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Full text of "Cours d'histoire du Canada"

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in  2009  with  funding  from 

Universityof  Ottawa 


http://www.archive.org/details/coursdliistoiredu03chap 


COURS  D'HISTOIRE  DU  CANADA 


DU  MEME  AUTEUR 


Les    congrégations    enseignantes    et    le 

BREVET    DE    CAPACITE,     1893 (in-12) 

Discours  et  conférences,  1898 (in-8-) 

Discours  et  conférences,  1913 (in-8-) 

Le  serment  du  roi,  1901 (in-12) 

Jean  Talon,  intendant  de  la  Nouvelle- 
France,  1904,  couronné  par  l'Académie 
française,  prix  Thérouanne,  (épuisé) (in-8-) 

Mélanges  de  polémique  et  d'études  re- 
ligieuses, politiques  et  littéraires, 
1905 (in-8-) 

Le  marquis  de  Montcalm,  couronné  par 
l'Académie  française,  1911,  prix  Thiers, 
triennal (in-8-) 

The  GREAT  intendant,  1912... (in-8-) 

Cours   d'Histoire  du  Canada  (1760-1791) 

volume  I,  1919 (in-8-) 

Cours  d'Histoire  du  Canada,  (1791-1818) 

volume  H,  1921 (in-8-) 


OOUES  D'HISTOIRE 


DU 


CANADA 


PAR 


THOMAS   CHAPAIS 

Professeur  d'histoire 
A  l'université  Laval 


TOIVIE    III 
1S1.5.1S33 


/ 


QUEBEC 
LIBRAIRIE  GARNEAU.  Limitée 

47,   RUE  BUADE 

1921 


Erwegistré  conformément  à  l'acte  du  Parlement  du  Canada  coDcer- 
nant  la  propriété  littéraire  et  artistique,  en  l'année  mil  neuf  cent 
dix-neuf,  par  THOMAS  CHAPAIS.  au  ministère  de  l'Agriculture, 
à  Ottawa. 


>' 


PREMIÈRE  LEÇON 


V' 


Epoque  difficile  et  complexe. — Une  tâche  ardue  s'impose  au 
professeur  et  aux  auditeurs. — La  situation  politique  dans 
le  Bas-Canada  en  1815. — L'attitude  de  sir  George  Prévost. 
• — -Ses  efforts  pour  satisfaire  les  Canadiens. — Le  contre-pied 
de  Craig. — ^Mgr  Plessis  et  son  titre  épiscopal. — Pierre  Bcdard 
nommé  juge. — Irritation  de  Ryland  et  de  l'évêque  Moun- 
tain.— L'Assemblée  législative. — Son  état  d'esprit. — Cou- 
rants alternatifs. — Sympathie  et  défiance. — Loyauté  durant 
la  guerre.  —  Ressentiments  rétrospectifs.  —  Escarmouches 
entre  Prévost  et  la  majorité. — La  passion  des  représailles. — ■ 
Le  juge  Sewell. — La  campagne  des  impeachments. — James 
Stuart  instigateur. — Question  personnelle. — Esquisse  d'un 
caractère. — Actes  d'accusation  contre  Sewell  et  Monk. — ■ 
Les  règles  de  pratique  et  la  responsabilité  pour  les  coups 
d'Etat  de  Craig. — Prévost  refuse  de  suspendre  les  juges. — 
Mécontentement  et  blâme  de  la  Chambre. — Motion  répara- 
trice.— Difficultés  de  la  tâche  entreprise  par  la  majorité. — 
Rien  de  criminel  dans  les  règles  de  pratique. — La  responsa- 
bilité des  conseillers  exécutifs. — Principe  inadmissible  par 
la  métropole  en  1815. — Conflits  entre  l'Assemblée  et  le 
Conseil. — Un  bill  d'éducation. — L'incapacité  des  juges  à 
siéger  au  Conseil. — Une  taxe  sur  les  salaires  des  fonction- 
naires.— -Appréciations  favorables  de  la  majorité  par  Prévost. 
— Les  impeacbmexits  en  Angleterre. — La  question  de  respon- 
^ySabilité  écartée. — Celle  des  règles  de  pratique  décidée  en 
faveur  des  juges. — Irritation  de  la  Chambre. — Départ  de 
Prévost  pour  justifier  sa  conduite  à  Plattsburg. — Sa  fin  pré- 
maturée.— Sir  Gordon  Drummond  lui  succède. — La  décision 
du  Conseil  privé  et  la  Chambre. — Elle  persiste  dans  son 
attitude. — Crise    politique. — Prorogation    et    dissolution. 

En  abordant  la  troisième  année  de  ces  leçons 
d'histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise, 
j'éprouve  le  besoin  d'adresser  mes  très  sincères  remer- 


b  COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 

ciements  aux  lidèlcs  auditeurs  dont  l'attention  sym- 
pathique me  soutient  depuis  deux  ans.  La  tâche  que 
nous  poursuivons  ensemble  est  ardue.  A  mesure  que 
nous  avançons  elle  le  devient  davantage.  Les  questions 
se  font  plus  complexes,  l'intelligence  exacte  des  situa- 
tions commande  un  plus  laborieux  effort.  Dans  ces 
études  d'histoire  la  recherche  de  la  vérité  doit  être  notre 
objectif  suprême.  Mais  plus  les  conflits  s'aggravent, 
plus  les  opinions  se  heurtent,  plus  les  théories, 
les  doctrines  politiques,  les  intérêts  en  cause  accentuent 
violemment  leurs  divergences,  et  plus  la  règle  d'équité 
et  d'impartialité  souveraines  qui  s'impose  à  nos  cons- 
ciences est  difficile  à  observer.  Le  passé  a  tant  de 
prolongements,  tant  de  répercussions  dans  le  présent. 
Comment  se  dépouiller  des  sentiments,  des  impressions 
d'aujourd'hui  pour  le  juger  et  l'apprécier  avec  le  calme, 
la  pondération  et  le  discernement  de  la  justice?  II 
le  faut  cependant  si  l'on  veut  faire  œuvre  de  critique 
sérieuse,  dégagée  de  tout  préjugé,  de  tout  esprit  de 
système,  de  toute  conception  a  priori,  si  l'on  veut  faire 
œuvre  de  sincérité,  de  loyauté  intellectuelle  et  de  pro- 
bité historique.  Cette  année,  comme  durant  les  pré- 
cédentes, je  compte  sur  les  lumières,  sur  la  rectitude 
de  pensée,  sur  la  largeur  d'esprit  de  cet  auditoire  d'élite 
pour  me  faciliter  ma  tâche. 

Si  vous  le  voulez  bien,  nous  commencerons  cette 
troisième  série  de  notre  cours  par  une  étude  rapide  de 
la  situation  politique  bas-canadienne  au  sortir  de  la 
guerre  de  1812.  Où  en  étions-nous  à  ce  moment,  quel 
était  notre  état  d'esprit,  quelles  disspositions  animaient 
notre  législature?  Toutes  les  classes  et  tous  les  élé- 
ments se  réjouissaient  du  glorieux  résultat  de  la  guerre 
et  de  son  heureuse  issue.  Pour  repousser  l'ennemi  de 
nos  frontières  menacées,  le  ralliement  s'était  fait    et 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  7 

les  efforts  s'étaient  coordonnés.  Pouvait-on  voir  dans 
cette  unité  d'action  patriotique  un  garant  de  concorde 
constitutionnelle  et  parlementaire?  On  aurait  pu 
raisonnablement  l'espérer.  La  disparition  de  Craig, 
l'échec  de  ses  desseins,  l'avortement  des  missions  diplo- 
matiques de  R;^Iand,  l'avènement  de  sir  George  Prévost 
et  ses  mesures  réparatrices  avaient  incontestablement 
[_j>roduit  une  détente. 

Dès  son  arrivée  dans  la  province  le  nouveau  gou- 
verneur s'était  efforcé  de  se  renseigner  sur  la  situation. 
Il  avait  parcouru  sans  aucun  apparat  officiel  quelques- 
uns  de  nos  comtés.  L'une  des  premières  choses  qui 
l'avaient  impressionné  était  le  prestige  dont  jouissait 
notre  clergé  auprès  du  peuple  canadien.  Et  il  s'était 
convaincu  que  son  prédécesseur  avait  commis  une 
grave  erreur  en  essayant  d'entraîner  la  métropole  dans 
un  conflit  politico-religieux  au  sujet  du  patronage 
ecclésiastique  (1).  Quelques  mois  à  peine  après  son 
entrée  en  fonctions,  il  demandait  à  Mgr  Plessis  de  lui 
communiquer  ses  vues  au  sujet  de  la  situation  qu'il 
convenait  de  faire  au  chef  de  l'église  catholique  cana- 
dienne, démarche  à  laquelle  le  grand  évêque  répondait 
par  un  viiLumineux  mémoire  sur  ce  qu'étaient  les 
évêques  du  Canada  avant  la  conquête,  sur  ce  qu'ils 


(1) — Le  7  novembre  1811,  Prévost  écrivait  à  Ryland:  "J'at- 
tends de  jour  en  jour  le  courrier  contenant  les  lettres  (d'Angle- 
terre) du  mois  d'août,  avec  l'opinion  des  officiers  en  loi 
relativement  à  la  prise  de  possession  du  patronage  de  l'église 
romaine  en  cette  province.  Je  ne  doute  pas  que  cette  opinion  ne 
soit  à  la  fois  réservée  et  modérée,  et  qu'un  arrangement  amiable 
ne  soit  préféré  à  l'appropriation  d'un  droit."  History  oj  Lower 
Canada,  Christie,  t.  VI,  p.  282).  Ryland  dut  assurément 
considérer  ces  lignes  comme  l'indice  de  dispositions  fâcheuses 
chez  le  successeur  de  Craig. 


i^ 


8  COURS  d'histoire  du  canada 

avaient  été  depuis,  sur  l'état  où  il  serait  à  propws  qu'ils 
fussent  à  l'avenir  (1).  Et  nous  avons  vu  qu'il  en  était 
résulté  une  décision  du  gouvernement  impérial  qui 
comportait  pour  notre  chef  ecclésiastique  une  aug- 
mentation de  ressources  très  propre  à  accroître  l'efïî- 
cacité  de  son  action  pastorale,  et  surtout  une  recon- 
naissance implicite  de  son  titre  épiscopal  (2).  Ultérieu- 
rement, sir  George  Prévost  rétablissait  dans  leurs 
grades,  par  un  acte  solennel,  les  hommes  politiques, 
officiers  de  milice,  destitués  ab  irato  par  sir  James 
Craig  (3).  Mieux  encore,  le  gouverneur,  à  la  première 
occasion  favorable,  appelait  à  siéger  sur  le  banc  de  la 
magistrature  et  revêtait  de  l'hermine  judiciaire  le 
parlementaire  qui  avait  provoqué  toutes  les  fureurs 
bureaucratiques,  Pierre  Bédard,  l'adversaire  le  plus 
déterminé  et  la  victime  de  son  prédécesseur.  (4) 

Ces  actes   significatifs   ne  pouvaient  manquer  de 
désoler  la  coterie  qui   avait  soutenu   et   applaudi   le 

(1) — Mandements  des  évêques  de  Québec,  t.  III,  p.  79. — Vie 
de  Mgr  Plessis,  par  l'abbé  Ferland,  Foyer  Canadien,  t.     I,  p.    155. 

(2) — Archives  du  Canada:  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
Q.  119,  p.  33;  Prévost  à  lord  Batburst,  18  novembre  1812;  lord 
Batburst  à  Prévost,  2  juillet  1813;  Christie,  VI,  p.  312. 

(3) — Le  19  octobre  1812  l'assistant  adjudant-général  pu- 
bliait un  ordre  de  Son  Excellence  le  commandant  en  chef,  en 
vertu  duquel  MM.  Pierre  Bédard  et  Joseph-Levasseur  Borgia, 
étaient  rétablis  dans  leur  grade  de  capitaines  du  premier  bataillon 
de  Québec.     {Gazette  de  Québec,  octobre  1812.) 

(4) — Archives  du  Canada,  Q.  121,  p.  49;  Prévost  à  lord 
Batburst,  22  janvier  1813. — M.  Pierre-Louis  Panet,  juge  de  la 
Cour  du  banc  du  Roi  à  Montréal,  est  mort  le  2  décembre  1812; 
Prévost  a  nommé  M.  le  juge  Foucher,  de  la  Cour  provinciale 
des  Trois-Rivières,  à  la  place  de  M.  Panet,  et  M.  Pierre  Bédard 
à  la  place  du  juge  Foucher  dans  ce  dernier  poste. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  9 

gouvernement  arbitraire  de  Craig.  M.  Ryland  épan- 
chait dans  sa  correspondance  les  amertumes  de  son 
cœur.  Prévost,  après  quelque  temps,  l'avait  remercié 
de  ses  services  comme  secrétaire  civil  du  gouverneur, 
et  naturellement  cela  n'avait  pas  peu  contribué  à 
assombrir  l'humeur  du  fonctionnaire  amputé  d'un 
de  ses  nombreux  et  plantureux  cumuls.  Dans  une 
lettre  à  lord  Spencer,  un  homme  politique  anglais  qu'il 
avait  connu  durant  sa  mission  à  Londres,  il  se  plaignait 
vivement  du  traitement  qu'il  avait  subi.  "Ni  directe- 
ment, ni  indirectement,  écrivait-il,  je  n'ai  entendu 
assigner  une  seule  raison  de  la  conduite  de  sir  George 
Prévost  envers  moi.  .  .  Je  suis  prêt  à  admettre,  toute- 
fois, que,  par  l'ensemble  de  ma  correspondance  avec 
lui  durant  mon  séjour  en  Angleterre,  il  a  pu  constater 
que  mes  sentiments  à  propos  du  système  politique  le 
mieux  adapté  à  l'administration  de  ce  gouvernement 
sont  absolument  opposés  aux  siens.  Mais  je  n'ai 
essayé  à  aucun  moment  de  les  faire  prévaloir  auprès 
de  lui.  Je  ne  puis  cependant  m'empécher  de  déplorer 
que  ces  mesures,  considérées  pendant  les  dix  ou  douze 
dernières  années  comme  les  principaux  objets  de  cette 
branche  de  la  correspondance  coloniale,  aient  été  mises 
au  rancart,  peut-être  pour  toujours.  Je  sais  que  le 
gouverneur  actuel  de  cette  province  les  tient  en  mince 
estime,  mais  ses  prédécesseurs  immédiats,  le  lieutenant 
gouverneur  Milnes  et  sir  James  Craig,  les  considéraient 
de  la  plus  haute  importance  pour  les  intérêts  de  la  Cou- 
ronne et  le  bien  général  de  cette  colonie."  (1)  Dans 
une  sorte  de  revue  de  la  situation  politique  bas-cana- 
dienne, écrite  subséquemment  par  le  confident  et 
l'ambassadeur  déconfit  de  sir  James  Craig,  il  spécifiait 

(1)— Christie,  VI,  p.  303. 


10  COURS  d'histoire  du  canada 

plus  longuement  ses  griefs  d'ordre  public  contre  sir 
George  Prévost.  "Avant  son  arrivée  au  Canada, 
disait  IVI.  Ryland,  cet  ofiicier  avait  reçu  les  plus  amples 
infoi  mations  relativement  à  toutes  les  mesures  prises 
par  son  prédécesseur  ou  recommandées  par  lui  aux 
ministres  de  Sa  Majesté  afin  de  combattre  les  procédés 
de  l'Assemblée  et  d'assurer  à  la  Couronne  une  plus 
grande  influence  dans  la  province.  Malheureusement 
il  existait  dans  l'esprit  de  sir  George  Prévost  un  pré- 
jugé fortement  enraciné  contre  l'ancien  gouverneur 
en  chef;  et  il  n'y  a  que  trop  lieu  de  croire  qu'il  entrait 
en  fonctions  avec  la  prédisposition  de  jeter  du  discrédit 
sur  la  mémoire  de  ce  dernier  et  la  détermination  de 
poursuivre  à  tous  risques  une  ligne  politique  diamé- 
tralement opposée  à  la  sienne,  sur  tous  les  points."  M. 
Ryland  énumérait  ensuite  les  actes  que  l'on  pouvait, 
suivant  lui,  reprocher  à  sir  George  Prévost.  Le  nou- 
veau gouverneur  avait,  presque  aussitôt  après  son 
arrivée,  transformé  la  composition  du  Conseil  exécutif 
en  y  faisant  nommer  d'un  seul  coup  sept  nouveaux 
membres  outre  les  neuf  qui  en  faisaient  déjà  partie, 
ce  qui  indiquait  chez  lui  le  désir  de  rabaisser  le  Con- 
seil qui  avait  appuyé  les  mesures  de  son  prédécesseur 
dans  les  circonstances  les  plus  difficiles.  (1)  Sir  George 


(1) — Les  nouveaux  membres  nommés  à  la  demande  de  sir 
George  Prévost  étaient  MM.  John  Richardson,  Jean-Baptiste 
Hertel  de  Rouville,  John  CaldwcII,  Ignace-Aubert  de  Gaspé, 
James  Cuthbert,  Charles-Gaspard  de  Lanaudière,  Jacques 
Perrault  et  Charles-William  Grant.  Sir  George  avait  un  peu 
plus  tard  recommandé  d'ajouter  au  Conseil  législatif  les  messieurs 
suivants:  Antoine-Juchcrcau  Duchesnay,  James  Kerr,  Ross 
Cuthbert,  Michacl-Hcnry  Percival,  John  Muir,  Olivier  Perrault 
et  William-Batchelor  Coltman  (Archives  du  Canada:  Papiers 
d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  114,  pp.  182,  199.) 


^. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  11 

Prévost  avait  ensuite  nommé  juge  M.  Bédard.  Aux 
yeux  de  M.  Ryland,  on  le  conçoit  facilement,  cette 
nomination  était  un  scandale.  "L'homme  dont  les 
écrits,  sous  l'administration  précédente,  avaient  été 
déclarés  libelles  séditieux  par  les  grands  jurys  de  Québec 
et  de  Montréal,  était  élevé  sur  le  banc  comme  juge 
provincial  des  Trois-Rivières,  et  se  trouverait  ainsi  ^1^^ 
associé  au  juge  en  chef  de  la  province,  qui,  en  sa  qualité 
de  conseiller  exécutif,  avait  concouru  en  1810  à  son 
incarcération  dans  la  prison  de  Québec."  L'incident 
de  Mgr  Plessis,  dont  Ryland  avait  conservé  un  souvenir 
cuisant,  ne  pouvait  être  omis  par  lui  dans  cette  récapi- 
tulation de  griefs.  "Sir  George  Prévost,  écrivait  l'ex- 
secrétaire  civil,  était  parfaitement  au  courant  de  tout 
ce  qui  avait  eu  lieu  sous  les  administrations  des  deux 
gouverneurs  précédents  relativement  à  la  main-mise 
de  la  Couronne  sur  le  patronage  de  l'église  catholique 
romaine.  .  .  De  plus  il  connaissait  très  bien  le  carac- 
tère du  successeur  de  Mgr  Denaut.  Et,  en  ajoutant 
au  pouvoir  que  ce  prélat  avait  déjà  assumé  un  revenu 
qui  aurait  pu  être  le  prix  d'un  amoindrissement  de 
son  autorité,  on  devait  être  assuré  que  ce  dignitaire  ecclé- 
siastique obtiendrait  dans  la  province  un  degré  d'in- 
fluence supérieur  à  celui  que  le  représentant  de  Sa 
Majesté  pourrait  jamais  espérer.  Cependant,  pour 
obtenir  une  ceitaine  popularité  personnelle,  sans  que 
les  intérêts  de  Sa  Majesté  en  fussent  aucunement 
favorisés,  il  recommanda  que  l'allocation  de  M.  Plessis 
comme  surintendant  de  l'église  romaine  en  Canada 
fût  élevée  de  deux  cents  à  mille  louis  sterling  annuelle- 
ment, et  cela  sans  stipuler,  semble-t-il,  l'abandon  d'au- 
cun des  pouvoirs  assumés  illégalement  par  ce  prélat .  .  . 
Ayant  reçu  du  gouverneur  communication  de  la  lettre 
du   secrétaire  d'Etat  autorisant  cette  allocation,  Mgr 


a^' 


12  COURS  d'histoire  du  canada 

Plessis  profita  de  l'occasion  pour  réclamer  que,  dans 
le  mandat  émis  à  cet  effet,  l'appellation  de  "surinten- 
dant de  l'église  romaine"  fût  remplacée  par  celle 
"d'évcque  catholique  romain  de  Québec",  titre  que 
le  gouvernement  provincial  avait  jusque-là  refusé  de 
reconnaître,  mais  que  le  présent  gouverneur  n'hésita 
pas  à  accorder  en  dépit  des  instructions  royales,  et  en 
violation  directe  des  lettres  patentes  de  Sa  Majesté 
établissant  le  siège  (anglicaii)  de  Québec."  (1) 

M.  Rj^and  n'était  pas  seul  à  gémir  sur  l'attitude 
de  sir  George  Prévost.  Son  ami  l'évéque  piotestant, 
Ie_dQCteur  Mountain,  avait  vu  avec  douleur  Mgr 
Plessis  proclamé  évêque  de  Québec  dans  un  document 
officiel.  Le  15  décembre  1813,  il  écrivait  à  lordBathurst 
pour  appeler  son  attention  sur  les  termes  du  mandat 
où  le  titre  de  "surintendant  de  l'église  romaine"  s'était 
transformé  en  celui  "d'évêque  catholique  de  Québec, 
conformément  à  une  dépêche  du  comte  de  Bathurst, 
en  date  du  2  juillet  1813."  Et  il  ajoutait  cette  phrase 
significative:  "C'est  par  respect  que  je  m'abstiens 
de  faire  aucun  commentaire  sur  l'opportunité  de  cette 
mesure."  (2) 

Les  dispositions  et  la  mentalité  de  sir  George 
Prévost,  manifestés  par  des  actes  qui  lui  valaient 
l'animadversion  de  nos  adversaires,  étaient  assurément 
de  nature  à  lui  gagner  la  confiance  de  nos  représentants 
\j  et  de  nos  chefs.  Il  l'obtint  effectivement.  A  maintes 
reprises  la  majorité  canadienne  dans  la  Chambre  lui 
donna  des  témoignages  non  équivoques  de  son  estime 
et  de  son  respect.  Elle  acquiesça  avec  empressement, 
nous  l'avons  vu,  aux  principales  mesures  qu'il  recom- 

(D— Christie,  VI,  pp.  331-335. 

(2)— Archives  du  Canada,  Q.  126,  p.  170. 


COURS  d'histoire  du  canada  13 

manda  pour  la  défense  de  la  province.  Mais  on  se 
ferait  une  idée  peut-être  insufTisamment  exacte  de  la 
situation  politique  sous  le  gouvernement  de  sir  George 
Prévost  si  l'on  se  figurait  que  cette  bonne  entente 
fut  absolument  sans  nuages.  Et  nous  manquerions 
à  notre  devoir  d'historien  si  nous  ne  signalions  pas 
chez  la  majorité  de  l'Assemblée  un  état  d'esprit  d'une 
coniplexité  singulière.  En  présence  d'une  adminis- 
tration bien  disposée,  la  mentalité  parlementaire  parut 
agitée  tour  à  tour  par  des  courants  alternatifs  de 
sympathie  et  de  susceptibilité.  On  sortait  des  luttes 
de  Craig,  du  régime  des  coups  de  force,  des  actes  arbi- 
traires et  des  entreprises  attentatoires  à  nos  droits. 
Et,  malgré  la  satisfaction  que  ne  pouvait  manquer 
d'inspirer  la  politique  réparatrice  de  sir  George  Prévost, 
on  conservait  des  crises  antérieures  une  nervosité  per- 
sistante, une  défiance  incoercible,  un  esprit  d'animosité 
rétrospective  auxquels  on  donnait  trop  facilement 
carrière.  Ces  dispositions  se  manifestèrent  à  plusieurs 
reprises.  A  propos  même  du  conflit  anglo-américain, 
un  certain  élément  de  la  députation,  recruté  surtout 
parmi  les  jeunes  représentants,  outrés  des  coups  d'état 
de  Craig,  voulut  faire  prévaloir  la  politique  des  bras 
croisés.  "H  y  aurait  eu  une  réunion  secrète  à  Québec 
chez  M.  Lee,  où  assistaient  MM.  Viger,  L.-J.Papineau, 
Borgia  et  plusieurs  autres,  pour  délibérer  s'il  ne  con- 
viendrait pas  de  rester  neutres  et  de  laisser  au  parti 
qui  dominait  le  pouvoir  oppresseur  qui  nous  gouver- 
nait à  le  défendre  comme  il  pourrait,  mais  M.  Bédard 
et  ses  amis  s'y  étaient  opposés  et  le  projet  avait  été 
abandonné."(l) 

(1) — Histoire  du  Canada,  Garneau,  édition  de  18.')2,  t.  IV, 
p.  84. 


14  COURS  d'histoire  du  canada 

Pour  tout  ce  qui  concernait  la  guerre,  la  conduite  de 
la  Cliambre  fut  inspirée  par  la  loyauté  la  plus  sincère 
et  par  le  patriotisme  le  plus  ardent.  Sur  d'autres  ques- 
tions le  gouverneur  expérimenta  sa  susceptibilité.  Dès 
la  première  session  de  1812,1a  majorité  ne  put  résister 
au  désir  de  récriminer  contre  les  actes  de  la  précédente 
administration.  Au  sujet  du  renouvellement  des  lois 
pour  assurer  la  préservation  du  gouvernement  de  Sa 
Majesté,  l'Assemblée  déclara  qu'elle  y  donnerait  toute 
son  attention,  "malgré  la  répugnance  que  pourrait  lui 
faire  éprouver  l'abus  qu'on  avait  fait  de  l'un  de  ces 
actes  et  les  mauvais  résultats  qui  auraient  pu  s'en  sui- 
vre." Sur  quoi  le  gouverneur  répondit:  "Jenepuis  m'em- 
pêchcr  de  regretter  qu'à  cette  occasion  vous  ayez  cru  ex- 
pédient de  porter  votre  attention  sur  des  procédés  qui 
ont  eu  lieu  sous  aucun  de  ces  actes,  et  je  vous  engage 
ardemment, comme  le  moyen  Is  plus  efficace  d'assurer 
la  tranquilité  de  la  province  et  de  manifester  votre  ar- 
deur pour  le  bien  public,  de  diriger  vos  soins  entière- 
ment sur  l'état  actuel  des  affaires."  (l)  Ce  conseil  pro- 
duisit sur  l'assemblée  peu  d'effet, car  elle  adopta  bien- 
tôt une  résolution  décrétant  la  formation  d'un  comité 
pour  faire  une  enquête  sur  l'état  de  la  province,  sur  les 
événements  publics  qui  avaient  eu  lieu  durant  l'ad- 
ministration de  sir  James  Craig  et  sur  leurs  causes. 
Ce  comité  était  composé  de  MM.  Lee,  L.-J.  Papineau 
P.  Bédard,  Viger  et  Joseph  Papineau,  auxquels  on 
ajouta  subséquemment  MM.  Bellet,  Roi  et  Blanchet; 
et  ses  séances  devaient  être  secrètes.  On  ignore  ce 
qu'il  en  advint.  Il  semblerait  que  ces  résolutions  n'eu- 
rent pas  de  suite  à  cause  des  sollicitudes  plus  urgentes 

(1) — Journal  de   la   Chambre   d'Assemblée  du   Bas-Canada, 
1812,  p.  69. 


COURS  d'histoire  du  canada  15 

qui  s'imposèrent. (l)  Durant  la  même  session  le  bill  re- 
latif à  la  meilleure  préservation  du  gouvernement  de 
Sa  Majesté  et  celui  qui  concernait  les  étrangers  don- 
nèrent lieu,  entre  le  Conseil  législatif  et  laChambre,  à 
des  divergences  que  des  conférences  conjointes  ne  pu-  H\lt»\fteV 
rent  concilier.     Et  ces  deux    mesures    échouèrent.  (2)       i     ^ 

Les  recrmimations  contre  les  abus  de  pouvoir  de  sir 
James  Craig  pouvaient  bien  paraître  intempestives  et 
oiseuses,  dans  ce  moment  de  crise  nationale;  le  désaccord 
entre  laChambre  et  le  Conseil  à  propos  de  projets  de  loi 
plus  ou  moins  importants  pouvait  bien  être  consi- 
déré comme  fâcheux  et  inopportun  par  sir  Georges 
Prévost.  Toutefois,  personnellement,  il  n'était  pas  atteint 
par  ces  incidents.  Mais  il  allait  bientôt  être  mis  di- 
rectement en  cause.  En  ouvrant  la  session  de  juillet  \^j^  i^p 
1812.  outre  l'adoption  de  mesures  financières  néces-  ' 

saires  pour  faîire  face  au  péril  américain,  il  demandait 
aux  chambres  pour  le  gouvernement  le  pouvoir  de  sup- 
primer toute  tentative  de  désordre  et  d'insubordina- 
tion, et  de  punir  immédiatement  toute  offense  pro- 
pre à  interrompre  ou  à  menacer  la  tranquilité  publique. 
La  législature,  ajoutait-il,  le  ferait  d'autant  plus  vo- 
lontiers qu'elle  devait  être  convaincue  qu'en  tout  temps 
"sa  commission  l'autorisait  à  déclarer  la  loi  martiale  en 


(1) — Christie,  II,  p.  5. 

(2) — Ibid.  p.  6. — Le  principal  amendement  adopté  par  la 
Chambre  avait  pour  objet  de  transférer  du  Conseil  exécutif  au 
gouverneur  seul  le  pouvoir  de  décréter  l'emprisonnement  des 
personnes  soupçonnées  d'actes  entachés  de  trahison  {treasonable 
practices),  et  aussi  d'insérer  ce  proviso:  "Rien  dans  cette  loi  ne 
sera  interprété  comme  autorisant  l'emprisonnement  ou  la  déten- 
tion d'aucun  membre  de  l'une  ou  l'autre  des  chambres  du  parle- 
ment provincial."  {Journal  de  la  Chambre,  1812,  p.  201.) 
2 


IG  COURS  d'histoire  du  canada 

lorcc  dans  toute  son  étendue. "(l)  La  majorité  goûta 
fort  peu  cette  déclaration.  Durant  cette  courte  ses- 
sion elle  ne  prit  cependant  aucune  action  à  ce  sujet. 
Mais  à  la  session  de  1813,  l'Assemblée,  sur  motion  de 
M.  James  Stuart,  visant  spécifiquement  le  discours 
de  sir  George  Prévost,  affirma"  que  les  limites  et  l'o- 
pération de  la  loi  martiale  en  cette  province  ne  pou- 
\  aient  être  entendues  sans  l'autorité  du  parlement  pro- 
vincial." (2)  A  ce  moment  le  gou\erneur  nous  avait 
déjà  donné  des  témoignages  multiples  de  sa  sympathie 
et  de  sa  sincérité.  Ryland  était  en  disgrâce.  Les  of- 
ficiers de  milice  destitués  par  Craig  étaient  réintégrés 
dans  leurs  grades.  M.  Pierre  Bédard  était  élevé  à  la 
magistrature.  Devant  ces  gages  d'une  bonne  volonté 
mdéniable,  n'eût-il  pas  valu  mieux  pour  la  majorité 
se  borner  à  un  silence  suffisamment  significatif,  et  ne 
donnait-elle  pas  droit  à  sir  George  Prévost  de  la  trou- 
} — \:Êr  trop  ombrageuse  ? 

L'état  d'esprit  que  nous  avons  essayé  d'analyser  tout 
à  l'heure  devait  bientôt  se  manifester  sous  une  forme 
plus  grave.  Une  des  grandes  tentations  et  l'une  des 
grandes  erreurs  des  partis  politiques,  à  la  suite  des  crises 
aiguës  et  des  luttes  violentes,  c'est  la  passion  des  re- 
présailles.  II  ne  suffit  pas  d'être  sorti  victorieux  d'une 
lutte  électorale,  constitutionnelle  ou  parlementaire,  il 
faut  que  des  pénalités  soient  le  corollaire  de  la  défaite; 
il  faut  se  venger  des  adversaires.  Et,  succombant  à 
l'illusion  que  l'on  recherche  uniquement  le  triomphe 
de  la  justice,  on  se  laisse  trop  facilement  glisser  sur  la 
pente  de  la  persécution.    En  1813,  le  juge  Sewell,  no- 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1812,  deuxième  session. 
{2)—Ibid.,  1813,  p.  179. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  17 

nobstant  ses  dignités  et  ses  fonctions  largement  rétri- 
buées, faisait  en  somme  figure  de  vaincu.  Comme  Ry- 
land  et  comme  le  Dr  Mountain,  il  avait  été  l'aviseur 
de  sir  James  Craig.  II  avait  mis  la  main  aux  projets  dont 
le  but  était  l'anéantissement  de  notre  église  et  le  bou- 
leversement de  notre  constitution.  Et  il  les  avait  vus 
échouer,  la  métropole  refusant  de  les  mettre  à  exécu- 
tion. A  Craig  avait  succédé  un  gouverneur  dont  la 
politique  était  le  contre-pied  de  la  sienne.  Nous  n'avons 
pas  la  bonne  fortune  de  posséder  la  correspondance 
intime  du  juge  Sewell.  Mais  nous  sommes  assuré  qu'à 
l'instar  de  Ryland  et  de  l'évcque  anglican  le  haut 
fonctionnaire  devait  y  dénoncer  assurément  le  chan- 
gement radical  qu'avait  subie  l'administration  du  Bas- 
Canada. 

Cet  échec  de  nos  ennemis  ne  devait-il  pas  nous  sa- 
tisfaire? N'était-ce  pas  assez  pour  nous  d'avoir  triom- 
phé du  péril,  d'avoir  vu  se  rompre  les  trames  que  l'on 
avait  ourdies  contre  nos  droits  ?  Au  lendemain  de  notre 
victoire,  surtout  dans  un  moment  oii  notre  pays  était 
sous  le  coup  de  l'invasion  et  de  la  conquête,  pouvions- 
nous  espérer  servir  la  cause  nationale  en  entamant  une 
campagne  de  vindicte  politique,  et  convenait-il  de 
l'entreprendre?  On  pouvait  en  douter.  Notre  cham- 
bre bas-canadienne  jugea  différemment.  A^  la  session 
de  1813, elle  s'engagea  dans  une  longue  séri  de  débats 
et  de  procédures'  dont  l'objet  était  la  mise  en  accusa-  ScweJI 
tion  du  juge  Sewell,  et,  corrélativement,  de  son  collègue  \a^  ^ 
montréalais  le  juge  Monk. 

Comme  il  arrive  assez  souvent  dans  ces  occasions , 
le  mobile  d'ordre  public  se  doublait  ici  d'un  mobile 
d'ordre  privé.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  signaler  ce 
dualisme.  Les  coulisses  de  l'histoire  recèlent  souvent 
des  indications  qui  font  mieux  comprendre  le  jeu  des 


18  COURS  d'histoire  du  canada 

acteurs  en  scène.  Le  principal  instigateur  et  le  ]:)lus 
acharné  promoteur  de  la  mise  en  accusation,  ou,  pour 
nous  servir  du  terme  consacré  dans  la  langue  parle- 
mentaire britannique,  de  Vimpeachment  du  juge  Se- 
wcll,  ce  fut  M.  James  Stuart.  Or  j\I.  Stuart  avait  un 
vieux  compte  à  régler  avec  le  juge  en  chef.  Cet  homme 
public,  qui  a  joué  un  rôle  si  important  dans  les  an- 
nales politiques  et  judiciaires  de  notre  province,  était 
le  fils  d'un  loyaliste  de  l'empire  uni,  émigré  au  Canada 
lors  de  la  révolution  américaine.     Après  avoir  fait  ses 

jd^-V  classes  au  collège  de  Windsor  dans  la  Nouvelle-Ecosse, 

il  était  venu  étudier  le  droit  à  Québec,  et,  particularité 
^>fLff_  curieuse,  il  avait  eu  pour  patron  précisément  M. 
Sewell,  alors  procureur  général.  Admis  au  barreau  en 
1801,  il  était  nommé  solliciteur  général  quatre  ans 
plus  tard,  lorsqu'il  n'avait  que  vingt-cinq  a,ns.  En 
1808  les  électeurs  de  Montréal  et  du  comté  de  Buck- 
ingham  l'avaient  simultanément  choisi  pour  leur  re- 
"^  présentant.  (1)       M.  James  Stuart    était    un  homme 

3  0  -1  .-^c»  cloué  de  facultés  brillantes.  Il  possédait  des  connais- 
sances étendues  et  un  remarquable  talent  d'orateur. 
Sa  valeur  comme  légiste  était  incontestable.  On  ad- 
mirait chez  lui  une  rare  souplesse  d'esprit,  une  grande 
rapidité  de  conception,  une  activité  intellectuelle  cons- 
tamment en  éveil.  Les  vicissitudes  de  sa  carrière  de- 
vaient démontrer  que  son  caractère  n'était  pas  tou- 
jours à  la  hauteur  de  son  talent.  Vindicatif,  tenace  dans 

^\  \  ses  antipathies    et  en  même  temps  versatile  dans  ses 

opinions,  avec  ses  qualités  et  ses  défauts  c'était  unad- 
\ersaire   dangereux     et    un    ami  incertain.  (2)     Sous 

(1) — Henry  Morgan,  Sketches  oj  celebrated  Canadians,  p.  324. 

(2) — On   trouve   clans   le   Répertoire  National  un   parallèle 
intéressant  entre  M.  James  Stuart  et  son  cousin  M.  Andrew 


COURS   d'histoire  du   canada  19 

l'administration  de  sir  James  Craig  une  fâcheuse  in- 
compatibilité d'humeur  l'avait  mis  en  conflit  avec  ce 
gouverneur  autoritaire.  Et  au  mois  de  mai  19,09  il 
s'était  vu  révoqué  de  ses  fonctions.  Dans  la  lettre  officielle 
par  laquelle  le  chef  de  l'exécutif  annonçait  au  ministre 
cette  destitution,  sir  James  énumérait  ses  griefs,  dont 
quelques-uns  étaient  d'une  nature  très  spéciale.  M. 
Stuart,  paraissait-il,  avait  positivement  manqué  de  cour- 
toisie envers  le  représentant  de  la  Couronne,  et  cela 
sans  aucune  raison.  Il  s'était  abstenu  de  toutes  rela- 
lations  avec  le  gouverneur.  Il  ne  s'était  jamais  ins- 
crit à  l'hôtel  du  gouvernement,  et,  malgré  sa  position 
officielle,  il  n'avait  jamais  assisté  aux  levers  tenus  à 
l'occasion  de  la  naissance  du  roi.  Comme  député,  il 
avait  négligé  de  défendre  la  politique  de  l'exécutif  et 
voté  en  faveur  de  motions  dirigées  contre  le  gouver- 
neur. Dans  une  certaine  circonstance,  nommé  pour 
faire  partie  d'un  comité  chargé  de  se  rendre  auprès 
de  ce  dernier,  il  avait  négligé  d'être  présent.  Cette 
conduite,  d'après  sir  James,  était  incompatible  avec  la 
position  d'un  officier  public  et  suffisamment  repré- 
hensible  pour  justifier  sa  destitution.  (1)  Celui-ci 
avait  naturellement  conçu  de  cette  déchéance  une  vive 
irritation.  Et  quand  il  eut  constaté  que  le  solliciteur 
général  nommé  à  sa  place  était  M.  Stephen  Sewell,  le 
propre  frère  du  juge  en  chef,  il  joignit  dans  son  ressen- 
timent le  gouverneur  et  le  haut  magistrat  qu'il  con- 
sidérait comme  le  conseiller  de  sa  disgrâce. 


Stuart,  qui  siégea  aussi  dans  nos  assemblées.  M.  Aubin  en  était 
l'auteur.  II  manifestait  plus  d'estime  pour  le  second  que  pour 
le  premier  de  ces  deux  hommes  publics. 

(1) — Archives  du  Canada,  Q.  109,  p.  128;  Sir  James  Craig 
à  lord  Castlereagb,  1er  juin  1809. 


r  rA    i/fiy 


20  COURS  d'histoire  du  canada 

Tout  ceci  explique  l'ardeur  et  l'acharnement  qu'il 
^  manifesta  dans  la  question  des  impeacbments.  Se  fai- 
sant habilement  le  porte-parole  des  animosités  de  l'As- 
semblée contre  l'aviseur  de  Craig,  il  entama  la  bataille 
à  la  session  de  1813.  II  sembla  d'abord  restreindre 
l'attaque  a  des  actes  commis  par  le  juge  Sewell  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions  judiciaires,  et  demanda  une 
enquête  relative  à  la  rédaction  et  à  la  mise  en  vigueur 
de  certaines  règles  de  pratique,  qu'il  dénonça  comme 
une  usurpation  de  pouvoir  de  la  part  des  cours  de  jus- 
tice. Mais  à  la  session  de  1814  il  élargit  le  champ  de 
ses  accusations.  La  question  des  règles  de  pratique 
était  surtout  d'ordre  technique,  elle  n'intéressait  guère 
que  les  membres  de  la  profession  légale.  II  fallait  autre 
chose  pour  correspondre  aux  ressentiments  poli- 
tiques de  la  majorité.  Conséquemment,  à  côté  des  ac- 
cusations concernant  ces  règlements  de  procédure, 
figurèrent  toute  une  série  de  griefs  relatifs  au  rôle  joué 
par  le  juge  Sewell  comme  aviseur  de  Craig,  dans  les 
dissolutions  réitérées  du  parlement  en  1809  et  1810, 
dans  la  démission  des  officiers  de  milice  et  d'autres  of- 
ficiers publics,  dans  la  suppression  du  Canadien,  dans 
l'emprisonnement  de  MM.  Bédard,  Blanchet,  Tas- 
chereau,  Corbeil,  etc.,  etc.  Un  comité  d'enquête  fut 
nommé.  Les  officiers  de  justice  furent  assignés 
devant  lui  pour  produire  les  règles  de  pratique. 
II  fit  un  rapport  hostile  aux  juges.  Et  finalement  la 
Chambre  adopta  des  résolutions  dans  lesquelles 
étaient  énumérés  dix-sept  chefs  d'accusation  contre 
M.  Sewell,  juge  en  chef  du  Bas-Canada,  et  M.  Monk, 
juge  en  chef  de  Montréal.  Celui-ci  était  accusé 
des  mêmes  empiétements  que  le  premier  magistrat 
de  la  province  relativement  aux  règles  de  pratique, 
<  1  en    outre    de    certains    abus  d'autorité  dans  l'exer- 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 


21 


cice  de  ses  fonctions.  Les  chefs  d'accusation  ou  Heads 
oj  impeachment  se  terminaient  par  un  paragraphe  dont 
le  texte  fait  bien  comprendre  la  nature  des  procédures,., 
adoptées.  Le  voici: ^^Que  les  susdits  crimes  et  déhts  / 
ont  été  faits  et  commis  par  le  dit  Jonathan  Sewell,  juge 
en  chef  de  la  province  du  Bas-Canada,  et  par  là  le  dit 
Jonathan  Sewell  s'est  traîtreusement,  méchamment 
et  mahcieusement  efforcé  d'aliéner  le  cœur  des  sujets 
de  Sa  Majesté  dans  cette  province,  de  causer  de  la 
division  parmi  eux,  d'attenter  à  la  constitution  et  aux 
lois  de  cette  province,  d'y  introduire  un  gouvernement 
arbitraire  et  tyrannique  en  violation  consciente  des 
lois  bien  connues'  de  cette  province.  Et  ainsi  le  dit 
Jonathan  Sewell  a  non  seulement  violé  son  propre 
serment,  mais,  autant  qu'il  le  pouvait,  a  violé  le  ser- 
ment du  roi  envers  son  peuple  dont  le  dit  Jonathan 
Sewell,  représentant  Sa  Majesté  dans  son  office  si  émi- 
nent  de  magistrat,  a  la  garde  en  cette  province.  C'est 
pourquoi  les  dites  communes  mettent  en  accusation 
(impeach)  le  dit  Jonathan  Sewell,  se  réservant  la  liber- 
té de  produire  en  tout  temps  ci-après  d'autres  accusa- 
tions ou  mises  en  accusation  contre  le  dit  Jonathan 
Sewell  et  d'adopter  toutes  les  conclusions  ou  deman-  i 
des  qui  peuvent  en  découler,  conformément  à  laIoietJ_ 
à  la  justice."  (1)  L' impeachment  du  juge  Monk  se  ter- 
minait de  la  même  manière. 

Dans  toutes  ces  procédures  c'était  M.  Stuart  qui 
était  l'esprit  dirigeant.  A  ce  moment  il  jouait  vrai- 
ment le  rôle  de  chef  de  la  majorité.  (2)    Sur  sa  propo- 


(1) — Journal  de   la   Chambre   d'Assemblée   du    Bas-Canada, 
1814,  appendice  E. 

(2) — On    reconnaissait  la   main  de  M.  Stuart  spécialement 
dans  le  paragraphe  septième  de  V impeachment  du  juge  Sewell, 


22  COURS  d'histoire  du  canada 

sitlon  une  adresse  au  prince  régent  fut  votée  par  la 
Chambre,  afin  de  soumettre  à  la  Couronne  les  accusa- 
tions contre  les  juges  incriminés  et  demander  qu'on 
leur  enlevât  leurs  commissions.  En  même  temps  il 
rédigeait  et  faisait  adopter  une  adresse  au  gouverneur 
pour  le  prier  de  transmettre  la  communication  de  l'As- 
semblc'c  à  Son  Altesse  Royale,  et  de  suspendre,  pen- 
dant l'instance,  les  magistrats  mis  en  accusation,  (l) 
Sir  George  Prévost  se  trouvait  donc  mis  en  demeure 
de  prendre  position  dans  leconflit  entre  la  chambre  et 
les  juges  en  chefs.  Son  attitude  ne  pouvait  être  dou- 
teuse et  les  têtes  dirigeantes  de  l'Assemblée  auraient 
dû  le  prévoir.  Le  gouverneur  ne  devait  pas  rendre 
une  sorte  d'arrêt  préjudiciel  contre  les  juges,  sur  des 
accusations  qui,  d'une  part,  touchaient  à  des  griefs  ju- 
ridiques d'une  gravité  douteuse,  et,  de  l'autre,  sou- 
levaient, on  le  verra  dans  un  instant,  une  question  de 
politique  coloniale  extrêmement  complexe.  II  lit  donc 
à  l'orateur, qui,  accompagné  de  toute  laChambre, était 
allé  lui  présenter  l'adresse  au  château  Saint-Louis,  la  ré- 
ponse suivante:  "Je  profiterai  de  la  première  occasion 
pour  transmettre  aux  ministres  de  Sa  Majesté  votre 
adresse  à  Son  Altesse  Royale  le  prince  régent,  ainsi 
que  les  articles  d'accusation  proférés  par  vous  contre 
le  juge  en  chef  de  la  pro\'ince  et  le  juge  en  chef  du  dis- 
trict de  Montréal,  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  expc"- 
dient  de  les  suspendre  de  leurs  charges,  sur  une  adresse 
à  cette  fin  émanant  d'une  seule  branche  de  la  législa- 
ture, basée  sur  des  articles  d'accusation  sur  lesquels  le 

où  il  était  accusé  d'avoir  conseillé  la  destitution  de  bons  et 
loyaux  sujets,  "et  cela,  dans  un  cas  particulier,  pour  procurer 
l'avancement  de  son  frère." 

(D— Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  341. 


COURS  d'histoire  du  canada  23 

Conseil  législatif  n'a  pas  été  consulté  et    auxquels    il 
n'a  pas  concouru".   (1) 

Cette  réponse,  qui  aurait  due  être  prévue,  irrita  vive- 
ment les  chefs  de  la  majorité.  Sur  le  champ  ils  firent 
insérer  dans  les  journaux  de  la  Chambre  la  riposte  sui- 
vante: "Résolu  que  les  accusations  produites  par 
cette  Chambre  contre  Jonathan  Sewell  et  James  Monk 
écuyers,  ont  été  correctement  désignées  par  le  terme  de 
Heads  oj  impeachment;  que  c'est  le  droit  constitution- 
nel indisputable  de  cette  chambre  d'offrir  son  humble 
avis  à  Son  Excellence  le  gouverneur  en  chef  sur  des 
matières  affectant  le  bien-être  des  sujets  de  Sa  Ma- 
jesté dans  cette  province,  sans  le  concours  du  Conseil 
législatif,.  .  que  Son  Excellence  le  gouverneur  en  chef, 
par  sa  dite  réponse  à  l'adresse  de  cette  Chambre,  a  violé 
les  droits  constitutionnels  et  les  privilèges  de  cette 
Chambre".  (2)  C'était  raide,  surtout  lorsque  l'on  con- 
sidère que  ceci  s'adressait  à  sir  George  Prévost,  dont 
l'attitude  générale  nous  était  si  manifestement  favo-  ^'^■^• 

rable,  et  dont  l'administration  avait  réparé  la  plupart  ,a  .^^  ^.  j 
des  injustices  commises  par  son  prédécesseur.  C'était 
tellement  excessif  que  l'Assemblée,  refroidie,  s'en  aper-  \ 
çut  elle-même,  et,  se  ressaississant  quatre  jours  plus 
tard,  essaya  de  pa'Iier  le  fâcheux  incident  en  adoptant 
cette  motion  aux  intentions  réparatrices:  "Nonobstant 
les  avis  pervers  et  méchants  donnés  à  Son  Excellence 
le  gouverneur  en  chef,  au  sujet  des  droits  constitution- 
nels et  des  privilèges  de  cette  Chambre,  et  nonobstant 
les  efforts  de  conseillers  mal  disposés  pour  l'induire  en 
erreur  et  le  brouiller  avec  les  fidèles  communes  de  Sa  Ma- 


(l)— Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  329. 
(2)— Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  391. 


btlC 


t'1 


24  COURS  d'histoire  du  canada 

jesté  en  cette  province, cetteCliambrc  n'a  aucunement 
modifié  l'opinion  qu'elle  a  toujours  entretenue  de  la 
sage  administration  de  Son  Excellence,  et  elle  est  dé- 
terminée à  adopter  les  mesuies  que  le  gouvernement 
juge  nécessaires  pour  son  support  et  la  défense  de  la 
province."  (1)  Sous  une  forme  plus  ou  moins  heureuse 
c'était  une  expression  de  regret  pour  la  violence  de  la 
résolution  antérieure.  Mais  il  ne  faut  pas  croire  qu'elle 
fût  votée  unanimement.  Elle  ne  passa  qu'à  trois  voix 
de  majorité,  par  douze  voix  contre  neuf,  les  votes  hos- 
tiles étant  ceux  de  MM.  Stuart,  L.-J.  Papineau,  Bor- 
gia,  Pyke,  Mure,  Bruneau,  Bell,  Pozer  et  Huot    (2). 

Ces  incidents  montrent  quel  était  le  tempérament 
de  la  Chambre.  Elle  ne  savait  pas  assez  maîtriser  sa 
rancœur  ni  mettre  une  sourdine  à  son  irritabilité. 
Elle  se  laissait  pousser  aux  extrêmes  par  un  homme  qui 
exploitait  son  animosité  très  compréhensible  contre  la 
camarilla  bureaucratique,  afin  de  servir  ses  vengeances 
personnelles.  Cette  campagne  cV impeachment  était 
une  faute.  D'abord  le  moment  était  inopportun.  En 
pleine  guerre,  lorsque  l'ennemi  était  à  nos  portes  et 
que  le  sang  de  nos  soldats  coulait  pour  la  défense  du 
territoire  national,  notre  parlement  avait  à  se  préoc- 
cuper de  sollicitudes  plus  urgentes  que  celle  de  discuter 
des  questions  de  procédures  judiciaires,  ou  de  ramener 
sur  le  tapis  les  injustices  en  partie  réparées  d'une  ad- 
ministration disparue.  En  outre  la  tentative  de  l'As- 
semblée était  vouée  à  un  échec  certain.  Et  cela  pour 
un  double  motif.  Les  impeachmerits  s'appuyaient  sur 
deux  ordres  de  griefs,  les  uns  relatifs  aux  fameuses  rè- 
gles de  pratique,  les  autres  relatifs  à  la  responsabilité 

(D— Journal  de  la  Cbarnbre,  1814,  p.  409. 
(2)— Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  411. 


COURS  d'histoire  du  canada  25 

des  conseillers  exécutifs  pour  les  actes  arbitraires  de 
Craig.       Or  ni  ceux-là  ni  ceux-ci  ne  pouvaient  aboutir 
à  un  succès  auprès  des  autorités   impériales.       Essa- 
j^ons  de  le  démontrer  brièvement. 
\  La  rédaction  et  la  mise  en  vigueur  de  règles  de  pra- 

tique incriminées  ne  constituaient  assurément  pas  le 
forfait  que  dénonçait  avec  tant  de  véhémence  M. 
James  Stuart  et  ceux  qui  lui  faisaient  écho.  Ces  règle- 
ments se  proposaient  uniquement  de  fixer  certaines 
formahtés  judiciaires.  Quelques-unes  spécifiaient  les 
actes  qui  constitueraient  un  mépris  de  cour.  Il  y  en 
avait  qui  astreignaient  les  parties  à  faire  un  dépôt  pour 
le  transfert  des  dossiers  à  la  cour  de  deuxième  instance, 
pour  la  production  de  certains  plaidoyers,  ou  pour  la 
garantie  des  frais  dans  les  procès  par  jury.  D'autres 
déterminaient  les  délais  requis  pour  la  production  des 
moyens  d'appel.  (1)  C'était  un  excès  d'imagination 
que  de  découvrir  dans  tout  cela  quelque  chose  de  sub- 
versif, de  contraire  à  la  constitution  et  aux  franchises 
nationales. 

La  promulgation  de  règles  de  pratique  était  dési-  ^^ 

rée  depuis  longtemps.     Lors  de  la  nomination  de  M.       J' 
Sewell  comme  juge  en  chef, en  1808,  l'organe  du  parti  à.Cf,j, 

populaire.  Le  Canadien  lui-même,  avait  exprimé  l'es- 
poir que  le  nouveau  magistrat  pourrait  s'occuper  de  ce 
travail.  "Tous  les  juges  en  chef  que  nous  avons  eus, 
disait-il,  ont  voulu  créer  du  nouveau.  .  Un  d'eux  an- 
nonça à  la  fin  d'un  terme  qu'il  y  aurait  un  code  de  rè- 
gles pour  le  terme  suivant  et  recommanda  aux  avocats 
de  bien  s'y  conformer.  Au  terme  suivant  le  code  fut 
remis  à  un  autre,  de  celui-ci  encore  à  un  autre,  et  le  ju- 
ge en  chef  mourut  quelque  temps  après.     II  est  pro- 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1814,  appendice  E. 


20  COURS  d'histoire  du  canada 

bable  que  ce  code  aurait  été  longtemps  à  venir,  car  ce- 
lui qui  croit  qu'un  acte  de  procédure  est  l'ouvrage 
d'une  vacance  doit  mettre  bien  des  années  seulement 
avant  de  s'apercevoir  de  la  difficulté  de  la  tâche.  Nous 
ne  pouvons  donc  qu'être  flatté  de  la  promotion  ds  M.. 
Sevvell,  qui  a  vu  lui-même  toutes  ces  expériences,  et 
nous  espérons  que  ses  talents  et  les  connaissances  qu'il 
a  dans  les  anciennes  loi  du  pays  le  mettront  en  état  de 
travailler  avec  succès  à  un  ouvrage  si  désiré  et  qui  doit 
faiie  tant  d'honneur  à  celui  qui  y  aura  réussi."  (1)  Ce 
vœu  du  journal  patriote  avait  été  réalisé.  M.  Sewell 
s'était  sans  retard  appliqué  à  la  rédaction  de  ces  règles, 
qui  avaient  été  promulguées  en  1809.  Et  voilà  qu'en 
1814  la  chambre  y  découvrait  un  motif  de  mise  en 
accusation.  Evidemment,  même  en  supposant  que 
toutes  les  règles  édictées  n'eussent  pas  été  parfaite- 
ment judicieuses,  il  n'y  avait  pas  là  matière  à  la  très 
grave  et  très  extrême  mesure  de  l'impeachment.  L'an- 
cien leader  de  la  majorité,  le  patriote  qui  avait  subi  la 
perscK^ution  de  Craig,  M.  Pierre  Bédard,  devenu 
juge  aux  Trois-Rivières,  était  bien  de  cet  avis. 
II  suivait  de  loin  les  événements  politiques,  auxquels 
il  avait  pris  une  si  large  part  pendant  sa  longue  car- 
rière parlementaire.  Et  il  consignait  ses  impressions 
dans  une  correspondance  très  suivie  avec  M.  John  Neil- 
son,  l'éminent  directeur  de  la  Gazette  de  Québec,  qui  de- 
\ait  jouer  bientôt  lui-même  un  si  grand  rôle  politique. 
^  Dans  une  lettre  datée  des  Trois-Ri\ières,  le  23  février 
^^814,  M.  Bédard  exprimait  l'opinion,  conforme  d'ail- 
leurs à  celle  de  son  correspondant,  que  les  juges  n'avaient 
eu  en  vue  que  de  servir  les  fins  de  la  justice  en  promul- 
guant leurs  règlements.    Il  faisait  observer  que,  si  on 

(D— Le  Canadien,  22  août  1808. 

rr  , 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 


27 


les  attaquait  à  ce  sujet,  ils  ne  se  risqueraient  plus  à  faire 
ce  travail  et  l'on  retournerait  dans  la  confusion  où 
étaient  les  tribunaux  quand  il  n'y  avait  que  des  règles 
non  écrites  qui  changeaient  tous  les  jours.  Dans  une 
lettre  subséquente  il  discutait  l'attitude  de  la  Chambre 
et  ne  dissimulait  pas  sa  conviction  que  M.  Stuart  ne 
s'agitait  que  dans  un  but  de  satisfaction  personnelle. 
Suivant  lui  le  juge  en  chef  méritait  des  louanges  et  non 
des  reproches  pour  son  travail  sur  les  règles  de  prati- 
que. (1) 

Ce  qui  démontre  davantage  encore  la  futilité  du 
grief  dont  M.  James  Stuart  voulait  faire  un  crime  d'E- 
tat, c'est  que  les  règlements  judiciaires  si  violemment 
dénoncés  devaient  rester  en  vigueur  pendant  plus  de 
quarante  ans.  Ironie  des  choses!  M.  Stuart  lui- 
même,  devenu  juge  en  chef  à  la  place  de  son  vieil  en- 
nemi d'autrefois. devait  les  maintenir  et  les  apphquer. 
II  devait,  dans  la  révision  qu'il  en  fit  en  1850, en  con- 
server quelques-uns  presque  intégralement.  Donnons- 
en  un  exemple  entre  pkisieurs.  La  treizième  règle  de 
pratique  édictée  par  M.  Sewell  en  1809  se  lisait  comme 
suit:  "La  signification  personnelle  de  tout  writ  d'appel 
au  procureur  qui  a  comparu  dans  la  cour  supérieure 
pour  l'intimé,  ou  à  défaut  de  telle  signification  à  l'in- 
timé à  son  domicile,  ou  à  défaut  de  tel  domicile  au 
procureur   ad    negotiâ   sur    record   en  tel  procès,  sera 


p.  ÉCûaGD 


(1) — Le  département  des  archives  fédérales  a  eu  la  bonne 
fortune  de  mettre  la  main  sur  la  correspondance  de  M.  John 
Neilson.  Elle  couvre  une  longue  et  importante  période  et  con- 
tient un  grand  nombre  de  lettres  de  M.  Pierre  Bédard.  Nous 
l'avons  parcourue  avec  un  profond  intérêt.  Une  partie  de  cette 
correspondance  précieuse  a  été  cataloguée  dans  le  Rapport  sur 
les  Archives  pour  les  années  1913  (pp.  99  à  151),  et  1918  (pp. 
473  à  559). 


28  COURS  d'histoire  du  canada 

censée  une  signification  valable  de  tel  writ  à  l'égard 
de  l'intimé."  M.  Stuart  président  du  comité  d'enquête 
sur  les  règles  de  pratique  déclarait  en  1814:  "Cette 
règle  est  contraire  à  la  loi  et  en  la  faisant  la  cour 
d'appel  a  usurpé  une  autorité  législative.*'  (1) 
r  Eh  bien,  trente  ans  plus  tard,  en  1850,  M.  Stuart,  juge 
en  chef  à  son  tour,  édictait  des  règles  dont  la  huitième 
se  lisait  comme  suit:  "La  signification  peisonnelle  de 
tout  bref  d'appel  à  l'avocat  qui  a  comparu  dans  la  cour 
inférieure  pour  l'intimé,  comme  il  l'a  été  ci-devant 
pratiqué,  sera,  à  défaut  de  signification  légale, considé- 
rée et  reconnue  comme  signification  légale".  C'était 
à  peu  près  le  même  texte.  Et  c'était  signé  "James 
Stuart  juge  en  chef."  (2)Le  haut  magistrat,  parla  même, 
reconnaissait  donc  que  cette  règle  n'était  pas  con- 
traire à  la  loi,  et  que  la  cour  d'appel,  en  l'édictant, 
n'usurpait  aucunement  une  autorité  législative.  Il 
répudiait  virtuellement  son  attitude  de  1814. 

De  tout  ceci  on  peut  conclure  que  cette  partie  des 
actes  d'accusations  contre  les  juges  en  chef  offrait  un 
point  d'appui  bien  peu  solide. 

Celle  qui  avait  trait  à  la  part  de  responsabilité 
qui  incombait  à  M.  Sewell  dans  les  actes  arbitraires 
de  sir  James  Craig  ne  provoquait  pas  les  mêmes  objec- 
^.^^^  tions  intrinsèques.  Il  était  indéniable  que  le  juge  en 
(^chef  avait  été  l'un  des  principaux,  sinon  le  principal 
conseiller  de  ce  gouverneur  combatif.  Et  les  griefs 
de  la  Chambre  contre  cette  administration  autocra- 
tique n'étaient  certainement  pas  sans  fondement. 
Mais   pouvait-on  espérer  que  les    autorités   impériales 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1814,  appendice  E. 

(2) — Code  de  procédure  civile,  par  Gonzalve  Doutre,  1867, 
t.  I,  p.  255. 


COURS  d'histoire  du  canada  29 

allaient  admettre  que  les  gouverneurs  coloniaux  étaient 
des  fonctionnaires  irresponsables,  et  que  les  membres 
des  conseils  exécutifs  provinciaux  devaient  être  tenus 
comptables  pour  les  actes  des  représentants  de  la  Cou- 
ronne?    C'eût  été  se  méprendre  étrangement  sur  les 
maximes  qui  faisaient  encore  loi  à  Londres,  à  cette 
époque,  en  matière  de  politique  coloniale.     Les  mi- 
nistres britanniques  n'étaient  pas  encore  prêts  à  ad- 
mettre que  le  rôle  des  gouverneurs  de  colonie  pouvait 
être  assimilé  à  celui  du  souverain  en  Angleterre,  que 
ces  fonctionnaires  régnaient  mais  ne  gouvernaient  pas, 
que  la  formule  the  king  can  do  no  wrong  devait  leur 
être  appliquée,  et  qu'on  devait  s'en  prendre,  relative- 
ment aux  actes  de  leur  administration,  non  pas  à  eux, 
qui  en  même  temps  détenaient  et  exerçaient  véritable- 
ment le  pouvoir,  mais  à  des  conseillers  virtuellement 
nommés  et  révoqués  suivant  leur  bon  plaisir.     Non, 
en  essayant  de  faire  punir  par  les  autorités  impériales 
des  officiers  publics  qui  n'étaient  certainement  pas  les 
maîtres  du  gouvernement,  la  Chambre  anticipait  les 
époques    et  voulait  faire  prendre  corps  à  une  fiction 
manifestement   contredite  par  la   réalité.     Les  actes  / 
de  Craig,  par  exemple,  ses  coups  d'état,  ses  dissolutions 
réitérées,  ses  destitutions,  ses  confiscations,  ses  arres- 
tations, étaient  bien  le  fait  personnel  de  ce  proconsul 
militaire,   imbu  de  principes  absolument  contraires   à 
ceux    du    gouvernement   constitutionnel.     M.    Sewell, 
M.  Ryland,  avaient  assurément  abondé  dans  son  sens, 
avaient  rédigé  pour  lui  des  rapports,  avaient  accompli 
pour  lui  des  missions,  lui  avaient  communiqué  leurs 
appréciations  et  leurs  vues.     Mais  après  cela,  il  n'avait 
fait  que  ce  qu'il  avait  voulu  faire,  ce  que  sa  nature 
impérieuse  et  impulsive  le  portait  et  le  déterminait 
à  faire.     Et  il  eût  pu  adopter  une  ligne  de  conduite 


30  COURS  d'histoire  du  canada 

entièrement  opposée.  Rien  ne  le  prouvait  si  bien 
que  le  cas  de  sir  George  Prévost,  entouré  des  mêmes 
hommes,  maissuivantuncpolitiquetout  à  fait  différente. 

De  tout  ceci  il  faut  déduire  qu'en  1814  essayer 
de  faire  destituer  un  juge  par  les  ministres  anglais, 
parce  qu'il  avait  approuvé  et  conseillé  les  actes  de 
Craig,  c'était  marcher  à  un  échec  certain.  Et  alors, 
en  le  tentant,  on  commettait  une  fausse  manœuvre. 
On  donnait  des  armes  à  ceux  qui  représentaient  la 
majorité  canadienne  comme  un  parti  voué  à  tous  les 
excès,  prêt  à  tous  les  empiétements,  et  animé  contre 
les  officiers  de  la  Couronne  d'une  passion  aveugle  et 
tenace. 

Tout  cet  ensemble  de  considérations  et  de  cir- 
constances nous  induit  donc  à  tenir  pour  malencon- 
treuse la  campagne  d' unpeacbmeiit  entreprise  par  la 
majorité  contre  les  juges,  à  l'instigation  de  M.  James 
Stuart.  Elle  était  inopportune  à  cause  de  la  guerre; 
elle  était  injuste  à  cause  de  l'inanité  du  grief  relatif 
'*^  \  aux  règles  de  pratique;  elle  était  maladroite  à  cause 
de  l'impossibilité  d'obtenir  en  ce  moment  une  con- 
damnation comportant  l'admission  d'un  principe  con- 
traire à  toute  la  tradition  coloniale. 

Sir  George  Prévost  transmit  en  Angleterre  la 
demande  d'impeachment.  La  Chambre  choisit  M. 
Stuart  comme  procureur  pour  aller  la  soutenir  k 
Londres  et  vota  la  somme  de  deux  mille  louis 
à  cet  effet.  Mais  le  Conseil  législatif  refusa  de  con- 
courir dans  cette  affectation  de  crédit. 

Durant  la  même  session,  l'Assemblée  adopta  un 

3  bill  par  lequel  un  agent  était  nommé  pour  représenter 

la  province  en  Angleterre,  et  M.  le  ju^e  Bédard  fut 

désigné  pour  remplir  ce  poste.     Mais  le  projet  de  loi 

ne  fut  pas  agréé  par  le  Conseil.     Cette  chambre  avait 


l 


COURS  d'histoire  du  canada  31 

énergiquement  protesté  contre  la  mise  en  accusation        k.u    p  , 
de  MM.  Sewell  et  Monk.     Et  cette  opposition  de  vues 
n'améliora  pas  les  relations  entre  les  deux  assemblées.  1 

Elles    étaient    déjà    suffisamment    tendues.     Au  P'Stet 

début  de  la  session,  la  Chambre  avait  adopté  un  projet 
de  loi  ayant  pour  objet  d'organiser  un  système  d'ins-  "^DS" 

truction  primaire  dont  tous  les  bons  esprits  reconnais- 
saient   la    nécessité.     Il    était    intitulé:     "Acte    pour 
parvenir  plus  efficacement  à  établir  des  écoles  dans  les      IL- 1  p     ^i 
paroisses  de  campagne  de  cette  province  pour  y  ensei- 
gner les  premiers  éléments  de  l'éducation."  (1)    La  loi  YCT\)s.c-r 
créant  l'institution  royale   en  1801  était  restée  lettre         J-^o\)v\-*fï 
morte    et  elle  ne  pouvait  produire  aucun  résultat,  au 
moins  pour  les  Canadiens,  dont  les  convictions  religieuses 
s'accommodaient  mal  de  l'esprit  qui  l'avait  inspirée..^       Ih^llfJlT)! 
La  nouvelle  mesure  pourvoyait  à  la  constitution  par    |  cjc  >' 
voie  d'élection,  dans  chaque  paroisse,  de  corporations 
scolaires  ayant  le  pouvoir  de  posséder,  de  prélever  des 
fonds,  d'engager  des  instituteurs,  etc.,   Les  frais  d'é- 
rection des  écoles  et  d'acquisition  des  terrains  requis 
devaient  être  prélevés  par  chaque  paroisse  de  la  même 
manière  que  les  répartitions  pour  la  construction  des 
églises  sur  la  demande  de  la  majorité  des  habitants . 
Une  somme  n'excédant  pas  soixante  louis  courant,  à 
prendre  sur  les  fonds  de  la  province,  devait  être  affec- 
tée au  paiement  d'un  maître  d'école  dans  chaque  pa- 
roisse qui  le  demanderait.  (2)     Ce  bill  aurait  puissam- 
ment favorisé  la  diffusion  de  l'instruction  dans  les  cam-        i^ 
pagnes.     Mais  il  empiétait  sur  le  domaine  de  la  stérile 
Institution  royale,     chère    au   Dr  Mountain  et  à  ses 


(1) — Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  95. 

(2) — Journal    de    la    Chambre,    1814,    p.    51. 


^ 


32  COURS  d'histoire  du  canada 

amis.  Ryland  le  dénonçait  comme  "un  instrument 
d'insurrection  et  de  révolution."  L'influence  de  ce 
groupe  dominait  malheureusement  le  Conseil.  Et  le 
projet  de  loi  y  fut  rejeté,  quoique  le  gouverneur  eût  ex- 
primé son  désir  de  le  voir  adopter.  (1) 

Un  autre  bill  de  l'Assemblée  allait  également  mou- 
rir presque  en  même  temps  dans  la  seconde  chambre. 
C'était  celui  qui  avait  pour  objet  de  rendre  les  juges  en 
chef  et  les  juges  de  la  cour  du  banc  du  roi  incapables 
d'être  appelés,  de  siéger  ou  de  voter  au  Conseil  législa- 
tif. (2)  Quoiqu'au  moment  où  il  fut  présenté  ce  bill 
parût  naturellement  s'inspirer  de  sentiments  vindica- 
tifs à  l'adresse  des  juges  conseillers,  MM.  Sewell  et 
Monk,  le  principe  en  était  incontestablement  juste. 
Nous  verrons  plus  tard  que  l'Angleterre  elle-même  en 
admit  le  bien  fondé. 

Les  causes  de  mésintelligence  semblaient  malheu" 
reusement  se  multiplier.  Signalons  encore  la  mesure 
adoptée  par  l'Assemblée  pour  taxei  les  salaires  des  of- 
ficiers publics.  Ce  fut  un  des  épisodes  saillants  de  la 
politique  de  représailles  à  laquelle  se  laissait  entraîner 
la  majorité.  Le  projet  de  loi  en  question  était  intitu- 
lé. "Acte  pour  accorder  à  Sa  Majesté  un  droit  sur 
les  revenus  provenant  des  offices  civils  et  sur  les  pen- 

(1) — A  briej  revieiv  oj  tbe  political  state  oj  Lower  Canada  during 
tbe  last  seven  years,  by  Mr  Ryland,  May  1814;  Christie,  VI,  pp. 
336,  337. — Voici  quelle  était  à  ce  moment  la  composition  du  Con- 
seil: Le  juge  en  chef  SewelI,  président;  le  Dr  Mountain,  évêque 
anglican;  M.  Monk,  juge  en  chef  de  Montréal;  MM.  R.  de  St- 
Ours,  F.  Baby,  Chartier  de  Lotbinière,  Jenkin  Williams,  Char- 
les de  St-Ours,  John  Haie,  A.-L.-G.  Duchesnay,  Hertel  de  Rou- 
ville,  John  Caldwell,  H.-W.  Ryland,  James  Cuthbert,  John 
Blackwood,  W.  McGiIIi\'ray. 

(2)— Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  49. 


COURS  d'histoire  du  canada  33 

sions,  pour  être  appliqué  à  la  défense  de  la  province  dans 
la  présente  guerre  avec  les  Etats-Unis  d'Amérique."  (1) 
Les  droits  ainsi  imposés  étaient  de  15  pour  cent  sur  les 
salaires  de  1500  louis  et  au  delà,  de  12  pour  cent  sur 
ceux  de  1000  à  1500  louis,  de  10  pour  cent  sur  ceux  de 
500  à  1000  louis  et  de  5  pour  cent  sur  ceux  de  250  à  500 
louis.    (2)    A  coup  sûr  un  tel  impôt  était   exorbitant. 
Sur  un  salaire  de  $7,500  le  juge  en  chef  Sewell  aurait 
eu  à  laisser  au  fisc  $1,125,  le  juge  Monk  $825,  les  juges 
puînés    $375,     M.  Ryland    pour    ses    traitements    et     ^(x■<^b^'^ 
sa  pension  $356.     Les   employés   aux   émoluments  de 
$1000  à  $1500  auraient  eu  à  verser  de  $50  à  $75.      C'é- 
tait   vraiment    une    proportion    déraisonnable.     Les  -, 
fonctionnaires  visés  avaient  bien  le  droit  de  se  plaindre 
d'une     taxation     aussi     lourdement     partiale.      Sans 
doute  un  grand  nombre  d'entre  eux  nous  étaient  hos- 
tiles et  recevaient  des  salaires  élevés.     Mais  cela  ne 
suffisait  pas    pour   rendre  équitable  l'exaction   fiscale 
qu'on  voulait  leur  faire  subir.     La  mesure  était  ex- 
cessive et  accusait  trop  clairement  l'intention  d'infli- 
ger une  pénalité  à  toute  une  classe  de  citoyens  parce 
qu'elle  était  antipathique  à  notre  cause.     Naturelle- 
ment le  Conseil  législatif  rejeta  ce  bill  de  revenu  ex- 
traordinaire                                                                                         I 

En  somme  cette  session  de  1814  était  plutôt  fâ-  '  ^'^ 
cheuse.  Et,  en  la  prorogeant,  sir  George  Prévost  ne 
put  s'empêcher  de  faire  les  observations  suivantes: 
"Il  m'aurait  été  agréable  de  trouver  parmi  a  ous 
l'unanimité,  la  diligence  et  la  libérale  confiance  en  moi 
que  les  circonstances  actuelles,  la  situation  de  la  pro- 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1814,  p.  381. 

(2) — Ryland,  A  briej  review,  etc.;  Journal  de  la  Chambre,    1814 
p.  377. 


vi»V. 


34  COURS  d'histoire  du   canada 

vince  et  les  assurances  contenues  dans  vos  adresses 
me  donnaient  lieu  d'espérer.  J'ai  vu  avec  regret  mon 
attente  frustrée  avec  de  sérieux  inconvénients  pour  le 
service  publicl  Messieurs  de  la  Chambre  d'assemblée, 
je  ne  puis  que  déplorer  la  manière  de  procéder  adoptée 
par  vous;  le  résultat  a  été  la  perte  d'un  bill  de  revenu 
>^  très  productif,  et  de  crédits  généreux  pour  la  défense 
de  la  province  et  pour  l'amélioration  des  conditions 
de  la  milice.  Et  je  regrette  qu'en  sacrifiant  ces  ob- 
jets désirables  vous  vous  soyiez  laissés  dominer  par 
des  considérations  qui  vous  ont  paru  plus  importantes 
que  la  sûreté  immédiate  du  pays  et  le  soulagement  de 
ses  défenseurs."  Les  esprits  vraiment  politiques 
dans  le  parti  canadien  devaient  certainement  regretter 
qu'on  eût  mis  sir  George  Prévost  dans  le  cas  d'adres- 
ser à  l'Assemblée  ces  reproches. 

Cependant  ce  gouverneur,  bien  loin  de  nous  être 
hostile,  se  portait  encore  garant  de  la  loyauté  cana- 
dienne, en  dépit  des  embarras  que  lui  créait  l'attitude 
de  la  Chambre.  Dans  une  lettre  au  ministre  où  il  com- 
mentait les  incidents  que  nous  venons  de  raconter,  la 
procédure  contre  les  juges,  les  conflits  entre  les  deux 
chambres,  la  perte  de  mesures  financières  importantes, 
il  ajoutait:  "Toutefois,  je  n'ai  aucune  raison  de  mettre 
en  doute  la  loyauté  de  l'Assemblée  ni  son  attachement 
à  la  personne  et  au  gouvernement  de  Sa  Majesté." 

En  réponse  à  ces  informations  du  gouverneur 
le  secrétaire  colonial,  lord  Bathurst,  lui  écrivit  une 
lettre  indiquant  entre  autres  choses  que  les  chefs  d'ac- 
cusation relatifs  à  la  responsabilité  des  conseillers  exé- 
cutifs avaient  peu  de  chance  d'être  admis.  Le  minis- 
tre crsait:  "Je  profite  de  la  première  occasion  pour 
déclarer  que  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  désap- 
prouve entièrement  ces  articles  qui  imputent    aux  av:s 


COURS  d'histoire  du  canada  35 

de  MM.  Sewell  et  Monk  les  actes  de  sir  James  Craig 
considérés  par  l'Assemblée  comme  injustes  et  illégaux. 
Le  gouvernement  ne  peut  en  aucune  façon  admettre 
le  principe  si  nouveau  et  si  plein  d'inconvénients  en 
vertu  duquel  un  gouverneur  de  colonie  pourrait  se 
débarrasser  de  sa  responsabilité  pour  des  actes  faits  du- 
rant son  administration,  et  s'abriter  derrière  les  con- 
seils de  n'importe  quelles  personnes,  quelque  respec- 
tables que  soient  leur  caractère  et  leurs  charges."  (1) 
Lord  Bathurst  exprimait  en  même  temps  les  appré- 
hensions que  lui  causaient  ces  procédures  extrêmes  et 
ces  conflits  parlementaires  pour  la  conduite  de  la  guerre 
et  la  défense  de  la  province. 

Sir  George  Prévost  répondit  à  cette  dépêche  par 
une  lettre  très  importante  et  que  je  voudrais  pouvoir 
citer  au  long.  II  s'efforçait  de  rassurer  le  ministre 
sur  les  conséquences  de  la  campagne  contre  les  juges 
et  de  la  discorde  qui  en  avait  résulté.  Il  rendait  té- 
moignage aux  bonnes  dispositions  de  l'Assemblée  en- 
vers le  gouvernement  et  envers  ses  mesures.  Si  quel- 
ques unes  de  celles-ci  avaient  échoué  c'était  plutôt  par 
suite  de  la  mésintelligence  entre  les  deux  chambres 
pour  des  difficultés  de  forme  et  des  questions  person- 
nelles. Sir  George  Prévost  exposait  ensuite  la  politique 
qu'il  avait  cru  devoir  suivre  depuis  son  arrivée  au  Ca- 
nada. II  avait  constaté  que  le  parti  anglais  dans  l'as- 
semblée, vu  sa  faiblesse,  ne  pouvait  servir  d'appui  au 
gouvernement  pour  l'adoption  de  la  législation  jugée 


(1) — Documents  constitutionnels,  1791-1818,  p.  470. — Nous  te- 
nons à  réparer  ici  une  singulière  inadvertance- commise  par 
nous  dans  le  deuxième  volume  de  cet  ouvrage  (p.  46). 
Contrairement  à  ce  qu'on  y  lit  dans  une  note,  la  version 
française  de  ces  documents  a  été  publiée  en  1915. 


36  COURS  d'histoire  du  canada 

nécessaire.  Et  alors  il  s'était  attaché  à  gagner  le  bon 
vouloir  de  la  majorité  canadienne  dans  l'intérêt  du 
service  public.  En  lui  témoignant  une  juste  considé- 
ration quand  l'occasion  se  présentait,  en  tenant  comp- 
te de  ses  intérêts  et  de  ses  prétentions,  en  admettant 
les  Canadiens  aux  fonctions  jusque-là  presque  entière- 
ment réservées  aux  sujets  anglais  de  naissance,  en  ma- 
nifestant des  égardspour  le  clergé  catholique,  et  spé- 
cialement pour  son  chef,  il  avait  réussi  à  gagner  la 
confiance  du  peuple  et  à  obtenir  le  concours  de  la 
Chambre.  Les  procédures  contre  les  juges  étaient 
dues  à  un  sentiment  d'animosité,  suite  des  crises  vio- 
lentes qui  avaient  marqué  l'administration  de  sir 
James  Craig.  Mais  on  ne  devait  pas  s'en  alarmer 
outr2  mesure.  A  la  Nouvelle-Ecosse  le  même  cas 
s'était  présenté.  Les  juges  avaient  été  mis  en  accu- 
sation. Le  Conseil  privé  avait  dirimé  le  litige  et  exo- 
noré  les  juges.  Et  tout  était  rentré  dans  l'ordre.  On 
pouvait  espérer  qu'il  en  serait  de  même  ici. 

II  y  avait  cependant  dans  cette  lettre  de  sir  George 
un  passage  fâcheux.  Le  gouverneur  y  parlait  des 
chefs  de  l'Assemblée.  "Ce  sont,  disait-il,  principalement 
des  avocats  qui  me  paraissent  rechercher  l'occasion 
de  se  distinguer  comme  les  champions  du  public  afin 
de  gagner  de  la  popularité,  de  se  rendre  importants 
aux  yeux  du  gouvernement  et  de  parvenir  aux  em- 
plois. Quelques-uns  occupent  des  fonctions  conférées 
par  moi.  Et  j'ai  lieu  de  croire  que  s'il  était  nécessaire 
d'acheter  leurs  services,  tous  y  seraient  disposés."  Sir 
George  Prévost  pouvait  viser  ici  des  hommes  comme 
M.  James  Stuart  et  quelques  autres,  dont  la  rigidité  de 
principes  et  le  désintéressement  étaient  peut-être  dou- 
teux. Mais  alors  il  aurait  dû  préciser  davantage. 
Nous  aimons  à  croire  que  ses  expressions  trahissaient 


COURS  d'histoire  du  canada  37 

sa  pensée  et  que  sa  généralisation,  offensante  si  elle 
était  délibérée,  était  due  à  un  lapsus  calami  Pour- 
suivant son  examen  de  la  situation,  il  réitérait  l'ex- 
pression de  sa  confiance  envers  la  majorité.  "J'ai  la 
conviction,  écrivait-il,  que  je  ne  serai  pas  désappointé 
dans  mon  attente  de  trouver  la  majorité  désireuse  d'ap- 
puyer toute  mesure  que  je  pourrai  proposer  pour  le 
bien  du  service  public.  Je  sais  qu'une  opinion  différente 
prévaut  à  ce  sujet  parmi  quelques-uns  des  plus  res- 
pectables officiers  du  gouvernement  de  Sa  Majesté 
en  ce  pays,  et  qu'ils  attribuent  aux  chefs  du  parti  ca- 
nadien les  motifs  les  plus  criminels  et  les  plus  corrom- 
pus. ..  Il  est  possible  qu'il  en  soit  ainsi  pour  quelques 
membres  de  la  Chambre,  quoique  j'en  doute  beaucoup. 
Mais  quant  à  la  majorité  je  tiens  ce  sentiment  comme 
non  fondé  et  j(  crois  que  sa  loyauté  et  son  attachement 
sont  à  l'épreuve  de  toute  tentative  de  séduction." 
Sir  Geors^e  Prévost  terminait  ses  considérations  par  un 
exposé  de  la  politique  qu'il  croyait  la  plus  opportune 
et  la  plus  sage,  pour  empêcher  que  les  conflits  entre 
les  deux  chambres  en  vinssent  à  paralyser  la  législa- 
tion, à  entraver  le  service  public,  et  finalement  à  af- 
faiblir la  lo^^auté  et  l'attachement  du  peuple.  "Pour 
prévenir  ces  maux,  disait-il,  je  ne  vois  pas  de  moyens 
plus  efficace  que  la  poursuite  de  la  ligne  de  conduite  '^' 
conc^iante  adoptée  par  moi  enveis  les  Canadiens,  et  '  ^^^^^^^ 
une  addition  au  nombre  des  conseillers  législatifs.  En  (î) 
introduisant  dans  cette  chambre  des  hommes  fermes  (Xd dif^vx  \^  I 
et  modérés,  qui,  tout  en  résistant  aux  entreprises  déci-  \nod€'\rah 
dément  inconstitutionnelles,  sauraient  céder  opportu- 
nément aux  vœux  et  aux  désirs  raisonnables  de  la 
chambie  basse,  la  vive  animosité  qui  existe  actuelle- 
ment entre  les  deux  branches  de  la  législature  dispa- 


38  COURS  d'histoire  du  canada 

raitrait  dans  une  laree  mesure,  et  ferait  bientôt  place 
à  plus  de  cordialité  et  de  bonne  entente."  (1) 

En  somme  le  programme  que  sir  George  Prévost 
esquissait  ici,  c'était  celui  d'une  administration  gou- 
vernant avec  la  majorité  et  tenant  compte  de  ses  vues. 
Cette  politique,  souverainement  sage  et  absolument 
conforme  à  la  pensée  des  auteurs  de  la  constitution, 
aurait  due  être  acceptée  et  suivie  par  le  bureau  colo- 
nial et  par  tous  les  gouverneurs  du  Bas-Canada.  Elle 
eût  évité  aux  hommes  d'Etat  anglais  bien  des  mécomp- 
tes et  à  notre  province  bien  des  épreuves. 

Dans  la  première  lettre  du  gouverneur  que  nous 
avons  citée  il  y  a  quelques  instants,  il  annonçait  que 
le  juge  Sewell  avait  demandé  un  congé  pour  aller  se 
défendre  à  Londres.  II  mentionnait  aussi  la  rumeur 
que,  vu  le  rejet  du  crédit  proposé  afin  d'envoyer  M. 
Stuart  appuyer  l'accusation,  on  prélevait  une  sous- 
cription dans  le  but  d'y  suppléer. 

Cette  dernière  démarche  n'eut  probablement  pas 
de  suite,  car  M.  Sewell  traversa  seul  en  Angleterre. 
Il  n'eut  pas  là-bas  de  contradicteur.  Le  Conseil  privé 
piit  connaissance  des  impeachynents.  La  question 
de  la  responsabilité  du  juge  Sewell  pour  les  actes  de 
Craig  fut  écartée  comme  ne  pouvant  servir  de  base  à 
une  mise  en  accusation.  Quant  à  celle  des  règles  de 
pratique,  après  avoir  été  soumise  aux  officiers  en  loi 
de  la  Couronne,  elle  fut  décidée  en  faveur  des  juges  en 
chef.  Le  Conseil  privé  statua  que  ces  règles  étaient 
dans  les  limites  du  pouvoir  et  de  la  juridiction  des 
cours  de  justice  d'après  les  principes  légaux,  les  or- 
donnances  coloniales   et    les  actes  de  législation.  (2) 

(1) — Documents    constitutiojinels,     1791-1818,      p.      473. — Sir 
George  Prévost  à  lord  Balburst,  4  septembre,  1814. 
(2) — Documents  constitutionnels,  1791-181S,  p.  476. 


COURS  d'histoire  du  canada  39 

Ce  fut  au  bout  d'un  an  seulement,  le  29  juin  1815, 
que  cette  décision  fut  rendue.  Et  lorsque  le  ministre 
des  colonies  la  communiqua  au  gouverneur  du  Bas- 
Canada,  ce  n'était  plus  sir  George  Prévost  qui  rem- 
plissait ces  fonctions.  Après  l'échec  de  l'expédition 
de  Plattsburg,  une  grave  contestation  s'était  élevée 
entre  lui  et  sir  James  Yeo,  le  commandant  des  forces 
navales  sur  les  lacs.  Celui-ci  avait  porté  contre  sir 
George  des  accusations  qui  mettaient  en  cause  son 
honneur  et  sa  réputation  militaire.  Le  parti  bureau- 
cratique, mécontent  de  voir  Prévost  rompre  avec  la 
politique  de  Craig,  s'était  empressé  de  faire  écho  à  ces 
attaques.  Le  gouvernement  impérial,  influencé  peut- 
être  par  ces  clameurs,  avait  rappelé  le  général  dont  la  ^Ai, 
conduite  était  mise  en  question.  (1)  Et  sir  Gordon  '^^  V|UA<. 
Drummond  avait  été  nommé  pour  lui  succéder.     Ce 

(1) — De  retour  en  Angleterre  sir  George  Prévost  demanda  la 
tenue  d'une  cour  martiale  afin  de  défendre  son  honneur  militai- 
re contre  les  accusations  de  sir  James  Yeo.  Pour  donner  le 
temps  aux  témoins  résidants  au  Canada  de  se  rendre  à  Londres, 
l'enquête  avait  été  fixée  au  mois  de  janvier  1816.  Mais  dans 
l'intervalle  la  santé  de  notre  ex-gouverneur,  ébranlée  par  les  fati- 
gues du  service  et  les  anxiétés,  déclina  rapidement,  et  il  mou- 
rut le  5  janvier.  Sa  veuve,  lady  Prévost,  et  son  frère,  ne  négli- 
gèrent rien  pour  obtenir  une  enquête  devant  un  comité  quelcon- 
que, afin  d'établir  que  sir  George  avait  fait  son  devoir.  Cette 
manière  de  procéder  fut  considérée  impossible.  Mais  ultérieure- 
ment le  prince  régent,  dans  un  document  public,  rendit  homma- 
ge à  la  mémoire  du  défunt,  et  autorisa  sa  famille  à  introduire  dans 
son  écusson  des  additions  attestant  les  services  rendus  par  lui 
aux  Indes  et  au  Canada.  Ajoutons  que  le  duc  de  Wellington 
manifesta  son  approbation  de  la  conduite  militaire  de  sir  George 
Prévost,  spécialement  à  Plattsburg,  et  que  le  jugement  d'un 
historien  comme  Alison  lui  est  entièrement  favorable.  (Morgan, 
Sketcbes  oj  celebrated  Canadians,  p.  171;  Christie,  History  oj  Lo- 
wer  Canada,  II,  p.  247.) 


OloboaS 


40  COURS  d'histoire  du  canada 

fut  à  ce  dernier  que  Lord  Batliurst  transmit  l'arrêt  du 
nf  Conseil  prive.     II  en  donna  connaissance  à  la  Chambre 
^^  au  commencement  de  la  session  de  1816.     Cette  déci- 

VJimn\C)(\.u  sion  provoqua  dans  l'assemblée  une  vive  irritation. 
Toujours  sous  l'inspiration  de  M.  James  Stuart,  elle 
adopta  des  résolutions  dans  lesquelles  elle  affimait 
que  les  mises  en  accusation  des  juges  en  chef  lui  avaient 
été  dictées  par  le  sentiment  de  son  devoir,  qu'elle  avait 
le  droit  d'être  entendue  à  leur  appui,  que  la  résistance 
du  Conseil  législatif  l'avait  empêchée  d'être  représen- 
tée à  Londres  par  un  agent,  qu'elle  avait  toujours  été 
et  qu'elle  était  encore  désireuse  d'être  entendue,  et 
qu'il  importait  qu'une  humble  pétition  fût  adressée  à 
Son  Altesse  royale  le  prince  régent,  pour  en  appeler  à 
la  justice  du  gouvernement  de  Sa  Majesté.  En  d'au- 
tres termes  la  Chambre  se  plaignait  de  ce  que  le  juge- 
ment favorable  aux  juges  eût  été  rendu  ex  parte.  Et 
sur  ce  point  elle  avait  raison.  Cette  attitude  avait 
été  prévue,  et  le  gouverneur  avait  reçu  de  lord  Ba- 
thurst  des  instructions  précises.  Le  surlendemain  du 
jour  où  ces  résolutions  avaient  été  adoptées,  sir  Gor- 
don Drummond  se  rendait  au  parlement  et  prorogeait 
la  session  iîislayUer,  en  annonçant  une  dissolution  im- 
médiate et  des  élections  générales. 

Cinq  ans  après  le  départ  de  Craig  nous  retom- 
bions dans  une  crise  politique.  La  première  phase  de 
la  campagne  de  représailles  se  terminait  par  un  conflit 
aigu,  non  plus  seulement  avec  le  gouverneur,  mais 
surtout  avec  le  gouvernement  Impérial  qui  avait  pris 
position  contre  nous.  L'absence  de  Bédard  et  de  Pa- 
pineau  l'ancien  se  faisait  défavorablement  sentir.  Sous 
la  direction  hasardeuse  de  Stuart  nous  gaspillions  no- 
tre énergie  dans  une  bataille  mal  avisée  et  mal  engagée, 
où  pas  plus  que  la  métropole  nous  n'avions  d'intérêt 


COURS  d'histoire  du  canada  41 

réel  en  jeu.  Le  motif  du  conflit  ne  valait  pas  le  mal 
qu'il  causait  ni  les  complications,  les  inconvénients 
d'ordre  matériel  et  politique  qu'il  entraînait. 

Heureusement  un  chef  d'exécutif  delà  bonne  école, 
un  homme  clairvoyant,  équitable  et  loyal  allait  venir 
prendre  la  direction  de  l'administration  bas-canadienne.  ,      , 

Sir  John  Coape  Sherbrooke,  ancien  gouverneur  de  la        -^  ' 
Nouvelle-Ecosse,    remplaçait  sir  Gordon   Drummond  ^X     ^g^p-^  | 
et  entrait  en  fonctions  le  12  septembre  1816. 

Nous  verrons  dans  notre  prochaine  leçon  com- 
ment il  sut  transformer  en  une  situation  satisfaisante 
une  situation  périlleuse  et  troublée. 

SOURCES  ET  OUVRAGES  A  CONSULTER 

Garneau,  Histoire  du  Canada,  Montréal,  1882,  t.  III,  liv.  XIV, 
ch.i  et  II. — Robert  Christie,  History  oj  tbe  late  Province  oj  Lower 
Canada,  Québec,  1848,  t.  II,  ch.  xviii  et  xix,  t.  VI. — Bibaud, 
Histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise,  Montréal,  1844, 
liv.  II. — Perrault,  Abrégé  de  l'histoire  du  Canada,  Québec,  1833, 
t.  III. — Kingsford,  History  oj  Canada,  t.  VIII. — Canada  and  its 
Provinces,  Toronto  1914,  t.  III,  ch.  vu  et  viii. — Henry  Morgan, 
Sketcbes  oj  Celebrated  Canadians,  Québec,  1862.- — Documents  re- 
latijs  à  l'bistoire  constitutionnelle  du  Canada,  par  A.  Doughty 
et  Duncan  McArthur,  (1791-1818),  Ottawa,  1915.— Tbe  letters 
oj  Veritas,  Montréal,  1815. — Some  account  oj  tbe  public  lije  oj  tbe 
late  Lieutenant  General  Sir  George  Prévost,  etc.,  Londres,  1823. 
Mandements  des  évêques  de  Québec,  Québec,  1888,  t.  III. — Le  Ca- 
nadien, Québec,  1808. — Code  de  procédure  civile,  G.  Doutre, 
Montréal,  1867,  t.  I. — rfceCanodiaji /nspector,  Montréal,  1815. — 
Journaux  de  la  Cbambre  d'Asse7nblée  du  Bas-Canada,  1812,  1813, 
1814. — ^Archives  du  Canada:  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q. 
119,  121,  126,  127,  128-1. 


DEUXIÈME  LEÇON 

La  politique  de  conciliation. — Retour  triomphal  du  juge  Sewell. 
— La  nouvelle  Chambre. — Conflits  en  perspective. — Sir 
John  Sherbrooke  comprend  la  situation. — ^La  politique  de 
coercition  lui  répugne. — Sa  correspondance  avec  lord  Ba- 
thurst. — Celui-ci  lui  donne  plus  de  latitude. — Le  caractère 
de  sir  John  Sherbrooke. — Ce  que  devait  être  à  ce  moment 
la  mentalité  d'un  bon  gouverneur  britannique. — La  race, 
le  milieu  et  le  moment.  Un  nouvel  ordre  de  choses. — Deux 
forces  en  présence. — La  prérogative  royale  et  le  privilège 
parlementaire. — La  session  de  1817. — Motifs  d'appréhen- 
sion.— Les  impeacbments  des  juges  Sewell  et  Monk. — Com- 
ment empêcher  la  majorité  de  rouvrir  la  question. — Un  in- 
cident favorable. — Les  secours  accordés  aux  paroisses  en 
détresse. — Le  rôle  de  Mgr  Plessis. — Des  explications. — Le 
juge  Foucher  mis  en  accusation. — Sir  John  Sherbrooke  es- 
quive une  difficulté. — L'affaire  traîne  en  longueur. — La 
question  du  salaire  des  orateurs. — Un  terrain  de  concilia- 
tion.— Les  absents  ont  tort. — On  accorde  un  traitement  à 
MM.  Papineau  et  Sewell. — Evolution  de  la  majorité. — Vains 
efforts  de  M.  James  Stuart. — Son  échec  et  son  irritation. — 
Singulier  dénouement. — Le  succès  de  sir  John  Sherbrooke. 
— Paroles  sympathiques  de  M.  Papineau. — Mgr  Plessis  au 
Conseil  législatif. — M.  Papineau  au  Conseil  exécutif. — 
Heureux  résultat  d'une  politique  modérée.  V 

Lorsque  sir  John  Coape  Sherbrooke  arrivait  à 
Québec,  le  12  juillet  1816,  le  baromètre  politique  an- 
nonçait des  jours  orageux.  Notre  monde  officiel  ve- 
nait de  célébrer  avec  éclat  le  retour  du  juge  en  chef 
Sewell,  justifié  par  le  Conseil  privé  impérial  des  accu- 
sations portées  contre  lui.  On  lui  avait  fait  une  ré- 
ception triomphale  et  il  avait  débarqué  au  bruit  d'une 
salve  de  vingt  coups  de  canon.   (1)    Cette  manifesta- 

(1) — Lettre  du  juge  Bèdard  à  J.  Neilson,  14  juillet,  1816;  Rap- 
port sur  les  archives  du  Canada,  1913,  p.  45. 


44  COURS  d'histoire  du  canada 

tion  faisait  écrire  à  M.  Pierre  Bédard  que,  sans  vou- 
loir critiquer  cette  espèce  de  réparation  d'honneur,  il 
craignait  qu'elle  n'irritât  davantage  l'esprit  de  parti 
et  qu'elle  ne  fût  considérée  comme  humiliante  pour 
l'Assemblée.  Celle-ci  était  allée  se  retremper  dans  le 
vote  populaire,  après  la  dissolution  que  lui  avait  fait 
subir  sir  Gordon  Drummond,  et  elle  en  était  sortie 
composée  à  peu  près  des  mêmes  éléments.  S'il  y  avait 
eu  modification,  c'était  plutôt  dans  le  sens  de  la  politi- 
que de  représailles.  Le  parti  dirigé  par  MM.  James 
Stuart  et  Louis-Joseph  Papineau  revenait  plus  nom- 
breux, plus  acharné  et  plus  irrité  que  jamais.  Et  tout 
faisait  prévoir  à  courte  échéance  de  nouveaux  conflits. 
Sir  John  Sherbrooke,  dès  son  arrivée,  se  rendit  compte 
de  la  situation  et  s'empressa  d'exposer  au  ministre  les 
considérations  qu'elle  lui  suggérait.  Ayant  pris  com- 
munication de  la  lettre  dans  laquelle  lord  Bathurst 
avait  enjoint  à  sir  Gordon  Drummond  de  dissoudre 
la  législature  au  cas  où  la  Chambre  persisterait  à  agiter 
la  question  des  impeachrnents,  (1)  il  s'était  demandé 
si  ces  instructions  ne  devaient  pas  être  à  un  moment 
donné  la  règle  de  sa  propre  conduite.  Ceci  l'enga- 
geait à  signaler  les  inconvénients  qui  pouvaient  sur- 
gir si  l'on  restreignait  la  discrétion  d'un  gouverneur 
dans  ces  délicates  et  difficiles  circonstances,  de  si  fré- 
quente occurrence,  où  il  s'agit  de  diriger  une  assemblée 
populaire.  Laissé  à  lui-même,  en  s'appliquant  à  dis- 
cerner les  vues  et  les  caractères  des  parties  en  cause, 
ce  fonctionnaire  pourrait  peut-être  trouver  moyen  de 
faire  marcher  l'administration  sans  recourir  aux  me- 
sures extrêmes.  Le  gouverneur  informait  ensuite  le 
ministre  du  résultat  produit  par  la  récente  dissolution. 

(1) — Documents  constitutionnels,  (1791-1818),  p.  476. 


COURS  d'histoire  du  canada  45 

La  chambre  nouvelle  était  plus  hostile  que  la  précé- 
dente, des  députés  modérés  avaient  été  remplacés  par 
des  députés  irréconciliables.  Sir  John  Sherbrooke  écri- 
vait cette  phrase  significative:  "Je  ne  puis  éviter  de 
soumettre  à  Votre  Seigneurie  mon  humble  opinion 
que  dans  ce  pays,  où  la  salutaire  influence  du  gouver- 
nement ne  peut  se  faire  sentir  comme  en  Angleterre, 
le  moyen  énergique  de  la  dissolution  doit  presque  tou- 
jours produire  plus  de  mal  que  de  bien."  (1) 

Le  ministre  des  colonies  s'était  préoccupé  d'avan- 
ce du  résultat  possible  de  l'attitude  qu'il  avait  dictée  à 
?ir  Gordon  Drummond.  Et  coup  sur  coup,  le  31  mai 
et  le  7  juin  1816,  il  avait  écrit  au  nouveau  gouverneur 
deux  lettres  que  celui-ci  n'avait  pas  encore  reçues  lors- 
qu'il communiquait  au  ministre  ses  doutes  quant  à  la 
dissolution.  Dans  la  première  loid  Bathurst  mani- 
festait l'appréhension  que  la  Chambre  récemment  élue 
fût  animée  des  mêmes  dispositions  que  l'ancienne,  et 
il  envisageait  l'éventualité  de  sa  répugnance  à  voter 
les  lois  fiscales  nécessaires  au  service  public.  En  pré- 
vision d'une  telle  attitude,  il  importait  de  déterminer 
aussi  exactement  que  possible  le  chiffre  du  revenu 
placé  à  la  disposition  de  la  Couronne,  indépendamment 
des  bills  votés  d'année  en  année  par  la  législature,  et 
de  retenir  pour  le  gouvernement  tous  les  fonds  prove- 
nant, soit  de  cette  source,  soit  de  toute  autre  sur  la- 
quelle l'administration  pouvait  actuellement  compter. 
II  précisait  ainsi  sa  pensée:  "Si  la  conduite  de  la  nou- 
velle Assemblée  correspond  à  celle  de  la  précédente,  ré- 
cemment dissoute,  vous  verrez  évidemment  la  néces- 
sité de  ne  pas  défrayer  à  même  les  fonds  dont  peut  dis- 
poser la  Couronne   aucune  dépense  à  laquelle  la  légis- 

(1) — Documents  constitutionnels,  (1791-1818),  p.  494. 


