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DE L'ÉDUCATION
DES FEMMES
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DE
L'ÉDUCATION
DES FEMMES
PAR
CHODERLOS DE LACLOS
AUTKUR DES Uffisons dûngereuses
Publié d'après le Manuscrit de la Bibliothèque Nationale
Avec une inlroduclion cl des documentii
Par EDOUARD CHAMPION
SUIVIS DE NOTES INKDITES
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PAULS
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A. MESSBIN Suce
I(), (2 l'Ai SA INT-MICHEI., I9
y
DE
L'ÉDUCATION
DES FEMMES,,
PAR
CHODERLOS DE LACLOS^
AUTEUR DES « Liaisons dangereuses »
Publié d'après le Manuscrit de la Bibliothèque Nationale
Avec une introduction et des documents
Par EDOUARD CHAMPION
SUITIDB NOTES INÉDITES DE CHARLES BAUDELAIRE
PARIS
LIBRAIRIE LÉON VANIER, ÉDITEUR
A. MESSEIN, Suce
19, QUAI SAINT-MICHBL, I9
1905
tdLiicS5%S.7
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IL A lÊTé TIR1& DE CET OUVRAGE *.
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du japon numérotés de i à iO.
N"" ^^
l
HARVARD UNIVERSITY
LïBRARY
JAN 2 3 1991
Monsieur Alfred BÉGIS
bibliophile
Hommage de reconnaissance.
E. C.
TABLE DES MATIÈRES
I. — Introduction 1
II. — Db l'éducation DBS FEMMES, PAR CHODERLOS DE LACLOS.
i) Discoars sur la question proposée par T Académie de
Gh&lons-sur- Marne : Y a-til un moyen de perfectionner
l*éducation des femmes (fragment) 11
2) Des femmes et de leur éducation {fragment) . . 16
III. — Quelques mots en guise de pRéFACS aux notes inédites
DE CHARLES BAUDELAIRE 87
lY. — Notes inédites de charlbs baudblairb .... 91
a) Biographie 01
h) Notes 95
c) Intrigue et caractères 101
d) Citatûms pour services aux caractères .... 103
y. — Documents pour servir a l'histoire de la vie db
CHODERLOS DE LACLOS 113
INTRODUCTION
// en est de Laclos comme de quelques-uns des esprits
les plus délicats de notre littérature amoureuse : on
connait mal son œuvre, sa vie reste encore obscure.
Tour à tour capitaine inventeur, conspirateur, secré-
taire du duc d^Orléa}iSf directeur du Journal de la
Société des amis de la Constitution. Laclos partagea, de
manière sage, ses loisirs entre l'étude de Palgébre et
les problèmes de Vamour.
En 1782, à Vâge de quarante et xm ans, il publiait les
Liaisons dangereuses, et reprenait plus tard, avec la
même science et une égale sérénité^ ses exercices sur les
tirs. Des policiers prudents, profonds psychologues,
le qualifièrent, dans un rapport, « d'homme de génie;
très froid » . I^' égarons pas ce témoignage précieux de
contemporains; un défaut dont sont coutumiers les
biographes, c'est d'exagérei' les vertus du personnage
qu'ils analysent : fonctionnaires zélés, 7ios rapporteurs
n'ont pu tomber dans pareil excès. Ils ont deviné le
1
2 INTRODUCTION
caractère de Laclos et il semble que, depuis leur sobre
jugement, nos critiques n'aient pas trouvé d'étiquette
qui convînt mieux à r auteur des LidÀsons dangereuses.
Nous vendons comment, même, ils se seraient écartés
plutôt de ce sage avis.
Un gros livre ne suffirait pas s'il fallait narrer
toutes les circonstances singulières de son existence,
sa carrière auprès des d'Orléans, son rôle pendant la
Révolution, ses campagnes, ses pi^'isons... Pour satis-
faire des engagements avec mon aimable éditeur, Je
dois remettre à plus tard cette étude ; je me suis con-
tenté de grouper en appendice un faisceau de pièces
d' archives qui pourront fournir au lecteur curieux
l'aperçu saisissant de cette vie studieuse et variée.
Ce fragment de ^Education des femmes, qu'on lira
plus loin, ne doit pas avoir à nos yeux d'autre intérêt,
d'autre mérite que celui d'un document. Mais que
penser d'un document qui concerne d'abord Laclos
lui-même et son œuvre littéraire; qui est précieux pour
l'histoire de son temps et des idées de Pépoque ; qui
s'*adressait enfin, et s'adresse encore, à cette partie char-
mante de l'humanité, sans laquelle, comme Va dit un
délicieux naïf, l'autre ne pourrait vivi^e : les femmes ?
Par une circonstance fortuite, une causerie de café,
Villiers de PIsle-Adam imagina ^Eve Future. La con-
ception simple, mais d'une complication égale, que
Choderlos de Laclos se fit de la femme idéale et par-
faite, fut le fruit déplus longues réflexions et de tnédi-
tations plus fréquentes. Ce mathématicien voluptueux
INTUODUCTION ô
et réfléchi ne bannit pas r amour ; il le résout comme
un théorème de géométrie ; il le voudrait dépouillé de
tout caractère artificiel et trompeur. Toutefois ^ pré^
chant le retour à la nature y opposant à la femme sociale,
infectée physiquement et moralement, une femme natu-
relle, belle de corps et d'âme, rendons-lui cette justice
qu'il nHmagine rien, La sensiblerie <i'Emile et de la
Nouvelle Héloïse a profondément iiifluésur son esprit; \
ei Laclos ne fait que repreiidre, le plus souvent^ les \
idées déclamatoires de Jean-Jacques Rousseau si sédui- /
santés en temps de Révolution, S'il combat les théo- /
ries de M. de Buffon, reconnaissons aussi, pour être
juste, qu'il n^est guère plus ennuyeux que lui.
La femme naturelle! Le retour à la yiaturel ces
questions ont passionné toute une génération d'élite;
des hommes savants en ont discuté avec amertume ;
aujourd'hui^ à relire leurs mémoires, pamphlets, dis-
sertations,., on a peine à retenir quelques bâillements*
LHnfluence morale de ces rhéteurs fut à peu près nulle.
Cette précieuse attardée, parée de tout ce que la mode
comporte de nouveaux: inconvénients, qui déclame en son
salon la perfection de la femme naturelle, est une de
leurs conquêtes. Et celle-là, aussi, qui se fait apporter
son enfant en présence de ses invités, et lui tend à travers
de fines dentelles, un sein dépérissant !,., Mais ny avait-
il pas là du libertinage, encore, et du menso7ige, ce
qtCon a nommé depuis le da^idysme ?
A la veille de cette Révolution, presque nécessaire,
si Von ne considère que les hardiesses des mœurs,
4 INTRODUCTION
la bo?iiie société^ dont Laclos nous trace^ dans ses Liai-
sons dangereuses, U7i tableau si exacte rivalisait de
corruption avec le peuple. Ces te7nps ressemblaient
singulièrement aux nôtres et la réconstitution nous en
est aisée.
En 1784, rapportent les Goncourt, lepéreElieHarel,
dans les Causes du désordre public, comptait à Paris
\ « soixante mille filles de prostitution, aicxquelles on en
I ajoute dix mille privilégiées, ou qui font la contre-
i bande », et les auteurs de Z'Histoire de la société pen-
' dant la Révolution française ajoutent : « Les penseurs
du XV IW siècle, effrayés des progrès du vice,
en avaient cherché les remèdes y> , Au contraire de ce
qu^on croyait jusqu'aujourd'hui, je ne crains pas de
placer Choderlos de Laclos au premier rang de
ces réformateurs intelligents. Certains biographes
n'avaient voulu voir dans les Liaisons dangereuses
qu'un excitant de plus à cette débauche i?iouïe
et organisée. Pour eux, Choderlos de Laclos marchait
de compagnie avec Nerciat et V auteur des Amours du
chevalier de Faublas. Plus tard, des juges timorés
avaient à cédé des instances inconnues. Et c'est ainsi que
les Liaisons dangereuses, taxées d'ouvrage licencieux,
furent condamnées à être détruites pour outrages aux
bonnes moeurs, et mises ensuite à V index, par la police,
La réputation de Laclos en souffrit, « Regardons à ces
fenêtres, dit Michelet nous désignant le Palais-Royal,
j'y vois distinctement une fem7ne blanche, un homme
noir. Ceso7it les conseillers du prince, Iq vice et la vertu,
INTRODUCTrON 5
M*"" de Genlis et Choderlos de Laclos. » // nous eût \
étonné que Michelel ne se fit t inépris en pareille occasion.
En vrai romanliqve, il dit une hélise pour le plaisir
d'une banale opposition « blanc et noir » — « vice et
vertu,,, » Mieux inspiré ^ mieux documenté, Baudelaire
avait pressenti une injustice. Il croyait au but moral
des Liaisons dangereuses, Lettres recueillies dans une so-
ciété et poursuivies pourrinstiniction de quelques autres. . .
ce sous-titre de Laclos n'éclairait-il 2ms les tendances
de Vœuvre F Et peut-on tarer de libertinage ce mora^
liste caché qui après avoir conté ^ et avec quelle puis-
sance dans le cynisme^ les mœurs dépravées de ses
contemporai7îSf leur mo7itrait, tout comme Racine dans
Phèdre, « les ègare^nents oii mènent les passions » ?
Cette prostituée de La Merteuil défigurée, ce brillant
séducteur de Valmont percé d'un coup d'épée,,. Les
dévotes mêmes ne pouvaient souhaiter du ciel une plus
juste punition. Et les d7*amafiques aventures qui acca^
blent enfin ces voluptueux perfides ne constituaient-
elles pas le dénouement souhaité par toute morale, par
toute religion ?
Sainte-Beuve, et lui-même nous le rapporté, eut de
longues et prudentes hésitations avant d'éditer son beau
roman de Volupté, ou de si fortes passions sont si terri-
blement contenues et réprimées : < Puis, dit^il, quand f ai
reporté les yeux sur les temps où nous vivions, sur cette
confusion de systèmes, de désirs, de sentiments éperdus,
de confessions et de midi tés de toutes sortes, j'ai fini par
croire que la publication d*un livre vrai aurait peine à
6 INTRODUCTION
être un mal déplus, et qu'il en pourrait même sortir çà
et là quelque bien pour quelques-uns. )>
Laclos n'est coupable peut-cire que de ne pas avoir
énoncé semblable scrupule. Lui eii sera-t-il toujours
tenu rancune ? Reconnaîtrons-nous enfin que si ses
peintures réalistes parlent de trop vive façon à nos sens,
la faute en est souvent en nous, qui ne savons pas les
exiler de nous-mêmes et qui lisons avec eux.,.
Il y avait plus et mieux que toutes ces raisons d'un
ordre sentimental. Les Liaisons dangereuses se ter-
minent par une note oîi de Choderlos de Laclos annonce
une suite à cet ouvrage. Avait-elle jamais été écrite?
Baudelaire avait été frappé de cette lacune, il avait noté
ce point comme un problème à éclaircir.
Le fragment ce didactique » que nous publions ci-
après, de /'Education des femmes, n est pas sans quelque
rapport avec /es Liaisons dangereuses.^^ sans prétendre
qu'il en soit la suite, n'en serait-il pas comme une con-
séquence, comme la conclusion ? Choderlos de Laclos
avait dit dans les Liaisons, tous les dangers de V amou-
reuse coquette de son temps, tous les vices de la séduc-
tion contemporaine. Pour qui sait lire, un sujet pres^
que semblable est repris, continué, combattu, dans
/'Education puisqu'il y est décrit tous les avantages de
la femme naturelle, le charme de l'amour simple. Cette
rencontre nest peut-être pas seulement l'œuvre d'une
fortune heureuse et imprévue. Et Choderlos n avait-il
pas comme le dessein de provoquer, par cette opposi-
tion flagrante, un désir de contrition, le retour à des
LNTRODUCTION 7
idées plus saines'^ L'Education des femmes ne devait-
elle pas enfin continuer, dans son esprit, la bienfaisance
des Liaisons considérée alors comme œuvre morale?
Assurément, Une faudrait pas exagérer. Ce n'est pas
là un pendant à /'Educalion des filles, de Mo7iseigneurA
de Fénelon, Les conseils que Choderlos de Laclos donn&(^
aux femmes, s'adresseraient mieux, parfois, aux cour-
tisanes. Mais tenons compte des mœurs du temps, qui,
malgré lui, Ventrainaient dans ces écarts. Et qvHon dise
s'il n'avait pas à convertir tcne société plus franchement ,
corrompue que les brebis de Varchevêque de Cambrai ?
Dans un de ses ouvrages, le Pornographe, qui pré-
sente avec ce fragment de ^Education des femmes,
quelques ressemblances disséminées. Rétif de la Brotonne
traite aussi du même sujet. Maître Nicolas accepte les
filles. Il fait plus encore : il les réglemente. Il veut des
femmes jolies et fraîches 2ilacées dans des parthénoins et
celui-là dirigéparuncoïi%Q\\ composé de douze citoyens
ayant exercé des charges dans la magistrature; au-
dessus d'eux, des gouvernantes. // ne peut y avoir de
doute. Rétif accepte la prostitution; il la protège. Ce
retour à la nature que demande Laclos n^est-ilpas une
mesure préférable, dès lors, et plus honnête, que cette
extension, même policée de la débauche ? Rétif com-
mande aux femynes €de n'avoir jamais aucunes odeurs,
de mettre du blanc ou du rouge, de se servir de pom-
mades pour adoucir la peau, étant reconnic que tout
cela ne donne qu'un éclat factice et détruit la beauté
naturelle m.
8 INTRODUCTION
Qu^on examine comment Laclos développe les mêmes
pensées. Il semble plus ritfte que C ouf eur du Pornographe
mais avec quelle bonhomie ne se hâfe-t-il pas de jus-
tifier ses réprimandes ? El cvmne il connaît une pom-
made satisfaisante, il s*emprcsse de leur on donner la
recette... Il aime trop V amour pour l'abolir; et rete-
nons tout le pessimisme philosophique de sa définition
de la beauté : ik Elle n'est, dit-il ^ qice V apparence la
plus favorable à la jouissance, la ina^iière (Tétre qui
fait espérer la jouissance plus délicieuse.., »
Laclos n était pas arrivé à de telles opinions, il n'avait
pas connu le retour à la nature coynme l'unique salut
pour la femme, aprè% avoir promené seulement son
esprit désenchanté et curieux sur la seule société de
son temps. Il avait mené à travers les peuples du monde
une vaste enquête, une information étendue. Il a étudié
les mœurs de tout payi: Groenland, Islande, Tartarie,
Corée, Abyssinie, Congo, etc., ainsi que nowi le prouvent
d'amples notes qui font partie du manuscrit Fr 12846.
Parfois cela se résume en quelques lignes :
Terre Australe. Nouvelle Hollande : Hommes et
femmes vivent pêle-mêle. Sont forts laids. Ont pour
tout habillement une ceinture d'écorce d'arbre et un peu
d'herbe qui cache leurs parties naturelles.
Ou encore :
Géorgie Persanne. Royaume de Gaket : de Karduel.
C'est Tancien pays des fabuleuses
figure amazones. Les femmes de Karduel sont
belles, suivant C4hardin, et plus que l'imagi-
INTRODUCTION
parure
propreté
nation la plus vive pourroit se le figurer.
Moins, suivant Tournefort. Mais pourtant
beaucoup so fardent sans goût. Sont propres.
S habillent à la persane. Sont vicieuses et
extrêmement dissolues.
Mûls le plus somment son enquête s' est étendue à tout ce
qui touche mœurs, usages singuliers, règles, mariages»
maternité, divorce. Ainsi :
Tunis — Alger
Maroc — Fez — Tripoli
Maures.
figure
maturité
habillement
parure
ré}udialion
occupation
caracière
général
Les femmes maures sont belles, sont
souvent mères à onze ans et stériles à 30.
Leur habillement est très couvert quand
elles sortent, portant veste, calençon. voile
et manteau, mais au logis elles quittent tout
cela et mettent seulement une serviette au-
tour des reins . Se coiffent artistement et pei-
gnent en noir de mine de plomb les poils de
leurs paupières. Le mari peut répudier sa
femme quand il lui plaît mais non la repren-
dre qu'elle n'ait été mariée à un autre. Les
femmes sont chargées de tous les soins du
ménage; en général les femmes de rArable
sont belles mais n'ont que cela d'estimable.
Persuadées qu'elles ne sont au monde que
pour le plaisir des hommes, elles en font
leur unique occupation et en sont mépri-
sées dès qu'elles n'y peuvent plus convenir.
!•
iO INTRODUCTION
f ignore si tons nos lecteurs goiMeront également ce
texte de Laclos auquel je dois maititenant céder la place.
Mais qu'ils n'y voient pas que ridicules et naïveté. Il g a
mieux que cela dans ces pages ; elles aboîident en pré-
ceptes et en maximes dont on ne pourrait juger la sagesse
qu'en les appliquant. Etqu'ilstienneiit compte à V écri-
vain des Liaisons dangereuses, de ses efforts d'érudition,
de ses nouvelles tendances d'éducateur des femmes,
Edouard Champion.
DE L'ÉDUCATION DES FEMMES ^^^
DISCOURS
SUR LA QUESTION PROPOSÉE PAR l'aCADÉMIB DE CHAALONS-SUR-
MARNB
Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner
Véducaiion des femmes.
Le mal est Bans remède quand les
vices se sont changés en mœurs.
SÉfiftonE. Lettre 39.
!•' mars^^lffe;
Une compagnie de scavants et de sages décerne au-
jourd'hui une couronne littéraire à celui qui dira le
mieux quels seraient les moyens de perfectionner l'édu-
cation des femmes. La foule des orateurs s'avance.
Chacun d'eux vient présenter aux juges le fruit de son
travail et tous espèrent en obtenir le prix. D'autres mo-
tifs m'amènent. Je viens dans cette assemblée respectable
consacrer à la vérité plus respectable encore une voix
faible mais constante et que n'altérera ny la crainte de
déplaire, ny l'espoir de réussir.
(1) Bibliothèque Nationale, Ms. Fr. 12846, fo 5.
12 DK L*ÉDUCAT10N DES FEMMES
Tel est rengagement que je contracte en ce jour. Le
l""" devoir qu'il m'imposeest de remplacer par une vérité
sévère une erreur séduisante. Il faut donc oser le dire :
il n'est aucun moyen de perfectionner l'éducation des
femmes. Cette assertion paraîtra téméraire et déjà j'en-
tends autour de moi crier au paradoxe. Mais souvent le
paradoxe est le commencement d'une vérité. Celui-cy en
deviendra une si je parviens à prouver que l'éducation
prétendue, donnée aux femmes jusqu'à ce jour, ne mérite
pas en effet le nom d'éducation, que nos lois et nos
mœurs s'opposent également à ce qu'on puisse leur en
donner une meilleure et que si, malgré ces obstacles,
quelques femmes parvenoient à se la procurer, ce seroit
un malheur de plus pour elles et pour nous.Icy il est né-
cessaire de poser quelques principes. Et si cette marche
didactique n'est pas celle de l'éloquence, il suffit à mes
viies que ce soit celle de la vérité.
Ou le mot éducation ne présente aucun sens, ou Ton
ne peut l'entendre que du développement des facultés de
l'individu qu'on élève et de la direction de ces facultés
vers l'utilité sociale. Cette éducation est plus ou moins
parfaite, à proportion que le développement est plus ou
moins entier, la direction plus ou moins constante ; que
si au lieu d'étendre les facultés on les restreint, et ce
n'est plus éducation, c'est dépravation ; si au lieu de les
diriger vers l'utilité sociale on les replie sur l'individu,
c'est seulement alors instinct perfectionné. Mais les fa-
cultés se divisent en sensitives et en intellectuelles. De
là l'éducation phisique et l'éducation morale qui, séparées
PAR CIIODKRLOS DR LACLOS 13
dans leur objet, se réunissent dans leur but : la perfec-
tion de l'individu pour l'avantage de Tespcce. Dans le
cas particulier qui nous occupe, la femme est rindividiî :
Tespèce est la société. La question est donc do sçavoir 8i
l'éducation qu'on donne aux femmes développe ou tend
au moins àdévelopper leurs facultés, à en diriger lemploy
selon rintérèt de la société, si nos lois ne s'opposent pas
à ce développement et nous-mêmes à cette direction,
enfin si dans Tétat actuel de la société une femme telle
qu on peut la concevoir formée par une bonne éducation
ne seroitpas très malheureuse en se tenant à sa placx; et
très dangereuse si elle tentoil d'en sortir : tels sont les
objets que je me propose d'examiner.
! femmes, approchez et venez m'entcndre.
Que votre curiosité, dirigée une fois sur des objets
utiles, contemple les avantages que vous avoit donnés la
nature et que la société vous a ravis. Venez apprendre
comment,néescompagnesde l'homme, vous êtes devenues
son esclave; comment, tombées dans cet état abject, vous
êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder c^jmine
votre état naturel ; comment enfin, dégradé^*» de plus en
plus par votre longue liabitude de res<;lavage, vous en
avez préféré les vices avilissants, mais commo^Jes, aux
vertus plus pénibles d'un être libre et respectable- Si oe
tableau Gdellement tracé vous Laisse de sang froid, si
vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à
vos occupations futiles. Le ma/ est tans remt^de, les vices
te sont changés en mœurs. Mais i^i au récit de vos mal-
beors et de vos pertes, vous rougissez de bon!/* *ft de
14 De L EDUCATION DES FKXMES
colftrc, si dcslarmcs d'indignation s'échapent de vos yeux,
si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages,
de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez
plus abuser par de trompeuses promesses, n'attendez
point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils
n'ont ny la volonté, ny la puissance de les finir, et
comment pourroient-ils vouloir former des femmes de-
vant lesquelles ils seroient forcés de rougir ; apprenez
qu'on ne sort de l'esclavage ; que par une grande révolu-
tion. Cette révolution est-elle possible? C'est à vous
seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage en
elle vraisemblable. Je me tais sur cette question ; mais
jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes
régleront votre sort, je serai authorisé à dire, et il me sera
facile de prouver qu'il n*est aucunmoyen de perfection-
ner Véducation des femmes.
Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éduca-
tion : dans toute 80ciété,les femmes sont esclaves ; donc
la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si
les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra
nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage
il no puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle
do la définition do ce mot ; c'est le propre de l'éducation
de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est
de les étoufer ; c'est le propre de l'éducation de diriger
les facultés développées vers l'utilité sociale, le propre
de Tesclavage est de rendre l'esclave ennemi de la so-
ciété. Si ces principes certains pouvoient laisser quelques
doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la li-'
PAR CHODERLOS DE LACLOS 15
Lerté. On ne niera pas apparement qu'elle ne soit une
des facultés de la femme et il implique que la liberté
puisse se développer dans l'esclavage ; il n'implique pas
moins qu'elle puisse se dérigcr vers l'utilité sociale puis-
que la liberté d'un esclave seroit une atteinte portée au
pacte social fondé sur l'esclavage. Inutilement voudroit-
on recourir à des distinctions ou des divisions. On ne
peut sortir de ce principe général que sans liberté point
de moralité et sans moralité point d'éducation.
[Ici plusieurs pages blanches format in-8^ indiquent
que Choderlos de Laclos n'a pas continué sa disserta-
tion. Nous donnons ces préliminaires comme une sorte
de préface aucc pages qui suivent dans le manuscrit
i2,846 ; elles sont écrites sur de grandes feuilles in'4'^,
d'une écriture très fine.]
