ce n'est l'homme qui vous conduit ?
Je tâche de vous mettre au-dessus de vos scrupules.
Eh ! n'est-ce pas ce qu'on fait aux plus saintes et aux
plus grandes âmes , quand Dieu permet qu'elles soient
troublées par de vains scrupules ? Je méprise le fond
du scrupule , afin que vous vous accoutumiez à le
mépriser avec moi ; mais je sais combien les personnes
les plus estimables sont scrupuleuses ^ et j'estime in-
finiment la petitesse qui aous a fait dire votre peine.
J'espère que Dieu ne vous laissera pas à vous-même.
Ecoutez non votre peine , mais le fond de votre cœur.
395.
Écouter Dieu malgré toutes les suggestions de l'amour-propre.
Jeudi, I septembre 1707.
Comme vos fautes, ma chère fille, consistent dans
une résistance à Dieu, votre retour consiste à céder
à la grâce. Ne craignez point de revenir trop légère-
ment. Quand il s'agit de revenir à Dieu , on ne peut
jamais revenir avec trop de promptitude et de sim-
plicité. Voir sa faiblesse , la laisser voir , s'y accoutu-
mer, désespérer à jamais de soi, et se livrer à Dieu
sans mesure , c'est la plus parfaite pénitence de ces
fautes , et la plus opposée à l'amour-propre. Com-
ment voulez-vous que Dieu se communique à vous
pour vous faire connaître sa volonté , pendant que la
LETTRES SPIRITUELLES. G8r
vôtre lui résiste encore? En quelque état que vous
soyez , et en quelque* lieu du monde que vous allie/ ,
il faut céder à Dieu, revenir au recueillement, et
écouter Dieu malgré ramour-proprc. Jusque-là vous
ne pouvez point espérer la lumière de Dieu pour mar-
cher dans la voie où il vous appelle. Croyez-vous lui
échapper? Fussiez-vous au bout du monde, il vouS'
fera sentir votre amour-propre , (pie vous voudriez
vous dé2;iiiser , et dont il est jaloux. Espérez-vous la
paix en flattant cet amour-propre qui est la cause de
tous vos désespoirs, et que l'amour de Dieu poursuit
sans relâche dans votre cœur ? Est-ce moi qui suis la
cause d'un combat si douloureux? N'est-ce pas vous
qui le prolongez , en nourrissant en secret celui qu'il
faudrait laisser mourir ? Ce n'est pas moi , c'est Dieu
qui vous presse. Au bout du monde , les principes
que vous avez dans le cœur vous feraient sentir tout
ce que vous sentez. L'amour-propre Hatté se relève-
rait encore plus violemment. L'amour de Dieu vous
reprocherait votre infidélité et votre fuite : vous en
mourriez de douleur. Dieu vous poursuit sans relâ-
che : puis-je , dois-je l'empêcher?
Pour moi , si vous y prenez garde , je ne fais que
vous consoler , qu'attendre , qu'adoucir les plaies de
votre cœur. Un autre, qui les connaîtrait moins, ne
pourrait pas avoir les mêmes ménagemens. Voudriez-
vous que Dieu vous fît mourir sans douleur ? Vou-
driez-vous qu'il vous laissât trouver quelque ressource
en vous-même pour partager votre cœur entre vous
et lui ? Après avoir été infidèle en résistant à Dieu
pour vous éloigner de moi , voulez-vous encore lui
être infdèle en ne cédant pas à son attrait pour votre
682 LETTRES SPIRITUELLES.
retour ? Jetez-vous entre ses bras , sans condition , les
yeux fermés. Ne cherchez plus un moyen sur de ne
retomber pas : il n'y en a point. L'amour-propre
voudrait une sûreté qui n'est point de l'état présent.
L'unique sûreté est de n'en chercher point , de s'aban-
donner à Dieu , et de ne se plus écouter soi-même.
Dès que vous céderez , la paix reviendra. Vous vous
en prenez à lui et à moi de tout le mal que vous vous
faites. Cédez , et votre pénitence sera faite : c'est celle
qui vous coûtera et servira le plus. J'irai vous voir
quand vous voudrez : ne tardez pas , ma chère fille.
398 * R. (220)
La paix ne se trouve que dans l'abanclon absolu.
Samedi, 3 septembre 1707.
Depuis les huit heures du matin , je me tiendrai
prêt , ma chère fdle , pour vous recevoir , et j'irais
avec plaisir chez vous , si cela vous était plus com-
mode. L'unique source de la paix et l'abandon sans
réserve. L'abandon ne permet plus de s'écouter vo-
lontairement. N'espérez point la paix , ni en écoutant
les délicatesses de l'amour-propre , ni en voulant fuir
Dieu. Vous trouveriez dans les solitudes les plus éloi-
gnées tous les tourmens de l'amour-propre , si vous
y alliez pour vous soustraire aux jalousies de l'amour
de Dieu , et pour flatter celles de l'amour-propre.
Mais livrez-vous à Dieu. Mettez tout au pis-aller;
supposez la vérité de toutes les imaginations les plus
fausses , et acceptez tout sans bornes. C'est dans ce
désespoir qu'est la paix. Si vous pouviez me quitter
LETTRES SPIRITUELLES. 683
sans quitter Dieu , je vous conseillerais de le l'aire
dès ce soir; mais vous ne me voulez quitter, que pour
vous reprendre , et épargner votre amour-propre :
eu me quittant , vous résistez ù la grâce , et vous re-
tombez dans une vie qui n'est plus intérieure. Voilà
l'unique raison qui m'empêche de consentir à vos
jM'ojets. Encore une fois , l'acceptation simple et ab-
solue de tout ce qui se présente decliiméiique à votre
esprit fera votre paix. Dieu vous attend là. Ce qui vous
cause les plus violentes douleurs, ne vous les causera
j)lus, quand vous l'aurez pleinement accepté sans au-
cun adoucissement. O que ne puis-je vous épargner !
Mais Dieu veut tout , et l'amour-propre est furieux.
Paix , paix : Dieu seul est la paix.
(2>9) 397 * R.
Même sujet.
A Cambrai, 3 septembre 1707.
Je comptais hier , ma chère fille , que vous étiez à
l'ordinaire au gouvernement , et je n'osai y aller de
peur de vous y gêner. Si je vous avais sue à Premy , j'y
serais allé plus librement. L'abbé de Beaumont , qui
devait vous aller voir , se trouva incommodé. Rien
n'est plus sincère que la douleur que je ressens de
votre état. Vos projets ne sont qu'illusion. Vous vou-
lez retrouver Dieu en quittant l'oraison. Hélas ! l'orai-
son est Dieu même , ou du moins l'union avec lui.
Vous voulez lui faire la loi , et ne vous plus donner
à lui qu'à votre mode , pour adoucir votre souffrance.
Espérez-vous qu'il sera content de ce partage de votre
684 LETTRES SPIRITUELLES.
cœur? Vous croyez que Famour-propre vous fera
moins souiîVir quand vous lui céderez, et vous ne
voulez pas céder à l'amour de Dieu , de peur qu'il
ne prenne trop sur l'amour-propre. En vérité , ce
dessein est-il selon Dieu? Prétendez-vous que Dieu
consente que la jalousie de son amour cède à la ja-
lousie de Famour-propre? Prétendez-vous que l'amour-
propre flatté et soulagé en soit moins jaloux , et moins
tyrannique dans sa jalousie? O que vous vous trompez ,
et que vous manquez à Dieu ! Est-ce donc là ce que
vous lui avez promis tant de fois? Est-ce là ce que
l'amour sincère demande ? Voudriez-vous faire à une
créature estimable ce que vous faites à Dieu ? Vou-
driez-vous la quitter pour soulager les dépits de votre
amour-propre ?
Si vous laissiez faire Dieu , vous souffririez infini-
ment moins. C'est dans les coinmencemens de vos
peines que vous pourriez ne vous écouter pas. Cette
fidélité , qui vous serait alors possible , vous attire-
rait une grâce merveilleuse , et vous élargirait le
cœur. Faute d'agir ainsi , vous êtes toujours occupée
des délicatesses de votre amour-propre. Dieu , jaloux
de vous , vous livre à vous-même et à votre propre
jalousie, pour vous montrer, malgré vous, combien
votre cœur , dont vous avez admiré le désintéresse-
ment , est jaloux de son intérêt.
Rentrez dans les desseins de Dieu ; livrez-vous à lui
sans condition. N'espérez plus rien de vous-même ; ce
désespoir fera votre paix. Tout ce qui flatte Famour-
propre ne peut plus être de saison ; c'est une douceur
empoisonnée. Revenez avec docilité et petitesse au
recueillement ; vous aurez meilleur marché de Dieu
LETTRES SPIRITUELLES. 685
«[ue de vous. Ce n'est pas lui , c'est l'amour-propre
({ui vous tourmente. C'est au tourment que vous vous
livrez en croyant le fuir. Plus on donne à l'amour-
propre , plus il exv^e : il est insatiable et ti'ompeur.
Entre ces deux jalousies , pourquoi craignez-vous da-
vantage celle de Dieu ? elle est si juste , si sage , si
miséricordieuse, si mesurée. Celle de l'amour-propre
est aveugle , lyrannique , et sans bornes. Vous n'au-
rez point la paix en ilattant l'ennemi ; vous ne l'au-
rez qu'en donnant tout à Dieu seul , et en le laissant
faire. O si vous aviez des yeux pour voir , et un cœur
pom* sentir le don de Dieu ! tout cela vous était
donné ; mais vous n'en voulez plus. 0 ma clière
fille , revenez ! Que ne soull'rirais-je point pour ob-
tenir votre retour !
« ^A« ^«%««%'«i«A t
398,
Dieu nesl que dnns la paix.
A Haumont, 23 septembre 1707.
Je soubaite de tout mon cœur, ma très-cbère fille ,
que Dieu seul parle en vous. Sa parole est silen-
cieuse : au contraire , la nôtre est toujours inquiète ,
tumultueuse , et semblable au bruit d'une balle. Dieu
j l'est que dans la paix. Dès que la paix se perd , Dieu
se retire. Parlez à l'abbé de Beaumont ; Dieu lui
donnera en mon absence de quoi vous consoler. Ne
vous gênez point , par complaisance bumaine , pour
M™c J(3 Risbourg ; mais aidez-la par pure grâce. Man-
dez-moi de vos nouvelles , de celles de M. le Comte
de Monlberon , et de celles de M'"^ la Comtesse de
686 LETTRES SPIRITUELLES.
Souastre. Soyez exacte , je vous conjure, à ne renouer
point avec M'"^ d'Oisyun commerce humain, qui n'irait
qu'à l'amuser , et qu'à vous faire agir contre votre
grâce. Vous nuiriez infiniment et à elle et à vous ;
vous n'en tireriez que du trouble , et des tentations
contre votre état. Faites bien avec elle ; mais ne l'at-
tirez point à venir troubler un silence qu'elle ne peut
pas garder. Admettez M™« de Risbourg à votre si-
lence , puisqu'elle y entre sans le troubler ; mais n'y
mêlez aucune façon humaine. Pour M. le Comte de
Montberon , après avoir représenté vos craintes , lais-
sez décider M. Bourdon par rapport au voyage de
Dieu sait , ma chère fdle , comment il fait que je
vous suis tout dévoué en lui à jamais.
399.
Découvrir ayec simplicité ses peines intérieures. Sur les amitiës
spirituelles.
A Cambrai, lundi lo octobre 1707.
Je suis sensiblement touché de votre peine , ma
chère fdle. Dieu sait tout ce que je voudrais faire et
souffrir pour vous en tirer. Ne vous écoutez point
volontairement. Vous avez très-bien fait de me man-
der à cœur ouvert ce que vous souffrez : une telle
ouverture porte grâce avec soi. Si j'ai le goût de
l'esprit , il faut m'en corriger. Je sais bien que rien
ne me fait tant de peine , que quand je vous vois
estimer les talens luimains , et supposer que les au-
tres doivent les estimer.
Pour M'^e cl'Oisy , je suis très-éloigné de l'aban-
LETTRES SPIRITUELLES. 6S'J
donner ni de la négliger ; au contraire , je tâche de la
servir de tout mon cœur pour le spirituel et pour
le temporel. Mais que puis-je faire ? Le peu qu'elle
avait pour la piété paraît fort déchu. Quoiqu'elle
veuille faire son salut , et vivre avec une certaine
règle ) elle est fort dissipée , et opposée au recueille-
ment. Elle doit venir ici pour se confesser le jour de
sainte Thérèse. Pour M™« de Rishourg , ne soyez point
unie à elle pour vous , mais pour elle-même. Ne
comptez ni sur un ragoût d'amitié , ni sur une dé-
charge de cœur pour la confiance , puisque vous n'y
trouvez pas ce soulagement. Bornez-vous à la recevoir
avec amitié , afin qu'elle trouve en vous un soutien
dans sa faihlesse , et qu'elle puisse demeurer avec
vous en silence. Si elle ne se taisait pas avec vous ,
elle se dissiperait d'abord avec M™^ d'Oisy. Que si
vous éprouviez qu'elle ne conservât point le recueille-
ment auprès de vous , ou qu'elle vous gênât , je ne
vous demanderais point de continuer un commerce
qui ne paraîtrait plus être de grâce.
Je vous conjure de communier à l'ordinaire : vous
n'en avez jamais tant de besoin que quand vous avez
le cœur pressé. Vous ne me dîtes hier aucun mot qui
doive vous faire hésiter. Vous craignez trop de pé-
cher : cette crainte sans fondement trouble tout en
vous par son excès. Je prie le Dieu de paix de calmer
votre cœur.
(jS6 lettres spirituelles.
400 * R. (2a2)
Découvrir ses misères en esprit croliéissance, faire mourir le goût de
resprit 5 s'abandonner à Dieu en esprit d'amour.
A Cambrai, 9 novembre 1707.
Vous ne m'avez rien dit , ma très-clière fille , qui
doive vous faire la moindre peine. Ce n'est point pour
se soustraire à la souffrance qu'on explique son état ;
c'est par pure et simple fidélité ; c'est pour n'écouter
point l'amour-propre , qui voudrait , sous de beaux
prétextes, cacher ses misères. Il est vrai seulement
que cette simplicité , qui est selon Dieu , est souvent
utile pour soulager le cœur , quoiqu'on ne la pratique
pas en vue du soulagement.
Si vous ne conserviez pas au fond de votre cœur
une vaine estime de l'esprit , vous ne craindriez pas
tant d'en manquer , et de n'en montrer pas autant que
les autres. Vous ne croiriez pas même que j'eusse ce
grand goût de l'esprit , qui est si vilain , si corrompu ,
et si indigne de l'esprit de Dieu. J'ai toujours remar-
qué que l'estime de l'esprit est enracinée dans votre
cœur _, et que vous ne la laissez point tomber. C'est
néanmoins ce que l'esprit de grâce éteint le plus ,
quand on le laisse agir librement. Vivre d'oraison et
d'amour est incompatible avec ce goût dépravé de
ramour-propre.
Il ne s'agit point maintenant de vous confesser ,
mais de céder à Dieu avec petitesse , pour vous cal-
mer. Je connais en vous les deux personnes que vous
y voyez. Il faut souffrir l'une avec patience , sans
l'écouter volontairement ; il faut que l'autre demeure
LETTRES SPIRITUELLES. 689
ilaus sa simplicité. La communion, le silence, la sou f-
france, comme vous le dites, sont ce qui lui con-
vient. Quand elle a manqué , elle ahandoiuie sa fauta
à Dieu y et se livre à lui en esprit d'amour. Vous souf-
IViiiez beaucoup moins , si vous laissiez passer vos
imaginations et vos sentimens involontaires , sans en
liiire aucun cas , et sans vouloir vous assurer de leur
résister positivement. Cette résistance positi\e est une
recherche de votre propre sûreté , et une activité
d'amour-propre , qui est contre votre grâce* C'est ce
travail douloureux que Dieu ne vous demande point î
il vous demande , au contraire , de le supprimer.
Faut-il s'étonner que vous soullriez , quand vous vous
donnez des contorsions continuelles , pour vous assu-
rer de voir ce que Dieu ne veut pas que vous puis-
siez voir en cette vie avec cette sûreté ? On n'a jamais
la ]Knx en lui résistant.
Faites ce que vous dites très-bien , et vous soufl'ri-
rez moins. Quand vous craignez de manquer, aban-
donnez simplement le tout à Dieu. Un amour simple
^ous garantira bien plus du ])éché , que cet effort em-
jsressé où vous vous recherchez vous-même. Cette
vaine crainte d'un péclié imaginaire vous jette dans
un état réel et affreux , où vous tentez Dieu , où vous
ne vous occupez que de vous ^ où vous vous tuez , et
où vous vous mettez en tentation violente contre l'at-
trait de Dieu. Ce n'est donc pas Dieu qui vous fait
souffrir : au contraire , c'est malgré lui que vous vous
martyrisez ^ ous-mème. 0 ma chère fdle , cherchez la
])ai\ au lieu où elle est ! Vous la trouverez dans le
simple non-consentement à vos sentimens involon-
CORRESP. IV. 2Ç)
6qO LETTRIiS SPIRITUELLES.
taires de jalousie, et dans la patience à supporter ce
sentiment honteux.
Je suis en peine de M. le G^mte de Montberon : il
a besoin , ce me semble , de toute votre attention.
401 * R. (207)
Ne point augmenter ses peines par la contention de l'esprit.
A Cambrai, 37 novembre 1707.
La lettre de M^^^ la Comtesse de Souastre est par-
faitement bien ma chère fille , et je vous la renvoie ,
afin qu'on y mette une enveloppe. M. de — . s'en
chargera. Je voulais ce soir vous entretenir ; mais
Mlle Bourdon a emporté tout notre temps d'une triste
et inutile façon. En vérité , je suis bien touché de vos
peines , et je désire de tout mon cœur tout ce qui
peut soulager le vôtre. Il me semble que vous souf-
fririez moins , si vous étiez moins en contention per-
pétuelle contre un danger imaginaire de pécher , et
si vous cherchiez moins à vous convaincre de votre
résistance sensible par des efforts empressés. Une paix
tout unie en présence de Dieu , en souffrant hum-
blement un sentiment involontaire , vous épuiserait
moins , et serait d'une beaucoup plus grande fidélité ,
parce qu'elle serait plus conforme à votre grâce. Je
prie Notre-Seigneur qu'il vous ouvre le cœur à l'in-
telligence et à la pratique d'un si simple moyen.
J'irai vous voir demain. En attendant , je vous con-
jure de communier à l'ordinaire. Je vous envoie une
lettre pour W^^ Bourdon. Voyez si elle convient. Bon-
soir. Dieu sait combien je vous suis dévoué.
LETTRES SPIRITUELLES. Gq l
402.
Elargir le cœur par l'amour.
A Cambrai, mercredi 3o novembre 1707.
Je vous envoie , ma chère fille , un billet pour
M'i*^ Bourdon. Je crains qu'après avoir été d'abord
courageuse , elle ne relomlje dans le découragement
par réflexion. Si mon billet vous paraît convenable ,
ayez, s'il vous plaît, la bonté de l'envoyer, afin qu'elle
puisse venir communier à ma messe à Notre-Dame
après la grand'messe. Laissez Dieu élargir votre cœur.
On n'élargit rien sans efforts; mais l'élargissement, qui
fait d'abord du mal , soulage pour les suites. Vous ré-
sistez à la main de Dieu qui vous presse pour élar-
gir votre cœur : vous le tenez resserré malgré lui par
des délicatesses d'amour-propre , et par de vaines
craintes. O que l'amour élargit ! Bonjour.
403.
Sur les inquiétudes de la Comtesse à l'occasion d'une conversation
qu'elle avait eue avec le Prélat.
A Cambrai, 3 décembre 1707.
J'ai compris , ma très-cbère fille , que je vous bles-
sai hier au soir jusqu'au fond du cœur , et que je vous
laissai dans une extrême peine. Je vous en demande
pardon , et je vous le demanderais encore avec plus
d'instance , si je pouvais comprendre en quoi précisé-
ment je vous ai blessée. Dieu m'est témoin que, dans la
conversation , dont je vous ai rendu compte si naïve-
29^
Gn2 LETTRES SPIRITrELLES.
ment , il ne fut dit aucun mot de vous ni directement
ni indirectement ; qu on ne m'y parut avoir aucune
peine à votre égard , mais au contraire plein conten-
tement de vos secours ; et que je vous racontai sim-
plement , comme une pure précaution , les causes de
ma retenue , qui roulaient sur le public et sur M^^
d'Oisy, afin que M^^^ Je Risbourg ne pût jamais,
en aucun cas de cbagrin et de peine , soupçonner
que rien pût être sur votre compte. Si cette précau-
tion , prise avec tant de bonne volonté , et expliquée
avec tant de candeur , vous blesse , encore vuie fois ,
je vous conjure de me la pardonner. Au nom de
Dieu , que ma faute ne vous éloigne point de ce
que Dieu demande de vous , et de ce qui peut met-
tre votre cœur en paix. Lui seul sait à quel point
je suis uni à vous , et sensible à toutes vos peines.
Ecoutez-le , et ne tous écoutez point.
l^^i^'^^A^^^^
404 * R. (223)
Il n'appartient point à riiomme de changer sa voie : on ne diminue
pas ses souffrances en rôsistajit à Dieu.
A Cambrai, 4 ilécembre l'o^.
Non , en vérité , ma très-chère fille , je r.'^ veux
point vous tourmenter -, je ne veux que souffrir en
pensant à vos souffrances. Eh ! qui est-ce qui vou-
drait plus que moi soulager votre cœur, et le mettre
en paix ? Jespère seulement que Dieu sera plus fort
que vous , et qu'il vaincra vos résistances ; j'espère
que sa jalousie prévaudra sur la vôtre. Autant que
la vôtre est injuste et ingénieuse pour vous accabler ,
LETTRES SPIRITUELLES. GqS
autant la sienne est-elle pure, juste, aimable, et pro-
pre à vous rendre la paix.
Vous dites, ma chère lille, que vous allez changer
de L-oie : mais ne savez- vous pas que le Saint-Esprit
nous enseiij;ne que la voie de Vhomme n'est point à
lui (ff) ? Il ne lui appartient point de choisir sa voie
sur ses prétendues convenances ; il doit suivre celle
que l'attrait de grâce lui marque , quoi qu'il lui en
coûte. Mais encore êtes-vous en droit de changer
votre voie , parce qu'elle ])lcsse la délicatesse de voire
amour-propre ? Eli ! on ne doit suivre une voie que
pour mourir à l'amour-propre même. La voie qui
a\ance le plus cette mort douloureuse est précisé-
ment celle que nous devrions préférer , s'il nous ap-
partenait de faire aucun choix.