46  COURS  d'histoire  du   canada 

lature  a  jusqu'ici  pourvu  hai^itucllcmcnt  au  moyen 
de  subsides  annuels.  Et  il  incombera  au  gouverne- 
ment de  Sa  Majesté  de  décider,  après  avoir  fait  une 
revue  de  toutes  les  charges  actuelles  de  la  colonie  com- 
parées avec  ses  lessources  fiscales,  jusqu'à  quel  point 
les  dépenses  auxquelles  on  pourvoyait  annuellement 
pourront  être  soldées  à  même  les  revenus  permanents 
de  la  Couronne".  (1)  Ce  passage  indiquait  déjà  les 
prédispositions  du  bureau  colonial  relativement  à  la 
question  des  finances. 

Dans  sa  seconde  lettre,  lord  Bathurst,  par  une 
sorte  d'intuition  des  perplexités  que  devait  éprouver 
le  successeur  de  sir  Gordon  Drummond,  lui  donnait 
des  directions  assez  larges  relativement  à  la  dissolu- 
tion. Il  lui  disait  en  substance:  "Quand  vous  verrez 
quelqu'autre  moyen  de  résister  aux  empiétements  de 
l'assemblée,  vous  éviterez  de  recourir  à  cette  mesure 
extrême.  Jusqu'ici  le  gouvernement  a  pu  compter 
sur  la  fermeté  du  Conseil  législatif,  et  il  y  a  lieu  de  croire 
que  ce  corps  continuera  à  réagir  contre  l'attitude 
inconsidérée  et  violente  de  la  Chambre.  Il  sera  donc 
désirable  que  vous  vous  serviez  de  son  assistance  pour 
faire  contre-poids  à  l'assemblée,  plutôt  que  de  mettre 
votre  autorité  et  celle  du  gouvernement  de  Sa  Majesté 
en  conflit  direct  avec  elle,  lui  donnant  ainsi  un  pré- 
texte de  refuser  les  subsides  nécessaires  au  service."  (2) 
Evidemment  les  préoccupations  financières  commen- 
çaient à  occuper  une  large  place  dans  l'esprit  du  se- 
crétaire colonial. 

Dans  une  troisième  lettre,  datée  du  30  septembre 

(1) — Documents  constitutionnels  (1791-1818),  p.  492;  Bathurst 
à  Sherbrooke,  31  mai  1814. 

(2)— Documents  constitutionnels  (1791-1818),  p.  493. 


COURS  d'histoire  du  canada  47 

1816,  il  revenait  à  la  charge.  Cette  fois  il  avait  reçu 
la  dépêche  dans  laquelle  Sir  John  Sherbrooke  lui  avait 
manifesté  son  peu  d'inclination  pour  la  politique  de 
dissolution.  Et  il  lui  donnait  les  explications  suivan- 
tes: "La  raison  de  nos  instructions  à  sir  Gordon  Drum- 
mond",  (dans  laquelle  il  lui  enjoignait  de  dissoudre  la 
Chambre  si  elle  persistait  dans  sa  campagne  contre 
les  juges),  "était  l'information,  reçue  de  personnes  bien 
au  courant  des  conditions  de  la  province  que  le  revenu 
permanent  pourrait  défrayer,  en  temps  de  paix,  les  dé- 
penses nécessaiies  du  gouvernement  civil  sans  l'assis- 
tance de  la  législature.  Conséquemment  on  pourrait 
se  dispenser  de  tenir  l'Assemblée  en  session  si  elle  se 
montrait  disposée  à  revenir  sur  les  questions  qui  ont 
déjà  été  considérées  et  décidées  par  Son  Altesse  Ro- 
yale le  prince  Régent  en  conseil.  Toute  cette  politi- 
que de  prorogations  et  de  dissolutions  répétées  tourne 
sur  ce  point.  Car  je  crois  comme  vous  que,  dans  les 
circonstances  présentes,  on  peut  difficilement  attendre 
d'une  élection  générale  une  amélioration  dans  la  com- 
position de  l'Assemblée.  Ainsi  donc  si  vous  étiez 
d'avis  que  la  session  de  la  chambre  ne  saurait  être  re- 
mise ou  que  vous  possédiez  le  mojen  d'enrayer  les  effets 
de  sa  violence  intempérante,  vous  pourriez  vous  con- 
sidérer absolument  libre  d'exercer  votre  discrétion 
dans  l'exercice  du  pouvoir  de  prorogation  ou  de  disso- 
lution." (1) 

Ecartant  toutes  les  périphrases,  si  l'on  allait  au 
fond  de  la  pensée  .du  ministre  telle  qu'il  la  laissait  en- 
trevoir dans  ces  lettres,  on  constatait  chez  lui  une 
forte  tendance  à  traiter  l'assemblée  comme  quantité 
négHgeable,  pourvu  que  les  revenus  mis  d'avance  à  la 

(1) — Documents  constitutionnels  (1791-1818),  p.  495. 
4 


48  COURS  d'histoire  du  canada 

disposition  de  la  Couronne  par  des  lois  permanentes 
fussent  suffisants  pour  solder  les  dépenses  du  gouver- 
nement civil.  Dans  ce  système,  la  Chambre  persistant 
à  s'occuper  de  questions  désagréables  au  gouvernement 
impérial,  on  eût  à  répétition  dissout  ou  prorogé  la  Lé- 
gislature, en  recourant  toutefois  plutôt  à  la  proroga- 
tion qu'à  la  dissolution.  C'eût  été  rendre  complè- 
tement illusoire  le  régime  parlementaire  que  William 
Pitt  nous  avait  accordé  en  1791. 

Sir  John  Sherbrooke  était  trop  clairvoyant  pour  ne 
pas  comprendre  qu'une  telle  politique  était  impratica- 
ble dans  les  conditions  où  se  trouvait  le  Bas-Canada. 
Elle  ne  pouvait  avoir  pour  lésultat  que  de  créer  un 
conflit  systématique  et  permanent  entre  la  chambre 
populaire  et  la  métropole,  ce  qui  entraînerait  de  très 
graves  conséquences.  Le  gouverneur  se  disait  avec 
assez  de  raison  que  la  cause  immédiate  des  difficultés 
présentes  n'était  après  tout  qu'une  question  personnelle. 
II  fallait  lechercher  l'origine  de  cette  crise  dans 
l'hostilité  violente  de  la  Chambre  envers  le  juge  en 
chef.  Laissé  à  lui-même  sir  John  Sherbrooke  eût 
vraisemblablement  essayé  de  la  dénouer  en  faisant 
agréer  à  M.  Scwell  une  retraite  honorable.  Dans  une 
longue  et  importante  lettre  datée  du  10  octobre  1816, 
il  faisait  au  ministre  un  exposé  très  lucide  de  la  situa- 
tion. II  lui  représentait  combien  le  juge  Sewell  était 
impopulaire  auprès  de  toutes  les  classes  de  la  popula- 
tion canadienne,  et  dans  toutes  les  parties  de  la  pro- 
vince. Quel  qu'en  fût  le  motif,  le  fait  était  indéniable. 
Le  triomphe  apparent  du  haut  magistrat  n'avait  fait 
qu'accroître  ce  sentiment.  Il  était  partagé  à  un  très 
haut  degré  par  le  clergé  catholique  lui-même,  qui  avait 
eu  beaucoup  à  se  plaindre  des  opinions  et  des  théories 
de  M.  Scwell  lorsque  celui-ci  était  procureur  général. 


COURS  d'histoire  du  canada  49 

Le  gouverneur  exprimait  l'avis  que, si  l'on  eût  jugé  op- 
portun d'entendre  les  deux  parties  dans  l'affaire  de 
rimpeachment,  on  aurait  pu  espérer  un  dénouement 
pacifique,  même  avec  un  jugement  défavorable  aux 
prétentions  de  la  Chambre,  celle-ci  ne  pouvant  alors 
se  plaindre  qu'on  eût  rendu  contre  elle  une  décision 
ex  parte.  Après  la  victoire  du  juge  devant  le  Conseil 
privé,  sir  John  Sherbrooke  insinuait  qu'il  eût  été  ha- 
bile d'induire  M,  Sewell  à  demander  sa  retraite.  Ce- 
pendant, puisque  le  ministre  avait  décidé  de  mainte- 
nir le  juge  en  chef,  le  gouverneur  déclarait  qu'il  se  ren- 
drait aux  désirs  du  gouvernement  impérial  en  appu- 
yant le  magistrat  dénoncé  à  la  fois  par  la  chaire  et  le 
barreau,  au  risque  de  compromettre  son  influence  au- 
près du  clergé,  l'harmonie  de  la  province  et  le  dévelop- 
pement de  ses  intérêts.  Il  mettrait  tous  ses  soins  à 
établir  la  bonne  entente  entre  lui  et  l'évêque  catho- 
lique, à  qui  il  avait  déjà  donné  des  preuves  de  ses  bon- 
nes dispositions.  Ce  serait  cependant  tromper  le  mi- 
nistre que  de  lui  faire  espérer  un  changement  de  senti- 
ments dans  le  clergé  et  le  peuple  en  ce  qui  concernait 
le  juge  en  chef.  La  discussion  n'avait  pu  les  persuader, 
la  coercition  ne  pourrait  qu'enraciner  plus  profondé- 
ment leur  antipathie.  Dans  l'opinion  des  hommes 
modérés  et  bien  informé,  son  aurait  beau  entasser  pro- 
rogation sur  prorogation  et  dissolution  sur  dissolution, 
il  y  aurait  plutôt  une  révolution  dans  le  pays  qu'une 
modification  de  la  mentalité  canadienne  à  l'égard  du 
magistrat    détesté. 

Après  avoir  ainsi  exposé  la  situation,  sir  John 
Sherbrooke  passait  aux  moyens  que  l'on  suggérait 
pour  remédier  au  mal.  II  mentionnait  la  nomination 
d'un  agent  de  la  province  en  Angleterre  longtemps 
désirée,    mais   empêchée   par   l'opposition   du   Conseil 


l: 


50  COURS  d'histoire  du  canada 

législatif,  où  le  juge  en  chef  exerçait  une  grande  influence. 
La  plupart  des  colonies  étaient  représentées  dans 
la  métropole.  Si  un  tel  agent  eût  été  nommé,  l'As-  ' 
semblée  aurait  pu  soutenir  devant  le  Conseil  privé 
sa  mise  en  accusation.  Un  autre  moj'en  serait  de  dé- 
^  tacher  M.  Stuart,  le  principal  instigateur  des  impeacb- 

ûom  ments,  du  parti  avec  lequel  il  s'était  ligué,  et  qui  sans 

lui_perdrait_  vraisemblablement  de  sa  vigueur.  On  y 
^  jtxXJtU  parviendrait  peut-être  par  l'appât  de  l'intérêt  person- 
nel. Mais,  suivant  l'observation  d'un  mémorialiste 
contemporain,  c'était  là  une  manœuvre  bien  délicate. 
Et  nous  verrons  qu'en  fin  de  compte  on  recourut  à  une 
autre  tactique,  plus  propre  à  atteindre  le  but  désiré. 

Cette  dépêche  du  gouverneur  (1)  mettait  en  lu- 
mière son  intelligence  de  la  situation  et  sa  juste  appré- 
ciation des  caractères  et  des  circonstances.  Elle  dé- 
notait chez  lui  un  grand  sens  gouvernemental. Sous 
une  forme  respectueuse,  sir  John  Sherbrooke  témoi- 
gnait au  ministre  sa  répugnance  pour  la  politique  de 
prorogation  et  de  dissolution,  et  sa  préférence  pour 
^^  une  judicieuse  politique  de  conciliation,  qui  permet- 

)yQaa^(or>  trait   de   faire   fonctionner  normalement  l'administra- 

tion de  la  province.     Cet  officier  général,  formé  dans 
,>iiOn  [gg  camps  où  il  avait  servi  avec  une  grande  distinction 

"'^''"  .  sous  Wellington,  aux  Indes  d'abord  puis  dans  la  Pé- 

^  ninsule  (2),   avait   compris   qu'il   importait  de  ne  pas 

transplanter  dans  la  vie  civile  la  rigueur  inflexible  de 
la  discipline  militaire.  Naturellement  violent,  il  put 
cependant  jouer  ici  un  rôle  de  pacificateur.  Nous  esti- 
mons qu'il  mérite  d'être  rangé  parmi  ceux  de  nos  gou- 

(1) — Archives  du  Canada,  Q.  137,  p.  185. 

(2) — Memoirs  oj  Sir  John  Coape  Sherbrooke, — Lije  and Letters  of 
Viscount  Sherbrooke,  par  A.  Patchctt  Martin,  t.  II,  p.  539. 


COURS  d'histoire  du  canada  51 

verneurs  qui  ont  le  mieux  compris  la  nature  de  la  mis- 
sion qu'ils  devaient  remplir  comme  représentants  de 
la  Couronne  dans  le  Bas-Canada. 

II  n'est  peut-être  pas  hors  de  propos  d'étudier  ici 
brièvement  ce  que  pouvait  être  la  mentalité  d'un  gou- 
verneur britannique,  placé  à  la  tête  de  notre  adminis- 
tration coloniale  durant  cette  période  de  notre  histoire. 
Nous  ne  parlons  pas  d'un  Craig,  nous  entendons  un 
gouverneur  impartial,  clairvoyant  et  bienveillant.  Si 
vous  le  voulez  bien  nous  allons  faire  ensemble  un  rapi- 
de inventaire  des  idées,  des  prédispositions,  des  senti- 
ments qui  devaient  influer  sur  ses  actes.  Disons-nous 
tout  d'abord  qu'il  eût  été  anormal  de  rencontrer  chez 
lui  une  conception  identique  à  la  nôtre  relativement 
aux  relations  du  Canada  avec  la  métropole,  des  Ca- 
nadiens avec  le  pouvoir  britannique.  II  ne  pouvait 
penser,  il  ne  pouvait  sentir,  il  ne  pouvait  juger  exac- 
tement comme  s'il  fût  né  sur  les  rives  du  Saint- Lau- 
rent. Anglais,  il  ne  pouvait  envisager  comme  un  Ca- 
nadien les  événements  et  les  situations  ?  Fonctionnaire 
impérial,  il  ne  pouvait  avoir  sur  le  gouvernement  de 
la  province  les  mêmes  vues  qu'un  membre  d'une  as- 
semblée coloniale.  Relativement  à  la  question  de  race, 
on  devait  s'attendre  à  ce  qu'il  fût  animé  d'un  dou- 
ble sentiment.  Fier  de  sa  nationalité  anglo-saxonne, 
des  traditions  et  des  institutions  sur  lesquelles  étaient 
assises  la  force  et  la  grandeur  de  son  pays,  comment 
n'aurait-il  pas  en  lui-même  estimé  désirable  que  les  Ca- 
nadiens finissent  par  s'assimiler  à  la  langue  et  aux  idées 
anglaises,  et  regrettable  qu'ils  demeurassent  réfrac- 
taires  à  cette  assimilation.  Cependant  ce  désir  et  ce 
regret  n'irait  pas  jusqu'à  vouloir  les  angliciser  mai- 
gré  eux.  Non,  puisqu'ils  restaient  opiniâtrement  at- 
tachés à  leur  langue,  à  leur  église,  à  leurs  coutumes,  il 


52  COURS  d'histoire  du  canada 

serait  injuste  et  impolitique  de  les  violenter.  Il  fau- 
drait donc  accepter  le  fait  canadien,  avec  l'espoir  plus 
ou  moins  incertain  que  le  temps  et  les  circonstances 
amènerait  l'évolution  souhaitée.  En  attendant  il  im- 
porterait d'assurer  le  fonctionnement  régulier  de  l'ad- 
ministration bas-canadienne.  Et,  dans  ce  but,  on 
h^^  s'appliquerait  à  traiter  l'élément  qui  composait  l'im- 

'  ji  ,^,1.^  mense  majorité  de  la  population  de  manière  à  gagner 
son  concours.  Un  manitestcrait  le  plus  grand  respect 
pour  la  religion  et  le  clergé  catholiques.  Les  Canadiens 
seraient  appelés  à  participer  au  gouvernement  et  on 
leur  ouvrirait  les  fonctions  publiques.  Mais  cette  po- 
litique d'équité  ne  pourrait  aller  jusqu'à  supprimer  ou 
affaiblir  la  prérogative  de  la  Couronne.  Cette  préro- 
gative, graduellement  entamée  dans  la  métropole  par 
les  progrès  toujours  constants  du  contrôle  et  de  la 
puissance  parlementaires,  demeurait  un  dogme  intan- 
gible quand  il  s'agissait  des  coloniesj  Là-bas,  sous  la 
Régence,  durant  la  longue  éclipse  intellectuelle  du  mo- 
narque qui  avait  été  si  jaloux  de  son  autorité,  on  com- 
mençait à  dire:  "Le  roi  règne  et  ne  gouverne  pas. "Mais 
les  ministres  britanniques  persistaient  à  croire  qu'il 
était  de  saine  politique  de  ne  pas  étendre  aux  colonies 
le  principe  du  self  government.  A  leurs  yeux  le  parle- 
mentarisme n'était  pas  un  article  d'exportation.  Ici 
donc,  conformément  à  cette  doctrine,  le  gouverneur 
gouvernerait.  Seulement,  lorsqu'il  s'appellerait  Prévost 
ou  Sherbrooke,  il  tiendrait  compte  des  vœux  de  la  ma- 
jorité et  s'efforcerait  de  lui  donner  des  satisfactions  rai- 
sonnables, propres  à  faire  obtenir  la  législation  requise 
pour  l'efficacité  de  l'administration.  Il  résulterait  de 
toutcela  une  situation  spéciale.  Ce  ne  serait  pas  le  gou- 
vernement constitutionnel  dans  toute  sa  plénitude,  ce 
serait  un  moyen  terme.    Ce  ne  serait  pas   le  gouverne- 


COURS  d'histoire  du  canada  53 

ment  de  la  majorité,  ce  serait  le  gouvernement  de  la 
Couronne,  dont  le  représentant,  par  la  loyauté  et  la  sin- 
cérité de  son  attitude,  obtiendrait  le  concours  de  la  ma- 
jorité. 

Telles  devaient  être  à  ce  moment  les  vues,  les  idées 
directrices  d'un  gouverneur  colonial,  j'entends  d'un 
bon  gouverneur.  Espérer,  attendre  de  lui  davantage 
eût  été  une  chimère,  et  rien  de  plus  dangereux  que 
les  chimères  en  politique.  Pour  bien  comprendre 
et  pour  justement  apprécier  les  hommes,  l'historien 
doit  avant  toute  chose  ne  pas  les  dissocier  de  l'épo- 
que et  des  circonstances  de  leur  évolution.  La  théorie 
deTaine  sur  la  race,  le  milieu  et  le  moment,  qu'il  déve- 
loppa dans  une  introduction  célèbre,  excessive  et  fausse 
SI  on  l'érigé  en  une  règle  scientifique  absolue,  a  sa  va- 
leur indéniable  en  histoire  comme  moyen  d'analyse 
et  de  critique.  C'est  en  tenant  compte  de  ces  éléments 
qu'on  peut  arriver  à  une  intelligence  plus  exacte  des 
événements  et  des  personnages.  Ils  nous  aident  à  dis- 
cerner ce  qui  était  possible  à  tel  moment,  et  ce  qui, 
par  contre,  était  non  praticable.  Ils  nous  expliquent 
pourquoi,  par  exemple,  ni  Dorchester,  ni  Prévost,  ni 
Sherbrooke  n'auraient  pu  dire  à  la  majorité  canadienne, 
envers  laquelle  ils  voulaient  cependant  être  équitables: 
"Nous  allons  vous  donner  la  prépondérance  absolue 
dans  les  conseils  exécutifs  et  législatifs,  et  nous  ne  fe- 
rons rien  que  d'après  vos  avis  et  vos  idées."  Cela  eût 
constitué  un  anachronisme.  C'eût  été  le  régime  qui  ne 
devait  triompher  qu'après  1841.  Ce  ne  pouvait  être  le 
régime  de  1818.  L'heure  du  gouvernement  respon- 
sable n'avait  pas  encore  sonné. 

Cependant  la  constitution  de  1791  et  le  dévelop- 
pement de  notre  vie  politique  nous  acheminaient  len- 
tement  vers   ce  nouvel   ordre  de  chose.     A  l'époque 


54  COURS  d'histoire  du  canada 

que  nous  étudions,  et  depuis  les  crises  provoquées  par 
les  violences  maladroites  de  sir  James  Craig,  les  deux 
forces  rivales  étaient  en  présence.  Et  chacune  était 
respectivement  dans  son  rôle  naturel.  Il  était  naturel 
que  l'Assemblée  s'efforçât  d'étendre  sa  juridiction  et 
son  pouvoir.  II  était  naturel  que  les  gouverneurs 
fissent  en  sorte  de  maintenir  la  prérogative  de  la  Cou- 
ronne et  d'empcchcr  qu'elle  ne  fût  supplantée  totale- 
ment par  l'autorité  de  la  Chambre.  Pour  que  nos  ins- 
titutions pussent  fonctionner  efficacement,  pendant 
cette  période  d'un  régime  que  je  serais  tenté  d'appeler 
semi-constitutionnel, il  fallait  donc  de  part  et  d'autre 
de  la  sagesse  et  de  la  modération.  Demander  à  nos 
gouverneurs  l'abandon  de  la  prérogative  eût  été  pré- 
maturé. Mais  oïL  avait  droit  d'attendre  d'eux  l'im- 
M  partialité,  l'équité,  la  largeur  d'esprit,  le  respect  des 

droits,  des  convictions,  des  revendications  légitimes 
de  la  majorité.  Malheureusement  le  sens  politique  man- 
qua souvent  aux  gouverneurs,  et  fit  parfois  défaut  à  la 
majorité.  Nous  verrons  la  prérogative  de  la  Couronne 
et  la  juridiction  parlementaire  se  heurter  de  plus 
^  en  plus.  Au  lieu  de  coopération  il  y  aura  mésintelli- 
gence, jusqu'à  ce  que  le  conflit  devenu  chronique  abou- 
tisse à  une  catastrophe  finale,  qui  nous  apportera,  par 
un  contre-coup  étrange,  la  réalité  du  gouvernement 
parlementairejMais  lorsqu'il  eût  été  possible  d'y  at- 
teindre au  moyen  d'une  évolution  pacifique,  nous  y 
devions  parvenir  par  la  voie  des  crises  et  des  épreuves 
douloureuses. 

Cette  heureuse  évolution  se  fût  assurément  ac- 
complie si  nous  eussions  toujours  eu  des  gouverneurs 
>/  comme   sir  John  Sherbrooke.     Son  administration  ne 
dura  que  deux  ans, et  elle  démontra  quelle  entente  favo- 
rable au  bien  public    pouvait  s'établir  entre  un  chef 


COURS  d'histoire  du  canada  55 

(f  exécutif  impartial  et  la  Chambre    bas-canadienne.] 
Nous  allons  étudier  son  action  dans  les  quatre  questions    ' 
principales  dont  il  eut  à  s'occuper:  celle  des  accusations         i5si;Çs 
contre  les  juges  en  chef;  celle  de  la  mise  en  accusation  t)\ 

du  juge  Foucher,  source  de  nouvelles  complications;  '^ 

celle  du  status  de  l'évêque  catholique;  enfin  celle  des 
subsides,  destinée  à  engendrer  tant  de  débats  et  de  | 
conflits.  ^ 

Le  tempérament  de  la  Chambre  élue  en  mars  1816  | 
ne  faisait  augurer  rien  de  bon  pour  la  session  qui  de- 
vait s'ouvrir  au  commencement  de  1817.  Il  était 
évident  que  la  majorité  de  l'Assemblée,  dirigée  par 
l'impétueux  et  vindicatif  James  Stuart,  allait  remettre 
en  question  l'acquittement  ex  parte  des  juges  Sewell 
et  Monk.  Après  la  décision  du  Conseil  privé,  tribu- 
nal suprême  de  l'empire,  le  ministère  britannique  ne 
voulait  pas  admettre  que  l'assemblée  eût  le  droit  de 
revenir  à  la  charge.  Ceci  rendait  la  situation  du  gou- 
verneur extrêmement  embarrassante.  Si  la  Chambre 
persistait  à  s'occuper  des  impeachments,  il  ne  pouvait 
consentir  à  lui  servir  d'intermédiaire  auprès  du  gou- 
vernement impérial,  sous  peine  d'être  censuré  par  ce- 
lui-ci. II  lui  fallait  donc  se  mettre  en  conflit  avec  la 
députation.  D'autre  part  le  recours  aux  prorogations 
ou  aux  dissolutions  réitérées  lui  répugnait,  parce  que 
leur  résultat  inévitable  devait  être  de  paralyser  la  lé- 
gislation et  d'entraver  le  progrès  de  la  province.  La 
seule  issue  satisfaisante  était  d'empêcher  l'Assemblée 
de  rouvrir  la  question.  Mais  comment  y  parvenir? 
Sir  John  Siierbrooke,  conscient  de  la  difficulté  et  con- 
vaincu que  la  manière  forte  n'aboutirait  qu'à  un  échec, 
résolut  de  demander  à  la  conciliation  ce  que  la  coerci- 
tion n'aurait  su  obtenir. 

Une  circonstance  particulière  lui  avait  heureuse- 


^w-|)e/Kk'^ 


J 


56  COURS  d'histoire  du  canada 

ment  préparé  les  voies.  Quelques  semaines  après  son 
arrivée  dans  la  province  plusieurs  districts  s'étaient 
trouvés  menacés  de  disette  par  suite  de  gelées  hâtives. 
Le  gouverneur  se  mit  en  rapport  avec  Mgr  Plessis,  qui 
adressa  une  circulaire  à  ses  curés  pour  obtenir  des  in- 
formations concernant  l'étendue  des  dommages  et  les 
besoins  les  plus  urgents  des  populations  éprou\ées. 
Puis,  sans  perdre  un  instant,  il  organisa  des  envois  de 
(j^„Ô,  vivres    et  de  grains  pour  les  semailles   futures  dans 

rtddf  W  toutes  les   régions   où   la   famine   était   imminente.  (1) 

Cette  promptitude  d'action  bienfaisante  lui  valut  la 
gratitude  du  peuple  et  du  clergé.     Ses  relations  avec 
[J]      l'évêque  de  Québec  devinrent  bientôt  excellentes.     Il 
^yjv  en  profita  pour  exposer  loyalement  à  celui-ci  ses  dis- 

positions et  son  désir  d'amener  une  détente  dans  la  si- 
tuation politique.  Et  il  réclama  son  concours  pour  cette 
œuvre  d'apaisement.  Cet  appel  s'adressait  à  un  hom- 
me dont  la  bonne  volonté  ne  pouvait  être  douteuse. 
Mgr  Plessis  considérait  comme  un  malheur  la  mésin- 
telligence entre  les  pouvoirs  publics  et  nos  chefs  parle- 
mentaires. En  présence  de  proconsuls  césariens  com- 
me sir  James  Craig,  il  pouvait  se  dresser  dans  toute 
la  force  de  son  caractère  et  de  sa  mission  pour  protéger 
les  droits  de  son  église  et  de  son  peuple,  et  prononcer 
avec  une  énergie  indomptable  le  ?îon  possumus  de  la 
conscience  et  du  droit.  Mais  lorsque  l'autorité  civile, 
renonçant  à  l'arbitraire,  se  montrait  équitable  et  loya- 
le, il  croyait  accomplir  un  devoir  en  facilitant  au- 
tant qu'il  le  pouvait  le  retour  de  la  concorde.  Con- 
vaincu   que   le    gouverneur    était   animé    d'intentions 


(1) — Sherbrooke  à  Batburst,  22  novembre  ISlô;  Papiers  d'Etat 
du  Bas-Canada,  Q.  137,  p.  30.3;  Mandements  des  évêques  de  Qué- 
bec, t.  III,  p.  138. 


COURS  d'histoire  du  canada  57 

droites,  il  n'hésita  pas  à  exercer  son  influence  auprès 
des  membres  les  plus  importants  de  la  députation, 
pour  les  prémunir  contre  le  danger  des  décisions  trop 
promptes  et  des  résolutions  trop    intransigeantes.    (1) 

Malheureusement   dès   le   début  de   la   session   qui     1 
s'ouvrit  le  15  janvier  1817,  la  situation  se  comphqua 
d'une  nouvelle  mise  en  accusation,  dirigée  cette  fois 
contre  un  juge  puîné  de  la  cour  du  banc  du  roi    de 
Montréal,  monsieur  le  juge  Foucher.     Le  25   janvier,      Puodier 
M.  Cuvillier,  député  de  Huntingdon,  traduisit  devant 
la  Chambre  ce  magistrat,  coupable, suivant  lui,  de  plu- 
sieurs actes  contraires  à  ses  devoirs  et  attentatoires  à 
la  dignité  judiciaire.    II   est   bon    d'observer  que    les 
faits  allégués  n'avaient  aucun  rapport  avec  la  politi- 
que    et  concernaient  uniquement  la  conduite  du  juge 
envers  des  avocats  et  des  parties  dans  des  causes  plai- 
dées   devant   lui. (2)      Une   enquête   fut   ordonnée,    le 
comité  spécial  nommé  à  cette  fin  présenta  un  rapport    pi^^^I'W 
hostile  au  juge,  et  la  Chambre,  s'appuyant  sur  ces  pro-        ' 
cédures, adopta  une  adresse  au  prince  Régent  dans  la- 
quelle on  demandait  la  destitution  du  magistrat  incri- 
miné. En  même  temps  qu'elle  présentait  cette  adresse 
au  gouverneur  pour  qu'il  la  transmit  à  Son  Altesse  Ro-    ^iQjXçJiyeiiS 
yale,  elle  le  priait  de  suspendre  de  ses  fonctions  le  juge       VoG»oO 
Foucher,  en  attendant  la  décision  des  autorités  impé-        X'y.p, 
riales.     Cet'  incident  ajoutait  aux  embarras  du  chef 
de  l'exécutif.     Désirant  obtenir  de  l'Assemblée  l'aban- 
don ou  l'ajournement  indéfini  des  procédures  contre 
les  juges  en  chef,  il  ne  voulait  pas  heurter  de  front  la 


(1) — Sherbrooke  à  Batburst,  1er  février  1817;  Archives  du  Ca- 
nada :  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  134,  p.  126. 

(2)— Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada.  Q.  143,  p.  292. 


re<jerit 


Lr 


odi«2^ 


58  COURS  d'histoire  du  canada 

majorité.     D'autre  part  il  lui   répugnait  de  prendre 
une  décision  préjudicielle  en  suspendant  par  un  acte 
Kcr  Kon         exécutif  le  juge  mis  en  accusation.     II  résolut  de  faire 
prA  Vp  r  une  démarche  équivalente,  mais  moins  grave.    II  de- 

manda au  juge  de  ne  pas  siéger  tant  que  la  question 
serait  en  suspens.     Et  il  annonça  qu'il  soumettait  au 
prince    régent  les  articles  d'impeachment.   Pour  le  mo- 
**^^'^  ment  l'incident  était  clos.     Anticipant   quelque  peu 

'      "^  sur  les  dates,  disons  immédiatement  quelle  en  fut  l'issue. 

Le  bureau  colonial,  après  avoir  considéré  le  cas,  prit 
une  attitude  nouvelle.  II  décida  que  dorénavant  les 
mises  en  accusation  décrétées  par  l'Assemblée  seraient 
déférées  au  Conseil  législatif,  qui  agirait  ainsi  comme 
une  sorte  de  haute  cour.  Durant  l'instance  il  ne  pou- 
vait y  avoir  d'objection  à  ce  que  l'accusé  fut  suspendu 
de  ses  fonctions,  eu  égard  au  fait  que  la  cause  instruite 
au  Canada  n'entraînerait  pas  de  longs  délais.  Cette 
décision  constituait  une  innovation  dans  notre  régime. 
'  ^  ,-  Le  Conseil  législatif  se  trouvait  investi  d'une  fonction 

or  qui  n'avait  pas  été  prévue  par  les  auteurs  de  la  cons- 

fjfrrs,  ht/      titution.     Quelle  serait  la  procédure  à  suivre  ?     Pour 
^  donner  effet  à  la  dépêche  du  ministre  des  colonies, 

faudrait-il  faire  voter  une  loi  par  la  législature  ?  Se- 
rait-il nécessaire  d'émettre  une  commission  sous  le 
grand  sceau  de  la  Couronne  afin  de  donner  aux  mem- 
bres du  Conseil  législatif  le  pouvoir  judiciaire  ? 
Ou  bien  devait-on  considérer  la  dépêche  ministérielle 
''comme  investissant  directement  le  Conseil  de  la  juri- 
diction nécessaire  ?  La  question  donna  lieu  à  des 
opinions  divergentes  de  la  part  des  ofTicicrs  en  loi  de 
la  Couronne  dans  la  province,  ainsi  que  des  juges  de 
Montréal  et  de  Québec.  Finalement  sir  John  Sher- 
brooke fit  au  ministre  des  représentations  relatives  au 
danger  qu'il  y  avait  de  laisser  ces  accusations  contre 


tO'irO' 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 


59 


les  juges  en  proie  à  l'esprit  de  parti,  tant  clans  l'Assem- 
blée que  dans  le  Conseil.  Et  il  concluait  en  recom- 
mandant que,  "dans  tout  cas  d'impeachment  par  la 
Chambre,  le  gouverneur  reçût  instruction  de  transmet- 
trêves  accusations,  avant  de  les  soumettre  au  Conseil 
législatif,  au  gouvernement  de  Sa  Majesté,  afin  que 
celui-ci  décidât  s'il  était  opportun  de  permettre  l'ins- 
truction^ de  la  cause  devant  ce  corps."  Ceci  amena  le 
ministre  à  modifier  sa  décision.  Et  il  informa  le  gou- 
verneur que  la  procédure  dans  le  cas  du  juge  Foucher 
devrait  être  la  suivante.  La  Chambre  adresserait  au 
représentant  de  la  Couronne  toute  sa  preuve  documen  • 
taire  à  l'appui  des  accusations.  Copie  de  ces  accusa 
tions  et  de  cette  preuve  seraient  communiquée  à  ce 
juge  afin  qu'il  pût  offrir  une  réponse  et  une  défense, 
lesquelles  seraient  transmises  à  l'Assemblée  de  ma- 
nière à  ce  qu'elle  pût  y  répliquer.  Et  le  tout  serait 
déféré  au  prince  régent  pour  détermination  ultérieure. 
Mais  cet  échange  de  vues,  ces  opinions  légales,  ce  va- 
et-vient  de  dépêches  occupèrent  près  de  deux  ans.  Quand 
cette  dernière  décision  du  bureau  colonial  fut  commu- 
niquée à  la  Chambre  durant  la  session  de  1919,  l'animo- 
sité  contre  le  juge  Foucher  semblait  s'être  apaisée. 
L'Assemblée  n'adopta  aucune  procédure.  Et  en  fin 
de  compte  le  juge  reprit  ses  fonctions  judiciaires  sans 
entendre  parler  davantage  de  sa  mise  en  accusation.  (1) 
Sa  suspension,  que  je  serais  tenté  d'appeler  offi- 
cieuse, et  le  message  par  lequel  sir  John  Sherbrooke 
annonçait   la   transmission   de  l'acte   d'accusation   en 


1  \jd  0^ 


(1)— Christie,  t.  II,  pp.  296,  301;  t.  VI,  pp.  3.44-366;  Papiers 
d'Etat  du  Bas-Canada,Q.  143.  p.  295;  147  pp.  16-69;  148-1,  pp.  148- 
157;  148-2,  pp.  410;  152-1,-2,  pp.  156-163;  Documents  constitu- 
tionnels (1791-1818),  pp.  507-540. 


fi 


60  COURS  d'histoire  du  canada 

• 

Angleterre,  à  la  session  de  1817,  avaient  temporaire- 
ment débarrassé  le  gouverneur  de  cette  complication. 
Et  c'était  essentiel.  Ce  sursis  lui  laissait  le  champ 
libre  pour  chercher  une  solution  pacifique  à  l'autre 
affaire,  beaucoup  plus  grave,  celle  des  juges  Sewell  et 
Monk. 


I  Dès  la  seconde  semaine  de  la  session,  M.  James 

Stuart  l'avait  ramenée  devant  la  Chambre.     Il  avait 
fait  voter   une  résolution  décrétant  que  l'Assemblée 
„.>.^^|  siégerait  en  comité  général  le  22  février,  pour  prendre 

en  considération  la  question  des  impeachments  contre 
les  juges  en  chef  de  Québec  et  de  Montréal.  Cepen- 
dant les  influences  conciliatrices  semblaient  déjà  se 
faire  sentir,  car  il  avait  échoué  dans  deux  motions  an- 
térieures dont  l'objet  était  identique.  Malgré  ces  in- 
dices d'hésitation  de  la  part  de  la  Chambre,  le  gouver- 
neur redoutait  toutefois  de  ne  pouvoir  parvenir  à 
écarter  le  conflit.  Mais  à  ce  moment  deux  circons- 
tances vinrent  à  son  aide.  M.  Stuart  fut  appelé  par 
des  affaires  urgentes  à  Montréal.  Et  la  Chambre 
adressa  au  gouverneur  une  pétition  qui  lui  ouvrit  une 
perspective  dont  il  s'empressa  de  prohter. 
_  A  la  session  de  1814,  M.  Jean-Antoine Panet,  ora- 

teur de  l'assemblée  depuis  1792,  sauf  une  interruption 
e\  de  deux  ans,  ayant  été  nommé  conseiller  législatif,  le 

Ifc^  fauteuil  présidentiel  était  devenu  vacant,  et  M.Louis- 

i^yCi^lor  Joseph  Papineau  avait  été  élu  pour  le  remplacer.     Jus- 

que-là l'orateur  n'avait  pas  de  salaire.  Considérant 
que  ceci  était  une  anomalie,  les  amis  de  M.  Papineau 
firent  adopter  un  bill  décrétant  que  le  président  de  la 
Chambre  recevrait  quatre  mille  piastres  annuellement 
durant  le  parlement  en  cours.  Cette  loi,  réservée  pour 
la  sanction  royale,  fut  sanctionnée  après  un  assez  long 
retard.     Mais  juste  à  ce  moment  intervint  la  dissolu- 


COURS  d'histoire  du  canada  61 

tion  soudaine  de  1816.  Une  nouvelle  législature  en- 
trait en  existence  et  tout  était  à  recommencer.  Le  11 
mars  1817,  la  Chambre  adopta  donc  une  adresse  de- 
mandant au  gouverneur  de  vouloir  bien  accorder  à  son 
président,  à  même  les  fonds  de  la  province,  un  salaire 
proportionné  aux  devoirs  importants  et  ardus  de  sa 
charge  Or,  deux  ans  auparavant,  le  Conseil  législatif 
avait  lui  aussi  soumis  au  gouverneur  du  temps  une  de- 
mande analogue  pour  son  président.  Evidemment,  si 
l'on  donnait  un  salaire  à  l'un  des  orateurs  il  était  dif- 
ficile de  le  refuser  à  l'autre.  Sir  John  Sherbrooke,  dans 
sa  réponse  à  la  Chambre,  rappela  cette  démarche  an- 
térieure du  Conseil  et  se  déclara  prêt  à  accorder  une 
juste  et  convenable  rémunération  au  président  de  l'As- 
semblée, pourvu  qu'il  fût  assuré  qu'on  ratifierait  une 
rémunération  semblable  au  président  du  Conseil.  II 
ne  faut  pas  l'oublier,  ce  président  du  Conseil  était  pré- 
cisément le  juge  Se\vell.  Lui  voter  un  salaire  addi- 
tionnel c'était  se  mettre  dans  une  singulière  situation 
si  l'on  voulait  pousser  à  fond  les  accusations  contre 
lui.  Mais  les  amis  de  M.  Papineau  tenaient  énormé- 
ment à  lui  assurer  le  traitement  auquel  il  avait  droit  '^^V 
Ils  entraînèrent  l'adhésion  de  la  majorité,  et  le  14  mars 
la  Chambre  iiemine    contrùdicente,     assurait    le  gou-     ,  . 

verneur  "qu'en  faisant  bon  pour  les  sommes  que  Son  . 
Excellence  ferait  débourser  pour  le  paiement  du  sa- 
laire de  l'orateur  de  l'Assemblée,  elle  ferait  aussi  bon  J-  Se-vjç, 
pour  les  sommes  que  Son  Excellence  ferait  débourser 
pour  le  paiement  du  salaire  de  l'orateur  du  Conseil 
législatif."  (1)  Immédiatement  Sir  John  Sherbrooke 
informait  l'Assemblée  qu'en  conséquence  de  ses  adresses, 

(1) — Journal  de  la  Chambre  d'assemblée  du  Bas-Canada,  1817, 
p.   807. 


lOOVi, 


62  COURS  d'histoire  du  canada 

il  attribuait  à  chacun  des  orateurs  un  salaire  an- 
nuel de  mille  louis  courant,  ou  quatre  mille  piastres  par 
année,  à  dater  du  commencement  de  ce  parlement. 
Ce  résultat  comblait  les  voeux  du  gouverneur  qui  dé- 
sormais pourrait  compter  sur  le  bon  vouloir  de  la 
Chambre  et  attendre  de  pied  ferme  la  rent*fée  de  M. 
Stuart. 

Celui-ci  avait  pu  constater,  à  son  retour  de  Mont- 
réal, la  vérité  du  proverbe:  "Les  absents  ont  tort". 
En  apprenant  ce  qui  s'était  passé,  il  avait  dû  se  dire 
que  la  majorité  échappait  à  son  emprise.  Mais  il 
était  opiniâtre  et  intrépide  et  il  monta  quand  même 
à  l'assaut.  Le  22  mars  il  proposait  sa  motion  pour 
que  la  Chambre  prit  en  considération  la  question  des 
impeacbments.  Le  débat  fut  long,  mouvementé  et 
dramatique.  M.  Stuart  y  déploya  toutes  les  ressour- 
ces de  son  éloquence  et  de  sa  dialectique.  "Jamais 
cause  ne  fut  soutenue  avec  plus  de  puissance  ni  avec 
un  plus  brillant  déploiement  de  talent  oratoire",  écrit 
un  contemporain.  Mais  cet  effort  suprême  était 
voué  d'avance  à  la  défaite.  L'atmosphère  de  la 
Chambre  était  changée.  A  l'issue  d'un  des  débats  les 
plus  mémorables  de  cette  époque,  qui  se  prolongea 
jusqu'aux  heures  matinales,  la  motion  de  M.  Stuart 
fut  rejetée,  et  par  22  voix  contre  10  on  adopta  un 
^^  I  amendement  de  M.  Ogden  décrétant  que  la  prise  en 

considération  des  impeacbments  serait  remise  à  la  pro- 
chaine session.  C'était  ce  que  nous  appelons  de  nos 
jours  le  six  monlhs  hoist, ou, en  termes  moins  parlemen- 
taires, l'enterrement  de  première  classe.  Humilié  de 
sa  défaite  et  furieux  de  n'avoir  pas  été  suivi  jusqu'au 
bout  par  la  majorité,  dont,  pendant  deux  ans,  il  avait 
paru  être  le  leader,  M.  James  Stuart  s'en  retourna  à 
Montréal  le  lendemain  du  vote  qui  marquait  l'avorte- 


COURS   d'histoire  du  canada  63 

ment  de  sa  campagne.  (1)     Et  il  ne  devait  reparaître'^ 
à  la  Ch^rm^fe  que  bien  des  années  plus  tard,  et  dans  un 
rôle  très  différent,  celui  de  champion  de  l'administra- 
tion et  d'adversaire  acharné  du  parti  populaire.      Tem- 
pora  mutantur  et  nos  mutamur  in  illis. 

Il  n'est  pas  indifférent  de  noter  que,  dans  le  dé- 
bat final,  M.  Stuart  avait  raison  quant  à  la  question 
de  forme.  Son  argumentation  était  sans  réplique 
lorsqu'il  reprochait  au  ministère  d'avoir  fait  rendre  en 
faveur  des  juges  une  décision  ex  parte.  Comme  l'avait 
fait  observer  sir  John  Sherbrooke,  on  devait  regretter 
que  les  accusateurs  n'eussent  pas  eu  l'occasion  d'être 
entendus  devant  le  Conseil  privé.  Il  en  allait  autre- 
ment quant  au  fond  de  la  question,  quant  au  mérite 
et  à  l'opportunité  des  mises  en  accusation.  Le  fou- 
gueux dénonciateur  ne  pouvait  appuyer  ses  attaques 

(1) — Christie,  t.  II,  p.  290;  Journal  de  la  Chambre  d^Assem- 
blée  du  Bas-Canada,  1817,  pp.  905-907;  Pierre  de  Salles  Later- 
rière,  A  Political  Account  oj  Lower  Canada,  p. 59. — Le  nom  de 
l'auteur  ne  figure  pas  sur  ce  livre,  il  est  signé:  A  Canadian.  On  y 
trouve  une  page  curieuse  sur  l'incident  politique  raconté  plus 
haut.  "L'orateur  de  la  Chambre  basse,  écrit  M.  Laterrière,  en 
soutenant  les  accusations  des  Communes  (c'est-à-dire  de  hi 
Chambre  d'Assemblée)  contre  l'orateur  du  Conseil  législatif,  ris- 
quait de  perdre  un  salaire  de  1,000  louis, par  année,  que  la  Cham- 
bre lui  avait  voté  et  que  le  gouverneur  était  disposé  à  sanction- 
ner pourvu  que  la  même  somme  fût  votée  à  l'orateur  du  Conseil. 
La  Chambre  ne  pouvait  refuser  de  voter  ce  dernier  salaire,  à 
moins  que  son  orateur,  sacrifiant  son  propre  intérêt,  ne  l'enga- 
geât à  maintenir  fermement  sa  détermination  qu'elle  avait  prise 
dans  une  question  où  son  honneur  et  le  bien  public  étaient  en 
jeu.  Malheureusement  l'orateur,  M.  Papineau,.  adopta  une 
vue  différente.  II  fit  entendre  à  la  Chambre  qu'après  la  décision 
du  Conseil  privé  en  Angleterre  il  était  dangereux  de  pousser 
plus  loin  l'affaire,  que  la  persistance  dans  V impeacbment  provo- 
querait une  dissolution,   et  que  dans  la   situation  critique  de 

5 


64  COURS  d'histoike  du  canada 

que  sur  des  motifs  futiles,  en  ce  qui  concernait  les  rè- 
gles de  pratique,  ou  sur  des  griefs  politiques  réels,  mais 
d'une  telle  nature  qu'il  était  impossible  pour  le  gou- 
vernement britannique  de  les  reconnaître  comme  de 
valables  raisons  cVimpeachrnent. 

Cette  campagne  mal  engagée  se  terminait,  il  faut 
bien  l'admettre,  de  façon  peu  brillante.  Résultat 
inattendu  et  singulier,  le  principal  personnage  visé 
par  l'accusation  en  sortait  avec  un  accroissement  de 
fortune  et  de  prestige.  Malgré  tout,  mieux  valait  ce 
dénouement  sans  gloire  que  la  prolongation  d'une 
crise  dont  l'objet  ne  justifiait  pas  les  risques.  En 
somme  la  diplomatie  de  sir  John  Sherbrooke  avait 
rendu  service  à  la  majorité,  en  la  dégageant  d'un  con- 
flit malencontreux  où  l'avait  poussée  un  meneur  vin- 
dicatif, qui  exploitait  ses  légitimes  rancœurs. 

Le  gouverneur  pouvait  se  féliciter  du  résultat  de 
ses  efTorts  pacificateurs.  La  session  de  1817,  ouverte 

l'Assemblée  vis  à  vis  du  Conseil  législatif,  il  serait  sage  d'ajour- 
ner la  question  à  une  autre  session.  L'événement  devait  prou- 
ver que  ceci  n'était  qu'un  subterfuge  au  moyen  duquel  la  Cham- 
bre échapperait  à  toute  discussion  ultérieure  de  ce  sujet.  II  est 
juste  d'observer,  cependant  que,  sauf  cette  exception,  toute  la 
conduite  de  l'orateur,  dans  sa  longue  carrière  politique,  a  é^té 
sans  reproche  et  de  nature  à  lui  mériter  l'approbation  et  la  con- 
fiance de  ses  compatriotes".  M.  Laterrière  ajoute  que  le  gou- 
verneur dut  en  outre,  dans  cette  affaire,  mettre  en  œuvre  toutes 
les  ressources  du  patronage.  Il  fait  un  grand  éloge  de  M.  Stuart 
qu'il  appelle  "un  homme  de  génie  et  de  talent  supérieur",  et  dé- 
clare "regrettable,  pour  l'honneur  de  ceux  qui  lui  avaient  pro- 
mis leur  appui,  qu'ils  l'aient  abandonné  dans  un  moment  criti- 
que". Ces  appréciations,  quelles  que  soient  leur  justesse, 
sont  celles  d'un  témoin  de  visu  et  auditu.  "J'étais  présent  moi- 
même  au  débat,  écrit-il,  et  je  parle  suivant  mes  impressions  que 
j'éprouvai  k  ce  moment."  (A  Political  and  Historical  Account 
of  Lower  Canada,  pp.  .'ïG-Gl.) 


COURS   d'histoire  du  canada  65 

sous  de  fâcheux    auspices,  se  terminait  dans  J'Iiarmo-    ''^'  '  ^^-'''^ 
nie.     Rien  ne  fait  mieux  comprendre  la  détente  qui 
s'était  produite,  que  le  discours  prononcé  par  l'orateur 
de  la  Chambre,  M.  Papineau,  le  jour  de  la  prorogation, 
en  présentant  au  gouverneur  les  bills  relatifs  aux  re- 
venus  et   à   l'affectation    de   certains    crédits.     Quel- 
ques passages  indiquent  l'esprit  dont  il  était  animé. 
Un  des  projets  de  loi  présentés  avait  pour  objet  d'inau- 
gurer l'inoculation  de  la  vaccine.     Et  cela  inspirait  à 
M.  Papineau  les  considérations  suivantes:  "Ce  n'est 
pas  parce  que  la  mère-patrie  a  donné  naissance  à  l'hom- 
me de  talent,  à  l'observateur  réfléchi  et  constant  qui  a 
fait  cette  belle  découverte,  qu'elle  a  la  gloire  et  le  bon- 
heur d'être  appelée  la  bienfaitrice  des  nations.     C'est 
parce  que  ses  lumières,  l'esprit  public,  les  sentiments 
généreux  sont  depuis  longtemps  généralisés  en  Angle- 
terre, que  la  découverte  du  docteur    Jenner  y  a  été 
mieux  accueillie  qu'elle  ne  l'eût  été  ailleurs,  qu'elle  y 
a  en  un  instant  inspiré  ce  vertueux  enthousiasme  qui 
a  déjà  porté  l'usage  de  l'inoculation  de  la  vaccine  dans 
les  quatre  parties  du  monde.     Animés  par  la  considé- 
ration du  bien  que  nous  faisons  à  notre  pays  en  en- 
courageant l'usage  de  cette  pratique,  c'est  avec  plaisir 
que  nous  sentons  qu'elle  doit  fortifier  les  sentiments  de 
reconnaissance  qu'à  tant  d'autres  titres  encore  nous 
devons  au  pays  d'où  nous  est  apporté  ce  bienfait."     M. 
Papineau  adressait  ensuite  au  gouverneur  ce  compli- 
ment, dont  la  sincérité  n'était  pas  feinte:      "La   con- 
fiance n'est  ordinairement  que  l'ouvrage  du  temps.  Le 
zèle  et  le  succès  avec  lesquels,  dès  les  premiers  jours  de  son 
arrivée.  Votre  Excellence  s'est  empressée  de  secourir 
les  malheureux  qui  ont  éprouvé    l'efficacité  des  sen- 
timents de  pitié  qu'ils  vous  ont  inspirés,    ont  porté    la 
Chambre  à  vous  donner  toute  latitude  dans  l'exécu- 


6G  COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 

tion  de  la  loi  (relative  aux  secours  ])our  les  populations 
des  districts  éprouvés  par  la  disette).  Cette  confiance 
a  dû  se  fortifier  de  jour  en  jour  dans  l'Assemblée  lors- 
qu'elle a  vu  votre  Excellence  donner  son  attention,  déjà 
exercée  si  avantageusement  dans  l'adininistration 
d'une  colonie  voisine,  à  faciliter  le  développement  des 
ressources  de  celle-ci."  (1)  On  ne  pouvait  douter 
que  ces  paroles  de  M.  Papineau  ne  fussent  l'écho  fidèle 
des  sentiments  de  l'Assemblée.  Elles  prouvaient  jus- 
qu'à quel  point  le  gouverneur  avait  réussi  dans  son 
œuvre  d'apaisement. 

Son  succès  dans  la  question  des  impeachments 
ne  pouvait  que  l'encourager  à  persévérer  dans  cette 
voie.  II  a\ait  promptement  discerné  que  le  point 
faible  dans  notre  organisme  politique  à  ce  moment 
c'était  la  composition  des  conseils  exécutifs  et  légis- 
latifs. Et  il  se  persuada  qu'en  introduisant  dans  ces 
deux  corps  des  éléments  nouveaux,  on  améliorerait 
sensiblement  la  situation.  C'est  dans  cet  esprit  qu'il 
proposa  la  nomination  de  Mgr  Plessis  au  Conseil 
législatif  et  celle  de  M.  Papineau  au  Conseil  exécutif. 
C'était  assurément  faire  preuve  d'une  initiative  hardie 
et  clairvoyante.  L'élévation  de  Mgr  Plessis  à  notre 
chambre  haute  devait  être  précieuse  pour  ce  corps 
où  elle  ferait  entrer  un  homme  éminent  par  sa  dignité 
et  son  autorité,  doué  d'une  haute  intelligence  et  d'une 
connaissance  approfondie  des  hommes  et  des  choses. 
A  l'appui  de  cette  recommandation,  sir  John  Sher- 
brooke faisait  observer  que  la  nomination  de  Mgr 
Plessis  inspirerait  de  la  confiance  aux  Canadiens. 
Dans  une  communication  ultérieure  il  appelait  l'atten- 

(1) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada,  1817, 
p.  933. 


COURS  d'histoire  du  canada  67 

tion  du  ministre  sur  le  mémoire  présenté  par  révêque 
catholique  de  Québec  à  sir  George  Prévost  en  1812, 
dans  lequel  ce  prélat  demandait  à  être  reconnu  civile- 
ment. Le  gouverneur  signalait  les  obstacles  qui 
avaient  jusque-là  empêché  cette  reconnaissance.  L'évê- 
que  relevait  uniquement  de  Rome  et  cela  était  en 
contradiction  manifeste  avec  les  instructions  royales. 
"Mais,  ajoutait  le  gouverneur,  on  n'a  jamais  donné 
suite  à  ces  dernières  et  on  ne  le  pourrait  faire  sans 
créer  des  mécontentements  dans  le  pays  et  sans  aliéner 
le  clergé  catholique."  (1) 

La  nomination  de  MgrPIessis  au  Conseil  législatif, 
agréée  par  lord  Bathurst,  fit  faire  un  pas  de  plus  au 
status  civil  de  Tévêque  catholique  de  Québec.  Lorsque 
le  Conseil  exécutif  fut  informé  qu'elle  était  imminente, 
le  juge  Sewell  reproduisit  les  objections  émises  naguère. 
Nous  les  connaissons  pour  les  avoir  déjà  rencontrées 
au  passage.  Si  l'on  appelait  Mgr  Plessis  au  Conseil 
comme  évêqu>e  catholique  romain  de  Québec,  la  seule 
preuve  établissant  qu'il  possédait  ce  titre  était  une  'P Ut  sis 
bulle  du  pape;  et  la  reconnaissance  de  ce  titre  sous  le 
grand  sceau  conférerait  à  celui-ci,  dans  l'empire  bri-  ''^^'' 
tannique,  le  droit  de  nommer  à  des  offices.  Cela  équi-  (XcOOhWi 
vaudrait  à  reconnaître  la  suprématie  papale.  Natu- 
rellement le  juge  en  chef  citait  les  lois  d'Elisabeth 
et  les  instructions  royales,  qui  vous  sont  suffisamment 
familières.  Conformément  à  ces  vues,  il  soumettait 
un  projet  de  mandamus  absolument  inacceptable  par 
Mgr  Plessis.  Sir  John  Sherbrooke  ne  pouvait  laisser 
ainsi  entraver  une  mesure  qu'il  avait  à  cœur.  Ecartant 
le  projet  du  juge  en  chef,  il  fit  préparer  par  un  homme 


(1) — Archives  du  Can.id.i,  Sir  J'tl.m  Sherbrooke  à  lord  Bathurst, 
10  avril  1S17.  Q.  143,  p.  \M'.>,. 


68 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 


de  loi,  ami  de  l'évêque,  une  formule  de  mandamus 
qui  levait  la  difTicuIté.  Mgr  Plessis  y  était  appelé 
au  Conseil  législatif  par  son  titre.  C'était  d'ailleurs 
ce  qu'avait  décidé  lord  Bathurst,  dans  sa  dépêche  du 
6  juin  1817.  "J'ai  beaucoup  de  plaisir,  écrivait-il,  à 
vous  transmettre  le  maiidàmus  de  Son  Altesse  Royale 
le  prince  régent,  par  lequel  il  nomme  le  docteur  Plessis 
au  Conseil  législatif  sous  les  appellation  et  titre  d'évéque 
de  l'église  catholique  romaine  de  Québec."  (1)  Sans 
doute  le  ministre  ajoutait  que  les  successeurs  de  Mgr 
Plessis  ne  devraient  pas  assumer  ce  titre  sans  quelque 
instrument  formel  qui  le  leur  reconnaîtrait.  Mais 
cette  limitation,  destinée  d^ailleurs  à  rester  non  avenue, 
ne  pouvait  détruire  le  fait  qu'un  acte  sous  le  grand 
sceau  de  la  Couronne  reconnaissait  l'existence  d'un 
évêque  catholique  j-omain  sur  le  siège  épiscopal  de 
Québec. 

La  recommandation  de  sir  John  Sherbrooke, 
relative  à  la  nomination  de  M.  Papineau  comme  mem- 
bre du  Conseil  exécutif,  procédait  d'une  inspiration 
analogue  à  celle  qui  ouvrait  les  portes  du  Conseil  légis- 
latif à  Mgr  Plessis:  gagner  la  oonfiance  des  Canadiens, 
rapprocher  d'eux  l'administration,  en  les  faisant  parti- 
ciper aux  responsabilités  du  gouvernement.  Dans  la 
lettre  qu'il  adressait  sur  ce  sujet  au  ministre,  le  gou- 
fl  verneur  écrivait:  "Le  grand  mal  de  ce  pays  et  le 
plus  fécond  en  discussions  a  été  le  défaut  de  confiance 
dans  le  gouvernement  exécutif,  non  pas  tant  dans  le 
caractère  du  gouverneur  que  dans  le  Conseil  qui  en 
est  venu  à  être  considéré  comme  l'aviseur  de  ce  dernier, 


(1) — Documents  constitutinnnels,  HTOI-ISIS),  p.  560;  Papiers 
d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  14:?.  pp.  1  et  IW.i;  14.5,  pp.  66,  78-82; 
148-1,  p.  117. 


COURS  d'histoire  du  canada  69 

et  dont  les  mouvements  sont  surveillés  avec  une  sus- 
picion jalouse  qui  tend  à  entraver  tous  les  actes  du 
gouvernement.  Pour  combattre  cette  défiance  j'estime 
qu'un  des  moyens  les  plus  efficaces  serait  de  nommer 
l'orateur  de  l'Assemblée  membre  de  ce  conseil,  avec 
la  condition  qu'il  devînt  un  résident  de  Québec,  afin 
d'être  ainsi  au  courant  de  tout  ce  qui  se  ferait."  (1) 
C'était  là  une  idée  politique  qui  eût  pu  avoir  d'impor- 
tantes conséquences.  L'entrée  de  M.  Papineau  au 
Conseil  exécutif,  sous  un  gouverneur  comme  sir  John 
Sherbrooke,  aurait  pu  être  le  point  de  départ  de  cette 
évolution  constitutionnelle  dont  nous  parlions  tout 
à  l'heure.  Malheureusement  cette  nomination,  agréée 
par  le  ministre,  ne  devait  être  faite  que  trois  ans  plus  -^'^-^^c» 
tard,  lorsque  l'heure  propice  était  passée.  ft\  1  v>  - 

Sir  John  Sherbrooke  voyait  son  système  politique  ..  a^^ 
produire  les  fruits  qu'il  en  avait  espérés.  Héritant 
d'une  situation  difficile  et  troublée,  ayant  à  rencontrer 
une  Chambre  nouvellement  élue,  pleine  de  ressenti- 
ment et  d'animosité  envers  le  pouvoir  exécutif,  il  avait 
fait  en  sorte  de  ne  recourir  ni  à  l'expédient  stérile  de 
la  prorogation  sub  te,  ni  au  procédé  funeste  de  la  dis- 
solution ah  irato.  Et  sans  commettre  aucun  acte  con- 
traire à  l'honneur,  simplement  en  répondant  avec 
une  bienveillance  et  un  empressement  habiles  à  une 
demande  de  l'Assemblée,  il  avait  apaisé  sans  heurt  un 
conflit  qui  paralysait  l'action  législative  et  administra- 
tive depuis  deux  ans.  Cet  exemple  démontrait  com- 
ment un  représentant  de  la  couronne,  impartial  et 
\^  équitable,  pouvait  gouverner  paisiblement  et  effica- 
cement la  province  bas-canadienne. 


(1) — Archives  du  Canada:  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q. 
143.  p.  .392. 


r<>   lai 


70  COURS  d'histoire  du  canada 

Une  autre  question  allait  maintenant  s'imposer 
aux  préoccupations  de  sir  John  Sherbrooke.  C'était 
Ja  question  des  finances,  la  question  des  subsides,  qui 
pendant  dix-huit  ans  devait  provoquer  tant  de  contro- 
verses et  déchaîner  tant  de  conllits.  L'exposition  de 
ce  grave  et  complexe  sujet  fera  l'objet  de  notre  pro- 
chaine leçon.  Nous  y  verrons  avec  quelle  fermeté  et 
quelle  netteté  cet  excellent  gouverneur  aborda  le  dif- 
ficile problème,  et  quelle  satisfaisante  allure  il  avait 
déjà  su  lui  donner  lorsque,  malheurusement,  une  ma- 
ladie cruelle  le  força  de  quitter  son  poste  à  la  tête  des 
affaires    canadiennes. 


SOURCES  ET  OUVRAGES  A  CONSULTER 

Gaincau,  Histoire  du  Canada.  Québec,  1882,  t.  III,  iiv.  XV. 
ch,  I. — Bibaud,  Histoire  du  Canada,  sous  la  dojnination  antilaise, 
Montréal.  1844.  Iiv.  II  et  III. — Christic,  History  of  Lower  Cana- 
da, t.  II,  ch.  XXI.  t.  VI. — Perrault,  Histoire  abrégée  du  Canada,  t. 
IV.  Kingsford.  History  oj  Canada,  t.  VIII, — Canada  and  its 
Provinces,  t.  III.  ch.  viii. — Memoirs  oJ  sir  Jobn-Coape  Sherbrooke; 
Life  andLetters  of  Viscount  Sherbrooke,  A.Patchett  Martin.t.  II. — 
Mandements  des  évêques  de  Québec,  t.  111. — A  Political  and  His- 
torical  Account  of  Lower  Canada,  A  Canadian,  Londres,  1830. — 
Ferland.  Monseigneur  Plessis.  dans  le  Foyer  Canadien,  t.  \. — 
Journal  de  la  Chambre  d' Assemblée  du  Bas-Canada.  1817. 


TROISIÈME  LEÇON 


Une  question  ardue. — Les  subsides. — Etat  de  la  question  en 
1817. — Un  déficit  à  côté  d'un  surplus. — Double  catégorie 
de  recettes  et  de  dépenses. — Coup  d'oeil  rétrospectif. — Les 
revenus  de  la  Couronne  et  ceux  de  la  législature. — Les  pre- 
miers sont  insuffisants,  les  seconds  sont  surabondants. — Les 
gouverneurs  pratiquent  l'emprunt  forcé. — Paiements  irrégu- 
liers.— Remboursement  sous  sir  George  Prévost. — Nou- 
veaux emprunts  illégaux. — Sir  John  Sherbrooke  signale  l'a- 
bus et  propose  le  remède. — Demande  de  subsides  à  la  lé- 
gislature.— Une  date  importante. — Bonnes  dispositions  de 
la  Chambre. — Un  vote  de  crédits  en  1818. — Maladresse  du 
duc  de  Richmond  en  1819. — Le  commencement  des  difficul- 
tés.— Un  bill  de  subsides  annuel  et  par  articles. — Le  Conseil 
le  rejette. — Conseils  néfastes  du  duc  de  Richmond. — Sa  mort 
tragique. — Interrègne  Monk-Maitland.  —  Dissolution  in- 
compréhensible.— Une  session  de  treize  jours. — Singulier 
imbroglio. — Mort  du  roi  George  111. — Dissolution  et  élec- 
tions nouvelles. — Un  discours  de  M.  Papineau. — LordDal- 
housie. — Un  nouveau  bill  de  subsides  en  1821. — Résolu- 
tions intempestives  du  Conseil  législatif — Rejet  du  bill. — 
La  Chambre  proteste  contre  une  série  d'abus. — Méconten- 
tement de  lord  Dalhousie. — La  session  de  1821-22. — Le 
gouverneur  demande  une  liste  civile  pour  la  vie  du  roi. — 
Refus  et  expHcations  de  la  Chambre. — Une  autre  cause 
de  difficultés. — Le  partage  des  recettes  douanières  entre  le 
Haut  et  le  Bas-Canada. — Prétentions  divergentes. — Ré- 
clamations et  plaintes  du  Haut-Canada. — Appel  à  la  mé- 
tropole.— Perspective  menaçante  pour  le  Bas-Canada. 

Nous  allons  aborder  ce  soir  une  question  ardue, 
aride,  complexe,  qu'il  est  difficile  de  rendre,  je  ne  dirai 
pas  intéressante,  mais  simplement  intelligible.  Elle 
est  cependant  d'une  importance  capitale,  puisqu'elle 
a  été  la  pierre  d'achoppement     du   régime  constitu- 


72  COURS  d'histoire  du  canada 

tionnel  inauguré  en  1791,  qu'elle  a  engendré  pendant 
vingt  ans  des  conflits  aigus  entre  le  pouvoir  exécutif 
et  l'assemblée  populaire,  entre  la  colonie  et  la  métro- 
pole, qu'elle  a  paralysé  le  fonctionnement  de  nos  ins- 
titutions parlementaires,  qu'elle  a  bouleversé  notre 
vie  politique  et  nous  a  finalement  jetés  dans  un^  crise 
sanglante  où  nos  Iranchises  nationales  ont  failli  périr. 
Cette  question,  c'est  la  fameuse  et  obscure  question 
des  subsides,  aux  enchevêtrements  tenaces  et  aux 
méandres  tortueux.  Je  vous  demande  pardon  d'avan- 
ce du  pénible  travail  cérébral  que  je  vais  vous  infliger. 
Et  en  sollicitant  plus  que  jamais  votre  sérieuse  et  in- 
dulgente attention,  je  vous  promets  de  faire  un  cons- 
ciencieux efi^ort  pour  répandre  quelque  lumière  sur  ce 
sujet  ténébreux.  Si  l'on  était  encore  à  l'âge  où  se  pra- 
tiquait l'artifice  littéraire  de  l'invocation  mythologi- 
que, volontiers  au  début  de  cette  conférence  je  place- 
rais une  fervente  supplication  à  la  muse  de  la  clarté. 

Dès  le  début  de  son  administration,  en  1816,  sir 
John  Sherbrooke  s'était  rendu  compte  de  la  condition 
peu  satisfaisante  de  notre  budget  provincial.  Dans 
une  lettre  datée  du  18  mars  1817,  il  signalait  au  minis- 
tre ce  qu'il  considérait  avec  raison  une  anomalie  dé- 
concertante. L'état  du  revenu  permanent  de  la  pro- 
vince, comparé  à  l'état  des  charges  permanentes,  accu- 
sait pour  l'année  terminée  le  5  janvier  1816  un  déficit 
de  19,000  louis,  pendant  qu'un  document  oflTiciel  indi- 
quait comme  étant  au  crédit  de  la  législature,  le  5 
janvier  1817,  une  somme  de  140,000  louis,  non  affectée 
à  aucun  service.  (1)  Comment  expliquer  ce  phénomène, 
un  déficit  budgétaire  en  face  d'un  excédent  disponible? 
Voici  quel    était  le    mot    de    l'énigme.     Nous    avions 

(1) — Archives  du  Canada.  0-  l-l-^-  P-  l^^- 


COURS  d'histoire  du  canada  73 

deux  catégories  de  recettes,  et,  corrélativement,  deux 
catégories  de  dépenses.  Et  la  première  catégorie  de 
recettes  était  insuffisante  à  solder  la  première  catégo- 
rie de  dépenses  auxquelles  elle  était  affectée,  tandis 
que  la  seconde  catégorie  de  recettes  excédait  de  beau- 
coup la  seconde  catégorie  de  dépenses  qu'elle  devait 
défrayer.  Un  rapide  coup  d'oeil  rétrospectif  nous  fera 
mieux  comprendre  cette  situation  singulière. 

Depuis  le  commencement  de  la  domination  an- 
glaise en  1760  jusqu'en  1774,  le  gouvernement  impé-  ^  fs-z-n- 
ri  al  avait  paye  toutes  les  dépenses  d  admmistration  au  /  _ 
Canada.  Et  durant  cette  période  les  seules  recettes 
qu'il  en  retirât  étaient  celles  que  l'on  désignait  sous  le 
nom  de  "revenu  casuel  et  territorial"  et  celles  de  cer- 
tains droits  d'importation  qui  existaient  sous  la  domi- 
nation française.  (1)  En  1774,  un  acte  du  parlement 
impérial,  adopté  à  la  suite  de  l'Acte  de  Québec,  avait 
imposé  un  droit  de  douane  sur  les  eaux-de-vie,  les  rums, 
la  mélasse  et  le  sirop,  un  droit  de  licence  sur  les  taver- 
nes et  les  auberges,  avec  des  dispositions  relatives  aux 
amendes  et  confiscations.  Le  produit  de  cet  acte,  que 
l'on  appela  "l'Acte  du  revenu  de  Québec",  (2)  devait 
former  un  fonds  applicable  au  maintien  de  l'adminis- 
tration  de  la  justice  et  du  gouvernement  civil. 

C'était  parce  que  l'article  13  de  l'Acte  de  Québec 
refusait  au  Conseil  législatif  institué  par  cette  loi  le 

(1) — La  légalité  de  la  perception  de  ces  droits,  après  le  clian- 
gement  de  régime  en  1763,  avait  été  contestée.  (Tbe  Maseres 
Papers,  Toronto,  1812,  pp.  19,  49-.50.  Canada  and  its  Provinces, 
IV,  p.  494.) 

(2) — Acte  du  revenu  de  Québec,  14  George  III,  ch  88;  Docu- 
ments constitutionnels,  17.59-1791.  p.  383.  Cette  loi  abolissait 
tous  les  droits  imposés  par  le  roi  de  France  sur  certaines  mar- 
chandises et  les  remplaçait  par  ceux  qui  y  étaient  stipulés. 


niH 


74  couKS  d'histoire  du   canada 

pouvoir  d'imposer  des  taxes  dans  la  province, quelepar- 
lenicnt  impérial  adoptait  lui-même  cette  législation 
liscalc.  Il  n'avait  pas  encore  renoncé  au  droit  de  taxer 
les  colonies,  qui  piovoqua  la  guerre  de  l'indépendance 
américaine.  Il  ne  l'abandonna  que  quatie  ans  plus 
tard,  en  1778,  par  l'Acte  18  George  III,  chapitre  12, 
dans  lequel  on  déclarait  que  dorénavant  le  roi  et  le  par- 
lement de  la  Grande-Bretagne  n'imposeraient  plus  de 
taxes  sur  les  colonies,  excepté  lorsqu'il  s'agirait  de 
droits  pour  la  réglementation  du  commerce.  (1)  Ce- 
pendant l'Acte  du  revenu  de  Québec  passé  en  1774 
demeurait  en  vigueui. 
\  L'acte  constitutionnel  de  1791  accorda  à  la  légis- 

^  lature  créée  alors  le  pouvoir  de  taxer.  Et  dès  1793 
cette  dernière  imposa  des  droits  sur  les  vins,  dont  le 
produit  fut  affecté  en  permanence  aux  dépenses  de 
J'Assemblée  et  du  Conseil  législatif  (2).  En  1794 
lord  Dorchester  soumit  aux  chambres  des  états  finan- 
ciers qui  montraient  un  écait  considérable  entre  les  re- 
venus mis  à  la  disposition  de  la  Couronne  et  les  dé- 
penses de  la  province.  Conséquemmant,  à  la  sess  on 
de  1795,  la  législature  imposait  des  droits  sur  le  sucre, 
la  cassonade,  le  café,  les  cartes  à  jouer,  le  tabac  en  feuil- 
les, le  sel,  ainsi  que  des  droits  additionnels  sur  les  eaux- 
de  vie  et  les  vins.  Et  elle  taxa  les  colporteurs,  en  mê- 
me temps  qu'elle  augmentait  le  taux  de  la  licence  sur 
les  tavernes  et  les  auberges.  Puis  elle  décréta  que  sur 
le  produit  de  ces  impôts  une  somme  annuelle  de  5,555 
louis  courant  serait  affectée  en  permanence  au  main- 
tien de  l'administration  de  la  Justice  et  du  gouverne- 

(1) — Financial  difficuUiea  of  Lower-Canada,    Québec  1824. 

(2) — '.i'.i  George  III,  chapitre  II.  Statuts  provinciaux  du  Bas- 
Canada.  179:3.  t.  1. 


COURS  d'histoire  du  canada  75 

ment  civil  (1).  Voilà  quel  était  l'ensemble  des  sources 
permanentes  de  revenu  qui  constituaient  la  première 
catégorie  de  recettes  dont  nous  parlions  il  y  a  un  ins- 
tant. En  récapitulant  nous  trouvons  que  ce  fonds 
était  alimenté:  1°  par  le  domaine  de  la  Couronne, 
autrement  dit  ''revenu  casuel  et  territorial,"  qui  com- 
prenait les  postes  du  roi,  les  forges  de  Saint-Maurice,  le 
quai  du  roi,  le  droit  de  quint  prélevé  sur  les  ventes  de  I 
seigneuries,  et  les  lods  et  ventes;  2'*^  par  l'acte  impé-  ^• 
rial  eu  revenu  de  Québec,  de  1774,  dont  le  produitétait 
affecté  au  maintien  de  l'administration  de  la  jus-  ^ 
tice  et  du  gouvernement  civil;  3°  par  l'acte  provin- 
cial de  1793,  dont  le  produit  était  consacré  aux  dépenses 
de  la  législature;  i^  par  l'acte  provincial  de  1795,  sur 
le  produit  duquel  5,555  louis  courant  devaient  être  ap- 
pliqués au  maintien  de  l'administration  de  la  justice 
et  du  gouvernement  civil  (2). 

Mais  ce  n'était  pas  là  tout  le  revenu  de  la  provin- 
ce. La  loi  fiscale  de  1795  produisait  beaucoup  plus 
que  les  5,555  louis  affectés  en  permanence  aux  dépen- 
ses judiciaires  et  administratives.  Et  le  surplus  res- 
tait sans  affectation  spéciale.  En  outre  la  législature 
avait  adopté  en  1813  et  en  1815  des  lois  de  revenu  (3) 
par  lesquelles  elle  imposait  une  taxe  douanière  sur  les 
marchandises  importées,  une  taxe  sur  le  thé,  un  droit, 
additionnel  sur  les  liqueurs  fortes,  les  vins,  les  mélas- 
ses  et  les  sirops,  une  taxe  sur  les  encanteurs  et  une  com- 

(1) — 35  George  III,  chapitre  ix;  Statuts  Provinciaux  du  Bas- 
Canada,  1795,  t.  I. 

(2) — Appendice  au  XXVIe  volume  des  Journaux  de  VAssem- 
blée  du  Bas-Canada,  1817,  H.  No.  12. 

(3)— 52  George  III,  ch.  ii,  55  George  m,  ch.  ii,  et  55  George 

III,   ch.    III. 


:^ 


76  COURS  d'histoire  du  canada 

mission  sur  les  ventes  à  l'encan.  Ces  diverses  mesures 
fiscales  constituaient  la  seconde  catégorie  de  recettes 
mentionnée  tout  à  l'heure. 

La  distinction  essentielle  qu'il  y  avait  à  faire  en- 
tre ces  deux  catégories,  c'était  que  la  première  se  trou- 
vait aflectée  en  permanence  aux  dépenses  du  gouver- 
nement civil  et  de  l'administration  de  la  justice,  pen- 
dant que  la  seconde  n'avait  reçu  aucune  affectation 
permanente  et  formait  un  fonds  dont  la  législature 
pouvait  disposer  pour  des  fins  d'utilité  publique.  En 
d'autres  termes,  la  première  catégorie  de  revenus  était, 
par  suite  d'affectations  statutaires  permanentes,  à  la 
disposition  du  gouvernement  pour  solder  les  dépenses 
judiciaires  et  administratives.  Et  la  seconde  catégo- 
rie, non  totalement  affectée  (1),  laissait  des  sommes 
considérables  à  la  disposition  de  la  législature,  qui  seule 
pouvait  en  déterminer  l'emploi. 

Or  voici  ce  qui  était  arrivé.  Le  rendement  de  la 
première  catégorie  de  revenus  n'avait  pas  marché  du 
même  pas  que  la  dépense  à  laquelle  elle  était  affectée. 
Et  chaque  année  le  gouvernement  impérial  avait  été 
obligé,  pour  boucler  le  budget  de  l'administration  bas- 
canadienne,  de  solder  un  déficit  plus  ou  moins  considéra- 
ble. -ûiL  avait  pris  l'habitude  de  payer  ce  découvert 
à  même  le  fonds  intitulé  dans  le  budget  britannique 
"extraordinaires  de  l'armée".  Ce  fonds  servait  non 
seulement  à  l'entretien  des  troupes  dans  les  colonies 
mais  encore  au  paiement  de  maints  déboursés  qui  n'a- 
vaient rien  de  militaire.     Pendant  ce  temps  les  lois  fis- 


(1) — C'est  à  même  cette  seconde  catégorie  de  recettes 
qu'étaient  défrayéeslesdépenses  pourl'améliorationdu  Saint- 
Laurent,  pour  les  maisons  de  correction  et  les  asiles  d'aliénés, 
pour  la  construction  des  prisons,  etc. 


COURS  d'histoire  du  canada  77 

cales  de  la  seconde  catégorie  produisaient  tous  les  ans  un 
revenu  qui  dépassait  de  beaucoup  les  dépenses  spécia- 
les votées  par  la  législatuie  pour  certains  travaux  et 
certains  services  publics  (1).  Et  il  s'accumulait  ainsi 
dans  la  caisse  du  receveur  général  un  fonds  non  affecté 
dont  la  législature  pouvait  disposer,  mais  auquel  léga- 
lement le  gouvernement  ne  pouvait  toucher  sans  un 
vote  de  crédit  des  chambres.  C'est  ainsi  que  coexis- 
taient un  déficit  pour  l'exécutif  et  un  surplus  pour  la 
législature. 

L'existence  de  cet  excédent  constituait  une  tenta- 
tion à  laquelle  le  gouvernement  ne  résista  pas  toujours. 
A  plusieurs  reprises,  au  lieu  de  tirer  sur  les  "extraordi- 
naires de  l'armée",  les  gouverneurs,  embarrassés  par 
l'insuffisancede  ce  qu'on  avait  fini  par  appeler  "les  reve- 
nus de  la  Couronne'^  tirài^iitsajîsautorisatiçn^^ 
pLuâ  accumulés  de  la  législature.  S'il  s'était  conformé 
à  son  strict  devoir,  le  receveur  général  aurait  pu  refu- 
ser d'accepter  les  mandats  du  chef  de  l'exécutif  qui 
n'avaient  pas  la  sanction  d'un  crédit  ou  d'une  affec- 
tation parlementaire.  Mais  cet  officier  public  ne  vou- 
lait ou  n'osait  prendre  cette  attitude,  et  les  paiements 
irréguliers  se  multipliaient.  EilISIQ^  une  occasion  se  ^\G\f) 
présenta  de  régulariser  la  situation.  La  Chambre 
— vous  vous  le  rappelez  peut-être —  offrit  au  gouver- 
nement de  décharger  la  métropole  de  la  dépense  qu'elle 
encourait  pour  les  colonies,  et  de  voter  tous  les  crédits 
budgétaires   requis   pour   faire   fonctionner   l'adminis- 


(1) — ^Par  exemple,  la  loi  adoptée  en  1805,  afin  de  pourvoir 
à  la  construction  de  prisons  à  Québec  et  à  Montréal,  avait  pro- 
duit une  somme  beaucoup  plus  considérable  que  la  somme  dé- 
pensée. (Canada  and  its  Provinces  ;  History  oj  Public  Finance, 
t.  IV,  pp.  .502-503.) 


78  COURS  d'histoire  du  canada 

tration.  ALais  l'on  était  sous  le  régime  de  Craig.  Cet- 
te olîrc  lut  jugée  suspecte,  le  statu  quo  fut  maintenu  et 
les  emprunts  forcés  continuèrent.  F.n  1812,  sir  Geor- 
ge Prévost  constata  que  le  gouvernement  s'était  ap- 
proprié, de  sa  seule  autorité,  à  même  le  fonds  de  la  lé- 
gislature, une  somme  totale  de  25,000  louis.  11  en  or- 
donna le  remboursement  sur  "les  extraordinaires  de 
l'armée"  (1).  Mais  bientôt  la  même  pratique  irrégu- 
lière recommença,  a\ec  une  recrudescence  d'intensité. 
Le  déficit  du  revenu  de  la  couronne  (première  catégo- 
rie) pour  les  années  1813,  1814,  1815  et  1810  fut  com- 
blé sans  vote  de  crédit  à  même  l'excédent  législatif. 
Dans  sa  lettre  du  18  mars  1817  à  lord  Bathurst,  sir 
John  Sherbrooke  l'informait  que  la  somme  de  ces  paie- 
ments irréguliers,  de  cette  dette  non  autorisée  contrac- 
tée par  le  gouvernement  envers  la  législature,  s'élevait 
au  chiffre  énorme  de  120.000  louis,  Cette  constatation 
lui  inspirait  les  considérations  suivantes:  "Votre  Sei- 
gneurie conviendra  avec  moi,  je  le  crois,  que  lapratlque 
de  dépenser  le  revenu  provincial  pour  des  services  aux- 
quels la  législature  n'a  pas  pourvu  a  été  dès  l'origine 
irrégulière,  et  qu'il  aurait  été  préférable  de  suppléer  à 
l'insuffisance  du  revenu  régulièrement  affecté  pour 
le  paiement  des  dépenses  qui  lui  étaient  imputables, 
en  émettant  des  mandats  sur  les  "extraordinaires  de 
l'armée",  au  lieu  de  laisser  s'accroître  une  dette  propre 
à  créer  de  la  confusion,  de  l'embarras  et  des  malenten- 
dus." Après  avoir  signalé  le  mal,  sir  John  Sherbrooke 
passait  à  l'examen  du  remède:  "Votre  Seigneurie,  écri- 
vait-il, reconnaîtra  comme  moi  la  nécessité  de  faire 
cesser  l'état  de  confusion  où  les  finances  de  la  province 
ont  été  mises  par  la  dépense  de  ses  fonds  non  affectés 

(1)— Archives  du  Canada,  Q.  110,  p.  :«. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  79 

durant  plusieurs  années.  Et  les  questions  qui,  sur 
toute  cette  affaire,  me  paraissent  s'imposer  à  l'atten- 
tion de  Votre  Seigneurie  sont  les  suivantes.  Quant  au 
passé,  la  dette  considérable  accumulée  comme  je  Fai 
mentionnée  plus  haut  devrait-elle  être  remboursée  à 
même  les  "extraordinaires  de  l'armée",  ou  serait-il  à 
propos  de  prier  la  législature  de  légaliser  par  une  affec- 
tation en  bloc  les  paiements  qui  l'ont  constituée?  Et 
pour  l'avenir,  le  déficit  annuel  causé  par  l'excédent 
des  dépenses  permanentes  sur  le  revenu  affecté  en 
permanence  devra-t  il  être  payé  sur  le  fonds  des  "ex- 
traordinaires de  l'armée";  ou  bien  serat-il  opportun 
de  soumettre  à  la  législature  au  commencement  de 
chaque  session,  comme  cela  se  pratique  dans  la  Nou- 
velle-Ecosse et  d'autres  colonies,  une  estimation  des 
sommes  qui  sont  requises  pour  la  liste  civile,  et  de  lui 
demander  d'y  pourvoir?  Sur  ces  différents  points  je 
sollicite  instamment  Votre  Seigneurie  de  me  faire  par- 
venir ses  instructions  particulières."  (1) 

Lord  Bathurst  répondit  à  cette  lettre  le  31  août 
suivant.  Relativem.ent  à  la  dette  existante,  il  sembla 
incliner  à  considérer  que  la  législature  avait  tacitement 
acquiescé  aux  paiements  faits  sans  autorisation  à 
même  son  excédent,  vu  que  les  documents  officiels 
constatant  cette  irrégularité  lui  avaient  été  soumis 
tous  les  ans  sans  provoquer  de  sa  part  aucune  protes- 
tation. Quant  à  l'avenir,  le  ministre  estimait  que  le 
moment  était  arrivé  pour  la  province  d'assumer  elle- 
même  le  paiement  de  toutes  ses  dépenses  administra- 
tives. "On  devrait  demander  tous  les  ans  à  la  légis- 
lature, écrivait-il,  de  voter  toutes  les  sommes  requises 

(1) — Sir  John  Sherbrooke    à    Lord  Bathurst,    18  mars  1817; 
Archives  du  Canada,  Q    143,  p-  197. 

6 


80  COURS  d'histoire  du  canada 

pour  la  dépense  annuelle  ordinaire  de  la  province... 
Relativement  aux  charges  défrayées  habituellement 
à  même  les  "extraordinaires  de  l'année",  je  ne  vois 
aucune  raison,  excepté  dans  quelques  cas  spéciaux,  de 
persister  dans  une  politique  qui  s'établit  lorsque  le 
revenu  colonial  n'était  pas  suffisant  pour  solder  la 
dépense  annuelle,  et  qui  ne  de\Tait  pas  survivre  à  l'état 
de  choses  qui  lui  a  donné  naissance."  (1) 

Ainsi  donc,  après  sept  ans,  on  en  revenait  à  la  pro- 
position faite  par  la  Chambre  en  1810  de  voter  les 
subsides  nécessaires  au  fonctionnement  de  l'adminis- 
tration. Entre  autres  raisons  de  prendre  cette  atti- 
tude le  gouvernement  impérial  en  avait  une  très  pres- 
sante. C'était  l'état  des  finances  britanniques.  La 
longue  lutte  soutenue,  pendant  près  de  vingt  ans,  par 
l'Angleterre  contre  fa  Révolution  française  et  contre 
Napoléon  avait  surchargé  la  nation  anglaise  d'un 
écrasant  faideau.  Au  lendemain  de  Waterloo  la  dette 
de  la  Grande-Bretagne  était  de  792,033,426  louis 
sterling.  L'intérêt  annuel  à  payei  était  de  27,233,993.  Le 
commerce  du  Royaume-Uni  avait  énormément  souf- 
fert de  l'état  de  guerre  et  du  blocus  continental.  En 
présence  de  cette  situation  difficile  le  gouvernement 
et  le  parlement  avaient  compris  la  nécessité  d'adopter 
une  politique  d'économie.  D'un  commun  accord, 
on  s'appliquait  à  diminuer  les  dépenses  du  gouverne- 
ment civil.  Et  en  même  temps  la  conclusion  de  la 
paix  permettait  de  réduire  considérablement  le  budget 
militaire.  Les  "extraordinaires  de  l'armée",  qui  avaient 
atteint  un  chiffre  énorme, devaient  naturellement  subir 


(1) — Lord  Batburst  à  sir  John  Sherbrooke,  31  Août  1817; 
Archives  du  Canada:  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.1.51-A. 
Christie.  t.  Il   p.p.  28.3-298. 


COURS  d'histoire  du  canada  81 

une  forte  diminution.  (1)  Et  il  devenait  difficile  de 
continuer  à  leur  imputer  des  dépenses  coloniales  qui 
normalement  n'avaient  rien  à  faire  avec  ce  service. 
Dans  ces  conditions,  on  conçoit  l'empressement  de  lord 
Bathurst  à  concourir  dans  l'idée  émise  pai  sir  John 
Sherbrooke  de  demander  à  la  législature  bas-cana- 
dienne les  subsides  requis  pour  l'administration. 

Conformément  aux  instructions  reçues,  le  gou- 
vernement fit  donc  aux  Chambres  dans  le  discours  ^. 
du  trône  prononcé  au  début  de  la  session,  le  7  janvier 
1818,  la  communication  suivante:  "J'ai  reçu  les 
ordres  de  Son  Altesse  Royale  de  m'adresser  à  la  légis- 
latuie  provinciale  pour  voter  les  sommes  nécessaires 
pour  la  dépense  ordinaire  et  annuelle  de  la  province, 
et  je  suis  persuadé  que  ces  ordres  recevront  de  votre 
part  toute  l'attention  que  leur  importance  mérite. 
En  conséquence  je  ferai  mettre  devant  vous  un  état 
des  sommes  requises  pour  défrayer  les  dépenses  du 
gouvernement  civil  de  la  province  pour  1818,  et  j'ai 
à  vous  requérir  au  nom  de  Sa  Majesté  de  pourvoir 
d'une  manière  constitutionnelle  aux  fonds  nécessaires 
pour  cet  objet."  (2) 

Cette    communication    marquait    une    date    dans 

(1) — -Les  estimations  budgétaire  en  1817  étaient  de 
18,000,000  de  louis.  (Ceci  ne  comprenait  pas  les  crédits  perma- 
nents ,  qui  n'étaient  pas  soumis  au  vote  annuel  des  chambres) . 
En  1816  les  affectations  pour  les  mêmes  services  avaient  été  de 
24,887,000.  C'était  une  diminution  de  6,886,000  louis.  En  1817, 
les  dépenses  extraordinaires  de  l'armée  étaient  de  6, 171,225  louis, 
au  lieu  de  12,873,553,  chiffre  de  1816,  soit  une  diminution  de 
6,702,348.  {Hansard's  Parliamentary  Debates  1ère  série,  t.  34, 
App.  p.  xxiii,  t.  36,  App.  p.  XXIII ;  Annual  Register,  1816, 1817.) 

(2) — Journal  de  la  Chambre  d' Assemblée  du  Bas-Canada,  !  818, 
page  8. 


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82  COURS  d'histoire  du  canada 

notre  histoire  constitutionnelle.  Pour  la  première 
lois  le  gouvernement  de  la  métropole  demandait  à  no- 
tre législature  coloniale  le  vote  des  subsides  afin  de  dé- 
frayer les  dépenses  publiques.  Nous  entrions  dans 
une  phase  nouvelle,  qui  devait  être  féconde  en  conflits 
et  en  crises. 

Le  26  février  1818  sir  John  Sherbrooke  faisait 
mettre  devant  l'Assemblée  les  estimations  pour  les  dé- 
penses ordinaires  et  permanentes  du  gouvernement 
civil  du  Bas-Canada  et  du  revenu  applicable  à  leur  dé- 
charge. D'après  ce  document  les  dépenses  étaient 
estimées  à  73,640  louis  couiant  et  le  revenu  perma- 
nemment  affecté  à  33,383  louis,  ce  qui  laissait  à  voter 
une  somme  de  40,263  louis  (1). 

La  Chambre  prit  en  considération  le  message  du 
gouverneur  et  nomma  un  comité  pour  étudier  les  comp- 
tes et  les  estimations  qui  l'accompagnaient.  Le  rap- 
port de  ce  comité, qui  fut  soumis  le  24  mars  suivant, 
était  très  intéressant.  Il  contenait  des  informations 
générales  sur  plusieurs  parties  du  budget  et  des  re- 
marques particulières  sur  quelques  articles  spéciaux. 
Il  signalait  des  anomalies  et  des  abus.  Par  exemple  les 
salaires  demandés  pour  le  lieutenant  gouverneur  du 
Bas-Canada  et  l'auditeur  dss  patentes  étaient  perçus 
par  des  personnes  absentes  de  la  province,  et  consé- 
quemment  incapaîjles  de  remplir  leurs  fonctions.  Les 
estimations  mentionnaient  le  traitement  d'un  lieute- 
nant gouverneur  de  Gaspé  et  celui  d'un  inspecteur  des 
forets.  C'étaient  là  des  fonctionnaires  sans  fonctions, 
et,  pour  assigner  un  teime  à  ces  sinécures,  le  comité 
suggérait   de   transformer   leurs   émoluments   en   pen- 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1818,  p.  139.    Les  estimations 
budgétaires  se  trouvent  à  l'Appendice  E,  No  1. 


COURS  d'histoire  du  canada  83 

sions  qui  prendraient  fin  avec  la  vie  des  titulaires.  li- 
y  avait  aussi  un  salaire  pour  un  agent  de  la  province. 
Qui  avait  nommé  cet  agent  ?  La  Chambre  avait  en 
vain  essayé  d'en  faire  nommer  un,  mais  l'opposition 
du  Conseil  législatif  avait  rendu  ses  démarches  infruc- 
tueuses.  De  qui  cet  agent  tenait-Il  sa  charge?  Quels 
étaient  ses  attributions  et  ses  services?  Il  était  diffi- 
cile de  discerner  pourquoi  son  salaire  serait  porté  au 
compte  de  la  province  dont  il  n'était  pas  l'employé. 
Au  chapitre  des  pensions,  le  comité  faisait  observer 
que  plusieuis  personnes  qui  y  figuraient  étaient  décé- 
dées. Toutes  ces  représentations  étaient  assurément 
fort  pertinentes  (1). 

Cependant  la  Chambre  était  animée  des  meilleu- 
res dispositions.  Sir  John  Sherbrooke  possédait  sa 
confiance.  Comme  la  session  était  très  avancée,  après 
une  assez  longue  discussion  on  décida  de  voter  par 
une  résolution  les  40,263  louis  demandés  pour  com- 
bler la  différence  entre  les  revenus  permanemment  af- 
fectés et  la  dépense  totale.  Et  l'Assemblés  informa  le 
gouverneur  qu'elle  reprendrait  la  question  l'année  sui- 
vante et  ferait  en  sorte  d'accorder  les  subsides  par  un 
bill  suivant  les  formes  constitutionnelles  (2). 

Malheureusement  pour  la  province,  sir  John 
Sherbrooke  était  atteint  d'une  maladie  très  grave,  qui 
devait  le  forcer  à  abandonner  son  poste.  Le  30  juil- 
let 1818  il  était  remplacé  par  le  duc  de  Richmond.  Son 
nom  doit  être  inscrit  parmi  ceux  des  meilleurs  repré- 
sentants de  la  Couronne  que  nous  ait  envoyés  la  mé- 
tropole. 

(1) — Journal  de   la    Chambre   d'Assemblée    du   Bas-Canada 
1818,  p.  193  ;  Appendice  K. 

(2)    Ibid,  p.  204. 


84  COURS  d'histoire  du  canada 

Son  successeur,  d'un  rang  social  beaucoup  plus 
élevé,  ne  possédait  ni  sa  clairvoyance,  ni  son  jugement 
droit,  ni  son  esprit  de  conciliation.  On  s'en  aperçut 
dès  le  début  de  la  session  de  1819.  Après  avoir  de- 
mandé à  la  chambre  de  régulariser  le  paiement  des  dé- 
penses qu'elle  avait,  par  simple  résolution,  autorisé  sir 
John  Sherbrooke  à  solder  l'année  précédente,  il  sou- 
mit les  estimations  budgétaires  pour  l'année  1819. 
Quelle  ne  fut  pas  la  surprise  de  l'Assemblée  en  consta- 
tant qu'elles  accusaient  une  augmentation  de  plus  de 
16^000  louis  (1)!  Un  détail  indiquera  combien  le  gou- 
vernement avait  été  peu  judicieusement  avisé.  Le 
budget  proposait  de  voter  en  bloc  une  somme  de  8,000 
louis  par  année  "comme  fonds  de  pension  à  la  disposi- 
tion du  représentant  de  Sa  Majesté,  pour  récompenser 
des  services  provinciaux  et  secourir  de  vieux  et  né- 
cessiteux serviteurs  du  gouvernement."  Une  aussi 
forte  somme,  demandée  en  termes  aussi  vagues,  pour 
être  appliquée  suivant  la  discrétion  absolue  du  pou- 
voir exécutif,  devait  nécessairement  provoquer  un 
sentiment  de  mécontentement  et  de  défiance.  La 
chambre  nomma  un  comité  qui  étudia  le  budget  et  fit 
un  rapport  dans  lequel  il  recommanda  en  termes  éner- 
giques l'économie  et  le  retranchement,  et  protesta  con- 
tre l'abus  des  sinécures  et  des  pensions  qui  pouvaient 
devenir  dans  cette  province  des  moyens  de  corruption. 

Toutefois  l'Assemblée  était  disposée  à  voter  le 
budget.  Mais  elle  entendait  le  voter  à  sa  façon.  Quelle 
forme  allait-elle  donner  au  bill  des  subsides,  à  cet  acte 
législatif  que  l'on  appelle  en  Angleterre  le  supply  bill? 

(1) — Rapport  du  Comité  spécial  sur  l'estimation  de  la  liste 
civile  pour  l'année  1819  ;  Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du 
Bas-Canada,  1819,    Appendice  L. 


COURS  d'histoire  du  canada  85 

C'était  là  pour  elle  une  question  nouvelle  et  une  grave 
question.  Plusieurs  tendances  se  manifestèient.  Un  cer- 
tain nombre  de  députés,  en  petite  minorité,  étaientd'avis 
qu'ilfallaitvoterlalistecivilepourla  vie  du  roi,  et  que,si 
toutefois  on  insistait  pour  le  vote  annuel,  il  fallait  accor- 
der les  subsides  en  bloc,  sans  entrer  dans  le  détail  des  dif- 
férents articles  de  la  dépense.^  D'autres,  et  ceux-là 
formaient  la  majorité,  prétendaient  que  le  droit  de  la 
législature  était  de  voter  les  subsides  chaque  année  et 
de  les  voter  article  par  article,  afin  d'exercer  ainsi  sur 
l'administration  un  légitime  contrôle.  Ils  soutenaient 
même  que  la  Chambre  devait  affecter  de  cette  maniè- 
re, dans  le  bill  des  subsides,  non  seulement  le  revenu 
non  affecté  d'avance,  mais  aussi  celui  qui  était  perma- 
nemment  affecté  par  des  lois  antérieures  au  soutien  de 
la  liste  civile,  afin  d'avoir  un  pouvoir  de  révision  sur 
toute  la  dépense  publique.  Quelques-uns,  enfin,  com- 
me moyen  terme,  proposaient  d'adopter  le  vote  an- 
nuel, mais  seulement  par  chapitres  et  non  pas  par  arti- 
cles. Finalement,  ce  fut  le  vote  annuel  affectant  tout 
le  revenu  nécessaire  à  la  liste  civile  et  article  par  arti- 
cle   qui   l'emporta  (1). 

Le  bill  des  subsides  fut  adopté  dans  cette  forme. 
Mais  il  fallait  compter  avec  le  Conseil  législatif.  MM. 
Sewell,  Monk,  Ryland,  tout  le  groupe  des  fonction- 
naires-législateurs, y  possédaient  une  influence  pré- 
pondérante. Ils  ne  pouvaient  manquer  de  considé- 
dérer  le  bill  tel  qu'adopté  comme  un  empiétement  et 
une  menace.  C'était  pour  eux  une  perspective  peu 
agréable  que  celle  de  voir  leurs  traitements  et  leurs 


(I) — Bibaud,  Histoire  du  Canada  sous  la  domination  an- 
elaise,  pp.  20.5-206  ;  Garneau,  Histoire  du  Canada,  t.  III,  pp.  219- 
220  ;   Christie,  II.  pn.  .309-310;  Journal  de  la  Chambre  1819. 


f. 


80  COURS  d'histoire  du  canada 

pensions  soumis  à  la  juiidiction  d'une  Assemblée  dont 
ils  étaient  les  adversaires  irréductibles,  et  qui  leur  ren- 
daient avec  usure  leur  antipathie.  Ils  firent  préva- 
loir leurs  vues,  et  le  Conseil  législatif,  rejetant  haut  la 
main  le  bill  des  subsides  voté  par  la  Chambre,  adopta 
la  résolution  suivante:  "Le  mode  adopté  pour  l'octroi 
de  la  liste  civile  est  inconstitutionnel,  sans  exemple  et 
comporte  une  violation  directe  des  droits  et  préroga- 
tive de  la  Couronne;  si  le  bill  devenait  loi,  il  donnerait 
aux  communes  non  seulement  le  privilège  de  voter  les 
subsides  mais  aussi  de  prescrire  à  la  couronne  le  nom— 
bre  et  la  qualité  de  ses  serviteurs  en  réglant  et  en  ré- 
compensant leurs  services  comme  elle  le  jugerait 
convenable,  ce  qui  les  mettrait  sous  la  dépendance  des 
électeurs  et  pourrait  leur  faire  rejeter  l'autorité  de  la 
Couronne, que  leur  serment  de  fidélité  les  obligeait  de 
soutenir."  (1) 

De  son  côté  le  gouverneur,  qui  était  un  ultra  tory, 
manifesta  à  l'Assemblée  en  termes  peu  diplomatiques 
son  mécontentement  et  son  irritation.  Dans  son  dis- 
cours de  prorogation,  il  adressa  aux  députés  une  mer- 
curiale en  règle.  Il  déclara  qu'il  ne  pouvait  leur  ex- 
primer sa  satisfaction  ni  son  approbation  du  résultat 
général  des  travaux  auxquels  ils  avaient  employé  un 
temps  précieux  ou  des  principes  qui  les  avaient  diri- 
gés: "Vous  avez  procédé,  ajouta-t-il,  sur  les  documents 
que  j'avais  fait  mettre  devant  vous,  à  voter  une  par- 
tie des  sommes  requises  pour  le  service  de  l'année  J819, 
mais  le  bill  d'appropriation  que  vous  avez  passé  était 
établi,  comme  il  paraît  par  les  journaux  de  la  chambre 
haute,  sur  des  principes  qui  ne  pouvaient  constitution- 
nellcmcnt  être  admis,  et  il  a  été  en  conséquence  rejeté 

{!)— Journal  du  Conseil  législatj,  1810,  p.  142. 