<
DES FEMMES ET DE LEUR ÉDUCATION (1)
CHAPITRE I
DB LA FEMME ET DU BUT DE CET OUVRAGE
Un ancien définissoit Thomme un animal à 2 pieds,
sans plumes ; la femme est la femelle de cet animal
là, non la femme défigurée par nos institutions, mais
telle qu'elle est sortie des mains de la nature. Destinée
comme les autres animaux à naître et à produire, elle a
reçu comme eux l'attrait du plaisir, moïen de conserva-
tion pour l'espèce ; la crainte de la douleur, moïen de
conservation pour l'individu. De ces deux moïens, le 1*'
comme le moins important doit être et se trouve,
en effet, subordonné au 2\ Après l'âge de la généra-
tion, la nature semble abandonner l'individu,- son
sentiment s'émousse, ses organes s'obstruent. Le plai-
(1) B, N. Ms. Fr. 12.846, fo 6.
DE l'Éducation des fkmmes par Choderlos de laclos 17
sir et la douleur vscmblent le quitter à la fois ; l'insen-
sibilité augmente, et nous l'appelons vieillesse; Tin-
sensibilité totale est la mort. Se conserver et se ro- {
produire, voilà donc les lois auxquelles la nature a
soumis les femmes. Ainsi, pourvoir à leur nourriture
personnelle, recevoir les approches du mâle, nourrir
Tenfant qui en est provenu et ne Tabandonner que
lorsqu'il peut se passer de ses soins, telles sont les im-
pulsions naturelles que les femmes reçoivent. Souvent
nos institutions les en éloignent, jamais la nature ne
manque de les en punir. Ont-elles gagné ou perdu à ces
institutions ? Nous prétendons moins décider cette ques-
tion que mettre nos lecteurs en état de le faire, et pour
cela nous suivrons les femmes, depuis celles de la na-
ture jusqu'à celles de nos jours. Cette carrière est vaste à
parcourir. Arrivé à ce point, nous essaierons de recon-
noîtro combien elles se sont égarées, et d'indiquer le
chemin qu'elles ont à tenir pour se retrouver. Peut-être
cette seconde course sera t'elle aussi longue et plus pé-
nible que la l*^*".
CHAPITRE lï
:^
DE LA FBMMB NATURELLE
La femme naturelle est, ainsi que Thomme, un 'être
libre et puissant ; libre, en ce qu'il a rentier exercice
de ses facultés ; puissant, en ce que ses facultés égalent
ses besoins. Un tel être est-il heureux? Oui, sans doute,
et si, dans nos idées, son bonheur nous paroit un para-
doxe, un examen plus réfléchi en fait bientôt recon-
noitre la vérité (1). Les hommes ont voulu tout perfeo-
^T tionner, et ils ont tout corrompu ; ils se sont chargés de
chaînes, puis ils se sont plaints d'être accablés sous
leurspoids; insensés et injustes, ils ont abandonné la
nature qui les rendoit heureux, puis, ils l'ont calomniée,
en l'accusant des maux que cet abandon leur causoit,
qu'eux-mêmes s'étoient faits.
(1) Il no faut pas prendre les recherches dans lesqueUes on
peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques, mais seuler
ment pour des raisonnements hypothétiques et conditionels
plus propres à cclaircir la nature des choses qu'à montrer la véri-
table origine. Roossbau, De Vinég. parmi les hommes^ p. 173f
petit in-12.
Note de Ch. de L,
CHAPITRE III
DB l'enfance
L'homme civil, àrinstant de sa naissance, est étroite-
ment garrotté dans un maillot ; il semble que ses parents
veuillent déjà Taccoutumer à l'esclavage éternel qui lui
est préparé ; dans cet état de gêne et de souffrance, sa
mère le repousse et Téloigne d'elle ; elle le prive de la
chaleur maternelle qui convient seulle à sa faiblesse ;
elle lui refuse le laict préparé pour sa substance. Ce
n'est pas ainsi qu'est traité l'enfant naturel ; au moment
ou sa naissance s'annonce un état d'abattement, de
malaise et de déplaisance porte sa mère à chercher la
solitude. Les membres endoloris demandent un coucher
plus doux, et sans pénétrer la cause, déjà elle prépare le
lieu où se doit accomplir l'œuvre de la nature. Couchée
tranquillement, elle attend sans crainte, comme sans
prévoïance, un événement qu'elle ne connoit pas. Ce-
pendant une douleur salutaire vient lui rendre du res-
sort, la sollicite au mouvement nécessaire pour faciliter
20 DE L'ÉDUCATrON DES FEMMES
cette opération, l'engage même à prendre la situation la
plus favorable à la sortie de l'enfant. Il naît enfin, et la
cessation de la douleur (état si semblable au plaisir)
est le 1*^' sentiment qui attache la mère à l'enfant.
Qui voudra sçavoir combien est délicieux et fort le
sentiment de l'amour maternel qu'il n'aille pas dans les
palais des grands où l'intérêt et la vanité sollicitent
seuUes la génération ; qu'il évite les cabanes des pauvres
où la misère l'étouffé quelquefois ; qu'il fuie les hommes
aujourd'hui trop dépraves ; mais qu'il consulte les ani-
maux ; en est- il un, si timide, qu'il ne devienne coura-
geux pour la deffense de ses petits, un, si cruel, qu'il ne
soit doux et folâtre avec eux ; un, si volage, qu'il ne se
fixe à leur donner ses soins ?... la femme seulle consent
à se séparer de son fils... mais non ; chez elle-même la
nature est violée et non pas séduite, encore sensible.
Répondez, qui de vous s'est vu enlever son enfant nou-
veau-né sans l'arroser de quelques larmes? La femme
naturelle est plus heureuse ; rien ne la prive, rien ne la
sépare de l'objet de son affection ; tous ses soins lui vont
être consacrés ; peu d'heures après l'enfantement, elle
se lève, elle va baigner son enfant dans un ruisseau
voisin ; elle s'y baigne elle-même ; après s'être séchée
sur le gazon, elle le sèche à son tour, non par des fric-
tions irritantes, non en l'exposant à une chaleur dessi-
caiive, mais en le plaçant sur son sein ; c'est là qu'il
trouve à la fois une chaleur salutaire et une nourriture
qui lui convient. Le laict est le lien naturel qui unit la
mère et l'enfant ; s'il est nécessaire à l'un de le recevoir,
PAR CHODERLOS DE LACLOS 21
il est au moins dangereux à l'autre de l'en frustrer.Heu-
rcuse société dont la base est un bienfait réciproque.
Aussi, la mère ne veut-elle jamais abandonner son en-
fant ; dans ses courses, que nécessite le besoin de sa
nourriture, elle le porte entre ses bras ; dans ses mo-
ments de repos, elle joue avec lui et lui fait exercer ses
forces naissantes ; s'il survient un danger, elle cache son
enfant, elle s'expose seulle et revient à lui le plutôt pos-
sible : pareillement l'enfant ne scauroit rester loin de sa
mère; s'il ne la voit plus auprès de lui, il pleure, il
s'agite ; lui est-elle rendue ? il est tranquille, ses mains
encore foibles cherchent à s'étendre vers elle, son sou-
rire enfantin décèle sa joie, et cette joie retentit dans le
cœur de sa mère. Nous le demandons maintenant, mal-
gré l'appareil fastueux des accoucheurs, des gardes, des
nourrices, des gouvernantes, lequel du fils d'un prince
ou de cet enfant sauvage, lequel des deux est abandonné
en naissant (1) ?
(1) S'il se trouvoit quelqu'un, qui voulût douter qu'une
femme, nouvellement accouchée, eût la force nécessaire pour
remplir facilement les soins indispensables de la maternité, nous
le renvoyons aux négresses de nos colonies qui, peu d'heures
après l'enfantement, vont elles-mêmes laver leurs enfants ; aux
vivandières de nos armées, qui accouchent pendant une marche,
emmaillotent leur enfant à la hâte, et continuent de conduire
devant elles le mulet qui porte leurs provisions, et peu de jours
après reprennent ies travaux pénibles auxquels elles sont assu-
jéties; aux femmes du pauvre artisan, qui, bien plus près de
nos mœurs, ne laissent pas, pendant la cérémonie du baptême,
de se lever, de uettoïer leur chambre et préparer la collation,
puis se recouchent pour être malades, à l'imitation de nos
dames. Notes deCk, de L.
22 DE L EDUCATION DES FEMMES PAR CHODERLOS DE LACLOS
Cependant, le laict devenu plus rare, rend Tentant
moins utile à sa mère, et la mère moins nécessaire à son
enfant ; déjà il a acquis quelque force, l'instinct d'imi-
tation lui a appris, à l'exemple de sa [mère, à chercher,
connoître et prendre une nourriture étrangère. Il scait
marcher comme elle, il n'y a plus de différence entre
eux, que dans le degré de force et d'expérience usuelle,
que le temps seul peut lui faire acquérir. Icy finit, avec
la nécessité, le contrat d'union qu'elle avait établi entre
la mère et l'enfant; le i*'' hazard qui les désunit, les
séparera pour toujours ; bientôt ils ne scauront plus
même se reconnoître, l'enfant va exister seul sous la
garde de la nature. Icy conunence le second âge de
l'homme.
CHAPITRE IV
CONTINUATION DU MÊMB SUJET
L'enfance de l'homme a deux époques distinctes pour
lesquelles notre langue ne fournit qu'un môme mot. Les
latins, qui les ont distinguées, les ont exprimées par les
mots infans et prier, La signification de ce mot infans
(qui ne scait pas parler) prouve qu'ils avoient plus consi-
déré l'homme civil que l'homme naturel. Pour nous, nous
fixerons cette époque au temps où l'enfant peut pourvoir
lui-même à ses besoins, c'est-à-dire, marcher et manger
seul; sans prétendre indiquer ce temps au juste, nous
ferons remarquer que, pour les enfants des paysans,
cette époque est ordinairement de 3 à 4 ans. Nous
observons de plus que l'enfant naturel doit être plus
précoce et que la comparaison avec quelques animaux
nous porte à croire que ce temps doit être, à peu près,
la 30* partie de la vie ordinaire. Après cette courte di-
gression, nous continuerons de nous servir du mot enfant
pour désigner le second âge de l'homme que nous allons
considérer.
24 DE l'éducation des femmes
Ce second âge comprend un assez grand espace de
temps, que la nature emploie à perfectionner Tindividû
et à le mettre en état de se reproduire. Les moïens dont
elle se sert pour y parvenir sont le mouvement, l'appétit
et le someil, moyens si heureusement unis que l'un ne
manque jamais d'amener l'autre ; en effet, le mouvement
fait naître l'appétit, l'appétit à son tour nécessite le
mouvement et tous deux, dès qu'ils sont satisfaits, pro-
voquent le sommeil. Il n'est pas besoin d'avoir beau-
coup observé les enfants, pour scavoir que le mouve- s
ment est leur élat naturel. Les entraves qu'où leur
donne, les menaces qu'on leur fait, les châtiments ip'on
leur inflige, les contraignent quelquefois, et ne les
changent jamais ; les perd-on de vue\ un instant ? ils
courent, ils sautent, ils s'agitent, il faut qu'ils se re-
muent. Un enfant tranquille, à moins\ qu'il ne soit
fatigué, est un enfant malade ; ce simptôme est certain.
Notre élève, disons mieux, celui de la nature, n'est pas
contraint à ce repos forcé ; cette sage gouvernante le
force, au contraire, à s'exercer sans cesse ; il a trop à
faire pour rester en place.
De tous les animaux^ l'homme est sans contredit celui
qui s'accomode le mieux de nourritures différentes;
herbes, graines, fruits, poissons, chair, tout lui est bon.
Malgré ces facilités, on sent assez que le soin de sa nour-
riture doit être une occupation, longue et laborieuse,
pour un enfant sans force et sans expérience. Les herbes
contiennent peu de sucs nourriciers, en proportion de
leur volume ; les graines sont dispersées, et l'on en
PAR CHODERLOS DE LACLOS 25
recueille peu à la fois; les fruits, pour la plupart, sout
élevés, il faut apprendre à monter sur les arbres ; le
poisson, les animaux, ollrcnt plus de difficultés encore.
Dénué de force, l'enfant ne peut s'attaquer qu aux ani-
maux faibles, mais ceux-là sont d'ordinaire timides et
fuiards ; la course est une ressource mal assurée, si la
ruse ne s'y joint, et la ruse est le fruit de Texpérience ;
il sera donc journellement exercé, souvent même fatigué,
mais jamais affligé ny rebuté et qui pourroit trouver pé-
nible un travail que le désir fait entreprendre, que soutient
l'expérience, et que le succès couronne ? Cependant, ce
n est pas assez de manger, il faut boire; nouvelle course
à faire, mais celle-ci se fait plus lentement que les autres,
car, d'une part, l'enfant a déjà dissipé une partie de ses
forces ; de Tautre, il marche vers un but certain et fixe ;
il n'est poussé ny par l'inquiétude de trouver sa proie,
ny par la crainte de la manquer : il arrive donc plus
fatigué qu'échauffé.
Là il boit et se baigne ; il nage même, car il a appris
de sa mère cet art, qui n'est ignoré que des peuples ins-
truits ; il trouve à la fois dans cette occupation un délas-
sement, un plaisir, et le seul tonique qui soit toujours
efficace etjamais dangereux. On croit donc que manger et
boire occupent une grande partie du temps de notre élevé.
A quoi emploiera t'il le reste '? A dormir, Belle vie, dirai
t'on. Qu'on nous dise donc ce que font de plus la plus part
des hommes, sinon tromper, s'ils sont foibles et oppri-
més. S'ils sont puissants, de pareilles occupationsValent-
elles le sommeil qui les remplace V Notre élevé dort,
2
26 DE l'éducation des femmes
disons-nous, tantôt d'un sommeil profond, pendant lequel
la nature élabore en silence ; tantôt de ce sommeil léger,
qui se laisse sentir, doux repos que ne connoit pas le
coupable et dont Tambitieux se prive, qui délasse le
voluptueux, lorsque ses excès ne l'en ont pas privé,
que rhomme innocent et juste goûte quelquefois, malgré
nos institutions, et qui, pour l'homme naturel, est un
plaisir également sain etassuré. Cependant, guidé parces
besoins, notre élève s'instruit peu à peu ; bientôt il sçait
franchir un buisson, se frayer une route dans un bois
fourré, sauter un fossé, gravir une montagne escarpée,
escalader un arbre. Chaque jour il reçoit de la nature
une leçon nouvelle ; chaque proie qu'il poursuit lui est
un sujet d'étude, chacun de ses repas est le prix de son
adresse ou de ses réflexions.
Ainsi se passe ce long intervalle que la nature (si l'on
peut parler ainsi) emploie à préparer l'espèce humaine,
temps où chaque individu, n'étant encore qu'ébauché, n'a
encore aucun caractère distinct, où les différences
sexuelles sont encore nulles, ou du moins sans in-
fluences (1) où chacun, suivant l'expression d'Evagrius,
est homme avec les hommes, et femme avec les femmes.
Mais enfin la nature se sépare, et se ramifie en quelque
sorte ; elle perfectionne son ouvrage et divise les sexes.
Nous la suivrons dans sa marche ; jusqu*icy nous avons
(1) Analise raisonnée de Baile^ t. IV.
Noie de Ch. de X.
PAR CHODERLOS DE LACLOS 27
généralisé nos expressions, parce que nos discours conve-
noient également à l'enfant mâle et femelle. L'état de pu-
berté les sépare, nous abandonnons le mâle et nous nous
bornons au sujet que nous nous sommes proposé de
traiter.
CHAPITRE V
DE LA rUBKRTÉ
Le choix des aliments, plus ou moins nourrissants, la
vie sédentaire ou active sont des causes phisiques qui
contribuent, presque autant que le climat, à accélérer, ou
retarder, le moment de la puberté. Le feu de Timagination
qui, dans la société, ne manque presque jamais d'être
allumé, soit par la veii d'actions, ou de tableaux relatifs,
soit par des discours ou des lectures peu chastes, et par
les reflexions solitaires, qui les suivent, est une cause
morale, non moins puissante, pour hâter la nature. Elle
paroît céder alors à une force étrangère, et les signes de
puberté se manifestent bien avant queFindividû soit per-
fectionné ; mais ce dérangement des lois naturelles n'a
jamais lieu sans porter sa peine avec lui ; le sujet qui
existe trop tôt n'existe jamais pleinement. Si surtout il
se presse d'user de sa jouissance, s'il s'y livre avec trop
peu de ménagement, il n'a bientôt plus qu'une vie lan-
guissante et faible ; en vain cherche-t-il des ressources
dans des aphrodisiaques, souvent illusoires, et toujours
DE l'Éducation des femmes par Choderlos de laclos 29
dangereux, il ne fait qu*empirer son mal. Le plaisir
s'obstine à le fuir, si même il le rencontre quelquefois
ce plaisir lui semble imparfait, il n'a plus la force de
le goûter ; semblable à ces fruits précoces, que l'art
arrache à la nature, il n'a ny qualité ny saveur, ce n*est
qu'une apparence vaine : ainsi se venge la nature de
l'être imprudent qui ose violer ses loix. Heureux encore,
s'il portoit seul la peine de sa témérité ; mais sa postérité
la partage ; de là, ces générations vaporeuses, rachitiques
ctpituiteuses. si communes aujourd'huy dans nos grandes
villes, de là ces hommes dégénérés, qui nous font re-
garder, comme un roman invraisemblable, les monu-
ments de la force de nos pères. La fille naturelle est à
l'abri de ce danger ; jamais une table délicatement servie
n'a provoqué un appétit satisfait ; jamais une oisiveté
molle n'a laissé circuler dans son sang une trop grande
quantité de sucs nourriciers ; jamais, surtout, des idées
la§cives n'ont enflamé son imagination. Vingt fois, cent
fois, elle a vu s'accomplir devant elle l'acte de la géné-
ration ; elle n'a pas rougi, elle n'a pas fui, mais elle a
continué sa route avec indifférence, et elle n'a pas jeté
derrière elle un regard furtif ; elle a vu des yeux du
corps, et non de ceux de l'àme ; ses sens dorment en-
core ; ils attendent, pour s'éveiller, le cri de la nature.
On peut donc assurer, avec vraisemblance, que la pu-
berté de la fille naturelle ne se manifestera (au moins
dans un climat semblable au nôtre) qu'après que le corps
aura presque fini sa croissance, et l'on peut assurer avec
certitude que, dans tous les climats, la nature, livrée à
2*
30 DE l'Éducation des femmes
clle-môme, n'accordera à une fille la faculté de devenir
mère qu'après lui avoir donne la force d'en remplir les
devoirs ; qu'on ne craigne pas de la voir, dans la foret,
comme dans nos villes, trahir quelquefois la tendresse
d'une mère, en lui refusant le laict qu'elle destinoit à
son enfant. Enfin, le moment arrive où Tenfant va cesser
de l'être, où son existence, jusqu'icy concentrée, va se
partager et se répandre au dehors. Déjà les formes s'ar-
rondissent, la gorge croît sensiblement, les parties de la
génération se resserrent et se couvrent d'un poil naissant.
Souvent, jusqu'à ce jour, dans une société de chasse, ou
dans quelque autre occasion, notre jeune fille s'étoit
trouvée parmi des hommes (1), sans inspirer, ny éprou-
ver aucune sensation ; un nouveau hasard l'y ramène ;
mais à peine a-t-elle touché la main de l'un d'eux,
qu'un doux frémissement se répand dans tout son corps ;
sa main se retire ; involontairement elle rougit, non de
pudeur, mais de trouble ; elle désire, mais elle craint de
s'approcher encore ; ce sentiment inconnu va l'occuper
tout entière. Déjà elle cherche la solitude ; là elle se
replie en quelque sorte sur elle-même, pour la 1" fois
elle va s'occuper de ses pensées ; le morne ennui,
la vague inquiétude la tourmentent tour à tour ; un léger
engourdissement dans les aines, une sensibilité presque
(1) Supposons cotte association momentanée ; ce n'est pas tom-
ber dans la faute, si souvent commise, de transporter à Tétat de
nature un fait qui no convient qu'à l'état de société. On en
trouve plusieurs exemples parmi les animaux chasseurs et pour-
tant solitaires.
Noie de Ch. de L»
PAR CHODERLOS DE LACLOS 31
douloureuse dans les jointures, rendent son état encore
plus pénible ; elle se fatigue facilement dans ses marches
et reste en place sans trouver le repos ; bientôt elle
éprouve des pesanteurs de tcte, et tous les indices de
plénitude, tant dans les mamelles que dans toutes les
parties qui appartiennent à la génération. Elle reste
dans c«t état jusqu'à ce que le premier flux menstruel
vienne, à la fois, la soulager, et préparer le laboratoire
de la nature (1) ; sans doute, pendant ce temps, la fille
naturelle se croit malade, non qu'elle puisse avoir l'idée
de la maladie, telle que nous nous la formons, mais elle
sent qu'elle souffre et qu'il se fait un changement en
elle ; cependant ces simptômes disparaissent ; mais ils
laissent après eux ce feu dévorant que la nature a
allumé, et que le plaisir seul peut éteindre.
Victime d'un besoin qu'elle ignore, une secrète ardeur
la consume ; à des jours inquiets, succèdent des nuits
plus agitées encore ; la première aurore ne la trouve
plus dans les bras du someil, elle ne goûte plus le repos
rafraîchissant du matin ; tout dort autour d'elle, elle
veille seulle dans la nature ; à peine une foible clarté
fait-elle distinguer les objets, et déjà elle erre avec in-
(1) On sçait aussi qu'il y a eu des exemples de femmes deve-
nues mères avant d'avoir eu aucun écoulement périodique ; on
cite même un peuple entier où les femmes n'y sont pas sujettes ;
mais, outre que ces exceptions sont rares, n'est-on pas fondé à
croire qu'alors l'écoulement a lieu intérieurement, ainsi que
quelques autheurs le prétendent pour toutes les femmes dans
les temps de grossesse.
Note de Ch. de Z.
32 DE L EDUCATION DES FEMMKS PAR CHODERLOS DE LACLOS
quiétude ; elle court au ruisseau le plus voisin, elle veut
éteindre dans les eaux le feu qui la tourmente, les pre-
miers rayons du soleil l'éclairent dans le bain. Vain re-
mède ! elle en sort et brûle de nouveau. Elle porte au-
tour d'elle des regards ardents et inquiets ; ils se fixent
enchantés par le spectacle du matin ; elle a senti les
!•" feux de l'amour ; la nature va s'animer pour elle ;
le doux parfum des fleurs la prépare à la volupté ; le
ramage des oiseaux n'est plus un vain bruit : c est une
harmonie touchante, qui répond à son cœur. Leurs ca-
resses réitérées l'affectent plus encore ; les mains élevées,
la bouche entr'ouverte, les yeux humides, elle regarde
et craint de les distraire. Sa respiration courte et pressée,
le mouvement précipité de son sein, tout monire assez
le trouble de son âme. C'est alors, qu'à quelque distance,
elle apperçoit un homme ; un instinct puissant, un
mouvement involontaire, la fait courir vers lui ; plus
près, elle devient timide, elle s'arrête. Mais, emportée
de nouveau, elle le joint et le serre entre ses bras...
Jouissance délicieuse, qui, jamais, osera te décrire?
