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OEUVRES
DE
MONTESQUIEU.
DE L'ESPRIT DES LOIS.
TOME CINQUIEME*
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DE L'ESPRIT
DES LOIS,
P»* MONTESQUIEU.
TOME CINQUIEME.
ÉDITION STÉRÉO! ÏPE,
D'iprài le procédé deFirminDiDOT.
APAKIS,
OEL'lHPItlMIIIII IT DE LA FOBDEUI ftittK<mm
ME FiiiiBt DIDOT l'aIké , n DE fravur DIUOT.
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DE L ESPi
DES LO
LIVRE TRENTIE
THEORIE DES LOIS FEODALES CHEZ LES FMAlTCS^
LE RAPPORT QU*ELLES OITT AVEC l'ÉTABUSSEMEITT
SE LA MOITÀRCHIE.
CHAPITRE PREMIER.
Des lois féodales.
J S croiroîs qa'il y auroît une imperfection
dans mon ouvrage si je passois sous silence
un éTènement arrivé une fois dans le monde ,
et 'pii n'arrivera peut-être jamais ; si je ne
pa *lois de ces lois que Ton vit paroitre en un
moment dans toute TEurope, sans qu'elles
tinssent à celles que Ton avoit jusqu'alors con-
nues ; de ces lois qui ont fait des biens et des
maux infinis; qui ont laissé des droits quand
on a cédé le domaine; qui , en donnant à plu-
sieurs personnes divers genres de seigneurie
sur la même chose ou sur lés mêmes person-
nes, ont diminué le poids de la seigneurie
entière; qui ont posé diverses limites dans des
empires trop étendus ; qui ont produit la règle
€ BE ^'esprit des lois.
avec fCne inclinaison à Tanarcliie, et Tanarchie
avec une tendance à Tordre et à Tharmonie.
Ceci demai\dtfroit un ouvrage exprès ; mais ,
vu la nature de celui-ci , on y trouvera plutôt
ce^ lois comn^ je lés ai envisagées que comme
je les ai traitées.
C'est un beau spectacle que celui des loit
féodales; un chêne antique s'élève (i); l'œil en
i^oît de loin les feuillages; il approche, il en
voit la tige ; mais il n'en apperçoit point les ra-
cines : il faut percer la terre pour les trouver.
CÙAPITRE IL
Des sources des lois féodales.
Les peuples qui conquirent l'empire ro-
main étoient sortis de la Germanie. Quoique
peu d'auteurs anciens nous aient décrit leurs
mœurs, nous en avons deux qui sont' d'un
très grand poids. César, faisant la guerre aux
Germains , décrit les mœurs des Germains (a);
et c'est sur ces mœurs qu'il a réglé quelques
unes de ses entreprises (3). Quelques pages de
César sur cette matière sont des volumes.
Tatite fait un ouvrage exprès sur les mœurs
des Germains. Il est court cet ouvrage ;*mais
(i) ; Quantum Tertice ad auTM
ActLberéas, tantùm radiée in tartara tendit.
YlEOILS.
--(a) Liv. 'VI.— (3) Par exemple, sa retraite d*AlI^
luagne. luit/.
IITAE XXX, GHÀP. II. 7
c-est l'ouvrage de Tacite, qui abrégéoit tout «
parcequ'il voyoit tout.
Ces deux^ auteurs se trouvent dans un tel
concert avec les codes des lois des peuples bar-
bores que nous avons, qu'en Usant César et
Tacite on trouve par-tout ces codes , et qu'en
lisant ces codes on trouve par-tout César et
Tacite.
Que si, dans la recherche des lois féodales ,
je me vois dans un labyrinthe obscur , plein
de routes et de détours , je crois que je tiens le
bout du fil , et que je puis: marcbÂr^
CHAPITRE III.
Origio^ du vassebge.
« OiiSÀjL (i) dit que les Grennains ne s'at-
« tachoiept point à l'agriculture , que la plun
« part vivoient de lait , de fromage et de chair ;
c que personne n'avoit de lerres ni de Unîtes
« qui lui fussent propres ; que les princes et les
« magistrats de chaque nation doniipient aux
« particuliers la portion de terres qu'ils vou-
a loient et dans le lieu qu'ils vouloient, et les
« obligeoient l'année suivante de passer ail-
<t leurs. » Tacite dit (a) « que chaque prince
a avoit une troupe de gens qui s'attachoient à
« lui et le suivoient. » Cet auteur, qui dans sa
( i) Liv. YI de la Gaerre det Gaule». Tacite ajoute :
liciUi domos, amager, ant aliqna cora ^ prout ad
qnemque venere aluntur. De moribos Gcrm.— (a) là»
^ DE L^ESFRIT DES tdIS.
IfOigae leur donne un nom qui. a du rapport
avec leur état, les nomme (i) compagnons.
