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COURS
COMPOSITION MUSICALE
DEUXIÈME LIVRE -• PREMIÈRE PARTIE
VINCENT D'INDY
COURS
DE
COMPOSITION MUSICALE
DEUXIÈME LIVRE — PREMIÈRE PARTIE
RÉDIGÉ AVEC LA COLLABORATION DE
AUGUSTE SÉRIEYX
D'après les notes prises aux Classes de Composition
oe LA SCHOLA CANTORUM
EN 1899-1900
PARIS
A. DURAND ET F'ii.s, Éditeurs
4, Place de la Madeleine
PROPRIKTÉ POL'R TOUS PAYS, Y COMPRIS LA SUÈDE ET LA NORVÈGE
(Tous Jroiis Je traduction rcservés)
TSSZI
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in 2010 wit'h'îunding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/coursdecompositi02indy
INTRODUCTION
I. La MuSIQUB StMPHONIQU» KT LA MuSIQUB DraMATIQUK.
il. Classification dks Gknres Symphonique».
III. La CoiiPosiTiON Musicale et la Construction Architecturale,
La Musique Symphonique et la Musique Dramatique.
Les manifestations musicales, quelles qu'en soient la forme et l'épo-
que, se répartissent assez naturellement en deux grandes catégories,
soumises, l'une aux lois rythmiques du geste, l'autre à celles de la
parole. ,
Ces deux catégories, différentes en principe, quoique parfois difficiles
à délimiter, ont été souvent opposées l'une à l'autre, dans le Premier
Livre de cet ouvrage. Elles ont notamment servi de base à la distinction
d'origine, établie entre les chants profanes et les chants sacrés des
deux premières époques (i).
Avec les divers genres musicaux de la troisième époque {2), cette dis-
tinction profonde reparaît, et s'accentue même, au point d'être érigée
(i) Voir Premier Livre, p. i-j et 28.
(3) La division de l'Histoire de la Musique en trois grandes époques a été établie dan»
l'Avant-Propos du Premier Livre du Cours de Composition.
6 INTRODUCTION
dorénavant en division fondamentale: en effet, tandis que l'élément
inctriquc introduit par les doctrines de la Renaissance va devenir pré-
pondérant dans la musique, nous verrons éclore, après une longue
période d'élaboration confuse, une foule de formes nouvelles, issues,
soit du Motel, soit surtout du Madrigal ; et, à mesure que ces
formes iront se multipliant et se différenciant, l'influence originelle
du Rythme du Geste et du Rythme de la Parole s'y accusera plus
nettement, v
Ainsi s'établiront bientôt deux ordres distincts, on pourrait presque
dire deux arts particuliers, auxquels nous donnerons les noms de
Musique Symphonique et de Musique Dramatique, parce que la Sympho-
nie et le Drame peuvent être considérés comme les formes les plus
caractéristiques respectivement issues du Geste et de la Parole
rythmés, comme les types synthétiques de ces deux grandes caté-
gories.
Le nom de Symphonie {<jVv, avec ; fflMyr),7'oz'.v, 50» : « c'onsonnance »")
est très ancien et a passé successivement par plusieurs acceptions
diverses. \
Chez les Grecs, vraisemblablement étrangers au concept harmoni-
que de la simultanéité des sons différents, le mot aw.oavia. désignait
l'état consonnant de deux notes consécutives, l'une par rapport à
l'autre, s
Les auteurs du xvi' siècle, et notamment Giovanni Gabrieli (i),
ressuscitèrent ce mot, en l'appliquant à des pièces polyphoniques ana-
logues au Motet {Symphoniœ sacrœ). ,
Au XVII* siècle, on qualifiait de Symphonie l'introduction instrumen-
tale de chaque acte, dans VOpéra. Cette sorte de ritournelle ou de pré-
lude devint bientôt rOî/rer/«/-<.', tout en conservant sa dénomination
primitive, jusqu'au iTiilieu du siècle suivant. C'est à peu près vers ce
moment que le nom de Symphonie apparaît avec sa signification con-
temporaine, et devient peu à peu l'apanage t\c\\is,\î des pièces instru-
mentales, consistant uniquement dans le groupement esthétique des sons,
sans aucune intention d'application à des paroles.
p; Voir I" livre, p. 17701 209.
L* MUSIQUE SYMPHONIQUB 7
Telle sera pour nous la caractéristique spéciale du genre sympko'
nique, sous toutes ses formes, -w/
Quant au mot Drame {^pdixa), il a toujours été intimement lié à l'idée
de spectacle ou de représentation scénique. Toutefois, ie qualificatif de
dramatique s'applique souvent de nos jours, par extension, à toute
espèce de musique ayant pour but rexpressiou d'un sentiment déterminé,
par la juxtaposition, effective ou sous-entendue, dun texte littéraire aux
sons musicaux. f
' \
C'est dans ce sens que nous l'emploierons de préférence, par opposi-
tion au mot symphonique.
Pour étudier avec quelque méthode les formes musicales de l'Epoque
métrique, il importe de discerner nettement, malgré les cas fréquents
de compénétration accidentelle, la coexistence de ces deux genres dis-
tincts : la Musique Symphonique (ou musique pure) d'une part ; la
Musique Dramatique (ou musique ajt7jc//^z<ee aux paroles) de l'autre.
Nous sommes ici en présence d'une véritable bifurcation, qui nous
obligera à parcourir successivement et séparément chacune de ces deux
grandes voies, suivies simultanément par l'art musical dans ses évolu-
tions, depuis le xvii' siècle jusqu'à nos jours. Entre ces deux routes
diversement orientées, on rencontrera sans doute un grand nombre de
chemins de traverse, ramenant de l'une à l'autre : nous nous efforcerons
de les signaler, en évitant de nous y engager, afin que le lecteur puisse,
sans jamais perdre de vue la ligne principale, les reconnaître au passage,
dans la suite du présent Cours de Composition, dont le Deuxième Livre
est consacré aux Formes Symphoniques, et le Troisième aux Formes
Dramatiques. \
Dans l'ordre chronologique, l'art musical dramatique, — le seul,
d'ailleurs, dont l'enseignement se soit quelque peu préoccupé jusqu'à
ces dernières années, en France tout au moins, — est apparu très pro-
bablement avant l'art symphonique proprement dit. Mais au point de
vue didactique, il y a souvent d'excellentes raisons pour soumettre
l'ordre historique lui-même à un ordre logique supérieur : la connais-
sance des formes de la musique pure est nécessaire assurément pour
aborder utilement l'étude de la musique appliquée aux paroles. ,
C'est donc aux Formes Symphoniques que nous attribuerons, à la
fois comme ordre et comme importance, la première place, la place
INTRODUCTION
d'honneur, que des motifs plus ou moins avouables lui firent si long-
temps refuser, aussi bien dans les écoles que dans l'esprit d'une grande
partie du public (i).-\-
II
Classification des Formes Symphoniques.
La lecture et l'examen méthodique des œuvres musicales révèlent une
parenté de forme et d'aspect reliant normalement les plus récentes à
leurs devancières, dans un ordre logique, interrompu parfois par des
anomalies rarement inexplicables.
Cette simple constatation, en parfaite concordance avec la hiérar-
chie primordiale et traditionnelle inhérente à toutes les manifestations
de l'activité, permet de classer assez sûrement les membres de la vaste
famille musicale qui nous occupe, en tenant compte des générations
successives et des alliances nombreuses, qui transformèrent plus ou
moins les types primitifs. \
Pour établir cette sorte d'arbre généalogique dont nous donnerons
ci-après (p. i3) une figuration schématique approximative, il sera
nécessaire de définir chaque famille et chaque individu d'une façon
précise, c'est-à-dire d'en déterminer clairement le « genre prochain »
et la « différence spécifique ». \
Un ouvrage technique ne saurait, en effet, se passer de définitions
rigoureuses ; mais les impropriétés de termes, en musique plus encore
(i) Est-il besoin de citer, à l'appui de cette opinion injustifiée sur les formes symphoni-
ques, en général, et la Sonate en particulier, quelques lignes empruntées à certains « pon-
tifes », redoutables par leur prestige encore imposant pour qut,Iqu«s-u'is, malgré leur
complète impertinence en la matière ?
Ecoutons, par exemple :
a) D'Alcmbcrt : « Toute cette musique instrumentale, sans dessem et sans ob|et, no parle
• ni à l'esprit ni à l'âme, et mérite qu'on lui demande avec Fontenelle : Sonate, que nie
« veux-tu '.' ï
b) Bouillct : (i Ce genre de composition (la Sonate), qui a eu jadis une grande vogue, est
« mamtcnant abandonne ; il y est trop souvent difficile d'y découvrir les intentions du com-
« posiicur 1.
c) Larousse : n De nos jours, plusieurs compositeurs français se sont exercés aTcc succès
(I dans ce genre diUicile de composition (la Sonate), et, parmi eux, il faut citer tout parti-
5 culicrcmcnt : M™' Karrciic, MM. Théodore Gouvy, Georges Mathias, Marmontel, Jacques
1 cl Henri llcrz. >
CLASSIFICATION DES FORMES SYMPHONIQUES q
qu'en toute autre branche du savoir humain, furent de tout temps telle-
ment fréquentes et tellement graves (i), qu'en présence de certaines
acceptions absolument contradictoires, une nomenclature stricte,
même restreinte au minimum indispensable, ne peut s'abstenir de
décider en faveur des unes, et à l'encontre des autres, s
Vainement on taxerait d'arbitraire ou de conventionnelle cette façon
de procéder : la clarté plus grande et l'élimination plus sûre des équi-
voques répondraient victorieusement, croyons-nous, à une telle
critique, rarement désintéressée d'ailleurs chez ceux qui la formule-
raient. N
On a vu dans le Premier Livre que l'ancêtre commun de toutes les
formes musicales de l'ère chrétienne, le chant humain, avait revêtu, dès
la première époque, deux aspects différents : le chant sacré, la monodie
grégorienne issue de la Parole rythmée, d'une part ; le chant profane,
la chanson populaire issue de la Danse, de l'autre.
Avec la seconde époque, la polyphonie naissante conserve, elle aussi,
ce double caractère : sacrée ou liturgique, elle atteint toute sa splen-
deur dans le Motet palestrinien ; profane ou populaire, elle devient
AIadrigal,dTAmatique ou accompagné (2). x
De l'époque métrique, nous éliminerons ici pour le reporter au Troi-
sième Livre tout ce qui a trait au Madrigal dramatique et à sa des-
cendance. Nous étudierons seulement dans ce Deuxième Livre les
genres sytnphoniques issus du Motet et du Madrigal, accompagné ou
non, en réservant pour la seconde partie du présent livre tous ceux qui
nécessitent la connaissance préalable de l'orchestre.
(i) Beethoven, dans une lettre qu'il adressait, en 1813, à l'éditeur Thomson, écrivait à
propos du mot Andantino : n Ce terme, comme beaucoup d'autres dans la musique, est
d'une signification si incertaine... •
Les noms des divers genres symphoniques ne sont souvent ni plus précis ni plus exacts
que les mots italiens (ou préiendus tels) qui servent à indiquer les nuances expressives.
Kaut-il s'en étonner, lorsque les absurdités de la terminologie semblent s'être fait de la
musique un domaine d'élection .' Quoi de plus pitoyable que ce solfège oii Vunité d'inter-
valle s'appelle tantôt demi-ion, tantôt seconde, tandis qu'on nomme unisson un intervalle
nul entre deux sons, gum^ic ne une double octave, quinte le troisième harmonique d'un son,
etc. I
Que penser de cette arithmétique saugrenue où i = 4 ^= ^ = o, suivant les cas ; où
i5 = 8 X 2 ; où 5= 3, etc. i
Il ne nous appartient pas d'apporter au sein de cette c tour de Babel ■ le vocabulaire
logique dont la création s'impose : tout au plus pouvons-nous exprimer ici le vœu que de
sages conventions fassent disparaître peu à peu dans l'avenir ces fâcheuses incohérence
(a) Voir l" livre, p. i86 et suiv.
lo INTRODUCTION
Entrelcs deux grandes branches qui separtageaientpresqueégalement
l'art musical du moyen âge, une inégalité notable apparaît au contraire
dès les premières manifestations de Part instrumental postérieur à la
Renaissance. Tandis que le Madrigal engendrera presque toutes les
formes dont nous abordons ici l'étude, le Motet, comme épuisé par sa
propre perfection, laissera un unique rejeton: la Fugue, forme musi-
cale admirable, qui fut stérilisée à son tour par une adaptation trop
étroite aux travaux pédagogiques des écoles. Seule forme symphonique
issue directement d'une forme purement dramatique, la Fugue cons-
titue donc à elle seule une branche distincte : aussi sera-t-elle étudiée
séparément, et préalablement à toutes les autres formes, lesquelles des-
cendent plus ou moins directement du Madrigal. \
La Fugue (chap. i"") est une composition polyphonique, écrite en
style contrepointé, sur un thème unique ou sujet, exposé successive-
ment dans un ordre tonal déterminé par la loi des cadences : elle est,
par définition, mouothématiqiie et unitonique. , /
La Suite (chap. ii), rattachée au Madrigal par la Musique de Cour,
consiste en une série de pièces instrumentales, en forme de danses (ou
de chansons) de coupe binaire, se succédant les unes aux autres suivant
un ordre logique de mouvements différents, et reliées entre elles par
une parenté tonale rigoureuse. Le morceau de Suite étant, par défini-
tion, en deux parties, séparées par une modulation, la Suite constitue
un type binaire modulant, qui offre avec celui de la Fugue un contraste
presque absolu.
La Sonate (chap. m, iv et v) descend directement de la Suite, avec
laquelle elle offre une telle ressemblance à l'origine, que la délimitation
entre l'une et l'autre est souvent malaisée: elle consiste en une série de
trois ou quatre pièces, destinées à un instrument à clavier (i) jouant
seul ou accompagnant un seul instrument récitant; ces pièces reliées
entre elles, comme celles de la Suite, par l'ordre logique des mouvements
et la parenté tonale, en diffèrent par la construction ternaire modulante,
qui apparaîtdanslaplupartd'entre elles, et surtout dans la pièce initiale.
L'importance exceptionnelle de la Sonate, véritable prototype de presque
toutes les formes instrumentales subséquentes, a rendu nécessaire la
subdivision de son étude en trois chapitres:
(0 On verra plus loin (chap. ii), i propos des origines de la forme Suite, comment le
nioi snMjtr a perdu peu à peu son ancienne acception italienne: «pièce pour insiru-
nient k «Cklii;i. •
CLASSIFICATION DES FORMES SYMPIlONIOfES ii
La Sonate pfé-beethovénienne (chap. m), comprenant toutes les
origines de cette forme et ses états successifs, jusqu'à l'avènement de
Beetiioven ; -^
La Sonate de Beethoven (chap. iv), contenant l'étude de Vidée musi-
cale, du développement et de toutes les innovations introduites par
lîeethoven dans la forme Sonate ; -
La Sonate cyclique (chap. v), modification ultérieure de la forme
Sonate sous l'influence du génie beethovénien, et élaboration de
la /br;«e c/c//(7!/t' proprement dite, réalisée par César Franck, v
Enfin, la Variation (chap. vi), dont l'étude termine cette premièt-e
partie de notre Deuxième Livre, constitue une forme véritable, issue de
la Suite également, et destinée comme les précédentes à un instrument
récitant (seul ou accompagné) ; elle consiste en une succession logique
d'expositions intégrales d'un même thème, offrant chaque fois un
aspect rythmique, mélodique ou harmonique différent, sans cesser
d'être reconnaissable. \
La caractéristique commune à toutes les formes instrumentales
qu'on vient de définir, c'est Vunité de Piustrumeiit récitant. Soit qu'il
réalise à lui seul toute la polyphonie (comme dans la Fugue d'orgue ou
de clavecin), soit qu'il s'accompagne lui-même (comme dans la Suite,
la Sonate ou la Variation pour orgue, clavecin ou piano), soit qu'il
dialogue avec l'instrument accompagnateur (comme dans la Sonate de
violon et piano, etc.), l'instrument récitant y est toujours seul (i). Il
n'en sera plus de même pour les formes issues plus spécialement du
Madrigal accompagné, qui feront l'objet de la seconde partie de ce
livre, parce qu'elles nécessitent la connaissance préalable de l'instru-
mentation. Les divers chapitres de cette seconde partie seront consa-
crés :
A I'Orchestre et à I'Instrumentation ;
Aux principales formes qui descendent du Madrigal accompagné
(Concerto, Symphonie proprement dite. Musique de chambre) ;
Aux formes instrumentales, qui participent à la fois de la Symphonie
et du Drame (Ouverture, Poème symphonique, Fantaisie, Pièces
détachées, etc.).
(I) La Sonate pour deux violons et Clavecin ne constitue pas une exception : elle est faite
pour une seu/e sorte d'instrument récitant: le violon, et dillcre totalement du trio, pour
trois instruments dij^érents.
ta INTRODUCTION
Quant aux formes plus particulièrement dramatiques • (Opéra, Drame,
Oratorio, etc.), elles seront étudiées dans le Troisième Livre du Cours
DE Composition, x
La classification des formes musicales, dont on vient de parcourir
rapidement les grandes lignes, peut se grouper synoptiquement dans
l'ordre du tableau ci-contre, dont la lecture doit se faire : \
1° pour la division technique, en tenant compte des deux grandes
flèches extérieures qui se rapportent respectivement au Rythme du Geste
et au Rythme de la Parole ;
■:" pour la succession historique, en partant du centre, pour rayon-
ner vers la périphérie.
Ces deux points de vue ditTérents fourniront à chaque chapitre une
division uniforme en deux sections :
1° la section technique comprenant, pour chaque forme, les défini-
tions, les origines, les éléments, et quelques considérations générales;
2° la section historique, faisant connaître la biographie sommaire
des auteurs et la nomenclature de leurs oeuvres affectant la forme qui
fait l'objet du chapitre, avec l'analyse de celles qui contiennent des
particularités intéressantes, sous le rapport de la structure thématique
et tonale (i).
Toute analyse des éléments qui composent une oeuvre musicale, toute
synthèse du plan qui les coordonne, révèle et confirme en effet l'impor-
tance capitale et la parfaite constance des lois de la Tonalité et de la
Construction ; lois primordiales et immuables, auxquelles chaque œuvre
géniale apporta, au cours des siècles, une clarté plus vive et une
vérification plus haute, sans qu'aucune atteinte ait jamais ébranlé
jusqu'ici leur équilibre impérissable.
(i) La préparation et la rédaction de la section technique de chaque chapitre ont été
confiées à notre collaborateur M. Auguste Sérieyx, — l'auteur s'élant réservé tout ce qui
concerne la section historique. — V. I.
CLASSIFICATION DES FORMES SYMPHONIQUES
-<S5<X;s«6«c
INTRODUCTION
III
La Composition Musicale et la Construction Architecturale.
« Composer, c'est ordonner des éléinents inégaux ; et la première
« chose à faire en commençant une composition, c'est de déterminer
« quel en sera l'élément principal. L'ensemble de tout ce qu'on a écrit
« ou enseigné sur la proportion ne vaut pas, à mon avis, pour un
« architecte, cette règle unique et indiscutable : Aye^ un grand motif
« avec d'autres plus petits, ou bien un élément principal avec d'autres
« secondaires, et relie\-les bien entre eux. Parfois, cela produit une
« gradation régulière, comme celle de la hauteur des étages dans les
« maisons bien construites; d'autres fois, on dirait un monarque avec
« une suite plus humble : par exemple, une flèche au milieu de ses
« clochetons. Les arrangements varient à l'infini, mais la loi demeure
« universelle : Que quelque chose domine tout le reste, soit par sa gran-
« deur. soit par sa fonction, soit par son intérêt (i). » .
Cette magistrale définition, appliquée par Ruskin à l'architecture, est
aussi bien celle de toute composition artistique, et, plus encore peut-
être, celle de la composition musicale. Nous avons signalé déjà, en effet,
entre la musique et l'architecture une affmité caractéristique, une
analogie frappante (2) souvent constatée d'ailleurs par divers artistes,
et surtout par certains philosophes, comme par exemple l'Allemand
Hegel : .v
• >^
« L'architecture, dit-il (3), n'emprunte pas, comme la peinture ou la
« sculpture, ses formes h la réalité telle qu'elle s'offre dans la nature,
« elle les tire de l'imagination pour les façonner à la fois d'après les lois
« de la pesanteur et d'après les règles de symétrie et d'eurythmie, y
« De même la musique, non seulement dans le retour des thèmes et
0 des rythmes, mais dans les modifications qu'elle fait subir aux sons
« eux-mêmes, introduit de diverses façons les formes de l'euryt!. •.-.ie
« et de la symétrie.
(1) John Ruskin : < The seven lamps uf Avchilcclurc. »
(3) Voir I" livre, Introduction, p. 17, etchap. xii,p. ii\ et suiv.
(3) Hegel : Système des ISeaux-Aits.
LA COMPOSITION ET LA CONSTRUCTION 15
« C'est particulièrement dans la séparation de la musique avec la
« poésie que celle-là prend un caractère architectonique ; alors elle se
« met à construire pour elle-même tout un édifice de sons musicale-
« ment régulier. »
L'auteur ne pouvait désigner plus clairement ce que nous avons
appelé le genre sjmphonique, celui qui, plus que tout autre, obéit aux
mêmes principes que l'architecture.
La plupart des qualités constructives, nécessaires à l'architecte, se
retrouvent en effet chez le symphoniste : elles se développent, chez
l'un et chez l'autre, par des procédés à peu près identiques. Seule,
l'application diffère ; encore cette différence entre l'édifice matériel et
l'édifice sonore est-elle moins profonde en réalité qu'on ne le croit
communément.
Toute coustruction artistique, de quelque nature qu'elle soit, ne
consiste-t-elle pas en une combinaison harmonieuse d'éléments inégaux,
mais compatibles, ordonnés suivant un plan logique?
Savoir construire, telle est en définitive la connaissance indispen-
sable à tout compositeur de musique digne de ce nom. On croit trop
facilement que les études d'harmonie, de contrepoint et de fugue, voire
d'instrumentation, constituent à elles seules un bagage suffisant :
fâcheuse erreur qui attribue aux outils la singulière vertu de conférer à
l'ouvrier qui les possède la capacité de s'en bien servir I
Certes, nous ne nierons pas l'utilité de ces études, mais seulement à
titre de préparation, d'introduction à l'art de la composition. Contra-
pontiste impeccable, fuguiste habile, orchestrateur de premier ordre,
vous ne save^ pas pour cela votre art : vous êtes apte à l'apprendre.
Vous connaissez plus ou moins l'usage pratique de ces redoutables
engins, vous n'avez ni l'expérience ni le discernement nécessaires à leur
judicieux emploi.
Cette expérience et ce discernement sont les fruits d'un long travail
qui devrait commencer seulement lorsque prennent fin ces études
préparatoires. "\
Ainsi, en toute sorte d'art, faudrait-il, avant de produire une œuvre,
avoir pratiqué comme un simple apprenti toutes les opérations qui s'y
rattachent, depuis la plus vulgaire et la plus simple, jusqu'à la plus
ratiiuéc et la plus complexe. Tels, ces admirables artistes du moyen
i6 INTRODUCTION
âge, que nous avons cités déjà comme modèles : ces peintres qui savaient
broyer et composer leurs couleurs, ces sculpteurs qui taillaient eux-
mêmes leurs blocs, ces architectes qui dosaient eux-mêmes leurs
ciments, ces maîtres enfin, qui, naguère disciples obscurs, avaient su
attendre et mériter cette dignité éminente, au prix d'une longue
expérience, acquise patiemment dans les plus humbles emplois (i).
Une telle lenteur dans les études, une telle minutie dans l'élaboration
des matériaux, sont incompatibles avec nos mœurs contemporaines.
Notre activité fiévreuse nous entraîne presque fatalement à la pro-
duction prématurée. Est-ce bien là un progrès, et pouvons-nous
sincèrement accorder ce nom à la hâte maladive qui prive tant d'œuvres
artistiques de leur principale garantie de durée et de solidité ? \
Sans prétendre revenir aux errements des siècles passés, il serait
sage, et dans tous les arts, croyons-nous, de réagir contre une précipi-
tation exagérée à notre sens ; tout au moins pourrait-on s'efforcer d'en
atténuer les déplorables effets, par une connaissance plus éclairée et
mieux entendue des œuvres de nos devanciers.
Que nous le voulions ou non, nous leur succédons, nous procédons
d'eux, nous sommes appelés à les continuer, comme se continuent les
générations successives d'une même famille et d'une même patrie, par
l'effet de cette puissance supérieure : la Tradition vengeresse, que nul
ne peut violer impunément, l'histoire contemporaine de la France en
fait foi plus encore, peut-être, que celle des autres nations.
Loin de nous la pensée de condamner par avance toute innovation,
sous le fallacieux prétexte que « cela ne s'est jamais fait ». Une telle
attitude ne tendrait à rien de moins qu'à la glorification de la routine,
cette tradition des sots.
Mais il faut pourtant bien reconnaître que les innovations sont
d'autant moins heureuses qu'elles procèdent davantage de l'esprit de
révolte, ou de l'orgueilleuse recherche de l'originalité à tout prix. > ,
Rien n'est moins original au contraire que la révolte et l'orgueil ;
et cette admirable page de Ruskin, que nous citons ici pour conclure,
CD offre un éclatant témoignage. Les chercheurs d'originalité à ou-
trance pourraient y trouver sans doute un salutaire sujet de réflexion:
(i) Voir I ' livre, Introduction, p. 14, en note.
LA COMPOSITION ET LA CONSTRUCTION 17
« L'originalité d'une expression ne dépend pas de la découverte de
« nouveaux mots ; pas plus que l'originalité d'un poème ne consiste en
« quelque innovation de la métrique, ni celle d'une peinture dans
« l'invention de nouvelles couleurs ou d'une nouvelle manière de les
« employer. Il y a longtemps que les accords musicaux, les harmonies
« de couleur, les principes généraux pour la disposition des masses
« sculpturales sont déterminés : et l'on n'y peut très probablement rien
« ajouter, ni même rien changer... ^'
■y
« L'originalité ne dépend en aucune façon de tout cela. Qu'un homme
« de génie prenne n'importe quel style, le style de son époque, et
« qu'il s'en serve : il y excellera, et chacune de ses œuvres semblera
« aussi fraîche que si toutes ses inspirations lui étaient venues du ciel.
<( Je ne prétends pas qu'il abdique toute autonomie, vis-à-vis de la
« matière et de ses lois, qu'il se garde d'y introduire, par son effort et
« son imagination, de surprenantes modifications. Mais je dis que ces
« modifications seront toujours instructives, naturelles, faciles, encore
« que merveilleuses parfois, sans jamais être recherchées par l'auteur
« comme des marques indispensables à sa dignité et à son indépen-
« dance... ^
« L'originalité et la nouveauté, dans les cas où elles sont bonnes —
« et il est toujours plus charitable de les supposer telles — ne doivent
« jamais être recherchées pour elles-mêmes, ni obtenues par une lutte
« et une rébellion contre les lois communes. Du reste, ni l'une ni
« l'autre ne nous sont nécessaires...
« Ce que j'ai dit de l'architecture doit s'entendre de toute espèce
« d'art ; car je considère l'architecture comme l'origine des arts : tous
« les autres en procèdent successivement et hiérarchiquement (1). »
V
(1) John Ruskin : op. cit.
f
V-OCRS De COMPOSITION
I
LA FUGUE
Technique. — I. Définitions. — î. Origines de la Fugue. — 3. Les canons et les Ricercd'i ,
— 4. Eléments lythmiques de la Fugue : Imitation; Canon; Marche. — %. Eléments mélo
liiques de la Fugue : le Sujet ; la Réponse et la Mutation ; le Contresujct. — 0. Eléments
harmoniques de la Fugue : la Cadence ; l'Ordre tonal des Expositions dans les Fugues
maieureset mineures; les Épisodes; les Pédales; les Slrettes. — 7. La forme « Prélude et
Fugue ■> ; son rôle dans la musique symphoniquc.
Historique. — 8. Divisions de l'Histoire de la Fugue. — q. Période primitive : Italiens tt
E.<pagnols ; Anglais et .Mlcinands ; Français. — 10. Péiiode de floraison : J.-S. Bach. —
II. Période moderne.
TECHNIQUE
I . di:kinitions.
La Fugue est une composition polyphonique, écrite en style contre-
pointe, sur un thème unique ou sujet, e.xposé successivement dans un
ordre tonal déterminé par la loi des cadences (i). \
Le Style contfepuiiilé repose principalement sur Vlmilatioii, c'est-à-
dire sur la reproduction successive des mêmes dessins rythmiques ou
mélodiques, par deux ou plusieurs voix différentes, sur les divers
degrés de la gamme.
L'Imitation rigoureuse d'un dessin donné prend le nom de Canon.
L'écriture en imitations et en Canon a donné naissance aux premières
formes du Contrepoint vocal, et notamment au Motel, que nous avons
étudié précédemment (2). \
C'est du Motet et des formes similaires que la Fugue nre. son origine.
(1) Rameau a donné en son temps une dctinition de la Fugue,, qui peut avec quelque raison
Être jugée aujourd'hui un peu imprécise, bien qu'elle se rattache aussi à l'idée d'imita-
tion: '• La l'ugue, dit-il, de même que l'imitation, consulte en une certaine suite de chants
que l'on fait répéter à son gré, mais avec plus de circonspection que l'imitation, et suivant
certaines régies »
(2j Voir l"lnre, cliap. x.
Elle réalise dans Tordre symphonique le type iniilaire le plus complet,
parce qu'elle est, par définition, mouothémalique et unUouiqite.
^
2. ORIGINES DE LA FUGUE.
Le principe des différenciations successives, qui préside aux filia-
tions zoologiques, peut s'appliquer également, comme on l'a vu dans
l'introduction qui précède, aux filiations des formes musicales. Chez
celles-ci, comme chez tout être organisé, les antécédences qui concou-
rent à l'élaboration d'un type nouveau sont multiples ; et chaque tj'pe
n'est le plus souvent qu'une résultante de toutes les formes préexistantes.
Ainsi, la Fugue, la plus importante des formes nouvelles qui se ren-
contrent dans la musique symphonique au début de la troisième époque,
procède de chacune des deux grandes formes qui résument l'époque
polvphonique : le Motet et le Madrigal. Au Motet, elle emprunte
l'écriture contrapontique, les entrées successives à la tonique et à la
dominante, l'unité tonale et divers autres caractères fondamentaux ;
tandis que seul, l'usage des instruments substitués aux voix (modifi-
cation extrinsèque, souvent postérieure, c'est-à-dire étrangère à la
contexture musicale de la Fugue), paraît dû à une influence du Madri-
gal accompagné, devenu postérieurement, lui aussi. Madrigal pour
instruments seuls.
On le voit, la répartition des signes originels est ici très inégale : et
si l'on veut jeter quelque lumière sur cette formation d'un type musi-
cal, presque aussi complexe que celle des types humains, il faut consi-
dérer la Fugue comme fille du Motet, puisqu'elle lui doit sans conteste
ses éléments essentiels. \
Par l'effet de cette espèce de « tradition de famille », l'usage de la
Fugue vocale s'est maintenu fort longtemps dans les Oratorios et les
Messes ' la Fugue instrumentale elle-même a souvent conservé, par
analogie, une allure religieuse, avant de tomber dans l'état de honteuse
déchéance où nous la voyons aujourd'hui.Nj^e Madrigal, au contraire,
par sa destination profane et mondaine, devait, malgré les attaches qui
le relièrent d'abord au Motet, tendre à s'en écarter de plus en plus, dans
ses transformations aussi bien que dans sa nombreuse descendance.
Ainsi se retrouvent, même dans l'orientation des premiers genres
symphoniques, les deux voies divergentes précédemment signalées, les
deux grands courants opposés qui se sont partagé l'art musical depuis
ses origines: le genre sacré et le genre profane ; la parole et le geste. \
Toutefois, la substitution des instruments aux voix dans la Fugue ne
pouvait s'opérer sans faire disparaître progressivement l'élément dra-
matique, auquel elle devait en grande partie son existence. Rejeté hors
de la Fugue, cet tMement se reporta tout entier, par un jeu naturel de
l'équilibre des forces, sur le Madrigal, qu'il fit littéralement éclater en
deux parties, comme il arrive dans un obstacle de grande étendue lors-
qu'une poussée violente s'exerce sur un seul point. Delà, cette scission
féconde, qui donna naissance d'une part au Madrigal dramatique,
ancêtre commun de toutes les formes que nous étudierons dans le
Troisième Livre de cet ouvrage, et de l'autre au Madrigal accompagné,
le seul qui nous intéresse présentement, en tant que fondateur de cette
grande lignée symphonique qui comprend tous les genres connus, la
Fugue exceptée. \
Cette situation particulière de la Fugue, forme symphonique, deve-
nue purement instrumentale, et soumise par cela même aux lois du
geste rythmé ou de la danse, en dépit de sa première origine exclusive-
ment expressive des paroles, donc dramatique, explique peut-être la
stérilité relative à laquelle fut vouée cette forme, restée sans descen-
dance directe dans l'ordre symphonique, sur lequel elle n'a cessé
pourtant d'exercer une influence latente, dont nous constaterons sou-
vent les effets. \^
La Fugue doit donc être examinée ici séparément et préalablement
à toutes les autres formes, avec lesquelles elle ne doit point être con-
fondue. Chacune de celles-ci, en effet (Suite, Sonate, etc.), procède
plus ou moins du Madrigal, et suit, par conséquent, une orientation
qu'on peut avec quelque raison considérer comme diamétralement
opposée à celle de la Fugue, issue directement du Motet. (Voir la
figure, p. i3.) \
Ainsi, le principe premier de la Fugue, comme celui du .Motet,
réside dans le fait mémede la superposition polyphonique des parties. On
avu(i) comment l'accommodation instinctive des chants aux diverses
étendues des voix eut pour eftet la transposition des mélodies aux
intervalles les plus simples, Voctare d'abord (rapport de i à 2), puis la
quiiile (rapport de i ou de 2 à 3), et donna naissance peu à peu aux
formes rudimentaires qui eurent nom Diaphonie et Dédiant. Dès
que les mélodies ainsi juxtaposées commencent à s'individualiser, elles
obéissent au besoin inné d'imitation, qui, dès notre première enfance,
régit presque tous nos actes, surtout en ce qui concerne l'élaboration
mystérieuse du langage. \
Pourquoi, en elfet, deux ou plusieurs voix qui chantent ne procéde-
raient-elles pas comme des voix qui parlent? la .Musique n'est-elle pas
aussi un langage, un échange perpétuel d'idées, de demandes et de
réponses, à l'aide de formules ? et que sont donc ces réapparitions
(I) Voir 1" livre, p. yi et suiv.
successives de motifs identiques ou analogues dans différentes lignes
mélodiques, sinon le principe même à'Imilation appliqué au langage
musical (i) ?
Ici, comme dans le langage articulé, l'Imitation revêt une infinité
d'aspects : de même que des interlocuteurs parlent sur des intonations
diverses, ou avec des vitesses variables, ainsi l'Imitation a lieu sur
différents degrés de l'échelle tonale, ou avec des valeurs de temps plus
brèves ou plus longues ; Je même qu'au cours d'une conversation la
même idée reparait, tantôt sous sa forme primitive, tantôt sous une
forme altérée ou contradictoire, ainsi le motif proposé est imité textuel-
lement ou en forme variée, inverse ou rétrograde, etc. Et par là se
vérifie une fois de plus le parallèle établi plusieurs fois déjà entre le
langage et la musique, notamment à propos de l'accent (2), principe
indéniable de toute mélodie.
3. LES CANONS l'.T I.F.S lill.EUCMi ,
Introduite dans la musique presque en même temps que la polypho-
nie, l'Imitation y atl'ectc d'abord des formes simples, dont nous avons
suivi l'épanouissement dans les motets. Mais elle devient plus servile et
plus stable en perdant l'élément e.xpressif et libre des paroles ; et c'est
surtout dans les premières formes instrumentales, asservies déjà à la
mesure, que les principes d'Imitation dialoguée, appliqués, dit-on, aux
voix depuis le milieu du xv= siècle par Okeghemet ses successeurs (3),
prennent toute la rigueur d'une loi inilexible, d'un Canon au sens
étymologique du mot. ^
Vers cette époque, le Canon apparaît en ciVet sous forme de pièce
polyphonique indépendante (vocale d'abord, et plus tard instrumen-
tale) dans laquelle le thème proposé par une partie dite antécédent est
imité ensuite par toutes les autres dites conséquents, suivant un ordre
et à des intervalles déterminés. x
Les procédés d'Imitation appliqués au Canon lui donnent une foule
d'aspects différents, qu'on peut ramener à sept types généraux:
I" Le Canon direct ou droit, par simple imitation rigoureuse de l'an-
trir>^ U^*-'*xi.<;' décèdent, à Viiiiisson, à Voctai-e, à la quinte et même à d'autres intér-
êt f. ' f.-o W''*"^^- Ce Canon peut lui-même être simple, double, triple, etc., sui-
^ vant le nombre des antécédents exposés. .
(i) L'exemple de déchant déjà citi (voir I" livre, p. 144 ortrc. entre le conlra-ienir et U
ij -, . ,f.baste, un embryon d'imiM/ion sur les degrés : ul, lè. iiii.
hiâ VC lv\l ^- ■ ^ jj, yj^jj. |„ livre, p. 29 et suiv., p. 4y et suiv., cic.
(3) Voir I" livre, p. ti^.
— /
c\.yi^^
LKS CANONS i;i LLS RlCERC.ARl
v<^^
'A
Exemples i)c Canons directs, à différents intorvalles :
Canon à Voctave |J. Titelouzo) th. du Veni Creator
Conséqueni,
Canon à l'ttwmw! (J. S. Bach) Anu con 30 Vanaziom
AnTêcé3ëïïri_ ^ . , p-r ^» -w-^ ^ .
Canon à la quinte ( J. S. Bach) Fuga caiwnica m epidinpcnle (Miisiknliiche Op/'er)
Antécédent
LA l-UGLE
Canon à la neuvième (Fr W Rust) Stmate en Vr p piam. (17!i'»)
Ant.
^KAA^n
i^^
LES CANONS HT LES RlCERCARl ï5
2" Le Canon inverse, renversé ou par mouvement contraire, dans lequel
]e conséquent, au lieu de reproduire l'antcccdent dans sa forme primi-
tive, opère un chatigemeut de sens sur tous les intervalles mélodi-
ques qui le composent : à chaque intervalle ascendant de l'antécédent,
il est répondu dans le conséquent par l'intervalle analogue descendant,
et réciproquement. La ligne mélodique ainsi obtenue est en quelque
sorte l'image de la première, vue dans un miroir horizontal, où les
notes apparaîtraient d'autant plus basses qu'elles sont plus hautes dans
l'antécédent, et réciproquement :
AiitécPdciit
Miroir hnriznntiAl (on fTnWcMon\ /innniiininiNiiiiniiniiniiiiiiiiiiniiinniiiillllNlllllllinn
Conséquent, OU image
de rai\t(Védriit,\nie par
vinuvemeni contraire ■
Exemple de Canon par mouvement contraire
Them/i ngium 4,
(J.S.Bach)
(Muuknti.
tche Opf'eij
Il est clair que cette opération du tnoitvemenl contraire demeure
assez approximative, lorsqu'on la pratique seulement sur les degrés de
la portée, puisque ces degrés, invariables pour l'œil, représentent pour
l'oreille des intervalles variables (un demi-ton, un /o», ou même par-
fois un ton et demi). Appliqué à un thème quelconque, pris comme
antécédent, ce procédé peut donc fournir, suivant la place de la clé et
--TA>o-n,-.X
^
des signes d'altération emploj'és dans le conséquent, des résultats très
divers, et plus ou moins utilisables musicalement. (Voir ci-dessus,
p. 25, la réalisation du canon proposé comme exemple.) -V/
Distinction entre le mouvement contraire et l'inversion proprement
dite. — La plupart des anciens auteurs de Canons ou de Fugues se sont
assez peu préoccupés de cette déformation introduite dans un thème
/ r donné par l'application du mouvemenl conlraïre, en raison de l'inégale
■^ ^répartition des tons et des demi-tons de la gamme, figurés par les
degrés de la portée ; ils se sont contentés de cette opération faite « pour
l'œil ». Toutefois, afin d'en restreindre les inconvénients, ils ont presque
, toujours fait choix, dans la pratique, de thèmes appartenant à l'échelle
modale dite gamim mineure harmonique, avec altération ascendante
du septième degré.
On peut, en effet, réduire mélodiquement les intervalles de cette
J>'^^CLgamme à une quinte ascendante (tonique-dominante) avec broderie
de la tonique par le demi-ton inférieur, broderie de la dominante par
le demi-ton supérieur, et avec les degrés diatoniques intermédiaires
entre ces deux fonctions :
Deprros
Tonique intermédiaires Dominante
*^a» "
Bruderle ;
inférieure :
à î^ ton : AXE
'.i
Broderie
supérieure
Il U, ion
en permutant, dans les limites de cette quinte, la fonction de tonique
avec celle de dominante y compris leurs broderies respectives), et en
les réunissant comme précédemment par leurs degrés intermédiaires,
on construit une autre échjlle, qui parait être exactement l'inverse de
la première :
l'équivoque bien connue de la seconde augmentée avec la tierce mineure
(ou de la septième diminuée avec la sixte majeure) permet même de
LES CANONS ET LES RlCEKCARl
faire entendre, en contrepoint strict, chacun des degrés 'de Tune de ces
deux échelles, simultanément avec le degré correspondant de l'autre. '\
Tel est le mécanisme du procédé qu'on applique le plus souvent aux
thèmes de mode mineur vulgaire, sous le nom de mouvement conlraire.
11 consiste à se servir de la note médiante comme d'un axe immobile,
autour duquel les autres notes de la gamme effectuent une sorte de per-
mutation circulaire :
Sol Z est remplacé par Fj, et réciproquement,
La — — Mi, —
Si — — Ré, —
Ut ne varie pas.
* \
Or, en attribuant arbitrairement à cette médiante {ni) caractéristique
du mode, le rôle de pivot ou d'axe fixe, on ôte toute exactitude à l'in-
version des intervalles qui en dépendent. On ne peut pas plus consi-
dérer comme équivalentes, en effet, la seconde mineure descendante
ut-si. fig. b) et la seconde majeure ascendante (ut-ré, fig. a), que les
tierces {ut-la, et ut-mi), ou les quartes {ut-sol s, et ut-fa), etc. \
Toutefois, c'est précisément à cette irrégularité que la plupart des
thèmes mineurs doivent la double propriété de conserver leur modalité,
lorsqu'ils sont transcrits par mouvement contraire, et d'être, en outre,
superposables contrapontiquement à leur forme primitive ; ainsi
s explique l'emploi si fréquent de ce procédé dans la polyphonie ins-
trumentale ou vocale, canonique ou fuguée.^^
Quant aux thèmes qui contiennent le tétraco'rde caractéristique de la
gamme dite mineure mélodique {avec ahùvanon ascendante du sixième
degré, en montant, et suppression, en descendant, de l'altération du
septième degré), il est clair qu'ils ne participent pas aux mêmes avan-
tages, car le fragment
C"
4-o-it"-!^^-^
est emprunté au mode majeur, en montant ;
n T
C]
il o
tandis que le fragment descendant
D.
conserve son caractère mineur, sans être superposabie aux précédents. Cj/
Il en est de même pour la plupart des thèmes majeurs : la gamme ■
majeure, en effet, présentée mélodiquement sous la forme d'une quinte
(tonique-dominante), avec ses trois degrés intermédiaires et les bro-
deries de ses notes extrêmes,
A)
f\
Tonique
Degrés
intermédiaires
DoTninante
iÇ_ ** • **
iïr
_ X ^
À
Broderie
inférieure
: à %(, ton
ne supporte pas aussi aisément que la gamme mineure vulgaire la
permutation des deux fonctions principales (tonique-dominante) avec
leurs broderies, car celles-ci ne sont ni égales ni superposables en
contrepoint strict :
B)
Dominante
Degrés
intermédiaires
Tonique
n ^ — n-
1
T
AXE
Broderie
à V^ton
Pour réaliser cette permutation, il faudrait tout au moins que l'altéra-
tion descendante du sixième degré (la \>. fig. A' et B') vînt rétablir, entre
les deux broderies, l'égalité que l'altération ascendante du septième degré
(50/ s, fig. a et h) leur avait artificiellement attribuée en mode mineur:
^1')
1^1
\l)ominan/e [intenupdlaires Tonique
LES CANONS ET LES RlCERCARt 39
.Mais, même dans ce dernier cas, la médiante [mi) qui sert d'axe ou
de pivot (fig. A' et 5'), ne serait pas meilleure que la médiante [iitj du
mode mineur (fig. a et b), la seconde mineure ascendante (mi-fa, fig. A)
n'étant pas égale à la seconde majeure descendante [mi-ré, fig. B'), etc.
Toutefois, cette échelle majeure modifiée par l'altération du sixième
degré [la i>, emprunté au mode mineur, fig. A'], corrélative de celle du
septième degré (50/ s , emprunté au mode majeur, fig. b), offre la parti-
cularité importante de reproduire exactement, mais en sens inverse, tous
les intervalles qui séparaient les degrés correspondants de cette gamme
mineure (fig. ^i ; de même que le fragment descendant de la gamm.e
dite mineure mélodique [la, sol, fa, mi, fig. c, p. 27) contient exac-
tement, mais en sens inverse, les intervalles formant le tétracorde as-
cendant de la même gamme [mi, fa s, sols la, fig. C) et empruntés
au mode majeur [sol, la, si, ut, fig. C.) \
Et l'on constate ainsi que les emprunts d'un mode à l'autre se font
plus importants, au fur et à mesure que disparaissent les inexactitudes
du mouvement contraire précédemment décrit (p. 2Ô et 27) ; jusqu'au
moment où, tous les intervalles ascendants d'un thème aj'ant été rem-
placés par les intervalles descendants équivalents, et réciproquement,
on se trouve en présence d'une inversion stricte et rigoureuse, c'est-à-
dire d'une substitution complète du mode mineur au mode majeur,
ou réciproquement, en vertu du principe harmonique naturel de l'Ac-
cord unique sous son double aspect, ascendant ou descendant, c'est-à-
dire majeur ou mineur (i);
Mode
majeur
- I. .
Mode
mineur
î ton 1 1 ton il ton 1 ton -L !
2 I 2
f
Tel est le mécanisme de l'opération qui doit, pour éviter toute équi-
voque, être appelée inversion rigoureuse, ou simplement inversion.
Elle consiste à se servir comme pivot ou axe immobile, non plus comme
le simple mouvement contraire, de la médiante dans l'ordre diato-
nique, mais de la médiante dans l'ordre des quintes, c'est-à-dire du
second degré diatonique commun aux deux modes (ré, en montant à
)/^
(il Voir 1" livre, p. 93 et suiv.
■î-i LA FLT.IE
partir d'ut en majeur, ou ré, en descendant, à partir de »n en mi-
neur) : \
Autour de ce pivot (ré) d'une parfaite stabilité, les autres notes
ellectuent une permutation circulaire :
Ré reste invariable,
Mi est remplacé par Ut, et réciproquement
Fa — — Si, —
Sol — — La, —
et ainsi de suite, inJétiniment.
Ainsi reproduit strictement en sens inverse, un thème quelconque
conserve tous ses intervalles parfaitement intacts, mais il change de
mode en même temps qu'il change de sens, par inversion. \
On voit par là que l'usage du inoiivement contraire et de Vinrersion
n'est pas autre chose qu'une application, irraisonnée d'abord, puis plus
consciente, de la loi de symétrie sur laquelle reposent réellement nos
deux modes, majeur et mineur, l'un par rapport à l'autre.
Et il n'est pas sans intérêt de constater ici, une fois encore, que les
anciens auteurs de Motets et de Fugues, jusques et y compris J.-S.
Bach, avaient seulement devancé de deux ou trois siècles la découverte
des principes immuables auxquels leur admirable instinct musical
obéissait déjà, sans s'en rendre compte.
Ainsi se perfectionna lentement le procédé d'abord approximatif du
mouvement contraire, jusqu'à ce que des esprits plus subtils en aient
déduit la notion exacte de Vinversion rigoureuse. J.-S. Bach distinguait
déjà, l'un de l'autre, sans aucun doute, ces deux phénomènes si souvent
confondus, même de nos jours. Mais il appartenait à Mattheson (i) d'éta-
blir nettement leurs diflérences caractéristiques. \
(i) Oans son très remarquable ouvrage Der vollkommene h\iFellmeister, public en i7?9,
ce ludicieux théoricien applinuc délinitivcment l'expression mouvement contraire simple ou
mauvais [schlfchte Gef{er.bewrf;ung) à celui qui, prenant la médiante comme pivot, ne tient
pas compte de la place des demi-tons (contrarium simplcx, nulla semiloniorum raiione
LES CANONS ET LES RICERCARI -ji
En opposant ici Tune à l'autre les expressions moni'emenl contraire
et iiirersioii, nous nous sommes conformés à l'excellent choix de termes
de ce savant musicien, corrobore depuis par notre maître. César Franck,
lequel fit, à ce propos, une minutieuse démonstration, dont plusieurs
de ses élèves se souviennent encore (i).
Cette distinction trop souvent oubliée ne pouvait être clairement mise
en lumière sans une étude aussi détaillée et, forcément, aussi longue
que celle qui précède. Elle avait ici sa place marquée, tant en raison
des immenses ressources fournies à l'art de la composition par le
mouvemenl contraire et Viiirersioii, que pour sa flagrante concordance
avec la théorie du mode minci. r. ..
3° Le Canon récurrent ou par mouvement rétrograde (2), dans lequel l'an-
técédent est reproduit non plus avec une inversion du sens des intervalles
mélodiques, mais avec une inversion de l'ordre dans lequel ces inter-
valles se succèdent: la cVcT^/t-rt' note de l'antécédent devient Iajt7r(?ma'/-(?
du conséquent, et ainsi de suite. La ligne mélodique ainsi obtenue est
comme l'image de la première, vue dans un miroir vertical, où les
notes apparaîtraient d'autant plus éloignées du point de départ qu'elles
en étaient plus rapprochées dans l'antécédent, et réciproquement :
Antécédent:
Première"? notes' Dernières noies
Miroir
vertic.ilj
(en projection» Conséq.ietit
(un image rélrogiadée de rantécédent)
û Premières iin,«>«; Dernières mtes:
habita, p. 416); tandis que l'autre, le bo>t, est celui qui opère l'inversion stricte [in stricte
lêversum, ibid.), en prenant par conséquent comme pivot \e second decrc (r^, dans le
ton d'uO.V^
(1) ■• Vofre sujet n'est pas renversé, il est seulement par motivemcnt contraire », disait
César l'ranck à un de ses élèves, a propos d'une fugue, voulant faire entendre par là, en
effet, qu'il n'avait pas été tenu compte de la place des demi-tons. Et il s'étendit longuement
sur celte importante distinction.
En raison de l'acception harmonique très spéciale attribuée par Rameau et. depuis lui, par
tous les harmonistes aux mots renversé, renversement (d'un intervalle, d'un accord), nous
avons traduit ici le mot revcrsum de Mattheson par inverse, inversion, en conformité avec
le terme employé au Premier Livre (p. 111), à propos du mode mineur inverse. \
(3) On l'appelle aussi .. canon A l'écrevisse », traduction littérale du mot cancri^ans,
employé également par Mattheson ; cette dénomination provient sans doute du préjugé
commun, qui, avec la complicité du Dictionnaire de l'Académie, a longtemps fait de l'écre-
visse un « poisson qui marche à reculons 11 sic). Le mot récurrent, qui est employé ici, a
l'ovantage d'être beaucoup plus précis tt, par conséquent, préférable à tous égards.
: L\ rr(U'K
Exemple de Canon par mouvement rétrograde [J. S. B:\.ch} Muxi/mlinr/te Opfer
4° Le Canon par augmentation, dans lequel le conséquent reproduit
Tantécédent en doublant (ou en quadruplant) la valeur de toutes les
notes qui le composent. Le ralentissement ainsi obtenu est assez
comparable au grossissement que donne une lentille divergente aux
dimensions de l'objet qu'on regarde au travers :
Autécédfiit
Lentille
divergente
Conséquent, ou image augmentée de
l'antécédent, vue à travers la 'nntille:
Exemple de Canon par augmentation (J.S.Bach) Kunsi Hrr h âge
Ant.
1
TTSkJ J
•i
a
=^^^
, ♦
LES CANONS KT I.IIS RICERCAK.
S° Le Canon par diminution, dans lequel, contrairement à ce qui se
passe dans le précédent, les valeurs des notes du premier membre sont
réduites à la moitié (ou au quart) dans le second, comme si l'antécé-
dent était vu à travers une lentille convergente (\m le rapetisse (i):
Antpccdfiit .
Lentille
ccnver^ento
m
^1 Hr'Fri"
^
I Conséquent, ou image diminuée da
l'antécédent, ■.-ao a tr;uor.s la lentille;
(ij II va sans dire que ces tigures n'ont aucune rigueur scientifique: oa aurait beau
regarder une croche a travers une loupe, elle ne deviendrait pas une noire, évidenunent.
11 s'afiit d'une sitnpie analogie, mutalis mutandis, entre l'ouie et la vision.
Cours vt composition. — t. n, i . S
i.A l'iiiun
Exemriln do Canon par djtmnution
Clins, par dim. ei M' cnnlraire
'J.S.Bach
Œiinsl fier Ffqe)
Fuiî.VI
6° Le Canon par valeurs contraires, sorte de combinaison h^'bride et
généralement arbitraire des deux procédés d'augmentation et de dimi-
nution. Ici, toutes les valeurs relativement longues dans le premier
membre deviennent brèves dans le second, et réciproquement : les
blanches deviennent des noires, les noires des blanches, etc. Il s'ensuit
une déformation du sujet, qui le rend le plus souvent méconnaissable:
Exemple de Canon par valeurs- contraires:
Conséquent par valeurs contraires
7° Le Canon énigmatique, dont l'antécédent est seul proposé comme
un problème à la sagacité de l'interprète qui n'a pour toute indication
qu'un signe, un mot ou une devise, en termes plus ou moins allégo-
riques dont le sens doit permettre de deviner le genre de ri-gle, le
canon employé par l'auteur.
Kxemple ;i"" Canon énigmatique:
^^yntuhs crescentibux crescat fortuna refis"
Conséquent à trouver, d'après les indications fournios p.ir Iti
phrase latine êmgmnliqii>- et la clc- renversée do l'anticedent.
.:. S. Bach
ÉLÉMKNTS RVTIIMIOUES 35
On donnait parfois h cette catégorie de Canons le nom de Riccrcare
ou Ricercar (verbe italien qui signifie rechercher), sans doute parce
qu'il fallait rechercher la solution du problème ainsi posé.
Les Rlcercari. — Ce nom de Ricercare a été surtout nmlioné à de,s
pièces instrumentales en imitations dialoguées, généralement cano-
niques, qui semblent avoir été postérieures aux premiers Canons,
et assez antérieures à la Fugue véritable.
Ces pièces, oij les auteurs ont eu aussi à rechercher les dispositions
diverses pour les entrées successives d'un même thème ou sujet, sont
assez semblables à des expositions de Motets, dont on aurait supprimé
les paroles ; les plus anciens spécimens de ce genre sont d'ailleurs
destinés à l'orgue et au clavecin.
Le thème entre dans toutes les parties, tantôt à l'octave, tantôt à la
quinte ; parfois un dessin particulier [cornes) accompagne les expositions
du sujet, comme une sorte de coiitresujet rudimentaire (i). On trouve
aussi quelquefois des entrées du sujet, qui vont en se rapprochant de
plus en plus de ses premières notes, ainsi qu'il arrivera normalement
plus tard dans la disposition appelée Slrelle (voir ci-après, p. 62).
On examinera dans la partie historique du présent chapitre quelques
spécimens des plus anciens Ricercari connus. Mais on pourra constater
en même temps que les compositions de ce genre, comme toute forme
de transition, n'ont jamais acquis aucune stabilité, permettant de
dégager de leur analyse un principe quelconque qui puisse être utilisé
dans l'étude de la composition.
Les seuls éléments qui nous soient restés des Ricercari se retrouvent
intégralement dans les premières Fugues dignes de ce nom, et c'est là
que nous allons jes examiner plus en détail, au triple point de vue
rythmique, mélodique et harmonique, suivant notre méthode habi-
tuelle. -^
4. ÉLÉMENTS RYTHMIQUES DELA FUGUE. — IMITATION. — CANON. — M^nClIE.
Nous avons défini la Fugue (p. 19) : une composition polyphonique
écrite en style coiitrepoiiilé sur un thème unique ou sujet, exposé suc-
cessivement dans un ordre tonal déterminé par la loi des cadences. "^
Il est aisé de voir que le principal élément rythmique consiste ici
dans Vécriture contrapontique, le sujet et ses annexes étant plus parti-
culièrement mélodiques, ex. Vordre tonal essentiellement harmonique ^'àx
nature. ^
(1) Comparer avec la /orme du Motet, l" liv., chap. x, p. 147 et «ui».
La loi de symétrie r\thmique des imitations avait atteint, comme
nous venons de le voir, toute sa rigueur dans les divers canons. Nous
la retrouvons aussi dans l'écriture de la Fugue, où tous les procédés
de reproduction directe, inverse, rétrogradée, augmentée, diminuée,
variée, etc., sont tour à tour mis au service du sujet et de ses dérivés.
Et la Fugue est en cela la plus haute application de l'étude du contre-
point, qui a pour but de faire entendre simultanément des mélodies
de rythme différent ou contrarié. \
Toutefois, dès le début de la floraison de la Fugue, un obstacle inat-
tendu s'oppose à l'essor des procédés rythmiques : nous sommes en
effet au xvii* siècle, et la mesure, la fâcheuse mesure, dont nous aurons
encore à déplorer les méfaits, ne tarde pas à s'implanter ici en usur-
patrice, à la faveur d'une équivoque qui lui fait attribuer indûment les
prérogatives du rythme. '
Dès lors, tout s'appauvrit et se limite dans l'emploi des r3-thmes
indépendants et caractéristiques : Vimitation coulrapoutique et le cation
subsistent, mais le libre jeu de leurs dérivés rythmiques (augmentation,
diminution, etc.) est sans cesse entravé par l'omnipotence de la mesure. y
L'envahissement du style conventionnel de l'école enlèvera bientôt
à ces procédés tout ce qu'ils eurent au début de véritablement musical. /
La Strette, autre extension rythmique des usages du Canon, destinée
seulement dans les anciennes Fugues à varier les entrées du thème, en
les avançant ou en les retardant, la Strette sera bientôt réduite par
l'école à une sèche et pédante succession de combinaisons, rejetée à la
fin de la Fugue (i), pour mieux étaler le savoir de l'ouvrier qui en
opère l'ajustage mécanique. \
Par contre, le procédé métrique par excellence, la marclie d'harmonie,
reproduction rigoureuse et servile d'un dessin à des intervalles régu-
liers et constants, fournira désormais le remplissage réglementaire, le
mortier abondamment gâché de ces singulières constructions dites
« Fugues d'école ».
Seul peut-être, J.-S. Bach nous oll're encore, dans son admirable
Kunst der Fugc (2), un magistral exemple de variations rythmiques,
mais il n'en subit pas moins, dans l'ensemble de son œuvre, l'influence
métrique de son époque; et la marche d'harmonie, bien qu'elle n'appa-
raisse sous sa plume qu'avec une réserve et une discrétion relatives,
n'en demeure pas moins, à notre sens, la seule pai tic de ses Fugues
qui semble avoir subi les outrages du temps. ,
^-
/
(i) C'est en raison du rnle tonal de la Stielte dans la Kui^ue que nou^ avons cru devoir en
rejeter l'étude dcialdcc ci-apiès, page (n, avec les élcnieius d'ordre ha> moniqi^e.
(a) Voir ci-acres, dans la section histoi i<]ue da prc.seni chantre, page 60 et suiv.
ÉLÉMENTS MELODIOUES 37
5 ÉLKMKNTS MIXODIQTKS DE LA ITGUE. — LE SUJET. — LA nÉPONSE ET LA
MUTAIION. — LE CONTRESUJET.
Sujet. — La Fugue est, par définition, moiiothématique^ c'est-à-dire
que son thème ou sujet doit être unique en principe. Dans les Fugues
dites à plusieurs sujets, l'un de ceux-ci est toujours considéré comme
principal. Nous verrons pourquoi il est, en définitive, le seul.
La raison de ce caractère unitaire de la Fugue provient de sa pre-
mière origine dramatique, dont le seul vestige, dans la Fugue instru-
mentale, est le sujet lui-même. C'est en effet une loi d'ordre expressif,
donc dramatique, qui préside à Pélaboraticn des thèmes ou des idées,
dans toutes les formes musicales, même symphoniques : c'est par
Vexpression qui doit y être contenue que tout thème ou sujet prend la
signification ou valeur esthétique qui lui est propre. On conçoit dès
lors que ce sujet une fois énoncé ne puisse plus subir ici aucune
transformation d'ordre expressif, puisque, dans la Fugue, il sera perpé-
tuellement exposé, sans jamais être développé ; le développement, en
effet, est une opération beaucoup plus complexe, qui ne prendra nais-
sance qu'avec la pluralité des idées, c'est-à-dire avec la forme Sonate
Contrairement à ce que nous avons constaté dans le .Motet, aucune
raison de sentiment n'intervient dans la Fugue pour modifier le véritable
thème sans paroles, conçu dramatiquement, qu'est le sujet, puisqu'au-
cune formule précise, exprimant un sentiment nouveau, n'y interrompt
le cours prévu de sa trajectoire purement symphonique et tonale.
Il ne saurait donc y avoir dans la Fugue, ni modulation établie, ni
changeme'nt d'état du sujet primordial.
Celui-ci, dès sa première énonciation, doit artirmer une tonalité, que
les expositions ultérieures serviront seulement à renforcer, pour des
raisons qui scrom expliquées ci-après, dans l'étude des éléments harmo-
niques de la Fugue. A>^
Réponse. — Une tonalité ne pouvant être établie nettement sans un
mouvement d'oscillation entre deux fonctions tonales (1) exprimées au
moins une fois chacune, ie sujet ne peut offrir d'équilibre tonal stable
qu'avecle concours de ces deux fonctions, employées symétriquement..
Aussi, les premiers embryons de Fugues apparus sous le nom de
Ricercari, Fugues canoniques, etc., n'acquièrent-ils une fixité typique
complète qu'à partir du moment où les conséquents y revêtent une
forme spéciale, appelée communément Réponse.
La Réponse est une imitation directe du sujet, telle que le rôle des
(ij Voir 1" liv., chap. vu.
j8 LA FUGUE
fonctions de tonique et de dominante (i) }' est interverti le plus rigou-
reusement possible.
Pour bien comprendre ce que doit être la Réponse d'un sujet donné,
il importe avant tout de discerner le rôle joué dans celui-ci par les
fonctions de tonique et de dominante, c'est-h-dire d'y déterminer les
points d'appui mélodiques où ces deux degrés apparaissent, soit en
notes réelles, soit en harmoniques consonnants.
La Réponse étant, par définition, une imitation directe du sujet ne
peut en aucun cas être absolument exacte (2), car l'intervalle mélodique
ascendant de quinte, qui sépare les degrés de tonique et de dominante,
n'est pas identique à celui de quarte qui sépare les degrés de domi-
nante et de tonique (à l'octave aiguë). Cette différence, due au partage
de l'octave en deux portions inégales diatoniquement ou mélodiquement,'
est un des derniers vestiges qu'ait laissés,' dans notre sj-stème tonal
contemporain, l'ancien usage des modes grégoriens authentes et
plagaux.'En passant de lamonodie dans la polyphonie vocale, cet usage
a engendré, en vertu d'un désir alors irraisonné de fixité tonale, [es^
premières imitations en forme de Réponse dans les expositions de
motets : demeuré plus tard dans la Fugue, il y entraîna nécessairement
pour la Réponse une adaptation particulière des intervalles du sujet,
laquelle est généralement désignée sous le nom de Mutation, x/
Mécanisme de la Mutation. — Pour l'étude assez délicate du mécanisme
de la Mutation, on s'est livré à de nombreuses considérations, plus
ingénieuses que musicales, sur les sujets de Fugue ; tn les examinant
seulement au point de vue de \eurs fonctions tonales et de leurs limites,
on peut simplifier notablement les classifications en usage.
Fonctions. — Un sujet quelconque étant tonal par nature contient
une fois au moins chacune des deux fonctions de tonique et de domi-
nante (exprimées par leur degré fondamental, par leur tierce ou par leur
quinte) et aboutit nécessairement à l'une ou à l'autre de ces deux
fonctions. \
Dès lors, deux cas se présentent :
1° la fonction dt dominante ^st entendue en dernier lieu : le sujet
est suspensif; ' J Ç '' i'^- r^ i_ ;; 'f-.■-\\-.Y\^^
1° la fonction de tonique est entendue en dernier lieu : le sujet est
conclusif.
(i) On verra plus loin, paj;c Go, l'emploi qui Jcvrait logiquement cire t'ait, dans la Fugue
de la dominante mineure ou invenc, vulgairement appelée sous-dominante.
(3i l."exaciitudc plastique de cSrtaines réponses n'est pas une exception réelle à ce principe.
Les réponses transposées, dont il sera question ci-après, page 43, contiennent sans doute tous
les intervalles du sujet, mais elles en diflirent toU|Ours par la fonction tonal: J. '.eur point
de départ ou d'arrivée.
ÉLÉMENTS MÉLODIQUES 3y
Par définition, la Réponse d'un sujet suspensif sera conclusive, et
réciproquement.
Limites. — Les degrés fondamentaux des fonctions étant invariables,
divisent l'octave, comme nous venons de le voir, en deux intervalles
complémentaires, l'un de quinte, l'autre de quarte, formant ce que nous
appelons ici les limites du sujet.
Deux cas encore peuvent seulement se présenter:
I* le sujet est simple ou primitif [i], c'est-à-dire contenu intégra-
lement dans les limites de quinte (ou de quarte) qui séparent en
montant (ou en descendant) la tonique de la dominante;
2° le sujet est dérivé, c'est-à-dire qu'il excède ces limites, au grave ou
à l'aigu.
En tout, quatre cas, dont nous donnons ci-après des spécimens {■^}:
Sujets suspensifs
l)
Sujets
simples
dérives
Sujets cnnclusifs
Dans les sujets simples, il ne saurait y avoir de grande difficulté pour
la Réponse : les fondamentales des fonctions (ou leurs harmoniques
consonnants, s'il y a lieu) une fois permutées, les autres notes, généra-
lement d'ordre mélodique pur, viennent prendre, auprès des notes réelles
de la Réponse, un rang équivalant à celui qu'elles occupaient auprès
des notes réelles du sujet.
Réponses
(i) La qualification de primitif e%t justilice parce fait que les suiets de cet ordre apparaissent
surtout dans les anciennes Fugues, encore influencées manifestement par la tradition du ton
'authente ou plagal) grégorien.
C'est pour la mâme raison que la locution a Fugue du ton », aujourd'hui détournée de son
sens, doit être appliquée exclusivement, comme ie faisait César Franck, aux fugues à sujets
primitifs.
(î) a) Sujet de L. Consolini ; b), c), d), sujets de J.-S. Bach (Fugues d'orgue).
4° LA FUGUE
Mais il n'en va pas toujours aussi facilement dans les su)cts dérives,
pour lesquels il faut bien reconnaître qu'en dépit des règles minutieuses
enseignées par les écoles, la part du sentiment tonal instinctif et du
goût musical reste prépondérante dans le choix d'une bonne réponse.
Si, par exemple, la Réponse du sujet suspensif dérivé (b) : '
est, dans le texte de J.-S. Bach
nous ne croj'ons pas que ce soit en raison de cette subtilité qui, grâce
â l'hypothèse complaisante d'une modulation apparaissant immédiate-
ment après la première note du sujet {ut), attribue très sérieusement
à la seconde note {si) les prérogatives d'une note réelle, tierce de la
dominante, devant entraîner la réponse par le mi, tierce de la tonique.
Car le même principe appliqué à la tierce de la tonique {mi, cinquième
note du sujet, bien plus réelle assurément) devrait entraîner dans la
Réponse l'emploi du si, tierce de la dominante, c'est-à-dire une forme
comme celle-ci :
laquelle, plus conforme, en un certain sens, aux règles des « grammai
riens de la Fugue », est infiniment moins satisfaisante musicalement^
De même, le sujet coiichisif{d), éminemment tonal,
ne comportait pas nécessairement dans la Réponse que lui donne Hach
ÉLÉMENTS MÉLODIQUES
ce fa S ( i), simple adoucissement euphonique, donnant à la fin de cette
réponse un aspect modulant assez difficile à justifier autrement que par
une raison purement musicale.
Cet usage de la modulation apparente ou passagère, pratiqué depuis
Bach dans la Réponse à la plupart des sujets que nous avons nommés
dérivés, est la seule chose à retenir des innombrables règles édictées sur
cette question par des autorités d'inégale valeur, règles qui se réduisent
en définitive à celles-ci :
1° la nécessité tonale, qui oblige à la permutation des fonctions entre
le Sujet et la Réponse, ne garde toute sa rigueur, dans les sujets dérivés,
que pour leur point de départ et pour leur point d'aboutissement ;
2° en dehors de ces deux points, soumis aux mêmes règles que les
sujets simples, la loi d'imitation stricte prime la loi d'inversion des
fonctions, et l'usage de la transposition effective à la quinte aiguë a
prévalu;
3° le raccordement entre le fragment transposé pour raison d'imi-
tation, et les fonctions permutées pour raison de tonalité, doit être
opéré de telle sorte que les inexactitudes qui en résultent nécessairement
dans rimitation plastique soient réduites à leur minimum.
Exemple majeur :
Sajet
Réponse
J. S. Bach
Sonate pour orgue NVV
Exeiiipli' mineur :
Suj.i<
Rpponso
I. S. Bach
l^gue prjur urjfue Liv. IV. N"(i
(sujet de Legrenzi'
•:^
-À-'
Certains sujets dérivés se prêtent mieux que d'autres à une sorte de
transposition intégrale qui donne à leur réponse l'aspect d'une imita-
(i) Cet exemple a été transposé pour plus de clarté. La Fugue d'orgue à laquelle il est
emprunté est en mi t> t il s'agit donc en réalité d'un la fi.
tion exacte à la quinte : ces sujets, ordinairement assez longs, offrent
souvent la particularité de commencer et de finir par la même fonc-
tion tonale, c'est-à-dire de revenir à leur point de départ :
,5'.)jei
Hf-runse
J . S . B ach . W^hlt. Ciaiiei-
Liv. II. Fugue XIX
En ce cas, les degrés caractéristiques d'autres fonctions contenues
entre les deux points extrêmes du Sujet sont entraînés par l'imitation,
et leur valeur propre disparaît dans la Réponse. La permutation s'opère
donc exclusivement au point de rattachement, et cela suffit à sauvegar-
der le principe de la différence tonale nécessaire entre le Sujet et la
Réponse. En effet, la forme
n'est pas identique en réalité à
car, à la note la, entendue au début du Sujet en qualité de tonique du
ton de LA majeur, il est répondu par la note wî, qui occupe au début de
la Réponse (point de rattachement nécessaire avec le sujet) la fonction
de dominante du même ton, et non pas, comme cela serait nécessaire
pour l'identité réelle des deux dessins [a et è), la fonction de tonique du
ton de Ml majeur. La disposition harmonique adoptée ptvr Hach, pour
l'entrée de la Réponse, ne laisse aucun doute sur ce point :
Réponse
fin du sujet
En résumé, les principes fort compliqués à l'aide desquels on a pré-
tendu codifier la mutation inévitable, n'ont abouti qu'à des usages
EI.R.MENTS MELODIQUES 43
d'écoles, sur lesquels nous aurons encore l'occasion de revenir ; mais
ils sont presque tous infirmés en fait, par la pratique constante des
auteurs de fugues véritablement soucieux du caractère musical et expres-
sif de leurs œuvres. \.
Contresujet. — Des considérations du même ordre permettent de
réduire à fort peu de chose les règles qui concernent le contresujet,
autre élément important de la Fugue, lequel consiste en un dessin
mélodique écrit en contrepoint renversable par rapport au sujet, et
destiné à être entendu avec lui. soit au-dessus, soit au-dessous, à toutes
ses entrées, la première exceptée.
Un usage des plus anciens, chez les auteurs de fugues, veut en effet
que le thème entre seul : cela tient assurément au principe expressif
de conception, dont il a déjà été parlé (i).
La première exposition du dessin contrapontique renversable, dit
contresujet, est donc faite en général après celle du sujet, par la même
voix ou partie mélodique, et en même temps que la première appari-
tion de la réponse, énoncée par une autre voix.\L'interversion nécessaire
des fonctions tonales dans la réponse a donc sa répercussion sur le
contresujet, entendu avec elle; et celui-ci devient en réalité une contre-
réponse soumise aux mêmes règles de mutation ou de transposition, s'il
y a lieu.^'
Il est à peine utile de rappeler que le caractère renversable du contre-
sujet (ou de \& contre-réponse) comporte de toute nécessité les qualités
requises pour tout bon contrepoint de cette espèce. Savoir:
1° équilibre rythmique des valeurs de notes, ou compensation des
valeurs plus longues :lu sujet par les valeurs plus brèves du contresujet
et réciproquement ;
2' càVixctkre mélodique, différant par la forme de celui du sujet, tout
en restant analogue au fond, sans introduire aucun élément dispa-
rate ;
3" complément harmonique, renforçant autant que possible le senti-
ment tonal, en faisant entendre les degrés fondamentaux des fonctions
tonales sur leurs harmoniques naturels consonnants, et réciproque-
ment.
La construction même du co)itresujet implique donc sa subordination
complète au thème de la Fugue, à laquelle il n'apporte qu'un élément
mélodique d'écriture, tandis que le thème (sujet ou réponse) demeure
l'élément unique de conception.
(i) II convient d'observer toutefois que cet usage est aujourd'hui méconnu dans une
grande pariic des fugues d'école, où le sujet et le contresujet entrent presque simulta-
nément, sans que cette disposition paraissi; vraiment lust née.
Les dessins auxquels l'usage donne le nom de second sujet, troisième
sujet, etc., ne donnent pas davantage à la Fugue un nouvel élément de
pureco«ce/»//o«, pouvant infirmer son caractère essentiellement unitaire,
on mono thématique. Cq sont de véritables co)î/rt'sz</>/s, qui doivent satis-
faire, par leur destination même, aux conditions d'écriture contrapon-
tique qui président à l'établissement artificiel du contresujet ordinaire;
on leur attribue seulement, par la suite, un rôle plus important pour
accroître, dans la composition de la Fugue, l'intérêt et la variété, sans
en atténuer l'unité primordiale.
6. ÉLÉMENTS HARMONIQUICS Dli LA KUGUIÎ. LA CADENCr. l'oRDRE TONAL DES EXPO-
SITIONS DANS t.ESKUGl'F.S MAJEURES KT MINEURES. LES ÉPISODES. — LES PÉDALES.
— LES STRETTES.
La Fugue et la Cadence tonale. — L'alternance des fonctions de tonique
et de dominante, dans le su)et et la réponse, donne, comme on vient de
le voir, à leur exposition, dès le début de la Fugue, un caractère sus-
pensif ou conclusif, dû à l'emploi d'éléments identiques, harmonique-
ment.k ceux de la catY«?f<?, telle qu'elle a été décrite précédemment (i).
D'ailleurs, on a reconnu à la Fugue un aspect général unitouique,
quiexclut toute possibilité de modulation rt'e//t', d'ordre expressif, dans
cette forme de composition (p. 37). Dès lors, tout mouvement harmo-
nique apparent dans la Fugue, ne peut avoir d'autre effet qu'un renfor-
cement de cette tonalité unique, marquée par la cadence résultant de
cette alternance des fonctions dans la première exposition. Or. un tel
renforcement ne peut et ne doit être autre chose que la cadence elle-
même, dans sa forme la plus complète, et avec toutes les extensions
qu'elle comporte.
La Fugue ne serait donc en définitive qu'une grande cadence, où
chaque formule harmonique, destinée à l'affirmation tonale, serait rem-
placée par une énonciation du sujet, avec ses annexes ordinaires
(réponse, contresujet, etc.). Par là, et parla seulement, croyons-nous,
peut s'expliquer l'ordre tonal des expositions, ordre logique entre tous,
dont la pratique immémoriale vient confirmer pleinement l'explication
théorique.
Dans les premières formes luguécs, en ciVct, les expositions ne s'éloi-
gnent guère des fonctions de tonique et de dominante; plus tard, cette
forme rudimentaire de cadence s'enrichit peu à peu, et l'on voit appa-
raître, dans un ordre variable, les expositions au relatif, h la sous-
dominante, et même au relatif de cette dernière, avec aboutissement cl
(i| Voir 1" liv., p. 1 10 CI suiv.
ÉLÉMENTS HARMONIQUES 4 5
repos provisoire sur la dominante du ton principal, préparant le retour
définitif à la tonique, v
Ordre tonal des expositions dans les Fugues majeures. — Si nous rédui-
sons à leurschéma harmonique cette succession de fonctions différentes,
dans leurs ordres les plus usuels, nous trouvons :
a) pour les formes primitives :
la petite fu^ue en UT de J.S Bach (i) dont le sujet bien connu
a déjà servi d'exemple (p. Sq), nous ofi're un excellent modèle de cette
cadence parfaite élémentaire : toutes les entrées réelles du sujet ou de
la réponse y sont faites sur la tonique ou la doqiinante, sans excep-
tion ; -,
b) pour les formes plus développées, une infinie variété de cadences
diverses, dont les plus complètes sont en général analogues à celle-ci,
qui appartient à la fugue d'orgue, en UT", de J.-S. Bach (2) :
1
2 ,
:\ \'ii^Sr\ :
4
5
B
7
A r^ « ■ P~1t-
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Contre-
exposition
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Contre-
exposition
» -
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Dom.
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Hflntif
S-I)nm.
8 S
Harmonie
do la pédale
8
Conclusion
M' ^i 1
T^~r
=tT=
r J
0
" -
— ' — 9—'
L_ii — 1 1
T. I). T. D. I>. T. (D.)
ID. T.) S.
Cette grande formule de cadence offre, pour ainsi dire, la synthèse de
toutes les autres. Aussi la tradition d'école en a-t-elle fait, à quelques
petites différences" près, son modèle absolu. On se demande la raison
de cette rigueur, car, dans la littérature de la Fugue musicale, les exen>
(i) Édition Peters, vol. III, n» 7, p. 68 et suiv.
(i) Ibid., vol. II, II» I.
46 LA FUGUE
pies conformes à cette formule, et surtout à celle de l'école, sont infini-
ment rares.
Toutefois, puisque ce type de Fugue paraît réaliser le w.ixinium
d'extension que ce genre de composition ait jamais atteint, dans l'ordre
des, exposilious régulières, il y aura sans doute quelque utilité à en faire
ici l'analyse plus détaillée, en tant qu'application des principes d'équi-
libre tonal, établis précédemment.
1 _ Expositiiin principale
l'y entriio
Sujet
II? entrée
1. Toute cette Première F.xposilioit oscille entre les fonctions de
touiqiie et de dominante. L'importance capitale de ces deux fonctions
ÉLÉMENTS HARMONIQUES 47
justifie le redoublement que les quatre entrées successives du sujet ou
de la réponse font subira cette oscillation.
La loi rythmique d'imitation veut, en effet, que toutes les parties
mélodiques imitent tour à tour le sujet proposé, surtout au moment
de son apparition initiale. Ainsi, dans les plus anciens motets, chaque
voix de la polyphonie répétait en général les mêmes paroles du texte,
et avec le même thème ou son (imitation sur divers degrés).
Cet usage a persisté dans la Fugue instrumentale, où il apparaît sous
la forme des entrées successives de la première exposition, en nombre
égal ou supérieur à celui des parties (ou des voix).
Toutefois, le nombre seul et non Vordre de ces entrées est ainsi déter-
miné : car cet ordre, chez les auteurs de fugues, n'obéit à aucune règle
fixe; il varie au contraire en raison du caractère du sujet, de sa tonalité, de
son étendue, ou simplement de la plus grande commodité d'exécution.
Vainement, la pédagogie proscrit les entrées dites en échelle, c'est-à-
dire procédant régulièrement de la plus grave à la plus aiguë, ou inver-
sement, sous prétexte que le dessin d'ncoutresujet (voir ci-dessus, p. 43)
doit être écrit en contrepoint renversable et entendu, dès la première
exposition, tantôt au-dessus, tantôt au-dessous du sujet (ou de la
réponse) : nulle obligation de ce genre n'apparaît dans les fugues
musicales, comme on peut le vérifier facilement dans celles deJ.-S.
Bach, par exemple (1). ^
-^
îi _ Contre-exposition
!'".<' entrée
(i) Voir notamment :
a] Fugues d'orgue {Éd. Peters) : vol. Il, n" 4 et 8 ; vol. III, n" 5, 7 et 8; vol. IV, n" 5 et 7.
b) Clavecin bien tempéré, \" livre, iï" fugue; II» livre, g», io«, ii« et 20«.
Ces fugues, et presque toutes celles A trois voix, ont leur première exposition disposée en
entrées successives du grave à l'aigu ou de l'aigu au grave, c'est-i-dirc en échelle.
Quant à cette autre règle édictée par certaines é;oles, et qui consiste à faire entrer simul-
tanément, dès le début delà Fugue, le sujet et le contresujet (voir ci-Jessus, p. 43), inutile de
dire qu'on n'en rencontre presque jamais l'application, chez les bons auteurs de fugues.
2. La Contre-Exposition, qui apparaît ordinairement dans les fugues
après une transition de quelques mesures (i) la reliant à l'exposition
initiale, repose, comme celle-ci, sur les fonctions de dominante et de
tonique ; mais, par un effet assez logique des lois de symétrie, la ré-
ponse y est entendue avant le sujet, ce qui entraîne une sorte d'inver-
sion des fonctions tonales, destinée à rétablir l'équilibre rompu par la
première exposition. Si le sujet entendu au début de la Fugue était
conclusif, comme dans l'exemple ci-dessus, la réponse qui commence
la contre-exposition est forcément suspensive, et réciproquement.
Lorsque la contre-exposition ne contient qu'une seule entrée de la
réponse et une du sujet (comme c'est le cas le plus fréquent), elle répond
plus exactement à ce besoin de compensation tonale, puisqu'elle abou-
tit à Vune des fonctions, tandis que l'exposition initiale, à quatre
entrées, aboutissait à Vautre. Mais il n'y a point là de rigueur absolue.
fi) Nous omettons ici, i dessein, ces mesures de transition ou épisodes (voir ci-après,
p. 6i), ssns influence sur la marche tonale de la Fugue.
ELEMENTS HARMONIQUES 49
et l'exemple choisi montre bien que la contre-exposition remplit très
suthsamnient son but, même si elle a plus de deux entrées.
'À _ Exposition au Helatif
K*" entrée _^
3. Au delà des deux premières expositions sur la tonique et la domi-
nante, la plus grande diversité apparaît dans les formules de cadence
appliquées au plan de la Fugue. Il peut y avoir, en effet, un assez grand
CoUHt Dl COUPOil
lO.N — T. Il, I .
50 LA FUGUE
nombre de moyens harmoniques également aptes à confirmer une tona-
lité, nettement établie déjà par l'emploi répété des fonctions princi-
pales. L'usage de l'harmonie du relatif àt mode différent est ici des plus
fréquents : aussi voit-on apparaître à cette place dans la plupart des
fugues une imitation du sujet, puis de la réponse, offrant l'apparence
d'une véritable Exposition au ton Relatif, et désignée improprement %-
sous ce nom à l'école. ;/
Pour les raisons exposées précédemment (p. 2g) à propos de Vin-
version, on ne saurait admettre comme le véritable changement de mode
d'un thème donné son simple déplacement, vers la tierce mineure grave
s'il s'agit de rendre mineur un thème majeur, vers la tierce mineure
aiguë dans le cas contraire : il n'y a là, on l'a vu, qu'un procédé d'imi-
tation, approximatif et défectueux.-^'.
Dans la fugue qui sert ici d'exemple, le sujet majeur étant simple
(c'est-à-dire compris dans l'intervalle de quinte : tonique-dominante),
sa transposition au relatif mineur vulgaire n'y introduit pas de défor-
mation très apparente : seule, la médiante est modifiée. Mais il
n'en eût pas été de même pour la réponse, si l'auteur se fut astreint à
y remplacer exactement la tonique par la dominante, et réciproque-
ment. Car il aurait fallu pour cela employer les formules incertaines
et instables de la gamme mineure dite mélodique, avec altération du
sixième degré, en montant seulement, etc. etc., ce qui n'eût pas manqué
de déformer étrangement la réponse (i).
(1) Dans la fugue n" i du 1" livre du Clavecin bien tempéré de J.-S. Bach, fugue dont
le sujet ressemble beaucoup & celui de la fugue d'orgue ici analysée, il y a d'excellents
exemples des graves déformations qu'une véritable imitation de la Réponse au relatif mineur
peut entraîner. Le sujet
donnerait, au relatif, unctransforniationassez naturelle dont liach ne se sert pas, d'ailleurtt
et dont la réponse, employée par l'auteur à la ij« mesure, donne strictement:
Ni cette forme, ni sa transposition en li mineur, qu'on peut lire à la mesure 17:
et qui se répète un peu plus loin (mesure 19) avec d'autres altérations encore, ne peuvent
passer véritablement pour des chefs-d'œuvre d'élégance et de grâce méloilique I
ELEMENTS HARMONIQUES ;l
Mais qu'arrive-t-il. quand c'est le sujet lui même qui ne peut être
ainsi transposé sans subir les déformations inhérentes à l'emploi de
cette gamme ? En ce cas, les moyens employés par les auteurs sont des
plus variés : l'un des meilleurs, et non des moins rares, consiste même
dans la suppresion pure et simple de cette pseudo-exposition au relatif
mineur. . y '
3 _ autre Cûiitre-cxpositiun (exceptionnelle/
F;' entrée
3 bis. Les deux entrées successives, l'une de la réponse, l'autre du
sujet, qu'on rencontre à cette place dans la fugue choisie comme
exemple, réalisent exactement l'inversion de fonctions, caractéristique
de la Conlre-Exposilio)i.
Les nécessités tonales n'exigeaient point cette contre-exposition
superflue, d'ailleurs assez rare; mais cette addition, loin de nuire
à la cadence, la renforce au contraire ; et son intérêt musical indéniable
montre une fois de plus que l'art de la Fugue n'est point enclos dans
d'étroites formules, comparables à quelque disposition législative
édictant de sévères pénalités contre les imprudents qui oseraient la
transgresser.
i.A irc.uE
4 _ Exposition à la S'Ous- Dominante
Entrée unique
4. Après avoir parcouru diverses combinaisons de la tonique, de la
dominante, et des harmonies du mode mineur relatif, la trajectoire
normale de toute formule de cadence complète passe nécessairement
par la troisième fonction tonale ou sou&-dominante : ainsi s'explique
l'entrée, généralement unique, du sujet à la quinte grave de la tonique,
qui apparaît tôt ou tard dans presque toutes les fugues un peu déve-
loppées.
Cette suppression de la 7-t'/'o?;5f dans V Exposition à la Sous-Dominanle
paraît avoir une double cause :
• al l'équivoque existant entre la réponse entendue à la quinte aiguë
de la sous-dominante, c'est-à-dire au ton primitif, et le sujet lui-
même ;
b) l'inconvénient inhérent à la sous-dominante même, dont on a
signalé déjà (i) la tendance à effacer, dès qu'elle est entendu-e avec
persistance, le sentiment du ton principal, dont elle usurpe la place.
V-
5 _ Exposition au lielatif de la Soufi- Doyninanfe
Entrée unique
(1) N'oir !•' liv. p- l'i-
ÉLÉMENTS HAUMON'IQL'ES 5'5
5. La nécessité de rétablir par la dominante (quinte aiguë) l'équilibre
rompu momentanément par la sous-dominante (quinte grave) entraine,
dans la cadence comme dans la Fugue, l'usage d'une harmonie intermé-
diaire, conduisant de Tune de ces fonctions vers l'autre, et, par
conséquent, commune aux deux. Telle est, à notre sens, la raison de
l'emploi du relatif delà soits-dominante, dont l'harmonie tonale contient
à la fois le premier et le troisième degré de la fonction de sous-
dominante, et le cinquième de la fonction de dominante. Le caractère
éminemment transitoire de cette harmonie (i) explique que l'entrée
effectuée dans la tonalité accessoire qu'elle détermine, n'ait lieu qu'une
seule fois, sans réplique à la quinte, ou même qu'elle soit complètement
omise, ce qui arrive souvent.
Il va sans dire que le dessin improprement qualifié de sujet, qui
entre, dans cette Exposition au Relatif delà Sous-Doiuiuaitte, ne saurait
être autre chose qu'une imitation plus ou moins déformée (comme celle
qui se rencontre dans l'exposition au relatif mineur), en raison des
nécessités du changement de mode, tel qu'il se pratique usuellement :
cette déformation apparaît plus clairement encore dans l'exemple ci-
dessus (p. 52), oîi l'auteur a employé successivement, dans la même
entrée unique du sujet transposé, sa médiante w/h«</v (/a naturel) plus
modale, et sa médiante majeure [fa ff ) plus exacte.
(il II est intéressant de remarquer ici que cette harmonie du relatif de la sous-dominanle,
superposée à l'harmonie fondamentale de celte même fonction, reproduit la sixte ajoutée
signalée par Rameau, à propos de la cadence (voir I" liv., p. i36).
(a) Nous reproduisons ici les quelques mesures qui précèdent la Pédale de Dominante,
parce qu'elles offrent un spécimen de la disposition dite Stretle, dont il sera question ci-
après, page bî.
6 Pédale de Dominante
Sujet
7. Tnniqut
6. Le retour logique vers la dominante, assez longuement affirmée,
s'impose, après ce parcours un peu compl-exe, quoique tonal; ainsi se
justifie lout naturellement cette grande entrée sur la Dominante, affec-
tant la forme de tenue ou de Pédale, et pratiquée d'ordinaire par les
meilleurs auteurs, à cet endroit de Va Fugue.
7. Enfin, cette dernière oscillation conclusive aboutit nécessairement
à la fonction de Tonique, représentée ici par un seul accord prolongé.
Il n'est pas rare que cette tenue finale de la tonique prenne les pro-
portions d'une véritable Pédale, symétrique de la précédente.
Du reste, la plus grande lilierté de forme apparaît dans la péroraison
des plus belles fugues.
On remarque seulement que l'intérêt des combinaisons contrapon-
tiques s'accroît généralement, ii mesure qu'on se rapproche de la
conclusion : aussi, les superpositions du sujet et de la réponse, dites
strelles (voir ci-après, p. 62), comme celle qui se trouve ébauchée dans
l'exemple ci-dessus (p. 53), immédiatement avant la pédale de domi-
nante, y ont-elles leur place la plus logique, sinon la plus fréquente.
Kn résumé, cette vaste cadence, réalisée au moyen de l'ordre tonal
des expositions d'une Fugue (même en la choisissant aussi complète que
possible), loin d'infirmer le caractère unitoniqiie de cette forme de
composition, le renforce notablement, sans y introduire aucun élément
véritablement modulant, au sens large de ce mot, tel qu'il sera expliqué
ultérieurement chap. iv).
^ Toutefois, il est bon d'observer que cette stabilité tonale, excellente
dans les fugues majeures, est beaucoup plus incomplète dans les fugues
de mode mineur usuel, en dépit de leur symétrie apparente mais arbi-
traire avec les fugues de niode majeur. ,>
t
ÉLÉMENTS HARMONIQUES 55
Ordre tonal des expositions dans les Fugues mineures. — En transpo-
sant les formules de cadence précédemment établies, du mode majeur
au mode mineur, par les procédés habituels qui consistent, soit à
abaisser d'un demi-ton les troisième et sixième degrés, soit, ce qui
revient au même, à reculer toutes les notes d'une tierce vers le grave,
on ne rencontrera sans doute aucune difficulté sérieuse, tant qu'il
s'agira de formules primitives, comme la première, limitée aux fonctions
de tonique et de dominante.
A
n
o
Tt '
— ô il
■m-^.
4 b
— § ^î fl
J -1
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1).
T
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-TT — n
— d-
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en niO(Je minenr u'sut/
on mode mineur inrer*?
Dans les fugues n"^ G et 12 du premier livre du Clavecin bien tem-
péré, de J.-S. Bach, il n'y a exclusivement que des entrées à la tonique
et à la dominante, en ordre variable.
La tonalité pouvant s'établir par la formule de cadence dite plag-ale,
comme par la formule dite/7c7;-/Li/7<.', le changement de mode substitue
tout simplement ici l'une des cadences à l'autre, en appliquant les prin-
cipes réels du mode mineur inverse ( i ) ; et l'harmonie de la quinte supé-
rieure (m/) remplit les fonctions de soiis-dominanle (la note prime de
l'accord mi-sol-SI, étant le SI a. l'aigu). %^
Mais il n'en va plus de même pour les formules plus complexes, dans
lesquelles apparaît un véritable conflit entre la modalité et la transposi-
tion usuelle.
Qu'on en juge par l'exemple ci-dessous reproduisant tous les élé-
ments essentiels (2) de la grande cadence majeure précédemment exa-
minée (p. 45), en les abaissant d'une tierce, diatoniquement :
Cette formule constituerait, à vrai dire, une cadence assez satisfai-
(1) Voir l" liv., p. 1 10.
(2) Dans cette Tormule transposée, on a omis à dessein les redites des contre-expositions,
<jui constituaient plutôt des cas particuliers à l'exemple majeur précédemment choisi.
56 LA FUGUE
santé en mode mineur vulgaire ; mais, au lieu de Vexposition au relatif
(n» 3), elle supposerait l'emploi d'une sorte de sous-dominante du relatif
majeur, nullement équivalente au point de vue tonal ; et, à la place de
l'exposition au relatif delà sous-dominante (n° 5), on verrait apparaître
une tonalité tout à fait insolite, qui aurait pour base l'accord connu
dans les traités sous le nom de quinte diminuée! Ces seules anomalies
suttiraient à expliquer pourquoi un tel plan tonal de Fugue est prati-
quement irréalisable, ov^
Quant à l'adaptation," plus logique en apparence, qui consiste à
transposer partiellement la formule primitive (p. 45), en changeant la
modalité de toutes les expositions, elle ne peut fournir qu'une cadence
tonale assez faible, car elle contient plusieurs antinomies qu'il est bon
de signaler.
L'emploi du relatif majeur, dans la 3* exposition, entraîne une
transposition en sens inverse de celle pratiquée sur le reste de la cadence
majeure qui a servi de point de départ (p. 43), c'est-à-dire à la tierce
supérieure, et non à la tierce inférieure : et cette fausse application de
Vinrersion, dans une simple transposition diatonique qui ne la com-
portait pas, produit une perturbation facile à prévoir, quand il s'agit
de répondre à la quinte supérieure du relatif:
Harmonies-. : ^"«.''^ : _ '^" .^. : de la quint(
; Toaiqiit : Rn/'i/if : du Relatif
a) mode
majeur
i>e<c«;i^'' de tierce II .'/mrf-f? do quintn
Hannoiiics: <*« '^ : du ; ae la quinte
: Tonique : Kelntif '. du Relatif
ytnntie de tierce II yiuntre de quinte
ÉLÉMENTS HARMONIQUES
L'harmonie de sol majeur (quinte du relatif) n"a plus de parenté avec
latonalitégénérale (/amineur; fig. b, p. 56), alors qu'en LT majeur (fig. a)
l'harmonie naturelle de iiii (quinte du relatif: restait en contact (par
mi et pur sol) avec celle du ton initial.
Un phénomène analogue d'iuversiou mal emploj'ée modifie singu-
lièrement, dans la 5" exposition, le rôle du relatif majeur de la sous-
dominante : dans la Fugue majeure, cette exposition, à la tierce grave de
celle qui la précédait (sous-dominante), servait de transition normale
entre cette fonction et la dominante qui suivait, sous forme de tenue ou
de pédale (voir p. 53 et 54). II va sans dire que, dans la Fugue mineure,
cette 5' exposition, à la tierce aiguë de celle qui la précède (sous-domi-
nante), n'est aucunement apte à remplir le même office :
Harmonies
Dencenle de tierce |{ Dr.icentp de quinte
Haruionies :
bj mode
mineur
': de la ] du Relatif \ de la
■ Sniix-Dom.'Ao la S-L)om. '■ Dominiiii/r
)tiiiitée do tierce II /ytsced/e de J^ ton
toutefois, comme cette exposition introduit dans la formule de cadence
une harmonie fortement apparentée (par ut et par la) à celle du ton
principal {la mineur), le renforcement tonal qui en résulte compense
en partie les inconvénients dus à son défaut total de cohésion avec
Iharmonie de la dominante.
En dépit des irrégularités qu'on vient de signaler, cette grande
formule de cadence (p. 56), adaptée mais non transposée du mode
majeur au mode mineur, n'offre pas, comme la précédente, de véritable
impossibilité matérielle de réalisation ; elle est même suffisamment
tonale, si l'on tient compte de l'imprécision inhérente au mode mineur
vulgaire, et il n'est pas très surprenant de constater que les meil-
leurs auteurs de fugues, et J.-S. Bach lui-même, s'en sont généralement
contentés. Il semble toutefois que les fugues mineures de cette forme
soient admirables surtout par l'art consommé que les auteurs y
déploient, pour remédier aux défectuosités tonales de cette formule de
cadence, ou d'autres analogues.
On peut en observer un exemple des plus concluants dans la Toccata
en mi mineur, de la VI° Pai'tita pour clavecin de J.-S. Bach, laquelle
est composée d'un Prélude et d'une Fugue à trois parties, strictement
conforme à cette adaptation mineure de la grande cadence servant de
base à la Fugue d'orgue précédemment analysée. /^
I. L'Exposition initiale de cette Fugue est parfaitement normale:
elle est disposée en échelle, du grave à l'aigu, avec autant d'entrées que
de parties (i) :
(i; Nous donnons ici, sculcmcni k tiircilc spécimen du mode mineur, la première exposition
de celle Fugue •. pour les suivantes, aiRsi que pour les épisodes, les pédales, le prélude, et
toutes les remarques qu'ils comportent, on voudra bien se reporter au texte.
ELEMENTS HARMONIQUES 59
■2. La Contre-Exposition, commençant, suivant l'usage, par la réponse
(dominante) suivie du sujet (tonique) est absolument régulière.
3. L'Exposition au Relatif majeur offre, ce qui n'est pas très fréquent,
les deux imitations prévues, l'une du sujets en sol majeur, l'autre de la
réponse, en RÈ majeur : mais cette tonalité disparaît avec la dernière
note du thème, pour faire place immédiatement à celle de la mineur,
qui anticipe ainsi de plusieurs mesures sur l'exposition suivante.
4. L'Exposition à la Sous-Dominante, par le sujet seulement, fait donc
corps avec l'épisode précédent, au point de vue de la tonalité, dont la
durée se trouve ainsi presque doublée. ^
5. L'Exposition au Relatif majeur de la Sous-Dominante, beaucoup
meilleure par sa parenté tonale avec le ton principal, n'est point entourée
des mêmes précautions que la réponse en ré majeur. Mais, comme elle
ne saurait en aucun cas servir d'acheminement vers la Pédale de Domi-
nante qui suivra, elle en est séparée par un vaste épisode modulant,
lequel contient même une petite contre-exposition surérogatoire de la
réponse seule, sans réplique du sujet.
6. La Pédale de Dominante emprunte ses dessins au Prélude, qui
se trouve ainsi relié à la Fugue, plus intimement que la plupart des
pièces associées généralement ensemble par l'auteur, sous les noms de
Préludes et Fugues.
7. La Pédale de Tonique^ avec ses accessoires conclusifs, succède à la
précédente et oft're les mêmes dessins. L'ensemble des pédales consti-
tue ainsi une sorte de péroraison, symétrique du Prélude, qu'elle égale
presque en durée ; la série des expositions, qui forme la partie centrale
le ce modèle de construction ternaire, apparaît ainsi en équilibre entre
le Prélude, d'une part, et les Pédales, de l'autre. Et c'est surtout la
solidité de ces tenants et aboutissants qui atténue les imperfections de la
formule de cadence employée.
Mais on pourrait citer, même chez Bach, et surtout depuis lui, bien
d'autres fugues mineures, qui sont bâties sur le même plan, sans y avoir
ajouté les correctifs nécessaires à leur défaut originel de cohésion
tonale, w
La Cadence mineure inverse. — On est fondé à penser que, même à
l'époque de la floraison delà Fugue, une application plus rationnelle de
la loi d'inversion des cadences et des modes, établie précédemment (i),
eût apporté le vrai remède à cet inconvénient du mode mineur
usuel. Mais les principes mêmes de ce mode, que les théoriciens
d'alors représentaient toujours comme parallèle au mode majeur
(i; Voir 1<" liv., chap. vi.
dont il dérivait à l'aide d'altérations variables, s'opposaient à toute ten-
tative d'iiifersion vraie. Sans cet obstacle, alors insurmontable, on eût
pu découvrir aisément des formules réellement mineures, et rigoureu-
sement équivalentes aux formules majeures en usage.
Vinversion harmonique de la cadence qui nous a servi (p. 4b) de
type complet pour la Fugue à sujet majeur, produit, en mineur ffai,
une détermination tonale excellente :
T. D. T. u.
D. T.
~ Fonctions i
ode mineur mvcrit.
Pourquoi donc cette cadence n'autoriserait-elle pas, même de nos
jours, la construction de vraies fugues mineures, symétriques des
fugues majeures, au point de vue tonal comme au point de vue modal? /I'-'
Des fugues de ce genre ne seraient, au surplus, que l'extension
logique du procédé d'inversion, tel qu'il vient d'être étudié en détail
(p. 26 et suiv.) h propos des anciens Canons : ce procédé, ainsi que celui
du mouvement contraire, s'appliquait déjà dans la Fugue, chez J.-S.
Bach et ses contemporains, au sujet et à ses annexes, afin d'en tirer des
combinaisons nouvelles, apparaissant, le plus souvent, dans les parties
accessoires ou épisodiques (voir ci-après, p. 61) intercalées entre les
expositions proprement dites.
Mais jusqu'à présent, la substitution de mode qui en résulte n'a
presque jamais été utilisée consciemment et intégralement, parce
qu'on ne s'est, sans doute, pas encore assez pénétré de cette vérité que
la seule transposition exacte d'un thème majeur en mode mineur, ou
réciproquement, consiste dans Vinversioti rigoureuse de tous les inter-
valles de ce thème, impliquant celle des harmonies qu'il comportait
naturellement dans son premier état :
Kxemple en modp majeur
Mêuii- fxoinple m iiuitio mineur vr-xt;
ÉLÉMENTS HARMONIQUES *'
Dans cette opération de Vimx'rsioii ( i ) d'un thème quelconque, on sait
qu'un seul degré reste immuable et sert, en quelque sorte, d'axe de
rotation au motif entier: ce degré est le second, dans la gamme majeure
naturelle ascendante, comme dans la gamme descendante mineure
inverse5)(puisqu'il est comme le point de fonction de ces deux gammes (2)
Épisodes. — Pour compléter cette étude des éléments harmoniques
de la Fugue, il reste k examiner sommairement certaines parties acces-
soires, qui y furent introduites progressivement par les auteurs, afin
de relier entre elles musicalement les diverses expositions, et de remé-
dier à la satiété résultant de leur froide juxtaposition, dans un ordre
tonal prévu.
Pas plus dans la Fugue que dans aucune autre composition, la
musique ne devait, en effet, abdiquer ses droits. Aussi, au fur et à
mesure que la loi impérieuse des cadences tonales imposait un ordre de
plus en plus fixe aux perpétuelles expositions d'un thème expressive-
ment invariable, les auteurs de Fugues ressentirent-ils plus nettement
tout ce que cette rigueur avait d'incompatible avec la souplesse
plastique, inhérente à toute beauté de forme.
Et, pour rétablir dans leurs oeuvres l'élément de variété et d'élasticité
qui leur manquait, ils intercalèrent presque instinctivement, entre les
expositions, quelques formules de transition servant à les enchaîner les
unes aux autres.
Ces formules, appelées divertissements ou épisodes, contrastent avec
la rigidité des expositions par une liberté d'allure beaucoup plus
grande. Bien que toujours reliées aux éléments primordiaux de la
Fugue (sujet, réponse, contresujet) par la parenté des dessins
emploj'és, les épisodes en diffèrent par une imitation contrapontique
beaucoup plus libre, à laquelle viennent s'ajouter parfois les plus riches
combinaisons empruntées à l'écriture du Canon (inversion, rétrograda-
tion, augmentation, diminution, etc.). Il en résulte une sorte d'expansion
expressive et variée, qu'entrave malheureusement trop souvent l'abus
du procédé si commode et si plat qui a nom marche d'harmonie.
J.-S. Bach excella dans la composition de ces épisodes : certains
d'entre eux, en dépit de leur rôle purement extérieur en principe au
cadre étroit de la Fugue proprement dite, y ajoutent un tel élan de vie
et d'émotion, qu'on ne saurait se refuser h y reconnaître l'embryon de
(1) Cette inversion rigoureuse est rarement pratiquée par J.-S. Bach, tandis que le mouve-
ment contraire apparaît fréquemment dans ses œuvres. On peut cependant faire le travail de
Vinversion sur toutes les fugues. Les résultats sont extrêmement curieux et instructifs au
point de vue de la tonalité ; on rencontre des passages entiers qui demeurent aussi har-
monieux et aussi « musicaux •• que dans le texte original.
(3) Voir 1" liv., p. 101, et ci-dessus, p. 39 et 3o.
^
ce qui, plus tard, devait constituer le véritable développement, ou Vaction
des thèmes (voir ciiap. iv). w
Pédales. — L'usage des combinaisons variées, mais toujours expres-
sives, destinées à accroître l'intérêt des tenues ou pédales exigées par le
cadre tonal de la Fugue, participe aux mêmes raisons et au même
rôle que les épisodes.
Strettes. — Enfin, l'habitude aujourd'hui généralement adoptée, bien
que nullement nécessaire, de réserver pour la dernière partie de la
Fugue les formules d'écriture serrée, dites strettes, se justifie assez bien
aussi par la nécessitéde donner, autant que possible, à cette composition
un intérêt toujours croissant.
L'étude des Motets, depuis les plus anciens, nous a montré la prédi-
lection de leurs auteurs pour certaines recherches d'écriture en usage
aussi dans les canons, ricercari, etc., et tendant à faire entrer les
thèmes dans une des parties vocales, avant que l'exposition du même
thème dans une autre partie soit complètement terminée. Cette sorte
de chevauchement, que la contexture de certains thèmes permet de
reproduire sur plusieurs points différents de leur mélodie, en se rap-
firochant de plus en plus du début, a reçu le nom de stretlo ou strette
(écriture resser7-ée). L'application de ce procédé contribue généralement,
dans le Motet, à un renforcement expressif des plus significatifs.
Dans la Fugue, le mot strette désigne spécialement les entrées de la
réponse sur le sujet (ou du sujet sur la réponse), depuis la plus
éloignée, commençant sur la dernière note du sujet (ou de la réponse),
jusqu'à la plus rapprochée, commençant, s'il se peut, immédiatement
après la première note, comme nous en avons vu un exemple (ci-des-
sus, p. 53) dans l'épisode qui précède la pédale de la fugue majeure
précédemment analysée.
Nous donnons ci-dessous quelques mesures de la l" Fugue du
Clavecin bien tempéré, de J.-S. Bach, dans lesquelles on peut voir
presque tous les cas possibles de strettes et de canons :
Riiponse
Sujet .
i;u;mi;n Ts HAioioMijrLS
(1) (2) — Strette inachevée de la Réponse, entrant avec la 3* note du Sujet ;
(2) (3) — Strette canonique (ou Canon) de la Réponse, entrant sur elle-même, à
l'octave grave ;
(3) (4) — Autre Strette canonique plus rapprochée, à la double octave aiguë;
(3) (5) — Strette intégrale du Sujet, entrant avec les dernières notes de la Réponse;
(5) (6) — Autre Strette de la Réponse entrant, comme la Strette (1) (2), avec la
3e note du Sujet, mais exposée intégralement ;
(7) (8) — Sorte d'épisode en Strette, faisant entendre, au relatif de la sous-domi-
nante {ré mineur), le Sujet sur la 4e note de la Réponse.
La transposition en mode mineur du sujet (8) et de la réponse (7)
entraîne pour celle-ci des mutations qui la déforment notablement, et
montre bien l'inaptitude de certains thèmes à subir ce grossier change-
ment de mode ( i).
Toutefois, ces mêmes mutations fourniront ici un excellent exemple
pour servir à mieux distinguer l'un de l'autre la Strette proprement
dite, et le Canon, avec lequel on la confond souvent.
La Strette se dill'crcncie. en effet, d'un Canon droit à la quinte (ou à
la quarte), en ce que le conséquent (voir p. 22) }• affecte la forme de
réponse, avec ses mutations caractéristiques, chaque fois que l'anté-
cédent est constitué par le sujet, et réciproquement. Quant à la Strette
canonique (2) (3) (4), intercalée ici entre des strettes véritables, elle n'est
pas autre chose qu'un canon ordinaire du sujet ou de la réponse.
Le travail contrapontique de la. Strette a entraîné de graves abus, qui
n'ont pas peu contribué à la décadence de l'art de la Fugue, devenu
dans les écoles un véritable jeu de patience, dénué de toute préoccupa-
tion musicale. Ainsi, cette simple affirmation conclusive de la tonique
que devait être la Slrette a pris, dans certaines fugues d'école, une
extension telle qu'elle atteint parfois une longueur égale ou même
supérieure à celle de la totalité des expositions avec leurs épisodes I
(i)Daiis la note de la page 5o, nous avons signalé déjà ce sujet comme réfractaire à la
transposition en mode mineur vulgaire.
64 LA FUGUE
Cette déchéance de la Fugue provient surtout, croyons nous, de la
méconnaissance de ses origines. On semble avoir perdu de vue qu'elle
n'estet ne saurait être qu'une vaste cadence tonale. Loin de l'appauvrir
ou de la restreindre en lui restituant définitivement son caractère
primordial, nous prétendons montrer, au contraire, comment et par où
elle peut s'élargir et reprendre de l'intérêt, sans cesser d'être elle-
même.
Notre bi if exposé des principes de Vini'ersion modale, par exemple,
ne tend-il pas à prouver que les applications à la Fugue de la loi des
cadences sont aussi loin d'être épuisées que les formules de cadences
elles-mêmes, et que ces dernières sont encore plus loin d'avoir été
utilisées en totalité pour l'élaboration de plans de fugues, tous diffé-
rents de ce gabarit puéril qui a nom la Fugue d'école ?
7. LA FORME « PRÉLUDE ET FUGUE ». — SON RÔLF DANS LA MUSIQUE SYMPHONIQUE.
Le souci de l'affirmation tonale, qui présida à l'élaboration des
formules de cadences sur lesquelles furent construites les plus belles
fugues de la période de floraison, semble avoir été si prépondérant,
qu'en dehors de ses multiples effets dans le corps même de la Fugue,
il s'étend et rayonne en quelque sorte autour d'elle, en créant des formes
annexes, destinées à établir préalablement la tonalité principale dans
laquelle se dérouleront toutes les expositions avec leurs épisodes, leurs
pédales et leurs strettes.
Ainsi s'expliquent les quelques accords plaqués ou arpégés qui pré-
cédaient déjà certaines fugues instrumentales assez anciennes, et qui
firent place, peu à peu, à de véritables compositions, plus ou moins
inséparables des fugues, sous les noms divers de Prélude [Prœludium),
Fantaisie (Phantàsie, Fantasia), Toccata, Can\ona, Ouverture, etc.
Plusieurs de ces dénominations que nous retrouverons ^ plus loin
(chap. Il), appliquées à des pièces de la Suite, ont servi également à
désigner des formes très différentes, comme par exemple VOuverture,
qui sera étudiée séparément dans la seconde partie du présent livre;
aussi, pour éviter toute équivoque, appliquerons-nous exclusivement le
nom de Prélude à la pièce instrumentale libre, le plus souvent mono-
thématique, monorythmique et sans aucun repos provisoire détermine,
qui précède ordinairement la Fugue, et fait corps avec elle au point
de vue tonal tout au moins.
On le voit, la forme Prélude proprement dite ne saurait être nette-
ment définie, car son origine même, une simple cadence pour « se
mettre dans le ton », suivant l'expression vulgaire, laissait à l'impro-
visation et à la fantaisie la plus large part.
LE PRKH'DE 6î
Cependant, tant que le Prélude écrit reste attaché à la Fugue, il
semble avoir conservé de préférence le caractère unitaire de cette
dernière composition. Monothématique comme elle, le Prélude peut
même mériter parfois le qualificatif d'ci//ît?wa//i7«e, lorsqu'il consiste en
un dessin rythmique continu, qui change seulement de degré, afin de
faire entendre les harmonies nécessaires à la cadence tonale, sans
prendre le caractère d'une mélodie précise. Les deux tiers environ
des préludes des Fugues do Clavecin bien tempéré, de J.-S. Bach, nous
ofl'rent d'excellents modèles de cette sorte.
iMais avec le développement plus grand de ses œuvres d'orgue, nous
voyons bientôt le maître de la Fugue donnera ses préludes une exten-
sion inusitée avant lui. Certains d'entre eux contiennent vers le milieu
une cadence à la dominante ou à un ton voisin, qui leur donne l'aspect
d'un morceau de Suite (voir ci-après, chap. ii). D'autres même pré-
sentent deux ou plusieurs thèmes ainsi qu'une Sonate véritable (voir
ci-après, chap. m).
Toutefois, quelle que soit l'envergure exceptionnelle atteinte par
certains préludes de J.-S. Bach, et par d'autres, postérieurs, qui procè-
dent, comme ceux de C. Franck, des mêmes principes, une seule carac-
téristique y demeure constante : l'identité de leur tonalité avec celle de la
composition qui les suit. Cette composition n'est point nécessairement
une Fugue ; mais c'est à l'occasion de la Fugue que le Prélude a pris
naissance (i).
On peut donc avec raison considérer la forme Prélude et Fugue
comme le premier essai authentique de juxtaposition de deux pièces
symphoniques d'importance équivalente, mais de caractères différents,
écrites dans une tonalité unique et destinées à être entendues consé-
cutivement.
L'importance capitale de cet essai apparaîtra au fur et à mesure que
nous étudierons les autres formes symphoniques, car nous constate-
rons que la plupart d'entre elles {Suite, Sonate, Concert, Musique ci-:
Chambre, etc.) n'ont été à l'origine qu'une simple juxtaposition de
pièces enchaînées logiquement les unes aux autres parle seul lien tonal,
exactement comme le furent autrefois le Prélude et \a Fugue (2).
Ce lien tonal des pièces différentes est donc à la base de toute com-
position de quelque importance, comme les procédés d'imitation
(1) Le Choral, qui fut plus tard associé au Prélude, et qui, chez Bach, affectait fréquem-
ment déjà une forme fuguét, doit être considéré néanmoins comme faisant partie du domaine
de la Variation, et c'est avec celte lorme musicale spéciale qu'il sera étudié ci-après,
chap. VI.
\i) Parmi les sonates pré-beethovéniennes (chap. m), on en rencontrera une de Johann
Kuhnau, où la (orme Prélude et Fugue est textuellement employée. Albrechtsberger s'est
également servi de cette forme dans ses quatuors et quintettes pour instruments à cordes.
Cours de couposition. — t. ii, i. t
contrapomique et fuguée sont à la base de toute littérature musicale.
Aussi, importait-il d'expliquer dans quelque détail tout ce qui a traita
cette forme primordiale de la Fugue, considérée musicalement, en tant
qu'oeuvre expressive et artistique, et non pédagogiquement, en tant
que travail laborieux d'assemblage, hérissé de pièges et de chausse-
trapes. La cadence, l'équilibre tonal et modal, l'inversion des fonctions,
des thèmes et des modes, les canons et les combinaisons de toute
nature mises au service de la musique, seront dorénavant pour nous
choses connues ; et les occasions d'en rencontrer l'emploi ne nous
/eront point défaut, dans l'étude des diverses formes symphoniques,
^ui, sans être issues véritablement de la Fugue, ont presque toutes subi
son influence.
HISTORIQUE
8. DIVISIONS llF. l'histoire DF. LA FrùI'E.
Il est assez difficile d'établir d'une façon certaine l'histoire de la Fugue»
forme issue du Motet, et qui, sans se modifier notablement ni pro-
créer de rejeton direct, conserva sa vie propre jusqu'à nos jours.
On peut toutefois distinguer, au cours de son existence, trois périodes
assez caractérisées pour donner lieu à une division historique : sous
chacun de ces trois aspects, la Fugue a évolué concurremment avec les
autres formes musicales, leur apportant souvent un moyen, un procédé
spécial de construction, sans jamais se confondre avec aucune d'elles.
i" Dans la Période primitive, la Fugue n'apparaît guère qu'à l'état
d'imitation : c'est l'époque des Caii^oiii et des Ricercari ; elle sert de
travail préparatoire à la période suivante.
2° Dans la Période de floraison, la Fugue constitue à elle seule une
CEuvre musicale et s'adjoint le Prélude qui la complote en ajoutant à
son importance.
3° Dans la Période moderne, après avoir été éclipsée momentanément
par la forme Sonate, la Fugue reparait dans celle-ci à titre d'aide au déve-
loppement; elle reprend même, chez quelques maîtres contemporains,
une existence à part contribuant à l'éclosion de formes nouvelles. ^
9. — PIÎKIODE nRI.MITIVE.
Contrairement à ce qui s'était passé pour la forme Motet (1) péné-
trant successivement dans les compositions vocales dramatiques de
chaque pays, la forme Imitation, ancêtre de la forme Fugue proprement
(I) Voir 1" liv., chap. x.
PERIODE PRIMITIVE
67
dite dans le domaine instrumental et symphonique, apparut simulta-
7u'we»/ dans toutes les nations possédant quelque culture musicale.
Aussi examinerons-nous les auteurs de Fugues, non plus, comme ceux
des Motets, dans l'ordre exclusivement chronologique, mais en les
subdivisant en même temps par nationalités.
ITALIENS ET ESPAGNOLS
X Antonio de Cabezôn . . . .. . iSiof 1 5>66
X Andréa Gabrieli iDioj i586 ""
% Giovanni Gabrieli i557 f i6i3 —
y Adriano Banchikri 1567 f 1634
>; GiKOi.AMO Frescobai.di iSS3 f 1644
)< Bernardo Pasquini 1Ô37 7 17 10
Do.MENlCO Zu'OI.l 16. . f 17. .
Antonio de CABEZÔN, natif de Castrillo de Matajudios (province de
Bu rgos) et aveugle de naissance, devint, malgré cette infirmité, organiste
et maître de chapelle de l'empereur Charles-Quint, puis de Philippe II,
et conserva cette situation pendant quarante ans. On possède de lui
un certain nombre de versets ou /^/cerc^/-/ pour orgue, parmi lesquels
ceux qu'il désigne sous le nom de Tieiitos, présentent une analogie bien
plus étroite avec la forme Fugue définitive, que beaucoup de composi-
tions de ce genre écrites par des musiciens de l'époque postérieure. X,
Nous citons ici le commencement d'un Tieiito de Cabezôn (i) dont
les entrées se suivent régulièrement et sont conformes à la disposition
adoptée par J.-S. Bach dans quelques-unes de ses Fugues :
dj — = — '
Rôp
1 h
"^F^
— 1 — 1 — 1 — 1 (— -
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Su,icl
n :
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=^=^
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ftTr-
Rép.
(1) Hisyjuix schohv musLa saci\i, public p;ir .M. I". rcJicll. v.il. N'IIl.
X
Andréa GABRIEL! (i) publia, en 1371, un livre de Ca}f;onefrancese
per l'orgatio, conçu dans le style fugué. Trois recueils de Ricercari
pour orgue parurent après sa mort, en iSqb. v
Giovanni GABRIELI (2) publia plusieurs recueils de Ricercari à 4,
en I 587. >':,
Adriano BANCHIERI, eu Adriano di Bologna, moine olivétain au cou-
vent de Saint-Michel de Bologne, est l'auteur d'ouvrages théoriques fort
importants pour l'histoire de !a musique, et notamment du célèbre
Organn suouariuo (161 1); il écrivit aussi, en style fugué, des Caii'^oui
per sonar et des Ricercari. Pour montrer l'état rudimentaire des pru-
deptes imitations qui constituaient alors tout l'art de la Fugue, nous
extrayons de VOrgaito siionariiio la pièce ci-dessous, que Banchieri donne
en exemple, et qu'il intitule pompeusement Sonata prima a due soggetli: ^
f'^^^~l^Lj^.
(I Voir i" liv., p. 161.
(3) Voir I" liv., p. 209.
y^ C L C^ry^hu
iKRioin: l'KiMi 1 1\ i;
II..
Girolamo FRESCOBALDI, né h P'errare, séjourna quelque temps dans
les Pays-Bas. où il dut connaître son émule Sweelinck (voir ci-après,
p. 72); il retourna ensuite en Italie où il devint titulaire de l'orgue
de Saint-Pierre de Rome, poste qu'il conserva jusque vers la fin de
sa vie. Organiste sans rival à son époque, Frescobaldi appliqua à
l'orgue un nouveau système de doigté qui en accroissait considérable-
ment les ressources. Il écrivit et publia, en 161 3, des Ricercari et Can\oiii
francese. 11 passe pour le créateur de la Fugue italienne.
J.-S. Bach tenait les œuvres de ce maître en telle estime qu'il copia
de sa main, en 1714, les cent quatre pages du recueil intitulé / fiori
musicali, suite de versets destinés à l'accompagnement de l'office litur-
gique (t) ; et, de fait, le style fugué de ces versets n'a pas été sans
influencer le génie du Cantor de Leipzig dans ses premières manifes-
tations, comme on pourra le constater par la pièce ci-après (2) qui
présente, en raccourci, les caractères d'une exposition de Fugue suivie
de strettes ; ,
V
^ Sujet I
(i) Cette copie de Bach est contervée .i la Bibliothèque de l'Institut de Musique religieuse
à Berlin.
»1 Dttixiime tenel sur Ibymne Lucit creator of/imt. (Publicauoii de M. Al. Ouil-
rriant.)