CHAPITRE Vr
DE l'âge viril
La puberté se trouvant, suivant nos principes, plus
retardés, dans l'état de nature, que chez les peuples ci-
vilisés (1), rintervalle qui la sépare de Fâge viril est
moins long. Celuy-cy commence au moment où le corps
a pris son entier accroissement, et finit, pour les femmes,
au temps où elles deviennent stériles (2)^ Cet âge est
proprement celuy de la génération, et, c'est alors que se
rapportent les soins de la maternité décrits cy-dessus au
chapitre de l'enfance. Nous ne voyons pas qu'il apporte
aucun autre changement dans la vie uniforme de la
femme naturelle; mais elle est parvenue à son point de
perfection ; elle ne peut plus que déchoir. Avant qu'elle
commence à ressentir l'abandon de la nature, arrêtons-
nous un moment à la considérer. Nous observerons
(1) Voir le commencement du chapitre précédent.
Note de Ck. de L.
(2) Nous faisons toujours a])straction des exceptions. Voir ci-
dessus la note, page 31.
Note de Ch de L.
34 DE L EDUCATION DES FEMJIES
d'abord que la femme naturelle jouit de trois biens, telle
que leur privation est la source de toutes nos peines,
sçavoir : la liberté, la force et la santé. Nous laissons à
nos lecteurs le soin de la comparer, sur ces articles, avec
la femme civilisée, et nous ne perdrons pas notre temps
à discuter ces avantages ; mais il est deux biens sans
lesquels les femmes comptent pour rien tous les autres ;
la beauté et Tamour. Icy nous aurons besoin de plus de
réflexion, pour reconnoître les richesses de la femme na-
turelle: en effet, sa beauté n*est pas celle de la femme
que nous connoissons ; elle n'a ny la peau blanche et
délicate, dont le toucher nous flatte si voluptueusement,
ny la douce flexibilité, apparente foiblesse, qui semble
provoquer Tattaque, par l'espoir du succès, et préparer
la deffaite, par la facilité de l'excuse ; elle n'a, surtout,
aucune des ressources de la parure dont les femmes de
tous les climats sçavent si bien tirer party ; sa peau, co-
lorée par le soleil, est d'une teinte plus brune, mais plus
animée ; elle est moins fine, à la vérité, mais, si par là
la sensation du toucher est moins générale, elle devient
plus forte dans les parties qui en sont le siège et l'or-
gane, et qui ont conservé toute leur sensibilité ; ses
chairs, continuellement battues par un air vif, sont plus
fermes et plus vivantes. On ne peut mieux comparer ces
deux femmes qu'à des fruits, dont les uns seroient ve-
niis en pleines campagnes, et les autres dans des serres
chaudes. Le caractère de sa figure est ordinairement la
tranquille sérénité ; cependant, qu'elle s'anime, elle a
de la phisionomie ; non qu'on puisse dire d'elle, comme
PAR CHODERLOS DE LACLOS 35
de tant d'autres femmes, que sa figure a plus d'esprit
qu'elle ; elle ne scait pas minauder, mais elle scait en-
core moins se contraindre; son ame se peint sur son
visage, et s'il exprime avec force la colère ou la terreur,
le désir ou la volupté ne s'y peignent pas avec moins
d'énergie. Sa taille est grande et forte, et ses em brasse -
ments, que sans doute l'homme naturel trouve trop faible
encore, étoufferoient nos délicats petits maîtres.
Sa parure est sa chevelure flottante, ses parfums sont
un bain d'eau claire (1). Cet état, nous osons l'assurer,
est le plus favorable à la jouissance (2). Mais, dira t'on,
qu'est-ce que les jouissances sans amour? Ames sen-
sibles, nous pensons comme vous. L'amour est le conso-
lateur de la société. L'homme social a païé ce bien de
tous ceux que possède l'homme naturel. Tels nos !"■
pères, suivant la tradition, ne connurent la jouissance
qu'après leur expulsion du paradis terrestre. Cependant,
la femme naturelle est-elle sans amour ? Nous convenons
qu'il ne sçaurait y avoir de passion suivie entre deux
êtres qui se joignent sans s'être jamais vus, et, dans un
moment vont se séparer pour ne plus se reconnoître.
Mais ce moment n'est pas indivisible et, si nous l'observons
(1) Pour douter de la propreté rigoureuse de la femme natu-
reUe, il faudroit n'avoir jamais observé les animaux sau-
vages. T^'Ote de Ch. de L.
(2; Femmes coquetes et dédaigneuses, regardez autour de vous.
L'ardent jeune homme vous recherche. Ce n'est pas l'âge difficile ;
mais celui qui commence à perdre ses forces n'en trouve plus
pour vous; il se ranime encore à la vue d'une jeune et naïve
vmageoise. Tant est grand le charme de la nature.
Note de Ch, de L.
36 DR l'éducation des femmes par CHODERLOS DE LACLOS
bien, nous pourrons y appercevoir toutes les nuances du
sentiment. Les premières caresses leur tiennent lieu de
déclaration ; tour à tour la femme fuit et provoque :
ainsi naissent les désirs ; bientôt au comble, ils .font
naître l'ivresse ; elle ne s'exprime pas par des phrases
élégantes, mais il ont les humides regards et les soupirs
brûlants, qui sont de toutes les langues ; ils sçavent
s'entendre pour jouir de concert et peut-être ce qui les
différencie le plus est qu'ils se quittent sans dégoût.
Pourquoi craindrions-nous de le dire? Femmes sincères,
c'est vous que nous interrogeons. En est-il une, parmi
vous, qui ait joui constament sans crainte, sans ja-
lousie, sans remords, ou sans l'ennui pénible du devoir
ou de l'uniformité ? Vous ne nous répondrez pas ; mais
ayez le courage de scruter vos cœurs et jugez par vous-
même. En vain l'orgueilleuse pitié voudrait donc plaindre
la femme naturelle; elle a la liberté, la force, la santé,
la beauté et l'amour. Que lui manque-t-il pour être heu-
reuse ?
CHAPITRE VII
DB LA VIEILLBSSB ET DB LÀ MORT
n est triste de passer du spectacle de l'amour a celui
de la mort ; mais telle est la loi de la nature dans la
succession éternelle des temps et des choses : soigneuse
des espèces, elle paroit se soucier vpeu des individus ; ils
ne sont, entre ses mains, que des instruments de la re-
production généralle qu'elle abandonne, après en avoir
fait usage ; alors commence la vieillesse, que termine la
mort. Cet âge est celui des infirmités ; tout y annonce
le dépérissement, les cheveux blanchissent, les dents
tombent, les chairs mollissent (1), la peau se ride, tous
les membres sont vacillants, tous les organes émoussés ;
à ces ellets naturels et inévitables de la vieillesse, à ces
maux communs, à tous se joignent trop souvent la
goûte, les rhumatismes, les pithuites abondantes, etc...
etc. fruits amers des dérèglements en tous genres, tour-
ment presque inévitable de tous les vieillards, mais dont
(1) Nous disons que les chairs mollissent, lorsqu'au contraire
eUes durcissent ; mais il faut nous entendre.
yote de Ch. de L,
I
I
/
I
«
38 DE l'édccatio.n des femmes V
seront exempta rhomme et la femme naturelle. Plus
heureux encore ils n'auront ny les regrets du passé, ny les
craintes de Tavenir; il ne seront ny tourmentants ny
tourmentés, par leur humeur chagrine (1). Ecoutez ce
vieillard ; à Tentendre, tout s'altère, tout périclite
autour de lui; les mets sont moins succulents, les
femmes moins belles, la joïe moins franche, tous les
plaisirs moins vifs. Semblable à ce passager qui vogue
pour la V^ fois, séduit par son jugement, il croit
que les objets le fuient et ne s'apperçoit pas que c'est
lui qui s'éloigne ; comme lui, il paroit oublier le tenue
de sa course et ne s'occupe que de son départ ; cette
terre, qu'il ne doit plus revoir, occupe encore touttes ses
affections; ses regards, fixés vers elle, décèlent assez les
idées qui l'occupent, bientôt il ne distingue plus les objets,
mais il r^arde la place où il les a vus ; il cherche à se
faire illusion, il veut croire qu'il voit encore. Tandis que
l'homme naturel suit tranquillement la pente douce et
facile qui doit le conduire au repos étemel, le vieillard
du siècle dispute avec acharnement une place que la na~
ture destine à sa postérité. Placé dans un sentier étroit,
entre le roc escarpé et un précipice sans fond, il s'y
traîne en tremblant, il se tient à tout ce qu'il rencontre,
il voudroit gravir encore et remonter vers la jeunesse ;
retour impossible ; son temps est fait. L'un arrive enfin,
(1) Ifons ne craignons pas de mettre rhumear au rang des
maladiefl, et d'assurer qu'elle est plus pénible encore pour celuy
qui l'a que pour ceux qui la supportent.
Note de Ch. de L,
PAR CHODERLOS DE LACLOS 39
sans s'en appercovoir, au terme de sa course ; le dernier
pas de l'autre est une chute affreuse au sommet de la vie
dans Tabîme du néant. Triste effet d'une imagination
déréglée, qui sans cesse transporte l'horame de la place
qu'il occupe à celle qu'il désire. Touttes les armes de
la philosophie ne sont pas trop fortes pour combatre ce
penchant : malheur inévitable des esprits foibles, fléau
éternel des femmes, qui, jamais, ne trouvent dans leur
esprit les ressources nécessaires pour vaincre leur ima-
gination. Et quel spectacle hideux présente cette femme
effrénée, dont l'âge n'a pu modérer les désirs, et qui re-
cherche encore un plaisir qu'elle ne peut plus faire par-
tager ! Que de peines lui sont préparées, à combien d'hu
miliationselledoit s'attendre. L'homme, danscemémecas,
n'est pas moins ridicule ; mais il peut être moins malheu-
reux ; il possède un reste de puissance, le vil intérêt lui
fera trouver une fille complaisante, qui aidera sa vanité à
lui faire illusion ; il sera le jouet de tout ce qui l'entoure,
mais il pourra l'ignorer ; il n'aura pas le sentiment de son
état. La femme n'a pas même cette ressource douteuse ;
en vain, a-t-elle emploie les mômes moyens pour s'atta-
cher un homme ; il perd, entre ses bras, la force qu'il avoit
promise; il reste mort, entre elle et sa fortune. Heureu-
ses les femmes qui, par un travail pénible, parviennent
au moins à donner le change à leur imagination ardente,
et scavent le détourner sur des objets non moins futiles,
mais analogues à leur âge ; plus heureuse la femme na-
turelle, qui n'a à redouter aucun de ces malheurs. L'ima-
gination des femmes sociales fait naître leurs sens et
40 DE L EDUCATION DES FEMMES PAR CHODERLOS DE LACLOS
leur survit ; celle de la femme naturel naît et meurt avec
eux; rage des plaisirs passé, elle n'est plus qu'un enfant
mieux instruit ; tranquille, ellen'a pas besoin de se repaître
d'illusions; elle pourra vieillir, sans être joueuse, médi-
sante ou dévote. A ces avantages, dont on sentira facile-
ment le prix, la femme naturelle en joint un plus précieux
encor, dont quelquefois Thomme social se vante sans en
jouir, et dont elle jouit sans s'en vanter : elle ne craint pas
la mort. Ce moment, si redouté, n'existe pas pour elle ; elle
n'en a point d'idée, son dernier moment est aussi serein
que tous les autres ; elle finit plutôt qu'elle ne meure, mais
elle se laisse aller sans se défendre ; si elle a l'agonie du
corps, elle n'a pas celle de l'esprit ; elle est exempte des
terreurs de tout genre, qui, parmi nous, ne cessent d'as-
siéger le mourant. Nous remarquerons, à ce sujet, que ce
n'est pas un des moindres avantages de l'homme et de la
femme naturels, d'être délivrés de la crainte de prévoiance;
sans doute ils seront effraies, quelquefois, mais,au moins,
il n'auront à combatre ou à fuir que le danger présent, et
non les phantomes de leur imagination. Cet avantage est
peut-être inestimable, surtout pour les femmes, que nous
voïons, tous les jours, tourmentées par mille craintes,
qui, pour être puériles, ne leur sont pas moins pénibles;
pareillement, dans leurs maladies, ils ne souffriront que
de leurs douleurs ; ils n'auront ny impatience ny in-
quiétude ; c'est chez eux qu'il faut chercher une résigna-
tion parfaite ; au reste ils auront peut-être des accidents,
mais leurs maladies seront rares, et qui les leur cause-
roient? ils n'ont ny passions, ny cuisiniers, ny médecins.
CHAPITRE VIII
RÉFLEXIONS SUR CE QUI PRÉCÈDE
Nous avons suivi la femme naturelle dans les différentes
époques de sa vie, nous l'avons vue, à sa naissance, objet
des plus tendres soins de sa mère, recevoir d'elle les se-
cours nécessaires à sa faiblesse ; encore enfant^ mais
déjà plus forte, nous l'avons vue, exempte de la con-
trainte où ses semblables sont réduites, croitre libre-
ment et développer ses forces sous les yeux de la na-
ture ; nous avons observé les changements qu'apportoit
en elle le moment de la puberté ; nous avons vu naître
ses 1*"" désirs que le plaisir a suivis, plaisir aussi pur
que vif, que n'empoisonnoient pas les maux que nos
institutions ne cessent d'y mêler ; arrivée à l'âge viril, tan-
dis que nos jours s'écouloient partagés entre les doux
soins de l'amour et ceux de la maternité, nous avons
cherché à connoitre tous ses avantages, et nous avons
trouvé qu'il ne lui manquoit aucun de ceux que l'on pou-
voit vraisemblablement désirer ; dans sa vieillesse, nous
I
42 DE l'éducation des femmes j
l'avons vue, soumise aux seulles infirmités qui en sont
inséparables, éviter pareillement les douleurs du corps et
les peines de l'esprit ; nous avons vu, enfin, une mort pai-
sible terminer une vie heureuse. Quelle femme maintenant
osera se présenter et disputer de bonheur avec elle? Sera
ce, cette reine puissante, fière de dominer sur de vastes
états, où cherchera t'elle sa félicité ? Sans doute dans celle
de ses sujets : elle courra donc se rendre redoutable aux
ennemis du dehors et étouffer les troubles intérieurs ; à la
fois économe et libéralle elle n'accordera rien à l'intri-
guante avidité des courtisans et sera toujours assez riche
pour récompenser les services rendus ; ses guerres, justes
et heureuses, seront suivies de la victoire et les impots
multipliés ne dévoreront pas la substance du pauvre ;
le foible ne l'implorera pas sans succès contre l'oppres-
sion du puissant ; sa justice vigilante sauvera le simple
des embûches, de la mauvaise foi ; chérie des bons, son
nom sera la terreur des méchants, ils fuiront loin d'elle,
ils iront chercher les lieux si peu rares où ils prospére-
ront si facilement ; alors sans doute elle sera bénie ; mais
quelle n'espère pas un moment de repos ; ne faut-il pas
qu'elle veille pour tous ? Veut-elle donner un moment à
ses plaisirs? Qu'elle attende celui qu'aucun de ses sujets
ne réclamera, ou plutôt que sa vie soit une action conti-
nuelle et qu'elle mettre debout, victime dévouée au bon-
heur de son peuple. Découragée à la vue d'une carrière
si pénible, préférera t'elle d'être foible et voluptueuse,
oubliera t'elle son peuple, pour ne s'ocuper que de ses
plaisirs ; ils vont se rassembler autour d'elle ; son ima-
PAR CHODERLOS DE LACLOS 43
gination sera moins prompte que le zèle de ses courti-
sans ; mais par là môme ses jouissances seront impar-
faites ; malheureuse elle n'aura pas le temps de désirer.
Cependant, sous un règne foible. l'intrigue dcploïe
touttes ses forces ; le courtisan ambitieux, non content
d'opprimer le peuple, veut encore dominer sa souve-
raine ; maîtresse de tant d'états, elle ne l'est pas de sa
volonté ; mue par des ressorts secrets, elle cède à une
impulsion étrangère et inconnue ; elle ordonne par fai-
blesse l'éloignement de ceux qu'elle chérit et j^ste avec
étonnement livrée à ceux qu'elle craint, alors elle perd
l'habitude d'aimer ; la défiance et l'inserfsibilité vien-
nent flétrir et resserrer son âme ; bientôt elle ne s'ouvre
plus au plaisir ; elle n'est plus susceptible que de dis-
traction, et les distractions mômes sont deveniies dif-
ficiles ; son palais l'ennuie, et toutefois elle craint
d'en sortir ; traverse t'elle les villes ? le silence morne
de son peuple contriste son cœur ; parcourt-elle les
campagnes ? l'image de la misère afflige ses regards im-
portuns et, elle-même, elle se prend aux lieux qu'elle
habite de l'ennui qu'elle y porte; elle se fuit, elle
erre, sans choix comme sans dessein, elle recherche la
vaste solitude des forêts, laissons-lui cette triste res-
source : les seuls moments où elle se supporte sont ceux
où elle parvient à s'oublier. Quelle autre femme se pré-
sente, dont l'éclat surpasse encore celui des reines? A sa
beauté parfaite, à son air enchanteur, à son magique
pouvoir, on la prendroit pour une fée ; environnée
d'une cour nombreuse, dont elle règle le destin, elle
/
44 DK l'éducation des femmes
élève, elle abaisse à son gré, elle tourne en se jouant
la roiie de la fortune ; elle a jeté un regard de colère
sur l'homme puissant, et son pouvoir s'est évanoui ; elle
a tendu la main à l'homme accablé et proscrit, et il est
devenu puissant et honoré. Les plus grands événements
de l'histoire ne sont le plus souvent que Feffet de ses
caprices ; elle paroit désirer et déjà tout est en mouve-
ment ; elle dit, et les obstacles disparoissent. Â ces
traits qui ne reconnoit la maîtresse d'un roi? Tel est en
effet le spectacle qu'elle présente à la foule qui la con-
temple et qui l'envie ; mais l'observateur attentif n'est
pas séduit par ces apparences trompeuses ; il voit cette
femme, il la scait idole et victime de la fortune, dispo-
ser de tout, hors d'elle-même, forcée de paroitre gaie
quand elle est triste, tendre, quand son cœur est froid,
folâtre et enjouée, quand l'humeur la domine, confiante
et tranquille, quand mille craintes l'obsèdent ; il la voit
placée entre des mécontents et des ingrats ; il l'écoute
se répéter avec amertume ce vers si connu : fai des
adulateurs et rCai pas mi ami (1) ; il écoute ses sanglots
étouffés ; il remarque ses larmes encore mal essuiées ; il
(1) La maîtresse chérie d'un monarque puissant, attaquée de
la maladie dont eUe mourut, voulut connoitre son état qu'on
s'obtinoit à lui cacher ; elle emploia un molen bien simple ;
chaque jour, elle se faisoit rendre compte des personnes qui ve-
noient chez elle ; pendant longtemps, on lui nommoit toutte la
cour ; un jour, enfin, on ne lui cita qu'une personne. Quoi, lui
seul? dit elle. Seul, lui répondit on. Alors, reprit elle aussitôt,
n faut mourir, je suis condamnée. Elle ne se trompoit pas et
mourut en effet, peu d'heures après.
Noie de Ch. de L.
PAR CHODERLOS DE LACLOS 45
s'éloigne enfin et dit avec vérité : ce n'est pas là qu'est le
bonheur. Mais, nous dit- on, vous feignez de chercher le
bonheur et vous craignez en effet de le rencontrer. Nous
entendons ce reproche et nous abandonnons les palais
des rois.
Nous citera t'on, pour être heureuse, cette femme jeune,
jolie et sensible, qui vient de s'unir à l'époux qu'elle
adore et qui doute du bonheur d'un moment. Mais que
l'intervalle est grand d'un moment de bonheur à une
vie fortunée! Scait'on quelles a été l'enfance et la
jeunesse de cette femme, quelles sera sa vieillesse et sa
mort, qui la garantira des accidents de tous les genres ?
La crainte seulle qu'ils lui inspireront altérera sa félicité,
et, d'ailleurs, après avoir joui de tout, ne faudra t'il pas
tout quitter? Plus la jouissance aura été délicieuse, plus
la perte sera sensible, plus les regrets seront amers.
Cherchons, au moins, dans notre imagination, ce que la
société ne nous présente pas. Créons à notre gré une
femme parfaitement heureuse, autant au moins que
l'humanité le comporte ; ce sera celle qui, née d'une
mère tendre, n'aura pas été livrée en naissant aux soins
d'une mercenaire ; qui, plus grande, aura été élevée
sous les yeux d'une institutrice également indulgente,
sage et éclairée, qui. sans jamais la contraindre, et sans
l'ennuier de ses leçons, lui aura donné toutes les con-
noissances utiles et l'aura exemptée de tous les pré-
jugés ; qui, parvenue à cet âge du plaisir, aura trouvé
pour époux un homme toujours nouveau, amoureux
sans être jaloux, assidu sans être importun ; qui. deve-
3*
46 DE L EDUCATION DES FEMVB5 PAR CHODERLOS DE LACLOS
nue mère à son tour, aura goûté la douceur de Tamour
maternel, sans en ressentir les inquiétudes perpétuelles,
souvent suivies d'un affreux désespoir ; dont Timagina-
tion sage aura vu fuir sans regret son heureuse jeu-
nesse ; qui aura seû, en vieillissant, éviter la maladie et
les ridicules ; qui, enfin, scaura voir la mort sans effroi
et s'endormir paisiblement de son dernier sommeil ;
qui, exempte de chagrins personnels, n'en recevra point
d'étrîmgers ; dont la fortune sera telle, qu'abondam-
ment pourvue du nécessaire, elle ne soit jamais embar-
rassée d'un superflu qu'elle ne désire point ; qui vivra
sans ambition comme sans crainte ; qui, après avoir eu
la plus grande sensibilité pour le plaisir, trouvera dans
la douleur ou dans les privations le stoïcisme le plus
philosophique... Mais cette femme n'est-elle pas une
chimère ? Non, c'est trait pour trait, et seulement sous
d'autres mots, Thistoire fidèle de la femme dans l'état
de nature. On s'obstine pourtant à nous dire : cet
état n'a jamais existé, il est impossible, il est invraisem-
blable. Cette question mérite d'être discutée.
CHAPITRE LX
EXAMEN DES RAISONS APPORTÉES CONTRE L^ÉTAT DE NATURE
Ami de la vérité, nous ne dissimulerons pas que plu-
sieurs philosophes ont combatû l'existence, et môme
la possibilité, de l'état de nature tel que nous l'avons
envisagé, et qu'en le supposant, ils ont nié ces avan-
tages. La crainte d'une discussion trop longue, l'inutilité
de répondre à des objections, toujours les mômes, quoi-
que diversement proposées, nous empocheront de ré-
pondre à tous, mais dans le nombre, notre choix sera
tel, qu'on ne pourra nous reprocher d'avoir cherché de
faibles adversaires, pour les combattre avec plus
d'avantage ; c'est à MM. de Buffon et de Voltaire
que nous allons essaïer de répondre : « Peut-on dire
c de bonne foi (dit M. de Buffon) (1), que cet état sau-
« vage mérite nos regrets, que l'homme, animal fa-
« rouche, fût plus digne que l'homme citoïen civilisé ?
(1) Les animaux carnassiers. Histoire naturelle^ t. XIV, p. 35,
édition in-12. Note de Ch, de L.