COURS  d'histoire  du  canada  87 

par  la  chambre  haute  de  manière  que  le  gouvernement 
de  Sa  Majesté  se  trouve  dépourvu  des  ressources  pé- 
cuniaires nécessaires  au  maintien  de  l'administration 
civile  de  la  province  pour  l'année  finissante,  malgré 
l'offre  et  l'engagement  volontaires  faits  à  Sa  Majesté  par 
la  résolution  de  votre  chambre  du  13  février  1810."  (1) 
Cette  harangue  officielle  contenait  encore  d'au- 
tres passages  où  le  duc  de  Richmond  gourmandait  l'as- 
semblée sans  précautions  oratoires.  On  se  serait  cru 
retourné  aux  mauvais  jours  de  Craig. 

L'attitude  du  gouverneur  parut  d'autant  plus  of- 
fensante qu'elle  offrait  un  plus  frappant  contraste  avec 
la  manière  de  sir  John  Sherbrooke  et  de  sir  George 
Prévost.  Ce  haut  fonctionnaire  était  imbu  des  doc- 
trines les  plus  autoritaires  et  les  moins  constitution- 
nelles que  l'on  pût  imaginer.  Après  la  session  il  écri- 
vit au  ministre  des  colonies  pour  dénoncer  les  princi- 
pes de  l'Assemblée,  et  proposa  une  série  de  mesures 
destinées  à  restreindre  ses  pouvoirs  et  à  fortifier  l'au- 
torité do  la  Couronne.  Il  conseillait  d'enlever  à  la 
Chambre  toute  juridiction  sur  la  liste  civile  et  de  créer 
un  revenu  indépendant  de  la  représentation  populaire, 
par  voie  de  législation  impériale.  Pour  parvenir  à  ce 
but  il  recommandait  de  désavouer  deux  lois  de  reve- 
nu ad optéei  récemment  par  la  législature,  et  de  les  rem- 
placer par  des  lois  votées  à  Londres,  qui  en  mettraient 
le  produit  directement  à  la  disposition  de  la  Couronne 
pour  les  fins  administratives  bas-canadiennes  sans  que 
notre  parlement  colonial  eût  rien  à  y  voir.  Il  invo- 
quait comme  précédent  l'acte  impérial  du  revenu  de 
Québec  de  1774,  sans  réfléchir  que  subséquemment,  en 

(1) — Journal  de   la   Chambre  d'Assemblée    du    Bas-Canada, 
1819,  p.  267. 


88  COURS  d'histoire  du  canada 

1778,  le  parlement  britannique  a\ait  renoncé  à  tout 
droit  de  taxation  sur  les  colonies.  Si  toutefois  ce  mode 
de  procéder  n'était  pas  jugé  acceptable  par  le  gouver- 
nement de  la  métropole,  le  gouverneur  demandait 
qu'on  lui  donnât  instruction  de  ne  sanctionner  aucun 
bill  de  subsides  à  moins  que  les  crédits  n'y  fussent  vo- 
tés en  bloc,  d'une  manière  permanente,  et  qu'ils  ne 
fussent  placés  à  la  discrétion  de  l'exécutif  (1).  On  ne 
pouvait  pousser  plus  loin  le  culte  de  la  prérogative  ni 
le  mépris  des  privilèges  pailementaires. 

Le  duc  de  Richmond  n'eut  guère  le  temps  de  pour- 
suivre la  politique  néfaste  qu'il  préconisait.  Le  28 
août  1819;  comme  il  s'en  revenait  du  Haut-Canada  où 
il  était  allé  faire  une  visite  officielle,  il  mourut  des  sui- 
tes d'une  morsure  que  lui  a^•ait  faite  un  jeune  renard, 
atteint,  dit-on,  d'iiydrophol^ie.  Ce  douloureux  évé- 
nement, que  rien  n'avait  pu  faire  prévoir,  ouvrit  un 
interrègne  assez  confus.  Le  juge  en  chef  IMonk  fut 
appelé  à  exercer  temporairement  les  fonctions  d'admi- 
nistrateur, comme  le  plus  ancien  membre  du  Conseil 
exécutif.  Sans  motif  bien  intelligible,  au  mois  de  fé- 
vrier 1820,  il  ordonna  une  dissolution  de  la  législature. 
Les  élections  ne  firent  que  fortifier  le  parti  canadien. 
La  session  avait  été  convoquée  pour  le  11  avril.  Mais 
dans  l'intervalle  M.  Monk  fut  relevé  de  ses  fonctions 
par  sir  Pcregrine  Maitland  (2),  lieutenant  gouverneur 


ri) — Archives  du  Canada  :  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada. 
0-152-1-2;  Richmny\d  à  Bathurst,  IS  mai  1810;  Kingsford. 
History    oj  Canada,    t.    IX. 

(1) — Sir  Pcregrine  Maitland  était  le  gendre  du  duc  de  Rich- 
mond. II  avait  servi  avec  distinction  sous  Wellington  durant 
la  guerre  de  la  Péninsule  et  à  Waterloo.  En  1818,  il  avait  été 
nommé    lieutenant  gouverneur    du    Tl.uit-Canada.     Dans   l'au- 


COURS  d'histoire  du  canada  89 

du  Haut-Canada.  Celui-ci  avait  été  nommé  admi- 
nistrateur du  Bas-Canada  en  attendant  que  lord  Dal- 
housie,  promu  du  gouvernement  de  la  Nouvelle-Ecos- 
se à  celui  de  toutes  les  provinces  anglaises  de  l'Améri- 
que du  Nord,  pût  venir  ici  occuper  son  poste.  La  lé- 
gislature réunie  le  11  avril  1820  ne  siégea  que  jusqu'au  u 
24.  Un  assez  curieux  imbroglio  menaçait  de  paralyser  ^  Ct^r'u^/ 
l'action  législative.  Le  writ  adressé  à  l'officier-rap- 
porteur  du  comté  de  Gaspé  accordait  pour  cette  élec- 
tion un  délai  de  cent  jours,  à  cause  de  la  distance  et  de 
la  difficulté  des  communications.  Le  11  avril,  date  de 
l'ouverture  des  chambres,  le  député  de  Gaspé  n'était 
pas  encore  élu.  La  représentation  se  trouvait  incom- 
plète. Se  basant  sur  ce  fait,  l'Assemblée  adopta  une 
résolution  pour  se  déclarer  incompétente  et  incapable 
de  procéder  à  la  dépêche  des  affaires.  La  dernière  pro- 
rogation avait  eu  lieu  le  24  avril  1819.  Le  24  avril 
1820  les  douze  mois  durant  lesquels  une  nouvelle  ses- 
sion devait  commencer,  d'après  la  loi  constitutionnelle, 

tomne  de  1819,  lord  Dalhousie,  alors  gouverneur  de  la  Nouvelle- 
Ecosse,  fut  nommé  gouverneur  et  commandant  en  chef  des 
provinces  de  l'Amérique  du  Nord.  Incapable  de  se  rendre 
immédiatement  à  Québec,  il  envoya  à  sir  Peregrine  Maitland 
l'ordre  d'aller  prendre  le  gouvernement  intérimaire  du  Bas- 
Canada.  Le  lieutenant  gouverneur  du  Haut-Canada  vint  en 
conséquence  prêter  serment  comme  administrateur.  Mais  il 
ne  resta  à  Québec  que  deux  jours,  au  commencement  de  février 
1820,  et  dut  retourner  à  Toronto  pour  la  session  de  la  législature 
haut-canadienne.  Ce  fut  le  jour  même  du  départ  de  Maitland 
(le  9  février)  que  M.  Monk  émit  une  proclamation  pour  dissoudre 
la  Législature.  II  convoquait  en  même  temps  le  nouveau  parle- 
ment pour  le  11  août.  Cette  dissolution,  concertée  apparem- 
ment entre  MM.  Maitland  et  Monk,  est  toujours  restée  difficile 
à  expliquer.  Le  17  mars,  sir  Peregrine  était  de  retour  à  Québec. 
(Christie,  II,  pp.  322-323;  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q. 
151-1,  152-1-2,  155-2.^ 


90  COURS  d'histoire  du  canada 

seraient  expirés.  Et  si  ce  jour  là  un  député  n'était 
pas  élu  pour  Gaspé  on  pourrait  se  demander  si  la  der- 
nière dissolution  de  la  législature  n'avait  pas,  à  cause 
de  ses  conséquences,  été  une  violation  de  la  constitu- 
tion. Telle  était  la  prétention  de  la  Chambre,  et  elle 
la  communiqua  à  l'administrateur  dans  une  adresse. 
Il  refusa  d'admettre  qu'elle  fût  bien  fondée.  Mais 
l'Assemblée  persista  dans  son  attitude,  s'abstint  de 
toute  procédure,  et  alla  jusqu'à  fermer  ses  portes  à  un 
messager  du  Conseil  législatif,  le  maître  en  chancellerie, 
quoiqu'il  fût  porteur  d'un  bill  pour  lequel  le  Conseil 
demandait  le  concours  de  la  chambre  basse  (1).  C'était, 
nous  semble- t-i!,  pousser  à  l'excès  le  formalisme.  Quoi 
qu'il  en  soit  l'imbroglio  était  embarrassant.  II  fut  dé- 
noué par  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi  George  III.  Le 
décès  du  souverain  était  encore  à  ce  moment  un  motif 
constitutionnel  de  dissolution.  La  session  fut  donc 
prorogée  par  sir  Peregrine  Maitland,  et,  après  trois 
mois  d'intervalle,  de  nouvelles  élections  générales  eu- 
rent lieu  au  mois  de  juillet. 

La  mort  de  George  III  était  un  événement  qui  ne 
pouvait  manquer  de  produire  une  émotion  réelle  dans 
tout  l'empire.  Avec  la  disparition  du  vieux  monarque 
s'achevait  une  phase  mémorable  de  l'histoire  anglaise. 
Son  règne,  jusque  là  le  plus  long  des  annales  britanni- 
ques, marqué  par  beaucoup  de  vicissitudes  et  assom- 
bri un  moment  par  la  perte  des  colonies  américaines, 
avait  en  définitive  vu  prodigieusement  s'accroître  la 
puissance  et  le  prestige  de  la  Grande-Bretagne.  Les 
victoires  de  Wellington  et  le  triomphe  de  l'intrépide 


Cl) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada, 
1820  ;  Christie,  II,  pp.  324-325  ;  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
Q.  155-1.  pp.  114-177. 


COURS  d'histoire  du  canada  91 

ténacité  anglo-saxonne  sur  le  génie  militaire  de  Na- 
poléon avaient  fait  briller  son  couchant  d'un  glorieux 
éclat.  Pour  nous,  lorsque  nous  récapitulions  les  soi- 
xante ans  de  ce  règne  dont  l'aurore  avait  éclairé  le 
commencement  du  régime  nouveau  auquel  nous  avaient 
assujettis  les  décrets  providentiels,  nous  ne  pouvions 
nous  empêcher  de  reconnaître  que,  nonobstant  bien 
des  épreuves  et  bien  des  luttes,  ils  ne  nous  avaient 
point  inflige  les  désastres  et  les  luines  que  nous  au- 
rions pu  redouter.  Un  des  nôtres,  celui  de  nos  chefs 
parlementaires  dont  l'éloquence  accroissait  chaque 
jour  l'ascendant,  M.  Louis-Joseph  Papineau,  se  faisait 
l'interprète  de  ce  sentiment  dans  une  harangue  pro- 
noncée sur  les  hustings,  devant  ses  électeurs  de  Mont- 
réal, le  jour  de  sa  réélection  unanime  au  mois  de  juil- 
let 1820.  Vous  aimerez  peut-être  à  entendre  un 
fragment  de  ce  discours,  dont  l'accent  aurait  sans  doute 
surpris  ses  auditeurs  s'ils  avaient  pu  pressentir  les  phi- 
lippiques  prochaines  qui  devaient  en  être  la  contre- 

partie. . 

"Peu  de  jours  se  sont  écoulés,  disait  M.  Papineau,' 
depuis  qu2  nous  sommes  assemblés  dans  ce  lieu  pour 
le  même  motif  qui  nous  réunit  aujourd'hui,  le  choix  de 
représentants.  La  nécessité  de  ce  choix  venant  d'une 
grande  calamité  nationale,  la  mort  du  souverain  bien-  \ 
aimé  qui  a  régné  sur  les  habitants  de  ce  pays  depuis 
qu'ils  sont  devenus  sujets  britanniques,  il  est  impossi- 
ble de  ne  pas  exprimer  nos  sentiments  de  gratitude 
pour  les  bienfaits  que  nous^ayons  reçus  de  lui  et  les 
sentiments  de  regret  pour  sa  perte  si  profondément 
sentie  ici  et  dans  toutes  les  parties  de  .l'empire.  Et 
comment  pourrait-il  en  être  autrement,  quand  chaque 
année  de  son  règne  a  été  marquée  par  de  nouvelles  fa- 
veurs accordées  à  ce  pays.     Les  énumérer  et  détailler 


a' 


p\ilf.j 


92  COUBS  d'histoire  ou  canada 

riiistoirc  fie  la  province  depi;  tant  d'années  pren- 
drait plus  de  tcmjw  que  je  pu  en  espKrrer  de  ceux  à 
qui  j'ai  l'honneur  de  parier,  iu'il  suffise  donc,  à  pre- 
mière vue,  de  comparer  l'her  n<;p  situation  où  nous 
nr)U8  trouvons  aujourd'hui  a  -  où  se  trouvaient 

nos  ancêtres  lorsque  George  ;nt  leur  monarque 

légitime, 

"Qu'il  me  suffise  de  rappi'  r  que  sous  le  gouver- 
nement français,  gouvernem  traire  et  oppressif 
à  l'intérieur  et  à  l'extérieur,  rets  de  cette  colo- 
nie ont  été  plus  fréqucmmen  s  et  mal  adminis- 
trés que  ceux  d'aucune  autre  u.rtje  des  dép>endances 
françaises.  Dans  mon  opinio.  le  Canada  semble  ne 
pas  avoir  été  considéré  comm<  m  pays  qui,  par  la  fer- 
tilité du  sol,  la  salubrité  du  c!  *  ft  le  territoire  t-ten- 
du,  pouvait  être  la  paisif^k  ce  d'une  popula- 
tion considérable  et  heureus  comme  un  p>oste 
militaire  dont  la  faif)le  garn;  m  était  condamnée  à 
vivre  dans  un  état  d'alarme  crie  guerre  continuelles — 
souffrant  fréquemment  de  la  iminc,  sans  commerce, 
ou  avec  un  commerce  de  mon('oIe  par  des  compagnies 
privilégiées,  la  propriété  puisque  et  privée  souvent 
mise  au  pillage,  et  la  libert»'  mclle  chaque  jour 
violée,  en  même  temps  q  ne  année  la  poi- 
gnée de  colons  établis  en  cei  ,i>,\mcc  étaient  arra- 
chés de  leur  maison  et  de  leur  i mille  pour  aller  répan- 
dre leur  sang  et  porter  le  met  c  et  la  ruine  des  rives 
des  grands  lacs  du  Mississipi  <  de  l'Ohio  à  cellesdela 
Nouvelle-Ecosse,  de  Terrencuv  -t  de  la  Baie  d'I  ludson. 

"Telle  était  la  position  '  nos  pères;  voyez  le 
changement.  George  III,  sou  rain  respecté  pour  ses 
qualités  morales  et  son  attentu  à  ses  devoirs,  succède 
à  Louis  XV,  prince  justemci  méprisé  pour  ses  dé- 
bauches et  son  peu  d'attentio     ux  besoins  du  peuple. 


COURS  d'histoire  du  canada  93 

sa  prodigalité  insensée  pour  ses  favoris  et  ses  maîtres- 
ses. Depuis  cette  époque  le  règne  de  la  loi  a  succédé 
à  celui  de  la  violence,  depuis  ce  jour  les  trésors,  la  ma- 
rine et  les  armées  de  la  Grande-Bretagne  ont  été  em- 
ployés pour  nous  procurer  une  protection  efficace  con- 
tre tout  danger  extérieur;  depuis  ce  jour  ses  meilleures 
lois  sont  devenues  les  nôtres,  tandis  que  notre  religion 
nos  propriétés  et  les  lois  par  lesquelles  elles  étaient  ré- 
gies nous  ont  été  conservées;  bientôt  après  les  privilèges 
de  sa  libre  constitution  nous  ont  été  accordés,  garants 
infaillibles  de  notre  prospérité  intérieure,  si  elle  est  ob-  /  ( 
ser\ée.  Maintenant  la  tolérance  religieuse,  le  procès  |  M  *^ 
par  jur\",  la  plus  sage  des  garanties  qui  ait  jamais  été  |  i 
établie  pour  la  protection  de  l'innocence,  la  protection 
contre  r^mpjjsonnement  arbitraire»  grâce  au  privilège 
de  Vbabeas;  corpus,  la  sécurité  égale  garantie  par  la  loi 
à  la  p)ersonne,  à  l'honneur  et  aux  biens  des  citoyens,  le 
droit  de  n'obéir  qu'aux  lois  faites  par  nous  et  adoptées 
par  nos  représentants,  tous  ces  avantages  sont  deve- 
nus pour  nous  un  droit  de  naissance,  et  seront,  je  l'espè- 
re, i'Jiéritage  durable  de  notre  postérité  !  Pour  les  con- 
server sachons  agir  comme  des  sujets  anglais  et  des 
hommes  indépendants."  (1) 

Ce  discours  de  M.  Papineau,  qui  nous  parait  au- 
jourd'hui étonnant  dans  sa  bouche  lorsque  nous  son- 
geons aux  événements  ultérieurs,  eut  un  grand  reten- 
tissement. Il  fit  le  tour  de  la  presse  et  reçut  les  hon- 
neurs de  la  publicité  jusqu'en  Angleterre. 

Pendant  que  se  tenaient  les  élections  occasionnées 
par  la  mort  du  souverain,  le  nouveau  gouverneur,  lord 
Dalhousie,  était  venu  prendre  les  rênes  de  l'administra- 
tion.    II  était  entré  en  fonctions  le  18  juin  1820.     Le 

(1) — Gazette  de  Québec,  juillet  1820. 


I  1 


94  COURS  d'histoire  du  canada 

14  décembre  suivant  il  ouvrait  la  première  session  de 
la  législature  récemment  élue.  La  question  des  sub- 
sides allait  se  poser  avec  plus  d'acuité  que  jamais. 

Le  chef  de  l'cxécutit  demanda  au  nom  du  roi  le 
vote  d'une  somme  permanente  de  22,000  louis  par  an- 
née, pour  la  vie  de  Sa  Majesté,  afm  de  solder  le  déficit 
entre  les  dépenses  j^ermanentes  de  la  liste  civile  (main- 
tien du  gouvernement  civil  et  administration  de  la  jus- 
tice) et  les  recettes  affectées  en  permanence  à  cette 
fin.  A  cette  mise  en  demeure,  la  chambre  répondit 
que  le  vœu  de  ses  constituants,  son  devoir  envers  la 
postérité,  son  attachement  pour  la  constitution,  le  dé- 
faut de  fixité  et  l'incertitude  du  revenu  eu  égard  aux 
fluctuations  du  commerce,  lui  étaient  "le  pouvoir  de 
faire  aucune  autre  appropriation  qu'une  appropriation 
annuelle  pour  la  dépense  générale  de  la  province." 
L'assemblée  affirmait  en  même  temps  "sa  disposition 
inaltérable  de  voter  annuellement  d'une  manière  cons- 
titutionnelle. .  toutes  les  dépenses  nécessaires  du  gou- 
vernement civil  de  Sa  Majesté  dans  cette  colonie."  (1) 

Lord  Dalhousie  avait  aussi  appelé  l'attention  de 
la  législature  sur  l'importance  de  donner  un  caractère 
plus  permanent  aux  lois  fiscales,  qui,  jusque  là,  avaient 
été  votées  généralement  pour  un  terme  de  deux  ans 
seulement.  La  chambre  inséra  dans  son  adresse  cà  ce 
sujet  un  paragraphe  très  vague  par  lequel  elle  ne  s'en- 
gageait à  rien. 

Les  estimations  de  dépenses — en  d'autres  termes, 
le  budget — qui  furent  soumises  peu  après  aux  cham- 
bres étaient,  cette  fois,  divisées  en  chapitres.  Dans 
le  premier  figurai^^nt  les  émoluments  ou  salaire  du  gou- 

(1) — Journal  de   la   Chambre  d'Assemblée   du    Bas-Canada, 
1821,  p.  44. 


COURS  d'histoire  du  canada  95 

verneur  en  dief  et  des  ofliciers  attachés  à  son  bureau; 
le  second  comprenait  la  législature  et  ses  officiers;  le 
troisième,  le  conseil  exécutif  et  ses  officiers;  le  quatriè- 
me, les  juges  et  tousies  officiers  de  justice;Ie  cinquième^  DObôlA*^  ^ 
le  secrétaire  et  régistrâà'e  de  la  province,  et  le  loyer  de 
son  bureau,  le  receveui^ général  et  son  commis,  l'ar^  ^\J^\Ay*ô{:;:^ 
penteur  général  et  ses  employés,  l'inspecteur  des  bois,  '  • 

l'auditeur  des  patentes  des  terres  publiques,  l'inspec- 
teur des  comptes  et  son  commis  et  plusieurs  autres  em- 
ployés subalternes;  le  sixième  contenait  la  liste  des 
contingents  pour  la  législature,  l'administration  de  la' 
justice  et   les  autres  départements  publics,   etc.     Le\ 
total  des  estimations  s'élevait  k44,S77  louis  (1).     La 
chambre,  après  les  avoir  discutées  article  par  article,  i 
les  adopta  en  leur  faisant  subir  quelques  réductions,  \ 
Mais,  pour  essayer  de  gagner  le  Conseil  législatif  à  la 
doctrine  du  vote  annuel  de  tous  les  subsides,  elle  aban- 
donna la  forme  adoptée  à  la  session  précédente,  et  les 
vota  par  chapitres  au  lieu  de  les  voter  par  articles. 
Elle  dépassa  même  le  chiffre  demandé,  ajoutant  3,083  • 

louis  pour  des  pensions,  et  1,543  louispour  l'état-major 
de  la  milice.  Cette  générosité  inattendue  fut  mal  ac- 
cueillie, parce  qu'elle  dérogeait  au  principe  que  tout 
vote  d'argent  doit  être  précédé  d'un  message  du  pou- 
voir exécutif  pour  en  proposer  l'adoption  aux  cham- 
bres. 

Pendant  que  l'Assemblée  délibérait  sur  les  subsi- 
des, le  Conseil  législatif  réglait  virtuellement  le  sort 
du  bill  qui  devait  lui  être  envoyé,  par  le  vote  d'une  sé- 
rie de  résolutions  dans  lesquelles  il  déclarait,  entre  au- 
tres choses,  "qu'il  avait  constitutionnellernent  sa  voix 

(1) — Appendices  au  Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du 
Bas-Canada.  1820  ;  Appendice  D. 

7 


96  COURS  d'histoire  du  canada 

dans  tout  bill  d'aides  ou  de  subsides;  qu'aucune  affec- 
tation de  revenu  ne  pouvait  être  faite  légalement  sans 
son  concours;  qu'il  n'accueillerait  aucun  vote  d'argent 
non  recommandé  par  le  gouverneur;  qu'il  ne  procéde- 
rait sur  aucun  bilI  d'appropriation  de  la  liste  civile 
contenant  des  spécifications  par  chapitres,  ou  par  items, 
ni  à  moins  qu'elle  ne  soit  accordée  durant  la  vie  de 
Sa  Majesté  le  roi."  (1)  Après  cela  on  devait  s'atten- 
dre au  rejet  par  le  Conseil  du  bill  adopté  par  la  Cham- 
bre. C'est  ce  qui  arriva.  La  Chambre  protesta  alors 
contre  les  résolutions  du  Conseil,  et  mit  à  la  disposi- 
tion du  gouverneur  par  une  simple  adresse,  la  somme 
de  46,000  louis,  promettant  de  passer  un  bill  pour  régu- 
lariser ce  procédé  à  la  prochaine  session.  (2)  Mais  lord 
Dalhousie  répondit  à  cette  démarche  en  déclarant  que 
ce  vote  était  absolument  inefficact,  sans  le  concours  de 
l'autre  branche  de  la  législature.  L'imbroglio  parle- 
mentaire ne  pouvait  être  plus  complet.  Aucrne  des 
deux  chambres,  comme  le  fait  observer  l'historien 
Christie,  ne  semblait  disposée  à  abandonner  le  terrain 
sur  lequel  elle  s'était  cantonnée.  L'une  refusait  de 
prendre  en  considération  tout  bill  "d'appropriation" 
pour  la  liste  civile  qui  contiendrait  des  spécifications 
par  chapitres  ou  articles,  ou  qui  ne  s'étendrait  pas  à 
toute  la  vie  du  roi.  L'autre  ne  voulait  pas  passer  de 
bill  sans  ces  spécifications,  ni  pour  une  période  plus 
longue  qu'un  an,  ni  même  sans  la  reconnaissance  de 
son  droit  d'affecter  par  son  vote  annuel  les  sommes 


(1) — Christie,  II,  p.  339; — Journaux  du  Conseil  législatif, 
1820-21,  pp.  105-106.  — Mgr  Plessis  et  cinq  autres  conseillers 
firent  enregistrer  leur  dissidence. 

(2) — Journal  de  ta  Chambre  d'Assemblée  du  Ras-Canada, 
1821,  p.  312. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 


97 


déjà  affectées  antérieurement  au  soutien  du  gouverne- 
ment civil.  Ces  vues  et  ces  déterminations  absolu- 
ment divergentes  rendaient  impossible  la  solution  de 
cette  difficulté  par  la  législature. 

A  la  fin  de  cette  session,  le  14  mars  1821,  la  Cham- 
bre adopta  une  série  de  résolutions  qu'elle  transmit  au 
gouverneur  pour   la   considération   du   gouvernementj 
impérial.     Le  texte  de  cette  pièce  se  trouve  dans  les 
journaux   de  l'assemblée   législative   pour   1821,   à  lai 
page  321.     L'assemblée  y  signalait  au  gouverneur  une 
foule  d'abus  et  de  sinécures.     "Elle  le  priait  de  suspen-j 
dre  le  paiement  d'un  salaire  de  1500  louis  accordé  àj 
un    lieutenant  gouverneur  qui   n'avait  jamais  mis  le 
pied  dans  le  pays;  déclarait  inutile  le  salaire  d'un  au- 
tre nommé  pour  Gaspé,  qui  ne  résidait  point  non  plus; 
le  priait  de  ne  payer  le  salaire  de  400  louis  à  un  M. 
Amyot,  secrétaire  de  la  province,  que  lorsqu'il  y  rem- 
plirait ses  fonctions;  déclarait  la  charge  d'agent  de  la 
province  à  Londres  sans  avantage  pour  le  peuple;  posait 
pour  règle  qu'aucun  salaire  ne  devait  être  accordé  aux 
conseillers  exécutifs  qui   ne  résidaient  point  dans  le 
pays,  que  la  réunion  d'offices  de  juge  à  la  cour  d'ami- 
rauté et  de  juge  à  la  cour  du  banc  du  roi  était  incom- 
patible sur  la  même  tête,  que  le  cumul  de  ceux  de  juge 
de  cette  dernière  cour  et  de  traducteur  français  ou  d'au- 
diteur des  comptes  l'était  encore  plus;  enfin  elle  le  priait 
de  porter  remède  à  tous  ces  abus  comme  à  celui,  le  plus 
grave  de  tous  pour  la  pureté  de  la  justice,  dont  se  ren- 
dait coupable  le  juge  de  l'amirauté,  qui  se  faisait  don- 
ner des  honoi aires  par  les  plaideurs  contrairement  à  la 
loi,  tandis  qu'il  recevait  un  salaire  de  l'Etat."     C'est 
à  Garneau  que  nous  empruntons  ce  résumé.     Le  gou- 
verneur, en  recevant  cette  adresse,  répondit  à  la  Cham- 
bre qu'il  allait  saisir  le  gouvernement  impérial  du  su- 


98  COURS  d'histoire  du  canada 

jet  de  ces  résolutions.  Mais  clans  son  discours  de  pro- 
rogation, le  17  mars  1821,  il  reprocha  vivement  àl'As- 
semblce  son  attitude  sur  la  question  des  subsides  et 
prononça  les  paroles  suivantes:  "Lorsque  je  vous  as- 
semblerai ici  de  nouveau,  vous  y  viendrez  pour  déci- 
der la  question  importante  de  savoir  si  l'énergie  cons- 
titutionnelle du  gouvernement  doit  être  rétablie,  ou 
si  vous  aurez  à  déplorer  la  perspective  d'un  malheur 
durable  par  la  continuation  de  l'état  actuel  des  cho- 
ses." (1) 

Ce  fut  le  11  décembre  1821  que  s'ouvrit  la  session 
suivante.  Lord  Dalhousie  dans  son  discours  d'ouver- 
ture communiqua  à  la  législature  cette  grave  intima- 
tion: "On  a  établi  dans  le  parlement  britannique,  com- 
me un  des  principes  de  la  constitution,  que  la  liste  civile 
devait  être  accordée  durant  la  vie  de  Sa  Majesté,  et  il 
m'est  commandé  de  fixer  sur  vos  espiits  en  cette  occasion 
la  recommandation  de  Sa  Majesté  que  ce  principe  de 
la  constitution  doit  êtr3  adopté  et  mis  en  exécution 
dans  cette  province."  (2)  C'était  péremptoire.  La 
Chambre,  déterminée  à  refuser,  voulut  faire  accompa- 
gner son  refus  de  résolutions  explicatives.  Il  y  était 
dit  que  la  dépense  du  gouvernement  civil  de  cette  pro- 
vince faisait  la  presque  totalité  de  la  dépense  publique; 
qu'il  n'y  avait  pas  de  parité  entre  la  métropole  et  la 
colonie;  que  la  prospérité  extraordinaire  de  1810  avait 
disparu;  que  l'état  du  commerce  et  de  l'industrie  était 
précaire  et  qu'une  diminution  considérable  avait  eu 
lieu  dans  les  importations  et  les  exportations,  et  con- 
séquemment  dans  le  revenu  annuel;  que  cette  provin- 


(1) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée,  1821.  p.  336. 
{2)— Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée,  1821-22,  p.  8. 


COURS  d'histoire  du   canada  99 

ce  était  encore  dans  l'enfance;  enfin  que  les  raisons  qui 
avaient  engagé  le  parlement  britannique  à  pourvoir 
pour  la  vie  du  roi  à  la  dépense  de  sa  maison  et  à  la  liste 
civile  n'existaient  pas  dans  cette  province."  (1)  La 
Chambre  refusait  donc  une  fois  encore  de  voter  les  sub- 
sides comme  le  demandait  le  gouvernement.  Bien  plus, 
elle  résolut  de  tarir  la  source  qui  alimentait  le  revenu. 
Elle  laissa  expirer  sans  la  renouveler  une  des  lois  fisca- 
les qui  avaient  été  édictées  pour  cet  objet,  et  annonça 
son  intention  d'en  laisser  mourir  une  autre  du  même 
genre  l'année  suivante.  La  situation  devenait  ex- 
trêmement tendue  (2).  Les  relations  entre  les  deux 
chambres  prenaient  un  caractère  de  plus  en  plus  acri- 
monieux. Un  des  membres  du  Conseil,  M.  Richard- 
son,  était  violemment  censuré  par  l'assemblée  pour 
des  paroles  prononcées  par  lui  dans  un  débat.  (3)  Le 
Conseil  ripostait  en  accusant  la  chambre  d'avoir  violé 
ses  piivilèges.  Bref,  le  18  février  1822,  la  session  de 
la  législature  fut  prorogée  en  pleine  crise  politique. 

Si  nous  analysons  maintenant  la  situation,  nous 
constatons  que  l'administration  bas-canadienne  fonc- 
tionnait en  pleine  incohérence  et  en  pleine  illégalité. 
L'irrégulaiité  signalée  par  sir  John  Sherbrooke  en  1817 
s'était  aggravée  par  le  fait  même  qu'on  avait  tenté  in- 
fructueusement d'y  porter  remède  et  qu'on  y  persis- 
tait dorénavant  de  propos  délibéré,  après  avoir  an- 
noncé qu'on  voulait  en  sortir.  Sur  l'initiative  de  ce 
gouverneur  clairv^oyant,  le  gouvernement  impérial 
avait  pris  la  décision  de  demander  à  la  législature  le 

{\)— Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée.  1821-22,  p.  87. 

(2)— Christie,  II,  p.  367. 

(Z)— Journal  de  la  Chambre,  1822,  p.  137. 


0 


100  COURS  d'histoire  du  canada 

vote  régulier  des  subsides  nécessaires  au  service  pu- 
blic. Il  y  avait  de  cela  cinq  ans,  et  cependant  pas  un 
bill  de  subsides  n'était  encore  inscrit  dans  nos  statuts. 
En  1818  le  temps  avait  manqué  et  la  Chambre 
Q}avait  autorisé  la  dépense  par  une  résolution.  En  1819 
le  duc  de  Richmond  avait  alarmé  la  représentation 
populaire  par  une  injustifiable  et  maladroite  augmen- 
tation du  budget  soumis,  et  celle-ci  a\ait  proclamé 
le  principe  du  vote  annuel  et  par  article,  que  le  Conseil 
législatif  et  le  gouverneur  avaient  repoussé  de  concert. 
En  1820  une  dissolution  inattendue  et  inexplicable, 
décrétée  par  le  juge  Monk,  administrateur  intérimaire, 
puis  la  mort  du  roi,  survenue  au  milieu  d'un  imbroglio 
malheureux,  nous  avaient  gratifiés  de  deux  élections 
générales  en  quatre  mois  et  d'une  stérile  session  de 
treize  jours.  En  1821,  lord  Dalhousie  était  entré  en 
scène,  et  avait  essayé  vainement  de  faire  accepter  par 
la  Chambre  le  vote  d'une  liste  civile  permanente  pour 
la  vie  du  roi.  L'Assemblée  avait  maintenu  son  atti- 
tude relativement  au  vote  annuel,  et  signalé  dans  une 
adresse  un  grand  nombre  d'articles  budgétaires  desti- 
nés à  perpétuer  d'indéniables  abus.  Toutefois  elle 
avait  autorisé  par  résolution  la  dépense  d'une  somme 
suffisante  pour  faire  face  aux  besoins  administratifs. 
Mais  le  Conseil  avait,  de  son  côté,  pris  catégoriquement 
position  en  s'engageant  à  ne  voter  jamais  qu'une  liste 
civile  permanente,  pour  toute  la  vie  du  souverain.  Et 
le  gouverneur  avait  déclaré  ne  pouvoir  accepter  l'au- 
torisation non  statutaire  de  l'Assemblée  sans  le  con- 
cours de  la  Chambre  haute.  Enfin,  en  1822,  les  deux 
systèmes  s'étaient  nettement  précisés  et  heurtés.  Le 
gouverneur  avait  formellement  requis,  au  nom  de  la 
Couronne,  l'adoption  d'une  liste  civile  permanente 
pour  la  vie  du  roi,  comme  cela  était  pratiqué  en  Angle- 


COURS  d'histoire  du  canada  101 

terre.  La  Chambre  avait  repondu  qu'elle  ne  pouvait 
y  consentir,  alléguant  la  disparité  des  circonstances  (1). 
Et,  cette  fois,  elle  s'était  abstenue  de  voter  une  réso- 
lution d'indemnité  anticipée.  Elle  avait  même  indi- 
qué son  intention  de  forcer  la  main  à  l'exécutif  en 
s'arrangeant  pour  frapper  de  caducité  deux  des  lois 
de  revenu  les  plus  productives.  L'administration  pro- 
vinciale se  trouvait  acculée  dans  une  impasse.  N'ayant 
pu  obtenir  le  vote  des  subsides,  elle  ne  pouvait  toucher 
à  la  catégorie  du  revenu  non  affecté  par  le  parlement 
sans  violer  un  principe  fondamental  de  la  constitution 
britannique,  sans  commettre  une  illégalité  flagrante. 
Et  même  au  cas  où  elle  serait  déterminée  à  passer 
outre,  le  tarissement  du  revenu  en  le  lui  interdisant 
la  condamnait  à  l'inertie.  Comment  trouver  à  ce 
problème  une  solution  satisfaisante  ? 

Pendant  que  ces  difficultés  d'ordre  budgétaire 
et  constitutionnel  s'acheminaient  vers  le  point  culmi- 
nant où  nous  les  voyons  rendues,  un  autre  imbroglio 
se  produisait.  Et  celui-ci  mettait  aux  prises  les  deux 
provinces  séparées  en  1791,  relativement  au  partage 
des  recettes  douanières.  Jusqu'à  la  séparation,  il  ne 
pouvait  être  question  d'un  tel  partage  entre  les  régions 
inférieure  et  supérieure  de  la  province,  dont  les  affaires 
étaient  administrées  par  un  gouvernement  unique. 
Mais  lorsque  deux  provinces,  celle  du  Haut  et  celle 
du  Bas-Canada,  eurent  été  créées  par  le  statut  impé- 
rial de  1791,  il  fallut  délibérer  sur  la  manière  dont  se- 


(1) — On  trouve  à  l'appendice  K  du  Journal  de  la  Chambre 
d'Assemblée  pour  1822  un  document  important  qui  récapitule 
les  divers  incidents  de  cette  controverse.  C'est  le  rapport  d'un 
comité  chargé  de  préparer  un  projet  d'instructions  à  M. 
Marryat,  nommé  agent  de  la  province  en  Angleterre. 


102  COURS  d'histoire  du  canada 

raient  repartis  entre  elles  les  droits  perçus  en  vertu  des 
lois  fiscales  existantes  ou  de  celles  qui  seraient  ultérieu- 
rement adoptées.  La  situation  était  assez  embarras- 
sante. Le  seul  port  d'entrée  pour  les  importations 
soumises  aux  droits  de  douanes  était  celui  de  Québec, 
où  les  vaisseaux  devaient  faire  leur  déclaration  de  car- 
gaison, et  où  les  taxes  devaient  être  payées  sur  toutes 
les  marchandises  importées,  môme  sur  celles  qui  étaient 
destinées  à  la  consommation  du  Haut-Canada.  Evi- 
demment celui-ci  avait  droit  aux  recettes  provenant 
des  impôts  perçus  sur  les  articles  importés  par  ses  mar- 
chands et  destinés  à  sa  consommation  locale.  Autre- 
ment, le  Bas-Canada  aurait  eu  le  piivilège  inique  de 
taxer  le  commerce  du  Haut-Canada,  en  profitant  de  sa 
position  géographique,  et  de  garder  pour  lui  seul  le 
produit  de  ces  impositions. 

En  1794,  on  nomma  des  commissaires  représen- 
tant chacune  des  deux  provinces  pour  régler  cette  ques- 
tion délicate.  Et  un  arrangement  fut  conclu,  en  vertu 
duquel  le  Haut-Canada,  renonçant  à  édictei  lui-même 
des  taxes  d'importation,  reconnaissait  à  la  législature 
du  Bas-Canada  le  droit  d'en  imposer  seul,  mais  avec 
^  l'obligation  pour  celui-ci  de  verser  à  la  province-sœur 

S  unhuitième  des  recettes  douanières  perçues  à  Québec.  (1^ 

Cette  convention  ne  dura  que  deux  ans.  En  1797 
on  jugea  opportun  de  conclure  un  autre  arrange- 
ment. Il  fut  stipulé,  comme  en  1795,  "que  le  Haut- 
Canada  n'imposerait  aucun  droit  sur  les  effets  impor- 
tés dans  le  Bas-Canada,  mais  qu'il  permettrait  que  le 
Bas-Canada  imposât  sur  ces  effets  tels  droits  laison- 
nables  qu'il  jugerait  expédient."     Et  pour  déterminer 

(1) — Les  Statuts  provinciaux  du  Bas-Canada;  3.5  Georges   III, 
ch.    III. 


COURS  d'histoire  du  canada  103 

la  part  de  droits  dûs  au  Haut-Canada,  on  décréta  l'éta- 
blissement à  frais  communs,  au  Côteau-du-Lac,  d'un 
bureau  où  serait  installé  un  inspecteur,  officier  des 
deux  provinces,  à  qui  toutes  les  voitures  et  tous  les  ba- 
teaux allant  du  Bas  au  Haut-Canada  feraient  rapport 
des  marchandises  transportées  par  eux,  ainsi  que  des 
droits  payés  à  Québec.  Et  ce  fonctionnaire,  se  basant 
sur  les  entrées  dans  ses  livres,  ferait  ensuite  sa  déclara- 
tion, d'après  laquelle  serait  fixé  le  chiffre  des  recettes 
douanières  afférantes  au  Haut-Canada.  (1)  Ce  régime 
dura  jusqu'en  1817,  "le  montant  des  droits  à  payer  au 
Haut-Canada  étant  entièrement  réglé  par  le  montant 
des  articles  sujets  aux  droits  que  l'inspecteur  du  Côteau- 
du-Lac  rapportait  comme  étant  venus  du  Bas-Cana- 
da." 

En  1817,  ce  "modus  vivendi"  qui  avait  duré  vingt 
ans  fut  discontinué  parce  que  le  Haut-Canada  ne  le 
trouvait  plus  satisfaisant.  Des  commissaires  furent 
de  nouveau  nommés  par  les  deux  provinces.  Après 
d'assez  longues  délibérations,  ils  conclurent  la  conven- 
tion suivante.  Le  bureau  d'inspection  du  Côteau-du- 
Lac  était  supprimé  et  le  Haut-Canada  devait  recevoir  \^ 
un  cinquième  de  tous  les  droits  d'importations  perçus  ^ 
dans  le  Bas-Canada  (2). 

Une  question  cependant  resta  en  suspens  lors  de 
la  conclusion  de  cet  arrangement  en  1817.  Ce  fut  celle 
qui  concernait  certains  arrérages,  au  sujet  desquels  les 
commissaires  du  Haut-Canada  élevèrent  une  réclama- 
tion. Celui-ci  prétendait  que,  sous  le  régime  de  1797  à 
1817,  il  avait  subi  une  peite  de  revenu  considérable. 
II  représentait  que,  pour  diverses  raisons,  toutes    es 

(1) — 37  George  III,  cli.  m. 

{2) — Les  Statuts  provinciaux  du  Bas-Canada.   57  George  III, 
ch.  V. 


104  COURS  d'histoire  du  canada 

maichandises  expédiées  dans  le  Haut-Canada  n'étaient 
pas  déclarées  au  bureau  d'inspection  du  Côteau-du- 
Lac.  En  outre  certaines  lois  de  douane,  adoptées 
pai  la  législature  du  Bas-Canada  et  imposant  de  nou- 
veaux droits,  n'ayant  pas  été  signifiées  au  bureau  du 
Coteau  non  plus  qu'au  gouvernement  du  Haut-Ca- 
nada, l'inspecteur  avait  omis  d'entrer  dans  ses  livres 
des  marchandises  soumises  par  cette  législation  nou- 
velle à  certains  droits  "ad  valorem"  ou  de  tenir  comp- 
te d'articles  sur  lesquels  avaient  été  imposés  des  droits 
spécifiques.  De  sorte  que,  suivant  les  expressions  du 
rapport  d'un  comité  conjoint  des  deux  chambres  du 
Haut-Canada,  "cette  omission  ne  fut  découverte  par 
cette  province  que  lorsqu'elle  eût  occasionné  dans  son 
revenu  une  perte  clairement  constatée  de  plusieurs  mil- 
liers de  livres".  En  présence  de  cette  réclamation, 
les  commissaires  du  Bas-Canada  déclarèrent  qu'ils 
n'avaient  pas  de  pouvoirs  suffisants  pour  la  considérer 
et  la  régler,  et  la  difficulté  resta  sans  solution. 

La  convention  de  1817  n'était  faite  malheureuse- 
ment que  pour  deux  ans.  En  1819  elle  ne  fut  pas  re- 
nouvelée, par  suite  de  la  crise  législative  que  traversait 
alors  le  Bas-Canada,  et  le  Haut-Canada  se  trouva  pri- 
vé de  la  part  de  recettes  douanières  à  laquelle  il  avait 
droit,  ce  qui  lui  infligea  une  pénurie  financière  très  pré- 
judiciable. Malgré  ses  plaintes  cette  situation  se  pro- 
longea, et  lorsque  lord  Dalhousie  arriva  à  Québec  au 
mois  de  juin  1820  la  difficulté  était  encore  pendante. 

En  1821,  les  deux  provinces  nommèrent  des  com- 
missaires pour  tâcher  d'en  arriver  à  un  arrangement  sa- 
tisfaisant. Ceux  du  Bas-Canada  étaient  MM.  L.-J. 
Papineau,  A.  Cuvillier,  J.  Davidson,  J.  Neilson,  G. 
Garden;  ceux  du  Haut-Canada,  MM.  Thomas  Clarke, 
A.  MacLean,  Jonas  Jones.     Voici  quelle  était  à  ce  mo- 


COURS  d'histoire  du  canada  105 

ment  l'attitude  de  cjette  dernière  province.  Elle  ré- 
clamait des  arrérages  s' élevant  à  plusieurs  mille  louis 
pour  les  droits  perdus  par  l'insuffisance  de  l'inspection 
au  Côteau-du-Lac  et  le  défaut  de  signification  à  ce 
bureau  de  plusieurs  lois  fiscales.  Elle  demandait  le 
paiement  d'un  cinquième  des  droits  perçus  dans  le 
Bas-Canada  de  1819  à  1821,  en  se  basant  sur  le  taux 
fixé  par  l'accord  de  1817,  qui  n'avait  pas  été  renouvelé. 
Enfin  pour  les  deux  années  prochaines,  1822  et  1823, 
elle  proposait  que  sa  proportion  des  recettes  douaniè- 
res fût  fixée  à  un  quart.  Outre  ces  réclamations,  elle 
prétendait  qu'il  était  juste  de  lui  accorder,  à  même  les 
revenus  territoriaux  et  permanents  de  la  Couronne  af- 
fectés au  soutien  du  gouvernement  civil  et  de  l'admi- 
nistration de  la  justice,  une  somme  proportionnelle  à 
celle  de  la  dépense  qui  lui  incombait  pour  solder  ces 
services  (1). 

Les  commissaires  des  deux  provinces  se  réunirent 
à  Montréal  dans  l'été  de  1821.  Ils  se  rencontrèrent 
chez  l'un  d'entre  eux,  M.  Papineau,  orateur  de  l'Assem- 
blée législative  du  Bas-Canada,  et  eurent  plusieurs 
conférences.  Malheureusement  ils  ne  purent  parve- 
nir à  s'entendre.  Les  représentants  du  Bas-Canada 
ne  se  crurent  pas  justifiables  d'accepter  les  demandes 
de  l'autre  province.  Pour  les  arrérages  antérieurs  à 
la  convention  de  1817,  ils  émirent  l'opinion  que  celle-ci 
avait  été  conclusive  à  toutes  fins  que  de  droit;  que 
cependant  le  Haut-Canada  avait  reçu  du  Bas-Canada 
une  somme  de  plusieurs  mille  louis,  en  sus  de  ce  que  lui 
accordait  l'arrangement  accepté  alors,  et  qu'après  cela 
il  ne  pouvait  plus  être  question  d'arrérages.  Quant  à 
la  part  de  recettes  douanières  réclamée  par  le  Haut- 
Ci) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada, 
1822  ;  Appendice  H,  rapport  des  commissaires  du  Bas-Canada. 


106  COURS  d'histoire  du  canada 

Canada  pour  la  période  de  1819  à  1821,  Us  proposèrent 
de  l'établir  par  des  témoignages  pris  devant  la  commis- 
sion et  démontrant  quelle  quantité  de  marchandises 
sujettes  aux  droits  avait  passé  "bonâ  fide"  du  Bas- 
Canada  dans  le  Haut-Canada  pour  y  être  consommée. 
Ils  suggérèrent  d'adopter  le  même  mode  pour  l'année 
1821-1822.  Et  enfin,  pour  l'avenir,  ils  soumirent  le 
plan  suivant:  "I]  serait  permis,  par  la  législature  de 
l'une  et  de  l'autre  province,  de  procéder  avec  toutes 
espèces  de  marchandises  et  effets  d'une  province  à 
l'autre  et  de  les  passer  franches  d'aucun  droit  en  en 
faisant  une  entrée  régulière  à  la  maison  de  douane  la 
plus  voisine,  et  en  signant  une  reconnaissance  comme 
quoi  ces  effets  ne  seraient  ni  vendus,  ouverts  ou  con- 
sommés dans  la  province  par  où  ils  auraient  passé." 
Cela  revenait  à  dire  que  les  marchandises  importées 
pour  la  consommation  haut-canadienne  ne  paieraient 
aucun  droit  dans  le  Bas-Canada,  passeraient  en  transit 
et  en  franchise  de  la  province  inférieure  à  la  province 
supérieure,  qui  leur  ferait  payer  les  taxes  douanières 
qu'elle  jugerait  raisonnables  à  leur  entrée  chez  elle. 
De  cette  façon  chaque  province  aurait  été  maîtresse  de 
son  tarif  et  auraitprélevéelle-mcmeetindépcndaniment 
de  l'autre  ses  taxes  douanières  (1).  Le  Haut-Canada 
repoussa  cette  solution,  qu'il  représenta  comme  trop 
difficile  et  trop  coûteuse  d'application  pratique,  à  cau- 
se de  l'étendue  de  la  frontière  entre  les  deux  provinces. 
Les  commissaires  se  séparèrent  sans  avoir  conclu  d'ar- 
rangement. Le  Haut- Canada,  souffrant  de  plus  en  plus 
de  la  perte  de  revenu  qui  paralysait  son  administration, 
s'adressa  alors  au  parlement  impérial,  en  janvier  1822, 
et  lui   demanda   d'intervenir  pour  redresser  ce  grief. 

(1) — Journal  de  la    Chambre    d'Assemblée  du    Bas-Canada, 
1822  ;  Appendice  H. 


COURS  d'histoire  du  canada  107 

Deux  questions  graves,  deux  conflits  aigus,  le 
conflit  budgétaire  bas-canadien  et  le  conflit  douanier 
interprovincial,  s'imposaient  donc  à  l'attention  de 
la  métropole  en  1822.  En  les  abordant  avec  un  esprit 
de  sagesse,  d'équité  et  de  conciliation,  il  n'était  pas 
impossible  pour  les  hommes  d'Etat  britanniques  de 
faire  accepter,  dans  le  premier  cas,  un  modxis  vivendi 
et,  dans  le  second  cas,  un  terrain  d'entente,  capables 
de  rétablir  l'ordre  et  la  concorde. 

Malheureusement,  en  présence  de  nos  difficultés, 
une  intrigue  dangereuse,  dont  les  fils  s'entrecroisaient 
à  travers  l'Océan,  se  préparait  à  les  exploiter  au  détri- 
ment de  nos  intérêts  nationaux  et  religieux.  La  majo- 
rité bas-canadienne  réclamait  avec  une  énergie  crois- 
sante le  régime  du  selj-i^o^emwent.  Pourquoi  ne  pas 
la  rendre  impuissante  en  la  réduisant  dans  un  avenir 
prochain  au  rôle  de  minorité?  Le  Haut  et  le  Bas- 
Canada  se  querellaient  au  sujet  du  partage  des  douanes. 
Le  meilleur  moyen  de  terminer  le  litige  ne  serait-il 
pas  d'en  supprimer  la  laison  d'être  en  réunissant  les 
deux  provinces  sous   un  gouvernement  commun? 

Telle  fut  la  genèse  de  la  tentative  d'union  de  1822, 
qui  fera  l'objet  de  notre  prochaine  leçon.  Nous  verrons 
se  nouer  l'intrigue,  nous  la  verrons  se  resserrer,  nous 
la  verrons  toucher  au  succès;  et,  Dieu  merci,  nous  la 
\'errons  enfin  échouer  pitoyablement  devant  le  magni- 
fique soulèvement  de  notre  peuple. 


SOURCES  ET   OUVRAGES  A  CONSULTER 


Garneau,  HistoireAu  Canada,  1882,  t.  III,  liv.  XV,  ch.  r. — 
Bibaud,  Histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise,  1844, 
liv.  III.— Perrault,  Abrégé  de  l'Histoire  du  Canada,  1833,  t.  IV.— 


108  COURS  d'histoike  du   canada 

Kingsford,  History  oj  Canada,  t.  IX. — Christic,  History  oj  Loiver 
Canada,  t.  II,  ch.  XXI,  xxii,  xxui. — Canada  and  its  Pro- 
vinces, Toronto,  1814,  tt.  III  et  IV. — Statuts  provinciaux  du  Bas- 
Canada,  1794,  1797,  1817. — Journaux  de  la  Chambre  d'Assem- 
blée du  Bas-Canada.  1817,  1818,  1819,  1820,  1820-21,  1822.— 
Journaux  du  Conseil  législatij  du  Bas-Canada,  1819,  1820-21. — 
Tbe  Maseres  Papers,  Toronto,  1919. — -Tbe  Annual  Register, 
Londres,  1816,  1817. — Hansard's  debates  lèro  série,  tt.  xxxiv 
et  XXXVI. — Financial  Difficulties  oJ  Lower  Canada,  Québec, 
1824. — Archives  du  Canada  :  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
série  Q.  119,  143,  151-A.  151-1,  152-1-2,  155-1.  1.52-2.—  Gazette 
de  Québec,  1820. 


QUATRIÈME  LEÇON 


La  tentative  d'union  de  1822. — M.  Edward  EUice. — Ses 
accointances  canadiennes. — Le  groupe  unioniste  montréalais. 
— Le  projet  d'union  des  deu.x  provinces. — Consultations  pré- 
alables.— L'opinion  du  procureur  général  haut-canadien. — 
Le  cabinet  britannique  passe  outre. — Il  présente  un  bill 
d'union. — Une  intervention  opportune. — Le  débat  aux  com- 
munes.— Attitude  de  sir  James  Mackintosh. —  Il  fait  ajour- 
ner le  bill.— rZ>e  Canada  Trade  Act. — Analyse  du  projet 
soumis. — Trois  articles  spécialement  iniques. — L'inégalité  de 
représentation. — -La  proscription  de  la  langue  française. — La 
collation  des  ciires. — L'agitation  au  Canada. — La  pétition. — 
Mission  de  MM.  John  Neilson  et  Louis -Joseph  Papineau.— 
La  Chambre  d'assemblée  et  le  Conseil  législatif  condamnent 
le  bill. — MM.  Neilson  et  Papineau  à  Londres. — Leur  mémoire 
contre  l'Union. — On  leur  fait  des  promesses. — Le  bill  reste  en 
plan. — L'attitude  de  Lord  Dalhousie.— La  tentative  échoue. 
— Aveux  rétrospectifs. — Une  chanson  satirique. 

En  1822,  parmi  les  membres  de  la  Chambre  des 
communes  anglaise,  il  y  en  avait  un  qui  s'intéressait 
particulièrement  aux  affaires  canadiennes.  II  repré- 
sentait Coventry  et  s'appelait  Edward  £Ilice.  Ce  tiUJC^ 
député  avait  résidé  quelque  temps  dans  notre  province. 
Son  père  y  avait  fait  un  grand  commerce  et  était 
devenu  propriétaire  de  la  seigneurie  de  Beauharnois, 
qu'il  lui  avait  léguée.  Après  son  séjour  au  Canada, 
M.  Edward  Ellice  était  allé  se  fixer  aux  Indes  Occi- 
dentales où  il  avait  épousé  une  fille  de  lord  Grey,  le 
célèbre  homme  d'Etat  qui,  pendant  de  longues  années, 
fut  le  chef  du  parti  whig.  Cette  alliance  lui  donna 
de  l'influence  et  du  prestige.  De  retour  en  Angleterre, 
i!  obtint  un  siège  dans  !a  Chambre  des    communes. 


110  COURS  d'histoire  du  canada 

Naturellement  les  propriétés  qu'il  possédait  dans  le 
Bas-Canada  lui  faisaient  conserver  ses  relations  avec 
notre  province.  II  était  en  correspondance  suivie 
avec  les  chefs  du  haut  commerce  montréalais,  dont 
plusieurs,  tels  que  MM.  Richardson,  Grant,  Molson, 
figuraient  parmi  nos  adversaires  les  plus  violents. 

Ce  groupe  rêvait  depuis  longtemps  la  réunion  des 
deux  provinces, dans  laquelle  il  voyait  un  moyen,  l'uni- 
cjue  moyen,  de  se  soustraire  à  la  suprématie  parlemen- 
taire d'une  majorité  canadienne-française.  Les  diffi- 
cultés survenues  entre  le  Haut  et  le  Bas-Canada  rela- 
tiv-^ement  au  partage  des  droits  de  douanes,  et  le  con- 
flit chronique  de  l'exécutif  avec  la  chambre  au  sujet 
dessubsides  parurent  à  ces  ennemis  de  notre  nationalité 
une  occasion  très  favorable  à  la  réalisation  de  leurs 
vœux.  Ils  multiplièrent  les  démarches  dans  ce  sens 
et  mirent  en  mouvement  les  grandes  maisons  commer- 
ciales de  Londres  dont  ils  étaient  les  clients.  Ils  n'ou- 
blièrent pas  M.  Ellice,  gagné  d'avance  à  toutes  leurs 
vues,  qui  entreprit  sans  retard  le  siège  des  ministres 
pour  les  déterminer  à  abroger  la  constitution  de  1791 
et  à  réunir  les  deux  Canadas  sous  une  seule  législature. 
Au  commencement  de  1822  les  conspirateurs  contre 
notre  constitution  entrevoyaient  déjà  le  succès  de  leur 
manoeuvre.  Des  négociants  de  Montréal,  MM.  Hart, 
Logan  et  compagnie,  écrivaient  à  M.  Ellice  le  31  jan- 
vier: "Une  bien  meilleure  mesure,  nous  l'espéions,  sera 
proposée,  et  les  hommes  de  commerce  déploieront 
toute  l'énergie  pour  la  faire  réussir,  savoir  la  réunion 
des  deux  provinces.  .  II  n'y  a  réellement  aucun  espoir 
de  rendre  le  Canada  utile  comme  apanage  de  l'empire 
britannique  en  en  faisant  un  asile  convenable  pour  les 
émigrants,  ou  développei  ses  ressources  commerciales, 
excepté  par  la  grande  mesure  de  l'union  du  Haut  et  du 


COURS  d'histoire  du  canada  111 

Bas-Canada."  (1)  Cependant  l'intention  première  du 
gouvernement  parut  être  de  soumettre  un  bill  ayant 
pour  seul  objet  de  régler  la  question  du  partage  des 
droits  de  douanes  entre  le  Haut  et  le  Bas-Canada. 
Plusieurs  officiels  canadiens,  entre  autres  le  juge  Monk, 
le  solliciteur  général  Marshall,  du  Bas-Canada,  et  le 
procureur-général  Robinson,  du  Haut-Canada,  se 
trouvaient  à  Londres,  dans  l'hiver  de  1822;  les  minis- 
tres les  avaient  consultés  et  leurs  opinions  n'avaient 
pas  été  parfaitement  concordantes.  MM.  Monk  et  Mar- 
shall avaient  approuvé  l'union  (2).  M.  Robinson,  au 
contraire,  avait  nettement  émis  un  avis  hostile  au  pro- 
jet. Dans  un  mémoire  daté  du  23  avril  1822,  il  avait 
exposé  ses  vues  avec  beaucoup  de  précision  et  de  clarté. 
Suivant  lui,  la  réunion  des  deux  provinces  n'était  pas 
nécessaire  pour  régler  leurs  difficultés  financières:  "Je 
ne  vois  aucune  raison  de  supposer,  écrivait-il,  qu'il 
faille  une  union  des  législatures  pour  ces  motifs,  par- 
ce que  je  prétends,  en  premier  lieu,  qu'une  telle  union 
ne  ferait  nullement  disparaître  le  point  principal  du 
différend,  savoir  les  réclamations  du  Haut-Canada 
pour  le  passé.  .  Quant  aux  règlements  futurs  des  re- 
lations entre  les  deux  colonies,  les  mesures  humblement 
demandées  par  le  Haut-Canada  sont  telles  qu'on  ne 
croit  pas  qu'on  puisse  y  opposer  aucun  système  rai- 
sonnable." 

M.  Robinson  passait  ensuite  à  la  question  de  la 
liste  civile,  cause  du  conflit  entre  l'exécutif  et  la  Cham- 
bre dans  le  Bas-Canada,  et  il  faisait  à  ce  propos  cette 
déclaration  remarquable:  "Quant  au  premier  des  in- 
convénients mentionnés,  savoir  l'embarras  ressenti  à 
présent  dans  le  Bas-Canada  à  cause  du  refus  de  la  lé- 

(1) — Rapport  sur  les  archives  canadiennes,  1897,  p.  1. 
(2)— Archives  du  Canada,  Q.  162-1-2,  p.  283. 
8 


112  COURS  d'histoire  du  canada 

gislatuie  de  pourvoir  d'une  manière  plus  permanente 
à  la  liste  civile,  j'avoue  que  je  ne  vois  pas  comment  une 
telle  mesure  pourrait  le  faire  disparaître,  parce  que, 
supposant  que  les  Canadas  fussent  unis  selon  l'échelle 
actuelle  de  représentation,  si  chaque  membre  du  Haut- 
Canada  consentait  à  une  disposition  permanente  en 
faveur  de  la  liste  civile,  elle  ne  serait  pas  encoie  adop- 
tée, et  sans  exprimer  aucune  opinion  sur  la  question 
telle  qu'elle  se  trouve  aujourd'hui  dans  le  Bas-Canada 
je  ne  crois  nullement  qu'on  ait  raison  de  prévoir  que 
les  membres  du  Haut  Canada  appuieraient  en  géné- 
ral cette  disposition  dans  les  termes  dans  lesquels  on 
exigerait  qu'elle  fût  faite."  Ces  derniers  mots  étaient 
extrêmement  significatifs,  sous  la  plume  du  procureur 
général  du  Haut-Canada.  Ils  indiquaient  que, 
d'après  lui,  les  députés  anglais  de  cette  province  ne 
seraient  guère  moins  jaloux  des  privilèges  de  la  chambre 
populaire  que  les  représentants  français  du  Bas-Canada. 
M.  Robinson  revenait  sur  cette  idée  à  la  fin  de  son 
mémoire.  Après  avoir  formulé  ses  objections,  du 
point  de  vue  haut-canadien,  après  avoir  rappelé  la 
difféience  de  population  qui  existait  entre  les  deux  pro- 
vinces, différence  qui,  dans  son  opinion,  assurerait 
longtemps  la  prépondérance  au  Bas-Canada,  après 
avoir  manifesté  sa  crainte  de  voir  le  sentiment  bas- 
canadien  prévaloir  forcément  quand  il  y  aurait  diver- 
gence entre  les  deux  sections  de  la  législature  unie,  il 
tenait  ce  franc,  loyal  et  généreux  langage:  "Les  habi- 
tants français  du  Bas-Canada,  j'en  suis  fermement  con- 
vaincu, sont  aussi  paisiblement  disposés,  aussi  enclins 
à  se  soumettre  à  l'autorité,  et  aussi  loj'alement  atta- 
chés au  gouvernement  britannique  qu'aucune  portion 
des  sujets  de  Sa  Majesté;  et  quelque  embarras  que 
puissent  causer  leurs  représentants  en  refusant  de  pour- 


COURS  d'histoire  du  canada  113 

voir  d'une  manière  permanente  à  la  liste  civile,  ou  sur 
des  questions  de  revenus  ou  autres,  quelles  qu'elles 
soient,  entre  eux  et  le  gouvernement  exécutif,  il  ne 
faut  pas  l'attribuer  à  la  prépondérance  de  l'influence 
française  sur  les  Anglais,  mais  au  désir  dont  font  preuve 
toutes  les  assemblées  populaires  d'affirmer  et  d'exer- 
cer le  plus  possible  la  part  de  pouvoir  qu'elles  croient 
leur  être  accordée  par  la  constitution,  et  même  de  l'éten- 
dre, disposition  dont  on  peut  attendre  d'autant  plus 
d'inconvénients  qu'un  tel  corps  sera  plus  démocrati- 
que. Et  je  crois  que  les  descendants  des  Anglais,  des 
Irlandais  et  des  Ecossais  seront  plus  portés  à  y  persé- 
vérer que  les  descendants  des  Français.  Si  donc  l'idée 
que  la  législature  unie  serait  plus  raisonnable  sous  ce 
rapport  que  la  présente  législature  du  Bas-Canada 
semblait  devoir  rendre  une  union  désirable,  je  ne  crois 
pas  que  l'événement  justifiât  l'attente."  (1) 

Ce  document  politique  faisait  honneur  à  son  au- 
teur par  sa  pondération,  sa  mesure,  sa  clarté,  son 
esprit  de  justice,  la  clairvoyance  et  la  rectitude  de  juge- 
ment qui  s'y  manifestaient  à  chaque  ligne.  La  lecture 
d'une  pièce  aussi  fortement  raisonnée  dut  faire  léflé- 
chir  les  ministres.  Au  commencement  de  juin  ils  pa- 
rurent peu  disposés  à  proposer  un  bill  d'Union.  Le  10 
de  ce  mois,  une  résolution  de  la  Chambre  des  com- 
munes chargea  lord  Londonderry  et  MM.  Wilmot  et 
Brogden  de  préparer  un  projet  de  loi  "pour  réglemen- 
ter le  commerce  des  provinces  du  Haut  et  du  Bas-Ca- 
nada et  pour  d'autres  objets."  Il  n'y  était  pas  ques- 
tion de  changement  dans  la  constitution.  Mais  les 
unionistes  et  leur  champion,  M.  Ellice,  redoublèrent 
à  ce  moment  d'efforts  et,  par  leurs  instances  réitérées, 
réussirent  à  faire  adopter  leurs  vues  par  le  gouverne- 
Ci) — Rapport  sur  les  archives  canadiennes,  1897,  p.  2. 


114  COURS  d'histoire  du   canada 

ment.  Le  20  juin  instruction  était  donnée  au  comité 
Brogdcn,  Wilmot  et  Londonderry  d'ajouter  au  bill 
qu'on  l'avait  chargé  de  préparer  des  dispositions  pour 
le  meilleur  gouvernement  des  deux  provinces.  Et  le 
même  jour  M.  Wilmot,  sous-secrétaire  d'Etat  pour  les 
colonies,  présentait  un  projet  de  loi  "to  make  more  ef- 
fectuai provision  for  the  government  of  the  provinces 
of  Lower  and  Upper  Canada,  to  regulate  the  trade 
thereof  and  for  other  purposes."  La  question  de  l'u- 
nion des  deux  Canadas  était  ofTiciellcment  posée  par 
le  gouvernement  dans  la  Chambre  des  Communes.  (1) 
Heureusement  qu'un  M.  Parker,  ancien  marchand 
enrichi  dans  le  commerce  canadien,  et  ennemi  d'ElIice, 
avait  eu  vent  de  ce  qui  se  passait.  Influencé  sans 
doute  par  son  antipathie  pour  le  gendre  de  lord  Grcy 
et  aussi  par  des  motifs  d'intérêt  public,  il  avait  fait  des 
démarches  auprès  des  ministres  pour  les  empêcher  de 
se  rendre  aux  vues  de  ce  remuant  personnage  (2). 
Voyant  qu'on  allait  passer  outre,  il  se  tourna  alors  vers 
quelques  membres  importants  de  l'opposition,  entre 
autres  sir  James  Mackintosh,  et  leur  dénonça  le  coup 
de  main  qui  se  préparait  pour  changer  la  constitution 
canadienne,  sans  que  les  deux  législatures  intéressées 
en  eussent  le  moindre  soupçon.  Sir  James  Mackintosh 
avait  une  grande  situation  parlementaire.  Il  jouis- 
sait d'une  réputation  méritée  comme  légiste,  comme 
penseur  et  comme  orateur.  Après  avoir  occupé  aux 
Indes  des  fonctions  importantes,  il  siégeait  depuis  1813 
dans  la  Chambre  des  communes.  Adversaire  modé- 
ré du  gouvernement,  par  son  caractère  et  son    talent 

{\)—Hansard's  Debates,  1822,  nouvelle  série,  t.  VII.  p.  1199. 

(2) — Rapport  du  comité  choisi  pour  s'enquérir  sur  le  gouver- 
nement civil  du  Canada,  1828,  p.  239. 


COURS  d'histoire  du  canada  115 

cet  homme  politique  exerçait  une  autorité  réelle  parmi 
ses  collègues  (1). 

Le  20  juin,  lorsque  M.  Wiimot  eut  présenté  son  pro- 
jet de  loi,  sir  James  Mackintosh  se  leva  aussitôt  pour 
déclarer  qu'il  verrait  avec  alarme,  à  une  période  aussi 
avancée  de  la  session,  l'adoption  d'un  bill  affectant  les 
droits  les  plus  sacrés  du  peuple  des  provinces  cana- 
diennes, et  il  ajouta  qu'il  ferait  son  possible  pour  em- 
pêcher cette  mesure  de  passer  durant  la  présente  ses- 
sion (2). 

Dès  ce  moment  la  Chambre  des  communes  était 
mise  sur  ses  gardes,  et  messieurs  les  unionistes  ne  pou- 
vaient plus  espérer  escamoter  l'adoption  du  projet 
qui  leur  tenait  tant  au  cœur. 

Le  22  juin  le  bill  présenté  par  M.  Wiimot  fut 
adopte  en  deuxième  lecture  et  soumis  au  comité.  Le 
rapport  du  comité,  présenté  quelques  jours  après,  fut 
ajourné  pour  considération  ultérieure  le  6  juillet,  et  le 
18  juillet  cette  importante  mesure  revint  devant  la 
Chambre.  M.  Wiimot  déclara  que  l'un  des  objets  du 
bill  était  de  remédier  aux  griefs  du  Haut-Canada. 
"Nous  proposons,  dit-il,  d'établir  une  union  plus  inti- 
me entre  les  deux  colonies  en  incorporant  en  une  seule 
leurs  deux  législatures,  afm  que  la  langue  anglaise 
et  l'esprit  de  la  constitution  anglaise  puissent  être 
plus  puissamment  répandus  parmi  toutes  les  classes 
de  leur  population.  Nul  droit  ou  privilège  dont  jouit 
un  citoyen  dans  l'une  ou  l'autre  province  n'est  affecté 
en  aucune  façon  par  la  présente  mesure."  (3) 

(1) — Encyclopaedia  Britannica,  t.  XVII,  p.  359. 
i2)—Hansarc['s  Debates,  1822,  p.  1199. 
(3)— Hansards'  debates,,  1822,  p.  1699. 


116  COURS  d'histoire  du  canada 

Ce  fut  Sir  James  Mackintosli  qui  repondit  au  mi- 
nistre. Il  fit  observer  à  la  Clianil^rc  que  ce  qu'il  de- 
mandait au  gouvernement  c'était  six  mois  de  délai 
quant  à  cette  partie  du  bill  relatif  à  l'union  des  deux 
législatures.  Il  ne  s'opposait  nullement  au  reste  du 
projet  de  loi.  "La  Chambre,  dit-il,  doit  consulter  les 
sentiments  du  peuple  du  Canada.  Est-il  convenable 
qu'une  mesure  affectant  si  profondément  les  libertés  et 
les  intérêts  pécuniaires  de  la  colonie  soit  adoptée  à  la 
hâte  durant  cette  fin  de  session  ?  Est-il  tolérable  qu'on 
le  lasse  sans  consulter  la  législature  du  Canada."  (1) 

A  ce  moment  l'u»  des  principaux  instigateurs  de  la 
mesure,  M.  Ellicc,  entra  en  scène.  Il  proclama  avec 
ostentation  sa  responsabilité  relativement  au  projet 
et  il  s'efforça  d'en  démontrer  l'urgence.  "J'ai  dès  l'ori- 
gine, décJara-t-il,  suggéré  cette  mesure  et  insisté  pour 
son  adoption  auprès  des  ministres  de  Sa  Majesté. 
Elle  est  la  seule  qui  puisse  promouvoir  les  intérêts  per- 
manents des  colonies  et  de  la  mère-patrie,  et  elle  est 
infiniment  préférable  aux  autres  expédients  que  l'on 
a  conseillés  pour  surmonter  les  difficultés  existantes 
qui  ont  rendu  indispensable  un  rccouis  au  Parlement 
durant  la  présente  session.  Voilà  pourquoi  je  sens 
qu'il  m'incombe  non  seulement  d'énoncer  les  raisons 
qui  ont  déterminé  mon  opinion  et  ma  conduite  en  cette 
affaire,  mais  aussi  d'expliquer  à  la  Chambre  quelques- 
unes  des  circonstances  qui  ont  malheureusement  re- 
tardé l'introduction  du  bill."  Dans  la  suite  de  son 
discours,  M.  Ellice  admit  hauiiment  que  les  habitants 
français  du  Canada  s'opposeraient  à  la  mesure.  La 
Chambre  devait  tenir  pour  acquise  l'impopularité  du 
projet  auprès  d'eux.  Mais  l'union  serait  saluée  avec 
gratitude  par  tous  les  habitants  de  langue  anglaise  des 

(1)—Ibic[.  p.  1702. 


COURS  d'histoire  du  canada  117 

deux  provinces.  "Même  si  nous  n'intervenions  pas, 
ajouta-t-il,  il  n'est  pas  probable  que  la  population  an- 
glaise et  américaine  habitant  les  immenses  régions  ar- 
rosées par  le  St-Laurent  se  soumette  longtemps  aux 
lois  et  au  gouvernement  de  l'oligarchie  française  qui 
dirige  l'assemblée  de  Québec.  Si  le  bill  n'enlève  au- 
cun droit  à  la  population  française,  de  quelle  injustice 
pourrait-elle  se  plaindre  ?" 

M.  Ellice  avait  fait  entendre  la  vraie  pensée  du 
clan  unioniste.  Un  autre  champion  se  leva  alors  pour 
défendre  la  cause  du  Bas-Canada.  M.  Henry  Bright, 
député  de  Bristol,  protesta  ccntie  l'injustice  dont  on 
nous  menaçait.  II  alla  droit  au  fond  du  débat  et  dé- 
clara sans  ambages  que  "ce  bill  était  purement  un  bill 
haut-canadien,  ayant  pour  objet  de  détruire  l'influence 
du  Bas-Canada  et  de  donner  une  supériorité  certaine 
h  la  population  piotestante  sur  la  population  catholi- 
que. Si  l'on  enlève  au  Canada  sa  législature  quelle  sé- 
curité auront  les  autres  colonies  anglaises?"  (l) 

L'énergique  lésistance  provoquée  par  la  mesure 
dans  la  Chambr/  des  communcb  fit  reculer  le  gouver- 
nement. Le  23  juillet,  lord  Londonderry  annonça  que, 
vu  l'opposition  faite  au  bill,  à  cette  période  de  la  ses- 
sion, le  ministère  comprenait  l'impossibilité  de  le  faire 
adopter  cette  année.  La  partie  du  projet  de  loi  con- 
cernant l'union  fut  donc  retranchée  er  comité.  Le 
bill  devenu  simplement  The  Canada  Trade  Act  (2)  fut 
adopté  le  2G  juillet.  (3)  Mais  un  autre  bill  concernant 

(1) — Hansard's  Debates,  seconde  série,  t.  VII,  p.  1708. 
(2) — Hansard's  Debates,  deuxième  série,  t.  VII,  p.  1713. 

(3) — On  trouve  cette  loi  dans  les  statuts  britanniques  de  1822; 
c'est  l'acte  3  George  IV,  chapitre  119. — Les  articles  un  à  dix- 
sept  concernaient  les  droits  d'importation  à  payer  sur  les  mar- 
chandises importées  des   Etats-Unis  dans   le  Haut  et  le   Bas- 


lis  COURS  d'histoire  du  canada 

l'union  seule  fut  présenté  le  30  juillet.  Il  contenait 
le';  articles  du  bill  originaire  relatifs  à  l'union,  tels 
qi  'amendés  par  le  comité  de  la  Chambre.  L'impres- 
sion du  nouveau  projet  fut  ordonnée  et  S"  prise  en 
considération  ajournée  à  trois  mois.  la  prorogation 
eut  lieu  le  5  août  1822.  Le  coup  des  unionistes  était 
manqué  pour  cette  année.  Mais  le  projet  ajourné 
restait  comme  une  menace.  C'est  ici  le  moment  d'en 
examiner  les  principaux  articles  et  la  portée  générale. 

Le  préambule  déclarait  qu'une  législature  unie 
pour  les  deux  provinces  devant  promouvoir  leur  sécu- 
rité  et   leur   prospérité   mieux   qu'une   législature   sé- 

Canada,  les  droits  sur  le  rhum  importé  des  Indes  Occidentales 
dans  le  Bas-Canada,  la  liberté  d'exporter  du  Canada  aux  Etats- 
Unis  les  produits  canadiens,  et  les  remises  de  droits  à  payer 
sur  les  rhums  et  les  spiritueux  des  îles  importés  de  Terreneuve, 
de  la  Nouvelle-Ecosse  et  de  l'île  du  Prince-Edouard  dans  le 
Canada. 

L'article  dix-sept  avait  pour  objet  d'instituer  un  mode 
de  procéder  au  partage  des  droits  de  douane  entre  le  Haut  et  le 
Bas-Canada.  Il  pourvoyait  à  la  nomination  d'arbitres,  un 
par  le  Haut-Canada,  un  par  le  Bas-Canada,  un  troisième  par 
les  deux  premiers  ou,  à  leur  défaut,  par  Sa  Majesté.  Ces  arbitres 
examineraient  les  livres,  les  pièces  et  les  documents,  entendraient 
les  témoins,  et  feraient  un  rapport  basé  sur  leurs  constatations. 
Là-dessus  les  commissaires  du  trésor  britannique  décideraient, 
détermineraient  les  parts  respectives  et  donneraient  l'ordre  de 
paiement.     Ceci  réglerait  les  difficultés  pendantes  jusqu'à  1819. 

De  1819  à  1824,  par  l'article  vingt-quatre,  le  Haut-Canada 
devrait  recevoir  un  cinquième  des  droits  perçus  et  à  percevoir. 
Après  1824,  de  quatre  ans  en  quatre  ans,  la  proportion  devrait 
être  déterminée  par  voie  d'arbitrage  comme  ci-dessus. 

L'article  vingt-huit  maintenait  en  vigueur,  nonobstant  la 
volonté  de  la  législature  bas-canadienne,  les  droits  existant 
actuellement  en  vertu  des  lois  provinciales. 

L'article  trente  et  un  rendait  possible  la  commutation  de 
la  tenure  seigneuriale  en  franc  et  commun  soccage. 


COURS  d'histoire  du  canada  119 

parée  pour  chacune  d'entre  ellec,  les  dispositions  de 
l'Acte  de  1791  qui  créaient  deux  législatures  étaient 
abrogées. 

L'article  deuxième  décrétait  qu'il  y  aurait  pour  les 
deux  provinces  unies  un  Conseil  législatif  et  une  As- 
semblée législative,  qui  seraient  appelés  "le  Conseil 
législatif  et  l'Assemblée  des  Canadas". 

Par  les  articles  troisième,  quatrième  et  cinquième, 
le  Conseil  législatif  devait  se  composer  des  mem- 
bres actuels  des  Conseils  législatifs  du  Haut  et  du  Bas- 
Canada.  Le  chef  de  l'exécutif  était  investi  du  pou- 
voir de  nommei  les  conseillers  à  l'avenir,  ainsi  que 
l'orateur  du  Conseil.  Les  articles  sixième,  septième, 
huitième  et  neuvième  avaient  trait  à  l'Assemblée  lé- 
gislative. Les  membre?  des  assemblées  actuelles  dans 
les  deux  provinces  devaient  former  de  plein  droit  la 
nouvelle  assemblée  conjointe,  qui  resterait  en  fonc- 
tions jusqu'au  1er  juillet  1825,  à  moins  de  dissolution 
antérieuie.  Les  comtés  existants  et  leurs  divisions 
restaient  les  mêmes.  Mais  l'acte  adopté  par  la  Légis- 
lature du  Haut-Canada  en  1820,  pour  porter  de  25  à 
40  le  chiffre  de  ses  représentants,  était  confirmé,  et  le 
gouverneur  du  Bas -Canada  recevait  le  pouvoir  d'éri- 
ger, par  proclamation,  de  nouveaux  comtés  dans  les 
townships  de  l'Est.  La  représentation  du  Bas-Cana- 
da en  ce  moment  était  de  cinquante.  Un  proviso  di- 
sait que  dans  aucune  des  deux  provinces  elle  ne  pour- 
rait dépasser  soixante.  Aucun  bill  pour  changer  le 
nombre  des  représentants  dans  l'une  ou  l'autre  pro- 
vince ne  pourrait  être  adopté  à  moins  qu'il  ne  fût  ap- 
puyé par  le  vote  des  deux  tiers  des  membres  présents 
de  l'Assemblée  et  du  Conseil. 

Les  articles  dixième,  onzième  et  douzième  concer- 
naient les  élections,  la  nomination  et  les  fonctions  des 


120  COURS  d'histoire  du  canada 

ofTicicrs-rapportcurs,  ia  convocation  des  chambres, 
l'émission  des  ^rits  pour  l'élection  des  députés,  etc. 
L'article  treizième  fixait  à  une  valeur  de  500  louis 
sterling  la  qualification  foncière  des  députés  et  la 
formule  du  serment  à  prêter  relativement  à  cette  qua- 
lification. L'article  quatorzième  pourvoyait  à  la 
pénalité  qui  serait  encourue  peur  un  faux  serment 
prêté  à  ce  sujet.  L'article  quinzième  était  relatif 
aux  élections  contestées.  L'article  seizième  déclarait 
que  deux  membres  du  Conseil  exécutif  de  chaque  pro- 
vince auraient  le  pouvoir  de  siéger  dans  la  Chambre, 
de  prendre  part  aux  débats,  et  de  jouir  de  tous  les 
privilèges,  droits  et  immunités  des  membres  réguliers, 
excepté  le  droit  de  voter.  Les  articles  dix-septième, 
dix-huitième,  dix-neuvième,  vingtième,  vingt  et  unième, 
avaient  trait  à  la  première  convocation  de  la  nouvelle 
législature  unie  et  aux  convocations  subséquentes, 
au  terme  de  chaque  législature,  qui  était  fixé  à  cinq 
ans,  à  la  décision  de  toutes  les  questions  par  la  majo- 
rité des  membres  présents  et  au  vote  prépondérant 
de  l'orateur,  au  serment  des  conseillers  et  députés, 
et  à  la  sanction  royale  pour  les  bills. 

Les  articles  vingt-deuxième  et  vingt-troisième 
maintenaient  toutes  les  lois  et  ordonnances  actuelle- 
ment en  vigueur  dans  les  deux  provinces,  ainsi  que  les 
droits,  privilèges,  immunités  et  avantages  des  membres 
des  conseils  et  des  assemblées  du  Haut  et  du  Bas- 
Canada. 

L'article  vingt-quatrième  était  un  des  plus  odieux. 
II  proscrivait  la  langue  française.     En  voici  le  texte: 

"A  compter  de  l'adoption  de  cet  Acte,  toutes 
les  procédures  écrites,  de  quelque  natuie  qu'elles  soient, 
des  dits  Conseil  législatif  et  Assemblée,  ou  de  chacun 
de  ces  corps,  seront  rédigés  en  langue  anglaise  et  en 


COURS  d'histoire  du  canada  121 

aucune  autre;  à  l'expiration  de  quinze  ans  après  l'adop- 
tion de  cet  Acte  tous  les  débats  dans  les  dits  Conseil 
et  Assemblée  se  feront  dans  la  langue  anglaise  et  dans 
aucune  autre." 

Telle  était  la  libéralité  du  ministère  britannique 
à  ce  moment! 

L'article  vingt -cinquième  ne  prêtait  pas  moins 
à  objection.  II  commençait  par  dire  que  les  catho- 
liques auraient  le  libre  exercice  de  leur  religion  et  que 
leur  clergé  jouirait  de  tous  les  droits  garantis  par  l'Acte 
de  Québec.  Mais  on  y  avait  glissé  des  mots  qui  sou- 
mettaient sournoisement  la  nomination  des  curés  à 
la  discrétion  du  gouverneur  anglais  et  protestant.  II 
y  était  dit  que  "les  curés  des  différentes  paroisses  du 
Bas-Canada,  y  accomplissant  actuellement  les  devoirs 
de  leur  ministère,  ou  ceux  "qui  seront  ci-après  nommés 
"  ou  intronisés,  avec  l'approbation  et  le  consentement 
"  de  Sa  Majesté  exprimé  par  écrit  par  le  gouverneur 
"  ou  le  lieutenant-gouverneur,"  continueraient  à  jouir 
de  leurs  droits",  etc.  Cela  revenait  à  conféier  à  un 
pouvoir  protestant  la  collation  des  offices  du  ministère 
catholique. 

Les  articles  vingt-sixième,  vingt-septième  et  vingt- 
huitième  concernaient  certaines  restrictions  édictées 
par  l'Acte  impérial  de  1791,  les  comptes,  rapports  et 
documents  qui  devaient  être  soumis  à  la  législature, 
et  les  salaires  des  officiers  des  deux  chambres. 

Voilà  quel  était  dans  ses  grandes  lignes  ce  premier 
bill  d'Union,  présenté  au  parlement  d'Angleterre  dans 
l'été  de  1822  (1). 

(1) — Bill  {as  amended  by  tbe  Committee)  for  uniting  tbe  Légis- 
latures oj  Lower  and  Upper  Canada  ;  printed  by  order  of  the 
House  of  Gommons,  31st  July,  1822. — Québec,  reprinted  at  the 
new  printing  oflBce,  1822. 


122  COURS  d'histoire  du  canada 

La  nouvelle  de  la  tentative  faite  par  les  unionistes 
au  parlement  anglais  parvint  au  Canada  dans  le  mois 
de  septembre  1822.  Elle  y  produisit,  comme  il  fal- 
lait s'y  attendre,  une  grande  excitation.  Les  jour- 
naux anglais  et  partisans  aveugles  de  l'executif  applau- 
dirent au  projet  qui  avait  été  soumis  à  la  Chambre 
des  communes,  et  exprimèrent  l'espoir  de  le  voir 
adopter  à  la  prochaine  session.  Les  journaux  qui 
représentaient  l'opinion  de  la  majorité  bas-canadienne, 
comme  le  Spectateur  Canadien,  la  Gazette  Cana- 
dienne, la  Gazette  de  Québec,  poussèrent  un  cri  d'a- 
larme et  "donnèrent  l'éveil  à  la  population  dont  les  ins- 
titutions, les  lois  et  la  langue  même  étaient  menacées 
d'extinction  par  le  projet  des  ministres  britanni- 
ques." 

Lorsqu'il  fut  connu  que  ce  bill  inique  avait  été 
ajourné  et  qu'il  était  encore  temps  de  faire  parvenir 
au  palais  de  Westminster  la  voix  du  peuple  canadien, 
on  organisa  un  vaste  mouvement  de  protestation. 
C'est  à  Montréal  qu'eut  lieu  la  première  assemblée  pu- 
blique contre  l'union.  Elle  se  tint  le  7  octobre  et  fut 
présidée  par  M.  Louis  Guy,  Monsieur  Denis-Benjamin 
Viger,  député,  y  prononça  le  principal  discours.  Il  dé- 
nonça la  mesure  qui  menaçait  notre  province  et  signala 
avec  beaucoup  de  force  les  injustices  qu'elle  renfer- 
mait. L'assemblée  nomma  un  comité  de  dix-huit  des 
plus  importants  citoyens  de  la  ville  et  du  district  de 
Montréal,  seigneurs,  conseillers  législatifs,  députés, 
avocats,  médecins,  négociants,  etc.  Voici  leurs  noms: 
MM  Louis  Guy,  Charles  de  Saint-Ours,  P.-D.  De- 
bartzeh,  L. -R.-C.  Chaussegros  de  Léry,  C.-M.  de  Sala- 
berry,  L.-J.Papineau,  D.-B.  Viger,  François  Desrivières, 
Jean   Bouthillier,   Joseph    Bédard,  J.-R.   Rolland,  A. 


COURS  d'histoire  du  canada  123 

Cuvillier,  H.  Heney,  F.-A.  Quesnd,  Louis  Bourdagcs, 
F. -A.  Laroque,  Jules  Quesnel,  R.-J.  Kimber  (1). 

Une  assemblée  du  mcme  génie  fut  tenue  à  Québec 
le  14  octobre,  et  le  comité  suivant  y  fut  nommé:  MM. 
Louis  de  Salaberry,  J.-F.  Perrault,  J.-W.  Woolsey,  A.- 
L.-J.  Duchesnay,  L-A.  de  Gaspé,  F.-P.-J.  Taschereau, 
Louis  Turgeon,  Bowen,  J.  Plante,  A.  Stuart,  J.-A. 
Vallières,  Jucheieau-Duchesnay,  W.  Lindsay,  Charles 
de  Lér\%  P.  Burnet,  Jean  Bélanger,  F.  Blanchet,  John 
Neilson,  Philippe  Panet,  F.  Quirouet,  John  Gcudie, 
J.-E.  Taschereau,  E.-C.  Lagutux,  Thomas  Lee,  John 
Davidson,  P.- E,  Desbarats,  T.  Wilson,  W.  Hendeison, 
Louis  Moquin,  F.  Têtu  (2).  Le  même  jour  les  appro- 
bateurs de  l'Union  tinrent  de  leur  côté  une  assemblée 
à  Montréal.  L'honorable  John  Richardson,  conseiller 
législatif,  francophobe  enragé,  la  présida.  Monsieur 
James  Stuart,  passé  des  rangs  du  parti  populaire,  dont 
il  avait  été  l'un  des  chefs,  dans  ceux  du  parti  bureau- 
crate, prononça  un  discours  violent.  Suivant  lui,  "les 
raisons  qu'avaient  les  Canadiens  de  s'opposer  à  la 
réunion  des  deux  provinces  ne  pouvaient  être  fondées 
que  sur  des  préjugés  qu'il  fallait  extirper,  ou  sur  des 
intérêts  locaux  qui  ne  devaient  pas  entrer  dans  la  con- 
sidération de  la  question".  A  quoi  le  Spectateur  Cana- 
dien répondit:  "Comme  si  la  langue,  les  lois,  les  insti- 
tutions d'un  peuple  pouvaient  être  mis  au  rang  des 
préjugés;  comme  si  les  intéiêts  particuliers  à  un  pays 
devaient  être  comptés  pour  rien  dans  ce  pays  même!"  (3) 

(1) — Bibaud,  Histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise 
p.  235. 

(2)—Ibid,  p.  236. 

(3)—Ibid. 


124  COURS  d'histoire  du  canada 

De  part  et  d'autre  on  se  mit  à  l'œuvre  pour  orga- 
niser le  pctitionncment  pour  et  contre  l'Union.  Mais, 
craignant  que  les  pétitions  n'arrivassent  trop  tard, 
les  comités  constitutionnels  antiunionistes  de  Québec 
et  de  Montréal  adoptèrent  des  résolutions  de  protes- 
tation qu'ils  transmirent  immédiatement  au  ministère 
biitannique.  Ces  résolutions  étaient  identiques.  On 
y  prévenait  les  autorités  anglaises  que  c'était  l'intention 
d'une  grande  majorité  des  habitants  de  la  piovince  de 
préparer  et  de  faire  présenter  aussitôt  que  porsible  à  Sa 
Majesté  et  aux  deux  chambres  du  Parlement,  des  péti- 
tions contre  "les  changements  dans  la  constitution  et 
la  foi  me  du  gouvernement  de  cette  province  heureu- 
sement établies."  (1) 

D'un  bout  à  l'autre  du  Bas-Canada  la  pétition 
de  protestation  fut  signée  avec  empressement.  Elle 
était  énergique  quant  au  fond,  modérée  quant  à  la 
forme  et  fortement  raisonnée.  Voici  quel  en  était 
l'en-tête:  "A  la  très  excellente  Majesté  du  roi:  la  péti- 
tion des  sou?signés,  seigneurs,  magistrats,  membres 
du  clergé,  ofTiciers  de  milice,  marchands,  tenanciers, 
et  autres  habitants  de  la  piovince  du  Bas-Canada, 
expose  humblement"....  La  pétition  exprimait  ensuite 
la  douleur  et  l'alarme  avec  lesquelles  les  signataires 
avaient  appris  l'introduction  d'un  bill  dont  l'objet  était 
de  changer  la  constitution  de  1791.  Elle  affirmait 
qu'aucune  des  autorités  constituées  en  vertu  de  ce 
statut  ni  aucun  des  sujets  de  Sa  Majesté  dans  la  pro- 
vince n'avaient  jamais  sollicité  publiquement  qu'il  y 
fût  fait  quelque  changement,  mais  au  contraire  que 
toutes  les  classes  du  peuple  avaient  constamment 
manifesté  un  attachement  inviolable  à  cette  constitu- 

(1) — Rapport  sur  les  archives  canadiennes,  1897,  p.  19. 


COURS  d'histoire  du  canada  125 

tion,  et  avaient  tout  récemment  encore  exposé  avec 
ardeur  leurs  vies  et  leurs  fortunes  pour  sa  défense  et 
celle  du  gouvernement.  Il  y  était  dit  de  plus  que 
l'acte  de  1791,  modelé  sur  la  constitution  de  la  mère- 
patrie  par  quelques-uns  des  plus  grands  et  des  plus 
sages  de  ses  hommes  d'Etat,  établissait  des  pouvoirs 
suffisants  pour  léiormer  les  abus,  réparer  les  toits, 
apaiser  les  mécontentements  et  promouvoir  le  bien 
généial  de  la  province,  sans  exiger  l'intervention  de 
la  législature  suprême,  intervention  qui,  lorsqu'elle 
avait  été  exercée,  s'était  trouvée  si  pernicieuse  en 
changeant  des  mécontentements  purement  locaux  et 
temporaires  en  mésintelligence  dar^gereusf  entre  les 
colonies  et  la  métropole. 

Quant  aux  différends  entre  le  Haut  et  le  Bas- 
Canada  relativement  à  leur  revenu,  différends  qui 
avaient  été  publiquement  allégués  comme  le  principal 
motif  de  l'introduction  du  bill,  la  pétition  déclarait 
qu'ils  n'étaient  pas  une  suite  de  la  division  des  deux 
provinces,  mais  qu'ils  provenaient  uniquement  de  causes 
temporaires,  toujours  faciles  à  faire  cesser,  soit  par 
des  actes  des  législatures  respectives,  suivant  lesquels 
chaque  province  se  bornerait  à  percevoir  son  propre 
revenu,  chacune  d'elle  donnant  libre  passage  et  toutes 
facilités  au  commerce  de  l'autre,  soit  par  des  règle- 
ments faits  dans  le  parlement  du  Royaume-Uni,  après 
avoir  entendu  les  deux  parties.  Ce  remarquable  docu- 
ment politique  signalait  particulièrement  les  disposi- 
tions inacceptables  de  la  mesure  projetée.  "C'est  avec 
la  douleur  la  plus  réelle,  y  lisait-on,  que  vos  pétition- 
naires voient  qu'il  y  a  été  introduit  à  l'égard  de  la 
langue  et  des  établissements  religieux  d'Un  si  grand 
nombre  des  sujets  de  Votre  Majesté  des  clauses  qui 
doivent  faire  naître  parmi  les  habitants  de  cette  partie 


126  COURS  d'histoire  du   canada 

de  vos  domaines  des  jalousies  et  des  picjugcs  funestes 
à  leur  repoi  et  à  leur  bonheur,  et  qui  paraissent  in- 
compatibles avec  la  dignité,  la  sagesse  et  la  justice  du 
gouvernement  de  Votre  Majesté. 

"La  clause  de  ce  bill  qui  interdit  dans  l'Assemblée 
projetée  l'usage  de  la  langue  française,  la  seule  que 
parle  et  entende  une  si  grande  majorité  des  habitants 
de  cette  province,  leur  feiait  perdre  indirectement  le 
droit  d'être  élus  à  cette  Assemblée,  équivaudrait  pour 
eux  à  une  privation  absolue  d'un  des  plus  grands  avan- 
tages qu'aient  les  sujets  de  Votre  Majesté,  gênerait  et 
restreindrait  leurs  franchises  et  libertés, en  diminuant  le 
nombre  des  personnes  propres  à  les  représenter  efficace- 
ment, et  ferait  des  personnes  qualifiées  une  classe  pri- 
vilégiée au  sein  d'une  colonie  britannique. 

"Ce  bill,  en  accordant  au  Haut-Canada,  dont  la 
population  n'est  au  plus  qu'un  cinquième  de  celle  du 
Bas,  autant  de  membres  qu'à  cette  dernière  pour  la 
représenter  dans  l'Assemblée  réunie,  établirait  en  faveur 
de  la  minorité  une  préférence  humiliante  aux  habitants 
de  cette  province,  contraire  à  leurs  droits  comme  sujets 
britanniques  et  dangereux  pour  leurs  intérêts." 

La  pétition  se  terminait  comme  suit  :  "Qu'il  plaise 
donc  à  Votre  Majesté  que  le  dit  bill  ne  passe  pas  en 
loi  et  que  l'heureuse  constitution  et  la  forme  de  gou- 
vernement de  cette  province,  établies  par  le  dit  statut, 
soient  conservées  intactes  à  vos  pétitionnaires  et  à  leur 
postérité."  (1) 

La  pétition  des  unionistes  de  Montréal  était  bien 
loin  de  la  pondération  et  de  la  dignité  qu'on  remarquait 
dans  celle  que  nous  venons  de  citer.  Ces  "fidèles  et 
loyaux  sujets,  de  naissance  ou  descendance  britanni- 

(1) — Rapport  sur  les  archives  canadiennes,  1897,  p.  25. 


COURS  d'histoire  du  canada  127 

que,"  rappelaient  l'époque  de  la  conquête  du  pays  par 
les  armes  de  Sa  Majesté  et  déclaraient  que  "nonobs- 
tant la  générosité  sans  bornes  dont  on  avait  fait  preuve 
à  l'égard  des  vaincus,  en  leur  reconnaissant  leurs  lois  et 
leur  religion,  en  les  admettant  à  la  participation  au 
gouvernement  et  à  tous  les  droits  des  sujets  britanni- 
ques, et  par  de  continuelles  démonstrations  de  bonté 
à  leur  égard,  nul  progrès  n'avait  été  fait  vers  aucun 
changement  dans  les  principes,  dans  la  langue,  les 
coutumes  et  les  manières  qui  les  caractérisent  comme 
"un  peuple  étranger."  Etrangers  !  dans  le  pays  dé- 
couvert, évangélisé,  fertilisé  par  leurs  aïeux,  les  Cana- 
diens-Français !  Toute  la  pétition  des  unionistes 
montréalais  était  dans  cette  note:  l'Union  était  néces- 
saire pour  nous  anacher  notre  nationalité. 

C'était  sans  doute  cette  pièce  que  visait  M.  Papi- 
neau  dans  la  lettre  qu'il  écrivait  à  M.  Wilmot,  au  nom 
du  comité  constitutionnel  de  Montréal,  le  16  décem- 
bre 1822.  "Le  comité,  disait-il,  ne  considère  pas  com- 
me nécessaire  d'entrer  dans  le  détail  des  faits  qui  ca- 
ractérisaient suffisamment  les  motifs  des  amis  du  pro- 
jet de  loi,  mais  désire  seulement  dissiper  les  odieuses 
calomnies  contre  la  grosse  masse  de  la  population  de 
cette  provmce,  contenues  dans  plusieurs  écrits  desti- 
nés à  être  lus  en  Angleterre.  On  affirme  que  l'oppo- 
sition que  manifeste  dans  cette  province  la  population 
ainsi  stigmatisée  n'est  l'effet  que  de  préjugés;  on  parle 
de  son  attachement  supposé  à  la  France  et  aux  prin- 
cipes français;  on  nous  appelle  étrangers.  Etrangers  dans 
notre  pays  natal  ! — Le  bill  en  question,  disent  les  amis 
de  l'Union,  est  de  nature  à  angliciser  le  pays,  qui  finira 
par  être  peuplé  par  une  race  britannique."  (1) 

(1) — Rapport  sur  les  archives  canadiennes,  1897,  p.  27. 

9 


128  COURS   d'histoire   du   canada 

La  pétition  du  Bas-Canada  contre  l'Union  fut 
couverte  de  60,000  signatures.  Des  pétitions  favora- 
bles à  l'Union  furent  envoyées  de  Montréal,  de  Québec, 
des  Trois-Rivières,  de  William-Henry  et  des  Cantons 
de  l'Est,  mais  elles  n'émanaient  que  d'une  infime  mi- 
norité. Dans  le  Haut-Canada  les  sentiments  étaient 
très  partagés,  mais  la  majorité  semblait  plutôt  dé- 
favorable au  projet. 

Au  mois  de  décembre  1822,  les  comités  antiunio- 
nistes de  Québec  et  de  Montréal  chargèrent  MM. 
John  Neilson  et  Louis- Joseph  Papineau  d'aller  à  Lon- 
dres présenter  les  pétitions  au  gouvernement  de  Sa 
Majesté  et  aux  deux  chambres  du  Parlement. 