Frcscobaldi écrivit également un giand nombre de compositions
fuguées Lur des thèmes populaires ; il rccla niait pour l'exécution de
ses œuvres une grande fantaisie rythmique, une sorte de tempo riibato
continuel.\Il joue, dans l'histoire de la musique d'orgue, le rôle d'un
véritable « créateur qui, malgré des formules vieillies, fait pressentir
« tout un au-delà, non sans laisser transparaître, sous quelque afféterie,
« le regret de ne pouvoir l'atteindre (i) ».\
^>
Beriiardo PASQUINI, né à Massa et longtemps organiste de la basi-
lique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, écrivit nombre de pièces pour
orgue et pour clavecin en style fugué. Ses sujets sont plus longs et plus
musicaux que ceux traités par ses contemporains; voici, par exemple,
celui de l'un de ses Ricercari :
Après une double exposition de ce sujet, paraît la réponse, ainsi
disposée :
U-
i i i— -i i J j
I; Aiulrt Pirro, L'oif;iic de J -S. lUcli. Tisclibachcr. iff>p.
l'iKKiDi; l'KiMi ri\i;
puis viennent de nombreuses entrées plus rapprochées qui terminent
la pièce en une brillante stretie. Comme on le voit par cet exemple,
l'écriture de Pasquini est plus dégagée et ses contrepoints sont plus élé-
gants que ceux de ses prédécesseurs.
Domenico ZIPOLI fut organiste de l'église du Gesit, à Rome, et publia
en 1716 plusieurs recueils de Ricercari pour orgue, d'un style qui
rappelle plus celui de Bach que les productions italiennes de son temps.
ANGLAIS et ALLEMANDS
Thomas Tai.i.ys i5. .fiBSBA ^
William Byru i538 f ibi3
Jan Pieters Sweelinck I 562 t 1621 >< --
Samuel Scheidt 1 587 f 1654 X
Johann Jacob Frouergeu 16. . f 1667 jx:
Geoug Muffaï . 16. . t 1704 )<^ _.
DlETRlCH BUXTEHUDE 1*537 f ' 7°?
Johann Pachelbel it333 f ^lo'ô
Thomas TALLYS, ou Tallis, fut organiste de la cour d'Angleterre sous )<.
Henry VIII, Edouard VI et sous les reines Marie et Elisabeth. On le
regarde comme le promoteur du style fugué dans l'école anglaise.
William BYRD, ou Bird, ou Byrcd^ né à Londres, élève de Tallys et
organiste à Lincoln en i563, publia des pièces pour clavecin et instru-
ments à clavier dont on trouve les plus remarquables dans le Virginal-
book (livre de Virginale) de la reine Elisabeth, ainsi que dans celui de
lady Nevil. Mattheson (i) attribue à Byrd le célèbre Canon d'Oxford,
que l'on voit inscrit au-dessus de la porte de la salle de musique de
l'Université. La réalisation à trois voix de ce canon ne laisse pas que
de produire des agrégations d'une écriture quelque peu barbare, en
dépit des louanges que lui prodigue l'auteur de l'LV/rt'/j/^/b/Vt;.
(i) L)ev voUkommene K.ifellmeister, cJ. Je I73i), p. 409.
L\ rUGUK
Canon Oxford len.s! s (perpetuus)
Ca n tus
inniecfdensi
AUus
(m hypodiapenivj
Ténor
(in hyfivdinptison
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Jaii Pieters SWEELINCK, né à Amsterdam, étudia à Venise sous la
-iirection de Zarlino, puis succéda, en iS8o, à son père dans les fonc-
tions d'organiste de la « vieille église » (Onde Kirk) de sa ville natale,
fonctions qu'il exerça toute sa vie. Il est généralement regardé comme
le principal fondateur de la Fugue pour orgue, ou du moins d'un
système de pièce fuguée plus logiquement construite que le simple
Kiccrcar (i).
Samuel SCHEIDT, né à Halle, en Saxe, et élève de Sweeiinck. se
livra surtout au perfectionnement de l'écriture du Choral varié pour
orgue, qu'il traita en imitations fuguées, dans la manière des versets
il) L'oeuvre de Sweeiinck a éié publiée au complet, en douze volumes, par les soins
du H' Max Seiffert en looi
PERIODE PRIMITIVE 73
de Frescobaldi. Son principal ouvrage est la Tabulalura nova, recueil
de pièces pour orgue en trois volumes in-folio. L'influence de Scheidt
fut grande sur J.-S. Bach et sur la façon dont il comprit la variation
de choral, dans les œuvres qui appartiennent à sa première manière
(voir ci-après, p. 78 et suiv.). .-;^
Johann Jacob FROBERQER naquit à Halle ; il fut envoyé à Rome
par l'empereur Ferdinand III, son protecteur, pour se perfectionner
dans la science musicale auprès de Frescobaldi; esprit inquiet et d'hu-
meur nomade, il fut, de façon intermittente, organiste de la Cour de
Vienne. Il mourut à Héricourt, près Montbéliard, après un voyage en
Angleterre (ibôa) plein de romanesques péripéties qu'il chercha, dit-on,
à retracer dans l'une de ses œuvres (1).
Il parut, en 1693 et 1696, deux recueils de Froberger intitulés:
Diverse iugeuiosissime 0 rarissime partite di Toccate, Can^oiii, Ricer-
cari, Cappricci, etc.
Qeorg MUFFAT, organiste de la cathédrale de Strasbourg jusqu'en
167b. vint étudier à Paris le style français et écrivit de nombreux
Ricercari 'pour: orgue et instruments, y,
Dietrich BUXTEHUDE, le plus illustre des organistes allemands du
xvii" siècle, né à Elseneur, en Danemark, devint en 1668 titulaire
de l'orgue de Sainte-Marie, à Lubeck, et organisa dans cette église, pour
la première fois en Allemagne, des « Abeiidmusiken » (soiréesmusicales),
qui se tenaient le soir de chaque dimanche de l'Avent et qui eurent
une grande renommée.
Buxtehude fut sans contredit le précurseur et, plus encore, l'inspira-
teur des œuvres de la première manière de J.-S. Bach : celui-ci, en
effet, trop pauvre pour payer la dépense du coche, fit à pied le voyage
d'Arnstadt à Lubeck dans le seul but d'entendre le célèbre maître et de
profiter de ses conseils. Buxtehude publia un grand nombre de Fugues
et de pièces d'orgue en style fugué ; ses versets sur le Te Deum sont
de petits chefs-d'œuvre; voir aussi sa Fugue en mi
à trois sujets, comme la célèbre fugue en M/t> de Bach. Il contribua
puissamment au développement de la virtuosité sur son instrument,
par des interludes ou des cadences finales brillamment figurées que
Bach imita souvent dans ses premières pièces.
(>J .Mattheson, Op. cit.. Il, 4, p. i3o.
Johann PACHELBEL naquit à Nuremberg, où, après avoir occupé
diverses charges auprès des princes de Saxe et de Wurtemberg, il
revint vers sa quarantième année, pour y reprendre jusqu'à sa mort le
poste d'organiste de Saint-Sebald. Il fit faire également de grands pro-
grès à l'écriture de l'orgue ; son influence sur les compositions de la
première manière de J.-S. Bach est indiscutable, sinon comme esprit,
au moins comme style. Comparer aux chorals de VOrgelhûchlein l'expo-
sition ci-dessous, variation fuguée de la mélodie l'ater miser in
Himmelreich ( i ) :
Rèp
Suj. (Canfiif: /irmut)
Pachelbel publia, entre autres œuvres, un Tabulaturbiich, contenant
cent soixante Chorals variés avec préludes en style lugué, et un assez
grand nombre de Fugues pour orgue.
FRANÇAIS.
Jean Titelouze i563 f i633 'A
Jean-Henri d'ÂNGLEBERT 1628 -{• 1691 X.
François Cooperin (de Crouilly). . i63i f 1698 X
Nicolas de Grigny 16. . f 16. . v
Jean-Louis Marchand 1669 -j- 1732 )/
Louis-Nicolas Cléremhault . . . 1676 •}- 1749
Jean TITELOUZE, l'ami du père Mersenne, né h Saint-Omer, fut
élu en I b88 organiste de la cathédrale de Rouen. On a de lui, outre
diverses pièces, un recueil publié en 1623 et intitulé: Hymnes de
lEglise pour toucher sur Vorgue avec les fugues et recherches sur
leur plain-chaut. Bien qu'il appartînt à une époque où l'art de la Fugue
prenait à peine naissance en Italie et en Allemagne, on peut voir par
l'exemple suivant (2) que son écriture ne se bornait point à la simple
imitation canonique, comme dans la plupart des Ricercari de son
temps, mais que ses versets contenaient de véritables expositions de
(i) Huiî Chorals publiés chez J. Chr. Wcigel, à Nuremberg, en ibgS.
(]) Verset Depusutt fotenlci. (Magnilicut du 6* ion.)
■^
PÉRIODE DE FLORAISON
Fugue. Nous devons donc le considérer comme l'émule français des
Sweeiinck et des Frescobaldi, tant pour le style que pour la valeur
musicale.
Jean-Henri d'ANQLEBERT, musicien de chambre du roi Louis XIV', y
écrivit des Fugues pour orgue.
François COUPERIN, sieur de Crouillr, organiste de l'église Saint-
Gervais, à Paris (i), écrivit des pièces d'orgue dans lesquelles on
trouve des essais de Fugue.
Nicolas de GRIQNY, organiste de la cathédrale de Reims, fit im-
primer chez Ballard (1701) un Lipre d'orgue où l'on rencontre des
audaces harmoniques alors inusitées en France. Ses compositions X
étaient connues de Bach et offrent un réel intérêt musical. M. Al. Guil-
mant en a publié un certain nombre dans ses Maîtres de Vorgtie.
Jean-Louis MARCHAND, né à Lyon, organiste de l'église des
Jésuites à Paris en 1697, puis de la Chapelle royale du château de
Versailles, fut banni de France en 17 17; il voyagea en Allemagne et, ")(^
pendant un séjour à Dresde, il tenta, sans succès, de se mesurer avec
Bach comme improvisateur. On a, de lui des Versets et des pièces
d'orgue en style d'imitation.
Louis-Nicolas CLÉREMBAULT, né à Paris, fut organiste de l'église ,
des Jacobins, puis directeur de la musique de M"° de Mamtenon à A
Saint-Cyr. Il écrivit un certain nombre de pièces en style d'imita-
tion.
10. PKRIODI- DK FLORAISON.
A partir de la seconde moitié du xvii« siècle, en Allemagne, la Fugue
entre en pleine période de floraison. En Italie, elle était à peu près
(i) Dans la généalogie de la famille Couperin, que nous donnerons ci-après (p. i38), à pto-
pos de François Couperin, le grand, neveu de François Couperin, sieur île Crouilly, on
verra que le poste d'organiste de .Sainl-Gcrvais fui occufé successivement par six membres
au moins de cette illustre famille de musiciens.
76 LA FUGUE
tombée en désuétude. Quant aux organistes français de la période
précédente, bien qu'ils soient les contemporains des compositeurs dont
les noms suivent, nous ne pouvons, en raison de la nature de leurs
productions, les placer dans la même catégorie que les Allemands.
Ceux-ci seuls, en effet, cultivèrent pour lui-même le véritable art de la
Fugue, dont J.-S. Bach allait devenir le plus haut et le plus génial
représentant.
ALLEMANDS.
Johann Krieger i652 f 1735 X
Johann Joseph Fux i65o f 1741
Johann Heinrich Buttstedt. . . . 1666 f 1727
Johann Sébastian Bach i685 f 1750
Johann KRIEGER, né à Nuremberg et mort à Zittau, publia en 1699 un
livre de Préludes et Fougues pour le clavecin, sous le titre Abhandhmg \^
von der Fûge, qui constitue le premier recueil où la forme Prélude
et Fugue se trouve fixée et codifiée.
Johann Joseph FUX, né à Hirtenfeld, en Styrie, fut nommé en 1698
compositeur de la cour impériale de Vienne. Son Gradus ad Pariias-
sum (1725) est une collection d'exemples de Contrepoint et de Fugue
constituant un véritable traité. Fux passe, on ne sait pourquoi, pour le
créateur de la fugue dite d'école ; mais rien, dans ses écrits, ne vient
corroborer cette opinion.
Johann Heinrich BUTTSTEDT, organiste d'Erfurt et élève de Pachel-
bel, laissa un grand nombre de Préludes et Fugues pour orgue et pour
clavecin.
Défenseur des anciens modes ecclésiastiques, il entreprit une réfu
tation des théories, « avancées » pour l'époque, émises par Mattheson
dans le Neu erbffneies Orchester et publia, à ce propos, son célèbre
traité théorique et pratique intitulé :
Ur Ml SOL
kl-: lA LA
TOTA MUSICA
ET IIAKMOMA .£TliRNA
Johann Sébastian BACH naquit à Eisenach le 21 mars 168S. Il des-
cendait d'une famille thuringienne dont presque tous les membres
occupèrent, du xvi'au xix° siècle, les positions de musiciens de ville, de
chambre, et surtout d'organistes et de maîtres de chapelle dans la plu-
part des cités allemandes, ainsi que peut en faire foi le tableau généalo-
gique ci-contre :
PKRIODE DE t'LORAISON
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7? LA FUCÎUE
Jean-Sebastien commença ses études sous la direction de son frère
aîné Jean-Christophe, organiste à Ohrdruf, qui était lui-même élève de
Pachelbel, puis il entra à l'école de Saint-Michel, à Lunebourg, où il
reçut les enseignements de l'organiste Georges Boehm.\Passionnément
épris de musique, il entreprit à pied, dès l'âge de quinze ans, plusieurs
voyages, pour aller entendre les organistes en renom, notamment
Reinken, à Hambourg, et plus tard à Lubeck (1705), Buxtehude,
auprès duquel il resta trois mois, bien que le consistoire de la ville
d'Arnstadt, où il était alors organiste, ne lui eût donné que trois
semaines de congé. Après un court passage à iMùhlhausen, Bach devient,
en 1708, musicien de cour du duc de Weimar et titulaire de l'orgue de
la cathédrale ; puis, en 1717, maître de chapelle du prince Léopold
d'Anhalt-Cœthen. Enfin, en 1723, il succède à Johann Kuhnau, dans
les fonctions de Caulor de la célèbre école de Saint-Thomas, à Leipzig,
avec le titre de « directeur de la musique de l'Université », poste qu'il
occupa pendant vingt-sept ans et qu'il conserva jusqu'à sa mort. Dans
les dernières années de sa vie, il fut frappé d'une affection ophtalmique
qui empira jusqu'à le priver complètement de la vue.
Son caractère, empreint d'une opiniâtre volonté, jointe à une droiture
et à une sincérité absolues, se retrouve dans ses œuvres. On peut y
constater aussi la justesse de l'éloge que lui décernait Kitell : Em
gan\ frommer Mann : un homme d'une grande piété — un t bon
chrétien ».
De ses deux femmes, Barbara Bach, sa cousine, et Alagdalena Wulken,
il eut vingt enfants, dont dix seulement, six fils et quatre filles, lui
survécurent.
Comme les œuvres de tous les grands génies artistiques, celles de
J.-S. Bach peuvent se diviser en trois époques : on les désigne commu-
nément par le nom de la ville où il séjournait. Chacune d'elles
présente des caractères distinctifs constituant trois iimnicres aisément
rcconnaissables.
La première époque, de Weimar (i']o'ya 1712), comprend toutes les
conipositions écrites à Amstadt, sous l'inlluence de Reinken, Pachelbel,
Frescobaldi, Scheidt et Buxtehude ; période d'imitation, comme la plu-
part des grands créateurs en offrent l'exemple au début de leur carrière;
Bach se'soumet alors volontairement à l'action traditionnelle.
La deuxième époque, dite de Cœtlien, embrasse les dernières arvnécs
du séjour à Weimar et les sept ans à Cœthen(i7i2 à i723). Bach, se
pliant aux fonctions de directeur de musique (A'a/'f//)«m/er) qu'il avait
alors à remplir, écrit, outre d'admirables pièces d'orgue, un grand
nombre d'œuvres qu'il intitule « So)tales » (bien qu'un certain nombre
affecte la forme Suite ou Musique en trio) pour violon, tUîtc, viole de
PERIODE DE FLORAISON 79
gambe, etc., ainsi que des Suites pour Clavecin, à l'imitation du style
des Français, et spécialement de F. Couperin le Grand dont il avait
attentivement étudié les ouvrages. C'est l'époque des compositions
concertantes: Concerts, Musique de Chambre, oeuvres pour clavecin,
notamment la première partie du Clavecin bien-tempéré qu'il composa
en 1722, sans oublier VOrgelbïtchlein, recueil de Chorals variés dans
le style de Pachelbel.
La troisième époque, de Leip\i^(^\-]i'i à 1750), est celle de toutes les
grandes compositions religieuses : deux cent soixante-six Cantates (sur
les deux cent quatre-vingt-quinze que Bach composa), les cinq Passions,
les cinq Messes, les Oratorios. Les Concerts pour plusieurs clavecins,
la deuxième partie du Clavecin bien tempéré (1744), les sept grands
Préludes et Fugues pour orgue, la Clavierubung (recueil d'oeuvres
pour orgue et clavecin), VOffrande musicale, et enfin l'Art de la Fugue,
ouvrage interrompu par la mort de l'auteur, appartiennent aussi à
cette époque.
Réservant pour le Troisième Livre de ce Cours les Fugues vocales
des Cantates et autres pièces avec paroles, nous allons examiner
sommairement les principales Fugues instrumentales de J.-S. Bach,
celles que tout musicien digne de ce nom devrait connaître à fond et
pouvoir analyser de mémoire. Nous citerons ces œuvres dans leur
ordre chronologique (1).
1" époque. Ltinebourg et Weimar. Fugues pour orgue;
Prélude et Fugue en ;// (2). La fugue, dont le sujet est fort long.
se termine sur un ornement final en forme de vocalise, ainsi que
Buxtehude en usait Jans ses compositions. C'était encore un dernier
vestige du jubilum d'alleluia, de provenance grégorienne, dont nous
avons déjà constaté la persistance dans des œuvres extra-liturgiques(3).
Prélude et Fugue en .'«/ (4) remontant à l'année 1703 ; la fugue.
(il On consultera avec fruit, pour parfaire cciic élude, l'cxcelleni et lervenl travail de
M. André Pirro: L'Orgue de J.-S. Bach, Fischbachèr, itiçs.
(3) Édition Peters, vol. IV, n* 5.
(3) Voir l"liv., p. 6K
(4) Ed. Peters, vol. lU, 11' lu.
LA FUGUE
bien qu'imitée du style de Buxtehude et de ses contemporains, est d'un
charme expressif tout particulier.
Prélude et Fugue en UT {i) de 1706, contenant, vers la fin, une
seconde Fugue tonale, que nous avons citée précédemment (p. 45).
Enfin, la grande Fugue en RÉÇi), dont le sujet est également très long :
elle date du séjour à Muhlhausen (1707) et sert encore de « cheval de
bataille » à nos modernes organistes.
2* époque. Weimar et Cœthen :
Fugue en si (3), où un thème de Corelli joue le rôle de cont.-esujet •
Dans la Fugue en ut, h deux sujets (4), c'est, au contraire, un nou-
veau thème de Bach qui vient accompagner le sujet principal, emprunté
à une sonate de Legrenzi, et donner lieu, après exposition respective
des deux thèmes, à la combinaison suivante :
Th de Bach
)f'
cette iuguc, composée vers 1710, porte l'intitulé: » Thema Legren-
\iamim elaboratum cum subjecto pedalitcr. »
(I) Ed. Peters, vol. III, n» 7.
(a) ibid., IV, î.
fî) Ibid., IV, 8.
,4) hid., IV, 6.
PERIODE DE FLORAISON
Prélude et Fugue en la {i), vers ijui. La mélodie pleine de charme
qui sert de sujet à la fugue
i
est traitée presque dans le style de la composition instrumentale
italienne et fait déjà présager le système de fugue expressive qui sera
plus tard employé par César Franck.
Fantaisie (Prélude) et Fugue en sol (2), datant probablement de
l'année 1722. Le prélude est l'une des plus étonnantes composi-
tions de l'époque, par la variété et la liberté de sa contexture harmo-
nique. Deux éléments se partagent cette pièce incomparable : l'un,
ornemental et fantaisiste à la façon de Buxtehude, mais atteignant
parfois des hauteurs de pensée que l'art du vieil organiste de Lubeck
ne connut jamais ; l'autre, mélodique, mais d'une mélodie si claire et
si pénétrante qu'elle s'impose immédiatement à la mémoire de l'audi-
teur. Au cours des expositions du dernier élément, se présentent, sans
avertissement ni préparation, des combinaisons, des modulations
enharmoniques tellement audacieuses que c'est à peine si nos compo-
siteurs actuels, malgré leur recherche extrême des harmonies quintes-
senciées, oseraient les employer. L'extraordinaire transition diatonico-
chromatique du ton de sol à celui de mi, formidable crescendo où se
concentre peu à peu toute la puissance émotive et dynamique de
l'orgue, reste un exemple unique dans l'histoire musicale de cet instru-
ment :
(Le ut
A
(i) Ed. Peters. II, 3.
(I) Ibid., vol. Il, n» 4.
COL'RS DE COMPOSITION. — T. Il, I,
LA FUGUF-:
La fugue est tellement connue de tous les o^g^nistes, qu'il est a
peine besoin de la mentionner :
^
nous ferons seulement remarquer que, en dépit de la modestie de
Bach, si ennemi de toute réclame, la notoriété de cette pièce n'était
pas moins grande au xviii' siècle. Mattheson, en effet, rapporte [Gene-
ralbass Sc/n//e) qu'il en choisit le sujet pour un concours d"orgue, afin
de permettre aux concurreiits, qui devaient certainement avoir entendu
cette fugue, deVaider de leur mémoire pour la mieux réaliser (2). ■)/
3' époque. Leipzig. Les sept grands préludes et fugues que nul
musicien n'a le droit d'ignorer :
La première de ces œuvres ( 1726) mérite d'être analysée en son entier.
Le Prélude en mi b (3) est triple, c'est-à-dire composé de trois élé-
ments. Le premier, purement rythmique,
Grave
et le deuxième, mélodique,
(i)On a donne au Premier Livre (p. ii8) l'analyse harmonique de ces deux dernières
mesures.
(i) Nous ferons toutefois observer que cette anecJotc légendaire ne tigurc point* rariicle
Generalbass dans l'édiiion de 1719 de VUxemplai ische Organisten-Fivbe, la seule qu'il
nous ait été donné de contrôler.
(3) Ed. Petcrs, voL III. n* 1.
PÉRIOor; DE FLORAISON 83
reliés par un motif de transition, pourraient présenter l'aspect du
type Sonate à deux thèmes (tel que Philippe-Emmanuel Bach le fixera
postérieurement), si un troisième élément fugué, en parfaite cohé-
sion avec les deux autres, ne venait bientôt s'y adjoindre:
La structure de cet admirable prclude est ainsi établie:
i Th. A en MI & . — Th. B. S/ [> .
i Th. A en Sy [) , avec inHexion vers ut.
L Th. C en ut, fugué.
'• ( Th. \ en LAv .— Th. B. Ml t> .
, ( Th. C en MI i» , fugué.
( Th. A en Ml 9 , concluant.
Cette division en trois parties n'est point l'effet d'un hasard ou d'une
fantaisie, totalement incompatibles avec la logique créatrice d'un
J.-S. Bach : elle résulte d'une symétrie préétablie avec la construction
de la fugue suivante.
Celle-ci est triple également : son sujet principal circule dans chacune
de ses trois parties distinctes, en se superposant successivement à deux
contresujets nouveaux, qui jouent le rôle de véritables sujets acces-
soires, tandis que le thème général, sorte de leil-motiv ou d'axe central,
unifie et consolide tous les éléments de cette oeuvre merveilkuse.
On jugera mieux de cette belle construction par les exemples ci-
après :
Manuel:
Exposition de la Fuguo I, (à 5 voix)
Suj.
'^HiM^
=}^^=L
'îTi^-'^jjJ
Lu s \ '
'r ^^
a.p.
LA FUGUE
Sl4?pTJ-J-,j
Kugup II
tetfi du 8uj
Suj. de la Fuffue I
Suj.IlI
Fupue lU:
Cniubinaison du Sujet de la l'ugue IIl avci; le Sujet I :
Sui. :i'.
PI^RIODF. Di: FI.OKAISON
A
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-f+rf^T^
IJ 1 =j
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^-
Le génie universel de J.-S. Bach n'était donc point étranger à l'art de
la composition cyclique (voir ci-après, chap. v) : cet art si généralement
délaissé à la fin du xviii* siècle et au milieu du xixS ne devait repa-
raître que chez Beethoven, et aboutir, avec César Franck et son école,
à son plein épanouissement.
Les six autres grandes œuvres de cette série, qui va de lySoà lySo,
sont également à étudier de près :
Prélude et Fugue en mi (i), l'une des plus longues et des plus
libres de l'œuvre d'orgue ;
Prélude et Fugue en si (2) ;
Prélude et Fugue en (/r(3); on a donné ci-dessus (p. 46 et suiv.):
l'analyse de cette belle fugue ;
Prélude et Fugue en ut (4) ; la fugue est bien antérieure au prélude ;
Fugue en la (5), dont le prélude date de 1706 ;
Prélude et Fugue en ut (6) : ce prélude, à 9/8, est d'un aspect mélo-
dique charmant ; quant à la fugue, dont nous avons déjà cité le sujet
(p. 40), elle est remarquable par ses renversements, ses combinaisons
et ses entrées par augmentation, dans lesquelles se trouve en germe
l'un des thèmes principaux des Meistersiiiger de R. Wagner.
Le premier livre du Clavecin bien tempéré (7) [Wohltemperirtes
C/ar/e;-) fut composée par Bach en 1722, pour servira l'instruction de
son fils aîné Wilhelm Friedemann, tandis que le second livre ne fut
écrit qu'en 1744.
La connaissance de ce recueil de quarante-huit préludes et fugues
est aussi importante pour apprendre au compositeur à établir one
(i) Ed. Petcrs, vol. II, n° 9.
(2I Ibid., Il, 10.
(3) Ibid., Il, I.
(4) Ibid., II, 6.
[b) Ibid., Il, 8.
(6: Ibid., Il, 7. ■
■ (7I Bach écrivit cet ouvraRe en vue d'un instrument perfectionné par lui et destiné à rem-
placer l'ancien clavicoidi-, dnnt la construction défectueuse ne i.eimtuau pas certaines
combinaisons de no.es (voir la Seconde Partie du présent LivrcJ.
•6 LA FUGUE
fugue musicale et expressive, que pour faire acquérir au pianiste une
technique sûre, soutenue et indépendante des conventions scolastiques
visant, presque toujours, à la virtuosité et non à l'art.
Dans ce recueil, où pas une pièce n'est indifférente, et où quelques-
unes portent le sceau du génie, nous recommanderons de lire et d'étu-
dier spécialement :
1"' livre. — 4^ fugue, en ut a, h cinq voix et à deux sujets;
7*, en MI i), avec son prélude qui semble élever le style du clavecin au
niveau de celui de l'orgue ;
8', en tnii, , qui, avec trois voix seulement, présente un nombre incal-
culable de combinaisons : entrées par mouvement contraire, divertisse-
ments canoniques droits et renversés, sujet traité par changement de
rythme ; puis, vers la péroraison, entrées du sujet par augmenta-
tion, s'étalant à la basse d'abord, à l'alto ensuite et enfin à la partie
supérieure, tandis que les autres voix font entendre simultanément
la même mélodie sous tous les aspects présentés précédemment. Il
est difficile de trouver une plus belle gradation de l'intérêt musical.
La mélodie qui forme le sujet de cette fugue est un type grégorien
que nous avons déjà rencontré (i) et que nous retrouverons encore
sous diverses formes et à diverses époques :
16% en sol, presque conforme aux règles de ce qu'on est convenu
à' Ap[-)e\er \i fugue d'école; mais aussi riche de charme mélodique que
celle-ci en est dépourvue;
22% en si 1) , à cinq voix ; exemple de fugue serrée, précédée d'un
superbe prélude;
II* livre. — 3* fugue, en t/rJf , dont le sujet et la réponse se renver-
sent dès la troisième entrée, et subissent ensuite une extension com-
parable à l'allongement des ombres au coucher du soleil ;
10", en mi, longue mélodie présentant un grand nombre de rythmes
diflérents ;
22*, en si t> , préparée par un prélude tout à fait expressif, et qui
offre une aussi grande quantité de combinaisons que la S' fugue du
I" livre, sans laisser soupçonner la difficulté vaincue : sujet par mou-
vement contraire associé au mouvement direct, canons à la septième
et à la neuvième, et strettcs donnant simultanément ks deux mouve-
menis, direct et contraire, sans que l'ellct musical en soit atténué.
(I) Voir I" hv., p. 69.
PÉRIODE DE FLORAISON
87
Ajouter à cette nomenclature sommaire la Fugue chromatique pour
clavecin avec son superbe et fantaisiste Prélude, ainsi que nombre
d'intéressants spécimens de cet ordre de composition qui se trouvent
disséminés dans les locccite et partite de la Clavierïibuiig.
L'Offrande musicale (das musikalische Opfer) fut composée en mai
1747 P'^'" Jean-Sébastien Bach à son retour de Berlin, après l'unique
apparition qu'il fit à la cour de Frédéric II. Le vieux maître, sur les
instances de son troisième fils Philippe-Emmanuel, accompagnateur
des concerts à la cour de Prusse, s'était résolu, non sans hésitations,
à accéder à la demande du roi qui désirait le connaître depuis long-
temps. A peine était-il arrivé que Frédéric lui proposa un sujet de
fugue de sa propre composition, sur lequel Bach improvisa séance
tenante une admirable fugue de clavecin, à l'étonnement de tout
l'auditoire. Revenu à Leipzig, et voulant donner au fiùtiste couronné
un témoignage de respectueuse gratitude, il expédia à Potsdam, en
juillet 1747, un recueil de pièces, toutes bâties sur le thème royal :
L'œuvre, qui est un véritable modèle de science contrapontique,
contient :
1° une Fugue, dite ricercata, a. trois voix, avec l'épigraphe acrostiche:
Régis lussu Caulio Et Reliqua Canonica Arte Resoluta
(R I C E R C A R);
2" une deuxième Fugue {ricercata), à six voix;
3° huit Canons, armés de devises diverses (voir ci-dessus, p. 23, 34,
23, 32 et 34) ;
4° une Fugue canonique (en canon à la quinte) ;
5° une Sonate en trio pour flûte, violon et basse continue ;
6° un Canon perpétuel, par mouvement contraire, pour les mêmes
instruments.
L'Art de la Fugue [die Kunst der Fuge) est le dernier ouvrage didic-
tique de J.-S. Bach ; on y trouve, en seize fugues (dont deux, à deux
clavecins) et quatre canons, toutes les combinaisons qu'il est possible
détablirau clavier sur le sujet suivant:
Chacune de ces petites pièces, formant un tout de structure si parfaite
08
LA FUGUE
et en même temps si musicale, mérite d'être étudiée dans ses détails,
par le musicien désireux de ne point rester un « superficiel de l'art » —
un aviateur, aurait-on dit autrefois. Combien d'élèves, improprement
qualifiés de professionnels dans nos écoles contemporaines, sont à
vrai dire des amateurs — des superficiels de l'art !
Nous nous bornerons à relever ici dans les pièces qui constituent ce
chef-d'œuvre les particularités les plus intéressantes:
La I" et la 2« fugue (i) traitent le sujet simplement avec deux
contresujets de rythmes divers.
La 3« et la 4" le traitent par mouvement contraire, l'une entrant par
la réponse, l'autre par le sujet.
La 5% pleine de charme mélodique, résume les quatre précédentes
en réunissant dans une même pièce, à l'aide d'un rythme emprunté à la
2' fugue, l'assemblage des combinaisons directe et contraire.
La 6' et la 7* emploient les mêmes moyens mélodiques que la 3»;
mais, outre les imitations par mouvement contraire, le thème, alter-
nativement augmenté, diminué (2) ou normal, y est figuré en trois
valeurs différentes.
Nous donnons ci-après en partition le curieux début de la 7' fugue ;
c'est une véritable exposition double: tandis que les deux parties inter-
médiaires font entendre, alternativement et par diminution, le su/et
droit, la réponse contraire, la réponse droite et le sujet contraire, la partie
supérieure ajoute au-dessus de cette exposition déjà complète le su/et
droit avec ses valeurs propres ; enfin, la basse expose la réponse con-
traire en valeurs doubles :
Ey]josition de la P^igun Vil
Suj. (par mouv!^ contrairei
(I) Tous les chiffre» indiqués ici se rapportent à l'ordre des fugues adopté dans le tascicule
ai8 de l'Édition Pcicrs, lequel hcm pas absolument conforme à celui de In Bach Gesellschaft.
(ï) Le spécimen de Canon par diminution que nous avons donne, page 34, csl emprunté
i la 6* fugue.
l'KRIODE m-: FLORAISON
à cette grande entrée, augmentée de la réponse contraire, vont succéder
trois autres entrées : l'une du sujet-droit, exposé par le ténor au relatif
majeur ; une autre du sujet contraire, dit par l'alto à la tonique ; la
dernière du sujet droit, proclamé victorieusement par le soprano,
pour terminer cette fugue encadrée dans ces quatre entrées par aug-
mentation, comme entre les assises il'une formidable charpente.
Les 8% 9* et lo* fugues ont des sujets spéciaux, qui sont naturel-
lement aptes à être combinés avec le grand thème principal. Celui-
ci, tel le destin, vient invariablement s'imposer à eux en maître; il
affecte mille aspects divers et se pare même d'un nouveau vêtement
r}^'thmique différent de celui qu'il avait dans les trois fugues précé-
dentes et destiné à jouer un rôle prépondérant dans la suivante '.
La II' fugue traite le thème ainsi rythmé, en le combinant avec le
sujet chromatique de la 8', exprimé, cette fois, par mouvement con-
traire, ce qui lui donne une allure joyeuse toute spéciale.
Dans la 12*, le thème change encore de rythme, pour affecter l'ap-
parence d'une basse de passacaille :
Dans la i3*, le thème est agrémenté d'ornements mélodiques dans
le style de la Gigue (voir ci-après, chap. 11).
Mais la véritable singularité de ces deux fugues, dont l'une est écrite
à quatre parties et l'autre à trois seulement, c'est que chacune d'elles
est susceptible d'être lue, soit telle qu'elle est écrite, soit à l'envers
« inversa » (1), c'est-à-dire en substituant à chaque intervalle ascendant
un intervalle descendant équivalent, et réciproquement.
Toutefois, dans la j 3' fugue, cette opération ne peut se faire que sur
chacune des trois parties, individuellement; dans la 12*, au contraire,
les quatre parties sont susceptibles d'être lues, non seulement par
mouvement contraire, mais encore en ordre renversé harmoniquement,
c'est-à-dire que la basse devient partie supérieure, le ténor devient
alto, et réciproquement.
Voici les dernières mesures de cette belle fugue, transcrites dans les
deux sens, afin que l'on puisse se rendre compte que les combinaisons
les plus complexes, sous la plume d'un artiste véritable, ne nuisent
nullement au caractère musical de son œuvre :
fO '-c mot inversa correspond ici à ce que nous avons appelé le moiivanent contrairt
(voir ci-dessus, p. 36), et non pas il ririi'(-i.sio>i rigoureuse, que Maiiheson appelle • contra-
rium stricte reversum ».
l'KRIonK DF I'I/)R.\1S()N
Suivent quatre canons sur le même sujet, le premier par augmenta-
tion et mouvement contraire (voir l'exemple, p. 32 et 33), les trois
autres à l'octave, à la dixième et à la douzième. Puis, deux fugues
à deux clavecins, reproduisant presque exactement la i3' fugue et son
renversement, mais en valeurs plus brèves et avec l'adjonction d'une
quatrième partie, différente et libre, pour compléter l'harmonie.
Enfin, la 14' grande fugue, celle qui marque l'heure dernière du
Caiitor de Saint-Thomas, débute par un sujet purement liturgique
auquel vient bientôt se joindre un nouveau sujet, très certainement
destiné à l'orgue. Un peu plus loin, apparaît la signature du génial
auteur dans un troisième sujet fourni par les lettres mêmes du nom
de Bach :
BACH
nul doute que Bach n'eût l'intention de réunir le thème initial de cette
œuvre gigantesque aux trois autres, en un dernier et magistral ensemble,
comme pour symboliser, en ce faisceau de quatre mélodies, tous les
souvenirs de sa vie de musicien expert en son art, d'organiste inimi-
table et de bon chrétien. Il mourut avant d'avoir réalisé la combinaison
suprême... (1)
(i) Il a été proposé plusieurs solutions de ce problème musical ; la meilleure, sans contre-
dit, nous parait être celle donnée par M. Jean Marnold dans la Tribune de Saiiil-Gervais,
V« année, n* 5, mai i8gg)
?.uj. principal
' ULLs^
Suj. n.(Org:ue|
lUT^
^TSQ-
PÉRIODE MODERNR 97
L'œuvre de J.-S. Bach, dans l'ordre de la Fugue, c'est Vancien
testament de la musique ; le nouveau, ce sont les Sonates et Quatuors
de Beethoven. Et, nous ne craignons pas de l'affirmer, cette véritable
Bible est la base nécessaire à toute éducation musicale, comme les
Livres saints constituèrent de tout temps les assises fondamentales de
l'instruction littéraire ; — jusqu'au jour où 1' « obscurantisme laïque »,
bannissant de son « enseignement d'État » toute foi, tout amour et
toute poésie, ne fit plus éclore et pulluler que de secs et ignorants
« primaires » ou de subtils mais décevants fureteurs de bibliothèques!
II. PERIODE MODERNE.
La forme Sonate, lors de sa triomphale apparition dans l'histoire de
la musique, vers le milieu du .wiii" siècle, absorba longtemps en elle
toutes les forces créatrices, abolissant du même coup les précédentes
formes, Fugue et Suite.
Mais la Fugue avait la vie dure : elle était trop profondément reliée
aux origines traditionnelles de l'Art et ne pouvait disparaître complè-
tement. Cependant, la plupart des maîtres de la fin du xvui' siècle et du
commencement du xix' ne l'employèrent plus qu'à titre d'archaïsme ;
telle, on la retrouve, mais à l'état de squelette, dans certaines messes
de Cherubini et autres, ainsi que dans des compositions de ce temps,
dites religieuses. Il fallait le génie d'un Beethoven pour la faire sortir
de l'état léthargique où elle était tombée et lui attribuer une fonction
active dans le travail de la composition musicale ; mais ce fut seulement
vers la fin du xix' siècle que César F'ranck sut lui rendre l'aptitude
à enfanter des formes nouvelles.
On peut toutefois discerner, après J.-S. Bach, une suite de
compositeurs qui n'abandonnèrent point complètement la forme Fugue,
et la traitèrent de façons très diverses, comme tendances et comme
résultats.
Leur chronologie, que nous donnons ci-dessous, est loin d'ofi'rir
l'homogénéité de celles des époques précédentes :
Johann Ernst Eberlin ..... 1702 f 1762
Friedrich Wilhelm Marpurg . . . 1718 f 1793 (i ,
Johann Georg Albrechtsberger . . 1736 f 1809
WOLFGANG AmADEUS(2) MoZART . . 1756 f 179!
(i) Le Dictionnaire des Musiciens, de Choron, donne 1763 comme date de la mort de
Marpurg.
(2) Les prcnoais exacts de Mozart étaient Johann Chrisostomus W'oljgang 'J'iieoplulus.
94 LA FUGLE
LuDwiG VAN Beethoven 1770 f 1827
Jakob LuDWiG Félix Mendelssohn. . 180Q f 1847
César-Auguste Franck 1822 f 1890
Charles-Camille Saint-Saëns. . . i835
Johann Ernst EBERLIN, maitre de chapelle de l'archevêque de.
Salzbourg, publia en 1747 neuf Toccate et Fugues pour orgue, dont
l'une passa longtemps pour être de J. -S. Bach. D'autres fugues d'Eber-
lin existent, inédites, dans la bibliothèque de l'Institut de Musique, à
Berlin.
Friedrich Wilhelm MARPURQ séjourna en 1746 à Paris, où il connut
Rameau. Epris des théories harmoniques de notre illustre compatriote,
il les importa en Allemagne à son retour; il mourut à Berlin, où il
occupait les fonctions de directeur de la loterie royale. Outre de nom-
breux ouvrages didactiques, comme son Abliandlung von der Fïige
(1753) et le Fiigeiisammluiig (1758) qui contient les principaux chefs-
d'œuvre de la forme Fugue connus de son temps, Marpurg laissa un
certain nombre de compositions pour orgue ou clavecin, parmi
lesquelles les Fuglie e Cappricci per cembalo e per l'orgaito (1777).
Johann Qeorg ALBRECHTSBERGER, né à Klosterneuburg, près de
Vienne, devint en 1772 organiste de la cour impériale, puis de la
cathédrale Saint-Étienne, en 1792. Célèbre théoricien, il eut l'honneur
d'instruire Beethoven dans l'art de la fugue, et fit un traité de compo-
sition, intitulé Grundlische Ainveisung der Composition (1790), et
généralement considéré comme le complément nécessaire du Gradus
de Fux. Il produisit aussi un grand nombre d'oeuvres musicales et fut
peut-être le seul musicien de la fin du xviii* siècle qui continua délibé-
rément à traiter la Fugue, en l'appliquant même à sa musique de
chambre, dont presque toutes les pièces sont en forme de Prélude et
Fugue. On a de lui, dans ce genre : vingt-quatre Quatuors pour deux
violons, alto et violoncelle, op. 1,2, 3, 11 et 14, six Quintettes pour trois
violons, alto et basse, op. 10, et seize Trios pour deux violons et basse,
op. 1 2 et I 3, plus une quantité de Préludes et Fugues pour orgue.
Wolfgang Amadeus MOZART (i), bien qu'il ait tiré un curieux parti
de la forme Fugue dans le duo des deux prêtres de la Fli'tlc euchanlée,
n'excella point dans l'application de cette forme à sa musique sympho-
nique. Il laissa cependant quelques fugues instrumentales plus ou
moins intéressantes, parmi lesquelles :
(i)Lcs renseignements biographiques sur Mozart seront donnes au chiipare m avec
l'étude de ses sonates.
PERIODE MODERNE 95
1° un Finale fugué (pour deux violons, alto, basse, deux hautbois,
deux cors, deux bassons et cembalo obligato) sur Va.\r Her\og Wilhelm,
dans le Gallimatias musical qu'il composa en 1768, à l'âge de douze ans;
2° un Adagio et Fugue pour quatuor à cordes;
3" une Grande Fugue pour deux clavecins ;
4» une Fantaisie et Fugue pour clavecin, etc.
Ludwig: van BEETHOVEN (1). Il appartenait à l'auteur de la Messi
en RÉ de confier à la descendante de l'antique Motet le noble rôle de
rénovatrice des formes symphoniques, rôle qu'elle partage, en ses der-
nières œuvres, avec la Variation.
La Fugue beethovénienne, en effet, notablement inférieure, il est vrai,
à celle de Bach, au point de vue de la plasticité d'écriture et de l'équi-
libre architectural, possède, en dépit — et peut-être en raison — de
cette infériorité, quelque chose de plus humain : l'expression drama-
tique. Dans la Sonate et la Symphonie, Beethoven demanda à la Fugue
de lui fournir des forces nouvelles pour le travail du développement :
V Allegretto de la VII' Symphonie, op. 92, l'épisode orchestral du finale
de la IX', op. 124, le finale de la Sonate pour piano en la^ op. ici, le
premier mouvement de la Sonate en s/t>, op. 106, la pieuse Can^ona du
XV« Quatuor, op. i32, en sont autant d'exemples probants. Mais,
outre cet emploi en quelque sorte secondaire, le maître de Bonn
voulut aussi restituer à la Fugue — figée alors dans d'insipides « et
vitam venturi sœculi » et dans d'inutiles « amen » — son caractère de
pièce musicale: il écrivit donc dans cette forme des morceaux entiers,
figurant surtout en qualité de péroraison à certaines de ses œuvres ; par
exemple : le finale fugue du IX° Quatuor, op. 09; celui de la Sonate
pour violoncelle et piano, op. 102 (1818); {'Allegro de la Fest-Ouver-
ture en ur, intitulée Zur Weihe des Hauses, op. 124 (1822); et le
phénoménal ouragan, coupé d'un si délicieux épisode de calme, qui
clôt la Sonate en s/t>, op. 106, citée plus haut; sans parler de la
Grande Fugue en RÉ, pour quatuor à cordes, op. i33.
Mais il y a plus : chez lui, nous l'avons dit, la Fugue concourt souvent
à rehausser la partie expressive de l'œuvre, telle l'émouvante conclusion
>r de la Sonate pour piano en_LAi> , op. 1 1 o (1822); tel aussi le monu-
mental premier mouvement du XI V" Quatuor, en utt, op. i3i (i825),
qui n'est lui-même qu'une grande fugue parfaitement caractérisée.
Nous analyserons ces œuvres en détail, lorsque nous aurons à parler
du genre auquel elles appartiennent. Qu'il nous suffise de noter ici que,
malgré la dramatisation de la Fugue chez Beethoven, malgré la grande
(i) Nous donnerons l'esquisse biographique de becihovcn au chapnrc iv avec l'étude
approfondie de ses sonates.
96 LA FUGl E
liberté d'allures qu'elle affecte dans ses œuvres, l'antique forme de la
cadence unitaire n'en subsiste pas moins ; c'est à peine si les lois
traditionnelles qui la régissent sont accidentellement transgressées.
Prenons, par exemple, les deux fugues qui figurent dans l'op. 120:
33 Variations sur une valse de Diabelli ( 1 82 3) ; la première (Var. XXIV),
après avoir fait son oscillation vers la dominante et tenté quelques
essais de mouvements contraires aux relatifs de la tonique et de la
sous-dominante, ramène, après de courtes entrées en strette, le sujet à
la tonalité principale ; l'expression de ce petit morceau est toute char-
mante en sa brièveté.
Quant à la grande Fugue en Mi\> de cette même œuvre (dernière
variation avant le menuet final), le plan traditionnel de la cadence n'y
est pas moins respecté, comme on pourra le voir par le schéma ana-
lytique ci-dessous :
, Suj. Rép. Suj. Rép. à la Tonique A//b — i"' épisode, par la tète du Suj. ;
( Suj. Rép. au Relatif [ul)... — 2c épisode;
' \ Suj. au Rel. delà Sous-Z)o)«. (/a), par mouvement contraire — 38épisode;
V Suj. à la Tonique (.w/t') par mouvement direct et contraire.
Péd. de Dominante.
i Suj. Rép. à la Tonique (M/ b) par changement de rythme ;
2 i Strette canonique du Suj. au Relatif de la Sous- Dominante (fa) ;
{ Suj. à la Tonique (Hlt>) sous sa forme première. Conclusion.
A part, peut-être, le gigantesque « coup de vent » de la Sonate,
op. 106 (voir ci-après, chap. iv), qui relève presque de l'ordre drama-
tique, toutes les fugues de Beethoven sont susceptibles d'une analyse
aussi claire et aussi conforme aux anciens principes de la cadence.
La Grande Fugue pour quatuor, elle-même, avec ses deux sujets
perpétuellement changés de rythme, n'est autre chose qu'une puissante
combinaison de cette forme avec celle de la haute Variation, genre que
nous étudierons plus loin (chap. vi).
On peut donc conclure que Beethoven, tout en respectant les assises
traditionnelles de la Fugue, sut en élargir prodigieusement la forme et
lui ouvrir ainsi une voie nouvelle qui, cependant, resta près de soixante
ans sans être explorée.
Félix MENDELSSOHN se servit également de la Fougue comme moyen
de développement dans ses Symphonies et sa musique de chambre,
mais il ne sut point continuer l'évolution dans le sens indiqué par
Beethoven. Il écrivit cependant un certain nombre de fugues aussi
soignées que froides, pour l'orgue et pour le piano.
y^ Cé.sar-Auguste FRANCK (i), véritable créateur de l'école sympho-
(1) Voir ci-après, ch.ipitrc v, quelques détails biographiques sur César Fraiicic.
PÉRIODE MODERNE 97
nique en France, fut le seul compositeur de son époque qui comprit
le parti qu'on pouvait tirer des découvertes beethovénienncs.
Dès sa période de maturité, l'étude approfondie de l'œuvre de Bach le
porta à écrire des fugues musicales, contrairement à la convention qui
régnait alors en souveraine, et avait relégué cette forme au rang de
devoir d'écriture ou d'exercice de gymnastique. Sans parler ici de son
ingénieux emploi de la Fugue dans ses œuvres vocales, notamment dans
les Béatitudes (i), il faut citer, dans ses six premières pièces d'orgue
{1861), l'exposition fuguée de la Pastorale en A//, et la fugue si mélo-
dique servant de milieu à la pièce intitulée Prélude, Fugue et Varia'
tion, qui est déjà un essai de nouvelle forme ternaire ; qu'on lise
aussi le développement intérieur du premier mouvement du Quatuor
à cordes, et l'on se convaincra que, sans rompre avec les attaches
traditionnelles, Franck fut le digne continuateur de J.-S. Bach et de
Beethoven.
Mais là où l'application de la forme Fugue devient tout à fait géniale,
c'est dans le Prélude, Choral et Fugue pour piano, création qui ne le
cède guère à la Sonate, op. 1 1 o, de Beethoven, en tant que nouveauté de
conception. Nous analyserons cette belle œuvre dans son entier, à la
place qu'elle doit occuper dans l'ordre des matières de ce Cours, c'est-à-
dire au chapitre vi consacré à l'étude de la Variation ; mais nous
devons parler ici du rôle très particulier qu'y joue la fugue, dont le
sujet sert de thème cyclique à toute la composition.
Dès la seconde page du Prélude, en effet, nous rencontrons ce sujet,
sous une forme assez rudimentaire, il est vrai, mais néanmoins fort
reconnaissablc :
dans la phrase initiale du (Choral, il est mieux précisé encore :
(i) On verra dans le Troisième Livre de ce Coues que le début de la 11" Béatitude, le
développement de la III* et de la VII* sont de véritables expositions Je fugue parfaitement
régulières.
Cours db composition. — t. 11, 1. J
98 LA FUGHE
il s'expose complètement et se développe d'une façon normale au cours
de la Fugue proprement dite; après quoi, une superbe péroraison le
ramène victorieusement uni aux deux autres éléments, mélodique et
rythmique, de l'œuvre.
Cette pièce constitue donc vraiment une nouvelle forme de composi-
tion engendrée au moyen de la Fugue et appelée, croyons-nous, à
créer un genre qui peut être fécond dans l'avenir.
Et pourtant, toutes ces hardiesses d'écriture, ces tendances har-
moniques si franchement neuves ne portent aucune atteinte, ni chez
le maître français, ni chez l'auteur de la Grande Fugue en bè, au
respect de la formule traditionnelle de cadence qui fut posée en prin-
cipe au commencement de ce chapitre (p. 44,1. Rien de plus simple,
en effet, que la structure de la fugue qui termine le Prélude, Choral
et Fugue de Franck. Nous en donnons ci-après l'analyse :
( Suj. Rép. Suj. Rép., à la Tonique {si) — i"r épisotle ;
I ' Rép. Suj. Rep., au Relatif ,RÉ\ — 2<; épisode;
^ Suj. par mouvement contraire (la, si) — 3« épisode ;
' Rép. à la Dominante (faZ) ;
1 Suj. (ré, sii>) — 4e épisode ;
) Suj. à la Tonique (si) — Grand énisode, ramenant les rythmes et mélo-
\ dies des morceaux précédents ;
( Suj. à la Tonique {si) combiné avec les deux autres éléments;
l Suj. à la 5oi(5-Z)()mi)M;i/(? (î"i) amenant la conclusion (41) etune coda.
On voit qu'à part quelques courtes excursions vers des tonalités peu
usitées dans le plan ordinaire de la Fugue, l'architecture générale
ne se trouve pas sensiblement modifiée, et que, malgré tout, cela reste
de la musique et de la belle musique !...
Dans le même ordre d'idées, nous ne pouvons quitter César Franck
sans signaler l'admirable parti qu'il tire du Canon dans un grand
nombre de ses œuvres. Cette forme, comme celle de la Fugue, lui est
familière et particulièrement agréable, à tel point qu'on pourrait
presque la considérer comme la signature du maitre.
Mais combien le canon de Franck difière du a7;/0H d'école! Jamais,
dans aucune de ses œuvres, la ligne mélodique destinée à l'imitation
canonique n'apparaii difforme ou torturée pour les besoins de la
cause; elle se déroule, au contraire, simple et naturelle en ses modu-
lations, et le canon s'y produit spontanément et comme par surcroît.
Voir, comme exemples de l'emploi de ce moyen musi:al, le canon de
la Fantaisie en UT, pour orgue, celui du Canlabile en s/, également pour
PÉRIODE MODERNE 99
orgue, les chœurs d'anges de Rédemption et enfin le finale de la Sonate
pour piano et violon, un vrai modelé du genre cyclique qu'on étudiera
au chapitre v,
Charles-Camille SAINT-SAËNS, nourri de Bach et des maîtres clas-
siques, est, lui aussi, un fervent de la Fugue ; mais l'emploi qu'il en fait
dans ses compositions procède moins de la manière expressive de
Beethoven et de César Franck, que de celle, plus conventionnelle et
plus froide, de Mendelssohn et des Allemands modernes. Outre d'ingé-
nieuses applications de cette forme dans son oratorio Le Déluge et dans
sa IIP Sj'mphonie, en ut. op. 78, il a écrit trois Préludes et Fugues,
op. 99, ainsi que tout un morceau de sa IP Symphonie, en la, op. 55,
strictement traité de cette manièie.
Les noms de Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Franck, Saint-Saëns,
qui terminent cette brève étude historique du rôle de la Fugue dans la
musique récente ou contemporaine, montrent assez que son influence
subsiste, même de nos jours, dans les oeuvres des meilleurs s\'mpho-
nistes. Encore n'avons-nous cité ici que les auteurs de véritables fugues,
de « fugues avouées », pourrions-nous dire.
Mais s'il eût fallu rechercher les traces de la « fugue occulte », c'est-
à-dire de celle qui, sans constituer une forme séparée, ou séparable,
fournit mille moyens musicaux, mis au service de compositions plus ou
moins vastes, ce sont les s3'mphonistes de toutes les écoles connues
qu'il eût fallu énumérer presque intégralement : depuis Rameau et
F. Couperin le Grand, avec leurs airs de Suite, si souvent écrits en
style canonique ou fugué, jusqu'à Gabriel Fauré, dont le récent
Quintette, entendu pour la première fois en 1905, otfre, dans son
Andante si séduisant, une véritable exposition de Fugue pleine d'émo-
tion tendre et de gracieuse mélancolie.
Ainsi, la Fugue vit toujours, si rares que soient encore ceux qui
osent en faire le titre d'une composition, même après l'exemple d'un
César Franck, dans son Prélude, Choral et Fugue.
Cette œuvre impérissable, monumenlum xre perennius, ne montre-
t-ellc pas, mieux que toute théorie, ce qu'on peut et doit attendre
encore aujourd'hui de la séculaire et vénérable Fugue, victime d'un
discrédit immérité dont la raison n'est peut-être pas aussi impéné-
trable qu'on pourrait le supposer.
Si l'usage de l'école n'avait pas réduit de nos jours le rôle de la
Fugue à ce ridicule emploi de problèmes de concours, proposés et résolus
chaque année pour la plus grande gloire de notre « mandarinat
occidental », on verrait éciore, sans doute, de jeunes et fraîches com-
positions en forme de fugues, largement traitées et musicalement
combinées, sur les bases tonales de nos cadences modernes, directes et
inverses, avec toutes les riches formules que met à leur disposition
l'harmonie contemporaine.
Et l'on pourrait affirmer qu'en ce cas,^tout au moins, l'art musical
n'aurait rien perdu.
f
II
LA SUITE
Technique. — i. Définitions. — 2. Origines de la Suite : les Chansons transcrites pour
instruments; la forme binaire inodulante ; le groupement des pièces. — 3. Le Mouvement
initial dans la Suite (type S). — 4. Le Mouvement Lent (type L). — 5. Le Mouvement
Modéré (type M). — 6. Le Mouvement Rapide (type R). — 7. Rôle de la forme Suite dans
la musique symphonique.
Historique. — S. Les Précurseurs de la forme Suite. — 9. La Suite proprement dite et la
Sonata da Caméra. — 10. Les Compositeurs Italiens. — u. Les Compositeurs Français. —
12. Les Compositeurs Allemands.
TECHNIQUE
I . DÉFINITIONS.
La Suite consiste en une série de pièces instrumentales, en forme de
danses (ou de chansons) de coupe binaire, se succédant les unes aux
autres dans un ordre logique de mouvements différents, et reliées entre
elles par une étroite parenté tonale.
La coupe binaire, qui caractérise le morceau de Suite et le différencie
de toute autre forme, consiste en une double modification progressive
de sa tonalité, allant, dans la première moitié du morceau, du ton prin-
cipal à un ton voisin, avec repos dans celui-ci (dominante ou relatif), —
et revenant, dans la seconde moitié, de ce ton voisin au ton principal,
dans lequel le dessin initial n'est jamais réexposé.
Chaque moitié du morceau de Suite se répète généralement deux
fois, à l'exécution ; et la plupart des danses dont le groupement constitue
la Suite, même si elles ne sont pas exactement conformes à cette coupe
binaire, présentent, soit des répétitions variées, dites Doubles, soit des
morceaux symétriques qualifiés àt Seconds (voir ci-après, p. 1 13 et 114).
D'où il suit qu'on doit regarder comme appartenant en propre à
la forme Suite le régime binaire, précurseur du régime ternaire qui
devait être l'apanage exclusif de la forme Sonate proprement dite,
(voir ci-après, cliap. m) et de ses succédanés, tandis que le système
uiiilai?-e CSX demeuré immuablement celui de la forme Fugue.
Ici apparaît la séparation définitive entre la famille Motet-Fugue,
sans descendance directe, et la famille Madrigal-Suite-Sonate, famille
puissante et féconde, qui occupe encore, relativement à notre art
symphonique, une place comparable à celle de la dynastie régnante
dans les monarchies (voir la figure ci-dessus, p. i3).
■f
2. ORIGINICS DE LA SLITE. — LES CHANSONS TmNSCRITES POUR INSTRUMENTS.
LA FORME BINAIRE MODULANTE. LE GROUPEMENT DES PIECES.
On a vu précédemment (chap. i, p. 20) par quelles sortes de sélections
successives dans les éléments appartenant au Motet et au Madrigal
s'était constitué peu à peu le type Fugue, rattaché au premier par la
plupart de ses caractères distinctifs, et au second par la généralisation
progressive de sa forme instrumentale.
L'élaboration du type Suite procéda sans doute par une série de
différenciations analogues, mais plus comple.xes, où le Madrigal, con-
trairement à ce qui s'était passé pour la Fugue, conserva l'influence
prépondérante.
Par là s'affirme encore la tendance divergente et pour ainsi dire
opposée de ces deux genres de composition : la Fugue, d'une part,
reliée au Motet par son^tavisme polyphonique, vocal et quasi-religieux;
la Suite, de l'autre, avec ses ascendances éminemment profanes,
remontant, par l'intermédiaire du Madrigal, à la danse et à la ctianson
populaire médiévale.
Cette longue et obscure période de gestation, commune à presque
toutes les formes symphoniques (i), la Fugue exceptée, semble n'avoir
abouti au type transitoire de la Suite, précurseur du type définitif de
la Sonate, qu'après trois états successifs, que nous allons essayer de
décrire brièvement.
I»"" État. Chansons à danser transcrites pour instruments. — D'après
les plus anciens documents, les chansons populaires furent, dès
la première époque, inséparables des danses (2), et ce sont ces vieilles
Chansons à danser, dont nous donnerons un exemple dans la section
historique du présent chapitre (p. 120), qui recèlent les plus loin-
(1) Ddtis la Seconde Partie Ju présent Livre, consacrée ii léiiidc des tormcs symphoniques
orchestrales, on verra que le Concert, le Concerto, la Symphonie proprement dite et la
Musique de (Chambre ont avec la Suite une communauté d'origine qui rend à peu près
impossible la délimitation exacte de leurs domaines respectifs.
(2) Voir I" liv., p. 83, et J. Ticrsol, La Chanson française.
ORIGINES 103
taines sources du grand courant musical de la Suite, de la Sonate et de
leurs innombrables dérivés. Car la danse, le geste rythmé, sont à l'ori-
gine de toute musique sjmphonique.
Transportés de la rue et de la campagne dans les châteaux ou les
palais, ces chansons abandonnèrent leur simplicité populaire mono-
dique, pour s'approprier, plusoumoins servilement, la riche polyphonie
en usage dans la musique d'église de la deuxième époque. Madrigaux
ou Chansons de Cour, ces aristocratiques compositions à plusieurs voix
ne tardent pas à être transcrites pour quelques violes, cornets ou trom-
bones, et même pour l'unique luth, seul instrument capable de repro-
duire grossièrement, sans le secours d'aucun autre, la polyphonie
profane.
Ainsi disparaissent les voix, ce pendant que les nécessités de la
danse et, peut-être, une impéritie plus grande des musiciens généra-
lisent l'emploi de la barre de mesure, symbole connu de la troisième
époque.
Nouveaux auxiliaires de l'art musical, les instruments exécutants se
comportent en envahisseurs: avec la décadence du Motet, ils ont déjà
pénétré dans l'église, pour renforcer les voix incertaines ou remplacer
les absentes ; mais ce rôle ne leur suffit plus : ils veulent se faire entendre
seuls, comme introducteurs à la Cantate (i) qu'ils devaient seulement
hier accompagner, et qu'ils feront taire demain, sous les débordements
profanes de leurs Concerts d'Église (2), antinomique appellation, par
où s'est fait absoudre, hélas ! jusqu'à nos jours, le plus abominable
« empiétement des laïques » sur la splendide liturgie chrétienne des
saint Ambroise et des saint Grégoire!
A mesure que cet usage de faire entendre les instruments seuls
s'établit définitivement dans l'art musical, on voit apparaître une
multitude de danses, différant par leurs noms plus encore que parleurs
rythmes ou leurs formes. Sans prétendre en donner ici une nomencla-
ture qui, du reste, ne saurait être ni complète ni indispensable, on
peut citer néanmoins, parmi les plus anciennes : la Boutade et le Passe-
mewo, auxquelles on attribuait, comme à toutes les autres, le quali-
ficatif de Toccata, parce qu'elles étaient jouées sur les touches, sur le
clapier, par des solistes le plus souvent.
Citons aussi, parmi les airs à danser alors en usage à la Cour, les
(i) Voir le Troisième Livre de ce Cours.
(j) Le Concert d'Église, comme les anciennes transcriptions instrumentales de madrigaux
à cinq voix, était écrit aussi à cinq parties : il a donné naissance à la Musique de Chambre.
au Concerto et à la Symphonie, plutôt qu'à la Suile et à la Sonate proprement dites. Son
étude complète figurera donc, avec celle des formes symphoniques orchestrales, dans la
Seconde Partie du présent Livre.
104 LA SUITE
noms de Branles simples. Branles gais (c'est-à-dire ai'ec gestes),
Basses-dances, Tourdions, Voltes, Courantes, Forlanes, etc.
Outre cette nomenclature hétéroclite, où la mode et l'engoue-
ment paraissent avoir eu une large part, il importe de signaler spécia-
lement la Pavane (à 2 temps) et la Gaillarde (à 3 temps), qu'on avait
déjà l'usage de faire entendre consécutivement l'une à l'autre, et dont
l'accouplement, devenu traditionnel, constitue la première tentative
de Suite.
Une place particulière doit être réservée aussi à la Can^ona, forme des
plus anciennes, qui participe à la fois de la Suite et de la Variation. La
Canzona consistait en deux pièces successives, dont la première conte-
nait l'exposition intégrale d'un long thème de chanson, en rythme
binaire, et la seconde, la réexpositiou du même thème à la même
tonalité, mais en forme variée et dans un rj'thme ternaire.
C'est donc à titre de juxtaposition unitonique de deux pièces diffé-
rant par leur rythme, comme la Pavane et la Gaillarde., que la Can\ona
mérite d'-.tre citée ici ; en tant que modification rythmique d'un thème
préexposé, elle a sa place marquée, avec ses contemporaines la P<755a-
caille et la Chaconne, parmi les ascendantes naturelles de la Variation
ornementale (voir ci-après, chap. vi). ^
2' Etat. — Apparition de la forme binaire modulante. — A l'exemple de
l'antique chanson dansée qui avait fait place à la musique de danse
sans paroles, celle-ci, devenue peu à peu plus expressive et plus musi-
cale, devait à son tour se transformer en une véritable musique de
danse sans danse.
Dans ce nouvel état des pièces qui concoururent à l'élaboration de la
Suite, on voit en effet la musique pure s'éloigner pour toujours de la
chorégraphie eff'ectiue, à laquelle l'Opéra naissant donne vers la même
époque, sous forme de Ballet [i), un asile définitif.
Mais, tandis que le Ballet gagne en luxe de décor et d'orchestre ce
qu'il perd en musicalité vraie, les airs de danse non dansés se font plus
intimes et plus modestes, sous le rapport des instruments de moins en
moins nombreux auxquels ils sont destinés : un ou deux généralement,
rarement trois, jamais davantage.
En même temps, leur forme se précise et s'astreint régulièrement
au type binaire modulant précédemment défini (p. 10 1). Le rythme
seul leur est fourni, comme leur titre, par quelque danse : encore, les
antinomies abondent-elles entre ce titre de convention ou de fantaisie et
(1) Le Ballet, danse chantée k l'origine, et devenue plus lard exclusivement instrumentale,
sera étudié dans le Troisième Livre de ce Cours. Son intime liaison avec la représentation
scénique l'a fait considérer comme inséparable des formes dramatiques proprement
dites.
ORIGINES 105
ce rythme d'autant plus déformé que la tradition des figures de danse
auxquelles il devait correspondre s'est oblitérée.
L'Allemande (à 4 temps), la Courante et la Sai-abande (à 3
temps), la Gigue (à 3/8) n'ont plus guère, pour les rattacher aux
danses dont elles portent les noms, que leur mesure et leur allure
générale.
Certaines pièces tout à fait mélodiques, appelées Aria (ou parfois
Entrée, Intrada, quand elles servent d'introduction) accusent plus
nettement encore cet abandon des véritables danses.
Cependant, le groupement de deux pièces consécutives, signalé déjà
à propos des formes Prélude et Fugue, Pavane et Gaillarde, Can\ona,
tend à se généraliser : toute pièce binaire est susceptible, comme
la Fugue, de recevoir un Prélude revêtu des mêmes qualifications
pompeuses [Préambule, Prœludium, Ouverture, Toccata, Phan-
tàsie, etc.) ; les couples de pièces, comme les Gavottes, Bourrées,
Rigaudons, procédant toujours par deux, ou les pièces alternées,
comme le Menuet et le Passepied, deviennent de plus en plus fré-
quentes ; et, tandis que pullulent les appellations indéterminées ou
exotiques (Burlesca, Scherzo, Cappriccio, Polonaise, Anglaise, Sici-
lienne), la plupart des compositions qu'elles désignent n'ont plus
avec les danses, leurs devancières, qu'une parenté chaque jour plus
incertaine.
L'avènement de ces formes nouvelles semble consacrer définitivement
dans la musique l'élimination du peuple, en tant que participant spon-
tanément par le geste rythmé à l'art symphonique, et, par voie de
conséquence, la spécialisation de cet art dans le domaine aristocratique,
où il se cantonnera d'autant plus, désormais, qu'il deviendra plus
abstrait et plus complexe. ■
3' Etat. — Groupement des pièces et organisation de la Suite proprement
dite. — A côté des groupements de deux pièces instrumentales, appa-
rurçjit bientôt des séries de pièces en nombre indéterminé (cinq, six,
sept et même davantage), soumises, au moins par l'ordre de leurs
mouvements, aux grands principes de symétrie régulière ou contras-
tante inhérents à toute manifestation d'art.
Mais, plus la Suite de morceaux, toujours binaires, s'organise, plus
les noms qu'elle porte deviennent imprécis ; et, tandis que le type
Suite (très antérieur, comme forme, à la succession de morceaux
constituant la Suite elle-même) y demeure à peu près immuable,
voici que le groupement des pièces prend indistinctement, dès
ses premières réalisations, les noms de Suite, Sonate, Ordre ou
Partita.
En Italie, le titre Sonata (i) est, de beaucoup, le plus employé;
originairement, il se rapporte à Vinstrumeut exécutant plutôt qu'à
la forme musicale : toute pièce pour instrument à archet est dite
Sonata (2).
En Allemagne, le mot Partita (Partie) est généralement affecté à des
œuvres pour clavecin, identiques de forme à celles que Couperin le Grand
désigne, en France, par le mot Ordre ; tandis que le mot Sonate, resté
conforme, dans notre pays, à son acception étymologique italienne,
s'applique aux Suites pour violon.
Le mot Suite semble avoir été adopté d'abord par des compositeurs
anglais, puis en Allemagne, concurremment avec celui dt Partita, par
J.-S. Bach.
L'autorité du maître d'Eisenach suffit à justifier l'acception géné-
rique que nous avons donnée au mot Suite, par opposition au mot
Sonate.
Du reste, bien avant l'apparition de la coupe ternaire spéciale à la
Sonate (voir ci-après, chap. m), ce terme avait pris déjà une signification
assez voisine de celle que nous lui avons attribuée définitivement.
Vers la fin de la longue période pendant laquelle coexistèrent la
Fugue, la Suite et la Sonate, ce dernier qualificatif désignait, de préfé-
rence, certaines Suites restreintes à trois ou quatre pièces, dont chacune
portait, au lieu de quelque nom fantaisiste de danse ou de chanson, la
simple indication du mouvement ou du sentiment expressif voulu par
l'auteur {Allegro, Andante, Presto, etc.) ; et ces signes distinctifs
demeurèrent, quant au nombre et à la désignation des pièces, ceux de
la Sonate, même postérieurement à la transformation fondamentale de
sa construction. Ces petites compositions en trois ou quatre mouve-
ments constituent donc des Sonates embryonnaires, plutôt que des
Suites restreintes : aussi, les examinerons-nous au chapitre suivant,
(i) A cette époque, les Italiens distinguaient deux sortes décompositions ditTërentes, sou»
le nom unique de Sonata :
a) La Sonata da Cliiesa (Sonate d'Église), pièce pour plusieurs instrutnenis récitants,
servant d'introduction à une pièce chantée (Cantala) et destinée à l'Eglise. Cette forme,
comme le Concerto da Cliiesa {Conccn d'Égliseï, participe plutôt aux origines de la Musique
de Chambre, dont il sera question dans la Seconde Partie du présent Livre;
b) La Sonata da Caméra (Sonate de Chambre), suite d'airs de danse (trois ou quatre tout
au plus), généralement de forme binaire, et destinés à un très peiit nombre d'instiuments
(trois au plus), qu'accompagnait la basse continue. C'est de cette dernière que sont issues
plus particulièrement la Suite et, plus tard, la Sonate proprement dite.
(3) Sonore, juoiiarf, signifie en italien ; produire un son à l'aide d'un archet ; d'nii, Sonata,
Sonate,
Toccare (littéralement: toucher) veut dire: produire un son à l'aide des touches ou du
clavier , d'où, Tocaata.
Cantare (chanter) signifie : produire un son à l'aide de la voix ; d'où, Cantala, Cantate.
Combien les acceptions étymologique! de ces trois mots devaient, avec le temps, s'ccarier
de leur précision origmclle 1
LE MOUVEMENT INITIAL (S) lo;
à titre d'origines de la Sonate ternaire propreinent dite, sans tenir
compte de la coupe binaire qui y apparaît encore très souvent.
En résumé, ce qui caractérise le groupement des morceaux de danse
appelés à former la Suite instrumentale, c'est, par définition: i° un
lien tonal rigoureux ; 2° un ordre logique de mouvements diflerents.
C'est-à-dire que :
1° les mouvements se succèdent tous dans la même tonalité, avec
alternance variable et irrégulière des modes majeur et mineur ;
1° les mouvements de deux morceaux consécutifs sont plutôt
contrastants : à un mouvement assez vif succède en général un mouve-
ment lent ; à celui-ci, un mouvement modéré, etc., et le mouvement du
finale d'une Suite est presque invariablement le plus rapide de tous.
Mais il ne résulte de ces deux principes aucune limitation du nombre
des morceaux dont se compose une Suite : nombre très variable, rare-
ment supérieur à huit ou neuf, jamais inférieur à quatre.
Toutefois, si le nombre des morceaux d'une Suite est indéterminé,
il n'en est pas de même du nombre des mouvements^ qu'on peut ramener
à quatre tj'pes assez nettement caractérisés par leur forme, leur vitesse
relative et leur ordre :
1° Le mouvement initial, ou type Suite (S) proprement dit, générale-
ment d'allure un peu vive ;
2" Le mouvement lent, type L ;
3" Le mouvement modéré, type M ;
4° Le mouvement rapide, type R.
Nous allons étudier séparément chacun de ces types constitutifs des
morceaux de la Suite instrumentale. .
3. LE MOUVEMENT INITIAL DANS LA SUITE, — TYPE S.
Dans toute Suite organisée, c'est-à-dire dans toute succession inten-
tionnelle de danses instrumentales appartenant à l'époque de la Suite
(Ordre, Partita, etc.), on remarque la présence d'une pièce principale,
qualifiée le plus s,oVi\Qnt Allemande, et qui, sauf de très rares excep-
tions, est revêtue des trois caractères suivants affectant son rang, sa
mesure et sa construction.
a) Rang de l'Allemande (ou type S), dans la Suite. — La pièce dite Alle-
mande, probablement en raison d'une analogie d'origine avec quelque
danse allemande, ou prétendue telle, est, en principe, initiale et par
conséquent unique de son espèce, dans une même Suite (i) ; elle occupe
(1) Dans les quelques Suites où il y a plusieurs Allemandes, l'une d'entre elles, la pre-
mière, est plus complète, plus intéressante ou plus soignée que les autres, dans sa construc-
donc, par définition, le premier rang, ou, si l'on préfère, la place
d'honneur, celle du chef dans un défilé d'apparat. Mais, de même que
cette place demeure \a première en valeur lorsqu'un personnage subor-
donné passe devant le chef pour lui frayer la route et rehausser son
prestige, ainsi, la pièce préalable qui, dans beaucoup de Suites, pré-
cède l'Allemande, lui sert seulement d'introductrice, et reste toujours
virtuellement soumise à sa suprématie (i).
b) Mesure et allure de l'Allemande. — La pièce initiale de la Suite est
écrite invariablement à quatre temps. Son mouvement, loin d'offrir la
même fixité, correspond en général à l'indication Allegro (mot dont la
signification se réfère au sentiment expressif de gaité, bien plus qu'à la
vitesse d'exécution).
c) Structure thématique et tonale de l'Allemande. — La coupe binaire.
— On a vu que la plupart des danses instrumentales avaient adopté,
bien avant leur groupement en Suite régulière, une construction
binaire spéciale, caractérisée principalement par deux modifications
progressives et complémentaires de la tonalité.
Il arrive parfois, dans une Suite, que certaines pièces conservent, aux
dépens de cette forme devenue traditionnelle, quelque ancienne coupe
de danse ou de chanson populaire un peu différente ; mais cette déro-
gation, moins rare dans les pièces de mouvement modéré dont nous
parlerons ci-après (p. 1 1 3), est sans exemple dans la pièce initiale, dont
la construction garde toujours sa symétrie rigoureuse et classique.
Aussi, doit-on considérer la forme de cette pièce initiale comme le type
Suite par excellence, contenant en germe le type Sonate, lequel
l'absorbera plus tard, après une série de modifications qui seront
étudiées au chapitre suivant (2).
Ce type Suite n'est qu'une extension du rythme binaire : ses deux
fragments constitutifs sont des temps agrandis, quelque arsis gigan-
tesque marquant Veffort (le temps léger, le levé), suivie d'une immense
thésis revenant au repos, comme le temps lourd, le frappé. L'ancien
lion : tant il est vrai que le principe énoncé par Ruskin (voir ci-dessus, Introd., p. 14^ est
universel.
Quant aux Suites sans aucune Allemande, ni aucune pièce qui en tienne lieu, elles sont à
peu près introuvables.
(i) Cette pièce « avant-première •. qui sert d'introduction à la pièce initiale d'une Suite,
présente la même indétermination de t'ormc et de nom que le Prélude de Fugue (voir ci-
dessut, chap. I, p. t)4) avec lequel elle se confond. C'est louiours un succédané plus ou
moins fantaisiste de la vieille cadence tonale, par laquelle l'exécutant ou l'improvisaieur
« se met dans le ton », avant de commencer.
( j) 1,'ahrcviation générique " type S » sera employée pour tous les états successifs deceile
forme Siiile-Sonaie qui, depuis près de trois siècles, a «urvécu ù toutes les évolutions «l
révolutions subies par la musique symphonique.
LE MOUVEMENT INITIAL 'S) ,09
verset de la psalmodie, avec son arrêt momentané au milieu et sa
cadence finale, la mélodie binaire (i), sont ses ancêtres indéniables, de
même que le fronton à deux pans (---^ ^) en offre une figuration
saisissante, dans l'ordre architectural.
La caractéristique commune à toute manifestation d'ordre binaire,
qu'elle soit geste, édifice ou musique, c'est l'effort de la première partie,
compensé par le repos de la seconde.
La pièce binaire obéit à cette immuable loi rj'thmique et mécanique
de la compensation : toute sa première moitié consiste en un effort
vers une tonalité voisine du point de départ. Or, on sait que tout
effort modulant s'oriente naturellement vers les quintes aiguës, en vertu
de la loi des quintes exposée précédemment (2). Ainsi s'explique la
modulation pratiquée dans la première partie de toute pièce binaire
identique de construction à cette Allemande de Domenico Scarlatti,
qui va nous servir d'exemple :
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les 23 mesures qui sont omises à cette place servent à confirmer de plus
en plus la tonalité de la dominante, où se termine la première partie du
morceau
(1) Voir I" liv., p. 41.
(ï) Voir 1" liv., chap. vm, p. i3o et i3i.
Cette cadence imparfaite au ton de la dominante ( i) marque l'achève-
ment de Varsis, du temps léger constitué par toute cette première
partie, dont la reprise intégrale est presque toujours indiquée dans
les pièces binaires. Leur dessin initial a rarement la physionomie
d'un véritable thème : ici, c'est un simple rythme uniforme que les
deux mains font entendre alternativement, sans l'interrompre jamais.
Quelle que puisse être sa richesse expressive dans d'autres pièces
analogues, ce dessin n'est jamais qu'une sorte de véhicule tonal, allant
de la tonique au ton voisin,
II s'agit maintenant de redescendre la pente gravie, de revenir à la
tonique, plus ou moins directement : ce but est atteint par la seconde
partie, qu'on reprend intégralement, comme la première.
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les iS mesures omises contiennent d'autres imitations modulantes, en
forme de marche harmonique par KÈ, mi, fa ;, suivies d'une descente diato-
nique aboutissant au ton principal :
partir de cette rentrée, les 17 mesures suivantes confirment de plus en
plus la tonalité de /..t, où reparaissent, pour terminer la seconde partie,
toutes les formules exposées en MI, à la fin de la première :
fi) Les musiciens de l'époque de la Suite semblent avoir pressenti l'inaplilude du V* dt^ré
de la gamme mineure à remplir la fonction Je dominante. Heaucoup de leurs pièces mi-
neures modulent, dans leur première partie, de la tonique au relatif majeur, au lieu
d'aboutir à la quinte supérieure.
i.r. \i()rvr\ii:.\r i.Kxr d.)
La cadence définitive à la tonique indique la fin de la t/iésis, du le»ips
lourd complétant la longue oscillation tonale effectuée par les deux
fragments consécutifs de toute pièce construite sur le tj'pe Suite.
On voit assez que ce système binaire est totalement différent du plan
unitaire de la Fugue, consistant en une série d'expositions d'un thème
unique et déterminé. Ici, le thème est à peu près absent, et le dessin,
plus ou moins précis, qui semblait en tenir lieu au début de la première
partie, ne reparaît jamais, dans la seconde, avec sa tonalité propre.
4. I.E MOUVEMENT LENT. — TYPE L.
f
La coupe binaire qu'on vient d'examiner appartenant indistinctement
à presque toutes les pièces de la Suite, la physionomie particulière de
la pièce lente (type L) ne se révèle pas dans sa structure thématique et
tonale identique à celle du tj'pc S, mais seulement dans son rang, son
mouvement et son style.
a) Rang de la pièce lente (type L). — C'est une simple raison de con-
traste ou d'équilibre qui détermine dans une Suite le rang de la pièce
lente : on la place en principe entre deux pièces d'allure beaucoup plus
vive ; et, comme la pièce initiale (type S) est plutôt mouvementée, une
pièce lente a sa place toute naturelle au second rang.
Mais si le second rang est en effet l'un des plus fréquemment occupés
par un morceau du type L, il est loin d'être le seul. Car le nombre des
pièces d'une Suite étant extrêmement variable, celui des pièces lentes
alternant avec des pièces du type M (voir ci-après, p. ii3 et suiv.),
varie proportionnellement.
b) Mesure et mouvement. — Toujours en raison de la loi des contrastes,
la mesure adoptée pour la plupart des morceaux lents est à trois temps;
quant à leur mouvement, il correspond aux indications, d'ailleurs fort
imprécises, Andante, Adagio, Largo, etc.
c) Style et rythme. — Le mouvement lent, dans la Suite, emprunte
très souvent le nom, le rythme et le style de quelque ancienne danse
solennelle et compassée, comme la Sarabande, la Courante ou la Sici-
"> LA SUITE
//eH;;e(i;i.On trouve aussi, sous le nom d'.4r/ci (air), des pièces lentes
sans parenté rythmique avec aucune danse, et caractérisées seulement
par la riche ornementation de leur ligne mélodique.
Le type L n'offrant aucune particularité de construction, c'est
seulement comme spécimen de style, et en raison de son inté-
rêt musical, que nous citons, ci-dessous, la première partie de
la charmante Sarabande de Rameau, intitulée lEntretien des
Muses (2).
Lent
(') La Sicilienne (à 6/H) est une des rares formes de mouvement lent avec mesure binaire;
mais elle demeure ternaire par la subdivision de chacun Je ses temps.
(1) 'eitc Sarabande fait partie Je la 6' Suite pour clavecin de J.-Ph. Rameau (Éd. Durand
et lils, p. bu), dont il sera question ci-après, p. 140, dans la tection historique.
I.F, MOr\KMF;NT MOI>KRi: r\i)
5. LE MOUVEMENT MODÉRÉ. TYPE M.
Parmi les airs de danse uon dansés qui constituèrent peu à peu la
forme Suite, les pièces de mouvement modéré (type M) ont conservé,
après toutes les autres, leur caractère originel : elles sont demeurées les
seules dansables, les seules dont les titres, empruntés pour la plupart
au vocabulaire des danses élégantes ou rustiques en honneur à cette
époque, coïncident réellement avec la forme rythmique et la coupe
même de chacune de ces danses.
Sans entrer dans une recherche minutieuse, et plus chorégraphique
que musicale, sur chacune de ces innombrables danses, nous n'avons à
faire connaître ici que leur rôle dans la Suite, leur allure particulière,
et certains modes d'adaptation spéciale du régime binaire à leur coupe
et à leurs répétitions.
a) Rôle et rang du type M dans la Suite. — La loi de contraste précé-
demment signalée fait placer de préférence le mouvement modéré entre
deux pièces plus lentes ; et, comme une même Suite contient généra-
lement plusieurs pièces appartenant aux types L et M, le rang du
tj'pe M doit être considéré en principe comme alternant avec celui du
type L. Toutefois, cet usage n'est point observé avec la même constance
CuUnS DE COMPOSITION. — T. Il, I . 8
que celui qui consiste à placer l'Allemande (S) au début et la pièce
rapide (R) à la fin.
b) Mesures, mouvement et allure du type M, — Les pièces de ce genre
étant des danses véritables (i) sont tantôt à deux ou quatre temps,
comme la Gavotte, la Musette, la Bourrée, etc., tantôt à /roîs, comme le
Menuet, le Passepied, la Loure, etc. Elles n'ont donc pas de mesure
propre. Quant à leur mouvement {Moderato, Allegretto, etc.), il ne peut
guère être défini que d'une manière relative, par rapport au type L,
dont il n'atttint jamais la lenteur, et au type R, toujours plus rapide.
c) Coupe particulière à certaines pièces du type M : les Doubles, les
Secondes danses, la forme Rondeau. — Chaque figure de danse étant en
général assez simple et exécutée plusieurs fois consécutivement par
différents couples, les airs correspondants étaient fort courts et se répé-
taient autant de fois que l'exigeait le nombre total des danseurs.
Pour remédier à la satiété qu'auraient entraînée les fastidieuses redites
d'un même thème, les compositeurs de Suites prirent l'habitude de
doubler leurs airs de danse.
Ces Doubles (2) constituaient à l'origine des reprises facultatives
indiquées par un signe: les exécutants exerçaient leur talent en ornant
ces reprises de toutes les fioritures et notes d'agrément suggérées par
leur bon goût... ou leur désir de briller, A cet « âge d'or » du Double
succéda l'inévitable empiétement du virtuose sur le musicien, de l'effet
sur l'expression, de l'acrobate sur l'artiste : véritable « âge d'argent »
contre lequel les compositeurs réagirent en écrivant eux-mêmes leurs
variantes, pour les protéger et en maintenir les traditions par la gra-
vure; c'est h cet « âge d'airain » que nous devons les immortels Doubles
des Rameau et des Couperin, précurseurs de la forme \'ariation, dont
il sera question ci-après (chap. vi).
A côté des Doubles ornés, et toujours pour remplir le même office, on
voit aussi apparaître les Secritdes danses {Second menuet, Secoide
gavotte, etc.), destinées à alterner avec la danse principale, qu'on répétait
toujours pour finir.
Enfin, cet usage de l'alternance des thèmes fait éclorc, en France, une
forme infiniment plus musicale : le Rondeau, où toutes les redites du
(i)En dehors des danses proprement dites, on rencontre parfois dans les Suites certains
morceaux d'allure modérée assimilables au type M, mais dépourvus de toute particularité
autre que la coupe binaire traditionnelle : tels le Cappriccio et le Scherzo, véritable amuse-
ment (en allemand Sclierjj musical, sans analogie avec la forme bien connue qui perpétua
ce nom dans la musique symphonique.
(3) Bien que le Double appartienne plutôt, dans la Suite, aux danses ilc mouvement
modéré (M;, on en rencontre aussi, de loin en loin, dans les danses lentes {l.). Sarabande,
Sicilienne, etc.
LE MOUVEMENT MODERE M) 115
thème principal sont séparées par des phrases modulantes, qui diffèrent
presque toutes les unes des autres. Qui ne reconnaîtrait, dans cette
forme si française, le refrain et les couplets de nos vieilles chansons ou
rondes populaires médiévales (i), reparaissant dans la musique instru-
mentale, après avoir doté la poésie légère de ces petites pièces si
gracieuses dont on a dit :
« Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté ? »
Certes, la musique peut à bon droit s'approprier ce vers, qui résume
à la fois les origines et le caractère de la forme Rondeau, appliquée,
dans notre pays, au temps de la Suite, à toute espèce de danse d'allure
modérée, et souvent même aux pièces rapides (type R) qui terminaient
les Suites françaises.
On verra plus loin (p. 1 38 et suiv.) l'usage fréquent que firent de cette
forme Rameau et le grand Couperin, auteur de l'exemple ci-dessous.
Cette Gavotte en Rondeau figure sous le titre VÉpineuse dans le
26' Ordre du célèbre claveciniste français.
ly COUPLET (8 mesures)
a la fin du Cou-
plel, on reprend
intégralement le
Refrain pour la
seconde fois.
(1) \oir l"" liv., chap. v. p. 90.
2? COUPLET (8 mesures I
.4
suivi de la iioisiciiw reprise du rcjrjiii
3? COUPLET (18 mesures
suivi de la quatrième reprise du Refrain.
Le 4» Couplet mérite d'être cité en entier ; il contient tout un petit Rondeau
enclavé dans le grand :
4? COUPLET (16 mesures)
L'ne cinquième et dernière reprise du Refrain principal en fa S mineur
termine ce pctii modèle si intéressant de la coupe Rondeau.
LE MOUVEMENT RAPIDE |R)
6. LE MOUVEMKNT RAPI
TYPE R.
La pièce qui termine la Suite est presque invariablement la plus
rapide de toutes. Cet usage de l'accroissement d'agogique vers la fin
paraît provenir d'une sorte d'instinct expressif assez général, qui se
manifeste dans beaucoup de formes symphoniques.
Cette pièce du type R, qui, sauf de rares exceptions, occupe le
dernier rang dans une Suite organisée, porte le nom de Gigue : c'est
une danse d'allure très vive, dont la mesure, de quelque manière qu'on
l'écrive, a pour caractère spécial la décomposition des temps en trio-
lets (i). Quant à la construction de la Gigue, elle est conforme à la coupe
binaire modulante que nous avons étudiée ci-dessus (p. io8 et suiv.), à
propos de la pièce initiale du type S (2).
La Gigue complète donc, en raison de sa rapidité plus grande, l'ordre
logique des mouvements, principe premier de la Suite, magistralement
appliqué par J.-S. Bach, dans ses œuvres, auxquelles nous empruntons
l'exemple ci-après, tiré de la Gigue finale de la /" Partita en si \> (3).
Cette Gigue rappelle tout à fait, par ses perpétuels croisements de
main, le style des Italiens et notamment celui de D. Scarlatti.
(i", Les principales mesures de Gigue sont : -|-, -J-, -|-, -f-, ■%■, ^, ^. f|, etc., c'est-à-dire
toujours susceptibles d'une subdivision /friiaire des temps. De la vient, sans doute, le nom
de Tripla, que certains auteurs, notammeni J.-H. Schcin (voir ci-après, p. 143), appliquè-
rent k la Gigue, en souvenir de l'ancienne expression proportio tripla, employée par les
mensuralistes dans un sens analogue.
(2) Dans les Suites d'auteurs français, on trouve aussi des Gigues en forme de Rondeau.
(3) Ces seize mesures se trouvent identiquement reproduites dans l'air d'entrée du
IV" acte d'Iphigénie eu Tauride de Glucl; : « Je t'implore et je tremble ». — Les œuvres de
Bach étant fort peu répandues à l'époque où Gluck écrivait ses opéras, ce fait semble assez
diflicilcment explicable.
7- nÔLE nr, la forme slmte dans la misique svmphonique.
La coupe binaire modulante et la juxtaposition de pièces différentes
sont, en définitive, les seuls caractères à peu près constants dans la
forme transitoire de la Suite. Mais de ces deux signes distinctifs, le
premier n'a pour ainsi dire pas laissé de traces dans les formes musi-
cales postérieures.
Après avoir coexisté longtemps avec \a forme ternaire des premières
sonates, la coupe binaire, en ellet, s'efface complètement devant cette
construction nouvelle plus stable, plus féconde et infiniment mieux
équilibrée.
Au contraire, le principe de la Juxtaposition des airs, adopté peu à
peu par la Suite instrumentale, devait réagir profondément sur une
foule d'autres formes symphoniques. Ne devait-il pas aboutir en effet,
après des étapes successives, au cycle de pièces différentes quoique
dépendantes les unes des autres, c'est-à-dire à l'une des plus belles
applications, dans le domaine musical, de la loi d'unité dans la variété
qui réj^it toute esthétique ?
Pressentie par Beethoven, réalisée par César Franck, la conception
cyclique est à la base de toute œuvre svmphonique de quelque enver-
gure : nous en retrouverons la tradition constante dans la Sonate,
LRS PRECURSEURS 119
comme dans toutes les formes appartenant à la famille du Madrigal
accompagné (Musique de Chambre, Symphonie, etc.).
En dehors de cette lignée légitime où se perfectionne, de génération
en génération, le s3-stème ternaire inauguré par la forme Sonate et la
cohérence des morceaux juxtaposés, la forme Suite n'a guère survécu
que dans quelques types, plus ou moins abâtardis, où demeurent, à l'état
de routine irraisonnée, quelques vestiges de la construction tradition-
nelle.
Si, par exemple, on retrouve dans les ballets (i) les formes de
quelques danses de cour, ayant abandonné les lumières étincelantes des
palais pour les feux moins nobles de la rampe, cette métamorphose
entraînera bien vite l'oubli de tout principe d'unité tonale, et les airs
de ballet se succéderont sans nul souci de l'ancien « ordre logique » des
belles Suites instrumentales.
Plus tard aussi, le nom de Suite sera donné par quelques composi-
teurs à des œuvres pour orchestre, que leur caractère descriptif ou
pittoresque rattache plutôt au Poème Symphonique et à la Fantaisie (2),
à moins que leur construction ne soit en réalité celle des véritables
Symphonies.
Enfin, à part quelques très rares tentatives de Suites pour piano, ou
pour violon, offrant par l'instrument exécutant, sinon par la forme, plus
d'analogie que les précédentes avec la Suite proprement dite, ce genre
immortalisé, en Italie par D. Scarlatti, en France par Couperin et
Rameau, en Allemagne par J.-S. Bach, semble avoir totalement
disparu, après l'admirable floraison des xvii' et xviii" siècles, dont nous
allons étudier l'histoire.
?
HISTORIQUE
8. LES PRÉCURSEURS DE LA FORME SUITE.
Longtemps avant que les instruments se fussent emparés du riche
trésor mélodique que leur offrait la Chanson et la Danse populaires
pour en faire l'un des principaux éléments des fêtes princières et
aristocratiques, les jongleurs qui parcouraient la France, et particu-
lièrement nos provinces méridionales, avaient coutume de jouer des
Chansons à danser, sur lesquelles trouvères et troubadours « paro-
diaient » le plus souvent leurs poétiques improvisations.
(i) Voir le Troisième Livre du Cours de Composition.
(2) Voir, dans la Seconde Partie du présent Livre, le chapitre consacré à ces formes.
Telle, cette estanipldade baladins, que le troubadour cévenol Rambaut
de Vaqueirasji) illustra de ses vers d'amour en l'honneur de Monna
Béatrice de Savone, sœur de Guillaume des Baux, prince d'Orange (2):
Ka . len.da Ma . ja, Ni fuels de fa . ya, Ni chaDzd'HU.
. zel, ni flors de gla . ya; Non esquerapla . ya, Fras Domna ga
.va, Tra qu'un is . nel mes . sagier a ya;- Del. vostre bel
lors quem te.lra.\a, Pla . zer oovel qu'/Vmors m'a.tra . ya ;
K cha.ya, de pla.ya l'gé . tous a«s quem dVs . traya.
En i5î)4, l'imprimeur Attaignant publiait six livres de danses popu-
laires (branles simples, branles gais, basses-dauces, tourdions, passe-
7}ie:{'{e), transcrites pour les violes, à quatre et cinq parties, par Claude
Gervaize. Le tourdion ci-dessous, extrait de ce recueil, est intéressant
comme structure, en ce qu'il affecte déjà la forme Suite, avec son
repos médian modulant à la dominante inverse (sol) du ton de ré
mineur, \" mode
(1) Vaquciras, maintcn'>nt Vachères, est une petite localité sito<?e sur les confins du \'iva-
rais et du Velay, et munie d'un curieux ch&icau féodal.
(î) Voir, sur cetie estamfida, l'intéressante étude historique et critique de M. i'icrrc Aubry,
dans la Reyiie .Uuiicc/e du i5 juin 1904, page 307.
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D'autre part, nous rencontrons, encore en France, sous le titre
d'Orchésographie, un important traité où les danses en usage au
xvi" siècle sont minutieusement décrites. Ce traité, publié en ibSg, et
plusieurs fois réimprimé, a pour auteur un chanoine de l'officialité de
Langres, Anthoine Tabourot, plus connu sous le pseudonyme ana-
grarnniati^ue de Thoinot Arbeau.
Enfin, dès les dernières années du xvi« siècle, les luthistes français
avaient déjà adopté la dénomination de Suite pour désigner plusieurs
danses susceptibles d'êtres jouées et dansées sans interruption.
Parmi les compositeurs italiens qui s'adonnèrent plus particulière-
ment à la transcription instrumentale des danses et chansons popu-
laires, voici les noms de ceux chez lesquels on peut trouver les plus
utiles documents : IV/
Francesco da MILANO, qui arrangea pour le luth la Bataille de
Marignanet le Chaii! Jes oiseaux de Clément Janequin (i536), et qui
publia, en i bG^, des Can-yOnc et Passeme^^^e pour le même instrument.
Melchior de BARBERIS, luthiste également, et auteur de dix livres de
transcriptions pour un ou deux luths, ou pour la guitare à sept cordes,
d'après des chansons françaises, pavanes, saltarelles, madrigaux, mo-
tets, et même d'après une messe Ave Maria d'un auteur contemporain.
LA SUIIE
Nous donnons ici un exemple de deux pièces, Pavane et Saltarelle (i),
écrites sur le même thème avec changement de rythme et faites pour
être jouées à la suite Vune de l'autre, ce qui constitue, nous l'avons vu,
le principe de la Caniona :
Liuti)
Andréa QABRIELI (i 3 lo f i 586) et son neveu, Giovanni QABRIELI
(i557 t ibi3), dont on publia en 1671, 1593 et ibgb, nombre de
pièces : Chansons françaises, Toccate et Sonates pour l'orgue.
Florenzio MASCHERA, qui fit paraître en i582 des Can'^oni pour
quatre instruments, manifestement dérivés de l'écriture madrigalesque :
ils offrent en effet cette singularité de porter, non des titres de danses,
mais des dénominations fantaisistes, comme nous en rencontrerons
plus tard de très nombreux exemples chez les clavecinistes français.
Ainsi, la Martinenga, la Maggia, la DiiranJa, la Rasa, {'AueroLia,
(1) Saltiirello, romanesca et fra/^liarda se disaient, au xvi» siècle, de la pièce ijui faisait
généralement corps avec la l'avana.
LES PRECURSEURS 133
YUp^giera, la Gtrella, la Villachiara, la Foresta, empruntent la plupart
de leurs noms à ceux de familles notables de la ville de Brescia, où
Alaschera occupait le poste d'ort^aniste de la cathédrale.
Giacomo Gastoldi da CARAVAQGIO, qui publia en ibg\ des Ballelli a
cantare, suonare e ballare, ornés de titres qui rappellent aussi ceux
des pièces de notre Couperin, comme par exemple : il bel amore, l'amor
fillorioso, la siretta, il martellato, etc.
Floriano CANALI, auteur de nombreuses Canione pour instruments,
écrites jusqu'à huit parties, parmi lesquelles la Baliana^ suite de deux
pièces de rythmes différents, (^ et 3/2.
Salomon ROSSI (iSyo f 1023), rabbin de Mantoue, le seul israélite
que Ton rencontre dans l'histoire de la musique au cours des deux
premières époques. Outre des Cantiques hébreux et des Madrigaux
italiens, il écrivit des Chansons françaises. Sinfonie^ Gag-liarde e Ballelli,
dont nous donnons ci-après un spécimen.
Balletto (iHOl) (
per tre vio'e /
da b race 10 \
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Ritorneilo
Contrairement à l'usage de son temps, Rossi désignait volontiers les
instruments qui devaient exécuter ses pièces, en ajoutant l'indication
(combien pratique !) des autres instruments qui pouvaient indiff'érem-
ment leur être substitués, par exemple : Sinfoiiie espressamente scrilte
per due viole [ovvero duo cornetli] e un chittarone (0 altro iiistrumento di
corpo).
134 LA SUITE
Un peu plus tard la Danse de cour, provenant de la transcription
pour le luth ou les instruments à clavier de pièces vocales en vogue,
trouva un intense foyer de propagation en Angleterre, dès la première
moitié du xvn" siècle. Innombrables sont les pièces transcrites ou les
danses originales isolées que l'on trouve dans les manuscrits ou im-
primés anglais de ce temps, livres de virginale, de clavicorde ou tabla-
tures de luth.
William BYRD (iSSSfiôîS) (voir ci-dessus, page 71), John BULL
( 1 563 1 162b), organiste de la cathédrale d'Hereford, puis d'Anvers, et
Orlando GIBBONS (i 583 f 1025), organiste de la chapelle royale sous
Charles I", furent les principaux représentants de ce genre de musique.
Un recueil de danses et fantaisies pour virginale, contenant des
pièces de Gibbons, Byrd et Blow, fut gravé en 1611 sous le titre de
Parthenia. ^
9. LA SUITK PROPREMENT DITE KT LA SONATA DA CAMERA.
Dès le milieu du xvn* siècle, le principe de la Suite de Danses était
établi et la forme Z^ma/re absolument fixée. Si la Chaconne et la Passa-
caille ont encore persisté jusque vers la fin du siècle suivant, la plupart
des autres pièces isolées sont tombées en désuétude, tandis que l'im-
' u^^ Pe4A^portante et féconde forme du Rondeau français prenait naissance.
... .. ■■■ L j ,- Sous les diverses dénominations de Sonate, Ordre, Suite, Exercice ou
Partie, c'est toujours à la Suite que nous avons affaire, jusqu'à la
fixation de la forme ternaire dans le Sonate italienne de Corelli.
De même que pour la Fugue, nous classerons par nationalité les
compositeurs de Suites.
En ce qui regarde l'Italie, les mêmes noms, ou à peu près, reviendront
sous notre plume; mais il n'en sera pas de même pour la France et
l'Allemagne, où, à part Bach, génie universel, nous n'aurons guère à
citer que des noms nouveaux : dans ces pays, en effet, la plupart des
organistes s'étaient spécialisés dans la Fugue et la musique religieuse
vocale.
10. LES COMPOSITEIRS ITALIENS.,
GiROLAMO Frescobaldi I 583 f 1644
* MicHiiLANGELO Rossi iSg. f 16..
B1AG10 Marini 1^99 t '^60
Giovanni Legrenzi 1625 f 1690
. \ Bernardo Pasquini 1637 t 1710
V(^I^''^ J ?\ Giovanni Maria BoNONCiNi. . . . i()4o f 1678
0'
les italiens
Giovanni Battista \'itai.i. .
GlUSEPPE TORELLI
DOMENICO ZiPOLI
EVARISTA FeLICE DALl'AbACO.
DoMENlCO ScARLATTI.
1644 f 1692
164? t l 708
16.. f 17..
16.. t 17..
i683 t 1760
Qirolamo FRESCOBALDI (voir ci-dessus, p, 68) est aussi important
au point de vue de la formation de la Suite qu'à celui du développe-
ment de la forme Fugue. Son style était double et essentiellement
différent dans la toccata et dans le ricercar. On n'a, pour s'en rendre
compte, qu'à lire ses ouvrages, tous d'un grand intérêt en raison de
cette diversité de style que l'on retrouvera plus tard chez Bach.
Outre les Toccate e partite de 161 5 et les Fiori tmisicali, Fres-
cobaldi publia, en 1624, plusieurs Suites de pièces sur des airs
populaires connus, intitulées Cappricci da sonares opra diversi sog-getti;
quatre livres de Can\oni alla fraucese dans le premier desquels on
rencontre deux Toccate, l'une pour violon et épinette, l'autre pour luth
ou violon; enfin, en 1637, parut chez Nicolas Borbone, à Rome, un
second livre de Toccate contenant un grand nombre de Courantes,
Balletti, Chaconties et Passacailles pour orgue ou clavicorde.
Ce second livre est particulièrement intéressant en ce que la pré-
face contient de minutieuses indications de Frescobaldi lui-même sur
la façon d'interpréter ses œuvres ; l'auteur y exprime la crainte d'être ^
joué « en mesure » et sans expression. Contrairement à ce que l'on
enseigne généralement pour l'interprétation de sa musique, il y
réclame un perpétuel flottement de rythme, ce qu'on est convenu
d'appeler, depuis Chopin, tempo riibato.
Ces indications confirment une fois de plus cette vérité qu'aucune
musique ne doit être présentée de façon inexpressive, ce qui serait
contraire au but réel de l'art.
Michelangelo ROSSI, organiste, établi à Rome, fit paraître, en 1657,
un recueil de Toccate et de Courantes d'un grand intérêt au point de
vue de l'invention mélodique.
Biagio MARINI, né à Brescia, mort à Padoue après avoir été au service
de divers princes allemands, est réputé avoir été le premier en
Italie à publier àts Suites pour le violon seul [Affetti musicali, 1617),
et à adopter pour ses œuvres à plusieurs instruments, notamment son
op. 22 (i655), le titre Sonata da Caméra.
Giovanni LEORENZI, d'abord organiste à Bergame, devint directeur
du Conservatoire dei Mendicanti, à Venise, et maître de chapelle de
Saint-Marc. Ses Sojiate da Camcra sont de véritables Suites à quatre
instruments. II publia cependant, en i(382, des Sonates pour deux
violons et basse continue.
Bernardo PASQUINI (voir ci-dessus, p. 70) publia, en 1697, un livre
de Toccate et Can\oni pour orgue, ainsi que des Sonates en forme de
Suite, à trois mouvements, pour gravicembalo, sans compter plusieurs
Sonates pour deux clavicordes.
Nous donnons ci-après les principaux passages d'une intéressante
Cau\one pour clavicorde dans laquelle on remarquera la richesse et la
diversité des rythmes ternaires :
Canzone francese
\h -r — ^^^
F^
Ai^
rJ3V-^
^
-F — T' r r
4^
Dans la deuxieiart
partie de la pièce,
le même thème so
présente, rythme ainsi
LES ITALIENS
Voici enfin la
terininaison de
cette Canzone
Giovanni Maria BONONCINI, organiste de Modène, écrivit plusieurs
livres de Sonates pour deux violons (1666) et un volume intitulé
Varii fiori del Giardino musicale, ovvero Sonate da Caméra (i66qj;
dans ces œuvres traitées en forme Suite apparaissent, pour la première
fois en Italie, les danses dites Gavotte et Gigue.
Giovanni Battista VITALI, de Crémone, occupa jusqu'à sa mort le
poste de second maître de chapelle du duc de Modène. On connaît de
ce compositeur deux recueils de Balletti, Correiiti, etc., pour violon
et épinette (1 668- 1678), et deux livres de Sonate da Caméra pour deux
violons et basse continue.
La construction de ces pièces, bien que de forme binaire, est assez
analogue à celle de la Sonate chez Corelli ; la 1 i' Sonate notamment
est ainsi établie '.Introduction grave. Prestissimo, Allegro, Largo.
Voici le commencement d'une Passacaille de Vitali, qui fut publiée
Tannée de sa mort {1692) et qui présente un style d'imitation plus in-
téressant et plus soutenu que celui de beaucoup de ses contemporains :
t'as.saga'llo c/ie pi mopia per B molle e f'inisce per dtes
Viol in o
B C.
«—■ *— — ^^^ m » • . ^g^ -J-^ ' ' : I ~ ::::^^ I
I Jl Ji^iz^p^: 1^ I - I I — — — I J I f» m —
LA SUITE
Oiuseppe TORELLI, né à Vérone, s'établit comme Concertmeister
de la musique du Margrave à Anspach et mourut dans cette ville. Il
écrivit plusieurs « Sonates à trois » et un recueil de Cappricci da
Cavtera pour violon et viole.
Domenico ZIPOLI (voir ci-dessus, p. 70) ; fut l'un des meilleurs maîtres
italiens au point de vue de la musicalité et de l'élégance de l'écriture ;
ses qualités de contrapontiste pourraient le rattacher à la filiation
Frescobaldi, Pachelbel, Bach.
Zipoli laissa deux livresde pièces pour orgue; le premier, qui consiste
surtout en pièces détachées, contient une Canione sur un thème qu'on
pourrait qualifier « d'éminemment français » :
Canzona _ Alltgro
Le second livre est un recueil de Suites ou Sonates consistant géné-
ralement en trois mouvements : Corrente, Sarabauda, Aria, précédés
d'un Prélude.
Nous donnons ci-après la conclusion d'une longue Pastorale en UT,
au cours de laquelle Zipoli se laisse complaisamment aller à sa verve
mélodique :
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LES ITALIENS
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Evarista Felice dall'ABACO, né à Vérone, devint, en 1725, maître de
chapelle de l'électeur de Bavière. Il publia, en 171 5 et 1730, un certain
nombre de Sonates de Chambre pour deux violons et basse continue,
qui offrent de curieuses et originales recherches de dessins mélo-
diques et sont vraiment en avance sur leur époque.
Ses Suites en Sonates sont toutes établies ainsi : Largo, Allemande,
Sarabande et Gigue ; on peut donc considérer dalTAbaco comme
ayant fixé pour la forme Suite l'ordre des pièces qui devait plus tard
subsister dans la Sonate moderne avec introduction.
Domenico SCARLATTI naquit à Naples et séjourna d'abord à Madrid
en qualité de maître de clavecin de la princesse des Asturies ; puis,
après avoir voyagé dans toute l'Europe et être resté quelque temps à
Rome où il connut Haendel, il retourna de nouveau en Espagne,
en 1729, et y resta jusqu'à sa mort.
Domenico Scarlatti fut sans contredit le plus important des composi-
teurs italiens dans l'ordre de la musique instrumentale et surtout de la
Suite. Sa fécondité et son exubérance toute méridionale n'excluent
jamais de ses œuvres l'intérêt musical. Un instinct merveilleux lui
fait même esquisser parfois certaines modifications de forme dont
la réalisation complète devait être assez postérieure. Ainsi, au cours
Cours de composition. — t. ii, i. g
130 LA suriE
de plusieurs de ses Sonates, sa verve mélodique fait surgir de la ma-
nière la plus inattendue une sorte de second thème, innovation qui
ne devait atteindre toute sa plénitude que sous la plume de Philippe-
Emmanuel Bach.
Chose curieuse, les œuvres les plus remarquables de Scarlatti ne
furent point des Suites, et nulle part cependant, mieux que dans ses
pièces isolées, la forme Suite n'apparaît plus clairement et plus logique-
ment établie. Il fut vraiment le créateur le plus intéressant de toute
cette époque italienne, au triple point de vuede la musique enelle-même,
delà forme et de la disposition instrumentale. Ses Sonates, en un seul
mouvement, sont construites en forme binaire, avec modulation mé-
diane à la dominante ou au relatif ; les thèmes en sont alertes et pleins
d'ingénieuses trouvailles mélodiques. L'écriture, si personnelle et si
spéciale qu'on ne saurait confondre une pièce de Scarlatti avec aucune
autre, offre à l'exécutant des difficultés techniques so'uvent embarras-
santes, même pour les virtuoses du moderne Concerto.
Les œuvres innombrables de D. Scarlatti (i) ne sont point toutes
connues; les pianistes s'en tiennent d'ordinaire aux seize pièces arran-
gées ou plutôt dérangées par Hansvon Biilow, que l'on ne saurait trop
signaler à la réprobation des vrais musiciens.
Dans son édition des œuvres de Scarlatti, Buiow se permet souvent
de substituer des thèmes et des harmonies de sa façon à la fine et
élégante écriture du maître italien, transformant ainsi le brillant et
léger babillage napolitain en un lourd et indigeste pathos, éminemment
germanique. De tels actes de vandalisme sont d'ailleurs fréquents chez
les Allemands, et nous en aurons d'autres à signaler dans le courant de
cet ouvrage.
Les principales œuvres de D. Scarlatti consistent en deux recueils
de Sonates pour clavecin, publiés à Venise; douze Sonates, publiées à
Nuremberg ; quarante-deux Suites pour clavecin ou violon ; enfin,
soixante Sonates, actacllenicnt éditées d'après leur texte original par
la maison Breitkopf.
Ces soixante pièces parurent d'abord en deux livres; le premier, dédié
au roi de Portugal Jean le Juste, fut imprimé en 1721 sous le titre
3o Cappricci per Cembalo, puis, dans une seconde édition, avec la
mention 3o Esserci\i per Graricembalo ; le même recueil parut dans
diverses maisons d'Allemagne et des Pays-Bas sous la dénomination
de Le\iom ou Suites, et enfin, lorsque le second livre, composé pour la
majeure partie en 1730, fut adjoint au premier, les pièces furent inti-
|i) l.'abbé Sintini com)}tail dans !u collection trois ccut quaraiitencul manuscrits de ce
crmpositcur.
LES ITALIENS l'ji
tulées Sonates ; mais, comme nous l'avons dit, chacune de ces Sonates
ne comporte qu'un seul mouvement, disposition rare à cette époque,
en Italie.
Nous citerons ici, parmi ces Sonates de forme Suite, celles qui offrent
le plus d'intérêt musical : C;;:^
S' Sonate ; Sarabande en sol d'un dessin mélodique absolument
séduisant et extrêmement varié, malgré l'accentuation ininterrompue du
rythme. L'inflexion médiane se fait au ton de la dominante, ré, avec
repos à la ti erce picarde (i) de ce ton, contrairement aux habitudes de
l'époque (2) ;
() Sonate ; Gigue en re
présentant, à la fin de la première partie, une esquisse de second
thème :
(i)On appelait ainsi, au xvni« siècle, la tierce majeure substituée à celle de la tonique
dans un passage écrit en mode mineur.
(5) On remarquera dans cette Sonate, comme dans la suivante, l'absence, à la clef, du
dernier bémol de la tonalité. Cette disposition persista j isqu'aux dernières années
du xviii" siècle, par analogie avec l'habitude, prise à l'époque du contrepoint vocal, de ne
jamais mentionner l'altération du vu» degré autrement que par un signe accidentel au
courani de la pièce.
LA SUITE
cette disposition, tout à fait inusitée à l'époque, ne se rencontre pas
encore, même dans la première période de l'histoire de la Sonate.
Le commencement de la seconde partie, au lieu de reproduire le
dessin initial à une autre tonalité, devient ici un développement
rythmique des trois premières notes de ce second thème.
i3' Sonate ; Allemande en sol
contenant aussi un second thème expressii à la dominante
pièce d'allure bien italienne, où chacune des deux parties se termine
sur la formule de cadence si abusivement employée au xix' siècle par
les compositeurs d'opéras italiens et français, qui en ont fait un atroce
lieu commun, tandis qu'elle était ici seulement pimpante et spirituelle,
ly' Sonate ; Gavotte en fa
cxiréineiiient intéressante par la liberté de sa mélodie qui présente des
LES ITALIENS 13?
séries de périodes construites, non pas symétriquement comme chez
Mozart et ses contemporains, mais tantôt à deux, à quatre et même à
trois mesures, vestiges des rytlimes grégoriens disparus au xviii" siècle
pour renaître en nos temps modernes.
29' Sonate ; Allemande en RÉ, avec un second thème fragmenté à la
dominante mineure \ cène disposition, qu'on retrouvera dans les œuvres
de Mozart et même de Beethoven, est sans exemple chez Bach et les
autres contemporains de Scarlatti.
Ce premier recueil se termine par la célèbre fugue dite du chat.
Dans le second livre :
32' Sonate; c'est une Gigue en UT, où se trouve réalisée, au lieu de
la forme binaire modulante de la Suite, la structure ternaire complète
de la Sonate, telle que nous la trouverons établie chez Corelli et ses
successeurs. Le premier thème
f
reparaît intégralement dans la seconde partie, exception des plus rares
dans l'œuvre de Scarlatti, et que nous tenons, pour cette raison même,
à signaler.
34' Sonate ; Burlesca en sol, de rythme constant, mais fort intéres-
sante en dépit de sa monotonie.
38* Sonate ; Gigue en Ff:,
sorte d'air de chasse, remarquable surtout par l'oscillation persistante
entre les modes majeur et mineur qui caractérise l'exposition du
second thème ; le mouvement rapide de cette Gigue et les effrayants
soubresauts de la main gauche, obligée de piquer vivement unetonique
au-dessus de la main droite pour retourner immédiatement à la domi-
nante grave, en rendent l'exécution des plus difficiles.
40' Sonate; Gigue en sol qui ne le cède en rien à la précédente pour
la vivacité d'allure et la liberté de coupe de ses périodes, rythmées
tantôt à trois, tantôt à quatre mesures :
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47* Sonate ; Allemande en L/i, type de la pièce de forme Suite. -Nous
en avons donné l'analyse dans la partie technique de ce chapitre (voir
ci-dessus, p. 109 et 1 10).
48* Sonate; Sarabande en ré, l'une des plus séduisantes pièces du
recueil. Après une entrée en imitations d'une grande noblesse de style,
vient s'imposer un dessin mélodique qui dominera les deux parties
et donnei'a nicinc naissance à un second thème
LES ITALIENS ,^,
le rôle de celui-ci devient si important que le dessin initial disparaît
définitivement au commencement de la seconde partie et fait place à
un véritable développement rythmique.
bi' Sonate ; Sarabaude en .^/ b, curieuse par ses modulations inatten-
dues et ses arrêts brusques sur une sorte d'ornement, comme le st3-le
du luth en offre de fréquents exemples.
52" Sonate ; Allemande en si ^< présentant cette particularité que la
modulation médiane s'y opère au relatif mineur.
54' Sonate ; Gipiie en l'A :
le commencement de la seconde partie donne une altération mélo-
dique du motif initial, tout en conservant le rythme intact :
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58' Sonate ; Menuet en sol, avec un développement curieux au
point de vue tonal.
59* Sonate ; Gigue en sol, présentant une écriture espacée bien par
ticulière à Scarlatti :
6n' Sonate ; Bourrée en s/,
i-?6 LA SUITE
pièce bien connue, offrant un véritable second thème au ton relatif:
cette bourrée clôt la série des soixante Sonates ou Esserciii ; elle est
datée du palais d'Aranjuez, 1754, et donne conséquemment au premier
recueil une antériorité de trente ans environ sur les dernières pièces
du second.
En résumé, la Suite de danses italiennes, synthétisée par le style de
D. Scarlatti, a pour caractéristiques : la liberté absolue du rythme
mélodique ; l'usage fréquent du changement de mode sur la même
tonique, usage qui se retrouvera dans la Suite française à l'exclusion
de la Suite allemande ; la répétition de certaines périodes arrivant par-
fois jusqu'à l'effet comique ; enfin, l'emploi bien particulier du croise-
ment des deux mains (souvent dangereux, surtout dans les passages
rapides). Chez les Français, ces croisements sont beaucoup moins
rares que chez Bach et ses contemporains allemands.
II. — LES COMPOSITEURS KRANÇAIS.
Jacques Champion dk Chambonnières. 1610 f 1671
. . . Du Vai i65o t 1723
François Couperin 1668 f 1733 ■><'
Jean Ferry Rebel 1669 f 1747
Jean-Philippe Rameau i683 f 1764 ^
Jean-François Dandriku 1684 f 1740
Ji.-an-Marie Leclair 1687 f 1764
Jean-Baptiste Sénaillié 1689 f i73o
Jacques Champion de CHAMBONNIÈRES, issu d'une famille d'orga-
nistes, fut claveciniste de la Chambre de Louis XIV, et maître de
Couperin et de d'Anglebert. On a de lui de fort intéressantes pièces
pour clavecin, en deux livres (1670).
Du VAL fut le premier Français auteur de Suites de danses pour le
violon, intitulées Sonates, conformément à la coutume italienne.
LES FRANÇAIS >37
Jean Ferry RE BEL, né à Paris, l'un des vingt-quatre violons du Roi,
devint, en 1718, compositeur de la Chambre et chef d'orchestre de
l'Opéra ; il publia un recueil de douze Sonates pour violon et basse
continue, d'autres pour violon seul, et une Fantaisie, également pour
violon, qui constitue une Suite véritable, car elle comprend un Grave,
une Chaconne, une Loiire et un Tambourin.
Une autre « Fantaisie » intitulée Les Caractères de la Dance ( i ) et
restée au répertoire de l'Opéra depuis lyiS jusqu'à 1746, n'est, elle
aussi, qu'une S«//edans le style de l'époque. Toutefois, elle était des-
tinée à être dansée et non jouée au concert. Les morceaux de cette
Fantaisie s'enchaînent tous (2); quelques-uns même ne se terminent
pas, se servant de leur modulation à la dominante pour préparer l'en-
trée de la danse suivante. Bien avant Leclair, Rebel employa sur le
violon les doubles et triples cordes dans ses sonates.
Nous citons ici la Loure des « Caractères de la Dance » comme un
exemple d'alternance des rythmes binaires et ternaires dans la musique
de ce temps :
Loure ,
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J. J^ r r 1
^
François COUPERIN, dit /e Grand., est le plus illustre membre d'une
lairille presque exclusivement composée de musiciens, comme celle
des Bach. Nous donnons ci-après le tableau généalogique des
membres de la famille Couperin qui se firent connaître dans l'art
musical :
(i) M. Pierre Aubry a publié une intéressante notice historique sur cette Fantaisie dont il
donne la musique en entier.
(2) Les titres des treize pièces dont cette Suite est composée sont les suivantf ' Prélude,
Courante, .Menuet, Bourrée, Chaconne, Sarabande, Gigue, Rigaudon, Passepled, Gavotte,
Loure, Musette et Sonate.
Charles CotpeniN
de Chaumes en Brie
Louis hnANçois Charlis
16287 i66j Sieur de C:ouilly 1638 t ">'j')
Organiste de 1631 + 1698 Organiste de Saint Gervais.
Saini-Gervais. Organiste de Saint-Geivais. |
I François
Nicolas {le Grand)
1680 f 17.(8 1668 V ly-j'?
Musicien de chambredu comie de Touloufe. Claveciniste de la Chambre du Roi.
Organiste de Saint-Gervais Oiganifte de Saint-Gervais.
Armand Louis
n 1 o'r?'^''^j XI r^ Marianne Mauguerite-Antoinette
0.-gan:ste de St-Gcrva,s et de Noire-Dame. Orgnnistc Claveciniste
de l'abbaye de la Chambre
as .Nlontbrison. du Uoi.
I I
PlEKRK-LoiMS FraNÇCHS-GeRVAIS
17.. f 1789 Organiste
de Saint-Getvais,
puis de Saint-Merry,
■j- aptes iSi'j.
François, né à Paris, fut d'abord organiste à l'église Saint-Gervais
en remplacement de son oncle de Crouilly, puis à la Chapelle du roi
Louis XIV. Ses oeuvres, véritables tj-pes du style français de celte
époque, étaient fort estimées de J.-S. Bach, qui, nous l'avons dit, en
avait même copié un certain nombre.
Il publia, outre ses Trios et son Ai-t de toucher le Clavecin (1717),
quatre livres de Pièces pour claueciii, composés de 17 12 à 1727 et
gravés en 171 3, 1716, 1722 et 1780 : chaque livre est divisé en plu-
sieurs Ordres (de ordo : troupe rangée en bataille) qui constituent de
vraies Suites de pièces, écrites dans la même tonalité, mais changeant
parfois de mode sur la même tonique.
Le nombre des pièces contenues dans chacun de ces Ordres est indé-
terminé, il varie de quatre jusqu à vingt et une (dans le I" livre); inais,
en les examinant de près, il est facile de s'apercevoir que plusieurs de
ces Ordres sont composés de deux, parfois même de trois Suites dans
le même ton, dont chacune commence en général par une Allemande
et finit par une Gigue, un Passepied ou une pièce en Rondeau. Ces
Suites pour clavecin se rapportent donc sans contredit au modèle de la
forme Suite dont nous avons étudié les éléments (p. 107 à 118),
puisque, dans chacune d'entre elles, on retrouve l'Allemande (type S),
la Courante et la Sarabande (type L), la pièce modérée (type M), et
enfin la Gigue (type R) ou le Rondeau français qui lui est substitué.