48 DE l'kduga.tion des feumbs
« Oui, car tous les malheurs viennent de la société, et
« qu'importe qu'il y eût des vertus dans l'état de na-
« ture s'il y avoit du bonheur, si l'homme, dans cet état,
« étoit seulement moins malheureux qu'il ne l'est ^ La
« liberté, la santé, la force, ne sont elles pas préférables
« à la mollesse, à la sensualité, à la volupté même ? Ac-
€ compagnée de Tesclavage, la privation des peines vaut
a bien l'usage des plaisirs, et pour être heureux que
€ faut-il, sinon de ne rien désirer? »
Telle est l'objetion que M. de Buffon se propose.
Nous observons d'abord qu'elle ne nous paroit pas
faite avec sincérité. Pourquoi, par exemple, accorder la
volupté exclusivement à Thomme social ? Quelque sens
que Ton veuille donner à ce mot, on trouvera que la vo-
lupté de riiomme naturel, pour être sous une forme qui
nous est étrangère, n'en existe pas moins réellement
pour lui. La privation des peines vaut bien Vicsage des
plaisirs. Hé quoi ! l'homme naturel n'a-t-il donc que la
privation des peines ? est-il privé de l'usage des plaisirs ?
et pour être heureux que faut-il sinon de ne rien dési-
rer. Ce n'est pas en ne rien désirer que consiste le bon-
heur, mais à obtenir ce qu'on désire. La question gît à
scavoir, qui, de l'homme naturel, ou de l'homme social,
a plus de facilité pour y parvenir.
Voyons maintenant la réponse de M. de Buffon. « Si
« cela est (poursuit-il), disons en même temps qu'il est
(( plus doux de végéter que de vivre, de ne rien appéter
« que de satisfaire son appétit, de dormir d'un someil
« apathique, que d'ouvrir les yeux pour voir et pour
PAR CHODERLOS DE LACLOS 49
« sentir ; consentons à laisser notre âme dans l'engour-
« dissement, notre esprit dans les ténèbres, à ne nous
« jamais servir ny de l'une ny de Tautre, à nous mettre
€ au-dessous des animaux, à n'être, enfin, que des
« masses de matière brute attachée à la terre ».
Nous pourrions répondre, à notre tour, qu'i7 est plus
doux de végéter que de vivre malheureux, de ne rien
appéter que de pouvoir satisfaire son appétit, de dor-
mir d'un someil apathique que d'ouvrir les yeux pour
voir des objets désagréables et sentir douloureusement,
qu'il vaut mieux laisser notre âme dans t engourdis-
sement que l'en tirer par la douleur, notre esprit
dans les ténèbres que dans Terreur, ne nous ja-
mais servir ny de Vune ny de Vautre que d'en faire
un pernicieux usage, et que pourvu qu'on fût heureux
il importeroit peu d'être au-dessus ou au-dessous des
autres animaux. Mais cette vaine déclamation nous
jetteroit, ainsi que lui, hors de la question. En effet,
l'homme naturel ne végète point : il vit, il appète, et
satisfait son appétit ; il dort, non d'un someil apathique,
mais d'un someil tranquille ; il sçait ouvrir les yeux
pour voir et pour sentir ; son âme sensible connoit la
pitié et l'amour; son esprit est éclairé sur ses besoins;
il fait usage et de l'une et de l'autre ; il n'est point au-
dessous des animaux, il est le 1*% le plus fortuné
d'entre eux.
€ Nous ne supposons pas (c'est toujours M. de Buffon
<( qui parle) qu'il y a une plus grande distance de
« l'homme en pure nature au sauvage que du sauvage à
fi(f ht l'^dccatiox dis tomms
« mm».., nonn volons qo'on descend par à&geiA assez
« insensibles des nations les plus éclairées... les plas
n [>olies, h des f>euples moins industrieux ; de ceux-ci à
<t d'autres plus grossiers, mais encore soumis à des rois>
tf h des lois; de ces hommes grossiers aux sauvages...
« que les uns forment des nations assez nombreuses
a soumises à des chefs ; que d'autres en plus petite so-
ft ciété ne sont soumis qu*à des usages, qu'enfin les plus
« solitaires, les plus indépendants ne laissent pas de
« former des familles et d*être soumis à leur père. Un
< empirOt un monarque, une famille, un père, voilà les
« deux extrêmes de la société : ces extrêmes sont aussi
(( les limites de la nature. »
Cette dernière phrase, qui résume tout ce qui pré-
cède, nous paroit plus hardie que philosophique ; et
nous aurions cru que les limites de la nature ne pou-
voient so placer qu'entre deux contradictoires.
(( Si elles s'étendoiont au delà (ces limites), n'auroit-
« on pas trouvé, on parcourant touttes les solitudes du
< globe, des animaux humains privés de la parolle,
« sourds à la voix comme aux signes, les mâles et les
(( lomoUos dispersées, les petits abandonnés, etc.,
Enparcourant touttes les solitudes du globe! Et
qui donc les a touttes parcourues f qui croiroit, en lisant
oocy, selon M. de Rutfon lui-môme « que ce qui nous
« rosto à oonuoitro du cûté ,du pôle austral est si con-
tt sidérablo, qu*ou peut, sans se tix)mper, l'évoluer à plus
« d'un quart de la superficie du globe, en sorte qu'il peut
« y aN*oir dans ces climats un continent terrestre, aussi
PAR CHODERLOS DE LACX.OS 51
« grand que TEurope, l'Asie et TAirique, prises toutes
« trois ensemble » (1).
Ifaicroit-on pas trouvé des animaux humains.,. De
ce qu'on n'en a pas trouvé, sensuit-il qu'il n'y en a
point ? L'Amérique ne subsîstoitelle pas avant sa décou-
verte, dans ce même temps oii les sçavants de Portugal
assemblés» déclaroient unanimement que le projet de
Colomb étoit celui <Vun visionnaire^ d'un hom^ne qui
cherchait des régions dans le cercle de la lune. . . Privés
de la parolle... Le gloussement des troglodites. peuple
pourtant déjà civilisé, s'approche t'il plus d'une langue
formée que des cris d'expression de l'homme naturel.
Sourds à la voix cornm^ aux signes. . . Pourquoi sourds
à tout cela ? Les mâles et les femelles dispersées , les pe-
tits abandonnés. Encore une fois, qui sçait, qui osera
dire que tout cela n'existe pas? Mais quand ce globe
seroit exactement connu, et qu'on n'y auroit trouvé
aucun homme dans l'état de pure nature, comment en
concluroit on que cet état n'a jamais existé puisqu'il est
prouvé, et généralement consenti, que l'espèce humaine
est susceptible de perfection ?
ce Je dis même, qu'à moins de prétendre que la cons-
« titution du corps humain fut toutte différente de ce
a qu'elle est aujourd'huy, et que son accroissement fut
« bien plus prompt, il n'est pas possible de soutenir que
« l'homme ait jamais existé sans former de famille,
(1) Histoire naturelle^ !«' vol. iii-4o. y. gurle môme sujet rJ7û-
loire des voyages aux terres australes , par M. le président
de Brossi. Noie de Ch. de L,
52 DE L EDUCATION DES FEMMES
« puisque les enfants périroient s'ils n*étoient secourus
« et soignés pendant plusieurs années, au lieu que les
< animaux nouveau-nés n'ont besoin de leur mère que
« pendant quelques mois. »
Tous les animaux nouveau-nés ont besoin de leur
mère pendant plus ou moins de temps, et nous ne voïons
pas que leur société subsiste après le besoin passé. Nous
avons crû pouvoir fixer ce temps pour les hommes entre
deux et trois ans (1) et M. de Buflon lui-même paroit le
fixer à quatre ans pour l'enfant d'un homme social (2),
ce qui revient assez à notre calcul ; la différence
n'existe donc que du plus au moins, et si tel animal (la
louve, par exemple), qui vit vingt ans, soigne son petit
pendant un an (3), il nous semble qu'une femme qui en
vit soixante ou quatre-vingts peut bien consacrer trois
ans à ce soin, et ce temps passé, abandonner son en-
fant.
« Cette nécessité phisique suffit donc seuUe pour
« démontrer que l'espèce humaine n'a pu durer, et se
c( multiplier, qu'à la faveur de la société. » On vient de
voir, si cette démonstration est suffisante. « Que l'union
« des pères et mères aux enfants est naturelle puisqu'elle
a est nécessaire. » L'union des pères aux enfants nous
paroit absolument inutile,mème dans le sistème de M.de
Buffon, et quant aux mères, ne pourrions-nous pas dire :
(1) V. cy-devant de V Enfance, ch. ni.
(2) V. UHistoire naturelle, t. XIV, p. 39.
^3) Histoire naturelle du loup, t. XIY.
Notes de Ch. de L.
PAR CHODERLOS DB LACLOS 53
leur union aux enfants cesse d'être naturelle dès qu'elle
n'est plus nécessaire ?
« Or, cette union ne peut manquer de produire « un
attachement respectif et durable entre les parents et
« reniant. »
Voilà positivement ce qui reste à prouver et qui ne
nous paroit pas probable.
c( Ainsi rétat de pure nature est un état connu ; c'est le
a sauvage vivant dans le désert, mais vivant en famille,
(( connoissant ses enfants, connu d*eux, usant de la pa-
a roUe et se faisant entendre. »
Ne sommes-nous pas authorisés à dire que ce n*est pas
là rétat de nature ?
a La fille sauvage ramassée dans les bois de Cham-
« pagne, Thomme trouvé dans les forêts du Hanovre ne
« prouvent pas le contraire. »
Ils prouvent au moins que le contraire n'est pas impos-
sible.
M. de Buffon, après avoir rassemblé les hommes en
famille, au 1*' moment de leur existence, forme un
empire à la 4"" génération. Nous ne le suivrons pas dans sa
marche rapide, il nous suffit d'avoir examiné s'il combat
victorieusement les avantages et la possibilité de l'état
de nature, tel que nous l'avons envisagé, et d'avoir mis
nos lecteurs en état de juger si Ton peut, d'après ses
raisons, assurer cet état malheureux ou impossible. Nous
n'ajoutons plus qu'un mot. M. de Buffon, qui confond
l'homme sauvage et l'homme naturel, se demande si cet
homme est heureux, et se décide pour la négative. Icy
54^ DE l'éducation des femmes
nous opposerons à M. de Bufton, M. de Buffon lui-
même. Ecoutons-le parler dans son histoire des animaux
sauvages (1) : « La nature leur a donné à tous la liberté
« avec des mœurs constantes, à tous des désirs et de
« l'amour, toujours aisé h satisfaire... Amour et liberté,
« quels bienfaits I Ces animaux que nous appelons sau-
« vages parce qu'ils ne nous sont pas soumis, ont-ils
« besoin de plus pour être heureux? Ils ont encore Téga-
« lité, ils ne sont ny les esclaves, ny les tirans de leurs
< semblables. »
Quelle force, quelle énergie dans ce tableau I Mais
pourquoi les animaux humains seroient-ils seuls privés
de ces avantages ? M. de Buffon nous donne-t-il quelque
raison de cette exclusion malheureuse ?
Il nous paroît que les raisonnements de ce philosophe
ne suffisent pas, pour détruire le sistème que nous avons
suivi. Voions si M. de Voltaire, qui combat ce même
sistème, avec tant de mépris et d'humeur, donne des
raisons plus convaincantes.
M. de Voltaire commence par dire (2) qu'on n*a jamais
vu de pays où l'état de pure nature subsistât.
Nous avons déjà observé que ce point de fait ne suf ti~
soit pas pour décider la question.
« Quelques mauvais plaisants (poursuit-il) ont abusé
« de leur esprit jusqu'au point de bazarder le paradoxe
« étonnant, que l'homme est originairement fait pour
(1) t. II, Histoire naturelle, édition in-12.
{2) V. Question sur V encyclopédie, art. homme, — pages 100
et suivantes. Notes de Ch. de L.
PAR CHODERLOS DE LACLOS 55
«vivre seul, comme un loup cervier, et que c'est la
« socictc qui a dépravé la nature. Autant vaudroit-il
c( dire que, dans la mer, les harengs sont ordinairement
« faits pour nager isolés, et que c'est par un excès de
« corruption qu'ils passent en trouppes, de la mer gla-
ce ciale sur nos côtes, qu'anciennement les grues voloient
« en Tair, chacune à part, et que par une violation du
« droit naturel, elles ont pris le party de voïager de
« compagnie. »
N'est-ce pas une plus mauvaise plaisanterie de vouloir
établir une analogie entre l'homme, les harengs et les
grues? Ce raisonnement a surtout le défaut de pouvoir
être rétorqué avec autant d'avantage.
Quelques mauvais plaisants (pourroit-on dire) ont
abusé de leur esprit jusqu'au point de hazarder le para-
doxe étonnant que l'homme est originairement fait pour
vivre en société.. . autant vaudroit-il dire que les boeufs
et les chevaux étoient originairement faits pour vivre en
troupeaux et en escadrons, et que c'étoit par un excès de
corruption, ou par une violation du droit naturel, qu'ils
erroient isolés dans les bois.
€ Chaque animal a son instinct (continiie M. de Vol-
€ taire) et l'instinct de l'homme, fortifié par la raison, le
« porte à la sociétéi comme au manger et au boire. »
C'est absolument mettre en fait ce qui est en question.
(( Quiconque vivroit absolument seul perdioit bientôt
« la faculté de penser et de s'exprimer. »
L'homme isolé u'acquerroit pas la faculté de parler ;
mais pourquoi n'auroit-il pas celle de penser et de s'ex-
56 DE l'éducatiOiN des femmes
primer ? L'animal le plus farouche a ses pensées et son
expression.
« Il scroit à charge à lui-môme. »
Nous ne voyons pas pourquoi.
« Il ne parviendroit qu'à se métamorphoser en bête. »
Pour la plupart, cette métamorphose ne seroit pas
difficile.
M. Rousseau avoit dit (1) : « Il n'est pas naturel qu'un
€ homme s'attache à une femme pendant les 9 mois de
ce sa grossesse ; Tappé tit satisfait, l'homme n'a plus
« besoin de telle femme, ny la femme de tel honune ;
« celui-cy n'a pas le moindre soucy ni peut-être la moindre
« idée des suittes de son action ; l'un s'en va d'un côté,
« l'autre de l'autre et il n'y a pas d'apparence qu'au bout
« de 9 mois Usaient la mémoire de s'être connus. Pour-
€ quoi la secourera t'il après l'accouchement , pourquoi lui
« aidera t'il à élever un enfant qu'il ne scait pas seule-
« ment lui appartenir ? »
« Tout cela est exécrable » (s'écrie M. de Voltaire), mais
pourquoi ? Les animaux qui en usent ainsi sont-ils exé-
crables ? « Mais (continùe-t-il) heureusement rien n'est
plus faux. » Voïons comment il le prouve.
« Si cette indifférence étoit le véritable instinct de la
« nature, l'espèce humaine en auroit presque toujours
ce usé. Ainsi l'instinct est immuable, ses inconstances sont
« très rares, le père auroit toujours abandonné la mère,
« la mère auroit abandonné son enfant, et il y auroit
(1) Discours sur Porigine de l'inégalité parmi les hommes.
Note de Ch, de L,
PAR CHODERLOS DE LACLOS 57
a bien moins d'hommes sur la terre qu'il n'y a d ani-
<r maux carnassiers, car les bêtes farouches, mieux
<c pourviies, mieux armées, ont un instinct plus prompt,
« des moyens plus sûrs et une nourriture plus assurée
« que l'espèce humaine. »
Il n'est pas besoin de beaucoup observer les animaux
domestiques, pour voir combien Téducation altère et fait
varierl'instinct, mais combien, surtout, les hommes n'ont-
ils pas contrarié leleur ? Eh ! quoi! l'instinct de l'homme
qui a faim ne le porte-t- il pas à ravir le pain que mange
à ses yeux l'homme plus faible que lui ? l'instinct d'un
homme vigoureux ne le porte t'il pas à jouir d'une fille
jeune et jolie près de laquelle il se trouve ? Elle-même,
sollicitée par ses désirs, par ceux de son amant, ne sent-elle
pas son instinct la porter à se rendre? L'instinct de ces
100.000 hommes rangés en bataille devant 100.000 au-
tres, au moment d'une décharge d'artillerie ou de mous-
queterie, ne les porte t'il pas à fuir plutôt qu'à tuer, ou se
faire tuer pour une cause qui leur est étrangère ? Tous
résistent pourtant à l'instinct, et l'on vient nous dire que
ses inconstances sont très rares. L'instinct de la nature
n'est il pas, dans tous, un cas étouffé sous le poids de
nos institutions ? Si, dans l'état social, la mère reste
unie à l'enfant, et l'enfant à la mère, après le besoin
passé si chacun d'eux reste uni à son époux ou à son
père, qui peut assurer que cette union ne soit pas plu-
tôt le fruit de nos institutions, que l'impulsion nécessaire
de l'instinct naturel ? L'histoire des animaux ne nous
fournit aucun exemple de cet attachement respectif, des
58 DR L EDUCATION DES FEMMES
mères et des enfants, qui ne cesse avec le besoin de ceux-
cy. Dans quelques espèces nous trouvons à la vérité une
union passagère du mâle à la femelle qui disparoi t tou-
jours avec le besoin des petits ; mais, outre que cette union
de l'homme à la femme ne paroit pas nécessaire à leur
enfant, nous osons dire qu'elle est impossible ; en effet,
les animaux chez lesquels cette union subsiste, ont
toujours un temps marqué pour les désirs ; ce temps
passé, les désirs s'éloignent dans l'un et l'autre sexe ; et,
de plus, ce temps est toujours suivi de la fécondité. Il
n'en est pas ainsi de l'homme et de la femme ; l'homme
aura de nouveaux désirs, et s'il les satisfait avec une
autre femme, à laquelle des deux s'attachera-t-il ? Sup-
posons que, contre toute espèce de raisons, il se fixe à
une seulle femme. Est-il sur que cette femme en soit
fécondée, et si elle ne l'est pas que deviendra leur union,
jusqu'à quand durera t'elle? Le mariage indissoluble, et
avec une seulle femme, deviendroit, dans ce cas, une
suite de l'instinct naturel nécessaire et immuable, dont
parle M. de Voltaire.
M. de Voltaire avance que Vinstinct des animaux car-
nassiers est plus prompt que celui de V homme.
Nous conviendrons d'autant moins de ce fait, relative-
ment à l'homme naturel, que nous le voïons démenty
chez l'homme sauvage, qui a déjà dû perdre une partie
de cet instinct. Ils ont^ ajoute-t-il, une nourriture plus
assurée que Vespèce humaine.
Nous avons déjà dit plus haut, d'après les plus sçavants
naturalistes, que l'espèce humaine étoit celle qui s*ap-
s
\
I
PAR CHODERLOS DE LACLOS 59
proprioit le plus facilement les différentes nourritures. Il
en tire cette conséquence que, dans notre supposition,
ilyauroit moins cVhommes sur la terre que (T animaux
carnassiers.
Quand cela seroit, ce ne seroit pas une raison suffi-
sante pour détruire un sistcme qui seroit vrai d'ailleurs,
mais cette supposition nous paroi t absolument gra-
tuite.
(( Les hommes les plus durs (poursuit M. de Voltaire)
(( aiment par un instinct dominant Tenfant qui n'est pas
(( encore né, le ventre qui le porte, et la mère qui re-
« double d'amour pour celui dont elle a reçu dans son
ce sein le germe d'un être semblable à elle. »
Nous convenons que les enfants sont un lien de plus
pour les époux réunis dans l'état social, et nous aurons
occasion par la suitte d'en dire les raisons ; mais nous
avons quelque peine à comprendre comment les hommes
(durs ou non) peuvent aimer par un instinct dominant
Tenfani q%Cils ne sçavent pas devoir naitre, le ventre
qu'ils ignorent le porter, ny comment la mère redouble
d'amour pour celui do?it elle ne se doute pas d'avoir
reçu dans son sein le rjenne d'u?i être semblable à elle*
« L'instinct du charbonnier de la forêt noire leur parle
ce aussi haut, les anime aussi fortement, en faveur de
« leurs enfants, que l'instinct des pigeons et des rossi-
« gnols les force à nourrir leurs petits. »
Nous convenons de tout cela ; mais les pigeons et les
rossignols abandonnent leurs petits, sitôt qu'ils peuvent
se passer d'eux.
60 DB l'Éducation des femmes par Choderlos de laclos
Ne pouvons-nous pas dire maintenant avec M. de Vol-
taire, mais par une application différente : « Le grand
« deffaut de tous ces livres à paradoxe n'est-il pas de
« supposer toujours la nature autrement qu'elle n'est ? »
Résumons-nous. Nous avons vu qu'il n'est pas prouvé
que Fétat que nous appelons de nature n'existe] point ;
qu'il est impossible de prouver qu'il n'a jamais existé ;
que loin d'être invraisemblable on ne peut l'attaquer que
par des suppositions gratuites ou des assertions téméraires .
Nous avons donc été fondé à le considérer comme le
point d'où les femmes étoient parties ; nous allons exa-
miner à présent quels, et combien de changements, les
institutions sociales leur ont fait éprouver.
CHAPITRE X
DES PREMIERS EFFETS DE LA SOCIÉTâ
La nature ne crée que des êtres libres ; la société ne
fait que des tirans et des esclaves ; toutte société suppose
un contrat, tout contrat une obligation respective. Toutte
obligation est une entrave qui répugne à la liberté natu-
relle ; aussi l'homme social ne cesse de s'agiter dans ses
liens, il tend à s'y soustraire, il cherche à en rejeter le
poids sur ses semblables, il ne veut retenir que le bout
de la chaîne pour les diriger à son gré ; il suit de là que,
si l'oppression du fort envers le faible n'est pas une loi
naturelle, dans le sens où les moralistes prennent ces
mots, elle n'en est pas moins une loi de la nature, ou
plutôt la l""* vengeance que la nature abandonnée
tire de l'homme social ; il suit de là que toutte conven-
tion, faite entre deux sujets inégaux en force, ne produit,
ne peut produire qu'un tiran et un esclave, il suit encore
de là que dans l'union sociale des deux sexes, les femmes
généralement plus faibles ont dA ôtre généralement op-
4
62 DE L EDUCATION DES FEMMES
primées ; icy les faits viennent à Tappui des raison-
nements. Parcourez l'univers connu, vous trouverez
l'homme fort et tiran, la femme faible et esclave ; que si
quelquefois elle a l'adresse de lier les mains à son maître
et de commander à son tour, ce cas est extrêmement
rare. Quand on parcourt l'histoire des différents peuples
et qu'on examine les lois et les usages promulgués et
établis à Tégard des femmes, on est tenté de croire
qu'elles n'ont que cédé, et non pas consenti au contrat
social, qu'elles ont été primitivement subjuguées, et que
l'homme a sur elle un droit de conquête dont il use ri-
goureusement. Aussi, loin de penser, comme quelques-
uns, que la société commença par la réunion des familles,
nous croirions plutôt que la l'^* association fut faite
par des hommes seulement, qui, se sentant plus égaux
en force, durent se craindre moins les uns les autres ;
mais ils sentirent bientôt le besoin qu'ils avoient des
femmes ; ils s'occupèrent donc à les contraindre, bu à
les persuader, de s'unira eux. Soit force, soit persuasion,
la !'• qui céda, forgea les chaînes de tout son sexe.
