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COURS D'HISTOIRE DU CANADA
DU MEME AUTEUR
Les congrégations enseignantes et le
BREVET DE CAPACITE, 1893 (in-12)
Discours et conférences, 1898 (in-8-)
Discours et conférences, 1913 (in-8-)
Le serment du roi, 1901 (in-12)
Jean Talon, intendant de la Nouvelle-
France, 1904, couronné par l'Académie
française, prix Thérouanne, (épuisé) (in-8-)
Mélanges de polémique et d'études re-
ligieuses, politiques et littéraires,
1905 (in-8-)
Le marquis de Montcalm, couronné par
l'Académie française, 1911, prix Thiers,
triennal (in-8-)
The GREAT intendant, 1912... (in-8-)
Cours d'Histoire du Canada (1760-1791)
volume I, 1919 (in-8-)
Cours d'Histoire du Canada, (1791-1818)
volume H, 1921 (in-8-)
OOUES D'HISTOIRE
DU
CANADA
PAR
THOMAS CHAPAIS
Professeur d'histoire
A l'université Laval
TOIVIE III
1S1.5.1S33
/
QUEBEC
LIBRAIRIE GARNEAU. Limitée
47, RUE BUADE
1921
Erwegistré conformément à l'acte du Parlement du Canada coDcer-
nant la propriété littéraire et artistique, en l'année mil neuf cent
dix-neuf, par THOMAS CHAPAIS. au ministère de l'Agriculture,
à Ottawa.
>'
PREMIÈRE LEÇON
V'
Epoque difficile et complexe. — Une tâche ardue s'impose au
professeur et aux auditeurs. — La situation politique dans
le Bas-Canada en 1815. — L'attitude de sir George Prévost.
• — -Ses efforts pour satisfaire les Canadiens. — Le contre-pied
de Craig. — ^Mgr Plessis et son titre épiscopal. — Pierre Bcdard
nommé juge. — Irritation de Ryland et de l'évêque Moun-
tain.— L'Assemblée législative. — Son état d'esprit. — Cou-
rants alternatifs. — Sympathie et défiance. — Loyauté durant
la guerre. — Ressentiments rétrospectifs. — Escarmouches
entre Prévost et la majorité. — La passion des représailles. — ■
Le juge Sewell. — La campagne des impeachments. — James
Stuart instigateur. — Question personnelle. — Esquisse d'un
caractère. — Actes d'accusation contre Sewell et Monk. — ■
Les règles de pratique et la responsabilité pour les coups
d'Etat de Craig. — Prévost refuse de suspendre les juges. —
Mécontentement et blâme de la Chambre. — Motion répara-
trice.— Difficultés de la tâche entreprise par la majorité. —
Rien de criminel dans les règles de pratique. — La responsa-
bilité des conseillers exécutifs. — Principe inadmissible par
la métropole en 1815. — Conflits entre l'Assemblée et le
Conseil. — Un bill d'éducation. — L'incapacité des juges à
siéger au Conseil. — Une taxe sur les salaires des fonction-
naires.— -Appréciations favorables de la majorité par Prévost.
— Les impeacbmexits en Angleterre. — La question de respon-
^ySabilité écartée. — Celle des règles de pratique décidée en
faveur des juges. — Irritation de la Chambre. — Départ de
Prévost pour justifier sa conduite à Plattsburg. — Sa fin pré-
maturée.— Sir Gordon Drummond lui succède. — La décision
du Conseil privé et la Chambre. — Elle persiste dans son
attitude. — Crise politique. — Prorogation et dissolution.
En abordant la troisième année de ces leçons
d'histoire du Canada sous la domination anglaise,
j'éprouve le besoin d'adresser mes très sincères remer-
b COURS D HISTOIRE DU CANADA
ciements aux lidèlcs auditeurs dont l'attention sym-
pathique me soutient depuis deux ans. La tâche que
nous poursuivons ensemble est ardue. A mesure que
nous avançons elle le devient davantage. Les questions
se font plus complexes, l'intelligence exacte des situa-
tions commande un plus laborieux effort. Dans ces
études d'histoire la recherche de la vérité doit être notre
objectif suprême. Mais plus les conflits s'aggravent,
plus les opinions se heurtent, plus les théories,
les doctrines politiques, les intérêts en cause accentuent
violemment leurs divergences, et plus la règle d'équité
et d'impartialité souveraines qui s'impose à nos cons-
ciences est difficile à observer. Le passé a tant de
prolongements, tant de répercussions dans le présent.
Comment se dépouiller des sentiments, des impressions
d'aujourd'hui pour le juger et l'apprécier avec le calme,
la pondération et le discernement de la justice? II
le faut cependant si l'on veut faire œuvre de critique
sérieuse, dégagée de tout préjugé, de tout esprit de
système, de toute conception a priori, si l'on veut faire
œuvre de sincérité, de loyauté intellectuelle et de pro-
bité historique. Cette année, comme durant les pré-
cédentes, je compte sur les lumières, sur la rectitude
de pensée, sur la largeur d'esprit de cet auditoire d'élite
pour me faciliter ma tâche.
Si vous le voulez bien, nous commencerons cette
troisième série de notre cours par une étude rapide de
la situation politique bas-canadienne au sortir de la
guerre de 1812. Où en étions-nous à ce moment, quel
était notre état d'esprit, quelles disspositions animaient
notre législature? Toutes les classes et tous les élé-
ments se réjouissaient du glorieux résultat de la guerre
et de son heureuse issue. Pour repousser l'ennemi de
nos frontières menacées, le ralliement s'était fait et
COURS D HISTOIRE DU CANADA 7
les efforts s'étaient coordonnés. Pouvait-on voir dans
cette unité d'action patriotique un garant de concorde
constitutionnelle et parlementaire? On aurait pu
raisonnablement l'espérer. La disparition de Craig,
l'échec de ses desseins, l'avortement des missions diplo-
matiques de R;^Iand, l'avènement de sir George Prévost
et ses mesures réparatrices avaient incontestablement
[_j>roduit une détente.
Dès son arrivée dans la province le nouveau gou-
verneur s'était efforcé de se renseigner sur la situation.
Il avait parcouru sans aucun apparat officiel quelques-
uns de nos comtés. L'une des premières choses qui
l'avaient impressionné était le prestige dont jouissait
notre clergé auprès du peuple canadien. Et il s'était
convaincu que son prédécesseur avait commis une
grave erreur en essayant d'entraîner la métropole dans
un conflit politico-religieux au sujet du patronage
ecclésiastique (1). Quelques mois à peine après son
entrée en fonctions, il demandait à Mgr Plessis de lui
communiquer ses vues au sujet de la situation qu'il
convenait de faire au chef de l'église catholique cana-
dienne, démarche à laquelle le grand évêque répondait
par un viiLumineux mémoire sur ce qu'étaient les
évêques du Canada avant la conquête, sur ce qu'ils
(1) — Le 7 novembre 1811, Prévost écrivait à Ryland: "J'at-
tends de jour en jour le courrier contenant les lettres (d'Angle-
terre) du mois d'août, avec l'opinion des officiers en loi
relativement à la prise de possession du patronage de l'église
romaine en cette province. Je ne doute pas que cette opinion ne
soit à la fois réservée et modérée, et qu'un arrangement amiable
ne soit préféré à l'appropriation d'un droit." History oj Lower
Canada, Christie, t. VI, p. 282). Ryland dut assurément
considérer ces lignes comme l'indice de dispositions fâcheuses
chez le successeur de Craig.
i^
8 COURS d'histoire du canada
avaient été depuis, sur l'état où il serait à propws qu'ils
fussent à l'avenir (1). Et nous avons vu qu'il en était
résulté une décision du gouvernement impérial qui
comportait pour notre chef ecclésiastique une aug-
mentation de ressources très propre à accroître l'efïî-
cacité de son action pastorale, et surtout une recon-
naissance implicite de son titre épiscopal (2). Ultérieu-
rement, sir George Prévost rétablissait dans leurs
grades, par un acte solennel, les hommes politiques,
officiers de milice, destitués ab irato par sir James
Craig (3). Mieux encore, le gouverneur, à la première
occasion favorable, appelait à siéger sur le banc de la
magistrature et revêtait de l'hermine judiciaire le
parlementaire qui avait provoqué toutes les fureurs
bureaucratiques, Pierre Bédard, l'adversaire le plus
déterminé et la victime de son prédécesseur. (4)
Ces actes significatifs ne pouvaient manquer de
désoler la coterie qui avait soutenu et applaudi le
(1) — Mandements des évêques de Québec, t. III, p. 79. — Vie
de Mgr Plessis, par l'abbé Ferland, Foyer Canadien, t. I, p. 155.
(2) — Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 119, p. 33; Prévost à lord Batburst, 18 novembre 1812; lord
Batburst à Prévost, 2 juillet 1813; Christie, VI, p. 312.
(3) — Le 19 octobre 1812 l'assistant adjudant-général pu-
bliait un ordre de Son Excellence le commandant en chef, en
vertu duquel MM. Pierre Bédard et Joseph-Levasseur Borgia,
étaient rétablis dans leur grade de capitaines du premier bataillon
de Québec. {Gazette de Québec, octobre 1812.)
(4) — Archives du Canada, Q. 121, p. 49; Prévost à lord
Batburst, 22 janvier 1813. — M. Pierre-Louis Panet, juge de la
Cour du banc du Roi à Montréal, est mort le 2 décembre 1812;
Prévost a nommé M. le juge Foucher, de la Cour provinciale
des Trois-Rivières, à la place de M. Panet, et M. Pierre Bédard
à la place du juge Foucher dans ce dernier poste.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 9
gouvernement arbitraire de Craig. M. Ryland épan-
chait dans sa correspondance les amertumes de son
cœur. Prévost, après quelque temps, l'avait remercié
de ses services comme secrétaire civil du gouverneur,
et naturellement cela n'avait pas peu contribué à
assombrir l'humeur du fonctionnaire amputé d'un
de ses nombreux et plantureux cumuls. Dans une
lettre à lord Spencer, un homme politique anglais qu'il
avait connu durant sa mission à Londres, il se plaignait
vivement du traitement qu'il avait subi. "Ni directe-
ment, ni indirectement, écrivait-il, je n'ai entendu
assigner une seule raison de la conduite de sir George
Prévost envers moi. . . Je suis prêt à admettre, toute-
fois, que, par l'ensemble de ma correspondance avec
lui durant mon séjour en Angleterre, il a pu constater
que mes sentiments à propos du système politique le
mieux adapté à l'administration de ce gouvernement
sont absolument opposés aux siens. Mais je n'ai
essayé à aucun moment de les faire prévaloir auprès
de lui. Je ne puis cependant m'empécher de déplorer
que ces mesures, considérées pendant les dix ou douze
dernières années comme les principaux objets de cette
branche de la correspondance coloniale, aient été mises
au rancart, peut-être pour toujours. Je sais que le
gouverneur actuel de cette province les tient en mince
estime, mais ses prédécesseurs immédiats, le lieutenant
gouverneur Milnes et sir James Craig, les considéraient
de la plus haute importance pour les intérêts de la Cou-
ronne et le bien général de cette colonie." (1) Dans
une sorte de revue de la situation politique bas-cana-
dienne, écrite subséquemment par le confident et
l'ambassadeur déconfit de sir James Craig, il spécifiait
(1)— Christie, VI, p. 303.
10 COURS d'histoire du canada
plus longuement ses griefs d'ordre public contre sir
George Prévost. "Avant son arrivée au Canada,
disait IVI. Ryland, cet ofiicier avait reçu les plus amples
infoi mations relativement à toutes les mesures prises
par son prédécesseur ou recommandées par lui aux
ministres de Sa Majesté afin de combattre les procédés
de l'Assemblée et d'assurer à la Couronne une plus
grande influence dans la province. Malheureusement
il existait dans l'esprit de sir George Prévost un pré-
jugé fortement enraciné contre l'ancien gouverneur
en chef; et il n'y a que trop lieu de croire qu'il entrait
en fonctions avec la prédisposition de jeter du discrédit
sur la mémoire de ce dernier et la détermination de
poursuivre à tous risques une ligne politique diamé-
tralement opposée à la sienne, sur tous les points." M.
Ryland énumérait ensuite les actes que l'on pouvait,
suivant lui, reprocher à sir George Prévost. Le nou-
veau gouverneur avait, presque aussitôt après son
arrivée, transformé la composition du Conseil exécutif
en y faisant nommer d'un seul coup sept nouveaux
membres outre les neuf qui en faisaient déjà partie,
ce qui indiquait chez lui le désir de rabaisser le Con-
seil qui avait appuyé les mesures de son prédécesseur
dans les circonstances les plus difficiles. (1) Sir George
(1) — Les nouveaux membres nommés à la demande de sir
George Prévost étaient MM. John Richardson, Jean-Baptiste
Hertel de Rouville, John CaldwcII, Ignace-Aubert de Gaspé,
James Cuthbert, Charles-Gaspard de Lanaudière, Jacques
Perrault et Charles-William Grant. Sir George avait un peu
plus tard recommandé d'ajouter au Conseil législatif les messieurs
suivants: Antoine-Juchcrcau Duchesnay, James Kerr, Ross
Cuthbert, Michacl-Hcnry Percival, John Muir, Olivier Perrault
et William-Batchelor Coltman (Archives du Canada: Papiers
d'Etat du Bas-Canada, Q. 114, pp. 182, 199.)
^.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 11
Prévost avait ensuite nommé juge M. Bédard. Aux
yeux de M. Ryland, on le conçoit facilement, cette
nomination était un scandale. "L'homme dont les
écrits, sous l'administration précédente, avaient été
déclarés libelles séditieux par les grands jurys de Québec
et de Montréal, était élevé sur le banc comme juge
provincial des Trois-Rivières, et se trouverait ainsi ^1^^
associé au juge en chef de la province, qui, en sa qualité
de conseiller exécutif, avait concouru en 1810 à son
incarcération dans la prison de Québec." L'incident
de Mgr Plessis, dont Ryland avait conservé un souvenir
cuisant, ne pouvait être omis par lui dans cette récapi-
tulation de griefs. "Sir George Prévost, écrivait l'ex-
secrétaire civil, était parfaitement au courant de tout
ce qui avait eu lieu sous les administrations des deux
gouverneurs précédents relativement à la main-mise
de la Couronne sur le patronage de l'église catholique
romaine. . . De plus il connaissait très bien le carac-
tère du successeur de Mgr Denaut. Et, en ajoutant
au pouvoir que ce prélat avait déjà assumé un revenu
qui aurait pu être le prix d'un amoindrissement de
son autorité, on devait être assuré que ce dignitaire ecclé-
siastique obtiendrait dans la province un degré d'in-
fluence supérieur à celui que le représentant de Sa
Majesté pourrait jamais espérer. Cependant, pour
obtenir une ceitaine popularité personnelle, sans que
les intérêts de Sa Majesté en fussent aucunement
favorisés, il recommanda que l'allocation de M. Plessis
comme surintendant de l'église romaine en Canada
fût élevée de deux cents à mille louis sterling annuelle-
ment, et cela sans stipuler, semble-t-il, l'abandon d'au-
cun des pouvoirs assumés illégalement par ce prélat . . .
Ayant reçu du gouverneur communication de la lettre
du secrétaire d'Etat autorisant cette allocation, Mgr
a^'
12 COURS d'histoire du canada
Plessis profita de l'occasion pour réclamer que, dans
le mandat émis à cet effet, l'appellation de "surinten-
dant de l'église romaine" fût remplacée par celle
"d'évcque catholique romain de Québec", titre que
le gouvernement provincial avait jusque-là refusé de
reconnaître, mais que le présent gouverneur n'hésita
pas à accorder en dépit des instructions royales, et en
violation directe des lettres patentes de Sa Majesté
établissant le siège (anglicaii) de Québec." (1)
M. Rj^and n'était pas seul à gémir sur l'attitude
de sir George Prévost. Son ami l'évéque piotestant,
Ie_dQCteur Mountain, avait vu avec douleur Mgr
Plessis proclamé évêque de Québec dans un document
officiel. Le 15 décembre 1813, il écrivait à lordBathurst
pour appeler son attention sur les termes du mandat
où le titre de "surintendant de l'église romaine" s'était
transformé en celui "d'évêque catholique de Québec,
conformément à une dépêche du comte de Bathurst,
en date du 2 juillet 1813." Et il ajoutait cette phrase
significative: "C'est par respect que je m'abstiens
de faire aucun commentaire sur l'opportunité de cette
mesure." (2)
Les dispositions et la mentalité de sir George
Prévost, manifestés par des actes qui lui valaient
l'animadversion de nos adversaires, étaient assurément
de nature à lui gagner la confiance de nos représentants
\j et de nos chefs. Il l'obtint effectivement. A maintes
reprises la majorité canadienne dans la Chambre lui
donna des témoignages non équivoques de son estime
et de son respect. Elle acquiesça avec empressement,
nous l'avons vu, aux principales mesures qu'il recom-
(D— Christie, VI, pp. 331-335.
(2)— Archives du Canada, Q. 126, p. 170.
COURS d'histoire du canada 13
manda pour la défense de la province. Mais on se
ferait une idée peut-être insufTisamment exacte de la
situation politique sous le gouvernement de sir George
Prévost si l'on se figurait que cette bonne entente
fut absolument sans nuages. Et nous manquerions
à notre devoir d'historien si nous ne signalions pas
chez la majorité de l'Assemblée un état d'esprit d'une
coniplexité singulière. En présence d'une adminis-
tration bien disposée, la mentalité parlementaire parut
agitée tour à tour par des courants alternatifs de
sympathie et de susceptibilité. On sortait des luttes
de Craig, du régime des coups de force, des actes arbi-
traires et des entreprises attentatoires à nos droits.
Et, malgré la satisfaction que ne pouvait manquer
d'inspirer la politique réparatrice de sir George Prévost,
on conservait des crises antérieures une nervosité per-
sistante, une défiance incoercible, un esprit d'animosité
rétrospective auxquels on donnait trop facilement
carrière. Ces dispositions se manifestèrent à plusieurs
reprises. A propos même du conflit anglo-américain,
un certain élément de la députation, recruté surtout
parmi les jeunes représentants, outrés des coups d'état
de Craig, voulut faire prévaloir la politique des bras
croisés. "H y aurait eu une réunion secrète à Québec
chez M. Lee, où assistaient MM. Viger, L.-J.Papineau,
Borgia et plusieurs autres, pour délibérer s'il ne con-
viendrait pas de rester neutres et de laisser au parti
qui dominait le pouvoir oppresseur qui nous gouver-
nait à le défendre comme il pourrait, mais M. Bédard
et ses amis s'y étaient opposés et le projet avait été
abandonné."(l)
(1) — Histoire du Canada, Garneau, édition de 18.')2, t. IV,
p. 84.
14 COURS d'histoire du canada
Pour tout ce qui concernait la guerre, la conduite de
la Cliambre fut inspirée par la loyauté la plus sincère
et par le patriotisme le plus ardent. Sur d'autres ques-
tions le gouverneur expérimenta sa susceptibilité. Dès
la première session de 1812,1a majorité ne put résister
au désir de récriminer contre les actes de la précédente
administration. Au sujet du renouvellement des lois
pour assurer la préservation du gouvernement de Sa
Majesté, l'Assemblée déclara qu'elle y donnerait toute
son attention, "malgré la répugnance que pourrait lui
faire éprouver l'abus qu'on avait fait de l'un de ces
actes et les mauvais résultats qui auraient pu s'en sui-
vre." Sur quoi le gouverneur répondit: "Jenepuis m'em-
pêchcr de regretter qu'à cette occasion vous ayez cru ex-
pédient de porter votre attention sur des procédés qui
ont eu lieu sous aucun de ces actes, et je vous engage
ardemment, comme le moyen Is plus efficace d'assurer
la tranquilité de la province et de manifester votre ar-
deur pour le bien public, de diriger vos soins entière-
ment sur l'état actuel des affaires." (l) Ce conseil pro-
duisit sur l'assemblée peu d'effet, car elle adopta bien-
tôt une résolution décrétant la formation d'un comité
pour faire une enquête sur l'état de la province, sur les
événements publics qui avaient eu lieu durant l'ad-
ministration de sir James Craig et sur leurs causes.
Ce comité était composé de MM. Lee, L.-J. Papineau
P. Bédard, Viger et Joseph Papineau, auxquels on
ajouta subséquemment MM. Bellet, Roi et Blanchet;
et ses séances devaient être secrètes. On ignore ce
qu'il en advint. Il semblerait que ces résolutions n'eu-
rent pas de suite à cause des sollicitudes plus urgentes
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1812, p. 69.
COURS d'histoire du canada 15
qui s'imposèrent. (l) Durant la même session le bill re-
latif à la meilleure préservation du gouvernement de
Sa Majesté et celui qui concernait les étrangers don-
nèrent lieu, entre le Conseil législatif et laChambre, à
des divergences que des conférences conjointes ne pu- H\lt»\fteV
rent concilier. Et ces deux mesures échouèrent. (2) i ^
Les recrmimations contre les abus de pouvoir de sir
James Craig pouvaient bien paraître intempestives et
oiseuses, dans ce moment de crise nationale; le désaccord
entre laChambre et le Conseil à propos de projets de loi
plus ou moins importants pouvait bien être consi-
déré comme fâcheux et inopportun par sir Georges
Prévost. Toutefois, personnellement, il n'était pas atteint
par ces incidents. Mais il allait bientôt être mis di-
rectement en cause. En ouvrant la session de juillet \^j^ i^p
1812. outre l'adoption de mesures financières néces- '
saires pour faîire face au péril américain, il demandait
aux chambres pour le gouvernement le pouvoir de sup-
primer toute tentative de désordre et d'insubordina-
tion, et de punir immédiatement toute offense pro-
pre à interrompre ou à menacer la tranquilité publique.
La législature, ajoutait-il, le ferait d'autant plus vo-
lontiers qu'elle devait être convaincue qu'en tout temps
"sa commission l'autorisait à déclarer la loi martiale en
(1) — Christie, II, p. 5.
(2) — Ibid. p. 6. — Le principal amendement adopté par la
Chambre avait pour objet de transférer du Conseil exécutif au
gouverneur seul le pouvoir de décréter l'emprisonnement des
personnes soupçonnées d'actes entachés de trahison {treasonable
practices), et aussi d'insérer ce proviso: "Rien dans cette loi ne
sera interprété comme autorisant l'emprisonnement ou la déten-
tion d'aucun membre de l'une ou l'autre des chambres du parle-
ment provincial." {Journal de la Chambre, 1812, p. 201.)
2
IG COURS d'histoire du canada
lorcc dans toute son étendue. "(l) La majorité goûta
fort peu cette déclaration. Durant cette courte ses-
sion elle ne prit cependant aucune action à ce sujet.
Mais à la session de 1813, l'Assemblée, sur motion de
M. James Stuart, visant spécifiquement le discours
de sir George Prévost, affirma" que les limites et l'o-
pération de la loi martiale en cette province ne pou-
\ aient être entendues sans l'autorité du parlement pro-
vincial." (2) A ce moment le gou\erneur nous avait
déjà donné des témoignages multiples de sa sympathie
et de sa sincérité. Ryland était en disgrâce. Les of-
ficiers de milice destitués par Craig étaient réintégrés
dans leurs grades. M. Pierre Bédard était élevé à la
magistrature. Devant ces gages d'une bonne volonté
mdéniable, n'eût-il pas valu mieux pour la majorité
se borner à un silence suffisamment significatif, et ne
donnait-elle pas droit à sir George Prévost de la trou-
} — \:Êr trop ombrageuse ?
L'état d'esprit que nous avons essayé d'analyser tout
à l'heure devait bientôt se manifester sous une forme
plus grave. Une des grandes tentations et l'une des
grandes erreurs des partis politiques, à la suite des crises
aiguës et des luttes violentes, c'est la passion des re-
présailles. II ne suffit pas d'être sorti victorieux d'une
lutte électorale, constitutionnelle ou parlementaire, il
faut que des pénalités soient le corollaire de la défaite;
il faut se venger des adversaires. Et, succombant à
l'illusion que l'on recherche uniquement le triomphe
de la justice, on se laisse trop facilement glisser sur la
pente de la persécution. En 1813, le juge Sewell, no-
(1) — Journal de la Chambre, 1812, deuxième session.
{2)—Ibid., 1813, p. 179.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 17
nobstant ses dignités et ses fonctions largement rétri-
buées, faisait en somme figure de vaincu. Comme Ry-
land et comme le Dr Mountain, il avait été l'aviseur
de sir James Craig. II avait mis la main aux projets dont
le but était l'anéantissement de notre église et le bou-
leversement de notre constitution. Et il les avait vus
échouer, la métropole refusant de les mettre à exécu-
tion. A Craig avait succédé un gouverneur dont la
politique était le contre-pied de la sienne. Nous n'avons
pas la bonne fortune de posséder la correspondance
intime du juge Sewell. Mais nous sommes assuré qu'à
l'instar de Ryland et de l'évcque anglican le haut
fonctionnaire devait y dénoncer assurément le chan-
gement radical qu'avait subie l'administration du Bas-
Canada.
Cet échec de nos ennemis ne devait-il pas nous sa-
tisfaire? N'était-ce pas assez pour nous d'avoir triom-
phé du péril, d'avoir vu se rompre les trames que l'on
avait ourdies contre nos droits ? Au lendemain de notre
victoire, surtout dans un moment oii notre pays était
sous le coup de l'invasion et de la conquête, pouvions-
nous espérer servir la cause nationale en entamant une
campagne de vindicte politique, et convenait-il de
l'entreprendre? On pouvait en douter. Notre cham-
bre bas-canadienne jugea différemment. A^ la session
de 1813, elle s'engagea dans une longue séri de débats
et de procédures' dont l'objet était la mise en accusa- ScweJI
tion du juge Sewell, et, corrélativement, de son collègue \a^ ^
montréalais le juge Monk.
Comme il arrive assez souvent dans ces occasions ,
le mobile d'ordre public se doublait ici d'un mobile
d'ordre privé. Il n'est pas sans intérêt de signaler ce
dualisme. Les coulisses de l'histoire recèlent souvent
des indications qui font mieux comprendre le jeu des
18 COURS d'histoire du canada
acteurs en scène. Le principal instigateur et le ]:)lus
acharné promoteur de la mise en accusation, ou, pour
nous servir du terme consacré dans la langue parle-
mentaire britannique, de Vimpeachment du juge Se-
wcll, ce fut M. James Stuart. Or j\I. Stuart avait un
vieux compte à régler avec le juge en chef. Cet homme
public, qui a joué un rôle si important dans les an-
nales politiques et judiciaires de notre province, était
le fils d'un loyaliste de l'empire uni, émigré au Canada
lors de la révolution américaine. Après avoir fait ses
jd^-V classes au collège de Windsor dans la Nouvelle-Ecosse,
il était venu étudier le droit à Québec, et, particularité
^>fLff_ curieuse, il avait eu pour patron précisément M.
Sewell, alors procureur général. Admis au barreau en
1801, il était nommé solliciteur général quatre ans
plus tard, lorsqu'il n'avait que vingt-cinq a,ns. En
1808 les électeurs de Montréal et du comté de Buck-
ingham l'avaient simultanément choisi pour leur re-
"^ présentant. (1) M. James Stuart était un homme
3 0 -1 .-^c» cloué de facultés brillantes. Il possédait des connais-
sances étendues et un remarquable talent d'orateur.
Sa valeur comme légiste était incontestable. On ad-
mirait chez lui une rare souplesse d'esprit, une grande
rapidité de conception, une activité intellectuelle cons-
tamment en éveil. Les vicissitudes de sa carrière de-
vaient démontrer que son caractère n'était pas tou-
jours à la hauteur de son talent. Vindicatif, tenace dans
^\ \ ses antipathies et en même temps versatile dans ses
opinions, avec ses qualités et ses défauts c'était unad-
\ersaire dangereux et un ami incertain. (2) Sous
(1) — Henry Morgan, Sketches oj celebrated Canadians, p. 324.
(2) — On trouve clans le Répertoire National un parallèle
intéressant entre M. James Stuart et son cousin M. Andrew
COURS d'histoire du canada 19
l'administration de sir James Craig une fâcheuse in-
compatibilité d'humeur l'avait mis en conflit avec ce
gouverneur autoritaire. Et au mois de mai 19,09 il
s'était vu révoqué de ses fonctions. Dans la lettre officielle
par laquelle le chef de l'exécutif annonçait au ministre
cette destitution, sir James énumérait ses griefs, dont
quelques-uns étaient d'une nature très spéciale. M.
Stuart, paraissait-il, avait positivement manqué de cour-
toisie envers le représentant de la Couronne, et cela
sans aucune raison. Il s'était abstenu de toutes rela-
lations avec le gouverneur. Il ne s'était jamais ins-
crit à l'hôtel du gouvernement, et, malgré sa position
officielle, il n'avait jamais assisté aux levers tenus à
l'occasion de la naissance du roi. Comme député, il
avait négligé de défendre la politique de l'exécutif et
voté en faveur de motions dirigées contre le gouver-
neur. Dans une certaine circonstance, nommé pour
faire partie d'un comité chargé de se rendre auprès
de ce dernier, il avait négligé d'être présent. Cette
conduite, d'après sir James, était incompatible avec la
position d'un officier public et suffisamment repré-
hensible pour justifier sa destitution. (1) Celui-ci
avait naturellement conçu de cette déchéance une vive
irritation. Et quand il eut constaté que le solliciteur
général nommé à sa place était M. Stephen Sewell, le
propre frère du juge en chef, il joignit dans son ressen-
timent le gouverneur et le haut magistrat qu'il con-
sidérait comme le conseiller de sa disgrâce.
Stuart, qui siégea aussi dans nos assemblées. M. Aubin en était
l'auteur. II manifestait plus d'estime pour le second que pour
le premier de ces deux hommes publics.
(1) — Archives du Canada, Q. 109, p. 128; Sir James Craig
à lord Castlereagb, 1er juin 1809.
r rA i/fiy
20 COURS d'histoire du canada
Tout ceci explique l'ardeur et l'acharnement qu'il
^ manifesta dans la question des impeacbments. Se fai-
sant habilement le porte-parole des animosités de l'As-
semblée contre l'aviseur de Craig, il entama la bataille
à la session de 1813. II sembla d'abord restreindre
l'attaque a des actes commis par le juge Sewell dans
l'exercice de ses fonctions judiciaires, et demanda une
enquête relative à la rédaction et à la mise en vigueur
de certaines règles de pratique, qu'il dénonça comme
une usurpation de pouvoir de la part des cours de jus-
tice. Mais à la session de 1814 il élargit le champ de
ses accusations. La question des règles de pratique
était surtout d'ordre technique, elle n'intéressait guère
que les membres de la profession légale. II fallait autre
chose pour correspondre aux ressentiments poli-
tiques de la majorité. Conséquemment, à côté des ac-
cusations concernant ces règlements de procédure,
figurèrent toute une série de griefs relatifs au rôle joué
par le juge Sewell comme aviseur de Craig, dans les
dissolutions réitérées du parlement en 1809 et 1810,
dans la démission des officiers de milice et d'autres of-
ficiers publics, dans la suppression du Canadien, dans
l'emprisonnement de MM. Bédard, Blanchet, Tas-
chereau, Corbeil, etc., etc. Un comité d'enquête fut
nommé. Les officiers de justice furent assignés
devant lui pour produire les règles de pratique.
II fit un rapport hostile aux juges. Et finalement la
Chambre adopta des résolutions dans lesquelles
étaient énumérés dix-sept chefs d'accusation contre
M. Sewell, juge en chef du Bas-Canada, et M. Monk,
juge en chef de Montréal. Celui-ci était accusé
des mêmes empiétements que le premier magistrat
de la province relativement aux règles de pratique,
< 1 en outre de certains abus d'autorité dans l'exer-
COURS D HISTOIRE DU CANADA
21
cice de ses fonctions. Les chefs d'accusation ou Heads
oj impeachment se terminaient par un paragraphe dont
le texte fait bien comprendre la nature des procédures,.,
adoptées. Le voici: ^^Que les susdits crimes et déhts /
ont été faits et commis par le dit Jonathan Sewell, juge
en chef de la province du Bas-Canada, et par là le dit
Jonathan Sewell s'est traîtreusement, méchamment
et mahcieusement efforcé d'aliéner le cœur des sujets
de Sa Majesté dans cette province, de causer de la
division parmi eux, d'attenter à la constitution et aux
lois de cette province, d'y introduire un gouvernement
arbitraire et tyrannique en violation consciente des
lois bien connues' de cette province. Et ainsi le dit
Jonathan Sewell a non seulement violé son propre
serment, mais, autant qu'il le pouvait, a violé le ser-
ment du roi envers son peuple dont le dit Jonathan
Sewell, représentant Sa Majesté dans son office si émi-
nent de magistrat, a la garde en cette province. C'est
pourquoi les dites communes mettent en accusation
(impeach) le dit Jonathan Sewell, se réservant la liber-
té de produire en tout temps ci-après d'autres accusa-
tions ou mises en accusation contre le dit Jonathan
Sewell et d'adopter toutes les conclusions ou deman- i
des qui peuvent en découler, conformément à laIoietJ_
à la justice." (1) L' impeachment du juge Monk se ter-
minait de la même manière.
Dans toutes ces procédures c'était M. Stuart qui
était l'esprit dirigeant. A ce moment il jouait vrai-
ment le rôle de chef de la majorité. (2) Sur sa propo-
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1814, appendice E.
(2) — On reconnaissait la main de M. Stuart spécialement
dans le paragraphe septième de V impeachment du juge Sewell,
22 COURS d'histoire du canada
sitlon une adresse au prince régent fut votée par la
Chambre, afin de soumettre à la Couronne les accusa-
tions contre les juges incriminés et demander qu'on
leur enlevât leurs commissions. En même temps il
rédigeait et faisait adopter une adresse au gouverneur
pour le prier de transmettre la communication de l'As-
semblc'c à Son Altesse Royale, et de suspendre, pen-
dant l'instance, les magistrats mis en accusation, (l)
Sir George Prévost se trouvait donc mis en demeure
de prendre position dans leconflit entre la chambre et
les juges en chefs. Son attitude ne pouvait être dou-
teuse et les têtes dirigeantes de l'Assemblée auraient
dû le prévoir. Le gouverneur ne devait pas rendre
une sorte d'arrêt préjudiciel contre les juges, sur des
accusations qui, d'une part, touchaient à des griefs ju-
ridiques d'une gravité douteuse, et, de l'autre, sou-
levaient, on le verra dans un instant, une question de
politique coloniale extrêmement complexe. II lit donc
à l'orateur, qui, accompagné de toute laChambre, était
allé lui présenter l'adresse au château Saint-Louis, la ré-
ponse suivante: "Je profiterai de la première occasion
pour transmettre aux ministres de Sa Majesté votre
adresse à Son Altesse Royale le prince régent, ainsi
que les articles d'accusation proférés par vous contre
le juge en chef de la pro\'ince et le juge en chef du dis-
trict de Montréal, mais je ne crois pas qu'il soit expc"-
dient de les suspendre de leurs charges, sur une adresse
à cette fin émanant d'une seule branche de la législa-
ture, basée sur des articles d'accusation sur lesquels le
où il était accusé d'avoir conseillé la destitution de bons et
loyaux sujets, "et cela, dans un cas particulier, pour procurer
l'avancement de son frère."
(D— Journal de la Chambre, 1814, p. 341.
COURS d'histoire du canada 23
Conseil législatif n'a pas été consulté et auxquels il
n'a pas concouru". (1)
Cette réponse, qui aurait due être prévue, irrita vive-
ment les chefs de la majorité. Sur le champ ils firent
insérer dans les journaux de la Chambre la riposte sui-
vante: "Résolu que les accusations produites par
cette Chambre contre Jonathan Sewell et James Monk
écuyers, ont été correctement désignées par le terme de
Heads oj impeachment; que c'est le droit constitution-
nel indisputable de cette chambre d'offrir son humble
avis à Son Excellence le gouverneur en chef sur des
matières affectant le bien-être des sujets de Sa Ma-
jesté dans cette province, sans le concours du Conseil
législatif,. . que Son Excellence le gouverneur en chef,
par sa dite réponse à l'adresse de cette Chambre, a violé
les droits constitutionnels et les privilèges de cette
Chambre". (2) C'était raide, surtout lorsque l'on con-
sidère que ceci s'adressait à sir George Prévost, dont
l'attitude générale nous était si manifestement favo- ^'^■^•
rable, et dont l'administration avait réparé la plupart ,a .^^ ^. j
des injustices commises par son prédécesseur. C'était
tellement excessif que l'Assemblée, refroidie, s'en aper- \
çut elle-même, et, se ressaississant quatre jours plus
tard, essaya de pa'Iier le fâcheux incident en adoptant
cette motion aux intentions réparatrices: "Nonobstant
les avis pervers et méchants donnés à Son Excellence
le gouverneur en chef, au sujet des droits constitution-
nels et des privilèges de cette Chambre, et nonobstant
les efforts de conseillers mal disposés pour l'induire en
erreur et le brouiller avec les fidèles communes de Sa Ma-
(l)— Journal de la Chambre, 1814, p. 329.
(2)— Journal de la Chambre, 1814, p. 391.
btlC
t'1
24 COURS d'histoire du canada
jesté en cette province, cetteCliambrc n'a aucunement
modifié l'opinion qu'elle a toujours entretenue de la
sage administration de Son Excellence, et elle est dé-
terminée à adopter les mesuies que le gouvernement
juge nécessaires pour son support et la défense de la
province." (1) Sous une forme plus ou moins heureuse
c'était une expression de regret pour la violence de la
résolution antérieure. Mais il ne faut pas croire qu'elle
fût votée unanimement. Elle ne passa qu'à trois voix
de majorité, par douze voix contre neuf, les votes hos-
tiles étant ceux de MM. Stuart, L.-J. Papineau, Bor-
gia, Pyke, Mure, Bruneau, Bell, Pozer et Huot (2).
Ces incidents montrent quel était le tempérament
de la Chambre. Elle ne savait pas assez maîtriser sa
rancœur ni mettre une sourdine à son irritabilité.
Elle se laissait pousser aux extrêmes par un homme qui
exploitait son animosité très compréhensible contre la
camarilla bureaucratique, afin de servir ses vengeances
personnelles. Cette campagne cV impeachment était
une faute. D'abord le moment était inopportun. En
pleine guerre, lorsque l'ennemi était à nos portes et
que le sang de nos soldats coulait pour la défense du
territoire national, notre parlement avait à se préoc-
cuper de sollicitudes plus urgentes que celle de discuter
des questions de procédures judiciaires, ou de ramener
sur le tapis les injustices en partie réparées d'une ad-
ministration disparue. En outre la tentative de l'As-
semblée était vouée à un échec certain. Et cela pour
un double motif. Les impeachmerits s'appuyaient sur
deux ordres de griefs, les uns relatifs aux fameuses rè-
gles de pratique, les autres relatifs à la responsabilité
(D— Journal de la Cbarnbre, 1814, p. 409.
(2)— Journal de la Chambre, 1814, p. 411.
COURS d'histoire du canada 25
des conseillers exécutifs pour les actes arbitraires de
Craig. Or ni ceux-là ni ceux-ci ne pouvaient aboutir
à un succès auprès des autorités impériales. Essa-
j^ons de le démontrer brièvement.
\ La rédaction et la mise en vigueur de règles de pra-
tique incriminées ne constituaient assurément pas le
forfait que dénonçait avec tant de véhémence M.
James Stuart et ceux qui lui faisaient écho. Ces règle-
ments se proposaient uniquement de fixer certaines
formahtés judiciaires. Quelques-unes spécifiaient les
actes qui constitueraient un mépris de cour. Il y en
avait qui astreignaient les parties à faire un dépôt pour
le transfert des dossiers à la cour de deuxième instance,
pour la production de certains plaidoyers, ou pour la
garantie des frais dans les procès par jury. D'autres
déterminaient les délais requis pour la production des
moyens d'appel. (1) C'était un excès d'imagination
que de découvrir dans tout cela quelque chose de sub-
versif, de contraire à la constitution et aux franchises
nationales.
La promulgation de règles de pratique était dési- ^^
rée depuis longtemps. Lors de la nomination de M. J'
Sewell comme juge en chef, en 1808, l'organe du parti à.Cf,j,
populaire. Le Canadien lui-même, avait exprimé l'es-
poir que le nouveau magistrat pourrait s'occuper de ce
travail. "Tous les juges en chef que nous avons eus,
disait-il, ont voulu créer du nouveau. . Un d'eux an-
nonça à la fin d'un terme qu'il y aurait un code de rè-
gles pour le terme suivant et recommanda aux avocats
de bien s'y conformer. Au terme suivant le code fut
remis à un autre, de celui-ci encore à un autre, et le ju-
ge en chef mourut quelque temps après. II est pro-
(1) — Journal de la Chambre, 1814, appendice E.
20 COURS d'histoire du canada
bable que ce code aurait été longtemps à venir, car ce-
lui qui croit qu'un acte de procédure est l'ouvrage
d'une vacance doit mettre bien des années seulement
avant de s'apercevoir de la difficulté de la tâche. Nous
ne pouvons donc qu'être flatté de la promotion ds M..
Sevvell, qui a vu lui-même toutes ces expériences, et
nous espérons que ses talents et les connaissances qu'il
a dans les anciennes loi du pays le mettront en état de
travailler avec succès à un ouvrage si désiré et qui doit
faiie tant d'honneur à celui qui y aura réussi." (1) Ce
vœu du journal patriote avait été réalisé. M. Sewell
s'était sans retard appliqué à la rédaction de ces règles,
qui avaient été promulguées en 1809. Et voilà qu'en
1814 la chambre y découvrait un motif de mise en
accusation. Evidemment, même en supposant que
toutes les règles édictées n'eussent pas été parfaite-
ment judicieuses, il n'y avait pas là matière à la très
grave et très extrême mesure de l'impeachment. L'an-
cien leader de la majorité, le patriote qui avait subi la
perscK^ution de Craig, M. Pierre Bédard, devenu
juge aux Trois-Rivières, était bien de cet avis.
II suivait de loin les événements politiques, auxquels
il avait pris une si large part pendant sa longue car-
rière parlementaire. Et il consignait ses impressions
dans une correspondance très suivie avec M. John Neil-
son, l'éminent directeur de la Gazette de Québec, qui de-
\ait jouer bientôt lui-même un si grand rôle politique.
^ Dans une lettre datée des Trois-Ri\ières, le 23 février
^^814, M. Bédard exprimait l'opinion, conforme d'ail-
leurs à celle de son correspondant, que les juges n'avaient
eu en vue que de servir les fins de la justice en promul-
guant leurs règlements. Il faisait observer que, si on
(D— Le Canadien, 22 août 1808.
rr ,
COURS D HISTOIRE DU CANADA
27
les attaquait à ce sujet, ils ne se risqueraient plus à faire
ce travail et l'on retournerait dans la confusion où
étaient les tribunaux quand il n'y avait que des règles
non écrites qui changeaient tous les jours. Dans une
lettre subséquente il discutait l'attitude de la Chambre
et ne dissimulait pas sa conviction que M. Stuart ne
s'agitait que dans un but de satisfaction personnelle.
Suivant lui le juge en chef méritait des louanges et non
des reproches pour son travail sur les règles de prati-
que. (1)
Ce qui démontre davantage encore la futilité du
grief dont M. James Stuart voulait faire un crime d'E-
tat, c'est que les règlements judiciaires si violemment
dénoncés devaient rester en vigueur pendant plus de
quarante ans. Ironie des choses! M. Stuart lui-
même, devenu juge en chef à la place de son vieil en-
nemi d'autrefois. devait les maintenir et les apphquer.
II devait, dans la révision qu'il en fit en 1850, en con-
server quelques-uns presque intégralement. Donnons-
en un exemple entre pkisieurs. La treizième règle de
pratique édictée par M. Sewell en 1809 se lisait comme
suit: "La signification personnelle de tout writ d'appel
au procureur qui a comparu dans la cour supérieure
pour l'intimé, ou à défaut de telle signification à l'in-
timé à son domicile, ou à défaut de tel domicile au
procureur ad negotiâ sur record en tel procès, sera
p. ÉCûaGD
(1) — Le département des archives fédérales a eu la bonne
fortune de mettre la main sur la correspondance de M. John
Neilson. Elle couvre une longue et importante période et con-
tient un grand nombre de lettres de M. Pierre Bédard. Nous
l'avons parcourue avec un profond intérêt. Une partie de cette
correspondance précieuse a été cataloguée dans le Rapport sur
les Archives pour les années 1913 (pp. 99 à 151), et 1918 (pp.
473 à 559).
28 COURS d'histoire du canada
censée une signification valable de tel writ à l'égard
de l'intimé." M. Stuart président du comité d'enquête
sur les règles de pratique déclarait en 1814: "Cette
règle est contraire à la loi et en la faisant la cour
d'appel a usurpé une autorité législative.*' (1)
r Eh bien, trente ans plus tard, en 1850, M. Stuart, juge
en chef à son tour, édictait des règles dont la huitième
se lisait comme suit: "La signification peisonnelle de
tout bref d'appel à l'avocat qui a comparu dans la cour
inférieure pour l'intimé, comme il l'a été ci-devant
pratiqué, sera, à défaut de signification légale, considé-
rée et reconnue comme signification légale". C'était
à peu près le même texte. Et c'était signé "James
Stuart juge en chef." (2)Le haut magistrat, parla même,
reconnaissait donc que cette règle n'était pas con-
traire à la loi, et que la cour d'appel, en l'édictant,
n'usurpait aucunement une autorité législative. Il
répudiait virtuellement son attitude de 1814.
De tout ceci on peut conclure que cette partie des
actes d'accusations contre les juges en chef offrait un
point d'appui bien peu solide.
Celle qui avait trait à la part de responsabilité
qui incombait à M. Sewell dans les actes arbitraires
de sir James Craig ne provoquait pas les mêmes objec-
^.^^^ tions intrinsèques. Il était indéniable que le juge en
(^chef avait été l'un des principaux, sinon le principal
conseiller de ce gouverneur combatif. Et les griefs
de la Chambre contre cette administration autocra-
tique n'étaient certainement pas sans fondement.
Mais pouvait-on espérer que les autorités impériales
(1) — Journal de la Chambre, 1814, appendice E.
(2) — Code de procédure civile, par Gonzalve Doutre, 1867,
t. I, p. 255.
COURS d'histoire du canada 29
allaient admettre que les gouverneurs coloniaux étaient
des fonctionnaires irresponsables, et que les membres
des conseils exécutifs provinciaux devaient être tenus
comptables pour les actes des représentants de la Cou-
ronne? C'eût été se méprendre étrangement sur les
maximes qui faisaient encore loi à Londres, à cette
époque, en matière de politique coloniale. Les mi-
nistres britanniques n'étaient pas encore prêts à ad-
mettre que le rôle des gouverneurs de colonie pouvait
être assimilé à celui du souverain en Angleterre, que
ces fonctionnaires régnaient mais ne gouvernaient pas,
que la formule the king can do no wrong devait leur
être appliquée, et qu'on devait s'en prendre, relative-
ment aux actes de leur administration, non pas à eux,
qui en même temps détenaient et exerçaient véritable-
ment le pouvoir, mais à des conseillers virtuellement
nommés et révoqués suivant leur bon plaisir. Non,
en essayant de faire punir par les autorités impériales
des officiers publics qui n'étaient certainement pas les
maîtres du gouvernement, la Chambre anticipait les
époques et voulait faire prendre corps à une fiction
manifestement contredite par la réalité. Les actes /
de Craig, par exemple, ses coups d'état, ses dissolutions
réitérées, ses destitutions, ses confiscations, ses arres-
tations, étaient bien le fait personnel de ce proconsul
militaire, imbu de principes absolument contraires à
ceux du gouvernement constitutionnel. M. Sewell,
M. Ryland, avaient assurément abondé dans son sens,
avaient rédigé pour lui des rapports, avaient accompli
pour lui des missions, lui avaient communiqué leurs
appréciations et leurs vues. Mais après cela, il n'avait
fait que ce qu'il avait voulu faire, ce que sa nature
impérieuse et impulsive le portait et le déterminait
à faire. Et il eût pu adopter une ligne de conduite
30 COURS d'histoire du canada
entièrement opposée. Rien ne le prouvait si bien
que le cas de sir George Prévost, entouré des mêmes
hommes, maissuivantuncpolitiquetout à fait différente.
De tout ceci il faut déduire qu'en 1814 essayer
de faire destituer un juge par les ministres anglais,
parce qu'il avait approuvé et conseillé les actes de
Craig, c'était marcher à un échec certain. Et alors,
en le tentant, on commettait une fausse manœuvre.
On donnait des armes à ceux qui représentaient la
majorité canadienne comme un parti voué à tous les
excès, prêt à tous les empiétements, et animé contre
les officiers de la Couronne d'une passion aveugle et
tenace.
Tout cet ensemble de considérations et de cir-
constances nous induit donc à tenir pour malencon-
treuse la campagne d' unpeacbmeiit entreprise par la
majorité contre les juges, à l'instigation de M. James
Stuart. Elle était inopportune à cause de la guerre;
elle était injuste à cause de l'inanité du grief relatif
'*^ \ aux règles de pratique; elle était maladroite à cause
de l'impossibilité d'obtenir en ce moment une con-
damnation comportant l'admission d'un principe con-
traire à toute la tradition coloniale.
Sir George Prévost transmit en Angleterre la
demande d'impeachment. La Chambre choisit M.
Stuart comme procureur pour aller la soutenir k
Londres et vota la somme de deux mille louis
à cet effet. Mais le Conseil législatif refusa de con-
courir dans cette affectation de crédit.
Durant la même session, l'Assemblée adopta un
3 bill par lequel un agent était nommé pour représenter
la province en Angleterre, et M. le ju^e Bédard fut
désigné pour remplir ce poste. Mais le projet de loi
ne fut pas agréé par le Conseil. Cette chambre avait
l
COURS d'histoire du canada 31
énergiquement protesté contre la mise en accusation k.u p ,
de MM. Sewell et Monk. Et cette opposition de vues
n'améliora pas les relations entre les deux assemblées. 1
Elles étaient déjà suffisamment tendues. Au P'Stet
début de la session, la Chambre avait adopté un projet
de loi ayant pour objet d'organiser un système d'ins- "^DS"
truction primaire dont tous les bons esprits reconnais-
saient la nécessité. Il était intitulé: "Acte pour
parvenir plus efficacement à établir des écoles dans les IL- 1 p ^i
paroisses de campagne de cette province pour y ensei-
gner les premiers éléments de l'éducation." (1) La loi YCT\)s.c-r
créant l'institution royale en 1801 était restée lettre J-^o\)v\-*fï
morte et elle ne pouvait produire aucun résultat, au
moins pour les Canadiens, dont les convictions religieuses
s'accommodaient mal de l'esprit qui l'avait inspirée..^ Ih^llfJlT)!
La nouvelle mesure pourvoyait à la constitution par | cjc >'
voie d'élection, dans chaque paroisse, de corporations
scolaires ayant le pouvoir de posséder, de prélever des
fonds, d'engager des instituteurs, etc., Les frais d'é-
rection des écoles et d'acquisition des terrains requis
devaient être prélevés par chaque paroisse de la même
manière que les répartitions pour la construction des
églises sur la demande de la majorité des habitants .
Une somme n'excédant pas soixante louis courant, à
prendre sur les fonds de la province, devait être affec-
tée au paiement d'un maître d'école dans chaque pa-
roisse qui le demanderait. (2) Ce bill aurait puissam-
ment favorisé la diffusion de l'instruction dans les cam- i^
pagnes. Mais il empiétait sur le domaine de la stérile
Institution royale, chère au Dr Mountain et à ses
(1) — Journal de la Chambre, 1814, p. 95.
(2) — Journal de la Chambre, 1814, p. 51.
^
32 COURS d'histoire du canada
amis. Ryland le dénonçait comme "un instrument
d'insurrection et de révolution." L'influence de ce
groupe dominait malheureusement le Conseil. Et le
projet de loi y fut rejeté, quoique le gouverneur eût ex-
primé son désir de le voir adopter. (1)
Un autre bill de l'Assemblée allait également mou-
rir presque en même temps dans la seconde chambre.
C'était celui qui avait pour objet de rendre les juges en
chef et les juges de la cour du banc du roi incapables
d'être appelés, de siéger ou de voter au Conseil législa-
tif. (2) Quoiqu'au moment où il fut présenté ce bill
parût naturellement s'inspirer de sentiments vindica-
tifs à l'adresse des juges conseillers, MM. Sewell et
Monk, le principe en était incontestablement juste.
Nous verrons plus tard que l'Angleterre elle-même en
admit le bien fondé.
Les causes de mésintelligence semblaient malheu"
reusement se multiplier. Signalons encore la mesure
adoptée par l'Assemblée pour taxei les salaires des of-
ficiers publics. Ce fut un des épisodes saillants de la
politique de représailles à laquelle se laissait entraîner
la majorité. Le projet de loi en question était intitu-
lé. "Acte pour accorder à Sa Majesté un droit sur
les revenus provenant des offices civils et sur les pen-
(1) — A briej revieiv oj tbe political state oj Lower Canada during
tbe last seven years, by Mr Ryland, May 1814; Christie, VI, pp.
336, 337. — Voici quelle était à ce moment la composition du Con-
seil: Le juge en chef SewelI, président; le Dr Mountain, évêque
anglican; M. Monk, juge en chef de Montréal; MM. R. de St-
Ours, F. Baby, Chartier de Lotbinière, Jenkin Williams, Char-
les de St-Ours, John Haie, A.-L.-G. Duchesnay, Hertel de Rou-
ville, John Caldwell, H.-W. Ryland, James Cuthbert, John
Blackwood, W. McGiIIi\'ray.
(2)— Journal de la Chambre, 1814, p. 49.
COURS d'histoire du canada 33
sions, pour être appliqué à la défense de la province dans
la présente guerre avec les Etats-Unis d'Amérique." (1)
Les droits ainsi imposés étaient de 15 pour cent sur les
salaires de 1500 louis et au delà, de 12 pour cent sur
ceux de 1000 à 1500 louis, de 10 pour cent sur ceux de
500 à 1000 louis et de 5 pour cent sur ceux de 250 à 500
louis. (2) A coup sûr un tel impôt était exorbitant.
Sur un salaire de $7,500 le juge en chef Sewell aurait
eu à laisser au fisc $1,125, le juge Monk $825, les juges
puînés $375, M. Ryland pour ses traitements et ^(x■<^b^'^
sa pension $356. Les employés aux émoluments de
$1000 à $1500 auraient eu à verser de $50 à $75. C'é-
tait vraiment une proportion déraisonnable. Les -,
fonctionnaires visés avaient bien le droit de se plaindre
d'une taxation aussi lourdement partiale. Sans
doute un grand nombre d'entre eux nous étaient hos-
tiles et recevaient des salaires élevés. Mais cela ne
suffisait pas pour rendre équitable l'exaction fiscale
qu'on voulait leur faire subir. La mesure était ex-
cessive et accusait trop clairement l'intention d'infli-
ger une pénalité à toute une classe de citoyens parce
qu'elle était antipathique à notre cause. Naturelle-
ment le Conseil législatif rejeta ce bill de revenu ex-
traordinaire I
En somme cette session de 1814 était plutôt fâ- ' ^'^
cheuse. Et, en la prorogeant, sir George Prévost ne
put s'empêcher de faire les observations suivantes:
"Il m'aurait été agréable de trouver parmi a ous
l'unanimité, la diligence et la libérale confiance en moi
que les circonstances actuelles, la situation de la pro-
(1) — Journal de la Chambre, 1814, p. 381.
(2) — Ryland, A briej review, etc.; Journal de la Chambre, 1814
p. 377.
vi»V.
34 COURS d'histoire du canada
vince et les assurances contenues dans vos adresses
me donnaient lieu d'espérer. J'ai vu avec regret mon
attente frustrée avec de sérieux inconvénients pour le
service publicl Messieurs de la Chambre d'assemblée,
je ne puis que déplorer la manière de procéder adoptée
par vous; le résultat a été la perte d'un bill de revenu
>^ très productif, et de crédits généreux pour la défense
de la province et pour l'amélioration des conditions
de la milice. Et je regrette qu'en sacrifiant ces ob-
jets désirables vous vous soyiez laissés dominer par
des considérations qui vous ont paru plus importantes
que la sûreté immédiate du pays et le soulagement de
ses défenseurs." Les esprits vraiment politiques
dans le parti canadien devaient certainement regretter
qu'on eût mis sir George Prévost dans le cas d'adres-
ser à l'Assemblée ces reproches.
Cependant ce gouverneur, bien loin de nous être
hostile, se portait encore garant de la loyauté cana-
dienne, en dépit des embarras que lui créait l'attitude
de la Chambre. Dans une lettre au ministre où il com-
mentait les incidents que nous venons de raconter, la
procédure contre les juges, les conflits entre les deux
chambres, la perte de mesures financières importantes,
il ajoutait: "Toutefois, je n'ai aucune raison de mettre
en doute la loyauté de l'Assemblée ni son attachement
à la personne et au gouvernement de Sa Majesté."
En réponse à ces informations du gouverneur
le secrétaire colonial, lord Bathurst, lui écrivit une
lettre indiquant entre autres choses que les chefs d'ac-
cusation relatifs à la responsabilité des conseillers exé-
cutifs avaient peu de chance d'être admis. Le minis-
tre crsait: "Je profite de la première occasion pour
déclarer que le gouvernement de Sa Majesté désap-
prouve entièrement ces articles qui imputent aux av:s
COURS d'histoire du canada 35
de MM. Sewell et Monk les actes de sir James Craig
considérés par l'Assemblée comme injustes et illégaux.
Le gouvernement ne peut en aucune façon admettre
le principe si nouveau et si plein d'inconvénients en
vertu duquel un gouverneur de colonie pourrait se
débarrasser de sa responsabilité pour des actes faits du-
rant son administration, et s'abriter derrière les con-
seils de n'importe quelles personnes, quelque respec-
tables que soient leur caractère et leurs charges." (1)
Lord Bathurst exprimait en même temps les appré-
hensions que lui causaient ces procédures extrêmes et
ces conflits parlementaires pour la conduite de la guerre
et la défense de la province.
Sir George Prévost répondit à cette dépêche par
une lettre très importante et que je voudrais pouvoir
citer au long. II s'efforçait de rassurer le ministre
sur les conséquences de la campagne contre les juges
et de la discorde qui en avait résulté. Il rendait té-
moignage aux bonnes dispositions de l'Assemblée en-
vers le gouvernement et envers ses mesures. Si quel-
ques unes de celles-ci avaient échoué c'était plutôt par
suite de la mésintelligence entre les deux chambres
pour des difficultés de forme et des questions person-
nelles. Sir George Prévost exposait ensuite la politique
qu'il avait cru devoir suivre depuis son arrivée au Ca-
nada. II avait constaté que le parti anglais dans l'as-
semblée, vu sa faiblesse, ne pouvait servir d'appui au
gouvernement pour l'adoption de la législation jugée
(1) — Documents constitutionnels, 1791-1818, p. 470. — Nous te-
nons à réparer ici une singulière inadvertance- commise par
nous dans le deuxième volume de cet ouvrage (p. 46).
Contrairement à ce qu'on y lit dans une note, la version
française de ces documents a été publiée en 1915.
36 COURS d'histoire du canada
nécessaire. Et alors il s'était attaché à gagner le bon
vouloir de la majorité canadienne dans l'intérêt du
service public. En lui témoignant une juste considé-
ration quand l'occasion se présentait, en tenant comp-
te de ses intérêts et de ses prétentions, en admettant
les Canadiens aux fonctions jusque-là presque entière-
ment réservées aux sujets anglais de naissance, en ma-
nifestant des égardspour le clergé catholique, et spé-
cialement pour son chef, il avait réussi à gagner la
confiance du peuple et à obtenir le concours de la
Chambre. Les procédures contre les juges étaient
dues à un sentiment d'animosité, suite des crises vio-
lentes qui avaient marqué l'administration de sir
James Craig. Mais on ne devait pas s'en alarmer
outr2 mesure. A la Nouvelle-Ecosse le même cas
s'était présenté. Les juges avaient été mis en accu-
sation. Le Conseil privé avait dirimé le litige et exo-
noré les juges. Et tout était rentré dans l'ordre. On
pouvait espérer qu'il en serait de même ici.
II y avait cependant dans cette lettre de sir George
un passage fâcheux. Le gouverneur y parlait des
chefs de l'Assemblée. "Ce sont, disait-il, principalement
des avocats qui me paraissent rechercher l'occasion
de se distinguer comme les champions du public afin
de gagner de la popularité, de se rendre importants
aux yeux du gouvernement et de parvenir aux em-
plois. Quelques-uns occupent des fonctions conférées
par moi. Et j'ai lieu de croire que s'il était nécessaire
d'acheter leurs services, tous y seraient disposés." Sir
George Prévost pouvait viser ici des hommes comme
M. James Stuart et quelques autres, dont la rigidité de
principes et le désintéressement étaient peut-être dou-
teux. Mais alors il aurait dû préciser davantage.
Nous aimons à croire que ses expressions trahissaient
COURS d'histoire du canada 37
sa pensée et que sa généralisation, offensante si elle
était délibérée, était due à un lapsus calami Pour-
suivant son examen de la situation, il réitérait l'ex-
pression de sa confiance envers la majorité. "J'ai la
conviction, écrivait-il, que je ne serai pas désappointé
dans mon attente de trouver la majorité désireuse d'ap-
puyer toute mesure que je pourrai proposer pour le
bien du service public. Je sais qu'une opinion différente
prévaut à ce sujet parmi quelques-uns des plus res-
pectables officiers du gouvernement de Sa Majesté
en ce pays, et qu'ils attribuent aux chefs du parti ca-
nadien les motifs les plus criminels et les plus corrom-
pus. .. Il est possible qu'il en soit ainsi pour quelques
membres de la Chambre, quoique j'en doute beaucoup.
Mais quant à la majorité je tiens ce sentiment comme
non fondé et j( crois que sa loyauté et son attachement
sont à l'épreuve de toute tentative de séduction."
Sir Geors^e Prévost terminait ses considérations par un
exposé de la politique qu'il croyait la plus opportune
et la plus sage, pour empêcher que les conflits entre
les deux chambres en vinssent à paralyser la législa-
tion, à entraver le service public, et finalement à af-
faiblir la lo^^auté et l'attachement du peuple. "Pour
prévenir ces maux, disait-il, je ne vois pas de moyens
plus efficace que la poursuite de la ligne de conduite '^'
conc^iante adoptée par moi enveis les Canadiens, et ' ^^^^^^^
une addition au nombre des conseillers législatifs. En (î)
introduisant dans cette chambre des hommes fermes (Xd dif^vx \^ I
et modérés, qui, tout en résistant aux entreprises déci- \nod€'\rah
dément inconstitutionnelles, sauraient céder opportu-
nément aux vœux et aux désirs raisonnables de la
chambie basse, la vive animosité qui existe actuelle-
ment entre les deux branches de la législature dispa-
38 COURS d'histoire du canada
raitrait dans une laree mesure, et ferait bientôt place
à plus de cordialité et de bonne entente." (1)
En somme le programme que sir George Prévost
esquissait ici, c'était celui d'une administration gou-
vernant avec la majorité et tenant compte de ses vues.
Cette politique, souverainement sage et absolument
conforme à la pensée des auteurs de la constitution,
aurait due être acceptée et suivie par le bureau colo-
nial et par tous les gouverneurs du Bas-Canada. Elle
eût évité aux hommes d'Etat anglais bien des mécomp-
tes et à notre province bien des épreuves.
Dans la première lettre du gouverneur que nous
avons citée il y a quelques instants, il annonçait que
le juge Sewell avait demandé un congé pour aller se
défendre à Londres. II mentionnait aussi la rumeur
que, vu le rejet du crédit proposé afin d'envoyer M.
Stuart appuyer l'accusation, on prélevait une sous-
cription dans le but d'y suppléer.
Cette dernière démarche n'eut probablement pas
de suite, car M. Sewell traversa seul en Angleterre.
Il n'eut pas là-bas de contradicteur. Le Conseil privé
piit connaissance des impeachynents. La question
de la responsabilité du juge Sewell pour les actes de
Craig fut écartée comme ne pouvant servir de base à
une mise en accusation. Quant à celle des règles de
pratique, après avoir été soumise aux officiers en loi
de la Couronne, elle fut décidée en faveur des juges en
chef. Le Conseil privé statua que ces règles étaient
dans les limites du pouvoir et de la juridiction des
cours de justice d'après les principes légaux, les or-
donnances coloniales et les actes de législation. (2)
(1) — Documents constitutiojinels, 1791-1818, p. 473. — Sir
George Prévost à lord Balburst, 4 septembre, 1814.
(2) — Documents constitutionnels, 1791-181S, p. 476.
COURS d'histoire du canada 39
Ce fut au bout d'un an seulement, le 29 juin 1815,
que cette décision fut rendue. Et lorsque le ministre
des colonies la communiqua au gouverneur du Bas-
Canada, ce n'était plus sir George Prévost qui rem-
plissait ces fonctions. Après l'échec de l'expédition
de Plattsburg, une grave contestation s'était élevée
entre lui et sir James Yeo, le commandant des forces
navales sur les lacs. Celui-ci avait porté contre sir
George des accusations qui mettaient en cause son
honneur et sa réputation militaire. Le parti bureau-
cratique, mécontent de voir Prévost rompre avec la
politique de Craig, s'était empressé de faire écho à ces
attaques. Le gouvernement impérial, influencé peut-
être par ces clameurs, avait rappelé le général dont la ^Ai,
conduite était mise en question. (1) Et sir Gordon '^^ V|UA<.
Drummond avait été nommé pour lui succéder. Ce
(1) — De retour en Angleterre sir George Prévost demanda la
tenue d'une cour martiale afin de défendre son honneur militai-
re contre les accusations de sir James Yeo. Pour donner le
temps aux témoins résidants au Canada de se rendre à Londres,
l'enquête avait été fixée au mois de janvier 1816. Mais dans
l'intervalle la santé de notre ex-gouverneur, ébranlée par les fati-
gues du service et les anxiétés, déclina rapidement, et il mou-
rut le 5 janvier. Sa veuve, lady Prévost, et son frère, ne négli-
gèrent rien pour obtenir une enquête devant un comité quelcon-
que, afin d'établir que sir George avait fait son devoir. Cette
manière de procéder fut considérée impossible. Mais ultérieure-
ment le prince régent, dans un document public, rendit homma-
ge à la mémoire du défunt, et autorisa sa famille à introduire dans
son écusson des additions attestant les services rendus par lui
aux Indes et au Canada. Ajoutons que le duc de Wellington
manifesta son approbation de la conduite militaire de sir George
Prévost, spécialement à Plattsburg, et que le jugement d'un
historien comme Alison lui est entièrement favorable. (Morgan,
Sketcbes oj celebrated Canadians, p. 171; Christie, History oj Lo-
wer Canada, II, p. 247.)
OloboaS
40 COURS d'histoire du canada
fut à ce dernier que Lord Batliurst transmit l'arrêt du
nf Conseil prive. II en donna connaissance à la Chambre
^^ au commencement de la session de 1816. Cette déci-
VJimn\C)(\.u sion provoqua dans l'assemblée une vive irritation.
Toujours sous l'inspiration de M. James Stuart, elle
adopta des résolutions dans lesquelles elle affimait
que les mises en accusation des juges en chef lui avaient
été dictées par le sentiment de son devoir, qu'elle avait
le droit d'être entendue à leur appui, que la résistance
du Conseil législatif l'avait empêchée d'être représen-
tée à Londres par un agent, qu'elle avait toujours été
et qu'elle était encore désireuse d'être entendue, et
qu'il importait qu'une humble pétition fût adressée à
Son Altesse royale le prince régent, pour en appeler à
la justice du gouvernement de Sa Majesté. En d'au-
tres termes la Chambre se plaignait de ce que le juge-
ment favorable aux juges eût été rendu ex parte. Et
sur ce point elle avait raison. Cette attitude avait
été prévue, et le gouverneur avait reçu de lord Ba-
thurst des instructions précises. Le surlendemain du
jour où ces résolutions avaient été adoptées, sir Gor-
don Drummond se rendait au parlement et prorogeait
la session iîislayUer, en annonçant une dissolution im-
médiate et des élections générales.
Cinq ans après le départ de Craig nous retom-
bions dans une crise politique. La première phase de
la campagne de représailles se terminait par un conflit
aigu, non plus seulement avec le gouverneur, mais
surtout avec le gouvernement Impérial qui avait pris
position contre nous. L'absence de Bédard et de Pa-
pineau l'ancien se faisait défavorablement sentir. Sous
la direction hasardeuse de Stuart nous gaspillions no-
tre énergie dans une bataille mal avisée et mal engagée,
où pas plus que la métropole nous n'avions d'intérêt
COURS d'histoire du canada 41
réel en jeu. Le motif du conflit ne valait pas le mal
qu'il causait ni les complications, les inconvénients
d'ordre matériel et politique qu'il entraînait.
Heureusement un chef d'exécutif delà bonne école,
un homme clairvoyant, équitable et loyal allait venir
prendre la direction de l'administration bas-canadienne. , ,
Sir John Coape Sherbrooke, ancien gouverneur de la -^ '
Nouvelle-Ecosse, remplaçait sir Gordon Drummond ^X ^g^p-^ |
et entrait en fonctions le 12 septembre 1816.
Nous verrons dans notre prochaine leçon com-
ment il sut transformer en une situation satisfaisante
une situation périlleuse et troublée.
SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER
Garneau, Histoire du Canada, Montréal, 1882, t. III, liv. XIV,
ch.i et II. — Robert Christie, History oj tbe late Province oj Lower
Canada, Québec, 1848, t. II, ch. xviii et xix, t. VI. — Bibaud,
Histoire du Canada sous la domination anglaise, Montréal, 1844,
liv. II. — Perrault, Abrégé de l'histoire du Canada, Québec, 1833,
t. III. — Kingsford, History oj Canada, t. VIII. — Canada and its
Provinces, Toronto 1914, t. III, ch. vu et viii. — Henry Morgan,
Sketcbes oj Celebrated Canadians, Québec, 1862.- — Documents re-
latijs à l'bistoire constitutionnelle du Canada, par A. Doughty
et Duncan McArthur, (1791-1818), Ottawa, 1915.— Tbe letters
oj Veritas, Montréal, 1815. — Some account oj tbe public lije oj tbe
late Lieutenant General Sir George Prévost, etc., Londres, 1823.
Mandements des évêques de Québec, Québec, 1888, t. III. — Le Ca-
nadien, Québec, 1808. — Code de procédure civile, G. Doutre,
Montréal, 1867, t. I. — rfceCanodiaji /nspector, Montréal, 1815. —
Journaux de la Cbambre d'Asse7nblée du Bas-Canada, 1812, 1813,
1814. — ^Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q.
119, 121, 126, 127, 128-1.
DEUXIÈME LEÇON
La politique de conciliation. — Retour triomphal du juge Sewell.
— La nouvelle Chambre. — Conflits en perspective. — Sir
John Sherbrooke comprend la situation. — ^La politique de
coercition lui répugne. — Sa correspondance avec lord Ba-
thurst. — Celui-ci lui donne plus de latitude. — Le caractère
de sir John Sherbrooke. — Ce que devait être à ce moment
la mentalité d'un bon gouverneur britannique. — La race,
le milieu et le moment. Un nouvel ordre de choses. — Deux
forces en présence. — La prérogative royale et le privilège
parlementaire. — La session de 1817. — Motifs d'appréhen-
sion.— Les impeacbments des juges Sewell et Monk. — Com-
ment empêcher la majorité de rouvrir la question. — Un in-
cident favorable. — Les secours accordés aux paroisses en
détresse. — Le rôle de Mgr Plessis. — Des explications. — Le
juge Foucher mis en accusation. — Sir John Sherbrooke es-
quive une difficulté. — L'affaire traîne en longueur. — La
question du salaire des orateurs. — Un terrain de concilia-
tion.— Les absents ont tort. — On accorde un traitement à
MM. Papineau et Sewell. — Evolution de la majorité. — Vains
efforts de M. James Stuart. — Son échec et son irritation. —
Singulier dénouement. — Le succès de sir John Sherbrooke.
— Paroles sympathiques de M. Papineau. — Mgr Plessis au
Conseil législatif. — M. Papineau au Conseil exécutif. —
Heureux résultat d'une politique modérée. V
Lorsque sir John Coape Sherbrooke arrivait à
Québec, le 12 juillet 1816, le baromètre politique an-
nonçait des jours orageux. Notre monde officiel ve-
nait de célébrer avec éclat le retour du juge en chef
Sewell, justifié par le Conseil privé impérial des accu-
sations portées contre lui. On lui avait fait une ré-
ception triomphale et il avait débarqué au bruit d'une
salve de vingt coups de canon. (1) Cette manifesta-
(1) — Lettre du juge Bèdard à J. Neilson, 14 juillet, 1816; Rap-
port sur les archives du Canada, 1913, p. 45.
44 COURS d'histoire du canada
tion faisait écrire à M. Pierre Bédard que, sans vou-
loir critiquer cette espèce de réparation d'honneur, il
craignait qu'elle n'irritât davantage l'esprit de parti
et qu'elle ne fût considérée comme humiliante pour
l'Assemblée. Celle-ci était allée se retremper dans le
vote populaire, après la dissolution que lui avait fait
subir sir Gordon Drummond, et elle en était sortie
composée à peu près des mêmes éléments. S'il y avait
eu modification, c'était plutôt dans le sens de la politi-
que de représailles. Le parti dirigé par MM. James
Stuart et Louis-Joseph Papineau revenait plus nom-
breux, plus acharné et plus irrité que jamais. Et tout
faisait prévoir à courte échéance de nouveaux conflits.
Sir John Sherbrooke, dès son arrivée, se rendit compte
de la situation et s'empressa d'exposer au ministre les
considérations qu'elle lui suggérait. Ayant pris com-
munication de la lettre dans laquelle lord Bathurst
avait enjoint à sir Gordon Drummond de dissoudre
la législature au cas où la Chambre persisterait à agiter
la question des impeachrnents, (1) il s'était demandé
si ces instructions ne devaient pas être à un moment
donné la règle de sa propre conduite. Ceci l'enga-
geait à signaler les inconvénients qui pouvaient sur-
gir si l'on restreignait la discrétion d'un gouverneur
dans ces délicates et difficiles circonstances, de si fré-
quente occurrence, où il s'agit de diriger une assemblée
populaire. Laissé à lui-même, en s'appliquant à dis-
cerner les vues et les caractères des parties en cause,
ce fonctionnaire pourrait peut-être trouver moyen de
faire marcher l'administration sans recourir aux me-
sures extrêmes. Le gouverneur informait ensuite le
ministre du résultat produit par la récente dissolution.
(1) — Documents constitutionnels, (1791-1818), p. 476.
COURS d'histoire du canada 45
La chambre nouvelle était plus hostile que la précé-
dente, des députés modérés avaient été remplacés par
des députés irréconciliables. Sir John Sherbrooke écri-
vait cette phrase significative: "Je ne puis éviter de
soumettre à Votre Seigneurie mon humble opinion
que dans ce pays, où la salutaire influence du gouver-
nement ne peut se faire sentir comme en Angleterre,
le moyen énergique de la dissolution doit presque tou-
jours produire plus de mal que de bien." (1)
Le ministre des colonies s'était préoccupé d'avan-
ce du résultat possible de l'attitude qu'il avait dictée à
?ir Gordon Drummond. Et coup sur coup, le 31 mai
et le 7 juin 1816, il avait écrit au nouveau gouverneur
deux lettres que celui-ci n'avait pas encore reçues lors-
qu'il communiquait au ministre ses doutes quant à la
dissolution. Dans la première loid Bathurst mani-
festait l'appréhension que la Chambre récemment élue
fût animée des mêmes dispositions que l'ancienne, et
il envisageait l'éventualité de sa répugnance à voter
les lois fiscales nécessaires au service public. En pré-
vision d'une telle attitude, il importait de déterminer
aussi exactement que possible le chiffre du revenu
placé à la disposition de la Couronne, indépendamment
des bills votés d'année en année par la législature, et
de retenir pour le gouvernement tous les fonds prove-
nant, soit de cette source, soit de toute autre sur la-
quelle l'administration pouvait actuellement compter.