Ces  deux  délégués  partirent  pour  Londres  au  com- 
mencement de  l'année  1823.  Le  6  janvier  M.  Papi- 
neau écrivait  au  secrétaire  du  gouverneur  une  lettre 
dans  laquelle  il  déclarait  qu'il  ne  pourrait  être  à  son 
poste  comme  orateur  de  l'Assemblée,  lors  de  la  réu- 
nion des  chambres,  et  que  son  absence  durerait  toute 
la  session.  Celle-ci  commença  le  11  janvier.  M. 
Vallières  de  Saint-Réal  fut  élu  orateur  pour  remplacer 
M.  Papineau.  Dans  le  discours  du  trône  lord  Dal- 
housie  annonça  officiellement  aux  chambres  que  le 
gouvernement  impérial,  après  avoir  proposé  certains 
changements  clans  la  constitution  du  Canada,  afin 
d'unir  en  une  seule  les  deux  législatures  du  LIaut  et 
du  Bas-Canada,  avait  ensuite  ajourné  à  la  prochaine 
session  cette  mesure  pour  donner  au  peuple  de  ces  pro- 
vinces l'occasion  de  faire  connaitre  ses  sentiments  à  ce 
sujet.  La  Chambre  ne  fut  pas  lente  à  délibérer  sur  la 
question  de  l'Union.  Et  elle  adopta  une  adresse  dans 
laquelle  elle  représentait  combien  peu  judicieuse  serait 
l'adoption  d'un  projet  en  vertu  duquel  deux  provinces 
ayant  des  lois,  des  institutions  civiles  et  religieuses  et 


COURS  d'histoire   du   canada  129 

des  usages  essentiellement  différents,  seraient  soumises 
à   une  seule   législature  dont  les  décisions  mettraient 
alternativement  en  danger  les  lois  et  les  institutions  de 
chacune  d'elles.     Cette  union  ferait  naître  des  appré- 
hensions bien  fondées  quant  à  la  stabilité  de  ces  lois 
et  de  ces  institutions,  une  fatale  incertitude  sur  l'ave- 
nir du  Canada,  un  affaiblissement  de  l'énergie  et  de  la 
confiance  du  peuple  et  des  liens  qui  l'attachaient  si  for- 
tement à  la  mère-patrie.  L'adresse  se  terminait  par 
une  prière  instante  à  Sa  Majesté  et  à  son  gouverne- 
ment de  renoncer  à  une  mesure  qui  avait  causé  ici 
tant  d'alarmes  et  qui  paraissait  contraire  à  la  fois  aux 
intérêts  du  gouvernement  impérial  et  du  peuple  de  ce 
pays.  M.  Ogden,  député  des  Trois-Rivières,  se  fit  le 
champion    de   l'Union    dans    l'Assemblée.     Il    soutint 
audacieusement  la  thèse  de  l'unification,  de  la  fusion 
des  races,  de  l'anglicisation  des  Canadiens.    "Ceux-ci, 
s'écria- t-il,  ne  peuvent  avoir  aucun  sentiment  hostile 
contre  des  sujets  d'un  même  souverain,  par  conséquent 
aucune  répugnance  à  adopter  la  langue,  les  habitudes 
et  le  caractère  de  cette  grande  famille,  et  à  former  dans 
l'intérêt  commun  une  seule  province  des  deux.  .      Il 
faut  détruire  les  préjugés  mal  fondés  pour  assurer  la 
bonne  harmonie.     Il  n'est  pas  nécessaire  d'expliquer 
ce  qui  a  causé  l'alarme  produite  par  la  mesure  soumise 
à  la  Chambre  des  communes;  elle  est  connue  du  gou- 
vernement.    C'est  la  jalousie,  c'est  le  manque  de  con- 
fiance dans  l'honneur  et  la  droiture,  qu'on  entretient 
malheureusement  avec  trop  de  succès  parmi  les  hom- 
mes ignorants  et  inconsidérés;  et  il  est    quelquefois  du 
devoir  des  législateurs  de  chercher  le  bonheur  du  peu- 
ple même  malgré  lui."     En  dépit  des  efforts  de  M. 
Ogden,  l'adresse  hostile  à  l'Union  fut  votée  dans  la 
Chambre  par  31  voix  contre  3.     Le  Conseil  législatif 


130  couKS  d'histoike  du   canada 

vota,  lui  aussi,  une  adresse  ayant  la  même  portée.  II 
y  était  dit  que  l'Union  serait  accompagnée  de  maux 
inévitables,  produirait  des  craintes  et  des  appréhen- 
sions causées  par  la  discussion  et  les  conflits  relatifs  à 
la  diversité  des  réglementations  municipales,  du  lan- 
gage, des  lois,  de  la  religion,  des  institutions  et  des  in- 
térêts locaux,  qui  étaient  actuellement  établis  dans  les 
deux  Canadas  par  des  lois  provinciales,  et  que  chacun 
d'eux  considérait  nécessaires  à  son  bonheur.  Cette 
adresse  fut  votée  au  Conseil  par  une  majorité  de  qua- 
tre voix  (1).  Les  honorables  MM.  John  Richardson, 
C.-W.  Grant,  James  Irvine,  Rod.  Mackenzie  et  W.  B. 
Felton  firent  enregistrer  dans  les  journaux  du  Conseil 
un  protêt  contre  son  adoption. 

Dans  le  Haut-Canada,  la  législature  refusa  de 
se  prononcer.  L'assemblée  vota  une  adresse  dans  la- 
quelle elle  disait  que  la  masse  du  peuple  haut-canadien 
avait  fait  connaître  son  sentiment  par  des  pétitions 
au  roi  et  au  Parlement,  et  qu'elle  ne  se  croyait  pas  jus- 
tifiable d'exprimer  une  opinion  sur  ce  grave  sujet,  vu 
surtout  qu'elle  avait  été  élue  avant  que  la  question  fût 
agitée.  Le  Conseil  législatif  rappelait  tous  les  pro- 
grès faits  par  le  Haut-Canada  sous  la  présente  consti- 
tution, et  concluait  par  une  expression  de  tonfiance 
dans  la  sagesse  et  la  justice  du  parlement  impérial. 
Cette  adresse  semblait  plutôt  défavorable  à  l'Union 
quoiqu'elle  ne  contînt  pas  de  déclaration  formelle  à  cet 
effet.  II  est  important  de  noter  ici  que  plusieurs  pé- 
titions contre  l'Union,  recouvertes  de  nombreuses  si- 
gnatures, avaient  été  envoyées  en  Angleterre  du  Home 
district,  des  comtés  de    Kent  et    de    Wentworth,    de 

(1) — Journal   du    Conseil   législatif  du    Bas-Canada,    1823, 
p.  20  ;  Journal  dt-  la  Chambre  d'Assemblée,  1823,  p.  36. 


COURS  d'histoire  du   canada  131 

Stormont  et  de  GIengarr\ ,  tous  sitiu's  dans  le  Haut- 
Canada  (1). 

Pendant  ce  temps,  MM.  Papineau  et  Neilson 
étaient  arrivés  en  Angleterre  et  avaient  commencé 
à  s'acquitter  de  la  mission  dont  les  avait  investis  la 
confiance  de  leurs  compatriotes.  Ils  avaient  trouvé  le 
terrain  bien  préparé.  L'écho  des  énergiques  protesta- 
tions de  tout  un  peuple  avait  fait  une  salutaire  im- 
pression sur  l'esprit  des  ministres  britanniques.  Dès 
la  première  conversation  que  les  délégués  du  Bas-Ca- 
nada eurent  avec  M.  Wilmot,  le  sous- secrétaire  des  co- 
lonies, celui-ci  leur  dit  confidentielîement:  "Restez 
tranquilles;  ne  faites  part  à  personne  de  ce  que  je  vais 
vous  annoncer;  le  gouvernement  ne  veut  pas  de  fracas 
dans  le  parlement  au  sujet  de  l'Union;  celle-ci  ne  sera  pas 
amenée  cette  session."  (2)  Sir  James  Mackintosh,  à 
qui  MM.  Papineau  et  Neilson  communiquèrent  cette 
information,  leur  dit  qu'ils  pouvaient  compter  sur 
cette  assurance  du  ministre.  "Ils  avaient  déjà,  solli- 
cité, écrit  Garneau,  l'appui  du  chef  du  parti  appelé 
"les  Saints",  composé  de  méthodistes  et  autres  dissi- 
dents; ils  n'allèrent  pas  plus  loin,  et  sui  la  demande  du 
secrétaire  colonial  ils  présentèrent  un  mémoire  qui  ren- 
fermait les  raisons  du  Canada  contre  la  mesure  et  ré- 
futait celles  de  ses  partisans".  Et  notre  historien 
ajoute:  "Ce  mémoire  rédigé  par  M.  Neilson,  aidé  par 
M.  Papineau,  est  l'un  de  nos  papiers  d'Etat  les  plus  no- 
blement et  philosophiquement  pensés  que  l'on  trouve 
dans  notre  histoire."  Si  vous  le  voulez  bien,  nous  allons 
le    parcourir    ensemble.     MM.    Neilson    et    Papineau 

(1)— Archives  du  Canada,  Q.  1&4-1-2,  pp.  154-175. 

(2) — Garneau,   Histoire  du   Canada,   Québec,   1882,  t.   III, 
p.  248. 


132  COURS   d'histoire  du   canada 

commençaient  par  exposer  qu'ils  étaient  porteurs  de 
pétitions  signées  par  près  des  sept-dixièmes  de  la  po- 
pulation de  seize  à  soixante  ans  dans  les  deux  provin- 
ces. Ils  représentaient  que  des  législatures  locales  ne 
devaient  pas  avoir  juridiction  sur  un  trop  vaste  terri- 
toire; que  la  distance  entre  le  golfe  Saint-Laurent  et  le 
lac  Muron  était  de  15{)()  milles,  que  les  communica- 
tions étaient  difiiciles,  et,  en  certaines  saisons,  presque 
impossii)Ies  dans  plusieurs  parties  du  Canada;  que  les 
membres  de  la  législature,  dans  une  province  aussi 
étendue, éprouveraient  de  grands  inconvénients  et  se- 
raient soumis  à  de  trop  onéreux  sacrifices  pour  se  ren- 
dre aux  sessions  et  y  demeurer  assidus  à  leurs  devoirs 
parlementaires.  Puis,  laissant  ces  considérations  de 
lieux,  de  saisons  et  de  distances,  ils  abordaient  un  ordre 
d'objections  plus  graves.  I!  est  bien  connu,  disaient- 
ils,  que  les  lois  relatives  à  la  propriété  et  aux  droits  ci- 
vils, que  les  coutumes,  les  usages,  la  religion,  et  même 
les  préjugés  dominants  dans  les  deux  provinces,  sont 
essentiellement  différents.  De  part  et  d'autre  les  ci- 
toyens du  pays  sont  fortement  attachés  à  tout  cela,  et 
ils  en  jouissent  en  vertu  des  plus  solennelles  gaianties 
de  la  Grande-Bretagne.  Leurs  codes  respectifs  de 
lois  ne  pourraient  être  amalgamés,  même  par  le  légis- 
lateur le  plus  sage,  le  plus  impartial,  le  plus  éclairé,  sans 
mettre  en  danger  la  propriété  acquise  sous  l'autorité  de 
ces  lois.  II  y  aurait  divergence  de  vues,  de  tendances 
législatives;  non  seulement  sur  ces  sujets,  mais  aussi 
sur  les  questions  de  taxe,  de  répartition  du  revenu  pu- 
blic dans  les  deux  provinces,  dont  les  intérêts  sont  mal- 
heureusement opposés.  Passant  à  l'examen  des  arti- 
cles, ils  faisaient  observer  que  le  bill  laissait  subsister 
les  limites  et  les  administrations  distinctes  des  deux 
provinces,  et  ne  décrétait  l'Union  que  pour  les  deux 


COURS  d'histoire  du  canada  133 

législatures;  il  n'y  aurait  donc  pas  diminution  de  dé- 
penses, il  y  aurait  plutôt  augmentation  pour  frais  de 
voyages,  de  correspondance,  de  transmission  des  docu- 
ments, etc.  Arrivant  enfin  aux  articles  les  plus  in- 
justes du  bill,  ils  faisaient  valoir  longuement  et  avec 
une  grande  force  les  objections  de  leurs  mandants  con- 
tre la  représentation  qu'on  y  accordait  à  chaque  pro- 
vince, contre  la  proscription  de  la  langue  française,  et 
contre  l'ingérence  du  pouvoir  politique  dans  la  colla- 
tion des  cures. 

Le  bill  d'Union  favorisait  d'une  manière  inique  le 
Haut-Canada  au  point  de  vue  de  la  représentation 
parlementaire.  Par  l'Acte  de  1791,  le  nombre  des  dé- 
putés avait  été  fixé  à  cinquante  pour  le  Bas-Canada 
et  à  quinze  pour  le  Haut-Canada,  dont  la  population 
respective  était  alors  de  200,000  et  de  25,000  âmes. 
Cela  faisait  pour  le  Bas-Canada  un  représentant  par 
4,000  âmes,  et  pour  le  Haut  un  représentant  par  1,667 
âmes  environ,  soit,  pour  la  province  supérieure,  une 
représentation  proportionnellement  plus  que  double  de 
celle  qui  était  accordée  à  l'autre.  En  vertu  du  statut 
provincial  60  George  HI,  le  Haut-Canada  avait  élevé 
sa  représentation  au  chiffre  de  quarante,  et  ce  statut 
était  confirmé  par  l'article  septième  du  bill  d'Union. 
Dans  le  Bas-Canada,  au  contraire  toutes  les  tentatives 
pour  augmenter  la  représentation  avaient  été  vaines. 
L'opération  régulière  de  l'Acte  provincial  du  Haut- 
Canada  ci-dessus  mentionné  devait  avoir  pour  résul- 
tat de  porter  bientôt  la  représentation  de  cette  provin- 
ce au  même  chiffre  que  celle  du  Bas-Canada.  Et  ce- 
pendant la  population  du  Haut-Canada  n'était  qu'un 
cinquième  de  celle  du  Bas-Canada.  Ainsi  donc,  fai- 
saient observer  MM.  Papineau  et  Neilson,  une  pro- 
vince distincte,  ayant  ses  intérêts  distincts,  dont  la  po- 


134  COURS     d'hISTOIKE    du    CANfADA 

pulation  n'était  qu'un  cinquième  de  celle  d'une  autre 
province  se  trouverait  à  avoir  un  pouvoir  parlementaire 
égal  quant  à  l'imposition  des  taxes  et  à  l'affectation  de 
leur  produit  aux  dépensas  locales.  Voilà  ce  qui  était 
évident  à  la  première  lecture  des  articles  en  question. 
Mais  en  réalité  la  situation  faite  au  Bas-Canada  par 
ce  bill  était  encore  pire  qu'elle  ne  paraissait  tout  d'a- 
bord. En  effet,  par  l'article  8,  le  gouverneur  avait  le 
droit  d'ajouter  dix  membres  à  la  représentation  du 
Bas-Canada,  et  s'il  le  faisait,  il  semblait  entendu  que 
ces  dix  députés  nouveaux  seraient  donnés  à  cette  par- 
tie de  la  province  érigée  en  townships  le  long  de  la 
frontière  américaine  et  peuplée  par  les  loyalistes.  Par 
leur  langue,  leur  religion  et  leurs  intérêts,  ces  town- 
ships pouvaient  être  considérés  comme  sympathisant 
fortement  avec  le  Haut-Canada.  De  sorte  que  virtuel- 
lement et  dès  le  début,  celui-ci  aurait  une  représenta- 
tion égale  en  nombre  à  celle  du  Bas-Canada,  malgré  la 
disproportion  de  sa  population.  Au  point  de  vue  de 
la  taxation,  au  point  de  vue  des  affectations  budgé- 
taires, et  surtout  au  point  de  vue  des  droits  civils  et  re- 
ligieux un  tel  état  de  choses  constituait  pour  le  Bas-Ca- 
nada une  infériorité  intolérable. 

Nos  délégués  ne  firent  pas  ressortir  moins  forte- 
ment l'iniquité  de  l'article  24,  qui  abolissait  la  langue 
française,  comme  langue  officielle.  "L'usage  com.mun 
de  deux  langues,  disaient  MM.  Papineau  et  Neilson 
dans  leur  mémoire,  est  un  embarras;  mais  dans  beau- 
coup de  cas  il  est  inévitable.  Il  en  fut  ainsi  en  Angle- 
terre après  la  conquête  normande,  et  la  mesure  mal 
avisée  de  cette  époque  barbare  qui  proscrivait  la  lan- 
gue saxonne  eut  le  sort  qu'elle  méritait.  Le  langage 
de  la  majorité  dans  un  peuple  dont  les  éléments  ont 
entre  eux  des  relations  suivies  fmit  toujours  par  pré- 


COURS  d'histoire  du  canada  135 

valoir.  La  langue  anglaise  deviendra  inévitablement 
la  langue  prédominante  dans  l'Amérique  du  Nord, 
avec  ou  sans  textes  de  loi.  II  n'y  a  probablement  pas 
dix  membres  de  la  présente  Chambre  d'Assemblée  du 
Bas-Canada  qui  ne  comprennent  pas  l'anglais;  plu- 
sieurs le  parlent  facilement;  et  dans  la  province  aucun 
citoyen  ayant  de  la  fortune  ou  une  situation  un  peu 
notalîle  ne  néglige  de  faire  apprendre  l'anglais  à  ses 
enfants.  C'est  ainsi  que  les  choses  changent  avec  le 
temps  et  cèdent  aux  circonstances.  Mais  le  langage 
d'un  père,  ^'une  mère,  de  la  famille  et  des  amis,  des 
premières  impressions  et  des  premiers  souvenirs,  est 
cher  à  tous.  Et  cette  proscription  injustifiée  de  la 
langue  du  peuple  canadien  a  été  vivement  ressentie 
dans  un  pays  où  ce  langage  a  contribué  puissamment  à 
conserver  la  colonie  à  la  Grande-Bretagne  à  l'époque 
de  la  Révolution  américaine." 

Les  députés  du  Bas-Canada  démontrèrent  aussi 
l'injustice  de  l'article  25,  relatif  à  la  collation  des 
cures.  Ils  le  représentèrent  comme  une  attaque  mal 
dissimulée  contre  les  libertés  dont  les  catholiques 
avaient  joui  jusque-là  sous  la  domination  anglaise,  et 
qui  leur  étaient  garanties  par  les  capitulations,  le  trai- 
té de  cession,  les  actes  du  Parlement,  et  le  gouverne- 
ment libéral  de  l'Angleterre.  Ils  exposèrent  que  l'Egli- 
se catholique  romaine  en  Canada  avait  pour  chef  un 
évèque,  dont  le  choix  était  approuvé  par  la  couronne 
avant  son  institution  canonique  par  le  Pape;  de  sorte 
que  l'Etat  était  sauvegardé  contre  tout  danger,  si  tou- 
tefois il  y  en  avait  à  craindre  dans  l'âge  actuel.  Sans 
avoir  aucune  autre  juridiction  le  gouvernement  avait 
toujours  trouvé  le  clergé  catholique  dévoué  au  main- 
tien du  lien  britannique.  L'évèque  et  ses  prédéces- 
seurs avaient  constamment  exercé,  quant  aux  cures,  le 


136  coLKS  d'histoike  du  canada 

pou\c)ir  de  nomination  et  de  révocation.  Le  roi  de 
France,  par  un  arrêt  rendu  en  conseil  d'Etat  le  27  mai 
1690,  avait  déclaré  les  évêques  de  Québec  investis  de 
ce  droit,  faisant  remarquer  qu'il  leur  est  naturel.  "La 
règle  générale,  d'après  Blackstonc  est,  qu'il  appartient 
à  l'évéque  d'instituer  aux  offices  tous  les  ecclésias- 
tiques de  son  diocèse".  Et  d'Héricourt,  de  son  côté, 
dit:  "Il  faut  toujours  observer  comme  une  règle  cons- 
tante que  l'évêque  est  le  collateur  ordinaire  de  tous  les 
bénéfices  de  son  diocèse,  à  moins  qu'on  établisse  le  con- 
traire, ou  par  titres  précis  ou  par  une  possession  cons- 
tante, qui  fait  présumer  ce  titre."  Par  l'article  25,  le 
régime  qui  avait  existé  jusque  là  en  Canada  semblait 
ne  devoir  plus  être  respecté,  et  au  lieu  de  laisser,  com- 
me auparavant,  la  collation  des  bénéfices  à  l'Ordinaire, 
il  faudrait  obtenir  d'abord  le  consentement  par  écrit 
du  gouverneur.  On  devrait  donc  en  conclure  que  les 
curés  nommés  par  les  autorités  conjointes  du  gouver- 
neur et  de  l'évêque  ne  pourraient  plus  être  révoqués 
désormais  par  la  seule  autorité  de  celui-ci.  Ce  serait 
faire  disparaître  le  pouvoir  légitime  de  l'évêque  sur  son 
clergé.  II  en  résulterait  inévitablement  des  désordres 
dans  la  discipline  de  l'Eglise  catholique  romaine  au 
Canada.  Peut-être  même  en  arriverait-on  à  cette 
anomalie  que,  par  suite  d'un  conflit  d'opinion  entre  le 
gouverneur  et  l'évêque,  un  prêtre  pourrait  percevoir 
légalement  la  dîme  sur  les  catholiques  de  la  paroisse 
après  avoir  été  interdit  par  son  supérieur  ecclésias- 
tique. "Une  clause  ayant  cette  portée",  déclaraient 
les  mandataires  de  notre  peuple,  "ne  pouvait  manquer 
d'alarmer  l'opinion  au  Canada,  et  si  jamais  on  l'appli- 
quait cela  ferait  naître  inévitablement  ces  malheureux 
dissentiments  entre  catholiques  et  protestants  qui  ont 
désolé  fl'autres  pa>s,  et  dont  le  Canada  avait  été  si 


COURS  d'histoire  du  canada  137 

heureusement  exempt  sous  le  gouvernement  bienfaisant 
et  éclairé  de  Sa  Majesté." 

MM.Neilson  et  Papineau  terminaient  îeurmcmoire 
en  demandant  au  gouvernement  de  Sa  Majesté,  pour 
le  cas  où  il  jugerait  opportun  ultérieurement  de  donner 
contenance  au  bill  d'Union,  de  vouloir  bien  au  préa- 
lable faire  deux  choses:  D'abord  engager  les  gouver- 
neurs du  Haut  et  du  Bas-Canada  de  faire  en  sorte  qu'il 
fôt  dressé  un  recensement  complet  des  cités,  villes, 
villages,  townships,  paroisses,  comtés,  divisions  élec- 
torales et  districts  de  chaque  province.  En  second 
lieu,  prier  le  gouverneur  du  Bas-Canada  de  recomman- 
der à  la  législature  et  de  sanctionner  la  nomination 
d'un  ou  de  plusieurs  commissaires  chargés  d'aller  sou- 
tenir en  Angleterre  le  maintien  de  la  constitution  ac- 
tuelle (1). 

MM.  Papineau  et  Neilson  avaient  reçu  l'assurance 
que  le  bilI  d'Union  ne  serait  pas  ramené  devant  le  Par- 
lement durant  la  session  de  1823.  Mais  quoique  les 
amis  de  la  province  de  Québec,  comme  sir  James  Mac- 
kintosh,  leur  eussent  affirmé  qu'ils  pouvaient  compter 
sur  cette  promesse,  on  estima  plus  prudent  que 
l'un  d'eux  restât  à  Londres  pour  surveiller  les  évé- 
nements. M.  Neilson  revint  donc  au  Canada,  et  M. 
Papineau  séjourna  quelque  temps  encore  dans  la  ca- 
pitale anglaise.  Il  y  rencontra  souvent  les  adversaires 
de  notre  cause,  qui,  eux  aussi,  restaient  à  leur  poste. 
ne  se  tenant  pas  pour  battus  et  espérant  toujorns  for- 


(1) — Le  mémoire  de  MM.  Papineau  et  Neilson  se  trouve 
dans  la  collection  :  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  à  Ottawa, 
vol.  0.  164-1-2,  p.  113,  et  aussi  dans  l'Appendice  K  du  Jour- 
nal de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada,  1825. — Nous 
croyons  à  propos  de  le  reproduire  à  la  fin  de  ce  volume. 


138  COURS   d'histoire  du   canada 

cor  la  main  au  ministère.  M.  Garneau  raconte  à  ce 
propos  l'anecdote  suivante:  "Un  soir  M.  Papineau 
étant  à  table  chez  un  ami  avec  M.  Ellice  et  M.  Stuart, 
l'agent  des  unionnaires,  la  conversation  tomba  sur  le 
Canada.  ElIice  lui  dit:  "Vous  avez  l'air  bien  tranquille; 
je  crois  savoir  de  bonne  source  que  le  cabinet  vous 
a  donné  l'assurance  que  la  mesure  ne  reviendrait  pas 
sur  le  tapis;  mais  elle  y  reviendra;  je  déshonorerai  les 
ministres,  j'ai  leur  parole  en  présence  de  témoins."  M. 
Papineau  et  M.  Neilson,  (celui-ci  n'était  pas  encore 
parti  en  ce  moment),  allèrent  voir  aussitôt  Sir  James 
Mackintosh  quileurrépondit  de  ne  pas  s'alarmer;  "que 
M.  Ellice  était  un  bavard  (braggadacio)  sans  poids 
ni  influence.  Il  n'osera  jamais  agir  aussi  follement 
qu'il  a  parlé.  Par  l'entremise  de  quelques-uns  de  mes 
amis,  je  saurai  refroidir  son  ardeur.  Nous  ne  le 
voyons  que  parce  qu'il estle gendre  du  comte  Grey."(l) 
Malgré  l'hostilité  politique,  les  relations  person- 
nelles restaient  courtoises  entre  les  champions  des  deux 
causes.  M.  Papineau  fut  invité  chez  M.  Ellice  et  ne 
crut  pas  devoir  refuser  de  s'y  rendre.  Il  y  rencontia 
un  jour  sir  Francis  Burdett,  homme  politique  de  mé- 
rite, qui  occupait  une  place  considérable  dans  les  rangs 
du  parti  whig.  La  discussion  rel3ti">'e  à  l'Union  étant 
revenue  sur  le  tapis,  M.  Papineau  s'exprima  avec  tant 
de  force  persuasive  qu'il  conquit  l'adhésion  de  sir 
Francis,  apparemment  favorable  au  projet  jusqu'à  ce 
moment.  Cet  homme  d'Etat  déclara  alors  que  "si 
la  majorité  en  Canada  était  aussi  grande  et  aussi  hos- 
tile à  l'Union  qu'il  l'assurait,  c'était  compromettre  le 
parti  whig  que  de  le  faire  agir  contre  ses  professions  si 
souvent  répétées  de  respect  pour  les  vœux  des  majorités 

(1)— Garneau,  Histoire  du  Canada.  1882.  t.  III,  p.  250. 


COURS  d'histoire  du   canada  139 

et  qu'il  fallait  l'abandonner."  En  entendant  ces  paro- 
les, M.  Ellice  s'interposa  vivement.  "Non,  s*écria-t-il, 
c'est  une  majorité  ignorante,  lanatisée  par  les  prêtres." 
Et  il  se  répandit  en  diatribes  contre  Saint-Sulpice,  le 
régime  des  lods  et  ventes,  etc.,  informant  ses  auditeurs 
que,  de  concert  avec  M.  Stuart,  il  travaillait  à  la  pré- 
paration d'un  bill  destiné  à  transformer  la  tenure  sei- 
gneuriale. Il  espérait  ainsi  augmenter  les  revenus  de 
sa  seigneurie  de  Beauharnois  (1). 

La  session  se  termina  et  le  bill  ne  lut  pas  présen- 
té; les  ministres  avaient  tenu  leur  parole.  La  mission 
de  MM.  Neilson  et  Papineau  avait  été  fructueuse. 
"Le  succès,  écrit  M.  Chauveau,  augmenta  encore  leur 
prestige.  Louis-Joseph  Papineau,  plus  jeune  que  M. 
Neilson,  avait  un  tempéram.ent  beaucoup  plus  ardent. 
L'un  était  un  tribun,  l'autre  un  philosophe.  L'un 
pouvait  être  comparé  à  Mirabeau,  l'autre  à  Franklin. 
De  fait  M.  Neilson,  lors  de  sa  seconde  mission  en  Eu- 
rope, fut  appelé  le  Franklin  canadien.  Comme  lui, 
M.  Neilson  avait  des  dispositions  et  des  idées  de  l'au- 
teur de  la  "Science  du  bonhomme  Richard."  (2) 

Le  gouvernement  n'avait  pas  soumis  aux  cham- 
bres le  bill  d'Union  durant  la  session  de  1823.  Mais 
on  n'avait  pas  absolument  renoncé  au  projet,  et  on 
délibéra  ultérieurement  sur  son  opportunité.  En  1824 
les  ministres  l'étudiaient  encore.  Un  volume  imprimé 
à  Londres  cette  année-là,  pour  leur  usage  personnel, 
contenait  les  principales  pièces  relatives  à  cette  épi- 
neuse question,  telles  que  des  observations  de  M.  James 

(D— Garneau,  t.  III,  p.  250. 

(2) — François-Xavier  Garneau,  sa  vie  et  ses  œuvres,  P.-J.-O. 
Chauveau,  p.  CLXXVI. 


140  COURS  d'histoire  du   canada 

Stuart  sur  l'union  projetée  du  Bas  et  du  Haut-Canada, 
le  mémoire  de  MM.  Ncllson  et  Papineau,  un  autre 
mémoire  par  le  Dr  Strachan,  doyen  anglican  du 
Haut-Canada,  ainsi  que  des  pétitions  et  adresses  des 
Chambres  canadiennes,  etc.  La  dernière  pièce  de  cet 
important  recueil  est  une  lettre  de  M.  James  Stuart — 
différente  des  observations  du  même  personnage,  ci- 
haut  mentionnées — qui  est  datée  de  Londres,  le  1er 
juillet  1824.  Elle  démontre  qu'à  ce  moment  le  pro- 
jet d'union  était  toujours  discuté  dans  les  sphères  gou- 
vernementales. Mais  ce  qui  est  plus  significatif  en- 
core, c'est  la  première  pièce,  un  projet  de  bill,  beau- 
coup plus  volumineux  que  celui  de  1822,  et  contenant 
quarante-sept  articles  lorsque  l'autre  n'en  comprenait 
que  vingt-huit.  Evidemment  le  cabinet  britannique 
n'avait  pas  renoncé  définitivement  à  modifier  notre 
constitution.  On  en  demeure  tout  à  fait  convaincu 
à  la  lectuie  des  lignes  suivantes,  contenues  dans  une 
lettre  de  l'honorable  R.-W.  Horton,  (1)  sous-secrétaire 
d'Etat  pour  les  colonies,  adressée  à  M.  Canning,  le  cé- 
lèbre homme  politique,  lettre  qui  se  trouve  conservée, 
par  le  plus  grand  d'^s  hasards,  entie  deux  feuillets  d'un 

(1) — Dans  les  documents  de  l'époque,  ce  sous-secrétaire 
d'Etat  est  appelé  tantôt  R.-J.  Wilmot,  tantôt  R.-H.  Horton, 
tantôt  R.-J.  Wilmot  Horton.  Voici  ce  qui  en  était.  II  y  avait 
plusieurs  branches  de  Wilmots.  II  y  avait  les  Wilmots,  baron- 
nets de  Chaddesden,  les  Eardley-Wilmots,  baronnets  de  Berks- 
well  Hall.  L'homme  d'Etat  dont  nous  nous  occupons  ici  était  le 
petit-fils  de  sir  Robert  Wilmot,  qui  avait  été  pendant  trente  ans 
secrétaire  d'Etat  pour  l'Irlande.  II  ajouta  à  son  nom  celui  de 
Horton,  en  1823.  II  devint  membre  du  Conseil  privé  impérial. 
II  succéda  ultérieusement  au  titre  de  baronnet  rous  le  nom  de 
sir  Robert-John  Wilmot-Horton.  Il  fut  plus  tard  gouverneur 
de  l'île  de  Ceylan.  (Debrett's  illustrated  Baronetage,  Knigbtape 
and  Companionage.  Londres,  édition  de  1882). 


COURS    d'histoire    du    CANADA  141 

exemplaire  rarissime  que  j'ai  eu  la  bonne  fortune  de 
consulter:  "I  send  y  ou,  privately  and  confidentiâlly, 
two  volumes,  privately  printed,  and  containingr  the 
pros  and  cons  upon  the  great  question  of  Canada  union. 
Pray  do  me  the  favor  of  reading  them  attentively  and 
let  us  talk  it  over  at  Sudbrook."  Tout  ceci  démontre 
que  M.  Ellice  n'était  peut-être  pas  aussi  vantard  que 
le  représentait  sir  James  Mackintosh,  et  que  nos  unio- 
nistes avaient  quelque  raison  de  ne  pas  croire  la  partie 
irrémédiablement  perdue  dans  l'été  de  1823.  Ils 
avaient  des  intelligences  dans  la  place,  et  ils  n'igno- 
raient pas  que  le  gouverneur  général  du  Canada,  lord 
DaIhousie,appu\ait  leurs  démarches.  En  effet  tout 
en  paraissant  ici  ofFiciellement  en  dehors  de  cette  cam- 
pagne unioniste,  il  l'appuyait  à  Londres  par  sa  corres- 
pondance avec  les  ministres.  Sa  lettre  du  21  novem- 
bre 1823,  adressée  à  lord  Bathurst,  est  un  long  plai- 
doyer en  faveur  de  l'union  des  deux  provinces.  Il  s'y 
déclare  en  harmonie  d'idées  avec  M.  James  Stuart 
quant  aux  avantages  de  l'Union.  II  commente  en- 
sirite  quelques-unes  des  observations  faites  par  celui-ci 
au  sujet  des  différents  articles  du  bill  projeté.  Sui- 
vant lui  le  procureur  général  et  le  solliciteur  général  des 
deux  provinces  déviaient  faire  partie  de  l'Assemblée  et 
s'efforcer  d'y  obtenir  des  sièges;  à  défaut  de  quoi  on 
pourrait  choisir  deux  membres  siégeant  soit  en  les  nom- 
mant, soit  en  donnant  avis  à  la  Chambre  que  le  repré- 
sentant de  Sa  Majesté  leur  a  donné  sa  confiance.  Lord 
Dalhousie  déclarait  de  la  plus  haute  importance  la 
proscription  de  la  langue  française.  Il  approuvait 
aussi  l'article  vingt-cinq  du  projet  qui  donnait  à  la 
Couronne  la  collation  des  cures.  La  prérogative  du 
roi  en  qualité  de  chef  de  l'Eglise,  disait-il,  devrait  être 
exercée  dans  la  province  sur  l'Eglise  catholique  com- 


142  COURS  d'histoire  du   canada 

me  sur  l'Eglise  protestante,  du  moins  relativement  à 
la  formation  des  paroisses  et  à  l'installation  des  minis- 
tres, et  cela  serait  accepté  par  les  membres  du  clergé 
individuellement.  Enfin  il  se  proclamait  convaincu 
que  l'union  était  opportune  et  que  la  prospérité  de 
deux   provinces  en   dépendait.  (1) 

Malgré  tous  les  efforts  des  partisans  de  ce  projet, 
le  ministère  britannique  ne  jugea  pourtant  pas  à  pro- 
pos de  revenir  devant  le  Parlement  pour  demander 
son  adoption.  Un  de  ses  avocats,  M.  Wilmot-Horton, 
devait  reconnaître  lui-même  quelques  années  plus  tard 
que  cette  mesure  était  défectueuse  "en  ce  qu'elle  n'as- 
surait pas  plus  explicitement  les  droits,  les  privilèges, 
les  immunités  et  les  avantages  dont  la  population  fran- 
çaise jouit  sous  ses  propres  lois,"  et  il  confessa  "qu'une 
grande  partie  des  objections  qu'on  y  opposait  n'était 
pas  sans  raison."  (2)  Le  principal  instigateur  du  bill, 
M.  Ellicc,  admettait  de  son  côté  que  la  mesure  conte- 
nait, "plusieurs  clauses  mal  avisées."  (3)  En  réalité  ce 
n'était  pas  le  gouvernement  lui-même  qui  en  avait 
conçu  l'idée.  Le  coup  était  parti  du  Canada.  Nos 
bureaucrates  unionistes  avaient  trouvé  des  alliés  à 
Londres.  M.  Ellice  avait  exercé  sur  les  ministres  une 
pression  énergique  pour  le  forcer  à  présenter  ce  bill. 
Ceci  explique  pourquoi  ils  ne  s'obstinèrent  pas  à  le 
faire  passer.  Ce  ne  fut  que  dix-neuf  ans  plus  tard, 
après  les  insurrections  de  1837  et  de  1838  et  devx  ou 

(1) — Archives  du  Canada,  Q.  166-3,  p.  506. 

(2) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil  du  Canada,  1828, 
p.  316.  Timoignagc  de  \V.  Wilmot-Horton  devant  un  comité 
de  la  Chambre  des  communes. 

{3)—Ibid,  p.  63. 


COURS  d'histoire  du  canada  143 

tiois  ans  de  régime  crexception,  que  le  Haut  et  le  Bas- 
Canada  furent  unis  sous  une  seule  législature. 

Ce  projet  d'Union  de  1S22  fut  pour  notre  peuple 
la  grande  question  à  l'ordre  du  jour  pendant  deux  ans. 
Elle  passionna  tous  ceu.v  qui  s'occupaient  des  affaires 
publiques.  Elle  donna  naissance  à  bien  des  écrits  et 
à  bien  des  discours.  Nos  poètes  même  se  mirent  de  la 
paitie.  Nous  trouvons  dans  les  Epîtres  et  Satires  de 
M.  Michel  Bibaud  une  chanson  politique  datée  de  1822 
et  intitulée /e  B?7/ f/e   l'Union.   En  voici  quelques  vers: 

Un  certain  bill,  dont  la  façon 

Etait  assez  grossière, 
Aux  représentants  d'Albion 

Fut     présenté     naguère; 
Le  fil  en  était  noir,  dit-on, 

La  faridondaine,  la  faridondon, 
Le  tissu  noirement  ourdi, 

Biribi, 
A  la  façon  de  barbari 
Alon  ami. 

Le  poète  faisait  allusion,  dans  une  strophe,  à  la 
proscription  de  notre  langue: 

D'après  leur  bill  dorénavant, 

La  chose  était  bien  claire, 
Les  Canadiens  au  parlement 

N'auraient  plus  rien  à  faire: 
Il  leur  fallait  parler  breton 

La  faridondaine,  la  faridondon. 
S'agit-il  d'un  "non"  ou  d'un  "oui" 

Biribi, 
A  la  façon  de  barbari. 
Mon  ami. 

La  pièce  se  terminait  par  un  couplet  loyaliste,  dans 
10 


144  COURS  d'histoire  dl    canada 

lequel  était  exprimée  notre  conliance  en  la   justice  de 
la  couronne: 

A  Georges,  notre  souverain. 

Adressons  nos  prières: 
De  nos  jaloux  qu'il  sache  enfin 

Les  trames  meurtrières; 
II  nous  gouverne  en  roi  breton, 

La  faridondaine,  la  faridondon. 
Et  non  en  bey  de  Tripoli. 

Biribi. 
A  la  façon  de  Barba  ri, 
Mon   ami. 

Evidemment  cela  n'était  pas  du  Lamartine,  mais 
c'était  très  patriotique.  Et  surtout  cela  donne  une 
idée  des  sentiments  suscités  dans  notre  province  bas- 
canadienne  par  la  tentative  d'étouffemcnt  national 
dont  nous  avons  essayé  de  retracer  l'histoire  au  cours 
de  cette  leçon. 


SOURCES  ET  olvra(;es  a  consulter 

Garneau,  Histoire  du  Canada,  1852,  t.  III,  liv.  XV,  ch.  ii. — 
Bibaud,  Histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise,  liv.  III. — 
Christie,  History  oj  Lower  Canada,  t.  II,  ch.  xxiii,  t.  III,  ch. 
xxiv.^Kingsford,  History  oj  Canada,  t.  IX.- — Encyclopaedia 
Britannica,  t.  XVII. — Hansard's  Dehates,  1822,  deuxième  série, 
t.  VIL— Bibaud,  Epîtres  et  Satires,  Montréal,  1830.— P.-J.-O. 
Chauveau,  François-Xavier  Garneau,  sa  vie  et  ses  autres,  Mont- 
réal, 1882.  — Journal  de  la  Chambre  d' assemblée  du  Bas-Canada, 
1822,  1825.— Journa/  du  Conseil  législatif,  1822.— Rapport  sur 
les  archives  du  Canada,  1897. — Archives  du  Canada  :  Papiers 
d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  162-1-2,  164-1-2,  166-1-2-3.— /îapport 
du  comité  chargé  de  s'enquérir  sur  le  gouvernement  civil  du  Bas- 
Canada,  Québec,  1828. 


CINQUIÈME   LEÇON 


L'imbroglio  constitutionnel. — Un  intermède. — La  session  de  1823. 
— M.   Vallières   élu    orateur. — Les  estimations  budgétaires. 
— Nouvelle  classification.- — La    chambre,   tout  en  signalant 
certaines  objections,  vote  les  subsides. — La  session  de  1824. 
— Moins  d'harmonie. — Lord  Dalhousie  et  M.   Vallières. — 
La  situation  financière. — Le  déficit  Caldwell. — Divergences 
dans    la  Chambre. ^VaUières     et    Papineau. — Intéressantes 
passes  d'armes. — Le  Canada  Trade  Act. — Etonnante    attitu- 
de de  Papineau. — Les  subsides. — Un    débat  mouvementé. — 
Le  vote  prépondérant  de  M.    VaUières. — M.   Neilson  veut 
amender  des   résolutions  inspirées  par   M.     Papineau. — Un 
bill  des  subsides  rejeté  par  le  Conseil  législatif. — Le  conflit 
entre  le  pouvoir  exécutif  et  la  Chambre. — En  quoi  il  consis- 
tait.— La    liste    civile    annuelle  et     l'afi^ectation  de    tout  le 
revenu. — Un  coup  d'œil  sur  chacun  de  ces   deux  aspects  de 
la  question. — La  liste  civile  en  Angleterre  et  au    Canada. — 
Différences  de  conditions. — L'affectation   du  revenu  total. — 
Les  raisons  politiques  de  la  Chambre. — La  session  de  182.5. 
— Une    accalmie. — Absence     de    lord    Dalhousie. — Adminis- 
tration  conciliante   du    lieutenant   gouverneur    Burton. — Il 
obtient  les  subsides. — Une  équivoque. — Détente    momenta- 
née.— Lord  Bathurst  blâme  sir  Francis    Burton.  —  Il   man- 
que une  heureuse  occasion  de  mettre  fin  à  un  malencontreux 
conflit. — L'épisode  Bathurst-Burton. — Retour   de  lord  Dal- 
housie.— La  session  de   1826. — Nouvelles    divergences. — La 
Chambre  refuse  les  subsides. — Prorogation  ab  ira<o.— Disso- 
lution et  élections.  —  Violente    agitation. — La  majorité  est 
soutenue  par  l'électorat. — Manifeste  et  harangue  de  M.  Pa- 
pineau.— La  session  de  1827. — M.    Papineau  réélu    orateur 
— Lord  Dalhousie  refuse  de  l'agréer. — La  Chambre  persiste. 
Prorogation    immédiate. — Nouvelle    crise. — Les     Canadiens 
pétitionnent  pour  soumettre  leurs  griefs  au-  parlement  im- 
périal. 

Pendant  que  la  question  de  l'Union  se  débattait 


146  COURS   d'histoire  du  canada 

en  Angleterre,  il  se  produisait  ici  assez  naturellement 
une  sorte  d'accalmie  politique.  L'anxiété  ressentie 
par  nos  chefs  en  prtstnce  du  péril  dont  nous  étions  me- 
nacés faisait  concevoir  la  nécessité  d'une  attitude  plus 
circonspecte.  L'absence  de  M.  Papincau  avait  eu 
pour  conséquence  l'élection  d'un  nouvel  orateur.  M. 
Vallières  avait  été  choisi  par  la  Chambre,  et  son  in- 
fluence s'était  sans  doute  exercée  dans  un  sens  modé- 
rateur, si  l'on  s'en  rapporte  à  la  marque  de  confiance 
que  lui  donna  ultérieurement  lord  Dalhousie  en  lui 
adressant  privément  une  communication  importante 
au  sujet  de  la  situation  fin-'incière. 

La  session  de  1823  fut  calme  et  fructueuse,  com- 
parée aux  précédentes.  Api  es  avoir  voté  les  résolu- 
tions contre  l'union,  dont  nous  avons  parlé  dans  notre 
dernière  leçon,  la  Chambre  étudia  et  adopta  un  bon 
nombre  de  lois  utiles  et  de  nature  à  favoriser  l'inté- 
rêt public.  Les  estimations  budgétaires  fuient  pré- 
sentées dans  une  forme  nouvelle.  Elles  étaient  divi- 
sées en  deux  sections,  afin  de  mieux  indiquer,  suivant 
le  message  officiel,  quelle  était  la  nature  des  dépenses 
générales  de  la  province.  La  première  section  com- 
prenait les  salaires  et  les  dépenses  contingentes  aux- 
quelles il  était  pourvu  par  des  lois  permanentes  et  par 
les  autres  revenus  de  la  Couronne.  Le  gouverneur  an- 
nonçait avec  satisfaction  que  le  fonds  affecté  en  perma- 
nence allait  être  suffisant,  ou  presque  suffisant,  pour 
défrayer  ces  services.  La  seconde  section  s'occupait 
des  dépenses  à  encourir  pour  ce  que  l'on  appelait  les 
établissements  locaux  et  provinciaux.  La  première 
section  comprenait  le  gouverneur,  le  lieutenant  gou- 
verneur, et  certains  oiïiciers  qui  relevaient  de  leurs  bu- 
reaux, l'arpenteur  général,  les  iuges  et  oiïiciers  de  jus- 
tice, les  conseillers  exécutifs,  le  greffier  du  conseil  et 


COURS  d'histoire  ûu  canada  147 

le  comité  d'audition,  l'inspecteur  des  comptes  publics, 
le  receveur  général,  le  greffier  du  terrier.  L'estima- 
tion pour  cette  classe  s'élevait  à  32,000  louis  sterling. 
La  seconde  section  comprenait  la  législature  et  ses  of- 
ficiers, l'imprimeui  des  lois,  les  maîtres  d'école,  les  pen- 
sions, les  loyers  et  les  réparations  des  édifices  publics 
ainsi  que  les  salaires  et  déboursés  de  ceux  qui  en  avaient 
la  charge,  la  perception  du  revenu  public,  le  bureau  de 
la  Trinité,  la  milice,  les  dépenses  pour  les  criminels  et 
les  maisons  de  correction,  les  dépenses  divei ses,  incluant 
celles  des  grands-voyers  et  autres  officiers  purement 
locaux,  etc.;  soit  une  estimation  de  30,225  louis  ster- 
ling. Les  deux  sections  formaient  une  somme  totale 
de  62,000  louis  sterling.  (1) 

Cette  classification  inusitée  fut  signalée  comme 
ayant  pour  objet  évident  de  constituer  une  classe  pri- 
vilégiée de  fonctionnaires,  dont  les  émoluments,  quoi 
qu'il  advînt,  seraient  à  l'abri  de  tout  contrôle.  Cepen- 
dant la  Chambre,  désireuse  d'éviter  un  nouveau  con- 
flit à  ce  moment,  vota  les  crédits  demandés  (2).  Mais 
elle  crut  devoir  en  même  temps  affirmer  de  nouveau  ce 
qu'elle  considérait  le  vrai  principe  constitutionnel  en 

(1) — Journal  de   la   Chambre   d'Assemblée   du   Bas-Canada, 
1823,  p.    7;  Appendice  H. 

(2) — C'est-à-dire  les  crédits  pour  la  seconde  section,  pour  les 
"établissements  locaux  et  provinciaux",  puisque  le  revenu  af- 
fecté en  permanence  par  des  lois  antérieures  était  considéré 
comme  suffisant  pour  solder  les  dépenses  de  la  première  sec- 
tion, celles  qui  étaient  désignées  sous  les  titres  généraux  de  "gou- 
vernement civil  et  d'administration  de  la  justice".  Le  gou- 
verneur ne  demandait  le  vote  des  subsides  que  pour  la  seconde 
section  ou  la  seconde  classe,la  première  étant  pourvue.  Le  dé- 
bat entre  la  Chambre  et  l'exécutif  avait  déjà  porté  en  grande 
partie  et  devait  encore  porter  ultérieurement  sur  ce  point. 


148  COURS  d'histoire  du  canada 

matière  budgétaire.  Elle  adopta  consequcmment  des 
résolutions  où  il  était  dit:  "Nulle  loi  imposant  des 
taxes  sur  les  sujets  de  Sa  Majesté  en  cette  province,  pour 
former  un  fonds  destiné  à  défrayer  les  dépenses  du  gou- 
vernement civil  de  Sa  Majesté  et  celles  de  l'adminis- 
tration de  la  justice  ou  de  la  législature  provinciale,  ne 
doit  être  considérée  comme  investissant  qui  que  ce 
soit  du  droit  d'appliquer  les  sommes  ainsi  prélevées,  ou 
d'en  faire  une  affectation  et  une  distribution  spéciale, 
sans  le  consentement  et  l'autorisation  de  la  législa- 
ture." (1)  Nous  verrons  tout  à  l'heurt  quelle  était  la 
portée  de  cette  déclaration. 

La  chambre  manifestant  encore  son  esprit  de  con- 
ciliation, vota  des  bills,  appelés  "bills  d'indemnité" 
dans  le  langage  parlementaire,  afin  de  sanctionner,  de 
régulariser  après  coup  les  paiements  faits  par  l'exécutif 
en  1810,  1820,  1821  et  1822,à  même  les  fonds  du  trésor, 
sans  qu'aucun  bill  de  subsides  eût  été  adopté,  c'est-à- 
dire  sans  l'autorisation  de  la  législature.  Mais  le  Con- 

♦ 

se  il  législatif  ne  voulut  pas  accepter  ces  bills  à  cause  de 
leur  titre:  "bills  d'indemnité",  jugé  peu  respectueux,  et 
aussi  parce  qu'ils  ne  couvraient  pas  absolument  toutes 
les  dépenses  soldées  par  le  gouverneur,  mais  qu'ils 
étaient  limités  à  celles  que  l'Assemblée  avaient  déjà 
approuvées  par  voie  de  simple  résolution. 

Néamoins,  tout  en  rejetant  les  "bills  d'indemnité", 
le  Conseil  législatif  n'alla  point  jusqu'à  repousser  le 
bill  des  subsides  voté  par  la  Chambre,  malgré  la  foi  me 
que  celle-ci   lui   avait  donnée.  (2)     Il  se  contenta  de 

(1) — Journal  de   la    Chambre   d'Asseviblée   du    Bas-Canada, 
1823. 

(2) — L'article  par  lequel  les  fonds  nécessaires  étaient  affec- 
tés, ou  "appropriés"  suivant  la  terminologie  parlementaire  bri- 


COURS  d'histoire  du   canada  149 

protester  et  de  déclarer  qu'il  n'entendait  pas  en  adop- 
ter un  semblable  à  l'avenir. 

En  somme  la  session  de  1823  avait  été  satisfaisante. 
Et  en  la  prorogeant  le  gouverneur  exprima  son  contente- 
ment en  termes  non  équivoques:  "Il  ne  me  reste,  dit-il 
aux  membres  de  la  législature,  qu'à  vous  offrir  mes 
plus  chaleureux  remerciements  pour  votre  assiduité 
laborieuse.  L'espoir  que  ie  vous  avais  exprimé  ré- 
cemment a  été  pleinement  réalisé,  et  vous  serez  sans 
doute  heureux  de  recevoir  l'assuiance  que  je  considère 
le  résultat  de  la  session  à  la  fois  honorable  pour  vous 
et  utile  au  pays." 

tannique,  se  lisait  comme  suit:  "lit  qu'il  soit  de  plus  statué  par 
l'autorité  susdite,  que  les  argents  ci-devant  mentionnés  et  affec- 
tés par  le  présent,  seront  pris  et  chargés  contre  les  fonds  généraux 
de  la  province,  provenant  de  quel  qu'acte  ou  actes  que  ce  soit 
en  force  en  icelle,  et  sur  aucun  des  revenus  de  Sa  Majesté  appli- 
cables aux  fins  ci-devant  mentionnées  au  présent  acte." 
(Statuts  provinciaux  du  Bas-Canada, 3 George  IV,  1823,  cbap.38.) 
Le  protêt  du  Conseil  législatif  prit  la  forme  suivante  :  "Le  Con- 
seil législatif  voit  avec  une  grande  inquiétude  et  surprise  que  les 
bills  envoyés  de  l'Assemblée  intitulés  "Acte  pour  mettre  Sa 
Majesté  en  état  de  défrayer  certains  arrérages"  ...  et  "Acte  qui 
approprie  certaines  sommes  d'argent"...  renferment  des  ma- 
tières susceptibles  de  beaucoup  d'objections,  en  ce  qu'ils  accor- 
dent des  argents  sur  les  fonds  généraux  de  la  province,  des  fonds 
d'une  semblable  dénomination  n'existant  pas  légalement, et  en 
ce  que  les  titres,  les  préambules  et  les  clauses  d'octroi  et  d'appro- 
priation sont  couchés  en  termes  .si  généraux  et  ambigus  qu'ils 
indiquent  encore  une  présomption  ou  un  dessein  de  laisser  un 
doute  sur  le  droit  eue  nrétend  avoir  l'Assemblée  de  disposer  des 
argents  prélevés  et  déjà  appropriés  par  un  acte  ou  des  actes  de  la 
législature  impériale  ou  par  Sa  Majesté,  pour  ce  qui  a  rapport 
aux  droits  et  revenus  de  Sa  Majesté  et  aux  amendes  et  confisca- 
tions, ou  par  un  acte  ou  des  actes  de  la  législature  provinciale 
contenant  des  appropriations  permanentes  ou  dans  lesquels  les 
amendes  qu'ils  imposent  ne  sont  pas  réservées  pour  sa  di.sposi- 


150  COURS  d'histoire  du  canada 

Mais  la  session  de  1824  ne  devait  pas  être  aussi 
calme  ni  donner  au  gouverneur  autant  de  satisfaction. 
Au  moment  où  elle  s'ouvrait, lord  Dalhousie  fit  un  ef- 
fort pour  s'assuier  le  bon  vouloir  de  M.  Vallières,  élu 
orateur  l'année  précédente.  II  lui  adressa  un  mémoire 
dans  lequel  il  lui  exposait  longuement  ses  vues  sur 
la  question  des  finances,  et  lui  communiquait  un  résu- 
mé très  clair  de  la  situation.  Elle  n'était  pas  brillante 
à  ce  moment.  Le  déficit  énorme  constaté  au  mois 
d'août  précédent  dans  la  caisse  du  receveur  général, 
M.  Caldwell,  mettait  l'administration  dans  une  posi- 
tion   extrêmement    embarrassante. 

C'est  peut-être  ici  le  lieu  de  donnei  un  aperçu  de 
ce  triste  épisode.  Depuis  un  an  le  gouverneur  avait  pu 
remarquer  que  M.  CaldwcU  était  à  la  gêne  poui  solder 
les  mandats  tiiés  sur  le  trésor.  Le  receveur  général 
avait  d'abord  demandé  des  délais.  Finaleirnent,  au 
mois  d'août  1823,  il  s'était  déclaré  incapable  de  faire 
face  au  paiement  des  dépenses.  Le  gouverneur  avait 
alors  nommé  deux  commissaires  pour  inspecter  ses 
comptes  et  ses  livres,  et  il  avait  prêté  à  la  caisse,  afin  de 
payer  I/es  salaires  et  autres  frais  d'administration,  une 
somme  considérable  prise  encore  une  fois  sur  les  ex- 

tion  future.  Le  Conseil  législatif  proteste  solennellement  contre 
toutes  semblables  usurpations  et  prétentions,  soit  que  ce  soit 
directement  ou  indirectement,  ou  dans  un  langage  ou  sens  clair 
ou  ouvert ...  II  a  concouru  dans  les  dits  bills  comme  une  mesure 
de  nécessité  qui  résulte  de  l'état  très  avancé  de  la  session, ...  et 
pour  prévenir  la  détresse  générale  et  individuelle  qui  aurait 
inévitablement  résulté  de  la  rejection  des  dits  bilIs.  Mais  en 
donnant  ainsi  sa  concurrence  le  Conseil  législatif  déclare  qu'il 
conserve  intacts  tous  ses  droits  et  privilèges,  et  qu'il  n'admettra 
plus  à  l'avenir,  dans  quelque  circonstance  que  ce  puisse  être, 
une  procédure  si  contraire  aux  règles  et  à  la  méthode  du  Parle- 
ment."   (Journaux  du  Conseil  législatif,  1823,  pp.  126,    127). 


COURS  d'histoire  du  canada  151 

traordinaires  de  l'armée.  Au  mois  de  novembre,  en 
attendant  les  instructions  du  gouvernement  impérial, 
il  avait  suspendu  M.  Caldwell  et  nommé  temporaire- 
ment M.  Edward  Haie  pour  remplir  les  fonctions  de  re- 
ceveur. Voici  l'état  où  se  trouvait  alors  la  caisse  de 
ce  fonctionnaire.  D'après  ses  propres  chiffres  il  était 
en  déficit  de  96,117  louis  sterling.  Cette  somme  au- 
rait dû  être  à  la  disposition  de  la  législature  et  elle  n'y 
était  plus.  En  guise  de  règlement,  M.  Caldwell  devait 
faire,  durant  la  session  de  1824,  les  propositions  sui- 
vantes à  la  législature.  Il  céderait  à  la  province  des 
propriétés  évaluées  par  lui  à  32,000  louis  courant.  Il 
lui  transporterait  de  plus  une  somme  annuelle  de  1,500 
louis,  payable  sa  vie  durant,  et  provenant  des  revenus 
de  sa  seigneurie  de  Lauzon,  dont  la  nue  propiiété,  pré- 
tendait-il, était  substituée  par  le  testament  de  son 
père.  En  outre,  il  faisait  appel  à  la  libéralité  de  la  lé- 
gislature en  léclamant  une  rémunération  rétrospective 
pour  des  services  rendus  par  son  père  et  par  lui,  ser- 
vices auxquels  ils  n'étaient  pas  astreints  par  leur  char- 
ge. Il  s'agissait  de  très  fortes  sommes  reçues  et  payées 
en  veitu  d'actes  piovinciaux,  sur  lesquelles  ils  n'au- 
raient touché  aucun  percentage.  En  évaluant  à  trois 
pour  cent — ce  qui  avait  été  accordé  au  receveur  géné- 
ral du  Haut-Canada  dans  des  cas  analogues — les  com- 
missions sur  ces  sommes,  il  lui  serait  revenu  de  ce  chef 
des  arrérages  de  45,471  louis,  qu'il  aurait  fait  valoir  en 
compensation  partielle  de  son  déficit.  Enf  i  n  il  se  déclarait 
prêt  à  verser  au  trésor  une  somme  additionnelle  de 
1000  louis  par  année,  s'il  était  rétabli  dans  sos  fonctions 
avec  un  salaire  correspondant  à  leur  importance  et  à 
leur  responsabilité,  et  cela  jusqu'à  l'extinction  com- 
plète de  sa  dette.  Disons  immédiatement  que  l'As- 
semblée refusa  d'accepter  ces  propositions.     Suivant 


152  COURS  d'histoirf.  du  canada 

elle  le  receveur  général  était  un  otlicier  impérial,  noin- 
mé  par  le  gouvernement  impérial,  et  comptable  à  ce 
gouvernement  seul.  La  législature  n'avait  jamais  pu 
exercer  sur  son  bureau  aucun  contrôle  légal.  Toutes 
les  sommes  d'argent  perçues, en  vertu  des  lois  de  reve- 
nu ou  autiemcnt, sur  les  sujets  de  Sa  Majesté  dans  la 
proN  ince  devaient  être  versées  entre  ses  mains.  Il  se 
reconnaissait  maintenant  en  déficit  de  96,117  louis. 
Les  sujets  de  Sa  Majesté  avaient  le  droit  d'espérer  que 
les  sommes  confiées,  conformément  aux  instructions 
royales,à  un  offîcier  sur  lequel  ils  n'avaient  aucune  auto- 
rité ne  seraient  pas  perdues  pour  eux,  mais  leur  seraient 
remboursées  pai  le  gouvernement  impérial.  Saisi  de 
la  question,  celui-ci  refusa  cependant  de  se  reconnaître 
responsable  du  déficit  de  M.  Caldwell.  Il  déclara  en 
même  temps  que  les  propositions  de  ce  dernier  ne  pou- 
vaient être  acceptées,  et  il  donna  instruction  au  gou- 
verneui  de  faire  intenter  des  procédures  contre  l'ex- 
receveur  général.  Elles  devaient  avoir  pour  objet  de 
faire  déterminer  judiciairement  le  chiffre  de  sa  dette 
et  de  faire  déclarer  nulle  la  prétendue  substitution  à 
laciuellc  aurait  été  sujette  sa  seigneurie  de  Lauzon. 

Ces  procès,  traînés  de  tribunal  en  tribunal,  prolon- 
gés par  des  appels  réitérés,  durèrent  sept  ou  huit  ans. 
En  fin  de  compte  la  seigneurie  de  Lauzon  fut  vendue, 
mais  seulement  en  1845.  Et  ce  fut  la  province  elle- 
même  qui  en  fit  l'acquii-ition  en  déduction  de  ce  qui 
lui  était  dû.  Comme  il  n'y  eut  jamais  de  rembourse- 
ment pour  tout  le  chiffre  du  déficit  Caldwell,  le  Bas- 
Canada  encourut  une  perte  de  plusieurs  milliers  de 
louis  en  capital  et  intérêts.  Cette  affaire  fut  assuré- 
ment l'une  de  celle  qui  firent  le  moins  d'honneur  à  l'ad- 
ministration coloniale  de  l'époque.  On  conçoit  qu'elle 
ait  servi  de  thème  pendant  un  grand  nombre  d'années 


COURS  d'histoire  du  canada  153 

successives  à  des  débats  acrimonieux  dans  la  chambre 
populaire.  (1) 

Au  cours  de  sa  communication  à  M.  Vallièies, 
datée  du  26  novembre  1823,  lord  Dalhousie  signalait 
le  déficit  Caldwell  comme  l'une  des  circonstances  qui 
rendaient  la  situation  très  difficile.  "La  caisse  est 
vide,  disait-il  en  substance.  J'ai  été  obligé  d'avancer 
30,000  louis  en  1822  et  30,000  louis  en  1823  sur  les  ex- 
traordinaires de  l'armée  pour  solder  la  dépense  urgente. 
Je  ne  puis  continuer  de  recourir  à  cet  expédient.  Ne 
serait-il  pas  à  propos  que  nous  nous  entendissions  vous 
et  moi,  pour  essayer  de  surmonter  les  difficultés  du 
moment?"  Dans  la  lettre  qui  accompagnait  le 
mémoire  transmis  à  M.  Vallières,  le  gouverneur  faisait 
cette  admission:  "On  me  reproche  d'avoir  dépensé  illé- 
galement les  deniers  publics,  sans  l'autorisation  de  la 
législatuie.  Je  dois  admettie  que  je  l'ai  fait,  mais 
mon  excuse  est  évidente:  j'ai  été  forcé  de  le  faire  pour 
le  bien  public.  La  Chambre  refusait  de  votei  les 
dépenses  nécessaires  au  fonctionnement  de  la  machine 
gouvernementale  que  j'étais  chargé  de  conduire.  Je 
n'ai  pas  osé  prendre  sur  moi  de  l'arrêter  et  d'obliger  les 
fonctionnaires  publics  à  agir, sans  leur  payer  le  salaire 
d'où  dépend  leur  existence.  Ma  conduite  a  été  con- 
forme à  celle  de  M.  Pitt  dans  des  circopbtance?  ana 
logues."  (2) 

M.  Vallières  répondit  à  cette  communication  avec 


(1) — L'Histoire  de  la  seigneurie  de  Lauzon,  de  M.  J.-E.  Roy, 
contient  une  longue  et  Intéressante  étude  sur  l'affaire  Caldwell. 
C'est  un  exposé  complet  et  très  documenté  de  ce  cas  de  mal- 
versation officielle.  {Histoire  de  la  seigneurie  de  Lauzon,  t.  IV, 
ch.  XXII  et  xxiv). 

(2)— Christie,  t.  VI,  pp.  396-402. 


154  COURS  d'histoire  du  canada 

une  diplomatie  courtoise.  Il  rendait  justice  aux  in- 
tentions du  gouverneur  sans  se  compromettre  ni  s'en- 
gager, mais  en  manifestant  tout  de  même  un  sincère 
esprit  de  conciliation  (l). 

La  présence  de  M.  Papineau,  revenu  d'Europe 
après  avoir  rempli  avec  succès  sa  mission,  ne  pouvait 
manquer  de  rendre  la  session  de  1824  plus  mouvemen- 
tée que  la  précédente.  Ce  qui  donna  surtout  aux  dis- 
cussions une  vivacité  et  un  intérêt  particuliers,  ce  fût 
le  fait  qu'elles  mirent  souvent  aux  prises  l'ancien  ora- 
teur et  celui  qui  l'avait  remplacé,  M.  Papineau  et  M. 
Vallières,  assurément  1er  deux  hommes  les  plus  bril- 
lants de  la  Chambre. 

Le  premier  débat  qui  les  mit  en  opposition  fut 
celui  auquel  donna  lieu  la  prise  en  considération  du 
Canada  Trade  Act.  Cette  législation  impérial,  on  se 
le  rappelle,  se  composait  des  dispositions  détachées 
du  bill  d'union  originaire  et  ayant  pour  objet  de  régler 
les  diiïicultés  fiscales  entre  le  Haut  et  le  Bas-Canada. 
Elle  faisait  aussi  revivre  une  des  lois  de  revenu  que 
notre  chambre  provinciale  avait  laissée  expirer,  et  elle 
en  prolongeait  une  autre  dont  le  terme  était  proche. 
Enfin  elle  autorisait  le  changement  de  tenure  des  terres 
dans  le  Bas-Canada.  (2)  A  la  session  de  1823,  la  Cham- 
bre avait  demandé  des  informations  au  sujet  de  cet 
acte  impérial,  et  e'ie  avait  annoncé  son  intention  de  le 
discuter  à  la  session  suivante.  Conformément  à  cette 
détermination,  au  mois  de  janvier  1824,  M.  Bourdages 
proposa  une  série  de  résolutions  où  l'Acte  du  commer- 

(1) — A  consulter  sur  cet  épisode  Vallicrcs-Dalhousic  une 
étude  publiée  dans  la  Presse,  de  Montréal,  le  21  juillet  1900: 
Notes  et  souvenirs — Un  épisode  politique  peu  connu,  par  Ignotus. 

(2) — Statut  impérial  S  George  IV,  chapitre  119. 


\r 


COURS  d'histoire  du  canada  155 

ce  du  Canada  était  violemment  dénoncé.  M.  Valliè- 
res  les  appuya.  Voici  la  thèse  qu'il  soutint:  "Cet  acte 
impose  des  taxes  au  pays  contre  le  droit  général  des 
sujets  britanniques  et  contre  le  droit  particulier  de  la 
colonie.  C'est  un  principe  de  la  loi  anglaise  que  le  su- 
jet ne  peut  pas  être  taxé  sans  son  consentement. 
Comme  colonie  nous  sommes  sujets  de  l'empire,  mais 
le  parlement  impérial  a  renoncé  au  droit  de  taxer  les 
colonies.  On  ne  pourrait  jamais  prétendre  que  la 
continuation  des  droits  temporaires  imposés  par  la 
législature  coloniale  fût  un  exercice  convenable  du 
pouvoir  de  régler  le  commerce.  Cependant  ce  n'est 
pas  seulement  sous  ce  rapport  que  l'acte  paraît  con- 
traire aux  droits  des  sujets  britanniques.  Il  va  jus- 
qu'à statuer  sur  nos  afFaircs  locales,  jusqu'à  changer  la 
tenure  de  nos  propriétés,  qui  sont  garanties  au  pays 
par  la  capitulation,  par  le  traité  de  paix,  et  par  l'acte 
de  1774."  (1) 

A  la  suipiise  d'un  grand  nombre  de  sespartisans, 
M.  Papineau  prit  une  attitude  diamétralement  oppo- 
sée. Il  se  fit  le  champion  du  parlement  impérial  et  de 
sa  juridiction  sur  les  affaires  canadiennes.  "Il  dit  que 
tout  membre  de  la  Chambre  avait  le  droit  de  soumet- 
tre à  sa  considération  tout  ce  qu'il  croirait  avoir  trait 
au  bien  public,  que  l'honorable  membre  qui  avait  pro- 
posé les  résolutions  (M.  Bourdages)  avait  fait  usage 
de  ce  droit;  qu'il  était  peisuadé  de  sa  loyauté  pour  son 
souverain,  de  son  attachement  à  son  pays  et  de  l'hon- 
nêteté de  ses  vues;  qu'il  ne  fallait  rien  moins  que  cette 
persuasion  pour  considérer  avec  indulgence  les  réso- 
,  lutions  qui  avaient  été  soumises  à  la  Chambre;  qu'elles 
lui  paraissaient  avancer  des  principes  qui' n'étaient  ni 

(1) — Gazette  de  Québec,  5  février  1824. 


156  COURS  d'histoire  du   canada 

londcsen  droit  ni  comptables  avec  l'obéissance  duc  à 
la  loi;  que  si  nous  pouvions  prescrire  des  bornes  à  l'au- 
torité souveraine  de  l'empire  et  en  censurer  les  actes 
il  lui  semblait  que  les  relations  de  colonie  et  de  métro- 
pole n'existaient  plus.  En  An^letenc,  cette  nation 
la  plus  libérale  de  l'Europe  à  l'égard  durégimecolonial, 
tous  les  hommes  publics  soutenaient  l'autorité  légis- 
lative suprême  du  parlement  sur  les  colonies,  non  seu- 
lement dans  ce  qui  regarde  le  commerce  mais  en  d'au- 
tres matières.  11  était  de  notoriété  que  cett*^  autorité 
s'exerçait  tous  les  ans,  et  que  lorsqu'une  colonie  était 
nommée  dans  un  acte  du  pailement  elle  était  obligée 
d'obéir.  La  proposition  que  nous  ne  devons  obéissance 
qu'aux  lois  auxquelles  nous  avons  consenti  «me  paraît 
tout  à  fait  insoutenable,  puisque  le  parlement  britan- 
nique a  constamment  exercé  une  autorité  législative 
.suprême  sur  les  colonies." (1)  ________ —^ 

Quand  on  songe  à  la  carrière  subséquente  de  M. 
Papineau,  on  ne  peut  lire  ce  discours  sans  étonncmtnt. 
Est-ce  bien  le  fougueux  antibritish,  le  dénonciateur, 
passionné  du  gouvernement  impérial,  qui  parle  avec 
cette  révérence  de  "l'autorité  souveraine  de  l'empire", 
qui  déclare  solennellement  que  la  législature  coloniale 
ne  peut  "prescrire  des  bornes  à  cette  autorité  ni  en 
censurer  les  actes",  sans  mettre  à  néant  "les  relations 
de  colonie  et  de  métropole?"  En  lisant  cette  page  de 
nos  annales  politiques,  on  se  demande  à  quel  mobile 
obéissait  M.  Papineau  en  cette  occasion. 

Son  attitude  provoqua  de  durs  commentaires  dans 
les  journaux  de  son  parti.  Le  Canadian  Spectator,  or- 
gane patriote  rédigé  en  langue  anglaise,  publia  ces  li- 
gnes: "We  are  sorry  to  observe  that  Mr  Papineau  and 

(\)—Gay.ette  de  Québec,  12  février  1824. 


COURS  d'histoire  du  canada  157 

Mr  Viger  hâve  defended  that  act.  Mr  Bourdages  lias 
spoken  as  a  fearless  and  independent  représentative 
ought  to  do.  We  hâve  not  seen  Mr  Bourdages  reso- 
lutions, but  presuming  that  the^^  embody  the  prlncl- 
ples  advanced  by  Mr  Speaker  (Vallières)  and  Mr  Stuart 
we  are  bound  to  say  that  they  are  more  becoming  a 
British  subject  than  some  doctrine  in  Mr  Papineau's 
speech.  We  should  wish  to  know  in  what,  upon  prin- 
ciple,  our  situation  would  difFer  from  that  of  a  Rus- 
sian  or  Turkish  subject,  if,  as  Mr  Papineau  would  hâve 
it,  we  aie  forbidden  to  censure  any  act  of  the  impeiial 
Législature.  .  We  differ  fundamentally  from  Mr  Pa- 
pineau when  he  asserts  that  England  by  the  Canada 
Trade  Act  has  exercised  a  power  which  she  never  rehn- 
quished .  .  It  will  be  a  burning  shame  if  the  Province 
under  her  présent  circumstances  will  not  be  allowtd  to 
send  able  and  sufficient  agents  to  London.  They 
should  be  such  as  the  whole  Province  can  hâve  con- 
iidence  in."  (P' 

M.  VaHières  léphqua  avec  une  grande  éloquence 
au  discours  de  M.  Papineau,  dans  la  séance  du  16  fé- 
viier.  Cependant  il  ne  parvint  pas  à  ralher  une  ma- 
jorité à  l'appui  des  résolutions  originaires  de  M.  Bour- 
dages, qui  dut  les  retirer.  Dans  plusieurs  votes  qui 
frrent  pris  sur  cette  question,  M.  Papineau  l'emporta. 
Mais  à  la  fin  une  motion  de  M.  Bourdages  pour  la  no- 
mination d'un  comité  chargé  de  préparer  une  adresse 
au  roi,  dans  laquelle  des  représentations  seraient  faites 
à  Sa  Majesté  relativement  à  l'Acte  du  Commerce,  fut 
adoptée  malgré  M.  Papineau,  qui  se  trouva  en  mino- 
rité. 

Le  résultat  de  cette  première  passe  d'armes  entre 

(1) — Tbe  Canadian  Spectator,  15  février  1824. 


158  COURS  d'histoire  du  canada 

M.  Vallières  et  M.  Papincau  était  donc  assez  indécis. 
Le  vote  sur  les  srbsides  offrit  aux  deux  rivaux  une  nou- 
velle occasion  de  rompre  une  lance.  Le  17  févrici, 
M.  Tascheieau  proposa  que  des  subsides  fussent  ac- 
cordés à  Sa  Majesté.  Qu'^I^'iit  faire  IVL  Papincau  ? 
Sur  la  question  de  l'Acte  du  conimeice  il  avait  été 
étonnamment  gouvernemental.  Continuerait-il  à  l'être 
sur  la  question  des  subsides  ?  Si  les  amis  de  l'admi- 
nistration en  avaient  eu  l'illusion,  ils  furent  prompte- 
ment  détrompes.  M.  Papincau  se  montra  d'une  in- 
transigeance absolue.  Sans  doute  les  deux  questions 
étaient  différentes.  On  pouvait  refuser  de  s'attaquei 
au  parlement  impérial  à  propos  de  l'Acte  du  commerce, 
et,  sans  se  contredire,  refuser  de  voter  I«s  subsides, 
pour  des  raisons  politiques  et  constitutionnelles.  Ce- 
pendant le  discours  prononcé  par  M.  Papincau,  dans  le 
premier  cas,  avait  semblé  dénoter  un  état  d'esprit  qui 
rendait  vraisemblable  son  consentement  au  vote  des 
subsides  dans  le  second.  Il  n'en  fut  rien.  Notre  tribun 
combattit  énergiquement  la  proposition  de  M.  Tas- 
chereau.  Et,  particularité  piquante,  M.  Vallières,  qui 
dans  le  débat  précédent  s'était  montré  jaloux  de  l'au- 
tonomie coloniale,  prêta  cette  fois  son  concours  à  l'ad- 
ministration. Il  y  eut  ainsi  entre  ces  deux  parlemen- 
taires éminents  une  sorte  de  chassè-croisé. 

Le  débat  fut  extrêmement  intéressant.  M.  Pa- 
pincau parla  avec  une  giande  énergie.  M.  Vallières 
lui  répondit  par  l'un  des  plus  beaux  discours  de  sa  car- 
rière. Il  fit  "observer  que  la  chambre  avait  l'année  der_ 
nière  voté  un  subside  demandé  de  la  même  manière,  (1) 

(1) — Les  estimations  soumises  en  1824,  comme  celles  de 
1823,  étaient  divisées  en  deux  sections  ou  deux  classes  :  lo  Le 
gouvernement  civil  et  l'administration  de  la  justice  ;  2o  les  éta- 
blissements locaux  et  provinciaux. 


COURS  d'histoire  du  canada  159 

et  qu'il  n'était  rien  arrivé  depuis  ce  temps-là  qui 
pût  justifier  entièrement  le  refus  d'un  subside,  d'au- 
tant plus  qu'en  accordant  la  motion  principale  on  ne  se 
liait  pas  quant  au  montant  des  subsides  ni  quant  aux 
précautions  nécessaires  pour  l'avenir."  (1)  A  la  fin 
de  cette  discussion  mouvementée,  M.  Vallières  eut  la 
satisfaction  de  l'emporter  par  une  voix.  La  chambre 
décida  d'accorder  les  subsides  par  14  voix  contre  13. 
MM.  Bourdages  et  Neilson  votèrent  avec  M.  Vallières. 

Mais  ce  n'était  pas  tout  de  décider  que  des  sub- 
sides seraient  votés.  Il  fallait  en  déterminer  la  forme. 
Ici  l'influence  de  M.  Papineau  eut  plus  de  poids.  Il 
fit  adopter  par  la  chambre  une  série  de  résolutions 
dans  lesquelles  le  gouvernement  "était  accusé  d'avoir 
commis  des  prodigalités,  d'avoir  fait  un  mauvais  usage 
des  deniers  publics,  de  les  avoir  employés  illégalement, 
c'est-à-dire  sans  l'autorisation  de  la  législature."  Le 
péculat  du  receveur  général  lui  fournit  le  thème  d'une 
philippique  véhémente. 

Cependant  toute  la  chambre  ne  se  laissa  pas  sub- 
juguer par  son  éloquence  enflammée.  Et  l'on  vit  M. 
Neilson,  son  ami  et  son  collègue  dans  la  mission  de  Lon- 
dres contre  l'union,  se  lever  poi'r  proposer  une  série 
de  résolutions  en  amendement  aux  piemièies.  Elles 
portaient  la  marque  de  l'esprit  judicieux,  calme,  pon- 
déré, qui  caractérisait  le  député  du  comté  de  Québec.  (2) 
Ce  fut  là  un  des  premiers  indices  de  la  mentalité  diffè- 

(1)  Gazette  de  Québec,  février  1824. 

(2)  Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada, 
1824,  p.  316. — M.  Papineau  voulait  qu'on  fit  subir  aux  estima- 
tions officielles  une  réduction  de  25%,  au  chapitre  des  salaires 
pour  les  fonctionnaires  publics.  M.  Neilson  trouvait  que  cette 
manière  de  procéder  n'était  pas  judicieuse. 

11 


160  COURS  d'histoire  du   canada 

rente  qui  devait,  quelques  années  plus  tard,  produire 
une  scission  irrépaïajjle  entre  ces  deux  chefs  de  la  ma- 
jorité  bas-canadienne. 

Finalement  le  bill  des  subsides  fut  adopté,  la  liste 
civile  fut  votée  pour  un  an  avec  une  réduction  de  vingt- 
cinq  pour  cent  sur  les  salaires  des  fonctionnaires  et  of- 
ficiers du  gouvernement,  à  commencer  par  le  gouver- 
neur. Et  la  somme  de  43,101  louis  sterling,  ainsi  vo- 
tée, était  à  prendre  suivant  les  termes  du  bill,  "sur  les 
fonds,  revenus  et  deniers  applicables  au  paiement  des 
dépenses  de  l'administration  de  la  justice  et  du  gou- 
vernement civil,  levés  et  perçus  dans  la  province  en 
vertu  de  toute  loi,  ou  de  tout  statut  actuellement  en 
force,  ou  provenant  du  revenu  casuel  et  territorial  de 
Sa  Majesté."  Et  dans  le  cas  où  ces  fonds  "ne  seraient 
pas  suffisants,  la  différence  devait  être  remplie  au 
moyen  des  fonds  non-appropriés  qui  pouvaient  être  entre 
les  mains  du  receveur  général." (1)  Comme  il  était 
facile  de  le  prévoir,  ce  bill  des  subsides  fut  rejeté  som- 
mairement par  le  Conseil  législatif. 

Après  l'espèce  de  trêve  observée  durant  la  crise 
du  bill  d'union,  le  conflit  entrs  l'exécutif  et  l'Assemblée 
s'accusait  de  nouveau  avec  une  recrudescence  d'inten- 
sité. Il  n'est  pas  inutile  de  s'arrêter  ici  un  moment 
pour  préciser  ce  qui  constituait  le  nœud  du  débat.  Le 
bill  des  subsides  de  1824  l'indiquait  parfaitement.  Le 
gouvernement,  depuis  1820,  demandait  deux  choses:  le 
vote  de  la  liste  civile  pour  la  durée  de  la  vie  du  roi,  et 
la  disposition  incontestée  du  revenu  casuel  et  territo- 
rial ainsi  que  des  recettes  affectées  par  des  lois  perma- 
nentes au  gouvernement  civil  et  à  l'administration  de 

(1) — ^Bibaud,    Histoire  du   Canada  snus  la   domination   an- 
glaise, p.  249. 


COURS  d'histoire  du  canada  161 

la  justice.  La  Chambre  repoussait  ces  deux  préten- 
tions. Elle  ne  voulait  voter  la  liste  civile  qu'annuel- 
lement. Et  elle  proclamait  son  dioit  d'affecter  par  le 
bill  des  subsides  tout  le  revenu,  non  seulement  celui 
qui  était  à  la  disposition  de  la  législature,  mais  de  plus 
celui-là  même  qui  avait  été  affecté  spécifiquement  par 
des  lois  antérieures,  y  compris  et  surtout  celui  qui  pro- 
venait de  l'Acte  impérial  du  revenu  de  Québec  (14 
George  III,  chap.  88).  Examinons  rapidement  ces 
deux  aspects  du  conflit. 

D'abord  que  fallait-il  entendre  par  ce  terme  "la 
liste  civile",  qui  revient  si  souvent  dans  les  documents 
officiels  et  dans  les  pages  de  nos  histoires  ?  Un  au- 
teur bien  connu  de  droit  constitutionnel  va  nous  don- 
ner la  réponse.  *'La  liste  civile,  écrit  M.  Todd  dans  son 
grand  ouvrage  On  parliamentary  government  in  En- 
gland,  prit  naissance  après  la  révolution  de  1688.  On 
l'appliqua  alors  à  défrayer  en  même  temps  les  dépen- 
ses de  la  maison  royale  et  des  offices  civils  du  gouver- 
nement. Dans  les  colonies,  le  terme  liste  civile  est 
appliqué  à  une  disposition  budgétaire  qui  soustrait 
certaines  parties  de  la  dépense  régulière  de  la  colonie 
au  vote  annuel  de  la  législature."  (1)  Un  autre  auteur, 
May,  dans  sa  Constitutional  Historv  nj  England,  écrit 
ce  qui  suit:  "A  l'accession  de  Guillaume  et  Marie  le 
Parlement  fit  une  provision  spéciale  pour  la  "Liste  ci- 
vile" du  roi,  qui  comprit  le  maintien  de  la  maison  royale 
les  dépenses  personnelles  du  roi,  aussi  bien  que  le  paie- 
ment d'officiers  civils  et  de  pensions.  Le  système 
ainsi  introduit  fut  continué  durant  les  règnes  suivants, 
et  la  liste  civile  comprit  non  seulement  les  dépenses  du 

(1) — Todd,  On  Parliamentary  Government  in  England,  1887, 
t.  I,  p.  655. 


162  COURS  d'histoire  du  canada 

souverain,  mais  une  partie  de  la  dépense  civile  de 
l'Etat."  (1) 

A  l'avènement  de  George  IV,  en  1820,  la  liste  ci- 
vile avait  été  fixée  à  la  somme  de  1,057,000  louis  ster- 
ling, soit  S5,287,000.  Voici  quelles  en  étaient  les  char- 
ges: 1  La  "bourse  privée"  de  Sa  Majesté,  60,000  louis; 
2°  les  émoluments  du  lord  chancelier,  des  juges  et  de 
l'orateur  de  la  Chambre  des  communes,  32,955;  3  les 
salaires  des  ambassadeurs  de  Sa  Majesté,  des  mi- 
nistres plénipotentiaires,  des  consuls,  et  les  pensions 
des  ambassadeurs  et  des  ministres  en  retraite,  226,950 
louis;  4  les  dépenses  de  la  maison  de  Sa  Majesté, 
dans  les  départements  du  "lord  steward",  du  lord 
chambellan,  du  maître  des  écuries,  du  maître  de  la 
garde-robe  et  du  surintendant  général  des  travaux, 
209,000  louis;  6°  les  pensions,  limitées  par  l'acte  22 
George  III,  à  95,000  louis;  7  les  salaires  de  ceitaines 
charges  de  l'Etat,  et  divers  autres  émoluments;  8  les 
salaires  des  commissaires  du  trésor  et  du  chance- 
lier de  l'échiquier,  13,822;  9  les  paiements  occasion- 
nels, etc,  26,000:  total,  845,727  louis.  (2) 

La  liste  civile  en  Angleterre  était  votée  pour  la 
vie  du  souverain.  L'acte  du  parlement  qui  l'établis- 
sait au  début  du  règne  contenait  cette  disposition: 
"And  that  the  said  revenues  shall  bc  made  payable, .  . 
and  be  paid  to  His  présent  Majesty  during  his  life 
(which  God  may  préserve)."  (3)  C'est  sur  cette  pratl- 


(1) — May,   Constitutional  History  oj  England,    1912,   t.    I, 
pp.  156-168. 

(2) — Stalutes  oJ  tbe  United  Kingdom,  I  Geori^e  IV,  ch.  I. 

(3) — Stalutes  oj  tbe    United  Kingdom,    I  George  IV,  ch.   i, 
art.  3. 


COURS  d'histoire  du  canada  163 

que  du  parlement  impérial  que  se  fondaient  les  minis- 
tres coloniaux  et  les  gouverneurs  qui  insistaient  ici  pour 
faire  voter  par  la  Chambre  une  liste  civile  permanente. 
"Voilà  ce  qui  se  fait  en  Angleterre,  disaient-ils.  Votre 
constitution  est  modelée  sur  celle  de  la  Grande-Bre- 
tagne. Vous  ne  sauriez  raisonnablement  refuser  de 
suivre  la  règle  observée  par  les  communes  et  les  lords 
britanniques.  Pourquoi  seriez-vous  plus  défiants  en- 
vers la  Couronne  que  les  représentants  du  peuple  an- 
glais, si  ombrageux  quand  il  s'agit  de  ses  privilèges  et 
de  ses  franchises?"  Cet  argument  avait  une  incon- 
testable force.  A  cela  l'Assemblée  répondait  "que  le  mon- 
tant des  dépenses  du  gouvernement  civil  de  Sa  Majesté 
en  cette  province  était  de  sa  nature  variable  et  sujet  à 
être  augmenté  et  diminué  de  temps  à  autre,  suivant 
l'exigence  des  cas  et  les  changements  que  nécessitent 
journellement  l'enfance  de  cette  province  et  l'instabili- 
té de  ses  ressources  et  de  son  commerce,  et  qu'à  cet 
égard  il  n'y  avait  aucune  parité  entre  la  mère-patrie  et 
cette  colonie."  Elle  ajoutait  "que  la  division  des  pou- 
voirs, législatif,  exécutif  et  judiciaire,  l'indépendance 
des  juges  et  la  comptabilité  des  officiers  du  gouverne- 
ment sont  des  attributs  essentiels  de  la  constitution 
britannique  dont  jusqu'à  présent  cette  province  avait 
été  privée,  et  qu'à  tous  ces  égards  il  n'y  avait  aucune 
parité  entre  la  mère-patrie  et  cette  province."  Elle 
faisait  encore  observer  "que  les  dépenses  du  gouver- 
nement civil  de  cette  province  faisaient  presque  la  tota- 
lité de  la  dépense  publique  et  qu'à  cet  égard  il  n'y 
avait  aucune  parité  entre  la  mère-patrie  et  cette  pro- 
vince." Enfin  elle  déclarait  que  les  "raisons  qui  ont 
'engagé  le  parlement  d'Angleterre  à  pourvoir  pour  la 
vie  du  roi  à  la  dépense  de  sa  maison  et  à  la  liste  civile 
de  Sa  Majesté  et  aux  dépenses  nécessaires  pour  soute- 


164  COURS  d'histoire  du  canada 

nir  l'honneur  et  la  dignité  de  la  Couronne  n'existaient 
pas  dans  cette  province,"  et,  conséqucmment,  elle  af- 
firmait une  fois  de  plus  la  disparité  des  circonstances 
entre  la  Grande  Bretagne  et  le  Bas-Canada.  (1) 

Comme  on  le  voit  la  Chambre  plaidait  la  diffé- 
rence des  cas.  Cette  différence  était  indéniable  et 
pouvait  justifier  à  ce  moment  l'attitude  de  nos  chefs 
parlementaires.  En  outre  ils  se  défiaient  de  l'admi- 
nistration. Ils  voyaient  le  Conseil  exécutif  et  le  Con- 
seil législatif  composés  en  grande  partie  d'un  groupe 
ennemi  de  nos  institutions  et  de  nos  traditions  natio- 
nales, de  magistrats,  de  fonctionnaires,  d'officiers  pu- 
blics hostiles  à  nos  droits  et  désireux  de  réduire  à  néant 
notre  influence.  Et  ils  considéraient  une  liste  civile 
permanente,  dont  ces  adversaires  acharnés  de  notre 
cause  seraient  les  principaux  bénéficiaires,  comme  une 
sorte  de  citadelle  inexpugnable  d'où  cette  bureaucra- 
tie trop  puissante  nous  braverait  impunément.  Voilà 
ce  qui  faisait  vraiment  le  fond  du  débat.  Théorique- 
ment, sur  cette  question  de  la  liste  civile  permanente, 
la  position  de  l'Assemblée  pouvait  paraître  faible.  Le 
parlement  britannique  en  avait  depuis  longtemps  re- 
connu l'à-propos.  Et  en  soi  cette  permanente  était 
dans  l'ordre.  II  est  rationnel  et  utile  que  l'administra- 
tion judiciaire,  que  le  service  diplomatique,  que  les  sa- 
laires de  certains  fonctionnaiies,  que  toute  une  classe 
d'officiers  essentiels  au  fonctionnement  du  gouverne- 
ment national,  soient  assurés  dans  leur  stabilité  et  leur 
efficacité  par  des  dispositions  légales  permanentes,  et 
ne  soient  pas  laissés  à  la  merci  des  fluctuations  politi- 
ques. Nous  vivons  actuellement  sous  ce  régime.  Par- 
Ci)  Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada,  1822, 
14  janvier. 


COURS  d'histoire  du  canada  165 

courez  nos  estimations  budgétaires  fédérales  et  pro- 
vinciales. A  Ottawa  comme  à  Québec  vous  y  verrez 
indiquées  deux  séries  d'affectations,  les  affectations 
permanentes  et  les  affectations  annuelles.  Vous  cons- 
taterez que  cette  intéressante  brochure  qui  s'appelle 
"le  budget"  contient  deux  colonnes,  celles  des  dépen- 
ses à  voter  et  celle  des  dépenses  déjà  votées,  ou  auto- 
risées par  statut.  C'est  ainsi  qu'actuellement  le  salai- 
re des  juges,  par  exemple,  constitue  une  charge  perma- 
nente sur  le  revenu  public.  Les  subsides  pourraient 
être  refusés  demain,  et  l'administration  de  la  justice 
n'en  serait  pas  entravée.  Ceci  est  absolument  raison- 
nable et  exigé  par  le  bien  public.  Mais  le  malheur  des 
temps  que  nous  étudions  en  ce  moment  c'était  la  confu- 
sion des  rôles,  le  cumul  des  fonctions,  le  défaut  de  dis- 
tinction entre  les  pouvoirs  exécutif,  législatif  et  judi- 
ciaire. Et  c'était  cet  abus,  ce  désordre  incontestable 
qui  expliquaient  l'attitude  de  l'assemblée. 

Passons  maintenant  au  second  aspect  du  conflit. 
Ceux  d'entre  vous.  Messieurs,  qui  me  font  l'honneur  de 
suivre  régulièrement  ces  conférences,  se  rappellent 
sans  doute  la  distinction  que  nous  avons  observée  entre 
les  deux  catégories  de  revenus.  Il  y  en  avait  qui  prove- 
naient du  fonds  casuel  et  territorial  et  des  lois  décré- 
tant des  affectations  permanentes,  telles  que  l'Acte 
impérial  du  revenu  de  Québec  (14  George  III,  chap.  88) 
et  l'Acte  provincial  35  George  III,  chapitres  8  et  9.  Et 
il  y  en  avait  qui  provenaient  de  lois  où  ne  se  ren- 
contraient aucunes  dispositions  ayant  pour  objet  d'af- 
tecter  en  permanence  à  la  dépense  publique  les 
recettes  qui  en  seraient  le  produit. 

Si  l'on  veut  toucher  du  doigt  la  différence  entre  le 
revenu  affecté  et  le  revenu  non  affecté,  on  n'a  qu'à  par- 
courir l'article  17  de  la  loi  35  George  III,  chapitre  9. 


166  COURS  d'histoire  du  canada 

On  y  lit  ce  qui  suit:  "Et  qu'il  soit  de  plus  statué  que, 
des  monnaies  qui  proviendront  des  droits  et  taux  ac- 
cordés par  cet  acte,  et  des  droits  accordés  par  un  acte 
voté  dans  cette  session  de  la  législature,  intitulé  "Acte 
pour  accorder  à  Sa  Majesté  des  droits  sur  les  licences 
de  colporteurs",  ctc ,  il  sera  déboursé  et  payé  an- 
nuellement la  somine  de  cinq  mille  cinq  cent  cinquante 
cinq  louis,  onze  chelins,  un  denier  et  un  fiers,  monnaie  cou- 
rante de  cette  province,  étant  égale  à  cinq  mille  livres 
sterling  monnaie  de  la  Grande  Bretagne,  pour  contri- 
buer plus  amplement  à  défrayer  les  dépenses  de  l'admi- 
nistration de  la  justice  et  le  soutien  du  gouvernement  civil 
dans  cette  province,  et  toutes  et  chacunes  des  monnaies 
ainsi  appropriées  seront  paj^ées  par  le  receveur  général 
de  cette  province  sur  tel  ordre  ou  ordres  qui  seront  de 
temps  en  temps  émanés  par  les  gouverneurs,  le  lieute- 
nant gouverneur  ou  la  personne  ayant  l'administra- 
tion du  gouvernement  de  cette  province  pour  le  temps 
d'alors,  pour  les  fins  ci-dessus  mentionnées  et  pas  d'au- 
tres, ef  le  restant  s'il  s'en  trouve,  des  mo7i7iaies  provenantes 
des  taux  et  droits  susdits .  . ,  demeurera  et  sera  réservé 
entre  les  mains  du  dit  receveur  général  pour  la  disposi- 
tion future  de  la  législature  de  cette  province."{l)  Les 
mots  en  italiques  font  saisir  parfaitement  la  distinc- 
tion indiquée  plus  haut.  En  vertu  de  cet  article,  sur 
le  produit  de  cette  loi  de  revenu,  5,555  louis  sont  affec- 
tés en  permanence  au  paiement  des  dépenses  de  l'ad- 
ministration de  la  justice  et  du  gouvernement  civil,  le 
reste  est  non  affecté  et  la  législature  seule  pourra  l'ad- 
fecter  ultérieurement.  Le  gouverneur  n'aura  pas  le 
droit  de  tirer  le  moindre  mandat  sur  ce  reste,  et  le  rece- 


(1)  Statuts  provinciaux  du  Bas-Canada  t.  T  p.  182. 


COURS  d'histoire  du  canada  167 

veur  général  n'aura  pas  le  droit  d'en  payer  un  sou  sans 
l'autorité  d'un  vote  de  la  législature. 

Voici  un  autre  exemple  de  revenu  non  affecté. 
L'article  12  de  l'Acte  55  George  III,  chapitre  3,  "ac- 
cordant de  nouveaux  droits  à  Sa  Majesté  pour  subve- 
nir aux  besoins  de  la  province",  se  lisait  comme  suit: 
"Et  qu'il  soit  statué  que  tous  les  deniers,  amendes,  et 
confiscations  qui  seront  prélevés  en  vertu  de  cet  acte, 
seront  payés  et  demeureront  entre  les  mains  du  rece- 
veur général  pour  la  dispositioyi  future  du  parlement 
provincial." (l)  Voilà  un  cas  très  clair  de  revenu  non 
affecté.  Pour  qu'on  pût  y  toucher,  pour  que  le  gou- 
verneur pût  émettre  un  mandat  sur  ce  fonds  afin  de 
payer  une  dépense,  il  fallait  un  vote,  une  affectation 
de  la  législature. 

Eh  bien,  en  présence  de  ces  deux  catégories  de  re- 
venus, la  Couronne,  le  pouvoir  exécutif  disait  à  l'As- 
semblée: "Vous  avez  le  droit  d'affecter  par  votre  vote, 
par  le  bill  des  subsides,  tout  le  revenu  qui  ne  l'est  pas 
déjà,  mais  vous  n'avez  pas  le  droit  d'affecter  le  revenu 
qui  l'a  été  antérieurement  par  des  lois  permanentes. 
Celui-ci  a  été  mis  d'avance  à  ma  disposition  par  des 
statuts,  et  je  puis  l'appliquer  au  gouvernement  civil 
et  à  l'administration  de  la  justice,  sans  avoir  besoin 
de  recourir  à  une  nouvelle  affectation  législative."  Cet- 
te prétention  était  indéniablement  plausible. 

Comment  l'Assemblée  y  répondait-elle  ?  Elle 
déclarait  que  les  revenus  produits  par  l'Acte  impérial 
de  1774  n'avaient  été  affectés  que  par  une  législation 
du  parlement  britannique,  et,  qu'une  constitution  par- 
lementaire ayant  été  accordée  subséquemment  à  la 
►  province,  il  convenait  que  le  revenu  créé-  antérieure- 

(1)  Statuts  Provinciaux  du  Bas-Canada,  t.  8,  p.  29. 


168  COURS  d'histoire  du  canada 

ment  par  cet  acte  devînt  sujet  à  l'afTectation  de  la  lé- 
gislature. Elle  afTirmait  que,  le  revenu  permanent  ne 
suffisant  plus  à  solder  toutes  les  dépenses  et  le  gouver- 
nement étant  obligé  de  demander  des  ressources  addi- 
tionnelles, la  chambre  avait  le  droit  et  le  devoir  de  con- 
sidérer en  même  temps  l'ensemble  des  dépenses  et  l'en- 
semble des  revenus,  et  d'afTecter  ceux-ci  au  paiement 
de  celles-là,  sans  tenir  compte  de  la  distinction  signa- 
lée tout  à  l'heure.  Elle  représentait  enfin,  et  ceci 
était  son  argument  le  plus  fort,  que  le  pouvoir  exécutif 
prétendait  déterminer  d'une  façon  tout  à  fait  arbitraire 
quels  étaient  les  services  qui  devaient  entrer  sous  ces 
titres  de  "gouvernement  civil  et  d'administration  de 
la  justice",  et  qui  seraient  ainsi  défrayés  à  même  le  re- 
venu affecté  en  permanence,  y  incluant  et  en  excluant 
ceux  qui  lui  plaisaient,  et  favorisant  les  uns  au  détri- 
ment des  autres.  Et  elle  soutenait  que  le  remède  à 
cet  nbus,  c'était  de  faire  disparaitre  cette  distinction 
et  de  soumettre  tout  le  revenu  à  l'affectation  législa- 
tive. Ici  encore  la  position  de  l'Assemblée  se  justi- 
fiait plutôt  par  les  raisons  politiques  que  par  les  raisons 
théoriques. 

Dominant  tout  ce  débat,  il  y  avait  un  principe  fon- 
damental que  nous  ne  saurions  perdre  de  vue,  le  prin- 
cipe du  légitime  contrôle  des  représentants  du  peuple 
sur  le  revenu  des  taxes  imposées  au  peuple  et  payées 
par  lui.  M.  John  Neilson  devait  l'énoncer  dans  cette 
formule  brève  et  saisissante,  au  cours  de  son  témoignage 
devant  le  comité  des  griefs,  quatre  ans  plus  tard:  "L'as- 
semblée de  la  province  a  le  droit  d'approprier  et  de 
contrôler  tous  les  deniers  qui  se  perçoivent  dans  la  pro- 
vince." Lord  Bathurst  l'oubliait  trop  dans  ses  lettres. 
Il  méconnaissait  trop  son  rôle  de  ministre  constitution- 
nel quand  il  revenait  constamment  sur  la  nécessité  de 


COURS  d'histoire  du  canada  169 

maintenir  l'intégrité  "du  revenu  de  la  couronne",  de  ne 
pas  laisser  la  Chambre  toucher  au  "revenu  du  roi". 
C'était  se  montrer  trop  régalien.  C'était  exagérer  la 
fiction  au  détriment  de  la  réalité.  C'était  perdre  du 
vue  ce  point  capital  que  nous  avions  ici  un  gouverne- 
nement  parlementaire,  et  que,  d'après  la  constitution, 
les  finances  de  la  colonie  tombaient  normalement  sous 
la  juridiction  du  parlement  colonial. 

Aux  deux  causes  de  difficultés  que  nous  venons 
d'étudier  sommairement,  il  faudrait  ajouter  la  prati- 
que adoptée  par  l'Assemblée  dès  le  début  de  voter  les 
subsides  article  par  article  au  lieu  de  les  voter  en  bloc. 
Mais  ce  sujet  de  contention  semblait  avoir  subséquem- 
ment  perdu  de  son  importance  dans  le  litige  entre  la 
Chambre  et  l'exécutif. 

