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Full text of "De l'éducation des femmes"

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DE L'ÉDUCATION 



DES FEMMES 



■:;?.% 






DE 



L'ÉDUCATION 

DES FEMMES 

PAR 

CHODERLOS DE LACLOS 

AUTKUR DES Uffisons dûngereuses 

Publié d'après le Manuscrit de la Bibliothèque Nationale 

Avec une inlroduclion cl des documentii 

Par EDOUARD CHAMPION 



SUIVIS DE NOTES INKDITES 

nK CÎÎAIU.KS RAUDELAIUK 



PAULS 

LIHUAIKIi: I.EON VAMRIl, ÉDITKUR 

A. MESSBIN Suce 

I(), (2 l'Ai SA INT-MICHEI., I9 



y 



DE 



L'ÉDUCATION 

DES FEMMES,, 

PAR 

CHODERLOS DE LACLOS^ 

AUTEUR DES « Liaisons dangereuses » 
Publié d'après le Manuscrit de la Bibliothèque Nationale 

Avec une introduction et des documents 
Par EDOUARD CHAMPION 

SUITIDB NOTES INÉDITES DE CHARLES BAUDELAIRE 



PARIS 
LIBRAIRIE LÉON VANIER, ÉDITEUR 

A. MESSEIN, Suce 

19, QUAI SAINT-MICHBL, I9 

1905 



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IL A lÊTé TIR1& DE CET OUVRAGE *. 

40 exemplaires sur papier des manufactures impériales 
du japon numérotés de i à iO. 



N"" ^^ 



l 



HARVARD UNIVERSITY 
LïBRARY 

JAN 2 3 1991 



Monsieur Alfred BÉGIS 
bibliophile 



Hommage de reconnaissance. 

E. C. 



TABLE DES MATIÈRES 



I. — Introduction 1 

II. — Db l'éducation DBS FEMMES, PAR CHODERLOS DE LACLOS. 

i) Discoars sur la question proposée par T Académie de 
Gh&lons-sur- Marne : Y a-til un moyen de perfectionner 
l*éducation des femmes (fragment) 11 

2) Des femmes et de leur éducation {fragment) . . 16 

III. — Quelques mots en guise de pRéFACS aux notes inédites 

DE CHARLES BAUDELAIRE 87 

lY. — Notes inédites de charlbs baudblairb .... 91 

a) Biographie 01 

h) Notes 95 

c) Intrigue et caractères 101 

d) Citatûms pour services aux caractères .... 103 

y. — Documents pour servir a l'histoire de la vie db 

CHODERLOS DE LACLOS 113 



INTRODUCTION 



// en est de Laclos comme de quelques-uns des esprits 
les plus délicats de notre littérature amoureuse : on 
connait mal son œuvre, sa vie reste encore obscure. 
Tour à tour capitaine inventeur, conspirateur, secré- 
taire du duc d^Orléa}iSf directeur du Journal de la 
Société des amis de la Constitution. Laclos partagea, de 
manière sage, ses loisirs entre l'étude de Palgébre et 
les problèmes de Vamour. 

En 1782, à Vâge de quarante et xm ans, il publiait les 
Liaisons dangereuses, et reprenait plus tard, avec la 
même science et une égale sérénité^ ses exercices sur les 
tirs. Des policiers prudents, profonds psychologues, 
le qualifièrent, dans un rapport, « d'homme de génie; 
très froid » . I^' égarons pas ce témoignage précieux de 
contemporains; un défaut dont sont coutumiers les 
biographes, c'est d'exagérei' les vertus du personnage 
qu'ils analysent : fonctionnaires zélés, 7ios rapporteurs 
n'ont pu tomber dans pareil excès. Ils ont deviné le 

1 



2 INTRODUCTION 

caractère de Laclos et il semble que, depuis leur sobre 
jugement, nos critiques n'aient pas trouvé d'étiquette 
qui convînt mieux à r auteur des LidÀsons dangereuses. 
Nous vendons comment, même, ils se seraient écartés 
plutôt de ce sage avis. 

Un gros livre ne suffirait pas s'il fallait narrer 
toutes les circonstances singulières de son existence, 
sa carrière auprès des d'Orléans, son rôle pendant la 
Révolution, ses campagnes, ses pi^'isons... Pour satis- 
faire des engagements avec mon aimable éditeur, Je 
dois remettre à plus tard cette étude ; je me suis con- 
tenté de grouper en appendice un faisceau de pièces 
d' archives qui pourront fournir au lecteur curieux 
l'aperçu saisissant de cette vie studieuse et variée. 

Ce fragment de ^Education des femmes, qu'on lira 
plus loin, ne doit pas avoir à nos yeux d'autre intérêt, 
d'autre mérite que celui d'un document. Mais que 
penser d'un document qui concerne d'abord Laclos 
lui-même et son œuvre littéraire; qui est précieux pour 
l'histoire de son temps et des idées de Pépoque ; qui 
s'*adressait enfin, et s'adresse encore, à cette partie char- 
mante de l'humanité, sans laquelle, comme Va dit un 
délicieux naïf, l'autre ne pourrait vivi^e : les femmes ? 

Par une circonstance fortuite, une causerie de café, 
Villiers de PIsle-Adam imagina ^Eve Future. La con- 
ception simple, mais d'une complication égale, que 
Choderlos de Laclos se fit de la femme idéale et par- 
faite, fut le fruit déplus longues réflexions et de tnédi- 
tations plus fréquentes. Ce mathématicien voluptueux 



INTUODUCTION ô 

et réfléchi ne bannit pas r amour ; il le résout comme 
un théorème de géométrie ; il le voudrait dépouillé de 
tout caractère artificiel et trompeur. Toutefois ^ pré^ 
chant le retour à la nature y opposant à la femme sociale, 
infectée physiquement et moralement, une femme natu- 
relle, belle de corps et d'âme, rendons-lui cette justice 
qu'il nHmagine rien, La sensiblerie <i'Emile et de la 
Nouvelle Héloïse a profondément iiifluésur son esprit; \ 
ei Laclos ne fait que repreiidre, le plus souvent^ les \ 
idées déclamatoires de Jean-Jacques Rousseau si sédui- / 
santés en temps de Révolution, S'il combat les théo- / 
ries de M. de Buffon, reconnaissons aussi, pour être 
juste, qu'il n^est guère plus ennuyeux que lui. 

La femme naturelle! Le retour à la yiaturel ces 
questions ont passionné toute une génération d'élite; 
des hommes savants en ont discuté avec amertume ; 
aujourd'hui^ à relire leurs mémoires, pamphlets, dis- 
sertations,., on a peine à retenir quelques bâillements* 
LHnfluence morale de ces rhéteurs fut à peu près nulle. 
Cette précieuse attardée, parée de tout ce que la mode 
comporte de nouveaux: inconvénients, qui déclame en son 
salon la perfection de la femme naturelle, est une de 
leurs conquêtes. Et celle-là, aussi, qui se fait apporter 
son enfant en présence de ses invités, et lui tend à travers 
de fines dentelles, un sein dépérissant !,., Mais ny avait- 
il pas là du libertinage, encore, et du menso7ige, ce 
qtCon a nommé depuis le da^idysme ? 

A la veille de cette Révolution, presque nécessaire, 
si Von ne considère que les hardiesses des mœurs, 



4 INTRODUCTION 

la bo?iiie société^ dont Laclos nous trace^ dans ses Liai- 
sons dangereuses, U7i tableau si exacte rivalisait de 
corruption avec le peuple. Ces te7nps ressemblaient 
singulièrement aux nôtres et la réconstitution nous en 
est aisée. 

En 1784, rapportent les Goncourt, lepéreElieHarel, 
dans les Causes du désordre public, comptait à Paris 
\ « soixante mille filles de prostitution, aicxquelles on en 
I ajoute dix mille privilégiées, ou qui font la contre- 
i bande », et les auteurs de Z'Histoire de la société pen- 
' dant la Révolution française ajoutent : « Les penseurs 
du XV IW siècle, effrayés des progrès du vice, 
en avaient cherché les remèdes y> , Au contraire de ce 
qu^on croyait jusqu'aujourd'hui, je ne crains pas de 
placer Choderlos de Laclos au premier rang de 
ces réformateurs intelligents. Certains biographes 
n'avaient voulu voir dans les Liaisons dangereuses 
qu'un excitant de plus à cette débauche i?iouïe 
et organisée. Pour eux, Choderlos de Laclos marchait 
de compagnie avec Nerciat et V auteur des Amours du 
chevalier de Faublas. Plus tard, des juges timorés 
avaient à cédé des instances inconnues. Et c'est ainsi que 
les Liaisons dangereuses, taxées d'ouvrage licencieux, 
furent condamnées à être détruites pour outrages aux 
bonnes moeurs, et mises ensuite à V index, par la police, 
La réputation de Laclos en souffrit, « Regardons à ces 
fenêtres, dit Michelet nous désignant le Palais-Royal, 
j'y vois distinctement une fem7ne blanche, un homme 
noir. Ceso7it les conseillers du prince, Iq vice et la vertu, 



INTRODUCTrON 5 



M*"" de Genlis et Choderlos de Laclos. » // nous eût \ 
étonné que Michelel ne se fit t inépris en pareille occasion. 
En vrai romanliqve, il dit une hélise pour le plaisir 
d'une banale opposition « blanc et noir » — « vice et 
vertu,,, » Mieux inspiré ^ mieux documenté, Baudelaire 
avait pressenti une injustice. Il croyait au but moral 
des Liaisons dangereuses, Lettres recueillies dans une so- 
ciété et poursuivies pourrinstiniction de quelques autres. . . 
ce sous-titre de Laclos n'éclairait-il 2ms les tendances 
de Vœuvre F Et peut-on tarer de libertinage ce mora^ 
liste caché qui après avoir conté ^ et avec quelle puis- 
sance dans le cynisme^ les mœurs dépravées de ses 
contemporai7îSf leur mo7itrait, tout comme Racine dans 
Phèdre, « les ègare^nents oii mènent les passions » ? 
Cette prostituée de La Merteuil défigurée, ce brillant 
séducteur de Valmont percé d'un coup d'épée,,. Les 
dévotes mêmes ne pouvaient souhaiter du ciel une plus 
juste punition. Et les d7*amafiques aventures qui acca^ 
blent enfin ces voluptueux perfides ne constituaient- 
elles pas le dénouement souhaité par toute morale, par 
toute religion ? 

Sainte-Beuve, et lui-même nous le rapporté, eut de 
longues et prudentes hésitations avant d'éditer son beau 
roman de Volupté, ou de si fortes passions sont si terri- 
blement contenues et réprimées : < Puis, dit^il, quand f ai 
reporté les yeux sur les temps où nous vivions, sur cette 
confusion de systèmes, de désirs, de sentiments éperdus, 
de confessions et de midi tés de toutes sortes, j'ai fini par 
croire que la publication d*un livre vrai aurait peine à 



6 INTRODUCTION 

être un mal déplus, et qu'il en pourrait même sortir çà 
et là quelque bien pour quelques-uns. )> 

Laclos n'est coupable peut-cire que de ne pas avoir 
énoncé semblable scrupule. Lui eii sera-t-il toujours 
tenu rancune ? Reconnaîtrons-nous enfin que si ses 
peintures réalistes parlent de trop vive façon à nos sens, 
la faute en est souvent en nous, qui ne savons pas les 
exiler de nous-mêmes et qui lisons avec eux.,. 

Il y avait plus et mieux que toutes ces raisons d'un 
ordre sentimental. Les Liaisons dangereuses se ter- 
minent par une note oîi de Choderlos de Laclos annonce 
une suite à cet ouvrage. Avait-elle jamais été écrite? 
Baudelaire avait été frappé de cette lacune, il avait noté 
ce point comme un problème à éclaircir. 

Le fragment ce didactique » que nous publions ci- 
après, de /'Education des femmes, n est pas sans quelque 
rapport avec /es Liaisons dangereuses.^^ sans prétendre 
qu'il en soit la suite, n'en serait-il pas comme une con- 
séquence, comme la conclusion ? Choderlos de Laclos 
avait dit dans les Liaisons, tous les dangers de V amou- 
reuse coquette de son temps, tous les vices de la séduc- 
tion contemporaine. Pour qui sait lire, un sujet pres^ 
que semblable est repris, continué, combattu, dans 
/'Education puisqu'il y est décrit tous les avantages de 
la femme naturelle, le charme de l'amour simple. Cette 
rencontre nest peut-être pas seulement l'œuvre d'une 
fortune heureuse et imprévue. Et Choderlos n avait-il 
pas comme le dessein de provoquer, par cette opposi- 
tion flagrante, un désir de contrition, le retour à des 



LNTRODUCTION 7 

idées plus saines'^ L'Education des femmes ne devait- 
elle pas enfin continuer, dans son esprit, la bienfaisance 
des Liaisons considérée alors comme œuvre morale? 

Assurément, Une faudrait pas exagérer. Ce n'est pas 
là un pendant à /'Educalion des filles, de Mo7iseigneurA 
de Fénelon, Les conseils que Choderlos de Laclos donn&(^ 
aux femmes, s'adresseraient mieux, parfois, aux cour- 
tisanes. Mais tenons compte des mœurs du temps, qui, 
malgré lui, Ventrainaient dans ces écarts. Et qvHon dise 
s'il n'avait pas à convertir tcne société plus franchement , 
corrompue que les brebis de Varchevêque de Cambrai ? 

Dans un de ses ouvrages, le Pornographe, qui pré- 
sente avec ce fragment de ^Education des femmes, 
quelques ressemblances disséminées. Rétif de la Brotonne 
traite aussi du même sujet. Maître Nicolas accepte les 
filles. Il fait plus encore : il les réglemente. Il veut des 
femmes jolies et fraîches 2ilacées dans des parthénoins et 
celui-là dirigéparuncoïi%Q\\ composé de douze citoyens 
ayant exercé des charges dans la magistrature; au- 
dessus d'eux, des gouvernantes. // ne peut y avoir de 
doute. Rétif accepte la prostitution; il la protège. Ce 
retour à la nature que demande Laclos n^est-ilpas une 
mesure préférable, dès lors, et plus honnête, que cette 
extension, même policée de la débauche ? Rétif com- 
mande aux femynes €de n'avoir jamais aucunes odeurs, 
de mettre du blanc ou du rouge, de se servir de pom- 
mades pour adoucir la peau, étant reconnic que tout 
cela ne donne qu'un éclat factice et détruit la beauté 
naturelle m. 



8 INTRODUCTION 

Qu^on examine comment Laclos développe les mêmes 
pensées. Il semble plus ritfte que C ouf eur du Pornographe 
mais avec quelle bonhomie ne se hâfe-t-il pas de jus- 
tifier ses réprimandes ? El cvmne il connaît une pom- 
made satisfaisante, il s*emprcsse de leur on donner la 
recette... Il aime trop V amour pour l'abolir; et rete- 
nons tout le pessimisme philosophique de sa définition 
de la beauté : ik Elle n'est, dit-il ^ qice V apparence la 
plus favorable à la jouissance, la ina^iière (Tétre qui 
fait espérer la jouissance plus délicieuse.., » 

Laclos n était pas arrivé à de telles opinions, il n'avait 
pas connu le retour à la nature coynme l'unique salut 
pour la femme, aprè% avoir promené seulement son 
esprit désenchanté et curieux sur la seule société de 
son temps. Il avait mené à travers les peuples du monde 
une vaste enquête, une information étendue. Il a étudié 
les mœurs de tout payi: Groenland, Islande, Tartarie, 
Corée, Abyssinie, Congo, etc., ainsi que nowi le prouvent 
d'amples notes qui font partie du manuscrit Fr 12846. 
Parfois cela se résume en quelques lignes : 

Terre Australe. Nouvelle Hollande : Hommes et 
femmes vivent pêle-mêle. Sont forts laids. Ont pour 
tout habillement une ceinture d'écorce d'arbre et un peu 
d'herbe qui cache leurs parties naturelles. 
Ou encore : 

Géorgie Persanne. Royaume de Gaket : de Karduel. 

C'est Tancien pays des fabuleuses 

figure amazones. Les femmes de Karduel sont 

belles, suivant C4hardin, et plus que l'imagi- 



INTRODUCTION 



parure 
propreté 



nation la plus vive pourroit se le figurer. 
Moins, suivant Tournefort. Mais pourtant 
beaucoup so fardent sans goût. Sont propres. 
S habillent à la persane. Sont vicieuses et 
extrêmement dissolues. 



Mûls le plus somment son enquête s' est étendue à tout ce 
qui touche mœurs, usages singuliers, règles, mariages» 
maternité, divorce. Ainsi : 

Tunis — Alger 
Maroc — Fez — Tripoli 



Maures. 



figure 

maturité 

habillement 



parure 



ré}udialion 



occupation 

caracière 
général 



Les femmes maures sont belles, sont 
souvent mères à onze ans et stériles à 30. 
Leur habillement est très couvert quand 
elles sortent, portant veste, calençon. voile 
et manteau, mais au logis elles quittent tout 
cela et mettent seulement une serviette au- 
tour des reins . Se coiffent artistement et pei- 
gnent en noir de mine de plomb les poils de 
leurs paupières. Le mari peut répudier sa 
femme quand il lui plaît mais non la repren- 
dre qu'elle n'ait été mariée à un autre. Les 
femmes sont chargées de tous les soins du 
ménage; en général les femmes de rArable 
sont belles mais n'ont que cela d'estimable. 
Persuadées qu'elles ne sont au monde que 
pour le plaisir des hommes, elles en font 
leur unique occupation et en sont mépri- 
sées dès qu'elles n'y peuvent plus convenir. 



!• 



iO INTRODUCTION 

f ignore si tons nos lecteurs goiMeront également ce 
texte de Laclos auquel je dois maititenant céder la place. 
Mais qu'ils n'y voient pas que ridicules et naïveté. Il g a 
mieux que cela dans ces pages ; elles aboîident en pré- 
ceptes et en maximes dont on ne pourrait juger la sagesse 
qu'en les appliquant. Etqu'ilstienneiit compte à V écri- 
vain des Liaisons dangereuses, de ses efforts d'érudition, 
de ses nouvelles tendances d'éducateur des femmes, 

Edouard Champion. 



DE L'ÉDUCATION DES FEMMES ^^^ 



DISCOURS 

SUR LA QUESTION PROPOSÉE PAR l'aCADÉMIB DE CHAALONS-SUR- 

MARNB 



Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner 

Véducaiion des femmes. 

Le mal est Bans remède quand les 
vices se sont changés en mœurs. 
SÉfiftonE. Lettre 39. 
!•' mars^^lffe; 

Une compagnie de scavants et de sages décerne au- 
jourd'hui une couronne littéraire à celui qui dira le 
mieux quels seraient les moyens de perfectionner l'édu- 
cation des femmes. La foule des orateurs s'avance. 
Chacun d'eux vient présenter aux juges le fruit de son 
travail et tous espèrent en obtenir le prix. D'autres mo- 
tifs m'amènent. Je viens dans cette assemblée respectable 
consacrer à la vérité plus respectable encore une voix 
faible mais constante et que n'altérera ny la crainte de 
déplaire, ny l'espoir de réussir. 

(1) Bibliothèque Nationale, Ms. Fr. 12846, fo 5. 



12 DK L*ÉDUCAT10N DES FEMMES 

Tel est rengagement que je contracte en ce jour. Le 
l""" devoir qu'il m'imposeest de remplacer par une vérité 
sévère une erreur séduisante. Il faut donc oser le dire : 
il n'est aucun moyen de perfectionner l'éducation des 
femmes. Cette assertion paraîtra téméraire et déjà j'en- 
tends autour de moi crier au paradoxe. Mais souvent le 
paradoxe est le commencement d'une vérité. Celui-cy en 
deviendra une si je parviens à prouver que l'éducation 
prétendue, donnée aux femmes jusqu'à ce jour, ne mérite 
pas en effet le nom d'éducation, que nos lois et nos 
mœurs s'opposent également à ce qu'on puisse leur en 
donner une meilleure et que si, malgré ces obstacles, 
quelques femmes parvenoient à se la procurer, ce seroit 
un malheur de plus pour elles et pour nous.Icy il est né- 
cessaire de poser quelques principes. Et si cette marche 
didactique n'est pas celle de l'éloquence, il suffit à mes 
viies que ce soit celle de la vérité. 

Ou le mot éducation ne présente aucun sens, ou Ton 
ne peut l'entendre que du développement des facultés de 
l'individu qu'on élève et de la direction de ces facultés 
vers l'utilité sociale. Cette éducation est plus ou moins 
parfaite, à proportion que le développement est plus ou 
moins entier, la direction plus ou moins constante ; que 
si au lieu d'étendre les facultés on les restreint, et ce 
n'est plus éducation, c'est dépravation ; si au lieu de les 
diriger vers l'utilité sociale on les replie sur l'individu, 
c'est seulement alors instinct perfectionné. Mais les fa- 
cultés se divisent en sensitives et en intellectuelles. De 
là l'éducation phisique et l'éducation morale qui, séparées 



PAR CIIODKRLOS DR LACLOS 13 

dans leur objet, se réunissent dans leur but : la perfec- 
tion de l'individu pour l'avantage de Tespcce. Dans le 
cas particulier qui nous occupe, la femme est rindividiî : 
Tespèce est la société. La question est donc do sçavoir 8i 
l'éducation qu'on donne aux femmes développe ou tend 
au moins àdévelopper leurs facultés, à en diriger lemploy 
selon rintérèt de la société, si nos lois ne s'opposent pas 
à ce développement et nous-mêmes à cette direction, 
enfin si dans Tétat actuel de la société une femme telle 
qu on peut la concevoir formée par une bonne éducation 
ne seroitpas très malheureuse en se tenant à sa placx; et 
très dangereuse si elle tentoil d'en sortir : tels sont les 
objets que je me propose d'examiner. 

! femmes, approchez et venez m'entcndre. 

Que votre curiosité, dirigée une fois sur des objets 
utiles, contemple les avantages que vous avoit donnés la 
nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre 
comment,néescompagnesde l'homme, vous êtes devenues 
son esclave; comment, tombées dans cet état abject, vous 
êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder c^jmine 
votre état naturel ; comment enfin, dégradé^*» de plus en 
plus par votre longue liabitude de res<;lavage, vous en 
avez préféré les vices avilissants, mais commo^Jes, aux 
vertus plus pénibles d'un être libre et respectable- Si oe 
tableau Gdellement tracé vous Laisse de sang froid, si 
vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à 
vos occupations futiles. Le ma/ est tans remt^de, les vices 
te sont changés en mœurs. Mais i^i au récit de vos mal- 
beors et de vos pertes, vous rougissez de bon!/* *ft de 



14 De L EDUCATION DES FKXMES 

colftrc, si dcslarmcs d'indignation s'échapent de vos yeux, 
si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, 
de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez 
plus abuser par de trompeuses promesses, n'attendez 
point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils 
n'ont ny la volonté, ny la puissance de les finir, et 
comment pourroient-ils vouloir former des femmes de- 
vant lesquelles ils seroient forcés de rougir ; apprenez 
qu'on ne sort de l'esclavage ; que par une grande révolu- 
tion. Cette révolution est-elle possible? C'est à vous 
seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage en 
elle vraisemblable. Je me tais sur cette question ; mais 
jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes 
régleront votre sort, je serai authorisé à dire, et il me sera 
facile de prouver qu'il n*est aucunmoyen de perfection- 
ner Véducation des femmes. 

Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éduca- 
tion : dans toute 80ciété,les femmes sont esclaves ; donc 
la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si 
les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra 
nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage 
il no puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle 
do la définition do ce mot ; c'est le propre de l'éducation 
de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est 
de les étoufer ; c'est le propre de l'éducation de diriger 
les facultés développées vers l'utilité sociale, le propre 
de Tesclavage est de rendre l'esclave ennemi de la so- 
ciété. Si ces principes certains pouvoient laisser quelques 
doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la li-' 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 15 

Lerté. On ne niera pas apparement qu'elle ne soit une 
des facultés de la femme et il implique que la liberté 
puisse se développer dans l'esclavage ; il n'implique pas 
moins qu'elle puisse se dérigcr vers l'utilité sociale puis- 
que la liberté d'un esclave seroit une atteinte portée au 
pacte social fondé sur l'esclavage. Inutilement voudroit- 
on recourir à des distinctions ou des divisions. On ne 
peut sortir de ce principe général que sans liberté point 
de moralité et sans moralité point d'éducation. 