II précisait ainsi sa pensée: "Si la conduite de la nou-
velle Assemblée correspond à celle de la précédente, ré-
cemment dissoute, vous verrez évidemment la néces-
sité de ne pas défrayer à même les fonds dont peut dis-
poser la Couronne aucune dépense à laquelle la légis-
(1) — Documents constitutionnels, (1791-1818), p. 494.
46 COURS d'histoire du canada
lature a jusqu'ici pourvu hai^itucllcmcnt au moyen
de subsides annuels. Et il incombera au gouverne-
ment de Sa Majesté de décider, après avoir fait une
revue de toutes les charges actuelles de la colonie com-
parées avec ses lessources fiscales, jusqu'à quel point
les dépenses auxquelles on pourvoyait annuellement
pourront être soldées à même les revenus permanents
de la Couronne". (1) Ce passage indiquait déjà les
prédispositions du bureau colonial relativement à la
question des finances.
Dans sa seconde lettre, lord Bathurst, par une
sorte d'intuition des perplexités que devait éprouver
le successeur de sir Gordon Drummond, lui donnait
des directions assez larges relativement à la dissolu-
tion. Il lui disait en substance: "Quand vous verrez
quelqu'autre moyen de résister aux empiétements de
l'assemblée, vous éviterez de recourir à cette mesure
extrême. Jusqu'ici le gouvernement a pu compter
sur la fermeté du Conseil législatif, et il y a lieu de croire
que ce corps continuera à réagir contre l'attitude
inconsidérée et violente de la Chambre. Il sera donc
désirable que vous vous serviez de son assistance pour
faire contre-poids à l'assemblée, plutôt que de mettre
votre autorité et celle du gouvernement de Sa Majesté
en conflit direct avec elle, lui donnant ainsi un pré-
texte de refuser les subsides nécessaires au service." (2)
Evidemment les préoccupations financières commen-
çaient à occuper une large place dans l'esprit du se-
crétaire colonial.
Dans une troisième lettre, datée du 30 septembre
(1) — Documents constitutionnels (1791-1818), p. 492; Bathurst
à Sherbrooke, 31 mai 1814.
(2)— Documents constitutionnels (1791-1818), p. 493.
COURS d'histoire du canada 47
1816, il revenait à la charge. Cette fois il avait reçu
la dépêche dans laquelle Sir John Sherbrooke lui avait
manifesté son peu d'inclination pour la politique de
dissolution. Et il lui donnait les explications suivan-
tes: "La raison de nos instructions à sir Gordon Drum-
mond", (dans laquelle il lui enjoignait de dissoudre la
Chambre si elle persistait dans sa campagne contre
les juges), "était l'information, reçue de personnes bien
au courant des conditions de la province que le revenu
permanent pourrait défrayer, en temps de paix, les dé-
penses nécessaiies du gouvernement civil sans l'assis-
tance de la législature. Conséquemment on pourrait
se dispenser de tenir l'Assemblée en session si elle se
montrait disposée à revenir sur les questions qui ont
déjà été considérées et décidées par Son Altesse Ro-
yale le prince Régent en conseil. Toute cette politi-
que de prorogations et de dissolutions répétées tourne
sur ce point. Car je crois comme vous que, dans les
circonstances présentes, on peut difficilement attendre
d'une élection générale une amélioration dans la com-
position de l'Assemblée. Ainsi donc si vous étiez
d'avis que la session de la chambre ne saurait être re-
mise ou que vous possédiez le mojen d'enrayer les effets
de sa violence intempérante, vous pourriez vous con-
sidérer absolument libre d'exercer votre discrétion
dans l'exercice du pouvoir de prorogation ou de disso-
lution." (1)
Ecartant toutes les périphrases, si l'on allait au
fond de la pensée .du ministre telle qu'il la laissait en-
trevoir dans ces lettres, on constatait chez lui une
forte tendance à traiter l'assemblée comme quantité
négHgeable, pourvu que les revenus mis d'avance à la
(1) — Documents constitutionnels (1791-1818), p. 495.
4
48 COURS d'histoire du canada
disposition de la Couronne par des lois permanentes
fussent suffisants pour solder les dépenses du gouver-
nement civil. Dans ce système, la Chambre persistant
à s'occuper de questions désagréables au gouvernement
impérial, on eût à répétition dissout ou prorogé la Lé-
gislature, en recourant toutefois plutôt à la proroga-
tion qu'à la dissolution. C'eût été rendre complè-
tement illusoire le régime parlementaire que William
Pitt nous avait accordé en 1791.
Sir John Sherbrooke était trop clairvoyant pour ne
pas comprendre qu'une telle politique était impratica-
ble dans les conditions où se trouvait le Bas-Canada.
Elle ne pouvait avoir pour lésultat que de créer un
conflit systématique et permanent entre la chambre
populaire et la métropole, ce qui entraînerait de très
graves conséquences. Le gouverneur se disait avec
assez de raison que la cause immédiate des difficultés
présentes n'était après tout qu'une question personnelle.
II fallait lechercher l'origine de cette crise dans
l'hostilité violente de la Chambre envers le juge en
chef. Laissé à lui-même sir John Sherbrooke eût
vraisemblablement essayé de la dénouer en faisant
agréer à M. Scwell une retraite honorable. Dans une
longue et importante lettre datée du 10 octobre 1816,
il faisait au ministre un exposé très lucide de la situa-
tion. II lui représentait combien le juge Sewell était
impopulaire auprès de toutes les classes de la popula-
tion canadienne, et dans toutes les parties de la pro-
vince. Quel qu'en fût le motif, le fait était indéniable.
Le triomphe apparent du haut magistrat n'avait fait
qu'accroître ce sentiment. Il était partagé à un très
haut degré par le clergé catholique lui-même, qui avait
eu beaucoup à se plaindre des opinions et des théories
de M. Scwell lorsque celui-ci était procureur général.
COURS d'histoire du canada 49
Le gouverneur exprimait l'avis que, si l'on eût jugé op-
portun d'entendre les deux parties dans l'affaire de
rimpeachment, on aurait pu espérer un dénouement
pacifique, même avec un jugement défavorable aux
prétentions de la Chambre, celle-ci ne pouvant alors
se plaindre qu'on eût rendu contre elle une décision
ex parte. Après la victoire du juge devant le Conseil
privé, sir John Sherbrooke insinuait qu'il eût été ha-
bile d'induire M, Sewell à demander sa retraite. Ce-
pendant, puisque le ministre avait décidé de mainte-
nir le juge en chef, le gouverneur déclarait qu'il se ren-
drait aux désirs du gouvernement impérial en appu-
yant le magistrat dénoncé à la fois par la chaire et le
barreau, au risque de compromettre son influence au-
près du clergé, l'harmonie de la province et le dévelop-
pement de ses intérêts. Il mettrait tous ses soins à
établir la bonne entente entre lui et l'évêque catho-
lique, à qui il avait déjà donné des preuves de ses bon-
nes dispositions. Ce serait cependant tromper le mi-
nistre que de lui faire espérer un changement de senti-
ments dans le clergé et le peuple en ce qui concernait
le juge en chef. La discussion n'avait pu les persuader,
la coercition ne pourrait qu'enraciner plus profondé-
ment leur antipathie. Dans l'opinion des hommes
modérés et bien informé, son aurait beau entasser pro-
rogation sur prorogation et dissolution sur dissolution,
il y aurait plutôt une révolution dans le pays qu'une
modification de la mentalité canadienne à l'égard du
magistrat détesté.
Après avoir ainsi exposé la situation, sir John
Sherbrooke passait aux moyens que l'on suggérait
pour remédier au mal. II mentionnait la nomination
d'un agent de la province en Angleterre longtemps
désirée, mais empêchée par l'opposition du Conseil
l:
50 COURS d'histoire du canada
législatif, où le juge en chef exerçait une grande influence.
La plupart des colonies étaient représentées dans
la métropole. Si un tel agent eût été nommé, l'As- '
semblée aurait pu soutenir devant le Conseil privé
sa mise en accusation. Un autre moj'en serait de dé-
^ tacher M. Stuart, le principal instigateur des impeacb-
ûom ments, du parti avec lequel il s'était ligué, et qui sans
lui_perdrait_ vraisemblablement de sa vigueur. On y
^ jtxXJtU parviendrait peut-être par l'appât de l'intérêt person-
nel. Mais, suivant l'observation d'un mémorialiste
contemporain, c'était là une manœuvre bien délicate.
Et nous verrons qu'en fin de compte on recourut à une
autre tactique, plus propre à atteindre le but désiré.
Cette dépêche du gouverneur (1) mettait en lu-
mière son intelligence de la situation et sa juste appré-
ciation des caractères et des circonstances. Elle dé-
notait chez lui un grand sens gouvernemental. Sous
une forme respectueuse, sir John Sherbrooke témoi-
gnait au ministre sa répugnance pour la politique de
prorogation et de dissolution, et sa préférence pour
^^ une judicieuse politique de conciliation, qui permet-
)yQaa^(or> trait de faire fonctionner normalement l'administra-
tion de la province. Cet officier général, formé dans
,>iiOn [gg camps où il avait servi avec une grande distinction
"'^''" . sous Wellington, aux Indes d'abord puis dans la Pé-
^ ninsule (2), avait compris qu'il importait de ne pas
transplanter dans la vie civile la rigueur inflexible de
la discipline militaire. Naturellement violent, il put
cependant jouer ici un rôle de pacificateur. Nous esti-
mons qu'il mérite d'être rangé parmi ceux de nos gou-
(1) — Archives du Canada, Q. 137, p. 185.
(2) — Memoirs oj Sir John Coape Sherbrooke, — Lije and Letters of
Viscount Sherbrooke, par A. Patchctt Martin, t. II, p. 539.
COURS d'histoire du canada 51
verneurs qui ont le mieux compris la nature de la mis-
sion qu'ils devaient remplir comme représentants de
la Couronne dans le Bas-Canada.
II n'est peut-être pas hors de propos d'étudier ici
brièvement ce que pouvait être la mentalité d'un gou-
verneur britannique, placé à la tête de notre adminis-
tration coloniale durant cette période de notre histoire.
Nous ne parlons pas d'un Craig, nous entendons un
gouverneur impartial, clairvoyant et bienveillant. Si
vous le voulez bien nous allons faire ensemble un rapi-
de inventaire des idées, des prédispositions, des senti-
ments qui devaient influer sur ses actes. Disons-nous
tout d'abord qu'il eût été anormal de rencontrer chez
lui une conception identique à la nôtre relativement
aux relations du Canada avec la métropole, des Ca-
nadiens avec le pouvoir britannique. II ne pouvait
penser, il ne pouvait sentir, il ne pouvait juger exac-
tement comme s'il fût né sur les rives du Saint- Lau-
rent. Anglais, il ne pouvait envisager comme un Ca-
nadien les événements et les situations ? Fonctionnaire
impérial, il ne pouvait avoir sur le gouvernement de
la province les mêmes vues qu'un membre d'une as-
semblée coloniale. Relativement à la question de race,
on devait s'attendre à ce qu'il fût animé d'un dou-
ble sentiment. Fier de sa nationalité anglo-saxonne,
des traditions et des institutions sur lesquelles étaient
assises la force et la grandeur de son pays, comment
n'aurait-il pas en lui-même estimé désirable que les Ca-
nadiens finissent par s'assimiler à la langue et aux idées
anglaises, et regrettable qu'ils demeurassent réfrac-
taires à cette assimilation. Cependant ce désir et ce
regret n'irait pas jusqu'à vouloir les angliciser mai-
gré eux. Non, puisqu'ils restaient opiniâtrement at-
tachés à leur langue, à leur église, à leurs coutumes, il
52 COURS d'histoire du canada
serait injuste et impolitique de les violenter. Il fau-
drait donc accepter le fait canadien, avec l'espoir plus
ou moins incertain que le temps et les circonstances
amènerait l'évolution souhaitée. En attendant il im-
porterait d'assurer le fonctionnement régulier de l'ad-
ministration bas-canadienne. Et, dans ce but, on
h^^ s'appliquerait à traiter l'élément qui composait l'im-
' ji ,^,1.^ mense majorité de la population de manière à gagner
son concours. Un manitestcrait le plus grand respect
pour la religion et le clergé catholiques. Les Canadiens
seraient appelés à participer au gouvernement et on
leur ouvrirait les fonctions publiques. Mais cette po-
litique d'équité ne pourrait aller jusqu'à supprimer ou
affaiblir la prérogative de la Couronne. Cette préro-
gative, graduellement entamée dans la métropole par
les progrès toujours constants du contrôle et de la
puissance parlementaires, demeurait un dogme intan-
gible quand il s'agissait des coloniesj Là-bas, sous la
Régence, durant la longue éclipse intellectuelle du mo-
narque qui avait été si jaloux de son autorité, on com-
mençait à dire: "Le roi règne et ne gouverne pas. "Mais
les ministres britanniques persistaient à croire qu'il
était de saine politique de ne pas étendre aux colonies
le principe du self government. A leurs yeux le parle-
mentarisme n'était pas un article d'exportation. Ici
donc, conformément à cette doctrine, le gouverneur
gouvernerait. Seulement, lorsqu'il s'appellerait Prévost
ou Sherbrooke, il tiendrait compte des vœux de la ma-
jorité et s'efforcerait de lui donner des satisfactions rai-
sonnables, propres à faire obtenir la législation requise
pour l'efficacité de l'administration. Il résulterait de
toutcela une situation spéciale. Ce ne serait pas le gou-
vernement constitutionnel dans toute sa plénitude, ce
serait un moyen terme. Ce ne serait pas le gouverne-
COURS d'histoire du canada 53
ment de la majorité, ce serait le gouvernement de la
Couronne, dont le représentant, par la loyauté et la sin-
cérité de son attitude, obtiendrait le concours de la ma-
jorité.
Telles devaient être à ce moment les vues, les idées
directrices d'un gouverneur colonial, j'entends d'un
bon gouverneur. Espérer, attendre de lui davantage
eût été une chimère, et rien de plus dangereux que
les chimères en politique. Pour bien comprendre
et pour justement apprécier les hommes, l'historien
doit avant toute chose ne pas les dissocier de l'épo-
que et des circonstances de leur évolution. La théorie
deTaine sur la race, le milieu et le moment, qu'il déve-
loppa dans une introduction célèbre, excessive et fausse
SI on l'érigé en une règle scientifique absolue, a sa va-
leur indéniable en histoire comme moyen d'analyse
et de critique. C'est en tenant compte de ces éléments
qu'on peut arriver à une intelligence plus exacte des
événements et des personnages. Ils nous aident à dis-
cerner ce qui était possible à tel moment, et ce qui,
par contre, était non praticable. Ils nous expliquent
pourquoi, par exemple, ni Dorchester, ni Prévost, ni
Sherbrooke n'auraient pu dire à la majorité canadienne,
envers laquelle ils voulaient cependant être équitables:
"Nous allons vous donner la prépondérance absolue
dans les conseils exécutifs et législatifs, et nous ne fe-
rons rien que d'après vos avis et vos idées." Cela eût
constitué un anachronisme. C'eût été le régime qui ne
devait triompher qu'après 1841. Ce ne pouvait être le
régime de 1818. L'heure du gouvernement respon-
sable n'avait pas encore sonné.
Cependant la constitution de 1791 et le dévelop-
pement de notre vie politique nous acheminaient len-
tement vers ce nouvel ordre de chose. A l'époque
54 COURS d'histoire du canada
que nous étudions, et depuis les crises provoquées par
les violences maladroites de sir James Craig, les deux
forces rivales étaient en présence. Et chacune était
respectivement dans son rôle naturel. Il était naturel
que l'Assemblée s'efforçât d'étendre sa juridiction et
son pouvoir. II était naturel que les gouverneurs
fissent en sorte de maintenir la prérogative de la Cou-
ronne et d'empcchcr qu'elle ne fût supplantée totale-
ment par l'autorité de la Chambre. Pour que nos ins-
titutions pussent fonctionner efficacement, pendant
cette période d'un régime que je serais tenté d'appeler
semi-constitutionnel, il fallait donc de part et d'autre
de la sagesse et de la modération. Demander à nos
gouverneurs l'abandon de la prérogative eût été pré-
maturé. Mais oïL avait droit d'attendre d'eux l'im-
M partialité, l'équité, la largeur d'esprit, le respect des
droits, des convictions, des revendications légitimes
de la majorité. Malheureusement le sens politique man-
qua souvent aux gouverneurs, et fit parfois défaut à la
majorité. Nous verrons la prérogative de la Couronne
et la juridiction parlementaire se heurter de plus
^ en plus. Au lieu de coopération il y aura mésintelli-
gence, jusqu'à ce que le conflit devenu chronique abou-
tisse à une catastrophe finale, qui nous apportera, par
un contre-coup étrange, la réalité du gouvernement
parlementairejMais lorsqu'il eût été possible d'y at-
teindre au moyen d'une évolution pacifique, nous y
devions parvenir par la voie des crises et des épreuves
douloureuses.
Cette heureuse évolution se fût assurément ac-
complie si nous eussions toujours eu des gouverneurs
>/ comme sir John Sherbrooke. Son administration ne
dura que deux ans, et elle démontra quelle entente favo-
rable au bien public pouvait s'établir entre un chef
COURS d'histoire du canada 55
(f exécutif impartial et la Chambre bas-canadienne.]
Nous allons étudier son action dans les quatre questions '
principales dont il eut à s'occuper: celle des accusations i5si;Çs
contre les juges en chef; celle de la mise en accusation t)\
du juge Foucher, source de nouvelles complications; '^
celle du status de l'évêque catholique; enfin celle des
subsides, destinée à engendrer tant de débats et de |
conflits. ^
Le tempérament de la Chambre élue en mars 1816 |
ne faisait augurer rien de bon pour la session qui de-
vait s'ouvrir au commencement de 1817. Il était
évident que la majorité de l'Assemblée, dirigée par
l'impétueux et vindicatif James Stuart, allait remettre
en question l'acquittement ex parte des juges Sewell
et Monk. Après la décision du Conseil privé, tribu-
nal suprême de l'empire, le ministère britannique ne
voulait pas admettre que l'assemblée eût le droit de
revenir à la charge. Ceci rendait la situation du gou-
verneur extrêmement embarrassante. Si la Chambre
persistait à s'occuper des impeachments, il ne pouvait
consentir à lui servir d'intermédiaire auprès du gou-
vernement impérial, sous peine d'être censuré par ce-
lui-ci. II lui fallait donc se mettre en conflit avec la
députation. D'autre part le recours aux prorogations
ou aux dissolutions réitérées lui répugnait, parce que
leur résultat inévitable devait être de paralyser la lé-
gislation et d'entraver le progrès de la province. La
seule issue satisfaisante était d'empêcher l'Assemblée
de rouvrir la question. Mais comment y parvenir?
Sir John Siierbrooke, conscient de la difficulté et con-
vaincu que la manière forte n'aboutirait qu'à un échec,
résolut de demander à la conciliation ce que la coerci-
tion n'aurait su obtenir.
Une circonstance particulière lui avait heureuse-
^w-|)e/Kk'^
J
56 COURS d'histoire du canada
ment préparé les voies. Quelques semaines après son
arrivée dans la province plusieurs districts s'étaient
trouvés menacés de disette par suite de gelées hâtives.
Le gouverneur se mit en rapport avec Mgr Plessis, qui
adressa une circulaire à ses curés pour obtenir des in-
formations concernant l'étendue des dommages et les
besoins les plus urgents des populations éprou\ées.
Puis, sans perdre un instant, il organisa des envois de
(j^„Ô, vivres et de grains pour les semailles futures dans
rtddf W toutes les régions où la famine était imminente. (1)
Cette promptitude d'action bienfaisante lui valut la
gratitude du peuple et du clergé. Ses relations avec
[J] l'évêque de Québec devinrent bientôt excellentes. Il
^yjv en profita pour exposer loyalement à celui-ci ses dis-
positions et son désir d'amener une détente dans la si-
tuation politique. Et il réclama son concours pour cette
œuvre d'apaisement. Cet appel s'adressait à un hom-
me dont la bonne volonté ne pouvait être douteuse.
Mgr Plessis considérait comme un malheur la mésin-
telligence entre les pouvoirs publics et nos chefs parle-
mentaires. En présence de proconsuls césariens com-
me sir James Craig, il pouvait se dresser dans toute
la force de son caractère et de sa mission pour protéger
les droits de son église et de son peuple, et prononcer
avec une énergie indomptable le ?îon possumus de la
conscience et du droit. Mais lorsque l'autorité civile,
renonçant à l'arbitraire, se montrait équitable et loya-
le, il croyait accomplir un devoir en facilitant au-
tant qu'il le pouvait le retour de la concorde. Con-
vaincu que le gouverneur était animé d'intentions
(1) — Sherbrooke à Batburst, 22 novembre ISlô; Papiers d'Etat
du Bas-Canada, Q. 137, p. 30.3; Mandements des évêques de Qué-
bec, t. III, p. 138.
COURS d'histoire du canada 57
droites, il n'hésita pas à exercer son influence auprès
des membres les plus importants de la députation,
pour les prémunir contre le danger des décisions trop
promptes et des résolutions trop intransigeantes. (1)
Malheureusement dès le début de la session qui 1
s'ouvrit le 15 janvier 1817, la situation se comphqua
d'une nouvelle mise en accusation, dirigée cette fois
contre un juge puîné de la cour du banc du roi de
Montréal, monsieur le juge Foucher. Le 25 janvier, Puodier
M. Cuvillier, député de Huntingdon, traduisit devant
la Chambre ce magistrat, coupable, suivant lui, de plu-
sieurs actes contraires à ses devoirs et attentatoires à
la dignité judiciaire. II est bon d'observer que les
faits allégués n'avaient aucun rapport avec la politi-
que et concernaient uniquement la conduite du juge
envers des avocats et des parties dans des causes plai-
dées devant lui. (2) Une enquête fut ordonnée, le
comité spécial nommé à cette fin présenta un rapport pi^^^I'W
hostile au juge, et la Chambre, s'appuyant sur ces pro- '
cédures, adopta une adresse au prince Régent dans la-
quelle on demandait la destitution du magistrat incri-
miné. En même temps qu'elle présentait cette adresse
au gouverneur pour qu'il la transmit à Son Altesse Ro- ^iQjXçJiyeiiS
yale, elle le priait de suspendre de ses fonctions le juge VoG»oO
Foucher, en attendant la décision des autorités impé- X'y.p,
riales. Cet' incident ajoutait aux embarras du chef
de l'exécutif. Désirant obtenir de l'Assemblée l'aban-
don ou l'ajournement indéfini des procédures contre
les juges en chef, il ne voulait pas heurter de front la
(1) — Sherbrooke à Batburst, 1er février 1817; Archives du Ca-
nada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 134, p. 126.
(2)— Papiers d'Etat du Bas-Canada. Q. 143, p. 292.
re<jerit
Lr
odi«2^
58 COURS d'histoire du canada
majorité. D'autre part il lui répugnait de prendre
une décision préjudicielle en suspendant par un acte
Kcr Kon exécutif le juge mis en accusation. II résolut de faire
prA Vp r une démarche équivalente, mais moins grave. II de-
manda au juge de ne pas siéger tant que la question
serait en suspens. Et il annonça qu'il soumettait au
prince régent les articles d'impeachment. Pour le mo-
**^^'^ ment l'incident était clos. Anticipant quelque peu
' "^ sur les dates, disons immédiatement quelle en fut l'issue.
Le bureau colonial, après avoir considéré le cas, prit
une attitude nouvelle. II décida que dorénavant les
mises en accusation décrétées par l'Assemblée seraient
déférées au Conseil législatif, qui agirait ainsi comme
une sorte de haute cour. Durant l'instance il ne pou-
vait y avoir d'objection à ce que l'accusé fut suspendu
de ses fonctions, eu égard au fait que la cause instruite
au Canada n'entraînerait pas de longs délais. Cette
décision constituait une innovation dans notre régime.
' ^ ,- Le Conseil législatif se trouvait investi d'une fonction
or qui n'avait pas été prévue par les auteurs de la cons-
fjfrrs, ht/ titution. Quelle serait la procédure à suivre ? Pour
^ donner effet à la dépêche du ministre des colonies,
faudrait-il faire voter une loi par la législature ? Se-
rait-il nécessaire d'émettre une commission sous le
grand sceau de la Couronne afin de donner aux mem-
bres du Conseil législatif le pouvoir judiciaire ?
Ou bien devait-on considérer la dépêche ministérielle
''comme investissant directement le Conseil de la juri-
diction nécessaire ? La question donna lieu à des
opinions divergentes de la part des ofTicicrs en loi de
la Couronne dans la province, ainsi que des juges de
Montréal et de Québec. Finalement sir John Sher-
brooke fit au ministre des représentations relatives au
danger qu'il y avait de laisser ces accusations contre
tO'irO'
COURS D HISTOIRE DU CANADA
59
les juges en proie à l'esprit de parti, tant clans l'Assem-
blée que dans le Conseil. Et il concluait en recom-
mandant que, "dans tout cas d'impeachment par la
Chambre, le gouverneur reçût instruction de transmet-
trêves accusations, avant de les soumettre au Conseil
législatif, au gouvernement de Sa Majesté, afin que
celui-ci décidât s'il était opportun de permettre l'ins-
truction^ de la cause devant ce corps." Ceci amena le
ministre à modifier sa décision. Et il informa le gou-
verneur que la procédure dans le cas du juge Foucher
devrait être la suivante. La Chambre adresserait au
représentant de la Couronne toute sa preuve documen •
taire à l'appui des accusations. Copie de ces accusa
tions et de cette preuve seraient communiquée à ce
juge afin qu'il pût offrir une réponse et une défense,
lesquelles seraient transmises à l'Assemblée de ma-
nière à ce qu'elle pût y répliquer. Et le tout serait
déféré au prince régent pour détermination ultérieure.
Mais cet échange de vues, ces opinions légales, ce va-
et-vient de dépêches occupèrent près de deux ans. Quand
cette dernière décision du bureau colonial fut commu-
niquée à la Chambre durant la session de 1919, l'animo-
sité contre le juge Foucher semblait s'être apaisée.
L'Assemblée n'adopta aucune procédure. Et en fin
de compte le juge reprit ses fonctions judiciaires sans
entendre parler davantage de sa mise en accusation. (1)
Sa suspension, que je serais tenté d'appeler offi-
cieuse, et le message par lequel sir John Sherbrooke
annonçait la transmission de l'acte d'accusation en
1 \jd 0^
(1)— Christie, t. II, pp. 296, 301; t. VI, pp. 3.44-366; Papiers
d'Etat du Bas-Canada,Q. 143. p. 295; 147 pp. 16-69; 148-1, pp. 148-
157; 148-2, pp. 410; 152-1,-2, pp. 156-163; Documents constitu-
tionnels (1791-1818), pp. 507-540.
fi
60 COURS d'histoire du canada
•
Angleterre, à la session de 1817, avaient temporaire-
ment débarrassé le gouverneur de cette complication.
Et c'était essentiel. Ce sursis lui laissait le champ
libre pour chercher une solution pacifique à l'autre
affaire, beaucoup plus grave, celle des juges Sewell et
Monk.
I Dès la seconde semaine de la session, M. James
Stuart l'avait ramenée devant la Chambre. Il avait
fait voter une résolution décrétant que l'Assemblée
„.>.^^| siégerait en comité général le 22 février, pour prendre
en considération la question des impeachments contre
les juges en chef de Québec et de Montréal. Cepen-
dant les influences conciliatrices semblaient déjà se
faire sentir, car il avait échoué dans deux motions an-
térieures dont l'objet était identique. Malgré ces in-
dices d'hésitation de la part de la Chambre, le gouver-
neur redoutait toutefois de ne pouvoir parvenir à
écarter le conflit. Mais à ce moment deux circons-
tances vinrent à son aide. M. Stuart fut appelé par
des affaires urgentes à Montréal. Et la Chambre
adressa au gouverneur une pétition qui lui ouvrit une
perspective dont il s'empressa de prohter.
_ A la session de 1814, M. Jean-Antoine Panet, ora-
teur de l'assemblée depuis 1792, sauf une interruption
e\ de deux ans, ayant été nommé conseiller législatif, le
Ifc^ fauteuil présidentiel était devenu vacant, et M.Louis-
i^yCi^lor Joseph Papineau avait été élu pour le remplacer. Jus-
que-là l'orateur n'avait pas de salaire. Considérant
que ceci était une anomalie, les amis de M. Papineau
firent adopter un bill décrétant que le président de la
Chambre recevrait quatre mille piastres annuellement
durant le parlement en cours. Cette loi, réservée pour
la sanction royale, fut sanctionnée après un assez long
retard. Mais juste à ce moment intervint la dissolu-
COURS d'histoire du canada 61
tion soudaine de 1816. Une nouvelle législature en-
trait en existence et tout était à recommencer. Le 11
mars 1817, la Chambre adopta donc une adresse de-
mandant au gouverneur de vouloir bien accorder à son
président, à même les fonds de la province, un salaire
proportionné aux devoirs importants et ardus de sa
charge Or, deux ans auparavant, le Conseil législatif
avait lui aussi soumis au gouverneur du temps une de-
mande analogue pour son président. Evidemment, si
l'on donnait un salaire à l'un des orateurs il était dif-
ficile de le refuser à l'autre. Sir John Sherbrooke, dans
sa réponse à la Chambre, rappela cette démarche an-
térieure du Conseil et se déclara prêt à accorder une
juste et convenable rémunération au président de l'As-
semblée, pourvu qu'il fût assuré qu'on ratifierait une
rémunération semblable au président du Conseil. II
ne faut pas l'oublier, ce président du Conseil était pré-
cisément le juge Se\vell. Lui voter un salaire addi-
tionnel c'était se mettre dans une singulière situation
si l'on voulait pousser à fond les accusations contre
lui. Mais les amis de M. Papineau tenaient énormé-
ment à lui assurer le traitement auquel il avait droit '^^V
Ils entraînèrent l'adhésion de la majorité, et le 14 mars
la Chambre iiemine contrùdicente, assurait le gou- , .
verneur "qu'en faisant bon pour les sommes que Son .
Excellence ferait débourser pour le paiement du sa-
laire de l'orateur de l'Assemblée, elle ferait aussi bon J- Se-vjç,
pour les sommes que Son Excellence ferait débourser
pour le paiement du salaire de l'orateur du Conseil
législatif." (1) Immédiatement Sir John Sherbrooke
informait l'Assemblée qu'en conséquence de ses adresses,
(1) — Journal de la Chambre d'assemblée du Bas-Canada, 1817,
p. 807.
lOOVi,
62 COURS d'histoire du canada
il attribuait à chacun des orateurs un salaire an-
nuel de mille louis courant, ou quatre mille piastres par
année, à dater du commencement de ce parlement.
Ce résultat comblait les voeux du gouverneur qui dé-
sormais pourrait compter sur le bon vouloir de la
Chambre et attendre de pied ferme la rent*fée de M.
Stuart.
Celui-ci avait pu constater, à son retour de Mont-
réal, la vérité du proverbe: "Les absents ont tort".
En apprenant ce qui s'était passé, il avait dû se dire
que la majorité échappait à son emprise. Mais il
était opiniâtre et intrépide et il monta quand même
à l'assaut. Le 22 mars il proposait sa motion pour
que la Chambre prit en considération la question des
impeacbments. Le débat fut long, mouvementé et
dramatique. M. Stuart y déploya toutes les ressour-
ces de son éloquence et de sa dialectique. "Jamais
cause ne fut soutenue avec plus de puissance ni avec
un plus brillant déploiement de talent oratoire", écrit
un contemporain. Mais cet effort suprême était
voué d'avance à la défaite. L'atmosphère de la
Chambre était changée. A l'issue d'un des débats les
plus mémorables de cette époque, qui se prolongea
jusqu'aux heures matinales, la motion de M. Stuart
fut rejetée, et par 22 voix contre 10 on adopta un
^^ I amendement de M. Ogden décrétant que la prise en
considération des impeacbments serait remise à la pro-
chaine session. C'était ce que nous appelons de nos
jours le six monlhs hoist, ou, en termes moins parlemen-
taires, l'enterrement de première classe. Humilié de
sa défaite et furieux de n'avoir pas été suivi jusqu'au
bout par la majorité, dont, pendant deux ans, il avait
paru être le leader, M. James Stuart s'en retourna à
Montréal le lendemain du vote qui marquait l'avorte-
COURS d'histoire du canada 63
ment de sa campagne. (1) Et il ne devait reparaître'^
à la Ch^rm^fe que bien des années plus tard, et dans un
rôle très différent, celui de champion de l'administra-
tion et d'adversaire acharné du parti populaire. Tem-
pora mutantur et nos mutamur in illis.
Il n'est pas indifférent de noter que, dans le dé-
bat final, M. Stuart avait raison quant à la question
de forme. Son argumentation était sans réplique
lorsqu'il reprochait au ministère d'avoir fait rendre en
faveur des juges une décision ex parte. Comme l'avait
fait observer sir John Sherbrooke, on devait regretter
que les accusateurs n'eussent pas eu l'occasion d'être
entendus devant le Conseil privé. Il en allait autre-
ment quant au fond de la question, quant au mérite
et à l'opportunité des mises en accusation. Le fou-
gueux dénonciateur ne pouvait appuyer ses attaques
(1) — Christie, t. II, p. 290; Journal de la Chambre d^Assem-
blée du Bas-Canada, 1817, pp. 905-907; Pierre de Salles Later-
rière, A Political Account oj Lower Canada, p. 59. — Le nom de
l'auteur ne figure pas sur ce livre, il est signé: A Canadian. On y
trouve une page curieuse sur l'incident politique raconté plus
haut. "L'orateur de la Chambre basse, écrit M. Laterrière, en
soutenant les accusations des Communes (c'est-à-dire de hi
Chambre d'Assemblée) contre l'orateur du Conseil législatif, ris-
quait de perdre un salaire de 1,000 louis, par année, que la Cham-
bre lui avait voté et que le gouverneur était disposé à sanction-
ner pourvu que la même somme fût votée à l'orateur du Conseil.
La Chambre ne pouvait refuser de voter ce dernier salaire, à
moins que son orateur, sacrifiant son propre intérêt, ne l'enga-
geât à maintenir fermement sa détermination qu'elle avait prise
dans une question où son honneur et le bien public étaient en
jeu. Malheureusement l'orateur, M. Papineau,. adopta une
vue différente. II fit entendre à la Chambre qu'après la décision
du Conseil privé en Angleterre il était dangereux de pousser
plus loin l'affaire, que la persistance dans V impeacbment provo-
querait une dissolution, et que dans la situation critique de
5
64 COURS d'histoike du canada
que sur des motifs futiles, en ce qui concernait les rè-
gles de pratique, ou sur des griefs politiques réels, mais
d'une telle nature qu'il était impossible pour le gou-
vernement britannique de les reconnaître comme de
valables raisons cVimpeachrnent.
Cette campagne mal engagée se terminait, il faut
bien l'admettre, de façon peu brillante. Résultat
inattendu et singulier, le principal personnage visé
par l'accusation en sortait avec un accroissement de
fortune et de prestige. Malgré tout, mieux valait ce
dénouement sans gloire que la prolongation d'une
crise dont l'objet ne justifiait pas les risques. En
somme la diplomatie de sir John Sherbrooke avait
rendu service à la majorité, en la dégageant d'un con-
flit malencontreux où l'avait poussée un meneur vin-
dicatif, qui exploitait ses légitimes rancœurs.
Le gouverneur pouvait se féliciter du résultat de
ses efTorts pacificateurs. La session de 1817, ouverte
l'Assemblée vis à vis du Conseil législatif, il serait sage d'ajour-
ner la question à une autre session. L'événement devait prou-
ver que ceci n'était qu'un subterfuge au moyen duquel la Cham-
bre échapperait à toute discussion ultérieure de ce sujet. II est
juste d'observer, cependant que, sauf cette exception, toute la
conduite de l'orateur, dans sa longue carrière politique, a é^té
sans reproche et de nature à lui mériter l'approbation et la con-
fiance de ses compatriotes". M. Laterrière ajoute que le gou-
verneur dut en outre, dans cette affaire, mettre en œuvre toutes
les ressources du patronage. Il fait un grand éloge de M. Stuart
qu'il appelle "un homme de génie et de talent supérieur", et dé-
clare "regrettable, pour l'honneur de ceux qui lui avaient pro-
mis leur appui, qu'ils l'aient abandonné dans un moment criti-
que". Ces appréciations, quelles que soient leur justesse,
sont celles d'un témoin de visu et auditu. "J'étais présent moi-
même au débat, écrit-il, et je parle suivant mes impressions que
j'éprouvai k ce moment." (A Political and Historical Account
of Lower Canada, pp. .'ïG-Gl.)
COURS d'histoire du canada 65
sous de fâcheux auspices, se terminait dans J'Iiarmo- ''^' ' ^^-'''^
nie. Rien ne fait mieux comprendre la détente qui
s'était produite, que le discours prononcé par l'orateur
de la Chambre, M. Papineau, le jour de la prorogation,
en présentant au gouverneur les bills relatifs aux re-
venus et à l'affectation de certains crédits. Quel-
ques passages indiquent l'esprit dont il était animé.
Un des projets de loi présentés avait pour objet d'inau-
gurer l'inoculation de la vaccine. Et cela inspirait à
M. Papineau les considérations suivantes: "Ce n'est
pas parce que la mère-patrie a donné naissance à l'hom-
me de talent, à l'observateur réfléchi et constant qui a
fait cette belle découverte, qu'elle a la gloire et le bon-
heur d'être appelée la bienfaitrice des nations. C'est
parce que ses lumières, l'esprit public, les sentiments
généreux sont depuis longtemps généralisés en Angle-
terre, que la découverte du docteur Jenner y a été
mieux accueillie qu'elle ne l'eût été ailleurs, qu'elle y
a en un instant inspiré ce vertueux enthousiasme qui
a déjà porté l'usage de l'inoculation de la vaccine dans
les quatre parties du monde. Animés par la considé-
ration du bien que nous faisons à notre pays en en-
courageant l'usage de cette pratique, c'est avec plaisir
que nous sentons qu'elle doit fortifier les sentiments de
reconnaissance qu'à tant d'autres titres encore nous
devons au pays d'où nous est apporté ce bienfait." M.
Papineau adressait ensuite au gouverneur ce compli-
ment, dont la sincérité n'était pas feinte: "La con-
fiance n'est ordinairement que l'ouvrage du temps. Le
zèle et le succès avec lesquels, dès les premiers jours de son
arrivée. Votre Excellence s'est empressée de secourir
les malheureux qui ont éprouvé l'efficacité des sen-
timents de pitié qu'ils vous ont inspirés, ont porté la
Chambre à vous donner toute latitude dans l'exécu-
6G COURS D HISTOIRE DU CANADA
tion de la loi (relative aux secours ])our les populations
des districts éprouvés par la disette). Cette confiance
a dû se fortifier de jour en jour dans l'Assemblée lors-
qu'elle a vu votre Excellence donner son attention, déjà
exercée si avantageusement dans l'adininistration
d'une colonie voisine, à faciliter le développement des
ressources de celle-ci." (1) On ne pouvait douter
que ces paroles de M. Papineau ne fussent l'écho fidèle
des sentiments de l'Assemblée. Elles prouvaient jus-
qu'à quel point le gouverneur avait réussi dans son
œuvre d'apaisement.
Son succès dans la question des impeachments
ne pouvait que l'encourager à persévérer dans cette
voie. II a\ait promptement discerné que le point
faible dans notre organisme politique à ce moment
c'était la composition des conseils exécutifs et légis-
latifs. Et il se persuada qu'en introduisant dans ces
deux corps des éléments nouveaux, on améliorerait
sensiblement la situation. C'est dans cet esprit qu'il
proposa la nomination de Mgr Plessis au Conseil
législatif et celle de M. Papineau au Conseil exécutif.
C'était assurément faire preuve d'une initiative hardie
et clairvoyante. L'élévation de Mgr Plessis à notre
chambre haute devait être précieuse pour ce corps
où elle ferait entrer un homme éminent par sa dignité
et son autorité, doué d'une haute intelligence et d'une
connaissance approfondie des hommes et des choses.
A l'appui de cette recommandation, sir John Sher-
brooke faisait observer que la nomination de Mgr
Plessis inspirerait de la confiance aux Canadiens.
Dans une communication ultérieure il appelait l'atten-
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1817,
p. 933.
COURS d'histoire du canada 67
tion du ministre sur le mémoire présenté par révêque
catholique de Québec à sir George Prévost en 1812,
dans lequel ce prélat demandait à être reconnu civile-
ment. Le gouverneur signalait les obstacles qui
avaient jusque-là empêché cette reconnaissance. L'évê-
que relevait uniquement de Rome et cela était en
contradiction manifeste avec les instructions royales.
"Mais, ajoutait le gouverneur, on n'a jamais donné
suite à ces dernières et on ne le pourrait faire sans
créer des mécontentements dans le pays et sans aliéner
le clergé catholique." (1)
La nomination de MgrPIessis au Conseil législatif,
agréée par lord Bathurst, fit faire un pas de plus au
status civil de Tévêque catholique de Québec. Lorsque
le Conseil exécutif fut informé qu'elle était imminente,
le juge Sewell reproduisit les objections émises naguère.
Nous les connaissons pour les avoir déjà rencontrées
au passage. Si l'on appelait Mgr Plessis au Conseil
comme évêqu>e catholique romain de Québec, la seule
preuve établissant qu'il possédait ce titre était une 'P Ut sis
bulle du pape; et la reconnaissance de ce titre sous le
grand sceau conférerait à celui-ci, dans l'empire bri- ''^^''
tannique, le droit de nommer à des offices. Cela équi- (XcOOhWi
vaudrait à reconnaître la suprématie papale. Natu-
rellement le juge en chef citait les lois d'Elisabeth
et les instructions royales, qui vous sont suffisamment
familières. Conformément à ces vues, il soumettait
un projet de mandamus absolument inacceptable par
Mgr Plessis. Sir John Sherbrooke ne pouvait laisser
ainsi entraver une mesure qu'il avait à cœur. Ecartant
le projet du juge en chef, il fit préparer par un homme
(1) — Archives du Can.id.i, Sir J'tl.m Sherbrooke à lord Bathurst,
10 avril 1S17. Q. 143, p. \M'.>,.
68
COURS D HISTOIRE DU CANADA
de loi, ami de l'évêque, une formule de mandamus
qui levait la difTicuIté. Mgr Plessis y était appelé
au Conseil législatif par son titre. C'était d'ailleurs
ce qu'avait décidé lord Bathurst, dans sa dépêche du
6 juin 1817. "J'ai beaucoup de plaisir, écrivait-il, à
vous transmettre le maiidàmus de Son Altesse Royale
le prince régent, par lequel il nomme le docteur Plessis
au Conseil législatif sous les appellation et titre d'évéque
de l'église catholique romaine de Québec." (1) Sans
doute le ministre ajoutait que les successeurs de Mgr
Plessis ne devraient pas assumer ce titre sans quelque
instrument formel qui le leur reconnaîtrait. Mais
cette limitation, destinée d^ailleurs à rester non avenue,
ne pouvait détruire le fait qu'un acte sous le grand
sceau de la Couronne reconnaissait l'existence d'un
évêque catholique j-omain sur le siège épiscopal de
Québec.
La recommandation de sir John Sherbrooke,
relative à la nomination de M. Papineau comme mem-
bre du Conseil exécutif, procédait d'une inspiration
analogue à celle qui ouvrait les portes du Conseil légis-
latif à Mgr Plessis: gagner la oonfiance des Canadiens,
rapprocher d'eux l'administration, en les faisant parti-
ciper aux responsabilités du gouvernement. Dans la
lettre qu'il adressait sur ce sujet au ministre, le gou-
fl verneur écrivait: "Le grand mal de ce pays et le
plus fécond en discussions a été le défaut de confiance
dans le gouvernement exécutif, non pas tant dans le
caractère du gouverneur que dans le Conseil qui en
est venu à être considéré comme l'aviseur de ce dernier,
(1) — Documents constitutinnnels, HTOI-ISIS), p. 560; Papiers
d'Etat du Bas-Canada, Q. 14:?. pp. 1 et IW.i; 14.5, pp. 66, 78-82;
148-1, p. 117.
COURS d'histoire du canada 69
et dont les mouvements sont surveillés avec une sus-
picion jalouse qui tend à entraver tous les actes du
gouvernement. Pour combattre cette défiance j'estime
qu'un des moyens les plus efficaces serait de nommer
l'orateur de l'Assemblée membre de ce conseil, avec
la condition qu'il devînt un résident de Québec, afin
d'être ainsi au courant de tout ce qui se ferait." (1)
C'était là une idée politique qui eût pu avoir d'impor-
tantes conséquences. L'entrée de M. Papineau au
Conseil exécutif, sous un gouverneur comme sir John
Sherbrooke, aurait pu être le point de départ de cette
évolution constitutionnelle dont nous parlions tout
à l'heure. Malheureusement cette nomination, agréée
par le ministre, ne devait être faite que trois ans plus -^'^-^^c»
tard, lorsque l'heure propice était passée. ft\ 1 v> -
Sir John Sherbrooke voyait son système politique .. a^^
produire les fruits qu'il en avait espérés. Héritant
d'une situation difficile et troublée, ayant à rencontrer
une Chambre nouvellement élue, pleine de ressenti-
ment et d'animosité envers le pouvoir exécutif, il avait
fait en sorte de ne recourir ni à l'expédient stérile de
la prorogation sub te, ni au procédé funeste de la dis-
solution ah irato. Et sans commettre aucun acte con-
traire à l'honneur, simplement en répondant avec
une bienveillance et un empressement habiles à une
demande de l'Assemblée, il avait apaisé sans heurt un
conflit qui paralysait l'action législative et administra-
tive depuis deux ans. Cet exemple démontrait com-
ment un représentant de la couronne, impartial et
\^ équitable, pouvait gouverner paisiblement et effica-
cement la province bas-canadienne.
(1) — Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q.
143. p. .392.
r<> lai
70 COURS d'histoire du canada
Une autre question allait maintenant s'imposer
aux préoccupations de sir John Sherbrooke. C'était
Ja question des finances, la question des subsides, qui
pendant dix-huit ans devait provoquer tant de contro-
verses et déchaîner tant de conllits. L'exposition de
ce grave et complexe sujet fera l'objet de notre pro-
chaine leçon. Nous y verrons avec quelle fermeté et
quelle netteté cet excellent gouverneur aborda le dif-
ficile problème, et quelle satisfaisante allure il avait
déjà su lui donner lorsque, malheurusement, une ma-
ladie cruelle le força de quitter son poste à la tête des
affaires canadiennes.
SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER
Gaincau, Histoire du Canada. Québec, 1882, t. III, iiv. XV.
ch, I. — Bibaud, Histoire du Canada, sous la dojnination antilaise,
Montréal. 1844. Iiv. II et III. — Christic, History of Lower Cana-
da, t. II, ch. XXI. t. VI. — Perrault, Histoire abrégée du Canada, t.
IV. Kingsford. History oj Canada, t. VIII, — Canada and its
Provinces, t. III. ch. viii. — Memoirs oJ sir Jobn-Coape Sherbrooke;
Life andLetters of Viscount Sherbrooke, A.Patchett Martin.t. II. —
Mandements des évêques de Québec, t. 111. — A Political and His-
torical Account of Lower Canada, A Canadian, Londres, 1830. —
Ferland. Monseigneur Plessis. dans le Foyer Canadien, t. \. —
Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada. 1817.
TROISIÈME LEÇON
Une question ardue. — Les subsides. — Etat de la question en
1817. — Un déficit à côté d'un surplus. — Double catégorie
de recettes et de dépenses. — Coup d'oeil rétrospectif. — Les
revenus de la Couronne et ceux de la législature. — Les pre-
miers sont insuffisants, les seconds sont surabondants. — Les
gouverneurs pratiquent l'emprunt forcé. — Paiements irrégu-
liers.— Remboursement sous sir George Prévost. — Nou-
veaux emprunts illégaux. — Sir John Sherbrooke signale l'a-
bus et propose le remède. — Demande de subsides à la lé-
gislature.— Une date importante. — Bonnes dispositions de
la Chambre. — Un vote de crédits en 1818. — Maladresse du
duc de Richmond en 1819. — Le commencement des difficul-
tés.— Un bill de subsides annuel et par articles. — Le Conseil
le rejette. — Conseils néfastes du duc de Richmond. — Sa mort
tragique. — Interrègne Monk-Maitland. — Dissolution in-
compréhensible.— Une session de treize jours. — Singulier
imbroglio. — Mort du roi George 111. — Dissolution et élec-
tions nouvelles. — Un discours de M. Papineau. — LordDal-
housie. — Un nouveau bill de subsides en 1821. — Résolu-
tions intempestives du Conseil législatif — Rejet du bill. —
La Chambre proteste contre une série d'abus. — Méconten-
tement de lord Dalhousie. — La session de 1821-22. — Le
gouverneur demande une liste civile pour la vie du roi. —
Refus et expHcations de la Chambre. — Une autre cause
de difficultés. — Le partage des recettes douanières entre le
Haut et le Bas-Canada. — Prétentions divergentes. — Ré-
clamations et plaintes du Haut-Canada. — Appel à la mé-
tropole.— Perspective menaçante pour le Bas-Canada.
Nous allons aborder ce soir une question ardue,
aride, complexe, qu'il est difficile de rendre, je ne dirai
pas intéressante, mais simplement intelligible. Elle
est cependant d'une importance capitale, puisqu'elle
a été la pierre d'achoppement du régime constitu-
72 COURS d'histoire du canada
tionnel inauguré en 1791, qu'elle a engendré pendant
vingt ans des conflits aigus entre le pouvoir exécutif
et l'assemblée populaire, entre la colonie et la métro-
pole, qu'elle a paralysé le fonctionnement de nos ins-
titutions parlementaires, qu'elle a bouleversé notre
vie politique et nous a finalement jetés dans un^ crise
sanglante où nos Iranchises nationales ont failli périr.
Cette question, c'est la fameuse et obscure question
des subsides, aux enchevêtrements tenaces et aux
méandres tortueux. Je vous demande pardon d'avan-
ce du pénible travail cérébral que je vais vous infliger.
Et en sollicitant plus que jamais votre sérieuse et in-
dulgente attention, je vous promets de faire un cons-
ciencieux efi^ort pour répandre quelque lumière sur ce
sujet ténébreux. Si l'on était encore à l'âge où se pra-
tiquait l'artifice littéraire de l'invocation mythologi-
que, volontiers au début de cette conférence je place-
rais une fervente supplication à la muse de la clarté.
Dès le début de son administration, en 1816, sir
John Sherbrooke s'était rendu compte de la condition
peu satisfaisante de notre budget provincial. Dans
une lettre datée du 18 mars 1817, il signalait au minis-
tre ce qu'il considérait avec raison une anomalie dé-
concertante. L'état du revenu permanent de la pro-
vince, comparé à l'état des charges permanentes, accu-
sait pour l'année terminée le 5 janvier 1816 un déficit
de 19,000 louis, pendant qu'un document oflTiciel indi-
quait comme étant au crédit de la législature, le 5
janvier 1817, une somme de 140,000 louis, non affectée
à aucun service. (1) Comment expliquer ce phénomène,
un déficit budgétaire en face d'un excédent disponible?
Voici quel était le mot de l'énigme. Nous avions
(1) — Archives du Canada. 0- l-l-^- P- l^^-
COURS d'histoire du canada 73
deux catégories de recettes, et, corrélativement, deux
catégories de dépenses. Et la première catégorie de
recettes était insuffisante à solder la première catégo-
rie de dépenses auxquelles elle était affectée, tandis
que la seconde catégorie de recettes excédait de beau-
coup la seconde catégorie de dépenses qu'elle devait
défrayer. Un rapide coup d'oeil rétrospectif nous fera
mieux comprendre cette situation singulière.
Depuis le commencement de la domination an-
glaise en 1760 jusqu'en 1774, le gouvernement impé- ^ fs-z-n-
ri al avait paye toutes les dépenses d admmistration au / _
Canada. Et durant cette période les seules recettes
qu'il en retirât étaient celles que l'on désignait sous le
nom de "revenu casuel et territorial" et celles de cer-
tains droits d'importation qui existaient sous la domi-
nation française. (1) En 1774, un acte du parlement
impérial, adopté à la suite de l'Acte de Québec, avait
imposé un droit de douane sur les eaux-de-vie, les rums,
la mélasse et le sirop, un droit de licence sur les taver-
nes et les auberges, avec des dispositions relatives aux
amendes et confiscations. Le produit de cet acte, que
l'on appela "l'Acte du revenu de Québec", (2) devait
former un fonds applicable au maintien de l'adminis-
tration de la justice et du gouvernement civil.
C'était parce que l'article 13 de l'Acte de Québec
refusait au Conseil législatif institué par cette loi le
(1) — La légalité de la perception de ces droits, après le clian-
gement de régime en 1763, avait été contestée. (Tbe Maseres
Papers, Toronto, 1812, pp. 19, 49-.50. Canada and its Provinces,
IV, p. 494.)
(2) — Acte du revenu de Québec, 14 George III, ch 88; Docu-
ments constitutionnels, 17.59-1791. p. 383. Cette loi abolissait
tous les droits imposés par le roi de France sur certaines mar-
chandises et les remplaçait par ceux qui y étaient stipulés.
niH
74 couKS d'histoire du canada
pouvoir d'imposer des taxes dans la province, quelepar-
lenicnt impérial adoptait lui-même cette législation
liscalc. Il n'avait pas encore renoncé au droit de taxer
les colonies, qui piovoqua la guerre de l'indépendance
américaine. Il ne l'abandonna que quatie ans plus
tard, en 1778, par l'Acte 18 George III, chapitre 12,
dans lequel on déclarait que dorénavant le roi et le par-
lement de la Grande-Bretagne n'imposeraient plus de
taxes sur les colonies, excepté lorsqu'il s'agirait de
droits pour la réglementation du commerce. (1) Ce-
pendant l'Acte du revenu de Québec passé en 1774
demeurait en vigueui.
\ L'acte constitutionnel de 1791 accorda à la légis-
^ lature créée alors le pouvoir de taxer. Et dès 1793
cette dernière imposa des droits sur les vins, dont le
produit fut affecté en permanence aux dépenses de
J'Assemblée et du Conseil législatif (2). En 1794
lord Dorchester soumit aux chambres des états finan-
ciers qui montraient un écait considérable entre les re-
venus mis à la disposition de la Couronne et les dé-
penses de la province. Conséquemmant, à la sess on
de 1795, la législature imposait des droits sur le sucre,
la cassonade, le café, les cartes à jouer, le tabac en feuil-
les, le sel, ainsi que des droits additionnels sur les eaux-
de vie et les vins. Et elle taxa les colporteurs, en mê-
me temps qu'elle augmentait le taux de la licence sur
les tavernes et les auberges. Puis elle décréta que sur
le produit de ces impôts une somme annuelle de 5,555
louis courant serait affectée en permanence au main-
tien de l'administration de la Justice et du gouverne-
(1) — Financial difficuUiea of Lower-Canada, Québec 1824.
(2) — '.i'.i George III, chapitre II. Statuts provinciaux du Bas-
Canada. 179:3. t. 1.
COURS d'histoire du canada 75
ment civil (1). Voilà quel était l'ensemble des sources
permanentes de revenu qui constituaient la première
catégorie de recettes dont nous parlions il y a un ins-
tant. En récapitulant nous trouvons que ce fonds
était alimenté: 1° par le domaine de la Couronne,
autrement dit ''revenu casuel et territorial," qui com-
prenait les postes du roi, les forges de Saint-Maurice, le
quai du roi, le droit de quint prélevé sur les ventes de I
seigneuries, et les lods et ventes; 2'*^ par l'acte impé- ^•
rial eu revenu de Québec, de 1774, dont le produitétait
affecté au maintien de l'administration de la jus- ^
tice et du gouvernement civil; 3° par l'acte provin-
cial de 1793, dont le produit était consacré aux dépenses
de la législature; i^ par l'acte provincial de 1795, sur
le produit duquel 5,555 louis courant devaient être ap-
pliqués au maintien de l'administration de la justice
et du gouvernement civil (2).
Mais ce n'était pas là tout le revenu de la provin-
ce. La loi fiscale de 1795 produisait beaucoup plus
que les 5,555 louis affectés en permanence aux dépen-
ses judiciaires et administratives. Et le surplus res-
tait sans affectation spéciale. En outre la législature
avait adopté en 1813 et en 1815 des lois de revenu (3)
par lesquelles elle imposait une taxe douanière sur les
marchandises importées, une taxe sur le thé, un droit,
additionnel sur les liqueurs fortes, les vins, les mélas-
ses et les sirops, une taxe sur les encanteurs et une com-
(1) — 35 George III, chapitre ix; Statuts Provinciaux du Bas-
Canada, 1795, t. I.
(2) — Appendice au XXVIe volume des Journaux de VAssem-
blée du Bas-Canada, 1817, H. No. 12.
(3)— 52 George III, ch. ii, 55 George m, ch. ii, et 55 George
III, ch. III.
:^
76 COURS d'histoire du canada
mission sur les ventes à l'encan. Ces diverses mesures
fiscales constituaient la seconde catégorie de recettes
mentionnée tout à l'heure.
La distinction essentielle qu'il y avait à faire en-
tre ces deux catégories, c'était que la première se trou-
vait aflectée en permanence aux dépenses du gouver-
nement civil et de l'administration de la justice, pen-
dant que la seconde n'avait reçu aucune affectation
permanente et formait un fonds dont la législature
pouvait disposer pour des fins d'utilité publique. En
d'autres termes, la première catégorie de revenus était,
par suite d'affectations statutaires permanentes, à la
disposition du gouvernement pour solder les dépenses
judiciaires et administratives. Et la seconde catégo-
rie, non totalement affectée (1), laissait des sommes
considérables à la disposition de la législature, qui seule
pouvait en déterminer l'emploi.
Or voici ce qui était arrivé. Le rendement de la
première catégorie de revenus n'avait pas marché du
même pas que la dépense à laquelle elle était affectée.
Et chaque année le gouvernement impérial avait été
obligé, pour boucler le budget de l'administration bas-
canadienne, de solder un déficit plus ou moins considéra-
ble. -ûiL avait pris l'habitude de payer ce découvert
à même le fonds intitulé dans le budget britannique
"extraordinaires de l'armée". Ce fonds servait non
seulement à l'entretien des troupes dans les colonies
mais encore au paiement de maints déboursés qui n'a-
vaient rien de militaire. Pendant ce temps les lois fis-
(1) — C'est à même cette seconde catégorie de recettes
qu'étaient défrayéeslesdépenses pourl'améliorationdu Saint-
Laurent, pour les maisons de correction et les asiles d'aliénés,
pour la construction des prisons, etc.
COURS d'histoire du canada 77
cales de la seconde catégorie produisaient tous les ans un
revenu qui dépassait de beaucoup les dépenses spécia-
les votées par la législatuie pour certains travaux et
certains services publics (1). Et il s'accumulait ainsi
dans la caisse du receveur général un fonds non affecté
dont la législature pouvait disposer, mais auquel léga-
lement le gouvernement ne pouvait toucher sans un
vote de crédit des chambres. C'est ainsi que coexis-
taient un déficit pour l'exécutif et un surplus pour la
législature.
L'existence de cet excédent constituait une tenta-
tion à laquelle le gouvernement ne résista pas toujours.
A plusieurs reprises, au lieu de tirer sur les "extraordi-
naires de l'armée", les gouverneurs, embarrassés par
l'insuffisancede ce qu'on avait fini par appeler "les reve-
nus de la Couronne'^ tirài^iitsajîsautorisatiçn^^
pLuâ accumulés de la législature. S'il s'était conformé
à son strict devoir, le receveur général aurait pu refu-
ser d'accepter les mandats du chef de l'exécutif qui
n'avaient pas la sanction d'un crédit ou d'une affec-
tation parlementaire. Mais cet officier public ne vou-
lait ou n'osait prendre cette attitude, et les paiements
irréguliers se multipliaient. EilISIQ^ une occasion se ^\G\f)
présenta de régulariser la situation. La Chambre
— vous vous le rappelez peut-être — offrit au gouver-
nement de décharger la métropole de la dépense qu'elle
encourait pour les colonies, et de voter tous les crédits
budgétaires requis pour faire fonctionner l'adminis-
(1) — ^Par exemple, la loi adoptée en 1805, afin de pourvoir
à la construction de prisons à Québec et à Montréal, avait pro-
duit une somme beaucoup plus considérable que la somme dé-
pensée. (Canada and its Provinces ; History oj Public Finance,
t. IV, pp. .502-503.)
78 COURS d'histoire du canada
tration. ALais l'on était sous le régime de Craig. Cet-
te olîrc lut jugée suspecte, le statu quo fut maintenu et
les emprunts forcés continuèrent. F.n 1812, sir Geor-
ge Prévost constata que le gouvernement s'était ap-
proprié, de sa seule autorité, à même le fonds de la lé-
gislature, une somme totale de 25,000 louis. 11 en or-
donna le remboursement sur "les extraordinaires de
l'armée" (1). Mais bientôt la même pratique irrégu-
lière recommença, a\ec une recrudescence d'intensité.
Le déficit du revenu de la couronne (première catégo-
rie) pour les années 1813, 1814, 1815 et 1810 fut com-
blé sans vote de crédit à même l'excédent législatif.
Dans sa lettre du 18 mars 1817 à lord Bathurst, sir
John Sherbrooke l'informait que la somme de ces paie-
ments irréguliers, de cette dette non autorisée contrac-
tée par le gouvernement envers la législature, s'élevait
au chiffre énorme de 120.000 louis, Cette constatation
lui inspirait les considérations suivantes: "Votre Sei-
gneurie conviendra avec moi, je le crois, que lapratlque
de dépenser le revenu provincial pour des services aux-
quels la législature n'a pas pourvu a été dès l'origine
irrégulière, et qu'il aurait été préférable de suppléer à
l'insuffisance du revenu régulièrement affecté pour
le paiement des dépenses qui lui étaient imputables,
en émettant des mandats sur les "extraordinaires de
l'armée", au lieu de laisser s'accroître une dette propre
à créer de la confusion, de l'embarras et des malenten-
dus." Après avoir signalé le mal, sir John Sherbrooke
passait à l'examen du remède: "Votre Seigneurie, écri-
vait-il, reconnaîtra comme moi la nécessité de faire
cesser l'état de confusion où les finances de la province
ont été mises par la dépense de ses fonds non affectés
(1)— Archives du Canada, Q. 110, p. :«.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 79
durant plusieurs années. Et les questions qui, sur
toute cette affaire, me paraissent s'imposer à l'atten-
tion de Votre Seigneurie sont les suivantes. Quant au
passé, la dette considérable accumulée comme je Fai
mentionnée plus haut devrait-elle être remboursée à
même les "extraordinaires de l'armée", ou serait-il à
propos de prier la législature de légaliser par une affec-
tation en bloc les paiements qui l'ont constituée? Et
pour l'avenir, le déficit annuel causé par l'excédent
des dépenses permanentes sur le revenu affecté en
permanence devra-t il être payé sur le fonds des "ex-
traordinaires de l'armée"; ou bien serat-il opportun
de soumettre à la législature au commencement de
chaque session, comme cela se pratique dans la Nou-
velle-Ecosse et d'autres colonies, une estimation des
sommes qui sont requises pour la liste civile, et de lui
demander d'y pourvoir? Sur ces différents points je
sollicite instamment Votre Seigneurie de me faire par-
venir ses instructions particulières." (1)
Lord Bathurst répondit à cette lettre le 31 août
suivant. Relativem.ent à la dette existante, il sembla
incliner à considérer que la législature avait tacitement
acquiescé aux paiements faits sans autorisation à
même son excédent, vu que les documents officiels
constatant cette irrégularité lui avaient été soumis
tous les ans sans provoquer de sa part aucune protes-
tation. Quant à l'avenir, le ministre estimait que le
moment était arrivé pour la province d'assumer elle-
même le paiement de toutes ses dépenses administra-
tives. "On devrait demander tous les ans à la légis-
lature, écrivait-il, de voter toutes les sommes requises
(1) — Sir John Sherbrooke à Lord Bathurst, 18 mars 1817;
Archives du Canada, Q 143, p- 197.
6
80 COURS d'histoire du canada
pour la dépense annuelle ordinaire de la province...
Relativement aux charges défrayées habituellement
à même les "extraordinaires de l'année", je ne vois
aucune raison, excepté dans quelques cas spéciaux, de
persister dans une politique qui s'établit lorsque le
revenu colonial n'était pas suffisant pour solder la
dépense annuelle, et qui ne de\Tait pas survivre à l'état
de choses qui lui a donné naissance." (1)
Ainsi donc, après sept ans, on en revenait à la pro-
position faite par la Chambre en 1810 de voter les
subsides nécessaires au fonctionnement de l'adminis-
tration. Entre autres raisons de prendre cette atti-
tude le gouvernement impérial en avait une très pres-
sante. C'était l'état des finances britanniques. La
longue lutte soutenue, pendant près de vingt ans, par
l'Angleterre contre fa Révolution française et contre
Napoléon avait surchargé la nation anglaise d'un
écrasant faideau. Au lendemain de Waterloo la dette
de la Grande-Bretagne était de 792,033,426 louis
sterling. L'intérêt annuel à payei était de 27,233,993. Le
commerce du Royaume-Uni avait énormément souf-
fert de l'état de guerre et du blocus continental. En
présence de cette situation difficile le gouvernement
et le parlement avaient compris la nécessité d'adopter
une politique d'économie. D'un commun accord,
on s'appliquait à diminuer les dépenses du gouverne-
ment civil. Et en même temps la conclusion de la
paix permettait de réduire considérablement le budget
militaire. Les "extraordinaires de l'armée", qui avaient
atteint un chiffre énorme, devaient naturellement subir
(1) — Lord Batburst à sir John Sherbrooke, 31 Août 1817;
Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q.1.51-A.
Christie. t. Il p.p. 28.3-298.
COURS d'histoire du canada 81
une forte diminution. (1) Et il devenait difficile de
continuer à leur imputer des dépenses coloniales qui
normalement n'avaient rien à faire avec ce service.
Dans ces conditions, on conçoit l'empressement de lord
Bathurst à concourir dans l'idée émise pai sir John
Sherbrooke de demander à la législature bas-cana-
dienne les subsides requis pour l'administration.
Conformément aux instructions reçues, le gou-
vernement fit donc aux Chambres dans le discours ^.
du trône prononcé au début de la session, le 7 janvier
1818, la communication suivante: "J'ai reçu les
ordres de Son Altesse Royale de m'adresser à la légis-
latuie provinciale pour voter les sommes nécessaires
pour la dépense ordinaire et annuelle de la province,
et je suis persuadé que ces ordres recevront de votre
part toute l'attention que leur importance mérite.
En conséquence je ferai mettre devant vous un état
des sommes requises pour défrayer les dépenses du
gouvernement civil de la province pour 1818, et j'ai
à vous requérir au nom de Sa Majesté de pourvoir
d'une manière constitutionnelle aux fonds nécessaires
pour cet objet." (2)
Cette communication marquait une date dans
(1) — -Les estimations budgétaire en 1817 étaient de
18,000,000 de louis. (Ceci ne comprenait pas les crédits perma-
nents , qui n'étaient pas soumis au vote annuel des chambres) .
En 1816 les affectations pour les mêmes services avaient été de
24,887,000. C'était une diminution de 6,886,000 louis. En 1817,
les dépenses extraordinaires de l'armée étaient de 6, 171,225 louis,
au lieu de 12,873,553, chiffre de 1816, soit une diminution de
6,702,348. {Hansard's Parliamentary Debates 1ère série, t. 34,
App. p. xxiii, t. 36, App. p. XXIII ; Annual Register, 1816, 1817.)
(2) — Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, ! 818,
page 8.
,L!_
82 COURS d'histoire du canada
notre histoire constitutionnelle. Pour la première
lois le gouvernement de la métropole demandait à no-
tre législature coloniale le vote des subsides afin de dé-
frayer les dépenses publiques. Nous entrions dans
une phase nouvelle, qui devait être féconde en conflits
et en crises.
Le 26 février 1818 sir John Sherbrooke faisait
mettre devant l'Assemblée les estimations pour les dé-
penses ordinaires et permanentes du gouvernement
civil du Bas-Canada et du revenu applicable à leur dé-
charge. D'après ce document les dépenses étaient
estimées à 73,640 louis couiant et le revenu perma-
nemment affecté à 33,383 louis, ce qui laissait à voter
une somme de 40,263 louis (1).
La Chambre prit en considération le message du
gouverneur et nomma un comité pour étudier les comp-
tes et les estimations qui l'accompagnaient. Le rap-
port de ce comité, qui fut soumis le 24 mars suivant,
était très intéressant. Il contenait des informations
générales sur plusieurs parties du budget et des re-
marques particulières sur quelques articles spéciaux.
Il signalait des anomalies et des abus. Par exemple les
salaires demandés pour le lieutenant gouverneur du
Bas-Canada et l'auditeur dss patentes étaient perçus
par des personnes absentes de la province, et consé-
quemment incapaîjles de remplir leurs fonctions. Les
estimations mentionnaient le traitement d'un lieute-
nant gouverneur de Gaspé et celui d'un inspecteur des
forets. C'étaient là des fonctionnaires sans fonctions,
et, pour assigner un teime à ces sinécures, le comité
suggérait de transformer leurs émoluments en pen-
(1) — Journal de la Chambre, 1818, p. 139. Les estimations
budgétaires se trouvent à l'Appendice E, No 1.
COURS d'histoire du canada 83
sions qui prendraient fin avec la vie des titulaires. li-
y avait aussi un salaire pour un agent de la province.
Qui avait nommé cet agent ? La Chambre avait en
vain essayé d'en faire nommer un, mais l'opposition
du Conseil législatif avait rendu ses démarches infruc-
tueuses. De qui cet agent tenait-Il sa charge? Quels
étaient ses attributions et ses services? Il était diffi-
cile de discerner pourquoi son salaire serait porté au
compte de la province dont il n'était pas l'employé.
Au chapitre des pensions, le comité faisait observer
que plusieuis personnes qui y figuraient étaient décé-
dées. Toutes ces représentations étaient assurément
fort pertinentes (1).
Cependant la Chambre était animée des meilleu-
res dispositions. Sir John Sherbrooke possédait sa
confiance. Comme la session était très avancée, après
une assez longue discussion on décida de voter par
une résolution les 40,263 louis demandés pour com-
bler la différence entre les revenus permanemment af-
fectés et la dépense totale. Et l'Assemblés informa le
gouverneur qu'elle reprendrait la question l'année sui-
vante et ferait en sorte d'accorder les subsides par un
bill suivant les formes constitutionnelles (2).
Malheureusement pour la province, sir John
Sherbrooke était atteint d'une maladie très grave, qui
devait le forcer à abandonner son poste. Le 30 juil-
let 1818 il était remplacé par le duc de Richmond. Son
nom doit être inscrit parmi ceux des meilleurs repré-
sentants de la Couronne que nous ait envoyés la mé-
tropole.
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada
1818, p. 193 ; Appendice K.
(2) Ibid, p. 204.
84 COURS d'histoire du canada
Son successeur, d'un rang social beaucoup plus
élevé, ne possédait ni sa clairvoyance, ni son jugement
droit, ni son esprit de conciliation. On s'en aperçut
dès le début de la session de 1819. Après avoir de-
mandé à la chambre de régulariser le paiement des dé-
penses qu'elle avait, par simple résolution, autorisé sir
John Sherbrooke à solder l'année précédente, il sou-
mit les estimations budgétaires pour l'année 1819.
Quelle ne fut pas la surprise de l'Assemblée en consta-
tant qu'elles accusaient une augmentation de plus de
16^000 louis (1)! Un détail indiquera combien le gou-
vernement avait été peu judicieusement avisé. Le
budget proposait de voter en bloc une somme de 8,000
louis par année "comme fonds de pension à la disposi-
tion du représentant de Sa Majesté, pour récompenser
des services provinciaux et secourir de vieux et né-
cessiteux serviteurs du gouvernement." Une aussi
forte somme, demandée en termes aussi vagues, pour
être appliquée suivant la discrétion absolue du pou-
voir exécutif, devait nécessairement provoquer un
sentiment de mécontentement et de défiance. La
chambre nomma un comité qui étudia le budget et fit
un rapport dans lequel il recommanda en termes éner-
giques l'économie et le retranchement, et protesta con-
tre l'abus des sinécures et des pensions qui pouvaient
devenir dans cette province des moyens de corruption.
Toutefois l'Assemblée était disposée à voter le
budget. Mais elle entendait le voter à sa façon. Quelle
forme allait-elle donner au bill des subsides, à cet acte
législatif que l'on appelle en Angleterre le supply bill?
(1) — Rapport du Comité spécial sur l'estimation de la liste
civile pour l'année 1819 ; Journal de la Chambre d'Assemblée du
Bas-Canada, 1819, Appendice L.
COURS d'histoire du canada 85
C'était là pour elle une question nouvelle et une grave
question. Plusieurs tendances se manifestèient. Un cer-
tain nombre de députés, en petite minorité, étaientd'avis
qu'ilfallaitvoterlalistecivilepourla vie du roi, et que,si
toutefois on insistait pour le vote annuel, il fallait accor-
der les subsides en bloc, sans entrer dans le détail des dif-
férents articles de la dépense.^ D'autres, et ceux-là
formaient la majorité, prétendaient que le droit de la
législature était de voter les subsides chaque année et
de les voter article par article, afin d'exercer ainsi sur
l'administration un légitime contrôle. Ils soutenaient
même que la Chambre devait affecter de cette maniè-
re, dans le bill des subsides, non seulement le revenu
non affecté d'avance, mais aussi celui qui était perma-
nemment affecté par des lois antérieures au soutien de
la liste civile, afin d'avoir un pouvoir de révision sur
toute la dépense publique. Quelques-uns, enfin, com-
me moyen terme, proposaient d'adopter le vote an-
nuel, mais seulement par chapitres et non pas par arti-
cles. Finalement, ce fut le vote annuel affectant tout
le revenu nécessaire à la liste civile et article par arti-
cle qui l'emporta (1).
Le bill des subsides fut adopté dans cette forme.
Mais il fallait compter avec le Conseil législatif. MM.
Sewell, Monk, Ryland, tout le groupe des fonction-
naires-législateurs, y possédaient une influence pré-
pondérante. Ils ne pouvaient manquer de considé-
dérer le bill tel qu'adopté comme un empiétement et
une menace. C'était pour eux une perspective peu
agréable que celle de voir leurs traitements et leurs
(I) — Bibaud, Histoire du Canada sous la domination an-
elaise, pp. 20.5-206 ; Garneau, Histoire du Canada, t. III, pp. 219-
220 ; Christie, II. pn. .309-310; Journal de la Chambre 1819.
f.
80 COURS d'histoire du canada
pensions soumis à la juiidiction d'une Assemblée dont
ils étaient les adversaires irréductibles, et qui leur ren-
daient avec usure leur antipathie. Ils firent préva-
loir leurs vues, et le Conseil législatif, rejetant haut la
main le bill des subsides voté par la Chambre, adopta
la résolution suivante: "Le mode adopté pour l'octroi
de la liste civile est inconstitutionnel, sans exemple et
comporte une violation directe des droits et préroga-
tive de la Couronne; si le bill devenait loi, il donnerait
aux communes non seulement le privilège de voter les
subsides mais aussi de prescrire à la couronne le nom—
bre et la qualité de ses serviteurs en réglant et en ré-
compensant leurs services comme elle le jugerait
convenable, ce qui les mettrait sous la dépendance des
électeurs et pourrait leur faire rejeter l'autorité de la
Couronne, que leur serment de fidélité les obligeait de
soutenir." (1)
De son côté le gouverneur, qui était un ultra tory,
manifesta à l'Assemblée en termes peu diplomatiques
son mécontentement et son irritation. Dans son dis-
cours de prorogation, il adressa aux députés une mer-
curiale en règle. Il déclara qu'il ne pouvait leur ex-
primer sa satisfaction ni son approbation du résultat
général des travaux auxquels ils avaient employé un
temps précieux ou des principes qui les avaient diri-
gés: "Vous avez procédé, ajouta-t-il, sur les documents
que j'avais fait mettre devant vous, à voter une par-
tie des sommes requises pour le service de l'année J819,
mais le bill d'appropriation que vous avez passé était
établi, comme il paraît par les journaux de la chambre
haute, sur des principes qui ne pouvaient constitution-
nellcmcnt être admis, et il a été en conséquence rejeté
{!)— Journal du Conseil législatj, 1810, p. 142.