On sent assez que, dans ces premiers temps, il n'y eut
aucune propriété exclusive, on partageoit également les
fruits d'un champ cultivé en commun ; on en usoit de
même du gibier tué dans une chasse généralle ; les
femmes même suivirent cette loi ; touttes étoient à
tous (1). Nul d'entre eux n'avoit l'idée du choix: ce-
(i) On connoit encore quelques peuplades qui vivent dans
te entière communauté. Note de Ch. de L,
PAR CHODERLOS DE LACLOS 63
pendant, dans cette communauté de travaux et de fruits,
il est aisé de pressentir que le partage ne dut pas être
longtemps égal ; que, bientôt, la loi du plus fort se fit
sentir : que les femmes, pour cela encore qu'elles étoient
les plus faibles, furent assujéties aux travaux les plus
pénibles, et en recueillirent le moins de fruit ; les hommes
étendirent bientôt jusqu'à elles cette même idée de pro-
priété qui venoit de les séduire et de les rassembler ; de
cela seul qu'elles étoient à leur convenance et qu'ils
avoient pu s'en saisir, ils en conclurent qu'elles leur ap-
partenoient : telle fut en général l'origine du droit. Les
femmes manquant de forces ne purent deffendre
et conserver leur existence ci ville ; compagnes de nom,
elles devinrent bientôt esclaves de fait, et esclaves
malheureuses ; leur sort ne dut guère être meilleur
que celui des noirs de nos colonies. Si l'on veut retrouver
encore des vestiges sensibles de cet abus de force, que
l'on considère un moment ces peuples encore grossiers
que nous nommons sauvages, qui, réunis depuis peu de
temps, ont déjà perdu les avantages de l'état de nature
et n'ont pu pallier encore les premiers vices de la so-
ciété. C'est là que l'on voit les femmes chargées seuUes des
travaux les plus vils et les plus pénibles, toujours ex-
cédées, souvent maltraitées, quelquefois tuées par des
maîtres, oisifs et capricieux, qui payent ainsi les soins
qu'elles prennent d'eux, les substances qu'elles leur four-
nissent, et le plaisir qu'elles leur procurent; c'est ainsi
que nous les voïons encore aujourd'huy ramer comme nos
forçats, sur les canots des Groenlaudois, et soumises au
04 DK l'Éducation des femmes
mAmc traitement ; enfin, à 40 ans, chez les Calmouques,
d'ôtre les compagnes de leurs maris, et devenir les ser-
vantes de la maison et des jeunes femmes qui leur succè-
dent ; trait(;c8, chez les Coréens, comme leurs esclaves
et souvent chassées, elles et leurs enfants, pour des
fautes légères ; corrigées avec sévérité chez les peuples
du mont Liban, et y être esclaves, non seulement de
leurs maris, mais même de leurs enfants mâles ; chargées
h Congo de tous les travaux de force, y servir leurs maris
et n'oser ny manger avec eux ny s'asseoir en leur pré-
sence ; c'est ainsi qu'on voit encore les Hottentots, quoique
élevés par leurs mères, se faire un point d'honneur de
les mépriser et de les fraper même, lorsqu'à l'âge de
19 ans, ils sont agrégés parmy les hommes; que si dans
ces pays les hommes paroissent s'être réservé les fa-
tigues de la chasse, c'est que cette occupation, loin de
leur paroitre pénible, est en eux un penchant naturel,
fortifié encore par le désir de puissance et de domina-
tiou, premier fruit de l'esprit social. Ils regardent si bien
la chasse comme un plaisir que, chez quelques peuples,
(les Lapons par exemple) elle n'est pas même permise
aux femmes. L'oppression et le mépris furent donc, et
durent être généralement, le partage des femmes dans
les sociétés naissantes ; cet état dura dans toutte sa
force jusqu'à ce que l'expérience d'une longue suitte de
siècles leur eût appris à substituer l'adresse à la force.
Elles sentirent enfin que, puisqu'elles étoient plus faibles,
leur unique ressource étoit de séduire ; elles connurent
que si elles étoient dépendantes de ces hommes par la
PAR CHODERLOS DR LACLOS 65
force, il? pouvoient le devenir à elle par le plaisir. Plus
mal heureuses que les ho m mes, elles du rcnt peuser et réflé •
chir plutôt qu'eux ; elles sçurentles preuiières que le plaisir
restoit toujours au-dessous del'idéequ'on s'en formoit,et
que Timagination alloit plus loin que la nature. Ces pre-
mières vérités conniies, elles apprirent d'abord à voiler
leurs appas pour éveiller la curiosité ; elles pratiquèrent
Fart pénible de refuser, lors même qu'elles désiroient de
consentir ; de ce moment elles sçurent allumer l'imagi-
nation des hommes, elles sçurent à leur gré faire naître
et diriger les désirs : ainsi naquirent la beauté et
Tamour (1) ; alors le sort des femmes s'adoucit, non
qu'elles soient parveniies à s'affranchir entièrement de
l'état d'oppression où les condamna leur faiblesse ;
mais, dans l'état de guerre perpétuelle qui subsiste entre
elles et les hommes, on les a vues, à l'aide des caresses
qu'elles ont sçu se créer, combattre sans cesse, vaincre
quelquefois et souvent, plus adroites, tirer avantage des
forces même dirigées contre elles ; quelquefois aussi les
hommes ont tourné contre elles-mêmes ces armes,
qu'elles avoient forgées pour les combattre, et leur es-
clavage en est devenu plus dur. De la beauté et de
l'amour naquit la jalousie ; ces trois illusions ont totale-
ment changé l'état respectif des hommes et des femmes,
elles sont devenues la baze et le garant de tout contrat
(1) Afin que le lecteur inatentif ne nous accuse pas de contre-
dire icy ce que nous avons avancé plus haut, en parlant de la
femme natureUe, nous le prévenons que nous parlons de la
beauté de choix et de Tamour exclusif.
Note de Ch. de L.
66 DE l'éducation des KBMMKS par CHODBRLOS de LACLOS
passé entre eux ; variées à l'infini dans leurs formes, elles
ne le sont pas moins dans leurs effets ; elles sont enfin
aujourd'huy Tunique source de nos passions ; mais avant
do considérer les effets, il convient d'examiner, de con-
noître les causes.
CHAPITRE XI
DB LA BBAUTÉ
Qu*e8t-ce que la beauté t question que Ton fait sans
cesse, et à laquelle on ne répond jamais d'une manière
satisfaisante ; pour s'en convaincre il ne faut que chan-
ger de lieux. Qu'on intéroge sur cet objet le François,
rAméricain, le Chinois, qu'on fasse ainsi le tour du
monde, on trouve l'inconstante beauté, changeant de
forme à chaque pas, laisser partout des idées, ou du
moins des expressions différentes ; qu'on se fixe dans le
terme étroit d'une société on n'en sera guère plus satis-
fait, relie femme est belle^ mais elle ne me platt pas,
est une phrase de tous les pays, dont l'usage fréquent
montre assez qu'on n'est pas d'accord sur l'idée de la
beauté ; car, qu'est-ce que la beauté qui ne plaît pas?
D'où viennent ces nombreuses contradictions if Sinon du
deffaut de s'entendre, il suffit, pour le faire évanouir,
de réduire l'expression de la beauté à ses plus simples
termes. La beauté n'est, selon nous, que l'apparence la
68 DK l'éducation drs femmes
plus favorable à la jouissance, la manière d'être qui fait
espérer la jouissance la plus délicieuse. C'est dans ce
sens que la femme naturelle a de la beauté, c'est dans
ce sens qu*on peut dire que toutte femme fraîche, grande
et forte, est une belle femme. Si cette définition est
juste, elle doit, d'une part, convenir à tous les peuples,
indistinctement ; et de l'autre, on doit en voir suivre
naturellement cette foule d'idées, toujours différentes et
souvent contraires, quechaque peuple, disons mieux, que
chaque homme se forme de la beauté.
Du moment où les hommes furent réunis, il per-
dirent le repos. L'homme naturel dort aussitôt que ses
besoins sont satisfaits ; il n'en est pas ainsi de l'homme
civil ; il faut qu'il veille à l'exécution du contrat social,
il ne s'abandonne plus au sommeil, il ne lui donne que
le temps qu'il ne peut lui refuser. Sans cesse en garde
contre les entreprises de ses associés, il veille, non pour
agir, mais pour être prêt à agir au besoin. Dans cet
état d'inaction, l'homme s'occupa à comparer ses idées ;
le passé revint à sa mémoire, l'avenir se peignit dans
son imagination ; le souvenir et la prévoiance se déve-
lopèrent, et agirent avec force sur lui ; souvent on les
a vns, depuis, étouffer en quelque sorte la sensation du
moment présent. Les besoins fournirent à l'homme ses
premières idées ; celles du plaisir suivirent immédiate-
ment, dès que sa mémoire fut assez exercée pour lui re-
tracer l'effet des sensations qu'il a voit éprouvées, il com-
para ses jouissances passées, il en conclut pour ses
jouissances à venir. Jusque-là Thomme avoit joui de
PAR CHODERLOS DE LACLOS 69
la beauté sans s'en occuper ; alors il s'en occupa quel-
quefois même sans en jouir. Tl sentit que, dans la jouis-
sance, son plaisir n'étoit pas toujours également vif ;
mille causes pouvoient concourir à cette inégalité ; il né-
gligea celles qui étoient en lui, que même il ne pouvoit
connoître ; il les chercha donc toutes dans les objets
étrangers. La femme qui lui avoit procuré le plaisir le
plus vif lui devint plus précieuse ; il la chercha de nou-
veau, il choisit à son deffaut celle qui lui ressembloit
davantage ; il dut se tromper quelquefois ; mais enfin,
il examina, il connut ou crut connoître, il s*accoutuma à
préférer, il s'apperçut enfin qu'une peau douce et fine,
tendue sur une chair ferme et élastique, appanage exclu-
sif de la fraîcheur, suitte ordinaire de la jeunesse, lui
procuroit un toucher plus agréable, en le faisant reposer
plus doucement ; il désira la fraîcheur. Il s'appercut
qu'une grande femme muUiplioit ses sensations en le
touchant par plus de points ; il désira une taille avanta-
geuse. Il s'appercut qu'il ne lui suffisoitpas d'embrasser
étroitement Tobjet de sa jouissance, s'il n'éprouvoit à son
tour une étreinte délicieuse ; il désira la force. Il recher-
cha donc la femme qui possédoit ces différents avantages :
ainsi la fraîcheur, la taille et la force devinrent des mo-
tifs de préférence ; ainsi leur réunion constitua la beauté :
nous pouvons la nommer beauté naturelle (1). Que si
(1) Depuis que les femmes, pour multiplier leurs plaisirs, ont
eu l'adresse d'intéresser la vanité des hommes & se trouver plus
forts qu'elles, ils ont souvent préféré l'apparence de la foiblesso
et ont négligé la taille et la force. Quelquefois encor une curio-
70 DE L EDUCATION DES FEMMES
quelquefois, aujourd'huy, les hommes paroissent con-
trarier ces principes, ils sont déçus par quelque illusion,
ou déterminés par des sentiments étrangers qu'il ne sera
pas difficile de découvrir. Il faut se rappeler que, dans
ces 1®" te^ps, les femmes étaient niies, et sans
résistance ; que tout regard jette sur elles étoit un
examen entier, et que le désir, aussitôt satisfait que
formé, laissoit toujours aux hommes le sang-froid néces-
saire pour juger ; mais lorsque les iemmes commen-
cèrent à se vêtir, l'imagination fut obligée de suppléer à
ce que les yeux ne purent plus appercevoir ; et l'imagi-
nation est facile à séduire, et quelquefois elle se trompe.
La curiosité éveille le désir, et le désir embellit toujours
son objet. Lorsqu'elles furent en possession de refuser
ou d'accorder à leur gré, l'illusion augmenta encore ;
tantôt le désir naquit de Tespoir de le satisfaire facile-
cilement, tantôt il s'éteignit par cette même idée de fa-
cilité; tantôt il s'irrita par la molle résistance d'un
refus simulé, tantôt il fut étouffé sous l'humiliation ou
le chagrin d'un refus absolu : ainsi les hommes s'accou-
tumèrent à désirer avant de connoitre ; ainsi la facilité
ou la difficulté d'obtenir concoururent, autant que l'objet
site libertine a fait rechercher par quel(pies hommes les femmes
qvl en avoient connu beaucoup d'autres, soit par Tespoir de
connoitre par elles de nouveUes manières de plaisir, soit par la
vanité de leur en apprendre encore, et, souvent, par la supposi-
tion qu'une femme tant recherchée devoit, en effet, mériter de
l'être ; et alors ils ont négligé la fraîcheur ; mais ces exemples,
quoique assez fréquents dans nos mœurs, ne sont pourtant que
des exceptions. Note de Ch, de L%
PAR CHODERLOS DE LACLOS 71
même, à donner plus ou moins d*énergie à ce désir ;
ainsi l'illusion naquit de touttes parts. Les vêtements dé-
robèrent, presque en entier, la femme aux yeux de
riiommc. Or, il n'est pas facile à l'œil de percer les
plis d'une draperie pour reconnoitre les vraies formes
qu'elle cache ; on ne parvient pas tout d'un coup à juger
par la vue de la résistance que le toucher doit éprouver ;
cet art demande quelques expériences et les hommes les
plus exercés s'y trompent encore quelquefois ; la multi-
tude s'attacha donc à considérer la figure qu'elle voyoit
et s'accoutumaà juger le reste d'après elle. Alors la figure,
qui jusqu'alors n'avoit du être qu'une foible partie de la
beauté (1) des femmes, devint partout leur principal
ornement ; alors l'esprit de l'homme forma ses sistèmes
sur la beauté, et, ne pouvant connoître les loix de la
nature, il voulut la soumettre aux siennes. Mais ce nou-
veau code fut sujet, comme tous les autres, aux varia-
tions des lieux et des temps et la Vénus, qui gagna sou
procès en Aulide, l'eût vraisemblablement perdu à mille
lieues de là. Les raisons de ces contradictions ne sont
pas difficiles à trouver ; l'homme ne connoît les objets
que par Timpression qu'il en reçoit ; la beauté n'agit sur
lui que par le souvenir ; elle n'existe pas pour celui qui
n'a eii aucune idée de jouissance ; de là vient, pour le
dire en passant, que l'homme ou la femme, qui veulent
plaire encore, après qu'il sont flétris, recherchent do
(1) Si Ton se donne la peine d'examiner les peuples dont les
femmes vont encore nues ou presque nues, on se convaincra de
la vérité de cette assertion.
NoU de C h. de L.
72 DE L EDUCATION DES FEMMES
préférence les personnes assez jeunes pour n'avoir pu
comparer encore les idées du plaisir ; ils scavent qu'elles
ne peuvent connoître la beauté ; ils espèrent profiter des
1*" désirs que la nature fait naître avant que, par
l'effet d'une comparaison fâcheuse, leur aspect ne suf-
fise pour les détruire. 11 n'en est pas ainsi de l'homme
qui a quelque expérience. Les traits que la nature pro-
duit rarement, quelques formes qu'ils puissent avoir, ne
lui rappelant aucun souvenir, ne lui donnent aucune
espérance et conséquemment ne sont pas beaux à ses
yeux. Si même ils sont trop étrangers, ou s'ils ressemblent
trop à ceux de la vieillesse ou de l'enfance, temps où le
plaisir a cessé d'exister ou n'existe point encore ; s'ils
l'éloignent trop enfin, par quelque cause que ce puisse
être de l'idée de jouissance qu'il ne cesse jamais de por-
ter dans cet examen, alors, loin de l'attacher, ils le re-
butent ; c'est l'assemblage de ces traits qu'il a nommé
laideur. Ceux, au contraire, qu'il est accoutumé de voir,
lui rappelant plus facilement ses idées de plaisirs, lui
plaisent et l'attachent : c'est l'assemblage de ces traits
qu'il a nommé beauté. En effet, qu'on exanime les
règles que se prescrivent les artistes dans les proportions
des traits, et l'on trouvera que ce sont celles qui, pour
chacun d'eux, pris séparément, se rencontrent le plus
souvent dans la nature ; leur réunion seulle est rare, et,
par cela même qu'elle est rare, elle manque son effet ;
quand elle se trouve, elle est rare à tel point que nous
sommes obligés d'en chercher les exemples dans les
ouvrages de nos artistes ; mais ils suffisent à notre ob-
PAR CHODERLOS DE LACLOS 73
jet ; on peut observer, en les considérant, que lorsque
les figures qu'ils ont produites sont rigoureusement
régulières, nous disons bien qu'elles sont belles, et en
cela nous nous soumettons à la convention reçiie ;
mais jamais elles ne nous plaisent ; jamais elles ne sont
la figure que nous désirerions ; nous leur trouvons par
exemple le caractère de Junon, parce que la reine des
dieux présente à notre imagination une idée vague de
perfection ; jamais celui de Vénus, parce que la mère
des amours fait naître en nous l'idée d'un plaisir que
nous connoissons et que cette figure que nous disons
belle ne nous le rappelle pourtant pas. Icy s'éclaircit fa-
cilement cette phrase citée plus haut : telle femme est
belle mais elle ne me plaît pas. On entend alors ou que la
figure de cette femme est suivant les conventions reçues,
ou que Ton croit que sa figure rappellera à plusieurs
ridée des plaisirs qu'ils ont goûtés, bien qu'elles ne pro-
duise pas cet effet sur nous. Si Ton veut se convaincre
à la fois que la beauté n*agit en effet qu'en rappelant
l'idée du plaisir et que l'agrément de la figure ne con-
siste que dans l'assemblage des traits que nous avons le
plus l'habitude de voir, il suffit de changer de lieux ;
transportez, par exemple, un François en Guinée ; il
sera d'abord rebuté de la figure des négresses, parce
que leurs traits étrangers pour lui ne lui rappeleront au-
cun souvenir voluptueux ; dès que, par habitude, il
cesse d*ètre clioqué, il retrouve d'abord et préfère la
fraîcheur, la taille et la force, qui partout constituent la
beauté et, s'il fait alors quelque attention à la figure,
5
74 DE L EDUCATION DES FEMMES
c'est pour choisir celle qui est la moins éloignée des
figures européennes ; bientôt, après l'habitude augmente ;
il préfère l'assemblage des traits qu'il voit tous les jours
à celui dont il n'a plus qu'un léger souvenir ; il veut un
nezépaté et de grosses lèvres etc.. : de là naît cette foule
d'opinions sur la beauté ; de là, ces contradictions appa-
rentes dans les goûts des hommes. Nous avons trouvé
les raisons de cette diversité en ne considérant l'homme
et la femme que dans leurs rapports phisiques ; si nous
les considérons maintenant dans leurs rapports moraux,
nous y trouverons encor de nouvelles raisons de cette
prodigieuse vérité. Nous venons de voir la beauté chan-
ger de formes, par la seuUe impression des objets qui
nous environnent ; nous allons la voir maintenant se
prêter encore à l'inconstance de nos idées. Dès que la so-
ciété, qui altère sans cesse l'ouvrage de la nature, eut
changé en liaison durable l'union passagère des deux
sexes, les sensations voluptueuses cessèrent d'être le
seul lien qui les réunit. On mit un prix aux qualités mo-
rales et, de ce moment, les signes extérieurs qui les
annonçoient firent partie de la beauté, aux yeux de ceux
qui les recherchoient. A mesure que les peuples prirent
de la consistance, les mœurs devenues constantes for-
mèrent, pour chacun, un caractère national auquel l'idée
de la beauté fut bientôt soumise. Quelques-uns, tels que
les asiatiques, aïant rendu les femmes absolument
dépendantes, et n'éprouvant auprès d'elles que des sen-
sations et non des sentiments, se sont moins écartés de
l'idée de la beauté naturelle ; ils y ont joint seulement
PAR CHODERLOS DE LACLOS 75
Tair de douceur et de tendresse, comme flatant davan-
tage Tesprit de domination qui les anime. Là le caractère
de beauté que nous appelons phisionomie doit être et est
en effet Texpression de la soumission. Chez les anciens
romains, au contraire, l'enthousiasme de la liberté, de
la grandeur d'âme, de la vertu sévère présente la beauté
sous une forme plus noble et plus austère. Ce pais, dont
les arts nous ont transmis des monuments de tous les
siècles, nous fournit une preuve des variations perpé-
tuelles auxquelles fut soumise Tidée de la beauté ; la
dépravation des mœurs y est restée peinte sur les vi-
sages ; pour s'en convaincre, il ne faut qu'examiner la
différence du caratère de beauté chez les femmes du
temps de Brutus ou chez celle du temps d'Auguste ; c'est
ainsi que nous voïons, de nos jours, les Suisses, les
Anglais, plusaustèrcs dans leurs mœurs, joindre toujours
à ridée de la beauté celle de la douceur et de la modes-
tie, tandis qu'en France nousrecherchons plus volontiers
l'expression de la vivacité et du plaisir. Telles sont les
nuances généralles qui, sous le nom de phisionomie,
font varier la beauté suivant les temps ouïes lieux ; elles
sont telles, et tellement marquées, qu'un observateur
attentif pourroit juger, par elles, des mœurs d'une na-
tion, avec plus d'exactitude peut-être que dans la plu-
part des historiens. Non seulement l'idée de la beauté
varie de peuple à peuple, mais elle change encore
d'homme à homme ; l'un, plus sensible au nombre qu'au
choix de ses conquêtes, est séduit par l'expression de la
lacilité ; l'autre, au contraire, est excité à la vue des
76 DE L EDUCATION DBS FEMMES
difficultés que semble lui opposer une beauté sévère ;
celuy-cy est attaché parle charme d'une douce langueur ;
celui-là est entraîné par l'ivresse du plaisir vivement
exprimé ; souvent même, aux yeux de plusieurs, l'esprit,
la grâce, les talents, ont suppléé par une heureuse illu-
sion à la privation de la beauté, ou plutôt ils sont de-
venus la beauté, puisqu'ils ont su, comme elle, faire
naître Tespoir du plaisir. La beauté de tous les temps,
de tous les lieux, de touttes les personnes, est donc,
comme nous Tavons dit plus haut, l'apparence la plus
favorable à la jouissance, et, de cela même, il suit qu'elle
doit varier, au gré de la diversité des opinions, sur ce
qui donne plus ou moins de prix à cette jouissance. II
résulte de ces réflexions que l'homme naturel jouit de
la beauté sans la connoître, qu'il n'a nulle idée de la
beauté de choix, et que, pour lui, le crâne de Philipe
est semblable à celui des autres Macédoniens; que, dans
les pays où les hommes rassemblent plusieurs femmes,
pour le plaisir d'un seul, et les tiennent dans une en-
tière dépendance, la facilité de comparer et de juger de
sens froid doit décider leur choix en faveur de la beauté
naturelle telle que nous l'avons défmie, et que, dans nos
mœurs, la beauté, jouet éternel de nos opinions, varie à
tel point que la femme que nous appelons laide peut en-
lever, facilement et unanimement, à celle que nous di-
sons belle, riiommage et les désirs des hommes qui les
entourent (1). Mais si cette illusion est'possible, elle n'est
(1) Il n'est pas rare de voir au théâtre les roUes de femmes les
plus intéressantes rempUs par des actrices laides, tandis que lears
PAR CHODERLOS DE LACLOS 77
pas facile ; la nature, qui ne perd jamais entièrement ses
droits, déchire quelquefois le voile dont Tart cherchoit
à la couvrir. Souvent le flambeau de la vérité éclipse en
un moment les fausses lueurs d'une longue suitte de
prestige ; aussi les femmes commencent-elles toujours
par chercher à se donner l'apparence la plus favorable
à la jouissance proprement ditte ; c'est pour y parve-
nir qu'elles inventaient la parure.
confidentes sont à la fois jeunes et joUes. Quel spectateur alors
ne B*est pas surpris souvent désirant la laideur de l'une de pré-
férence à la beauté de l'autre ? Voilà le point de TiUusion
trouvé ; il ne s'agit plus que d*en prolonger le charme ; quelques
actrices célèbres ont prouvé qu'il ne cessoit pas toujours avec
la magie du spectacle qui Tavait fait naitre.