Il y avoil entre eux une émulation (2) singu-
lière pour obtenir quelque distinction auprès
du prince , et une même émulation entre les
princes sur le nombre et la bravoure de leurs
compagnons. « C'est, ajoute Tacite , la dignité,
«c'est la puissance d'être toujours^ entouré
« d'une foule de jeunes gens que Ton a choisis ,
« c'est un ornement dans la paix , c'est un rem-
it part dans la guerre. On se rend célèbre dans
« sa nation et chez les peuples voisins si l'on sur-
it passe les autres par le nombre et le courage
«t de ses compagnons : on reçoit des présents;
« les ambassades viennent de toutes parts.
«t Souvent la réputation décide de la guerre.
« Dans le combat il est honteux aU prince
« d'être inférieur en courage ; il est honteux à
« la troupe de ne point égaler la valeur du
«prince; c'est une infamie éternelle de lui
« avoir survécu. L'engagement le plus sacré ,
/ ^ c'est de le défendre. Si une cité est en paix ,
« les princes vont chez celles qui font la guerre;
« c'est par-là qu'ils conservent un grand nom-
« bre d'amis. Ceix-ci reçoivent d'eux le cheval
« du combat et lejavelot terrible. Les repaspeu
« délicats , mais grands , sont une espèce de
« solde pour eux. Le prince ne soutient ses
« libéralités que par les guerres et les rapines.
n Vous leur persuaderiez bien moins delaboa-
(i) Comités. — (a) De moribns Germ.
.LITES XXX, CKÀP. IIU g
c rer la terre et d'attendre l'année , que d'ap<-
« peler l'ennemi etdereeevoir des blessures;
« ils n'acquerront pas par la sueur ce qu'ils
a peurent obtenir par le sang. »
Ainsi chez les Germains il y avoit des Tas-
saiix et non pas des fi^s ; il n'y avoit point de
fiefs, parceque les princes n'avoient point de
terres à donner ; ou plutôt les fiefs étoient des
chevaux de bataille , des armes , des repas. Il
y avoit des vassaux , parcequ'il y avoit des
hommes fidèles qui étoient liés par leur pa-
role , qui étoient engagés pour la guerre , et
qui faisoient à peu près le même service que
l'on fit depuis pour les fiefs.
CHAPITRE IV.
Continuation da même sujet.
CiiÊSÀK (i) dit que, « quand un des princes
« déclaroit à l'assemblée qu'il avoit formé le
« projet de quelque expédition et demandoit
«qu'on le suivit, ceux qui approuvoieut le
« chef et l'entreprise se levoient et offroient
« leur secours. Ils étoient loués par la multi-
« tûde. Mais, s'ils ne rempiinoient pas leurs
« engagements , ils perdoient la confiance pu-
«blique, et on les regardoit comme des dé-
« scrteurs et dos traîtres. »
Ce que dit ici César et ce que nous avons
_^— ^-^— — ^— — ^^— — ^
(i) De bello OaUico , liv. \l.
F.8PII. DES 1.0IS. 5. 2
zo >>s l'esprit des lois.
dit dans le chapitre précédent après Tacite est
le germe de l'histoire de la première race.
Il ne faut pas être étonné qae les rois aient
toujours eu à chaque expédition de nouTelles
armées à refaire , d'autres troupes à persua-
der, de nouYclles gens à engager; qu'il ait
fallu pour acquérir beaucoup qu'ils répan-
diiisent beaucoup; qu'ils acquissent sans cesse
par le partage des terres et des dépouilles , et
qu'ils donnassent sans cesse ces terres et ces
dépouilles; ^e leur -domaine grossît conti-
nullement, et qu'il diminuât sans cesse ; qu'un
père qui donnoit à un (de ses enfants un royau-
me y joignît toujours Un trésor ( i) ; que le.trë-
tor du roi fut regardé comme nécessaire à la
monarchie; et qu'iin roi (a) ne pût, même
pour la dot de sa fille , en faire part aux étran-
gers sans le consentement des autres rois. La
monarchie avoit son allure par des ressorts
qu'il falloit toujours remonter.
CHAPITRE V.
De la conquête des Franci.
Il n'est pas ▼rai.que les Francs , entrant dans
(i) Voyez la Vie de Dagobcrt.— (a) Voyez Gré-
goire de Tours , liv. VJ , sur le mariage de la fille de
Ghilpéric. Childebert lui envoie dea ambassadeurs
pour lui dire qu'il n*ait point à donner deg-nlles dii
royaume de son père à sa fille, ni de ses trésors, ni
des serfs, ni des eheiraux, ni des cavaliers, ni de»
nitelages de bccnfs , etc.
LITRE XXX, CSÀP. T. II
la Gaule , aient occupé toutes les terres du
pajs pour en faire des fiefs. Quelques gens ont
pensé ainsi parcec[u*ils ont vu sur la fin de la
seconde race presque toutes les terres deve-
nues des fiefs , des arriere-fiefs , on des dépen-
dances de l'un ou de l'antre ; mais cela a en des*
causes particulières qu'on expliquera dans la
suite, t
" La conséquence qu'on envoudroit tirer que
les barbares firent un règlement général pour
établir par-tout la servitude de la glèbe n'est
pas moins fausse que le principe. Si , dans un
temps où les fiefs étoient amovibles , toutes les
terres du royaume avoient été des îiitH ou des
dépendances des fiefs ^et tous les hommes du
royaume des vassaux ou des serfs qui dépen-
doient d'eux ; comme celui qui a les biens a
toHJonrs aussi la puissance , le roi, qui aurôit
diiEposé continuellement des fiefs , c'est-à-dire
dei'u^ique propriété , auroit eu une puissance
aussi arbitraire que celle du sultan l'est en
Turquie; ce qui renverse toute l'histoire. '
CHAPITRE VI.