COURS d'histoire du canada 87
par la chambre haute de manière que le gouvernement
de Sa Majesté se trouve dépourvu des ressources pé-
cuniaires nécessaires au maintien de l'administration
civile de la province pour l'année finissante, malgré
l'offre et l'engagement volontaires faits à Sa Majesté par
la résolution de votre chambre du 13 février 1810." (1)
Cette harangue officielle contenait encore d'au-
tres passages où le duc de Richmond gourmandait l'as-
semblée sans précautions oratoires. On se serait cru
retourné aux mauvais jours de Craig.
L'attitude du gouverneur parut d'autant plus of-
fensante qu'elle offrait un plus frappant contraste avec
la manière de sir John Sherbrooke et de sir George
Prévost. Ce haut fonctionnaire était imbu des doc-
trines les plus autoritaires et les moins constitution-
nelles que l'on pût imaginer. Après la session il écri-
vit au ministre des colonies pour dénoncer les princi-
pes de l'Assemblée, et proposa une série de mesures
destinées à restreindre ses pouvoirs et à fortifier l'au-
torité do la Couronne. Il conseillait d'enlever à la
Chambre toute juridiction sur la liste civile et de créer
un revenu indépendant de la représentation populaire,
par voie de législation impériale. Pour parvenir à ce
but il recommandait de désavouer deux lois de reve-
nu ad optéei récemment par la législature, et de les rem-
placer par des lois votées à Londres, qui en mettraient
le produit directement à la disposition de la Couronne
pour les fins administratives bas-canadiennes sans que
notre parlement colonial eût rien à y voir. Il invo-
quait comme précédent l'acte impérial du revenu de
Québec de 1774, sans réfléchir que subséquemment, en
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1819, p. 267.
88 COURS d'histoire du canada
1778, le parlement britannique a\ait renoncé à tout
droit de taxation sur les colonies. Si toutefois ce mode
de procéder n'était pas jugé acceptable par le gouver-
nement de la métropole, le gouverneur demandait
qu'on lui donnât instruction de ne sanctionner aucun
bill de subsides à moins que les crédits n'y fussent vo-
tés en bloc, d'une manière permanente, et qu'ils ne
fussent placés à la discrétion de l'exécutif (1). On ne
pouvait pousser plus loin le culte de la prérogative ni
le mépris des privilèges pailementaires.
Le duc de Richmond n'eut guère le temps de pour-
suivre la politique néfaste qu'il préconisait. Le 28
août 1819; comme il s'en revenait du Haut-Canada où
il était allé faire une visite officielle, il mourut des sui-
tes d'une morsure que lui a^•ait faite un jeune renard,
atteint, dit-on, d'iiydrophol^ie. Ce douloureux évé-
nement, que rien n'avait pu faire prévoir, ouvrit un
interrègne assez confus. Le juge en chef IMonk fut
appelé à exercer temporairement les fonctions d'admi-
nistrateur, comme le plus ancien membre du Conseil
exécutif. Sans motif bien intelligible, au mois de fé-
vrier 1820, il ordonna une dissolution de la législature.
Les élections ne firent que fortifier le parti canadien.
La session avait été convoquée pour le 11 avril. Mais
dans l'intervalle M. Monk fut relevé de ses fonctions
par sir Pcregrine Maitland (2), lieutenant gouverneur
ri) — Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada.
0-152-1-2; Richmny\d à Bathurst, IS mai 1810; Kingsford.
History oj Canada, t. IX.
(1) — Sir Pcregrine Maitland était le gendre du duc de Rich-
mond. II avait servi avec distinction sous Wellington durant
la guerre de la Péninsule et à Waterloo. En 1818, il avait été
nommé lieutenant gouverneur du Tl.uit-Canada. Dans l'au-
COURS d'histoire du canada 89
du Haut-Canada. Celui-ci avait été nommé admi-
nistrateur du Bas-Canada en attendant que lord Dal-
housie, promu du gouvernement de la Nouvelle-Ecos-
se à celui de toutes les provinces anglaises de l'Améri-
que du Nord, pût venir ici occuper son poste. La lé-
gislature réunie le 11 avril 1820 ne siégea que jusqu'au u
24. Un assez curieux imbroglio menaçait de paralyser ^ Ct^r'u^/
l'action législative. Le writ adressé à l'officier-rap-
porteur du comté de Gaspé accordait pour cette élec-
tion un délai de cent jours, à cause de la distance et de
la difficulté des communications. Le 11 avril, date de
l'ouverture des chambres, le député de Gaspé n'était
pas encore élu. La représentation se trouvait incom-
plète. Se basant sur ce fait, l'Assemblée adopta une
résolution pour se déclarer incompétente et incapable
de procéder à la dépêche des affaires. La dernière pro-
rogation avait eu lieu le 24 avril 1819. Le 24 avril
1820 les douze mois durant lesquels une nouvelle ses-
sion devait commencer, d'après la loi constitutionnelle,
tomne de 1819, lord Dalhousie, alors gouverneur de la Nouvelle-
Ecosse, fut nommé gouverneur et commandant en chef des
provinces de l'Amérique du Nord. Incapable de se rendre
immédiatement à Québec, il envoya à sir Peregrine Maitland
l'ordre d'aller prendre le gouvernement intérimaire du Bas-
Canada. Le lieutenant gouverneur du Haut-Canada vint en
conséquence prêter serment comme administrateur. Mais il
ne resta à Québec que deux jours, au commencement de février
1820, et dut retourner à Toronto pour la session de la législature
haut-canadienne. Ce fut le jour même du départ de Maitland
(le 9 février) que M. Monk émit une proclamation pour dissoudre
la Législature. II convoquait en même temps le nouveau parle-
ment pour le 11 août. Cette dissolution, concertée apparem-
ment entre MM. Maitland et Monk, est toujours restée difficile
à expliquer. Le 17 mars, sir Peregrine était de retour à Québec.
(Christie, II, pp. 322-323; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q.
151-1, 152-1-2, 155-2.^
90 COURS d'histoire du canada
seraient expirés. Et si ce jour là un député n'était
pas élu pour Gaspé on pourrait se demander si la der-
nière dissolution de la législature n'avait pas, à cause
de ses conséquences, été une violation de la constitu-
tion. Telle était la prétention de la Chambre, et elle
la communiqua à l'administrateur dans une adresse.
Il refusa d'admettre qu'elle fût bien fondée. Mais
l'Assemblée persista dans son attitude, s'abstint de
toute procédure, et alla jusqu'à fermer ses portes à un
messager du Conseil législatif, le maître en chancellerie,
quoiqu'il fût porteur d'un bill pour lequel le Conseil
demandait le concours de la chambre basse (1). C'était,
nous semble- t-i!, pousser à l'excès le formalisme. Quoi
qu'il en soit l'imbroglio était embarrassant. II fut dé-
noué par la nouvelle de la mort du roi George III. Le
décès du souverain était encore à ce moment un motif
constitutionnel de dissolution. La session fut donc
prorogée par sir Peregrine Maitland, et, après trois
mois d'intervalle, de nouvelles élections générales eu-
rent lieu au mois de juillet.
La mort de George III était un événement qui ne
pouvait manquer de produire une émotion réelle dans
tout l'empire. Avec la disparition du vieux monarque
s'achevait une phase mémorable de l'histoire anglaise.
Son règne, jusque là le plus long des annales britanni-
ques, marqué par beaucoup de vicissitudes et assom-
bri un moment par la perte des colonies américaines,
avait en définitive vu prodigieusement s'accroître la
puissance et le prestige de la Grande-Bretagne. Les
victoires de Wellington et le triomphe de l'intrépide
Cl) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1820 ; Christie, II, pp. 324-325 ; Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 155-1. pp. 114-177.
COURS d'histoire du canada 91
ténacité anglo-saxonne sur le génie militaire de Na-
poléon avaient fait briller son couchant d'un glorieux
éclat. Pour nous, lorsque nous récapitulions les soi-
xante ans de ce règne dont l'aurore avait éclairé le
commencement du régime nouveau auquel nous avaient
assujettis les décrets providentiels, nous ne pouvions
nous empêcher de reconnaître que, nonobstant bien
des épreuves et bien des luttes, ils ne nous avaient
point inflige les désastres et les luines que nous au-
rions pu redouter. Un des nôtres, celui de nos chefs
parlementaires dont l'éloquence accroissait chaque
jour l'ascendant, M. Louis-Joseph Papineau, se faisait
l'interprète de ce sentiment dans une harangue pro-
noncée sur les hustings, devant ses électeurs de Mont-
réal, le jour de sa réélection unanime au mois de juil-
let 1820. Vous aimerez peut-être à entendre un
fragment de ce discours, dont l'accent aurait sans doute
surpris ses auditeurs s'ils avaient pu pressentir les phi-
lippiques prochaines qui devaient en être la contre-
partie. .
"Peu de jours se sont écoulés, disait M. Papineau,'
depuis qu2 nous sommes assemblés dans ce lieu pour
le même motif qui nous réunit aujourd'hui, le choix de
représentants. La nécessité de ce choix venant d'une
grande calamité nationale, la mort du souverain bien- \
aimé qui a régné sur les habitants de ce pays depuis
qu'ils sont devenus sujets britanniques, il est impossi-
ble de ne pas exprimer nos sentiments de gratitude
pour les bienfaits que nous^ayons reçus de lui et les
sentiments de regret pour sa perte si profondément
sentie ici et dans toutes les parties de .l'empire. Et
comment pourrait-il en être autrement, quand chaque
année de son règne a été marquée par de nouvelles fa-
veurs accordées à ce pays. Les énumérer et détailler
a'
p\ilf.j
92 COUBS d'histoire ou canada
riiistoirc fie la province depi; tant d'années pren-
drait plus de tcmjw que je pu en espKrrer de ceux à
qui j'ai l'honneur de parier, iu'il suffise donc, à pre-
mière vue, de comparer l'her n<;p situation où nous
nr)U8 trouvons aujourd'hui a - où se trouvaient
nos ancêtres lorsque George ;nt leur monarque
légitime,
"Qu'il me suffise de rappi' r que sous le gouver-
nement français, gouvernem traire et oppressif
à l'intérieur et à l'extérieur, rets de cette colo-
nie ont été plus fréqucmmen s et mal adminis-
trés que ceux d'aucune autre u.rtje des dép>endances
françaises. Dans mon opinio. le Canada semble ne
pas avoir été considéré comm< m pays qui, par la fer-
tilité du sol, la salubrité du c! * ft le territoire t-ten-
du, pouvait être la paisif^k ce d'une popula-
tion considérable et heureus comme un p>oste
militaire dont la faif)le garn; m était condamnée à
vivre dans un état d'alarme crie guerre continuelles —
souffrant fréquemment de la iminc, sans commerce,
ou avec un commerce de mon('oIe par des compagnies
privilégiées, la propriété puisque et privée souvent
mise au pillage, et la libert»' mclle chaque jour
violée, en même temps q ne année la poi-
gnée de colons établis en cei ,i>,\mcc étaient arra-
chés de leur maison et de leur i mille pour aller répan-
dre leur sang et porter le met c et la ruine des rives
des grands lacs du Mississipi < de l'Ohio à cellesdela
Nouvelle-Ecosse, de Terrencuv -t de la Baie d'I ludson.
"Telle était la position ' nos pères; voyez le
changement. George III, sou rain respecté pour ses
qualités morales et son attentu à ses devoirs, succède
à Louis XV, prince justemci méprisé pour ses dé-
bauches et son peu d'attentio ux besoins du peuple.
COURS d'histoire du canada 93
sa prodigalité insensée pour ses favoris et ses maîtres-
ses. Depuis cette époque le règne de la loi a succédé
à celui de la violence, depuis ce jour les trésors, la ma-
rine et les armées de la Grande-Bretagne ont été em-
ployés pour nous procurer une protection efficace con-
tre tout danger extérieur; depuis ce jour ses meilleures
lois sont devenues les nôtres, tandis que notre religion
nos propriétés et les lois par lesquelles elles étaient ré-
gies nous ont été conservées; bientôt après les privilèges
de sa libre constitution nous ont été accordés, garants
infaillibles de notre prospérité intérieure, si elle est ob- / (
ser\ée. Maintenant la tolérance religieuse, le procès | M *^
par jur\", la plus sage des garanties qui ait jamais été | i
établie pour la protection de l'innocence, la protection
contre r^mpjjsonnement arbitraire» grâce au privilège
de Vbabeas; corpus, la sécurité égale garantie par la loi
à la p)ersonne, à l'honneur et aux biens des citoyens, le
droit de n'obéir qu'aux lois faites par nous et adoptées
par nos représentants, tous ces avantages sont deve-
nus pour nous un droit de naissance, et seront, je l'espè-
re, i'Jiéritage durable de notre postérité ! Pour les con-
server sachons agir comme des sujets anglais et des
hommes indépendants." (1)
Ce discours de M. Papineau, qui nous parait au-
jourd'hui étonnant dans sa bouche lorsque nous son-
geons aux événements ultérieurs, eut un grand reten-
tissement. Il fit le tour de la presse et reçut les hon-
neurs de la publicité jusqu'en Angleterre.
Pendant que se tenaient les élections occasionnées
par la mort du souverain, le nouveau gouverneur, lord
Dalhousie, était venu prendre les rênes de l'administra-
tion. II était entré en fonctions le 18 juin 1820. Le
(1) — Gazette de Québec, juillet 1820.
I 1
94 COURS d'histoire du canada
14 décembre suivant il ouvrait la première session de
la législature récemment élue. La question des sub-
sides allait se poser avec plus d'acuité que jamais.
Le chef de l'cxécutit demanda au nom du roi le
vote d'une somme permanente de 22,000 louis par an-
née, pour la vie de Sa Majesté, afm de solder le déficit
entre les dépenses j^ermanentes de la liste civile (main-
tien du gouvernement civil et administration de la jus-
tice) et les recettes affectées en permanence à cette
fin. A cette mise en demeure, la chambre répondit
que le vœu de ses constituants, son devoir envers la
postérité, son attachement pour la constitution, le dé-
faut de fixité et l'incertitude du revenu eu égard aux
fluctuations du commerce, lui étaient "le pouvoir de
faire aucune autre appropriation qu'une appropriation
annuelle pour la dépense générale de la province."
L'assemblée affirmait en même temps "sa disposition
inaltérable de voter annuellement d'une manière cons-
titutionnelle. . toutes les dépenses nécessaires du gou-
vernement civil de Sa Majesté dans cette colonie." (1)
Lord Dalhousie avait aussi appelé l'attention de
la législature sur l'importance de donner un caractère
plus permanent aux lois fiscales, qui, jusque là, avaient
été votées généralement pour un terme de deux ans
seulement. La chambre inséra dans son adresse cà ce
sujet un paragraphe très vague par lequel elle ne s'en-
gageait à rien.
Les estimations de dépenses — en d'autres termes,
le budget — qui furent soumises peu après aux cham-
bres étaient, cette fois, divisées en chapitres. Dans
le premier figurai^^nt les émoluments ou salaire du gou-
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1821, p. 44.
COURS d'histoire du canada 95
verneur en dief et des ofliciers attachés à son bureau;
le second comprenait la législature et ses officiers; le
troisième, le conseil exécutif et ses officiers; le quatriè-
me, les juges et tousies officiers de justice;Ie cinquième^ DObôlA*^ ^
le secrétaire et régistrâà'e de la province, et le loyer de
son bureau, le receveui^ général et son commis, l'ar^ ^\J^\Ay*ô{:;:^
penteur général et ses employés, l'inspecteur des bois, ' •
l'auditeur des patentes des terres publiques, l'inspec-
teur des comptes et son commis et plusieurs autres em-
ployés subalternes; le sixième contenait la liste des
contingents pour la législature, l'administration de la'
justice et les autres départements publics, etc. Le\
total des estimations s'élevait k44,S77 louis (1). La
chambre, après les avoir discutées article par article, i
les adopta en leur faisant subir quelques réductions, \
Mais, pour essayer de gagner le Conseil législatif à la
doctrine du vote annuel de tous les subsides, elle aban-
donna la forme adoptée à la session précédente, et les
vota par chapitres au lieu de les voter par articles.
Elle dépassa même le chiffre demandé, ajoutant 3,083 •
louis pour des pensions, et 1,543 louispour l'état-major
de la milice. Cette générosité inattendue fut mal ac-
cueillie, parce qu'elle dérogeait au principe que tout
vote d'argent doit être précédé d'un message du pou-
voir exécutif pour en proposer l'adoption aux cham-
bres.
Pendant que l'Assemblée délibérait sur les subsi-
des, le Conseil législatif réglait virtuellement le sort
du bill qui devait lui être envoyé, par le vote d'une sé-
rie de résolutions dans lesquelles il déclarait, entre au-
tres choses, "qu'il avait constitutionnellernent sa voix
(1) — Appendices au Journal de la Chambre d'Assemblée du
Bas-Canada. 1820 ; Appendice D.
7
96 COURS d'histoire du canada
dans tout bill d'aides ou de subsides; qu'aucune affec-
tation de revenu ne pouvait être faite légalement sans
son concours; qu'il n'accueillerait aucun vote d'argent
non recommandé par le gouverneur; qu'il ne procéde-
rait sur aucun bilI d'appropriation de la liste civile
contenant des spécifications par chapitres, ou par items,
ni à moins qu'elle ne soit accordée durant la vie de
Sa Majesté le roi." (1) Après cela on devait s'atten-
dre au rejet par le Conseil du bill adopté par la Cham-
bre. C'est ce qui arriva. La Chambre protesta alors
contre les résolutions du Conseil, et mit à la disposi-
tion du gouverneur par une simple adresse, la somme
de 46,000 louis, promettant de passer un bill pour régu-
lariser ce procédé à la prochaine session. (2) Mais lord
Dalhousie répondit à cette démarche en déclarant que
ce vote était absolument inefficact, sans le concours de
l'autre branche de la législature. L'imbroglio parle-
mentaire ne pouvait être plus complet. Aucrne des
deux chambres, comme le fait observer l'historien
Christie, ne semblait disposée à abandonner le terrain
sur lequel elle s'était cantonnée. L'une refusait de
prendre en considération tout bill "d'appropriation"
pour la liste civile qui contiendrait des spécifications
par chapitres ou articles, ou qui ne s'étendrait pas à
toute la vie du roi. L'autre ne voulait pas passer de
bill sans ces spécifications, ni pour une période plus
longue qu'un an, ni même sans la reconnaissance de
son droit d'affecter par son vote annuel les sommes
(1) — Christie, II, p. 339; — Journaux du Conseil législatif,
1820-21, pp. 105-106. — Mgr Plessis et cinq autres conseillers
firent enregistrer leur dissidence.
(2) — Journal de ta Chambre d'Assemblée du Ras-Canada,
1821, p. 312.
COURS D HISTOIRE DU CANADA
97
déjà affectées antérieurement au soutien du gouverne-
ment civil. Ces vues et ces déterminations absolu-
ment divergentes rendaient impossible la solution de
cette difficulté par la législature.
A la fin de cette session, le 14 mars 1821, la Cham-
bre adopta une série de résolutions qu'elle transmit au
gouverneur pour la considération du gouvernementj
impérial. Le texte de cette pièce se trouve dans les
journaux de l'assemblée législative pour 1821, à lai
page 321. L'assemblée y signalait au gouverneur une
foule d'abus et de sinécures. "Elle le priait de suspen-j
dre le paiement d'un salaire de 1500 louis accordé àj
un lieutenant gouverneur qui n'avait jamais mis le
pied dans le pays; déclarait inutile le salaire d'un au-
tre nommé pour Gaspé, qui ne résidait point non plus;
le priait de ne payer le salaire de 400 louis à un M.
Amyot, secrétaire de la province, que lorsqu'il y rem-
plirait ses fonctions; déclarait la charge d'agent de la
province à Londres sans avantage pour le peuple; posait
pour règle qu'aucun salaire ne devait être accordé aux
conseillers exécutifs qui ne résidaient point dans le
pays, que la réunion d'offices de juge à la cour d'ami-
rauté et de juge à la cour du banc du roi était incom-
patible sur la même tête, que le cumul de ceux de juge
de cette dernière cour et de traducteur français ou d'au-
diteur des comptes l'était encore plus; enfin elle le priait
de porter remède à tous ces abus comme à celui, le plus
grave de tous pour la pureté de la justice, dont se ren-
dait coupable le juge de l'amirauté, qui se faisait don-
ner des honoi aires par les plaideurs contrairement à la
loi, tandis qu'il recevait un salaire de l'Etat." C'est
à Garneau que nous empruntons ce résumé. Le gou-
verneur, en recevant cette adresse, répondit à la Cham-
bre qu'il allait saisir le gouvernement impérial du su-
98 COURS d'histoire du canada
jet de ces résolutions. Mais clans son discours de pro-
rogation, le 17 mars 1821, il reprocha vivement àl'As-
semblce son attitude sur la question des subsides et
prononça les paroles suivantes: "Lorsque je vous as-
semblerai ici de nouveau, vous y viendrez pour déci-
der la question importante de savoir si l'énergie cons-
titutionnelle du gouvernement doit être rétablie, ou
si vous aurez à déplorer la perspective d'un malheur
durable par la continuation de l'état actuel des cho-
ses." (1)
Ce fut le 11 décembre 1821 que s'ouvrit la session
suivante. Lord Dalhousie dans son discours d'ouver-
ture communiqua à la législature cette grave intima-
tion: "On a établi dans le parlement britannique, com-
me un des principes de la constitution, que la liste civile
devait être accordée durant la vie de Sa Majesté, et il
m'est commandé de fixer sur vos espiits en cette occasion
la recommandation de Sa Majesté que ce principe de
la constitution doit êtr3 adopté et mis en exécution
dans cette province." (2) C'était péremptoire. La
Chambre, déterminée à refuser, voulut faire accompa-
gner son refus de résolutions explicatives. Il y était
dit que la dépense du gouvernement civil de cette pro-
vince faisait la presque totalité de la dépense publique;
qu'il n'y avait pas de parité entre la métropole et la
colonie; que la prospérité extraordinaire de 1810 avait
disparu; que l'état du commerce et de l'industrie était
précaire et qu'une diminution considérable avait eu
lieu dans les importations et les exportations, et con-
séquemment dans le revenu annuel; que cette provin-
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée, 1821. p. 336.
{2)— Journal de la Chambre d'Assemblée, 1821-22, p. 8.
COURS d'histoire du canada 99
ce était encore dans l'enfance; enfin que les raisons qui
avaient engagé le parlement britannique à pourvoir
pour la vie du roi à la dépense de sa maison et à la liste
civile n'existaient pas dans cette province." (1) La
Chambre refusait donc une fois encore de voter les sub-
sides comme le demandait le gouvernement. Bien plus,
elle résolut de tarir la source qui alimentait le revenu.
Elle laissa expirer sans la renouveler une des lois fisca-
les qui avaient été édictées pour cet objet, et annonça
son intention d'en laisser mourir une autre du même
genre l'année suivante. La situation devenait ex-
trêmement tendue (2). Les relations entre les deux
chambres prenaient un caractère de plus en plus acri-
monieux. Un des membres du Conseil, M. Richard-
son, était violemment censuré par l'assemblée pour
des paroles prononcées par lui dans un débat. (3) Le
Conseil ripostait en accusant la chambre d'avoir violé
ses piivilèges. Bref, le 18 février 1822, la session de
la législature fut prorogée en pleine crise politique.
Si nous analysons maintenant la situation, nous
constatons que l'administration bas-canadienne fonc-
tionnait en pleine incohérence et en pleine illégalité.
L'irrégulaiité signalée par sir John Sherbrooke en 1817
s'était aggravée par le fait même qu'on avait tenté in-
fructueusement d'y porter remède et qu'on y persis-
tait dorénavant de propos délibéré, après avoir an-
noncé qu'on voulait en sortir. Sur l'initiative de ce
gouverneur clairv^oyant, le gouvernement impérial
avait pris la décision de demander à la législature le
{\)— Journal de la Chambre d'Assemblée. 1821-22, p. 87.
(2)— Christie, II, p. 367.
(Z)— Journal de la Chambre, 1822, p. 137.
0
100 COURS d'histoire du canada
vote régulier des subsides nécessaires au service pu-
blic. Il y avait de cela cinq ans, et cependant pas un
bill de subsides n'était encore inscrit dans nos statuts.
En 1818 le temps avait manqué et la Chambre
Q}avait autorisé la dépense par une résolution. En 1819
le duc de Richmond avait alarmé la représentation
populaire par une injustifiable et maladroite augmen-
tation du budget soumis, et celle-ci a\ait proclamé
le principe du vote annuel et par article, que le Conseil
législatif et le gouverneur avaient repoussé de concert.
En 1820 une dissolution inattendue et inexplicable,
décrétée par le juge Monk, administrateur intérimaire,
puis la mort du roi, survenue au milieu d'un imbroglio
malheureux, nous avaient gratifiés de deux élections
générales en quatre mois et d'une stérile session de
treize jours. En 1821, lord Dalhousie était entré en
scène, et avait essayé vainement de faire accepter par
la Chambre le vote d'une liste civile permanente pour
la vie du roi. L'Assemblée avait maintenu son atti-
tude relativement au vote annuel, et signalé dans une
adresse un grand nombre d'articles budgétaires desti-
nés à perpétuer d'indéniables abus. Toutefois elle
avait autorisé par résolution la dépense d'une somme
suffisante pour faire face aux besoins administratifs.
Mais le Conseil avait, de son côté, pris catégoriquement
position en s'engageant à ne voter jamais qu'une liste
civile permanente, pour toute la vie du souverain. Et
le gouverneur avait déclaré ne pouvoir accepter l'au-
torisation non statutaire de l'Assemblée sans le con-
cours de la Chambre haute. Enfin, en 1822, les deux
systèmes s'étaient nettement précisés et heurtés. Le
gouverneur avait formellement requis, au nom de la
Couronne, l'adoption d'une liste civile permanente
pour la vie du roi, comme cela était pratiqué en Angle-
COURS d'histoire du canada 101
terre. La Chambre avait repondu qu'elle ne pouvait
y consentir, alléguant la disparité des circonstances (1).
Et, cette fois, elle s'était abstenue de voter une réso-
lution d'indemnité anticipée. Elle avait même indi-
qué son intention de forcer la main à l'exécutif en
s'arrangeant pour frapper de caducité deux des lois
de revenu les plus productives. L'administration pro-
vinciale se trouvait acculée dans une impasse. N'ayant
pu obtenir le vote des subsides, elle ne pouvait toucher
à la catégorie du revenu non affecté par le parlement
sans violer un principe fondamental de la constitution
britannique, sans commettre une illégalité flagrante.
Et même au cas où elle serait déterminée à passer
outre, le tarissement du revenu en le lui interdisant
la condamnait à l'inertie. Comment trouver à ce
problème une solution satisfaisante ?
Pendant que ces difficultés d'ordre budgétaire
et constitutionnel s'acheminaient vers le point culmi-
nant où nous les voyons rendues, un autre imbroglio
se produisait. Et celui-ci mettait aux prises les deux
provinces séparées en 1791, relativement au partage
des recettes douanières. Jusqu'à la séparation, il ne
pouvait être question d'un tel partage entre les régions
inférieure et supérieure de la province, dont les affaires
étaient administrées par un gouvernement unique.
Mais lorsque deux provinces, celle du Haut et celle
du Bas-Canada, eurent été créées par le statut impé-
rial de 1791, il fallut délibérer sur la manière dont se-
(1) — On trouve à l'appendice K du Journal de la Chambre
d'Assemblée pour 1822 un document important qui récapitule
les divers incidents de cette controverse. C'est le rapport d'un
comité chargé de préparer un projet d'instructions à M.
Marryat, nommé agent de la province en Angleterre.
102 COURS d'histoire du canada
raient repartis entre elles les droits perçus en vertu des
lois fiscales existantes ou de celles qui seraient ultérieu-
rement adoptées. La situation était assez embarras-
sante. Le seul port d'entrée pour les importations
soumises aux droits de douanes était celui de Québec,
où les vaisseaux devaient faire leur déclaration de car-
gaison, et où les taxes devaient être payées sur toutes
les marchandises importées, môme sur celles qui étaient
destinées à la consommation du Haut-Canada. Evi-
demment celui-ci avait droit aux recettes provenant
des impôts perçus sur les articles importés par ses mar-
chands et destinés à sa consommation locale. Autre-
ment, le Bas-Canada aurait eu le piivilège inique de
taxer le commerce du Haut-Canada, en profitant de sa
position géographique, et de garder pour lui seul le
produit de ces impositions.
En 1794, on nomma des commissaires représen-
tant chacune des deux provinces pour régler cette ques-
tion délicate. Et un arrangement fut conclu, en vertu
duquel le Haut-Canada, renonçant à édictei lui-même
des taxes d'importation, reconnaissait à la législature
du Bas-Canada le droit d'en imposer seul, mais avec
^ l'obligation pour celui-ci de verser à la province-sœur
S unhuitième des recettes douanières perçues à Québec. (1^
Cette convention ne dura que deux ans. En 1797
on jugea opportun de conclure un autre arrange-
ment. Il fut stipulé, comme en 1795, "que le Haut-
Canada n'imposerait aucun droit sur les effets impor-
tés dans le Bas-Canada, mais qu'il permettrait que le
Bas-Canada imposât sur ces effets tels droits laison-
nables qu'il jugerait expédient." Et pour déterminer
(1) — Les Statuts provinciaux du Bas-Canada; 3.5 Georges III,
ch. III.
COURS d'histoire du canada 103
la part de droits dûs au Haut-Canada, on décréta l'éta-
blissement à frais communs, au Côteau-du-Lac, d'un
bureau où serait installé un inspecteur, officier des
deux provinces, à qui toutes les voitures et tous les ba-
teaux allant du Bas au Haut-Canada feraient rapport
des marchandises transportées par eux, ainsi que des
droits payés à Québec. Et ce fonctionnaire, se basant
sur les entrées dans ses livres, ferait ensuite sa déclara-
tion, d'après laquelle serait fixé le chiffre des recettes
douanières afférantes au Haut-Canada. (1) Ce régime
dura jusqu'en 1817, "le montant des droits à payer au
Haut-Canada étant entièrement réglé par le montant
des articles sujets aux droits que l'inspecteur du Côteau-
du-Lac rapportait comme étant venus du Bas-Cana-
da."
En 1817, ce "modus vivendi" qui avait duré vingt
ans fut discontinué parce que le Haut-Canada ne le
trouvait plus satisfaisant. Des commissaires furent
de nouveau nommés par les deux provinces. Après
d'assez longues délibérations, ils conclurent la conven-
tion suivante. Le bureau d'inspection du Côteau-du-
Lac était supprimé et le Haut-Canada devait recevoir \^
un cinquième de tous les droits d'importations perçus ^
dans le Bas-Canada (2).
Une question cependant resta en suspens lors de
la conclusion de cet arrangement en 1817. Ce fut celle
qui concernait certains arrérages, au sujet desquels les
commissaires du Haut-Canada élevèrent une réclama-
tion. Celui-ci prétendait que, sous le régime de 1797 à
1817, il avait subi une peite de revenu considérable.
II représentait que, pour diverses raisons, toutes es
(1) — 37 George III, cli. m.
{2) — Les Statuts provinciaux du Bas-Canada. 57 George III,
ch. V.
104 COURS d'histoire du canada
maichandises expédiées dans le Haut-Canada n'étaient
pas déclarées au bureau d'inspection du Côteau-du-
Lac. En outre certaines lois de douane, adoptées
pai la législature du Bas-Canada et imposant de nou-
veaux droits, n'ayant pas été signifiées au bureau du
Coteau non plus qu'au gouvernement du Haut-Ca-
nada, l'inspecteur avait omis d'entrer dans ses livres
des marchandises soumises par cette législation nou-
velle à certains droits "ad valorem" ou de tenir comp-
te d'articles sur lesquels avaient été imposés des droits
spécifiques. De sorte que, suivant les expressions du
rapport d'un comité conjoint des deux chambres du
Haut-Canada, "cette omission ne fut découverte par
cette province que lorsqu'elle eût occasionné dans son
revenu une perte clairement constatée de plusieurs mil-
liers de livres". En présence de cette réclamation,
les commissaires du Bas-Canada déclarèrent qu'ils
n'avaient pas de pouvoirs suffisants pour la considérer
et la régler, et la difficulté resta sans solution.
La convention de 1817 n'était faite malheureuse-
ment que pour deux ans. En 1819 elle ne fut pas re-
nouvelée, par suite de la crise législative que traversait
alors le Bas-Canada, et le Haut-Canada se trouva pri-
vé de la part de recettes douanières à laquelle il avait
droit, ce qui lui infligea une pénurie financière très pré-
judiciable. Malgré ses plaintes cette situation se pro-
longea, et lorsque lord Dalhousie arriva à Québec au
mois de juin 1820 la difficulté était encore pendante.
En 1821, les deux provinces nommèrent des com-
missaires pour tâcher d'en arriver à un arrangement sa-
tisfaisant. Ceux du Bas-Canada étaient MM. L.-J.
Papineau, A. Cuvillier, J. Davidson, J. Neilson, G.
Garden; ceux du Haut-Canada, MM. Thomas Clarke,
A. MacLean, Jonas Jones. Voici quelle était à ce mo-
COURS d'histoire du canada 105
ment l'attitude de cjette dernière province. Elle ré-
clamait des arrérages s' élevant à plusieurs mille louis
pour les droits perdus par l'insuffisance de l'inspection
au Côteau-du-Lac et le défaut de signification à ce
bureau de plusieurs lois fiscales. Elle demandait le
paiement d'un cinquième des droits perçus dans le
Bas-Canada de 1819 à 1821, en se basant sur le taux
fixé par l'accord de 1817, qui n'avait pas été renouvelé.
Enfin pour les deux années prochaines, 1822 et 1823,
elle proposait que sa proportion des recettes douaniè-
res fût fixée à un quart. Outre ces réclamations, elle
prétendait qu'il était juste de lui accorder, à même les
revenus territoriaux et permanents de la Couronne af-
fectés au soutien du gouvernement civil et de l'admi-
nistration de la justice, une somme proportionnelle à
celle de la dépense qui lui incombait pour solder ces
services (1).
Les commissaires des deux provinces se réunirent
à Montréal dans l'été de 1821. Ils se rencontrèrent
chez l'un d'entre eux, M. Papineau, orateur de l'Assem-
blée législative du Bas-Canada, et eurent plusieurs
conférences. Malheureusement ils ne purent parve-
nir à s'entendre. Les représentants du Bas-Canada
ne se crurent pas justifiables d'accepter les demandes
de l'autre province. Pour les arrérages antérieurs à
la convention de 1817, ils émirent l'opinion que celle-ci
avait été conclusive à toutes fins que de droit; que
cependant le Haut-Canada avait reçu du Bas-Canada
une somme de plusieurs mille louis, en sus de ce que lui
accordait l'arrangement accepté alors, et qu'après cela
il ne pouvait plus être question d'arrérages. Quant à
la part de recettes douanières réclamée par le Haut-
Ci) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1822 ; Appendice H, rapport des commissaires du Bas-Canada.
106 COURS d'histoire du canada
Canada pour la période de 1819 à 1821, Us proposèrent
de l'établir par des témoignages pris devant la commis-
sion et démontrant quelle quantité de marchandises
sujettes aux droits avait passé "bonâ fide" du Bas-
Canada dans le Haut-Canada pour y être consommée.
Ils suggérèrent d'adopter le même mode pour l'année
1821-1822. Et enfin, pour l'avenir, ils soumirent le
plan suivant: "I] serait permis, par la législature de
l'une et de l'autre province, de procéder avec toutes
espèces de marchandises et effets d'une province à
l'autre et de les passer franches d'aucun droit en en
faisant une entrée régulière à la maison de douane la
plus voisine, et en signant une reconnaissance comme
quoi ces effets ne seraient ni vendus, ouverts ou con-
sommés dans la province par où ils auraient passé."
Cela revenait à dire que les marchandises importées
pour la consommation haut-canadienne ne paieraient
aucun droit dans le Bas-Canada, passeraient en transit
et en franchise de la province inférieure à la province
supérieure, qui leur ferait payer les taxes douanières
qu'elle jugerait raisonnables à leur entrée chez elle.
De cette façon chaque province aurait été maîtresse de
son tarif et auraitprélevéelle-mcmeetindépcndaniment
de l'autre ses taxes douanières (1). Le Haut-Canada
repoussa cette solution, qu'il représenta comme trop
difficile et trop coûteuse d'application pratique, à cau-
se de l'étendue de la frontière entre les deux provinces.
Les commissaires se séparèrent sans avoir conclu d'ar-
rangement. Le Haut- Canada, souffrant de plus en plus
de la perte de revenu qui paralysait son administration,
s'adressa alors au parlement impérial, en janvier 1822,
et lui demanda d'intervenir pour redresser ce grief.
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1822 ; Appendice H.
COURS d'histoire du canada 107
Deux questions graves, deux conflits aigus, le
conflit budgétaire bas-canadien et le conflit douanier
interprovincial, s'imposaient donc à l'attention de
la métropole en 1822. En les abordant avec un esprit
de sagesse, d'équité et de conciliation, il n'était pas
impossible pour les hommes d'Etat britanniques de
faire accepter, dans le premier cas, un modxis vivendi
et, dans le second cas, un terrain d'entente, capables
de rétablir l'ordre et la concorde.
Malheureusement, en présence de nos difficultés,
une intrigue dangereuse, dont les fils s'entrecroisaient
à travers l'Océan, se préparait à les exploiter au détri-
ment de nos intérêts nationaux et religieux. La majo-
rité bas-canadienne réclamait avec une énergie crois-
sante le régime du selj-i^o^emwent. Pourquoi ne pas
la rendre impuissante en la réduisant dans un avenir
prochain au rôle de minorité? Le Haut et le Bas-
Canada se querellaient au sujet du partage des douanes.
Le meilleur moyen de terminer le litige ne serait-il
pas d'en supprimer la laison d'être en réunissant les
deux provinces sous un gouvernement commun?
Telle fut la genèse de la tentative d'union de 1822,
qui fera l'objet de notre prochaine leçon. Nous verrons
se nouer l'intrigue, nous la verrons se resserrer, nous
la verrons toucher au succès; et, Dieu merci, nous la
\'errons enfin échouer pitoyablement devant le magni-
fique soulèvement de notre peuple.
SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER
Garneau, HistoireAu Canada, 1882, t. III, liv. XV, ch. r. —
Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, 1844,
liv. III.— Perrault, Abrégé de l'Histoire du Canada, 1833, t. IV.—
108 COURS d'histoike du canada
Kingsford, History oj Canada, t. IX. — Christic, History oj Loiver
Canada, t. II, ch. XXI, xxii, xxui. — Canada and its Pro-
vinces, Toronto, 1814, tt. III et IV. — Statuts provinciaux du Bas-
Canada, 1794, 1797, 1817. — Journaux de la Chambre d'Assem-
blée du Bas-Canada. 1817, 1818, 1819, 1820, 1820-21, 1822.—
Journaux du Conseil législatij du Bas-Canada, 1819, 1820-21. —
Tbe Maseres Papers, Toronto, 1919. — -Tbe Annual Register,
Londres, 1816, 1817. — Hansard's debates lèro série, tt. xxxiv
et XXXVI. — Financial Difficulties oJ Lower Canada, Québec,
1824. — Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada,
série Q. 119, 143, 151-A. 151-1, 152-1-2, 155-1. 1.52-2.— Gazette
de Québec, 1820.
QUATRIÈME LEÇON
La tentative d'union de 1822. — M. Edward EUice. — Ses
accointances canadiennes. — Le groupe unioniste montréalais.
— Le projet d'union des deu.x provinces. — Consultations pré-
alables.— L'opinion du procureur général haut-canadien. —
Le cabinet britannique passe outre. — Il présente un bill
d'union. — Une intervention opportune. — Le débat aux com-
munes.— Attitude de sir James Mackintosh. — Il fait ajour-
ner le bill.— rZ>e Canada Trade Act. — Analyse du projet
soumis. — Trois articles spécialement iniques. — L'inégalité de
représentation. — -La proscription de la langue française. — La
collation des ciires. — L'agitation au Canada. — La pétition. —
Mission de MM. John Neilson et Louis -Joseph Papineau.—
La Chambre d'assemblée et le Conseil législatif condamnent
le bill. — MM. Neilson et Papineau à Londres. — Leur mémoire
contre l'Union. — On leur fait des promesses. — Le bill reste en
plan. — L'attitude de Lord Dalhousie.— La tentative échoue.
— Aveux rétrospectifs. — Une chanson satirique.
En 1822, parmi les membres de la Chambre des
communes anglaise, il y en avait un qui s'intéressait
particulièrement aux affaires canadiennes. II repré-
sentait Coventry et s'appelait Edward £Ilice. Ce tiUJC^
député avait résidé quelque temps dans notre province.
Son père y avait fait un grand commerce et était
devenu propriétaire de la seigneurie de Beauharnois,
qu'il lui avait léguée. Après son séjour au Canada,
M. Edward Ellice était allé se fixer aux Indes Occi-
dentales où il avait épousé une fille de lord Grey, le
célèbre homme d'Etat qui, pendant de longues années,
fut le chef du parti whig. Cette alliance lui donna
de l'influence et du prestige. De retour en Angleterre,
i! obtint un siège dans !a Chambre des communes.
110 COURS d'histoire du canada
Naturellement les propriétés qu'il possédait dans le
Bas-Canada lui faisaient conserver ses relations avec
notre province. II était en correspondance suivie
avec les chefs du haut commerce montréalais, dont
plusieurs, tels que MM. Richardson, Grant, Molson,
figuraient parmi nos adversaires les plus violents.
Ce groupe rêvait depuis longtemps la réunion des
deux provinces, dans laquelle il voyait un moyen, l'uni-
cjue moyen, de se soustraire à la suprématie parlemen-
taire d'une majorité canadienne-française. Les diffi-
cultés survenues entre le Haut et le Bas-Canada rela-
tiv-^ement au partage des droits de douanes, et le con-
flit chronique de l'exécutif avec la chambre au sujet
dessubsides parurent à ces ennemis de notre nationalité
une occasion très favorable à la réalisation de leurs
vœux. Ils multiplièrent les démarches dans ce sens
et mirent en mouvement les grandes maisons commer-
ciales de Londres dont ils étaient les clients. Ils n'ou-
blièrent pas M. Ellice, gagné d'avance à toutes leurs
vues, qui entreprit sans retard le siège des ministres
pour les déterminer à abroger la constitution de 1791
et à réunir les deux Canadas sous une seule législature.
Au commencement de 1822 les conspirateurs contre
notre constitution entrevoyaient déjà le succès de leur
manoeuvre. Des négociants de Montréal, MM. Hart,
Logan et compagnie, écrivaient à M. Ellice le 31 jan-
vier: "Une bien meilleure mesure, nous l'espéions, sera
proposée, et les hommes de commerce déploieront
toute l'énergie pour la faire réussir, savoir la réunion
des deux provinces. . II n'y a réellement aucun espoir
de rendre le Canada utile comme apanage de l'empire
britannique en en faisant un asile convenable pour les
émigrants, ou développei ses ressources commerciales,
excepté par la grande mesure de l'union du Haut et du
COURS d'histoire du canada 111
Bas-Canada." (1) Cependant l'intention première du
gouvernement parut être de soumettre un bill ayant
pour seul objet de régler la question du partage des
droits de douanes entre le Haut et le Bas-Canada.
Plusieurs officiels canadiens, entre autres le juge Monk,
le solliciteur général Marshall, du Bas-Canada, et le
procureur-général Robinson, du Haut-Canada, se
trouvaient à Londres, dans l'hiver de 1822; les minis-
tres les avaient consultés et leurs opinions n'avaient
pas été parfaitement concordantes. MM. Monk et Mar-
shall avaient approuvé l'union (2). M. Robinson, au
contraire, avait nettement émis un avis hostile au pro-
jet. Dans un mémoire daté du 23 avril 1822, il avait
exposé ses vues avec beaucoup de précision et de clarté.
Suivant lui, la réunion des deux provinces n'était pas
nécessaire pour régler leurs difficultés financières: "Je
ne vois aucune raison de supposer, écrivait-il, qu'il
faille une union des législatures pour ces motifs, par-
ce que je prétends, en premier lieu, qu'une telle union
ne ferait nullement disparaître le point principal du
différend, savoir les réclamations du Haut-Canada
pour le passé. . Quant aux règlements futurs des re-
lations entre les deux colonies, les mesures humblement
demandées par le Haut-Canada sont telles qu'on ne
croit pas qu'on puisse y opposer aucun système rai-
sonnable."
M. Robinson passait ensuite à la question de la
liste civile, cause du conflit entre l'exécutif et la Cham-
bre dans le Bas-Canada, et il faisait à ce propos cette
déclaration remarquable: "Quant au premier des in-
convénients mentionnés, savoir l'embarras ressenti à
présent dans le Bas-Canada à cause du refus de la lé-
(1) — Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 1.
(2)— Archives du Canada, Q. 162-1-2, p. 283.
8
112 COURS d'histoire du canada
gislatuie de pourvoir d'une manière plus permanente
à la liste civile, j'avoue que je ne vois pas comment une
telle mesure pourrait le faire disparaître, parce que,
supposant que les Canadas fussent unis selon l'échelle
actuelle de représentation, si chaque membre du Haut-
Canada consentait à une disposition permanente en
faveur de la liste civile, elle ne serait pas encoie adop-
tée, et sans exprimer aucune opinion sur la question
telle qu'elle se trouve aujourd'hui dans le Bas-Canada
je ne crois nullement qu'on ait raison de prévoir que
les membres du Haut Canada appuieraient en géné-
ral cette disposition dans les termes dans lesquels on
exigerait qu'elle fût faite." Ces derniers mots étaient
extrêmement significatifs, sous la plume du procureur
général du Haut-Canada. Ils indiquaient que,
d'après lui, les députés anglais de cette province ne
seraient guère moins jaloux des privilèges de la chambre
populaire que les représentants français du Bas-Canada.
M. Robinson revenait sur cette idée à la fin de son
mémoire. Après avoir formulé ses objections, du
point de vue haut-canadien, après avoir rappelé la
difféience de population qui existait entre les deux pro-
vinces, différence qui, dans son opinion, assurerait
longtemps la prépondérance au Bas-Canada, après
avoir manifesté sa crainte de voir le sentiment bas-
canadien prévaloir forcément quand il y aurait diver-
gence entre les deux sections de la législature unie, il
tenait ce franc, loyal et généreux langage: "Les habi-
tants français du Bas-Canada, j'en suis fermement con-
vaincu, sont aussi paisiblement disposés, aussi enclins
à se soumettre à l'autorité, et aussi loj'alement atta-
chés au gouvernement britannique qu'aucune portion
des sujets de Sa Majesté; et quelque embarras que
puissent causer leurs représentants en refusant de pour-
COURS d'histoire du canada 113
voir d'une manière permanente à la liste civile, ou sur
des questions de revenus ou autres, quelles qu'elles
soient, entre eux et le gouvernement exécutif, il ne
faut pas l'attribuer à la prépondérance de l'influence
française sur les Anglais, mais au désir dont font preuve
toutes les assemblées populaires d'affirmer et d'exer-
cer le plus possible la part de pouvoir qu'elles croient
leur être accordée par la constitution, et même de l'éten-
dre, disposition dont on peut attendre d'autant plus
d'inconvénients qu'un tel corps sera plus démocrati-
que. Et je crois que les descendants des Anglais, des
Irlandais et des Ecossais seront plus portés à y persé-
vérer que les descendants des Français. Si donc l'idée
que la législature unie serait plus raisonnable sous ce
rapport que la présente législature du Bas-Canada
semblait devoir rendre une union désirable, je ne crois
pas que l'événement justifiât l'attente." (1)
Ce document politique faisait honneur à son au-
teur par sa pondération, sa mesure, sa clarté, son
esprit de justice, la clairvoyance et la rectitude de juge-
ment qui s'y manifestaient à chaque ligne. La lecture
d'une pièce aussi fortement raisonnée dut faire léflé-
chir les ministres. Au commencement de juin ils pa-
rurent peu disposés à proposer un bill d'Union. Le 10
de ce mois, une résolution de la Chambre des com-
munes chargea lord Londonderry et MM. Wilmot et
Brogden de préparer un projet de loi "pour réglemen-
ter le commerce des provinces du Haut et du Bas-Ca-
nada et pour d'autres objets." Il n'y était pas ques-
tion de changement dans la constitution. Mais les
unionistes et leur champion, M. Ellice, redoublèrent
à ce moment d'efforts et, par leurs instances réitérées,
réussirent à faire adopter leurs vues par le gouverne-
Ci) — Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 2.
114 COURS d'histoire du canada
ment. Le 20 juin instruction était donnée au comité
Brogdcn, Wilmot et Londonderry d'ajouter au bill
qu'on l'avait chargé de préparer des dispositions pour
le meilleur gouvernement des deux provinces. Et le
même jour M. Wilmot, sous-secrétaire d'Etat pour les
colonies, présentait un projet de loi "to make more ef-
fectuai provision for the government of the provinces
of Lower and Upper Canada, to regulate the trade
thereof and for other purposes." La question de l'u-
nion des deux Canadas était ofTiciellcment posée par
le gouvernement dans la Chambre des Communes. (1)
Heureusement qu'un M. Parker, ancien marchand
enrichi dans le commerce canadien, et ennemi d'ElIice,
avait eu vent de ce qui se passait. Influencé sans
doute par son antipathie pour le gendre de lord Grcy
et aussi par des motifs d'intérêt public, il avait fait des
démarches auprès des ministres pour les empêcher de
se rendre aux vues de ce remuant personnage (2).
Voyant qu'on allait passer outre, il se tourna alors vers
quelques membres importants de l'opposition, entre
autres sir James Mackintosh, et leur dénonça le coup
de main qui se préparait pour changer la constitution
canadienne, sans que les deux législatures intéressées
en eussent le moindre soupçon. Sir James Mackintosh
avait une grande situation parlementaire. Il jouis-
sait d'une réputation méritée comme légiste, comme
penseur et comme orateur. Après avoir occupé aux
Indes des fonctions importantes, il siégeait depuis 1813
dans la Chambre des communes. Adversaire modé-
ré du gouvernement, par son caractère et son talent
{\)—Hansard's Debates, 1822, nouvelle série, t. VII. p. 1199.
(2) — Rapport du comité choisi pour s'enquérir sur le gouver-
nement civil du Canada, 1828, p. 239.
COURS d'histoire du canada 115
cet homme politique exerçait une autorité réelle parmi
ses collègues (1).
Le 20 juin, lorsque M. Wiimot eut présenté son pro-
jet de loi, sir James Mackintosh se leva aussitôt pour
déclarer qu'il verrait avec alarme, à une période aussi
avancée de la session, l'adoption d'un bill affectant les
droits les plus sacrés du peuple des provinces cana-
diennes, et il ajouta qu'il ferait son possible pour em-
pêcher cette mesure de passer durant la présente ses-
sion (2).
Dès ce moment la Chambre des communes était
mise sur ses gardes, et messieurs les unionistes ne pou-
vaient plus espérer escamoter l'adoption du projet
qui leur tenait tant au cœur.
Le 22 juin le bill présenté par M. Wiimot fut
adopte en deuxième lecture et soumis au comité. Le
rapport du comité, présenté quelques jours après, fut
ajourné pour considération ultérieure le 6 juillet, et le
18 juillet cette importante mesure revint devant la
Chambre. M. Wiimot déclara que l'un des objets du
bill était de remédier aux griefs du Haut-Canada.
"Nous proposons, dit-il, d'établir une union plus inti-
me entre les deux colonies en incorporant en une seule
leurs deux législatures, afm que la langue anglaise
et l'esprit de la constitution anglaise puissent être
plus puissamment répandus parmi toutes les classes
de leur population. Nul droit ou privilège dont jouit
un citoyen dans l'une ou l'autre province n'est affecté
en aucune façon par la présente mesure." (3)
(1) — Encyclopaedia Britannica, t. XVII, p. 359.
i2)—Hansarc['s Debates, 1822, p. 1199.
(3)— Hansards' debates,, 1822, p. 1699.
116 COURS d'histoire du canada
Ce fut Sir James Mackintosli qui repondit au mi-
nistre. Il fit observer à la Clianil^rc que ce qu'il de-
mandait au gouvernement c'était six mois de délai
quant à cette partie du bill relatif à l'union des deux
législatures. Il ne s'opposait nullement au reste du
projet de loi. "La Chambre, dit-il, doit consulter les
sentiments du peuple du Canada. Est-il convenable
qu'une mesure affectant si profondément les libertés et
les intérêts pécuniaires de la colonie soit adoptée à la
hâte durant cette fin de session ? Est-il tolérable qu'on
le lasse sans consulter la législature du Canada." (1)
A ce moment l'u» des principaux instigateurs de la
mesure, M. Ellicc, entra en scène. Il proclama avec
ostentation sa responsabilité relativement au projet
et il s'efforça d'en démontrer l'urgence. "J'ai dès l'ori-
gine, décJara-t-il, suggéré cette mesure et insisté pour
son adoption auprès des ministres de Sa Majesté.
Elle est la seule qui puisse promouvoir les intérêts per-
manents des colonies et de la mère-patrie, et elle est
infiniment préférable aux autres expédients que l'on
a conseillés pour surmonter les difficultés existantes
qui ont rendu indispensable un rccouis au Parlement
durant la présente session. Voilà pourquoi je sens
qu'il m'incombe non seulement d'énoncer les raisons
qui ont déterminé mon opinion et ma conduite en cette
affaire, mais aussi d'expliquer à la Chambre quelques-
unes des circonstances qui ont malheureusement re-
tardé l'introduction du bill." Dans la suite de son
discours, M. Ellice admit hauiiment que les habitants
français du Canada s'opposeraient à la mesure. La
Chambre devait tenir pour acquise l'impopularité du
projet auprès d'eux. Mais l'union serait saluée avec
gratitude par tous les habitants de langue anglaise des
(1)—Ibic[. p. 1702.
COURS d'histoire du canada 117
deux provinces. "Même si nous n'intervenions pas,
ajouta-t-il, il n'est pas probable que la population an-
glaise et américaine habitant les immenses régions ar-
rosées par le St-Laurent se soumette longtemps aux
lois et au gouvernement de l'oligarchie française qui
dirige l'assemblée de Québec. Si le bill n'enlève au-
cun droit à la population française, de quelle injustice
pourrait-elle se plaindre ?"
M. Ellice avait fait entendre la vraie pensée du
clan unioniste. Un autre champion se leva alors pour
défendre la cause du Bas-Canada. M. Henry Bright,
député de Bristol, protesta ccntie l'injustice dont on
nous menaçait. II alla droit au fond du débat et dé-
clara sans ambages que "ce bill était purement un bill
haut-canadien, ayant pour objet de détruire l'influence
du Bas-Canada et de donner une supériorité certaine
h la population piotestante sur la population catholi-
que. Si l'on enlève au Canada sa législature quelle sé-
curité auront les autres colonies anglaises?" (l)
L'énergique lésistance provoquée par la mesure
dans la Chambr/ des communcb fit reculer le gouver-
nement. Le 23 juillet, lord Londonderry annonça que,
vu l'opposition faite au bill, à cette période de la ses-
sion, le ministère comprenait l'impossibilité de le faire
adopter cette année. La partie du projet de loi con-
cernant l'union fut donc retranchée er comité. Le
bill devenu simplement The Canada Trade Act (2) fut
adopté le 2G juillet. (3) Mais un autre bill concernant
(1) — Hansard's Debates, seconde série, t. VII, p. 1708.
(2) — Hansard's Debates, deuxième série, t. VII, p. 1713.
(3) — On trouve cette loi dans les statuts britanniques de 1822;
c'est l'acte 3 George IV, chapitre 119. — Les articles un à dix-
sept concernaient les droits d'importation à payer sur les mar-
chandises importées des Etats-Unis dans le Haut et le Bas-
lis COURS d'histoire du canada
l'union seule fut présenté le 30 juillet. Il contenait
le'; articles du bill originaire relatifs à l'union, tels
qi 'amendés par le comité de la Chambre. L'impres-
sion du nouveau projet fut ordonnée et S" prise en
considération ajournée à trois mois. la prorogation
eut lieu le 5 août 1822. Le coup des unionistes était
manqué pour cette année. Mais le projet ajourné
restait comme une menace. C'est ici le moment d'en
examiner les principaux articles et la portée générale.
Le préambule déclarait qu'une législature unie
pour les deux provinces devant promouvoir leur sécu-
rité et leur prospérité mieux qu'une législature sé-
Canada, les droits sur le rhum importé des Indes Occidentales
dans le Bas-Canada, la liberté d'exporter du Canada aux Etats-
Unis les produits canadiens, et les remises de droits à payer
sur les rhums et les spiritueux des îles importés de Terreneuve,
de la Nouvelle-Ecosse et de l'île du Prince-Edouard dans le
Canada.
L'article dix-sept avait pour objet d'instituer un mode
de procéder au partage des droits de douane entre le Haut et le
Bas-Canada. Il pourvoyait à la nomination d'arbitres, un
par le Haut-Canada, un par le Bas-Canada, un troisième par
les deux premiers ou, à leur défaut, par Sa Majesté. Ces arbitres
examineraient les livres, les pièces et les documents, entendraient
les témoins, et feraient un rapport basé sur leurs constatations.
Là-dessus les commissaires du trésor britannique décideraient,
détermineraient les parts respectives et donneraient l'ordre de
paiement. Ceci réglerait les difficultés pendantes jusqu'à 1819.
De 1819 à 1824, par l'article vingt-quatre, le Haut-Canada
devrait recevoir un cinquième des droits perçus et à percevoir.
Après 1824, de quatre ans en quatre ans, la proportion devrait
être déterminée par voie d'arbitrage comme ci-dessus.
L'article vingt-huit maintenait en vigueur, nonobstant la
volonté de la législature bas-canadienne, les droits existant
actuellement en vertu des lois provinciales.
L'article trente et un rendait possible la commutation de
la tenure seigneuriale en franc et commun soccage.
COURS d'histoire du canada 119
parée pour chacune d'entre ellec, les dispositions de
l'Acte de 1791 qui créaient deux législatures étaient
abrogées.
L'article deuxième décrétait qu'il y aurait pour les
deux provinces unies un Conseil législatif et une As-
semblée législative, qui seraient appelés "le Conseil
législatif et l'Assemblée des Canadas".
Par les articles troisième, quatrième et cinquième,
le Conseil législatif devait se composer des mem-
bres actuels des Conseils législatifs du Haut et du Bas-
Canada. Le chef de l'exécutif était investi du pou-
voir de nommei les conseillers à l'avenir, ainsi que
l'orateur du Conseil. Les articles sixième, septième,
huitième et neuvième avaient trait à l'Assemblée lé-
gislative. Les membre? des assemblées actuelles dans
les deux provinces devaient former de plein droit la
nouvelle assemblée conjointe, qui resterait en fonc-
tions jusqu'au 1er juillet 1825, à moins de dissolution
antérieuie. Les comtés existants et leurs divisions
restaient les mêmes. Mais l'acte adopté par la Légis-
lature du Haut-Canada en 1820, pour porter de 25 à
40 le chiffre de ses représentants, était confirmé, et le
gouverneur du Bas -Canada recevait le pouvoir d'éri-
ger, par proclamation, de nouveaux comtés dans les
townships de l'Est. La représentation du Bas-Cana-
da en ce moment était de cinquante. Un proviso di-
sait que dans aucune des deux provinces elle ne pour-
rait dépasser soixante. Aucun bill pour changer le
nombre des représentants dans l'une ou l'autre pro-
vince ne pourrait être adopté à moins qu'il ne fût ap-
puyé par le vote des deux tiers des membres présents
de l'Assemblée et du Conseil.
Les articles dixième, onzième et douzième concer-
naient les élections, la nomination et les fonctions des
120 COURS d'histoire du canada
ofTicicrs-rapportcurs, ia convocation des chambres,
l'émission des ^rits pour l'élection des députés, etc.
L'article treizième fixait à une valeur de 500 louis
sterling la qualification foncière des députés et la
formule du serment à prêter relativement à cette qua-
lification. L'article quatorzième pourvoyait à la
pénalité qui serait encourue peur un faux serment
prêté à ce sujet. L'article quinzième était relatif
aux élections contestées. L'article seizième déclarait
que deux membres du Conseil exécutif de chaque pro-
vince auraient le pouvoir de siéger dans la Chambre,
de prendre part aux débats, et de jouir de tous les
privilèges, droits et immunités des membres réguliers,
excepté le droit de voter. Les articles dix-septième,
dix-huitième, dix-neuvième, vingtième, vingt et unième,
avaient trait à la première convocation de la nouvelle
législature unie et aux convocations subséquentes,
au terme de chaque législature, qui était fixé à cinq
ans, à la décision de toutes les questions par la majo-
rité des membres présents et au vote prépondérant
de l'orateur, au serment des conseillers et députés,
et à la sanction royale pour les bills.
Les articles vingt-deuxième et vingt-troisième
maintenaient toutes les lois et ordonnances actuelle-
ment en vigueur dans les deux provinces, ainsi que les
droits, privilèges, immunités et avantages des membres
des conseils et des assemblées du Haut et du Bas-
Canada.
L'article vingt-quatrième était un des plus odieux.
II proscrivait la langue française. En voici le texte:
"A compter de l'adoption de cet Acte, toutes
les procédures écrites, de quelque natuie qu'elles soient,
des dits Conseil législatif et Assemblée, ou de chacun
de ces corps, seront rédigés en langue anglaise et en
COURS d'histoire du canada 121
aucune autre; à l'expiration de quinze ans après l'adop-
tion de cet Acte tous les débats dans les dits Conseil
et Assemblée se feront dans la langue anglaise et dans
aucune autre."
Telle était la libéralité du ministère britannique
à ce moment!
L'article vingt -cinquième ne prêtait pas moins
à objection. II commençait par dire que les catho-
liques auraient le libre exercice de leur religion et que
leur clergé jouirait de tous les droits garantis par l'Acte
de Québec. Mais on y avait glissé des mots qui sou-
mettaient sournoisement la nomination des curés à
la discrétion du gouverneur anglais et protestant. II
y était dit que "les curés des différentes paroisses du
Bas-Canada, y accomplissant actuellement les devoirs
de leur ministère, ou ceux "qui seront ci-après nommés
" ou intronisés, avec l'approbation et le consentement
" de Sa Majesté exprimé par écrit par le gouverneur
" ou le lieutenant-gouverneur," continueraient à jouir
de leurs droits", etc. Cela revenait à conféier à un
pouvoir protestant la collation des offices du ministère
catholique.
Les articles vingt-sixième, vingt-septième et vingt-
huitième concernaient certaines restrictions édictées
par l'Acte impérial de 1791, les comptes, rapports et
documents qui devaient être soumis à la législature,
et les salaires des officiers des deux chambres.
Voilà quel était dans ses grandes lignes ce premier
bill d'Union, présenté au parlement d'Angleterre dans
l'été de 1822 (1).
(1) — Bill {as amended by tbe Committee) for uniting tbe Légis-
latures oj Lower and Upper Canada ; printed by order of the
House of Gommons, 31st July, 1822. — Québec, reprinted at the
new printing oflBce, 1822.
122 COURS d'histoire du canada
La nouvelle de la tentative faite par les unionistes
au parlement anglais parvint au Canada dans le mois
de septembre 1822. Elle y produisit, comme il fal-
lait s'y attendre, une grande excitation. Les jour-
naux anglais et partisans aveugles de l'executif applau-
dirent au projet qui avait été soumis à la Chambre
des communes, et exprimèrent l'espoir de le voir
adopter à la prochaine session. Les journaux qui
représentaient l'opinion de la majorité bas-canadienne,
comme le Spectateur Canadien, la Gazette Cana-
dienne, la Gazette de Québec, poussèrent un cri d'a-
larme et "donnèrent l'éveil à la population dont les ins-
titutions, les lois et la langue même étaient menacées
d'extinction par le projet des ministres britanni-
ques."
Lorsqu'il fut connu que ce bill inique avait été
ajourné et qu'il était encore temps de faire parvenir
au palais de Westminster la voix du peuple canadien,
on organisa un vaste mouvement de protestation.
C'est à Montréal qu'eut lieu la première assemblée pu-
blique contre l'union. Elle se tint le 7 octobre et fut
présidée par M. Louis Guy, Monsieur Denis-Benjamin
Viger, député, y prononça le principal discours. Il dé-
nonça la mesure qui menaçait notre province et signala
avec beaucoup de force les injustices qu'elle renfer-
mait. L'assemblée nomma un comité de dix-huit des
plus importants citoyens de la ville et du district de
Montréal, seigneurs, conseillers législatifs, députés,
avocats, médecins, négociants, etc. Voici leurs noms:
MM Louis Guy, Charles de Saint-Ours, P.-D. De-
bartzeh, L. -R.-C. Chaussegros de Léry, C.-M. de Sala-
berry, L.-J.Papineau, D.-B. Viger, François Desrivières,
Jean Bouthillier, Joseph Bédard, J.-R. Rolland, A.
COURS d'histoire du canada 123
Cuvillier, H. Heney, F.-A. Quesnd, Louis Bourdagcs,
F. -A. Laroque, Jules Quesnel, R.-J. Kimber (1).
Une assemblée du mcme génie fut tenue à Québec
le 14 octobre, et le comité suivant y fut nommé: MM.
Louis de Salaberry, J.-F. Perrault, J.-W. Woolsey, A.-
L.-J. Duchesnay, L-A. de Gaspé, F.-P.-J. Taschereau,
Louis Turgeon, Bowen, J. Plante, A. Stuart, J.-A.
Vallières, Jucheieau-Duchesnay, W. Lindsay, Charles
de Lér\% P. Burnet, Jean Bélanger, F. Blanchet, John
Neilson, Philippe Panet, F. Quirouet, John Gcudie,
J.-E. Taschereau, E.-C. Lagutux, Thomas Lee, John
Davidson, P.- E, Desbarats, T. Wilson, W. Hendeison,
Louis Moquin, F. Têtu (2). Le même jour les appro-
bateurs de l'Union tinrent de leur côté une assemblée
à Montréal. L'honorable John Richardson, conseiller
législatif, francophobe enragé, la présida. Monsieur
James Stuart, passé des rangs du parti populaire, dont
il avait été l'un des chefs, dans ceux du parti bureau-
crate, prononça un discours violent. Suivant lui, "les
raisons qu'avaient les Canadiens de s'opposer à la
réunion des deux provinces ne pouvaient être fondées
que sur des préjugés qu'il fallait extirper, ou sur des
intérêts locaux qui ne devaient pas entrer dans la con-
sidération de la question". A quoi le Spectateur Cana-
dien répondit: "Comme si la langue, les lois, les insti-
tutions d'un peuple pouvaient être mis au rang des
préjugés; comme si les intéiêts particuliers à un pays
devaient être comptés pour rien dans ce pays même!" (3)
(1) — Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise
p. 235.
(2)—Ibid, p. 236.
(3)—Ibid.
124 COURS d'histoire du canada
De part et d'autre on se mit à l'œuvre pour orga-
niser le pctitionncment pour et contre l'Union. Mais,
craignant que les pétitions n'arrivassent trop tard,
les comités constitutionnels antiunionistes de Québec
et de Montréal adoptèrent des résolutions de protes-
tation qu'ils transmirent immédiatement au ministère
biitannique. Ces résolutions étaient identiques. On
y prévenait les autorités anglaises que c'était l'intention
d'une grande majorité des habitants de la piovince de
préparer et de faire présenter aussitôt que porsible à Sa
Majesté et aux deux chambres du Parlement, des péti-
tions contre "les changements dans la constitution et
la foi me du gouvernement de cette province heureu-
sement établies." (1)
D'un bout à l'autre du Bas-Canada la pétition
de protestation fut signée avec empressement. Elle
était énergique quant au fond, modérée quant à la
forme et fortement raisonnée. Voici quel en était
l'en-tête: "A la très excellente Majesté du roi: la péti-
tion des sou?signés, seigneurs, magistrats, membres
du clergé, ofTiciers de milice, marchands, tenanciers,
et autres habitants de la piovince du Bas-Canada,
expose humblement".... La pétition exprimait ensuite
la douleur et l'alarme avec lesquelles les signataires
avaient appris l'introduction d'un bill dont l'objet était
de changer la constitution de 1791. Elle affirmait
qu'aucune des autorités constituées en vertu de ce
statut ni aucun des sujets de Sa Majesté dans la pro-
vince n'avaient jamais sollicité publiquement qu'il y
fût fait quelque changement, mais au contraire que
toutes les classes du peuple avaient constamment
manifesté un attachement inviolable à cette constitu-
(1) — Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 19.
COURS d'histoire du canada 125
tion, et avaient tout récemment encore exposé avec
ardeur leurs vies et leurs fortunes pour sa défense et
celle du gouvernement. Il y était dit de plus que
l'acte de 1791, modelé sur la constitution de la mère-
patrie par quelques-uns des plus grands et des plus
sages de ses hommes d'Etat, établissait des pouvoirs
suffisants pour léiormer les abus, réparer les toits,
apaiser les mécontentements et promouvoir le bien
généial de la province, sans exiger l'intervention de
la législature suprême, intervention qui, lorsqu'elle
avait été exercée, s'était trouvée si pernicieuse en
changeant des mécontentements purement locaux et
temporaires en mésintelligence dar^gereusf entre les
colonies et la métropole.
Quant aux différends entre le Haut et le Bas-
Canada relativement à leur revenu, différends qui
avaient été publiquement allégués comme le principal
motif de l'introduction du bill, la pétition déclarait
qu'ils n'étaient pas une suite de la division des deux
provinces, mais qu'ils provenaient uniquement de causes
temporaires, toujours faciles à faire cesser, soit par
des actes des législatures respectives, suivant lesquels
chaque province se bornerait à percevoir son propre
revenu, chacune d'elle donnant libre passage et toutes
facilités au commerce de l'autre, soit par des règle-
ments faits dans le parlement du Royaume-Uni, après
avoir entendu les deux parties. Ce remarquable docu-
ment politique signalait particulièrement les disposi-
tions inacceptables de la mesure projetée. "C'est avec
la douleur la plus réelle, y lisait-on, que vos pétition-
naires voient qu'il y a été introduit à l'égard de la
langue et des établissements religieux d'Un si grand
nombre des sujets de Votre Majesté des clauses qui
doivent faire naître parmi les habitants de cette partie
126 COURS d'histoire du canada
de vos domaines des jalousies et des picjugcs funestes
à leur repoi et à leur bonheur, et qui paraissent in-
compatibles avec la dignité, la sagesse et la justice du
gouvernement de Votre Majesté.
"La clause de ce bill qui interdit dans l'Assemblée
projetée l'usage de la langue française, la seule que
parle et entende une si grande majorité des habitants
de cette province, leur feiait perdre indirectement le
droit d'être élus à cette Assemblée, équivaudrait pour
eux à une privation absolue d'un des plus grands avan-
tages qu'aient les sujets de Votre Majesté, gênerait et
restreindrait leurs franchises et libertés, en diminuant le
nombre des personnes propres à les représenter efficace-
ment, et ferait des personnes qualifiées une classe pri-
vilégiée au sein d'une colonie britannique.
"Ce bill, en accordant au Haut-Canada, dont la
population n'est au plus qu'un cinquième de celle du
Bas, autant de membres qu'à cette dernière pour la
représenter dans l'Assemblée réunie, établirait en faveur
de la minorité une préférence humiliante aux habitants
de cette province, contraire à leurs droits comme sujets
britanniques et dangereux pour leurs intérêts."
La pétition se terminait comme suit : "Qu'il plaise
donc à Votre Majesté que le dit bill ne passe pas en
loi et que l'heureuse constitution et la forme de gou-
vernement de cette province, établies par le dit statut,
soient conservées intactes à vos pétitionnaires et à leur
postérité." (1)
La pétition des unionistes de Montréal était bien
loin de la pondération et de la dignité qu'on remarquait
dans celle que nous venons de citer. Ces "fidèles et
loyaux sujets, de naissance ou descendance britanni-
(1) — Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 25.
COURS d'histoire du canada 127
que," rappelaient l'époque de la conquête du pays par
les armes de Sa Majesté et déclaraient que "nonobs-
tant la générosité sans bornes dont on avait fait preuve
à l'égard des vaincus, en leur reconnaissant leurs lois et
leur religion, en les admettant à la participation au
gouvernement et à tous les droits des sujets britanni-
ques, et par de continuelles démonstrations de bonté
à leur égard, nul progrès n'avait été fait vers aucun
changement dans les principes, dans la langue, les
coutumes et les manières qui les caractérisent comme
"un peuple étranger." Etrangers ! dans le pays dé-
couvert, évangélisé, fertilisé par leurs aïeux, les Cana-
diens-Français ! Toute la pétition des unionistes
montréalais était dans cette note: l'Union était néces-
saire pour nous anacher notre nationalité.
C'était sans doute cette pièce que visait M. Papi-
neau dans la lettre qu'il écrivait à M. Wilmot, au nom
du comité constitutionnel de Montréal, le 16 décem-
bre 1822. "Le comité, disait-il, ne considère pas com-
me nécessaire d'entrer dans le détail des faits qui ca-
ractérisaient suffisamment les motifs des amis du pro-
jet de loi, mais désire seulement dissiper les odieuses
calomnies contre la grosse masse de la population de
cette provmce, contenues dans plusieurs écrits desti-
nés à être lus en Angleterre. On affirme que l'oppo-
sition que manifeste dans cette province la population
ainsi stigmatisée n'est l'effet que de préjugés; on parle
de son attachement supposé à la France et aux prin-
cipes français; on nous appelle étrangers. Etrangers dans
notre pays natal ! — Le bill en question, disent les amis
de l'Union, est de nature à angliciser le pays, qui finira
par être peuplé par une race britannique." (1)
(1) — Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 27.
9
128 COURS d'histoire du canada
La pétition du Bas-Canada contre l'Union fut
couverte de 60,000 signatures. Des pétitions favora-
bles à l'Union furent envoyées de Montréal, de Québec,
des Trois-Rivières, de William-Henry et des Cantons
de l'Est, mais elles n'émanaient que d'une infime mi-
norité. Dans le Haut-Canada les sentiments étaient
très partagés, mais la majorité semblait plutôt dé-
favorable au projet.
Au mois de décembre 1822, les comités antiunio-
nistes de Québec et de Montréal chargèrent MM.
John Neilson et Louis- Joseph Papineau d'aller à Lon-
dres présenter les pétitions au gouvernement de Sa
Majesté et aux deux chambres du Parlement.
Ces deux délégués partirent pour Londres au com-
mencement de l'année 1823. Le 6 janvier M. Papi-
neau écrivait au secrétaire du gouverneur une lettre
dans laquelle il déclarait qu'il ne pourrait être à son
poste comme orateur de l'Assemblée, lors de la réu-
nion des chambres, et que son absence durerait toute
la session. Celle-ci commença le 11 janvier. M.
Vallières de Saint-Réal fut élu orateur pour remplacer
M. Papineau. Dans le discours du trône lord Dal-
housie annonça officiellement aux chambres que le
gouvernement impérial, après avoir proposé certains
changements clans la constitution du Canada, afin
d'unir en une seule les deux législatures du LIaut et
du Bas-Canada, avait ensuite ajourné à la prochaine
session cette mesure pour donner au peuple de ces pro-
vinces l'occasion de faire connaitre ses sentiments à ce
sujet. La Chambre ne fut pas lente à délibérer sur la
question de l'Union. Et elle adopta une adresse dans
laquelle elle représentait combien peu judicieuse serait
l'adoption d'un projet en vertu duquel deux provinces
ayant des lois, des institutions civiles et religieuses et
COURS d'histoire du canada 129
des usages essentiellement différents, seraient soumises
à une seule législature dont les décisions mettraient
alternativement en danger les lois et les institutions de
chacune d'elles. Cette union ferait naître des appré-
hensions bien fondées quant à la stabilité de ces lois
et de ces institutions, une fatale incertitude sur l'ave-
nir du Canada, un affaiblissement de l'énergie et de la
confiance du peuple et des liens qui l'attachaient si for-
tement à la mère-patrie. L'adresse se terminait par
une prière instante à Sa Majesté et à son gouverne-
ment de renoncer à une mesure qui avait causé ici
tant d'alarmes et qui paraissait contraire à la fois aux
intérêts du gouvernement impérial et du peuple de ce
pays. M. Ogden, député des Trois-Rivières, se fit le
champion de l'Union dans l'Assemblée. Il soutint
audacieusement la thèse de l'unification, de la fusion
des races, de l'anglicisation des Canadiens. "Ceux-ci,
s'écria- t-il, ne peuvent avoir aucun sentiment hostile
contre des sujets d'un même souverain, par conséquent
aucune répugnance à adopter la langue, les habitudes
et le caractère de cette grande famille, et à former dans
l'intérêt commun une seule province des deux. . Il
faut détruire les préjugés mal fondés pour assurer la
bonne harmonie. Il n'est pas nécessaire d'expliquer
ce qui a causé l'alarme produite par la mesure soumise
à la Chambre des communes; elle est connue du gou-
vernement. C'est la jalousie, c'est le manque de con-
fiance dans l'honneur et la droiture, qu'on entretient
malheureusement avec trop de succès parmi les hom-
mes ignorants et inconsidérés; et il est quelquefois du
devoir des législateurs de chercher le bonheur du peu-
ple même malgré lui." En dépit des efforts de M.