[Ici plusieurs pages blanches format in-8^ indiquent 
que Choderlos de Laclos n'a pas continué sa disserta- 
tion. Nous donnons ces préliminaires comme une sorte 
de préface aucc pages qui suivent dans le manuscrit 
i2,846 ; elles sont écrites sur de grandes feuilles in'4'^, 
d'une écriture très fine.] 



< 



DES FEMMES ET DE LEUR ÉDUCATION (1) 



CHAPITRE I 



DB LA FEMME ET DU BUT DE CET OUVRAGE 



Un ancien définissoit Thomme un animal à 2 pieds, 
sans plumes ; la femme est la femelle de cet animal 
là, non la femme défigurée par nos institutions, mais 
telle qu'elle est sortie des mains de la nature. Destinée 
comme les autres animaux à naître et à produire, elle a 
reçu comme eux l'attrait du plaisir, moïen de conserva- 
tion pour l'espèce ; la crainte de la douleur, moïen de 
conservation pour l'individu. De ces deux moïens, le 1*' 
comme le moins important doit être et se trouve, 
en effet, subordonné au 2\ Après l'âge de la généra- 
tion, la nature semble abandonner l'individu,- son 
sentiment s'émousse, ses organes s'obstruent. Le plai- 

(1) B, N. Ms. Fr. 12.846, fo 6. 



DE l'Éducation des fkmmes par Choderlos de laclos 17 

sir et la douleur vscmblent le quitter à la fois ; l'insen- 
sibilité augmente, et nous l'appelons vieillesse; Tin- 
sensibilité totale est la mort. Se conserver et se ro- { 
produire, voilà donc les lois auxquelles la nature a 
soumis les femmes. Ainsi, pourvoir à leur nourriture 
personnelle, recevoir les approches du mâle, nourrir 
Tenfant qui en est provenu et ne Tabandonner que 
lorsqu'il peut se passer de ses soins, telles sont les im- 
pulsions naturelles que les femmes reçoivent. Souvent 
nos institutions les en éloignent, jamais la nature ne 
manque de les en punir. Ont-elles gagné ou perdu à ces 
institutions ? Nous prétendons moins décider cette ques- 
tion que mettre nos lecteurs en état de le faire, et pour 
cela nous suivrons les femmes, depuis celles de la na- 
ture jusqu'à celles de nos jours. Cette carrière est vaste à 
parcourir. Arrivé à ce point, nous essaierons de recon- 
noîtro combien elles se sont égarées, et d'indiquer le 
chemin qu'elles ont à tenir pour se retrouver. Peut-être 
cette seconde course sera t'elle aussi longue et plus pé- 
nible que la l*^*". 



CHAPITRE lï 



:^ 



DE LA FBMMB NATURELLE 



La femme naturelle est, ainsi que Thomme, un 'être 
libre et puissant ; libre, en ce qu'il a rentier exercice 
de ses facultés ; puissant, en ce que ses facultés égalent 
ses besoins. Un tel être est-il heureux? Oui, sans doute, 
et si, dans nos idées, son bonheur nous paroit un para- 
doxe, un examen plus réfléchi en fait bientôt recon- 
noitre la vérité (1). Les hommes ont voulu tout perfeo- 
^T tionner, et ils ont tout corrompu ; ils se sont chargés de 
chaînes, puis ils se sont plaints d'être accablés sous 
leurspoids; insensés et injustes, ils ont abandonné la 
nature qui les rendoit heureux, puis, ils l'ont calomniée, 
en l'accusant des maux que cet abandon leur causoit, 
qu'eux-mêmes s'étoient faits. 

(1) Il no faut pas prendre les recherches dans lesqueUes on 
peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques, mais seuler 
ment pour des raisonnements hypothétiques et conditionels 
plus propres à cclaircir la nature des choses qu'à montrer la véri- 
table origine. Roossbau, De Vinég. parmi les hommes^ p. 173f 
petit in-12. 

Note de Ch. de L, 



CHAPITRE III 



DB l'enfance 



L'homme civil, àrinstant de sa naissance, est étroite- 
ment garrotté dans un maillot ; il semble que ses parents 
veuillent déjà Taccoutumer à l'esclavage éternel qui lui 
est préparé ; dans cet état de gêne et de souffrance, sa 
mère le repousse et Téloigne d'elle ; elle le prive de la 
chaleur maternelle qui convient seulle à sa faiblesse ; 
elle lui refuse le laict préparé pour sa substance. Ce 
n'est pas ainsi qu'est traité l'enfant naturel ; au moment 
ou sa naissance s'annonce un état d'abattement, de 
malaise et de déplaisance porte sa mère à chercher la 
solitude. Les membres endoloris demandent un coucher 
plus doux, et sans pénétrer la cause, déjà elle prépare le 
lieu où se doit accomplir l'œuvre de la nature. Couchée 
tranquillement, elle attend sans crainte, comme sans 
prévoïance, un événement qu'elle ne connoit pas. Ce- 
pendant une douleur salutaire vient lui rendre du res- 
sort, la sollicite au mouvement nécessaire pour faciliter 



20 DE L'ÉDUCATrON DES FEMMES 

cette opération, l'engage même à prendre la situation la 
plus favorable à la sortie de l'enfant. Il naît enfin, et la 
cessation de la douleur (état si semblable au plaisir) 
est le 1*^' sentiment qui attache la mère à l'enfant. 
Qui voudra sçavoir combien est délicieux et fort le 
sentiment de l'amour maternel qu'il n'aille pas dans les 
palais des grands où l'intérêt et la vanité sollicitent 
seuUes la génération ; qu'il évite les cabanes des pauvres 
où la misère l'étouffé quelquefois ; qu'il fuie les hommes 
aujourd'hui trop dépraves ; mais qu'il consulte les ani- 
maux ; en est- il un, si timide, qu'il ne devienne coura- 
geux pour la deffense de ses petits, un, si cruel, qu'il ne 
soit doux et folâtre avec eux ; un, si volage, qu'il ne se 
fixe à leur donner ses soins ?... la femme seulle consent 
à se séparer de son fils... mais non ; chez elle-même la 
nature est violée et non pas séduite, encore sensible. 
Répondez, qui de vous s'est vu enlever son enfant nou- 
veau-né sans l'arroser de quelques larmes? La femme 
naturelle est plus heureuse ; rien ne la prive, rien ne la 
sépare de l'objet de son affection ; tous ses soins lui vont 
être consacrés ; peu d'heures après l'enfantement, elle 
se lève, elle va baigner son enfant dans un ruisseau 
voisin ; elle s'y baigne elle-même ; après s'être séchée 
sur le gazon, elle le sèche à son tour, non par des fric- 
tions irritantes, non en l'exposant à une chaleur dessi- 
caiive, mais en le plaçant sur son sein ; c'est là qu'il 
trouve à la fois une chaleur salutaire et une nourriture 
qui lui convient. Le laict est le lien naturel qui unit la 
mère et l'enfant ; s'il est nécessaire à l'un de le recevoir, 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 21 

il est au moins dangereux à l'autre de l'en frustrer.Heu- 
rcuse société dont la base est un bienfait réciproque. 
Aussi, la mère ne veut-elle jamais abandonner son en- 
fant ; dans ses courses, que nécessite le besoin de sa 
nourriture, elle le porte entre ses bras ; dans ses mo- 
ments de repos, elle joue avec lui et lui fait exercer ses 
forces naissantes ; s'il survient un danger, elle cache son 
enfant, elle s'expose seulle et revient à lui le plutôt pos- 
sible : pareillement l'enfant ne scauroit rester loin de sa 
mère; s'il ne la voit plus auprès de lui, il pleure, il 
s'agite ; lui est-elle rendue ? il est tranquille, ses mains 
encore foibles cherchent à s'étendre vers elle, son sou- 
rire enfantin décèle sa joie, et cette joie retentit dans le 
cœur de sa mère. Nous le demandons maintenant, mal- 
gré l'appareil fastueux des accoucheurs, des gardes, des 
nourrices, des gouvernantes, lequel du fils d'un prince 
ou de cet enfant sauvage, lequel des deux est abandonné 
en naissant (1) ? 

(1) S'il se trouvoit quelqu'un, qui voulût douter qu'une 
femme, nouvellement accouchée, eût la force nécessaire pour 
remplir facilement les soins indispensables de la maternité, nous 
le renvoyons aux négresses de nos colonies qui, peu d'heures 
après l'enfantement, vont elles-mêmes laver leurs enfants ; aux 
vivandières de nos armées, qui accouchent pendant une marche, 
emmaillotent leur enfant à la hâte, et continuent de conduire 
devant elles le mulet qui porte leurs provisions, et peu de jours 
après reprennent ies travaux pénibles auxquels elles sont assu- 
jéties; aux femmes du pauvre artisan, qui, bien plus près de 
nos mœurs, ne laissent pas, pendant la cérémonie du baptême, 
de se lever, de uettoïer leur chambre et préparer la collation, 
puis se recouchent pour être malades, à l'imitation de nos 
dames. Notes deCk, de L. 



22 DE L EDUCATION DES FEMMES PAR CHODERLOS DE LACLOS 

Cependant, le laict devenu plus rare, rend Tentant 
moins utile à sa mère, et la mère moins nécessaire à son 
enfant ; déjà il a acquis quelque force, l'instinct d'imi- 
tation lui a appris, à l'exemple de sa [mère, à chercher, 
connoître et prendre une nourriture étrangère. Il scait 
marcher comme elle, il n'y a plus de différence entre 
eux, que dans le degré de force et d'expérience usuelle, 
que le temps seul peut lui faire acquérir. Icy finit, avec 
la nécessité, le contrat d'union qu'elle avait établi entre 
la mère et l'enfant; le i*'' hazard qui les désunit, les 
séparera pour toujours ; bientôt ils ne scauront plus 
même se reconnoître, l'enfant va exister seul sous la 
garde de la nature. Icy conunence le second âge de 
l'homme. 



CHAPITRE IV 



CONTINUATION DU MÊMB SUJET 



L'enfance de l'homme a deux époques distinctes pour 
lesquelles notre langue ne fournit qu'un môme mot. Les 
latins, qui les ont distinguées, les ont exprimées par les 
mots infans et prier, La signification de ce mot infans 
(qui ne scait pas parler) prouve qu'ils avoient plus consi- 
déré l'homme civil que l'homme naturel. Pour nous, nous 
fixerons cette époque au temps où l'enfant peut pourvoir 
lui-même à ses besoins, c'est-à-dire, marcher et manger 
seul; sans prétendre indiquer ce temps au juste, nous 
ferons remarquer que, pour les enfants des paysans, 
cette époque est ordinairement de 3 à 4 ans. Nous 
observons de plus que l'enfant naturel doit être plus 
précoce et que la comparaison avec quelques animaux 
nous porte à croire que ce temps doit être, à peu près, 
la 30* partie de la vie ordinaire. Après cette courte di- 
gression, nous continuerons de nous servir du mot enfant 
pour désigner le second âge de l'homme que nous allons 
considérer. 



24 DE l'éducation des femmes 

Ce second âge comprend un assez grand espace de 
temps, que la nature emploie à perfectionner Tindividû 
et à le mettre en état de se reproduire. Les moïens dont 
elle se sert pour y parvenir sont le mouvement, l'appétit 
et le someil, moyens si heureusement unis que l'un ne 
manque jamais d'amener l'autre ; en effet, le mouvement 
fait naître l'appétit, l'appétit à son tour nécessite le 
mouvement et tous deux, dès qu'ils sont satisfaits, pro- 
voquent le sommeil. Il n'est pas besoin d'avoir beau- 
coup observé les enfants, pour scavoir que le mouve- s 
ment est leur élat naturel. Les entraves qu'où leur 
donne, les menaces qu'on leur fait, les châtiments ip'on 
leur inflige, les contraignent quelquefois, et ne les 
changent jamais ; les perd-on de vue\ un instant ? ils 
courent, ils sautent, ils s'agitent, il faut qu'ils se re- 
muent. Un enfant tranquille, à moins\ qu'il ne soit 
fatigué, est un enfant malade ; ce simptôme est certain. 
Notre élève, disons mieux, celui de la nature, n'est pas 
contraint à ce repos forcé ; cette sage gouvernante le 
force, au contraire, à s'exercer sans cesse ; il a trop à 
faire pour rester en place. 

De tous les animaux^ l'homme est sans contredit celui 
qui s'accomode le mieux de nourritures différentes; 
herbes, graines, fruits, poissons, chair, tout lui est bon. 
Malgré ces facilités, on sent assez que le soin de sa nour- 
riture doit être une occupation, longue et laborieuse, 
pour un enfant sans force et sans expérience. Les herbes 
contiennent peu de sucs nourriciers, en proportion de 
leur volume ; les graines sont dispersées, et l'on en 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 25 

recueille peu à la fois; les fruits, pour la plupart, sout 
élevés, il faut apprendre à monter sur les arbres ; le 
poisson, les animaux, ollrcnt plus de difficultés encore. 
Dénué de force, l'enfant ne peut s'attaquer qu aux ani- 
maux faibles, mais ceux-là sont d'ordinaire timides et 
fuiards ; la course est une ressource mal assurée, si la 
ruse ne s'y joint, et la ruse est le fruit de Texpérience ; 
il sera donc journellement exercé, souvent même fatigué, 
mais jamais affligé ny rebuté et qui pourroit trouver pé- 
nible un travail que le désir fait entreprendre, que soutient 
l'expérience, et que le succès couronne ? Cependant, ce 
n est pas assez de manger, il faut boire; nouvelle course 
à faire, mais celle-ci se fait plus lentement que les autres, 
car, d'une part, l'enfant a déjà dissipé une partie de ses 
forces ; de Tautre, il marche vers un but certain et fixe ; 
il n'est poussé ny par l'inquiétude de trouver sa proie, 
ny par la crainte de la manquer : il arrive donc plus 
fatigué qu'échauffé. 

Là il boit et se baigne ; il nage même, car il a appris 
de sa mère cet art, qui n'est ignoré que des peuples ins- 
truits ; il trouve à la fois dans cette occupation un délas- 
sement, un plaisir, et le seul tonique qui soit toujours 
efficace etjamais dangereux. On croit donc que manger et 
boire occupent une grande partie du temps de notre élevé. 
A quoi emploiera t'il le reste '? A dormir, Belle vie, dirai 
t'on. Qu'on nous dise donc ce que font de plus la plus part 
des hommes, sinon tromper, s'ils sont foibles et oppri- 
més. S'ils sont puissants, de pareilles occupationsValent- 
elles le sommeil qui les remplace V Notre élevé dort, 

2 



26 DE l'éducation des femmes 

disons-nous, tantôt d'un sommeil profond, pendant lequel 
la nature élabore en silence ; tantôt de ce sommeil léger, 
qui se laisse sentir, doux repos que ne connoit pas le 
coupable et dont Tambitieux se prive, qui délasse le 
voluptueux, lorsque ses excès ne l'en ont pas privé, 
que rhomme innocent et juste goûte quelquefois, malgré 
nos institutions, et qui, pour l'homme naturel, est un 
plaisir également sain etassuré. Cependant, guidé parces 
besoins, notre élève s'instruit peu à peu ; bientôt il sçait 
franchir un buisson, se frayer une route dans un bois 
fourré, sauter un fossé, gravir une montagne escarpée, 
escalader un arbre. Chaque jour il reçoit de la nature 
une leçon nouvelle ; chaque proie qu'il poursuit lui est 
un sujet d'étude, chacun de ses repas est le prix de son 
adresse ou de ses réflexions. 

Ainsi se passe ce long intervalle que la nature (si l'on 
peut parler ainsi) emploie à préparer l'espèce humaine, 
temps où chaque individu, n'étant encore qu'ébauché, n'a 
encore aucun caractère distinct, où les différences 
sexuelles sont encore nulles, ou du moins sans in- 
fluences (1) où chacun, suivant l'expression d'Evagrius, 
est homme avec les hommes, et femme avec les femmes. 
Mais enfin la nature se sépare, et se ramifie en quelque 
sorte ; elle perfectionne son ouvrage et divise les sexes. 
Nous la suivrons dans sa marche ; jusqu*icy nous avons 



(1) Analise raisonnée de Baile^ t. IV. 

Noie de Ch. de X. 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 27 

généralisé nos expressions, parce que nos discours conve- 
noient également à l'enfant mâle et femelle. L'état de pu- 
berté les sépare, nous abandonnons le mâle et nous nous 
bornons au sujet que nous nous sommes proposé de 
traiter. 



CHAPITRE V 



DE LA rUBKRTÉ 



Le choix des aliments, plus ou moins nourrissants, la 
vie sédentaire ou active sont des causes phisiques qui 
contribuent, presque autant que le climat, à accélérer, ou 
retarder, le moment de la puberté. Le feu de Timagination 
qui, dans la société, ne manque presque jamais d'être 
allumé, soit par la veii d'actions, ou de tableaux relatifs, 
soit par des discours ou des lectures peu chastes, et par 
les reflexions solitaires, qui les suivent, est une cause 
morale, non moins puissante, pour hâter la nature. Elle 
paroît céder alors à une force étrangère, et les signes de 
puberté se manifestent bien avant queFindividû soit per- 
fectionné ; mais ce dérangement des lois naturelles n'a 
jamais lieu sans porter sa peine avec lui ; le sujet qui 
existe trop tôt n'existe jamais pleinement. Si surtout il 
se presse d'user de sa jouissance, s'il s'y livre avec trop 
peu de ménagement, il n'a bientôt plus qu'une vie lan- 
guissante et faible ; en vain cherche-t-il des ressources 
dans des aphrodisiaques, souvent illusoires, et toujours 



DE l'Éducation des femmes par Choderlos de laclos 29 

dangereux, il ne fait qu*empirer son mal. Le plaisir 
s'obstine à le fuir, si même il le rencontre quelquefois 
ce plaisir lui semble imparfait, il n'a plus la force de 
le goûter ; semblable à ces fruits précoces, que l'art 
arrache à la nature, il n'a ny qualité ny saveur, ce n*est 
qu'une apparence vaine : ainsi se venge la nature de 
l'être imprudent qui ose violer ses loix. Heureux encore, 
s'il portoit seul la peine de sa témérité ; mais sa postérité 
la partage ; de là, ces générations vaporeuses, rachitiques 
ctpituiteuses. si communes aujourd'huy dans nos grandes 
villes, de là ces hommes dégénérés, qui nous font re- 
garder, comme un roman invraisemblable, les monu- 
ments de la force de nos pères. La fille naturelle est à 
l'abri de ce danger ; jamais une table délicatement servie 
n'a provoqué un appétit satisfait ; jamais une oisiveté 
molle n'a laissé circuler dans son sang une trop grande 
quantité de sucs nourriciers ; jamais, surtout, des idées 
la§cives n'ont enflamé son imagination. Vingt fois, cent 
fois, elle a vu s'accomplir devant elle l'acte de la géné- 
ration ; elle n'a pas rougi, elle n'a pas fui, mais elle a 
continué sa route avec indifférence, et elle n'a pas jeté 
derrière elle un regard furtif ; elle a vu des yeux du 
corps, et non de ceux de l'àme ; ses sens dorment en- 
core ; ils attendent, pour s'éveiller, le cri de la nature. 
On peut donc assurer, avec vraisemblance, que la pu- 
berté de la fille naturelle ne se manifestera (au moins 
dans un climat semblable au nôtre) qu'après que le corps 
aura presque fini sa croissance, et l'on peut assurer avec 
certitude que, dans tous les climats, la nature, livrée à 

2* 



30 DE l'Éducation des femmes 

clle-môme, n'accordera à une fille la faculté de devenir 
mère qu'après lui avoir donne la force d'en remplir les 
devoirs ; qu'on ne craigne pas de la voir, dans la foret, 
comme dans nos villes, trahir quelquefois la tendresse 
d'une mère, en lui refusant le laict qu'elle destinoit à 
son enfant. Enfin, le moment arrive où Tenfant va cesser 
de l'être, où son existence, jusqu'icy concentrée, va se 
partager et se répandre au dehors. Déjà les formes s'ar- 
rondissent, la gorge croît sensiblement, les parties de la 
génération se resserrent et se couvrent d'un poil naissant. 
Souvent, jusqu'à ce jour, dans une société de chasse, ou 
dans quelque autre occasion, notre jeune fille s'étoit 
trouvée parmi des hommes (1), sans inspirer, ny éprou- 
ver aucune sensation ; un nouveau hasard l'y ramène ; 
mais à peine a-t-elle touché la main de l'un d'eux, 
qu'un doux frémissement se répand dans tout son corps ; 
sa main se retire ; involontairement elle rougit, non de 
pudeur, mais de trouble ; elle désire, mais elle craint de 
s'approcher encore ; ce sentiment inconnu va l'occuper 
tout entière. Déjà elle cherche la solitude ; là elle se 
replie en quelque sorte sur elle-même, pour la 1" fois 
elle va s'occuper de ses pensées ; le morne ennui, 
la vague inquiétude la tourmentent tour à tour ; un léger 
engourdissement dans les aines, une sensibilité presque 

(1) Supposons cotte association momentanée ; ce n'est pas tom- 
ber dans la faute, si souvent commise, de transporter à Tétat de 
nature un fait qui no convient qu'à l'état de société. On en 
trouve plusieurs exemples parmi les animaux chasseurs et pour- 
tant solitaires. 

Noie de Ch. de L» 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 31 

douloureuse dans les jointures, rendent son état encore 
plus pénible ; elle se fatigue facilement dans ses marches 
et reste en place sans trouver le repos ; bientôt elle 
éprouve des pesanteurs de tcte, et tous les indices de 
plénitude, tant dans les mamelles que dans toutes les 
parties qui appartiennent à la génération. Elle reste 
dans c«t état jusqu'à ce que le premier flux menstruel 
vienne, à la fois, la soulager, et préparer le laboratoire 
de la nature (1) ; sans doute, pendant ce temps, la fille 
naturelle se croit malade, non qu'elle puisse avoir l'idée 
de la maladie, telle que nous nous la formons, mais elle 
sent qu'elle souffre et qu'il se fait un changement en 
elle ; cependant ces simptômes disparaissent ; mais ils 
laissent après eux ce feu dévorant que la nature a 
allumé, et que le plaisir seul peut éteindre. 

Victime d'un besoin qu'elle ignore, une secrète ardeur 
la consume ; à des jours inquiets, succèdent des nuits 
plus agitées encore ; la première aurore ne la trouve 
plus dans les bras du someil, elle ne goûte plus le repos 
rafraîchissant du matin ; tout dort autour d'elle, elle 
veille seulle dans la nature ; à peine une foible clarté 
fait-elle distinguer les objets, et déjà elle erre avec in- 

(1) On sçait aussi qu'il y a eu des exemples de femmes deve- 
nues mères avant d'avoir eu aucun écoulement périodique ; on 
cite même un peuple entier où les femmes n'y sont pas sujettes ; 
mais, outre que ces exceptions sont rares, n'est-on pas fondé à 
croire qu'alors l'écoulement a lieu intérieurement, ainsi que 
quelques autheurs le prétendent pour toutes les femmes dans 
les temps de grossesse. 

Note de Ch. de Z. 



32 DE L EDUCATION DES FEMMKS PAR CHODERLOS DE LACLOS 

quiétude ; elle court au ruisseau le plus voisin, elle veut 
éteindre dans les eaux le feu qui la tourmente, les pre- 
miers rayons du soleil l'éclairent dans le bain. Vain re- 
mède ! elle en sort et brûle de nouveau. Elle porte au- 
tour d'elle des regards ardents et inquiets ; ils se fixent 
enchantés par le spectacle du matin ; elle a senti les 
!•" feux de l'amour ; la nature va s'animer pour elle ; 
le doux parfum des fleurs la prépare à la volupté ; le 
ramage des oiseaux n'est plus un vain bruit : c est une 
harmonie touchante, qui répond à son cœur. Leurs ca- 
resses réitérées l'affectent plus encore ; les mains élevées, 
la bouche entr'ouverte, les yeux humides, elle regarde 
et craint de les distraire. Sa respiration courte et pressée, 
le mouvement précipité de son sein, tout monire assez 
le trouble de son âme. C'est alors, qu'à quelque distance, 
elle apperçoit un homme ; un instinct puissant, un 
mouvement involontaire, la fait courir vers lui ; plus 
près, elle devient timide, elle s'arrête. Mais, emportée 
de nouveau, elle le joint et le serre entre ses bras... 
Jouissance délicieuse, qui, jamais, osera te décrire? 