Des Gollis, des Bourguignons, et des Francs.
LiES Gaules furent envahies par les nations
germaines. Les Wisigoths occupèrent la Nar-
le reste.
14 DB L*ESP&IT DES LOIS.
Il ne £9Lut pas douter que ces barbares n'aient
conservé dans leurs concpétes les mœurs, les
inclinations et les usages qu'ils avoient dans
leur pays , parcequ'une nation ne change pas
dans un instant de manière de penser et d'a-
gir. Ces peuples , dans la Germanie , culti-
voient peu les terres. Il paroît, par Tacite et
César, qu'ils s'appliquoîent beaucoup à la vie
pastorale ; aussi les dispositions des codes des
lois des barbares roulent-elles presque toutes
sur les troupeaux. Roricon , qui écrivoitlTiis-
toire chez les E^rancs , étoit pasteur.
CHAPITRE VII.
Différentes manières de partager les terres.
JjES Goths et les Bourguignons ayant pé-
nétré sous divers prétextes dans l'intérieur
de l'empire, les Romains, pour arrêter leurs
dévastations , furent obligés de pourvoir àleur
subsistance. D'abord ils leur donnoient du
bled (i ; dans la suite ils aimèrent mieux leur
donner dés terres. Les empereurs , ou sous
leur nom les magistrats romains (2), firent
des conventions avec eux sur le partage du
pays, comme on le voit dans les chroniques et
(i) Voyez Zozinie, liv. V, sur la distribution da
hlcd demandée par Alaric. — (2) Bnrgnadiones par-
tem Galliae ocrnpaverant, terrasqne cam Gallicis
senatoribos diviserunt. Chronique do Marins sur
Tan 456.
fmmmt
Z.XTRE XXX, CHÀP. YII« 1^
dans les codes des Wisigoths (i) et des Bour-
guignons (a).
Les Francs ne saÎTirent pas le même plan*
On ne trouve dans les lois saliques etripuaires
aucune trace d'un tel partage ae terres : ils
ayoient conquis , ils prirent ce qu'ils voulu-
rent , et ne firent de règlements qu'entre eux.
Distinguons donc le procédé des Bourgid-
gnons et des Wisigoths dans la Gaule, celui de
ces mêmes Wisigoths en Espagne , des soldats
auxiliaires (3) sous Augustule et Odoacre en
Italie, d'avec celui des Francs dans les Gaules
et des Vandales e;a Afrique (4). Les premiers
firent des conventions avec les anciens liabi-
tants , et en conséquence un par.tage.de terres
avec eux; les seconds ne firent rien de tout
^a.
CHAPITRE VIII.
ContiniiatioKi da m^me sujet.
Oe qui donne l'idée à'une grande usurpa-
tion des terres des Romains par les barbares ^
c'est qu'on trouve , dans les lois des Wisigoths
et des Bourguignons^ que ces deux peuples
eurent les deux tiers des terres : mais ces deux
(i) Liv. X, tit. I, §.8, 9, et 16.— (a) Ch.LIV,
$. I et-a ; et ce partage subsistoit du tempe de Louis-
le-DéboDnaire , comme il paroît par son capitulairc
de Tan 839, qui a été inséré dans la loi des Bour-
guignons, tit. LXXIX, S- »•— (3) Voyes Procope»
^aerre des Gotbs. — U) Guerre des Vandales.
a.
x4 DIS l'esprit des lois.
tiers ne furent pris que dans de certains quar-
tiers qu'on leur assigna.
Gondebaud dit (i) , dans la loi des Bourgui-
gnons y que son peuple , dans son établisse-
ment, reçut les deux tiers des terres; et il est
dit dans le second supplément à* cette loi (2)
qu'on n'en donneroit plus que la moitié à ceux
qui viendroient dans le pays. Toutes les terres
n'avoient donc pas d'abord été partagées entre
les Romains et les Bourguignons.
On trouve dans les textes de ces deux règle-
ments les mêmes expressions ; ils s'expliquent
donc l'un et l'autre. Et , comme on ne peut pas
entendre le second d'un partage universel des
terres, on ne peut pas non plus donner cette
signification au premier.
Les Francs agirent avec la même modéra-
tion que les Bourguignons ; ils ne dépouillèrent
pas les Romains dans toute l'étendue de leurs
conquêtes. Qu'auroient-ils îuàt de tant de ter-
res? Ils prirent -celles qui leur convinrent , et
laissèrent le reste.
(i) Licet eo tempore qno populns noster manci-
pioram tertiam çt diias terrarom partes accepit, etc.