Ogden, l'adresse hostile à l'Union fut votée dans la
Chambre par 31 voix contre 3. Le Conseil législatif
130 couKS d'histoike du canada
vota, lui aussi, une adresse ayant la même portée. II
y était dit que l'Union serait accompagnée de maux
inévitables, produirait des craintes et des appréhen-
sions causées par la discussion et les conflits relatifs à
la diversité des réglementations municipales, du lan-
gage, des lois, de la religion, des institutions et des in-
térêts locaux, qui étaient actuellement établis dans les
deux Canadas par des lois provinciales, et que chacun
d'eux considérait nécessaires à son bonheur. Cette
adresse fut votée au Conseil par une majorité de qua-
tre voix (1). Les honorables MM. John Richardson,
C.-W. Grant, James Irvine, Rod. Mackenzie et W. B.
Felton firent enregistrer dans les journaux du Conseil
un protêt contre son adoption.
Dans le Haut-Canada, la législature refusa de
se prononcer. L'assemblée vota une adresse dans la-
quelle elle disait que la masse du peuple haut-canadien
avait fait connaître son sentiment par des pétitions
au roi et au Parlement, et qu'elle ne se croyait pas jus-
tifiable d'exprimer une opinion sur ce grave sujet, vu
surtout qu'elle avait été élue avant que la question fût
agitée. Le Conseil législatif rappelait tous les pro-
grès faits par le Haut-Canada sous la présente consti-
tution, et concluait par une expression de tonfiance
dans la sagesse et la justice du parlement impérial.
Cette adresse semblait plutôt défavorable à l'Union
quoiqu'elle ne contînt pas de déclaration formelle à cet
effet. II est important de noter ici que plusieurs pé-
titions contre l'Union, recouvertes de nombreuses si-
gnatures, avaient été envoyées en Angleterre du Home
district, des comtés de Kent et de Wentworth, de
(1) — Journal du Conseil législatif du Bas-Canada, 1823,
p. 20 ; Journal dt- la Chambre d'Assemblée, 1823, p. 36.
COURS d'histoire du canada 131
Stormont et de GIengarr\ , tous sitiu's dans le Haut-
Canada (1).
Pendant ce temps, MM. Papineau et Neilson
étaient arrivés en Angleterre et avaient commencé
à s'acquitter de la mission dont les avait investis la
confiance de leurs compatriotes. Ils avaient trouvé le
terrain bien préparé. L'écho des énergiques protesta-
tions de tout un peuple avait fait une salutaire im-
pression sur l'esprit des ministres britanniques. Dès
la première conversation que les délégués du Bas-Ca-
nada eurent avec M. Wilmot, le sous- secrétaire des co-
lonies, celui-ci leur dit confidentielîement: "Restez
tranquilles; ne faites part à personne de ce que je vais
vous annoncer; le gouvernement ne veut pas de fracas
dans le parlement au sujet de l'Union; celle-ci ne sera pas
amenée cette session." (2) Sir James Mackintosh, à
qui MM. Papineau et Neilson communiquèrent cette
information, leur dit qu'ils pouvaient compter sur
cette assurance du ministre. "Ils avaient déjà, solli-
cité, écrit Garneau, l'appui du chef du parti appelé
"les Saints", composé de méthodistes et autres dissi-
dents; ils n'allèrent pas plus loin, et sui la demande du
secrétaire colonial ils présentèrent un mémoire qui ren-
fermait les raisons du Canada contre la mesure et ré-
futait celles de ses partisans". Et notre historien
ajoute: "Ce mémoire rédigé par M. Neilson, aidé par
M. Papineau, est l'un de nos papiers d'Etat les plus no-
blement et philosophiquement pensés que l'on trouve
dans notre histoire." Si vous le voulez bien, nous allons
le parcourir ensemble. MM. Neilson et Papineau
(1)— Archives du Canada, Q. 1&4-1-2, pp. 154-175.
(2) — Garneau, Histoire du Canada, Québec, 1882, t. III,
p. 248.
132 COURS d'histoire du canada
commençaient par exposer qu'ils étaient porteurs de
pétitions signées par près des sept-dixièmes de la po-
pulation de seize à soixante ans dans les deux provin-
ces. Ils représentaient que des législatures locales ne
devaient pas avoir juridiction sur un trop vaste terri-
toire; que la distance entre le golfe Saint-Laurent et le
lac Muron était de 15{)() milles, que les communica-
tions étaient difiiciles, et, en certaines saisons, presque
impossii)Ies dans plusieurs parties du Canada; que les
membres de la législature, dans une province aussi
étendue, éprouveraient de grands inconvénients et se-
raient soumis à de trop onéreux sacrifices pour se ren-
dre aux sessions et y demeurer assidus à leurs devoirs
parlementaires. Puis, laissant ces considérations de
lieux, de saisons et de distances, ils abordaient un ordre
d'objections plus graves. I! est bien connu, disaient-
ils, que les lois relatives à la propriété et aux droits ci-
vils, que les coutumes, les usages, la religion, et même
les préjugés dominants dans les deux provinces, sont
essentiellement différents. De part et d'autre les ci-
toyens du pays sont fortement attachés à tout cela, et
ils en jouissent en vertu des plus solennelles gaianties
de la Grande-Bretagne. Leurs codes respectifs de
lois ne pourraient être amalgamés, même par le légis-
lateur le plus sage, le plus impartial, le plus éclairé, sans
mettre en danger la propriété acquise sous l'autorité de
ces lois. II y aurait divergence de vues, de tendances
législatives; non seulement sur ces sujets, mais aussi
sur les questions de taxe, de répartition du revenu pu-
blic dans les deux provinces, dont les intérêts sont mal-
heureusement opposés. Passant à l'examen des arti-
cles, ils faisaient observer que le bill laissait subsister
les limites et les administrations distinctes des deux
provinces, et ne décrétait l'Union que pour les deux
COURS d'histoire du canada 133
législatures; il n'y aurait donc pas diminution de dé-
penses, il y aurait plutôt augmentation pour frais de
voyages, de correspondance, de transmission des docu-
ments, etc. Arrivant enfin aux articles les plus in-
justes du bill, ils faisaient valoir longuement et avec
une grande force les objections de leurs mandants con-
tre la représentation qu'on y accordait à chaque pro-
vince, contre la proscription de la langue française, et
contre l'ingérence du pouvoir politique dans la colla-
tion des cures.
Le bill d'Union favorisait d'une manière inique le
Haut-Canada au point de vue de la représentation
parlementaire. Par l'Acte de 1791, le nombre des dé-
putés avait été fixé à cinquante pour le Bas-Canada
et à quinze pour le Haut-Canada, dont la population
respective était alors de 200,000 et de 25,000 âmes.
Cela faisait pour le Bas-Canada un représentant par
4,000 âmes, et pour le Haut un représentant par 1,667
âmes environ, soit, pour la province supérieure, une
représentation proportionnellement plus que double de
celle qui était accordée à l'autre. En vertu du statut
provincial 60 George HI, le Haut-Canada avait élevé
sa représentation au chiffre de quarante, et ce statut
était confirmé par l'article septième du bill d'Union.
Dans le Bas-Canada, au contraire toutes les tentatives
pour augmenter la représentation avaient été vaines.
L'opération régulière de l'Acte provincial du Haut-
Canada ci-dessus mentionné devait avoir pour résul-
tat de porter bientôt la représentation de cette provin-
ce au même chiffre que celle du Bas-Canada. Et ce-
pendant la population du Haut-Canada n'était qu'un
cinquième de celle du Bas-Canada. Ainsi donc, fai-
saient observer MM. Papineau et Neilson, une pro-
vince distincte, ayant ses intérêts distincts, dont la po-
134 COURS d'hISTOIKE du CANfADA
pulation n'était qu'un cinquième de celle d'une autre
province se trouverait à avoir un pouvoir parlementaire
égal quant à l'imposition des taxes et à l'affectation de
leur produit aux dépensas locales. Voilà ce qui était
évident à la première lecture des articles en question.
Mais en réalité la situation faite au Bas-Canada par
ce bill était encore pire qu'elle ne paraissait tout d'a-
bord. En effet, par l'article 8, le gouverneur avait le
droit d'ajouter dix membres à la représentation du
Bas-Canada, et s'il le faisait, il semblait entendu que
ces dix députés nouveaux seraient donnés à cette par-
tie de la province érigée en townships le long de la
frontière américaine et peuplée par les loyalistes. Par
leur langue, leur religion et leurs intérêts, ces town-
ships pouvaient être considérés comme sympathisant
fortement avec le Haut-Canada. De sorte que virtuel-
lement et dès le début, celui-ci aurait une représenta-
tion égale en nombre à celle du Bas-Canada, malgré la
disproportion de sa population. Au point de vue de
la taxation, au point de vue des affectations budgé-
taires, et surtout au point de vue des droits civils et re-
ligieux un tel état de choses constituait pour le Bas-Ca-
nada une infériorité intolérable.
Nos délégués ne firent pas ressortir moins forte-
ment l'iniquité de l'article 24, qui abolissait la langue
française, comme langue officielle. "L'usage com.mun
de deux langues, disaient MM. Papineau et Neilson
dans leur mémoire, est un embarras; mais dans beau-
coup de cas il est inévitable. Il en fut ainsi en Angle-
terre après la conquête normande, et la mesure mal
avisée de cette époque barbare qui proscrivait la lan-
gue saxonne eut le sort qu'elle méritait. Le langage
de la majorité dans un peuple dont les éléments ont
entre eux des relations suivies fmit toujours par pré-
COURS d'histoire du canada 135
valoir. La langue anglaise deviendra inévitablement
la langue prédominante dans l'Amérique du Nord,
avec ou sans textes de loi. II n'y a probablement pas
dix membres de la présente Chambre d'Assemblée du
Bas-Canada qui ne comprennent pas l'anglais; plu-
sieurs le parlent facilement; et dans la province aucun
citoyen ayant de la fortune ou une situation un peu
notalîle ne néglige de faire apprendre l'anglais à ses
enfants. C'est ainsi que les choses changent avec le
temps et cèdent aux circonstances. Mais le langage
d'un père, ^'une mère, de la famille et des amis, des
premières impressions et des premiers souvenirs, est
cher à tous. Et cette proscription injustifiée de la
langue du peuple canadien a été vivement ressentie
dans un pays où ce langage a contribué puissamment à
conserver la colonie à la Grande-Bretagne à l'époque
de la Révolution américaine."
Les députés du Bas-Canada démontrèrent aussi
l'injustice de l'article 25, relatif à la collation des
cures. Ils le représentèrent comme une attaque mal
dissimulée contre les libertés dont les catholiques
avaient joui jusque-là sous la domination anglaise, et
qui leur étaient garanties par les capitulations, le trai-
té de cession, les actes du Parlement, et le gouverne-
ment libéral de l'Angleterre. Ils exposèrent que l'Egli-
se catholique romaine en Canada avait pour chef un
évèque, dont le choix était approuvé par la couronne
avant son institution canonique par le Pape; de sorte
que l'Etat était sauvegardé contre tout danger, si tou-
tefois il y en avait à craindre dans l'âge actuel. Sans
avoir aucune autre juridiction le gouvernement avait
toujours trouvé le clergé catholique dévoué au main-
tien du lien britannique. L'évèque et ses prédéces-
seurs avaient constamment exercé, quant aux cures, le
136 coLKS d'histoike du canada
pou\c)ir de nomination et de révocation. Le roi de
France, par un arrêt rendu en conseil d'Etat le 27 mai
1690, avait déclaré les évêques de Québec investis de
ce droit, faisant remarquer qu'il leur est naturel. "La
règle générale, d'après Blackstonc est, qu'il appartient
à l'évéque d'instituer aux offices tous les ecclésias-
tiques de son diocèse". Et d'Héricourt, de son côté,
dit: "Il faut toujours observer comme une règle cons-
tante que l'évêque est le collateur ordinaire de tous les
bénéfices de son diocèse, à moins qu'on établisse le con-
traire, ou par titres précis ou par une possession cons-
tante, qui fait présumer ce titre." Par l'article 25, le
régime qui avait existé jusque là en Canada semblait
ne devoir plus être respecté, et au lieu de laisser, com-
me auparavant, la collation des bénéfices à l'Ordinaire,
il faudrait obtenir d'abord le consentement par écrit
du gouverneur. On devrait donc en conclure que les
curés nommés par les autorités conjointes du gouver-
neur et de l'évêque ne pourraient plus être révoqués
désormais par la seule autorité de celui-ci. Ce serait
faire disparaître le pouvoir légitime de l'évêque sur son
clergé. II en résulterait inévitablement des désordres
dans la discipline de l'Eglise catholique romaine au
Canada. Peut-être même en arriverait-on à cette
anomalie que, par suite d'un conflit d'opinion entre le
gouverneur et l'évêque, un prêtre pourrait percevoir
légalement la dîme sur les catholiques de la paroisse
après avoir été interdit par son supérieur ecclésias-
tique. "Une clause ayant cette portée", déclaraient
les mandataires de notre peuple, "ne pouvait manquer
d'alarmer l'opinion au Canada, et si jamais on l'appli-
quait cela ferait naître inévitablement ces malheureux
dissentiments entre catholiques et protestants qui ont
désolé fl'autres pa>s, et dont le Canada avait été si
COURS d'histoire du canada 137
heureusement exempt sous le gouvernement bienfaisant
et éclairé de Sa Majesté."
MM.Neilson et Papineau terminaient îeurmcmoire
en demandant au gouvernement de Sa Majesté, pour
le cas où il jugerait opportun ultérieurement de donner
contenance au bill d'Union, de vouloir bien au préa-
lable faire deux choses: D'abord engager les gouver-
neurs du Haut et du Bas-Canada de faire en sorte qu'il
fôt dressé un recensement complet des cités, villes,
villages, townships, paroisses, comtés, divisions élec-
torales et districts de chaque province. En second
lieu, prier le gouverneur du Bas-Canada de recomman-
der à la législature et de sanctionner la nomination
d'un ou de plusieurs commissaires chargés d'aller sou-
tenir en Angleterre le maintien de la constitution ac-
tuelle (1).
MM. Papineau et Neilson avaient reçu l'assurance
que le bilI d'Union ne serait pas ramené devant le Par-
lement durant la session de 1823. Mais quoique les
amis de la province de Québec, comme sir James Mac-
kintosh, leur eussent affirmé qu'ils pouvaient compter
sur cette promesse, on estima plus prudent que
l'un d'eux restât à Londres pour surveiller les évé-
nements. M. Neilson revint donc au Canada, et M.
Papineau séjourna quelque temps encore dans la ca-
pitale anglaise. Il y rencontra souvent les adversaires
de notre cause, qui, eux aussi, restaient à leur poste.
ne se tenant pas pour battus et espérant toujorns for-
(1) — Le mémoire de MM. Papineau et Neilson se trouve
dans la collection : Papiers d'Etat du Bas-Canada, à Ottawa,
vol. 0. 164-1-2, p. 113, et aussi dans l'Appendice K du Jour-
nal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1825. — Nous
croyons à propos de le reproduire à la fin de ce volume.
138 COURS d'histoire du canada
cor la main au ministère. M. Garneau raconte à ce
propos l'anecdote suivante: "Un soir M. Papineau
étant à table chez un ami avec M. Ellice et M. Stuart,
l'agent des unionnaires, la conversation tomba sur le
Canada. ElIice lui dit: "Vous avez l'air bien tranquille;
je crois savoir de bonne source que le cabinet vous
a donné l'assurance que la mesure ne reviendrait pas
sur le tapis; mais elle y reviendra; je déshonorerai les
ministres, j'ai leur parole en présence de témoins." M.
Papineau et M. Neilson, (celui-ci n'était pas encore
parti en ce moment), allèrent voir aussitôt Sir James
Mackintosh quileurrépondit de ne pas s'alarmer; "que
M. Ellice était un bavard (braggadacio) sans poids
ni influence. Il n'osera jamais agir aussi follement
qu'il a parlé. Par l'entremise de quelques-uns de mes
amis, je saurai refroidir son ardeur. Nous ne le
voyons que parce qu'il estle gendre du comte Grey."(l)
Malgré l'hostilité politique, les relations person-
nelles restaient courtoises entre les champions des deux
causes. M. Papineau fut invité chez M. Ellice et ne
crut pas devoir refuser de s'y rendre. Il y rencontia
un jour sir Francis Burdett, homme politique de mé-
rite, qui occupait une place considérable dans les rangs
du parti whig. La discussion rel3ti">'e à l'Union étant
revenue sur le tapis, M. Papineau s'exprima avec tant
de force persuasive qu'il conquit l'adhésion de sir
Francis, apparemment favorable au projet jusqu'à ce
moment. Cet homme d'Etat déclara alors que "si
la majorité en Canada était aussi grande et aussi hos-
tile à l'Union qu'il l'assurait, c'était compromettre le
parti whig que de le faire agir contre ses professions si
souvent répétées de respect pour les vœux des majorités
(1)— Garneau, Histoire du Canada. 1882. t. III, p. 250.
COURS d'histoire du canada 139
et qu'il fallait l'abandonner." En entendant ces paro-
les, M. Ellice s'interposa vivement. "Non, s*écria-t-il,
c'est une majorité ignorante, lanatisée par les prêtres."
Et il se répandit en diatribes contre Saint-Sulpice, le
régime des lods et ventes, etc., informant ses auditeurs
que, de concert avec M. Stuart, il travaillait à la pré-
paration d'un bill destiné à transformer la tenure sei-
gneuriale. Il espérait ainsi augmenter les revenus de
sa seigneurie de Beauharnois (1).
La session se termina et le bill ne lut pas présen-
té; les ministres avaient tenu leur parole. La mission
de MM. Neilson et Papineau avait été fructueuse.
"Le succès, écrit M. Chauveau, augmenta encore leur
prestige. Louis-Joseph Papineau, plus jeune que M.
Neilson, avait un tempéram.ent beaucoup plus ardent.
L'un était un tribun, l'autre un philosophe. L'un
pouvait être comparé à Mirabeau, l'autre à Franklin.
De fait M. Neilson, lors de sa seconde mission en Eu-
rope, fut appelé le Franklin canadien. Comme lui,
M. Neilson avait des dispositions et des idées de l'au-
teur de la "Science du bonhomme Richard." (2)
Le gouvernement n'avait pas soumis aux cham-
bres le bill d'Union durant la session de 1823. Mais
on n'avait pas absolument renoncé au projet, et on
délibéra ultérieurement sur son opportunité. En 1824
les ministres l'étudiaient encore. Un volume imprimé
à Londres cette année-là, pour leur usage personnel,
contenait les principales pièces relatives à cette épi-
neuse question, telles que des observations de M. James
(D— Garneau, t. III, p. 250.
(2) — François-Xavier Garneau, sa vie et ses œuvres, P.-J.-O.
Chauveau, p. CLXXVI.
140 COURS d'histoire du canada
Stuart sur l'union projetée du Bas et du Haut-Canada,
le mémoire de MM. Ncllson et Papineau, un autre
mémoire par le Dr Strachan, doyen anglican du
Haut-Canada, ainsi que des pétitions et adresses des
Chambres canadiennes, etc. La dernière pièce de cet
important recueil est une lettre de M. James Stuart —
différente des observations du même personnage, ci-
haut mentionnées — qui est datée de Londres, le 1er
juillet 1824. Elle démontre qu'à ce moment le pro-
jet d'union était toujours discuté dans les sphères gou-
vernementales. Mais ce qui est plus significatif en-
core, c'est la première pièce, un projet de bill, beau-
coup plus volumineux que celui de 1822, et contenant
quarante-sept articles lorsque l'autre n'en comprenait
que vingt-huit. Evidemment le cabinet britannique
n'avait pas renoncé définitivement à modifier notre
constitution. On en demeure tout à fait convaincu
à la lectuie des lignes suivantes, contenues dans une
lettre de l'honorable R.-W. Horton, (1) sous-secrétaire
d'Etat pour les colonies, adressée à M. Canning, le cé-
lèbre homme politique, lettre qui se trouve conservée,
par le plus grand d'^s hasards, entie deux feuillets d'un
(1) — Dans les documents de l'époque, ce sous-secrétaire
d'Etat est appelé tantôt R.-J. Wilmot, tantôt R.-H. Horton,
tantôt R.-J. Wilmot Horton. Voici ce qui en était. II y avait
plusieurs branches de Wilmots. II y avait les Wilmots, baron-
nets de Chaddesden, les Eardley-Wilmots, baronnets de Berks-
well Hall. L'homme d'Etat dont nous nous occupons ici était le
petit-fils de sir Robert Wilmot, qui avait été pendant trente ans
secrétaire d'Etat pour l'Irlande. II ajouta à son nom celui de
Horton, en 1823. II devint membre du Conseil privé impérial.
II succéda ultérieusement au titre de baronnet rous le nom de
sir Robert-John Wilmot-Horton. Il fut plus tard gouverneur
de l'île de Ceylan. (Debrett's illustrated Baronetage, Knigbtape
and Companionage. Londres, édition de 1882).
COURS d'histoire du CANADA 141
exemplaire rarissime que j'ai eu la bonne fortune de
consulter: "I send y ou, privately and confidentiâlly,
two volumes, privately printed, and containingr the
pros and cons upon the great question of Canada union.
Pray do me the favor of reading them attentively and
let us talk it over at Sudbrook." Tout ceci démontre
que M. Ellice n'était peut-être pas aussi vantard que
le représentait sir James Mackintosh, et que nos unio-
nistes avaient quelque raison de ne pas croire la partie
irrémédiablement perdue dans l'été de 1823. Ils
avaient des intelligences dans la place, et ils n'igno-
raient pas que le gouverneur général du Canada, lord
DaIhousie,appu\ait leurs démarches. En effet tout
en paraissant ici ofFiciellement en dehors de cette cam-
pagne unioniste, il l'appuyait à Londres par sa corres-
pondance avec les ministres. Sa lettre du 21 novem-
bre 1823, adressée à lord Bathurst, est un long plai-
doyer en faveur de l'union des deux provinces. Il s'y
déclare en harmonie d'idées avec M. James Stuart
quant aux avantages de l'Union. II commente en-
sirite quelques-unes des observations faites par celui-ci
au sujet des différents articles du bill projeté. Sui-
vant lui le procureur général et le solliciteur général des
deux provinces déviaient faire partie de l'Assemblée et
s'efforcer d'y obtenir des sièges; à défaut de quoi on
pourrait choisir deux membres siégeant soit en les nom-
mant, soit en donnant avis à la Chambre que le repré-
sentant de Sa Majesté leur a donné sa confiance. Lord
Dalhousie déclarait de la plus haute importance la
proscription de la langue française. Il approuvait
aussi l'article vingt-cinq du projet qui donnait à la
Couronne la collation des cures. La prérogative du
roi en qualité de chef de l'Eglise, disait-il, devrait être
exercée dans la province sur l'Eglise catholique com-
142 COURS d'histoire du canada
me sur l'Eglise protestante, du moins relativement à
la formation des paroisses et à l'installation des minis-
tres, et cela serait accepté par les membres du clergé
individuellement. Enfin il se proclamait convaincu
que l'union était opportune et que la prospérité de
deux provinces en dépendait. (1)
Malgré tous les efforts des partisans de ce projet,
le ministère britannique ne jugea pourtant pas à pro-
pos de revenir devant le Parlement pour demander
son adoption. Un de ses avocats, M. Wilmot-Horton,
devait reconnaître lui-même quelques années plus tard
que cette mesure était défectueuse "en ce qu'elle n'as-
surait pas plus explicitement les droits, les privilèges,
les immunités et les avantages dont la population fran-
çaise jouit sous ses propres lois," et il confessa "qu'une
grande partie des objections qu'on y opposait n'était
pas sans raison." (2) Le principal instigateur du bill,
M. Ellicc, admettait de son côté que la mesure conte-
nait, "plusieurs clauses mal avisées." (3) En réalité ce
n'était pas le gouvernement lui-même qui en avait
conçu l'idée. Le coup était parti du Canada. Nos
bureaucrates unionistes avaient trouvé des alliés à
Londres. M. Ellice avait exercé sur les ministres une
pression énergique pour le forcer à présenter ce bill.
Ceci explique pourquoi ils ne s'obstinèrent pas à le
faire passer. Ce ne fut que dix-neuf ans plus tard,
après les insurrections de 1837 et de 1838 et devx ou
(1) — Archives du Canada, Q. 166-3, p. 506.
(2) — Rapport sur le gouvernement civil du Canada, 1828,
p. 316. Timoignagc de \V. Wilmot-Horton devant un comité
de la Chambre des communes.
{3)—Ibid, p. 63.
COURS d'histoire du canada 143
tiois ans de régime crexception, que le Haut et le Bas-
Canada furent unis sous une seule législature.
Ce projet d'Union de 1S22 fut pour notre peuple
la grande question à l'ordre du jour pendant deux ans.
Elle passionna tous ceu.v qui s'occupaient des affaires
publiques. Elle donna naissance à bien des écrits et
à bien des discours. Nos poètes même se mirent de la
paitie. Nous trouvons dans les Epîtres et Satires de
M. Michel Bibaud une chanson politique datée de 1822
et intitulée /e B?7/ f/e l'Union. En voici quelques vers:
Un certain bill, dont la façon
Etait assez grossière,
Aux représentants d'Albion
Fut présenté naguère;
Le fil en était noir, dit-on,
La faridondaine, la faridondon,
Le tissu noirement ourdi,
Biribi,
A la façon de barbari
Alon ami.
Le poète faisait allusion, dans une strophe, à la
proscription de notre langue:
D'après leur bill dorénavant,
La chose était bien claire,
Les Canadiens au parlement
N'auraient plus rien à faire:
Il leur fallait parler breton
La faridondaine, la faridondon.
S'agit-il d'un "non" ou d'un "oui"
Biribi,
A la façon de barbari.
Mon ami.
La pièce se terminait par un couplet loyaliste, dans
10
144 COURS d'histoire dl canada
lequel était exprimée notre conliance en la justice de
la couronne:
A Georges, notre souverain.
Adressons nos prières:
De nos jaloux qu'il sache enfin
Les trames meurtrières;
II nous gouverne en roi breton,
La faridondaine, la faridondon.
Et non en bey de Tripoli.
Biribi.
A la façon de Barba ri,
Mon ami.
Evidemment cela n'était pas du Lamartine, mais
c'était très patriotique. Et surtout cela donne une
idée des sentiments suscités dans notre province bas-
canadienne par la tentative d'étouffemcnt national
dont nous avons essayé de retracer l'histoire au cours
de cette leçon.
SOURCES ET olvra(;es a consulter
Garneau, Histoire du Canada, 1852, t. III, liv. XV, ch. ii. —
Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, liv. III. —
Christie, History oj Lower Canada, t. II, ch. xxiii, t. III, ch.
xxiv.^Kingsford, History oj Canada, t. IX.- — Encyclopaedia
Britannica, t. XVII. — Hansard's Dehates, 1822, deuxième série,
t. VIL— Bibaud, Epîtres et Satires, Montréal, 1830.— P.-J.-O.
Chauveau, François-Xavier Garneau, sa vie et ses autres, Mont-
réal, 1882. — Journal de la Chambre d' assemblée du Bas-Canada,
1822, 1825.— Journa/ du Conseil législatif, 1822.— Rapport sur
les archives du Canada, 1897. — Archives du Canada : Papiers
d'Etat du Bas-Canada, Q. 162-1-2, 164-1-2, 166-1-2-3.— /îapport
du comité chargé de s'enquérir sur le gouvernement civil du Bas-
Canada, Québec, 1828.
CINQUIÈME LEÇON
L'imbroglio constitutionnel. — Un intermède. — La session de 1823.
— M. Vallières élu orateur. — Les estimations budgétaires.
— Nouvelle classification.- — La chambre, tout en signalant
certaines objections, vote les subsides. — La session de 1824.
— Moins d'harmonie. — Lord Dalhousie et M. Vallières. —
La situation financière. — Le déficit Caldwell. — Divergences
dans la Chambre. ^VaUières et Papineau. — Intéressantes
passes d'armes. — Le Canada Trade Act. — Etonnante attitu-
de de Papineau. — Les subsides. — Un débat mouvementé. —
Le vote prépondérant de M. VaUières. — M. Neilson veut
amender des résolutions inspirées par M. Papineau. — Un
bill des subsides rejeté par le Conseil législatif. — Le conflit
entre le pouvoir exécutif et la Chambre. — En quoi il consis-
tait.— La liste civile annuelle et l'afi^ectation de tout le
revenu. — Un coup d'œil sur chacun de ces deux aspects de
la question. — La liste civile en Angleterre et au Canada. —
Différences de conditions. — L'affectation du revenu total. —
Les raisons politiques de la Chambre. — La session de 182.5.
— Une accalmie. — Absence de lord Dalhousie. — Adminis-
tration conciliante du lieutenant gouverneur Burton. — Il
obtient les subsides. — Une équivoque. — Détente momenta-
née.— Lord Bathurst blâme sir Francis Burton. — Il man-
que une heureuse occasion de mettre fin à un malencontreux
conflit. — L'épisode Bathurst-Burton. — Retour de lord Dal-
housie.— La session de 1826. — Nouvelles divergences. — La
Chambre refuse les subsides. — Prorogation ab ira<o.— Disso-
lution et élections. — Violente agitation. — La majorité est
soutenue par l'électorat. — Manifeste et harangue de M. Pa-
pineau.— La session de 1827. — M. Papineau réélu orateur
— Lord Dalhousie refuse de l'agréer. — La Chambre persiste.
Prorogation immédiate. — Nouvelle crise. — Les Canadiens
pétitionnent pour soumettre leurs griefs au- parlement im-
périal.
Pendant que la question de l'Union se débattait
146 COURS d'histoire du canada
en Angleterre, il se produisait ici assez naturellement
une sorte d'accalmie politique. L'anxiété ressentie
par nos chefs en prtstnce du péril dont nous étions me-
nacés faisait concevoir la nécessité d'une attitude plus
circonspecte. L'absence de M. Papincau avait eu
pour conséquence l'élection d'un nouvel orateur. M.
Vallières avait été choisi par la Chambre, et son in-
fluence s'était sans doute exercée dans un sens modé-
rateur, si l'on s'en rapporte à la marque de confiance
que lui donna ultérieurement lord Dalhousie en lui
adressant privément une communication importante
au sujet de la situation fin-'incière.
La session de 1823 fut calme et fructueuse, com-
parée aux précédentes. Api es avoir voté les résolu-
tions contre l'union, dont nous avons parlé dans notre
dernière leçon, la Chambre étudia et adopta un bon
nombre de lois utiles et de nature à favoriser l'inté-
rêt public. Les estimations budgétaires fuient pré-
sentées dans une forme nouvelle. Elles étaient divi-
sées en deux sections, afin de mieux indiquer, suivant
le message officiel, quelle était la nature des dépenses
générales de la province. La première section com-
prenait les salaires et les dépenses contingentes aux-
quelles il était pourvu par des lois permanentes et par
les autres revenus de la Couronne. Le gouverneur an-
nonçait avec satisfaction que le fonds affecté en perma-
nence allait être suffisant, ou presque suffisant, pour
défrayer ces services. La seconde section s'occupait
des dépenses à encourir pour ce que l'on appelait les
établissements locaux et provinciaux. La première
section comprenait le gouverneur, le lieutenant gou-
verneur, et certains oiïiciers qui relevaient de leurs bu-
reaux, l'arpenteur général, les iuges et oiïiciers de jus-
tice, les conseillers exécutifs, le greffier du conseil et
COURS d'histoire ûu canada 147
le comité d'audition, l'inspecteur des comptes publics,
le receveur général, le greffier du terrier. L'estima-
tion pour cette classe s'élevait à 32,000 louis sterling.
La seconde section comprenait la législature et ses of-
ficiers, l'imprimeui des lois, les maîtres d'école, les pen-
sions, les loyers et les réparations des édifices publics
ainsi que les salaires et déboursés de ceux qui en avaient
la charge, la perception du revenu public, le bureau de
la Trinité, la milice, les dépenses pour les criminels et
les maisons de correction, les dépenses divei ses, incluant
celles des grands-voyers et autres officiers purement
locaux, etc.; soit une estimation de 30,225 louis ster-
ling. Les deux sections formaient une somme totale
de 62,000 louis sterling. (1)
Cette classification inusitée fut signalée comme
ayant pour objet évident de constituer une classe pri-
vilégiée de fonctionnaires, dont les émoluments, quoi
qu'il advînt, seraient à l'abri de tout contrôle. Cepen-
dant la Chambre, désireuse d'éviter un nouveau con-
flit à ce moment, vota les crédits demandés (2). Mais
elle crut devoir en même temps affirmer de nouveau ce
qu'elle considérait le vrai principe constitutionnel en
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1823, p. 7; Appendice H.
(2) — C'est-à-dire les crédits pour la seconde section, pour les
"établissements locaux et provinciaux", puisque le revenu af-
fecté en permanence par des lois antérieures était considéré
comme suffisant pour solder les dépenses de la première sec-
tion, celles qui étaient désignées sous les titres généraux de "gou-
vernement civil et d'administration de la justice". Le gou-
verneur ne demandait le vote des subsides que pour la seconde
section ou la seconde classe,la première étant pourvue. Le dé-
bat entre la Chambre et l'exécutif avait déjà porté en grande
partie et devait encore porter ultérieurement sur ce point.
148 COURS d'histoire du canada
matière budgétaire. Elle adopta consequcmment des
résolutions où il était dit: "Nulle loi imposant des
taxes sur les sujets de Sa Majesté en cette province, pour
former un fonds destiné à défrayer les dépenses du gou-
vernement civil de Sa Majesté et celles de l'adminis-
tration de la justice ou de la législature provinciale, ne
doit être considérée comme investissant qui que ce
soit du droit d'appliquer les sommes ainsi prélevées, ou
d'en faire une affectation et une distribution spéciale,
sans le consentement et l'autorisation de la législa-
ture." (1) Nous verrons tout à l'heurt quelle était la
portée de cette déclaration.
La chambre manifestant encore son esprit de con-
ciliation, vota des bills, appelés "bills d'indemnité"
dans le langage parlementaire, afin de sanctionner, de
régulariser après coup les paiements faits par l'exécutif
en 1810, 1820, 1821 et 1822,à même les fonds du trésor,
sans qu'aucun bill de subsides eût été adopté, c'est-à-
dire sans l'autorisation de la législature. Mais le Con-
♦
se il législatif ne voulut pas accepter ces bills à cause de
leur titre: "bills d'indemnité", jugé peu respectueux, et
aussi parce qu'ils ne couvraient pas absolument toutes
les dépenses soldées par le gouverneur, mais qu'ils
étaient limités à celles que l'Assemblée avaient déjà
approuvées par voie de simple résolution.
Néamoins, tout en rejetant les "bills d'indemnité",
le Conseil législatif n'alla point jusqu'à repousser le
bill des subsides voté par la Chambre, malgré la foi me
que celle-ci lui avait donnée. (2) Il se contenta de
(1) — Journal de la Chambre d'Asseviblée du Bas-Canada,
1823.
(2) — L'article par lequel les fonds nécessaires étaient affec-
tés, ou "appropriés" suivant la terminologie parlementaire bri-
COURS d'histoire du canada 149
protester et de déclarer qu'il n'entendait pas en adop-
ter un semblable à l'avenir.
En somme la session de 1823 avait été satisfaisante.
Et en la prorogeant le gouverneur exprima son contente-
ment en termes non équivoques: "Il ne me reste, dit-il
aux membres de la législature, qu'à vous offrir mes
plus chaleureux remerciements pour votre assiduité
laborieuse. L'espoir que ie vous avais exprimé ré-
cemment a été pleinement réalisé, et vous serez sans
doute heureux de recevoir l'assuiance que je considère
le résultat de la session à la fois honorable pour vous
et utile au pays."
tannique, se lisait comme suit: "lit qu'il soit de plus statué par
l'autorité susdite, que les argents ci-devant mentionnés et affec-
tés par le présent, seront pris et chargés contre les fonds généraux
de la province, provenant de quel qu'acte ou actes que ce soit
en force en icelle, et sur aucun des revenus de Sa Majesté appli-
cables aux fins ci-devant mentionnées au présent acte."
(Statuts provinciaux du Bas-Canada, 3 George IV, 1823, cbap.38.)
Le protêt du Conseil législatif prit la forme suivante : "Le Con-
seil législatif voit avec une grande inquiétude et surprise que les
bills envoyés de l'Assemblée intitulés "Acte pour mettre Sa
Majesté en état de défrayer certains arrérages" ... et "Acte qui
approprie certaines sommes d'argent"... renferment des ma-
tières susceptibles de beaucoup d'objections, en ce qu'ils accor-
dent des argents sur les fonds généraux de la province, des fonds
d'une semblable dénomination n'existant pas légalement, et en
ce que les titres, les préambules et les clauses d'octroi et d'appro-
priation sont couchés en termes .si généraux et ambigus qu'ils
indiquent encore une présomption ou un dessein de laisser un
doute sur le droit eue nrétend avoir l'Assemblée de disposer des
argents prélevés et déjà appropriés par un acte ou des actes de la
législature impériale ou par Sa Majesté, pour ce qui a rapport
aux droits et revenus de Sa Majesté et aux amendes et confisca-
tions, ou par un acte ou des actes de la législature provinciale
contenant des appropriations permanentes ou dans lesquels les
amendes qu'ils imposent ne sont pas réservées pour sa di.sposi-
150 COURS d'histoire du canada
Mais la session de 1824 ne devait pas être aussi
calme ni donner au gouverneur autant de satisfaction.
Au moment où elle s'ouvrait, lord Dalhousie fit un ef-
fort pour s'assuier le bon vouloir de M. Vallières, élu
orateur l'année précédente. II lui adressa un mémoire
dans lequel il lui exposait longuement ses vues sur
la question des finances, et lui communiquait un résu-
mé très clair de la situation. Elle n'était pas brillante
à ce moment. Le déficit énorme constaté au mois
d'août précédent dans la caisse du receveur général,
M. Caldwell, mettait l'administration dans une posi-
tion extrêmement embarrassante.
C'est peut-être ici le lieu de donnei un aperçu de
ce triste épisode. Depuis un an le gouverneur avait pu
remarquer que M. CaldwcU était à la gêne poui solder
les mandats tiiés sur le trésor. Le receveur général
avait d'abord demandé des délais. Finaleirnent, au
mois d'août 1823, il s'était déclaré incapable de faire
face au paiement des dépenses. Le gouverneur avait
alors nommé deux commissaires pour inspecter ses
comptes et ses livres, et il avait prêté à la caisse, afin de
payer I/es salaires et autres frais d'administration, une
somme considérable prise encore une fois sur les ex-
tion future. Le Conseil législatif proteste solennellement contre
toutes semblables usurpations et prétentions, soit que ce soit
directement ou indirectement, ou dans un langage ou sens clair
ou ouvert ... II a concouru dans les dits bills comme une mesure
de nécessité qui résulte de l'état très avancé de la session, ... et
pour prévenir la détresse générale et individuelle qui aurait
inévitablement résulté de la rejection des dits bilIs. Mais en
donnant ainsi sa concurrence le Conseil législatif déclare qu'il
conserve intacts tous ses droits et privilèges, et qu'il n'admettra
plus à l'avenir, dans quelque circonstance que ce puisse être,
une procédure si contraire aux règles et à la méthode du Parle-
ment." (Journaux du Conseil législatif, 1823, pp. 126, 127).
COURS d'histoire du canada 151
traordinaires de l'armée. Au mois de novembre, en
attendant les instructions du gouvernement impérial,
il avait suspendu M. Caldwell et nommé temporaire-
ment M. Edward Haie pour remplir les fonctions de re-
ceveur. Voici l'état où se trouvait alors la caisse de
ce fonctionnaire. D'après ses propres chiffres il était
en déficit de 96,117 louis sterling. Cette somme au-
rait dû être à la disposition de la législature et elle n'y
était plus. En guise de règlement, M. Caldwell devait
faire, durant la session de 1824, les propositions sui-
vantes à la législature. Il céderait à la province des
propriétés évaluées par lui à 32,000 louis courant. Il
lui transporterait de plus une somme annuelle de 1,500
louis, payable sa vie durant, et provenant des revenus
de sa seigneurie de Lauzon, dont la nue propiiété, pré-
tendait-il, était substituée par le testament de son
père. En outre, il faisait appel à la libéralité de la lé-
gislature en léclamant une rémunération rétrospective
pour des services rendus par son père et par lui, ser-
vices auxquels ils n'étaient pas astreints par leur char-
ge. Il s'agissait de très fortes sommes reçues et payées
en veitu d'actes piovinciaux, sur lesquelles ils n'au-
raient touché aucun percentage. En évaluant à trois
pour cent — ce qui avait été accordé au receveur géné-
ral du Haut-Canada dans des cas analogues — les com-
missions sur ces sommes, il lui serait revenu de ce chef
des arrérages de 45,471 louis, qu'il aurait fait valoir en
compensation partielle de son déficit. Enf i n il se déclarait
prêt à verser au trésor une somme additionnelle de
1000 louis par année, s'il était rétabli dans sos fonctions
avec un salaire correspondant à leur importance et à
leur responsabilité, et cela jusqu'à l'extinction com-
plète de sa dette. Disons immédiatement que l'As-
semblée refusa d'accepter ces propositions. Suivant
152 COURS d'histoirf. du canada
elle le receveur général était un otlicier impérial, noin-
mé par le gouvernement impérial, et comptable à ce
gouvernement seul. La législature n'avait jamais pu
exercer sur son bureau aucun contrôle légal. Toutes
les sommes d'argent perçues, en vertu des lois de reve-
nu ou autiemcnt, sur les sujets de Sa Majesté dans la
proN ince devaient être versées entre ses mains. Il se
reconnaissait maintenant en déficit de 96,117 louis.
Les sujets de Sa Majesté avaient le droit d'espérer que
les sommes confiées, conformément aux instructions
royales,à un offîcier sur lequel ils n'avaient aucune auto-
rité ne seraient pas perdues pour eux, mais leur seraient
remboursées pai le gouvernement impérial. Saisi de
la question, celui-ci refusa cependant de se reconnaître
responsable du déficit de M. Caldwell. Il déclara en
même temps que les propositions de ce dernier ne pou-
vaient être acceptées, et il donna instruction au gou-
verneui de faire intenter des procédures contre l'ex-
receveur général. Elles devaient avoir pour objet de
faire déterminer judiciairement le chiffre de sa dette
et de faire déclarer nulle la prétendue substitution à
laciuellc aurait été sujette sa seigneurie de Lauzon.
Ces procès, traînés de tribunal en tribunal, prolon-
gés par des appels réitérés, durèrent sept ou huit ans.
En fin de compte la seigneurie de Lauzon fut vendue,
mais seulement en 1845. Et ce fut la province elle-
même qui en fit l'acquii-ition en déduction de ce qui
lui était dû. Comme il n'y eut jamais de rembourse-
ment pour tout le chiffre du déficit Caldwell, le Bas-
Canada encourut une perte de plusieurs milliers de
louis en capital et intérêts. Cette affaire fut assuré-
ment l'une de celle qui firent le moins d'honneur à l'ad-
ministration coloniale de l'époque. On conçoit qu'elle
ait servi de thème pendant un grand nombre d'années
COURS d'histoire du canada 153
successives à des débats acrimonieux dans la chambre
populaire. (1)
Au cours de sa communication à M. Vallièies,
datée du 26 novembre 1823, lord Dalhousie signalait
le déficit Caldwell comme l'une des circonstances qui
rendaient la situation très difficile. "La caisse est
vide, disait-il en substance. J'ai été obligé d'avancer
30,000 louis en 1822 et 30,000 louis en 1823 sur les ex-
traordinaires de l'armée pour solder la dépense urgente.
Je ne puis continuer de recourir à cet expédient. Ne
serait-il pas à propos que nous nous entendissions vous
et moi, pour essayer de surmonter les difficultés du
moment?" Dans la lettre qui accompagnait le
mémoire transmis à M. Vallières, le gouverneur faisait
cette admission: "On me reproche d'avoir dépensé illé-
galement les deniers publics, sans l'autorisation de la
législatuie. Je dois admettie que je l'ai fait, mais
mon excuse est évidente: j'ai été forcé de le faire pour
le bien public. La Chambre refusait de votei les
dépenses nécessaires au fonctionnement de la machine
gouvernementale que j'étais chargé de conduire. Je
n'ai pas osé prendre sur moi de l'arrêter et d'obliger les
fonctionnaires publics à agir, sans leur payer le salaire
d'où dépend leur existence. Ma conduite a été con-
forme à celle de M. Pitt dans des circopbtance? ana
logues." (2)
M. Vallières répondit à cette communication avec
(1) — L'Histoire de la seigneurie de Lauzon, de M. J.-E. Roy,
contient une longue et Intéressante étude sur l'affaire Caldwell.
C'est un exposé complet et très documenté de ce cas de mal-
versation officielle. {Histoire de la seigneurie de Lauzon, t. IV,
ch. XXII et xxiv).
(2)— Christie, t. VI, pp. 396-402.
154 COURS d'histoire du canada
une diplomatie courtoise. Il rendait justice aux in-
tentions du gouverneur sans se compromettre ni s'en-
gager, mais en manifestant tout de même un sincère
esprit de conciliation (l).
La présence de M. Papineau, revenu d'Europe
après avoir rempli avec succès sa mission, ne pouvait
manquer de rendre la session de 1824 plus mouvemen-
tée que la précédente. Ce qui donna surtout aux dis-
cussions une vivacité et un intérêt particuliers, ce fût
le fait qu'elles mirent souvent aux prises l'ancien ora-
teur et celui qui l'avait remplacé, M. Papineau et M.
Vallières, assurément 1er deux hommes les plus bril-
lants de la Chambre.
Le premier débat qui les mit en opposition fut
celui auquel donna lieu la prise en considération du
Canada Trade Act. Cette législation impérial, on se
le rappelle, se composait des dispositions détachées
du bill d'union originaire et ayant pour objet de régler
les diiïicultés fiscales entre le Haut et le Bas-Canada.
Elle faisait aussi revivre une des lois de revenu que
notre chambre provinciale avait laissée expirer, et elle
en prolongeait une autre dont le terme était proche.
Enfin elle autorisait le changement de tenure des terres
dans le Bas-Canada. (2) A la session de 1823, la Cham-
bre avait demandé des informations au sujet de cet
acte impérial, et e'ie avait annoncé son intention de le
discuter à la session suivante. Conformément à cette
détermination, au mois de janvier 1824, M. Bourdages
proposa une série de résolutions où l'Acte du commer-
(1) — A consulter sur cet épisode Vallicrcs-Dalhousic une
étude publiée dans la Presse, de Montréal, le 21 juillet 1900:
Notes et souvenirs — Un épisode politique peu connu, par Ignotus.
(2) — Statut impérial S George IV, chapitre 119.
\r
COURS d'histoire du canada 155
ce du Canada était violemment dénoncé. M. Valliè-
res les appuya. Voici la thèse qu'il soutint: "Cet acte
impose des taxes au pays contre le droit général des
sujets britanniques et contre le droit particulier de la
colonie. C'est un principe de la loi anglaise que le su-
jet ne peut pas être taxé sans son consentement.
Comme colonie nous sommes sujets de l'empire, mais
le parlement impérial a renoncé au droit de taxer les
colonies. On ne pourrait jamais prétendre que la
continuation des droits temporaires imposés par la
législature coloniale fût un exercice convenable du
pouvoir de régler le commerce. Cependant ce n'est
pas seulement sous ce rapport que l'acte paraît con-
traire aux droits des sujets britanniques. Il va jus-
qu'à statuer sur nos afFaircs locales, jusqu'à changer la
tenure de nos propriétés, qui sont garanties au pays
par la capitulation, par le traité de paix, et par l'acte
de 1774." (1)
A la suipiise d'un grand nombre de sespartisans,
M. Papineau prit une attitude diamétralement oppo-
sée. Il se fit le champion du parlement impérial et de
sa juridiction sur les affaires canadiennes. "Il dit que
tout membre de la Chambre avait le droit de soumet-
tre à sa considération tout ce qu'il croirait avoir trait
au bien public, que l'honorable membre qui avait pro-
posé les résolutions (M. Bourdages) avait fait usage
de ce droit; qu'il était peisuadé de sa loyauté pour son
souverain, de son attachement à son pays et de l'hon-
nêteté de ses vues; qu'il ne fallait rien moins que cette
persuasion pour considérer avec indulgence les réso-
, lutions qui avaient été soumises à la Chambre; qu'elles
lui paraissaient avancer des principes qui' n'étaient ni
(1) — Gazette de Québec, 5 février 1824.
156 COURS d'histoire du canada
londcsen droit ni comptables avec l'obéissance duc à
la loi; que si nous pouvions prescrire des bornes à l'au-
torité souveraine de l'empire et en censurer les actes
il lui semblait que les relations de colonie et de métro-
pole n'existaient plus. En An^letenc, cette nation
la plus libérale de l'Europe à l'égard durégimecolonial,
tous les hommes publics soutenaient l'autorité légis-
lative suprême du parlement sur les colonies, non seu-
lement dans ce qui regarde le commerce mais en d'au-
tres matières. 11 était de notoriété que cett*^ autorité
s'exerçait tous les ans, et que lorsqu'une colonie était
nommée dans un acte du pailement elle était obligée
d'obéir. La proposition que nous ne devons obéissance
qu'aux lois auxquelles nous avons consenti «me paraît
tout à fait insoutenable, puisque le parlement britan-
nique a constamment exercé une autorité législative
.suprême sur les colonies." (1) ________ —^
Quand on songe à la carrière subséquente de M.
Papineau, on ne peut lire ce discours sans étonncmtnt.
Est-ce bien le fougueux antibritish, le dénonciateur,
passionné du gouvernement impérial, qui parle avec
cette révérence de "l'autorité souveraine de l'empire",
qui déclare solennellement que la législature coloniale
ne peut "prescrire des bornes à cette autorité ni en
censurer les actes", sans mettre à néant "les relations
de colonie et de métropole?" En lisant cette page de
nos annales politiques, on se demande à quel mobile
obéissait M. Papineau en cette occasion.
Son attitude provoqua de durs commentaires dans
les journaux de son parti. Le Canadian Spectator, or-
gane patriote rédigé en langue anglaise, publia ces li-
gnes: "We are sorry to observe that Mr Papineau and
(\)—Gay.ette de Québec, 12 février 1824.
COURS d'histoire du canada 157
Mr Viger hâve defended that act. Mr Bourdages lias
spoken as a fearless and independent représentative
ought to do. We hâve not seen Mr Bourdages reso-
lutions, but presuming that the^^ embody the prlncl-
ples advanced by Mr Speaker (Vallières) and Mr Stuart
we are bound to say that they are more becoming a
British subject than some doctrine in Mr Papineau's
speech. We should wish to know in what, upon prin-
ciple, our situation would difFer from that of a Rus-
sian or Turkish subject, if, as Mr Papineau would hâve
it, we aie forbidden to censure any act of the impeiial
Législature. . We differ fundamentally from Mr Pa-
pineau when he asserts that England by the Canada
Trade Act has exercised a power which she never rehn-
quished . . It will be a burning shame if the Province
under her présent circumstances will not be allowtd to
send able and sufficient agents to London. They
should be such as the whole Province can hâve con-
iidence in." (P'
M. VaHières léphqua avec une grande éloquence
au discours de M. Papineau, dans la séance du 16 fé-
viier. Cependant il ne parvint pas à ralher une ma-
jorité à l'appui des résolutions originaires de M. Bour-
dages, qui dut les retirer. Dans plusieurs votes qui
frrent pris sur cette question, M. Papineau l'emporta.
Mais à la fin une motion de M. Bourdages pour la no-
mination d'un comité chargé de préparer une adresse
au roi, dans laquelle des représentations seraient faites
à Sa Majesté relativement à l'Acte du Commerce, fut
adoptée malgré M. Papineau, qui se trouva en mino-
rité.
Le résultat de cette première passe d'armes entre
(1) — Tbe Canadian Spectator, 15 février 1824.
158 COURS d'histoire du canada
M. Vallières et M. Papincau était donc assez indécis.
Le vote sur les srbsides offrit aux deux rivaux une nou-
velle occasion de rompre une lance. Le 17 févrici,
M. Tascheieau proposa que des subsides fussent ac-
cordés à Sa Majesté. Qu'^I^'iit faire IVL Papincau ?
Sur la question de l'Acte du conimeice il avait été
étonnamment gouvernemental. Continuerait-il à l'être
sur la question des subsides ? Si les amis de l'admi-
nistration en avaient eu l'illusion, ils furent prompte-
ment détrompes. M. Papincau se montra d'une in-
transigeance absolue. Sans doute les deux questions
étaient différentes. On pouvait refuser de s'attaquei
au parlement impérial à propos de l'Acte du commerce,
et, sans se contredire, refuser de voter I«s subsides,
pour des raisons politiques et constitutionnelles. Ce-
pendant le discours prononcé par M. Papincau, dans le
premier cas, avait semblé dénoter un état d'esprit qui
rendait vraisemblable son consentement au vote des
subsides dans le second. Il n'en fut rien. Notre tribun
combattit énergiquement la proposition de M. Tas-
chereau. Et, particularité piquante, M. Vallières, qui
dans le débat précédent s'était montré jaloux de l'au-
tonomie coloniale, prêta cette fois son concours à l'ad-
ministration. Il y eut ainsi entre ces deux parlemen-
taires éminents une sorte de chassè-croisé.
Le débat fut extrêmement intéressant. M. Pa-
pincau parla avec une giande énergie. M. Vallières
lui répondit par l'un des plus beaux discours de sa car-
rière. Il fit "observer que la chambre avait l'année der_
nière voté un subside demandé de la même manière, (1)
(1) — Les estimations soumises en 1824, comme celles de
1823, étaient divisées en deux sections ou deux classes : lo Le
gouvernement civil et l'administration de la justice ; 2o les éta-
blissements locaux et provinciaux.
COURS d'histoire du canada 159
et qu'il n'était rien arrivé depuis ce temps-là qui
pût justifier entièrement le refus d'un subside, d'au-
tant plus qu'en accordant la motion principale on ne se
liait pas quant au montant des subsides ni quant aux
précautions nécessaires pour l'avenir." (1) A la fin
de cette discussion mouvementée, M. Vallières eut la
satisfaction de l'emporter par une voix. La chambre
décida d'accorder les subsides par 14 voix contre 13.
MM. Bourdages et Neilson votèrent avec M. Vallières.
Mais ce n'était pas tout de décider que des sub-
sides seraient votés. Il fallait en déterminer la forme.
Ici l'influence de M. Papineau eut plus de poids. Il
fit adopter par la chambre une série de résolutions
dans lesquelles le gouvernement "était accusé d'avoir
commis des prodigalités, d'avoir fait un mauvais usage
des deniers publics, de les avoir employés illégalement,
c'est-à-dire sans l'autorisation de la législature." Le
péculat du receveur général lui fournit le thème d'une
philippique véhémente.
Cependant toute la chambre ne se laissa pas sub-
juguer par son éloquence enflammée. Et l'on vit M.
Neilson, son ami et son collègue dans la mission de Lon-
dres contre l'union, se lever poi'r proposer une série
de résolutions en amendement aux piemièies. Elles
portaient la marque de l'esprit judicieux, calme, pon-
déré, qui caractérisait le député du comté de Québec. (2)
Ce fut là un des premiers indices de la mentalité diffè-
(1) Gazette de Québec, février 1824.
(2) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1824, p. 316. — M. Papineau voulait qu'on fit subir aux estima-
tions officielles une réduction de 25%, au chapitre des salaires
pour les fonctionnaires publics. M. Neilson trouvait que cette
manière de procéder n'était pas judicieuse.
11
160 COURS d'histoire du canada
rente qui devait, quelques années plus tard, produire
une scission irrépaïajjle entre ces deux chefs de la ma-
jorité bas-canadienne.
Finalement le bill des subsides fut adopté, la liste
civile fut votée pour un an avec une réduction de vingt-
cinq pour cent sur les salaires des fonctionnaires et of-
ficiers du gouvernement, à commencer par le gouver-
neur. Et la somme de 43,101 louis sterling, ainsi vo-
tée, était à prendre suivant les termes du bill, "sur les
fonds, revenus et deniers applicables au paiement des
dépenses de l'administration de la justice et du gou-
vernement civil, levés et perçus dans la province en
vertu de toute loi, ou de tout statut actuellement en
force, ou provenant du revenu casuel et territorial de
Sa Majesté." Et dans le cas où ces fonds "ne seraient
pas suffisants, la différence devait être remplie au
moyen des fonds non-appropriés qui pouvaient être entre
les mains du receveur général." (1) Comme il était
facile de le prévoir, ce bill des subsides fut rejeté som-
mairement par le Conseil législatif.
Après l'espèce de trêve observée durant la crise
du bill d'union, le conflit entrs l'exécutif et l'Assemblée
s'accusait de nouveau avec une recrudescence d'inten-
sité. Il n'est pas inutile de s'arrêter ici un moment
pour préciser ce qui constituait le nœud du débat. Le
bill des subsides de 1824 l'indiquait parfaitement. Le
gouvernement, depuis 1820, demandait deux choses: le
vote de la liste civile pour la durée de la vie du roi, et
la disposition incontestée du revenu casuel et territo-
rial ainsi que des recettes affectées par des lois perma-
nentes au gouvernement civil et à l'administration de
(1) — ^Bibaud, Histoire du Canada snus la domination an-
glaise, p. 249.
COURS d'histoire du canada 161
la justice. La Chambre repoussait ces deux préten-
tions. Elle ne voulait voter la liste civile qu'annuel-
lement. Et elle proclamait son dioit d'affecter par le
bill des subsides tout le revenu, non seulement celui
qui était à la disposition de la législature, mais de plus
celui-là même qui avait été affecté spécifiquement par
des lois antérieures, y compris et surtout celui qui pro-
venait de l'Acte impérial du revenu de Québec (14
George III, chap. 88). Examinons rapidement ces
deux aspects du conflit.
D'abord que fallait-il entendre par ce terme "la
liste civile", qui revient si souvent dans les documents
officiels et dans les pages de nos histoires ? Un au-
teur bien connu de droit constitutionnel va nous don-
ner la réponse. *'La liste civile, écrit M. Todd dans son
grand ouvrage On parliamentary government in En-
gland, prit naissance après la révolution de 1688. On
l'appliqua alors à défrayer en même temps les dépen-
ses de la maison royale et des offices civils du gouver-
nement. Dans les colonies, le terme liste civile est
appliqué à une disposition budgétaire qui soustrait
certaines parties de la dépense régulière de la colonie
au vote annuel de la législature." (1) Un autre auteur,
May, dans sa Constitutional Historv nj England, écrit
ce qui suit: "A l'accession de Guillaume et Marie le
Parlement fit une provision spéciale pour la "Liste ci-
vile" du roi, qui comprit le maintien de la maison royale
les dépenses personnelles du roi, aussi bien que le paie-
ment d'officiers civils et de pensions. Le système
ainsi introduit fut continué durant les règnes suivants,
et la liste civile comprit non seulement les dépenses du
(1) — Todd, On Parliamentary Government in England, 1887,
t. I, p. 655.
162 COURS d'histoire du canada
souverain, mais une partie de la dépense civile de
l'Etat." (1)
A l'avènement de George IV, en 1820, la liste ci-
vile avait été fixée à la somme de 1,057,000 louis ster-
ling, soit S5,287,000. Voici quelles en étaient les char-
ges: 1 La "bourse privée" de Sa Majesté, 60,000 louis;
2° les émoluments du lord chancelier, des juges et de
l'orateur de la Chambre des communes, 32,955; 3 les
salaires des ambassadeurs de Sa Majesté, des mi-
nistres plénipotentiaires, des consuls, et les pensions
des ambassadeurs et des ministres en retraite, 226,950
louis; 4 les dépenses de la maison de Sa Majesté,
dans les départements du "lord steward", du lord
chambellan, du maître des écuries, du maître de la
garde-robe et du surintendant général des travaux,
209,000 louis; 6° les pensions, limitées par l'acte 22
George III, à 95,000 louis; 7 les salaires de ceitaines
charges de l'Etat, et divers autres émoluments; 8 les
salaires des commissaires du trésor et du chance-
lier de l'échiquier, 13,822; 9 les paiements occasion-
nels, etc, 26,000: total, 845,727 louis. (2)
La liste civile en Angleterre était votée pour la
vie du souverain. L'acte du parlement qui l'établis-
sait au début du règne contenait cette disposition:
"And that the said revenues shall bc made payable, . .
and be paid to His présent Majesty during his life
(which God may préserve)." (3) C'est sur cette pratl-
(1) — May, Constitutional History oj England, 1912, t. I,
pp. 156-168.
(2) — Stalutes oJ tbe United Kingdom, I Geori^e IV, ch. I.
(3) — Stalutes oj tbe United Kingdom, I George IV, ch. i,
art. 3.
COURS d'histoire du canada 163
que du parlement impérial que se fondaient les minis-
tres coloniaux et les gouverneurs qui insistaient ici pour
faire voter par la Chambre une liste civile permanente.
"Voilà ce qui se fait en Angleterre, disaient-ils. Votre
constitution est modelée sur celle de la Grande-Bre-
tagne. Vous ne sauriez raisonnablement refuser de
suivre la règle observée par les communes et les lords
britanniques. Pourquoi seriez-vous plus défiants en-
vers la Couronne que les représentants du peuple an-
glais, si ombrageux quand il s'agit de ses privilèges et
de ses franchises?" Cet argument avait une incon-
testable force. A cela l'Assemblée répondait "que le mon-
tant des dépenses du gouvernement civil de Sa Majesté
en cette province était de sa nature variable et sujet à
être augmenté et diminué de temps à autre, suivant
l'exigence des cas et les changements que nécessitent
journellement l'enfance de cette province et l'instabili-
té de ses ressources et de son commerce, et qu'à cet
égard il n'y avait aucune parité entre la mère-patrie et
cette colonie." Elle ajoutait "que la division des pou-
voirs, législatif, exécutif et judiciaire, l'indépendance
des juges et la comptabilité des officiers du gouverne-
ment sont des attributs essentiels de la constitution
britannique dont jusqu'à présent cette province avait
été privée, et qu'à tous ces égards il n'y avait aucune
parité entre la mère-patrie et cette province." Elle
faisait encore observer "que les dépenses du gouver-
nement civil de cette province faisaient presque la tota-
lité de la dépense publique et qu'à cet égard il n'y
avait aucune parité entre la mère-patrie et cette pro-
vince." Enfin elle déclarait que les "raisons qui ont
'engagé le parlement d'Angleterre à pourvoir pour la
vie du roi à la dépense de sa maison et à la liste civile
de Sa Majesté et aux dépenses nécessaires pour soute-
164 COURS d'histoire du canada
nir l'honneur et la dignité de la Couronne n'existaient
pas dans cette province," et, conséqucmment, elle af-
firmait une fois de plus la disparité des circonstances
entre la Grande Bretagne et le Bas-Canada. (1)
Comme on le voit la Chambre plaidait la diffé-
rence des cas. Cette différence était indéniable et
pouvait justifier à ce moment l'attitude de nos chefs
parlementaires. En outre ils se défiaient de l'admi-
nistration. Ils voyaient le Conseil exécutif et le Con-
seil législatif composés en grande partie d'un groupe
ennemi de nos institutions et de nos traditions natio-
nales, de magistrats, de fonctionnaires, d'officiers pu-
blics hostiles à nos droits et désireux de réduire à néant
notre influence. Et ils considéraient une liste civile
permanente, dont ces adversaires acharnés de notre
cause seraient les principaux bénéficiaires, comme une
sorte de citadelle inexpugnable d'où cette bureaucra-
tie trop puissante nous braverait impunément. Voilà
ce qui faisait vraiment le fond du débat. Théorique-
ment, sur cette question de la liste civile permanente,
la position de l'Assemblée pouvait paraître faible. Le
parlement britannique en avait depuis longtemps re-
connu l'à-propos. Et en soi cette permanente était
dans l'ordre. II est rationnel et utile que l'administra-
tion judiciaire, que le service diplomatique, que les sa-
laires de certains fonctionnaiies, que toute une classe
d'officiers essentiels au fonctionnement du gouverne-
ment national, soient assurés dans leur stabilité et leur
efficacité par des dispositions légales permanentes, et
ne soient pas laissés à la merci des fluctuations politi-
ques. Nous vivons actuellement sous ce régime. Par-
Ci) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1822,
14 janvier.
COURS d'histoire du canada 165
courez nos estimations budgétaires fédérales et pro-
vinciales. A Ottawa comme à Québec vous y verrez
indiquées deux séries d'affectations, les affectations
permanentes et les affectations annuelles. Vous cons-
taterez que cette intéressante brochure qui s'appelle
"le budget" contient deux colonnes, celles des dépen-
ses à voter et celle des dépenses déjà votées, ou auto-
risées par statut. C'est ainsi qu'actuellement le salai-
re des juges, par exemple, constitue une charge perma-
nente sur le revenu public. Les subsides pourraient
être refusés demain, et l'administration de la justice
n'en serait pas entravée. Ceci est absolument raison-
nable et exigé par le bien public. Mais le malheur des
temps que nous étudions en ce moment c'était la confu-
sion des rôles, le cumul des fonctions, le défaut de dis-
tinction entre les pouvoirs exécutif, législatif et judi-
ciaire. Et c'était cet abus, ce désordre incontestable
qui expliquaient l'attitude de l'assemblée.
Passons maintenant au second aspect du conflit.
Ceux d'entre vous. Messieurs, qui me font l'honneur de
suivre régulièrement ces conférences, se rappellent
sans doute la distinction que nous avons observée entre
les deux catégories de revenus. Il y en avait qui prove-
naient du fonds casuel et territorial et des lois décré-
tant des affectations permanentes, telles que l'Acte
impérial du revenu de Québec (14 George III, chap. 88)
et l'Acte provincial 35 George III, chapitres 8 et 9. Et
il y en avait qui provenaient de lois où ne se ren-
contraient aucunes dispositions ayant pour objet d'af-
tecter en permanence à la dépense publique les
recettes qui en seraient le produit.
Si l'on veut toucher du doigt la différence entre le
revenu affecté et le revenu non affecté, on n'a qu'à par-
courir l'article 17 de la loi 35 George III, chapitre 9.
166 COURS d'histoire du canada
On y lit ce qui suit: "Et qu'il soit de plus statué que,
des monnaies qui proviendront des droits et taux ac-
cordés par cet acte, et des droits accordés par un acte
voté dans cette session de la législature, intitulé "Acte
pour accorder à Sa Majesté des droits sur les licences
de colporteurs", ctc , il sera déboursé et payé an-
nuellement la somine de cinq mille cinq cent cinquante
cinq louis, onze chelins, un denier et un fiers, monnaie cou-
rante de cette province, étant égale à cinq mille livres
sterling monnaie de la Grande Bretagne, pour contri-
buer plus amplement à défrayer les dépenses de l'admi-
nistration de la justice et le soutien du gouvernement civil
dans cette province, et toutes et chacunes des monnaies
ainsi appropriées seront paj^ées par le receveur général
de cette province sur tel ordre ou ordres qui seront de
temps en temps émanés par les gouverneurs, le lieute-
nant gouverneur ou la personne ayant l'administra-
tion du gouvernement de cette province pour le temps
d'alors, pour les fins ci-dessus mentionnées et pas d'au-
tres, ef le restant s'il s'en trouve, des mo7i7iaies provenantes
des taux et droits susdits . . , demeurera et sera réservé
entre les mains du dit receveur général pour la disposi-
tion future de la législature de cette province."{l) Les
mots en italiques font saisir parfaitement la distinc-
tion indiquée plus haut. En vertu de cet article, sur
le produit de cette loi de revenu, 5,555 louis sont affec-
tés en permanence au paiement des dépenses de l'ad-
ministration de la justice et du gouvernement civil, le
reste est non affecté et la législature seule pourra l'ad-
fecter ultérieurement. Le gouverneur n'aura pas le
droit de tirer le moindre mandat sur ce reste, et le rece-
(1) Statuts provinciaux du Bas-Canada t. T p. 182.
COURS d'histoire du canada 167
veur général n'aura pas le droit d'en payer un sou sans
l'autorité d'un vote de la législature.
Voici un autre exemple de revenu non affecté.
L'article 12 de l'Acte 55 George III, chapitre 3, "ac-
cordant de nouveaux droits à Sa Majesté pour subve-
nir aux besoins de la province", se lisait comme suit:
"Et qu'il soit statué que tous les deniers, amendes, et
confiscations qui seront prélevés en vertu de cet acte,
seront payés et demeureront entre les mains du rece-
veur général pour la dispositioyi future du parlement
provincial." (l) Voilà un cas très clair de revenu non
affecté. Pour qu'on pût y toucher, pour que le gou-
verneur pût émettre un mandat sur ce fonds afin de
payer une dépense, il fallait un vote, une affectation
de la législature.
Eh bien, en présence de ces deux catégories de re-
venus, la Couronne, le pouvoir exécutif disait à l'As-
semblée: "Vous avez le droit d'affecter par votre vote,
par le bill des subsides, tout le revenu qui ne l'est pas
déjà, mais vous n'avez pas le droit d'affecter le revenu
qui l'a été antérieurement par des lois permanentes.
Celui-ci a été mis d'avance à ma disposition par des
statuts, et je puis l'appliquer au gouvernement civil
et à l'administration de la justice, sans avoir besoin
de recourir à une nouvelle affectation législative." Cet-
te prétention était indéniablement plausible.
Comment l'Assemblée y répondait-elle ? Elle
déclarait que les revenus produits par l'Acte impérial
de 1774 n'avaient été affectés que par une législation
du parlement britannique, et, qu'une constitution par-
lementaire ayant été accordée subséquemment à la
► province, il convenait que le revenu créé- antérieure-
(1) Statuts Provinciaux du Bas-Canada, t. 8, p. 29.
168 COURS d'histoire du canada
ment par cet acte devînt sujet à l'afTectation de la lé-
gislature. Elle afTirmait que, le revenu permanent ne
suffisant plus à solder toutes les dépenses et le gouver-
nement étant obligé de demander des ressources addi-
tionnelles, la chambre avait le droit et le devoir de con-
sidérer en même temps l'ensemble des dépenses et l'en-
semble des revenus, et d'afTecter ceux-ci au paiement
de celles-là, sans tenir compte de la distinction signa-
lée tout à l'heure. Elle représentait enfin, et ceci
était son argument le plus fort, que le pouvoir exécutif
prétendait déterminer d'une façon tout à fait arbitraire
quels étaient les services qui devaient entrer sous ces
titres de "gouvernement civil et d'administration de
la justice", et qui seraient ainsi défrayés à même le re-
venu affecté en permanence, y incluant et en excluant
ceux qui lui plaisaient, et favorisant les uns au détri-
ment des autres. Et elle soutenait que le remède à
cet nbus, c'était de faire disparaitre cette distinction
et de soumettre tout le revenu à l'affectation législa-
tive. Ici encore la position de l'Assemblée se justi-
fiait plutôt par les raisons politiques que par les raisons
théoriques.
Dominant tout ce débat, il y avait un principe fon-
damental que nous ne saurions perdre de vue, le prin-
cipe du légitime contrôle des représentants du peuple
sur le revenu des taxes imposées au peuple et payées
par lui. M. John Neilson devait l'énoncer dans cette
formule brève et saisissante, au cours de son témoignage
devant le comité des griefs, quatre ans plus tard: "L'as-
semblée de la province a le droit d'approprier et de
contrôler tous les deniers qui se perçoivent dans la pro-
vince." Lord Bathurst l'oubliait trop dans ses lettres.
Il méconnaissait trop son rôle de ministre constitution-
nel quand il revenait constamment sur la nécessité de
COURS d'histoire du canada 169
maintenir l'intégrité "du revenu de la couronne", de ne
pas laisser la Chambre toucher au "revenu du roi".
C'était se montrer trop régalien. C'était exagérer la
fiction au détriment de la réalité. C'était perdre du
vue ce point capital que nous avions ici un gouverne-
nement parlementaire, et que, d'après la constitution,
les finances de la colonie tombaient normalement sous
la juridiction du parlement colonial.
Aux deux causes de difficultés que nous venons
d'étudier sommairement, il faudrait ajouter la prati-
que adoptée par l'Assemblée dès le début de voter les
subsides article par article au lieu de les voter en bloc.
Mais ce sujet de contention semblait avoir subséquem-
ment perdu de son importance dans le litige entre la
Chambre et l'exécutif.
L'issue orageuse de la session de 1824 pouvait faire
présager pour l'année suivante une session désagréa-
blement mouvementée. Il n'en fut rien. Lord Dal-
housie, qui avait obtenu un congé, passa en Europe au
mois de juin, et Sir Francis Burton, le lieutenant gou-
verneur, (l)prit les rênes de l'administration. C'était
(1) — Sir Francis Burton était lieutenant gouverneur du
Bas-Canada depuis 1808. Mais il n'était au Canada que depuis
1822. On se rappelle que la Chambre avait fait des représen-
tations relativement au salaire d'un lieutenant gouverneur
absent de la province. C'est ce qui avait déterminé l'arrivée de
sir Francis. Ses qualités personnelles l'avaient promptement rendu
populaire. A la session de 1823, la Chambre lui avait voté une
augmentation de salaire de 1000 louis sterling (soit 2500 louis en
tout) et une somme de 500 louis pour le loyer et l'ameublement
d'une résidence. — Avant sir Francis Burton, il y avait eu sous le
régime britannique six lieutenants gouverneurs de Cuébec ou
du Bas-Canada : Sir Guy Carleton en 1766, Hector-Theophilus
Cramahé en 1771, Henry Hamilton en 1784, Henry Hope en 1785,
Alured Clarke en 1790, Robert Prescott en 1795, Robert-Shoré
170 COURS d'histoire du canada
un homme ami delà concorde. Son aménité decaractère,
sa bienveillance et son commerce facile avaient prédis-
posé les esprits en sa faveur. Les élections générales
qui eurent lieu dans l'été de 1824 apportèrent peu de
changements au tempérament général de l'Assemblée.
La session s'ouvrit le 8 janvier 1825. M. Vallières,
qui avait siégé deux ans comme orateur, ne fut pas
réélu, et M. Papineau fut replacé dans ses anciennes
fonctions. Dans le discours du trône le lieutenant
gouverneur fit cette déclaration significative: "Quoi-
que j'assume pour la première fois l'administration du
gouvernement, j'ai résidé assez longtemps dans la pro-
vince pour vous avoir connus presque personnellement.
Et je puis déclarer avec la plus vive satisfaction que
dans aucune partie des possessions de Sa Majesté je
n'ai remarqué un plus ferme attachement à sa personne
Milnes en 1797. Ces fonctionnaires remplaçaient les gouverneurs
en chef quand ceux-ci étaient absents, soit temporairement
soit définitivement. C'est ainsi que Carleton vint ici d'abord
pour administrer les affaires, après le départ de Murray, en 1766,
avec le simple titre de lieutenant gouverneur. Murray ne cessa
d'être titulairement gouverneur qu'en 1768, et Carleton fut alors
nommé gouverneur en chef. Sir Robert -Shore Milnes ne fut
jamais que lieutenant gouVerneur. II remplit ici les fonctions
de gouverneur après le départ du général Prescott, en 1799 jus-
qu'en 1805, ce dernier conservant son titre jusqu'en 1807. De
1805 à 1807 (date de la nomination de sir James Craig,) le gou-
vernement fut administré par le président Dunn. A partir de
1786, les gouverneurs de Québec furent toujours gouverneurs en
chef de toutes les provinces britanniques, les représentants de
la Couronne au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Ecosse et
dans le Haut-Canada ne furent que lieutenants gouverneurs, et
il y en eut un aussi pour le Bas-Canada, sous le gouverneur
général. (A consulter sur les lieutenants gouverneurs les Docu-
mpits constitutionnels, 1760-1791, pp. 166, 279, 507, 527, et le
Hand-Book oj Canadian Dates, de F. McCord).