Note de Ch. de L.
CHAPITRE XII
DE LA PARURE
Nous connoissons deux sortes de parures ; Tune, qui
consiste à tenir le corps dans l'état de perfection dont il
est susceptible ; l'autre, à tirer le party le plus avanta-
geux des vêtements ou ornements dont le besoin, le ca-
price ou la raison, ont consacré l'usage. Quoique la pa-
rure soit soumise encore à plus de variations que la
beauté, dont elle est en quelque sorte le complément,
elle a cependant quelques règles généralles qui peuvent
convenir à tous les peuples et s'adapter à tous les
habillements. La parure est non seulement l'art de tirer
party des dons de la nature, mais encore celui de leur
prêter les charmes de l'imagination. Considérée sous ce
point de vue, elle devient un stimulant de la volupté ;
nous ne la croïons pas indigne de fixer l'attention même
des philosophes, puisqu'elle sert au bonheur de l'homme,
DB l'Éducation des fëuuës 79
en concourant à ses plaisirs. Il y avoit un champ aride
et pierreux, que traversoit une rivière, dont, à peine,
on voioit l'eau verte et stagnante sous les joncs dont elle
étoit couverte. On fait arracher les joncs ; on adonné du
cours aux eaux ; on a parc cette rivière en la tenant
dans l'état de perfection dont elle étoit susceptible ; on a
fait depuis planter des bois sur ces bords, et ce champ,
où personne n'alloit, est devenu un bosquet charmant
dont on chérit l'ombrage, on Ta paré à l'aide d'orne-
ments étrangers mais on a disposé ce bois de façon que,
quoiqu'il soit peu étendu, on croit être dans une forêt
immense ; on a paré ce bois en lui prêtant les charmes
de l'imagination : ce qu'on a fait dans ce champ, toutte
ou presque toutte femme peut l'exécuter sur elle. Si le
besoin inventa les 1^" vêtements, la parure en aug-
menta considérablement l'usage. Si l'on en excepte une
ceinture, utile à tous les peuples pour garantir les
parties du corps qui, étant le siège du toucher, sont na-
turellement délicates et sensibles, et quelques peaux de
bêtes, utiles à plusieurs pour les garantir des injures de
Tair, le reste est dû à la parure. On suit plus la qualité
des idées que la quantité des besoins. Si l'on nioit ce
fait, qu'on nous dise pourquoi les peuples policés de
rindoustan se vêtissent sous un ciel brûlant, tandis que
le sauvage groenlandois, vivant au milieu des glaces,
quitte ses habits en rentrant dans sa cabine pour ne les
reprendre que lorsque le froid excessif du dehors Ty
contraint? Celuy ci est mû par la crainte de la douleur,
l'autre suit l'attrait du plaisir ; le maure fortuné, placé
80 PAR CHODERLOS DE LACLOS
dans un climat où la nature s'empresse de prévenir ses
besoins, se livre à la volupté ; il veut conserver à tout
son corps une sensibilité qui n'est exercée que par le
plaisir : il reste vôtu ; le malheureux groenlandois, vivant
sous un ciel rigoureux, uniquement occupé de chercher
au milieu des glaces de la mer une subsistance qu'elle
ne lui accorde pas toujours, et que la terre lui refuse
constament, n'a d'idées que par ses besoins ; il cherche
à émousser une sensibilité qui, presque toujours, lui est
douloureuse ; il reste nud, dès qu'il peut se passer de vê-
tement. Les premiers effets, relatifs à la parure, que pro-
duisirent les vêtements, furent de conserver à nos corps
plus de sensibilité et de les rendre d'un toucher plus
doux ; bientôt l'adresse en scut encore tirer party, soit
pour voiler une difformité, soit pour faire présenter des
formes plus agréables, soit enfin pour fixer l'attention
sur ce qu'on vouloit offrir aux regards ; mais ces orne-
ments étrangers nous quittent dans le moment on sou-
vent leur illusion nous deviendroit plus nécessaire ;
alors, au contraire, les dons de la nature brillent de
tout leur éclat ; ils nous appartiennent davantage, ils
sont plus précieux, ils méritent notre 1** attention.
Femmes coquôtes et riches, vous croiez vous parer en vous
surchargeant d'ornements précieux ; vous vous applau-
dissez de l'admiration béante de la multitude Kéduitte
facilement par l'éclat de la richesse ; en effet, vous fixez
l'attention un moment ; mais vous rappelez bientôt ce
mot d'Appelé à son élève : ne pouvant la faire belle tu
la fais riche. Voulez-vous être réellement parées? En
DE l'Éducation des femmes 81
voicy les moyens : sachez d'abord vous astreindre à un
régime doux et salutaire ; c'est celui qui tient la santé ;
sans elle point de fraîcheur, et sans la fraîcheur point
de beauté ; fuiez surtout les veilles inutiles ; le repos sied
mieux encore que l'éclat trompeur des bougies ; ne vous
fatiguez par aucun excès ; vous serez belle même au
jour ; les nuits que vous déroberez à vos amusements
rendront plus précieuses celles que vous consacrerez à
vos plaisirs. Craignez également l'usage des boissons spi-
ri tueuses ; une peau unie ne couvre point un sang en-
flammé ; laissez aux femmes qui manquent de res-
sources, ce foible moïen d'exciter, par leur exemple, à
ce genre de débauche, dans l'espoir de profiter des désirs
qui les suivent et qu'elles n'auroient pu faire naître. Vous
êtes jeunes et belles: qu'avez- vous besoin de hqueur forte?
c'est d'amour qu'il faut vous ennivrer. Evitez les rayons
d'un soleil brûlant qui obscurciroit l'éclat de votre teint ;
ne laissez pas non plus gercer votre peau délicate par
rimpression d'un froid excessif, mais gardez-vous plus
encore d'une vie trop sédentaire ; les chairs mollissent
et perdent leur ressort dans l'air stagnant et étouffé de
vos appartements ; le frotement de l'air extérieur les
rend au contraire fermes et vivaces. Profitez en hiver,
du moment où la douce influence du soleil aura tempéré
la rigueur du froid. Soyez en été diligentes comme Tau-
rore ; semblables au lin que Ton prépare, c'est à la ro-
sée qu'il faut vous blanchir. Non contents de régler vos
actions, maîtrisez encore les affections de votre âme ; il
en est qui détruisent la beauté ; si vous ne réprimez des
5-
82 PAR CHODERLOS DE LACLOS
accès de colère trop fréquents, vos muscles acquerront
une mobilité dangereuse, et, bientôt, toute expression
deviendra une grimace. Le rire convulsif de la bruyante
gaîté produit, à moindre degré, des inconvénients de
même nature. Ne vous laissez jamais dominer par
rhumeur ; cet état de déplaisance intérieure se mani-
feste au dehors, et personne ne se soucie de plaire à
celle qui ne craint pas de déplaire aux autres. Si l'envie
ou Tambition vous dévorent, bientôt vos yeux caves,
votre teint plombé, votre excessive maigreur auront
terny votre beauté ; si vous vous livrez à la fureur du
jeu, la contraction fréquente de vos muscles usent bien-
tôt leur ressort ; la fatigue du jeu est, sans exception,
celle qui use le plus et le plus vite ; redoutez pourtant
aussi celle du plaisir, dans l'état d'épuisement qui le
suit ; vos yeux batus, vos lèvres flétries, vos joues déco-
lorées, ne scauroient faire naître des désirs qu'on s'apper-
çoit assez que vous ne pouvez plus partager. Telle est
un genre de parure trop peu connii peut-être, mais sur-
tout trop rarement pratiqué. Après ces 1*" soins, que
rien ne peut suppléer, il en est de plus faciles que
la volupté réclame ; encore il n'est point de parure sans
une propreté rigoureuse ; et, avant de chercher à vous
orner par des vêtements, dépouillez-vous, et entrez dans
le bain ; ne craignez pas d'en faire un usage journalier ;
pour obvier aux inconvénients qui pourroient le suivre,
accoutumez vous à les soutenir froids ; alors ils augmen-
teront votre élasticité, loin de la détruire ; si leur fraî-
cheur porte à la peau une légère atteinte, réparez cet
DK l'Éducation des femmes 83
effet par un cosmétique doux (1) effacez ensuite, par un
parfum léger, l'odeur fade ou aromatique qu'ils laissent
après eux ; usez mais n'abusez pas, on soupçonne volon-
tiers la femme qui se parfume trop d'y être portée par
quelque raison secretle ; sans cela, môme une odeur trop
forte, telle agréable qu'elle fût, détruiroit Tivresse en
détournant l'attention ; car ce n'est pas de la rose ou de
l'œillet, c'est de vous que vous voulez que votre amant
s'occupe ; qu'il puisse donc croire que vous-même exha-
lez le parfum qu'il respire ; dans ces soins solitaires,
n'imitez pas surtout ces femmes plus vaines que sen-
sibles, qui, satisfaites d'un triomphe passager, ne son-
gent qu'au public, et oublient leur amant; femmes
injustes, vous vous plaignez d'être bientôt abandonnées
par eux, vous les accusez de légèreté ; prenez-vous-en
à vous-mêmes de cette apparente perfidie ; votre figure
rieuse et fraîche leur avoit fait illusion, votre corps flé-
tri les a détrompés. La figure attire, mais c'est le corps
qui retient. L'âme est le filet et Tautre la cage ; mais
l'oiseleur prudent avant de tendre ses pièges, s'occupe
des moyens de conserver la proïe qu'il pourra faire ;
imitez-le dans ses précautions, puis vous songerez à em-
beUr votre figure ; ce soin demande encore quelques
(i) Il en est un simple et salubredont Tasage nousparolt trop
peu fréquent, et que nous énonçons volontiers icy : prenez de la
graine de pavot blanc, pilez-la dans un mortier, en y jetant de
l'eau en sorte que l'cspîîco de laict qui en provient soit plus
épais que clair; passez le tout, et servez-vous en au moins
toutte la semaine.
Note de Ch. de L,
84
PAR CHODERLOS DK LACLOS
réflexions ; l'art doit aider et non changer la nature.
Avant de vouloir comparer, examinez-vous et tâchez de
vous connoîtrc ; pour que l'expression de votre phisio-
nomie soit agréable, sachez choisir celle qui lui convient ;
si vos traits sont fins et délicats, si votre taille est petite,
n'affectez point un air de dignité qui deviendroit ridi-
cule ; si vos traits sont grandement dessinés, si votre
taille est avantageuse, laissez à d'autres les grâces en-
fantines ; trop d'embonpoint vous dépare et peut-être
l'eût-on oublié pour s'occuper de votre fraîcheur, mais
ce deffaut devient choquant si vous voulez paroître lé-
gères ; si vos yeux sont vifs et pleins de feu, inutilement
chercherez-vous à les rendre tendres ; vous ne ferez
qu'obscurcir leur éclat ; si au contraire ils sont doux et
caressants, vous détruiriez par une vivacité empruntée
le charme qu'ils auroient fait naître. Chacun d'eux a les
moyens qui leur conviennent et qui ne conviennent qu'à
eux ; arrivez à votre but par le chemin que la nature vous
a tracé ; c'est à la fois le plus sûr et le plus court ; que votre
regard vif agisse par intervalles ; que ses coups soient re-
doublés, mais distants ; que, semblable à l'éclair, il
éblouisse à la fois par la flame dont il brille, et par les
ténèbres qui l'environnent. Mais l'action d'un regard
tendre doit être continue ; il doit nous fixer pour nous
plaire, et dans nos cœurs, pénétrez pas à pas comme un
jour doux dans des yeux délicats. Ne créiez pas surtout
obtenir cette expression des seuls conseils de votre miroir,
elle tient à vos quaUtés intérieures. Voulez vous donner
plus de tendresse à vos regards ? Exercez la sensibilité
DE l'Éducation dks femmes 85
de votre âme. Voulez-vous accroître leur vivacité V Cul-
tivez votre esprit, augmentez le nombre de vos idées ;
en vain la nature vous aura accordé de beaux yeux, si
votre ame est froide, si votre esprit est vide, votre regard
sera nul et muet. Nous ne parlons icy que de cette
expression des regards qui ne tient ny à un sentiment
profond, ny à une sensation vide. On sçait assez que
les grands mouvements de l'âme ou des sens se
peignent dans les yeux en surmontant même les
obstacles qu'on leur oppose ; Tel est le droit de
la nature ; Part a cherché à l'imiter, et y est par-
venu : l'usage en est fréquent au théâtre, l'abus s'en est
glissé dans la société et les regards sont devenus men-
teurs et perfides. Il s'en fait sentir jusque dans la pa-
rure ; si Ton en croit les rapports des voïageurs, les
balladières dellndoustan scaventjàTaide d'une poudre,
donner à leurs regards l'expression du plaisir, en entre-
tenant dans leurs yeux ces larmes brûlantes que la
volupté fait répandre ; et sans recourir à leur récit,
nous voïons autour de nous les femmes européennes
faire briller leurs yeux de l'ardeur du désir, par le reflet
du rouge placé sur leurs joues.
[Ici s'arrête la dissertation de Chodei^los de ImcIos.]
LLVISONS DANGEREUSES
SOTES CREDITES DE CHARLES BAUDELAIRE
INTRODlCTIOy
Bien quen pensent Maxime du Camp et autres biographes
inférieurs, qui nont su voir en Baudelaire quun farceur
cynique ou un homme à bons mots, V auteur des « h leurs du
Mal », fut mieux quun fou singulier, La conception quil se
fit de toutes choses de la vie fut particulière. Sa manière cri-
tique et littéraire ne peut être entachée de banalité. En faut-il
conclure pour cela qu'il ne fut quune créature paradoxale ^
On a laissé aujourd' hui ces idées qui retardent pour juger
plus sainement ce prodigieux esprit. On recueille ses propos,
ses lettres^ ses projets ; et dans chacun de ces écrits on a
plaisir à retrouver ce goût subtil, cette analyse aigae, fine et
brusque qu'il fut seul à connaître et qui le placent parmi les
précurseurs des idées modernes, de celles-là même qui sont
les plus bienfaisantes.
Ce fut en i856. Vannée qui précéda la publication des
i( Fleurs du Mal », que Baudelaire projeta de rééditer les
88 INTRODUCTION
« Liaisons dangereuses » ; il voulait y inscrire en tête une
étude sur la vie et les œuvres de Choderlos et faisait à ce sujet
les recherches les plus minutieuses : « Mettez -moi de coté tout
ce que vous accrochez de Laclos et sur Lack-y » écrivait-il le
9 décembre 1856 à Poulet-Malassis{^). Plus tard, recevant le
catalogue du même Poule t-Malassis, où il relève avec indigna-
tion les noms de Sedaine, de Bièvre, Gilbert, J.-B. Rousseau,
il se considère « heureux de n'y voir ni Laclca ni son nom ».
// ajoute toutefois : « J'ai acheté la bonne édition des « Liai-
sons dangereuses. Si jamais cette idée galope de nouveau
dans votre tête, je verrai M. M. Quérard et Louandre,
Louandre m'ayant promis de me mettre en relation avec un
descendant (petit-Jîls ou petit-neveu) qui a des paquets de
notes » (*). Enjin le 30 octobre i86U, il écrivait de Bruxelles à
Poulet'Malassis pour que celui-ci accueille fasi^orablement une
raduction du « Satyricon » de Pétrone (^) (( un ouvrage sur
lequel je serai fier de coller mon nom et un travail critique
sur Laclos (*). // en fut de ces projets d* éditions comme de bien
d'autres idées de Baudelaire; son étude sur Laclos ne vit
pas plus le jour que les travaux ou réimpressioris qu il projetait
et qui, remarquons-le, nous manquent encof^e aujourd'hui,
tels des « Morceaux choisis de Rétif »
Ce livre sur Choderlos de Laclos lui avait tenu à cœur ce-
(*) Charles Baudelaire. — Œuvres posthurrues et correspon-
dances inédites .. publiées par Crépet, 1887, in-8'p, iSg.
(2) Id. p. i54, lettre du 28 mars 1857.
(3) Ce travail non publié a été annoncé sous ce titre : Le Ban*
quet de Trimaîcion de Pétrone, traduit par Charles Baude-
laire.
(*) Crépet, p. 227.
INTRODUCTION 89
pendant ; daranl qu'il y travaillait, il avait même refusé à son
éditeur d'écrire une étude sur Crébillon fils, « Non pas de Cré-
billon, écrit-il le 18 mars iS57 ; c'est bien assez de C autre pour
lequel je me donnerai beaucoup de mal» (*). Et deux jours
après : « Excepté en faveur de Laclos, je n écris plus rien » (*).
Qu'hélaient donc devenues ces notes qu'aucun des 6io-
graphes de Baudelaire n'avaient connues et dont touSy ce-
pcndant, devaient concevoir i intérêt ; « Les liaisons dange^
reuses :i> jugées par Vauteur des « Fleurs du Mal! > Il eut
été dommage que nous fussions complètement privés de ce
document et nous devons ici témoigner toute notre reconnais-
sance à M. Alfred Dégis, qui /'a recueilli et le conserve dans
ses archives y pour avoir bien voulu nous permettre de le repro-
duire. Sans doute, telles quelles se présentent, ces notes sont
imparfaites ; mais leur imperfection même est intéressante :
<ii Biographie — Notes — Intrigue et caractère — Citations
pour servir au caractère. y>Il y avait là tous les éléments d* une
étude sérieuse et fouillée. Si ces quelques notes nous donnent
le regret de ne pas avoir le document en son entier, consolons-
nous à la lecture des quelques belles phrases que le poète y a
semées et des pensées hautes que le crlt'ique y énonce (').
(*) Crépet, p. i/ig.
(*) Crépet, p. 149. Lettre du 38 mars 1857.
(3) Nous noterons ici, pour satisfaire le goût des minutieux
que les notes de Baudelaire sont en partie écrites sur des bulle-
tins de souscription au Parnasse contemporain cditc par Alphonse
Lemcrre et sur des avis de recouvrements et de traites de la
maison Poulct-Malassis.
Nous ajouterons aussi que nous nous faisons un devoir de pu-
blier intégralement le manuscrit de Baudelaire.
BIOGRAPHIE
Biographie mighaud
Pierre- Ambroise-François Choderlos de Laclos, né à
Amiens en 1741.
A 19 ans, sous-lieutenant dans le corps royal du génie.
Capitaine en 1778, il construit un fort à l'Ile d'Aix.
Appréciation ridicule des Liaisons dangereuses par la
Biographie Michaud, signée Beaulieu, édition 181 g.
En 1789, secrétaire du duc d'Orléans. Voyage en An-
gleterre avec Philippe d'Orléans .
En 91, pétition provoquant la réunion du champ de
Marâ.
Rentrée au service en 92, comme maréchal de camp.
Nommé gouverneur des Indes françaises, où il ne va
pas.
A la chute de Philippe, enfermé à Picpus.
(Plans de réforme, expériences sur les projectiles).
Arrêté de nouveau, relâché le 9 thermidor.
92 DE l'éducation des feumes
Nomme secrétaire général de l'administration des
hypothèques.
Il revient à ses expériences militaires et i*entre au
service, général de brigade d'artillerie. Campagnes du
Rhin et d'Italie, mort à ïarente, 5 octobre i8o3.
Homme vertueux, « bon fils, bon père, excellent
époux )).
Poésies fugitives.
Lettre à l'Académie française en 1 786 à Toccasion du
prix proposé pour l'éloge de Vauban (i44o millions).
France littéraire de quérard
La première édition des Liaisons dangereuses est de
1782.
Causes secrètes de la Révolution du g au 10 thermidor,
par Vilate, ex-juré au tribunal révolutionnaire. Paris.
1795.
Continuation aux Causes secrètes, 1796.
Louandre et Bourquelot.
Il faut, disent-ils, ajouter à ses ouvrages Le Vicomte de
Barjac,
Erreur, selon Quérard, qui rend cet ouvrage au marquis
de Luchet.
Hatin.
Si octobre an II de la Liberté, Laclos est autorisé à
NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 93
publier la correspondance de la société des Amis de la
Constitution séante aux Jacobins.
Journal des Amis de la Constltation.
En 1791, Laclos quitte le journal qui reste aux
feuillants.
II
NOTES
Ce livre, s'il brûle, ne peut brûler qu'à la maniire de
la glace.
Livre d^histoire.
Avertissement de Téditeur et préface de l'auteur (sen-
timents feints et dissimulés).
— Lettres de mon père (badinages).
La Révolution a été faite par des voluptueux.
Nerciat (utilité de ses livres).
Au moment où la Révolution française éclata, la no-
blesse française était une race physiquement diminuée
(de Maistre).
Les livres libertins commentent donc et expliquent la
Révolution.
— Ne disons pas : Autres mœurs que Us nôtres, disons :
Mœurs plus en honneur qu aujourd'hui.
96 DE l'éducation des femmes
Est-ce que la morale s'est relevée ; non, c'est que Téncr- '
gie du mal a baisse. — Et la niaiserie a pris la place de
l'esprit.
La fouterie et la gloire de la foutcric étaient-elles plus
immorales que cette manière moderne d'adorer et de
mêler le saint au profane ?
On se donnait alors beaucoup de mal pour ce qu'on
avouait être une bagatelle, et on ne se damnait pas plus
qu'aujourd'hui.
Mais on se damnait moins bêtement, on ne se pipait
pas.
George S and.
Ordure et gérémiades (i).
(i) La femme Sand est le Prud'homme de l'immoraUté. Elle a
toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la
contre-morale. Aussi elle n'a jamais été artiste. Elle aie fameux
style coulant, cher aux bourgeois.
Elle esthète, elle est lourde, elle est bavarde. Elle a, dans les
idées morales, la même profondeur de jugement et la même dé-
licatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues.
Ce qu'elle a dit de sa mère ; ce qu'elle dit de la poésie. Son
amour pour les ouvriers. ''*'
Georges Sand est une de ces vieilles ingénues qui né veulent
jamais quitter les planches.
Voir la préface de M^^« La Quintinief où elle prétend que les
vrais chrétiens ne croient pas à l'enfer. La Sand est pour le
Dieu des bonnes gens, le dieu des concierges et des domestiques
filous.
Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'enfer.
Ch. Baddelaire. Mon cœur mis à nu (XXII), publié par Gré-
pet, p, loi.
^
NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 97
En réalité, le satanisme a gagné. Satan s'est fait ingénu.
Le mal se connaissant était moins affreux et plus près de
la guérison que le mal s'ignorant. G. Sand inférieure à de
Sade.
Ma symphathie pour le livre. Livre de
Ma mauvaise réputation. moraliste aussi
Ma visite à Billaut. haut que les plus
Tous les livres sont immoraux. élevés, aussi profond
que les plus profonds.
— A propos d'une phrase de Valmont (à retrouver) :
i Le temps des Byron venait.
/^ h Car Byron était préparé y comme Michel- Ange.
.' Le grand homme n'est jamais aérolithe.