Loi des Bourguignons , tit. LFV, $. i.— (a) Ut non
amplius a Burgundionibns qui infràvenerunf reqtd-
ratnr quàm ad prsesens nécessitas fnerit ^ medietaS
lerrae. Art. ii.
I.ITEX XXX, CHAP. IX. l5
CHAPITRE IX.
Snalte application de la loi des Bonrgnignons et dtt
celle des Wisigotlis sur le partage des terres.
Il faut considérer que ces partages ne furent
point faits par un esprit tyrannique , mais dans
ridée de subvenir aux besoins mutuels des
deux peuples qui dévoient hal^r le même
pays.
La loi des Bourguignons veut que chaque
Bourguignon soit reçu en qualité d'hôte chez
un Romain. Cela est conforme aux mœurs
des Germains , qui , au rapport de Tacite (i),
étoient le peuple delà terre qui aimoit le plus
a exercer Thospitalité.
La loi veut que le Bourguignon ait les deux
tiers des terres , et le tiers des serfs. Elle sui-
voit le génie des deux peuples , et se confor-
jDioit à la manière dont ils se procuroient la
subsistance. Le Bourguignon qui faisoit paitre
des troupeaux avoit besoin de beaucoup de
terres et de peu de serfs ; et le grand travail de
la culture de la terre exigeoit que le Romain
eût moins de glèbe , et un plus grand nombre
de serfs. Les bob étoient partagés par moitié,
parceque les besoins à cet égard étoient les
mêmes.
On voit dans le code des Bourguignons (a)
(i) De moribas Germ. — (2) Et dans celui des Wi^
■if;oths.
t6 DE l'esprit des lois*
que chaque barbare fut placé chez chaque Ro«
main. Le partage ne fut donc pas général :
mais le nombre des Romains qui donnèrent le
partage fut égal à celui des Bourguignons qui
le recurent. Le Romain fut lésé le moins qu'il
fat passible : le Bourguignon, guerrier, chas-
seur et pasteur, ne dédaignoit pas de prendre
des friches; le Romain gardoit les terres les
plus propres à la ^culture: les troupeaux du
Bourguignon engraissoient le champ du Ro-
main.
,, CHAPITRE X.
Des servitades.
Il est dit (i) dans la loi des Bourguignons
qne, quand ces peuples s'établirent dans les
Gaides , ils reçurent les deux tiers des terres
et le tiers des serfs. La servitude de la glèbe
étoit donc établie dans cette partie delà Gaule
avant l'entrée des Bourguignons (a).
La loi des Bourguignons , statuant sur le$
deux nations , distingue (i) formellement dans
l'une et dans l'autre les nobles , les ingénus , et
les serfs. La servitude n'étoit donc point ime
chose particulière aux Romains , ni la liberté
(i) Tit. LIV. — (a) Cela est confirmé par tout le
titre da code de agricoUs et censitisj^colonis, —
(3) Si dentem optimati Bargnndioni vel Romano
nobili excnsserit, tit. "XXVI, J. i ; et si mcdiocri-
bns personis ingennis, tam Bnrgandionibas qnàm
liomaiiis. Ibid. %. 2.
LIVRE XtX, CMAP. X. If
et la noblesse une chose particulière aux bar-
bares.
Cette même loi dit que (i) , si un affranchi
bourguignon n'avoit point donné une certaine
^omme à son maître ni reçu uàe portion tierce
d'un Romain , il ëtoit toujours censé de la fa-
mille de son maître. Le Romain propriétaire
étoit donc libre , puisqu'il n*étoit point dans
la famille d'un autre; il étoit libre, puisque sa
portion tierce étoit un signe de liberté.
Il n'y a qu'à ouvrir les lois saliques et rî-
puaires , poiir voir que les Romains ne vivoieni
pas plus dans la servitude chez les Francs que
chez les autres conquérants de la Gaule.
M. le comte de Boulainvilliers a manqué
le point capital de son système : il n'a point
prouvé que les Francs aient fait un règlement
général qui mît les Romains dans une espèce
de servitude.
Comme son ouvrçge est écrit sans aucun
art , et qu'il y parle avec cette simplicité, cette
franchise et cette ingénuité de l'ancienne no-
blesse dont il est sorti, tout le monde est ca-
pable de juger et des belles choses qu'il dit et
des erreurs dans lesquelles il tombe. Ainsi je
ne l'examinerai point ; je dirai seulement qu'il
avoit plus d'esprit que de lumières , plus de
lumières que de savoir; mais ce savoir n'étoit
point méprisable, parceque de notre histoire
(i)Tit.LVII.
i8 »E l'espr^t^pes rois.
et de nos lois il savoit très bien les grandes
choses.
M. le comte de BotilainyiUiers et M. l'abbé
Dubos ont fait chacnn un système, dont Vnn
semble être une conjuration contre le tiers-ëtat,
et l'antre une conjuration contre la noblesse*
Lorsque le Soleil donna à Phaéton son char à
conduire, il lui dit: « Si yous montez trop
« haut , TOUS brûlerez la demeure céleste ; si
« vous descendez trop bas , tous réduirez en
« cendres la terre: n'allez point trop. à droite ,
<( TOUS tomberiez dans la constellation du Ser-
« peut; n'allez point trop- à gauche, tous iriez
« dans celle de l'Autel : tenez-TOUS entre les
« deux (i). »
CHAPITRE XI.