CHAPITRE Vr 



DE l'âge viril 



La puberté se trouvant, suivant nos principes, plus 
retardés, dans l'état de nature, que chez les peuples ci- 
vilisés (1), rintervalle qui la sépare de Fâge viril est 
moins long. Celuy-cy commence au moment où le corps 
a pris son entier accroissement, et finit, pour les femmes, 
au temps où elles deviennent stériles (2)^ Cet âge est 
proprement celuy de la génération, et, c'est alors que se 
rapportent les soins de la maternité décrits cy-dessus au 
chapitre de l'enfance. Nous ne voyons pas qu'il apporte 
aucun autre changement dans la vie uniforme de la 
femme naturelle; mais elle est parvenue à son point de 
perfection ; elle ne peut plus que déchoir. Avant qu'elle 
commence à ressentir l'abandon de la nature, arrêtons- 
nous un moment à la considérer. Nous observerons 

(1) Voir le commencement du chapitre précédent. 

Note de Ck. de L. 

(2) Nous faisons toujours a])straction des exceptions. Voir ci- 
dessus la note, page 31. 

Note de Ch de L. 



34 DE L EDUCATION DES FEMJIES 

d'abord que la femme naturelle jouit de trois biens, telle 
que leur privation est la source de toutes nos peines, 
sçavoir : la liberté, la force et la santé. Nous laissons à 
nos lecteurs le soin de la comparer, sur ces articles, avec 
la femme civilisée, et nous ne perdrons pas notre temps 
à discuter ces avantages ; mais il est deux biens sans 
lesquels les femmes comptent pour rien tous les autres ; 
la beauté et Tamour. Icy nous aurons besoin de plus de 
réflexion, pour reconnoître les richesses de la femme na- 
turelle: en effet, sa beauté n*est pas celle de la femme 
que nous connoissons ; elle n'a ny la peau blanche et 
délicate, dont le toucher nous flatte si voluptueusement, 
ny la douce flexibilité, apparente foiblesse, qui semble 
provoquer Tattaque, par l'espoir du succès, et préparer 
la deffaite, par la facilité de l'excuse ; elle n'a, surtout, 
aucune des ressources de la parure dont les femmes de 
tous les climats sçavent si bien tirer party ; sa peau, co- 
lorée par le soleil, est d'une teinte plus brune, mais plus 
animée ; elle est moins fine, à la vérité, mais, si par là 
la sensation du toucher est moins générale, elle devient 
plus forte dans les parties qui en sont le siège et l'or- 
gane, et qui ont conservé toute leur sensibilité ; ses 
chairs, continuellement battues par un air vif, sont plus 
fermes et plus vivantes. On ne peut mieux comparer ces 
deux femmes qu'à des fruits, dont les uns seroient ve- 
niis en pleines campagnes, et les autres dans des serres 
chaudes. Le caractère de sa figure est ordinairement la 
tranquille sérénité ; cependant, qu'elle s'anime, elle a 
de la phisionomie ; non qu'on puisse dire d'elle, comme 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 35 

de tant d'autres femmes, que sa figure a plus d'esprit 
qu'elle ; elle ne scait pas minauder, mais elle scait en- 
core moins se contraindre; son ame se peint sur son 
visage, et s'il exprime avec force la colère ou la terreur, 
le désir ou la volupté ne s'y peignent pas avec moins 
d'énergie. Sa taille est grande et forte, et ses em brasse - 
ments, que sans doute l'homme naturel trouve trop faible 
encore, étoufferoient nos délicats petits maîtres. 

Sa parure est sa chevelure flottante, ses parfums sont 
un bain d'eau claire (1). Cet état, nous osons l'assurer, 
est le plus favorable à la jouissance (2). Mais, dira t'on, 
qu'est-ce que les jouissances sans amour? Ames sen- 
sibles, nous pensons comme vous. L'amour est le conso- 
lateur de la société. L'homme social a païé ce bien de 
tous ceux que possède l'homme naturel. Tels nos !"■ 
pères, suivant la tradition, ne connurent la jouissance 
qu'après leur expulsion du paradis terrestre. Cependant, 
la femme naturelle est-elle sans amour ? Nous convenons 
qu'il ne sçaurait y avoir de passion suivie entre deux 
êtres qui se joignent sans s'être jamais vus, et, dans un 
moment vont se séparer pour ne plus se reconnoître. 
Mais ce moment n'est pas indivisible et, si nous l'observons 

(1) Pour douter de la propreté rigoureuse de la femme natu- 
reUe, il faudroit n'avoir jamais observé les animaux sau- 
vages. T^'Ote de Ch. de L. 

(2; Femmes coquetes et dédaigneuses, regardez autour de vous. 
L'ardent jeune homme vous recherche. Ce n'est pas l'âge difficile ; 
mais celui qui commence à perdre ses forces n'en trouve plus 
pour vous; il se ranime encore à la vue d'une jeune et naïve 
vmageoise. Tant est grand le charme de la nature. 

Note de Ch, de L. 



36 DR l'éducation des femmes par CHODERLOS DE LACLOS 

bien, nous pourrons y appercevoir toutes les nuances du 
sentiment. Les premières caresses leur tiennent lieu de 
déclaration ; tour à tour la femme fuit et provoque : 
ainsi naissent les désirs ; bientôt au comble, ils .font 
naître l'ivresse ; elle ne s'exprime pas par des phrases 
élégantes, mais il ont les humides regards et les soupirs 
brûlants, qui sont de toutes les langues ; ils sçavent 
s'entendre pour jouir de concert et peut-être ce qui les 
différencie le plus est qu'ils se quittent sans dégoût. 
Pourquoi craindrions-nous de le dire? Femmes sincères, 
c'est vous que nous interrogeons. En est-il une, parmi 
vous, qui ait joui constament sans crainte, sans ja- 
lousie, sans remords, ou sans l'ennui pénible du devoir 
ou de l'uniformité ? Vous ne nous répondrez pas ; mais 
ayez le courage de scruter vos cœurs et jugez par vous- 
même. En vain l'orgueilleuse pitié voudrait donc plaindre 
la femme naturelle; elle a la liberté, la force, la santé, 
la beauté et l'amour. Que lui manque-t-il pour être heu- 
reuse ? 



CHAPITRE VII 



DB LA VIEILLBSSB ET DB LÀ MORT 



n est triste de passer du spectacle de l'amour a celui 
de la mort ; mais telle est la loi de la nature dans la 
succession éternelle des temps et des choses : soigneuse 
des espèces, elle paroit se soucier vpeu des individus ; ils 
ne sont, entre ses mains, que des instruments de la re- 
production généralle qu'elle abandonne, après en avoir 
fait usage ; alors commence la vieillesse, que termine la 
mort. Cet âge est celui des infirmités ; tout y annonce 
le dépérissement, les cheveux blanchissent, les dents 
tombent, les chairs mollissent (1), la peau se ride, tous 
les membres sont vacillants, tous les organes émoussés ; 
à ces ellets naturels et inévitables de la vieillesse, à ces 
maux communs, à tous se joignent trop souvent la 
goûte, les rhumatismes, les pithuites abondantes, etc... 
etc. fruits amers des dérèglements en tous genres, tour- 
ment presque inévitable de tous les vieillards, mais dont 

(1) Nous disons que les chairs mollissent, lorsqu'au contraire 
eUes durcissent ; mais il faut nous entendre. 

yote de Ch. de L, 



I 

I 

/ 

I 

« 

38 DE l'édccatio.n des femmes V 

seront exempta rhomme et la femme naturelle. Plus 
heureux encore ils n'auront ny les regrets du passé, ny les 
craintes de Tavenir; il ne seront ny tourmentants ny 
tourmentés, par leur humeur chagrine (1). Ecoutez ce 
vieillard ; à Tentendre, tout s'altère, tout périclite 
autour de lui; les mets sont moins succulents, les 
femmes moins belles, la joïe moins franche, tous les 
plaisirs moins vifs. Semblable à ce passager qui vogue 
pour la V^ fois, séduit par son jugement, il croit 
que les objets le fuient et ne s'apperçoit pas que c'est 
lui qui s'éloigne ; comme lui, il paroit oublier le tenue 
de sa course et ne s'occupe que de son départ ; cette 
terre, qu'il ne doit plus revoir, occupe encore touttes ses 
affections; ses regards, fixés vers elle, décèlent assez les 
idées qui l'occupent, bientôt il ne distingue plus les objets, 
mais il r^arde la place où il les a vus ; il cherche à se 
faire illusion, il veut croire qu'il voit encore. Tandis que 
l'homme naturel suit tranquillement la pente douce et 
facile qui doit le conduire au repos étemel, le vieillard 
du siècle dispute avec acharnement une place que la na~ 
ture destine à sa postérité. Placé dans un sentier étroit, 
entre le roc escarpé et un précipice sans fond, il s'y 
traîne en tremblant, il se tient à tout ce qu'il rencontre, 
il voudroit gravir encore et remonter vers la jeunesse ; 
retour impossible ; son temps est fait. L'un arrive enfin, 

(1) Ifons ne craignons pas de mettre rhumear au rang des 
maladiefl, et d'assurer qu'elle est plus pénible encore pour celuy 
qui l'a que pour ceux qui la supportent. 

Note de Ch. de L, 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 39 

sans s'en appercovoir, au terme de sa course ; le dernier 
pas de l'autre est une chute affreuse au sommet de la vie 
dans Tabîme du néant. Triste effet d'une imagination 
déréglée, qui sans cesse transporte l'horame de la place 
qu'il occupe à celle qu'il désire. Touttes les armes de 
la philosophie ne sont pas trop fortes pour combatre ce 
penchant : malheur inévitable des esprits foibles, fléau 
éternel des femmes, qui, jamais, ne trouvent dans leur 
esprit les ressources nécessaires pour vaincre leur ima- 
gination. Et quel spectacle hideux présente cette femme 
effrénée, dont l'âge n'a pu modérer les désirs, et qui re- 
cherche encore un plaisir qu'elle ne peut plus faire par- 
tager ! Que de peines lui sont préparées, à combien d'hu 
miliationselledoit s'attendre. L'homme, danscemémecas, 
n'est pas moins ridicule ; mais il peut être moins malheu- 
reux ; il possède un reste de puissance, le vil intérêt lui 
fera trouver une fille complaisante, qui aidera sa vanité à 
lui faire illusion ; il sera le jouet de tout ce qui l'entoure, 
mais il pourra l'ignorer ; il n'aura pas le sentiment de son 
état. La femme n'a pas même cette ressource douteuse ; 
en vain, a-t-elle emploie les mômes moyens pour s'atta- 
cher un homme ; il perd, entre ses bras, la force qu'il avoit 
promise; il reste mort, entre elle et sa fortune. Heureu- 
ses les femmes qui, par un travail pénible, parviennent 
au moins à donner le change à leur imagination ardente, 
et scavent le détourner sur des objets non moins futiles, 
mais analogues à leur âge ; plus heureuse la femme na- 
turelle, qui n'a à redouter aucun de ces malheurs. L'ima- 
gination des femmes sociales fait naître leurs sens et 



40 DE L EDUCATION DES FEMMES PAR CHODERLOS DE LACLOS 

leur survit ; celle de la femme naturel naît et meurt avec 
eux; rage des plaisirs passé, elle n'est plus qu'un enfant 
mieux instruit ; tranquille, ellen'a pas besoin de se repaître 
d'illusions; elle pourra vieillir, sans être joueuse, médi- 
sante ou dévote. A ces avantages, dont on sentira facile- 
ment le prix, la femme naturelle en joint un plus précieux 
encor, dont quelquefois Thomme social se vante sans en 
jouir, et dont elle jouit sans s'en vanter : elle ne craint pas 
la mort. Ce moment, si redouté, n'existe pas pour elle ; elle 
n'en a point d'idée, son dernier moment est aussi serein 
que tous les autres ; elle finit plutôt qu'elle ne meure, mais 
elle se laisse aller sans se défendre ; si elle a l'agonie du 
corps, elle n'a pas celle de l'esprit ; elle est exempte des 
terreurs de tout genre, qui, parmi nous, ne cessent d'as- 
siéger le mourant. Nous remarquerons, à ce sujet, que ce 
n'est pas un des moindres avantages de l'homme et de la 
femme naturels, d'être délivrés de la crainte de prévoiance; 
sans doute ils seront effraies, quelquefois, mais,au moins, 
il n'auront à combatre ou à fuir que le danger présent, et 
non les phantomes de leur imagination. Cet avantage est 
peut-être inestimable, surtout pour les femmes, que nous 
voïons, tous les jours, tourmentées par mille craintes, 
qui, pour être puériles, ne leur sont pas moins pénibles; 
pareillement, dans leurs maladies, ils ne souffriront que 
de leurs douleurs ; ils n'auront ny impatience ny in- 
quiétude ; c'est chez eux qu'il faut chercher une résigna- 
tion parfaite ; au reste ils auront peut-être des accidents, 
mais leurs maladies seront rares, et qui les leur cause- 
roient? ils n'ont ny passions, ny cuisiniers, ny médecins. 



CHAPITRE VIII 



RÉFLEXIONS SUR CE QUI PRÉCÈDE 



Nous avons suivi la femme naturelle dans les différentes 
époques de sa vie, nous l'avons vue, à sa naissance, objet 
des plus tendres soins de sa mère, recevoir d'elle les se- 
cours nécessaires à sa faiblesse ; encore enfant^ mais 
déjà plus forte, nous l'avons vue, exempte de la con- 
trainte où ses semblables sont réduites, croitre libre- 
ment et développer ses forces sous les yeux de la na- 
ture ; nous avons observé les changements qu'apportoit 
en elle le moment de la puberté ; nous avons vu naître 
ses 1*"" désirs que le plaisir a suivis, plaisir aussi pur 
que vif, que n'empoisonnoient pas les maux que nos 
institutions ne cessent d'y mêler ; arrivée à l'âge viril, tan- 
dis que nos jours s'écouloient partagés entre les doux 
soins de l'amour et ceux de la maternité, nous avons 
cherché à connoitre tous ses avantages, et nous avons 
trouvé qu'il ne lui manquoit aucun de ceux que l'on pou- 
voit vraisemblablement désirer ; dans sa vieillesse, nous 



I 
42 DE l'éducation des femmes j 

l'avons vue, soumise aux seulles infirmités qui en sont 
inséparables, éviter pareillement les douleurs du corps et 
les peines de l'esprit ; nous avons vu, enfin, une mort pai- 
sible terminer une vie heureuse. Quelle femme maintenant 
osera se présenter et disputer de bonheur avec elle? Sera 
ce, cette reine puissante, fière de dominer sur de vastes 
états, où cherchera t'elle sa félicité ? Sans doute dans celle 
de ses sujets : elle courra donc se rendre redoutable aux 
ennemis du dehors et étouffer les troubles intérieurs ; à la 
fois économe et libéralle elle n'accordera rien à l'intri- 
guante avidité des courtisans et sera toujours assez riche 
pour récompenser les services rendus ; ses guerres, justes 
et heureuses, seront suivies de la victoire et les impots 
multipliés ne dévoreront pas la substance du pauvre ; 
le foible ne l'implorera pas sans succès contre l'oppres- 
sion du puissant ; sa justice vigilante sauvera le simple 
des embûches, de la mauvaise foi ; chérie des bons, son 
nom sera la terreur des méchants, ils fuiront loin d'elle, 
ils iront chercher les lieux si peu rares où ils prospére- 
ront si facilement ; alors sans doute elle sera bénie ; mais 
quelle n'espère pas un moment de repos ; ne faut-il pas 
qu'elle veille pour tous ? Veut-elle donner un moment à 
ses plaisirs? Qu'elle attende celui qu'aucun de ses sujets 
ne réclamera, ou plutôt que sa vie soit une action conti- 
nuelle et qu'elle mettre debout, victime dévouée au bon- 
heur de son peuple. Découragée à la vue d'une carrière 
si pénible, préférera t'elle d'être foible et voluptueuse, 
oubliera t'elle son peuple, pour ne s'ocuper que de ses 
plaisirs ; ils vont se rassembler autour d'elle ; son ima- 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 43 

gination sera moins prompte que le zèle de ses courti- 
sans ; mais par là môme ses jouissances seront impar- 
faites ; malheureuse elle n'aura pas le temps de désirer. 
Cependant, sous un règne foible. l'intrigue dcploïe 
touttes ses forces ; le courtisan ambitieux, non content 
d'opprimer le peuple, veut encore dominer sa souve- 
raine ; maîtresse de tant d'états, elle ne l'est pas de sa 
volonté ; mue par des ressorts secrets, elle cède à une 
impulsion étrangère et inconnue ; elle ordonne par fai- 
blesse l'éloignement de ceux qu'elle chérit et j^ste avec 
étonnement livrée à ceux qu'elle craint, alors elle perd 
l'habitude d'aimer ; la défiance et l'inserfsibilité vien- 
nent flétrir et resserrer son âme ; bientôt elle ne s'ouvre 
plus au plaisir ; elle n'est plus susceptible que de dis- 
traction, et les distractions mômes sont deveniies dif- 
ficiles ; son palais l'ennuie, et toutefois elle craint 
d'en sortir ; traverse t'elle les villes ? le silence morne 
de son peuple contriste son cœur ; parcourt-elle les 
campagnes ? l'image de la misère afflige ses regards im- 
portuns et, elle-même, elle se prend aux lieux qu'elle 
habite de l'ennui qu'elle y porte; elle se fuit, elle 
erre, sans choix comme sans dessein, elle recherche la 
vaste solitude des forêts, laissons-lui cette triste res- 
source : les seuls moments où elle se supporte sont ceux 
où elle parvient à s'oublier. Quelle autre femme se pré- 
sente, dont l'éclat surpasse encore celui des reines? A sa 
beauté parfaite, à son air enchanteur, à son magique 
pouvoir, on la prendroit pour une fée ; environnée 
d'une cour nombreuse, dont elle règle le destin, elle 



/ 



44 DK l'éducation des femmes 

élève, elle abaisse à son gré, elle tourne en se jouant 
la roiie de la fortune ; elle a jeté un regard de colère 
sur l'homme puissant, et son pouvoir s'est évanoui ; elle 
a tendu la main à l'homme accablé et proscrit, et il est 
devenu puissant et honoré. Les plus grands événements 
de l'histoire ne sont le plus souvent que Feffet de ses 
caprices ; elle paroit désirer et déjà tout est en mouve- 
ment ; elle dit, et les obstacles disparoissent. Â ces 
traits qui ne reconnoit la maîtresse d'un roi? Tel est en 
effet le spectacle qu'elle présente à la foule qui la con- 
temple et qui l'envie ; mais l'observateur attentif n'est 
pas séduit par ces apparences trompeuses ; il voit cette 
femme, il la scait idole et victime de la fortune, dispo- 
ser de tout, hors d'elle-même, forcée de paroitre gaie 
quand elle est triste, tendre, quand son cœur est froid, 
folâtre et enjouée, quand l'humeur la domine, confiante 
et tranquille, quand mille craintes l'obsèdent ; il la voit 
placée entre des mécontents et des ingrats ; il l'écoute 
se répéter avec amertume ce vers si connu : fai des 
adulateurs et rCai pas mi ami (1) ; il écoute ses sanglots 
étouffés ; il remarque ses larmes encore mal essuiées ; il 

(1) La maîtresse chérie d'un monarque puissant, attaquée de 
la maladie dont eUe mourut, voulut connoitre son état qu'on 
s'obtinoit à lui cacher ; elle emploia un molen bien simple ; 
chaque jour, elle se faisoit rendre compte des personnes qui ve- 
noient chez elle ; pendant longtemps, on lui nommoit toutte la 
cour ; un jour, enfin, on ne lui cita qu'une personne. Quoi, lui 
seul? dit elle. Seul, lui répondit on. Alors, reprit elle aussitôt, 
n faut mourir, je suis condamnée. Elle ne se trompoit pas et 
mourut en effet, peu d'heures après. 

Noie de Ch. de L. 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 45 

s'éloigne enfin et dit avec vérité : ce n'est pas là qu'est le 
bonheur. Mais, nous dit- on, vous feignez de chercher le 
bonheur et vous craignez en effet de le rencontrer. Nous 
entendons ce reproche et nous abandonnons les palais 
des rois. 

Nous citera t'on, pour être heureuse, cette femme jeune, 
jolie et sensible, qui vient de s'unir à l'époux qu'elle 
adore et qui doute du bonheur d'un moment. Mais que 
l'intervalle est grand d'un moment de bonheur à une 
vie fortunée! Scait'on quelles a été l'enfance et la 
jeunesse de cette femme, quelles sera sa vieillesse et sa 
mort, qui la garantira des accidents de tous les genres ? 
La crainte seulle qu'ils lui inspireront altérera sa félicité, 
et, d'ailleurs, après avoir joui de tout, ne faudra t'il pas 
tout quitter? Plus la jouissance aura été délicieuse, plus 
la perte sera sensible, plus les regrets seront amers. 
Cherchons, au moins, dans notre imagination, ce que la 
société ne nous présente pas. Créons à notre gré une 
femme parfaitement heureuse, autant au moins que 
l'humanité le comporte ; ce sera celle qui, née d'une 
mère tendre, n'aura pas été livrée en naissant aux soins 
d'une mercenaire ; qui, plus grande, aura été élevée 
sous les yeux d'une institutrice également indulgente, 
sage et éclairée, qui. sans jamais la contraindre, et sans 
l'ennuier de ses leçons, lui aura donné toutes les con- 
noissances utiles et l'aura exemptée de tous les pré- 
jugés ; qui, parvenue à cet âge du plaisir, aura trouvé 
pour époux un homme toujours nouveau, amoureux 
sans être jaloux, assidu sans être importun ; qui. deve- 

3* 



46 DE L EDUCATION DES FEMVB5 PAR CHODERLOS DE LACLOS 

nue mère à son tour, aura goûté la douceur de Tamour 
maternel, sans en ressentir les inquiétudes perpétuelles, 
souvent suivies d'un affreux désespoir ; dont Timagina- 
tion sage aura vu fuir sans regret son heureuse jeu- 
nesse ; qui aura seû, en vieillissant, éviter la maladie et 
les ridicules ; qui, enfin, scaura voir la mort sans effroi 
et s'endormir paisiblement de son dernier sommeil ; 
qui, exempte de chagrins personnels, n'en recevra point 
d'étrîmgers ; dont la fortune sera telle, qu'abondam- 
ment pourvue du nécessaire, elle ne soit jamais embar- 
rassée d'un superflu qu'elle ne désire point ; qui vivra 
sans ambition comme sans crainte ; qui, après avoir eu 
la plus grande sensibilité pour le plaisir, trouvera dans 
la douleur ou dans les privations le stoïcisme le plus 
philosophique... Mais cette femme n'est-elle pas une 
chimère ? Non, c'est trait pour trait, et seulement sous 
d'autres mots, Thistoire fidèle de la femme dans l'état 
de nature. On s'obstine pourtant à nous dire : cet 
état n'a jamais existé, il est impossible, il est invraisem- 
blable. Cette question mérite d'être discutée. 



CHAPITRE LX 



EXAMEN DES RAISONS APPORTÉES CONTRE L^ÉTAT DE NATURE 



Ami de la vérité, nous ne dissimulerons pas que plu- 
sieurs philosophes ont combatû l'existence, et môme 
la possibilité, de l'état de nature tel que nous l'avons 
envisagé, et qu'en le supposant, ils ont nié ces avan- 
tages. La crainte d'une discussion trop longue, l'inutilité 
de répondre à des objections, toujours les mômes, quoi- 
que diversement proposées, nous empocheront de ré- 
pondre à tous, mais dans le nombre, notre choix sera 
tel, qu'on ne pourra nous reprocher d'avoir cherché de 
faibles adversaires, pour les combattre avec plus 
d'avantage ; c'est à MM. de Buffon et de Voltaire 
que nous allons essaïer de répondre : « Peut-on dire 
c de bonne foi (dit M. de Buffon) (1), que cet état sau- 
« vage mérite nos regrets, que l'homme, animal fa- 
« rouche, fût plus digne que l'homme citoïen civilisé ? 

(1) Les animaux carnassiers. Histoire naturelle^ t. XIV, p. 35, 
édition in-12. Note de Ch, de L. 