Le caractère de danse est parfaitement conservé dans les pièces de
Couperin. Ainsi que les Cau:{o»i de Maschera, elles portent souvent
des litres de fantaisie plus ou moins burlesques ou ditlicilement
explicables, comme : la Ténébreuse, le Bavolet /lollani, les Culbutes
ixc.\bxnxs,\cF. (Chinois, les Calolins et Calotincs on la Pièce à (réious;
mais il est facile de rétablir le nom de leur foinie véritable ; celles
LES FRANÇAIS
"9
que nous venons de citer, par exemple, ne sont rien de moins qu'une
Al!emamie,un Meiiuet^une Gigiœ,uneLoure et une Gavotte en Rondeau.
II ne faudrait pas exagérer l'importance de Couperin au point de vue
artistique ; il s'en faut qu'il atteigne dans ses Suites la verve mélodique
d'un Scarlatti ou le charme puissant d'un Rameau ; mais il n'en exerça
pas moins une grande influence sur son époque, au point de vue de
l'écriture du clavecin et des effets qu'il demandait à cet instrument si
monotone par nature.
Dans la préface de son I" livre, il énonce le grand principe de
l'expression, celui qui devrait régir toute la musique moderne : « Le -^ -,
« clavecin, dit-il, est parfait quant à son étendue et brillant par lui-
« même ; mais comme on ne peut ni enfler ni diminuer les sons, je o^,^^^.^"^
« saurai toujours gré à ceux qui, par un art inhni soutenu parle goût, ■^ -/
« pourront arriver à rendre cet instrument susceptible d'expression. »
Un peu plus haut il écrit : « L'usage m'a fait connaître que les mains
« vigoureuses et capables d'exécuter ce qu'il y a de plus rapide et de
« plus léger ne sont pas toujours celles qui réussissent le mieux dans les
<i pièces tendres et de sentiment, et j'avouerai de bonne foi que j'aime
<( beaucoup mieux ce qui me touche que ce qui tne surprend. »
N'est-ce point là la condamnation de beaucoup de virtuoses de
toutes les époques et de tous les pays ? ^^.
Il faut connaître cependant certaines pièces de Couperin qui méritent
d'être signalées, notamment :
I" livre : Les Papillons, Passepied qui termine la troisième Suite
:ontenue dans le 2* Ordre.
La première Courante, en ut, dans le 3' Ordre, qui est si curieuse-
ment rythmée tantôt à deux, tantôt à trois, et dont nous donnons ci-
dessous les mesures initiales :
j/?irA
/ 0 ^a-v^^
-^.
II' livre : Les Moissonneurs, vrai tj'pe du Rondeau français, en si t>, à
trois Couplets et quatre Refrains ; cette pièce commence le 6' Ordre.
III' livre : Sœur Monique^ Gigue en Rondeau, en fa; i8° Ordre.
Dans le IV' livre, qui est le plus intéressant :
La petite phice sans j'ire, Passepied en mi \ 21* Ordre.
VArlequine, Passepied en fa ; 2 3' Ordre.
Enfin, dans le 26' Ordre, cette charmante Épineuse, lente Gavotte en
fa s, en forme de Rondeau à quatre Couplets et cinq Refrains dont nous
avons donné ci-dessus ranal3'se (p. 1 15 et i 16) à titre de modèle.
Jean-François DANDRIEU, organiste, mort à Paris, laissa trois livres
de pièces pour clavecin et un livre d'orgue.
Jean-Philippe RAMEAU. Pour la seconde fois, nous rencontrons le
nom de ce grand musicien français (i) et nous le retrouverons à sa vraie
place dans le Troisième Livre de ce Cours, lorsque nous traiterons
du genre dramatique ; c'est alors que nous donnerons en détail l'his-
toire de sa vie et de sa carrière.
Bornons-nous à rappeler ici qu'avant de devenir l'un des plus grands
auteurs dramatiques de l'histoire musicale, Rameau fut longtemps orga-
niste à Paris, à Lille, à Clermont-Ferrand, et qu'il revint enfin, en 172 i,
dans la capitale, pour occuper les mêmes fonctions à l'église Sainte-
Croix de la Bretonnerie. C'est seulement vers sa cinquantième année
qu'il aborda le drame musical, où il devait atteindre la plus haute
expression de son génie. Entre 1704 et 1733, année où il commença
son premier opéra, il écrivit ses pièces de clavecin et de Musique de
Chambre.
Son œuvre pour clavecin, la seule qui nous occupe dans ce chapitre,
consiste en trois livres.
Le premier (1706), intitulé Premier livre de Pièces de Clavecin com-
posées par M. Rameau, organiste des RR. PP. Jésuites de la rue
Saint-Jacques, etc., contient dix pièces; le second (1724), Pièces de
Clavessin avec une méthode pour la méchanique des doigts, en compte
vingt et une; le troisième enfin (1736) porte le titre Nouvelles Suites de
Pièces de Clavecin avec des remarques sur les différents genres de
musique, et comprend seize morceaux.
On ne peut douter que ces ouvrages ne soient, comme les Ordres de
Couperin, des recueils de Suites dans la réelle acception du terme,
malgré la présence de quelques pièces isolées qui pourraient dérouter
ceux qui ne sont point familiers avec les usages des auteurs du
xvMi* siècle ; il ne faut pas oublier que ceu.vci avaient coutume de pro-
(i) Voir 1" liv., p. i35.
LES FRANÇAIS 141
fiter de la publication d'une œuvre d'ensemble pour 3' glisser des com-
positions n'ayant aucun rapport avec elle : témoin, les livres de
Sonates de Ph.-Emm. Bach (voir ci-après, chap. m), et certaines
publications de Mozart. Au reste, le titre même du dernier livre doit
ôter toute hésitation à cet égard.
Le I"" livre peut se diviser en deux Suites, toutes deux en la ; dans le
II' livre, on compte facilement quatre Suites, deux en mi, une en RÉ,
la. dernière en ré, plus deux pièces isolées ; le III' livre contient deux
Suites, en la et en sol, presque exclusivement composées de Menuets,
plus quelques pièces isolées. Dans chacune des six premières Suites, il
n'y a que quatre pièces, simples ou doubles ; dans les deux dernières, il
y en a jusqu'à sept. De même que Couperin et la plupart des Français
de son temps. Rameau donne à ses pièces de clavecin des titres fan-
taisistes.
Nous allons indiquer sommairement les particularités les plus inté-
ressantes de ces recueils.
Plusieurs de ces danses furent replacées plus tard par l'auteur dans
ses ouvrages dramatiques; c'est ainsi qu'un rôle scénique important est
dévolu dans Dardanus à la Bourrée dite Les Niais de Sologne (11' livre),
et que le Rigaudon intitulé Les Sauvages (III» livre) figure dans les Indes
galantes.
Rameau ne s'astreint pas toujours à commencer par une Allemande
ni à terminer par une Gigue; ses Suites sont cependant d'un très grand
intérêt, non seulement par le choix des thèmes de danses qui y sont
employés, mais encore par la structure des pièces présentant parfois
des essais de formes nouvelles ; l'adaptation de la forme Rondeau aux
danses usuelles y est extrêmement fréquente : dix-sept pièces sur qua-
rante et une affectent cette forme.
W livre {1724). La Villageoise (i); Bourrée en Rondeau à trois
refrains, différant du Rondeau normal, en ce que chacun des deux
couplets aboutit à une fausse rentrée du Refrain dans le ton du Couplet,
avant le Refrain lui-même.
La 6' Suite, en ré, est à analyser tout entière, elle comprend :
1° VEntretien des Muses (2), Sarabande en }-é, dont nous avons cité ci-
dessus toute la première partie (p. 1 1 2) comme type de morceau lent. Ses
dessins mélodiques, d'un charme si pénétrant, ne seraient point indignes
de D. Scarlatti, ni peut-être même de J -S. Bach.
2" les Tourbillons (3), Gavotte en Rondeau, en ré, à trois Refrains.
(i) Le texte intégral des livres de clavecin de Rameau a été publié par la maison Durand
et fils ; la pagination ici indiquée se rapporte à cette édition : Éd. Durand, p. 33.
(2) Ed. Durand, p. jo.
(3) tbid., p. 52.
3° les Cyclopes [i). Bourrée en Rondeau, en ré. d'une forme tout à
fait originale assez rare à l'époque. Le Refrain, très long, ayant
pour thème le dessin initial.
est composé de trois périodes, dont la troisième est répétée ; puis,
vient un premier couplet modulant en la, suivi immédiatement du
deuxième Refrain qui s'enchaîne à un développement, aboutissant
à un repos au ton de la dominante ; enfin, le troisième Refrain, de tous
points identique au premier, termine la pièce, dont l'écriture rappelle
par ses croisements celle de Scarlatti.
4° le Lardon (2), Menuet court, en RÉ, suivi de la Boiteuse, en ré, qui
lui sert de Second Menuet.
Dans le III* livre (1706), il faut lire les Trois Mains (3), Menuet
d'écriture croisée, extrêmement curieux, et l Enhannonique (4), qui
présente d'originales successions de tonalités.
Jean-Baptiste SÉNAILLIÉ publia cinq livres de Sonates de violon
afièctant naturellement la forme Suite, et assez estimées de son temp^
elles sont généralement divisées ainsi : 1° Introduction large ou en
forme d'Allemande; 2° Courante; 3» Air ou Largo; 4° Gigue ou
parfois un autre morceau vif de rythme binaire.
Jean-Marie LECLAIR, l'un des plus célèbres violonistes français,
abandonna au bout de peu de temps ses diverses fonctions à la cour ou
à l'Opéra pour se consacrer à l'étude de son instrument et à la com-
position musicale, et mourut en 1724, assassiné à la porte de sa
maison.
Il écrivit quarante-huit Sonates poui' violon, en trois livres de seize
Sonates chacun, mais de valeur très inégale. Dans le 11° livre, il fait
presque constamment usage de la double corde dans les positions les
plus difficiles. Le IIP livre, composé, dit-on, après un séjour auprès de
Locatelli, est le plus remarquable et contient des pièces d'un réel
intérêt.
(i) td. Dur.intl, p. 34.
(a) JbiJ., i>. ia. ilc Menuci a servi île tlicmc à M. l'aul Dukas pour ses l'arMd'oni,
Itilei ludt et Finale.
(?) Éd. Durand, p. 6j.
(4) Z*"*-. P- 94-
LES ALLEMANEiS 1^3
12. LKS COMPOSITEURS ALLEMANDS
DmTRicH Beckkr 1554-]- 16. .
Johann Hermann Scmein. . . . 1 586 f i63o
Samuel Scheiut 1587 -j- 1^34
Clamor Heinrich Abei 16. . f 16. .
Heinrich Johann von Bii'.ku. . . 1644 f 1704
Johann Kuhnau 16G0 -}• 1722
Georg Friedrich Hahnoel. . . . i685 -f 1759
Johann Sébastian Bach .... i685 f 1760
Dietrich BECKER, de Nuremberg, étudia à Venise sous Andréa
Gabrieli. Son style pourrait servir de trait d'union entre l'art contra-
pontique des Gabrieli et celui des Corelli et des Kuhnau.
Becker laissa deux recueils publiés à Hambourg, en 1668 : l'un, de
Sonates pour violon en forme Suite ; l'autre, de pièces instrumentales
avec basse continue, sous le titre Musikalische FrUhlings-Friichte . Ces
publications furent très répandues en Allemagne, où elles contribuèrent
efficacement à l'éducation des compositeurs.
Johann Hermann SCHEIN, Saxon, étudia le droit à l'Université de
Leipzig, puis embrassa la carrière musicale et devint finalement caiilor
de l'école Saint-Thomas de Leipzig, en 1616.
Il publia, en 161 7, un Banchetto musicale neiver animithiger Padoanen
Gagliardeii, etc., comprenant vingt Suites de cinq danses chacune, pour
la plupart ainsi disposées : 1° Pavane, 2° Gaillarde, 3° Courante,
4° Allemande, b" Tripla (Gigue). Ces Suites sont à quatre et cinq voix.
Samuel SCHEIDT, né h Halle, apprit la musique à Amsterdam sous
la direction de Sv/eelinck, et devint par la suite maître de chapelle du
Margrave de Brandebourg, à Halle, où il mourut.
Outre de nombreuses œuvres d'orgue, Scheidt laissa deux livres de
Ludi musici (162 1-162 2), recueils de Paduanen, Gagliarden, Alle-
mande, Can^onen und Intraden, à quatre, cinq, six et sept voix
Clamor Heinrich ABEL, Concertmeister de la cour de Hanovre, écrivit
trois livres de Suites instrumentales (/l//<?waH^(?, Courante, Sarabande
et Gigue), publiés de 1674 à 1687, sous le titre Erstlinge musikalischer
Bliimen et réimprimés en 1687 sous le nom Opéra musica.
Heinrich Johann von BIBER, violoniste, né en Bohème, mourut à Salz-
bourg, où il occupait le poste de maître de chapelle de l'archevêque,
après avoir séjourné à la cour de Bavière.
On connaît de lui, outre six Sonates pour violon (i68i) qui sont
144 LA bUUB
d'un grand intérêt pour l'étude de cet instrument, deux autres Sonates
ou Suites instrumentales, publiées en 1676 avec la singulière mention:
tam avis quam aulis servientes (i).
Johann KUHNAU, l'un des plus importants compositeurs allemands
de l'époque antérieure à Bach, né à Neu-Geysing (Saxe), ne fut pas
seulement un musicien, mais un profond érudit, versé dans la connais-
sance du grec et de l'hébreu. Reçu avocat à l'Université de Leipzig, il
exerça longtemps cette fonction conjointement avec celle de cantor
de l'école Saint-Thomas, poste auquel il avait été appelé en rempla-
cement de Kuhnel, en l'année 1684; il devint, en 1700, directeur de
la musique de l'Université.
Esprit chercheur et inventif, Kuhnau laissa dans tous les genres un
grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels il faut citer son Traité de
Composition encore manuscrit, et le roman intitulé /e Charlatan musical
{der miisikalische Quacksalber), publié en 1 700 et contenant la critique
des musiciens italiens de son époque.
Kuhnau fut le premier qui osa écrire des Sonates de Chambre pour
clavecin seul, le titre dt Sonate étant jusqu'alors, en Allemagne, exclu-
sivement réservé aux œuvres pour violon, conformément àsonétj'mo-
logie. Il composa environ vingt-sept Suites ou Sonates (2): celles qu'il
intitule Biblischen Historien (1700) seront examinées dans la Seconde
Partie du présent Livre à titre d'origines du Poème Symphonique, et
l'on verra ci-après (chap. m) les sept Sonates rassemblées sous la
dénomination de Frische Klavier Friichte (1696); les seules que nous
ayons à retenir ici sont les quatorze Suites en deux livres, publiées
sous le titre Neite Klavier Uebung.
Le I" livre, paru en 1689, contient sept Suites ou Partien, dans
tous les tons majeurs employés sur le clavicorde, c'est-à-dire ut, ré.
Ml, FA, SOL, LA, SI ^ ; chaque Partita est divisée en Prélude (le plus
souvent suivi d'une Fugue), Allemande, Courante, Sarabande et Gigue.
Le II* livre, qui est le plus remarquable, fut gravé en 1692 et édité
à nouveau en 1695, 1703 et 1726. Il consiste en sept Suites dans les
tons mineurs, suivies d'une Sonate en si\> très appréciée à son époque.
(i) Nous devons mentionner ici, à son rang chronologique, Henry Purcell (i658 t 'ôgS),
organiste de l'abbaye de Westminster depuis i68o. Cet Anglais, le seul qui mérite d'être cité
dans cette période de l'histoire de la Suite, fut surtout compositeur de théAtre ; on connatt
de lui, cependant, douze Sonates pour deux violons et basse continue (168 3), plus huit Suites
pour instruments k clavier, parues sous le titre Lessons for the Harpsichord or Spinnet
etimprimccs en 1696. Elles sont toutes parfaitement construites, et l'une d'elles notamment,
la î>« en UT, est composée de huit pièces que l'auteur intitule Prélude, Almand, Courante,
Saraband, Cebell (Gavotte), Mintiet, Riggadoon, Mardi.
(î) Les oeuvre» complètes pour clavecin de Kuhnau ont été éditées d'après leur texte
original dans les Denkmàler Deulscher Tonkunst (Breitkopf et H&rtel, 1901).
LES ALLEMANDS
Le Prélude de la i" Suite, en ut, est tout à fait séduisant par la forme
soignée de ses contours mélodiques et l'élégance de son style presque
identique à celui de J.-S. Bach. Il paraît du reste fort probable que Bach
avait attentivement étudié lesœuvresde son prédécesseur à l'école Saint-
'Ihomas. Ce Prélude est en deux parties; l'une, agogique, débute ainsi :
La seconde est d'un mouvement plus calme, quoique son dessin prin-
cipal et son rythme soient tirés de la première ; nous donnons ici tout
le commencement de cette seconde partie, afin d'en mieux montrer
l'analogie avec certaines pièces de Bach :
(^OLKS DE COMPOSITION. — T II.
146 LA SUITE
La 7* Suite, en si, est également pleine d'intérêt, depuis le Prélude
rempli d'une gaîté « bon enfant » jusqu'à la charmante Gavotte que
nous reproduisons ici tout entière :
Gavotte
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J. ^J j 1
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1 r ' 1=
^ji r ±
On peut donc dire de Kuhnau qu'il fixa, en Allemagne, l'ordre des
pièces de la Suite (i).
Qeorg Friedrich H/ENDEL, né à Halle, fils d'un barbier de la cour,
commença par s'établir à Hambourg où il se lia, puis se brouilla avec
Mattheson, et composa de nombreux opéras. De 1707 à 1710, il voyagea
en Italie, puis se rendit à Hanovre et de là à Londres, où il se fixa défi-
(1) Dans une Cantate écrite en l'honneur de l'électeur Johann-Gcorg, vainqueur de» Turcs
(■•■.Sî), Kuhnau employa aussi pour la première fois, croyons-nous, un procédé d'expression
repus, il y a quelque trente ans, par le compositeur flamand Peter Benoît ! il faisait irriver
(ucccssivcmcnt, pur les diverses rues qui donnaient sur la place centrale de la ville, dei
groupes chantants qui s'unissaient ensuite en un ensemble grandiose.
LES ALLEMANDS 147
nitivement en qualité de directeur des Académies musicales et de plu-
sieurs théâtres d'Opéra.
Son bagage symphonique se compose de douze Sonates pour violon ou
flûte avec basse continue ; treize Sonates pour deux hautbois ou violons
avec basse continue et dix-huit Suites de danses pour le Clavecin, en
deux livres, œuvre où l'on reconnaît l'influence de Kuhnau, auquel il
ne craint pas d'emprunter des passages entiers reproduits textuel-
lement, sans même chercher à pallier le plagiat.
Johann Sébastian BACH (voir ci-dessus, p. 76 et suiv.). Bien que les
Suites de Bach ne puissent être classées parmi ses œuvres les plus
géniales, on peut néanmoins dire qu'il porta la forme Suite à son plus
haut degré de perfection ; il fut le dernier et le plus complet des com-
positeurs de Suites, car, après sa mort, c'est-à-dire vers le milieu du
xvui* siècle, cette forme disparut complètement pour faire place peu
à peu à la Sonate.
Bach écrivit environ vingt-cinq œuvres affectant nettement la forme
Suite.
Les premières remontent à l'époque de Gœthen, où, n'ayant pas
d'orgue à sa disposition, il écrivait pour d'autres instruments, et
plus spécialement pour le clavecin ; on les nomrne Suites françaises,
bien que cette dénomination ne leur ait point été attribuée par leur
auteur.
Les Suites françaises sont au nombre de six, comprenant chacune six
ou sept pièces, sauf la première qui n'en compte que quatre et la dernière
qui en à huit; toutes commencent par une Allemande et se terminent
par une Gigue.
La plus remarquable est la sixième, en Mi, divisée en Allemande,
Courante, Sarabande, Gavotte, Polonaise, Bourrée, Menuet, Gigue, le
tout sur la même tonique, sans changement de mode, .n//
Ces Suites datent de 1721 et 1722.
Les six Suites dites anglaises sont d'une époque postérieure; on y voit
apparaître, comme dans les Suites de Kuhnau, le Prélude qui, fort court
dans la première, devient très développé dans les cinq autres, affectant
même, dans la sixième, la coupe de l'Ouverture française du xvii' siècle,
Andante et Allegro (1).
A part la première, ces Suites sont toutes composées de six pièces ;
la troisième, en sol, est à étudier particulièrement ; elle comprend :
1° un Prélude type, modulant aux tonalités de la Fugue, sans retour
au thème initial dans la tonalité principale ;
(0 Voir 11 Seconde Partie du présent Livre.
"(8
2° une Allemande, courte relativement à la longueur du Prélude
3° une Courante ;
4° une Sarabande intéressante,
dans laquelle le retour à la tonalité est effectué à l'aide d'une modula-
tion enharmonique:
Sa disposition est assez exceptionnelle dans les pièces de clavecin de
l'époque ; cette Sarabande est suivie d'un Double, où la mélodie est
présentée avec d'innombrables « agréments » ;
5° une Gavotte très connue (suivie de sa Musette) :
f)" une Gigue hi 12/8, dont la seconde partie présente le thème ren-
versé, ce qui est assez fréquent dans les gigues de Bach.
Nous arrivons maintenant aux six Partitas que le maître grava lui-
même et qui sont certainement les plus remarquables de toutes ses
Suites. Elles datent de l'année 1731 et forment la première partie du
recueil intitulé Clavierubung.
La I" Parlila, en SI t,, se clôt par la curieuse Gigue que nous avons
donnée comme exemple de cette forme (voir ci-dessus, p. i 17).
La 2' Partila, en ut, s'ouvre par une Sinfonia en forme d'Ouverture
française et contient, de plus, un Rondeau exactement conforme au type
si fréquemment employé par Coupcrin et Rameau.
LES ALLEMANDS i^,
La 4* Partita est en RE et commence également par une longue
Ouverture.
Cette œuvre est, par l'indéniable beauté de ses thèmes, la plus
remarquable du recueil : toutes ses pièces paraissent construites sur un
même schème mélodique, disposition à peu près sans exemple dans le
genre de la Suite.
L'Allemande, qui suit l'Ouverture, présente une de ces longues phrases
comme le maître de la Mattheus- Passion, seul, sut en créer. L'admi-
rable mélodie s'impose d'abord en une ligne simple, mais éminem-
ment expressive :
Allemande
puis elle monte, monte toujours, en s'adornant au passage de volutes
exquises comme celles des alléluia grégoriens, et cette ascension dure
vingt-cinq mesures, sans que léchant cesse un instant d'être expressii
sans que l'intérêt faiblisse une seconde, jusqu'au repos à la dominante
si glorieusement conquis I La seconde partie, qui compte trente-deux
mesures, ne le cède en rien à la première et gagne majestueusement le
repos de la tonique, sans redescendre des hauteurs célestes où plane
depuis le début l'angélique mélodie.
Voilà de l'art pur, voilà de la vraie beauté !
Une grave Courante, une douce Aria, une Sarabande délicieusement
ornée, un Menuet et une alerte Gigue complètent cet admirable monu-
ment dominant de cent coudées le niveau ordinaire de l'ancienne Suite
de danses.
Ldib" Partita, en soL, qui s'ouvre sur un Prceambulum, contient un
Menuet qui semble chercher tout le temps son véritable rythme, pour ne
le trouver qu'aux cadences et le perdre ensuite jusqu'à la cadence
prochaine.
Voici les quatre premières mesures de ce morceau :
Menuet
rT"
La 6' et dernière Partita est aussi d'une fort grande beauté. Elle
commence par un véritable chef-d'œuvre intitulé Toccata, qui mérite
une étude particulière.
C'est d'abord un imposant Prélude en mi (i) :
plein de fantaisie et coupé par une charmante phrase mélodique repa-
raissant en partie dans la Fugue qui suit. Les dernières notes de la
cadence tonale de ce prélude servent, en eft'et, d'entrée thématique h une
Fugue, dont le sujet n'est pas sans analogie avec celui du Prélude,
Choral et Fugue de C. Franck (voir ci-deshus, p. 97).
Cette Fugue, une des plus régulières que Bach ait écrites, a du reste
été analysée en détail au chapitre précédent (p. 58 et 59).
Des six autres morceaux qui composent cette belle Partita^ il faut
encore retenir la Courante aux charmantes modulations, VAria d'une
religieuse simplicité et la Gigue dont la seconde partie est le renverse-
ment de la première.
Après Bach, la forme Suite fut complètement délaissée. Quelques
musiciens du xix* siècle, Franz Lachner et Jules Massenct. entre autres,
tentèrent cependant, dans leurs Suites pour orchestre, de faire revivre
ce titre ; mais, en dehors du titre, rien dans la structure ni dans le
(1) Le manuscrit autographe de Bach porte pour ce dessin initial, stpl triples crochet
éjale» i on ne sait pourquoi ce texte a été altéré dans ta plupart des éditions.
LES ALLEMANDS Ml
Style de ces pièces symphoniques, éminemment fantaisistes pourla plu-
part, ne rappelle en quelque manière l'ancienne Suite française, alle-
mande ou italienne.
Seul, Alexis de CASTILLON écrivit, vers i87i,deux Suites pour piano,
qu'on pourrait rattacher aux types que nous venons d'examiner, si la
plupart de leurs pièces, fort intéressantes par leur écriture, n'avaient
une coupe totalement différente de la forme binaire traditionnelle dans
la vieille Suite instrumentale.
Le type spécial de la Suite proprement dite a donc disparu pour
jamais, croyons-nous. Mais, pareille à la tradition toujours renouvelée
sans cesser d'être elle-même, la Suite défunte est encore vivante dans
sa fille aînée, la Sonate, devenue à son tour la mère féconde de presque
toutes les formes symphoniques contemporaines.
%
^
III
LA SONATE
PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
Technique. — i. Définitions. — a. Origines de la Sonate : formation du type ternaire ; ré-
duction du nombre des mouvements. — 3. Le mouvement initial : type S. — 4. Le mou-
vement lentj la forme Lied: type L. — 5. Le mouvement modéré ; le Menuet : type M-
— 6. Le mouvement rapide ; le Rondeau : type R. — 7. Etat de la Sonate avant Beetho-
ven : le cycle ; le style ; la forme.
HuTORiQUB. — 8. Divisions de l'histoire de la Sonate pré-beethovénienne. — 9. La Sonate
italienne. — 10. La Sonate allemande primitive.— 11. La Sonate dithématique. — 12.
Les prédécesseurs de Beethoven.
TECHNIQUE
I. DÉFINITIONS.
La Sonate consiste en une série de trois ou quatre pièces destinées
à un instrument à clavier, jouant seul ou accompagnant un 5^;// ins-
trument récitant (i) ; ces pièces, reliées entre elles, comme celles de
la Suite, par l'ordre logique des mouvements et la parenté tonale,
en diffèrent par la construction ternaire spéciale, qui apparaît dans
la plupart d'entre elles, et surtout dans la pièce initiale.
Cette coupe ternaire, qui caractérise le morceau de Sonate par excel-
(1) On a vu ci-dessus (note de la page 106) que, dans son acception étymologique, bien
différente de celle-ci, le mot Sonata était appliqué exclusivement à des œuvres pour instru-
ments à archet : aujourd'hui, au contraire, l'instrument à archet (violon, alto, violoncelle)
n'intervient dans la Sonate qu'à titre concertant, ni plus, ni moins qu'un instrument à vent
(flûte, cor, etc.^ ; et c'est l'instrument à clavier (piano ou orgue) qui, seul, y est toujours
employé. Dès 1692, Kuhnau publiait une Sonate pour clavecin (voir ci-après, p. 18b); en
Italie, Pescetti faisait de même en 1739 (voir p. i83) ; Marpurg (voir ci-dessus, p. 94), dans
ses Descriptions de pièces pour Clavecin, publiées en 1762, c'est-à-dire à une époque oil la
forme Sonate était à peine dégagée de la forme Suite, ne se préoccupa t déjà plus de la
catégorie d'instruments pour laquelle était écrite la composition dite Sonate, qu'il déti-
aissait ainsi : • Une pièce en trois o\i quatre mouvements intitulés Allegro, Adagio, Presto,
quoique leur caractère soit celui de V Allemande, de la Courante et de la Gigue, n Et
il ajoutait cette remarque : « Quand le mouvement du milieu est lent, il n'est pas toujours
dans le ton principal. •
154 LA SONATE PRE-BEETHOVÉNIENNK
lence, consiste dans sa division en trois parties, dont la première et la
dernière, symétriques l'une de l'autre, contiennent immuablement
Vexpositiou et la réexposition du ou des thèmes, tandis que la seconde,
contrastant surtout par sa forme et son état tonal, revêt une infinité
d'aspects différents, suivant l'époque ou le style de la pièce et surtout
suivant son mouvement. En effet, la forme ternaire des mouve-
ments lents (type L), des mouvements modérés (type M) et des mou-
vements rapides (type R) n'est point identique h celle du mouvement
initial qui synthétise plus particulièrement le type Sonate (S). Mais,
quelque différente que soit la coupe traditionnelle de chacun de ces
types, elle a pour caractéristique commune et presque constante le
retour au thème initial, après une sorte de digression médiane : dévelop-
pement dans le type Sonate arrivé à sa perfection (i), sec//oK ce«/ra/e
dans le type du morceau lent (Lied), trio dans le mouvement modéré
{Menuet, Scherzo), couplet dans le Rondeau, etc.
Oa ne saurait trop insister sur cette prépondérance du régime ter'
naire, qui fait de la Sonate un type stable, souple et fécond, supplan-
tant rapidement le type binaire et transitoire de la Suite, tandis que la
Fugue, unitaire, demeure dans son inféconde fixité. On découvrirait
sans peine de nombreuses analogies entre le processus créateur du génie
humain, dans ses mille réalisations, et les progrès de la composition
instrumentale, passant de Vtinité stérile à la puissante trinité, par l'in-
termédiaire obligé de la dualité, plus ou moins incomplète et instable.
L'ordre des trois dimensions géométriques : ligne, aire, l'olume ;
l'évolution des formes élémentaires architecturales, partant du mur
droit, unitaire, pour s'élever à la ligne brisée du fronton, binaire, et de
là à la voi'ite, image frappante du ternaire symphonique, avec symétrie
de ses deux p'iViersi-expositions et souplesse infinie dans le développe-
ment àe sa courbe médiane;... tant d'autres exemples, enfin, pour-
raient ici trouver leur place, sans parler des comparaisons, bien autre-
ment saisissantes, que nous offrirait le domaine occulte ou métaphy-
sique. /
2. ORIGINES DE LA SONATE. FORMATION DU TYPE TERNAIRE. Pi:DUCTION DU
NOMBRE DES MOUVEMENTS.
En étudiant les origines de la Suite (chap. ii, p. 102 et suiv.), nous
avons constaté que le nom de Sonata, Sonate (oeuvre pour violon ou
instrument à archet), par opposition à 7 occj /a (œuvre pour instrument
à clavier) et à (Ja>ilata (œuvre pour la voix), se référait au choix de l'in--
(i) L'élude du develoffemenl proprement du ne sera laite qu'au chapitre suivant, i propot
de \a Sonate de BeeUioven.
ORIGINES 155
irument exécutant, et nullement à la forme de la composition exécutée.
Cette acception ét3'mologique est aujourd'hui tellement oubliée dans
la pratique qu'il serait à la fois inutile et pédant de la remettre en
usage.
A tort ou à raison, on est d'accord en général pour donner le nom
de 5oHa/e à une certaine /orwe de composition, sans se préoccuper de
savoir si l'instrument auquel elle est destinée se joue à l'aide d'un archet
ou de touches. Aussi, la définition qui vient d'être énoncée est-elle,
sinon unanimement acceptée, du moins plus précise et plus apte que
toute autre à réunir utilement sous un même vocable des œuvres
musicales réellement apparentées les unes aux autres par l'identité de
leurs caractères primordiaux.
Entre la Sonate et la Suite, il n'y a donc pas, à proprement parler,
de différence d'origine : tout ce que nous avons dit à propos des an-
ciennes chansons à danser transcrites pour instruments (p. 102), de
l'apparition de la forme binaire (p. 104) et du groupement des pièces
(p. io5) peut s'entendre historiquement aussi bien de la Sonate que de la
Suite^ puisque ces deux appellations ont été indistinctement appliquées
par divers auteurs à des compositions de même forme.
Il importe seulement de déterminer, au point de vue technique, à
quels signes on peut reconnaître, parmi ces compositions, celles qui
devaient transmettre à la Sonate proprement dite les deux caractères
distinctifs qu'elle a conservés depuis : le moindre nombre de pièces et
la structure spéciale de celles-ci.
Mais, de ces deux caractères, le dernier seul, la construction ternaire,
suffit par lui-même à différencier sûrement la Sonate de la Suite : c'est
pourquoi nous rechercherons d'abord, dans le type binaire de la Suite,
les traces les plus lointaines et peut-être les moins apparentes de cette
modification lente qui devait aboutir au bel équilibre ternaire de la
forme Sonate.
1° Le type ternaire. — La caractéristique du type Suite étant, par
définition, « une double modification progressive de sa tonalité dans
deux sens différents et opposés » (chap. 11, p. loi), on est fondé à re-
connaître le premier symptôme de sa transformation dans l'apparition
du premier obstacle, si faible qu'il put paraître, qui fit dévier ce par-
cours tonal jusqu'alors immuable. Cet obstacle, né sans doute d'un
besoin de symétrie plus impérieux chez quelques musiciens, se révèle
sous la forme toute simple du dessin initial exposé à nouveau, dans
sa tonalité, un peu avant la fin de la seconde moitié du morceau de
coupe binaire.
Il peut paraître puérile de faire consister la dij/'érence spécifique de la
156 LA SONATE PRÉ-BKETHOVÉNIENNE
Sonate dans ce retour conclusif du dessin initial à la tonalité du début.
Si pourtant certains morceaux, qui sembleraient par leur aspect géné-
ral, leur style, leur longueur, leur cadence médiane avec reprise, con-
formes en tout point au type Suite, constituent, à notre sens, de véri-
tables types Sonates, c'est uniquement en raison de la présence, parfois
à peine perceptible, de leur dessin initial, dans le ton, avant la fin. Car
cette rentrée rudimentaire d'un dessin, qui ne mérite même pas le
nom de thème, devait suffire à renverser bientôt tout l'équilibre de la
forme Suite. Et, puisqu'une aussi petite cause put entraîner de telles
conséquences, il est permis d'en conclure que la stabilité de la coupe
binaire n'était point excellente.
Cette rentfée,s[ vague qu'elle fût, comportait nécessairement la per-
manence de la tonalité principale depuis le début du dessin réexposé
jusqu'à la fin. Ainsi se trouvait suspendue, par le retour prématuré à
la tonique, avant la conclusion du morceau, la progression modulante
continue, qui devait occuper toute la seconde partie de la forme Suite.
Dans cette seconde partie apparaissaient donc deux phases tonales
distinctes : l'une en mouvement, l'autre en état d'immobilité. Et l'on
ne tarde pas à voir chacune de ces deux phases prendre une impor-
tance telle, que la dernière, commençant à la réexposition du dessin
initial, égale en durée, à elle seule, toute la première partie du morceau,
dont elle reproduit presque tous les éléments, mais avec une orienta-
tion tonale différente, c'est-à-dire conclusive, au lieu d'être suspensive.
On ne peut se défendre de reconnaître ici une manifestation nou-
velle des éternelles lois du Rythme : de même que l'allongement et la
modification de la tliésis, du temps lourd, du temps en chute, en régres-
sion, nous donna naguère la transformation logique du rythme binaire
en rythme ternaire (i), ainsi la légère modification tonale de la seconde
partie, dans la forme Suite, devait entraîner l'allongement et la scission
de cette sorte de thésis ou de temps lourd, contenant en germe tout le
ternaire grandiose de la forme Sonate.
Telle est l'origine de cette fornxe, au point de vue de la structure
typique de sa pièce principale.
2' Les quatre mouvements. — On a signalé déjà (chap. u, p. 106) la
tendance très ancienne du mot So)iale à s'éloigner de son acception ita-
lienne impliquant l'emploi de l'archet comme agent sonore, pour
devenir peu à peu l'appellation spéciale des groupements réduits à un
seul spécimen de chacun des quatre types de mouvements ^S. L. Al. R.)
du genre Suite.
(I) Voir I" liv , p. i5.
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 157
Ce changement de signification n'aurait, à vrai dire, qu'un intérêt
philologique, s'il n'avait entraîné assez rapidement un changement
corrélatif dans le caractère des pièces ainsi groupées sous le nom de
Sonates.
En effet, ces véritables Suites restreintes, dites proprement Sonates,
débutent ordinairement par une introduction lente ; les quatre mou-
vements typiques qui les constituent abandonnent de plus en plus les
titres des anciennes danses, pour les remplacer par l'indication d'un
sentiment expressif d'ordre rythmique (i) comme : Allegro (gaîment)
au lieu d'Allemande ; Adagio (en marchant doucement, à l'aise) au lieu
de Sarabande, Courante, etc. ; Vivace ou Presto (vivement) au lieu de
Gigue, etc.
Ces désignations nouvelles plus abstraites ne tardent pas à réagir
sur la musique, en la libérant du souvenir même de la danse. Ainsi,
les quatre mouvements de la Suite restreinte, qualifiée déjà Sonate et
véritablement apte à le devenir, s'affranchiront d'autant plus de toute
attache avec les attitudes plastiques du corps humain, qu'ils s'élè-
veront plus haut dans le domaine symphonique de la musique pure.
Antérieure dans l'ordre chronologique, cette modification générique
doit néanmoins passer après la modification individuelle du type, au
point de vue technique, caria forme ternaire eût suffi, à elle seule,
pour constituer un type nouveau ; tandis; que le nombre naguère illi-
mité des pièces de la Suite, quelque restreint qu'il pût devenir, n'aurait
jamais servi qu'à différencier entre eux certains représentants d'un type
demeuré unique par la constance de son mode de construction.
Si donc l'évolution de la Suite vers la Sonate atteint le cycle de pièces
avant de réformer leur type ; si elle se manifeste dans le sens de l'es-
pèce avant d'apparaître dans l'individu, ce n'en est pas moins la mo-
dification organique de celui-ci qui doit être considérée comme la
principale. C'est pourquoi, nous avons montré en premier lieu, dans
les origines de la Sonate, l'élimination du régime binaire de l'ancienne
Suite, au profit du régime ternaire, dont ous allons étudier maintenant
l'adaptation particulière et progressive à chacun des i^wa/re types de
mouvements (S. L. M. R.).
3. — LE MOUVEMENT INITIAL. — TYPE S.
La pièce initiale de la Sonate, issue de l'ancienne Allemande, s'ac-
croît en puissance et en beauté à mesure qu'elle s'éloigne davantage de
la coupe binaire. Ainsi l'Allemande elle-même avait gagné en intérêt
(1) C'est même cette particularité qui a fourni à Marpurg les éléments de la définition
sommaire que nous avons citée, page \b'i.
\',S LA SONAT EPHÉ-BEETHOVÉMENNB
musical ce qu'elle perdait en parenté avec la danse dont elle portait le
nom.
Le rôle de cette pièce du type S demeure prépondérant dans la Sonate
plus encore que dans la Suite : J.-S. Bach l'avait fait pressentir déjà
par l'adjonction d'un vaste Prélude à ses Allemandes. Après lui, l'effort
du symphoniste semble s'être toujours concentré sur cette même pièce
initiale, la seule qui. par une singulière lacune dans le vocabulaire
musical, n'ait jamais eu de nom particulier (i).
On étudiera donc avec plus de détail la lente élaboration de ce type
S, depuis ses timides essais jusqu'à la glorieuse conquête de sa forme
définitive, fixée par Beethoven, et peu différente de celle qu'il garde
encore aujourd'hui, sans que rien fasse présager sa disparition. v\X
Type S monothématique. — La scission provoquée dans la seconde
partie de la pièce binaire de la forme Suite, par la réapparition au ton
principal du dessin initial, devait nécessairement accroître l'importance
de celui-ci, puisque, seul, il aurait désormais le privilège d'être
énoncé ^ez/.v /b/s dans la même tonalité. Aussi, voyons-nous ce dessin,
simple émanation de la basse continue chez les premiers auteurs de sona-
tes, prendre peu à peu un caractère plus mélodique et plus personnel :
le dessin thématique du début de la ii' Sonate pour violon de Co-
relli (2), offre un intéressant spécimen de ce premier progrès :
Cette pièce est disposée d'après" le plan suivant, qu'on doit consi-
dérer comme le modèle normal de la forme ternaire monothématique
appartenant à un grand nombre de sonates de cette époque :
Exposition du dessin thématique unique sur la Tonique, avec inflexion pro-
gressive vers un ton voisin {Dominiinte ou Relatif) dans lequel on discerne
parfois un dessin 1res secondaire et à peine reconnaissable ;
Partie médiane, consist.int en imitations plus ou moins modulantes du
dessin thématique principal, avec retour progressif vers la tonalité initiale;
Réexposition du dessin thématique sur la Tonique, sans inflexion vers un
ton voisin, mais avec une formule conctusive tout à fait tonale.
La reexposition rudimentaire du dessin thématique sur la tonique,
en prenant la place de la conclusion sans thème de l'ancienne forme
Suite, avait introduit dans la fo.'me Sonate un élément nouveau : le
(i) On • toujours désigné cette pièce, soit par son allure expressive. Allegro, toit par son
rang. Premier mouvement et nicmc Premier temps I C'est tout à fait insuffisant. Le vocsble
forme Sonate, que nou» employons avec plusieurs auteurs contemporains, est assex
médiocre ; mais il a du moins l'avantage de se rapporter i la /orme,
(i) Voir dans la îeclion historique du présent ch.npitrc (p. 181).
LE MOUVEMENT INITIAL S) i ;«
rappel du début. Cette innovation, tellement naturelle qu'on est surpris
de la voir pénétrer si tardivement dans la plus parfaite des formes sym-
phoniques, devait logiquement avoir pour conséquence le rappel des
éléments accessoires entourant le dessin initial.
Aussi, ne tarde-t-on pas à voir la réexposition atteindre une importance
égale à celle de la première partie, dont elle tend de plus en plus à repro-
duire tous les éléments, y compris le dessiu secondaire dont nous avons
indiqué la présence intermittente à la suite du dessin thématique initial.
-Mais ce rappel du début, quelque extension qu'il prenne dans la forme
Sonate, ne saurait y être confondu avec une redite textuelle, du genre
de celles du Menuet après le trio ou du refrain dans les Rondeaux.
En effet, ce dessin secondaire qui, dans la première exposition, avait
une fonction suspensive divergente, consistant, soit à s'infléchir vers
le ton voisin, soit même à s'y établir complètement, doit nécessai-
rement cowjw^fr à la fin avec le dessin thématique réexposé, dont il
adopte la tonalité, renforçant ainsi le caractère couclusif de la réexpo-
sition. Et, tandis que s'accroissent peu à peu l'intérêt mélodique et
la durée de cette dernière partie en état d'immobilité tonale, par un
simple effet d'équilibre, la tendance de la première partie vers la
tonalité voisine s'accentue au point de rendre nécessaire la création
d'une mélodie nouvelle entièrement exposée dans cette tonalité.
Par là s'afHrme peu à peu l'influence grandissante de ce dessin secon-
daire, appelé à bénéficier, lui aussi, de la prérogative d'être exposé deux
fois, non pas comme le dessin thématique initial dans la même tona-
lité, mais au contraire dans deux to)ialités difïérentes.
/
Type S dithématique. — Sous l'influence souveraine des lois tonales,
les deux dessins à peine formés des premières sonates allaient accom-
plir leurs destinées différentes et complémentaires.
Le premier, plus stable, plus apparent par sa place tout au moins,
retiendra tout d'abord l'attention du compositeur, qui consacrera
désormais à son choix et à sa forme tout le soin rendu nécessaire par
son importante fonction de thème principal.
Puis, à mesure que se perfectionnera l'organisation de ce premier
thème (A), on verra l'autre, le second (B), abandonner l'attitude origi-
nelle de simple imitateur, comportée par son caractère accessoire,
pour revêtir peu à peu un aspect particulier contrastant quelquefois,
par sa souplesse et sa fluidité, avec la rigueur du thème initial.
Ainsi disparait progressivement le type transitoire monothématique
pour faire place à la forme ternaire dithématique, dont la première
réalisation complète appartient, consciemment ou non, au fils du vieux
Jean-Sébastien, Charles-Philippe-Emmanuel Bach.
i6o LA SONATE PREBEETHOVÉNIENNB
L'analyse d'un admirable /l//^^''o, enL/C?, de cet auteur (i), va nous
permettre d'établir par un exemple à quel degré de perfection la forme
Sonate était déjà parvenue, plus d'un demi-siècle avant l'avènement de
Beethoven.
1. — L'Exposition que nous donnons ci-après intégralement contient
d'abord le premier thème (A), dont les trois mesures essentielles
reparaîtront textuellement au début de la réexpositioii. Ce thème (A),
complété par quatre mesures, s'enchaîne à un passage agogique {P),
nettement infléchi vers le ton de la dominante (A//''), où s'exposera le
second thème. Celui-ci (B) est fait de trois éléments distincts [b' b" b'"),
dont le premier {b') offre une analogie curieuseavec la phrase qui occupe
la même place dans le finale de la Sonate op. 27, n°2, de Beethoven. Le
second élément {b"), par l'adjonction à la basse du dessin agogique (P),
et le troisième {b") par un rappel du premier [b") attestent les progrès
réalisés déjà dans le sens delà combinaison thématique.
_ Toute cette exposition aboutit à un repos important sur la domi-
nante, avec indication d'une reprise depuis le début, comme dans
l'ancienne Suite.
Exposition.
In poco Allf^io
ÇAu premier thèm
3^&^=,
n 1 i^^n
r^.^ ^t^l
vy^!ja"t.^'^
#-bi»-
-M m
[jm=z^
Èè4^
Ir ' 'iS'j
'l^fT ' 1
(1) Cette pièce appmtient à la deuxième des six Sonates dites \Vuitembtrgeoises.':\nc Ph.
Em. Bach publia CQ 174} (voir ci-aprci, p. 196).
l.E V.OL'VF.MKN T INITIAI. (S)
j!# inf'/cjnin lei s la D.
(g) seron.i tli^me
_^ Adajjio Ail" (b^premii-r élément
(KOdeu^'^""' élément
Adagio
Cot'BS Dl COMPOSITION. — T. Il I
LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
r, /»w;„, n la l)
2. — La Partie médiane commence par un rappel du premier thème (A)
au ton de la dominante, conformément à un usage assez fréquent dans la
forme Suite ; mais ce thème (A) se transforme bientôt et s'infléchit vers
le relatif mineur (fa), où l'on voit reparaître le dessin agogique (P), en
forme de marche, qui module un instant à la sous-dominante (RÉ») et
revient au ton relatif (fa) dans lequel est exposé tout le premier élé-
ment (b') du second thème. Une modulation à la dominante mineure
(wu'l') ramène les éléments principaux du premier thème(A), immédiate-
ment avant la réexposition.
Partie médiane.
rappel d
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i^.T^, *.f*,fc.,^
rapnel de b'
Ir li 1 H
Adai^io AJi?
r.ip(icl de A
Adagio Ail?
inflrxirtn vers la T.
3. — La Réiîxposition, tout à fait affranchie des anciens errements de
la forme Suite, contient d'abord l'élément essentiel du premier thème
(A), sur la louigue {LAt>) comme la première fois, et relié directement au
passage agogique de transition (P). Celui-ci, complètement transformé
sous le rapport de l'orientation tonale, provoque le retour logique du
second thème (B) avec ses trois éléments {b' b" è'") transposés exacte-
ment au ton initial (la i>) oour conclure :
,64 LA SONATE PRE-BEETHOVÉMENNE
RÉEXPOSITION.
inflexion vers la T.
Adagio ^
1 JTl — ti
:M£=^^ r F '
* \if, ti p -#-
^ 1 1 1 1 *
1 1 1
^^ —
P
1
m J J J J J ^ -
' J J J J—
T. (laB
Les 5eifc dernières mesures sont la ir^vispo^iiion exacte du second thème (B)
avec ses trots éléments (b' b" b"') sur la Tonique.
i
LE MOUVEMENT LENT (L) 165
En résumé, dans toute la période antérieure à Beethoven, le type S,
même lorsqu'il n'est pas aussi complètement organisé que l'exemple
ci-dessus, est construit d'après le plan suivant :
' Thème principal (A) à la Tonique, avec inflexion vers un
l ton voisin {Dominante ou Relatif) à l'aide d'un Passage
Exposition. / de transition (P) plus ou moins net.
I Second thème (B) exposé dans le Ton Voisin et composé
I quelquefois de trois éléments distincts.
Fragments modulants, empruntés aux thèmes exposés dans
Partie médiane, j la première partie, et groupés en ordre extrêmement va-
riable.
Thème principal (A) à la Tonique, sans inflexion vers le
ton voisin, et suivi, s'il y a lieu, du Passage de transi-
Réexposition. ' tion (P), orienté lui-même vers la Tonique ;
I Second thème |B), avec tous ses éléments transposés à la
( Tonique en forme conclusive.
Celte forme se rapproche beaucoup de la forme définitive qu'on étu-
diera au chapitre suivant. Les caractères essentiels de Vexposition diver-
gente et de la réexposition convergente y apparaissent nettement, ainsi
que le principe de la dualité des thèmes. Mais ces thèmes sont encore
pauvres et mal définis. La partie médiane, plus indécise, semble cher-
cher un dernier appui dans les débris de l'ancienne forme Suite, dont
la barre de reprise reste le seul vestige concret (i) ; mais la vitalité nou-
velle des thèmes y affaiblit de plus en plus l'influence de cette vénérable
aïeule, bien près de s'éteindre à tout jamais dans son glorieux passé.
La jeune forme Sonate, à peine assise sur ses bases, semble appeler
l'effort qui lui donnera toute l'ample envergure qu'elle est susceptible
d'atteindre. C'est elle, en effet, qui, devenue la pièce maîtresse du
monument sonate, réagira peu à peu sur toutes les parties, comme
pour les soutenir et leur donner une vigueur nouvelle. ~,^
4. LE MOUVEMENT LENT. LA FORME LIED. TYPE L.
De tout temps, semble-t-il, et peut-être dans tous les genres musi-
caux, les fragments lents furent les plus « chantants ». Nulle part, en
eflet, la mélodie n'esi plus apparente et plus indispensable que dans les
pièces lentes, naturellement plus souples et plus affranchies de ce qu'on
pourrait appeler les servitudes rythmiques inhérentes à tout mouve-
ment un peu rapide.
Contrairement à l'opinion des adorateurs de la fioriture italienne,
c'est-à-dire de cet art qui consiste à faire entendre le plus grand nombre
(0 II est à remarquer que cet usage de la reprise avait presque entièrement disparu dans
les sonates de (orme moncthématique antérieures à celles-ci.
i66 LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
de notes inutiles dans le plus court espace de temps, le vrai chaut est
lent;... la plainte, traduite en langue musicale, s'exprima d'abord en
notes longues et douloureuses ; et, lorsque la gaîté vint apporter le
contraste de ses notes brèves ou brillantes à la musique, celle-ci, fille de
la mélancolie et de la prière, était depuis longtemps déjà la consola-
trice des hommes.
Il n'est donc pas surprenant de retrouver dans les vieux chants gré-
goriens l'ancêtre authentique des phrases mélodiques qui devaient
reparaître de préférence dans les pièces lentes, à mesure qu'elles ou-
blieraient les rythmes coutumiers des danses, pour se rattacher défini-
tivement à « ce qui chante i, à VAria, au Lied.
Ce type de phrase ternaire précédemment défini (i) et souvent em-
ployé dans les chants grégoriens (2), se retrouve aussi en plusieurs
occasions sous la plume de J.-S. Bach (3). Il ne fallut rien moins que
l'omnipotence de l'usage des danses pour l'écarter momentanément des
formes symphoniques, où il devait bientôt reprendre sa place, par
une juste réaction des qualités émotives des compositeurs, soumises à
une véritable contrainte dans la pièce initiale (type S), en raison de
l'effort intellectuel dépensé pour sa nouvelle construction.
Tant que cet effort absorba toute l'attention du musicien, la pièce
lente des premières sonates resta conforme aux types de danses : tou-
jours binaire, en rythme de Sicilienne, de Courante, etc., cette pièce ne
varie guère que par sa tonalité ou par son rang. On la voit s'établir,
soit dans un ton voisin du ton principal, soit après le mouvement
modéré (4), mais aucune modification de forme n'y apparaît encore.
Cependant, la mélodie à trois périodes, dont la dernière est symé-
trique de la piemière, l'antique phrase lied des cantilènes sacrées
revient peu à peu chanter tristement dans les pièces lentes. Le retour
au thème initial, innovation si simple et pourtant si laborieuse-
ment fixée dans le type S, apparaît ici sans effort et comme spontané-
ment, donnant ainsi aux pièces du type L la véritable forme lied,
forme ternaire comme la phrase lied dont elle est l'image agrandie,
et analogue pai; conséquent, mais non identique à la forme ternaire
du type S. V/
Le Lied en .1// naturel que nous analysons ici est un vrai modèle du
fi) Voir I" li»., chap.ii, p. 41 et 41.
(j) Voir dans le Liber GraJualis (a* éd.), le h'yrie {p. i5»), les Alléluia et cernincs an-
tiennes comme : l>' ba mea (p. 1 12).
(3) Voir notamment la phrase de la Sonate pour violon et clavecin en uf mineur citée
au Premier Livre, p. 4?.
I4I Voir ci-après, dan» la section historique, les œuvres de Corelll, (p, 179, 180).
LE MOUVEMENT LENT (L)
167
o^enre. Il est extrait de la Sonate en^'t), op. 1 18, de Joseph Ha3-dn(i) :
chacune de ses trois grandes sections constitue par elle-même une
petite phrase lied, subdivisée en trois périodes (a, b, a ou c, d, c , etc.),
avec symétrie entre la première et la dernière.
[Ç £APOSITJON de. Ja_plizaâa-iie<i_priiu;ipale
(a) période initiale
. Adagio
-^*n — n m^
^p.j J_jjpf^
inflexiop vers la D .
(g)perio
de modulante
retour à ta D
(1) Voir dans la section liislorique du présent chapitre (p. 206 et suiv).
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNK
3 >'PP'I -f'- a
i.K \1()L'\k\ii:m i.knt (M)
iGg
(C^ réexpo
ition mudulante de. la
période initiale C
lonnant à toute cttte 11^ partie
r
/
t>=-S 1
^
1 J 1 J 1 4 1 J
H
^
T=a
-1 Fï=7-: =
z/^ '
— 1 M \J.u.:
-jJ J. |t>^.
=à==^^~
-•
^••#J
••^'•'
Vii
vfc^
Mfï
Vh? Vi V5^
la forme d'une phrase-lied
lIIIlKÉtXfuSITIQN de la phrase -/iVrf
(a) période initiale
Les périodes b et a' sont également réexposées et suivies d'une conclusion de
quatre mesures sur la Tonique.
Le plan de la forme lied^ telle qu'elle existait avant Beethoven, est,
en dctinitive, celui-ci :
Section I. — Exposition de la phrase lied à trois périodes:
/ a. période initiale infléchie vers la Dominante, avec reprise ou
\ redoublement facultatifs :
1 h. période modulante, qui revient presque toujours à la Dowii«ante
' a' période initiale réexposée sur la Ionique sans inflexion.
Section il. — Fragment central modulant, sans relation thématique nécessaire
avec les deux autres, et souvent divisible en trois (comme
dans l'exemple) ;
Section iii. ~ Réexposition de la phrase principale avec ses trois périodes,
souvent agrandies et toujours modifiées rythmiquement ou
mélodiquement, mais dans le même état tonal qu'au début.
Les variantes introduites dans la réexposition suffisent à lui enlever
le caractère d'une redite textuelle : la forme lied offre donc bien trois
éUmems différents et non deux, dont l'un serait seulement répété : elle
est nettement ternaire et non binaire.
Cette forme est assurément une des plus simples, des plus claires et
des mieux équilibrées, parmi toutes celles qu'affecta successivement la
musique instrumentale. Aussi est-elle demeurée à peu près immuable,
jusqu'au moment où elle subit, comme toutes les formes symphoni-
ques, la rénovation beethovOnienne.
i?^ i-A SONATE PRÉ-BEETMOVÉNIENNE
En dehors même de la Sonate, l'influence de la forme lied a rayonné
et ra3'onne encore sur une foule de compositions dites « libres »; beau-
coup d'œuvres qui, surtout chez certains contemporains, se réclament
d'une liberté qui confine à l'anarchie, ne sont souvent pas autre chose
qu'un simple lied en trois sections, dont l'une, celle du milieu, est indé-
pendante, et les deux autres plus ou moins symétriques. <n
/ 5. LE MOUVEMENT MODÉRÉ. LE MENUET. TYPE M.
Les tentatives d'innovation subies par la pièce du type M dans les
sonates pré-beethovéniennes semblent n'avoir eu aucune conséquence
durable. Sans parler de la permutation insignifiante opérée par quel-
ques Italiens (i) entre le rang de la pièce lente et celui de la pièce de
mouvement modéré, ni de la suppression de celle-ci dans quelques
sonates, le seul essai de forme qui mérite d'être signalé consiste en une
sorte d'exercice d'agilité ou de mouvement perpétuel, occupant dans les
sonates pour violon la place de la pièce du type M. La pauvreté musi-
cale de ce divertissement instrumental, athématique et dénué de tout
intérêt, fut sans doute la cause de sa piètre destinée : il disparut sans
laisser de traces, comme doivent disparaître tôt ou tard toutes les acro-
baties qualifiées improprement « musique » par les naïfs ignares de
tous les temps ; et le Menuet, seul héritier des innombrables danses du
type M intercalées naguère dans l'ancienne Suite, continua à les repré-
senter dans la jeune Sonate.
Ce Menuet, avec ses périodes de quatre, huit ou sei^e mesures, ses
petites reprises et son /Wo (2) suivi du traditionnel dacapo.ne diftère
pas notablement des vieilles danses de cour, avec leurs doubles et leurs
redites. Dernier vestige du Madrigal, il semble demeurer ici comme
un fief sacré, intangible mais désuet, au milieu des constructions nou-
velles environnantes qui, tout en respectant sa forme, réagissent déjà
sur lui par leur style.
Nous empruntons à la 3' Sonate d'un des précurseurs de Beethoven,
qui fut peut-être le plus grand et certainement le moins connu, Fried-
rich-Wilhelm Rust (voir ci-après, p. 219), un beau spécimen de Menuet,
(i) Notamment Corclli, comme on le verra ci-après (p. 179 et 180).
(j) On a proposé deux explications dilTcrentcs pour l'origine du nom de frio appliqué
à la partie médiane du Menuet et des autres danses de forme analogue.
D'apiès les uns, la première partie et la dernière {Menuet proprement dit) étaient destinées
Y à être dansées par tous les couples de danseurs en une sorte de figure générale, tandis que
le milieu, le trio était dansé par trois personnes (un danseur et deux danseuses), comme
cela se pratique encore à la quatrième tîpure de lamiquc quadrille.
D'après les autres, et cette explication nous paraît nicilleure, le nom de trio viendrait
pluiAt de l'instrumentation tr.iditionnelle des danses : la première partie et son da capo
éiaieni exécutés par loiit les musiciens llutti), tandis que le milieu était joué ordinairement
par un Irto d'instruments (deux violons et un alto, ou deux hautbois, et un basson, etc.).
LE MOL'VKMENT MODÉRn: Ml ,7,
dont l'allure générale est encore celle d'une tfa/zst', mais dont le thème
fait déjà pressentir, par ses rythmes agrandis composés de plusieurs
mesures, la forme ScAer:{o, telle qu'elle sera étudiée au chapitre suivant:
(h) 1*-'' rytlimo
Minuetto
\i^^\, ^^,h^#pi
5f-bis
1
1
^^^Tff— f — î — i —
T > ♦
/
..AS
:=r» ^
h** — <î~^
^ »'' 1 — * — * —
r ^ ^
tp
rr r i
^-^
(b) 1^/iythr
LA SONATE PRÉ-BLtTHOVEMKNNF; 'S
@ f/ryth
Chaque phrase (j, i, a') de ce Menuet se décompose en groupes rythmiques
indivisibles de deux mesures (a et a^) ou même de quatre mesures (b) d-ns
chacun desquels la première mesure est forte ; a l'époque des menuets dan-
ses, l'articulation nécessaire du premier temps de chaque mesure avait pour
effet d'engendrer le plus souvent dans la mélodie une succession de rythmes
d'une seule mesure chacun : ce sont, au contraire, les rythmes de plusieurs
mesures qui caractériseront, chez Beethoven, les thèmes de Scherzo.
Après ce Menuet en Mi^ vient un Irio au ton de la sous-dominante;
il offre la même particularité rythmique et est suivi de la reprise
intégrale du Menuet da capo. comme dans les anciennes danses de la
Suite.
6.
LE MG'JVEMENT RAPIDE. — LF, BO^DrA'J. — TVPK R.
La pièce terminale des Sonates est demeurée ia continuatrice decelle
des anciennes Suites par son allure rapide plus que par sa forme On
verra plus loin (p. 178 et suiv.) que les premiers auteurs italiens se
dispensèrent, pour la plupart, d'y introduireaucune innovation . ia der-
nière pièce de leurs sonates rudimentaires continue à affecter la forme
d'une Gigue ou d'une autre danse vive de type binaire.
Seul, peut-être. Legrenzi et, après lui, plusieurs Allemands construi-
sirent parfois leurs pièces finales d'après le même plan que la pièce
initiale (type S), tout en lui conservant un mouvement plus rapide.
Ces divers essais eurent peu d'imitateurs; au contraire, la gracieuse
forme Rondeau ne tarda pas à être élevée par Mozart à la dignité de
finale, qui lui fut conservée après quelques transformations par Beetho-
ven lui-même, dans une grande paitie de ses Sonates.
La vieille ronde, issue du sol français et toujours reconnaissable à
son alternance caractéristique du re/raiii tonal avec les cutiplels modu-
LE MOUVKMKNT RAI'lt)!-: (Ri 173
lants, apportait ainsi zn finale, un peu desséché par la Gigue des anciens
nuiitres, une sève nouvelle.
En quittant sa place indéterminée au milieu des danses groupées en
forme de Suites, le Rondeau, devenu Finale, devait adopter l'allure ra-
pide imposée par sa nouvelle fonction. Cet accroissement d'agogique et
de vitesse constitue même la seule différence notable entre le Rondeau
de Couperm précédemment analysé (p. 1 1 5) et le F/«cz/e célèbre d'une
Sonate de Mozart i voir ci-après, p. 210), dont nous donnons ci-dessous
le refrain, le premier couplet et !e plan générai ;
REFRAIN
Allef^retto
-t— f
inf/ejion vers la T.
LA SONATE PRÉ-BEETIIOVKN'ENNE
Immé liatcment après ce i«r couplet, on reprend intégralement le Refra.n,
pour la dcuxicme fois.
2? COIPLET modi'lanl au tielnlif
R.l.@
Les vingt mesures qui complètent ce 2' couplet restent dans la tonalité du
Relatif, avec inflexion finale vers le ton principal.
Immédiatement après ce 2e couplet on reprend intégralement le Refrain pour
la troisième fois : cette dernière répétition est suivie d'une conclusion
agogique de dou^e mesures, sur la Tonique.
7. ÉTAT DE LA SONATE AVANT BEETHOVEN. — LKCYCLIC. LE STYLE. — LA FORME.
Pour ré-sunier brièvement les progrès accomplis par la Sonate, à me-
sure qu'elle se dégage de la Suite, au cours de la période pré-beetho-
vénienne, il faut se placer, croyons-nous, au triple point de vue du cycle,
du stjde et de \a forme.
Le Cycle. — Dansl'ancienne Suite, simple succession unitonique d'airs
de danse en nombre indéterminé, aucune autre intention que celle
du contraste des mouvements n'avait présidé au groupement des
pièces ; encore, cette intention n'est-elle pas toujours très certaine. Au
contraire, avec l'élimination des pièces formant un véritable double
emploi par leur allure tout au moins, avec la réduction du nombre des
mouvements à un seul de chaque type (S. L. M. R.), ce premier symp-
tôme constitutif de la Sonate montre déjà une préméditation dont les
effets ne tarderont pas à se faire sentir.
A la permanence absolue de la même Touique succède déjà un ordre
varié de tonalités voisines adopté pour les mouvements médians, tan-
dis que les mouvements extrêmes restent invariablement dans le ton
principal.
Bientôt, ces divers mouvements ne seront plus seulement juxtaposés,
avec plus ou moins de bonheur selon que cette juxtaposition est faite
par l'auteur lui-même ou après lui par quelque éditeur incompétent, ils
tendront à se combiner, à s'associer. Certains auteurs les enchaînent
deux à deux, tandis que d'autres établissent entre eux des relations
thématiques tout à fait significatives. Comment se fait-il que cette
précieuse innovation soit aussitôt retombée dans un oubli complet qui
dura près de deux siècles ?
CYCLE. STYLE ET FORME 17,
Cependant, à la faveur de leur cohésion plus forte, les membres
de la Sonate, devenus moins nombreux mais aussi plus unis, avaient
pris véritablement l'aspect d'une /ii/«///<?, dont les liens de parenté étaient
assez caractérisés déjà pour que l'interpolation, toujours possible dans
l'ancienne Suite, d'un morceau étranger y devienne de moins en moins
aisément praticable.
La Suite n'avait été qu'une succession de danses : la Sonate deviendrait
bientôt un cycle de mouvements.
Le Style. — Peu différent de celui de la Suite, le style de la Sonate ne
peut vraiment être considéré comme en progrès dans la plus grande
partie de la période pré-beethovénienne. Au point de vue de la pureté
et de la rigueur contrapontique que certains auteurs de Suites avaient su
conserver, on constate au contraire un recul très notable ; la limitation
du nombre des instruments exécutants, la prépondérance croissante du
rôle du clavecin, l'habileté moins grande des instrumentistes et peut-
être aussi quelque influence de la mode effacèrent en effet dans la So-
nate naissante toute trace de la sévère polyphonie médiévale, pour faire
place au style galant, adopté peu après, en Allemagne et en Italie, par
les diverses formes symphoniques dites Concerts ou Concertos (i).
Le style galant, qu'on opposait alors au style strict, consistait prin-
cipalement dans lanVanchissement de toute contrainte relativement au
nombre des parties simultanées composant l'harmonie. Les vieilles
transcriptions de Madrigaux, les Concerts d'Église (voir ci-dessus
p. io3) étaient écrits a cinq parties réelles; les Fugues,. le plus souvent
à quatre et à trois ; dans beaucoup de Suites la tradition de l'écriture
régulière à trois et à deux parties se maintenait encore. Mais, avec l'en-
vahissement des formes de danses, légères et frivoles, avec la tendance
« moderne » à qualifier d' « art d'agrément » l'antique iJ.ovGiy.-o, éducation
de l'âme, la fantaisie de l'auteur ne connaît plus d'autres bornes que les
règles conventionnelles de la basse continue, mère de nos regrettables
Traités d'Harmonie. Tantôt,des parties supplémentairess'adjoignent aux
autres, sans motif plus avouable que le fâcheux « remplissage des trous »;
tantôt, la mélodie supérieure, le « chant », si l'on peut ainsi qualifier
les formules harmoniques qui en tiennent lieu pour beaucoup d'Italiens,
est écrit tout seul au-dessus de sa basse, chiffrée ou non, et laissée
pour la réalisation au « bon goût de l'interprète -i; tantôt enfin, cette
basse elle-même se « donne du mouvement » en adoptant avec une
déplorable constance quelque insipide dessin d'arpèges ou d'accords
brisés, du genre de ceux dont on trouvera un spécimen ci-après, p. 206.
(i; Voirïa Seconde Pariie du prcsint Livre.
176 LA SONATE PRÉ BEETHOVEN ENNE
La Forme. — Une telle décadence de style eût abouti très proba-
blement à la disparition totale de la Sonate, si celle-ci n'avait puisé
dans sa forme même une force nouvelle, susceptible de compenser en
partie l'abolition des traditions si respectables de l'écriture polypho-
nique.
La puissante construction ternaire, apparue dans les succédanés de
l'ancienne Allemande et de mieux en mieux équilibrée par le principe
récent de la dualité des thèmes, allait permettre au nouveau type
Sonate d'accomplir une glorieuse carrière, en compagnie de son « frère
cadet» le type Lied, plus simple mais peut-être plus expansif; en
attendant que le type Menuet et le type Rondeau, plus éloignés de
leur maturité, fussent en âge de contracter les fructueuses alliances que
Beethoven leur réservait.
Ainsi s'accroissent à la fois dans la Sonate l'unité de conception et la
variété de réalisation: tous ses matériaux sont aptes à recevoird'une in-
telligence géniale l'organisation hiérarchique qui leur fait encore défaut.
En élevant les thèmes au rang et à la dignité d'idées musicales,
Beethoven saura les mettre en action par le développement de leurs
forces latentes, solidement appuyées sur des assises tonales inébran-
lables.
HISTORIQUE
8. DIVISIONS DE l'histoire DK LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE.
En étudiant au point de vue technique la transformation de la Suite
en Sonate, on a vu que la coexistence assez prolongée de ces deux
genres rendait difficile leur délimitation respective : on ne sera donc
pas surpris de nous voir citer, dans cette section historique, des oeuvres
que leur forme imprécise permettrait, en apparence tout au moins, de
rattacher aussi aisément à l'histoire de la Suite qu'à celle de la Sonate.
L'indétermination de leurs titres elle-même pourrait aussi bien justifier
l'une ou l'autre de ces deux classifications.
Toutefois, si l'on veut bien prendre pour guides les caractères dis-
tinctifs de la Sonate, tels qu'ils viennent d'être établis au triple point
de vue du cycle, du style et de \aforme, la mention spéciale des compo-
siteurs, dont les œuvres affectent tout au moins l'un de ces caractères,
paraîtra plus légitime dans l'histoire de la Sonate, car l'étude de ces
œuvres est une introduction logique à celle des Sonates complète-
ment organisées et rcconnaissables aux trois signes suivants :
1° réduction de l'ensemble de l'œuvre ou du cycle à quatre pièces
au plus, rarement cinq, et désignation de ces pièces par leur senti-
ment r3tlimiquc excluant de plus en plus l'idée de danse;
DIVISIONS IIISTORIQUES ,7,
2" substitution du style galant au style strictement polyphonique
des Motets et des Madrigaux, des Fougues et des Suites ;
3° apparition graduelle de la forme ternaire monothématique d'abord,
puis un peu plus tard, en Allemagne, nettement dithématique.
Historiquement, ces trois modifications constitutives de la Sonate
sont apparues dans cet ordre, en Italie comme en Allemagne ; toutefois
le type nouveau de la forme Sonate ne fut véritablement créé qu'après
l'évolution ternaire de son mouvement initial.
Par la lecture et la comparaison de nombreuses oeuvres italiennes,
françaises ou allemandes appartenant à l'époque de la Suite, on peut
aisément se rendre compte que cette évolution ternaire apparaît exclu-
sivement dans des compositions déjà restreintes à trois ou quatre
mouvements, et affranchies pour la plupart du joug de la polyphonie
stricte et des rythmes de la danse. Ces œuvres, très souvent intitulées
Sonates, même si elles ne contiennent pas la plus vague esquisse d'une
réexposition, sont Sonates en effet par leur modification générique',
mais elles n'ont point encore subi la transformation typique du régime
binaire en régime ternaire.
On chercherait vainement du reste la trace de cette dernière trans-
formation dans les œuvres françaises qualifiées ou non de Sonates par
leurs auteurs : Suites elles étaient, Suites elles sont demeurées, en
dépit du nombre restreint de leurs pièces ou même du style galant
qu'elles ont adopté ; aussi furent-elles étudiées au chapitre précédent
(p. i36 et suiv.), tandis qu'il nous reste à faire connaître maintenant,
en Italie et en Allemagne seulement, les étapes successives de la lente
évolution de la Sonate.
Il semble toutefois que cette évolution se soit produite en sens inverse
dans chacun de ces deux pays : en Italie, après une assez belle floraison
au temps de Corelli, la Sonate tombe promptement en décadence et
disparaît; en Allemagne, au contraire, son élaboration paraît un
peu plus lente, mais sa forme se perfectionne, sans cesse, faisant pres-
sentir de plus en plus nettement les créations géniales du maître' de
Bonn. Ces tendances opposées se manifestent presque simultanément
dans les deux écoles ; mais, en raison de leurs destinées, nous étudie-
rons les Italiens avant les Allemands, dans cette brève histoire qui
sera divisée de la manière suivante :
La Sonate italienne (§ 9) : 'xx
— Corelli, ses prédécesseurs et successeurs;
La Sonate allemande (§ 10, ii, 12), divisée en trois périodes :
— Première période : La Sonate primitive[% 10), de Kuhnau à J.-S. Bach;
— Deuxième période : La Sonate dithématique [% 11), Ch.-Ph.-Em. Bach
et ses contemporains;
— Troisième période : Les prédécesseurs de Beethoven {^ 12), Haydn,
Mozart, Rust.
CoURt DI COMPUSITIOM. — T. Il, I, ij
• 78
LA SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
LA SONATE ITALIENNE.
Le père de la Sonate italienne est, sans contredit, Giovanni LEGRENZr
(voir ci-dessus, p. i25). Bien que ses Souate da Caméra soient conçues
en forme Suite, et que la construction /er7zaîre n'y apparaisse nulle part,
elles ont déjà de la Sonate le cycle musical, c'est-à-dire un nombre de
mouvements réduit à ti'ois ou quatre. Sa célèbre Be/iivoglia, op. S, n° i,
(1667) servit de modèle à toutes les Sonates italiennes postérieures;
elle est ainsi divisée :
10 Allegro, C, en 5/t>-
2» Adagio, 3, en sol.
^"Allegro, 6/8, en ré.
40 Presto, 3/4, en sn>- , /
Dans ce même ordre d'idées, nous devons signaler Giovanni Battista
VITALI, qui osa réduire à t?'ois le nombre des pièces de ses Suites-
Sonates, dans lesquelles on trouve parfois, comme plus tard chez
Corelli, un thème générateur qui régit tous les morceaux du cycle
Qu'on lise par exemple sa deuxième Sonate (publiée à Bologne en.
1677), où les quatre mouvements procèdent d'un thème identiquea:
I. Grave
ll.Presti.ssiino
III. Allegro
IV. Largo
Cette conception thématique sera, deux siècles plus tard, reprise par
César Franck et érigée en principe conscient dans sa Sonate pour
violon (voir chap. v). \y
Nous mentionnerons enfin Giovanni Battista BASSANI (i637f 1716),
qui fut maître de chapelle du duc de Ferrare et qui enseigna l'art du
violoniste à A. Corelli. Les Sonates de Bassani sont toutes de coupe
bitiaire, mais cependant très antérieures aux quatre premières œuvres
LA SONATE ITALIENNE 17,
de Corelli, bien qu'elles aient été publiées postérieurement à celles-ci.
C'est certainement l'étude approfondie des œuvres de son maître qui
fit adopter au grand Arcangelo la forme générale en quatre ou cinq
mouvements à laquelle il resta toujours fidèle.
Nous arrivons maintenant à l'époque qui vit fleurir et se développer
en Italie la véritable forme Sonate, constituée non seulement par le
nombre restreint des mouvements, mais surtout par la coupe ternaire de
la pièce initiale.
Voici la liste des principaux compositeurs ;
Arcangelo Corelli i653 f 17 13 ' K
Francesco Gemini ANi 1680 f 1762
Francesco Maria Veracini. . . . i685 f 17S0
GiusEPPE Tartini 1692 f 1770
PlETRO LOCATELLI l6q3 f I 764
Giovanni Battista Pescetti. . . 1704 f 1766
Baldassare Galuppi 1706 f 1784
Pietro Nardini 1722 f 1793
Gaetano PuGNANi i73i f I 7q8
Arcangelo CORELLI, né à Fusignano et élève de Bassani pour le
violon, fut quelque temps musicien de cour à Munich, puis, en i6>Ji,
il revint s'établir à Rome, dans le palais même du cardinal Ottoboni,
grâce à la protection duquel il eut le loisir de penser et d'écrire ses
œuvres sans nul autre souci.
Ses quarante-huit premières Sonates (i683 à 1694) pour deux vio-
lons avec basse continue d'orgue, de clavecin ou d'archiluth, en quatre
livres, relèveraient plutôt de l'ordre de la Musique de Chambre ; mais
son œuvre la plus importante est un recueil de « Douze Sonates à
deux » pour violon et basse continue au clavecin, op. 5, qui parut en
1700 et atteignit en peu de temps cinq éditions consécutives (1).
Cette œuvre exerça une influence considérable, en Italie et en Alle-
magne, sur les compositeurs contemporains de Corelli et même sur ses
successeurs ; on lui doit en eff'et la consécration définitive du principe
ternaire appelé à opérer une si grande révolution dans la structure des
œuvres musicales.
La plupart des Sonates de Corelli, à l'exception de la 12* (suite de
Partite ou 'Variations sur un air alors en vogue, La Follia), sont en cinq
mouvements, au cours desquels on ne rencontre que deux repos, le
(!) Ces douze Sonates existent avec la basse assez convcnabicn-ent réalisée, dans une pu-
blication anglaise, chez Novello, Ewer a. C», à Londres : Albums fur violm and fianofortt,
1 1 et I ].
"K
180 LA SONATE PRE BEETHOVÉNIENNE
Grave initial étant toujours enchaîné au morceau suivant, et V Adagio
ou le Largo, au finale :
i 10 Grave ou Adagio, représentant l'ancien Prélude ;
{ 2" Allegro (relié au précédent).
3* Vivace (séparé).
( 4° Adagio, ou Largo ;
I 5" Allegro, ou Vivace, ou Gigue (relié au précédent).
Le mouvement vif du milieu n'est qu'une sorte de moto perpetuo
destiné à faire valoir la dextérité du violoniste. Quant à V Adagio, il est
presque toujours dans une tonalité autre que la principale.
Il conviendra d'étudier particulièrement la i", la 6', la q^.et la 11'.
Dans la i" Sonate, en «É, le Grave, orné d'une sorte de yj<^z7î/5, se
répète deux fois, oscillant de la dominante à la tonique; le thème du
premier Allegro y est réexposé par la basse continue, tandis que le
'jolon brode des ornements au-dessus; de plus, il sert aussi de sujet
principal à V Allegro qui termine l'œuvre :
Allegro initial :
Cette disposition est assez fréquente h cette époque, mais elle ne
reparaîtra plus guère qu'avec Beethoven. \y
La 6' Sonate, en la, est à peu près conçue de la même manière,
mais ici c'est le mouvement Grave qui expose les deux éléments mélo-
diques sur lesquels est bâtie la composition entière. Ainsi, le dessin
initial forme le thème de V Adagio médian :
dessin initial du Grave
sujet de l'Adagio ;
tandis qu'un second dessin, également exposé dans le Grave, reparaît
comme sujet de V Allegro suivant :
su|el Je VAtlc^ro i
trois des morceaux, sur cinq, sont donc faits sur le même sujet.
La 9* Sonate, en la également, quoique manifestement écrite dans
le style de la Suite, ofl're un exemple assez rare d'intrusion de la forme
ternaire dans l'air de danse : la Gigue et la Gavotte, reniant leur origine
LA SONATE ITALIENNE ■ ,8i
binaire, contiennent toutes deux une réexposilion tonale de leur dessin
initial.
Enfin, la 1 1* Sonate, en mi, est un vrai modèle réduit de ce que cette
forme était appelée à devenir plus tard. A une courte introduction inti-
tulée Preliidio succède un Allegro plein de verve et plus mélodique que
les morceaux similaires des autres sonates : on a pu le constater, du
reste, par le thème principal que nous avons cité précédemment (p. i 58).
Cette Sonate contient ensuite un Adagio en m/ 5, puis un Vivace,
ancêtre du Scher'^o beethovénien, et enfin une Gavotte de forme binaire
qui termine l'œuvre. )^-
Francesco QEMINIANl naquit à Lucqueset se fixa, dès 17 14, à Londres,
où son talent de virtuose lui créa bientôt une situation prépondérante.
Après un séjour à Paris, où il fit graver plusieurs de ses œuvres, de 1748
à 1755, il retourna en Angleterre et mourut à Dublin, à l'âge de quatre-
vingts ans passés.
C'est à Geminiani que l'on doit la plus ancienne de toutes les
méthodes de violon, dans laquelle il fait déjà monter l'exécutant jusqu'à
la sixième position ,1740). Ses Sonates sont d'ordinaire en quatre mou-
vements : Largo, Allegro, Adagio, Allegro. On connaît de lui, dans
cette forme : vingt-quatre 5o/o5 de violon, op. i et 2(^1716), et douze
Sonates avec basse continue, op. 11, parmi lesquelles nous citerons
la Sonate en ut, dont le Largo présente une ligne mélodique
vraiment émouvante par son expression douloureusement tourmentée :
Largo
Belle phrase musicale, et presque digne de la plume d'un Bach I
Francesco Maria VHRACINI, florentin, fut le maître de Tartmi (voir
ci-après, p. 1 8-2;. D'abord musicien de chambre de l'électeur de Saxe, à
i83 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉMENNE
Dresde, il devint ensuite chef de la musique du comte Kinsky, à Prague,
où il passa le reste de sa vie.
Il publia h Dresde, en 1721, douze Sonates pour violon et basse
continue, toutes en quatre mouvements : Ouverture (ou Ritoriiello),
Allegro, Largo (ou Menuet) et Gigue (ou Rondeau).
Giuseppe TARTINI est né à Pirano, près de V'enise. Pendant ses études
de droit à Padoue, il enleva et épousa secrètement une nièce du cardinal
Cornaro. Accusé de rapt et poursuivi pour ce fjiit, il se réfugia dans le
monastère des Franciscains d'Assise et, durant les deux années qu'il y
resta, il travailla assidûment la musique sous la direction de l'organiste
du couvent, Pater Boemo. Le cardinal Cornaro ayant pardonné,
Tartini revint à Padoue auprès de sa jeune épouse, et sa réputation
de virtuose du violon prit, en peu de temps, de considérables pro-
portions.
Déjà célèbre à vingt-deux ans et recherché par tous les amateurs, il
eut l'occasion d'entendre Veracini à Venise, et, mettant de côté toute
vanité personnelle, il sut reconnaître que son éducation musicale était
fort imparfaite. Il eut donc le courage de renoncer momentanément à
ses succès et se rendit à Ancône auprès de Veracini, afin de profiter de
ses conseils.
Ce fut au cours de ces années de retraite volontaire qu'il fut amené à
découvrir la théorie des sons résultants et qu'il conçut la première
idée de son Trattalo di Musica (i).
En 1721, il fut choisi comme chef d'orchestre de la basilique de
Saint-Antoine, à Padoue, où il fonda une école qui forma un grand
nombre de violonistes célèbres. Il mourut dans la même ville après de
fréquents voyages dans diverses cours d'Allemagne.
Tartini était plein de cœur ; on cite de lui des traits de grande géné-
rosité : lorsqu'un élève lui paraissait bien doué, il refusait obstinément
de recevoir de lui aucune rétribution, disant que « le temps dépensé
pour la musique ne pouvait être payé ».
Il laissa cent deux Sonates pour violon et basse continue, toutes en
quatre mouvements : Grave, Allegro, Adagio, Allegro. Cinquante-cinq
d'entre elles seulement ont été gravées, les douze premières à Paris,
op. I, les autres, en six recueils, op. 2 à 7, à Venise.
La Sonata del Diavolo (dite le Trille du diable), la plus connue mais
non la plus intéressante de ses oeuvres, fut publiée ;"i part. Il l'avait
écrite en 171 3, d'après un rêve qu'il raconte en détail dans une lettre
adressée à l'astronome' Lalande (2).
(i) Voir 1" liv., pige I Î7.
(>) Voir Dictionnaire de musique de Choron, l. II, p. î6o.
LA SONATE ITALIENNE ,83
j_es Sonates de Tartini sont écrites dans le style de celles de Corelli,
mais avec un sentiment plus complet de la forme, la réexposition y
prenant une place prépondérante ; comme Corelli, il enchaîne entre eux
la plupart des morceaux; parfois même, tous sont construits, sinon sur
un thème unique, du moins sur des dessins très proches parents les uns
des autres. Dans la Sonate en RÉ (i), par exemple, on verra circuler
le dessin initial à travers les quatre morceaux qui constituent l'œuvre:
r; rav e
AJlegro
Larghetto
Allegretto
Pietro LOCATELLI, né à Bergame et élève personnel de Corelli, s'éta-
blit à Amsterdam où il mourut. Il contribua puissamment à faire pro-
gresser l'art du violon, surtout en ce qui concerne les doubles cordes.
Il réduisit encore le nombre des pièces de la Sonate ; ses douze
Sonates pour flûte et basse continue, op. 2, publiées aussi pour violon,
ne comptent chacune que trois mouvements : Andante, Adagio, Presto.
Les six Sonates pour violon, op. 6 ( i 737), sont en quatre mouvements :
Grave, Allegro, Adagio, Allegro, qui s'enchaînent tous sans interrup-
tion. L'une des plus belles est celle en sol (2) ; elle est d'une grande
noblesse d'invention, et son Adagio en ut, dont nous donnons ci-des-
sous la mélodie initiale, ofire un type absolument complet de \di forme
lied en trois sectious :
Qiovanni Battista PESCETTI, vénitien, élève de Lotti et organiste du
deuxième orgue de Saint-Marc en 1762, publia, en 1789, neuf Sonate
ver Gravicembalo, en trois et quatre mouvements. Pescetti fut le
(1) Ed. Peters, David's hùhe Hchutt, vol. il, page 134.
Ibid., page 1 58,
iS4
L\ SONATE PRE-BEETHOVEMF.NNE
premier compositeur italien qui osa, en dépit de l'étymologie, nommer
Souales des oeuvres pour un instrument à clavier seul (i).
Baldassare QALUPPI (dit il Buranello, du nom de sa ville natale,
Burano), étudia sous la direction de Lotti et passa la plus grande partie
de son existence à Saint-Pétersbourg, où il composa un grand nombre
d'opéras comiques.
Il écrivit douze Sonates pour clavecin, publiées en deux livres, à
Londres (i 754). Ces Sonates sont intéressantes en ce qu'elles marquent
une phase de transition ; quelques-unes sont en quatre mouvements,
mais la plupart en trois et même en deux.
L'une d'entre elles, en rè, comprend un Grave, un Allegro et un
Andantino ; il faut noter la curieuse cadence qui termine le Grave
initial, et donne naissance au dessin mélodique (a) de V Allegro suivant,
en rythme inégal de sept et s/.v doubles croches :
(Grave!
(Allepro)
Pietro NARDINI, toscan et élève de Tartini, fut, de lySS à 1767,
violoniste solo de la chapelle du duc de Wurtemberg, à Stuttgard, puis
revint en Italie, en 1770, pour occuper le poste de directeur de la mu-
sique à la cour de Florence. On connaît de lui six Sonates pour violon
et basse continue, op. 2, et six Soli de violon, op. 5.
QaetanoPUONANI, de Turin, fut maitre de chapelle de la cour dans
cette ville et eut pour élève le célèbre V'iotti. Il écrivit quatorze Sonates
pour violon seul.
(1) On a vu (noies des pages 106 ei i33) que cette .ipplicaiion, alors nouvelle, du nom de
Sonate avait bieniCit fait oublier coniplcicmeiu I acception oriKinelIc.
En Allemagne, Kuhnau (voir ci-apris, p. itS?) avait tie|ù écrit en 1692 une 5o>iiirr pour
tlavecin seul.
LA SONATE ALLEMANDE PRLMITIVE 185
Nardini et Pugnani furent les derniers compositeurs de Sonates en
Italie ; avec eux commença la décadence, car, dès la seconde moitié du
xviii* siècle, le Concerto, forme où la musique cédait le pas à la virtuo-
sité, sévissait dans toute la péninsule, tandis que l'art d'écrire la Sonate
et la Musique de Chambre s'y était complètement perdu.
10. — LA SONATE ALLEMANDE PRIMITIVE.
Le rôle que Legrenzi avait joué à l'égard de la Sonate italienne fut
dévolu, en Allemagne, à Dietrich BECKER (voir ci-dessus, p. 143). Ce
remarquable compositeur, dans ses Musikalische Frïthlings Friichte (i),
adopta en effet la construction en trois mouvements {Allegro, Ada-
gio, Allegro), pour ses Sonates à deux violons et basse continue ; mais
toutes celles-ci sont écrites en forme Suite et sans apparence de retour
au thème initial. N'ous ne pouvons donc compter Becker parmi les
compositeurs de Sonates à forme ternaire, bien qu'il ait contribué cer-
tainement, en Allemagne, à l'éducation des promoteurs de la Sonate
primitive, dont la liste suit :
Johann Kuhnau 1660 f 1722
JOHAN.N MaTTHIÏSON I 68 l f I 764
Georg Philip Telemann 1681 ■{- 1767
Christoph Graupner 1083 f 1760
Georg Friedrich Haendei 1684 f 1739
Johann Seisastian Bach 168? f 1730
Johann KUHNAU (voir ci-dessus, p. 144) exerça une influence consi-
dérable sur la direction de la musique instrumentale en Allemagne. Sa
célèbre Sonate en S/i>, publiée en 1692, comme appendice à la seconde
partie de la Clavieriibung, avec cette originale dédicace « composée
pour le plaisir particulier des amateurs de clavecin », est certainement
la première œuvre écrite en ce genre pour un instrument à clavier. La
forme ternaire ne s'y montre pas encore, mais la construction est essen-
tiellement différente de celle de la Suite. Elle est en quatre parties : un
Prélude majestueux, une Fugue très mouvementée, un Adagio à la
sous-dominante suivi d'un court Allegro de transition qui ramène le
Prélude. A la fin, se trouve l'épigraphe : Soli Deo Gloria !
Mais c'est surtout dans le recueil intitulé Frisdie Klarier Friichte, et
dédié au comte J. -A. Losy, conseiller du Saint-Empire, que Kuhnau
commence à entrevoir la forme définitive de la Sonate.
Les sept œuvres qui composent ce recueil sont toutes en quatre mou-
(1) Lei Fruits musicuux du pnnieinps.
,86 LA SONATE PRE-BEETHOVÉNIENNE
vements entrecoupés parfois de courts Adagios ; la 4' Sonate, en ut,
offre une construction assez particulière :
i" Vivace ainsi divisé :
— Exposition en deux longues parties, du thème initial (A), en ut,
avec reprise de la seconde partie et modulation à la D. ;
— Partie médiane très courte;
— RÉExposiTiON du thème initial (A), à la T., et conclusion en l'T
par la tierce picarde (voir ci-dessus, p. i3[).
20 Adagio fantaisiste, allant de La \? à ut et enchaîné à la pièce suivante ;
3° Allegro fugué, construit en forme Sonate de coupe ternaire ;
4° Menuet, aussi original par sa forme que par sa ligne mélodique : il
commence en mi t>, relatif majeur du ton principal, s'infléchit
peu à peu vers celui-ci et termine enfin en UT, au moyen de
la tierce picarde ; de plus, la phrase y est constamment
présentée en rythmes successifs de trois et de cinq mesures :
Il est donc de toute justice de considérer Kuhnau comme le créateur
de la Sonate allemande primitive dans la forme où elle fut consolidée
par ses successeurs, jusques et y compris Sébastien Bach (i).
Johann MATTHESON. Ce n'est point la première fois que nous ren-
controns le nom de ce bizarre personnage, à la fois musicien, juriste,
diplomate, écrivain et chanoine, qui émit d'intéressantes théories sur la
plupart des connaissances humaines (2).
Dès son plus jeune âge il étudiait simultanément la musique, sous la
direction du célèbre Pretorius, le droit et les langues étrangères. A vingt
ans, il était ténor à l'opéra de Hambourg, sa ville natale, et y dirigeait
un peu plus tard, comme chef d'orchestre, une œuvre dramatique de sa
composition, die Pleradeu. En 1706, il est nommé secrétaire de léga-
1) Il existe une édition moderne à peu près complète des œuvres de Kuhnau pour cla-
vecin, dans la publication iniiiuléc Oenkmaler deutscher Tonkunst, i" partie, iv* vol.
BreiikopT et Hicricl, 1901.
(2) Voir notamment ci-dessus, p. io ci 82.
LA SONATE ALLEMANDE PRI.WniVE 187
tion en Anoleterre ; en 17 i 5, il devient chanoine de Hambourg et direc-
teur des cérémonies de la cathédrale, pour les offices de laquelle il com-
posa nombre de Messes et de Passions, sans compter trente Oratorios.
Atteint de surdité vers sa quarantième année, il abandonna complè-
tement la pratique de l'art musical pour se livrer aux études critiques.
Parmi ses écrits publiés, et sans parler de ceux qui concernent la
théologie ou la jurisprudence, on connaît de lui plus de trente volumi-
neux ouvrages sur la théorie et l'histoire musicales; nous lui devons
même la plus grande partie de nos renseignements sur les compo-
siteurs et les compositions de son époque. Ses principaux ouvrages, que
devraient connaître tous les artistes désireux de s'instruire, sont :
1° das neuerôj'nele Orchester^ oder grïmdliche Anleitung ivie ein Gci-
lauthomme eine i^ollkommende Begriff von der Hoheit utid Wiirde der
edleti Musik erlangen moge (i) (lyiS) ;
2° das beschut\te Orchester (2) (1717), dédié « aux treize meilleurs
musiciens de son temps » ; ce sont : G. Vertouch, J.-J. Fux, J.-D. Heini-
chen, G. -F. Hsendel, R. Keiser, J.-P. Krieger, J. Krieger, J. Kuhnau,
C. Ritter, J.-C. Schmidt, A. Stricker. G.-P. Telemann, J. Theile ;
on n'y trouve point le nom de J.-S. Bach
3° das Jorschende Orchester (3) (1731); dans ces trois traités, Mat-
theson émet d'abord une théorie générale de la musique, avec beaucoup
d'ingénieuses remarques, notamment sur les propriétés des divers
instruments ; il réfute ensuite les raisonnements de ceux qui soute-
naient encore les principes de la solmisation et l'usage des anciens
modes; il établit enfin une sorte de philosophie de l'harmonie et du
contrepoint ;
4° Exemplarische Organisten Probe im Artikel vom General-Bass (4)
(1719), sorte de traité d'accompagnement où les citations mathéma-
tiques et architecturales sont en aussi grand nombre que les pièces de
musique ;
3° der musikalische Patriot {b) (1728) ;
6' der vollkomntene Kapellmeister {6) (1739), le plus important de ses
ouvrages, dans lequel il enseigne tout ce qu'un directeur de musique
devait savoir à cette époque. L'ouvrage est divisé en trois parties :
i' u Réflexions scientifiques sur les connaissances nécessaires au maître
de musique » ; 2° « L'art de composer une mélodie, ou la création d'un
(i) L'orchestre dévoilé, ou les principes au moyen desquels un galant homme peut acqué-
rir une parfaite connaissance de la grandeur et de la dignité de la noble musique,
(a) La défense de l'orchestre.
(3) L'orchestre approfondi.
(4) L'art de l'organisie, en matière de basse continue, enseigné par des exemples.
(5^ Le patriote musicien.
6) Le parfait ti aitre de chapelle. Voir le chapitre Je la Fugue, où cet ouvrage est cité
assez longuement (pages 3o et 3i).
i88 LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
chant monodique » ; 3° « L'assemblage de plusieurs mélodies ou l'art
de la pohphonie qu'on appelle aussi harmonie ». Les exemples musi-
caux s'y trouvent en grand nombre ; ils sont souvent extraits d'œuvres
modernes, pour l'époque de Mattheson, ce qui peut fournir au musico-
logue de précieux documents.
Son dernier ouvrage, intitulé Grûndlage einer Ehrenpforte (i), fut
l'un des premiers dictionnaires d'histoire musicale, dans lequel sont
mentionnées la vie et les œuvres des compositeurs, professeurs et
exécutants alors connus.
Outre ce bagage littéraire et ses œuvres d'église et de théâtre, Matthe-
son laissa douze Sonates pour deux et trois flûtes, sans basse continue
(1708); un recueil de douze Sonates pour flûte et clavecin (1720),
intitulé der Virtu'os ; et enfin, une Sonate pour clavecin seul [i']i?)),
dédiée « à la personne qui saura la mieux jouer » [die sie am bestert
spieleu h'/V^). Cette œuvre est extrêmement intéressante comme cons-
truction : elle pose nettement le principe, déjà entrevu par Kuhnau,
du retour au ton par la réexposition complète de la mélodie initiale.
Elle est en un seul mouvement, divisé en trois parties :
I. Kxp. du th. A, en SOL;
— Passage de transition ;
— Th. A, exposé à la D.;
— Passage de transition ;
— Th. A, exposé à la T., en forme abrégée.
1. Fragments du th. A, exposés à la SD., à la T , « la û et au Rel. de
la D., avec conclusion.
3. Reproduction intégrale de la première partie en sol.
Cette composition marque une sorte d'état intermédiaire entre la
Sonate-Suite et la forine définitive : c'est en cela surtout que consiste
son intérêt.
Qeorg Philip TELEMANN. né à Magdebourg, commença par étudier le
droit à l'université de Leipzig; mais bientôt, cédant à sa passion pour
la musique, il abandonna la jurisprudence et devint, en 1704, organiste
de \a Neu-Kirche, à Leipzig. En 1709, il fut choisi comme maître de
chapelle des cours de Baireuth et d'Eisenach ; ce fut pendant ses séjours
dans cette dernière ville qu'il se lia d'amitié avec J.-S. Bach dont il tint
sur les fonts baptismaux le troisième fils Charles-Philippe-Emmanuel.
Ayant accepté, en 1721, le poste de directeur de la musique à Ham-
bourg, il passa dans cette ville tout le reste de sa vie.
Ses œuvres dans la forme Sonate furent, pour la plupart, gravées de
(1) Fondations d un Arc de iriumplic.
LA SONATE ALLEMANDE l'HIMIllVE 189
sa main ; elles consistent en douze Sonates pour violon, en deux re-
cueils (1715-1718); six Sonates pour deux flûtes (ou deux violons)
sans basse; six Sonates pour clavecin et douze Sonates mélodiques pouv
violon (ou flûte), avec basse continue.
Son ouvrage der getraue Alusikmeister, paru en 1728, contient aussi
plusieurs Sonates.
Christoph QRAUPNER, né à Kirchberg, dans les montagnes de Saxe,
d'abord élève de Kuhnau à l'école Saint-Thomas de Leipzig, devint,
en 1709, maître de chapelle de la cour de Darmstadt; ses dernières
années furent attristées par l'affaiblissement graduel et la perte de sa
vue.
Graupner fut l'un des plus importants disciples de Kuhnau et parut
même désigné, à la mort de celui-ci, pour le remplacera la tête de la
Thomas Schule\ mais il retira modestement sa candidature devant celle
de J.-S. Bach.
Comme tous les musiciens de son époque, il grava lui-même la plus
grande partie de ses œuvres, et laissa aussi un grand nombre de manus-
crits qui n'ont point été publiés. Ses principaux ouvrages sont deux
recueils de Sonates, parus sous les titres Monatliche Klavierfriichte
(1722) et die vier Jahres\eiten (1733).
Qeorg Friedrich H^NDEL (voir ci-dessus, p. 146) publia, avant 1740,
douze Sonates pour violon (ou flûte) avec basse chiffrée, et ensuite,
treize Sonates pour hautbois (ou violon, ou flûte) avec basse continue ;
ces dernières seules sont dans la forme Sonate proprement dite.
Johann Sébastian BACH (voir ci-dessus, p. 76 et 147). Aucune forme
ne pouvait rester étrangère au génie qui synthétise dans son œuvre
toutes les tendances de l'art musical de la première moitié du xvui' siècle ;
aussi retrouvons-nous le grand Bach au chapitre de la Sonate comme à
ceux de la Fugue et de la Suite, et cependant ce n'était pas à ce pro-
digieux esprit qu'il était réservé d'affranchir la Sonate du joug de la
suite, pour la doter de sa forme définitive. Mais il était écrit que le
nom de Bach devait être attaché à l'idée de progrès musical, et ce
fut le troisième fils de Jean-Sébastien qui accomplit la réforme
nécessaire, comme nous le verrons plus loin (p. igS).
Si nous citons ici les Sonates de J.-S. Bach, ce n'est point qu'elles
se rattachent toutes au genre que nous traitons; un certain nombre
d'entre elles présentent, en elTet.tous les caractères de la musique en trio.
1,0 LA SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
Style qui relève de la Musique de Chambre (i), mais il nous a semblé
qu'on s'étonnerait à bon droit de ne point voir cités ici, au moins dans
une nomenclature, ces chefs-d'œuvre si connus. D'autre part, comme
nombre de ceux-ci sont en forme ternaire, nous ne sommes point hors
de notre sujet en les analysant dans ce chapitre.
Bach composa une vingtaine de Sonates environ : six pour orgue (en
trio)^ trois pour flûte et clavecin (en trio)^ trois pour viole de gambe et
clavecin, six pour violon avec clavecin accompagnant ; enfin, quelques
autres pour plusieurs instruments : deux violons, deux clavecins, flûte,
violon et basse continue, etc.
La plus grande partie de ces Sonates datent, ainsi que les Suites, de
la période de Cœthen *, seules, les six Sonates pour violon, écrites de
1726 à 1730, peuvent être attribuées à l'époque de Leipzig.
Contrairement à ce qui se produisit chez les compositeurs italiens, il
semble que Bach ait voulu accroître le nombre des pièces de la So-
nate au lieu de le restreindre. En effet, ses premières Sonates parais-
sent construites comme celles de Locatelli : les Sonates pour orgue et
celles pour flûte, par exemple, ne comptent que trois mouvements. Les
œuvres postérieures au contraire (Sonates pour violon et pour viole de
gambe) en offrent toujours quatre, parfois même cinq, et se rapprochent
ainsi de la construction cyclique de Corelli. Il s'en faut toutefois qu'elles
procèdent de la même esthétique, car leur écriture en trio révèle déjà
une tendance vers l'art collectif de la Musique de Chambre, tandis que
chez Corelli, l'instrument récitant, toujours traité comme une person-
nalité à part, fait présager l'avènement prochain du style décadent qui
donnera naissance au Concerto.
Nous allons examiner rapidement les plus importantes de ces
Sonates. Les six Sonates en trio, dites pour orgue, furent composées
par Bach de 1722 à 1727, pour le clavecin à deux claviers et pédalier,
dans le but de préparer son fils aîné Wilhelm-Friedemann au jeu de
trois claviers indépendants. La plupart sont écrites dans la forme de
la Suite ou du Concert (2); seule, la b' en ut présente, en ses trois
parties, les caractères de la Sonate primitive. Le premier mouvement
contient une réexposition très nette h la tonique, et le second morceau
{Largo, 6/8) est un vrai lied en trois sections.
Des trois Sonates en trio pour flûte et clavecin, la i", en si, est à
(1) Bach donne lui-même, dans ses manuscrits, la dénomination de trio h la j« Sonate
pour tiùic.ct écrit, en tcte des six Son.itcsdc violon, c tiire suivant qui ne laisse aucun doute
sur sa pensée é cet éfçard : .S>i Siionate a Cembalo c Violiiio solo, col basso pf Viola d»
Gamba accompagnaio se pidce. Tout ce qui concerne la musique en trio et la Musique de
Chambre sera étudié dans la Seconde Partie du présent I.i»re.
(3} Voir !■ Seconde Partie du présent Lirre.
L\ SONAIF. AM.EMANDL: l'RIMITlVK u,
étudier attentivement, car sa construction est très en avance sur celle
des autres Sonates de Bach.
En voici l'analyse et le thème principal :
Exi>. du thème unique (A) en .si ;
— Passage modulant;
— Th. A, exposé à la SD-, en fa S;
Partie médiane, avec repos en SOL et mi. par A;
Réexp. du th. A, en si, avec canon et Conclusion.
Ce thème si expre'îsif s'accroît encore en inrérêt, lors de la rèexposi-
tion de son second membre de phrase {oimani canon sur divers degrés,
pendant près de vingt mesures ;
LA SONATE PRK-BEETHOVEMENNE
Ce mouvement initial est, à tous points de vue, une pièce de premier
ordre.
Le Largo au ton relatif majeur est traité en forme binaire.
Quant au Presto final, il commence par une Fugue et se résout en un
Allegro, binaire également, simple variation du sujet de la fugue précé-
dente.
Les deux autres Sonates, en m, et la, offrent aussi des mouvements
en forme ternaire avec réexposition apparente du thème.
Il en est de même des trois Sonates pour viole de gambe ; deux
d'entre elles sont précédées d'une large introduction.
Arrivons aux Sonates pour violon dont l'étude, cependant si féconde
en enseignements précieux pour les violonistes, a été jusqu'à présent
bannie, on ne sait pourquoi, des programmes officiels.
La 2% en la, est ainsi construite :
1* Adagio, en canon interrompu seulement par trois cadences à la D .,
au Rel. et à la T.\
2* Allegro, fugué, dans la forme du Concert (i| avec réexposition com-
plète dans le ton principal ;
3" nd le (en fa S), admirable phrase de vingt-neut mesures en canon
régulier entre le violon et la partie haute du clavecin;
4» Presto de coupe ternaire avec réexposition
La 3', en m/, présente une coupe identique.
La 5*, en fa, débute par un Largo en forme lied d'une expression
(i) Voir la Seconde Parue Ju présent Livre.
LA SONATE DITHÉMATIQUE ,9,
calme, dont nous ne retrouverons plus d'exemple que dans les grands
Aiidante beethovéniens:
Enveloppée dans ce dessin persistant, s'expose, au grave du violon,
une noble et pénétrante mélodie. Bien peu de violonistes savent la pré-
senter d'une façon assez soutenue pour rendre saisissable la belle enver-
gure desaligne synthétique. Les trois sections de cet admirable Ul'J
sont ainsi constituées :
Sect. I. Exp. en fa, avec cadence enLAt>;
Sect. II. Pa'-tie modulante, revenant vers le ton principal ;
Sect. III. Réexp. en fa simplifiée mélodiquement, et s'enchaînant à VAl'
tegro au moyen d'une cadence à la D.
Les autres mouvements sont également de coupe ternaire.
La 6' Sonate, en sol, se rapprocherait davantage du style de la Suite:
elle est en cinq mouvements :
1» Allegro en SOL avec réexposition ;
2' Largo en mi ;
3" Allegro en mi ;
4» Adagio en si ;
5» Allegro final en SOL, avec réexposition.
II. — LA SONATE DITHEMATIQUE.
Karl Philip Emanuei, B.\CH. . . . 1714 f 1788
Johann Georg Leopold Mozart. . 1719 f 1788
Georg Benda 1722 t 1795
Johann Christian Bach 1735 f 1782
Johann Wilhelm H>essler. . . 1747 f 1822
auxquels il faut ajouter, malgré son origine italienne :
P1ETR0 D0MENIC0 Paraiiisi dit Paradies. i7iof 1792
Karl Philip Emanuei BACH, troisième fils de Jean-Sébastien, sor-
tit à vingt ans de la maison paternelle pour entreprendre l'étude du
droit ; mais, la prédestination atavique prenant le dessus, il se
consacra bientôt à la musique exclusivement.
D'abord accompagnateur, puis maître de chapelle du roi de Prusse
Cours ds couposiiio.n. — t. h, i. i^
,g_, LA SONATE PRE-I3EETH0VEN1ENNE
(1740), il resta pendant près de trente ans le « musicien à tout faire »
de la cour du grand Frédéric, où il eut souvent à souffrir des manies du
flûtiste couronné. Aussi profita-t-il de la première occasion pour
demander sa retraite : la guerre de Sept Ans ayant provoqué une réduc-
tion considérable des salaires alloués aux musiciens de la chapelle
prussienne, Emmanuel Bach quitta Berlin et prit, en 1767, la succession
de Telemann comme directeur de la musique à Hambourg ; il y
mourut d'une maladie de poitrine, après avoir exercé ses fonctions
pendant vingt ans.
Bien qu'ayant subi l'influence des solidesenseignements prodigués par
J.-S. Bach à ses élèves et à ses enfants, Philippe-Emmanuel était doué
d'un jugement assez sain pour ne point chercher à imiter servilement
la manière de son père ; il adopta donc l'écriture nouvelle que lessen-
sualistes d'alors mirent à la mode en l'exaltant comme un progrès sur le
vieux contrepomt : on la nommait le style galant, probablement parce
qu'elle plaisait aux dames (i).
Ce style, provenant du Concerto qui régnait alors en maître, en Alle-
magne comme en Italie, avait beaucoup contribué à la décadence de la
Sonate ; pour rendre la vie à celle-ci et lui donner un nouvel essor,
il ne fallut rien moins que l'action rénovatrice du génie si prime-sau-
tier d'Emmanuel Bach.
Le second élément mélodique, ajouté par lui dans l'exposition et dans
la réexposition du mouvement ternaire, devait faire ce miracle de
sauver la Sonate, en fécondant à nouveau cette belle forme tout près
de disparaître et de se confondre avec le Concerto.
Si, chez Ph.-Emm. Bach, la mélodie manque parfois de variété et de
distinction, en revanche l'imprévu du rythme et de l'harmonie donne à
ses œuvres une saveur toute particulière.
Rien n'effraie ce novateur : il n'hésite pas à se lancer dans les combi-
naisons enharmoniques les plus hardies, sans savoir toujours très
bien comment il s'en tirera; il lui arrive d'associer, dans quelques
sonates, des tonalités qui devaient être, à cette époque tout au moins,
étonnées de se trouver ensemble ; la première Sonate du recueil de
17^3, par exemple, est ainsi constituée :
Premier mouvement, en forme de .\tenuet, en soi. ;
Larghetto, en sol, enchaînant par une modulation enharmonique au Finale
Finale, en forme de Menuet, dans le ton de .(//, avec un milieu en VT.
La partie médiane des premiers mouvements devient beaucoup plus
libre et plus fantaisiste : elle ne procède plus uniquement par redites et
fait déjà pressentir le développement véritable
(1) Un a vu ci-dessui, dani la itclion ttchnique \p. i ^b), en quoi consiste ce style.
!.A «SONATE DITHÉMATIOUE iq,
En résumé, les innovai ons de Ph.Emni Bach dans le plan de lu
Sonate primitive sont au nombre de trois :
1° adjonction d'une secotiae idée musicale{B} au thème initial (A), dans
la structure du premier mouvement ;
2° substitution du style libre ou galant au style strict ou fugué,
dans l'écriture de la Sonate ;
3° élargissement rythmique et harmonique de la partie médiane
dans le mouvement de forme ternaire, au moyen de l'enharmonie et
de la rupture des rythmes symétriques.
Nous trouverons dans la Sonate beethovénienne l'application défini-
tive et consciente de ces trois principes.
Loin de vouloir détruire l'ancien ordre de choses pour la plus grande
gloire de sa propre personnalité, Ph.-Emm. Bach reste toujours fidèle
aux enseignements de la tradition ; original inconscient, il modifia la
construction de la Sonate, sans peut-être se douter que ces modifica-
tions étaient devenues nécessaires pour assurer à cette forme une
longue et glorieuse existence.
Il est, en effet, curieux de constater que les Sonates qui offrent les
types les plus parfaits et les plus frappants de la nouvelle forme dont il
est le promoteur, sont celles qu'il écrivit au milieu de sa carrière, c'est-
à-dire entre sa trentième et sa cinquantième année (1743 à 1766),
lorsqu'il était à la cour de Frédéric II. Dans toute la période de Ham-
bourg, pendant laquelle il était encore dans la force de l'âge, ses compo-
sitions, sans être indifférentes, sont manifestement inférieures aux
précédentes. On est donc en droit de se demander s'il comprit vrai-
ment l'évolution qui s'opéra par lui, puisque ses dernières Sonates, com-
posées de 1772 à 1785, manquent souvent d'une seconde idée dans le
premier mouvement, et abandonnent même parfois la coupe ternaire,
cette précieuse conquête de l'époque précédente.
La recherche du succès ne serait-elle pas l'explication possible de ce
triste retour en arrière ? Philippe-Emmanuel, en eff'et, fut loin de
professer la louable indifférence de son père Jean-Sébastien à l'égard
des approbations immédiates qui se traduisaient par la vente de ses
oeuvres aux amateurs.
Ses premières publications, consistant uniquement en recueils de
Sonates, furent évidemment d'un débit difficile : aussi, pour « faire
passer » ses Sonates, fut-il forcé postérieurement, non seulement de
leur adjoindre des pièces détachées. Rondeaux ou Fantaisies (i), mais
encore d'adapter la forme des Sonates elle-mémes au goût des « con-
naisseurs et amateurs » qui avaient bien voulu souscrire à la publica-
(i) Voir la Seconde Hariie du présent Livre.
196 LA SONATE PRÉ-BKETHOVÉMENNE
tion de ses ouvrages. Simple hypothèse, mais suffisamment plausib'e
pour que nous aj'ons le droit de la formuler ici. Quoi qu'il en soit,
l'œuvre pour clavier de Ph.-Emm. Bach est d'une importance capitale
dans l'histoire du développement de l'art, et mérite d'être étudiée en
détail.
Il écrivit soixante-dix Sonates pour le clavecin, dans la forme en
trois mouvements qui devait persister jusqu'à Beethoven. Sauf dans
ses premières oeuvres, les trois mouvements sont toujours enchaînés
les uns aux autres et se suivent sans interruption.
Voici la nomenclature de ses Sonates :
i' six Sonates, dites prussiennes, dédiées au roi Frédéric II, composées
en 1740 et imprimées en 1742, à Nuremberg; leur forme est celle de
la Sonate primitive de coupe ternaire, où apparaît quelquefois un
embryon de second thème peu caractérisé ; les pièces n'y sont jamais
enchaînées les unes aux autres ;
2* six Sonates, dites ivurtembergoises, dédiées à Charles-Eugène,
duc de Wurtemberg et de Teck, composées pendant un séjour aux
eaux de Teplitz, en 1743, et gravées chez Windter, à Nuremberg,
en 1743, sous la désignation : Op. 2. C'est dans ce recueil que
Ph.-Emm. Bach donne l'essor à son génie inventif.
Dans la 2* Sonate, en la i>, paraît pour la première fois la nouvelle
forme de premier mouvement à deux idées musicales, et ici, la seconde
idée s'expose en trois phrases constitutives parfaitement distinctes, c'est-
à-dire dans une forme que nous retrouverons seulement avec la Sonate
beethovénienne. Nous avons donné dans la section technique du présent
chapitre (p. 160 et suiv.) l'analyse détaillée de ce monument im-
portant de l'histoire musicale.
U Adagio, en rè\> {SD. du ton principal), est un véritable lied en
trois sections; si la deuxième section ne présente cependant pas d'élé-
ment nouveau, la troisième n'en est pas moins une amplification de la
première, au lieu d'une redite exacte. Le thème de cet Adagio ne le cède
en rien aux belles mélodies de Mozart ; certaine phrase fait même
penser à VAndante de la Sonate, op. 81 {Lebewohl), de Beethoven (i).
(i) L'inépuisable richesse d'inspiration d'un musicien comme Beethoven suffit à écarter
ici, quoi qu'on en ait dit, toute imputation de plagiat. Il faut voir plui>M dans une telle simi-
litude une manifestation du travail latent qui précède l'avènement des plus grands génies.
Ceuï Cl, comme les plus belles plantes, ne poussent point isolés : la terre artistique, si
féconde qu'elle soit, ne les fait germer et atteindre les plus hauts sommets qu'après avoir
produit, autour du lieu qui les verra naître, des génies plus humble:; et de moindre
élévation.
L'histoire de l'art fournil des preuves palpables de cette vérité, dont la constataiioa avait
ici (I place naturelle.
LA SONATE DITlIEMAllyUE
Voici le texte de Ph.-Emm. Bacli :
Adagio ^* ^
■0-
Ir-Jji„?t4a-
FM
R—
;'\- 1 L f f -I
p
f
4— B — ^ i f ►-
-r — B«
« — î —
■m^v=^=
t^
lur u L.r
^ — :^
et \uici le texte de Heethmen
An4'- «'xpressivo
QuamhVAIleg-ro final, il estd'une gaieté charmante et garde la forme
biliaire de l'ancien morceau de Suite dans le style de D. Scarlatti.
La 5' Sonate, en A//t>, est un petit chef-d'œuvre ; en voici l'analyse :
Allegro en mu,, de forme Sonate :
Exp. : thème A, qui n'est pas sans analogie avec le thème du grand Pré-
lude de }.-S. Bach, également en A/1 (voir ci dessus, p. 82I :
Allegro ®
ilhc^r tilr
FB!*5iF
(r_^
— - ■••
irr^r
g r
f ~ r ~
J»3
i
■^ i>l,^- — h — î— r
1 r r 1 1
-1 — ' —
1 Lj 1
r (Mit)
Thème lî, en 5/?. d'une grande iiobl.sse d'alhin
Partie médiane par A. à la D., puis modulant, par B. en ut. puis modu-
lant de nouveau ;
,,8 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
RÉEXP. : thème A, à la 7". ;
— thème B, à la T-; mais la première partie n'est pas réexposée, et
c'est seulement la phrase complémentaire qui conclut.
Adagio, en ;«/ f. C'est une des plus belles inspirations du fils de
Jean-Sébastien : une large phrase en style fugué à trois voix se
déroule sans interruption en passant par la sous-dominante et le
relatif et conclut magistralement à la tonique ;
Allegro assai, en mi i>, en forme de premier mouvement à deux
thèmes dont le second est manifestement issu du premier. Ce finale est
plein de gaieté et fait déjà présager ceux de Haydn ;
3° six Sonates, publiées comme exemples dans le Traité de Clavecin
dont il sera question ci-après et composées à Berlin, en lyôS;
4"' deux Sonates, en ré et ré, publiées dans la Raccolta de Breitkopf,
à Leipzig, en 1757 et 1758 ;
b" six Sonates avec les reprises variées (mil veranderten Reprisen),
gravées à Berlin en 1759 (2* édition en 1785) et dédiées à la princesse
Amélie de Prusse.XÇette œuvre constitue un document historique
instructif relativement à l'état d'esprit des virtuoses de cette époque.
On a signalé déjà, à propos des doubles, dans certaines danses de la
Suite (p. 1 14), l'usage, alors traditionnel, d'indiquer seulement la
reprise [seconda volta) par le signe :||: en laissant l'exécutant libre d'y
introduire tous les ornements mélodiques que lui suggérait sa fantaisie.
Tant que les virtuoses furent recrutés parmi les compositeurs ou seule-
ment parmi des artistes ayant travaillé parfois pendant plus de dix ans
avant d'oser jouer en public, il n'y eut aucun inconvénient à leur lais-
ser toute liberté pour faire admirer à la fois la vélocité de leurs doigts,
l'habileté de leur archet et aussi la finesse de leur goût. Violonistes et
clavecinistes étaient alors experts dans l'art d'ornementer une mélodie
et de réaliser en parties strictes, voire en style fugué, une basse continue.
Mais, avec le style galant, l'exécution devenant très facilitée, les fautes
de goût se multiplièrent de telle sorte que la mélodie exposée dans
la première reprise en arrivait, lors de sa redite, à être tout à fait mé-
connaissable. C'est contre cet abus que voulut protester Ph.-Emm.
Bach, en écrivant lui-même les changements qu'il désirait voir intro-
duire dans ses reprises. Il s'en explique tout au long dans la préface
de l'œuvre dont nous parlons : il s'y plaint de ce que « les exécutants
« ne jouent souvent pas les notes telles qu'elles sont écrites, même dans
« la prima volta, et que si la faculté d'interpréter à leur fantaisie la
« seconda volta leur est laissée, ils introduisent des changements qui
« altèrent gravement le style et le caractère de la musique » (1).
(1) Ce grave défaut n'a pas (oialement disparu. Nous avons pu entendre des virtuoses
allemands qui se croyaient autorisés à défigurer les plus belles œuvres par d'insupportables
ralUiitando ou d'inupportunesad|onc(ions d'octaves non écrites parles auteurs.
y
LA SONATE DITHKMATIQUE iqq
• 6° douze Sonates, parues à Berlin en 1761 et 1762;
1° six Sonates faciles (Le/t7//e Sonaten); Leipzig, 1766 (2* édition
gravée à Londres, chez Longmann, Lukey and C") ; le finale de la
4", en si, est une pièce exquise que tous les jeunes pianistes devraient
avoir dans leur répertoire ;
8° six Sonates « pour les dames » [aïïuso délie donne). Deux éditions:
Amsterdam, 1770, et Riga;
9° une Sonate ; Leipzig, 1785 ;
10» enfin, six recueils de Sonates et de pièces pour clavecin, sous le
titre général Clavier-Soitaten fiir Kenner und Liebhaber [\), imprimés
à Leipzig, de 1779 a 1787 (2), par souscription (3). Cette œuvre, des
plus intéressantes, mérite un examen détaillé.
Le l" recueil, paru en 1779 et dédié à M"« Zernitz, de Varsovie,
consiste en six Sonates, composées de 1758 a 1774. Les dernières en
date (Hambourg, 1772 et 1774) sont celles qui offrent le moins de
caractère au point de vue de la forme Sonate (i*"en ut, 3' en 5/,
5' en F/i); le premier morceau de la 5' est même écrit dans la forme de
l'ancienne Suite.
Les deux plus importantes sont la 4' et la 6^
La 4' enz..4 (Potsdam, 1765) se termine par un Allegro en forme
de premier mouvement ternaire, tout à fait remarquable par ses
thèmes et son système de développement.
La 6% en sol, également de 176D, devrait être connue de tous
les pianistes; en voici l'analyse :
Allegretto, en sol, de forme Sonate :
Exp. : thème A, à la T". :
Allegrctio mod'"
^) .'r-rinier tb
(i) Sonates de clavecin pour les connaisseurs et les amateurs.
(î) Une édition moderne, absolument conformeau texte original, a éié faite rar la maison
Breitkopf et Haertel, à Leipzig. Un gra: d nombre de ces Sonates avaient déjà été gravées en
France dans le Trésor des pianistes de M"" Louise Tarrenc.