,Continiiation àa même sujet.
Cl E.quira donné l'idée d'un règlement général
fait dans le temps de la conquête , c'est qu'on a
TU en France un prodigieux nombre de serTi-
tudes Ters le commencement de la troisième
race; et , comme on ne s'est pas apperçu de la
progression continuelle qui se fit de ces servi-
( I ) Nec preme, nec sammom môlire per aethera currum.
Altiàs egressus , cœleKtia tecta cremabis ;
Inferiùs , terras : medio tntissimas ibis.
I9e« te dextcrior tortum declinet ad Angoem ,
Nere sinUterior pressam rota ducat ad Aram :
Inter utmmque tene Ovn>. Métam. 1* H.
LIVRE XXX^ CHÀP. XI. I9
tudes , on a imaginé dans un temps obscur une
loi générale qui ne fut jamais.
Dans le commencement de la première race ,
onvoit un nombre infini dliommes libres , soit
parmi les Francs , soit parmi les Romains :
mais le nombre des serfs augmenta tellem^it ,
qu'au commencement de la troisième tous les
laboureurs et presque tous les 'habitants des
villes se trouvèrent serfs (j): et au lieu que,
dans le commencement delà première, il y
avoit dans les villes à peu près la même admi-
nistration que che^ les Romains , des corps de
bourgeoisie, un sénat, des cours de judica-
ture ; on. ne trouve guère , vers le commence-
ment de la troisième , qu'un seigneur et des
serfs. -
Lorsque les Francs, les Bour^gnons et les
Goths , faisoient leurs invasions , ils prenoient
l'or, l'argent, les meubles, les vêtements, les
hommes , les femmes , les garçons , dont l'arr-
mée pouvoit se charger ; le tout se rapportoit
en commun, et l'armée le pàrtageoit (a). Le
corps entier de l'histoire prouve qu'après le
premier établissement , c'est-à-diré après les
premiers ravages, ils reçurent à composition
les habitants , et leur laissèrent tous leurs
(x) Pendant qne lu Ganle étoit sous la domination
des Romains , ils formoient des corps particuliers :
c'étoient ordinairement des affranchis on descen-
dants d'affranchis. — (a) Toyes Grégoire de Tonrs ,
Uv. n, ch. XXVII j iimoin, lir. I, ch. XIl.
ao Ds i^'xspmiT des lois.
droits politiques et civils. C'étoit le droit det
gens de ces temps-là : on enlevoit tout dans lâ
^erre , on accordoit tout dans la paix. Si cela
n'avoit pas été ainsi , comment trouverions'^
nous dans les lois saliques et bourguignones
jtant de dispositions contradictoires à la servi-
tude générale des hommes ?
Mais ce que la conquête ne fit pas , le même
4roit des gens (i), qui subsista après la con«-
quête, le fit. La résistance , la révolte , la prise
des villes , emportoient avec elles la servitude
des habitants : et comme , outre les guerres
que les différentes nations conquérantes firent
entre elles , il y eut cela de particulier chez les
Francs , que les divers partages de la monar-
chie firent naître sans cesse des. guerres civiles
entre les frères ou neveux ^ dans lesquelles ce
droit des gens fut toujours pratiqué , les ser-
vitudes devinrent plus générales en France
que dans les autres pays; et c'est, je crois,
une des causes de la différence qui est entre
nos lois françaises et celles d'Italie et d'£s-
pagne , sur les droits des seigneurs.
La conquête ne fut que l'affaire d'un mo-
ment: et le droit des gens que l'on y employa
produisit quelcjues servitudes. L'usage du
même droit des gens , pendant plusieurs siè-
cles , fit que les servitudes s'étendirent prodi-
gieusement.
(i) Voyez, les Yion des saints citées ci^prè»,
p. aï*.
IITEX XXX* GHA». XI» 91
Thenderic (i), croyant que les peuplés
d'Auvergne ne lui étoient pas fid;des i dit aux
Francs de son partage : « Suiyec-moi, je vous
« mènerai dans un pays où tous aurez de l'or,
«de l'argent, des captifs « desTètements^ des
« troupeaux en aliondanee; et tous en trans^
« férerez tous les hommes dans Totre pays, n ^
Après la paix (2) qui se fit entre Gontraâ
et GhilpériC) ceux qui assiégeoient Bourges
ayant eu ordre de l*eTenir) ils amenèrent tant
de butin qu'ils ne laissèrent presque dans la
pays ni hommes ni troupeaux»
Théodoric, roi d'Italie ^ dont Tesprit et la
politique étoient de se distinguer toujours des
autres roisbarbares , euToyant sonarméedans
la Gaule , écrit au général (3) : « Je Teux qu'on
« suive les lois romaines 9 et que tous rendiez
« les esclaves fugitifs à leurs maîtres : le dé£en->^
a seur de la liberté ne doit point faToriser l'a-^
«bandon de la senritude. Que-ks autres rois.