L'issue  orageuse  de  la  session  de  1824  pouvait  faire 
présager  pour  l'année  suivante  une  session  désagréa- 
blement mouvementée.  Il  n'en  fut  rien.  Lord  Dal- 
housie,  qui  avait  obtenu  un  congé,  passa  en  Europe  au 
mois  de  juin,  et  Sir  Francis  Burton,  le  lieutenant  gou- 
verneur, (l)prit  les  rênes  de  l'administration.     C'était 

(1) — Sir  Francis  Burton  était  lieutenant  gouverneur  du 
Bas-Canada  depuis  1808.  Mais  il  n'était  au  Canada  que  depuis 
1822.  On  se  rappelle  que  la  Chambre  avait  fait  des  représen- 
tations relativement  au  salaire  d'un  lieutenant  gouverneur 
absent  de  la  province.  C'est  ce  qui  avait  déterminé  l'arrivée  de 
sir  Francis.  Ses  qualités  personnelles  l'avaient  promptement  rendu 
populaire.  A  la  session  de  1823,  la  Chambre  lui  avait  voté  une 
augmentation  de  salaire  de  1000  louis  sterling  (soit  2500  louis  en 
tout)  et  une  somme  de  500  louis  pour  le  loyer  et  l'ameublement 
d'une  résidence. — Avant  sir  Francis  Burton,  il  y  avait  eu  sous  le 
régime  britannique  six  lieutenants  gouverneurs  de  Cuébec  ou 
du  Bas-Canada  :  Sir  Guy  Carleton  en  1766,  Hector-Theophilus 
Cramahé  en  1771,  Henry  Hamilton  en  1784,  Henry  Hope  en  1785, 
Alured  Clarke  en  1790,  Robert  Prescott  en  1795,   Robert-Shoré 


170  COURS  d'histoire  du  canada 

un  homme  ami  delà  concorde.  Son  aménité  decaractère, 
sa  bienveillance  et  son  commerce  facile  avaient  prédis- 
posé les  esprits  en  sa  faveur.  Les  élections  générales 
qui  eurent  lieu  dans  l'été  de  1824  apportèrent  peu  de 
changements  au  tempérament  général  de  l'Assemblée. 
La  session  s'ouvrit  le  8  janvier  1825.  M.  Vallières, 
qui  avait  siégé  deux  ans  comme  orateur,  ne  fut  pas 
réélu,  et  M.  Papineau  fut  replacé  dans  ses  anciennes 
fonctions.  Dans  le  discours  du  trône  le  lieutenant 
gouverneur  fit  cette  déclaration  significative:  "Quoi- 
que j'assume  pour  la  première  fois  l'administration  du 
gouvernement,  j'ai  résidé  assez  longtemps  dans  la  pro- 
vince pour  vous  avoir  connus  presque  personnellement. 
Et  je  puis  déclarer  avec  la  plus  vive  satisfaction  que 
dans  aucune  partie  des  possessions  de  Sa  Majesté  je 
n'ai  remarqué  un  plus  ferme  attachement  à  sa  personne 

Milnes  en  1797.  Ces  fonctionnaires  remplaçaient  les  gouverneurs 
en  chef  quand  ceux-ci  étaient  absents,  soit  temporairement 
soit  définitivement.  C'est  ainsi  que  Carleton  vint  ici  d'abord 
pour  administrer  les  affaires,  après  le  départ  de  Murray,  en  1766, 
avec  le  simple  titre  de  lieutenant  gouverneur.  Murray  ne  cessa 
d'être  titulairement  gouverneur  qu'en  1768,  et  Carleton  fut  alors 
nommé  gouverneur  en  chef.  Sir  Robert -Shore  Milnes  ne  fut 
jamais  que  lieutenant  gouVerneur.  II  remplit  ici  les  fonctions 
de  gouverneur  après  le  départ  du  général  Prescott,  en  1799  jus- 
qu'en 1805,  ce  dernier  conservant  son  titre  jusqu'en  1807.  De 
1805  à  1807  (date  de  la  nomination  de  sir  James  Craig,)  le  gou- 
vernement fut  administré  par  le  président  Dunn.  A  partir  de 
1786,  les  gouverneurs  de  Québec  furent  toujours  gouverneurs  en 
chef  de  toutes  les  provinces  britanniques,  les  représentants  de 
la  Couronne  au  Nouveau-Brunswick,  à  la  Nouvelle-Ecosse  et 
dans  le  Haut-Canada  ne  furent  que  lieutenants  gouverneurs,  et 
il  y  en  eut  un  aussi  pour  le  Bas-Canada,  sous  le  gouverneur 
général.  (A  consulter  sur  les  lieutenants  gouverneurs  les  Docu- 
mpits  constitutionnels,  1760-1791,  pp.  166,  279,  507,  527,  et  le 
Hand-Book  oj  Canadian  Dates,  de  F.  McCord). 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  171 

et  à  son  gouvernement  que  ceux  dont  vous  donnez 
l'exemple;  et  j'ai  conséquemment  les  meilleures  rai- 
sons de  compter  sur  vos  efforts  réunis.  J'espère,  Mes- 
sieurs, que  vous  allez  vous  unir  cordialement  pour 
écarter  les  difficultés  passées,  et  pour  en  prévenir  le  re- 
tour par  un  arrangement  à  l'amiable  des  affaires  finan- 
cières de  la  province."  (1) 

La  Chambre  s'efforça  de  correspondre  à  l'appel. 
De  part  et  d'autre,  il  y  eut  de  la  bonne  volonté.  Sir 
Francis  Burton  soumit  les  estimations  dans  une  forme 
différente  de  celle  qui  avait  été  adoptée  les  années  pré- 
cédentes. La  distinction  entre  deux  classes  de  servi- 
ces, ceux  du  gouvernement  civil  et  de  l'administration 
judiciaire,  et  ceux  des  établissements  locaux  et  pro- 
vinciaux, ne  fut  pas  reproduite.  Les  revenus  affectés 
antérieurement  furent  évalués  à  40,545  louis  courant, 
et  une  somme  additionnelle  de  31,456  louis  fut  deman- 
dée pour  compléter  le  paiement  des  dépenses  prévues. 
L'Assemblée  se  montra  satisfaite  de  cette  nouvelle  ma- 
nière de  soumettre  les  estimations  budgétaires.  Elle 
y  vit  ou  voulut  y  voir  un  abandon  de  la  distinction 
entre  les  offices  permanents  et  les  offices  locaux,  et  une 
admission  de  son  contrôle  sur  le  revenu  affecté  en 
permanence.  Il  y  avait  peut  être  là  une  illusion,  in- 
consciente ou  volontaire.  Quoi  qu'il  en  fût  elle  pro- 
duisit son  effet.  Les  chefs  de  la  majorité  s'efforcèrent 
de  préparer  un  bill  de  subsides  qui  serait  agréable  au 
lieutenant  gouverneur,  et  qui,  d'autre  part,  ne  compro- 
mettrait pas  leurs  prétentions.  Il  y  eut  des  pourpar- 
lers discrets  (2).     Et  le  résultat  fut  un  bill  de  subsides 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1825,  p.  12. 
(2)— Christie,  t.  III,  p.  69. 


172  COURS  d'histoire  du  canada 

qui  apparemment  ne  soulevait  pas  les  mêmes  objections 
que  les  précédents.  Certains  articles  des  estima- 
tions y  étaient  su])primés  parce  que  l'Assemblée  les  ju- 
geait inutiles.  Mais  l'article  où  se  trouvait  édictée 
l'afTectation  budgétaire  était  conçu  en  des  termes  qui 
éludaient  la  difliculté  principale.  II  y  était  dit:  "En 
addition  au  revenu  approprié  pour  défrayer  les  dépenses 
de  l'administration  de  la  justice  et  pour  le  maintien 
du  gouvernement  civil  de  la  province,  il  sera  ajouté  et 
payé  à  même  les  deniers  non  appropriés  qui  sont  main- 
tenant ou  qui  pourront  se  trouver  ci-après  entre  les 
mains  du  receveur  général  de  la  province  telle  somme 
ou  sommes  qui  pourront  être  nécessaires  pour  complé- 
ter une  somme  n'excédant  pas  cinquante-huit  mille 
et  soixante  quatorze  louis,  deux  chelins  et  onze  pence 
sterling,  aux  fins  de  défrayer  les  dépenses  du  gouver- 
nement civil  de  cette  province  et  de  l'administration 
de  la  justice,  et  les  autres  dépenses  pour  la  dite  année 
commençant  le  1er  jour  de  novembre  1824  et  se  termi- 
nant le  trente  et  unième  jour  d'octobre  1825."  (1) 

Cette  formule  fort  habilement  rédigée  rencontra 
la  faveur  universelle.  Le  bill  des  subsides,  voté  à  la 
Chambre  par  vingt-deux  voix  contre  une  (2),  fut  agréé 
par  le  conseil  à  une  très  forte  majorité,  deux  conseillers 
seulement,  MM.  Richardsonet  Grant,  donnant  un  vote 
hostile  (3).  De  part  et  d'autre  on  se  félicita  du  résul- 
tat. On  proclama  la  fin  des  difTicultés  qui  avaient  en- 
travé le  bon  fonctionnement  de  nos  institutions.  En 
présentant  le  bilI  des  subsides,  M.  Papineau  prononça 

(1) — Statuts  provinciaux  du  Bas-Canada,  t.  XII,  p.     103; 
25  George  III,  ch.  XX vu. 

(2) — Journal  de  la  Chambre,  1825,  pp.  365-366. 

(3)— Christie,  t.  III,  p.  70. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  173 

ces  paroles:  "Qu'il  me  soit  permis  au  nom  des  fidèles 
et  loyaux  sujets  de  sa  Majesté,  ses  communes  du  Bas- 
Canada.  .,  d'exprimer  leur  reconnaissance  pour  la  fa- 
cilité de  l'accès,  l'urbanité  de  l'accueil,  la  franchise  dans 
les  communications,  la  variété  et  l'importance  des 
renseignements  propres  à  faciliter  leurs  travaux  légis- 
latifs qu'ils  ont  en  tout  temps  obtenus  de  votre  Excel- 
lence. Depuis  l'année  mil  huit  cent  dix-huit  que  cette 
Chambre  avait  été  appelée  pour  la  première  fois  à  pour- 
voir annuellement  à  toutes  les  dépenses  civiles  du  gou- 
vernement, des  obstacles  toujours  croissants  jusqu'à 
ce  jour  avaient  empêché  qu'elle  pût  offrir  à  la  sanction 
royale  un  bill  qui  pourvût  pleinement  à  cet  objet  essen- 
tiel. Enfin  sous  de  plus  heureux  auspices,  sous  votre 
administration,  cet  engagement  volontaire  qu'elle  a 
prise,  ce  devoir  qu'elle  a  toujours  été  prête  à  remplir 
va  s'accomplir  à  la  suite  de  difficultés  trop  longtemps 
prolongées.  Vos  efforts  pour  rétablir  l'harmonie  entre 
les  autorités  constitutionnelles  ont  été  couronnée  d'un 
plein  succès,  qui  vous  garantit  la  reconnaissance  du- 
rable de  l'Assemblée  et  du  peuple  qu'elle  représente."  (1) 
Sir  François  Burton  de  son  côté  témoigna  en  ter- 
mes chaleureux  le  contentement  qu'il  éprouvait  :  "Ce 
sera,  dit-il,  une  partie  bien  satisfaisante  de  mon  devoir 
de  faire  connaître  à  Sa  Majesté  aussitôt  que  possible 
la  nouvelle  satisfaisante  que,  par  un  arrangement  ami- 
cal des  intérêts  pécuniaires  de  cette  province,  vous 
avez  obvié  aux  difficultés  qui,  pendant  des  années  suc- 
cessives, ont  troublé  l'harmonie  qu'il  était  si  désirable 
^'établir  entre  les  corps  législatifs.  Et  cet  événement, 
j'en  suis  persuadé,  tendra  à  rapprocher  dans  un  degré 

(1)  Journal  de  la    Chambre    d' Assemblée    du    Bas-Canada,  22 
mars  1825. 


174  COURS  d'histoire  du  canada 

cniinent  les  liens  qui  unissent  cette  province  à  la  mère- 
patiic." 

La  session  de  1825  se  terminait  dans  une  effusion 
d'allégresse  civique  et  de  synipatiiie  mutuelle.  "Cha- 
cun, écrit  un  contemporain,  se  félicita  de  voir  finir  ainsi 
les  dissensions  sur  les  affaires  de  finance."  Le  lieute- 
nant gouverneur  écrivait  dans  cette  note  au  ministre 
des  colonies.  Il  lui  annonçait  avec  la  plus  vive  satis- 
faction que  les  différends  existant  depuis  si  longtemps 
entre  les  corps  législatifs  sur  la  question  des  subsides 
étaient  terminés  à  l'amiable.  Il  ajoutait:  "L'Assem- 
blée a  décidément  reconnu  le  droit  de  la  Couronne  de 
disposer  du  revenu  provincial  de  l'Acte  de  la  Même 
George  III  et  de  certains  autres  droits  dont  le  produit 
est  déjà  approprié  par  la  loi,  et  à  l'avenir  il  ne  sera  né- 
cessaire de  demander  à  l'Assemblée  que  l'aide  qui  pour- 
rait êtie  requise  pour  couvrir  le  déficit  du  revenu  ci- 
dessus  mentionné  pour  payer  les  dépenses  du  gouver- 
nement civil  et  de  l'administration  de  la  justice."  Et  il 
terminait  sa  lettre  par  ces  mots:  "Il  n'y  a  pas  eu  de 
session  aussi  paisible  depuis  vingt-cinq  ans."  (1)  Quand 
nous  lisons  cette  lettre,  après  la  longue  étude  que  nous 
avons  faite  du  conflit  budgétaire,  et  quand  nous  la  rap- 
prochons du  texte  adopté  par  la  Chambre  pour  le  der- 
nier bill  des  subsides,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher 
de  signaler  que  sir  Francis  Burton  se  faisait  quelque 
illusion  sur  la  portée  véritable  de  cet  acte.  La  Cham- 
bre était  restée  dans  l'indéfini;  elles'était  arrangée  pour 
ne  pas  reconnaître  expressément  à  la  Couronne  le  droit 
de  disposer  du  revenu  en  permanence  affecté.     Lord 


(1) — Archives  du  Canada  ;  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
Q.  171,  p.  12. 


COURS  d'histoire  du  canada  175 

Bathurst  le  discerna  parfaitement.     S'il  eût  été  diplo- 
mate, il  eût  profité  de  cette  sorte  d'équivoque,  de  ce 
malentendu,   propice   à   certains   égards,   pour  laisser 
expirer  tranquillement  la  controverse  fâcheuse  où  la 
métropole  se  trouvait  engagée  avec  la  colonie.     A  la 
rigueur  la  prétention  soutenue  par  lui  depuis  1820  pou- 
vait paraître  implicitement  reconnue  par  l'Assemblée. 
II  eût  été  judicieux  de  sa  part,  nous  semble-t-il,  de  se 
déclarer  satisfait,  et  de  profiter  du  bill  de  subsides  à 
la  tournure  conciliante  voté  par  la  Chambre  en  1825, 
pour  établir  un  modus  vivendi  acceptable  à  toutes  les 
parties  en  cause,  et  assurer  ainsi  le  fonctionnement  pai- 
sible  de  l'administration   bas-canadienne.     Lord    Ba- 
thurst ne  sût  pas  saisir  l'occasion.     II  se  cantonna  dans 
la  conception  la  plus  extrême  de  la  prérogative  royale. 
Il  censura  .sir  Francis  Burton  pour  avoir  consenti  à  ce 
qui  lui  paraissait  une  diminution  de  cette  prérogative. 
Il  protesta  contre  une  mesure  qui  affectait  l'intégrité  du 
"revenu  du  roi",  il  réclama  pour  "Sa  Majesté",  le  droit 
d'appliquer  le    "revenu    permanent   de    la   Couronne 
à  telles  dépenses  qu'elle  jugerait  convenable."    Com- 
me si  le  produit  des  taxes  payées  par  le  peuple  n'eût 
pas  été  en  réalité  la  propriété  du  peuple  de  cette  pro- 
vince!    Lord  Bathurst  reprochait  au  lieutenant  gou- 
verneur de  n'avoir  pas  suivi  les  instructions  contenues 
dans  ses  dépêches  à  lord  Dalhousie  du  11  septembre 
1820  et  du   17  septembre   1821.     II  terminait  cette 
lettre  d'un  ton   si   absolu   par  l'intimation  suivante: 
"Comme  le  bill  est  limité  à  une  année,  je  ne  crois  pas 
nécessaire  de  recommander  à  sa  Majesté  de  le  désap- 
prouver, mais  j'enjoindrai  au  représentant  de  sa  Ma- 
jesté de  ne  sanctionner  aucune  mesure  d'une  nature 


12 


17G  COURS  d'histoike  du   canada 

semblable."  (1)  Suivant  nous  cette  attitude  de  lord 
Bathurst  en  1825  fut  l'une  des  fautes  les  plus  regret- 
tables de  sa  longue  carrière  de  secrétaire  colonial.  Dans 
certaines  circonstances,  dans  la  question  religieuse, 
par  exemple,  il  nous  avait  rendu  d'incontestables  ser- 
vices. Mgr  Plessis  avait  eu  plus  d'une  fois  à  se  louer 
de  lui.  (2)  Mais  en  cette  occasion  il  manqua  de  tact, 
de  clairvoyance,  de  savoir-faire,  et  sa  maladroite  in- 
transigeance entraîna  des  résultats  déplorables.  L'ad- 
ministration de  sir  Francis  Burton  avait  produit  une 
détente  inespérée  dans  la  situation.  Le  concours  des 
deux  chambres  était  rétabli,  la  bonne  entente  régnait 
entre  l'exécutir  et  l'assemblée.  M.  Papincau  et  sir 
Francis  Burton  échangeaient  des  compliments.  C'était 
presque  une  idylle.  Elles  sont  bien  rares,  les  idylles, 
en  politique.  Et  lord  Bathurst  eût  dû  profiter  de 
l'idylle  Burton  pour  assurer  à  la  province  un  avenir  de 
paix  et  de  législation  progressive.  Il  manqua  la  chance 
que  lui  offraient  les  événements.  Et  c'est  là  une 
erreur  que  l'on  pardonne  difficilement  à  un  homme 
d'Etat. 

Le  lieutenant  gou\eriîcur  se  justifia  du  reproche 
d'avoir  méconnu  les  instructions  ministérielles,  en  prou- 
vant que  les  dépêches  de  1820  et  de  1821  à  lord  Dal- 
housie  ne  lui  avaient  pas  été  communiquées.  Et 
quant  au  méri'te  de  la  question  il  écrivit  un  long  mémoi- 


(1) — Lord  Bathurst  à  sir  Jrancis  Burton,  4  juin  1825  ;  Ar- 
chives du  Canada,  Q.  171,  p.  29. 

(2) — Lord  Bathurst  appartenait  à  cette  école  qui,  dans  le 
parti  tory,  restait  fidèle  aux  idées  de  Pitt  relativement  à  l'éman- 
cipation des  catholiques.  Comme  Canning.IIuskisson  et  plusieurs 
autres,  il  était  favorable  à  cette  émancipation,  qui,  en  182.'), 
était  à  la  veille  de  triompher  (1829). 


COURS  d'histoire  du  canada  177 

re  pour  défendre  la  sagesse  de  son  attitude.  (1)  Lord 
Bathurst  reconnut  que  son  blâme  n'était  pas  fondé, 
puisque  sir  Francis  Burton  ne  connaissait  pas  les  ins- 
tructions données  antérieurement  au  gouverneur.  Mais 
il  persista  dans  son  sentiment  relativement  au  bill  des 
subsides  de  1825. 

Lord  Dalhousie,  de  retour  au  Canada  dans  l'autom- 
ne de  cette  année,  reprit  la  direction  du  gouvernement. 
Au  début  de  la  session  de  1826,  qui  fut  ouverte  le  2 
janvier,  il  parut  se  réjouir,  lui  aussi,  de  la  fin  présumée 
des  difficultés.  "Ce  sera  pour  moi  une  grande  satis- 
faction, dit-il,  de  voir  que  les  différends  qui  ont  si  long- 
temps subsisté  dans  la  législature  sur  les  affaires  de  fi- 
nance sont  enfin  terminés  et  qu'il  n'existe  plus  aucune 
difficulté  pour  empêcher  l'octroi  des  aides  qu'il  est  de 
mon  devoir  de  demander  au  nom  de  sa  Majesté,  pour 
le  soutien  de  son  gouvernement  dans  cette  province." 
II  est  difficile  de  concilier  ces  expressions  si  pleines  de 
confiante  assurance  avec  la  connaissance  que  lord  Dal- 
housie devait  avoir  à  ce  moment  du  blâme  infligé  à 
sir  Francis  Burton  par  lord  Bathurst,  et  de  la  politi- 
que intransigeante  que  celui-ci  avait  énoncée  dans  sa 
lettre  du  4  juin  précédent.  Quoi  qu'il  en  soit  il  put 
constater  bientôt  que  l'Assemblée  ne  se  plierait  pas  à 
la  volonté  du  ministre  des  colonies.  La  communica- 
tion qu'il  crut  devoir  lui  faire  delà  lettre  malencontreuse 
du  4  juin  1825,  où  lord  Bathurst  repoussait  sur  un 
ton  91  péremptoire  l'appaience  même  d'une  ingérence 
pailementaire  dans  l'affectation  des  "revenus  du  roi", 
produisit    la    plus    désastreuse    impression.  (2)     L'As- 

(1) — Sir  Francis  Burton  à  lord  Bathurst,  25  juillet,  11  août 
1825  ;  Archives  du  Canada,  Q.  171,  pp.  182,  195. 

(2)— Journal  de  la  Chambre,  1826,  p.  268. 


178  COURS  d'histoire  du   canada 

semblée,  conciliée  par  sir  Francis  Burton,  se  cabra  de 
nouveau.  Elle  adopta  une  série  de  résolutions  dans 
lesquelles  elle  aiïîrmait  une  fois  de  plus  son  droit  de 
contrôle  sur  l'affectation  et  la  distribution  de  tout  le 
revenu  public.  (1)  Puis  nonobstant  la  dépêche  de  lord 
Batiiurst,  elle  adopta  un  bill  de  subsides  absolument 
semblable  à  celui  de  1825,  dont  la  forme  avait  été  dé- 
clarée inacceptable  par  le  ministre.  Le  Conseil  légis- 
latif, qui  avait  approuvé  le  bill  de  l'année  précédente, 
amenda  celui-ci  conformément  aux  vues  du  gouverne- 
ment. Et  le  résultat  fut  que  le  bill  des  subsides  mou- 
rut dans  son  trajet  entre  les  deux  chambres,  car  l'As- 
semblée, comme  on  devait  s'y  attendre,  refusa  d'accep- 
ter les  amendements  du  Conseil. (2)  En  prorogeant 
la  législature  lord  Dalhousie,  après  avoir  rappelé  la  dé- 
pêche de  lord  Bathurst  à  sir  Francis  Burton,  prononça 
les  paroles  suivantes,  qui  devaient  jouer  un  grand  rôle 
dans  les  discussions  ultéiieures:  "Je  n'hésite  pas  à  vous 
déclarer  que  je  dois  adhérer  aux  ordres  et  instructions 
contenues  dans  ce  document,  jusqu'à  ce  qu'ils  soient 
révoqués  par  Sa  Majesté,  et  que  jusque  Là  je  dois  con- 
tinuer à  soumettre  les  comptes  et  estimations  dans  la 
forme  où  je  les  ai  présentés  au  parlement  provincial 
durant  la  présente  session,  vous  montrant  une  claèse 
du  revenu  pour  votre  information,  et  une  autre  classe 
pour  votre  appropriation."  (3)  Les  chefs  dt  l'Assem- 
blée ne  manquèrent  pas  d'exploiter  cette  formule  et  de 
signaler    comme    exorbitante    la     prétention    que    la 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  p.  253. 

(2) — Christie,  t.  III,  p.  96  ;  Journal  du   Conseil  législatif, 
1826. 

(3) — Journal   de   la    Chambre   d'Assemblée   du    Bas-Canada, 
1826,  p.  371. 


COURS  d'histoire  du  cahada  179 

chambre  populaire  n'avait  qu'un  droit  d'"information" 
sur  une  proportion  considérable  du  revenu  public. 

L'imbroglio  s'accentuait.  De  part  et  d'autre,  les 
parties  en  présence,  le  pouvoir  exécutif  et  l'Assemblée, 
semblaient  dire  à  l'envie:  "Mon  siège  est  fait."  La 
session  de  1827  ne  devait  pas  améliorer  cette  situation. 
Bien  au  contraire  la  communication  d'une  information 
relative  au  retrait  du  blâme  infligé  à  sir  Francis  Bur- 
ton,  eu  égard  au  fait  qu'il  n'avait  pas  connu  les  ins- 
tructions antéiieures  du  ministre,  donna  une  recru- 
descence aux  dispositions  hostiles  de  la  Chambre.  Elle 
demanda  qu'on  lui  soumît  le  texte  de  la  dépêche  où  le 
lieutenant  gouverneur  était  exonéré  sur  ce  point.  Et  le 
gouverneur  refusant  de  produire  cette  pièce,  elle  décla- 
ra que  vraisemblablement  la  justification  du  lieute- 
nant gouverneur  n'avait  pas  pour  seul  motif  la  raison 
énoncée  dans  le  message  de  lord  Dalhousie.  C'est-à- 
dire  que,  suivant  elle,  l'exonération  de  sir  Francis  Bur- 
ton  avait  eu  pour  cause  non  pas  simplement  son  igno- 
rance des  instructions  ministérielles,  mais  un  réel  chan- 
gement d'opinion  de  la  part  de  lord  Bathurst  sur  le  mé- 
rite de  la  question.  En  d'autres  teimes  celui-ci  aurait 
modifié  SCS  vues  relativement  au  bill  des  subsides  de 
1825,  et  reconnu  la  sagesse  manifestée  par  le  lieutenant 
gouverneur  en  sanctionnant  ce  biil.  Si  vraiment  la 
Chambre  était  sous  cette  impression  elle  était  à  coup 
sûr  dans  l'erreur,  car  lord  Bathuist  était  plus  obstiné 
que  jamais  dans  son  attitude.  (1)  Cet  incident 
pouvait  faire  augurei  que  le  conflit  n'était  pas 
près  de  finir.  Les  estimations  furent  encore  soumises 
dans  une  forme  nouvelle.     Elles  accusaient  aussi  pé- 

(1) — Lord  Bathurst  à  lord  Dalhousie,  30  septembre   1825. 
Archives  du  Canada  :  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  164-A. 


180  COURS  d'histoire  du  canada 

remptoircment  qu'auparavant  l'intention  de  nier  à 
la  chambre  le  droit  d'affectation  totale  que  réclamait 
cette  dernière.  (1)  La  réponse  de  la  députation  ne 
pouvait  être  douteuse.  Par  un  vote  de  trente-deux 
contre  six  elle  maintint  son  attitude  antérieure,  et  dé- 
clara que  les  estimations  budgétaires  telles  que  soumi- 
ses ne  lui  permettaient  pas  de  voter  les  subsides.  (2) 
Le  lendemain,  7  mars  1827,  lord  Dalhousie  venait  pro- 
roger soudainement  la  session  en  prononçant  un  dis- 
cours où  se  manifestait  une  irritation  très  vive.  On 
eût  cru  entendre  une  des  harangues  comminatoires  de 
Craig.  Après  avoir  complimenté  le  Conseil  législatif 
il  adressait  à  la  chambre  une  longue  mercuiiale.  II 
l'apostrophait  avec  une  véhémence  peu  conforme  au 
style  ofFiciel.  "Avez-vous  voté  les  subsides  demandés 
par  sa  Majesté?  Avez- vous  donné  des  raisons  que  le 
pays  puisse  comprendre?  Avez-vous  répondu  aux 
messages  du  représentant  de  sa  Majesté?  Avez-vous 
reconnu  dans  vos  procédures  la  prérogative  de  la  Cou- 
ronne?" Il  terminait  en  disant  qu'il  ne  lui  restait 
plus  qu'à  proioger  le  parlement,  malgré  les  inconvé- 
nients qui  en  résulteraient  pour  la  province.  (3) 

Un^  grande  agitation  s'ensuivit.  M.  Papineau 
et  six  de  ses  collègues  du  district  de  Montréal  publiè- 
rent un  manifeste  où  ils  répondaient  énergiquement  à 
la  harangue  de  prorogation  de  lord  Dalhousie.  Ce  der- 
nier Jut  désormais  classé  par  le  parti  canadien  au  nom- 
bre de  nos  gouverneurs  les  plus  impopulaires.     Ce  sen- 

(1) — Journal  de  la  Chambre,  1827,  p.  7.5  ;    Eslimations  bud- 
gétaires. Appendice  H. 

(2)—Ibid,  p.  313. 

(3)— Journal  de  la  Chambre,  1827,  p.  316. 


COURS  d'histoire  du   canada  181 

timent  d'hostilité  fut  encore  accru  par  la  mise  en  vi- 
gueur des  anciennes  ordonnances  de  milice,  parce  que 
la  loi  de  milice  dont  le  terme  expirait  n'avait  pas  été 
renouvelée  avant  la  prorogation  soudaine  de  la  législa- 
ture. On  attaqua  leur  légalité.  Des  officiers  de  milice 
refusèrent  de  les  reconnaitre.  Il  en  résulta  des  desti- 
tutions. Des  lettres  de  protestations  peu  flatteuses  fu- 
rent adressées  au  gouverneur.  (1)  L'excitation  des 
esprits  devint  de  plus  en  plus  grande  lorsque  le  parle- 
ment fut  dissout  avant  son  terme  normal  au  mois  de 
juillet  1827.  Les  élections  qui  suivirent  donnèrent  lieu 
à  de  violentes  polémiques  de  presse  et  à  des  passes 
d'armes  mouvementées  à  la  tribune  populaire.  M.  Pa- 
pineau  prononça  une  harangue  dans  laquelle  il  dénon- 
çait l'attitude  de  lord  Dalhousie.  Et  quand  l'élection 
fut  terminée  par  sa  victoire,  il  adressa  à  ses  électeurs 
du  quartier  ouest  de  Montréal  une  lettre  où  il  se  met- 
tait en  scène  comme  l'adversaire  du  gouverneur  et  pro- 
clamait la  défaite  de  ce  dernier.  "Vous  ne  deviez  blâ- 
mer disait-il,  l'une  ou  l'autre  autorité  constituée  (le 
représentant  de  la  Couronne  et  l'Assemblée)  qu'après 
un  examen  léfléchi  des  faits  et  des  doctrines  invoquées 
par  l'une  ou  par  l'autre,  tels  qu'ils  vous  ont  été  expo- 
sés, avec  autant  de  clarté  que  J'en  étais  capable  en  fa- 
veur de  l'Assemblée,  avec  autant  d'ardeur  que  possi- 
ble en  faveur  du  gouverneur  par  ses  partisans.  Vous 
avez  décidé  de  me  renvoyer  au  parlement,  fort  de  ma 
conviction  passée  et  de  votre  approbation  récente."  (2) 
L'effervescence  qui  avait  marqué  l'élection  géné- 
rale de   1827,   les  incidents  qui  l'avaient  précédée  et 

(1) — Bibaud,    Histoire   du   Canada  sous  la   domination   an- 
glaise, pp.  283-84. 

(2)— La  Minerve.  2-3  août   1827. 


182  COURS  d'histoire  du  canada 

suivie,  maintenaient  l'opinion  clans  un  état  d'agitation 
intense.  On  attendait  avec  un  intérêt  passionné  la 
réunion  des  chambres.  "Ce  qui  occupait  le  plus  les 
esprits"  suivant  un  écrivain  de  cette  époque,  "c'était 
le  choix  de  l'orateur  de  l'Assemblée,  ou  plutôt  la  ques- 
tion de  l'acceptation  ou  du  rejet  de  M.  Papineau."  (1) 
Un  des  organes  du  parti  populaire  disait:  "Le  choix  de 
la  personne  de  M.  Papineau  est  fait  depuis  longtemps, 
et  la  Chambre  ne  craindra  point  d'annoncer  son  choix 
au  gouverneur.  Si  le  gouverneur  irrité  cassait  le  parle- 
ment il  se  perdrait  pour  toujours  dans  l'esprit  de  cette 
colonie,  se  couvriiait  d'infamie  et  s'exposerait  à  être 
rappelé  en  Angleterre."  (2)  Par  contre  les  gazettes 
gouvernementales  proclamaient  que  si  M.  Papineau 
était  choisi,  "le  gouverneur  refuserait  de  ratifier  son 
élection."  (3) 

L'ouverture  de  la  session  eut  lieu  le  20  novembre 
1827.  Mandés  dans  la  salle  du  Conseil  législatif,  et  in- 
vités à  faire  avant  toutes  choses  l'élection  d'un  orateur, 
les  députés  retournèrent  au  lieu  de  leurs  séances  pour 
y  procéder.  Sur  motion  de  M.  Bourdages,  M.  Papi- 
neau fut  élu  par  trente-neuf  voix  contre  cinq.  Mais 
lord  Dalhousie  avait  pris  d'avance  sa  détermination. 
Mal  inspiré  par  le  ressentiment  personnel  que  lui 
avaient  fait  éprouver  les  attaques  de  M.  Papineau,  il  fit 
déclarer  à  la  Chambre  le  lendemain,  quand  l'orateur 
nouvellement  élu,  accompagné  des  députés,  vint  lui 
signifier  son  élection,  qu'il  n'approuverait  pas  ce  choix 

(1) — Bibaud,   Histoire  du   Canada  sous  la  dominalion   an- 
glaise, p.  292. 

(2) — Le  Spectateur  Canadien,  novembre  1827. 
(3)— Bibaud,  p.  263. 


COURS  d'histoire  du  canada  183 

et  invitait  la  chambre  à  en  faire  un  autie.  Evidem- 
ment pour  cette  dernière  il  ne  pouvait  être  question 
d'une  reculade.  Elle  déclara  que  la  présentation  de 
la  personne  élue  au  chef  de  l'Etat  pour  son  approba- 
tion était  fondée  seulement  sur  un  usage  et  qu'elle  per- 
sistait dans  son  choix.  Une  députation  chargée  de 
s'enquérir  quand  il  plairait  à  son  Excellence  de  lece- 
voir  une  adresse  à  cet  effet  reçut  la  réponse  que  le  re- 
présentant du  roi  ne  pouvait  accepter  de  l'Assemblée 
ni  message  ni  adiesse  tant  qu'elle  n'aurait  pas  élu  d'o- 
rateur avec  l'approbation  de  la  Couronne.  (1)  Le  soir 
de  ce  jour  la  législature  était  prorogée. 

L'imbroglio  était  complet.  Ce  que  l'on  appela  "le 
rejet  de  l'orateur"  produisit  dans  la  province  une  sen- 
sation profonde.  Les  partisans  de  l'oligarchie  execu- 
tive triomphèrent.  Mais  leurs  acclamations  se  per- 
dirent dans  la  protestation  puissante  que  fit  entendre 
l'immense  majorité  du  peuple  canadien.  Les  jour- 
naux firent  assaut  d'invectives.  Des  assemblées  ora- 
geuses furent  tenues  de  tous  côtés.  Bientôt  un  vaste 
pétitionnement  fut  organisé  pour  soumettre  au  gouver- 
nement et  au  parlement  britanniqi^e  les  griefs  de  la 
province.  Le  fonctionnement  de  notre  organisme 
politique  était  suspendu.  Nos  institutions  parlemen- 
taires étaient  paralysées.  Les  meilleurs  esprits  parmi 
nous,  sans  approuver  toutes  les  tactiques  adoptées  na- 
guère ni  tout  ce  qui  se  disait  ou  s'écrivait  dans  nos 
rangs,  se  rallièrent  à  une  protestation  et  à  un  appel 
fondé  sur  les  plus  légitimes  sujets  de  plainte.  Pen- 
dant que  les  bureaucrates,  que  le  groupe  commercial 
anglophone,  toujours  hostile  à  notre  cause,  présentaient 


(1) — -Journal  de  la  Chambre  d' Assemblée  du  Bas-Canada,  20, 
21,  22  novembre  1827. 


184  COURS  d'histoike  du   canada 

des  adresses  à  lord  Dalliousie,  une  pétition  fortement 
motivée  se  couvrait  de  signatures.  Quatre-vingt  mille 
Canadiens  faisaient  entendre  leur  voix  pour  deman- 
der plus  de  justice,  plus  d'impartialité,  plus  de  respect 
de  nos  droits  nationaux,  une  plus  large  et  plus  libéiale 
Intel prétation  de  notre  constitution,  une  plus  judicieuse 
entente  du  régime  pailementaire  qui  nous  avait  été 
assuré.  Encore  une  fois  le  peuple  du  Bas  Canada  al- 
lait frapper  à  la  porte  du  parlement  impérial.  Au 
mois  de  jan^'ier  1828,  MM.  John  Neilson,  Denis-Ben- 
jamin Vigei  et  Austin  Cuvlllier  partaient  pour  Lon- 
dres comme  délégués  de  leurs  compatriotes,  afin  de  sou- 
mettre à  la  métropole  nos  griefs  et  en  demander  le  re- 
dressement. 

Dans  notre  piochaine  leçon  nous  les  suivrons  en 
Angleterre,  nous  étudierons  l'objet  précis  de  leur  mîs- 
sion,  et  nous  verrons  quelle  en  fut  la  fortune  devant  le 
gou\ernement  et  le  parlement  de  la  Grande  Bretagne. 


SOURCES  ET   OUVRAGES  A  CONSULTER 

Garneau,  Histoire  du  Canada,  1882,  t.  III,  liv.  XV,  ch.  il 
et  III. — Bibaud,  Histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise, 
liv  III. — Christic,  History  oj  tbe  Province  oj  Lower  Canada,  1850, 

t.  III,  ch.    XXIV,    XXV,  XXVI. Perrault,  Abrégé  de  l'histoire 

du  Canada,  t.  IV. — Kingsford,  History  oj  Canada,  t.  IX. — J.-E. 
Roy,  Histoire  de  la  seigneurie  de  Lauzon,  t.  IV. — Ignotus,  Notes 
et  Souvenirs,  la  Presse,  Montréal,  1900. — Canada  and  its  Pro- 
vinces, t.  III  et  IV. — Alphcus  Todd,  On  Parliamentary  Govern- 
ment in  England,  Londres,  1887,  t.  I,  ch.  v. — Sir  T.-Erskine  May, 
Constitutional  History  oj  England,  Londres,  1912,  t.  I. — F. 
McCord,  Hand-Book  oj  Canadian  dates,  Montréal,  Dawson,  1888. 
— F.  Blanchet,  Appel  au  gouvernement  impérial.  Qucbec,  1824. — 


COURS  d'histoike  du   canada  185 

Financial  difficulties  of  Lower  Canada  (extracted  from.  tbe  Québec 
Gazette),  1824. — Esquisse  des  affaires  devant  le  parlement  pro- 
vincial, dans  la  sesssion  qui  doit  s'ouvrir  le  21  janvier  1826. — Sta- 
tutes  of  tbe  United  Kingdoin,  1820,  1822,  1823. Statuts  pro- 
vinciaux du  Bas-Canada,  t.  I,  35  George  III,  ch.  ix  ;  t.  VIII, 
55  George  III,  eh.  m;  3  George  IV,  ch.  xxxviii  ;  5  George  IV, 
ch.  xXvir. — Journaux  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas- 
Canada,  1822,  1823,  1824,  1825,  1826,  1827.— Journaux  du  Con- 
seil législatif  du  Bas-Canada,  1822,  1823,  1824,  1825,  1826.— 
La  Gazette  de  Québec,  1824. — Tbe  Canadian  Spectator,  1824. — 
Le  Spectateur  Canadien.  1827. — La  Minerve,  1827. — Archives  du 
Canada  :  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  164-A,  171. 


SIXIÈME  LEÇON. 

L'enquête  de  1828. — Assemblées  publiques  à  Québec  et  à  Mont- 
réal.— Formation  de  comités. — Les  pétitions  canadiennes. 
— Analyse  des  griefs  formulés. — La  composition  du  Conseil 
législatif. — Conseillers  fonctionnaires  et  pensionnaires — 
Leur  dépendance  indiquée  par  leurs  votes.- — Les  revenus 
et  la  dépense. — Les  salaires  exorbitant. — Le  cumul  des 
fonctions. — Comparaison  entre  deux  époques. — L'instruc- 
tion publique. — L'Institution  royale.— La  concession  et 
l'administration  des  terres  publiques.- — La  tenure  des  terres. 
— L'ingérence  du  parlement  impérial. — Plaintes  de  la  mi- 
norité.— Les  bureaux  d'enregistrement. — La  représenta- 
tion des  cantons  de  l'est. — Une  délégation  canadienne,  MAL 
Neilson,  Viger  et  Cuvillier. — Huskisson,  secrétaire  des 
colonies. — Les  fluctuations  de  la  politique  anglaise.- — La 
question  canadienne  soumise  aux  Communes. — Discours 
de  Huskisson. — Assertions  discutables. — Exposé  incom- 
plet.— Un  important  discours  de  sir  James  Mackintosh.- — 
Nomination  d'un  comité  d'enquête. — Audition  des  témoi- 
gnages.— Un  document  précieux. — Constatation  de  f.  its. — 
Griefs  prouves  par  nos  délégués. — Une  lettre  de  MM. 
Neilson,  Viger  et  Cuvillier.- — Le  rapport  du  comité  de 
1828. — La  légitimité  de  nos  plaintes  reconnue. — Le  départ 
de  lord  Dalhousie. — Sir  James  Kempt. — Les  chambres 
se  réunissent. — L'élection  de  M.  Papineau  comme  orateur 
sanctionnée. — Encore  une  accalmie. 

Le  13  décembre  1827,  se  tenait  à  l'hôtel  Malhiot 
une  assemblée  des  électeurs  de  la  cité  et  des  faubourgs 
de  Québec,  favorables  à  la  politique  suivie  par  la 
Chambre.  Elle  était  convoquée  pour  "considérer  s'il  ne 
serait  pas  expédient  de  soumettre  par  une  humble  péti- 
tion à  Sa  Majesté  et  aux  deux  chambres  du  parlement 
l'état  actuel  de  la  province,  les  abus  et  griefs  existants, 
et  de  demander  qu'il  y  soit  porté  remède  et  que  justice 
soit  faite."     A  cette  réunion,  présidée  par  M.  Louis- 


188  COURS  d'histoike  du  canada 

Abruhani  Lagiicux,  une  séiie  de  résolutions  lut  adop- 
tée, et  un  comité  de  trente-cinq  membres,  "électeurs 
dûment  qualifiés  par  la  loi",  fut  nommé  pour  dresser 
et  préparer  des  pétitions  conformes  à  ces  résolutions, 
"avec  plein  pouvoir  de  prendre  les  mesures  nécessaires 
pour  les  soumettre  à  la  signature  des  électeurs,  les  faire 
mettre  au  pied  du  trône,  les  présenter  aux  lords  et  aux 
communes,  et  aussi  pour  les  rendre  efficaces  et  les  sou- 
tenir par  des  témoignages."  (1) 

La  pétition  rédigée  par  les  soins  du  comité  conte- 
nait une  longue  récapitulation  des  griefs  de  la  majorité 
bas-canadienne.  Voici  quels  en  étaient  les  principaux 
chefs:  la  composition  du  Conseil  législatif  et  sa  dépen- 
dance  intéressée  du  pouvoir  exécutif;  la  proportion 
trop  considérable  des  dépenses  comparée  aux  limita- 
tions du  revenu,  excès  dû  on  grande  partie  à  l'exagéra- 
tion des  salaires  et  à  la  muliplication  des  sinécures: 
Jjnefficacité  dans  l'emploi  des  sommes  votées  par  lajéi 
gislature  pour  aider  aux  progrès  de  l'éducation,  et  faci-. 


(1) — Ce  comité  était  composé  comme  suit  :  Messieurs  Ama- 
ble  Berthelot,  François  Blanchet,  J.-L.  Borgia,  J.-B.-E.  Bacquet, 
Robert  Blackiston,  Michel  Borne,  J.  Bigaouette,  Michel  Clouet, 
John  Cannon,  Joseph  Dorion,  Etienne  Defoy,  John  Duval,  John 
Fraser,  H. -S.  Forsyth,  Pierre  Faucher,  Joseph  Gagné,  A.-R. 
Hamcl,  I  I.-S.  Huot,  Louis  Lagueux,  Joseph  Légaré,  père,  Louis 
Lagucux,  fils,  Jacques  Lcblond,  Et.-C.  Lagueux.  J.  Langevin, 
Ignace  Légaré,  J.-L.  Marett,  Louis  Massue,  Joachim  Mondera, 
John  Neilson,  Vallières  de  Saint-Réal.  Pierre  Pelletier,  Joseph 
Roy,  Augt.  Gauthier,  Thomas  Lee  et  Louis  Fortier.  L'assemblée 
s'engageait  à  contribuer  et  à  procurer  des  souscriptions  volon- 
taires pour  couvrir  les  dépenses  nécessaires  aux  sujets  mentionnés. 
Le  comité  choisit  pour  son  président  M.  Vallières  de  Saint-Rcal, 
pour  ses  vice-présidents  MK\.  Henry-George  Forsyth  et  Louis- 
Abraham  Lagueux,  et  pour  ses  secrétaires  MM.  Hector-Simon 
Huot  et  J.-B.-R.  Bacquet.  (Ga/.elte  de  Québec,  décembre  1827). 


COURS  d'histoire  du  canada  189 

liter  l'industrie  par  l'ouverture  et  l'amélioration  des 
communications  intérieures;  la  dépense  d'une  part 
considérable  du  revenu  public  sans  l'affectation  préala- 
ble de  la  législature;  la  négligence  administrative  qui 
avait  rendu  possible  le  péculat  du  receveur  Caldwell, 
et  qui  permettait  à  des  officiers  publics  de  garder  par 
devers  eux  de  fortes  sommes  sans  en  rendre  compte; 
l'emploi  des  biens  des  Jésuites  à  d'autres  fins  qu'à  des 
fins  d'éducation;  la  mauvaise  administration  des  terres 
publiques,  dont  d'immenses  étendues  avaient  été  con- 
cédées à  des  individus  ou  à  des  compagnies  qui  ne  rem- 
plissaient pas  les  conditions  d'établissement  stipulées 
dans  les  concessions;  les  tentatives  laites  dans  le  parle- 
ment impérial  pour  changer  la  constitution  à  l'insu  de 
la  province,  et  l'adoption  de  lois  qui  rétablissaient  ou 
continuaient  des  droits  temporaires  imposés  par  la  lé- 
gislature, e^  qui  affectaient  la  tenure  des  terres  con- 
trairement aux  droits  les  plus  chers  des  citoyens  du 
Bas-Canada.  La  pétition  se  terminait  par  ces  lignes: 
"C'est  pourquoi  nous  supplions  très  respectueusement 
Votre  Majesté  de  vouloir  bien  prendre  cette  humble 
requête  en  votre  très  gracieuse  considération  et  exer- 
cer votre  prérogati\'e  royale  de  manière  à  ce  que  vos 
fidèles  sujets  en  cette  province  soient  soulagés  des  dits 
abus  et  griefs;  qu'il  leur  soit  fait  justice  et  qu'ils  soient 
maintenus  et  assurés  dans  la  pleine  et  entière  jouissance 
de  la  constitution  du  gouvernement  établi  par  le  dit 
acte  de  la  trente  et  unième  année  du  règne  de  Sa  Ma- 
jesté, le  roi  votre  auguste  père,  sans  qu'il  soit  fait  aucun 
changement  quelconque." 

De  leur  côté  les  citoyens  de  Montréal  avaient  tenu 
des  assemblées  et  préparé  une  pétition.  Elle  différait 
de  celle  de  Québec,  principalement  en  ce  qu'elle  conte- 
nait, dans  sa  première  partie,  une  longue  série  d'accu- 


190  COURS  d'histoire  du  canada 

sations  contre  les  actes  de  lord  Dalhousic  comme  chef 
de  l'exécutif,  en  même  temps  qu'une  demande  instante 
adressée  au  roi  pour  le  rappel  de  ce  haut  fonctionnaire 
impérial.     La  seconde  partie  de  la  pétition  montréa- 
laise soumettait  à  la  considération  de  sa  Majesté  "quel- 
ques objets  de  la  plus  haute  importance  pour  le  bien- 
être  du  pays."     On  y  mentionnait  spécialement  l'é- 
ducation "non  encouiagée  en   ce  pays  en   proportion 
de  ses  besoins",  et  la  convenance  d'appliquer  à  cette 
fin  les  biens  des  Jésuites.     On  se  plaignait  de  ce  que 
les  droits  de  la  province  eussent  été  lésés  par  des  lois 
du  parlement  britannique  établissant  des  impôts  dans 
la  colonie  et  statuant  sur  des  objets  de  législation  inté- 
rieure, ce  qui,  sans  doute,  était  une  allusion  à  l'acte  de 
la  tenure  des  terres.     On  dénonçait  l'abus  du  cumul, 
"obstacle  considéiable  au  bon  gouvernement  de  cette 
province",  et  l'on  signalait  les  places  déjuges  du  banc 
du  roi,  de  conseillers  exécutifs  et  législatifs  occupés  par 
les  mêmes  personnes.     On  représentait  que  l'accroisse- 
ment de  la  population  rendait  nécessaire  un  change- 
ment dans  la  représentation  provinciale,  et  l'on  déplo- 
rait que  des  bills  votés  poui  cet  objet  dans  l'Assemblée 
eussent  été  rejetés  par  une  autre  branche  de  la  légis- 
lature.    On   insistait  enfin  pour  la   nomination   d'un 
agent   provincial   accrédité   auprès   du   gouvernement 
de  Sa  Majesté,    La  pétition  se  terminait  comme  suit: 
"Nous  supplions  humblement  Votre  Majesté  de  vou- 
loir bien  ordonner  à  vos  ministres  de  donner  des  ins- 
tructions au  gouvernement  colonial  en  vertu  desquel- 
les un  bill  pour  l'augmentation  de  la  représentation 
puisse  être  sanctionné,  ainsi  qu'un  bill  pour  accorder 
à  cette  province  l'avantage  dont  jouissent  la  plupart 
des  autres  colonies  de  Votre  Majesté,  celui  d'un  agent 


COURS  d'histoire  du  canada  191 

colonial  nommé  et  député  par  le  peuple  de  la  colonie, 
pour  veiller  à  ses  intérêts  en  Angleterre."  (1) 

Evidemment  les  deux  pétitions,  tout  en  ayant 
un  objet  commun,  n'étaient  pas  identiques  dans  leur 
forme.  Lorsqu'on  les  compare  on  constate  que  la 
pétition  québecquoise  était  à  la  fois  plus  complète 
et   moins   agressive. 

Il  nous  semble  opportun  de  faire  ici  une  revue 
rapide  des  griefs  énoncés  dans  ces  documents.  Vous 
les  connaissez  sans  doute  dans  l'ensemble.  Mais  il 
n'est  pas  inutile  de  nous  arrêter  sur  les  principaux 
sujets  de  plainte  et  d'en  préciser  la  nature  et  l'étendue. 
II  y  avait  d'abord  la  composition  du  Conseil  législatif 
et  sa  dépendance  de  l'administration.  Le  témoignage 
rendu  par  M.  John  Neilson,  quelques  mois  plus  tard, 
devant  un  comité  de  la  Chambre  des  communes,  con- 
tenait à  ce  su^et  des  détails  très  éloquents.  Le  Conseil 
législatif  comptait  à  ce  moment  vingt-sept  membres 
résidant  au  Canada.  Sur  ce  nombre  il  y  avait  quatorze 
fonctionnaires  ou  pensionnaires  qui  recevaient  des 
salaires  ou  des  pensions  du  gouvernement  provincial, 
et  quatre  qui  en  recevaient  du  gouvernement  impérial. 
Neuf  seulement  n'émargeaient  à  aucun  budget.  M. 
Jonathan  Sewell  recevait  900  louis  sterling  comme 
orateur,  1,500  louis  comme  juge  en  chef  de  la  province, 
100  louis  comme  président  du  conseil  exécutif  et  de 
la  cour  d'appel,  150  louis  pour  la  tenue  des  cours  de 
circuit,  soit  ensemble  2,650  louis  sterling  (ou  $13,350); 
M.  James  Kerr  recevait  900  louis  comme  juge  de  la 


(1) — Le  texte  des  pétitions  de  Québec  et  de  Montréal  se 
trouve  dans  le  volume  intitulé  Rapport  du  comité  choisi  pour  s'en- 
quérir sur  le  gouvernement  civil  du  Canada,  chez  Neilson  et  Cowan, 
Québec,  1828,  pp.  34.3,  351. 
13 


192  COURS  d'histoire  du  canada 

cour  du  banc  du  roi,  250  louis  comme  juge  de  la  coui 
de  vice-amirauté,  et  100  louis  comme  conseiller  executif, 
soit  1,350  louis  (ou  S6,750).  M.  Edward  Bowen  rece- 
vait 900  louis  comme  juge  de  la  même  cour,  et  150 
louis  pour  les  circuits,  soit  1,050  louis  (ou  S5,250).  Le 
révérend  C.-J.  Stewart,  le  lord  évêque  de  Québec,  rece- 
vait des  émoluments  d'environ  3,000  louis  (ou  $15,000). 
du  gouvernement  impérial.  Sii  John  Johnson,  surin- 
tendant du  département  des  sauvages,  recevait  du 
même  gouvernement  environ  1,000  louis  (ou  S5,000) 
M.  John  Haie,  receveur-général  touchait  un  salaire 
de  900  louis,  outre  100  louis  comme  conseiller  exécutif, 
soit  en  tout  1,000  louis  (ou  $5,000).  M.  John  Cald- 
well,  l'ancien  receveur  généial,  convaincu  de  péculat, 
était  resté  conseiller  législatif,  et  moyennant  un  verse- 
ment de  2,000  louis  par  année,  conservait  la  possession 
de  ses  biens,  qui  lui  valait  davantage.  M.  Ryland 
recevait  en  salaire  et  allocations  650  louis  comme 
greffier  du  Conseil  exécutif,  plus  une  pension  de  300 
louis,  formant  un  total  de  950  louis  (ou  $4,750).  M. 
H.  Perceval,  collecteur  des  douanes,  recevait  en  sa- 
laire et  honoraires  plus  de  3,000  louis  annuellement, 
et  100  louis  comme  conseiller  exécutif,  soit  au  moins 
3,100  louis  (ou  $15,500).  M.  Louis  Gugy,  shérif  de 
Montréal,  retirait  de  cette  lucrative  situation  environ 
1,800  louis  annuellement,  (ou  $9,000).  M.  William 
Felton,  agent  des  terres  de  la  Couronne,  se  faisait  un 
salaire  d'environ  500  louis,  (ou  $2,500).  M.  John 
Stewart,  commissaire  des  biens  des  Jésuites,  recevait 
des  émoluments  d'environ  500  louis,  outre  100  louis 
comme  conseiller  exécutif,  soit  600  louis  (ou  $3,000). 
M.  Thomas  CofTin,  président  des  sessions  de  quartier 
aux  Trois-Rivières,  avait  comme  tel  un  salaire  de  250 
louis    (ou    $1,250).     Le   Conseil    législatif   renfermait 


COURS  d'histoire  du  canada  193 

encore  trois  ou  quatre  autres  pensionnaires  ou  officiers 
salariés.  Tous  ces  législateurs,  fonctionnaires  à  un 
titre  quelconque,  prélevaient  sur  les  budgets  provincial 
et  britannique  une  somme  totale  de  17,700  louis  sterling 
($88,500)  (1).  Parmi  les  dix-huit  autres  conseillers 
qui  émargeaient  ainsi  au  trésor  public,  sept  faisaient 
partie  du  Conseil  exécutif.  Les  commissions  des 
officiers  civils  étaient  détenues  durant  bon  plaisir;  le 
gouverneur  pouvait  les  révoquer  ou  les  suspendre  à 
volonté.  Les  deux  tiers  du  Conseil  législatif  étaient 
donc  dans  la  dépendance  du  pouvoir  exécutif.  En 
ces  derniers  temps  sept  des  membres  de  cette  chambre 
— figurant  presque  tous  parmi  les  plus  indépendants — • 
n'assistaient  pas  ou  assistaient  rarement  aux  sessions. 
De  sorte  que  "les  vingt  conseillers  les  moins  indépen- 
dants par  leurs  emplois  publics  restaient  seuls  pour 
faire  les  affaires  du  Conseil".  Cet  ensemble  de  cir- 
constances justifiait  amplement  la  croyance  générale 
que  "ces  messieurs  agissaient  sous  une  autre  influence 
que  celle  de  la  convenance  ou  de  l'inconvenance  des 
mesures."  On  en  avait  une  preuve  frappante  dans 
le  fait  suivant.  En  1825,  on  se  le  rappelle,  un  bill 
des  subsides  adopté  par  l'Assemblée  avait  passé  dans 
le  Conseil  contre  l'opposition  de  deux  membres  seule- 
ment; l'année  suivante  un  bill  exactement  semblable 
avait  été  rejeté  unanimement  par  tous  les  membres 
présents.  Dans  le  premiei  cas  le  gouverneur  approu- 
vait le  bill,  dans  le  second  le  gouverneur  le  désapprou- 
vait. La  conséquence  de  cet  état  de  choses,  était 
qu'un     grand     nombre    de     projets     de    loi     désirés 


(1) — Rapport  du  comité  choisi  pour  s'enquérir  sur  le  gou- 
vernement civil  du  Canada,  chez  Neilson  et  Cowan,  Québec. 
1828,  p.  69. 


194  COURS  d'histoire  du   canada 

• 

par  la  majorité  de  notre  population  et  adoptés  par  la 
Charnière  avalent  été  rejetés  par  le  Conseil.  La  péti- 
tion de  Québec  les  énumérait.  Outre  les  bills  de 
sujjsldes  il  y  en  avait  une  longue  liste.  Ils  avaient 
pour  objet  de  fournir  un  recours  légal  au  sujet  cjui 
aurait  des  réclamations  contre  le  gouvernement,  en 
d'autres  termes  d'instituer  la  pétition  de  droit;  de 
régler  certains  droits  ou  honoraires  et  certaines  fonc- 
tions; de  doter  les  villes  de  Québec  et  de  Montréal 
d'institutions  municipales;  de  rendre  plus  accessible 
aux  citoyens  de  la  province  le  recours  aux  tribunaux; 
de  pourvoir  à  la  qualification  des  juges  de  paix;  de 
continuer  les  lois  de  milice;  de  remanier  et  d'augmenter 
la  représentation  parlementaire;  d'édicter  des  garanties 
cfTicaces  pour  la  sauvegarde  des  fonds  publics  déposés 
entre  les  mains  du  receveur  général;  d'assurer  l'indé- 
pendance des  juges;  de  nommer  un  agent  provincial 
chargé  de  surveiller  nos  intérêts  en  Angleterre,  etc., 
etc.  (1)  L'énoncé  de  tous  ces  faits  était  bien  de  nature 
à  établir  la  réalité  du  grief  allégué  dans  la  pétition 
relativement  à  la  composition,  au  défaut  d'indépen- 
dance du  Conseil  législatif,  et  à  son  parti  pris  d'enrayer 
la  législation  élaborée  par  la  chambre  populaire. 

Les  représentations  faites  au  sujet  du  revenu  et 
de  la  dépense  n'étaient  pas  moins  bien  fondées.  Les 
pétitionnaires  faisaient  observer  que,  depuis  plusieurs 
années,  les  revenus  des  biens-fonds,  les  profits  du  com- 
merce et  de  l'industrie  et  la  rémunération  du  travail 
dans  le  Bas-Canada  avaient  considérablement  dimi- 
nué. Dans  ces  conditions  il  ne  serait  pas  juste,  suivant 
eux,  d'imposer  des  taxes  ou  des  droits  nouveaux  sur  le 

(1) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  p.  344. 


COURS  d'histoire  du   canada  195 

peuple,  et  il  fallait  conséquemment  proportionner  le 
budget  des  dépenses  au  revenu  actuel  de  la  province, 
"Cependant  plus  de  la  moitié  de  ce  revenu,  disaient-ils, 
est  employé  depuis  plusieurs  années  au  paiement  des 
appointements  et  dépenses  des  officiers  civils.  Et  et 
qui  augmente  notre  inquiétude  c'est  que  ces  appoin- 
tements, émoluments  et  dépenses  ont  beaucoup  aug- 
menté sans  le  consentement  de  la  législature,  que  dans 
plusieurs  cas,  ils  ont  été  payés  à  des  personnes  absen- 
tes, qui  n'ont  rendu  aucun  service  à  la  province,  que, 
dans  d'autres  cas  ces  appointements,  émoluments  et 
dépenses  sont  excessifs,  lorsqu'on  les  compare  aux  ser- 
vices dont  ils  sont  la  récompense,  aux  revenus  des  biens- 
fonds  et  aux  rémunérations  ordinaires  que  reçoivent 
des  individus  doués  des  mêmes  talents,  caractère  et 
industrie  que  ceux  à  qui  ces  appointements  et  émolu- 
ments sont  accordés  sur  les  deniers  publics  de  la  pro- 
vince," Ce  grief  était  d'une  justesse  incontestable, 
II  suffisait  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  comptes  pu- 
blics pour  s'en  convaincre.  Lorsqu'on  parcourt  ces 
documents  officiels  on  est  forcé  d'admettre  que  les  sa- 
laires payés  alors  aux  officiers  publics  étaient  exorbi- 
tants. Ainsi  quand  on  compare  cette  époque  avec 
l'époque  actuelle,  quand  on  considère  la  différence  dans 
les  conditions  économiques  et  sociales,  dans  le  coût  de 
la  vie  et  le  pouvoir  d'achat  de  l'argent,  on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  trouver  démesurés,  en  1828,  des  salaires  de 
$8,250  pour  le  juge  en  chef  du  Bas-Canada;  de  $5,250 
pour  un  juge  puîné;  de  $15,000  (y  inclus  les  commis- 
sions) pour  un  percepteur  de  douanes;  de  $9,000  (y 
compris  les  honoraires)  pour  un  shérif  de  Montréal;  de 
$3,250  pour  un  greffier  du  conseil  exécutif,  de  $2,250 
pour  un  agent  des  biens  des  Jésuites;  de  $2,500  pour 


196  COURS  d'histoire  du  canada 

un  agent  des  terres  de  la  Couronne.  (1)  Et  quant  à 
l'excès  des  salaires  vient  se  joindre  la  pratique  du  cu- 
mul, en  vertu  duquel  le  juge  en  chef  est  concurrem- 
ment orateur  du  Conseil  législatif  et  membre  du  Conseil 
exécutif,  des  juges  puînés  sont  conseillers  législatifs  et 
conseillers  exécutifs,  des  officiers  civils  en  activité  de 
fonction  sont  en  même  temps  pensionnai! es  de  l'Etat, 
comme  M.  Ryland,  alors  on  se  dit  qu'il  y  avait  là  un 
abus  vciitablement  scandaleux  et  que  les  pétition- 
naires avaient  cent  fois  raison  de  le  dénoncer.  Sur  ce 
point  encore  le  témoignage  de  M.  Neilson  devait  être 
très  concluant.  "Le  peuple  de  ce  pays,  disait-il,  com- 
mence à  regarder  autour  de  soi  et  à  voir  ce  qui  se  passe 
en  d'autres  parties  du  monde  et  particulièrement  dans 
le  pays  voisin.  II  voit  là  que  les  gouvernements  sont 
bien  administrés  et  le  sont  à  bon  marché!..  .  Dans 
l'état  de  New-York,  par  exemple,  la  population  est  tri- 
ple de  la  nôtre,  et  les  ressources  quatre  ou  cinq  fois  plus 
considérables,  et  les  dépenses  pour  le  soutien  du  gou- 


(1)- — Comparez  les  comptes  publics  de  1828  avec  ceux  de 
1868,  qui  contiennent  les  chiffres  officiels  relatifs  à  notre  premier 
exercice  budgétaire  sous  la  Confédération.  Vous  y  verrez  que 
dans  un  Canada  agrandi,  avec  une  population  triplée  et  des  res- 
sources quintuplées,  le  salaire  du  juge  en  chef  de  la  province  de 
Québec  n'était  que  de  $5,000  ;  celui  des  juges  puînés,  de  $4,000  ; 
celui  du  percepteur  des  douanes,  de  $3,240  ;  celui  du  shérif  de 
Montréal,  de  $5,860  ;  celui  du  greffier  du  Conseil  exécutif  à 
Québec,  de  $1,800  ;  ccKii  de  l'agent  des  biens  des  jésuites,  de 
$1,600  ;  celui  de  l'agent  des  terres  de  la  Couronne,  de  $1,800  ; 
En  moyenne  l'échelle  des  salaires  était  de  plus  d'un  tiers  moins 
élevée  en  1868  qu'en  1828.  Et  cependant  en  1828  $1,000  valaient 
probablement  un  tiers  de  plus  qu'en  1868.  Cette  comparaison 
démontre  combien  les  salaires  de  1828  étaient  excessifs.  (A  con- 
sulter les  comptes  publics  du  Canada  et  de  la  province  de  Qué- 
bec pour  1868,  et  ceux  du  Bas-Canada  pour  1828). 


COURS  d'histoire  du  canada  197 

vernement  civil  ne  sont  pas  plus  élevées  que  chez  nous. 
Les  fonctionnaires  salariés  du  gouvernement  civil  sont 
mieux  payés  que  les  plus  riches  propriétaires  de  fonds, 
ou  que  les  personnes  engagées  dans  les  branches  d'in- 
dustvie  les  plus  profitables;  ils  deviennent  dans  le  fait 
par  ce  moyen  les  seigneurs  du  pays.  Le  plus  riche 
d'entre  les  propriétaires  fonciers  ne  retire  pas  plus  de 
1,500  louis  par  an,  et  les  individus  les  plus  marquants 
dans  les  professions  pensent  qu'ils  font  de  fort  bonnes 
affaires  lorsqu'ils  gagnent  1,500  louis  par  an,  et  c'est 
un  gain  qui  ne  dure  peut-être  pas  plus  de  huit  ou  dix 
ans."(l)  Cet  exposé  mettait  en  pleine  lumière  un  des 
aspects  les  plus  fâcheux  de  notre  administration  colo- 
niale. Il  démontrait  qu'une  proportion  considérable 
du  revenu  public  était  absorbée  par  des  salaires,  des 
commissions,  de»  honoraires,  des  pensions,  dispropor- 
tionnés avec  les  services  rendus  et  l'état  de  notre  socié- 
té, et  cela  au  bénéfice  d'une  bureaucratie  d'où  était 
pratiquement  exclus  les  enfants  du  sol,  les  Canac'iens 
d'origine. 

Les  pétitions  se  plaignaient  aussi  de  la  politique 
suivie  relativement  à  l'éducation,  et  du  mauvais  em- 
ploi des  sommes  votées  à  cette  fin.  Ici  encore,  M. 
Neilson  devait  donner  dans  son  témoignage  des  indi- 
cations très  instructives.  Il  faisait  ressortir  l'inanité 
de  la  loi  de  1801,  créant  la  fameuse  Institution  royale. 
Cette  législation  pourvoyait  à  la  création  d'écoles  qui 
seraient  sous  la  direction  d'une  corporation  nommée 
par  le  gouverneur.  Cette  dernière  ne  fut  organisés 
qu'en  1817.  "Il  arriva  qu'elle  fut  principalement 
composée  de  membres  d'une  seule  religion,  l'évêque 
de  l'église  d'Angleterre  et  le  clergé  de  l'église  d'Angle- 
Ci) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  p.  81. 


198  COURS  d'iiistoihe  du  canada 

terre  étaient  à  la  tête  de  la  corporation,  et  la  majorité 
des  membres  était  de  l'église  d'Angleterre,  Cela  ten- 
dait à  confirmer  les  soupçons  que  le  peuple  entretenait 
par  rapport  au  prosélytisme,  et  il  était  inutile  après  cela 
de  penser  à  lui  faire  envoyer  ses  enfants  à  l'école."  (l) 

C'est  M.  Neilson,  un  protestant,  qui  parle  ainsi. 
Ce  système  devait  nécessairement  échouer.  Suivant 
ce  témoin  autorisé  on  avait  dépensé  30,000  louis,  ou 
$150,000  pour  le  soutenir.  Et  cependant  ces  écoles 
royales  n'avaient  probablement  pas  instruit  en  tout 
douze  cents  enfants  depuis  leur  établissement.  A 
plusieurs  reprises  la  Chambre  avait  adopté  des  projets 
de  loi  pourvoyant  à  un  système  plus  conforme  aux 
principes  et  aux  croyances  de  notre  peuple.  Depuis 
1814  cinq  ou  six  bills  de  ce  genre  avaient  été  rejetés 
par  le  Conseil  législatif.  Les  membres  de  ce  corps  ne 
voulaient  pas  entendre  parler  d'autre  loi  que  de  celle 
de  1801,  et  la  loi  de  1801  ne  pouvait  avoir  d'exécution 
parce  qu'elle  provoquait  la  défiance  religieuse  du  clergé 
et  des  fidèles.  Ce  ne  fut  qu'en  1824  qu'un  bill  autori- 
sant l'établissement  des  écoles  de  fabrique  fut  enfin 
adopté.  Relativement  à  cette  question  d'éducation 
les  pétitions  exprimaient  avec  raison  le  regret  que  les 
biens  des  Jésuites  eussent  été  détournés  de  leur  fin 
originaire. 

Les  précédentes  leçons  nous  ont  suffisamment 
informé  des  griefs  relatifs  à  la  dépense  des  deniers 
publics  sans  l'autorisation  de  la  législature,  et  à  la 
négligence  administrative  qui,  seule,  avait  pu  per- 
mettre à  un  fonctionnaire  de  pratiquer  audacieusement 
et  pendant  quinze  ans  le  péculat.  Mais  nous  tenons 
à  signaler  ici  spécialement  ceux  qui  se  rapportaient 

(1) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  pp.  97,  123,  124. 


COURS  d'histoire  du  canada  199 

à  la  mauvaise  administration  des  terres  publiques, 
et  à  la  loi  passée  par  le  parlement  impérial  pour  auto- 
riser le  changement  de  tenure  dans  le  Bas-Canada. 

Le  système  de  concession  et  l'administration  des 
terres  de  la  Couronne  laissaient  énormément  à^  désirer. 
Dès  le  gouvernement  du  général  Robert  Prescott,  il  y 
avait  eu  des  abus  contre  lesquels  il  s'était  élevé  et  qui 
avaient  déterminé  un  conflit  entre  lui  et  son  conseil 
exécutif.  Depuis  cette  époque  la  situation  n'était  pas 
devenue  meilleure.  Les  Canadiens  se  plaignaient  de 
ce  que  l'établissement  des  terres  incultes  dans  la  pro- 
vince eût  été  négligé  d'une  manière  inexplicable  par 
le  gouvernement.  De  grandes  étendues  de  terres 
concédées  ou  mises  en  réserves  par  la  Couronne  étaient 
depuis  longtemps  possédées  au  milieu  ou  dans  le  voisi- 
nage immédiat  des  établissements  existants,  sans  que 
les  propriétaires  ou  détenteurs  de  ces  concessions  ou 
réserves  eussent  été  astreints  à  accomplir  les  conditions 
d'établissement,  ni  à  remplir  aucun  devoir  quelconque 
à  l'égard  de  ces  terres.  Il  en  résultait  de  grands  incon- 
vénients pour  les  colons  adjacents.  Ces  concession- 
naires inertes,  dont  plusieurs  ne  résidaient  même  pas 
dans  le  pays,  refusaient  généralement  de  vendre  les 
lots  qu'ils  laissaient  incultes,  à  moins  d'un  prix  exor- 
bitant. Ils  préféraient  attendre,  les  bras  croisés,  que 
les  travaux  et  les  efforts  d'autrui,  en  développant  la  ré- 
gion environnante,  eussent  accru  la  plus  value  de  leurs 
domaines.  Leur  expectative  obstinément  stationnaire 
écartait  les  nouveaux  habitants,  retardait  l'ouverture 
des  districts,  et  entravait  le  progrès  de  la  province.  (1) 

La  question  de  la  tenure  des  terres  était  aussi 
l'une  de  celles  qui  provoquaient  du  mécontentement 

(1) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  p.  96. 


200  COURS  d'histoire  du  canada 

dans  le  Bas-Canada.  Elle  n'était  pas  nouvelle.  Sous 
lord  Dorchester  une  tentative  avait  été  faite  à  l'insti- 
gation d'un  seigneur  pour  obtenir  la  commutation  fa- 
cultative de  la  tenure  seigneuriale  en  la  tenure  dite 
du  franc  et  commun  soccage.  Cette  démarche  avait 
avorté.  Mais  les  représentants  d'un  certain  élément 
avaient  périodiquement  fait  entendre  des  protestations 
contre  le  maintien  du  régime  féodal  dans  le  Bas-Cana- 
da, et  s'étaient  efforcés  de  déterminer  les  autorités  à 
l'abolir  ou  du  moins  à  en  sanctionner  la  transformation 
volontaiie.  Dans  le  Canada  Trade  Act  de  1823  il  y 
avait  une  disposition  relative  au  changement  de  tenure. 
Deux  ans  plus  tard,  en  1825,  le  parlement  impérial 
adopta  une  loi  dont  l'objet  était  d'autoriser  le  change- 
ment de  tenure  des  terres  en  Canada,  pour  la  convertir 
en  libre  et  commun  soccage.  (1)  A  la  session  de  1826 
notre  chambre  d'Assemblée  adopta  une  adresse  au  roi 
où  il  était  dit  que  l'introduction  en  cette  province  du 
libre  et  commun  soccage  avait  toujours  été  regardée 
comme  un  inconvénient,  parce  qu'elle  était  inconnue 
aux  habitants  du  pays  et  étrangère  à  leurs  lois  civiles. 
"Convaincus,  déclarait  l'adresse,  que  l'intention  bien- 
faisante du  parlement  de  Votre  Majesté  a  été  de  pro- 
mouvoir l'amélioration  des  terres  de  cette  province  et 
l'avantage  général  en  détruisant  les  charges  féodales 
dont  sont  grevées  les  terres  tenues  en  fief  et  en  censive, 
nous  regrettons  amèrement  que  cet  affranchissement 
soit  effectué  par  l'introduction  d'une  tenure  étrangère 
à  la  jurisprudence  et  aux  mœurs  du  pays,  lorsqu'il  pou- 
vait s'opérer  d'une  manière  infiniment  plus  avantageu- 


(1) — 3  George  IV,  ch.  cxix,  art.  3i  ;  6  George  IV, 
ch.  Lix,  art.  3 — William-Bennctt  Munro,  Tbe  Seigniorial 
System  in  Canada,   p.  225. 


COURS  d'histoire  du  canada  201 

se  au  moyen  de  la  belle  et  libre  tenure  en  franc-aleu,  (1) 
tenure  connue  dans  nos  lois  et  généralement  désirée  en 
cette  province."  La  Chambre  revendiquait  ensuite 
son  autonomie  législative.  "Nous  supplions  Votre 
Majesté  de  considérer,  disait-elle,  que  les  raisons  de 
justice  et  de  prudence  qui  ont  engagé  le  parlement  bri- 
tannique à  établir  une  législature  en  cette  province 
devraient  suffire  pour  détourner  cettelégislature  suprême 
de  l'empire  britannique  de  s'immiscer  dans  la  législa- 
ture intérieure  de  ce  pays,  car  outre  le  péril  évident  de 
tomber  dans  de  grandes  erreurs  et  de  faire  de  grandes 
injustices,  en  faisant  des  lois  pour  un  pays  si  éloigné  et 
pour  un  peuple  dont  les  besoins,  les  habitudes  et  les 
usages  sont  si  peu  connus  en  Angleterre,  nous  soumet- 
tons humblement  à  Votre  Majesté  que  le  pailement 
ayant  établi  une  législature  locale  s'est  virtuellement 
dépouillé  en  sa  faveur  du  droit  de  législation  intérieure, 
et  que,  tout  en  maintenant  son  autorité  suprême,  il  de- 
vrait respecter  son  propre  ouvrage  et  laisser  la  législa- 
ture provincialeexercerlespouvoirsqu'il  lui  adonnés."  (2) 
Cette  législation  impériale  au  sujet  du  change- 
ment de  tenure  avait  eu  pour  coiollaire  une  disposition 
déclaratoire  relativement  à  l'introduction  des  lois  an- 
glaises dans  les  townships.  Il  en  résultait  un  état  de 
choses  anormal.     On  pouvait  en  déduire  que  deux  sys- 

(1) — Voici  comment  notre  jurisconsulte  Cugnet  définissait 
le  franc-aleu  :  "Le  franc-aleu  est  un  héritage  qui  n'est  sujet  à 
aucuns  droits  ni  devoirs  seigneuriaux,  tant  honorifiques,  comme 
la  foi  et  hommage,  que  pécuniaires,  comme  quint,  cens  ou  autres, 
en  reconnaissance  de  directe  seigneurie."  (Traité  de  la  loi  des 
Fiefs,  p.  34).  En  réalité  le  franc  et  commun  soccage  ne  différait 
guère  du  franc-aleu. 

(2) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada, 
1826,  p.  245. — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  p.  82. 


202  COURS  d'histoire  du  canada 

tèmes  de  lois  différentes  se  trouvaient  en  vigueur  dans 
la  même  province.  Et  il  devait  en  résulter  un  conflit 
de  jurisprudence  dont  on  retrouve  la  trace  dans  nos 
recueils  de  décisions  judiciaires,  tels  que  le  Lower  Ca- 
nada Jurist,  et  les  Lower  Canada  Reports.  (1) 

Pendant  que  la  majorité  canadienne-française  for- 
mulait ainsi  ses  griefs,  la  minorité  anglaise  de  la  pro- 
vince faisait  également  entendre  sa  voix.  Les  citoy- 
ens anglais  des  townships  signaient  une  pétition  pour 
solliciter  le  parlement  impérial  de  maintenir  la  loi  rela- 
tive à  la  tenure  des  terres  et  à  l'introduction  des  lois 
anglaises.  Ils  se  plaignaient  aussi  de  n'être  pas  repré- 
sentés dans  l'Assemblée.  Et  ils  reprochaient  à  la  Cham- 
bre de  n'avoir  pas  voulu  adopter  une  législation  établis- 
sant des  bureaux  publics  pour  l'enregistrement  de  tou- 
tes les  mutations  de  propriétés  foncières  et  de  toutes 
les  hypothèques.  (2) 

La  question  de  l'enregistrement  avait  été  discutée 
assez  longuement  dans  l'Assemblée.  M.  Neilson,  qui 
avait  d'abord  favorisé  la  mesure  proposée,  avait  finale- 
ment voté  pour  la  repousser.  Il  en  donna  ultérieure- 
ment des  raisons  fort  plausibles  devant  la  chambre  des 
Communes.  (3)  La  condition  actuelle  de  la  province 
rendait  difficile,  suivant  lui,  l'établissement  des  bureaux 
pour  la  conservation  des  hypothèques.  Ce  ne  fut  que 
douze  ou  treize  ans  plus  tard,  sous  le  Conseil  spécial, 
que  l'ordonnance  réglant  cette  question  fut  adoptée. 
Le  progrès  dans  la  législation  ne  peut  être  que  l'œuvre 
du  temps. 

(1) — Wilcox  vs  Wilcox,  Lower-Canada  Jurist,  t.   II,  p.  6  ; 
Stuart  vs  Bowman,  Lower  Canada  Reports,  t.  II,  p.  369. 

(2) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  p.  .355. 

{3)—Ibid. 


COURS   d'histoire  du  canada  203 

Les  habitants  des  townships  avaient  surtout  rai- 
son d'insister  pour  obtenir  dans  la  Chambre  une  repré- 
sentation qui  leur  faisait  défaut.  Ils  formaient,  d'après 
leur  pétition,  un  groupe  de  quarante  mille  âmes  et  ils 
n'avaient  pas  de  députes  à  eux.  Les  circonscriptions 
électorales  parmi  lesquelles  ils  étaient  répartis  éhsaient 
naturellement  comme  leurs  représentants  des  hommes 
appartenant  aux  anciens  étabhssements,  plus  denses  et 
plus  f)euplés.  II  fallait  évidemment  un  remaniement 
et  une  augmentation  du  nombre  des  comtés.  La  Cham- 
bre avait  voulu  y  procéder.  A  plusieurs  reprises  elle 
avait  voté  des  projets  de  loi  pourvoyant  à  un  recense- 
ment de  la  population  et  à  la  création  de  nouvelles 
divisions  électorales,  dont  quelques-unes  auraient  été 
attribuées  aux  habitants  anglais  des  townships.  (1) 
Mais  le  Conseil  législatif  avait  rejeté  ces  bills.  Les 
raisons  alléguées  étaient  que  ces  remaniements  n'au- 
raient pas  donné  aux  townships,  aux  Cantons  de  l'est, 
comme  on  devait  les  appeler  plus  tard,  une  représenta- 
tion assez  forte  comparée  à  l'augmentation  du  nombre 
des  députés  de  langue  française.  Les  bills  de  l'Assem- 
blée adoptaient  pour  base  la  population.  Ceux  qui 
parlaient  au  nom  des  habitants  des  townships  soute- 
naient que  leur  situation  spéciale  rendait  nécessaire 
qu'on  leur  accordât  une  représentation  plus  considéra- 
ble que  celle  à  laquelle  leur  aurait  donné  droit  leur  po- 
pulation, (2)  On  pouvait  leur  répondre  que,  dans  une 
province  en  grande  majorité  française,  il  était  rationnel 
et  inévitable  que  le  remaniement  des  circonscriptions 
électorales,  tout  en  assurant  à  la  minorité  anglaise  une 

(1) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  p.  92. 

(2) — Rapport  sur  le  gouvernement  civil,  pp.  33,  34  ;  témoi- 
gnage de  Samuel  Gale. 


204  COURS  d'histoire  du  canada 

représentation  proportionnelle  équitable,  eût  pour  ré- 
sultat d'accroître  le  nombre  des  députés  de  langue  fran- 
çaise. Eût-il  été  raisonnable  de  décréter  que,  dans  ce 
remaniement,  la  population  française  aurait,  par  exem- 
ple, un  député  par  douze  mille  âmes,  tandis  que  la  po- 
pulation anglaise  en  aurait  un  par  sept  mille  ?  M. 
Samuel  Gale,  un  des  porte-paroles  de  la  minorité,  sou- 
tint cette  thèse  devant  la  Chambre  des  communes. 
Cette  divergence  de  vues  retarda  le  remaniement  de  la 
représentation    jusqu'en    1829. 

Voilà  en  résumé  quels  étaient  les  griefs  soumis  au 
gouvernement  impérial  vers  le  commencement  de  l'an- 
née 1828.  Les  délégués  de  la  majoiité  bas-canadienne, 
MM.  Neilson,  Viger  et  Cuvillier,  arrivèrent  à  Londres 
au  mois  de  mars,  et  se  mirent  immédiatement  en  rela- 
tion avec  le  ministère  des  colonies.  Le  titulaire  de  ce 
département,  successeur  de  lord  Bathurst,  était  à  ce 
moment  M.  William  Huskisson.  Le  cabinet  britan- 
nique avait  pour  chef,  depuis  le  mois  de  janvier  de  cette 
année  (1828),  le  duc  de  Wellington.  Le  parti  tory 
gouvernait  l'Angleterre  depuis  plus  de  vingt  ans.  A  la 
mort  de  William  Pitt,  en  1805,  un  ministère  whig  pré- 
sidé par  lord  Grenville,  et  connu  dans  l'histoire  parle- 
mentaire sous  le  nom  de  "ministère  de  tous  les  talents", 
n'avait  eu  qu'une  durée  éphémère.  Démis  par  le  roi 
pour  n'avoir  pas  voulu  s'engager  à  ne  jamais  présenter 
de  mesure  ayant  pour  objet  de  faire  disparaître  les  in- 
capacités civiles  des  catholiques,  il  avait  été  remplacé 
en  1807  par  le  ministère  du  duc  de  Portland,  recruté 
dans  les  rangs  du  parti  tory.  A  la  mort  de  ce  piemier 
ministre  en  1809,  M.  Spencer  Perceval  lui  avait  suc- 
cédé à  la  tête  de  l'administration.  Celui-ci  avait  été 
assassiné  en  1812,  et  lord  Liverpool  était  devenu  le  chef 
du  gouvernement.  Consolidé  par  les  victoires  remportées 


COURS  d'histoire  du  canada  205 

sur  Napoléon  et  par  les  succès  de  sa  politique  exté- 
rieure, ce  ministère  avait  duré,  sans  que  rien  pût  l'é- 
branler, jusqu'en  1827.  Durant  toute  cette  longue  pé- 
riode lord  Bathurst  fut  le  chef  du  département  colonial. 
Une  cruelle  maladie  ayant  forcé  lord  Liverpool  à  démis- 
sionner, le  membre  le  plus  brillant  de  l'administra- 
tion, M.  George  Canning,  forma  un  cabinet  dans  le- 
quel il  fit  entrer  un  certain  nombre  d'hommes  politi- 
ques appartenant  au  parti  whig.  Ce  cabinet  de  coali- 
tion eut  une  courte  existence.  Au  bout  de  quatre 
mois  une  mort  prématurée  enlevait  à  ses  amis  l'émi- 
nent  homme  d'Etat,  avant  qu'il  eût  eu  le  temps  de  déve- 
lopper son  programme.  Lord  Goderich  lui  succéda  au 
mois  d'août  1827,  jnais  ne  put  maintenir  unis  les 
éléments  que  le  prestige  et  la  puissante  personnalité  de 
Canning  avaient  groupés.  Il  devait  renoncer  à  cette 
tâche  au  commencement  de  janvier  1828.  Et  c'est 
alors  que  le  duc  de  Wellington  avait  été  appelé  à  pren- 
dre les  rênes  du  pouvoir.  (1)  M.  Huskisson  avait  oc- 
cupé le  poste  de  secrétaire  d'Etat  pour  les  colonies  pen- 
dant toutes  les  fluctuations  ministérielles  des  deux  der- 
nières années.  Il  appartenait  à  la  fraction  la  plus  libé- 
rale du  parti  tory  et  s'inspirait  de  quelques-unes  des 
idées  de  Pitt  et  de  Canning,  par  exemple  en  ce  qui  con- 
cernait la  liberté  du  commerce  et  l'émancipation  des 
catholiques. 

Il  prit  connaissance  des  pétitions  soumises  à  la  con- 
sidération du  gouvernement.  Il  conversa  avec  nos  dé- 
légués.    II  entendit  les  exposés  de   vues    contradic- 


(1) — A  consulter  pour  l'historique  des  cabinets  de  1806  à 
1828,  la  Constitutional  History  oj  England,  de  May,  t.  I,  chap. 
I  et  II;  t.  II,  ch.  VIII,  et  l'ouvrage  de  Todd,  On  Parliamentary 
Government  in  England,  t.  I,  ch.  m. 


206  COURS  d'histoire  du   canada 

toires.  Et  finalement,  après  consultation  avec  ses  collè- 
gues, il  résolut  de  proposer  la  formation  d'un  comité 
chargé  d'étudier  les  pétitions,  de  scruter  les  griefs  énon- 
cés, d'entendre  les  témoignages  de  personnes  au  cou- 
rant de  nos  affaires,  et  de  faire  ensuite  au  parlement  les 
recommandations  voulues.  Ce  fut  le  2  mai  1828 
qu'il  saisit  la  Cliambre  des  communes  de  cette  propo- 
sition. II  prononça  un  long  discours,  où  se  rencon- 
traient avec  quelques  considérations  judicieuses  nom- 
bre d'assertions  discutables.  M,  Huskisson  commen- 
çait par  démontrer  que  le  parlement  impérial  avait  le 
droit  d'amender  et  de  modifier  l'acte  constitutionnel 
de  1791,  si  cela  paraissait  être  dans  l'intérêt  de  la  pro- 
vince. II  faisait  ensuite  un  bref  exposé  historique  des 
circonstances  qui  avaient  accompagné  et  suivi  le  chan- 
gement de  souveraineté  en  Canada.  II  essayait  d'es- 
quisser le  régime  sous  lequel  les  Canadiens  vivaient 
avant  1763,  le  régime  seigneurial  et  la  coutume  de 
Paris,  et  il  en  faisait  une  appréciation  peu  favorable. 
Après  avoir  donné  un  aperçu  de  la  situation  où  se  trou- 
vèrent les  Canadiens  de  1763  à  1774,  il  rappelait  les  dis- 
positions de  l'Acte  deQuébec,qui  leur  assurait  la  liberté 
religieuse  et  le  maintien  de  leurs  lois  françaises.  La 
liberté  religieuse  était  un  bienfait  qui  ne  leur  serait  ja- 
mais enlevé,  il  l'espérait.  Quant  aux  lois  françaises  il 
semblait  croire  que,  sans  l'Acte  de  Québec,  elles  au- 
raient bientôt  disparu  sous  l'influence  des  entreprises 
anglaises,  vu  que  suivant  lui,  elles  étaient  défavorables 
au  commerce  et  peu  conformes  aux  principes  éclairés  du 
libre  négoce.  II  passait  ensuite  aux  institutions  éta- 
blies par  l'Acte  de  1791  et  représentait  que,  par  la 
force  des  choses,  la  minorité  anglaise  de  la  province  se 
trouvait  dans  une  situation  d'infériorité  à  cause  du  dé- 
faut de  représentation,  delà  tenure  seigneuriale  et  du 


COURS  d'histoire  du  canada  207 

régime  légal  qui  ne  lui  convenait  nullement.  Il  faisait 
allusion  au  projet  d'union  au  moyen  duquel  on  avait 
essayé  de  remédier  à  cet  état  de  choses,  et  il  admettait 
la  gravité  des  objections  soulevées  par  cette  tentative. 
Le  secrétaire  des  colonies  devait  nécessairement 
traiter  spécialement  la  complexe  et  embarrassante  ques- 
tion des  finances.  Il  s'efforçait  de  faire  comprendre  à 
la  Chambre  des  communes  en  quoi  consistait  le  conflit 
qui  mettait  aux  prises  l'Assemblée  et  l'administration 
coloniale.  Et  il  exprimait  l'opinion  que  le  droit  de  la 
Couronne  sur  le  revenu  permanent  était  incontes- 
table. Une  des  conséquences  du  conflit  avait  été  de 
mettre  le  représentant  du  roi  dans  la  nécessité  de  dé- 
penser l'argent  reqms  pour  les  services  publics,  sans  la 
sanction  de  la  législature.  M.  Huskisson  n'approu- 
vait pas  formellement  cette  conduite.  "Vivant,  avait- 
il  dit,  dans  un  pays  où  les  droits  de  la  branche  populai- 
re de  la  législature  sur  la  dépense  des  deniers  prélevés 
par  son  autorité  sont  absolument  et  universellement 
reconnus,  je  ne  me  lève  pas  pour  défendre  théorique- 
ment la  convenance  qu'il  y  a  pour  un  gouverneur  de  co- 
lonie d'affecter  le  revenu  sans  la  sanction  d'un  acte  de 
la  législature,  tel  que  le  veut  la  loi.  Mais  on  ne  sau- 
rait peut-être  s'étonner  que,  poussé  par  la  nécessité, — 
toute  regrettable  qu'ellesoit, — il  ait  pris  les  moyens  dis- 
ponibles de  maintenir  la  tranquillité  du  poste  commis 
à  sa  garde.  M.  Huskisson  déclarait  qu'il  était  temps 
pour  le  parlement  d'interposer  son  autorité  afin  d'apai- 
ser ces  conflits  et  d'établir  au  Canada  un  système  de 
gouvernement  civil  qui  donnerait  à  chacun  dans  la  pro- 
vince sa  juste  part  dans  l'administration  des  revenus, 
"un  système  qui  donnerait  à  l'Assemblée  le  pouvoir  de 
déterminer  l'application  de  tous  les  fonds  pour  l'amé- 
lioration intérieure  de  la  province,  et  en  même  temps 

14 


2(8  couKs  d'hisioiki£  du   canada 

qui  soustrairait  à  son  autorité  ce  que  l'on  peut  appeler 
la  liste  civile."  Le  secrétaire  colonial  insistait  sur  ce 
point.  "Le  système  que  désire  voir  établir  la  législa- 
ture canadienne,  disait-il,  n'est  pas  compatible  avec 
l'indépendance  et  la  dignité  du  représentant  de  la  Cou- 
ronne ou  des  juges."  (1)  En  terminant  M.  Huskisson 
protestait  éncrgiquement  contre  les  idées  émises  en 
certains  quartiers  relativement  à  l'abandon  de  la  co- 
lonie par  l'Angleterre.  Ce  discours  était  assurément 
peu  favorable  aux  vues  de  la  majorité  bas-canadienne. 
Il  laissait  de  côté  tout  un  aspect  de  notre  problème; 
ce  cumul  des  offices,  cette  confusion  des  pouvoirs,  qui 
solidarisaient  illégalement  deux  branches  de  la  légis- 
lature, qui  iaisaicnt  du  Conseil  législatif  une  simple 
succursale  du  Conseil  exécutif,  cette  extravagance  des 
salaires,  des  pensions,  des  commissions,  cette  con- 
centration du  patronage  entre  les  mains  d'une  co- 
terie qui  se  cantonnait  derrière  la  prérogative  royale 
pour  perpétuer  les  abus,  pour  défendre  ses  privilèges, 
ses  prél^endes,  ses  sinécures  et  ses  fiefs  administra- 
tifs, au  nom  de  la  loyauté  envers  le  trône.  C'était  là 
une  des  principales  sources  du  mal.  L'enquête  devant 
le  comité  de  la  Chambre  allait  le  démontrer  péremp- 
toirement. 

Le  discours  de  M.  Huskisson  ne  devait  pas  rester 
sans  réplique.  M.  Henri  Labouchère  démontra  qu'au 
lieu  d'un  Conseil  législatif  indépendant, comme  l'avait 
voulu  M.  Pitt,  on  avait  fini  par  organiser  un  Conseil 
législatif  rempli  de  fonctionnaires  et  d'hommes  dont 
les  places  lucratives  les  mettaient  à  la  merci  du  gouver- 
nement.    Mais  notre  défense  allait  être  présentée  avec 

(1) — Hansard's  parliamentary  Debates,  second  séries,  t.  XIX, 
p.  :îOO. 


COURS  d'histoire  du  canada  209 

encore  plus  de  force  par  un  autre  orateur.  Le  grand 
ami  de  notre  province,  sir  James  Mackintosh,  ne  pou- 
vait manquer  de  prendre  part  au  débat.  Il  prononça 
en  réponse  au  secrétaire  des  colonies  un  de  ses  plus 
beaux  discours,  un  discours  cloquent,  spirituel  et  d'une 
grande  puissance  d'argumentation.  II  releva  l'attaque 
de  M.  Huskisson  contre  nos  lois  françaises.  Celui-ci 
avait  essayé  de  démontrer  les  défectuosités  de  la  cou- 
tume de  Paris.  Maniant  supérieurement  le  sarcasme, 
sir  James  lui  posa  cette  interrogation  mordante:  "Le 
très  honorable  monsieur  n'a-t-il  jamais  entendu  parler 
d'un  autre  système  de  lois,  dans  un  autre  pays  que  le 
Canada,  où  un  embrouillamini  d'usages  surannés  est  si 
mélangé  et  enchevêtré  de  modernes  subtilités,  que, 
malgré  leur  intelligence  les  hommes  les  plus  éclai- 
rés de  ce  temps  et  de  cette  nation, après  quarante  ans 
d'investigations  à  travers  ses  arcanes, — ont  été  forcés 
de  se  déclarer  totalement  incapables  de  trouver  leur 
chemin  au  milieu  de  ses  labyrinthes,  et  contraints,  par 
leur  incertitude  sur  ce  qui  était  la  loi  ou  ce  qui  ne  l'était 
pas,  à  accroître  d'une  façon  ruineuse  les  frais  des  plai- 
deurs? Ce  sj'Stème  a  été  appelé  la  Co?nmon/aii;,  la  "sa- 
gesse de  nos  ancêtres",  et  on  lui  a  donné  divers  autres 
vénérables  noms."  Toujours  dans  la  même  veine  sar- 
castique,  sir  James  Mackintosh,  répondant  à  ce  que 
M.  Huskisson  avait  dit  au  sujet  de  notre  représenta- 
tion parlementaire  défectueuse,  lui  demandait  s'il 
n'avaitjamaisentendu  parler  d'un  système  de  repré- 
sentation, dans  un  autre  pays  que  le  Canada,  qui  ne 
s'appuyait  ni  sur  le  principe  de  la  population,  ni  sur 
aucun  autre  règle  existant  sous  le  ciel.  Laissant  de 
côté  l'ironie,  il  prenait  en  mains  la  défense  de  l'Assem- 
blée. II  rappelait  que  le  Conseil  législatif  avait  rejeté 
un  grand  nombre  de  bonnes  mesures  adoptées  par  cette 


210  COURS  d'histoire  du  canada 

dernière.  11  aiïirmait  le  droit  qu'avait  la  Chambre  d'af- 
fecter, "d'approprier",  le  revenu,  pour  nous  servir  de 
l'expression  usitée  dans  le  langage  parlementaire.  Et  il 
rappelait  que  le  gouverneur  avait  approprié  sans  auto- 
rité 140,000  louis.  Il  mentionnait  le  péculat  Caldwell, 
rendu  possible  par  la  plus  incroyable  incurie  adminis- 
trative. Il  accusait  le  gouvernement  de  Québec  de 
s'être  engagé  dans  une  lutte  corps  à  corps  avec  le  peu- 
ple. "Je  remarque,  disait-il,  que  vingt  et  un  bills  fu- 
rent passés  par  l'Assemblée  en  1827,  la  plupart  dans 
un  but  de  réforme.  De  ces  vingt  et  un  bills  pas  un  seul 
n'a  été  approuvé  par  le  Conseil.  Le  gouverneur  est-il 
responsable  de  ceci  ?  Je  dis  "oui".  Le  Conseil  n'est 
guère  autre  chose  qu'un  instrument  du  gouverne- 
ment." Sir  James  demandait  à  la  Chambre  des  com- 
munes de  ne  pas  attribuer  au  vice  de  la  constitution  les 
fautes  ou  la  maladresse  des  gouvernants.  Il  la  met- 
tait en  garde  contre  l'erreur  qui  consistait  à  traiter  la 
minorité  anglaise  dans  la  province  comme  un  corps 
privilégié,  et  de  donner  à  80,000  hommes  l'influence 
que  400,000  enfants  du  sol  devaient  légitimement  pos- 
séder. (1)  Ce  discours  si  fortement  raisonné,  d'une  si 
vigoureuse  dialectique,  dut  produire  une  grande  impres- 
sion sur  la  Chambre  des  communes. 

M.  Wilmot-Horton,  l'ancien  sous-secrétaire  d'Etat 
pour  les  colonies,  qui  avait  présenté  le  bill  d'union  en 
1822,  prit  aussi  la  parole.  II  se  prononça  en  faveur  de 
l'anglicisation  des  colonies  britanniques.  M.  Stanley, 
un  des  membres  les  plus  brillants  de  la  Chambre,  fit  un 
discours  dans  lequel  il  ne  ménagea  pas  le  Conseil  légis- 
latif et  se  montra  plutôt  favorable  à  la  cause  de  la  ma- 

(1) — Hansard's  parliamenlary  Debates,  second  séries,  t.  XIX, 
p.  318. 


COURS   d'histoire  du   canada  211 

jorité.  M.  Hume  parla  clans  le  même  sens.  Finale- 
ment la  motion  de  M,  Huskisson  pour  la  formation 
du  comité  fut  adoptée  unanimement. 

Voici  les  noms  des  députés  de  la  Chambre  des  com- 
munes qui  en  firent  partie:  Les  très  honorables  W. 
Huskisson,C.  Wynn,  S.  Bourne,  V.  Fitzgerald,  Wilmot- 
Horton;  les  honorables  E.  Stanley,  J.-S.  Wortiey;  sir 
W.  Tindal,  sir  James  Mackintosh,  lord  F.-L.  Gower, 
le  vicomte  Sandon,  MM.  T  -F.  Lewis  W.  B.  Baring, 
J.-E.  Denison,  T.-H.  Villiers,  M.  Fitzgerald,  T.  Loch, 
Archibald  Campbell,  J.-A.  Fazakerley,  T.  Wallace, 
H.  Labouchère. 

Le  comité  commença  ses  travaux  le  8  mai  1828,  et 
termina  l'audition  des  témoignages  le  15  juillet.  Il 
consacra  vingt  séances  à  l'examen  des  témoins  qui  fu- 
rent appelés  à  déposer  devant  lui.  Les  principaux  fu- 
rent MM.  John  Neilson,  Denis-Benjamin  Viger,  Austin 
Cuvillier,  Samuel  Gale,  Edwaid  Ellice,  Simon  McGil- 
livray,  Wilmot-Horton,  James  Stephen.  Les  repré- 
sentants des  intérêts  divergents  furent  entendus  les 
uns  après  les  autres.  MM.  Neilson,  Viger  et  Cuvillier 
exposèrent  les  griefs  des  Canadiens  français,  MM.  E. 
Ellice  et  McGillivray  firent  connaître  les  vues  et  les 
réclamations  de  l'élément  anglo-canadien.  Les  té- 
moignages furent  très  intéressants  et  fournirent  au 
comité  une  source  d'informations  extrêmement  instruc- 
tives. Les  théories,  les  vues,  les  sentiments  des  deux 
groupes  ethniques  que  les  événements  avaient  mis  en 
contact  et  trop  souvent  en  opposition  dans  le  Bas 
Canada  purent  se  manifester  librement  et  délibérément. 
Il  en  résulta  un  document  pailementairc  de  la  plus 
haute  importance.  Le  volume  de  trois  cent  quatre- 
vingt-huit  pages  qui  contient  le  rapport  de  ce  comité 
de  1828  et  le  compte-rendu  de  la  preuve  reçue  devant 


212  COURS  d'histoire  du  canada 

lui  est  d'une  inappréciable  valeur  pour  notre  histoire 
politique. 

Quand  on  le  parcourt  avec  un  esprit  dégagé  de 
parti  pris,  on  constate  que  de  part  et  d'autre  il  y  avait 
des  torts  mais  qu'ils  étaient  de  gravité  inégale.  En 
quelques  circonstance  et  sur  quelques  points,  la  ma- 
jorité avait  probablement  trop  abondé  dans  son  pro- 
pn  sens.  En  certains  cas  elle  aurait  peut-être  pu  faire 
da\  antage  pour  donner  satisfaction  à  la  minorité.  On 
poi  vait  prétendre  qu'elle  mettait  tiop  de  lenteur  à 
adc  pter  telle  ou  telle  mesure  utile  demandée  par  les  ha- 
bitants des  townships.  Mais  en  somme  l'enquête  n'é- 
tablissait nullement  que  la  majorité  canadienne-fran- 
çaise de  l'Assemblée  essayait  d'opprimer  la  minorité 
anglaise.  Par  contre  il  ressortait  de  l'ensemble  des  té- 
moignages que  les  griefs  des  Canadiens  étaient  nom- 
breux et  sérieux.  L'immixtion  des  juges  dans  la  poli- 
tique, la  composition  peu  satisfaisante  et  le  défaut  d'in- 
déoendance  du  Conseil  législatif,  le  monopole  des  offices 
et  des  salaires  détenus  par  un  petit  groupe  de  privi- 
légiés cupides,  l'ostracisme  des  Canadiens  dans  la  ré- 
partition des  principales  fonctions  officielles,  la  dépen- 
se systématique  des  deniers  publics  sans  l'autorisation 
des  représentants  du  peuple,  tout  cela  avait  été  établi 
d'une  manière  irréfutable  par  MM.  Neilson,  Viger  et 
Cuvillier.  Nous  avons  déjà  donné  dans  la  première 
partie  de  cette  leçon  un  aperçu  de  leurs  témoignages. 
Leurs  dépositions  claires,  précises,  basées  sur  des  faits 
et  des  chiffres,  devaient  produire  une  grande  impression 
sur  des  esprits  impartiaux.  Lorsque  M.  Neilson  dé- 
montrait que  dix-huit  conseillers  législatifs  sur  vingt- 
sept  étaient  des  fonctionnaires  plantureusement  rétri- 
bués, qui  se  partageaient  entre  eux  $88,000  du  revenu 
public,  et  que,  sur  onze  conseillers  exécutifs,  sept  étaient 


couKS  d'histoire  du  canada  213 

en  même  temps  conseillers  législatifs,  tandis  que  trois 
autres  étaient  des  employés  du  Conseil  législatif;  (1) 
lorsque  M.  Viger  prouvait  que,  sur  onze  juges,  dans  une 
province  composée  de  400,000  Canadiens  français  et  de 
80,000  anglais,  il  y  avait  huit  juges  de  langue  anglaise 
et  trois  seulement  de  langue  française,  et  que  les  juges 
anglais  étaient  inféodés  à  un  parti  politique,  siégeant 
en  cour  le  matin,  l'après-midi  au  conseil  exécutif  et  le 
même  jour  au  conseil  législatif,  faisant  les  bills,  en  or- 
donnant l'exécution,  et  ensuite  rendant  des  décisions 
sur  l'observation  ou  la  non-observation  de  ces  lois  (2); 
lorsque  M.  Cuvillier  soumettait  un  résumé  lumineux 
de  la  question  des  finances  (3),  exposait  les  irrégularités 
commises  par  le  gonverneur  dans  l'affectation  illégale 
du  revenu,  et  faisait  toucher  du  doigt  la  disparité  entre 
les  conditions  oùsetrouvaientlaCouronneenAngleterre 
et  l'administration  provinciale  canadienne  au  sujet  de 
la  liste  civile;  toutes  ces  représentations  et  ces  démons- 
trations ne  pouvaient  manquer  d'éclairer  le  jugement 
et  d'influencer  l'opinion  des  hommes  intelligents  qui 
composaient  le  comité. 