Vous voulez éviter la souffrance , mais on ne l'évite
jamais en résistant à Dieu. Au contraire , c'est en lui
résistant, tantôt plus ^ tantôt moins , que vous souffrez
tant. Vous vous en prenez à l'amour de Dieu , de
tout ce que l'amour-propre vous fait souffrir. Un ma-
lade doit-il s'en prendre au remède , des douleurs
que son mal lui fait souffrir ? Il faut bien que l'opé-
lation du remède l'expose à la soulïrance ; mais la
souffrance vient de la maladie que le remède ne peut
déraciner sans quelque violence. D'ailleurs c'est votre
amour-propre que vous écoutez , et qui est ingénieux
pour inventer de faux sujets de peine. Voulez-vous ,
connue le prophète Jouas , fuir devant la face du
Seigneur , pour n'exécuter pas ses ordres ? La ba-
leine vous engloutira plutôt que de vous laisser échap-
(a) Jerem. x. 23.
6q4 LETTRES SPIRITUELLES.
per aux volontés de Dieu. J'espère qu'il ne vous
abandonnera pas aux dépits et aux désespoirs de votre
amour-propre.
Si je vous ai blessée, c'a été, Dieu le sait, contre
mon intention. Pardonnez mon indiscrétion en faveur
de ma bonne volonté. Voudriez-vous être inexorable ,
si quelqu'un vous avait fait les injures les plus atroces ?
Je suis sûr que non. Quoi ! devez-vous manquer à
Dieu et lui résister^ parce que j'ai fait une faute? Je
ne veux point la justifier; j'en laisse l'examen entre
Dieu et vous , quand vous serez tranquille devant
lui , et que vous aurez les yeux ouverts pour recon-
naître la tentation de votre amour-propre , qui est
évidente. Pour moi , je ne veux qu'avoir tort , qu'être
confondu , et que me corriger , pour votre consolation.
Je ne crains ni ma confusion ni ma peine : je ne
crains que votre infidélité , et votre résistance à des
grâces infinies. O ma cbère fille , abandonnez-vous à
Dieu ! Vos souffrances , loin d'augmenter , diminue-
ront. Dieu en réglera la mesure sur celle des forces
qu'il vous donnera. Défiez-vous , non de sa bonté ,
mais de votre amour-propre.
405 * A. (224)
Ne pas augmenter les peines intérieures par des réflexions inquiètes et
multipliées sur soi-même.
A Cambrai, g décembre 1707.
Vous voulez , ma chère fille , appliquer le remède
à l'endroit où le mal n'est point. Votre mal n'est point
dans vos sentimeus \ il n'est que dans vos réflexions
LETTRES SPIRITUELLES. 6()5
volontaires. Vos senlimens sont vifs , injustes , et con-
traires à la charité ; mais la volonté n'y a aucune part,
et par consécpient ils ne sont point des péchés. Ce
([ui montre qu'ils ne sont pas volontaires , c'est que
la volonté ne s'attache que trop à les rejeter d'une
façon positive et marquée; c'est que vous avez, par
délicatesse d'amour-propre , trop horreur de ces sen-
timens : c'est que cette horreur va jusqu'à vous trou-
bler. Ainsi vous vous en prenez à ce qui n'est que
Tomljre du mal , et c'est le remède qui devient un
mal véritable. Ce premier mal ne serait qu'une sim-
ple douleur , comme celle des dents ou de la colique :
elle n'aurait rien de raisonné; ce serait une amer-
tume , une tristesse , une plaie douloureuse au tra-
veis du cœur. Mais ce qui la rend insupportable ,
c'est le désespoir de l'amour-propre , que vous y ajou-
tez par vos réflexions. Vous ne faites que deviner, et
deviner faux sur les autres , que subtiliser sur vous
pour vous tourmenter pour des riens : ensuite vous
vous faites , par réflexion , un second tourment du
premier tourment déjà passé.
En laissant tout tomber , vous contenteriez Dieu
tout d'un coup. C'est le plus grand sacrifice que vous
lui puissiez faire , que celui de lui abandonner tout
ce tourbillon de vaines pensées , et de revenir tout
court à lui seul. Rien n'expiera tant vos prétendus
péchés d'amour- propre , que le simple délaissement
de vous-même. C'est le remède spécifique à l'idolâ-
trie de soi , que le délaissement de soi-même : tout
autre remède aigrit et envenime la plaie délicate du
cœur , à force de la retoucher. C'est un dangereux re-
mède contre l'amour-propre , que de faire souvent
6qG lettres spirituelles.
Tanatomie de son propre cœur. Enfin vous n'êtes
point docile , et c'est de quoi vous devriez faire plus
de scrupule , que de vos sentimens involontaires ,
dont je me charge devant Dieu. Je le prie de vous
l'amener sans détour à la simplicité. Vous résistez à
Dieu ; vous refusez la communion , que vous savez
Lien que Dieu demande de vQus : au nom de Dieu ,
finissez cette résistance.
Je voudrais vous aller voir; mais j'ai aujourd'hui
l'examen de tous nos séminaristes pour l'ordination ,
qui ne me laissera pas cette liberté. J'oubliai hier au
soir cet examen, quand je dis à W^^ Bourdon que je
la verrais aujourd'hui chez vous. Ayez la bonté de
lui faire savoir que je ne le pourrai que demain au
soir. En attendant , donnez-moi de vos nouvelles avec
simplicité , et soulagez-moi le cœur , ma très-chère
fille , en m'apprenant que vous avez rouvert le vôtre
à l'attrait de la grâce.
406.
Ouvrir son cœur avec simplicité, par pure fidélité à Tordre de Dieu.
A Cambrai, 2 janvier ijoS.
Je vous irai voir tantôt , ma chère fille , et je serai
ravi , si vous voulez bien me dire tout sans réserve.
Le péché ne se trouve jamais à ouvrir simplement son
cœur , par une fidélité de pure dépendance à l'ordre
de Dieu. Il n'y a qu'à ne rien retenir par sagesse
propre , et puis se laisser juger , sans juger de rien.
Il me tarde de vous voir dans la simplicité de l'a-
mour de Dieu.
Ï.E',TRES SPIRITUELLES. 6i)n
b «•%% t«iV«%% /%^ «««J%%«'V»^'%%*
407.
Se défier de ses propres réflexions.
7 janvier 1708.
0 que j'ai de joie , ma clicre fille , de vous savoir
moins iigilce ! Fiez-vous à Dieu , et défiez-vous de vos
réflexions. Tournez vos scrupules à, n'hésiter jamais
pour suivre l'attrait de la grâce. La souffrance sera
hieii moindre , quand vous vous y livrerez sans rien
mesurer. Puisque vous me défendez de vous aller voir
ce soir, je n'y irai pas, parce que j'aurais à craindre
quelque embarras ; mais rien ne me retiendrait , si
vous aviez besoin de moi. Dieu m'a donné à vous , et
j'y suis sans réserve de tout mon cœur.
%«'««^4«4^%\««^^%i%«««'%W%V%«<W»«««%«A'*«*«Vk
(•-^44) 408 * A.
Les Icutatioiis et les senlimcns involontaires ne doivent point empêcher
la communion.
7 janvier 1707.
La tentation et le sentiment involontaire ne doi-
vent jamais empêcher la communion , ma très-chère
fille. Quoi ! parce que vous avez le cœur déchiré par
des sentimens injustes que vous voudriez n'avoir
jioiiit , vous vous priverez de Jésus-Christ ? Eh ! n'est-
ce ])as dans le temps de l'épreuve qu'on doit cher-
cher son secours? n'est-ce pas dans la douleur qu'on
doit recourir à la vraie consolation ? Vous avouez que
vous vous êtes écoutée ^ et que vous y avez réfléchi; de
sorte que de réflexions en réflexions _, vous avez mis a
698 LETTRES SPIRITUELLES.
bout toute confiance en Notre-Seigneur. Vous voyez
le fruit de vos réflexions. Voulez-vous les continuer,
pour vous précipiter dans le désespoir ? Les réflexions
vous conduisent au précipice : la fidélité à les laisser
tomber est votre unique ressource. Qu'est-ce que
M pourra vous dire? Vous ôtera-t-il la jalousie
du cœur, comme on ôte une épine du pied? Vous
rendra-t-il patiente , pour souffrir sans trouble votre
jalousie ? Vous apprendra-t-il à distinguer avec sû-
reté les sentiraens involontaires de jalousie , d'avec la
jalousie volontaire ? Il ne peut faire aucune de ces
choses. Si vous le voulez , nous lui parlerons vous et
moi , et vous verrez qu'il sera dans la nécessité de
vous dire précisément tout ce que je vous dis. Vous
ne vous guérirez point en vous confessant , car la con-
fession ne vous ôtera point la jalousie qui vous trou-
ble j elle n'appaisera ni vos douleurs ni vos scrupules.
Il ne vous en restera qu'une occupation inquiète de
vous-même.
Pour M , je voudrais que vous ne lui fissiez
point tant de caresses forcés : tout cela est d'un cou-
rage trop humain , et n'est pas de la simplicité que
Dieu demande de vous en tout. 0 si vous n'agissiez
avec elle que par grâce, et sans y mêler votre in-
dustrie , vous lui seriez utile , vous la redresseriez ,
vous lui feriez de grands biens, sans souffrir les maux
que vous souffrez ! Je crois que votre souffrance est
extrême-, mais ce que vous vous faites souffrir par ré-
flexion est infiniment plus rude , que ce quj Dieu
vous fait souffrir. Toute douleur soufferte simplement
dans la paix de Dieu , quelque grande qu'elle soit en
elle-même, porte sa consolation. Il n'y a que le trouble
LETTRES SPIRITUELLES. Gi^ij
de la volonté qui résiste à Dieu sous de l>eaux pré-
textes , qui puisse causer vos extrémités de désespoir.
Revenez peu à peu à vous taire et à écouter Dieu.
Ce chemin , qui vous paraît le plus long , est le plus
court.
J'ai pris ce matin de la rhubarbe : je ne l'aurais
pas fait , si j'eusse su la peine où vous êtes ; j'aurais
voulu demeurer en liberté de vous aller voir. Je tâ-
cherai d'y aller vers la lin de la journée. L'entretien
dliier ne m'a point incommodé. Je prie Dieu de vous
convaincre de la manière dont je vous suis tout dé-
voué en lui.
('38) 409 * A.
Ne point prendre de résolutions dans un état de trouble.
la janvier 1708.
Je ne savais plus que dire hier au soir , ma chère
fille. L'excès de votre peine était comme un torrent
([u'il faut laisser écouler. Nulle parole ne faisait im-
pression sur vous , et vous pensiez voir , avec la der-
nière évidence , les choses les moins réelles : mais
c'est l'effet ordinaire des grandes peines. Dieu permet
que nonobstant tout votre bon esprit , et votre dé-
licatesse pour sentir jusqu'aux moindres égards qu'on
a pour vous , vous n'apercevez pas ce qui saute aux
yeux , et vous croyez voir clairement ce qui n'est
point. Dieu tirera sa gloire de tout dans votre cœur,
pourvu que vous soyez fidèle à vous délaisser dans
ses mains. Mais rien ne serait plus inexcusable que
de prendre des résolutions dans un état de trouble ,
^OO LETTRES SPIRITUELLES.
qui porte manifestement avec soi l'impuissance de
rien faire selon Dieu.
Quand vous serez calmée , faites en esprit de re-
cueillement ce que vous croirez le plus conforme aux
intentions de Dieu sur vous. Remettez-vous peu à
peu à l'oraison , à la simplicité , à l'oubli de vous-
même. Allez communier ; écoutez Dieu sans vous écou-
ter : alors faites tout ce que vous aurez au cœur;
je ne crains pas qu'un tel esprit vous laisse prendre
aucun mauvais parti. Mais vouloir se croire soi-même ,
quand on est dans le dernier excès de la peine , et
quand on s'est livré à une tentation violente d'amour-
propre , c'est vouloir s'égarer. Demandez-le à tel con-
fesseur droit et sensé qu'il vous plaira de choisir ; il
vous dira qu'il ne vous est permis de penser à un
changement , qu'après que vous serez rentrée dans
la tranquillité et le recueillement. Il vous dira que
c'est vouloir se tromper soi-même , que de ne se dé-
fier pas de soi dans un état de jalousie si injuste et
si irritée.
Vous me répondrez que je veux empêcher votre
changement , en vous empêchant de le faire dans le
seul temps où vous êtes capable de Texécuter. Non,
Dieu le sait -, je ne songe ni à le permettre ni à l'em-
pêcher : je ne songe qu'à faire en sorte que vous ne
manquiez pas à Dieu. Or il est plus clair que le jour
que vous lui manqueriez , si vous preniez conseil
d'un amour-propre piqué au vif, et d'un dépit poussé
au désespoir. Voulez-vous changer pour contenter
votre amour-propre , quand même Dieu ne le vou-
drait pas? A Dieu ne plaise ! Attendez donc que vous
soyez en état de le consulter. Pour mériter ses lu-
LETTRES SPIRITUELLES. 7OI
luitMCS , il faut être également prêt à tout , et ne tenir
à rien qu'on ne soit disposé à lui sacrilier. 0 si je
pouvais vous ouvrir les yeux , que ne verriez-vous
pas de mon zèle et de mon atlacliement pour vous.
J'espère que Dieu vous dira tout , si vous Técoutez.
410.
Ouvrir son cœur avec simplicité.
i3 janvier 1708.
Lors même que l'excès de la peine vous fait par-
ler , ma très-clière iille , vous ne dites rien d'oflbn-
sant ni dans le fond ni dans les termes. On voit seu-
lement une douleur profonde avec une vivacité de
sentiment. Ainsi vous ne devez avoir aucun scrupule
de tout ce que vous dites. Il est vrai seulement que
vous vous trompez sur les personnes dont il s'agit ;
mais "S ous vous trompez de bonne foi , croyant voir
les préiérences (|ue vous ne voyez point, parce quelles
ne sont pas véritables. Encore une fois, n'ayez aucun
scrupule de ce que vous dites. Vous devriez en avoir ,
si vous ne le disiez pas ; car la simplicité demande
que vous ne réserviez rien par sagesse d'amour-
propre- D'ailleurs , il n'y a aucun liomme à qui vous
puissiez dire toutes ces cboses plus librement que moi.
Je le sais toutes par cœur ; j'entends tout à demi
mot ', j'ai la clef de votre cœur. Vous pouvez remar-
quer que ce que vous me dites ne m'aliène nullement
de vous, ne me cause aucune impatience, et ne fuit
que redoubler ma sensibilité pour vos peines. Je vous
])roteste seulement , que les cboses ne sont pas comme
n02 LETTRES SPIRITUELLES.
votre amour -propre vous les représente. Ainsi vous
ne sauriez jamais trouver aucun homme sans excep-
tion , qui soit plus en état , en toute manière , de
vous écouter et de vous soulager le cœur. Un autre,
quelque bon et discret qu'il puisse être , nourrira vos
scrupules , et ne vous passera point ce que je vous
passe contre moi. Je sais la juste valeur de ces choses,
où votre imagination et votre douleur vous entraînent
involontairement. Un autre ne saurait en juger comme
moi , et troublera tout le fond de votre intérieur , par
une exactitude et une fermeté à contre-temps.
De plus , il n'est point question de toutes ces cho-
ses ; il ne s'agit que de ce que Dieu demande de vous ,
pour le faire , quoi qu'il vous en coûte. ( Et il vous en
coûterait toujours moins , si vous alliez d'abord tout
droit à donner tout à Dieu , sans vous écouter ni
marchander. ) Vous ne sauriez nier , quand vous serez
paisible , et que vous n'écouterez point la fureiu^ de
votre jalousie , que Dieu vous a unie à moi , et que
vous me trouvez en lui sans distinction , dès que
vous revenez à votre oraison. Pourquoi donc voulez-
vous quitter celui que Dieu vous donne , qui vous en-
tend mieux qu'aucun autre , et qui n'a alicune peine
de ce que vous lui dites ? Si j'étais dans les disposi-
tions que vous vous imaginez , je vous laisserais faire
ce pas , après avoir sauvé toutes les apparences. Au
contraire , je vous conjure , ma chère fille , de reve-
nir au recueillement, de communier sans scrupule,
et de rentrer avec petitesse et sans résistance à Dieu
dans l'union qu^il veut.
LETTRES SPIRITUELLES. 'jo'i
411.
Surmont<;r en esprit d'abandon les peines intéiicurc* qui éloignent de
la comniiinion.
ag janvier 1708.
Dieu m'est témoin , ma chère fille , de la peine que
je ressens en voyant la vôtre , quoique je n'en puisse
point pénétrer la cause. Je prie Notre-Seigneur de
vous faire parler malgré vous. Cependant je vous
conjure de lui sacrifier votre douleur avec abandon,
et de communier. Si je vous ai manqué , sans le sa-
voir et sans le vouloir, Dieu n'en doit pas souffrir.
N'espérez pas de vous soulager en vous éloignant
de lui sous de beaux prétextes , que Famour-propre
cliercbe dans son désespoir. 0 que j'aurai de joie , si
je vous vois communier aujourd'liui de ma main ,
aux pieds de la Sainte-Vierge !
J'espère que Fonction de saint François de Sales
découlera de son cœur dans le vôtre , pour Fadoucir
et pour le calmer. Si vous vous tournez vers lui , il
vous obtiendra la paix. Je vous demande , par tout ce
que vous avez jamais goûté dans ses écrits^ de suivre
ses conseils contre les dépits de votre amour-propre ,
et de venir le jour de sa fête vous unir de cœur avec
moi. Je voudrais être mort à moi-même , et qu'il
n'y eût plus en moi que ce bon Saint, pour vous par-
ler , pour vous conduire, et pour vous aider à mou-
rir sans réserve.
7o4
LETTRES SPIRITUELLES.
412;
Point de paix en résistant à l'attrait divin.
A Cambrai, 3o janvier ijoS.
Èn vérité , ma chère fille , je ne saurais croire que
Dieu permette que tous vous éloigniez de moi pour
des peines qui n'ont point d'autre source qu'un amour-
propre jaloux ,.et qui se livre à son imagination. D'un
côté 5 c'est l'attrait de la grâce ; vous en convenez :
Dieu vous poursuit sans relâche. D'un autre côté ,
c'est la tentation grossière de l'amour-propre déses-
péré. Espérez-vous de trouver la paix en résistant à
Dieu pour flatter cet amour-propre bizarre et tyran-
nique ? Tout le mal vient de lui seul. Trouverez-vous
votre guérison en vous abandonnant au mal même?
D'autres ne pourront pas même vous entendre. Vous
leur ferez , dans vos soupçons jaloux , des peintures
fausses de ce qui se passe au dehors ; vous leur ferez ,
dans vos scrupules , des relations fausses contre vous-
même de ce qui se passe au dedans. Ils ne pourront
vous donner que des conseils disproportionnés et à
vos soupçons , et à vos scrupules , et aux voies par
où Dieu vous mène j car ils ne les connaissent pas. Si
je pensais comme vous vous l'imaginez , après avoir
satisfait aux règles du ministère et à la bienséance,
je vous laisserais enfin doucement prendre ce parti.
Tout au contraire , j'insiste sans relâche pour vous
ramener. Est-il possible que vous ayez cent yeux
ouverts pour voir ce qui n'est ni vrai ni apparent , et
que vous ayez les yeux fermés pour ne voir pas ce
LETTRES SPIRITUELLES. TO:)
(|iii est manifeste ? Dieu permet que votre boti esixit
ne sert qu'à vous rendre subtile pour vous tromper.
Faites taire votre imagination excitée par votre amour-
propre , et revenez à écouter Dieu dans le recueille-
ment. C'est là que Dieu vous attend : c'est ce que vous
fuyez. Voilà la seule infidélité qui devrait vous causer
du scrupule. Revenez , revenez dans le sein de Dieu.
VVWWVVfr^V »%% *>VVVfc% v%% %w %%% v%v
413.
Exhortation à la pauvreté d'esprit.
3i janvier 1708.
Jugez-vous vous-même, ma chère fille. D'un côté ,
vous dites : Tout est faux presque , quand on hésiia
j)our se donner le loisir de se consulter ^ et encore :
Dieu n'est content , qu'autant que je suis sotte et
pauvre d'esprit. D'un autre côté, vous dites que vous
ne voulez point me voir, que vous 7i'ayez soutenu une
épreuve en personne raisoiuiuhle. \ouloir trouver en
vous cette force et cet appui de raison au milieu de
l'épreuve , est-ce consentir à la pauvreté d'esprit ?
est-ce vouloir contenter Dieu ? Vous avez donc grande
raison de dire : Je craifis que cette lettre ne soit
point du goût de Dieu. En eflét, elle n'en est point.
Rien n'est plus opposé à Dieu^ que de ne vouloir pas
être pauvre d'esprit pour le contenter , et de vouloir
être riche d^esprit et de courage , de sorte qu'on ait
soutenu une épreuve en personne raisonnable. Ce
vain projet de l'amour-propre , qui ne veut revenir
à Dieu qu'après qu'il aura trouvé sa force et sa res-
source en soi , mérite d'être confondu par les chutes
CORRLSP. IV. 3o
noG LETTRES SPIRITUELLES.
les plus honteuses. Revenez donc , ma chère fille ,
avec une véritable pauvreté d'esprit. N'hésitez point;
ne vous donnez point le loisi?' de vous consulter.
Venez tantôt me voir céans , ou bien j'irai chez vous
dans votre appartement d'en haut. Il faut sans doute
que vous demeuriez ici ; mais que vous y demeuriez
simple , petite , docile , sans réflexion , sans hésita-
tion , voulant être sotte et pauvre d^ esprit. C'est tout
ce que Dieu veut de nous. 0 qu'il est riche , quand
nous sommes pauvres ! ô qu'il est sage , quand nous
sommes sots , et que nous voulons l'être pour lui !
Soyez girouette. Malheur aux sages qui se possèdent
avec égalité ! Venez , ou j'irai vous poursuivre.
414 * A. (i36)
Souffrir les peines intérieures avec patience et humilité.
A Cambrai, lo février 1708.
On ne peut être plus en peine que je le suis , ma
chère fille , de l'état où je vous ai laissée. Vos dou-
leurs sont involontaires , et elles se tourneront en mé-
rite dès que vous les souffrirez avec patience et hu-
milité. Vous feriez de vos souffrances agréables à Dieu
une infidélité dangereuse , si vous les écoutiez trop.
Ce n'est rien que d'avoir le sentiment des passions
les plus injustes , pourvu qu'on n'en ait pas la vo-
lonté. Ne vous troublez donc point. Ce qui vous a
blessée ne devrait en soi vous faire aucune peine ,
car il s'est passé d'une façon à ne pouvoir pas même
blesser votre délicatesse. Mais Dieu permet que votre
imagination vous grossisse les objets , pour vous faire
LETTRES SPIRITUELLES. 707
soufl'rir , et pour vous liumilicr. Entrez dans ses des-
seins crucifians : laissez-vous attacher à la croix que
Dieu vous présente •, mais n'y en ajoutez aucune de
voire invention. C'est dans les commencemens de la
tentation qu'il faut en arrêter les progrès par une
fidélité toute simple. Mon Dieu , que je crains pour
vous cette nuit , et les agitations de votre cœur. Si
N a quelque tort vers vous de ne vous avoir
pas avertie , contentez-vous de lui pardonner devant
Dieu , et tachez de vous remettre dans la paix du
cœur. 0 que je ^oudi•ais que vous eussiez le cou-
rage de venir demain à ma messe! je la dirais à l'heure
qui vous serait la plus commode. Je prie le Dieu de
paix , d'amour et de bonté , de calmer votre cœur^.