« se plaisent dans le pillage et la ruine des villei
«qu'ils ont prises: nous TOulons Taincre de
<i manière que nos sujets se plaignent d'avoir
«c ac€[uis trop tard la sujétion^ » Il est clair
qu'il vouloit rendre odieux les rois des Francs
et des Bourguignons , et qu'il faisoit allusion
à leur droit des gens.
Ce droit subsista daiis la seconde face. L'àr^
mée de Pépin ^ étant entrée en Aqtdtaine , re*
( i) Grégoire de Toiirs , Ht. m.— (a) Bid. Ht. VI^
«h. XXXI.— (3) Lett. 43 , Ut. III * dahs Cassiodorc.
ispn. fi^s T.oi8é 5. ^
vint en France chargée d'un nombre infini
de dépouilles et de serfs, disent les annales de
Metz(i).
Je pourrois citer des autorités (2) sans nom*
bre. Et comme dans ces malheurs les entrailles
de la charité s'émurent ; comme plusieurs saints
évéqnes, voyant les captifs attachés deux à
deux , employèrent l'argent des églises et ven-
direntméme les vases sacrés ])our en racheter
ce qu'ils purent ; que de saints moines s'y em-
ployèrent (3); c'est dans les vies des saints que
l'on trouve les phis grands éclaircissements
sur cette matière. Quoiqu'on puisse reprocher
aux auteurs de ces vies d'avoir été quelquefois
un peu trop crédules sur des choses que Dieu
a certainement faites si elles ont été dans l'or-
dre de ses desseins, on ne laisse pas d'en tirer
de grandes lumières sur les mœurs et les usa-
ges de ces temps-là.
Quand on jette les yeux sur les monuments
de notre histoire et de nos lois, il semble que
tout est mer, et que les rivages mêmes man-
(i) Sur Tan 763. Innninerabilibtis spoliis et cap-
tivis totas illeexercitos ditatas in Franciam reversas
est. — (a) Annales de Fulde, année 739; Paul, diacre,
Je gestis Longobardorum , liv. III, ch. XXX; et
liv. ly, ch. I ; et les Vies des saints citées à la note
suivante. — (3) Voyez les Vies de saint Epiphane, de
saint Ëptadius , de saint Césaire , de saint Fidole ,
de saint Porcien, de saint Trévérins , de saiot Eusi-
chios , et de saint Léger \ les miracles d« saint Julien»
XIVaE XXX, CHAP. XI. i3
quent à la mer (i). Tous ces écrits, froids,
secs , insipides et durs , il fkut les lire , il faut
les dévorer , comme la fable dit que Saturne
dévoroit les pierres.
Une infinité de terres que les hommes libres
faisoient valoir ( 2 ) se changèrent en main-
mortàbles : quand un pays se trouva privé
des hommes libres qui Thabitoient ,' ceux qui
avoient beaucoup de serfs prirent ou se firent
céder de grands territoires , et y bâtirent des
villages , comme on le voit dans diverses Char-
tres. D*un autre côté , les hommes libres qui
cultivoient les arts se trouvèrent être des serfs
qui dévoient les exercer : les servitudes ren-
doient aux arts et au labourage ce qu*on leur
avoit ôté.
Ce fut une chose usitée que les propriétaires
des terres les donnèrent aux églises pour les
tenir eux-mêmes à cens , croyant particîperpar
leur servitude à la sainteté des églises.
CHAPITRE XII. '
Que les terres du partage des harbares ne payoîent
point de tribats.
Jj E s peuples simples , pauvres , libres , guer-
riers , pasteurs , qui vivoient sans industrie et
(i) Deerant quoque littora ponto.
Otid. Hv. Î.
—(a) Les colons même n'étoient pas tous serfs:
VoyeR les lois XVIIl et XX III , au code tie apicoUs
et censitis et colan is ; et la yingticme du même titre.
ai pu l'ebprit des lois.
ne tenoxent à leurs terres que par des cases de
jonc (1)9 suÎToient des chefs pour faire du bu-
tin , et non pas pour payer ou lever des tributs.
L'art de la maltôte est toujours inventé après
coup et lorsque les hommes commencent à
jouir de la félicité des autres arts.
Le tribut(a) passager d'une cruche de vin
par arpent ^ qui lut une des vexatèonsde Chil«
péric et de Frédégomle^jieconcernaque lesïlo-
mains* En effet , ce ne ftirent pas les Francs qui
déchirèrent les rôles de ces taxes, mais les ecclé-
siastiques , qui) dans. ces temps-là , étoient tous
Romains (3), Ce tribut affligea principalement
les habitants des villes (4) ; or les villes étoient
presque toutes habitées pair des Romains.