Le  résultat  démontra  avec  quelle  habileté  et  quelle 
efficacité  MM.  Neilson,  Viger  et  Cuvillier  avaient  fait 
valoir  notre  cause  et  soutenu  la  légitimité  de  nos  griefs. 
Après  deux  mois  et  demi  d'enquête  et  de  délibérations 
laborieuses,  le  comité  adopta  un  rapport  qui  dans  son 
ensemble  justifiait  d'une  manière  éclatante  nos  reven- 
dications.    Nos  représentants  avaient  assurément  rem- 

(1) — Rapport  du  comité  choisi  sur  le  gouverne tnent  civil  du 
Canada,  chez  Neilson  et  Cowan,  Québec,  1828,  pp.  69  et  114. 

i2)—Ihid,  pp.  141,  144. 

(.3)— //.{J,  pp.  164,  167. 


214  COURS  d'histoire  du  canada 

porté  une  grande  victoire.  Ils  avaient  même  réussi 
à  modifier  les  idées  de  quelques  hommes  politiques 
qui,  au  début,  avaient  paru  peu  favorables  aux  récla- 
mations de  la  majorité  bas-canadienne.  C'est  ainsi 
que  MM.  Huskisson  et  Wilmot-Horton  semblaient 
s'ctre  ralliés  à  nos  vues.  Dans  un  débat  provoqué  le 
14  juillet  par  la  présentation  d'une  nouvelle  pétition 
relative  aux  affaires  canadiennes,  ils  avaient  parlé  de 
manière  à  prouver  qu'ils  comprenaient  notre  situa- 
tion. Une  lettre  de  nos  délégués,  datée  du  22  juillet 
1828,  annonçait  ces  heureuses  nouvelles  aux  divers 
comités  des  pétitionnaires  dans  les  districts  de  Québec, 
de  Montréal  et  des  Trois-Rivières.  "Après  un  délai 
qui  doit  vous  avoir  causé  autant  d'inquiétude  qu'à 
nous-mêmes",  écrivaient  MM.  Neilson,  Vigcr  et  Cu- 
millier,  "ce  nous  est  une  tâche  bien  agréable  que  d'avoir 
à  vous  annoncer  que  le  comité  de  la  Chambre  des  com- 
munes sur  le  gouvernement  civil  du  Canada  doit  faire 
son  rapport  ce  soir.  Nous  n'avons  encore  pu  nous  pro- 
curer une  copie  de  ce  rapport,  mais  nous  pouvons  dire 
qu'il  est  décidément  favorable  aux  désirs  des  pétition- 
naires. Nous  souhaitons  qu'il  règne  comme  ici,  par 
toute  la  province,  un  esprit  de  conciliation,  le  désir 
d'éviter  tout  ce  qui  peut  affaiblir  en  Canada  la  confian- 
ce du  sujet  dans  la  constitution  établie  ou  détourner 
l'attention  publique  de  l'avancement  du  bien-être  com- 
mun, par  le  canal  des  autorités  constitutionnelles,  et 
nous  désirons  surtout  qu'il  n'y  ait  aucune  manifesta- 
tion de  joie  publique,  ni  rien  qui  puisse  heurter  les  sen- 
timents de  ceux  dont  les  vues  ont  différé  de  celles  des 
pétitionnaires  pour  qui  nous  avons  l'honneur  d'agir. 
Nous  croyons  à  propos  de  faire  remarquer  que  plusieurs 
messieurs  d'ici,  qu'on  a  supposés  en  Canada  entretenir 
des  préjugés  défavorables  à  la  population  du  Bas-Ca- 


COURS  d'histoire  du  canada  215 

nada,  s'en  sont  par  leur  conduite  montré  les  amis.  M. 
Huskisson  et  M.  Wilmot-Horton,  le  14  courant,  dans 
la  Chambre  des  communes,  ont  parlé  décidément  en 
faveur  du  peuple  du  Bas-Canada,  sans  aucune  distinc- 
tion. Nous  nous  considérons  comme  ayant  complété 
notre  mission.  MM.  Neilson  et  Cuvillier  se  proposent 
de  faire  voile  de  Liverpool  pour  New- York,  dans  le 
Caledonia,  capitaine  Rogers,  le  1er  du  mois  prochain. 
M.  Viger  va  faire  un  tour  sur  le  continent.  Nous  avons 
l'honneur  d'être  vos  très  humbles  et  obéissants  servi- 
teurs, J.  Neilson,  D.  B.  Viger,  Austin  Cuvillier."  (1) 

Le  texte  du  rapport  justifiait  ces  déclarations  de 
nos  délégués.  II  était  conçu  dans  un  véritable  esprit 
d'impartiaHté  et  d'équité.  II  déclarait  désirable  que 
la  population  des  townships  obtint  une  représentation 
adéquate,  et  qu'à  cette  fin,  dans  le  remaniement  néces- 
saire des  divisions  électorales,  on  tint  compte  à  la  fois 
de  la  population  et  de  l'étendue  des  circonscriptions. 
II  se  prononçait  en  faveur  de  l'adoption  des  formalités 
les  plus  simples  et  les  moins  dispendieuses  pour  le 
transfert  des  terres  tenues  en  franc  et  commun  socca- 
ge,  d'après  les  principes  de  la  loi  d'Angleterre.  Et  il 
recommandait  l'établissement  d'un  système  d'enre- 
gistrement des  contrats  relatifs  aux  terres  soccagères. 

Le  rapport  reconnaissait  comme  un  des  obstacles 
à  l'avancement  du  pays  la  pratique  de  concéder  degran- 
des  étendues  de  terres  à  des  individus  tenant  des  situa- 
tions officielles  dans  la  colonie,  qui  s'étaient  soustraits 
aux  conditions  d'établissement  stipulées  dans  la  con- 
cession. Et  il  recommandait  la  perception  d'un  droit 
sur  toutes  les  terres  non  améliorées  ni  habitées,  en  con- 
travention à  ces  conditions. 

(1)  Affaires  du  pays  depuis  1828,  Québec   1834,  p.  1. 


210  COURS  d'histoire  du   canada 

Ce  document  contenait  un  passage  bien  satisfai- 
sant pour  nous.  Nous  tenons  à  le  citer:  "Le  comité 
ne  peut  trop  fortement  exprimer  l'opinion  où  il  est  que 
les  Canadiens  d'extraction  française  ne  soient  le  moins 
du  monde  troublés  dans  la  jouissance  paisible  de  leur 
religion,  de  leurs  lois  et  privilèges,  tels  qu'ils  leur  sont 
garantis  par  les  actes  du  parlement  britannique,  et 
bien  loin  d'exiger  d'eux  qu'ils  tiennent  leurs  terres 
d'après  la  tenure  anglaise,  il  est  d'avis  que  lorsque  les 
terres  en  seigneurie  seront  occupées,  si  les  descendants 
des  premiers  colons  préfèrent  encore  la  tenure  en  fief  et 
seigneurie  il  ne  voit  aucune  objection  à  ce  qu'on  leur 
accorde,  en  cette  dernière  tenure,  d'autres  portions 
de  terres  inhabitées  dans  la  province,  pourvu  que  ces 
terres  soient  séparées  des  townships,  n'y  soient  pas  en- 
clavées." (1) 

Relativement  à  la  question  des  finances,  le  comité 
prenait  en  considération  les  circonstances  où  se  trou- 
vait le  Bas-Canada,  l'esprit  de  la  constitution,  la  posi- 
tion et  la  nature  du  gouvernement  local,  les  pouvoirs, 
les  privilèges  et  les  devoirs  des  deux  branches  de  la  légis- 
lature. Et  tout  en  reconnaissant  que,  d'après  l'opi- 
nion des  officiers  en  loi,  le  droit  légal  d'affecter  les  reve- 
nus provenant  de  l'acte  impérial  de  1774  appartenait 
à  la  Couronne,  il  en  venait  à  la  conclusion  que  les  vrais 
intérêts  de  la  province  seraient  mieux  consultés  si  l'on 
plaçait  la  recette  et  la  dépense  de  tout  le  revenu  public 
sous  la  surveillance  et  le  contrôle  de  la  Chambre  d'As- 
semblée. (2)     On  conçoit  quelle  satisfaction  profonde 


(l) — Rapport  du  comité  choisi  pour  s'enquérir  sur  le  gouver- 
7iement  civil  du  Canada,  p.  3. 

(2) — Rapport  ....  p.  4. 


COURS  d'histoire  du  canada  217 

une  telle  déclaration  dut  faire  éprouver  aux  chefs  de  la 
majorité. 

Le  comité  émettait  cependant  l'avis  que  pour  les 
salaires  du  gouverneur,  des  conseillers  exécutifs  et  des 
juges,  il  convenait  de  les  assurer  d'une  façon  perma- 
nente et  de  les  soustraire  au  vote  annuel.  Mais  il  limi- 
tait aux  émoluments  de  ces  offices  le  privilège  de  l'af- 
fectation statutaire.  Et  il  ajoutait:  "Quoiqu'on  ait 
recommandé  l'octroi  de  salaires  permanents  à  un  nom- 
bre de  personnes  liées  au  gouvernement  exécutif  plus 
considérable  que  celui  qu'il  a  renfermé  dans  sa  recom- 
mandation, votre  comité  n'hésite  pas  à  avancer  qu'il 
n'est  pas  nécessaire  d'en  comprendre  un  si  grand  nom- 
bre, et  si  les  officiers^i-dessus  énumérés  sont  placés  sur 
le  pied  recommandé,  il  est  d'opinion  que  tous  les  reve- 
nus de  la  province  (les  revenus  territoriaux  et  hérédi- 
taires exceptés)  soient  mis  sous  le  contrôle  et  à  la  dis- 
position de  la  législature."  (1) 

Le  comité  faisait  un  pasde  plus.  Comme  coi  ollaire 
de  la  recommandation  précédente,  il  se  prononçait  caté- 
goriquement pour  l'élimination  des  juges  des  conseils 
législatifs  et  exécutifs,  à  l'exception  du  juge  en  chef 
dont  la  présence  pouvait  être  nécessaire  dans  certaines 
circonstances.  (2) 

Il  insistait  aussi,  fortement,  sur  l'importance  qu'il 
y  avait  à  ce  que  la  majorité  des  membres  du  Conseil 
législatif  ne  fut  pas  composée  de  personnes  en  place 
sous  le  bon  plaisir  de  l'exécutif.  (3) 

A  propos  du  déficit  Caldwsll,  le  rapport  recom- 

(1) — Rapport p.   4. 

{2)~Ibid,  p.  5. 
{S)—Ibid. 


218  COURS  d'histoire  du  canada 

mandait  qu'il  fût  pris  à  l'avenir.par  des  cautionnements 
suffisants  et  par  une  audition  régulière  des  comptes, 
les  précautions  nécessaires  pour  prévenir  le  retour  de 
semblables  pertes,  (l) 

Le  comité  exprimait  l'opinion  que  les  revenus  des 
biens  des  Jésuites  devaient  être  appliqués  à  l'éducation 
générale.  (2) 

Quant  à  la  question  de  l'union  des  deux  Canadas, 
dont  plusieurs  témoins  avaient  parlé,  il  déclarait  n'être 
pas  prêt  dans  les  circonstances  présentes  à  recomman- 
der cette  mesure. 

Le  rapport  contenait  en  outre  de  longues  considé- 
ations  sur  les  réserves  du  clergé,  qui  agitaient  surtout 
l'opinion  dans  le  Haut-Canada. 

Enfin  relativement  aux  accusations  personnelles 
contre  lord  Dalhousie  le  comité  s'abstenait  de  tout 
commentaire. 

En  résumé  le  rapport  admettait  la  légitimité  de 
nos  principaux  griefs  et  comportait  l'intimation  d'y 
porter  remède.  Les  journaux  de  Québec  et  de  Mont — 
rèal,  organes  de  la  majorité  bas-canadienne,  comme  la 
Gazette  de  Québec,  la  Minerve,  le  Spectateur  Canadien, 
avaient  bi'^n  le  droit  de  pousser  un  tri  de  victoire.  Ce 
document  significatif,  émané  d'un  comité  composé  de 
membres  éminents  des  Communes  britanniques,  cons- 
tituait vraiment  pour  nous  un  événement  mémorable. 

Ce  qui  accentua  encore  l'etTet  qu'il  produisit,  c'est 
qu'il  coïncida  avec  le  rappel  de  lord  Dalhousie,  nommé 
au  poste  considérable  de  commandant  des  forces  an- 
glaises dans  les  Indes.  Sans  doute  ce  n'était  pas  une 
disgrâce,  mais  c'était  une  permutation  à    laquelle    on 

(1) — Rapport p.    6. 

(2)—Ibid. 


COURS  d'histoire   du   canada  219 

ne  pouvait  s'empêcher  d'attribuer  un  sens  particulier 
dans  les  circonstances.  Lord  Dalhousie  disparaissait. 
Un  comité  de  la  chambre  des  Communes  nous  donnait 
raison  sur  des  points  d'importance  majeure.  Un  nou- 
veau gouverneur,  sir  James  Kempt,  nous  arrivait  libre 
et  non  compromis.  (1)  II  convoquait  pour  le  21  no- 
vembre les  chambres  qui  n'avaient  pas  siégé  depuis  le 
23  novembre  précédent.  II  informait  l'assemblée  qu'il 
lui  commurtiquerait  Içs  causes  de  la  convocation  parle- 
mentaire "lorsqu'un  orateur  seiait  dûment  élu  et  ap- 
prouvé". Séance  tenante,  M.  Papineau,  élu  mais  non 
approuvé,  un  an  plus  tôt,  déclarait  que  l'Assemblée 
avait  déjà  procédé  à  l'çlection  de  son  orateur,  reléguant 
soigneusement  dans  une  ombre  propice  la  date  lointaine 
de  cette  cérémonie  mouvementée.  Sur  quoi,  sans  plus  de 
retard,  l'orateur  du  Conseil  législatif,  au  nom  du  gou- 
verneur, informait  M.  Papineau  que  son  Excellence, 
confiant  en  ses  talents,  en  sa  loyauté  et  en  sa  discrétion, 
approuvait  et  confirmait  son  élection.  (2) 

La  crise  Dalhousie  était  terminée.  Une  détente 
se  produisait  encore  dans  notre  situation  politique. 
Une  nouvelle  chance  d'organiser  enfin  le  fonctionne- 
ment normal  de  nos  institutions  parlementaires  s'of- 
frait une  fois  de  plus  à  notre  administration  et  à  notre 
législature. 

Nous  verrons  dans  notre  prochaine  leçon  com- 


(1) — Sir  James  Kempt  était  lieutenant-gouverneur  de  la 
Nouvelle-Ecosse,  quand  il  fut  envoyé  à  Québec  ;  il  occupait  ce 
poste  depuis  1820. 

(2) — Sir  James  Kempt  avait  d'avance  discuté  la  question 
avec  M.  Papineau,  et  ils  en  étaient  arrivés  à  une  entente.  (Kempt 
à  Murray,  22  novembre  1828;  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
Q.  183-1,  p.  172. 


220  COURS  d'histoire  du  canada 

ment,  après  une  trop  courte  trêve,  furent  trompes  les 
espoirs  que  pouvait  légitimement  faire  concevoir  l'is- 
sue heureuse  de  l'enquête  sur  nos  griefs  devant  le  co- 
mité de  1828. 


SOURCES  ET  OUVRAGES  A  CONSULTER 

Garneau,  Histoire  du  Canada,  1881,  t.  III,  liv.  XV,  ch.  m. — 
Bibaud,  Histoire  du  Canada  sous  la  domination  anglaise,  1844, 
liv.  IV. — Perrault,  Abrégé  de  l'bistoire  du  Canada,  t.  IV.-^T.-P. 
Bcdard,  Histoire  de  cinquante  ans. — Christic,  History  oj  tbe  late 
Province  oj  Lower-Canada,  1850,  t.  III. — Kingsford,  History  oj 
Canada,  t.  IX. — Canada  and  its  Provinces,  tt.  III  et  IV. — Sir 
T.  Erskine  May,  Constitutional  History  oj  England,  1912,  tt.  I 
et  II. — Todd,  On  Parliamentary  Government  in  England,  1887, 
t.  I. — Hansard's  Parliamentary  Débutes,  nouvelle  série,  t.  XIX. — 
Les  Comptes  publics  du  Canada,  1868. — Les  Comptes  publics  de 
la  province  de  Québec,  1868. — Cugnet,  Traité  de  la  loi  des  Fiejs, 
Québec,  177.5. — William-Bcnnctt  Munro,  Tbe  Seigniorial  System 
in  Canada,  New-York,  Longmans,  Green  and  Co.,  1907,  ch.  xii, 
— Tbe  Lower  Canada  Jurist,  t.  II. — Tbe  Lower  Canada  Reports, 
t.  IL — Rapport  du  comité  cbargé  de  s'enquérir  sur  le  gouvernement 
civil  du  Ba.s'-CanaJa,  Québec,  Neilson  et  Cowan,  1828. — Journaux 
de  la  Chambre  d' Assemblée  du  Bas-Canada,  1826,  1827,  1828. 
La  Ga/.ette  de  Québec,  1828.— La  Minerve,  1828. — Le  Spectateur 
Canadien,  1828. — Archives  du  Canada  :  Papiers  d'Etat  du  Bas- 
Canada,  Q.  182-2,  183-1,  184-1-2-3-4. 


SEPTIÈME  LEÇON 


\. 


La  division  du  parti  canadien. — Le  gouvernement  de  sir  James 
Kempt. — Une  trêve  politique. — Les  difficultés  de  la  situa- 
tion.— Sir  James  Kempt  et  les  partis. — Une  lettre  à  sir 
George  Murray. — La  session  de  1828-29. — La  question  des 
finances. — Message  de  sir  James  et  réponse  de  la  Chambre. — 
Les  estimations  budgétaires.- — Un  bill  de  subsides  voté  par 
les  deux  chambres. — Le  remaniement  des  comtés.^ — Les  ex- 
pulsions de  M.Christie. — La  session  de  1829-30. — Maintien 
de  la  trêve. — Les  craintes  de  sir  James  Kempt. — Un  bilI  de 
subsides  encore  une  fois  voté. — L'esprit  pacifique  du  juge 
Sewell. — Appréciations  de  M.  Papineau. — Sir  James  Kempt 
et  le  Conseil  législatif. — II  adresse  une  dépêche  au  ministre. — 
Une  faute  d'impression  malencontreuse. — Le  départ  de  sir 
James  Kempt  et  l'arrivée  de  lord  Aylmcr. — La  mentalité 
du  nouveau  gouverneur. — Dispositions  excellentes  envers 
notre  cause. — En  Angleterre. — Les  changements  de  minis- 
tère.— Lord  Goderich  ministre  des  colonies. — Une  politique 
de  conciliation. — Lettre  significative  de  lord  Aylmer. — 
MM.  Papineau  et  Neilson  proposés  pour  le  Conseil  exécu- 
tif.— Leur  refus. — La  session  de  1831. — Une  proposition 
du  gouvernement  impérial. — Une  liste  civile  de  19,500 
louis. — Estimations  réduites. — La  Chambre  refuse  un  vote 
permanent.  —  Des  résolutions  proposées  par  M.  Neilson. — 
Appréciations  favorable  de  lord  Aylmer. — Les  amendements 
de  M.  Bourdages. — Un  message  peu  banal  de  lord  Aylmer. — 
Un  bill  de  subsides  voté  et  sanctionné. — Accusations  contre 
M.  James  Stuart. — Sa  suspension. — Le  cas  des  juges  Flet- 
cher  et  Kerr. — La  session  de  1831-32. — Une  dépêche  mémo- 
rable de  lord  Goderich. — L'abandon  du  revenu  de  la  Cou- 
ronne par  la  loi  Howick.^ — Une  liste  civile  de  5,900  louis. — 
Refus  de  la  Chambre. — Une  faute. — L'attitude  de  M.  Neil- 
son.— La  question  des  juges. — L'élection  du  Conseil  légis- 
latif.— Le  bill  des  notables. — Fâcheuse  ligne  de  conduite 
de  MM.  Papineau  et  Bourdages. — Le  clergé  maltraité  par 
la  majorité. — Evolution  regrettable. — Alarmants  symp- 
tômes. 


222  COURS  d'histoire  du  canada 

On  a  souvent  et  justement  rcpicsenté  comme  une 
trêve  politique  le  gouvernement  de  sir  James  Kempt. 
Après  avoir  rempli  avec  succès  les  fonctions  de  lieute- 
nant gouverneur  de  la  Nouvelle-Ecosse,  il  arrivait  ici 
animé  d'un  sincère  esprit  de  conciliation.  Le  rapport 
du  comité  de  la  Chambre  des  communes  avait  produit 
une  détente  dans  notre  situation  politique.  Le  nou- 
veau chef  de  l'exécutif  (1)  s'efforça  d'en  accentuer  les 
effets.  Il  ne  négligea  rien  pour  démontrer  son  impar- 
tialité et  son  désir  de  rendre  justice  à  tous.  La  posi- 
tion était  diflicile.  Les  ressenti m^^nts  causés  par  l'ad- 
ministration de  lord  Dalhousie  étaient  encore  vivaces 
et  demandaient  incessamment  à  s'épancher  en  récri- 
minations et  en  accusations  rétrospicctives.  Dans  ses 
lettres  à  sir  George  Murray,  successeur  de  M.  Huskis- 
son,  sii  James  Kempt  décrit  son  embarras.  A  ceux 
qui  demandent  des  enquêtes,  il  répond  qu'il  ne  peut 
intervenir  dans  les  actes  de  la  dernière  administration. 
Il  essaie,  reprèsente-t  il,  de  rester  en  dehors  de  tous  les 
partis  et  de  se  concilier  tout  le  monde,  mais  c'est  bien 
difficile  ici  où  l'esprit  de  parti  a  si  longtemps  régné.  Le 
temps  et  la  patience  peuvent  seuls  apporter  un  lemède 
radical  au  mal.  Cependant  le  gouverneur  informe  le 
ministre  qu'aucune  réforme  efTicace  ne  peut  être  effec- 
tuée tant  que  le  conflit  financier  ne  sera  pas  réglé.     II 


(1) — Sir  James  Kempt  avait  reçu  une  commission  provisoire 
qui  le  chargeait  d'administrer  le  Bas-Canada.  Quoiqu'on  lui  eût 
fait  comprendre  qu'il  serait  nommé  gouverneur  des  provinces 
britanniques,  il  semble  qu'on  n'ait  jamais  fait  cette  nomination. 
Le  10  juillet  1830,  trois  mois  avant  l'expiration  de  son  terme 
d'office,  il  écrivait  au  ministre  qu'il  n'avait  reçu  aucune  commis- 
sion en  qualité  de  gouverneur  en  chef,  sa  commission  provisoire 
étant  simplement  d'administrer  la  province.  (Kempt  à  Murray, 
6  novembre  1828  ;  10  juillet  1830  ;  Q.  182-2,  p.  57,  195-1-2,  p.  48). 


COURS  d'histoire  du   canada  223 

est  difficile  de  se  renseigner,  car  il  n'y  a  pas  deux  per- 
sonnes qui  aient  la  même  opinion.  (1) 

Pendant  les  deux  années  que  dura  son  admini;s- 
tration,  le  caractère  de  sir  James  Kcmpt  ne  se  démentit 
pas.  II  ne  cessa  de  jouer  le  rôle  de  modérateur,  rôle 
parfois  ingrat  et  périlleux.  Par  sa  prudence  et  son  tact 
il  réussit  à  écarter  les  crises  et  à  gagner  du  temps  pour 
permettre  au  gouvernement  impérial  de  réaliser  au 
moins  quelques-unes  des  réformes  promises. 

La  question  des  finances  était  toujours  la  plus  ar- 
due. Le  28  novembre  1828,  le  gouverneur  communi- 
qua à  l'Assemblée  les  instiuctions  reçues  du  bureau  co- 
lonial. Les  ministres  de  Sa  Majesté  étaient  à  étudier 
les  moyens  de  régler  Tes  difficultés  relatives  à  l'affec- 
tation du  revenu,  "de  manière  à  sauvegarder  la  préro- 
gative de  la  Couronne  et  les  privilèges  constitutionnels 
de  la  législature."  En  attendant  on  déclarait  qu'à 
même  le  revenu  régulièrement  affecté  au  gouverne- 
ment civil  et  à  l'administration  de  la  justice,  qui  s'éle- 
vait à  38,000  louis,  on  paierait  les  salaires  des  officiers 
administrant  le  gouvernement  et  des  juges,  mais  qu'on 
ne  procéderait  à  l'affectation  du  reste  disponible 
"qu'après  avoir  été  infoimé  des  vues  de  laChambre 
concernant  la  manière  la  plus  avantageuse  de  l'appli- 
quer au  service  public."  Le  message  officiel  contenait 
le  passage  suivant:  "Sa  Majesté  a  ordonné  à  Son  Ex- 
cellence d'informer  l'Assemblée  qu'un  plan  pour  arran- 
ger d'une  manière  permanente  les  affaires  de  finances 
du  Bas-Canada  est  déjà  projeté,  et  Sa  Majesté  ne  doute 
nullement  qu'on  ne  puisse  parvenir  à  un  résultat  capa- 
ble de  contribuer  au  bien-être  général  de  la  province 

(D — -Archives    du  Canada:    Papicr<;  cVEtut  du  Bas-Canada, 
Q.  183-2,  p.  liZi. 

15 


224  couKS   d'h;sioike  du   canada 

et  de  satisfaire  ses  fidèles  sujets  canadiens."  (1)  En 
présence  de  cette  communication,  la  Chambre  ne  vou- 
lut pas  s'abstenir  de  proclamer  de  nouveau  son  droit 
d'affecter  tout  le  revenu.  "Elle  ne  doit,  répondit-elle, 
en  aucun  cas  ni  pour  aucune  considération  quelconque, 
abandonner  ou  compromettre  son  droit  naturel  et  cons- 
titutionnel, comme  une  des  branches  du  parlement  pro- 
vincial représentant  les  sujets  de  Sa  Majesté  dans  cette 
colonie,  de  surveiller  et  contrôler  la  recette  et  la  dépense 
de  tout  le  revenu  public  prélevé  dans  cette  province."  (2) 
Il  était  peut-être  excessif  de  dire  qu'aucune  consi- 
dération, dans  aucun  cas,  ne  saurait  induire  l'Assemblée 
à  faire  des  concessions.  Cependant,  après  avoir  affirmé 
le  principe  qu'elle  s'efforçait  de  faiie  triompher  depuis 
sept  ou  huit  ans,  la  Chambre  ne  commit  pas  la  faute  de 
refuser  les  subsides.  Elle  vota  les  estimations  budgétaires 
soumises  par  sir  James  Kempt,  en  leur  faisant  subir 
toutefois  quelques  retranchements.  Le  bill  adopté  à 
cette  fin  fut  rédigé  en  des  termes  analogues  à  celui  de 
1825,  que  lord  Bathurst  avait  blâmés.  Un  autre  bill 
fut  aussi  voté  pour  couvrir  les  dépenses  de  l'année  1828, 
durant  laquelle  il  n'y  avait  point  eu  de  session  com- 
plète. Ces  deux  mesures  budgétaires  obtinient,  quoi- 
qu'avec  peine,  l'assentiment  du  Conseil  législatif.  Sur  le 
bill  relatif  à  l'exercice  de  1828  le  Conseil  se  divisa  moi- 
tié pour  moitié,  et  le  projet  de  loi  ne  fut  emporté  que 
grâce  à  une  manœuvre  extrême  de  l'orateur,  le  juge 
en  chef  Sewell,  qui,  ayant  déjà  voté  une  fois  comme 
membre  du  Conseil,  prétendit  avoir  droità  un  vote  pré- 
pondérant comme  président.     Sur  le  bill  relatif  à  l'e.xer- 

(1) — Journal   de  la  Chambre  d'Assemblée  du    Bas-Canada, 
28  novembre  1S28. 

(2) — Ibid  .  5  décembre. 


COURS  d'histoire  du  canada  225 

cice  de  1829,  la  majorité  afTirmative  fut  de  deux  voix, 
soit  une  division  de  9  contre  7.  (1)     On  pouvait  peut- 
être  entrevoir  dans  ces  votes  une  amélioration  de  men- 
talité chez  la  chambre  haute.     Comme  préhminaire  de 
ces  décisions,  le  Conseil  avait  adopté  le  9  décembre,  à 
une  voix  de  majorité,  une  résolution  ayant  pour  objet 
de  rescinder  celle  par  laquelle  il  s'était  d'avance  lié  les 
mains,  en  1821,  en  s'engageant  à  "n'adopter  aucun 
bill   d'appropriation  de  la  liste  civile  contenant  des 
spécifications  par  chapitres,  ou  par  ilems,  ou  à  moins 
qu'elle  ne  fût  accordée  pour  le  temps  de  la  vie  du  roi."  (2) 
Notons  qu'une  des  mesures  les  plus  importantes 
de  cette  session — 1828-1829 —  fut  celle  du  remanie- 
ment des  comtés.       Elle  créait  quarante-quatre  divi- 
sions électorales.     Trente  quatre  avaient  droit  à  deux 
représentants  chacune,  huit  avaient  droit  à  un,  et  les 
cités  de  Québec  et  de  Montréal  respectivement  à  qua- 
tre.    Les  cantons  de  l'est,  par  cet  arrangement,  al- 
laient avoir  huit  députés  dès  la  session  suivante.  (3) 


(1)— Journal  du  Conseil  législatif  du  Bas-Canada,  1828-29 
pp.  301,304. 

(2)— Journal  du  Conseil  législatif,  1828-1829,  p.  55. 

(3) — Dans  le  bilI  tel  qu'adopté  par  l'Assemblée  le  nombre 
des  députés  était  de  quatre-vingt-neuf.  Les  comtés  de  Kamou- 
raska,  Bellechasse,  Richelieu,  Saint-Hyacinthe,  Rouvillc,  Cham- 
bly,  Laprairie,  l'Acadie,  Deux-Montagnes,  Terrcbonnc,  Mont- 
réal, Berthier  et  Saint-Maurice,  perdirent  un  représentant  cha- 
cun, en  vertu  d'un  amendement  du  Conseil  législatif;  et,  en  même 
temps,  ceux  de  Rimouski,  de  Beauce,  de  Mégantic  (douteux),  de 
Lotbinière,  de  Sherbrooke,  de  Missisquoi,  de  La  Chenaye  et 
d'Orléans  en  gagnèrent  un  chacun.  Le  total  se  trouvait  en  défi- 
nitive de  quatre-vingt-quatre.  Leprincipe  introduit  danslaloipar 
les  amendements  du  Conseil  accordait  deux  représentants  aux 
comtés  de  4,000  habitants  et  au  delà,et  un  représentant  aux  com- 


226  COURS  d'histoire  du   canada 

Sir  James  Kempt  écrivait  à  ce  propos  que  les  townships 
étaient  satisfaits  de  la  représentation  qui  leur  était  ac- 
cordée. (1)  Aux  élections  générales  suivantes,  sur 
quatre-vingt-quatre  députés  vingt-deux  furent  de  lan- 
gue anglaise,  soit  plus  d'un  quart  de  la  représentation 
totale,  lorsque  la  population  anglo-saxonne  ne  s'élevait 
pas  à  plus  d'un  sixième.  Une  autre  réclamation  des 
habitants  des  cantons  allait  aussi  recevoir  satisfaction. 
A  la  session  de  1829-1830,  la  législature  adopta  une  loi 
pour  établir  des  bureaux  d'enregistrement  dans  les 
comtés  de  Drummond,  de  Sherbrooke,  de  Stanstead, 
de  ShefTord  et  de  Missisquoi. 

Cependant  ces  actes  de  législation,  inspirés  par 
un  esprit  de  bon  vouloir,  étaient  entremêlés  de  résolu- 
tions excessives.  L'Assemblée  ne  pouvait  prendre  sur 
elle  d'oublier  ses  griefs  contre  lord  Dalhousie,  et  contre 
ceux  qu'elle  considérait  responsables  à  un  degré  quel- 
conque des  fautes  reprochées  par  elle  à  ce  dernier.  M. 
Robert  Christie,  député  de  Gaspé,  président  des  ses- 
sions de  quartiers  à  Québec,  devait  en  être  l'un  des 
plus  mémorables  exemples.  Au  cours  de  l'étude  en 
comité  d'un  bill  pour  la  "qualification"  des  juges  de 
paix,  on  produisit  contre  lui  l'accusation  d'avoir  provo- 
qué, par  ses  représentations  auprès  de  l'ex-gouverneur, 
la  démission  de  MM.  Neilson,  Quirouet,  Blanchet  et 
Bélanger,  députés,  comme  membres  de  la  commission 

tés  de  plus  de  l.OOO  et  de  moins  de  4, 000. Un  comté  dont  la  popu- 
lation était  au-dessousde  1,000  devait  voter  avec  le  comté  voisin 
dont  la  population  était  la  plus  faible.  Le  bill  originaire  donnait 
un  député  par  5,000  âmes  environ.  {Ca/.ette  de  Québec,  1829. — 
RappoT.  sur  les  Archives  canadiennes.  1S2S,  p.  VI.  Christie,  III. 
pp.  2.54 -2Ô()). 

(1) — Archives  du   Canada:   Papiers  d'Ftat    du    Bas-Canada 
Q.  18S-1,  p.  138. 


COURS  d'histoire  du   canada  227 

de  la  paix.  Des  témoignages  furent  entendus  et  un 
rapport  basé  sur  ks  faits  établis  fut  soumis  à  la  Cham- 
bre. La  conséquence  fut  que  M.  Christie,  en  dépit 
de  sa  demande  d'enquête  contradictoire,  fut  expulsé 
de  la  législature  et  déclaré  coupable  de  "haut  mépris 
pour  la  Chambre  et  indigne  de  servir  et  d'avoir  un  siège 
comme  membre  d'icelle."  Ce  fut  le  commencement  d'un 
duel  mouvementé  entre  l'Assemblée  d'une  part,  M. 
Christie  et  le  comté  de  Gaspé  de  l'autre.  Le  député 
expulsé  retourna  devant  ses  électeurs.  Il  fut  réélu, 
fut  réexpulsé  à  la  session  de  1830,  encore  élu,  encore 
expulsé  en  1831,  et  ainsi  de  suite  pendant  quatre  ans. 
M.  Christie  fut  chassé  de  la  chambre  à  cinq  reprises 
différentes.  (1)  Il  y  ava*it  là  un  réel  abus  de  pouvoir. 
Notre  assemblée  bas-canadienne  aurait  dû  se  rappeler 
le  cas  du  célèbre  John  Wilkes,  député  deMiddIesex,  ex- 
pulsé trois  fois  de  la  Chambre  des  communes.  Celle-ci 
cependant,  treize  ans  plus  tard,  avait  ordonné  d'effa- 
cer de  son  journal  la  dernière  résolution  adoptée  par 
elle  contre  l'agitateur,  la  déclarant  "subversive  du 
corps  entier  des  électeurs  du  royaume."  (2) 

En  dépit  de  ces  incidents,  l'administration  de  sir 
James  Kempt  fut  relativement  heureuse.  Le  gouver- 
neur faisait  preuve  d'une  grande  circonspection  et  d'un 
remarquable  savoir-faire.  Il  entretenait  d'excellentes 
relations  envers  les  chefs  de  la  majorité.  Il  tempérait 
les  ardeurs  agressives  de  la  presse  francophobe,  à  Qué- 
bec au  moins.  (3)  Il  s'efforçait  de  concilier  l'opinion 
/ 

(1) — History  oj  ihe  laie  Province  of  Lower  Canada.  CI:ristie, 
t.  m,  pp.  240,  260,  309,  362,  435,  559. 

(2) — Lecky.  Histors^  of  Ensland   during   the   eigbteenth   cen- 
tury,  t.  IV,  p  218. — Rapport  sur  les  Archives  du  Canada,  1899,  p.  X. 

(3)— Christie,  III,  p.  217. 


228  COURS  d'histoire  du  canada 

catholique  et  canadienne- française.  Il  faisait  en  sorte 
d'améliorer  la  composition  du  Conseil  législatif  en  y 
faisant  entrer  des  Canadiens  éminents  comme  M. 
Denis-Benjamin  Viger,  l'un  des  délégués  de  1828,  M. 
de  Bcaujeu  et  M.  Louis  Guy.  Il  n'hésitait  même  pas  à 
suggérer  la  nomination  de  deux  chefs  de  la  majorité, 
dont  l'un  était  M.  Papineau  lui-même,  comme  mem- 
bres du  Conseil  exécutif.  (1) 

La  trêve  déterminée  par  le  rapport  du  comité  de 
la  chambre  des  communes  et  favorisée  par  l'attitude 
fie  sir  James  Kempt,  ne  fut  pas  rompue  à  la  session 
de  1829-1830.  Des  extraits  du  message  adressé  à  l'As- 
semblée le  29  janvier  et  de  la  réponse  de  la  chambre 
peuvent  donner  une  idée  de  la  situation.  "Son  Excel- 
lence, lisait-on  dans  la  communication  officielle,  a  reçu 
ordre  d'exprimer  l'espoir  et  la  confiance  qu'a  Sa  Ma- 
jesté que  laChambie  d'assembléeaccordera  en  aide  des 
revenus  de  la  Couronne  tels  subsides  dont  il  est  besoin 
pour  le  support  du  gouvernement  de  Sa  Majesté,  se 
reposant  sur  l'assurance  gracieuse  de  Sa  Majesté,  qu'il 
va  être  immédiatement  pris  des  mesures  pour  amener, 
sous  l'autorité  du  parlement,  un  arrangement  amical 
de  contestations  qui  ont  duré  trop  longtemps  pour  les 
vrais  intérêts  et  le  bien-être  de  la  province."  A  cela, 
conformément  à  une  motion  proposée  par  M.  Neilson 
et  appuyée  par  M.  Bourdages,  la  Chambre  répondit: 
"Nous  prendrons  au  plus  tôt  en  considération  le  dit 
messaee,dans  la  vue  d'accorder  teissubsides  qui  seront 
jugés  nécessaires,  dans  l'espoir  et  la  confiance  que  les 
droits  inhérents  des  sujets  de  sa  Majesté  en  cette  pro- 
vince de  contrôler  par  le  moyen  de  leurs  représentants 

Cl) — Archives  du  Canada; — Papiers  d'Etal  du  Bas-Canada, 
O.  19.5-1-2.    p.  319. 


COURS  d'histoire  du  canada  229 

la  dépense  et  de  régler  raffectation  de  tous  les  deniers 
payés  par  eux  pour  les  usages  publics  seront  établis  sur 
une  base  ferme  et  permanente."  (1)  Comme  on  le  voit 
la  politique  du  moment  était  toute  d'expectative.  A 
certains  jours  la  majorité  trouvait  que  les  réformes  se 
faisaient  attendre  bien  longtemps.  On  aurait  voulu 
que  le  gouverneur  accentuât  davantage  son  attitude 
libérale  et  antibureaucratique.  M.  Papineau  écrivait 
privément:  "Sir  James  Kempt  parle,  il  éciit  d'or,  mais 
il  a  la  faiblesse  de  n'oser  jamais  rien  faire  de  décisif." 
Le  gouverneur  lui-même  sentait  la  difficulté  de  la  si- 
tuation. Le  2  mars  1830  il  écrivait  au  ministre  une 
lettre  peu  optimiste.  L'orage,  suivant  lui,  pouvait 
éclater  incessamment.  Sir  James  déclarait  qu'il  se 
croyait  assis  sur  un  baril  de  poudre  sans  savoij  quand 
l'explosion  se  produirait.  On  se  querellait  au  sujet  de 
\ieilles  affaires  qu'il  croyait  oubliées.  Il  essayait  d'agir 
comme  médiateur  et  de  garder  son  sang-froid  afin  de  ne 
pas  venir  en  collision  avec  l'une  ou  l'autre  chambre. 
Il  ajoutait  que  si  le  gouvernement  impérial  se  propo- 
sait de  renoncer  à  l'appropriation  des  revenus  de  la 
Couronne,  sir  John  Colborne  (le  lieutenant  gouver- 
neur du  Haut-Canada)  et  lui-même  estimaient  qu'on 
devait  le  faire  de  bonne  grâce  pour  ne  pas  maintenir 
une  agitation  et  une  discussion  éternelles.  (2) 

Les  appréhensions  de  sir  James  Kempt  ne  se  réali- 
sèrent pas.  La  session  de  1830  se  termina  sans  en- 
combre. La  Chambre  continua  sa  confiance  au  chef  de 
l'exécutif,  et  vota  les  subsides  dans  la  même  forme  que 
l'année  précédente,  eu  égard,  dit-elle,  à  sa  conviction 

(l)— Affaires  du  pays  depuis  1228,  Québec.  18.34,  p.  9. 

(2) — Archives  du  Can.ida;  Papiers  d'Etat  du    Bas-Canada, 
Q.  193-3,  p.  377. 


230  COURS  d'histoire  du   canada 

intime  "que  Son  Excellence  l'administrateur  faisait 
des  efforts  sincères  pour  établir  dans  la  province  un 
système  de  gouvernement  impartial,  conciliant  et  cons- 
titutionnel." Au  Conseil  législatif  le  bill  des  subsides 
fut  voté  par  une  voix  de  majorité,  grâce  à  la  tactique 
du  juge  Scwell,  qui  déploya  toutes  ses  ressources  de 
procédurier  parlementaire  pour  assurer  l'adoption  de  la 
mesure.  Sans  son  influence,  le  lord  évêque  de  Québec, 
qui  n'avait  pas  siégé  une  seule  fois  depuis  le  commen- 
cement de  la  session,  ne  serait  pas  venu  voter  ;  et  ce  fut 
précisément  la  voix  de  ce  dignitaire  qui  assura  la  majo- 
rité. (1)  "Le  juge  en  chef  voudrait  la  paix  sur  ses 
vieux  jours",  écrivait  M.  Papineau  en  signalant  les 
dispositions  nouvelles  de  cet  adversaire  si  longtemps 
irréductible  de  la  cause  canadienne.  Les  conseillers 
hostiles  au  bill  des  subsides  enregistrèrent  un  protêt 
dans  lequel  ils  le  représentaient  comme  entaché  des 
mêmes  vices  constitutionnels  que  les  bills  antérieure- 
ment rejetés  par  la  chambre  haute. 

En  somme  la  session  de  1830  se  terminait  d'une 
manière  satisfaisante.  "Elle  est  la  plus  importante 
dans  ses  résultats  qu'il  y  ait  jamais  eu,  déclarait  M. 
Papineau  lui-même.  La  chambre  y  aura  acquis  une 
réputation  et  une  influence  durables.  Nous  savons  ré- 
sister à  sir  James  Kempt  et  savons  le  soutenir  quand  il 
le  faut." 

Cependant  la  publication  d'une  dépêche  du  chef 
de  l'exécutif  provoqua  des  commentaires  fâcheux, vers 
la  fin  de  son  administration.  Sur  la  demande  du  mi- 
nistre des  colonies  il  lui  avait  communiqué  ses  vues 
relativement  aux  conseils  exécutifs  et  législatifs.  II 
n'était  pas  prêt,  disait-il,  à  suggérer  aucun  changement 

(D— Christie,  III.  p.  270. 


COURS    d'histoire    du    CAiNADA  231 

fondamental  dans  leur  constitution  générale.  Mais  il 
lui  semblait  désirable  d'introduire  graduellement  dans 
le  Conseil  législatif  une  forte  proportion  de  membres 
qui  ne  détiendraient  pas  de  charges  sous  le  bon  plaisir 
de  la  Couronne.  Et  les  juges  (à  l'exception  du  juge 
en  chef  de  la  province)  ne  devaient  à  l'avenir  avoir  de 
sièges  ni  dans  l'un  ni  dans  l'autre  de  ces  corps.  Il  con- 
viendrait même  de  faire  entrer  dans  le  Conseil  exécutif 
un  ou  deux  membres  les  plus  distingués  de  l'Assemblée 
afin  d'inspirer  à  la  chambre  populaire  de  la  législature 
confiance  dans  le  gouvernement  local,  ce  qui  importait 
grandement  à  la  paix,  à  la  prospérité  et  au  bonheur  de 
la  colonie.  Sir  James  Kempt  mentionnait  ensuite  les 
trois  nouveaux  membfes  qu'il  avait  recommandés 
pour  le  Conseil  législatif,  MM.  Viger,  de  Beaujeu  et 
Hatt,  propriétaires  fonciers  et  hommes  de  la  plus  gran- 
de respectabilité.  Et  il  ajoutait:  "Bien  qu'il  soit  très 
difficile  de  choisir  un  grand  nombre  de  sujets  dans  les 
mêmes  conditions,  cependant  j'espère  qu'il  sera  pos- 
sible d'en  trouver  un  nombre  suffisant  pour  remplir  les 
vacances  qui  se  produiront  dans  l'unou  l'autre  conseil." 
En  somme  cette  dépêche  avait  du  bon.  Elle  rappe- 
lait combien  il  était  à  désirer  que  le  Conseil  législatif 
devint  plus  indépendant  du  pouvoir  exécutif.  Elle 
proposait  d'écarter  les  juges  de  cette  chambre  ainsi 
que  du  Conseil  exécutif.  Elle  suggérait  la  convenan- 
ce d'ouvrir  ce  dernier  corps  aux  chefs  de  la  majorité. 
Malheureusement,  par  une  déplorable  malchance,  une 
faute  d'impression  avait  donné  à  la  dernière  phrase 
citée  plus  haut  un  sens  restrictif  qu'elle  n'avait  pas 
dans  le  texte.  Après  la  mention  des  trois  nominations 
récentes  de  conseillers,  au  lieu  des  mots:  "Bien  qu'il 
soit  difficile  de  choisir  un  grand  nombre  de  sujets  dans 
les  mêmes  conditions",  on  avait  imprimé:  "Bien  qu'il 


232  COURS  d'histoire  du   canada 

soit  difficile  de  choisir  un  plus  grand  77om6redesujets." 
Le  mot  greater  avait  été  substitué  à  celui  de  great.  (1) 
Ceci  équivalait  à  dire  qu'en  dehors  des  trois  conseillers 
nommés  on  ne  pouvait  pas  en  trouver  d'autres  possé- 
dant les  quahtés  requises.  Et  c'était  assez  pour  chan- 
ger profondément  la  signification  de  la  phrase.  II  n'en 
fallait  pas  plus  pour  soulever  les  susceptibilités  du 
parti  populaire.  La  dépêche  suscita  de  vives  criti- 
ques. Une  assemblée  publique  eut  même  lieu  à  St- 
Charles,  sur  la  rivière  Chambly,  pour  protester  contre 
la  dépêche  de  sir  James  Kempt.  Les  rectificationsqui 
suivirent  produisirent  néanmoins  leureffet, et  lorsque  sir 
.lames  abandonna  son  poste  à  l'automne  de  1830,  il 
reçut  des  adresses  sympathiques  signées  par  M.  Papi- 
neau  et  les  principaux  chefs  de  la  majorité. 

Lord  Aylmer, appelé  à  lui  succéder,  (2)  entrait  en 
fonctions  dans  un  moment  difhcile.  Deux  ans  s'étaient 
écoulés  depuis  le  rapport  du  comité  de  1828.  Et  le 
gouvernement  impérial  avait  fait  encore  peu  de  choses 
pour  exécuter  ses  recommandations.  Le  nouveau 
gouverneur  était  destiné  à  une  administration  ora- 
geuse. Une  série  d'événements  fâcheux  et  d'incidents 
regrettables  devait  le  mettre  violemment  en  conflit  avec 
la  majorité  de  la  chambre  populaire.  II  a  été  consé- 
quemment  fort  maltraité  par  nos  historiens,  et  son 
nom  a  été  classé  à  côté  de  ceux  de  Craig  et  de  Dalhousie. 

(1)— Christic,  III,  p.  291. 

(2) — Lord  Aylnier  ne  reçut  d'.iborcl  qu'une  commission  pro- 
visoire pour  administrer  la  province,  comme  cela  avait  eu  lieu 
pour  sir  James  Kempt.  II  fut  administrateur  du  20  octobre  1830 
au  3  février  1831.  A  cette  dernière  date,  ayant  reçu  sa  commis- 
sion de  gouverneur  en  chef,  il  prêta  serment  en  cette  qualité. 
(Archives  du  Canada,  Q.  19.')-l-2,  p.  :«.5,  197-1-2,  p.  75). 


COURS  d'histoire  du  canada  233 

Et  cependant  quand  on  entre,  comme  nous  l'avons  fait, 
dans  l'examen  approfondi  de  sa  correspondance,  on  est 
forcé  de  se  dire  qu'il  ne  méritait  pas  l'animadversion 
dont  il  fut  assailli.  L'étude  des  dépêches  et  des  documents 
ne  nous  permet  pas  de  concourir  dans  les  jugements 
rigoureux  dont  il  a  été  l'objet.  Il  a  commis  des  erreurs 
de  jugement,  sans  aucun  doute.  Mais  il  a  surtout 
été  victime  des  circonstances.  Et  la  justice  nous  im- 
pose le  devoir  de  déclarer  qu'il  avait  des  intentions 
droites,  des  dispositions  bienveillantes  envers  les  Cana- 
diens français  et  qu'il  était  animé  d'un  grand  désir 
d'impartialité  et  d'équité.  (1) 

Au  moment  ou  il  inaugurait  son  administration, 
lord  Goderich  succédïiit  à  sir  George  Murray  comme 
secrétaire  colonial.  D'importants  événements  poli- 
tiques venaient  de  se  passer  en  Angleterre.  Le  cou- 
rant réformateur  qui  se  faisait  sentir  depuis  quelques 
années  et  l'ébranlement  causé  à  travers  le  détroit  par 
la  révolution  de  juillet  en  France  avaient  mis  un  terme 
à  la  longue  domination  du  parti  tory.  Lord  Welling- 
ton et  M.  Peel  avaientconstatéqu'ilsnepouvaientcomp- 
ter  sur  l'appui  de  la  Chambre  des  communes  élue  au 
mois  d'août  1830.  ils  avaient  donné  leur  démission 
et  un  nouveau  ministère,  un  ministère  whig  présidé 
par  lord  Grey,  avait  pris  en  main  l'administration  du 
Royaume-Uni.  Le  premier  et  le  principal  article  de 
son   programme  était  la  réforme  parlementaire,   qui 

(1) — A  l'appui  de  cette  appréciation  nous  pourrions  multi- 
plier les  citations.  Mentionnons  les  lettres  de  lord  Aylmer  à  lord 
Goderich,  du  17  janvier,  du  7  février,  du  5  mars,  du  28  mars,  du 
5  avril,  du  6  avril,  du  7  avril,  du  20  avril,  du  26  août  1831;  du 
26  janvier,  du  5  février,  du  1.5  décembre  1832.  On  trouve  ces 
lettres  dans  les  volumes  0-  197-1-2  à  Q.  203  de  la  série  rcpitrs 
d'Etat  du  Bas-Canada,  aux  archives  c''Otl;  wa. 


234  COURS  d'histoire  du  canada 

allait  s'accomplir  après  de  longs  débats,  api  es  une  crise 
ministérielle,  une  démission  du  cabinet  suivie  d'un 
prompt  retour,  une  dissolution  du  Parlement  et  un  ap- 
pel à  la  préiogative  royale  pour  vaincre  la  résistance  de 
la  chambre  des  lords  (1;.  Lord  Goderich — naguère  l'ho- 
norable M.  Frederick  Robinson — ancien  collègue  de 
M.Canning,et  ancien  premier  ministre  d'un  cabinet  de 
coalition,  était  entré  dans  legouvernementde  lord  Grey 
comme  secrétaire  colonial,  poste  qu'il  avait  déjà  occupé 
quelques  mois  en  1827.  Plus  encore  que  son  prédéces- 
seur c'était  un  homme  conciliant  et  pondéré.  Dès 
son  entrée  au  ministère  des  colonies,  il  se  proposa  de 
mettre  un  terme  aux  difficultés  canadiennes,  en  réali- 
sant toute  une  série  de  réformes  et  de  concessions  im- 
portantes. Son  premier  conseil  à  Lord  Aylmer  fut 
d'entamer  des  relations  amicales  avec  nos  principaux 
personnages  populaires.  Cet  avis  coïncidait  singuliè- 
rement avec  les  intentions  du  gouverneur.  Le  17  jan- 
vier 1831,  celui-ci  écrivait  au  ministre  que  d'avance  il 
s'était  conformé  à  ses  vues.  Son  objectif  était  de  dé- 
montrer son  entière  impartialité.  Il  attendrait  ensuite 
patiemment  le  résultat  de  ses  efforts.  Il  avait  cru 
d'abord,  faisait-il  observer,  que  l'opposition  au  gouver- 
nement dans  l'Assemblée  provenait  du  désir  de  rompre 
le  lien  biitannique,  mais  en  examinant  les  choses  de 
près  il  acquérait  de  plus  en  plus  la  conviction  que  les 
Canadiens  de  toutes  conditions  étaient  fortement  at- 
tachés à  Ilfi  mère-patrie.  La  vraie  politique  à  suivre 
était  de  se  concilier  la  bonne  volonté  des  Canadiens  en 
satisfaisant  leuis  préférences  pour  les  lois  et  les  insti- 
tutions d'origine  française,  chose  d'autant  plusnéces- 

(1) — Todd.  On  Parliamentary  Government   in   England,   t.    I, 
cil.  iir.— May,  Constitutional  History  of  England,  t.  II. 


COURS  d'histoire  du   canada  235 

saire  que  ce  que  l'on  appelait  le  parti  anglais  procla- 
mait constamment  que  le  dessein  arrrêtéde  l'Angleterre 
était  de  les  supprimer.  (1)  Une  pareille  lettre  nous 
donne  de  lord  Aylmer  une  idée  bien  différente  de  celle 
que  nous  en  avions  jusqu'ici.  Poursuivant  le  même 
ordre  d'idées,  au  mois  de  février  il  profitait  de  deux  va- 
cances pour  proposer  à  lord  Goderich  de  nommer  MM. 
Papineau  et  Neilson  au  Conseil  exécutif.  (2)  C'était 
ouvrir  les  portes  du  gouvernement  aux  deux  chefs  du 
parti  populaire.  Si  cette  démarche  eût  réussi,  quel 
cours  différent  elle  eût  sans  doute  imprimé  aux  événe- 
ments ultérieurs!  Le  contact  entre  le  chet  de  l'admi- 
nistration et  ses  nouveaux  conseillers  eût  pu  atténuer 
bien  des  aspérités,  supprimer  bien  des  malentendus, 
prévenir  bien  des  conflits.  On  aurait  pu  s'entendre 
pour  faire  prévaloir  les  formules  acceptables  et  les  so- 
lutions judicieuses.  Des  concessions  mutuelles  fussent 
devenues  possibles  pour  parvenir  à  faire  enfin  fonction- 
ner normalement  nos  institutions  parlementaires.  In- 
sensiblement et  par  l'enchaînement  naturel  des  faits, 
on  aurait  pu  arriver  sans  presque  le  percevoir  à  la  pra- 
tique du  gouvernement  lesponsable,  quinze  ans  avant 
la  victoire  de  ce  principe  sous  le  ministère  de  LaFon- 
taine  et  de  Baldwin. 

Disons  immédiatement  que  lord  Goderich  agréa 
l'idée  de  lord  Aylmer — déjà  émise  par  sir  James 
Kempt.  MM.  Papineau  et  Neilson  furent  nommés 
conseillers   exécutifs,    mais   refusèrent   d'accepter,   en 

(1) — Archives  du  Canada;  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
Q.  197,  1-2,  p.  28. 

(2) — Archives  du  Canada;  Papiers  d'Etat,  du  Bas-Canada, 
Q.  197,  1-2,  p.  7.3. — Rapport  sur  les  archives  canadiennes,  1899, 
p.   XII. 


23(5  COURS   d'iustoike  du   canada 

alléguant  que  les  règlements  de  la  Chambre  ne  le  leur 
permettait  pas.  (1)  Ils  pouvaient  peut-êtie  mieux  mesu- 
rer les  difficultés  de  la  sitiation  que  nous  n'en  sommes 
capables  aujourd'hui.  Mais  leur  acceptation  eût  en- 
traîné, nous  scmble-t-il,  de  si  heureuses  conséquences, 
que  nous  ne  saurions  nous  empêcher  de  regietter  leur 
refus. 

Pour  mieux  faire  comprendre  l'état  d'esprit  et  les 
dispositions  de  lord  Aylmer,  ajoutons  encore  que  douze 
mois  après  il  recommandait  la  nomination  de  onze  nou- 
veaux membres  au  Conseil  législatif,  dont  huit  Cana- 
diens français  et  quatre  membres  de  l'Assemblée.  Tous 
moins  un  étaient  indépendants  de  l'administration. 

II  nous  semble  impossible  de  nier  qu'il  n'y  eût  là 
des  preuves  évidentes  de  bon  vouloir.  Notons  qu'à 
ce  lion  vouloir  du  gouverneur  correspondait  éminem- 
ment celui  du  ministre.  Lord  Goderich  avait  vrai- 
ment à  cœur  de  mettre  fin  à  nos  conflits  constitution- 
nels. Membre  d'un  cabinet  de  réfoirme,  il  entendait 
être  un  ministre  colonial  réformateur.  Et  il  ne  tarda 
pas  à  le  démontrer. 

Au  commencement  de  la  session  de  1831, lord  Ayl- 
mer soumit  à  la  chambre  une  communication  relative 
à  la  question  des  finances.  Le  gouvernement  impérial 
annonçait  sa  détermination  de  renoncer  à  l'affectation 
du  revenu  de  la  Couronne,  perçu  en  vertu  de  l'Acte  du 


(1) — La  législature  avait  adopte  en  1830  un  bill  décrétant 
que  quiconque  acceptait  une  position  comportant  émoluments 
sous  la  Couronne  ne  pouvait  siéger  dans  l'Assemblée  comme  re- 
présentant. Ce  bilI  n'avait  pas  été  sanctionné  en  Angleterre. 
Le  15  février  1831,  la  Chambre  avait  adopté  une  résolution  ana- 
logue. M.  Papineau  avait  déjà  été  nommé  une  fois  membre  du 
Con.seil  exécutif  en  1820.  Mais  il  avait  donné  sa  démission  peu 
de  temps  après. 


COURS  d'histoire  du   canada  237 

revenu  de  Québec  (14  George  III,  chapitre  88)  et  d'un 
autre  acte,  soit  une  somme  d'environ  38,000  louis,  mo- 
yennant le  vote  permanent  d'une  liste  civile  de  19,500 
louis,  consacrée  à  payer  les  salaires  du  gouverneur,  des 
juges,  ainsi  que  certaines  pensions  et  dépenses  contin- 
gentes. En  même  temps,  dans  les  estimations  budgé- 
taires soumises  par  le  chef  de  l'exécutif,  se  trouvaient 
supprimées,  par  suite  des  instructions  du  bureau  colo- 
nial, une  série  d'articles  que  la  chambre  avait  refusé 
d'inclure  dans  son  vote  l'année  précédente.  Tout  ceci 
constituait  sans  doute  un  premier  pag  dans  la  voie  des 
concessions.  (1)  Mais  la  majorité  ne  le  jugea  pas  suffi- 
sant. Et  elle  adopta  un  rapport  dans  lequel  on  disait 
que  deux  années  s'étaient  écoulées  depuis  l'enquête  de 
1828,  que  les  propositions  actuelles  ne  correspondaient 
pas  avec  les  recommandations  du  comité  de  la  Cham- 
bre des  communes,  et  que  par  conséquent  il  était  expé- 
dient de  ne  faire  aucune  allocation  permanente  ulté- 
rieure pour  les  dépenses  du  gouvernement.  (2) 

Peu  après  l'adoption  de  ce  rapport,  M.  John  Neil- 
son  présenta  une  série  de  résolutions  qui  furent  votées 
par  la  Chambre.  Elles  contenaient  un  nouveau  résu- 
mé de  nos  griefs,  déjà  énoncés  dans  nos  pétitions  de  1828, 
relativement  aux  obstacles  qui  entravaient  le  progrès 
de  l'éducation,  à  la  mauvaise  régie  des  terres  publiques, 

(1) — Nous  lisons  dans  une  lettre  inédite  de  M.  Papineau, 
en  date  du  23  février  1831  :  "Aujourd'hui  nous  avons  un  message 
sur  les  finances  qui  leur  déplaira  (aux  bureaucrates),  et  à  nous 
aussi,  quoique,  il  y  a  quelques  années,  nous  aurions  pu  nous  en 
contenter". — Une  bienveillance,  dont  nous  sommes  très  recon- 
naissant, nous  a  donné  accès  à  quelques  lettres  inédites  de  M. 
Papineau,  qui  jettent  un  jour  intéressant  sur  toute  la  période 
que  nous  étudions  en  ce  moment. 

(2) — Affaires  du  pays  depuis  1S2S,  p.  1.5. 


238  COURS   d'histoire  du   canada 

au  pouvoir  exercé  par  le  parlement  impérial  dans  la 
réglementation  du  commerce,  au  défaut  d'organisation 
municipale,  à  la  confusion  résultant  du  mélange  des 
lois,  à  la  question  de  la  tenure  foncière,  à  l'immixtion 
des  juges  dans  la  politique  par  suite  de  leurs  fonctions 
législatives  et  executives,  à  l'exclusivisme  dans  la  ré- 
partition des  emplois  et  à  l'ostracisme  d'une  classe  de 
la  population,  au  manque  de  comptabilité  et  de  res- 
ponsabilité dans  le  maniement  des  deniers  publics,  à  la 
composition  défectueuse  du  Conseil  législatif,  etc.  (1) 
L'adresse  basée  sur  ces  résolutions  contenait  le  passage 
suivant:  "Quoique  le  peuple  de  cette  province  souffre 
de  cet  état  de  choses  et  s'efforce  de  le  faire  changer,  il 
n'en  est  pas  moins  reconnaissant  de  l'avantage  dont  il 
jouit  sous  le  gouvernement  de  votre  Majesté,  et 
surtout  de  sa  politique  plus  libérale  adoptée  depuis 
deux  ans  à  l'égard  de  cette  colonie  ;  il  éprouve  cepen- 
dant un  sentiment  bien  pénible  lorsqu'il  voit  que  les 
espérances  dont  on  l'avait  flatté  après  un  long  cours 
de  souffrances  et  d'outrages  ont  été  considérablement 
diminuées  par  les  délais  que  l'on  a  apportés  à  redresser 
un  grand  nombre  de  sujets  de  plaintes  contenues  dans 
son  humble  requête  au  Roi  et  au  parlement  en  mil 
huit  cent  vingt-huit." (2)  Ces  résolutions  étaient  le 
fruit  de  la  pensée  politique  de  M.  Neilson.  Elles  con- 
tenaient son  programme  d'action  constitutionnelle. 
C'était  sur  ce  terrain  qu'il  entendait  s'établir  et  de- 
meurer. Et  les  événements  ultérieurs  devaient  dé- 
montrer    qu'à    ce  moment  il     prenait     délibérément 

(1) — Journ.il  de  la  Chambre  d'Assemblée  du     Bas-Canada, 
1831.  p.  351. 

(2) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée   du    Bas-Canada, 
1831,  p.  379. 


COURS  d'histoire  du  canada  239 

position  et  ne  se  laisserait  pas  entraîner  au  delà  des 
limites  qu'il  traçait   ici. 

Lord  Aylmer  suivait  d'un  œil  attentif  ce  qui  se 
passait  en  Chambre.  L'annonce  des  résolutions  de 
M.  Neilson  l'avait  d'abord  inquiété.  Mais  la  pro- 
duction de  leur  texte  le  rassura.  Le  5  mars  il  les  trans- 
mettait à  lord  Goderich  avec  une  note  décidément 
approbative.  Elles  étaient,  affirmait-il,  beaucoup  plus 
modérées  qu'il  n'avait  lieu  d'espérer.  Les  plaintes 
qui  y  étaient  exprimées  reposaient  sur  de  bonnes  rai- 
sons. Si  l'on  en  supprimait  les  causes  le  gouvernement 
serait  bien  vu  du  peuple.  L'excitation  de  surface  se 
calmerait  peu  à  peu.  IJ  régnait  présentement  une 
tranquillité  qu'il  ne  tenait  qu'au  gouvernement  de 
maintenir. (1)  Cette  lettre  confirme  encore  ceque  nous 
disions  tout  à  l'heure  relativement  à  la  mentalité  de 
Lord  Aylmer,  et  prouve  qu'il  sympathisait  vraiment 
avec  nos  revendications. 

'  Dans  la  Chambre,  les  vues  de  M.  Neilson  n'étaient 
pas  partagées  complètement  par  tous  les  membres  de 
la  majorité.  Quelques-uns  auraient  voulu  aller  plus 
loin  que  lui.  On  essaya  d'introduire  dans  ses  résolu- 
tions deux  paragraphes  par  lesquels  on  attaquait  non 
pas  seulement  la  composition,  mais  la  constitution 
même  du  Conseil  législatif.  IVL  Neilson  ne  pouvait 
consentir  à  cette  addition,  qu'il  Jugeait  sans  doute 
aventureuse.  Ce  qu'il  visait  ce  n'était  pas  des  change- 
ments constitutionnels  mais  des  réformes  adminis- 
tratives. Et  là  devait  être  la  cause  de  la  scission  et 
de  la  rupture  prochaines.  La  majorité  se  divisa  sur  cette 
tentative  d'addition  aux  treize  résolutions  primitives. 

(1) — Archives  du  Canada:  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q. 
197-1-2,  p.  140. 

16 


240  coLKb  d'histoire  du   canada 

Plusieurs  votes  furent  pris.  Les  deux  résolutions 
complémentaires  furent  adoptées. (1)  Mais  finalement 
M.  Neilson  réussit  à  écarter  des  adresses  au  roi  et  au 
parlement  les  propositions  considérées  par  lui  intem- 
pestives. (2)  Il  y  avait  dans  cet  incident  un  indice 
significatif.  Deux  courants  divergents  commençaient 
à  se  faire  sentir  dans  le  parli  populaire. 

Lorsque  l'Assemblée  demanda  au  gouverneur  de 
voi'loir  bien  transmettre  ces  adresses  au  roi  et  aux 
deux  cliambrcs  britanniques,  il  l'accueillit  avec  la  plus 
vi\e  cordialité,  exprimant  la  conviction  qu'elles  au- 
raient les  meilleurs  résultats.  11  insista  même,  avec 
une  effusion  qui  tranchait  sur  le  stvie  ordinaire  des 
harangues  oflicielles,  pour  s'enquérir  si  c'était  bien  là 
tout,  si  l'exposé  était  complet,  si  la  Chambre  avait 
vraiment  formulé  toutes  ses  plaintes.  Et  il  termina  en 
exprimant  le  vœu  ardent  que  les  mesures  provoquées 
par  cette  démarclie  eussent  pour  conséquence  le  réta- 
blissement d'une  harmonie  parfaite.  Cette  réponse, 
qualifiée  "d'excentrique"  par  un  de  nos  historiens,  (3) 
n'en  était  pas  moins  l'expression  sincère  des  sentiments 
de  lord  Aylmer.  Il  s'était  déjà  efforcé  de  travailler, 
dans  la  sphère  de  sa  juridiction,  à  la  réforme  des  abus. 
Dans  ses  communications  à  l'Assemblée  il  l'informait 
que,  par  ses  soins,  certains  griefs  étaient  en  voie  de 
redressement.  Il  voulait  sans  doute  faire  allusion  à 
la  présence  des  juges  dans  le  Conseil  législatif.  En 
effet,  quelque  temps  après,  une  déclaration  fut  faite 
en   Chambre   comportant   que  deux   juges-conseillers 

(l)— Journal  de  la  Chambre,  1831,  pp.  3.54,  355,  361. 

(2)—IbiJ.,  p.  377. 

(3)— Christie.  t.  III,  p.  330. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  241 

n'avaient  pas  prêté  serment  ni  pris  leurs  sièges  à  cette 
session  et  que  son  Excellence  avait  signifié  à  un  troisième 
de  se  retirer,  de  sorte  que  le  juge  en  chef  seul  demeurait 
dans  la  Chambre  haute.  C'était  un  nouveau  progrès 
dans   la   réforme. 

La  Chambre  n'avait  pas  voulu  d'une  hste  civile 
permanente.  Mais  elle  n'entendait  pas  refuser  les 
subsides,  et  elle  adopta  le  budget  de  la  même  manière 
que  les  années  précédentes.  C'était  le  bill  de  1825  qui 
servait  de  type.  Le  Conseil  léfïislatif  l'accepta  à  la 
majorité  d'ime  voix. 

En  somme,  la  session  de  1831  n'avait  pas  vu  se  pro- 
chire  la  dénonciation  dç  la  trêve.  Elle  avait  eu  toute- 
fois ses  épisodes  mouvementés.  M.  Christie  avait 
été  expulsé  pour  la  troisième  fois.  M.  James  Stuart, 
le  procureur  général,  avait  été  mis  en  accusation.  On 
lui  reprochait  certains  actes  commis  durant  l'élec- 
tion de  William-Henry,  la  perception  oppressive  de 
certains  honoraires  sur  des  renouvellements  de  com- 
missions notariales,  des  procédures  ayant  pour  seul 
objet  d'accroître  ses  émoluments,  des  poursuites  vexa- 
toires  contre  diverses  personnes,  etc.  La  Chambre 
adopta  une  adresse  au  roi  pour  demander  sa  démission, 
et  elle  sollicita  le  gouverneur  de  suspendre  le  fonc- 
tionnaire évincé.  Lord  Aylmer  accéda  à  cette 
requête,  donnant  ainsi  une  nouvelle  preuve  de  son 
impartialité.  Les  juges  Kerr  et  Fletcher  furent  mis 
en  cause — mais  par  des  plaignants  de  langue  anglaise — 
pour  partialité  et  dénis  de  justice. 

La  législature  fut  prorogée  le  31  mars  1831.  Lors- 
qu'elle se  réunit  de  nouveau  le  15  novembre  suivant, 
des  événements  importants  s'étaient  produits.  Lord 
Godcrich  avait  affirmé  d'une  manière  éclatante  sa  po- 


242  COURS  d'histoire  du  canada 

litique  de  conciliation.  II  avait  adressé  à  lord  Aylmer, 
pour  communication  à  l'Assemblée,  une  dépêche  daïis 
laquelle  il  acquiesçait  à  peu  près  complètement  aux 
résolutions  Neilson.  Ce  long  et  mémorable  document 
était  daté  du  7  juillet  1831.  Le  ministre  des  colonies 
commençait  par  laire  la  déclaration  suivante:  "L'expo- 
sé des  vues  de  l'Assemblée  permet  de  faire  l'induction 
satisfaisante  qu'il  reste  à  peine  une  seule  question  sur 
laquelle  les  désirs  de  cette  bi anche  de  la  législature  ne 
soient  pas  en  harmonie  avec  la  politique  que  sa  Majesté 
a  été  avisée  de  suivre,  et  cela  me  donne  la  flatteuse  espé- 
rance de  l'ajustement  prompt  et  efficace  de  ces  difficul- 
tés qui  ont  si  fortement  embarrassé  les  opérations  du 
gouvernement  local."  (1)  Ce  n'était  pas  là  de  vaines 
paroles.  La  dépêche  de  lord  Godeiich  établissait  le 
plus  favorable  terrain  d'entente  que  l'on  pût  désirer. 
Jamais  depuis  quinze  ans  le  gouvernement  impéiial 
n'avait  à  ce  point  manifesté  la  résolution  de  satisfaire 
les  léclamations  de  l'Assemblée.  Sur  la  question  des 
biens  des  Jésuites  et  de  l'éducation,  sur  la  question  de 
la  régie  des  terres  publiques,  sur  la  question  de  la  pré- 
sence des  juges  aux  conseils  législatif  et  exécutif,  sur  la 
question  des  institutions  municipales,  sur  la  question 
de  la  tenure  des  terres,  en  un  mot  sur  toutes  les  ques- 
tions en  litige,  le  ministre  se  rangeait  aux  vues  de  l'As- 
semblée, ou  indiquait  un  mode  de  transaction  satisfai- 
sant. Et  en  même  temps,  il  pouvait  annoncer  non 
seulement  une  ré^-olution  mais  un  acte  dont  il  était  im- 
possible de  méconnaître  la  portée.  II  avait  fait  adopter 
à  la  dernière  session  du    parlement    britannique    une 


(1) — Lord  Godericb  à  lord  Aylmer.  7  juillet  1881;   Journal  de 
le  Chambre  d' Assemblée  du  Bas-Canada,  1831-32,  p.  20. 


COURS  d'histoire  du  canada  243 

loi  (l)  par  laquelle  était  abandonnée  sans  réserve  à  la  lé- 
gislature du  Bas-Canada  l'affectation  du  revenu  de  la 
Couronne,  pour  laquelle  l'Assemblce  guerroyait  depuis 
1818.  C'était  une  victoire  incontestable,  qui  pouvait 
faiie  présager  les  plus  heureuses  conséquences.  Sans 
doute  l'Assemblée  allait  s'empresser  d'en  profiter,  en 
correspondant  aux  avances  qu'on  lui  faisait?  Hélas! 
nous  touchons  ici  à  l'une  des  plus  grande  erreurs  que 
nos  chefs  parlementaires  aient  commises  durant  la  lutte 
constitutionnelle  où  ils  étaient  engagés.  En  letour  de 
l'abandon  du  revenu  de  la  Couronne,  le  gouvernement 
demandait  l'adoption  d'une  liste  civile  de  5,900  louis, 
couvrant  simplement  les  salaires  du  gouverneur,  de  son 
secrétaire  civil,  du  secrétaire  de  la  province,  du  procu- 
reur généial  et  du  solliciteur  général.  (2)  On  laissait 
l'administration  de  la  justice  (3)  en  dehors  de  la  liste  ci- 
vile, de  même  que  certaines  pensions  et  certains  contin- 

(1) — Cette  loi  fut  désignée  sous  le  nom  de  Howick  Act, 
parce  qu'elle  fut  présentée  dans  la  Chambre  des  Communes  par 
lord  Howick,  sous-secrétaire  des  colonies.  Lord  Howick  était  le 
fils  de  lord  Grey. 

(2) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée,  1831-32,    p.  300. 

(3) — Un  projet  de  loi  intitulé:  "Bill  pour  rendre  les  juges  en 
cette  province  incapables  de  siéger  et  de  voter  dans  les  conseils 
exécutifs  et  législatifs,  pour  assurer  l'indépendance  des  juges  en 
cette  province  et  pour  d'autres  fins  y  mentionnées",  fut  adopté 
par  la  Chambre  à  cette  session.  Il  pourvoyait  d'une  manière  per- 
manente au  salaire  des  juges.  Ce  bill  fut  accepté  par  le  Conseil 
législatif.  M.  Papineau  avait  essayé  d'y  faire  insérer  un  article 
pour  exclure  le  juge  en  chef  de  la  chambre  haute,  mais  M.  Neil- 
son  soutint  qu'il  valait  mieux  se  conformer  à  la  recommandation 
du  comité  de  1828  et  faire  une  exception  en  faveur  du  chef  de 
notre  magistrature.  Cette  opinion  prévalut.  Le  bill — et  cela  lui 
porta  malheur — déterminait  sur  quels  fonds  les  salaires  des  juges 
seraient  payés  et  spécifiait  que  ce  serait  à  même  "le  revenu  casuel 
et  territorial  et  le  revenu  maintenant  affecté  par  des   actes  du 


244  COURS  d'histoire  du  canada 

gents  qu'on  y  avait  inclus  jusque-là.  En  un  mot  on 
abandonnait  au  vote  de  l'Asseniblce  tout  ce  qu'on  lui 
avait  conteste,  et  l'on  dépassait  en  libci alité  les  recom- 
mandations du  comité  de  1828.  La  liste  civile  deman- 
dée était  insignifiante  par  son  chiffre,  et  soulewiit  bien 
peu  d'objections  eu  égard  à  la  catégorie  de  fonction- 
naiics  dont  elle  rendaitpcrmanents  les  salaires.  Néan- 
moins l'Assemblée  commit  la  faute  de  ne  pas  l'accepter. 
Elle  refusa  la  victoire  qu'on  lui  offrait,  s'engageant 
ainsi  dans  une  voie  qui  devait  nous  conduire  à  une  crise 
désastreuse. 

M.  Neilson  ne  pouvait  voir  avec  satisfaction 
l'orientation  que  subissait  le  parti  dont  il  avait  été 
jusque  là  l'un  des  chefs  les  plus  influents.  Il  était  d'avis 
que  les  propositions  de  lord  Goderich  nous  offi  aient 
l'occasion  de  réaliser  les  principales  réloimes  réclamées 
par  nous.  Dans  un  discouis  qu'il  prononça  ttois  ans 
plus  tard,  ofi  vit  clairement  quels  étaient  ses  sentiments 
en  1831.  En  outre  l'attitude  que  la  Chambre  semblait 
déjà  disposée  à  prendre  relativement  au  Conseil  légis- 
latif lui  paraissait  une  fausse  manœuvre  (1).     Après 

parlement  provincial  au  paiement  des  dépenses  de  l'adminis- 
tration de  la  justice  et  au  soutien  du  gouvernement  civil,  et  sur 
tout  autre  revenu  public  de  la  province  qui  pourra  être  ou  venir 
entre  les  mains  du  receveur  général".  {Journal  de  la  Chambre, 
1831-32,  p  282.— Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada,  Q.  201-1,  p.  30.— 
Pour  les  débats  de  la  Chambre  et  l'attitude  respective  de  MM. 
Papineau  et  Neilson,  voir  le  Canadien  du  28  janvier  et  du  12 
février  1832}. — Ce  bill  relatif  aux  juges  fut  réservé  par  lord  Ayl- 
mer,  mais  il  en  recommanda  la  sanction.  Le  ministre  des  colo- 
nies ne  jugea  pas  à  propos  de  suivre  cet  avis,  et  le  bilI  ne  fut  pas 
sanctionné. 

(1) — Le  10  janvier  1832,  M.  Bourdages  soumit  des  résolu- 
tions dont  un  des  objets  était  de  rendre  le  Conseil  législatif  élec- 
tif.   Après  un  long  débat, dans  lequel  M.  Papineau  soutint  éner- 


COURS  d'histoire  du  canada  245 

avoir  proclamé,  comme  M.  Papineau,  comme  les  autres 
chefs  du  parti  populaire,  les  bienfaits  de  la  constitution 
de  1791,  il  ne  voulait  pas  se  déjuger  et  attaquer  l'une 
des  dispositions  fondamentales  de  cette  constitution. 
Dès  lors  la  rupture  était  proche.  Déjà  on  avait  pu  en 
discerner  des  avant-coureuis.  En  1825  M.  Neilson 
s'était  séparé  de  M.  Papineau  sur  la  question  de  la  ré- 
duction du  budget  dans  une  proportion  de  vingt-cinq 
par  cent.  En  1831,  les  divergences  s'accentuaient. 
Pour  le  malheur  de  notre  cause,  de  graves  questions  de 
principes  allaient  opérer  une  division  dans  nos  rangs 
et  rompre  le  faisceau  de  nos  forces  nationales.  L'une 
de  ces  Questions  fut  celle  de  l'admission  des  notables 
aux  assemblées  de  fabriques.  Sa  nature,  sa  portée  d'or- 
dre religieux  et  social,  le  regrettable  conflit  qu'elle  sou- 
leva entre  le  parti  populaire  et  le  clergé,  nous  imposent 
l'obligation  de  l'étudier  spécialement  avec  vous  pen- 
dant quelques  instants. 

Dans  la  plupart  des  paroisses  du  Bas-Canada, 
l'élection  des  marguilliers  et  la  reddition  des  comptes 
se  faisaient  dans  une  assemblée  des  marguilliers  anciens 
et  nouveaux,  à  laquelle  n'assistaient  pas  les  francs-te- 
nanciers. On  se  conformait  ainsi  à  un  usage  et  à  des 
règlements  qui  dataient  de  Mgr  de  Laval.  Le  5  dé- 
cembre 1660,  l'illustre  fondateur  de  notre  église  cana- 
dienne avait  rendu  l'ordonnance  suivante: 

"Nous,  François,  par  la  grâce  de  Dieu  et  du  Saint- 
Siège,  évêque  de  Pétrée,  Vicaire  apostolique  en  la  Nou- 
velle-France, sur  ce  qui  nous  a  été  représenté  que  plu- 

giquement  cette  proposition  pondant  que  M.  Neilson  la  combat- 
tait, celui-ci  fit  échouer  les  résolutions  Bourdages  par  une  majo- 
rité de  37  contre  22.  {Journal  de  la  Chambre,  1831-32,  p.  278— 
Bibaud.  Histoire  du  Canada,  t.  III,  pp.  79-86;  le  Canadien.  1er  et 
4  février  1832.) 


24G  COURS  d'histoire  du  canada 

sieurs  difficultés  et  inconvénients  se  trouvaient  en 
l'élection  des  marguilliers  de  l'église  Notre-Dame  de 
Québec,  à  raison  que  tout  le  peuple  était  publiquement 
invité  et  admis  pour  délibérer  à  la  dite  élection,  Nous 
avons  ordonné  et  ordonnons  par  ces  présentes  que  doié- 
navant  l'élection  des  nouveaux  marguilliers  de  la  dite 
église  se  fera  par  ceux  qui  seront  en  charge  et  par  les 
anciens  qui,  pour  ce  sujet,  seront  avertis  de  se  trouver 
à  l'assemblée,  où  par  la  pluralité  des  voix  et  par  suf- 
frages secrets  on  élira  un  nouveau  marguillicr.  Nous 
voulons  aussi  que  la  présente  ordonnance  soit  insérée  au 
registre  des  dites  élections.  Donné  à  notre  demeure 
ordinaire,  ce  cinquième  jour  de  décembre  1660." 

Cette  ordonnance  avait  été  appuyée  par  un  arrêt  du 
Conseil  souverain  rendu  le  12  février  1675.  Il  y  était 
ordonné  aux  marguilliers  de  Québec  "de  se  conformer, 
tant  pour  la  régie  des  affaires  de  fabrique,  que  pour  l'au- 
dition et  reddition  des  comptes,  à  l'usage  suivi  dans 
toutes  les  églises  de  France,  où  il  ne  se  décide  rîen  dans 
les  affaires  ordinaires  qu'à  la  pluralité  des  voix  des 
marguilliers  qui  sont  en  charge,  et  dans  les  cas  extraor- 
dinaires qu'en  y  appelant  les  anciens  marguilliers,  etc., 
le  curé  toujours  présent." 

En  1677,  l'intendant  Duchesneau  rendit  une  or- 
donnance ayant  la  même  portée,  pour  la  paroisse  de 
Montréal.  De  sorte  que,  à  Québec  et  à  Montréal,  et  dans 
toutes  les  paroisses  qui  furent  créées  par  la  suite,  la 
règle  etiacoutumes'établiient  conformément  à  la  déci- 
sion de  Mgr  de  Laval.  Les  marguilliers  étaient  élus 
par  les  marguilliers  anciens  et  actuels  seulement,  et  les 
comptes  de  fabrique  se  rendaient  devant  des  assemblées 
composées  de  la  même  manière. 

Cependant,  dans  quelques  paroisses,  l'usage  con- 
traire  s'était   introduit,   c'est-à-dire   qu'on    admettait 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  247 

un  certain  nombre  de  paroissiens  reconnus  comme  no- 
tables aux  assemblées  de  fabrique  pour  l'élection  des 
marguilliers  et  la  reddition  des  comptes.  Mais  ces 
paroisses  étaient  l'exception. 

Or,  en  1830,  il  se  fit  un  mouvement  pour  que  l'ex- 
ception devînt  la  règle.  Dans  deux  ou  trois  endroits, 
à  Lotbinière,  entre  autres,  et  aux  Trois-Rivières,  des 
esprits  brouillons  avaient  soulevé  des  contestations  au 
sujet  de  l'élection  de  marguilliers  à  des  assemblées  de 
fabrique  où  les  notables  n'avaient  pas  été  admis.  Et 
des  procès  avaient  été  intentés  contre  les  fabriques  pour 
faire  déclarer  nulles  ces  élections.  Ces  incidents  fâ- 
cheux servirent  de  prétexte  à  une  agitation  peu  jus- 
tifiée. Des  pétitions  furent  adressées  à  la  Chambre, 
en  1831,  par  des  paroissiens  de  Sainte-Marie  de  Mon- 
noir,  de  Saint-Jean-Baptiste  de  Rouville,  de  Saint- 
Hilaire,  de  Saint-Louis  de  Lotbinière.  (1)  Elles  furent 
renvoj'ées  à  un  comité  qui  les  examina,  et  finalement, 
un  député,  le  célèbre  M.  Louis  Bourdages,  doyen  de  la 
Chambre,  l'un  des  chefs  de  la  majorité  patriote,  présen- 
ta un  bill  pour  faire  admettre  d'une  manière  générale 
les  notables  aux  assemblées  de  fabrique.  Ce  bill  ne 
fut  pas  adopté  durant  cette  session.  Lorsque  la  légis- 
lature fut  prorogée,  le  31  mars  1831,  il  n'avait  pas  en- 
core subi  ses  trois  lectures. 

L'attitude  prise  par  M.  Bourdages  et  par  un  grand 
nombre  de  représentants  causa  une  vive  émotion  dans 
le  clergé.  L'innovation  que  l'on  voulait  décréter  fut 
considérée  par  celui-ci  comme  un  empiétement  sur  les 
droits  de  l'Eglise  et  des  tabriques.  Plusieurs  membres 
du  clergé  prirent  la  plume  pour  défendre  ces  droits.  De 
leur  côté,  les  partisans  de  la  mesure  se  lancèrent  dans 

(1)— Journal  de  la  Chambre,  1831,  pp.  80,  74,  90,  138. 


248  COURS  d'histoire  du  canada 

Tarènc.  Les  colonnes  de  la  Minerve,  de  la  Gazette 
de  Québec,  du  Canadien,  débordèrent  d'articles 
pour  et  contre  l'admission  des  notables  aux  assemblées 
de  fabrique. 

Les  esprits  s'échauffaient.  On  se  demandait  quelle 
attitude  la  majorité  de  la  Chambre  allait  prendre  à 
sa  prochaine  session,  car  on  prévoyait  bien  que  la  ques- 
tion allait  revenir  devant  la  législature.  Jusque-là, 
les  chefs  du  parti  populaire  qui  dominait  dans  l'Assem- 
blée avaient  eu  les  sympathies  et  l'appui  moral  du 
clergé,  qui  avait  toujours  fait  énergiquement  son  de- 
voir quand  il  s'était  agi  de  défendre  nos  droits  et  nos 
libertés.  Cette  heureuse  union  allait-elle  donc  faire 
place  à  une  scission  malheureuse  ?  Quel  parti  allait 
embrasseï,  par  exemple,  M.  Papineau,  le  président  de 
la  Chambre,  le  grand  orateur  canadien,  le  chef  recon- 
nu de  la  majorité  ? 

La  session  s'ouvrit  le  15  novembre  1831.  Et  l'in- 
certitude ne  fut  pas  de  longue  durée.  M.  Bourdages 
s'empressa  de  présenter  de  nouveau  un  bill  dont  nous 
Cl  oyons  utile  de  reproduire  ici  le  texte: 

"Bill  pour  rétablir  l'uniformité  dans  les  assem- 
blées de  fabiiques  de  cette  province,  et  déclarer  quels 
paroissiens  ont  droit  d'y  participer  en  certains  cas. 

"Vu  qu'il  a  régné  beaucoup  de  diversité  dans  la 
pratique,  dans  la  manière  dont  les  assemblées  de  fabri- 
que ont  été  tenues  en  cette  province,  et  vu  qu'il  devient 
nécessaire  d'y  rétablir  l'uniformité,  et  de  déterminer 
quelles  personnes  auront  droit  d'y  participer  en  cer- 
tains cas. 

"Qu'il  soit  donc  statué  ici,  et  il  est  par  le  présent 
statué  et  déclaré  que  tous  et  chaque  marguilliers  an- 
ciens et  nouveaux,  cure,  ou  prêtre  faisant  fonction  de 
curé,  missionnaire,  et  tous  et  chaque  propriétaires  dans 


COURS  d'histoire  du  canada  249 

les  paroisses  de  campagne,  et  dans  la  paroisse  de  la  ville 
de  Trois-Rivières,  professant  la  religion  catholique  ro- 
maine, et  tous  et  chaque  marguilliers  anciens  et  nou- 
veaux, curé  ou  prêtre  faisant  fonction  de  curé,  et  tous 
et  chaque  propriétaires  possédant,  dans  les  paroisses 
des  cités  de  Québec  et  de  Montréal,  des  immeubles  de 
la  valeur  annuelle  de  trente  livres  courant,  et  dans  la 
paroisse  de  St-Roch,  de  la  cité  de  Québec,  de  la  valeur 
annuelle  de  douze  livres  courant,  professant  la  religion 
catholique  romaine,  sont  et  seront  propies,  et  auront 
droit  d'assister,  de  voter  et  délibérer  aux  assemblées 
de  fabriques,  pour  l'élection  de  nouveaux  marguilliers, 
pour  la  reddition  des  comptes  des  marguilliers,  sortis 
de  charge,  et  pour  dépenses  extraordinaires,  et  pour 
tous  règlements  du  gouvernement  teinporel  de  l' église." (l) 

On  remarquera  les  derniers  mots,  mis  par  nous  en 
italiques.  Ils  donnaient  au  bill  une  portée  tiès  géné- 
lale  et  très  fâcheuse.  Le  projet  de  loi  constituait  vrai- 
ment un  petit  parlement  paroissial.  II  allait  plus  loin 
encore.  Il  admettait  à  peu  près  tous  les  habitants  de 
la  paroisse  à  l'administration  de  la  fabrique.  Et  par 
là  il  faisait  de  la  fort  malencontreuse  démocratie. 

Au  moment  où  ce  bill  était  présenté  par  M.  Bour- 
dages,  la  Chambre  était  saisie  d'une  pétition  imposante 
signée  par  les  évêqucs  et  le  cleigé  du  Bas-Canada,  solli- 
citant instamment  l'Assemblée  de  rejeter  toute  mesure 
de  ce  genre.  Il  y  était  dit  qu'on  y  voyait  avec  alarme 
une  démarche  qui  préjudicierait  gravement  aux  lois, 
aux  usages  et  aux  coutumes  ecclésiastiques,  ainsi  qu'à 
la  paix  et  à  la  tranquillité  des  paroisses.  (2) 

(1) — Ce  texte  est  reproduit  du  Caiiadieii,  nuniérf)    du  7  dé- 
cembre 1831. 

(2)— Journal  de  la  Chambre,   ].S:n-,32,  p.  113. 


250  COURS  d'histoire  du  canada 

La  pétition  avait  été  présentée  au  début  de  la 
session  commencée  en  novembre  1831.  Et  le  bill  de 
M.  Bourdages  avait  aussi  été  proposé  dès  les  premieis 
jours  qui  suivirent  la  réunion  des  chambres.  Immé- 
diatement deux  courants  d'opinion  se  dessinèrent  par- 
mi les  députés.  Les  esprits  conservateurs,  respec- 
tueux des  traditions  et  des  coutumes,  enclins  à  soute- 
nir les  idées  de  discipline,  d'ordre  et  d'autorité,  sans 
cesser  d'être  partisans  d'une  sage  liberté  et  amis  de  la 
cause  populaire,  se  sentaient  plutôt  disposés  à  penser 
comme  le  clergé  sur  cette  question,  et  à  appuyer  son 
attitude.  Parmi  ces  députes,  on  remarquait  au  pre- 
rnier  rang  M.  Neilson.  11  était  considéré  à  bon  droit 
comme  l'un  des  membres  les  plus  éminents  de  la  cham- 
bre et  comme  l'un  des  chefs  du  parti  patriote.  Quoi- 
que écossais  et  protestant,  il  avait  toujours  fait  cause 
commune  avec  les  Canadiens  français  et  s'était  distin- 
gué dans  la  lutte  en  faveur  de  nos  franchises  constitu- 
tionnelles. Mais,  tout  en  appuyant  les  revendications 
légitimes  du  peuple  et  de  ses  repiésentants,  il  n'avait 
rien  du  novateur  ni  du  radical.  C'était  un  homme  pon- 
déré, ennemi  des  aventures  et  de  la  licence,  et  réfrac- 
taire  aux  théories  excessives  avec  lesquelles  quelques- 
uns  de  nos  chefs  commençaient  à  se  monter  la  tête. 
M.  Neilson  était  en  ce  moment  à  l'apogée  de  sa  popula- 
rité et  de  son  prestige.  On  organisait  précisément  vers 
ce  temps-là,  en  son  honneui,  un  dîner  public  accompa- 
gné de  la  présentation  d'une  coupe  en  argent  portant 
une  inscription  flatteuse,  comme  témoignage  de  la  gra- 
titude canadienfie.  (1) 

Un  autre  député  marquant,  AI.  Duval,  avocat  de 
Québec,  était  à  peu  près  dans  les  mêmes  idées  que  M. 

(1)  Le  Canadien,  11  janvier  1832. 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  251 

Neilson.  Comme  celui-ci>  il  n'aimait  pas  les  excès,  et, 
comme  lui  également,  il  devait  trois  ans  plus  tard  se 
séparer  de  M.  Papineau  sur  les  92  résolutions.  Il  mon- 
ta subséqueniment  sur  le  banc,  et  mourut,  après  1867, 
juge  en  chef  de  la  cour  d'appel. 

MM.  Mondelet,  Philippe  Panet,  Quesnel,  Later- 
rière,  Huot,  manifestèrent  aussi  sur  cette  question 
des  opinions  beaucoup  pkis  modérées  que  celles  de  la 
majorité  avec  laquelle  ils  matchaient  encore.  La  plu- 
part devaient  finir  par  se  séparer  de  M.  Papineau,  soit 
sur  la  question  de  l'élection  du  Conseil  législatif,  soit 
sur  celle  des  92  résolutions,  soit  sur  celle  des  subsides. 

Mais  la  majorité  du.parti  populaire  était  bien  loin 
de  partager  les  vues  des  députés  que  nous  venons  de 
mentionner.  Et  d'abord,  le  leader  du  parti,  le  domi- 
nateur de  l'Assemblée,  l'orateur,  au  double  sens  du 
mot — par  sa  fonction  et  par  son  éloquence, — M.Louis- 
Joseph  Papineau,  allait  manifester  sans  détour  les 
principes  avancés  qui  le  guidaient  déjà.  M.  Bourda- 
ges,  qui  tonnait  depuis  un  quart  de  siècle  contre  les 
abus  du  gouvernement,  était  lui  aufesi,  quoique  d'une 
manière  assez  inconsciente,  saturé  d'idées  fausses.  Le 
malheur  de  beaucoup  d'hommes  de  ce  temps  fut  d'avoir 
fait  leurs  études  légales  dans  des  auteurs  pétris  des  pré- 
jugés de  la  -^'ieille  école  gallicane  et  parlementaire,  et 
d'avoir  trop  souvent  charmé  leurs  loisirs  avec  les  pires 
ouvrages  des  écrivains  impies  du  XVI Ile  siècle.  Nos 
avocats  et  nos  notaires  étaient  particulièrement  expo- 
sés à  ce  péril. 

M.  Lafontaine,  à  ses  débuts,  eut  beaucoup  à  souf- 
frir de  cette  dangereuse  influence.  Ce  furent  les 
épreuves,  l'expérience  chèrement  acquise,  et  l'étude, 
qui  rectifièrent  plus  tard  ses  opinions. 


252  COURS  d'histoire  du  canada 

L'iniluencc  de  MM.  Papineau  et  Bourdages  devait 
naturellement  entraîner  le  gros  de  la  majorité  dans  le 
sens  contraire  à  la  requête  du  clergé. 

La  bataille  s'engagea  à  la  séance  du  2  décembre 
1831.  M.  Bourdages  ouvrit  le  feu.  Il  prononça  des 
paroles  regrettables.  "L'an  passé,  dit-il,  les  plaintes 
de  quelques  paroisses  pouvaient  être  attribuées  à  la 
conduite  de  quelques  curés  seulement,  mais  maintenant 
que  le  corps  entier  du  clergé  prend  fait  et  cause  dans 
cette  affaire,  elle  se  présente,  cette  année,  sous  un  point 
de  vue  bien  plus  important.  Il  est  maintenant  ques- 
tion de  savoir  si  les  droits  des  paroissiens  doivent  cé- 
der aux  droits  arbitraires  que  veut  exercer  le  clergé. 
Les  lois  canoniques  défendent  aux  curés  de  s'occuper 
du  temporel:  ils  ont  assez  à  faire  du  spirituel.  Il  est 
temps  que  la  législature  s'occupe  enfin  à  régler  le  pou- 
voir temporel  du  clergé.  .  Les  Canadiens  commen- 
cent à  vouloir  connaître  la  manière  dont  leur  argent 
est  dépensé  par  le  clergé!"  (1) 

Ce  fut  M.  Dumoulin,  dcputé  des  Trois-Rivières, 
qui  répondit  à  cette  diatribe  du  vieux  patriote  égaré 
par  les  préjugés.  Il  invoqua  la  coutume  et  la  raison 
et  demanda  dans  quel  but  on  voulait  proposer  des 
remèdes  pour  un  mal  qui  n'existait  pas. 

Alors,  comme  la  Chambre  siégeait  en  comité,  M. 
Papineau  prit  la  parole.  Il  prononça  un  discours  vio- 
lent. Parlant  de  la  pétition  du  clergé:  "On  a  présenté 
à  la  Chambre,  s'écria-t-il,  la  requête  la  moins  excu- 
sablequ'on  lui  ait  jamais  soumise.  Cette  requête  prouve 
jusqu'à  quel  po-int  l'amour  du  pouvoir  en  a  aveuglé  les 
auteurs,  pour  ne  pas  avoir  senti  l'exagération  de  leurs 
prétentions,  pour  ne  pas  s'apercevoir  que  la  mauvaise 

1() — Le  Canadien,  7  décembre  1831. 


COURS  d'histoire  du  canada  258 

application  qu'ils  font  des  lois  économiques  dévoile  au 
monde  leur  ignorance  absolue  des  lois  constitution- 
nelles. Ce  clergé  se  croit  encore  le  maître  de  l'auto- 
rité civile,  croit  encore  pou\oir  exercer  une  plénitude 
de  pouvoir  dont  il  a  abusé,  et  dont,  après  en  avoir  été 
dépouillé,  il  ne  doit  jamais  rede\^enir  le  possesseur.  Il 
faut  distinguer  entre  l'Eglise  et  ses  droits  temporels. 
L'autorité  ecclésiastique,  quant  à  ces  droits,  n'est  va- 
lide qu'autant  qu'elle  l'obtient  de  l'autorité  civile.  Le 
terme  Eglise  est  susceptible  d'une  infinité  de  significa- 
tions; mais  indubitablement  l'Eglise  n'est  qu'une  aide 
du  pouvoir  civil  quant  au  temporel.  Elle  n'en  est  in- 
dépendante que  par  rapport  au  dogme."  (1) 

M.  Duval  donna  la  contre-partie  de  cette  haran- 
gue malheureuse.  "D'après  le  droit  français,  dit-il,  les 
paroissiens  ne  possédaient  pas  les  droits  que  les  résolu- 
tions veulent  leur  accorder.  Dans  tous  les  cas  où  ils 
ont  cotitribué  à  la  construction  ou  à  la  réparation  des 
églises,  les  paroissiens  ont  le  droit  de  choisir  des  syn- 
dics. Il  n'en  est  pas  de  même  du  reste  de  l'adminis- 
tration des  biens  de  fabriques,  parce  que  ces  biens  ap- 
partiennent de  droit  à  l'Eglise." 

M.  Lagueux,  se  levant  après  M.  Duval,  dit  une 
infinité  d'énormités,  entre  autres  celle  ci:  "Le  clergé  se 
rappelle  ces  temps  de  barbarie,  où,  dans  la  plénitude 
de  son  pouvoir,  il  foulait  aux  pieds  tous  les  pouvoirs." 

M.  Quesnel  essaj^a  de  prendre  une  attitude  conci- 
liante. Dans  son  opinion,  il  n'y  avait  pas  lieu  à  une 
législation  sur  la  matière. 

M.  Papineau  sentit  le  besoin  de  payer  une  seconde 
fois  de  sa  personne.  Il  fut  aussi  virulent  que  dans  son 
premier  discours.     "La  population   de   la. campagne, 

(1) —  Le  Canadien,  7  décembre  1831. 


254  COURS  d'histoire  du   canada 

s'écria-t-il,  ne  peut  pas  se  garantir  de  l'influence  dan- 
gereuse du  clergé.  Il  est  prouvé  que  l'esprit  de  corps 
domine  le  clergé  dans  cette  question.  Jamais  procès 
d'individu  à  individu  n'a  été  si  odieux  que  cette  lutte 
du  clergé  contre  les  droits  du  peuple."  (1) 

M.  Neilson  n'avait  pas  participé  à  cette  première 
rencontre.  II  se  réservait  pour  la  fin  de  la  bataille.  A 
la  séance  du  23  décembre,  il  prit  la  parole  et  combattit 
énergiquement  le  bill.  Nous  n'avons  qu'une  brève 
analyse  de  son  discours.  II  dit  en  substance  que  "la 
fabrique  était  administrée  par  des  agents  reconnus  par 
les  lois;  elle  était  une  corporation,  et  on  pouvait  avec 
autant  de  droits  attaquer  les  banques.  Les  fonds  des 
fabriques  ne  provenaient  ni  de  taxes,  ni  de  cotisations, 
mais  de  contributions  volontaires.  Adopter  le  bill,  ce 
serait  arracher  l'administration  des  mains  de  per- 
sonnes que  reconnaissait  la  loi,  pour  la  donner  à  des 
gens  inconnus  par  la  loi."  (2) 

Plusieurs  votes  furent  pris  et  donnèrent  une  ma- 
jorité en  faveur  du  bill.  Enfin,  au  moment  suprême 
où,  après  la  troisième  lecture,  la  motion  pour  "que  le 
bill  passe"  était  proposée  par  M.  Bourdages,  M.  Neil- 
son présenta  un  dernier  amendement  qui  aurait  fait 
échouer  la  mesure  en  arrivant  au  port.  II  y  était  pro- 
posé de  renvoyer  le  bill  et  tous  les  procédés  sur  icelui 
pour  s'enquérir  "si  les  dits  bills  et  procédés  sont  con- 
traires aux  capitulations  du  Canada,  au  traité  de  ces- 
sion de  1763,  à  l'acte  du  parlement  anglais  de  1774,  à 
la  constitution  de  cette  province,  et  aux  lois  et  usages 
sur  les  fabiiques  reconnues  par  l'acte  de  1824,  à  l'in- 
violabilité de  la  propriété  privée,  et  à  cet  exercice  libre 

(1) — Le  Canadien,  7  décembre  1831. 
{2)~Ibid.,  31  décembre. 