Amen , amen.
(13;) 415 * R.
Mèiue sujet.
A Cambrai, 11 février 1^08.
Il me tarde , ma chère fille , de vous aller voir.
En attendant , je vous conjure d'écouter Dieu dans
un vrai silence intérieur. La tentation , quelque hu-
miliante qu'elle paraisse , se tourne à profit , quand
on la souffre en paix , sans y consentir : c^est l'hu-
miliation même qui en est le vrai profit. Ce qui fait
horreur à l'amour-propre est précisément de quoi
nous avons besoin. Vous fîtes très-bien hier de me
dire votre peine. Il n'y a aucun sentiment injuste
dont je sois en peine , quand on le découvre avec
simplicité , et qu'on n'y adhère pas volontairement.
3o*
708 LETTRES SPIRITUELLES.
Au nom de Dieu, communiez. Sacrifiez votre peine;
à celui qui ne la permet qu'afin que vous lui en,
fassiez le sacrifice. Cherchez en Jésus-Christ la paix
que vous ne trouvei*ez jamais en vous-même. Dieu
sait avec quelle sincérité et de quel coeur il me fait
être à jamais tout à vous.
416 * R. (13;)
S'abstenir des réflexions inquiètes sur soi-même.
A Cambrai , i4 février 1708.
En sortant de chez vous , ma chère fille , je ne vous
ai point quittée. Je suis demeuré devant Dieu avec
vous ; j'espère qu'il calmera votre cœur. Je ne veux
vous ôter ni le sentiment vif et douloureux , ni même
les réflexions involontaires qui vous tourmentent. Je
voudrais seulement que vous n'y ajoutassiez pas des
réflexions délibérées. Vous vous écoutez à plusieurs
reprises : j'ai remarqué qu'après un peu de relâclie
vous reprenez vos réflexions. Voilà la vraie source
tle vos plus grandes peines. D'ailleurs vous dites que
vous ne sauriez vous empêcher d'écouter vos raisons,
parce qu'elles vous paraissent claires ; mais prenez
garde que toutes les personnes soupçonneuses et in-
dociles en disent autant. Il faut se faire taire, non
par effort , mais par simple et paisible volonté de
laisser faire Dieu , et par pur abandon à sa grâce. Un
rien vous dure des heures et des jours , parce que
vous attisez le feu , comme vous ii^ritez la fluxion de
votre nez à force de le toucher. Par là un rien s'en-
venime dans vetre cœur. Je vous demande pardon ,
LETTRES SPIRITUELLES. 709
si je VOUS ai manqué ; mais j'élais à une dislance in-
linie de le >ouloir. Rien au monde ne vous est uni
au point que je le suis pour porter avec vous toutes
vos croix ; mais ne vous en faites point au-delà de
celles que la main de Dieu vous fait elle-même. Vous
sentez ce qu'il veut : ne voyez et n'écoutez f[ue cela;
tout le reste est tentation. Obéissez sans consulter ni
votre raison ni vos forces. Dieu fera tout , si vous le
laissez faire : je ne cesse point de le prier de vous
soutenir.
417,
yc point prendre de résolutions pendant le (rouble. La paix ne s'obtient
qu en combattant l'amour-proprc.
A Cambrai , i6 mars 1^08.
Je vous conjure, au nom de Notre-Seigneur , et par
toutes les grâces qu'il vous a faites, de ne prendre
aucun parti dans votre trouble , et d'attendre pendant
quelques jours la réponse à la consultation que j'ai
faite pour vous. Après ce temps , vous serez libre
d'aller où vous croirez que Dieu vous appellera , s'il
est vrai qu'il ne vous veuille plus à Cambrai. Mais si
vous aviez pris de certains engagemens , vous auriez
de la peine à reculer. Retarder un départ n'est rien :
le retardement laisse une pleine liberté de partir dès
qu'on le voudra ; mais le départ est un engagement
qui tire à conséquence. Pour moi , je ne veux , ce
me semble , que la volonté de Dieu sur vous , quoi-
qu'il me donne une union avec vous , et une vivacité
pour tout ce qui vous touche , que vous ne croyez
niO LETTRES SPIRITUELLES.
point. Je ne vous demande que peu de jours. C'est
Dieu , plutôt que moi, qui vous les demande. Espérez-
vous la paix en prenant un parti de désespoir, dans
un trouble visible ^ où, loin d'écouter Dieu en silence,
vous n'écoutez que votre passion ? C'est une fureur
d'amour-propre qui vous transporte. Ne porterez-
vous pas au bout du monde cet amour-propre forcené?
Prétendez-vous l'appaiser en lui obéissant? Croyez-
vous que l'absence de certains objets ôtera à cet
amour-propre , si ingénieux pour vous tourmenter ,
des prétextes pour vous troubler encore ? Votre ima-
gination vive ne vous rendra-t-elle pas présent ce
que vous aurez quitté ? L'éloignement gi"ossira le fan-
tôme , et vous privera du remède que le détail vu de
près fournit, quand on écoute Dieu. L'absence ajou-
tera le remords et le désespoir à toutes vos peines.
Pourquoi ne consenterais-je pas à votre départ , si
je croyais que Dieu le voulût , ou si j'étais tel que
vous voulez le croire ? Je vais me mettre devant Dieu ,
pour lui demander avec humiliation et amertume
quil A'ous retienne , et qu'il fasse ce que je ne sais
pas faire. C'est son ouvrage ; je ne suis qu'un vil
et indigne instrument. Je crains même que mes
infidélités ne vous nuisent. Mais vous verrez un
jour à la pure lumière de Dieu , combien je cher-
che à mettre votre cœur eu paix , et à le faire en-
trer dans celui de Dieu , à qui vous résistez. J'irai
vous voir demain de bonne heure. Laissez faire l'es-
prit consolateur.
LETTRES SPIRITUELLES. -J 1 I
418.
Ne point s'écouler soi-mômc , t^coufer Dieu en silence.
A Cambrai , i5 avril ijo8.
J'apprends, ma chère fille, que votre cœur est dans
la peine : j'en souffre une véritable , de vous savoir en
cet état. C'est le bon Leschelle qui a fait ce qui cause
votre agitation. Il m'en dit un mot. Je lui répondis
que , si vous sentiez que l'esprit de grâce demandât de
vous cette ouverture , il ne faudrait pas lui résister.
Nous comptâmes que je vous verrais , et que vous
m'expliqueriez vous-même votre disposition , avant
qu'il fût question de rien. J'appris hier tout à coup
que vous aviez tout dit. Comme je suis persuadé que
vous l'avez fait avec simplicité , pour céder à l'esprit de
Dieu , vous ne sauriez jamais vous trouver mal d'une
si bonne action : il n'y aurait que les réflexions de
Tamour-propre qui pourraient la gâter. Demeurez
dans la situation d'oubli de vous-même , où. vous
étiez quand ^ous avez parlé , et vous vous retrouverez
dans la paix où vous étiez en parlant.
Je ne compris point hier qu'il fût pressé de vous
aller voir; je crus que vous étiez tranquille , puisque
vous aviez si bien parlé , et avec tant de dégagement
de vous-même. De plus , j'avais un besoin très-pres-
sant de voir M™« , faute de quoi elle n'aurait pas
pu faire aujourd'hui ses pâques. Il fallut me pres-
ser de revenir ici , où j'étais surchargé d'affaires.
Je ne manquerai pas de vous aller voir aujourd'hui
après vêpres. En attendant , je vous conjure d'écou-
ter le bon Leschelle , qui vous dira avec zèle d'ex-
rj I 2 LETTRES SPIRITUELLES.
cellentes vérités pour appaiser votre cœur. Laissez-
vous à Dieu. Le grand malheur est de se reprendre :
on perd le fruit du délaissement qu^on a fait. Ne
vous écoutez point ; écoutez Dieu en silence.
419.
Contre les troubles et les délicatesses de ramour-propre.
A Cambrai, i6 avril 1708.
Puisque vous voulez faire des réflexions , ma chère
fille , au moins souffrez que je vous en propose quel-
ques-unes.
Vous regrettez d'avoir fait ce que vous croyez que
î'esprit de grâce vous a fait faire.
Vous vous êtes percée de clous pour vous attacher
à la croix ; puis vous faites des eflbrts pour vous en
détacher : mais vos efforts n'aboutissent qu'à déchi-
rer vos plaies , et vous vous faites plus de mal que
le crucifiement ne vous en a fait.
Si vous étiez demeurée dans la petitesse avec M^^^ . . . ,
cette petitesse vous aurait donné grâce et autorité
pour elle.
Vous ne pouvez , dites-vous , n'écouter pas votre
jalousie ; mais vous savez bien n'écouter pas l'amour
de Dieu , et résister à la grâce qui vous invite à re-
venir humblement.
Vous êtes forcenée d'amour-propre , et c'est dans
cette tentation de désespoir , que vous voulez prendre
un parti.
Vous voulez quitter tout pour aller soulager votre
amour-propre , et échapper à la main crucifiante de
LETTRES SPIRITUELLES. "J I 3
Dieu , comme saint Paul et saint Antoine ont quitté
tout pour aller crucilier l'amour-propre au désert ,
et y mourir sans relâche.
Vous croyez appaiser l'amour-propre jaloux , en
vous dérobant à Dieu, et en irritant sa jalousie.
Vous voulez faire la loi à Dieu sur le genre de
mort dont il vous plaira de nioimr, et à condition
i[ue l'amour-propre évite l'humiliation.
Vous ne voyez pas que vous porterez partout votre
imagination , qui vous rendra présent tout ce que
vous aurez fui , qui vous le grossira , et qui y ajou-
tera le remords d'avoir manqué à Dieu.
Il ne s'agit ni de ni de Il ne s'agit que
de votre cœur empoisonné d'un amour-propre de
démon , et de Dieu qui vous poursuivra jusqu'au
bout du monde y pour vous faire sentir l'infection de
votre cœur , et pour faire du venin même le contre-
poison.
Si j'étais las de prendre soin de vous , qu'est-ce qui
m'empêcherait de vous laisser partir pour me débar-
rasser? N'ai-je pas rempli toutes les bienséances? n'ai-je
pas épuisé tous les moyens de vous retenir ? ne pour-
rais-je pas me rendre le témoignage d'avoir fait pres-
que l'impossible pour vous contenter ?
Vous êtes scrupuleuse sur des riens , et vous ne
faites aucun scrupule sur une foule de jugemens té-
méraires et chimériques , sur une indocilité obstinée ,
sur des délicatesses inouies d'amour-propre.
Vous supposez sans scrupule en autrui des senti-
mens et des motifs opposés à la grâce , pour pouvoir
croire toutes les chimères de votre jalousie.
Il faut changer de cœur , et avoir un vrai mépris
7 I 4 LETTRES SPIRITUELLES.
de celui que vous avez cru si bon, eu quelque en-
droit du monde que vous pviissiez fuir. Ce n'est point
guérir un abcès , que de l'emporter dans ses entrailles,
loin du médecin qui veut le percer.
Mes paroles sont dures ; raai§ elles sont nécessaires.
Dieu voit , ma chère fille , le zèle avec lequel je vous
suis dévoué à Jamais,
420.
Ne point augmenter ses peines par une agitation volontaire.
(Juillet 1708.)
Sx je n'eusse craint de vous alarmer , ma clière
fille , je serais allé tâcher de vous consoler. La na-
ture du mal ne permet pas d'être sans crainte ; mais
vous craignez trop. Notre malade apercevra l'excès
de votre peine , et il n'en faut pas davantage pour la
troubler. Cette surprise pourrait même lui faire un
grand mal. Je vous conjure , pour l'amour d'elle , et
au nom de Dieu , de ne vous alarmer pas au-delà
de toute règle. Je suis vivement touché de votre juste
peine ; mais portez-la avec confiance en Dieu , et en
lui demandant avec simplicité la force qui vous man-
que. N'ajoutez rien , par vos agitations volontaires ,
à ce que Dieu vous fait souffrir. C'est le détachement
du cœur qui fait que Dieu se contente de la bonne
volonté , et nous dispense du sacrifice. Il ne rendit
Isaac à Abraham qu'après que le père eut levé le
bras pour immoler son fils. Je ne vous demande point
que vous leviez le bras ; il suffit que vous demeuriez
souffrante et immobile sous la main de Dieu, en re-
I.ETTRES SPIRH UEI.I.ES. "J 1 ù
courant à sa bonté. Que ne donncrais-]e point , et
que ne voudrais-je point souffrir , ma chère fille, pour
votre soulagement , et pour la guérison de notre ma-
lade !
421.
Sur la maladie d'une fille de la Comtesse. Tristei nouvelles de l'armée.
A Cambrai, i3 juillet 1708.
J'envoie , ma chère fille , savoir comment se porte
votre malade. J'en suis en peine , et j'ai prié Dieu de
tout mon cœur pour sa conservation. Une si bonne
et si sage mère est infiniment nécessaire à sa famille.
Mandez-moi en deux mots en quel état elle est. Si je
pouvais lui être utUe , ou vous soulager , je partirais
d'abord pour Vendegies ; mais je souhaite fort que sa
bonne santé vous permette de revenir sans retardement.
Les nouvelles qui viennent de l'armée par Tour-
nai sont fort tristes ; mais elles sont encore très-con-
fuses , et nous attendons à tout moment d'apprendre
la vérité du fait. On prétend qu'il y eut un combat
désavantageux pour nous auprès d'Oudenarde(i)avant-
hier au soir. Pendant que nous ne pouvons point avoir
la paix au dehors , tachons du moins de la conserver
au fond du cœur. Que la paix de Dleu^ qui surpasse
tout sentiment humain , gat^de votre cœur et votre
esprit en Jésus- Christ [a).
(i) Ce combat s'était donné le 11 juillet. Voyez les lettres 89
et (ji de la i'« section, tom. I, pag. 246 et 25i.
(a) Philip. IV. 7.
nib LETTRES SPIRITUELLES.
■»%< ■vv» <%»**<<»«******'****** '**^**'***^*'***^**''^**^'** *************<*****»*»»»<*» ^**v
422.
S'abstenir des réflexions inquiètes et multipliées sur soi-même. NouveMes
de l'armée.
A Cambrai, i4 juillet 1708.
Je suis ravi, ma clière fille, d'apprendre que notre
malade se porte mieux que vous n'aviez cru ; mais
ces langueurs , ces douleurs de tête et de reins, cette
faiblesse d'estomac avec le dévoiement, font beau-
coup craindre qu'elle n'accouche dans les neuf jours,
et il ne me paraît pas possible que vous l'abandon-
niez avant ce temps-là. Vous kii devez non-seulement
le secours , mais encore la consolation qu'elle espère
de votre présence.
Je ne saurais craindre que votre petit séjour de
Vendegies nuise à votre grâce , et trouble votre cœur ,
quand je songe que ce petit séjour est d'une provi-
dence très-marquée. Ce n'est point sur des réflexions
d'amour-propre , ni par votre propre raison , que vous
êtes allée en ce lieu ; c'est pour y remplir un devoir
essentiel de borme mère , en faveur d'une très-bonne
et très-digne fille. C'est par pure et simple obéissance
que vous l'avez fait. Je conclus donc que vous devez
y demeurer tranquillement, jusqu'au bout des neuf
jours qu'on dit être périlleux. Cependant je ne man-
querai pas d'envoyer fréquemment savoir de vos nou-
velles , et vous donner des miennes. De plus , j'irai à
Vendegies au premier signal , si je puis y être utile ,
et si vous me le mandez simplement. J'y irais même ,
sans attendre que vous le souhaitassiez , si je ne crai-
gnais d'y embarrasser dans l'état embarrassant où l'on
LETTRES SPIRITUELLES. 'Jl'J
y est déjà. Votre lettre , ma chère fille , m'a rempli
de consolation , en me montrant combien vous vou-
lez être simple avec moi. Commencez par l'être avec
Dieu , en vous repliant moins sur vous-même par rap-
port à vos fautes. La simplicité pratiquée avec Dieu
vous apprendra à la pratiquer avec l'homme qui ne
doit jamais être pour vous que sa pure et simple
représentation. Plus vous serez simple , plus vous me
trouverez luii à vous. Il n'y a que le défaut de sim-
plicité qui puisse vous en làire douter.
Les nouvelles de l'armée se tix)uvent infiniment
moins mauvaises que le bruit public. Une partie de
notre infanterie a voit attaqué les ennemis entre des
fossés et des haies , où notre cavalerie ne pouvait agir
et où notre artillerie ne nous servait de rien. Il y a
eu là un combat particulier assez disputé par la grande
vigueur des nôtres -, mais où il y a eu néanmoins peu
de gens tués de part et d'autre , en sorte qu'on n'en
marque aucun d'un nom connu. Comme il a fallu se
retirer, les nôtres ont un peu souffert en se retirant.
Les ennemis peuvent avoir quelques prisonniers ; mais
les vanteries de leurs gazettes sont ridicules. Un hon-
nête homme revenant de Tournai m'assura hier qu'il
y avait vu un de ses amis , qui avait été , depuis l'ac-
tion , témoin de la bonne santé de M
423 * A. (i4o)
La jalousie de Dieu se tourne moins contre nos fautes , que contre les
dépits de l'amour-propre blessé.
A Cambrai, 17 juillet 1708.
J'envoie savoir , ma chère fille , comment se porte
la vôtre. J'en suis toujours en peine, et je crains un
r^lS LETTRES SPIRITUELLES.
accouchement prématuré. L'abbé de L et ont
grande envie de vous aller voir. Je ne l'ai pas moins
qu'eux; mais il faut prendre un temps libre. J'enver-
rai demain mes chevaux à M"»* M. le C a
écrit à mon neveu l'abbé une lettre sage , qui vous
fera plaisir et à tous les habitans de Vendegies.
Il m'a paru , par vos lettres , que votre coeur est un
peu élargi. 0 que je vous désire cette largeur ! L'amour
la donne ; la crainte l'ôte. Vous n'avez pas les craintes
de l'amoLir-propre sur les peines -, mais vous les avez
au dernier excès sur les fautes. C'est faire injure au
bien-airaé , que de le croire sans condescendance sur
les petites fautes qui échappent sans mauvaise vo-
lonté. Sa jalousie ne se tourne point de ce côté-là;
elle se tourne bien plus vers les rafîinemens d'un
amour-propre composé , qui se mire dans la symé-
trie de ses vertus. L'amour dépris de soi-même n'est
pas si délicat sur soi ; il est bien plus occupé du bien-
aimé : il est simple , confiant , et ne sait qu'aimer.
Soyez ainsi , et la paix abondera dans votre cœur. Il
me tarde de vous revoir ; mais je crois qu'il faut que
tout cède encore pour quelques jours au besoin pres-
sant de votre malade. J'honore très-fortement tout
ce qui vous environne , et Dieu seul sait , ma chère
fille , à quel point je vous suis dévoué.
424.
Il approuve la conduite de la Comtesse envers sa fille.
A Cambrai, aS juillet ijo8.
Je crois . ma chère fdle , que vous avez bien fait de
donner à M'^« la Comtesse de Souastre la consolation
LETTRES SPIRITUELLES. "J 1 9
qu'elle désire. Dieu vous bénira d'avoir eu cette com-
plaisance pour une 1111e qui en est si digne , et qui en a
un si pressant besoin. J^irai l'après-midi chez M^^^^ . . . ,
et je ferai, selon vos intentions, ce qui dépendra de
moi. Il me semble qu'elle ne doit avoir aucune peine
d'un dérangement de son voyage à Vendegies , qui
ne venait que du parti que nous avions pris ensem-
ble , vous et moi , pour votre prompt retour à Cam-
brai. Ne pensez à rien -, laissez faire Dieu , et conten-
tez-vous de ce qu'd fera. Bonjour , ma clière iille. Je
suis à vous sans réserve en Notre-Seigneur.
425.
Ne point écouter les délicatesses <\e ramour-propre.
A Cambrai, i septembre 1708,
Je fus véritablement facbé liier , ma chère fille , de
savoir que vous aviez été ici, sans que j'eusse pu vous
voir. Mandez-moi de vos nouvelles. Vous feriez en-
core mieux de m'en venir donner vous-même. Gardez-
vous bien d'écouter vos délicatesses gênantes : laissez
élargir votre cœur. Je vous croirai une Sainte de pa-
radis, quand vous dormirez bien la nuit , et que vous
serez sans façon le jour. Je voudrais profiter du goût
que M™« de a pour vous , afin que vous puissiez
lui aider dans ses besoins spirituels. Si vous étiez
moins enveloppée en vous-même , vous feriez des
merveilles pour les autres. Bonjour. Je n'ai pas le
temps d'écrire à M'^^ Bourdon. Décidez-la, et faites-
la communier , en attendant que je la puisse voir.
-y 20 LETTRES SPIRITUELLES.
426*. (,3y)
Tourment d'une ame que Dieu veut faire mourir à elle-même , et qui
résiste à l'opération de Dieu.
Votre lettre , ma chère fille , me donne une vraie
consolation. J'y vois Dieu qui ne se lasse point de
vous poursuivre avec amour , lors même que vous
faites tant d'efforts pour le fuir. 0 que vous vous
donnez de peine pour lui échapper ! 0 si vous vous
en donniez autant pour le laisser faire ! Pourquoi
craignez- vous tant la mort, puisque vous vous don-
nez tant de torture toutes les fois que vous voulez
retenir un reste de vie mourante et douloureuse ?
Laissez-vous achever. Vous ne voulez que des ra-
goûts d'amour-propre. Il ne vous faut que de la sim-
plicité , et que de l'ouhli de vous-même. Vous vou-
driez que je vous donnasse des remèdes pour vivre
encore , quand il ne faut plus que mourir. Allez au
bout du monde , vous y trouverez votre cœur délicat,
épineux , industrieux pour se ronger soi-même ; vous
y trouverez Dieu jaloux, et inexorable pour deman-
der l'entière mort. Vous portez en vous ces deux ja-
lousies qui déchireront vos entrailles. Mourez : le
moindre reste de vie n'est que douleur -, il n'y a que
la mort qui ôte le sentiment. Délaissez-vous au coup
de la main de Dieu.
LETTRES SPIRITUELLES. ']2
t»lr%%%»V»%»
427.
S'oublier sol-même pour écouler Dieu.
Mardi, ii septembre 1708.