COURS D HISTOIRE DU CANADA 171
et à son gouvernement que ceux dont vous donnez
l'exemple; et j'ai conséquemment les meilleures rai-
sons de compter sur vos efforts réunis. J'espère, Mes-
sieurs, que vous allez vous unir cordialement pour
écarter les difficultés passées, et pour en prévenir le re-
tour par un arrangement à l'amiable des affaires finan-
cières de la province." (1)
La Chambre s'efforça de correspondre à l'appel.
De part et d'autre, il y eut de la bonne volonté. Sir
Francis Burton soumit les estimations dans une forme
différente de celle qui avait été adoptée les années pré-
cédentes. La distinction entre deux classes de servi-
ces, ceux du gouvernement civil et de l'administration
judiciaire, et ceux des établissements locaux et pro-
vinciaux, ne fut pas reproduite. Les revenus affectés
antérieurement furent évalués à 40,545 louis courant,
et une somme additionnelle de 31,456 louis fut deman-
dée pour compléter le paiement des dépenses prévues.
L'Assemblée se montra satisfaite de cette nouvelle ma-
nière de soumettre les estimations budgétaires. Elle
y vit ou voulut y voir un abandon de la distinction
entre les offices permanents et les offices locaux, et une
admission de son contrôle sur le revenu affecté en
permanence. Il y avait peut être là une illusion, in-
consciente ou volontaire. Quoi qu'il en fût elle pro-
duisit son effet. Les chefs de la majorité s'efforcèrent
de préparer un bill de subsides qui serait agréable au
lieutenant gouverneur, et qui, d'autre part, ne compro-
mettrait pas leurs prétentions. Il y eut des pourpar-
lers discrets (2). Et le résultat fut un bill de subsides
(1) — Journal de la Chambre, 1825, p. 12.
(2)— Christie, t. III, p. 69.
172 COURS d'histoire du canada
qui apparemment ne soulevait pas les mêmes objections
que les précédents. Certains articles des estima-
tions y étaient su])primés parce que l'Assemblée les ju-
geait inutiles. Mais l'article où se trouvait édictée
l'afTectation budgétaire était conçu en des termes qui
éludaient la difliculté principale. II y était dit: "En
addition au revenu approprié pour défrayer les dépenses
de l'administration de la justice et pour le maintien
du gouvernement civil de la province, il sera ajouté et
payé à même les deniers non appropriés qui sont main-
tenant ou qui pourront se trouver ci-après entre les
mains du receveur général de la province telle somme
ou sommes qui pourront être nécessaires pour complé-
ter une somme n'excédant pas cinquante-huit mille
et soixante quatorze louis, deux chelins et onze pence
sterling, aux fins de défrayer les dépenses du gouver-
nement civil de cette province et de l'administration
de la justice, et les autres dépenses pour la dite année
commençant le 1er jour de novembre 1824 et se termi-
nant le trente et unième jour d'octobre 1825." (1)
Cette formule fort habilement rédigée rencontra
la faveur universelle. Le bill des subsides, voté à la
Chambre par vingt-deux voix contre une (2), fut agréé
par le conseil à une très forte majorité, deux conseillers
seulement, MM. Richardsonet Grant, donnant un vote
hostile (3). De part et d'autre on se félicita du résul-
tat. On proclama la fin des difTicultés qui avaient en-
travé le bon fonctionnement de nos institutions. En
présentant le bilI des subsides, M. Papineau prononça
(1) — Statuts provinciaux du Bas-Canada, t. XII, p. 103;
25 George III, ch. XX vu.
(2) — Journal de la Chambre, 1825, pp. 365-366.
(3)— Christie, t. III, p. 70.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 173
ces paroles: "Qu'il me soit permis au nom des fidèles
et loyaux sujets de sa Majesté, ses communes du Bas-
Canada. ., d'exprimer leur reconnaissance pour la fa-
cilité de l'accès, l'urbanité de l'accueil, la franchise dans
les communications, la variété et l'importance des
renseignements propres à faciliter leurs travaux légis-
latifs qu'ils ont en tout temps obtenus de votre Excel-
lence. Depuis l'année mil huit cent dix-huit que cette
Chambre avait été appelée pour la première fois à pour-
voir annuellement à toutes les dépenses civiles du gou-
vernement, des obstacles toujours croissants jusqu'à
ce jour avaient empêché qu'elle pût offrir à la sanction
royale un bill qui pourvût pleinement à cet objet essen-
tiel. Enfin sous de plus heureux auspices, sous votre
administration, cet engagement volontaire qu'elle a
prise, ce devoir qu'elle a toujours été prête à remplir
va s'accomplir à la suite de difficultés trop longtemps
prolongées. Vos efforts pour rétablir l'harmonie entre
les autorités constitutionnelles ont été couronnée d'un
plein succès, qui vous garantit la reconnaissance du-
rable de l'Assemblée et du peuple qu'elle représente." (1)
Sir François Burton de son côté témoigna en ter-
mes chaleureux le contentement qu'il éprouvait : "Ce
sera, dit-il, une partie bien satisfaisante de mon devoir
de faire connaître à Sa Majesté aussitôt que possible
la nouvelle satisfaisante que, par un arrangement ami-
cal des intérêts pécuniaires de cette province, vous
avez obvié aux difficultés qui, pendant des années suc-
cessives, ont troublé l'harmonie qu'il était si désirable
^'établir entre les corps législatifs. Et cet événement,
j'en suis persuadé, tendra à rapprocher dans un degré
(1) Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 22
mars 1825.
174 COURS d'histoire du canada
cniinent les liens qui unissent cette province à la mère-
patiic."
La session de 1825 se terminait dans une effusion
d'allégresse civique et de synipatiiie mutuelle. "Cha-
cun, écrit un contemporain, se félicita de voir finir ainsi
les dissensions sur les affaires de finance." Le lieute-
nant gouverneur écrivait dans cette note au ministre
des colonies. Il lui annonçait avec la plus vive satis-
faction que les différends existant depuis si longtemps
entre les corps législatifs sur la question des subsides
étaient terminés à l'amiable. Il ajoutait: "L'Assem-
blée a décidément reconnu le droit de la Couronne de
disposer du revenu provincial de l'Acte de la Même
George III et de certains autres droits dont le produit
est déjà approprié par la loi, et à l'avenir il ne sera né-
cessaire de demander à l'Assemblée que l'aide qui pour-
rait êtie requise pour couvrir le déficit du revenu ci-
dessus mentionné pour payer les dépenses du gouver-
nement civil et de l'administration de la justice." Et il
terminait sa lettre par ces mots: "Il n'y a pas eu de
session aussi paisible depuis vingt-cinq ans." (1) Quand
nous lisons cette lettre, après la longue étude que nous
avons faite du conflit budgétaire, et quand nous la rap-
prochons du texte adopté par la Chambre pour le der-
nier bill des subsides, nous ne pouvons nous empêcher
de signaler que sir Francis Burton se faisait quelque
illusion sur la portée véritable de cet acte. La Cham-
bre était restée dans l'indéfini; elles'était arrangée pour
ne pas reconnaître expressément à la Couronne le droit
de disposer du revenu en permanence affecté. Lord
(1) — Archives du Canada ; Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 171, p. 12.
COURS d'histoire du canada 175
Bathurst le discerna parfaitement. S'il eût été diplo-
mate, il eût profité de cette sorte d'équivoque, de ce
malentendu, propice à certains égards, pour laisser
expirer tranquillement la controverse fâcheuse où la
métropole se trouvait engagée avec la colonie. A la
rigueur la prétention soutenue par lui depuis 1820 pou-
vait paraître implicitement reconnue par l'Assemblée.
II eût été judicieux de sa part, nous semble-t-il, de se
déclarer satisfait, et de profiter du bill de subsides à
la tournure conciliante voté par la Chambre en 1825,
pour établir un modus vivendi acceptable à toutes les
parties en cause, et assurer ainsi le fonctionnement pai-
sible de l'administration bas-canadienne. Lord Ba-
thurst ne sût pas saisir l'occasion. II se cantonna dans
la conception la plus extrême de la prérogative royale.
Il censura .sir Francis Burton pour avoir consenti à ce
qui lui paraissait une diminution de cette prérogative.
Il protesta contre une mesure qui affectait l'intégrité du
"revenu du roi", il réclama pour "Sa Majesté", le droit
d'appliquer le "revenu permanent de la Couronne
à telles dépenses qu'elle jugerait convenable." Com-
me si le produit des taxes payées par le peuple n'eût
pas été en réalité la propriété du peuple de cette pro-
vince! Lord Bathurst reprochait au lieutenant gou-
verneur de n'avoir pas suivi les instructions contenues
dans ses dépêches à lord Dalhousie du 11 septembre
1820 et du 17 septembre 1821. II terminait cette
lettre d'un ton si absolu par l'intimation suivante:
"Comme le bill est limité à une année, je ne crois pas
nécessaire de recommander à sa Majesté de le désap-
prouver, mais j'enjoindrai au représentant de sa Ma-
jesté de ne sanctionner aucune mesure d'une nature
12
17G COURS d'histoike du canada
semblable." (1) Suivant nous cette attitude de lord
Bathurst en 1825 fut l'une des fautes les plus regret-
tables de sa longue carrière de secrétaire colonial. Dans
certaines circonstances, dans la question religieuse,
par exemple, il nous avait rendu d'incontestables ser-
vices. Mgr Plessis avait eu plus d'une fois à se louer
de lui. (2) Mais en cette occasion il manqua de tact,
de clairvoyance, de savoir-faire, et sa maladroite in-
transigeance entraîna des résultats déplorables. L'ad-
ministration de sir Francis Burton avait produit une
détente inespérée dans la situation. Le concours des
deux chambres était rétabli, la bonne entente régnait
entre l'exécutir et l'assemblée. M. Papincau et sir
Francis Burton échangeaient des compliments. C'était
presque une idylle. Elles sont bien rares, les idylles,
en politique. Et lord Bathurst eût dû profiter de
l'idylle Burton pour assurer à la province un avenir de
paix et de législation progressive. Il manqua la chance
que lui offraient les événements. Et c'est là une
erreur que l'on pardonne difficilement à un homme
d'Etat.
Le lieutenant gou\eriîcur se justifia du reproche
d'avoir méconnu les instructions ministérielles, en prou-
vant que les dépêches de 1820 et de 1821 à lord Dal-
housie ne lui avaient pas été communiquées. Et
quant au méri'te de la question il écrivit un long mémoi-
(1) — Lord Bathurst à sir Jrancis Burton, 4 juin 1825 ; Ar-
chives du Canada, Q. 171, p. 29.
(2) — Lord Bathurst appartenait à cette école qui, dans le
parti tory, restait fidèle aux idées de Pitt relativement à l'éman-
cipation des catholiques. Comme Canning.IIuskisson et plusieurs
autres, il était favorable à cette émancipation, qui, en 182.'),
était à la veille de triompher (1829).
COURS d'histoire du canada 177
re pour défendre la sagesse de son attitude. (1) Lord
Bathurst reconnut que son blâme n'était pas fondé,
puisque sir Francis Burton ne connaissait pas les ins-
tructions données antérieurement au gouverneur. Mais
il persista dans son sentiment relativement au bill des
subsides de 1825.
Lord Dalhousie, de retour au Canada dans l'autom-
ne de cette année, reprit la direction du gouvernement.
Au début de la session de 1826, qui fut ouverte le 2
janvier, il parut se réjouir, lui aussi, de la fin présumée
des difficultés. "Ce sera pour moi une grande satis-
faction, dit-il, de voir que les différends qui ont si long-
temps subsisté dans la législature sur les affaires de fi-
nance sont enfin terminés et qu'il n'existe plus aucune
difficulté pour empêcher l'octroi des aides qu'il est de
mon devoir de demander au nom de sa Majesté, pour
le soutien de son gouvernement dans cette province."
II est difficile de concilier ces expressions si pleines de
confiante assurance avec la connaissance que lord Dal-
housie devait avoir à ce moment du blâme infligé à
sir Francis Burton par lord Bathurst, et de la politi-
que intransigeante que celui-ci avait énoncée dans sa
lettre du 4 juin précédent. Quoi qu'il en soit il put
constater bientôt que l'Assemblée ne se plierait pas à
la volonté du ministre des colonies. La communica-
tion qu'il crut devoir lui faire delà lettre malencontreuse
du 4 juin 1825, où lord Bathurst repoussait sur un
ton 91 péremptoire l'appaience même d'une ingérence
pailementaire dans l'affectation des "revenus du roi",
produisit la plus désastreuse impression. (2) L'As-
(1) — Sir Francis Burton à lord Bathurst, 25 juillet, 11 août
1825 ; Archives du Canada, Q. 171, pp. 182, 195.
(2)— Journal de la Chambre, 1826, p. 268.
178 COURS d'histoire du canada
semblée, conciliée par sir Francis Burton, se cabra de
nouveau. Elle adopta une série de résolutions dans
lesquelles elle aiïîrmait une fois de plus son droit de
contrôle sur l'affectation et la distribution de tout le
revenu public. (1) Puis nonobstant la dépêche de lord
Batiiurst, elle adopta un bill de subsides absolument
semblable à celui de 1825, dont la forme avait été dé-
clarée inacceptable par le ministre. Le Conseil légis-
latif, qui avait approuvé le bill de l'année précédente,
amenda celui-ci conformément aux vues du gouverne-
ment. Et le résultat fut que le bill des subsides mou-
rut dans son trajet entre les deux chambres, car l'As-
semblée, comme on devait s'y attendre, refusa d'accep-
ter les amendements du Conseil. (2) En prorogeant
la législature lord Dalhousie, après avoir rappelé la dé-
pêche de lord Bathurst à sir Francis Burton, prononça
les paroles suivantes, qui devaient jouer un grand rôle
dans les discussions ultéiieures: "Je n'hésite pas à vous
déclarer que je dois adhérer aux ordres et instructions
contenues dans ce document, jusqu'à ce qu'ils soient
révoqués par Sa Majesté, et que jusque Là je dois con-
tinuer à soumettre les comptes et estimations dans la
forme où je les ai présentés au parlement provincial
durant la présente session, vous montrant une claèse
du revenu pour votre information, et une autre classe
pour votre appropriation." (3) Les chefs dt l'Assem-
blée ne manquèrent pas d'exploiter cette formule et de
signaler comme exorbitante la prétention que la
(1) — Journal de la Chambre, p. 253.
(2) — Christie, t. III, p. 96 ; Journal du Conseil législatif,
1826.
(3) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1826, p. 371.
COURS d'histoire du cahada 179
chambre populaire n'avait qu'un droit d'"information"
sur une proportion considérable du revenu public.
L'imbroglio s'accentuait. De part et d'autre, les
parties en présence, le pouvoir exécutif et l'Assemblée,
semblaient dire à l'envie: "Mon siège est fait." La
session de 1827 ne devait pas améliorer cette situation.
Bien au contraire la communication d'une information
relative au retrait du blâme infligé à sir Francis Bur-
ton, eu égard au fait qu'il n'avait pas connu les ins-
tructions antéiieures du ministre, donna une recru-
descence aux dispositions hostiles de la Chambre. Elle
demanda qu'on lui soumît le texte de la dépêche où le
lieutenant gouverneur était exonéré sur ce point. Et le
gouverneur refusant de produire cette pièce, elle décla-
ra que vraisemblablement la justification du lieute-
nant gouverneur n'avait pas pour seul motif la raison
énoncée dans le message de lord Dalhousie. C'est-à-
dire que, suivant elle, l'exonération de sir Francis Bur-
ton avait eu pour cause non pas simplement son igno-
rance des instructions ministérielles, mais un réel chan-
gement d'opinion de la part de lord Bathurst sur le mé-
rite de la question. En d'autres teimes celui-ci aurait
modifié SCS vues relativement au bill des subsides de
1825, et reconnu la sagesse manifestée par le lieutenant
gouverneur en sanctionnant ce biil. Si vraiment la
Chambre était sous cette impression elle était à coup
sûr dans l'erreur, car lord Bathuist était plus obstiné
que jamais dans son attitude. (1) Cet incident
pouvait faire augurei que le conflit n'était pas
près de finir. Les estimations furent encore soumises
dans une forme nouvelle. Elles accusaient aussi pé-
(1) — Lord Bathurst à lord Dalhousie, 30 septembre 1825.
Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 164-A.
180 COURS d'histoire du canada
remptoircment qu'auparavant l'intention de nier à
la chambre le droit d'affectation totale que réclamait
cette dernière. (1) La réponse de la députation ne
pouvait être douteuse. Par un vote de trente-deux
contre six elle maintint son attitude antérieure, et dé-
clara que les estimations budgétaires telles que soumi-
ses ne lui permettaient pas de voter les subsides. (2)
Le lendemain, 7 mars 1827, lord Dalhousie venait pro-
roger soudainement la session en prononçant un dis-
cours où se manifestait une irritation très vive. On
eût cru entendre une des harangues comminatoires de
Craig. Après avoir complimenté le Conseil législatif
il adressait à la chambre une longue mercuiiale. II
l'apostrophait avec une véhémence peu conforme au
style ofFiciel. "Avez-vous voté les subsides demandés
par sa Majesté? Avez- vous donné des raisons que le
pays puisse comprendre? Avez-vous répondu aux
messages du représentant de sa Majesté? Avez-vous
reconnu dans vos procédures la prérogative de la Cou-
ronne?" Il terminait en disant qu'il ne lui restait
plus qu'à proioger le parlement, malgré les inconvé-
nients qui en résulteraient pour la province. (3)
Un^ grande agitation s'ensuivit. M. Papineau
et six de ses collègues du district de Montréal publiè-
rent un manifeste où ils répondaient énergiquement à
la harangue de prorogation de lord Dalhousie. Ce der-
nier Jut désormais classé par le parti canadien au nom-
bre de nos gouverneurs les plus impopulaires. Ce sen-
(1) — Journal de la Chambre, 1827, p. 7.5 ; Eslimations bud-
gétaires. Appendice H.
(2)—Ibid, p. 313.
(3)— Journal de la Chambre, 1827, p. 316.
COURS d'histoire du canada 181
timent d'hostilité fut encore accru par la mise en vi-
gueur des anciennes ordonnances de milice, parce que
la loi de milice dont le terme expirait n'avait pas été
renouvelée avant la prorogation soudaine de la législa-
ture. On attaqua leur légalité. Des officiers de milice
refusèrent de les reconnaitre. Il en résulta des desti-
tutions. Des lettres de protestations peu flatteuses fu-
rent adressées au gouverneur. (1) L'excitation des
esprits devint de plus en plus grande lorsque le parle-
ment fut dissout avant son terme normal au mois de
juillet 1827. Les élections qui suivirent donnèrent lieu
à de violentes polémiques de presse et à des passes
d'armes mouvementées à la tribune populaire. M. Pa-
pineau prononça une harangue dans laquelle il dénon-
çait l'attitude de lord Dalhousie. Et quand l'élection
fut terminée par sa victoire, il adressa à ses électeurs
du quartier ouest de Montréal une lettre où il se met-
tait en scène comme l'adversaire du gouverneur et pro-
clamait la défaite de ce dernier. "Vous ne deviez blâ-
mer disait-il, l'une ou l'autre autorité constituée (le
représentant de la Couronne et l'Assemblée) qu'après
un examen léfléchi des faits et des doctrines invoquées
par l'une ou par l'autre, tels qu'ils vous ont été expo-
sés, avec autant de clarté que J'en étais capable en fa-
veur de l'Assemblée, avec autant d'ardeur que possi-
ble en faveur du gouverneur par ses partisans. Vous
avez décidé de me renvoyer au parlement, fort de ma
conviction passée et de votre approbation récente." (2)
L'effervescence qui avait marqué l'élection géné-
rale de 1827, les incidents qui l'avaient précédée et
(1) — Bibaud, Histoire du Canada sous la domination an-
glaise, pp. 283-84.
(2)— La Minerve. 2-3 août 1827.
182 COURS d'histoire du canada
suivie, maintenaient l'opinion clans un état d'agitation
intense. On attendait avec un intérêt passionné la
réunion des chambres. "Ce qui occupait le plus les
esprits" suivant un écrivain de cette époque, "c'était
le choix de l'orateur de l'Assemblée, ou plutôt la ques-
tion de l'acceptation ou du rejet de M. Papineau." (1)
Un des organes du parti populaire disait: "Le choix de
la personne de M. Papineau est fait depuis longtemps,
et la Chambre ne craindra point d'annoncer son choix
au gouverneur. Si le gouverneur irrité cassait le parle-
ment il se perdrait pour toujours dans l'esprit de cette
colonie, se couvriiait d'infamie et s'exposerait à être
rappelé en Angleterre." (2) Par contre les gazettes
gouvernementales proclamaient que si M. Papineau
était choisi, "le gouverneur refuserait de ratifier son
élection." (3)
L'ouverture de la session eut lieu le 20 novembre
1827. Mandés dans la salle du Conseil législatif, et in-
vités à faire avant toutes choses l'élection d'un orateur,
les députés retournèrent au lieu de leurs séances pour
y procéder. Sur motion de M. Bourdages, M. Papi-
neau fut élu par trente-neuf voix contre cinq. Mais
lord Dalhousie avait pris d'avance sa détermination.
Mal inspiré par le ressentiment personnel que lui
avaient fait éprouver les attaques de M. Papineau, il fit
déclarer à la Chambre le lendemain, quand l'orateur
nouvellement élu, accompagné des députés, vint lui
signifier son élection, qu'il n'approuverait pas ce choix
(1) — Bibaud, Histoire du Canada sous la dominalion an-
glaise, p. 292.
(2) — Le Spectateur Canadien, novembre 1827.
(3)— Bibaud, p. 263.
COURS d'histoire du canada 183
et invitait la chambre à en faire un autie. Evidem-
ment pour cette dernière il ne pouvait être question
d'une reculade. Elle déclara que la présentation de
la personne élue au chef de l'Etat pour son approba-
tion était fondée seulement sur un usage et qu'elle per-
sistait dans son choix. Une députation chargée de
s'enquérir quand il plairait à son Excellence de lece-
voir une adresse à cet effet reçut la réponse que le re-
présentant du roi ne pouvait accepter de l'Assemblée
ni message ni adiesse tant qu'elle n'aurait pas élu d'o-
rateur avec l'approbation de la Couronne. (1) Le soir
de ce jour la législature était prorogée.
L'imbroglio était complet. Ce que l'on appela "le
rejet de l'orateur" produisit dans la province une sen-
sation profonde. Les partisans de l'oligarchie execu-
tive triomphèrent. Mais leurs acclamations se per-
dirent dans la protestation puissante que fit entendre
l'immense majorité du peuple canadien. Les jour-
naux firent assaut d'invectives. Des assemblées ora-
geuses furent tenues de tous côtés. Bientôt un vaste
pétitionnement fut organisé pour soumettre au gouver-
nement et au parlement britanniqi^e les griefs de la
province. Le fonctionnement de notre organisme
politique était suspendu. Nos institutions parlemen-
taires étaient paralysées. Les meilleurs esprits parmi
nous, sans approuver toutes les tactiques adoptées na-
guère ni tout ce qui se disait ou s'écrivait dans nos
rangs, se rallièrent à une protestation et à un appel
fondé sur les plus légitimes sujets de plainte. Pen-
dant que les bureaucrates, que le groupe commercial
anglophone, toujours hostile à notre cause, présentaient
(1) — -Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 20,
21, 22 novembre 1827.
184 COURS d'histoike du canada
des adresses à lord Dalliousie, une pétition fortement
motivée se couvrait de signatures. Quatre-vingt mille
Canadiens faisaient entendre leur voix pour deman-
der plus de justice, plus d'impartialité, plus de respect
de nos droits nationaux, une plus large et plus libéiale
Intel prétation de notre constitution, une plus judicieuse
entente du régime pailementaire qui nous avait été
assuré. Encore une fois le peuple du Bas Canada al-
lait frapper à la porte du parlement impérial. Au
mois de jan^'ier 1828, MM. John Neilson, Denis-Ben-
jamin Vigei et Austin Cuvlllier partaient pour Lon-
dres comme délégués de leurs compatriotes, afin de sou-
mettre à la métropole nos griefs et en demander le re-
dressement.
Dans notre piochaine leçon nous les suivrons en
Angleterre, nous étudierons l'objet précis de leur mîs-
sion, et nous verrons quelle en fut la fortune devant le
gou\ernement et le parlement de la Grande Bretagne.
SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER
Garneau, Histoire du Canada, 1882, t. III, liv. XV, ch. il
et III. — Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise,
liv III. — Christic, History oj tbe Province oj Lower Canada, 1850,
t. III, ch. XXIV, XXV, XXVI. Perrault, Abrégé de l'histoire
du Canada, t. IV. — Kingsford, History oj Canada, t. IX. — J.-E.
Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, t. IV. — Ignotus, Notes
et Souvenirs, la Presse, Montréal, 1900. — Canada and its Pro-
vinces, t. III et IV. — Alphcus Todd, On Parliamentary Govern-
ment in England, Londres, 1887, t. I, ch. v. — Sir T.-Erskine May,
Constitutional History oj England, Londres, 1912, t. I. — F.
McCord, Hand-Book oj Canadian dates, Montréal, Dawson, 1888.
— F. Blanchet, Appel au gouvernement impérial. Qucbec, 1824. —
COURS d'histoike du canada 185
Financial difficulties of Lower Canada (extracted from. tbe Québec
Gazette), 1824. — Esquisse des affaires devant le parlement pro-
vincial, dans la sesssion qui doit s'ouvrir le 21 janvier 1826. — Sta-
tutes of tbe United Kingdoin, 1820, 1822, 1823. Statuts pro-
vinciaux du Bas-Canada, t. I, 35 George III, ch. ix ; t. VIII,
55 George III, eh. m; 3 George IV, ch. xxxviii ; 5 George IV,
ch. xXvir. — Journaux de la Chambre d'Assemblée du Bas-
Canada, 1822, 1823, 1824, 1825, 1826, 1827.— Journaux du Con-
seil législatif du Bas-Canada, 1822, 1823, 1824, 1825, 1826.—
La Gazette de Québec, 1824. — Tbe Canadian Spectator, 1824. —
Le Spectateur Canadien. 1827. — La Minerve, 1827. — Archives du
Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 164-A, 171.
SIXIÈME LEÇON.
L'enquête de 1828. — Assemblées publiques à Québec et à Mont-
réal.— Formation de comités. — Les pétitions canadiennes.
— Analyse des griefs formulés. — La composition du Conseil
législatif. — Conseillers fonctionnaires et pensionnaires —
Leur dépendance indiquée par leurs votes.- — Les revenus
et la dépense. — Les salaires exorbitant. — Le cumul des
fonctions. — Comparaison entre deux époques. — L'instruc-
tion publique. — L'Institution royale.— La concession et
l'administration des terres publiques.- — La tenure des terres.
— L'ingérence du parlement impérial. — Plaintes de la mi-
norité.— Les bureaux d'enregistrement. — La représenta-
tion des cantons de l'est. — Une délégation canadienne, MAL
Neilson, Viger et Cuvillier. — Huskisson, secrétaire des
colonies. — Les fluctuations de la politique anglaise.- — La
question canadienne soumise aux Communes. — Discours
de Huskisson. — Assertions discutables. — Exposé incom-
plet.— Un important discours de sir James Mackintosh.- —
Nomination d'un comité d'enquête. — Audition des témoi-
gnages.— Un document précieux. — Constatation de f. its. —
Griefs prouves par nos délégués. — Une lettre de MM.
Neilson, Viger et Cuvillier.- — Le rapport du comité de
1828. — La légitimité de nos plaintes reconnue. — Le départ
de lord Dalhousie. — Sir James Kempt. — Les chambres
se réunissent. — L'élection de M. Papineau comme orateur
sanctionnée. — Encore une accalmie.
Le 13 décembre 1827, se tenait à l'hôtel Malhiot
une assemblée des électeurs de la cité et des faubourgs
de Québec, favorables à la politique suivie par la
Chambre. Elle était convoquée pour "considérer s'il ne
serait pas expédient de soumettre par une humble péti-
tion à Sa Majesté et aux deux chambres du parlement
l'état actuel de la province, les abus et griefs existants,
et de demander qu'il y soit porté remède et que justice
soit faite." A cette réunion, présidée par M. Louis-
188 COURS d'histoike du canada
Abruhani Lagiicux, une séiie de résolutions lut adop-
tée, et un comité de trente-cinq membres, "électeurs
dûment qualifiés par la loi", fut nommé pour dresser
et préparer des pétitions conformes à ces résolutions,
"avec plein pouvoir de prendre les mesures nécessaires
pour les soumettre à la signature des électeurs, les faire
mettre au pied du trône, les présenter aux lords et aux
communes, et aussi pour les rendre efficaces et les sou-
tenir par des témoignages." (1)
La pétition rédigée par les soins du comité conte-
nait une longue récapitulation des griefs de la majorité
bas-canadienne. Voici quels en étaient les principaux
chefs: la composition du Conseil législatif et sa dépen-
dance intéressée du pouvoir exécutif; la proportion
trop considérable des dépenses comparée aux limita-
tions du revenu, excès dû on grande partie à l'exagéra-
tion des salaires et à la muliplication des sinécures:
Jjnefficacité dans l'emploi des sommes votées par lajéi
gislature pour aider aux progrès de l'éducation, et faci-.
(1) — Ce comité était composé comme suit : Messieurs Ama-
ble Berthelot, François Blanchet, J.-L. Borgia, J.-B.-E. Bacquet,
Robert Blackiston, Michel Borne, J. Bigaouette, Michel Clouet,
John Cannon, Joseph Dorion, Etienne Defoy, John Duval, John
Fraser, H. -S. Forsyth, Pierre Faucher, Joseph Gagné, A.-R.
Hamcl, I I.-S. Huot, Louis Lagueux, Joseph Légaré, père, Louis
Lagucux, fils, Jacques Lcblond, Et.-C. Lagueux. J. Langevin,
Ignace Légaré, J.-L. Marett, Louis Massue, Joachim Mondera,
John Neilson, Vallières de Saint-Réal. Pierre Pelletier, Joseph
Roy, Augt. Gauthier, Thomas Lee et Louis Fortier. L'assemblée
s'engageait à contribuer et à procurer des souscriptions volon-
taires pour couvrir les dépenses nécessaires aux sujets mentionnés.
Le comité choisit pour son président M. Vallières de Saint-Rcal,
pour ses vice-présidents MK\. Henry-George Forsyth et Louis-
Abraham Lagueux, et pour ses secrétaires MM. Hector-Simon
Huot et J.-B.-R. Bacquet. (Ga/.elte de Québec, décembre 1827).
COURS d'histoire du canada 189
liter l'industrie par l'ouverture et l'amélioration des
communications intérieures; la dépense d'une part
considérable du revenu public sans l'affectation préala-
ble de la législature; la négligence administrative qui
avait rendu possible le péculat du receveur Caldwell,
et qui permettait à des officiers publics de garder par
devers eux de fortes sommes sans en rendre compte;
l'emploi des biens des Jésuites à d'autres fins qu'à des
fins d'éducation; la mauvaise administration des terres
publiques, dont d'immenses étendues avaient été con-
cédées à des individus ou à des compagnies qui ne rem-
plissaient pas les conditions d'établissement stipulées
dans les concessions; les tentatives laites dans le parle-
ment impérial pour changer la constitution à l'insu de
la province, et l'adoption de lois qui rétablissaient ou
continuaient des droits temporaires imposés par la lé-
gislature, e^ qui affectaient la tenure des terres con-
trairement aux droits les plus chers des citoyens du
Bas-Canada. La pétition se terminait par ces lignes:
"C'est pourquoi nous supplions très respectueusement
Votre Majesté de vouloir bien prendre cette humble
requête en votre très gracieuse considération et exer-
cer votre prérogati\'e royale de manière à ce que vos
fidèles sujets en cette province soient soulagés des dits
abus et griefs; qu'il leur soit fait justice et qu'ils soient
maintenus et assurés dans la pleine et entière jouissance
de la constitution du gouvernement établi par le dit
acte de la trente et unième année du règne de Sa Ma-
jesté, le roi votre auguste père, sans qu'il soit fait aucun
changement quelconque."
De leur côté les citoyens de Montréal avaient tenu
des assemblées et préparé une pétition. Elle différait
de celle de Québec, principalement en ce qu'elle conte-
nait, dans sa première partie, une longue série d'accu-
190 COURS d'histoire du canada
sations contre les actes de lord Dalhousic comme chef
de l'exécutif, en même temps qu'une demande instante
adressée au roi pour le rappel de ce haut fonctionnaire
impérial. La seconde partie de la pétition montréa-
laise soumettait à la considération de sa Majesté "quel-
ques objets de la plus haute importance pour le bien-
être du pays." On y mentionnait spécialement l'é-
ducation "non encouiagée en ce pays en proportion
de ses besoins", et la convenance d'appliquer à cette
fin les biens des Jésuites. On se plaignait de ce que
les droits de la province eussent été lésés par des lois
du parlement britannique établissant des impôts dans
la colonie et statuant sur des objets de législation inté-
rieure, ce qui, sans doute, était une allusion à l'acte de
la tenure des terres. On dénonçait l'abus du cumul,
"obstacle considéiable au bon gouvernement de cette
province", et l'on signalait les places déjuges du banc
du roi, de conseillers exécutifs et législatifs occupés par
les mêmes personnes. On représentait que l'accroisse-
ment de la population rendait nécessaire un change-
ment dans la représentation provinciale, et l'on déplo-
rait que des bills votés poui cet objet dans l'Assemblée
eussent été rejetés par une autre branche de la légis-
lature. On insistait enfin pour la nomination d'un
agent provincial accrédité auprès du gouvernement
de Sa Majesté, La pétition se terminait comme suit:
"Nous supplions humblement Votre Majesté de vou-
loir bien ordonner à vos ministres de donner des ins-
tructions au gouvernement colonial en vertu desquel-
les un bill pour l'augmentation de la représentation
puisse être sanctionné, ainsi qu'un bill pour accorder
à cette province l'avantage dont jouissent la plupart
des autres colonies de Votre Majesté, celui d'un agent
COURS d'histoire du canada 191
colonial nommé et député par le peuple de la colonie,
pour veiller à ses intérêts en Angleterre." (1)
Evidemment les deux pétitions, tout en ayant
un objet commun, n'étaient pas identiques dans leur
forme. Lorsqu'on les compare on constate que la
pétition québecquoise était à la fois plus complète
et moins agressive.
Il nous semble opportun de faire ici une revue
rapide des griefs énoncés dans ces documents. Vous
les connaissez sans doute dans l'ensemble. Mais il
n'est pas inutile de nous arrêter sur les principaux
sujets de plainte et d'en préciser la nature et l'étendue.
II y avait d'abord la composition du Conseil législatif
et sa dépendance de l'administration. Le témoignage
rendu par M. John Neilson, quelques mois plus tard,
devant un comité de la Chambre des communes, con-
tenait à ce su^et des détails très éloquents. Le Conseil
législatif comptait à ce moment vingt-sept membres
résidant au Canada. Sur ce nombre il y avait quatorze
fonctionnaires ou pensionnaires qui recevaient des
salaires ou des pensions du gouvernement provincial,
et quatre qui en recevaient du gouvernement impérial.
Neuf seulement n'émargeaient à aucun budget. M.
Jonathan Sewell recevait 900 louis sterling comme
orateur, 1,500 louis comme juge en chef de la province,
100 louis comme président du conseil exécutif et de
la cour d'appel, 150 louis pour la tenue des cours de
circuit, soit ensemble 2,650 louis sterling (ou $13,350);
M. James Kerr recevait 900 louis comme juge de la
(1) — Le texte des pétitions de Québec et de Montréal se
trouve dans le volume intitulé Rapport du comité choisi pour s'en-
quérir sur le gouvernement civil du Canada, chez Neilson et Cowan,
Québec, 1828, pp. 34.3, 351.
13
192 COURS d'histoire du canada
cour du banc du roi, 250 louis comme juge de la coui
de vice-amirauté, et 100 louis comme conseiller executif,
soit 1,350 louis (ou S6,750). M. Edward Bowen rece-
vait 900 louis comme juge de la même cour, et 150
louis pour les circuits, soit 1,050 louis (ou S5,250). Le
révérend C.-J. Stewart, le lord évêque de Québec, rece-
vait des émoluments d'environ 3,000 louis (ou $15,000).
du gouvernement impérial. Sii John Johnson, surin-
tendant du département des sauvages, recevait du
même gouvernement environ 1,000 louis (ou S5,000)
M. John Haie, receveur-général touchait un salaire
de 900 louis, outre 100 louis comme conseiller exécutif,
soit en tout 1,000 louis (ou $5,000). M. John Cald-
well, l'ancien receveur généial, convaincu de péculat,
était resté conseiller législatif, et moyennant un verse-
ment de 2,000 louis par année, conservait la possession
de ses biens, qui lui valait davantage. M. Ryland
recevait en salaire et allocations 650 louis comme
greffier du Conseil exécutif, plus une pension de 300
louis, formant un total de 950 louis (ou $4,750). M.
H. Perceval, collecteur des douanes, recevait en sa-
laire et honoraires plus de 3,000 louis annuellement,
et 100 louis comme conseiller exécutif, soit au moins
3,100 louis (ou $15,500). M. Louis Gugy, shérif de
Montréal, retirait de cette lucrative situation environ
1,800 louis annuellement, (ou $9,000). M. William
Felton, agent des terres de la Couronne, se faisait un
salaire d'environ 500 louis, (ou $2,500). M. John
Stewart, commissaire des biens des Jésuites, recevait
des émoluments d'environ 500 louis, outre 100 louis
comme conseiller exécutif, soit 600 louis (ou $3,000).
M. Thomas CofTin, président des sessions de quartier
aux Trois-Rivières, avait comme tel un salaire de 250
louis (ou $1,250). Le Conseil législatif renfermait
COURS d'histoire du canada 193
encore trois ou quatre autres pensionnaires ou officiers
salariés. Tous ces législateurs, fonctionnaires à un
titre quelconque, prélevaient sur les budgets provincial
et britannique une somme totale de 17,700 louis sterling
($88,500) (1). Parmi les dix-huit autres conseillers
qui émargeaient ainsi au trésor public, sept faisaient
partie du Conseil exécutif. Les commissions des
officiers civils étaient détenues durant bon plaisir; le
gouverneur pouvait les révoquer ou les suspendre à
volonté. Les deux tiers du Conseil législatif étaient
donc dans la dépendance du pouvoir exécutif. En
ces derniers temps sept des membres de cette chambre
— figurant presque tous parmi les plus indépendants — •
n'assistaient pas ou assistaient rarement aux sessions.
De sorte que "les vingt conseillers les moins indépen-
dants par leurs emplois publics restaient seuls pour
faire les affaires du Conseil". Cet ensemble de cir-
constances justifiait amplement la croyance générale
que "ces messieurs agissaient sous une autre influence
que celle de la convenance ou de l'inconvenance des
mesures." On en avait une preuve frappante dans
le fait suivant. En 1825, on se le rappelle, un bill
des subsides adopté par l'Assemblée avait passé dans
le Conseil contre l'opposition de deux membres seule-
ment; l'année suivante un bill exactement semblable
avait été rejeté unanimement par tous les membres
présents. Dans le premiei cas le gouverneur approu-
vait le bill, dans le second le gouverneur le désapprou-
vait. La conséquence de cet état de choses, était
qu'un grand nombre de projets de loi désirés
(1) — Rapport du comité choisi pour s'enquérir sur le gou-
vernement civil du Canada, chez Neilson et Cowan, Québec.
1828, p. 69.
194 COURS d'histoire du canada
•
par la majorité de notre population et adoptés par la
Charnière avalent été rejetés par le Conseil. La péti-
tion de Québec les énumérait. Outre les bills de
sujjsldes il y en avait une longue liste. Ils avaient
pour objet de fournir un recours légal au sujet cjui
aurait des réclamations contre le gouvernement, en
d'autres termes d'instituer la pétition de droit; de
régler certains droits ou honoraires et certaines fonc-
tions; de doter les villes de Québec et de Montréal
d'institutions municipales; de rendre plus accessible
aux citoyens de la province le recours aux tribunaux;
de pourvoir à la qualification des juges de paix; de
continuer les lois de milice; de remanier et d'augmenter
la représentation parlementaire; d'édicter des garanties
cfTicaces pour la sauvegarde des fonds publics déposés
entre les mains du receveur général; d'assurer l'indé-
pendance des juges; de nommer un agent provincial
chargé de surveiller nos intérêts en Angleterre, etc.,
etc. (1) L'énoncé de tous ces faits était bien de nature
à établir la réalité du grief allégué dans la pétition
relativement à la composition, au défaut d'indépen-
dance du Conseil législatif, et à son parti pris d'enrayer
la législation élaborée par la chambre populaire.
Les représentations faites au sujet du revenu et
de la dépense n'étaient pas moins bien fondées. Les
pétitionnaires faisaient observer que, depuis plusieurs
années, les revenus des biens-fonds, les profits du com-
merce et de l'industrie et la rémunération du travail
dans le Bas-Canada avaient considérablement dimi-
nué. Dans ces conditions il ne serait pas juste, suivant
eux, d'imposer des taxes ou des droits nouveaux sur le
(1) — Rapport sur le gouvernement civil, p. 344.
COURS d'histoire du canada 195
peuple, et il fallait conséquemment proportionner le
budget des dépenses au revenu actuel de la province,
"Cependant plus de la moitié de ce revenu, disaient-ils,
est employé depuis plusieurs années au paiement des
appointements et dépenses des officiers civils. Et et
qui augmente notre inquiétude c'est que ces appoin-
tements, émoluments et dépenses ont beaucoup aug-
menté sans le consentement de la législature, que dans
plusieurs cas, ils ont été payés à des personnes absen-
tes, qui n'ont rendu aucun service à la province, que,
dans d'autres cas ces appointements, émoluments et
dépenses sont excessifs, lorsqu'on les compare aux ser-
vices dont ils sont la récompense, aux revenus des biens-
fonds et aux rémunérations ordinaires que reçoivent
des individus doués des mêmes talents, caractère et
industrie que ceux à qui ces appointements et émolu-
ments sont accordés sur les deniers publics de la pro-
vince," Ce grief était d'une justesse incontestable,
II suffisait de jeter un coup d'œil sur les comptes pu-
blics pour s'en convaincre. Lorsqu'on parcourt ces
documents officiels on est forcé d'admettre que les sa-
laires payés alors aux officiers publics étaient exorbi-
tants. Ainsi quand on compare cette époque avec
l'époque actuelle, quand on considère la différence dans
les conditions économiques et sociales, dans le coût de
la vie et le pouvoir d'achat de l'argent, on ne peut s'em-
pêcher de trouver démesurés, en 1828, des salaires de
$8,250 pour le juge en chef du Bas-Canada; de $5,250
pour un juge puîné; de $15,000 (y inclus les commis-
sions) pour un percepteur de douanes; de $9,000 (y
compris les honoraires) pour un shérif de Montréal; de
$3,250 pour un greffier du conseil exécutif, de $2,250
pour un agent des biens des Jésuites; de $2,500 pour
196 COURS d'histoire du canada
un agent des terres de la Couronne. (1) Et quant à
l'excès des salaires vient se joindre la pratique du cu-
mul, en vertu duquel le juge en chef est concurrem-
ment orateur du Conseil législatif et membre du Conseil
exécutif, des juges puînés sont conseillers législatifs et
conseillers exécutifs, des officiers civils en activité de
fonction sont en même temps pensionnai! es de l'Etat,
comme M. Ryland, alors on se dit qu'il y avait là un
abus vciitablement scandaleux et que les pétition-
naires avaient cent fois raison de le dénoncer. Sur ce
point encore le témoignage de M. Neilson devait être
très concluant. "Le peuple de ce pays, disait-il, com-
mence à regarder autour de soi et à voir ce qui se passe
en d'autres parties du monde et particulièrement dans
le pays voisin. II voit là que les gouvernements sont
bien administrés et le sont à bon marché!.. . Dans
l'état de New-York, par exemple, la population est tri-
ple de la nôtre, et les ressources quatre ou cinq fois plus
considérables, et les dépenses pour le soutien du gou-
(1)- — Comparez les comptes publics de 1828 avec ceux de
1868, qui contiennent les chiffres officiels relatifs à notre premier
exercice budgétaire sous la Confédération. Vous y verrez que
dans un Canada agrandi, avec une population triplée et des res-
sources quintuplées, le salaire du juge en chef de la province de
Québec n'était que de $5,000 ; celui des juges puînés, de $4,000 ;
celui du percepteur des douanes, de $3,240 ; celui du shérif de
Montréal, de $5,860 ; celui du greffier du Conseil exécutif à
Québec, de $1,800 ; ccKii de l'agent des biens des jésuites, de
$1,600 ; celui de l'agent des terres de la Couronne, de $1,800 ;
En moyenne l'échelle des salaires était de plus d'un tiers moins
élevée en 1868 qu'en 1828. Et cependant en 1828 $1,000 valaient
probablement un tiers de plus qu'en 1868. Cette comparaison
démontre combien les salaires de 1828 étaient excessifs. (A con-
sulter les comptes publics du Canada et de la province de Qué-
bec pour 1868, et ceux du Bas-Canada pour 1828).
COURS d'histoire du canada 197
vernement civil ne sont pas plus élevées que chez nous.
Les fonctionnaires salariés du gouvernement civil sont
mieux payés que les plus riches propriétaires de fonds,
ou que les personnes engagées dans les branches d'in-
dustvie les plus profitables; ils deviennent dans le fait
par ce moyen les seigneurs du pays. Le plus riche
d'entre les propriétaires fonciers ne retire pas plus de
1,500 louis par an, et les individus les plus marquants
dans les professions pensent qu'ils font de fort bonnes
affaires lorsqu'ils gagnent 1,500 louis par an, et c'est
un gain qui ne dure peut-être pas plus de huit ou dix
ans."(l) Cet exposé mettait en pleine lumière un des
aspects les plus fâcheux de notre administration colo-
niale. Il démontrait qu'une proportion considérable
du revenu public était absorbée par des salaires, des
commissions, de» honoraires, des pensions, dispropor-
tionnés avec les services rendus et l'état de notre socié-
té, et cela au bénéfice d'une bureaucratie d'où était
pratiquement exclus les enfants du sol, les Canac'iens
d'origine.
Les pétitions se plaignaient aussi de la politique
suivie relativement à l'éducation, et du mauvais em-
ploi des sommes votées à cette fin. Ici encore, M.
Neilson devait donner dans son témoignage des indi-
cations très instructives. Il faisait ressortir l'inanité
de la loi de 1801, créant la fameuse Institution royale.
Cette législation pourvoyait à la création d'écoles qui
seraient sous la direction d'une corporation nommée
par le gouverneur. Cette dernière ne fut organisés
qu'en 1817. "Il arriva qu'elle fut principalement
composée de membres d'une seule religion, l'évêque
de l'église d'Angleterre et le clergé de l'église d'Angle-
Ci) — Rapport sur le gouvernement civil, p. 81.
198 COURS d'iiistoihe du canada
terre étaient à la tête de la corporation, et la majorité
des membres était de l'église d'Angleterre, Cela ten-
dait à confirmer les soupçons que le peuple entretenait
par rapport au prosélytisme, et il était inutile après cela
de penser à lui faire envoyer ses enfants à l'école." (l)
C'est M. Neilson, un protestant, qui parle ainsi.
Ce système devait nécessairement échouer. Suivant
ce témoin autorisé on avait dépensé 30,000 louis, ou
$150,000 pour le soutenir. Et cependant ces écoles
royales n'avaient probablement pas instruit en tout
douze cents enfants depuis leur établissement. A
plusieurs reprises la Chambre avait adopté des projets
de loi pourvoyant à un système plus conforme aux
principes et aux croyances de notre peuple. Depuis
1814 cinq ou six bills de ce genre avaient été rejetés
par le Conseil législatif. Les membres de ce corps ne
voulaient pas entendre parler d'autre loi que de celle
de 1801, et la loi de 1801 ne pouvait avoir d'exécution
parce qu'elle provoquait la défiance religieuse du clergé
et des fidèles. Ce ne fut qu'en 1824 qu'un bill autori-
sant l'établissement des écoles de fabrique fut enfin
adopté. Relativement à cette question d'éducation
les pétitions exprimaient avec raison le regret que les
biens des Jésuites eussent été détournés de leur fin
originaire.
Les précédentes leçons nous ont suffisamment
informé des griefs relatifs à la dépense des deniers
publics sans l'autorisation de la législature, et à la
négligence administrative qui, seule, avait pu per-
mettre à un fonctionnaire de pratiquer audacieusement
et pendant quinze ans le péculat. Mais nous tenons
à signaler ici spécialement ceux qui se rapportaient
(1) — Rapport sur le gouvernement civil, pp. 97, 123, 124.
COURS d'histoire du canada 199
à la mauvaise administration des terres publiques,
et à la loi passée par le parlement impérial pour auto-
riser le changement de tenure dans le Bas-Canada.
Le système de concession et l'administration des
terres de la Couronne laissaient énormément à^ désirer.
Dès le gouvernement du général Robert Prescott, il y
avait eu des abus contre lesquels il s'était élevé et qui
avaient déterminé un conflit entre lui et son conseil
exécutif. Depuis cette époque la situation n'était pas
devenue meilleure. Les Canadiens se plaignaient de
ce que l'établissement des terres incultes dans la pro-
vince eût été négligé d'une manière inexplicable par
le gouvernement. De grandes étendues de terres
concédées ou mises en réserves par la Couronne étaient
depuis longtemps possédées au milieu ou dans le voisi-
nage immédiat des établissements existants, sans que
les propriétaires ou détenteurs de ces concessions ou
réserves eussent été astreints à accomplir les conditions
d'établissement, ni à remplir aucun devoir quelconque
à l'égard de ces terres. Il en résultait de grands incon-
vénients pour les colons adjacents. Ces concession-
naires inertes, dont plusieurs ne résidaient même pas
dans le pays, refusaient généralement de vendre les
lots qu'ils laissaient incultes, à moins d'un prix exor-
bitant. Ils préféraient attendre, les bras croisés, que
les travaux et les efforts d'autrui, en développant la ré-
gion environnante, eussent accru la plus value de leurs
domaines. Leur expectative obstinément stationnaire
écartait les nouveaux habitants, retardait l'ouverture
des districts, et entravait le progrès de la province. (1)
La question de la tenure des terres était aussi
l'une de celles qui provoquaient du mécontentement
(1) — Rapport sur le gouvernement civil, p. 96.
200 COURS d'histoire du canada
dans le Bas-Canada. Elle n'était pas nouvelle. Sous
lord Dorchester une tentative avait été faite à l'insti-
gation d'un seigneur pour obtenir la commutation fa-
cultative de la tenure seigneuriale en la tenure dite
du franc et commun soccage. Cette démarche avait
avorté. Mais les représentants d'un certain élément
avaient périodiquement fait entendre des protestations
contre le maintien du régime féodal dans le Bas-Cana-
da, et s'étaient efforcés de déterminer les autorités à
l'abolir ou du moins à en sanctionner la transformation
volontaiie. Dans le Canada Trade Act de 1823 il y
avait une disposition relative au changement de tenure.
Deux ans plus tard, en 1825, le parlement impérial
adopta une loi dont l'objet était d'autoriser le change-
ment de tenure des terres en Canada, pour la convertir
en libre et commun soccage. (1) A la session de 1826
notre chambre d'Assemblée adopta une adresse au roi
où il était dit que l'introduction en cette province du
libre et commun soccage avait toujours été regardée
comme un inconvénient, parce qu'elle était inconnue
aux habitants du pays et étrangère à leurs lois civiles.
"Convaincus, déclarait l'adresse, que l'intention bien-
faisante du parlement de Votre Majesté a été de pro-
mouvoir l'amélioration des terres de cette province et
l'avantage général en détruisant les charges féodales
dont sont grevées les terres tenues en fief et en censive,
nous regrettons amèrement que cet affranchissement
soit effectué par l'introduction d'une tenure étrangère
à la jurisprudence et aux mœurs du pays, lorsqu'il pou-
vait s'opérer d'une manière infiniment plus avantageu-
(1) — 3 George IV, ch. cxix, art. 3i ; 6 George IV,
ch. Lix, art. 3 — William-Bennctt Munro, Tbe Seigniorial
System in Canada, p. 225.
COURS d'histoire du canada 201
se au moyen de la belle et libre tenure en franc-aleu, (1)
tenure connue dans nos lois et généralement désirée en
cette province." La Chambre revendiquait ensuite
son autonomie législative. "Nous supplions Votre
Majesté de considérer, disait-elle, que les raisons de
justice et de prudence qui ont engagé le parlement bri-
tannique à établir une législature en cette province
devraient suffire pour détourner cettelégislature suprême
de l'empire britannique de s'immiscer dans la législa-
ture intérieure de ce pays, car outre le péril évident de
tomber dans de grandes erreurs et de faire de grandes
injustices, en faisant des lois pour un pays si éloigné et
pour un peuple dont les besoins, les habitudes et les
usages sont si peu connus en Angleterre, nous soumet-
tons humblement à Votre Majesté que le pailement
ayant établi une législature locale s'est virtuellement
dépouillé en sa faveur du droit de législation intérieure,
et que, tout en maintenant son autorité suprême, il de-
vrait respecter son propre ouvrage et laisser la législa-
ture provincialeexercerlespouvoirsqu'il lui adonnés." (2)
Cette législation impériale au sujet du change-
ment de tenure avait eu pour coiollaire une disposition
déclaratoire relativement à l'introduction des lois an-
glaises dans les townships. Il en résultait un état de
choses anormal. On pouvait en déduire que deux sys-
(1) — Voici comment notre jurisconsulte Cugnet définissait
le franc-aleu : "Le franc-aleu est un héritage qui n'est sujet à
aucuns droits ni devoirs seigneuriaux, tant honorifiques, comme
la foi et hommage, que pécuniaires, comme quint, cens ou autres,
en reconnaissance de directe seigneurie." (Traité de la loi des
Fiefs, p. 34). En réalité le franc et commun soccage ne différait
guère du franc-aleu.
(2) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1826, p. 245. — Rapport sur le gouvernement civil, p. 82.
202 COURS d'histoire du canada
tèmes de lois différentes se trouvaient en vigueur dans
la même province. Et il devait en résulter un conflit
de jurisprudence dont on retrouve la trace dans nos
recueils de décisions judiciaires, tels que le Lower Ca-
nada Jurist, et les Lower Canada Reports. (1)
Pendant que la majorité canadienne-française for-
mulait ainsi ses griefs, la minorité anglaise de la pro-
vince faisait également entendre sa voix. Les citoy-
ens anglais des townships signaient une pétition pour
solliciter le parlement impérial de maintenir la loi rela-
tive à la tenure des terres et à l'introduction des lois
anglaises. Ils se plaignaient aussi de n'être pas repré-
sentés dans l'Assemblée. Et ils reprochaient à la Cham-
bre de n'avoir pas voulu adopter une législation établis-
sant des bureaux publics pour l'enregistrement de tou-
tes les mutations de propriétés foncières et de toutes
les hypothèques. (2)
La question de l'enregistrement avait été discutée
assez longuement dans l'Assemblée. M. Neilson, qui
avait d'abord favorisé la mesure proposée, avait finale-
ment voté pour la repousser. Il en donna ultérieure-
ment des raisons fort plausibles devant la chambre des
Communes. (3) La condition actuelle de la province
rendait difficile, suivant lui, l'établissement des bureaux
pour la conservation des hypothèques. Ce ne fut que
douze ou treize ans plus tard, sous le Conseil spécial,
que l'ordonnance réglant cette question fut adoptée.
Le progrès dans la législation ne peut être que l'œuvre
du temps.
(1) — Wilcox vs Wilcox, Lower-Canada Jurist, t. II, p. 6 ;
Stuart vs Bowman, Lower Canada Reports, t. II, p. 369.
(2) — Rapport sur le gouvernement civil, p. .355.
{3)—Ibid.
COURS d'histoire du canada 203
Les habitants des townships avaient surtout rai-
son d'insister pour obtenir dans la Chambre une repré-
sentation qui leur faisait défaut. Ils formaient, d'après
leur pétition, un groupe de quarante mille âmes et ils
n'avaient pas de députes à eux. Les circonscriptions
électorales parmi lesquelles ils étaient répartis éhsaient
naturellement comme leurs représentants des hommes
appartenant aux anciens étabhssements, plus denses et
plus f)euplés. II fallait évidemment un remaniement
et une augmentation du nombre des comtés. La Cham-
bre avait voulu y procéder. A plusieurs reprises elle
avait voté des projets de loi pourvoyant à un recense-
ment de la population et à la création de nouvelles
divisions électorales, dont quelques-unes auraient été
attribuées aux habitants anglais des townships. (1)
Mais le Conseil législatif avait rejeté ces bills. Les
raisons alléguées étaient que ces remaniements n'au-
raient pas donné aux townships, aux Cantons de l'est,
comme on devait les appeler plus tard, une représenta-
tion assez forte comparée à l'augmentation du nombre
des députés de langue française. Les bills de l'Assem-
blée adoptaient pour base la population. Ceux qui
parlaient au nom des habitants des townships soute-
naient que leur situation spéciale rendait nécessaire
qu'on leur accordât une représentation plus considéra-
ble que celle à laquelle leur aurait donné droit leur po-
pulation, (2) On pouvait leur répondre que, dans une
province en grande majorité française, il était rationnel
et inévitable que le remaniement des circonscriptions
électorales, tout en assurant à la minorité anglaise une
(1) — Rapport sur le gouvernement civil, p. 92.
(2) — Rapport sur le gouvernement civil, pp. 33, 34 ; témoi-
gnage de Samuel Gale.
204 COURS d'histoire du canada
représentation proportionnelle équitable, eût pour ré-
sultat d'accroître le nombre des députés de langue fran-
çaise. Eût-il été raisonnable de décréter que, dans ce
remaniement, la population française aurait, par exem-
ple, un député par douze mille âmes, tandis que la po-
pulation anglaise en aurait un par sept mille ? M.
Samuel Gale, un des porte-paroles de la minorité, sou-
tint cette thèse devant la Chambre des communes.
Cette divergence de vues retarda le remaniement de la
représentation jusqu'en 1829.
Voilà en résumé quels étaient les griefs soumis au
gouvernement impérial vers le commencement de l'an-
née 1828. Les délégués de la majoiité bas-canadienne,
MM. Neilson, Viger et Cuvillier, arrivèrent à Londres
au mois de mars, et se mirent immédiatement en rela-
tion avec le ministère des colonies. Le titulaire de ce
département, successeur de lord Bathurst, était à ce
moment M. William Huskisson. Le cabinet britan-
nique avait pour chef, depuis le mois de janvier de cette
année (1828), le duc de Wellington. Le parti tory
gouvernait l'Angleterre depuis plus de vingt ans. A la
mort de William Pitt, en 1805, un ministère whig pré-
sidé par lord Grenville, et connu dans l'histoire parle-
mentaire sous le nom de "ministère de tous les talents",
n'avait eu qu'une durée éphémère. Démis par le roi
pour n'avoir pas voulu s'engager à ne jamais présenter
de mesure ayant pour objet de faire disparaître les in-
capacités civiles des catholiques, il avait été remplacé
en 1807 par le ministère du duc de Portland, recruté
dans les rangs du parti tory. A la mort de ce piemier
ministre en 1809, M. Spencer Perceval lui avait suc-
cédé à la tête de l'administration. Celui-ci avait été
assassiné en 1812, et lord Liverpool était devenu le chef
du gouvernement. Consolidé par les victoires remportées
COURS d'histoire du canada 205
sur Napoléon et par les succès de sa politique exté-
rieure, ce ministère avait duré, sans que rien pût l'é-
branler, jusqu'en 1827. Durant toute cette longue pé-
riode lord Bathurst fut le chef du département colonial.
Une cruelle maladie ayant forcé lord Liverpool à démis-
sionner, le membre le plus brillant de l'administra-
tion, M. George Canning, forma un cabinet dans le-
quel il fit entrer un certain nombre d'hommes politi-
ques appartenant au parti whig. Ce cabinet de coali-
tion eut une courte existence. Au bout de quatre
mois une mort prématurée enlevait à ses amis l'émi-
nent homme d'Etat, avant qu'il eût eu le temps de déve-
lopper son programme. Lord Goderich lui succéda au
mois d'août 1827, jnais ne put maintenir unis les
éléments que le prestige et la puissante personnalité de
Canning avaient groupés. Il devait renoncer à cette
tâche au commencement de janvier 1828. Et c'est
alors que le duc de Wellington avait été appelé à pren-
dre les rênes du pouvoir. (1) M. Huskisson avait oc-
cupé le poste de secrétaire d'Etat pour les colonies pen-
dant toutes les fluctuations ministérielles des deux der-
nières années. Il appartenait à la fraction la plus libé-
rale du parti tory et s'inspirait de quelques-unes des
idées de Pitt et de Canning, par exemple en ce qui con-
cernait la liberté du commerce et l'émancipation des
catholiques.
Il prit connaissance des pétitions soumises à la con-
sidération du gouvernement. Il conversa avec nos dé-
légués. II entendit les exposés de vues contradic-
(1) — A consulter pour l'historique des cabinets de 1806 à
1828, la Constitutional History oj England, de May, t. I, chap.
I et II; t. II, ch. VIII, et l'ouvrage de Todd, On Parliamentary
Government in England, t. I, ch. m.
206 COURS d'histoire du canada
toires. Et finalement, après consultation avec ses collè-
gues, il résolut de proposer la formation d'un comité
chargé d'étudier les pétitions, de scruter les griefs énon-
cés, d'entendre les témoignages de personnes au cou-
rant de nos affaires, et de faire ensuite au parlement les
recommandations voulues. Ce fut le 2 mai 1828
qu'il saisit la Cliambre des communes de cette propo-
sition. II prononça un long discours, où se rencon-
traient avec quelques considérations judicieuses nom-
bre d'assertions discutables. M, Huskisson commen-
çait par démontrer que le parlement impérial avait le
droit d'amender et de modifier l'acte constitutionnel
de 1791, si cela paraissait être dans l'intérêt de la pro-
vince. II faisait ensuite un bref exposé historique des
circonstances qui avaient accompagné et suivi le chan-
gement de souveraineté en Canada. II essayait d'es-
quisser le régime sous lequel les Canadiens vivaient
avant 1763, le régime seigneurial et la coutume de
Paris, et il en faisait une appréciation peu favorable.
Après avoir donné un aperçu de la situation où se trou-
vèrent les Canadiens de 1763 à 1774, il rappelait les dis-
positions de l'Acte deQuébec,qui leur assurait la liberté
religieuse et le maintien de leurs lois françaises. La
liberté religieuse était un bienfait qui ne leur serait ja-
mais enlevé, il l'espérait. Quant aux lois françaises il
semblait croire que, sans l'Acte de Québec, elles au-
raient bientôt disparu sous l'influence des entreprises
anglaises, vu que suivant lui, elles étaient défavorables
au commerce et peu conformes aux principes éclairés du
libre négoce. II passait ensuite aux institutions éta-
blies par l'Acte de 1791 et représentait que, par la
force des choses, la minorité anglaise de la province se
trouvait dans une situation d'infériorité à cause du dé-
faut de représentation, delà tenure seigneuriale et du
COURS d'histoire du canada 207
régime légal qui ne lui convenait nullement. Il faisait
allusion au projet d'union au moyen duquel on avait
essayé de remédier à cet état de choses, et il admettait
la gravité des objections soulevées par cette tentative.
Le secrétaire des colonies devait nécessairement
traiter spécialement la complexe et embarrassante ques-
tion des finances. Il s'efforçait de faire comprendre à
la Chambre des communes en quoi consistait le conflit
qui mettait aux prises l'Assemblée et l'administration
coloniale. Et il exprimait l'opinion que le droit de la
Couronne sur le revenu permanent était incontes-
table. Une des conséquences du conflit avait été de
mettre le représentant du roi dans la nécessité de dé-
penser l'argent reqms pour les services publics, sans la
sanction de la législature. M. Huskisson n'approu-
vait pas formellement cette conduite. "Vivant, avait-
il dit, dans un pays où les droits de la branche populai-
re de la législature sur la dépense des deniers prélevés
par son autorité sont absolument et universellement
reconnus, je ne me lève pas pour défendre théorique-
ment la convenance qu'il y a pour un gouverneur de co-
lonie d'affecter le revenu sans la sanction d'un acte de
la législature, tel que le veut la loi. Mais on ne sau-
rait peut-être s'étonner que, poussé par la nécessité, —
toute regrettable qu'ellesoit, — il ait pris les moyens dis-
ponibles de maintenir la tranquillité du poste commis
à sa garde. M. Huskisson déclarait qu'il était temps
pour le parlement d'interposer son autorité afin d'apai-
ser ces conflits et d'établir au Canada un système de
gouvernement civil qui donnerait à chacun dans la pro-
vince sa juste part dans l'administration des revenus,
"un système qui donnerait à l'Assemblée le pouvoir de
déterminer l'application de tous les fonds pour l'amé-
lioration intérieure de la province, et en même temps
14
2(8 couKs d'hisioiki£ du canada
qui soustrairait à son autorité ce que l'on peut appeler
la liste civile." Le secrétaire colonial insistait sur ce
point. "Le système que désire voir établir la législa-
ture canadienne, disait-il, n'est pas compatible avec
l'indépendance et la dignité du représentant de la Cou-
ronne ou des juges." (1) En terminant M. Huskisson
protestait éncrgiquement contre les idées émises en
certains quartiers relativement à l'abandon de la co-
lonie par l'Angleterre. Ce discours était assurément
peu favorable aux vues de la majorité bas-canadienne.
Il laissait de côté tout un aspect de notre problème;
ce cumul des offices, cette confusion des pouvoirs, qui
solidarisaient illégalement deux branches de la légis-
lature, qui iaisaicnt du Conseil législatif une simple
succursale du Conseil exécutif, cette extravagance des
salaires, des pensions, des commissions, cette con-
centration du patronage entre les mains d'une co-
terie qui se cantonnait derrière la prérogative royale
pour perpétuer les abus, pour défendre ses privilèges,
ses prél^endes, ses sinécures et ses fiefs administra-
tifs, au nom de la loyauté envers le trône. C'était là
une des principales sources du mal. L'enquête devant
le comité de la Chambre allait le démontrer péremp-
toirement.
Le discours de M. Huskisson ne devait pas rester
sans réplique. M. Henri Labouchère démontra qu'au
lieu d'un Conseil législatif indépendant, comme l'avait
voulu M. Pitt, on avait fini par organiser un Conseil
législatif rempli de fonctionnaires et d'hommes dont
les places lucratives les mettaient à la merci du gouver-
nement. Mais notre défense allait être présentée avec
(1) — Hansard's parliamentary Debates, second séries, t. XIX,
p. :îOO.
COURS d'histoire du canada 209
encore plus de force par un autre orateur. Le grand
ami de notre province, sir James Mackintosh, ne pou-
vait manquer de prendre part au débat. Il prononça
en réponse au secrétaire des colonies un de ses plus
beaux discours, un discours cloquent, spirituel et d'une
grande puissance d'argumentation. II releva l'attaque
de M. Huskisson contre nos lois françaises. Celui-ci
avait essayé de démontrer les défectuosités de la cou-
tume de Paris. Maniant supérieurement le sarcasme,
sir James lui posa cette interrogation mordante: "Le
très honorable monsieur n'a-t-il jamais entendu parler
d'un autre système de lois, dans un autre pays que le
Canada, où un embrouillamini d'usages surannés est si
mélangé et enchevêtré de modernes subtilités, que,
malgré leur intelligence les hommes les plus éclai-
rés de ce temps et de cette nation, après quarante ans
d'investigations à travers ses arcanes, — ont été forcés
de se déclarer totalement incapables de trouver leur
chemin au milieu de ses labyrinthes, et contraints, par
leur incertitude sur ce qui était la loi ou ce qui ne l'était
pas, à accroître d'une façon ruineuse les frais des plai-
deurs? Ce sj'Stème a été appelé la Co?nmon/aii;, la "sa-
gesse de nos ancêtres", et on lui a donné divers autres
vénérables noms." Toujours dans la même veine sar-
castique, sir James Mackintosh, répondant à ce que
M. Huskisson avait dit au sujet de notre représenta-
tion parlementaire défectueuse, lui demandait s'il
n'avaitjamaisentendu parler d'un système de repré-
sentation, dans un autre pays que le Canada, qui ne
s'appuyait ni sur le principe de la population, ni sur
aucun autre règle existant sous le ciel. Laissant de
côté l'ironie, il prenait en mains la défense de l'Assem-
blée. II rappelait que le Conseil législatif avait rejeté
un grand nombre de bonnes mesures adoptées par cette
210 COURS d'histoire du canada
dernière. 11 aiïirmait le droit qu'avait la Chambre d'af-
fecter, "d'approprier", le revenu, pour nous servir de
l'expression usitée dans le langage parlementaire. Et il
rappelait que le gouverneur avait approprié sans auto-
rité 140,000 louis. Il mentionnait le péculat Caldwell,
rendu possible par la plus incroyable incurie adminis-
trative. Il accusait le gouvernement de Québec de
s'être engagé dans une lutte corps à corps avec le peu-
ple. "Je remarque, disait-il, que vingt et un bills fu-
rent passés par l'Assemblée en 1827, la plupart dans
un but de réforme. De ces vingt et un bills pas un seul
n'a été approuvé par le Conseil. Le gouverneur est-il
responsable de ceci ? Je dis "oui". Le Conseil n'est
guère autre chose qu'un instrument du gouverne-
ment." Sir James demandait à la Chambre des com-
munes de ne pas attribuer au vice de la constitution les
fautes ou la maladresse des gouvernants. Il la met-
tait en garde contre l'erreur qui consistait à traiter la
minorité anglaise dans la province comme un corps
privilégié, et de donner à 80,000 hommes l'influence
que 400,000 enfants du sol devaient légitimement pos-
séder. (1) Ce discours si fortement raisonné, d'une si
vigoureuse dialectique, dut produire une grande impres-
sion sur la Chambre des communes.
M. Wilmot-Horton, l'ancien sous-secrétaire d'Etat
pour les colonies, qui avait présenté le bill d'union en
1822, prit aussi la parole. II se prononça en faveur de
l'anglicisation des colonies britanniques. M. Stanley,
un des membres les plus brillants de la Chambre, fit un
discours dans lequel il ne ménagea pas le Conseil légis-
latif et se montra plutôt favorable à la cause de la ma-
(1) — Hansard's parliamenlary Debates, second séries, t. XIX,
p. 318.
COURS d'histoire du canada 211
jorité. M. Hume parla clans le même sens. Finale-
ment la motion de M, Huskisson pour la formation
du comité fut adoptée unanimement.
Voici les noms des députés de la Chambre des com-
munes qui en firent partie: Les très honorables W.
Huskisson,C. Wynn, S. Bourne, V. Fitzgerald, Wilmot-
Horton; les honorables E. Stanley, J.-S. Wortiey; sir
W. Tindal, sir James Mackintosh, lord F.-L. Gower,
le vicomte Sandon, MM. T -F. Lewis W. B. Baring,
J.-E. Denison, T.-H. Villiers, M. Fitzgerald, T. Loch,
Archibald Campbell, J.-A. Fazakerley, T. Wallace,
H. Labouchère.
Le comité commença ses travaux le 8 mai 1828, et
termina l'audition des témoignages le 15 juillet. Il
consacra vingt séances à l'examen des témoins qui fu-
rent appelés à déposer devant lui. Les principaux fu-
rent MM. John Neilson, Denis-Benjamin Viger, Austin
Cuvillier, Samuel Gale, Edwaid Ellice, Simon McGil-
livray, Wilmot-Horton, James Stephen. Les repré-
sentants des intérêts divergents furent entendus les
uns après les autres. MM. Neilson, Viger et Cuvillier
exposèrent les griefs des Canadiens français, MM. E.
Ellice et McGillivray firent connaître les vues et les
réclamations de l'élément anglo-canadien. Les té-
moignages furent très intéressants et fournirent au
comité une source d'informations extrêmement instruc-
tives. Les théories, les vues, les sentiments des deux
groupes ethniques que les événements avaient mis en
contact et trop souvent en opposition dans le Bas
Canada purent se manifester librement et délibérément.
Il en résulta un document pailementairc de la plus
haute importance. Le volume de trois cent quatre-
vingt-huit pages qui contient le rapport de ce comité
de 1828 et le compte-rendu de la preuve reçue devant
212 COURS d'histoire du canada
lui est d'une inappréciable valeur pour notre histoire
politique.
Quand on le parcourt avec un esprit dégagé de
parti pris, on constate que de part et d'autre il y avait
des torts mais qu'ils étaient de gravité inégale. En
quelques circonstance et sur quelques points, la ma-
jorité avait probablement trop abondé dans son pro-
pn sens. En certains cas elle aurait peut-être pu faire
da\ antage pour donner satisfaction à la minorité. On
poi vait prétendre qu'elle mettait tiop de lenteur à
adc pter telle ou telle mesure utile demandée par les ha-
bitants des townships. Mais en somme l'enquête n'é-
tablissait nullement que la majorité canadienne-fran-
çaise de l'Assemblée essayait d'opprimer la minorité
anglaise. Par contre il ressortait de l'ensemble des té-
moignages que les griefs des Canadiens étaient nom-
breux et sérieux. L'immixtion des juges dans la poli-
tique, la composition peu satisfaisante et le défaut d'in-
déoendance du Conseil législatif, le monopole des offices
et des salaires détenus par un petit groupe de privi-
légiés cupides, l'ostracisme des Canadiens dans la ré-
partition des principales fonctions officielles, la dépen-
se systématique des deniers publics sans l'autorisation
des représentants du peuple, tout cela avait été établi
d'une manière irréfutable par MM. Neilson, Viger et
Cuvillier. Nous avons déjà donné dans la première
partie de cette leçon un aperçu de leurs témoignages.
Leurs dépositions claires, précises, basées sur des faits
et des chiffres, devaient produire une grande impression
sur des esprits impartiaux. Lorsque M. Neilson dé-
montrait que dix-huit conseillers législatifs sur vingt-
sept étaient des fonctionnaires plantureusement rétri-
bués, qui se partageaient entre eux $88,000 du revenu
public, et que, sur onze conseillers exécutifs, sept étaient
couKS d'histoire du canada 213
en même temps conseillers législatifs, tandis que trois
autres étaient des employés du Conseil législatif; (1)
lorsque M. Viger prouvait que, sur onze juges, dans une
province composée de 400,000 Canadiens français et de
80,000 anglais, il y avait huit juges de langue anglaise
et trois seulement de langue française, et que les juges
anglais étaient inféodés à un parti politique, siégeant
en cour le matin, l'après-midi au conseil exécutif et le
même jour au conseil législatif, faisant les bills, en or-
donnant l'exécution, et ensuite rendant des décisions
sur l'observation ou la non-observation de ces lois (2);
lorsque M. Cuvillier soumettait un résumé lumineux
de la question des finances (3), exposait les irrégularités
commises par le gonverneur dans l'affectation illégale
du revenu, et faisait toucher du doigt la disparité entre
les conditions oùsetrouvaientlaCouronneenAngleterre
et l'administration provinciale canadienne au sujet de
la liste civile; toutes ces représentations et ces démons-
trations ne pouvaient manquer d'éclairer le jugement
et d'influencer l'opinion des hommes intelligents qui
composaient le comité.
Le résultat démontra avec quelle habileté et quelle
efficacité MM. Neilson, Viger et Cuvillier avaient fait
valoir notre cause et soutenu la légitimité de nos griefs.