48 DE l'kduga.tion des feumbs 

« Oui, car tous les malheurs viennent de la société, et 
« qu'importe qu'il y eût des vertus dans l'état de na- 
« ture s'il y avoit du bonheur, si l'homme, dans cet état, 
« étoit seulement moins malheureux qu'il ne l'est ^ La 
« liberté, la santé, la force, ne sont elles pas préférables 
« à la mollesse, à la sensualité, à la volupté même ? Ac- 
€ compagnée de Tesclavage, la privation des peines vaut 
a bien l'usage des plaisirs, et pour être heureux que 
€ faut-il, sinon de ne rien désirer? » 

Telle est l'objetion que M. de Buffon se propose. 

Nous observons d'abord qu'elle ne nous paroit pas 
faite avec sincérité. Pourquoi, par exemple, accorder la 
volupté exclusivement à Thomme social ? Quelque sens 
que Ton veuille donner à ce mot, on trouvera que la vo- 
lupté de riiomme naturel, pour être sous une forme qui 
nous est étrangère, n'en existe pas moins réellement 
pour lui. La privation des peines vaut bien Vicsage des 
plaisirs. Hé quoi ! l'homme naturel n'a-t-il donc que la 
privation des peines ? est-il privé de l'usage des plaisirs ? 
et pour être heureux que faut-il sinon de ne rien dési- 
rer. Ce n'est pas en ne rien désirer que consiste le bon- 
heur, mais à obtenir ce qu'on désire. La question gît à 
scavoir, qui, de l'homme naturel, ou de l'homme social, 
a plus de facilité pour y parvenir. 

Voyons maintenant la réponse de M. de Buffon. « Si 
« cela est (poursuit-il), disons en même temps qu'il est 
(( plus doux de végéter que de vivre, de ne rien appéter 
« que de satisfaire son appétit, de dormir d'un someil 
« apathique, que d'ouvrir les yeux pour voir et pour 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 49 

« sentir ; consentons à laisser notre âme dans l'engour- 
« dissement, notre esprit dans les ténèbres, à ne nous 
« jamais servir ny de l'une ny de Tautre, à nous mettre 
€ au-dessous des animaux, à n'être, enfin, que des 
« masses de matière brute attachée à la terre ». 

Nous pourrions répondre, à notre tour, qu'i7 est plus 
doux de végéter que de vivre malheureux, de ne rien 
appéter que de pouvoir satisfaire son appétit, de dor- 
mir d'un someil apathique que d'ouvrir les yeux pour 
voir des objets désagréables et sentir douloureusement, 
qu'il vaut mieux laisser notre âme dans t engourdis- 
sement que l'en tirer par la douleur, notre esprit 
dans les ténèbres que dans Terreur, ne nous ja- 
mais servir ny de Vune ny de Vautre que d'en faire 
un pernicieux usage, et que pourvu qu'on fût heureux 
il importeroit peu d'être au-dessus ou au-dessous des 
autres animaux. Mais cette vaine déclamation nous 
jetteroit, ainsi que lui, hors de la question. En effet, 
l'homme naturel ne végète point : il vit, il appète, et 
satisfait son appétit ; il dort, non d'un someil apathique, 
mais d'un someil tranquille ; il sçait ouvrir les yeux 
pour voir et pour sentir ; son âme sensible connoit la 
pitié et l'amour; son esprit est éclairé sur ses besoins; 
il fait usage et de l'une et de l'autre ; il n'est point au- 
dessous des animaux, il est le 1*% le plus fortuné 
d'entre eux. 

€ Nous ne supposons pas (c'est toujours M. de Buffon 
<( qui parle) qu'il y a une plus grande distance de 
« l'homme en pure nature au sauvage que du sauvage à 



fi(f ht l'^dccatiox dis tomms 

« mm».., nonn volons qo'on descend par à&geiA assez 
« insensibles des nations les plus éclairées... les plas 
n [>olies, h des f>euples moins industrieux ; de ceux-ci à 
<t d'autres plus grossiers, mais encore soumis à des rois> 
tf h des lois; de ces hommes grossiers aux sauvages... 
« que les uns forment des nations assez nombreuses 
a soumises à des chefs ; que d'autres en plus petite so- 
ft ciété ne sont soumis qu*à des usages, qu'enfin les plus 
« solitaires, les plus indépendants ne laissent pas de 
« former des familles et d*être soumis à leur père. Un 

< empirOt un monarque, une famille, un père, voilà les 
« deux extrêmes de la société : ces extrêmes sont aussi 
(( les limites de la nature. » 

Cette dernière phrase, qui résume tout ce qui pré- 
cède, nous paroit plus hardie que philosophique ; et 
nous aurions cru que les limites de la nature ne pou- 
voient so placer qu'entre deux contradictoires. 

(( Si elles s'étendoiont au delà (ces limites), n'auroit- 
« on pas trouvé, on parcourant touttes les solitudes du 

< globe, des animaux humains privés de la parolle, 
« sourds à la voix comme aux signes, les mâles et les 
(( lomoUos dispersées, les petits abandonnés, etc., 

Enparcourant touttes les solitudes du globe! Et 
qui donc les a touttes parcourues f qui croiroit, en lisant 
oocy, selon M. de Rutfon lui-môme « que ce qui nous 
« rosto à oonuoitro du cûté ,du pôle austral est si con- 
tt sidérablo, qu*ou peut, sans se tix)mper, l'évoluer à plus 
« d'un quart de la superficie du globe, en sorte qu'il peut 
« y aN*oir dans ces climats un continent terrestre, aussi 



PAR CHODERLOS DE LACX.OS 51 

« grand que TEurope, l'Asie et TAirique, prises toutes 
« trois ensemble » (1). 

Ifaicroit-on pas trouvé des animaux humains.,. De 
ce qu'on n'en a pas trouvé, sensuit-il qu'il n'y en a 
point ? L'Amérique ne subsîstoitelle pas avant sa décou- 
verte, dans ce même temps oii les sçavants de Portugal 
assemblés» déclaroient unanimement que le projet de 
Colomb étoit celui <Vun visionnaire^ d'un hom^ne qui 
cherchait des régions dans le cercle de la lune. . . Privés 
de la parolle... Le gloussement des troglodites. peuple 
pourtant déjà civilisé, s'approche t'il plus d'une langue 
formée que des cris d'expression de l'homme naturel. 

Sourds à la voix cornm^ aux signes. . . Pourquoi sourds 
à tout cela ? Les mâles et les femelles dispersées , les pe- 
tits abandonnés. Encore une fois, qui sçait, qui osera 
dire que tout cela n'existe pas? Mais quand ce globe 
seroit exactement connu, et qu'on n'y auroit trouvé 
aucun homme dans l'état de pure nature, comment en 
concluroit on que cet état n'a jamais existé puisqu'il est 
prouvé, et généralement consenti, que l'espèce humaine 
est susceptible de perfection ? 

ce Je dis même, qu'à moins de prétendre que la cons- 
« titution du corps humain fut toutte différente de ce 
a qu'elle est aujourd'huy, et que son accroissement fut 
« bien plus prompt, il n'est pas possible de soutenir que 
« l'homme ait jamais existé sans former de famille, 

(1) Histoire naturelle^ !«' vol. iii-4o. y. gurle môme sujet rJ7û- 
loire des voyages aux terres australes , par M. le président 
de Brossi. Noie de Ch. de L, 



52 DE L EDUCATION DES FEMMES 

« puisque les enfants périroient s'ils n*étoient secourus 
« et soignés pendant plusieurs années, au lieu que les 
< animaux nouveau-nés n'ont besoin de leur mère que 
« pendant quelques mois. » 

Tous les animaux nouveau-nés ont besoin de leur 
mère pendant plus ou moins de temps, et nous ne voïons 
pas que leur société subsiste après le besoin passé. Nous 
avons crû pouvoir fixer ce temps pour les hommes entre 
deux et trois ans (1) et M. de Buflon lui-même paroit le 
fixer à quatre ans pour l'enfant d'un homme social (2), 
ce qui revient assez à notre calcul ; la différence 
n'existe donc que du plus au moins, et si tel animal (la 
louve, par exemple), qui vit vingt ans, soigne son petit 
pendant un an (3), il nous semble qu'une femme qui en 
vit soixante ou quatre-vingts peut bien consacrer trois 
ans à ce soin, et ce temps passé, abandonner son en- 
fant. 

« Cette nécessité phisique suffit donc seuUe pour 
« démontrer que l'espèce humaine n'a pu durer, et se 
c( multiplier, qu'à la faveur de la société. » On vient de 
voir, si cette démonstration est suffisante. « Que l'union 
« des pères et mères aux enfants est naturelle puisqu'elle 
a est nécessaire. » L'union des pères aux enfants nous 
paroit absolument inutile,mème dans le sistème de M.de 
Buffon, et quant aux mères, ne pourrions-nous pas dire : 

(1) V. cy-devant de V Enfance, ch. ni. 

(2) V. UHistoire naturelle, t. XIV, p. 39. 
^3) Histoire naturelle du loup, t. XIY. 

Notes de Ch. de L. 



PAR CHODERLOS DB LACLOS 53 

leur union aux enfants cesse d'être naturelle dès qu'elle 
n'est plus nécessaire ? 

« Or, cette union ne peut manquer de produire « un 
attachement respectif et durable entre les parents et 
« reniant. » 

Voilà positivement ce qui reste à prouver et qui ne 
nous paroit pas probable. 

c( Ainsi rétat de pure nature est un état connu ; c'est le 
a sauvage vivant dans le désert, mais vivant en famille, 
(( connoissant ses enfants, connu d*eux, usant de la pa- 
a roUe et se faisant entendre. » 

Ne sommes-nous pas authorisés à dire que ce n*est pas 
là rétat de nature ? 

a La fille sauvage ramassée dans les bois de Cham- 
« pagne, Thomme trouvé dans les forêts du Hanovre ne 
« prouvent pas le contraire. » 

Ils prouvent au moins que le contraire n'est pas impos- 
sible. 

M. de Buffon, après avoir rassemblé les hommes en 
famille, au 1*' moment de leur existence, forme un 
empire à la 4"" génération. Nous ne le suivrons pas dans sa 
marche rapide, il nous suffit d'avoir examiné s'il combat 
victorieusement les avantages et la possibilité de l'état 
de nature, tel que nous l'avons envisagé, et d'avoir mis 
nos lecteurs en état de juger si Ton peut, d'après ses 
raisons, assurer cet état malheureux ou impossible. Nous 
n'ajoutons plus qu'un mot. M. de Buffon, qui confond 
l'homme sauvage et l'homme naturel, se demande si cet 
homme est heureux, et se décide pour la négative. Icy 



54^ DE l'éducation des femmes 

nous opposerons à M. de Bufton, M. de Buffon lui- 
même. Ecoutons-le parler dans son histoire des animaux 
sauvages (1) : « La nature leur a donné à tous la liberté 
« avec des mœurs constantes, à tous des désirs et de 
« l'amour, toujours aisé h satisfaire... Amour et liberté, 
« quels bienfaits I Ces animaux que nous appelons sau- 
« vages parce qu'ils ne nous sont pas soumis, ont-ils 
« besoin de plus pour être heureux? Ils ont encore Téga- 
« lité, ils ne sont ny les esclaves, ny les tirans de leurs 
< semblables. » 

Quelle force, quelle énergie dans ce tableau I Mais 
pourquoi les animaux humains seroient-ils seuls privés 
de ces avantages ? M. de Buffon nous donne-t-il quelque 
raison de cette exclusion malheureuse ? 

Il nous paroît que les raisonnements de ce philosophe 
ne suffisent pas, pour détruire le sistème que nous avons 
suivi. Voions si M. de Voltaire, qui combat ce même 
sistème, avec tant de mépris et d'humeur, donne des 
raisons plus convaincantes. 

M. de Voltaire commence par dire (2) qu'on n*a jamais 
vu de pays où l'état de pure nature subsistât. 

Nous avons déjà observé que ce point de fait ne suf ti~ 
soit pas pour décider la question. 

« Quelques mauvais plaisants (poursuit-il) ont abusé 
« de leur esprit jusqu'au point de bazarder le paradoxe 
« étonnant, que l'homme est originairement fait pour 

(1) t. II, Histoire naturelle, édition in-12. 
{2) V. Question sur V encyclopédie, art. homme, — pages 100 
et suivantes. Notes de Ch. de L. 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 55 

«vivre seul, comme un loup cervier, et que c'est la 
« socictc qui a dépravé la nature. Autant vaudroit-il 
c( dire que, dans la mer, les harengs sont ordinairement 
« faits pour nager isolés, et que c'est par un excès de 
« corruption qu'ils passent en trouppes, de la mer gla- 
ce ciale sur nos côtes, qu'anciennement les grues voloient 
« en Tair, chacune à part, et que par une violation du 
« droit naturel, elles ont pris le party de voïager de 
« compagnie. » 

N'est-ce pas une plus mauvaise plaisanterie de vouloir 
établir une analogie entre l'homme, les harengs et les 
grues? Ce raisonnement a surtout le défaut de pouvoir 
être rétorqué avec autant d'avantage. 

Quelques mauvais plaisants (pourroit-on dire) ont 
abusé de leur esprit jusqu'au point de hazarder le para- 
doxe étonnant que l'homme est originairement fait pour 
vivre en société.. . autant vaudroit-il dire que les boeufs 
et les chevaux étoient originairement faits pour vivre en 
troupeaux et en escadrons, et que c'étoit par un excès de 
corruption, ou par une violation du droit naturel, qu'ils 
erroient isolés dans les bois. 

€ Chaque animal a son instinct (continiie M. de Vol- 
€ taire) et l'instinct de l'homme, fortifié par la raison, le 
« porte à la sociétéi comme au manger et au boire. » 

C'est absolument mettre en fait ce qui est en question. 

(( Quiconque vivroit absolument seul perdioit bientôt 
« la faculté de penser et de s'exprimer. » 

L'homme isolé u'acquerroit pas la faculté de parler ; 
mais pourquoi n'auroit-il pas celle de penser et de s'ex- 



56 DE l'éducatiOiN des femmes 

primer ? L'animal le plus farouche a ses pensées et son 
expression. 

« Il scroit à charge à lui-môme. » 

Nous ne voyons pas pourquoi. 

« Il ne parviendroit qu'à se métamorphoser en bête. » 

Pour la plupart, cette métamorphose ne seroit pas 
difficile. 

M. Rousseau avoit dit (1) : « Il n'est pas naturel qu'un 
€ homme s'attache à une femme pendant les 9 mois de 
ce sa grossesse ; Tappé tit satisfait, l'homme n'a plus 
« besoin de telle femme, ny la femme de tel honune ; 
« celui-cy n'a pas le moindre soucy ni peut-être la moindre 
« idée des suittes de son action ; l'un s'en va d'un côté, 
« l'autre de l'autre et il n'y a pas d'apparence qu'au bout 
« de 9 mois Usaient la mémoire de s'être connus. Pour- 
€ quoi la secourera t'il après l'accouchement , pourquoi lui 
« aidera t'il à élever un enfant qu'il ne scait pas seule- 
« ment lui appartenir ? » 

« Tout cela est exécrable » (s'écrie M. de Voltaire), mais 
pourquoi ? Les animaux qui en usent ainsi sont-ils exé- 
crables ? « Mais (continùe-t-il) heureusement rien n'est 
plus faux. » Voïons comment il le prouve. 

« Si cette indifférence étoit le véritable instinct de la 
« nature, l'espèce humaine en auroit presque toujours 
ce usé. Ainsi l'instinct est immuable, ses inconstances sont 
« très rares, le père auroit toujours abandonné la mère, 
« la mère auroit abandonné son enfant, et il y auroit 

(1) Discours sur Porigine de l'inégalité parmi les hommes. 

Note de Ch, de L, 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 57 

a bien moins d'hommes sur la terre qu'il n'y a d ani- 
<r maux carnassiers, car les bêtes farouches, mieux 
<c pourviies, mieux armées, ont un instinct plus prompt, 
« des moyens plus sûrs et une nourriture plus assurée 
« que l'espèce humaine. » 

Il n'est pas besoin de beaucoup observer les animaux 
domestiques, pour voir combien Téducation altère et fait 
varierl'instinct, mais combien, surtout, les hommes n'ont- 
ils pas contrarié leleur ? Eh ! quoi! l'instinct de l'homme 
qui a faim ne le porte-t- il pas à ravir le pain que mange 
à ses yeux l'homme plus faible que lui ? l'instinct d'un 
homme vigoureux ne le porte t'il pas à jouir d'une fille 
jeune et jolie près de laquelle il se trouve ? Elle-même, 
sollicitée par ses désirs, par ceux de son amant, ne sent-elle 
pas son instinct la porter à se rendre? L'instinct de ces 
100.000 hommes rangés en bataille devant 100.000 au- 
tres, au moment d'une décharge d'artillerie ou de mous- 
queterie, ne les porte t'il pas à fuir plutôt qu'à tuer, ou se 
faire tuer pour une cause qui leur est étrangère ? Tous 
résistent pourtant à l'instinct, et l'on vient nous dire que 
ses inconstances sont très rares. L'instinct de la nature 
n'est il pas, dans tous, un cas étouffé sous le poids de 
nos institutions ? Si, dans l'état social, la mère reste 
unie à l'enfant, et l'enfant à la mère, après le besoin 
passé si chacun d'eux reste uni à son époux ou à son 
père, qui peut assurer que cette union ne soit pas plu- 
tôt le fruit de nos institutions, que l'impulsion nécessaire 
de l'instinct naturel ? L'histoire des animaux ne nous 
fournit aucun exemple de cet attachement respectif, des 



58 DR L EDUCATION DES FEMMES 

mères et des enfants, qui ne cesse avec le besoin de ceux- 
cy. Dans quelques espèces nous trouvons à la vérité une 
union passagère du mâle à la femelle qui disparoi t tou- 
jours avec le besoin des petits ; mais, outre que cette union 
de l'homme à la femme ne paroit pas nécessaire à leur 
enfant, nous osons dire qu'elle est impossible ; en effet, 
les animaux chez lesquels cette union subsiste, ont 
toujours un temps marqué pour les désirs ; ce temps 
passé, les désirs s'éloignent dans l'un et l'autre sexe ; et, 
de plus, ce temps est toujours suivi de la fécondité. Il 
n'en est pas ainsi de l'homme et de la femme ; l'homme 
aura de nouveaux désirs, et s'il les satisfait avec une 
autre femme, à laquelle des deux s'attachera-t-il ? Sup- 
posons que, contre toute espèce de raisons, il se fixe à 
une seulle femme. Est-il sur que cette femme en soit 
fécondée, et si elle ne l'est pas que deviendra leur union, 
jusqu'à quand durera t'elle? Le mariage indissoluble, et 
avec une seulle femme, deviendroit, dans ce cas, une 
suite de l'instinct naturel nécessaire et immuable, dont 
parle M. de Voltaire. 

M. de Voltaire avance que Vinstinct des animaux car- 
nassiers est plus prompt que celui de V homme. 

Nous conviendrons d'autant moins de ce fait, relative- 
ment à l'homme naturel, que nous le voïons démenty 
chez l'homme sauvage, qui a déjà dû perdre une partie 
de cet instinct. Ils ont^ ajoute-t-il, une nourriture plus 
assurée que Vespèce humaine. 

Nous avons déjà dit plus haut, d'après les plus sçavants 
naturalistes, que l'espèce humaine étoit celle qui s*ap- 



s 

\ 

I 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 59 

proprioit le plus facilement les différentes nourritures. Il 
en tire cette conséquence que, dans notre supposition, 
ilyauroit moins cVhommes sur la terre que (T animaux 
carnassiers. 

Quand cela seroit, ce ne seroit pas une raison suffi- 
sante pour détruire un sistcme qui seroit vrai d'ailleurs, 
mais cette supposition nous paroi t absolument gra- 
tuite. 

(( Les hommes les plus durs (poursuit M. de Voltaire) 
(( aiment par un instinct dominant Tenfant qui n'est pas 
(( encore né, le ventre qui le porte, et la mère qui re- 
« double d'amour pour celui dont elle a reçu dans son 
ce sein le germe d'un être semblable à elle. » 

Nous convenons que les enfants sont un lien de plus 
pour les époux réunis dans l'état social, et nous aurons 
occasion par la suitte d'en dire les raisons ; mais nous 
avons quelque peine à comprendre comment les hommes 
(durs ou non) peuvent aimer par un instinct dominant 
Tenfani q%Cils ne sçavent pas devoir naitre, le ventre 
qu'ils ignorent le porter, ny comment la mère redouble 
d'amour pour celui do?it elle ne se doute pas d'avoir 
reçu dans son sein le rjenne d'u?i être semblable à elle* 

« L'instinct du charbonnier de la forêt noire leur parle 
ce aussi haut, les anime aussi fortement, en faveur de 
« leurs enfants, que l'instinct des pigeons et des rossi- 
« gnols les force à nourrir leurs petits. » 

Nous convenons de tout cela ; mais les pigeons et les 
rossignols abandonnent leurs petits, sitôt qu'ils peuvent 
se passer d'eux. 



60 DB l'Éducation des femmes par Choderlos de laclos 

Ne pouvons-nous pas dire maintenant avec M. de Vol- 
taire, mais par une application différente : « Le grand 
« deffaut de tous ces livres à paradoxe n'est-il pas de 
« supposer toujours la nature autrement qu'elle n'est ? » 

Résumons-nous. Nous avons vu qu'il n'est pas prouvé 
que Fétat que nous appelons de nature n'existe] point ; 
qu'il est impossible de prouver qu'il n'a jamais existé ; 
que loin d'être invraisemblable on ne peut l'attaquer que 
par des suppositions gratuites ou des assertions téméraires . 
Nous avons donc été fondé à le considérer comme le 
point d'où les femmes étoient parties ; nous allons exa- 
miner à présent quels, et combien de changements, les 
institutions sociales leur ont fait éprouver. 