Je tous prie , ma chère fille , de faire communier
M'^*^ Bourdon , jusqu'à ce que je puisse la voir en al-
lant chez vous. Elle n'aura jamais de paix , ni de
règle, ni de fidélilé soutenue, pendant qu'elle se lais-
sera aller à la vivacité de son imagination , et qu'elle
suivra ses goûts et ses répugnances. Montrez-lui le
chemin le plus droit par votre exemple. Apprenez-
lui comment il faut ne se point écouter , et écouter
Dieu. Ce n'est pas assez : à mesure qu'on l'écoute , il
faut le suivre sans regarder jamais derrière soi. Celui
qui y meUant la main à la charrue , regarde encore
derrière lui , n'est pas propre au royaume de Dieu (a).
(a) Luc. IX. 62.
428.
Renoncer avec simplicité aux exercices de piété quand la santé l'exige.
Dimanche, 7 octobre 1708.
Si vous voulez être bonne et simple, comme je
vous en conjure, ma chère fdle, vous garderez tout
aujourd'hui le grand jeûne de messe , d'office , et de
toute entrée dans l'église. Votre santé le demande ,
et par conséquent Dieu le demande aussi. Il faut le
servir à sa mode , et non à la vôtre. Plus vous avez
de peine à quitter cette pratique excellente en soi,
CoRRESP. IV. 3l
n22 LETTRES SPIRITUELLES.
mais déplacée dans les circonstances , plus il faut y
mourir. Je vous le demande très-instamment. Dieu
vous en tiendra compte comme d'un vrai sacrifice.
t.v%i tint v%ilr*»W»^ 'V*"' *** v** «*»■ v»*%«»v*v»<*».»*v«»A, vfcvvy» »»%»%% »»l»»%%»»w»v>v» »%»%»» vw
429 * A. (244)
Piepousser la tentation avec paix.
A Cambrai, dimanche 21 octobre 170S'.
Je suis cliarmé , ma chère fille , de la simplicité
avec laquelle vous m'ouvrez votre cœur sur votre
peine. Dieu bénira cette conduite , et elle est de pure
grâce. Les sentimens les plus violens de votre jalou-
sie sont involontaires. La peine excessive que vous
en avez ne le montre que trop. Si cette jalousie était
moins opposée au fond de votre volonté , elle vous
serait infiniment moins douloureuse. Vous n'avez même
que trop d'activité et d'ardeur pour la repousser. Votre
opposition à la jalousie , que vous poussez jusqu'à
l'excès , accable votre esprit et votre corps. En même
temps , votre ardeur pour repousser sans cesse la ten-
tation par des actes marqués , vous dessèche l'inté-
rieur , et trouble l'opération de la grâce , qui vous
attire à la paix et au simple recueillement. 0 si je
pouvais vous persuader de ne faire que souffrir ce
que vous sentez, sans y consentir, je rétablirais tout
d'un coup votre santé et votre intérieur ! Je suppose
que vous suivez un peu trop certaines réflexions de
dépit ; encore même n'est-ce qu'un entraînement
d'imagination. Mais pour le sentiment de jalousie ,
vous ne faites que le soufii'ir avec horreur : ainsi il
n'y a aucun péché.
LETTRES SPIRITUELLES. '^2^
Communiez donc , je yous en conjure au nom de
celui qui sera votre paix , quand vous l'aurez reçu
par pure foi et par obéissance aveugle. Dieu sait le
mal réel que vous vous feriez en vous ôtant le pain
quotidien , pour un mal imaginaire auquel votre vo-
lonté n'a aucune part , et qu'elle repousse avec trop
de délicatesse et d'activité. Bonsoir. J'espère que le
pain de vie vous attirera demain , pour guérir toutes
les plaies de votre cœur. Il faut être sans péché mor-
tel , mais non sans imperfection , pour le recevoir.
Il est le pain qui fait croître les petits , qui fortifie
les faibles , et qui guérit les malades. Je vous ordonne
absolument , au nom de Notre-Seigneur , de commu-
nier demain. Ce sacrifice de vos peines et de tous les
retours de votre amour-propre vaudra mieux que
tous les actes inquiets et turbulens, par lesquels vous
troublez sans cesse votre recueillement. Ne soyez plus
comme une personne qui se ferait sans cesse éveiller
en sursaut. Tous vos actes , auxquels vous avez tant
de confiance , sont , de votre propre aveu , comme
convulsifs. Paix , paix , oubli de vous , abandon à
Dieu : il sait le zèle qu'il me donne pour vous.
430 * R. (i3G)
Même sujet.
Vendredi j i6 novembre 1708.
Votre lettre, ma clière fille, m'a donné une grande
joie. En attendant que vous puissiez tout dire , écri-
vez-moi tout avec simplicité. Mon Dieu , quelle paix
n'auriez-vous point au milieu de vos sentimens les
3i^
n24 LETTRES SPIRITUELLES.
plus Denibles , si vous vouliez Lien les soufFrir , et
vous délaisser sans aucun retour volontaire de déli-
catesse pour vous-même ! Famour-propre désespéré
crie les hauts cris : je ne m'en étonne pas. Tant mieux
qu'il ait sujet de bien crier : allez toujours votre che-
min sans écouter ses. cris. Cette fidélité toute simple
ferait tomber les trois quarts de vos peines. Le trou-
ble n'y serait plus , et le trouble est ce qui les rend
insupportables. Demeurez dans le sein de Dieu, et
il vous soulagera. Bonjour ; on m'interrompt.
431 * A. ("5)
Même sujet.
A Cambrai j 5 janvier 1709.
Jamais les cœtirs , ma chère fille , ne vous furent
plus ouverts qu'ils le sont-, mais Dieu permet que
vous ne le voyez pas, et que vous croyez voir le
contraire. Toutes vos sensibilités et toutes vos pensées
sans fondement se tourneront à bien , pourvu que
vous n'y ajoutiez aucun consentement libre. Quand
même vous seriez rongée par la plus cruelle jalousie,
vous ne seriez que dans la peine des âmes du pur-
gatoire, qui, comme vous savez, souffrent une extrême
douleur dans une profonde paix. Une douleur qui
n'ôte point la paix de la volonté, et qu'on accepte
avec amour , peut être grande ; mais elle porte avec
soi une très-douce consolation. On souffre beaucoup,
mais on est content de souffrir , et on ne voudrait
pas diminuer sa souffrance. Si nous pouvions inter-
roger les âmes du purgatoire sur leur état , elles nous
LETTRES SPIRITUELLES. 725
repondraient : Nous soufTrons nue douleur terrible ;
mais rien n'ôte tant à la douleur sa cruauté , qu'un
plein acquiescement -, nous ne voudrions pas avancer
d'un moment notre béatitude. C'est le feu de l'amour
jaloux et vengeur qui les brûle : c'est le feu de la
jalousie de l'amour-propre qui vous brùle , et que
Dieu tourne contre lui-même pour sacrifier tout au
pur amour. Acquiescez avec abandon. Ne vous écou-
tez plus : vous ne faites qu'alonger votre purgatoire;
et vous le cliangeriez en enfer , si vous résistiez à
l'esprit de Dieu. 0 ma clière fille , quand verrez-vous
combien je vous suis uni ? Je n'ose vous aller voir ,
de peur d'exciter votre peine par votre raisonnement ;
mais j'y irai dès que je vous saurai prête à me bien
recevoir. Communiez : votre plus grande faute est
d'interrompre vos communions.
%VWlVVV«<V**VVW%*VVVVfcV«r»VV%V*VV«*VVfcVVkVVV»V»VVV*»»<**%VV*Vl*V««**»i»l»^»V|/*V»VV»%*«
432.
Sur quelques affaires d'inlérèt. L*oubll de soi-même , source de p.iix,
A Cambrai, mercredi, a3 janvier 1709.
Je ne pus point parler bier d'affaires , ma cbère
fille; mais j'en ai parlé aujourd'hui. M. de Bernières
avait reçu la lettre de M™^ la Comtesse de Souastre.
Il dit que les trésoriers de ce pays ont manqué de
fonds; qu'il a manqué plusieurs millions pour le paie-
ment de l'année dont il s'agit ; que cette année-là
étant finie , sans qu'il ait resté aucun argent auj^ Iré-
soriers , et leurs comptes étant rendus , il n'est plus
question pour eux de payer votre somme , et qu'elle
ne peut plus être payée qu'à Paris. C'est sur quoi il
y 26 LETTRES SPIRITUELLES.
importe d'avertir proraptement M™^ la Comtesse de
Soiiastre , afin qu'elle prenne sur les lieux des me-
sures justes.
La paix que Dieu vous fait trouver dans l'oubli de
vous-même , vous montre ce que vous pouvez trouver
en ne vous écoutant point. Nul mort à soi-même
ne coûte rien dans l'oubli de soi , parce que cet ou])li
est lui-même la vraie mort. Laissez tout tomber. La
fidélité du premier moment de tentation est le point
décisif. On ne vit que de mort , et il n'y a que les
vies secrètes qui font mourir à toute heure.
433.
Se livrer sans réserve aux opérations de la grâce.
5 février ijog.
Votre lettre , ma chère fille , me touche jusqu'au
fond du cœur. C'est la grâce , et non pas vous , qui
Fa écrite. Ne vous flattez pas de la suivre. Afin que
vous accomplissiez la vérité de cette lettre , il faut
que vous soyez le roseau agité de tout vent , et que
la nature délicate s'accoutume à n'avoir plus aucune
ressource , et qu'elle se tienne pour subjuguée. Ne
pensez ni au passé qui vous trouble , ni à l'avenir
que vous voudriez assurer pour la consolation de votre
amour-propre ; mais soyez fidèle au moment présent
par petitesse. Plus on fuit la croix , plus on l'attire.
Jonas , qui fuit la main de Dieu , est englouti. Désar-
mez Dieu à force de vous livrer à lui.
LETTRES SPIRITUELLES. 727
434.
Même sujet.
A Cambrai, mercredi i3 février 1709.
Je viens , ma chère fille , d'apprendre par M. l'abbé
de Langeron l'extrême peine où vous êtes , et je me
bâte , eu attendant que je puisse vous aller voir de-
main , de vous conj urer de vous abandonner à Dieu ,
sans vous écouter volontairement vous-même. Je
ne veux point ici me justifier , quoique je le puisse
faire aisément , dès que vous voudrez vous calmer et
savoir le détail. Mais ce n'est nullement de moi
qu'il s'agit , c'est de Dieu seul , auquel il ne faut
pas résister , quand vous êtes mécontente des hom-
mes. Plus le trouble est grand , plus vous devez
communier ; car il n'y a que Jésus-Christ seul qui
puisse commander aux vents et à la mer pour appai-
ser la tempête. Votre trouble n'est point un péché ;
mais c'est une violente tentation , qui vous met
hors d'état d'agir avec une entière liberté. Recourez
avec confiance à celui qui est notre unique paix ,
et ne prenez aucune lésolution loin de Jésus-Clirist ,
dans la violence d'im état où l'amour-propre est dés-
espéré. Je demande à Dieu qu'il ne vous laisse
point à vous-même , et qu'il vous tienne malgré
vous. Bonsoir , ma chère fille. Dieu vous fera con-
naître combien je suis loin de tout ce qui vous passe
par l'esprit. Je ne m'y regarde que pour lui et pour
vous , afin que vos préventions ne vous empêchent
pas de lui être fidèle.
'J2S LETTRES SPIRITUELLES.
M. l'abbé de Langeron m'a expliqué toutes choses ,
et je crois vous devoir dire devant Dieu , comme
si j'allais mourir , que vous devez communier demain.
Si vous y manquez , vous manquerez à Dieu , et
vous vous livrerez à la tentation. O ma cbère et très-
clière fille , je vous conjure de communier ! La paix
viendra avec Jésus-Christ.
435.
Ne point «upprimer ses csotnmunions ordinaires , pour les troubles
d'ipiagination.
A Cambrai, i6 fpvrier 170g.
Je Vous irai voir , ma chère fille , dès que vous le
voudrez, et je ne m'en abstiens dans ce moment,
qu'à cause que vous me paraissez aimer mieux une
lettre qu'une visite^ et craindre d'exciter trop la vi-
vacité de vos sentimens dans une conversation. Dieu
sait combien je souffre de vous savoir souffrante , et
avec quelles dispositions je lui demande qu'il vous
console. Rien ne me lasse , rien ne me désunit d'avec
vous. Je porte vos croix , comme m'étant aussi pro-
pres et aussi personnelles que les miennes sans dis-
tinction. Ce que je souhaite fort , est que vous ne
tardiez point à communier. L'Eucharistie est à la lettre
votre pain de chaque jour. Le jour que vous ne la
recevez point n'est pas un jour pour vous ; Jésus-
Christ ne reluit point ce jour-là dans votre cœur ;
vous êtes en défaillance et sans votre vie. Tous vos
troubles n'ont été que dans l'imagination. Le fond
de votre volonté n'a point été rebelle , mais votre es-
LETTRES SPIRITUELLES. 729
prit nV>talt pas libre : ainsi je crois que vous pouvez
communier. Que si vous ne pouvez pas surmonter
votre crainte de communier mal , j'irai , au moindre
mot de votre part , vous écouter et vous répondre.
Je ne vous contesterai rien , pour éviter tout ce qui
pourrait vous exciter. Quand vous aurez communié ,
nous parlerons de Paris , et de tout ce que vous vou-
drez. Dieu sait combien je veux contribuer à votre
paix , loin de la vouloir altérer. Il ne la faut cliercher
qu'en Dieu ; elle ne manque jamais de ce côté'-là, et
manque partout ailleurs.
436.
Ne point résister à l'esprit de grâce en suivant les suggestions de
l'amour-propre.
A Cambrai, 16 février 1709.
Si vous voulez la paix , ma clière fille , abandonnez-
vous à Dieu , afin qu'il vous donne la force de me
compter pour rien. Ne vous occupez que de lui. Si
vous m'y trouvez , à la bonne lieure \ mais ne m'y
chercbez point. Je ne dois pas être cause que vous
manquiez à Dieu. Si peu que vous retourniez à lui
pour vous laisser subjuguer par la grâce, vous verrez
ce qui est clair comme le jour , savoir que vous sui-
vez un dépit damour-propre. N'espérez pas d'avoir
jamais la paix en le suivant. Ce n'est point à force de
se faire malade qu'on se guérit : l'amour-propre , qui
vous ronge le cœur , vous le rongera partout. Eli !
comment ne vous suivrait-il pas dans les lieux où
vous ne voulez aller qu'à cause qu'il vous y conduit ?
n3o LETTRES SPIRITUELLES.
Il faudrait un terrMe abandon de Dieu , afin que
vous pussiez trouver une fausse paix dans cette fuite
d'amour-propre. Vous voulez fuir comme Jonas ; vous
voulez vous soustraire à la grâce de mort à vous-
même , pour vous reprendre après vous être donnée :
mais saint Paul dit que Venfant de soustraction ne
-plaît point à son ame (a). Espérez-vous d'échapper à
Dieu , et de sauver de ses mains votre amour-propre ?
Ne voyez-vous pas qu'il se sert de cet amour-propre
même , comme du plus cruel bourreau , pour vous
donner la mort ? L'état de trouble et de résistance
visible à Dieu , où vous êtes , ne vous permet de pren-
dre aucune résolution. Revenez au joug du Seigneur,
abandonnez-vous \ communiez ; remettez-vous dans
la paix des vrais enfans ; ensuite faites tout ce que
l'amour vous inspirera. Fartez ; ne revenez jamais ;
oubliez-nous ; condamnez tous nos conseils : j'y con-
sens , si c'est l'esprit de grâce qui vous y porte en
pleine paix et sans aucun dépit d'amour-propre ; mais
ne manquez pas à Dieu , supposé même que je vous
aie manqué. Tournez ma faute à profit , en ] a sacri-
fiant de bon cœur au bien-aimé. Eh ! que lui sacri -
fierez-vous, si vous ne lui sacrifiez pas même une
délicatesse de jalousie? Surtout ne faites point atten-
dre Dieu à la porte de votre cœur ; ne lui résistez
point par une mauvaise honte. Le désespoir de la ja-
lousie vous a éloignée, et la honte d'un orgueil pi-
qué pourrait vous empêcher de revenir. Eh ! qu'avez-
vous à ménager avec vos bons et intimes amis? Ne
voient-ils pas l'inconstance où l'excès de l'épreuve
(a) Hehu X. 38,
LETTRES SPIRITUELLES, «^Sl
VOUS met ? Une peine si violente fait que vous n'êtes
pas libre dans certains nioniens ; mais dès que la li-
berté revient , il faut être fidèle à revenir , et porter
riiuniiliation du retour avec celle du départ. 0 que
vous serez précieuse aux yeux de Dieu , quand vous
voudrez être le jouet de ses mains !
437.
Renoncer en esprit d'obcissance à certains exercices de piété , en temps
de maladie.
Lundi, 8 avril 1709.
J'apprends , ma chère fdle , que vous avez fait
un faux pas , et que vous avez au pied un mal consi-
dérable. Je vous conjure, au nom de Dieu, de ne
sortir pas de votre lit , même pour la messe , sans
une très-expresse permission de M. le Comte de Mont-
beron et du chirurgien ; mais n'arrachez point leur
consentement , et laissez-les décider librement selon
leur conscience. Voilà ce que je me hâte de vous
dire , en attendant que je puisse vous aller voir : j'en
ai une très-grande impatience.
438.
Agir en tout avec paix et ingénuité.
A Cambrai, mardi 28 mai 170g.
0 que vous êtes une bonne fdle ! Dieu en soit béni !
Lui seul sait la joie que vous me donnez. Commu-
niez : je me charge devant Dieu de tout ce qui vous
arrête. Toutes ces impressions horribles ne sont rien
7 32 LETTRES SPIRITUELLES.
en comparaison de la moindre résistance. Supportez
tout en paix , et dites tout : ce ne sera rien. Paix
et ingénuité. Je consens au voyage , et je suis ravi
du plaisir que vous ferez à M™« votre fille , que
j'aime et honore de tout mon cœur. Pour le voyage
de , faites-le , ou ne le faites pas en toute liberté ,
suivant ce que vous aurez au fond du cœur. Ni com-
plaisance ni politesse , mais simplicité. Je crois que
vous vous épargneriez des peines infinies , si vous ne
vous contraigniez point. Allez , au nom de Dieu ; don-
nez à Mme votre fille jusqu'à lundi : ce jour-là , je vous
enverrai chercher.
IV»«W«««««
439.
Ne point changer de confesseur par scrupule.
A Cambrai, mardi 28 mai 176g.
Quand vous voudrez me quitter , ma chère fille ,
pour chercher d'autres conseils plus propres à vous
faire mourir à vous-même , je ne pourrai pas m'em-
pêcher de céder à Dieu pour lequel seul nous sommes
unis. Mais vous ne voulez changer que pour sou-
lager votre amour-propre , que pour vous livrer à
vos vains scrupules , et que pour tomber dans une vé-
ritable infidélité en résistant à l'attrait de Dieu. N'é-
coutez que le fond de votre cœur , et l'esprit de mort
à vous-même , vous reconnaîtrez d'abord que la pen-
sée de ce changement est une manifeste tentation , et
un dépit violent. Vous verrez que ce n'est que par
délicatesse et jalousie , que vous voulez changer. Tout
directeur éclairé que vous iriez trouver , et à qui vous
LETTRES SPIRITUELLES. "ySS
diriez nettement le vrai fond de votre cœur , devrait
vous renvoyer à celui que vous ne voulez quitter que
pour vous soustraire à l'opération de mort qu'il doit
opérer en vous. Vous êtes comme une personne qui
retire son bras dans le moment où le chirurgien y
enfonce la lancette : c'est vouloir se faire estropier.
Celui ) dit saint Paid_, qui se soustrait ^ ne plaira point
à mon ame (a).
Au lieu de suivre Dieu, quoi qu'il vous en coûte,
vous lui résistez sans cesse , et vous ne faites que
vous reprendre. Vous suivez avec une étrange indo-
cilité toutes vos imaginations. Vous ne pourriez les
dire à aucune personne sage , qui ne vous répondît,
qu'il n'y a au monde que vous seule qui puissiez y
faire attention. Dieu permet que ces bizarres imagi-
nations vous occupent j c'est pour vous humilier qu'il
le fait. Vous avez besoin d'être bien rabaissée du côté
de l'esprit , pour lequel vous avez un si indigne goût.
Vous avez besoin de sentir toute votre jalousie , pour
voir combien votre cœur est loin de cette générosité
désintéressée qui était l'idole de votre cœur. Il faut
vous démonter : voilà l'ouvrage de Dieu en vous.
C'est pour l'évàter , et pour prendre le change , que
vous voulez me quitter. Pour moi , je ne vous quit-
terai jamais , et j'espère que Dieu vous fera obéir mal-
gré vous. Je serais guéri , si j'avais la consolation de
vous voir fidèle.
(a) Hebr. x. 38.
y 34 LETTRES SPIRITUELLES.
440 ♦ R. ^xaG)
S^accoutumer à voir ses défauts avec paix.
A Cambrai , 7 juin «709.
J'ai vu , ma trés-clière fille , la lettre que vous avez
reçue : elle est excellente , et vous lui ressemLlerez , si
TOUS êtes fidèle à la suivre. Désespérez toujours de
vos propres efforts qui vous épuisent sans vous soute-
nir, et n'espérez qu'en la grâce, à l'opération simple,
unie et paisible de laquelle il faut s'accommoder. Ne
résistez point à Dieu , et vous aurez la paix dans vos
souffrances mêmes. Dites-nous tout^ non pour vous
livrer à la tentation par des raisonnemens sans fin,
mais par pure simplicité en écoutant ce qu'on vous
dit. Votre grand mal n'est point dans le sentiment
involontaire de jalousie , qui ne ferait que vous hu-
milier très-utilement ; il est dans la révolte de votre
cœur , qui ne peut souffrir un mal si honteux , et qui ,
sous prétexte de délicatesse de conscience , veut se-
couer le joug de l'humiliation. Vous n'aurez ni fidé-
lité ni repos , que quand vous consentirez pleinement
à éprouver toute votre vie tous les sentimens indignes
et honteux qui vous occupent. Vos vains efforts ne
feront qu'irriter le mal à l'infini ; mais ce mal sera un
merveilleux remède à votre orgueil , dès que vous
voudrez vous le laisser appHquer patiemment par la
main de Dieu.
Accoutumez-vous donc à vous voir injuste, jalouse ,
envieuse , inégale, ombrageuse, et laissez votre amour-
propre crever de dépit. La paix est là ; vous ne la
trouverez jamais ailleurs. Quel fruit avez-vous eu
LETTRES SPIRITUELLES. 735
jusqu'ici à dc'sobéir ? Il faut que Dieu fasse à chaque
fois un miracle de grâce pour vous dompter. Vous
usez tout , et votre amour-propre se déguise en dé-
votion bien empesée pour défaire l'ouvrage de Dieu ,
qui est une opération détruisante. Laissez-vous dé-
truire , et Dieu fera tout en vous. Bonjour : je ne
pourrai pas vous aller vwr aujourd'hui , à cause d'une
assemblée pour les pauvres. Je vous prie de dire à
W^^ Bourdon, qu'elle doit communier sans s'écouter,
et que je lui parlerai la première fois que j'irai chez
vous.