COURS  d'histoire  du  canada  255 

des  différentes  religions,  qui,  de  droit,  appartient  à  tous 
les  sujets  de  Sa  Majesté  dans  cette  province."  (1)  Cette 
habile  manœuvre  fut  repoussée  par  un  vote  de  28  contre 
21.  Enfin  le  bill  fut  définitivement  adopté  par  30  voix 
contre    19.  (2) 

Le  projet  de  loi  était  passé  à  la  Chambre.  Mais  il 
lui  restait  à  subir  une  autre  épreuve,  celle  du  Conseil  lé- 
gislatif. La  Chambre  haute  comptait  à  ce  moment 
trente  membres,  dont  vingt  et  un  protestants  et  neuf 
cathoHques.  Comme  on  le  voit,  le  Conseil  était  en 
grande  majorité  protestant.  Pouvait-on  espérer  que 
les  représentations  du  clergé  y  seraient  favorablement 
accueilHes  ? 

L'attitude  hostile  de*  la  Chambre  et  de  ses  chefs 
avait  soulevé  une  vive  indignation  dans  les  cercles 
ecclésiastiques.  Le  langage  violent,  les  principes  erro- 
nés de  MM.  Papineau,  Bourdages,  Lagueux,  avaient 
été  l'objet  des  plus  vives  critiques.  Comment  !  ces 
hommes  en  qui  on  avait  eu  jusque-là  tant  de  confiance, 
que  l'on  avait  soutenus  et  applaudis  comme  les  cham- 
pions les  plus  sûrs  de  l'idée  nationale,  ces  hommes  pro- 
fessaient des  opinions  fausses,  inadmissibles,  sur  les 
relations  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  !  On  s'était  donc 
trompé  sur  leur  valeur  réelle;  leur  jugement, leurs  prin- 
cipes, laissaient  donc  beaucoup  à  désirer  ,  et  leur  direc- 
tion pouvait  devenir  funeste  !  Tels  étaient  les  senti- 
ments qui  agitaient  le  clergé,  et  qui  trouvèrent  leur  ex- 
pression la  plus  précise,  la  plus  frappante,  dans  une  com- 
munication publiée  le  26  décembre  1831  par  la  Ga- 
zette de  Québec,   et  signée:  La  Raison. 

L'auteur  de  cet  écrit  n'était  pas  le  premier  venu; 

{!)— Journal  de  la  Chambre,  1831-32,  p.  204. 
{2)—Ibid. 

17 


256  COURS  d'histoire  du  canada 

c'était  M.  l'abbé  Painchaud,  le  fondateur  du  collège  de 
Sainte-Anne  de  la  Pocatière;  et  sa  communication  était 
applaudie  par  des  hommes  distingues,  tels  que  M.  Jé- 
rôme Demcrs,  l'un  des  directeurs  les  plus  éminents  du 
séminaire  de  Québec.  Ce  qui  nous  paraît  spécialement 
digne  d'y  être  signalé,  c'est  d'abord  un  ton  de  désen- 
chantement à  l'égard  de  la  Chambre  et  de  ses  chefs, 
d'appréhension  quant  à  leurs  piincipcs,  et  de  désaffec- 
tion pour  la  personne  des  hommes  publics  qui  \iennent 
de  prendre  une  attitude  si  inattendue.  C'est  ensuite 
une  expression  de  confiance  en  la  sagesse  du  Conseil 
législatif,  un  appel  à  son  intervention  protectrice,  et  le 
vœu  qu'il  puisse  jouer  le  rôle  de  corps  modérateur,  qu'il 
triomphe  des  attaques  de  l'Assemblée  législative,  qu'il 
conserve  son  autoiité  et  son  indépendance  en  face  des 
empiétements  de  la  branche  populaire.  Cette  position 
hardie,  prise  par  un  homme  comme  M.  Painchaud, 
porte-voix  du  clergé  en  cette  circonstance,  était  un 
grave  symptôme.  Jusque-là,  en  effet,  le  Conseil  légis- 
latif avait  été  fortement  antipathique  à  la  grande  majo- 
rité des  Canadiens  français.  Dans  trop  d'occasions  il 
avait  fait  obstacle  à  des  réformes  vraiment  utiles,  et 
contrarié  les  légitimes  aspirations  de  ceux  qui  luttaient 
pour  nos  franchises.  Et  voilà  que,  malgré  les  fautes 
commises  par  la  chambre  haute,  un  corps  aussi  impor- 
tant que  le  clergé  proclamait  son  utilité  par  suite  des 
craintes  que  faisaient  concevoir  les  tendances  et  les 
principes  de  la  majorité  "papineautiste".  "On  a  vu 
notre  chambre  prétendre  supprimer  le  Conseil  législatif 
ou  l'organiser  de  manière  à  pouvoir  le  maîtriser  au  be- 
soin", écrivait  le  correspondant  ecclésiastique  de  la 
Ga/.ette,  faisant  évidemment  allusion  au  projet  de  ren- 
dre le  Conseil  électif.  Et  il  ajoutait  immédiatement: 
"Ce  serait  un  malheur,  une  anomalie  qui  fait  peu  d'hon- 


COURS  d'histoire  du  canada  257 

neur  aux  cerveaux  qui  l'ont  conçue,  et  le  clergé  surtout 
doit  faire  des  vœux  pour  le  maintien  de  ce  corps  hono- 
rable." Il  y  avait  là  un  signe  des  temps,  bien  compré- 
hensible, et  qui  aurait  dû  faire  réfléchir  M.  Papineau  et 
ses  amis. 

Enfin  l'écrit  qui  nous  occupe  contenat  une  phrase 
encore  plus  significative.  La  voici:  "Le  clergé  cana- 
dien, n'ayant  plus  rien  à  espérer  de  la  Chambre  d'assem- 
blée, fera  sagement  d'en  dénouer  le  fil  de  ses  espéran- 
ces pour  l'attacher  à  l'exécutif."  (1)  C'était  net  et  ca- 
tégorique. Dès  1831,  le  parti  populaire,  entraîné  par 
ses  chefs  dans  plusieurs  entreprises  excessives,  était 
donc  menacé  de  perdre  l'appui  moral  du  clergé,  qui  ne 
tournerait  point  le  dos  à  la  cause  nationale,  mais  qui 
demanderait  à  d'autres  influences,  à  d'autres  moyens,  à 
une  tactique  moins  aventureuse,  l'amélioration  de  la 
situation  politique.  Tout  cela  était  extrêmement 
sérieux. 

MM.  Papineau  et  Bourdages  étaient  directement 
visés  dans  la  lettre  de  M.  Painchaud.  C'était  évidem- 
ment d'eux  qu'il  s'agissait  quand  l'auteur  mentionnait 
la  disparition  possible  de  certains  députés,  ajoutant 
qu'on  y  perdrait  peut-être  du  côté  du  talent,  mais 
qu'on  aurait  compensation  du  côté  du  caractère,  "ce 
qui  pourrait  consoler  de  l'absence  de  certains  hommes 
qui  ont  déjà  perdu  dans  l'opinion  publique  beaucoup 
plus  qu'ils  ne  pensent,  et  que  leur  dernière  démarche 
vient  de  mettre  en  évidence." 

Nous  avons  donné  une  spéciale  importance  à  cet 
écrit,  parce  qu'il  jette  une  vive  lumière  sur  la  situation 
et  l'état  des  partis  dans  notre  province  bas-canadien- 
ne   en  1831. 

Cl)— La  Ga/.ette  de  Québec,  10  décembre  1831;  Vie  de  C.-F. 
Painchaud,  par  N.-E.  Dionnc,  p.  109. 


258  COURS  d'histoire  du  canada 

Le  blll  des  notables  fut  soumis  au  Conseil  le  28 
décembre.  Malgré  la  gravité  de  la  question,  dix  mem- 
bres seulement  étaient  présents.  Sir  John  Caldvvell 
proposa  que  le  projet  fut  imprimé.  M.  Felton  proposa 
en  amendement  que  la  prise  en  considération  du  bill 
fût  renvoyée  au  1er  août  suivant.  C'était  purement 
et  simplement  le  six  months  hoist.  Sir  John  Caldwell 
s'éleva  contre  cette  proposition  radicale  et  cette  exécu- 
tion sommaire.  D'après  lui,  le  moins  que  le  Conseil 
pouvait  faire  c'était  d'attendre  l'expression  de  l'opi- 
nion publique  sur  la  mesure;  on  pourrait  peut-être  mo- 
difier le  projet  de  manière  à  rendre  justice  entière  tant 
au  clergé  qu'au  peuple. 

M.  Cuthbert  se  leva  pour  combattre  le  bilI.  Chose 
étrange,  il  était  le  seul  conseiller  catholique  présent 
à  la  séance.  L'absence  des  autres  était-elle  due  à  l'éloi- 
gnement  de  la  capitale, à  la  négligence  ou  à  la  prémédi- 
tation ?  M.  Cuthbert  traita  la  question  assez  lon- 
guement. "Les  mêmes  individus,  dit-il,  qui  cher- 
chaient depuis  longtemps  à  saper  la  constitution  et  à 
introduire  des  principes  démocratiques  et  républicains 
levaient  à  présent  la  main  contre  l'auteL  Contre  leurs 
réclamations  venaient  celles  de  tout  le  clergé  sans  une 
seule  exception."  L'honorable  conseiller  terminait  en 
disant  qu'il  y  avait  eu  certains  mécontentements,  peut- 
être  dans  dix  paroisses,  et  que,  pour  ces  dix  paroisses, 
on  voulait  introduire  une  innovation  non  désirable 
dans  cent  cinquante-cinq  autres. 

Mais  ce  fut  l'honorable  J.  Sewell,  juge  en  chef  de 
la  province,  qui  porta  le  coup  de  mort  à  la  progéniture 
de  M.  Bourdaeres.  "Le  projet,  dit-il,  substituait  à  la 
pratique  suivie  une  absurdité.  Comment  regarde- 
rait-on en  Angleterre  l'appel  de  la  masse  de  la  popula- 
tion d'une  paroisse  à  la  régie  d'une  somme  d'argent 


COURS  d'histoire  du   canada  259 

donnée  à  la  paroisse  ?  Le  projet  faisait  venir  la  popu- 
lation à  délibérer  parmi  ceux  qui  la  représentaient; 
sur  le  même  principe,  la  population  de  Québec  et  de 
Montréal  pourrait  être  introduite  dans  la  Chambre 
d'Assemblée,  quand  il  s'agirait  d'afFaiies  où  elle  se  trou- 
vait intéressée.  Le  projet  était  contraire  au  traité  de 
1763.  L'acte  de  1774  permettait  le  libre  exercice  de 
la  religion  catholique.  C'était  aux  cours  à  se  saisir  des 
différences  et  à  déclarer  quel  était  l'usage.  En  détrui- 
sant la  discipline  de  l'Eglise,  on  frappait  la  religion 
même."  (1)  Dans  la  bouche  d'un  protestant,  dans  la 
bouche  du  juge  Sewell,  l'ancien  adversaire  de  Mgr 
Plessis,  ces  paroles  avaient  une  giande  portée. 

La  cause  du  clergé  était  gagné»-.  Le  vote  sur  la 
proposition  de  M.  Felton — le  six  months  boist, — fut 
pris  avec  ce  résultat:  Pour,  les  honorables  MM.  Sewell, 
Haie,  Cuthbert,  Grant,  Gugy,  Felton,  Stewart  et 
Moffat;  contre,  les  honorables  sir  John  Caldwell  et 
Hatt.  (2)  Le  bill  des  notables  était  renvoyé  aux  ca- 
lendes grecques. 

En  votant  contre  cette  mesure,  le  Conseil  législa- 
tif avait  probablement  été  mu  à  la  fois  par  un  principe, 
par  une  antipahtie,  et  par  un  calcul.  Par  un  principe: 
corps  éminemment  conservateur,  il  devait  voir  d'un 
mauvais  œil  tout  mouvement  tendant  à  démocratiser 
une  de  nos  institutions,  quelle  qu'elle  fût.  Par  une 
antipathie:  les  chefs  parlementaires  du  mouvement, 
les  tenants  du  bill  dans  l'Assemblée  avaient  été  surtout 
MM.  Bourdages  et  Papineau,  tous  deux  dénonciateurs 
virulents  de  la  chambre  haute.  Enfin  par  ur  calcul: 

(1) — Le  débat  au  Conseil  législatif  se  trouve  dans  le  numéro 
du  Canadien  du  12  janvier  1832. 

(2)— Le  Canadien,  31  décembre   1831. 


200  COURS  d'histoire  du  canada 

en  soutenant  le  cierge  contie  la  Chambre,  le  conseil 
accentuait  la  scission  malheureuse  qui  s'était  produite 
entre  ces  deux  lorces,  et  affaiblissait  conséquemment 
ses  adversaires,  les  chefs  de  la  majorité  dans  l'Assem- 
blée législative. 

La  question  en  resta  là  pour  le  moment.  Plus 
tard  nos  évéqucs  permirent  l'admission  des  paroissiens 
aux  assemblées  de  fabriques  dont  l'objet  était  l'élec- 
tion des  marguilliers  et  la  reddition  des  comptes.  Cette 
permission  date  de  1843.  La  nouvelle  coutume  qui 
s'introduisit  par  suite  de  ces  ordonnances  épiscopales 
fut  sanctionnée  par  un  statut,  en  1860.  Aujourd'hui 
notre  loi  dit  que  les  assemblées  de  fabrique  pour  l'élec- 
tion des  marguilliers  sont  convoquées  "suivant  l'usage 
de  la  paroisse",  et  que  "les  seules  personnes  qui  ont 
droit  d'}^  voter  sont  les  paroissiens  tenant  feu  et  lieu". 
(Statuts  Refondus,  art.  4384).  Les  villes  de  Montréal 
et  de  Québec  suivent  toujours  l'ancien  usage.  (1) 

Ce  que  le  clergé  combattait  surtout  en  1831,  t'était 
la  prétention,  affiché  par  les  réformateurs,  d'introduire 
une  sérieuse  innovation  dans  l'économie  interne  des 
fabriques,  sans  la  participation  et  l'avtu  de  l'autorité 
religieuse.  Messieurs  Papineau  et  Bourdages  auraient 
dû  comprendre  que  l'Eglise  avait  un  mot  à  dire  dans 
une  question  où  il  s'agissait  de  l'admmistration  des 
biens  ecclésiastiques.  C'était  le  principe  gallican  de  la 
suprématie  du  pouvoir  civil  en  cette  matière  qui  soule- 
vait le  clergé. 

Ce  conflit  fut  nuisible  à  plus  d'un  point  de  vue.  II 
laissa  dans  nos  rangs  des  traces  profondes.  II  inspira 
à  une  foule  de  citoyens  bien  pensants  des  doutes  sé- 

(1) — Pagnucio,  Etudessur  de  la  liberté  religieuse  en  Canada, 
pp.  200-21G;  J.-F.  Pouliot,  Droit  paroissial,  pp.  381-83;  P.-B. 
Mignault,  Le  droit  paroissial,  p.  243. 


I 


COURS  d'histoire  du  canada  261 

rieux  sur  la  sagesse  et  la  rectitude  de  jugement  de  nos 
chefs  parlementaires.  Plusieurs  de  ces  derniers  s'é- 
taient montiés  sous  le  jour  le  plus  fâcheux.  De  réfor- 
mateurs ils  se  transformaient  en  démagogues.  On  pou- 
vait dorénavant  se  demander  si  le  mouvement  politi- 
que dirigé  par  eux  n'allait  pas  nous  conduire  à  une  im- 
passe dangereuse,  à  de  périlleuses  extrémités.  Sans 
doute  il  y  avait  dans  les  rangs  du  parti  populaire  des 
hommes  pondérés  et  clairvoyants,  capables  de  faire 
un  judicieux  discernement  entre  les  redressements  pos- 
sibles et  les  transformations  irréalisables,  et  d'orienter 
notre  barque  à  travers  les  écueils  vers  le  port  fortuné 
du  self-government.  M.  Neilson  et  le  groupe  qui  com- 
mençait à  se  rallier  autour  de  lui  pouvaient  inspirer  cet 
espoir  aux  bons  esprits,  aux  Canadiens  partisans  des 
réformes  et  ennemis  des  aventures.  Mais  réussiraient- 
ils  à  refréner  les  violents  et  à  faire  prévaloir  chez  nous 
les  conseils  de  la  sagesse  politique  ? 

On  pouvait  se  poser  cette  question  à  la  proroga- 
tion de  la  législature,  le  25  février  1832.  Nous  étions 
parvenus  à  un  tournant  de  notre  lutte  constitutionnel- 
le. Deux  routes  s'ouvraient  devant  nos  pas.  Allions- 
nous  choisir  celle  de  la  tactique  patiente  et  sûre  ou 
celle  de  l'outrance  aveugle  et  inefficace  ?  Les  leçons 
de  l'année  prochaine  nous  apporteront  la  réponse. 


SOURCES  ET  OUVRAGES  A  CONSULTER 


Garneau,  Histoire  du  Canada,  1882,  t.  III,  liv.  XVI,ch.i. — 
Bibaud,  Histoire  du  Canada,  t.  III,  liv.  II  et  V. — Perrault,  Abrégé 
de  l'histoire  du  Canada,  t.  V. — Kingsford,  History  oj Canada,  t.  IX. 


262  COURS  d'histoire  du   canada 

— Canada  and  ils  Provinces,  t.  III,  ch.  ix,  t.  IV,  ch.  ii  et  ill. — 
Sir  Erskine  May,  Tbe  Constitutioiml  History  of  England,  1912, 
t.  II,. — Alphoiis  Todd,  On  Parliamentary Government  in  England, 
t.  I,  ch.  Ht. —  Locky,  History  oj England  in  tbe  18tb  Century,  t.  IV, 
ch.  XV. — Bédard,  Histoire  de  cinquante  ans. — Christie,  History  of 
Lower  Canada,  t.  III,  ch.  xxx,  xxxi. — Rapport  du  comité  choisi 
sur  le  gouvernement  civil  du  Bas-Canada,  182S.— Affaires  du  pays  de- 
puis 1828,  Québec,  1834. — Financial  difficulties  oj  Lower  Canada, 
Québec,  1824. — Pagnuelo,  Etudes  historiques  et  légales  sur  la 
liberté  religieuse  en  Canada,  Montréal,  1872. — Jean-François 
Pouliot,  Le  droit  paroissial  de  la  province  de  Québec,  1919. — P.-B. 
Mignault,  Le  droit  paroissial,  Montréal,  1883. — Journal  de  la 
Chambre  (TAssemllée  du  Bas-Canada,  1828,  1829,  1830,  1831, 
1831-32.— Journaux  du  Conseil  législatif  du  Bas-Canada,  1829, 
1830,  1831,  1S31-32. —Statuts provinciaux  du  Bas-Canada,  1829, 

1830,  1831.— La  Gazette  de  Québec,  1831.  1832.— Le  Canadien, 

1831,  1832.— Archives  du  Canada:  Papiers  d'Etat  du  Bas-Canada, 
Q.  183  à  201. 


APPENDICES 

I 

Observations    de   MM,    L.-J.    Papineau   et   John 
Neilson  sur  le  projet  de  réunir  les  législa- 
tures  DU  Haut  et  du  Bas-Canada  (1) 


Londres,  10  mai  1823. 
Monsieur, 

Conformément  à  votre  désir,  nous  avons  mainte- 
nant l'honneur  de  vous  soumettre  nos  observations 
sur  le  projet  de  réunir  les  Législatures  des  deux  Pro- 
vinces du  Haut  et  du  Bas-Canada,  et  sur  les  clauses 
du  Bill  qui  a  été  préparé  à  cet  effet,  tel  qu'il  a  été  amen- 
dé par  un  Comité  de  l'honorable  Chambre  des  Commu- 
nes et  imprimé  par  son  ordre  le  31  juillet  dernier. 

A  l'appui  de  nos  observations,  nous  avons  joint 
une  copie  du  Bill  tel  que  réimprimé  dans  le  Bas-Canada 
en  français  et  en  anglais,  et  répandu  dans  cette  Pro- 
vince, avant  la  signature  des  requêtes  en  opposition  à 
cette  mesure. 

Avant  d'entrer  en  matière,  nous  avons  à  nous  excu- 
ser du  délai  qui  a  eu  lieu,  et  de  ne  vous  transmettre  ces 
observations  qu'après  une  demande  réitérée  de  votre 
part. 

Le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  ayant,  dans  la 
dernière  Session  du  Parlement,  consenti  à  suspendre 
la  mesure  projetée  pendant  un  tems  suffisant  pour  don- 
ner occasion  aux  Sujets  de  Sa  Majesté  dans  les  Cana- 
das de  faire  connaître  leurs  sentimens  à  cet  égard,  et 
leur  opinion  ainsi  que  leurs  principales  objections  à  ce 
Bill  étant  manifestées  dans  les  documents  suivants, 
maintenant  en  la  possession  du  Gouvernement  de  Sa 
Majesté,  savoir: 

Premièrement — La  Requête  des  habitans  du  Bas- 
Canada, 

(1)  Appendices  du  Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du 
Bas-Canada,  1825;  Appendice  K. 


264  COURS  d'histoire  du   canada 

Secondement — Celle  de  la  Chambre  d'Assemblée 
du   Bas-Canada, 

Troisièmement — Celle  du  Conseil  Législatif  du 
Bas-Canada; 

Nous  nous  étions  flattés  qu'il  ne  serait  pas  néces- 
saire de  faire  part  au  Gouvernement  de  Sa  Majesté  de 
nos  propres  observations  sur  une  mesure  que  les  neul- 
dixicmcs  des  liabitans  et  toutes  les  autorités  constitu- 
tionnelles de  la  Colonie  à  laquelle  nous  appartenons 
prient  si  instamment  Sa  Majesté  d'abandonner  "comme 
remplie  des  plus  graves  inconvénients."  Copies  des 
documents  cités  plus  haut  se  trouvent  dans  un  Appen- 
dice sous  la  lettre  (A). 

Nous  avons  aussi  l'honneur  de  vous  informer  qu'on 
nous  a  confié  des  requêtes  de  trois  Districts  entiers  du 
Haut-Canada  contre  cette  mesure,  savoir: 

Du  Home  District, 

Du  District  de  Newcastle, 

Du   District  de  Londres  ; 

Ainsi  que  dix  autres  requêtes  de  différents  Comtés 
situés  dans  presque  chacun  des  autres  Districts  de  cette 
Province,  et  signées  par  huit  mille  quatre-vingt-dix-sept 
personnes,  la  plupart  électeurs  et  propriétaires  de  biens- 
fonds. 

Nous  prenons  aussi  la  liberté  de  remarquer  que, 
quoique  l'on  ait  demandé  à  la  Législature  du  Haut- 
Canada  de  donner  son  approbation  à  cette  mesure,  elle 
a  néanmoins  refusé  de  le  faire,  en  référant  aux  requêtes 
des  habitans  de  la  Province,  dont  la  majorité  est  déci- 
dément opposée  à  l'Union  proposée.  On  trouvera  ci- 
joint  sous  la  lettre  B  des  copies  de  cinq  de  ces  requêtes, 
savoir:  de  celle  du  Home-District,  du  Comté  de  Kent 
dans  le  District  de  l'Ouest,  du  Comté  de  Wentworth 
dans  le  District  de  Gore,  et  des  Comtés  de  Stormont 
et  de  Glengarv  dans  le  District  de  l'Est,  ainsi  que  des 
résolutions  de  l'Assemblée  et  du  Conseil  Législatif  de 
cette  Province. 

Il  résulte  de  ces  documents  que  jamais  aucun  Bill 
introduit  dans  le  Parlement,  concernant  les  Colonies, 
n'a  autant  que  celui-ci  rencontré  une  opposition  aussi 


COURS  d'histoire  du  canada  265 

générale  de  la  part  de  ceux  que  devaient  affecter  ses 
dispositions.  La  population  du  Bas-Canada  est  esti- 
mée à  cinq  cent  mille  âmes,  celle  du  Haut-Canada  à 
cent  vingt  mille.  Le  nombre  d'hommes  de  seize  à 
soixante  ans  dans  les  deux  Provinces  est  d'environ  cent 
mille,  des  quels  près  de  soixante-dix  mille  ont  réclamé 
contre  cette  mesure  sous  quelque  forme  que  ce  soit. 
Et  si  un  petit  nombre  d'individus  l'ont  appuyée  par 
leurs  requêtes,  on  doit  faire  attention  que  personne 
dans  l'une  ni  l'autre  Colonie  n'avait  jamais,  avant  que 
l'on  y  eût  appris  que  le  Bill  actuel  était  sous  la  consi- 
dération du  Parlement,  publiquement  sollicité  cette 
mesure,  ni  découvert  les  maux  qu'ils  prétendent  exister 
maintenant,  et  qui,  selon  eux,  rendent  cette  mesure 
nécessaire.  Si  ce  Bill  a  été  en  aucune  manière  approuvé 
par  des  personnes  désintéressées  et  sans  préjugés,  ayant 
des  rapports  permanents  d'intérêt  dans  les  Colonies, 
c'est  plutôt  parce  qu'elles  le  considéraient  comme  une 
mesure  du  Gouvernement,  que  par  son  mérite  intrin- 
sèque. L'examen  des  signatures  apposées  aux  requêtes 
des  deux  Provinces  prouvera  que  l'opposition  à  cette 
mesure  n'est  pas  particulière  à  aucune  classe  des  sujets, 
mais  qu'elle  s'étend  au  contraire  à  toutes  les  classes,  et 
nous  avons  l'honneur  de  vous  assurer,  tant  par  nos 
connaissances  personnelles  que  par  des  informations 
certaines  que  nous  avons,  que  la  très-grande  partie  des 
pétitionnaires  sont  des  propriétaires  indépendants,  et 
qu'ils  forment  la  grande  majorité  des  électeurs  légale- 
ment qualifiés  dans  les  deux  Provinces. 

Chacun  dans  les  Canadas  est  prêt  à  admettre  qu'il 
est  essentiel  pour  la  connexion  et  le  bonheur  des  Do- 
maines britanniques  qu'il  existe  au  centre  de  l'empire 
une  autorité  législative  suprême,  soumise  néanmoins 
aux  restrictions  qu'elle  s'est  elle-même  imposées.  Les 
habitants  du  Bas-Canada  ont  défendu  cette  autorité, 
lorsque  toutes  les  autres  Colonies  anglaises  de  l'Améri- 
que septentrionale  se  sont  révoltées  avec  succès  contre 
elle.  La  distance  à  laquelle  les  Colonies  sont  situées  les 
prive  de  toute  participation  directe  dans  la  branche 
représentative  de  la  Législature  suprême,   et  la  diffé- 


266  COURS  d'histoire  du  canada 

rence  qui  existe  entre  la  Grande-Bretagne  et  les  Colo- 
nies par  rapport  à  l'état  des  propriétés,  de  la  société 
et  des  circonstances  locales,  fait  qu'il  est  difficile  pour 
une  Législature  constituée  seulement  dans  la  Mère- 
patrie,  à  mille  lieues  de  distance,  de  régler  avec  avan- 
tage les  affaires  intérieures  des  Colonies.  Lorsqu'il 
s'agit  de  changer  leurs  constitutions  établies,  il  ne  peut 
être  convenable  d'agir  contre  le  gré  et  les  prières  sou- 
mises et  unanimes  des  habitans  de  tout  rang  et  de  toute 
description  d'une  colonie  loyale. 

Du  moins,  dans  des  cas  semblables,  devrait-il  être 
nécessaire,  de  la  part  de  ceux  qui  proposent  de  tels 
changements,  de  prouver  au  Gouvernement  et  au  Parle- 
ment qu'ils  ont  des  raisons  pressantes  pour  intervenir, 
fondées  sur  des  inconvénients  actuels  résultant  des 
constitutions  existantes,  au  lieu  d'alléguer  les  avantages 
possibles  qu'ils  se  promettent  et  qu'une  funeste  expé- 
rience doit  apprendre  à  regarder  comme  illusoires.  On 
ne  doit  sans  doute  jamais  perdre  de  vue  que  la  sûreté 
de  la  personne  et  des  propriétés  du  sujet,  est  fondée 
sur  la  constitution  établie  dans  chaque  pays  et  que 
l'idée  seule  de  changements  importans  et  subits  dans  la 
constitution,  surtout  sans  la  participation,  l'aveu  ou 
même  la  connaissance  de  ceux  que  ces  changements 
doivent  principalement  affecter,  porte  les  plus  vives 
atteintes  à  leur  tranquillité  et  à  leur  bien-être. 

La  mesure  proposée  par  le  Bill  n'a  pour  objet  rien 
moins  que  l'anéantissement  de  deux  incorporations 
locales  établies  par  acte  du  Parlement,  avec  pouvoir 
de  faire  des  lois  suivant  les  limites  qui  leur  étaient  assi- 
gnées, pour  n'en  faire  à  l'avenir  qu'une  seule  incorpo- 
ration de  même  nature,  dont  la  sphère  comprendra  les 
limites  actuellement  assignées  aux  deux  autres,  tandis 
que  pour  tout  autre  objet  du  gouvernement,  on  con- 
serve les  mêmes  limites  et  des  intérêts  distincts  et  sépa- 
rés. 

Il  est  évident  et  essentiellement  utile  pour  des 
Législatures  locales  et  subordonnées,  que  leurs  limites 
ne  soient  pas  trop  étendues.  En  eff^et,  la  nécessité  de 
leur  établissement  résulte  uniquement  des  circonstances 


COURS  d'histoire  du  canada  267 

particulières  et  des  besoins  du  pays  pour  lequel  elles 
sont  constituées;  les  connaissances  locales  sont  une 
qualification  indispensable  des  membres  qui  les  com- 
posent. Les  aldermen  et  les  cclievins  de  Londres  ne 
formeraient  probablement  pas  la  meilleure  Législature 
locale  possible  pour  Dublin,  et  vice  versa.  Les  membres 
de  ces  deux  Corporations  réunies  en  une  seule,  assem- 
blés tantôt  à  Londres,  tantôt  à  Dublin,  ou  dans  quel- 
qu'autre  lieu  intermédiaire,  ne  pourraient  guère  faire 
que  du  mal,  dans  leur  capacité  législative,  à  moins  sans 
doute  qu'ils  ne  s'entendissent  pour  rendre  illusoire  leur 
nouvel  acte  d'incorporation,  en  faisant  séparément  des 
lois,  les  uns  pour  Londres,  les  autres  pour  Dublin. 

Les  parties  habitées  du  Haut  et  du  Bas-Canada, 
depuis  la  Baie  des  Chaleurs  et  Gaspé  jusqu'au  Sault 
Sainte-Marie,  situé  entse  le  lac  Supérieur  et  le  lac 
Huron,  s'étendent  déjà,  du  nord-est  au  sud-ouest  à  plus 
de  quinze  cents  milles.  Dans  cette  étendue  de  pays  les 
communications  sont  en  partie  par  terre,  en  partie  par 
eau,  soit  en  bateaux,  sur  la  glace,  sur  la  terre  ou  sur  la 
neige,  suivant  les  saisons,  dont  le  commencement  varie, 
entre  les  deux  extrémités,  de  quatre  mois  dans  l'année. 
La  communication  entre  le  Bas-Canada  et  les  districts 
de  Londres  et  de  l'Ouest  dans  le  Haut-Canada  est,  de 
fait,  plus  difficile  et  moins  assurée  à  certaines  époques 
de  l'année  qu'entre  Montréal  et  Québec.  Les  membres 
des  Assemblées  dans  les  Colonies  ne  peuvent  générale- 
ment retirer  de  leur  situation  aucun  avantage  particu- 
lier. C'est  un  fardeau  public  très-onéreux,  et  il  est  bien 
connu  qu'on  trouve  à  peine  dans  les  Colonies  de  l'Amé- 
rique du  nord  un  particulier  qui  ne  soit  forcé  d'exercer 
son  industrie  pour  le  soutien  de  sa  famille.  Les  membres 
des  Législatures  ne  peuvent  donc  remplir  leurs  devoirs 
publics  que  dans  l'hiver,  temps  auquel  leursoccupations 
privées  leur  donnent  quelque  relâche.  L'hiver  commence 
dans  le  Haut-Canada  et  les  chemins  d'hiver  y  sont  pra- 
ticables un  mois  et  demi  plus  tard  que  dans  le  Bas- 
Canada;  il  y  a  la  même  différence  pour  le  commence- 
ment du  printemps  et  de  l'été.  Lorsque  la  neige  com- 
mence à  tomber  et  que  les  rivières  se  gèlent  l'automne, 


268  COURS  d'histoire  du  canada 

et  lors  de  la  fonte  des  neiges  et  de  la  glace  le  printemps, 
il  y  a  dans  les  deux  pro\inces  un  espace  d'environ  un 
mois  pendant  lequel  il  est  prcsqu'impossible  de  voyager. 
La  différence  des  saisons,  la  distance  des  lieux,  les  diffi- 
cultés, les  dangers  et  les  frais  de  voyages  au  siège  des 
Législatures  réunies,  dans  le  seul  temps  de  l'année  que 
le  peuple  ou  ses  représentans  peu\ent  consacrer  à  leurs 
affaires  publiques,  font  une  masse  d'obstacles  qui  ne 
leur  laisserait  qu'un  vain  simulacre  de  ce  système  de 
GouNcrncmcnt  qui  a  été  jusqu'ici  suivi  dans  les  Colo- 
nies anglaises,  qui  a  été  solennellement  promis  aux  sujets 
britanniques  qui  s'établiraient  en  Canada,  par  la  pro- 
clamation de  Sa  Majesté  du  sept  Octobre  mil  sept  cent 
soixantc-et-trois,  et  qu'ils  ont  toujours  cru  leur  être 
in\  iolai)lement  garanti  par  un  acte  solennel  du  Parle- 
ment Britannique.  Ils  trouveraient  leur  situation  d'au- 
tant plus  pénible,  que  parmi  les  inconvénients  résultant 
d'un  pareil  état  de  choses,  ils  ne  pourraient  s'empêcher 
de  remarquer,  sur  leurs  frontières  méridionales,  les 
Etats-Unis  d'Amérique  divisés,  dans  la  même  étendue, 
en  sept  états  et  territoires  distincts  pour  la  facilité  du 
gouvernement  et  de  la  Législation  locale. 

Ce  n'est  pas  seulement  à  cause  de  la  distance  des 
lieux  et  de  la  différence  du  climat  et  des  saisons,  que  la 
mesure  projetée  serait  subversive  des  droits  et  des  inté- 
rêts du  sujet  dans  les  Canadas.  C'est  un  fait  constant 
que,  non-seulement  les  lois  qui  règlent  les  propriétés 
et  les  droits  civils  dans  les  deux  Provinces,  mais  encore 
les  coutumes,  les  habitudes,  la  religion  et  même  les  pré- 
jugés y  diffèrent  essentiellement.  Les  habitans  de  cha- 
cune d'elles  tiennent  fortement  à  toutes  ces  choses,  dont 
la  jouissance  leur  est  solennellement  assurée  de  la  part 
de  la  Grande-Bretagne.  Le  plus  sage,  le  plus  désinté- 
ressé, le  plus  savant  législateur,  pourrait  à  peine  amal- 
gamer leurs  codes  respectifs  sans  danger  pour  les  pro- 
priétés acquises  sous  ces  lois  différentes.  Tout  change- 
ment aux  lois  anciennes,  toute  loi  nouvelle  aura  des 
rapports  avec  celles  qui  sont  en  force  dans  l'une  ou 
l'autre  Province,  et,  selon  qu'ils  affecteront  l'un  ou 
l'autre  code,  seront  vus  d'un  œil  jaloux  et  préjugé,  et 


COURS  d'histoire  du  canada  269 

adoptés  sans  connaissance  suffisante  par  une  partie 
au  moins  des  membres  de  la  Législature.  Les  Repré- 
sentants des  deux  Provinces  se  trouveraient  enfin  forcés 
de  faire  des  lois  séparément  pour  chaque  Province  res- 
pectivement. Le  gouvernement  et  les  intérêts  des  deux- 
Provinces  demeurant  distincts,  et  les  dépenses  des 
Colonies  étant  surtout  pour  des  objets  locaux,  il  n'est 
guère  à  supposer  que  les  membres  de  la  Législature 
réunie  fussent  toujours  guidés  par  des  principes  de  jus- 
tice et  d'équité  dans  l'assiette  ou  la  distribution  des 
impôts.  La  population  des  deux  Provinces  a  malheu- 
reusement des  intérêts  différents  quant  aux  impôts.  Les 
habitans  du  Haut-Canada,  vu  leur  distance  de  la  mer 
et  le  défaut  d'un  marché  étranger  pour  la  vente  des 
produitsdeleur  agriculture, ont  en  grande  partie  cessé 
d'être  consommateurs  dea espèces  de  marchandises  sur 
fesquelles  se  prélèvent  les  impôts  au  port  de  Québec. 
Ils  ont  substitué  au  rhum  lewhiskey  deleur  propre  ma- 
nufacture; au  sel  qui  venait  par  le  Saint- Laurent,  le 
sel  des  Etats-Unis  ou  celui  de  leurs  propres  salines;  au 
thé  de  l'Angleterre  celui  des  Etats-Unis,  et  les  établisse- 
mens  du  Haut-Canada  n'étant  séparés  du  territoire 
américain  que  par  des  lacs  et  par  une  rivière  navigable, 
la  contrebande  ne  peut  être  réprimée  avec  succès.  Le 
Haut-Canada  est  donc  intéressé  à  continuer  de  préle- 
ver un  impôt  sur  ces  articles,  objets  de  consommation 
dans  le  Bas-Canada,  et  il  est  naturel  que  chaque  Pro- 
vince désire  s'en  approprier  la  plus  grande  partie  pos- 
sible. Il  est  difficile  de  faire  la  distribution  du  revenu 
colonial  pour  des  objets  locaux,  dans  un  territoire  même 
très-limité:  comment  la  Législature  coloniale  pourroit- 
elle  faire  ce  partage  avec  justice,  entre  deux  Provinces 
distinctes,  dont  les  habitans  n'ont  rien  de  commun  si 
ce  n'est  le  titre  de  sujets  anglois. 

Voilà,  Monsieur,  les  objections  générales  contre 
la  mesure  projetée:  nous  allons  maintenant  examiner 
en  détail  l'acte  qui  doit  la  mettre  à  exécution,  ayant 
toujours  référence  à  la  copie  du  Bill  ci-jointe. 

Clauses  1,  2,  3,  4,  5  et  6. 

Nos  observations  générales  s'appliquent  aux  deux 


270  COURS  d'histoire  du  canada 

premières;  nous  ajouterons  seulement  que  ce  Bill  lais- 
sant les  deux  Provinces  séparées  quant  au  gouvernement 
et  aux  limites,  telles  qu'elles  ont  été  divisées  par  le 
31e  Geo.  III,  il  n'en  peut  résulter  aucune  réduction 
dans  les  dépenses  nécessaires  du  Gouvernement.  Les 
dépenses  réelles  seraient  augmentées  par  l'accroisse- 
ment des  frais  de  voyage  et  de  correspondance,  pour  la 
transmission  des  lois,  de  documents  publics,  pour  faire 
venir  les  témoins,  etc.  Les  devoirs  de  l'Exécutif  dans 
chaque  Province,  et  les  départements  correspondants 
en  Angleterre,  ne  seraient  aucunement  diminués  par 
une  simple  union  législative.  Si  les  institutions  et  les 
circonstances  locales  pouvaient  permettre  une  réunion 
entière  des  deux  Provinces,  elle  ne  pourrait  devenir 
utile  qu'en  faisant  vaquer  les  sièges  dans  le  Conseil 
Législatif  et  dans  l'Assemblée,  et  en  nommant  des  Con- 
seillers Législatifs  qui  pussent  remplir  leurs  fonctions 
avec  assiduité  et  qui  ne  fussent  pas  presque  tous  choi- 
sis parmi  les  membres  de  l'Exécutif,  et  parmi  les  Juges 
en  particulier,  dont  les  devoirs  en  Canada  sont  suffisants 
pour  absorber  tout  leur  tems.  Par  ce  moyen,  la  com- 
position du  Conseil  Législatif  pourrait  devenir  plus 
analogue  à  celle  de  la  Chambre  des  Lords  en  Angle- 
terre, et  dès  lors  plus  en  état  de  s'accorder  mieux  avec 
le  corps  électif.  Quand  à  continuer  les  pouvoirs  des 
membres  de  la  Chambre  d'Assemblée  pendant  une 
année  au-delà  du  tems  pour  lequel  il  avaient  été  élus 
par  le  peuple,  cela  sans  doute  était  une  erreur:  car 
l'on  ne  peut  supposer  que  l'on  se  proposât  de  consti- 
tuer des  Représentants  du  peuple  du  Canada,  par 
acte  du  Parlement  Impérial. 

Clauses  7,  8,  9,  10,  11,  et  12. 

Ces  clauses  pourvoyaient  à  la  représentation  du 
peuple  dans  la  Législature  projetée  des  Canadas. 
Lors  de  l'établissement  de  la  Constitution  actuelle  de 
ces  Provinces  par  l'acte  de  la  31e.  Geo.  III,  chap.  31, 
on  composa  l'Assemblée  du  Bas-Canada  de  cinquante 
membres  et  celle  du  Haut  de  quinze.  La  première 
de  ces  Provinces  avait  alors  environ  200,000  habitants, 
la  seconde  environ  25,000,  ou  un  huitième  de  l'autre. 


COURS  d'histoire  du  canada  271 

Ce  fut  aussi  la  proportion  du  Revenu,  donnée  au  Haut- 
Canada  par  le  premier  accord  entre  les  deux  Provinces. 
La  représentation  du  Haut-Canada  était  alors  double 
de  celle  du  Bas,  eu  égard  à  la  population.  L'acte  du 
Haut-Canada,  de  la  60e,  Geo.  IH,  confirmé  par  la 
septième  clause  du  Bill  projeté,  a  porté  le  nombre  des 
Représentants  de  cette  Province  à  quarante,  tandis 
que  le  Bas-Canada  n'en  a  que  cinquante,  et  que  toute 
tentative  pour  en  augmenter  le  nombre  a  jusqu'à  pré- 
sent été  infructueuse  dans  le  Bas-Canada.  On  a 
pourvu  par  le  même  acte  du  Haut-Canada,  et  cette 
disposition  est  sanctionnée  par  la  clause  susdite,  à 
une  augmentation  régulière  et  progressive  de  la  repré- 
sentation de  cette  Province,  proportionnée  à  sa  popu- 
lation, ce  qui  bientôt  la  fera  égaler  en  nombre  celle  du 
Bas-Canada,  à  moins  qu'iL  ne  plaise  au  Gouverneur 
d'augmenter  celle-ci  jusqu'au  nombre  de  soixante  mem- 
bres; et  même  avec  cette  augmentation,  la  représen- 
tation du  Haut-Canada  égalerait  bientôt  celle  du  Bas- 
Canada,  puisqu'il  est  réglé  par  la  neuvième  clause 
que  le  nombre  des  représentants  ne  sera  pas  changé, 
si  une  minorité  des  membres,  égale  au  tiers  des  mem- 
bres présents,  s'y  oppose  à  la  seconde  ou  troisième 
lecture  du  bill.  Si  lors  de  l'union  entre  l'Ecosse  et 
l'Angleterre,  ou  entre  la  Grande-Bretagne  et  l'Irlande, 
on  eût  annoncé  au  peuple  anglais  que  l'Ecosse  et 
l'Irlande,  ou  toutes  deux  ensemble,  auroient  dans  Is 
Chambres  des  Communes  un  nombre  de  membres 
égal  à  celui  de  l'Angleterre,  et  avec  une  restriction 
semblable,  il  est  probable  qu'il  auroit  éprouvé  une 
inquiétude  aussi  vive  que  celle  causée  par  ce  Bill  dans 
le  Bas-Canada.  Le  Haut-Canada  reconnaît,  et  l'acte 
de  Commerce  du  Canada,  récemment  passé,  admet 
que  la  population  de  cette  Province  n'est  qu'un  cin- 
quième de  celle  du  Bas-Canada:  le  nombre  d'élec- 
teurs qualifiés  dans  les  deux  Provinces  suit  à  peu  près 
la  même  proportion,  parce  que  les  pères  de  famille  dans 
l'uneetl'autre  Province  sont  presque  tous  propriétaires. 
Si  l'on  compare  la  richesse  relative  des  deux  Provinces 
avec  la  population,  l'avantage  est  en  faveur  du  Bas- 

18 


272  COURS  d'histoire  du  canada 

Canada.  Par  le  Bill  en  question,  on  donne  à  une  pro- 
vince distincte,  ayant  réellement  des  intérêts  différents, 
n'ayant  que  le  cinquième  de  la  population  de  l'autre, 
pas  plus  du  cinquième  d'électeurs,  et  moins  d'un  cin- 
quième des  richesses  de  l'autre,  on  lui  donne  un  pou- 
voir égal  dans  la  levée  de  l'impôt  et  dans  sa  distribution 
pour  les  dépenses  locales.  Voilà  ce  qui  paraît  à  la 
première  inspection  de  ce  Bill  et  de  l'Acte  de  Commerce; 
mais,  en  réalité,  la  situation  du  Bas-Canada  sous  l'opé- 
ration de  ce  Bill  serait  encore  pire  qu'elle  ne  le  paraît 
même  par  ces  deux  actes.  Les  dix  membres  que  le 
Gouverneur  est  autorisé  par  la  8e.  clause  d'ajouter  à 
la  représentation  du  Bas-Canada,  peuvent  à  son  choix 
être  ajoutés  ou  ne  l'être  pas:  s'il  les  ajoute,  il  semble 
que  l'on  veuille  les  donner  exclusivement  aux  town- 
ships  situés  le  long  des  frontières  des  Etats-Unis,  et 
formant  dans  le  Bas-Canada  une  continuation  des 
établissements  américains.  Ces  townships  sont  encore 
en  partie  séparés  par  des  terres  incultes  des  anciens 
établissements  du  Bas-Canada  le  long  du  St-Laurent. 
Ils  ont  peu  de  rapport  et  peu  d'intérêts  communs  avec 
la  masse  des  sujets  de  Sa  Majesté  dans  le  Bas-Canada. 
On  manufacture  dans  ces  townships,  ou  l'on  y  reçoit 
des  Etats-Unis,  comme  dans  le  Haut-Canada,  une 
partie  des  articles  qui  paient  un  droit  d'entrée  au  port 
de  Québec.  Ils  ont  plus  d'affinités  avec  la  population 
du  Haut-Canada  qu'avec  celle  du  Bas.  Ainsi,  si  l'on 
accorde  dix  membres  à  ces  townships,  comme  l'Acte 
n'exige  que  six  townships  pour  former  un  comté,  qui 
auront  dans  cette  partie  de  la  Province  le  droit  d'en- 
voyer un  membre,  quelle  que  fût  sa  population,  la  re- 
présentation des  deux  Provinces  pourrait  être  consi- 
dérée comme  dès  à  présent  égale.  Un  petit  nombre 
de  votes  peut  donner  à  la  représentation  du  Haut- 
Canada  le  pouvoir  d'établir  toutes  les  nouvelles  taxes, 
de  manière  qu'elles  affectassent  exclusivement  le  Bas- 
Canada,  ou  de  disposer  de  tout  le  revenu  à  l'avantage 
du  Haut-Canada  et  de  ces  townships.  II  est  bien 
probable  que  les  sentimens  de  libéralité  et  de  justice 
que  l'on  reconnaît  exister  dans  la  grande  majorité  des 


COURS  d'histoire  du  canada  273 

habitants  du  Haut-Canada,  et  que  ce  sentiment  com- 
mun d'opposition  au  Bill  actuel,  qui  unit  maintenant 
les  deux  Provinces,  pourraient  empêcher  l'excès  de 
l'injustice  que  semblent  devoir  produire  les  dispo- 
sitions du  Bill,  mais  la  possibilité  de  ce  résultat  ne 
saurait  justifier  le  Bill  même. 

Au  surplus  ce  n'est  pas  par  rapport  à  leurs  propriétés 
seulement  que  les  habitants  du  Bas-Canada  redoutent 
la  passation  de  ce  Bill.  Les  Capitulations,  le  Traité 
de  Cession  de  1763,  les  Actes  de  la  14e.  et  31e.  Geo. 
III.,  leur  ont  assuré  leurs  propriétés,  leurs  lois  civiles, 
leur  religion  et  des  droits  et  privilèges  souvent  diffé- 
rents, et  quelquefois  opposés  à  ceux  qui  ont  prévalu  ou 
qui  prévalent  encore  dans  les  autres  colonies  anglaises. 
La  Constitution  actuelle  leur  assure  la  jouissance  pleine 
et  entière  de  tous  ces  droits,  sans  aucune  diminution  ni 
altération,  à  moins  que  la  majorité  des  électeurs  qua- 
lifiés dans  toute  la  Province  ne  consente  à  les  changer 
par  le  moyen  des  représentants  choisis  par  eux.  Le  Bill 
projeté,  en  faisant  entrer  dans  la  Législature  les  re- 
présentants d'un  pays  accoutumé  à  un  ordre  de 
choses  différent,  préjugés  peut-être  contre  l'ordre 
établi  dans  le  Bas-Canada,  et  en  donnant  à  cette  popu- 
lation qui  n'est  que  le  quart  ou  le  cinquième  de  l'autre 
en  fait  de  nombre,  de  propriétés  et  d'électeurs,  une 
majorité  ou  tout  au  moins  une  égalité  de  votes  dans 
la  seule  branche  de  la  Législature  coloniale  dans  laquelle 
le  peuple  du  Bas-Canada  ait  une  participation  directe, 
met  certainement  en  péril  ces  droits  de  propriété,  ces 
lois  et  privilèges  particuliers  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut.  Car  qu'on  ait  établi  quelques  restrictions 
dans  certains  cas,  contre  l'infraction  de  ces  droits 
ainsi  garantis,  ils  n'ont  pas  néanmoins  tous  le  même 
degré  de  protection.  Les  habitants  du  Bas-Canada 
trouveraient  très-difficile  de  réclamer  avec  succès  ces 
privilèges  particuliers,  quand  la  Législature  colo- 
niale les  aurait  une  fois  envahis.  Leurs  propriétés 
et  leurs  personnes  pourraient  être  pendant  un  certain 
temps  à  la  merci  de  la  minorité  d'une  population,  pré- 
jugée et  intéressée,  ayant  le  pouvoir  de  la  majorité  dans 


274  COURS  d'histoire  du  canada 

l'Assemblée  représentative,  et  l'appui  de  toute  l'auto- 
rité législative,  executive  et  judiciaire. 
Clauses  13,  14  et  15. 

Ces  clauses  sont  surtout  remarquables  par  la  quali- 
fication de  cinq  cents  livres  de  propriétés  foncières, 
qu'elles  exigent  pour  les  membres  de  l'Assemblée;  la 
constitution  actuelle  n'en  requérant  aucune.  Les 
pétitionnaires  tant  pour  que  contre  ce  Bill,  dans  le 
Haut-Canada,  ont  objecté  à  cette  qualification,  comme 
étant  trop  forte.  II  n'en  est  pas  question  dans  les 
requêtes  en  opposition  dans  le  Bas-Canada,  où  il  n'a 
jamais  existé  aucune  qualification  quant  à  la  propriété. 
Dans  le  fait  il  y  a  rarement  eu  dans  l'Assemblée  du  Bas- 
Canada  un  membre  qui  ne  fût  qualifié,  et  au  delà,  de 
la  manière  requise  d'après  ces  clauses.  Les  membres 
n'étant  pas  payés,  et  déboursant  l'un  dans  l'autre  de 
trente  à  cinquante  livres  pendant  chaque  session,  et 
généralement  sans  l'espoir  le  plus  éloigné  d'en  retirer 
aucun  avantage  personnel,  aucun  individu,  s'il  n'avait 
plus  de  cinq  cents  livres  de  biens-fonds,  ne  voudrait 
de  cet  emploi,  ou  s'il  le  voulait,  ne  trouverait  les  élec- 
teurs disposés  à  le  nommer.  Ces  clauses  sont  indiffé- 
rentes en  elles-mêmes,  à  moins  qu'elles  ne  comportent 
censure  injuste  contre  les  électeurs.  Au  surplus  ces 
détails  devraient  être  laissés  à  la  Législature  coloniale, 
comme  par  l'acte  de  la  trente-unième  George  III. 
Clause  16. 

Cette  clause  autorisant  le  Gouverneur  à  nommer 
des  Conseillers  Exécutifs  qui  auraient  droit  de  siéger  et 
discuter,  mais  non  de  voter  dans  l'Assemblée,  a  excité 
de  tous  côtés  de  vives  réclamations  dans  le  Haut- 
Canada.  Elle  a  été  regardée  dans  le  Bas-Canada 
comme  une  déviation  singulière  de  la  constitution 
anglaise,  dans  ses  principes  et  dans  la  pratique,  ou 
comme  contenant  une  opinion  injuste  du  peuple, 
ou  une  censure  du  gouvernement  colonial  et  de  ses 
officiers.  Il  n'y  a  rien  qui  empêche  les  Conseillers 
Exécutifs  d'être  élus  dans  l'une  ou  l'autre  Province, 
comme  membres  de  l'Assemblée,  à  moins  que  les  me- 
sures de  l'administration  coloniale  ou  la  conduite  de 


COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA  Zi  O 

ses  employés  ne  fussent  telles,  qu'elles  les  rendissent 
particulièrement  désagréables  aux  électeurs. 
Clauses  17  et  18. 

On  a  pensé  que  le  siège  de  la  Législature  devait  être 
fixé,  et  la  notificalion  suffisante  mieux  définie.  Le 
Gouverneur,  voyant  l'étendue  des  deux  provinces  et 
la  difficulté  des  communications,  pourrait  abuser  de 
cette  prérogative,  qui  lui  est  accordée  conformément 
à  l'usage  suivi  en  Angleterre,  en  assemblant  la  Légis- 
lature dans  un  endroit  où  peu  de  membres  pourraient 
se  rendre.  Mais  ce  n'est  pas  l'abus  de  pouvoir  dans 
les  actes  émanants  directement  du  Gouverneur,  qui 
est  le  plus  à  craindre  dans  les  colonies.  La  19e.  clause, 
étendant  la  durée  du  parlement  une  année  au  delà  du 
temps  maintenant  fixé  par  la  loi,  a  été  réprouvée  de 
tout  côté,  comme  une  violation  de  la  constitution  actu- 
elle des  Canadas,  et  une  tentative  contre  les  fran- 
chises reconnues  du  peuple. 
Clauses  19,  20,  21  et  22. 

Ces   clauses   paraissent  être  purement  de  forme  et 
analogues  à  la  constitution  actuelle. 
Clause  23. 

Cette  clause  est  une  tentative  directe  pour  détruire 
un  des  privilèges  les  plus  essentiels  réclamés  et  exercés 
par  toutes  les  Assemblées  coloniales  et  constamment 
admis  par  la  Couronne.  Le  droit  d'emprisonner  pour 
mépris  a  toujours  été  regardé  par  ces  corps,  ainsi  que 
par  les  cours  et  les  magistrats,  comme  indispensable 
à  l'exercice  de  leurs  fonctions,  et  ne  peut,  comme  le  veut 
cette  clause,  être  objet  de  législation  entre  des  autorités 
coordonnées. 

Clauses  24  et  25. 

Ces  clauses  ont  été  vues  de  très-mauvais  œil  dans 
le  Bas-Canada.  Il  est  embarrassant  d'avoir  deux 
langues  en  usage  à  la  fois:  dans  bien  des  cas  pourtant 
cela  est  inévitable.  Il  en  était  ainsi  en  Angleterre 
après  la  conquête  par  les  Normands,  et  l'acte  impru- 
dent qui  dans  ces  temps  barbares  proscrivit  l'usage  de 
la  langue  saxonne  eut  le  sort  qu'ils  méritait.  Dans 
un   état  composé  de  peuples  de  langues   différentes, 


270  COURS  d'histoire  du  Canada 

mais  ayant  des  rapports  fréquents,  la  langue  de  la 
majorité  l'emporte  à  la  fin,  et  la  langue  anglaise  de- 
viendra sans  doute  la  langue  dominante  dans  l'Amé- 
rique du  nord  avec  ou  sans  le  tecours  d'aucune  loi. 
Il  n'y  a  peut-être  pas  dix  membres  de  la  Chambre 
actuelle  d'assemblée  dans  le  Bas-Canada  qui  n'enten- 
dent pas  l'anglais;  plusieurs  le  parlent  avec  facilité. 
Il  n'y  a  pas  un  homme  de  quelque  rang  et  de  quelque 
fortune  dans  la  colonie  qui  ne  fasse  apprendre  l'anglais 
à  ses  enfants.  C'est  ainsi  que  les  peuples  changent 
avec  le  temps  et  les  circonstances.  Mais  la  langue 
d'une  mère,  d'un  père,  de  la  famille,  de  ses  amis,  de 
ses  premiers  souvenirs,  est  chère  à  tout  le  monde;  et 
cette  interférence  inutile  dans  la  lanp;ue  du  peuple  du 
Canada  a  été  vivement  sentie  dans  un  pays  où  cette 
langue  a  été,  sans  contredit,  une  des  causes  qui  ont  le 
plus  contribué  à  conserver  cette  colonie  à  la  Grande- 
Bretagne  à  l'époque  de  la  rébellion  des  Américains. 
La  25e  clause,  vu  son  rapport  avec  la  précédente,  a, 
peut-être,  été  mal  entendue;  elle  a  été  considérée  comme 
une  attaque  indirecte  contre  les  libertés  dont  les  catho- 
liques-romains ont  joui  jusqu'ici  sous  le  gouvernement 
anglais  en  Canada,  et  qui  leur  sont  garanties  par  les 
capitulations,  par  le  traité  de  cession,  par  des  actes  du 
parlement,  et  par  la  pratique  libérale  du  gouvernement 
britannique.  L'évêque  à  la  tête  de  l'église  romaine  en 
Canada  est  approuvé  par  la  couronne  avant  de  rece- 
voir l'institution  canonique  du  pape.  L'état  est 
donc  ainsi  prémuni  contre  le  danger  qui  pourrait  résul- 
ter (si  l'on  pouvait  dans  les  temps  actuels  en  craindre 
aucun)  de  la  nomination  d'une  personne  qui  ne  con- 
viendrait pas  comme  chef  de  cette  église  dans  la  colo- 
nie. Sans  avoir  un  contrôle  plus  étendu,  le  gouver- 
nement a  trouvé  en  toute  occasion  le  clergé  romain  dé- 
voué à  l'union  de  ces  provinces  à  l'empire  britannique,  et 
exerçant  toute  son  influence  pour  la  conserver.  L'é- 
vêque et  tous  ses  prédécesseurs  ont  uniformément  nom- 
mé et  démis  les  curés.  Le  roi  de  France,  par  son  ordre 
en  conseil  en  date  du  vingt-sept  mai  mil  six  cent  quatre- 
vingt-dix-neuf,    déclare   que   les   évêques   de   Québec 


COURS  d'histoire  du  canada  277 

sont  revêtus  de  ce  droit,  qu'il  nomme  expressément  leur 
droit  naturel.  La  règle  générale,  suivant  Blacktsone, 
est  que  "c'est  à  l'évêque  qu'il  appartient  de  conférer 
"tous  les  bénéfices  ecclésiastiques  dans  son  diocèse." 
"Il  faut  toujours  observer  comme  une  règle  constante 
"que  l'évêque  est  le  collateur  ordinaire  de  tous  les  béné- 
"fices  de  son  diocèse,  à  moins  qu'on  n'établisse  le  con- 
"traire,  ou  par  des  titres  précis,  ou  par  une  possession 
"constante  qui  fait  présumer  ce  titre."  D'Héricourt, 
Lois  ecc   siastiques,  .  e.  part.,  ch.  5. 

Par  la  clause  actuelle  il  paroîtrait  que  ce' droit  exis- 
tant et  exercé  en  Canada  jusqu'à  ce  jour  ne  sera  plus 
considéré  comme  valable,  mais  qu'au  lieu  de  laisser 
comme  ci-devant  la  collation  des  bénéfices  à  l'ordinaire, 
il  faudra  préalablement  obtenir  le  consentement  par 
écrit  du  gouverneur.  On  doit  en  inférer  que  les  curés, 
nommés  concurremment  par  le  gouverneur  et  l'évêque, 
ne  seront  plus  révocables  par  l'autorité  séparée  de  ce 
dernier  comme  ci-devant,  ce  qui  ôte  à  l'évêque  (qui 
lui-même  est  approuvé  et  pensionné  par  la  couronne) 
tout  contrôle  «ur  son  clergé.  Une  manière  de  procéder 
si  différente  de  l'usage  constant  de  la  colonie  ne 
peut  guère  manquer  de  nuire  à  la  discipline  de  l'église 
catholique-romaine  en  Canada.  Si  le  gouverneur  et 
révêque  différaient  d'opinion,  cela  pourrait  mettre  le 
curé  en  état  d'exiger  et  de  recevoir  la  dîme  de  ses 
paroissiens,  même  après  avoir  été,  sur  leur  requête, 
interdit  par  l'évêque  et  rendu  incapable  de  remplir  les 
devoirs  religieux  en  considération  desquels  il  a  droit  à 
la  dîme.  Une  clause  qui  est  censée  devoir  produire  un 
tel  résultat,  n'a  pu  manquer  de  causer  de  l'inquiétude 
en  Canada,  et,  si  elle  était  jamais  en  exécution,  elle 
ferait  indubitablement  naître  ces  malheureuses  diffi- 
cultés entre  catholiques  et  protestants  qui  ont  agité 
d'autres  pays,  et  dont  le  Canada  a  toujours  été  heu- 
reusement exempt,  sous  le  gouvernement  bienfaisant 
et  éclairé  de  Sa  Majesté.  Si  l'usage  jusqu'ici  paisible- 
ment et  heureusement  suivi  était  supposé  mal  fondé 
en  loi,  cette  prétention  devrait  être  la  matière  d'un  ju- 


278  COURS  d'histoire  du  canada 

gement  des  cours  de  justice,  et  non  d'un  acte  du  par- 
lement. 

Clauses  26,  27  et  28. 

La  dernière  de  ces  clauses  demande  seule  quelques 
observations.  La  continuation  des  salaires  des  offi- 
ciers des  Lép"islatures,  à  être  pris  sans  doute  sur  les 
fonds  des  colonies,  prescrite  par  cette  clause,  quelque 
juste  quelle  puisse  être  par  rapport  à  ces  officiers,  devrait 
être  laissée  à  la  Législature  coloniale.  Cela  ressemble 
à  une  appropriation,  par  le  parlement  impérial,  du 
revenu  prélevé  sur  le  sujet  dans  les  colonies,  en  oppo- 
sition à  l'acte  déclaratoire  de  la  18e.  Geo.  III,  confirmé 
par  la  constitution  actuelle  des  Canadas;  et  c'est  parce 
que  cet  acte  déclaratoire  est  considéré  comme  le  palla- 
dium de  la  sûreté  des  propriétés  du  sujet  dans  les  colo- 
nies, et  de  tous  ses  autres  droits,  que  de  toutes  parts 
on  a  fait  entendre  des  réclamations  contre  cette  clause. 

Les  objections  générales  contre  ce  bill,  telles  que 
nous  les  avons  déduites,  peuvent  être  présentées  sous 
les  ch<^fs  suivants,  savoir: 

lo.  La  satisfaction  avec  laquelle  chaque  province  jonit 
de  la  constitution  actuelle,  satisfaction  démontrée  par  le 
défaut  de  toute  plainte  publique  contre  elle,  aussi  bien 
que  de  tout  allégué  d'inconvénients  qui  pourraient  en 
résulter,  avant  que  l'on  apprît  dans  les  colonies  la 
nouvelle  de  l'introdi'ction  du  bill  actuel  dans  le  par- 
lement. 

2o.  Le  défaut  de  preuve  de  l'existence  d'aucun  in- 
convénient grave  résultant  de  la  constitution  établie. 

3o.  Le  danger  qui  existe  en  général  de  faire  des  chan- 
gements dans  une  constitution  établie,  surtout  lorsque 
la  législature  est  dans  l'impossibilité  de  connaître  les 
circonstances  locales  des  pays  que  ces  changements 
doivent  affecter. 

4o.  La  répugnance  manifestée  par  les  habitants  des 
deux  provinces. 

5o.  L'impossibilité  d'obtenirlebut  de  l'établissement 
d'une  législature  locale  et  subordonnée  dans  un  pays 
nouveau  et  d'une  si  grande  étendue,  si  différent  dans 


COURS  d'histoire  du  canada  279 

son  climat,  dans  ses  besoins,  et  sous  tant  d'autres 
rapports. 

60.  Les  différences  entre  les  codes  de  lois,  les  cou- 
tumes et  usages  locaux,  établis  depuis  longtemps,  et 
l'opposition  des  intérêts  des  deux  provinces. 

Les  clauses  statuantes  du  bill,  selon  nous,  sont  sujettes 
aux  objections  suivantes: 

lo.  Elles  ne  tendent  pas  à  diminuer  les  dépenses 
dans  les  colonies,  ni  à  remédier  aux  abus,  ni  à  rendre 
le  gouvernement  plus  simple  et  plus  facile. 

2o.  Elles  mettent  en  péril  ou  détruisent  les  justes 
droits  qu'ont  les  sujets  de  Sa  Majesté  dans  le  Bas- 
Canada,  par  la  constitution  actuelle,  de  n'être  pas 
taxés,  et  de  ne  pas  voir  les  impôts  levés  sur  eux  distri- 
bués, sans  leur  consentement  par  le  moyen  de  leurs 
représentants. 

3.  Elles  attaquent  le  'droit,  dont  ils  jouissent  sous  la 
garantie  la  plus  solennelle,  de  conserver  les  lois  et  les 
institutions  existantes,  à  moins  qu'ils  ne  consentent  à 
les  altérer  par  leurs  représentans. 

4o.  Elles  imposent  des  qualifications  inutiles  aux 
personnes  qui  seront  élues  à  l'avenir  pour  servir  dans 
les  assemblées,  et  prolongent  la  durée  des  législatures 
coloniales  au  delà  du  temps  fixé  maintenant  par  la  loi. 

5o.  Elles  introduisent  parmi  les  représentants  du 
peuple,  sans  l'aveu  des  électeurs,  des  officiers  de  l'exé- 
cutif, ce  qui  est  sans  précédent  dans  les  domaines  bri- 
tanniques. 

60.  Elles  détruisent  un  privilège  reconnu  dans 
toutes  les  assemblées  coloniales,  sans  lequel  elles  ne 
peuvent  exister  indépendamment  des  autres  autorités. 

7o.  Elles  proscrivent  la  langue  de  la  grande  majo- 
rité du  peuple  dans  l'assemblée  de  ses  représentans, 
et  mettent  en  question  un  privilège  lié  à  la  religion, 
exercé  utilement,  paisiblement  et  sans  interruption 
sous  le  gouvernement  de  sa  Majesté,  pendant  plus 
d'un  demi-siècle. 

80.  Finalement,  elles  sanctionnent  l'appropriation 
de  l'impôt  levé  sur  le  sujet  dans  les  colonies  sans  le 
consentement  de  ses  représentants. 


280  couKS  d'histoire  du  canada 

En  référant  aux  débats  pendant  que  ce  Bill  et  celui 
du  Commerce  du  Canada  étaient  en  agitation  devant 
la  Chambre  des  Communes,  nous  ne  trouvons  aucuns 
motifs  allégués  pour  l'introduction  du  Bill  actuel 
après  la  passation  de  l'autre,  qui  contient  les  arrange- 
ments relatifs  aux  difficultés  qui  existaient  entre  les 
deux  Provinces;  et  l'existence  de  la  Constitution  actuelle 
des  deux  Provinces  pendant  près  de  trente  ans,  sans 
qu'il  se  soit  élevé  aucune  difficulté  par  rapport  au  com- 
merce ou  au  revenu,  est  la  meilleure  preuve  que  ces 
difficultés  n'étaient  pas  une  suite  nécessaire  de  la  divi- 
sion de  l'ancienne  Province  de  Québec.  Il  n'est  ni 
nécessaire  ni  praticable  que  les  habitants  de  pays 
différents,  situés  près  de  grandes  rivières  formant 
leur  sortie  naturelle  et  commune  vers  la  mer,  soient 
réunis  sous  le  même  gouvernement.  L'Europe  nous 
montre  plusieurs  pays  ainsi  situés,  même  sous  desgouver- 
nements indépendants,  dans  lesquels  il  n'y  a  jamais  eu 
de  malentendu  par  rapport  au  commerce  et  au  revenu. 
On  voit  dans  les  Etats-Unis  un  grand  nombre  de  gouver- 
nements locaux  n'ayant  aucune  communication  à  la 
mer,  si  ce  n'est  à  travers  d'autres  états.  S'il  étoit  in- 
dispensable que  des  pays  ainsi  situés  fussent  placés  sous 
une  législature  locale  unique,  les  Etats-Unis  d'Amé- 
rique auraient  la  meilleure  raison  possible  d'annexer 
les  Canadas  à  ces  Etats,  qui  ont  maintenant  sur  les 
bords  du  Saint-Laurent  une  population  plus  considé- 
rable que  celle  de  toute  l'Amérique  anglaise.  La 
Constitution  actuelle  des  Canadas  a  néanmoins  pourvu 
à  l'arrangement  des  difficultés  qui  pourraient  s'élever 
entre  les  deux  Provinces  par  rapport  au  commerce  et 
au  revenu.  Les  deux  Pro^'inces  peuvent  regretter 
peut-être  que  les  plaintes  récentes  du  Haut-Canada 
n'aient  pas  été  communiquées  à  la  législature  du  Bas- 
Canada,  et  que  cette  Province  n'ait  pas  eu,  comme  le 
Haut-Canada,  un  commissaire  en  Angleterre  pour 
soutenir  ses  droits,  avant  qu'on  eût  décidé  sur  ces 
plaintes.  Maintenant  la  chose  est  décidée,  et  la  loi 
en  opération,  et  nous  n'avons  pas  appris  qu'il  existât 
aucune  représentation  de  la  paît  des  autorités  consti- 


COURS  d'histoire  du  canada  281 

tutionnelles  de  l'une  ou  de  l'autre  Province  à  ce  sujet. 
Tout  ce  qui  a  rapport  au  partage  du  revenu  entre  les 
deux  Provinces  est  maintenant  placé  entre  les  mains 
de  l'Exécutif  des  Colonies  et  du  Gouvernement  de  Sa 
Majesté  en  Angleterre,  et  ce  doit  être  au  moins  un 
sujet  de  congratulation  réciproque  pourles  habitants 
des  deux  provinces,  de  voir  cela  entre  les  mains  de 
personnes  qui  n'ont  aucun  intérêt  à  diviser  d'une 
manière  injuste  le  produit  des  taxes,  et  que  l'on  a  mis 
de  côté  de  cette  manière  un  moyen  puissant  d'exciter 
des  difficultés  entre  ceux  dont  l'intérêt  le  plus  cher  est 
d'être  en  bonne  intelligence. 

Nous  avons,  il  est  vrai,  entendu  alléguer  dans  les 
colonies  des  motifs  de  changements  dans  la  consti- 
tution du  Bas-Canada;  mais  comme  ils  sont  frappés 
au  coin  de  l'esprit  de  parti,  des  préjugés  et  même  de  la 
haine  contre  les  habitans  de  cette  province,  on  ne  peut 
jamais  croire  qu'ils  aient  aucun  poids  auprès  du  gouver- 
nement britannique.  On  en  a  appelé  au  droit  de  con- 
quête, contre  un  peuple  dont  les  deux  dernières  géné- 
rations sont  nées  sujets  britanniques;  on  a  supposé 
attachés  à  un  peuple  et  à  un  gouvernement  étrangers 
ceux  qui,  deux  fois,  ont  risqué  leurs  fortunes  et  leurs 
vies  pour  conserver  l'allégeance  qu'ils  doivent  à  la  cou- 
ronne britannique;  ni  les  calomnies,  ni  les  faussetés 
n'ont  été  épargnées  contre  des  hommes  qui  ont  uni- 
formément suivi  le  sentier  de  l'honneur  et  du  devoir, 
et  qui,  si  les  liens  qui  les  unissent  à  l'empire  britannique 
étaient  malheureusement  rompus,  ne  pourraient  man- 
quer de  sentir  que,  nés  et  habitant  dans  l'Amérique  du 
nord,  ils  en  suivraient  les  destinées. 

Nous  regrettons  d'être  dans  la  nécessité  de  requérir 
votre  indulgence  pour  une  aussi  longue  lettre.  Nous 
avons  abordé  cette  question  avec  répugnance;  mais 
l'ayant  entrepris,  nous  devions,  pour  rencontrer  vos 
vues,  le  faire  complètement  et  librement. 

Nous  Sommes  assurés  que  le  gouvernement  de  sa 
Majesté  donnera  la  plus  sérieuse  attention  à  un  objet 
si  intimement  lié  avec  les  intérêts,  le  repos,  et  le  bien- 
être  futur  de  plus  d'un  million  de  sujets  anglais,  habi- 


282  COURS  d'histoire  du  canada 

tants  des  colonies  de  l'Amérique  du  nord.  II  ne  nous 
appartient  pas  de  peser  et  discuter  les  intérêts  de  ce 
grand  et  glorieux  empire.  Le  Canada  a  toujours  eu 
le  bonheur  d'éprouver  par  lui-même  que  l'Angleterre 
a  constamment  mis  au  rang  de  ses  intérêts  les  plus 
chers  le  soin  de  conserver  les  droits  et  de  faire  le  bon- 
heur de  tous  les  sujets  de  sa  Majesté. 

Si  le  gouvernement  de  sa  Majesté  jugeait  conve- 
nable, à  quelque  époque  plus  reculée,  de  soutenir  ce  bill, 
nous  demandons  avec  respect: 

lo.  Qu'il  soit  donné  instruction  aux  gouverneurs  des 
deux  provinces  de  recommander  aux  législatures  res- 
pectives et  de  sanctionner  une  loi  en  vertu  de  laquelle 
on  ferait  un  recensement  exact  et  sous  serment  de  la  po- 
pulation des  cités,  villes,  villages,  townships,  paroisses, 
comtés,  divisions  et  districts  dans  chaque  province,  le- 
quel serait  transmis  en  Angleterre  avant  de  procéder 
de  nouveau  sur  une  semblable  mesure. 

2o.  Que  le  gouverneur  du  Bas-Canada  reçoive  ins- 
truction de  recommander  à  la  législature  et  de  sanc- 
tionner une  loi  pour  nommer  un  ou  plusieurs  commis- 
saires qui  se  rendraient  en  Angleterre  pour  y  être  en- 
tendus au  Soutien  de  la  constitution  actuelle  de  la 
province 

Nous  suggérons  qu'il  est  indispensable  aux  fins  de 
la  justice  de  donner  de  semblables  instructions,  vu 
que  des  bills  pour  promouvoir  ces  objets  ont  été  depuis 
plusieurs  années  constamment  opposés  par  les  conseils 
provinciaux  de  la   couronne. 

Nous  avons  l'honneur  d'être, 
Monsieur, 
Vos  très  humbles  et  obéissants  serviteurs, 

L.-J.  PAPINEAU. 
(Signé)        JOHN   NEILSON. 

R.  Wilmot,  écuyer,  M.  P. 
sous-secrétaire  d'état   au 
département  des  colonies. 


COURS  d'histoire  du  canada  283 

II 

Rapport   du  Comité  Choisi   pour  S'enquérir   de 
l'Etat  du  Gouvernement  civil  du  Canada.  (1) 


Votre  comité  a  commencé  son  investigation  sur 
l'état  du  gouvernement  civil  du  Canada,  par  examiner 
les  diverses  pétitions  des  habitants  des  deux  provinces, 
qui  lui  avaient  été  référées  par  la  chambre.  La  pétition 
des  Townships  de  la  province  inférieure,  portant  environ 
10,000  signatures,  se  plaint  du  manque  de  cours  dans 
leurs  propres  limites,  et  de  l'administration  des  lois 
françaises  dans  les  lois  françaises.  Qu'ils  ne  sont 
pas  représentées  dans  la.  Chambre  d'Assemblée  du 
Bas-Canada;  et  que  des  émigrés  d'extraction  anglaise 
ont  été  détournés  de  s'établir  dans  la  province.  Et 
finalenient  ils  demandent  une  union  législative  entre 
le  Haut  et  le  Bas-Canada. 

Votre  comité  ensuite  a  examiné  la  pétition  signée  par 
environ  87,000  habitants  du  Bas-Canada,  établis  sur 
les  seigneuries,  qui  se  plaignent  de  la  conduite  arbitraire 
du  gouverneur  de  la  province— de  l'appropriation  illégale 
qu'il  a  faite  de  l'argent  public — de  prorogations  et  dis- 
solutions violentes  du  parlement  provincial — et  des  obs- 
tacles qu'il  a  mis  à  la  passation  de  plusieurs  actes  utiles, 
dont  ils  font  l'énumération. 

Ils  se  plaignent  aussi  de  ce  qu'un  receveur-général 
a  été  maintenu  dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  pen- 
dant plusieurs  années  après  que  son  insolvabilité 
avait  été  connu  au  gouvernement.  Qu'il  avait  existé 
de  semblables  abus  à  l'égard  de  la  charge  du  shérif, 
et  il  est  de  plus  avancé  que  les  droits  des  pétition- 
naires ont  été  injuriés  (2)  par  quelques  actes  du  parle- 

(1) — Québec:  réimprimé  par  ordre  de  la  Chambre  d'As- 
semblée du  Bas-Canada,  chez  Neilson  et  Cowan,  1828. 

(2)  Signalons,  une  fois  en  passant,  la  fâcheuse  incorrection 
de  cette  traduction.  Ici  on  met  "injuriés"  pour  "lésés". 
Nos   lecteurs  ont  dû  remarquer  que  toutes  les  citations  de 


284  COURS  d'histoire  du  canada 

ment  impérial,  surtout  par  l'acte  de  commerce  du 
Canada  et  l'acte  passe  dans  la  sixième  année  du  règne 
de  Sa  Majesté,  chap.  59,  qui  affecte  la  tenuredes  terres. 

Pour  plus  amples  connaissances  des  griefs  dont  on 
se  plaint,  votre  comité  prend  la  liberté  de  renvoyer 
aux  pétitions  qui  se  trouvent  dans  l'Appendice. 

Avant  que  votre  comité  en  vienne  à  expliquer  ou 
discuter  ces  sujets  importants,  il  croit  devoir  dire  que 
les  pétitions  du  Haut-Canada  furent  aussi  référées  à 
sa  considération.  Ces  pétitions  demandent,  que  les 
produits  de  la  vente  de  certaines  terres,  réservées 
pour  un  clergé  protestant,  ne  soient  pas  appliquées 
à  l'usage  exclusif  du  clergé  de  l'église  d'Angleterre, 
(dont  les  membres  répandus  par  toute  la  province 
seraient,  en  contradiction  aux  représentations  de  l'ar- 
chidiacre Strachan,  en  bien  petit  nombre  comparati- 
vement aux  autres  églises,)  mais  qu'ils  soient  appli- 
qués au  maintien  du  clergé  protestant  d'autres  dénomi- 
nations, et  à  l'éducation  générale. 

Comme  ces  pétitions  paraissent  comprendre  les 
principaux  sujets  de  l'agitation  récente  des  provinces 
du  Haut  et  du  Bas-Canada,  votre  comité  a  cru  que 
la  meilleure  marche  qu'il  avait  à  suivre  était  d'examiner 
des  témoins  à  l'égard  de  chaque  pétition  successivement, 
et  en  communiquant  à  la  chambre  les  informations 
qu'il  a  recueillies,  et  les  opinions  qu'il  a  été  induit  à 
former,  à  l'égard  du  gouvernement  civil  du  Canada, 
il  traitera  les  différents  sujets,  autant  que  possible, 
dans  l'ordre  qu'il  les  a  examinés. 

Votre  comité  a  examiné  le  système  particulier  de  loi 
établi  dans  le  Bas-Canada,  et  sur  lequel  la  pétition 
des  Townships  a  particulièrement  porté  son  attention. 
Votre  comité  est  entré  dans  un  examen  très  détaillé 
sur  ce  sujet,  et  il  en  est  venu  à  trouver  qu'il  existe  de- 
puis longtemps  de  l'incertitude  sur  des  points  de  loi 
relatifs  à  la  tenure  de  la  propriété  foncière  en  cette 
partie  de  la  province.     Il  paraît  que  peu  de  temps  après 

textes  traduits  de  l'anglais  en  français  laissent  beaucoup  à 
désirer.  Nous  avons  dû  les  reproduire  tels  qu'on  les  trouve 
dans  les  documents  officiels. 


COURS  d'histoire  du  canada  285 

la  cession  de  la  province,  le  roi  d'Angleterre,  dans  une 
proclamation  en  date  du  7  octobre  1763,  (qui  se  trouve 
dans  l'Appendice),  déclara  entre  autres  choses,  "que 
tous  les  habitans  de  la  province  et  tous  ceux  qui  iraient 
s'y  établir,  pouvaient  se  reposer  sur  la  protection  royale 
pour  la  jouissance  des  avantages  des  lois  d'Angleterre," 
et  il  annonça  qu'il  avait  donné  des  ordres  pour  l'érec- 
tion de  cours  de  judicature,  avec  appel  à  Sa  Majesté 
en  conseil. 

En  l'année  1774,  fut  passé  le  premier  acte  du  par- 
lement, pour  pourvoir  au  meilleur  gouvernement  de 
cette  partie  des  possessions  britanniques.  Cet  acte 
conserva  la  loi  criminelle  d'Angleterre.  Mais  il  fut 
statué,  que  dans  toutes  les  matières  relatives  à  la  pro- 
priété et  aux  droits  civils,  on  recourrait  aux  lois  du 
Canada,  comme  règle  de  décision  à  l'égard  d'iceux, 
et  que  toutes  les  causes  qui  seraient  instituées  dans 
aucune  cour  de  justice  à  être  établie  en  la  province 
seraient,  à  l'égard  de  la  propriété  et  de  ces  droits,  déter- 
minées conformément  aux  dites  lois  et  coutume  du 
Canada.  II  y  a  cependant  une  exception  à  cette 
concession  des  lois  françaises,  c'est  "qu'elles  n'auraient 
pas  d'application  aux  terres  qui  avaient  été,  ou  qui 
seraient  depuis  concédées  en  franc  et  commun  soccage". 

Après  un  intervalle  de  dix-sept  ans,  cet  acte  fut 
suivi  de  l'acte  constitutionnel  de  1791.  Les  disposi- 
tions de  cetacteimportantnetouchentausujetsouscon- 
sidération  qu'en  ce  qu'il  pourvoit,  à  l'égard  du  Bas- 
Canada,  à  ce  qu'on  concédera  des  terres  en  franc  et  com- 
mun soccage,  si  on  le  désire.  Et  de  plus,  que  telles 
concessions  seraient  sujettes  aux  changements  que, 
d'après  la  nature  et  les  conséquences  de  la  tenure 
soccagère,  pourra  faire  la  législature  provinciale,  avec 
l'approbation  et  le  consentement  de  Sa  Majesté;  mais 
on  n'a  fait  aucun  de  ces  changements. 

Après  avoir  examiné  la  manière  dont  on  a  appliqué 
ces  dispositions  législatives  dans  la  province,  il  paraît 
qu'il  a  existé  non-seulement  des  doutes  sur  la  vraie 
manière  de  les  interpréter — mais  qu'il  a  été  de  pratique 
générale  dans  la  colonie  de  transporter  la  propriété  ré- 


286  COURS  d'histoire  du  canada 

elle  dans  les  townships  d'après  les  formes  canadiennes; 
et  qu'elle  a  descendu  aux  héritiers  selon  cette  loi,  dont 
elle  a  subi  tous  les  incidents.  En  1826,  le  parlement 
britannique  passa  un  acte  qui  mettait  sa  propre  inter- 
prétation de  ces  statuts  hors  de  dispute.  Cet  acte, 
communément  appelé  l'acte  de  tenure  du  Canada, 
déclara  que  la  loi  anglaise  était  la  règle  par  laquelle 
on  devait  ci-après  régler  et  administrer  la  propriété 
réelle  dans  les  townships.  En  offrant  aucunes  recom- 
mandations sur  des  points  si  difficiles  et  si  importants, 
votre  comité  connaît  pleinement  sa  position  désavan- 
tageuse et  l'incapacité  où  il  se  trouve,  par  le  manque 
d'informations  techniques  et  locales  suffisantes,  pour 
entrer  avec  succès  dans  tous  les  détails  cempliqués  du 
sujet  en  question.  Cela  ne  l'empêchera  pas  cependant 
d'offrir,  comme  son  opinion,  qu'il  serait  avantageux  de 
retenir  les  dispositions  déclaratoires  des  actesde  tenures 
à  l'égard  des  terres  tenues  en  franc  et  commun  socca- 
ge;  que  les  hypothèques  soient  spéciales  et  que  dans  le 
mode  de  transport  des  terres,  on  adopte  les  formalités  les 
plus  simples  et  les  moins  dispendieuses,  d'après  les 
principes  de  la  loi  d'Angleterre;  le  mode  existant  dans 
le  Haut-Canada,  étant  probablement  sous  tous  les 
rapports,  le  meilleur  qu'on  pût  choisir;  qu'on  établisse 
comme  dans  le  Haut-Canada,  l'enregistrement  des 
contrats  relatifs  aux  terres    soccagères. 

Votre  comité  est  de  plus  d'opinion  qu'il  faudrait 
trouver  des  moyens  pour  mettre  en  opération  effective 
la  clause  de  l'acte  de  tenure  qui  pourvoit  au  changement 
de  tenure;  et  il  n'a  aucun  doute  de  l'inexpédience  de 
retenir  les  droits  seigneuriaux  de  la  couronne,  dans  la 
vue  d'en  retirer  du  profit.  Ce  serait  un  petit  sacri- 
fice de  la  part  de  la  couronne,  et  qui  ne  pourrait  souf- 
frir comparaison  avec  l'avantage  qui  résulterait  à  la 
colonie  d'une  pareille  concession. 

En  addition  à  ce  qui  précède,  il  paraît  à  désirer 
d'étal)lir  une  juridiction  compétente  pour  entendre 
et  décider  les  causes  qui  s'élèveront  sur  cette  espèce 
de  propriété;  et  de  former  dans  les  townships  des  cours 
de  circuit  pour  les  mêmes  objets. 


COURS    d'histoire    du    CANADA  287 

Le  comité  ne  peut  trop  fortement  exprimer  l'opinion 
où  il  est  que  les  Canadiens  d'extraction  française  ne 
soient,  le  moins  du  monde,  troublé  dans  la  jouissance 
paisible  de  leur  religion,  de  leurs  lois  et  privilèges,  tels 
qu'ils  sont  garantis  par  les  actes  du  parlement  britan- 
nique, et  bien  loin  d'exiger  d'eux  qu'ils  tiennent  leurs 
terres  d'après  la  tenure  anglaise,  il  est  d'avis  que  lorsque 
les  terres  en  seigneurerie  seront  occupées,  si  les  des- 
cendants des  premiers  colons  préfèrent  encore  la  tenure 
en  fief  et  seigneurie,  il  ne  voit  aucune  objection  à  ce  . 
qu'on  leur  accorde,  en  cette  dernière  tenure,  d'autres 
portions  de  terres  inhabitées  dans  la  province,  pourvu 
que  ces  terres  soient  séparées  des  townships,  et  n'y 
soient   pas   enclavées. 

Votre  comité  désire  en  venir  maintenant  au  système 
représentatif  du  Bas-Canada,  et  à  l'égard  de  cette  bran- 
che de  son  enquête,  tous  les  partis  semblent  convenir 
de  la  nécessité  de  quelques  changements.  Il  désire 
faire  ressouvenir  cette  chambre  que  par  les  dispositions 
de  l'acte  de  1791,  la  division  de  la  province  pour  faciliter 
l'exercise  de  la  franchise  élective  fut  laissée  au  gouver- 
neur; et  il  paraît  que  sir  A.  Clarke  régla  la  représenta- 
tion sur  la  population,  comme  la  seule  base  de  ses 
calculs,  et  forma  un  comté  de  toute  portion  de  terre 
qui  offrait  un  nombre  donné  d'habitants.  Sur  le  lit- 
toral du  Saint-Laurent  chargé  d'une  population  dense, 
une  petite  étendue  de  terrain  suffisait  pour  un  comté, 
tandis  que  dans  les  parties  plus  éloignées  il  fallait 
une  vaste  étendue  de  territoire,  pour  obtenir  la  popu- 
lation requise.  De  cette  manière  il  est  arrivé  que 
les  comtés  de  Kent,  Surre\^,  Montréal,  Leinster  et  War- 
wick,  ne  forment  pas  réunis  la  même  étendue  de  ter- 
rain que  le  seul  comté  de  Buckinghamshire.  De  plus 
le  petits  comtés  consistent  entièrement  en  terres  tenues 
en  seigneurie. 

L'assemblée  avait  passé  un  bill,  dont  l'objet  était 
d'augmenter  en  nombre  l'assemblée  représentative. — 
Ce  bill  ne  fut  pas  passé  en  loi,  et  il  paraît  avoir  été 
basé  sur  le  même  principe,  et  renfermait  la  même 
erreur    que    l'arrangement    originaire    de    sir    Alured 

19 


288  COURS  d'histoire  du  canada 

Clarkc.  Il  a  été  déposé  par  un  des  témoins  que  la 
division  proposée  aurait  donné  une  augmentation 
disproportionnée  aux  représentans  des  seigneuries. 

En  formant  un  système  représentatif  pour  les  habi- 
tants d'un  pays,  qui  embrasse  graduellement  dans  ses 
limites  des  territoires  nouvellement  habités  et  étendus, 
11  doit  nécessairement  résulter  de  grandes  imperfec- 
tions, si  l'on  prend  d'abord  la  population  comme  base 
unique.  Dans  le  Haut-Canada  on  a  élevé  un  système 
représentatif  sur  les  bases  combinées  du  territoire  et 
de  la  population — nous  pensons  qu'on  pourrait  adopter 
ce  principe  avec  avantage  dans  le  Bas-Canada. 

Un  des  obstacles  qu'on  donne  pour  arrêter  grande- 
ment l'avancement  du  pays,  c'est  la  pratique  qui  a 
prévalu  de  concéder  de  grandes  étendues  de  terre  à 
des  individus  qui  tenaient  des  situations  ofFicielIes 
dans  la  colonie,  et  qui  se  sont  soustraits  aux  conditions 
de  l'octroi,  qui  les  obligeaient  de  pourvoir  à  la  culture 
des  terres;  conditions  jusqu'à  présent  tout-à-fait  négli- 
gées, malgré  le  pouvoir  de  confiscation  en  ce  cas  dont 
a  été  récemment  revêtu  le  gouvernement;  et  tout  en 
croyant  qu'on  pourrait,  avec  certaines  modifications, 
faire  un  usage  avantageux  de  ce  pouvoir,  nous  sommes 
néanmoins  d'avis  qu'on  devrait  adopter  un  système 
semblable  à  celui  qu'on  suit  dans  le  Haut-Canada,  et  qui 
consiste  à  prélever  annuellement  un  droit  léger  sur 
toutes  les  terres  non  améliorées  ni  habitées,  en  contra- 
vention aux  conditions  de  l'octroi. 

Il  est  maintenant  du  devoir  de  votre  comité  d'en 
venir  aux  pétitions  signées  par  les  habitans  des  sei- 
gneuries, et  aux  objets  Importans  qu'elles  renferment. 
Il  a  cru  à  propos  d'entendre  M.  Nellson,  M.  Vlger  et 
M.  Cuvillier,  membres  de  l'assemblée  du  Bas-Canada, 
qui  avalent  été  envoyés  en  ce  pays  pour  chercher  le 
remède  aux  maux  dont  se  plaignaient  les  pétition- 
naires. 

Par  le  témoignages  de  ces  Messieurs,  nous  avons 
appris  avec  le  plus  profond  regret  que  les  disputes 
qui  s'étaient  élevées  entre  le  gouvernement  et  la 
chambre    d'assemblée,    originant,    à    ce    qu'il    parait, 


COURS  d'histoire  du  canada  289 

de  doutes  sur  le  droit  d'appropriation  et  la  reddition 
des  comptes  d'une  portion  considérable  des  revenus 
publics,  ont  conduit  l'administration  des  affaires  pu- 
bl  ques  en  cette  colonie  à  un  état  de  confusion  et  de 
dilFiculté  qui  demande  un  remède  prompt  et  décisif. 

Dans  la  vue  de  se  mettre  complètement  au  fait  des 
points  de  cette  dispute,  votre  comité  a  soigneusement 
examiné  les  différentes  sources  du  revenu  prélevé 
dans  le  Bas-Canada,  et  il  a  examiné  aussi  les  documents 
publics,  ce  qui  l'a  mis  en  état  de  découvrir  les  procédés 
successifs  adoptés  par  les  parties  contendantes  dans 
le  cours  de  ces  disputes.  Votre  comité  prend  la  liberté 
de  référer  aux  témoignages  de  M.  Neilson  et  de  M. 
Wilmot  Horton,  pour  l'état  détaillé  de  l'origine  et 
des  progrès  de  ces  difficultés. 

Sur  cet  important  sujet,  votre  comité  a  senti  qu'il 
ne  serait  pas  sage  de  borner  sa  vue  à  l'examen  critique 
du  sens  précis  que  comportent  les  paroles  des  différents 
statuts- — il  jette  plutôt  les  yeux  sur  les  circonstances  où 
se  trouve  le  Bas-Canada— sur  l'esprit  de  la  constitu- 
tion—  sur  la  position  et  la  nature  du  gouvernement 
local —  et  sur  les  pouvoirs,  les  privilèges  et  les  devoirs 
des  deux  branches  de  la  législature. 

Bien  que  d'après  l'opinion  donnée  par  les  officiers 
de  la  couronne,  votre  comité  doive  conclure  que  le 
droit  légal  d'approprier  les  revenus  provenant  de  l'acte 
1774  appartient  à  la  couronne,  il  est  préparé  à  dire 
que  les  vrais  intérêts  des  provinces  seraient  mieux  con- 
sultés, en  plaçant  la  recette  et  la  dépense  de  tout  le 
revenu  public  sous  la  surveillance  et  le  contrôle  de  la 
chambre. 

D'un  autre  côté,  tout  en  recommandant  cette  con- 
cession de  la  part  de  la  couronne,  votre  comité  est  for- 
tement convaincu  de  l'avantage  de  rendre  le  gouver- 
neur, les  membres  du  conseil  exécutif  et  les  juges, 
indépendants  des  votes  annuels  de  la  chambre  d'as- 
semblée,    pour    leurs    salaires     respectifs. 

Votre  comité  n'ignore  pas  les  objections  qu'on  peut 
raisonnablement  faire,  en  principe,  contre  la  pratique 
de  voter  des  salaires  permanents  à  des  juges  amovibles 


2t)0  COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 

au  bon  plaisir  de  la  couronne;  mais  convaincu  qu'il 
serait  inexpédient  que  la  couronne  fut  dépouillée  de 
ce  pouvoir  de  destitution,  et  ayant  bien  considéré 
l'inconvénient  public  qui  pourrait  résulter  de  les 
laisser  dans  la  dépendance  d'un  vote  annuel  de  l'assem- 
blée, il  s'est  décidé  à  recommander  en  leur  faveur  un 
vote  permanent. 

Quoique  votre  comité  connaisse  qu'on  ait  recomman- 
dé l'octroi  de  salaires  permanents  à  un  nombre  de  per- 
sonnes, liées  au  gouvernement  exécutif,  plus  considé- 
rable que  celuiqu'il  a  renfermé  dans  sa  recommandation, 
il  n'hésite  pas  d'avancer  qu'il  n'est  pas  nécessaire 
d'en  comprendre  un  si  grand  nombre,  et  si  les  officiers 
ci-dessus  énumérés  sont  placés  sur  le  pied  recomman- 
dé, il  est  d'opinion  que  tous  les  revenus  de  la  province, 
(les  revenus  territoriaux  et  héréditaires  exceptés,) 
soient  mis  sous  le  contrôle  et  à  la  disposition  de  l'As- 
semblée législative. 

Votre  comité  ne  peut  terminer  ses  observations  sur 
cette  branche  de  son  enquête,  sans  appeler  l'atten- 
tion de  la  chambre  à  la  circonstance  importante  que, 
dans  le  progrès  de  ces  disputes,  le  gouvernement  local 
a  cru  nécessaire,  pendant  un  bon  nombre  d'années, 
d'avoir  recours  à  une  mesure  que  la  plus  absolue  né- 
cessité pouvait  seule  justifier,  savoir  l'appropriation 
annuelle,  faite  de  son  autorité  privée,  de  sommes  con- 
sidérables de  deniers  de  la  province  se  montant  à  une 
somme  de  pas  moins  de  £140,000  sans  le  consente- 
ment des  représentans  du  peuple,  sous  le  contrôle 
desquels  la  constitution  a  placé  l'appropriation  de 
cet  argent. 

Votre  comité  ne  peut  s'empêcher  de  regretter  for- 
tement, que,  dans  une  colonie  anglaise,  on  ait  laissé 
subsister  un  tel  état  de  choses,  pendant  un  si  grand 
nombre  d'années,  sans  faire  au  parlement  aucune 
communication  à  ce  sujet. 

Votre  comité  a  entendu  des  témoins  sur  tous  les 
différents  points  des  objets  de  sa  référence,  et  relatifs 
à  l'office  du  receveur  général,  des  shérifs,  et  aux  biens 
des  jésuites.     Les  faits  de  l'affaire  du  receveur  général 


COURS  d'histoire  du  canada  291 

M.  Caldwell,  sont  détaillés  dans  le  témoignage  de  M. 
Neilson.— M.  Caldwell  a  failli  en  1823  pour  £96,000 
de  l'argent  public  de  la  province. — D'après  notre  exa- 
men des  comptes  de  l'assemblée,  on  n'a  pu  trouver  de 
décharge  du  trésor  plus  récente  que  1814 — quoiqu'il 
soit  établi  quelques  balances  jusqu'en  1819,  et  il 
appert  par  des  documents  alors  produits  que  son 
insolvabilité  avait  été  connu  longtemps  avant  sa 
suspension. 

Votre  comité  recommande  pour  l'avenir  de  prendre 
des  mesures,  par  des  cautionnemens  suffisants  et  une 
audition  régulière  des  comptes,  pour  prévenir  le  retour 
de  semblables  pertes  et  difficultés  en  la  province. 

A  cause  de  la  liaison  de  cet  objet  avec  cette  branche 
de  l'enquête,  votre  comité  recommande  de  prendre 
les  mêmes  précautions  à  l'égard  des  shérifs,  vu  qu'il 
paraît  qu'en  peu  d'années  il  y  a  eu  deux  exemples  de 
l'insolvabilité  de  ces  officiers,  pendant  qu'en  vertu  de 
leur  charge  ils  avaient  en  main  des  sommes  d'argent 
considérables. 

A  l'égard  des  biens  appartenant  ci-devant  aux 
jésuites  votre  comité  regrette  de  n'avoir  pas  plus  de 
renseignements,  mais  il  parait  à  désirer  que  les  reve- 
nus en  soient  appliquées  à  l'éducation  générale. 

L'un  des  plus  importans  sujets  de  son  enquête  a  été 
l'état  des  conseils  législatifs  des  deux  Canadas,  et  la 
manière  dont  ces  corps  ont  répondu  aux  fins  de  leur 
institution.  Votre  comité  recommande  fortement  de 
donner  à  ces  corps  un  caractère  plus  indépendant; 
que  la  majorité  de  leurs  membres  ne  soit  pas  composée 
de  personnes  en  places  sous  le  bon  plaisir  de  l'exécutif; 
et  il  est  d'avis  que  toutes  autres  mesures,  qui  tendront 
à  lier  d'intérêt  avec  les  colonies  cette  branche  de  la 
constitution,  seront  suivies  des  plus  heureux  résultats. 
— Quant  aux  juges,  à  en  excepter  le  juge  en  chef  seul, 
dont  la  présence  peut  être  nécessaire  en  certaines 
occasions,  votre  comité  est  décidément  d'opinion  qu'il 
leur  aurait  mieux  valu  de  ne  s'être  pas  immiscés  dans 
les  affaires  de  la  chambre.     Sous  les  mêmes  rapports, 


292  COURS  d'histoire  du  canada 

il  parait  à  votre  comité  qu'il  n'est  pas  à  désirer  que 
les  juges  siègent  dans  le  conseil  executif. 

Votre  comité  désire  graver  dans  la  mémoire  le  prin- 
cipe qui,  selon  son  avis,  doit  être  appliqué  à  tous  les 
changemens  à  faire  dans  la  constitution  des  Canadas, 
qui  leur  a  été  accordée  par  un  acte  formel  de  la  légis- 
lature de  1791.  Ce  principe  est  de  Jîorner,  autant  que 
possible,  les  altérations  qu'il  serait  désirable  de  faire  par 
aucun  acte  britannique  subséquemment,  aux  points 
qui,  d'après  les  relations  qui  existent  entre  la  Mère- 
Patrie  et  les  Canadas,  ne  peuvent  être  ajustés  que  par 
l'autorité  souveraine  de  la  législature  britannique; 
et  il  est  d'opinion  que  tous  les  autres  changements 
soient  opérés,  s'il  est  possible,  par  les  législatures 
locales  elles-mêmes,  et  en  s'entendant  amicalement  avec 
le    gouvernement    local. 

Votre  comité  a  entendu  sur  la  grande  question  de 
l'union  des  deux  Canadas  une  longue  suite  de  témoi- 
gnages, auxquels  il  désire  appeler  l'attention  de  la  cham- 
bre. Vu  la  disposition  générale  des  esprits  qui  paraît 
prévaloir  dans  ces  colonies  à  l'égard  de  cette  question 
inportante,  votre  comité,  sous  les  circonstances  pré- 
sentes, n'est  pas  préparé  à  recommander  cette  mesure. 

Votre  comité  croit  néanmoins  à  désirer  qu'il  soit 
fait  entre  les  deux  Canadas  quelque  arrangement  satis- 
faisant, et  s'il  est  possible  d'une  nature  permanente, 
a  l'égard  de  l'imposition  et  du  partage  des  droits  pré- 
levés dans  le  Saint-Laurent.  II  espère  cependant 
que  lorsque  sera  apaisée  l'irritation  qui  existe  mal- 
heureusement, un  pareil  arrangement  pourra  se  faire 
à  l'amiable. 