(3) Les souscripteurs étaient, pour le premier recveil, au nombre de 319; ce chiffre tomba
h 300 ; puis, l'annonce des Fantaisies alléchant le public, le nombre des souscripteurs au
quatrième recueil fut de 432. Chose curieuse, parmi ces amateurs on rencontre plusieurs
français : M"" Auvray, M. de Jonquiéres, l'ahbé Dufresne, .M'i" Mimi Desplaces,
Catherine Delacroix, Louise Lézurier, de Rouen, et M. de Florencourt, inspecteur Je»
ferais. Comme autres personniges à signaler, on trouve le D' Burney, de Londres, qui
souscrivit douze eiemp aires, et le général de cavalerie von Bismarclrt.
Passage de transition, assez long et très fantaisiste ;
Thème B, à la D., empruntant, au cours de son exposition,
le rythme de A :
Partie médiane : thème A, à la D., modulant vers la et amenant
la réexposition;
Réexp. : thème A, à la T.;
— Passage de transition;
— Thème B, à la T.
Andante en sol ; belle fantaisie expressive, exposant une phrase
unique extrêmement pénétrante, où l'invention mélodique de Phi-
lippe-Emmanuel semble se rapprocher de celle de son père.
Allegro di niolto, très mouvementé :
Exp. : Premier thème (A) à la T., suivi, sans transition, du second;
— Second thème (B) fort intéressant, en trois éléments (b', b'\ b''')i
(^ iprsnrf thème
(bj)preoiier flfrtfnl
(q|> Hemit-nic élément
I.A SONATE DniiKMAriori;
m^ troisiètne élément
Partie médiane qui contient une phrase toute nouvelle, modulant
du ton d'ut à la D. de SOL, pour ramener la réexposition, comme
plus tard dans le Rondeau-type. Voici ce passage :
Réexposition, où le thème B ne reproduit intégralement à la T. que
ses deux derniers éléments : le premier est remplacé par un dessin
mélodique qui semble tiré de la phrase apparue au cours de la
partie médiane.
Il faut lire aussi le beau Larghetto de la 2' Sonate (Berlin, lySS), qui
n'est pas sans faire présager certains Adagios beethovéniens, autant par
ses nuances graduées que par sa ligne mélodique d'une intime tristesse :
Larghetto
LA SONATE PRE-BEETIIOVEMENNE
Le II' recueil (i 7S0), dédié à Friedrich Heinrich, margrave de Schwed,
ne contient que trois Sonates, toutes trois de la période de Hambourg
(1774 a 17S0): la première d'un beau caractère, les deux autres très
courtes et en deux mouvements seulement.
Le III' recueil (1781), dédié au baron van Swieten, ne compte aussi
que trois Sonates : la 1", en là, écrite à Hambourg en 1774. n'offre
aucune particularité, mais les deux autres, de l'époque berlinoise,
sont fort intéressantes.
La 2', en ré (Potsdam, 1766), est même tout à fait remarquable. Le
second thème du premier mouvement fait pressentir, en une forme
plus fantaisiste, ceux de Mozart •
VAndante cantabile e mesio de la même Sonate est d'une dolente et
pénétrante expression.
La 3» Sonate, en /j (Berlin, 1763), en trois morceaux que Forkel a
intitulés « l'indignation, la réflexion, la consolation », mérite aussi
d'être étudiée.
Le IV« recueil (1783), où commence la publication des Fantaisies
qui en devaient assurer le succès, ne contient que deux Sonates, dont
la première, assez curieuse par sa structure harmonique et enhar-
monique, fut composée à Hambourg en 1781.
Enfin, dans le V' recueil (1783), dédié au prince évêque de Lubeck,
LA SONATt: DITHÉVATIOLE jo^
et dans le VI« (1787), dédié à la comtesse .Marie-Thérèse de Leiningen
^^'esterburg, il n'y a également que deux Sonates. Les unes et les autres
sont de la dernière époque, c'est-à-dire beaucoup moins Soiiales par
leur forme que celles de l'époque de Berlin ; on doit pourtant les con-
naître en raison de l'humour et de la fantaisie qui y régnent. Leurs
morceaux généralement courts se succèdent parfois dans des tona-
lités peu compatibles, croyons-nous, malgré leur réelle proximité (i) :
par exemple, le charmant petit Allegretto en la mineur dans la Sonate
en RÈ majeur (VI' recueil). Les deux Sonates du V« recueil, écrites à
Hambourg en 1784, présentent certaines originalités; ainsi, dans la
première, en w/, VAdagio, en i/r, déjà préparé par une transition
qui l'unit au premier mouvement, n'est lui-même, pour ainsi dire,
qu'une préparation de YAndantino final en .w/, de telle sorte que tous
les morceaux sont enchaînés l'un à l'autre.
Le passage enharmonique reliant ces deux pièces mérite d'être cité :
Il faut lire aussi le joli finale dont le style fait penser à celui de Weber.
La 2' Sonate (V recueil) contient un Largo extrêmement intéressant
par ses modulations enharmoniques. Nous donnons ici un exemple de
ces hardiesses peu communes à cette époque, et que, seul peut-être,
Ph.-Emm. Bach a prodiguées dans ses dernières œuvres :
(1) Voir I" liv., p. 128 et i.g.
LA SONATE PRli-BEETIlOVENIENNE
Outre sa musique instrumentale et religieuse, le troisième fils du
grand Sébastien a laissé un ouvrage fort important pour les pianistes
qui s'intéressent au clavecin, et intitulé Versuch iibcr die wahre Art das
Klavier \u spielen, mit Exempebi iiiid i8 Probestiickein 6 Soiialen (i) ;
ce véritable traité de l'art du claveciniste est diviséen deux livres (parus
en 1750 et 1762 à Berlin ; 2* et 3* édition à Leipzig, 1782 et 1787) ;
le second traite particulièrement de la Fantaisie et de la manière d'in-
terpréter ce genre spécial de musique, alors si répandu.
Dans le premier livre, on trouve cette maxime qui devrait être médi-
tée par bien des virtuoses : « Il semble que la musique est appelée prin-
« cipalement à toucher le cœur, et le claveciniste ne peut, selon moi,
« y parvenir, s'il ne songe qu'à faire du bruit. »
(t) Essai sur la vraie numcre de loucher le Clavecin, a.cc des exemples et i8 pièces
d ctuJe en 6 Sonates.
LA SOXXTF n'THltNUTIQUE 305
Ph.-Emm. Bach avait aussi rassemblé en un précieux recueil,
aujourd'hui fort rare, les portraits de trois cent trente musiciens
célèbres, depuis Bacchus, le dieu de la chanson, jusqu'à l'auteur lui-
même.
Johann Georg Leopold MOZART, le père du célèbre auteur de la Zau-
berjlote, était fils d'un relieur d'Augsbourg. Il se rendit à Salzbourg, où
il devint valet de chambre du chanoine comte de Thurn, puis violoniste
de la chapelle de l'archevêque. En 1762, il était nommé maître de cha-
pelle. Musicien distingué, il écrivit, outre son Traité de l'école du violon
(17D6) qui forma tous les violonistes allemands de la fin du xviii* siècle,
un certain nombre de pièces dans la forme ternaire, notamment trois
Sonates parues dans le recueil de soixante-douze Sonates en douze
livraisons, connu sous le titre Œuvres mêlées, de Haffner (Nuremberg,
1755 à 1767). Dans ces trois Sonates, assez importantes pour l'his-
toire de cette forme, on trouve fréquemment l'entrée de la seconde idée
soulignée par un changement complet de mouvement et de mesure (i).
Georg BENDA, né à Stare-Benadky, en Bohême, fut musicien de
chambre à Berlih, puis, en 1750, maître de chapelle du duc de Gotha.
Sa célébrité comme compositeur dépassait de beaucoup, en Allemagne,
celle de J.-S. Bach. Il écrivit un certain nombre de Sonates de forme
ternaire.
Johann Christian BACH, dit le « Bach de Londres », né à Leipzig, fit
son éducation musicale sous la direction de son frère Charles-Philippe-
Emmanuel. D'abord organiste à Milan, il devint, en 1739, chel d'or-
chestre et compositeur d'opéras à Londres, où il passa le reste de sa vie.
On a de lui plusieurs recueils de Sonates pour le clavecin, en forme
ternaire; le plus connu est l'op. 6, dédié au duc de Mecklembourg et
contenant six Sonates, dont trois sont en deux mouvements seulement.
Johann Wilhelm H/ESSLER, né à Erfurt, pratiqua conjointement avec
l'art musical le métier de fabricant de casquettes, voyagea dans toute
l'Europe et finit par se fixer à Moscou où il mourut. Compositeur fort
intéressant au point de vue de l'écriture du piano, il laissa près de
quarante Sonates, dont la forme est assez variable : outre un grand
nombre de pièces dans la forme de l'ancienne Suite (Allemandes, Ron-
deaux, Menuets, etc.), on y rencontre plusieurs pièces lentes en forme
lied, et même des morceaux de construction ternaire à peu près régu-
lière, comme dans les véritables Sonates.
Haesler a publié :
i* quatre Sonates avec une Fantaisie (1773) ;
(1) Voir J.-S. SlieJlock : The pianoforte Sonata (Londres, iSgî).
3o6 LA SONATE PRE-BEETIIOVEMEN.NE
^ 2° six Sonates (1776), dont la 6', en la, contient un finale nettement
ternaire comme coupe, car sa partie médiane est distincte des deux
expositions, mais très voisin de la Suite par sa tonalité qui oscille
de la tonique au relatif dans l'exposition initiale, et du relatif à la
tonique dans la réexposition (i);
3° six Sonates faciles [Leichte Sonaten) (1780), dont la première con-
tient un finale de forme ternaire tout à fait régulière ;
4° dix-huit Sonates faciles, en trois livres (1786 à 1788).
Pietro Domenico PARADISI, né à Naples, fut élève de Porpora et
s'établit, vers sa trente-cinquième année, à Londres, où il britannisa
son nom (Paradies) et eut de grands succès comme professeur et compo-
siteur de pièces pour piano. Dans sa vieillesse, il voulut revoir l'Italie
et mourut à Venise, âgé de quatre-vingt-deux ans.
Son œuvre la plus connue consiste en douze Sonates pour clavecin,
mi primée s à Londres en 1754 (2* édition à Amsterdam, en 1770). Ces
Sonates, qui ne sont point toutes dans la forme ternaire et semblent un
alliage germano-italien des styles respectifs de Ph.-Emm. Bach et de
D. Scarlatti, sont cependant intéressantes comme écriture, la 8* notam-
ment. Elles sont en deux mouvements, pas toujours de caractère opposé,
et pour la première fois dans la Sonate pour clavecin, on y voit appa-
raître un système d'accompagnement qui consiste à arpéger l'harmonie
en triolets ou en doubles croches, au lieu de la soutenir en accords liés :
^^P
Ce système que Paradies fut le premier à employer et dont tous les
compositeurs, jusques et y compris Mozart, abusèrent singulièrement,
est connu sous la dénomination de basse d'Alberti, sans doute en sou-
venir du nom de son inventeur.
12. — LES PRÉDKCESSEURS DE BEKTHOVEN.
Franz Joseph Haydn 1732 f 1809
Woi.FGANG Amadeus Mozart. . . 1756 t 1791
Friedrich Wii.hei.m Rust . . . . i73ut 1 70''>
Franz Joseph HAYDN, fils d'un charron musicien de Rohrau-sur-
Leitha, lit son éducation comme enfant de chieur à la Stcyhansh-irche
; I) Ces sii Sonates furent éditées, croyons-nous, avec une Suite de Chjnsons, acparciiinicni
dans le but d'attendrir Icsdditcurs et de faciliter la vcn\e... Dc|i
LES PRF-IDÉCESSEURS DE BEETHOVEN îo;
de Vienne. A partir de l'âge de seize ans, ayant perdu sa voix de soprano
et, par suite, sa place d'enfant de chœur, il commença à végéter miséra-
blement. Il raconta lui-même plus tard qu'il lui était arrivé fréquemment
de remplacer un repas parla lecture,sur un clavecin vermoulu, des belles
œuvres qu'il pouvait se procurer. Il fit ainsi véritablement sa nourriture
des Sonates wurtembergeoises d'Emmanuel Bach, qui venaient de paraî-
tre. Elles suscitèrent en lui le plus grand enthousiasme et lui servirent
pour ainsi dire d'éducatrices, au point de vue du style et de l'écriture.
Après avoir essayé de plusieurs métiers, notamment de celui d'ac-
compagnateur chez Porpora, où il apprit à écrire pour les voix, il fut
distingué par le comte Morzin qui lui confia la direction de sa cha-
pelle à Lukawec, en i^bg. Enfin, en 176 1 , il devint maître de chapelle
et directeur de l'orchestre du prince Esterhazy, position qu'il occupa
pendant trente ans. Vers la fin de sa vie, en 1790, il commença
à voyager et se rendit deux fois en Angleterre, pour diriger ses
Symphonies aux concerts organisés par le violoniste Salomon. C'est
dans l'un de ces voyages, en passant par Bonn, qu'il connut le jeune
Beethoven, son futur élève. Très patriote, Haydn mourut de chagrin,
lors de l'entrée des Français vainqueurs dans la capitale de l'Empire
allemand en 1809.
Le style musical de Haydn est, sans conteste, la continuation de celui
de Philippe-Emmanuel Bach avec lequel il a, surtout en ses premiè-
res années de production, bien des analogies. Ses thèmes sont cepen-
dant plus caractérisés que ceux du musicien de Hambourg ; ils possèdent
cette pointe d'italianisme commune à tous les compositeurs du sud de
l'Allemagne, et aussi une certaine allure populaire, assez inattendue chez
un maître de chapelle qui passa son existence dans une cour princière.
La Sonate de Haydn est souvent bien plus indéterminée, comme
forme, que celle de ses prédécesseurs. Il y intervertit fréquemment les
types de mouvements, sans grand souci des habitudes alors en vigueur,
terminant, par exemple, la Sonate sur un Menuet varié ou rempla-
çant la pièce lente du milieu par un Rondeau, etc.
Le Alenuet semble être sa forme favorite ; il use avec prodigalité de
cette danse, abandonnée à l'époque précédente, et qui, dernier legs de
la forme Suite, finit par trouver un asile définitif dans la Sonate, où
elle engendrera le moderne Scher'{o.
Haydn construit la plupart de ses Sonates en trois mouvements ; quel-
ques-unes sont en deux, et la première, seule, en quatre mouvements.
Il écrivit :
i" six Sonates pour^a/T'o« (sorte de violoncelle de petite dimension,
qu'afléctionnait particulièrement le prince Esterhazy) ;
2* trois Sonates pour violon et pianoforte ;
ao8 LA SONATE PRE-BEKTHOVEMENNE
i" quarante Sonates pour pianoforte, sur lesquelles trente-sept seule-
ment ont été publiées.
Nous allons passer en revue celles qui, dans cette collection, oflrent
par leurs thèmes ou leur structure un intérêt particulier^'
La i" Sonate, en SOL, publiée en 17Ô7 (i), compte, nous l'avons dit,
quatre mouvements .
I' Allegro d'antienne forme, sans reexpositwn ;
20 Menuet, en SCL avec tno à la tonique miiieute ;
3» Adagio, en sol, de forme Suite ;
4» Allegro, de coupe ternaire.
Les six Sonates, op. i3, publiées en 1774 par J. Hummel, à Amster-
dam (i), présentent encore des artifices d'écriture (imitations, canons,
etc.) qui sentent le travail d'école et une certaine préoccupation d'imi-
ter les anciens maîtres du contrepoint. Les trois dernières figurent, sans
raison, dans les éditions allemandes, comme écrites pour le violon.
Les six Sonates, op. 14, imprimées chez Longmann et Broderip en
177(3(3), méritent un plus long examen, car elles donnent vraiment la
caractéristique de la première époque du maître, celle où l'art et l'esprit
d'un Ph.-Emm. Bach régnent en despotes sur sa pensée.
De ces six Sonates, une seule, la 5°, en A//, n'a que deux mouvements ;
deux se terminent par des Menueh, les trois autres sont construites
amsi :
I» Premier mouvement, de forme Sonate;
20 Menuet;
3" Rondeau, avec reprises variées.
Il est à remarquer que toutes les pièces finales de cet op. 14, soit Me-
tiuets, soit Rondeaux, présentent l'aspect de variations.
Dans le premier mouvement de la 3", en fa, le second thème \Q)
sernble être sorti de la plume d'Knimanucl Bach :
fi)N«?) des éditions Holle ei LitollT.
( ,) Trois de ces Sonates seulement ont été publiées à nouveau : elles portent les n«« 16, n
et 18, dans les éditions Holle et LitolfT,
(>) N» iO à ai, éd. Holle et Litolff.
LES PKKUliCKSSEUKS DE BEETHOVEN 109
mais le trio en fa, du Menuet, ott're au contraire un jeu de rythmes
contrariés assez rare à cette époque ;
La 4" Sonate, en la, a été surnommée la « Sonate des cors », parce
qu'une sorte de fanfare de chasse clôt chaque reprise, et circulera tra-
vers le premier mouvement où l'on chercherait en vain un second thème.
A la fin de la réexpositioti, les fanfares disparaissent et la pièce s'enchaîne
à un court Adagio, simple transition légèrement modulante entre deux
morceaux de même tonalité et de même nature.
Les six Sonates publiées par Artaria, à Vienne, en 1780 (i), et dédiées
à Franziskaet Marianne von Auenbriigger, marquent l'époque médiane
de la carrière du compositeur, sa « seconde manière », dirait-on au-
jourd'hui. Elles apparaissent dégagées de toute influence, et certaines
d'entre elles méritent d'attirer l'attention par leur fraîcheur mélodique
et leur belle tenue.
Telle la 2' Sonate, enw/ c, dont le premier mouvement présente
cette particularité que le second thème (B) ne semble d'abord être
qu'une transposition du. premier (A) au ton relatif; mais on s'aperçoit
bientôt que, tout en empruntant à celui-ci ses éléments principaux,* il
est conduit d'une façon toute différente au point de vue expressif et
arrive à former un ensemble complet :
econd élémPtit
(il N"" 1, 10, II, 12, i.\ ti 14 des tditioiis Moiic et I.itoUÎ.
Cours ot composition t. m, i
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
Le rythme de toute la partie médiane est tiré de ce second thème.
la réexposition se fait, comme on pouvait s'y attendre, par une fusion
des deux thèmes, car la répétition du second au ton principal aurait
engendré nécessairement une fastidieuse monotonie, grave défaut
dans la composition musicale.
Le Sc/ier:^audo, en forme de Rondeau varié, qui suit ce premier mou-
vement, est construit sur une mélodie absolument identique à celle du
Rondeau placé au début de la .S« Sonate de ce même recueil. C'est bien
à dessein que Haydn traite deux fois ce même thème au cours de la
même publication : il s'en est expliqué avec son éditeur en lui enjoi-
gnant de mettre au verso du titre de la 5" Sonate une note pour avertir
qu'il l'a « fait exprès ».
On peut constater, par les extraits de ces deux pièces que nous don-
nons ci après, l'utilité de cet avertissement:
i.r:s PKiaMCCKSSKi'Rs de lin-.THovr.N
Quant au Menuet final de cette 2' Sonatt il fait présager certains
menuets expressifs de la « première manière » de Beethoven :
Le premier mouvement de la (j' Sonate, en ul, est aussi fort intéres-
si.nt à cause de l'impoitance qu'y prend le second thème :
Celui-ci, en effet, s'étale très mélodiquemcnt, suivi de ses complé-
mentaires, en vingt-trois mesures, tandis que le premier thème en
compte à peine huit. C'est en cela surtout que Haydn prépare, bien plus
que Mozart, l'avènement de la seconde idée beethovénienne.
Parmi les dernières Sonates, un certain nombre ne comptent plus que
deux mouvements sans grande corrélation apparente : l'une d'elles, en
SOL. consiste simplement en c/c'//.v Rondeaux variés. Mais il en est
deux cependant qu'il faut mettre hors de pair, car elles peuvent être
2,2 LA SONATr: PRK-BKKIIIOVRNIENN'-:
regardées comme les véritables manifestations de la « troisième ma-
nière » de Haydn.
Ces Sonates sont toutes deux en mi\> (i). La première, dédiée à
M""' von Genziger, offre certaines particularités frappantes.
Pans le premier mouvement, le second thème (B) est tiré du pre-
mier (A), comme dans beaucoup de Sonates précédentes ; mais il suffit
d'une très légère modification de degré pour lui donner un aspect
tout différent, ainsi qu'on peut en juger par les citations ci-dessous :
I premier llièm
@) au V; defrè
rappel de a" au II"" degré
En outre, la partie médiane, au lieu de procéder par répétitions ou
par imitations, prend ici l'aspect d'un développement organisé suivant
les principes beethovéniens (2) :
Cette conclusion, assez simple, de Vexposilion du second thème
atteint, au cours de cette partie médiane, une telle envergure qu'on
(1) N» 3 et g des éditions Holle et Liiolfl.
(a) On étudiera dans le chapitre suivant les principes du vrai Jcveloppement.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
ne peut s'empêcher de penser par moments à V Allegro initial de Top. Sy
du géant de Bonn, par exemple, à l'apparition des trois notes caracté-
ristiques, sous cette forme :
Enfin, lors de la réexposition, le passage de transition entre les deux
thèmes grandit notablement et le second thème lui-même se présente
à nouveau, sans avoir besoin, cette fois, de l'appui du premier. Ce
morceau est wraiment une innovation dans l'ordre de la Sonate. /^
U Adagio en si\> est un véritable type du lied à reprises variées, dont
nous retrouverons la forme agrandie dans la « première manière » de
Beethoven; l'analj'se le fera mieux comprendre que la description :
I. Tlicim, en phrase-lied, disposé ainsi ■
A (cad D. — A varié icad. D.);
B (cad. D.) - A' varié (cad. T.); > si ti
B' varié (cad. D.) — A* varié (cad. T".) ;)
II. Partie médiane, tirée de B (i) :
i
( b, de si b à /?£ t>. avec reprise ;( .
( b, de /?£ t> à la D.de sH>\ \ ^' ^ ' "'' "
III. Tlième, sans reprises :
A varié (cad. D.); \
B varié (cad. D); i si\>
A varié (cad. T.) avec une conclusion.
Le Menuet final est construit en forme de Rondeau, ainsi qu'il suit:
Refkain I, phrase de lied en Ml 9 ;
Couplet /.phrase de lied en J'/t>;
Rekrain I, modulant;
Couplet 2 en mi t);
Rekr.mn 3, en M/b. conclusif.
Quanta la Sonate enA/Zu, op. 78, dédiée à M"* Bartolozzi, femme
du graveur, c'est sans contredit la plus intéressante et la plus avancée
des œuvres de Haydn en ce genre. Comme dans la Sonate précédente,
les deux thèmes du premier mouvement sont parents, et même assez
proches, puisque le second thème, qui est formé de trois éléments ou
de trois phrases, oftre, en sa première et en sa troisième phrase, des
rappels manifestes de certains rythmes que le premier thème avait
exposés auparavant, tandis que la seconde phrase donne, au contraire,
un élément tout nouveau.
(i)La dédicalaire de l'oeuvrc déclara ce passage à mains croisées inexécuiaMe..., ce qui
pourrait donner lieu à d'avantageuses suppositions sur l'embonpoint de .Vl">« de Genziger.
,,., I,A SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNB
Voici l'analyse du premier mouvement :
I. ExF>. ; Thème A en Ji//f. s'enchainant au passage suivant :
— Passage de transition, à la D. de la D.;
I b' , tiré de a (cad. T.)\ \
— Thème B \ b", élément nouveau, relié au suivant; / SI!»
\ b", tiré de a et concluant; )
î. Partie médiane : b" en VT, modulant vers /j ;
— Passage de transition, modulant par, LA i>, vers la D. d't'T;
— Repos : b" en MI B, modulant vers si ;
— Passage de transition sur la D. de si, modulant enhar-
moniquement à la D. de MI b;
3. RÉEXP. : Thème A en MI i> s'enchainant au passage suivant:
— Passage de transition, à la D.;
( b' , resserré et varié ; \
— Thème B . t", élément nouveau ; , '// b
' b"', concluant. '
L'exemple musical fera mieux comprendre cette façon de compléter
un thème par l'autre, opération très différente, on le remarquera, de
celle qui consistait (dans la première époque de Haydn) à faire du
thème B une simple transposition de A à la dominante :
Allpj,'ro
(^ premier lliènif
® : ©
^second thïm<-
(bj) prcmii-r pléaK-m
tiré d>' a'. . .
LES PRKDECESSIiLRS DE BEETHOVEN
@ di-uxirme élénietil (nouveau)
- S -t- 1— «^
@troisiém.- élJiîlen
La partie médiane est aussi, dans ce premier mouvement, un véri-
table développement, une explication des thèmes exposés ; les modula-
tions sont d'une telle hardiesse qu'on peut y voir comme le trait
d'union entre les enharmonies de Ph.-Emm. Bach et les envolées
harmoniques beethovéniennes.
,,6 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
V Adagio qui suit est en m/b, tonalité assez éloignée du ton prin-
cipal MI \> ; l'apparition inopinée de ce même ton de mi p dans la partie
médiane du premier mouvement est très probablement destinée à
préparer la venue de V Adagio (i).
Ce morceau est un simple lied en trois sections ; nous en avons donné
l'analyse dans \a section technique de ce chapitre (voir ci-dessus, p. 167).
Le charmant Presto qui termine l'œuvre ressemble à bien des finales
beethovéniens, il est construit en forme Sonate sur le plan du premier
mouvement. Le second thème, en effet, bien que difiérent mélodique-
ment du premier, lui demeure étroitement apparenté par le rythme.
Voici l'analyse de cette pièce, qui est à peu près monorythmique :
1. Exp. : Thème A en Mlt> (sur rythme a : ^ i77l i il ) ^ad. T;
— Passage de transition chromatique sur rythme a, relié au ih. B ;
, b' , sur rythme a, cad. T. \
— Thème B - b", agogique, cad. D. > SI\>.
{ b'", tiré de A, conclusif. '
2. Partie médiane : Combinaison de b" avec le passage de transition, vers
la D. de fa ;
— Thème A. en LA t>, modulant vers la D. d' tit
— Combinaison de b avec le passage de transition, vers la D. de Ml P;
3. Réexp. : Thème A, en Ml]?;
— Passage de transition ;
— B {b', b", b") conclusif en .W/ t)-
Les virtuoses qui se piquent de jouer du piano devraient bien
cesser d'ignorer les œuvres de Haydn : il est inexplicable qu'on n'en-
tende jamais dans les concerts cette charmante Sonate en A/Jo, aussi
brillante que musicale.
Wolfgang Amadeus MOZART, né à Salzbourg où son père était mu-
sicien de la chapelle archiépiscopale, fut un enfant prodige. Dès l'âge
de six ans, il composait des œuvres, assemblage na'if de formules
sans personnalité, mais dénotant déjà des dispositions remarquables
chez un si jeune enfant. Il jouait fort bien du clavecin et improvisait
même assez correctement: dès l'année 1762, son père se décida à
parcourir l'Europe pour exhiber ses deux petits virtuoses, Wolfgang
et sa sœur Marianne. La première étape fut Vienne, où l'archidu-
chesse Marie-Antoinette, depuis reine de France, encouragea à la cour
de l'Empereur les débuts du petit musicien. En 1763 et 1764,1a
famille Mozart vient à Paris, où Wolfgang fait graver ses premières
œuvres : quatre Sonates pour violon. Après un séjour en Angleterre,
(■) Nous expliquerons au chapitre suivant, à propos des re'al.ons to<,aUs. ce. enchaîne-
m.nt assez rare au temps de Haydn, cl provenant sans doute de la formule de cadenc.
dite sixie nafoUiatnt.
LES PRÉDÉCESSEURS DE REETIIOVEN 3,7
il revient à Salzbourg où il dirige, à douze ans, sa première Messe
solennelle.
A treize ans, un voyage en Italie exerce sur son talent une influence
dont il ne se débarrassa jamais, et, après diverses péripéties, il obtient,
en I 789, le titre de « compositeur de la chambre impériale », avec de
très modiques appointements. A partir de ce moment, il réside à
Vienne, ne quittant la capitale que pour quelques voyages à l'étranger.
C'est à Vienne qu'il mourut, jeune encore, et sa dépouille, abandonnée
par ses rares amis, fut jetée à la fosse commune.
On indiquera, dans le Troisième Livre de ce Cours, l'ordre et les
titres de ses œuvres dramatiques ; nous nous contenterons ici de men-
tionner les compositions qu'il écrivit dans la forme Sonate :
1» quarante-deu.\ Sonates pour piano et violon ; les quatre premières,
écrites et gravées à Paris en 1764, étaient dédiées à M"* Victoire de
France et à la comtesse de Tessé ; viennent ensuite les six Sonates
dédiées à la reine d'Angleterre ; vingt-sept Sonates sont échelonnées
entre les années 1770 et 1783; les cinq dernières, qui sont les plus
intéressantes, portent les dates de 1784, 85, 87 et 88 ;
2° une Sonate en ré, pour deux pianos ;
3° cinq Sonates pour piano à quatre mains;
4° dix-sept Sonates pour piano à deux mains, ainsi réparties : six
Sonates, dédiées au baron Dûrnitz, qui négligea d'en envo3'er le
paiement (1774) ; trois Sonates, en ut, la et ré, dites « de Mannheim »
(1777); quatre Sonates (1778 a 1784) ; deux Sonates (1788); les deux
dernières, en s/ 1) et R£ (1789).
Les Sonates de .Mozart ne réalisent pas de progrès notables surcelles
de Haydn; la plupart d'entre elles sont même inférieures en intérêt à
celles du compositeur de la chapelle Esterhazy. Cependant on y distin-
gue avec plus de netteté et de constance l'usage du développement et du
passage de transition dit pont, entre les deux idées : éléments nouveaux
qui prendront, chez Beethoven, une importance prépondérante dans
la construction de la Sonate (voir ci-après, ;:hap. iv). On peut dire
toutefois que les oeuvres musicales de l'un comme celles de l'autre sont
toujours « coulées dans l'ancien moule » de Ch.-Ph.Emm. Bach.
Toutes les Sonates de Mozart sont en trois mouvements.
Voici, dans les Sonates pour piano, celles qui méritent d'être men-
tionnées au point de vue de la forme :
Ce sont d'abord les trois Sonates de Mannheim ( i 777).
La 1", en ut, nous montre le peu de cas que les auteurs de ce temps
faisaient du thème ou de l'idée mélodique ; ce n'était point encore, à leurs
yeux, une entité douée d'une vie particulière, mais seulement une sorte
d'émanation mélodique de la tonalité. Ainsi, le second Ihéme de cette
^i."* I.A SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
Sonate est présenté, dans l'exposition, sous une forme assez difTérente
de celle qu'il affectera, lors de la réexpositiott :
Exp. : Thème B à la D. :
Reexp. : Thème B à la T., mais sensiblement modifié :
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La 2« Sonate, en la, fut écrite pour Rosa Cannabich, fille du capell-
meister de Mannheim et alors âgée de treize ans; on prétend que
Mozart en fut quelque temps amoureux et voulut peindre, dans Y An-
dante en fa, quelque peu fastidieux, le portrait de la blonde enfant.
Le premier mouvement de cette Sonate est ainsi construit :
1. Exp. : Thème A à la T., sans conclusion :
Ce thème A est enchaîné avec un passage de transition (P),
établi dans le même rythme :
— 1 hcmc B, qui nesi, à proprement parler, qu'un trait de piano,
sans le moindre intérêt mélodique :
2. Partie MÉDIANE rythmique; elle ne donne aucune amplification des
thèmes, mais seulement un travail rythmique sur A et P ;
3. Reexp. : reproduction presque intégrale de la première partie à hi T,
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN jiq
Le Rondeau offre un intérêt spécial en ce qu'il prépare la forme que
nous retrouverons plus complète chez Beethoven; voici comment il est
construit :
Refrain i : A, en la ;
„ , ( A, en ut, puis en UT, amenant de nouveau
Couplet 1 : \ . . ^ , j . , .
^ A, en mi, expose comme une seconde idée ;
Refrain 2 : A, en /a ;
Couplet 2 : Phrase nouvelle à deux reprises, en la ;
Refrain 3 : A, en /a;
Couplet 3 : A, en la, en forme de seconde idée, concluant.
3* Sonate, en RÉ. Dans le premier mouvement de cette Sonate,
l'exposition et la réexposition des deux thèmes sont en ordre inverse,
l'une par rapport à l'autre :
1. Exp. Th. A, en RÉ;
— Passage de transition court ;
— Th. B, en LA, en trois fragments bien déterminés:
f b', phrase mélodique,
■ b", passage agogique,
' b'", phrase complémentaire suivie d'une coda;
2. Partie méwane, qui garde le rythme de la coda et de la phrase
complémentaire ;
3. Réexp. : Th. B, en RÈ, avec ses trois fragments {b' b" b'") remplaçant A;
— Th. A, en RÉ, formant une simple conclusion, à la place de B.
La Sonate en ut, de 1784, que l'on a longtemps regardée comme
faisant partie de la grande Fantaisie en ut (lySS), erreur due à leur
publication simultanée, est de la même structure que la Sonate analysée
ci-dessus. Le second thème y devient extrêmement important, et le
Rondeau, qui n'est pas sans offrir une certaine analogie avec celui de
l'op. I 3 de Beethoven {Sonate pathétique), présente tous les caractères
du Rondeau beethovénien que nous étudierons dans le chapitre sui-
vant et qui se différencie notablement de l'ancien Rondeau français.
Friedrich Wilhelm RUST, dont les œuvres étaient peu connues avant
que son petit-fils, le docteur W. Rust ( i ), les eût remises au jour à la fin
du xix= siècle, fut le trait d'union entre Haydn et Mozart, d'une part, et,
de l'autre, Beethoven, dont il est le précurseur incontestable. Non seule-
ment son style, déjà très en avance sur son époque, mais son écriture
même et son invention mélodique se rattachent étroitement à l'esprit
beethovénien, sans pour cela s'affranchir des pures traditions puisées
dans les solides études qu'il fit à l'école des Bach.
Né à^^'oerlitz, près de Dessau, F'riedrich-Wiihelm montra dès l'en-
(0 Le docteur Wilhei.m Rust (1822 f 1892) fut le dernier cantor de l'Ecole de Saint-
Thomas à 1 eipzig ; il yrix une part importante à la publication des œuvres complètes de
J.-S. Bach, 6on immortel prédécesseur.
ïïo LA SONATi; PRÉ-REETHOVÉNIKNiNF
fance de sérieuses dispositions musicales. Son frère, J.-L. -Anton Rust,
avait été employé comme violoniste, en 1744 et 1745, dans les exécu-
tions de la Thomas Sc/nile qui avaient lieu sous la direction du grand
Sébastien Bach : il était revenu à Dessau plein d'enthousiasme pour ce
puissan: génie et animé d'un esprit de prosélytisme qui trouva chez le
jeune Friedrich-Wilhelm un su)et admirablement préparé.
Celui-ci se nourrit, en eflet, de la saine musique du maître et, à l'âge
de treize ans, il )ouait de mémoire tous les Préludes et Fugues du
Clavecin bien tempéré. Malgré ces dispositions remarquables, la famille
de Friedrich-Wilhelm s'obstina à l'orienter vers la jurisprudence, étude
qui était alors regardée comme indispensable aux jeunes gens. Rust fut
donc envoyé à cet eft'et à Halle, où il fréquenta beaucoup plus assidû-
ment les leçons de Friedemann Bach que celles des professeurs de
l'Université A vingt-trois ans, il abandonna définitivement le droit
pour la musique et fit de sévères études, d'abord à Berlin, sous la direc-
tion de Benda, puis à Potsdam, avec Ph.-Emm. Bach. X.
Le prince Léopold 1 II d'Anhalt-Dessau le prit alors sous sa protection
et remmena même avec lui en Italie, en 176D. Notre musicien séjourna
deux ans dans la patrie de Scarlatti et se fixa en dernier lieu à Livourne,
d"oîi sont datées plusieurs de ses œuvres. Ce sé)our contribua à modi-
fier son écriture et sa manière ; à partir de ce moment un curieux alliage
s'établit chez lui entre le style « galant ^ mais sérieux des musiciens
allemands et le gracieux enjouement des italiens
Rentré à Dessau, il devint, en 177^, directeur de la musique de la
Cour, et écrivit alors un grand nombre d'œuvres pour piano, violon et
chant. Vers la fin de sa vie, sous le règne du nouveau prince-électeur
Frédéric, il fut chargé de composer de la musique officielle à l'occasion
de tous les événements intéressant la principauté. X
Ce que l'on connaît jusqu'ici de l'œuvre de Rust comprend ( 1 ) :
17 sonates écrites spécialement pour le piano (^piano-forte 0 çlari-
cembalo), dont 12 seulement ont été publiées.
28 sonates pour violon;
1 sonate pour violoncelle ;
8 sonates pour alto ou viole d'amour;
3 sonates pour harpe ;
6 compositions de musique de chambre (trios, quatuors, etc.) ;
(i) Lei auvret de F. W. Rust qui ont été publiées par son petit-fils sont pour la plupart
truquétl et moderniséet, suivant la condamnable coutume dont les t Herausgeber »
allemands sembleni <'éire arrogés le monopole. Toutefois, et malgré les changements
introduits dans lécriiurc msirumeniale, U munque >e ces œuvres a éié presque r^t'i»*"
rejpccice , le vérilacle icri du doc.eur Wilhclm fut de faire figurer dans certaines sonates
de son aieul notamn-.en; dans la i« {en LA), la 8« (en SU), la io« (en UT), des passages
assez cûnsidérabSei ci it.ct.c de» morceaux entiers Je sa propre compoiilion.
Ll'S PRliDliCESSEURS DE BEETIIOVFX aji
10 pièces diverses pour piano ou pour violon (variations, suites pour
violon seul) ;
2 livres de lieder (gravés de son vivant) au milieu desquels on
rencontre l'admirable Todleukraiii, élégie avec choeurs sur la mort
d'un enfant ;
I recueil de Cantates pour une voix avec orchestre.
Enfin les « oeuvres de circonstance » : Chant des nymphes pour dix
voix de femmes, à l'occasion de la réception du roi de Prusse Frédéric-
Guillaume (1787) ; Cantate d'église pour la cinquantaine de M. de Ma-
rées, surintendant de la Cour(i79i); Cantate de fcte pour la « joyeuse
entrée » du prince-électeur, ramenant à Dessau sa jeune femme Amalie
de Gastein-Haubourg (1792) ; Motet pour la présentation à l'église de
la princesse héréditaire d'Anhalt (1794).
Entre temps, Rust écrivait des divertissements pour l'Opéra de
Dessau : Piravie et l'isbé, Inkle et Yariko, Krylas cl Lalage, sans comp-
ter une opérette allemande: le LiDidi bleu (1777), et nombre de Cantates
pour l'église de la Cour.
Chez aucun des compositeurs de son temps, on ne rencontre, dans
l'ordre de la Sonate, les audaces et les innovations qui foisonnent dans
l'œuvre de Rust, tant au point de vue de l'instrument à clavier, qu'à celui
de la disposition architecturale des pièces. Figurations espacées, traits
d'agilité, non pas indifférents comme chez la plupart de ses contempo-
rains, mais tendant toujours à l'expression mélodique, emploi des
octaves aux deux mains, croisements dans le but de varier la scnorité,
sons harmoniques, etc. ; tout cela est plus rapproché du style moderne
que de celui de Mozart ou de Haydn.
C'est principalement dans la forme et la construction que Rust a de
quoi nous étonner. Si la première période de sa vie ne nous fournit que
d'intéressantes imitations dans la manière de Ph. Emm. Bach, quelque
peu mitigées par l'influence de D. Scarlatti, dès la seronde période, vers
1 775, la tendance pré-beethovénienne s'athrme, les modulations devien-
nent plus hardies, les trois pièces de la Sonate se suivent d'un seul
tenant, disposition à peu près abandonnée depuis la Sonate italienne.
Mais c'est surtout à partir de la troisième période (1792) que l'origina-
lité du maître de Dessau s'épanouit dans sa plénitude.
11 établit délibérément la Sonate en deux mouvements, forme qu'on
ne retrouvera que dans les dernières œuvres de Beethoven ; bien mieux,
il adopte pour quelques-unes de ces sonates le thème unique générateur
des principales parties mélodiques de l'œuvre, et semble ainsi prévoir
la transformation cyclique qui ne s'opérera définitivement qu'à la fin
du xix*- siècle. C'est alors qu'il devient véritablement un précurseur de
Beethoven, non seulement par la similitude des idées qui est flagrante,
3J3 LA SONATE PRE-BEETHOVEMENNE
mais par la manière même de disposer les diverses parties de l'œuvre
musicale.
Parmi les Sonates de Rust (i), celles qui offrent le plus d'intérêt sont
les suivantes :
2' Sonate, en sol, écrite en Italie vers 176(3. L'influence de Ph. Emm.
Bach s'y fait évidemment sentir quoique tempérée par la préoccupation
du style de Domenico Scarlatti et de ses successeurs. L'écriture instru-
mentale, comme aussi l'alternance du mineur au majeur sont, sans
Conteste, de provenance italienne. Nombreuses sont ici les ressem-
blances avec certaines productions postérieures d'autres auteurs : le
dessin initial du premier mouvement rappelle de très près celuidufinale
delà sonate op. 54 de Beethoven, et, chose plus étrange, la première
mesure de l'Adngioest bien proche parente de l'Allégretto de la Sonate
en fa de Brahms, op. 5. Au reste, de même que le finale de Brahms, le
curieux rondeau de Rust procède par simplification du thème, lequel,
exposé primitivement en triolets, se reproduit ensuite en valeurs binaires
pour terminer dans le style calme d'une pièce d'orgue.
4" Sonate, en 50Z. (2), écrite au retour d'Italie. Elle nous montre en
Rust un curieux innovateur dans Fart de l'écriture pianistique ; l'im-
pression de joie exubérante qui se dégage du charmant /'rt's/o final ne
peut trouver d'égale qu'à l'audition de certains rondos de J. Haydn.
Ces deux oeuvres sont typiques de la première manière de leur auteur.
La 5* Sonate, en la, datée du 2 mai 1775, est constituée en trois
mouvements enchaînés sans interruption, forme que l'on ne ren-
contre chez aucun compositeur de la fin du xvin' siècle. Au premier
mouvement fort bien construit, succède un adagio-fantaisie, à la
manière de Ph. Emm. Bach, qui, partant du ton de la, oscille
ens/i), en sol, en /îÉi) pour enchaîner avec le rondeau-final dont le
troisième couplet en duo, si différent du reste, fait déjà présager la
coupe du rondeau beethovénien.
La G"" Sonate (1777) se dift'érencie en tout de celles de la première
manière. Les tonalités de RÈ\> et de sol t,, peu en usage alors, l'écriture
très soignée et même parfois assez curieusement doigtée par l'au-
teur lui-même, enfin la musicalité des thèmes et des développements en
font une pièce vraiment remarquable. Le premier mouvement et sur-
tout V adagio:
(1) les 12 piincipales Sonates pour piano ont été rclcées avec grand soin par l'auieur
de ce livre, sur les manuscrits ilc Rust conserves à la Biblioihèquc de Berlin. Kllcs jont
publiées par la maison Rouan, l.erolle et C', ù Paris.
(a) Cette Sonate fut publiée après la mort de son auteur, pur les éditeurs Heinrichs et
Lehmann, A I eipzij:. srus le titre, libelld en français : Giai.de Sonate four le Piano toile,
composée par /•'. G. Rust,
IF-; PREnKCESSFURS DP. RFETlinVFN
Adapio
éminemment beethovéniens, ne seraient pas déplacés au milieu des
œuvres de la première époque du maître de Bonn ; le Menuet qui ter-
mine est, au contraire, tout à fait dans la manière d'Haydn, comme
situation dans l'œuvre et comme musique.
La 7« Sonate, en re (1788) est encore établie en trois mouvements
comme celles d'Haydn et de iMozart, mais elle a quelque chose de plus
que ces dernières : l'adoption d'un thème unique commun au premier
mouvement et au finale :
Aîl=' maestoso Pre.-^to
Pour celle-ci, le thème cnoisi constitue un double hommage : au roi
de Prusse d'abord qui l'inventa plus que probablement, et au grand
cantor de Leipiig qui le traduisit en chefs-d'œuvre (1). — A remar-
quer, le superbe adagio qui termine !e finale et fait penser aux grandes
conclusions beethovéniennes.
La 8' Sonate, en mi, ouvre la série des cinq sonates de la dernière
manière. Elle présente toutes les originalités propres aux œuvres
que le musicien de Dessau écrivit à cette époque : division en deux
parties, bizarres rapports de tonalités, emploi des octaves aux deux
mains (que nous ne trouverons employés de même façon que dans
l'op. 54 de Beethoven), réexposition du thème à la main gauche, péro-
raison alanguie du charmant Rondeau faisant penser à celle de l'ouver-
ture de Coriolan, enfin cette écriture de piano si particulière, évoquant,
dans le Rondeau surtout, les figures de \\'eber et de Schubert.
(•) Ce thème est, en effet, identique avec celui de VUffvande musicale, de .'.-5. ^ach.
Voir, page 87.
234 LA SONATE P^E BEETHOVEN 'ENNE
Les trois dernières sonates, pleinement caractéristiques de la troi-
sième époque de Rust, sont à étudier tout spécialement :
10^ Sonate en t/r (i 792). Rien de similaire ne se rencontre dans les
productions des contemporains ; Beethoven, à ce moment, en était à
l'élaboration de ses premiers trios. Divisée en deux parties, cette Sonate
commence par un allegro d'une écriture extraordinairement avancée
pour son temps, et ainsi construit :
1. Exp. : Thème A, à la T. concluant ;
Passage de transition dans le rythme qui accompagne le
\" thème ;
Thène B, à la D.
2. Partir médiane : rythmique, développant A et B, et aboutiisant,
par un point d'orgue orné à la :
3. RÉEXP. : contrepartie assez équivalente à l'Exp.
Le deuxième et dernier mouvement est un mouvement de structure
toute particulière. Il débute par un thème d'essence haydnienne dont
on ne peut deviner tout d'abord la destinée finale.
(a) premier thème
(S) premier élément
Le morceau continue en forme Rondeau; inais, après le second couple!,
la tonalité s'assombrit et l'insistance du deuxième élément (a ") donne
naissance à la fugue suivante :
Moderato
-à^^S^=-
— cette Fugue, presque régulière, se rapproche, comme écriture, des
(ugues de la troisième inanière de Beethoven (voirchap. iv);
Puis, réexposition du rondeau, en UT, concluant par des dévelop-
pements de a ".
La II* Sonate, en/alJ, nous apparaît comme le chef-d'a-uvre de la
série, en raison de la beauté musicale qui en émane ; certains thèmes
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN J35
et certaines modulations ne se trouveraient pas déplacés dans les œuvres
de la grande époque beethovénienne.
Cette sonate, composée en 1794, consiste en deux pièces principales
reliées entre elles par un Larghetto de transition, assez court, qui conduit
de la sùHS-domiuante à la dominante.
En voici la construction :
I. Exp. : 1" thème (^, qui semble comme une prévision du finale
de la Sonate de Beethoven en mJ jj, op. 27, n» ï, dédiée à
Giulietia Guicciardi.
Passage de transition fourni par un rythme spécial et abou-
tissant au ;
Second thiiuit^ . d'un charme tout beeihovenien ;
Cours de compositiûn t. ii, i
L^ SnXATF PPÉ RFFTIinVKNlENNE
Ce thème se complète au moyen d'éléments empruntés au
passage de transition, ce qui donne une grande cohésion
à cette première partie du morceau.
2. Partik médiane : inflexion, par le passage de transition, vers :
@ en ui S, puis :
3. Réexp. : régulière, sauf que le thème ^ se présente tout d'abord,
comme dans l'exposition, au ton relatif, LA, pour s'in-
fléchir ensuite vers le ton principal.
L'admirable Lflr^/;t'//o qui sert de trait d'union entre les deux pièces
constitutives de l'œuvre n'est autre chose qu'un génial développement
des éléments déjà exposés dans le i*' mouvement. La première mesure
est la reproduction dans le sens exposant de la mesure concluante du
morceau précédent :
Larghetto
La phrase, expressive comme un thème de Bach, s'élève touiours
jusqu'à un premier repos en ré, qui donne naissance à un dessin de
cinq notes, paraphrase du thème s du i" mouvement. Peu à peu, ce
dessin s'établit de façon même à imposer silence à la phrase mélodique
initiale, et module à la dominante du ton principal, préparant ainsi
l'avènement de Vallegretio final.
Celui-ci est un véritable menuet, quoiqu'allcctant la forme rondeau,
à la laçon de certains menuets d'Haydn, mais il dépasse de beaucoup
ceux-ci comme intensité expressive.
LES PRÉDÉCESSEURS DE FîEETIIOVEN
Après l'exposition du refrain, tnfa 5, le profiter couplet s'infléchit
lusqu'à la dominante de RÉ, et le retour au refrain s'opère au moyen
d'une modukition exquise et certainement in uïe à cette époque ; nous
lu citerons ici en entier :
Cette hésitation du fa b qui consent enfin à se changer en mis n'esi-elle
point vraiment délicieuse? — Le troisième refrain s'impose alors, cette
fois en fa jt, et l'on est assez surpris de reconnaître dans le thème, ainsi
présenté en majeur, celui de VAndante favori en fa, pour piano, que
B.'cthoven détacha, en 1 806, de la Sonate op. 53 pour le publier à part :
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3a8 LA SONVTK PRÉ-REETHOVÉNIENNE
La I 2' et dernière sonate, en RÉ, est, comme la précédente, de l'année
1794. Elle passe pour avoir été dédiée à Gœthe, qui, pendant son
séjour à Dessau, en 1776, avait fréquenté et fort apprécié Rust. Lorsque
le poète fut de retour à Weimar, à la suite de son voyage en Italie, il
écrivit à son ami Behrisch, qui habitait Dessau, de saluer de sa part
« le grand maître Rust » (i). Celui-ci, transporté de reconnaissance et
ne sachant comment s'acquitter, pensa que le plus digne remerciement
serait la dédicace d'une belle Sonate.
L'œuvre est constituée en deux parties et peut se placer au même
rang que les meilleures œuvres de son époqne ; l'heureux choix des
thèmes, toujours très musicaux, la fantaisie du développement et l'écri-
ture beaucoup plus pleine et soignée que dans les pièces du commen-
cement de la carrière de Rust, en font une œuvre de premier ordre, et
peut-être la plus beethovénienne de ses sonates.
L'alternance entre le thème mélancolique qui ouvre le deuxième
morceau et le chant éminemment « symphonie pastorale » qui fait la
contrepartie, donne l'impression d'une esquisse de quelque quatuor du
maître de Bonn, tandis que la péroraison nous mène encore plus près
de nous, jusqu'à Schumann. Enfin, la coupe en deux morceaux, forme
favorite des derniers temps beethovéniens, éloigne davantage cette belle
composition des ornières formelles et conventionnelles dans lesquelles
se traînait l'art de presque tous les musiciens de cette époque.
Voici la construction de cette sonate :
I. Exp. : Thème i'\. en ftf.
Passage de transition, conduisant
deuxième idée (|1) en LA ;
(i) Cxrthr's Jahrbuch, vol. VII, p. ii8, et VIII, p. iJ?. cHilion !.. lieiRer. iSR'V
LES PRÉL)fiCESSEURS DE KEETIIOVEN
"9
2. Partil MKDiANE : allant de HÉ à mi ; repos en mi par l'i Jée ;{?)•
Développement delà partie terminale de (Jî), aboutis-
sant à :
3. RÉExp. régulière des 2 thèmes, avec un assez long point d'orgue
terminal.
La deuxième et dernière pièce de la sonate consiste, nous l'avons dit,
en une intéressante antithèse entre un thème grave et un allegretto
pastoral. En voici la construction :
1. Th. Q\ , grave, en ré, arrêté sur la domin.tnte.
Th. (^, pastoral, en FA ;
2. Th. Ç\' , en sol, s'infléchissant vers la dominante du ton principal :
Th. (J{) en RE, avec une conclusion en dépression qui rappelle
d'assez près la péroraison des Papillons de Schuniann.
Outre les perfectionnements considérables apportés par Rust dans
l'écriture technique de l'instrument à clavier, le compositeur de Dessau
tenta de nombreuses innovations visant la diversité des timbres. Il est
vrai de dire que ba plupart de c«s vecherches, faciles à rendre sur le
clavicorde dont la mécanique restait toujours à découvert, deviennent
inexécutables sur nos instruments modernes, si parfaits à d'autres
points de vue.
A l'appui de cette assertion, nous pouvons citer la g* Sonate, en SOL^
dont, malheureusement, \t finale seul offre quelque intérêt musical.
Au cours de cette œuvre, que précède, dans le manuscrit, une assez
longue préface explicative, Rust se livre à diverses imitations : timbales,
timbales avec sourdine, psaltérion, et eafin, sous la dénomination :
suoni di liuto, il y fait un fréquent usage des sons harmoniques obtenus,
comme sur la harpe, au moyen d'un doigt de la main droite posé sur la
partie médiane d'une ou de plusieurs cordes ; les sons, joués par la main
gauche, sortent ainsi à l'octave supérieure de la note écrite.
Au reste, notre auteur emploie également ces sons harmoniques dans
d'autres œuvres, notamment dans la lo* sonate, en ut, comme si le
procédé était généralement connu.
Voici des exemples de l'écriture dont il se sert pour imiter le timbre
du psaltérion et pour faire sortir les sons de luth (harmoniques).
Psaltérion :
plïZ •■
(9" Sonate. — Octobre 1791.)
LA SONATE PREBEETHOVE.NIENNE
L'accord de la main gauche reste soutenu au clavier, tandis que les
doigts de lamain droite se promènent légèrement sur les cordes corres-
pondantes de l'accord tenu.
Sons harmoniques :
(lo' aonate. — Finale.'
Appuyer légèrement l'index de la main droite à mi-longueur des
cordes, et jouer les notes écrites, avec la main gauche seule.
Tel est, dans son ensemble, l'œuvre de piano si caractéristique et si
primesautier de Rust, à qui personne assurément n'osera refuser désor-
mais le titre de « précurseur ».
Il ne restait peut-être qu'un pas à faire pour pénétrer dans la contrée
sjniplioniijue nou\e\\e, dont l'existence avait été pressentie déjà par de
si grands musiciens... mais c'était un pas de géant.
Seul, Beethoven pouvait, d'un génial effort, franchir l'obstacle et
permettre enfin à l'art musical d'entrer dans la Terre Promise.
IV
LA SONATE
DE BEETHOVEN
Technique. — i. L'idée musicale. — 2. Le développement et la modulation. — 3. Le mou
vement initial : type S. — 4. Le mouvement lent : type L. — 5. Le mouvement modéré
le Menuet ; le Scherzo : type M. — 6. Le mouvement rapide ; [le Rondeau : type R. —
7. Unité de la Sonate de Beethoven.
Historique. — 8. Chronologie des Sonates de Beethoven. — 9 Sonates pour piano: première
manière (lygS à 1801). — 10. So.iates pour piano : deuxième manière (1801 à i8i5). —
I I. Sonates pour piano : troisième manière (i8i5 à i8j6). — 12. Sonates pour violon,
violoncelle, etc.
TECHNIQUE
I. l'idée musicale.
La Sonate, telle qu'elle a été définie au précédent chapitre (p. i53),
conserve avec Beethoven tous ses caractères primordiaux : elle ne se
compose jamais de plus de quatre pièces différentes ; l'instrument à
clavier, le piano, pour lequel elle est écrite, joue seul, ou en qualité
d'accompagnateur d'un instrument récitant (violon, violoncelle, etc.),
jouant seul; ses pièces constitutives, dont le nombre diminue de
plus en plus tandis que leur forme progresse et se renouvelle, se suC'
cèdent dans un ordre logique de mouvements différents et sont reliées
entre elles par une parenté tonale étroite et constante ; enfin, la coupe
ternaire y apparaît dans toute sa perfection et y supplante presque
entièrement les usages et les formes provenant encore de la Suite.
Mais, à ces caractères permanents de la Sonate pré-beethovénienne
viennent s'en ajouter d'autres, tellement importants et tellement spé-
ciaux, qu'il était indispensable d'en faire l'objet d'une étude séparée et
approfondie.
Les dessins contrapontiques que nous avons comparés à un « véhicule
tonal » allant, dans l'ancienne forme Suite, de la tonique au ton roisin
J3a LA SONATE DE BEETHOVEN
pour revenir ensuite à leur point de départ (voir ci-dessus, p. iio),
s'étaient élevés déjà au rôle de thèmes. Dans la forme Sonate, en effet,
ils commençaient à se différencier plus ou moins nettement des dessins
accessoires modulants qui les reliaient entre eux, ainsi que les arches
d'un pn}it relient l'une à l'autre les deux rives d'un cours d'eau.
Sous l'impulsion du génie beethovénien, \e thème va s'accroître dans
de telles proportions, il prendra tant de noblesse et de puissance, que sa
seule énonciation l'imposera définitivement à l'entendement et à la mé-
moire : il acquerra ainsi la valeur et les prérogatives d'une idée, radieuse
souveraine des vastes domaines symphoniques où, sans jamais cesser
d'être elle-même, elle pourra revêtir tour à tour les aspects les plus
difîérents.
Cette idée, véritable être organisé musicalement suivant des prin-
cipes rythmiques, mélodiques ou harmoniques que nous allons exa-
miner, se comporte dans l'œuvre comme toute idée, tout être, toute
force : elle agit. Et cette action spéciale se manifeste par un procédé
nouveau, que pressentirent déjà les précurseurs immédiats du maître
de Bonn : le développement, soumis aux lois immuables des relations
tonales et des modulations, c'est-à-dire aux moyens harmoniques d"e.v-
pression dont le mécanisme a été sommairement indiqué déjà au Premier
Livre de ce Cours (i), mais dont le fonctionnement complexe nécessi
tait une étude détaillée qui va trouver ici sa place logique et légitime.
Car les idées musicales, leurs développements et leurs modulations
constituent autant d'élénients noi;>yeaux ou renouvelés dont l'art sym-
phonique tout entier es^redevable à Beethoven principalement, sinon
exclusivement. Mais, comme îa forme Sonate a bénéficié plus que toute
autre (et peut-être avant toute autre), de ces véritables « apports) per-
sonnels » du maître, il convient de les bien connaître en eux-mêmes,
afin d'apprécier leur gigantesque répercussion sur chacun des types
fondamentaux des ^wa/r<? mouvements (S. L. M. R.) et sur l'unité syn-
thétique de cette forme de composition.
Avant de poursuivre cette étude, qui fera l'objet du présent chapitre,
nous con%\àévtvoxxsàonc\ts idées musicales, en elles-mêmes, puisqu'aussi
bien (c'est Beethoven qui nous le dit), « en musique, tout procède de
Vidée et tout y retourne » (2).
Eléments de l'idée musicale. — « L'idée est une étincelle volée à l'in-
fini. » Cette image poétique de Vidée, prise dans son sens général, peut
s'appliquer à Vidée musicale mieux peut-être qu'à toute autre : a la
(1) Voir I" liv., ch. vin.
(3) Bettina Brcntano, Conversation» avec Beethoven,
L'IDEE MUSICALE 333
musique n'est-elle pas le lien qui unit la vie de l'esprit à la vie des sens,
l'unique introductrice au monde supérieur, à ce monde qui embrasse
l'homme, mais que l'homme ne saurait embrasser ? » (i).
Ainsi s'exprime encore Beethoven, qui va même jusqu'à appeler un
jour la philosophie un « dérivé » de la musique (2).
Quoi qu'il en soit de l'idée en général et de l'idée musicale en parti-
culier, au point de vue purement philosophique, il ne nous appartient
pas de discuter ici les diverses définitions qui sont proposées pour
l'une ou pour l'autre par les « spécialistes » (3). A les bien examiner,
d'ailleurs, on serait tenté de les rejeter toutes : il ne s'agit point ici, en
ertet, des idées en tant que « représentations d'objets » ; de telles idées
n'ont rien de commun avec les idées musicales, lesquelles, on ne sau-
rait trop insister sur ce point, expriment des sentiments ou des im-
pressions, mais ne peuvent en aucun cas représenter des objets (4). Les
définitions du mot idée, pris dans cette acception, sont donc totalement
étrangères à la question et n'ont rien de commun avec la notion
d'infini. Quant à celles qui présupposent cette notion nécessaire, ne
révèlent-elles pas, par cela même, l'impossibilité radicale d'une défini-
tion adéquate ? Peut-on assigner des limites à ce qui n'en a pas, défini}-
ce qui est in/inij comprendre ce qui excède infiniment les bornes inhé-
rentes à notre nature humaine ? (5).
Toutefois, si cette compréhension nous est totalement interdite, ne
pouvons-nous nous élever à une connaissance tout imparfaite et relative
de cette « étincelle volée à l'infini », de cette idée musicale, immaté-
rielle et inaccessible en son essence, mais revêtue pourtant de formes
concrètes qui la mettent à la portée de l'intelligence ? X
Considérée dans sa forme et dans sa fonction d'organe vivant conte-
nant la seule raison d'être de toute composition. Vidée musicale, au
contraire, peut et doit faire le sujet de quelques réflexions utiles, sinon
nécessaires. Cet être agissant conserve, en effet, dans l'état de perfec-
tion auquel l'a élevé le soufflet réateur de Beethoven, les éléments ori-
ginels de la mélodie de tous les temps : il est fait de groupes rythmi-
(i) Bettina Brentano, Conservations avec Beethoven.
[ï) Ihid. € La musique, dit un jour Beethoven à Bettina, est un terrain dans lequel l'es-
prit vil, pense et fleurit : la philosophie n'est qu'une conséquence ou un dérivé de la
musique I •
(3) Constatons ici, une fois de plui, l'insouciante ignorance du « philosophe »ij.ittrç en
matière de musique et d'art :
< Idée musicale : trait de chant qui se présente à l'esprit du compositeur avec tous les
accesioires qu'il comporte u. (Dictionnaire.) Cette « définition » est donnée dans un para-
graphe de l'article id^f, mais pas dans celui où il est question de Vœuvre d'a'l\
(4) Voir I" liv., IntroJ., p. 12.
{i) « Une idée est un mode de l'âme, et, comme nous ne savons pas ce que l-ime est en elle-
mêm , nous ne savons point non plus ce qu'un mode de l'âme est en lui-même. » (Ch.
Bonnet, Essai analytique sur les facultés de l'àme, char, vni.)
334 LA SONATE DE BEETHOVEN
que» accentués, de périodes, de phrases qui se meuvent dans des toua'
lités (i) ; il y a donc lieu d'examiner ce que contiennent ces groupes,
véritables cellules organiques, ces périodes hiérarchiquement ordonnées,
ces phrases éminemment expressives et émouvantes. Et l'on procédera
ici comme on l'a fait précédemment pour le rythme et la mélodie : en
partant de l'élément premier, du minimum indivisible qu'on pourrait
appeler la cellule ou le germe de l'idée. V
La Cellule. — En réduisant le rythme à sa plus simple expression,
nous avons constaté qu'il était contenu dans « le plus petit groupe indi-
visible d'une succession de sons (2) ». C est l'indivisibilité ou l'irréducti-
bilité qui spécifie ce qu'on est convenu d'appeler, ce//î</e ou monade. La
cellule thématique dont nous parlons ici diffère de la cellule rythmique
en ce qu'elle peut être aussi bien mélodique ou harmonique, mais tou-
jours sous la condition expresse de â^vaturtv irréductible, c'est-à-dire
d'avoir atteint le degré de simplification à partir duquel toute subdivi-
sion entraîne nécessairement la destruction.
De même que la cellule vivante contient le germe, ainsi la cellule
musicale contient, en quelque sorte, le motif {"i). Dans l'un et l'autre cas,
le contenant est indissolublement lié au contenu : ni l'un ni l'autre ne
se peut concevoir isolément. Il ne saurait y avoir de cellule sans motif,
musicalement parlant, et la décomposition de l'un ou de l'autre, ou
même leur séparation, sous prétexte d'analyse, paraîtra à juste titre
inintelligible, sinon inintelligente (4). Qu'il nous suffise de constater
l'existence du 7«o///' inclus nécessairement dans la cellule, et d'examiner
la fonction de celle-ci dans les périodes et les phrases auxquelles elle
donne naissance. V
La Période. — De même que les groupes rythmiques coopèrent,
par leur combinaison régulière et ordonnée, à l'élaboration de la
période mélodique, ainsi les cellules, en se reproduisant à divers
intervalles ou sur divers degrés, apportent à \a période initiale d'une
phrase musicale tous les attributs rythmiques, mélodiques et har-
(1) Voir I" liv., chap. ii, pages 33 et suiv.
(3) Ibtd., chap. I, p. 36.
(3) Motif est pris ici dans son sens exact, impliquant comme son radical mot (mntinn, de
moveo, ic meus) l'idée de mouvement , d'impulsnui prcmioïc, de vie. Tant .le choses diflé-
rentcs ont clé improp;ement qualifiées en musique de i motifs» que nous serons amenés
dans la pratique à prendre bien souvent le coiUenant pour le contenuj;t i nous servir du
mot cellule.
(4) Un tel système de dfcompositio<i a pourtant rencontré dans tous les temps «t dans tous
les domaines d'ingénieux adeptes, qui s'obstinent à vouloir analyser ce qui ne se décom-
pose paset, pnrunc prétention toujours orgueilleuse sinon hypocrite, appellent cela <t la
science»! Curieuse aberration de l'esprit humain qui, sous prétexte de ne croiie que ce
qu'il sait, aboutit ainsi, infailliblement, à ne plus savoir ce qu'il croit.
L'IDÉE MUSICALE j^?
moniques qui la caractérisent et lui confèrent le rôle principal dans
la genèse de l'idée.
Cette période principale contient le thème [\) générateur, de même que
la cellule contient le motif. Ici encore, le contenant est lié nécessairement
au contenu: il n'y a pas de période principale sans thème générateur.
Leur fonction commune est d'engendrer les autres périodes, con-
tenant les autres éléments du thème ; celles-ci apparaissent en ordre
logique, à la s\i\\.c <i.t\a. période principale, ou, si l'on veut, génératrice;
elles la complètent, la précisent ou l'amplifient, remplissant ici la fonc-
tion de périodes secondaires ou incidentes. ^
La Phrase. — La succession ordonnée de la période principale ou
génératrice QX des périodes secondaires constitue la phrase, c'est-à-dire
renonciation de Vidée musicale.
La phrase contient Vidée, au même titre que la période principale
contient le thème générateur et que la cellule contient le motif ; tou-
tefois, si le motif est toujours entièrement inclus dans la cellule, et le
thème dans la période, l'idée musicale n'est pas nécessairement énoncée
par une seule phrase. L'énonciation intégrale de Vidée nécessite parfois,
au contraire, deux et même trois phrases dont l'une, la principale, con-
tient la partie essentielle de l'idée.
Il ne peut donc y avoir, musicalement parlant, de phrase sans idée, pas
plus qu'il ne peut y avoir de période sans thème, ni de cellule sans motif.
La phrase, la période et la cellule sont entre elles pareillement dans
une étroite dépendance : il n'y a pas de phrase sans période, ni de
période sans cellule : chacun de ces trois éléments procède en quelque
sorte des deux autres, et leur ensemble nous apparaît comme une
véritable trinité dans l'unité.
Ce principe constitutif de Vidée musicale n'a point cessé d'être
appliqué depuis Beethoven. Wagner et Franck, qui furent, après lui,
les plus grands créateurs dans le domaine musical, n'ont jamais tenté
de modifier l'ordre et la hiérarchie existant entre la cellule, la période
et la phrase : il est aisé de le constater par quelques exemples em-
pruntés à leurs œuvres (2). V
(i) Thème est pris ici (comme précédemment le terme motif) dans son sens vrai, lequel
implique l'idée de placer, de poser quelque chose (9é(jiat,de tiOT|[ii, je pose).
I.e thème est proprement « ce qui est posé», ce qui est mis là dans un but déterminé (celui
d'engendrer l'oeuvre); tandis que lemo/i/, c'est t ce qui met en mouvement » la raison d'être.
1,'abus qu'on a fait de ces termes excellents nous obligera souvent pour plus de clarté à
substituer période à thème, comme nous substituerons cellule à motif.
(j) Les singulières « analyses thématiques » qu'on distribue encore de nos jours dans
les concerts, sous prétexte d'aider à la compréhension d'ouvrages symphoniques
nouveaux (ou même .Tnciensl, donnent à penser néanmoins qu'il règne dans l'esprit de
beaucoup de compositeurs, et surtout de « musicographes », une imprécision déplorable,
relativement à Vidée musicale et à ses cléments.
236
LA SONATE DE BEETHOVEN
I» Le rythme étant réiément primordial de toute manifestation
musicale, les cellules et périodes de caractère principalement ou
exclusivement rythmique sont, de beaucoup, les plus fréquentes : chez
Beethoven notamment, la plupart des périodes génératrices initiale*
sont d'ordre rythmique \ celle de la Sonate de piano, op. io6, est
particulièrement remarquable à cet égard :
la cellule primitive indivisible (a ) se répète une seconde fois à l'octave supé-
rieure [a bis) et donne naissance à la formule mélodique (a") qui termine la
. période génératrice; celle-ci se répétera deux fois aussi, et la période secon-
daire qui apparaîtra ensuite sera faite de cette même formule mélodique [a"),
comme on le verra ci-après, p. 264. >y
La V" Symphonie, op. 67, commence également par une période
génératrice, d'ordre rythmique ; mais la cellule, au lieu de faire partie de
la période, comme dans l'op. 106, est énoncée séparément et préala-
blement, à deux reprises différentes :
la cellule rythmique contenant le motif (a) s'expose une seconde fois (a bis] ;
la période génératrice (faite de a a" a") s'expose ensuite et se répétera sur
divers degrés. -J
1" La VI' Symphonie [Pastorale), op. 68, au contraire, débute par
une période gétiératrtce d'ordre éminemment mélodique :
la cellule mélodique, contenant vraiment le motif ou le germe de tous le»
développements ultérieurs, ne pourrait être ici séparée de la période
génératrice, même pour les besoins de l'analyse.
L'IDÉE MUSICALE. _ a'57
Cette période mélodique offre, à peu de chose près, îe caractère tonal
d'un su/et simple (voir ci-dessus, p. Sg) : les seules notes qui y excèdent
l'intervalle de quinte [totiique-dottiinaute) ne portent aucun accent (i),
et peuvent être supprimées sans altérer gravement la mélodie, dont
l'expression calme et reposante a pour principale cause cette étendue
restreinte :
}<
Un autre exemple de l'ordre mélodique est contenu dans \2i période
génératrice de la Sonate pour piano et violon de C. Franck :
cette cellule mélodique, a.^ te son accent expressif sur la seconde note (/a 5),
contient ici le motif ou le germe de l'œuvre entière : c'est une véritable
cellule cyclique, comme on la verra au chapitre v, ci-après.
X
3* 11 existe enfin certaines cellules qu'on peut véritablement appeler
harmoniques, parce que leur ligne mélodique, ou même leur rythme,
ne peuvent être isolés des mélodies simultanées qui les accompagnent
nécessairement, sans perdre, par cela même, toute leur signification
expressive : la cellule initiale de la Sonate, op. 8i [Lebeivohl), peut être
considérée comme un spécimen de cet ordre :
la cellule ne consiste ni dans le rythme des trois noires, ni dans la mélodie
supérieure (sol, fa, mi t»), ni dans la mélodie inférieure (mi i>, si 9, sol) exclu-
sivement, mais dans la superposition harmonique de ces deux mélodies
simultanées, y
Un autre exemple, plus frappant encore, de cellule ou de motif pu-
rement harmonique, se trouve au début de Tristan und Isolde de
R. Wagner :
(i) Voir I" iiv., p. 33 et 34, les observations relatives à l'accentuation vraie de cette
période génétalrice.
LA SONATE DE BEETHOVEN
Lento e languido
dans ce « thème de l'enchantement d'amour », pour nous servir ici de la
regrettable nomenclature en usage, la cellule principale, qui apparaît après
la cellule secondaire, ne consiste pas dans la ligne mélodique écrite à la
partie supérieure : ce fragment chromatique, isolé de ses harmonies très
spéciales, n'aurait aucune signification musicale déterminée : le véritable
motif est donc contenu dans ces harmonies, lesquelles constituent la cellule.
Ces motifs harmoniques, liés généralement à une intention drama-
tique, procèdent souvent, comme l'exemple ci-dessus, d'artijices
harmoniques (altérations, retards, appoggiatures) qui sont rendus plus
ou moins nécessaires par la modification accide)iteUej{\x'\\s introduisent
dans l'harmonie naturelle des fonctions tonales (i). 'V'
Une même période génératrice peut contenir, d'ailleurs, des cellules
d'ordre différent : la cellule secondaire, qui est placée au début de ce
dernier exemple harmonique, appartient plutôt à Vovàrt mélodique , de
même, le fragment (a") qui termine la période initiale de la Sonate de
Beethoven, op. io6 (voir ci-dessus, p. 236), ajoute à ce thème éminem-
ment rythmique un élément mélodique appelé, comme on le verra ci-
après (p. '264 et 269), à relier cette période génératrice aux périodes
secondaires qui la suivront, et même à la seconde idée du même mou-
vement de la Sonate.
Il faudrait bien se garder de croire, en effet, que les six exemples ci-
dessus contiennent des idées entières : lorsqu'on étudiera l'exposition
complète de ce premier mouvement de la Sonate op. 106 (voir ci-après,
p. 264 et suiv.), on se rendra compte de la très petite place occupée par
la période initiale qui contient le thème générateur proprement dit, rela-
tivement à \'idée musicale cnt\(ire. Et il s'en faut de beaucoup que cette
idée soit l'une des plus longues qu'on rencontre, même dans les Sona-
tes de piano de Beethoven : la seconde idée du même morceau atteint
soixante mesures environ, c'est-à-dire plus du triple de la première, .^v^-
Qenèse de l'idée musicale. — Il faut conclure de ce qui précède que
Vidée fnusicale, sorte de Moraison des thèmes issus des motifs, ne doit
(r) Voir I" liv., p. 117, la note relative à \'aiialyse Itannoiiique de ce même ihémc chro-
iTiaiique de Trittan und JsolJe,
L'IDEE MUSICALE j^,j
pas être confondue avec ses éléments, pas plus que la cellule ne doit
être confondue avec \a période, ni celle-ci avec la phrase.
Logiquement, c'est le motif qui doit engendrer le thème, ou, pour
nous servir de la terminologie précédemment adoptée, c'est la cellule
qui engendre la périojie ; Jliais cette opération J.atente se fait incons-
clernment dans la plupart des cas, et c'est pourquoi nous avons appelé
période g-é>iérjtrice celle qui se présente ordinairement à l'esprit du
compositeur en lolalité, et non par fragments successifs, sauf à subir
ensuite de profondes modifications, volontaires et conscientes.
La fonction de cette pério ie consiste en efl'et à engendrer la phrase,
ou les phrases qui expriment l'idée ; et cette seconde opération n'est
jamais l'effet du hasard, du pur instinct ou de ce qu'on est convenu
d'appeler « l'inspiration ». Pour exprimer l'idée, pour mettre en valeur
cette « étincelle volée à l'infini », cette^DarcelleJd'or pur enclose en la
période génératrice, un travail plus ou moins long, un effort plus ou
moins pénible, sont toujours nécessaires. Rude et noble tâche, qui
consiste à parfaire cet embr_von thématique, à le doter de tous ses
organes essentiels, à le garder jalousement dans le lieu tonal qui l'a
vu naître, en le soustrayant aux tentations modulantes» du dehors,
qui le soumettraient prématurément aux redoutablesjuttes des « trans-
lations tonales » avant qu'il soit suiîisamment affermi sur ses bases.
Écoutons encore Beethoven répondant un jour à Bettina Brentano
qui lui demandait comment viennent lés idées musicales: « Du foyer
de l'enthousiasme, dit-il (i), je laisse échapper la mélodie; je la pour-
suis ; haletant, je la rejoins ; elle s'envole de nouveau, elle disparaît,
elle plonge dans un chaos d'éiiiotions diverses. Je l'atteins encore, je la
saisis ; plein de ravissement, je rétreins_ avec délire : rien ne peut
plus m'en séparer. Je la multiplie alors par les modulations (2I et, enfin, ^
)c triomphe de la première idée musicale... Ceci est toute la symphonie. »
Cette mélodie que l'auteur « étreint avec ravissement », c'est ce
que nous avons appelé la période génératrice. Mais cette période
contient-elle toute Vidée ? le travail du compositeur s'arrête-t-il là ?
Non, certes ; et nous n'en voulons pour preuve que les cahiers d'es-
quisses de Beethoven, où apparaît en maint endroit, ce long travail
de la « multiplication du thème ». précédant parfois de plusieurs
années le « triomphe » laborieusement conquis de la « première
idée musicale ». Et cette idée, une fois organisée complètement, cons-
(1) Beit na Brentano, Conversations avec Beethoven, p. 8>.
(2) La Iclure des Cahie'S d'Esquisses, recueillis par Nottcbohin, montre bien que le mot
« modulation » employé ici par Bettina pour traduire la pcn'ice de Beethoven n'est pas
exact, car on ne trouve jamais chez lui de véritable modulation dans l'exposition de ses
idées musicales.
j^g LA SONATF DE BEETHOVEN
titue vraiment pour lui « toute la symphonie », caries développements,
dont on ne trouve presque aucune trace dans ses cahiers, devaient lui
coûter d'autant moins de peine que ses idées avaient été plus longue-
ment préparées et combinées, au prix de soucis et d'émotions diverses.
Pourquoi donc entend-on si souvent des œuvres musicales, d'ailleurs
estimables, où s'exposent, au lieu d'idées complètes, de simples /;ér/o<:fe$
généralrices ? N'en faut-il pas rendre responsable cette erreur si répan-
due qui voit dans r« inspiration » un moyen de se soustraire à toute
loi, à toute contrainte, et, dans les grands génies de tous les temps, des
êtres plus ou moins déséquilibrés et toujours dispensés de toute étude
et de tout travail préalable? Comme si leurs magistrales idées s'étaient
jamais présentées à leur esprit de prime abord dans toute leur perfec-
tion I Comme si l'on était en voie de leur ressembler lorsqu'on dédaigne
de connaître leurs ouvrages, et qu'on écrit plus ou moins spontané-
ment une petite période génératrice... qui n'engendrera rien sans un
effort volontaire. Seul, en effet, l'effort patient et réfléchi peut amener
cette brève période satisfaisant déjà la vanité de son auteur, sinon sa
paressCj^ à la conquête de l'idée entière. Et chez Beethoven, lui-même,
les idées musicales, si simples qu'elles puissent nous paraître, échappent
bien rarement à cette loi.
Les premières esquisses de l'idée du finale, dans la IX' Symphonie,
remontent à 1807, c'est-à-dire à quinze ou seize ans avant la compo-
sition de ce chef-d'œuvre. Dans le Rondeau fameux connu sous le nom
de « l'Aurore », sans qu'on ait jamais bien su pourquoi, le thème du
Refrain ne subit pas moins de six ou sept retouches, avant d'acquérir
sa ligne mélodique définitive, et la première de ces esquisses est anté-
rieure de plusieurs mois, d'un an peut-être, à la composition de la
Sonate, op. 53, dont ce Rondeau devint le finale (i). Ce Refrain, d'as-
pect si prime-sautier, ne conserve nulle trace d'un tel effort préalable
accompli avec tant de conscience artistique parle génial symphoniste.
Et pourtant, par une décevante ironie des choses, il arrivera souvent
que l'auditeur naïf louera la « charmante facilité » d'une idée musicale
si lentement et si péniblement élaborée, tandis qu'il trouvera» difficiles
ou compliquées » quelques successions modulantes écrites sans grand
effort, à l'aide d'une petite période, plus embryonnaire que génératrice I
Ainsi, la conscience artistique (2) intervient encore pour nous imposer
la loi inéluctable de l'effort dans cette sorte d'enfantement intellectuel
de l'idée musicale, comme elle intervient pour guider notre choix de la
(i) Nous citerons plus loin, dans la section historique du présent chapitre (p. 333), le»
esquisses les plus caracicrisliques de ce thème,
(a) Voir I" liv., Inlrod., p. 14.
LE DÉVELOPPEMENT ET L\ MODULATION 341
forme de composition que cette idée est appelée à vivifier, ou de la
place qu'elle doit occuper dans l'œuvre.
Car toutes les idées musicales n'ont point la même destination : il y
a des idées dramatiques et des idées symphoniques ; et, parmi celles-ci,
des idées de sonates, des idées de sytnphoiiies ou de quatuors à cordes.
Le discernement entre les unes et les autres, entre leurs caractéris-
tiques et leurs aptitudes diverses, sera facilité, nous l'espérons, par la
suite de ce Cours de Composition.
Dans la Sonate même, les idées initiales diffèrent des secondes idées ;
les mouvements lents, modérés ou rapides, ont aussi leurs idées musi-
cales spéciales : les qualités distinctives des unes et des autres apparaî-
tront mieux, au fur et à mesure qu'on étudiera ci-après les quatre
types traditionnels des mouvements de la Sonate (S. L. M. R.).
Mais, quelle que soit la destination de l'idée, sa qualité essentielle ■ / /
lors de son exposition, c'est l'imrnobilité tonale. Véritable personnage ^^'
vivant, elle se présente à nous dans un lieu déterminé, et ce lieu, c'est
sa tonalité propre : il est donc de toute nécessité qu'elle s'y expose
intégralement, avant d'en sortir pour accomplir sa mission, laquelle
consiste à développer la vie dans toute l'œuvre, à moduler, à agir, en un \^ ,
mot, suivant certaines lois immuables auxquelles Beethoven lui-même /<^/y\
n'a pas craint de se soumettre, «y
2. LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION.
Le Développement est l'expression logique et ordonnée des mou-
vements et des états successifs par lesquels passent les divers éléments
constituant l'idée musicale précédemment exposée : c'est donc, à pro-
prement parler, Kaction des thèmes et des idées, et, par conséquent,
leur raison d'être, car une idée ne vaut que par l'action qu'elle est sus-
ceptible d'exercer.
Lorsqu'il y a plusieurs idées musicales dans une même pièce, comme,
par exemple, dans la forme Sonate, le développement exprime généra-
lement toutes les phases d'une lutte entre elles, avec le triomphe final
de l'une, la soumission de l'autre, soit qu'elle disparaisse entièrement
devant l'idée victorieuse, soit qu'elle se transforme sous son autorité et
semble se façonner peu à peu à sa ressemblance (i).
Si, au contraire, l'idée vivante est unique, ainsi qu'il arrive dans
la forme Lied, le développement offrira plutôt l'image d'une lutte
entre des sentiments différents ou opposés, dans l'àme de cet être
idéal, qui leur obéit tour à tour et se modifie sous leur influence.
(i ) La Sonate, op. 90, coniient un exe.nple de celte sorte de transformation, comme on le
Terra ci-après (p. 338).
Couita Dc COMPOSITION. — T. II, I. 16
»|J LA SONATE DE BEETHOVEN
Toujours est-il que dans tous les développements, qu'ils appar-
tiennent à l'une ou à l'autre de ces deux catégories, les thèmes se com-
portent comme des personnages vivants : ils agissent et se meuvent
suivant leurs tendances, leurs sentiments et leurs passions. Et ces mo-
difications diverses se révèlent, soit dans les éléments thématiques
qui s'agrandissent comme pour se surpasser ou se restreignent comme
pour s'absorber en eux-mêmes, soit dans leurs trajectoires tonales
qui s'orientent vers la lumière ou vers l'obscurité.
D'où il suit que les phénomènes du développement sont de deux
ordres différents, selon qu'ils affectent les thèmes et les idées dans leurs
organes constitutifs, ou dans leur situation tonale respective, w
Développement organique. — De même que les éléments thématiques
constituant l'idée musicale (voir ci-dessus, p. 236 et suiv.), les déve-
loppements auxquels elle donne lieu peuvent être j'ythmiques, tnélodi-
ques ou harmoniques.
Un développement 7-;'//;;«;^Me sera, par exemple, celui qui fera enten-
dre avec persistance le r\thme déjà connu du thème préexposé, tandis
qu'apparaîtront d'autres mélodies ou d'autres harmonies reliées par ce
rythme même à l'idée ainsi développée. Les développements de cette
sorte sont très fréquents : on en trouvera un spécimen ci-après (p. 274
et 27 S) dans l'analyse du premier mouvement de l'op. 106 ; Y Allegretto
de la VII* Symphonie, op. 92, est entièrement développé de cette façon (i).
Un développement mélodique consiste, au contraire, à conserver à
peu près intacte la mélodie du thème, en lui apportant seulement quel-
que modification rythmique ou tonale qui permet néanmoins de la
reconnaître : dans le même morceau qui nous sert de modèle du genre
(ci-après, p. 277) on en trouvera un exemple. Le mouvement initial de
la Sonate, op. 90 (p. 359), en contient un autre des plus frappants. \
Un développement harmonique se révélera plutôt par l'apparition de
quelque nouveau dessin rj'thmique ou mélodique sur une harmonie
spéciale appartenant en propre à l'idée originaire. Le développement
de la Sonate, op. 106, ramenant dans son 4' élément (voir ci-après,
p. 276) une modulation brusque à la troisième quinte ascendante,
apparue déjà dans l'exposition (p. 267), serait un peu de l'ordre har-
monique ; mais il en existe de meilleurs exemples, notamment dans
le mouvement lent du XII' Quatuor à cordes, op. 127, dont la troi-
sième variation (voir ci-après, chap. vi) contient un admirable déve-
loppement harmonique du thème.
En dehors de ces trois aspects provenantdc la nature même des idées,
(1) Il ne serait pas possible de citer des exemples de chaque sorte de développement, car
il faudrait avant chaque exemple citer l'exposition de l'idie développée, pour montrer sa
transformation. Un voudra bien se reporter aux oeuvres indiquées.
LE DEVELOPPEMENT ET LA MODULATION j^f
les développements peuvent modifier les organes thématiques par un
grand nombre de moj'ens divers qu'on peut ramener à /ro/s principaux:
1° Vamplification qui consiste en une sorte d'accroissement d'un élé-
ment constitutif de l'idée, lequel prend une importance plus grande par
l'augmentation de valeur de ses notes ou par l'adjonction de notes nou-
velles, comme si le personnage, sous l'influence de quelque force expan-
sive, cherchait à se dilater (voir les exemples ci-après, p. 273 et 274) ; \ -
2° Vélimination, opération opposée à la précédente, et qui consiste
à diminuer l'importance de l'élément thématique sacrifié plutôt que
développé, en raccourcissant ses notes constitutives, ou même en les
supprimant l'une après l'autre comme si le personnage voulait se
replier sur lui-mÙMne et condenser louit son énergie vitale sur un seul
point ^voir les exemples ci-après, p. 273 et 274) ; \
3° la 57/per/7osi7/oH qui reproduit les éléments thématiques apparte-
nant à l'une ou à l'autre des idées, parfois aux deux simultanément,
en les combiimut ou en les associant d'une façon nouvelle dans divers
tons, sur divers degrés et dans diverses parties.
Qui ne reconnaîtrait dans ce « moyen de développement », par excel-
lence, l'antique procédé d'imitation (voir ci-dessus, p. 21) provenant du
style fugué qui l'avait emprunté lui-même au Motet ? C'est, en effet,
une imitation qui, dans la musique comme dans la vie, précéda l'ac-
tion indépendante : les petits épisodes de la Fugue, les redites des
dessins de la Suite et, plus tard, les rappels de thèmes dans la partie
médiane des premières Sonates de forme ternaire, furent autant
d'étapes successives lentement franchies par l'imitation, depuis ses
premiers balbutiements jusqu'à l'accomplissement final de sa fonction
complète dans le développement des idées musicales (voir l'exemple
ci-après, p. 274 et 275). Et l'on pourrait dire, en définitive, que l'am-
plijication, Vélimination et la superposition sont comme trois manières
d'être de Vimitation qui, seule, peut modifier org-aniquement les thèmes,
en les développant sans les détruire, ^^^
Développement tonal. — La tonalité doit être considérée comme le
lieu où se passent les actions thématiques : ce lieu peut demeurer le
même ou il peut changer. Au point de vue tonal ou local, le dévelop-
pement participe donc de l'un ou de l'autre de ces deux états afférents
à la tonalité : immobilité ou translation.
I» En état d'immobilité ou de repos, le développement revêt momen-
tanément les principaux caractères d'une exposition : il a pour point
de départ une cadence qui détermine la tonalité où se placera cet arrêt,
cette étape destinée à interrompre son parcours modulant.
Ces étapes totales étant autant de buts successifs proposés et atteints
,^^ LA SONATE DE BEETHOVEN
par le développement exercent sur la bonne ordonnance de l'œuvre une
influence au moins aussi grande que le choix et l'élaboration des idées.
11 est donc de toute urgence que ces étapes soient déterminées à l'avance,
et les plus grands symphonistes n'y ont assurément jamais manqué.
Souvent les thèmes semblent indiquer eux-mêmes vers quel lieu, vers
quel ton ils tendent à se reposer au cours de leurs actions ; d'autres fois,
il faut leur assigner volontairement les tonalités de repos vers lesquelles
ils seront conduits ensuite sans secousse, mais aussi sans faiblesse.
Quant au choix des tonalités susceptibles de servir de « gîte d'étape»
dans une composition donnée, il est guidé exclusivement par les rela-
tions de ^is/a^/ce entre les tons, suivant les principes émis au Premier
Livre (chap. vni) et rappelés ci-après (p. 25o et suiv.) à propos de la
distance des modulations. \
2" En état de translation ou de marche, le développement agit vérita-
blement : il tend vers un but, il exprime quelque chose et emprunte l'un
ou l'autre des trois procédés expressifs définis précédemment : Ago-
gique, Dynamique ou Modulation {i).
Un développement agogique agit par accroissements ou décroisse-
ments de fréquence dans les mouvements des formules rythmiques (voir
l'exemple ci-après, p. 277).
Un développement dynamique agit par accroissements ou décrois-
sements d'intensité dans les accents des formules mélodiques (voir
l'exemple ci-après, p. 27GI. \^
Un développement modulant agit par accroissements ou décroisse-
ments de clarté dans les progressions des formules harmoniques (voir
l'exemple ci-après, p. 276 et 276).
Certaines marches d'harmonie offrent une figuration conventionnelle
du développement modulant, dans lequel elles peuvent avoir parfois leur
utilité, à condition d'être mises en quelque sorte au service de l'idée, et
de tendre toujours vers un but. Car le développement ne doit en aucun
cas se mouvoir sur place, c'est-à-dire tourner autour d'une de ses tona-
lités de repos, comme s'il revenait à la même étape, même par des voies
harmoniques différentes, sans avoir progressé ni modulé utilement.
Ceci nous amène nécessairement à étudier les principes généraux des
translations et des relations tonales, c'est-à-dire les modulations. ^^/V
La Modulation consiste, ainsi que nous l'avons dit au Premier Livre
de ce Cours, dans les modifications apportées à la tonalité des diverses
périodes ou phrases constituant le discours musical. Ces modifications,
(1) Voir I" liv., chap. viii, p. 114 et suiv. — Toutefois, ['Agogique et la Oynamiquf ne
■ont pas exclusivement applicables i l'état de lianilation ou de marche, au':jucl la Modula-
tion, au contraire, appartient ncccssaircmcnt.
LE DEVELOPPEMENT ET LA MODULATION 34 5
opérées au moyen du déplacement de la tonique et des autres fondions
[duminante, sous-dominante)., sont inhérentes à l'idée de mouvement
ou d'action. Elles appartiennent en propre à ce que nous venons
d'appeler les développements d'ordre tonal ou local, c'est-à-dire à ceux
dont le mode d'action consiste à passer alternativement de l'état d'im-
mobilité à celui de translation tonale, et réciproquement.
En aucun cas, la modulation ne peut donc être le but de la musique,
puisqu'elle est, par sa nature même, un moyen mis au service de l'idét
musicale. Toute modulation qui n'a pas ce caractère de dépendance, de
subordination à l'idée, est par cela même intempestive, inutile et, le
plus souvent, nuisible à l'équilibre de la construction : tel est le cas
notamment d'une modulation apparaissant prématurément dans l'ex-
position même de l'idée, et infirmant sa stabilité tonale (1) ; elle intro-
duit dans l'exposition un élément de développement, comme si l'on fai-
sait agir l'e/rt musical, l'idée, avant d'avoir fait connaître Vêtre qui agit.
Le bon sens Is plus vulgaire s'accorde avec la logique la plus raffi-
née pour réclamer qu'un personnage existe avant d'agir, qu'une idée
musicale soit exposée avant de moduler, puisqu'elle contient la raison
d'être de la modulation.
Quant à l'ordre dans lequel se succéderont les modulations, il résulte
nécessairement d'une intention expressive préétablie. Dans le domaine
dramatique, cette intention expressive est contenue dans le sujet traité,
dans le sens même des mots et des sentiments qu'ils traduisent : elle
est imposée au musicien, dont le rôle se borne à en interpréter les
nuances et les transformations par des modulations appropriées. Dans le
domaine symphomque. l'intention expressive est imposée parle musicien;
il est maître d'en ordonner à l'avance toutes les phases, en propor-
tionnant harmonieusement les modulations corrélatives à la nature
même des idées musicales exprimées. Cette souveraineté du sympho-
niste sur son œuvre permet d'élever celle-ci au plus haut degré de per-
fection dans l'unité ; et l'on conçoit sans peine que les ouvrages drama-
tiques musicaux se ressentent trop souvent de l'inévitable conflit entre
le poète et le musicien..., même quand l'un et l'autre se trouvent réu-
nis, par bonheur, dans un seul génial artiste.
Dramatiques ou symphoniques, les modulations, on ne saurait trop
insister sur ce point, sont essentiellement expressives et agissantes ;
elles participent par cela même aux trois ordres de relations suscep-
tibles d'être établis entre les êtres sonores, entre les sons musicaux :
elles varient entre elles pzr Xtar durée , \euT intensité ou leur distance.
il) H s'agit ici, bien entendu d'un chan^emeni d'état complet dans la tonalité, d'une
modulation définitive (voir ci-après, p. 248).
346
LA SONATE DE BEETHOVEN
Durée des modulations. — Jl n'est pas toujours aisé de discerner où
commence une modulation. L'erreur grossière, qui consiste à qualifier
à peu près indistinctement de iiiodulante toute note étrangère à la
gamme diatonique d'un ton donné, ne tendrait à rien de moins qu'à
faire de toute phrase musicale un peu complexe une série ininterrompue
de modulations, distribuées sans ordre et sans méthode, au gré de ce
qu'on est convenu d'appeler « l'inspiration ».
Nous avons démontré déjà (i) que les douze sons de notre sj-stème
musical pouvaient appartenir à la même tonalité. La présence dans
une mélodie de l'un ou l'autre d'entre eux, qu'il soit ou non pourvu
d'un signe d'altération accidentelle, n'est donc ni nécessaire, ni suffi-
sante pour qu'il y ait modulation : car la modulation se révèle par un
changement dans \& jonction d'un son (2), et non par l'apparition de
sons nouveaux.
Beaucoup de chants grégoriens modulaient, bien qu'exclusivement
limités, en principe, aux sept sons de la gamme diatonique. Le verset
« O démens, 0 pia... » de l'antienne Salve Regina (3), par exemple, a
pour tonique la, tandis que le reste de cette pièce a pour tonique ré. 7
Les mesures qui précèdent \a. période génératrice de la première idée,
dans la Sonate, op. 28, de Beethoven, ne modulent pas, malgré 1';// s
appartenant à la fonction de sous-dominante , entendu avant Vut:i en
fonction de tierce de la dominante :
Allcjro
Ji^ùdale de Tonique
A l'audition d'une phrase musicale, le changement dans la fonction
tonale d'un ou de plusieurs sons n'apparait pas toujours au moment
même où il se produit : bien souvent, au contraire, on constate qu'il a eu
lieu, sans avoir perçu le point précis où il s'est opéré. Au cours de cer-
taines périodes parfois assez longues, toutes les fonctions tonales peu-
vent recevoir en même temps deux interprétations diflerentes, selon
qu'on les rapporte à l'affirmation tonale qui précède ou à celle qui suit
Cette réserve faite pour le point de dcpart de la modulation, il y a
1) Voir I" liv., p. I 14.
(3) C'est ce changement de fonction qui constitue proprement IVn/unnonif \nirà ccpropoi
l'élude sur Us trois étals Jr la tnnaliti, par Auguste Séricyx. {Tiitune Je SainlCciyjis
année 1^09).
(3) Paroissien de Solesmcs, y. Hz.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION i^j
lieu d'examiner ce qui se passe à partir du moment où l'impression
modulante n'est plus douteuse, où le changement de fonctions est un
fait accompli.
Ce changement peut être momentané ou définitif:
1° dans le premier cas, si l'impression tonale originelle momentané-
ment atténuée reparaît peu après dans toute sa force, il y a modula-
tion acdd^e«/t'//(.', en état d'oscillation : si, au contraire, la tonalité ini-
tiale, au lieu de reparaître après ce trouble momentané, fait place à une
nouvelle impression tonale différente des deux autres, il y a modula-
tion passagère, en état de translaliou ou de marche ;
2° dans le second cas, le changement de fonctions étant affirmé par la
présence de cadences tonales plus ou moins complètes, l'impression
tonale originelle est effacée : il y a modulation définitive, en état d'im-
mobilité ou de repos.
La modulation accidentelle est, par sa nature même, la moins carac-
térisée et la plus fantaisiste de toutes : simplement intercalée entre deux
affirmations de la tonalité principale, elle joue assez exactement, dans
l'ordre harmonique, le rôle de la note ornementale dite broderie dans
l'ordre mélodique. Sa durée est assez courte, et la tonalité étrangère
qu'elle emprunte momentanément apporte au sentiment tonal général
une perturbation légère, aisément effaçable. Aussi, la modulation acci-
dentelle peut-elle autoriser, même dans l'exposition d'une idée musicale
l'emploi de tonalités n'ayant aucune relation de parenté avec le ton
principal.
La phrase initiale du mouvement lent de la Sonate, op. 1 06, contient un
exemple réalisant, semble-t-il, le maximum de durée et d'éloignement
relatifs comportés par une modulation accidentelle dans une exposition ;
adagio sostenufo
'tbpassionafo e co
0
lollo scnltmenfo
LA SONATE DE BEETHOVEN
CeTte belle modulation accidentelle en SOL montre bien, par sa tonique
placée à un demi-ton au-dessus de la tonique principale, fa S. le carac-
tère de broderie particulier à cette espèce de modulation. L'accord de
SO/- B étant ici comme agrandi, et les autres fonctions de cette tonalité étant
exprimées également (surtout la sous-dominante), on peut dire que c'est bien
un maximum de modulation accidentelle. Quant à la place de cette modu-
lation qui fait ici partie de la cadence terminale, il est facile de constater
qu'elle occupe la fonction de sous-dominante (avant la traditionnelle quarte et
sixte]. Cette sous-dominante portant le second degré de la garame {sols)
reproduit l'accord qualifié par Rameau de stxte ajoutée (i), avec abaisse-
ment chromatique d'un demi-ton {sol D). Les compositeurs d'opéras de
l'école napolitaine du xvii* siècle furent les premiers, croyons-nous, qui
pratiquèrent couramment dans la cadence cet abaissement de la sixte
ajoutée : c'est pourquoi cette formule, représentée ici par la modulation
en SOL, est généralement connue sous le nom de sixte napolitaine. \''
La modulation passagère ne diffère de la précédente que par son
rôle assimilable, dans l'ordre harmonique, àcelui delà noie de passage
dans Tordre mélodique. Sa durée est courte et indéterminée, en raison
de sa nature transitoire qui l'oblige à ne point préciser le ton qu'elle
adopte un instant, pour le quitter aussitôt après et faire place à une tona-
lité nouvelle ; il n'est pas rare que cette dernière tonalité soit employée
passagèrement, elle aussi, et donne naissance à une nouvelle modula-
tion du même genre. Les marches ou progressions harmoniques modu-
lantes contiennent, sous une forme plus ou moins intéressante, des
séries de modulations passagères ; l'état de marche ou de translation
tonale, inhérent à cette catégorie de modulation, la rend incompatible
avecl'exposition d'une idée, surtout lorsqu'elle emprunte sur son pas-
sage des tonalités sans aucune parenté avec la tonalité principale.
Les exemples de modulations passagères sont extrêmement fréquents
dans les transitions et les développements : on en rencontrera plu-
sieurs ci-après (p. 273 à 278).)',
La modulation définitive diftère totalement des modulations acciden-
telles ou passagères : c'est, dans l'ordre harmonique, la note réelle de la
(I) Voir I" liv., p. i36.
LE DEVELOPPEMENT ?.T LA MODULATION 3^9
mélodie. Sa durée n'est limitée que par les nécessités générales d'équi-
libre tonal et de proportion entre les diverses parties de l'œuvre. Elle
s'opère par le moyen d'une formule de cadence affirmant le caractère
définitif de la tonalité ainsi établie, laquelle est nécessairement parente
ou voisine de la tonalité principale.
Une modulation définitive ou établie peut appartenir à une exposition
ou à un développement.
Dans une exposition , elle indique soit l'entrée d'une idée nouvelle,
soit la reprise d'une idée antérieurement exposée (voir l'exemple ci-
après, p. 269 et suiv.).
Dans un développement, elle a sa place marquée aux moments de
repos ou d'immobilité tonale, aux étapes dont nous avons parlé ci-
dessus (p. 243), et sa durée doit être calculée de manière à compenser
suffisamment les impressions modulantes résultant des passages en état
de marche, qui la précédaient ou qui la suivront (voir l'exemple ci-après,
p. 274 et suiv.).
Intensité des modulations. — Il est aisé de vérifier ce fait que, de
deux modulations de durée égale, l'une semble souvent beaucoup plus
frappante que l'autre, et que, de deux modulations dont la durée est
inégaie, la plus forte n'est pas nécessairement la plus longue des deux :
une impression tonale est donc susceptible de s'accroître en intensité,
indépendamment de sa durée.
Le degré de précision d'une modulation est, en etfet, éminemment
variable, suivant les notes et les formules harm^oniques employées pour
affirmer, avec plus ou moins de force ou d'intensité, la tonalité choisie :
trois moyens principaux sont particulièrement aptes àagirsur l'intensité
de la modulation :
1° la cadence harmonique plus ou moins nettement exprimée ;
2° l'accentuation ou la répétition des degrés ou des harmonies plus
ou moins caractéristiques du ton ;
3° la préparation de la tonalité nouvelle dans le fragment musical qui
précède immédiatement son apparition.
Ce dernier moyen n'est pas le moins efficace : sans qu'il soit néces-
saire de recourir à des formules trop précises de cadence, ou à des
répétitions de notes caractéristiques d'un ton, il est possible de ren-
forcer notablement l'intensité d'une modulation, par la suppression des
notes caractéristiques de la tonalité qui était établie avant cette modu-
lation. Par un effet de contraste tout à fait naturel, l'impression tonale
nouvelle est d'autant plus intense que les impressions antérieures ont
été plus complètement eftacées.
La modulation en fa par le cor solo, dans la IIP Symphonie, op. bb,
'fo LA SONATE DE BEETHOVEN
de Beethoven, est un exemple typique de cette intensité tonale obtenue
avec une nuance très douce, une durée très courte et une distance
assez faible (deux quintes), grâce à la neutralité de l'harmonie employée
sur !'!//« des violoncelles, effaçant rapidement l'impression tonale
de Ml 9, très fortement donnée cependant par tout l'orchestre quelques
mesures auparavant (i):
Allegio con bi-.'o
Tutti o
Distance des modulations. — Il reste à étudier la catégorie la plus
importante des relations susceptibles d'être établies entre les tonalités
que la modulation met en présence : les relations de distance. Une
impression modulante peut être plus ou moins longue et plus ou moins
intense : nous venons de le constater ; mais elle peut être aussi plus
ou moins lointaine, de même que les sons brefs ou longs, forts ou
faibles d'une mélodie sont situés, eux aussi, à des inlerralles plus ou
moins grands et plus ou moins complexes.
Toutefois, les intervalles sonores ne sont pas appréciés par notre
oreille de la même manière que les distances tonales, au moins en
apparence : les sons s'éloignent ou se rapprochent les uns des autres
(I) Celle modulation a déjà ctc ciice au Premier Livre (p. u6| pour «on ellct spécial
d'éclairemeni, dont on trouvera l'explication ci-nprès (p. 253) h propos des reljlions dt
iitlancc entre le» deux toniques .1;/ [> et FA, sépares par deux quintes asitnSanles.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION açi
selon qu'ils diffèrent entre eux d'un nombre plus ou moins grand de
degrés (ascendants ou descendants); tandis que les tonalités s'éloignent
ou se rapprochent en proportion du nombre de quintes (ascendantes ou
descendantes) qui séparent l'une de l'autre leurs toniques respectives. Et
cette distance tonale, évaluée en quintes, exprime une relation de clarté
ou d'obscurité, tout à fait indépendante de la relation d'acuité ou de gra-
vité mesurée par le nombre de degrés contenus dans un intervalle sonore.
On dit, en général, que les sons montent lorsqu'ils sont plus aigus,
qu'Us descendent lorsqu'ils sont plus graves. Par une analogie aussi
aisément intelligible, on dira que les modulations sont plus claires
quand elles se produisent dans l'ordre ascendant des quintes, plus
sombres quand elles se produisent dans ïordre descendant (i).
Mais si l'ordre ascendant ou descendant des quintes est (comme ce-
lui des sons) illimité en principe, puisqu'on peut toujours supposer
une quinte (ou un son) au-dessus ou au-dessous de la précédente, il
n'en est pas de même dans les faits, tant s'en faut !
Indépendamment de la limite restreinte, mais assez variable, de l'au-
dition, ou plus exactement, de Vaudibilité des phénomènes sonores, il y
a, dans l'ordre des sons comme dans l'ordre des quintes, des limites
fixes, au delà desquelles les phénomènes véritablement musicaux se
reproduisent invariablement, comme s'ils affectaient l'aspect d'un
cycle ou d'une orbite fermée.
En effet, les sons séparés par un intervalle de dou'^e demi-tons (2),
c'est-à-dire d'une octave, occupent dans une tonalité la même fonc-
tiu)i, identiquement ; et les tonalités séparées par dou\e quintes sont
constituées parles mêmes 5o?i5, identiquement. Notre système tonal se
reproduit donc à partir de la douzième quinte, comme notre système
d'octave se reproduit à partir du douzième demi-ton.
Il n'y aurait, par suite, qu'une douzaine de modulations réalisables,
soit dans l'ordre ascendant, soit dans l'ordre descendant des quintes ;
on va constater bientôt que, dans la pratique, ces dou\e cas possibles
se réduisent à un nombre beaucoup plus faible, six ou sept au maxi-
mum, en raison de la préférence instinctive de notre entendement pour
les voies les plus simples, qu'il s'agisse d'apprécier des intervalles (3),
des /bHc//o;/s harmoniques ou des relations tonales. \/
(i)On a expliqué déjà au Premier Livre (note, p. i 3 r) pourquoi l'idée de hauteur relaiiic
des sons n'est pas une pure figure. Il en est de même, et pour les mêmes raisons, a fortiori,
de l'idée de clarté relative des moJulations, puisque les toniques mises en présence sont
en quelque sorte engendrées harmvniquement les unes par les autres, soit en montant vers la
lumière, soit en descendant vers l'ombre.
(2) Est-il besoin de rappeler que le demi-ton est, en dépit de sa dénomination, Vunilé
ou la commune mesure des intervalles musicaux ? (Voir ci-Jcssus, Introd. p. 9.)
[i] Voir 1" l,v., p. io3.
a;3 LA SONATE DE BEETHOVEN
Lois des relations tonales. — Nous avons énoncé au Premier Livre le
principe général qui régit les relations tonales : c'est, avons-nous dit (i),
suivant Vordre cyclique des quintes que la lumière et l'ombre se distri-
buent dans toutes les modulations de même mode (2). Il convient donc
de reproduire ici cet ordre cf clique qui va servir de base à la présente
étude :
Lorsqu'on s'éloigne de part ou d'autre d'une tonique déterminée,
UT, par exemple, ou la (3), suivant le mode, les phénomènes relatifs
d'éclairement ou d'assombrissement sont symétriques et offrent, au fur
et à mesure de cet éloignement, les particularités suivantes :
La première quinte qu'on rencontre de pari ou d'autre de cette
(i) Voir I" liv., p. i3o.
(2) On étudiera ci-aprèi, p. 2^4 et suiv., le phénomène très spécial delà modulation entre
tonalités de mode différent.
(3) Rappelons, une fois pour toutes, que la désignation d'une tonalité par des caractères
majuscules {UT) signifie, dans ce Cours, le mode majeur, et que les caractères minuscules
{la) sont employés pour désigner les tonalités de mode mineur.
Pour figurer sur le Cycle des quintes une tonalité déterminée, le plus simple consiste i
opérer comme nous l'avons fait au Premier Livre (p. ii4et ii5), en partageant le cycle
suivant un diamètre, dont les extrémités coïncident avec les limites respectives des notes
dites diatoniques et des notes dites chromatiques qui appartiennent à cette tonalité. Il va
sans dire que les deux modes relatifs l'un de l'autre [UT et la, par exemple) sont indiques
par la même ligne diamétrale ÇFA-SI), lea deux quintes tonales UT-sol et la-Ml occupant
ainsi des positions symétriques, figuratives de ['inversion d'un mode par rapport à l'autre
dans la mime tonalité,
i.c tracé d'un diamètre réunissant UT et FAJl correspondrait à la tonalité de SOL ou à
celle de mi, etc.
LE DÉVELOPPEMENT El LA MODULATION 353
tonique occupe, par rapport à die, les fonctions respectives de domi-
natite ou de sous-dominante :
© ©
Les modulations de ce genre sont extrêmement fréquentes ; la très
grande parenté des tonalités mises ainsi en rapport rend très normale
une modulation définitive à la première quinte, sous la seule réserve
du danger inhérent à l'emplo' prolongé du ton de la sous-dominante (i).
Le pouvoir éclairant (ou assombrissant) de cette modulation est assez
faible.
Là seconde quinte a Y>o\iï tïïti une modulation à \& seconde majeure
supérieure (ou inférieure):
© @
Les tonalités ainsi mises en relation n'ayant entre elles aucune parenté,
cette modulation est néctss&\xtv[\Qn\. accidentelle om passagère à&ï\s une
bonne construction tonale. Son pouvoir éclairant (ou assombrissant) est
assez notable, comme on a pu le constater dans l'exemple de la Sym-
phonie héroïque cité ci-dessus (p. 25o). Les progressions ascendantes
par tons entiers, dont l'usage est assez répandu dans certains dévelop-
pements, sont en réalité des modulations de ce genre se succédant les
unes aux autres.
La modulation que nous avons signalée ci-dessus (p. 248) est un cas
particulier de la modulation à la seconde quinte descendante, dans lequel
le ton initial est employé en mode mineur, tandis que le second est
en mode majeur (2).
(1) Voir I" liv., p. i3i, et ci-après, p. 3i 1.
(i) Il ne faut pas oublier, en effet, que la-ut-Ml et UT-mi-sol constituent deux aspects
différents, deux modes apparienani à une seule tonalité. Dans l'eiemple de l'op. ro6 (p. J48),
celte tonalité correspond aux deux ttpecis fa S-la-UT S e\ LA-utS-mi, c'est-à-dire à /a 5
ou à ^,4, suivant le mode. L'apparition du ton de soi H, louant le rôle de \a sixte napolitaine,
est donc un recul de deux quintes [LA-RÉ et RÉ-SOL) dans le sens descendant.
i:<4 LA SONATE DE BEETHOVEN
La troisième quinte a pour effet une modulation h la sixle majeure
supérieure (ou inférieure) :
® ®
Les tonalitésainsi misesenrelation ont une parenté très caractéiistique,
la médiante de l'une devenant la dominante de l'autre (ou réciproquement).
Cette permutation de fonctions entre la médiante et la dominante est
tellement identique, en apparence (i), à celle qui se produit lorsqu'on
passe du mode majeur au mode mineur relatif (ou réciproquement),
qu'on peut aisément les confondre ; c'est là un effet de notre habitude
prise de considérer le cinquième degré ascendant {!^ii) du mode mineur
usuel [la] comme une véritable dominante^ et, par suite, la transition
d'un mode à l'autre comme une véritable modulation au relatif:
© ®
Cette substitution de mode, ayant pour cause un simple changement
de sens ou à'aspect dans l'accord parfait unique composé dans les deux
cas des mêmes cléments (2), n'apporte à la tonalité aucun élément
(1) On sait que SU, ton prime de l'.ccord la-iil-hll n'est pas une véritable fonction de
rfomi'nan/e (voir I" liv., p. 110).
(a) On a vu au Premier Livre (p. gî et suiv.) la démonstration de ce véritable théorème
de l'unité de l'Accord : il suffira donc d'en formuler ici la conclusion, telle quelle ressort
de ce qui a été dit à ce sujet :
. Les nombres des vibrations totales émises da»s le mdne temps par des corps sor^res
dont la grandeur relative varie comme
I I I I I I
?• i' 3' v y 6'
sont rcêpectivement égaux à
I, 2, 3, 4, i, 6,
et réciproquement.
« L'ensemble des sons fournis par les six premiers termes de ces deux progression»
forme ce qu'on est convenu d'appeler, en musique, VAccord parfait.
» Ce phénomène unique de l'Accord est qualifié
majeur, dans le cas de la précédente proposition,
mineur, dans le cas de la réciproque.
c L'Accord majeur et l'Accord mineur sont, par conséquent, le mfme Accord, tous deux
aspects diflcrents, puisqu'ils sont formés des mfmcs relations Mumcri^uM, appliquées respec-
tivement aux grandeurs des corps l'ibrants et aux .iom*.« de vibrations émises, ou réci-
proq-'ement. »
. etc.,
. etc.,
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MOUULATION ,,5
nouveau, car elle n'implique aucun déplacement, ni ascendant, ni des-
cendant, dans l'ordre des quintes, aucun accroissement de clarté ni
d'obscurité. Elle n'a donc en elle-même aucun des caractères disiinctifs
de la modulation (i).
Mais il n'en est pas de même de la substitution de mode opérée sur la
même to'iique : c'est une véritable modulation à la troisième quinte, émi-
nemment éclairante, ou assombrissante, selon qu'elle se produit du mode
mineur au mode majeur, ou inversement, du mode majeur au mode
mineur :
Dans ce cas comme dans tous ceux où il y a, en même temps que le
changement de mode, un déplacement dans l'ordre des quintes, le pas-
sage du mode mineur au mode ma/eur est éclairant lorsqu'il coïncide
avec un déplacement d'ordre ascendant, le passage du mode majeur au
mode mineur est assombrissant lorsqu'il coïncide avec un déplacement
d'ordre descendant. Et, comme les cas de cette espèce sont très fré-
quents, il est généralement vrai de dire que « les modulations entre les
tonalités de mode différent semblent procéder du clair à l'obscur lors-
qu'elles passent du mode majeur au mode mineur, de l'obscur au clair
quand elles passent d'une tonalité mineure à une tonalité majeure » (2) ;
mais ce n'est pas le changement de mode qui produit cet effet.
La modulation à la troisième quinte par simple modification de la
tnédiante, surtout dans l'ordre ascendant (3), pratiquée sur l'accord qui
a déjà subi le changement de )7iode (ou de sens), est extrêmement fré-
quente, même comme modulation définitive.
Dans sa forme directe, entre tonalités de même mode, cette modu-
lation est au contraire assez rare et souvent passagère.
(i) Il n'est pas douteux que le sens étymologique du mot modulation (de modus, manière
d'être, mode) s'appliquerait beaucoup mieux i l'idée de changement de mode qu'à celle de
changement de ton. Mais puisque cette dernière acception est malheureusement la seule qui
ait prévalu, nous sommes obligés de nous conformer à l'usage, devenu traditionnel, de ce
terme.
(î) Voir I"liv., p. i3i, i32. Ainsi s'explique, par une simple assimilation irraisonnée, les
idées d'assombrissement (ou d'éclairement) que nous attachons souvent à la transition du
Tiode majeur à son relatif mineur {UT à la), ou inversement [la à UT).
(3) C'est cette modulation du mineur au majeur par altération ascendante de la médiante
qu'on appelait au xviu* siècle la tierce picarde (voir ci-dessus, p. i3i) : elle est éminem-
ment éclairante.
J56
LA SONATE DE BEETHO\EN
La quatrième quinte a pour effet une modulation à la tierce majeure
supérieure (ou inférieure) :
® @
© ©
Elle met en relation des tonalités très fortement apparentées, la
médiante de l'une devenant la tonique de l'autre (ou réciproquement).
Cette modulation, lorsqu'elle est pratiquée sans intermédiaire, pos-
sède un pouvoir éclairant (ou assombrissant) très énergique, sinon le
plus énergique de tous, comme on le verra dans l'étude des modulations
suivantes. Elle est employée très souvent, même à titre définitif. Bee-
thoven lui-même n'a pas craint d'en faire usage pour y établir toute la
seconde idée d'un premier mouvement de Sonate, dans l'op. 3i, n" i,
et dans l'op. 53 (voir ci-après, pp. 344 et 35 i).
La cinquième quinte a pour effet une modulation à la septième majeure
supérieure (ou inférieure) :
Elle met en relation des tonalités sans aucune parenté et ne peut sans
inconvénient être employée à titre définitif. Son pouvoir éclairant (ou
assombrissant) est, en principe, considérable, en raison du grand éloi-
gnementdes toniques sur le cycle des quintes : en pratique, cet éloigne-
ment même est une cause d'équivoque entre cette modulation et celle
à la septième quinte ou au demi-ton chromatique supérieur (ou inférieur) :
En effet, il n'y a pas de diflérence, pratiquement, entre la septième
majeure supérieure (l'T-si ou la-sols) et le demi-ton chromatique infe-
LE DEVELOPPEMENT ET LA MODULATION js'
rieur {UT-UTi> ou la-la t>) ; il n'y en a pas davantage entre la septième
majeure inférieure {ut- rè t> ou la-sit>) et le demi-ton chromatique supé-
rieur {UT-UTS OU la-las.)
Mais cette contiguïté établie par l'intervalle d'un demi-ton (i) entre
deux toniques [ut et 5/, par exemple) nous fait croire, bien que leurs
tonalités ne soient nullement parentes ni voisines (dans le sens que nous
avons donné à ce mot au Premier Livre), aune sorte de rapprochement
par ce plus court chemin du demi-ton, substitué à la voie normale, mais
en apparence plus détournée, des quintes.
La préférence de notre entendement pour ce plus court chemin apporte
une perturbation notable dans l'appréciation des effets d'éclairement
(ou d'assombrissement) dus aux modulations à la cinquième et à la
septième quinte : cinq quintes ascendantes séparent UT de si, par exem-
ple, et cette modulation est en elle-même des plus éclairantes ; pour-
tant, V abaissement d'un demi-ton, pour passer d'une tonique à l'autre,
peut très bien nous faire croire à un assombrissement, par la substitu-
tion plus ou moins consciente que nous faisons (indépendamment de
toute question d'écriture) du ton d'urt», plus sombre [septième quinte
descendante), à celui de 5/, plus clair [cinquième quinte ascendante).
Tout dépend donc ici du choix des formules harmoniques intermé-
diaires, servant à mettre en relation les tonalités distantes de cinq ou de
sept quintes, dans un sens ou dans l'autre.
Si ces formules sont nettement apparentées à une tonalité placée
entre ut et si (par exemple, la dominante de mi), l'accroissement de
clarté sera frappant.
Si elles appartiennent au contraire au parcours tonal allant d"c/r à
UT\> par les quintes descendantes (par exemple, la sous-dominante de
LA\>), Vassombrissement sera très net (2).
Enfin, si les formules harmoniques sont en quelque sorte amorphes
(comme les septièmes diminuées, les quintes augmentées, etc.), l'effet ré-
sultant sera indéterminé, à moins que des raisons de durée ou d'iti-
tensité des modulations antérieures ou postérieures ne viennent suppléer
à cette imprécision de la distance réelle entre les deux tonalités mises
en relation.
(i) Rappelons que les expressions ( demi-ton diatonique » et « demi-ton chromatique a
s'appliquent à une différence d'écriture ou de dénomination, cl non à une différence réelle,
muiicalement parlant : il n'y a donc pas lieu de distinguer ici entre l'un et l'autre.
(î) Une modulation accidentelle ayant le caractère de la sixte napolitaine {voir ci-dessus,
p. 248), mais pratiquée entre deux tonalités de mode majeur {uràRÉi>, par exetnple)
assombrit généralement plutôt qu'elle n'éclaire ; car l'abaissement du second degré [rt)
affirme la présence de la cinquième quinte descendante (RÉ t>) plutôt que celle de la sep-
tième quinte ascendante (C/rC).
La relation tonale signalée précédemment (r>. 116) entre le ton principal de la Sonate en
Ml l) , op. 78, de Haydn, et son Adagio en iW;a yt'A t>) est une modulation de cette sorte.
COUBS Dl COMPOSITION. — T. Il, I. 17
;,58
LA SONATE DE BEETHOVEN
L'équivoque que nous signalons ici apparaît à peu près inévitable-
ment dans toute modulation comportant un nombre de quintes supé-
rieur à quatre, dans l'ordre ascendant comme dans l'ordre descendant :
c'est pourquoi nous avons considéré la modulation à la quatrième
quinte comme le maximum ou la limite normale de l'éclairement (ou de
l'assombrissement) réalisable directement, en une seule modulation.
Les substitutions d'écriture, improprement appelées enharmonies,
aggravent encore l'imprécision des modulations dépassant la qua-
trième quinte. vY'
La sixième quinte a. pour effet une modulation à la quarte augmentée
supérieure (ou inférieure), ce qui revient au même que la quinte dimi-
nuée inférieure (ou supérieure) :
© @
Elle met en relation des tonalités à peu près incompatibles, et l'équi-
voque précédemment signalée s'y produit fatalement, lorsque ces tona-
lités sont juxtaposées l'une à l'autre sans intermédiaire, ce qui est
nécessairement assez rare.
Deux tonalités séparées par six quintes sont en effet à égale distance
dans l'ordre ascendant et dans l'ordre descendant : elles ne peuvent
donc en elles-mêmes accuser aucun accroissement de clarté ni d'obscu-
rité, et cette modulation neutre ne vaudra que par l'interposition d'har-
monies empruntées à des tonalités intermédiaires, soit sur le parcours
ascendant, c'est-à-dire éclairant {sol, ré, la, mi. si) , soit sur le par-
cours descendant, c'est-à-dire assombrissant {fa, sib, mi t>. LAb, RÉ^).
De telles modulations pourraient, moins que toutes autres encore,
avoir un caractère définitif.
Au delà de la sixième quinte, l'équivoque reparaît, comme précédem-
ment entre la septième et la cinquième ; quant à la modulation à la hui-
tième quinte {UT à sOLt par exemple), elle n'est guère possible direc-
tement. Si deux tonalités situées à une telle distance sont juxtaposées,
ce n'est qu'à la faveur d'artifices d'écriture dissimulant la réalité : une
modulation à la quatrième quinte en sens inverse, tout simplement.