Après deux mois et demi d'enquête et de délibérations
laborieuses, le comité adopta un rapport qui dans son
ensemble justifiait d'une manière éclatante nos reven-
dications. Nos représentants avaient assurément rem-
(1) — Rapport du comité choisi sur le gouverne tnent civil du
Canada, chez Neilson et Cowan, Québec, 1828, pp. 69 et 114.
i2)—Ihid, pp. 141, 144.
(.3)— //.{J, pp. 164, 167.
214 COURS d'histoire du canada
porté une grande victoire. Ils avaient même réussi
à modifier les idées de quelques hommes politiques
qui, au début, avaient paru peu favorables aux récla-
mations de la majorité bas-canadienne. C'est ainsi
que MM. Huskisson et Wilmot-Horton semblaient
s'ctre ralliés à nos vues. Dans un débat provoqué le
14 juillet par la présentation d'une nouvelle pétition
relative aux affaires canadiennes, ils avaient parlé de
manière à prouver qu'ils comprenaient notre situa-
tion. Une lettre de nos délégués, datée du 22 juillet
1828, annonçait ces heureuses nouvelles aux divers
comités des pétitionnaires dans les districts de Québec,
de Montréal et des Trois-Rivières. "Après un délai
qui doit vous avoir causé autant d'inquiétude qu'à
nous-mêmes", écrivaient MM. Neilson, Vigcr et Cu-
millier, "ce nous est une tâche bien agréable que d'avoir
à vous annoncer que le comité de la Chambre des com-
munes sur le gouvernement civil du Canada doit faire
son rapport ce soir. Nous n'avons encore pu nous pro-
curer une copie de ce rapport, mais nous pouvons dire
qu'il est décidément favorable aux désirs des pétition-
naires. Nous souhaitons qu'il règne comme ici, par
toute la province, un esprit de conciliation, le désir
d'éviter tout ce qui peut affaiblir en Canada la confian-
ce du sujet dans la constitution établie ou détourner
l'attention publique de l'avancement du bien-être com-
mun, par le canal des autorités constitutionnelles, et
nous désirons surtout qu'il n'y ait aucune manifesta-
tion de joie publique, ni rien qui puisse heurter les sen-
timents de ceux dont les vues ont différé de celles des
pétitionnaires pour qui nous avons l'honneur d'agir.
Nous croyons à propos de faire remarquer que plusieurs
messieurs d'ici, qu'on a supposés en Canada entretenir
des préjugés défavorables à la population du Bas-Ca-
COURS d'histoire du canada 215
nada, s'en sont par leur conduite montré les amis. M.
Huskisson et M. Wilmot-Horton, le 14 courant, dans
la Chambre des communes, ont parlé décidément en
faveur du peuple du Bas-Canada, sans aucune distinc-
tion. Nous nous considérons comme ayant complété
notre mission. MM. Neilson et Cuvillier se proposent
de faire voile de Liverpool pour New- York, dans le
Caledonia, capitaine Rogers, le 1er du mois prochain.
M. Viger va faire un tour sur le continent. Nous avons
l'honneur d'être vos très humbles et obéissants servi-
teurs, J. Neilson, D. B. Viger, Austin Cuvillier." (1)
Le texte du rapport justifiait ces déclarations de
nos délégués. II était conçu dans un véritable esprit
d'impartiaHté et d'équité. II déclarait désirable que
la population des townships obtint une représentation
adéquate, et qu'à cette fin, dans le remaniement néces-
saire des divisions électorales, on tint compte à la fois
de la population et de l'étendue des circonscriptions.
II se prononçait en faveur de l'adoption des formalités
les plus simples et les moins dispendieuses pour le
transfert des terres tenues en franc et commun socca-
ge, d'après les principes de la loi d'Angleterre. Et il
recommandait l'établissement d'un système d'enre-
gistrement des contrats relatifs aux terres soccagères.
Le rapport reconnaissait comme un des obstacles
à l'avancement du pays la pratique de concéder degran-
des étendues de terres à des individus tenant des situa-
tions officielles dans la colonie, qui s'étaient soustraits
aux conditions d'établissement stipulées dans la con-
cession. Et il recommandait la perception d'un droit
sur toutes les terres non améliorées ni habitées, en con-
travention à ces conditions.
(1) Affaires du pays depuis 1828, Québec 1834, p. 1.
210 COURS d'histoire du canada
Ce document contenait un passage bien satisfai-
sant pour nous. Nous tenons à le citer: "Le comité
ne peut trop fortement exprimer l'opinion où il est que
les Canadiens d'extraction française ne soient le moins
du monde troublés dans la jouissance paisible de leur
religion, de leurs lois et privilèges, tels qu'ils leur sont
garantis par les actes du parlement britannique, et
bien loin d'exiger d'eux qu'ils tiennent leurs terres
d'après la tenure anglaise, il est d'avis que lorsque les
terres en seigneurie seront occupées, si les descendants
des premiers colons préfèrent encore la tenure en fief et
seigneurie il ne voit aucune objection à ce qu'on leur
accorde, en cette dernière tenure, d'autres portions
de terres inhabitées dans la province, pourvu que ces
terres soient séparées des townships, n'y soient pas en-
clavées." (1)
Relativement à la question des finances, le comité
prenait en considération les circonstances où se trou-
vait le Bas-Canada, l'esprit de la constitution, la posi-
tion et la nature du gouvernement local, les pouvoirs,
les privilèges et les devoirs des deux branches de la légis-
lature. Et tout en reconnaissant que, d'après l'opi-
nion des officiers en loi, le droit légal d'affecter les reve-
nus provenant de l'acte impérial de 1774 appartenait
à la Couronne, il en venait à la conclusion que les vrais
intérêts de la province seraient mieux consultés si l'on
plaçait la recette et la dépense de tout le revenu public
sous la surveillance et le contrôle de la Chambre d'As-
semblée. (2) On conçoit quelle satisfaction profonde
(l) — Rapport du comité choisi pour s'enquérir sur le gouver-
7iement civil du Canada, p. 3.
(2) — Rapport .... p. 4.
COURS d'histoire du canada 217
une telle déclaration dut faire éprouver aux chefs de la
majorité.
Le comité émettait cependant l'avis que pour les
salaires du gouverneur, des conseillers exécutifs et des
juges, il convenait de les assurer d'une façon perma-
nente et de les soustraire au vote annuel. Mais il limi-
tait aux émoluments de ces offices le privilège de l'af-
fectation statutaire. Et il ajoutait: "Quoiqu'on ait
recommandé l'octroi de salaires permanents à un nom-
bre de personnes liées au gouvernement exécutif plus
considérable que celui qu'il a renfermé dans sa recom-
mandation, votre comité n'hésite pas à avancer qu'il
n'est pas nécessaire d'en comprendre un si grand nom-
bre, et si les officiers^i-dessus énumérés sont placés sur
le pied recommandé, il est d'opinion que tous les reve-
nus de la province (les revenus territoriaux et hérédi-
taires exceptés) soient mis sous le contrôle et à la dis-
position de la législature." (1)
Le comité faisait un pasde plus. Comme coi ollaire
de la recommandation précédente, il se prononçait caté-
goriquement pour l'élimination des juges des conseils
législatifs et exécutifs, à l'exception du juge en chef
dont la présence pouvait être nécessaire dans certaines
circonstances. (2)
Il insistait aussi, fortement, sur l'importance qu'il
y avait à ce que la majorité des membres du Conseil
législatif ne fut pas composée de personnes en place
sous le bon plaisir de l'exécutif. (3)
A propos du déficit Caldwsll, le rapport recom-
(1) — Rapport p. 4.
{2)~Ibid, p. 5.
{S)—Ibid.
218 COURS d'histoire du canada
mandait qu'il fût pris à l'avenir.par des cautionnements
suffisants et par une audition régulière des comptes,
les précautions nécessaires pour prévenir le retour de
semblables pertes, (l)
Le comité exprimait l'opinion que les revenus des
biens des Jésuites devaient être appliqués à l'éducation
générale. (2)
Quant à la question de l'union des deux Canadas,
dont plusieurs témoins avaient parlé, il déclarait n'être
pas prêt dans les circonstances présentes à recomman-
der cette mesure.
Le rapport contenait en outre de longues considé-
ations sur les réserves du clergé, qui agitaient surtout
l'opinion dans le Haut-Canada.
Enfin relativement aux accusations personnelles
contre lord Dalhousie le comité s'abstenait de tout
commentaire.
En résumé le rapport admettait la légitimité de
nos principaux griefs et comportait l'intimation d'y
porter remède. Les journaux de Québec et de Mont —
rèal, organes de la majorité bas-canadienne, comme la
Gazette de Québec, la Minerve, le Spectateur Canadien,
avaient bi'^n le droit de pousser un tri de victoire. Ce
document significatif, émané d'un comité composé de
membres éminents des Communes britanniques, cons-
tituait vraiment pour nous un événement mémorable.
Ce qui accentua encore l'etTet qu'il produisit, c'est
qu'il coïncida avec le rappel de lord Dalhousie, nommé
au poste considérable de commandant des forces an-
glaises dans les Indes. Sans doute ce n'était pas une
disgrâce, mais c'était une permutation à laquelle on
(1) — Rapport p. 6.
(2)—Ibid.
COURS d'histoire du canada 219
ne pouvait s'empêcher d'attribuer un sens particulier
dans les circonstances. Lord Dalhousie disparaissait.
Un comité de la chambre des Communes nous donnait
raison sur des points d'importance majeure. Un nou-
veau gouverneur, sir James Kempt, nous arrivait libre
et non compromis. (1) II convoquait pour le 21 no-
vembre les chambres qui n'avaient pas siégé depuis le
23 novembre précédent. II informait l'assemblée qu'il
lui commurtiquerait Içs causes de la convocation parle-
mentaire "lorsqu'un orateur seiait dûment élu et ap-
prouvé". Séance tenante, M. Papineau, élu mais non
approuvé, un an plus tôt, déclarait que l'Assemblée
avait déjà procédé à l'çlection de son orateur, reléguant
soigneusement dans une ombre propice la date lointaine
de cette cérémonie mouvementée. Sur quoi, sans plus de
retard, l'orateur du Conseil législatif, au nom du gou-
verneur, informait M. Papineau que son Excellence,
confiant en ses talents, en sa loyauté et en sa discrétion,
approuvait et confirmait son élection. (2)
La crise Dalhousie était terminée. Une détente
se produisait encore dans notre situation politique.
Une nouvelle chance d'organiser enfin le fonctionne-
ment normal de nos institutions parlementaires s'of-
frait une fois de plus à notre administration et à notre
législature.
Nous verrons dans notre prochaine leçon com-
(1) — Sir James Kempt était lieutenant-gouverneur de la
Nouvelle-Ecosse, quand il fut envoyé à Québec ; il occupait ce
poste depuis 1820.
(2) — Sir James Kempt avait d'avance discuté la question
avec M. Papineau, et ils en étaient arrivés à une entente. (Kempt
à Murray, 22 novembre 1828; Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 183-1, p. 172.
220 COURS d'histoire du canada
ment, après une trop courte trêve, furent trompes les
espoirs que pouvait légitimement faire concevoir l'is-
sue heureuse de l'enquête sur nos griefs devant le co-
mité de 1828.
SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER
Garneau, Histoire du Canada, 1881, t. III, liv. XV, ch. m. —
Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, 1844,
liv. IV. — Perrault, Abrégé de l'bistoire du Canada, t. IV.-^T.-P.
Bcdard, Histoire de cinquante ans. — Christic, History oj tbe late
Province oj Lower-Canada, 1850, t. III. — Kingsford, History oj
Canada, t. IX. — Canada and its Provinces, tt. III et IV. — Sir
T. Erskine May, Constitutional History oj England, 1912, tt. I
et II. — Todd, On Parliamentary Government in England, 1887,
t. I. — Hansard's Parliamentary Débutes, nouvelle série, t. XIX. —
Les Comptes publics du Canada, 1868. — Les Comptes publics de
la province de Québec, 1868. — Cugnet, Traité de la loi des Fiejs,
Québec, 177.5. — William-Bcnnctt Munro, Tbe Seigniorial System
in Canada, New-York, Longmans, Green and Co., 1907, ch. xii,
— Tbe Lower Canada Jurist, t. II. — Tbe Lower Canada Reports,
t. IL — Rapport du comité cbargé de s'enquérir sur le gouvernement
civil du Ba.s'-CanaJa, Québec, Neilson et Cowan, 1828. — Journaux
de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 1826, 1827, 1828.
La Ga/.ette de Québec, 1828.— La Minerve, 1828. — Le Spectateur
Canadien, 1828. — Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-
Canada, Q. 182-2, 183-1, 184-1-2-3-4.
SEPTIÈME LEÇON
\.
La division du parti canadien. — Le gouvernement de sir James
Kempt. — Une trêve politique. — Les difficultés de la situa-
tion.— Sir James Kempt et les partis. — Une lettre à sir
George Murray. — La session de 1828-29. — La question des
finances. — Message de sir James et réponse de la Chambre. —
Les estimations budgétaires.- — Un bill de subsides voté par
les deux chambres. — Le remaniement des comtés.^ — Les ex-
pulsions de M.Christie. — La session de 1829-30. — Maintien
de la trêve. — Les craintes de sir James Kempt. — Un bilI de
subsides encore une fois voté. — L'esprit pacifique du juge
Sewell. — Appréciations de M. Papineau. — Sir James Kempt
et le Conseil législatif. — II adresse une dépêche au ministre. —
Une faute d'impression malencontreuse. — Le départ de sir
James Kempt et l'arrivée de lord Aylmcr. — La mentalité
du nouveau gouverneur. — Dispositions excellentes envers
notre cause. — En Angleterre. — Les changements de minis-
tère.— Lord Goderich ministre des colonies. — Une politique
de conciliation. — Lettre significative de lord Aylmer. —
MM. Papineau et Neilson proposés pour le Conseil exécu-
tif.— Leur refus. — La session de 1831. — Une proposition
du gouvernement impérial. — Une liste civile de 19,500
louis. — Estimations réduites. — La Chambre refuse un vote
permanent. — Des résolutions proposées par M. Neilson. —
Appréciations favorable de lord Aylmer. — Les amendements
de M. Bourdages. — Un message peu banal de lord Aylmer. —
Un bill de subsides voté et sanctionné. — Accusations contre
M. James Stuart. — Sa suspension. — Le cas des juges Flet-
cher et Kerr. — La session de 1831-32. — Une dépêche mémo-
rable de lord Goderich. — L'abandon du revenu de la Cou-
ronne par la loi Howick.^ — Une liste civile de 5,900 louis. —
Refus de la Chambre. — Une faute. — L'attitude de M. Neil-
son.— La question des juges. — L'élection du Conseil légis-
latif.— Le bill des notables. — Fâcheuse ligne de conduite
de MM. Papineau et Bourdages. — Le clergé maltraité par
la majorité. — Evolution regrettable. — Alarmants symp-
tômes.
222 COURS d'histoire du canada
On a souvent et justement rcpicsenté comme une
trêve politique le gouvernement de sir James Kempt.
Après avoir rempli avec succès les fonctions de lieute-
nant gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, il arrivait ici
animé d'un sincère esprit de conciliation. Le rapport
du comité de la Chambre des communes avait produit
une détente dans notre situation politique. Le nou-
veau chef de l'exécutif (1) s'efforça d'en accentuer les
effets. Il ne négligea rien pour démontrer son impar-
tialité et son désir de rendre justice à tous. La posi-
tion était diflicile. Les ressenti m^^nts causés par l'ad-
ministration de lord Dalhousie étaient encore vivaces
et demandaient incessamment à s'épancher en récri-
minations et en accusations rétrospicctives. Dans ses
lettres à sir George Murray, successeur de M. Huskis-
son, sii James Kempt décrit son embarras. A ceux
qui demandent des enquêtes, il répond qu'il ne peut
intervenir dans les actes de la dernière administration.
Il essaie, reprèsente-t il, de rester en dehors de tous les
partis et de se concilier tout le monde, mais c'est bien
difficile ici où l'esprit de parti a si longtemps régné. Le
temps et la patience peuvent seuls apporter un lemède
radical au mal. Cependant le gouverneur informe le
ministre qu'aucune réforme efTicace ne peut être effec-
tuée tant que le conflit financier ne sera pas réglé. II
(1) — Sir James Kempt avait reçu une commission provisoire
qui le chargeait d'administrer le Bas-Canada. Quoiqu'on lui eût
fait comprendre qu'il serait nommé gouverneur des provinces
britanniques, il semble qu'on n'ait jamais fait cette nomination.
Le 10 juillet 1830, trois mois avant l'expiration de son terme
d'office, il écrivait au ministre qu'il n'avait reçu aucune commis-
sion en qualité de gouverneur en chef, sa commission provisoire
étant simplement d'administrer la province. (Kempt à Murray,
6 novembre 1828 ; 10 juillet 1830 ; Q. 182-2, p. 57, 195-1-2, p. 48).
COURS d'histoire du canada 223
est difficile de se renseigner, car il n'y a pas deux per-
sonnes qui aient la même opinion. (1)
Pendant les deux années que dura son admini;s-
tration, le caractère de sir James Kcmpt ne se démentit
pas. II ne cessa de jouer le rôle de modérateur, rôle
parfois ingrat et périlleux. Par sa prudence et son tact
il réussit à écarter les crises et à gagner du temps pour
permettre au gouvernement impérial de réaliser au
moins quelques-unes des réformes promises.
La question des finances était toujours la plus ar-
due. Le 28 novembre 1828, le gouverneur communi-
qua à l'Assemblée les instiuctions reçues du bureau co-
lonial. Les ministres de Sa Majesté étaient à étudier
les moyens de régler Tes difficultés relatives à l'affec-
tation du revenu, "de manière à sauvegarder la préro-
gative de la Couronne et les privilèges constitutionnels
de la législature." En attendant on déclarait qu'à
même le revenu régulièrement affecté au gouverne-
ment civil et à l'administration de la justice, qui s'éle-
vait à 38,000 louis, on paierait les salaires des officiers
administrant le gouvernement et des juges, mais qu'on
ne procéderait à l'affectation du reste disponible
"qu'après avoir été infoimé des vues de laChambre
concernant la manière la plus avantageuse de l'appli-
quer au service public." Le message officiel contenait
le passage suivant: "Sa Majesté a ordonné à Son Ex-
cellence d'informer l'Assemblée qu'un plan pour arran-
ger d'une manière permanente les affaires de finances
du Bas-Canada est déjà projeté, et Sa Majesté ne doute
nullement qu'on ne puisse parvenir à un résultat capa-
ble de contribuer au bien-être général de la province
(D — -Archives du Canada: Papicr<; cVEtut du Bas-Canada,
Q. 183-2, p. liZi.
15
224 couKS d'h;sioike du canada
et de satisfaire ses fidèles sujets canadiens." (1) En
présence de cette communication, la Chambre ne vou-
lut pas s'abstenir de proclamer de nouveau son droit
d'affecter tout le revenu. "Elle ne doit, répondit-elle,
en aucun cas ni pour aucune considération quelconque,
abandonner ou compromettre son droit naturel et cons-
titutionnel, comme une des branches du parlement pro-
vincial représentant les sujets de Sa Majesté dans cette
colonie, de surveiller et contrôler la recette et la dépense
de tout le revenu public prélevé dans cette province." (2)
Il était peut-être excessif de dire qu'aucune consi-
dération, dans aucun cas, ne saurait induire l'Assemblée
à faire des concessions. Cependant, après avoir affirmé
le principe qu'elle s'efforçait de faiie triompher depuis
sept ou huit ans, la Chambre ne commit pas la faute de
refuser les subsides. Elle vota les estimations budgétaires
soumises par sir James Kempt, en leur faisant subir
toutefois quelques retranchements. Le bill adopté à
cette fin fut rédigé en des termes analogues à celui de
1825, que lord Bathurst avait blâmés. Un autre bill
fut aussi voté pour couvrir les dépenses de l'année 1828,
durant laquelle il n'y avait point eu de session com-
plète. Ces deux mesures budgétaires obtinient, quoi-
qu'avec peine, l'assentiment du Conseil législatif. Sur le
bill relatif à l'exercice de 1828 le Conseil se divisa moi-
tié pour moitié, et le projet de loi ne fut emporté que
grâce à une manœuvre extrême de l'orateur, le juge
en chef Sewell, qui, ayant déjà voté une fois comme
membre du Conseil, prétendit avoir droità un vote pré-
pondérant comme président. Sur le bill relatif à l'e.xer-
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
28 novembre 1S28.
(2) — Ibid . 5 décembre.
COURS d'histoire du canada 225
cice de 1829, la majorité afTirmative fut de deux voix,
soit une division de 9 contre 7. (1) On pouvait peut-
être entrevoir dans ces votes une amélioration de men-
talité chez la chambre haute. Comme préhminaire de
ces décisions, le Conseil avait adopté le 9 décembre, à
une voix de majorité, une résolution ayant pour objet
de rescinder celle par laquelle il s'était d'avance lié les
mains, en 1821, en s'engageant à "n'adopter aucun
bill d'appropriation de la liste civile contenant des
spécifications par chapitres, ou par ilems, ou à moins
qu'elle ne fût accordée pour le temps de la vie du roi." (2)
Notons qu'une des mesures les plus importantes
de cette session — 1828-1829 — fut celle du remanie-
ment des comtés. Elle créait quarante-quatre divi-
sions électorales. Trente quatre avaient droit à deux
représentants chacune, huit avaient droit à un, et les
cités de Québec et de Montréal respectivement à qua-
tre. Les cantons de l'est, par cet arrangement, al-
laient avoir huit députés dès la session suivante. (3)
(1)— Journal du Conseil législatif du Bas-Canada, 1828-29
pp. 301,304.
(2)— Journal du Conseil législatif, 1828-1829, p. 55.
(3) — Dans le bilI tel qu'adopté par l'Assemblée le nombre
des députés était de quatre-vingt-neuf. Les comtés de Kamou-
raska, Bellechasse, Richelieu, Saint-Hyacinthe, Rouvillc, Cham-
bly, Laprairie, l'Acadie, Deux-Montagnes, Terrcbonnc, Mont-
réal, Berthier et Saint-Maurice, perdirent un représentant cha-
cun, en vertu d'un amendement du Conseil législatif; et, en même
temps, ceux de Rimouski, de Beauce, de Mégantic (douteux), de
Lotbinière, de Sherbrooke, de Missisquoi, de La Chenaye et
d'Orléans en gagnèrent un chacun. Le total se trouvait en défi-
nitive de quatre-vingt-quatre. Leprincipe introduit danslaloipar
les amendements du Conseil accordait deux représentants aux
comtés de 4,000 habitants et au delà,et un représentant aux com-
226 COURS d'histoire du canada
Sir James Kempt écrivait à ce propos que les townships
étaient satisfaits de la représentation qui leur était ac-
cordée. (1) Aux élections générales suivantes, sur
quatre-vingt-quatre députés vingt-deux furent de lan-
gue anglaise, soit plus d'un quart de la représentation
totale, lorsque la population anglo-saxonne ne s'élevait
pas à plus d'un sixième. Une autre réclamation des
habitants des cantons allait aussi recevoir satisfaction.
A la session de 1829-1830, la législature adopta une loi
pour établir des bureaux d'enregistrement dans les
comtés de Drummond, de Sherbrooke, de Stanstead,
de ShefTord et de Missisquoi.
Cependant ces actes de législation, inspirés par
un esprit de bon vouloir, étaient entremêlés de résolu-
tions excessives. L'Assemblée ne pouvait prendre sur
elle d'oublier ses griefs contre lord Dalhousie, et contre
ceux qu'elle considérait responsables à un degré quel-
conque des fautes reprochées par elle à ce dernier. M.
Robert Christie, député de Gaspé, président des ses-
sions de quartiers à Québec, devait en être l'un des
plus mémorables exemples. Au cours de l'étude en
comité d'un bill pour la "qualification" des juges de
paix, on produisit contre lui l'accusation d'avoir provo-
qué, par ses représentations auprès de l'ex-gouverneur,
la démission de MM. Neilson, Quirouet, Blanchet et
Bélanger, députés, comme membres de la commission
tés de plus de l.OOO et de moins de 4, 000. Un comté dont la popu-
lation était au-dessousde 1,000 devait voter avec le comté voisin
dont la population était la plus faible. Le bill originaire donnait
un député par 5,000 âmes environ. {Ca/.ette de Québec, 1829. —
RappoT. sur les Archives canadiennes. 1S2S, p. VI. Christie, III.
pp. 2.54 -2Ô()).
(1) — Archives du Canada: Papiers d'Ftat du Bas-Canada
Q. 18S-1, p. 138.
COURS d'histoire du canada 227
de la paix. Des témoignages furent entendus et un
rapport basé sur ks faits établis fut soumis à la Cham-
bre. La conséquence fut que M. Christie, en dépit
de sa demande d'enquête contradictoire, fut expulsé
de la législature et déclaré coupable de "haut mépris
pour la Chambre et indigne de servir et d'avoir un siège
comme membre d'icelle." Ce fut le commencement d'un
duel mouvementé entre l'Assemblée d'une part, M.
Christie et le comté de Gaspé de l'autre. Le député
expulsé retourna devant ses électeurs. Il fut réélu,
fut réexpulsé à la session de 1830, encore élu, encore
expulsé en 1831, et ainsi de suite pendant quatre ans.
M. Christie fut chassé de la chambre à cinq reprises
différentes. (1) Il y ava*it là un réel abus de pouvoir.
Notre assemblée bas-canadienne aurait dû se rappeler
le cas du célèbre John Wilkes, député deMiddIesex, ex-
pulsé trois fois de la Chambre des communes. Celle-ci
cependant, treize ans plus tard, avait ordonné d'effa-
cer de son journal la dernière résolution adoptée par
elle contre l'agitateur, la déclarant "subversive du
corps entier des électeurs du royaume." (2)
En dépit de ces incidents, l'administration de sir
James Kempt fut relativement heureuse. Le gouver-
neur faisait preuve d'une grande circonspection et d'un
remarquable savoir-faire. Il entretenait d'excellentes
relations envers les chefs de la majorité. Il tempérait
les ardeurs agressives de la presse francophobe, à Qué-
bec au moins. (3) Il s'efforçait de concilier l'opinion
/
(1) — History oj ihe laie Province of Lower Canada. CI:ristie,
t. m, pp. 240, 260, 309, 362, 435, 559.
(2) — Lecky. Histors^ of Ensland during the eigbteenth cen-
tury, t. IV, p 218. — Rapport sur les Archives du Canada, 1899, p. X.
(3)— Christie, III, p. 217.
228 COURS d'histoire du canada
catholique et canadienne- française. Il faisait en sorte
d'améliorer la composition du Conseil législatif en y
faisant entrer des Canadiens éminents comme M.
Denis-Benjamin Viger, l'un des délégués de 1828, M.
de Bcaujeu et M. Louis Guy. Il n'hésitait même pas à
suggérer la nomination de deux chefs de la majorité,
dont l'un était M. Papineau lui-même, comme mem-
bres du Conseil exécutif. (1)
La trêve déterminée par le rapport du comité de
la chambre des communes et favorisée par l'attitude
fie sir James Kempt, ne fut pas rompue à la session
de 1829-1830. Des extraits du message adressé à l'As-
semblée le 29 janvier et de la réponse de la chambre
peuvent donner une idée de la situation. "Son Excel-
lence, lisait-on dans la communication officielle, a reçu
ordre d'exprimer l'espoir et la confiance qu'a Sa Ma-
jesté que laChambie d'assembléeaccordera en aide des
revenus de la Couronne tels subsides dont il est besoin
pour le support du gouvernement de Sa Majesté, se
reposant sur l'assurance gracieuse de Sa Majesté, qu'il
va être immédiatement pris des mesures pour amener,
sous l'autorité du parlement, un arrangement amical
de contestations qui ont duré trop longtemps pour les
vrais intérêts et le bien-être de la province." A cela,
conformément à une motion proposée par M. Neilson
et appuyée par M. Bourdages, la Chambre répondit:
"Nous prendrons au plus tôt en considération le dit
messaee,dans la vue d'accorder teissubsides qui seront
jugés nécessaires, dans l'espoir et la confiance que les
droits inhérents des sujets de sa Majesté en cette pro-
vince de contrôler par le moyen de leurs représentants
Cl) — Archives du Canada; — Papiers d'Etal du Bas-Canada,
O. 19.5-1-2. p. 319.
COURS d'histoire du canada 229
la dépense et de régler raffectation de tous les deniers
payés par eux pour les usages publics seront établis sur
une base ferme et permanente." (1) Comme on le voit
la politique du moment était toute d'expectative. A
certains jours la majorité trouvait que les réformes se
faisaient attendre bien longtemps. On aurait voulu
que le gouverneur accentuât davantage son attitude
libérale et antibureaucratique. M. Papineau écrivait
privément: "Sir James Kempt parle, il éciit d'or, mais
il a la faiblesse de n'oser jamais rien faire de décisif."
Le gouverneur lui-même sentait la difficulté de la si-
tuation. Le 2 mars 1830 il écrivait au ministre une
lettre peu optimiste. L'orage, suivant lui, pouvait
éclater incessamment. Sir James déclarait qu'il se
croyait assis sur un baril de poudre sans savoij quand
l'explosion se produirait. On se querellait au sujet de
\ieilles affaires qu'il croyait oubliées. Il essayait d'agir
comme médiateur et de garder son sang-froid afin de ne
pas venir en collision avec l'une ou l'autre chambre.
Il ajoutait que si le gouvernement impérial se propo-
sait de renoncer à l'appropriation des revenus de la
Couronne, sir John Colborne (le lieutenant gouver-
neur du Haut-Canada) et lui-même estimaient qu'on
devait le faire de bonne grâce pour ne pas maintenir
une agitation et une discussion éternelles. (2)
Les appréhensions de sir James Kempt ne se réali-
sèrent pas. La session de 1830 se termina sans en-
combre. La Chambre continua sa confiance au chef de
l'exécutif, et vota les subsides dans la même forme que
l'année précédente, eu égard, dit-elle, à sa conviction
(l)— Affaires du pays depuis 1228, Québec. 18.34, p. 9.
(2) — Archives du Can.ida; Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 193-3, p. 377.
230 COURS d'histoire du canada
intime "que Son Excellence l'administrateur faisait
des efforts sincères pour établir dans la province un
système de gouvernement impartial, conciliant et cons-
titutionnel." Au Conseil législatif le bill des subsides
fut voté par une voix de majorité, grâce à la tactique
du juge Scwell, qui déploya toutes ses ressources de
procédurier parlementaire pour assurer l'adoption de la
mesure. Sans son influence, le lord évêque de Québec,
qui n'avait pas siégé une seule fois depuis le commen-
cement de la session, ne serait pas venu voter ; et ce fut
précisément la voix de ce dignitaire qui assura la majo-
rité. (1) "Le juge en chef voudrait la paix sur ses
vieux jours", écrivait M. Papineau en signalant les
dispositions nouvelles de cet adversaire si longtemps
irréductible de la cause canadienne. Les conseillers
hostiles au bill des subsides enregistrèrent un protêt
dans lequel ils le représentaient comme entaché des
mêmes vices constitutionnels que les bills antérieure-
ment rejetés par la chambre haute.
En somme la session de 1830 se terminait d'une
manière satisfaisante. "Elle est la plus importante
dans ses résultats qu'il y ait jamais eu, déclarait M.
Papineau lui-même. La chambre y aura acquis une
réputation et une influence durables. Nous savons ré-
sister à sir James Kempt et savons le soutenir quand il
le faut."
Cependant la publication d'une dépêche du chef
de l'exécutif provoqua des commentaires fâcheux, vers
la fin de son administration. Sur la demande du mi-
nistre des colonies il lui avait communiqué ses vues
relativement aux conseils exécutifs et législatifs. II
n'était pas prêt, disait-il, à suggérer aucun changement
(D— Christie, III. p. 270.
COURS d'histoire du CAiNADA 231
fondamental dans leur constitution générale. Mais il
lui semblait désirable d'introduire graduellement dans
le Conseil législatif une forte proportion de membres
qui ne détiendraient pas de charges sous le bon plaisir
de la Couronne. Et les juges (à l'exception du juge
en chef de la province) ne devaient à l'avenir avoir de
sièges ni dans l'un ni dans l'autre de ces corps. Il con-
viendrait même de faire entrer dans le Conseil exécutif
un ou deux membres les plus distingués de l'Assemblée
afin d'inspirer à la chambre populaire de la législature
confiance dans le gouvernement local, ce qui importait
grandement à la paix, à la prospérité et au bonheur de
la colonie. Sir James Kempt mentionnait ensuite les
trois nouveaux membfes qu'il avait recommandés
pour le Conseil législatif, MM. Viger, de Beaujeu et
Hatt, propriétaires fonciers et hommes de la plus gran-
de respectabilité. Et il ajoutait: "Bien qu'il soit très
difficile de choisir un grand nombre de sujets dans les
mêmes conditions, cependant j'espère qu'il sera pos-
sible d'en trouver un nombre suffisant pour remplir les
vacances qui se produiront dans l'unou l'autre conseil."
En somme cette dépêche avait du bon. Elle rappe-
lait combien il était à désirer que le Conseil législatif
devint plus indépendant du pouvoir exécutif. Elle
proposait d'écarter les juges de cette chambre ainsi
que du Conseil exécutif. Elle suggérait la convenan-
ce d'ouvrir ce dernier corps aux chefs de la majorité.
Malheureusement, par une déplorable malchance, une
faute d'impression avait donné à la dernière phrase
citée plus haut un sens restrictif qu'elle n'avait pas
dans le texte. Après la mention des trois nominations
récentes de conseillers, au lieu des mots: "Bien qu'il
soit difficile de choisir un grand nombre de sujets dans
les mêmes conditions", on avait imprimé: "Bien qu'il
232 COURS d'histoire du canada
soit difficile de choisir un plus grand 77om6redesujets."
Le mot greater avait été substitué à celui de great. (1)
Ceci équivalait à dire qu'en dehors des trois conseillers
nommés on ne pouvait pas en trouver d'autres possé-
dant les quahtés requises. Et c'était assez pour chan-
ger profondément la signification de la phrase. II n'en
fallait pas plus pour soulever les susceptibilités du
parti populaire. La dépêche suscita de vives criti-
ques. Une assemblée publique eut même lieu à St-
Charles, sur la rivière Chambly, pour protester contre
la dépêche de sir James Kempt. Les rectificationsqui
suivirent produisirent néanmoins leureffet, et lorsque sir
.lames abandonna son poste à l'automne de 1830, il
reçut des adresses sympathiques signées par M. Papi-
neau et les principaux chefs de la majorité.
Lord Aylmer, appelé à lui succéder, (2) entrait en
fonctions dans un moment difhcile. Deux ans s'étaient
écoulés depuis le rapport du comité de 1828. Et le
gouvernement impérial avait fait encore peu de choses
pour exécuter ses recommandations. Le nouveau
gouverneur était destiné à une administration ora-
geuse. Une série d'événements fâcheux et d'incidents
regrettables devait le mettre violemment en conflit avec
la majorité de la chambre populaire. II a été consé-
quemment fort maltraité par nos historiens, et son
nom a été classé à côté de ceux de Craig et de Dalhousie.
(1)— Christic, III, p. 291.
(2) — Lord Aylnier ne reçut d'.iborcl qu'une commission pro-
visoire pour administrer la province, comme cela avait eu lieu
pour sir James Kempt. II fut administrateur du 20 octobre 1830
au 3 février 1831. A cette dernière date, ayant reçu sa commis-
sion de gouverneur en chef, il prêta serment en cette qualité.
(Archives du Canada, Q. 19.')-l-2, p. :«.5, 197-1-2, p. 75).
COURS d'histoire du canada 233
Et cependant quand on entre, comme nous l'avons fait,
dans l'examen approfondi de sa correspondance, on est
forcé de se dire qu'il ne méritait pas l'animadversion
dont il fut assailli. L'étude des dépêches et des documents
ne nous permet pas de concourir dans les jugements
rigoureux dont il a été l'objet. Il a commis des erreurs
de jugement, sans aucun doute. Mais il a surtout
été victime des circonstances. Et la justice nous im-
pose le devoir de déclarer qu'il avait des intentions
droites, des dispositions bienveillantes envers les Cana-
diens français et qu'il était animé d'un grand désir
d'impartialité et d'équité. (1)
Au moment ou il inaugurait son administration,
lord Goderich succédïiit à sir George Murray comme
secrétaire colonial. D'importants événements poli-
tiques venaient de se passer en Angleterre. Le cou-
rant réformateur qui se faisait sentir depuis quelques
années et l'ébranlement causé à travers le détroit par
la révolution de juillet en France avaient mis un terme
à la longue domination du parti tory. Lord Welling-
ton et M. Peel avaientconstatéqu'ilsnepouvaientcomp-
ter sur l'appui de la Chambre des communes élue au
mois d'août 1830. ils avaient donné leur démission
et un nouveau ministère, un ministère whig présidé
par lord Grey, avait pris en main l'administration du
Royaume-Uni. Le premier et le principal article de
son programme était la réforme parlementaire, qui
(1) — A l'appui de cette appréciation nous pourrions multi-
plier les citations. Mentionnons les lettres de lord Aylmer à lord
Goderich, du 17 janvier, du 7 février, du 5 mars, du 28 mars, du
5 avril, du 6 avril, du 7 avril, du 20 avril, du 26 août 1831; du
26 janvier, du 5 février, du 1.5 décembre 1832. On trouve ces
lettres dans les volumes 0- 197-1-2 à Q. 203 de la série rcpitrs
d'Etat du Bas-Canada, aux archives c''Otl; wa.
234 COURS d'histoire du canada
allait s'accomplir après de longs débats, api es une crise
ministérielle, une démission du cabinet suivie d'un
prompt retour, une dissolution du Parlement et un ap-
pel à la préiogative royale pour vaincre la résistance de
la chambre des lords (1;. Lord Goderich — naguère l'ho-
norable M. Frederick Robinson — ancien collègue de
M.Canning,et ancien premier ministre d'un cabinet de
coalition, était entré dans legouvernementde lord Grey
comme secrétaire colonial, poste qu'il avait déjà occupé
quelques mois en 1827. Plus encore que son prédéces-
seur c'était un homme conciliant et pondéré. Dès
son entrée au ministère des colonies, il se proposa de
mettre un terme aux difficultés canadiennes, en réali-
sant toute une série de réformes et de concessions im-
portantes. Son premier conseil à Lord Aylmer fut
d'entamer des relations amicales avec nos principaux
personnages populaires. Cet avis coïncidait singuliè-
rement avec les intentions du gouverneur. Le 17 jan-
vier 1831, celui-ci écrivait au ministre que d'avance il
s'était conformé à ses vues. Son objectif était de dé-
montrer son entière impartialité. Il attendrait ensuite
patiemment le résultat de ses efforts. Il avait cru
d'abord, faisait-il observer, que l'opposition au gouver-
nement dans l'Assemblée provenait du désir de rompre
le lien biitannique, mais en examinant les choses de
près il acquérait de plus en plus la conviction que les
Canadiens de toutes conditions étaient fortement at-
tachés à Ilfi mère-patrie. La vraie politique à suivre
était de se concilier la bonne volonté des Canadiens en
satisfaisant leuis préférences pour les lois et les insti-
tutions d'origine française, chose d'autant plusnéces-
(1) — Todd. On Parliamentary Government in England, t. I,
cil. iir.— May, Constitutional History of England, t. II.
COURS d'histoire du canada 235
saire que ce que l'on appelait le parti anglais procla-
mait constamment que le dessein arrrêtéde l'Angleterre
était de les supprimer. (1) Une pareille lettre nous
donne de lord Aylmer une idée bien différente de celle
que nous en avions jusqu'ici. Poursuivant le même
ordre d'idées, au mois de février il profitait de deux va-
cances pour proposer à lord Goderich de nommer MM.
Papineau et Neilson au Conseil exécutif. (2) C'était
ouvrir les portes du gouvernement aux deux chefs du
parti populaire. Si cette démarche eût réussi, quel
cours différent elle eût sans doute imprimé aux événe-
ments ultérieurs! Le contact entre le chet de l'admi-
nistration et ses nouveaux conseillers eût pu atténuer
bien des aspérités, supprimer bien des malentendus,
prévenir bien des conflits. On aurait pu s'entendre
pour faire prévaloir les formules acceptables et les so-
lutions judicieuses. Des concessions mutuelles fussent
devenues possibles pour parvenir à faire enfin fonction-
ner normalement nos institutions parlementaires. In-
sensiblement et par l'enchaînement naturel des faits,
on aurait pu arriver sans presque le percevoir à la pra-
tique du gouvernement lesponsable, quinze ans avant
la victoire de ce principe sous le ministère de LaFon-
taine et de Baldwin.
Disons immédiatement que lord Goderich agréa
l'idée de lord Aylmer — déjà émise par sir James
Kempt. MM. Papineau et Neilson furent nommés
conseillers exécutifs, mais refusèrent d'accepter, en
(1) — Archives du Canada; Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 197, 1-2, p. 28.
(2) — Archives du Canada; Papiers d'Etat, du Bas-Canada,
Q. 197, 1-2, p. 7.3. — Rapport sur les archives canadiennes, 1899,
p. XII.
23(5 COURS d'iustoike du canada
alléguant que les règlements de la Chambre ne le leur
permettait pas. (1) Ils pouvaient peut-êtie mieux mesu-
rer les difficultés de la sitiation que nous n'en sommes
capables aujourd'hui. Mais leur acceptation eût en-
traîné, nous scmble-t-il, de si heureuses conséquences,
que nous ne saurions nous empêcher de regietter leur
refus.
Pour mieux faire comprendre l'état d'esprit et les
dispositions de lord Aylmer, ajoutons encore que douze
mois après il recommandait la nomination de onze nou-
veaux membres au Conseil législatif, dont huit Cana-
diens français et quatre membres de l'Assemblée. Tous
moins un étaient indépendants de l'administration.
II nous semble impossible de nier qu'il n'y eût là
des preuves évidentes de bon vouloir. Notons qu'à
ce lion vouloir du gouverneur correspondait éminem-
ment celui du ministre. Lord Goderich avait vrai-
ment à cœur de mettre fin à nos conflits constitution-
nels. Membre d'un cabinet de réfoirme, il entendait
être un ministre colonial réformateur. Et il ne tarda
pas à le démontrer.
Au commencement de la session de 1831, lord Ayl-
mer soumit à la chambre une communication relative
à la question des finances. Le gouvernement impérial
annonçait sa détermination de renoncer à l'affectation
du revenu de la Couronne, perçu en vertu de l'Acte du
(1) — La législature avait adopte en 1830 un bill décrétant
que quiconque acceptait une position comportant émoluments
sous la Couronne ne pouvait siéger dans l'Assemblée comme re-
présentant. Ce bilI n'avait pas été sanctionné en Angleterre.
Le 15 février 1831, la Chambre avait adopté une résolution ana-
logue. M. Papineau avait déjà été nommé une fois membre du
Con.seil exécutif en 1820. Mais il avait donné sa démission peu
de temps après.
COURS d'histoire du canada 237
revenu de Québec (14 George III, chapitre 88) et d'un
autre acte, soit une somme d'environ 38,000 louis, mo-
yennant le vote permanent d'une liste civile de 19,500
louis, consacrée à payer les salaires du gouverneur, des
juges, ainsi que certaines pensions et dépenses contin-
gentes. En même temps, dans les estimations budgé-
taires soumises par le chef de l'exécutif, se trouvaient
supprimées, par suite des instructions du bureau colo-
nial, une série d'articles que la chambre avait refusé
d'inclure dans son vote l'année précédente. Tout ceci
constituait sans doute un premier pag dans la voie des
concessions. (1) Mais la majorité ne le jugea pas suffi-
sant. Et elle adopta un rapport dans lequel on disait
que deux années s'étaient écoulées depuis l'enquête de
1828, que les propositions actuelles ne correspondaient
pas avec les recommandations du comité de la Cham-
bre des communes, et que par conséquent il était expé-
dient de ne faire aucune allocation permanente ulté-
rieure pour les dépenses du gouvernement. (2)
Peu après l'adoption de ce rapport, M. John Neil-
son présenta une série de résolutions qui furent votées
par la Chambre. Elles contenaient un nouveau résu-
mé de nos griefs, déjà énoncés dans nos pétitions de 1828,
relativement aux obstacles qui entravaient le progrès
de l'éducation, à la mauvaise régie des terres publiques,
(1) — Nous lisons dans une lettre inédite de M. Papineau,
en date du 23 février 1831 : "Aujourd'hui nous avons un message
sur les finances qui leur déplaira (aux bureaucrates), et à nous
aussi, quoique, il y a quelques années, nous aurions pu nous en
contenter". — Une bienveillance, dont nous sommes très recon-
naissant, nous a donné accès à quelques lettres inédites de M.
Papineau, qui jettent un jour intéressant sur toute la période
que nous étudions en ce moment.
(2) — Affaires du pays depuis 1S2S, p. 1.5.
238 COURS d'histoire du canada
au pouvoir exercé par le parlement impérial dans la
réglementation du commerce, au défaut d'organisation
municipale, à la confusion résultant du mélange des
lois, à la question de la tenure foncière, à l'immixtion
des juges dans la politique par suite de leurs fonctions
législatives et executives, à l'exclusivisme dans la ré-
partition des emplois et à l'ostracisme d'une classe de
la population, au manque de comptabilité et de res-
ponsabilité dans le maniement des deniers publics, à la
composition défectueuse du Conseil législatif, etc. (1)
L'adresse basée sur ces résolutions contenait le passage
suivant: "Quoique le peuple de cette province souffre
de cet état de choses et s'efforce de le faire changer, il
n'en est pas moins reconnaissant de l'avantage dont il
jouit sous le gouvernement de votre Majesté, et
surtout de sa politique plus libérale adoptée depuis
deux ans à l'égard de cette colonie ; il éprouve cepen-
dant un sentiment bien pénible lorsqu'il voit que les
espérances dont on l'avait flatté après un long cours
de souffrances et d'outrages ont été considérablement
diminuées par les délais que l'on a apportés à redresser
un grand nombre de sujets de plaintes contenues dans
son humble requête au Roi et au parlement en mil
huit cent vingt-huit." (2) Ces résolutions étaient le
fruit de la pensée politique de M. Neilson. Elles con-
tenaient son programme d'action constitutionnelle.
C'était sur ce terrain qu'il entendait s'établir et de-
meurer. Et les événements ultérieurs devaient dé-
montrer qu'à ce moment il prenait délibérément
(1) — Journ.il de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1831. p. 351.
(2) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1831, p. 379.
COURS d'histoire du canada 239
position et ne se laisserait pas entraîner au delà des
limites qu'il traçait ici.
Lord Aylmer suivait d'un œil attentif ce qui se
passait en Chambre. L'annonce des résolutions de
M. Neilson l'avait d'abord inquiété. Mais la pro-
duction de leur texte le rassura. Le 5 mars il les trans-
mettait à lord Goderich avec une note décidément
approbative. Elles étaient, affirmait-il, beaucoup plus
modérées qu'il n'avait lieu d'espérer. Les plaintes
qui y étaient exprimées reposaient sur de bonnes rai-
sons. Si l'on en supprimait les causes le gouvernement
serait bien vu du peuple. L'excitation de surface se
calmerait peu à peu. IJ régnait présentement une
tranquillité qu'il ne tenait qu'au gouvernement de
maintenir. (1) Cette lettre confirme encore ceque nous
disions tout à l'heure relativement à la mentalité de
Lord Aylmer, et prouve qu'il sympathisait vraiment
avec nos revendications.
' Dans la Chambre, les vues de M. Neilson n'étaient
pas partagées complètement par tous les membres de
la majorité. Quelques-uns auraient voulu aller plus
loin que lui. On essaya d'introduire dans ses résolu-
tions deux paragraphes par lesquels on attaquait non
pas seulement la composition, mais la constitution
même du Conseil législatif. IVL Neilson ne pouvait
consentir à cette addition, qu'il Jugeait sans doute
aventureuse. Ce qu'il visait ce n'était pas des change-
ments constitutionnels mais des réformes adminis-
tratives. Et là devait être la cause de la scission et
de la rupture prochaines. La majorité se divisa sur cette
tentative d'addition aux treize résolutions primitives.
(1) — Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q.
197-1-2, p. 140.
16
240 coLKb d'histoire du canada
Plusieurs votes furent pris. Les deux résolutions
complémentaires furent adoptées. (1) Mais finalement
M. Neilson réussit à écarter des adresses au roi et au
parlement les propositions considérées par lui intem-
pestives. (2) Il y avait dans cet incident un indice
significatif. Deux courants divergents commençaient
à se faire sentir dans le parli populaire.
Lorsque l'Assemblée demanda au gouverneur de
voi'loir bien transmettre ces adresses au roi et aux
deux cliambrcs britanniques, il l'accueillit avec la plus
vi\e cordialité, exprimant la conviction qu'elles au-
raient les meilleurs résultats. 11 insista même, avec
une effusion qui tranchait sur le stvie ordinaire des
harangues oflicielles, pour s'enquérir si c'était bien là
tout, si l'exposé était complet, si la Chambre avait
vraiment formulé toutes ses plaintes. Et il termina en
exprimant le vœu ardent que les mesures provoquées
par cette démarclie eussent pour conséquence le réta-
blissement d'une harmonie parfaite. Cette réponse,
qualifiée "d'excentrique" par un de nos historiens, (3)
n'en était pas moins l'expression sincère des sentiments
de lord Aylmer. Il s'était déjà efforcé de travailler,
dans la sphère de sa juridiction, à la réforme des abus.
Dans ses communications à l'Assemblée il l'informait
que, par ses soins, certains griefs étaient en voie de
redressement. Il voulait sans doute faire allusion à
la présence des juges dans le Conseil législatif. En
effet, quelque temps après, une déclaration fut faite
en Chambre comportant que deux juges-conseillers
(l)— Journal de la Chambre, 1831, pp. 3.54, 355, 361.
(2)—IbiJ., p. 377.
(3)— Christie. t. III, p. 330.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 241
n'avaient pas prêté serment ni pris leurs sièges à cette
session et que son Excellence avait signifié à un troisième
de se retirer, de sorte que le juge en chef seul demeurait
dans la Chambre haute. C'était un nouveau progrès
dans la réforme.
La Chambre n'avait pas voulu d'une hste civile
permanente. Mais elle n'entendait pas refuser les
subsides, et elle adopta le budget de la même manière
que les années précédentes. C'était le bill de 1825 qui
servait de type. Le Conseil léfïislatif l'accepta à la
majorité d'ime voix.
En somme, la session de 1831 n'avait pas vu se pro-
chire la dénonciation dç la trêve. Elle avait eu toute-
fois ses épisodes mouvementés. M. Christie avait
été expulsé pour la troisième fois. M. James Stuart,
le procureur général, avait été mis en accusation. On
lui reprochait certains actes commis durant l'élec-
tion de William-Henry, la perception oppressive de
certains honoraires sur des renouvellements de com-
missions notariales, des procédures ayant pour seul
objet d'accroître ses émoluments, des poursuites vexa-
toires contre diverses personnes, etc. La Chambre
adopta une adresse au roi pour demander sa démission,
et elle sollicita le gouverneur de suspendre le fonc-
tionnaire évincé. Lord Aylmer accéda à cette
requête, donnant ainsi une nouvelle preuve de son
impartialité. Les juges Kerr et Fletcher furent mis
en cause — mais par des plaignants de langue anglaise —
pour partialité et dénis de justice.
La législature fut prorogée le 31 mars 1831. Lors-
qu'elle se réunit de nouveau le 15 novembre suivant,
des événements importants s'étaient produits. Lord
Godcrich avait affirmé d'une manière éclatante sa po-
242 COURS d'histoire du canada
litique de conciliation. II avait adressé à lord Aylmer,
pour communication à l'Assemblée, une dépêche daïis
laquelle il acquiesçait à peu près complètement aux
résolutions Neilson. Ce long et mémorable document
était daté du 7 juillet 1831. Le ministre des colonies
commençait par laire la déclaration suivante: "L'expo-
sé des vues de l'Assemblée permet de faire l'induction
satisfaisante qu'il reste à peine une seule question sur
laquelle les désirs de cette bi anche de la législature ne
soient pas en harmonie avec la politique que sa Majesté
a été avisée de suivre, et cela me donne la flatteuse espé-
rance de l'ajustement prompt et efficace de ces difficul-
tés qui ont si fortement embarrassé les opérations du
gouvernement local." (1) Ce n'était pas là de vaines
paroles. La dépêche de lord Godeiich établissait le
plus favorable terrain d'entente que l'on pût désirer.
Jamais depuis quinze ans le gouvernement impéiial
n'avait à ce point manifesté la résolution de satisfaire
les léclamations de l'Assemblée. Sur la question des
biens des Jésuites et de l'éducation, sur la question de
la régie des terres publiques, sur la question de la pré-
sence des juges aux conseils législatif et exécutif, sur la
question des institutions municipales, sur la question
de la tenure des terres, en un mot sur toutes les ques-
tions en litige, le ministre se rangeait aux vues de l'As-
semblée, ou indiquait un mode de transaction satisfai-
sant. Et en même temps, il pouvait annoncer non
seulement une ré^-olution mais un acte dont il était im-
possible de méconnaître la portée. II avait fait adopter
à la dernière session du parlement britannique une
(1) — Lord Godericb à lord Aylmer. 7 juillet 1881; Journal de
le Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 1831-32, p. 20.
COURS d'histoire du canada 243
loi (l) par laquelle était abandonnée sans réserve à la lé-
gislature du Bas-Canada l'affectation du revenu de la
Couronne, pour laquelle l'Assemblce guerroyait depuis
1818. C'était une victoire incontestable, qui pouvait
faiie présager les plus heureuses conséquences. Sans
doute l'Assemblée allait s'empresser d'en profiter, en
correspondant aux avances qu'on lui faisait? Hélas!
nous touchons ici à l'une des plus grande erreurs que
nos chefs parlementaires aient commises durant la lutte
constitutionnelle où ils étaient engagés. En letour de
l'abandon du revenu de la Couronne, le gouvernement
demandait l'adoption d'une liste civile de 5,900 louis,
couvrant simplement les salaires du gouverneur, de son
secrétaire civil, du secrétaire de la province, du procu-
reur généial et du solliciteur général. (2) On laissait
l'administration de la justice (3) en dehors de la liste ci-
vile, de même que certaines pensions et certains contin-
(1) — Cette loi fut désignée sous le nom de Howick Act,
parce qu'elle fut présentée dans la Chambre des Communes par
lord Howick, sous-secrétaire des colonies. Lord Howick était le
fils de lord Grey.
(2) — Journal de la Chambre d'Assemblée, 1831-32, p. 300.
(3) — Un projet de loi intitulé: "Bill pour rendre les juges en
cette province incapables de siéger et de voter dans les conseils
exécutifs et législatifs, pour assurer l'indépendance des juges en
cette province et pour d'autres fins y mentionnées", fut adopté
par la Chambre à cette session. Il pourvoyait d'une manière per-
manente au salaire des juges. Ce bill fut accepté par le Conseil
législatif. M. Papineau avait essayé d'y faire insérer un article
pour exclure le juge en chef de la chambre haute, mais M. Neil-
son soutint qu'il valait mieux se conformer à la recommandation
du comité de 1828 et faire une exception en faveur du chef de
notre magistrature. Cette opinion prévalut. Le bill — et cela lui
porta malheur — déterminait sur quels fonds les salaires des juges
seraient payés et spécifiait que ce serait à même "le revenu casuel
et territorial et le revenu maintenant affecté par des actes du
244 COURS d'histoire du canada
gents qu'on y avait inclus jusque-là. En un mot on
abandonnait au vote de l'Asseniblce tout ce qu'on lui
avait conteste, et l'on dépassait en libci alité les recom-
mandations du comité de 1828. La liste civile deman-
dée était insignifiante par son chiffre, et soulewiit bien
peu d'objections eu égard à la catégorie de fonction-
naiics dont elle rendaitpcrmanents les salaires. Néan-
moins l'Assemblée commit la faute de ne pas l'accepter.
Elle refusa la victoire qu'on lui offrait, s'engageant
ainsi dans une voie qui devait nous conduire à une crise
désastreuse.
M. Neilson ne pouvait voir avec satisfaction
l'orientation que subissait le parti dont il avait été
jusque là l'un des chefs les plus influents. Il était d'avis
que les propositions de lord Goderich nous offi aient
l'occasion de réaliser les principales réloimes réclamées
par nous. Dans un discouis qu'il prononça ttois ans
plus tard, ofi vit clairement quels étaient ses sentiments
en 1831. En outre l'attitude que la Chambre semblait
déjà disposée à prendre relativement au Conseil légis-
latif lui paraissait une fausse manœuvre (1). Après
parlement provincial au paiement des dépenses de l'adminis-
tration de la justice et au soutien du gouvernement civil, et sur
tout autre revenu public de la province qui pourra être ou venir
entre les mains du receveur général". {Journal de la Chambre,
1831-32, p 282.— Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 201-1, p. 30.—
Pour les débats de la Chambre et l'attitude respective de MM.
Papineau et Neilson, voir le Canadien du 28 janvier et du 12
février 1832}. — Ce bill relatif aux juges fut réservé par lord Ayl-
mer, mais il en recommanda la sanction. Le ministre des colo-
nies ne jugea pas à propos de suivre cet avis, et le bilI ne fut pas
sanctionné.
(1) — Le 10 janvier 1832, M. Bourdages soumit des résolu-
tions dont un des objets était de rendre le Conseil législatif élec-
tif. Après un long débat, dans lequel M. Papineau soutint éner-
COURS d'histoire du canada 245
avoir proclamé, comme M. Papineau, comme les autres
chefs du parti populaire, les bienfaits de la constitution
de 1791, il ne voulait pas se déjuger et attaquer l'une
des dispositions fondamentales de cette constitution.
Dès lors la rupture était proche. Déjà on avait pu en
discerner des avant-coureuis. En 1825 M. Neilson
s'était séparé de M. Papineau sur la question de la ré-
duction du budget dans une proportion de vingt-cinq
par cent. En 1831, les divergences s'accentuaient.
Pour le malheur de notre cause, de graves questions de
principes allaient opérer une division dans nos rangs
et rompre le faisceau de nos forces nationales. L'une
de ces Questions fut celle de l'admission des notables
aux assemblées de fabriques. Sa nature, sa portée d'or-
dre religieux et social, le regrettable conflit qu'elle sou-
leva entre le parti populaire et le clergé, nous imposent
l'obligation de l'étudier spécialement avec vous pen-
dant quelques instants.
Dans la plupart des paroisses du Bas-Canada,
l'élection des marguilliers et la reddition des comptes
se faisaient dans une assemblée des marguilliers anciens
et nouveaux, à laquelle n'assistaient pas les francs-te-
nanciers. On se conformait ainsi à un usage et à des
règlements qui dataient de Mgr de Laval. Le 5 dé-
cembre 1660, l'illustre fondateur de notre église cana-
dienne avait rendu l'ordonnance suivante:
"Nous, François, par la grâce de Dieu et du Saint-
Siège, évêque de Pétrée, Vicaire apostolique en la Nou-
velle-France, sur ce qui nous a été représenté que plu-
giquement cette proposition pondant que M. Neilson la combat-
tait, celui-ci fit échouer les résolutions Bourdages par une majo-
rité de 37 contre 22. {Journal de la Chambre, 1831-32, p. 278—
Bibaud. Histoire du Canada, t. III, pp. 79-86; le Canadien. 1er et
4 février 1832.)
24G COURS d'histoire du canada
sieurs difficultés et inconvénients se trouvaient en
l'élection des marguilliers de l'église Notre-Dame de
Québec, à raison que tout le peuple était publiquement
invité et admis pour délibérer à la dite élection, Nous
avons ordonné et ordonnons par ces présentes que doié-
navant l'élection des nouveaux marguilliers de la dite
église se fera par ceux qui seront en charge et par les
anciens qui, pour ce sujet, seront avertis de se trouver
à l'assemblée, où par la pluralité des voix et par suf-
frages secrets on élira un nouveau marguillicr. Nous
voulons aussi que la présente ordonnance soit insérée au
registre des dites élections. Donné à notre demeure
ordinaire, ce cinquième jour de décembre 1660."
Cette ordonnance avait été appuyée par un arrêt du
Conseil souverain rendu le 12 février 1675. Il y était
ordonné aux marguilliers de Québec "de se conformer,
tant pour la régie des affaires de fabrique, que pour l'au-
dition et reddition des comptes, à l'usage suivi dans
toutes les églises de France, où il ne se décide rîen dans
les affaires ordinaires qu'à la pluralité des voix des
marguilliers qui sont en charge, et dans les cas extraor-
dinaires qu'en y appelant les anciens marguilliers, etc.,
le curé toujours présent."
En 1677, l'intendant Duchesneau rendit une or-
donnance ayant la même portée, pour la paroisse de
Montréal. De sorte que, à Québec et à Montréal, et dans
toutes les paroisses qui furent créées par la suite, la
règle etiacoutumes'établiient conformément à la déci-
sion de Mgr de Laval. Les marguilliers étaient élus
par les marguilliers anciens et actuels seulement, et les
comptes de fabrique se rendaient devant des assemblées
composées de la même manière.
Cependant, dans quelques paroisses, l'usage con-
traire s'était introduit, c'est-à-dire qu'on admettait
COURS D HISTOIRE DU CANADA 247
un certain nombre de paroissiens reconnus comme no-
tables aux assemblées de fabrique pour l'élection des
marguilliers et la reddition des comptes. Mais ces
paroisses étaient l'exception.
Or, en 1830, il se fit un mouvement pour que l'ex-
ception devînt la règle. Dans deux ou trois endroits,
à Lotbinière, entre autres, et aux Trois-Rivières, des
esprits brouillons avaient soulevé des contestations au
sujet de l'élection de marguilliers à des assemblées de
fabrique où les notables n'avaient pas été admis. Et
des procès avaient été intentés contre les fabriques pour
faire déclarer nulles ces élections. Ces incidents fâ-
cheux servirent de prétexte à une agitation peu jus-
tifiée. Des pétitions furent adressées à la Chambre,
en 1831, par des paroissiens de Sainte-Marie de Mon-
noir, de Saint-Jean-Baptiste de Rouville, de Saint-
Hilaire, de Saint-Louis de Lotbinière. (1) Elles furent
renvoj'ées à un comité qui les examina, et finalement,
un député, le célèbre M. Louis Bourdages, doyen de la
Chambre, l'un des chefs de la majorité patriote, présen-
ta un bill pour faire admettre d'une manière générale
les notables aux assemblées de fabrique. Ce bill ne
fut pas adopté durant cette session. Lorsque la légis-
lature fut prorogée, le 31 mars 1831, il n'avait pas en-
core subi ses trois lectures.
L'attitude prise par M. Bourdages et par un grand
nombre de représentants causa une vive émotion dans
le clergé. L'innovation que l'on voulait décréter fut
considérée par celui-ci comme un empiétement sur les
droits de l'Eglise et des tabriques. Plusieurs membres
du clergé prirent la plume pour défendre ces droits. De
leur côté, les partisans de la mesure se lancèrent dans
(1)— Journal de la Chambre, 1831, pp. 80, 74, 90, 138.
248 COURS d'histoire du canada
Tarènc. Les colonnes de la Minerve, de la Gazette
de Québec, du Canadien, débordèrent d'articles
pour et contre l'admission des notables aux assemblées
de fabrique.
Les esprits s'échauffaient. On se demandait quelle
attitude la majorité de la Chambre allait prendre à
sa prochaine session, car on prévoyait bien que la ques-
tion allait revenir devant la législature. Jusque-là,
les chefs du parti populaire qui dominait dans l'Assem-
blée avaient eu les sympathies et l'appui moral du
clergé, qui avait toujours fait énergiquement son de-
voir quand il s'était agi de défendre nos droits et nos
libertés. Cette heureuse union allait-elle donc faire
place à une scission malheureuse ? Quel parti allait
embrasseï, par exemple, M. Papineau, le président de
la Chambre, le grand orateur canadien, le chef recon-
nu de la majorité ?
La session s'ouvrit le 15 novembre 1831. Et l'in-
certitude ne fut pas de longue durée. M. Bourdages
s'empressa de présenter de nouveau un bill dont nous
Cl oyons utile de reproduire ici le texte:
"Bill pour rétablir l'uniformité dans les assem-
blées de fabiiques de cette province, et déclarer quels
paroissiens ont droit d'y participer en certains cas.
"Vu qu'il a régné beaucoup de diversité dans la
pratique, dans la manière dont les assemblées de fabri-
que ont été tenues en cette province, et vu qu'il devient
nécessaire d'y rétablir l'uniformité, et de déterminer
quelles personnes auront droit d'y participer en cer-
tains cas.
"Qu'il soit donc statué ici, et il est par le présent
statué et déclaré que tous et chaque marguilliers an-
ciens et nouveaux, cure, ou prêtre faisant fonction de
curé, missionnaire, et tous et chaque propriétaires dans
COURS d'histoire du canada 249
les paroisses de campagne, et dans la paroisse de la ville
de Trois-Rivières, professant la religion catholique ro-
maine, et tous et chaque marguilliers anciens et nou-
veaux, curé ou prêtre faisant fonction de curé, et tous
et chaque propriétaires possédant, dans les paroisses
des cités de Québec et de Montréal, des immeubles de
la valeur annuelle de trente livres courant, et dans la
paroisse de St-Roch, de la cité de Québec, de la valeur
annuelle de douze livres courant, professant la religion
catholique romaine, sont et seront propies, et auront
droit d'assister, de voter et délibérer aux assemblées
de fabriques, pour l'élection de nouveaux marguilliers,
pour la reddition des comptes des marguilliers, sortis
de charge, et pour dépenses extraordinaires, et pour
tous règlements du gouvernement teinporel de l' église." (l)
On remarquera les derniers mots, mis par nous en
italiques. Ils donnaient au bill une portée tiès géné-
lale et très fâcheuse. Le projet de loi constituait vrai-
ment un petit parlement paroissial. II allait plus loin
encore. Il admettait à peu près tous les habitants de
la paroisse à l'administration de la fabrique. Et par
là il faisait de la fort malencontreuse démocratie.
Au moment où ce bill était présenté par M. Bour-
dages, la Chambre était saisie d'une pétition imposante
signée par les évêqucs et le cleigé du Bas-Canada, solli-
citant instamment l'Assemblée de rejeter toute mesure
de ce genre. Il y était dit qu'on y voyait avec alarme
une démarche qui préjudicierait gravement aux lois,
aux usages et aux coutumes ecclésiastiques, ainsi qu'à
la paix et à la tranquillité des paroisses. (2)
(1) — Ce texte est reproduit du Caiiadieii, nuniérf) du 7 dé-
cembre 1831.
(2)— Journal de la Chambre, ].S:n-,32, p. 113.
250 COURS d'histoire du canada
La pétition avait été présentée au début de la
session commencée en novembre 1831. Et le bill de
M. Bourdages avait aussi été proposé dès les premieis
jours qui suivirent la réunion des chambres. Immé-
diatement deux courants d'opinion se dessinèrent par-
mi les députés. Les esprits conservateurs, respec-
tueux des traditions et des coutumes, enclins à soute-
nir les idées de discipline, d'ordre et d'autorité, sans
cesser d'être partisans d'une sage liberté et amis de la
cause populaire, se sentaient plutôt disposés à penser
comme le clergé sur cette question, et à appuyer son
attitude. Parmi ces députes, on remarquait au pre-
rnier rang M. Neilson. 11 était considéré à bon droit
comme l'un des membres les plus éminents de la cham-
bre et comme l'un des chefs du parti patriote. Quoi-
que écossais et protestant, il avait toujours fait cause
commune avec les Canadiens français et s'était distin-
gué dans la lutte en faveur de nos franchises constitu-
tionnelles. Mais, tout en appuyant les revendications
légitimes du peuple et de ses repiésentants, il n'avait
rien du novateur ni du radical. C'était un homme pon-
déré, ennemi des aventures et de la licence, et réfrac-
taire aux théories excessives avec lesquelles quelques-
uns de nos chefs commençaient à se monter la tête.
M. Neilson était en ce moment à l'apogée de sa popula-
rité et de son prestige. On organisait précisément vers
ce temps-là, en son honneui, un dîner public accompa-
gné de la présentation d'une coupe en argent portant
une inscription flatteuse, comme témoignage de la gra-
titude canadienfie. (1)
Un autre député marquant, AI. Duval, avocat de
Québec, était à peu près dans les mêmes idées que M.
(1) Le Canadien, 11 janvier 1832.
COURS D HISTOIRE DU CANADA 251
Neilson. Comme celui-ci> il n'aimait pas les excès, et,
comme lui également, il devait trois ans plus tard se
séparer de M. Papineau sur les 92 résolutions. Il mon-
ta subséqueniment sur le banc, et mourut, après 1867,
juge en chef de la cour d'appel.
MM. Mondelet, Philippe Panet, Quesnel, Later-
rière, Huot, manifestèrent aussi sur cette question
des opinions beaucoup pkis modérées que celles de la
majorité avec laquelle ils matchaient encore. La plu-
part devaient finir par se séparer de M. Papineau, soit
sur la question de l'élection du Conseil législatif, soit
sur celle des 92 résolutions, soit sur celle des subsides.
Mais la majorité du.parti populaire était bien loin
de partager les vues des députés que nous venons de
mentionner. Et d'abord, le leader du parti, le domi-
nateur de l'Assemblée, l'orateur, au double sens du
mot — par sa fonction et par son éloquence, — M.Louis-
Joseph Papineau, allait manifester sans détour les
principes avancés qui le guidaient déjà. M. Bourda-
ges, qui tonnait depuis un quart de siècle contre les
abus du gouvernement, était lui aufesi, quoique d'une
manière assez inconsciente, saturé d'idées fausses. Le
malheur de beaucoup d'hommes de ce temps fut d'avoir
fait leurs études légales dans des auteurs pétris des pré-
jugés de la -^'ieille école gallicane et parlementaire, et
d'avoir trop souvent charmé leurs loisirs avec les pires
ouvrages des écrivains impies du XVI Ile siècle. Nos
avocats et nos notaires étaient particulièrement expo-
sés à ce péril.
M. Lafontaine, à ses débuts, eut beaucoup à souf-
frir de cette dangereuse influence. Ce furent les
épreuves, l'expérience chèrement acquise, et l'étude,
qui rectifièrent plus tard ses opinions.
252 COURS d'histoire du canada
L'iniluencc de MM. Papineau et Bourdages devait
naturellement entraîner le gros de la majorité dans le
sens contraire à la requête du clergé.
La bataille s'engagea à la séance du 2 décembre
1831. M. Bourdages ouvrit le feu. Il prononça des
paroles regrettables. "L'an passé, dit-il, les plaintes
de quelques paroisses pouvaient être attribuées à la
conduite de quelques curés seulement, mais maintenant
que le corps entier du clergé prend fait et cause dans
cette affaire, elle se présente, cette année, sous un point
de vue bien plus important. Il est maintenant ques-
tion de savoir si les droits des paroissiens doivent cé-
der aux droits arbitraires que veut exercer le clergé.
Les lois canoniques défendent aux curés de s'occuper
du temporel: ils ont assez à faire du spirituel. Il est
temps que la législature s'occupe enfin à régler le pou-
voir temporel du clergé. . Les Canadiens commen-
cent à vouloir connaître la manière dont leur argent
est dépensé par le clergé!" (1)
Ce fut M. Dumoulin, dcputé des Trois-Rivières,
qui répondit à cette diatribe du vieux patriote égaré
par les préjugés. Il invoqua la coutume et la raison
et demanda dans quel but on voulait proposer des
remèdes pour un mal qui n'existait pas.
Alors, comme la Chambre siégeait en comité, M.
Papineau prit la parole. Il prononça un discours vio-
lent. Parlant de la pétition du clergé: "On a présenté
à la Chambre, s'écria-t-il, la requête la moins excu-
sablequ'on lui ait jamais soumise. Cette requête prouve
jusqu'à quel po-int l'amour du pouvoir en a aveuglé les
auteurs, pour ne pas avoir senti l'exagération de leurs
prétentions, pour ne pas s'apercevoir que la mauvaise
1() — Le Canadien, 7 décembre 1831.
COURS d'histoire du canada 258
application qu'ils font des lois économiques dévoile au
monde leur ignorance absolue des lois constitution-
nelles. Ce clergé se croit encore le maître de l'auto-
rité civile, croit encore pou\oir exercer une plénitude
de pouvoir dont il a abusé, et dont, après en avoir été
dépouillé, il ne doit jamais rede\^enir le possesseur. Il
faut distinguer entre l'Eglise et ses droits temporels.
L'autorité ecclésiastique, quant à ces droits, n'est va-
lide qu'autant qu'elle l'obtient de l'autorité civile. Le
terme Eglise est susceptible d'une infinité de significa-
tions; mais indubitablement l'Eglise n'est qu'une aide
du pouvoir civil quant au temporel. Elle n'en est in-
dépendante que par rapport au dogme." (1)
M. Duval donna la contre-partie de cette haran-
gue malheureuse. "D'après le droit français, dit-il, les
paroissiens ne possédaient pas les droits que les résolu-
tions veulent leur accorder. Dans tous les cas où ils
ont cotitribué à la construction ou à la réparation des
églises, les paroissiens ont le droit de choisir des syn-
dics. Il n'en est pas de même du reste de l'adminis-
tration des biens de fabriques, parce que ces biens ap-
partiennent de droit à l'Eglise."
M. Lagueux, se levant après M. Duval, dit une
infinité d'énormités, entre autres celle ci: "Le clergé se
rappelle ces temps de barbarie, où, dans la plénitude
de son pouvoir, il foulait aux pieds tous les pouvoirs."
M. Quesnel essaj^a de prendre une attitude conci-
liante. Dans son opinion, il n'y avait pas lieu à une
législation sur la matière.
M. Papineau sentit le besoin de payer une seconde
fois de sa personne. Il fut aussi virulent que dans son
premier discours. "La population de la. campagne,
(1) — Le Canadien, 7 décembre 1831.
254 COURS d'histoire du canada
s'écria-t-il, ne peut pas se garantir de l'influence dan-
gereuse du clergé. Il est prouvé que l'esprit de corps
domine le clergé dans cette question. Jamais procès
d'individu à individu n'a été si odieux que cette lutte
du clergé contre les droits du peuple." (1)
M. Neilson n'avait pas participé à cette première
rencontre. II se réservait pour la fin de la bataille. A
la séance du 23 décembre, il prit la parole et combattit
énergiquement le bill. Nous n'avons qu'une brève
analyse de son discours. II dit en substance que "la
fabrique était administrée par des agents reconnus par
les lois; elle était une corporation, et on pouvait avec
autant de droits attaquer les banques. Les fonds des
fabriques ne provenaient ni de taxes, ni de cotisations,
mais de contributions volontaires. Adopter le bill, ce
serait arracher l'administration des mains de per-
sonnes que reconnaissait la loi, pour la donner à des
gens inconnus par la loi." (2)
Plusieurs votes furent pris et donnèrent une ma-
jorité en faveur du bill. Enfin, au moment suprême
où, après la troisième lecture, la motion pour "que le
bill passe" était proposée par M. Bourdages, M. Neil-
son présenta un dernier amendement qui aurait fait
échouer la mesure en arrivant au port. II y était pro-
posé de renvoyer le bill et tous les procédés sur icelui
pour s'enquérir "si les dits bills et procédés sont con-
traires aux capitulations du Canada, au traité de ces-
sion de 1763, à l'acte du parlement anglais de 1774, à
la constitution de cette province, et aux lois et usages
sur les fabiiques reconnues par l'acte de 1824, à l'in-
violabilité de la propriété privée, et à cet exercice libre
(1) — Le Canadien, 7 décembre 1831.
{2)~Ibid., 31 décembre.
COURS d'histoire du canada 255
des différentes religions, qui, de droit, appartient à tous
les sujets de Sa Majesté dans cette province." (1) Cette
habile manœuvre fut repoussée par un vote de 28 contre
21. Enfin le bill fut définitivement adopté par 30 voix
contre 19. (2)
Le projet de loi était passé à la Chambre. Mais il
lui restait à subir une autre épreuve, celle du Conseil lé-
gislatif. La Chambre haute comptait à ce moment
trente membres, dont vingt et un protestants et neuf
cathoHques. Comme on le voit, le Conseil était en
grande majorité protestant. Pouvait-on espérer que
les représentations du clergé y seraient favorablement
accueilHes ?