Chateaubriand devait bientôt crier à un monde qui n'a-
vait pas le droit de s'étonner :
II ne faut pas croire que le diable ne lente que les hommes
de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dé-
daigne pas leur concours. Bien au contraire, il prend ses
grands espoirs sur ceux-là.
Voyez Georges Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre
chose, uviQfjrosse hète\ mais elle est possédée, c'est le diable qui
l^a persuadée de se fier à son bon cœur et à son bon sens afin
qu^elle persuadât toutes les autres grosses bétes de se fier à leur
bon cœur à et leur bon sens.
Je ne puis penser à cette stupide créature sans frémissement
d horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empècher de
lui jeter un bénitier à la tôtc.
(Ch. B., Mon cœur mis à nu, XXIII, Crépet, p. loi-a.
G
98 DE l'éducation des feumes
« Je fus toujours vertueux sans plaisir ; j'eusse été
criminel sans remords. »
Caractère sinistre et sataniquc.
Le satanisme badin.
Gomment on faisait l'amour sous l'ancien régime.
Plus gaîment, il est vrai.
Ce n'était pas l'extase, comme aujourd'hui, c'était le
délire.
C'était toujours le mensonge, mais on n'adorait pas son
semblable. On le trompait. ^ mais on se trompait moins
soi-même.
Les mensonges étaient d'ailleurs assez bien soutenus
quelquefois pour induire la comédie en tragédie.
— Ici comme dans la vie, la palme de la perversité reste
à [la] femme.
(Laufeia). Fœmina simplex dans sa petite maison.
Manoeuvres de l'Amour.
Belleroche. Machines à plaisir.
Car Valmont est surtout un vaniteux. 11 est d'ailleurs gé-
néreux, toutes les fois qu'il ne s'agit pas des femmes et de sa
gloire.
— Le dénouement.
La petite vérole (grand châtiment)
La Ruine.
Caractère général sinistre.
NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 99
La dclcslablc liumanité se fait un enfer préparatoire.
— L'amour de la guerre et la guerre de Tamour. La
gloire. L'amour de la gloire. Vahnont et la Merteuil en
parlent sans cesse, la Merteuil moins.
L'amour du combat. La tactique, les règles, les mé-
thodes. La gloire de la victoire.
La stratégie pour gagner un prix très frivole.
Beaucoup de sensualité. Très peu d'amour excepté chez
M"" de ïourvel.
— Puissance de l'analyse racinicnne.
Gradation.
Transition.
Progression.
Talent rare aujourd'hui, excepté chez Stendhal, Sainte-
Beuve et Balzac (i).
Livre essentiellement français.
Livre de sociabilité, terrible, mais sous le badin et le
convenable.
Livre de sociabilité.
Une note manuscrite, d'une main quelconque, mais
que Baudelaire destinait évidemment à son article, ainsi
qu'en témoigne la mention qu'il écrivit lui-même en lête:
Liaisons dangereuses^ était jointe à ce dossier n® 2 :
(i) Excepte Chateaubriand, Balzac, Slcndhal, Mérimée, de Vigny,
Flaubert, Banville. Gautier, Leconte de Lisle, toute la racaille
moderne me fait horreur : Ltf^^-tf d .U. Ancelle, iS février 186G.
Crêpe t. Inlrod. lxxxv.
100 DK l'kducation dks femmes
(( Celle (li'^fcnsc (qui s*attaclie aux émigrés et à leurs en-
treprises) surprendra peu les hommes qui pensent que la
llévolulion française a pour cause principale la dégradation
morale do la noblesse.
« M. de Saint-Pierre observe quelque part, dans ses
Etudes sur la nature, que si l'on compare la figure des
nobles Français à celle de leurs ancêtres, dont la peinture
et la sculpture nous ont transmis les traits, on voit à Tévi-
dence que ces races ont dégénéré. »
Considérations sur la France, ^p. 197, de l'édition sous la
rubrique de Londres, 1797, in-8.
m
INTRIGUE ET CARACTÈRES
Intrigue,
Comment vient la brouille entre Valmont et la Mer-
teuil.
Pourquoi elle devait venir.
La Merteuil a tue la Tourvel.
Elle n'a plus rien à vouloir de Valmont.
Valmont est dupe. Il dit à sa mort qu'il regrette la
Tourvel, et de l'avoir sacrifiée. Il ne l'a sacrifiée qu'à son
Dieu, à sa vanité, à sa gloire, et la Merteuil le lui dit même
crûment, après avoir obtenu ce sacrifice.
C'est la brouille de ces deux scélérats qui amène les
dénouements.
Les critiques faites sur le dénouement relatif à la Mer-
teuil.
Caractères,
A propos de M"* de Rosemonde, retrouver le por-
6-
102 DE l'éuucatiuiN dks femmes
trait des vieilles femmes, bonnes et tendres, fait par la
Merteuil.
Cécile, type parfait de la détestable jeune fdlc, niaise et
rensuelle.
Son portrait, par la Merteuil, qui excelle aux portraits.
(Elle ferait bien môme celui de la Tourvel» si elle n'en
était pas horriblement jalouse, comme d'une supériorité)
Lettre XXXVIII.
La jeune fille. La niaise, stupideet sensuelle. Tout près
de l'ordure (i) originelle.
La Merteuil. TartuEFe femelle, tartuffe de mœurs, tar-
tuffe du xviii' siècle.
Toujours supérieure à Valmont et elle le prouve.
Son portrait par elle-même. Lettre LXXXI. Elle a
d'ailleurs du bon sens et de l'esprit.
Valmont, ou la recherche du pouvoir par le Dandysme
et la feinte de la dévotion. Don Juan.
La présidente [^QXjXei appartenant à la bourgeoisie. Ob-
servation importante). Type simple, grandiose, attendris-
sant. Admirable création. Une femme naturelle. Une Eve
touchante. — La Merteuil, une Eve satanique.
UAnceny (sic), fatigant d'abord par la niaiserie, devient
intéressant. Homme d'honneur, poète et beau diseur.
M"* de Rosemonde. Vieux pastel, charmant portrait à
(i) Baudelaire avait d'abord écrit da péché originel*
NOTKS INKDITKS DK CD. BAUDKLAIRE 103
barbes et a tabatière. Ce que la Merleuil dit des vieilles
femmes.
C'Ualions pour servir aux caractères.
({ Que me proposez-vous ? de séduire une jeune fille
qui n*a rien vu, ne connaît rien... Vingt autres y peuvent
réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de Tentrcprise
qui m'occupe ; son succès m'assure autant de gloire que
de plaisir. L'amour, qui prépare ma couronne, hésite lui-
mônie entre le myrte et le laurier... »
Lettre IV. — Valnionl àM"^^ de Merleuil,
(( J'ai bien besoin d'avoir cette femme pour me sauver
du Ridicule (i) d'en être amoureux... J'ai, dans ce mo-
ment, un sentiment de reconnaissance pour les femmes
faciles, qui me ramène naturellement à vos pieds. »
Lettre IV. — Valmont à M'^* de Merleuil .
« Conquérir est notre dessein : il faut le suivre. »
Lettre W . — Valmonl à A/°* de Merleuil,
(Note: car c'est aussi le dessein de M'"* de Merteuil.
Rivalité de gloire).
(( Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion
forte. ))
Lettre IV. — Valmont à la Merleuil.
(i} Le manuscrit de Baudelaire porte un R. majuscule.
104 DE l'Éducation des femmes
Rapprocher ce passage d'une note de Saint-Beuve sur
le goût de la passion dans l'Ecole Romantique.
« Depuis sa plus grande jeunesse, jamais il n'a fait un
pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il
n'eut (i) [un projet qui ne fut malhonnête ou criminel]..
Aussi, si Yalmont était entraîné par des passions fou-
geuses ; [si, comme mille autres, il était séduit par les
erreurs de son âge, en blâmant sa conduite, je plaindrais
sa personne, et j'attendrais, en silence, le temps où un
retour heureux lui rendrait l'estime des gens honnêtes]
Mais Valmont n'est pas cela... etc.
Lettre IX. — il/'"' de Volanges à la présidente de Tourvel,
(( Cet entier abandon de soi-même, ce délire de la
volupté, où le plaisir s* épure par son excès, ces biens de
l'amour ne sont pas connus d'elle... Votre présidente
croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme
son mari, et dans le tètc-à-téte conjugal le plus tendre,
on est toujours deux. »
Lettre V. — La Merteuil à Valmont,
(Source de la sensualité mystique et des sottises amou-
reuses du 19* siècle.)
(( J'aurai cette femme. Je Tenlèverai au mari qui la
profane (G. Sand). J'oserai la ravir au Dieu même qu'elle
(i) La citation de Baudelaire s'arrêtait à ce mot. Pour la
rendre intelligible nous avons cru bon de la rétablir toute.
NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE lOo
adore (Valmont satan, rival de Dieu). Quel délice d'être
lour h tour l'objet et le vainqueur de ses remords ! Loin
de moi l'idée de détruire les préjuges qui rassicgcnt. Ils
ajouteront à mon bonlieur et à ma gloire. Qu'elle croie
à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie... qu'alors, si j'y
consens, elle me dise : « Je t'adore ! »
Lettre VL — Valmont à la MerteuiL
« Après ces préparatifs, pendant que Victoire s'occupe
des autres détails, je lis un chapitre du Sopha, une lettre
d^Héloïse^ et deux contes de La Fontaine, pour recorder
les différent tons que je voulais prendre. »
Lettre X. — La Merteuil à Valmont.
« Je suis indigné, je Tavoue, quand je songe que cet
homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine,
en suivant tout bêtement linstinct de son cœur, trouve une
félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh ! je la trou-
blerai ! ))
Lettre XV. — Valmont à la Merteuil.
(( J'avouerai ma faiblesse. Mes yeux se sont mouillés
de larmes... J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en
faisant le bien... »
Lettre XXL — Valmont à la MerteuiL
Don Juan devenant tartuffe et charitable par intérêt.
Cet aveu prouve à la fois l'hypocrisie de Valmont, sa
haine de la vertu, et, en môme temps, un reste de sensi-
106 DE L^ÉDUCATION DES FEMMES
bilité par quoi il est inférieur â la Merteuil, chez qui tout
ce qui est humain est calcine.
(( J'oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit,
j'ai demandé à ces beaux yeux de prier Dieu pour le succès
de mes projets. »
Lettre XXI. — (Impudence et raffinement d'impiété.)
(( Elle est vraiment délicieuse... Gela n'a ni caractères,
ni principes. Jugez combien [sa société sera douce et
facile]... En vérité, je suis [presque jalouse de celui à qui
ce plaisir est réservé].
Lettre XXXVIII. — La Merteailà Valmont.
(Excellent portrait de la Cécile.)
(( Il est si sot encore qu'il n'en a pas seulement obtenu
un baiser. Ce garçon-là fait pourtant de fort jolis vers !
Mon Dieu I que ces gens d'esprit sont bêtes ! »
Lettre XXXVIII. — La Merteuii à Valmont,
(Commencement du portrait de Danceny, qui attirera
lui-môme la Merteuil).
(( Je regrette de n'avoir pas le talent des filoUs....*. Mais
nos parents ne songent à rien. »
Suite de la Lettre XI. — Valmont à la Merteuil.
« Elle veut que je sois son ami » f La malheureuse vic-
time en est déjà là) (( Et puis-je me venger moins
d'une femme hautaine qui semble rougir d'avouer
qu'elle adore? »
NOTES INÉDITES DE CH. BAUDELAIRE 107
Lettre LXX. — Valnionl à la Merleuil,
A propos de la Vicomtesse :
(( Le parti le plus difficile ou le plus gai est toujours
celui que je prends ; et je ne me reproche pas une bonne
action, pourvu, qu'elle m'exccrce ou m'amuse.
Lettre LXXL — Valmont à la Merleuil.
(Portrait de la Merteuil par elle-même.)
« Que vos craintes me causent de pitié 1 Combien elles
me prouvent ma supériorité sur vous!..,. Être orgueilleux
et faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens
et juger de mes ressources ! »
(La femme qui veut toujours faire l'homme, signe de
grande dépravation. )
« Imprudentes, qui dans leur amant actuel ne savent
pas voir leur ennemi futur. » « Je dis : mes principes
Je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage.»
(( Ressentais-je quelque chagrin J'ai porté le zèle
jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher
pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis tra-
vaillée avec le môme soin pour exprimer les symptômes
d'une joie inattendue. »
i( Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents
auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent
leur réputation, et [je ne me trouvais encore qu'aux pre-
miers éléments de la science que je voulais acquérir].»
108 DE l'éducation des femmes
« La tête seule fermentait. Je ne désirais pas de jouir,
je voulais SAVOIR » (George Sand et autres)
Lettre LXXXL — La Mcrteuil à Valmonl.
Encore une touche au portrait de la petite Volanges
par la Merteuil :
(( Tandis que nous nous occuperions à former cette
petite fille pour l'intrigue [ nous n'en ferions qu'une femme
facile].... Ces sortes de femmes ne sont absolument que
des machines à plaisir. ))
Lettre CVL — La Merieuil à Valmoni,
« Cet enfant est réellement séduisant. Ce contraste de
la candeur naïve avec le langage de l'effronterie ne laisse
pas de faire de l'effet ; et je ne sais pourquoi, il n'y a plus
que les choses bizarres qui me plaisent. »
Lettre CX. — Valinont à la MerteuiL
Valmoni se glorifie et chante son futur triomphe :
(( Je la montrerai, dis-je, oubliant ses devoirs Je
ferai plus, je la quitterai Voyez mon ouvrage et cher-
chez-en dans le siècle un second exemple ! .
Lettre GXV. — Valmont à la MerteuiL
(Citation importante).
La note et l'annonce de la fin.
Champleury.
Lui écrire.
iNOTES INKDITES DE CH. BAUDELAIRE 109
Voici cette noie finale des Liaisons dangereuses, à laquelle
Baudelaire l'ait allusion :
(( Des raisons particulières et des considérations que
nous nous ferons toujours un devoir de respecter, nous
forcent de nous arrêter ici.
Nous ne pouvons, dans ce moment, ni donner au lecteur
la suite des aventures de M*"' de Volanges. ni lui faire
connaître les sinistres événements qui ont comblé les mal-
heurs ou achevé la punition de M'"" de Mcrtcuil.
Peut-être quelque jour, nous sera-t-il permis de com-
pléter cet ouvrage ; mais nous ne pouvons prendre aucun
engagement à ce sujet : et quand nous le pourrions, nous
croirions encore devoir auparavant consulter le goût du
public, qui n'a pas les mêmes raisons que nous de s'inté-
resser à celte lecture.»
Note de V éditeur.
Baudelaire, se proposait sans doute d'écrire à Gham-
pleury, mieux fourni que lui en curiosités de toutes
sortes, pour s'informer si cette seconde partie avait jamais
été publiée par Choderlos de Laclos.
Peut-être aussi la phrase fmale de la note de l'éditeur
avait-elle porté sa pensée sur la vérité du récit : et il au-
rait alors voulu demander h Ghampleury la clef des liai-
sons dangereuses.
DOCUMENTS
POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA VIE
DE CHODERLOS DE LACLOS
[Archives NationaleSf P 4686.]
DOCUMENTS
SUR CHODERLOS DE LACLOS (i)
Section de La Montagne. I/an deuxième de la République
4« Région Françoise et le quatorze du
deuxième mois.
Par devant nous, Jean Lacoste, juge de Paix de la
section de la Montagne, assisté de notre greffier ordi-
naire ;
Sont comparus les citoyens Pierre-Henry Caplain,
Pierre Rivaux, membres du Comité Révolutionnaire
de Saint-Cloud,y demeurant^ et Serize, greffier du dit
Comité.
Lesquelx nous ont présenté, pour être rendu à Tins-
tant, un arretté du Comité de Sûreté générale de la
Convention en datte du jour d'hier, signé : Vadier,
Voulland, Louis de Bosrhis, Bayle, La Vicomterie et
(i) Archives NationaUSy F 4686.
114 DE l'Éducation des femmes
Jagot, portant que le nommé Laclos sera saisi par-
tout où il se trouvera et mis sur-le-champ en état
d'arrestation [dans la maison] dite delà Force ou tout
autre maison de détention.
Que les autorités constituées et tout dépositaire de
la force publique sont chargés de l'exécution du pré-
sent arretté.
Nous, en conséquence,lesdits citoyens sus-nommés,
[requis] de nous transporter de suite Cour des Fon-
taines, Palet (sic) égalité, maison où loge ledit La-
clos, a l'effet de tout ce que dessus, et encore d'appo-
ser nos scellés sur les titres et papiers, ont signé avec
nous, après lecture, signé : Caplain, Rivaux, Serize,
Jean La Coste, juge de Paix, et Sarazin, secrétaire-
greffier.
Nous, juge de Paix, susdit et soussigné, assisté de
notre greffier ordinaire et accompagné comme des-
sus, nous nous sommes transporté cour des Fon-
taines, Palet égalité, maison où loge ledit Laclos,
dans laquelle étant au deuxième sur ladite cour, nous
y avons trouvé ce citoyen, son épouse, et d'autres ci-
toyens. Avons exibé audit Laclos Tarretté susnommé
du comité de Sûreté générale de la Convention. Il
nous auroit dit qu'il n'empéchoit l'exécution du sus-
dit arretté, mais seulement observé qu'il étoit étonné
des motifs qui ont fait prendre cet arretté, que, en ce
moment même, il se disposoit à aller au champ
d'épreuve, butte Montmarte, où il devoit trouver le
ministre de la Marine et deux membres du Comité de
DOCUMEiNTS SUR CHODERLOS DE LACLOS 115
Salut Public pour une expérience de guerre fort im-
portante; qu'il étoit chargé, par le même ministre et
avec l'agrément du comité du Salut Public, d'une sé-
rie d'expérience de guerre également importantes, et
qui ont également été retardés à l'époque où elles dé-
voient comencer, par une première arrestation, par
suite de laquelle il est encore en ce moment sous le
cautionnement du citoyen représentant Laurent
Guyot, de la Côte-d'Or, dont le patriotisme est bien
connu ; nous a, au même instant, ledit Laclos, repré-
senté son portefeuille, dont même présence que des-
sus, y avons trouvé onze pièces. Celle cottée neuf en
datte du vingt neuf septembre dernier, signée Dalba-
rade, ministre de la Marine, portant ordre audit La-
clos de rester à Paris pour la suite des expériences
dont il étoit chargé, ledit ordre donné par le Comité
de Salut Public. De cette pièce et des dix autres, par
nous cottées paraphées, en avons composé une liasse
qui sera déposée au Comité de Sûreté générale de la
Convention ainsi que le présent procès verbal.
Ce fait, ledit Laclos nous a ouvert les meubles et
placards fermans a clefs et étant dans ses apparte-
ments, et après vérification scrupuleusement faite et
n'ayant trouvé aucun papier, si ce n'est dans son se-
crétaire, pratiqué dans les murs de son cabinet, sur
lequel nous avons apposé nos scellés aux extrémités
d'une bande de toille blanche, après l'avoir fermé
avec la clef restée en nos mains ; desquels scellés nous
avons etably gardienne a justice la citoyenne Marie-
il6 DE l'Éducation des femmes
Margueritte-Julie Coquet (i)(5/^), femme de Jean-Fran-
çois Dupuis, cuisinier, elle, attachée au service de la
citoyenne Laclos, et a la charge par elle de les repré-
senter quant et à qui il appartiendra.
Fait et clos ledit jour, mois et an que dessus, onze
heures du matin, et ont tous les susnommés et la
gardienne, signé avec nous. Signé : Laclos, Caplain,
Rivaux, Serize, Jean Lacoste, juge de paix, Coquet et
Sarrazin, greffier, pour expédition conforme à la mi-
nute étant au greffe.
Sarrazin, secrétaire-greffier.
(i) II faut lire Poquet ainsi qu'on peut le voir par la requête
adressée par cette femme lorsqu'elle quitta le service de M"»* La-
clos (Cf. Doc, n» XVIIo).
IV
Tableau à remplir par le comité de surveillance de
la section de la Montagne sous sa responsabilité, dans
le délai de huit jour s ^ à compter du jour de sa récep-
tiun.
Nom du détenUy son domicile avant sa détention , son
âge^ le nombre de ses enfants^ leur âge ; où ils sont;
s* il est veuf y garçon ou marié,
Pierre-Amboise-François Chaderlos Laclos, ex-
noble, demeurant cour des Fontaines, maison Egalité^
n^ iiij ;
Agé de 33 ans ;
A deux enfants, l'un âgé de 9 à 10 ans et Tautre, de
5 à 6, tous deux demeurant chez lui avec leur mère,
même maison, n*" 11 10;
Est marié.
»>•
118 DE L^ÉDUCATION DES FEMMES
[2« colonne]
Le lieu où il est détenu ; depuis quand ; à quelle épo-
que; par quel ordre ; pourquoi,
A la maison d'arrêt de Picpus et précédemment à
la Force ;
Depuis quatre mois et demi, arrêté le 14 brumaire
par ordre du Comité de Sûreté générale, nous en
ignorons le motif.
[3® colonne]
S a profession avant et depuis la Révolution,
Officier d'artillerie depuis Tannée 1760 jusqu'au
29 mai 1791, époque de sa démission;
Secrétaire surnuméraire des commandements de
d'Orléans, depuis le commencement de Tannée 1789
jusqu'au i^^ octobre 1792;
Commissaire du Pouvoir exécutif dans le courant
d'août de la même année. Rentré au service dans le
courant de septembre en qualité de chef de brigade,
jusqu'au 21 septembre dernier, époque où il donna sa
démission ; a depuis et jusqu'au moment de son arres-
tation été employé par le ministre de la Marine et le
Comité de Salut public, à différentes expériences et
nouveaux moyens de guerre; à ce qu'il nous a assuré.
[4® colonne]
Son revenu avant et depuis la Révolution,
Se composait, avant la Révolution, de i.8oo L de
DOCUMENTS SUR CUODERLOS DE LACLOS 119
rentes provenant de la succession de son père, plus
de 5 à 6.000 1. du chef de sa femme, plus ses appoin-
temens de capitaine en i^^"^ d'artillerie.
En 1789, il a eu, de plus, 6.000 1. d'appointemen
de d'Orléans ; à datter de 1790, ils ont été réduits à
4000 1., ensuite à 3.000, puis supprimés au 1^' octo-
bre 1792;
Au i^^ juin 1791, il a obtenu une pension de retraite
de 1.800 1. ; en 1792, il hérita de sa mère d'environ
1.200 à 1.400 1. de rentes. Son revenu actuel est de
1.000 à 1.200 ]., ayant vendu le reste dans le dessein
d'acquérir un tond d'industrie qui le met à même de
faire vivre sa famille. Tel est le résultat de son dire.
[5* colonne]
Ses relations, ses liaisons.
Avant la Révolution, il voyait beaucoup de no-
bles ; au commencement de la Révolution il fut de
deux clubs qui étaient composés, en grande partie, de
nobles ; les Lameth, les d'Orléans en fesaient partie ;
ces deux clubs étaient, l'un, rue des Bons-Enfants,
à la ci-devant chancelerie, sous le nom de Club des
Patriotes^ l'autre galerie du jardin de la Révolution,
sous le nom de Club National, Dans ce tems-là ils
jouissaient d'une assez bonne réputation, mais ac-
tuellement que les traîtres sont démasqués, il se trouve
qu'il y a de ses membres qui sont émigrés, ou arrê-
tés, ou frappés de mort comme conspirateurs.