CHAPITRE X 



DES PREMIERS EFFETS DE LA SOCIÉTâ 



La nature ne crée que des êtres libres ; la société ne 
fait que des tirans et des esclaves ; toutte société suppose 
un contrat, tout contrat une obligation respective. Toutte 
obligation est une entrave qui répugne à la liberté natu- 
relle ; aussi l'homme social ne cesse de s'agiter dans ses 
liens, il tend à s'y soustraire, il cherche à en rejeter le 
poids sur ses semblables, il ne veut retenir que le bout 
de la chaîne pour les diriger à son gré ; il suit de là que, 
si l'oppression du fort envers le faible n'est pas une loi 
naturelle, dans le sens où les moralistes prennent ces 
mots, elle n'en est pas moins une loi de la nature, ou 
plutôt la l""* vengeance que la nature abandonnée 
tire de l'homme social ; il suit de là que toutte conven- 
tion, faite entre deux sujets inégaux en force, ne produit, 
ne peut produire qu'un tiran et un esclave, il suit encore 
de là que dans l'union sociale des deux sexes, les femmes 
généralement plus faibles ont dA ôtre généralement op- 

4 



62 DE L EDUCATION DES FEMMES 

primées ; icy les faits viennent à Tappui des raison- 
nements. Parcourez l'univers connu, vous trouverez 
l'homme fort et tiran, la femme faible et esclave ; que si 
quelquefois elle a l'adresse de lier les mains à son maître 
et de commander à son tour, ce cas est extrêmement 
rare. Quand on parcourt l'histoire des différents peuples 
et qu'on examine les lois et les usages promulgués et 
établis à Tégard des femmes, on est tenté de croire 
qu'elles n'ont que cédé, et non pas consenti au contrat 
social, qu'elles ont été primitivement subjuguées, et que 
l'homme a sur elle un droit de conquête dont il use ri- 
goureusement. Aussi, loin de penser, comme quelques- 
uns, que la société commença par la réunion des familles, 
nous croirions plutôt que la l'^* association fut faite 
par des hommes seulement, qui, se sentant plus égaux 
en force, durent se craindre moins les uns les autres ; 
mais ils sentirent bientôt le besoin qu'ils avoient des 
femmes ; ils s'occupèrent donc à les contraindre, bu à 
les persuader, de s'unira eux. Soit force, soit persuasion, 
la !'• qui céda, forgea les chaînes de tout son sexe. 
On sent assez que, dans ces premiers temps, il n'y eut 
aucune propriété exclusive, on partageoit également les 
fruits d'un champ cultivé en commun ; on en usoit de 
même du gibier tué dans une chasse généralle ; les 
femmes même suivirent cette loi ; touttes étoient à 
tous (1). Nul d'entre eux n'avoit l'idée du choix: ce- 



(i) On connoit encore quelques peuplades qui vivent dans 
te entière communauté. Note de Ch. de L, 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 63 

pendant, dans cette communauté de travaux et de fruits, 
il est aisé de pressentir que le partage ne dut pas être 
longtemps égal ; que, bientôt, la loi du plus fort se fit 
sentir : que les femmes, pour cela encore qu'elles étoient 
les plus faibles, furent assujéties aux travaux les plus 
pénibles, et en recueillirent le moins de fruit ; les hommes 
étendirent bientôt jusqu'à elles cette même idée de pro- 
priété qui venoit de les séduire et de les rassembler ; de 
cela seul qu'elles étoient à leur convenance et qu'ils 
avoient pu s'en saisir, ils en conclurent qu'elles leur ap- 
partenoient : telle fut en général l'origine du droit. Les 
femmes manquant de forces ne purent deffendre 
et conserver leur existence ci ville ; compagnes de nom, 
elles devinrent bientôt esclaves de fait, et esclaves 
malheureuses ; leur sort ne dut guère être meilleur 
que celui des noirs de nos colonies. Si l'on veut retrouver 
encore des vestiges sensibles de cet abus de force, que 
l'on considère un moment ces peuples encore grossiers 
que nous nommons sauvages, qui, réunis depuis peu de 
temps, ont déjà perdu les avantages de l'état de nature 
et n'ont pu pallier encore les premiers vices de la so- 
ciété. C'est là que l'on voit les femmes chargées seuUes des 
travaux les plus vils et les plus pénibles, toujours ex- 
cédées, souvent maltraitées, quelquefois tuées par des 
maîtres, oisifs et capricieux, qui payent ainsi les soins 
qu'elles prennent d'eux, les substances qu'elles leur four- 
nissent, et le plaisir qu'elles leur procurent; c'est ainsi 
que nous les voïons encore aujourd'huy ramer comme nos 
forçats, sur les canots des Groenlaudois, et soumises au 



04 DK l'Éducation des femmes 

mAmc traitement ; enfin, à 40 ans, chez les Calmouques, 
d'ôtre les compagnes de leurs maris, et devenir les ser- 
vantes de la maison et des jeunes femmes qui leur succè- 
dent ; trait(;c8, chez les Coréens, comme leurs esclaves 
et souvent chassées, elles et leurs enfants, pour des 
fautes légères ; corrigées avec sévérité chez les peuples 
du mont Liban, et y être esclaves, non seulement de 
leurs maris, mais même de leurs enfants mâles ; chargées 
h Congo de tous les travaux de force, y servir leurs maris 
et n'oser ny manger avec eux ny s'asseoir en leur pré- 
sence ; c'est ainsi qu'on voit encore les Hottentots, quoique 
élevés par leurs mères, se faire un point d'honneur de 
les mépriser et de les fraper même, lorsqu'à l'âge de 
19 ans, ils sont agrégés parmy les hommes; que si dans 
ces pays les hommes paroissent s'être réservé les fa- 
tigues de la chasse, c'est que cette occupation, loin de 
leur paroitre pénible, est en eux un penchant naturel, 
fortifié encore par le désir de puissance et de domina- 
tiou, premier fruit de l'esprit social. Ils regardent si bien 
la chasse comme un plaisir que, chez quelques peuples, 
(les Lapons par exemple) elle n'est pas même permise 
aux femmes. L'oppression et le mépris furent donc, et 
durent être généralement, le partage des femmes dans 
les sociétés naissantes ; cet état dura dans toutte sa 
force jusqu'à ce que l'expérience d'une longue suitte de 
siècles leur eût appris à substituer l'adresse à la force. 
Elles sentirent enfin que, puisqu'elles étoient plus faibles, 
leur unique ressource étoit de séduire ; elles connurent 
que si elles étoient dépendantes de ces hommes par la 



PAR CHODERLOS DR LACLOS 65 

force, il? pouvoient le devenir à elle par le plaisir. Plus 
mal heureuses que les ho m mes, elles du rcnt peuser et réflé • 
chir plutôt qu'eux ; elles sçurentles preuiières que le plaisir 
restoit toujours au-dessous del'idéequ'on s'en formoit,et 
que Timagination alloit plus loin que la nature. Ces pre- 
mières vérités conniies, elles apprirent d'abord à voiler 
leurs appas pour éveiller la curiosité ; elles pratiquèrent 
Fart pénible de refuser, lors même qu'elles désiroient de 
consentir ; de ce moment elles sçurent allumer l'imagi- 
nation des hommes, elles sçurent à leur gré faire naître 
et diriger les désirs : ainsi naquirent la beauté et 
Tamour (1) ; alors le sort des femmes s'adoucit, non 
qu'elles soient parveniies à s'affranchir entièrement de 
l'état d'oppression où les condamna leur faiblesse ; 
mais, dans l'état de guerre perpétuelle qui subsiste entre 
elles et les hommes, on les a vues, à l'aide des caresses 
qu'elles ont sçu se créer, combattre sans cesse, vaincre 
quelquefois et souvent, plus adroites, tirer avantage des 
forces même dirigées contre elles ; quelquefois aussi les 
hommes ont tourné contre elles-mêmes ces armes, 
qu'elles avoient forgées pour les combattre, et leur es- 
clavage en est devenu plus dur. De la beauté et de 
l'amour naquit la jalousie ; ces trois illusions ont totale- 
ment changé l'état respectif des hommes et des femmes, 
elles sont devenues la baze et le garant de tout contrat 

(1) Afin que le lecteur inatentif ne nous accuse pas de contre- 
dire icy ce que nous avons avancé plus haut, en parlant de la 
femme natureUe, nous le prévenons que nous parlons de la 
beauté de choix et de Tamour exclusif. 

Note de Ch. de L. 



66 DE l'éducation des KBMMKS par CHODBRLOS de LACLOS 

passé entre eux ; variées à l'infini dans leurs formes, elles 
ne le sont pas moins dans leurs effets ; elles sont enfin 
aujourd'huy Tunique source de nos passions ; mais avant 
do considérer les effets, il convient d'examiner, de con- 
noître les causes. 



CHAPITRE XI 



DB LA BBAUTÉ 



Qu*e8t-ce que la beauté t question que Ton fait sans 
cesse, et à laquelle on ne répond jamais d'une manière 
satisfaisante ; pour s'en convaincre il ne faut que chan- 
ger de lieux. Qu'on intéroge sur cet objet le François, 
rAméricain, le Chinois, qu'on fasse ainsi le tour du 
monde, on trouve l'inconstante beauté, changeant de 
forme à chaque pas, laisser partout des idées, ou du 
moins des expressions différentes ; qu'on se fixe dans le 
terme étroit d'une société on n'en sera guère plus satis- 
fait, relie femme est belle^ mais elle ne me platt pas, 
est une phrase de tous les pays, dont l'usage fréquent 
montre assez qu'on n'est pas d'accord sur l'idée de la 
beauté ; car, qu'est-ce que la beauté qui ne plaît pas? 
D'où viennent ces nombreuses contradictions if Sinon du 
deffaut de s'entendre, il suffit, pour le faire évanouir, 
de réduire l'expression de la beauté à ses plus simples 
termes. La beauté n'est, selon nous, que l'apparence la 



68 DK l'éducation drs femmes 

plus favorable à la jouissance, la manière d'être qui fait 
espérer la jouissance la plus délicieuse. C'est dans ce 
sens que la femme naturelle a de la beauté, c'est dans 
ce sens qu*on peut dire que toutte femme fraîche, grande 
et forte, est une belle femme. Si cette définition est 
juste, elle doit, d'une part, convenir à tous les peuples, 
indistinctement ; et de l'autre, on doit en voir suivre 
naturellement cette foule d'idées, toujours différentes et 
souvent contraires, quechaque peuple, disons mieux, que 
chaque homme se forme de la beauté. 

Du moment où les hommes furent réunis, il per- 
dirent le repos. L'homme naturel dort aussitôt que ses 
besoins sont satisfaits ; il n'en est pas ainsi de l'homme 
civil ; il faut qu'il veille à l'exécution du contrat social, 
il ne s'abandonne plus au sommeil, il ne lui donne que 
le temps qu'il ne peut lui refuser. Sans cesse en garde 
contre les entreprises de ses associés, il veille, non pour 
agir, mais pour être prêt à agir au besoin. Dans cet 
état d'inaction, l'homme s'occupa à comparer ses idées ; 
le passé revint à sa mémoire, l'avenir se peignit dans 
son imagination ; le souvenir et la prévoiance se déve- 
lopèrent, et agirent avec force sur lui ; souvent on les 
a vns, depuis, étouffer en quelque sorte la sensation du 
moment présent. Les besoins fournirent à l'homme ses 
premières idées ; celles du plaisir suivirent immédiate- 
ment, dès que sa mémoire fut assez exercée pour lui re- 
tracer l'effet des sensations qu'il a voit éprouvées, il com- 
para ses jouissances passées, il en conclut pour ses 
jouissances à venir. Jusque-là Thomme avoit joui de 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 69 

la beauté sans s'en occuper ; alors il s'en occupa quel- 
quefois même sans en jouir. Tl sentit que, dans la jouis- 
sance, son plaisir n'étoit pas toujours également vif ; 
mille causes pouvoient concourir à cette inégalité ; il né- 
gligea celles qui étoient en lui, que même il ne pouvoit 
connoître ; il les chercha donc toutes dans les objets 
étrangers. La femme qui lui avoit procuré le plaisir le 
plus vif lui devint plus précieuse ; il la chercha de nou- 
veau, il choisit à son deffaut celle qui lui ressembloit 
davantage ; il dut se tromper quelquefois ; mais enfin, 
il examina, il connut ou crut connoître, il s*accoutuma à 
préférer, il s'apperçut enfin qu'une peau douce et fine, 
tendue sur une chair ferme et élastique, appanage exclu- 
sif de la fraîcheur, suitte ordinaire de la jeunesse, lui 
procuroit un toucher plus agréable, en le faisant reposer 
plus doucement ; il désira la fraîcheur. Il s'appercut 
qu'une grande femme muUiplioit ses sensations en le 
touchant par plus de points ; il désira une taille avanta- 
geuse. Il s'appercut qu'il ne lui suffisoitpas d'embrasser 
étroitement Tobjet de sa jouissance, s'il n'éprouvoit à son 
tour une étreinte délicieuse ; il désira la force. Il recher- 
cha donc la femme qui possédoit ces différents avantages : 
ainsi la fraîcheur, la taille et la force devinrent des mo- 
tifs de préférence ; ainsi leur réunion constitua la beauté : 
nous pouvons la nommer beauté naturelle (1). Que si 

(1) Depuis que les femmes, pour multiplier leurs plaisirs, ont 
eu l'adresse d'intéresser la vanité des hommes & se trouver plus 
forts qu'elles, ils ont souvent préféré l'apparence de la foiblesso 
et ont négligé la taille et la force. Quelquefois encor une curio- 



70 DE L EDUCATION DES FEMMES 

quelquefois, aujourd'huy, les hommes paroissent con- 
trarier ces principes, ils sont déçus par quelque illusion, 
ou déterminés par des sentiments étrangers qu'il ne sera 
pas difficile de découvrir. Il faut se rappeler que, dans 
ces 1®" te^ps, les femmes étaient niies, et sans 
résistance ; que tout regard jette sur elles étoit un 
examen entier, et que le désir, aussitôt satisfait que 
formé, laissoit toujours aux hommes le sang-froid néces- 
saire pour juger ; mais lorsque les iemmes commen- 
cèrent à se vêtir, l'imagination fut obligée de suppléer à 
ce que les yeux ne purent plus appercevoir ; et l'imagi- 
nation est facile à séduire, et quelquefois elle se trompe. 
La curiosité éveille le désir, et le désir embellit toujours 
son objet. Lorsqu'elles furent en possession de refuser 
ou d'accorder à leur gré, l'illusion augmenta encore ; 
tantôt le désir naquit de Tespoir de le satisfaire facile- 
cilement, tantôt il s'éteignit par cette même idée de fa- 
cilité; tantôt il s'irrita par la molle résistance d'un 
refus simulé, tantôt il fut étouffé sous l'humiliation ou 
le chagrin d'un refus absolu : ainsi les hommes s'accou- 
tumèrent à désirer avant de connoitre ; ainsi la facilité 
ou la difficulté d'obtenir concoururent, autant que l'objet 



site libertine a fait rechercher par quel(pies hommes les femmes 
qvl en avoient connu beaucoup d'autres, soit par Tespoir de 
connoitre par elles de nouveUes manières de plaisir, soit par la 
vanité de leur en apprendre encore, et, souvent, par la supposi- 
tion qu'une femme tant recherchée devoit, en effet, mériter de 
l'être ; et alors ils ont négligé la fraîcheur ; mais ces exemples, 
quoique assez fréquents dans nos mœurs, ne sont pourtant que 
des exceptions. Note de Ch, de L% 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 71 

même, à donner plus ou moins d*énergie à ce désir ; 
ainsi l'illusion naquit de touttes parts. Les vêtements dé- 
robèrent, presque en entier, la femme aux yeux de 
riiommc. Or, il n'est pas facile à l'œil de percer les 
plis d'une draperie pour reconnoitre les vraies formes 
qu'elle cache ; on ne parvient pas tout d'un coup à juger 
par la vue de la résistance que le toucher doit éprouver ; 
cet art demande quelques expériences et les hommes les 
plus exercés s'y trompent encore quelquefois ; la multi- 
tude s'attacha donc à considérer la figure qu'elle voyoit 
et s'accoutumaà juger le reste d'après elle. Alors la figure, 
qui jusqu'alors n'avoit du être qu'une foible partie de la 
beauté (1) des femmes, devint partout leur principal 
ornement ; alors l'esprit de l'homme forma ses sistèmes 
sur la beauté, et, ne pouvant connoître les loix de la 
nature, il voulut la soumettre aux siennes. Mais ce nou- 
veau code fut sujet, comme tous les autres, aux varia- 
tions des lieux et des temps et la Vénus, qui gagna sou 
procès en Aulide, l'eût vraisemblablement perdu à mille 
lieues de là. Les raisons de ces contradictions ne sont 
pas difficiles à trouver ; l'homme ne connoît les objets 
que par Timpression qu'il en reçoit ; la beauté n'agit sur 
lui que par le souvenir ; elle n'existe pas pour celui qui 
n'a eii aucune idée de jouissance ; de là vient, pour le 
dire en passant, que l'homme ou la femme, qui veulent 
plaire encore, après qu'il sont flétris, recherchent do 

(1) Si Ton se donne la peine d'examiner les peuples dont les 

femmes vont encore nues ou presque nues, on se convaincra de 

la vérité de cette assertion. 

NoU de C h. de L. 



72 DE L EDUCATION DES FEMMES 

préférence les personnes assez jeunes pour n'avoir pu 
comparer encore les idées du plaisir ; ils scavent qu'elles 
ne peuvent connoître la beauté ; ils espèrent profiter des 
1*" désirs que la nature fait naître avant que, par 
l'effet d'une comparaison fâcheuse, leur aspect ne suf- 
fise pour les détruire. 11 n'en est pas ainsi de l'homme 
qui a quelque expérience. Les traits que la nature pro- 
duit rarement, quelques formes qu'ils puissent avoir, ne 
lui rappelant aucun souvenir, ne lui donnent aucune 
espérance et conséquemment ne sont pas beaux à ses 
yeux. Si même ils sont trop étrangers, ou s'ils ressemblent 
trop à ceux de la vieillesse ou de l'enfance, temps où le 
plaisir a cessé d'exister ou n'existe point encore ; s'ils 
l'éloignent trop enfin, par quelque cause que ce puisse 
être de l'idée de jouissance qu'il ne cesse jamais de por- 
ter dans cet examen, alors, loin de l'attacher, ils le re- 
butent ; c'est l'assemblage de ces traits qu'il a nommé 
laideur. Ceux, au contraire, qu'il est accoutumé de voir, 
lui rappelant plus facilement ses idées de plaisirs, lui 
plaisent et l'attachent : c'est l'assemblage de ces traits 
qu'il a nommé beauté. En effet, qu'on exanime les 
règles que se prescrivent les artistes dans les proportions 
des traits, et l'on trouvera que ce sont celles qui, pour 
chacun d'eux, pris séparément, se rencontrent le plus 
souvent dans la nature ; leur réunion seulle est rare, et, 
par cela même qu'elle est rare, elle manque son effet ; 
quand elle se trouve, elle est rare à tel point que nous 
sommes obligés d'en chercher les exemples dans les 
ouvrages de nos artistes ; mais ils suffisent à notre ob- 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 73 

jet ; on peut observer, en les considérant, que lorsque 
les figures qu'ils ont produites sont rigoureusement 
régulières, nous disons bien qu'elles sont belles, et en 
cela nous nous soumettons à la convention reçiie ; 
mais jamais elles ne nous plaisent ; jamais elles ne sont 
la figure que nous désirerions ; nous leur trouvons par 
exemple le caractère de Junon, parce que la reine des 
dieux présente à notre imagination une idée vague de 
perfection ; jamais celui de Vénus, parce que la mère 
des amours fait naître en nous l'idée d'un plaisir que 
nous connoissons et que cette figure que nous disons 
belle ne nous le rappelle pourtant pas. Icy s'éclaircit fa- 
cilement cette phrase citée plus haut : telle femme est 
belle mais elle ne me plaît pas. On entend alors ou que la 
figure de cette femme est suivant les conventions reçues, 
ou que Ton croit que sa figure rappellera à plusieurs 
ridée des plaisirs qu'ils ont goûtés, bien qu'elles ne pro- 
duise pas cet effet sur nous. Si Ton veut se convaincre 
à la fois que la beauté n*agit en effet qu'en rappelant 
l'idée du plaisir et que l'agrément de la figure ne con- 
siste que dans l'assemblage des traits que nous avons le 
plus l'habitude de voir, il suffit de changer de lieux ; 
transportez, par exemple, un François en Guinée ; il 
sera d'abord rebuté de la figure des négresses, parce 
que leurs traits étrangers pour lui ne lui rappeleront au- 
cun souvenir voluptueux ; dès que, par habitude, il 
cesse d*ètre clioqué, il retrouve d'abord et préfère la 
fraîcheur, la taille et la force, qui partout constituent la 
beauté et, s'il fait alors quelque attention à la figure, 

5 



74 DE L EDUCATION DES FEMMES 

c'est pour choisir celle qui est la moins éloignée des 
figures européennes ; bientôt, après l'habitude augmente ; 
il préfère l'assemblage des traits qu'il voit tous les jours 
à celui dont il n'a plus qu'un léger souvenir ; il veut un 
nezépaté et de grosses lèvres etc.. : de là naît cette foule 
d'opinions sur la beauté ; de là, ces contradictions appa- 
rentes dans les goûts des hommes. Nous avons trouvé 
les raisons de cette diversité en ne considérant l'homme 
et la femme que dans leurs rapports phisiques ; si nous 
les considérons maintenant dans leurs rapports moraux, 
nous y trouverons encor de nouvelles raisons de cette 
prodigieuse vérité. Nous venons de voir la beauté chan- 
ger de formes, par la seuUe impression des objets qui 
nous environnent ; nous allons la voir maintenant se 
prêter encore à l'inconstance de nos idées. Dès que la so- 
ciété, qui altère sans cesse l'ouvrage de la nature, eut 
changé en liaison durable l'union passagère des deux 
sexes, les sensations voluptueuses cessèrent d'être le 
seul lien qui les réunit. On mit un prix aux qualités mo- 
rales et, de ce moment, les signes extérieurs qui les 
annonçoient firent partie de la beauté, aux yeux de ceux 
qui les recherchoient. A mesure que les peuples prirent 
de la consistance, les mœurs devenues constantes for- 
mèrent, pour chacun, un caractère national auquel l'idée 
de la beauté fut bientôt soumise. Quelques-uns, tels que 
les asiatiques, aïant rendu les femmes absolument 
dépendantes, et n'éprouvant auprès d'elles que des sen- 
sations et non des sentiments, se sont moins écartés de 
l'idée de la beauté naturelle ; ils y ont joint seulement 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 75 

Tair de douceur et de tendresse, comme flatant davan- 
tage Tesprit de domination qui les anime. Là le caractère 
de beauté que nous appelons phisionomie doit être et est 
en effet Texpression de la soumission. Chez les anciens 
romains, au contraire, l'enthousiasme de la liberté, de 
la grandeur d'âme, de la vertu sévère présente la beauté 
sous une forme plus noble et plus austère. Ce pais, dont 
les arts nous ont transmis des monuments de tous les 
siècles, nous fournit une preuve des variations perpé- 
tuelles auxquelles fut soumise Tidée de la beauté ; la 
dépravation des mœurs y est restée peinte sur les vi- 
sages ; pour s'en convaincre, il ne faut qu'examiner la 
différence du caratère de beauté chez les femmes du 
temps de Brutus ou chez celle du temps d'Auguste ; c'est 
ainsi que nous voïons, de nos jours, les Suisses, les 
Anglais, plusaustèrcs dans leurs mœurs, joindre toujours 
à ridée de la beauté celle de la douceur et de la modes- 
tie, tandis qu'en France nousrecherchons plus volontiers 
l'expression de la vivacité et du plaisir. Telles sont les 
nuances généralles qui, sous le nom de phisionomie, 
font varier la beauté suivant les temps ouïes lieux ; elles 
sont telles, et tellement marquées, qu'un observateur 
attentif pourroit juger, par elles, des mœurs d'une na- 
tion, avec plus d'exactitude peut-être que dans la plu- 
part des historiens. Non seulement l'idée de la beauté 
varie de peuple à peuple, mais elle change encore 
d'homme à homme ; l'un, plus sensible au nombre qu'au 
choix de ses conquêtes, est séduit par l'expression de la 
lacilité ; l'autre, au contraire, est excité à la vue des 



76 DE L EDUCATION DBS FEMMES 

difficultés que semble lui opposer une beauté sévère ; 
celuy-cy est attaché parle charme d'une douce langueur ; 
celui-là est entraîné par l'ivresse du plaisir vivement 
exprimé ; souvent même, aux yeux de plusieurs, l'esprit, 
la grâce, les talents, ont suppléé par une heureuse illu- 
sion à la privation de la beauté, ou plutôt ils sont de- 
venus la beauté, puisqu'ils ont su, comme elle, faire 
naître Tespoir du plaisir. La beauté de tous les temps, 
de tous les lieux, de touttes les personnes, est donc, 
comme nous Tavons dit plus haut, l'apparence la plus 
favorable à la jouissance, et, de cela même, il suit qu'elle 
doit varier, au gré de la diversité des opinions, sur ce 
qui donne plus ou moins de prix à cette jouissance. II 
résulte de ces réflexions que l'homme naturel jouit de 
la beauté sans la connoître, qu'il n'a nulle idée de la 
beauté de choix, et que, pour lui, le crâne de Philipe 
est semblable à celui des autres Macédoniens; que, dans 
les pays où les hommes rassemblent plusieurs femmes, 
pour le plaisir d'un seul, et les tiennent dans une en- 
tière dépendance, la facilité de comparer et de juger de 
sens froid doit décider leur choix en faveur de la beauté 
naturelle telle que nous l'avons défmie, et que, dans nos 
mœurs, la beauté, jouet éternel de nos opinions, varie à 
tel point que la femme que nous appelons laide peut en- 
lever, facilement et unanimement, à celle que nous di- 
sons belle, riiommage et les désirs des hommes qui les 
entourent (1). Mais si cette illusion est'possible, elle n'est 

(1) Il n'est pas rare de voir au théâtre les roUes de femmes les 
plus intéressantes rempUs par des actrices laides, tandis que lears 



PAR CHODERLOS DE LACLOS 77 

pas facile ; la nature, qui ne perd jamais entièrement ses 
droits, déchire quelquefois le voile dont Tart cherchoit 
à la couvrir. Souvent le flambeau de la vérité éclipse en 
un moment les fausses lueurs d'une longue suitte de 
prestige ; aussi les femmes commencent-elles toujours 
par chercher à se donner l'apparence la plus favorable 
à la jouissance proprement ditte ; c'est pour y parve- 
nir qu'elles inventaient la parure. 

confidentes sont à la fois jeunes et joUes. Quel spectateur alors 
ne B*est pas surpris souvent désirant la laideur de l'une de pré- 
férence à la beauté de l'autre ? Voilà le point de TiUusion 
trouvé ; il ne s'agit plus que d*en prolonger le charme ; quelques 
actrices célèbres ont prouvé qu'il ne cessoit pas toujours avec 
la magie du spectacle qui Tavait fait naitre. 