441 * A. (137)
S'oublier soi-même pour écouter Dieu.
A Cambrai, jcurli 8 août ijog.
Je meurs d'envie de vous aller voir , ma chère fille ,
mais je crains de le faire , parce que je vois que mes
visites réveillent vos peines, et troublent votre paix.
Mandez-moi simplement ce qui vous convient. J'irai
demain vous voir, si je n'ai point de vos nouvelles.
Cependant je vous conjure de ne vous point écouter.
L'amour-propre parle à une oreille, et l'amour de
Dieu à l'autre. L'amour-propre est impétueux , in-
quiet , hardi et entraînant. L'amour de Dieu est sim-
ple, paisible, de peu de paroles; il parle d'une voix
douce et délicate. Dès qu'on prête l'oreille à l'amour-
propre qui crie , on ne peut plus discerner la voix
tranquille et modeste du saint amour. Chacun ne
parle que de son ol)jet. L'amour-propre ne parle que
du moi y qui , selon lui , n'est jamais assez bien traité :
n36 LETTRES SPIRITUELLES.
il n'est question que d'amitié , d'égards , d'estime ; il
est au désespoir de tout ce qui ne le flatte pas. Au
contraire , l'amour de Bieu veut que le moi soit ou-
blié , qu'on le compte pour rien ; que Dieu seul soit
tout ; que le 7noi, qui est le dieu des personnes pro-
fanes, soit foulé aux pieds ; que l'idole soit brisée ; et
que Dieu devienne le moi des âmes épouses , en sorte
que Dieu soit ce qui les occupe , comme les autres
sont occupées du moi.
Faites taire l'amour-propre parleur vain et plaintif,
pour écouter dans le silence du cœur cet autre amour,
qui ne parle qu'autant qu'on le consulte. Ne laissez
pas de dire par simplicité vos peines aux personnes
qui peuvent vous soulager. A demain, si vous l'agréez.
^»%«W%%%^Mb /»«%%'%'««'««« W%«(V««'W%'VW^b«'«W««W«W«%%Vm^V^Ai^«A««««««>WW«%
442.
Il n'y a de vraie liberté que dans l'amour de Dieu.
A Cambrai, 4 octobre 1709.
Partez, ma chère fille : que Dieu soit avec vous.
Tout ce que ^-otre cœur fera avec liberté sera bien
fait : là où est V esprit du Seigneur y là est la liberté («),-
il n'y a de gène que dans l'amour-propre. Le monde
croit qu'elle est dans l'amour de Dieu; il se trompe
grossièrement. Le joug de Dieu met en liberté; et le
moi , qui promet la liberté , donne des entraves de
fer. Allez donc , et parlez à cette personne en esprit
de pure grâce. Vous nous en direz des nouvelles.
Dieu sait que j'irai en lui avec vous. Bonsoir.
(rt) // Cor. m. 1 7.
LETTRES SPIRITUEM.KS.
i %%^ v%%*i%w%viv^ v%%vfc^%%x^k%%
443.
Suivre avec simplicilù laltiait intûricur.
A Cambrai, 12 octobre 1709.
Vous ayez très-Lien fait, ma chère fille, de don-
ner encore quelqnes jours à votre famille; rien n'est
mieux employé. Tout ce que vous ferez d'un cœur
libre et tranquille pour ces chères personnes, viendra
de Dieu. Je ne crains que ce qui serait fait par peine
et par tentation d'amour-propre. Quoique je sois ravi
de vous savoir en si hon lieu et en paix , je ne laisse
pas d'avoir quelque impatience de votre retour; mais
cette inqralience ne m'empêche pas de désirer que
vous suiviez librement jusqu'au bout votre fond in-
time , pour ce voyage et pour toute autre chose. Je
ne m'opposerai jamais en vous qu'à ce qui n'est pas
vous-même y et qui y est comme un esprit étranger.
Achevez donc votre séjour à — , et revenez voir
ensuite des gens que Dieu a unis à vous par les liens
que sa main forme et serre. Personne ne vous est
dévoué en Notre-Seigneiu' au point où je le suis pour
toujours.
If «%% V^ %A>W%V W\ Vl/V%% V
444.
Mf'rne siijof.
A Cambrai . iq oflobrc 1709.
Vous serez bien , ma chère fdle ,. à pendant
que votre cœur vous y tiendra en paix et en union.
Je suis ravi de tout ce qui peut contenter votre fa-
CORRESP. IV. 3?.
n38 LETTRES SPIRITUELLES.
mille , et lui montrer votre tendresse , sans blesser
votre grâce. Je ne crains que les conseils de l'amour-
propre. Pourvu que vous suiviez avec simplicité votre
fond , et que l'amour de Dieu vous mène , vous irez
loin. Que la joie du Saint-Esprit , qui est une joie
de mort à tout et de recueillement en Dieu, nour-
risse votre cœur. Je serai ravi quand vous reviendrez ,
et Dieu sait combien je suis uni à vous de loin comme
de près. Mais il ne faut rien précipiter. On est charmé
de voir l'enfant qui commence à marcher un peu loin
de sa mère , pourvu qu'il ne tombe pas : il revien-
dra ensuite avec empressement sur ses genoux. Soyez
libre de la liberté que Jésus-Christ vous a donnée.
C'est en lui , ma chère fille , que je vous suis dé-
voué sans réserve.
445.
Même saijet. OEuvre de charité recommandée à la Comlesse. Nouvelles
de famille.
A Cambrai , 27 octobre 1709.
Je vous supplie , ma chère fille , de vouloir bien
vous charger de deux mille livres pour les pauvres
de quelques paroisses de notre voisinage , quand vous
reviendrez nous voir. Je vous envoie une quittance,
pour retirer cette somme des mains de M Je
n'ai garde de prétendre que vous entriez dans cette
petite affaire ; mais j'espère que M.""^ la C. de Souastre
ne vous refusera pas un homme sensé , qui fasse sû-
rement cette conmiission pour une œuvre de charité.
Notre petit abbé de Souastre étudie fort bien ; on en
est t^s-content.
LETTRES SPIRITUELLES. ^.)Ç)
Que ^ous dirai-je , ma chère fille , sur votre ab-
sence ? Je suis ravi du plaisir que vous faites à votre
famille , et du repos que vous y trouvez , quoique
d'ailleurs je sente que mon cœur sera véritablement
réjoui quand nous vous reverrons. Mais je dis sur
vous ces paroles que vous connaissez : Gardez-vous
bien d' interrompj^e son sommeil , jusqu'à ce qu'elle
veuille s'éveiller^ {a). La paix est le signe de la volonté
de Dieu , et de la fidélité à la grâce. Suivez votre
cœur ; il ne vous éloignera point de nous , mais il
vous donnera une vraie liberté. Vous volerez hors de
la cage , mais avec un fdet au pied. Soyez simple,
en oubli de vous , en familiarité avec le bon ami , et
sans attention volontaire à tout ce qui vient à la tra-
verse.
M»»« est retournée à ; presque toute la
famille est venue à l'assaut. J'ai cru devoir mettre
M dans cette négociation, afin qu'il vît que je
ne conseillais rien de dur ni d'outré. La fille , crai-
gnant que sa mère ne la frustrât de son partage , a
voulu enfin rentrer dans sa famille , et je l'ai laissé
faire. Elle s'est réservé la liberté de vous aller voir
deux fois la semaine.
Nous avons toujours nombreuse compagnie : elle
va encore grossir beaucoup à la séparation de l'ar-
mée. Tout va passer , et à peine pourrons-nous res-
pirer pendant quelques jours. Bonsoir , ma chère fdle.
Dieu sait combien il me fait être tout à vous sans
réserve.
(a) Cant. m. 5.
n^O LETTRES SPIRITUELLES.
446 * A. (129)
Écouter Dieu en silence ; Lonlieur de l'ame qui laisse parler Dieu en
liberté.
À Cambrai, 2 juin 1710.
Quoique vous ne m'écriviez point, ma chère fîlle,
je ne puis m'empêcher de vous écrire , et de vous
presser de me donner de vos nouvelles. Etes-vous en
paix dans votre solitude (i) ? N'y êtes- vous point avec
vous-même ? On n'est jamais moins seul , que quand
on est avec soi. Au moins on se sépare des autres à
certaines heures , et on trouve des entre-deux pour
se retrancher ; mais dès qu'on est li^Té à soi , il n'y
a plus de milieu ni d'heure de réserve. L'amour-propre
parle nuit et jour : plus il est solitaire , plus il est vif
et importun. Je prie Dieu de prendre sa place , et
de faire lui seul toute la société de votre cœur.
Heureuse l'ame qui se tait pour n'écouter que lui !
O qu'il dit de vérités consolantes, quand il parle en
liberté î Comme on dit tout à Dieu , sans lui dire une
certaine suite de paroles , il dit tout aussi de son
coté sans suite de discours. Le coeur de Thomme ne
parle jamais si parfaitement , que quand il se montre
et se livre siaiplement à Dieu. C'est tout dire sans
parole distincte , que de s'exposer au regard divin ,
et que de s'abandonner à toute volonté du bien-aimé.
De même Dieu dit tout sans parole , quand il montre
sa vérité et son amour. Aimez , et vous avez tout dit.
(i) La Comtesse e'tait alors, pour quelques jours, dans Tabbaye
de Fcrvaques , près de Saint-Quentin.
LETTRES SPlRITUEfXBS. n^i
Laissez-vous à l'amour infini, et vous avez tout écouté
et tout compris.
Bonsoir ma chère fille; donnez-moi des nouvelles
de votre ermitage , vous me fierez un vrai plaisir.
Nous sommes un peu débarrassés ; mais , selon les
apparences , pour peu de temps. Le siège de Douai
traîne. Après la fin, nous venons ce que Dieu vou-
dra faire. Les hommes croient faire tout, et ils ne
font rien; ils ne sont que comme des échecs qu'on
remue. Quelle nouvelle avez-vous de madame votre
sœur ? Je pense souvent à elle, et j'espère toujours
quelque temps où elle pourra vous venir voir. Je
>ous suis dévoué à jamais et sans mesure.
447.
Remercîmens pour un petit présent. Bonheur de l'amc qui trouve
Dieu dans la sollitude.
A Cambrai, g juin 1710.
Vous m'avez envoyé , ma chère fille , une petite
merveille que je ne mérite point. Elle est de trop
bon goût pour moi. Tout y est digne d'un homme
d'un discernement exquis. Quoique je trouve la por-
celaine bien fine , et l'ouvrage d'argent très-joli , en
.sorte que le tout est fort gracieux , je ne m'en fie
pourtant pas à mes propres yeux. Je ne me vante
de connaître le prix que de la bonté de cœur, qui est
la source de ce présent : c'est ce que je ressens comme
je le dois. Au reste , on me fait entendre que ce pré-
sent vient de plus loin : faut-il le savoir ? est-il per-
mis d'en écrire ? Je ne voudrais point fatiguer par
riA2 LETTRES SPIRITUELLES.
une lettre à laquelle on voudrait répondre : mandez-
moi ce qu'il faut.
Quelle nouvelle avez-vous ? Ne se console-t-on pas
un peu? voit-on toujours le P. S.? Et vous, ma chère
fille , je suis ravi de vous savoir en paix. La solitude
est votre centre ; mais la solitude n'est rien si elle
n'est pas la société avec Dieu. On est avec lui, dès
qu'on veut y être. Le simple penchant d'un cœur
qui quitte tout pour le rien en Dieu , fait trouver le
vrai tout , quoiqu'on se trouve vide , sec , faible , in-
égal et obscurci. O mon Dieu , soyez vous seul tout
en elle.
448,
État des affaires polilifiues.
A Cambrai, 20 juin 1710.
J'ai un vrai déplaisir , ma chère fille , de vous sa-
voir si près et si séparée de nous. Il me tarde que
nous puissions nous réunir. Je vois deux raisons de
l'espérer : l'une est qu'on nous assure que les enne-
mis ne pourront point assiéger Cambrai , à moins qu'il
n'arrive des malheurs après lesquels ils n'auraient
pas besoin de faire ce siège ; l'autre est un bruit gé-
néral de paix répandu dans toute l'armée , et venu
de Hollande. Il a besoin de confirmation ; mais il n'est
pas à mépriser. Nous pourrons bientôt savoir des
choses plus précises. Si les nouvelles sont bonnes ,
il ne faudra pas perdre un moment pour votre re-
tour : je le désire avec la plus sincère impatience.
Je n'ai point écrit à M^e votre sœur sur la porce-
LETTRES SPIRITUELLES. '^/\'5
laine , à caiisc du inallicur qui lui est arrivé dans les
cruelles mains de M. l'abbé de Langeron. J'espérais
que celte funeste aventure ne serait pas sue ; mais
la renommée parle trop. Puisqu'il n'y a plus de se-
cret à ménager , je m'en vais écrire des remercîmens
et des lamentations. Le présent était d'un excellent
goût , et la bonté avec laquelle il était fait m'a vive-
ment touché. Ma reconnaissance n'est pas fragile
comme la tasse. Si la paix vient , j'espère que la per-
ëonne qui sait si bien donner , nous donnera ce que
nous désirons le plus , qui est sa présence à Cambrai.
Alors je lui donnerais un appartement neuf, que nous
meublerions exprès pour la recevoir. En attendant ,
je souhaite qu'elle trouve une solide consolation dans
la véritable source où elle a commencé à en chercher :
elle n'en trouvera jamais ailleurs. Les enfans souffrent
et crient quand onlessèvre ; mais dès qu'ils ont changé
d'alimens , ils croissent et se fortifient. Je pense à
vous , ma chère fille , avec plaisir devant Dieu. Je ne
lui demande pour vous que le calme intérieur fondé
sur Toubli de toutes les réflexions de ramour-piopre.
Toutes les fois que vous êtes tentée de faire du moi
votre objet y mettez Dieu en la place , et votre cœur
sera en paix. Je vous suis dévoué à toute épreuve et
sans mesure , eu celui qui doit être à jamais toutes
choses en tous.
ni^ LETTPlES spirituelles.
449.
obéir au mûdecin avec simplicité. Les pénitences contraires àrobéissancc-
sont reflet cl' un amour-propre secret.
A Cambrai, 8 juillet ijio.
J'ai été véritablement affligé , ma chère lille , d'ap-
prendre que \ous ne voulez pas vous bien nourrir.
Vous en avez un extrême besoin , et vous feriez un
grand scrupule à une autre personne qui se ferait le
mal que vous vous faites. Vous pouvez juger des pri-
vations que vous pratiquez , par le jugement que les
médecins du corps et de Famé en font. Vous savez
bien en votre conscience , que les uns et les autres
désapprouvent cette conduite. Pourquoi faites-vous
ce que vous savez qui est contraire au sentiment des
personnes que vous devez croire ? Espérez-vous de
pratiquer la vertu et de plaire à Dieu par la dés-
obéissance ? Il n'y a , dans vos austérités , que volonté
propre , et que recherche d'un appui en vous-même.
L'attachement que vous y avez , la résistance que vous
faites en ce point aux personnes que vous croyez
chargées de vous , enfin votre soin très-contraire à la
simplicité , de cacher ces pénitences , devraient suf-
lire pour vous convaincre du fonds d'amour-propre
qui y est déguisé. Soyez docile , et mangez bien. Soyez
lidèle contre les délicatesses de l'amour-propre , et
dormez bien. Soyez petite , et vivez dans la paix du
petit enfant Jésus.
Il me tarde beaucoup de voir notre destinée pour
songer à vous revoir ici. Les ennemis ne peuvent
plus guère tarder à faire quelque mouvement. Leurs
LETTRES SPIRITUELLES. ^4^
(k'niarclics régleront les nôtres. Dès que nous verrons
rarniée ennemie hors de portée de nous assiéger, je
ne perdrai pas un seul moment pour vous conjurer
de reprendre le chemin de Cambrai. Cependant je me
réjouis de ce que la maison où vous êtes est paisible
et régulière. Bonsoir , ma chère lille. Donnez-moi de
vos nouvelles et de celles de M'n"= votre sœur. Je suis
à vous de toute Tétendue de mon cœur dans celui de
Dieu et à jamais.
*** •** **V V».% *%* VW* /«««^^-x V» ^ *%*% W'«<%Vt'«%l'««%V%% *** w*% v*\ %wv\% *** %W% WV V*» w* ««« /v\/%
450.
Nouvelles politiques.
A Cambrai, 2i juillet 1710.
Quoique vous ne me fassiez point de réponse , ma
chère fille , je ne cesse point de vous écrire. Ce que
j'ai à vous dire aujourd'hui me fait grand plaisir :
je ne sais s'il vous en fera autant qu'à moi. Les en-
nemis sont attachés à Béthune , et paraissent vouloir
percer vers la France par l'Artois , du côté de Hes-
din et de Montreuil. D'ailleurs notre armée est dans
un camp bien retranché , qui couvre Cambrai et Ar-
ras : ainsi je ne vois nulle apparence de siège pour
nous. Il faudrait des coups qu'on ne peut prévoir
pour changer notre état dans le reste de cette cam-
pagne. On ne saurait vous répondre absolument de
ces coups ; mais les apparences , auxquelles on se borne
communément en cette vie , sont que nous verrons
beaucoup de misères , sans être assiégés. J'en conclus
que vous pouvez maintenant revenir dans votre er-
mitage. Je vous y invite avec plaisir , et je vous oflfre
n^6 LETTRES SPIRITUELLES.
mes chevaux pour vous aller chercher. Donnez vos
ordres. Nous avons tous céans une vraie impatience
de vous revoir ; mais personne , ma chère fille , ne
vous est dévoué au point où je le suis pour le reste
de mes jours.
>V*.*%%%%*%^>V%%\%^%%%%^V»i»^Vt%^'*^V»%'%%%^^%V»*Vl^»l%^%%W%%%%^^^%»^
451.
Contre les raines délicatesses de l'amour-propre.
A Cambrai, 17 septembre 1710.
Je ne doute nullement , ma chère fille , que vous
ne deviez communier. Vous manqueriez à Dieu , si
vous manquiez à la communion. Une défiance de pre-
mier mouvement n'est point un jugement délibéré
contre la fidélité d'une personne. Vous avez pour vous-
même une délicatesse d'amour-propre contre ce que
l'apparence du péché a de laid et de défigurant.
Communiez. Je me réjouis de ce que votre santé se
rétablit un peu , malgré vos soins pour la détruire,
452.
Même sujet.
A Cambrai, 19 septembre 1710.
Il n'y a , ma chère fille , qu'une seule chose qui
me fasse hésiter sur votre voyage de Vendegies : c'est
la crainte de quelque dépit d'amour-propre. Dès que
l'amitié vous y mènera sans tentation contre votre
grâce , je serai ravi de vous y voir aller pour quel-
ques jours. Partez donc simplement, au nom de Dieu,
LETTRES SPIRITUELLES. 74?
pourvu que vous trouviez voire cœur en paix : mais
je ne consens pas que vous y alliez dans cette chaise ,
et je vous conjure de prendre mon carrosse. Ce n'est
]ias une ofiVe faite par compliment ; c'est un vrai dé-
sir du cœur. Je vous donne le bonsoir , et je vou-
drais que riieure me permît de vous aller voir pré-
sentement.
453.
Sur la maladie de labbô de Langeron.
Jeudi, 6 novembre 1710.
Je viens de dire à notre malade que vous offrez
d'être comme une troisième religieuse auprès de lui ;
il en a souri , et vous remercie de tout son cœur.
Pour moi, je ressens vivement, ma clière fdle, tout
ce que vous me mandez. Continuez à dire à Dieu que
nous en avons besoin. Il faut bien lui parler avec
cette franchise , et lui déclarer les besoins où nous
sommes pour son service. Si le malade a la tète plus
libre dans quelques jours , je vous inviterai à le venir
voir toute seule. Cependant je vous supplie de me
mander si a^ous avez eu occasion de travailler pour
le prochain , comme vous me l'aviez promis. Je suis
en peine pour les âmes en tentation de résister à
Dieu , et de manquer à leur grâce. Remplissez tous
les vides de la vôtre , en ne vous écoutant point, et
en ne vous tourmentant pas vous-même.
(Même jour. )
Ne parlez point comme chargée de parler : un cœur
déjà blessé pourrait en avoir de la peine. Il faut l'on-
n^S LETTRES SPIRITUELLES.
vrir par la pure coniiance , et tâcher de l'élargir par
la consolation. J'espère , ma chère fille , que vous
ferez des merveilles. Bonsoir. Le redoublement de
notre pauvre malade est dans sa force ; priez pour
lui. Mon cœur souffre.
(laS) 454 * R.
?s'e point ûcoutcr rimagination , mais suivx-e paisiblement les mouveraens
de la grâce.
Vendredi, i4 novembre ijio.
Je suis , ma chère fille ^ véritablement en inquié-
tude sur vos peines. Je vous envoie notre qui vous
parlera avec grâce et simplicité , en attendant que je
puisse vous aller voir demain. Ce que je me borne à
vous demander , est que vous ne preniez point jîour
des jugemens arrêtés et volontaires toutes les chi-
mères qui passent dans votre imagination comme
dans celle de tout le genre humain. Plus on est om-
brageux contre ces chimères , plus elles excitent une
imagination vive et effarouchée. La crainte du mal
le redouble. Pour la violence de vos sentimens dou-
loureux 5 il la faut porter comme la fièvre. Cette vio-
lence se calme bientôt quand on ne l'entretient pas
en l'écoutant par des réflexions d'amour-propre. Un
feu qu'on n'attise pas est bientôt éteint.
Soyez faible, mais soyez petite. Sovez impuissante
pour le bien , mais soyez simple. Supportez-vous ,
supportez les autres : consentez qu'ils vous supportent
à leur tour. Ne vous occupez pour le fond ni d'au-
trui ni de vous. Le fond doit être tout de Dieu : la vvie
LETTRES SPIRITUEIJ.ES. n /^q
volontaire de soi et craulrui no doit venir que comme
par occasion, sui\ant que Dieu nous y applique j)our
remplir des devoirs.
Ne me regardez que comme un simple instrument
de providence. Il faut que je vous sois, pour votre
conduite vers Dieu, comme un cocher pour un voyage.
H faut mourir à moi , afin que je vous sois un moyen
de mort pour tout le reste. Ne soyez point facliée de
trouver en moi tant de sujets d'y mouiir. Vous ne
ferez jamais rien de bon par moi qu'en esprit de foi
pure. Quand même je serais le plus indigne et le plus
mécliant des hommes, je ne laisserais pas de faire
l'œuvre de Dieu en vous , pourvu que vous vous prê-
tiez à ses desseins. Mais par votre résistance conti-
nuelle sous des prétextes imaginaires ^ vous défaites
à toute heure d'une main ce que vous faites de l'autre.