II  nous  reste  maintenant  à  mettre  devant  la  chambre 
le  résultat  de  nos  recherches  sur  les  réserves  du  clergé, 
qui  paraissaient  être,  d'après  les  allégués  des  pétition- 
naires du  Haut-Canada,  la  cause  de  beaucoup  d'anxiété 
et  de  mécontentement  en  cette  province. 

Par  l'acte  de  1791,  le  gouverneur  reçoit  ordre  de  faire 

d'entre  les  terres  de  la  couronne  dans  les  dites  provinces, 

l'assignation  et  appropriation  de  terres  pour  supporter 

et  maintenir  un  clergé  protestant  en  icelles,  en  propor- 


COURS  d'histoire  du   canada  293 

tion  convenable  avec  la  quantité  de  terre  en  icelles, 
qui  en  aucun  temps  ont  été  concédées  par  ou  sous 
l'autorité  de  Sa  Majesté.  Et  il  est  de  plus  pourv'u. 
que  telles  terres  ainsi  assignées  et  appropriées  seront, 
autant  que  la  circonstance  et  la  nature  du  cas  pourront 
le  permettre,  de  la  même  qualité  que  les  terres  à  l'égard 
desquelles  elles  sont  ainsi  assignées  et  appropriées,  et 
seront,  autantque  les  dites  terres  pourront  être  estimées, 
lors  de  la  concession  de  telles  terres,  égales  en  valeur  à 
un  septième  des  terres  ainsi  concédées. 

Les  instructions  ainsi  données  ont  été  strictement 
mises  à  effet  de  bonne  heure,  et  le  résultat  en  est  que 
les  proportions  séparées  de  terre  ainsi  réservées  sont 
éparses  sur  toutes  les  parties  déjà  concédées. 

Les  auteurs  de  cet  acte  espéraient  sans  doute  que, 
les  autres  parties  de  termes  concédées  étant  cultivées  et 
en  train  d'amélioration,  les  parties  réservées  produi- 
raient un  revenu,  et  que  des  profits  ainsi  réalisés  on 
pourrait  former  un  fonds  considérable  pour  le  main- 
tien d'un  clergé  protestant.  Cette  attente  cependant 
n'a  pas  encore  été  ni  ne  paraît  pas  devoir  être  réalisée  de 
sitôt;  car  à  en  juger  par  les  renseignements  que  le  co- 
mité a  pu  se  procurer  sur  le  sujet,  il  ne  doute  nullement 
que  ces  terres  réservées,  dispersées  telles  qu'elles  sont 
maintenant  sur  la  face  du  pays,  retardent  plus  que  toute 
autre  circonstance  l'avancement  de  la  colonie,  situées 
comme  elles  sont  en  positions  séparées  en  chaque  town- 
ship,  et  placées  entre  les  habitations  actuelles  dont  les 
habitans  n'ont  aucun  moyen  d'ouvrir  des  chemins  à 
travers  les  bois  et  les  marais,  qui  les  séparent  de  cette 
manière  de  leurs  voisins;  la  réserve  de  ces  portions  de 
terres  désertes  a  dans  le  fait  beaucoup  plus  diminué 
la  valeur  des  six  parties  concédées  à  ces  colons,  que 
l'amélioration  des  terres  défrichées  n'a  augmenté  la 
valeur  des  réserves;  cela  devient  frappant  par  les  résul- 
tats des  tentatives  qu'on  a  faites  pour  disposer  de  ces 
terres.  II  s'est  formé  dans  la  province  une  corporation 
composée  du  clergé  de  l'église  d'Angleterre,  qui  a  été 
autorisée  à  concéder  ces  terres  pour  un  terme  n'excé- 
dant  pas   21    ans.     Il    parait   que,   dans   la   province 


294  COURS  d'histoire  du  canada 

inférieure  seulement,  la  qualité  totale  des  réserves 
du  clergé  est  de  488,594  acres,  dont  75,639  acres  sont 
concédés  à  bail,  dont  les  conditions  sont  qu'on  payera 
annuellement  pour  chaque  lot  de  200  acres,  8  minots 
de  blé  ou  25s.,  pour  les  7  premières  années,  16  minots  ou 
50s.,  annuellement  pendant  les  7  années  suivantes, 
et  24  minots  ou  75s.,  annuellement  pendant  les  7  der- 
nières années.  Sous  ces  circonstances,  la  rente  nomi- 
nale des  réserves  du  clergé  est  de  £930  par  an;  la  re- 
cette actuelle  des  trois  années  n'a  été  que  de  £50  par 
an.  La  grande  différence  qui  se  trouve  entre  la  re- 
cette nominale  et  réelle  vient  de  la  grande  difficulté 
qu'il  y  à  a  recueillir  les  rentes,  et  aux  tenanciers  qui  se 
cachent.  Nous  sommes  aussi  informés  que  les  ecclé- 
siastiques résidents  agissent  comme  agents  locaux  pour 
la  levée  des  rentes;  qu'une  somme  de  £175  avait  été 
déduite  pour  les  dépenses  de  la  levée  des  rentes;  et 
qu'à  la  date  de  la  dernière  communication  à  ce  sujet 
il  restait  £250  entre  les  mains  du  receveur-général^ — ■ 
étant  le  produit  entier  de  tout  le  revenu  de  488,594 
acres  de  terre. 

On  a  fait  la  tentative  de  disposer  de  ces  biens  par 
vente.  La  compagnie  du  Canada  établie  par  la  6, 
Geo.  IV,  chap.  75,  était  convenue  d'acheter  une  grande 
partie  de  ces  réserves  à  un  prix  à  être  fixé  par  des  com- 
missaires; 3s.  6d.  l'acre  fut  le  prix  de  l'estimation,  et 
à  ce  prix  l'église  refusa  de  disposer  de  ces  terres. 

C'est  pourquoi  le  gouvernement  est  entré  en  arran- 
gement avec  la  compagnie,  et  il  a  été  depuis  passé  un 
acte  autorisant  la  vente  de  ces  terres  à  aucune  per- 
sonne qui  désirerait  en  acheter,  pourvu  que  la  quantité 
vendue  n'excède  pas  100,000  acres  chaque  année. 

Votre  comité  ne  doute  nullement  que  la  réserve  de 
ces  terres  en  main-morte  ne  soit  un  obstacle  sérieux  à 
l'avancement  de  la  colonie;  il  pense  qu'on  devrait  faire 
tous  les  efforts  possibles  pour  les  mettre  entre  les  mains 
des  personnes  qui  y  rempliront  les  obligations  du  défri- 
cliement,  et  qui  les  mettront  généralement  en  culture. 

Il  ne  peut  y  avoir  de  doute  que  la  valeur,  quelle  qu'elle 
soit,   doit  être   appliquée  au  maintien  d'un  clergé  pro- 


1 


COURS  d'histoire  du  canada  295 

testant.  Et  votre  comité  regrette  de  voir  que  pour  la 
présente  génération  et  même  pour  celle  qui  suit,  il  n'y 
ait  pas  lieu  d'espérer  que  les  produits  en  suffiront  pour 
cet  objet,  dans  un  pays  où  la  terre  inculte  est  concédée 
en  Jee  pour  presque  rien,  aux  personnes  qui  désirent 
s'y  établir — on  doit  espérer  difficilement,  à  l'exception 
de  quelques  lots  avantageux,  de  trouver  des  tenanciers 
responsables  qui  voudront  les  prendre  à  bail  et  qu'on 
trouvera  à  vendre  ces  terres  pour  plus  qu'un  prix  no- 
minal. 

Votre  comité  cependant  voit  avec  plaisir  que  le 
principe  de  la  vente  progressive  de  ces  terres  a  été 
sanctionné  par  un  acte  du  parlement  impérial.  II 
ne  peut  s'empêcher  de  recommander  dans  les  termes 
les  plus  forts,  la  convenance  et  l'utilité  de  pourvoir  par 
la  suite  aux  besoins  nécessaires  de  la  religion  en  ces 
provinces,  par  d'autres  moyens  que  par  la  réserve 
d'un  septième  des  terres,  selon  les  dispositions  de 
l'acte  de  1791.  II  observera  aussi  que  les  mêmes  objec- 
tions s'élèvent  contre  la  réserve  du  septième  qui  en 
pratique  paraît  avoir  été  réservé  pour  l'avantage  de  la 
couronne,  et  sans  doute  il  doit  arriver  un  teinps  où 
ces  terres  réservées  auront  acquis  une  valeur  considé- 
rable, par  la  culture  des  terres  environnantes —  mais 
cette  valeur  aura  été  acquise  aux  dépens  des  vrais  in- 
térêts de  la  province,  et  contribuera  à  retarder  le  cours 
de  l'amélioration  générale,  qui  est  la  vraie  source  de  la 
prospérité  nationale.  Votre  comité  est  donc  d'opinion 
que  le  gouvernement  ferait  bien  de  considérer  si  ces 
terres  ne  pourraient  pas  être  aliénées  permanement, 
sujettes  à  la  réserve  d'une  rente  modérée,  (soit  en  grain 
ou  en  argent,  selon  qu'on  le  demanderait),  qui  com- 
mencerait après  la  10e  ou  15e  année  d'occupation. 

II  n'est  pas  préparé  à  autre  chose  qu'à  offrir  cette 
suggestion,  sur  un  sujet  qui  lui  paraît  digne  d'une 
investigation  plus  soigneuse  qu'il  n'est  en  son  pouvoir 
de  donner;  mais  de  cette  manière  ou  d'une  autre,  il  est 
pleinement  persuadé  qu'on  doit  disposer  sans  délai  et 
permanemment  des  terres  ainsi  réservées.' 

II  paraît  qu'il  y  a  de  nombreux  prétendants  à  une 


290  COURS  d'histoire  du   canada 

propriété  si  vaste  et  si  improductive.  L'acte  de  1791 
ordonne  que  les  profits  provenant  de  cette  source,  seront 
appliqués  au  soutien  d'un  clergé  protestant,  et  il  s'est 
élevé  des  doutes  pour  savoir  si  l'acte  commande  au 
gouvernement  de  les  appliquer  exclusivement  à  l'usage 
de  l'église  d'Angleterre  seule,  ou  d'y  faire  participer 
l'église  d'Ecosse.  Les  officiers  en  loi  de  la  couronne 
ont  donné  leur  opinion  en  faveur  des  droits  de  l'église 
d'Ecosse  à  une  telle  participation,  ce  à  quoi  votre 
comité  concourt  entièrement  ;  mais  il  s'est  aussi  élevé 
la  question  de  savoir  si  le  clergé  de  toutes  les  dénomina- 
tions de  chrétiens,  les  catholiques  exceptés,  ne  pourrait 
pas  être  compris. 

II  n'appartient  pas  à  votre  comité  d'émettre  une 
opinion  sur  l'exactitude  que  comportent  légalement 
les  paroles  de  l'acte.  Il  ne  doute  pas  cependant  que 
l'intention  de  ceux  qui  amenèrent  la  mesure  devant  le 
parlement,  ne  fut  de  doter  le  clergé  de  l'église  d'Angle- 
terre de  presbytères  et  de  glèbes  y  attachées,  à  la  dis- 
crétion du  gouvernement  local; mais  à  l'égard  de  la 
distribution  du  produit  des  terres  réservées  généra- 
lement, il  est  d'opinion  de  laisser  au  gouvernement  le 
droit  d'appliquer  l'argent  au  profit  d'aucun  clergé 
protestant,  s'il  le  trouve  à  propos. 

Le  comité  n'a  pas  grande  raison  d'espérer  que  le 
revenuannuel  k  provenirdecettesource puisse  vraisem- 
blablement, à  aucune  époque  à  laquelle  il  jette  les  yeux, 
suffire  à  supporter  un  clergé  protestant  dans  ces  pro- 
vinces. Mais  il  se  hasarde  de  presser  la  considération 
du  sujet  de  la  part  du  gouvernement  de  Sa  Majesté, 
dans  la  vue  defixerd'une  manière  satisfaisante  pour  la 
province  le  principe  d'après  lequel  le  revenu  de  ces 
terres  doit  être  appliqué;  et  dans  l'application  juste 
et  prudente  de  ces  fonds,  le  gouvernement  sera  néces- 
sairement influencé  par  l'état  de  la  population,  sous 
le  rapport  des  opinions  religieuses,  au  temps  où  la 
décision  aura  lieu.  Pour  le  présent,  il  est  certain  que 
les  membres  de  l'église  d'Angleterre  forment  une  bien 
petite  minorité  dans  la  province  du  Haut-Canada.  De 
la  part  de  l'église  d'Ecosse,  il  a  été  fait  de  fortes  récla- 


COURS  d'histoire  du  canada  297 

mations  à  cause  de  son  établissement  dans  l'empire,  et 
vu  le  nombre  de  ses  adhérents  dans  la  province.  A  l'é- 
gard des  autres  sectes  religieuses,  le  comité  a  rencontré 
beaucoup  de  difficulté  à  s'assurer  exactement  de  la 
proportion  numérique  qu'elles  ont  les  unes  avec  les  autres  ; 
mais  les  témoignages  le  portent  à  croire  que  ni  l'église 
d'Angleterre,  ni  l'église  d'Ecosse  ne  forment  le  corps 
religieux  le  plus  nombreux  dans  la  province  du  Haut- 
Canada. 

L'attention  du  comité  ayant  été  appelée  sur  l'éta- 
blissement de  l'université  de  Kiyig's  Collège  à  York, 
clans  le  Haut-Canada,  il  a  cru  devoir  examiner  la  charte 
accordée  à  ce  collège.  Cette  charte  fut  accordée  sous 
le'grand  sceau,  et  il  est  à  observer  qu'elle  n'impose  pas 
aux  étudiants  l'obligation  de  souscrire  aux  39  articles, 
ce  qui  a  été  fait  à  l'égard  des  autres  collèges  de  l'Amé- 
rique Septentrionale.  Votre  comité  voit  qu'il  y 
est  pour^'u,  entre  autres  arrangements  pour  la  condvite 
et  le  gouvernement  de  cette  institution,  que  l'archi- 
diacre de  York,  pour  le  temps  d'alors,  sera  en  tout 
temps,  en  vertu  de  son  office,  président  du  dit  collège. 

II  est  de  plus  ordonné,  qu'il  y  aura  dans  le  dit  col- 
lège ou  corporation  un  conseil,  qui  sera  appelé  et 
connu  sous  le  nom  de  conseil  du  collège,  composé  du 
chancelier,  du  président  et  de  sept  professeurs  en 
arts  et  facultés  dans  le  dit  collège,  et  que  les  dits  tels 
professeurs  seront  membres  de  l'église  d'Angleterre  et 
d'Irlande,  et  avant  leur  admission,  souscriront  aux 
39  articles  de  la  religion.  Toute  la  conduite  du  col- 
lège est  confiée  à  ce  conseil.  Votre  Comité  est  le 
plus  fortement  persuadé  de  l'avantage  qui  résulte- 
rait à  la  province  de  l'établissement  d'un  collège  des- 
tiné à  l'éducation  générale;  il  regrette  seulement  que 
cette  institution  soit  constituée  de  manière  à  borner 
considérablement  le  cercle  de  son  utilité. 

Votre  comité  pense  qu'il  n'est  pas  à  douter  que 
la  conduite  et  le  gouvernement  du  collège  devant  être 
confiés  à  des  membres  de  l'église  d'Angleterre,  on  ne 
montre  inévitablement  de  la  prédilection  pour  les  mem- 
bres de  cette  église  dans  le  choix  des  professeurs;  et 


298  COURS  d'histoire  du  canada 

dans  un  pays  où  une  partie  seulement  des  hal)itans 
adhèrent  à  cette  église,  cela  créera  nécessairement 
des  jalousies  et  des  soupçons  d'intervention  reli- 
gieuse. 

Pour  ces  raisons  et  d'autres  encore,  votre  comité 
désire  émettre  l'opinion  où  il  est  qu'il  résulterait  un 
grand  bien  à  la  province  d'un  changement  dans  la 
constitution  de  ce  corps. 

Il  pense  qu'on  devrait  nommer  deux  professeurs 
de  théologie,  dont  l'un  de  l'église  d'Angleterre  et 
l'autre  de  celle  d'Ecosse — (aux  leçons  de  qui  ceux 
qui  se  destineraient  aux  ordres  sacrés  seraient  obligés 
d'assister  respectivement) —  mais  qu'à  l'égard  du 
président,  des  professeurs,  et  des  autres  personnes 
liées  à  l'établissement,  on  ne  devrait  requérir  aucune 
profession  de  foi  quelconque. 

Que  dans  le  choix  des  professeurs  on  ne  devrait 
suivre  d'autre  règle,  n'avoir  d'autre  objet  en  vue, 
que  de  nommer  les  personnes  les  plus  éclairées,  et 
les  plus  sages,  et  qu'à  l'égard  de  la  religion  ils  signe- 
raient une  déclaration,  qu'en  autant  qu'il  serait  né- 
cessaire dans  le  cours  de  leurs  leçons  de  toucher  à  des 
sujets  religieux,  ils  reconnaîtraient  distinctement  la 
vérité  de  la  révélation  chrétienne,  mais  qu'ils  s'abs- 
tiendraient d'inculquer  aucunes  doctrines  particu- 
lières. 

Quoique  votre  comité  ait  disposé  maintenant  des 
objets  les  plus  importants  de  sa  référence,  il  sait 
qu'en  examinant  les  pétitions  et  les  témoignages,  on 
rencontrera  beaucoup  d'autres  matières  dignes  de 
considération. 

Le  comité  croit  aussi  nécessaire  d'observer  que  les 
renseignements  du  Haut-Canada  n'ont  pas  été  aussi 
amples  ni  aussi  satisfaisants  que  ceux  qu'il  a  eu  l'a- 
vantage de  recevoir  du  Bas-Canada. — Votre  comité 
cependant  désire  fixer  l'attention  du  gouvernement 
sur  l'acte  de  sédition,  (s'il  n'est  pas  encore  expiré,) 
dont  le  rappel  paraît  avoir  été  depuis  longtemps 
l'objet  des  efforts  de  la  Chambre  d'Assemblée  du 
Haut-Canada. 


COURS  d'histoire  du  canada  299 

Votre  comité  désire  aussi  appeler  l'attention  du 
gouvernement  sur  le  mode  dont  les  jurys  sont  compo- 
sés dans  les  Canadas,  dans  la  vue  de  remédier  aux 
défectuosités  qui  peuvent  exister  dans  le  système  ac- 
tuel. 

Votre  comité  regrette  que  l'époque  avancée  de  la 
session  où  il  a  été  nommé  ne  lui  ait  pas  permis  d'en- 
trer dans  les  détails  de  toutes  les  parties  des  sujets 
qui  lui  ont  été  référés.  Il  croit  aussi  que  si  les  Assem- 
blées législatives  et  le  gouvernement  exécutif  du 
Canada  peuvent  être  mis  sur  un  meilleur  pied,  on 
trouvera  dans  la  province  un  moyen  de  remédier  aux 
moindres  griefs.  Néanmoins  il  est  disposé  à  recomman- 
der d'accorder  la  demande  du  Bas-Canada  pour  la 
nomination  d'un  agent,  de  la  même  manière  que  sont 
nommés  les  agents  des  autres  colonies,  qui  ont  des 
législatures  locales  ;*et  que  le  même  avantage  soit 
étendu  au  Haut-Canada,  si  la  colonie  le  désire. 

Dès  le  commencement  de  son  investigation  votre 
comité  a  vu  que  son  attention  devait  être  dirigée 
sur  deux  branches  distinctes  d'enquête:  lo  Jusqu'à 
quel  degré  les  difficultés  et  les  mécontentements  qui 
existent  depuis  longtemps  dans  les  Canadas,  sont  dus 
aux  imperfections  du  système  de  lois  et  de  constitu- 
tions établies  en  ces  colonies;  2o  jusqu'à  quel  degré 
ces  maux  devaient-ils  être  attribués  à  la  manière 
dont  le  système  existant  était  administré. 

Votre  comité  a  clairement  émis  l'opinion  où  il  était 
qu'il  y  avait  dans  ce  système  des  défectuosités  sérieuses 
et  a  hasardé  de  suggérer  plusieurs  altérations,  qui  lui 
ont  paru  nécessaires  ou  convenables.  Il  admet  aussi 
pleinement,  que  d'après  ces  circonstances  et  beau- 
coup d'autres  le  gouvernement  de  ces  colonies,  sur- 
tout le  Bas-Canada,  n'a  pas  été  une  tâche  aisée; 
mais  il  sent  qu'il  est  de  son  devoir  de  dire  qu'il  est 
d'avis  que  c'est  à  la  seconde  des  causes  ci-haut  men- 
tionnées, que  sont  dues  en  grande  partie  ces  difficul- 
tés et  ces  mécontentements.  Il  désire  faire  bien  res- 
souvenir qu'il  est  complètement  convaincu  que  ni  les 
suggestions  qu'il  a  pris  sur  lui  de  faire,  ni  aucune  autre 


300  COURS  d'histoire  du  canada 

amélioration  dans  les  lois  et  les  constitutions  des  Ca- 
nadas ne  seront  suivies  de  l'effet  désiré,  à  moins 
qu'on  ne  suive  envers  ces  colonies  loyales  et  impor- 
tantes un  système  de  gouvernement  impérial,  conci- 
liatoire  et  constitutionnel. 


Votre  comité  avait  clos  son  enquête  et  reconsi- 
dérait son  rapport,  lorsqu'il  est  devenu  de  son  devoir 
d'entrer  dans  une  nouvelle  enquête  à  l'égard  d'une 
pétition  à  lui  référée  par  la  chambre,  et  signée  par  les 
agents,  qui  avaient  apporté  en  ce  pays  la  pétition  de 
87,000  habltans  du  Bas-Canada,  dont  il  a  été  fait 
mention  dans  une  partie  précédente  du  rapport. 

Cette  pétition  et  la  preuve  dont  elle  est  accompagnée 
contiennent  les  allégations  les  plus  graves  contre 
l'administration  de  lord  Dalhousie,  depuis  le  temps 
que  ces  Messieurs  sont  partis  de  la  colonie. 

Ces  plaintes  tombent  principalement  sur  la  desti- 
tution d'un  grand  nombre  d'officiers  de  milice,  à 
cause  de  l'exercice  constitutionnel  de  leurs  droits 
civils — sur  la  réorganisation  subite  et  étendue  de  la 
commission  de  la  paix  pour  servir  (comme  il  est  allé- 
gué) à  des  fins  politiques;  sur  le  système  vexatoire  de 
libelle,  à  l'instance  du  procureur-général —  et  sur  l'es- 
prit oppressif  et  inconstitutionnel  avec  lequel  ces 
poursuites  ont  été  conduites. 

Votre  comité  a  senti  jusqu'ici  qu'il  s'acquitterait 
mieux  et  plus  avantageusement  de  ses  devoirs,  en 
s'abstenant  de  commenter  sur  la  conduite  officielle 
des  individus;  mais  il  ne  peut  s'empêcher  d'appeler 
l'attention  sérieuse  et  immédiate  du  gouvernement  de 
Sa  Majesté  à  ces  plaintes  et  ces  allégués. 

Votre  comité  croit  devoir  insister  et  de  la  manière 
la  plus  pressante  auprès  du  gouvernement  de  Sa  Ma- 
jesté, sur  la  nécessité  qu'il  voit  de  faire  une  enquête 
stricte  et  prompte  sur  toutes  les  circonstances  qui  ont 
accompagné  ces  poursuites,  dans  la  vue  de  donner  à 
cet  égard  des  instructions  conforme  à  la  justice  et  à 
la   saine   politique. 


COURS  d'histoire  du  canada  301 

Votre  comité  apprend  avec  le  plus  vif  regret  qu'il 
s'est  récemment  élevé  dans  le  Haut-Canada,  entre 
le  gouvernement  local  et  l'assemblée  législative,  des 
disputes  qui  ont  amené  une  clôture  brusque  de  la 
session  de  la  législature  en  cette  colonie. 


III 

DÉPÊCHE    DE   LORD  GoDERICH    EN    DATE    DU   7  JUILLET 

1831,  SUR  LES  Griefs  de  la  Chambre 
d'Assemblée    du    Bas-Canada. (1) 


Downing    Street,    7  juillet    1831. 

MlLORD, 

J'ai  reçu  et  mis  devant  le  Roi  les  dépêches  de  votre 
Seigneurie  du  5,  6  et  7  avril  dernier.  Nos  24,  25  et  26. 

C'est  avec  une  vive  satisfaction  que  Sa  Majesté  a 
reçu  de  votre  Seigneurie  l'assurance  du  changement 
favorable  qui  s'était  opéré  dans  la  disposition  géné- 
rale de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada  vers 
la  fin  de  la  dernière  session,  et  le  rapport  que  vous 
faites  du  vif  attachement  que  le  peuple  entier  a  pour 
la  personne  et  le  gouvernement  de  Sa  Majesté. 

Il  a  aussi  gracieusement  plu  au  Roi  d'exprimer  son 
approbation  des  efforts  que  Votre  Seigneurie  a  faits 
pour  constater  avec  précision  toute  l'étendue  des  griefs 
dont  l'Assemblée  croit  avoir  droit  de  se  plaindre;  et 
supposant,  de  concert  avec  votre  Seigneurie,  que  l'a- 
dresse de  l'Assemblée  présente  l'entier  développe- 
ment de  ces  griefs,  l'exposé  qu'on  y  trouve  des  vues 
de  ce  corps   permet  de  faire  l'induction    satisfaisante 

(1) — Journal  de  la  Chambre  d'Assemblée  du  Bas-Canada, 
1831-32.  pp.  20  et  suivantes. 


302  COURS  d'histoire  du  canada 

qu'il  reste  à  peine  une  seule  question  sur  laquelle  les 
désirs  de  cette  branche  de  la  Législature  ne  soient 
pas  en  harmonie  avec  la  politique  que  Sa  Majesté  a 
été  avisée  de  suivre,  et  cela  me  donne  la  flatteuse 
espérance  de  l'ajustement  prompt  et  eflicace  de  ces 
difficultés  qui  ont  si  fort  embarrassé  les  ODcrations 
du    gouvernement    local. 

Rien  ne  peut  être  plus  agréable  au  Roi  que  de  se 
rendre  aux  désirs  raisonnables  du  corps  représenta- 
tif du  Bas-Canada,  et  lorsque  les  serviteurs  de  Sa 
Majesté  ont  la  satisfaction  de  sentir  que,  sur  quelques- 
uns  des  points  les  plus  importants  mentionnés  dans 
l'adresse  de  l'Assemblée,  ses  désirs  ont  été  antici- 
pés, ils  se  flattent  que  les  instructions  que  je  vais 
maintenant  vous  donner  feront  éclater  encore  da- 
vantage le  désir  ardent  qu'ils  ont  d'allier  à  l'exercice 
convenable  et  légitime  de  l'autorité  constitutionnel- 
le de  la  couronne,  une  vive  sollicitude  pour  le  bien- 
être  de  toutes  les  classes  de  ses  fidèles  sujets  en  cette 
province. 

Je  vais  procéder  à  passer  en  revue  les  divers  points 
contenus  dans  l'adresse  de  l'Assemblée  au  Roi. 

J'observerai  l'ordre  qu'elle  a  suivi,  et  pour  être 
plus  clair,  je  ferai  précéder  chaque  instruction  suc- 
cessive que  j'ai  ordre  de  Sa  Majesté  de  donner  à  vo- 
tre Seigneurie,  d'une  citation  de  l'exposé  que  la 
Chambre  d'Assemblée  elle-même  a  fait  sur  chaque 
point. 

Premièrement. — On  représente  que  les  progrès  de 
l'éducation  parmi  le  peuple,  à  la  faveur  de  l'encou- 
ragement accordé  par  des  actes  récents  de  la  Lé- 
gislature, ont  été  grandement  retardés  par  la  diver- 
sion des  Biens  des  Jésuites  destinés  dans  l'origine 
à  cette  fin. 

Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  ne  nie  pas  que 
les  Biens  des  Jésuites  n'aient  été,  à  la  dissolution  de 
cet  ordre,  appropriés  à  l'éducation  du  peuple,  et  j'ad- 
mets volontiers  que  les  revenus  qui  peuvent  provenir 
de  ces  biens  doivent  être  regardés  comme  inviolable- 
ment  et  exclusivement  applicables  à  cet  objet. 


I 


COURS  d'histoire  du  canada  303 

II  est  à  regretter  sans  doute  qu'aucune  partie  de 
ces  fonds  ait  jamais  été  appliquée  à  d'autres  fins,  et 
quoique  précédemment  les  prédécesseurs  de  votre 
Seigneurie  aient  eu  à  lutter  contre  des  difficultés 
qui  furent  la  cause  et  l'excuse  de  ce  mode  d'appro- 
priation, je  ne  me  sens  pas  maintenant  appelé  à  en- 
trer dans  la  considération  de  cette  partie  du  sujet. 

Si  cependant  je  puis  me  fier  aux  rapports  qui  ont 
été  faits  à  ce  départenent,  les  loyers  des  Biens  des  Jé- 
suites ont  été,  ces  années  dernières,  dévoués  exclusi- 
vement aux  fins  de  l'éducation,  et  ma  dépêche  en 
date  du  24  décembre  dernier,  marquée  "separate", 
indique  suffisamment  que  les  ministres  de  Sa  Majesté 
avaient  résolu  d'adhérer  strictement  à  ce  principe 
plusieurs  mois  avant  l'adoption  de  la  présente  adresse. 

La  seule  question  pratique  qu'il  reste  à  considérer 
est  de  savoir  si  l'appropriation  de  ces  fonds  pour  les 
fins  de  l'éducation  tombera  aux  mains  de  Sa  Ma- 
jesté ou  entre  celles  de  la  Législature  Provinciale. 
Le  Roi  confie  ce  devoir,  de  bon  cœur  et  sans  réserve, 
à  la  législature,  dans  la  pleine  persuasion  que  parmi 
les  différents  plans  qui  pourront  lui  être  présentés 
à  cette  fin,  elle  fera  le  choix  qui  permettra  d'avancer 
avec  le  plus  d'efficacité  les  intérêts  de  la  Rehgion 
et  des  saines  connaissances  parmi  ses  sujets;  et  je 
ne  puis  douter  que  l'Assemblée  ne  voie  la  justice 
de  continuer  à  maintenir  sous  la  nouvelle  distri- 
bution de  ces  fonds  les  établissements  d'éducation 
auxquels  ils  sont  maintenant  appliqués 

Je  vois  que  certains  bâtiments  faisant  partie  des 
Biens  des  Jésuites,  qui  autrefois  servaient  de  collè- 
ge, ont  été  depuis  employés  constamment  comme 
casernes  pour  loger  les  troupes  du  Roi.  Il  y  aurait 
évidemment  de  grands  inconvénients  à  essayer  d'opérer 
un  changement  immédiat  à  cet  égard,  et  je  suis  con- 
vaincu que  l'Assemblée  verrait  elle-même  avec  chagrin 
une  mesure  qui  pourrait  diminuer  l'aise  ou  mettre  en 
danger  la  santé  des  troupes  du  Roi.  Si  cependant 
l'Assemblée  était  disposée  à  procurer  des  casernes  suffi- 
santes de  manière  à  assurer  d'une  manière  permanente 

20 


304  COURS  d'histoire  dit  canada 

ces  objets  importants,  Sa  Majesté  est  préparée  (sur 
l'accomplissement  d'un  tel  arrangement  à  la  satisfaction 
de  votre  Seigneurie)  à  consentira  ce  que  les  bâtiments 
en  question  soient  affectés  à  la  même  destination  que 
celles  h  laquelle  les  fonds  généraux  des  Biens  des  Jé- 
suites sont  sur  le  point  d'être  rendus. 

Je  craindrais  qu'on  n'eût  conçu  des  idées  mal  fon- 
dées sur  la  valeur  et  les  revenus  des  Biens  des  Jé- 
suites. Dans  ce  cas,  comme  dans  la  plupart  des 
autres,  le  secret  pourrait  avoir  donné  lieu  à  l'exagé- 
ration comme  une  conséquence  naturelle.  Si  la 
demande  qu'a  faite  l'assemblée  d'un  compte  des  re- 
venus de  ces  biens  eût  été  accordée,  cela  aurait  pro- 
bablement remédié  à  beaucoup  de  méprise.  Le 
chagrin  que  j'ai  de  l'effet  de  votre  décision  à  refuser 
ces  comptes  ne  m'empêche  pas  cependant  de  sentir 
la  convenance  et  le  poids  apparent  des  motifs  qui 
ont  guidé  votre  jugement;  désavouant  cependant 
tout  désir  de  secret,  j'ai  à  donner  instruction  à  Votre 
Seigneurie  de  mettre  ces  comptes  devant  l'Assem- 
blée de  la  manière  la  plus  détaillée,  au  commence- 
ment de  sa  prochaine  session,  et  de  fournir  à  la  Cham- 
bre toutes  les  informations  et  explications  qu'elle 
pourra  demander  à  ce  sujet. 

Comme  il  parait  qu'on  a  recouvré  la  somme  de 
£7154.  15.  43^  sur  les  biens  de  feu  M.  Cakhvell,  à 
raison  des  réclamations  de  la  couronne  contre  lui 
concernant  les  Biens  des  Jésuites,  Votre  Seigneurie 
fera  mettre  cette  somme  à  la  disposition  de  la  Légis- 
lature pour  les  fins  générales.  La  somme  de  £1280. 
3.  4,  qui  a  aussi  été  recouvrée  à  raison  des  mêmes 
biens  devra  aussi  être  mise  à  la  disposition  de  la  Lé- 
gislature, mais,  d'après  les  principes  qui  viennent 
d'être  posés,  elle  devra  être  regardée  comme  étant 
exclusivement  applicable  aux  fins  de  l'éducation. 

Secondement.  La  Chambre  d'Assemblée  repré- 
sente que  les  propres  de  l'éducation  ont  été  arrêtés 
par  le  refus  des  octrois  de  terre  promis  pour  les  écoles 
en  l'année  1801. 

En    consultant    le    discours    prononcé    cette    année 


COURS  d'histoire  du  canada  305 

par  le  gouverneur  d'alors  aux  deux  Chambres  de  la 
Législature  provinciale,  je  trouve  qu'il  fut  réelle- 
ment fait  un  engagement  de  la  nature  de  celui  dont 
l'adresse  fait  mention.  Ainsi,  comme  de  raison, 
la  Couronne  est  liée,  et  il  faut  qu'il  soit  maintenant 
mis  à  effet;  à  moins  qu'il  ne  se  rencontre  quelques  cir- 
constances que  j'ignore,  qui  peuvent  avoir  annulé 
l'obligat'ion  contractée  en  1801,  ou  qui  peuvent  en 
avoir  rendu  l'accomplissement  impossible  à  présent. 
S'il  existe  réellement  de  telles  circonstances,  Votre 
Seigneurie  m'en  fera  rapport  incessamment,  afin  de 
considérer  ultérieurement  la  marche  qu'il  convient 
de  suivre. 

Troisièmement. — Le  rejet  par  le  Conseil  Législa- 
tifs de  divers  bills  en  faveur  de  l'éducation  est  don- 
né comme  le  dernier  df's  obstacles  aux  progrès  de 
l'éducation. 

Sur  ce  point  il  est  évident  que  le  gouvernement  de 
Sa  Majesté  n'a  le  pouvoir  d'exercer  aucun  contrôle, 
et  qu'il  ne  pouvait  intervenir  dans  le  libre  exercice 
de  la  volonté  du  Conseil  législatif  sans  violer  les 
maximes  les  mieux  reconnues  de  la  constitution. — 
Jusqu'où  ce  corps  peut  avoir  vraiment  résisté  aux 
désirs  de  l'Assemblée  sur  ce  sujet,  c'est  ce  sur  quoi 
je  n'ai  pas  d'informations  exactes,  et  il  ne  me  convien- 
drait pas  d'émettre  une  opinion  sur  la  sagesse  ou  la 
convenance  d'aucune  décision  de  cette  nature  qu'il 
peut  avoir  formée.  L'Assemblée  cependant  peut 
être  assurée  que  toute  influence  légitime  que  peut 
exercer  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  sera  tou- 
jours employée  à  favoriser,  dans  toute  direction, 
toutes  les  mesures  qui  auront  pour  objet  l'instruc- 
tion religieuse,  morale  ou  littéraire  du  peuple  du  Bas- 
Canada. 

Quatrièmement. — L'adresse  procède  à  exposer 
que  la  régie  des  terres  incultes  de  la  Couronne  a  été 
vicieuse  et  injudicieuse,  et  gêne  encore  l'établissement 
de  ces  terres. 

Ce  sujet  a  engagé  et  occupe  encore  toute  mon  at- 
tention, et  je  me  propose  de  communiquer  au  long 


306  COURS  d'histoire  du  canada 

sur  le  sujet  avec  votre  Seigneurie,  dans  une  dépêche 
séparée.  Les  considérations  qui  se  rattachent  à 
l'établissement  des  terres  incultes  sont  trop  nom- 
breuses et  trop  étendues  pour  être  convenablement 
encadrées  dans  une  dépêche  qui  embrasse  tant  d'au- 
tres sujets  de  discussion. 

Cinquièmement. — L'exercice  par  le  parlement  de 
son  pouvoir  de  régler  le  commerce  de  la  Province 
occasionne,  dit-on,  une  incertitude  dommageable 
dans  les  spéculations  mercantiles,  et  des  fluctuations 
préjudiciables  dans  la  valeur  des  biens  fonds  et  aux 
différentes    branches    d'industrie    liées    au    commerce, 

II  est  flatteur  de  voir  que  cette  plainte  est  accom- 
pagnée de  l'aveu  franc  que  le  pouvoir  en  question  a 
été  exercé  avec  avantage  en  plusieurs  occasions 
pour  la  prospérité  du  Bas-Canada.  C'est,  je  crains, 
une  conséquence  inévitable  de  la  connexion  qui  sub- 
siste heureusement  entre  les  deux  pays,  que  le  par- 
lement exige  quelquefois  du  corps  mercantile  du 
Bas-Canada  quelques  sacrifices  mutuels  pour  le  bien 
général  de  tout  l'empire.  Je  n'essaierai  donc  pas  de 
nier  que  les  changements  survenus  dans  la  politique 
commerciale  de  ce  royaume  depuis  quelques  années 
n'aient  pu  produire  des  inconvénients  et  des  pertes 
occasionnels  à  ce  corps,  puisqu'on  pourrait  à  peine 
faire  mention  d'un  seul  intérêt  particulier,  dans  la 
Grande  Bretagne,  dont  on  n'ait  exigé  quelques  sa- 
crifices, pendant  la  même  période.  Tout  ce  que  peut 
faire  la  Législature  sur  un  sujet  comme  celui-ci,  est 
une  progression  constante,  quoique  graduelle,  vers 
les  grands  objets  qui  sont  le  but  d'un  système  éclairé 
de  règlements  commerciaux.  Le  relâchement  des 
restrictions  imposées  au  commerce  des  colonies 
britanniques,  et  le  développement  de  leurs  ressour- 
ces n'ont  jamais  été  perdus  de  vue  au  milieu  des 
changements  auxquels  l'adresse  fait  allusion,  et  j'at- 
tends avec  conhance  de  la  candeur  de  la  Chambre 
d'Assemblée  qu'elle  admettra  que,  dans  l'ensemble, 
on  a  fait  des  progrès  assez  marqués  vers  ces  grandes 
fins.     Elle  peut  être  assurée  que  le  gouvernement  de 


COURS  d'histoire  du  canada  307 

Sa  Majesté  adhérera  constamment  à  ces  principes 
dans  toute  modification  des  lois  existantes  qu'il 
pourra  par  la  suite  avoir  occasion  de  recommander 
au  Parlement. 

Sixièmement. — L'Assemblée  dans  son  adresse 
procède  à  exposer  que  les  différentes  villes,  parois- 
ses, townships,  places  extra-paroissiales  et  comtés 
de  la  province,  souffrent  du  manque  de  pouvoirs  lé- 
gaux suffisants  pour  régler  et  régir  leurs  affaires  lo- 
cales. 

Je  suis  bien  aise  qu'il  se  présente  maintenant  une 
occasion  de  faire  éclater  le  désir  du  gouvernement 
de  Sa  Majesté  de  coopérer  avec  la  Législature  locale 
au  redressement  de  tout  grief  de  cette  nature.  Les 
trois  bills  que  Votre  Seigneurie  a  transmis  pour  la 
signification  du  bon  plaisir  de  Sa  Majesté,  passés 
dans  la  dernière  session  de  l'Assemblée  pour  établir 
les  divisions  paroissiales  de  la  Province,  et  pour  in- 
corporer les  cités  de  Québec  et  de  Montréal,  seront 
confirmés  et  finalement  passés  en  loi  par  Sa  Majesté 
en  conseil,  sous  le  plus  court  délai  possible,  et  j'es- 
père me  trouver  sous  peu  en  état  de  transmettre  à 
Votre  Seigneurie  les  ordres  en  conseil  nécessaires 
pour  cette  fin. 

Je  regrette  bien  sincèrement  que  le  bill  passé 
pour  l'établissement  légal  des  paroisses  dans  le  mois 
de  mars  1829  soit  venu  à  tomber,  par  le  délai  qui 
est  survenu  dans  la  transmission  de  sa  confirmation 
officielle  par  le  Roi  en  Conseil,  plusieurs  mois  s'étant 
écoulés  après  son  arrivée  en  ce  royaume  avant  que 
cette  formalité  pût  être  observée;  et  la  maladie  pro- 
longée de  Sa  feue  Majesté  en  a  encore  retardé  davan- 
tage la  prise  en  considération  par  le  Roi  en  conseil. 

Si  la  Législature  coloniale  est  d'avis  qu'il  faille 
des  dispositions  additionnelles  pour  mettre  les  autorités 
locales  des  comtés,  des  cités  ou  des  paroisses  en  état 
de  régler  les  affaires  qui  les  intéressent  plus  immédia- 
tement, que  Votre  Seigneurie  sache  qu'il  vous  est 
libre  de  sanctionner  au   nom   de  Sa  Majesté  toutes 


308  COURS  d'histoire  du   canada 

lois  bien   considérées  qui  pourront  vous  être  présen- 
tées à  cette  lin. 

Septièmement. — J'en  viens  au  sujet  de  plainte 
suivant,  savoir,  que  le  mélange  de  difTérens  codes  de 
lois  et  règles  de  procédure  dans  les  cours  de  justice 
ont  jeté  de  l'incertitude  et  de  la  confusion  dans  les 
lois  qui  protègent  et  régissent  la  propriété. 

Le  mélange  dont  l'adresse  fait  mention  vient, 
d'après  ce  que  j'en  connais,  du  code  criminel  an- 
glais qui  a  été  maintenu  par  le  statut  britannique 
de  1774  et  des  divers  actes  du  Parlement  qui  ont, 
introduit  dans  la  province  la  tenure  soccagère,  et 
soumis  toutes  les  terres  ainsi  tenues  aux  règles  d'alié- 
nation et  de  succession  des  lois  anglaises. 

Comme  simple  matière  de  fait,  il  ne  peut  y  avoir 
de  doute,  que  l'infusion  de  ces  parties  des  lois  d'An- 
gleterre dans  le  code  provincial  n'ait  été  dictée  par  le 
désir  le  p  us  sincère  d'avancer  le  bien-être  général 
du  peuple  du  Bas-Canada.  Cela  a  été  le  cas  sur- 
tout pour  les  lois  criminelles,  et  c'est  ce  qui  paraîtra 
assez  clair  par  le  langage  de  la  onzième  section  du 
Statut  14  Geo.  III,  Chap.  83,  touchant  les  avantages 
qui  doivent  résulter  de  la  substitution  de  la  tenure 
soccagère  aux  services  féodaux;  je  puis  remarquer 
que  le  parlement  ne  ouvait  guère  être  mu  que  par 
a  conviction  sincères  des  avantages  de  cette  mesure, 
d'autant  plus  que  les  maximes  d'après  lesquelles  il 
procéda  s'accordent  avec  les  opinions  de  presque 
tous  les  écrivains  qui  ont  traité  ce  sujet  en  théorie  et 
des  hommes  d'état  dans  leurs  opérations  pratiques. 
Ce  n'est  pas  que  je  veuille  démontrer  la  justesse  de 
ces  vues,  mais  je  pense  qu'il  importe  beaucoup  de 
faire  remarquer  que  les  erreurs  qu'elles  embrassent, 
s'il  y  en  a,  ne  peuvent  être  attribuées  qu'à  un  zèle 
sincère  pour  le  bien  de  ceux  que  les  dispositions  lé- 
gislatives en  question  affectent  plus  immédiatement. 

J'admets  pleinement,  cependant,  que  c'est  là  un 
sujet  de  politique  locale  et  intérieure,  et  à  l'égard 
duquel  le  jugement  délibéré  des  hommes  éclairés  de 
la  province  doit  avoir  beaucoup   plus   de  poids   que 


COURS  d'histoire  du  canada  309 

toute  autorité  extérieure  quelconque.  Votre  Sei- 
gneurie communiquera  au  Conseil  et  à  l'Assemblée 
la  disposition  entière  de  Sa  Majesté  de  concourir 
avec  eux  à  toutes  les  mesures  qu'ils  jugeront  les  plus 
propres  à  assurer  un  examen  calme  et  étendu  de 
ces  sujets  sous  tous  les  rapports.  II  restera  alors 
aux  deux  Chambres  à  rédiger  les  lois  qui  peuvent 
être  nécessaires  pour  rendre  le  code  provincial  plus 
uniforme  et  mieux  adapté  à  l'état  actuel  de  la  société 
dans  le  Bas-Canada.  L'assentiment  sera  donné  avec 
la  plus  vive  satisfaction  à  toutes  lois  rédigées  à  cette 
fin  et  qui  en  faciliteront  l'accomplissemeut.  II  est 
possible  qu'un  ouvrage  de  cette  nature  pût  être  ex- 
écuté avec  plus  d'avantage  par  des  commissaires 
qui  seraient  spécialement  désignés  à  cette  fin.  Si 
telle  est  l'opinion  de  votre  seigneurie,  vous  suggérerez 
ce  mode  de  procédé  aux  deux  Chambres  de  la  Lé- 
gislature provinciale,  qui  j'en  suis  bien  convaincu, 
consentiront  volontiers  à  encourir  toutes  dépenses 
quelconques  qui  seront  la  conséquence  d'une  pareille 
entreprise,  à  moins  qu'elles  ne  fussent  elles-mêmes 
en  état  d'imaginer  un  autre  plan  d'investigation  et 
de  procédés,  qui  serait  à  la  fois  aussi  effectif  et  aussi 
économique. 

Huitièmement. — L'administration  de  la  justice  est 
devenue,  dit-on,  inefficace  et  inutilement  dispendieuse. 

Comme  les  tribunaux  provinciaux  tiennent  leur 
constitution  actuelle  de  statuts  provinciaux,  et  nulle- 
ment de  l'exercice  de  la  prérogative  de  Sa  Majesté, 
il  n'est  pas  au  pouvoir  du  Roi  d'améliorer  le  système 
de  l'administration  des  lois  ni  de  diminuer  les  frais 
de  justice.  Votre  Seigneurie,  cependant,  assurera  à 
la  Chambre  d'Assemblée  que  Sa  Majesté  est  non 
seulement  dans  la  disposition,  mais  qu'elle  a  même 
le  désir  de  coopérer  avec  elle  à  toutes  les  améliora- 
tion du  système  judiciaire,  que  suggéreront  la  sagesse 
et  l'expérience  des  deux  Chambres.  Votre  Seigneu- 
rie sanctionnera  immédiatement  tous  bills  qui  pour- 
ront être  passés  à  cette  fin,  si  ce  n'est  dans  le  cas 
très  improbable  qu'ils  ne  donnassent  lieu  à  quelques 


310  COURS  d'histoire  du  canada 

objections  qui  paraîtraient  concluantes.  Et  dans 
ce  cas  même  vous  réserverez  tous  les  bills  passés 
pour  améliorer  l'administration  de  la  justice  à  la  si- 
gnification du  bon  plaisir  de  Sa  Majesté,  au  lieu  de 
les  rejeter  sur  le  champ. 

Neuvièmement. — L'adresse  expose  alors  que  la 
confusion  et  l'incertitude  dont  la  Chambre  se  plaint 
ont  été  augmentées  de  beaucoup  par  des  actes  affec- 
tant les  biens  fonds  de  la  colonie,  passés  dans  le  parle- 
ment du  Royaume  Uni,  depuis  l'établissement  de 
la  Législature  provinciale,  sans  que  les  intéressés 
eussent  eu  même  l'occasion  d'être  entendus,  et  sur- 
tout par  une  décision  récente  sur  un  de  ces  actes 
dans  la  cour  d'appel  provinciale. 

II  ne  peut  y  avoir  sur  ce  sujet  aucune  dispute  en- 
tre le  gouvernement  de  Sa  Majesté  et  la  Chambre 
d'Assemblée.  La  Chambre  ne  saurait  exposer  en 
termes  plus  forts  que  ceux  dans  lesquels  il  est  dispo- 
sé à  la  reconnaître  la  convenance  de  laisser  exclusi- 
vement à  la  Législature  du  Bas-Canada  la  passation 
de  toute  loi  qui  pourra  être  nécessaire  pour  régir  la 
propriété  dans  cette  province. 

On  ne  peut  nier  qu'à  une  époque  antérieure,  le 
gouvernement  britannique  n'eût  une  opinion  diffé- 
rente, et  que  le  livre  des  statuts  de  ce  royaume  con- 
tient, touchant  les  terres  du  Bas-Canada,  divers  rè- 
glements qui  auraient  peut-être  été  passés  avec  plus 
de  convenance  dans  la  province  même.  Je  croirais 
cependant  qu'on  n'a  invoqué  l'intervention  du  Par- 
lement que  dans  des  cas  d'urgence  et  de  nécessité 
supposée,  et  que  ce  n'a  jamais  été  sans  répugnance 
que  les  ministres  de  Sa  Majesté  ont  introduit  de  tels 
actes. 

Le  Statut  1,  Guil.  4,  chap.  qui  a  passé  à  l'instance 
du  gouvernement  de  Sa  Majesté  dans  la  dernière 
session  du  Parlement,  a  jusqu'à  un  certain  point 
anticipé  les  plaintes  dont  je  fais  maintenant  men- 
tion et  en  prévient  le  retour,  en  autorisant  la  Lé- 
gislature locale  à  régler  tout  ce  qui  a  rapport  aux 
incidents  de    la    tenure    soccagère    dans    la    province. 


COURS  d'histoire  du  canada  311 

sans  égard  pour  aucune  différence  réelle  ou  suppo- 
sée qui  pourra  se  trouver  entre  ces  règlements  et  les 
lois  d'Angleterre.  S'il  y  a  d'autres  parties  des  sta- 
tuts britanniques,  relatives  à  ce  point,  auxquelles 
le  Conseil  et  l'Assemblée  objecteront,  le  gouverne- 
ment de  Sa  Majesté  sera  prêt  à  recommander  au 
parlement  de  les  révoquer, 

Dixièmement. — II  est  dit  que  plusieurs  des  juges 
des  cours  de  la  province  se  sont  trouvés  mêlés  et 
ont  pris  une  part  publique  dans  les  affaires  et  les  dis- 
putes politiques  de  la  province,  tenant  à  la  fois  des 
offices  sous  bon  plaisir  et  des  situations  incompa- 
tibles avec  la  due  exécution  de  leurs  fonctions  judi- 
ciaires. 

Sur  ce  point  encore  il  est  très  flatteur  pour  les 
ministres  de  la  Couronne  de  voir  qu'ils  ont  en  grande 
partie  remédié  d'avance  à  la  plainte  de  la  Chambre 
d'Assemblée.  Dans  la  dépêche  que  j'adressai  à  vo- 
tre Seigneurie  le  8  Février,  No.  22,  il  a  été  pris  tous 
les  arrangements  qui  pouvaient  être  suggérés  et  s'ef- 
fectuer par  l'autorité  de  Sa  Majesté  pour  retirer  les 
juges  de  la  province  de  toute  connexion  avec  ses  af- 
faires poHtiques,  et  pour  les  rendre  indépendants 
et  de  l'autorité  de  la  Couronne  et  du  contrôle  des 
autres  branches  de  la  Législature,  les  plaçant  ainsi 
dans  la  même  position  exactement  que  les  juges 
de  cours  suprêmes  à  Westminster. 

Les  juges  eux-mêmes  ont,  à  ce  qu'il  paraît,  con- 
couru, avec  une  louable  promptitude,  à  donner  effet 
à  ces  recommandations,  en  cessant  d'assister  au 
Conseil  Exécutif.  Ainsi  il  ne  reste  plus  à  faire,  pour 
terminer  toute  discussion  sur  ce  sujet,  qu'une  alloca- 
tion permanente  pour  les  juges  par  la  Chambre  d'as- 
semblée, [laquelle  allocation,  sans  excéder  une  juste 
rétribution,  devra  être  suffisante  pour  leur  assurer 
une  existence  indépendante  dans  les  rangs  qu'ils  doi- 
vent occuper  dans  la  société  d'après  la  dignité  de  leur 
charge. 

Je  ne  sache  pas  qu'aucun  juge  dans  le  Bas-Canada 
tienne    aucun    office,    autre    que    celui    de     conseiller 


312  COURS  d'histoire  du  canada 

exécutif,  durant  bon  plaisir,  ou  qui  soit  sous  aucun 
rapport  incompatible  avec  la  due  exécution  de  ses 
fonctions  officielles.  Si  tel  cas  existe  votre  Seigneurie 
aura  la  bonté  de  me  faire  incessamment  rapport  de 
toutes  les  circonstances  qui  peuvent  l'accompagner 
afin  que  les  instructions  nécessaires  sur  le  sujet  soient 
données.  Dans  l'intervalle,  je  puis  dire  sans  réserve, 
qu'il  ne  peut  être  permis  à  aucun  juge  de  retenir  aucun 
office  de  la  nature  de  ceux  dont  parle  ici  l'Assemblée, 
en  combinaison  avec  cette  position  indépendante  sur 
le  banc  à  la    quelle  j'ai  fait   allusion. 

Onzièmement. — L'adresse  expose  ensuite  que,  pen- 
dant une  longue  suite  d'années  les  offices  exécutifs 
et  judiciaires  ont  été  presque  exclusivement  accor- 
dés à  une  classe  de  sujets  dans  la  province,  et  spé- 
cialement de  ceux  qui  se  trouvaient  avoir,  par  la  pro- 
priété ou  autrement,  le  moins  de  liaison  avec  la  po- 
pulation fixe  du  pays,  ou  qui  se  sont  montrés  le  plus 
opposés  aux  droits,  libertés  et  intérêts  du  peuple. 
Il  est  ajouté  que  plusieura  de  ces  gens  profitent  des 
moyens  que  leur  fournissent  leurs  situations  pour  em- 
pêcher la  coopération  constitutionnelle  et  la  bonne 
intelligence  d'exister  entre  le  gouvernement  et  la 
Chambre  d'Assemblée,  et  pour  exciter  entre  eux  la 
mésintelligence  et  la  discorde,  tandis  qu*ils  sont  né- 
gligents dans  leurs  différentes  situations  à  avancer 
les   affaires   publiques. 

Je  rapporte  ainsi  au  long  le  langage  de  l'adresse,  car 
je  suis  prêt  à  la  rencontrer  dans  toutes  ses  parties  de 
la  manière  la  plus  directe,  et  en  même  temps  dans 
l'esprit  le  plus  conciliatoire.  Ce  n'est  pas  du  tout  le 
manque  de  cet  esprit  qui  me  porte  à  vous  recommander 
de  suggérer  à  la  considération  de  la  Chambre  d'As- 
semblée jusqu'à  quel  point  il  est  possible  pour  Sa 
Majesté  d'entendre  clairement  et  de  redresser  efii- 
cacement  un  grief  qui  lui  est  exposé  en  termes  si 
indéfinis.  Si  l'on  peut  nommer  quelque  officier  pu- 
blic qui  se  soit  rendu  coupable  d'un  abus  de  ses  pou- 
voirs et  d'une  négligence  dans  ses  devoirs  tels  que 
le  comporte  la  citation  qui  précède,  Sa  Majesté  se 
hâtera    de    venger    l'intérêt    public    en    le    destituant 


COURS  d'histoire  du  canada  313 

du  service.  Si  on  peut  montrer  que  le  patronage 
de  la  couronne  a  été  exercé  d'après  des  principes 
étroits  et  exclusifs,  on  ne  peut  trop  les  désavouer  et 
les  abandonner.  Surtout  s'il  est  vrai  que  la  popula- 
tion fixe  de  la  colonie  ne  jouisse  pas  d'une  pleine 
participation  à  tous  les  emplois  publics  la  Chambre 
d'Assemblée  peut  être  assurée  que  Sa  Majesté  ne 
peut  désirer  que  des  distinctions  aussi  odieuses  soient 
systématiquement   maintenues. 

II  est  hors  de  mon  pouvoir  de  rien  avancer  au  de- 
là de  cet  exposé  général.  J'ignore  entièrement  les 
cas  particuhers  auxquels  les  expressions  générales 
de  l'Assemblée  s'appliquent.  Tout  ce  que  je  puis 
dire,  c'est  que  depuis  le  temps  qu'il  a  plu  à  Sa  Ma- 
jesté de  me  confier  les  sceaux  de  ce  département,  il 
ne  s'est  présenté  aucune  occasion  d'exercer  le  patro- 
nage de  la  Couronne  dans  le  Bas-Canada  à  laquelle 
l'Assemblée  puisse  faire  allusion,  et  les  recherches 
que  j'ai  faites  ne  me  fournissent  aucun  cas  particu- 
lier d'une  date  phis  reculée  que  ces  paroles  semble- 
rait désigner. 

Douzièmement.- — Le  sujet  de  plainte  suivant  est 
développé  dans  les  termes  qui  suivent: — Qu'il  n'y  a 
pas  une  responsabihté  suffisante  à  l'égard  de  ceux 
qui  occupent  ces  places,  ni  de  comptabilité  conve- 
nable pour  ceux  qui  ont  le  maniement  des  deniers  pu- 
blics, d'où  sont  résultés  le  mauvais  emplois  et  la  perte 
de  sommes  de  deniers  considérables,  soit  pour  le  pu- 
bhc  soit  pour  les  particuhers,  par  la  faute  de  fonction- 
naires entre  les  mains  desquels  ces  sommes  étaient 
déposées  en  vertu  de  la  loi,  sans  remède  efficace  et 
sans  que  ces  sommes  aient  été  remboursées  jusqu'à 
ce  jour,  nonobstant  les  humbles  représentations  de 
vos  pétitionnaires. 

II  serait  impossible,  sans  violer  la  vérité,  de  nier 
qu'à  une  époque  qui  n'est  pas  très  reculée,  le  public 
et  les  particuliers  n'aient  souffert  des  pertes  par  suite 
de  ce  que  les  comptables  publics  n'avaient  pas  donné 
de  cautions  suffisantes,  et  encore  plus  par  le  manque 
d'un  systèmeiconvenable  d'apurement  et  d'audition  de 
ces  comptes  de  cautions.     Je  vois  cependant  que  dans 


314  COURS  d'histoire  du  canada 

sa  dépêche  du  29  Septembre  1828,  Sir  George  Murray 
s'expliqua  sur  ce  sujet  en  termes  auxquels  je  trouve 
qu'il  serait  difficile  de  pouvoir  utilement  rien  ajouter. 
11  s'exprime  ainsi: — "Les  plaintes  qui  sont  parvenues 
"  à  ce  bureau  au  sujet  des  siiretés  insuffisantes  que 
"  donnaient  le  receveur  général  et  les  shérifs  pour 
"  la  due  application  des  derniers  publics  qui  sont  entre 
"  leurs  mains,  n'ont  pas  échappé  à  l'attention  la  plus 
"  sérieuse  des  ministres  de  la  Couronne.  La  sûre- 
*'  té  la  plus  efficace  contre  les  abus  de  cette  nature 
"  serait  d'empêcher  qu'il  ne  s'accumulât  des  sommes 
"  considérables  entre  les  mains  des  comptables  pu- 
"  blics,  en  les  obligeant  de  présenter  leurs  comptes 
"  à  quelque  autorité  compétente  à  de  courts  inter- 
"  valles,  et  de  payer  immédiatement  la  balance  éta- 
"  blie.  La  preuve  d'avoir  ponctuellement  rempli 
"  ce  devoir  devrait  devenir  une  condition  indis- 
"  pensable  de  la  réception  de  leurs  salaires  et  de  leur 
"  continuation  en  office." 

"  Dans  la  colonie  de  la  Nouvelle-Galles  méridio- 
nale, il  a  été  établi  un  règlement  de  cette  nature, 
d'après  les  instructions  de  Sa  Majesté  au  gouverneur 
de  cet  établissement,et  il  en  est  résulté  un  grand  avan- 
tage public.  Si  on  introduisait  une  semblable  pratique 
dans  le  Bas-Canada,  à  l'égard  du  bureau  du  rece- 
veur général  et  des  shérifs,  la  seule  difficulté  qui 
resterait  serait  de  trouver  une  place  de  dépôt  sûre 
pour  les  balances  qu'ils  auraient  en  caisse.  Je  suis 
autorisé  cependant  à  dire  que  les  Lords  commis- 
saires de  la  trésorerie  de  Sa  Majesté  se  tiendront 
responsables  envers  la  province  de  toute  "somme 
"  que  le  receveur  général  ou  le  shérif  pourront  ver- 
"  ser  entre  les  mains  du  commissaire  'général. — 
"  Votre  Excellence  proposera  donc  au  Conseil  Lé- 
"  gislatif  et  à  l'Assemblée  de  passer  une  loi  qui  obli- 
"  géra  ces  offiiciers  à  rendre  compte  de  leurs  rec?ttes 
"  à  de  courts  intervalles,  et  à  verser  les  balances  qui 
"  seront  entre  leurs  mains  entre  celles  du  commis- 
"  saire  général,  à  condition  que  cet  officier  sera 
"  tenu,  à  demande,  de  fournir  des  lettres  de  change 
"sur  la    trésorerie  de  Sa  Majesté,  pour    le  montant 


COURS  d'histoire  du  canada  315 

"  de  ses  recettes.  Je  me  flatte  que  la  Législature 
"  verra  dans  cette  proposition  une  preuve  du  vif  dé- 
"  sir  qu'a  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  d'appli- 
"  quer,  autant  que  la  chose  sera  praticable,  un  re- 
"  mède  efficace,  à  tout  cas  de  grief  réel. 

Si  les  instructions  précédentes  se  sont  trouvées 
insuffisantes  pour  remédier  au  mal  dont  elles  parlent, 
je  puis  assurer  Votre  Seigneurie  du  concours  cordial 
du  gouvernement  de  Sa  Majesté  à  toute  mesure  plus 
efficace  qui  pourra  être  recommandée  à  cette  fin,  soit 
par  vous-même,  soit  par  l'une  ou  l'autre  branche  de 
la  législature  provinciale. 

Les  pertes  que  la  province  a  souffertes  par  la  défal- 
cation de  feu  M.  Caldwell  est  un  sujet  que  le  gou- 
vernement de  Sa  Majesté  voit  avec  le  plus  profond 
regret,  qui  se  trouve  encore  augmenté  par  la  péni- 
ble conviction  de  son  incapacité  de  donner  aux  re- 
venus provinciaux  aucune  compensation  égale  à  une 
perte  aussi  considérable.  Tout  ce  qu'il  est  en  son 
pouvoir  de  faire,  il  l'a  fait  de  bon  cœur,  par  l'ins- 
truction qui  est  donnée  à  votre  Seigneurie,  dans  la 
première  partie  de  cette  dépêche,  de  mettre  à  la  dis- 
position de  la  Législature,  pour  les  fins  générales,  la 
somme  de  £7154,  15,  4}/2,  recouvrée  sur  les  biens  de 
M.  Caldwell.  J'espère  que  l'Assemblée  acceptera 
ceci  comme  une  preuve  du  vif  désir  qu'a  le  gouver- 
nement de  Sa  Majesté  de  consulter  de  son  mieux  les 
intérêts  pécuniaires  de  la  province. 

Treizièmement. — L'adresse  expose  aussi  "que  les 
"  maux  résultant  de  cet  état  de  choses  ont  été  con- 
"  sidérabiement  aggravés  par  les  lois  passées  dans 
"  le  parlement  du  Royaume-Uni  sans  même  la  con- 
"  naissance  du  peuple  de  ce  pays,  qui  ont  rendu  per- 
"  manents^des  impôts  fixés  temporairement  par  la 
"  Législature  provinciale,  et  laissant  entre  les  mains 
"  d'officiers  publics  sur  lesquels  la  Chambre  d'As- 
"  semblée  ne  peut  exercer  aucun  contrôle  efficace, 
"  des  sommes  considérables  prélevées  dans  la  pro- 
"  vince,  pour  être  employées  par  des  personnes  qui 
"  ne  sont  pas  assujetties  à  un  système  suffisant  de 
"  comptabilité". 


316  COURS    D  HISTOIRE    DU    CANADA 

Je  vois  que  cette  plainte  a  rapport  à  la  21e  clause 
du  Statut  3.  Geo.  4  cliap.  119.  Les  droits  mention- 
nés dans  cet  acte  sont  continués  jusqu'à  ce  que  le 
Conseil  législatif  et  l'Assemblée  du  Bas-Canada 
aient  passé  un  acte  pour  les  révoquer  ou  altérer,  et 
jusqu'à  ce  qu'une  copie  d'un  tel  acte  ait  été  trans- 
mise au  gouverneur  du  Haut-Canada,  et  ait  été  mise 
devant  les  deux  Chambres  du  Parlement  et  ait  reçu 
l'assentiment  de  sa  Majesté.  Le  préambule  de  l'acte 
donne  pour  motif  de  sa  passation  la  nécessité  d'ob- 
vier aux  maux  que  soufTrait  la  province  supérieure 
par  suite  de  l'exercice  d'un  contrôle  exclusif  par  la 
Législature  du  Bas-Canada,  sur  l'importation  et  l'ex- 
portation du  port  de  Québec. 

Je  reconnais  sans  réserve  que  la  nécessité  de  se 
porter  médiateur  entre  les  deux  provinces  a  pu  seule 
justifier  une  pareille  intervention  de  la  part  du  parle- 
ment; et  que  si  l'on  peut  fournir  quelque  garantie 
suffisante  contre  le  recours  de  pareilles  difficultés 
cet  acte  devra  être  révoqué.  On  supposa  en  1822 
que  la  position  géographique  particulière  du  Haut- 
Canada,  qui  ne  peut  communiquer  avec  la  mer  que 
par  une  province  tout-à-lait  indépendante  de  lui, 
d'un  côté,  ou  par  un  état  étranger,  de  l'autre,  ren- 
dait la  passation  d'une  loi  aussi  singulière  nécessaire 
pour  le  protéger.  Je  serai  bien  flatté  d'apprendre 
qu'une  telle  nécessité  n'existe  pas  à  présent,  ou  qu'on 
peut  raisonnablement  espérer  qu'elle  ne  se  présen- 
tera plus  à  l'avenir,  car  aussitôt  que  le  gouvernement 
de  Sa  Majesté  aura  par  devers  lui  des  preuves  suf- 
fisantes de  ce  fait,  il  recommandera  au  Parlement 
la  révocation  de  cette  partie  du  statut  auquel  se 
rapporte  l'adresse  de  la  Chambre  d'Assemblée. 

Les  ministres  de  la  couronne  proposeraient  même 
au  parlement  de  révoquer  l'acte  en  question,  sur  la 
simple  preuve  que  la  Législature  du  Haut-Canada 
pense  qu'une  telle  protection  est  superflue.  Peut- 
être  que  ce  point  pourrait  s'arranger  par  des  com- 
munications qui  s'échangeraient  entre  les  législatures 
des  deux  provinces. 

Les  ministres  de  la  couronne  sont  prêts  à  coopé- 


COURS  d'histoire  du  canada  317 

rer  le  plus  pleinement  possible  à  toute  mesure  que 
les  deux  Législatures  concourront  à  recommander 
pour  l'altération  ou  la  révocation  du  Statut,  3.  Geo.  4, 
chap.  119  sect.  28. 

Quatorzièmement. — Le  choix  des  conseillers  législatifs, 
et  la  constitution  de  ce  corps,  qui  forment  le  dernier 
sujet  de  plainte  de  l'adresse,  sont  un  sujet  sur  lequel 
je  me  bornerai  à  dire  ici  qu'il  sera  l'objet  d'une  commu- 
nication séparée,  en  autant  que  c'est  un  sujet  trop 
étendu  et  trop  important  pour  être  commodément 
embrassé  dans  ma  présente  dépêche. 

Le  tableau  précédent  des  questions  amenées  par  la 
Chambre  d'Assemblée,  me  paraît  justifier  entièrement 
les  espérances  que  j'ai  exprimées  au  commencement 
de  cette  dépêche,  de  voir  se  terminer  promptement 
avec  efficacité  et  à  l'amiable  des  discussions  de  lon- 
gues années.  Ce  sérail  faire  injure  à  la  Chambre 
d'Assemblée  que  de  lui  supposer  un  esprit  assez  con- 
tentieux pour  maintenir  la  contestation  sur  quelques 
détails  mineurs  et  insignifiants,  après  l'exposé  par 
lequel  je  viens  de  faire  ressortir  l'accord  général  qui 
règne  entre  les  vues  du  gouvernement  de  Sa  Majesté, 
et  les  siennes  propres  sur  un  si  grand  nombre  de  ques- 
tions de  politique  canadienne.  Il  ne  reste  à  la  vérité 
que  peu  de  chose  à  débattre,  et  ce  peu,  j'en  suis  con- 
vaincu, sera  discuté  dans  des  sentiments  de  bien- 
veillance et  de  bonne  volonté  réciproque,  et  avec  le  plus 
ardent  désir  de  resserrer  les  liens  qui  unissent  les  deux 
pays.  Sa  Majesté  regardera  comme  une  des  distinc- 
tions de  son  règne  les  plus  dignes  d'envie  d'avoir 
contribué  à  un  résultat  si  grand  et  si  désirable. 

Votre  Seigneurie  profitera  de  la  première  occasion 
qui  se  présentera  pour  transmettre  à  la  Chambre  d'As- 
semblée une  copie  de  cette  dépêche. 

J'ai  l'honneur  d'être  MILORD. 

De  votre  Seigneurie,  le  très  obéissant  serviteur, 

(signé)        GODERICH. 
(Pour    copie    conforme) 
H.    CRAIG,    Secrétaire. 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages 
PREMIERE  LEÇON 

Epoque  difficile  et  complexe. — Une  tâche  ardue  s'impose 
au  professeur  et  aux  auditeurs. — La  situation  politique  dans 
le  Bas-Canada  en  1815. — L'attitude  de  sir  George  Prévost. 
— Ses  efforts  pour  satisfaire  les  Canadiens. — Le  contre-pied 
de  Craig.- — ^IMgr  Plessis  et  son  titre  cpiscopal. — Pierre  Bédard 
nommé  juge. — Irritation  de*RyIand  et  de  l'évêque  Moun- 
tain.— L'Assemblée  législative. — Son  état  d'esprit. — Cou- 
rants alternatifs. — Sympathie  et  défiance. — Loyauté  durant 
la  guerre.  —  Ressentiments  rétrospectifs.  —  Escarmouches 
entre  Prévost  et  la  majorité. — La  passion  des  représailles. — 
Le  juge  Sewell. — La  campagne  des  impeacbinents. — James 
Stuart  instigateur. — Question  personnelle. — Esquisse  d'un 
caractère. — Actes  d'accusation  contre  Sewell  et  Monk. — 
Les  règles  de  pratique  et  la  responsabilité  pour  les  coups 
d'Etat  de  Craig. — Prévost  refuse  de  suspendre  les  juges. — 
Mécontentement  et  blâme  de  la  Chambre. — Motion  répara- 
trice.— Difficultés  de  la  tâche  entreprise  par  la  majorité. — 
Rien  de  criminel  dans  les  règles  de  pratique. — La  responsa- 
bilité des  conseillers  exécutifs. — Principe  inadmissible  par 
la  métropole  en  1815. — Conflits  entre  l'Assemblée  et  le 
Conseil. — Un  bill  d'éducation. — L'incapacité  des  juges  à 
siéger  au  Conseil. — Une  taxe  sur  les  salaires  des  fonction- 
naires.— Appréciations  favorables  de  la  majorité  par  Prévost. 
— ^Les  impeacbments  en  Angleterre. — La  question  de  respon- 
sabilité écartée. — Celle  des  règles  de  pratique  décidée  en 
faveur  des  juges. — Irritation  de  la  Chambre. — Départ  de 
Prévost  pour  justifier  sa  conduite  à  Plattsburg. — Sa  fin  pré- 
maturée.— Sir  Gordon  Drummond  lui  succède. — La  décision 
du  Conseil  privé  et  la  Chambre. — Elle  persiste  dans  son 
attitude. — Cri.se    politique. — Prorogation    et    dissolution....       5 

21 


320  TABLE     DES     MATIERES 

Pages 
DEUXIEME  LEÇON 

La  politique  de  conciliation. — Retour  triomphal  du  juge 
Sewell. — La  nouvelle  Chambre. — Conflits  en  perspective. — 
Sir  John  Sherbrooke  comprend  la  situation. — La  politique  de 
coercition  lui  répugne.^ — Sa  correspondance  avec  lord  Ba- 
thurst. — Celui-ci  lui  donne  plus  de  latitude. — Le  caractère 
de  sir  John  Sherbrooke. — Ce  que  devait  être  à  ce  moment 
la  mentalité  d'un  bon  gouverneur  britannique. — La  race, 
le  milieu  et  le  moment.  Un  nouvel  ordre  de  choses. — Deu.v 
forces  en  présence. — La  prérogative  royale  et  le  privilège 
parlementaire. — La  session  de  1S17. — Motifs  d'appréhen- 
sion.— Les  impeacbments  des  juges  Sewell  et  Monk. — Com- 
ment empêcher  la  majorité  de  rouvrir  la  question. — Un  in- 
cident favorable. — Les  secours  accordés  aux  paroisses  en 
détresse. — Le  rôle  de  Mgr  Plessis.— Des  explications. — Le 
juge  Foucher  mis  en  accusation. — Sir  John  Sherbrooke  es- 
quive une  difficulté. — ^L'affaire  traîne  en  longueur. — La 
question  du  salaire  des  orateurs. — Un  terrain  de  concilia- 
tion.— Les  absents  ont  tort. — On  accorde  un  traitement  à 
MM.  Papineau  et  Sewell. — Evolution  de  la  majorité. — Vains 
efforts  de  M.  James  Stuart. — Son  échec  et  son  irritation. — 
Singulier  dénouement. — Le  succès  de  sir  John  Sherbrooke. 
— Paroles  sympathiques  de  M.  Papineau. — Mgr  Plessis  au 
Conseil  législatif. — M.  Papineau  au  Conseil  exécutif. — 
Heureux  résultat  d'une  politique  modérée 43 

TROISIEME  LEÇON 

Une  question  ardue. — Les  subsides. — Etat  de  la  question 
en  1817. — Un  déficit  à  côté  d'un  surplus. — Double  catégorie 
de  recettes  et  de  dépenses. — Coup  d'oeil  rétrospectif. — Les 
revenus  de  la  Couronne  et  ceux  de  la  législature. — Les  pre- 
miers sont  insufi&sants,  les  seconds  sont  surabondants. — Les 
gouverneurs  pratiquent  l'emprunt  forcé. — Paiements  irrégu- 
liers.— Remboursement  sous  sir  George  Prévost. — Nou- 
veaux emprunts  illégaux. — Sir  John  Sherbrooke  signale  l'a- 
bus et  propose  le  remède. — Demande  de  subsides  à  la   lé- 


TABLE     DES     MATIERES  321 

Pages 

gislature. — Une  date  importante. — Bonnes  dispositions  de 
la  Chambre. — Un  vote  de  crédits  en  1818. — Maladresse  du 
duc  de  Richmond  en  1819. — Le  commencement  des  difficul- 
tés.— Un  bill  de  subsides  annuel  et  par  articles. — Le  Conseil 
le  rejette. — Conseils  néfastes  du  duc  de  Richmond. — Sa  mort 
tragique. — Interrègne  Monk-Maitland.  —  Dissolution  in- 
compréhensible.— Une  session  de  treize  jours. — Singulier 
imbroglio. — Mort  du  roi  George  IIL — Dissolution  et  élec- 
tions nouvelles. — Un  discours  de  M.  Papineau. — LordDal- 
housie. — Un  nouveau  bill  de  subsides  en  1821. — Résolu- 
tions intempestives  du  Conseil  législatif.- — Rejet  du  bill. — 
La  Chambre  proteste  contre  une  série  d'abus. — Méconten- 
tement de  lord  Dalhousie. — La  session  de  1821-22. — Le 
gouverneur  demande  une  liste  civile  pour  la  vie  du  roi. — 
Refus  et  explications  de  la  Chambre. — Une  autre  cause 
de  difficultés. — Le  partage  des  recettes  douanières  entre  le 
Haut  et  le  Bas-Canada. — Prétentions  divergentes. — Ré- 
clamations et  plaintes  du  Haut-Canada. — Appel  à  la  mé- 
tropole.— Perspective  menaçante  pour  le  Bas-Canada 71 

QUATRIEME  LEÇON 


La  tentative  d'union  de  1822. — M.  Edward  Ellice. — Ses 
accointances  canadiennes. — Le  groupe  unioniste  montréa- 
lais.—Le  projet  d'union  des  deux  provinces.^ — Consulta- 
tions préalables. — L'opinion  du  procureur  général  haut- 
canadien. — Le  cabinet  britannique  passe  outre. — II  pré- 
sente un  bill  d'union. — Une  intervention  opportune. — Le 
débat  aux  communes. — Attitude  de  sir  James  Mackintosh. 
— II  fait  ajourner  le  bill. — Tbe  Canada  Trade  Act. — Analyse 
du  projet  soumis. — Trois  articles  spécialement  iniques. — 
L'inégalité  de  représentation. — La  proscription  de  la  langue 
française. — La  collation  des  cures. — L'agitation  au  Canada. 
La  pétition. — Mission  de  MM.  John  Neilson  e.t  Louis- 
Joseph  Papineau.— La  Chambre  d'assemblée  et  le  Conseil 
législatif  condamnent  le  bill. — MM.  Neilson  et  Papineau 


322  TABLE     DES     MATIERES 

Pages 

à  Londres. — Leur  mémoire  contre  l'Union. — On  leur  fait 
des  promesses. — Le  bill  reste  en  plan. — L'attitude  de  lord 
Dalhousic. — La  tentative  échoue. — Aveux  rétrospectifs.— 
Une  chanson  satirique 108 

CINQUIEME  LEÇON 

L'imbroglio  constitutionnel. — Un  intermède. — -La  session  de 
lg23. — M.  Vallièresélu  orateur. — Les  estimations  budgétaires 
— Nouvelle  classification. — La  chambre,  tout  en  signalant 
certaines  objections,  vote  les  subsides. — La  session  de  1824. 
— Moins  d'harmonie. — Lord  Dalhousie  et  M.  Vallicres. — 
La  situation  financière. — Le  déficit  CaldwcII. — Divergences 
dans  la  Chambre. — Vallières  et  Papineau. — Intéressantes 
passes  d'armes. — Le  Canada  Trade  Act. — Etonnante  attitu- 
de de  Papineau. — Les  subsides. — Un  débat  mouvementé. — 
Le  vote  prépondérant  de  M.  Vallières. — M.  Neilson  veut 
amender  des  résolutions  inspirées  par  M.  Papineau. — Un 
bill  des  subsides  rejeté  par  le  Conseil  législatif. — Le  conflit 
entre  le  pouvoir  exécutif  et  la  Chambre. — En  quoi  il  con.sis- 
tait. — La  liste  civile  annuelle  tt  l'afTcctation  de  tout  le 
revenu. — Un  coup  d'œil  sur  chacun  de  ces  deux  aspects  de 
la  question. — La  liste  civile  en  Angleterre  et  au  Canada. — 
Différences  de  conditions. — L'affectation  du  revenu  total. — 
Les  raisons  politiques  de  la  Chambre. — La  session  de  182.^. 
— Une  accalmie.— Absence  de  lord  Dalhousie. — Adminis- 
tration conciliante  du  lieutenant  gouverneur  Burton. — Il 
obtient  les  subsides. — Une  équivoque. — Détente  momenta- 
née.— Lord  Bathurst  blâme  sir  Francis  Burton. — -Il  man- 
que une  heureuse  occasion  de  mettre  fin  à  un  malencontreux 
conflit. — L'épisode  Bathurst-Burton. — Retour  de  lord  Dal- 
housie.— La  session  de  1826. — Nouvelles  divergences. — La 
Chambre  refuse  les  subsides. — Prorogation  ab  irato. — Disso- 
lution et  élections.  —  Violente  agitation. — La  majorité  est 
soutenue  par  l'électorat. — Manifeste  et  harangue  de  M.  Pa- 
pineau.— La  session  de  1827. — M.  Papineau  réélu  orateur. 
— Lord  Dalhousie  refusc^de  l'agréer. — La  Chambre  persiste. 
Prorogation    immédiate. — Nouvelle    crise. — Les     Canadiens 


TABLE     DES     MATIERES  323 

Pages 

pétitionnent  pour  soumettre  leurs  griefs  ;iu    parlement  im- 
périal      144 

SIXIEME  LEÇON 

L'enquête  de  1828. — Assemblées  publiques  à  Québec  et  à 
Montréal. — Formation  de  comités. — Les  pétitions  canadien- 
nes.— Analyse  des  griefs  formulés. — La  composition  du  Con- 
seillégislatif. — Conseillers  fonctionnaires  et  pensionnaires- — 
Leur  dépendance  indiquée  par  leurs  votes. — Les  revenus 
et  la  dépense.- — Les  salaires  exorbitants. — Le  cumul  des 
fonctions. — Comparaison  entre  deux  époques. — L'instruc- 
tion publique. — L'Institution  royale. — La  concession  et 
l'administration  des  terres  publiques. — La  tenure  des  terres. 
— L'ingérence  du  parlement  impérial. — Plaintes  de  la  mi- 
norité.— Les  bureaux  d'enregistrement. — La  représenta- 
tion des  cantons  de  l'est. — Une  délégation  canadienne,  MM. 
Neilson,  Viger  et  Cuvillier. — Huskisson,  secrétaire  des 
colonies. — Les  fluctuations  de  la  politique  anglaise. — La 
question  canadienne  soumise  aux  Communes. — Discours 
de  Huskisson. — Assertions  discutables. — Exposé  incom- 
plet.— Un  important  discours  de  sir  James  Mackintosh.-^ — 
Nomination  d'un  comité  d'enquête. — Audition  des  témoi- 
gnages.— Un  document  précieux. — Constatation  de  faits. — 
Griefs  prouvés  par  nos  délégués. — Une  lettre  de  MM. 
Neilson,  Viger  et  Cuvillier. — Le  rapport  du  comité  de 
1828. — La  légitimité  de  nos  plaintes  reconnue. — Le  départ 
de  lord  Dalhousie. — Sir  James  Kempt. — Les  chan  bres 
se  réunissent. — L'élection  de  M.  Papineau  comme  orateur 
sanctionnée. — Encore  une  accalmie 187 

SEPTIEME  LEÇON 

La  division  du  parti  canadien.— Le  gouvernement  de  sir 
James  Kempt. — Unetrêve  politique. — Les  difTicuItés  de  la  si- 
tuation.— Sir  James  Kempt  et  les  partis. — Une  lettre  à  sir 
George  Murray. — La  session  de  1828-29. — La  question  des 
finances. — Message  de  .sir  James  et  réponse  de  la  Chambre. — 


324  TABLE    DES    MATIERES 

Pafîes 

Les  estimations  budgétaires. — Un  bill  de  subsides  voté  par 
les  deux  chambres. — Le  remaniement  des  comtes. — Les  ex- 
pulsions de  M.Christie. — La  session  de  1829-30. — Maintien 
de  la  trêve. — Les  craintes  de  sir  James  Kempt. — Un  bill  de 
subsides  encore  une  fois  voté. — L'esprit  pacifique  du  juge 
Sewell. — Appréciations  de  M.  Papineau.^ — Sir  James  Kempt 
etIeConscil  législatif.^ — Il  adresse  une  dépêche  au  ministre. — 
Une  faute  d'impression  malencontreuse. — Le  départ  de  sir 
James  Kempt  et  l'arrivée  de  lord  Aylmer.^ — La  mentalité 
du  nouveau  gouverneur. — Dispositions  excellentes  envers 
notre  cause. — En  Angleterre. — Les  changements  de  minis- 
tère.— Lord  Godcrich  mini.stre  des  colonies. — Une  politique 
de  conciliation. — Lettre  significative  de  lord  Aylmer.— 
MM.  Papineau  et  Neilson  proposés  pour  le  Conseil  exécu- 
tif.— Leur  refus.^ — La  session  de  183L — Une  proposition 
du  gouvernement  impérial.^ — Une  liste  civile  de  19,500 
louis. — Estimations  réduites. — La  Chambre  refuse  un  vote 
permanent.  —  Des  résolutions  proposées  par  M.  Neilson.- — 
Appréciations  favorable  de  lord  Aylmer. — Les  amendements 
de  M.  Bourdages. — Un  message  peu  banal  de  lord  Aylmer. — 
Un  bill  de  .subsides  voté  et  sanctionné. — Accusations  contre 
M.  James  Stuart. — Sa  suspension. — Le  cas  des  juges  Flet- 
cher  et  Kerr. — La  session  de  1831-32. — Une  dépêche  mémo- 
rable de  lord  Goderich. — L'abandon  du  revenu  de  la  Cou- 
ronne par  la  loi  Howick. — Une  li.ste  civile  de  5,900  louis. — 
Refus  de  la  Chambre. — Une  faute. — L'attitude  de  M.  Neil- 
son.— La  question  des  juges. — L'élection  du  Conseil  légis- 
latif.— Le  bill  des  notables.— Fâcheuse  ligne  de  conduite 
de  MM.  Papineau  et  Bourdages. — Le  clergé  maltraité  par 
la  majorité. — Evolution  regrettable. — Alarmants  symp- 
tômes     220 


TABLE  DES  NOMS  DE  PERSONNES 


Alison,  39. 
Amyot  (M.),  97. 
Aubin  (W.),  19. 

Aylmf.r  (lord),  221,  232,  233,  234,  235,  236,  239,  24  0' 
241,  242,  244. 

B 

« 

Baby  (F.),  32. 

Bacquet  (J.-B.-E.),  188. 

Baldwin,  235. 

Baring  (W.-B.),  210. 

Bathurst  (lord),  8,  12,  33,  35,  38,  40,  43,  44,  45,  46, 

56,  57,  67,  68,  78,  79,  80,  81,  88,  145,  168,  175,  176, 

177,  179,  204,  205,  224. 
BÉDARD  (Joseph),  122. 

BÉDARD  (Pierre),  6.  8,  11,  13,  14,  16,  20,  26,  27. 
BÉDARD  (T.-P.),  220,  262. 
BÉLANGER  (Jean),  123,  226. 
Bell  (M.),  24. 
Bellet  (M.),  14. 
Bfrthelot  (Amable),  188. 
Beaujeu  (M.  de),  227,  230. 
BiBAUD  (Michel),  41,  70,  85,   108,  123,  143,  144,  160, 

181,  182,  184,  220,  245,  261. 
Bigaouette  (J.),  188. 
Blackiston  (Robert),  188. 
Blackstone,  136. 
Blackwood  (John),  32. 

Blanchet  (le  Dr  F.),  14,  20,  123,  184,  188.  226. 
BoRGiA  (Joseph-Levasseur),  8,  13,  24,  188. 
Borne  (Michel),  187. 


320  lABLE    DES    NOMS    DE    PERSONNES 

BouRDAGES  (louis),  123,  154,  155.  157,  159,  182,  221, 
228,245,247,248.249.  250.251.  252,  254.  255, 
257,  258,  259,  200. 

BOURNE  (S.),  211. 

BouTH ILLIER  (Jean),  122. 

BowEN  (Edward),  123,  192. 

Bright  (Henrv),  117. 

Brogden  (M.),  113,  114. 

Bruneau  (M.),  24. 

Burdett  (sir  Francis),  135. 

BURNET  (P.),  123. 

Burton  (sir  Francis),  145,  169,  171,  173;  174,  175,  17G, 
177,  178,  179. 


Cai.dwell  (John),  10,  32,  144,  150,  151,  152,  153,  188, 

192,  210,  217,  242,  203. 
Canning  (George),  140,  205,  234. 
Cannon  (John),  189. 
Campbell  (Archibald),  211. 
Carleton  (sir  Guy),  169,  170. 
Castlereagh  (lord),  19. 
Chauveau  (P.-J.-O.),  139,  144. 
Christie  (Robert),  7,  9,  12,  14,  32,  40,  41,  59,  63,  70, 

80,  85,  89,  90,  96,  99,  108,  144,  153,  171,  172,    178, 

184,  220,  221,  226,  227,  230,  232,  241,  262. 
Clarke  (Alured),  169. 
Clarke  (Thomas),  104,  288. 
Clouet  (Michel),  188. 
Coffin  (Thomas),  192. 
Colborne  (sir  John),  229. 
Coltman  (William-Batchelor),  10. 
CORBEIL  (M.),  20. 
Craig  (Henry),  317. 
Craig  (sir  James),  6,  7,  8,  9,  10,  12,  13,  14,  15,  16,  17, 

19,  20,  25,  26,  28.  30,  35,  36,  38,  39,  40,  50.  53,  56, 

78,  170,  180,  232. 
Cramahé  (Hector-Theopîiilus).  169. 
Cugnet  (J.-F.),  200,  219. 
CuTHBERT  (James),  10,  32,  258,  259. 


TABLE    DES    NOMS    DE    PERSONNES  327 

CUTHBERT  (Ross),   10, 

CuviLLiER  (Austin),  57,  104,  123,  184,  186,  204,  211, 
213,  214,  215,288. 

D 

Dalhousie  (lord),  71,  89,  93,  94,  96,  98,  100,  104,  109, 
128,  141,  145,  146,  150,  153,  164,  175,  176,  177, 
178,  179,  180,  181,  182,  184,  186,  190,  217,  218, 
219,  222,  226,  233,  300. 

Davidson  (J.),  104,  123. 

Debartzch  (P.-D.),  122. 

Debrett,  140. 

Defoy  (Etienne),  188. 

Demers  (l'abbé  Jérôme),  256. 

Denault  (Mgr),  14.  • 

Denison  (J.-É.),  211. 

Desbarats  (P.-E.),  123. 

Desrivières  (François),  122. 

DioNNE  (Dr  N.-E.),  257. 

DoRCH ESTER  (lord),  53,  94,  200. 

Dorion  (Joseph),  188. 

DouGHTY  (Arthur),  41. 

DouTRE  (Gonzalve),  28,  41. 

Drummond  (sir  Gordon),  6,  40,  41,  44,  45,  46,  47. 

DucHESNAY  (Antoine-Jiichereau),  10. 

Duchesnay  (A.-L.-J.),  32,  123. 

DucHESNEAU  (l'intendant),  246. 

Dumoulin  (M.),  252. 

DuNN  (le  président),  170. 

DuvAL  (John),  188,  250,  253. 


Ellice  (Edward),   109,  110,  116,  117,  138,  139,  141, 
142,  211. 


Faucher  (Pierre),  188. 
Fazakerley  (J.-A.),  211. 


328  table  des  noms  de  personnes 

Felton  (W.-B.),  130,  192,,  258  259. 
Ferland  (l'abbé),  8,  70. 
Fitzgerald  (M.),  211. 
Fitzgerald  (V.),  211. 
Fletcher  (le  juge),  241. 
Forsyth  (Henry-George),  188. 
Forsyth  (H.-S.),  188. 
FoRTiER  (Louis),  188. 
F'oucHER  (le  juge),  8,  43,  57,  59. 
Franklin  (Benjamin),  139. 
Fraser  (John),  188. 
Fletcher  (le  juge),  221,  241. 


Gagné  (Joseph),  188. 

Gale  (Samuel),  203,  211. 

Garden  (G.),  104. 

Garneau  (F.-X.),  13,  41,  70,  85,  97,  108,  131,  138,  139, 

144,  184,  220,  261. 
Gaspé  (Ignace-Aubert  de),  10,  123. 
Gauthier  (Augustin),  188. 
George  III  (le  roi),  71,  90,  92. 
George  IV  (le  roi),  162. 
Goderich  riord),  205,  221,  233,  234,  235,  239,241,242, 

24'i,301.  317. 
Goudie  (John),  123. 
Gower  (F.-G.-L.),  211. 

Grant  (Charles-William),  10,  110,  130,  172,  259. 
Grenville  (lord),  204. 
Grey  (lord),  109,  138,  233,  242. 
GuGY  (Louis),  192. 
Gugy  (M.),  259. 
Guy  (Louis),  122,  228. 


H 


Mâle  (Edward),  151. 
Hale  (John),  32,  192. 
Hale  (M.\  259. 


I 


TABLE  DES  NOMS  DE  PERSONNES        329 

Hamel  (A.-R.),  188. 
Hamilton  (Henry),  169. 
Hart  (M.),  110.  ' 
Hait  (M.),  231,  299. 
Heney  (Hugues),  123. 
Henderson  (W.),  123. 
HÉRICOURT  (d'),  136. 
HopE  (Henry),  169. 
Horton  (R.-W.),  141. 
HowiCK  (lord),  221,  243. 
Hume  (M.),  210. 
HuoT  (H.-S.),  188,  251. 
HuoT  (M.),  24. 

HusKissoN  (W.),   186,  204,  205,  206,  207,  209,  211, 
214,  215,  222. 


I 


Ignotus,  184. 
iRyiNE  (James),  120. 


Jenner  (le  Dr),  65. 
Jones  (Jonas),  104. 
Johnson  (sir  John),  192. 
Juchereau-Duchesnay,  123. 


Kempt  (sir  James),  186,  219,  221,  222,  223,  224,  225, 

227,  228,  229,  230,  231,  232,  235. 
Kerr  (James),  10,  191,  221,241. 

KiNGSFORD  (William),  41,  70,  88, 108, 144, 184,220,261. 
Kimber  (R.-J.),  123. 

L 

Labouchère  (Henri),  208,  211. 
Lagueux  (E.-C),  123,  188. 
Lagueux  (Louis),  188. 


330        TABLE  DES  NOMS  DE  PERSONNES 

Lacueux  (Louis,  fils),  188. 

Laglîeux  (L.-A.),  188,  253.  255. 

La  Fontaine,  235,  251. 

Lamartine,  144. 

Lanaudière  (Charles-Gaspard  de),  10. 

Langevin  (J.),  188. 

Laroque  (F.-A.),  123. 

Laterrière  (Pierre  de  Sales),  63,  64,  251. 

Laval  (Mgr  de),  245,  266. 

Leblond  (Jacques),  188. 

Lecky  (E.-H.),  227,  262. 

Lee  (M.),  13,  14. 

Lee  (Thomas),  123,  137. 

LÉGARÉ  (Ignace),  188. 

LÉCARÉ  (Joseph),  188. 

LÉRY  (Charles  de),  128. 

LÉRY  (L.-R.-C.  de),  122. 

Lewis  (T.-F.),  211. 

Lindsay  (W.),  123. 

Liverpool  (lord),  204,  205. 

Loch  (T.),  211. 

Logan  (M.),  110. 

Londonderry  (lord),  114,  117. 

Lotbinière  (Chartier  de),  32. 

Louis  XV,  92. 


M 


Mackintosh  (sir  James),  109,  114,  115,  116,  131,  138, 

141,180,209,211. 
Mackenzie  (Roc!.),  130. 
MacLean  (A.),  105. 
Maitland  (sir  Peregrine),  71,  88,  89. 
Marett  (J.-L.),  188. 
Marryatt  (M.),  101, 
Martin  (A.  Patchett),  50. 
Marshall  (M.),  111. 
Masures  (F.),  73,  108. 
Massue  (Louis),  188. 
May  (sir  t.  Erskine).  16L  162,  184,205,  220,234,  262. 


TABLE  DES  NOMS  DE  PERSONNES       331 

McArthur  (Duncan),  41. 
McCoRD  (F.),  170,  181. 
McGiLLIVRAY  (W.),  32,  211. 
MiGNAULT  (.P.-B.),  260,  262. 
MiLNES  (sir  Robert  Shore),  9,  169,  170. 
Mirabeau,  139. 
MoFFAT  (M.),  259. 
MOLSON  (M.),  110. 

MONDELET  (M.),  251. 

Mondore  (Joachim),  188. 

MoNK  (le  juge),  6,  17,  20,  21,  23,  31,  32,  33,  35,  43,  55, 

60,  71,  85,  88,  89,  100,  111. 
Moquin  (Louis),  123. 
Mountain  (l'évêque),  6,  12,  16,  31,  32. 
Moquin  (Louis),  123. 
Morgan  (Henry),  18,  39,  41. 
Mountain  (l'évêque),  6.  12,  16,  31,  32. 
MuiR  (John),  10. 

MuNRO  (William-Bennett),  210   220. 
Mure  (M.),  24. 

MuRRAY  (sir  George),  221,  222,  233,  314. 
Murray  (James),  170. 

N 

Napoléon  (l'empereur),  80,  91,  305. 

Neilson  (John),  26,  27,  43,  104,  109,  123,  138,  131,  133, 
134,  137,  138,  139,  140,  145,  159,  184,  186,  188, 
191,  196,  197,  198,  202,  204,  211,  213,  214,  215, 
221,  226,  227,  235,  237,  238,  239,  240.  242,  243, 
244,  245,  2.50,  251,  254,261,  263,  283,  288,  289, 
291. 


O 


Ogden  (M.),  69,  129. 


Pagnuelo,  260,  262. 
Panet  (Jean-Antoine),  60. 


332  TABLE    DES    NOMS    DE    PERSONNES 

Panet  (Pierre-Louis),  8. 

Panet  (Philippe),  123,251. 

Papineau  (Joseph),  14,  40. 

Papineau  (I..-J.),  13,  14,  24,  43,  44,  60,  61,  63,  65,  66, 
68,  69,  71,  91,  93,  104,  109,  122,  127,  128,  131,  133, 
134,  137,  138,  139,  140,  145,  146,  154,  155,  156, 
157,  158,  170,  173,  176,  180,  181,  182,  186,  219, 
221,  222,  229,  230,  232,  235,  237,  243,  244,  245, 
248,  251,  252.  253,  255,  257,  259,  260,  263,  282. 

Parker  (Wilham),  114. 

Peel  (RoJjert),  233. 

Pelletier  (Pierre),  188. 

Perceval  (Spencer),  204. 

Percival  (Michael-Henrv),  ](). 

Perrault  (Jacques),  10. 

Perrault  (J.-F.),  41,  70,  108,  123,  184,  220,  261. 

Perrault  (Olivier),  10. 

PiTT  (William),  48,  153,  204,  205,  208. 

Plante  (J.),  123. 

Plessis  (Mgr),  6, 7, 11, 12,43,  56,66,  67,  68,  96,  176,  259. 

PoRTLAND  (le  duc  dc),  204. 

PozER  (M.),  24. 

Prescott  (Robert),  169,  170,  199. 

Prévost  (ladv),  39. 

Prévost  (sir  George),  6,  7,  8,  9,  10,  11,  12,  13,  15,  16, 
21,  23,  28,  30,  33,  34,  35,  36,  37,  38,  39,  4J,  52, 
53,  67,  71,  78,  87. 

Pyke  (M.),  24. 


QuESNEL  (F.-A.),  123. 
QuESNEL  (Jules),  123. 
QuiROUET  (F.),  123,  226. 


R 

RiCHARDSON  (John),  10,  99,  110,  123,  129,  172. 
RiCHMOND  (lé  duc  de),  72,  83,  87,  88,  100. 
RoBiNSON  (le  procureur  général),  111,  112. 
Roi  (M.),  14. 


< 


table  des  noms   de  personnes  333 

Rolland  (J.-R.),  122. 
Rou VILLE  (J.-B.  Hertel  de).  10,  12. 
Roy  (J.-E.),  153,  184. 
Roy  (Joseph),  188. 

Ryland  (H.-W.),  6,  7,  9,  10,  11,  12,  16,  17,  29,  32,  33, 
85,  192,  196. 


Saint -Ours  (Charles  de),  32,  122. 

Saint-Ours  (R.  de),  32. 

Saint-Réal  (Valhères  de),  128,  145,  140,  150,  153,  154, 

155,  157,  158,  159,  170,  188,  191. 
Salaberry  (C.-M.  de),  122. 
Salaberry  (Louis  de),  123. 
S  AN  don  (le  vicomte),  211. 
Sewell  (le  juge),  6,  16,  17,18,  20,  21,  23,  25,  26,  27, 

28,  29,  31,  32,  33,  35.  38,  43,  48,  49,  55,  60,  61   67, 

69,  85,  105,  221,  224,  230,  258,  259. 
Sewell  (Stephen),  19. 
Sherbrooke  (sir  John  Coape),  41,  43,  44,  45,  46,  47, 

48,  49,  50,  52,  53,  54,  55,  56,  57,  58,  59,  61,  63,  64, 

66,  67,  68,  70,  71,  72,  78,  79,  80,  81,  82,  83,  84, 

87,  99. 
Spencer  (lord),  9. 
Stanley  (E.),  210,  211. 
Stephen  (James),  211. 
Stewart  (C.-J),  192. 
Stewart  (John),  192. 
Strachan  (le  rév.),  140,  284. 
Stuart  (Andrew),  19,  123. 
Stuart  (James),  6,  16,  18,  19,  21,  24,  25,  27,  28,  30, 

36,  40,  41,  43,  44,  50,  55,  60,  61,  62,  63,  64,  123, 

138,  139,  140,  141,  220,  241. 
Stuart  vs  Bow.man,  202. 


Taine  (Hippolvte),  53. 
Taschereau  (F.-P.-J.),  123. 


334  table  des  noms   de  personnes 

Taschereau  (J.-E.),  123. 

Taschereau  (M.),  20,  158. 

Têtu  (F.),  123. 

TiNDAL  (sirW.),  211. 

ToDD  fAlplicus),  161,  184,  205,  220,  234,  262. 

Turgeon  (Louis),  123. 

V 

Vallières  (J.-A.),  ]23. 

Veritas  (lettres  de),  41. 

ViGER  (D.-B.),  13,  14,  133,  157,  184,   186,  204,  211, 

213,  214,  215,  218,  231,  288. 
ViLLIERS  (F.-H.),  211. 

W 

Wallace  (T.),  211. 

Wellington  (le  duc  de),  39,  50,  88,  204,  205,  233. 

WiLCOx  vs  WiLCOx,  202. 

Williams  (Jenkln),  22. 

WiLMOT,  113,  114,  115,  127,  134,  282,  289. 

WiLMOT-HoRTON,  140,  142,  210,  211,  214,  215. 

WiLSON  (T.),  123. 

W^ooLSEY  (G.-W.),  123. 

WORTLEY  (J.-T.),  211. 

Wynn  (C),  211. 


Yeo  (sir  James),  39. 


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