Et ainsi de suite, a fortiori, pour toutes les modulations supposées
au delà de la huitième quinte.
LE DÉVELOPPEMENT KT LA MODULATION -,9
La situation respective occupée, sur le cycle des ijiiiiiles, parler tona][-
tés entre lesquelles sont établis des rapports modulants apporte, comme
on vient de le voir, des restrictions notables aux effets, en apparence
illimités, d'éclairement ou d'assombrissement qui résultent de tfjute
modulation.
Il n'est peut-être pas superflu de répéter ici que ces effets appartiennent
à la modulation et non à la tonalité ; qu'il n'y a pas de tons clairs ni de
tons sombres en eux-mêmes (i), mais des relations tonales éclairantes
ou assombrissantes, soumises à Vordre des quintes.
Pluson observe attentivement la structure tonaledes œuvres musicales,
même les plus complexes, plus on demeure convaincu de cette vérité si
simple, et pourtant si souvent méconnue. Vainement on a invoqué par-
fois à rencontre quelque phénomène plus ou moins bien constaté dans
l'orchestre ou sur des instruments particuliers : la « sonorité amou-
reuse » du ton de fa s majeur, la « sombre mélancolie » de ré t>..., etc.
Ce ne sont là pourtant que de pures illusions, dues à des conditions
mécaniques, totalement étrangères à l'art musical et à l'esthétique. .
Certains tons d'orchestre ont plus d'éclat en raison du retour plus
fréquent des cordes à vide dans le quatuor, des sons naturels sur les ins-
truments de cuivre ; certains effets plus moelleux du piano dépendent
de l'emploi plus fréquent des touches noires, moins longues que les tou-
ches blanches et attaquées moins énergiquement en raison de leur
étroitesse (2).
Il en est de ces divers effets comme de tout ce qui a pour cause Viner-
tie de la matière sonore, c'est-à-dire le timbre, dont le rôle purement
dynamique a déjà été expliqué (3) : ils peuvent aider ou contrarier les
relations tonales ; ils n'en modifient pas la signification expressive.
L'emploi d'instruments à timbre plus clair dans une succession
assombrissante de tonalités est une gène, une antinomie qui souligne
parfois avec avantage un état dramatique correspondant ; mais il ne
change pas la qualité intrinsèque de la modulation. La réduction au
piano, et surtout k l'orgue (4), de tel passage d'orchestre choisi à cet effet,
suffirait au besoin à faire « toucher du doigt» cette erreur des tons
clairs et des tons soinbres en eux-mêmes.
(1) 11 n'y a pas non plus de sons aigus: ou graves en etix-mémes, au point de vue musical,
mais des retalions mélodiques ou harmoniques, ascendantes ou descendantes.
(2) La plus ou moins grande commodiic des doigtés peut aussi modifier notablement
l'cflct produit au piano pour certains morceaux transposés, sans parler de l'usure du méca-
nisme inégalement répartie, ni des inégalités pratiques du tempérament, répute égal par les
• savants > ... mais pas par les accordeursl
{i) Voir I" liv., p. 123.
(4) L'orgue, en effet, atteint —lorsqu'il est d'accord — une égalité beaucoup plus grande
dans le tempérament , le mécanisme de son clavier rend imperceptible la différence d'at-
taque entre les touches noires et les touches blanches. Une expérience sur l'orgue est donc
beaucoup plus concluante que sur tout autre instrument.
JOo LA SONATE DE BEETilOVEN
La durée et Vintensité relatives de deux impressions tonales qui se
succèdent peuvent aussi préciser ou atténuer la nuance expressive
d'éclairement ou d'assombrissement inhérente à la modulation elle-
même. La substitution si employée d'un mode à l'autre apporte en
outre un clément de variété presque inépuisable aux combinaisons
modulantes, pourtant si peu nombreuses en réalité.
Mais, quelque influence que puissent exercer ces circonstances ex-
trinsèques ou ambiantes sur une modulation, elles ne portent point
atteinte à sa propriété expressive d'éclairement ou d'assombrissement,
laquelle est toujours déterminée, en définitive, par la relation de dis-
tance tonale évaluée en quintes, ascendantes ou descendantes.
C'est pourquoi tout ce qui concerne les tonalités est d'importance
primordiale dans la composition : car la tonalité est, en quelque sorte,
le lieu où vivent les êtres musicaux, où ils prennent naissance dans
leurs expositions, où ils agissent et réagissent dans leurs développe-
ments. Le choix des tonalités est donc comparable, en musique, au
choix de l'emplacement en architecture.
Une œuvre construite ne peut se soutenir, vivre et durer qu'en rai-
son de la stabilité de son terrain, de la résistance de ses « assises tona-
les ». Et celles-ci ne résisteront qu'à la condition d'être puissamment
reliées entre elles. Ainsi, toute composition stable est assise sur des
tonalités parentes, dont les accords toniques sont reliés, comme des
pierres angulaires, par l'indestructible ciment des notes communes :
les modulations éloignées, vraies passerelles légères, arcs-boutants
aériens, n'apparaissent qu'entre les divers développements élevés au-
dessus de ces assises qui les supportent.
Et ces développements eux-mêmes offrent ainsi deux qualités essen-
tielles :
I» organiquement, ils sont reliés aux idées musicales par leurs élé-
ments thématiques : ils sont toujours sous la dépendance de ces idées
et ne peuvent rien contenir qui soit étranger ou contraire à leur nature ;
2° tonalement, ils sont reliés par les relations de parenté entre les
tons, par l'alternative des périodes de translation et d'immobilité :
ils s'orientent logiquement vers la lumière ou vers l'ombre, sans nulle
hésitation sur cette orientation toujours consciente et préétablie.
Telles sont, en effet, les qualités qui se révèlent dans le développement
beethovénien, élargissant prodigieusement les anciens cadres restreints
de la Fugue et de l'Imitation contrapontique.
Mais ce développement ag-issant et libre, si libre qu'il paraisse,
demeure soumis, chez Beethoven comme chez tous les plus grands mu-
siciens, aux lois de tonalités auxquelles nul d'entre eux ne songea
jamais à se soustraire.
LE MOUVEMENT INITIAL (S) i6i
Et le maître vénéré César Franck fut en cela le digne et génial suc-
cesseur de ses glorieux devanciers, car il ne cessa d'enseigner à ses
disciples cette profonde vérité :
« La structure tonale est le principe fondamental et vital de toute
œuvre de musique. » ^,
3. — LE MOUVEMENT INITIAL. TYPE S.
Les éléments qui viennent d'être étudiés (idées musicales, dévelop-
pements et modulations conformes aux lois tonales) ont eu, dans toutes
les pièces constituant la Sonate, un rôle capital. Mais c'est principale-
ment dans la contexture du mouvement initial du type Sonate, propre-
ment dit, que ces éléments, rénovés sinon découverts par le génie
beethovénien, ont opéré les transformations les plus caractéristiques.
Le mouvement initiai de la Sonate, en effet, est demeuré dans son
ordonnance générale, dans sa construction tonale et thématique, le
type constant de presque toutes les compositions symphoniques de
grande envergure (Symphonie, Concerto, Musique de chambre, Ouver-
ture, etc.). Il a été, il est et il sera longtemps encore, sans doute, la
forme symphotiique par excellence : forme traditionnelle, vivante et
stable, parce qu'elle résulte de l'élaboration lente et successive des
génies musicaux les plus puissants, comme aussi les plus disciplinés et
les plus respectueux du passé, depuis les timides esquisses binaires des
danses françaises des xv* et xvi' siècles, transcrites par Claude Gervaize
(voir ci-dessus, p. 120), jusqu'aux assises monumentales du Quatuor à
cordes de César Franck, en passant par Scarlatti, Rameau, les Bach,
Haydn, Mozart, Rust et Beethoven, pour ne citer que les plus glorieux
parmi les princes défunts de cette dynastie musicale.
La suite de ce Cours démontrera suffisamment, nous l'espérons, la
permanence du type Sonate (S) sans cesse moditié, enrichi, perfectionné,
mais jamais détruit. ,\
Rôle et caractère des idées musicales du type S. — A l'avènement
de Beethoven, la forme S, telle que VV. Rust la lui léguait, méritait
déjà à tous égards de retenir son attention, de satisfaire son
désir de logique et d'ordre, de servir de champ d'expériences à son
génie naissant. Continuatrice de l'ancienne Allemande, elle occupait
comme celle-ci la première place et le rôle principal ; mais elle était
déjà plus libre, notamment dans sa mesure quelquefois à /ro/s temps, et
surtout plus solidement assise sur sa triple base : exposition, partie
médiane et réexposHion (voir ci-dessus, p. 1 39 et suiv.).
36j la sonate de BEETHOVEN
Comme ses devanciers. Beethoven concentra son effort créateur sur
cette forme déjà envoie de renouvellement : il introduisit dans ce cadre
préexistant sa conception nouvelle des personnages musicaux, des
thèmes agissants, réagissants et contrastants, en vertu des « deux prin-
cipes opposés » auxquels il a fait allusion plusieurs fois dans ses con-
versations (i).
A mesure que les deux idées exposées et développées dans les pièces
de forme Sonate se perfectionnent, on constate en effet qu'elles se com-
portent vraiment comme des êtres vivants, soumis aux lois fatales de
l'humanité : sj'mpathie ou antipathie, attirance ou répulsion, amour ou
haine. Et, dans ce perpétuel conflit, image de ceux de la vie, chacune des
deux idées offre des qualités comparables à celles qui furent de tout
temps attribuées respectivement à l'homme et à la femme.
Force et énergie, concision et netteté : tels sont à peu près invaria-
blement les caractères d'essence masculiue appartenant à la première
idée : elle s'impose en rythmes vigoureux et brusques, affirmant bien
haut sa propriété tonale, une et définitive.
La seconde idée au contraire, toute de douceur et de grâce mélodiciue,
affecte presque toujours par sa prolixité et son indétermination modu-
lante des allures éminemment féminines : souple et élégante, elle étale
progressivement la courbe de sa mélodie ornée ; circonscrite plus ou
moins nettement dans un ton voisin au cours de l'exposition, elle le
quittera toujours dans la réexposition terminale, pour adopter la tona-
lité initiale occupée dès le début par l'élément dominateur masculin,
seul. Comme si, après la lutte active du développement, l'être de dou-
ceur et de faiblesse devait subir, soit par la violence, soit par la persua-
sion, la conquête de l'être de force et de puissance.
Telle parait être du moins, dans les Sonates comme dans la vie, la
loi commune, en dépit de quelques rares exceptions oià le rôle respectif
des deux idées semble moins tranché, parfois même interverti. Et s'il
n'est pas certain que Beethoven ait assimilé dans chacune de ses œuvres
les idées musicales aux personnages humains, il est hors de doute que
la qualification de « thème masculin «et de « thème féminin » a coïncidé
avec la pensée de l'auteurdans plusieurs cas sur lesquels il s'est expliqué
formellement. Il n'en faut pas davantage, cro^yons-nous, pour autoriser,
(i) D'après S.hindlcr, liccilinvcn aurait qualifié à plusieurs reprises ces deux principes
de « principe opposant » ou « récalcitrant » {wieJcrstreheiid) et de « principe suppliant >
ou « implorant u (bitlcid). a Les deux Saiiatcs, op. 14, disait un jour Beethoven, représen-
tent le conflit entre ces deux principes : un dialogue entre un homme et une femme, ou
entre un amoureux et son amie. ï Celle application des deux principes n'est pas la seule ;
Beclhovtn disait une autre fois : « Deux principes aussi dans la partie média e {mitiel-
sa»f) de la Patliclique / » Et il ajoutait : « Des «iilliers de gens n'y voient goutte sur ce
po:nt I *
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 363
dans les analyses qui suivront, l'emploi plus généralisé de ces appel-
lations, fort claires assurément et, en tous cas, nullement contradic-
toires.
Exposition. — Séparée de la réexposition finale des mêmes thèmes par
une partie médiane appelée à prendre avec Beethoven le caractère du
véritable déveioppemetit, Vcxposition initiale constitue, dans la forme
Sonate, la première partie de cette triloffie, ou, pour reprendre notre
comparaison accoutumée, le premier pilier qui soutient l'arc sympho-
nique du développement : celui-ci est appuyé par son autre extré-
mité sur le second pilier, la réexposition symétrique, mais différente.
Ici, on le voit, point d'innovation révolutionnaire ; la construction
ternaire antérieure subsiste intacte dans ses grandes lignes ; mais d'im-
portants perfectionnements vont apparaître bientôt dans la forme par-
ticulière de chaque élément constitutif de cette voùie sonore idéale.
Tandis que la courbe médiane décrira une sorte de trajectoire tonale
naguère inconnue, et se développera suivant des lois nouvelles, chaque
pilier deviendra l'image réduite de l'ensemble, une petite trilogie dans
la grande, par l'adjonction d'un passage mélodique destiné à relier entre
elles les deux idées exposées, comme le développement réunit les deux
expositions, comme le fûtd une colonne réunit la base au chapiteau.
Ainsi subdivisée en trois éléments presque toujours reconnaissables
et séparables analytiquement, l'exposition initiale n'en conserve pas
moins, au point de vue tonal, sa caractéristique originelle et définitive :
la tendance vers un ton différent du ton principal, la suspension, l'ins-
tabilité : elle est toujours la gigantesque arsis rythmique appelant né-
cessairement la t/iésis finale de la réexposition conclusive, ainsi- qu'on
va s'en rendre compte par l'étude respective de la première idée, de la
transition et de la seconde idée.
Première idée (A). — La caractéristique de la première idée est l'affir-
mation tonale. La fréquence, chez Beethoven, de l'articulation vigou-
reuse et répétée de l'accord de tonique au début des pièces du type S ne
laisse sur ce point aucun doute possible ( i ) ; l'introduction majestueuse
et grave qui, dans plusieurs de ses Sonates de piano (op. 13,78,81, 109
et 1 1 1), précède l'exposition de la première idée, constitue assurément
une autre manifestation de son souci constant d'affirmer puissamment
la tonalité d'origine. Ces sortes d'introductions régulatrices ont aussi
d'autres raisons d'être, comme on le constatera plus loin à propos de
l'op. i3 (p. 333) et de l'op. 8i (p. 355).
(i) Lorsqu'on étudiera, dans la Seconde Partie du présent Livre, les thèmes initiaux des
Symphonies de Beethoven, on constate a qu'ils sont faits, presque tous, de l'imposition de
Vaciord parfait de tonique, rythmé dillëremment.
a64 LA SONATE DE BEETHOVEN
Bien que la Sonate, op. 106, ne débute pas par une introduction de
cette nature, son premier mouvement contient presque toutes les inno-
vations apportées au tj'pe S par le génie beethovénien. Aussi, emprun-
terons-nous à ce véritable chef-d'œuvre de construction tous les
exemples destinés à cette étude de la forme Sonate proprement dite. -^
On connaît déjà (voici ci-dessus, p. 236) la période génératrice et l?s
deux cellules de cette saisissante première idée, dont voici le texte inté-
gral;
(3) Première idée a"
Allegro ii Hl i
Période secondair
La cellule initiale (a ) est éminemment rythmique et tonale : elle réagit sur la
période génératrice, énoncée deux fois sur Jeux degrés différents, et donne
à cette première idée un caractère principalement masculin;
le dessin en croches (a") prend toutefois, dans les périodes secondaires ou
complémentaires, une allure plus mélodique ; ce contraste n'infirme pas
l'unité de style de l'idée, car ce dessin (a"), commun à toutes les périodes,
établit entre elles une parente réelle ;
LE MOUVEMENT INITIAL (Si 265
toutes les périodes sont ici « dépendantes l'une de l'autre, quoique diverses
d'aspect » ; la souplesse, plutôt /eminine, des dernières les rapproche déjà
du genre de la seconde idée (B). laquelle, comme on le verra ci-après
(p. 269), est précisément issue du dessin mélodique (a").
Bien que Beethoven ne nous ait pas fait connaître sa pensée sur le
rôle des deux principes dont il parle ailleurs (i) appliqués à cette pre-
mière idée, il est permis de croire qu'il attribuait à la première cellule
(a') le caractère opposant, et à la seconde {a") le caractère suppliant : la
présence simultanée des deux principes dans Vexposition d'un même
thème n'est pas rare chez Beethoven, surtout dans ses dernières Sonates
de piano et dans ses Quatuors à cordes; cela n'est, d'ailleurs, ni plus
rare ni plus surprenant que la présence de qualités masculines et fémi-
nines chez un seul et même individu (2). C'est donc par la prépondérance
des unes ou des autres qu'il faut décider de la catégorie à laquelle le
thème (ou l'individu) appartient. L'affirmation rythmique et tonale
en formules vigoureuses et concises demeurant, comme dans le cas de
l'op. 106, la règle générale pour \es premières idées, on est fondé à les
assimilera de véritables personnages masculins, x',
Transition ou Pont mélodique (P). — Dans un très grand nombre
de Sonates antérieures à Beethoven, le second thème, lorsqu'il existait
nettement, ne suivait pas immédiatement le premier : la transition de
l'un à l'autre s'opérait alors par une sorte de coda mélodique à peu près
inséparable du premier thème, auquel elle adjoignait une inflexion vers
la tonalité du second. Très différent déjà par sa situation au ton voi-
sin, avant même d'être devenu tout à fait contrastant par sa longue
durée, ses subdivisions et son caractère expressif, ce second thème ne
pouvait succéder brusquement au jc?-ew/er sans nuire à la cohésion de
Vexposition : les plus grands précurseurs l'avaient senti, sinon compris,
et, fidèles aux sages errements de l'ancienne Suite, Ph.-Emm. Bach,
Haydn, Mozart et même Rust conservaient le plus souvent à cette co<ia
modulante du premier thème \a fonction de réhicule tonal attribuée jadis
au dessin initial des pièces binaires (voir ci-dessus, p. 110). Pas plus dans
leurs Sonates que dans les formes antérieures, on ne voyait apparaître à
cette place de dessin rythmique ou mélodique spécial.
Beethoven, au contraire, emploie dès sa deuxième Sonate (op. 2 n» 2)
une formule mélodique distincte, jetant ainsi une sorte de pont entre
les contrées tonales appartenante chacune des deux idées, afin de les
mieux relier entre elles, sans les confondre. Les passages de ce genre
(1) Voir la note de la p. 263 ci-dessus.
(3) On verra ciapràs [p. 319 ci suiv.) que certaines Sonates contiennent deux thèmes issus
de la même cellule, quoique très différents. L'op. 81 {Lebetvohtj notamment, en contient
un exemple frappant (voir ci-aprcs, p. 333).
LA SONATE DE BEETHOVEN
auxquels nous conserverons dorénavant leur appellation figurative de
/70«/s (i) occupent parfois dans les expositions une place si impor-
tante qu'on serait tenté d'y voir de véritables idées musicales : mais,
en dépit de leur durée et de leur intérêt croissant dans les Sonates
de piano, malgré la présence d'éléments thématiques particuliers qui
sont utilisés ensuite dans les diverses étapes du déi'eloppement. c'est
le caractère essentiellement modulant et transitoire de ce passage en
état de marche, intercalé entre les deux idées exposées en état de
repos (chacune dans sa tonalité propre), qui doit guider sûrement
le lecteur attentif dans le discernement exact de ce qui constitue
le pont.
Dans la Sonate, op. io6, par exemple, le /)o;/^ est notablement plus
long que \& première idée ; son dessin particulier dérive nettement de
la cellule [a') et de la période initiale. Mais, lorsque celle-ci reparait
textuellement, vers le milieu du passage de transition, elle quitte sa
tonanté (5/b) pour moduler assez brusquement vers la dominante du
ton où sera exposée la seconde idée [sol).
(i) Dans SCS inoubliables leçons, le maître César Kranck avait coulunie d'appeler -ponts
CCS passages intSIodiques modulants entre les deux idées exposées, tant était nette dans son
esprit celte analogie que nous signalons souvent entre l'idée de roit<i(i(« et l'idée de litu.
C'est pourquoi nous avons voulu garder ici cette dénominiiion typique.
i.K mc)l:\ i;ment im i iai. (.s>
=6;
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^^V^l^i^
4^
-* ^
<
"
/n D
Tout ce premier élément du pont (P), en état de marche aboutissante la domi-
nante du ton principal, est issu de la cellule rythmique [a') affectant un
caractère modulant.
Deiixit-mi- -Icnifnl
:a (pp'ri')ilf «•■'nériiirK .• -n w:it de mnnhe)
Ce deuxième élément module, par la période génératrice, à la dominante du
ton relatif (sol) : comme nous l'avons observé précédemment (p. 254), cette
modulation, qui doit aboutir en définitive à SOL (majeur), c'est-à-dire à la
troisième quinte ascendante, emprunte dans tout le passage ci-dessus la
tonalité de 50/ (mineur), par simple changement de mode; le dessin [b')
qui apparaît aux dernières mesures est emprunté, par anticipation, à la
seconde idée (B , qui est ainsi reliée à la. première (A).
LA SONATE DE BEETHOVEN
Troisième élément
8
Ce troisième élément, qui termine le pont, n'est qu'un long traii mélodique sur
la dominante du ton de SOL, substitué à celui de sot, et produisant un accrois-
sement de lumière très notable ; les rappels du rythme {a') de la première
idée s'effacent peu à peu, pour faire place au rythme {b') de la seconde.
Seconde idée (B). — En vertu de la loi de contraste ou des « deux
principes » dont parlait Beethoven, la seconde idée revêt dans ses
œuvres des caractères complémentaires ou opposés à ceux de la pre-
mière : amant celle-ci est, en général, courte, rythmique, atVirmative
et brusque, autant l'autre est longue, mélodique, insinuante et souple.
A l'inflexion traditionnelle vers la dominante ou le relatif dans les an-
ciennes Suites, soulignée plus tard, soit par un dessin différent, soit
par la simple transposition du dessin initial, s'est substitué peu à peu
dans la Sonate bcethovénienne un personnage nouveau, longuement
exposé en trois éléments consécutifs, dan^ une tonalité voisine du ion
I.E MOUVEMENT INITIAL (S)
269
principal. Le choix même de cette tonalité n'est plus strictement limité,
comme jadis, à la dominaute d'une tonique majeure ou au relatif
majeur d'une tonique mineure : à quatre reprises différentes dans les
trente-deux Sonates de piano, l'auteur nous a montré le sens vrai des
relations de parenté entre les tonalités, en choisissant, pour la seconde
idée d'un mouvement du type S. une tonique reliée par l'une des notes de
sonaccoràhlalonique principale {op. 3i n" i, op. 53, op. 106 et op. iii).
La Sonate, op. 106, contient précisément l'une de ces intéressantes
innovations : la dominante {RÉ) de la tonalité de sol affectée à la
seconde idée occupait dans le ton initial {si \>) la fonction de médiante.
Nouvelle petite trilogie dans la grande, la seconde idée se subdivise
généralement en trois éléments, assez importants pour constituer trois
phrases distinctes, quoique dépendantes l'une de l'autre et destinées
à jouer les rôles respectifs d'exposition, de complément et de conclu-
sion.
La phrase d'exposition de cette seconde idée est issue de la cellule mélodi-
que (a") appartenant à \a. première idée ; le dessin (b'\, qui la continue et qui
apparaissait déjà dans les dernières mesures du pont, n'en est qu'une éma-
nation mélodique à peine différente ; cette phrase est composée de trois
périodes distinctes, dans la tonalité de SOL, avec tendance vers la dominante
de ce ton.
270 I.A SONATE DE BEETHOVEN
(b|j) Complémein
/). Ij'remière période
8---
ril-É 1
8---
ip |i ,^t 1
i i .ttc^
A i.
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1
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LLj- I
4^^^-^
U^r.fcr4d
^^
rappels
de a"
-♦-
Troi>
r "^
-•■
le me p
eriode
Cette phrase complenicnuire se subdivise en /roji périodes également ; la
première, répétée deux fois, est en repos sur la fonction de 'Jonii-
I.i: MOUVKMENT INI I lAL (S) -7
nante; \a deuxième marque une tendance vers la sous- dominante ; elle est
suivie d'un rappel épisodique de la cellule ,j") provenant de la première
idi'e (A) ; la troisième revient, par une formule de cadence, vers la fonction
de tonique.
Cette phrase conclusive reste sur l'harmonie générale de tonique ; elle se com-
pose de trois périodes, dont les deux premières, infléchies vers la sous-
dominante, forment une double cadence plagale ; la troisième, plus agogique
est une cadence parfaite par la dominante et la tonique.
273 LA ?ONATE DE BEETHOVEN
Ces trois phrases, bien que leurs fonctions et leurs caractères respec-
tifs soient nettement tranchés, restent cependant du même ordre, au
point de vue du style et de l'expression : elles se complètent mutuelle-
ment, et aucune d'elles ne pourrait être entendue isolément sans perdre
une grande partie de sa signification. Du reste, la parfaite unité tonale
de ces trois phrases suffit à montrer qu'elles font bien partie de la même
idée musicale. C'est, en effet, la tonalité qui doit déterminer, dans une
exposition, le domaine appartenant à chacune des deux idées : le ton
principal, au début, est l'apanage de la première idée, masculine dans
la plupart des cas ; tout ce qui est dans le ton voisin, établi à l'aide du
pont modulant, se rapporte à la seconde idée, presque toujours fémi-
nine.
Cette belle idée mélodique et féminine que nous venons d'analyser et
qui mérite à tous égards de servir de modèle, est l'une des plus longues
qu'ait écrites Beethoven. Elle clôture dignement Vexposition, laquelle
se répète, da capo, suivant l'ancien usage des danses et des Suites.
Cette reprise textuelle, totalement supprimée, d'ailleurs, dans plusieurs
Sonates, se raccorde ici à la fin de la seconde idée par cinq mesures
de transition ramenant la tonalité principale, 5/ >>. y
Développement. — Il ne faut pas chercher à assigner aux développe-
ments beethovéniens un cadre fixe comme celui de Vexposition : leur
prodigieuse richesse et leur variété presque infinie défient toute classi-
fication rigoureuse. Sans doute, les procédés étudiés au paragraphe
précédent (p. 24 1 et suiv.) y sont employés tour à tour, ou même simul-
tanément, mais il n'est pas toujours possible d'analyser strictement le
rôle de chacun d'eux : .
1° organiquement, les éléments rythmiques, mélodiques ou harmoniques
fournis par les idées musicales sont tantôt amplifiés, tantôt éliminés,
tantôt superposés ;
2° tonalement,\\s passent de l'état d'immobilité à l'état de translation,
et réciproquement, en subissant perpétuellement des modifications
expressives d'ordre agogique, dynamique ou modulant. X
Mais, au-dessus de ces réactions mutuelles des « deux principes »
chers à l'auteur delà Pathétique, au-dessus de ces tribulations musicales,
images de celles de la vie humaine, planent sans cesse ïordre et la pro-
portion, ce que Beethoven appelait le « rythme de l'esprit» (i). Par
l'effet de cette logique supérieure, chaque développement porte la
trace d'un plan de construction mûrement réfléchi : ii chaque œuvre
(1) <i II faut avoir, dit un jour Hccihoven à Bettina Bicniano, le ryllimt de icsprtt pour
comprendre l'essence de la musique I •
LE MOUVEMENT INITIAL (S) a73
correspond un plan spécial qu'on peut aisément analyser : on y dis-
cerne des périodes de translation et à.' immobilité tonales, alternant
régulièrement ; des étapes sagement déterminées dans des tons appa-
rentés les uns aux autres; des modulations orientées vers la lumière
ou l'ombre. Et de telles analyses peuvent à peine donner la mesure de
l'immense progrès accompli, depuis les simples redites modulantes qui,
sauf de rares et glorieuses exceptions, tenaient toujours lieu de dévelop-
pement dans la partie médiane des pièces de forme Sonate antérieures
à Beethoven. Mais, en présence d'une telle multiplicité de plans diffé-
rents, chaque analyse ne peut fournir que des indications partielles
et restreintes sur l'art du développement beethovénien ; et c'est seu-
lement à ce titre que nous examinerons ici les cinq éléments consti-
tuant le développement central du premier mouvement de la Sonate,
op. io6:>>^
Le premier élément est en état de translation ou de marche : il com-
mence sur la tonique finale de la seconde idée, en sol, après la reprise
intégrale de l'exposition, et s'oriente vers les tonalités plus sombres
(quintes descendantes) :
ré*, (i" élément, en état de marche)
Ce premier élément du développement, en état de marche v6t% ut et.W/t), con-
tient un exemple d'amplification (voir ci-dessus, p. 243) appliqué aux trois
Cours de co.mposition. — t. 11, I
274 LA SONATE DE BEETHOVEN
dernières notes {sol,la,si) qui servaient à raccorder avec la reprise de l'expo-
sition, et qui, la seconde fois, se reproduisent rylhmiquement sur divers
degrés, avec une importance croissante, tandis que le dessin en noires
provenant de la dernière période de la phrase b'" procède par élimination
et disparaît, après avoir été réduit au rythme de ses deux premières me-
sures, t /
Le deuxième élémetit est en état d' immobilité ou de repos, en Ml (> [sous-
dominante du ton principal). Il contient l'une des applications que
nous avons déjà citées (voir ci-dessus, p. 96) du système de \& fugue au
déi'eloppement de la Sonate : c'est une véritable exposition à quatre
parties d'un sujet tiré de la période génératrice :
r Ût\.(2ï clément, en état de reponj
lO' entrée
(à deuj: parties)
Sujet
iU entrée (à /roù parties)
Réponse
/). Réponse
LE MOUVEMENT INITIAI, (S)
IIIV entrée (u ^««/;e parties)
(Canon)
Sujel
Ce deuxième élément, en étal de repos en Ml t>, contient un exemple de déve-
loppement rythmique (voir ci-dessus, p. 242) ; le rythme de \a période géné-
ratrice {a) est conserve, et donne naissance a des dessins mélodiques nou-
veaux ; ce même développement procède encore par amplification de la
cellule initiale (a ) et surtout par superposition ou imitation, en raison de
son caractère Jugué, lequel disparaît peu a peu, dans la partie épisodique
succédant a cette dernière entrée et la reliant à l'élément qui suit
' y\
Le troisième élément est de nouveau en état de translation : il s'appuie
principalement sur la tonalité de sol, qui apparaît d'abord comme
dominante d'ut, et produit déjà un accroissement de clarté notable
{quatre quintes ascendantes) par rapport au tonde Mn, où l'exposi-
tion de fugue vient d'avoir lieu. Le ton de RÉ, qui apparaît à la fin de
cet élément, est encore un peu plus clair, et sert d'acheminement vers le
ton de SI a, beaucoup plus clair encore, où se fera l'entrée du quatrième
élément :
Dév.(3î clément, en étal de marche) rellule a" .
cellule a' **"
D.@
[fi
-1 — > — p — > —
F#ï
-^
Ay?jL_l 1 i_
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■s.
1 j ^ u
27(J
I..\ SONA'IK HE BF.F.THOVEN
f},p Î2
leis éïî)
Ce troisième élément, en état de marche, montre le conflit entre les deux
cellules (a' et a') : la cellule mélodique en croches {a') finit par être totale-
ment éliminée, au bénéfice du rythme {a') qui demeure seul : c'est donc un
nouvel exemple de développement rythmique, auquel s'ajoute un renforce-
ment dynamique, par adjonction de notes aux accords de la dominante
de SOL.
Le quatrième élément entre brusquement dans le ton de 5/a , accusant
ainsi un accroissement de clarté par rapport à tout ce qui précède (i).
Cet élément, en état d'jwwo^;7//t' tonale, reproduit un fragment impor-
tant de la phrase concluante {b'") de la seconde idée (B) :
11) On peut mcmc considérer l'entrée de celte tonalité comme un développement A<ir-
monique de la modulation contenue dans le deuxième élément du pont (p. 267) : c'est, en
etiet, la môme modulation entre d'autres tonalités : S/ t) * SOI. dans le pont, RÉ {dominante
de SOL, i SI i dans le développement, io\{ trois quintes ascendantes dans les deux cas.
LI-: mouvil.\ip:nt initial (S)
Df'v {i'I élément, en état de repos)
agogique croissante
Ce quatrième élément est un exemple de développement mélodique (voir ci-
dessus, p. 242) : il reproduit la mélodie de la seconde idée avec des modifi-
cations de tonalité et de cadence; car ici, au lieu d'être conc/uan<e, la phrase
{b'") s'infléchit vers \n dominante {fa S), afin de rétablir par cette harmo-
nie (équivalente à celle de SOL i> ) le contact entre la tierce (LA 5 ou S/ i> ) et
la tonique générale ; l'oscillation vers la dominante est soulignée par des
formules plus rapides produisant un accroissement agogique.
Le cinquième élément, en état de translation, repose tout entier sur la
période génératrice traitée, comme dans le deuxième élément, en style
fug-iié et formant une sorte de strette qui part de la dominante de
5/ a [FAu ou 50Lt)) pour aboutir à l'irruption soudaine de la r-éexpo-
sition de la première idée (A), en 5/ 1> :
I>i\.(5!: élémcnl. en étal de marche)
I,.\ SONAIi; l)K UKETIIOVrN
Ce cinquième et demer plément du développement, en ét&t de marche, est un
modèle d'élimination ; la période génératrice, au lieu d'être amplifiée
comme dans l'exposition fuguée du deuxième élément (p. 274), perd suc-
cessivement ses dernières notes (i) et ie cowrfense dans la cellule initiale (a')
qui va, en quelque sorte, « faire explosion s en ramenant toute la première
idée (A) réexposèe.
Les divers éléments de ce développement sont extrêmement variés :
ils ne contiennent pourtant qu'une faible partie des combinaisons admi-
rables que le cerveau beethovénien était susceptible de concevoir et de
réaliser. Mais, quelle que puisse être leur complexité, ces combinaisons
sont soumises aux principes dont nous avons constaté ici l'application,
dans leurs états succes.'-ifs d'immobilité et de translation, progressant
continuellement vers les tonalités plus claires {Miith sol; sol à Si a).
On pourra vérifier, par d'autres anal3'ses semblables à celle-ci, que
Valternance régulière des marches et des étapes, Vordre logique des mo-
dulations sont les effets, à peu près constants, des lois supérieures dont
aucune composition symphonique ne s'est jamais sensiblement écartée,
dans la construction des développements.
Réexposition. — On a vu au chapitre précédent (p. i 56) comment la
timide reditedu dessin initial, dans sa tonalité propre, avait suffi à trans-
former rapidement le type binaire de la Suite, en créant la réexposttion
des thèmes, apanage de la Sonate proprement dite. Cet élément relati-
vement récent et, par conséquent, moins bien affermi sur ses bases,
avait besoin, plus que tout autre peut-être, de l'elfort beethovénien, pour
(i) Il n'est pas iniilile d'appeler l'atlention du lecteur sur le texte exact de Beethoven dan,
les trois dernières mesures de cet admirable diveloppement de l'op. ii>6 : il y a ici des /a S
partout où nous les avuns indiqués entre parenthèses (pour plus de sûreté), ce qui n'einrêche
pas un certain nombre d'cdjtion.<, géncralement allctnandes, dVtaler ici d'afticux la B .cor-
rigeant Beethoven avec un tact et un goût éminemincnl germaniques I
A
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 379
devenir apte à équilibrer complètement, par de solides fondations, Vex-
position initiale ou l'autre « pilier » de cette « voûte » à laquelle nous
avons comparé le type S. La reprise intégrale de la seconde partie de
l'ancienne Suite était déjà tombée en désuétude dans la Sonate, par
Teffet de cette subdivision qui l'allongeait notablement ; l'importance
croissante du second thème, substitué à l'ancienne inflexion vers le
ton voisin, avait entraîné la transposition stricte au ton principal de
toute Vexposition, à partir de cette sorte de coda modulante qui termi-
nait [e premier thème (i)- Le rattachement entre le premier thème trans-
crit et le second, transposé, se faisait assez platement ; et il n'est pas
téméraire de supposer que la monotonie routinière des réexpositions de
cette espèce diminuait beaucoup leur intérêt, pour l'auditeur sûrement,
et peut-être aussi pour l'auteur, qui en était arrivé à les considérer
comme des « formalités nécessaires».
De grands artistes, Haydn, Mozart, Rust, sentirent assurément, s'ils
ne le comprirent pas, ce défaut d'intérêt des réexpositions, et tentèrent
parfois d'y remédier. Il appartenait à Beethoven de discerner dans cette
loi, si sévère en apparence, de la tonalité, » l'esprit qui vivifie » de « la
lettre qui tue », en nous montrant les moyens de sauvegarder cette
tonalité sans tomber dans la monotonie.
Le premier mouvement de la Sonate, op. 106, est l'un de ceux où ce
but est le mieux atteint ; mais on aurait tort de croire que les procédés
employés pour y parvenir soient les seuls dont disposait l'auteur de
VAppassioiata et de l'op. 111: c'est donc à titre d'indication nullement
limitative que nous allons les analyser.
Première idée {A.). — Dès les premières mesures de \a première idée
réexposée, on constate une modification qui, tout en respectant la tona-
lité et la musique même de cette idée, en accroît singulièrement l'effet
expressif, agogiquement d'abord, par l'adjonction du dessin mélodi-
que en croches [a") sous la période génératrice, à la partie grave, puis
dynamiquement, à l'entrée de la période secondaire, dont la sonorité est
renforcée par des tierces et des accords à la partie supérieure. La
redite de cette période à l'octave aiguë est remplacée par des imitations
en état de marche vers le ton de sol t>, apparenté par sa tierce (s/ \>) au
ton principal, et déjà « accrédité » dans le développement à titre de
dominante [FA i-SOL >) du ton de si a-UT 9 (2) :
(i) C'est pour cette raison que dans le spécimen du type S, emprunté à Ph.-Emm. Bach
et cité ci-dessus (p. 160), nous avons omis totalement la réexposilion qu'un copiste pourrait
récrire en entier, en transposant.
[3) U est à remarquer que l'iiarmonic de Fi S -SOtP eierce une influence prépondéiante
sur louie la Sonate, op. 106 (voir p. 3(33 et suiv.).
:8o
L\ SONATE DE BEETHOVEN
(S) Première id
(f^rff!f|fF--n-r^fff|f' ^
1».^ ^^J. i\
JFtj A
J. '-ï'j. ;
j^^ijn
J. ;j. }
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 281
Pont (P). — Cette modulation plus sombre donne un intérêt nou-
veau à la redite de la /jrew/ère idée (A), dans laquelle elle joue le rôle
de cadence rompue, pour permettre au pont (P) de prendre une orien-
tation tonale différente, tout en gardant ses trois éléments constitutifs.
Le premier est en sol t>, au lieu d'être en s/ t> :
(P*) Premu-r élément
8r-
Le deuxième reproduit \a période génératrice en utj-sic, au lieu de Ri:
Le troisième est sur la dominante de .s/t>, au lieu de sol
Troiiiémi- élément
=82 L.\ SONA1 E DE BEETHOVEN
Seconde idée (B). — L'orientation des modulations du pont, de plus
en plus sombres icar le fragment écrit en si ta est en réalité en utt>, relatif
de.iWyt)!), comme on peut s'en rendre compte par les harmonies em-
ployées), donne au retour de s/t? un caractère de clarté reposante qui
rend toute sa valeur à la seconde idée (B) réexposée intégralement dans
ce ton, avec ses tfois phrases {b' , b" , b'") sans modification notable :
(g) Seconde idé
ri^;^ ^r''r r
--t r rT
'liJi^ —
7~^
— ^—f —
^^^=^-^^^^^=
^ j ^
M=
u^ ■-
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
'8?
Développement terminal. — A la réexposition déjà enrichie de modu-
lations nouvelles et de perfectionnements divers dont nous venons de
voir des exemples, Beethoven voulut ajouter encore une sorte de cou-
ronnement, véritable développement terminal participant des états suc-
cessifs de translation et d'immobilité, mais différant du développement
central par l'orientation des modulations : ici, en effet, la tendance con-
clusire domine toutes les harmonies, subordonnées à la grande cadence
tonale dont elles ne sont que l'extension. On retrouve aisément la trace
des « deux principes opposés » dans cette explication ultime des thèmes,
aboutissant à l'affirmation définitive de la tonique : l'œuvre qui nous
sert de modèle contient un développement terminal en trois fragments.
Le premier reproduit, en l'amplifiant notablement, le premier élé-
ment du développement central, en état de marche, partant de la toni-
que du ton principal et revenant à la même fonction après un parcours
modulant :
Le deuxième reproduit la dernière phrase {b'"] de la seconde idée avec
une cadence sur la quarte et sixte ramenant par un trait diatonique la
conclusion :
î84
LA SONATE DE BEETHOVEN
Deuxième élément
Le troisième est une coda concluante, développant rythmiquement les
deux cellules (a' et a") de tout ce mouvement qui semblent se désarti-
culer et s'estomper peu à peu :
ïroisième élément /Conclusion»
I.F. MOUVEMENT INITIAL (S)
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1 »3
5
A la place occupée par ce dernier fragment.qui méritait à tous égards
d'être cité en entier, apparaît parfois dans certaines Sonates mv^q phrase
mélodique nouvelle, différente des deux idées exposées dont elle est en
quelque sorte le commentaire ou \a péro7-aison [i]. On doit signaler
(i) Voir notamment les op. 7, 10 n« 3, 37 et 81.
286 LA SONATE DE BEETHOVEN
ici cette innovation importante introduite par Beethoven dans le plan
de la réexposition, bien que l'op. 106 n'en contienne pas l'application.
Plan du type S perfectionné par Beethoven. — Bien que l'analyse pré-
cédente ne puisse contenir un exemple de tous les procédés que Beetho-
ven mit en œuvre dans ses Sonates, elle suffit à vérifier les principes
généraux de construction qui fixent, au moins dans ses grandes lignes,
le plan du mouvement initial.
Ce plan, tel qu'il est résumé ci-contre, doit être considéré comme
un maximum d'éléments susceptibles de prendre place dans une pièce
symphonique du type S, de même que la grande cadence citée ci-dessus
(p. 45) était le maximum de?, expositions appelées à constituer la Fugue.
Toutefois, dans cette forme Sonate si admirablement équilibrée, c'est
la loi des relations tonales qui est substituée à celle de la cadence régis-
sant l'ancienne forme Fugue : au lieu d'entrées et d'épisodes successifs,
ce sont des périodes d'immobilité tonale qui alternent régulièrement
avec des périodes de translation. Mais ces entrées en repos et ces épisodes
en marche ne contenaient-ils pas en germe les expositions et les déve-
loppements, et la structure tonale de toute œuvre symphonique ne peut-
elle pas être ramenée, en définitive, à une cadence ?
En comparant ce plan avec celui de la Sonate dithématique anté-
rieure (p. i65), on en déduira aisément les innovations appartenant en
propre au génie beethovénien ; il y en a «ew/" principales, qu'on peut
résumer ainsi :
I" La remise en usage de l'ancienne Introduction lente, abandonnée
depuis Corelli, et reparaissant dans les Sonates de piano à entreprises
différentes, sous une forme singulièrement agrandie (op. i3, op. 78,
op. 81, op. log et op. 1 1 1 j.
2* ha subdivision des idées, et surtout des idées féminines ou secondes
idées, en phrases différentes se complétant mutuellement:
la première idée est en une phrase dans 21 Sonates
— — deux phrases — 10 —
— — trois phrases — 1 — (i)
la seconde idée est en une phrase dans 5 Sonates
— — deux phrases — 3 —
— — trois phrases — 21 — I2).
On est donc fondé à considérer \'idée A, masculine, en une seule phrase.
et \'idée B, féminine, en trois phrases, comme une véritable règle dans
la construction du type S.
(1) Cecas unique de la ftcmièie idéetn trois piv as es se rencontre dans le prcmitr mou-
vcmeni de l'op. i»o : les (rots fluases sotit d'ailleurs très courtes, et peuvent être CunsiJérccs
comme des périodes plutôt que comme de véritables p/irjjfs.
(i) Trois Sonites (op. 36, op. 27 n" 1 et op. b^) n'ont pas i proprement parler de seconde
idée, puisqu'elles ne contiennent aucun mouvement du type S,
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
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388 LA SONATE DE BEETHOVEN
3° L'organisation complète (à partir de la deuxième Sonate pour piano,
op. 2 n' 2) du Pont mélodique ou rythmique, en état de translation ou
de marche tonale, servant à préparer la première exposition de Vidée B
au ton voisin, et à interrompre la continuité tonale de la réexposition
des deux idées au ton principal.
4° L'application du principe de parenté par les tiotes communes des
accords de tonique, pour le choix de la tonalité de la seconde idée. Cette
innovation très importante se renouvelle à quatre reprises différentes
dans les Sonates de piano :
dans l'op. 3i n° i et dans l'op. 53, l'idée B est au ton de la tierce majeure
supérieure (modulation à la quatrième quinte ascendante) : la médiante du
ton principal devient la tonique du ton voisin choisi ;
dans l'op. 106, l'idée B est au ton de la sixte majeure supérieure (modulacion
à la troisième quinte ascendante) : la médiante du ton principal devient la
dominante du ton voisin choisi ;
dans l'op. m, l'idée B est au relatif majeur de la sous-dominante (modula-
tion à la première quinte descendante) : la tonique du ton principal devient
la dominante du ton voisin ;
sauf ces quatre dérogations aux usages antérieurs, l'idée B est toujours
à la dominante dans les mouvements S de mode majeur, et au relatif
majeur dans les mouvements S de mode tnineur.
b" La suppression de la reprise textuelle de toute la première exposi-
tion : appliquée pour la première fois dans l'op. 67, cette innovation
devient à peu près constante à partir de l'op. 90 (i).
6° L'organisation logique du développement central, par alternance ré-
gulière des périodes de translation et d'immobilité tonales, par étapes suc-
cessives dans des tonalités fortement apparentées les unes aux autres,
et par progression générale continue vers la clarté ou vers l'obscurité.
7' L'adjonction fréquente d'un développement terminal^ en état de
translation faisant retour au ton principal, après la réexposition de
l'idée B.
8° La terminaison des pièces du type S par une phrase mélodique
concluante, en état d'immobilité au ton principal, sorte de résumé ou
de commentaire des thèmes précédemment exposés, développés et réex-
posés. Ces phrases concluantes spéciales apparaissent cinq fois dans
les Sonates de piano :
dans le mouvement initial de l'op. 7
— — — de l'op. 10 no 3
— — — de l'op. 5-
— — final de la même Sonate
— — i/ii/i.i/ de l'op. 81.
( i) Parmi 'es Sor.ates pour pi«no postérieures à l'op. 00. le premier mouvement de l'op. loO
esi le seul qui cuiiiicnne encore l'indicaiion de 11 icpnst int<igrale de l'exposition.
LE MOUVEMENT LENT (L) ï«i)
q' L'emploi de la forme Sonate à d'autres rangs que le premier :
cette dernière innovation semble être restée, chez Beethoven, à l'état de
simple tentative ; mais elle est assez importante pour qu'on doive la
signaler ici :
dans sept Sonates (op. lo n" i, op. 3 i n" 2, op. 11 n» 3, op. Sy, op. 81 , op. ici
et op. 109I, il V a deux mouvements du type S, dont l'un est au premier
rang et l'autre au dernier, en qualité de finale :
dans une Sonate (op. 27 n» î), le seul mouvement du type S n'est pas au com-
mencement, mais à la fin ;
dans trois Sonates enfin (op. 26, op. 27 n» i et op. 54), il n'y a aucun mou-
vement du type S ( 1).
on peut apprécier par le nombre restreint de ces exceptions le rôle
prépondérant que Beethoven entendait conserver à cette admirable
forme Sonate, devenue sienne par tous les perfectionnements dont il
l'avait dotée. Les principes féconds appliqués à ce morceau-tj'pe par
excellence devaient même réagir sur les autres mouvements : nous allons
constater, «n effet, que certains mouvements lents (L), modérés (M;, ou
rapides (R). rappellent par plus d'un point la construction tonale de la
forme Sonate (S).
4. — LE MOUVEMENT LENT : TYPE L. — SES DIVBRSES FORMES :
GR.^ND UEO (LL), .'/EO-SONATE ( LS), LIED VARIK (LV).
En raison même de son caractère d'expansion mélodique plus in-
tense, la pièce lente offre, chez Beethoven comme chez ses devanciers,
une moins grande rigueur de forme, .et il ne serait pas possible de ra-
mener tous les mouvements lents de ses Sonates à un type unique.
Cependant le type Lied{L), tel qu'il nous est apparu au temps de Haydn
(voir ci-dessus p. i65 et suiv.), demeure le principal modèle du mor-
ceau lent et, surtout, de sa phrase initiale. Quelle que soit la forme
adoptée par la pièce lente, cette phrase est constituée soit en deux
périodes, soit plus généralement en trois : c'est alors un véritable petit
lied a trois éléments, dont l'un est souvent répété deux fois et donne
ainsi à cette phrase lied l'aspect d'une phrase dite carrée (2).
La f Arase //ec^ joue dans le mouvement lent le rôle d'un véritable
personnage agissant seul. C'est cette u)tité du personnage thématique
qui doit être considérée, selon nous, comme la caractéristique spéciale
du type L. On conçoit, dès lors, qu'une idée musicale apte à être traitée
dans cette forme doive être essentiellement différente des deux thèmes
(i) On pourrait avec quelque raison refusera ces trois œuvres la qualification de Sonates
proprement dites, si les autres pièces qui lescomposent n'étaient absolument conformes aux
trois autret types traditionnels (L. M. R.).
{2) Voir I" liv., chap. ir, p. 41 et 42.
COUKS DE COUPOSITION. — T. U, I. IÇ
jgo LA SONATE DE BEETHOVEN
antagonistes destinés au type Sonate. Par sa longueur et sa subdivi-
sion tertiaire, le thème de lied se différencie déjà d'une première idée ;
mais cette subdivision elle-même ne permet pas davantage de le con-
fondre avec une seconde idée, car sa troisième période est très souvent
une reproduction de la première avec un changement d'orientation
tonale, et ces périodes, appelées à constituer toujours une seule phrase
de longue haleine, sont liées les unes aux autres par une symétrie de
forme bien plus étroite et plus tangible que la simple parenté virtuelle
unissant les trois phrases, toujours distinctes et parfois même contras-
tantes, d'une seconde idée du type S.
Certes, nous ne voulons pas dire que l'image de la lutte inséparable de
l'être vivant soit incompatible avec la forme du mouvement lent : mais
cette lutte, lorsque lutte il y a, ressemble bien plus à un conflit de
sentiments divers ou opposés affectant tour à tour le personnage uni-
que, qu'à cette domination violente ou persuasive d'un personnage par
l'autre, dont le type S contient, en général, la traduction musicale.
Les thèmes accessoires, dans le type L, seront donc traités comme
des éléments d'impression ou de décor, se modifiant successivement et
réagissant sur le personnage vivant qui les éprouve ou les traverse
plus ou moins, mais qui garde toujours sa physionomie propre et sa
tonalité unique. Il n'j' a pas, en effet, à proprement parler, de conflit
de tonalités dans une pièce lente : la modulation, lorsqu'elle intervient
(généralement au milieu), n'affecte presque jamais le thème principal ;
elle interrompt la monotonie par des impressions accidentelles ou pas-
sagères, et renforce ainsi l'efî'et du retour final au ton, agissant en cela
dans le même sens que le pont dans la rée.xposition du type S.
Toutefois, entre un pont modulant (i) et un fragment modulant inter-
calé entre deux expositions tonales du thème de lied, il y a une diffé-
rence importante qui provient de la nature même de ces fragments ou
de ces sections {2) composant la forme Lied. Ces sections, en effet, lors-
qu'elles ne contiennent pas le thème lui-même, en sont totalement indé-
pendantes, tant par leurs dessins que par leurs attaches : c'est-à-dire
que chaque section affecte l'aspect d'un compartiment séparé se suffisant
à lui-même, sans communiquer aucunement avec ses voisins. L'enchaî-
nement des sections les unes aux autres n'offre, lorsqu'il existe, aucun
caractère de nécessité : dans bien des cas, au contraire, ces comparti-
(0 Certaines variétés du type L, la orme LicJ-Sonate ou Sonate sans déyeloppemeitt qui
sera étudiée ci-après, p. 39''), par exemple, peuvent contenir de véritables ;>o«/i modulants ;
mais ceux-ci ne constituent plus, en ce cas, des fiagments sépatés.
(îl Le mot partie ayant, en musique, une acception spéciale {partie mélodique, partie inter-
mciWtUc, partie grave ou basse, etc.). nous serons oblige.'» J'uppeler sections ou comparli-
mentsQCi véritables parties constitutives du Lied et de certaines autres (ormes.
LE MOUVEMENT LENT !L) 391
meiits pourraient être joues isolément, ou même supprimés, sans
détruire l'équilibre de la pièce à laquelle ils appartiennent. Rien de
semblable ne pourrait être pratiqué sur un fragment quelconque
d'un morceau de forme Sonate.
Ces caractères généraux sont à peu près constants dans les mouve-
ments lents des Sonates de Beethoven, mais il n'en est pas de même de
la structure : celle-ci, quoique assez variable, peut néanmoins être
ramenée à trois types principaux que nous qualifierons respectivement
de Lied proprement dit. simple (L) ou développé (LL); de Lied-Sonate
(LS) tidtLied Varié (hY).
Lied simple (L) ou développé (LL). — Le Lied ternaire h phrase ternaire,
grande trilogie contenant dans chacune de ses sections l'image réduite
du tout, demeure, ainsi que nous venons de le dire, le type primordial
restreint du morceau lent ; cependant, dans cette forme à trois sec-
tions, semblable à celle que nous avons analysée au chapitre précédent
(p. 167 et suiv.), il ne se retrouve pas plus de quatre ou cinq fois dans
les Sonates de piano.
Beethoven semble lui préférer, dès ses premières œuvres (op. 2 n" 2),
une forme plus ample, dans laquelle le thème revient trois fois, chacune
de ses réexpositions étant séparée de la précédente par une section
distincte modulante . le nombre total des sections composant cette
forme nouvelle est ainsi porté à cinq, ce qui la rapproche un peu de la
forme Rondeau (R), par le retour périodique du thème aux sections de
rang impair (i, m, v), comme une sorte de refrain.
La Sonate, op. 1 n° 2, contient un exemple assez complet de cette
forme, dite Lied déi'cloppé :
La i" section de ce Largo appassionato contient le thème, véritable
phrase //>tV à /ro/5 périodes (a, Z», ti') exposées sur la tonique, la domi-
nante et la totiique, et formant un tout complet, sans liaison nécessaire
avec la 11' section :
[T] KXl'flsl riiJN du Thi'-mi;
--. LaPRo appassinnato
^(â) trlllirn ■i-nipir
® iT^^"
G^C^
Stiutnrn sfW/)l
292
LA SONATE DE BEETHOVEN
Cette première période (a) est tout entière sur la fonction de tonique du ton
principal RE (i).
r/TTîTi
, *■ —
j j ,p
i)%-^î
r f M p » *
r 1» *
-4 1 1
-1 —4- —
^ rrr i , '
—•—,--* ^ — -
Cette deuxième période ib), beaucoup plus courte, est tout entière sur la
fonction de dominante.
Cette troisième période (a') n'est qu'une reproduction de la première {a) sur
la Ionique et en forme plus conclusive-
(i)Cetliimc, p«r sa tonalité et son dessin, peut être considéré comme une ébauche de
celui de l'ilia^i'o du Trio, op. 97 (à l'archiduc Rodolphe) ; il faut noter aussi son analogie
avec \'Andante de la Sonate en la de Rus(.
LE MOUVEMENT LENT (L) ,,^
La ii« section contient un dessin accessoire exposé au relatif (.9/), avec
repos sur sa domifianle [fai] et enchaînement à la domiiiaiilc princi-
pale [la) pour la rentrée du thème :
|II| Dessin accessoire
r. ©
La iii« section réexpose le thème, dans le même état tonal qu'au
début : c'est à peine si de légères diflérences attectent ce qu'on pourrait
appeler son « orchestration », c'est-à-dire le registre ou le timbre de
certaines périodes, et notamment la deuxième ib), dont la mélodie com-
mence à l'octave grave.
On conçoit donc que si le L/erf commençait par cette iii« section, en
supprimant les deux précédentes, il se trouverait, en quelque sorte,
LA SONATE DE PEETHOVEN
réduit à la forme Lied simple, sans avoir perdu aucun organe essentlet
à sa construction.
La iv" section, beaucoup plus importante que la ii', a tous les carac-
tères d'un véritable développement en trois éléments ;
[ÏV] Développement
fm^^§
I.i; MorMlMl.NI II NI I.
Le développement contenu dans cette iv« section commence par une imitation
du dessin sur la ionique, qui fait suite à la rëexposition du thème contenu
dans la m' section ; ce dernier, doublé en valeurs plus brèves, par un pro-
cédé a^ogique bien connu, aboutit au ton de ré, où le motif initial du thème
est amplifié par une modulation en S/ t) ; une sorte de pédale de dominante
complète ce petit développement et prépare la rentrée du ihème au ton prin-
cipal.
La V' et dernière section réexpose encore le thème, mais en le résu-
mant par sa période initiale (a), tandis que la pédale de dominante se
prolonge et trouble, par son dessin agogique en doubles croches, le
calme de la mélodie ; une hïh\Q coda concluante, qui s'efface peu à peu,
remplace les périodes supprimées et rétablit l'équilibre de cette section
tcrntinale :
JVJ RÉt.XI-OSITION du Thème el Conclusion
rf r rr r u
F^ff ri " 1 ' ^ "r
Cor/a conclu
inle
n ^
LA SONATE DE BEETHOVEN
Le plan de la construction du lied développé (LL) peut donc être
résumé ainsi :
SECTION I. — Exposition du thème (phrase lied ou phrase binaire) ;
SECTION II. — Elément accessoire modulant ;
SECTION III. — Reexposition médiane du thème dans sa tonalité, avec ou sans
modifications d'écriture ;
sicTiON IV. — Elément nouveau, différent de celui qui constitue la ii» section,
et offrant souvent le caractère d'un développement ;
SECTION V. — Reexposition terminale du thème, dans sa tonalité, générale-
ment modifié ou résumé, et suivi d'une coda concluante.
Lied-Sonate (LS). — Cette forme, qu'on peut aussi qualifier de forme
Sonate sans développement^ appartient en propre à Beethoven ; elle
marque, avec la rénovation de la forme Rondeau qui sera étudiée ci-
après (p. 3 1 2 et suiv.), un progrès notable vers l'unification synthétique
de la Sonate, tendant à lui donner de plus en plus l'aspect d'un cycle
de pièces construites, toutes, à l'image de la première. C'est en effet le
type S, précédemment étudié (p. 263 et suiv.), qui fournit tous les
éléments constitutifs de ce type Lied-Sonate^ dont l'op. 3 1 n° 2 contient
un exemple très complet.
Exposition. — Le thème principal (A), qui est ici de coupe binaire.
s'e.xpose sur la tonique avec inflexion vers la dominante, à la fin dé la
première période ; sa dernière période est en forme conclusive. comme
dans toutes les pièces lentes:
(J) Exposition duTliî-nu- principal
Adagio
ï (sh) l'^- >'r..'mi;Ti' perind
LE MOUVEMFNl- I.KNT (I.)
inflerimi vri-s la [>
' Seconde périod
conclusion à la 7.
Ce thème est suivi d'un dessin mélodique de tra?isilio)t, modulant à
\dL dominante de fa, et offrant les caractères principaux du pont (P) :
en marche vers la D de iJAj
39^
LA SONATE DE BEETHOVEN
Une phrase uoiirelle, jouant le rôle de seconde idée (B), s'expose
ensuite au ton de fa, dominante du ton principal :
(§) Thè
me accessoir
L'ensemble de ces ti-ois éléments (A, P, B) constitue une exposition
suspensive, identique comme construction tonale à celle d'un morceau
du tj'pe S. Mais, à la place du développement, se trouvent seulement
quelques mesures de rentrée, destinées à relier cette seconde idée (B)
à une réexposition du thème principal (A), dans sa tonalité :
R.nir.V
Réexposilwn. — Le thème principal (A) est réexposé sur la tonique
avec des modifications purement ornementales qui n'altèrent pas sa
construction :
i.r; MorvKMF.Ni i.kni (i.)
(4) P.ÉEXPOSITION du Tlii-m.- primipal
Le dessin mélodique faisant fonction de pont (P) module vers la
dominante du ton principal :
La seconde idée (B) est réexposée au ton de 5/!), sans aucune modi-
fication :
Cette réexposition complète se termine par une coda concluante assez
longue, qui reproduit le dessin de la rentrée et des fragments du thème
principal.
Le plan de la forme Lied-Sonate (LS) ou Sonate sans développement
peut se résumer de la façon suivante ;
LA SONATE DE BEETHOVEN
EXPOSITION
A. — Thème principal servant de
Première idée
consistant en une phrase lied ou en
une phrase binaire
en état tonal de REPOS
au Ton Principal.
P. — Transition modulante servant de
en état tonal de. . . . MARCHE
vers un Ton Voisin.
B. — Thème secondaire servant de
Seconde idée
avec ou sans Rentrée raccordant à la
réexposition
en état tonal de REPOS
au Ton \'oisin.
REEXPOSITION
A. — Thème principal servant de
Première idée
avec des modifications d'écriture ou
même des amplifications
en état tonal de ... REPOS
au Ton Principal.
P. — Transition modulante servant de
Pont
en état tonal de. ... MARCHE
vers le Ton Principal.
B. — Thème secondaire servant de
Seconde idée
avec ou sans Coda concluante
en état tonal de .... . REPOS
au Ton Principal.
Cette forme tient, en effet, delà forme Lied et de la forme Sonate :
à la forme Lied,e\\e emprunte le .système des sections séparées ou sépa-
rables, la nature même du thème principal, et son rôle de petsonuaffe
unique qu'il conserve malgré la présence d'une sorte de seconde idée ;
à la forme Sonate, elle emprunte sa construction tonale, identique à
celle des deux expositions, l'une suspensive, l'autre conclusive. Mais
ces deux expositions se succèdent immédiatement, sans développement,
et cette suppression de la partie médiane rapproche cette forme de
celle de l'ancienne Suite, avec sa modulation au ton voisin dans la pre-
mière partie, et à la tonique dans la dernière.
Du reste, la véritable coupe binaire, sans reprise du thème initial
dans sa tonalité propre, a totalement disparu de l'œuvre beethovénienne,
en tant que construction de pièce séparée : on ne la retrouve guère
que dans la formation thématique de certaines idées de mouvements
lents, ou de certaines introductions importantes placées a7'a«/ le finale
dans quelques Sonates.
Ces introductions n'ont de la pièce lente que l'allure expressive du
thème : on les rencontre quatre fois dans les Sonates de piano. Dans
l'op. 27 n* I et dans l'op. 53, ce sont des phrases lied à la sous-domi-
nante du ton du finale; dans l'op. loi et dans l'op. 1 10, au contraire,
ce sont des phrases binaires partant de la tonique, et assez nettement
divisées par une cadence médiane au relatif majeur.
Lied varié (LV). — Cette forme, qui provient aussi de l'ancienne Suite,
où elle apparaissait surtout dans les pièces du tj'pe M dites doubles
(voir ci-dessus, p, 114), consiste en une succession logique d'exposi-
tions intégrales d'un thème unique (phra.se lied ou phrase binaire)
offrant chnque fois un aspect rythmique, mélodique ou harmonique
différent, sans cesser d'être reconnaissabic ; elle se rattache donc au
LE MOUVEMENT LENT (L) ■501
type L, par son emploi dans les pièces lentes et par le caractère expressif
de son thème, toujours unique ; mais elle appartient exclusivement au
genre de la Variation, tel qu'il a été défini ci-dessus (p. ii), et sera
étudiée, par conséquent, dans le chapitre vi, ci-après.
Répartition des divers types L dans les Sonates de Beethoven. — La
diversité des formes, des raiif^s et des tonalités adoptées pour le mou-
vement lent a pour principale raison, croyons-nous, la fonction même
de ce mouvement dans la Sonate. Alors que le type S y est à peu près
indispensable, puisqu'il constitue enquelque sorte la Sonate elle-même,
le type L n'y intervient qu'à titre d'élément contrastant, nullement
nécessaire.
Aussi voyons-nous, chez Beethoven, la suppression du type S rester
à l'état d'essai presque unique, tandis que l'omission du mouvement
lent se renouvelle six fois, ou même dix, selon qu'on attribue, ou non,
le rôle de pièce lente aux quatre phrases d'introduction au finale, qui
en tiennent lieu dans les op. 27 n" i, 53, 101 et iio. Ainsi, sur
trente-deux Sonates de piano, le nombre des mouvements lents
ne dépasse pas vingt-six, et doit être ramené à vingt-deux pour les véri-
tables morceaux construits séparément, et offrant les signes caractéris-
tiques des trois types principaux que nous venons d'étudier.
Forme. — La forme Lied proprement dite est représentée par o;/^e
pièces, parmi lesquelles ^wa/re seulement sont du type Lied simple (L) à
/ro/s sections (op. 28, op. 27 n° 2, op. 3r n" i et op. 79), et sept sont
du type Lied développé (LL) à cinq sections (op. 2 n° 2, op. 2 n° 3,
op. 10 n" 3, op. i3, op. 27 n" I, op. 54 et op. 106).
La forme Lied-Sonate (hS) est représentée par six pièces, dont cinq
sont en forme Sonate sans développement (op. 2 n" 1 , op. 7, op. ion" i,
op. 3i n" 2 et op. 81) et une seule est en forme de véritable Sonate lente
(SL) avec développement (op. 22).
La {orme Lied varié [LY) est représentée par cinq pièces qui sont de
véritables thèmes avec variations (op. 14 n° 2, op. 26, op. 57, op. 109
et op. 1 1 1 ).
Rang. — En ce qui concerne \eur place ou leurra;?^ dans la Sonate,
ces vingt-deux pièces se répartissent ainsi :
se/:^? occupent le rang traditionnel delà pièce lente, immédiatement
après le mouvement initial de forme S ', on peut y ajouter la phrase
d'introduction au finale ée l'op. 53, puisque cette Sonate n'a pas de
mouvement modéré ;
quatre remplacent le mouvement du type S et occupent le premier
rang [op. 2b, op. 27 n° i, op. 27 n" 2 et op. 54);
30Î LA SONATE DE RHKTHOVEN
deux sont rejetées au troisième raup, soit après le mouvement mo-
déré (op. io6), soit après un second morceau du type S (op. 109) ; on
peut y ajouter les trois phrases d'introduction au finale des op. 27 n"" i,
101 et 1 10.
Aucune enfin n'occupe, dans la Sonate, la fonction de finale, car on
ne peut guère assimiler à un véritable finale le thème avec variations
de l'op. 109, qui occupe le troisième rang dans une Sonate en trois
mouvements, ni celui de la Sonate op. iii, qui est immédiatement
après le premier mouvement : le caractère de finale appartiendrait
ici plutôt à la dernière variation de chaque série, comme on le verra
en étudiant cette forme spéciale au chapitre vi, ci-après.
Tonalité. — La /07;t7/î7e de la pièce lente continue, suivant l'ancien
usage signalé par Marpurg (voir ci-dessus, p. i53),à être celle qui
diffère le plus souvent du ton général de l'œuvre.
En exceptant naturellement les s/x mouvements lents qui, en raison
de leur rang, sont nécessairement dans le ton principal (savoir : les op.
2Ô, 27 n° I, 27 n° 2 et 54 d'une part, les op. 109 et iii de l'autre), il
n'y a que quatre pièces du type L qui gardent la même tonique que la
pièce initiale, et toujours avec un changement de mode (op. 2 n" i, op.
10 n° 3, op. 28 et op. 79. Les phrases d'introduction au Jinale qui rem-
placent le mouvement lent dans les op. 101 et 110 sont également sur
la même tonique que les pièces initiales de ces Sonates, avec change-
ment de mode.
Dans tous les autres cas, la tonalité du mouvement lent ditVère du
ton principal ; mais elle ne cesse pas de lui être reliée, suivant le prin-
cipe de parenté tonale établi précédemment (i), par une ou deux notes
communes entre les deux accords de tonique mis en relation :
cinq pièces lentes sont au ton de la sous-dominante (op. 2 n" 2, op. 10
n" I, op. 14 n° 2, op. 22 et op. 3i n° i) ; on peut y ajouter les deux
phrases d'introduction au finale des op. 27 n° i et 53 ;
quatre sont au ion de la tierce majeure grave, avec changement de
mode ; dans les op. i3, 3i n° 2 et 37, cette modulation coïncide avec
celle au relatif dt la sous dominante; dan?, l'op 106, le changement de
mode ayant lieu en sens inverse (des/b à soh-fai). la parenté ne
s'établit réellement qu'à l'apparition du ton de sol t>-/"/J s , dont la tierce
majeure [si\>-LAt) coïncide avec la tonique générale de l'œuvre (mo-
dulation à la quatrième quinte descendante) ;
une seule est au relatif mineur (op. 81) ;
une est à la sixte majeure supérieure ou à la troisième quinte ascen-
dante (op. 7) ;
(i) \'oir I" liv., p. 127 ei suiv.
>
LE MOUVEMENT MODÉRÉ Ml 30'?
une enfin esta la tierce majeure supérieure ou à la quatrième quinte
ascendante (op. 2 n° 3).
L'innovation beethovénienne porte donc à la fois sur la tonalité, le
rang et la /orme même des mouvements du type L. On peut y ajoute,
l'application spéciale aux mouvements lents du système de la Varia-
tion, lequel avait pris naissance, au temps de la Suite, dans la pièce
d'allure modérée (M) dont nous allons étudier, ci-après, les transfor-
mations nouvelles.
5. LE MOUVEMENT MODÉRÉ. — LE MENUET. — LE SCHERZO. — TYPE M.
De toutes les anciennes Danses de Cour dont l'usage s'était maintenu
dans la Suite, nous avons vu le Menuet subsistera peu près seul dansla
Sonate, telle qu'elle était constituée antérieurement à Beethoven. Celui-
ci conserve du reste dans les mouvements modérés de ses premières
Sonates le plan si simple de cette danse avec son trio (i) intercalé entre
vieux rédites du Menuet proprement dit ; mais, si l'auteur de VAppas-
sionata semble avoir cessé pendant une quinzaine d'années de s'inté-
resser à cette forme totalement absente de ses œuvres entre 1S02 et
1817(2), cela tient peut-être à ce que son effort s'était porté sur la cons-
titution rj'thmique du thème bien plus que sur la construction toute
rudimentaire de l'antique Menuet, demeurée à peu de chose près la
même dans le Sc/ier^o (3) beethovénien.
Le Scherzo, appelé à remplacer le Menuet dans les Sonates, consiste
comme celui-ci tndeux pièces distinctes offrant entre elles un contraste
thématique, et écrites l'une et l'autre, sauf de rares exceptions, dans la
mesure à trois temps et dans la même tonalité, ou dans des tonalités
très voisines. ^\
Après la seconde de ces deux pièces, dite trio, on répète la première,
dite proprement scherzo, soit textuellement, soit plutôt avec des modi-
fications analogues à celles qui caractérisent la ree^yos/f/on de \2l pre-
mière idée, dans la forme S, ou celle du thème principal, dans la
forme L. L'usage de la répétition textuelle du scher:{0, après le trio,
devait en effet tôt ou tard choquer le goût de Beethoven, comme le
double indiqué par un simple signe de reprise ( :||: ) avait choqué jadis
avec raison le goût de Ph.-Emm. Bach (voir ci-dessus, p. iq8). De
même que son glorieux précurseur, Beethoven préféra bientôt « prendre
(i) Nous avons fait connaître au chapitre précédent(p. 170 en note) les explications dif-
férentes qu'on donne de l'origine du nom de (no, pris dans cette acception particulière.
(2) t£n marge d'une esquisse de Sonate datant de 1798, on trouve cette observation, écrite
de la main de Beethoven : f Faire dorénavant les menuets très courts: pas plus de seize à
vingt-quatre mesures >.
(3) Ainsi que nous l'avons déjà signalé (note p. 114), le pièce intitulée parfois 5c/ifr{0
dans certaines Suites n'a rien de commun avec la forme dont il est ici question.
•^04 LA SONATF DE BEETHOVEN
la peine » d'écrire cette reprise in extenso, au lieu de l'indiquer par un
économique Ja capo. Et, du jour oij il « prit cette peine », il cessa d'en
faire un travail de copie, substituant à la monotone redite une réexpo-
sition véritable, avec des modifications agogiques ou dynamiques qui
donnent l'impression d'une orchestration nouvelle, et parfois même
avec l'adjonction d'une coda concluante. \
Ainsi enrichi, en raison de ce souci plus grand de la variété dans
l'unité, le Scherzo ne pouvait guère s'accommoder des petits thèmes
légers et sautillants en usage dans les Menuets : l'élargissement
rythmique pratiqué déjà, plus ou moins consciemment, dans certains
mouvements du type M, tels que le Menuet de Rust que nous avons cité
ci-dessus (p. 171), allait devenir, chez Beethoven, un véritable principe
de structure thématique permettantd'établir, entre le thème de Scherzo
et le thème de Menuet, une distinction assez notable. X
La plupart des thèmes de Menuet., tels qu'on les retrouve, d'ailleurs,
dans un certain nombre de Sonates, se décomposent en petits groupes
rythmiques réduits aux /ro/s /ewjps consécutifs d'une mesure à 3/4(1):
le sens musical de la cellule ou du motif est contenu en entier dans ces
trois temps, et chaque mesure doit être accentuée de la même façon,
ainsi que l'exigeait la danse du Menuet :
Allegretto r."" rythm
Allecretto
21 rvllime
r
périodes génératrice
Ces deux exemples, extraits des op. 2 n» i et n» 2, doivent être considérés
c»mme des types de thèmes de Menuet, bien que le second porte le titre de
Scherzo ; ils ont encore Is caractère de danse, qui disparaîtra plus lard du
véritable Scherzo, tel que Beethoven l'établira. Y"
(i) Il tiui entendre ici pir mesures U distance entre deui lempi correspondants, c'e>i-»-dire
I» mfture réelle, laquelle ne cofncide avec la mesure écrite ou la barre de mesure que i il
»'ag I d'une distance entre premiers temps, ce qui est eiirémement rare, les groupes procé-
dant plutôt de troisième temps à troisième temps et quelquefois de deuxième à deuxième.
LE MOUVEMENT MODÉRÉ iM) -^oj
Dans les thèmes de Scherio, au contraire, la mesure se transforme
en une sorte de temps rythmique servant à composer un groupe de
plusieurs mesures {deux, quatre et quelquefois trois) : dans ce groupe
qui contient la cellule (toujours plus grande qu'une mesure), il y a
nécessairement des mesures fortes et des mesures faibles, accentuées
inégalement (i) et souvent impropres à la danse : v
Allegretto
/. ©
f^/g
roupe r>
thmique
^V
i>^
rf^
[r^
■',■.■
p
luU-
-rhr
*
^
y:j^
^
®
Période gé
Chacun de ces deux groupes rythmiques constituant la pénode génératrice de
ce Scheri^o (2), est à peu près indivisible musicalement: on peut, à la rigueur,
considérer la ce//u/e contenant le motif comme faite des deux premières
mesures (ou des six premières notes) se reproduisant dans les deux mesures
suivantes; mais on ne pourrait subdiviser cette cellule (toujours plus grande
qu'une mesure) sans en détruire complètement la signification expressive, y
Dans la plupart des pièces de forme Scherzo, la. période génératrice (a)
contenant le thème, avec son rythme spécial, se répète deux fois et
aboutit le plus souvent à une cadence suspensive. ^X
Elle est suivie d'une période secondaire (b), affectant généralement
l'aspect d'une transition en état de marche vers une tonalité voisine, et
formée, soit d'un court développement des éléments thématiques de
la première période, soit, comme dans l'exemple ci-dessous, d'un élé-
ment différent :
Les groupes rythmiques de cette période secondaire sont tous de deux mesures.
(1) Les indications c RItmo di trt battute, Rttmo di quattro battuteyt, mises par Beethoven
dans l'admirable grand Scherzo de la IX* Symphonie et dans quelques autres œuvres, se
réfèrent préciséinent|à la décomposition du thème en rythmes de (rois ou de quatre mesures,
chaque mesure constituant un véritable temps rythmique.
(2) Remarquer l'analogie du thème de <e 5c/ieryo, appartenant à l'op. 10 n» J, avec celui
du Scher:fO de la V« Symphonie et avec plusieurs autres oeuvres de Beethoven.
Cours db composition. — t. 11, 1. »0
3o6
LA SONATE DE BEETHOVEN
La période initiale (a') réparait ensuite, toujours dans le ton principal
et dans une forme concluante, complétée souvent par une coda, comme
dans cet exemple :
(fa) \(^ Périodeinitiale amplifiée el en formîTônclu.inl
Dans cette réexposition de la période initiale, les groupes rythmiques sont
modifiés : le deuxième est fait de deux mesures seulement, et les trois
autres de quatre mesures.
((y ICoda lerminnni !•■ Schmn, prnprtrne.ni d
Cette corfj est faite de deux groupes rythmiques de quatre mesures ; le second
est complété par les silences de la dernière meMiic.
On répète généralement la période secondaire (b), suivie de la pé-
riode initiale réexposée (a') et de la coda qui termine le sc/ier-o, avant
de commencer le trio.^
Le thème du trio se distingue oïdinaircmcnt par un caractère plus
sévère que celui du scherzo : il est moins orné, moins mouvementé,
mais sa constitution rythmique est du même ordre.
Quant à la construction du trio, elle est cxacttiiient lu même que
celle du scherzo.
LE MOUVEMENT MODERE (M) 3o7
La période initiale (a > se répète deux fois et aboutit à une cadence
suspensive :
Cette période, en rvthmes de qualre mesurer, module à sa dominante [i-A i>) au
lieu de moduler i'iurt/an/; elle n'est pas repeK-e texiuellement, comme la
période correspondante du scherzo, mais elle contient des modiiici.tions
rythmiques donnant à sa reprise un intérêt nouveau et unfl allure exp-essive
plus inquiète, -y-
La période secondaire (b] est en état de marche et développe les élé-
ments thématiques de la période initiale (a) :
La période initiale, en forme concluante et dans le ton principal
(/Î/-S), reparaît ensuite, transposée à l'octave supérieure (a') ;
Ces deux périodes (b et a') se répètent avec quelques moditîcations
d'écriture et sont suivies, la seconde fois, d'une coda symétrique de
celle du scher\o, mais destinée à relier la fin du trio à la réexposition
3oB
LA SONATE DE BEETHOVEN
du scherzo, c'est-à-dire à ramener la tonalité de fa, au lieu de confir-
mer la conclusion en RÉ t> . )<,
La réexposition, substituée ici au da capo textuel, contient exacte-
ment la même musique que le scherzo précédemment exposé ; mais il
faut signaler, à titre d'exemple, l'accroissement agogique qui change
notablement le caractère expressif des deux périodes [a et b), et qui
subsiste jusqu'à la fin de la coda concluante :
^Belnt'if
Cette modification apparaît après une redite textuelle de la période généra-
trice (a), telle qu'elle était au début, et remplace la simple indication de
reprise de cette période.
en marche vent la D.deQy
Il faut lire en entier ce modelé de petit Scliei-,o beethovénien, pou.
se rendre compte de l'immense progrès qu'il réalise, par rapport
au Menuet, même sous l'aspect déjà très noble que lui avait donné
W. Rust (voir ci-dessus, p. 171). /(
Le Memtet et le Schef{o continuent toutefois à coexister dans les
LE MOUVEMENT MODÉRÉ (Ml 309
Sonates de Beethoven; mais, après la période pendant laquelle il
supprima totalement les mouvements du type M, c'est le système du
Scherzo qui prédomine et conserve la forme que nous venons d'ana-
lyser, y.
Le plan de la construction de cette forme Menitet-Scher\o ou petit
Scher\o (M) peut se résumer ainsi :
I. — Exposition du scherzo proprement dit, comprenant:
a, une première période en formules rythmiques de plusieurs
mesures, avec cadence suspensive;
b, une seconde période en état de marche, développant la première
ou contenant un élément nouveau;
a', la première période avec cadence tonale et quelquefois une coda
concluante.
II. — Exposition du trio dans une tonalité voisine de celle du Scherzo, ou
dans la même tonalité, et avec une construction tout à fait semblable. ><^'
III. — Réexposition du scherzo (relié ou non au trio) contenant les mêmes
éléments musicaux que la première fois, dans le même ordre et dans la
même tonalité, mais avec des modifications expressives ayant parfois le
caractère à' amplification ou de développement terminal, aboutissant à la
coda concluante, s'il y a lieu.
Ce plan devait recevoir encore, dans certaines œuvres d'orchestre et
de Musique de Chambre (i), une extension considérable, par l'adjonction
de deux autres éléments que nous signalons ici, en attendant l'étude
qui en sera faite dans la Seconde Partie du présent Livre :
IV. — Exposition d'un second trio contenant, soit les éléments du premier,
modifiés ou développés, soit des éléments nouveaux (21.
V. — Dernière réexposition du scherzo initial, avec de nouvelles modifica-
tions et des développements plus importants, aboutissante une véritable
« péroraison ».
On aperçoit immédiatement l'analogie de construction qui existe
entre la forme Lied développé [Lh) en cinq sections (voir ci-dessus,
p. 291), et ce type agrandi de mouvement modéré (MM) que nous
appellerons grand Schet-o ou Schei-^o développé, et qui tient également
du Rondeau par l'alternance du refrain-scherzo avec le couplet-trio.
Malgré ces analogies, chacun de ces types conserve sa physionomie
propre, en raison du caractère spécial des personnages thématiques qui
y sont exposés et développés. Mais ces expositions et ces développements
mêmes sont toujours conformes aux principes de tonalité dont la
forme Sonate contient la plus haute et la plus complète application;
(i) Notamment la Vil" et la IX» Symphonie, le Trio, op. qy, les Quatuors à cordes, op. Sg
n» î, op. 74, op. 95, eic.
{2) L'innovation du second trio, complètement diflérent du pretoier et souvent même
dans un tout autre rythme, appartient plus spifcialement à Scbumann, comme on le verra
ci-aprèi dans la section hutoi ique du chap. v.
•510 LA SONATE DE BEETHOVEN
cette forme demeure en définitive le prototype de toutes les autreà; elle
seule est nécessaire, nous l'avons dit, à l'existence même de la Sonate,
dans laquelle ia pièce d'allure modérée (M), plus encore que la pièce
lente (L), ne figure qu'à titre transitoire et en quelque sorte épiso-
dique.
La moitié des Sonates de piano ne contient ni Menuet, ni Scherzo,
ni aucun morceau qui en tienne lieu (i). Les mouvements du type M
sont au nombre de dix-sept, appartenant à sei^e Sonates seulement
sur trente-deux, car la Sonate op. 26, à elle seule, contient deux pièces
de la même forme ^2).
Il est sans exemple qu'un Menuet ou un Schef-{o soit placé au début
ou à la fin (3) d'une Sonate de Beethoven. Le Mouvement .M y con-
serve presque partout sa place traditionnelle après \t mouvement L;
on ne rencontre guère qu'une seule dérogation réelle à cet usage (4):
dans l'op. 106, le Scherzo précède YAdas^io-
Ce rôle épisodique attribué au mouvement du type M pourrait auto-
riser, semble-t-il, une moins grande rigueur dans le choix de sa tonalité :
tout au contraire, la plus grande partie des pièces de ce genre sont sur
la tonique principale de la Sonate à laquelle elles appartiennent, avec
ou sans changement de mode. Les seules exceptions à cette vieille
habitude de la Suite sont: l'op. 3i n» 3, où une des pièces d'allure
modérée (5} est à \i\ sous-dominante; l'op. 27 n° i et Top. iio, où les
pièces qui tiennent lieu de Schei"fl sont au t-elatif mineur du ton de la
Sonate; l'op. 101, où la grande Marche (en forme de Scherzo) est au
ton de la quatrième quinte descendante [fa] par rapport à la tonique
principale (la), y
Relation tonale entre le Menuet-Scherzo et son Trio. — Il règne une
plus grande diversité dans le choix de la tonalité voisine destinée au
trio dans les pièces du type M :
sept trios sont sur la même tonique, dont Jeux sans changement de njode
(op. 27 no 2 et op. 3i n" 3), et cinq avec changement de mode (op. 2 n» 1,
op. 2 n" 2, op. 7, op. 26 Marche funèbre, op. 106I; y^
quatre sont au relatif majeur de la iows-dorniHaii/e : ils appartiennent tous,
en effet, à des pièces de mode mineur (op. 10 n» 2, op. 14 n» i, op. 27
no I et op. 110);
(1) Dans l'op. 101, c'est la grande Marche qui tient lieu de véritable Scherjo.
(2) l.e Scherjo proprement dit et une Marche hunèbre qui est construite cxacietrent sui-
vant le iiiênie plan.
(3) On a vu ci-dessus (p. 207) qu'il n'en éiail pas de mime dans les Sonates de Haydn.
(^) Les phrases lentes d'introduction au finale, ne consliiuani pas, à notre sens, un morceau
•éparé, ne peuveni £ire considérées comme de vc'ritables utceptions i-^rsqu'clles succèdent à
un mouvement M, comme il arrive dans l'op. 37 n* 1, l'op. 101 et l'op. 1 10.
(5) Celle pièce est en Torme S ; la vcriiablc pièce du type M, qui la suit, est au ton prin-
cipal.
LE MOUVEMENT MODERE ;M) 311
trois sont au relatif mineur du ton principal (op. 2 n" 3, op. 22 et op. 28) ;
trois enfin sont à la sous-dominante de même mode (op. ion" 3, op. 26.
et op. ICI Marche).
Il n'est pas inutile de faire remarquer ici l'extrême prudence avec
laquelle Beethoven se sert de cette tonalité de la sous-dominante,
devenue par un abus tout à fait blâmable le ton réglementaire de tout
trio appartenant aux danses et surtout aux marches dont la forme a été
calquée sur celle de l'antique danse de cour avec sa seconde danse,
origine du Menuet, et du Scherzo, avec leurs trios respectifs.
On conçoit mal la raison de cet usage vulgaire et antitonal au su-
prême degré, ainsi qu'on peut s'en apercevoir en prêtant l'oreille à
n'importe quel « Pas redoublé » ou « Allegro militaire » composé « en
exécution des règlements en vigueur ». En vertu du pouvoir absorbant
de la sous-dominante, sur lequel nous avons déjà attiré l'attention du
lecteur, dans le Premier Livre de ce Cours (i), la reprise terminale du
« premier motif», en a// i» , après le fâcheux trio tnLA^, donne une
impression de dominante dt la t>, et non de tonique, et détruit plus
ou moins l'effet conclusif de cette « réexposition », nonobstant les
efforts estimables de la batterie et de la grosse caisse.
Beethoven n'ignorait pas cet inconvénient de l'emploi prolongé de la
sous-dominante , et les moyens dont il s'est servi pour y remédier
méritent d'être signalés.
Dans l'op. lo n° 3, le trio, en 50L, du Menuet, en hè, ne conclut
pas : il module au contraire à la dominante de ré, pour ramener le
menuet qui, seul, possède une cadence conclusive.
Dans l'op. 26, le trio en /îê f (d'ailleurs beaucoup plus court que le
scherzo, tn.LA\>) est terminé par un conduit de quatre mesures
revenant également à {a dominante {mi\> ) du ton initial, c'est-à-dire à
l'harmonie de la quinte supérieure.
Enfin, dans l'op. loi, le trio en si p, beaucoup plus court aussi que
la grande marche, en fa, ne conclut pas davantage et aboutit à une
pédale d't/r, en fonction de dominante de FA.
Dans les trois cas, on le voit, la formule modulante terminant le
trio dépasse d'une quinte dans le sens ascendant la tonique principale,
avant d'y redescendre pour la réexposition, et il s'établit ainsi une
sorte de compensation, par voie d'oscillation tonale de part et d'autre
de la tonique. La brièveté du trio par rapport au morceau complet, ou
l'absence de cadence conclusive au ton de la sous-dominante achèvent
de garantir au ton principal la prépondérance qui lui est nécessaire. Et
(1) Voir 1" llv., (-. I 10.
în LA SONATE DE BEETHOVEN
la simple comparaison de ces trois Irios a la sous-dominante avec tous
les autres montre bien que ces précautions prises par Beethoven s'ap-
pliquent à cette modulation, à peu près exclusivement, car on constate
l'emploi des mêmes moyens dans les deux cas d'introductions lentes au
finale, par la sous-dominante (op. 27 n° i et op. 53) (1). y
6. LE MOUVEMENT RAPIDE FINAL. — LE RONDEAU-SONATE. TYPE RS.
Depuis Mozart, la forme Rondeau, avec alternance régulière des
Couplets modulants et du RefraintomX, avait remplacé à peu près défi-
nitivement dans la Sonate l'ancienne Gigue finale de la Suite. Toujours
respectueux des traditions établies, Beethoven commença donc par
garder au Rondeau sa fonction, et n'essaya de le remplacer ou de le
supprimer que dans ses dernières œuvres.
Mais, tout en conservant au Rondeau son rôle traditionnel de finale,
il introduisit bientôt dans sa construction un élément nouveau, sorte de
seconde idée exposée dans un ton voisin, en qualité de premier cou-
plet^ après le Refrain initial, et réexposée dans le dernier couplet au ton
principal, avec ou sans pont intermédiaire.
Ainsi modifié, le Rondeau prend dans sa première et sa dernière
partie toutes les caractéristiques du type Sonate, avec lequel il pourrait
même être confondu, si le thème initial (i^t^/ra;»/) n'y reparaissait tou-
jours dans sa tonalité immuable après le second thème {Couplet) termi-
nant Vexpositioii, a la place exacte où la forme S contient normale-
ment un développement modulant. Cette première idée-Refrain continue
donc à demeurer un personnage unique, toujours présent dans le
même état, puisqu'il garde toujours sa tonalité d'origine, tandis que la
seconde idée-Couplet n'est souvent qu'une émanation de la première,
une sorte de compagnon, de second rôle, destiné à dialoguer avec le
personnage principal, sans jamais l'absorber, ni même entrer sérieu-
sement en conflit avec lui : dans la forme Sonate, les deux idées se
combattent ; dans la forme Rondeau, elles se complètent.
Le finale de la Sonate, op. 90, nous montrera un bel exemple de cette
intéressante modification, portée à son plus haut degré de perfection.
Ce Rondeau est le dernier qu'écrivit Beethoven dans ses oeuvres pour
piano (2) ; il est aussi le plus amplifié et le plus complet, en même
temps que l'un des plus expressifs, tout en gardant le caractère de
légèreté et de grâce naïve inhérent à cette forme de composition.
(1) Il e«t clair que 11 seule pièce lente établie i la sous-dominante dans uneSonatedont la
lonililc générale esi affirmée par tous les autres mouvements n'a pis le même inconvénient
qu'un trio dans un Scherzo.
\a) Les Quatuors à cordes, op. gb et i32, contiennent encore des pièces de forme Rondeau,
postérieures en date à celle-ci.
LE MOUVEMENT RAPIDE (R)
Le Refrain, tout à fait charmant, est en forme de phrase de lied avec
redite de la période initiale [a'] après la seconde période {a") :
(X) REFRAIN(ouPreniÙTe idi'.-)
(ftî) [n'riode initiale
Modéré et très chanUuit
\
^i^ secor
de péri
)df
,1 r — 1
E.- ,jn
^
— ^
1
t#=^±
=H
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r y^
-^ — 1 — ^ — -.
l
-^:jit;> ^
•
^-if-i — ~ir^
•-r —
f^^
v'^^iefcirfc
^
^^i^-^
^^=^-
^
i^
^=uj
TT
Cette seconde période (a') se répète deux fois, et s'enchaîne avec une reprise
de la période initiale {a') terminant le Refrain qui est entièrement exposé
en MI.
Le premier Couplet est composé de trois éléments, dont le premier
(P) en état de marche vers la dominante [si) a tous les caractères du
pont dans la forme S (i) :
(i) Remarquer que ce rythme du pont (P) esi le même dans le font du prtmier mouve-
ir.ent de la même Sonate, et provient du rythme initial (a<) de la première idée (A) de ce
mouvement {voir ci-après, p. SSy).
LA SONATE DE BEETHOVEN
Piemier Coup/et (en. tiois^iliments)
V) rlémint de transition fouPoN/) emprunté au Premier mouvement rie la même Son.it«-
Il marche vers le D.de (Sj)
(^ Seconde idée
Qv) élément d'exposition
Cet élément d'exposition b'), servant de seconde idée, se répèle deux fois
sur des degrés différents, mais toujours sur l'harmonie de la dominante
de SI.
\hj élémint compléine.ntaire
LE mou\t:mknt RAPini: (R)
en marche vers ta Dde (Yj)
Cet élément complémentaire {b ) jouera un rôle important dans le second
Cduplet qui tient heu de développement : il ne saurait être conclusif et
aboutit nécessairement à un passage en état de marche vers la dominante
du ton principal (ntl) pour ramener le Refrain.
Après ce premier Couplet composé des trois éléments P, b' et b", le
Refrain est réexposé textuellement avec ses trois périodes (a', a", a'y
en forme de phrase lied.
Le deuxième Couplet est composé aussi de /roî5 éléments avant, tous,
le caractère de développement : il diffère un peu, en cela, des autres
Rondeaux beeihovéniens qui contiennent assez souvent à cette place un
élément thématique nouveau, et il se rapproche davantage, par consé-
quent, delà forme Sonate:
Deuxième Couplet (on Dévi-I.jppemer.t)
Premier élément (de a')
F#
=i
— r-] .•
Ff=H
^0h
:4
1
^-—
f
C
*_!_ B
resr .
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*"
't^^
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■ * (!• J-
-^^it^
■*
^v-
vers la D.d'.MX^
Ce premier clément, en ctat de marche vers UT, est un développement des
Jeux dernières mesures du Refrain (période a').
3i6
LA SONATE DE BEETHOVEN
Deuxième élément (de b
Ce deuxième élément, en état de marche vers la dominante de MI, est un
développement de la période complémentaire {b') du deuxième coup/et,
passant par les tonalités : UT, ut, UT S et ut S.
Ce troisième élément, en état de repos sur la dominante de \tl, sert de ren-
trée pour ramener le Refrain.
Après ce deuxième Couplet, développemetit en trois éléments, le
Refrain est réexposé en entier, sans modifications.
Le troisième Couplet, qui suit cette redite du Refrain, est composé
des mêmes éléments que le premier couplet (P, />', b'), mais avec une
modulation différente ramenant au ton principal, comtne pour la
seconde idée réexposée dans la forme S :
1 1 l'isicme Cuuplel
(15 n'exposé
LE MOUVEMENT RAPIDE (R)
3<7
rëè^=f=
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r"5~' —
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■^-^ J ^ J) ^ —
tii:^
N
H^
0^
t^T^^
< ff •
«"H marche vers tn D.de (Mj)
L'élément de /ranji/ionqui sert de pont modulant (P) est orienté vers la domi-
nante de MI ;
l'élément d'exposition (b') est entièrement transposé en MI, avec ses deux
redites ;
l'élément complémentaire (é") est transposé et amplifié par une modulation
passagère en UT, suivie d'une rentrée assez longue sur la dominante
de Ml.
Après ce troisième Couplet [seconde idée), le Refrain est réexposé une
dernière fois, mais en forme variée et amplifiée:
@ REFRAIN final
■
~r^
^Ti rfT}
ÎS> » " Il ^ ^ N J * J '
1 J 1 J
J 1 J
J J J « J J » *
(a') Première période.
-* 9 •
1 — f —
:^i r^
-i f^
i~i r^
J - ^ J '
4r-f i -1
-fi — ^ — 1
rt •> r f =J
r. ®
Z'
La première période (a') est en forme dialoguée entre les deux mains;
la seconde période [a") est disposée de la même manière ; mais, au lieu de
ramener immédiatement la première (a'), elle se développe sur elle-même ;
ce développement terminal de la période a", pourrait presque être considéré
comme un quatrième couplet ;
\a première période {a') reparaît une dernière fois en forme plus conclusive,
comme si elle résumait une cinquième fois le refrain.
Le plan de la construction de cette forme que nous qualifierons de
Rondeau-Sonate (RS) peut être résumé ainsi :
3, 8 LA SONATR DE BEETHOVEN
I. — Refrain exposé au ton principal comme une preivibre idée (A) du
type S ;
Premier Couplet, dans un ton voisin, relié généralement au Refrain par une
transition ayant le caractère du /)on< ; ce couplet tient heu de seconde idée
(B) et se décompose parfois en plusieurs éléments.
II. — Refrain au ton principal, succédant immédiatement au couplet qui sert
de seconde idée ;
Deuxième Couplet, contenant un élément nouveau exposé dans une tonalité
nouvelle (mais toujours parente du ton principal), et ayant un caractère de
translation tonale, comme le développement dans la forme S. Ce couplet
est souvent un véritable développement des éléments thématiques précé-
demment exposés.
III. — Refrain réexposé au ton principal, comme une première idée (A);
Troisième Couplet, au ton principal, relié au Refrain par la transition servant
de pont mélodique et contenant des modulations différentes de celles du
premier couplet ; ce couplet contient tous les éléments ayant servi de
seconde idée (B), réeiposés au ton principal.
IV. — Refrain final, au ton principal, et réduit souvent à l'exposition de sa
période initiale en forme conclusive ; quelquefois, ce Refrain est subdivisé
et contient une sorte de quatrième Couplet, qui sert de développement termi-
nal, et ramène une cinquième et dernière fois les éléments essentiels du
Refrain, avec une formule de conclusion.
Ce plan est une harmonieuse combinaison du principe de l'alternance
entre les Refraiîis et les Couplets avec le principe des expositions et des
développements. Le nombre des Refrains n'est pas absolument constant
dans les Rondeaux des Sonates de Beethoven : sur vingt pièces de cette
espèce, quatre seulement contiennent cette subdivision du Refrain final
donnant naissance à un quatrième Couplet et à un cinquième Refrain :
l'op. 2 n° 2, l'op. 14 n" 2, l'op. 53 et l'op. 90 qui nous a servi de
modèle ; cinq, au contraire, n'ont que trois refrains (op. 49 n* i et n° 2,
op. 26, op. 27 n" I, et, par une simple assimilation, l'op. 54, dont le
Rondeau a une forme assez spéciale); un seul Rondeau enfin, celui de
l'op. 2 n* I, ne contient que deux redites du Refrain, par suite de la
juxtaposition de ses deux Couplets qui se succèdent sans interruption.
Les dix autres Rondeaux sont conformes au plan que nous avons
donné ; ils contiennent quatre Refrains alternant avec trois Couplets,
et produisant une division en sept tout à fait bien équilibrée (op. 2 n°3,
op. 7, op. 10 n» 3, op. i3, op. 14 n" i, op. 22, op. 28, op. 3i n* 1,
op. 78 et op. 79)-
La pièce du type RS, ainsi agrandie par Beethoven, ne peut avoir
d'autre tonalité que celle de la Sonate elle-même, où elle occupe inva-
riablement la place de finale : près des deux tiers des Sonates de piano
sont terminées par des Rondeaux, dont la mesure normale est h deux
temps. Les seules pièces qui fassent exception h cette règle appartien-
nent àdesSonates incomplètes (op. 49 n° 2 et op. 14 n° 2), où elles servent
UNlTft THÉMATIQUE ET TONALE 319
à la fois de pièce du type M, par leur rythme à trois temps, et de finale,
par leur forme Rondeau.
Sur les douie Sonates qui ne contiennent pas de Rondeau, huit se
terminent par un mouvement du type S, d'allure rapide ; et l'on cons-
tate encore, par cette substitution de la forme Sonate au type R, l'im-
portance que Beethoven attribuait à cette belle construction tertiaire,
dont la présence était nécessaire, pour lui, dans toute composition sym-
phonique de longue haleine.
Les quatre dernières Sonates, seules, ne se terminent ni par un
mouvement du type S, ni par un Rondeau ; elles contiennent des
essais de formes nouvelles ou renouvelées : la Fugue, qui reparaît dans
le finale de l'op. 106 et de Top. iio; la Variation, qui absorbe toute
la dernière partie de l'op. 109 et de l'up. i 1 1.
7. UNTTK DE LA SONATE DE BEETHOVEN. — AFFINITES DES THEMES. RELA-
TIONS DE TONALITÉ. PROPORTION ET NOMBRE DES MOUVEMENTS
L'étonnante rénovation introduite dans le domaine symphonique par
les conceptions géniales de Beethoven sur les idées musicales, les déve-
loppements et les modulations, ne s'est point limitée aux perfectionne-
ments de structure que nous venons de signaler dans chacun des quatre
types fondamentaux de mouvements (S. L. M. R.) individuellement.
Les réactions mutuelles, s'exerçant entre les divers mouvements
destinés à être entendus consécutivement pour former une seule œuvre,
devaient faire naître entre ces quatre types élaborés dans la Sonate,
d'où ils rayonnèrent dans toutes les autres formes sj'mphoniques ins-
trumentales , certaines affinités de thèmes, certaines relations de
tonalité, certaines proportions de forme, par lesquelles chaque morceau
constitutif devait s'identifier davantage à sa fonction de partie inté-
grante d'un tout.
Affinités des thèmes. — Chez les précurseurs de Beethoven, sauf
peut-être W. Rust, les thèmes appartenant aux mouvements différents
d'une même Sonate étaient sans analogie d'aucune sorte entre eux:
s'ils offraient quelque contraste, il était dû aux allures et aux mesures
spéciales à chaque type, beaucoup plus qu'à une intention déterminée ;
dans l'immense généralité des cas, ces thèmes étaient complètement
indifférents ou étrangers les uns aux autres.
Le procédé du rappel, ou même de la simple allusion mélodique
d'un morceau à un autre, semblait définitivement abandonné, lorsque
Beethoven, par un effet normal de l'esprit d'unité synthétique qui plane
,20 LA SONATE DE BEETHOVEN
sur ses œuvres, prépara pour l'art symphonique l'accomplissement
d'un immense progrès, en ouvrant à ses successeurs la voie féconde des
parentés thématiques établies volontairement entre les pièces différentes
d'une même composition, voie dans laquelle certains primitifs italiens
avaient fait jadis une timide incursion que, seul, W. Rust avait renou-
velée depuis eux (i).
Le principe des thèmes antagonistes ou contrastants est appliqué par
Beethoven à peu près exclusivement aux deux idées (A et B) dans la
forme Sonate. Dès ses premières œuvres, et notamment dans l'op. i3,
il cherche à créer, entre les thèmes des différents morceaux, certaines
affinités que nous signalons ici brièvement, pour y montrer les germes
de la Sonate cyclique dont l'étude fera l'obiet du chapitre suivant.
Dans l'op. i3 {Sonate Pathétique), le Rondeau final est construit sur
un thème issu de \a seconde idée (B) du mouvement initial, et ce thème
est déjà pressenti dans le motif initial de l'introduction Grave, comme
on le verra ci-après (p. 333 et suiv.) dans l'analyse détaillée que nous
donnerons de cette Sonate, l'une des plus parfaites de celles qui appar-
tiennent à ce qu'on a appelé avec raison la première manière de
Beethoven.
Dans l'op. 3i n" 3, l'analogie rythmique de la cellule du mouvement
initial avec celle du Menuet et même celle du finale est tout à fait
apparente ^voir ci-après, p. 345 et 346).
Dans l'op. 67 [Sonate appassionata) qui appartient à la deuxième
manière de Beethoven et sera analysée ci-après (p. 847 et suiv.), on
trouvera deux cellules rythmiques différentes qui donnent naissance à
tous les éléments thématiques importants des trois mouvements consti-
tutifs de l'œuvre.
Dans l'op. 81 [Lebetvohl), il y a aussi deux cellules, l'une mélodique,
l'autre rythmique : elles sont exposées toutes deux au début de l'Intro-
duction lente (voir ci-après, p. 355) et donnent à toute l'œuvre, dans les
diverses parties de laquelle elles circulent, une unité thématique remar-
quable.
Dans l'op. 90, on a signalé déjà le retour du rythme initial du premier
mouvement dans le passage servant au Rondeau final de premier et de
troisième couplet, de pont mélodique, (voir ci-dessus p. 3i3 et ci-
après, p. 357).
Dans le sujet de la Fugue finale de l'op. 106, appartenant à la troi-
(i) On ■ vu. «u chapitre m, les essai» de Legrenzi (p. 178), de Corelli (p. 180) et de Tar-
tinl (p. c83)dins le «ans de Vunilé thématique des quatre pièces d'une mime Sonate ; et,
plus tard, la tentative beaucoup plus complète de Fr.-W. Ruti, dani sa Sonate n» g (p. Ja3
et suiv.).
UNITÉ THOMATlQli: ET T()N.\I,K 32i
stème manière de Beethoven, il est difficile de ne pas reconnaître le
rythme initial désigné ci-dessus (p. 2G4) par la lettre a' , comme on le
verra dans l'analyse de cette Fugue, ci-après (p. 364).
La fréquence de ces affinités thématiques s'accroît du reste dans les
Sonates appartenant à cette troisième manière, car une autre de ces
cinq Sonates, l'op. 1 10, qui sera analysée ci-après (p. 365 et suiv.), con-
tient une transfçrmation plus complète et plus apparente encore du
thème de l'introduction initiale en sujet de la Fugue finale.
Outre ces rapports thématiques déterminés et, en quelque sorte,
palpables qui seront étudiés à propos de la Sonate cyclique (chap. v),
il faut signaler aussi certaines affinités d'intention et de sentiment
général, qui ne se traduisent pas par un thème transformé, mais qui
résultent de l'expression même de certains morceaux d'une Sonate,
comme, par exemple, le premier mouvement et le finale, dans l'op. 27
n" 2 (voir ci-après, p. 343, la symétrie des harmonies tonales d'ut 3
en forme arpégée, passant du calme de VAdagio à l'agitation du
Presto) et dans l'op. 3i n" 2 (sorte de question posée plusieurs fois par
l'introduction Largo, toujours suspensive, et résolue par V Allegretto
final construit sur les mêmes tonalités, mais plus affirmatif) (i) etc.
Relations des tonalités constitutives. — Est-il besoin de rappeler que
l'unité tonale est toujours scrupuleusement respectée dans les Sonates
de Beethoven ? Quinze d'entre elles ont tous leurs mouvements sur la
même tonique, avec ou sans changement de mode ; les dix-sept autres
n'ont jamais plus d'un seul mouvement (2) dans un ton voisin : en
général, ce mouvement est la pièce lente, suivant l'ancienne tradition
à laquelle on ne rencontre que quatre dérogations, déjà signalées
précédemment (p. 3o2) :
i" dans l'op. 27 n° i, il y a un petit Sc/ieri^o (type M) au relatif
mitieur (3) ;
2° dans l'op. 3i n° 3, la deuxième pièce que nous avons déjà signalée
(p. 3io) est construite en forme S, bien qu'elle ait l'allure thématique
d'un Scherzo ; elle est au ton de la sous-dominante, mais la véritable
pièce du type M, un Menuet qui la suit, est à la tonique principale ;
(1) Beethoven répondit à quelqu'un qui lui demandait la tal on de ce caractère interrogatif
de l'introduction Largo intervenant dans le premirr mouvement a qu'on trouverait la clé
de cette oeuvre dans la Tempête di Shakespeare >. On a le droit de considérer cette expli-
cation comme Insuffisante.
(a) Dans l'op. 53, on peut même dire que tous les morceaux sont sur la même ionique,
car ce qui tient lieu de mouvement lent n'est qu'une intioductio» par U sous-dominante.
(3) La p/i rase lente d'introduction au finale qui, dans celte sonate, op. ^7 n" i, part de la
tous-dominante pour aboutir à la tonique principile, ne peut £'re véritablement considérée
comme wne pièce /fife établie dans un autre ton.
Cours de composition. — t 11, 1. 11
3ia LA SONATE DE BEETHOVEN
3° dans l'op. loi, la grande Marche est au ton de la quatrième quinte
descendante ;
4" dans l'op. i lo, le Scherzo est au relatif mineur.
L'inépuisable variété qui règne dans les Sonates, malgré l'étroite
parenté qui unit au ton initial la tonalité choisie pour le seul morceau
s'en éloignant, montre une fois de plus que la fréquence des change-
ments de ton n'apporte qu'un élément de désagrégation dans lescomposi-
tions, au lieu d'en accroître l'intérêt, comme on le pense trop souvent.
Bien au contraire, l'emploi de certaines modulations à la même tona-
lité dans plusieurs pièces d'une même œuvre peut contribuer à resserrer
la parenté tonale entre ces diverses pièces ; il est intéressant de cons-
tater que Beethoven s'est servi de ce moyen dans celle de ses Sonates
où la tonique de la pièce lente était le moins voisine de celle des autres
mouvements: l'op. io6 (i). Le ton de Ja a-sol o choisi pour l'Adagio
est assez éloigné du tonde 5/ 1> appartenant aux autres pièces : mais,
dans le mouvement initial, nous avons vu (p. 279) que l'harmonie de
SOL il jouait un rôle important ; dans la Fugue finale, cette harmonie
revient pour un épisode assez long (voir ci-après, p. 364); et ces
modulations rapprochent notablement le ton de la pièce lente, en le
reliant au ton principal (2).
Proportions des formes S. L. M. R. — La recherche des meilleures
proportions pour le nombre et la longueur des pièces constitutives de
la Sonate paraît avoir fait l'objet des préoccupations constantes de
Beethoven. Dès ses premières œuvres, il donne au mouvement initial
de forme S une plus large place, aux dépens de la pièce modérée (M),
principalement. L'auteur semble considérer ce petit Menuet, qui garde
seul son caractère de danse, comme une concession nécessaire mais
regrettable aux anciens usages : il le restreint donc volontairement,
comme nous l'avons vu (p. 3o3), et le supprime complètement dans la
période de 180 1 à 181 5 qui correspond à ce que nous avons appelé,
après beaucoup d'autres, sa deuxième manière. Cependant, le thème de
Scherzo, création très spéciale à Beethoven, que nous avons étudié
(p. 3o5) et qui remontait déjà à des Sonates antérieures (op. 10 n» 2,
par exemple), donne un nouvel intérêt à cette forme, libérée désormais
des entraves étroites de la danse ; aussi, la voit-on reparaître, beaucoup
(1) Remarquer que ce procédé est le m6me que celui employé p«r H«ydn pour prépirer
dans le premier mouvement de si Sonate, op. 78, en Ml t> , la tonalité assci éloignée de
VAdagio en Ml B (voir ci-Jessut, p. 116).
(3) Il faut citer auisl, dans l'œuvre de Beethoven, une modulation dont la fréquence ne
s'explique pas très bien : un assez grand nombre de compositions établies au ion de .»//() ou
d'u(, c'est-i-dire avec (rois bémols à la clé, modulent en FA : celte modulation à la deuxiina
quinte ascendante est, au contraire, très rare dans les oeuvres écrites dans d'autres ton*.
l'N'ITÉ THÉMATIQUE ET TONALE 313
plus grande et plus complète, dans les dernières œuvres symphoniques
plus encore que dans les Sonates.
Le Rondeau (R), par sa fusion avec la forme Sonate. ^;igne en impor-
tance et en intérêt ce qu'il perd en analogie avec les anciennes chansons
à danser qui lui donnèrent naissance. Toutefois, dans les dernières
Sonates, il n'est plus juge apte, même en cette forme agrandie, à faire
équilibre à la pièce initiale de forme S ; et, après sa réapparition admi-
rable mais unique dans l'op. 90, il disparaît des Sonates pour faire
place à des tentatives de formes nouvelles, à titre de finale tout au
moins : la Fugue et la Variation.
Seule, la pièce lente (L) demeure, sous une forme ou sous une autre,
à côté de la pièce nécessaire du type S : mais elle tend très souvent, par
son enchaînement avec un finale ou avec des variations, à redevenir
l'antique Prélude : et l'on voit en définitive le type Sonate et la Varia-
tion se partagera peu près exclusivement les Sonates qui terminent la
géniale collection dont l'étude fait l'objet du présent chapitre : l'an-
cienne division en quatre mouvements est employée dans dix Sonates :
op. 2 n°' I, 2 et 3, op. 7, op. 10 n° 3, op. 22. op. 26, op. 28, op. 3i
n* 3 et op. 106 (i).
Les Sonates entrais mouvements sont au nombre de quinze : op. 10
n»* I et 2, op. i3, op. 14 n"" i et 2, op. 27 n°' i et 2, op. 3i n»' i
et 2, op. 57, op. 79, op. 81, op. 101, op. 109 et op. 1 10 (2).
Enfin, les Sonates en deux mouvements sont au nombre de sept :
op. 49 n" I et 2, op. 53, op. ?4, op. 78, op. 90 et op. i i i (3).
Si la construction en trois mouvements est la plus employée, celle en
deux mouvements devient plus fréquente dans les dernières Sonates ;
cette tendance à restreindre le nombre des mouvements à trois et même
à deux, en multipliant les enchaînements de mouvements inséparables,
paraît être nettement opposée à celle qui se manifestera dans l'étude
des Quatuors à cordes . Ceux-ci semblent au contraire, par l'accroisse-
ment du nombre de leurs pièces [six, sept et même huit), revenir à
l'ancienne forme Suite, tandis que, seule, la Symphonie proprement
dite est demeurée l'immuable dépositaire de la tradition des quatre
types de mouvements, ainsi que nous le constaterons dans la Seconde
Partie du présent Livre.
(i) Il faut observer toutefois que, sur ces dix Sonates, sept seulement contiennent un
spécimen de chacun des quatre types traditionnels (S. L. M. R.). En effet, l'op. 56 n'a pas
de type S, l'op. 3i n» 3 n'a pas de type L et l'op. io6 n'a pas de type R.
(2] Les Sonates op. 27 n° i et 110 n'ayant que des phrases lentes d'introduction aufinale dont
elles sont mjéfar<3i/es, doivent être considérées comme divisées en /rois mouvements seulement.
(3) Pour la même raison, les Sonates op. 53 cl 101 doivent être considérées comme
divisées en deux mouvemenis.
324 ^A SONATE DE BEETHOVEN
HISTORIQUE
CHRONOLOGIE DES SONATES DE BEETHOVEN.
Ludwig van Beethoven naquit à Bonn le 16 décembre 1770. Sa
famille était d'origine flamande et habitait au xvii* siècle les environs
de Louvain. Son grand-père, Ludwig, auquel il ressemblait beaucoup
physiquement, était venu s'établir à Bonn en lySS, en qualité de musi-
cien de la cour de l'Evêque, et avait pris, en 1761, la charge Je
Kapellmeister en remplacement du français Touchemoulin. Johann,
père de Beethoven, fut également musicien de cour", de son mariage
avec Anna-Magdalena Kewerich naquirent trois fils : seul, le jeune
Ludwig suivit la carrière de ses ancêtres.
Après de sérieuses études sous la direction de Ch.-G. Neefe, maître
érudit et intelligent qui, non content d'enseigner le métier, savait
cultiver l'esprit de ses élèves par l'exemple, en les initiant aux belles
œuvres (le C/ai^ec;H de Jean-Sébastien, les Fantaisies de Ph. -Emmanuel
Bach, les premières Sonates de Rust), Beethoven partit en 1792 pour
Vienne, où il reçut les conseils de J. Haydn, conseils qui lui furent
fort utiles et dont il subit l'influence pendant toute sa première période
de production. Il travailla aussi le contrepoint avec Albrechtsberger,
auquel Haydn l'avait adressé pour parfaire son éducation technique.
Ce fut donc seulement après quatorze ou quinze ans d'études assidues
que Beethoven osa commencer à produire des œuvres, car on ne peut
compter pour telles les quelque quarante compositions, variations,
lieder ou morceaux d'ensemble, qu'il écrivit avant ses trois premiers
Trios, et dont il fit lui-même bon marché par la suite: ce ne sont, en
effet, que devoirs ou esquisses sans intérêt artistique.
Familier, malgré la rudesse de son caractère, avec l'aristocratie habi-
tant alors à Vienne, les Breuning, les Waldstein, les Lichnowsky,
Browne, Rasoumowsky, Erdody, qui lui facilitèrent à maintes reprises
la pratique de la vie, il put, jusqu'à la ruine de l'Autriche en 1809,
mener une existence relativement tranquille, entrecoupée seulement
d'amours incompris et de passions éphémères, et donner libre cours à
son génie novateur.
Flus tard, il connut la douleur physique et morale; la fin de sa vie
fut empoisonnée, d'une part, par la terrible infirmité qui, dès 1800,
avait attaqué son organe auditif, et lui enlevait bientôt toute possibilité
de communication immédiate avec le monde extérieur; ensuite, par
l'ingratitude et la mauvaise conduite d'un neveu qu'il chérissait
comme un tils.
CWKCNOLOG!E 325
Mais ces circonstances qui, chez des esprits moins hauts, eussent été
des causes d'anéantissement, ne firent que développer en lui le don
créateur; il sut se replier sur lui-même et se créa ainsi tout un monde
intérieur auquel nous devons ses œuvres les plus sublimes.
Depuis son départ de Bonn, où il faisait partie de l'orchestre de
l'Archevêque-Électeur de Cologne, Beethoven n'occupa aucun poste
officiel, ne fut titulaire d'aucune charge : seule, l'Académie d'Ams-
terdam (i) l'avait nommé membre d'honneur en 1809; quant à l'an-
tique et illustre Société Viennoise des Amis de la Musique {2), elle ne
commença à apprécier la valeur du musicien de génie qui végétait
dans la capitale de l'Empire, que quatre ans avant sa mort. Plus
clairvoyant, Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, avait fait ofirir, en
1809, à l'auteur de la Symphonie héroïque, des fonctions bien rému-
nérées que Beethoven refusa par patriotisme.
Animé d'une foi profonde en Dieu et en son art, Beethoven, comme
Bach, fut un grand chrétien : toutes les oeuvres de sa dernière manière
en témoignent, aussi bien que ses propres écrits. Il pratiqua toute
sa vie la sainte charité envers Dieu et envers son prochain, et mourut
en bon catholique, le 26 mars 1827.
L'œuvre de Beethoven se divise en trois époques, dont chacune est
caractérisée par un style absolument différent [3). Chez nul musicien,
en effet, les changements successifs et progressifs de l'âme ne se mani-
festèrent plus clairement et plus complètement que chez le poète de la
Sonate pathétique, de la Symphonie pastorale et de la Messe en ré.
Nous intitulerons ces trois manières si tranchées :
Période d'imitaticn, de 179.1 à 1801 (§ 9);
Période de transition, de 1801 à i8i5 (§ 10);
Période de réflexion, de 181 5 à i8ï6 (§11).
Voici, dans leur ordre de production, la liste chronologique des qua-
rante-neuf Sonatts de Beethoven, les seules de ses compositions dont
nous ayons à nous occuper dans ce chapitre :
(1) Maatshappij tôt Berordering vin Toonkunst.
(2) Gesellschatt der Musikfreunde.
Ces deux Sociétés existent encore à Amsterdam et à Vienne.
(3) L'un des ouvrages les plus utiles à consulter, pour bien connaître les Sonates de
Beethovrn, est un livre rédigé en français avtc des pensées allemandes per un auteur
russe, W de Lenz, et intitulé: Beethoven et ses trois styles (3 vol. : i'« éd., Siapleaux,
Biuxelles, 1834; l'éd., Lavinée, Paris, iN6t); 3« éd., Legouix, Paris, 1908). Ce livre est des
plus instructifs pour les élèves, parce qu'il fut écrit par un musicien et un enthousiaste. La
plupart des autres publications sur ces Sonates ne d nneni jusqu'à présent que d'inutiles
descriptions ou de sèches nomenclatures. Quelques écrivains ont même tenté de contester
cette classification des œuvres de Beethoven en trois manières successives; mais leurs
assertions sont sans aucun fondement: ce sont opinions de musicographes dont nous n'avons
pas a tenir compte ici, puisque nous noui adressons à des musiciens.
p6
LA SONATE DE BEETHOVEN
PREMIÈRE PÉRIODE (imitation) : 22 Sonates.
i7q5. 3 Sonates pour piano ; /a, la, f/r (dédiées à J. Haydn) . . Op. 2.
2 — pour violoncelle; fa, so/ (au roi de Prusse). . . — }■.
179b. I Sonate pour piano ; SOL — 49 n" 2.
— I — pour piano à quatre mains ; Rii — 6.
— 1 — pour piano ; Mlii {à la comtesse de Keglevics). . — /• —
1797. 3 Sonates pour piano ; wr, F.4, fiK (à la comtesse de Browne). — 10. —
1798. 3 — pour violon ; RÉ, la, Ml^ (à Salieri) — 12.
— I Sonate pour piano (pathétique); ut (au prince Ch. de
Lichnowsky) — i3. -
— 2 Sonates pour piano ; A//, SOL (à la baronne de Braun) . . — 14'
1799. I Sonate pour piano ; 50/ — 49 n» i.
1800. I — pour cor; FA — 17.
— I — pour piano; S/t> (au comte de Browne) .... — 22. ^
— 2 Sonates pour violon ; la, FA (au comte Pries) — 23.
DEUXIÈME PÉRIODE (transition) : 20 Sonates.
l8oi. I Sonate pour piano (fai/ora/e) ; «É (à J. de Sonnenfels) . Op. 28.
— I — pour piano ; LA\) (au prince Ch. de Lichnowsky). — 26.
— 2 Sonates pour piano (quasi fantasia] ; M/b (à la princesse
de Liechtenstein), ul S (à la comtesse G. Guic-
ciardi) — 27n»*iet».
1802. 3 — pour violon ; M, »/, so/, (à l'empereur Alexandre). — 3o.
— 2 — pour piano ; SOL, ré . ■ — 3i n»' 1 et2.
1803. I Sonate pour violon ; la (à Kreutzer) " . — 47.
— I — pour piano ; A//t> — 3r n» 3.
1804. I — pour piano ; fa, dilt appassionata (au comte F. de
Brunsviick) — 57.
— I — pour piano ; (/r (au comte Waldstein) — 33.
i8o5. I — pour piano; FA — .^4.
1808. I — pour violoncelle ;/,.< (au comte Gieichenstein). . — 69.
— I Sonatine pour piano ; SOL — 79.
1809. I Sonate pour piano; Kl 5 (àla comtesseThérèseBrunswik). — 78.
— I — pour piano; 1// [>, l'Adieu, l'Absence, le Revoir (k
l'archiduc Ro 'olphe) — 8i.
1S12. I — pour violon ; SOL (à l'archiduc Rodolphe). . . . -■ 96.
1814. 1 — pour piano ; mi (au comte Moritz de Lichnowsky). — 90.
TROISIÈME PÉRIODE (fétlexion) : 7 Sonates.
i8i5. ï Sonates pour violoncelle ; UT, RÈ (à la comtesse Erdody). Op. 102.
1816. 1 Sonate pour piano; lA (à la baronne Ertmann) .