Le grand mal vient de ce que vous suivez , non-seule-
ment votre esprit , mais encore votre imagination dans
tout ce qu'elle vous présente de plus faux et de moins
vraisemblable , par préférence à tout ce qu'on vous
dit de plus constant et de plus nécessaire. Cette in-
docilité brouille tout. Non-seulement vous ne cédez
point dans les temps de trouble, mais encore vous
n'acquiescez jamais pleinement par démission d'es-
prit, pour laisser tomber votre activité. 0 mon Dieu !
quand serez-vous pauvre d'esprit, et consentant à
cette bienheureuse pauvreté ? Vous passez votre vie
dans des songes douloureux. 0 ma chère fille, soyez
petite et docile !
y5o LETTRES SPIRITUELLES.
455.
Atλ à la Corûtpsse sur quelques affaires de famille.
ï6 septembre 1711.
M. le Comte de Souastre vous parle iiumainement
avec un bon esprit et un arrangement raisonnable
pour sa famille. Mais vous savez bien , ma chère fille,
qu'il ne peut pas connaître ce que la grâce demande
de vous pour la paix de votre cœur. Si vous demeu-
rez ici , comme je crois que vous le devez faire , vous
pouvez offrir à M'^^ votre fdle de la loger et de la
garder chez vous jusqu'au printemps. Jusque là il
n'y aura pas le moindre danger. Alors vous verrez ce
que la Providence fera. Votre dépense à Premy est si
petite , que M. de Souastre ne doit pas la craindre.
En la faisant avec M^^^ votre fille , vous diminuerez
la sienne : il vous restera même de quoi la secou-
rir. Dieu sait combien je la révère , et avec quelle sin-
cérité tous ses intérêts me sont chers. Je vous offre
mes chevaux , non pour vous mener à Danval, mais
pour mener ici Mj^^ de Souastre. Mes embarras con-
tinuels m'empêchent de vous aller voir, comme je le
voudrais; mais cet orage va bientôt passer, et nous
nous retrouverons en liberté , au moins pour six ou
sept mois. Ne craignez rien : U ne tombera pas un
seul cheveu de votre tête sans la voloyité de votre Père
qui est dans le ciel («) , et qui est plus puissant que
tous les hommes de la terre. Bonjour, ma chère fille :
tout à vous sans réserve en Notre-Seigneur.
(aj Luc. xu. ^. XXI. 18.
LETTRES SPIRITUELLES. ""Si
1^%%»%»%%%%^V»%%'»%V%.» %»»%%% %^%V»»'%%%»^V»%VVfc%'V».%^%»^^»^%%^%% %%%,%»% V^'V %■»%.■
(ao,5)
45(
Persévérer ilans l'oraison et la communion malgré les sécliercsjei j
combattre ructivité naturelle qui dessèche le coeur.
A Cambrai, Jeudi-saint (24 mars) 1712.
Remettez-vous , ma chère fille , quoi qu'il tous
en puisse coûter , à l'oraison et à la communion. Vous
avez desséché votre cœur par votre vivacité à vou-
loir une affaire ; sans savoir si Dieu la voulait : c'est
la source de tout votre mal. Vous avez passé des temps
infinis dans l'infidélité à former des projets qui étaient
des toiles d'araignée : un soufïle de vent les dissijîe.
Vous vous êtes retirée insensiblement de Dieu , et
Dieu s'est retiré de vous. Il faut retourner à lui, et
lui abandonner tout sans aucune réserve : vous n'au-
rez de paix que dans cet abandon. Laissez tous vos
desseins , Dieu en fera ce qu'il voudra. Quand même
ils réussiraient par des voies humaines , Dieu ne les
bénirait pas. Mais si vous lui en faites l'entier sa-
crifice , il tournera tout selon ses conseils de miséri-
corde , soit qu'il fasse ce que vous avez désiré , ou
qu'il ne le fasse jamais. L'essentiel est de recommen-
cer l'oraison , quelque sécheresse , distraction et ennui
que vous y éprouviez d'abord. Vous méritez bien les
rebuts de Dieu, après Ta voir si long-temps rebuté pour
les créatures : cette patience le rapprochera de vous.
En même temps reprenez la communion , pour
soutenir votre faiblesse : les faibles ont besoin d'être
nourris du pain au-dessus de toute substance. Ne rai-
sonnez point , et n'écoutez point votre imagination ;
mais communiez tout au plus tôt. Pour votre ami ,
n^2 LETT1\ES SPIRITUELLES.
ne l'éloignez point ; mais ne le voyez que sobrement.
Vous lui l'eriez beaucoup de mal , et vous vous en fe-
riez un infini à vous-même, si vous n'observiez pas
cette sobriété. Dites-lui doucement la vérité selon le
besoin. Ne lui parlez que par grâce et par mort à
vous-même. Du reste , ne vous arrêtez point à votre
imagination sur une privation entière et absolue. Nous
en parlerons quand j'aurai l'honneur de vous voir.
457.
Sur un voyage que la Comtesse se proposait de faire à Paris.
A Cambrai, i3 mai 1712.
Je ne saurais , ma chère fdle , deviner votre cœur ;
mais si vous êtes en j^aix , et si votre paix demande
Paris , vous pouvez y aller faire un voyage en esprit
de retour : je ne craindrais qu'un voyage de peine
et de tentation. Pour le voyage fait par amitié pour
j^ïme Yotre sœur ^ sans dépit , sans trouble , sans au-
cune résistance à la grâce , et en vue d'un prochain
retour , je ne puis que l'approuver. Là oit est V esprit
de Dieu là est la libeî'tè (a) ; là où est la gêne et le
trouble , là est l'esprit propre. Vous savez que vous
avez toujours cru que Dieu vous voulait ici en union
avec nous. Ne manquez point à celui que vous devez
préférer à vous-même. En allant à Paris , il faut bien
prendre garde au choix d'un confesseur , qui ne vous
trouble ni ne vous gêne. Vous connaissez de vrais
amis qui vous conseilleront là-dessus. Jamais je ne
(a) // Cor. iii. 1 7.
LETTIŒS SPIRITUELLES. «JJ^
VOUS fus uui et dévoué en Noire-Seigneur autant que
je le suis.
Mille choses à M. et à M'"'" la Comtesse de Souastre.
Je suis ravi de ce que le malade est mieux.
•%%<* 1%%^ «v*^ ^/%^ ^%« -wt^^^ ^^^ «<
458.
Suivre l'attrait avec simplicité, quand il est paisililc.
A Camljrai , 12 juin iji2.
Vous ne sauriez mieux faire , ma chère fille , que
de suivre votre cœur quand il est en paix. Demeurez
donc à Arras avez ma filleule , puisque vous y trou-
vez un vrai repos , et attendez le retour de M'"^ votre
fille. Alors vous suivrez encore votre goût pour aller
à Paris ou pour revenir ici. Ce que votre cœur déci-
dera par son propre fond devant Dieu , sera hon :
mais il ne faut y mêler ni peine, ni réflexion d'amour-
propre. Je ne veux que le cœur simple , paisible , et
abandonné à Dieu. Vous avez grande raison d'aimer
]yïme votre sœur , et de désirer de la revoir. J'aurai
une véritable joie de la vôtre et de la sienne , si vous
allez la voir à Paris : mais je serais encore plus con-
tent , si elle pouvait dans la suite venir ici. Les nou-
velles de la paix , qui se confirment de plus en plus
de tous côtés, m'en donnent l'espérance. Bonsoir, ma
chère fille. Rien ne vous sera jamais dévoué au point
où je le suis pour toute ma vie.
CoRRESP. IV. 33
'"O.^ LETTRES SPIRITUELLES.
459.
Servir Dieu avec paix.
A Cambrai, 4 juin ijiS.
Je suis en peine de votre santé , ma clière fille , et
je souliaite qu'elle soit aussi bonne que la mienne.
Tachez de trouver en vous la paix : c'est le vrai don
du Saint-Esprit. Jésus-Christ dit souvent à ses dis-
ciples : La paix soit avec vous j et la plupart des
personnes qui veulent servir Dieu repoussent cette
paix sous de beaux prétextes. Ils font consister leur
vertu dans l'inquiétude et dans le trouble. Etrange
illusion ! où l'on tombe en voulant éviter l'illusion
même. Demeurez avec votre famille autant que votre
cœur, mis en paix devant Dieu, vous y portera. Rien
ne vous est dévoué au point où je le suis pour le
reste de ma vie.
460.
Même sujet.
A Cambrai , 8 juin lyiS.
Je suis ravi , ma chère fille , de voir par vos lettres
quelque apparence de tranquillité. Pendant que vous
serez dans cette disposition, vous pouvez suivre libre-
ment votre cœur, pour contenter votre famille ; mais
il faut revenir à Cambrai , comme à l'air natal. Mon
neveu me parait respirer l'air de votre campagne
avec un grand plaisir ; mais il faut des bornes à tout ,
LETTRES SPIRITUELLES. "^55
et il a besoin île revenir ici pour ces occupations or-
ilinaires. Je l'exliorte à vous obéir , si vous voulez
absolument le retenir encore quelques jours. Il con-
viendrait , ce me semble , qu'il revînt ici avant la fête
(lu Saint-Sacrement , pour faire son devoir dans notre
éi^iise. Portez-vous bien : que la jjaix de Dieu , qui
surpasse tout sens liumain , garde votre cœur et votre
esprit en Jésus-Christ [a). Je ne puis vous exprimer
à quel point je vous suis dévoué en lui.
(a) Philip. IV. 7.
461,
Satisfaire librement nnx bienséances de famille.
A Cambrai, 14 juin 17 13.
Vous avez très-bien fait , ma très-clière fille , de
ne refuser point à W^^ la Comtesse de Souastre une
consolation qu'elle mérite infiniment. Vous allez si
rarement la voir , qu'il faut bien au moins que quand
vous y allez , elle vous retienne un peu. Mon neveu
est fort toucbé de toutes les marques de bonté dont
il a été comblé par tout ce qui vous appartient. Je
serai ravi que vous soyez avec une si aimable com-
pagnie , pendant que vous y serez par l'attrait de la
grâce , et le pencbant de votre cœur. Je vous en-
verrai mon carrosse , au moindre signal, pour revenir.
Mon neveu l'abbé doit par reconnaissance être votre
gazetier. Dieu sait , ma très-clière fille , à quel point
je vous suis dévoué.
33^
n56 LETTRES SPIRITUELLES.
462.
Bonheur de Tarae attentive à écouter Dieu.
A Cambrai, mardi 27 juin 1713.
J'ai lu avec plaisir , ma très-clière fille , une lettre
que vous avez écrite à mon neveu : elle montre votre
bon cœur. Dieu vous le rende. Je suis en peine de
votre santé : vous ne dormez point , et j'en sais bien
la cause. On fait tant de bruit autour de vous dès
le sçrand matin , que vous ne pouvez dormir. Vous
ne prendrez jamais sur vous d'en avertir. M™^ votre
fille , qui est très-infirme , n'en aurait pas moins be-
soin que vous. Faites donc pour elle ce que vous ne
voudriez pas faire pour vous. M."^*^ de Souastre se tue
pour sa famille : c'est accabler sa famille , que de
ne ménager pas la santé d'une telle mère. Les com-
pagnies qui vont vous voir vous gêneront encore , et
dérangeront vos faibles santés. Je serai ravi du temps
que vous donnerez à M^^ votre fille , selon votre
cœur , et en suivant en paix l'esprit de grâce ; mais
je sentirai une véritable joie , quand Dieu vous ra-
mènera ici.
O qu'on est lieureux quand on n'écoute que Dieu
et qu'on n'écoute point les réflexions de l'amour-
propre ! D'un côté , sont la simplicité , la paix , l'a-
bandon , et le commencement du paradis sur terre.
De l'autre , sont la fausse sagesse , les incertitudes ,
les délicatesses , les dépits , le trouble , et la résis-
tance à Dieu qui divise le cœur. Heureux qui n'a
plus d'autre délicatesse ni d'autre jalousie , que celle
LETTRES SPIIUTLELEES. ^'Ci'J
que la glace nous inspire pour Dieu contre nous-
mêmes ! Bonsoir , ma très-chère fille : rien ne vous
est plus dévoué (jue je le serai le reste de ma vie.
463.
La paix est la marque des opéralious de Dieu.
A Cambrai, 29 juin iji3.
Je n'ai qu'un moment , ma clièrc fille , pour vous
dire ce que je suis persuadé que Dieu vous dit bien
plus fortement. Rien n'est bon hors de la paix. La
paix est la marque du doigt de Dieu. Tout ce qui
n'est point paix n'est qu'illusion et trouble d'aïuour-
propre. Suivez le fond de votre cœur, sans vous
écouter. C'est ce fond qui est sur et simple : le reste
n'est que vaine réflexion et entortillement de l'esprit.
Ne vous gênez point ; allez comme un enfant ; vous
n'aurez encore que trop de symétrie. Je suis en peine
de M™*= la Comtesse de Souastre , que je respecte du
fond du cœur. Dieu soit avec ^ous. J'y suis avec lui,
ce me semble , tout auprès de vous.
464.
Sans la paix ^u. résiste à Dieu,
Jeudi matin, a novembre 17 13.
J'ai un vrai déplaisir , ma chère fille , de partir
pour Chaulnes , sans avoir pris congé de vous ; mais
vous savez les raisons qui m'en empêchent. Je re-
viendrai tout au plutôt. En attendant , je vous dé-
n58 LETTRES SPIRITUELLES.
sire la paix du cœur , sans laquelle on résiste à l'es-
prit de Dieu , et on ne s'occupe que de soi , sous le
beau prétexte de la régularité des vertus. Dieu sait
à quel point je yous suis dévoué à jamais.
465 *. (-^6)
Effets contraires de ramour-projirc et de l'amour de Dieu.
Comment pouvez-vous douter , ma chère fille , du
zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout
ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu si
je vous manquais. Je vous proteste que je n'ai rien
à me reprocher là-dessus : mon union avec vous ne
fut jamais si grande qu'elle l'est. Je piie souvent le
^rai Consolateur de vous consoler. On n'est en paix
que quand on est bien loin de soi ; c'est l'amour-
propre qui trouble , c'est l'amour de Dieu qui calme.
L'amour-propre est un amour jaloux , délicat , om-
brageux , plein d'épines , douloureux , dépité. Il veut
tout sans mesure , et sent que tout lui échappe , parce
qu'il n'ignore pas sa faiblesse. Au contraire , l'amour
de Dieu est simple , paisible , pauvre et content de
sa pauvreté , aimant l'oubli , abandonné à tout , en-
durci à la fatigue des croix , et ne s'écoutant jamais
dans ses peines. Heureux qui trouve tout dans ce tré-
sor du dépouillement! Jésus-Christ, dit l'Apôtre (a),
nous a enrichis de sa pauvreté , et nous nous ap-
pauvrissons par nos propres richesses. N'ayez rien , et
vous aurez tout. Ne craignez point de perdre les ap-
(a) // Cor. Tiii. 9.
LETTRES SPIRITUELLES. ^Sq
puis et les consolations -, vous trouverez un gain in-
liiii dans la perle.
Vous èles en société de croix avec M : il faut
le soutenir dans ses inQrmités. Dieu vous rendra ,
selon le besoin , tout ce que vous lui aurez donné.
C'est à vous à être sa ressource , vous qui avez reçu
luie nourriture plus forte pour la piété, et qui avez
été moins accoutumée à la dissipation flatteuse du
monde. Ne prenez pourtant pas trop sur vous. Don-
nez vous simplement et avec petitesse pour faifjle.
Demandez au besoin qu'on vous soulage et qu'on vous
épargne.
Je ne suis point surpris de ce que le torrent du
monde entraîne un peu N Il est facile, vif, et
dans l'occasion ; mais il est bon. Il sent la vivacité
de ses goûts , et j'espère qu'il s'en défiera : se dé-
lier de soi et se confier à Dieu seul , c'est tout. G a
le cœur excellent ; mais il ne commencera à se tourner
solidement vers le bien , que quand le recueillement
fera tomber peu à peu ses saillies et ses amusemens.
Il faut prier beaucoup pour lui, et lui parler peu;
l'attendre , et le gagner en lui ouvrant le cœur.
466 *. (^34)
L'oubli <le soi est la source de la paix.
Soyez simple , petite , et livrée à l'esprit de grâce ,
comme il est dit des Apôtres; la paix en sera le fruit.
Il n'y a que vous seule qui puissiez troubler votre
paix ; les croix extérieures ne la troubleront jamais.
Vos seules réflexions d'amour-propre peuvent inter-
j6o LETTIŒS SPIRITUELLES.
rompre ce grand don de Dieu. Ne vous en prenez
doue jamais qu'à vous-même du mal que vous souf-
frirez au dedans. Vous n'avez aucun autre mal que
celui du faux remède. Je souhaite fort que votre cœur
soit dans la paix du pur abandon , qui est une paix
sans bornes et inaltérable , mais non pas dans la paix
qui dépend des appuis recherchés et aperçus.
Ce que je vous désire plus que tout le reste , est
un profond oubli de vous-même. On veut voir Dieu
en soi , et il faut ne se voir qu'en Dieu. Il faudrait
ne s'aimer que pour Dieu , au lieu qu'on tend tou-
jours , sans y prendre garde , à n'aimer Dieu que
pour soi. Les inquiétudes n'ont jamais d'autres sour-
ces que l'amour-propre : au contraire , l'amour de
Dieu est la source de toute paix. Quand on ne se voit
qu'en Dieu , on ne s'y voit plus que dans la foule , et
que des yeux de la charité , qui ne trouble point le
cœur.
Il n'y a jaxiiais que l'amour-propre qui s'inquiète
et qui se trouble. L'amour de Dieu fait tout ce qu'il
faut d'une manière simple et eOicace _, sans hésiter ;
mais il n'est ni empressé , ni inquiet , ni troublé. L'es-
prit de Dieu est toujours dans une action paisible.
Retranchez donc tout ce (jui irait plus loin , et qui
vous donnerait quelque agitation. Le parfait amour
chasse la crainte (a). Calmez ^'Ot^e esprit en Dieu ,
et que l'esprit calmé prenne soin de rétablir le corps.
Retirez-vous en celui qui tranquilHse tout , et qui est
la paix même. Enfoncez-vous en lui jusqu'à vous y
perdre et à ne vous plus trouver.
(a) / Joan. iy. i8.
LETTRES SPIRITUELLES. 7G [
C'est dans roubli du mol qu'habite la paix. Partout
où le mui rentre , il mot le cœur en convulsion , et
il n'y a point de bon antidote contre ce venin subtil,
lleuieux qui se livre à Dieu sans réserve , sans re-
tour j sans songer qu'il se livre !
Je prie Dieu qu'il parle lui-même à votre cœur ,
et que vous suiviez lidèlement ce qu'il vous dira.
Ecouter et suivre sa parole intérieure de grâce , c'est
tout : mais pour écouter , il faut se taire ; et pour
suivre , il faut céder.
Je vous souhaite la paix du cœur et la joie du Saint-
Esprit. Toute pratique de vertu et toute recherche
de sûreté , qui ne s'accorde point avec cette paix hum-
ble et recueillie , ne vient point de Notre-Seigneur.
-^62 LETTRES SPIRITUELLES.
LETTRES
A LA MARQUISE DE RISBOURG.
467.
Il explique à la Marquise sa conduite par rapport à quelques personnes
qui désiraient l'avoir pour directeur.
A Cambrai, mardi 2 décembre 1710.
Vous avez fait de merveilles , ma chère fille , en
m'ouvrant votre cœur sur vos peines. Dieu vous bé-
nira quand vous agirez ainsi avec simplicité. Il per-
met que vous soyez peinée , sans voir les choses comme
elles sont ; mais si vous ne les voyez pas , il les voit ,
et il sait tout ce que je fais pour vous servir solide-
ment. Je serais bien soulagé, si je cessais de prendre
soin de ce qui doit vous intéresser. Vous ne faites
justice ni à moi ni à d'autres , quand vous croyez
qu'on m'a éloigné de travailler pour la plus jeune
personne. Ce soupçon n'a aucun fondement. J'ai tou-
jours été prêt à le faire de très-bon cœur ; mais je
n'ai cru devoir faire aucune avance , comme je n'en
fais jamais aucune vers qui que ce soit en tel cas.
J'ai cru qu'il fallait voir si elle venait à moi par un
choix de confiance , ou par une complaisance politi-
que. Du reste , mon zèle était sans aucune réserve.
Pour vous , ma chère fille , vous devez regarder votre
peine de la cliarité que j'exerce pour votre véritable
intérêt , comme une tentation. Il sufiit que votre vo-
lonté n'y consente pas y et que vous portiez cette ré-
LETTRES SPIRITUELLES. -^63
pngnance avec humilité et abandon à Dieu. Commu-
niez , et tiiiles-vous violence pour ne parler point
contre les personnes qui vous choquent. Dieu sait
avec quel zèle je vous suis tout dévoué en lui.
468.
Sur une inquiétude qui éloignait la Marquise du la communion,
A Cambrai , 9 décembre 1710.
Vous devez supposer , ma chère fille , que vous avez
dit dans le temps ce que vous ne vous souvenez point
d'avoir voulu taire. Il n'y a qu'à demeurer en paix ,
et qu'à communier. Il est vrai que vous devez être
dans la disposition de vaincre votre orgueil , en di-
sant par simplicité et humilité une chose humiliante :
mais il suffit d'être bien déterminée à la dire , quand
j'irai chez vous , quoi qu'il vous en coûte. Moyen-
nant cette détermination , vous n'avez qu'à commu-
nier. Pour l'exécution , Dieu vous aidera. Il ne faut
point s'écouter , et dire d'abord tout , sans se donner
aucun loisir d'y faire des réflexions d'amour-propre.
fr«V W VV WVV WVV V«rv «^V »V% %«h ^b^ %% V«%«'%%% V«^ Vl.%' «rv% V^V «^«VV^V %^^ V%% %>%V «^/t (VV« ^A'%'%«i%a'%«^%«
(■^o:\) 469 *.
Gjntrc les délicatesses excessives de l'amitié.
Dimauclie, 24 avril 171a.
C'est vous-même que vous cherchez , ma chère
fille , en cherchant l'amitié des créatures ; mais vous
n'y trouverez point ce que vous y cherchez. Vos déli-
catesses d'amitié ne sont que des rallinemens d'amour-
'J0:y LETTRES SPIRITUELLES.
propre : mais les créatures ont un amour-propre aussi
bien que vous ; chacun veut tout pour soi. D'ailleurs
vous ne trouverez jamais ni paix ni consolation dans
un amour-propre affamé d'amitié ; il n'aura pour vous
que douleurs et qu'épines. Ne le méritez-vous pas ,
puisque l'infini même ne vous suffit point , et que vous
ne trouvez point Dieu assez aimable , à moins que
vous n'y joigniez les amusemens les plus frivoles? Re-
venez au recueillement ; mais ne tardez pas. Chaque
moment où vous retardez est une grande infidélité.