Depuis la dissolution de ces clubs, Laclos n'avait
120 DE l'éducation des femmes
pour sa société que son épouse, ses enfants et son
frère, lequel est aussi en état d'arrestation.
[6* colonne]
Le caractère et les opinions politiques quHl a montrés
dans les mois de mai, juillet et octobre ijSç; au
lo août ; à la fuite et à la mort du tyran ; au ji mai et
dans les crises de la guerre ; s'il a signé des pétitions
ou arrêtés liberticides.
Homme de génie, très froid et très fin, auteur des
Liaisons dangereuses (i), orateur : dans le cours de
notre Révolution et dans ses époques les plus mémo-
rables il s'est comporté, à Paris, d'une manière à
plaire à tous ; ce qui lui a valu la confiance d'une
grande partie de notre section ; cependant les vrais
républicains ont à lui reprocher d'avoir été complai-
sant, de n'avoir point employé tout son talent à com-
battre la faction ennemie de la République qui exis-
tait alors dans notre section. Nommé commissaire à
la Commune pour l'affaire du lo août, il en a été re-
jette par le scrutin épuratoire, motivé sur ce qu'il
avait été un des auteurs de la scission de la Société
des Jacobins, qu'il quitta pour se réunir aux Feuillans.
Dans notre section, il fut un de ceux qui parla contre
la Commune du lo août. Nommé électeur, il n'ac-
cepta point ; ce fut dans ce temps qu'il fut appelle par
le Conseil exécutif à une fonction militaire. Il nous a
(i) Ces mots rejet es au bas de la 5« colonne.
DOCUMENTS SUR CHODERLOS KE LACLOS 121
été assuré que c'est lui qui proposa aux Jacobins la
pétition qui a dû être signée au Champ de Mars, le
17 juillet 1791 ; la motion ayant été adoptée, il en fut
un des rédacteurs.
Paris, le 16 ventôse, Van deux de la République,
Fait en notre Comité Révolutionnaire de la section
de la Montagne, ce i" prairial, Tan deux de la Répu-
blique une et indivisible.
Signé : Jobert ; Lemerlier, com-
missaire ; Frété, commissaire;
JiENCK, commissaire; Briant-
Baillet, commissaire ; Simon,
commissaire ; Boubon, prési-
dent; xMazurier, commissaire ;
Jarlat, commissaire ; Mottbt,
commissaire; Daoust-Danbau-
TON, commissaire.
IIP
l»e Division. Paris, le 13 brumaire, l'an 2* de la Répu-
ARTILLERIE blique une et indivisible.
(i)
V adjoint de la V^ division du ministère de la
Marine au citoyen Choderlos Laclos,
Le ministre auquel j'ai remis, citoyen, la lettre que
vous m'avez adressée pour lui, a arrêté qu'il se ren-
drait demain, à midi, sur la butte Montmartre pour
assister à l'expérience des culots ; que je l'accompa-
gnerais et qu'il préviendrait lui-même les Représen-
tants du Peuple.
Vous pouvez donc faire toutes les dispositions con-
venables.
Signé : Chap patte.
(i) Première pièce de la liasse.
IV<
!'• Division. Paris, le i2>«« jour du 2»« mois de la
ARTILLERIE 2mt année républicaine.
(0
L'adjoint de la /'* division du ministère de la
Marine au citoyen Choderlos Laclos^ à
Paris.
Je vous fais passer, citoyen, copie d'une lettre du
citoyen Dupin au ministre. Vous y verrez que le com-
missaire Rolland a reçu ordre de mettre à votre dis-
position la bouche à feu et les attirails nécessaires
pour soumettre à Texpérience les culots que vous
avez fait fabriquer à Tarsenal. Vous voudrez donc
bien vous concerter avec ce commissaire et arrêter le
jour où Texpérience pourra avoir lieu.
Le Représentant du Peuple Treillard vient de de-
mander au ministre, par la lettre d*hier, qu'il étoit
prêt à remettre à la disposition de la Marine les châ-
teau neuf et petit parc de Meudon. L'intention du
(i) Deuxième pièce de la liasse.
124 DE L EDUCATION DES FEMMES
ministre est en conséquence que vous vous transpor-
tiez sur les lieux avec le citoyen Mandard, demain
entre neuf et dix heures du matin, pour prendre pos-
session du local et en donner décharge à qui de
droit.
Signé : Chappatte.
Vo
l'« Division. Paris, le 5 octobre 1793, l*an 2« de la Ré-
ARTILLERIE publique une et indivisible.
L adjoint de la V^ division du ministère delà
Marine au citoyen Choderlos Laclos ^ gène-
rai de brigade^ à Paris,
Le ministre a reçu, citoyen, la lettre par laquelle
vous lui représentez que la méthode qu'on a adoptée
pour charger les canons a boulets rouges sur les
vaisseaux de la Republique, peut être susceptible
d'inconvénient, et que vous pensez qu'il seroit possi-
ble de les éviter en employant des culots de bois et
de toile, dont Tusage a eu le plus grand succès à Tlsle
d'Aix et à T Ecole de la Fère. Cette proposition ayant
fixé toute Tattention du ministre, il me charge de
vous autoriser a faire exécuter six des culots que vous
vous proposez, afin qu'on puisse les soumettre à une
nouvelle expérience.
(i) Troisième pièce de la liasse.
126 DE l'éducation des frmmks
Je pense que si vous vous entendiez pour cet effet
avec le commissaire ordonnateur de Tartillerie il
pourrait vous procurer des facilités pour faire exécu-
ter ces culots à l'arsenal de Paris.
Signé : Chappatte.
vr
Copie de la lettre du citoyen Du pin (i), ad-
joint au ministre de la Guerre^ an mi-
nistre de la Marine.
Paris, le lo® jour du 2» mois de Tan 2« de la République
une et indivisible.
Aussitôt votre lettre du 27 reçue, le ministre a fait
passer des ordres au commissaire Rolland, à l'arsenal,
pour qu'il ait à vous procurer, dans le plus court dé-
lai, la pièce de canon de 24 ou de 18 montée sur son
affût avec les autres objets dont vous avez besoin pour
l'expérience que vous désirez faire.
Signé : Chappatte.
(i) (Juatriètm pieu de la liasse.
VIP
!'• Division. Paris, le i8« du !•'' mois de la 2* [année]
ARTILLERIE de la République Française.
(0
Copie d'une lettre écrite par le ministre de la
Marine à celui de V Intérieur,
Le citoyen Choderlos Laclos a reconnu, mon cher
collègue, que le petit château de Meudon offroit
toutes les facilites désirables pour l'exécution des
expériences ordonnées par le Comité de Salut public.
Je vous prie donc de vouloir donner des ordres pour
que je puisse disposer de cette maison et de ses dé-
pendances, tant que Tobjet auquel elle sera destinée
l'exigera.
Pour copie : Chappattb.
(i) Cinquième pièce de la liasse.
viir
l^^ Division. Paris, le 27* jour du i*' mois de la se -
ARTILLERIE conde année républicaine.
(0
V adjoint de la /" division du ministère de la
Mariné au citoyen Choderlos Laclos,
Je vous donne avis, citoyen, que je viens d'écrire
au ministre de la Guerre pour le prier de faire déli-
vrer de Tarsenal le canon et les attirails d'artillerie
qui vous sont nécessaires pour soumettre à Texpé-
rience les culots dont vous avez proposé de faire usage
dans le tir à boulets rouges.
Comme je pense que les ordres du ministre de la
Guerre seront adressés au commissaire Roland, vous
voudrez bien vous concerter avec lui et, lorsque vous
aurez arrêté le jour de Texpérience, en prévenir le mi-
nistre afin qu*il puisse engager le comité de Salut pu-
blic à nommer un de ses membres pour y assister.
Signé : Chappatte.
(i) Cinquiènu pièa (bis) de la liasu, (Il y a eu erreur de nu-
mérotation par le greffier.)
IXo
!'• Division. Paris, le 28*^ jour du V^ mois de la 2*
AFF. SECRÈTE année républicaine.
(0
L'adjoint de la /'« division du ministère de la
Marine aux citoyens Choderlos Laclos ei
Bertholet,
Je vous donne avis,citoyens,que le ministre a donné
les ordres nécessaires pour qu'il soit remis sur-le-
champ, à la disposition du citoyen Laclos, une somme
de i.^oo 1. pour acquitter les menues dépenses aux
quelles donneront lieu les opérations dont vous êtes
chargés.
Je vous préviens aussi que le ministre autorise le
citoyen Mandard, ingénieur, à suivre avec vous, les
expériences dont il s'agit.
Signé : Chappatte.
(i) Sixième de la liasse.
x«
!'« Division. Paris, le 28® jour du i«' mois de la se-
ARTILLERIE condc année républicaine.
(0
L adjoint de la /'* division du ministère delà
Marine aux citoyens Choderlos Laclos et
Bertholet.
Le citoyen Pinelly, ingénieur, propose, citoyens, de
soumettre à rexperience, des boulets incendiaires de
son invention. Le ministre ne voulant rejetter aucune
des découvertes dont le but est d*?ugmenter les
moyens de défense, sans être assuré qu'elle ne peut
remplir son objet, se propose de procurer au citoyen
Pinelly les moyens d'exécuter quelques-uns de ces
boulets ; mais il désirerait avant que vous lui fissiez
connaître si rien ne s'opposera à ce qu'ils soient sou-
mis à répreuve dans l'établissement qui va se former
à Meudon.
Signé : Chappattb.
(i) Septième de h liasse.
Xlo
l'« Division. Paris, le 4* jour du 2« mois de la Répu-
MARINE blique une et indivisible.
(0
L'adjoint du ministre de la Marine au citoyen
Choderlos Laclos,
Je vous adresse ci-jointe, citoyen, copie d'un arrêté
du Comité de Salut public du 29 du mois dernier^ en
conformité duquel le ministre vous a désigné pour
l'un des commissaires chargés de suivre les expé-
riences qui ont été faites à la Fère, le 20 août 1793
(vieux stlle), et qui doivent être continuées immédia-
tement au château de Meudon. J'écris au ministre de
la Guerre pour qu'il donne ordre de vous fournir les
objets qui vous seront nécessaires.
Vous voudrez bien vous conformer à ce que cet ar-
rêté vous prescrit. L'agent dont il y est question sera
nommé incessamment.
Signé : Chappattb.
(x) Huitième de la liasse.
XIIo
Paris, 29 septembre 1793, l'an 2* de la République une et
indivisible (i).
Au cilqyen Choderlos Laclos,
Citoyen,
Je suis autorisé, par le Comité de Salut public, à
vous donner Tordre de restera Paris pour la suite des
expériences dont vous êtes chargé.
Le ministre de la Marine et des Colonies,
Signé : Dalbarade.
( I ) Neuvième de la liasse.
XIIIo
5* division. Paris, le 6 septembre 1795, Tan 2 de la Ré-
MARINE publique.
(»)
V adjoint de la $^ division au citoyen Choder-
los Laclos^ général de brigade à Paris,
Je vous préviens, citoyen, que le ministre de la Ma-
rine m*a chargé de vous ordonner de vous tenir prêt
à partir pour vous rendre à Rochefort et y continuer
les expériences que vous avez commencées à La Fère,
d'après l'autorisation du Comité de Salut public. Vous
recevrez incessamment l'ordre du jour fixe de votre
départ; vous vous concerterez, pour Texécution de
cette expérience avec les citoyens Guiton-Morveau,
représentant du Peuple,et Berthollet, commissaire des
Monnaies, et<ipour le détail avec le citoyen Fabre, ca-
pitaine d'artillerie.
Signé : P.-A. Adbt.
(2) Dixièt?te et dernière de la liasse.
XIV<
Aux citoyens représentants composant le comité de Sûreté
générale de la Convention nationale.
La maison dans laquelle j'occupe un appartement,
cour des Fontaines, maison Egalité, a été vendue à la
citoyenne Saint- Val, l'aînée. Mon mari n'a loué que
jusqu'au i«' janvier (vieux stil), lo nivos, notre très
modique fortune ne nous permet point de garder un
loyer tel qu'en veut aujourd'hui la citoyenne Saint-
Val.
Je prie donc le Comité de vouloir bien ordonner au
citoyen Lacoste, juge de paix de la section de la Mon-
tagne, qui a apposé les scellés chez mon mari, lors de
son arrestation, de les lever, assisté de telles per-
sonnes que le Comité voudra désigner et en présence
de mon mari détenu à Picpus.
Ordonner que les papiers suspects, s'il y en a au-
cuns, seront déposés, avec le procès-verbal, au Comité
de Sûreté générale et par ce moyen, le Comité pourra
examiner la conduite civique et politique de mon
mari dans la Révolution.
H6 DK l'Éducation des femmrs
Je ne vois pas. citoyens, qu'il puisse y avoir aucuns
obstacles à m*accorder cette demande, je la renou-
velle (i) n'ayant plus que quatre jours pour être à la
fin de mon loyer.
Femme Laclos.
26 X*>«"« ou 6 nivos, l'an second, la République françoise
une et indivisible, Paris,cour des Fontaines,matson Saint-
Val, n<» XI13.
(i) Une requête conçue dans les mêmes termes se trouve éga-
lement dans ce dossier. Elle porte la date du i^' nivôse. Ces
deux pièces sont de la main de M""* Laclos.
XVo
Section de la butte des moulins ^ Comité de surveillance.
Du 1793) ^'^Q deuxième de la République irançoise
une et indivisible.
Convention nationale. Comité de Sûreté générale et de surveillance
de la Convention nationale, dn dix mai 1793 ^ l'an second de la
République françoise une et indivisible.
Le Comité, après avoir délibéré sur différentes péti-
tions du citoyen Choderlos, détenu à Tabbaye depuis
le sept avril dernier, arrête que ce citoyen sortira de
prison ; et qu'il sera reconduit chez lui en état d'ar-
restation, sous la surveillance d'un garde qu'il payera,
et qui sera désigné par le Comité de surveillance de
la section de la Butte des moulins que le Comité de
Sûreté générale charge de mettre le présent arrêté à
exécution.
Les membres du Comité de Sûreté générale de la
8
138 DK l'édi'cation des femmes
Convention nationale. Signé : G. Basire Alqjjier, J.-
F. Ravère. Pour copie conforme.
Signé : Azur, secrétaire.
Pour copie conforme de la copie étant au Comité
de la section de la Butte des moulins.
Signé : Comminge, président; Larade, secrétaire
xvr
Du II frimaire l'an 3*.
Vu les pièces relatives au citoyen Pierre-Ambroise-
François Choderlos Laclos, détenu dans la maison
dite le Luxembourg, sur la considération d'une dé-
tention très longue aggravée par son état de misère et
de maladie.
Le Comité arrête que ledit Choderlos Laclos sera,
sur-le-champ, mis en liberté et les scellés levés s'ils
ont été apposés.
Signe : Garnier, de TAube ; P. Barras, Bourdon,
de rOise ; Clauzbl, Laiguelot, Méaulle, Harmaine.
CoUationné à l'original.
Reçu l'original : du Perré, femme Choderlos.
xvir
9 nivôse an III. Levée des scellés.
Marguerite-Julie Poquet, femme de J.-F. Dupuis^
cuisinier^ quittant le service de M^^ Laclos^ requit de
fC avoir plus la garde des scellés,
€ Déférant à la réquisition qui précède, nous, juge
de paix, susdit et soussigné, assisté de notre greffier
ordinaire, nous sommes transportés palais Egalité,
cour des Fontaines, maison et appartement dudit ci-
toyen Laclos, dans lequel étant, nous y avons trouvé
la citoyenne Marie Soulanges Duperré, son épouse, à
laquelle nous avons déclaré le motif de notre trans-
port. Elle nous auroit dit qu'elle ne s'opposoit nulle-
ment a ce que nous établissions une autre gardienne
de nos scellés. » La garde des scellés fut alors confiée
« à la citoyenne Marie-Anne Mantot, fille majeure,
attachée, dès ce moment, aladitte citoyenne Laclos ».
Le 28 décembre ijps^ Marie Soulanges Duperré rece^
vait un arrêté du Comité de Sûreté générale en vertu
duquel Choderlos de Laclos^ détenu à Picpus^ serait
extrait de la prison pour assister à la levée des scellés.
DOCUMENTS SUR CIIODEIlLOS DE LACLOS 141
< Et le neuf nivôse audit an, quatre heures de re-
levé, nous, juge de paix, susdit et soussigné, assisté
de notre greffier ordinaire, en exécution de notre or-
donnance rendue sur l'arrêté susdit, nous nous sommes
transportés cour des Fontaines, maison et apparte-
ment dudit citoyen Laclos, dans lequel étant, nous y
avons trouvé le citoyen Jean-Guillaume Yonck,
membre du Comité Révolutionnaire de notre section,
le citoyen Claude-Etienne Parnel, et le citoyen Fran-
çois-Joseph Devos, les deux derniers au service du
Comité Révolutionnaire, aux quels susnommés nous
avons déclaré le motif de notre transport et présenté
Tarrété susdit au Comité de Sûreté générale de la Con.
vention, ils nous auroient répondu qu'ils n'empe-
choient son exécution, en conséquence et sur la re-
présentation qui nous a été faite par laditte citoyenne
Marie-Anne Meantot, gardienne des scellés par nous
apposés dans le cabinet du citoyen Laclos sur son se-
crétaire, nous les avons reconnus sains et entiers et le-
vés en présence de tous les susdits comparants, nous
avons ensuite fait Touverture du susdit secrétaire avec
la clef qui étoit en nos mains et par ledit citoyen
Yonck et nous, a été procédé a Texamen des papiers
renfermés, dans lesquels il ne s'en est trouvé aucuns
suspects, tous relatifs aux anciennes fonctions dont il
étoit chargé. Mais sur la réquisition du citoyen Laclos
avons décrit les pièces suivantes pour lui servir et va-
loir ce qu'il appartiendra.
La première est une lettre du citoyen Bouchotte,
142 DE l'éducation des femmes
ministre de la Guerre, en datte du vingt-un sep-
tembre dernier, lequel annonce audit citoyen Laclos
que sa démission du grade de général de brigade a
été acceptée par le Conseil exécutif.
La seconde, signée Boncourt en Tabsence de l'adjoint
de la cinquième division du département de la xMarine
et des Colonies, est dattée du premier octobre dernier
(vieux stile), laquelle est adressée audit citoyen Laclos
et porte que sa démission de la place de gouverneur
des Etablissements du Cap a été acceptée par le Conseil
exécutif. Enfin, deux autres pièces qui sont extraites
de diférentes délibérations de l'Assemblée générale
de notre section qui ont apellé ledit citoyen Laclos
a diférentes commissions depuis le dix aoust mil sept
centquatre-vingt-douze, lesquelles pièces cy-dessus dé-
crites ont été à l'instant rendues à ce citoyen ainsi que
la clef de son secrétaire, le tout ainsi qu'il le réclamoit.
Et attendu que par l'examen susdit nos opérations
se trouvent terminées, avons déchargé laditte ci-
toyenne Meantot de la garde de nos scellés, et fait re-
mise de la personne dudit citoyen Laclos aux citoyens
Yonck, Parnel et Devos pour la parfaite mention de
Tarrêté du Comité de Sûreté générale et de sur-
veillance de la Convention.
Pour tout ce que dessus il a été vacqué jusqu'à sept
heures sonnées, et attendu qu'il ne s'est plus rien
trouvé à décrire, dire ni déclarations a recevoir, nous
avons clos le présent lesdits jour, mois et an que des-
sus, heure susditte, et ont lesdits comparan signé
DOCUMENTS SUR CUODERLOS DE LACLOS 143
avec nous après lecture et non la gardienne qui a per-
sisté dans sa déclaration qu'elle ne sait signer, et ses
honnoraires en sa ditte qualité fixés a vingt sols par
jour du dix-huit brumaire jusque et compris ce jour-
d*hui, lesquels lui seront payés par ledit citoyen La-
clos dans le cas où elle feroit la réclamation. Signé :
Parnet, Yonck, P. Choderlos, Devos, Laclos, Jean
Lacoste, juge de paix, et Sarasin. secrétaire-greffier.
Pour expédition conforme a la minute étant au
greffe délivrée par nous, secrétaire-greffier de Paix,
susdit et soussigné le treize nivôse de Tan second de
la Republique Françoise une et indivisible.
Sarrazin, secrétaire-greffier.
XVIII°
Au quartier général de Tarente, 15 fructidor an XI.
Gêné rai y premier consul ^
Je profite de quelques instants qui me restent en-
core à vivre pour dicter les derniers vœux de mon
cœur. Je désire, Général, premier consul, qu'ils vous
soient connus.
Le bonheur de ma patrie, le succès de vos armes, le
sort de ma malheureuse famille, voilà ce qui m'oc-
cupe au moment où tout va finir pour moi,
La triste position de mon épouse et de mes trois en-
fants que je laisse absolument sans ressources, m'af-
flige ; mais Tespoir dans lequel je suis que vous les
secourrez me fait mourir plus tranquille. Cette conso-
lante idée, qui me ranime un instant, me donne en-
core la force de vous assurer de toute la sincérité du
dévouement et de Tadmiration que j'ai eus et que je
conserverai pour vous jusqu'à mon dernier soupir.
J'ai l'honneur (i)...
(i) Publiée par le capitaine d'artillerie Patrice Mahondansun
article de la Sahretache (no 100, 30 avril 1901). Les servius de
Choderlos de 1/7^05(1792-1803).
XIX*
Armes de la famille du général Choderlos
de Laclos.
Chef, — Neuf guillettes d'argent sur un fond d'azur.
Ecusson, — Sur un fond d'argent, deux lances de
sable en sautoir. Les flammes de gueules.
Supports. — Deux sauvages appuyés sur leur lance.
Devise. — « Prodeo et rege ».
Le tout surmonté d'un casque (antique) (i).
(i) Bibliothèque Nationale, Ms, Fr. 12.845.
Ce manuscrit, formé de 143 feuillets, comprend en outre :
Fol. 2. Poésies. Des beaux esprits je hais la vanité..»
Fol. 6. La procession.
Fol. 10. Les désirs contrariés.
Fol. 12 et passim. Correspondance entre M«« Riccoboni et
Choderlos de Laclos. Lettre de M. Duchastellier.
Fol. 18. Epitre à M<»* la marquise deMontalembert.
Fol. 22. Epitre à la Mort.
Fol. 35. Manuscrit autographe des Liaisons dangereuses. [He
paraît pas avoir servi pour l'impression et contient des variantes
9
146 DE l%:dit.ation des femmes
et quelques fragments inédits de peu d'importance]. Le traité
pour l'édition avec Durand, libraire (1782), y est joint.
Fol. 128. Lettre d'Alexandre Pieyre sur Laclos et son ou-
vrage.
Fol. 130. Lettre de M™* Vve Laclos ii M. Pieyre.
Fol. 131. Lettres du fils Ch. de Laclos aux auteurs de la Bio-
graphie, sur Lacretelle [polémique relative au rôle de Laclos pen-
dant la Révolution] et les Liaisons dangereuses.
Fol. 139. ce Notice sur le général de La Clos », par E. Pari
set (Moniteur du 13 décembre 1803), etc..
Saint-Amand (Cher). — Imprimerie BUSSIÈRE.
■'<ï:
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Tari». - linpiiincri»* II. l!iiiiillatii. i^. rue S#*r|»onlP
3767^. 022