1818. I — pour piano ; s<l> (à l'archiduc Rodolphe).
1820. I — pour piano ; M/ (à Maximilienne Brentano
1621. I — pour piano ; /..4 b
1822. I — pour piano ; uf (à l'archiduc Rodolphe). .
— 106.
— 109.
— 110.
— III.
Sur ces ^Har^«/e->feM/' Sonates, trente-deux sont écrites pour piano
seul : elles contiennent les plus importantes innovations du génie
SONATES POUR PIANO )J7
beethovénien et méritent une étude spéciale. On peut même les consi-
dérer comme le véritable « Évangile musical » du xix* siècle, dont tout
compositeur devrait connaître jusqu'aux moindres détails.
Nous donnons ci-après, dans l'ordre chronologique, le schéma ana-
lytique de chaque morceau avec quelques remarques, et l'analyse
détaillée d'une Sonate-tj^pe, au moins, dans chacune des trois manières.
Nous examinerons ensuite les principales particularités des dix Sonates
de violon et des cinq Sonates de violoncelle.
9. SONATES POUR PIANO. PRF.MIKRE MANIÈRE (iJQS A 1801).
La première wa«;ère (imitation) reste assujettie à la tradition, jusque
dans ses formules mêmes. Sauf dans quelques morceaux comme le
premier mouvement de la Sonate pathétique et le largo de l'op. lo
n° 3, les éléments musicaux et la forme n'y diffèrent pas notable-
ment du style galant établi par Emm. Bach, Haydn et Mozart.
Beethoven ne s'y élève même pas au niveau des dernières Sonates de
Fr.-W. Rust, tout à fait contemporaines de cette période ; il ne
cherche qu'à imiter ses modèles et se constitue ainsi peu à peu une
puissante personnalité, bien plus sûrement qu'en désertant avec la
témérité de l'inexpérience la route traditionnelle, pour s'engager
dans des sentiers sans issue.
Sonate op. 2 n° 1. — Dédiée à J. Haydn, « docteur en musique ».
— Composée en 1793.
— Éditée en mars 179G, chez Artaria, à Vienne.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
i* Allegro <;, en/a Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — Les doigtés des deux premières
— Th. B (b , b' , b"). mesures sont marqués par Beethoven
Dév. par b . lui-même.
Réexp. normale.
2" Adagio \, Qïi FA Type LS.
Exp. Th. de lied, A.
— Pont.
— Th. B, à la D.
RÉEXP. Th. A, à la T., enchaîné à
— Th. B, à la T.
3° Allegretto j, en/a . Type M.
Menuet -. Th. A. (i) et dév. de A. Rem. — Les doigtés de la descente en
Trio en FA. sixtes du trio sont marqués par
Da capo. Beethoven.
(1) Ce ihËme a éié cité ci-desiui, p. 304.
î»8
LA SONATE DE BEETHOVEN
Prestissimo <^,enfa{i) Type R.
Réf. i : Th. A, enchaîné à
Cotipl. I : Th. B, en ut.
Coup!. 2 : Elém. nouv. en LA b .
Réf. 2: Th. A, enchaîné à
Coiipl. 3 : Th. B, à la T.
Sonate op. 2 n" 2. — Dédiée à J. Haydn.
— Composée en 179?.
— Éditée en mars 1796, chez Artaria.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
i' Allegro vivace\, en la
Exp.Th. A, en deux éléments (a et .1").
— Pont vers la D.
r 6, en mi.
— Th. B ( *" (tiré de a ) en Ml.
( b"' (tiré de p.]
Dev. par j .
— par a" en fa.
Réexp. normale.
2» Largo appassiouato -, en RÉ (2). . .
Rem. — Cette forme ne tient du Ron-
deau que par le thème différent qui
constitue le deuxième couplet, et rem-
place le développement.
Type S.
I. Th. de lied, à la T.
II. Section modulante.
m. Th. à la T.
IV. Dév. du Th.
V. Th., à la T.
3° Alkirrello 2, en la.
. . c . . . . Type LL.
Rem. — Le thème de ce Largo semble
être une esquisse de i'AïUaiue du
Trio op. 97.
à laT.
menuet!, b, en sol S.
( a, à la 7".
Trio, en la.
Da capo.
4» Rondo gra^ioso c, en LA.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. et th. B, à la D.
Réf. 2 : Th. A.
i : Elém. nouv. en /j.
Tn. A.
3 : P. et th. B à la T.
Th. A.
4 : Dév. du th. A.
— du coupl. 2.
Période initale de A.
Conclusion
Coupl.
Réf. 3
Coupl.
Réf. 4
Coupl.
Réf. 5
Type M.
Re.m. — Malgré son titre Schenfo, cet
Allegretto doit être considéré comme
un Menuet, par la forme de son
thème (3).
Le trio est écrit d'après un chant slave.
Type RS.
Rem. — Rondeau-Sonate tout à fait
conforme au type étudié ci-dessus
(p. 3l2).
Le thème B est très peu important et
change de rythme, quand il revient
au troisième couplet, disposition fré-
quente chez Mozart.
(i) Haydn, tout en trouvant que Beethoven c avait encore beaucoup à apprendre », apprécia
hautement ce hnale, appelé par les critiques d'alors a une indécente monstruo.'iué ».
(1) C'est cette pièce qui a été analysée cl-dcssus (p. 391 et suiv.l dans la section technique,
comme modèle du type lied développé en cinq .sections (l-L).
[X Ce thème a été cité ci-dessus, p. 'io\, avec celui du Menuet de la Sonate r'ccédenie
(op. 3 B" 1).
SONATES POUR PIANO 339
Sonate op. 2 n° 3. — Dédiée à J. Haydn.
— Composée en 1795. — Éditée en mars 1796, chez Artaria.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.):
i' Allegro coti brio C, en UT. Type S.
Exp. Th. A. Rem. — Suivant un ancien usage ita-
— Pont. lien, le thème B entre par la domi-
b en sol. nante mineure (sol) et change de
— Th. B. I b" en SOL (tiré de p.) mode ensuite.
. b*.
DÉv. par b".
— par a.
Réeip. normale,
— avec Dév. ttrminal, cadence
et dernière rée.xp. de A.
2° Adagio |, en mi Type LL.
I. Th. binaire à la T".
II. Section modulante.
III. Th. à la T.
IV. Dév. du th. et de la section 11,
V. Th. à la T.
3° Allegro |, e;i f/r Type M.
SCHERZO: Th. développé à la T. Rem. — Le thème du Scherzo de I2
Trio en la. Symphonie italienne de Mendelssohn
Da capo et Coda. est, sans doute, inspiré de celui-ci.
4' Allegro assai g, en ut Type RS.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. et th. B à la /).
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Elément nouveau en FA.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B. à la T.
Réf. 4 : Th. A, avec cadence et Coda.
Sonate op. 49 n» 2. — (Sans dédicace).
— Composée en 1796.
— Editée en janvier i8o5, au Bureau des Arts et de l'Industrie.
— En deux mouvements (S. R.) :
i" Allegro ma non troppo (i;, en sol Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — Le début du th. B. est iden-
— Th. B (b', b", *•) en RÉ. tique à celui de la seconde idée dans
Dév. réduit à 14 mesures. la pièce initiale de la Sonate pour
RéEXP. normale. deux pianos de Mozart.
2* Tempo diMinuetto j, en sol Type R.
Réf. I : Th. A, à la T. Rem. — Le refrain (A) est le thème du
Coupl. I : Th. B, à la D. Menuet du Grand Septuor, op. 20;
Réf. 2. Th A. mai.s ce ihème est traité ici en Ron-
Coupl. 2 : Elém. nouv., en UT. deau, malgré son rythme de Menuet.
Réf. 3 : Th. A. et Coda.
^^0 LA SONATE DE BEETHOVEN
Sonate op. 7. — Dédiée à la comtesse Babette von Keglevics.
— Composée en 1796. — Éditée en octobre 1797, chez Artaria.
— En quatre mouvements (S. L. M. R ) :
1° Allegro molto e con brio \, tn Mi\> Type S.
Exp. Th. K. Rem. — La phrase b' du second thème
— P., avec préparation tonale du |B) contient une modulation assez
b modulant. éloignée, en HT,
— Th. B b".
\ b" avec coda en SI^,
DÉv. par a.
— par coda de b".
Réixp. normale,
— avec Dev. <erm. par t'.
2° Largo, con gi-an espress'one j, en ut Type LS.
Exp. Th. de lied A, à la T.
— Th B, modulant.
RÉEXP. Th. A, à la T.
— Th. B. à la T.
— Conclusion.
3° Allegro j, en A//t> Type M.
Menuet : Th. développé à la T.
Trio en mii> .
Da capo.
4° Rondo. Poco allegretto e gra'^ioso '-, en mi 7. . . . Type R.
Réf. I : Th. A, à la T. Rem. — Ce Rondeau est le premier qui
Coupl. I : P. et th. B, à la D. se termine par une phrase concluante
Réf. 2 : Th. A. différente du refrain.
Coupl. 2 : Elém. nouv. en ut.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B, à la T.
Réf. 4 : Th. A.
Coupl. 4: Dév. et phrase concluante.
Sonate op. 10 n» I. — Dédiée à la comtesse de Rrowne (i).
— Composée en 1797.
— Editée en septembre 179b!, chez Edcr, à Vienne.
— En trois mouvements (S. L. S.) :
1° Allegro molto e con brio ^, en ut Type S.
Exp. Th. A. Rem. - La première phrase b de la
— Pont mélodique. seconde idée (B) est la reproduction
/ b . d'un thème de Haydn appartenant a
— Th. B '. b" (rythme de <j). la Sonate qui porte le n" 3!S 1". Ce
\ b" tiré de;». même thème reparaît dans plusieurs
autres œuvres Je Beethoven.
(i) Voici comment turcn( jugées les trois Sonates op. 10, lors de leur apparition, -par
VAIIgemei'ie Musik Zeitung (179g) : « L'abondance des thèmes amène Beethoven à
■ccuoiuler des pensées sans ordre et dans de bizarres groupements, de telle sorte que son
■n partit artificiel et reste obscur. 1
SONATES POUR PIANO ,3,
Dév. par a. Kem.— Observer ici la vérification de ce
— par thème nouveau, amplification qui a été dit de l'influence de la modu-
de ;j, en /(J et il t". lation en F/t dans les œuvres de Bee-
— par marche vers la D. thovenen.W/t» ou ut. La fausse entrée
Rkexp. Th. A. de h' en fa semble ici une esquisse
— P. vers fa de l'entrée de cor en FA, dans la
— fausse entrée de b' en FA. Ill» Symphonie (en A/Zb).
— Th. B(6', b\b') à la T.
1" Adagio tnolto |, en Z..4 i) Type LS.
Exp. Th. binaire A, à la T.
— Pont modulant.
— Th. B, à la D.
Réexp. Th. A., à la T.
— Pont modulant.
— Th. B, à la T.
— Phrase concluante.
3' Prestissimo (^, en ut Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — C'est la première fois que
Îb' en A//t). Beethoven emploie cette forme S
b" tiré de a. (mais en mouvement plus rapide) a
b". titre de finale. '
Dév. réduit à i 1 mesures.
Réexp. normale,
— avec petit Dév. terminât.
Sonate dp. 10 n* 2. — Dédiée à la comtesse de Brov.ne.
— Composée en 1797. — Éditée en septembre 1798, chez Eder.
— En trois mouvements (S. M. S.) :
i» Allegro j, en F.4 Type S.
Exp. Th. A ^a' et a"). Rfm. — Le thème A se décompose en
— Pont. deux éléments, et c'est le second [a"}
— Th. B(b>,b",b'") en UT. qui marque le début de la véritable
Dév. par coda de b", vers la D. de ré. reexposition au ton principal FA.
— rentrée de a en RÉ.
Réexp. par a" en FA.
P. et th. B(*',t", fc").
2." Allegr-etto \, tn fct [i) Type M.
Scherzo ; Th. (a, b, a). Rem. — Le rythme du thème est par
Trio en RÈ t>. quatre mesures. Ce Scherzo olTre une
Da capo avec modification agogique. grande analogie avec celui de la
V* Symphonie.
3° Presto j, en F,4 Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — Ce finale est sur un rythme
— Th. B (rythme de a) en UT. unique. Le thème A offre une ana-
DÉv. rythmique de a. logie avec le fugato qui se trouve
— repos par th. B, exp. en RÉ. dans ï'Andante de la 1" Symphonie
Réexp. Th. A, enchaîné à ('799).
— Th. B, en fa.
(i) Ce Scherzo a été analysé ci-dessus (p. 3o5) dans la section technique, comme modèle
du type M.
33»
LA SONATE DE BEETHOVEN
Sonate op. 10 n" 3. — Dédiée à la comtesse de Browne.
— Composée en 1797. — Éditée en septembre 1798, chez Eder.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
I» Presto <:, en RÉ Type S.
Exp. Th. A, dont la cellule initiale (a) fait le fond des deux idées et des
développements :
(\) Première, idée
Presto
— Pont mélodique de 51 à la.
b' par la cellule j, en M.
Th. B ! b< rythme de A.
b" coda.
conde id
Dév. rythmique de A
Réexp. normale,
— avec Dév. term. de la cellule a
et conclusion.
2" Largo e meslo g, en ré. . .
I. Th. binaire, à la T.
— repos médian en VT.
— cadence en la.
II. Section modulante, de FA à re.
III. Th. à la T.
— repos médian en SI \>.
— cadence à la T.
IV. Dév. de la sect. 11 et du th.
V. Concl. par le th. en fragments.
. Type LL.
Rem. — La construction tonale du
thème est difTérente a chacune de
ses expositions. La première fois, fl
module en HT et conclut à la £). ; la
deuxième fois, il module en S/ > et
conclut à la T.; la troisième fois, il
est réduit à des fragments, sur la T.
La IV' section contient un admirable
modèle de dév. dynamique, qu'il
convient de signaler :
SONATES POUR PIANO
•5-53
Type M.
Type R.
3" Allegro -, en ré
MENUET (a, b, a et conclusion).
Trio en SOL.
Da capo.
4° Rondo. Allegro C, en RÉ. .
Réf. I ; Th. A, à la T.
Coupl. I : Pont et th. B à la O.
Réf. 2: Th. A.
Coupl. 2 : Elément nouveau.
Réf. 3: Th. A.
Coupl. i : Pont et th. B à la T.
Réf. 4 : Th. A et Coda conclusive.
Sonate op. 13. — Dédiée au prince Karl von Lichnowsky.
— Composée en 1798.
— Éditée en 1799 chez Eder, sous le titre Grande Sonate Pathétique.
— En trois mouvements (S. L. R.). — Cette œuvre, la plus avancée
et la plus complète comme structure, assurément, de toutes celles
qui appartiennent à la première manière, offre un exemple de véritable
cellule cyclique, influençant directement chacun de ses trois mouve-
ments constitutifs ; dans le premier (S), la cellule (contenue implicite-
ment dans l'introduction) forme la phrase initiale (i'j de la seconde idée:
dans le deuxième (L), on en retrouve la trace dès les prem ières mesures
dans le final (R), la même cellule orme également le thème du refrain
La Sonate débute par une introduction Grave, d'une nature
toute différente de celle des autres introductions qui se rencontrent
dans la première manière. Elle se mêle, en effet, d'une façon étroite à
la marche du premier mouvement, se posant en antagoniste de la
première idée et prenant une part active au développement pour
reparaître à la fin, vaincue et démembrée. Cet emploi du thème d'in-
troduction est rare chez Beethoven, et nous ne le retrouverons plus que
dans les derniers Quatuors.
4 LA SONATE DE BEETHOVEN
I Grave C, et Allegro niolto e cou brio Ç, en ut.
Exp. Jnlrod. Grave i, à la T.
(.r;iv,
Type S.
©y/
Le dessin ainsi présenté dans Vintroduclton contient les notes caractéris-
tiques {ut, ré, mi b) de la cellule cyclique ; il s'expose en une phrase de
forme binaire : après une cadence médiane au Relatif (Mi\>), il repari
vers la D. à'iit et s'enchaîne à Y Allegro.
Th. A., première idée qui ne termine pas et s'infléchit vers la D. :
T.@ P
Pont assez court issu de l'idée A et préparant le ton de mi:> par sa D.
Th. B, seconde idée en trois phrases (b , b", h") :
— b' s'établit au ton de mi t> et module ensuite :
— b" de forme plus agogique est dans le ton de .\/H>
b'" n'est qu'un simple trait conclusif formant cadence
— — ce trait est suivi d'un rappel du thème A.
— Grave 2. Le thème de Viniroduction reparaît ici en sot ; mais il semble
mutilé et meurtri : il quitte ce ton, comme pour s'échapper, et se dirige
vers le ton de mi tJ, où va commencer une véritable lutte (1) entre les deux
thèmes principaux de l'oeuvre.
(i) C'est évidemment cette lutte a laquelle Beethoven faisait allusion lorsqu'il disait à
Schindicr : « Deux principes également dans la partie médiane de la Pathétique... > (Voir
ci-dessut, p. 261, en noie.j
SONATES POUR PIANO ■^^^
Dév. : le dessin rythmique du ponl, issu de l'idée A, se pose en antagoniste
du thème du Grave, dont le mouvement est devenu plus vif :
— Ce combat entre les deux thèmes de caractère contrastant, n'est pas de
longue durée : parti de mi B, il aboutit bientôt à la D. d'ut, où une sorte de
joyeuse fanfare amené la réexposition.
Réexp. Th. A., qui s'amplifie un peu avant l'entrée de la seconde Idée.
. b' en fa (i) modulant vers la D. d'ut.
— Th. B V b" en ut.
{ y en ut.
— Grave 3. Le thème de V introduction reparaît ici une dernière fois, sur la D. ;
mais son accord initial a disparu, comme si le combat l'avait privé d'un de
ses membres ; vaincu définitivement par le thème A, il lui cède la place, et
celui-ci, seul, termine joyeusement la pièce, assez différente, comme on voit,
du cadre conventionnel du type S.
• Adagio cantabile ^, en la\>. . .
I. Th. primaire à la T. (la b) avec
reprise textuelle.
n. Élément mélodique nouveau.
III. Th., sans reprise, à la T.
IV. Dév. d'un élém. nouveau modu-
lant de /a t) à la D. de LA\>.
v. Th. avec reprise, à la T., gardant
le rythme en triolets de la sec-
tion précédente.
— Coda conclusive.
3» Rondo. Allegro ^, en ut. . . .
Réf. I : Th A à la 7^. Ce thème est formé par la cellule générale :
(A) RF.KHAI.S
A
Type LL.
Rem. — Cette pièce lente, en forme de
grand Lied à cinq sections, n'a d'autre
particularité que la relation théma-
tique qui relie plus ou moins nette-
ment les dernières notes de son des-
sin initial (voir ci-dessus, p. 333) avec
la cellule générale de toute l'œuvre.
Type R.
Coupl. I . consistant en un ponl très court suivi d'une véritable seconde idée
(B) en trois phrases it', b", b"), au Relatif. A//t> :
(i) Peut-être y a-t-il ici encore un exemple de la tendance précédemment signalée (p. 323)
de l'auteur à moduler vers FA, dans les compositions écrites avec trois bémols A la clé,
c'cst-à-idre en ut, comme celle-ci, ou en Ml l
336
LA SONATE DE BEETHOVEN
Réf. 2 : Th. A, i la T.
Coupl. 2 : Élément nouveau, comme dans tout Rondeau de ce type; ce dessin,
plus calme, s'expose en LA t>.
Réf. 3 : Th. A., enchaînant sans transition à la seconde idée.
Coupl. 3 : Sorte de résumé du th. B, à la T., réduit à ses deux premières
phrases (b' et b") seulement.
Réf. 4 : Th. A. suivi d'une importante conclusion, dans laquelle se produit
(neu/ mesures avant la fin) une sorte de rupture sur la D. dt LAb. A ce mo-
ment apparaît un souvenir du thème du refrain, privé de sa note initiale
(de la même manière que le thème de l'introduction, à la fin du premier mou-
vement). Bien qu'il n'y ait aucune indication dans les premières éditions de
cette Sonate, il est évident que ces six mesures (rappel du th. A) doivent
s'exécuter plus lentement et avec une certaine hésitation, pour mieux pré-
parer l'explosion du trait fulgurant qui termine l'œuvre.
Tout ce finale est éminemment expressif: on ne doit point l'inter-
prétera à la Haydn », comme il arrive trop généralement. W. de Lenz
l'a fort bien dit (i) : « Il faut savoir élever ce Rondeau à une expression
pathétique. »
Sonate op. 14 n° I. — Dédiée à la baronne von Braun.
— Composée en 1798.
— Éditée en décembre 1799, chez Mollo, à Vienne,
— En trois mouvements (S. M. R.) :
1° Allegro c» en mi.
Type S.
Exp. Th. A., à la T.
— P. par a.
— Th. B. (b , b", b"] en si.
Dév. par th. A.
Réexp. normale avec conclusion.
|i) Op. cit., vui. I, p. 134.
SONATES POUK HIANO 317
i'^ Allegretto ', en w» Type M.
Scherzo -. Th. A et dév. de A.
Trio en UT.
Da capo avec coda spéciale.
3" Rondo. Allegro commodo 0, en j// Type R.
Kef. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. et th. B., à la D.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 3 : Élém. nouv. en SOL.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B., à la T.
Réf. 4 : Th. A et conclusion.
Sonate op. 14 n° 2. — Dédiée à la baronne von Braun (i).
— Composée en 1798. — Éditée en décembre 1799, chez Mollo.
— En trois mouvements (S. L. R.) :
i' Allegro l, en SOL Type S.
Exp. Th. A, à la T.
— Pont mélodique.
— Th. B (b , b', b") en RÉ.
Dév. par a en 50/ et b' en 5/ s.
— marche par a.
— repos par a en w/jj.
— conduit.
Réexp. normale avec conclusion par A.
2" Aiidante C, en UT Type LV.
Th. de lied et quatre variations.
3° Sdm-{o. Allegro assai g, en sol Type R.
Réf. I : Th. A. à la T. Rem. — l-e thème A, malgré le titre
Coupl. I : Période accessoire en ttii. Scherjo, est un thème de Menuet ;
Réf. 2 : Th. A. mais la forme de cette pièce est bien
Coupl. 2 : P. et élém. nouv. en UT. celle du Rondeau.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. vers D. de fa.
Réf. 4 : Th. A, rentrant par FA au ton
principal.
Coupl. 4 : Conclusion mélodique de
A, en SOL.
Réf. 5 : Th. A, avec Cod.i.
Sonate op. 49 n° I. — (Sans dédicace).
— Composée en 1799.
— Editée en janvier i8o5, au Bureau des Arts et de l'Industrie
(1) Ces deux Sonates, op. 14, sont celles à propos desquelles Schiodler explique les idées
de Beethoven sur les Jeux principes antagonistes dont nous avons parlé ci-dessus fp. 262) :
c das bittende Prinjip und das widerstrebende Prin^ip. >
Cours de compositio.s. — t. 11, 1. aa
3^8 LA «ONATE DE BEETHUVEM
— En deux mouvements (S. R.) :
2° Aiuiante j, en sol Type S.
Exp. Th. A, à la T, enchaîné à B.
— Th. B, très court, en Si b.
Dév. par b.
Réexp. normale.
2* Rondo. Allegro g, en sol ', Type R.
Réf. 1 : Th. A, à la T.
Coupt. I : P. et th. B, en Si b.
Réf. 2. Th. A.
Coupl. 2 : P. et th. B, en SOL.
Réf. 3 : Th. A. et conclusion.
Sonate op. 22. — Dédiée au comte de Browne.
— Composée en i8oo.
— Éditée en 1802, chez Hofmeister, à Leipzig, sous le titre Grande
Sonate.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Allegro cou brio C, en sii> T3'pe S.
Exp. Th. A (a' et a") à la T.
— Pont par a' .
— 'Y)\.B{b',b",ir)tnFA.
Dtv. par a' et coda de fr".
— marche par modulations sombres : de so/ îi /a par SD.
Reexp. normale.
2" Adagio COU violl' espressioiie l en Mit) Type SL.'
Exp. Th. A, à la T. Kem. — Seul exemple d'un mouvement
— Pont mélodique. lent (L) ayant tous les éléments du
— Th. B, ensi'b. type S, _;' compris le développement
Dév. par a.
Réexp. normale.
3° Menuetto \, en 5/t. Type M.
MENUET : Th. A et dév. de A.
Trio en sol.
Da capo.
^^ Rondo. Allegretto j, en 5/|> 'ype R.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : Th. B. de S/ t> à F>4.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. a : Th. B, en SI b, et élément nouveau.
Réf. 3 : Th. A, avec variation.
Coupl. 3 : Th. n, en S/t».
Réf. 4 : Th. A (autre variation) et phrase concluante.
SONATES POUR PIANO
lO. — SONATES POUR PIANO. DEUXIKMK MANIÈRE ( I 8o 1 A I 8 I 5).
La deuxième manière {transiiion) apparaît dès l'année 1801 : on sent
alors chez Beethoven une sorte d'inquiétude, la préoccupation de faire
autrement que ses devanciers et de les surpasser, s'il se peut, par
quelques géniales mais incomplètes innovations. Dans ses nouvelles
oeuvres, souvent très proches déjà de la perfection, il se garde bien de
répudier les anciennes formes établies : il s'efforce au contraire de les
adapter à l'état de sa pensée et de ses aspirations, désormais incompa-
tibles avec le vieux « formulaire musical » un peu conventionnel, dont
il s'était contenté jusqu'alors.
Dans les op. 26 et 27 n" i, il essaie d'abandonner totalement la pièce
de forme Sonate (S) ; mais bientôt il sent que ce point d'appui indis-
pensable ne peut être complètement supprimé de la Sonate sans
compromettre son équilibre ; il affecte alors le type S au finale (op. 27
n° 2, op. 3i n» 2, op. 3i n" 3, op. bj et op. 81) et abandonne presque
totalement la forme Rondeau (type R) en créant, pour remplacer ce mou-
vement gai et alerte, un type nouveau grefle sur l'ancienne forme du
Menuet : le Scherzo beethovénien. Peu après, repris par sa passion pour
la haute architecture, ce n'est plus seulement le Rondeau qu'il proscrit,
mais toutes les autres formes adoptées jusqu'alors pour les différents
mouvements, et cela au bénéfice exclusif du type S, qu'il laisse régner
en maître sur toute la construction ; à cette époque de sa vie, nous
rencontrons des œuvres comme les Sonates pour piano, op. 3i n° 3,
op. 57 et op. 81 ; pour violon, op. 47; pour violoncelle, op. 69 (sans
parler des trois Quatuors à cordes, op. 59), dont presque toutes les
pièces (parfois jusqu'à trois sur quatre) sont construites dans la forme
Sonate proprement dite (type S).
Les conventions mélodiques et harmoniques ne sont pas moins
transgressées par Beethoven, à partir de cette période, que les grandes
conventions rythmiques dont Mozart ne s'écarte jamais ; nous voyons
des phrases de mode mineur s'assom.brir vers les quintes graves et
s'arrêter, comme épuisées, sur cette dominante réelle de leur mode,
pour remonter ensuite, en douloureux efforts, vers la tonique d'où elles
sont tombées (i) ; nous assistons à des échanges rythmiques entre les
idées d'une même pièce (op. 57) et à des innovations dans les rapports
entre les tonalités de ces idées (op. 53), toutes dispositions dont on ne
trouve nulle trace dans \i première manière.
(1) Voir notamment l'Adagio initial de l'op. 27 n" 2 et la pièce lente symbolisant
YAbieiice, dans la Sonate, op. 81 {LebewohI),
14»
LA SONATE DE BEETHOVEN
Sonate op. 28. — Dédiée à Joseph de Sonnenfels.
— Composée en 1801.
— Éditée en 1801, au Bureau des Arts et de l'Industrie (intitulée
Sonate Pastorale dans l'édition Cranz, de Hambourg).
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Allegro l, en RÉ Type S.
Exp. Th. A (a' et a"); la période a' que nous avons citée ci-dessus (p. 246)
n'est qu'une fonction de SD-, dans laquelle apparaît un septième
degré" baissé (u/ b1 nullement modulant; \a.\-éniah\s période génératrice
est dans l'élément a":
— Pont mélodique préparant la seconde idée et contenant toute la phrase b' ,
mais en forme modulante.
ib' en LA.
b" répétition de b une tierce plus haut.
b" complément.
Dév. tiré tout entier de la période génératrice a" , qui se condense peu à peu
en elle-même et finit par s'éliminer complètement. Il convient d'in-
diquer ici les états successifs de cette période a", véritable modèle
d'élimination, aboutissant à la D. de si :
Oi'v. dr a" par .i"-^ deux dfrniéres mesures:
TT ^?r TT' 7 TT
.Mrnu- .l.sSin n'iiuil
rtÉF.xp. normiilc avec conclusion par la période génératrice ij".
SONATES POUR PIANO ^4,
2" Andaiite j, en re Type L.
I. 1 h. de lied avec reprises, en ré.
II. Elément nouveau en HÉ.
m. Th. en ré avec variations.
— conclusion par l'élément 11.
y Scherzo. Allegro virace l, en HÉ (i) Type M.
Menuet : Th. A et dév. de A. Rem. — Malgré son titre, cette pièce
Trio en st. est un Menuet par le rythme de son
Z)j capo. thème.
4° Rondo. Allegro ma non Iroppo g, en Rli lyP^ ^•
Réf. I : Th. A, à la T.
Coiipl. I : P. et th. B, à la D.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Élém. nouv. en SOL (rythme de A;.
Réf. 3 : Th. a.
Coupl. 3 : P. et th. B, à la T.
— fausse rentrée de A, à la SD.
Réf. 4 : Variation concluante de A.
Sonate op. 26. — Dédiée au prince Karl von Lichnowsky.
— Composée en 1801.
— Editée en mars 1802. chez Cappi, à Vienne.
— En quatre mouvements (L. M. M. R.) (2) :
1° Andante con Vat iaiioni '^, en LA i {?<) Type LV.
Th. de lied avec cinq variations et phrase concluante complétant le thème.
2' Sc/ier:{0. Allegro molto -, en la t> Type M.
SCHERZO : Th. A et dév. de A.
Trio en RÉ b, à la SD., avec rentrée.
Da capo.
Z' Marcia funèbre sulla morte d'un Eroe. Maesloso an-
dante C, en la ^ ... Type M.
Makche : Th. de lied :
i a en la b, vers RÈ-Ml \fo. Rem. Malgré son caractère, cette Marche
< b de RÉ k la b. n'est pas autre chose qu'une forme M.
' a' conclusion.
Trio en LA \>.
Da capo avec Coda.
(i) Opinion de l'Allgemeine Musik-Zeitung (1802, p. 190) sur cette Sonate : « Le premier
morceau et le troisième sont originaux jusqu'à l'extraordinaire, jusqu'à l'aventureux. »
(2) Cette Sonate est la première qui ne contienne aucun mouvement du type S. Il en sera
de même de la suivante (op. 27 n» i)et de l'op. 64 (voir ci-après, p. 353).
{3) Lire dans W. de Lenz {op. cit., vol. Il, p. 150) l'anecdote sur le trille de la vingt-lroi
sième mesure de cet Andante.
LA SONATE DE liEETHOVE.N
4» Allegro l, en la :• Type R.
Réf. 1 : Dessin A à la 7".
Coupl- I : Dessin analogue B à la D.
Réf. 2 : Dessin A.
Coupl. 2 : Dessin analogue, en ut.
Réf. 3 : Dessin A.
Coupl. 3 : Même dessin que B à la 7^.
avec conclusion à la T.
Rem. — Ce Rondeau, sorte de >tiouve-
ment perpétuel, n'a pas de thème très
caractérisé, ni de refrain rinal.
Sonate op. 27 n" I. — Dédiée à la princesse von Liechtenstein.
— Composée en i8oi.
— Éditée en mars i8o3, chez Cappi, sous le titre Sonata quasi utia
Fantasiti.
— En trois mouvements, enchaînés (L. M. R.) :
1° Andante (^ et Allegro"^, en. siiv l'ype LL.
Rem. — Sauf le mouvement différent de
la IV* section, ce morceau est tout à
fait conforme au type lied développe.
— L'indication de l'enchaînement au
morceau suivant est indépendante de
sa construction.
Andante : th. binaire à la T.
— élém. nouv. en MI b.
th. à la T.
élém. nouv. en VT.
th. à la T.
m. —
IV. Allegro
V. Andante
2° Allegro niolto e vivace l, en «/ Type M.
Scherzo : Th. A et dév. de A.
Trio en LA \> (rythmique).
Da capo, avec modification agogique
tout à fait analogue à l'exemple
cité ci-dessus (p. 3o5).
Rem. — 1,'indication d'enchaînement
à VAdagio est également indépen-
dante de la construction de ce
Scherzo.
3" Adagio cou espressione\, en Z..4 b (i) et Allegro vivace^,
en A// " Type R.
Introduction : Adagio.
— phrase de lied à la SD.
enchaînant au finale.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. (par a).
— Th. B. (f et fc")en S/ b.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : dév. de a (autre rythmei.
— dév. de bi vers la /).
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B en SU 9 avec
cadence à la D.
— 1" période de V Adagio à la
T. et cadence.
— Conclusion par rythme a.
Rem. — Cette phrase de Ited, servant
d'introduction au finale dont elle est
inséparable, y occupe la fonction de
SD. au début et de T. à la fin, comme
dans une cadence plagale. — Ce thème
de lied semble être une esquisse de
celui qui sera applique par Beethoven
au personnage de Florestan, dans
Fidehu,
(i) On a signale dans la section technique du présent chapiirc (p. ^oi et 3>?) le c«« parti-
culier de ceiie phrase lente d'introduction au li'iale.
SONATES POUR PIANO -j^-j
Sonate op. 27 n» 2. — Dédiée à la comtesse Juliette Guicciardi.
— Composée en 1801.
— Éditée en mars i8o3, chez Gappi, sous le titre Sonata quasi tina
Fantasia dedicata alla madamigella conlessa Giulietta di Guicciardi.
— En trois mouvements (L. M. S) :
1° Adagio sostenuto (s;,, ^vi ut9{i) Type L.
I. Th. de lied allant de la T. à la SD., laquelle doit être considérée ici
comme une véritable dominante de mode inverse. Ce th. est construit sur
le même arpège de T., qui reviendra dans le Presto, en forme violente et
agitée, aboutissant toujours à un appel répété du solU{a):
Adagio sostenulo
PP
WWW
n. Dév. du th. et du dessin d'accompagnement.
III. Th. à la T. avec cadence conclusive par la sixle napolitaine (z).
2" Allegr-etto ^, en RÉi>-UTS Type M.
Scherzo : Th. A et dév. de A. Rem. —Ce Scherzo doit être joué immé-
Trio en RÉ \>. diatement après VAdagio, mais il
Da capo. n'y a pas d'enchaînement réel.
3' Presto agitato C, en ut9. . ■ Type S.
Exp. Th. A, infléchi vers la D., et reproduisant l'appel du sois {a), à la fin de
l'arpège initial de T. :
f *■ mélodique. Rem. — La cadence par la sixte napo-
— Th B ^ *" P'®'" d'une exprès- litaine (demi-ton supérieur) apparaît
sion douloureuse.
6* conclusion en sol 5.
à la fin de b' et de b" .
(i) Dans la première édition, Beethoven met cette indication pour V .\dagio : Si deve
suonare lutto questo pejjo delicatissimamente e sen^^a sordini.
Le nom de Mondscheins-Sonate (Sonate du Clair de lune) par lequel on désigne
souvent cette Sonate, ou plutôt son Adagio initial, ne vient nullement de Beethoven : c'est le
critique et musicographe Rellstab, qui avait cru pouvoir comparer cette œuvre à une
excursion nocturne sur le lac des Quatre-Cantons.
11 est plus vraisemblable que cette Sonate est liée, dans l'esprit et le cœur de Beethoven,
i son amour malheureux pour Giulietta Guicciardi, qui avait alors dix-sept ans. C'est
pendant l'été 1802 que les parents de la jeune fille refusèrent sa main à l'auteur. Cette
rupture, coïncidant avec les premiers symptômes de ta surdité, causa h Beethoven un dou-
loureux accablement : on en trouve la trace dans le Testament d'Heiligenstadt, qui date
d'octobre 1802. En novembre i8o3, Giuliefa Guicciardi épousa le comte de Gallemberg.
Voir à ce sujet la conversation rapportée par Schindicr [op. cit., p. 279).
(j) Voir ci-destus (p. J48) l'explication relative à celte sorte de cadence.
,^4 LA SONATE DE BEETHOVEN
DÉv. par a, puis b' , vers la SD. mo- — Cette même cadence revient dans le
dulant à la sixte napolitaine. développement et affirme la symétrie
Réexp. Th. A, suivi immédiat de établie entre V Adagio initial et le
— Th. B (i', t", i"') en u/S. Presto par l'arpège ascendant de
— Dév. term. par b' exp. à la T. tonique et l'appel du sol (a).
— Conclusion par b".
Sonate op. 31 n» I. — (Sans dédicace).
— Composée en 1802. — Éditée en i8o3, chez Naegeli, à Zurich,
dans le Répertoire du Claveciniste .
— En trois mouvements (S. L. R.) :
\° Allegro vivace -^^ tn SOL Type S.
Exp. Th. A, en SOL. Rem. — C'est le premier exemple de
— P. en deux élem. tirés de a. l'emploi d'une tonalité voisine autre
( b' en SI. que la dominante ou le relatif pour
— Th. B < b" en si, modulant. la seconde idée.
( b" concl. en si.
Dév. rythmique par élém. de a.
Réexp. Th. A, en SOL, suivi de B.
1 b' en ML
— Th. B \ b" de mi à SOL.
{ b" en SOL.
— Dév. term. par a [i).
2' Adagio gra\ioso |, en UT Type L.
I. Th. de lied: a, à la T. Rem. — Ce thème a quelque analogie
— a, infléchi à la D. avec celui de l'air d'Ariel, dans la
— b modulant. Création, de Haydn.
— a' , k\& T.
II. Élém. nouv. modulant.
m. Réexp. variée du th. A (a, a, b, a').
— phrase concluante.
3' Rondo. Allegretto 0, en sol Type R.
Réf. I : Th. A (a' et a") avec reprise. Rem. — Après cette Sonate, la forme
Coupl. I : P. et th. B en RÉ. Rondeau disparaît de l'œuvre de
Réf. 2 : Th. A {a' et a"). Beethoven, pour ne reparaître qu'à
Coupl. 2 : Dév. modulant de a' et a". partir de l'op. 53.
Réf. 3 : Th. A (a' et a') avec reprise.
Coupl. 3 ; P. et th. B, à la T.
— Péd. de D.
Réf. 4 : Th. A, par fragments ralentis.
— Conclusion rapide.
Op. 31 II» 2. — (Sans dédicace).
— Composée en 1802. — Éditée en i8o3, chez Naegeli.
— En trois mouvements (S. L. S.) :
(1) A propos de ce développement terminal, on peut voir dans les Notices biographiques
sur Beethoven, de K. Ries (p. 88), une anecdote relative aux quaire mesure» qui y au-
raient été ajoutées par l'éditeur.
SONATES POUR PIANO
345
I* Largo et Allegro C, en ré Type ^ S.
Exp. Th. A (a' Largo, a" Allegro).
— Pont mélodique, par a'.
— Th. B (*',*",*-) en la.
Dév. par a' , a" et p.
Réexp. Th. A, modifié :
— — Largo (a') avec récitatifs.
— — i4//e^ro (a") modulant.
— Th. B (*',*",*") en re.
Rem. — Le Largo initial (simple arpège
de dominante) joue un rôle important
dans la construction de cette pièce,
où il reparaît, au début du dévelop-
pement et de la réexposition, avec
des amplifications d'ordre presque
dramatique.
2° Adagio l, en si\>{\\
Exp. Th. A, phrase binaire.
— Pont modulant vers laZ). it FA.
— Th. B en fa et conduit mélod.
RÉEXP. Th. A à la r.
— P. modulant vers la D. de SI 9.
— Th. B, en Si 9 et conduit
avec Coda concluante par a.
Type LS.
Rem. — Cette pièce lente étant du
type LS {Sonate sans développement),
on peut dire que la forme Sonate est
celle de toutes les pièces de cette
œuvre.
3" Allegretto |, en ré.
Exp. Th. A, à la T.
— Pont par rythme a.
— Th. B, en la {deux éléments) :
b> à la D. {la): b' à la T. {mi).
Dév. par a vers les tons sombres.
— repos en si t>.
Réexp. normale avec
— Dév. term. concluant par A.
Type S.
Rem. — Le premier et le dernier mor-
ceau, tous deux de mode mineur, ont
leur second thème (B) à la dominante
vulgaire mineure et non au relatif
majeur, suivant l'ancien usage aban-
donné par Beethoven.
Sonate op. 31 n" 3. — (Sans dédicace).
— Composée en i8o2-i8o3. — Éditée en 1804, chez Naegeli.
— En quatre mouvements (S. S. M. S.) :
1° Allegro l, en M n Type S.
Exp. Th. A, à la T. : la cellule {a) de sa période initiale reparaîtra, sous d'au-
tres aspects mélodiques, dans le Menuet et dans le Presto :
Ali" @ pïï;ïï
— Pont par a.
— Th. B {b',b", h"") en SIt,.
Dév. par a vers fa.
Rékxp. normale et Dév. term. par a.
Rem. — Observer la modulation en FA
du développement, le ton principal
étant .M/ p (p. 3î2, note 2).
(i) C'est cet Adagio qui a été analysé ci-dessus (p. 296 et suiv.) dans la section
technique, comme modèle du type Lied-Sonate (LS).
14*
LA SONATE DE BEETHOVEN
2° Sc/iefyO. Allegretto vivace \^ tn la \> Type S.
Rem. — La qualification de Scherzo
s'applique au caractère des thèmes :
c'est bien un divertissement, mais la
forme est exactement celle du type S.
Exp. Th. A, à la T.
— Pont.
— Th. B, court, en MI 3.
Dév. par a et par rythme b.
RÉEXP. normale.
3" Menuetto. Moderato e gra'^ioso |, en A//t) Type M.
MENUET: Th. binaire, débutant par la même cellule rythmique (a) que le pre-
mier mouvement
®
Moderato v
Trio en Ml p : th. ternaire (i ).
Da capo avec coda.
Rem. — Ce Menuet est le dernier de
Beethoven dans les Sonates de sa
deuxième manière.
4° Presto con fuoco \, en Mi\> Type S.
Exp. Th. A, en deux éléments (a' et a") dont voici le second, issu de la cellule
initiale du premier mouvement, encore modifiée :
— P. par rythme a ' .
— Th. B, en S/b
conclusion par a" .
DÈv. par même rythme a",
— allant de S0L\) à VT.
— pour aboutir à laû. de A//i>.
RÉEXP. Th. A (a et a").
— P. modulant vers SOLt».
— Th. B, en SOL t).
— Dcv. term. et conclusion par J
Rem. — Le rythme de cette seconde
période (a"), joue un rôle prépondé-
rant dans tout le tinale. où il circule
constamment.
— Comme on l'a signalé déjà, ip. 3îo),
la même cellule rythmique se retrouve
dans trois mouvements diflérents de
cette Sonate.
Sonate op. 57, — Dédiée au comte Franz von Brunswick.
— Composée en 1 803-1804.
(1) Ce trio en su t><:st celui dont s'est servi C. Saint-Sains pour ses VariMions iur un
thémt de Beethoven i deux pianos. (Voir ci-aprcs, chap. vi.)
SONATES POUR PIANO 3^7
— Editée en février 1807, au bureau des Arts et de l'Industrie, et
intitulée Sonata appassionata dans l'édition Cranz, de Hambourg.
— En trois mouvements (S. L. S.): cette superbe Sonate marque
l'avènement d'un système de composition dont on ne trouve nulle
trace certaine dans toute la musique symphonique antérieure aux
oeuvres de la deuxième ;w<a«/ère beethovénienne, sauf peut-être quelques
timides balbutiements de Corelli et de Vitali signalés ci-dessus (p. 178
et 180). Ce n'est plus, comme dans la Sonate pathétique, à un
retour du dessin principal dans les divers morceaux que nous assis-
tons ici, mais à une véritable génération de la forme musicale au
moyen de la transformation de deux cellules, l'une rythmique {x),
l'autre expressive {y) :
Dans le premier mouvement (S), la cellule [x) donne naissance mélodi-
quement à la première idée et rythmiquement à la phrase d'exposition (b')
de la seconde idée :
(g) I rythme, de.a-l
=^1
Dans le finale, la même cellule (.v) se retrouve hannoniquement dans
le dessin initial [a') de la première idé'^
Quant à la cellule expressive {y), elle apparaît dès les premières me-
sures de l'œuvre sous un aspect ornemental :
mais elle se réduit bientôt à un simple rythme
y
348
LA SONATE DE BEETHOVEN
on retrouve cette cellule (>-) dans le pont et dans la seconde idée ; il
semble que tout le développement àM mouvement initial repose sur elle.
Le thème de VAndaute est manifestement issu de la même cellule^:
Enfin elle reparaît de façon typique au cours du développement, dans
le finale.
De plus, et pour la première fois dans les Sonates, Beethoven supprime
la reprise intégrale de l'exposition du premier mouvement.
1° Allegro assai '^, en fa Type S.
Exp. Th. A (engendré par les cellules x ety citées ci-dessus).
— Pont par la cellule j', modifiée rythmiquement :
— Th. B, en trois phrases :
— — b' , en LA i> , n'est que la floraison mélodique du rythme x, abou-
tissant à une sorte de cadence flottante vers la b. pour amener la
phrase suivante;
^ — b" , en la i>, est une phrase agogique où il importe de dégager plei-
nement la mélodie des fiévreux dessins qui l'entourent :
mais l'agitation se calme bientôt, au cours de la même phrase b',
comme si elle était due aux brutales interventions de la cellule j',
apparaissant sous divers aspects :
,'/'
SONATES POUR PIANO
349
b", troisième phrase en la \>, concluant dans ce même ton, ce qui
établit, par rapport au ton principal fa, une relation tonale assez
éloignée et rarement usitée ; cette phrase est d'une interprétation
assez difficile, en raison de l'accent indiqué sur le quatrième
temps de la mesure, et destiné évidemment à n'affecter que la
partie supérieure, sans altérer l'allure plus calme de la descente
en tierces :
DÉv., en trois éléments:
— le premier, en état de marche, par le th. A modulatit de mi\ la D. de
/?£ t>, où le pont reparaît pour préparer le retour de l'idée B ;
— le deuxième, contenant des repos successifs, par le th. B, dans les tona-
lités plus sombres, RÈ l> et si t> ;
— le troisième, en état de marche, pour remonter à la D. de fa en faisant
entendre une sorte de thème d'appel, tiré de la cellule y, et mêlé à
des formules agogiques :
RÉEXP. Th. A, à la r.
— Pont.
— Th. B (*', b", b") à la r.
^ Dév. term. par a ;
~ — — par *, en /î£l); phrase qui semble s'égarer dans un élan de
passion pour retomber épuisée à la D., comme si elle
ne pouvait plus qu'exhaler à peine un souvenir de la
cellule^ ;
— Conclusion : cette même cellule {^) réveille en quelque sorte la phrase
b', qui, tirée de sa torpeur et comme souffrant encore, semble résu
mer en elle-même tout l'effort et le but de la pièce entière. C'est
là vraiment un des plus fulgurants éclairs de l'admirable génie bee-
thovénien !
2° Andajite con moto 7, en RÉ 0.
TypeLV.
I. — Th. binaire, en RÉt>, formé de la cellule y, ainsi qu'on l'a montré ci-
dessus (p. 348) : les deux fragments dé ce thème concluent, l'un et
l'autre, à la T., ce qui est très rare dans les phrases binaires ;
II. — Trois variations du thème, en forme de plus en plus agogiqûe ;
m. — Réexp. du thème qui, par un brusque changement de nuance, est en-
chaîné directement au finale.
;o LA SONATE DE BEETHOVEN
3* Allegro ma non îroppo î, en /a ... Type S.
Exp. Th. A, à la T. en deux éléments :
— — a', agogique (0, est formé par la cellule .r ;
— — a", à la fois rythmique et mélodique, est ainsi présenté :
Pont, tiré de a' et très court ;
Th. B, composé d'une phrase unique, en u(, avec une conclusion venant
également de a' :
Dév. Le même dessin a', servant de conduit, mène à la SD.; là apparaît un
thème assez court, dont la mélodie provient de la cellule y :
— Une longue pédale de D. complète le développement.
Réexp. normale des trois éléments : A (a' a"), P et B.
— Dév. terminal important : ici apparaît, sur la T., une sorte de onnse
féroce, qui, sans présenter aucune analogie thématique avti ;•>
mélodies précédemment entendues, est et ne peut être que la véri-
table conclusion de cette œuvre frémissante de fièvre et de passion ;
— cette sorte d'appel des trompettes, descendant aux cors, puis aux tim-
bales, sert de triomphale péroraison à la Sonate et semble célébrer
une victoire définitive que la terminaison du premier mouvement
ne laissait pas présager.
Lutte douloureuse ; calme réflexion ; victorieux enthousiasme : telles
sont les caractéristiques des trois parties de l'œuvre, inabordable pour
tout interprète qui ne sait jouer du piano qu'avec ses doigts et ne
cherche pas ses sonorités au plus profond de son cœur.
(■) Ries, dans ses Souvenirs (p. 99), raconte qu'au cours d'une longue promenade à la
campagne qu'il fil avec Bceihoven, celui-ci ne lui adressa pas une fois la parole, ne répon-
dant à ses questions que par une sorte de t grognement inarticulé ». I)e retour à la maison,
Beethoven courut au piano : le « grognement > était devenu l'idée A de ce sublime finale.
SONATES POUR PIANO
Î5»
Sonate op. 53. — Dédiée au comte Waldstein.
— Composée en 1804.
— Éditée en mai 180D au Bureau des Arts et de l'Industrie, et
connue en Allemagne sous le nom de IValdslein-Sonale (1).
— En deux mouvements (S. R.) :
1° Allegro con brio C, en ut Type S.
Exp. Th. A, répété deux fois, avec une disposition rythmique et une orien-
tation tonale différente :
ï. (ifj'p
vei:<i le fiel
— — ce thème aboutit à la D. de mi pour s'ench^iîner au th. B.
— Th. B. en trois phrases (b , b" , b") :
— — la première (b') n'est exposée au ton principal, ni dans \'exposition,
ni dans la réexposition, mais seulement après le dév. terminal ;
nouvel exemple de l'emploi d'une tonalité autre que la D. ou le
Kel. pour la seconde idée:
_ — la phrase b" est en forme plus agogique ;
— — la phrase b" conclut en mi.
DÉV. par a, puis par b" , en marche vers les tonalités sombres (SD.) : fa, si \
mit> ... uti> -siO , aboutissant à une péd. sur la D. d'UT.
RÉEXP. Th. A, répété deux fois :
— — la première fois, vers la SD. et la D-
— la seconde fois, vers la D. de la.
I b en LA puis en UT.
— Th. B. / b" en UT.
I b' en ut et en VT.
(r) La famille Waldstein, à laquelle appartenait le déd'catnire de cette Sonate, est la même
que celle de Wallenstein. Quant «u surnom l'Aurore qu'on a donné, en France, à cette
œuvre, il ne se justifie par rien.
Les esquisses de la »'aldstein-Sonate sont contemporaines de (.elle* de la Symphonie
héroïque.
35» LA SONATE DE BEETHOVEN
— Dàv. term. par a et par b' modifié rythmiquement : une sorte d'éclai-
rement progressif aboutit à la conclusion, laquelle contient la
véritable réexposition de la phrase b' au ton principal (UT) en
état de repos. La cellule initiale de a reparait enfin et sert de
cadence finale.
2" Introdu\ione. Adagio molto \, en F^ (i) et Rondo. Alle-
gretto moderato \, en ut Type R,
Introduction : Adagio. Th. de lied à la SD., avec modulation finale à la D.
pour s'enchaîner avec le Rondeau, dont l'importance considérable
justifie sans doute cette introduction lente.
Réf. I . : Th. A, à la T. : le thème de ce refrain, malgré sa simplicité, semble
avoir fait l'objet de longues méditations de la part de son auteur {2):
sur les Cahiers d'esquisses de Beethoven, le texte définitif est pré-
cédé de six essais différents. Voici les quatre principaux :
— loàlap. 12.S du livre d'esquisses de l'année i8o3, on trouve cette
pcemière forme :
— ij" à la p. i38 du même livre, la forme se précise
— 3° enfin, à la p. i3(», on voit apparaître la forme complote sous cet aspect
,1) On a signalé dans la section technique du présent chapitre (p. 3oi et 323) le cas par-
.tculier de cette phrase lente servant d'introduction au finale et partant de la sous-domi-
nante du ton principal, comme la phrase similaire de l'op. 37 n« i.
(a) Nous avons signale ce même thème (p. 340) à propos de la lente élaboration des
idées muiicalei chez Beethoven. Les références que nous donnons ici se rapportent aux
Esquisses publiées par Nottcbohm.
SONATES POUR PIANO
4° puis, l'arpège final disparaît (même page iSg):
— suivent deux autres esquisses fragmentaires sans importance et enfin, à
la p. 143, le thème définitif :
Alloj^rfllo moderato
(3) I c-Uul.
Coupl. I : Dessin B en VT, puis en la, et rentrée par rythme a.
Réf. i : Th. A.
Coupl. 2 : Elém. nouv. en ut et dév. rythmique de a.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : Dessin B en UT, avec péd. de D.
Réf. 4 : Th. A, modifié et dans un mouvement très rapide î
Prestissimo
J r /^dohr
Coupl. 4 : Dév. par rythme de a et augmentation de la période génératrice :
±.i
licF. 5 : Fragments du th. A et conclusion.
Sonate op. 54. — (Sans dédicace),
— Composée en i8o?.
— Éditée en avril 1806 au Bureau des Arts et de l'Industrie.
— En deux mouvements (L. R.) :
1° In tempo d'un Memietto ;, en Fx Type LL.
I. Th. de liei avec reprises. Rem. — Malgré l'indication de mou-
vement, cette pièce n'a rien d'un
Menuet: elle est construite en forme
de Lied développé.
n. Section modulante,
m. Th. à la T.
IV. Même élément que sect. 11.
▼. Th. à la r.avecornementetconcl.
Cours di compoiition. — t. 11, i.
Ȕ
354 LA SONATE DE BEETHOVEN
2' Allegretto |, en fa Type R.
RzF. I : Dessin A, en FA et en la, Rem. — Ce finale en mouvement per-
— puis en SOL et en UT. péitiel n'a pas de thème bien établi.
Coupl. I : Dessin B de même rythme II participe du Rondeau par les redites
— en R£f. du refrain, mais il n'en a pas nette-
Ref. 2 : Dessin A, en FA. ment les divisions.
Coupl. 2 : Dessin B, en fa. — Comparer avec l'op. 26 (sans mou-
Ref. 5 : Rythme de A, en FA. vement du type S aussi).
Sonate op. 79. — Sonatine (sans dédicace).
— Composée en 1809.
— Éditée en décembre 1810, chez Breitkopf et Haertel.
— En trois mouvements (S. L. R.) : cette Sonatine est une véritable
« Sonate en miniature » avec tous les éléments de l'ancienne forme à
laquelle Beethoven semble avoir voulu dire adieu ici, avant d'aborder
les grandes créations de la troisième manière.
i" Presto alla tedesca \, en SOL Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à B. Rem. — Ce premier thème, alla tedesca,
Th. B, en RÉ. est tout à fait semblable à celui qui
D«v. par a, peu à peu éliminé vers les porte la même désignation, dans le
tons plus sombres, de M/ H à Mlb. Quatuor, op. 1 3o.
Réexp. normale avec reprise du Dév.,
— puis, la seconde fois, Dev.ferm.
— en forme de véritable Valse.
2° Audaule espressivo l, en sol Type L.
I. Th. binaire.
II. Elém. nouv. en MJt>.
III. Th. avec formule concluante.
3° Virace ^, en sol Type R.
Réf. I : Th. A, en SOL avec reprises.
Coupl. I : période en mi et rentrée.
Réf. 2 : Th. A, en SOf., incomplet.
Coupl. 2 : élém. nouv., en VT.
Réf. 3 : Th. A, en SOL avec conclusion.
Sonate op. 78. — Dédiée à la comtesse Thérèse Brunswik.
— Composée en 1809.
— Éditée en décembre 1810, chez Breitkopf et Haertel.
— Endeux mouvements (S. R.) :
I' Adagio canlabile \, et Allegro, ma non tropyo C, en i-a 5. Type S.
Intr. : Adagio.
Exp. Th. A infléchi vers P.
— Pont agogique.
— Th. B en UTt
Dev. rythmique par a,
Rkcxp. normale.
SONATi;S POUR PIANO 355
2" Allegro assai ^, en /-u c Type R.
Réf. I : Th. A à la 7". Rem. — Ce Rondeau n'a pas de second
Coupl. I : Dessin b. thème caractérisé, et les réexpositions
Réf. 2 : Th. A à la T. du refrain ne sont pas toutes sur la
Coupl. 2 : Dév. du dessin h. tonique. Beethoven cherchait sans
Réf. 3 : Th. A à la SD. doute une forme nouvelle (comme
Coupl. 3 : Dév. du dessin b. dans l'op. 54) et il semble revenir ici
Réf. 4 : Th. A à la T. à l'ancien type R. du xviii» siècle.
Sonate op. 81. — Dédiée à l'archiduc Rodolphe (i).
— Composée en liioi).
— Éditée en juillet i8i i, chez Breitkopf et Haertel.
— En t7-ois mouvements (S. L. S.) intitulés respectivement : Das
Lebewohl (l'Adieu), die Abwesenheit (l'Absence), das Wiederseheu (le
Revoir). On a signalé déjà (p. 32o) la grande 'unité thématique de cette
Sonate, construite à peu près exclusivement sur deux cellules {x et y)
qui sont contenues dans les premières mesures de l'introduction :
La cellule mélodique (x) engendre la seconde idée (B) du mouvement
initial et l'admirable développement terminal de ce mouvement :
La cellule rythmique (y) donne naissance h la première idée (A),
laquelle est issue également de la cellule tnélodique [x], comme on peut
le voir par la superposition de l'une à l'autre :
La Sonate op. 81 porte, dans certaines collections, lindication . op. 8i» » pour la dis-
ler d'un Sextuor à cordes avec deux cors, d'ailleurs peu intéressant, auquel on a donné
tmguer u un .jcimur a cuiuci avL-t ueui cors, a ailleurs peu intéressant, auqu_-
le n» Si'. — La Sonate Lebewohl est la prcinièrc des œuvres de Beethoven dédiées à
son élève et ami le « petit archiduc « qu'il aimait de tout son coeur. Il est probable que
le sujet même lui fut suggéré par l'archiduc, lors de son exil dans Itf forteresse d'Olmùtz,
où Beethoven alla souvent lui tenir compagnie.
356
LA SONATE DE BEETHOVEN
.Stt@
Le même dessin {y) se retrouve dans VAtidante que nous avons
déjà cité ci-dessus (p. 197) en raison de son analogie avec une célèbre
Sonate de Ch.-Ph.-Emm. Bach :
Le finale, lui-même, n'est qu'une modification de la cellule ryth-
mique (r), encore reconnaissable et suivie d'un rappel de la cellule
mélodique (a*) :
Vivacissimamento
y
l' Adapio l, et Allegro c , <^^ ■'^" "^ Type S.
Intr. : Adagio (Lcbewohl), résume thématique de l'œuvre exposant les deux
cellules {x eiy).
SONATES POUR PIANO "ÎS?
Exr. Th. A (mélodie x et rythme^') Rkm. — Au début du dév. term. on
enchaînant au Pont. retrouve la modulation en l'A, si fré-
— l'ont (mélodie jr droite et ren- quente dans les compositions en M/ (>.
versée). Le dessin x {Lebewohl) est employé
— Th. B (amplification de .v). à la fin avec des enchevêtrements
Dév. par thème a. d'harmonie de T. et de jD. (i), que
Rkexp. normale, avec modul. en FA. Beethoven emploiera souvent, par la
— Dév. term. par a et cellule .x suite (voir notamment op. 90).
combinés, avec conclusion.
1° In geheuder Bewegung-.doch mit Ausd>-ucl: {2) [AiiJaiile
espi-essivo) |, en u/ Tjpe LS.
. Exp. Th. A (cellule j'), en ur. Rkm. — Malgré son enchaînement
— Th. B, en SO/.. nécessaire au finale, cet Andante ne
RÉEXP. Th. A, en/a. peut être considéré comme une
— Th. B, en FA. simple introduction. Sa seconde par-
Enchaînement suspensif par a, tie {rée.vposition) est tout entière à la
allant de la T. à la D. de Ml \>. dominante réelle en mode mineur in-
verse, ce qui ramène le ton de FA, et
donne une impression d'affaissement,
conforme à l'intention poétique.
3» Im lebhaflesten Zeitmaasse (3) (Virctcissimamente) g,
en ;M/ 1> Type S.
Exp. Introd. (trait rapide sur la D.). Rem. — Le rythme de la cellule j', si
— Th. A (rythme^ transformé), douloureux dans l'/lurfaure, prend ici
répété trois fois. une expression de joie tout à fait
— Pont rythmique. caractéristique.
— Th. B [b , b", b"}, en S/j,.
Dév. par a et b' .
— fausse rentrée à la SD.
Réexp. normale suivie de
— Dév. term. et conclusion par a.
Sonate op. 90. — Dédiée au comte Moritz von Lichnowsky (4).
— (composée en 1814.
— Éditée en juin i8i5, chez Steiner, à Vienne.
— En deux mouvements (S. R.) :
(i) Dans l'édition Schlesinger (BranJus), on a cru bon de « corr'ger ■> ces enchevêtiemenis
de l'harmonie de tonique avec celle de dominante : le résultat obtenu est plutôt bizarre.
(5) Littéralement : dans un mouvement allant et pourtant avec expression. — C'est la pre-
mière fois que Beethoven emploie la langue allemande au lieu de la langue italienne pour
les indications de mouvements. La rédaction même de ces indications montre bien que
l'auteur se préoccupait avant tout de l'expression, but principal de toute musique.
(3) Dans une mesure très animée.
(4) Schindler raconte [op. cit., p. i i5) que Beethoven disait des deux morceaux de cette
Sonate: • Le premier pourrait s'intituler Combat entre la tète et le cœur (Kampf ^wischen
Koffund Her^), et le second. Dialogue avec l'aimée Conversation mit der Geltebten). Tel
est, en effet, le sens poétique de ce véritable épithalame au dédicatairc qui, après bien Jcs
hésitations, s'était décidé à épouser une actrice de Vienne qu'il aimait depuis longtemps. >
15«
LA SONATE DE BEETHOVEN
i" Mit lebhaftigkeit und durchaus mit Empjiudiing iind
Ausdruck (i) |, en wz Type S.
Exp. Th. A, en trois éléments :
— a' , élément rythmique masculin, en mi :
a", i.-lément mélodique féminin, en SOL :
— a", élément hartiioitijue concluant, en
— l'antagonisme expressif entre les trois éléments de la première idée
tour à tour masculine et féminine, a sa raison d'être dans l'intention
poétique (Kopf und Her;;).
— Pont, par la cellule initiale de a (comme dans le pont du finale).
— Th. B, en si, nécessairement très court et sans subdivisions, pour rétablir
l'équilibre rompu par l'importance du th. A.
Dév. en trois éléments, offrant un véritable modèle de l'emploi de Vélimina-
tion et des modifications d'ordre agogique :
— i» la période a', partant de la SD., s'élimine peu à peu vers la D. d'ut :
snf^
2" la période a", exposée d'abord en ut sous son aspect primitif, se
développe mélodiquement et prend une forme de plus en plus agitée,
en passant à la main gauche; bientôt, elle s'e7;>>ii«t' par les tonalités de
FA et de la, comme si elle se modifiait sous une influence étrangère:
{I Assez vue, mais iivec sentimciu et expression.
SONATES POUR PIANO -559
— 3o un arrêt sur la D- (quarte et sixtei détermine un accroissement à'ago-
gique suivi d'une élimination des dernières notes, avec un enchevêtrement
d'harmonies semblable à celui que nous avons signalé dans l'op. Si ;
après cet alanguissement, la force revient et la cellule initiale reparaît,
amenant la réexposition. Ce passage doit être cité intégralement :
Réexp. normale, suivie d'une amplification du th. B amenant la conclusion
par une dernière redite de l'élément a", lequel n'a aucun rôle dans le
développement et demeure identique à lui-même : il est la décision
immuable ; il conclut toujours. 1
2'Nicht ^u geschwind und sehr singbar vor^utt-agen { i ) j, en A//. Type R.
Réf. I : Th. A, phrase de lied {a, b, a').
Coupl. i : Pont en M/ S (même cellule rythmique que le ^o«/ du i«f mouvement).
— Th. B (*' agité, b" calme) en SI.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Dév. de a ; puis b" en UT, ut, ut S et UTf; puis Péd. de D.
Réf. 3: Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B en »! ; puis dév. de a et rentrée.
Réf. 4 : Th. A (amplifié et modifié), petit dév. de a et conclusion.
II. — SONATES POUR PIANO. — TROISIÈME MANIERE (l8l5 A l8a6). '
La troisième titatiière (réHexion) est celle à laquelle appartiennent les
œuvies {on peut même dire les chefs-d'œuvre) composées par Beethoven
(i) Exécuter pas trop vite et très chanté. — Ce Rondeau, le dernier qu'ait écrit Beeihovea
dans ses Sonates pour piano, a été analysé ci-dessus (p 3i3 et suiv.)à titre de modèle.
36o LA SONATE DE BEETHOVEN
dans les dix dernières années de sa vie (1816 à 1826^. Malgré les incon-
testables beautés des Sonates de la période précédente, on pouvait
considérer celle-ci comme une transition, aboutissant au style définitif
adopté par l'auteur des op. 101 et suivants, après mûre réjlexion.
Affranchi de la convention, sûr de sa pensée et de sa forme, le
créateur de génie ne regarde plus alors qu'au dedans de lui-même;
c'est son âme, son âme seule qu'il exprime, âme croyante, âme chari-
table, âme souffrante et qui s'élève par degrés vers l'idéal divin,
La collection des Sonates est bien loin de nous montrer encore toutes
les beautés de cette troisième manière dont l'épanouissement ne sera
complet que dans la IX" Symphonie, la Messe en RÉ et les derniers
Quatuors, véritables œuvres religieuses, où Beethoven entre en com-
munication avec ce Père céleste qu'il entrevoit « au-dessus des étoiles ».
Les œuvres appartenant à ce troisième style sont aussi différentes de
celles des deux autres époques que la Messe en si de J.-S. Bach est
dissemblable des Fugues construites à l'imitation de celles de Buxtehude.
La nature même de ce qu'on pourrait appeler ici la substance ou la
matière musicale y est d'un ordre infiniment plus élevé: il suffit, pour
s'en rendre compte, de comparer la seconde idée du premier mouve-
ment de l'op. 106 aux meilleures de celles qui appartiennent aux
œuvres des autres périodes [Sonate pathétique ou op. 53, par exemple).
Quant à la forme, elle est renouvelée de fond en comble par l'emploi
de deux moyens dont Beethoven n'avait pas encore fait usage :
1° la Fugue qui devient partie intégrante de la construction ;
2* la Variation amplificatrice qui s'impose soit dans le développement,
soit en tant que forme particulière.
Mais ces innovations, loin de briser les traditions de la Sonate,
comme l'ont prétendu des historiens peu informés, ont, au contraire,
consolidé les assiseslogiques et éternelles de cette forme, en lui apportant
de tels éléments de progrès que ces admirables œuvres sont devenues le
point de départ de toute notre musique symphonique moderne.
Sonate op. 101. — Dédiée à la baronne Dorothée Ertmann.
— Composée en i8i5-i8i6. — Éditée en février 1817 chez Artaria,
sous le titre Sonate fiir das Hammerclarier.
— En trois mouvements (S. M. S.) :
i" Etivaslebhaft und mit der innigsten Empfindung{\)i, en LA. Type S.
Exr. Th. A, enchaîné à B. Rem. — Sorte de modèle résumé du
— Th. B en Ml. type Sonate : deux thèmes briève-
X)i:\. court par a. ment exposés, sans font (le second
RÉExr. normale avec en une seule phrase), et développe-
— [)cv. term. par b. inoil très court.
(1) Assez aniinc cl avec un sentiment très intime.
SONATES POIR PIANO
^6i
2° Lehhaft Marschtuassig{\) c, en FA Type M.
Rem. — Cette Marche est une nouvelle
tentative de la forme M disparue
depuis l'op. 3i n' 3. Son thème est en
/roi5 périodes différentes (j, b, c) sans
retour à la première.
— Le trio à la SD. est très court et
relié par une péd. de D. (voir p. 3ii).
Marche: Thème à trois éléments :
— a (avec reprise), en FA.
— b, dév. par LA et RF.i>- UTS,
vers laD.
— c, conclusion, sans période j.
Trio en SU, {SD.) avec longue CWj,
sur la D. de fa.
Da capo.
3° Langsam iind sehnsuchtsvoll (2) ;, en la, et Geschivind,
docli nicht ^u sehr^ und mit Entschlosseiiheit (3); , en la. .
Introd. Phrase lente, binaire (la)
— de la T. au Rel. maj. UT.
— du Rel. à la D.
cadence suspensive.
— Th. A du («f mouv., en la
suspension sur la D.
Type S.
Rem. — Cette phrase lente, de structure
binaire, n'est pas autre chose qu'une
introduction au finale (comme dans
les op. 27 no I et 33). Ici, elle est
reliée au finale par un rappel du mou-
vement initial.
Exp- — Th. A. Première idée faisant pressentir le développement /Kg^z^é :
— Pont mélodique assez court.
t b' à lai), de J//;
— Th. B < b" en /'//, tiré du rythme de la première idée;
' b" simple conclusion.
Dév. contenant le premier exemple de la Fugue employée par Beethoven comme
moyen de développement :
?iiH'i t)r<" T" /*
(i) Vif et en mouvement de Marche.
(î) Lent et plein de passion. — Cette phrase lente d'introduction au finale a été signalée
déjà dans la section technique du présent chapitre (p. 3oi).
(?) Pas trop vile et résolument.
363 LA SONATE DE BEETHOVEN
— Ce développement fugué module d'UT à la D. de la et aboutit à une
rentrée caractéristique par le sujet augmenté à la basse :
RÉEXP. normale, avec Dév. term. par a et conclusion.
Sonate op. 106. — Dédiée à l'archiduc Rodolphe.
— Composée en 1818. — Éditée en septembre 1S19 chez Artaria,
sous le titre Sonate filr das Hammerclaviej-.
— En quatre mouvements (S. M. L. F.) :
i' Allegro [ï). (t;, en Si t> Type S.
Exp. Th. A en deux éléments: a' rythmique, a" mélodique (voir p. 236).
— Pont rythmique en trois éléments :
— — p' , par rythme de a' en marche.
— — p" , par a' modulant à la D. de sol,
— — f", conduit sur la D- de SOL.
t b' tiré de a".
— Th. B. ■ b" agogique avec rappel de a".
■ 6* mélodique en SOL.
Dév. Coda dynamique de b" en marche vers a^/I>;
— repos par a', devenu sujet d'exposition de fugue et épisode en Ml 9;
— marche par a' et a" vers SOL et FA S, {D. de SI B) ;
— repos par b" exposé en S/ CI ;
— a sujet de fugue, en marche vers la D.
Rkexp. Th. A : j' à la T., a" vers SOL\>-FA 5.
— P. {p',p", p"} vers \a D. de SI ?.
— Th. B (&', *", *") en5/ ^
— Dév- term. par b", puis a".
— Coda rythmique concluante.
2' Scherzo. Assai rirace^, en SI i> Type M.
Scherzo: Th. a, b, a.
Trio en si l> mélodique, et épisode à
deux temps, avec cadence à la D-
Da capo, avec variantes et élément
rythmique nouveau.
Coda concluante.
Rem. — Le thème de ce Scherzo est
rythmé par trois mesures (deux fois)
suivies de deux accords, qu'on peut
considérer comme issus rythmique-
ment de la cellule a' du lef mouve-
ment.
3° Adagio sosteiittto g, en fa s - sol t> ^ YPC LS-
Exp. Th. principal A en une phrase-/ie</ (voir ci-dessus, p. 247 et 248) :
— — a (précédé de deux notes préparatoires), de la T. à la D.
— — fc, à la Z).
— — c, Cad. à la T. par la sixte napolitaine (modulation en soL p).
(1) Cet admirable Allegro, type le plus complet de la forme b, chez Beethoven, a cié
analytë ci-Jcssus (p. 264 et suiv.).
SONATES POL'R PIANO
3t3^
Reprise de b et de c, avec coda suspensive : immédiatement après cet
arrêt du thème, entre une phrase très mélodique et expressive qui
tient lieu de poni et se dirige lentement vers le ton de RÉ.
Th. secondaire B, en RÉ , coupé en trois phrases comme les secondes
idées dans la forme Sonate :
— Cette phrase semble se perdre en des harmonies indéterminées, puis re-
vient au ton par une modulation d'une fraîcheur tout à fait séduisante.
— Cette exposition constitue la i" section du Lied.
Dév. court, par la phrase a et ses deux notes préparatoires, dont l'adjonction
au début de l'exposition s'explique ici (i) :
— la phrase se reproduit en modulant de RÉ à l/rîî, puis à M/l> -«£ 5,
et procède ensuite par élimination, en effleurant les tonalités de sol S
et de ré 3, jusqu'à la D. de fa S.
Ce développement constitue la ii» section du Lied.
Réexp. Th. princ. A (a, b, c) en fa S, avec toutes ses reprises, mais traité en
variation : le sentiment expressif de cette réexposition est assez com-
parable aux modifications du th. de V Adagio, dans la IX« Symphonie.
— Pont, partant de RÉ pour se diriger vers le ton de FA 5.
— Th. secondaire B (b', b", *•) en FA t.
— Cette réexposition constitue la m* section du Lied.
DÉV. par la phrase a et ses deux notes préparatoires, aboutissant bientôt au
développement de la phrase b' du th. B en SOL, tonalité préparée
par la cadence de la si.v!e napolitaine produisant dans l'exposition la
modulation accidentelle déjà signalée (p. 248). Cette modulation n'est
pas autre chose, on s'en souvient, qu'une fonction de SD. altérée,
rétablissant l'équilibre tonal.
Ce nouveau développement constitue la iv« section du Lied.
(i)On sait que ces deux notes ont été ajoutées par Beethoven au début de cet admirable
Adagio, lorsque la gravure en était déjà faite. Voir i ce sujet W. de Lenr (of . cit., 11, p. 14)
et la lettre de Beethoven à Ries.
,64 LA SONATE DE BEETHOVEN
Réexp. terminale du thème principal A, sans reprises et réduit à ses deux
périodes extrêmes {a et ci : ainsi que dans d'autres Sonates,
Beethoven a omis ici à dessein l'une des périodes. Le thème semble
s'effacer et mourir en un long et angoissant ritardando, tandis qu'il se
complète par une conclusion mélodique nouvelle sur la tonique, et
qu'un dernier souvenir de la période initiale (<j) sert de péroraison à
cet admirable monument de l'art musical.
— Ctxxt réexposition ultime constitue la v« section du grandi Li'ei (LL),
dont la forme est ici confondue avec la forme Lied-Sonate (LS); et
l'on peut dire à bon droit de celui qui ne se sentirait point ému
jusqu'au fond de l'âme par une pareille manifestation de la sublime
beauté qu'il ne mérite pas le nom de musicien I
4° Largo C, et Allegro i'isoluto\, en 5/ p. Fiiga a tre voci
cou alcune licen\e (i) Type F.
Interlude : Largo, sorte de cadence en rythme libre, oscillant entre SI t> et
SI B et servant de Prélude à la Fugue finale, comme si l'auteur avait
voulu tenter ici une adaptation nouvelle à la Sonate de l'ancienne
forme Prélude et Fugue.
Fugue dont le sujet est manifestement tiré du rythme a appartenant à la
période génératrice du thème A, dans le mouvement initial de la
même Sonate (voir ci-dessus, p. 236 et 264) :
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— l'exposition initiale en S' 9 est suivie d'un épisode-développement en SOL t>
modulant àLA i> - SOL S. Puis le sujet s'expose de nouveau en 5/ 1> et en
SOL. Un thème épisodique lent, en RÉ, apparaît alors comme une
sorte de second sujet ; enfin, le sujet principal, en Sli>, se réexpose et
se développe longuement sur la T. pour finir.
Sonate op. 109. — Dédiée à Maximilienne Brentano (2).
— Composée en 1820.
— Éditée en novembre 182 1 chez Schlesinger, à Berlin, sous le titre :
Sonate fur das Hammerclavier.
— En trois mouvements (S. S. L.) :
(1) Fugue à trois voix avec quelques licences. — On voit que Beethoven avait conscience
de ne se point conformer, tant s'en faut, aux sévères préceptes de son vieux maître
Albrcchisbcrgcr.
(a) Maximilienne Brentano était la nièce de Betiina Brentano qui recueillit beaucoup de
pensées de Beethoven. Betiina, devenue M»» d'Arnim, était à Vienne en 1810, en
l'absence de son mari, avec sa jeune nièce Maximilienne, pour laquelle Beethoven composa
un Trio pour piano, violon et violoncelle, en u>i seul morceau, dédie t à ma petite amie
M. B., pour l'encouroger à jouer du piano » (181 a).
SONATES POUR PIANO ^6j
1° Virace ma non troppo \ et Adagio espressivo |, en mi. Type S.
Exp. Th. A [Vivace) infléchi vers B. Rem. — Ce morceau est aussi un ré-
— Th. B {Adagio) en SI. sumé de la forme S., où V Adagio sert
Dév. par rythme a ( Vivace). de second thème.
Réexp. Th. A (Vivace).
— Th. B [Adagio).
— Dév. term. par a.
2° Prestissimo g, en mi. . Type S.
Exp. Th. A, en mi, dont la période génératrice est à la partie grave :
— Pont (8 mesuresl.
— Th. B [b', b", b"\ en si.
Dév par période génératrice de a.
Réexp. normale.
?i° Gesangvoll mil innigslen Empfindung {Andante molto
canlabile ed espressivo) |, en Mi Type LV.
Thème binaire'et six variations, avec reprise du thème pour finir.
v^ Sonate op. MO. — (Sans dédicace).
— Composée en 1820-1821.
■ — Éditée en août 1822, chez Schlesinger.
— En trois mouvements (S. M. F.): cette Sonate est, comme forme et
comme pensée, très caractéristique de la dernière manière de Beethoven.
La Fugue y est employée non seulement en tant que partie consti-
tutive du cycle, mais encore comme moj-en expressif, et l'on pourrait
presque dire dramatique, car les deux dernières parties sont en quelque
sorte l'exposé des souffrances qu'endura le malheureux homme de
génie vers la fin de sa vie, souffrances morales bien plus que physiques,
croyons-nous, et dont il sut toujours triompher par sa foi et sa volonté.
Il est intéressant de rapprocher cette œuvre du XV' Quatuor (op.
i32), écrit quatre ans après, et qui en est comme le complément
obligé (i). Mais, tandis que ce Quatuor ne nous retrace guère que le
souvenir des douleurs passées, causes de ce religieux « élan de reconnais-
sance envers Dieu » (2), la Sonate, elle, nous place en pleine crise : c'est
la lutte âpre et terrible contre l'anéantissement ; puis le retour à la vie et
à l'espérance célébré, non en une calme et pieuse prière, mais par un
hymne exultant de joie triomphale. Nous nous trouvons donc en pré-
(1) Voir la Seconde Pariie du présent Livre.
(2) Cancana di ringia^iameitto alla Divinità, da un guarito.
•56h
LA SONATE DE BEETHOVEN
sence d'une sorte de drame moral transcrit en musiqye; aussi cette
Sonate est-elle la seule de la iroisièwe manière qui ne porte point de
dédicace: Beethoven ne pouvait dédier qu'à lui-même cette expression
musicale d'une convulsion de sa propre vie.
Pour rentrer dans le domaine technique, nous dirons que c'est à
cette même cause dramatique que doit être attribuée la construction
tonale des deux derniers mouvements {la\>, la\>, sol, sol,la\>),
construction absolument inusitée chez Beethoven.
Au point de vue thématique, il est à remarquer que le sujet de la Fugue
finale n'est autre que la sitnplif cation de l'idée initiale du premier mouve-
ment, en sorte que ce thème sert à la fois d'c.\orJe et de péroraison :
Pre miÎTe^idt'r
du I''.'' Mouvt
Suj. d.- Ir. Fms
Les périodes génératrices de ces deux mouvements, dont l'un paraît
signifier l'état de calme (spécifié par l'auteur dans l'indication con
aniabilità) et l'autre la résistance de la volonté contre les attaques du
découragement, sont donc ascensionnelles, tandis que celles des deux
pièces médianes sont conçues en dépression.
Voici l'analyse de l'œuvre :
1° Moderato cantabile molto espressivo -, en t/i b . . . Type S.
Exp. Th. A en deux éléments caractéristiques :
— — a' thème générateur qui deviendra le sujet de la Fugue finale.
— — a" phrase mélodique assez semblable au thème de la Sonate op. 58
de Haydn, traité déjà par Beethoven dans plusieurs de ses oeuvres,
notamment dans la Sonate op. lo n» i (voir ci-dessus, p. 33o):
Pont très 8gOi;ique.
Th. B., en trois phrases :
— i', qui est une simple préparation ;
©•«,
SONATES l'Ol'R l'IANO
h", qui affirme la tonalité :
— b", qui conclut :
Dév. très court exclusivement fourni par l'élément a', en fa, RÉ b, et si P-
Réexp. Th. A. à la T., accompagné par le dessin agogique du pont : l'élément
a" est à la SD. et s'infléchit vers MI - fa t>. >'
— Pont, en MI, suivi d'une sorte de conduit, toujours en Ml, qui fait
entendre par anticipation le dessin de la phrase b.^/^
— Th. B. en trois phrases (ô', b", b'"} dans le ton principal. ><'
— Dév. terni, de la phrase h" avec Coda par le dessin du pont et
retour conclusifde l'élément principal a'.
I» Allegro molto \, en fa [i) Type M.
Scherzo. Th. a se développant et concluant.
Trio en RÉi> .
Da capo. Th. a en fa suivi d'une coda en fa, enchaînée au mouvement lent.
Z" Adagio ma non troppo C rg) ^n '^^ ^i et Fuga. Allegro
ma non troppo i, tn la\> Type F.
l.NTERLUDE, formé, comme dans l'op. 106, par une sorte de ritournelle orches-
trale alternant avec un véritable récitatif sans paroles, du genre de ceux
qu'on rencontre dans plusieurs œuvres du maître (Sonate op. 3i n» 2,
derniers Quatuors à cordes, IX« Symphonie, etc.). y'
Arioso dolente. Une fois le ton de la t> affirmé, s'élève en forme de mélodie
binaire la plus poignante expression de douleur qu'il soit possible d'en-
tendre (2). Trop tôt la phrase s'éteint et fait place à laFiip^ue finale, à laquelle
elle servait de Prélude.
1" Fugue, en LA i), dont \e sujet est fait avec l'élément a' de \d. première idée du
mouvement initial. D'après l'intention même de l'auteur, exprimée par les indi-
cations qu'on trouvera un peu plus loin, cette première fugue dépeint l'effort
de la volonté contre la souffrance qui demeure, ici encore, la plus forte.
(i) Ce Scherzo, assez énigmatique, paraît, en tous cas, une douloureuse boutade, un
• amusement • bien amer. C'est ainsi, ce nous semble, qu'il doit être interprété, malgré
l'opinion contradictoire de certains commentateurs ; le classique \V. de Lenz {op. cit., II,
pv 19) n'y voit, en effet, que •< le pas de charge de quelque garde romaine... ", tandis que,
selon d'autres, il serait la paraphrase d'une chanson d'étudiants: Du bist ein liederlich...
(1) Voir 1" liv., p. 44, l'analyse mélodique de cette phrase binaire subdivisée en quatre
périodes.
X
NU LA SONATE DE BEETHOVEN
Artoso dolente, en sol. La reprise désolée, angoissée, de cette cantilène, semble
nous faire assister aux derniers spasmes d'une agonie morale, représentée
dans le plan musical par cette tonalité si lointaine et si étrange de sol.
Cependant, la volonté a triomphé : l'harmonie plus claire de SOL, s'affirmant
en appels répétés d'accords de tonique, semble, par un formidable crescendo,
souleverla pierre presque scellée déjà sur la tombe muette : la vie va renaître.
2e Fugue en SOL. Le sujet de la première fugue, présenté ici par mouvement
contraire, semble indiquer la résurrection de l'être encore hésitant et déprimé
qui voit à nouveau la lumière du jour. Et toutes ces allégories ne sont certes
pas hypothétiques : car Beethoven nous a notifié lui-même ses intentions
par la double indication « Perdendo le for^e » et « Poi a poi di nuovo
vivante », inscrite de sa main, au moment de la reprise de l'Arioso en sol et
au retour de la Fugue en SOL par mouvement contraire.)^
— Les forces reviennent en effet, et Ton se rapproche de plus en plus du ton
principal, LAi> : \e sujet revenu à son état direct, cette fois, apparaît de nou-
veau en valeurs syncopées et augmentées, comme si le malade, encore chan-
celant, s'exerçait à la marche (l'exposition du sujet est alors en 50/ et en «0-
Enfin, sur la dernière exposition, au ton initial de Là i>, s'élève une sorte
d'hymne enthousiaste d'action de grâces, amplifiant victorieusement la phrase
mélodique pour amener la conclusion triomphale de cette œuvre, qui est et
restera un type d'éternelle beauté.
Sonate op. III. — Dédiée à l'archiduc Rodolphe (1).
— Composée en 1822.
— Éditée en avril 1828, chez Schlesinger.
— En deux mouvements (S. L.) :
1» Maestoso et Allegro cou brio ed appasiouato C, en ut. . Type S.
Introduction : Maestoso, qui contient tous les éléments appelés à constituer
\a cellule a de V Allegro c^m suit;
><
Elément harnioiiiq
Maestoso
(1) Lire dans \V. de l.cnz (np. cil., II. p. 11 à 34) les très curieuses ci très inléiessantes
observations que lui suggéra cette dernière Sonate de Beethoven.
SONATES POUR VIOLON 369
Exp. Th. A : Phrase complète tirée de celte cellule a, très typique et analogue
à celle du thème qui accompagne la scène de la mort de Claerchen,
dans Egmont.
— Pont par a.
— Th. B, en LA\), en deux phrases :
— — b' mélodie très proche parente de celle de la seconde idée du finale,
dans l'op. 27 n" 2.
— — b", trait accompagné par a.
Dév. court de la cellule a.
Réexp. Th. A, en ut tifa.
— Pont de /a à la D. d'UT.
Th. B : b en UT, vers/j.
— — b" en ut.
— Phrase concluante, par a en UT.
2° Arietta. Adagio molto semplice e cantabile ~, en UT. . Type LV.
T h. binaire avec reprises et quatre variations.
Développement, reprise du thème et développement terminal.
12. — SONATES POUR VIOLON ET POIR VIOLONCELLE.
Sonates pour violon. — L'intérêt artistique et musical de ces Sonates,
au nombre de dix., est notablement inférieur à celui des trente-deux
Sonates pour piano que nous venons d'analyser : trois ou quatre, tout
au plus, méritent de retenir notre attention.
Les deux dernières des trois Sonates, op. 3o, dédiées à l'empereur
Alexandre ( 1 802), sont à rapprocher, par leur caractère thématique, de
la Sonate pour piano, op. 10 n° 3 : l'une de ces deux Sonates est en ut
et l'autre en 50L. Celle-ci contient un Menuet dont le trio reproduit
presque textuellement le thème de la Sonate, op. 08, de Haydn, maintes
fois rencontré déjà dans l'œuvre de Beethoven (op. 10 n° i, op. 110
etpassim); cette même Sonate en sol se termine par un gai Rondeau à
cinq refrains où nous-pouvons lire, semble-t-il, l'expression bien vivante
de la bonne humeur d'un Beethoveen errant sur les collines des envi-
rons de Vienne.
La Sonate en la, op. 47, est universellement connue sous le nom de
Sonate à Kreutzer {i8o3), bien que le célèbre auteur des Etudes (i) ne
l'ait pas jouée une seule fois en public, la trouvant « de peu d'effet ».
Malgré sa notoriété, cette Sonate n'est nullement l'une des meilleures
de Beethoven. Il faut signaler pourtant dans le mouvement initial et
dans le finale, tous deux du type S, un essai d'intervention de la
première idée dans l'exposition de la seconde : cette sorte de pénétra-
(1) Rodolphe Kreutzer, violoniste, naquit i Versailles en 1766 et mourut à Genève en
iS3i : son ouvrage le plus connu consiste en 40 Éludes ou Caprices que tous les virtuoses
du violon ont plus ou moins travaillé'
Cours de cohposiiion. — t. 11, 1 a^
170 LA SONATE DE BEETHOVEN
tion mutuelle des deux thèmes devait être réalisée beaucoup plus com-
plètement, par Beethoven, dans ses Quatuors (i).
Seule, la Sonate, op. 96, composée en 1812, dédiée à Tarchiduc
Rodolphe et éditée seulement en 1816 à Vienne, chez Steiner, diffère
de toutes les autres par sa poésie et son intérêt. Dans son premier
mouvement, en 50/, d'une exquise fraîcheur mélodique, il faut remar-
quer surtout la seconde idée et le charmant dessin de sa troisième
phrase (/>'") ;
il est bien rare que les virtuoses interprètent cette phrase de façon à en
dégager l'expression rêveuse que l'auteur a voulu lui donner.
L'Adagio, de forme Lied-Sonate {sans développement), est en Mii> :
le charme pénétrant de sa mélodie exige, comme la phrase précédem-
ment citée, une grande intensité d'expression.
Cet Adagio s'enchaîne au Scher!{o, en 50/, sorte d'antithèse entre la
lusticité sauvage d'une danse de rudes paysans {scher'^o proprement
dit) et la suavité d'une valse citadine lointaine {trio en mi t> ) dont le
vent apporte l'écho jusque dans l'auberge du village.
Le finale, en forme de Thème varié, sur une chanson populaire con-
nue, participe également de ces impressions campagnardes, mais non
triviales:
Fi . ta
Ainsi, toute la Sonate pourrait, à plus juste titre que l'op. 28, porter
la dénomination de « pastorale » ; elle semble le résumé du Trio,
op^. 97, composé un an auparavant et dédié également à l'archiduc
Rodolphe ; le sentiment général est le même dans les deux œuvres,
avec une plus grande puissance expressive, toutefois, dans cet admirable
Trio qui sera étudié dans la Seconde Partie du présent Livre.
Sonates pour violoncelle. — Ces (/«i/ Sonates, sans valoir musicale-
ment celles pour piano seul, méritent cependant d'être étudiées d'assez
près, en raison de leur architecture particulière.
Il faut remarquer d'abord que l'adjonction d'un instrument cssen-
(1) Voir la SeconJe Partie du présent Livre.
SONATES POUR VIOLONCKI.I.E . i;!
tiellement chanteur, comme le violoncelle, oblige la plupart du temps à
une double exposition de chaque phrase mélodique, ce qui donne aux
secondes idées une durée notablement plus longue que dans les Sonates
pour piano. En outre, et probablement pour une raison de symétrie,
quatre de ces Sonates, sur cinq, s'ouvrent par une Introduction lente
aussi développée et aussi importante que les Préludes dans les Suites
de la dernière époque (voir ci-dessus, p. 145 et suiv.).
Les deux premières Sonates pour violoncelle, op. 5, en fa et en
sol, écrites en 1790 et 1797 et dédiées au Roi de Prusse, sont en deux
mouvements {Allegro et Rondeau) précédés d'une Introduction.
Si la seconde idée de chacun des Allégros initiaux est longue et
détaillée, par contre, celle des Rondeaux est à peine indiquée, ce qui
démontre bien la différence faite par l'auteur entre ces deux formes,
tant au point de vue thématique qu'au point de vue architectural. Le
Rondeau de l'op. 5 n" 2 a six refrains; c'est l'un des plus longs qu'ait
écrits Beethoven.
La troisième Sonate, op. 69, en la (1808), dédiée au baron van
Gieichenstein, est en trois mouvements ; Y Introduction lente s'y trouve
placée avant le finale ; celui-ci, de même que le mouvement initial, est
du type S.
Les deux dernières Sonates, op 102 (1816), dédiées à la comtesse
Erdody (i), demandent un examen plus détaillé.
La Sonate op. 102 n" i, en ut, est composée de trois mouvements;
le premier et le dernier offrent un nouvel aspect du type S, par suite
de modifications importantes dans leurs secondes idées, ou plutôt dans
ce qui en tient lieu : car Beethoven, dérogeant ici à ses propres habi-
tudes dans ses autres œuvres pour violoncelle, a supprimé de ces
deux morceaux presque toute la longue exposition d'allure féminine
appartenant d'ordinaire à la seconde idée. Peut-être a-t-il jugé que
l'admirable efflorescence mélodique de V Introduction, en UT, rendait
superflu tout autre élément de même nature. Cette opinion serait assez
plausible, si l'on remarque que le thème d'Introduction reprend sa
place au milieu de VAdagio et détermine, par sa seule péroraison
rythmique, l'entrée subite du thème final:
Û^^M
II) Dans la première édition parue en France, l'op. 102 porte la dé jicacc : a son ami
M. Charles Necte, mais cette indication semble dénuée de tout fondement.
373 LA SONATE DE BEETHOVEN
Les secotides idées des mouvements extrêmes sont ici à peu près
inexistantes mélodiquement : il faut plutôt les considérer comme une
sorte d'émanation des idées initiales, reparaissant dans le ton occupé
d'ordinaire par la seconde idée. Cette modification de la forme Sonate
semblerait la rapprocher de la forme Suite; une tentative de retour à
cette même forme, magnifiquement traitée, se retrouvera aussi dans
les derniers Quatuors (i).
Enfin, exemple unique dans l'œuvre beethovénien, le premier mou-
vement, en rythme de Marche, comme on en rencontre assez fré-
quemment dans les œuvres de la troisième manière (Sonate op. loi,
XV' Quatuor, etc.), n'est pas en UT, ton principal du cycle, mais au
relatif, la. On peut en conclure, non seulement que Beethoven consi-
dérait les deu.x modalités d'un même ton comme une seule tonalité, ce
qui est parfaitement logique, mais encore qu'il attachait une impor-
tance primordiale à la mélodie de V Introduction dont il faisait, en
raison de sa beauté, le principe de l'œuvre entière (2).
Voici l'analyse de cette Sonate :
1° Introduction, en ur, par une large mélodie de forme lied, évoluant
autour du dessin générateur qui semble lui servir de pirot :
cette Introduction est leliée à V Allegro par une cadence suspensive.
2° Allegro vivace 0, en /a Type S (modifié).
Exp. Th. A, très court, en la, avec inflexion vers le pont ;
— Pont mélodique de six mesures seulement ;
— Th. b, en mi, odrant l'aspect d'un complément de P. et de A, plutôt que
d'une véritable idée :
— Cette phrase unique se répète deux fois et se termine par une coda sur
le rythme de a.
(i) Voir la Seconde Partie du présent Livre.
(a^ il n'est point étonnant que de pareilles atteintes porti'c» à la convention formelle aient
eomplètcmcni déroulé les critiques d'art, aussi peu clairvoyants à cette époque que de no»
jour». C'est pourquoi, sans oser blâmer ex professa un génie qui commcnvait à être
réputé; le critique de VAUgcmeine Musik Zcitung {\)ii^, p. 702) émet, au juict Je ccitc
Sonate, l'opinion pcti compromettante « quelle appartient au haut poùt le plus étrange et
le i^lus inaccessible... ■
SONATES POUR VIOI.ONXELLE 37?
Dév. très court, fourni presque entièrement par A et par un épisode tire de B :
Réexp. normale avec conclusion en la.
3° Adai^io consistant en une phrase de forme binaire, en VT, qui
émane très certainement de la mélodie de V Introduction : cette mélodie
elle-même reparaît in extenso, après V Adagio, pour servir d'enchaîne-
ment au finale.
4° Allegro virace, en UT Type S (modifié).
Exp. Th. A, en VT.
— Pont et th. B, en SOL, ne formant, pour ainsi dire, qu'un seul corps.
Dév. très court.
Réexp. conforme à Vexposilion.
— Dev. terni., plus important que le dév. central, pour clôturer toute l'œuvre.
L'op. 102 n° 2, en RÉ, est la seule Sonate pour violoncelle qui n'ait
point d'Introduction. Le premier mouvement est régulier, et l'on peut
estimer VAdagio l'une des plus hautes inspirations mélodiques de
Beethoven; sa forme est simple : c'est un Lied en trois sections dont la
dernière est enchaînée par un conduit avec le finale-Fugue ; mais com-
bien ce chef-d'œuvre dépasse l'ancien Andante-Lied de Haydn et de
Mozart, au point de vue de la signification expressive !... Une phrase
ternaire, en ré, s'impose: calme en sa première période, elle s'émeut
dans la deuxième, jusqu'au cri de douleur, tandis que la troisième
période, plas courte, semble ramener la confiance et la tranquillité.
Bientôt, dans la 11' section du Lied, en ré [i], apparaît une céleste mé-
lodie qui plane et chante jusqu'au retour du thème, troublé cette fois
par un dessin plus inquiet. Le thème terminé, une nouvelle phrase
mélodique s'élève, pour préparer le finale dans lequel s'accuse la pré-
dilection de Beethoven pour la Fugue, à cette époque de sa vie.
On voit par ces quelques observations que les Sonates pour violon-
celle méritent, plus que les Sonates pour violon, de retenir l'attention
des musiciens, car elles contiennent, sous le rapport de la construction,
une plus grande part d'innovation ; leur intérêt, toutefois, ne saurait
être mis en parallèle avec celui des Sonates pour piano.
(i) Comme nous le verrons dans la Seconde Partie du présent Livre, César Franck,
dans son i" Trio, en fa Z , semble être parti d'une idée similaire. Dans le premier mouve-
ment de ce Trio, le second thème, qui régit l'œuvre entière, paraît assez proche parent
de la mélodie beethovénienne en RÉ-
374 LA SONATE DE BEETHOVEN
Celles-ci, en effet, constituent avec les tiettf Symphonies et les
seÏT^e Quatuors a cordes un monument incomparable, dont les inépui-
sables enseignements, la durée déjà séculaire et la constante sincérité
réalisent au plus haut degré de perfection, dans le domaine de la
musique instrumentale, les conditions essentielles de Vceuvre d'art,
telles que nous les avons exposées dans l'Introduction du Premier
Livre de ce Cours (i).
Sans doute, le but didactique de cet ouvrage nous obligeait à donner
ici la première place aux enseignements techniques contenus dans
l'œuvre beethovénien, à les exposer le plus nettement possible,
à en faire ressortir enfin l'importance primordiale par de nombreux
exemples et des commentaires détaillés. Mais il n'en faudrait pas con-
clure que les lois de structure organique et tonale, indispensables à
toute composition musicale, aient pu se confondre à aucun moment
dans notre esprit avec la musique elle-même.
De telles lois, comme toutes les lois, ne sont à aucun degré l'ex-
pression de volontés ou de caprices individuels ou collectifs : elles
résultent d'un état de choses qu'elles contribuent à ordonner, à perfec-
tionner et surtout à conserver. On les constate, on les formule : on ne
les crée point. Dans la musique symphonique, elles se vérifient à
chaque instant, mais il ne suffirait pas de les appliquer scrupuleuse-
ment pour devenir, par cela même, un musicien; et elles ne sauraient
nous donner, à elles seules, la « révélation de la musique », pour nous
servir d'une expression de Beethoven, à qui nous donnons ici la parole
une dernière fois.
Aussi bien, ce chapitre lui étant consacré spécialement, c'est h lui
qu'il appartient de conclure :
« Ainsi que des milliers de gens, dit-il (2), se marient par amour,
« chez qui l'amour ne se révèle pas une seule fois, bien qu'ils en
« fassent le métier, ainsi des milliers de gens cultivent la musique et
<( n'en auront jamais \& Révélation I »
(1) Voir I" liv., Introd., p. 14 et i5.
(a) Conversation avec Bettina Brentano.
^
V
LA SONATE
CYCLIQUE
TECHNrQUE. — I . L'unité cyclique dans l'œuvre d'art. — j. Eléments constitutifs de la forme
cyclique.
Historique. — 3. États divers de la Sonate à partir de Beethoven. — 4. Les Contemporains
de Beethoven. — 5. Les Romantiques. — 6. Les Allemands modernes. — 7. Les Français:
la Sonate cyclique.
TECHNIQUE
I. —l'unité cyclique dans l'œuvre d'art.
La Sonate cyclique est celle dont la construction est subordonnée à
certains thèmes spéciaux reparaissant sous diverses formes dans cha-
cune des pièces constitutives de l'œuvre, où ils exercent une fonction en
quelque sorte régulatrice ou unificatrice.
Le caractère cyclique dû à la présence de ces thèmes permajients, de
ces motifs conducteurs, qui donnent aux différents mouvements ou
morceaux d'un ouvrage musical l'aspect d'un cycle de pièces dépen-
dantes nécessairement l'une de l'autre, n'est pas spécial à la Sonate.
Mais, comme la Sonate est le prototype de toutes les formes sympho-
niques devenues cycliques après elle, c'est à propos de la Sonate qu'il
convient d'étudier au point de vue technique les éléments de la forme
cj'clique, fournis pour la plupart par le génie beethovénien, bien avant
d'être organisés consciemment et dans toute leur plénitude par César
Franck.
Le qualificatif cyclique est applicable en premier lieu aux motifs et
aux thèmes qui, tout en se modifiant notablement au cours d'une com-
position musicale divisée en plusieurs parties, demeurent présents et
reconnaissables dans chacune de celles-ci, indépendamment de la struc-
ture, du mouvement ou de la tonalité qui lui est propre.
376 LA SONATE CYCLIQUE
Par une extension, ou plutôt par une restriction toute naturelle, la
cellule qui contient un motif cyclique ou la période qui contient un
thème cyclique sont dites cycliques elles-mêmes (i). Enfin, une /orme
musicale (Sonate, Quatuor, Symphonie, etc.) sera dite pareillement
cyclique si elle contient des motifs ou des thèmes ayant un tel caractère
et une telle fonction. Et cette fonction consiste en définitive à accroître
la cohésion existant entre les diverses parties d'une oeuvre, à renforcer
Vutiité synthétique de celle-ci : l'application de ce terme à la musique
est donc peu différente de son acception usuelle en matière de littéra-
ture, de poésie ou de toute autre œuvre d'art.
C'est en effet l'idée d'unité, de retour au point de départ, au principe
commun ou au personnage permanent, après un parcours plus ou
moins développé, qui fit très probablement recourir à cette expression
imagée du cycle, empruntée tout à la fois à la géométrie et à la sym-
bolique, où le cercle (xuxXoç) figure la proportion parfaite, la trinité
dans lunité ; et c'est en ce sens qu'on a pu légitimement qualifier un
triptyque, cycle de tableaux, ou une trilogie, cycle de tragédies .
Mais, de même que trois tableaux quelconques ne forment pas néces-
sairement un triptyque, pas plus qu'une succession de tragédies de
sujets et de styles différents ne constitue une trilogie, ni a /or/ior/ un
cycle, de même des pièces musicales juxtaposées ne méritent le nom
de cycle que dans la mesure où elles sont subordonnées à un lien com-
mun, à une unité de pensée, de forme, de tonalité et surtout de thèmes ;
car le rôle du thème dans la composition est tout à fait analogue, ainsi
que nous l'avons constaté, à celui du personnage dans la littérature.
Si donc nous jetons un coup d'ceil rétrospectif sur la lente élabora-
tion du cycle Sonate qui fait l'objet de la section technique du présent
chapitre (2), nous en trouverons l'origine très éloignée dans Vunité tonale
des formes Prélude et Fugue (voir ci-dessus, p. 64), puis des danses.
Pavane et Gaillarde, Can^ona (voir p. 104) et enfin des Suites de danses
groupées intentionnellement dans un certain ordre.
Avec la forme Sonate, on a vu Vidée d'unité s'affirmer d'abord par la
suppression des pièces de même mouvement faisant double emploi, et
la réduction de leur nombre aux quatre types principaux (Sonate, Lent,
Modéré, Rapide); puis, par la dépendance tonale plus rigoureuse des
(i) On a vu au chapitre précédent (p. 3Î3, 3^5 et suiv.) plusieurs exemples de thèmes
ou de motifs véritablement cycliques. Nous les désignons plus spécialement par les der-
nières lettres d< l'alphabet : x, y, f .
(ï) Certaines considérations pratiques qui seront exposées plus loin (p. 389 et Bgo) ont
eu pour résultat de faire annexer à U section historique de ce même chapitre une notable
quantité de compositeurs dont les Sonates ne contiennent pas la moindre trace d'uiii/^
cyclique.
L'UNITÉ CYCLIQUE DANS LOEUVKE DART 377
morceaux, l'un par rapport à l'autre ; enfin, par le rôle grandissant de
la personnalité thématique.
Seule, en effet, cette conception beethovénienne du thème-personnage
pouvait permettre l'unification cjxlique des divers morceaux, de même
que les personnages principaux des tableaux légendaires, des tragédies
ou des poèmes épiques avaient inspiré les triptyques, les trilogies et les
cycles, véritables monuments de l'art.
Parvenue à ce degré de perfection, la Sonate cyclique (ou toute
œuvre symphonique construite d'après les mêmes principes) devient,
elle aussi, un monument architectural, en raison de cette étroite afiinité,
maintes fois signalée par nous, entre la composition et la construc-
tion (r).
Comme une « cathédrale sonore », cette Sonate s'ouvre devant nous
par un portail grandiose dont les formes sculpturales nous font pres-
sentir déjà quel est le Dieu qui l'habite, quel est le saint à qui elle est
vouée. Répondant au geste bienveillant de ce portail symbolique, écou-
lons l'appel d'introduction qui nous est fait : découvrons-nous respec-
tueusement et pénétrons dans l'immense nef. Tandis que s'expose et
se réexpose à l'infini dans chacun des bas-côtés la pieuse idée de l'artiste,
le vaisseau central s'appuie, de travée en travée, sur les piliers que la
courbe ouvragée de la voûte ogivale relie l'un à l'autre en d'harmo-
nieux développements. Examinons de plus près ces chapiteaux : tel
d'entre eux ne reproduit-il pas, dans une attitude différente, le person-
nage, le motif que le portail introducteur nous avait proposé une pre-
mière fois ?
Toujours guidés par ces figures cycliques d'un intérêt croissant, nous
voici parvenus à l'extrémité de la grande nef : le premier morceau de
l'œuvre est achevé. Parfois se dresse ici un obstacle qui retarde encore
notre entrée dans le sanctuaire : richement vêtu de ses mille figurines
en miniature où éclate la joie du sculpteur, le jubé s'interpose et semble
distraire un instant notre vue, ainsi que le gai Scherzo, où se répètent les
petits thèmes brefs et joyeux, repose notre oreille avant les émotions
intimes et profondes de la pièce lente, du Saint Lieu qui, le plus sou-
vent, fait suite à la nef principale sans transition, sans jubé..,, sans
Scherzo.
Calme et recueilli, le transept étale alors devant nous sa construction
ternaire. Entre ses branches latérales, alpha et oméga, commencement
et fin, s'élève le chœur, point culminant de l'œuvre entière, d'où
rayonne toute clarté, car tout y chante la gloire de Dieu, comme en un
Lied sacré dont la phrase centrale, différente des deux redites qui l'en-
(1) Voir notamment 1" liv., IntroJ., p. 7, et ci-dessus : IniroJ., p. 14 et suiv.
•jyS LA SONATE CYCLIQUE
cadrent, s'épanouit en accents sublimes ou l'âme inspirée de l'artiste
s'exhale inct!\iblement.
Sitôt que s'est éteinte cette lente mélodie, nos yeux s'élèvent et ren-
contrent les galeries supérieures qui tournent autour du chœur avec
leurs arcades finement ciselées et groupées en trios : ici est, en effet, la
place normale du Scher\o, dont les fines arabesques frapperont joyeuse
ment notre oreille et reposeront notre cœur encore ému des graves
impressions de l'autel où s'est accompli, lentement, le sacrifice.
Nous parcourons enfin les chapelles de l'abside qui se succèdent et
alternent régulièrement comme des refrains et des couplets, entre
lesquels circulent encore des ornements ou des motifs déjà connus de
nous : ce sont ces personnages symboliques, ces thèmes conducteurs
apparus tour à tour au portail d'introduction, aux développements de
la nef, aux décorations variées du transept. Et nous saluons pieusement
leur retour dans ce chemin de ronde, dans ce Rondeau terminal moins
sévère..., « dernier refuge » aussi, par quoi s'achève dignement l'édifice,
le monument, — sonore ou architectural, — œuvre de rayonnante beauté,
œuvre cyclique d' « unité dans la variété, exprimant la grandeur et
« l'ordre » ( i).
2. — ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA FORME CYCLIQUE.
La comparaison tout allégorique que nous venons d'établir entre
la Sonate et la Cathédrale a pour but de montrer que le principe d'unité
peut seul donner à une composition le caractère monumental ou
cyclique. Sans doute, les rapports ou proportions de rythme ou de
symétrie entre les diverses parties d'une œuvre, leurs relations de
tonalités manifestent déjà une intention d'unité ; mais cette intention ne
devient accessible à l'auditeur que par la forme dans laquelle elle se
réalise ; l'idée d'unité, en elle-même, ne suffirait pas à constituer la
composition cyclique, si elle n'était en outre exprimée, transmise à
l'aide de signes extérieurs (2) aisément reconnaissables. Ainsi, le véri-
table élément cyclique apparaît seulement dans la réalisation, lorsque
certains aspects rythmiques, mélodiques ou harmoniques rappellent,
dans l'une des pièces constitutives de l'œuvre, la présence d'un thème
appartenant originairement à une autre pièce de la même œuvre.
La fonction conductrice ou unifiante des motifs ou des thèmes cycli-
ques, communs à plusieurs mouvements d'une même composition sym-
phonique, ne doit pas être confondue avec le rôle des idées musicales
(1) Charles L(<vcque: La Science du Beau,
(a) Voir I" liv., IniroJ., p. y el lo.
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 379
dans les expositions et les développements d'un seul et même morceau
de l'un disquaire types fondamentaux (S. L. M. R.) : il ne s'agit plus,
en effet, d'examiner, comme nous l'avons fait précédemment (p. 234 et
suiv.), l'élaboration d'î<Ht? seule idée musicale à l'aide de plusieurs cel-
lules ou périodes, mais la formation de plusieurs idées musicales gar-
dant le caractère propre à chacun des mouvements où elles s'exposent,
et pourtant issues d'une seule et même cellule ou d'une seule et même
période génératrice. De telles métamorphoses thématiques diffèrent
aussi, dans la plupart des cas, du développement organique (voir ci-des-
sus, p. 242 et suiv.) consistant à faire agir ou mouvoir un thème pré-
exposé, à l'amplifier, à l'éliminer ou à le combiner avec d'autres : les
mêmes mo3'ens ne sufiBsent pas, en général, pour donner au thème ou
au motif cyclique l'aptitude à circuler dans des pièces de caractère dif-
férent, tout en demeurant reconnaissable. Cette opération, comme on
le verra au chapitre suivant, tient beaucoup plus de la variation que du
développement.
Comme tout phénomène musical, la modification cyclique d'un thème
porte nécessairement sur l'un ou l'autre de ses éléments constitutifs
(rythme, mélodie, harmonie), sinon sur plusieurs à la fois. Cette dis-
tinction élémentaire semble la meilleure pour analyser ici, à titre d'in-
dication, quelques spécimens de ces modifications dont l'inépuisable
variété défie toute tentative de classification complète.
Modifications rythmiques. — Chaque pièce constitutive d'une œuvre
cyclique affectant généralement uh rythme propre, les transformations
de cette espèce sont de beaucoup les plus fréquentes. Nous en avons
rencontré plusieurs exemples déjà dans les Sonates de Beethoven (i) ;
mais, comme l'étude des éléments cycliques n'est pas limitée à cette
seule forme de composition, il convient ici d'opérer de la même ma-
nière que pour les idées musicales (voir ci-dessus, p. 236 et suiv,) et
d'élargir notablement le choix des œuvres contenant des exemples
typiques.
La Symphonie Pastorale, op. 68, contientune application plus appa-
rente et sans doute plus consciente des modifications rytlimiques appor-
tées à divers dessins destinés à établir, entre le mouvement initial et
le finale, un lien cyclique indéniable.
On connaît déjà (2) la modification agogique, c'est-à-dire rythmique,
subie par le dessin des instruments à vent à la fin de la première expo-
sition, lorsqu'il reparaît, à la clarinette, dans l'introduction du finale:
(i) Voir notamment les op. i3. 3i n« 3, Sy, 81, 106, 1 10, dont les analyses ont été faites
dan* la section historique du précédent chapitre {p. 333, 'i^i, 347, 353, 3(53 et ?Go.)
(ï) Voir l" liv., p. 124.
LA SONATE CYCLIQUE
Seul, le rythme diffère; mais ce rythme nouveau et moins calme du
finale ne tardera pas à engendrer une idte nouvelle, totalement distincte
de la phrase du mouvement initial, à laquelle elle emprunte pourtant
le rythme et le dessin de sa cellule primitive :
Dans la même Symphonie, le motif qui caractérise l'entrée de la
seconde idée dans le mouvement initial exerce une influence cyclique
sur la seconde idée du finale, par une modification principalement ryth-
mique ;
mais ce rappel du premier mouvement, au lieu d'être le point de départ
d'une nouvelle mélodie, apparaît ici plutôt comme un aboutissement:
Ni l'une ni l'autre des deux transformations rvthmiquesque nous venons
de citer n'ont, à proprement parler, le caractère de développement : il
est à peine utile d'en faire l'observation, tant est différent ici l'emploi
du motif cyclique.
Le Quintette de César Franck otTre un exemple remarquable d'unité
cyclique, obtenue h l'aide d'un thème unique dont le rythme seul se mo-
difie dans chacune des /rwjs pièces constitutives de l'œuvre, tandis que
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
^H,
sa ligne mélodique et ses harmonies très spéciales subsistent immua-
blement (i ).
Dans V Allegro initial, cette plainte, tantôt mystérieuse, tantôt vio-
lente, apparaît pour la première fois au piano sous deux aspects ryth-
miques différents, avant de prendre part à la lutte dramatique des au
très thèmes :
Allegro
Dans la pièce lente, elle semble planer seulement sous une forme
rythmique plus alanguie et en quelque sorte éloig-iiéc par sa tonalité ;
Lento con molto sontimcnfo
Dans le finale, elle se fait entendre d'abord avec le même rythme et
(i) Ainsi qu'on le démontrera dans la Seconde Partiedu présent Livre, en étudiant spécia-
lement le Quintette de Franck, ce thème cyclique dire une particularité remarquable que
nous tenons i signaler : les deux membres de phrases qui le constituent sont l'inversion à
peu près exacte l'un de l'autre. Les quatre mesures du premier membre, citées ci-dessus,
contiennent donc tout le thème: il suffit de rein-erserle sens de leurs intervalles pourdonner
naissance mclodi^jucment au second membre de phrase.
383
LA SONATE CYCUOUE
la même tonalité que dans la pièce lente, mais l'expression est tout à
fait dillérente :
Ali" non troppo
VioM
Bientôt le calme disparaît ; la voix plaintive se fait plus forte en
retrouvant le ton principal : elle se rapproche, et ses appels désespérés
retentissent encore au-dessus de l'éclatante péroraison.
La IIP Symphonie de C. Saint-Saëns, op. 78, en m/, est également
construite sur un dessin unique qui affecte trois aspects rythmiques
principaux :
AiPmod'
Mais c'est surtout au point de vue mélodique que cette oeuvre contient
des exemples de transformations intéressantes, ainsi qu'on va le voir
ci-après.
Modifications mélodiques. — Il est à peu près impossible de délimiter
exactement ce qui appartient au domaine purement mélodique dans
les modifications subies par un thème c\'clique : dans l'exemple de
Beethoven, précédemment cité (p. 38o), les rythmes transformés
engendraient de véritables mélodies nouvelles, et de tels effets rythmo-
mélodiques sont, en matière de thèmes cycliques, extrêmement fré-
quents. Dans certains cas, cependant, la modification mélodique prépon-
dérante peut être considérée en elle-même et isolément. La même Sym-
phonie de Saint-Saêns, op. 78, citée ci-dessus, en contient un exemple
assez caractéristique dans le thème qui constitue le trio du Scherzo, où
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
^83
il est exposé pour la première fois sous cette forme, dont la parenté
avec la phrase principale du mouvement lent est assez nette :
Presto
La superposition de ces deux thèmes montre bien que leurs éléments
mélodiques sont semblables : mêmes intervalles entre les trois notes
initiales (/a t) , s/b, réi>); mêmes notes extrêmes au grave (si i>) et à
l'aigu (mii>,fa) dans les mesures suivantes. Les points les plus apparents
des deux mélodies sont identiques, mais leur fonction tonale diffère,
puisque le thème du Scherzo part de sa tonique^ tandis que celui de
V Adagio part de sa dominante.
Dans le finale, ce mèmet hème, changé de rythme, donne naissance
à une nouvelle mélodie, où l'on retrouve les éléments principaux du
dessin initial du Schei-;o:
Maestoso
et ce dernier dessin relié mélodiquement au grand Choral Maestoso,
comme on vient de le voir, procède également du thème initial (cité
ci-contre, p. 382), en sorte que tous les éléments mélodiques de la Sym-
phonie sont implicitement contenus dans les quatre notes de hautbois
du début ;
Ada'îio
"4
384
LA SONATE CYCLIQUE
Cet exemple d'un thème unique, qui circule dans toutes les parties
d'une œuvre musicale, donne une idée des immenses ressources qu'ap-
porte à l'art de la composition l'emploi des modifications d'ordre mélo-
dique.
Richard Wagner semble avoir pousse jusqu'à ses extrêmes limites
cette conception véritablement cyclique des thèmes dont il se sert pour
signifier les sentiments éprouvés par les personnages de ses drames : le
Ring des Nibelungen, légende de Vanneau., cycle de poèmes épiques et
mythologiques, en offre un spécimen des plus frappants. S'il est un
thème cyclique dans toute la force du terme, c'est assurément la mé-
lodie initiale {Ur Mélodie) qui s'expose, dès les premières mesures du
Rheingold, sous les deux aspects suivants, l'un harmonique et l'autre
mélodique :
Ce thème, par lequel Wagner a voulu représenter une impression de
nature primordiale, aquatique et féconde, contient effectivement le
germe de tous ceux qui ont quelque importance dans la Tétralogie.
Par exemple :
1° l'arpège rayonnant qui apparaît avec l'or dont il symbolise, en
quelque sorte, la pureté originelle ;
2* la forme inverse et mineure du môme arpège appliquée à la malé-
diction de l'or, désormais souillé par la cupidité et le vol :
3* une autre disposition majeure du même thème, contrastant avec
la précédente et signifiant la noblesse héroïque de celui par qui sera
rachetée cette malédiction de l'orfi) :
(1) Nous avont dcja fait connaître (l" liv., IntroJ., p. i j) ce qu'il faut penser des làcheu-
(ei nomenclatures où ce thème est qualifié 1 thème de l'épée», et des commcntateuri, plus
ELEMENTS CONSTI'HTI|-
383
4" le rythme guerrier des messagères divines chevauchant dans l'es-
pace ;
5° enfin, la période mélodique complète où l'on retrouve le thème pri-
mordial de tout le cycle, personnifié dans le héros prédestiné ;
En étudiant ultérieurement les autres œuvres de Wagner, dans le
Troisième Livre de ce Cours, on y rencontrera les plus admirables
exemples de transformations rythmiques et surtout mélodiques. Car le
thème cyclique, dans le domaine symphonique, et le motif conducteur
{Leit Motii'), dans l'ordre dramatique, sont en définitive une seule et
même chose. Les lois différentes de la Symphonie et du Drame modifient
l'emploi qui doit être fait des uns et des autres dans la musique,
comme ces mêmes lois affectent différemment l'ordre et la distance des
modulations : nous l'avons observé précédemment (p. 24b); mais cette
adaptation d'un même thème à des formes expressives variables à l'in-
fini, demeure le principe fécond de toute œuvre véritablement composée.
Modifications harmoniques. — L'élément harmonique étant très pos-
térieur aux deux autres dans l'art musical, son emploi dans le domaine
cyclique est resté jusqu'à présent assez limité. La transposition, la mo-
dulation et l'altération semblent résumer tout l'effort accompli depuis
ces derniers siècles dans le sens harmonique ou tonal : harmonie et
tonalité peuvent apporter cependant à la construction cyclique d'utiles
ficheux encore, qui croient rendre service à l'auteur en expliquant comment ce thème
représente une épée ! On ne saurait trop répéter qu'une conception aussi grossièrement
enfantine de la signification expressive des thèmes musicaux ne doit, en aucune manière,
être imputée à une intelligence aussi profonde et surtout aussi méthodique que celle de
Richard Wagner. Une fois pour toutes, la musique ne rtprésente pas un objet : elle évoque ou
exprime des sentiments de râmc. Et si tel objet, comme une cpéc, est lui même représentatif
de tel sentiment, au même titre qu'un mot, un geste ou une attitude, la musique est en
dehort et au-dessus de ces représentations matérielles, car elle atteint précisément ce qu'il
y a en nous de plus immatériel et de plus noble : l'àme.
CoLm DI COMPOSITION. — T. Il, I. 3)
386 LA SONATE CYCLIQUE
ressources ; il convient d'en signaler ici quelques trop rares applica-
tions.
La fonction tonale des degrés principaux d'un thème cyclique peut
être modifiée sans atteindre la substance même de ce thème : on en a
vu des exemples rudimentaires à propos de la réponse tonale dans la
Fugue (p. 39). Dans la Symphonie de Saint-Saëns, précédemment
citée, on a pu constater aussi une mutation de \s. fonction harmonique
des mêmes notes, appartenant à <iew.v formes mélodiques issues l'une de
l'autre: le trio d\i Scherzo et le motif initial du mouvement lent (voir
ci-dessus, p. 383).
La Sonate pour piano et violon de César Franck, qui sera analj'sée
plus complètement ci-après (p. 423 et suiv.), contient aussi une modi-
fication harmonique analogue : le thème du finale est beaucoup plus
proche qu'on ne le croit communément de celui du mouvement initial ;
leurs mélodies et même leurs rythmes sont assez peu dissemblables
dans les premières mesures, mais le premier s'expose en fonction de
dominante et le dernier en fonction de tonique. Ces deux formes du même
dessin cyclique, entre lesquelles se meut la Sonate tout entière, occu-
pent donc respectivement la situation de la réponse par rapport au
sujet dans une contre-exposition formant cadence conclusive :
Rcpoi.Tt
Admirable réalisation cyclique de l'équilibre tonal fondé, en défini-
tive, sur les lois immuables de la cadence.