Note de Ch. de L. 



CHAPITRE XII 



DE LA PARURE 



Nous connoissons deux sortes de parures ; Tune, qui 
consiste à tenir le corps dans l'état de perfection dont il 
est susceptible ; l'autre, à tirer le party le plus avanta- 
geux des vêtements ou ornements dont le besoin, le ca- 
price ou la raison, ont consacré l'usage. Quoique la pa- 
rure soit soumise encore à plus de variations que la 
beauté, dont elle est en quelque sorte le complément, 
elle a cependant quelques règles généralles qui peuvent 
convenir à tous les peuples et s'adapter à tous les 
habillements. La parure est non seulement l'art de tirer 
party des dons de la nature, mais encore celui de leur 
prêter les charmes de l'imagination. Considérée sous ce 
point de vue, elle devient un stimulant de la volupté ; 
nous ne la croïons pas indigne de fixer l'attention même 
des philosophes, puisqu'elle sert au bonheur de l'homme, 



DB l'Éducation des fëuuës 79 

en concourant à ses plaisirs. Il y avoit un champ aride 
et pierreux, que traversoit une rivière, dont, à peine, 
on voioit l'eau verte et stagnante sous les joncs dont elle 
étoit couverte. On fait arracher les joncs ; on adonné du 
cours aux eaux ; on a parc cette rivière en la tenant 
dans l'état de perfection dont elle étoit susceptible ; on a 
fait depuis planter des bois sur ces bords, et ce champ, 
où personne n'alloit, est devenu un bosquet charmant 
dont on chérit l'ombrage, on Ta paré à l'aide d'orne- 
ments étrangers mais on a disposé ce bois de façon que, 
quoiqu'il soit peu étendu, on croit être dans une forêt 
immense ; on a paré ce bois en lui prêtant les charmes 
de l'imagination : ce qu'on a fait dans ce champ, toutte 
ou presque toutte femme peut l'exécuter sur elle. Si le 
besoin inventa les 1^" vêtements, la parure en aug- 
menta considérablement l'usage. Si l'on en excepte une 
ceinture, utile à tous les peuples pour garantir les 
parties du corps qui, étant le siège du toucher, sont na- 
turellement délicates et sensibles, et quelques peaux de 
bêtes, utiles à plusieurs pour les garantir des injures de 
Tair, le reste est dû à la parure. On suit plus la qualité 
des idées que la quantité des besoins. Si l'on nioit ce 
fait, qu'on nous dise pourquoi les peuples policés de 
rindoustan se vêtissent sous un ciel brûlant, tandis que 
le sauvage groenlandois, vivant au milieu des glaces, 
quitte ses habits en rentrant dans sa cabine pour ne les 
reprendre que lorsque le froid excessif du dehors Ty 
contraint? Celuy ci est mû par la crainte de la douleur, 
l'autre suit l'attrait du plaisir ; le maure fortuné, placé 



80 PAR CHODERLOS DE LACLOS 

dans un climat où la nature s'empresse de prévenir ses 
besoins, se livre à la volupté ; il veut conserver à tout 
son corps une sensibilité qui n'est exercée que par le 
plaisir : il reste vôtu ; le malheureux groenlandois, vivant 
sous un ciel rigoureux, uniquement occupé de chercher 
au milieu des glaces de la mer une subsistance qu'elle 
ne lui accorde pas toujours, et que la terre lui refuse 
constament, n'a d'idées que par ses besoins ; il cherche 
à émousser une sensibilité qui, presque toujours, lui est 
douloureuse ; il reste nud, dès qu'il peut se passer de vê- 
tement. Les premiers effets, relatifs à la parure, que pro- 
duisirent les vêtements, furent de conserver à nos corps 
plus de sensibilité et de les rendre d'un toucher plus 
doux ; bientôt l'adresse en scut encore tirer party, soit 
pour voiler une difformité, soit pour faire présenter des 
formes plus agréables, soit enfin pour fixer l'attention 
sur ce qu'on vouloit offrir aux regards ; mais ces orne- 
ments étrangers nous quittent dans le moment on sou- 
vent leur illusion nous deviendroit plus nécessaire ; 
alors, au contraire, les dons de la nature brillent de 
tout leur éclat ; ils nous appartiennent davantage, ils 
sont plus précieux, ils méritent notre 1** attention. 
Femmes coquôtes et riches, vous croiez vous parer en vous 
surchargeant d'ornements précieux ; vous vous applau- 
dissez de l'admiration béante de la multitude Kéduitte 
facilement par l'éclat de la richesse ; en effet, vous fixez 
l'attention un moment ; mais vous rappelez bientôt ce 
mot d'Appelé à son élève : ne pouvant la faire belle tu 
la fais riche. Voulez-vous être réellement parées? En 



DE l'Éducation des femmes 81 

voicy les moyens : sachez d'abord vous astreindre à un 
régime doux et salutaire ; c'est celui qui tient la santé ; 
sans elle point de fraîcheur, et sans la fraîcheur point 
de beauté ; fuiez surtout les veilles inutiles ; le repos sied 
mieux encore que l'éclat trompeur des bougies ; ne vous 
fatiguez par aucun excès ; vous serez belle même au 
jour ; les nuits que vous déroberez à vos amusements 
rendront plus précieuses celles que vous consacrerez à 
vos plaisirs. Craignez également l'usage des boissons spi- 
ri tueuses ; une peau unie ne couvre point un sang en- 
flammé ; laissez aux femmes qui manquent de res- 
sources, ce foible moïen d'exciter, par leur exemple, à 
ce genre de débauche, dans l'espoir de profiter des désirs 
qui les suivent et qu'elles n'auroient pu faire naître. Vous 
êtes jeunes et belles: qu'avez- vous besoin de hqueur forte? 
c'est d'amour qu'il faut vous ennivrer. Evitez les rayons 
d'un soleil brûlant qui obscurciroit l'éclat de votre teint ; 
ne laissez pas non plus gercer votre peau délicate par 
rimpression d'un froid excessif, mais gardez-vous plus 
encore d'une vie trop sédentaire ; les chairs mollissent 
et perdent leur ressort dans l'air stagnant et étouffé de 
vos appartements ; le frotement de l'air extérieur les 
rend au contraire fermes et vivaces. Profitez en hiver, 
du moment où la douce influence du soleil aura tempéré 
la rigueur du froid. Soyez en été diligentes comme Tau- 
rore ; semblables au lin que Ton prépare, c'est à la ro- 
sée qu'il faut vous blanchir. Non contents de régler vos 
actions, maîtrisez encore les affections de votre âme ; il 
en est qui détruisent la beauté ; si vous ne réprimez des 

5- 



82 PAR CHODERLOS DE LACLOS 

accès de colère trop fréquents, vos muscles acquerront 
une mobilité dangereuse, et, bientôt, toute expression 
deviendra une grimace. Le rire convulsif de la bruyante 
gaîté produit, à moindre degré, des inconvénients de 
même nature. Ne vous laissez jamais dominer par 
rhumeur ; cet état de déplaisance intérieure se mani- 
feste au dehors, et personne ne se soucie de plaire à 
celle qui ne craint pas de déplaire aux autres. Si l'envie 
ou Tambition vous dévorent, bientôt vos yeux caves, 
votre teint plombé, votre excessive maigreur auront 
terny votre beauté ; si vous vous livrez à la fureur du 
jeu, la contraction fréquente de vos muscles usent bien- 
tôt leur ressort ; la fatigue du jeu est, sans exception, 
celle qui use le plus et le plus vite ; redoutez pourtant 
aussi celle du plaisir, dans l'état d'épuisement qui le 
suit ; vos yeux batus, vos lèvres flétries, vos joues déco- 
lorées, ne scauroient faire naître des désirs qu'on s'apper- 
çoit assez que vous ne pouvez plus partager. Telle est 
un genre de parure trop peu connii peut-être, mais sur- 
tout trop rarement pratiqué. Après ces 1*" soins, que 
rien ne peut suppléer, il en est de plus faciles que 
la volupté réclame ; encore il n'est point de parure sans 
une propreté rigoureuse ; et, avant de chercher à vous 
orner par des vêtements, dépouillez-vous, et entrez dans 
le bain ; ne craignez pas d'en faire un usage journalier ; 
pour obvier aux inconvénients qui pourroient le suivre, 
accoutumez vous à les soutenir froids ; alors ils augmen- 
teront votre élasticité, loin de la détruire ; si leur fraî- 
cheur porte à la peau une légère atteinte, réparez cet 



DK l'Éducation des femmes 83 

effet par un cosmétique doux (1) effacez ensuite, par un 
parfum léger, l'odeur fade ou aromatique qu'ils laissent 
après eux ; usez mais n'abusez pas, on soupçonne volon- 
tiers la femme qui se parfume trop d'y être portée par 
quelque raison secretle ; sans cela, môme une odeur trop 
forte, telle agréable qu'elle fût, détruiroit Tivresse en 
détournant l'attention ; car ce n'est pas de la rose ou de 
l'œillet, c'est de vous que vous voulez que votre amant 
s'occupe ; qu'il puisse donc croire que vous-même exha- 
lez le parfum qu'il respire ; dans ces soins solitaires, 
n'imitez pas surtout ces femmes plus vaines que sen- 
sibles, qui, satisfaites d'un triomphe passager, ne son- 
gent qu'au public, et oublient leur amant; femmes 
injustes, vous vous plaignez d'être bientôt abandonnées 
par eux, vous les accusez de légèreté ; prenez-vous-en 
à vous-mêmes de cette apparente perfidie ; votre figure 
rieuse et fraîche leur avoit fait illusion, votre corps flé- 
tri les a détrompés. La figure attire, mais c'est le corps 
qui retient. L'âme est le filet et Tautre la cage ; mais 
l'oiseleur prudent avant de tendre ses pièges, s'occupe 
des moyens de conserver la proïe qu'il pourra faire ; 
imitez-le dans ses précautions, puis vous songerez à em- 
beUr votre figure ; ce soin demande encore quelques 

(i) Il en est un simple et salubredont Tasage nousparolt trop 

peu fréquent, et que nous énonçons volontiers icy : prenez de la 

graine de pavot blanc, pilez-la dans un mortier, en y jetant de 

l'eau en sorte que l'cspîîco de laict qui en provient soit plus 

épais que clair; passez le tout, et servez-vous en au moins 

toutte la semaine. 

Note de Ch. de L, 



84 



PAR CHODERLOS DK LACLOS 



réflexions ; l'art doit aider et non changer la nature. 
Avant de vouloir comparer, examinez-vous et tâchez de 
vous connoîtrc ; pour que l'expression de votre phisio- 
nomie soit agréable, sachez choisir celle qui lui convient ; 
si vos traits sont fins et délicats, si votre taille est petite, 
n'affectez point un air de dignité qui deviendroit ridi- 
cule ; si vos traits sont grandement dessinés, si votre 
taille est avantageuse, laissez à d'autres les grâces en- 
fantines ; trop d'embonpoint vous dépare et peut-être 
l'eût-on oublié pour s'occuper de votre fraîcheur, mais 
ce deffaut devient choquant si vous voulez paroître lé- 
gères ; si vos yeux sont vifs et pleins de feu, inutilement 
chercherez-vous à les rendre tendres ; vous ne ferez 
qu'obscurcir leur éclat ; si au contraire ils sont doux et 
caressants, vous détruiriez par une vivacité empruntée 
le charme qu'ils auroient fait naître. Chacun d'eux a les 
moyens qui leur conviennent et qui ne conviennent qu'à 
eux ; arrivez à votre but par le chemin que la nature vous 
a tracé ; c'est à la fois le plus sûr et le plus court ; que votre 
regard vif agisse par intervalles ; que ses coups soient re- 
doublés, mais distants ; que, semblable à l'éclair, il 
éblouisse à la fois par la flame dont il brille, et par les 
ténèbres qui l'environnent. Mais l'action d'un regard 
tendre doit être continue ; il doit nous fixer pour nous 
plaire, et dans nos cœurs, pénétrez pas à pas comme un 
jour doux dans des yeux délicats. Ne créiez pas surtout 
obtenir cette expression des seuls conseils de votre miroir, 
elle tient à vos quaUtés intérieures. Voulez vous donner 
plus de tendresse à vos regards ? Exercez la sensibilité 



DE l'Éducation dks femmes 85 

de votre âme. Voulez-vous accroître leur vivacité V Cul- 
tivez votre esprit, augmentez le nombre de vos idées ; 
en vain la nature vous aura accordé de beaux yeux, si 
votre ame est froide, si votre esprit est vide, votre regard 
sera nul et muet. Nous ne parlons icy que de cette 
expression des regards qui ne tient ny à un sentiment 
profond, ny à une sensation vide. On sçait assez que 
les grands mouvements de l'âme ou des sens se 
peignent dans les yeux en surmontant même les 
obstacles qu'on leur oppose ; Tel est le droit de 
la nature ; Part a cherché à l'imiter, et y est par- 
venu : l'usage en est fréquent au théâtre, l'abus s'en est 
glissé dans la société et les regards sont devenus men- 
teurs et perfides. Il s'en fait sentir jusque dans la pa- 
rure ; si Ton en croit les rapports des voïageurs, les 
balladières dellndoustan scaventjàTaide d'une poudre, 
donner à leurs regards l'expression du plaisir, en entre- 
tenant dans leurs yeux ces larmes brûlantes que la 
volupté fait répandre ; et sans recourir à leur récit, 
nous voïons autour de nous les femmes européennes 
faire briller leurs yeux de l'ardeur du désir, par le reflet 
du rouge placé sur leurs joues. 



[Ici s'arrête la dissertation de Chodei^los de ImcIos.] 



LLVISONS DANGEREUSES 



SOTES CREDITES DE CHARLES BAUDELAIRE 



INTRODlCTIOy 



Bien quen pensent Maxime du Camp et autres biographes 
inférieurs, qui nont su voir en Baudelaire quun farceur 
cynique ou un homme à bons mots, V auteur des « h leurs du 
Mal », fut mieux quun fou singulier, La conception quil se 
fit de toutes choses de la vie fut particulière. Sa manière cri- 
tique et littéraire ne peut être entachée de banalité. En faut-il 
conclure pour cela qu'il ne fut quune créature paradoxale ^ 

On a laissé aujourd' hui ces idées qui retardent pour juger 
plus sainement ce prodigieux esprit. On recueille ses propos, 
ses lettres^ ses projets ; et dans chacun de ces écrits on a 
plaisir à retrouver ce goût subtil, cette analyse aigae, fine et 
brusque qu'il fut seul à connaître et qui le placent parmi les 
précurseurs des idées modernes, de celles-là même qui sont 
les plus bienfaisantes. 

Ce fut en i856. Vannée qui précéda la publication des 
i( Fleurs du Mal », que Baudelaire projeta de rééditer les 



88 INTRODUCTION 

« Liaisons dangereuses » ; il voulait y inscrire en tête une 
étude sur la vie et les œuvres de Choderlos et faisait à ce sujet 
les recherches les plus minutieuses : « Mettez -moi de coté tout 
ce que vous accrochez de Laclos et sur Lack-y » écrivait-il le 
9 décembre 1856 à Poulet-Malassis{^). Plus tard, recevant le 
catalogue du même Poule t-Malassis, où il relève avec indigna- 
tion les noms de Sedaine, de Bièvre, Gilbert, J.-B. Rousseau, 
il se considère « heureux de n'y voir ni Laclca ni son nom ». 
// ajoute toutefois : « J'ai acheté la bonne édition des « Liai- 
sons dangereuses. Si jamais cette idée galope de nouveau 
dans votre tête, je verrai M. M. Quérard et Louandre, 
Louandre m'ayant promis de me mettre en relation avec un 
descendant (petit-Jîls ou petit-neveu) qui a des paquets de 
notes » (*). Enjin le 30 octobre i86U, il écrivait de Bruxelles à 
Poulet'Malassis pour que celui-ci accueille fasi^orablement une 
raduction du « Satyricon » de Pétrone (^) (( un ouvrage sur 
lequel je serai fier de coller mon nom et un travail critique 
sur Laclos (*). // en fut de ces projets d* éditions comme de bien 
d'autres idées de Baudelaire; son étude sur Laclos ne vit 
pas plus le jour que les travaux ou réimpressioris qu il projetait 
et qui, remarquons-le, nous manquent encof^e aujourd'hui, 
tels des « Morceaux choisis de Rétif » 

Ce livre sur Choderlos de Laclos lui avait tenu à cœur ce- 

(*) Charles Baudelaire. — Œuvres posthurrues et correspon- 
dances inédites .. publiées par Crépet, 1887, in-8'p, iSg. 

(2) Id. p. i54, lettre du 28 mars 1857. 

(3) Ce travail non publié a été annoncé sous ce titre : Le Ban* 
quet de Trimaîcion de Pétrone, traduit par Charles Baude- 
laire. 

(*) Crépet, p. 227. 



INTRODUCTION 89 

pendant ; daranl qu'il y travaillait, il avait même refusé à son 
éditeur d'écrire une étude sur Crébillon fils, « Non pas de Cré- 
billon, écrit-il le 18 mars iS57 ; c'est bien assez de C autre pour 
lequel je me donnerai beaucoup de mal» (*). Et deux jours 
après : « Excepté en faveur de Laclos, je n écris plus rien » (*). 
Qu'hélaient donc devenues ces notes qu'aucun des 6io- 
graphes de Baudelaire n'avaient connues et dont touSy ce- 
pcndant, devaient concevoir i intérêt ; « Les liaisons dange^ 
reuses :i> jugées par Vauteur des « Fleurs du Mal! > Il eut 
été dommage que nous fussions complètement privés de ce 
document et nous devons ici témoigner toute notre reconnais- 
sance à M. Alfred Dégis, qui /'a recueilli et le conserve dans 
ses archives y pour avoir bien voulu nous permettre de le repro- 
duire. Sans doute, telles quelles se présentent, ces notes sont 
imparfaites ; mais leur imperfection même est intéressante : 
<ii Biographie — Notes — Intrigue et caractère — Citations 
pour servir au caractère. y>Il y avait là tous les éléments d* une 
étude sérieuse et fouillée. Si ces quelques notes nous donnent 
le regret de ne pas avoir le document en son entier, consolons- 
nous à la lecture des quelques belles phrases que le poète y a 
semées et des pensées hautes que le crlt'ique y énonce ('). 

(*) Crépet, p. i/ig. 

(*) Crépet, p. 149. Lettre du 38 mars 1857. 

(3) Nous noterons ici, pour satisfaire le goût des minutieux 
que les notes de Baudelaire sont en partie écrites sur des bulle- 
tins de souscription au Parnasse contemporain cditc par Alphonse 
Lemcrre et sur des avis de recouvrements et de traites de la 
maison Poulct-Malassis. 

Nous ajouterons aussi que nous nous faisons un devoir de pu- 
blier intégralement le manuscrit de Baudelaire. 



BIOGRAPHIE 



Biographie mighaud 

Pierre- Ambroise-François Choderlos de Laclos, né à 
Amiens en 1741. 

A 19 ans, sous-lieutenant dans le corps royal du génie. 

Capitaine en 1778, il construit un fort à l'Ile d'Aix. 

Appréciation ridicule des Liaisons dangereuses par la 
Biographie Michaud, signée Beaulieu, édition 181 g. 

En 1789, secrétaire du duc d'Orléans. Voyage en An- 
gleterre avec Philippe d'Orléans . 

En 91, pétition provoquant la réunion du champ de 
Marâ. 

Rentrée au service en 92, comme maréchal de camp. 

Nommé gouverneur des Indes françaises, où il ne va 
pas. 

A la chute de Philippe, enfermé à Picpus. 

(Plans de réforme, expériences sur les projectiles). 

Arrêté de nouveau, relâché le 9 thermidor. 



92 DE l'éducation des feumes 

Nomme secrétaire général de l'administration des 
hypothèques. 

Il revient à ses expériences militaires et i*entre au 
service, général de brigade d'artillerie. Campagnes du 
Rhin et d'Italie, mort à ïarente, 5 octobre i8o3. 

Homme vertueux, « bon fils, bon père, excellent 
époux )). 

Poésies fugitives. 

Lettre à l'Académie française en 1 786 à Toccasion du 
prix proposé pour l'éloge de Vauban (i44o millions). 

France littéraire de quérard 

La première édition des Liaisons dangereuses est de 
1782. 

Causes secrètes de la Révolution du g au 10 thermidor, 
par Vilate, ex-juré au tribunal révolutionnaire. Paris. 
1795. 

Continuation aux Causes secrètes, 1796. 

Louandre et Bourquelot. 

Il faut, disent-ils, ajouter à ses ouvrages Le Vicomte de 
Barjac, 

Erreur, selon Quérard, qui rend cet ouvrage au marquis 
de Luchet. 

Hatin. 

Si octobre an II de la Liberté, Laclos est autorisé à 



NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 93 

publier la correspondance de la société des Amis de la 
Constitution séante aux Jacobins. 

Journal des Amis de la Constltation. 

En 1791, Laclos quitte le journal qui reste aux 
feuillants. 



II 



NOTES 



Ce livre, s'il brûle, ne peut brûler qu'à la maniire de 
la glace. 

Livre d^histoire. 

Avertissement de Téditeur et préface de l'auteur (sen- 
timents feints et dissimulés). 

— Lettres de mon père (badinages). 

La Révolution a été faite par des voluptueux. 

Nerciat (utilité de ses livres). 

Au moment où la Révolution française éclata, la no- 
blesse française était une race physiquement diminuée 
(de Maistre). 

Les livres libertins commentent donc et expliquent la 
Révolution. 

— Ne disons pas : Autres mœurs que Us nôtres, disons : 
Mœurs plus en honneur qu aujourd'hui. 



96 DE l'éducation des femmes 

Est-ce que la morale s'est relevée ; non, c'est que Téncr- ' 
gie du mal a baisse. — Et la niaiserie a pris la place de 
l'esprit. 

La fouterie et la gloire de la foutcric étaient-elles plus 
immorales que cette manière moderne d'adorer et de 
mêler le saint au profane ? 

On se donnait alors beaucoup de mal pour ce qu'on 
avouait être une bagatelle, et on ne se damnait pas plus 
qu'aujourd'hui. 

Mais on se damnait moins bêtement, on ne se pipait 
pas. 

George S and. 

Ordure et gérémiades (i). 

(i) La femme Sand est le Prud'homme de l'immoraUté. Elle a 
toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la 
contre-morale. Aussi elle n'a jamais été artiste. Elle aie fameux 
style coulant, cher aux bourgeois. 

Elle esthète, elle est lourde, elle est bavarde. Elle a, dans les 
idées morales, la même profondeur de jugement et la même dé- 
licatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. 
Ce qu'elle a dit de sa mère ; ce qu'elle dit de la poésie. Son 
amour pour les ouvriers. ''*' 

Georges Sand est une de ces vieilles ingénues qui né veulent 
jamais quitter les planches. 

Voir la préface de M^^« La Quintinief où elle prétend que les 
vrais chrétiens ne croient pas à l'enfer. La Sand est pour le 
Dieu des bonnes gens, le dieu des concierges et des domestiques 
filous. 

Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'enfer. 

Ch. Baddelaire. Mon cœur mis à nu (XXII), publié par Gré- 
pet, p, loi. 



^ 



NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 97 

En réalité, le satanisme a gagné. Satan s'est fait ingénu. 
Le mal se connaissant était moins affreux et plus près de 
la guérison que le mal s'ignorant. G. Sand inférieure à de 
Sade. 

Ma symphathie pour le livre. Livre de 

Ma mauvaise réputation. moraliste aussi 

Ma visite à Billaut. haut que les plus 

Tous les livres sont immoraux. élevés, aussi profond 

que les plus profonds. 
— A propos d'une phrase de Valmont (à retrouver) : 

i Le temps des Byron venait. 
/^ h Car Byron était préparé y comme Michel- Ange. 
.' Le grand homme n'est jamais aérolithe. 

Chateaubriand devait bientôt crier à un monde qui n'a- 
vait pas le droit de s'étonner : 

II ne faut pas croire que le diable ne lente que les hommes 
de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dé- 
daigne pas leur concours. Bien au contraire, il prend ses 
grands espoirs sur ceux-là. 