Grégoire de Tours (5) dit qu'un certain juge
fut obligé y après la mort de Chilpéric , de se
' réfugier dans une ég^se , pour avoir , sous le
regnede ce prince,, assujetti à des tributs des
Francs qui^ du .temps de Childebert , étoient
ingénus. Multos de Francis^ qui^ tempère
Childeherti régis ^ ingénia fnerant^piwlîco
irihuto subegit. Les Francs qui n'étoient point
serfs ne payoient donc point de tributs.
1 '■ — I ■ ■ - , - — ■
(ï) Voycï Grégoire de Toars , liv. II. — (a) Ibid.
Uv. V, — (3) Cela paroit par toute rhi3toire de Grë-
|[oire de Toum Le même Grégoire demande à tut
certain TalEliacus comment il aroit pn parvenir k
là cléricature, lui qui étoit Lombard d'origine. Gré-
goire cle l'ours, liv.- VIE. — (4) Qu» conditio nni-
versis nrbibns per Galliam constitutis snromoperii
est adhibita.^Tie de saint Aridius,— (5) I-ir. m^
X.IVmE XXXy GHÀP. XtT. i5
n n'y a point de grammairien qui ne pâlisse
en voyant comment ce passage a été interprété
parM.rabbéDabos(i). U remarque que, dans
ces temps-là , les affranchis étoient aussi appe-
lés ingénus. Sur cela il interprète le mot latin
tngenui par ces mots , affranchis de tributs :
expression dont on peut se servir dans la lan-
gue français, comme on dit affranchis de
soins , affranchis de peines ; mais dans la
langue latine , tngenui a trihutis , lihertinia
tributis^ 7nanuniissiùributonan^^TO\exiXàt%
expressions monstrueuses.
Parthenius , dit Grégoire de Tours ( 2 ) ,
pensa être mis à mort par les Francs pour leur
avoir imposé des tributs. M. l'abbé Dubos (3) ,
pressé par ce passage , suppose frpidement ce
qui est en question; c*étoit, dit -il, une sur-
charge.
On voit dans la loi des Wisigoths ( 4 ) que ,
quand un barbare occupoit le fonds d'un Ro-
main , le juge Tobligeoit de le vendre , pour
que ce fonds continuât à être tributaire : les
barbares ne payoient donc point de tributs sur
les terres (5).
( i) Etablissement db U montrehie française , tome
m, ch. XIV, p. 5i5.--(a) Lit. UI, ch. ixXVI —
(3) Tome III, p. 5i4. — (4) Jodices atque pweposilî
terras RomaDorom, ab illis qni occapatas tenent,
aoferant ; et Romaoia sna exactione sioe aliqna di«
latione restituant, nt nihil û%po debeat deperire.
lir. X, lit. I, chap. XIV— (5) Les Vandales n em
payoient point en Afrique. Procope, Guerre d^
3.
!à6 DE l'ssfait des lois.
BI. l'abbé Duboi (i)9qtti avoit besoin que les
Wisigoths payassent des (a) tributs, quitte le
aeiis littéral et spirituel de la. loi , et imagine ,
uniquement parcequ^il imagine, qu'il y avoit
jçfi entre l'établissement des Goths et cette loi
une au^fmentation de tributs qui ne conçemoit
que les Romains. Mais il n'est permis qu'au
Vf Hardouîn d^exercer ainsi sur les ûdts un
pouvoir arbitraire.
M4 l'abbé Dubos va c)iercber'{ 3) îlans le
code de J[ustinien ( 4 ) diîs lois pour prouver
c{ue les bénéfices miUtaiii'es , chC7. les Romains ,
étoient sujets aux tributs : d'o ji il cpsticlut qu'il
en étoit de même des fiefs ou bénéfices chez
les Francs. lUais l'opiiiion que nos fiefs tirent
leur origine de cet ét^blbsement des Romains
est aujourd'liui proscrite : elle n'a eu de qrédit
que dans les temps où l'on coimoissojlt l'hisr
toire romaine et très peu la notre , et où nos
monuments smciens étoient ensevelis dans la
poussière.'
Ajr. l'abbé Dubos a tort de citer Cassîodc^ «
Vandales , 1. 1 et II ; Vi^storia miscella, 1. XVI, p.
X06. Remarquez qae les conqnérants de TAfriqne
étcHent un composé de TaRdales , d*Alauu , et d«
Francs. HistorU miscella, liv. XXV, p. 94. — (i) Eta-
blissement dtB Francs dans les Gaules, tome III,
ch. Xiy^p. Sio.— (n) II. s*appnie snr une antre loi
des Wisigoths , liv. X , Cit. I , art. x i , qni ne prouve
al>solnment rien : elle dit seulement que ethd qni a
reçu d*an seigneur nue lerre sous condition d*nne
vedevance doit la payer (3) TomeUI, p^ 5xi. — •
(4) Leg. m, ti^ UXIY, lib. XI.