Enfin, la tonalité elle-même est susceptible de coopérer à l'unité
cyclique d'une oeuvre, tout autrement que par l'emploi traditionnel de
la même tonique pour la pièce initiale et la pièce finale de la même
composition : les réapparitions successives d'une même tonalité très
différente du ton principal au cours des diflérents mouvements consti-
tuant le cycle, ont été déjà signalées plusieurs fois (par exemple SOL^-
f^ S dans l'op. 106, en 5/ 1», de l3eethoven, p. 279 et 362); l'adaptation rai-
sonnée et constante de tel ton déterminé h tel personnage ou à tel sen-
timent (le ton de ré alTccté à l'idée de mort, dans Parsifal de R. Wa-
gner, par exemple) fera l'objet d'études spéciales, h propos de la musique
dramatique, dans le Troisième Livre du présent Cours ; mais il y a un
ÉLEMICNTS CONSTITUTIFS ^87
emploi plus particulièrement cyclique des enchaînements de tonalités,
qui a sa place marquée dans l'analyse de la construction symphonique
dont nous nous occupons présentement. Il appartient en propre à César
Franck : dans plusieurs de ses œuvres et notamment dans le Quintette
dont nous avons examiné déjà le thème cyclique (p. 38i), certaines
tonalités agissent d'une façon continue sur les modulations importantes
des développements. Les trois mouvements consécutifs de ce Quin-
tette obéissent à une progression tonale constante ayant pour point de
départ la tonalité d'origine (fa) et pour aboutissement la tonalité finale
plus claire [fa). La plupart des modulations employées appartiennent
par leur parenté plus ou moins directe, tantôt à la famille de fa, comme
la t> et RÉt> dans le mouvement initial, tantôt à celle de fa, comme fa s
dans le finale.
L'emploi des unes et des autres est ordonné de telle sorte que l'in-
fluence de fa reste prépondérante dans le mouvement initial. La
pièce lente centrale est placée dans la tonalité intermédiaire de la,
reliée par sa tierce {ut) et par son mode mineur au ton de départ,
et par sa tonique [la) au ton d'arrivée. Le finale, au contraire, voit
apparaître des tonalités toujours plus proches de fa et du mode
majeur où s'achèvera la géniale péroraison. Ainsi, les modulations
de chaque pièce sont soumises non seulement à l'ordre de structure
propre à chacune d'elles, mais en outre à un ordre supérieur, véri-
table rythme cyclique qui règle leur enchaînement d'un bout à l'autre
de l'œuvre.
Cette unification delà hiérarchie tonale dans les compositions s^'m-
phoniques de vastes proportions permet d'entrevoir dans l'avenir bien
d'autres applications, à peine pressenties par les premiers auteurs des
Sonates cycliques. Déjà d'intéressantes tentatives ont été faites en ce
sens : leur étude ne peut prendre place dans cet ouvrage.
Pas plus dans l'ordre harmonique et tonal que dans l'ordre mélo-
dique ou rythmique, il n'était possible de donner ici autre chose que
de simples indications; la modification cyclique des thèmes atteint, en
effet, ce qu'il y a de plus subtil, de plus intime et de plus personnel
dans l'art de la composition : l'élaboration des idées elles-mêmes. Ce
travail patient et consciencieux dans lequel se résume l'effort inventif
du musicien ne saurait être astreint à des limites exactes, ni enclos dans
un cadre absolument fixe. Tout au plus pouvait-on montrer ici, par
quelques exemples méthodiquement présentés, comment ont procédé
les plus grands génies dans cette opération nécessaire et complexe de
la transformation thématique, sur laquelle nous reviendrons encore
dans le chapitre suivant à propos de la Variation.
3b8 LA SONATE CYCLIQUE
HISTORIQUE
3. — ÉTATS DIVERS DE LA SONATE A PARTIR DE BEETHOVEN
La conslruction cyclique, dont on vient d'énoncer sommairement les
éléments et les principes généraux, ne pouvait manquer de réagir pro-
fondément, non seulement sur la forme Sonate à propos de laquelle
nous avons fait cet exposé très incomplet, mais encore sur toutes
les formes instrumentales de la Troisième Époque, dont la Sonate est
le prototj'pe. Les effets de cetf^ véritable rénovation ne peuvent donc
être historiquement constatés et examinés qu'avec l'étude de chacune de
ces formes, au fur et à mesure de leur apparition et de leur perfection-
nement. La plupart des compositions symphoniques, qui subirent tour
à tour la réaction cyclique, comportent la connaissance préalable de
l'orchestre et feront l'objet de la Seconde Partie du présent Livre ;
aus.i, les observations d'ordre cyclique qui s'y rattachent seront-elles
énoncées à propos de chacune de ces formes. Nous ne retiendrons ici
que les effets subis par la forme Sonate, depuis les premières tenta-
tives de construction cyclique faites par Beethoven.
Quelques extraits déjà cités des jugements portés de son vivant sur
certaines Sonates appartenant à la « troisième manière » du maître (i)
donnent à penser que son dernier style fut de moins en moins compris, à
mesure qu'il approchait davantage de la forme cyclique, telle que nous
pouvons la concevoir depuis César Franck. La critique n'est-elle point
allée parfois même jusqu'à tourner en ridicule les rappels thématiques
devenus plus fréquents dans les oeuvres les plus mûries et les mieux
ordonnées du maître de Bonn ? comme s'il avait paru nécessaire de dis-
créditer à l'avance les tentatives qu'on essaierait encore de faire dans le
sens de cette unité synthétique, si justement admirée de nos jours chez
les meilleurs musiciens I
Quoi qu'il eh soit, ce résultat fut obtenu : incompréhension des uns,
ignorance des autres, provoquèrent dans la Sonate, au temps de Beetho-
ven et même après lui, une stagnation presque totale de la forme. Cepen-
dant, les principes méconnus de la construction cyclique ne devaient pas
tarder à agir de nouveau au fond des consciences musicales, le jour où
quelque génie saurait en tirer une puissance capable de lutter victorieu-
sement contre la désagrégation imminente de la Sonate. Cette forme
semble avoir été entraînée ainsi, depuis les premiers essais de rénovation
(i) Voir notamment 1 appréciation que nous avons citée ci-Jcssus (note 2, p. 372). à
propos des deux Sonates pour violoncelle, op. 103 (i8i5). On verra par la suite que la IX*
Symphonie devait être traitée bien plus sévèrement encore.
LA SONATE DEPUIS BEETHOVEN "îBç
cyclique jusqu'à nos jours, par deux courants opposés, tendant, d'une
part à la dissociation de ses éléments et, de l'autre, à leur union intime
et de plus en plus cohérente : chacune de ces deux tendances doit faire
ici l'objet de quelques observations, d'ordre technique ei historique tout
à la fois, pour expliquer la raison d'être du présent chapitre et des divi-
sions qui vont suivre.
Stagnation et désag:régation fantaisiste de la forme Sonate. — L'incom-
préhension du rôle cyclique des thèmes et des tonalités enleva rapide-
ment à la forme Sonate la plus grande partie de son intérêt. Seul, le
cadre apparent et purement extérieur subsistait : l'ordre des mouve-
ments, la vague division ternaire de certains d'entre eux, sont les seuls
vestiges appréciables que l'on retrouve dans la plupart des œuvres inti-
tulées Sonates par les contemporains et les successeurs immédiats de
Beethoven. Ainsi, l'ignorance et la vanité ne tardent point à réduire
cette belle et noble forme à l'état de vulgaires imitations, voire même
d'airs variés... et de quelle façon !
La tradition se perd ; la routine triomphe ; et l'on constate une fois
de plus que la lettre tue l'esprit.
Cependant, l'enthousiasme pour les nouvelles doctrines du Roman-
tisme révolutionnaire s'étend jusqu'à la musique elle-même. D'exquis
compositeurs, aussi bien doués que mal instruits, s'essaient encore,
mais de plus en plus rarement, dans la vieille forme Sonate. Certes,
leur goût, leur invention, leur génie même se révèle en plus d'une page
émouvante ; mais, par suite de circonstances souvent indépendantes de
leur bonne volonté, leurs connaissances techniques en matière de
composition sont des plus restreintes : ils ne savent pas construire ; et
cette infériorité a<«condamné de tout temps les artistes, même les plus
délicats, à agir comme de véritables appareils enregistreurs et à tra-
duire, vaille que vaille, leurs fugitives impressions. Les meilleurs
d'entre eux n'ont guère accru les ressources de l'art qu'au point de vue
instrumental, et surtout en ce qui concerne le piano.
Un seul, Mendelssohn, possédait, au plus haut degré, le savoir
nécessaire; malheureusement, le génie était absent, en sorte que ses
œuvres sont toutes écrites dans un style très pur... mais parfaitement
conventionnel, sinon inexpressif.
Toutefois, ce que la Sonate avait momentanément perdu par suite de
cette méconnaissance coupable du passé, le culte outré de la Nature
cherchait à le lui rendre dans le genre descriptif. Sous l'influence de
la mode, les compositions instrumentales recevaient, en effet, un con-
tingent peu désirable de titres pittoresques ou prétendus tels; et ces
titres ayant réagi bientôt sur la musique, on vit apparaître une foule
^go LA SONATE CYCLIQUE
d'œuvres intentionnellement fantaisistes, mais heureusement sauve-
gardées par la forte armature de la forme Sonate, la seule que
connussent encore vaguement les « musiciens libres » appartenant
à cette période. Aussi, les meilleurs Romantiques, ceux qui sont
encore des musiciens, subissent-ils cette saine influence et continuent-
ils à construire, à leur propre insu bien souvent, des pièces pit-
toresques où l'on reconnaît assez aisément quelque bon Lied en
trois sections, quelque vieux Rondeau, Scherzo ou Menuet, voire
une exposition à deux idées... Mais toute notion du développement
est à peu près perdue, et nul ne sait plus l'importance de l'ordre
tonal dans cecte partie intégrante de toute pièce instrumentale bien
équilibrée.
Ces pièces isolées, issues pour la plupart de cette sorte de démem-
brement de la forme Sonate, « éclatée en morceaux », là où elle ne fut
pas conservée par la cohésion cyclique, ne sauraient trouver place dans
cette partie du Cours de Composition. Leur forme ne nous apprend
rien : ce sont plutôt leurs déformations dont les causes doivent inté-
resser le musicien. Et comme ces causes proviennent presque toujours
d'une idée poétique ou littéraire, donc extra-musicale, ces pièces dites
libres, et souvent inclassables, figureront plus avantageusement à
titre d'annexés du Poème Symphonique et de la Fantaisie, dans la
Seconde Partie du présent Livre.
De cette désagrégation accidentelle de la forme Sonate, nous ne
retiendrons ici que la Sonate amoindrie et desséchée, telle qu'elle
apparaît chronologiquement h cette place, bien qu'elle ait été jusqu'à la
fin du XIX* siècle, en Allemagne surtout, la moins cyclique de toutes,
assurément. Après Beethoven et les Romantiques, en effet, la Sonate
allemande ne réalise plus aucun progrès: elle suit- aveuglément les
traces de Mendelssohn, mais avec une connaissance moindre des
principes de construction ; et la prétention beethovénienne y remplace
désavantageuscmcnt la véritable compréhension des enseignements
laissés par le maître.
Avant d'arriver à l'École Française contemporaine, la seule qui puisse
vraiment se réclamer des principes de construction cyclique pressentis
par le génial auteur de la Pathétique^ il était nécessaire de faire ici une
place à ceux qui ne subirent jamais son influence : ce fait même les
excluait du chapitre consacré à Beethoven.
Concentration de la forme Sonate dans l'unité cyclique. — Déjà, la
restriction du nombre des mouvements différents dans les dernières
Sonates de Beethoven avait fait présager ce phénomène de concentra-
tion. L'usage des thèmes cycliques, resserrant de plus en plus les liens
LA SONATE DEPUIS BEETHOVEN ■jgi
•
qui unissaient les parties constitutives de la Sonate, devait en accroître
encore la cohésion. Et si l'on observe que quinie années à peine sépa-
rent la dernière œuvre cyclique beethovénienne (1826) de la première
oeuvre cyclique de César Franck (1841), la filiation musicale très
authentique de l'un à l'autre cessera d'être accueillie comme une
complaisante hypothèse. Il est même surprenant qu'une interruption
aussi brève entre l'apparition de deux oeuvres qui sont manifestement
continuatrices l'une de l'autre, ait passé inaperçue. Il n'est pourtant
pas douteux que le dernier Quatuor écrit par Beethoven fût connu et
compris de Franck lorsqu'il écrivit ses premiers Trios. Et, si nous
retrouvons au milieu des inexpériences juvéniles de ceux-ci les prin-
cipes de construction observés dans celui-là, le hasard ou l'hypothèse
n'y sont assurément pour rien. Ces mêmes principes, perfectionnés
par un magistral emploi des dessins et thèmes cycliques, devaient
apparaître avec toute leur force dans l'inoubliable Sonate pour piano
et violon que nous analyserons ci-après (p. 423 et suiv.), et rayonner
de là dans une foule d'autres œuvres.
Avec Franck, génial continuateur français (i) de l'immortel sympho-
niste allemand, commence une période nouvelle et exclusivement fran-
çaise jusqu'à présent. La valeur et la force des meilleures œuvres
appartenant à cette période reposent sur toutes les innovations beetho-
véniennes et sur la construction cyclique enfin comprise et réalisée.
Sous cette influence bienfaisante, la traditionnelle forme Sonate a
déjà reconquis, dans notre pays tout au moins, une vitalité et une
jeunesse vraiment surprenantes après un demi-siècle de décadence et
d'oubli.
L'histoire de la Sonate depuis Beethoven comprendra donc trois
périodes, au cours desquelles on pourra suivre les effets des deux cou-
rants opposés que nous venons de signaler. De ces trois périodes, la
dernière seule, et dans la seule Ecole Française, a gardé le caractère
cyclique par lequel se sont accomplis les principaux progrès de cette
forme de composition : il sera fait ici, pour cette raison, une importante
subdivision dans l'histoire de la dernière période :
Première période : les Contemporains de Beethoven (§ 4} ;
Deuxième période : les Romantiques (§ 5) ;
Troisième période : les Allemands modernes {§ 6) ;
— les Français : la Sonate cyclique (§ 7).
(1) On verra ci-après (p. 42s), par une biève notice biographique sur César Franck ^u'il
fut réellement et exclusivement français
Î9J
LA SONATE CYCLIQUE
4. — LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN
Muzio Clementi 1752 f
Johann Ladislaus Dussek , . 1761 -j-
Daniel Steibelt 1765 f
Johann Baptist Cramer. . , '77' f
Johann Woelfl (ou Wolffi.) 1772 t
Johann Nepomuk Hummel 1778 t
John Field 1782 -j-
Ferdinand Ries 1784 "f
Friedrich Wilhelm Michael Kalkbrenner. . 1788 -f
Ignaz Moscheles 1794 i"
832
812
823
858
812
837
837
838
849
870
De ces dix compositeurs, le premier et les cinq derniers, seuls,
connurent Beethoven et furent même plus ou moins mêlés à sa vie:
ils subirent nettement son ascendant et, à l'exception de Clementi qui
avait tout au moins une personnalité de quelque valeur, ils ne réussirent
à produire que des pastiches beethovéniens, sans intérêt ni portée
artistique d'aucune sorte.
Quant à Dussek, Steibelt, Cramer et Woelfl, ils semblent n'avoir
jamais connu, ni même voulu connaître l'auteur de la Pathétique :
leurs œuvres sont des succédanées de celles de Haydn et de Mozart,
avec un peu plus de virtuosité pianistique, mais infiniment moins de
qualités musicales.
Muzio CLEMENTI, beaucoup plus âgé que Beethoven, auquel il sur-
vécut quatre années, doit à cette longue existence la particularité assez
spéciale davoir influencé les premières compositions instrumentales du
jeune maître, dont il subit à son tour l'influence, à la fin de sa vie. Né à
Rome, Clementi s'établit très jeune en Angleterre, où il eut l'occasion
d'entendre et d'étudier les oeuvres des Bach, des Scarlatti et de Para-
dies : il acquit de la sorte une éducation musicale bien supérieure à
celle qu'il eût pu recevoir dans les conservatoires de son pays natal.
Après avoir été claveciniste à l'Opéra italien de Londres, il se mit à
voyager pour continuer sa carrière de virtuose, et eut même l'occasion
de se mesurer avec Mozart, dans un mémorable concours qui eut lieu
h Vienne, en décembre 1781, devant l'empereur Joseph II. Clementi
sortit avec avantage de cette épreuve et, après maintes tournées triom-
phales, il revint se fixer h Londres. Il y resta jusqu'à sa mort, et c'est
là qu'il écrivit la plupart de ses compositions, parmi lesquelles les
LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN 393
célèbres Études intitulées Gradus ad Paniassum que les pianistes vir-
tuoses d'aujourd'hui jugent encore utiles à leur perfectionnement.
Beethoven, qui avait beaucoup joué les œuvres de Clementi. adopta
dans ses premières Sonates pour piano des dispositions d'écriture tout
à fait analogues; par contre, une indéniable préoccupation du stj'le
beethovénien se retrouve chez Clementi, dans les Sonates qu'il com-
posa entre 1820 et 1822.
Les Sonates de Clementi atteignent le nombre de cent dix, dont
quarante-six pour piano et violon, et soixante-quatre pour piano seul:
nous ne signalerons, parmi ces dernières, que les plus remarquables.
Les trois Sonates, op. 2, en deux mouvements, sont les premières de
toutes ; elles ont été publiées en 1770, année de la naissance de Bee-
thoven.
Dans l'op. 9, la troisième Sonate (1) contient une seconde idée appa-
rentée de très près au thème du finale de la Symphonie Héroique :
Les analogies thématiques avec certaines oeuvres de Beethoven (op. Sy,
op. 22 et op. 109), deviennent assez fréquentes à partir de la lo" Sonate,
laquelle, ainsi que toutes les suivantes, est en /;-o/5 mouvements.
Dans l'op. 33 de Clementi (1801), on trouve des traits de piano abso-
lument identiques à certains passages du fameux Rondeau, l'Aurore, de
l'op. 53 de Beethoven.
Dans l'op. 34, la première Sonate débute par une superbe introduc-
tion et s'élève notablement au-dessus du niveau des précédentes.
Enfin, les trois dernières Sonates (op. 5o) sont, toutes trois, dignes
d être connues : celle qui porte le titre Didone abbandonnata, Scena
tragica (1821) est assurément très supérieure à celles de tous les com-
positeurs contemporains de Clementi, Beethoven excepté; c'est même
l'une des meilleures œuvres pour piano de l'époque. Cette sorte de
poème en forme Sonate est divisée entrais parties portant les indica-
tions suivantes :
1. Introdiipone palettca. — Deliberando e meditando,
2. Dolente.
3. Agttato e cou dispsrapone.
Johann Ladislaus DUSSEK, né à Tszaslau (Bohème), fut également
un pianiste virtuose très remarquable; il voyagea dans toute l'Europe
et occupa diverses positions : précepteur des enfants du gouverneur de
(1) Édition Breitkopf et Haertel, n* 6.
394 LA SONATE CYCLIQUE
La Haye, en 1782, il fut ensuite secrétaire du prince Louis de Prusse
qu'il suivit aux armées. En 1808, Talleyrand le fit engager à Paris
comme second chef d'orchestre des théâtres impériaux; Dussek mou-
rut, quatre ans plus tard, à Saint-Germain.
Il avait écrit quatre-vingts Sonates pour piano et violon, cinquante-
trois pour piano seul et neuf pour piano à quatre mains. Il s'en faut
de beaucoup que ces Sonates aient la valeur de celles de Clementi:
elles portent au contraire la marque flagrante d'une instruction musi-
cale tout à fait médiocre et ont plutôt le caractère d'improvisations
inégalement réussies. Plusieurs d'entre elles sont des modèles d'incohé-
rence, et l'immense succès qu'elles remportèrent en leur temps ne peut
s'expliquer que par la virtuosité très spéciale qui s'y étale. On ne
pourrait sans ridicule remettre actuellement au jour de telles œuvres,
car la mode n'est plus à ce genre de difficultés ; mais est-il bien sûr
que cette mode, à peine passée, n'ait pas été remplacée par une autre
sorte de virtuosité, destinée à disparaître à son tour ?
La plus connue des Sonates de Dussek est intitulée Le Retour à
Paris, op. 70 (i). Un éditeur anglais, désirant opposer cette ttuvre à
celle que Woelfl(voir ci-après, p. 396) avait modestement intitulée Non
plus ultra, lui donna, d'accord avec l'auteur, le titre encore plus mo-
deste de Plus ultra ! Il convient d'analyser cette inénarrable Sonate
en quatre mouvements (S. L. M. R.), afin de se rendre compte de ce
qu'était la mauvaise musique au début du xix* siècle.
r Allegro non troppo, 0, en LAi> .
Exp. Th. A peu caractérisé, construit sur la T. et la SD., ce qui le renJ
assez indécis ;
— Pont, en LA t>, où l'auteur cherche vainement à sortir de cette tonalité :
trois tentatives successives et également infructueuses l'ayant ramené
sur la tonique, il module inopinément, en cin^ mesures, à \a doininarile ;
— Th. B, en MI b ; en dépit de l'indication con aiiiorc (transformée en aino-
rosamente dans la réexp.), ce « thème " est un chef-d'œuvre de platitude
mélodique bien digne d'être cité... à ce titre tout au moins :
— Ici apparaît 1 inévitable Irjil de puno, provenant du style Concerto
dont il sera question ultérieurement.
(1) Dans l'cdilion .Marnioiucl-Hcugcl, teu. ucuvic poiic le u« 04 et J«ii> l'cdiiioii a tjUiie
le II* 71.
LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN 39,
Dév. qui contraste, par ses modulations des plus hétéroclites, avec Vexp. si
embarrasséepour s'éloignerde sa tonique: en quatre pages, on voit appa-
raître, sans rime ni raison, les tons de nii t>, fa, fa S, LA, ré, si l>, RÉ 7 et
fa marqué cette fois-ci par un brusque et impétueux arrêt sur sa domi-
nante... tout à coup, en deux mesures ineffablement naïves, la tonalité
principale est ramenée.
RÉExp. tout à fait digne de ce qui précède.
2° Adagio en Ml, simple recueil de formules pianistiques.
3' Miuuetlo en la a (d'après les indications de la clé); mais le rôle de
cette tonalité est ici des plus infimes et n'apparaît guère qu'en fonction
de dominante : le début de cette pièce est en fa u et son trio est entiè-
rement en MI. Toutefois, ce Menuet vif, dans un style qui fait présager
certains Scherzos de Weber, est beaucoup plus intéressant que le reste
de l'œuvre.
4° Scherio. Allegro cou spirito. Malgré son titre, ce finale est un
Rondeau, sans le moindre intérêt musical d'ailleurs, et développé
tout à fait maladroitement. Il faut connaître le thème initial avec sa
« surprise » à la quatrième mesure, d'une délicieuse trivialité :
AircoM spirito
Daniel STEIBELT, Berlinois d'origine, se fixa, après une existence des
plus mouvementées, à Saint-Pétersbourg, où il mourut en qualité de
chef d'orchestre de l'Opéra français. Ses innombrables oeuvres sontd'une
très faible valeur : outre plusieurs opéras, il écrivit soixante Sonates
pour piano et violon ainsi que des Sonates pour piano seul en très
grande quantité : on n'en connaît même pas le nombre total. Ce ne
sont, en général, que de véritables « pots-pourris » d'Airs variés, sur des
thèmes qui n'ont même pas le mérite d'être populaires. On y retrouve
surtout les Romances à la mode : l'op. ^o à lui seul n'en contient pas
moins de quatre ; l'op. 62 est fait sur l'air A body met a body, etc. La
plus réputée de toutes ces œuvres est une Sonate en Ml f , datée de i8o3
et dédiée à M""' Buonaparte.
Johann Baptist CRAMER, né à Mannheim, habita Londres où il fut
l'élève de Clementi. Il est surtout célèbre par l'ouvrage intitulé Grosse
Pianoforteschule : les quatre-vingt-quatre Etudes connues des pianistes
constituent la V* Partie de cet énorme recueil. Mais Cramer a laissé
396
LA SONATE CYCLIQUE
aussi cent cinq Sonates pour piano, consistant pour la plupart en suites
à' Airs fartés sur des thèmes alors en vogue.
Joseph WOELFL (dont le nom est souvent écrit Wolffl) ne doit guère
sa notoriété qu'au titre de « rival de Beethoven » qui lui fut décerné par les
admirateurs de la virtuosité, sans doute à la suite de bizarres concours
d'improvisation, où il se mesura avec l'auteur de la Pathétique. C'est
bien là en vérité une question de « mesure », car Woelfl avait reçu de
la nature des doigts d'une telle longueur qu'il pouvait compliquer sans
effort ses « improvisations » de passages inexécutables pour tout autre :
telle est sans doute la raison de ses succès.
La Sonate pour piano qu'il avait intitulée Non plus ultra, ce qui lui
valut la réplique de l'éditeur de Dussek que nous avons signalée ci-
dessus (p. 394), passait à cette époque pour le summum de la difficulté
(combien dépassé, depuis I). Certains écarts de doigts, suggérés sans
doute à l'auteur par sa véritable difformité physique, sont en effet des
plus dangereux, en mouvement vif :
Allppro
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Le finale de cette Sonate consiste en une série de variations sur le
thème de la romance Life let us cherish : comme Steibelt, Cramer et
d'autres encore, Woelfl transforme volontiers ses Sonates en « pots-pour-
ris » : on en compte vingt-deux pour piano et violon, trente-six pour
piano seul, une pour violoncelle et une pour flûte.
Sur la fin de sa vie, Woelfl, qui était de race Israélite, s'occupa de
spéculations diverses : il mourut, complètement oublié, à Londres.
Johann Nepomuk HUMMEL, Hongrois, fut élève d'Albrechtsberger et
de Salieri, à Vienne, oîi il connut Beethoven; en 1804, il succéda à
Haydn, en qualité de maître de chapelle du prince Esterhazy, et garda
cette fonction, toujours à titre provisoire, jusqu'en 1 811. Après avoir
fait de nombreuses tournées comme virtuose, il devint maître de cha-
pelle à "Weimar, où il mourut.
Les oeuvres de Hummel sont d'un style tout à fait semblable à celui de
Beethoven ; leurs dispositions au point de vue de l'exécution sont même
meilleures, mais le génie en est totalement absent : les thèmes sont
inconsistants; ils débutent souvent d'une façon assez heureuse mélodi-
quement, mais ils ne tardent pas à se résoudre en simples traits,
surtout en traits de piano. Nous avons déjà constaté, chez Dussek et
LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN ■597
chez d'autres, une tendance analogue : cette intrusion du trait dans
la forme Sonate provient des usages du Concerto à solistes, dont nous
étudierons la forme et le style dans la Seconde Partie du présent Livre.
Une telle confusion de genres si différents ne pouvait avoir d'autre
résultat que d'abâtardir la belle forme Sonate, et nous verrons bientôt
que les meilleurs Romantiques, Schubert et Weber lui-même, ne
purent se soustraire complètement à cet effet désastreux.
On possède de Hummel huit Sonates pour piano et violon et six pour
piano, soit à deux mains, soit à quatre, soit même à trois ! Les quatre
Sonates à deux mains sont les plus intéressantes (op. i3, en Mii>, Sonate
de r Alléluia; op. 20, en/a, dédiée à Haydn; op. 81, en /a 5, et op. 106,
en RÉ, datant de 1820).
John FIELD, né à Dublin, fut élève de Clementi et le suivit, d'abord à
Paris, puis à Saint-Pétersbourg où il s'établit et acquit bientôt une
grande renommée. Il écrivit quatre Sonates pour piano dans lesquelles
l'influence beethovénienne est manifeste. Ensuite il renonça à cette
forme et produisit des espèces de « miniatures musicales », à la manière
de celles qu'on intitula originairement Bagatelles. On doit aussi à Field
la « création » du genre Nocturne pour piano, qui fut depuis si répandu.
Ferdinand RIES naquit à Bonn, comme Beethoven, dont il fut même
le seul véritable élève pendant quatre ans, de 1 800 à 1 804. Il écrivit une
biographie de son maître, en i838, et mourut à Francfort, où il était
directeur de la Cecilien Verein. Ries est l'auteur d'une Sonate pour vio-
loncelle et de vingt Sonates pour violon.
Friedrich Wilhelm Michael KALKBRENNER, élève du Conservatoire de
Paris, remporta de grands succès comme virtuose entre 1806 et 1814;
il voyagea ensuite pendant une dizaine d'années et revint se fixer, en
1824, à Paris, où il devint associé de la maison Pleyel.
En passant par l'Allemagne, il avait subi sans doute l'influence de
Beethoven : aussi écrivit-il treize Sonates pour piano (dont trois à quatre
mains) et quatre Sonates pour violon. Mais il ne tarda pas à se montrer
jaloux de l'auteur des neuf Symphonies, pour lequel il manifestait, à
tout propos et hors de propos, un fâcheux dédain (i). Il se borna dès
lors à écrire, comme la plupart des virtuoses de son temps, des pièces
de piano « pour salon ».
Toutes les œuvres de Kalkbrenner, sans exception, n'ont d'autre but
que de faire valoir, au détriment de la musique, l'agilité des doigts de
l'exécutant.
(i) Voir \V. de Lenz., op. cit.
39« LA SONATE CYCLIQUE
Ignaz MOSCHELES, né à Prague, travailla, ainsi que Hunimel, avec
Albrechtsberger et Sàlieri, à Vienne, oîi il connut également Beethoven :
il devint même son ami et fut chargé par le maître de préparer la
transcription pour piano de Fidelio. Il s'établit à Londres en 182 i, puis
en 1846 à Leipzig, où il mourut. Il écrivit une Sonate caractéristique,
op. 27, une Sonate mélodique, op. 49, et un grand Duo pour deux pia-
nos, en forme Sonate, op. 92, intitulé Hommage à Haendel.
5. LES ROMANTIQUES.
Karl Maria Friedrich Ernst, baron von Weber. 1786-]- 1824
Franz Peter Schubert 1797 f 1828
Jakob Ludwig Félix Mendelssohn-Bauthoi.dy. , 1809 f 1847
Frédéric-François Chopin 1 809 f 1849
Robert Schumann iSiof i856
Ces cinq compositeurs appartenant à la période romantique n'ont
donné à la forme Sonate aucun essor nouveau : par l'etfet de leur inap-
titude à la construction ou de leur simple indifférence, ils l'ont laissée
telle qu'elle avait été consacrée avant eux par Haydn, Mozart et Beetho-
ven, se bornant à y introduire cette exagération expressive qui caracté-
rise, dans tous les domaines, les productions du Romantisme. Ainsi,
cette époque, pourtant si féconde en tentatives nouvelles dans la litté-
rature et les arts plastiques, semble submerger peu à peu la belle forme
Sonate sous le flot chaque jour grossi des « morceaux romantiques »,
pièces fantaisistes et sans formes nettes, dont il sera question à propos
du genre descriptif et du Poème Symphonique dans la Seconde Partie
du présent Livre. Et c'est seulement à l'Ecole Française contemporaine
qu'il était réservé d'accomplir la véritable rénovation cyclique de la
forme symphonique traditionnelle (voir ci-après, p. 422 et suiv.).
Karl Maria von WEBER naquit à Eutin, dans le duché d'Oldenbourg,
d'une famille de musiciens apparentée à la femme de Mozart, Konstanze
von Weber. Il s'occupa d'abord de lithographie et contribua beaucoup
à perfectionner les procédés que venait de découvrir Senefelder ; mais
il ne tarda pas à abandonner cet art pour la musique, qu'il étudia à
Vienne avec l'abbé Vogler. Après avoir occupé divers postes, notam-
ment h la cour de Wurtemberg, Weber fut nommé chef d'orchestre
du théâtre national h Prague, en 181 3 ; peu de temps après, en i8ib,
le roi de Saxe le chargea d'organiser à Dresde un Opéra allemand.
C'est donc principalement dans le Troisième Livre de cet ouvrage que
nous étudierons le rôle de Weber dans l'art musical dramatique: ses
LES ROMANTIQUES ^99
oeuvres de forme Sonate, qui sont beaucoup moins importantes, se
répartissent ainsi :
1° six Sonates progressives pour piano et violon, op. 22 ;
2° première Sonate pour piano seul, en ut, op. 24 (181 2) ;
3" deuxième Sonate pour piano seul, en LA t>, op. 3g (1816) ;
4° Duo concertant pour piano et clarinette, en Ml t>, op. 48 (1816) ;
b° troisième Sonate pour piano seul, en ré, op. 49 ( 1816) ;
6° quatrième Sonate pour piano seul, en wî, op. 70(1819-1822);
7° une Sonate pour piano à quatre mains.
Les quatre Sonates pour piano seul, que Spitta qualifie assez juste-
ment de « Fantaisies en forme Sonate », méritent d'être étudiées, non
pour leur construction, parfois très imparfaite, mais pour les trésors
d'invention que le génie si prime-sautier de Weber y dépense, afin de
suppléer, sans doute, à son inexpérience de l'architecture.
Cette fantaisie, souvent si séduisante, suffit amplement à alimenter
l'intérêt des expositions et réexpositions ; mais il n'en est malheureu-
sement pas de même dans les parties de développement, toujours défec-
tueuses.
On retrouve dans toutes ces œuvres, comme dans le Freischut\ et
dans Eurjanthe. l'influence du Romantisme allemand, se dressant
comme une perpétuelle protestation contre l'opéra italien et contre la
musique française, dont le goût s'éuiit répandu simultanément dans la
plupart des Cours allemandes depuis la fin du xviu° siècle.
Chez Weber, le mouvement initial de la Sonate affecte presque tou-
jours un aspect dramatique et parfois même tragique. Le finale, au
contraire, redevient un simple divertissement, en général de forme Ron-
deau, sans s'élever jamais à la haute portée qu'avait su lui donner Bee-
thoven : de ce côté, il y a un véritable recul, comme si Weber avait
voulu plutôt se rapprocher du style de Haydn. Dans les pièces lentes, on
voit apparaître pour la première fois un procédé dont on a gravement
abusé depuis, et qui consiste à faire entendre un même thème avec
plusieurs harmonies différentes, en modifiant les « accords » employés
sans toucher aucunement à la mélodie.
Nous donnons ci-dessous le plan de chacune des quatre Sonates de
piano.
Première Sonate, op. 24, en f r. — Dédiée à la grande-duchesse
Maria Paulowna.
— Composée à Berlin, en 181 2.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
\o Allegro, en Ul, de forme Sonate.
400 LA SONATE CYCLIQUE
Exp. Th. A à la T.
— Pont et Th. B, très agogiques et ne se distinguant pas nette-
ment l'un de l'autre.
Dév. sans intentions précises et modulant à des tonalités assez mal
choisies, comme ré.
RÉExp. Th. A, en Ml t).
— Pont et Th. B à la T.
2° Andante, eviFA, construit comme un Lied simple.
r. Thème principal en F,4.
II. Exposition de trois thèmes nouveaux en UT, ut et RÈ p.
III. Thème principal en f -4, réexposé quatre fois sur des harmonies dif-
férentes, avec une sorte de développement mélodique.
3° Minuetto, en ?w/, ayant la forme normale d'un Scherzo.
4° Rondo en ut : le célèbre Motum perpetuutn, sans autres particula-
rités que son rj'thme continu et son extrême rapidité.
Deuxième Sonate, op. Sq, en la''. — Dédiée à Frantz Lanzka.
— Composée à Prague en i8i6.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Allegro moderato., en la !>, de forme Sonate.
Exp. Th. A, en <^<7!(.x- fragments (a' et a") n'offrant aucune espèce ae
parenté l'un avec l'autre.
— Pont agogique.
— Th. B, qui commence sur la D. de u/ \) et se décompose en deux
phrases: b', sans grand cara:tère mélodique, et b", purement
agogique, suivant l'usage du trait de Concerto. Tout ce thème B
se dégage difficilement du ton de LA [>.
Dév. qui contient une troisième idée G, assez éphémère, sn fa, et vague-
ment analogue au fragment a" .
Rkexp. partielle des deux idées : le fragment a' est enchaîné au fragment
b" , sans que a" ni b soient réexposés ; la conclusion contient
quelques éléments de b .
2° Audante en forme de grand Lied (LL), en ut, divisé en six sections
toujours terminées par des cadences conclusives donnant à chacune
d'elles l'aspect d'une véritable fin. Ce défaut de construction se
retrouve chez la plupart des compositeurs qui, comme Weber, savent
peu et mal développer leurs idées.
1 I. Th. principal A, en Mf, avec inflexion vers .u/t».
.' II. Th. accessoire B, composé de liewA- phrases : l'une fr'.en "'t), reprise
' deux fois, et l'autre b" en forme de marche.
i III. Th. princ. A, en UT.
\ IV. Phrase b" , en UT.
V. Th. princ. A, en ut, avec des harmonies difTérentes modifiant $>
cadence au point de l'amener jusqu'à la tonalité de mi b.
VI. Th. accessoire [b et t"j en ut.
LES ROMANTIQUES ^oi
Les six sections de ce Lied se groupent deux à deux et constituent trois
grands compartiments tout à fait indépendants.
3° Miuuetto, en la i>, ayant la forme normale du Scherzo en rythmes
de deux mesures ; son trio, en ré p , est d'une allure rêveuse très spéciale
au style de Weber.
4° Rondo, en la t), avec cinq reprises du refrain.
Troisième Sonate, op. 49, en ré.
— Composée à Berlin en 1816.
— En trois mouvements (S. L. R.) :
lo Allegro féroce, en ré, de forme Sonate.
Exp. Th. A court, en ré.
— Pont en deux éléments (f etp").
— Th. B en trois éléments :
— — b , en FA, phrase lieJ complète.
— — 6", simple trait mélodique.
— — 6", conclusion par le fragment p" .
Dév. en marche vers le ton de la.
— en repos par le fragment ;> , dans un style scolastique assez em-
barrassé.
RÉExp. Th. A en RÉ, combiné avec p".
— Th. B (é', b", b"'), suivi d'une conclusion en RÉ.
2" Audante con moto, en si >, de {orme grand Lied[hh) divisé en cinq
sections.
I. Th. principal suivi de deux variations et formant une triple exposition
en SI"?.
n. Elément mélodique nouveau, en marche vers sol.
III. Th. princ. en S.'\}, en forme variée et avec un dév. harmonique.
IV. Autre élém. nouveau en Mt t>.
v. Th. princ. en S/t>, avec conclusion.
3° Presto, en ré, formant Rondeau à trois refrains dont le dernier
fait entendre le thème du second couplet superposé à celui du refrain.
Quatrième Sonate, op. 71, en mi.
— Composée à Hostewitz, de 1819 a 1822, pendant que Weber pré-
parait Euryanthe.
— En quatre mouvements (S. M. L. R.) : r, .
1° Moderato, en mi, de forme Sonate.
Exp. Th. A suivi d'un pont agogique (P), qui est assez maladroitement
relié à la seconde idée :
— Th. B, en SOL, ramenant le th. A dans ce même ton, comme une
phrase complémentaire.
Dév. par les éléments de P., amenant une mélodie nouvelle en LA.
RÉEXP. Th. A, en J//.
— Th. B, en mi, suivi de A, en Ml, comme complément.
— Pont en mi, amenant la conclusion.
COL'Rt DI COMPOSITION. — T. Il, I. 26
403 LA SONATE CYCLIQUE
2* Mimtetto, en mi, sur un rythme de Scherio (binaire), suivi d'un
trio en forme de valse allemande très caractéristique du génie populaire
de Weber. On trouve parfois dans Beethoven [trio du Scher:{0 de la
Sonate pour violon, op. 96, par exemple) des thèmes analogues.
3° Andante, en ut, de forme grand Lied (LL) en cinq sections. Le
thème est assez semblable à celui dont Weber s'est servi dans le Frei-
schiil^ pour la ronde des jeunes filles.
4.° Finale. Tarentella, en mi, de forme Rondeau à rythme constant,
avec cinq refrains.
Cette dernière Sonate est la seule où l'on puisse voir une tentative
de renouvellement de la forme par le moyen de la combinaison des
deux thèmes (A et B) que nous avons signalée dans le mouvement
initial ; mais un essai aussi timide, de la part d'un auteur si peu habile
dans la construction, ne pouvait avoir aucune portée, et les charmantes
idées mélodiques de ses Sonates ne sauraient suffire à élever celles-ci au
rang des monuments de l'art.
Franz SCHUBERT était le fils d'un maître d'école de Lichtenthal,
près de Vienne. Ses études d'art furent des plus sommaires et sa car-
rière des plus simples, car il ne quitta pour ainsi dire jamais la ville de
Vienne. On peut le considérer comme le type du génie sans culture :
dans ses Lieder, où la fougue de l'inspiration pouvait suppléer au talent
architectural, il fut souvent incomparable ; mais toutes celles de ses
œuvres qui appartiennent aux formes où la nécessité du plan est impé-
rieuse sont très inégales, sinon tout à fait défectueuses.
Aussi étranger que Weber à tout principe de construction, il se laissa
conduire encore plus par sa fantaisie ; et ses compositions sxmphoni-
ques, pourtant nombreuses, n'offrent pour la plupart qu'un intérêt mé-
diocre, tant leur valeur est dépréciée par le manque absolu d'ordre, de
proportion et d'harmonie générale. On ne saurait trop déplorer chez
Schubert ce grave défaut de conscience artistique, qui l'entraîna à écrire
à tort et à travers, sans se soucier d'acquérir le talent nécessaire pour
mettre ses idées en œuvres (i) ; et c'est, hélas ! avec trop de raison
qu'on a pu dire de lui : « Schubert fut l'esclave de ses idées musicales
«t ne sut jamais en être le maître (2) ».
Vers la fin de sa vie, comprenant mieux sans doute les déplorables
lacunes de son instruction, il résolut d'étudier sérieusement l'art de la
composition et s'adressa dans ce but au célèbre théoricien Simon
Sechtcr(3) pour prendre avec lui régulièrement des leçons de contre-
(1) Voir I" liv., Introd., p. ifi.en note.
(j) J. S. Shediock : The Pianoforle Sonata, p. 199 (Éd. Malliison, l.ondon, 189Î1).
(3) Simon Sichter (178S f 1867) publia en i833-54 un Traite de Conifositinn d'nprès le»
principes harmoniques de Rameau.
LES ROMANTIQUES ^03
point: on était alors au commencement de l'année 1828. Schubert
mourut quelques mois après, sans avoir eu le temps d'apprendre enfin
à utiliser en de grandes œuvres les ressources de son immense génie.
On connaît de lui, dans la forme Sonate :
I* trois Sonatines pour piano et violon (op. iSy) ;
2° trois Sonates pour piano à quatre mains (op. 3o, op. 40 et œuvre
posthume) ;
3» quinze Sonates pour piano seul.
La classification des œuvres de Schubert est des plus incertaines,
par suite du fâcheux mépris de l'auteur pour toute espèce de détails,
aussi bien dans l'exactitude des dates et la correction des textes, que
dans les numéros d'ordre ajoutés, le plus souvent, par les éditeurs.
Voici cependant la liste chronologique des Sonates pour piano seul :
1° deux Sonates : en mi et en f/r (181 5) ;
2' cinq Sonates : en la p, en mi et en si, op. 147 (i), en la, op. 164(2)
et en mi\>, op. 122 (3) (1817) ;
3» une Sonate en la, op. 143 (4) (i823) ;
4" quatre Sonates : en la, op. 120 (5), en la, op. 42 (6), dédiée à
l'archiduc Rodolphe, en iîÉ, op. 53 (7) et en soz., op. 78(1825-1826);
5° trois Sonates écrites en septembre 1828, trois mois avant la mort
de l'auteur, et publiées postérieurement : en ut [8], en la (9) et en si t> (10).
Il est à remarquer que le ton de la majeur ou la mineur semble avoir
exercé sur Schubert une séduction particulière, puisque six de ces
quinze Sonates ont cette même tonique.
Les Sonates que nous signalons ci-après méritent d'être étudiées
tout autant pour leur débordante inspiration que pour leurs défauts
mêmes, souvent aussi instructifs.
La Sonate op. 147, en si, contient un charmant 5c/a';-^o en sol.
La Sonate op. 164, en la, offre certaines particularités dans son
mouvement initial : le second thème y rappelle de très près celui du
finale dans l'op. Si de Beethoven, et toute la >-éexposition y est au ton
de la sous-dominante.
La Sonate, op. 143, est en la également; son premier mouvement est
construit au rebours de tout bon sens, avec des idées musicales admi-
(i) Edition Pciers, n" 6.
(2) Ibid., n« 7.
(3) Ibid., n» 4.
(4) Ibid., n» 3.
(5) Ibid., n» 3.
(6) Ibid., n* i.
(7) IbiJ., n« j.
(S) Ibii., n» 8.
(9) Ibid., n» 9.
(10) Ibid., n» 10.
^04 LA SONATE CYCLIQUE
rables en elles-mêmes ; mais ces qualités d'inspiration ne parviennent
pas à bannir l'impression d'ennui provenant de leur pitoyable emploi.
Dans la Sonate posthume en la, il faut noter le thème de VAndaiitino,
en /ias, en raison de sa coupe rythmique spéciale par liuit, dix, huit et
six mesures :
après l'exposition de ce thème, on trouve dans le même morceau une
sorte de récitatif instrumental sans conclusion mélodique, du genre
de ceux que Liszt devait introduire plus tard dans ses œuvres avec un
véritable abus.
Nous avons réservé pour la fin la Sonate op. 42, en /a, car elle est
intéressante à tous les points de vue : seule peut-être parmi les Sonates
de Schubert, elle se distingue par la pureté de la forme tout autant que
par la qualité des idées.
Cette Sonate est en quatre mouvements (S. L. M. R.) :
r Moderato, en la, de forme Sonate.
Exp. Th. A, véritable idée symphonique qui semble soutenir toute la
pièce, comme la clé de voûte d'un édifice : on la retrouve partout
et toujours d'une manière intéressante :
— I'., dessin 1res rytmique servant de ponl pour conJuiro à la seconde idée :
LES ROMANTIQUiïS 405
— Th. B, en uT, dont chaque phrase se rapporte nettement à l'un des
éléments constitutifs du morceau:
— — la phrase b' rappelle le rythme du punt P. :
^^^
— — le dessin conclusif b", tout à fait charmant, est encore emprunté
' au rythme de P. :
a phrase b" reproduit le th. A, a la tonique minnure, ut, de l'idée B :
Dev. presque totalement constitué par le th. A ; ce développement ne se
perd point en redites inutiles comme ceux des autres Sonates : il
agit vraiment.
RÉEXP. Th. A, qui oscille entre la et ut, sans s'imposer très fortement au
point de vue tonal.
— Pont affirmant nettement le ton principal apri^s la réexposition de A .
cet artifice ne manque pas d'une certaine originalité.
— Th. B, aussi instable que le th. A, comme tonalité :
— — b' est en LA.
— — b" est en LA.
— — b" débute en FA, avant d'aboutir à la et d'amener la conclusion
par de charmantes harmonies.
2" Attdaiite, en ur, consistant en un thème écrit tout à fait dans le
style de Weber et suivi de six variations.
2° Scherzo, en la, sur des r3'thmes de cinq mesures, avec un trio poé-
tique et rêveur.
4° Allegro vivace, en la, de forme Rondeau h otialre refrains. Le thème
initial, dont les périodes se reproduisent dequator'^e en cjuator:{e mesures,
est un excellent exemple de rythmes coupés librement et sans carrure,
donnant à la mélodie un caractère haletant très spécial. Le second
thème, formé de quatre, quatre et six mesures, a les mêmes qualités. ,
Ces mérites rythmiques, la valeur des idées et même leur disposition
spéciale, tout concourt donc à faire de cette Sonate, op. 42, une œuvre
de premier ordre qui devrait être mieux connue des musiciens ayant le
souci de leur art.
406 LA SONATE CYCLIQUE
Félix MENDELSSOHN-BARTHOLDY.filsdubanquierisraélite Abraham
Mendelssohn, de Berlin, naquit à Hambourg et fit preuve dès son jeune
âge de réelles aptitudes musicales. Doué d'admirables facultés d'assi-
milation, il sut bientôt tout ce qu'il était possible de savoir en mu-
sique; mais l'esprit d'invention lui manqua presque totalement. Nous
constaterons dans le Troisième Livre de ce Cours, à propos de l'art
dramatique, que de telles qualités et de tels défauts sont extrêmement
répandus chez les israélites: toujours habiles à s'approprier le savoir
des autres, ils ne sont presque jamais véritablement artistes par
nature.
Seul peut-être parmi les musiciens de sa race, Mendelssohn eut le
mérite de savoir préférer la composition symphonique à la carrière
musicale dramatique, pourtant plus lucrative, vers laquelle se ruaient à
cette époque tant de juifs notoires. Car il avait su comprendre et
aimer l'œuvre du grand J.-S. Bach : il avait même été l'un des pre-
miers à la remettre en honneur et à la répandre. Après une carrière
de virtuose, il devint, en 1834, chef d'orchestre du Geivandhaus de
Leipzig et fonda en 1843, avec la collaboration de Schumann et du
violoniste Ferdinand David, le célèbre Conservatoire de Leipzig, qui
devait contribuer si efficacement, depuis, à paralyser en Allemagne les
progrès de l'art musical.
La musique de Mendelssohn est généralement séduisante par ses
qualités extérieures ; mais il y règne constamment un esprit d'éclectisme
qu'il faut considérer comme tout à fait haïssable, surtout en matière
d'œuvre d'art. Ses Sonates sont au nombre de dix:
1° une Sonate pour piano et violon, op. 4 ;
2° une Sonate pour piano seul, op. 6 ;
3° deux Sonates pour piano et violoncelle, op. 46 et bS ;
4' six Sonates pour orgue, op. 65.
La Sonate pour piano est un véritable calque de Beethoven : le mou-
vement initial, par la nature des idées et la proportion générale, rap-
pelle très exactement celui de l'op. 101 ; r/l«^(7«/(? débute par une phrase
récitée, de même forme et de même allure que celle de VAdagio de
cette même Sonate, op 101, de Beethoven; dans la ii' section, c'est
VAdag^io de l'op. 106 qui transparaît assez nettement; quant au
finale, il n'a vraiment plus rien de beethovénien : il est terriblement
vulgaire et ne se distingue que par un spécimen de cette belle phrase
à la Mendelssohn, à l'aide de laquelle la plupart des musiciens alle-
mands et même français de la fm du xix* siècle ont constitué leur
« bagage musical ».
En résumé, ces Sonates ne dépassent guère la valeur d'un très bon
devoir d'élève.
LES ROMANTIQUES 401
Frédéric CHOPIN, né à Zelazowa-Wola, près de Varsovie, d'une
famille française émigrée, fut un véritable enfant prodige. Il acquit
de très bonne heure une réputation méritée de virtuose hors ligne,
'^ et passa la plus grande partie de sa courte vie à Paris, dans le cénacle
romantique, auprès de Berlioz, Henri Heine, Liszt et Balzac. Il mourut
à quarante ans d'une maladie de poitrine qu'il n'avait rien fait pour
conjurer. y(^
Avec l'œuvre de Chopin nous voyons apparaître ce que l'on a appelé,
depuis, le style pianisliqiie, style dont les effets ont été et sont encore
déplorables à bien des points de vue. Toutes les compositions de piano
examinées par nous jusqu'ici demeuraient en effet exclusivement ?;n/5j-
cales, qu'elles fussent signées Bach, Rameau, Haydn, Beethoven ou
même Schubert: c'est-à-dire que le souci légitime de l'effet instrumental
y était toujours subordonné aux droits et aux exigences de la musique.
A l'époque romantique cependant, nous avons signalé l'influence nais-
sante du style Concerto, se manifestant notamment par l'extension inso-
lite du trait agogique ou trait de virtuosité servant de conclusion à
la première exposition dans les mouvements du type S. C'est par là que
s'introduisirent dans la musique de piano deux erreurs fort graves, dont
Chopin exagéra les effets en raison même de son insuffisance d'instruc-
tion véritablement musicale :
r les tonalités choisies pour les doigtés avantageux, et non pour la
logique architecturale de l'œuvre ;
2» les passages entiers écrits uniquement pour la virtuosité, et
n'ayant aucun rôle utile dans l'équilibre de la composition.
Chopin n'écrivit que quatre Sonates ; trois d'entre elles sont pour
piano seul : l'op. 4, en ut (1828), l'op. 35, en 5; t> (1^40), et l'op. 58,
en 51(1845). La dernière, op. 65, en sol ((847), est pour piano et vio-
loncelle.
La Sonate op. 58, en 5/, est la plus remarquable au point de vue de
l'invention musicale. Tout esprit de construction et de coordination
des idées y est malheureusement absent; mais la plupart de ces idées
mêmes sont vraiment resplendissantes de richesse mélodique.
Cette Sonate est en quatre mouvements (S. M. L. R.) :
1° Allegro juaestoso, en 5;, de forme Sonate.
Exp. Th. A, empreint d'une réelle noblesse et de qualités syw phoniques
dontun Beethoven eût assurément tiré grand parti :
r.© /
4o8
LA SONATE CYCLIQUE
- Mais l'auteur ne sait malheureusement pas continuer aussi bien l'expo-
sition de son idée : il a recours à d'inutiles redites, à de véritables
ajustages, quatre mesures par quatre mesures, sans cohésion mélodique
ni tonale, et ainsi se perd tout l'intérêt de cette exposition du thème A.
- P., pont assez bien disposé amenant la seconde idée en RÉ ,
- Th. B, en trois phrases, suivant le système beethovénien : voici la mé-
lodie de la première phrase, b' :
— On peut se rendre compte par cette citation que cette phrase ^', après
avoir commencé d'une façon tout à fait séduisante, se perd ensuite en
de plats italianis')ies encore aggravés par Vornement qui, hélas ! n'a plus
rien ici du bel ornement grégorien. Ce défaut est assez fréquent chez
Chopin, lorsqu'il s'attaque à des formes réclamant quelque grandeur de
conception. Il a recours alors à des tournures italiennes, empruntées »
la mode des théâtres et des salons de son temps. On en est d'autant
plus surpris que les mélodies de ses petites compositions fantaisistes
(nocturnes, valses, etc.) ou nationales (polonaises, mazurkas, etc.) ont
presque toujours un caractère personnel et prime-sautier qui fait ici
totalement défaut.
Dév., véritable devoir d'un élève bien décidé à faire ici un dévelop-
pement parce que c'est l'usage ; mais toute logique en est jalousement
bannie.
RÉExr. à peu près inexistante, car le meilleur élément, le th. A, par une
omission inexplicable, n'y reparaît pas : faut-il y voir un nouvel aveu
de l'impuissance de l'auteur à tirer quoi que ce soit de ce beau thème?
— Th. B. présenté seul, en si, dans son entier, et formant la conclusion
de cette enfantine esquisse qui nous laisse bien loin des monuments
d'ordre et d'harmonie, tant et si justement admirés, des Bach et des
Beethoven (i).
2° Scher:{o, en &iiii-RÈt, tout à fait charmant et bien écrit pour le
piano ; .son irio, en si, est empreint de cette douce rêverie par quoi
excella Chopin.
3* Largo, en si, de forme Lied absolument normale : le thème initial
est encore du style italien, mais la section centrale a toute la grâce
caressante des meilleures œuvres de l'auteur.
^
(i) Il en «sseï curieu» de conimer que Chopin use, dam presque toutes ses sonates, Je ce
procédé, fiutif au point de vue de l'équilibre du morceau.
LES ROMANTIQUES 409
4° Unale. Presto non tanto, en si, de forme Rondeau à trois refrains,
où le nerveux et séduisant malade que nous connaissions fait place à
un être vigoureux et puissant. Il semble que les matériaux de cette
belle pièce aient été tranchés à coups de hache par quelque charpentier
qui en aurait à peine équarri les assemblages ; mais ces maladresses
de construction, sans nuire notablement à ce finale, lui donnent
au contraire un aspect un peu rude, assez comparable à celui des
soubassements à peine taillés qu'on peut voir au palais Strozzi, à
Florence.
Refrain i. Th. A, en si, sorte de chant de guerre qui s'expose lieux fois
en toute plénitude, sans arrêt ni réticence. Il faut citer ici ce thème
tout entier, afin de montrer la différence entre une esquisse d'idée,
même fort belle, comme celle du mouvement initial, et un thème
traité complètement :
— La seconde fois, le thème s'expose à l'octave supérieure ; il monte et
s'amplifie encore par cette envolée :
Couplet ;. P. et th. B en SI, simple trait de piano, très séduisant. /\
Refrain 2. Th. A, à la SD-, en mi, mais avec un accroissement dyna-
mique qui est vraiment génial : la partie agogique, confiée à la
main gauche, était en six notes par mesure, la première fois :
REFRAIN i
— A\i deuxième refrain, le dessin composé de /iwi< notes, produit ainsi
un rythme contrarié bien propre à accroître l'agitation de cette
héroïque fanfare :
REFRAIN 2
SD.S
Couplet 2. P. et th. B, en m b, toujours sous forme de trait de piano. X
Refrain 3. Th. A à la T., mais avec un dessin d'accompagnement de
dou^e noies par mesure, donnai^ une intensité formidable ( i ) :
- Conclusion, en SI, qui contient à la main gauche un dernier rappel
du thème, en forme glorieuse et éclatante comme s'il était confié
aux trompettes, tandis que la main droite fait entendre une fulgu-
rante descente chromatique :
y-,r»^,^ whm '■
4^JL ^ L-— — i ^=3 uJ ^pj^Hy^L^-
^f--^^^^^
t-y-' y ■ 0<
1
:2tf:^^-i -r—^
-4
-^-
L-6t_î =
— La disposition graphique employée par Chopin ,., ou peut-être par ses
éditeurs, fait que beaucoup de pianistesnegligent de faire sonner le»
notes du thème à la main gauche.
Telles sont les principales particularités de ce finale qui, malgré
ses imperfections, mérite d'être compté au nombre des beaux morceaux
de musique.
(i) Le doigté que ncui indiquons Ici é la main droite est de Liszt : le grand pianiste avait
coutume d'attiquer loutcs les notes du refrain dans cette troisième reprise par le 3' doigt
arc-bouié en quelque sorte sur le pouce el le î« do ri : ce passage prenail ainsi une sono-
rité cuivrée extraordinaire.
/
LES ROMANTIQUES 411
Robert SCHUMANN, né à Zwickau, en Saxe, commença parfaire ses
études de droit, mais se voua bientôt à la musique exclusivement. Un
accident nerveux, occasionné par sa propre faute, l'empêcha de suivre
la carrière de virtuose : il se spécialisa donc dans l'art de la compo-
sition, qu'il avait étudié avec Friedrich Wieck dont il devait un jour
épouser la fille Clara. Malheureusement pour le jeune musicien, son
tempérament ardent et impulsif l'entraîna à produire avant d'avoir
terminé son éducation : tout à fait génial dans les œuvres courtes et de
construction simple, Schumann se trouve dépaysé lorsqu'il lui faut édi-
fier un monument musical. Il se laisse guider alors par son sentiment
seul et, avec des idées d'une valeur souvent très haute, il ne peut qu'r'm-
proviser des œuvres d'une médiocre portée, fruits hâtifs d'un travail
beaucoup trop inconscient. On y trouve la trace de procédés déplorables
chez un grand artiste, bien qu'ils aient été trop souvent imités depuis.
Musicien convaincu et sincère, malgré l'infériorité de ses connais-
sances en matière de composition, Schumann lutta toute sa vie pour
la cause de l'art vrai. Beaucoup de jeunes artistes compositeurs ou vir-
tuoses, trop enclins à faire servir la musique à leur propre gloire, au
lieu d'en rester les humbles prêtres ou serviteurs, devraient lire et
méditer ce qu'écrivit Schumann dans la Nette Zeitschrift fur Miisik,
revue périodique qu'il rédigea seul pendant dix ans! Vers la fin de sa
vie, son cerveau, déjà menacé en i833 et en 1845, fut atteint d'une
incurable lésion dont il mourut, dans une maison de santé, prèsde Bonn.
Les compositions de Schumann dans la forme Sonate sont au nom-
bre de huit :
I" trois Sonates pour piano seul, dont nous donnerons ci-après
l'analyse: op. 11 en /a 5 (i833), op. 14 en /a (i836), op. 22 en soi
(i83d-i83S);
2" trois Sonatines pour piano, en sol^ en ré et en ut, op. 118;
3° deux Sonates pour piano et violon : op. i o5 en la ( 1 S5 i ) ; op. 121
en ré (i85i).
La première Sonate, en fan, est intitulée par l'auteur Florestan et
Eusebius : Schumann désignait par ces deux personnages allégoriques
les deux aspects opposés de sa propre nature. Cette Sonate, composée
de i833 à i835, est en quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1» Introduction, Adagio, simple phrase de lied dont la période mé-
diane fournit le thème de VAria, et Allegro vivace ainsi construit:
Exp. Th. A à la T. répété trois fois :
— Pont par le rythme de A, en mi 1?, engendrant une formule de quatre
mesures qui se répète quatre fois en descendant chaque fois d'un ton :
en ré 3, en ut 5, en si et en L\.
^,j LA SONATE CYCLIQUE
— Th. B. en LA, très court et disproportionné avec la longueur de ce qui
précède.
Dév. : marche par A suivi de B par augmentation (35 mesures).
— Exposition de A, en ut C, et de P. allant vers /a.
— Phrase lied de l'introduction, en fa.
— Redite absolument identique de la marche par A suivi de B par aug-
mentation, comme ci-dessus (35 mesures). Il importe de faire la cri-
tique de ce développement : la redite textuelle des trente-cinq mesures
par lesquelles il commence ne constitue assurément pas un procédé de
construction sérieux : transposer n'est pas développer. En outre, Vexpo-
sition du thème A n'est guère admissible à cette place au ton de la
dominante, ut J. Enfin, la réapparition de la phrase-/ie4 de Vintroduc-
lion, qui devrait être le point culminant du développement, est faite dans
une tonalité {fa) que son éloignement ne permet pas de rattacher au
ton principal [fa ît) : elle n'a plus de raison d'être, ne produit aucun
effet, et ne concourt en quoi que ce soit à Vtinité du morceau. Tout
ce développement est donc incohérent, sans iniérêt et inutile à l'œuvre.
Réexp. dans l'ordre et le ton normal.
2° Aria, en la, phrase de lied formée par la période médiane de l'In-
troduction.
3° Schefio, en fa s, du type MM que nous avons signalé ci-dessus
(p. 3oq) à propos de certaines œuvres de Beethoven autres que ses
Sonates. Cette forme grand Scher\o, en cinq parties, dont deux trios
différents, appartient particulièrement à Schumann qui l'a fort bien
employée dans beaucoup de ses œuvres :
SCHERZO : Th. A et dév. de A, en fa t.
Trio I, tn LA.
Scherzo : Th. A et dév. de A, en fa fi.
Trio II, à deu.x- temps, dit intermejjo (i), en RÉ.
Scherzo ; Th. A et dév. de A, en fa Jt, pour finir.
4" Finale, qui n'est ni du type S, ni du type R, mais procède un peu
de l'un et de l'autre. L'intérêt des thèmes ne s'accroît pas, et l'inter-
vention trop fréquente du ton disparate, a// t>, qui se retrouve encore
à la réexposition du pont et de \a seconde idée, contribue à détruire dans
ce finale toute cohésion et toute solidité tonale.
La deuxième Sonate, en fa, est dédiée à Monsieur Ignace Moscheles ;
sa première édition porte le titre Concert sans Orchestre.
Phénomène infiniment rare dans cette période de romantisme fan-
taisiste, cette Sonate offre la singularité d'être une forme cyclique, rudi-
mentaire sans doute, mais néanmoins préparée intentionnellement,
comme le rappel de V Introduction dans VAria de la Sonate précédente.
Ici, en effet, le thème principal, composé par Clara Wieck, reparait
dans les trois premiers mouvement.
(i) Le nom d'm(«rm«rro parati avoir été employé pour la première fois par Schumann,
dans son op. 4, pour des pièces séparées. Plus tard, il fut appliqué plus particulièrement à
un (MO en mesure à diux temps, intercale dans un scherjo.
LES ROMANTIQUES <tl
Dans VAiidantino quasi Varia\ioiii, le thème est présenté sous cet
aspect (i) :
dans le Scherzo, il s'anime et revêt cette l'orme-ci
dans VAlle^ro de forme Sonate, au contraire, il est présenté d'une
façon tout à fait douloureuse et passionnée :
Cette deuxième Sonate de Schumann n'offre pas un grand intérêt au
pomt de vue musical, en dehors de cette particularité de structure,
qui montre la permanence de la conception cyclique au fond des cer-
veaux des musiciens, en attendant le bel essor que sauraient lui
donner bientôt quelques Français.
La troisième Sonate, en sol, fut composée de i833 à i835 et rema-
niée à diverses reprises : son finale date de i838. Elle était dédiée à
M"'-" H. Voigt et contient quati-e mouvements ayant à peu de chose près
les défauts et les qualités de ceux de la première Sonate, en /iiff :
i» Allegro [so rasch wie môglich), en sol, de forme Sonaie.
Exp. Th. A, en sol, suivi de P.
— Th. B, en si\> fait de deux éléments :
— — b' phrase principale.
— — b" phrase complémentaire qui disparaîtra à la réexp.
Dév. procédant par courtes redites ou transpositions de quatre en quatre
mesures, aboutissant à une erreur désastreuse :
— Th. A, exposé à nouveau et au ton principal, en plein développement, ce
qui fait croire à une vraie réexposition détruisant par avance l'effet
de celle-ci qui se produit, en réalité, vingt-cinq mesures plus loin.
Réexp. Th. A, suivi de P. et de b' , en sol, mais sans sa phrase complémen-
taire b".
— Conclusion avec les indications successives schneller et nocli schneller,
difficilement conciliables avec l'indication primitive du mouve-
ment : so rasch wie wôglich.
[x) Remarquer l'analogie de ce thème d'allure et d'origine féminines avec le motif un
peu enfantin de la Siegfried-liyll de R. Wagner :
4 14 LA SONATE CYCLIQUE
2° Aiidantino en L'r, simple Lied en trois sections. Le ton choisi
n'est peut-être pas un des meilleurs par rapport à 50/, ton principal.
3" Scherzo, en sol, vif et alerte, suivi d'un trio en .v//p.
4' Presto, en sol, de forme Rondeau ; les thèmes y sont assez con-
trastants, mais l'ensemble n'oifre pas un grand intérêt comme cons-
truction.
Avec Schumann s'achève véritMsment \a période romantique : c'est
lui qui « ferme le cercle » de cette série de musiciens, qui ne réalisè-
rent, dans la forme Sonate, aucun progrès notable sur le type établi bien
avant eux par l'immortel Beethoven.
6. LES ALLEMANDS MODERNES.
Joseph Joachim Raff 1822 f 1882
Karl Heinrich Carsten Rlinixke. . . . 1824
Anton Rubinstein i82q f 1894
JoHANNES Brahms iN33 f 1807
Edvard Hagerup Grikg 1843 -f 1907
Joachim RAFF, né à Lachen, en Suisse, mourut à Francfort, d'une
attaque d'apoplexie, après une existence très peu mouvementée: il écrivit
beaucoup, on peut même dire trop ; il a laissé plus de deux cent vingt
œuvres médiocres et inégales, quise font remarquer par une déplorable
insouciance, aussi bien dans le choix des idées que dans la recherche
des formes nouvelles : manifestation éclatante d'une absence totale de
la moindre conscience artistique.
Dans ce flot de compositions on rencontic :
1° trois Souatilles pour piano, op. 09 ;
2° deux Sonates pour piano, op. 14 {Sonate avec Fugue) et op. 16S ;
3o cinq Sonates pour piano et violon : op. 73, op. 78, op. 1 28, op. 1 29
et op. 146 ;
4° une Sonate pour piano et violoncelle, op. i83.
Karl Heinrich REINECKE, né à Altona, fut un pianiste estimé et se
distingua comme chef d'orchestre, notamment au Geivaiidliaus, de 1860
à 1896. Il fut professeur de « haute composition » au Conservatoire de
Leipzig : ses œuvres, écrites avec un incontestable talent, sont complè-
tement dénuéesde génie inventif ; elles réalisent assez bien le type de
la production moyenne d'un Herr Doctor und Professor appartenant
à l'un des innombrables Conservatoires d'outre-Rhin.
LES ALLEMANDS MODERNES 41 j
On connaît de Reinecke deux Sonates pour piano et violoncelle,
quatre pour piano et violon, une pour flûte, une pour piano à quatre
mains, une pour la main gauche seule (op. 187) et quelques Sonatines
pour piano à deux mains.
Anton RUBINSTEIN, russe de nationalité et israélite de race, naquit à
Wechwotinetz, en Podolie, d'un père fabricant de crayons, et voyagea
comme virtuose dès son jeune âge. Nommé pianiste de la cour de
Russie, il prit, en i8bg, la direction de la Société de Musique russe et
fonda, en 1 862, le Conservatoire de Saint-Pétersbourg, dont il fut direc-
teur jusqu'en 1890. Il mourut dans sa villa de Peterhof.
Pianiste hors ligne, Rubinstein fut un interprète assimilatcur de
génie : mais ce génie spécial n'était point suffisant pour la création
d'oeuvres vraiment originales. Aussi, les hautes visées et les intentions
extrêmement vastes de ses compositions, où la virtuosité s'étale souvent
aux dépens de la musique, sont-elles trahies presque toujours dans leur
réalisation, inférieure à la fois par la faible qualité des idées musicales
et par la négligence de la forme.
Rubinstein écrivit huit Sonates : quatre pour piano (op. 12, op. 20,
op. 41 et op. 100); une pour alto (op. 49); et trois pour violon (op. i3,
op. 19 et op. 98). Dans cette dernière Sonate (op. 98) on trouve de véri-
tables citations empruntées aux deux autres Sonates pour violon. On
se demande quelle peut être la raison d'un tel procédé, éminemment
contraire à tout esprit d'unité dans la construction.
Johannes BRAHMS naquit à Hambourg et fut remarqué dès sa pre-
mière jeunesse par Schumann, à qui il dut le commencement de sa
renommée (i 853). Dès 1862, il s'établit à Vienne, où il mourut comblé
d'honneurs et entouré du respect de tous.
Brahms fut un musicien consciencieux, plein de révérence pour son
art et pour les maîtres : seul peut-être parmi les Allemands, il hérita
quelque peu du don beethovénien du développement des idées, mais au
point de vue thématique beaucoup plus qu'au point de vue tonal. Ses
idées et ses harmonies ne sont point banales, mais elles sont rarement
très caractérisées. Telles qu'elles sont, Brahms les manie avec talent
et, pour nous servir de l'image si vulgaire, « il travaille dans la pâte » ;
mais cette « pâte » reste souvent au bout de sa plume, et son style
devient alors lourd et indigeste. Comme par ailleurs les rapports de
tonalités lui sont trop souvent indifTérents, beaucoup de ses œuvres sont
embarrassées et fastidieuses à l'audition.
Tout être doué de sens artistique doit avoir pour Brahms du respect ;
mais il n'est pas facile de Vatmer, car ses œuvres, si honnêtement com-
4t6
LA SONATE CYCLIQUE
/)oseVs qu'elles soient, rayonnent bien rarement de ce charme vrai qui
touche notre cœur et le fait vibrer.
Brahms a laissé dix Sonates : trois pour piano (op. i en c/r, op. 2
en fa s et op. 5 en fa) que nous examinerons sommairement ; trois pour
violon (op. 78 en sol, op. 100 en L^, et op. 108 en re); deux pour
violoncelle (op. 38 en mi et op. 99 en Fa) ; et deux pour piano et cla-
rinette (op. 1 20 en fa et en Ml t>).
> Les Sonates pour piano sont intéressantes par la tendance qu'elles
manifestent vers la construction cyclique : mais cette conception, en-
core vague, est bien loin de sa réalisation complète.
Dans la première Sonate, en UT, le thème initial, un peu trop voisin
peut-être de certaine 5arc<3ro//e d'Auber, sert de sujet au finale avec
un léger changement de rythme :
(î) REFRAIN
Dans la deuxième Sonate, en fa s, dont le classicisme est assez re-
marquable, le thème calme de VAndante reparaît sous une forme agitée
dans le Scherzo.
Enfin, la troisième Sonate, en /"a, offre par la transformation cyclique
des thèmes un réel intérêt de composition : elle se divise en cinq
mouvements (S. L. M. L. R.) :
1° Allegro maestoso, en fa, de forme Sonate.
Exp. Th. A, dont les deux éléments, a' et a', présentent un double
rythme sur un même dessin. Ce thème est en trois périodes qui
s'infléchissent vers la dominante ; la seconde idée n'est précédée
d'aucun passage servant de pont-
— Th. B, débutant, sans transition, au Relatif majeur (LA t>) du ton prin-
cipal ; mais l'influence de RÈ t> y est telle que cette idée divisée,
suivant le système beethovénien, en trois phrases {b , b", b"), s'éta-
blit dès ses premières mesures dans ce nouveau ton (SD. de la t>)
et y reste jusques et y compris sa conclusion.
— Les éléments a" du premier thème (A) et fc' du second (B) sont évi-
demment issus l'un de l'autre : b' n'est qu'une simplification de j",
comme on peut le voir par la superposition des deux mélodies :
®
^^F^ETi^^^m
f el iuutenu
LES ALLEMANDS MODERNES 417
Dëv. très logiquement établi en trois éléments :
— par a' et a", en ut S-ré t> ;
— par une exposition, en rÉo, de a" transformé : ce petit dessin donne
ici naissance à une véritable phrase mélodique : c'est là un escellent
moyen de développement par une sorte d'amplification :
— enfin, para' en état de marche pour aboutir à la réexposilion.
Relxp. Th. A, réduit au seul élément a (le dessin plus souple a ayant
été très employé précédemment, sa suppression dans la rcc.vp. se
justifie parfaitement!.
Th. B, gardant ses trois éléments {b' , b" , b'"), en fa, avec unetendance vers
la sous-dominante SI9 , comme dans Vexposition. Cependant, la
cadence finale revient à la tonique fa.
?• Andante. écrit en rè9 et portant en épigraphe trois vers extraits
d'une poésie de Sternau sur le clair de lune. Ici, Brahms reprend une
ancienne forme des mouvements lents de Beethoven tout à fait délaissée
depuis lui : le Lied-Sonate (LS) ou forme Sonate sans développement
{voir ci-dessus, p. 296.). Malheureusement, l'exposition et la réexpo-
sition ayant ici la même marche tonale, il s'ensuit que la pièce entière
paraît être en la &, avec conclusion à sa sous-dominante ré?.
Exp. Th. A, à la D. LA t> (traitée comme une tonique^
— Th. B, à la T. RÉ\> {{ormant sous-dominante, par rapport à A).
— Ce thème se transforme et s'amplifie au cours de ses expositions :
la première fois, il est exprime ainsi :
— Dans la même exposition, il se. répète par une sorte d'extension
dans cette forme plus expressive :
RÉF.xp. Th. A, toujours a ta D. la >,.
— Th. B, toujours k la T. RÉ^, mais dans une forme plus calme,
avec laquelle la phrase finale du monologue de Hans Sachs,
au in« acte des Aieistersinger, offre une certaine analogie. Voici
les premières mesures de cette phrase mélodique B, ainsi
transformée :
COUHS 1>F. COMPOSITION. — T. 11. I.
4 '8 LA SONATE CYCLIQUE
3' Scherzo, en fa, ayant comme les deux mouvements précédents une
tendance marquée à tomber tonalement du côté de la sous-dominante.
4" lntermei\o, en si b . Cette pièce, intitulée Riickblick, n'a rien de
commun avec celles que Schumann intitule interme:[io. C'est une sim-
ple forme L/ei, rappelant, en rythme de Marche funèbre, \ç thème initiât
^A) de VAndante : cette seconde pièce lente, formant double emploi
avec la première, s'explique sans doute par une raison d'ordre poétique
ou même dramatique; mais elle est d'un tout autre genre que la Sonate
dans laquelle elle est intercalée et s'accommode assez difficilement du
cadre classique qui l'entoure.
b° Finale. Allegro moderato, en fa, de forme Rondeau à trois re-
frains.
Réf. I. Th. A, s'infléchissant vers la D,
Coupl. 1. Dessin B. à peine esquissé, en FA, et réduit à une sorte de
schème sans analogie apparente avec la forme qu'il prendra par
la suite :
Réf. 2. Th. A en fa.
Coupl. 2. Phrase mélodique complète, en KÉ f , où l'on retrouve, en une
forme précise, l'élément B du couplet précèdent :
Réf. 3. Th. A, en fa, mais par fragments découpés et en quelque sorte
hachés.
Coupl. 3. phrase B encore transformée, comme si elle tendait à dispa-
raître et à se volatiliser en un dessin agogique de main gauche,
presto, en FA, qui sert de conclusion :
^^:
On voit par ces exemples qu'il y a chez Brahms une tendance assez
nette vers la rénovation de la forme Sonate, parle moyen de certaines
modifications ou variations thématiques, dont nous ne trouvons nulle
trace dans les œuvres de ses contemporains allemands. C'est toujours
la conception cyclique latente qui dicte ces tentatives incomplètes,
dont la réalisation intégrale était réservée à César Franck et à l'Ecole
Française, à peu près exclusivement.
LES AI LEMANDS MODERNES 419
Edvard QRIEQ, quoique né à Bergen, en Norvège, peut être classé
assez légitimement parmi les musiciens allemands. En effet, "après
avoir écrit dans sa première jeunesse de petites pièces où les chants
populaires Scandinaves faisaient sentir leur influence bienfaisante, il
perdit rapidement toutes ses qualités natives au contact de la lourde
école de Leipzig, dont il semble s'être assimilé tous les défauts, sans
y avoir acquis la moindre science de la forme ni de la véritable compo-
sition.
Le mérite musical de Grieg est assez semblable à celui d'un bon
peintre de miniatures : ses petites œuvres, dont la ligne mélodique
souvent élégante et agréable s'épuise comme essoufflée après quelquer
mesures charmantes, ne s'élèvent jamais bien haut. Sa courte inspiration
et son ignorance absolue de la composition le rendent tout à fait
inapte à la construction d'une œuvre symphonique de quelque
importance: il ne produit alors que des assemblages hybrides de courts
fragments, maladroitement cousus ensemble ou seulement juxtaposés,
sans apparence d'ordre ni d'unité dans la conception et dans la réa-
lisation.
Grieg a pourtant écrit cinq Sonates : une pour piano seul (op. 7) ;
trois pour piano et violon (op. 8 en fa, op. i3 en sol et op. 46 en ut) ;
enfin, une Sonate pour piano et violoncelle (op. 38 en la) dont nous
allons donner l'analyse, à titre de vérification des critiques qui pré-
cèdent.
Cette Sonate, op. 38, est en trois mouvements (S. L. S.) :
1° Allegro agita to, en la.
ExF. Th. A, formé à peu près exclusivement des redites de ces dfiix
mesures, dont il esta peine besoin de faire remarquer la pénurie
mélodique :
— Ce thème, si on peut l'appeler ainsi, est exposé deux fois, sans
aucun changement et avec une cadence terminale, en la, qui clôt
cette sorte de « première case ».
— Pont par le dessin A, en liT, en valeurs augmentées (S mesures,.
— Th. B, qui consiste en rroi\s petits fragments de mélodie {b' , b", b"),
apparaissant l'un après l'autre et répétés à satiété :
— b' est répète quatre fois dans le ton d'VT :
I.A SONATE CVCLIOUE
b" est répété dix lois, soit en entier, soit par fragments sur divers
degrés :
— — b" n'est répété que deux fois, ce qui porte néanmoins à seije le
nombre total des redites ;
Cette étrange « idée musicale » est close, comme la première, par
une cadence terminale fermant cette « deuxième case » sans
qu'aucun de ses motifs ait jamais été commenté ni agrandi. Voilà,
certes, qui donne la mesure du « sens musical » de l'auteur:
bizarre manière de concevoir l'idée en musique, après tous les grands
exemples donnés par Bach, Beethoven et tant d'autres 1
Dev. qui consiste à peu près exclusivement dans la reproduction d'un
même passage sur différents degrés :
— b' est d'abord répété deux fois en ut (i6 mesures) ;
— b' est répété dfu-r autres fois en mit> (i 6 mesures) ;
— b' est répété encore deux autres fois en/jjj (i6 mesures) ;
— a reparaît alors sur une harmonie persistante de septième diminuée,
qui aboutit à une mauvaise cadence de Coiicer/o, procédant elle-même
par répétition d'une formule montant chaque fois d'un ton. Dans
tout ce développement, nous ne retrouvons, que les fragments anté-
rieurement entendus, et combien de fois I Pareille erreur nous est
déjà apparue dans l'œuvre de Schumann, mais du moins chez lui.
la musique du passage reproduit avait-elle une valeur et un intérêt
propres.
RÉExr. identique absolument à Vexposition et suivie d'une coda très
agitée.
2' AndatUc, en fa, de forme Lied, avec deux thèmes et un « dévelop-
pement ».
Sect. 1, Th. A, phrase de lied en fa, et th. B. consistant en un fragment
mélodique de quelques mesures, qui se reproduisent dix fois de
suite sur divers degrés, sans changement appréciable.
Sect. ii. Dév. consistant en un passage de cinq mesures se répétant trois
fois d'une manière absolument identique, en descendant d'un ton
chaque fois.
Skct. m. Th. A et th. B, sans changements, au ton principal.
3* Filiale. Allegro, en la, de forme Sonate. Le thème initial ne manque
pas de noblesse ; on l'accueille avec l'espoir de lui voir jouer un rôle
intéressant dans la construction du morceau, et, de fait,i ce thème est
de ceux dont on aurait pu tirer un excellent parti. Mais on est bientôt
LES FRANÇAIS 4"
déçu : le thème reparaît trois fois au cours de la pièce, sans aucune
modification sérieuse... et voilà tout. Ce finale est ainsi «construit » :
Exp. Th. A, en la.
— Pont, qui consiste en jjuaire mesures répétées quatre fois et suivies
d'une entrée préparatoire du dessin b".
— Th. B en deux éléments, nullement nouveaux :
— — fc' est fait avec le th. A, en UT, répété deux (ois, par augmeiilation.
— — b" est la phrase préparatoire déjà entendue à la fin du pont P,
et revenant ici en LA i>, avec cadence en UT.
Dév. comprenant trois éléments :
— b", modulant d'ut à si t> en quarante-cinq mesures, intégralement
transposées ensuite pour aller de si > à la ;
— b' , exposé en la t> en quaior:;e mesures, intégralement transposées
ensuite en faH ;
— marche par le rythme de b' allant de mi à la, au moyen de qua-
rait/e-nf^/" répétitions du même dessin (i).
Réexp. conforme à Vexposiiion, avec autant de redites, et suivie d'une
coda plus animée, en la, ramenant pour finir le th. A une troisième
fois, mais sans aucune modification.
Une telle façon d'opérer ne mérite assurément à aucun degré d'être
qualifiée « composition musicale » et encore moins « forme C3'clique ».
Pourtant Gricg ne recula pas non plus devant certaine tentative de
rappels thématiques, traités de la même manière que les « développe-
ments » ci-dessus analysés : sonQuatuor àcordes, cp. 27, que nous exa-
minerons dans la Seconde Partie du présent Livre, commence par une
introduction qui veut être cyclique, car elle circule dans plusieurs mor-
ceaux de l'œuvre ; seulement, elle « circule » en parfaite étrangère,
assistant à tout et ne prenant part à rien ; et on la retrouve, identique
à elle-même, à la fin de sa promenade... nullement sentimentale.
7. — LES FRANÇAIS I LA SONATE CYCLIQUE.
César-Auguste Franck 1822 •]- 1890
Charles-Camille Saint-Saens. . . . i835
Alexis de Castillon de Saint-Victor, i 838 -f 1873
Gabriel-Urban Fauriî 1845
Paul-Marie-Théodore- Vincent d'Indy. . i85i
Paui, Dukas i8d5
C'est à la France qu'il devait appartenir de poursuivre et de réaliser
la transformation de la Sonate, clairement indiquée par Beethoven :
nul de ses successeurs allemands, en eflet, n'avait su ou voulu tenter
sérieusement cette véritable rénovation c/cliqiie, seule capable de
(i) A la onzième répétition de ce dessin, l'auteur invite courtoisement l'eiécuiant à ne pas
se presser parla mention : iiic/il eilen ! L'auditeur est parfois d'un autre avis.
^2i LA SONATE CYCLIQUE
rendre la vie à cette belle forme qui s'étiolait et semblait près de dispa-
raître, en Allemagne tout au moins, malgré les timides essais de Schu-
man et de Brahms (i). La tradition ^'c/î^'z/e peut donc être considérée
comme transmise directement de Beethoven à César Franck qui, moins
de quin\e ans après l'apparition des derniers Quatuors cycliques de Bee-
thoven ( 1826), sut mettre à profit les enseignements merveilleux qu'ils
contenaient, dans son premier Trio, en fa s, publié en 1S41. Cette
œuvre, comme nous le verrons ultérieurement, est construite en effet
sur deux thèmes véritablement cycliques, qui servent de base aux trois
mouvements qui la constituent.
Ainsi que nous l'avons déjà fait observer (p. 391), c'est l'avènement de
ce génie très français, dépositaire de la tradition beethovénienne, qui
marque la date initialede l'École symphonique Française, école de plus
en plus cohérente et forte, occupant aujourd'hui la première place à
l'avant-garde de l'art musical.
César FRANCK, né à Liège, quitta entre dix et douze ans le pays wallon
et sa ville natale pour n'y plus rentrer. Naturalisé français et fixé à Paris
avec sa famille dès cette époque, ildevint, après quelquesannéesd'études
avec Reicha et Chérubini, organiste de Notre-Dame-de-Lorette, puis
de Sainte-Clotilde, où il resta jusqu'à sa mort. Après la guerre, en 1 87 1 ,
il prit une part active à la fondation de la Société nationale de Musique,
qui le choisit bientôt pour son président. Nommé professeur d'orgue,
en 1872, au Conservatoire de Paris, il ne tarda pas à faire de sa classe,
sans peut-être s'en rendre compte dans sa naïve modestie, une véri-
table pépinière de jeunes compositeurs élevés, à son exemple et à son
contact, dans le respect le plus profond pour les belles œuvres, dans
l'honnêteté la plus scrupuleuse vis-à-vis de leurs propres ouvrages,
dans l'amour le plus pur de l'art, avant toute chose (2).
L'œuvre de Franck, dont nous nous occuperons longuement encore
à propos de la Symphonie et de la Musique de Chambre (3) et à propos
(i) Franz Liszt publia en i837 une sorte de Fantaisie dramatique pour piano, construite
sur un seul thème et intitulée Sonate ; mais cette oeuvre, qui n'a aucun des caractères
propres à la forme Sonate, telle que nous l'avons décrite et étudiée, n'appartient pas au
genre cyclique et sera examinée dans le chapitre consacre au Poème Symphonique et à la
Fantaisie (11" livre, 2« partie).
(j) Il est de bon ton aujourd'hui, chez certains musicographes n avertis », de rejeter pure-
ment et simplement César Franck hors de la nationalité française. Les uns invoquent le
c fait scientifique t de la limite politique actuelle de notre ttal, laquelle est incontestable-
ment, depuis 1814, entre Liège (patrie de Gréiry) et Paris. D'autres, au nom de 1* a esthé-
tique », rangent délibérément Franck et tous ses disciples, jusques et y compris l'auteur de
ce Cours, parmi les Allemands 1 La glorieuse incompréhension qui protège encore l'œuvre
de Franck contre les admirations d'Outre-Rhin fait justice de celte dernière divagation.
Quant à l'autre, nous espérons que la présente esquisse biographique est suffisante pour la
• rcmeilrcau point ».
(3) Voir la Seconde Partie du présent Livre.
LES FRANÇAIS 4^3
de l'Oratorio (i), ne comprend que deux Sonates, l'une pour orgue et
l'autre pour piano et violon.
La Sonate pour orgue, dite Grande Pièce symphonique, en fa ;, date de
1861 : elle est dédiée à Ch.-V. Alkan et comporte trois mouvements,
enchaînés l'un à l'autre suivant l'usage de l'antique Sonate italienne.
!" Introduction, dont les éléments serviront au développement, et
Allegro du type S, ainsi construit :
Exp. Th. A, en fa î , formant première idée et pont.
— Ce thème joue un rôle cyclique dans toute l'œuvre.
— Th. B, en LA, plus calme et enchaîné au précédent.
Dév. par le th. de V Introduction et le th. A.
RÉEP. normale, avec coda, par le th. de V Introduction.
2* Andante., en si, de forme Lied en trois sections, dont la deuxième
{en si), en mouvement vif, joue le rôle de pièce du type. M ou de
Scherzo (2).
3* Finale, qui commence par une sorte de récapitulation des princi-
paux thèmes de l'œuvre, auxquels succède bienrôt le thème cyclique (A)
exposé solennellement en faz, et se développant ensuite par des entrées
de Fugue jusqu'à la conclusion.
La Sonate pour piano et violon, en la, date de 1886 : elle est dédiée
à Eugène et Théophile Ysaye et comprend quatre mouvements. Cette
œuvre demande une étude approfondie, car elle constitue à notre sens
le premier et le plus pur modèle de \'emp\oi cyclique des thèmes dans
la forme Sonate : en effet, indépendamment des idées musicales appar-
tenant en propre à chacune des pièces de cette œuvre, trois motifs
générateurs ou conducteurs spéciaux {x, y, :{), successivement exposés,
participent à la construction de ce véritable monument musical, auquel
ils servent en quelque sorte de « charpente mélodique» :
La cellule .v, génératrice de toute l'œuvre, se retrouve même dans
(i) Voir le Troisième Livre de ce Cours.
(2) La Symphonie en ré, de César Franck, que nous analyserons ultérieurement(ll* livre,
2* partie), contient une disposition tout à fait analogue.
434 LA SONATE CYCLIQUE
les dessins y et ^, en tant que ueumes mélodiques : elle consiste en un
torculus (A) portant un accent expressif sur sa note centrale [fat).
Le dessinj', contenant en ses trois dernières notes le torculus de .v,
s'expose pour la première fois au début du développement du deuxième
mouvement (S), et se reproduit, sous diverses formes, dans la Fantaisie
et le finale.
Le dessin \, formé de deux torculi avec une note commune, n'appa-
raît que dans la Fantaisie et sert ensuite à relier les refrains du finale.
Nous allons examiner maintenant le rôle de ces trois motifs caracté-
ristiques {x,y, ;{) dans la construction cyclique de l'œuvre:
1° Allegretto, en la : mouvement lent de forme Sonate à deux idées
sans développement (type LS).
Exp. Th. A, formé de la cellule.v, en LA, s'infléchissant et formant cadence
àlaD. :
— Th. [5, commençant en Ml et modulant en /JJI, puis en ut Z pour
revenir ensuite, a laide de la cellule x, vers la tunique principale.
Réknv. Th. A (par x) en LA, avec cadence à la T.
— Th. B, en LA, amenant une conclusion par x.
La dernière application de cette forme, sauf une différence dans l'a-
boutissement tonal des expositions, remonte au XIII' Quatuor, op. i 3o,
de Beethoven ( i), c'est-à-dire à 1826. Il convient de remarquer ce fait
que Franck, loin de chercher par avance à « être originalquand même »,
se contente de reprendre, après soixante ans, une forme très ancienne
et presque tombée dans l'oubli, ce qui ne l'empêche pas, vérifiant encore
la belle parole de Ruskin que nous avons citée (p. 17), en faire un
nouveau chef-d'œuvre.
2° Allegro, en ré, du type S :
Exp. Th. A en ré, formant phrase/itfi en troU pétiodcs, avec concivision
à la T., et faisant pressentir par son dessin initial le mox\{ y tel
qu'il s'exposera au développement :
(S) 7/.
l^nsy-
(1) Ci Quatuor ,<cr« in"Iv.<é dans la Secon-le P»iiie du ptéieni Livre. — Quant  la ifn-
laiive malheureuse ■\c Hnihiiis .lans celte mime forme (LSJ, iiuus avont vu ()}. 41 7) qu'elle
oc pouvait aucunement servir de modèle.
LES FRANÇAIS ^25
-- Pont ou transition très courte par la cellule x;
— Th. B, en rA, divisé en trois phrases douhles :
— — 6', exposé en F/t et en t/t, et apparenté au motif j';
— — b", allant d'abord de la D. de si à faVi , puis de la D. de ré k la ;
— — b", exposé en FA et en fa pour conclure.
DÉv. Motif j', exposé dans sa forme véritable {Quasi lento) et suivi de b"
qui module en la, puis vers UTS;
— en utS, par i" combiné avec la cellule x ;
— en marche, par a en ut Set en sol 5, puis par b' en soH> et en MI\> ;
Ri*EXP. Th. A en ré. suivi de P.
— Th. B (b', b", b') en RÉ.
— Dév. term. par a, en ré, combiné avec la cellule x et amenant la con-
clusion agogique, en RÉ.
3* Recitativo-Fantasia de forme assez spéciale, analogue par sa coupe
générale au Lied simple en trois sections constituées, la première par
un développement du motif cyclique x, la deuxième par une sorte de
floraison mélodique du dessin^;', et la troisième par une combinaison
concluante des deux précédentes, dans la tonalité de fa jt, :
Sect. I. contenant deux subdivisions :
— Récit débutant par la cellule x sur la D. de 50/, suivie d'une expo-
sition variée de la période x tout entière, en état tonal instable,
en sol, puis en ut 5, puis en n^arche d'ut 8 à la Z). de ré, dans sa
conclusion mélodique.
— Mêmes éléments reproduits sur la D. de ré, puis sur la D. d'ut S
où ils engendrent un développement mélodique nouveau, servant de
transition vers la section suivante.
Sect. ii. Th.j' formant une véritable mélodie, en /a 5, complétée par le
dessin ^ sous une forme amplifiée par l'agrandissement des inter-
valles du torculus final :
— Cette section se termine par une grande cadence mélodique en uti.
Skct. m. Cellule .f développée pd.t augmentation et suivie du dessin j-, en
sa forme amp/i^ée, reprenant en/jC \z gxa.i\ée cadence mélodique
de la SECTION 11, pour aboutir à une conclusion mélodique faite des
mêmes éléments que celle qui termine la première subdivision de
la SECTION I.
Il faut remarquer que le ton de fan {relatif du ton principal) s'est
déterminé peu à peu dans cette pièce, comme si elle tendait vers cette
tonalité pour Vatteiudre seulement à la fin, ?,' acheminant ainsi, en quel-
que sorte, vers le finale qui contiendra la glorification des trois motifs
cycliques.
4° Allegretto poco mosso, en la : combinaison tout à fait neuve des
^jo la sonate cyclique
formes S et R. Cette sorte de Rondeau à quatre refrains se divise en
trois parties dont la première est une exposition, la deuxième un véri-
table développement des thèmes propres au finale, combinés avec les
motifs cycliques, et la troisième une réexposition conclusive du
refrain :
Exp. Réf. i. Phrase tirée de la cellule x (partant de la T. au lieu de partir
de la D. comme dans le mouvement initial} ; cette phrase, faisant
fonction de première idée, se poursuit en un canon mélodinue
perpétuel à l'octave, d'une grâce pénétrante et douce et d'une sim-
plicité d'écriture presque sans exemple jusqu'ici:
— Petit couplet très court, exposant au piano le thème f .
— Réf. 2, en C/r 3 et toujours en canon-
— Petit couplet partant de/a S et modulant par le dessin j vers la D.
— Réf. 3, en m (canon), placé comme une seconde idée et terminant
Vexposition par une cadence à la D.
Dév. Grand couplet central formé d'éléments cycliques :
— cellule X (sous la forme de P. dans le deuxième mouvement) en marche
vers 51 b.
— repos en 5» I», puis en mi t>, par le th. du refrain combiné avec le motif
y à la. basse.
— deuxième fragment mélodique du refrain, changé de degré et de
fonction (T. au lieu de jD.) et allant de 50/ S -/a l> à ré S- mi n :
— grande cadence mélodique j, provenant du troisième mouvement
(fantaisie) et modulant de ré S à fa, puis à UT.
— même dessin ^ , formant repos, en UT et la, pour la rentrée.
RrExi'. Rkk. 4, en LA, en canon perpétuel, avec transposition à la T. de
la cadence à la D. qui terminait Vexposition.
Certes, on doit admirer ici par-dessus tout la haute valeur musicale
des idées mélodiques qui donnent à cette admirable Sonate la vie et
l'émotion intense qui l'animent ; mais, si l'on faisait abstraction pour
un instant de ses qualités magistrales d'invention, cette œuvre ne
demeurerait-elle pas quand même un témoignage irrécusable de la
séculaire tradition becthovénienne, immuable point d'appui d'une
rénovation profonde dans les formes, laissant intact le fonds légué par
toute une dynastie de musiciens de génie I
LES l'RANÇAIS 4^7
Camille SAINT-SAËNS, né à Paris, se présenta deux fois à l'épreuve
du prix de Rome, en i852 et en 1864 ; mais le jury lui préféra toujours
un musicien de moindre valeur. Organiste de Saint-Merry depuis i853,
puis de la Madeleine, de i858 à 1877, il fonda en 1872, avec Romain
Bussine et quelques autres musiciens français, la Société nationale de
Musique et contribua beaucoup à son développement. Il fut aussi un
pianiste virtuose des plus remarquables et dirigea pendant plusieurs
années une classe de piano à Vlnstitul de Musique de Niedermeyer.
En 1881, il devint membre de l'Académie des Beaux-Arts.
L'écriture musicale, chez Saint-Saëns, est toujours très classique ; on
rencontre parfois dans ses œuvres certaines juxtapositions de tonalités
malaisément explicables; mais il sait toujours donner à ces voisinages
difficiles une solution correcte et élégante, qui n'a rien de commun
avec les lourdes maladresses tonales si fréquentes dans les œuvres de
Brahms et des néo-classiques allemands. II semblerait plutôt que Saint-
Saëns n'ait pas toujours une confiance très ferme en ses propres idées
musicales, comme s'il les sentait lui-même un peu sèches et dépourvues
d'expansion chaleureuse. Quoi qu'il en soit, la valeur de ces idées est
toujours rehaussée par un travail des plus intéressants, pour lequel
tout au moins leur auteur mérite d'être classé au premier rang des
artistes de notre temps.
Saint-Saëns a écrit une Sonate pour piano et violoncelle
(op. 32) et deux Sonates pour piano et violon : l'une en ré (op. 73),
l'autre en j»//t> (op. 102).
Alexis de CASTILLON, né à Chartres, manifesta dès son enfance une
véritable passion pour la musique ; il n'en fit cependant point sa carrière
tout d'abord et devint officier de cavalerie. Mais il donna sa démission
quelques années après et alla demander des leçons de composition à
Victor Massé : celui-ci ne lui apprit absolument rien, et réussit même
à le dégoûter pour un certain temps de l'art qu'il avait toujours aimé.
C'est alors que Castillon fit la connaissance d'Henri Duparc qui le pré-
senta à son maitre César Franck. Il n'en fallut pas davantage pour
rendre à Castillon toute son ardeur ; il s'enthousiasma pour l'enseigne-
ment si clair et si pénétrant du génial symphoniste, avec lequel il com-
mença une étude complète de la composition, après avoir détruit toutes
ses œuvres antérieures qu'il jugeait indignes de lui.
Pendant la guerre de 1870, Alexis de Castillon reprit son service
militaire : il contracta bientôt une alTection de poitrine à laquelle il
succomba, à l'âge de trente-cinq ans.
Alors que presque tous les musiciens de son époque n'écrivaient
guère que des opéras, Castillon avait été l'un des rares esprits nette-
4j8 la sonate cyclique
ment orientés vers l'ordre symphonique et avait contribué, dans la
mesure du possible, à l'essor de la Société nationale de Musique, véri-
table pépinière de la symphonie française à la fin du xix' siècle.
Outre ses œuvres de Musique de Chambre que nous examinerons
ultérieurement, Castillon a laissé une belle Sonate pour piano et vio-
lon, en UT.
Oabriel FAURÉ, né à Pamiers, fut élève de Saint-Saëns à l'École Nie-
dermeyeret devint organiste à Rennes avant d'être maître de chapelle,
puis organiste du grand orgue (en 1896) à l'église de la Madeleine. Il
fut nommé en 1906 directeur du Conservatoire de Paris et, en 1909,
membre de l'Institut.
L'invention musicale revêt, chez Fauré, un caractère très spécial
qu'on pourrait appeler mélodico-harmonique, car la mélodie semble telle-
ment liée à ses subtiles harmonies qu'on ne saurait l'en séparer : il en
résulte un effet éminemment séduisant, comparable à celui de certaines
couleurs chatoyantes. Cette ligne mélodique ne plane peut-être pas aux
hauteurs sereines de celle de Franck, elle n'est pas toujours aussi habi-
lement ouvragée que celle de Saint-Saëns, mais elle n'en demeure pas
moins intimement prenante, et toute âme accessible à la poésie ne peut
manquer d'être conquise par son indéniable charme.
Fauré fut aussi l'un des fondateurs de la Société nationale de Mu-
sique ; celles de ses œuvres qui appartiennent au genre de la iMusique de
Chambre nous fourniront, dans la Seconde Partie du présent Livre,
l'occasion d'une étude plus complète. Mentionnons ici sa Sonate pour
piano et violon, op. i3, en la, qui date de 1878 (i).
Vincent d'INDY, né à Paris, élève de César Franck depuis 1872, fut
pendant cinq ans timbalier et chef des chœurs au.\ Concerts du Châte-
let. D'abord secrétaire et plus tard président du comité de la Société'
nationale de Musique, il seconda, avec Alexandre Guilmant, l'inlas-
sable activité de Charles Bordes, pour la fondation, en 1895, de la
Schola Cantorum, dont il est devenu seul directeur en 1904. C'est là
qu'il enseigna, depuis le mois d'avril 1897, le Cours de Composition
MUSICALE dont les éléments techniques et historiques constituent le
présent ouvrage.
Bien que le fait de parler de ses propres œuvres prête toujours à
quelque critique, l'auteur n'a pas cru devoir omettre de mentionner ses
deux Sonates : la première, en UT, pour piano et violon, op. 69 (1904),
(i) Une deuxième Sonate pour piano et violon et une Sonate pour piano et violoncelle
ont i\t composées par Faurc en 1917.
LES FRANÇAIS 4;,
la seconde, en mi, puur piano seul, o; . 63 (1907). C^rite dernière a
iTiême paru pouvoir faire l'objet, en raisrn de sa forme spéciale, d'une
analyse destinée à montrer l'une des évolutions opérées déjà dans la
conception cyclique de la Sonate, une vingtaine d'années après la pre-
mière réalisation complète due à César Franck.
La Sonate en mi est en trois mouvements : les motifs cycliques géné-
rateurs sont au nombre de trois, dont le premier (;c) régit toute l'œuvre :
Le deuxième (^i') apparaît seulement à titre de phrase complémentaire
dans le mouvement initial ; mais il engendrera plus tard l'idée prin-
cipale du Scherzo :
Le troisième (^), simplement exposé dans le mouvement initial, sert i
former le premier trio du Scherzo :
i" Modéré, en mi : Introduction dans laquelle sont esquissées, sous une
forme qui n'est pas encore définitive, les trois idées cycliques [x, > ,*x).
Le thème principal X (formé de x et complété parr) s'expose ensuite
en mi, et sur le degré de la dominante comme point de départ. Il est
suivi de quatre variations servant à Vamplifer suivant les principes in-
diqués ci-après, au chapitre vi. Chacune de ces \'ariations amplijica-
trices est terminée par une exposition chaque fois diflérente du dessin
;'. Après la quatrième variation, reparaît le grand thème X, en Mi, mais
partant cette fois du degré de la médiante (en fonction de tonique),
c'est-à-dire tel qu'il a été cité ci-dessus et qu'il restera dorénavant dans
la suite de l'œuvre.
2° Très animé, en SOL, de forme Scherzo à deux trios :
Scherzo. Th. A, en sot, forme par le dessin _>' et développé :
LA SONATE CYCLIQUE
Trio 1. Th. B. en MI t>, forme par le dessin f qui donne naissance à une
phrase complète :
SCHERZO. Th. A, en soi.
Trio II, Th. C, en ut, provenant d'une autre modification de y
— A ce thème s'adjoint bientôt une nouvelle interprétation du dessin .r,
préparée rythmiquement déjà et s'exposant complètement en UT :
SCHERZO. Th A, en SOL, exposé une troisième fois pour conclure avec un
rappel du trio i.
3° Finale. Modéré, en mi, de forme Sonate, avec une Introduction, en
mi, symétrique de celle du mouvement initial : toutefois, Les interven-
tions du dessin complémentaire [y] sont remplacées ici par une nouvelle
phrase mélodique destinée à former peu à peu le thème A du finale ;
le motif [f) n'est plus ici qu'une transition entre cette introduction
et le thème A lui-même, marquant le commencement du dernier mou-
vement proprement dit :
Exp. Ih. A, en MI, formant une phrase complète en /roii périodes
— Pont modulant, dont le dessin mélodique a pour origine le motif i' el
part du ton de /a pour aller vers celui lie LA \> :
LES FRANÇAIS 4^1
Th. B, en I.A t) - 50i C, en trois phrases (b', b", b",) dont la première
(b'} est également issue du motif^ ;
Dév. par A, modulant de WK à sol ;
— par P, en sol, amenant un repos en UTU par la phrase b' combinée avec
des fragments de a.
— par P, partant du ton de fa S et modulant pour amener un rappel du
thème général X (exposition simplifiée formant repos en ut).
KÉEXP. Th. A, en MI.
— Pont en mi, modulant vers SOL ;
— Th. B {b' , b", b"), réexposé en SOL, à cause du dév. lerm.
— Dév. term. par A, interrompu par le dessin x tendant à ramener peu
à peu le thème entier.
— par le thème général X, exposé dans toute sa force au ton prin-
cipal, Ml, et se superposant vers la fin au thème A du finale.
— — rappel de b' qui termine l'œuvre en s'effaçant progressivement.
Haul DUKAS, né à Paris, fut élève du Conservatoire et obtint, en 1 888,
le second prix de Rome ; mais il se rendit compte qu'il avait jusqu'alors
appris fort peu de choses et eut la conscience de recommencer toute son
éducation musicale. Il fit donc une étude approfondie et passionnée de
l'œuvre des maîtres musiciens de toutes les époques, et parvint ainsi
par son travail personnel à se former une doctrine esthétique, attendant,
pour produire des œuvres, d'être parfaitement sûr de lui-même.
Il a écrit une Sonate pour piano seul, en mi ^ (1900), qui n'est point
construite à proprement parler sur des thèmes cycliques, mais qui est
néanmoins soumise d'une façon indéniable à cette sorte de conception,
dans l'esprit sinon dans la forme ; c'est pourquoi il y a lieu d'analyser
ici cette œuvre, divisée en quatre mouvements :
1° Modérément vite., en mi\}, de forme Sonate.
Exp. Th. A, en mi'o, puis en la \>, s'infléchissant vers ré\> ; ce procédé d'as-
sombrissement progressif par les quintes graves se rencontre
fréquemment dans les oeuvres du même auteur ; mais il sait l'em»
ployer assez habilement et sobrement pour que le sens tonal
général n'en soit point oblitéré : l'harmonie de mi>, au contraire,
reparaît ici toujours en fonction de tonique, sans la moindre
équivoque.
— Pont, par le dessin de A, amenant une sorte d'exposition préparaxoire
du th. B, toujours par sa quinte grave (SD.).
— Th. B, composé d'une phrase unique, en SOL
\2 LA SONATE CYCLIQUE
Dév. par a en forme modulante, aboutissant à une marche vers la D. de
mi, puis vers la D. de ré ;
— par B, exposé en état de repos, en Sli>, puis en MI -FA 9.
Rékxp. Th. A, en mi 9 et la9, suivi de P ;
— Th. Ben Ml'? ;
— Dév. term. par le th. B qui conclut.
2° Calme, un peu lent, en la 9, de forme Sonate avec développement :
Exp. Th. A, en LA 9 ;
— Th. B, en Ml 9 ;
Dév. par a, en SOL 9 et FA i
— par b, en FA ex SI 9 ;
— par a, en SOL ;
Réexp. Th. A et th. B au ton principal, LA9.
3° Vivement, en si-ut9, de forme Scherzo.
Scherzo : Thème nouveau, en si.
Trio par le Th. A du mouvement initial, prenant ici une fonction
cyclique et se résolvant en une forme fuguee qui parait être une
transformation du même thème.
Scherzo réexposé en si.
4» Iniroductîon et finale Animé, en w/b, de forme Sonate :
Introd. contenant un thème générateur [x) destiné à jouer un grand rôle
dans tout le finale :
Lent
— Ce motif module et sert de transition entre V Introduction et le mou-
vement Animé :
Exp. Th. A, en mh , que nous citerons en entier, car il constitue une des
idées musicales les plus essentiellement a symphoniques » qu'on
ait écrites en ces dernières années : on remarquera l'influence
incontestablement génératrice de la cellule a- dans ce thème:
® An
LES FRANÇAIS 4-53
Pont modulant ;
Th. B, en trois phrases, dont la première (b'), en Sl-UT? , est visible-
ment inspirée du thème liturgique Pange Uitgua... :
— — cette phrase, comme le th. A du mouvement initial, se reproduit
à la SD.
— — b" est une sorte de développement anticipé de la phrase b".
— — b" est un thème conclusif, en forme de marche, mais peut-être
un peu inftsrieur aux précédents.
Dév. par b' puis par a, amenant ensuite un long développement de la
cellule X, qui part de mi \> et module par demi-tons ascendants, pour
aboutir à la D. du ton principal.
Réexp. Th. A, en mi b, suivi de P.
— Th. B {b', b", b"), en MI i>.
— Dév. term, par b , préparant la rentrée définitive du dessin cyclique x,
qui revient dans toute sa force et qui forme conclusion, en MIP, a
l'aide de la phrase b'.
La forme Sonate était la seule dont nous ayons à nous occuper ici,
en tant que prototype de toutes les autres formes symphoniques dont
l'étude sera faite, après celle de l'Instrumentation, dans la Seconde
Partie du présent Livre. Mais les quelques œuvres citées dans ce cha-
pitre suffisent déjà, croyons-nous, à montrer que la France, après s'être
trop longtemps désintéressée de toute participation active au progrès
de l'art symphonique pur, a le droit de se considérer dorénavant
comme largement dédommagée. Peut-être l'histoire de notre art dra-
matique et des envahissements hétérogènes dont il subit plusieurs fois
les désastreux effets nous fera-t-elle mieux comprendre, dans le Troi-
sième Livre de cet ouvrage, les raisons profondes de ce recul momen-
tané dans l'état de la musique de notre pays, au xix* siècle. Constatons
seulement l'existence et la vitalité intense de cette École de musiciens
français qui, seule en Europe et depuis César Franck, a su recueillir
et faire amplement fructifier le magnifique héritage de Beethoven.
COURI DS COUPOilTION. — T.
VI
LA VARIATION
TtCHNiQo». — I. Définitions et divisions. — i. L'Ornement ryihmo-mono.livvic -
3. L'Ornement polyphonique ou contrapontique. — 4. L'Amplification thématique
Historique. — 5. La Variation ornementale. — 6. La Variation décorative. — 7. La Vaiia
tion amplificatrice.
TECHNIQUE
I. DKUNITIONS ET DIVISIONS
La Variation consiste en une succession logique d'expositions
intégrales d'un même Thème, offrant chaque fois un aspect rythmique,
mélodique ou harmonique différent, sans cesser d'être reconnaissable ;
en tant que forme de composition, elle est en général destinée à un
seul instrument récitant, jouant seul ou accompagné, et tire son origin*
des reprises variées dites doubles, en usage dans les pièces lentes (L\
et surtout dans les pièces modérées (M) appartenant aux anciennes
Suites (voir ci-dessus, p. 1 14) ; à ce titre, la forme Variation constitue
le corollaire et le complément indispensables de la forme Suite et de
la forme Sonate.
Mais le principe de la Variation et son rôle dans la composition
musicale sont loin d'être limités à cette forme spéciale, apparue assez
tardivement et tombée aujourd'hui en désuétude.
En tant que moyen expressif, la Variation a pour principe Vornemen-
tation mélodique, c'est-à-dire l'application à un même Thème de for-
mules mélodiques différentes, dans le but d'en renouveler et d'en
accroître l'intérêt, sans en altérer jamais la signification, ni, en quelque
sorte, la substance même.
L'usage de l'ornement mélodique est assurément aussi ancien que
la voix humaine et que la musique elle-même : aussi pourrait-on lui
assigner trois états, distincts mais non successifs, correspondant assez
bien, dans le domaine technique, aux trois grandes Époques de l'His-
toire musicale :
1° Vornement rj-thmo-monodique variant intrinsèquement le texte thé-
4^6 LA VARIATION
matique lui-même, par l'adjonction de groupes rythmiques acces-
soires, de formules ou de neumes plus complexes, tout en respectant
le schème mélodique primitif, établi d'après les principes énoncés au
Premier Livre (i) ; X
2° Yornement polyphonique ou contrapontique, variant extrins'eque-
ment le texte thématique qui peut demeurer immuable, tandis que des
lignes mélodiques adjacentes, destinées à être entendues simultané-
ment, se superposent à lui sans affecter notablement son rythme, ni
sa mélodie propre ;
3° V amplification thématique^ sorte de Varirition à la fois intrinsèque
et extrinsèque, dans laquelle la présence du Thème, au lieu de se révé-
ler constamment par une superposition effective ou possible de sa
mélodie, résulte seulement du sens tonal général et de certains points
de repère, harmoniques ou mélodiques, reparaissant dans un ordre
constant : c'est une sorte d'interpj-étalion ou de commentaire musical
du Thème plutôt qu'une exposition ornée ou contrepointée.
Bien que ces trois états de l'ornement doivent nécessairement être
envisagés l'un après l'autre dans l'étude technique qui va suivre, il
ne faudrait point les considérer comme absolument successifs : ils
coexistent au contraire dans un grand nombre de formes musicales
participant de la Variation. Il ne sera donc pas possible, pour la clas-
sification historique de ces formes, de procéder, comme on l'a fait
précédemment pour la Fugue, la Suite et la Sonate, par époque et
par école ou par nationalité. Presque tous les compositeurs, en effet,
ont eu recours, pour fleurir, commenter ou magnifier les Thèmes créés
par eux ou fournis par d'autres, à la Variation.
Mais les plus anciens étant, sans contredit, les anonymes auteurs des
cantilènes grégoriennes, il sera naturel de faire correspondre à l'étude
technique de Yornement rythmo-monodique l'histoire de la Variation
ornementale.
L'adjonction de {'ornement contrapontique était nécessaire pour
qu'un Thème puisse s'exposer plusieurs fois avec des dessins diflérents,
et recevoir ainsi une sorte d'enluminure sonore comparable aux enca-
drements et aux figures régulières qui servent à la décoration d'un
édifice : c'est pourquoi l'on trouvera en deuxième lieu l'histoire de la
Variation dite décorative., la seule d'ailleurs qui ait constitué, par
elle-même, une forme de composition.
Enfin, V amplification thématique et son corollaire historique, la
Variation amplificatrice créée par J.-S. Bach, devaient logiquement
apparaître en dernier lieu, à la place d'honneur qui leur appartient
(i) Voir 1" liv., chap. ii, p. 4a.
L'ORNEMENT RYTHMO-MONODIQUE 437
de droit, en tant qu'aboutissement de la Variation dans le passé et
point de départ probable de ses formes nouvelles dans l'avenir.
Les points de vue leclniique et historique demeurent donc ici étroite-
ment liés l'un à l'autre : c'est pourquoi les deux sections de ce chapitre
sont presque inséparables, caries exemples nécessairement très succincts
de la section technique doivent être complétés par de fréquentes compa-
raisons avec les citations corrélatives, plus nombreuses et plus déve-
loppées, de la section historique, w
2. l'ORNF.MKNT RYTHMO-MONOnIQlE,
Il ne semble guère possible d'entreprendre ici une étude complète
de Vornement, qui se confondrait, à peu de chose près, avec celle de
toute la mélodie, sinon même de toute la musique : un chapitre
entier du Premier Livre de ce Cours a déjà été consacré à la Mélodie;
la Musique, c'est le sujet de tout l'ouvrage... II convient donc ici de
se borner à quelques considérations particulières, destinées principa-
lement à en suggérer d'autres au lecteur, tout en lui laissant le soin
d'apprécier les innombrables effets de Vornement sur toutes les œuvres
qu'il connaît déjà et qu'il connaîtra par la suite, depuis les premières
cantilènes monodiques de notre admirable liturgie chrétienne, jus-
qu'aux ouvrages les plus récents et les plus complexes de notre art
musical symphonique et dramatique contemporain.
On a défini la Mélodie « une succession de sons déterminés différant
entre eux à la fois par leur durée ou leur intensité et par leur intonation
(gravité, acuité) » (i).
Le fait d'inégalité qui se retrouve à l'origine du rythme et de la
mélodie (2), comme dans toute manifestation de l'activité humaine,
implique une importance relative entre les sons d'une mélodie quel-
conque et. par application des principes rythmiques « d'ordre et de
proportion dans le temps », une hiérarchie entre eux : les uns occupant
des fonctions principales, dirigeantes et nécessaires, tandis que les
autres, plus modestes, remplissent des fonctions accessoires, en quel-
que sorte subordonnées et contingentes.
L'analyse des mélodies nous a révélé pratiquement cette hiérarchie,
en nous apprenant « h éliminer successivement... les notes accessoires
d'ordre purement ornemental, pour ne tenir compte que des notes
réelles »(3). Celles-ci constituent Vossature ouïe schème mélodique dont
il a été souvent question : leur modification ou leur suppression
(i) Voir !•' liv., p. 3i.
(3) Voir [" liv., p. a5 ei îuiv
(3) Voir !•' Ut., p. 42.
^3« LA VARIATION
rendrait méconnaissable ou inintelligible la mélodie dont elles sont,
pour ainsi dire, la substance, l'élément invariable au sens strict du mot. X
Le trésor grégorien abonde en formes mélodiques tantôt ornées,
tantôt réduites littéralement à leur « plus simple expression » ; et, s'il
n'est pas toujours certain que la forme dite primitive ait précédé chro-
nologiquement Vonieweiit, celui-ci doit toujours être considéré comme
ajouté a un thème plus simple, préexistant. Mais, lorsque la liturgie
elle-même nous a, par bonheur, conservé les deux textes dont l'un
est la Variation de l'autre, il y a tout lieu de croire que cette antério-
rité du Thème n'est point hypothétique : tel est le cas déjà cité du
premier vers de la séquence Laiida, Sioii, Salvatorem par rapport à la
première vocalise de V Alléluia de la fête de V Assomption (i). La juxta-
position de ces deux textes et les exemples analogues qu'on trouvera
ci-après dans la section historique (p. 449 et 450) feront mieux com-
prendre le principe et le mécanisme de Vornement r)-thmo-monodique :
THÈME i~~* ■ * ■ f
Lauda.Si- on, Sal-vatôrein.
S rx-
— «TTs —
1 , s \
m * ^\ ,
, s '
Variation
ornementale
La première note (mi) du T/ième primitif est précédée dans la Variation d'un
podatus plus grave {ut, ré) formant anacrouse ornementale.
La tierce initiale {mi, sol) est complétée dans la Variation par sa note de
passage (fa).
Les deux notes initiales («^, si) sur « Salvatorem » ont reçu, dans la Variation.
leur broderie inférieure {si-ut, ta-si) affectant l'aspect dit appoggtaturc.
Enfin, la cadence suspensive sur la dominante {la, sol) est agrémentée dans
la Variation d'un port de voix ornemental {la, sol-sol).
Dans cet exemple, les adjonctions à la mélodie primitive de neumes
ornementaux, qui modifient intrinsèquement son r\thnie et son dessin
sans en altérer le sens, sont des plus simples : nous avons vu dans
l'étude des cantilènes grégoriennes (2) qu'il n'en va pas toujours ainsi
et que l'ornementation peut atteindre un degré de complexité confinant
à la surcharge. Entre ces limites extrêmes, il n'est guère possible d'as-
signer des règles fixes à l'infinie diversité des aspects de l'ornement :
nous touchons ici, en effet, comme précédemment, en matière de
modifications cycliques (p. 387), à l'élaboration même des thèmes et
des idées, c'est-à-dire à l'opération musicale la plus variable qui se
puisse concevoir. Mais ce qu'il est moins malaisé de spécifier, ce sont
(1) Voir \" liv., p. 6y, et Libtr Gr.xJujIis de Solcsmcs, a" Edition, p. j8S ei S37,
li) Voir I" liv., chap. iv.
LORNEMENT RYTHMO-MONODIQUE 4^9
précisément les éléments thématiques qui ne varient pas, ceux qui
doivent être considérés en général comme intangibles, dans leurs posi-
tions respectives tout au moins, '
i" Les notes extrêmes au grave et à l'aigu dans chaque fragment
thématique primitif.
Il va de soi, en effet, que la substitution d'une formule descendante
dans la Variation aune formule ascendante dans le Thème dénature no-
tablement celui-ci (i): la ligne mélodique, si simple qu'on la suppose,
passe nécessairement par des notes plus aiguës ou plus graves (on pour-
rait dire des points ina.xinia et des points minima), à partir desquelles
le mouvement change de sens ; ces notes sont les plus apparentes et
les plus significatives de chaque groupe ; leur modification ne peut
prendre quelque importance et quelque durée sans atteindre la substance
même du thème.
2° Les accents principaux, par voie de conséquence.
Ces accents ne coïncident pas toujours avec les notes extrêmes; mais
ils constituent des points de repère par lesquels se rétablit en quelque
sorte l'origine thématique de chaque fragment varié : un changement
notable dans ces points de repère entraînerait donc à peu près inévita-
blement une déformation du Thème primitif excîédant les limites de la
Variation proprement dite.
3° Les cadences suspensives ou conclusives.
Cette sorte de ponctuation musicale étant nécessaire à l'intelligibilité
du Thème ne peut être gravement modifiée par l'ornementation, sans
donner lieu à de véritables interprétations nouvelles de ce Thème, c'est-
à-dire à ce que nous avons appelé V amplification thématique (voir
ci-après, p. 445).