Il faut que l'oraison soit votre pénitence , en atten-
dant qu'elle redevienne votre nourriture. Bonsoir. Je
suis à vous sans mesure , mais en Dieu seul à jamais.
470.
Il lui reproche une infidélité à Dieu.
Lundi, 4 juillet 17 12.
Vous m'avez manqué de parole , ma chère fille ,
et ce qui est cent fois pis , vous en avez manqué à
Dieu même. On ne peut être plus en peine que je le
suis de votre état. Je me rendrai chez vous dès que
vous le voudrez ; mais je vous deviens inutile malgré
moi , par votre résistance à Dieu , par le resserre-
ment de votre cœur, et par une dissipation volontaire,
qui vous expose aux plus grands périls. Consolez-moi ,
et rendez-vous la paix à vous-même , en cédant à
Dieu sans aucun délai. Que ne voudrais-je point faire
pour votre véritable bien !
LETTRES SPIRITUELLES. 'jGS
471.
Tl 11 prie de suspendre ses démarches sur une afTairc importante.
A Cambrai , dimanche 18 septembre 1712.
Je suis ravi des dispositions où Dieu vous met,
ma chère fdle. Demeurez-y en paix , avec petitesse ,
sans écouter votre amour-propre. Mais ne faites au-
cune démarche avant que j'aie eu Fiionneur de vous
voir. U faudra que je concerte , s'il vous plaît , toutes
choses avec vous, et qu'ensuite je parle de l'autre côté,
pour empêcher , par rapport à l'avenir , les inconvé-
niens que vous craignez. En attendant , communiez ,
puisque vous êtes prête à tout. N'hésitez point.
472.
Acquiescement aux croix journalières.
25 septembre 17 12.
Cette raison ne doit nullement vous arrêter , ma
chéie fdle. Travaillez à rentier dans le recueillement :
ne laissez rien dans votre tête , ni dans votre cœur.
Point de dépit, point de raisonuemens, point de pro-
jets : paix , simplicité , petitesse , acquiescement aux
croix journalières. Bonjour. Il est temps de revenir
au point essentiel , qui est la dépendance de la grâce
pour mourir à soi.
nQQ LETTRES SPIRITUELLES.
473 * R. (-^^3)
Exhortation à reprendre la première ferveur.
i3 avril 1713.
Je ne puis , ma chère fille, vous rien dire de plus
convenable que ces paroles de saint Jean d Vanye ,
c'est-à-dire à l'Évéque de l'église d'Éphèse , qui était,
selon les apparences , Timothée {a) : J'ai contre vous ,
que vous avez quitté votre pre?nière charité , souve-
nez-vous donc d'où vous êtes déchu j faites pénitence ,
et reprenez vos premières œuvres. Si vous y man^
quez , je viendrai à vous , et fêterai votre chandelier
de sa 'place. C'est ainsi que l'esprit de Dieu aime les
hommes sans les flatter. Il aime , et il menace : il ne
menace même que par amour. Il montre la peine ,
afin que l'homme ne le contraigne pas de la lui faire
souffrir. Voyez combien les personnes les plus par-
faites déchoient facilement et peu à peu , sans y pren-
dre garde. Voilà Timothée que saint Paul appelle
Vhomme de Dieu [e] voilà Vange d'une des plus saintes
églises de tout POrient , dans ces beaux jours où la
Religion était si florissante : cet ange tombe ; il oublie
son ancien amour , son recueillement , son oraison , ses
œuvres-, il se relâche, 'il se dissipe. Il n aperçoit pas
d'abord son égarement et sa chute. Il dit en lui-même :
Que fais-je de mal? Ma conduite n'est-elle pas honnête
et régulière aux yeux du monde? N'a-t-on pas besoin
de quelque consolation? serait-ce vivre , que de n'a-
voir jamais rien qui soutienne et qui ranime le cœur
{a) Jpoc. II. 4^ 5. {e) I Tim. vu 11.
LETTRES SPIRITUELLES. 76'^
C'est ainsi (ju'on ost ingénieux à se tromper , et à dé-
ii;iiiser son relâchement, llàtez-vous , dit le Saint-
Es])nt, d'ouvrir les yeux, et de voir d'oïc vous êtes
déchu. 0 que vous êtes au-dessous de votre ancienne
place ! Souvenez-vous de la ferveur de vos oraisons ,
de votre solitude paisible , de votre jalousie pour le
recueillement , et de la iidélité avec laquelle vous vou-
liez fuir tout ce qui pouvait l'altérer. Si vous ne vous
en souvenez plus , les autres ne l'ont pas oublié , et ils
ne manquent pas de dire : Qu'est devenue cette fer-
veur ? On ne voit plus qu'amusement au dehors , et
qji'ennui au dedans dès que les amusemens sont finis.
Ce n'est plus la même personne : croit-elle être encore
dévote ?
C'est ainsi qu'on tombe , par degrés insensibles , et
sous de beaux prétextes, d'un état de sincère mort
à soi , jusque dans un relâchement où l'on voit re-
naître toutes les vies les plus grossières de l'amour-
propre. Au moins faut-il se souvenir de l'état d'où
on est déchu. Il faut regretter ce pî'emier amour qui
nourrissait le cœur. 11 faut reprendre ces premières
onivres qu'on a abandonnées si lâchement pour des
œuvres de vanité. Il faut regarder de loin la solitude
où l'on était en paix avec le véritable consolateur. Il
faut dire comme l'enfant prodigue {a) : Je sais ce que
je ferai : je retournerai chez mon jfère ; je lui dirai :
O père y j'ai péché contre le ciel et contre vous ; je
ne suis plus digne d'être nommé votre eiifant. S'il
vous fait sentir d'abord quelque froideur et quel-
que sécheresse , recevez humblement cette pénitence ,
(a) Luc. XV. i8 , 19.
^-68 LETTRES SPIRITUELLES.
dont vous avez im besoin infini. Si vous manquez à
rentrer proraptement dans son sein paternel , voici ce
qu'il ferait : Je viendrai , dit-il^ à vous , et j'ôterai vo-
tre chandelier de sa place. Il vous ôterait le flambeau
dont vous ne faites aucun usage , et il vous laisserait
dans les ténèbres ; il transporterait ses grâces si pré-
cieuses , et si long-temps foulées aux pieds , à quel-
que autre ame plus simple , plus docile et plus fidèle.
Il faut reprendre vos lectures , votre oraison , votre
silence , votre première simplicité et petitesse. Polu'
la communion , il faut l'augmenter chaque semaine
d'un jour , jusqu'à ce que vous l'ayez rétablie au pre-
mier état.
474 * A. (2o4)
Même sujet. Nouvelles du Marquis de Fénelon.
A Cambrai, i3 septembre i^i3.
Je suis fort aise , ma chère fdle , de ce que vous avez
vu M™^ la princesse d'Espinoi (i); je l'ai vue aussi un
moment. Mettez à profit votre solitude pour rentrer
dans le recueillement. Vous ne pouvez , hors de ce
centre , ni vous soutenir dans une vraie piété , ni
modérer la sensibilité de votre cœur , ni adoucir vos
croix, ni jouir d'aucune paix. Vous commencerez par
une violence pénible , pour vous ramener à cette vie
intérieure et à cette dépendance de l'esprit de grâce ,
qui est jaloux de toutes les vies secrètes de l'amour-
(i) Thérèse de Lorraine, veuve de Louis de Melun , Prince
d'E-ipinoi. Le Marquis de Risbourg e'tait de la racrae famille. .
LETTRES SPIRITUELLES. rG()
])iopre, et qui les éteint peu à peu; mais cette gène
se changera enliu en liberté. Elle mérite bien d'èlrc
aclielée ]»ar une sujétion constante. Ce travail est
moins pénible , que celui de se livrer aux vaines dé-
licatesses d'un amour-propre toujours dépité.
Mon neveu est très-éloigné de se relâcher sur les
sentimens qu'il vous doit ; il m'écrit en homme qui
en est vivement occupé. Je ne sais point encore quand
est-ce qu'il viendra. 11 a encore une espèce d'écor-
chure à la cicatrice , dont on veut voir la fin.
Pour moi , je compte d'aller vous rendre mes de-
voirs , et de dîner à Valincour tout au plus tôt ; mais»
je ne puis vous en mander le jour , qu'après que je
me serai débarrassé de deux affaires qui me sont très-
importantes et irès-épineuses. Rien ne peut surpas-
ser mon zèle et mon respect.
475.
Reijonf rr à son pioprc esprit.
Dimnnche, 20 mai i'}i\.
Vous ne devez pas manquer, ma chère fille, de
communier aujourd'hui : la grande fète(i)le demande.
Je prie Notre-Seigneur de vous donner son esprit ,
et de vous ùter le vôtre. La sagesse de l'amour de
Dieu est bien opposée à la sagesse de l'amour-propre.
L'une travaille à se déposséder de soi _, pour laisser
régner Dieu en tout : l'autre ne veut que se posséder
en tout , pour mettre Dieu même à sou point. Soyer,
(i) Celait le jour de la Prntecôtc.
Conp.KPP, IV. 3|
nno LETTRES SPIRITUELLES.
simple et petite : je prie Dieu qu'il vous rapetisse dans
ses mains. Il sait combien je vous suis dévoué en lui.
««V vv% vv« v«% v% -i v«% vvw V%% %V«> V«4 V%^ VVV l^« VVV «, v\ vvv vvw w»w vv%^ V« «««t/ t^V^VV V «%% %«V Vb^
476.
Il compatit à ses peines intérieures.
Je prends part à tous vos souffrances , ma très-
chère fille ; mais je suis consolé de voir votre bonne
résolution. Il fut dit à saint Paul : // vous est dur de
regimbe}' contre V aiguillon {(i). Si vous ne résistiez
jamais à Dieu , vous n'auriez que paix dans les dou-
leurs mêmes. Il me tarde de vous aller voir : un autre
moi-même y va pour moi.
(a) Act, IX. 5.
477 * R. (240)
Sur une pauvre villageoise du diocèse d'Arras , qui paraissait être dans
un état extraordinaire.
Je crois que la bonne personne dont il s'agit doit
faire deux choses. La première est de ne s'arrêter ja-
mais à aucune de ses lumières extraordinaires. Si ces
lumières sont véritablement de Dieu , il suffit , pour ne
leur point résister et pour en recevoir tout le fruit , de
demeurer dans un acquiescement général et sans au-
cune borne à toute volonté de Dieu , dans les ténèbres
de la plus simple foi. Si , au contraire , ces lumières
ne viennent pas de Dieu , cette simplicité paisible dans
l'obscurité de la foi est le remède assuré contre toute
illusion. On ne se trompe point quand on ne veut
LETTRES SPIRITUELLES. -^T
rien voir , et qu'on ne s'arrête à rien de distinct pour
le croire , excepté les vérités de l'Evangile. Il ar-
rive même souvent que les lumières sont mélangées :
auprès de Tune , qui est vraie et (jui vient de Dieu ,
il s'en présente une autre qui vient de notre imagi-
nation , ou de notre amour-propre , ou du tentateur
qui se transforme en ange de lumière. Les vraies lu-
mières mêmes sont à craindre; car on s'y attache avec
ime complaisance subtile et secrète : elles font insensi-
Llement un appui et une propriété *, elles se tournent
par là en illusion malgré leur vérité ; elles empêchent
la nudité et le dépouillement que Dieu demande des
âmes a\ancées. De là vient que ces dons lumineux
ne sont d'ordinaire que pour des âmes médiocrement
mortes à elles-mêmes , au lieu que celles que Dieu
mène plus loin outrepassent par simplicité tous ces
dons sensibles. On voit les rayons du soleil distincte-
ment à un demi-jour , près d'une fenêtre ; mais de-
hors en plein air on ne les distingue plus.
Je conjure cette bonne personne de laisser tomber
simplement tous ces dons , sans les rejeter positive-
ment , et se bornant à n'y faire aucune attention par
son propre choix. S'ils sont de Dieu, ils opéreront assez
ce qu'il faudra ; mais je crois qu'ils cesseront peu à
peu , à mesure que la simplicité et le dénuement
croîtront. Voilà le premier point, qui est d'une con-
séquence extrême , si je ne me trompe.
Le second point est que je crois qu'elle doit par
simplicité suivre sans scrupule les pentes du fond de
son cœur. Si elle suit toujours avec méthode et exac-
titude toutes les règles que des gens d'ailleurs très-
pieux lui donneront , elle se gênera beaucoup y et
nn2 LETTRES SPIRITUELLES.
gênera en elle l'esprit de Dieu. Là où es^ cet esj)7'it ,
là est la libet'té , dit saint Paul (a). A Dieu ne plaise
que cette liberté d'amour soit l'ombre du moindre
libertinage ! C'est cette liberté qui élargira son cœur,
et qui l'accoutumera à être familièrement avec Dieu.
Il ne suffit pas de nourrir un enfant -, à un certain
âge, il faut le démaillotter. Elle doit suivre simple-
ment en esprit d'enfance l'attrait intérieur pour les
temps d'oraison, pour les objets dont elle s'y occupe
pour parler , pour se taire , pour agir , pour souffrir.
Cette dépendance de l'esprit de mort , qui est celui
de la véritable vie , fera tout son état. Je ne parle
point des pentes qui ne viennent que par contre-
coup et par réflexion ; c'est en écoutant l'amour-propre
et ses arrangemens , que de telles pentes nous vien-
nent. Ce bijut des pentes étrangères à notre vrai fond :
on se les donne -, on les prépare ; elles sont raison-
nées : on ne les trouve point toutes formées en nous
comme sans nous. Les bonnes sont celles qui se trou-
vent dans le fond le plus intime en paix et devant
Dieu , quand on se prête à lui , et qu'on suspend
tout le reste pour le laisser opérer.
Voilà ce que je soubaiterais que cette personne
suivit sans retour , et par simple souplesse , comme
la plume se laisse emporter sans hésitation au plus
léger souffle de vent. Il ne fliut point craindre de
suivre celte impression si intime et si délicate ; car
elle ne mène qu'à la mort, qu'à l'obscurité de la foi,
qu'au dénuement total , et qu'à un rien de soi , qui
{a) II Cor. m. 17,
LETTRES SPIRITUELLES. 'y 7 3
est le tout de Dieu seul , sans mairf[uer à aucun
véritable devoir.
Pour les souffrances , il n'y a qu'à les recevoir sans
altenlion, et qu'à les outrepasser comme les lumières ,
ne comptant point avec Dieu pour ce que l'on souffre,
et ne le remarquant qu'autant que la remarque en
> ient , sans la chercher ni entretenir.
Il faut recevoir tout le monde avec petitesse , sur-
tout les prêtres en autorité ; mais il ne faut pas se
laisser brouiller et dérouter par toutes sortes de bonnes
gens sans expérience suflisante. Dieu donnera tout
ce qu'il faut sans lumière distincte ^ si on se contente
des ténèbres de la foi , et si on ne veut point des
sûretés à sa mode pour s'appuyer sensiblement. Je
me recommande aux prières de cette bonne personne ,
et je ne l'oublierai pas dans les miennes.
riN DU TOME QUATRIEME.
rj^A. TABLE COMPARATIVE
J J T
TABLE COMPARATIVE
DE l'ordre ancien ET DE l'oRDRE KOtJVEAU
DES LETTRES SPIRITUELLES (i).
Nota. "L'ordre ancien est celui qu'a suivi le Marquis de Fénelon dans
les OEuures spirituelles, publiées en Hollande en tjSS, et auquel on
s'est conformé dans les éditions faites à Paris depuis 174» L'ordre nou-
veau est celui de notre édition. tJn petit nombre de Lettres spirituelles
appartiennent à la i^e et à la n« section de cette Correspondance , comme
on le marque dans la Table suivante. Celles qui n'ont d'autre indica-
tion que leur numéro , sont toutes de la v« section , qui comprend la
moitié du tome III et le tome IV entier.
Ordre ancien. Ordre nouveau. Ordre ancien. Ordre nouveau.
I tom. I, l'^^sect. 34 XIX 145
II ibid. 35 XX 198
III ibid. 36 XXI i4(i
IV ibid. 82, 86, 88 XXII 107
V ibid. 83 XXIH 147
VI iJ/t^. 92,94 XXIV 148
VII Si XXV 27
VIII 3a XXVI 465
IX 33 XXVII lom. II , H» sect. 67
X 38 XX VIII ibid. 68
XI i'»3cct. 19 XXIX 149
XII 195 XXX 108
XIII 196 XXXI i5o
XIV 121 XXXII i5i
XV 197 XXXIII 109
XVI 62 XXXIV 122
XVII 144 XXXV 123
XVIII 126 XXXVI 110
(i) Voyez Y Avertissement de la cinquième section, tome III, à la tète
des Lettres spirituelles.
DES LETTRES SPIRITUELLES.
J J
1'-^
Ordre ancien.
OrJre nouveau. Ordre ancien.
Ordre nouveau.
XXXVIl
a56 LXXVIII
272
XXWIII.
25; LXXIX
336
,337
XXXIX
a64 LXXX
332
XL
266, 267 LXXXI
334
XLI
276 LXXXII
339
XLir
269,273 LXXXIII
340
XLIII
280, 295 LXXXIV
344:
> '"'49
XLIV
281,283,292 LXXXV
348
XLV
286 LXXXVI
353
XL VI
287 LXXXVII
35.J
xLvrr
i»7 LXXXVIII
74
XLVIII
i52 LXXXIX
75
XLLX
64 XG
7G
L
65 XCI
77
LI
66 XCII
78
Lir
67 XCIII
79
Liir
68 XCIV
80
LIV
69 XCV
8t
LV
70 XCVI
Si
Lvr
7 1 XCVIT
83
LVII
72 XCVIII
84
Lvin
73 XCIX
85
LIX
3o2 C
80
LX
3o6 CI
87
LXI
34a eu
88
LXII
333 cm
89
LXI II
24a CIV
9"
LXIV
243 CV
91
LXV
244 CVI
92
LXVI
246,247 CVII
93
Lxvn
248 cvm
94
Lxvni
249 CIX
95
LXIX
a5o, 2ja CX
9<'
LXX
252 CXI
97
LXXI
253 CXII
9«
LXXII
254 CXIII
99
Lxxm
258 CXIV
100
LXXIV
a59 CXV
ia4
LXXV
260,261 CXVI
i53
LXXVI
263 - CXVII
1.54
LXXVII
294 CXVIir tom.
I , I" sect.
80
-7«
TAliLE t;0.>JPARATiVE
Ordre ancien. Ordre nouveau. Ordre ancien.
Oidre' nouveau.
CXIX
128 CLX
ibid. 25
cxx
tom. I. 1" secl. 178 CLXI
i63
CXXI
loj CLXir
aoo
cxxir
luiu. I, l'^scct. i36 CLXIII
io3
CXXIII
i53 CLXIV
164
CXXIV
i56 CLXV
1(55
cxxv
431 CLXVI
j6e;
CXXVI
440 CLXVir
167
cxxvir
441 CLXVIII
168
CXXVIII
454 CLXIX
169
OXXIX
446 CLXX
17a
CXXX
157 CLXXI
171
CXXXI
i58 CLXXII
172
€XXXIl
ï59 CLXXIII
173
CXXXIII
160 CLXXIV
174
CXXXIV
161 CLXXV
112
cxxxv
iri CLXXVr
175
CXXXVI
44, 430 CLXxvii
176
CXXXVII
41 5, 416 CLXXVIII
J77
CXXXVIII
409 CLXXIX
178
CXXXIX
426 CLXXX
Ï79
CXL
423 CLXXXI
180
CXLI
tom. I, 1" sect. 195 CLXXXII
37
CXLII
ihid. 198 CLXXXIII
114
CXLIII
ibid. 19g CLXXXIV
j3o
CXLIV
63 CLXXXV
i3i
CXLV
Ï29 CLXXXVI
ii5
CXLVI
34 CLXXXVII
116
CXLVII
35 CLXXXVIII
iSi
CXLVIII
59 CLXXXIX
18a
CXLIX
57 , 60 CXC
l32
CL
5i , 54 CXCI
i33
CLI
49 , 5o CXCII
134
CLII
36 CXC III
118
CLIII
162 CXCIV
io4
CLIV
tom.I, i«secl. 18,20 CXCV
i35
CLV
ibid. 22 , 27 CXCVI
i85
CLVI
ihid. 23 CXCVIl
i36
(XVII
ibid. 24 CXCVIM
1S4
CLVIII
ibid. 29 CXCIX
117
CLIX
ihid. 3i ce
»'9
ULaO i'Lj l 1
i\i:,;> ,
srini 1 L ir^JUL-iLS.
/ ; /
Orilrc ancien.
Orilre nouveau
Ordrr" ancien.
Ordre nouve.-xu.
(CI
i37
CCXXVI
3i,->
( Cil
i85
ccxxvri
327
( iClII
473
ce XXVI II
323 , 32.S
CCIV
¥b^
474
CCXXIX
329 , 33o
CCV
456
CCXXX
3G6, 367
CCVI
i38
CCXXXI
37.i
(CM!
401
CCXXXII
3G8. 388
CCVIII
186
CCXXXI II
,89
CCIX
387
CCXXXIV
agS , 46G
<CX
•579
CCXXXV
123
tCXI
38 1
CCXXXVI
i4o
CCXII
16
CCXXXVII
,41
CCXIII
139
CCXXXVIII
106
CCXIV
382.
, 384
CCXXXIX
142
CCXV
187
CCXL
477
ccx\'r
28
CCXLI
190
ccxvir
391
, 39a
CCXLII
191
CCXVIII
a5
CCXLIII
143
rcxix
397
CCXLIV
408 , 429
ccxx
396
crxLv
ii3
ccxxi
188
CCXLM
lOI
CCXXII
400
CCXLVII
29
CCXXIII
404
CCXLVIII
a4
CCXXIV
4o5
CCXLIX
4
CCXXV
lao
rcL
aoi
FIN DE LA TABLE COMPARATIVE.
778
TABLE
DE LA DEUXIÈME PARTIE
DES
LETTRES SPIRITUELLES.
Averlissemeut sur les lettres suivantes. ^iS
LETTRES A LA COMTESSE DE GRAMONT.
202. Moyens de se soutenir au milieu des dangers que l'on rencon-
tre dans le monde. 4^5
203. Sur un scandale qui venait d'éclater dans le monde. 4*^
204. Agir en tout avec simplicité. 4 '8
205. Remercîment sur rintérêt qu'elle prenait à sa nomination à la
place de précepteur du Duc de Bourgogne. 419
206. Dérober quelques heures aux embarras du monde pour nourrir
la piété. ]Ne point se décourager à la vue de ses faiblesses. 42Q
aoj. Se réserver des heures de solitude; supporter patiemment les
importuuités d'autrui et nos propres impei'fectious ; moyens
d'acquérir l'humilité. 4^3
208. Ne point se troubler pour les fautes involontairement omises
en confession. 4^6
209. S'appliquer au silence et au recueillement; utilité des pénitences
qui ne sont pas de notre goût. 428
210. Changer sans scrupule l'heure des exercices de piété quand les
devoirs d'état le demandent. Exhortation à la simplicité et à
l'enfance chrétienne. 4^^
211. Eviter les airs de mépris et de hauteur ; supporter patiemment
les défauts du prochain. 4-^'^
212. Contre la crainte excessive de goûter les plaisirs innocens. Sui-
vre avec simplicité les avis des médecins. 4^4
2x3. En quoi consiste la véritable humilité ; espérer en Dieu malgré
notre indignité. /|36
214. Adorer les desseins de Dieu dans les révolutions de ce monde. 4^9
21 5. Ne point s'appuyer sur les créatures ; s'abaisser sous la main
de Dieu. Ibid.