Voyez Georges Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre 
chose, uviQfjrosse hète\ mais elle est possédée, c'est le diable qui 
l^a persuadée de se fier à son bon cœur et à son bon sens afin 
qu^elle persuadât toutes les autres grosses bétes de se fier à leur 
bon cœur à et leur bon sens. 

Je ne puis penser à cette stupide créature sans frémissement 
d horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empècher de 
lui jeter un bénitier à la tôtc. 

(Ch. B., Mon cœur mis à nu, XXIII, Crépet, p. loi-a. 

G 



98 DE l'éducation des feumes 

« Je fus toujours vertueux sans plaisir ; j'eusse été 
criminel sans remords. » 

Caractère sinistre et sataniquc. 
Le satanisme badin. 

Gomment on faisait l'amour sous l'ancien régime. 

Plus gaîment, il est vrai. 

Ce n'était pas l'extase, comme aujourd'hui, c'était le 
délire. 

C'était toujours le mensonge, mais on n'adorait pas son 
semblable. On le trompait. ^ mais on se trompait moins 
soi-même. 

Les mensonges étaient d'ailleurs assez bien soutenus 
quelquefois pour induire la comédie en tragédie. 

— Ici comme dans la vie, la palme de la perversité reste 
à [la] femme. 

(Laufeia). Fœmina simplex dans sa petite maison. 
Manoeuvres de l'Amour. 
Belleroche. Machines à plaisir. 

Car Valmont est surtout un vaniteux. 11 est d'ailleurs gé- 
néreux, toutes les fois qu'il ne s'agit pas des femmes et de sa 
gloire. 

— Le dénouement. 

La petite vérole (grand châtiment) 
La Ruine. 



Caractère général sinistre. 



NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 99 

La dclcslablc liumanité se fait un enfer préparatoire. 

— L'amour de la guerre et la guerre de Tamour. La 
gloire. L'amour de la gloire. Vahnont et la Merteuil en 
parlent sans cesse, la Merteuil moins. 

L'amour du combat. La tactique, les règles, les mé- 
thodes. La gloire de la victoire. 

La stratégie pour gagner un prix très frivole. 

Beaucoup de sensualité. Très peu d'amour excepté chez 
M"" de ïourvel. 

— Puissance de l'analyse racinicnne. 
Gradation. 

Transition. 
Progression. 

Talent rare aujourd'hui, excepté chez Stendhal, Sainte- 
Beuve et Balzac (i). 

Livre essentiellement français. 

Livre de sociabilité, terrible, mais sous le badin et le 
convenable. 

Livre de sociabilité. 

Une note manuscrite, d'une main quelconque, mais 
que Baudelaire destinait évidemment à son article, ainsi 
qu'en témoigne la mention qu'il écrivit lui-même en lête: 
Liaisons dangereuses^ était jointe à ce dossier n® 2 : 

(i) Excepte Chateaubriand, Balzac, Slcndhal, Mérimée, de Vigny, 
Flaubert, Banville. Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille 
moderne me fait horreur : Ltf^^-tf d .U. Ancelle, iS février 186G. 
Crêpe t. Inlrod. lxxxv. 



100 DK l'kducation dks femmes 

(( Celle (li'^fcnsc (qui s*attaclie aux émigrés et à leurs en- 
treprises) surprendra peu les hommes qui pensent que la 
llévolulion française a pour cause principale la dégradation 
morale do la noblesse. 

« M. de Saint-Pierre observe quelque part, dans ses 
Etudes sur la nature, que si l'on compare la figure des 
nobles Français à celle de leurs ancêtres, dont la peinture 
et la sculpture nous ont transmis les traits, on voit à Tévi- 
dence que ces races ont dégénéré. » 

Considérations sur la France, ^p. 197, de l'édition sous la 
rubrique de Londres, 1797, in-8. 



m 



INTRIGUE ET CARACTÈRES 



Intrigue, 

Comment vient la brouille entre Valmont et la Mer- 
teuil. 

Pourquoi elle devait venir. 

La Merteuil a tue la Tourvel. 

Elle n'a plus rien à vouloir de Valmont. 

Valmont est dupe. Il dit à sa mort qu'il regrette la 
Tourvel, et de l'avoir sacrifiée. Il ne l'a sacrifiée qu'à son 
Dieu, à sa vanité, à sa gloire, et la Merteuil le lui dit même 
crûment, après avoir obtenu ce sacrifice. 

C'est la brouille de ces deux scélérats qui amène les 
dénouements. 

Les critiques faites sur le dénouement relatif à la Mer- 
teuil. 

Caractères, 

A propos de M"* de Rosemonde, retrouver le por- 

6- 



102 DE l'éuucatiuiN dks femmes 

trait des vieilles femmes, bonnes et tendres, fait par la 
Merteuil. 

Cécile, type parfait de la détestable jeune fdlc, niaise et 
rensuelle. 

Son portrait, par la Merteuil, qui excelle aux portraits. 

(Elle ferait bien môme celui de la Tourvel» si elle n'en 
était pas horriblement jalouse, comme d'une supériorité) 
Lettre XXXVIII. 

La jeune fille. La niaise, stupideet sensuelle. Tout près 
de l'ordure (i) originelle. 

La Merteuil. TartuEFe femelle, tartuffe de mœurs, tar- 
tuffe du xviii' siècle. 

Toujours supérieure à Valmont et elle le prouve. 

Son portrait par elle-même. Lettre LXXXI. Elle a 
d'ailleurs du bon sens et de l'esprit. 

Valmont, ou la recherche du pouvoir par le Dandysme 
et la feinte de la dévotion. Don Juan. 

La présidente [^QXjXei appartenant à la bourgeoisie. Ob- 
servation importante). Type simple, grandiose, attendris- 
sant. Admirable création. Une femme naturelle. Une Eve 
touchante. — La Merteuil, une Eve satanique. 

UAnceny (sic), fatigant d'abord par la niaiserie, devient 
intéressant. Homme d'honneur, poète et beau diseur. 

M"* de Rosemonde. Vieux pastel, charmant portrait à 

(i) Baudelaire avait d'abord écrit da péché originel* 



NOTKS INKDITKS DK CD. BAUDKLAIRE 103 

barbes et a tabatière. Ce que la Merleuil dit des vieilles 
femmes. 

C'Ualions pour servir aux caractères. 

({ Que me proposez-vous ? de séduire une jeune fille 
qui n*a rien vu, ne connaît rien... Vingt autres y peuvent 
réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de Tentrcprise 
qui m'occupe ; son succès m'assure autant de gloire que 
de plaisir. L'amour, qui prépare ma couronne, hésite lui- 
mônie entre le myrte et le laurier... » 

Lettre IV. — Valnionl àM"^^ de Merleuil, 

(( J'ai bien besoin d'avoir cette femme pour me sauver 
du Ridicule (i) d'en être amoureux... J'ai, dans ce mo- 
ment, un sentiment de reconnaissance pour les femmes 
faciles, qui me ramène naturellement à vos pieds. » 

Lettre IV. — Valmont à M'^* de Merleuil . 

« Conquérir est notre dessein : il faut le suivre. » 

Lettre W . — Valmonl à A/°* de Merleuil, 

(Note: car c'est aussi le dessein de M'"* de Merteuil. 
Rivalité de gloire). 

(( Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion 
forte. )) 

Lettre IV. — Valmont à la Merleuil. 
(i} Le manuscrit de Baudelaire porte un R. majuscule. 



104 DE l'Éducation des femmes 

Rapprocher ce passage d'une note de Saint-Beuve sur 
le goût de la passion dans l'Ecole Romantique. 

« Depuis sa plus grande jeunesse, jamais il n'a fait un 
pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il 
n'eut (i) [un projet qui ne fut malhonnête ou criminel].. 
Aussi, si Yalmont était entraîné par des passions fou- 
geuses ; [si, comme mille autres, il était séduit par les 
erreurs de son âge, en blâmant sa conduite, je plaindrais 
sa personne, et j'attendrais, en silence, le temps où un 
retour heureux lui rendrait l'estime des gens honnêtes] 

Mais Valmont n'est pas cela... etc. 

Lettre IX. — il/'"' de Volanges à la présidente de Tourvel, 

(( Cet entier abandon de soi-même, ce délire de la 
volupté, où le plaisir s* épure par son excès, ces biens de 
l'amour ne sont pas connus d'elle... Votre présidente 
croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme 
son mari, et dans le tètc-à-téte conjugal le plus tendre, 
on est toujours deux. » 

Lettre V. — La Merteuil à Valmont, 

(Source de la sensualité mystique et des sottises amou- 
reuses du 19* siècle.) 

(( J'aurai cette femme. Je Tenlèverai au mari qui la 
profane (G. Sand). J'oserai la ravir au Dieu même qu'elle 

(i) La citation de Baudelaire s'arrêtait à ce mot. Pour la 
rendre intelligible nous avons cru bon de la rétablir toute. 



NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE lOo 

adore (Valmont satan, rival de Dieu). Quel délice d'être 
lour h tour l'objet et le vainqueur de ses remords ! Loin 
de moi l'idée de détruire les préjuges qui rassicgcnt. Ils 
ajouteront à mon bonlieur et à ma gloire. Qu'elle croie 
à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie... qu'alors, si j'y 
consens, elle me dise : « Je t'adore ! » 

Lettre VL — Valmont à la MerteuiL 

« Après ces préparatifs, pendant que Victoire s'occupe 
des autres détails, je lis un chapitre du Sopha, une lettre 
d^Héloïse^ et deux contes de La Fontaine, pour recorder 
les différent tons que je voulais prendre. » 

Lettre X. — La Merteuil à Valmont. 

« Je suis indigné, je Tavoue, quand je songe que cet 
homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, 
en suivant tout bêtement linstinct de son cœur, trouve une 
félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh ! je la trou- 
blerai ! )) 

Lettre XV. — Valmont à la Merteuil. 

(( J'avouerai ma faiblesse. Mes yeux se sont mouillés 
de larmes... J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en 
faisant le bien... » 

Lettre XXL — Valmont à la MerteuiL 

Don Juan devenant tartuffe et charitable par intérêt. 

Cet aveu prouve à la fois l'hypocrisie de Valmont, sa 

haine de la vertu, et, en môme temps, un reste de sensi- 



106 DE L^ÉDUCATION DES FEMMES 

bilité par quoi il est inférieur â la Merteuil, chez qui tout 
ce qui est humain est calcine. 

(( J'oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit, 
j'ai demandé à ces beaux yeux de prier Dieu pour le succès 
de mes projets. » 

Lettre XXI. — (Impudence et raffinement d'impiété.) 

(( Elle est vraiment délicieuse... Gela n'a ni caractères, 
ni principes. Jugez combien [sa société sera douce et 
facile]... En vérité, je suis [presque jalouse de celui à qui 
ce plaisir est réservé]. 

Lettre XXXVIII. — La Merteailà Valmont. 
(Excellent portrait de la Cécile.) 

(( Il est si sot encore qu'il n'en a pas seulement obtenu 
un baiser. Ce garçon-là fait pourtant de fort jolis vers ! 
Mon Dieu I que ces gens d'esprit sont bêtes ! » 

Lettre XXXVIII. — La Merteuii à Valmont, 

(Commencement du portrait de Danceny, qui attirera 
lui-môme la Merteuil). 

(( Je regrette de n'avoir pas le talent des filoUs....*. Mais 
nos parents ne songent à rien. » 

Suite de la Lettre XI. — Valmont à la Merteuil. 

« Elle veut que je sois son ami » f La malheureuse vic- 
time en est déjà là) (( Et puis-je me venger moins 

d'une femme hautaine qui semble rougir d'avouer 
qu'elle adore? » 



NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 107 

Lettre LXX. — Valnionl à la Merleuil, 

A propos de la Vicomtesse : 

(( Le parti le plus difficile ou le plus gai est toujours 
celui que je prends ; et je ne me reproche pas une bonne 
action, pourvu, qu'elle m'exccrce ou m'amuse. 

Lettre LXXL — Valmont à la Merleuil. 
(Portrait de la Merteuil par elle-même.) 

« Que vos craintes me causent de pitié 1 Combien elles 
me prouvent ma supériorité sur vous!..,. Être orgueilleux 
et faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens 
et juger de mes ressources ! » 

(La femme qui veut toujours faire l'homme, signe de 
grande dépravation. ) 

« Imprudentes, qui dans leur amant actuel ne savent 

pas voir leur ennemi futur. » « Je dis : mes principes 

Je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage.» 

(( Ressentais-je quelque chagrin J'ai porté le zèle 

jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher 
pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis tra- 
vaillée avec le môme soin pour exprimer les symptômes 
d'une joie inattendue. » 

i( Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents 
auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent 
leur réputation, et [je ne me trouvais encore qu'aux pre- 
miers éléments de la science que je voulais acquérir].» 



108 DE l'éducation des femmes 

« La tête seule fermentait. Je ne désirais pas de jouir, 
je voulais SAVOIR » (George Sand et autres) 

Lettre LXXXL — La Mcrteuil à Valmonl. 

Encore une touche au portrait de la petite Volanges 
par la Merteuil : 

(( Tandis que nous nous occuperions à former cette 
petite fille pour l'intrigue [ nous n'en ferions qu'une femme 
facile].... Ces sortes de femmes ne sont absolument que 
des machines à plaisir. )) 

Lettre CVL — La Merieuil à Valmoni, 

« Cet enfant est réellement séduisant. Ce contraste de 
la candeur naïve avec le langage de l'effronterie ne laisse 
pas de faire de l'effet ; et je ne sais pourquoi, il n'y a plus 
que les choses bizarres qui me plaisent. » 

Lettre CX. — Valinont à la MerteuiL 

Valmoni se glorifie et chante son futur triomphe : 

(( Je la montrerai, dis-je, oubliant ses devoirs Je 

ferai plus, je la quitterai Voyez mon ouvrage et cher- 
chez-en dans le siècle un second exemple ! . 

Lettre GXV. — Valmont à la MerteuiL 

(Citation importante). 

La note et l'annonce de la fin. 

Champleury. 

Lui écrire. 



iNOTES INKDITES DE CH. BAUDELAIRE 109 

Voici cette noie finale des Liaisons dangereuses, à laquelle 
Baudelaire l'ait allusion : 

(( Des raisons particulières et des considérations que 
nous nous ferons toujours un devoir de respecter, nous 
forcent de nous arrêter ici. 

Nous ne pouvons, dans ce moment, ni donner au lecteur 
la suite des aventures de M*"' de Volanges. ni lui faire 
connaître les sinistres événements qui ont comblé les mal- 
heurs ou achevé la punition de M'"" de Mcrtcuil. 

Peut-être quelque jour, nous sera-t-il permis de com- 
pléter cet ouvrage ; mais nous ne pouvons prendre aucun 
engagement à ce sujet : et quand nous le pourrions, nous 
croirions encore devoir auparavant consulter le goût du 
public, qui n'a pas les mêmes raisons que nous de s'inté- 
resser à celte lecture.» 

Note de V éditeur. 

Baudelaire, se proposait sans doute d'écrire à Gham- 
pleury, mieux fourni que lui en curiosités de toutes 
sortes, pour s'informer si cette seconde partie avait jamais 
été publiée par Choderlos de Laclos. 

Peut-être aussi la phrase fmale de la note de l'éditeur 
avait-elle porté sa pensée sur la vérité du récit : et il au- 
rait alors voulu demander h Ghampleury la clef des liai- 
sons dangereuses. 



DOCUMENTS 

POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA VIE 
DE CHODERLOS DE LACLOS 

[Archives NationaleSf P 4686.] 



DOCUMENTS 
SUR CHODERLOS DE LACLOS (i) 



Section de La Montagne. I/an deuxième de la République 
4« Région Françoise et le quatorze du 

deuxième mois. 

Par devant nous, Jean Lacoste, juge de Paix de la 
section de la Montagne, assisté de notre greffier ordi- 
naire ; 

Sont comparus les citoyens Pierre-Henry Caplain, 
Pierre Rivaux, membres du Comité Révolutionnaire 
de Saint-Cloud,y demeurant^ et Serize, greffier du dit 
Comité. 

Lesquelx nous ont présenté, pour être rendu à Tins- 
tant, un arretté du Comité de Sûreté générale de la 
Convention en datte du jour d'hier, signé : Vadier, 
Voulland, Louis de Bosrhis, Bayle, La Vicomterie et 

(i) Archives NationaUSy F 4686. 



114 DE l'Éducation des femmes 

Jagot, portant que le nommé Laclos sera saisi par- 
tout où il se trouvera et mis sur-le-champ en état 
d'arrestation [dans la maison] dite delà Force ou tout 
autre maison de détention. 

Que les autorités constituées et tout dépositaire de 
la force publique sont chargés de l'exécution du pré- 
sent arretté. 

Nous, en conséquence,lesdits citoyens sus-nommés, 
[requis] de nous transporter de suite Cour des Fon- 
taines, Palet (sic) égalité, maison où loge ledit La- 
clos, a l'effet de tout ce que dessus, et encore d'appo- 
ser nos scellés sur les titres et papiers, ont signé avec 
nous, après lecture, signé : Caplain, Rivaux, Serize, 
Jean La Coste, juge de Paix, et Sarazin, secrétaire- 
greffier. 

Nous, juge de Paix, susdit et soussigné, assisté de 
notre greffier ordinaire et accompagné comme des- 
sus, nous nous sommes transporté cour des Fon- 
taines, Palet égalité, maison où loge ledit Laclos, 
dans laquelle étant au deuxième sur ladite cour, nous 
y avons trouvé ce citoyen, son épouse, et d'autres ci- 
toyens. Avons exibé audit Laclos Tarretté susnommé 
du comité de Sûreté générale de la Convention. Il 
nous auroit dit qu'il n'empéchoit l'exécution du sus- 
dit arretté, mais seulement observé qu'il étoit étonné 
des motifs qui ont fait prendre cet arretté, que, en ce 
moment même, il se disposoit à aller au champ 
d'épreuve, butte Montmarte, où il devoit trouver le 
ministre de la Marine et deux membres du Comité de 



DOCUMEiNTS SUR CHODERLOS DE LACLOS 115 

Salut Public pour une expérience de guerre fort im- 
portante; qu'il étoit chargé, par le même ministre et 
avec l'agrément du comité du Salut Public, d'une sé- 
rie d'expérience de guerre également importantes, et 
qui ont également été retardés à l'époque où elles dé- 
voient comencer, par une première arrestation, par 
suite de laquelle il est encore en ce moment sous le 
cautionnement du citoyen représentant Laurent 
Guyot, de la Côte-d'Or, dont le patriotisme est bien 
connu ; nous a, au même instant, ledit Laclos, repré- 
senté son portefeuille, dont même présence que des- 
sus, y avons trouvé onze pièces. Celle cottée neuf en 
datte du vingt neuf septembre dernier, signée Dalba- 
rade, ministre de la Marine, portant ordre audit La- 
clos de rester à Paris pour la suite des expériences 
dont il étoit chargé, ledit ordre donné par le Comité 
de Salut Public. De cette pièce et des dix autres, par 
nous cottées paraphées, en avons composé une liasse 
qui sera déposée au Comité de Sûreté générale de la 
Convention ainsi que le présent procès verbal. 

Ce fait, ledit Laclos nous a ouvert les meubles et 
placards fermans a clefs et étant dans ses apparte- 
ments, et après vérification scrupuleusement faite et 
n'ayant trouvé aucun papier, si ce n'est dans son se- 
crétaire, pratiqué dans les murs de son cabinet, sur 
lequel nous avons apposé nos scellés aux extrémités 
d'une bande de toille blanche, après l'avoir fermé 
avec la clef restée en nos mains ; desquels scellés nous 
avons etably gardienne a justice la citoyenne Marie- 



il6 DE l'Éducation des femmes 

Margueritte-Julie Coquet (i)(5/^), femme de Jean-Fran- 
çois Dupuis, cuisinier, elle, attachée au service de la 
citoyenne Laclos, et a la charge par elle de les repré- 
senter quant et à qui il appartiendra. 

Fait et clos ledit jour, mois et an que dessus, onze 
heures du matin, et ont tous les susnommés et la 
gardienne, signé avec nous. Signé : Laclos, Caplain, 
Rivaux, Serize, Jean Lacoste, juge de paix, Coquet et 
Sarrazin, greffier, pour expédition conforme à la mi- 
nute étant au greffe. 

Sarrazin, secrétaire-greffier. 

(i) II faut lire Poquet ainsi qu'on peut le voir par la requête 
adressée par cette femme lorsqu'elle quitta le service de M"»* La- 
clos (Cf. Doc, n» XVIIo). 



IV 



Tableau à remplir par le comité de surveillance de 
la section de la Montagne sous sa responsabilité, dans 
le délai de huit jour s ^ à compter du jour de sa récep- 
tiun. 



Nom du détenUy son domicile avant sa détention , son 
âge^ le nombre de ses enfants^ leur âge ; où ils sont; 
s* il est veuf y garçon ou marié, 

Pierre-Amboise-François Chaderlos Laclos, ex- 
noble, demeurant cour des Fontaines, maison Egalité^ 
n^ iiij ; 

Agé de 33 ans ; 

A deux enfants, l'un âgé de 9 à 10 ans et Tautre, de 
5 à 6, tous deux demeurant chez lui avec leur mère, 
même maison, n*" 11 10; 

Est marié. 



»>• 



118 DE L^ÉDUCATION DES FEMMES 

[2« colonne] 

Le lieu où il est détenu ; depuis quand ; à quelle épo- 
que; par quel ordre ; pourquoi, 

A la maison d'arrêt de Picpus et précédemment à 
la Force ; 

Depuis quatre mois et demi, arrêté le 14 brumaire 
par ordre du Comité de Sûreté générale, nous en 
ignorons le motif. 

[3® colonne] 
S a profession avant et depuis la Révolution, 

Officier d'artillerie depuis Tannée 1760 jusqu'au 
29 mai 1791, époque de sa démission; 

Secrétaire surnuméraire des commandements de 
d'Orléans, depuis le commencement de Tannée 1789 
jusqu'au i^^ octobre 1792; 

Commissaire du Pouvoir exécutif dans le courant 
d'août de la même année. Rentré au service dans le 
courant de septembre en qualité de chef de brigade, 
jusqu'au 21 septembre dernier, époque où il donna sa 
démission ; a depuis et jusqu'au moment de son arres- 
tation été employé par le ministre de la Marine et le 
Comité de Salut public, à différentes expériences et 
nouveaux moyens de guerre; à ce qu'il nous a assuré. 

[4® colonne] 

Son revenu avant et depuis la Révolution, 

Se composait, avant la Révolution, de i.8oo L de 



DOCUMENTS SUR CUODERLOS DE LACLOS 119 

rentes provenant de la succession de son père, plus 
de 5 à 6.000 1. du chef de sa femme, plus ses appoin- 
temens de capitaine en i^^"^ d'artillerie. 

En 1789, il a eu, de plus, 6.000 1. d'appointemen 
de d'Orléans ; à datter de 1790, ils ont été réduits à 
4000 1., ensuite à 3.000, puis supprimés au 1^' octo- 
bre 1792; 

Au i^^ juin 1791, il a obtenu une pension de retraite 
de 1.800 1. ; en 1792, il hérita de sa mère d'environ 
1.200 à 1.400 1. de rentes. Son revenu actuel est de 
1.000 à 1.200 ]., ayant vendu le reste dans le dessein 
d'acquérir un tond d'industrie qui le met à même de 
faire vivre sa famille. Tel est le résultat de son dire. 

[5* colonne] 
Ses relations, ses liaisons. 

Avant la Révolution, il voyait beaucoup de no- 
bles ; au commencement de la Révolution il fut de 
deux clubs qui étaient composés, en grande partie, de 
nobles ; les Lameth, les d'Orléans en fesaient partie ; 
ces deux clubs étaient, l'un, rue des Bons-Enfants, 
à la ci-devant chancelerie, sous le nom de Club des 
Patriotes^ l'autre galerie du jardin de la Révolution, 
sous le nom de Club National, Dans ce tems-là ils 
jouissaient d'une assez bonne réputation, mais ac- 
tuellement que les traîtres sont démasqués, il se trouve 
qu'il y a de ses membres qui sont émigrés, ou arrê- 
tés, ou frappés de mort comme conspirateurs. 