L'attitude hostile de* la Chambre et de ses chefs
avait soulevé une vive indignation dans les cercles
ecclésiastiques. Le langage violent, les principes erro-
nés de MM. Papineau, Bourdages, Lagueux, avaient
été l'objet des plus vives critiques. Comment ! ces
hommes en qui on avait eu jusque-là tant de confiance,
que l'on avait soutenus et applaudis comme les cham-
pions les plus sûrs de l'idée nationale, ces hommes pro-
fessaient des opinions fausses, inadmissibles, sur les
relations de l'Eglise et de l'Etat ! On s'était donc
trompé sur leur valeur réelle; leur jugement, leurs prin-
cipes, laissaient donc beaucoup à désirer , et leur direc-
tion pouvait devenir funeste ! Tels étaient les senti-
ments qui agitaient le clergé, et qui trouvèrent leur ex-
pression la plus précise, la plus frappante, dans une com-
munication publiée le 26 décembre 1831 par la Ga-
zette de Québec, et signée: La Raison.
L'auteur de cet écrit n'était pas le premier venu;
{!)— Journal de la Chambre, 1831-32, p. 204.
{2)—Ibid.
17
256 COURS d'histoire du canada
c'était M. l'abbé Painchaud, le fondateur du collège de
Sainte-Anne de la Pocatière; et sa communication était
applaudie par des hommes distingues, tels que M. Jé-
rôme Demcrs, l'un des directeurs les plus éminents du
séminaire de Québec. Ce qui nous paraît spécialement
digne d'y être signalé, c'est d'abord un ton de désen-
chantement à l'égard de la Chambre et de ses chefs,
d'appréhension quant à leurs piincipcs, et de désaffec-
tion pour la personne des hommes publics qui \iennent
de prendre une attitude si inattendue. C'est ensuite
une expression de confiance en la sagesse du Conseil
législatif, un appel à son intervention protectrice, et le
vœu qu'il puisse jouer le rôle de corps modérateur, qu'il
triomphe des attaques de l'Assemblée législative, qu'il
conserve son autoiité et son indépendance en face des
empiétements de la branche populaire. Cette position
hardie, prise par un homme comme M. Painchaud,
porte-voix du clergé en cette circonstance, était un
grave symptôme. Jusque-là, en effet, le Conseil légis-
latif avait été fortement antipathique à la grande majo-
rité des Canadiens français. Dans trop d'occasions il
avait fait obstacle à des réformes vraiment utiles, et
contrarié les légitimes aspirations de ceux qui luttaient
pour nos franchises. Et voilà que, malgré les fautes
commises par la chambre haute, un corps aussi impor-
tant que le clergé proclamait son utilité par suite des
craintes que faisaient concevoir les tendances et les
principes de la majorité "papineautiste". "On a vu
notre chambre prétendre supprimer le Conseil législatif
ou l'organiser de manière à pouvoir le maîtriser au be-
soin", écrivait le correspondant ecclésiastique de la
Ga/.ette, faisant évidemment allusion au projet de ren-
dre le Conseil électif. Et il ajoutait immédiatement:
"Ce serait un malheur, une anomalie qui fait peu d'hon-
COURS d'histoire du canada 257
neur aux cerveaux qui l'ont conçue, et le clergé surtout
doit faire des vœux pour le maintien de ce corps hono-
rable." Il y avait là un signe des temps, bien compré-
hensible, et qui aurait dû faire réfléchir M. Papineau et
ses amis.
Enfin l'écrit qui nous occupe contenat une phrase
encore plus significative. La voici: "Le clergé cana-
dien, n'ayant plus rien à espérer de la Chambre d'assem-
blée, fera sagement d'en dénouer le fil de ses espéran-
ces pour l'attacher à l'exécutif." (1) C'était net et ca-
tégorique. Dès 1831, le parti populaire, entraîné par
ses chefs dans plusieurs entreprises excessives, était
donc menacé de perdre l'appui moral du clergé, qui ne
tournerait point le dos à la cause nationale, mais qui
demanderait à d'autres influences, à d'autres moyens, à
une tactique moins aventureuse, l'amélioration de la
situation politique. Tout cela était extrêmement
sérieux.
MM. Papineau et Bourdages étaient directement
visés dans la lettre de M. Painchaud. C'était évidem-
ment d'eux qu'il s'agissait quand l'auteur mentionnait
la disparition possible de certains députés, ajoutant
qu'on y perdrait peut-être du côté du talent, mais
qu'on aurait compensation du côté du caractère, "ce
qui pourrait consoler de l'absence de certains hommes
qui ont déjà perdu dans l'opinion publique beaucoup
plus qu'ils ne pensent, et que leur dernière démarche
vient de mettre en évidence."
Nous avons donné une spéciale importance à cet
écrit, parce qu'il jette une vive lumière sur la situation
et l'état des partis dans notre province bas-canadien-
ne en 1831.
Cl)— La Ga/.ette de Québec, 10 décembre 1831; Vie de C.-F.
Painchaud, par N.-E. Dionnc, p. 109.
258 COURS d'histoire du canada
Le blll des notables fut soumis au Conseil le 28
décembre. Malgré la gravité de la question, dix mem-
bres seulement étaient présents. Sir John Caldvvell
proposa que le projet fut imprimé. M. Felton proposa
en amendement que la prise en considération du bill
fût renvoyée au 1er août suivant. C'était purement
et simplement le six months hoist. Sir John Caldwell
s'éleva contre cette proposition radicale et cette exécu-
tion sommaire. D'après lui, le moins que le Conseil
pouvait faire c'était d'attendre l'expression de l'opi-
nion publique sur la mesure; on pourrait peut-être mo-
difier le projet de manière à rendre justice entière tant
au clergé qu'au peuple.
M. Cuthbert se leva pour combattre le bilI. Chose
étrange, il était le seul conseiller catholique présent
à la séance. L'absence des autres était-elle due à l'éloi-
gnement de la capitale, à la négligence ou à la prémédi-
tation ? M. Cuthbert traita la question assez lon-
guement. "Les mêmes individus, dit-il, qui cher-
chaient depuis longtemps à saper la constitution et à
introduire des principes démocratiques et républicains
levaient à présent la main contre l'auteL Contre leurs
réclamations venaient celles de tout le clergé sans une
seule exception." L'honorable conseiller terminait en
disant qu'il y avait eu certains mécontentements, peut-
être dans dix paroisses, et que, pour ces dix paroisses,
on voulait introduire une innovation non désirable
dans cent cinquante-cinq autres.
Mais ce fut l'honorable J. Sewell, juge en chef de
la province, qui porta le coup de mort à la progéniture
de M. Bourdaeres. "Le projet, dit-il, substituait à la
pratique suivie une absurdité. Comment regarde-
rait-on en Angleterre l'appel de la masse de la popula-
tion d'une paroisse à la régie d'une somme d'argent
COURS d'histoire du canada 259
donnée à la paroisse ? Le projet faisait venir la popu-
lation à délibérer parmi ceux qui la représentaient;
sur le même principe, la population de Québec et de
Montréal pourrait être introduite dans la Chambre
d'Assemblée, quand il s'agirait d'afFaiies où elle se trou-
vait intéressée. Le projet était contraire au traité de
1763. L'acte de 1774 permettait le libre exercice de
la religion catholique. C'était aux cours à se saisir des
différences et à déclarer quel était l'usage. En détrui-
sant la discipline de l'Eglise, on frappait la religion
même." (1) Dans la bouche d'un protestant, dans la
bouche du juge Sewell, l'ancien adversaire de Mgr
Plessis, ces paroles avaient une giande portée.
La cause du clergé était gagné»-. Le vote sur la
proposition de M. Felton — le six months boist, — fut
pris avec ce résultat: Pour, les honorables MM. Sewell,
Haie, Cuthbert, Grant, Gugy, Felton, Stewart et
Moffat; contre, les honorables sir John Caldwell et
Hatt. (2) Le bill des notables était renvoyé aux ca-
lendes grecques.
En votant contre cette mesure, le Conseil législa-
tif avait probablement été mu à la fois par un principe,
par une antipahtie, et par un calcul. Par un principe:
corps éminemment conservateur, il devait voir d'un
mauvais œil tout mouvement tendant à démocratiser
une de nos institutions, quelle qu'elle fût. Par une
antipathie: les chefs parlementaires du mouvement,
les tenants du bill dans l'Assemblée avaient été surtout
MM. Bourdages et Papineau, tous deux dénonciateurs
virulents de la chambre haute. Enfin par ur calcul:
(1) — Le débat au Conseil législatif se trouve dans le numéro
du Canadien du 12 janvier 1832.
(2)— Le Canadien, 31 décembre 1831.
200 COURS d'histoire du canada
en soutenant le cierge contie la Chambre, le conseil
accentuait la scission malheureuse qui s'était produite
entre ces deux lorces, et affaiblissait conséquemment
ses adversaires, les chefs de la majorité dans l'Assem-
blée législative.
La question en resta là pour le moment. Plus
tard nos évéqucs permirent l'admission des paroissiens
aux assemblées de fabriques dont l'objet était l'élec-
tion des marguilliers et la reddition des comptes. Cette
permission date de 1843. La nouvelle coutume qui
s'introduisit par suite de ces ordonnances épiscopales
fut sanctionnée par un statut, en 1860. Aujourd'hui
notre loi dit que les assemblées de fabrique pour l'élec-
tion des marguilliers sont convoquées "suivant l'usage
de la paroisse", et que "les seules personnes qui ont
droit d'}^ voter sont les paroissiens tenant feu et lieu".
(Statuts Refondus, art. 4384). Les villes de Montréal
et de Québec suivent toujours l'ancien usage. (1)
Ce que le clergé combattait surtout en 1831, t'était
la prétention, affiché par les réformateurs, d'introduire
une sérieuse innovation dans l'économie interne des
fabriques, sans la participation et l'avtu de l'autorité
religieuse. Messieurs Papineau et Bourdages auraient
dû comprendre que l'Eglise avait un mot à dire dans
une question où il s'agissait de l'admmistration des
biens ecclésiastiques. C'était le principe gallican de la
suprématie du pouvoir civil en cette matière qui soule-
vait le clergé.
Ce conflit fut nuisible à plus d'un point de vue. II
laissa dans nos rangs des traces profondes. II inspira
à une foule de citoyens bien pensants des doutes sé-
(1) — Pagnucio, Etudessur de la liberté religieuse en Canada,
pp. 200-21G; J.-F. Pouliot, Droit paroissial, pp. 381-83; P.-B.
Mignault, Le droit paroissial, p. 243.
I
COURS d'histoire du canada 261
rieux sur la sagesse et la rectitude de jugement de nos
chefs parlementaires. Plusieurs de ces derniers s'é-
taient montiés sous le jour le plus fâcheux. De réfor-
mateurs ils se transformaient en démagogues. On pou-
vait dorénavant se demander si le mouvement politi-
que dirigé par eux n'allait pas nous conduire à une im-
passe dangereuse, à de périlleuses extrémités. Sans
doute il y avait dans les rangs du parti populaire des
hommes pondérés et clairvoyants, capables de faire
un judicieux discernement entre les redressements pos-
sibles et les transformations irréalisables, et d'orienter
notre barque à travers les écueils vers le port fortuné
du self-government. M. Neilson et le groupe qui com-
mençait à se rallier autour de lui pouvaient inspirer cet
espoir aux bons esprits, aux Canadiens partisans des
réformes et ennemis des aventures. Mais réussiraient-
ils à refréner les violents et à faire prévaloir chez nous
les conseils de la sagesse politique ?
On pouvait se poser cette question à la proroga-
tion de la législature, le 25 février 1832. Nous étions
parvenus à un tournant de notre lutte constitutionnel-
le. Deux routes s'ouvraient devant nos pas. Allions-
nous choisir celle de la tactique patiente et sûre ou
celle de l'outrance aveugle et inefficace ? Les leçons
de l'année prochaine nous apporteront la réponse.
SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER
Garneau, Histoire du Canada, 1882, t. III, liv. XVI,ch.i. —
Bibaud, Histoire du Canada, t. III, liv. II et V. — Perrault, Abrégé
de l'histoire du Canada, t. V. — Kingsford, History oj Canada, t. IX.
262 COURS d'histoire du canada
— Canada and ils Provinces, t. III, ch. ix, t. IV, ch. ii et ill. —
Sir Erskine May, Tbe Constitutioiml History of England, 1912,
t. II,. — Alphoiis Todd, On Parliamentary Government in England,
t. I, ch. Ht. — Locky, History oj England in tbe 18tb Century, t. IV,
ch. XV. — Bédard, Histoire de cinquante ans. — Christie, History of
Lower Canada, t. III, ch. xxx, xxxi. — Rapport du comité choisi
sur le gouvernement civil du Bas-Canada, 182S.— Affaires du pays de-
puis 1828, Québec, 1834. — Financial difficulties oj Lower Canada,
Québec, 1824. — Pagnuelo, Etudes historiques et légales sur la
liberté religieuse en Canada, Montréal, 1872. — Jean-François
Pouliot, Le droit paroissial de la province de Québec, 1919. — P.-B.
Mignault, Le droit paroissial, Montréal, 1883. — Journal de la
Chambre (TAssemllée du Bas-Canada, 1828, 1829, 1830, 1831,
1831-32.— Journaux du Conseil législatif du Bas-Canada, 1829,
1830, 1831, 1S31-32. —Statuts provinciaux du Bas-Canada, 1829,
1830, 1831.— La Gazette de Québec, 1831. 1832.— Le Canadien,
1831, 1832.— Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada,
Q. 183 à 201.
APPENDICES
I
Observations de MM, L.-J. Papineau et John
Neilson sur le projet de réunir les législa-
tures DU Haut et du Bas-Canada (1)
Londres, 10 mai 1823.
Monsieur,
Conformément à votre désir, nous avons mainte-
nant l'honneur de vous soumettre nos observations
sur le projet de réunir les Législatures des deux Pro-
vinces du Haut et du Bas-Canada, et sur les clauses
du Bill qui a été préparé à cet effet, tel qu'il a été amen-
dé par un Comité de l'honorable Chambre des Commu-
nes et imprimé par son ordre le 31 juillet dernier.
A l'appui de nos observations, nous avons joint
une copie du Bill tel que réimprimé dans le Bas-Canada
en français et en anglais, et répandu dans cette Pro-
vince, avant la signature des requêtes en opposition à
cette mesure.
Avant d'entrer en matière, nous avons à nous excu-
ser du délai qui a eu lieu, et de ne vous transmettre ces
observations qu'après une demande réitérée de votre
part.
Le Gouvernement de Sa Majesté ayant, dans la
dernière Session du Parlement, consenti à suspendre
la mesure projetée pendant un tems suffisant pour don-
ner occasion aux Sujets de Sa Majesté dans les Cana-
das de faire connaître leurs sentimens à cet égard, et
leur opinion ainsi que leurs principales objections à ce
Bill étant manifestées dans les documents suivants,
maintenant en la possession du Gouvernement de Sa
Majesté, savoir:
Premièrement — La Requête des habitans du Bas-
Canada,
(1) Appendices du Journal de la Chambre d'Assemblée du
Bas-Canada, 1825; Appendice K.
264 COURS d'histoire du canada
Secondement — Celle de la Chambre d'Assemblée
du Bas-Canada,
Troisièmement — Celle du Conseil Législatif du
Bas-Canada;
Nous nous étions flattés qu'il ne serait pas néces-
saire de faire part au Gouvernement de Sa Majesté de
nos propres observations sur une mesure que les neul-
dixicmcs des liabitans et toutes les autorités constitu-
tionnelles de la Colonie à laquelle nous appartenons
prient si instamment Sa Majesté d'abandonner "comme
remplie des plus graves inconvénients." Copies des
documents cités plus haut se trouvent dans un Appen-
dice sous la lettre (A).
Nous avons aussi l'honneur de vous informer qu'on
nous a confié des requêtes de trois Districts entiers du
Haut-Canada contre cette mesure, savoir:
Du Home District,
Du District de Newcastle,
Du District de Londres ;
Ainsi que dix autres requêtes de différents Comtés
situés dans presque chacun des autres Districts de cette
Province, et signées par huit mille quatre-vingt-dix-sept
personnes, la plupart électeurs et propriétaires de biens-
fonds.
Nous prenons aussi la liberté de remarquer que,
quoique l'on ait demandé à la Législature du Haut-
Canada de donner son approbation à cette mesure, elle
a néanmoins refusé de le faire, en référant aux requêtes
des habitans de la Province, dont la majorité est déci-
dément opposée à l'Union proposée. On trouvera ci-
joint sous la lettre B des copies de cinq de ces requêtes,
savoir: de celle du Home-District, du Comté de Kent
dans le District de l'Ouest, du Comté de Wentworth
dans le District de Gore, et des Comtés de Stormont
et de Glengarv dans le District de l'Est, ainsi que des
résolutions de l'Assemblée et du Conseil Législatif de
cette Province.
Il résulte de ces documents que jamais aucun Bill
introduit dans le Parlement, concernant les Colonies,
n'a autant que celui-ci rencontré une opposition aussi
COURS d'histoire du canada 265
générale de la part de ceux que devaient affecter ses
dispositions. La population du Bas-Canada est esti-
mée à cinq cent mille âmes, celle du Haut-Canada à
cent vingt mille. Le nombre d'hommes de seize à
soixante ans dans les deux Provinces est d'environ cent
mille, des quels près de soixante-dix mille ont réclamé
contre cette mesure sous quelque forme que ce soit.
Et si un petit nombre d'individus l'ont appuyée par
leurs requêtes, on doit faire attention que personne
dans l'une ni l'autre Colonie n'avait jamais, avant que
l'on y eût appris que le Bill actuel était sous la consi-
dération du Parlement, publiquement sollicité cette
mesure, ni découvert les maux qu'ils prétendent exister
maintenant, et qui, selon eux, rendent cette mesure
nécessaire. Si ce Bill a été en aucune manière approuvé
par des personnes désintéressées et sans préjugés, ayant
des rapports permanents d'intérêt dans les Colonies,
c'est plutôt parce qu'elles le considéraient comme une
mesure du Gouvernement, que par son mérite intrin-
sèque. L'examen des signatures apposées aux requêtes
des deux Provinces prouvera que l'opposition à cette
mesure n'est pas particulière à aucune classe des sujets,
mais qu'elle s'étend au contraire à toutes les classes, et
nous avons l'honneur de vous assurer, tant par nos
connaissances personnelles que par des informations
certaines que nous avons, que la très-grande partie des
pétitionnaires sont des propriétaires indépendants, et
qu'ils forment la grande majorité des électeurs légale-
ment qualifiés dans les deux Provinces.
Chacun dans les Canadas est prêt à admettre qu'il
est essentiel pour la connexion et le bonheur des Do-
maines britanniques qu'il existe au centre de l'empire
une autorité législative suprême, soumise néanmoins
aux restrictions qu'elle s'est elle-même imposées. Les
habitants du Bas-Canada ont défendu cette autorité,
lorsque toutes les autres Colonies anglaises de l'Améri-
que septentrionale se sont révoltées avec succès contre
elle. La distance à laquelle les Colonies sont situées les
prive de toute participation directe dans la branche
représentative de la Législature suprême, et la diffé-
266 COURS d'histoire du canada
rence qui existe entre la Grande-Bretagne et les Colo-
nies par rapport à l'état des propriétés, de la société
et des circonstances locales, fait qu'il est difficile pour
une Législature constituée seulement dans la Mère-
patrie, à mille lieues de distance, de régler avec avan-
tage les affaires intérieures des Colonies. Lorsqu'il
s'agit de changer leurs constitutions établies, il ne peut
être convenable d'agir contre le gré et les prières sou-
mises et unanimes des habitans de tout rang et de toute
description d'une colonie loyale.
Du moins, dans des cas semblables, devrait-il être
nécessaire, de la part de ceux qui proposent de tels
changements, de prouver au Gouvernement et au Parle-
ment qu'ils ont des raisons pressantes pour intervenir,
fondées sur des inconvénients actuels résultant des
constitutions existantes, au lieu d'alléguer les avantages
possibles qu'ils se promettent et qu'une funeste expé-
rience doit apprendre à regarder comme illusoires. On
ne doit sans doute jamais perdre de vue que la sûreté
de la personne et des propriétés du sujet, est fondée
sur la constitution établie dans chaque pays et que
l'idée seule de changements importans et subits dans la
constitution, surtout sans la participation, l'aveu ou
même la connaissance de ceux que ces changements
doivent principalement affecter, porte les plus vives
atteintes à leur tranquillité et à leur bien-être.
La mesure proposée par le Bill n'a pour objet rien
moins que l'anéantissement de deux incorporations
locales établies par acte du Parlement, avec pouvoir
de faire des lois suivant les limites qui leur étaient assi-
gnées, pour n'en faire à l'avenir qu'une seule incorpo-
ration de même nature, dont la sphère comprendra les
limites actuellement assignées aux deux autres, tandis
que pour tout autre objet du gouvernement, on con-
serve les mêmes limites et des intérêts distincts et sépa-
rés.
Il est évident et essentiellement utile pour des
Législatures locales et subordonnées, que leurs limites
ne soient pas trop étendues. En eff^et, la nécessité de
leur établissement résulte uniquement des circonstances
COURS d'histoire du canada 267
particulières et des besoins du pays pour lequel elles
sont constituées; les connaissances locales sont une
qualification indispensable des membres qui les com-
posent. Les aldermen et les cclievins de Londres ne
formeraient probablement pas la meilleure Législature
locale possible pour Dublin, et vice versa. Les membres
de ces deux Corporations réunies en une seule, assem-
blés tantôt à Londres, tantôt à Dublin, ou dans quel-
qu'autre lieu intermédiaire, ne pourraient guère faire
que du mal, dans leur capacité législative, à moins sans
doute qu'ils ne s'entendissent pour rendre illusoire leur
nouvel acte d'incorporation, en faisant séparément des
lois, les uns pour Londres, les autres pour Dublin.
Les parties habitées du Haut et du Bas-Canada,
depuis la Baie des Chaleurs et Gaspé jusqu'au Sault
Sainte-Marie, situé entse le lac Supérieur et le lac
Huron, s'étendent déjà, du nord-est au sud-ouest à plus
de quinze cents milles. Dans cette étendue de pays les
communications sont en partie par terre, en partie par
eau, soit en bateaux, sur la glace, sur la terre ou sur la
neige, suivant les saisons, dont le commencement varie,
entre les deux extrémités, de quatre mois dans l'année.
La communication entre le Bas-Canada et les districts
de Londres et de l'Ouest dans le Haut-Canada est, de
fait, plus difficile et moins assurée à certaines époques
de l'année qu'entre Montréal et Québec. Les membres
des Assemblées dans les Colonies ne peuvent générale-
ment retirer de leur situation aucun avantage particu-
lier. C'est un fardeau public très-onéreux, et il est bien
connu qu'on trouve à peine dans les Colonies de l'Amé-
rique du nord un particulier qui ne soit forcé d'exercer
son industrie pour le soutien de sa famille. Les membres
des Législatures ne peuvent donc remplir leurs devoirs
publics que dans l'hiver, temps auquel leursoccupations
privées leur donnent quelque relâche. L'hiver commence
dans le Haut-Canada et les chemins d'hiver y sont pra-
ticables un mois et demi plus tard que dans le Bas-
Canada; il y a la même différence pour le commence-
ment du printemps et de l'été. Lorsque la neige com-
mence à tomber et que les rivières se gèlent l'automne,
268 COURS d'histoire du canada
et lors de la fonte des neiges et de la glace le printemps,
il y a dans les deux pro\inces un espace d'environ un
mois pendant lequel il est prcsqu'impossible de voyager.
La différence des saisons, la distance des lieux, les diffi-
cultés, les dangers et les frais de voyages au siège des
Législatures réunies, dans le seul temps de l'année que
le peuple ou ses représentans peu\ent consacrer à leurs
affaires publiques, font une masse d'obstacles qui ne
leur laisserait qu'un vain simulacre de ce système de
GouNcrncmcnt qui a été jusqu'ici suivi dans les Colo-
nies anglaises, qui a été solennellement promis aux sujets
britanniques qui s'établiraient en Canada, par la pro-
clamation de Sa Majesté du sept Octobre mil sept cent
soixantc-et-trois, et qu'ils ont toujours cru leur être
in\ iolai)lement garanti par un acte solennel du Parle-
ment Britannique. Ils trouveraient leur situation d'au-
tant plus pénible, que parmi les inconvénients résultant
d'un pareil état de choses, ils ne pourraient s'empêcher
de remarquer, sur leurs frontières méridionales, les
Etats-Unis d'Amérique divisés, dans la même étendue,
en sept états et territoires distincts pour la facilité du
gouvernement et de la Législation locale.
Ce n'est pas seulement à cause de la distance des
lieux et de la différence du climat et des saisons, que la
mesure projetée serait subversive des droits et des inté-
rêts du sujet dans les Canadas. C'est un fait constant
que, non-seulement les lois qui règlent les propriétés
et les droits civils dans les deux Provinces, mais encore
les coutumes, les habitudes, la religion et même les pré-
jugés y diffèrent essentiellement. Les habitans de cha-
cune d'elles tiennent fortement à toutes ces choses, dont
la jouissance leur est solennellement assurée de la part
de la Grande-Bretagne. Le plus sage, le plus désinté-
ressé, le plus savant législateur, pourrait à peine amal-
gamer leurs codes respectifs sans danger pour les pro-
priétés acquises sous ces lois différentes. Tout change-
ment aux lois anciennes, toute loi nouvelle aura des
rapports avec celles qui sont en force dans l'une ou
l'autre Province, et, selon qu'ils affecteront l'un ou
l'autre code, seront vus d'un œil jaloux et préjugé, et
COURS d'histoire du canada 269
adoptés sans connaissance suffisante par une partie
au moins des membres de la Législature. Les Repré-
sentants des deux Provinces se trouveraient enfin forcés
de faire des lois séparément pour chaque Province res-
pectivement. Le gouvernement et les intérêts des deux-
Provinces demeurant distincts, et les dépenses des
Colonies étant surtout pour des objets locaux, il n'est
guère à supposer que les membres de la Législature
réunie fussent toujours guidés par des principes de jus-
tice et d'équité dans l'assiette ou la distribution des
impôts. La population des deux Provinces a malheu-
reusement des intérêts différents quant aux impôts. Les
habitans du Haut-Canada, vu leur distance de la mer
et le défaut d'un marché étranger pour la vente des
produitsdeleur agriculture, ont en grande partie cessé
d'être consommateurs dea espèces de marchandises sur
fesquelles se prélèvent les impôts au port de Québec.
Ils ont substitué au rhum lewhiskey deleur propre ma-
nufacture; au sel qui venait par le Saint- Laurent, le
sel des Etats-Unis ou celui de leurs propres salines; au
thé de l'Angleterre celui des Etats-Unis, et les établisse-
mens du Haut-Canada n'étant séparés du territoire
américain que par des lacs et par une rivière navigable,
la contrebande ne peut être réprimée avec succès. Le
Haut-Canada est donc intéressé à continuer de préle-
ver un impôt sur ces articles, objets de consommation
dans le Bas-Canada, et il est naturel que chaque Pro-
vince désire s'en approprier la plus grande partie pos-
sible. Il est difficile de faire la distribution du revenu
colonial pour des objets locaux, dans un territoire même
très-limité: comment la Législature coloniale pourroit-
elle faire ce partage avec justice, entre deux Provinces
distinctes, dont les habitans n'ont rien de commun si
ce n'est le titre de sujets anglois.
Voilà, Monsieur, les objections générales contre
la mesure projetée: nous allons maintenant examiner
en détail l'acte qui doit la mettre à exécution, ayant
toujours référence à la copie du Bill ci-jointe.
Clauses 1, 2, 3, 4, 5 et 6.
Nos observations générales s'appliquent aux deux
270 COURS d'histoire du canada
premières; nous ajouterons seulement que ce Bill lais-
sant les deux Provinces séparées quant au gouvernement
et aux limites, telles qu'elles ont été divisées par le
31e Geo. III, il n'en peut résulter aucune réduction
dans les dépenses nécessaires du Gouvernement. Les
dépenses réelles seraient augmentées par l'accroisse-
ment des frais de voyage et de correspondance, pour la
transmission des lois, de documents publics, pour faire
venir les témoins, etc. Les devoirs de l'Exécutif dans
chaque Province, et les départements correspondants
en Angleterre, ne seraient aucunement diminués par
une simple union législative. Si les institutions et les
circonstances locales pouvaient permettre une réunion
entière des deux Provinces, elle ne pourrait devenir
utile qu'en faisant vaquer les sièges dans le Conseil
Législatif et dans l'Assemblée, et en nommant des Con-
seillers Législatifs qui pussent remplir leurs fonctions
avec assiduité et qui ne fussent pas presque tous choi-
sis parmi les membres de l'Exécutif, et parmi les Juges
en particulier, dont les devoirs en Canada sont suffisants
pour absorber tout leur tems. Par ce moyen, la com-
position du Conseil Législatif pourrait devenir plus
analogue à celle de la Chambre des Lords en Angle-
terre, et dès lors plus en état de s'accorder mieux avec
le corps électif. Quand à continuer les pouvoirs des
membres de la Chambre d'Assemblée pendant une
année au-delà du tems pour lequel il avaient été élus
par le peuple, cela sans doute était une erreur: car
l'on ne peut supposer que l'on se proposât de consti-
tuer des Représentants du peuple du Canada, par
acte du Parlement Impérial.
Clauses 7, 8, 9, 10, 11, et 12.
Ces clauses pourvoyaient à la représentation du
peuple dans la Législature projetée des Canadas.
Lors de l'établissement de la Constitution actuelle de
ces Provinces par l'acte de la 31e. Geo. III, chap. 31,
on composa l'Assemblée du Bas-Canada de cinquante
membres et celle du Haut de quinze. La première
de ces Provinces avait alors environ 200,000 habitants,
la seconde environ 25,000, ou un huitième de l'autre.
COURS d'histoire du canada 271
Ce fut aussi la proportion du Revenu, donnée au Haut-
Canada par le premier accord entre les deux Provinces.
La représentation du Haut-Canada était alors double
de celle du Bas, eu égard à la population. L'acte du
Haut-Canada, de la 60e, Geo. IH, confirmé par la
septième clause du Bill projeté, a porté le nombre des
Représentants de cette Province à quarante, tandis
que le Bas-Canada n'en a que cinquante, et que toute
tentative pour en augmenter le nombre a jusqu'à pré-
sent été infructueuse dans le Bas-Canada. On a
pourvu par le même acte du Haut-Canada, et cette
disposition est sanctionnée par la clause susdite, à
une augmentation régulière et progressive de la repré-
sentation de cette Province, proportionnée à sa popu-
lation, ce qui bientôt la fera égaler en nombre celle du
Bas-Canada, à moins qu'iL ne plaise au Gouverneur
d'augmenter celle-ci jusqu'au nombre de soixante mem-
bres; et même avec cette augmentation, la représen-
tation du Haut-Canada égalerait bientôt celle du Bas-
Canada, puisqu'il est réglé par la neuvième clause
que le nombre des représentants ne sera pas changé,
si une minorité des membres, égale au tiers des mem-
bres présents, s'y oppose à la seconde ou troisième
lecture du bill. Si lors de l'union entre l'Ecosse et
l'Angleterre, ou entre la Grande-Bretagne et l'Irlande,
on eût annoncé au peuple anglais que l'Ecosse et
l'Irlande, ou toutes deux ensemble, auroient dans Is
Chambres des Communes un nombre de membres
égal à celui de l'Angleterre, et avec une restriction
semblable, il est probable qu'il auroit éprouvé une
inquiétude aussi vive que celle causée par ce Bill dans
le Bas-Canada. Le Haut-Canada reconnaît, et l'acte
de Commerce du Canada, récemment passé, admet
que la population de cette Province n'est qu'un cin-
quième de celle du Bas-Canada: le nombre d'élec-
teurs qualifiés dans les deux Provinces suit à peu près
la même proportion, parce que les pères de famille dans
l'uneetl'autre Province sont presque tous propriétaires.
Si l'on compare la richesse relative des deux Provinces
avec la population, l'avantage est en faveur du Bas-
18
272 COURS d'histoire du canada
Canada. Par le Bill en question, on donne à une pro-
vince distincte, ayant réellement des intérêts différents,
n'ayant que le cinquième de la population de l'autre,
pas plus du cinquième d'électeurs, et moins d'un cin-
quième des richesses de l'autre, on lui donne un pou-
voir égal dans la levée de l'impôt et dans sa distribution
pour les dépenses locales. Voilà ce qui paraît à la
première inspection de ce Bill et de l'Acte de Commerce;
mais, en réalité, la situation du Bas-Canada sous l'opé-
ration de ce Bill serait encore pire qu'elle ne le paraît
même par ces deux actes. Les dix membres que le
Gouverneur est autorisé par la 8e. clause d'ajouter à
la représentation du Bas-Canada, peuvent à son choix
être ajoutés ou ne l'être pas: s'il les ajoute, il semble
que l'on veuille les donner exclusivement aux town-
ships situés le long des frontières des Etats-Unis, et
formant dans le Bas-Canada une continuation des
établissements américains. Ces townships sont encore
en partie séparés par des terres incultes des anciens
établissements du Bas-Canada le long du St-Laurent.
Ils ont peu de rapport et peu d'intérêts communs avec
la masse des sujets de Sa Majesté dans le Bas-Canada.
On manufacture dans ces townships, ou l'on y reçoit
des Etats-Unis, comme dans le Haut-Canada, une
partie des articles qui paient un droit d'entrée au port
de Québec. Ils ont plus d'affinités avec la population
du Haut-Canada qu'avec celle du Bas. Ainsi, si l'on
accorde dix membres à ces townships, comme l'Acte
n'exige que six townships pour former un comté, qui
auront dans cette partie de la Province le droit d'en-
voyer un membre, quelle que fût sa population, la re-
présentation des deux Provinces pourrait être consi-
dérée comme dès à présent égale. Un petit nombre
de votes peut donner à la représentation du Haut-
Canada le pouvoir d'établir toutes les nouvelles taxes,
de manière qu'elles affectassent exclusivement le Bas-
Canada, ou de disposer de tout le revenu à l'avantage
du Haut-Canada et de ces townships. II est bien
probable que les sentimens de libéralité et de justice
que l'on reconnaît exister dans la grande majorité des
COURS d'histoire du canada 273
habitants du Haut-Canada, et que ce sentiment com-
mun d'opposition au Bill actuel, qui unit maintenant
les deux Provinces, pourraient empêcher l'excès de
l'injustice que semblent devoir produire les dispo-
sitions du Bill, mais la possibilité de ce résultat ne
saurait justifier le Bill même.
Au surplus ce n'est pas par rapport à leurs propriétés
seulement que les habitants du Bas-Canada redoutent
la passation de ce Bill. Les Capitulations, le Traité
de Cession de 1763, les Actes de la 14e. et 31e. Geo.
III., leur ont assuré leurs propriétés, leurs lois civiles,
leur religion et des droits et privilèges souvent diffé-
rents, et quelquefois opposés à ceux qui ont prévalu ou
qui prévalent encore dans les autres colonies anglaises.
La Constitution actuelle leur assure la jouissance pleine
et entière de tous ces droits, sans aucune diminution ni
altération, à moins que la majorité des électeurs qua-
lifiés dans toute la Province ne consente à les changer
par le moyen des représentants choisis par eux. Le Bill
projeté, en faisant entrer dans la Législature les re-
présentants d'un pays accoutumé à un ordre de
choses différent, préjugés peut-être contre l'ordre
établi dans le Bas-Canada, et en donnant à cette popu-
lation qui n'est que le quart ou le cinquième de l'autre
en fait de nombre, de propriétés et d'électeurs, une
majorité ou tout au moins une égalité de votes dans
la seule branche de la Législature coloniale dans laquelle
le peuple du Bas-Canada ait une participation directe,
met certainement en péril ces droits de propriété, ces
lois et privilèges particuliers dont nous avons parlé
plus haut. Car qu'on ait établi quelques restrictions
dans certains cas, contre l'infraction de ces droits
ainsi garantis, ils n'ont pas néanmoins tous le même
degré de protection. Les habitants du Bas-Canada
trouveraient très-difficile de réclamer avec succès ces
privilèges particuliers, quand la Législature colo-
niale les aurait une fois envahis. Leurs propriétés
et leurs personnes pourraient être pendant un certain
temps à la merci de la minorité d'une population, pré-
jugée et intéressée, ayant le pouvoir de la majorité dans
274 COURS d'histoire du canada
l'Assemblée représentative, et l'appui de toute l'auto-
rité législative, executive et judiciaire.
Clauses 13, 14 et 15.
Ces clauses sont surtout remarquables par la quali-
fication de cinq cents livres de propriétés foncières,
qu'elles exigent pour les membres de l'Assemblée; la
constitution actuelle n'en requérant aucune. Les
pétitionnaires tant pour que contre ce Bill, dans le
Haut-Canada, ont objecté à cette qualification, comme
étant trop forte. II n'en est pas question dans les
requêtes en opposition dans le Bas-Canada, où il n'a
jamais existé aucune qualification quant à la propriété.
Dans le fait il y a rarement eu dans l'Assemblée du Bas-
Canada un membre qui ne fût qualifié, et au delà, de
la manière requise d'après ces clauses. Les membres
n'étant pas payés, et déboursant l'un dans l'autre de
trente à cinquante livres pendant chaque session, et
généralement sans l'espoir le plus éloigné d'en retirer
aucun avantage personnel, aucun individu, s'il n'avait
plus de cinq cents livres de biens-fonds, ne voudrait
de cet emploi, ou s'il le voulait, ne trouverait les élec-
teurs disposés à le nommer. Ces clauses sont indiffé-
rentes en elles-mêmes, à moins qu'elles ne comportent
censure injuste contre les électeurs. Au surplus ces
détails devraient être laissés à la Législature coloniale,
comme par l'acte de la trente-unième George III.
Clause 16.
Cette clause autorisant le Gouverneur à nommer
des Conseillers Exécutifs qui auraient droit de siéger et
discuter, mais non de voter dans l'Assemblée, a excité
de tous côtés de vives réclamations dans le Haut-
Canada. Elle a été regardée dans le Bas-Canada
comme une déviation singulière de la constitution
anglaise, dans ses principes et dans la pratique, ou
comme contenant une opinion injuste du peuple,
ou une censure du gouvernement colonial et de ses
officiers. Il n'y a rien qui empêche les Conseillers
Exécutifs d'être élus dans l'une ou l'autre Province,
comme membres de l'Assemblée, à moins que les me-
sures de l'administration coloniale ou la conduite de
COURS D HISTOIRE DU CANADA Zi O
ses employés ne fussent telles, qu'elles les rendissent
particulièrement désagréables aux électeurs.
Clauses 17 et 18.
On a pensé que le siège de la Législature devait être
fixé, et la notificalion suffisante mieux définie. Le
Gouverneur, voyant l'étendue des deux provinces et
la difficulté des communications, pourrait abuser de
cette prérogative, qui lui est accordée conformément
à l'usage suivi en Angleterre, en assemblant la Légis-
lature dans un endroit où peu de membres pourraient
se rendre. Mais ce n'est pas l'abus de pouvoir dans
les actes émanants directement du Gouverneur, qui
est le plus à craindre dans les colonies. La 19e. clause,
étendant la durée du parlement une année au delà du
temps maintenant fixé par la loi, a été réprouvée de
tout côté, comme une violation de la constitution actu-
elle des Canadas, et une tentative contre les fran-
chises reconnues du peuple.
Clauses 19, 20, 21 et 22.
Ces clauses paraissent être purement de forme et
analogues à la constitution actuelle.
Clause 23.
Cette clause est une tentative directe pour détruire
un des privilèges les plus essentiels réclamés et exercés
par toutes les Assemblées coloniales et constamment
admis par la Couronne. Le droit d'emprisonner pour
mépris a toujours été regardé par ces corps, ainsi que
par les cours et les magistrats, comme indispensable
à l'exercice de leurs fonctions, et ne peut, comme le veut
cette clause, être objet de législation entre des autorités
coordonnées.
Clauses 24 et 25.
Ces clauses ont été vues de très-mauvais œil dans
le Bas-Canada. Il est embarrassant d'avoir deux
langues en usage à la fois: dans bien des cas pourtant
cela est inévitable. Il en était ainsi en Angleterre
après la conquête par les Normands, et l'acte impru-
dent qui dans ces temps barbares proscrivit l'usage de
la langue saxonne eut le sort qu'ils méritait. Dans
un état composé de peuples de langues différentes,
270 COURS d'histoire du Canada
mais ayant des rapports fréquents, la langue de la
majorité l'emporte à la fin, et la langue anglaise de-
viendra sans doute la langue dominante dans l'Amé-
rique du nord avec ou sans le tecours d'aucune loi.
Il n'y a peut-être pas dix membres de la Chambre
actuelle d'assemblée dans le Bas-Canada qui n'enten-
dent pas l'anglais; plusieurs le parlent avec facilité.
Il n'y a pas un homme de quelque rang et de quelque
fortune dans la colonie qui ne fasse apprendre l'anglais
à ses enfants. C'est ainsi que les peuples changent
avec le temps et les circonstances. Mais la langue
d'une mère, d'un père, de la famille, de ses amis, de
ses premiers souvenirs, est chère à tout le monde; et
cette interférence inutile dans la lanp;ue du peuple du
Canada a été vivement sentie dans un pays où cette
langue a été, sans contredit, une des causes qui ont le
plus contribué à conserver cette colonie à la Grande-
Bretagne à l'époque de la rébellion des Américains.
La 25e clause, vu son rapport avec la précédente, a,
peut-être, été mal entendue; elle a été considérée comme
une attaque indirecte contre les libertés dont les catho-
liques-romains ont joui jusqu'ici sous le gouvernement
anglais en Canada, et qui leur sont garanties par les
capitulations, par le traité de cession, par des actes du
parlement, et par la pratique libérale du gouvernement
britannique. L'évêque à la tête de l'église romaine en
Canada est approuvé par la couronne avant de rece-
voir l'institution canonique du pape. L'état est
donc ainsi prémuni contre le danger qui pourrait résul-
ter (si l'on pouvait dans les temps actuels en craindre
aucun) de la nomination d'une personne qui ne con-
viendrait pas comme chef de cette église dans la colo-
nie. Sans avoir un contrôle plus étendu, le gouver-
nement a trouvé en toute occasion le clergé romain dé-
voué à l'union de ces provinces à l'empire britannique, et
exerçant toute son influence pour la conserver. L'é-
vêque et tous ses prédécesseurs ont uniformément nom-
mé et démis les curés. Le roi de France, par son ordre
en conseil en date du vingt-sept mai mil six cent quatre-
vingt-dix-neuf, déclare que les évêques de Québec
COURS d'histoire du canada 277
sont revêtus de ce droit, qu'il nomme expressément leur
droit naturel. La règle générale, suivant Blacktsone,
est que "c'est à l'évêque qu'il appartient de conférer
"tous les bénéfices ecclésiastiques dans son diocèse."
"Il faut toujours observer comme une règle constante
"que l'évêque est le collateur ordinaire de tous les béné-
"fices de son diocèse, à moins qu'on n'établisse le con-
"traire, ou par des titres précis, ou par une possession
"constante qui fait présumer ce titre." D'Héricourt,
Lois ecc siastiques, . e. part., ch. 5.
Par la clause actuelle il paroîtrait que ce' droit exis-
tant et exercé en Canada jusqu'à ce jour ne sera plus
considéré comme valable, mais qu'au lieu de laisser
comme ci-devant la collation des bénéfices à l'ordinaire,
il faudra préalablement obtenir le consentement par
écrit du gouverneur. On doit en inférer que les curés,
nommés concurremment par le gouverneur et l'évêque,
ne seront plus révocables par l'autorité séparée de ce
dernier comme ci-devant, ce qui ôte à l'évêque (qui
lui-même est approuvé et pensionné par la couronne)
tout contrôle «ur son clergé. Une manière de procéder
si différente de l'usage constant de la colonie ne
peut guère manquer de nuire à la discipline de l'église
catholique-romaine en Canada. Si le gouverneur et
révêque différaient d'opinion, cela pourrait mettre le
curé en état d'exiger et de recevoir la dîme de ses
paroissiens, même après avoir été, sur leur requête,
interdit par l'évêque et rendu incapable de remplir les
devoirs religieux en considération desquels il a droit à
la dîme. Une clause qui est censée devoir produire un
tel résultat, n'a pu manquer de causer de l'inquiétude
en Canada, et, si elle était jamais en exécution, elle
ferait indubitablement naître ces malheureuses diffi-
cultés entre catholiques et protestants qui ont agité
d'autres pays, et dont le Canada a toujours été heu-
reusement exempt, sous le gouvernement bienfaisant
et éclairé de Sa Majesté. Si l'usage jusqu'ici paisible-
ment et heureusement suivi était supposé mal fondé
en loi, cette prétention devrait être la matière d'un ju-
278 COURS d'histoire du canada
gement des cours de justice, et non d'un acte du par-
lement.
Clauses 26, 27 et 28.
La dernière de ces clauses demande seule quelques
observations. La continuation des salaires des offi-
ciers des Lép"islatures, à être pris sans doute sur les
fonds des colonies, prescrite par cette clause, quelque
juste quelle puisse être par rapport à ces officiers, devrait
être laissée à la Législature coloniale. Cela ressemble
à une appropriation, par le parlement impérial, du
revenu prélevé sur le sujet dans les colonies, en oppo-
sition à l'acte déclaratoire de la 18e. Geo. III, confirmé
par la constitution actuelle des Canadas; et c'est parce
que cet acte déclaratoire est considéré comme le palla-
dium de la sûreté des propriétés du sujet dans les colo-
nies, et de tous ses autres droits, que de toutes parts
on a fait entendre des réclamations contre cette clause.
Les objections générales contre ce bill, telles que
nous les avons déduites, peuvent être présentées sous
les ch<^fs suivants, savoir:
lo. La satisfaction avec laquelle chaque province jonit
de la constitution actuelle, satisfaction démontrée par le
défaut de toute plainte publique contre elle, aussi bien
que de tout allégué d'inconvénients qui pourraient en
résulter, avant que l'on apprît dans les colonies la
nouvelle de l'introdi'ction du bill actuel dans le par-
lement.
2o. Le défaut de preuve de l'existence d'aucun in-
convénient grave résultant de la constitution établie.
3o. Le danger qui existe en général de faire des chan-
gements dans une constitution établie, surtout lorsque
la législature est dans l'impossibilité de connaître les
circonstances locales des pays que ces changements
doivent affecter.
4o. La répugnance manifestée par les habitants des
deux provinces.
5o. L'impossibilité d'obtenirlebut de l'établissement
d'une législature locale et subordonnée dans un pays
nouveau et d'une si grande étendue, si différent dans
COURS d'histoire du canada 279
son climat, dans ses besoins, et sous tant d'autres
rapports.
60. Les différences entre les codes de lois, les cou-
tumes et usages locaux, établis depuis longtemps, et
l'opposition des intérêts des deux provinces.
Les clauses statuantes du bill, selon nous, sont sujettes
aux objections suivantes:
lo. Elles ne tendent pas à diminuer les dépenses
dans les colonies, ni à remédier aux abus, ni à rendre
le gouvernement plus simple et plus facile.
2o. Elles mettent en péril ou détruisent les justes
droits qu'ont les sujets de Sa Majesté dans le Bas-
Canada, par la constitution actuelle, de n'être pas
taxés, et de ne pas voir les impôts levés sur eux distri-
bués, sans leur consentement par le moyen de leurs
représentants.
3. Elles attaquent le 'droit, dont ils jouissent sous la
garantie la plus solennelle, de conserver les lois et les
institutions existantes, à moins qu'ils ne consentent à
les altérer par leurs représentans.
4o. Elles imposent des qualifications inutiles aux
personnes qui seront élues à l'avenir pour servir dans
les assemblées, et prolongent la durée des législatures
coloniales au delà du temps fixé maintenant par la loi.
5o. Elles introduisent parmi les représentants du
peuple, sans l'aveu des électeurs, des officiers de l'exé-
cutif, ce qui est sans précédent dans les domaines bri-
tanniques.
60. Elles détruisent un privilège reconnu dans
toutes les assemblées coloniales, sans lequel elles ne
peuvent exister indépendamment des autres autorités.
7o. Elles proscrivent la langue de la grande majo-
rité du peuple dans l'assemblée de ses représentans,
et mettent en question un privilège lié à la religion,
exercé utilement, paisiblement et sans interruption
sous le gouvernement de sa Majesté, pendant plus
d'un demi-siècle.
80. Finalement, elles sanctionnent l'appropriation
de l'impôt levé sur le sujet dans les colonies sans le
consentement de ses représentants.
280 couKS d'histoire du canada
En référant aux débats pendant que ce Bill et celui
du Commerce du Canada étaient en agitation devant
la Chambre des Communes, nous ne trouvons aucuns
motifs allégués pour l'introduction du Bill actuel
après la passation de l'autre, qui contient les arrange-
ments relatifs aux difficultés qui existaient entre les
deux Provinces; et l'existence de la Constitution actuelle
des deux Provinces pendant près de trente ans, sans
qu'il se soit élevé aucune difficulté par rapport au com-
merce ou au revenu, est la meilleure preuve que ces
difficultés n'étaient pas une suite nécessaire de la divi-
sion de l'ancienne Province de Québec. Il n'est ni
nécessaire ni praticable que les habitants de pays
différents, situés près de grandes rivières formant
leur sortie naturelle et commune vers la mer, soient
réunis sous le même gouvernement. L'Europe nous
montre plusieurs pays ainsi situés, même sous desgouver-
nements indépendants, dans lesquels il n'y a jamais eu
de malentendu par rapport au commerce et au revenu.
On voit dans les Etats-Unis un grand nombre de gouver-
nements locaux n'ayant aucune communication à la
mer, si ce n'est à travers d'autres états. S'il étoit in-
dispensable que des pays ainsi situés fussent placés sous
une législature locale unique, les Etats-Unis d'Amé-
rique auraient la meilleure raison possible d'annexer
les Canadas à ces Etats, qui ont maintenant sur les
bords du Saint-Laurent une population plus considé-
rable que celle de toute l'Amérique anglaise. La
Constitution actuelle des Canadas a néanmoins pourvu
à l'arrangement des difficultés qui pourraient s'élever
entre les deux Provinces par rapport au commerce et
au revenu. Les deux Pro^'inces peuvent regretter
peut-être que les plaintes récentes du Haut-Canada
n'aient pas été communiquées à la législature du Bas-
Canada, et que cette Province n'ait pas eu, comme le
Haut-Canada, un commissaire en Angleterre pour
soutenir ses droits, avant qu'on eût décidé sur ces
plaintes. Maintenant la chose est décidée, et la loi
en opération, et nous n'avons pas appris qu'il existât
aucune représentation de la paît des autorités consti-
COURS d'histoire du canada 281
tutionnelles de l'une ou de l'autre Province à ce sujet.
Tout ce qui a rapport au partage du revenu entre les
deux Provinces est maintenant placé entre les mains
de l'Exécutif des Colonies et du Gouvernement de Sa
Majesté en Angleterre, et ce doit être au moins un
sujet de congratulation réciproque pourles habitants
des deux provinces, de voir cela entre les mains de
personnes qui n'ont aucun intérêt à diviser d'une
manière injuste le produit des taxes, et que l'on a mis
de côté de cette manière un moyen puissant d'exciter
des difficultés entre ceux dont l'intérêt le plus cher est
d'être en bonne intelligence.
Nous avons, il est vrai, entendu alléguer dans les
colonies des motifs de changements dans la consti-
tution du Bas-Canada; mais comme ils sont frappés
au coin de l'esprit de parti, des préjugés et même de la
haine contre les habitans de cette province, on ne peut
jamais croire qu'ils aient aucun poids auprès du gouver-
nement britannique. On en a appelé au droit de con-
quête, contre un peuple dont les deux dernières géné-
rations sont nées sujets britanniques; on a supposé
attachés à un peuple et à un gouvernement étrangers
ceux qui, deux fois, ont risqué leurs fortunes et leurs
vies pour conserver l'allégeance qu'ils doivent à la cou-
ronne britannique; ni les calomnies, ni les faussetés
n'ont été épargnées contre des hommes qui ont uni-
formément suivi le sentier de l'honneur et du devoir,
et qui, si les liens qui les unissent à l'empire britannique
étaient malheureusement rompus, ne pourraient man-
quer de sentir que, nés et habitant dans l'Amérique du
nord, ils en suivraient les destinées.
Nous regrettons d'être dans la nécessité de requérir
votre indulgence pour une aussi longue lettre. Nous
avons abordé cette question avec répugnance; mais
l'ayant entrepris, nous devions, pour rencontrer vos
vues, le faire complètement et librement.
Nous Sommes assurés que le gouvernement de sa
Majesté donnera la plus sérieuse attention à un objet
si intimement lié avec les intérêts, le repos, et le bien-
être futur de plus d'un million de sujets anglais, habi-
282 COURS d'histoire du canada
tants des colonies de l'Amérique du nord. II ne nous
appartient pas de peser et discuter les intérêts de ce
grand et glorieux empire. Le Canada a toujours eu
le bonheur d'éprouver par lui-même que l'Angleterre
a constamment mis au rang de ses intérêts les plus
chers le soin de conserver les droits et de faire le bon-
heur de tous les sujets de sa Majesté.
Si le gouvernement de sa Majesté jugeait conve-
nable, à quelque époque plus reculée, de soutenir ce bill,
nous demandons avec respect:
lo. Qu'il soit donné instruction aux gouverneurs des
deux provinces de recommander aux législatures res-
pectives et de sanctionner une loi en vertu de laquelle
on ferait un recensement exact et sous serment de la po-
pulation des cités, villes, villages, townships, paroisses,
comtés, divisions et districts dans chaque province, le-
quel serait transmis en Angleterre avant de procéder
de nouveau sur une semblable mesure.
2o. Que le gouverneur du Bas-Canada reçoive ins-
truction de recommander à la législature et de sanc-
tionner une loi pour nommer un ou plusieurs commis-
saires qui se rendraient en Angleterre pour y être en-
tendus au Soutien de la constitution actuelle de la
province
Nous suggérons qu'il est indispensable aux fins de
la justice de donner de semblables instructions, vu
que des bills pour promouvoir ces objets ont été depuis
plusieurs années constamment opposés par les conseils
provinciaux de la couronne.
Nous avons l'honneur d'être,
Monsieur,
Vos très humbles et obéissants serviteurs,
L.-J. PAPINEAU.
(Signé) JOHN NEILSON.
R. Wilmot, écuyer, M. P.
sous-secrétaire d'état au
département des colonies.
COURS d'histoire du canada 283
II
Rapport du Comité Choisi pour S'enquérir de
l'Etat du Gouvernement civil du Canada. (1)
Votre comité a commencé son investigation sur
l'état du gouvernement civil du Canada, par examiner
les diverses pétitions des habitants des deux provinces,
qui lui avaient été référées par la chambre. La pétition
des Townships de la province inférieure, portant environ
10,000 signatures, se plaint du manque de cours dans
leurs propres limites, et de l'administration des lois
françaises dans les lois françaises. Qu'ils ne sont
pas représentées dans la. Chambre d'Assemblée du
Bas-Canada; et que des émigrés d'extraction anglaise
ont été détournés de s'établir dans la province. Et
finalenient ils demandent une union législative entre
le Haut et le Bas-Canada.
Votre comité ensuite a examiné la pétition signée par
environ 87,000 habitants du Bas-Canada, établis sur
les seigneuries, qui se plaignent de la conduite arbitraire
du gouverneur de la province— de l'appropriation illégale
qu'il a faite de l'argent public — de prorogations et dis-
solutions violentes du parlement provincial — et des obs-
tacles qu'il a mis à la passation de plusieurs actes utiles,
dont ils font l'énumération.
Ils se plaignent aussi de ce qu'un receveur-général
a été maintenu dans l'exercice de ses fonctions, pen-
dant plusieurs années après que son insolvabilité
avait été connu au gouvernement. Qu'il avait existé
de semblables abus à l'égard de la charge du shérif,
et il est de plus avancé que les droits des pétition-
naires ont été injuriés (2) par quelques actes du parle-
(1) — Québec: réimprimé par ordre de la Chambre d'As-
semblée du Bas-Canada, chez Neilson et Cowan, 1828.
(2) Signalons, une fois en passant, la fâcheuse incorrection
de cette traduction. Ici on met "injuriés" pour "lésés".
Nos lecteurs ont dû remarquer que toutes les citations de
284 COURS d'histoire du canada
ment impérial, surtout par l'acte de commerce du
Canada et l'acte passe dans la sixième année du règne
de Sa Majesté, chap. 59, qui affecte la tenuredes terres.
Pour plus amples connaissances des griefs dont on
se plaint, votre comité prend la liberté de renvoyer
aux pétitions qui se trouvent dans l'Appendice.
Avant que votre comité en vienne à expliquer ou
discuter ces sujets importants, il croit devoir dire que
les pétitions du Haut-Canada furent aussi référées à
sa considération. Ces pétitions demandent, que les
produits de la vente de certaines terres, réservées
pour un clergé protestant, ne soient pas appliquées
à l'usage exclusif du clergé de l'église d'Angleterre,
(dont les membres répandus par toute la province
seraient, en contradiction aux représentations de l'ar-
chidiacre Strachan, en bien petit nombre comparati-
vement aux autres églises,) mais qu'ils soient appli-
qués au maintien du clergé protestant d'autres dénomi-
nations, et à l'éducation générale.
Comme ces pétitions paraissent comprendre les
principaux sujets de l'agitation récente des provinces
du Haut et du Bas-Canada, votre comité a cru que
la meilleure marche qu'il avait à suivre était d'examiner
des témoins à l'égard de chaque pétition successivement,
et en communiquant à la chambre les informations
qu'il a recueillies, et les opinions qu'il a été induit à
former, à l'égard du gouvernement civil du Canada,
il traitera les différents sujets, autant que possible,
dans l'ordre qu'il les a examinés.
Votre comité a examiné le système particulier de loi
établi dans le Bas-Canada, et sur lequel la pétition
des Townships a particulièrement porté son attention.
Votre comité est entré dans un examen très détaillé
sur ce sujet, et il en est venu à trouver qu'il existe de-
puis longtemps de l'incertitude sur des points de loi
relatifs à la tenure de la propriété foncière en cette
partie de la province. Il paraît que peu de temps après
textes traduits de l'anglais en français laissent beaucoup à
désirer. Nous avons dû les reproduire tels qu'on les trouve
dans les documents officiels.
COURS d'histoire du canada 285
la cession de la province, le roi d'Angleterre, dans une
proclamation en date du 7 octobre 1763, (qui se trouve
dans l'Appendice), déclara entre autres choses, "que
tous les habitans de la province et tous ceux qui iraient
s'y établir, pouvaient se reposer sur la protection royale
pour la jouissance des avantages des lois d'Angleterre,"
et il annonça qu'il avait donné des ordres pour l'érec-
tion de cours de judicature, avec appel à Sa Majesté
en conseil.
En l'année 1774, fut passé le premier acte du par-
lement, pour pourvoir au meilleur gouvernement de
cette partie des possessions britanniques. Cet acte
conserva la loi criminelle d'Angleterre. Mais il fut
statué, que dans toutes les matières relatives à la pro-
priété et aux droits civils, on recourrait aux lois du
Canada, comme règle de décision à l'égard d'iceux,
et que toutes les causes qui seraient instituées dans
aucune cour de justice à être établie en la province
seraient, à l'égard de la propriété et de ces droits, déter-
minées conformément aux dites lois et coutume du
Canada. II y a cependant une exception à cette
concession des lois françaises, c'est "qu'elles n'auraient
pas d'application aux terres qui avaient été, ou qui
seraient depuis concédées en franc et commun soccage".
Après un intervalle de dix-sept ans, cet acte fut
suivi de l'acte constitutionnel de 1791. Les disposi-
tions de cetacteimportantnetouchentausujetsouscon-
sidération qu'en ce qu'il pourvoit, à l'égard du Bas-
Canada, à ce qu'on concédera des terres en franc et com-
mun soccage, si on le désire. Et de plus, que telles
concessions seraient sujettes aux changements que,
d'après la nature et les conséquences de la tenure
soccagère, pourra faire la législature provinciale, avec
l'approbation et le consentement de Sa Majesté; mais
on n'a fait aucun de ces changements.
Après avoir examiné la manière dont on a appliqué
ces dispositions législatives dans la province, il paraît
qu'il a existé non-seulement des doutes sur la vraie
manière de les interpréter — mais qu'il a été de pratique
générale dans la colonie de transporter la propriété ré-
286 COURS d'histoire du canada
elle dans les townships d'après les formes canadiennes;
et qu'elle a descendu aux héritiers selon cette loi, dont
elle a subi tous les incidents. En 1826, le parlement
britannique passa un acte qui mettait sa propre inter-
prétation de ces statuts hors de dispute. Cet acte,
communément appelé l'acte de tenure du Canada,
déclara que la loi anglaise était la règle par laquelle
on devait ci-après régler et administrer la propriété
réelle dans les townships. En offrant aucunes recom-
mandations sur des points si difficiles et si importants,
votre comité connaît pleinement sa position désavan-
tageuse et l'incapacité où il se trouve, par le manque
d'informations techniques et locales suffisantes, pour
entrer avec succès dans tous les détails cempliqués du
sujet en question. Cela ne l'empêchera pas cependant
d'offrir, comme son opinion, qu'il serait avantageux de
retenir les dispositions déclaratoires des actesde tenures
à l'égard des terres tenues en franc et commun socca-
ge; que les hypothèques soient spéciales et que dans le
mode de transport des terres, on adopte les formalités les
plus simples et les moins dispendieuses, d'après les
principes de la loi d'Angleterre; le mode existant dans
le Haut-Canada, étant probablement sous tous les
rapports, le meilleur qu'on pût choisir; qu'on établisse
comme dans le Haut-Canada, l'enregistrement des
contrats relatifs aux terres soccagères.
Votre comité est de plus d'opinion qu'il faudrait
trouver des moyens pour mettre en opération effective
la clause de l'acte de tenure qui pourvoit au changement
de tenure; et il n'a aucun doute de l'inexpédience de
retenir les droits seigneuriaux de la couronne, dans la
vue d'en retirer du profit. Ce serait un petit sacri-
fice de la part de la couronne, et qui ne pourrait souf-
frir comparaison avec l'avantage qui résulterait à la
colonie d'une pareille concession.
En addition à ce qui précède, il paraît à désirer
d'étal)lir une juridiction compétente pour entendre
et décider les causes qui s'élèveront sur cette espèce
de propriété; et de former dans les townships des cours
de circuit pour les mêmes objets.
COURS d'histoire du CANADA 287
Le comité ne peut trop fortement exprimer l'opinion
où il est que les Canadiens d'extraction française ne
soient, le moins du monde, troublé dans la jouissance
paisible de leur religion, de leurs lois et privilèges, tels
qu'ils sont garantis par les actes du parlement britan-
nique, et bien loin d'exiger d'eux qu'ils tiennent leurs
terres d'après la tenure anglaise, il est d'avis que lorsque
les terres en seigneurerie seront occupées, si les des-
cendants des premiers colons préfèrent encore la tenure
en fief et seigneurie, il ne voit aucune objection à ce .
qu'on leur accorde, en cette dernière tenure, d'autres
portions de terres inhabitées dans la province, pourvu
que ces terres soient séparées des townships, et n'y
soient pas enclavées.
Votre comité désire en venir maintenant au système
représentatif du Bas-Canada, et à l'égard de cette bran-
che de son enquête, tous les partis semblent convenir
de la nécessité de quelques changements. Il désire
faire ressouvenir cette chambre que par les dispositions
de l'acte de 1791, la division de la province pour faciliter
l'exercise de la franchise élective fut laissée au gouver-
neur; et il paraît que sir A. Clarke régla la représenta-
tion sur la population, comme la seule base de ses
calculs, et forma un comté de toute portion de terre
qui offrait un nombre donné d'habitants. Sur le lit-
toral du Saint-Laurent chargé d'une population dense,
une petite étendue de terrain suffisait pour un comté,
tandis que dans les parties plus éloignées il fallait
une vaste étendue de territoire, pour obtenir la popu-
lation requise. De cette manière il est arrivé que
les comtés de Kent, Surre\^, Montréal, Leinster et War-
wick, ne forment pas réunis la même étendue de ter-
rain que le seul comté de Buckinghamshire. De plus
le petits comtés consistent entièrement en terres tenues
en seigneurie.
L'assemblée avait passé un bill, dont l'objet était
d'augmenter en nombre l'assemblée représentative. —
Ce bill ne fut pas passé en loi, et il paraît avoir été
basé sur le même principe, et renfermait la même
erreur que l'arrangement originaire de sir Alured
19
288 COURS d'histoire du canada
Clarkc. Il a été déposé par un des témoins que la
division proposée aurait donné une augmentation
disproportionnée aux représentans des seigneuries.
En formant un système représentatif pour les habi-
tants d'un pays, qui embrasse graduellement dans ses
limites des territoires nouvellement habités et étendus,
11 doit nécessairement résulter de grandes imperfec-
tions, si l'on prend d'abord la population comme base
unique. Dans le Haut-Canada on a élevé un système
représentatif sur les bases combinées du territoire et
de la population — nous pensons qu'on pourrait adopter
ce principe avec avantage dans le Bas-Canada.
Un des obstacles qu'on donne pour arrêter grande-
ment l'avancement du pays, c'est la pratique qui a
prévalu de concéder de grandes étendues de terre à
des individus qui tenaient des situations ofFicielIes
dans la colonie, et qui se sont soustraits aux conditions
de l'octroi, qui les obligeaient de pourvoir à la culture
des terres; conditions jusqu'à présent tout-à-fait négli-
gées, malgré le pouvoir de confiscation en ce cas dont
a été récemment revêtu le gouvernement; et tout en
croyant qu'on pourrait, avec certaines modifications,
faire un usage avantageux de ce pouvoir, nous sommes
néanmoins d'avis qu'on devrait adopter un système
semblable à celui qu'on suit dans le Haut-Canada, et qui
consiste à prélever annuellement un droit léger sur
toutes les terres non améliorées ni habitées, en contra-
vention aux conditions de l'octroi.
Il est maintenant du devoir de votre comité d'en
venir aux pétitions signées par les habitans des sei-
gneuries, et aux objets Importans qu'elles renferment.
Il a cru à propos d'entendre M. Nellson, M. Vlger et
M. Cuvillier, membres de l'assemblée du Bas-Canada,
qui avalent été envoyés en ce pays pour chercher le
remède aux maux dont se plaignaient les pétition-
naires.
Par le témoignages de ces Messieurs, nous avons
appris avec le plus profond regret que les disputes
qui s'étaient élevées entre le gouvernement et la
chambre d'assemblée, originant, à ce qu'il parait,
COURS d'histoire du canada 289
de doutes sur le droit d'appropriation et la reddition
des comptes d'une portion considérable des revenus
publics, ont conduit l'administration des affaires pu-
bl ques en cette colonie à un état de confusion et de
dilFiculté qui demande un remède prompt et décisif.
Dans la vue de se mettre complètement au fait des
points de cette dispute, votre comité a soigneusement
examiné les différentes sources du revenu prélevé
dans le Bas-Canada, et il a examiné aussi les documents
publics, ce qui l'a mis en état de découvrir les procédés
successifs adoptés par les parties contendantes dans
le cours de ces disputes. Votre comité prend la liberté
de référer aux témoignages de M. Neilson et de M.
Wilmot Horton, pour l'état détaillé de l'origine et
des progrès de ces difficultés.
Sur cet important sujet, votre comité a senti qu'il
ne serait pas sage de borner sa vue à l'examen critique
du sens précis que comportent les paroles des différents
statuts- — il jette plutôt les yeux sur les circonstances où
se trouve le Bas-Canada— sur l'esprit de la constitu-
tion— sur la position et la nature du gouvernement
local — et sur les pouvoirs, les privilèges et les devoirs
des deux branches de la législature.
Bien que d'après l'opinion donnée par les officiers
de la couronne, votre comité doive conclure que le
droit légal d'approprier les revenus provenant de l'acte
1774 appartient à la couronne, il est préparé à dire
que les vrais intérêts des provinces seraient mieux con-
sultés, en plaçant la recette et la dépense de tout le
revenu public sous la surveillance et le contrôle de la
chambre.
D'un autre côté, tout en recommandant cette con-
cession de la part de la couronne, votre comité est for-
tement convaincu de l'avantage de rendre le gouver-
neur, les membres du conseil exécutif et les juges,
indépendants des votes annuels de la chambre d'as-
semblée, pour leurs salaires respectifs.
Votre comité n'ignore pas les objections qu'on peut
raisonnablement faire, en principe, contre la pratique
de voter des salaires permanents à des juges amovibles
2t)0 COURS D HISTOIRE DU CANADA
au bon plaisir de la couronne; mais convaincu qu'il
serait inexpédient que la couronne fut dépouillée de
ce pouvoir de destitution, et ayant bien considéré
l'inconvénient public qui pourrait résulter de les
laisser dans la dépendance d'un vote annuel de l'assem-
blée, il s'est décidé à recommander en leur faveur un
vote permanent.
Quoique votre comité connaisse qu'on ait recomman-
dé l'octroi de salaires permanents à un nombre de per-
sonnes, liées au gouvernement exécutif, plus considé-
rable que celuiqu'il a renfermé dans sa recommandation,
il n'hésite pas d'avancer qu'il n'est pas nécessaire
d'en comprendre un si grand nombre, et si les officiers
ci-dessus énumérés sont placés sur le pied recomman-
dé, il est d'opinion que tous les revenus de la province,
(les revenus territoriaux et héréditaires exceptés,)
soient mis sous le contrôle et à la disposition de l'As-
semblée législative.
Votre comité ne peut terminer ses observations sur
cette branche de son enquête, sans appeler l'atten-
tion de la chambre à la circonstance importante que,
dans le progrès de ces disputes, le gouvernement local
a cru nécessaire, pendant un bon nombre d'années,
d'avoir recours à une mesure que la plus absolue né-
cessité pouvait seule justifier, savoir l'appropriation
annuelle, faite de son autorité privée, de sommes con-
sidérables de deniers de la province se montant à une
somme de pas moins de £140,000 sans le consente-
ment des représentans du peuple, sous le contrôle
desquels la constitution a placé l'appropriation de
cet argent.
Votre comité ne peut s'empêcher de regretter for-
tement, que, dans une colonie anglaise, on ait laissé
subsister un tel état de choses, pendant un si grand
nombre d'années, sans faire au parlement aucune
communication à ce sujet.
Votre comité a entendu des témoins sur tous les
différents points des objets de sa référence, et relatifs
à l'office du receveur général, des shérifs, et aux biens
des jésuites. Les faits de l'affaire du receveur général
COURS d'histoire du canada 291
M. Caldwell, sont détaillés dans le témoignage de M.
Neilson.— M. Caldwell a failli en 1823 pour £96,000
de l'argent public de la province. — D'après notre exa-
men des comptes de l'assemblée, on n'a pu trouver de
décharge du trésor plus récente que 1814 — quoiqu'il
soit établi quelques balances jusqu'en 1819, et il
appert par des documents alors produits que son
insolvabilité avait été connu longtemps avant sa
suspension.
Votre comité recommande pour l'avenir de prendre
des mesures, par des cautionnemens suffisants et une
audition régulière des comptes, pour prévenir le retour
de semblables pertes et difficultés en la province.
A cause de la liaison de cet objet avec cette branche
de l'enquête, votre comité recommande de prendre
les mêmes précautions à l'égard des shérifs, vu qu'il
paraît qu'en peu d'années il y a eu deux exemples de
l'insolvabilité de ces officiers, pendant qu'en vertu de
leur charge ils avaient en main des sommes d'argent
considérables.
A l'égard des biens appartenant ci-devant aux
jésuites votre comité regrette de n'avoir pas plus de
renseignements, mais il parait à désirer que les reve-
nus en soient appliquées à l'éducation générale.
L'un des plus importans sujets de son enquête a été
l'état des conseils législatifs des deux Canadas, et la
manière dont ces corps ont répondu aux fins de leur
institution. Votre comité recommande fortement de
donner à ces corps un caractère plus indépendant;
que la majorité de leurs membres ne soit pas composée
de personnes en places sous le bon plaisir de l'exécutif;
et il est d'avis que toutes autres mesures, qui tendront
à lier d'intérêt avec les colonies cette branche de la
constitution, seront suivies des plus heureux résultats.
— Quant aux juges, à en excepter le juge en chef seul,
dont la présence peut être nécessaire en certaines
occasions, votre comité est décidément d'opinion qu'il
leur aurait mieux valu de ne s'être pas immiscés dans
les affaires de la chambre. Sous les mêmes rapports,
292 COURS d'histoire du canada
il parait à votre comité qu'il n'est pas à désirer que
les juges siègent dans le conseil executif.
Votre comité désire graver dans la mémoire le prin-
cipe qui, selon son avis, doit être appliqué à tous les
changemens à faire dans la constitution des Canadas,
qui leur a été accordée par un acte formel de la légis-
lature de 1791. Ce principe est de Jîorner, autant que
possible, les altérations qu'il serait désirable de faire par
aucun acte britannique subséquemment, aux points
qui, d'après les relations qui existent entre la Mère-
Patrie et les Canadas, ne peuvent être ajustés que par
l'autorité souveraine de la législature britannique;
et il est d'opinion que tous les autres changements
soient opérés, s'il est possible, par les législatures
locales elles-mêmes, et en s'entendant amicalement avec
le gouvernement local.
Votre comité a entendu sur la grande question de
l'union des deux Canadas une longue suite de témoi-
gnages, auxquels il désire appeler l'attention de la cham-
bre. Vu la disposition générale des esprits qui paraît
prévaloir dans ces colonies à l'égard de cette question
inportante, votre comité, sous les circonstances pré-
sentes, n'est pas préparé à recommander cette mesure.
Votre comité croit néanmoins à désirer qu'il soit
fait entre les deux Canadas quelque arrangement satis-
faisant, et s'il est possible d'une nature permanente,
a l'égard de l'imposition et du partage des droits pré-
levés dans le Saint-Laurent. II espère cependant
que lorsque sera apaisée l'irritation qui existe mal-
heureusement, un pareil arrangement pourra se faire
à l'amiable.
II nous reste maintenant à mettre devant la chambre
le résultat de nos recherches sur les réserves du clergé,
qui paraissaient être, d'après les allégués des pétition-
naires du Haut-Canada, la cause de beaucoup d'anxiété
et de mécontentement en cette province.
Par l'acte de 1791, le gouverneur reçoit ordre de faire
d'entre les terres de la couronne dans les dites provinces,
l'assignation et appropriation de terres pour supporter
et maintenir un clergé protestant en icelles, en propor-
COURS d'histoire du canada 293
tion convenable avec la quantité de terre en icelles,
qui en aucun temps ont été concédées par ou sous
l'autorité de Sa Majesté. Et il est de plus pourv'u.
que telles terres ainsi assignées et appropriées seront,
autant que la circonstance et la nature du cas pourront
le permettre, de la même qualité que les terres à l'égard
desquelles elles sont ainsi assignées et appropriées, et
seront, autantque les dites terres pourront être estimées,
lors de la concession de telles terres, égales en valeur à
un septième des terres ainsi concédées.
Les instructions ainsi données ont été strictement
mises à effet de bonne heure, et le résultat en est que
les proportions séparées de terre ainsi réservées sont
éparses sur toutes les parties déjà concédées.