TABLE DES LETTUliS SPIRITUELLES.
'9
2i6. Sur la compassion qu'elle doit témoigner à son frère disgracie. \^i
317. Voir ses lautes avec liuuiililé , mais sans trouble. ^4^
ai 8. Porter ses croix avec pai.\ et iuiinilité. 44^
•J19. Pardonner facilement aux autres leurs préventions. Jbid.
aao. Conserver la paix au milieu des croix ; adorer la main qui nous
les envoie. 44^
aai. Avantages des croix supportées chrétiennement. 447
aaa. Ne point ajourner ses projets de perfection. Le parfait amour
chasse la crainte. 44^
aa3. Il lui indique un lieu où elle pourra le voir , et badine sur son
humeur. 4^0
324- Recevoir les humiliations comme venant de la main tle Dieu. 4^^
2^5. Félicitations à la Comtesse sur l'adoucissement apporté à la dis-
grâce de son frère. !\^ii
320. IVe point ajourner sa perfection ; la faire consisler dans la fidé-
lité aux petites choses aussi-bien qu'aux grandes. Ibid.
227. Dispositions qui conviennent au temps de TAvent. 4-^^
328. Avantages des croix. 4^9
aag. Dérober quelque» Imures aux embarras , pour se fortifier par
les exercices de piété. 4G0
a3o. Sur la mauvaise santé du Comte de Gramont. 4^^
23 1. Fruits que l'on doit retirer des embarras et des contradictions
de la vie. 462
a3a Sur la maladie du Comte de Gramont. Avantages des croix. 4^3
233- Il souhaite que le Comte de Gramont agisse noblement avec
Dieu , comme il a fait avec le monde. 4^4
234- ^c faille aucun pas, même dans le bien, sans prendre conseil ;
exhortation à la petitesse et à la simplicité d'esprit. 46S
a35. Eviter la prévoyance inquiète de l'avenir; fruits que nçus de-
vons retirer des contradictions intérieures j vanité des biens de
la terre. 4^^?
236. S'accoutumer au recueillement 5 voir ses fautes sans trouble j
se donner à Dieu sans réserve. 47^
a3-. Supporter les tentations avec pai.x et humilité. 47^
23S. Comment les passions humaines s'entrechoquent; le renonce-
ment et l'abandon , unique moyen de conserver la paix. 4/7
339. Peinture de la vie de la cour. 479
340- Adieux .H la Comtesse, partant pour les eaux de Bourbon. 4^1
241. Dispositions de Fcnclon par rapport au livre des Maximes. 4^*
7^t) TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
LETTRES A LA COMTESSE DE MONTBERON.
24a. Caracléie de saint François de Sales. En cjiioi consiste î'esprit
de foi. /J84
^43. Exhortation à lentière conCance en Dieu. 486
•j44- Eviter l'activité inquiète dans le semce de Dieu; avis pour la
conduite ordinaire. 488
l^45. Il croit à propos d'avoir une conversation avec la Comtesse,
sur ses dispositions intérieures-. 490
•2^6. Avis sur l'oraison , les lectures , la confession , cl quelques au-
tres articles. 491
•j47- Eviter la trop grande activité dans l'oraison. 494
248. Comment il faut suivre les différens attraits de la grâce dans
l'oraison. ^q5
249. De l'abandon à la Providence à l'occasion de la perte de nos
amis. Suivre sans crainte l'attrait qu'on éprouve dans l'oraison
pour le simple recueillement. 497
250. En quoi consiste l'oraison de silence ; excellence et effets de
cette oraison. 5oo
2.'ji. Consolation sur la mort d'une des amies Ju la Comtesse. 5oa
25-2. Abandon simple el enf.intin 2. la conduite de la Providence;
ardeur et vivacité de l'amour naissant. 5o3
253. Sur les douceurs que Dieu fait éprouver aux commençans; fidélité
à suivre l'attrait de la grâce. 5o5
254. Combattre les scrupules , en allant à Dieu avec une confiance
et une simplicité sans réserve. ^oj
2.55. Avec quelle simplicité les amis doivent agir entre eux. 5io
256. Source des scrupules ; moyens d'y remédier. . Ibid.
2.57. Tort que fond les scrupules outrés. 5i2
258. Le véritable amour de Dieu humilie, et dissipe les scrupules. 5i5
'j5q. Comment l'amoin- de Dieu apprend à souffrir ; différence entre
le courage qui vient de l'homme , et la résignation que Dieu
inspire. 5 16
2(10. Proportionner les piatiques de piété aux forces coi'porelles. 5i8
261. Même sujet. 52o
2G2. Se confesser sans inquiétude et sans scrupule. 5ai
263. Se supporter soi-même, comme on supporte le prochain ; tra-
vailler paisiblement à la correction de ses défauts. Ibid.
264. Surmonter les scrupules , en se défiant de la vivacité de Tima-
gination. SzS
25.T. Maladie du Dauphin ; mort de M. de Croisilles. S'ouvrir avec
.simplicité an directeur. 525
2<i6. Elargir «on cœur par la confiance, ^26
TABLE DES LETTRES SPilUTL'ELLEE. -jSl
Paç;.
367. Mi^me sujet. 5-.>.-
a(i8. Résignation tlans les pertes et les rcveis. Ibùf.
atk). Eviter les raisonnemens et les retours subtils sur soi-ini^ine. 5uS
370. Itinériiire de sa visite épiscopale. 53()
■J71. Ordre de sa visite (épiscopale. Elargir le ccrur parla confiance. Ibid.
"i-]!. Eviter les prévoyances ; vivre de foi et d'abandon à Dieu. 532
•j^S. Recevoir les dons de Dieu avec reconnaissance et humilité j
mort de Monsieur, frère de Louis XIV. .'53"»
274- La docilité , seule ressource contre le scrupule. 5.1f>
•i75. Discrétion clans la pratique des aiistérilés, 537
•J76. Obéissance simple et aveugle, seul remède contre les scrupules. ")3.S
•J77. Même sujet. 53<;
•J78. Même sujet. 54 1
■279. Calmer l'imagination ; ne pas entretenir le trouble par des ré-
flexions scrupuleuses. IlùL
u8o. Déclarer ses peines avec simplicité; écouter Dieu dans ceux qui le
représentent. 5|3
aSi. Réprimor Tactivité de l'imagination ; se tcii'rùans le calme pour
écouter Dieu. 5/j';
282. Réprimer l'activité trop naturelle dans le terviro .l,. nos amis. 5W
283. Etre ferme contre soi-même dans la pratique de l'obéissance. S/jS
9.8.'} ■ Le scrupule ferme à Dieu la porte de notre ccnnr. S^rj
285. Demeurer avec simplicité dans létat où Dieu notis met. Ibitl.
•2S6. Recevoir les grâces et les consolations sans s'y attacher. 55 c
387. Ne point exiger d'une ame plus qu'elle ne peut encore porter. Ibid.
288. Se mettre en liberté pour le dedans et pour le dehors. 5."),'r
289. Excuses à la Comtesse , pour un oubli . 5.*4
290. Sur la bienséance des habits et des cocipagnies. Sur un mariage
projeté pour un filo de la Comtesse. Ibid.
291. Sur quelques affaires de famille. 55^
29a. Sur quelques affaires de famille j s'abstenir des réflexions super-
flues. Sfiii
293. Avis à la Comtesse, pour elle et pour sa GUe. Avantages de
l'oraison. 55. >
294- Utilité des privations et des sécheresses. 56i>
295. S'appliquer à l.i mortification intérieure bien plus qu'à l'esté-
neure. 5Gt
296. Il redemande à la Comtesse le traité de l'Existence deDieu. et lui
recommande le soin de sa santé. 563
237. Proporlionncr les pratiques de piété aux forces du corp*. fui.,'.
298. Défiances de la Comtesse sur lezélede son directeur. Ab.indon
simple cl absolu aux opérations de la grâce. "-G.5
'j83 TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
399. Suivre avec simplicité les ouvertures que donne la Providence 567
3oo. Suivre avec simplicité et sans scrupule les avis du médecin. 5G8
3oi. Craintes et délicatesses de la Comtesse sur le zèle du Prélat à son
égard. 5^0
3oa. Recevoir avec reconnaissance les dons de Dieu , quel que soit
le canal par où il les communique. 5^2
3o3. Il la félicite sur la simplicité avec laquelle elle a découvert ses
peines intérieures, etlexliorte à reprendre avec calme ses exerci-
ces ordinaires. S"!
3o4- Sur le combat de la partie inférieure de Tame contre la partie su-
périeure. 575
3o.^. Suivre avec simplicité Pattrait divin. 677
306. Nous confier en Dieu malgré nos infidélités ; union des âmes
en Dieu ; se conduire en tout par les vues de la foi. 679
307. Ne point entretenir volontairement les peines intérieures. En-
trevue de Fénelon et du Duc de Bourgogne. 58a
308. Sur l'entrevue de Fénelon avec le Duc de Bourgogne. 584
309. Sur Pentrcvue qu'il a eue avec le Duc de Bourgogne La paix
intérieure incompatible avec la résistance i l'attrait divin. Ibid.
3 10. Il annonce à la Comtesse quil a promis au Comte , son époux ,
de la confesser. 585
3ii. C'est dans la privation des douceurs sensibles, que l'on ac-
quiert la vertu solide. 586
3 12. S'ouvrir avec une entière liberté. Avis à la Comtesse pour ses
confessions. 587
3i3. Sur la santé de la Comtesse, et sur le progrès spirituel d'une
de ses amies. 588
3i4- Chacun doit être content de ce que Dieu lui donne. 5S9
3i5. Reconnaître ses fautes avec humilité . mais sans trouble. Ibid.
3i6. Il est bon de sentir notre impuissance, pour ne compter que
sur Dieu. .îga
317. Agir en tout avec paix, simplicité et confiance. 593
3 18. Il annonce à la Comtesse l'arrivée procbame de la Duchesse
de Mortemart. 594
319. S'occuper beaucoup de Dieu, et peu de soi-même. 5^5
3jo. Même sujet. 596
321. L'obéissance, seul remède contre les scrupules. 597
322. Même sujet. 6g8
323. Pratiquer l'exercice de la direction avec un grand esprit de
foi et de mort à soi-même. Ihid.
324- Découvrir ses tentations et ses peines intérieures promptomcnt
et avec simplicité. ^""
TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES. -jBj
Pag.
3a5. Mémp sujet. Goi
3aG. Se détacher de ses propres vues , pour suivre la voie de l'o-
béissance. 6oa
3a-. Contre les scrupules et la recherche des goûts sensibles dan»
le service de Dieu. 6o3
3j8. La volonté de Dieu rend açjréables les occupations les plus pé-
nibles. S'abstenir de refours subtils sur soi-même- 609
329. Voir SCS impeilections avec humilité , mais sans trouble. 610
330. Mcmc sujet. 6n
33i. Eviter les retours trop subtils sur soi-même. 6i3
33a. La vue de nos imperfections ne doit pas nous faire perdre la
paix et la confiance. 614
333. De la vue et de la mort de 1 amour-propre. 6i5
334. r^e point écouter l'imagination. 619
335. Contre les inquiétudes de l'araour-propre. 620
336. Ne pas singérer facilement dans la direction des autres; sup-
porter en paix la vue de ses misères. Ibid.
337. S'acooiitumcr à la privation des goûts sensibles. 62a
338. Il se réjouit de voir ig Comtesse plus tranquille. 6a4
339. Desseins de Dieu en permctiaui noo tentntinns et nos peines
intérieures. Ibid.
340. Se soutenir par la vie de foi au milieu des croix. 62G
341- Ne pas s'inquiéter des jugemens des hommes. G27
34a. Supporter patiemment la vue de nos défauts. 628
343. i\e point se tourmenter pour trouver dans son cœur l'amour de
Dieu. G29
34'(- Avantages des croix et des peines intérieures. G3o
340. Abandon à Dieu dans les afflictions. 63 1
346. User de patience avec soi-même, comme avec le prochain. 63a
347- Sacrifier sa volonté à celle d'autrui ; élargir sou cœur. Ibid.
3/|8. Retrancher les subtilités inquiètes sur soi-même. G33
349. Même sujet. 634
330. Même sujet. Ibid.
3)1. N'espérer rien de soi, et ne désirer rien pour soi. 635
302. Contre les sensibilités d'amour-propre. Ibid.
353. Voir ses fautes avec paix , en esprit d'amour. 636
354. Se supporter soi-même, comme le prochain. G37
355. Contre les sensibilités de l'amour-propre. 638
356. Les scrupules, effet de l'amour-propre. G39
357. L'obéissance , seul remède au scrupule. Ihid.
358. Ne point trop réfléchir sur ses fautes. G,^o
784 TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
359. Sur une distribution que les magistrats de Cambrai devaient
fiure aux pauvres. 64 1
360. Ne prendre aucune résolution importante dans le trouble et
l'agitation des peines intérieures. 642
36i. Saint Joseph, modèle de la vie intérieure. 644
3G2. Abandon à Dieu dans les peines intérieure». Ibid.
363. Ne point trop raisonner sur soi-même. 64:^
304. Sur un voyage <jue la Comtesse projetait à Cliaulnes. £4^
365. S'oublier soi-même en esprit d amour. 647
366. Se souffrir sans trouble. 64^
3G7. Souffrir les peines intérieures sans trouble et avec résignation Ibid.
368. Pratique de la circoncision spirituelle ) se livrer paisiblement
à l'opération crucifiante de Dieu. 649
369. Ne regarder que Dieu dans les créatures. 65 1
3jo. Déclarer avec simplicité ses peines intérieures. 652
371. Le trouble vient de ce qu'on raisonne trop sur la tentation. Ibid.
372. Même sujet. 653
373. Combien est heureuse lame à qui Dieu parle imraédiatcn>pnt. 6)4
374- Se tenir en paix pour écouter Dieu. ^^'î
375. Même sujet. . — - — " 656
376. Même sujet. 657
377. Même sujet. Ibid.
S-S. Le mal découvert avec simplicité devient moins dangereux. 658
379. Eviter les retours inquiets sur soi-même. Ibid.
380. Piéparer promptement ses fautes par un aveu humble et ingénu. GGn
38 1. Souffrir paisiblement la vue de nos misères. 6G1
382. Même sujet 6G3
383. Il souhaite que la Marquise de Risbourg quitte le logement
qu'elle occupait dans une communauté religieuse. Ne point trou-
bler la pai.x intérieure par des retours inquiets sur soi-même. 664
334. Ne point grossir ses croix par des réflexions inquiètes. 665
385. Même sujet. C66
386. Même sujet. G67
387. Contre la tentation qui portait la Comtesse à quitter sou direc-
teur. 66S
388. S'oublier soi-même, pour ne penser qu'à Dieu 66j
389. Ne point écouter rimnginatio.n. 670
390. Même sujet. 671
391. Même sujet. 67J
392. Amour-propre déguisé sous l'apparence de délicatesse et de gé-
nérosité ; souffrir eu p.-5î\ l'opération crucifiante «le !a main do
Dieu. ^7!
TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES. "^85
'>•?•
393. Simplicilé à «lire ses fautes. Gn^
394. Contre les sensibilités de l 'amour-propre. fijH
395. Ecouler Dieu malgrô toutes les suggestions de ramour-proprc. G80
3y6. La paix ue se trouve que dans labandoii absolu. €82
397. Même sujet. 683
398. Dieu n'est que dans la paix. 685
39g. Découvrir avec simplicité ses peines intérieures. Sur les amitiés
spirituelles. 68G
400. Découvrir ses misères en esprit d'obéissance ; faire mourir le
goût de l'esprit, s'abandonner à Dieu en esprit d'amour. 688
4oi. Ne poiut augmenter ses peines par la contention de l'esprit. G90
4oa. Elargir le cœur par l'amour. 691
403. Sur les inquiétudes de la Comtesse à l'occasion d'une conver-
sation qu'elle avait eue avec le Prélat. Ihicl.
404. Il n'appartient point à l'homme de changer sa voie j on ne di-
minue pas ses souffrances en résistant à Dieu. Cnyi
f\f)5. IS'e pas augmenter les peines intérieures par des réflexions
inqiiictps />f multipliées sur soi-même. G94
406. Ouvrir son cœur .-.v-.. c.mplicité , par pure fidélité à l'ordre de
Dieu. GgG
407. Se défier de ses propres réflexions. (J^n
408. Les tentations et les sentimens involontaires ne Joivent point
empêcher la communion. Ibid.
409. Ne point prendre de résolutions dans un état de trouble. G99
410. Ouvrir son cœur avec simplicité. ^oi
411. Surmonter en esprit d'abandon les peines intérieures qui éloi-
gnent de la communion. ^o3
4î2. Point de paix en résistant à l'attrait divin. 704
41 3. Exhortation à la pauvreté d'esprit. 70^
414 Souffrir les peines intérieures avec patience et humilité. 706
4i5. Même sujet. 707
4iG. S'abstenir des réflexions inquiètes sur soi-même. 708
417. Ne point prendre de résolutions pendant le trouble. La pai.x
ne s'obtient qu'en combattant l'amour-propre. 709
418. Ne point s'écouter soi-même; écouter Dieu en silence. 711
419. Contre les troubles et les délicatesses de l'amour-propre. 712
420. Ne point augmenter ses peines par une agitation volontaire. 714
411. Sur la maladie d'une fille de la Comtesse. Tristes nouvelles de
larmée. 7i5
422. S'abstenir des réflexions inquiètes et multipliées sur soi-même.
fi'ouvelles de l'armée. 71G
CoRRESP. IV. 35
^86 TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
4-^3. La jalousie de Dieu se tourne moins contre nos fautes, que
contre les dépiti de Tamour-propre blessé. 71-
424- Il approuve la condirite de la Comtesse envers sa fille. 718
420. Ne point écouter les délicatesses de Tamour-propre. 719
426. Tourment d'une ame que Dieu veut faille mourir à elle-même ,
et qui résiste à l'opération de Dieu. 720
4^7. S'oublier soi-même pour écouler Dieu. 721
428. Renoncer avec simplicité aux exercices de piété quand la santé
l'exige. Jbid.
4^9. Repousser la tentation avec pai.i. 72a
430. Même sujet. 723
431. Même sujet. 724
432. Sur quelques affaires d'intérêt L'oubli de soi-même, source
de paix. 7^5
433. Se livrer sans réserve aux opérations de la grâce. 726
434. Même sujet. 727
435. Ne point supprimer ses communions ordinaires , pour les trou-
bles d'imagination. "2°
436. Ne point résister à l'esprit de grâce en suivait les suggestions
lie l'amour propre. / -y
437. Renoncer en esprit d'obéîssauce k certains exercices de piété,
en temps de maladie. 7 J I
438. Agir en tout avec paix et ingénuité. Ibid.
439. Ne point changer de confesseur par scrupule. 732
440. S'accoutumer à voir ses défauts avec paix. 734
441. S'oublier soi-même pour écouter Dieu. 735
442. Il n'y a de vraie liberté que dans l'amour de Dieu. 736
443. Suivre avec simplicité l'attrait intérieur. 73;
444. Même sujet. ^^id.
445. Mêmesujet. OEnvre de charité recommandée à la Comtesse. Nou-
velles de famille. 7^°
446. Ecouter Dieu en silence ; bonheur de Tame qui laisse parler
Dieu en liberté. 74'^
44; . Remercîmens pour un petit présent. Bonheur de l'arae qui trouve
Dieu dans la solitude. 74'
448. Etat des affaires politiques. 74*
4''l9. Obéir au médecin avec simplicité. Les pénitences contraires
à l'obéissance sont l'effet dun amour-propre secret. 744
450. Nouvelles politiques. 7-*-^
4.51. Contre les vaines délicatesses de l'amour-propre. 74^
452. Même sujet. '^*"'
453. Sur la maladie de l'abbé de Langeron. 747
TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES. ^87
j ij. Ne point écouler 1 imagination , mais suivre paisiblement les
raoïivcmens ilo la grâce. n '.8
455. Avis à la Comtesse sur quelques affaires de famille. njo
456. Persévérer dans l'oraison et la communion malgré les séche-
resses ; combattre l'activité naturelle qui dessèche le cœur. ^Si
457. Sur un voyage que la Comtesse se proposait de faire à Paris. ^52
458. Suivre Tattrait avec simplicité, quand il est paisible. ^dS
459. Servir Dieu avec paix. n") i
460. Même sujet. Ibid.
461. Satisfaire librement aux bienséances de famille. 755
462. Bonheur de l'ame attentive à écouter Dieu. j56
4^3. La paix est la marque des opérations de Dieu. 767
464. Sans la paix on résiste à Dieu. Ibicf.
465. Effet contraire de l'amour-propre et de lamour de Dieu. jiS
466. L'oubli de soi est la source de la paix. ^59
LETTRES A LA MARQUISE DE RISBOURG.
467. Il explique à la Marquise sa conduite par rapport à quelques
personnes qui df^siraient l'avoir pour directeur. 76a
468. Sur une inquiétude qui éloignait la M.irqiiise de la commuuioD. 763
46g. Contre les délicatesses excessives de l'amitié. Ibid.
470. Il lui reproche une infidélité à Dieu. ^64
471. Il la prie de suspendre ses démarches sur une affaire importante. nOiS
472. Acquiescement aux croix journalières. Ibicf.
473. Exhortation à reprendre la première ferveur. 766
474- Même sujet. Nouvelles du Marquis de Féuelon. 768
475. Renoncer à son propre esprit. 769
476. Il compatit à ses peines intérieures. 770
477. Sur une pauvre villageoise du diocèse d'Arras , qui paraissait
être dans un état extraordinaire. Ibid.
Table comparative de l'ordre ancien et de l'ordre nouveau des
Lettres spirituelles. 774
FIN DE LA TABLE DES LETTRES SPIRITUELLES.
^v
PQ 17 95 .L7 182 7
V.4 SMC
Finelon, Frangxjis de
Salignac de La Mothe-,
Correspondance de
Finelon, archevêque
AXH-9109 (racih)
?~
^#
■■i;\ %
s-dsMfe
^.
J»
e *t*
%i^':.*;
/ ;-^
''i^:Q
-^
^^
^
:>-V^
;*t
i^A
^^ «i^