Cette sauvegarde des notes extrêmes, des accents et des cadences ne
s'applique avec quelque rigueur qu'à l'ornementation du genre rythmo-
monodique seulement : l'histoire de la Variation ornementale (voir ci-
après, p. 448 et suiv.), à laquelle cette sorte d'ornement a donné naissance,
en montrera de nombreuses vérifications appartenant à toutes les épo-
ques. Mais il est rare que, dans une œuvre de quelque importance ayant le
caractère de Variation, l'ornement rythmo-monodique soit employé seul :
témoin, les ■Adm\rAh\es Etudes en forme de Variations, o^. i3,deSchu-
mann, auxquelles nous emprunterons nos exemples des trois espèces
qui divisent cette étnde technique somrmivt de la Variation. Par sa seule
(i) Il faut toutefois faire une réserve pour le cas où la Variation consisterait précisément
à renverser le Thème, c'est-à-dire à substituer à chacun de ses intervalles ascendants prin-
cipaux un intervalle descendant corrélatif, ainsi qu'il a été expliqué ci-Jessus (p. 23), à
propos du C.jnon inverse. Mais une telle \'ariation n'appartiendrait pas à l'ornementation
rythmo-monoJique qui, seule, nous occupe ici.
AAO LA VARIATION
et géniale intuition, l'auteur sut appliquer tour à tour dans ces douze
pièces qui constituent un cycle d'un nouveau genre, l'ornemeni rythttio-
motiodique, l'ornement contrapontique et Y amplification thématique.
A vrai dire, le premier de ces trois moyens y est d'un emploi plus rare
et moins typique que les deux autres; cependant, l'arpège initial descen-
dant, qui provient du Thème et se reproduit au début de la Vil» Va-
riation (Etude IX), orné de ses notes de passage et d'une broderie, peut
encore être rattaché à la même catégorie d'ornement que V Alléluia z'ilé
précédemment :
Andante-
TREME—
iMais cet emploi assez restreint du pur ornement, dont on trouvera
ci-après (p. 43 1 et suiv.) plusieurs autres exemples, est largement com-
pensé parles applications magistrales de \a polyphonie et de Vamplifi-
cation dans cette œuvre, dont les mérites sont d'autant plus grands
qu'elle fut conçue et réalisée en un temps oîi la forme Variation semblait
avoir atteint le dernier degré de la déchéance.
• X
3. — l'ornement polyphonique ou contrapontique.
A cette Variation tout intrinsèque des Thèmes par l'ornement rythmo-
monodique, sorte de floraison spontanée et instinctive de la voix qui
chantait librement les louanges du Créateur, la polyphonie médiévale
ne devait point tarder à imposer sa rigoureuse discipline. En effet, la
superposition de chants différents, simultanés et le plus souvent imités
l'un par l'autre, à tour de rôle et à intervalles constants, tout en lais-
sant subsister dans chacune des parties mélodiques l'élément ornemental,
réglait plus sévèrement sa forme ou sa durée, et le répartissait entre les
diverses voix par des moyens totalement inconnus des monodistes.
Ainsi paraît s'établir avec les premiers déchants et diaphonies (1) l'u-
sage de faire entendre des vocalises ornementales >'am'«?s, en même temps
que le Thème liturgique intégral, chanté par le peuple.
Dans cet éx.a\. polyphonique de la Variation, le Thème subsiste »V?/r;;isè-
quemciit : il ne rarie pas ; la Variation circule autour de lui, s'en inspire,
(1) Voir I" liv., chap. x.
L'ORNEMENT POLYPHONIQUE 4^,
le commente et l'imite, sans l'atteindre ni le pénétrer : elle devient
purement extrinsèque.
L'ornement contrapontiqiie diffère donc essentiellement du précédent
en ce qu'il a pour base nécessaire la superposition consonnante de
sons différents, V Harmonie,]' Accord (i).
La succession d'intervalles harmoniques élémentaires, formés par
l'adjonction d'une ou de plusieurs mélodies au-dessus ou au-dessous du
Thème préexistant, constitue le Contrepoint consonnant [note contre
note). En voici un exemple emprunté au magnifique Choral Aus tiefer
Noth de J.-S. Bach (2) :
1 tl-. X ^ \
"
, ^ r- ^ 1
r-n 0 1
-^
-^-Ji ■-
1 THEME
^ — \ —
1
-^^^ ^^
. .
|_... .._. — :--_^
<?) (3)
. 0
(«■
-T.1 '
■(0
(?)
I Notes consonnantfs qui tlt-vicndionl la \(iri(itiijn
Dans cette ligne contrapontique rudimentaire, l'or/zoMe;;^ prend nais-
sance par la subdivision rythmique des valeurs, dite contrepoint Jiguré
(deux, trois, quatre notes contre une, etc.). Il en résulte une ligne ou
une trajectoire mélodique faite de valeurs plus brèves, en forme de
neumes plus ou moins ornementaux, qui prennent leur point d'appui,
de distance en distance ou de mesure en mesure, sur les intervalles
consonnants déterminés précédemment.
Entraînés par leur propre mouvement, ces neumes ou ornements
contrapontiques peuvent même déplacer parfois leurs points d'appui
respectifs : la consonnance, au lieu d'être rigoureusement simultanée,
est alors retardée, de temps en temps, par suite de la non-coïncidence
des rythmes appartenant aux parties mélodiques superposées, comme
si, dans cette superposition, l'une ou l'autre des parties avait été recu-
lée d'un ou de plusieurs temps par rapport à l'ensemble. Cette disposi-
tion très spéciale est connue sous le nom de contrepoint syncopé.
Consonnance, subdivision rythmique et syncope, tels sont en définitive
les éléments organiques du Contrepoint. Leur adaptation esthétique à
un Thème, par le moyen de l'imitation musicale sous toutes ses formes
(directe, inverse, rétrogradée, augmentée, diminuée, etc.), constitue
V ornement contrapontique ou Contrepoint fleuri, dont nous donnons ci-
après un exemple appliqué au même Thème que l'exemple précédent :
(i) Voir I" liv., chap. vi,
(3) Éd. Peters, vol. VI, p. ?6.
LA VARIATION
: Noli'S principales du contrepoint consonnant
L'ORNEMENT POLYPHONIQUE Ml
On remarquera, à la partie la plus grave dans les quatre dernières
mesures, le spécimen de Contrepoint note contre note cité ci-dessus
(p. 441). Ce même fragment, par le moyen des subdivisions rythmiques
et des syncopes, est devenu un Contrepoint fleuri.
En étudiant les maîtres palestriniens (i), nous avons eu l'occasion
d'admirer déjà les plus belles manifestations vocales de Vornement con-
trapontique. Transporté dans le domaine instrumental avec la Troisième
Époque de l'Histoire musicale, il subsista d'abord à peu près intact,
dans les pièces d'orgue principalement. Le Choral varié et la Fug-ue en
contiennent maints exemples analogues à celui qu'on vient de lire. On
en rencontrera ci-après, dans la Can^ona, la Passacaille et la Chaconne
(p. 457, et suiv.) trois applications caractéristiques, fondées sur la pré-
pondérance respective du rythme., de Vharmonie et de la mélodie,
comme moyens de Variation.
Mais, avec les errements harmoniques qui supplantaient peu à peu les
vieux usages polyphoniques., avec la virtuosité qui se propageait de plus
en plus aux dépens de l'expression musicale, la Variation, issue du Con-
trepoint, devint bientôt méconnaissable.
Le mauvais goût croissant des interprètes, qui agrémentaient de leurs
fioritures les reprises des divers airs appartenant aux Danses et aux
Suites, avait déjà lassé les compositeurs : par nécessité d'abord, puis
par plaisir sans doute, ils s'étaient décidés à écrire eux-mêmes les
Doubles variés ou les Reprises dont il a été question ci-dessus (p. 114
et 198) : ils en arrivèrent bientôt, et pour le plus grand dommage de la
musique, à pratiquer la « variation pour la variation », ainsi que nous
en montrerons quelques exemples ci-après (p. 460 et 461).
Alors apparaissent et pullulent ces recueils dits Thèmes variés ou
Airs variés, dans lesquels les formules contrapontiques, désormais des-
séchées et racornies, ont revêtu l'aspect de petites vignettes harmoni-
ques que nous avons comparées précédemment (p. 436) aux figures
régulières qui décorent certains édifices.
En cet état décoratif devenu si vulgaire, les deux sortes d'ornement
sont mélangées ou alternées, mais également appauvries : l'ornement
monodique est devenu grupetlo, fioriture italienne; l'ornement contra-
pontique, basse ou dessin thématique obstiné subsistant à l'une des parties,
tandis que les autres se réduisent à des arpèges harmoniques peu ou
point ornés.
Ce que nous avons appelé les éléments intangibles du Thème ne
consiste plus guère que dans le nombre de mesures (généralement
quatre ou huit) de ses périodes avec leurs harmonies plates, leur
(1) Voir 1" liv., chap. i.
444 LA VARIATION
immuable monotoine et les notes initiales de chacune d'elles, véritable
« poteau indicateur », « guide-àne » de l'auditeur bénévole. Les quatre
mesures suivantes, extraites de VAir célèbre de l'opéra comique Biaise
et Babet, de Dezède, varié pzr Tiussek, suffiront à nous faire mesurer
d'un coup d'œil l'insondable sottise de ces fastidieuses et innombrables
Variations, où sont parfois amoncelées tant d'inutiles difficultés pour
l'exécutant, tandis que la musique, si « musique » il y a, est réduite à
la f»erpétuelle répétition d'une même cadence à intervalles réguliers,
sinon en valeurs égales :
THEME
)'nriation
diccratix-e
S n. n. r.
Toutefois, les Études en forme de Variations de Schumann, bien
qu'elles soient apparues peu après cette période de « décomposition »,
contiennent des exemples d'ordre contrapontique et décoratif, qui ne
participent en rien à cet état de dégénérescence. Et l'on peut vérifier
par là, une fois de plus, la justesse des réflexions de Ruskin que nous
avons citées au début de ce Livre (p. 17). Car il n'est pas de forme
avilie ou désuète dans laquelle les sentiments d'un artiste sincère ne
puissent trouver leur expression la plus émouvante et la plus orie^i-
nale : telle, la phrase pleine de tendresse et de passion qui s'expose à
L'AMPLIPICATION THÉMATIQUE 44)
la partie supérieure, dans cette II* Variation au rythme inquiet et
haletant, tandis que la basse fait entendre le Thème dans sa forme pri-
mitive :
Vnii(tli(nt dtforntire
Certes, nous sommes assez éloignés ici du style contrapontique :
c'est pourtant le même principe de la superposition de mélodies dif-
férentes qui se retrouve à l'origine de toutes les pièces instrumentales
ayant donné naissance à la forme Variation proprement dite.
Nous n'avions jusqu'ici constaté l'existence de cette forme qu'à
titre de pièce constitutive d'une Suite ou d'une Sonate (voir ci-dessus,
p. I 14 et 3oo). On verra plus loin, dans la section historique du présent
chapitre, quelle fut sa destinée en tant que pièce isolée dite Variation
décorative.
4. — L AMPLIFICATION THéMATIQUE.
Qu'elle fût envisagée au point de vue intrinsèque ou extrinsèque, mono-
dique ou polrphonique, la Variation avait pour caractéristique constante
l'exposition préalable ou simultanée d'un Thème permanent, exprimé
ou sous-entendu, mais toujours identique à lui-même. Cette sorte de
substance thématique^ intangible dans ses notes extrêmes [maxima et
minima), ses accents et ses cadences, à l'état ornemental, ou, dans les
dimensions métriques de son cadre, à l'état décoratif, participe tou-
jours des qualités de la matière : ces deux sortes de Variation ou d'Or-
nement permettraient le plus souvent une reconstitution matérielle de
leur Thème dont on pourrait rechercher, une aune, les notes éparses
^^t> LA VARIATION
dans la représentation graphique, pour leur restituer leur ordre primi-
tif, leur intonation et leur valeur.
Si toutefois, à l'état ornemental^ ce respect de la lettre ne nuit point
à Yespritàn Thème, il n'en est pas toujours de même à l'état décoratif y
où l'esprit est souvent absent, tandis que la lettre, seule, demeure.
L'étude de la Variation nous révèle enfin un troisième état, dans
lequel la lettre, ou, si l'on préfère, la note est à peu près absente, tandis
que Vesprit, l'expression demeure. On se trouve alors en présence
d'une véritable interprétation, d'une amplification du Thème, dont la
notation seule ne donne plus qu'une idée tout à fait insuffisante.
Il est presque impossible d'apprécier à quel moment exact une phrase
ainsi amplifiée cesse d'être reliée ou reliable au Thème qui lui a donné
naissance ; mais on peut assez nettement établir, par élimination, où
commence cet état spécial de la Variation.
Dès que les éléments nouveaux adjoints au Thème pour le varier ne
permettent plus sa superposition, même fragmentaire, à la Variation,
il y a proprement amplification si l'expression générale du Thème
n'est pas sensiblement altérée, et si l'on peut suivre à travers la Varia-
tion les enchaînements mélodiques ou harmoniques les plus caractéris-
tiques du Thème, alors même qu'ils se reproduiraient sur d'autres
degrés ou dans d'autres tonalités.
Un exemple, emprunté comme les précédents aux Etudes en forme de
Variations de Schumann, fera mieux percevoir cet aspect particulier
du Thème, varié dans son essence même et subsistant à l'état latent^
alors que rien ne le révèle positivement dans les notes écrites :
Variation amijlificatrice
Transposé à sa quinte supérieure (sol s), le Thème précédem-
ment exposé (p. 440) est reconnaissable ici à son intervalle initial de
quarte descendante et à sa modalité. Cette quarte, avec la formule orne-
mentale qui la suit, se reproduit sur divers degrés, commentant et
amplifiant l'arpège initial du Thème, pour en faire une phrase nouvelle
L'AMPLIFICATION THÉMATIQUE 447
dont la première période aboutit, coinme la période correspondante du
Thème, au ton relatif ma]eur.
II faudrait exécuter l'une après l'autre la phrase du Thème et cette
amplification expressive de ses notes principales, pour bien se rendre
compte que c'est là une véritable Variation, issue du Thème, auquel
elle ajoute, non seulement des formules ornementales et contra-
pontiques nouvelles, mais encore un commentaire ou une explication
musicale qu'il ne semblait point contenir ni faire prévoir.
La part de l'invention est donc beaucoup plus grande dans la Varia-
tion amplificatrice qut dans toutes les autres, et la meilleure, sinon la
seule étude qu'on en puisse faire consiste dans la lecture attentive des
œuvres de ceux qui l'ont géniaiement employée, comme J.-S. Bach
dans certains Chorals d'orgue, Beethoven dans plusieurs pièces lentes
de ses Sonates et de sa Musique de Chambre, César Franck dans
ses Variations symphoniques et ses Trois chorals d'orgue. Quelques-uns
des plus beaux spécimens connus, dans ce genre de Variation, seront
analysés ci-après (p. 466 et suiv.) ; mais, si l'on songe à l'inépuisable
variété des ressources qu'un tel moyen met à la disposition du véritable
musicien, on constatera sans surprise que de telle sanalyses, même faites
avec le plus grand soin, ne puissent donner autre chose que des indica-
tions essentiellement incomplètes.
h'amplijication thématique apparaîtra ainsi comme une voie presque
illimitée et à peine explorée encore dans le domaine de la compo-
sition musicale. On y retrouvera certains jalons entrevus déjà à l'occa-
sion des fonctions tonales et des modulations. L'analyse harmonique (1)
nous a appris, en effet, que les trois fonctions {Ionique, dominante, souS'
dominante) se retrouvent à la base des agglomérations de sons en appa-
rence les plus compliquées.
L'ordre dans lequel se succèdent ces fonctions, dans un Thème
donné, fournit à V amplification \ine sorte d'arwa/Mreassez résistante pour
la maintenir à l'état de Variation, tant que cet ordre reste semblable à
celui qui est apparu dans le Thème lui-même : l'étude des schèmes
harmoniques est donc des plus utiles pour la Variation amplificatrice.
On peut tirer aussi de l'analogie déjà signalée (p. 247 et suiv.) entre
les modulations et les notes mélodiques un moyen d'interprétation du
Thème, qui appartient au même ordre de Variation : dans le Thème
amplifié, la broderie se change alors en modulation ornementale acciden-
telle, la note de passage en harmonie modulante passagère, tandis que les
noies réelles indiquent seulement certaines modulations définitives.
La plupart de ces moyens n'avaient été indiqués jusqu'à présent
(1; Voir !•• I.V., p. 17.
448 LA VARIATION
qu'en matière de développement ; mais le développement, alors même
qu'il procède par amplification (voir ci-dessus, p. 243), ne doit point être
confondu avec la Variation amplificatrice. Dans le développement, en
effet, un Thème agit : il se démembre et module ; il est en marche pour
arriver à un autre état ou à une autre tonalité. Dans la Variation, au
contraire, un Thème s'expose : il peut se compléter et revêtir des orne-
ments nouveaux ; mais ces modifications, si profondes qu'elles soient,
ne le mettent pas en mouvement ; il demeure en repos au point de vue
tonal, et c'est la raison pour laquelle la plupart des Thèmes avec
Variations, même les plus beaux et les plus complexes, s'éloignent
très peu du ton principal.
Les transformations cycliques d'un Thème, tout à fait distinctes, elles
aussi, du développement, ainsi que nous l'avons constaté (p. 379),
tiennent souvent beaucoup de V amplification thématique, et c'est pour-
quoi 1 étude de ces transformations devait être suivie immédiatement
dans cet ouvrage de celle de la Variation.
Développeynent et amplification constituent donc, en définitive, pour
la Symphonie comme pour la Littérature, les principaux moyens mis
en œuvre dans l'art de la composition.
Mais, pas plus chez l'écrivain que chez le musicien, la connaissance
technique de ces moyens ne peut y^zma/s suppléer, ni au don créateur
qui, seul, fait naître les idées, ni à la conscience artistique qui les
discerne.
HISTORIQUE
5. LA VARIATION ORNEMENTALE.
Nous avons expliqué précédemment pourquoi le phénomène delà
Variation, inhérent à presque toutes les manifestations musicales, était
nécessairement aussi ancien qu'elles.
Dès les débuts de l'Époque monodique, en effet, la Variation apparaît
sous une forme purement ornementale comparable, comme on l'a vu
dans le Premier Livre de ce Cours, aux rinceaux naux entrelacs qnx
servent à rehausser l'importance des lettres initiales dans les manu-
scrits du moyen âge (i) : c'est pour cette raison que toute une catégorie
de cantilènes monodiques a été qualifiée par nous d'ornementale.
Pour bien comprendre ce rôle spécial de la Variation, il est néces-
saire, avons-nous dit, de dépouiller la mélodie de l'ornement qui l'en-
lace, c'est-à-dire d'éliminer les notes accessoires pour ne tenir compte que
{i| Voii 1" liv., p. 67 et suiv., p. 76, etc.
LA VARIATION ORNEMENTALE 449
des notes principales constituant Vossattire ou le scheme mélodique {i).
Quelques exemples de monodies grégoriennes, présentées sous leur
double aspect de Sclième mélodique et de Variation ornementale, feront
mieux apparaître l'origine de ce genre de Variation.
V Alléluia de la Messe de l'Aurore pour la fête de la Nativité (2) peut
assez facilement être ramené à sa ligne primitive :
SCIIÈME MÉLODIQUE
<=^. -■-t|^-i=-=.ii:;=^t=!=--i^
,=n: ^.
Ja fùo
Allc-lû- ia.
Variation omemenlaU ^ ^"^'"' N-'~'~|~" **.'':^-[^v!î;i}l'.n.:'':?^l{— .**:[t?S_|
Al'c-lii- ia.
L'antienne O sacrum coiiririum... (3) est aussi très caractéristique
au point de vue ornemental :
)^
SCIIÈME MÉLODIQUE IzTI
O sa- crum convivi- uni, in quo Christus sij- mi-tur;
Varialion ornementale
.!,
=:i==o=-:Szi^i:!i^l^
:i
o sa- crum convivi- um, in quo Christus su- lui-iur
rec6- li- tur mémo- ri- a passi- 6- nis
jus, etc.
±i:-r
recô- li- tur memô-
passi- o- nis
s^
A l'Époque polyphonique, la Variation ornementale subsiste, indé-
pendamment de la superposition des parties vocales différentes formant
le système spécial de l'ornementation contrapontique (voir ci-dessus,
p. 441). Chaque partie de ce Co)i/?-ejco/;;/ //cf/r;', en effet, se comporte
comme une véritable moiiodie avec ses ornements propres, et il est sou-
vent aisé de retrouver le texte même de la cantilène grégorienne qui a
servi de modèle à cette Variation.
Le motet de Palestrina Assnmpta est Maria in cœlum (4), par
exemple, n'est qu'une Variation du thème grégorien que nous donnons
ci-après dans sa forme simple et dans sa forme ornée usuelle (5) : il
(1) Voir I" liv., p. 41 et ci-dessus, p. 437.
{2) Liber Gradualis de Solesmes, 2» édition, p. 3i.
(3) Paroiss.en de Solesmes, p. 494.
(4) Anthologie des Maîtres religieux primitifs, vol. Il, p. 63,
(3) Paroissien de Solesmes, p. 946.
Cours de composition. — t. 11, i, 1^
4;o LA VARIATION
n'est pas difficile de reconnaître, dans l'une des parties de la polyphonie
palestrinienne, les notes essentielles de la mélodie primitive appu3'ées
sur les mêmes accents du texte. La vocalise grégorienne sur cœlum est
peut-être même plus riche que celle du maître romain sur le même mot :
- i . s- — f-« . ■ I-»-
SCHEME
Assûmp-
'•'"» * — î — i?%r-iV-î — j-pr'^^^^*»- >j--«— t— — ^B. : > 1 — a^ v-i— i-
Variation
grégorienne 8 J-j-.r.---;_-? j-ii a^ ) t^-.T.-|^^4
Assûmp- ta est Ma- n- a in cse-
Asstinip . ta est Ma. ri . a in cœ . - . lum.
Avec l'Époque métrique, nous voyons la Variation ornementale se
présenter à nous sous forme de notes passagères, ornant la mélodie
vocale et surtout instrumentale, soit dans les Chorals d'orgue, chez
Frescobaldi, Pachelbel, Buxtehude et J.-S. Bach, soit aussi dans cer-
taines pièces de forme particulière comme la Can\oua, la Passacaille et
la Chaconne (i). Toutes les surcharges dont s'alourdit, sous la dénomi-
nation d'agréments, la musique du xviii* siècle, principalement en
France, sont l'excès de cette sorte de Variation.
Cet usage de l'ornement est tellement entré dans les mœurs musi-
cales que les phrases mêmes ou les Thèmes d'Aiidante destinés à être
variés par le procédé dit décoratif dont nous parlerons ci-après (p, 461)
contiennent, dès leur première exposition, dans les œuvres de Haydn,
Mozart, Beethoven {2) et leurs contemporains, une foule de détails divers
(broderies, arpèges, groupes, appoggiatures, etc.) appartenant déjà à
la Variation ornementale.
Qu'on examine, par exemple, la phrase-/ù'iV exposée et réexposée par
Haydn dans V Adagio de l'une de ses dernières Sonates, en Ml t», : le
dessin mélodique originel, le schème, si l'on veut, est des plus simples.
Nulle part, du reste, l'auteur ne l'expose dans sa nudité: les reprises
de ce Thème, au contraire, sont ornementées chaque fois d'une
manière différente. Nous donnons ci-après les -quatre premières
(i) Avec J.-S. Bach, le Choral varie, tout en contenant de véritables ornemenis. est traité
le plus souvent par le moyen de V amplification thématique. Il sera donc question plus par-
ticulièrement du Choral à propos de la Variation amplificatrice, ci-aprcs, p. 4(")6. Quant
à la Can^ona, la Paisacaille et la Chaconne, qui ont, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus
(p. 104I, leur place marquée parmi les ascendantes naturelles de la Variation ornementale,
on verra plus loin (p. 4Î>7) comment leur forme même (indépendamment de leurs ornemenis)
a coniribuc aussi à préparer ravcncmenl de la \'ariation décorative.
(2) C'est surtout dans les œuvres appartenant à ses deux premières manières que
Beethoven emploie cet expositions ornées des Thèmes.
LA VARIATION ORNEMENTAl.K
mesures du Thème mélodique primitif (non employé par Haydn), et
des six états par lesquels il passe successivement ;
SCHEME
niflodique
Variation Q |l,
1
SCM.
453 LA VARIATION
On voit par cet exemple quelques-uns des innombrables procédés dont
disposaient les compositeurs de cette époque pour i>arier l'exposition
d'une idée mélodique. On pourrait étudier de la même manière les
Thèmes des pièces lentes ci-dessous désignées, dans les Sonates pour
piano de Beethoven (i) :
Sonate op. 2 n" i : Adagio, en FA ;
— op. 7 : Largo cou gran espressione, en UT;
— op. 10 n° 1 : Adagio molto, en Z./1 f ;
— op. 22 : Adagio cou malt' espressiouc. en A//l>;
— op. 28 : Andante, en ré;
— op. 3i no I : Adagio graposo, en UT;
— op. !s4 : In Tempo d'un Minuetto, en h A (premier mouvement);
— op. lob: .4<iaii'io, en/j 2, dont l'admirable Thème cité ci-dessus (p. 248)
passe par les interprétations mélodiques les plus variées.
De ces divers Thèmes, le dernier seul (op. 1 06) appartient aux œuvres
de la troisième manière : son exposition est déjà beaucoup plus simple
que celle des précédents. Et si l'on compare ceux-ci avec les Thèmes de
la IX* Symphonie (surtout celui du finale), avec VArietta de la Sonate,
op. III, ou avec les diverses idées appartenant aux pièces lentes des
derniers Quatuors à cordes (XIII", XIV', XV«, XVI'), cet accroissement
de simplicité sera plus frappant encore.
Des constatations analogues, faites sur les œuvres detels autres grands
musiciens, tendent à prouver que les idées musicales des hommes de
génie se simplifient au fur et à mesure qu'ils avancent dans leur carrière,
qu'elles se dépouillent des vains ornements et se rapprochent de la ligne
primitive ou schématique dans toute sa pureté. La caractéristique
propre à l'artiste accompli et conscient, c'est cette ferme volonté de ne
traiter que des sujets ayant \xntva\Q\sr par eux-mêmes et ne l'empruntant
pas aux vêtements ou aux ornements dont ils sont parés.
La recherche du détail pittoresque ou amusant, l'inutile complica-
tion sont inhérentes à la jeunesse: l'artiste parvenu à l'âge mûr, forti-
fié par ce métier qui constitue proprement son talent, doué de cette
jh;'(?h/?oh qui est le réel génie, peut seul dégager en ses lignes simples
l'essence même des choses, et la montrer à nu, en quelque sorte, dans
son éternelle beauté.
L'œuvre de Beethoven est des plus instructives à cet égard.
Après lui, on retrouve chez les Romantiques la Variation ornemen-
tale employée surtout dans les pièces de mouvement lent : Schubert,
Mendelssohn, Liszt même en usent largement. Seul, Schumann y met
plus de réserve et s'éloigne moins des formes mélodiques simples.
Quant h Chopin, ses idées musicales ont ceci de particulier qu'elles
(i| Dans 1.1 l\'* et d<<ns la V* Symphonie, on trouve des Thciiies J'AJagio ijui sont aussi
du môme ordre.
LA VARIATION ORNEMENTALE 453
sont presque toujours uécessuirement ontemenlales, suivant des forines
et peut-être même des formules spéciales, tout à fait personnelles et
aisément reconnaissables. Les premières mesures de VAndante du
(Concerto pour piano, en ;«/, que nous citons ci-après, dans leur ligne
schématique (non employée par l'auteur) et dans leurs ^(?ï/.v états diffé-
remment l'ariés, donneront une idée assez nette du système de Va-
riation appartenant en propre à Chopin :
sDHEMi: -j^-«t-^. — ^-- __::=>. ^ ï±-
mi'lodiqiic
iariation t
Variation
SGH.
^H^^ffiSfStT'
Dans la Polonaise-F autaisie, en la b, op. 61, œuvre d'une inspiration
très inégale, malgré des éclairs de génie, on trouve aussi une mélodie
assex caractéristique, en raison de sa nature à peu près exclusivement
ornementale. En voici les premières mesures:
Variation
454 LA VARIATION
Il est aisé de constater que la ligne primitive à laquelle se rédui-
sent ces deux phrases musicales, lorsqu'on les dépouille de leurs
ornements, est infiniment moins riche que celle des phrases de Haydn
ou des cantilènes grégoriennes citées précédemment (p. 449 et suiv.).
Les idées de Chopin comme celles de beaucoup de compositeurs
modernes, et surtout de compositeurs jeunes, valent donc plus par
leur vêtement que par leur propre fonds musical : et c'est là une nouvelle
vérification de ce qui vient d'être dit (p. 4^2) à propos de Beethoven.
On peut faire le même reproche aux mélodies italiennes du commen-
cement du XIX' siècle : leurs somptueux ornements en voilent assez mal
la pauvreté originelle, due à la trop grande hâte et à la faible cons-
cience artistique de leurs auteurs. Il faudrait bien se garder de juger
cette surcharge de mauvais goût (généralement inutile, sinon nuisible
au point de vue esthétique) de la même manière que les vocalises si
expressives de J.-S. Bach et de ses contemporains. Celles-ci, en effet,
comme l'antique Variation grégorienne dont elles procèdent en ligne di-
recte, font corps, le plus souvent, avec la mélodie ; bien au contraire,
la fioriture de l'école dramatique italienne, destinée seulement à faire
valoir l'agilité vocale du chanteur (de même que la Variation de Chopin,
pourtant plus musicale, met en relief les doigts du pianiste) cette
fioriture consistant le plus souvent en quelques broderies autour d'un
arpège est véritablement plus harmonique que mélodique : or, on sait
que cette harmonie même est ici des plus banales.
Au reste, les Italiens n'ont-ils pas reconnu eux-mêmes le peu de prix
qu'ils attachaient à ces vocalises de virtuosité, en ne les écrivant pas
et en les laissant à la discrétion (on pourrait dire à V indiscrétion) du
chanteur qui, par un abus devenu réglementaire, les modifiait suivant
sa fantaisie et son humeur.
Rien n'est plus instructif à cet égard que la comparaison d'un air
italien, lu sur une partition d'orchestre originale, avec le lamentable
état où se retrouve le même air, par l'efiet du temps (et surtout des
éditions), au nom de la prétendue « tradition du théâtre » : les airs du
Barbiere di Siviglia et de Semiramide, de Rossini, peuvent servir
d'exemple, comme aussi la plupart des morceaux d'opéra de Bellini, de
Donizetti et de Verdi dans sa première manière.
On rencontre parfois, dans les œuvres de Wkbiîr, une forme assez
spéciale de la Variation ornementale, dont maint compositeur moderne
a su tirer un excellent parti: elle consiste dans l'adjonction d'une for-
mule mélodique nouvelle (d'un neu me différent) îi la redite d'un mem-
bre de phrase mélodique qui serait, sans cette Variation, totalement
dénuée d'intérêt.
Au II* acte du l-'reisc/iiil-{, par exemple, dans la Prière d'Agathe, le
LA VARIATION ORNEMENTALB
scandicus harmonique qui fait de la troisième mesure une variante de
la ;7re»«/ère, suffit à donner une importance particulière à cette simple
redite du dessin a .'
vaiialion de A
De même, dans la Sonate, op. 49, la seconde idée (B) du mouvement
initial contient un dessin assez ordinaire, dont Weber fait l'objet
d'une variante qui en rehausse notablement l'intérêt :
tout autre auteur du xviii" siècle n'eût pas manqué d'écrire :
Celui qui usa de ce procédé de la façon la plus fréquente et la plus
heureuse fut César Franck, dans les oeuvres duquel nous rencontrons
très souvent des redites de dessins semblables, auxquelles ce système de
Variation prête un attrait tout nouveau.
Les exemples se présentent à foison chez ce musicien de génie ; nous
nous contenterons de citer :
1° le sujet de la Fugue dans la troisième des six premières pièces
d'orgue. Prélude, Fugue et Variation, dont il a déjà été question ci-des-
sus ip. 97):
2° la seconde idée (B) du mouvement initial dans la Symphonie en
^56 LA VARIATION
3° le thème de V Allegretto dans la même Symphonie
vorintiott de a
Chez Richard Wagner, les motifs, surtout dans les œuvres de sa troi-
sième t?iamère, sont presque tous exposés à un état très voisin du schème
le plus simple, et la Variation ornementale y revêt presque exclusive-
ment la forme du gruppetto italien ; ce procédé pour fleurir sa mélodie
fut employé par lui du commencement à la fin de sa carrière : il est
connu sous le nom de « groupe wagnérien », et on le retrouve dissé-
miné partout au cours de ses œuvres.
Il nous suffira de citer les passages suivants :
i" Ricji-yi (1840), acte V ; prière de Rienzi :
2" Loheuprin (1S47), acte II, scène
3" Tristan iiitd /solde (iS^qi, acte III, scène fmalc :
110 Kla.gfiid
4" (iotterdàmmerinig (\H-2), Prologue
LA VARIATION DÉCORATIVE
5° Parsifal (1882), acte II, scène 2 :
De nos jours même, la Variation ornementale règne encore dans la
mélodie moderne: témoin, la fleur àonx. se sert Claude Debussy [Pelléas
et Mélisaiide, acte l", scène 3) pour orner les trois notes caractéristiques
du rêve de la blonde princesse :
b. — LA VARIATION DECORATIVE.
La Canzona, la Passacaille et la Chaconne. — Avant que la Va-
riation décorative ait acquis sa forme définitive dans le Thème var-ié
dont il sera question ci-après (p. 461), elle passa par diverses phases
préliminaires dont nous allons retracer succinctement l'histoire.
La Canzona (i)est assurément la première en date, dans cette forme
de Variation: elle consiste, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus (p. 104),
dans l'exposition d'un Thème simple en rythme binaire suivi d'une Va-
riation ornée du même Thème en rythme ternaire.
Nous avons montré (p. 126) un exemple de Can\ona fra)icese afiec-
tant successivement ces deux aspects rythmiques. On peut voir parla
citation ci-après (p. 438) qu'au temps de J.-S. Bach la forme de la Can-
lona{7,) ne s'était pas modifiée et consistait toujours dans la Variation
rythmique d'un Thème préexposé :
(i) Cette forme musicale, qu'on rencontre à l'origine de la Variation ornementale (voir
ci-dessus, p. 430) comme à celle de la Variation décorative, devait exister déjà au xiii» siècle.
Dins un dialogue de Dante avec son ami le musicien Casella {Div. Comm. Purg., chap. li),
il est question d'une Cancana dont le texte poétique est cité dans le Convivio du même au-
teur. Malheureusement, le texte musical est perdu.
(3) Cette Canzona pour orgue, qu'on trouvera dans l'Edition Peters (vol. IV, p. 54), est
écrite sur un Thème grégorien que nous avons déjà cité maintes fois et notamment au
Premier Livre de ce Cours (p. 69). Le même Thèncc a été traité aussi par Frescobaldi (Fioii
musicali, p. 77, dans l'édition de i635).
458
LA \ARIATION
Ervonition
(b.na.te)
Tout autre était le système de la Passacaille, pièce dans laquelle le
Thème (ordinairement exposé par la basse) reste identique à lui-même
pendant toutes les Variations. Celles-ci sont donc purement cotttrapon-
tiques et extrinsèques : elles sont liées nécessairement à une polyphonie
et constituent de véritables Variations harmoniques.
La forme de la Passacaille fut des plus répandues pendant tout le
xvii* siècle et le commencement du xvIIl^ On la trouve surtout en
Italie, où son influence se fait sentir, non seulement dans les pièces ins-
trumentales, Danses de Cour, etc., mais encore dans Vopêra lui-même:
un assez grand nombre d'airs ou de duos de cette époque sont écrits en
forme de Passacaille avec basse obstinée (i).
L'exemple le plus parfait que l'on puisse donner de cette sorte de
Variation décorative est la Passacaille, en ut, pour orgue, de J. S.
Bach (2), écrite à Weimar vers 171 5. L'admirable Thème, d'origine
grégorienne, s'expose d'abord, seul, à la pédale :
Il est suivi de vingt Variations, toutes traitées dans ce même ton et
sans la moindre modulation ; mais, grâce à l'exubérance mélodico-ryth-
mique et à l'intérêt de l'écriture contrapontique, elles ne donnent pas
un instant l'impression de monotonie. Une dernière Variation, en forme
de Fugue développée sur le même sujet, termine cette belle oeuvre.
Dans la Chaconne, le Thème, généralement exposé à la partie supé-
(1) Voir notamment : Monteverdi, Incoronajione di Poppta et divers opéras d'Alestandro
Scarlatii.
(1) Edition Petert, vol. I, p. 7a.
LA VARIATION DECORATIVE 459
ru'ure, reçoit ensuite des ornements de plus en plus riches et prin-
cipalement mélodiques ; c'est donc, à proprement parler, une suite
de Variations mélodiques, dans lesquelles nous trouvons déjà le
principe du Thème varié, tel qu'il s'établira définitivement au
xvui* siècle.
En Italie et en Allemagne, la Chaconne a conservé assez longtemps
son aspect de Variation ; en France, au contraire, cette forme dégé-
néra beaucoup plus vite : sauf une véritable Chaconne variée qu'on
troiive encore, en 1721, dans un opéra-ballet, Les Éléments, dt Destou-
ches, les morceaux qui figurent sous le même titre dans les autres
opéras ou ballets français n'ont plus gardé de la Chaconne primitive
que le mouvement balancé et le rythme ternaire: telle est, par exemple,
la danse finale dans Dardanus, de Rameau ( 1739). La pièce intitulée
Chaconne, dans le cinquième acte d'Armide, de Gluck (1777), pourrait
même être assimilée plutôt à un Menuet, sauf sous le rapport de sa
longueur. La Chaconne si connue, pour violon seul, de J.-S. Bach,
et les pièces de ce nom qu'on rencontre dans les œuvres de Haendel
et des autres Allemands appartenant à la première moitié du xviii' siècle
n'ont point subi la même déformation : elles ont gardé, au contraire,
leur caractère de Variations mélodiques.
Les Doubles. — Comme nous l'avons signalé déjà au chapitre de la
Suite (voir ci-dessus, p. 1 14), il faut chercher l'origine du double dans
la nécessité de « reprendre » certains Airs à danser dont l'exposition
simple eût été trop courte pour permettre aux gestes et aux attitudes
de se répéter autant qu'il était nécessaire dans les Danses de Cour.
Au lieu de recommencer à satiété l'air déjà entendu, l'habitude s'éta-
blit d'orner la mélodie, lorsqu'elle reparaissait de nouveau, afin de
donner de l'» agrément » à la reprise.
Danse et Chanson étant, au début de la Troisième Époque, intimement
liées, les chanteurs se gardèrent bien de négliger ce moyen de faire
valoir l'agilité de leur voix par des « agréments » et des « passa-
ges « (i) ; aussi, dès le xvii* siècle, chaque Danse, chaque Air de Cour
avait son double instrumental ou vocal.
L'un des premiers qui introduisirent en France ce genre de V^ariation
fut Henry de Baii.ly, surintendant de la musique du roi Louis XIII,
qui mourut en ibSg.
Un peu plus tard, Michel Lambert (1610 j 1696), maître de musi-
que de la chambre de Louis XIV et beau-père de Lulli, composa un
grand nombre d'Airs de Cour et Bruneltes (i66(î), ainsi qu'un recueil
(i ) Voir, dant La Kuntalne, la fable Le Snvetier et le financier.
460
LA VARIATION
d'Airs et Dialogues dans lesquels le double, copieusement orné, prenait
une large part (i).
Nous retrouvons cette disposition dans la pièce lente (type L) d'un
très grand nombre de Suites du xviii' siècle. Dans les mouvements du
type S, ainsi que nous l'avons dit au chapitre de la Sonate (voir ci-
dessus, p. 198), les reprises furent longtemps traitées comme des
doubles et diversement « agrémentées » suivant la fantaisie des exécu-
tants ; c'est contre cette interprétation arbitraire que Ph.-Emm. Bach
voulut protester en écrivant ses Sonates mit verdnderten Reprisen.
Comme exemples de doubles^ on peut lire la Sarabande de la deuxième
Suite anglaise, en la, de J.-S. Bach et aussi la Courante de la première
Suite, en la, qui a deux doubles, différemment agrémentés.
La pièce pour clavecin intitulée Les Niais de Sologne, appartenant à
la troisième Suite de Rameau (II' livre, 1724), et intercalée ensuite dans
le ballet de Dardanus, n'est pas autre chose qu'un Rondeau à deux
doubles, avec cette disposition spéciale que le premier double consiste
en une Variation rythmique
VduubU
La Variation du second double procède au contraire par modification
de la basse, c'est-à-dire harmouiquement ; et ces deux procédés, l'un
rythmique, l'autre harmonique, sont employés simultanément dans la
période concluante de la pièce :
(1) Lorsque les chanicurs de la Chapelle du roi se disposaieni à taire la reprise d'une
piice de musique. Lulli avait, dit-on, coutume lii les arrêter par cet c phrase : « Gardez le
double pour mon bcau-pcrc I •
I.V VARIAI 1( IN I)K<:()RATl\i:
Le Thème varié. — A force de multiplier les doubles (qui devenaient
ainsi des triples, des quadruples, etc.), les musiciens du xviii" siècle en
arrivèrent à écrire un nombre indéterminé de Variatiotis, sur un Thème
préalablement exposé, et à créer ainsi une véritable forme musicale
nouvelle qui atteignit même, dès son apparition, une valeur artisti-
que très élevée. Cette forme dite Thème varié (i), procédait à la fois
du genre or«c';?u'«/a/ employé dans les doubles et du genre décoratif ça
usage dans la Chaconne et la Passacaille.
Les intéressantes Variations pour Clavcciu deHAENDEL, sur divers airs
et notamment The harmo)iious Blacksmilh (,2), en mi, sont universeU
lerfient connues.
J.-S. Bach a laissé Trente Variations sur une Aria, en sol, contenant
une série de canons à tous les intervalles et le finale populaire
Quodlibet, qui suffiraient à constituer déjà toute une littérature pour
cette forme du Thème varié. Son incomparable Kiinst der Fuge (voir
ci-dessus, p. 87 a 92), que l'on doit considérer aussi comme une suite
d.e Variations, équivaut à de véritables « lettres de noblesse » pour ce
genre de composition, qui fut pendant plus d'un siècle l'un des plus
répandus, à la fois dans le mode ornemental et dans le mode décoratif.
Il convient d'énumérer ici les principales manifestations du Thème
varié, celles qui offrent quelque intéressante particularité tout au moins,
et méritent pour ce motif d'Ctre étudiées par les musiciens.
J. Haydn fit un grand nombre de Variations, tant dans ses Sonates
que dans ses Symphonies ou ses Quatuors; nous nous contenterons de
citer, comme spécimen de Variation purement contrapotitique, le Thème
varié du 77' Quatuor (connu sous le nom à' Hymne autrichien) dans
lequel la mélodie, selon le système de l'ancienne Passacaille, ne se mo-
difie jamais et reste toujours, au cours des Variations, intégralement
exprimée par l'une des parties instrumentales : la Variation est donc
(i) Des essais de Thèmes variés avaient été tentés déjà assez longtemps auparavant par
des musiciens anglais, et notamment W. Byrd (voir ci-dessus, p. 71 et 124), qui écrivit en
I îiQi diverses Variations sur des airs icpandus à son époque en Angleterre. Par exemple :
Victoria, The Cannaii's whistle [le Sifflement du Charretier), etc.
(a) Le Forgeron harmonieux.
46» LA VARIATION
e.v/rzMsèiywe /elle réside tout entière dans les contrepoints et les combi-
naisons/7o/;'/7AoMJ^«es qui en résultent.
Mozart, dans sa Sonate pour piano, en la (Vienne, 1779), emploie la
Variation d'une manière toute différente : la mélodie de VAndavte t^ra-
:{ioso qui sert de premier mouvement à cette Sonate, se modifie intrinsè-
quement par ses ornements, sa mesure et même son harmonie, dans
les sijf Variations qui suivent. Et cet exemple suffit à donner une idée
exacte de la façon dont Mozart traite la Variation, partout où il s'en
sert.
Beethoven emploie la Variation dans les mouvements lents de
cinq Sonates pour piano (type LV) :
Sonate op. 14 n" 2 (179S) : Andante, en UT, avec trois Variations et reprise
de la première période du Thème, servant de coda ou de quatrième
Variation (voir ci-dessus, p. 337);
— op. 26 {1801): Andante, en la^, remplaçant le mouvement initial du
type S, qui n'existe pas dans cette Sonate; cex Andante contient
cinq Variations, dont la dernière se termine par une sorte de phrase
complémentaire du Thème, ainsi que nous l'avons signalé ci-dessus
(p. 34.);
— op. b; Sonate appassionata (1S04) : Andante con moto, en RÉ'^. avec
trois Variations et reprise finale du Thème relié au finale sans con-
clusion (voir ci-dessus, p. 349) ;
— op. 10(1 (1820) : Andante inolto cantabile ed espressivo, en A//, avec
six Variations et reprise du Thème (voir ci-dessus, p. 36?);
— op. III (1S22) : Arietta. Adagio niotto simplice e cantabile, en VT,
avec quatre Variations, développement, reprise du Thème et déve-
loppement terminal (voir ci-dessus, p. 369).
Dans quatre Sonates pour violon, on trouve aussi des Thèmes variés;
mais ils ne sont pas toujours en mouvement lent :
Sonate op. 12 n° i (1798) : Andante con moto, en lA ;
— op. 3o no I (1802) : Finale, en i-A, avec Variations;
— op. 47 (i8o3), Sonate à Kreutzer (voir ci-dessus, p. Bôg) : Andante
en FA ;
— op. q6 (1812) : Finale, en SOL, Presto avec sept Variations (voir ci-
dessus, p. 370) ;
quatre des Quatuors à cordes contiennent encore des Variations :
Ve Quatuor op. 18 n» 3 (1801) : Andante, en KÉ;
Xe Quatuor op. 74 (1810) : Finale en J//l>, Attcf;rcito avec huit Variations et
une conclusion;
XII' Quatuor op. 127(1814-1825): Adagio, en t-A i> ;
Xl\'« Quatuor op. i3i (1826) : Andante, en A.l.
mais ces deux derniers Thèmes varies (XU" i:t XW' Quatuors) appar-
LA VARIATION DECORATIVE 46-}
tiennent au genre de la Variation amplificatrice et seront analysés ci-
après (p. 477 et suiv.).
Beethoven écrivit aussi un certain nombre de Thèmes variés dans ses
œuvres de Musique de Chambre avec piano : il faut citer notamment
le Trio, op. 97, dont VAtidatite cantabile, qui sera examiné ultérieure-
ment, comprend c/h^» véritables Variations : la dernière participe aussi
du développement; elle commente et conclut la phrase du Thème (i).
Quant au finale de la IX* Symphonie, op. 1 25, c'est encore une géniale
application de la Variation : nous l'étudierons en son temps (i).
Il convient de signaler aussi quelques-uns des nombreux Thèmes
variés qui constituent des œuvres séparées de Beethoven : op. 34 et
op. 35, par exemple.
Les 5/.V Variations, en fa, op. 34, dédiées à la princesse Odescalchi,
datent de l'année i8o3. Voici les premières mesures de leur Thème :
TIMA
Chacune de ces Variations diffère des autres par sa mesure et par sa
tonalité : cette dernière particularité est infiniment rare dans cette
forme de composition. La Variation étant, par sa nature même, une
succession d'expositions, doit rester, en général, dans la même tonalité,
car la modulation est le propre du développement : ici, au contraire,
Beethoven n'hésite pas à enchaîner les tonalités des cinq premières
Variations par tierces (mineures ou majeures) descendantes ; il aboutit
ainsi à la dominante du mode opposé {ut mineur) qui relie assez natu-
rellement au ton initial {fa) la dernière Variation, ramenant le Thème
avec une phrase de conclusion. Voici le singulier enchaînement tonal
de cette œuvre :
Thème à î, e-n FA;
1" Variation à j, en RÉ;
2« ~ à I, en S/t> ;
3» — à C, en SOL;
4' — & l, en mi>;
S* — à |, en ut ;
6« — à °, en FA.
Les Quin-{c Variations {a\ec Fugue), en A/7t>, op. 35 (1802), dédiées au
comte Moritz von Lichnowsky, sont faites sur unThème extrait du ballet
Les Créatures de Prométhée. Beethoven se servit une troisième fois de
I) Voir la Seconde Partie du prêtent Livre
464 LA VARIATION
ce même Thème, deux ans plus tard, pour en faire l'idée du finale dans
sa Symphonie héroïque (1804), ainsi que nous le verrons dans la Seconde
Partie du présent Livre.
On peut citer aussi, outre les Trente-trois Variations sur une Valse
de Diabelli, op. 1 20, dont il sera question ci-après, à propos de la Varia-
tion amplificatrice, lés Trente-deux Variations sur un Thème original
qui ne portent pas de numéro d'œuvre : elles sont en ut mineur, ce qui
semble constituer pour Beethoven une anomalie, car l'immense géné-
ralité de ses Thèmes variés sont de modalité majeure.
Depuis le début du xix* siècle jusque vers i83o, l'engouement pour
le genre Thème varié ne connut plus de bornes et fitmême abandonner
presque tous les autres genres de compositions instrumentales, sauf le
Concerto, devenu, par l'abus de la virtuosité, presque aussi peu musical.
Tous les compositeurs se livrèrent à la « confection en gros » de
Thèmes variés ; quelques-uns les intitulèrent Sonates en prenant des
Romances en vogue comme texte de leurs divagations (voir ci-dessus,
p. SqS et suiv.); d'autres, de second ordre heureusement ! consa-
crèrent leur vie entière à ce genre de production.
Nous donnons ci-après une liste, très incomplète, des plus « cé-
lèbres inconnus » qui brillèrent d'un fulgurant éclat au commencement
du siècle dernier, par le raj'onnement de leurs Thèmes variés .
Joseph Gélinek (lySS-j- 182 5), J.-L. Dussek {1761 f 18 12), D. Stei-
BELT (1765 t 1823), Anton Eberl (i 766 f 1807), Joseph Woelffl i, 1 772
f 1812), Friedrich Kuhlau (1786 f i832), F.-W.-M. Kalkbrenner
(1788! 1849), J.-P. Pixis(i788 t 1874). Karl Czerny (1791 t 1857),
Ignaz Moscheles (1794 f 1870), Ad. von HENSELT(i8i4t 1889).
Les deux derniers n'allèrent-ils pas jusqu'à écrire des Variations pour
piano « avec accompagnement d'orchestre (i) »... ? Mais la palme, dans
ce tournoi, revient certainement à l'abbé Gélinek, qui fournissait ses
éditeurs de cahiers [Hefte) comprenant chacun six Thèmes variés..., et
l'on connaît de ce Gélinek cent huit cahiers de Variations (2) ! Le
(i) Variations pour piatio et orchestre sur Au clair de la luiic, par Moscheles; mcme
disposition sur un ihcme de Robert le Diable, par Henscit.
Weberci Chopin eux-mêmes n'échappèrent pas à la contagion de cette redoutable épidé-
mie qui sévissait alors sur la musique : par exemple les Variations yoiir piano et orches-
tre de Chopin sur : La ci darem ta mano de Don Juan !
{3) Dans le q4'de ces cahiers, on voit figurer Willegretto de U V1I« Symphonicde Beetho-
ven cnire des Variations sur la valse Franjenbritnnen et d'autres sur un Mr du hussard
hongrois à Paris. Ce fut, du reste, à l'abbé Gélinek que Webcr décocha cette épigramme i
Kein Tliema tn der Welt verschonte dein Génie,
Das simpelste allein, dich seibst, varierst du nie !
(Aucun thème dans l'univers n'cehappa i ton génie : toi-même, pourtant, le plus simple
de tous, tu ne te varies jamais I)
LA VARIATION DECORATIVE ^05
second prix doit être décerné à Czerny, qui n'écrivit pas moins de
mille œuvres, parmi lesquelles on compte près de la moitié en Thèvies
pariés !
L'exagération même d'un tel dévergondage est aux dépens de sa
durée : le caprice furieux d'une mode est éphémère. Dès la seconde
moitié du xixe siècle, le Thème varié était à peu près tombé en désué-
tude ; cependant, au milieu de cette période de décadence, on trouve
encore quelques œuvres de très réelle valeur, dont il faut noter ici tout
au moins les auteurs et les principaux titres :
Mendelssohn, Dix-sept Variations sérieuses, op. 54.
ScHUMANN, qui apporta dans deux compositions de cette forme les
inépuisables ressources de son génie : un Andante varié, en 57 1», pour
deux pianos, op. 46, et surtout les admirables Études en forme de Va-
riations, en ut S, op. i3, qui nous ont fourni les exemples techniques
précédemment cités, et seront encore signalées ci-après (p. 482), à
propos de la Variation amplificatrice.
Brahms, qui se servit de la Variation dans un assez grand nombre de
compositions : notamment, ses intéressantes Variations à deux pianos
sur un Thème de Haydn, op. 56'^', et son Quintette avec clarinette,
op. 1 1 b.
Saint-Saëns, auteur des Variations à deux pianos sur un Thème de
Beethoven (i).
Ces retours à l'ancien Thème varié par de simples ornements, et
perpétuellement réexposé comme ces motifs d'art décora/// auxquels
nous l'avons comparé, sont de plus en plus rares aujourd'hui, sinon
disparus à jamais de tout ce qui mérite vraiment le nom de composi-
tion musicale. La Variation décorative n'a pu survivre à la vogue in-
vraisemblable par laquelle elle a passé : par un juste retour des choses,
elle est morte pour avoir renié la musique ! Celle-ci, toutefois, n'a point
renoncé à ses droits : recueillant en une nouvelle forme les éléments
ornementaux et décoratifs, elle en a fait la Variation amplificatrice, qui
semble cumuler en elle-même toutes les forces musicales de la Varia-
tion, du développement et de la transformation cjclique. Et ce nouvel
avatar de la Variation, qui a tué VAir varié, pourrait bien aboutir
dans l'avenir à une rénovation profonde des formes de notre art.
(1) Ce Thème est celui du trio dans le Menuet de la Sonate pour piano, op. 3i n" 3, ainsi
que nous l'avons fuit observer ci-Jessus, p. 34tj.
COL'HS DE COMPOSITION. T. II, I. ÎO
LA VARIATION
LA VARIATION AMPLIFICATRICE.
Le Contrepoint expressif. — Si la présence de Vor-nemeut dans la
mélodie peut être considérée comme aussi ancienne que la musique
elle-même, tant elle est inséparable du texte primitif dans un grand
nombre de cas, il n'en est pas de même de Y amplification, qui suppose
tout au moins deux états successifs de la même idée mélodique : l'un
simple, l'autre amplifié. Les premières tentatives de cette sorte de
Variation sont donc postérieures à l'époque de la pure monodie^ et c'est
l'art admirable du Motet qui leur donna naissance, par le moyen de
l'imitation ornée, fleurie et expressive, sorte de paraphrase ou d'agran-
dissement rudimentaire du Thème dans les parties vocales simultanées
qui l'entourent.
h'ornement contrapontique extrinsèque que nous avons étudié ci-des-
sus (p. 440) devait donc aboutir, d'une part, aux formes décoratives
dont nous avons constaté la déchéance, et de l'autre aux formes am-
plifiées, dont nous allons montrer la glorieuse destinée.
Ainsi qu'on l'a déjà fait observer (1), le Motet tire son origine d'un
Thème appartenant à la liturgie chrétienne : il est la Variation de ce
Thème ou seulement de ses premières notes ; et c'est par ce moyen de la
Variation que « la polyphonie classique se rattache assez bien au suprême
modèle de toute musique sacrée qui est le plain-chant grégorien (2) ».
Après le splendide rayonnement de l'art palestrinien sur toute la
musique de la Deuxième Epoque, lorsque les instruments commencè-
rent à se substituer aux voix, les organistes conservèrent la tradition
religieuse de l'art du Contrepoint expressif pratiqué par les polypho-
nistes. Le Thème liturgique, que ceux-ci avaient traité, imité et
amplifié vocalement, fut reproduit instrumentalement sur l'orgue, et
ce procédé donna naissance aux Versets {thèmes liturgiques variés
et amplifiés) et aux Fugues {sujets liturgiques exposés et imités dans
l'ordre de succession des fonctions tonales constituant la cadence).
Tous les compositeurs italiens, allemands et français qui ont été cités
au chapitre de la Fugue {section historique, p. 67, 71 et 74) écrivirent
aussi des Versets variés de cette espèce, portant diverses dénomina-
tions et notamment celle de Ricercari.
Cependant, l'indéniable sécheresse artistique provoquée en Allemagne
par l'esprit rigide et étroit de la Réforme luthérienne n'avait point tardé
à modifier profondément l'orientation des belles mélodies si expres-
(1) Voir I^liv,, p. 147.
i) Encyclique de S. S. Pie X sur la musique atcric [Molu prOfrto du 21 novembre 1903).
LA VARIATION AMPLIFICATRICE 4»?
sives de notre liturgie primitive, en les enfermant dans le cadre con-
ventionnel du Choral à quatre voix.
Ce type de Chor-al, créé de toutes pièces par le cérémonial protes-
tant, ne pouvait avoir d'autre origine musicale que les riches monodies
en usage, de temps immémorial, dans l'Église catholique ; et cette
provenance des plus anciens Thèmes de Chorals connus ne saurait être
contestée. Mais, en s'appropriant ces mélodies, le rigorisme protestant
s'empressa de les dépouiller de tous leurs ornements, pleins d'une
piété expressive, naïve et tendre : il n'en garda que le cantus nu et
sévère, froidement exposé par la partie supérieure du chœur, tandis
que les autres voix lui fournissent un accompagnement harmonique,
généralement plaqué note contre note, ou peu s'en faut.
En quel lamentable état nous pouvons reconnaître encore ici, de
loin en loin, ces malheureuses cantilcnes, condamnées désormais au
rôle piteux du « chant donné >> dans ces véritables « leçons d'harmonie»
correctement réalisées suivant la » lettre », la lettre seule des règles
inflexibles ! Qu'est devenu ce souffle d'émotion intime et pure, planant
en quelque sorte entre ciel et terre, qui les animait dans les inoubliables
Motets de Josquin, Palestrina, Vitoria, Lassus et tous les autres,
sans même oublier le « bon protestant » Schutz, dont toute la sensibilité
musicale avait été entretenue et affinée par l'éducation que lui don-
nèrent, à Venise, des maîtres catholiques?
Il ne fallait rien moins que le génie d'un J.-S. Bach pour faire circuler
un peu de chaleur en ces formes froides et sans vie ; mais, si l'on ren-
contre, au cours des Cantates et des Passions du maître d'Eisenach,
quelques spécimens vraiment admirables du Choral vocal, combien
de fois l'intervention par trop fréquente de cette forme n*arrête-t-elle
pas, sans le rehausser, l'intérêt musical et dramatique de ses plus belles
œuvres ?
Le Choral varié. — Cependant, à côté du froid Choral à quatre voix
destructeur de tout art, de toute poésie et de toute tendresse dans les
cérémonies du culte, une forme nouvelle s'élaborait dans le recueille-
njent des tribunes d'orgue de nos vieilles églises, où semblaient s'être
réfugiés les derniers vestiges de la saine inspiration chrétienne momen-
tanément bannie des sanctuaires qu'elle avait édifiés : chez beaucoup
d'organistes allemands, l'appropriation à l'orgue de l'ancien art du
Motet était restée une tradition encore très vivace et très forte, qu'ils
appliquèrent tout naturellement aux Thèmes des Chorals. Les pieuses
volutes de nos séculaires cantilènes ornementales, exclues du chœur où
elles n'avaient plus de raison d'être, s'exhalaient encore derrière les anti-
ques sculptures des buffets d'orgue, témoins de leur légitime splendeur.
468
LA VARIATION
Ainsi les Chorals variés reprirent, sous les doigts des Buxtehude et
des Pachelbel (i), quelque chose du style ornenieiital et décoratif que
nous avons signalé ci-dessus (p. 457), à propos de la Can\ona et de la
Passacaille. Avec J.-S. Bach, cette forme, déjà traitée d'une manière
très intéressante par ses précurseurs, devait recevoir le sceau génial du
maître par le moyen de V amplification thématique dont nous rencon-
trons la première manifestation vers 1702. A cette époque vivait dans
la ville de Lunebourg, en même temps que le jeune Sébastien, un
organiste de renom, Georg Bœhm (1661 f 1739), dont le style influença
nettement les premières Variations du futur Cantor de la Thomasschule :
ces trois séries de Variations, intitulées Partite, sont faites sur chacun
des trois Chorals : Christ, der Du bist der helle Tag ; O Gott, Du
frommer Gott ; Sey gegriisset, Jesu giilig (2).
Plusieurs de ces Variations appartiennent à l'ordre purement contra-
pontique et décoratif :\e Thème reste à peu près immuable et s'expose
en même temps que les contrepoints qui l'entourent. Mais la première
Partita de chaque série (et aussi la huitième dans le deuxième Choral)
contiennent de véritables allongements mélodiques dont il convient de
donner ici quelques exemples, afin de bien montrer comment a pris
naissance le système de V amplification, qui devait avoir, dans l'œuvre
de Beethoven et de Franck, les magnifiques effets dont nous parlerons
ci-après (p. 473 et suiv.).
Voici la ligne mélodique, assez pauvre en vérité, de la première
période du Choral Christ, der Du bist... Au-dessous est transcrite
la Variation correspondante dans la première Partita ; on peut voir,
parla superposition des deux textes, la part qui revient à ï'ampli/ica-
tion proprement dite
l'arlitu l
Prriiiiére période
(i) Voir ci-dessus, au chapitre de la Fugue(f. ■j'i et 74). Voir aussi (p. 78 et suiv.) le rôle
de Buxichudc et de Pachelbel dans l'éducation musicale de J.-S. Bach.
(i) Ces trois Chorals, qu'on trouvera dans l'Édition Peters (vol. V, p. ôo, 68 et 76), sont
ceux que nous avons cités cotnme modèles pour les travaux de l'élève dans l'Appendice du
Pre -nier Livre de ce Cours (p. lii) : il était nécessaire, en ertet, d'apprendre aux jeunes
compositeurs à imiter un peu intuitivement des formes musicales dont ils ne pouvaient
pénétrer que plus tard, après mûre réflexion, la viriiablc beauté.
it-->
LA VARIATION AMPUl'lCATRICK
1 1 J
\<v
%^=
^ 1 •' — ! r —
2 mesures |
La deuxième période de la même Partita ne le cède en rien à l;i
précédente :
I Deuxième période
2 mesure!- !
Il faut citer aussi l'admirable amyc/Z/iVa/zo;; des /n«7 ho/cs constituant
la quatrième période dans \di première Partita du Choral Sey gegiiissei :
[Quatrième période
.'!/).hrj)i(.liialrièn,e p.-riode amplifié
LA \ \K1.\T10N
Dans le recueil didactique intitulé Orgelb'ûchlein, que Bach composa
en grande partie pendant l'époque de Cœthen, vers 1720. on trouve
une série de onie Chorals sur le chant Allein Gott in der Hohe ;
l'un de ceux-ci, en sol, à 3/2 (i), contient un vrai modèle d'ampli-
fication, surtout dans les deux admirables premières périodes que
nous reproduisons ci-dessous. Le simple dessin liturgique, assez
monotone par lui-même, donne naissance, dans la Variation, à une
phrase pleine d expression intense et pénétrante. Combien peu de
musiciens, même parmi les plus grands des successeurs du vénéré
maître d'Eisenach, ont su trouver dans leur cœur quelque ligne
mélodique comparable à celle-ci :
CHORAL
4 mi-sures |
9 mesurer |
Après cette modulation médiane à la domiuaute du Relatif, il ùut
(1) Edition l'eurs, voi. VI, p. ii et l'i.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE
admirer la forme véritablement triomphante de la vocalise finale
faisant retour à la tonique :
I DpuMtTni" période
/■. ©Deuxième pt-node aniphfiée S D.@
S r>. @
■^ mesures i
Dans l'œuvre d'orgue de J. -S. Bach, on doit signaler enfin à l'atten-
tion de tous les musiciens les neuf Chorals, magistralement variés
e' amplifiés, dont la composition remonte aux derniers jours de
l'existence si bien remplie du grand maître de l'orgue (i). A la fin
du printemps 1750, Bach couronna dignement sa longue carrière par
cette suite de Prières instrumentales destinées à être jouées à l'office
et dans l'ordre des principales prières de la Messe :
!• Kyrie. Gott Vater (2) 1
20 Christ, aller Welt Trost [2,] ) çom \e Kyrie eieison.
3o Kyrie, Gott heiliger Geist {4) )
4» Dies sind die heiVgen jehn Gebot (5). . , . pour V Evangile.
5» Wir glauben aW an einen Gott (6) pour le Credo.
6» Vater unser in Himmelreich (7) pour le Pater.
7» Christ, unser Herr, :^um Jordan kain (8). . pour VAgniis Dei.
8» Aus tiefer Noth (9) Cantique pour la Confession.
go Jésus Christus, unser Heiland {10) pour la Com;«i(«i"on.
Ces ne?//" chefs-d'œuvre, dont l'ensemble constitue un opus ultimum
(i) Voir Spilta : Vie de J.-S. Bach.
(ï) Kyrie. Dieu le Père (Éd. Peters, vol. VII, p. 18).
(?) Christ, consolation du monde {Éd. Peters, vol. VU, p. 20).
(4) Kyrie, Dieu Esprit-Saint {Éd. Peters, vol. VU, p. 33).
(5) Ce sont les dix commandements sacrés (Kd. Peters, vol. VI, p. 3o).
(6) Nous croyons tous en un seul Dieu (Éd. Peters, vol. VII, p. 83). — Nous avons cité
au Premier Livre de ce Cours (p. tig en note) la formule finale de l'une des Variations -iî
ce Choral, véritable adaptation instiumentale des vocalises grégoriennes [jubila).
(7) Notre Père qui êtes aux cie'n (Ed. Peters, vol. VII, p. 06).
(8) I e Christ, Notre-Seigneur, vint au Jourdain (Éd. Peters, vol. VI, p. 46).
(9) Dans une profonde détresse (De profundis). — Nous avons donné ci-dessus (p. 441)
ies premières mesures de ce Choral (Éd. Peters, vol. VI, p. 36).
(10) Jésus-Christ, notre Sauveur (Ed. Peters, vol. \'l, p. 87). ,
473
LA VARIATION
d'une incomparable beauté, n'ont point encore été publiés jusqu'ici
en un seul recueil : on ne peut que le regretter, car ils méritent d'être
étudiés attentivement et ont été faits pour se succéder dans l'ordre que
nous venons d'indiquer.
Les Trois Kyrie sont traités, pour la plus grande partie, dans les
modalités grégoriennes ; suivant la tradition symbolique du moyen
âge, la formule mélodique appliquée à Dieu le Père est ascen-
dante il) :
La personne du Fils est désignée par un motif un peu plus long,
qnji descend vers la terre pour remonter ensuite au ciel :
L'Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité, est représenté par
une charmante combinaison des formules relatives aux deux autres
personnes (qui utriusque procedit) :
Ce troisième Kyrie est le plus beau ; il contient, outre une fulgu-
rante envolée vers le firmament, une dépression finale, assombrissant
peu à peu la tonalité pour se reposer enfin sur la dominante d'ut, qui
est d'un effet saisissant.
Le Credo, en fa, avec double pédale, est empreint d'une simplicité
tout angélique, qu'on pourrait comparer ;\ celle qui se dégage de
certaines Annonciations peintes par Ghiriandajo.
On a vu ci-dessus, comme modèle d'ornementation contrapontique
(p. 442), la première période Au De vrofuudis écrit à six parties réelles
(1) Comp.ircr avec les Thi-ines grégoriens du Kyrie des messes solennelle-, cité au
Premier Livre, p. 71.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE ^73
et avec double pédale : et l'on peut juger par là de l'intensité expres-
sive de ce Choral qu'il faudrait citer en entier.
Enfin, le dernier Choral Stib Communione clôt dignement cette
œuvre sublime par un cantique d'action de grâces dont la mélodie est
toute remplie d'un charme caressant et doux :
^^f^^^^m^
Les interruptions périodiques qu'on rencontre dans cette cantilène
semblent y être ménagées ii dessein pour permettre à l'âme de se re-
cueillir de temps en temps, au milieu de la )oie que lui procure la
possession de son Sauveur.
La Variation beethovénienne. — Les admirables amplifications
mélodiques dont on trouve maint exemple dans les dernières oeuvres
de J.-S. Bach semblent disparaître avec lui de toute la musique :
ses successeurs, voués pour la plupart au style galant, toujours plus
brillant que profond, se contentent d'orner leurs Thèmes, sans songer
à les agrandir. Ni Haydn, ni Mozart même, ni aucun de leurs con-
temporains ne tentèrent jamais d'interpréter ou d'amplifier leurs
mélodies.
Beethoven devait arriver bientôt après et recueillir l'héritage
glorieux de Bach en continuant, dans le même sens et dans le même
esprit, l'édification de ce véritable « monument de la Variation »
dont les puissantes assises avaient été solidement posées par Bach, un
demi-siècle auparavant.
Ce n'est en effet que vers 18-20, dans la dernière période de sa vie,
en pleine maturité, qu'on voit Beethoven renouer la tradition et
demander à la grande Variation, telle que Bach l'avait comprise, un
élément capable de donner un nouvel essor à l'art musical.
Peu après l'achèvement de la magnifique Sonate, op. 106, au mo-
ment de l'élaboration de la Missa solemiiis, nous voyons apparaître
Y amplification dans la première Variation de VAdagio qui termine
l'op. 109 et dont nous avons donné ci-dessus l'analyse (p. 365) :
474 'A VARIATION
Bien que cette mélodie exquise ait exactement le même nombre de
mesures que le Thème et n'en diffère pasnot;ablement comme harmonie,
ces huit mesures (ou ces huit pieds, si l'on veut) ont vraiment le
caractère de Y amplification thématique par ce qu'on pourrait appeler
Wimbitus de leur ligne chantante, qui commente le texte primitif sans
le reproduire ni Vorner positivement.
VAriettac^m sert de finale à la Sonate, op. m, analysée ci-dessus
(p. 369), tout en restant principalement de l'ordre décoratif, s'élève
cependant jusqu'à la véritable amplification dans plusieurs de ses
Variations et notamment dans la dernière.
Il est curieux d'observer que le Thème même de cette Arietta, véri-
table schème mélodique à peu près irréductible, se rapproche singu-
lièrement par sa cellule initiale de la Variation que nous citons
ci-après (p. 475) et qui est extraite des Trente-trois Variations
sur une Valse de Diabelli, op. 120, à peu près contemporaines de la
Sonate, op. i 1 1 .
Cette Valse, en ut, avait été composée par l'éditeur Diabelli et
donnée comme sujet de concours aux pianistes autrichiens qui de-
vaient recevoir de l'auteur un prix de quatre-vingts ducats en échange
de sept Variations. Beethoven déclina l'offre de participer à cette
étrange épreuve, mais il « s'amusa » littéralement à traiter ce Thème
parfaitement insipide, comme s'il eût voulu prendre ainsi une courte
récréation, entre d'immenses labeurs comme la Messe en ré et la
IX' Symphonie. Et c'est un petit chef-d'œuvre qui fut le résultat de
cette « récréation » du maître.
Dès la I" Variation, nous voici transportés par une Marche dans
une région musicale qui n'a plus rien de commun avec celle où se
traînait la plate élucubration de l'éditeur. Beethoven semble n'en re-
tenir, au point de vue mélodique, que deux formules en apparence
bien ordinaires: Vauacrousc initiale et la basse en intervalle de quarte
qui la suit :
Mais, sous les somptueux vêtements dont le génie va les parer, ces
pitoyables personnages thématiques demeureront reconnaissables,
parce que le commentateur respectera scrupuleusement leur état har-
monique, et notamment la timide modulation accidentelle à la 5om5-
dominante qui, dans le second membre de phrase du Thème, est ainsi
esquissée par la basse :
LA VARIATION AMPLIFICATRICE
Dans la III" Variation, ce sii> prolongera pendant plusieurs mesures
son indécision ; dans la V* Variation, l'oscillation ainsi déterminée vers
les sous-domiitantt's entraînera la phrase jusqu'au ton de RÉt>', enfin,
dans les XI', XXV% XXIX«. XXX' et XXXI* Variations, le rôle du
si'b sera pareillement amplifié.
Quant à la cadence médiane à la dominanle, elle subsiste toujours, mais
change parfois de mode, notamment dans les V*, XIV' et XV' Variations,
où apparaît, à la place correspondante, une modulation au ton de mi.
On peut comprendre par là le rôle attribué par Beethoven au sclième
harmonique de cette innocente balourdise du bon Diabelli. C'est par
le moyen de cette interprétation harmonique que le Thème primitif
s'élève peu à peu et s'amplifie en hauteur et en profondeur, pourrait-on
dire, beaucoup plus qu'en longueur, car le nombre de mesures reste à
peu près constant dans un grand nombre de Variations. Il faut cepen-
dant en excepter la XXIV" et la XXXII', qui contiennent les deux
Fugues dont il a été question ci-dessus (p. 96), et surtout la XX',
amplifiée dans tous les sens, celle-là, comme on va le voir par la
comparaison du minuscule Thème donné avec cette géniale et mysté-
rieuse paraphrase, que l'on dirait conçue au seuil de quelque citta
dolente évoquée par l'immortel Alighieri :
THEME
I implif. H'' »i/_«o/ j
476
LA \ ARIATIOX
i-_^
Ainsi le "enie artisti,]uc, imitant en cela le j^este créateur de Dieu
pouvait faire de rien tout un monde !
Les Quatuors à cordes, dont nous doiuieron., l'analyse complète dans
la Seconde Partie du présent Livre, contiennent les plus belles réali-
sations de la Variation beethovénienne. Déjà Wldagio, en ké i>, du
X' Quatuor, op. 74, composé en 1810, contenait un intéressant essai
d'amplification ; mais ce n'est guère que pendant les trois dernières
années de sa vie que l'auteur de la Messe en RÉ, pleinement conscient de
son génie, sut ouvrir à la Variation une voie nouvelle qui se révèle à
nous dans V Adagio, en la ?, du XII' Quatuor, op. 127, dans VAndaule,
en LA, du XIV*, op. i3i, et surtout dans le sublime Adairio, en « mode
lydien », du XV*, op. i32 : celui-ci toutefois, véritable cantique d'action
de grâces, ne pourrait être séparé de l'œuvre dont il fait partie inté-
LA VARIATION AMPLI|-ICATRICB 47-
grante.et c'est pour cette raison que nous le réserverons pour une étude
ultérieure plus complète, abordant seulement ici l'examen des deux
autres, qui contiennent pour nous de hauts et précieux enseignements.
Non content d'agrandir les Thèmes par toutes les ressources dont la
musique disposait, depuis les volutes grégoriennes jusqu'aux lacis les
plus compliqués de la Passacaille, Beethoven va s'élever à la conception
d'un nouvel élat musical du même Thème. Et par cette évolution, son
esprit semble se rapprocher de la pensée des Mystiques du moyen âge,
dont les œuvres, à la fois grandes et simples, demeurent incompréhen-
sibles pour celui qui n'est point simple comme eux, tant cette simplicité se
voile et se cèle sous l'abondance du détail : tels, les maîtres architectes
français du xiii' siècle ; tels aussi, les admirables décorateurs italiens
comme Giotto et Gozzoli ; tels enfin, le divin saint François d'Assise
conteur des Fioretti, et le poète de la Commedia, auxquels on ne peut
s'empêcher de penser en lisant ces merveilles musicales.
Adagio du XII* Quatuor, op. 127 (1824-1825). — Une grande phrase
en LA \>, d'allure très simple, constitue le Thème : elle est faite de deux
périodes avec les reprises traditionnelles.
Celui qui ne percevrait point la rayonnante beauté d'un tel Thème
(voir ci-après, p. 478) et ne se sentirait point profondément ému, sur-
tout par ses dernières mesures, ne serait vraiment pas digne d'être
appelé musicien ! Et pourtant, si hautes que nous apparaissent les ré-
gions sereines où nous fait planer cette splendide cantilène, l'auteur va
nous montrer par la suite qu'il peut s'élever plus haut encore !
Les deux premières des c/«^ Variations qui vont suivre restent au ton
principal : le Thème, changé de rythme, est d'abord esquissé par le
violoncelle ; puis il s'efface et se fond en une polyphonie qui semble
vivre par Yâme même du personnage soustrait à notre oreille, et cepen-
dant, présent encore quoique son corps ait disparu.
La II' Variation n'a gardé du Thème que les quatre notes initiales,
rythmées difléremment :
C'est un doux gazouillement, vén'table dialogue d'amour entre les
deux violons, qui s'interrompra pour faire place à la III' Variation
de forme étrange et, jusque-là, inusitée. Comme dans les op. 109 et 1 1 1,
une phrase nouvelle apparaît ; mais ici cette phrase n'est autre que le
Thème lui-même, dépouillé de ses ornements et revêtu d'une telle ma-
jesté, qu'on le dirait transfiguré en une ascension divine. Et pour mieux
marquer ce changement d'état qui participe du développement harmo-
nique, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus (p. 242), Beethoven place son
478
LA VARIATION
personnage en un autre lieu, dans la tonalité de M/ B, donnant ici une
impression de lueur mystérieuse et, en quelque sorte, supra-terrestre,
qui s'expliquerait peut-être par la situation de cette tonique nouvelle au
demi-ton supérieur (sep/ième quinte ascendante) de la dominante mio....
Nous citons ci-dessous, dans son entier, la ligne mélodique de cette
étonnante Variation, en lui superposant le Thème préalablement trans-
posé au même ton :
Vnrintioii ! !
■^^^m>î^^fvm^:x-ftt:^^,
LA VARIATION AMPLIFICATRICE 479
La IV Variation ramène le Thème, à peine diangé de rythme, dans sa
tonalité primitive. Puis vient un développement de qualor\e mesures,
sur les dessins marques a et ^ dans l'exemple précédent (premières et
dernières notes du Thème).
Dans la V" Variation, la mélodieinitiale se volatilise, pourainsidire, en
dessins diatoniques d'une extrême ténuité (i); tout se termine par une
calme conclusion faite presque exclusivement des trois notes du dessin b.
Andante du XI V^ Quatuor, op. i3i (1826).— Les sept Variations de
ce Thème, en la, tendent, comme les précédentes, vers une sorte d'état
simplifié plutôt qu'awplifé ; mais cette simplification porte ici sur
l'harmonie plutôt que sur la mélodie du Thème préexposé :
Thème, en LA, dialogue entre les deux violons; comme le Thème du XII»
Quatuor, celui-ci est fait de deux périodes avec reprises.
Var. I, purement décorative ; l'intérêt mélodique y est extrêmement dissé-
miné et perpétuellement partagé entre les quatre instruments, par frag-
ments de quelques notes, ce qui rend la clarté de l'exécution très difficile
à obtenir.
Var. II, plus vive, où se développe mélodiquement un dessin provenant de
l'un des morceaux précédents appartenant à cette même œuvre.
Var. m, phrase nouvelle, parente éloignée de l'idée initiale, à peine
reconnaissable par quelques fonctions harmoniques, et qui se développe
en imitations.
Var. IV : ici, l'harmonie de l'exposition primitive peut seule servir de guide,
pendant que des dessins diatoniques expressifs se croisent et se répon-
dent, comme dans la cinquième Variation du XII' Quatuor.
Var. v: cette curieuse Variation ne contient pas autre chose que l'harmonie
du Thème, mais encore simplifiée et parvenue à un état de calme complet.
C'est presque le silence on attend toujours l'apparition de la mélodie,
elle ne se produit jamais ; si parfois un timide dessin tente de se dégaper
de cette teinte monochrome, il se tait aussitôt, ne laissant que l'incerti-
tude d'avoir été entendu. Cette simplification est d'un tout autre ordre que
celle employée dans le XIIo Quatuor, mais elle n'est ni moins belle, ni
moins angoissante. Voici les premières mesures de cette Variation, sur
montées du Thème, tel qu'il se présente dans Vexposition :
THE.ME
(1) On rencontre dans VAdagto de la l.\« Symphonie une transformation dii Thème tout
à r.iit analogue é celle-ci.
L.\ VARIATION
Var. VI décorative, et suivant agogiquement la ligne de la mélodie.
Var. vu, où les quatre instruments font entendre tour à tour une sor'e de
récit mélodique très libre et coupé d'intermèdes d'orchestre (i) : le pre-
mier temps de chaque mesure suffit seul à rappeler l'harmonie primitive,
et l'on ne peut s'empêcher de penser au Thème, bien que les mélodies
instrumentales semblent n'avoir plus aucun rapport avec lui.
— Un court développement, &n UT [première modulation de la pièce), ramène
bientôt une reprise intégrale de la première période du Thème, coupée
encore par un second développement, en FA (seconde et i^ernière modula-
tion) ; mais la charmante péroraison du Thème initial reparaît et vient
terminer le morceau, comme à regret, en quelques soupirs.
On voit par ces exemples quel rôle nouveau Beethoven avait su
donner à la Variation devenue, dans ses derniers Quatuors, un élément
essentiel de la composition, par ces retours du Thème à un état simple
après divers agrandissements, c'est-à-dire par une sorte de « simplifi-
cation de l'amplification », si l'on peut s'exprimer ainsi.
Dans ce nouvel état, le Thème ne coïncide plus absolument avec
le schème mélodique qui lui a donné naissance : il est devenu un
autre personnage issu du même schème, quelque chose comme les
segments correspondants d'une même spirale, compris entre les .'nèmes
génératrices et reproduisant les mêmes éléments de la courbe mélodique
à une autre échelle, ou dans un autre module.
Mais une telle conception de la Variation amplificatrice ne pouvait
être comprise de la plupart des musiciens contemporains de Beethoven
ou immédiatement postérieurs à lui; et l'on ne trouve guère qu'un seul
d'entre eux qui se soit essayé dans ce genre, avant l'avènement de
César P>anck.
(i) Ce récit offre une certaine analogie avec ceux des chanteurs dans \e quatuor vocal qui
»crmine le finale de la IX» Symphonie.
LA VARIATION AMPLIFICATRICB 481
ScHUMANN publia, en 1834, les belles Études en forme de Variations,
op. i3 (i), qui nous ont servi de modèles dans la sfc/ion technique de
ce chapitre (p. 440, 445 et 446) ; la XI' Variation appartient très
certainement à l'ordre de V amplification : c'est une mélodie nouvelle
provenant du Thème dont elle interprète les intervalles primitifs,
en les transposant. Sans s'élever assurément dans cette œuvre au
niveau du maître de Bonn, Schumann y atteint néanmoins, par sa
seule et géniale intuition, à un degré de noblesse et de charme dans
l'expression, dont nulle autre composition dans la même forme, à son
époque, n'avait gardé la moindre trace.
César Franck devait venir, bien peu de temps après, renouer soli-
dement et définitivement le fil de la tradition de Bach et de Beethoven
en matière de Variation amplificatrice : dès ses premières œuvres, et no-
tamment dans son Trio en fa s (1841), dont nous avons déjà parlé ci-
dessus (p. 422) et qui sera analysé ultérieurement, on sent la préoc-
cupation de varier les Thèmes, par le moyen de ces modifications et
de ces transformations successives qui devaient aboutir aux formes
cycliques telles qu'elles ont été précédemment étudiées au chapitre v.
Ce système fécond de composition, pressenti déjà par Beethoven
avant d'être instauré définitivement par la rigoureuse logique et la
haute conscience artistique du maître français, participe nécessaire-
ment, en effet, de la Variation, soit ornementale, soit décorative, soit
amplificatrice. Aussi n'est-on pas surpris d'en retrouver la trace en
maint passage d'œuvres de Franck qui méritent, à ce titre tout au
moins, d'être mentionnées ici.
On a signalé déjà (p. 455), dans la pièce d'orgue intitulée Prélude,
Fugue et Variation (1862), les ornements caractéristiques du su/et de la
Fugue : toute la dernière partie de ce petit triptyque n'est qu'une
Variation contrapontique du Thème du Prélude.
Dans le Prélude, Aria et Finale, pour piano ( 1 886), le Thème s'expose
seulement au début de VAria et se réexpose immédiatement après, avec
une Variation contrapontique dont l'agogique s'accroît peu à peu ; il
reparaît, varié différemment, dans le Finale, et le dessin du Prélude
vient, vers la fin, se superposer à un fragment qui servait, dans ['Aria,
d'introduction et de coda au Thème lui-même.
Le Prélude, Choral et Fugue (1884) offre aussi l'emploi du même
procédé synthétique cher à l'auteur et qui consiste à faire reparaître le
(i) Cette œuvre, connue sous le nom d'Études symphoniques, est dédiée par Schumann à
son ami W Sierndale Bennett, de Londres ; il en existe deux éditions originales distinctes
qui diffèrent par quelques détails d'écriture. Les Etudes 111 et X ont été suppriméi.s de la
seconde édition.
Cours de composition. — t. ii, i. îl
^8j la VAKIATION
dessin principal du Choral à la fin de la Fugue, tandis que le sujet
même de cette Fugue et le rythme du Prélude lui servent de Variation
contrapontique. On a vu ci-dessus (p. 97 et 98) quelques-unes des trans-
formations successives de ce sujet, dont les notes initiales servent de
motif principal à l'œuvre entière, au cours de laquelle il apparaît, tantôt
restreint comme dans le Prélude, tantôt amplifié comme au début du
Choral et ensuite dans la Fugue, mais toujours varié d'une manière
ou d'une autre. Ce Thème unique, revêtant plusieurs aspects divers,
donne à la composition entière un caractère éminemment 9'c//^j«? par son
u)iité même ; mais il procède aussi de la Variation et de V amplification
par les ornemenls divers dont il se revêt et par les commentaires musi-
caux qui le complètent.
Les Variations symphoniques pour piano et orchestre (i88d) répondent
à une conception toute nouvelle et déjà plus conforme aux principes
beethovéniens: deux Thèmes, variés d'une manière différente, servent
ici à la construction ei se partagent tout l'intérêt de cette pièce unique
dont voici le plan :
Introduction assez longue, contenant une première exposition des deux
Thèmes A et B, à l'état embryonnaire, en yj 5, et une seconde exposition
de A, en la (incomplète) et de B, en utS (complète).
Exp. Th. A, en /a 5, suivi deci'«,7 Variations dont la quatrième, en RÉ, amplifie
les proportions du Th., et la cinquième, en FAH, semble comme à regret
lui dire adieu.
DÉv. du Th. B.
Exp. Th. B, en f/! it : Allegro construit en forme Sonate dont Vexposition
et la réexposition sont des Variations de ce Th. B, tandis qu'une défor-
mation du Th. A y tient lieu de seconde idée. La partie médiane (déve-
loppement en A// 1> -Ré 5) est une Fjn'j/to/i de B, amplificatrice tout au
moins dans son expression.
Les Trois Chorals pour grand orgue (i), dernière manifestation
artistique du maître qui en achevait les annotations sur son lit de
mort, en octobre 1890, doivent être considérés, à nos yeux, comme
répondant à une conception encore plus haute, s'il est possible, de la
grande Variation.
Le Premier Choral, en mi, est construit de la manière suivante :
Exp. du Thème en sept périodes, dont nous donnons ci-contre les notes
initiales respectives.
— On s'apercevra aisément de la correspondance rythmique, sinon mélo-
dique, existant entre les périodes i et 3, 2 et 4, 5 et 6, tandis que la
7e période reste isolée de cette riche exposition, comme une concluiion
ou une simple coda :
(1) Ces Trois Chorals sont dédiés à Alexandre Gtiilniant, Théodore Dubois et liugènc
Oigout, bien que les dédicaces aient été changées dans l'édition posthume.
l.\ \.\lil,\rii)N AMH.iriC.A I RICl'.
V p. r 10.1
'î* f'riode T&pf*^;
J' pirriodf
cidenci; ^'0
5* piriod
cndeiite T.
Var. I : seules, les périodes impaires (i, 3, 5) sont traitées décoraiive-
ment, tandis que la 7« continue à jouer, sans changement, le rôle de
conclusion.
Var. II : après un intermède majestueux, les périodes i et 4 reparaissent
privées de leurs correspondantes (3 et 2), mais notablement amplifiées tl
amenant peu à peu le ton plus sombre de sol, sans conclure.
Var. tu : la 7» période commence à se mouvoir dans cette obscurité tonale
où elle a été reléguée; elle qui semblait jusqu'alors la servante des autres
devient maintenant le personnage principal : tandis que les dessins des
premières périodes passent au second plan et ne se reproduisent plus qu'à
l'état d'ornements, elle sort graduellement de l'ombre, par sol, si \>, ui fl, p '
pour éclater enfin triomphalement dans le ton principal, m, attirant, et
retenant sur elle tout l'intérêt musical de cette belle péroraison (1).
(1) Franck .lisait, cm parlant de celte ituvre : •• Tendant toute la pièce, le Choral se/.ii/.
484 LA VARIATION
Dans le Deuxième Choral, en si, le système de Variation employé est
très différent : les deux Thèmes constitutifs, bien que totalement étran-
gers l'un à l'autre au point de vue mélodique, sont destinés à se com-
pléter mutuellement, comme on va le voir par le plan de l'œuvre ainsi
disposé :
I. Exp. Th. A, en si. Ce Thème, en deux périodes, est exposé à quatre
reprises différentes dans le style varié de la Passacaille : les trois
premières fois, il va de la T. à la D., et la quatrième de la SD.
à la T.
II. Var. i. Th. B, amplification de A exposée en trois phrases:
— — &', allant de il à RÉ;
— — b", modulant ;
— — b'", établi en SI.
— Intermède récitatif.
Var. n. Th. A : exposition de fugue, en sol, modulant vers wi t».
III. Exp. Th. B, en trois phrases :
— — b' , avec le Th. A exposé à la pédale, en mi » puis en fa 8.
— Intermède développé.
— — b", sur pédale de D-
— Th. A, en si.
_ — è"', en s/, concluant.
Quant au Troisième Choral, en la, il est de forme Lied et ne rentre
dans le cadre de la Variation que par l'admirable emploi de Vornemen-
talion mélodique qu'on y rencontre dans la section ceulralc.
Sous cette impulsion nouvelle donnée par le maître de l'École Sym-
phonique Française, plusieurs autres tentatives ont été faites dans
le domaine de la Variation amplificatrice, encore trop peu exploré à
notre avis. On voudra bien excuser l'auteur du présent Cours s'il a cru
devoir réserver ici une place à l'analyse d'une de ses œuvres, en raison
de l'essai qu'elle contient d'une disposition nouvelle de la Variation,
suggérée par le iujet même du poème commenté musicalement.
Vincent d'Inhy : Istar (i). Variations symphoniques, op. 42 (1896).
Dans ces sept Variations, l'auteur a voulu procéder du complexe au
simple, en faisant naître la mélodie (le Thème principal) peu ii peu,
comme si elle sortait d'une harmonie spéciale exposée dans la I" Varia-
tion. Ainsi, le Thème se dépouille successivement de tous les orne-
(i) Le sujet A Istar est tiré du Chant VI de l'épopée assyrienne A'I^dubar: « Pour obtenir
la délivrance de son amant captif aux Enfers. la déesse Istar doit se dcvctir de l'une de ses
parure» ou de l'un de ses vêtements à chacune des sept portes du sombre séjour, puis elle
franchit, triomphalement nue. la septième porie... »
Cette composition appartient évidemment 4 U catégorie du Poème Syniphonique qui sera
étudiée ultérieurement, mais elle est spécialement basée sur la Vaiianon : c'est pourquoi
nous avons |ugc prcfcrable de la citer ici.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE
4"!*
ments qui le voilaient, et n'apparaîtra à l'état simplequ'îi la conclusion
de l'œuvre, dans un unisson de tout l'orchestre.
Trois éléments thématiques servent à la construction de celte pièce:
i" Tliènie principal, en fa;
ce Thème est une phrase-lied dont la période médiane contient une
modulation caractéristique au demi-ton supérieur {fa à SOLb) : destinée
à être reproduite dans toutes les Variations et à servir de point de
repère à l'auditeur.
2° Motif d'appel, formé des trois premières notes du Thème précé-
dent et destiné à séparer l'une de l'autre chacune des Variations :
3" Thème accessoire en forme de Marche
Les sept Variations forment sept parties distinctes, séparées par le
motif d'appel et complétées par l'exposition finale du Thème principal,
à l'état purement monodique :
I. Appel et Marche, en fa.
— Var. I, en Fil, consistant uniquement en l'exposé harmonique du Thème
principal, sans que celui-ci y paraisse mélodiquement exprime.
— Marche, en /a.
II. Appel et Var. ii, en m : amplification des harmonies du Thème par une
phrase mélodique issue de celles-ci.
— Marche, en mi, suivie d'un court développement.
III. Appel et Var. m, en si^ , par le motif amplifié de Vappel, sur les harmo-
nies du Thème.
IV. Var, IV, en FAJi-soLy, sur le motif de Vappel.
— Marche, enfaS, développant un nouveau rythme et modulant.
V. Appel et Var. v, en ut : le Thème commence à se préciser mélodi-
quement.
— Marche, en UT (c'est-à-dire à la dominante du ton principal), formant
maintenant une phrase complète de trois périodes.
VI. Appel et Var. vi, en LA ?. Thème encore orne, mais plus simple et pré-
sente a quatre parties.
486 LA VARIATION
VII. Appel, devenant mélodique, et Vcir. vu, en ré. Thème en rythme sac-
cadé, présenté à deux parties seulement.
— Appel et Thème tout à fait simplifié, en FA, à l'unisson, formant phrase
complète en trois périodes.
— Marche, en FA, formant la conclusion de l'oeuvre.
Chacune de ces 5<?jc>< Variations est dans une tonalité voisine de celle
de fa, et l'ordre de ces tonalités procède par modulations à la sixième
quinte (quarte augmentée^!, afin que tout se rapporte au principal per-
sonnage, sans changements trop brusques accusant un excès d'ombre
ou de lumière : ces modulations, en effet, comme on l'a vu ci-dessus,
(p. 258), sont neutres.
La Sonate poiw piano, tn mi, précédemment analj'sée (p. 429 et suiv.),
contient aussi une application de la Variation. Le Thème cyclique prin-
cipal qui circule dans les trois mouvements est varié quatre fois dans
le mouvement initial avec plusieurs amplifications.
Paul Dukas (i) s'est servi également de V amplification beethové-
nienne dans une œuvre de haute valeur intitulée Variations, Interlude
et Finale pour piano, sur un Thème de J.-Ph. Rameau (2) : on-{e
Variations commentent diversement le Thème ; puis, après un épi-
sode largement développé où s'esquissent les éléments principaux de
la XII* Variation, celle-ci, formant le Finale, s'expose en un style
sain et plein d'allégresse, pour aboutir, comme en une sorte d'apo-
théose, au Thème de Rameau que l'on dirait ici « agrandi au module
du monument» dont il vient de fournir le « sujet décoratif». Cette
œuvre est une véritable synthèse des trois moyens de la Variation :
ornement, décoration, amplification.
Ainsi, par César Franck et son école, c'est en France que s'est con-
servée, à peu près exclusivement aujourd'hui, la tradition beethové-
nienne, en matière de Variation. Sans doute, cette forme de composi-
tion appelée, croj^ons-nous, à un très grand avenir, ne peut, dans bien
des cas, être examinée séparément, tant elle demeure intimement liée
aux transformations thématiques qui servent de base aux construc-
tions cycliques étudiées au précédent chapitre : le rappel des motifs
conducteurs qui apparaissent dans l'œuvre de R. Wagner à partir de
Taunhàuser et de /.o//<.'»i,T;w (1845- 1847), certaines dispositions em-
ployées par Liszt dans Tassa (1849), dans \s^ Faust-Symphonie et dans
la pièce pour piano intitulée Sonate {i853)(3) pourraient aussi bien être
qualifiés de Variations. Mais ces applications, d'ailleurs postérieures
(i) Voir au chapitre v (p. 43i).
(a) Ce Thème appartient i la quairiénic Suite de Pièces pour Clavecin dont il a cté
question au chap. ii, p. lai.
(3) On a vu ci-Jcssus |p. 412 eu nutsj que celte œuvre n'a de ta tonale que le titre.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE ^87
en date au Trio^ en fa 3, de César Franck cité ci-dessus (p. 4'22) necons-
tituent point des formes séparées... ni même séparables: c'est pourquoi
nous ne les citons ici que pour mémoire, nous réservant d'y revenir,
s'il y a lieu, dans la suite de ce Cours.
Quelques compositeurs allemands contemporains se sont essayés
aussi dans le genre de la Variation ; mais il faut bien convenir que les
symphonistes actuels d'Outre-Rhin semblent totalement inaptes à
faire ^rtiH^ ; ils se contentent de faire gros, ce qui n'est pas tout à
fait équivalent. Dans certaines œuvres, comme le Don Qidxote de
Richard Strauss, l'élément dramatique et pittoresque domine trop
pour que la Variation se perçoive nettement ; dans d'autres, comme
les Variations pour orchestre sur un Thème d'Ad. Hiller, par Max
Reger, la lourdeur germanique de la conception n'a d'égale que la
pauvreté des matériaux musicaux « amplifiés ». Absence totale de goût
artistique, méconnaissance de toute proportion et de tout ordre tonal,
il n'en faut pas tant pour faire apprécier au lecteur l'immense dis-
tance à laquelle se trouvent fatalement reléguées de telles productions,
par rapport à des œuvres symphoniques comme le Quintette, en fa, la
Symphonie, en ré, et le merveilleux Quatuor à cordes, en RÉ, de César
Franck, qui seront examinées dans la Seconde Partie du présent Livre,
sans oublier la Sonate pour violon, en la, déjà analysée par nous
(p. 423 et suiv.) comme modèle accompli de la forme cyclique. Entre ce
dernier mode de construction et la Variation, il y a de telles affinités
qu'une délimitation respective n'est guère possible : le Thème cyclique
qui se transforme est véritablement varié ou même amplijié : la Varia-
tion qui circule dans les pièces constitutives d'une œuvre a, par cela
même, une fonction cyclique.
D'ailleurs, la plupart des études spéciales que nous venons de faire
ici s'appliquent aussi aux autres Formes Symphoniques réservées par
nous pour la Seconde Partie de ce Livre : cette subdivision en deux
parties, dont on conçoit la nécessité par le développement déjà considé-
rable du présent volume, est donc assez artificielle, car les formes
instrumentales et orchestrales ne diffèrent pas essentiellement, comme
construction, des formes Fugue, Suite, Sonate et Variation qui ont
fait l'objet de cette Première Partie de notre Deuxième Livre.
Et notre Troisième Livre lui-même, consacré aux Formes Drama
tiques, se référera souvent, à propos du Leit-Motiv, à ce qui vient d'être
exposé au sujet des Thèmes cycliques et de la Variation.
Tant il est vrai que tout se tient, même dans un Cours de Compo-
sition MUSICALE.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU DEUXIÈME LIVRE.
APPENDICE
INDICATION DU TRAVAIL PRATIQUE DE L'ÉLÈVE
Fugne. — Suite. — Sonate. — Variation.
La Fugue.
Chapitre I.
L'élève qui entreprend l'étude de ce Deuxième Livre doit avoir
accompli d'une manière satisfaisante, sinon tous les travaux indiqués
dans l'Appendice du Premier Livre, du moins les principaux: Analyses
rythmiques, mélodiques et harmoniques ; Analyses de Motets et de Madri-
gaux ; Composition d'une œuvre roc j/e dans le style des polyphonies.
Il connaît donc à fond les usages du Contrepoint mélodique à trois
et quatre parties, et s'est exercé à écrire quelques Chorals variés ;
il peut aborder dès lors l'étude de la Fugue et devra réaliser, par
écrit, les travaux suivants :
!• Canon. — Renversement d'un thème donné, par inversion propre-
ment dite et par mouvement contraire simple ; modifications diverses
appliquées à ce thème {mouvement rétrograde, augmentation, diminu-
tion, etc.). — Résolution de Canons de diverses espèces dont {'antécédent
seul est proposé. — Composition de Cûhoms appartenant aux diverses
espèces, toujours réalisés d'une manière musicale et expressive.
ï" Fugue. — Analyse et remise en partition de Fugues données. —
Recherche de la réponse à un sujet donné, dans les deux modes, avec
étude des mutations. — Construction d'un conlresujet rigoureux sur
\xn sujet déterminé. - Exercices sur les épisodes et les strettes. — Réa-
lisation intégrale d'une Fugue rigoureuse à quatre voix, sur un su/et
donné, avec tous les éléments qu'elle comporte, dans l'ordre tradi-
tionnel qui est résumé ci-après, pour le cas d'un sujet donné en ur:
PLAN d'une fugue scolastique en ut
1. Exposition principale par quatre entrées (i, ii, m, iv) ainsi disposées :
— I : a)sujet{UT).—b)contresujet {SOL). — c)paLTÙe libre. — i) partie libre.
— Il : — a) réponse (SOL). — b) contresujet {UT).— c) partie libre.
— in: — a) sujet {UT}. —b) contre sujet{SOL)
— IV : — a) réponse {SOL).
Épisode assez court orienté vers la D. {SOL).
2. Contre-Exposition, par deux entrées (i, ii)
— i : a) réponse {SOL) à l'une quelconque des parties ;
b) conlresujet (SOL) entendu simultanément dans une autre partie ;
c) et d) parties libres ;
— II : a) sujet {UT) à l'une des parties libres de l'entrée précédente;
b) conlresujet {UT) entendu simultanément
c) et d) parties libres.
Épisode un peu plus long et plus intéressant que le précèdent et en marche vers
le Relatif mineur (la).
3. Exposition au Relatif, par deu.v entrées (t, n) •
— 1 : a) sujet (imité en la\. — b) conlresujet {h). — c) et d) parties libres.
— II : a) réponse (imitée en mi\. — b) conlresujet {mi]. — c) et d) parties libres.
Épisode plus important et pouvant moduler à des tons voisins.
4. Exposition à la Sous-Dominante, par une seule entrée (sans réponse) :
— i : a) sujet (fA). — b', conlresujet (FA) — c) et i) parties libres.
5. Exposition au Relatif delà Sous-Dominante, p&r une ieu/e entrée (sans réponse):
— i : a) sujet (imité en ré ). — b) conlresujet {ré). — c) et d) parties libres.
Épisode principal, dans lequel on doit rechercher et appliquer toutes les combi-
naisons possibles (mouvement inverse ou rétrograde, augmentation, dimi-
nution, etc.), transformant le sujet, la réponse ou le conlresujet et se
superposant les unes aux autres. Éviter toutefois de traiter les premières
notes dites tête du sujet, que l'on réservera pour les Strettes.
— Tout cet épisode doit être modulant et assez longuement traité.
6. Pédale de Dominante, assez courte, sur laquelle sont disposés des éléments
du sujet, de la réponse ou du conlresujet, soit à l'état direct, soit trans-
formés.
7. Strettes que l'on peut subdiviser ainsi :
— Stretle la plus éloignée par quatre entrées (i, 11, m, iv) disposées comme
l'Exposition principale avec arrêt des autres parties.
Épisode court, écrit en stretle également et aboutissant à un repos modulant.
— Strettes de plus en plus rapprochées, sur la réponse, le conlresujet et toutes
les dispositions réalisables, pa.r deux entrées seulement ;i, 11).
Épisodes corrélatifs assez courts, alternant avec les entrées de chaque Stretle
possible, et traitant surtout la tète du sujet qu'on a réservée à cet effet.
— Strettes canoniques (ou Canons du sujet, de la réponse, etc.), par qu.ilre
entrées d'abord (i, u, m, iv s'il y a lieu, et enchaînées par un court déve-
oppement à la conclusion.
Pédale de Tonique, assez courte et formant la conclusion de la Fugue.
Lorsque l'élève sera suffisamment assoupli par les entraves un peu
scolastiques du jp/cJH ci-contre qu'il devra appliquer de la manière à la
fois la plus rigoureuse et la plus musicale possible, on lui demandera
la composition de Fugues libres sur des sujets choisis ou élaborés par
lui-même, dans le style de l'orgue ou du piano, avec adjonction facul-
tative de Préludes, de Canons, ou de toute autre combinaison traitée
exclusivement au point de vue musical et expressif. Nous ne consi-
dérons point, en effet, la Fugue comme une étude pédagogique, analogue
à celle du Solfège ou de V Harmonie, mais comme une J'arme de compo-
sition musicale qui peut et doit être tout aussi artistique qu'un Motet
ou une Sonate.
La Suite.
Chapitre II.
L'élève devant être familiarisé avec toutes les difficultés de Vécriturc
musicale à plusieurs parties , s'occupera surtout désormais de la
construction tonale et de la coniposilion proprement dite ; ses travaux
se borneront donc à ceux-ci :
i» Analyse de quelques Suites instrumentales italiennes, françaises
ou allemandes.
•2° Composition d'une pièce musicale de forme binaire, sans retour
au dessin initial.
3° Composition d'une Suite libre de pièces appartenant à chacun des
quatre types (S. L. M. K.) avec adaptation de cette forme aux res-
sources harmoniques, contrapontiques et rythmiques de la musique
contemporaine, s'il y a lieu.
La Sonate.
Chapitres III, II' et V.
1° Analyses et études comparées de morceaux de Sonates apparte-
nant à diverses époques et à chacun des quatre types (S. L. M. R.).
2° Composition d'idées musicales complètes, présentant les caracté-
ristiques spéciales à chacun de ces quatre types (idées masculines, idées
féminines ; thèmes de Lied, de Scher'^o, de Rondeau, etc.).
3" Exercices divers sur les développements, en état de marche ou de
repos : analyses et études comparées des modulations dans certains
déreloppements donnés ; réalisation de modulations par divers moyens,
entre des tonalités données.
44» appendicb
La Variation.
Chapitre VI.
i" Analyse de mélodies données, avec recherche des éléments inva-
riables du Thème et des formules ornementales variables.
2° Réduction d'une Variation donnée à son Thème.
3" Variation et amplification d'un Thème donné.
Enfin, l'ensemble des connaissances acquises dans la Première
Partie de ce Deuxième Livre devra aboutir à la composition d'une
œuvre instrumentale (mais non orchestrale), soumise aux lois générales
de construction de la Sonate, avec emploi obligé de la transformation
cyclique et de la variation des idées musicales créées par l'élève.
FIN DE L APPENDICE.
TABLE DES COMPOSITEURS
un.
MUSIQUE SYMPHONIQUE
APPARTENANT A LA TROISIÈME EPOQUE DE L'HISTOIRE MUSICALE.
ET CITÉS DANS LE PRESENT VOLUME (l)
Abaco (dalT), p. 129-
Abel. p. 143.
Alberti, p. 206.
Albrechtsberger, p. 65
Anglebert (d"), p. 73.
94, Î24.
Bach (Généalogie des), p. 77.
Bach (Ch.-Ph -Emm.), p. 83, 87, 130,
141, 159, et suiv., 188, 193 à 205, 206
et suiv., 215, 317, 221, 222, 261,
265, 279, 303, 324, 327, 356, 392 et
460.
Bach (Friedemann), p. 85 et 190.
Bach (Jean-Chrétien), p. 205.
Bach (Jean-Sébastien), p. 23 et suiv.,
30 et suiv., 65,67,69, 73 et suiv.,
76 à93,94, 106, 117 et suiv., 124,
128, 133. 137, 138, 141, 145, 147 à
ISO. is8, 166, 181, 186,188, 189 a
193, 205. 319, 232, 225, 261, 32;,
360, 392, 406, 407, 420, 436, 441,
442.447, 450,454,457 et suiv. ,460,
461, 467, 468 à 473, et 481.
Bailly (de), p. 459.
Banchieri, p. 68 (voir aussi !"■ liv.).
Barberis (de), p. 121.
Bassani, p. 178 et 179.
Becker, p. 143 et 185.
Beethoven, p. 9, 11, 85,93, 95 et suiv.,
118, 133, 165, 173, 176, 196, 197,
207, 311, 213, 319 et suiv., 231 à
323. 324 à 394, 379, 380,388 et suiv.,
392. 393, 396 et suiv., 403, 406, 407,
412, 414,417,420 et suiv., 433, 447.
450, 452, 463 et suiv., 468, 473 à
480, et 481.
Benda, p. 305
Biber (von), p. 143.
Blow, p. 124.
Bœhm, p. 78 et 468.
Bononcini, p. 127.
Brahms, p. 415 à 418 (2), 423, 424,
427 et 465.
Bull, p. 124.
Buttstedt. p. 76.
Buxtehude.p. 73, 78 et suiv., 360,450
et 468.
I Byrd, p. 71, 72, 1 14 et 461 .
(1) Les musiciens dont les noms sont précédés d'un astérisque (*) n'appartiennent pas i la
Troisième Epoque et ne figurent ici qu"à titre de précurseurs.
Pour les auteurs dont le nom revient plusieurs fuis, le numéro imprimé en caractères
gras indique la page où se trouvent les renseignements biographiques principaux.
(/) Les exemples musicaux des p. 416, 417 et 418, extraits de la pteniière et de la troi-
sième Sonate de Pirshiris, ont c;c publiés avec 1 autorisation de M. Max bschig, seul repré-
sentant à Paris de N. :'>:r>:rock, éditeur à Berlin.
TAnLE DES COMPOSITEURS DE MUSIQUE SYMPHONIQUE
Cabezon (de), p. 67.
Canali, p i3}.
Caravaggio (da), p. i2j.
Castillon (de), p. 151 et 427.
Chambonnières 'de), p. 136.
Chopin, p. 125, 407 à 410,452 etsuiv.,
464.
Clementi, p 392 et 395.
Clérembault, p. 75.
Corelli, p. 80, 124, 127, 133, 143, 158,
166, 170, 177, 179 à 181, 183, 225,
228, 286, 320 et 347.
Couperin (Généalogie des), p. 138.
Couperin deCrouiliy, p. 75.
Couperin le Grand, p. 75, 79, 99, 114
et suiv., 119, 123, 136. 137 à 140, 141,
148 et 173.
Cramer, p. 392 et 395.
Czcrny, p. 464 et 465.
Dandrieu. p. 140.
Debuss)', p. 457.
Destouches, p 459
Diabelli. p. 96, 464. 474 et 475.
Dukas, p. 431 à 433 et 486.
Dussek, p. 392, 393 à 393, 396, 444 et
464.
Eberl, p. 464.
Eberlin, p. 94.
Fauré.p. 99 et 428.
Field p. 397.
Franck, p. .1, 31, 39, 65, 81, 85 , 93, 96
à 99, 118, 150, 178, 235,237. 261,262.
266, 373, 375, 380 et suiv., 386 et
suiv., 418, 422 à 426 (i), 427 et
suiv., 433, 447, 455, 456. 468,480,
481 à 484, 486 et 487.
Frescobaldi, p. 69,70,73, 75, 7b, 125,
128, 450 et 457.
Froterger, p. 73.
Fux, p. 76 et 187.
Gabriel! (A.), p. 68. i22eti43 ^v. aussi
l'' Uv.).
68 et 1 22 [V. aussi
(G.), p.
Gabrieli
I"liv.).
Galuppi, p 184
Gelinek, p. 464.
Geminiani, p. 181 .
Gervaize, p. 120 et 361.
Gibbons, p. 124.
Graupner, p. 189.
Grieg, p. 419 à 421 (2).
Grigny (de), p. 75.
H
Haendel, p. 128, 12g, 146, 147. 187,
189 et 461 .
Haessler, p. 205 et 206.
Haydn ^J ),p. 167 et suiv., 198, 206 à
216, 217, 219, 257, 361, 265, 279,
289, 323, 334, 337 et suiv , 336,344,
366, 369,373. 392, 394, 397 et suiv.,
407,450, 451, 461 et 473.
Heinichen, p. 187.
Henselt (von), p 464.
Hummel, p. 208, 396 et suiv.
Indy \d'), p. 428 à 431, 484 et 485.
Janequin, p. 121 (voir aussi l"liv.).
' Josquin Deprés, p. 497 (voir aussi
l"liv.).
|i) Les exemples musicaux extraits Je la Sonate pour piano et violon Je C. Kranck
(r. a''7, 4 j3, 414. 41!) et 436), de son Quintette (p. 38i et 'Hi) et de sa Symphonie fp. 455
et 456) ont clé publiât avec l'autorisation de la maison Hamclle, éditeur i Paris.
|i) Les exemples tnu^icaux des p. 419 et 4^0, extraits de la Sonate pour violoncelle de
Gricg. ont ctc publiés avec l'autorisation de la maison Pcttrs, éditeur à Leipzig.
■ TABLK DES COMPOSITKURS DE MUSIQUE SYMPIIONIQUE
K
Kalkbrenner. p. 397 et 464.
Keiser, p. 187.
Krieger.p. 76 et 187.
Kùhlau, p. 464.
Kuhnau, p. 65, 78, 143, 144 à 146.
147, 15}, 185 et suiv
Lachner, p. 1 50.
* Lassus (dei, p. 467 (v. aussi I'''' liv.l.
Lambert, p. 459
Leclair, p. 142.
Legrenzi, p. 41, 80, 125, 17^ 1 78, 228
et 320.
Liszt, p 404. 407, 410, 4-'2, 45261486
Locatelli p. 142, 183 et 190.
M
Marchand, p. 75.
Marini, p 125.
Marpurg, p. 94, 153, 157 et 302.
Maschera. p. 122 et 138.
Massenet, p. 150
Mattheson, p. 50.31, 71, 76,82, 90,
96, 146, 186 à 188.
Mendelssohn, 96, 99, 230, 32g, 389,
406, 452 et 46i.
Milano (da), p. 121 .
Moscheles, p. 398, 412 et 464.
Mozart (Léopoldj, p. 205.
Mozart (W. -A.), 94, 99, 133, 141, [72
et suiv., 196, 202, 206, 211, 216 ;i
219, 261, 263, 279, 312, 327 et suiv.,
î39' 373' 392. 398' 450.46261473.
Muffat, p. 73.
N
Nardioi, p. 184.
Neefe, p. 324.
Pachelbel, p. 74, 76, 78, 79, 128.450
e; 468.
* Palestrina, p. 449 et 467 (v. aussi
1" liv.).
Paradisi, p. 206 et 392.
Pasquini, p. 70, 71 et 126.
Pescetti, p 1 53 et 183
Pixis, p. 464.
Pugnani, p. 184.
Purceii, p. 144.
Raff, p. 414.
Rameau, p. 19, 53, 99, 112 et suiv.,
119, 139, 140 à 142, 198. 261, 402,
407, 459, 460, 461 et (86 (v. aussi
I"- liv.).
Rebei, p. 137.
Reger (M.), p. 487.
Reinecke, p. 414 et 415.
f^einken, p 78.
Ries. p. 344, 350. 363 et 397.
Ritter, p. 187.
Rossi (M.), p. 125.
Rossi 'S.), p. 123.
Rossini, p. 454.
Rubinstein, p 415.
Rust, p. 24, 170 et suiv., 219 à 230,
261, 265, 279, 304, 308, 3 19, 320, 327
et 473.
Samt-Saëns, p. 99, 346, 382 et suiv.,
427 et .165.
Scarlatti (D.), p. 109, 117, 119, 129 à
136, 139, 141, 142, 197, 2g6, 261 et
392.
Scheidt, p. 72, 73, 78 et 143.
Schein, p. 1 17 et 143.
Schmidt, p. 1 87.
Schubert, p. 397, 402 à 4o3 et 453.
Schumann, p. 230, 309, 411 à 414,
415, 418,420, 422, 439, 440,442,
444 445- 446, 452, 465 et 481.
* Schûtz, p. 467 (y. aussi l'^'' liv.).
Sechter, p. 402.
Senaillié, p. 142.
Steibelt, p 392, 395 et 464.
Strauss (R.), p. 487.
Stricker, p. 187
Sweelinck p. 69. 72, 75 et 143.
l'abourot, p. 121.
Taliys, p. 71.
496
TABLE DES COMPOSITEURS DE MUSIQUE SYMPHONIQUE
Tartini, p. 181, 182 et suiv.
(V aussi I"" liv ).
Telemann, p. 187 et 188.
Theile.p 187.
Titelouze, p. 23 et 74.
Torelli, p. 128.
Val (du), p. ifô.
* Vaqueiras (de), p. 120.
Veracini, p. 181 et 182.
Vertouch, p. 187.
Viotti,p. 184.
228 et }20
* Vitoria, p. 4^7 (v aussi !"■ liv.).
Vitali, p. 127, 178 et 347.
W
Wagner, p. 85, 235, 237, 238, 384 et
suiv., 413, 456, 457 (i) et4S6
Weber, p. 203, 225, 395, 397, 398 à
402. 405,454, 455 et 464.
Wœlfl, p. 392, 394, 396 et 464.
Zipol
Z
p. 71 et 128.
(1) Les exemples musicaux extraits de Tristan und IsolJe, de Richard Wagner (p. î38 et
4!)6), ont été publiés avec l'autorisation de la maison Breitkopf et Hacriel, éJiteurs à Leipzig ;
les exemples extraits d-: la Tétralogie (p. 384, 383 et 4!>5) et de Parsifal (p. 457) ont été
publiés avec l'autorisation de la maison B. Schott Sôhne, éditeurs à Mayence.
AvBQt de terminer le présent volume du Cours de Composition, ses auteurs
et éditeurs adressent ici leurs remerciements à MM. les Éditeurs : Eschig repré-
sentant à Paris de N. Simrock de Berlin, Mamelle de Paris, Peters de Leipzig,
Breitkopf et Hasrtel de Leipzig, Schott de Mayence, pour l'obligeance avec
laquelle ils ont bien voulu donner gracieusement les autorisations mentionnées
au présent tableau.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
I. — La Musique Sym phonique et la Musiuue Dramatique
II. — Classification des Formes Symphoniques. .
m. — La Composition Musicale et la Construction Architecturale.
CHAPITRE
LA FUGU E
Tfchnique
1. — Définitions 19
2. — Origines de la Fugue. . . 20
3. — Les Canons et les Ricercari. 22
4. — Éléments rythmiques de la
Fugue . Imitation . Canon .
Marche 35
':<. — Filéments mélodiques de la
Fugue. Le Sujet. La Réponse
et la Mutation. Le Contresujet. 37
fi. — Éléments harmoniques de la
Fugue. La Cadence. L'Ordre
tonal des Expositions dans les
Fugues majeures et mineures.
Les Épisodes. Les Pédales. Les
Strettes . 4 +
7, — La forme « Prélude et
Fugue ». Son rôle dans la Mu-
sique Symphonique 64
Cours ds composition. — t. 11, 1
Historique
8. — Divisions de l'Histoire de la
Fugue 66
9. — Période primitive : Italiens
et Espagnols; Anglais et Alle-
mands ; Français 66
10. — Période de tioraison : Alle-
mands. 75
11. — Période moderne. ... gS
4>^8
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE II
LA SUITE
Technique
I.— Définitions loi
2. — Origines de la Suite. Les
Chansons transcrites pour ins-
truments. La forme binaire mo-
dulante. Le groupement des
pièces 102
3. — Le mouvement initial dans
la Suite. Type S 107
4. — Le mouvement Lent. Type L. ni
3. — Le mouvement Modéré.
Type M 1 13
6. — Le mouvement Rapide.
Type R 117
7. — Rôle de la forme Suite
dans la Musique Symphonique. ii8
Historique
8. — Les Précurseurs de la forme
Suite 119
9. — La Suite proprement dite
et la Sonata da Caméra. ... 124
10. — Les Compositeurs Italiens. 124
11. — Les Compositeurs Français. i36
12. — Les Compositeurs Alle-
mands. 143
CHAPITRE m
LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
Technique
1. — Définitions i53
2. — Origines de la Sonate. For-
mation du type ternaire. Ré-
duction du nombre des mouve-
ments i54
3. — Le mouvement initial.
Type S 137
4. — Le mouvement lent. La
forme Lied. Type L i()3
5. — Le mouvement modéré. Le
Menuet. Type M 170
6. — Le mouvement rapide. Le
Rondeau. Type R 172
7. — État de la Sonate avant
Beethoven. Le cycle. Le style.
La forme 174
Historique
8. — Divisions de l'Histoire de la
Sonate pré-beethovénienne. . . 176
9. — La Sonate italienne. . . . 178
10. — La Sonate allemande pri-
mitive 1^3
11. — La Sonate dithématique. . 193
12. — Les Prédécesseurs de Bçe-
ihoven 206
TABLE DES MATIKRES
LA SON A
Technique
1. — L'idée musicale î3i
2. — Le développement et la mo-
dulation 241
3. — Le mouvement initial.
Type S 261
4. — Le mouvement lent. (Type
L). Ses diverses formes : grand
Lied (LL), Lierf-Sonate (LS),
Liei varié (LV) 289
5. — Le mouvement modéré. Le
Menuet. Le Scherzo. Type M. 3o3
6. — Le mouvement rapide final.
Le Rondeau-Sonate. Type RS. 3 12
7. — Unité de la Sonate de Beetho-
ven. Affinités des thèmes. Rela-
tions de tonalité. Proportion et
nombre des mouvements. . . 3 19
CHAPITRE IV
TE DE BEETHOVEN
Historique
8. — Chronologie des Sonates de
Beethoven.
9. — Sonates pour piano. Pre
mière manière {1795 à 1801).
10. — Sonates pour piano
Deuxième manière (i 801 à 181 5),
11. — Sonates pour piano. Troi-
sième manière (i8i5 à 1826).
12. — Sonates pour violon et pour
violoncelle
324
327
339
359
369
CHAPITRE V
LA SONATE CYCLIQUE
Technique
I. — L'unité cyclique dans l'œu-
vre d'art
37. =;
2. — Eléments constitutifs de la
« forme cyclique » 3yH
Historique
3. — États divers de la Sonate à
partir de Beethoven
4. — Les Contemporains de Bee-
thoven
b. — Les Romantiques
6. — Les Allemands modernes. .
7. — Les Français : la Sonate cy-
clique
388
3 92
3q8
414
421
CHAPITRE VI
LA VARIATION
Technique
1. — Définitions et divisions. . . 43.''
2. — L'Ornement rythmo-mono-
dique 4-^7
3. — L'Ornement polyphonique
ou conirapontique 440
4. — L'Amplification thématique. 445
HlSTORlQUK
!). — La Variation ornementale. 448
6. — La Variation décorative . . 457
7. — La Variation amplificatrice. 466
Soo TABLE DES MATIÈRES
APPENDICE
INDICATION DU TRAVAIL PRATIQUE DE L'ÉLÈVE
La Fugue 489
La Suite 491
La Sonate 491
La Variation 492
TABLE DES COMPOSITEURS de MUSIQUE SYMPHONIQUE apparte-
nant A LA Troisième Epoque de l'Histoire Musicale et cités dans lk
PRÉSENT VOLUME 493
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Mtirs. - loclM ftincaiM d'hwiam
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MT
Indy, Vincent d'
40
Cours de composition
15521
Tiusicale
1912
V.2
UNIVERSITYOF TORONTO
EDWARD JOHNSON
MUSIC LIBRARY
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