Les auteurs de cet acte espéraient sans doute que,
les autres parties de termes concédées étant cultivées et
en train d'amélioration, les parties réservées produi-
raient un revenu, et que des profits ainsi réalisés on
pourrait former un fonds considérable pour le main-
tien d'un clergé protestant. Cette attente cependant
n'a pas encore été ni ne paraît pas devoir être réalisée de
sitôt; car à en juger par les renseignements que le co-
mité a pu se procurer sur le sujet, il ne doute nullement
que ces terres réservées, dispersées telles qu'elles sont
maintenant sur la face du pays, retardent plus que toute
autre circonstance l'avancement de la colonie, situées
comme elles sont en positions séparées en chaque town-
ship, et placées entre les habitations actuelles dont les
habitans n'ont aucun moyen d'ouvrir des chemins à
travers les bois et les marais, qui les séparent de cette
manière de leurs voisins; la réserve de ces portions de
terres désertes a dans le fait beaucoup plus diminué
la valeur des six parties concédées à ces colons, que
l'amélioration des terres défrichées n'a augmenté la
valeur des réserves; cela devient frappant par les résul-
tats des tentatives qu'on a faites pour disposer de ces
terres. II s'est formé dans la province une corporation
composée du clergé de l'église d'Angleterre, qui a été
autorisée à concéder ces terres pour un terme n'excé-
dant pas 21 ans. Il parait que, dans la province
294 COURS d'histoire du canada
inférieure seulement, la qualité totale des réserves
du clergé est de 488,594 acres, dont 75,639 acres sont
concédés à bail, dont les conditions sont qu'on payera
annuellement pour chaque lot de 200 acres, 8 minots
de blé ou 25s., pour les 7 premières années, 16 minots ou
50s., annuellement pendant les 7 années suivantes,
et 24 minots ou 75s., annuellement pendant les 7 der-
nières années. Sous ces circonstances, la rente nomi-
nale des réserves du clergé est de £930 par an; la re-
cette actuelle des trois années n'a été que de £50 par
an. La grande différence qui se trouve entre la re-
cette nominale et réelle vient de la grande difficulté
qu'il y à a recueillir les rentes, et aux tenanciers qui se
cachent. Nous sommes aussi informés que les ecclé-
siastiques résidents agissent comme agents locaux pour
la levée des rentes; qu'une somme de £175 avait été
déduite pour les dépenses de la levée des rentes; et
qu'à la date de la dernière communication à ce sujet
il restait £250 entre les mains du receveur-général^ — ■
étant le produit entier de tout le revenu de 488,594
acres de terre.
On a fait la tentative de disposer de ces biens par
vente. La compagnie du Canada établie par la 6,
Geo. IV, chap. 75, était convenue d'acheter une grande
partie de ces réserves à un prix à être fixé par des com-
missaires; 3s. 6d. l'acre fut le prix de l'estimation, et
à ce prix l'église refusa de disposer de ces terres.
C'est pourquoi le gouvernement est entré en arran-
gement avec la compagnie, et il a été depuis passé un
acte autorisant la vente de ces terres à aucune per-
sonne qui désirerait en acheter, pourvu que la quantité
vendue n'excède pas 100,000 acres chaque année.
Votre comité ne doute nullement que la réserve de
ces terres en main-morte ne soit un obstacle sérieux à
l'avancement de la colonie; il pense qu'on devrait faire
tous les efforts possibles pour les mettre entre les mains
des personnes qui y rempliront les obligations du défri-
cliement, et qui les mettront généralement en culture.
Il ne peut y avoir de doute que la valeur, quelle qu'elle
soit, doit être appliquée au maintien d'un clergé pro-
1
COURS d'histoire du canada 295
testant. Et votre comité regrette de voir que pour la
présente génération et même pour celle qui suit, il n'y
ait pas lieu d'espérer que les produits en suffiront pour
cet objet, dans un pays où la terre inculte est concédée
en Jee pour presque rien, aux personnes qui désirent
s'y établir — on doit espérer difficilement, à l'exception
de quelques lots avantageux, de trouver des tenanciers
responsables qui voudront les prendre à bail et qu'on
trouvera à vendre ces terres pour plus qu'un prix no-
minal.
Votre comité cependant voit avec plaisir que le
principe de la vente progressive de ces terres a été
sanctionné par un acte du parlement impérial. II
ne peut s'empêcher de recommander dans les termes
les plus forts, la convenance et l'utilité de pourvoir par
la suite aux besoins nécessaires de la religion en ces
provinces, par d'autres moyens que par la réserve
d'un septième des terres, selon les dispositions de
l'acte de 1791. II observera aussi que les mêmes objec-
tions s'élèvent contre la réserve du septième qui en
pratique paraît avoir été réservé pour l'avantage de la
couronne, et sans doute il doit arriver un teinps où
ces terres réservées auront acquis une valeur considé-
rable, par la culture des terres environnantes — mais
cette valeur aura été acquise aux dépens des vrais in-
térêts de la province, et contribuera à retarder le cours
de l'amélioration générale, qui est la vraie source de la
prospérité nationale. Votre comité est donc d'opinion
que le gouvernement ferait bien de considérer si ces
terres ne pourraient pas être aliénées permanement,
sujettes à la réserve d'une rente modérée, (soit en grain
ou en argent, selon qu'on le demanderait), qui com-
mencerait après la 10e ou 15e année d'occupation.
II n'est pas préparé à autre chose qu'à offrir cette
suggestion, sur un sujet qui lui paraît digne d'une
investigation plus soigneuse qu'il n'est en son pouvoir
de donner; mais de cette manière ou d'une autre, il est
pleinement persuadé qu'on doit disposer sans délai et
permanemment des terres ainsi réservées.'
II paraît qu'il y a de nombreux prétendants à une
290 COURS d'histoire du canada
propriété si vaste et si improductive. L'acte de 1791
ordonne que les profits provenant de cette source, seront
appliqués au soutien d'un clergé protestant, et il s'est
élevé des doutes pour savoir si l'acte commande au
gouvernement de les appliquer exclusivement à l'usage
de l'église d'Angleterre seule, ou d'y faire participer
l'église d'Ecosse. Les officiers en loi de la couronne
ont donné leur opinion en faveur des droits de l'église
d'Ecosse à une telle participation, ce à quoi votre
comité concourt entièrement ; mais il s'est aussi élevé
la question de savoir si le clergé de toutes les dénomina-
tions de chrétiens, les catholiques exceptés, ne pourrait
pas être compris.
II n'appartient pas à votre comité d'émettre une
opinion sur l'exactitude que comportent légalement
les paroles de l'acte. Il ne doute pas cependant que
l'intention de ceux qui amenèrent la mesure devant le
parlement, ne fut de doter le clergé de l'église d'Angle-
terre de presbytères et de glèbes y attachées, à la dis-
crétion du gouvernement local; mais à l'égard de la
distribution du produit des terres réservées généra-
lement, il est d'opinion de laisser au gouvernement le
droit d'appliquer l'argent au profit d'aucun clergé
protestant, s'il le trouve à propos.
Le comité n'a pas grande raison d'espérer que le
revenuannuel k provenirdecettesource puisse vraisem-
blablement, à aucune époque à laquelle il jette les yeux,
suffire à supporter un clergé protestant dans ces pro-
vinces. Mais il se hasarde de presser la considération
du sujet de la part du gouvernement de Sa Majesté,
dans la vue defixerd'une manière satisfaisante pour la
province le principe d'après lequel le revenu de ces
terres doit être appliqué; et dans l'application juste
et prudente de ces fonds, le gouvernement sera néces-
sairement influencé par l'état de la population, sous
le rapport des opinions religieuses, au temps où la
décision aura lieu. Pour le présent, il est certain que
les membres de l'église d'Angleterre forment une bien
petite minorité dans la province du Haut-Canada. De
la part de l'église d'Ecosse, il a été fait de fortes récla-
COURS d'histoire du canada 297
mations à cause de son établissement dans l'empire, et
vu le nombre de ses adhérents dans la province. A l'é-
gard des autres sectes religieuses, le comité a rencontré
beaucoup de difficulté à s'assurer exactement de la
proportion numérique qu'elles ont les unes avec les autres ;
mais les témoignages le portent à croire que ni l'église
d'Angleterre, ni l'église d'Ecosse ne forment le corps
religieux le plus nombreux dans la province du Haut-
Canada.
L'attention du comité ayant été appelée sur l'éta-
blissement de l'université de Kiyig's Collège à York,
clans le Haut-Canada, il a cru devoir examiner la charte
accordée à ce collège. Cette charte fut accordée sous
le'grand sceau, et il est à observer qu'elle n'impose pas
aux étudiants l'obligation de souscrire aux 39 articles,
ce qui a été fait à l'égard des autres collèges de l'Amé-
rique Septentrionale. Votre comité voit qu'il y
est pour^'u, entre autres arrangements pour la condvite
et le gouvernement de cette institution, que l'archi-
diacre de York, pour le temps d'alors, sera en tout
temps, en vertu de son office, président du dit collège.
II est de plus ordonné, qu'il y aura dans le dit col-
lège ou corporation un conseil, qui sera appelé et
connu sous le nom de conseil du collège, composé du
chancelier, du président et de sept professeurs en
arts et facultés dans le dit collège, et que les dits tels
professeurs seront membres de l'église d'Angleterre et
d'Irlande, et avant leur admission, souscriront aux
39 articles de la religion. Toute la conduite du col-
lège est confiée à ce conseil. Votre Comité est le
plus fortement persuadé de l'avantage qui résulte-
rait à la province de l'établissement d'un collège des-
tiné à l'éducation générale; il regrette seulement que
cette institution soit constituée de manière à borner
considérablement le cercle de son utilité.
Votre comité pense qu'il n'est pas à douter que
la conduite et le gouvernement du collège devant être
confiés à des membres de l'église d'Angleterre, on ne
montre inévitablement de la prédilection pour les mem-
bres de cette église dans le choix des professeurs; et
298 COURS d'histoire du canada
dans un pays où une partie seulement des hal)itans
adhèrent à cette église, cela créera nécessairement
des jalousies et des soupçons d'intervention reli-
gieuse.
Pour ces raisons et d'autres encore, votre comité
désire émettre l'opinion où il est qu'il résulterait un
grand bien à la province d'un changement dans la
constitution de ce corps.
Il pense qu'on devrait nommer deux professeurs
de théologie, dont l'un de l'église d'Angleterre et
l'autre de celle d'Ecosse — (aux leçons de qui ceux
qui se destineraient aux ordres sacrés seraient obligés
d'assister respectivement) — mais qu'à l'égard du
président, des professeurs, et des autres personnes
liées à l'établissement, on ne devrait requérir aucune
profession de foi quelconque.
Que dans le choix des professeurs on ne devrait
suivre d'autre règle, n'avoir d'autre objet en vue,
que de nommer les personnes les plus éclairées, et
les plus sages, et qu'à l'égard de la religion ils signe-
raient une déclaration, qu'en autant qu'il serait né-
cessaire dans le cours de leurs leçons de toucher à des
sujets religieux, ils reconnaîtraient distinctement la
vérité de la révélation chrétienne, mais qu'ils s'abs-
tiendraient d'inculquer aucunes doctrines particu-
lières.
Quoique votre comité ait disposé maintenant des
objets les plus importants de sa référence, il sait
qu'en examinant les pétitions et les témoignages, on
rencontrera beaucoup d'autres matières dignes de
considération.
Le comité croit aussi nécessaire d'observer que les
renseignements du Haut-Canada n'ont pas été aussi
amples ni aussi satisfaisants que ceux qu'il a eu l'a-
vantage de recevoir du Bas-Canada. — Votre comité
cependant désire fixer l'attention du gouvernement
sur l'acte de sédition, (s'il n'est pas encore expiré,)
dont le rappel paraît avoir été depuis longtemps
l'objet des efforts de la Chambre d'Assemblée du
Haut-Canada.
COURS d'histoire du canada 299
Votre comité désire aussi appeler l'attention du
gouvernement sur le mode dont les jurys sont compo-
sés dans les Canadas, dans la vue de remédier aux
défectuosités qui peuvent exister dans le système ac-
tuel.
Votre comité regrette que l'époque avancée de la
session où il a été nommé ne lui ait pas permis d'en-
trer dans les détails de toutes les parties des sujets
qui lui ont été référés. Il croit aussi que si les Assem-
blées législatives et le gouvernement exécutif du
Canada peuvent être mis sur un meilleur pied, on
trouvera dans la province un moyen de remédier aux
moindres griefs. Néanmoins il est disposé à recomman-
der d'accorder la demande du Bas-Canada pour la
nomination d'un agent, de la même manière que sont
nommés les agents des autres colonies, qui ont des
législatures locales ;*et que le même avantage soit
étendu au Haut-Canada, si la colonie le désire.
Dès le commencement de son investigation votre
comité a vu que son attention devait être dirigée
sur deux branches distinctes d'enquête: lo Jusqu'à
quel degré les difficultés et les mécontentements qui
existent depuis longtemps dans les Canadas, sont dus
aux imperfections du système de lois et de constitu-
tions établies en ces colonies; 2o jusqu'à quel degré
ces maux devaient-ils être attribués à la manière
dont le système existant était administré.
Votre comité a clairement émis l'opinion où il était
qu'il y avait dans ce système des défectuosités sérieuses
et a hasardé de suggérer plusieurs altérations, qui lui
ont paru nécessaires ou convenables. Il admet aussi
pleinement, que d'après ces circonstances et beau-
coup d'autres le gouvernement de ces colonies, sur-
tout le Bas-Canada, n'a pas été une tâche aisée;
mais il sent qu'il est de son devoir de dire qu'il est
d'avis que c'est à la seconde des causes ci-haut men-
tionnées, que sont dues en grande partie ces difficul-
tés et ces mécontentements. Il désire faire bien res-
souvenir qu'il est complètement convaincu que ni les
suggestions qu'il a pris sur lui de faire, ni aucune autre
300 COURS d'histoire du canada
amélioration dans les lois et les constitutions des Ca-
nadas ne seront suivies de l'effet désiré, à moins
qu'on ne suive envers ces colonies loyales et impor-
tantes un système de gouvernement impérial, conci-
liatoire et constitutionnel.
Votre comité avait clos son enquête et reconsi-
dérait son rapport, lorsqu'il est devenu de son devoir
d'entrer dans une nouvelle enquête à l'égard d'une
pétition à lui référée par la chambre, et signée par les
agents, qui avaient apporté en ce pays la pétition de
87,000 habltans du Bas-Canada, dont il a été fait
mention dans une partie précédente du rapport.
Cette pétition et la preuve dont elle est accompagnée
contiennent les allégations les plus graves contre
l'administration de lord Dalhousie, depuis le temps
que ces Messieurs sont partis de la colonie.
Ces plaintes tombent principalement sur la desti-
tution d'un grand nombre d'officiers de milice, à
cause de l'exercice constitutionnel de leurs droits
civils — sur la réorganisation subite et étendue de la
commission de la paix pour servir (comme il est allé-
gué) à des fins politiques; sur le système vexatoire de
libelle, à l'instance du procureur-général — et sur l'es-
prit oppressif et inconstitutionnel avec lequel ces
poursuites ont été conduites.
Votre comité a senti jusqu'ici qu'il s'acquitterait
mieux et plus avantageusement de ses devoirs, en
s'abstenant de commenter sur la conduite officielle
des individus; mais il ne peut s'empêcher d'appeler
l'attention sérieuse et immédiate du gouvernement de
Sa Majesté à ces plaintes et ces allégués.
Votre comité croit devoir insister et de la manière
la plus pressante auprès du gouvernement de Sa Ma-
jesté, sur la nécessité qu'il voit de faire une enquête
stricte et prompte sur toutes les circonstances qui ont
accompagné ces poursuites, dans la vue de donner à
cet égard des instructions conforme à la justice et à
la saine politique.
COURS d'histoire du canada 301
Votre comité apprend avec le plus vif regret qu'il
s'est récemment élevé dans le Haut-Canada, entre
le gouvernement local et l'assemblée législative, des
disputes qui ont amené une clôture brusque de la
session de la législature en cette colonie.
III
DÉPÊCHE DE LORD GoDERICH EN DATE DU 7 JUILLET
1831, SUR LES Griefs de la Chambre
d'Assemblée du Bas-Canada. (1)
Downing Street, 7 juillet 1831.
MlLORD,
J'ai reçu et mis devant le Roi les dépêches de votre
Seigneurie du 5, 6 et 7 avril dernier. Nos 24, 25 et 26.
C'est avec une vive satisfaction que Sa Majesté a
reçu de votre Seigneurie l'assurance du changement
favorable qui s'était opéré dans la disposition géné-
rale de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada vers
la fin de la dernière session, et le rapport que vous
faites du vif attachement que le peuple entier a pour
la personne et le gouvernement de Sa Majesté.
Il a aussi gracieusement plu au Roi d'exprimer son
approbation des efforts que Votre Seigneurie a faits
pour constater avec précision toute l'étendue des griefs
dont l'Assemblée croit avoir droit de se plaindre; et
supposant, de concert avec votre Seigneurie, que l'a-
dresse de l'Assemblée présente l'entier développe-
ment de ces griefs, l'exposé qu'on y trouve des vues
de ce corps permet de faire l'induction satisfaisante
(1) — Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,
1831-32. pp. 20 et suivantes.
302 COURS d'histoire du canada
qu'il reste à peine une seule question sur laquelle les
désirs de cette branche de la Législature ne soient
pas en harmonie avec la politique que Sa Majesté a
été avisée de suivre, et cela me donne la flatteuse
espérance de l'ajustement prompt et eflicace de ces
difficultés qui ont si fort embarrassé les ODcrations
du gouvernement local.
Rien ne peut être plus agréable au Roi que de se
rendre aux désirs raisonnables du corps représenta-
tif du Bas-Canada, et lorsque les serviteurs de Sa
Majesté ont la satisfaction de sentir que, sur quelques-
uns des points les plus importants mentionnés dans
l'adresse de l'Assemblée, ses désirs ont été antici-
pés, ils se flattent que les instructions que je vais
maintenant vous donner feront éclater encore da-
vantage le désir ardent qu'ils ont d'allier à l'exercice
convenable et légitime de l'autorité constitutionnel-
le de la couronne, une vive sollicitude pour le bien-
être de toutes les classes de ses fidèles sujets en cette
province.
Je vais procéder à passer en revue les divers points
contenus dans l'adresse de l'Assemblée au Roi.
J'observerai l'ordre qu'elle a suivi, et pour être
plus clair, je ferai précéder chaque instruction suc-
cessive que j'ai ordre de Sa Majesté de donner à vo-
tre Seigneurie, d'une citation de l'exposé que la
Chambre d'Assemblée elle-même a fait sur chaque
point.
Premièrement. — On représente que les progrès de
l'éducation parmi le peuple, à la faveur de l'encou-
ragement accordé par des actes récents de la Lé-
gislature, ont été grandement retardés par la diver-
sion des Biens des Jésuites destinés dans l'origine
à cette fin.
Le gouvernement de Sa Majesté ne nie pas que
les Biens des Jésuites n'aient été, à la dissolution de
cet ordre, appropriés à l'éducation du peuple, et j'ad-
mets volontiers que les revenus qui peuvent provenir
de ces biens doivent être regardés comme inviolable-
ment et exclusivement applicables à cet objet.
I
COURS d'histoire du canada 303
II est à regretter sans doute qu'aucune partie de
ces fonds ait jamais été appliquée à d'autres fins, et
quoique précédemment les prédécesseurs de votre
Seigneurie aient eu à lutter contre des difficultés
qui furent la cause et l'excuse de ce mode d'appro-
priation, je ne me sens pas maintenant appelé à en-
trer dans la considération de cette partie du sujet.
Si cependant je puis me fier aux rapports qui ont
été faits à ce départenent, les loyers des Biens des Jé-
suites ont été, ces années dernières, dévoués exclusi-
vement aux fins de l'éducation, et ma dépêche en
date du 24 décembre dernier, marquée "separate",
indique suffisamment que les ministres de Sa Majesté
avaient résolu d'adhérer strictement à ce principe
plusieurs mois avant l'adoption de la présente adresse.
La seule question pratique qu'il reste à considérer
est de savoir si l'appropriation de ces fonds pour les
fins de l'éducation tombera aux mains de Sa Ma-
jesté ou entre celles de la Législature Provinciale.
Le Roi confie ce devoir, de bon cœur et sans réserve,
à la législature, dans la pleine persuasion que parmi
les différents plans qui pourront lui être présentés
à cette fin, elle fera le choix qui permettra d'avancer
avec le plus d'efficacité les intérêts de la Rehgion
et des saines connaissances parmi ses sujets; et je
ne puis douter que l'Assemblée ne voie la justice
de continuer à maintenir sous la nouvelle distri-
bution de ces fonds les établissements d'éducation
auxquels ils sont maintenant appliqués
Je vois que certains bâtiments faisant partie des
Biens des Jésuites, qui autrefois servaient de collè-
ge, ont été depuis employés constamment comme
casernes pour loger les troupes du Roi. Il y aurait
évidemment de grands inconvénients à essayer d'opérer
un changement immédiat à cet égard, et je suis con-
vaincu que l'Assemblée verrait elle-même avec chagrin
une mesure qui pourrait diminuer l'aise ou mettre en
danger la santé des troupes du Roi. Si cependant
l'Assemblée était disposée à procurer des casernes suffi-
santes de manière à assurer d'une manière permanente
20
304 COURS d'histoire dit canada
ces objets importants, Sa Majesté est préparée (sur
l'accomplissement d'un tel arrangement à la satisfaction
de votre Seigneurie) à consentira ce que les bâtiments
en question soient affectés à la même destination que
celles h laquelle les fonds généraux des Biens des Jé-
suites sont sur le point d'être rendus.
Je craindrais qu'on n'eût conçu des idées mal fon-
dées sur la valeur et les revenus des Biens des Jé-
suites. Dans ce cas, comme dans la plupart des
autres, le secret pourrait avoir donné lieu à l'exagé-
ration comme une conséquence naturelle. Si la
demande qu'a faite l'assemblée d'un compte des re-
venus de ces biens eût été accordée, cela aurait pro-
bablement remédié à beaucoup de méprise. Le
chagrin que j'ai de l'effet de votre décision à refuser
ces comptes ne m'empêche pas cependant de sentir
la convenance et le poids apparent des motifs qui
ont guidé votre jugement; désavouant cependant
tout désir de secret, j'ai à donner instruction à Votre
Seigneurie de mettre ces comptes devant l'Assem-
blée de la manière la plus détaillée, au commence-
ment de sa prochaine session, et de fournir à la Cham-
bre toutes les informations et explications qu'elle
pourra demander à ce sujet.
Comme il parait qu'on a recouvré la somme de
£7154. 15. 43^ sur les biens de feu M. Cakhvell, à
raison des réclamations de la couronne contre lui
concernant les Biens des Jésuites, Votre Seigneurie
fera mettre cette somme à la disposition de la Légis-
lature pour les fins générales. La somme de £1280.
3. 4, qui a aussi été recouvrée à raison des mêmes
biens devra aussi être mise à la disposition de la Lé-
gislature, mais, d'après les principes qui viennent
d'être posés, elle devra être regardée comme étant
exclusivement applicable aux fins de l'éducation.
Secondement. La Chambre d'Assemblée repré-
sente que les propres de l'éducation ont été arrêtés
par le refus des octrois de terre promis pour les écoles
en l'année 1801.
En consultant le discours prononcé cette année
COURS d'histoire du canada 305
par le gouverneur d'alors aux deux Chambres de la
Législature provinciale, je trouve qu'il fut réelle-
ment fait un engagement de la nature de celui dont
l'adresse fait mention. Ainsi, comme de raison,
la Couronne est liée, et il faut qu'il soit maintenant
mis à effet; à moins qu'il ne se rencontre quelques cir-
constances que j'ignore, qui peuvent avoir annulé
l'obligat'ion contractée en 1801, ou qui peuvent en
avoir rendu l'accomplissement impossible à présent.
S'il existe réellement de telles circonstances, Votre
Seigneurie m'en fera rapport incessamment, afin de
considérer ultérieurement la marche qu'il convient
de suivre.
Troisièmement. — Le rejet par le Conseil Législa-
tifs de divers bills en faveur de l'éducation est don-
né comme le dernier df's obstacles aux progrès de
l'éducation.
Sur ce point il est évident que le gouvernement de
Sa Majesté n'a le pouvoir d'exercer aucun contrôle,
et qu'il ne pouvait intervenir dans le libre exercice
de la volonté du Conseil législatif sans violer les
maximes les mieux reconnues de la constitution. —
Jusqu'où ce corps peut avoir vraiment résisté aux
désirs de l'Assemblée sur ce sujet, c'est ce sur quoi
je n'ai pas d'informations exactes, et il ne me convien-
drait pas d'émettre une opinion sur la sagesse ou la
convenance d'aucune décision de cette nature qu'il
peut avoir formée. L'Assemblée cependant peut
être assurée que toute influence légitime que peut
exercer le gouvernement de Sa Majesté sera tou-
jours employée à favoriser, dans toute direction,
toutes les mesures qui auront pour objet l'instruc-
tion religieuse, morale ou littéraire du peuple du Bas-
Canada.
Quatrièmement. — L'adresse procède à exposer
que la régie des terres incultes de la Couronne a été
vicieuse et injudicieuse, et gêne encore l'établissement
de ces terres.
Ce sujet a engagé et occupe encore toute mon at-
tention, et je me propose de communiquer au long
306 COURS d'histoire du canada
sur le sujet avec votre Seigneurie, dans une dépêche
séparée. Les considérations qui se rattachent à
l'établissement des terres incultes sont trop nom-
breuses et trop étendues pour être convenablement
encadrées dans une dépêche qui embrasse tant d'au-
tres sujets de discussion.
Cinquièmement. — L'exercice par le parlement de
son pouvoir de régler le commerce de la Province
occasionne, dit-on, une incertitude dommageable
dans les spéculations mercantiles, et des fluctuations
préjudiciables dans la valeur des biens fonds et aux
différentes branches d'industrie liées au commerce,
II est flatteur de voir que cette plainte est accom-
pagnée de l'aveu franc que le pouvoir en question a
été exercé avec avantage en plusieurs occasions
pour la prospérité du Bas-Canada. C'est, je crains,
une conséquence inévitable de la connexion qui sub-
siste heureusement entre les deux pays, que le par-
lement exige quelquefois du corps mercantile du
Bas-Canada quelques sacrifices mutuels pour le bien
général de tout l'empire. Je n'essaierai donc pas de
nier que les changements survenus dans la politique
commerciale de ce royaume depuis quelques années
n'aient pu produire des inconvénients et des pertes
occasionnels à ce corps, puisqu'on pourrait à peine
faire mention d'un seul intérêt particulier, dans la
Grande Bretagne, dont on n'ait exigé quelques sa-
crifices, pendant la même période. Tout ce que peut
faire la Législature sur un sujet comme celui-ci, est
une progression constante, quoique graduelle, vers
les grands objets qui sont le but d'un système éclairé
de règlements commerciaux. Le relâchement des
restrictions imposées au commerce des colonies
britanniques, et le développement de leurs ressour-
ces n'ont jamais été perdus de vue au milieu des
changements auxquels l'adresse fait allusion, et j'at-
tends avec conhance de la candeur de la Chambre
d'Assemblée qu'elle admettra que, dans l'ensemble,
on a fait des progrès assez marqués vers ces grandes
fins. Elle peut être assurée que le gouvernement de
COURS d'histoire du canada 307
Sa Majesté adhérera constamment à ces principes
dans toute modification des lois existantes qu'il
pourra par la suite avoir occasion de recommander
au Parlement.
Sixièmement. — L'Assemblée dans son adresse
procède à exposer que les différentes villes, parois-
ses, townships, places extra-paroissiales et comtés
de la province, souffrent du manque de pouvoirs lé-
gaux suffisants pour régler et régir leurs affaires lo-
cales.
Je suis bien aise qu'il se présente maintenant une
occasion de faire éclater le désir du gouvernement
de Sa Majesté de coopérer avec la Législature locale
au redressement de tout grief de cette nature. Les
trois bills que Votre Seigneurie a transmis pour la
signification du bon plaisir de Sa Majesté, passés
dans la dernière session de l'Assemblée pour établir
les divisions paroissiales de la Province, et pour in-
corporer les cités de Québec et de Montréal, seront
confirmés et finalement passés en loi par Sa Majesté
en conseil, sous le plus court délai possible, et j'es-
père me trouver sous peu en état de transmettre à
Votre Seigneurie les ordres en conseil nécessaires
pour cette fin.
Je regrette bien sincèrement que le bill passé
pour l'établissement légal des paroisses dans le mois
de mars 1829 soit venu à tomber, par le délai qui
est survenu dans la transmission de sa confirmation
officielle par le Roi en Conseil, plusieurs mois s'étant
écoulés après son arrivée en ce royaume avant que
cette formalité pût être observée; et la maladie pro-
longée de Sa feue Majesté en a encore retardé davan-
tage la prise en considération par le Roi en conseil.
Si la Législature coloniale est d'avis qu'il faille
des dispositions additionnelles pour mettre les autorités
locales des comtés, des cités ou des paroisses en état
de régler les affaires qui les intéressent plus immédia-
tement, que Votre Seigneurie sache qu'il vous est
libre de sanctionner au nom de Sa Majesté toutes
308 COURS d'histoire du canada
lois bien considérées qui pourront vous être présen-
tées à cette lin.
Septièmement. — J'en viens au sujet de plainte
suivant, savoir, que le mélange de difTérens codes de
lois et règles de procédure dans les cours de justice
ont jeté de l'incertitude et de la confusion dans les
lois qui protègent et régissent la propriété.
Le mélange dont l'adresse fait mention vient,
d'après ce que j'en connais, du code criminel an-
glais qui a été maintenu par le statut britannique
de 1774 et des divers actes du Parlement qui ont,
introduit dans la province la tenure soccagère, et
soumis toutes les terres ainsi tenues aux règles d'alié-
nation et de succession des lois anglaises.
Comme simple matière de fait, il ne peut y avoir
de doute, que l'infusion de ces parties des lois d'An-
gleterre dans le code provincial n'ait été dictée par le
désir le p us sincère d'avancer le bien-être général
du peuple du Bas-Canada. Cela a été le cas sur-
tout pour les lois criminelles, et c'est ce qui paraîtra
assez clair par le langage de la onzième section du
Statut 14 Geo. III, Chap. 83, touchant les avantages
qui doivent résulter de la substitution de la tenure
soccagère aux services féodaux; je puis remarquer
que le parlement ne ouvait guère être mu que par
a conviction sincères des avantages de cette mesure,
d'autant plus que les maximes d'après lesquelles il
procéda s'accordent avec les opinions de presque
tous les écrivains qui ont traité ce sujet en théorie et
des hommes d'état dans leurs opérations pratiques.
Ce n'est pas que je veuille démontrer la justesse de
ces vues, mais je pense qu'il importe beaucoup de
faire remarquer que les erreurs qu'elles embrassent,
s'il y en a, ne peuvent être attribuées qu'à un zèle
sincère pour le bien de ceux que les dispositions lé-
gislatives en question affectent plus immédiatement.
J'admets pleinement, cependant, que c'est là un
sujet de politique locale et intérieure, et à l'égard
duquel le jugement délibéré des hommes éclairés de
la province doit avoir beaucoup plus de poids que
COURS d'histoire du canada 309
toute autorité extérieure quelconque. Votre Sei-
gneurie communiquera au Conseil et à l'Assemblée
la disposition entière de Sa Majesté de concourir
avec eux à toutes les mesures qu'ils jugeront les plus
propres à assurer un examen calme et étendu de
ces sujets sous tous les rapports. II restera alors
aux deux Chambres à rédiger les lois qui peuvent
être nécessaires pour rendre le code provincial plus
uniforme et mieux adapté à l'état actuel de la société
dans le Bas-Canada. L'assentiment sera donné avec
la plus vive satisfaction à toutes lois rédigées à cette
fin et qui en faciliteront l'accomplissemeut. II est
possible qu'un ouvrage de cette nature pût être ex-
écuté avec plus d'avantage par des commissaires
qui seraient spécialement désignés à cette fin. Si
telle est l'opinion de votre seigneurie, vous suggérerez
ce mode de procédé aux deux Chambres de la Lé-
gislature provinciale, qui j'en suis bien convaincu,
consentiront volontiers à encourir toutes dépenses
quelconques qui seront la conséquence d'une pareille
entreprise, à moins qu'elles ne fussent elles-mêmes
en état d'imaginer un autre plan d'investigation et
de procédés, qui serait à la fois aussi effectif et aussi
économique.
Huitièmement. — L'administration de la justice est
devenue, dit-on, inefficace et inutilement dispendieuse.
Comme les tribunaux provinciaux tiennent leur
constitution actuelle de statuts provinciaux, et nulle-
ment de l'exercice de la prérogative de Sa Majesté,
il n'est pas au pouvoir du Roi d'améliorer le système
de l'administration des lois ni de diminuer les frais
de justice. Votre Seigneurie, cependant, assurera à
la Chambre d'Assemblée que Sa Majesté est non
seulement dans la disposition, mais qu'elle a même
le désir de coopérer avec elle à toutes les améliora-
tion du système judiciaire, que suggéreront la sagesse
et l'expérience des deux Chambres. Votre Seigneu-
rie sanctionnera immédiatement tous bills qui pour-
ront être passés à cette fin, si ce n'est dans le cas
très improbable qu'ils ne donnassent lieu à quelques
310 COURS d'histoire du canada
objections qui paraîtraient concluantes. Et dans
ce cas même vous réserverez tous les bills passés
pour améliorer l'administration de la justice à la si-
gnification du bon plaisir de Sa Majesté, au lieu de
les rejeter sur le champ.
Neuvièmement. — L'adresse expose alors que la
confusion et l'incertitude dont la Chambre se plaint
ont été augmentées de beaucoup par des actes affec-
tant les biens fonds de la colonie, passés dans le parle-
ment du Royaume Uni, depuis l'établissement de
la Législature provinciale, sans que les intéressés
eussent eu même l'occasion d'être entendus, et sur-
tout par une décision récente sur un de ces actes
dans la cour d'appel provinciale.
II ne peut y avoir sur ce sujet aucune dispute en-
tre le gouvernement de Sa Majesté et la Chambre
d'Assemblée. La Chambre ne saurait exposer en
termes plus forts que ceux dans lesquels il est dispo-
sé à la reconnaître la convenance de laisser exclusi-
vement à la Législature du Bas-Canada la passation
de toute loi qui pourra être nécessaire pour régir la
propriété dans cette province.
On ne peut nier qu'à une époque antérieure, le
gouvernement britannique n'eût une opinion diffé-
rente, et que le livre des statuts de ce royaume con-
tient, touchant les terres du Bas-Canada, divers rè-
glements qui auraient peut-être été passés avec plus
de convenance dans la province même. Je croirais
cependant qu'on n'a invoqué l'intervention du Par-
lement que dans des cas d'urgence et de nécessité
supposée, et que ce n'a jamais été sans répugnance
que les ministres de Sa Majesté ont introduit de tels
actes.
Le Statut 1, Guil. 4, chap. qui a passé à l'instance
du gouvernement de Sa Majesté dans la dernière
session du Parlement, a jusqu'à un certain point
anticipé les plaintes dont je fais maintenant men-
tion et en prévient le retour, en autorisant la Lé-
gislature locale à régler tout ce qui a rapport aux
incidents de la tenure soccagère dans la province.
COURS d'histoire du canada 311
sans égard pour aucune différence réelle ou suppo-
sée qui pourra se trouver entre ces règlements et les
lois d'Angleterre. S'il y a d'autres parties des sta-
tuts britanniques, relatives à ce point, auxquelles
le Conseil et l'Assemblée objecteront, le gouverne-
ment de Sa Majesté sera prêt à recommander au
parlement de les révoquer,
Dixièmement. — II est dit que plusieurs des juges
des cours de la province se sont trouvés mêlés et
ont pris une part publique dans les affaires et les dis-
putes politiques de la province, tenant à la fois des
offices sous bon plaisir et des situations incompa-
tibles avec la due exécution de leurs fonctions judi-
ciaires.
Sur ce point encore il est très flatteur pour les
ministres de la Couronne de voir qu'ils ont en grande
partie remédié d'avance à la plainte de la Chambre
d'Assemblée. Dans la dépêche que j'adressai à vo-
tre Seigneurie le 8 Février, No. 22, il a été pris tous
les arrangements qui pouvaient être suggérés et s'ef-
fectuer par l'autorité de Sa Majesté pour retirer les
juges de la province de toute connexion avec ses af-
faires poHtiques, et pour les rendre indépendants
et de l'autorité de la Couronne et du contrôle des
autres branches de la Législature, les plaçant ainsi
dans la même position exactement que les juges
de cours suprêmes à Westminster.
Les juges eux-mêmes ont, à ce qu'il paraît, con-
couru, avec une louable promptitude, à donner effet
à ces recommandations, en cessant d'assister au
Conseil Exécutif. Ainsi il ne reste plus à faire, pour
terminer toute discussion sur ce sujet, qu'une alloca-
tion permanente pour les juges par la Chambre d'as-
semblée, [laquelle allocation, sans excéder une juste
rétribution, devra être suffisante pour leur assurer
une existence indépendante dans les rangs qu'ils doi-
vent occuper dans la société d'après la dignité de leur
charge.
Je ne sache pas qu'aucun juge dans le Bas-Canada
tienne aucun office, autre que celui de conseiller
312 COURS d'histoire du canada
exécutif, durant bon plaisir, ou qui soit sous aucun
rapport incompatible avec la due exécution de ses
fonctions officielles. Si tel cas existe votre Seigneurie
aura la bonté de me faire incessamment rapport de
toutes les circonstances qui peuvent l'accompagner
afin que les instructions nécessaires sur le sujet soient
données. Dans l'intervalle, je puis dire sans réserve,
qu'il ne peut être permis à aucun juge de retenir aucun
office de la nature de ceux dont parle ici l'Assemblée,
en combinaison avec cette position indépendante sur
le banc à la quelle j'ai fait allusion.
Onzièmement. — L'adresse expose ensuite que, pen-
dant une longue suite d'années les offices exécutifs
et judiciaires ont été presque exclusivement accor-
dés à une classe de sujets dans la province, et spé-
cialement de ceux qui se trouvaient avoir, par la pro-
priété ou autrement, le moins de liaison avec la po-
pulation fixe du pays, ou qui se sont montrés le plus
opposés aux droits, libertés et intérêts du peuple.
Il est ajouté que plusieura de ces gens profitent des
moyens que leur fournissent leurs situations pour em-
pêcher la coopération constitutionnelle et la bonne
intelligence d'exister entre le gouvernement et la
Chambre d'Assemblée, et pour exciter entre eux la
mésintelligence et la discorde, tandis qu*ils sont né-
gligents dans leurs différentes situations à avancer
les affaires publiques.
Je rapporte ainsi au long le langage de l'adresse, car
je suis prêt à la rencontrer dans toutes ses parties de
la manière la plus directe, et en même temps dans
l'esprit le plus conciliatoire. Ce n'est pas du tout le
manque de cet esprit qui me porte à vous recommander
de suggérer à la considération de la Chambre d'As-
semblée jusqu'à quel point il est possible pour Sa
Majesté d'entendre clairement et de redresser efii-
cacement un grief qui lui est exposé en termes si
indéfinis. Si l'on peut nommer quelque officier pu-
blic qui se soit rendu coupable d'un abus de ses pou-
voirs et d'une négligence dans ses devoirs tels que
le comporte la citation qui précède, Sa Majesté se
hâtera de venger l'intérêt public en le destituant
COURS d'histoire du canada 313
du service. Si on peut montrer que le patronage
de la couronne a été exercé d'après des principes
étroits et exclusifs, on ne peut trop les désavouer et
les abandonner. Surtout s'il est vrai que la popula-
tion fixe de la colonie ne jouisse pas d'une pleine
participation à tous les emplois publics la Chambre
d'Assemblée peut être assurée que Sa Majesté ne
peut désirer que des distinctions aussi odieuses soient
systématiquement maintenues.
II est hors de mon pouvoir de rien avancer au de-
là de cet exposé général. J'ignore entièrement les
cas particuhers auxquels les expressions générales
de l'Assemblée s'appliquent. Tout ce que je puis
dire, c'est que depuis le temps qu'il a plu à Sa Ma-
jesté de me confier les sceaux de ce département, il
ne s'est présenté aucune occasion d'exercer le patro-
nage de la Couronne dans le Bas-Canada à laquelle
l'Assemblée puisse faire allusion, et les recherches
que j'ai faites ne me fournissent aucun cas particu-
lier d'une date phis reculée que ces paroles semble-
rait désigner.
Douzièmement.- — Le sujet de plainte suivant est
développé dans les termes qui suivent: — Qu'il n'y a
pas une responsabihté suffisante à l'égard de ceux
qui occupent ces places, ni de comptabilité conve-
nable pour ceux qui ont le maniement des deniers pu-
blics, d'où sont résultés le mauvais emplois et la perte
de sommes de deniers considérables, soit pour le pu-
bhc soit pour les particuhers, par la faute de fonction-
naires entre les mains desquels ces sommes étaient
déposées en vertu de la loi, sans remède efficace et
sans que ces sommes aient été remboursées jusqu'à
ce jour, nonobstant les humbles représentations de
vos pétitionnaires.
II serait impossible, sans violer la vérité, de nier
qu'à une époque qui n'est pas très reculée, le public
et les particuliers n'aient souffert des pertes par suite
de ce que les comptables publics n'avaient pas donné
de cautions suffisantes, et encore plus par le manque
d'un systèmeiconvenable d'apurement et d'audition de
ces comptes de cautions. Je vois cependant que dans
314 COURS d'histoire du canada
sa dépêche du 29 Septembre 1828, Sir George Murray
s'expliqua sur ce sujet en termes auxquels je trouve
qu'il serait difficile de pouvoir utilement rien ajouter.
11 s'exprime ainsi: — "Les plaintes qui sont parvenues
" à ce bureau au sujet des siiretés insuffisantes que
" donnaient le receveur général et les shérifs pour
" la due application des derniers publics qui sont entre
" leurs mains, n'ont pas échappé à l'attention la plus
" sérieuse des ministres de la Couronne. La sûre-
*' té la plus efficace contre les abus de cette nature
" serait d'empêcher qu'il ne s'accumulât des sommes
" considérables entre les mains des comptables pu-
" blics, en les obligeant de présenter leurs comptes
" à quelque autorité compétente à de courts inter-
" valles, et de payer immédiatement la balance éta-
" blie. La preuve d'avoir ponctuellement rempli
" ce devoir devrait devenir une condition indis-
" pensable de la réception de leurs salaires et de leur
" continuation en office."
" Dans la colonie de la Nouvelle-Galles méridio-
nale, il a été établi un règlement de cette nature,
d'après les instructions de Sa Majesté au gouverneur
de cet établissement,et il en est résulté un grand avan-
tage public. Si on introduisait une semblable pratique
dans le Bas-Canada, à l'égard du bureau du rece-
veur général et des shérifs, la seule difficulté qui
resterait serait de trouver une place de dépôt sûre
pour les balances qu'ils auraient en caisse. Je suis
autorisé cependant à dire que les Lords commis-
saires de la trésorerie de Sa Majesté se tiendront
responsables envers la province de toute "somme
" que le receveur général ou le shérif pourront ver-
" ser entre les mains du commissaire 'général. —
" Votre Excellence proposera donc au Conseil Lé-
" gislatif et à l'Assemblée de passer une loi qui obli-
" géra ces offiiciers à rendre compte de leurs rec?ttes
" à de courts intervalles, et à verser les balances qui
" seront entre leurs mains entre celles du commis-
" saire général, à condition que cet officier sera
" tenu, à demande, de fournir des lettres de change
"sur la trésorerie de Sa Majesté, pour le montant
COURS d'histoire du canada 315
" de ses recettes. Je me flatte que la Législature
" verra dans cette proposition une preuve du vif dé-
" sir qu'a le gouvernement de Sa Majesté d'appli-
" quer, autant que la chose sera praticable, un re-
" mède efficace, à tout cas de grief réel.
Si les instructions précédentes se sont trouvées
insuffisantes pour remédier au mal dont elles parlent,
je puis assurer Votre Seigneurie du concours cordial
du gouvernement de Sa Majesté à toute mesure plus
efficace qui pourra être recommandée à cette fin, soit
par vous-même, soit par l'une ou l'autre branche de
la législature provinciale.
Les pertes que la province a souffertes par la défal-
cation de feu M. Caldwell est un sujet que le gou-
vernement de Sa Majesté voit avec le plus profond
regret, qui se trouve encore augmenté par la péni-
ble conviction de son incapacité de donner aux re-
venus provinciaux aucune compensation égale à une
perte aussi considérable. Tout ce qu'il est en son
pouvoir de faire, il l'a fait de bon cœur, par l'ins-
truction qui est donnée à votre Seigneurie, dans la
première partie de cette dépêche, de mettre à la dis-
position de la Législature, pour les fins générales, la
somme de £7154, 15, 4}/2, recouvrée sur les biens de
M. Caldwell. J'espère que l'Assemblée acceptera
ceci comme une preuve du vif désir qu'a le gouver-
nement de Sa Majesté de consulter de son mieux les
intérêts pécuniaires de la province.
Treizièmement. — L'adresse expose aussi "que les
" maux résultant de cet état de choses ont été con-
" sidérabiement aggravés par les lois passées dans
" le parlement du Royaume-Uni sans même la con-
" naissance du peuple de ce pays, qui ont rendu per-
" manents^des impôts fixés temporairement par la
" Législature provinciale, et laissant entre les mains
" d'officiers publics sur lesquels la Chambre d'As-
" semblée ne peut exercer aucun contrôle efficace,
" des sommes considérables prélevées dans la pro-
" vince, pour être employées par des personnes qui
" ne sont pas assujetties à un système suffisant de
" comptabilité".
316 COURS D HISTOIRE DU CANADA
Je vois que cette plainte a rapport à la 21e clause
du Statut 3. Geo. 4 cliap. 119. Les droits mention-
nés dans cet acte sont continués jusqu'à ce que le
Conseil législatif et l'Assemblée du Bas-Canada
aient passé un acte pour les révoquer ou altérer, et
jusqu'à ce qu'une copie d'un tel acte ait été trans-
mise au gouverneur du Haut-Canada, et ait été mise
devant les deux Chambres du Parlement et ait reçu
l'assentiment de sa Majesté. Le préambule de l'acte
donne pour motif de sa passation la nécessité d'ob-
vier aux maux que soufTrait la province supérieure
par suite de l'exercice d'un contrôle exclusif par la
Législature du Bas-Canada, sur l'importation et l'ex-
portation du port de Québec.
Je reconnais sans réserve que la nécessité de se
porter médiateur entre les deux provinces a pu seule
justifier une pareille intervention de la part du parle-
ment; et que si l'on peut fournir quelque garantie
suffisante contre le recours de pareilles difficultés
cet acte devra être révoqué. On supposa en 1822
que la position géographique particulière du Haut-
Canada, qui ne peut communiquer avec la mer que
par une province tout-à-lait indépendante de lui,
d'un côté, ou par un état étranger, de l'autre, ren-
dait la passation d'une loi aussi singulière nécessaire
pour le protéger. Je serai bien flatté d'apprendre
qu'une telle nécessité n'existe pas à présent, ou qu'on
peut raisonnablement espérer qu'elle ne se présen-
tera plus à l'avenir, car aussitôt que le gouvernement
de Sa Majesté aura par devers lui des preuves suf-
fisantes de ce fait, il recommandera au Parlement
la révocation de cette partie du statut auquel se
rapporte l'adresse de la Chambre d'Assemblée.
Les ministres de la couronne proposeraient même
au parlement de révoquer l'acte en question, sur la
simple preuve que la Législature du Haut-Canada
pense qu'une telle protection est superflue. Peut-
être que ce point pourrait s'arranger par des com-
munications qui s'échangeraient entre les législatures
des deux provinces.
Les ministres de la couronne sont prêts à coopé-
COURS d'histoire du canada 317
rer le plus pleinement possible à toute mesure que
les deux Législatures concourront à recommander
pour l'altération ou la révocation du Statut, 3. Geo. 4,
chap. 119 sect. 28.
Quatorzièmement. — Le choix des conseillers législatifs,
et la constitution de ce corps, qui forment le dernier
sujet de plainte de l'adresse, sont un sujet sur lequel
je me bornerai à dire ici qu'il sera l'objet d'une commu-
nication séparée, en autant que c'est un sujet trop
étendu et trop important pour être commodément
embrassé dans ma présente dépêche.
Le tableau précédent des questions amenées par la
Chambre d'Assemblée, me paraît justifier entièrement
les espérances que j'ai exprimées au commencement
de cette dépêche, de voir se terminer promptement
avec efficacité et à l'amiable des discussions de lon-
gues années. Ce sérail faire injure à la Chambre
d'Assemblée que de lui supposer un esprit assez con-
tentieux pour maintenir la contestation sur quelques
détails mineurs et insignifiants, après l'exposé par
lequel je viens de faire ressortir l'accord général qui
règne entre les vues du gouvernement de Sa Majesté,
et les siennes propres sur un si grand nombre de ques-
tions de politique canadienne. Il ne reste à la vérité
que peu de chose à débattre, et ce peu, j'en suis con-
vaincu, sera discuté dans des sentiments de bien-
veillance et de bonne volonté réciproque, et avec le plus
ardent désir de resserrer les liens qui unissent les deux
pays. Sa Majesté regardera comme une des distinc-
tions de son règne les plus dignes d'envie d'avoir
contribué à un résultat si grand et si désirable.
Votre Seigneurie profitera de la première occasion
qui se présentera pour transmettre à la Chambre d'As-
semblée une copie de cette dépêche.
J'ai l'honneur d'être MILORD.
De votre Seigneurie, le très obéissant serviteur,
(signé) GODERICH.
(Pour copie conforme)
H. CRAIG, Secrétaire.
TABLE DES MATIERES
Pages
PREMIERE LEÇON
Epoque difficile et complexe. — Une tâche ardue s'impose
au professeur et aux auditeurs. — La situation politique dans
le Bas-Canada en 1815. — L'attitude de sir George Prévost.
— Ses efforts pour satisfaire les Canadiens. — Le contre-pied
de Craig.- — ^IMgr Plessis et son titre cpiscopal. — Pierre Bédard
nommé juge. — Irritation de*RyIand et de l'évêque Moun-
tain.— L'Assemblée législative. — Son état d'esprit. — Cou-
rants alternatifs. — Sympathie et défiance. — Loyauté durant
la guerre. — Ressentiments rétrospectifs. — Escarmouches
entre Prévost et la majorité. — La passion des représailles. —
Le juge Sewell. — La campagne des impeacbinents. — James
Stuart instigateur. — Question personnelle. — Esquisse d'un
caractère. — Actes d'accusation contre Sewell et Monk. —
Les règles de pratique et la responsabilité pour les coups
d'Etat de Craig. — Prévost refuse de suspendre les juges. —
Mécontentement et blâme de la Chambre. — Motion répara-
trice.— Difficultés de la tâche entreprise par la majorité. —
Rien de criminel dans les règles de pratique. — La responsa-
bilité des conseillers exécutifs. — Principe inadmissible par
la métropole en 1815. — Conflits entre l'Assemblée et le
Conseil. — Un bill d'éducation. — L'incapacité des juges à
siéger au Conseil. — Une taxe sur les salaires des fonction-
naires.— Appréciations favorables de la majorité par Prévost.
— ^Les impeacbments en Angleterre. — La question de respon-
sabilité écartée. — Celle des règles de pratique décidée en
faveur des juges. — Irritation de la Chambre. — Départ de
Prévost pour justifier sa conduite à Plattsburg. — Sa fin pré-
maturée.— Sir Gordon Drummond lui succède. — La décision
du Conseil privé et la Chambre. — Elle persiste dans son
attitude. — Cri.se politique. — Prorogation et dissolution.... 5
21
320 TABLE DES MATIERES
Pages
DEUXIEME LEÇON
La politique de conciliation. — Retour triomphal du juge
Sewell. — La nouvelle Chambre. — Conflits en perspective. —
Sir John Sherbrooke comprend la situation. — La politique de
coercition lui répugne.^ — Sa correspondance avec lord Ba-
thurst. — Celui-ci lui donne plus de latitude. — Le caractère
de sir John Sherbrooke. — Ce que devait être à ce moment
la mentalité d'un bon gouverneur britannique. — La race,
le milieu et le moment. Un nouvel ordre de choses. — Deu.v
forces en présence. — La prérogative royale et le privilège
parlementaire. — La session de 1S17. — Motifs d'appréhen-
sion.— Les impeacbments des juges Sewell et Monk. — Com-
ment empêcher la majorité de rouvrir la question. — Un in-
cident favorable. — Les secours accordés aux paroisses en
détresse. — Le rôle de Mgr Plessis.— Des explications. — Le
juge Foucher mis en accusation. — Sir John Sherbrooke es-
quive une difficulté. — ^L'affaire traîne en longueur. — La
question du salaire des orateurs. — Un terrain de concilia-
tion.— Les absents ont tort. — On accorde un traitement à
MM. Papineau et Sewell. — Evolution de la majorité. — Vains
efforts de M. James Stuart. — Son échec et son irritation. —
Singulier dénouement. — Le succès de sir John Sherbrooke.
— Paroles sympathiques de M. Papineau. — Mgr Plessis au
Conseil législatif. — M. Papineau au Conseil exécutif. —
Heureux résultat d'une politique modérée 43
TROISIEME LEÇON
Une question ardue. — Les subsides. — Etat de la question
en 1817. — Un déficit à côté d'un surplus. — Double catégorie
de recettes et de dépenses. — Coup d'oeil rétrospectif. — Les
revenus de la Couronne et ceux de la législature. — Les pre-
miers sont insufi&sants, les seconds sont surabondants. — Les
gouverneurs pratiquent l'emprunt forcé. — Paiements irrégu-
liers.— Remboursement sous sir George Prévost. — Nou-
veaux emprunts illégaux. — Sir John Sherbrooke signale l'a-
bus et propose le remède. — Demande de subsides à la lé-
TABLE DES MATIERES 321
Pages
gislature. — Une date importante. — Bonnes dispositions de
la Chambre. — Un vote de crédits en 1818. — Maladresse du
duc de Richmond en 1819. — Le commencement des difficul-
tés.— Un bill de subsides annuel et par articles. — Le Conseil
le rejette. — Conseils néfastes du duc de Richmond. — Sa mort
tragique. — Interrègne Monk-Maitland. — Dissolution in-
compréhensible.— Une session de treize jours. — Singulier
imbroglio. — Mort du roi George IIL — Dissolution et élec-
tions nouvelles. — Un discours de M. Papineau. — LordDal-
housie. — Un nouveau bill de subsides en 1821. — Résolu-
tions intempestives du Conseil législatif.- — Rejet du bill. —
La Chambre proteste contre une série d'abus. — Méconten-
tement de lord Dalhousie. — La session de 1821-22. — Le
gouverneur demande une liste civile pour la vie du roi. —
Refus et explications de la Chambre. — Une autre cause
de difficultés. — Le partage des recettes douanières entre le
Haut et le Bas-Canada. — Prétentions divergentes. — Ré-
clamations et plaintes du Haut-Canada. — Appel à la mé-
tropole.— Perspective menaçante pour le Bas-Canada 71
QUATRIEME LEÇON
La tentative d'union de 1822. — M. Edward Ellice. — Ses
accointances canadiennes. — Le groupe unioniste montréa-
lais.—Le projet d'union des deux provinces.^ — Consulta-
tions préalables. — L'opinion du procureur général haut-
canadien. — Le cabinet britannique passe outre. — II pré-
sente un bill d'union. — Une intervention opportune. — Le
débat aux communes. — Attitude de sir James Mackintosh.
— II fait ajourner le bill. — Tbe Canada Trade Act. — Analyse
du projet soumis. — Trois articles spécialement iniques. —
L'inégalité de représentation. — La proscription de la langue
française. — La collation des cures. — L'agitation au Canada.
La pétition. — Mission de MM. John Neilson e.t Louis-
Joseph Papineau.— La Chambre d'assemblée et le Conseil
législatif condamnent le bill. — MM. Neilson et Papineau
322 TABLE DES MATIERES
Pages
à Londres. — Leur mémoire contre l'Union. — On leur fait
des promesses. — Le bill reste en plan. — L'attitude de lord
Dalhousic. — La tentative échoue. — Aveux rétrospectifs.—
Une chanson satirique 108
CINQUIEME LEÇON
L'imbroglio constitutionnel. — Un intermède. — -La session de
lg23. — M. Vallièresélu orateur. — Les estimations budgétaires
— Nouvelle classification. — La chambre, tout en signalant
certaines objections, vote les subsides. — La session de 1824.
— Moins d'harmonie. — Lord Dalhousie et M. Vallicres. —
La situation financière. — Le déficit CaldwcII. — Divergences
dans la Chambre. — Vallières et Papineau. — Intéressantes
passes d'armes. — Le Canada Trade Act. — Etonnante attitu-
de de Papineau. — Les subsides. — Un débat mouvementé. —
Le vote prépondérant de M. Vallières. — M. Neilson veut
amender des résolutions inspirées par M. Papineau. — Un
bill des subsides rejeté par le Conseil législatif. — Le conflit
entre le pouvoir exécutif et la Chambre. — En quoi il con.sis-
tait. — La liste civile annuelle tt l'afTcctation de tout le
revenu. — Un coup d'œil sur chacun de ces deux aspects de
la question. — La liste civile en Angleterre et au Canada. —
Différences de conditions. — L'affectation du revenu total. —
Les raisons politiques de la Chambre. — La session de 182.^.
— Une accalmie.— Absence de lord Dalhousie. — Adminis-
tration conciliante du lieutenant gouverneur Burton. — Il
obtient les subsides. — Une équivoque. — Détente momenta-
née.— Lord Bathurst blâme sir Francis Burton. — -Il man-
que une heureuse occasion de mettre fin à un malencontreux
conflit. — L'épisode Bathurst-Burton. — Retour de lord Dal-
housie.— La session de 1826. — Nouvelles divergences. — La
Chambre refuse les subsides. — Prorogation ab irato. — Disso-
lution et élections. — Violente agitation. — La majorité est
soutenue par l'électorat. — Manifeste et harangue de M. Pa-
pineau.— La session de 1827. — M. Papineau réélu orateur.
— Lord Dalhousie refusc^de l'agréer. — La Chambre persiste.
Prorogation immédiate. — Nouvelle crise. — Les Canadiens
TABLE DES MATIERES 323
Pages
pétitionnent pour soumettre leurs griefs ;iu parlement im-
périal 144
SIXIEME LEÇON
L'enquête de 1828. — Assemblées publiques à Québec et à
Montréal. — Formation de comités. — Les pétitions canadien-
nes.— Analyse des griefs formulés. — La composition du Con-
seillégislatif. — Conseillers fonctionnaires et pensionnaires- —
Leur dépendance indiquée par leurs votes. — Les revenus
et la dépense.- — Les salaires exorbitants. — Le cumul des
fonctions. — Comparaison entre deux époques. — L'instruc-
tion publique. — L'Institution royale. — La concession et
l'administration des terres publiques. — La tenure des terres.
— L'ingérence du parlement impérial. — Plaintes de la mi-
norité.— Les bureaux d'enregistrement. — La représenta-
tion des cantons de l'est. — Une délégation canadienne, MM.
Neilson, Viger et Cuvillier. — Huskisson, secrétaire des
colonies. — Les fluctuations de la politique anglaise. — La
question canadienne soumise aux Communes. — Discours
de Huskisson. — Assertions discutables. — Exposé incom-
plet.— Un important discours de sir James Mackintosh.-^ —
Nomination d'un comité d'enquête. — Audition des témoi-
gnages.— Un document précieux. — Constatation de faits. —
Griefs prouvés par nos délégués. — Une lettre de MM.
Neilson, Viger et Cuvillier. — Le rapport du comité de
1828. — La légitimité de nos plaintes reconnue. — Le départ
de lord Dalhousie. — Sir James Kempt. — Les chan bres
se réunissent. — L'élection de M. Papineau comme orateur
sanctionnée. — Encore une accalmie 187
SEPTIEME LEÇON
La division du parti canadien.— Le gouvernement de sir
James Kempt. — Unetrêve politique. — Les difTicuItés de la si-
tuation.— Sir James Kempt et les partis. — Une lettre à sir
George Murray. — La session de 1828-29. — La question des
finances. — Message de .sir James et réponse de la Chambre. —
324 TABLE DES MATIERES
Pafîes
Les estimations budgétaires. — Un bill de subsides voté par
les deux chambres. — Le remaniement des comtes. — Les ex-
pulsions de M.Christie. — La session de 1829-30. — Maintien
de la trêve. — Les craintes de sir James Kempt. — Un bill de
subsides encore une fois voté. — L'esprit pacifique du juge
Sewell. — Appréciations de M. Papineau.^ — Sir James Kempt
etIeConscil législatif.^ — Il adresse une dépêche au ministre. —
Une faute d'impression malencontreuse. — Le départ de sir
James Kempt et l'arrivée de lord Aylmer.^ — La mentalité
du nouveau gouverneur. — Dispositions excellentes envers
notre cause. — En Angleterre. — Les changements de minis-
tère.— Lord Godcrich mini.stre des colonies. — Une politique
de conciliation. — Lettre significative de lord Aylmer.—
MM. Papineau et Neilson proposés pour le Conseil exécu-
tif.— Leur refus.^ — La session de 183L — Une proposition
du gouvernement impérial.^ — Une liste civile de 19,500
louis. — Estimations réduites. — La Chambre refuse un vote
permanent. — Des résolutions proposées par M. Neilson.- —
Appréciations favorable de lord Aylmer. — Les amendements
de M. Bourdages. — Un message peu banal de lord Aylmer. —
Un bill de .subsides voté et sanctionné. — Accusations contre
M. James Stuart. — Sa suspension. — Le cas des juges Flet-
cher et Kerr. — La session de 1831-32. — Une dépêche mémo-
rable de lord Goderich. — L'abandon du revenu de la Cou-
ronne par la loi Howick. — Une li.ste civile de 5,900 louis. —
Refus de la Chambre. — Une faute. — L'attitude de M. Neil-
son.— La question des juges. — L'élection du Conseil légis-
latif.— Le bill des notables.— Fâcheuse ligne de conduite
de MM. Papineau et Bourdages. — Le clergé maltraité par
la majorité. — Evolution regrettable. — Alarmants symp-
tômes 220
TABLE DES NOMS DE PERSONNES
Alison, 39.
Amyot (M.), 97.
Aubin (W.), 19.
Aylmf.r (lord), 221, 232, 233, 234, 235, 236, 239, 24 0'
241, 242, 244.
B
«
Baby (F.), 32.
Bacquet (J.-B.-E.), 188.
Baldwin, 235.
Baring (W.-B.), 210.
Bathurst (lord), 8, 12, 33, 35, 38, 40, 43, 44, 45, 46,
56, 57, 67, 68, 78, 79, 80, 81, 88, 145, 168, 175, 176,
177, 179, 204, 205, 224.
BÉDARD (Joseph), 122.
BÉDARD (Pierre), 6. 8, 11, 13, 14, 16, 20, 26, 27.
BÉDARD (T.-P.), 220, 262.
BÉLANGER (Jean), 123, 226.
Bell (M.), 24.
Bellet (M.), 14.
Bfrthelot (Amable), 188.
Beaujeu (M. de), 227, 230.
BiBAUD (Michel), 41, 70, 85, 108, 123, 143, 144, 160,
181, 182, 184, 220, 245, 261.
Bigaouette (J.), 188.
Blackiston (Robert), 188.
Blackstone, 136.
Blackwood (John), 32.
Blanchet (le Dr F.), 14, 20, 123, 184, 188. 226.
BoRGiA (Joseph-Levasseur), 8, 13, 24, 188.
Borne (Michel), 187.
320 lABLE DES NOMS DE PERSONNES
BouRDAGES (louis), 123, 154, 155. 157, 159, 182, 221,
228,245,247,248.249. 250.251. 252, 254. 255,
257, 258, 259, 200.
BOURNE (S.), 211.
BouTH ILLIER (Jean), 122.
BowEN (Edward), 123, 192.
Bright (Henrv), 117.
Brogden (M.), 113, 114.
Bruneau (M.), 24.
Burdett (sir Francis), 135.
BURNET (P.), 123.
Burton (sir Francis), 145, 169, 171, 173; 174, 175, 17G,
177, 178, 179.
Cai.dwell (John), 10, 32, 144, 150, 151, 152, 153, 188,
192, 210, 217, 242, 203.
Canning (George), 140, 205, 234.
Cannon (John), 189.
Campbell (Archibald), 211.
Carleton (sir Guy), 169, 170.
Castlereagh (lord), 19.
Chauveau (P.-J.-O.), 139, 144.
Christie (Robert), 7, 9, 12, 14, 32, 40, 41, 59, 63, 70,
80, 85, 89, 90, 96, 99, 108, 144, 153, 171, 172, 178,
184, 220, 221, 226, 227, 230, 232, 241, 262.
Clarke (Alured), 169.
Clarke (Thomas), 104, 288.
Clouet (Michel), 188.
Coffin (Thomas), 192.
Colborne (sir John), 229.
Coltman (William-Batchelor), 10.
CORBEIL (M.), 20.
Craig (Henry), 317.
Craig (sir James), 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
19, 20, 25, 26, 28. 30, 35, 36, 38, 39, 40, 50. 53, 56,
78, 170, 180, 232.
Cramahé (Hector-Theopîiilus). 169.
Cugnet (J.-F.), 200, 219.
CuTHBERT (James), 10, 32, 258, 259.
TABLE DES NOMS DE PERSONNES 327
CUTHBERT (Ross), 10,
CuviLLiER (Austin), 57, 104, 123, 184, 186, 204, 211,
213, 214, 215,288.
D
Dalhousie (lord), 71, 89, 93, 94, 96, 98, 100, 104, 109,
128, 141, 145, 146, 150, 153, 164, 175, 176, 177,
178, 179, 180, 181, 182, 184, 186, 190, 217, 218,
219, 222, 226, 233, 300.
Davidson (J.), 104, 123.
Debartzch (P.-D.), 122.
Debrett, 140.
Defoy (Etienne), 188.
Demers (l'abbé Jérôme), 256.
Denault (Mgr), 14. •
Denison (J.-É.), 211.
Desbarats (P.-E.), 123.
Desrivières (François), 122.
DioNNE (Dr N.-E.), 257.
DoRCH ESTER (lord), 53, 94, 200.
Dorion (Joseph), 188.
DouGHTY (Arthur), 41.
DouTRE (Gonzalve), 28, 41.
Drummond (sir Gordon), 6, 40, 41, 44, 45, 46, 47.
DucHESNAY (Antoine-Jiichereau), 10.
Duchesnay (A.-L.-J.), 32, 123.
DucHESNEAU (l'intendant), 246.
Dumoulin (M.), 252.
DuNN (le président), 170.
DuvAL (John), 188, 250, 253.
Ellice (Edward), 109, 110, 116, 117, 138, 139, 141,
142, 211.
Faucher (Pierre), 188.
Fazakerley (J.-A.), 211.
328 table des noms de personnes
Felton (W.-B.), 130, 192,, 258 259.
Ferland (l'abbé), 8, 70.
Fitzgerald (M.), 211.
Fitzgerald (V.), 211.
Fletcher (le juge), 241.
Forsyth (Henry-George), 188.
Forsyth (H.-S.), 188.
FoRTiER (Louis), 188.
F'oucHER (le juge), 8, 43, 57, 59.
Franklin (Benjamin), 139.
Fraser (John), 188.
Fletcher (le juge), 221, 241.
Gagné (Joseph), 188.
Gale (Samuel), 203, 211.
Garden (G.), 104.
Garneau (F.-X.), 13, 41, 70, 85, 97, 108, 131, 138, 139,
144, 184, 220, 261.
Gaspé (Ignace-Aubert de), 10, 123.
Gauthier (Augustin), 188.
George III (le roi), 71, 90, 92.
George IV (le roi), 162.
Goderich riord), 205, 221, 233, 234, 235, 239,241,242,
24'i,301. 317.
Goudie (John), 123.
Gower (F.-G.-L.), 211.
Grant (Charles-William), 10, 110, 130, 172, 259.
Grenville (lord), 204.
Grey (lord), 109, 138, 233, 242.
GuGY (Louis), 192.
Gugy (M.), 259.
Guy (Louis), 122, 228.
H
Mâle (Edward), 151.
Hale (John), 32, 192.
Hale (M.\ 259.
I
TABLE DES NOMS DE PERSONNES 329
Hamel (A.-R.), 188.
Hamilton (Henry), 169.
Hart (M.), 110. '
Hait (M.), 231, 299.
Heney (Hugues), 123.
Henderson (W.), 123.
HÉRICOURT (d'), 136.
HopE (Henry), 169.
Horton (R.-W.), 141.
HowiCK (lord), 221, 243.
Hume (M.), 210.
HuoT (H.-S.), 188, 251.
HuoT (M.), 24.
HusKissoN (W.), 186, 204, 205, 206, 207, 209, 211,
214, 215, 222.
I
Ignotus, 184.
iRyiNE (James), 120.
Jenner (le Dr), 65.
Jones (Jonas), 104.
Johnson (sir John), 192.
Juchereau-Duchesnay, 123.
Kempt (sir James), 186, 219, 221, 222, 223, 224, 225,
227, 228, 229, 230, 231, 232, 235.
Kerr (James), 10, 191, 221,241.
KiNGSFORD (William), 41, 70, 88, 108, 144, 184,220,261.
Kimber (R.-J.), 123.
L
Labouchère (Henri), 208, 211.
Lagueux (E.-C), 123, 188.
Lagueux (Louis), 188.
330 TABLE DES NOMS DE PERSONNES
Lacueux (Louis, fils), 188.
Laglîeux (L.-A.), 188, 253. 255.
La Fontaine, 235, 251.
Lamartine, 144.
Lanaudière (Charles-Gaspard de), 10.
Langevin (J.), 188.
Laroque (F.-A.), 123.
Laterrière (Pierre de Sales), 63, 64, 251.
Laval (Mgr de), 245, 266.
Leblond (Jacques), 188.
Lecky (E.-H.), 227, 262.
Lee (M.), 13, 14.
Lee (Thomas), 123, 137.
LÉGARÉ (Ignace), 188.
LÉCARÉ (Joseph), 188.
LÉRY (Charles de), 128.
LÉRY (L.-R.-C. de), 122.
Lewis (T.-F.), 211.
Lindsay (W.), 123.
Liverpool (lord), 204, 205.
Loch (T.), 211.
Logan (M.), 110.
Londonderry (lord), 114, 117.
Lotbinière (Chartier de), 32.
Louis XV, 92.
M
Mackintosh (sir James), 109, 114, 115, 116, 131, 138,
141,180,209,211.
Mackenzie (Roc!.), 130.
MacLean (A.), 105.
Maitland (sir Peregrine), 71, 88, 89.
Marett (J.-L.), 188.
Marryatt (M.), 101,
Martin (A. Patchett), 50.
Marshall (M.), 111.
Masures (F.), 73, 108.
Massue (Louis), 188.
May (sir t. Erskine). 16L 162, 184,205, 220,234, 262.
TABLE DES NOMS DE PERSONNES 331
McArthur (Duncan), 41.
McCoRD (F.), 170, 181.
McGiLLIVRAY (W.), 32, 211.
MiGNAULT (.P.-B.), 260, 262.
MiLNES (sir Robert Shore), 9, 169, 170.
Mirabeau, 139.
MoFFAT (M.), 259.
MOLSON (M.), 110.
MONDELET (M.), 251.
Mondore (Joachim), 188.
MoNK (le juge), 6, 17, 20, 21, 23, 31, 32, 33, 35, 43, 55,
60, 71, 85, 88, 89, 100, 111.
Moquin (Louis), 123.
Mountain (l'évêque), 6, 12, 16, 31, 32.
Moquin (Louis), 123.
Morgan (Henry), 18, 39, 41.
Mountain (l'évêque), 6. 12, 16, 31, 32.
MuiR (John), 10.
MuNRO (William-Bennett), 210 220.
Mure (M.), 24.
MuRRAY (sir George), 221, 222, 233, 314.
Murray (James), 170.
N
Napoléon (l'empereur), 80, 91, 305.
Neilson (John), 26, 27, 43, 104, 109, 123, 138, 131, 133,
134, 137, 138, 139, 140, 145, 159, 184, 186, 188,
191, 196, 197, 198, 202, 204, 211, 213, 214, 215,
221, 226, 227, 235, 237, 238, 239, 240. 242, 243,
244, 245, 2.50, 251, 254,261, 263, 283, 288, 289,
291.
O
Ogden (M.), 69, 129.
Pagnuelo, 260, 262.
Panet (Jean-Antoine), 60.
332 TABLE DES NOMS DE PERSONNES
Panet (Pierre-Louis), 8.
Panet (Philippe), 123,251.
Papineau (Joseph), 14, 40.
Papineau (I..-J.), 13, 14, 24, 43, 44, 60, 61, 63, 65, 66,
68, 69, 71, 91, 93, 104, 109, 122, 127, 128, 131, 133,
134, 137, 138, 139, 140, 145, 146, 154, 155, 156,
157, 158, 170, 173, 176, 180, 181, 182, 186, 219,
221, 222, 229, 230, 232, 235, 237, 243, 244, 245,
248, 251, 252. 253, 255, 257, 259, 260, 263, 282.
Parker (Wilham), 114.
Peel (RoJjert), 233.
Pelletier (Pierre), 188.
Perceval (Spencer), 204.
Percival (Michael-Henrv), ]().
Perrault (Jacques), 10.
Perrault (J.-F.), 41, 70, 108, 123, 184, 220, 261.
Perrault (Olivier), 10.
PiTT (William), 48, 153, 204, 205, 208.
Plante (J.), 123.
Plessis (Mgr), 6, 7, 11, 12,43, 56,66, 67, 68, 96, 176, 259.
PoRTLAND (le duc dc), 204.
PozER (M.), 24.
Prescott (Robert), 169, 170, 199.
Prévost (ladv), 39.
Prévost (sir George), 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16,
21, 23, 28, 30, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 4J, 52,
53, 67, 71, 78, 87.
Pyke (M.), 24.
QuESNEL (F.-A.), 123.
QuESNEL (Jules), 123.
QuiROUET (F.), 123, 226.
R
RiCHARDSON (John), 10, 99, 110, 123, 129, 172.
RiCHMOND (lé duc de), 72, 83, 87, 88, 100.
RoBiNSON (le procureur général), 111, 112.
Roi (M.), 14.
<
table des noms de personnes 333
Rolland (J.-R.), 122.
Rou VILLE (J.-B. Hertel de). 10, 12.
Roy (J.-E.), 153, 184.
Roy (Joseph), 188.
Ryland (H.-W.), 6, 7, 9, 10, 11, 12, 16, 17, 29, 32, 33,
85, 192, 196.
Saint -Ours (Charles de), 32, 122.
Saint-Ours (R. de), 32.
Saint-Réal (Valhères de), 128, 145, 140, 150, 153, 154,
155, 157, 158, 159, 170, 188, 191.
Salaberry (C.-M. de), 122.
Salaberry (Louis de), 123.
S AN don (le vicomte), 211.
Sewell (le juge), 6, 16, 17,18, 20, 21, 23, 25, 26, 27,
28, 29, 31, 32, 33, 35. 38, 43, 48, 49, 55, 60, 61 67,
69, 85, 105, 221, 224, 230, 258, 259.
Sewell (Stephen), 19.
Sherbrooke (sir John Coape), 41, 43, 44, 45, 46, 47,
48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 63, 64,
66, 67, 68, 70, 71, 72, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84,
87, 99.
Spencer (lord), 9.
Stanley (E.), 210, 211.
Stephen (James), 211.
Stewart (C.-J), 192.
Stewart (John), 192.
Strachan (le rév.), 140, 284.
Stuart (Andrew), 19, 123.
Stuart (James), 6, 16, 18, 19, 21, 24, 25, 27, 28, 30,
36, 40, 41, 43, 44, 50, 55, 60, 61, 62, 63, 64, 123,
138, 139, 140, 141, 220, 241.
Stuart vs Bow.man, 202.
Taine (Hippolvte), 53.
Taschereau (F.-P.-J.), 123.
334 table des noms de personnes
Taschereau (J.-E.), 123.
Taschereau (M.), 20, 158.
Têtu (F.), 123.
TiNDAL (sirW.), 211.
ToDD fAlplicus), 161, 184, 205, 220, 234, 262.
Turgeon (Louis), 123.
V
Vallières (J.-A.), ]23.
Veritas (lettres de), 41.
ViGER (D.-B.), 13, 14, 133, 157, 184, 186, 204, 211,
213, 214, 215, 218, 231, 288.
ViLLIERS (F.-H.), 211.
W
Wallace (T.), 211.
Wellington (le duc de), 39, 50, 88, 204, 205, 233.
WiLCOx vs WiLCOx, 202.
Williams (Jenkln), 22.
WiLMOT, 113, 114, 115, 127, 134, 282, 289.
WiLMOT-HoRTON, 140, 142, 210, 211, 214, 215.
WiLSON (T.), 123.
W^ooLSEY (G.-W.), 123.
WORTLEY (J.-T.), 211.
Wynn (C), 211.
Yeo (sir James), 39.
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