Depuis la dissolution de ces clubs, Laclos n'avait 



120 DE l'éducation des femmes 

pour sa société que son épouse, ses enfants et son 
frère, lequel est aussi en état d'arrestation. 

[6* colonne] 

Le caractère et les opinions politiques quHl a montrés 
dans les mois de mai, juillet et octobre ijSç; au 
lo août ; à la fuite et à la mort du tyran ; au ji mai et 
dans les crises de la guerre ; s'il a signé des pétitions 
ou arrêtés liberticides. 

Homme de génie, très froid et très fin, auteur des 
Liaisons dangereuses (i), orateur : dans le cours de 
notre Révolution et dans ses époques les plus mémo- 
rables il s'est comporté, à Paris, d'une manière à 
plaire à tous ; ce qui lui a valu la confiance d'une 
grande partie de notre section ; cependant les vrais 
républicains ont à lui reprocher d'avoir été complai- 
sant, de n'avoir point employé tout son talent à com- 
battre la faction ennemie de la République qui exis- 
tait alors dans notre section. Nommé commissaire à 
la Commune pour l'affaire du lo août, il en a été re- 
jette par le scrutin épuratoire, motivé sur ce qu'il 
avait été un des auteurs de la scission de la Société 
des Jacobins, qu'il quitta pour se réunir aux Feuillans. 
Dans notre section, il fut un de ceux qui parla contre 
la Commune du lo août. Nommé électeur, il n'ac- 
cepta point ; ce fut dans ce temps qu'il fut appelle par 
le Conseil exécutif à une fonction militaire. Il nous a 

(i) Ces mots rejet es au bas de la 5« colonne. 



DOCUMENTS SUR CHODERLOS KE LACLOS 121 

été assuré que c'est lui qui proposa aux Jacobins la 
pétition qui a dû être signée au Champ de Mars, le 
17 juillet 1791 ; la motion ayant été adoptée, il en fut 
un des rédacteurs. 

Paris, le 16 ventôse, Van deux de la République, 

Fait en notre Comité Révolutionnaire de la section 
de la Montagne, ce i" prairial, Tan deux de la Répu- 
blique une et indivisible. 

Signé : Jobert ; Lemerlier, com- 
missaire ; Frété, commissaire; 
JiENCK, commissaire; Briant- 
Baillet, commissaire ; Simon, 
commissaire ; Boubon, prési- 
dent; xMazurier, commissaire ; 
Jarlat, commissaire ; Mottbt, 
commissaire; Daoust-Danbau- 
TON, commissaire. 



IIP 



l»e Division. Paris, le 13 brumaire, l'an 2* de la Répu- 
ARTILLERIE blique une et indivisible. 

(i) 

V adjoint de la V^ division du ministère de la 
Marine au citoyen Choderlos Laclos, 

Le ministre auquel j'ai remis, citoyen, la lettre que 
vous m'avez adressée pour lui, a arrêté qu'il se ren- 
drait demain, à midi, sur la butte Montmartre pour 
assister à l'expérience des culots ; que je l'accompa- 
gnerais et qu'il préviendrait lui-même les Représen- 
tants du Peuple. 

Vous pouvez donc faire toutes les dispositions con- 
venables. 

Signé : Chap patte. 

(i) Première pièce de la liasse. 



IV< 



!'• Division. Paris, le i2>«« jour du 2»« mois de la 
ARTILLERIE 2mt année républicaine. 

(0 

L'adjoint de la /'* division du ministère de la 
Marine au citoyen Choderlos Laclos^ à 
Paris. 

Je vous fais passer, citoyen, copie d'une lettre du 
citoyen Dupin au ministre. Vous y verrez que le com- 
missaire Rolland a reçu ordre de mettre à votre dis- 
position la bouche à feu et les attirails nécessaires 
pour soumettre à Texpérience les culots que vous 
avez fait fabriquer à Tarsenal. Vous voudrez donc 
bien vous concerter avec ce commissaire et arrêter le 
jour où Texpérience pourra avoir lieu. 

Le Représentant du Peuple Treillard vient de de- 
mander au ministre, par la lettre d*hier, qu'il étoit 
prêt à remettre à la disposition de la Marine les châ- 
teau neuf et petit parc de Meudon. L'intention du 

(i) Deuxième pièce de la liasse. 



124 DE L EDUCATION DES FEMMES 

ministre est en conséquence que vous vous transpor- 
tiez sur les lieux avec le citoyen Mandard, demain 
entre neuf et dix heures du matin, pour prendre pos- 
session du local et en donner décharge à qui de 
droit. 

Signé : Chappatte. 



Vo 



l'« Division. Paris, le 5 octobre 1793, l*an 2« de la Ré- 
ARTILLERIE publique une et indivisible. 

L adjoint de la V^ division du ministère delà 
Marine au citoyen Choderlos Laclos ^ gène- 
rai de brigade^ à Paris, 

Le ministre a reçu, citoyen, la lettre par laquelle 
vous lui représentez que la méthode qu'on a adoptée 
pour charger les canons a boulets rouges sur les 
vaisseaux de la Republique, peut être susceptible 
d'inconvénient, et que vous pensez qu'il seroit possi- 
ble de les éviter en employant des culots de bois et 
de toile, dont Tusage a eu le plus grand succès à Tlsle 
d'Aix et à T Ecole de la Fère. Cette proposition ayant 
fixé toute Tattention du ministre, il me charge de 
vous autoriser a faire exécuter six des culots que vous 
vous proposez, afin qu'on puisse les soumettre à une 
nouvelle expérience. 

(i) Troisième pièce de la liasse. 



126 DE l'éducation des frmmks 

Je pense que si vous vous entendiez pour cet effet 
avec le commissaire ordonnateur de Tartillerie il 
pourrait vous procurer des facilités pour faire exécu- 
ter ces culots à l'arsenal de Paris. 

Signé : Chappatte. 



vr 



Copie de la lettre du citoyen Du pin (i), ad- 
joint au ministre de la Guerre^ an mi- 
nistre de la Marine. 

Paris, le lo® jour du 2» mois de Tan 2« de la République 
une et indivisible. 

Aussitôt votre lettre du 27 reçue, le ministre a fait 
passer des ordres au commissaire Rolland, à l'arsenal, 
pour qu'il ait à vous procurer, dans le plus court dé- 
lai, la pièce de canon de 24 ou de 18 montée sur son 
affût avec les autres objets dont vous avez besoin pour 
l'expérience que vous désirez faire. 



Signé : Chappatte. 



(i) (Juatriètm pieu de la liasse. 



VIP 



!'• Division. Paris, le i8« du !•'' mois de la 2* [année] 
ARTILLERIE de la République Française. 

(0 

Copie d'une lettre écrite par le ministre de la 
Marine à celui de V Intérieur, 

Le citoyen Choderlos Laclos a reconnu, mon cher 
collègue, que le petit château de Meudon offroit 
toutes les facilites désirables pour l'exécution des 
expériences ordonnées par le Comité de Salut public. 
Je vous prie donc de vouloir donner des ordres pour 
que je puisse disposer de cette maison et de ses dé- 
pendances, tant que Tobjet auquel elle sera destinée 

l'exigera. 

Pour copie : Chappattb. 

(i) Cinquième pièce de la liasse. 



viir 



l^^ Division. Paris, le 27* jour du i*' mois de la se - 
ARTILLERIE conde année républicaine. 

(0 

V adjoint de la /" division du ministère de la 
Mariné au citoyen Choderlos Laclos, 

Je vous donne avis, citoyen, que je viens d'écrire 
au ministre de la Guerre pour le prier de faire déli- 
vrer de Tarsenal le canon et les attirails d'artillerie 
qui vous sont nécessaires pour soumettre à Texpé- 
rience les culots dont vous avez proposé de faire usage 
dans le tir à boulets rouges. 

Comme je pense que les ordres du ministre de la 
Guerre seront adressés au commissaire Roland, vous 
voudrez bien vous concerter avec lui et, lorsque vous 
aurez arrêté le jour de Texpérience, en prévenir le mi- 
nistre afin qu*il puisse engager le comité de Salut pu- 
blic à nommer un de ses membres pour y assister. 

Signé : Chappatte. 

(i) Cinquiènu pièa (bis) de la liasu, (Il y a eu erreur de nu- 
mérotation par le greffier.) 



IXo 



!'• Division. Paris, le 28*^ jour du V^ mois de la 2* 
AFF. SECRÈTE année républicaine. 

(0 

L'adjoint de la /'« division du ministère de la 
Marine aux citoyens Choderlos Laclos ei 
Bertholet, 

Je vous donne avis,citoyens,que le ministre a donné 
les ordres nécessaires pour qu'il soit remis sur-le- 
champ, à la disposition du citoyen Laclos, une somme 
de i.^oo 1. pour acquitter les menues dépenses aux 
quelles donneront lieu les opérations dont vous êtes 
chargés. 

Je vous préviens aussi que le ministre autorise le 
citoyen Mandard, ingénieur, à suivre avec vous, les 
expériences dont il s'agit. 

Signé : Chappatte. 
(i) Sixième de la liasse. 



x« 



!'« Division. Paris, le 28® jour du i«' mois de la se- 
ARTILLERIE condc année républicaine. 

(0 

L adjoint de la /'* division du ministère delà 
Marine aux citoyens Choderlos Laclos et 
Bertholet. 

Le citoyen Pinelly, ingénieur, propose, citoyens, de 
soumettre à rexperience, des boulets incendiaires de 
son invention. Le ministre ne voulant rejetter aucune 
des découvertes dont le but est d*?ugmenter les 
moyens de défense, sans être assuré qu'elle ne peut 
remplir son objet, se propose de procurer au citoyen 
Pinelly les moyens d'exécuter quelques-uns de ces 
boulets ; mais il désirerait avant que vous lui fissiez 
connaître si rien ne s'opposera à ce qu'ils soient sou- 
mis à répreuve dans l'établissement qui va se former 
à Meudon. 

Signé : Chappattb. 

(i) Septième de h liasse. 



Xlo 



l'« Division. Paris, le 4* jour du 2« mois de la Répu- 
MARINE blique une et indivisible. 

(0 

L'adjoint du ministre de la Marine au citoyen 
Choderlos Laclos, 

Je vous adresse ci-jointe, citoyen, copie d'un arrêté 
du Comité de Salut public du 29 du mois dernier^ en 
conformité duquel le ministre vous a désigné pour 
l'un des commissaires chargés de suivre les expé- 
riences qui ont été faites à la Fère, le 20 août 1793 
(vieux stlle), et qui doivent être continuées immédia- 
tement au château de Meudon. J'écris au ministre de 
la Guerre pour qu'il donne ordre de vous fournir les 
objets qui vous seront nécessaires. 

Vous voudrez bien vous conformer à ce que cet ar- 
rêté vous prescrit. L'agent dont il y est question sera 
nommé incessamment. 

Signé : Chappattb. 

(x) Huitième de la liasse. 



XIIo 



Paris, 29 septembre 1793, l'an 2* de la République une et 
indivisible (i). 

Au cilqyen Choderlos Laclos, 

Citoyen, 

Je suis autorisé, par le Comité de Salut public, à 
vous donner Tordre de restera Paris pour la suite des 
expériences dont vous êtes chargé. 

Le ministre de la Marine et des Colonies, 

Signé : Dalbarade. 

( I ) Neuvième de la liasse. 



XIIIo 



5* division. Paris, le 6 septembre 1795, Tan 2 de la Ré- 

MARINE publique. 



(») 



V adjoint de la $^ division au citoyen Choder- 
los Laclos^ général de brigade à Paris, 



Je vous préviens, citoyen, que le ministre de la Ma- 
rine m*a chargé de vous ordonner de vous tenir prêt 
à partir pour vous rendre à Rochefort et y continuer 
les expériences que vous avez commencées à La Fère, 
d'après l'autorisation du Comité de Salut public. Vous 
recevrez incessamment l'ordre du jour fixe de votre 
départ; vous vous concerterez, pour Texécution de 
cette expérience avec les citoyens Guiton-Morveau, 
représentant du Peuple,et Berthollet, commissaire des 
Monnaies, et<ipour le détail avec le citoyen Fabre, ca- 
pitaine d'artillerie. 

Signé : P.-A. Adbt. 

(2) Dixièt?te et dernière de la liasse. 



XIV< 



Aux citoyens représentants composant le comité de Sûreté 
générale de la Convention nationale. 

La maison dans laquelle j'occupe un appartement, 
cour des Fontaines, maison Egalité, a été vendue à la 
citoyenne Saint- Val, l'aînée. Mon mari n'a loué que 
jusqu'au i«' janvier (vieux stil), lo nivos, notre très 
modique fortune ne nous permet point de garder un 
loyer tel qu'en veut aujourd'hui la citoyenne Saint- 
Val. 

Je prie donc le Comité de vouloir bien ordonner au 
citoyen Lacoste, juge de paix de la section de la Mon- 
tagne, qui a apposé les scellés chez mon mari, lors de 
son arrestation, de les lever, assisté de telles per- 
sonnes que le Comité voudra désigner et en présence 
de mon mari détenu à Picpus. 

Ordonner que les papiers suspects, s'il y en a au- 
cuns, seront déposés, avec le procès-verbal, au Comité 
de Sûreté générale et par ce moyen, le Comité pourra 
examiner la conduite civique et politique de mon 
mari dans la Révolution. 



H6 DK l'Éducation des femmrs 

Je ne vois pas. citoyens, qu'il puisse y avoir aucuns 
obstacles à m*accorder cette demande, je la renou- 
velle (i) n'ayant plus que quatre jours pour être à la 
fin de mon loyer. 

Femme Laclos. 

26 X*>«"« ou 6 nivos, l'an second, la République françoise 
une et indivisible, Paris,cour des Fontaines,matson Saint- 
Val, n<» XI13. 

(i) Une requête conçue dans les mêmes termes se trouve éga- 
lement dans ce dossier. Elle porte la date du i^' nivôse. Ces 
deux pièces sont de la main de M""* Laclos. 



XVo 



Section de la butte des moulins ^ Comité de surveillance. 

Du 1793) ^'^Q deuxième de la République irançoise 

une et indivisible. 

Convention nationale. Comité de Sûreté générale et de surveillance 
de la Convention nationale, dn dix mai 1793 ^ l'an second de la 
République françoise une et indivisible. 

Le Comité, après avoir délibéré sur différentes péti- 
tions du citoyen Choderlos, détenu à Tabbaye depuis 
le sept avril dernier, arrête que ce citoyen sortira de 
prison ; et qu'il sera reconduit chez lui en état d'ar- 
restation, sous la surveillance d'un garde qu'il payera, 
et qui sera désigné par le Comité de surveillance de 
la section de la Butte des moulins que le Comité de 
Sûreté générale charge de mettre le présent arrêté à 
exécution. 

Les membres du Comité de Sûreté générale de la 

8 



138 DK l'édi'cation des femmes 

Convention nationale. Signé : G. Basire Alqjjier, J.- 
F. Ravère. Pour copie conforme. 

Signé : Azur, secrétaire. 

Pour copie conforme de la copie étant au Comité 
de la section de la Butte des moulins. 

Signé : Comminge, président; Larade, secrétaire 



xvr 



Du II frimaire l'an 3*. 

Vu les pièces relatives au citoyen Pierre-Ambroise- 
François Choderlos Laclos, détenu dans la maison 
dite le Luxembourg, sur la considération d'une dé- 
tention très longue aggravée par son état de misère et 
de maladie. 

Le Comité arrête que ledit Choderlos Laclos sera, 
sur-le-champ, mis en liberté et les scellés levés s'ils 
ont été apposés. 

Signe : Garnier, de TAube ; P. Barras, Bourdon, 
de rOise ; Clauzbl, Laiguelot, Méaulle, Harmaine. 

CoUationné à l'original. 
Reçu l'original : du Perré, femme Choderlos. 



xvir 



9 nivôse an III. Levée des scellés. 

Marguerite-Julie Poquet, femme de J.-F. Dupuis^ 
cuisinier^ quittant le service de M^^ Laclos^ requit de 
fC avoir plus la garde des scellés, 

€ Déférant à la réquisition qui précède, nous, juge 
de paix, susdit et soussigné, assisté de notre greffier 
ordinaire, nous sommes transportés palais Egalité, 
cour des Fontaines, maison et appartement dudit ci- 
toyen Laclos, dans lequel étant, nous y avons trouvé 
la citoyenne Marie Soulanges Duperré, son épouse, à 
laquelle nous avons déclaré le motif de notre trans- 
port. Elle nous auroit dit qu'elle ne s'opposoit nulle- 
ment a ce que nous établissions une autre gardienne 
de nos scellés. » La garde des scellés fut alors confiée 
« à la citoyenne Marie-Anne Mantot, fille majeure, 
attachée, dès ce moment, aladitte citoyenne Laclos ». 
Le 28 décembre ijps^ Marie Soulanges Duperré rece^ 
vait un arrêté du Comité de Sûreté générale en vertu 
duquel Choderlos de Laclos^ détenu à Picpus^ serait 
extrait de la prison pour assister à la levée des scellés. 



DOCUMENTS SUR CIIODEIlLOS DE LACLOS 141 

< Et le neuf nivôse audit an, quatre heures de re- 
levé, nous, juge de paix, susdit et soussigné, assisté 
de notre greffier ordinaire, en exécution de notre or- 
donnance rendue sur l'arrêté susdit, nous nous sommes 
transportés cour des Fontaines, maison et apparte- 
ment dudit citoyen Laclos, dans lequel étant, nous y 
avons trouvé le citoyen Jean-Guillaume Yonck, 
membre du Comité Révolutionnaire de notre section, 
le citoyen Claude-Etienne Parnel, et le citoyen Fran- 
çois-Joseph Devos, les deux derniers au service du 
Comité Révolutionnaire, aux quels susnommés nous 
avons déclaré le motif de notre transport et présenté 
Tarrété susdit au Comité de Sûreté générale de la Con. 
vention, ils nous auroient répondu qu'ils n'empe- 
choient son exécution, en conséquence et sur la re- 
présentation qui nous a été faite par laditte citoyenne 
Marie-Anne Meantot, gardienne des scellés par nous 
apposés dans le cabinet du citoyen Laclos sur son se- 
crétaire, nous les avons reconnus sains et entiers et le- 
vés en présence de tous les susdits comparants, nous 
avons ensuite fait Touverture du susdit secrétaire avec 
la clef qui étoit en nos mains et par ledit citoyen 
Yonck et nous, a été procédé a Texamen des papiers 
renfermés, dans lesquels il ne s'en est trouvé aucuns 
suspects, tous relatifs aux anciennes fonctions dont il 
étoit chargé. Mais sur la réquisition du citoyen Laclos 
avons décrit les pièces suivantes pour lui servir et va- 
loir ce qu'il appartiendra. 
La première est une lettre du citoyen Bouchotte, 



142 DE l'éducation des femmes 

ministre de la Guerre, en datte du vingt-un sep- 
tembre dernier, lequel annonce audit citoyen Laclos 
que sa démission du grade de général de brigade a 
été acceptée par le Conseil exécutif. 

La seconde, signée Boncourt en Tabsence de l'adjoint 
de la cinquième division du département de la xMarine 
et des Colonies, est dattée du premier octobre dernier 
(vieux stile), laquelle est adressée audit citoyen Laclos 
et porte que sa démission de la place de gouverneur 
des Etablissements du Cap a été acceptée par le Conseil 
exécutif. Enfin, deux autres pièces qui sont extraites 
de diférentes délibérations de l'Assemblée générale 
de notre section qui ont apellé ledit citoyen Laclos 
a diférentes commissions depuis le dix aoust mil sept 
centquatre-vingt-douze, lesquelles pièces cy-dessus dé- 
crites ont été à l'instant rendues à ce citoyen ainsi que 
la clef de son secrétaire, le tout ainsi qu'il le réclamoit. 

Et attendu que par l'examen susdit nos opérations 
se trouvent terminées, avons déchargé laditte ci- 
toyenne Meantot de la garde de nos scellés, et fait re- 
mise de la personne dudit citoyen Laclos aux citoyens 
Yonck, Parnel et Devos pour la parfaite mention de 
Tarrêté du Comité de Sûreté générale et de sur- 
veillance de la Convention. 

Pour tout ce que dessus il a été vacqué jusqu'à sept 
heures sonnées, et attendu qu'il ne s'est plus rien 
trouvé à décrire, dire ni déclarations a recevoir, nous 
avons clos le présent lesdits jour, mois et an que des- 
sus, heure susditte, et ont lesdits comparan signé 



DOCUMENTS SUR CUODERLOS DE LACLOS 143 

avec nous après lecture et non la gardienne qui a per- 
sisté dans sa déclaration qu'elle ne sait signer, et ses 
honnoraires en sa ditte qualité fixés a vingt sols par 
jour du dix-huit brumaire jusque et compris ce jour- 
d*hui, lesquels lui seront payés par ledit citoyen La- 
clos dans le cas où elle feroit la réclamation. Signé : 
Parnet, Yonck, P. Choderlos, Devos, Laclos, Jean 
Lacoste, juge de paix, et Sarasin. secrétaire-greffier. 

Pour expédition conforme a la minute étant au 
greffe délivrée par nous, secrétaire-greffier de Paix, 
susdit et soussigné le treize nivôse de Tan second de 
la Republique Françoise une et indivisible. 

Sarrazin, secrétaire-greffier. 



XVIII° 



Au quartier général de Tarente, 15 fructidor an XI. 

Gêné rai y premier consul ^ 

Je profite de quelques instants qui me restent en- 
core à vivre pour dicter les derniers vœux de mon 
cœur. Je désire, Général, premier consul, qu'ils vous 
soient connus. 

Le bonheur de ma patrie, le succès de vos armes, le 
sort de ma malheureuse famille, voilà ce qui m'oc- 
cupe au moment où tout va finir pour moi, 

La triste position de mon épouse et de mes trois en- 
fants que je laisse absolument sans ressources, m'af- 
flige ; mais Tespoir dans lequel je suis que vous les 
secourrez me fait mourir plus tranquille. Cette conso- 
lante idée, qui me ranime un instant, me donne en- 
core la force de vous assurer de toute la sincérité du 
dévouement et de Tadmiration que j'ai eus et que je 
conserverai pour vous jusqu'à mon dernier soupir. 

J'ai l'honneur (i)... 

(i) Publiée par le capitaine d'artillerie Patrice Mahondansun 
article de la Sahretache (no 100, 30 avril 1901). Les servius de 
Choderlos de 1/7^05(1792-1803). 



XIX* 



Armes de la famille du général Choderlos 

de Laclos. 



Chef, — Neuf guillettes d'argent sur un fond d'azur. 
Ecusson, — Sur un fond d'argent, deux lances de 
sable en sautoir. Les flammes de gueules. 
Supports. — Deux sauvages appuyés sur leur lance. 
Devise. — « Prodeo et rege ». 
Le tout surmonté d'un casque (antique) (i). 

(i) Bibliothèque Nationale, Ms, Fr. 12.845. 

Ce manuscrit, formé de 143 feuillets, comprend en outre : 

Fol. 2. Poésies. Des beaux esprits je hais la vanité..» 

Fol. 6. La procession. 

Fol. 10. Les désirs contrariés. 

Fol. 12 et passim. Correspondance entre M«« Riccoboni et 
Choderlos de Laclos. Lettre de M. Duchastellier. 

Fol. 18. Epitre à M<»* la marquise deMontalembert. 

Fol. 22. Epitre à la Mort. 

Fol. 35. Manuscrit autographe des Liaisons dangereuses. [He 
paraît pas avoir servi pour l'impression et contient des variantes 

9 



146 DE l%:dit.ation des femmes 

et quelques fragments inédits de peu d'importance]. Le traité 
pour l'édition avec Durand, libraire (1782), y est joint. 

Fol. 128. Lettre d'Alexandre Pieyre sur Laclos et son ou- 
vrage. 

Fol. 130. Lettre de M™* Vve Laclos ii M. Pieyre. 

Fol. 131. Lettres du fils Ch. de Laclos aux auteurs de la Bio- 
graphie, sur Lacretelle [polémique relative au rôle de Laclos pen- 
dant la Révolution] et les Liaisons dangereuses. 

Fol. 139. ce Notice sur le général de La Clos », par E. Pari 
set (Moniteur du 13 décembre 1803), etc.. 



Saint-Amand (Cher). — Imprimerie BUSSIÈRE. 



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