LIVKX XXX, CHÂF. XII. 27
et d'employer ce qui se passoit en Italie et dans
la partie de la Gaule soumise à Théodoric ,
pour nous apprendre ce qui étoit en usage chex
les Francs ; ce sont des choses qu'il ne faut
point confondre. Je ferai voir quelque jour,
dans un ouvrage particulier , que le plan de la
monarchie des Ostrogoths étoit entièrement
différent du plan de toutes celles qui furent
fondées dans ces temps-là par les autres peu-
ples barbares ; et que , bien loin qu'on puisse
dire qu'une chose étoit en usage chez les Francs
]>arcequ'êlle Tétoit chez les Ostrogoths , on a au
contraire un juste sujet de penser qu'une chose
qui se pratiquoit chez les Ostrogoth:s ne se pra-
tiquoit pas chez les Francs.
Ce qui coûte le plus à ceux dont l'esprit
ûoite dans une vaste éru(tition , c'est de cher-
cher leurs preuves là où elles ne sont point
étrangères au sujet , et de^trouver , pour parler
comme les astronomes » le lieu du soleil.
' M. l'abbé Dubos abuse des capitulaires com-
me de rhistoire et des lois des peuples barba-
res. Quand il veut.que les Francs aient payé
des tributs, il applique à des hommes libres
ce qui ne peut être entendu que des serfs ( i ) ;
quand il veut parler de leur milice , il applique
à des ( 2 ) serfs ce qui ne pouvoit concerner que
des hommes libres.
I ^
(i) KtabliMement de la monarchie française, tome
jn, ch. XlV, p. 5x3 , où il cite l'art. a« de ledit
de Pistes. Voyez ci-après le ch. XVUI. — (a) I^t'd.
tome III, ch. rv, p. 298.:
28 DE l'esprit des LOIS.
CHAPITRE Xlil.
Quelles étoient les charges des Romains et ctec
Gaulois dans la monarchie des Francs.
J E pourrois examiner si les Gaulois et les Ro*
mains vaincus continuèrent de payer les char-
ges auxcpielles ils étoient assujettis sous les em-
pereurs. Mais , pour aller plus vite , je me con-
-tenterai de dire que , s'ils les payèrent d'abord ,
ils en furent bientôt exemptés , et que ces tri-
buts furent changés en un service militaire ;
et 3*avoue que je ne conçois guère comment
les Francs auroient été d'abord si amis de la
maltôte , et en auroient paru tout à coup si
«loignés.
Un capitulaire ( i ) de Louîs-le-D^bonnaîre
nous explique très bien l'état où étoient les
hommes libres dans la monarchie des Francs.
Quelques bandes (a) de Goths ou d'Ibères,
fuyant l'oppression des Maures , furent reçus
dans les terres de Louis. La convention qui fut
faite avec eux porte que , comme les autres
hommes libres , ils iroient à l'armée avec leur
comte 5 que , dans la marche (3) , ils feroient la
garde et les patrouilles sous les ordres du
_ _■■ ■ i .
(i) De Fan èi5, chap. I. Ce qui est conforme an
capitulaire de Charles-le-ChauTe , de Tan 844, art.
1 et a. — (a) Pro Hispanis in partibus Aquitaniae,
Septimaniœ , et Provinciae consistentibus« Ibid. —
(3) Ëxcobias et explora tionesquaswactas dicvnt. 1^.
Z.IYRE XXX, CHÀF. XIII. BQ
Blême comte , et qu'ils donneroient aux en*
yojés du roi (i) et aux ambassadeurs qui par^
tiroient de sa coipr ou iroient vers lui , des che-
vaux et des chariots pour les voitures ; que
d*ailleurs ils ne pourroient être contraints à
payer d'autres cens , et qu'ils seroient traités
comme les autres honuneslibres.
On ne peut pas dire que ce fussent de nou-
veaux usages introduits dans le commence-
ment de la seconde race ; cela devoit appar-
tenir au moins au milieu ou à la fin de la pre^
miere. Un capitulaire de (a) Tan B64 dit ex-
pressément que c'étoit une coutume ancienne
que les hommes libres fissent le service mili-
taire , et payassent de plus, les chevaux et les
voitures dont nous avons parlé ; charges qui
leur étoient particulières , et dont ceux qui
possédoient les fiefs étoient exempts , comme
je le prouverai dans la suite.
Ce n'est pas tout : il y avoit un règle-
ment (3) qui ne permettoit guère de soumettre
ces hommes libres à des tributs. Celui qui
■ I I — — Il I II ■
(i) Us n'étoient pas obligés d*en donnersa comte.
Oipitolaire de Charles-le-Chanye, de Fan 8 44, art. 5.
— (2) Ut pageiises franci qui caballos habent cam
sais comitibos in hostem pergmnt. « Il est défendu
M aux comtes de les priyer de leurs chevanx. » Ut
hostem. £acere j et debltos parayeredos secnndùm an-
tiqnam consnetadinem exsolyere possint. Edit de
pistes, dans Balnze, p. 186. — (3) Capitolaire de
Cbarlemagne , de Tan 81a , chap. I ; édit de Pistes,
de Tan 864, art. 27.
So 1>B L*ESPRIT DES LOIS.
avoit quatre (i) manoirs étoit toujours obligé
de marcher à la guerre; celui qui n'en avoit
que trois étoit joint à un homme libre qui n'en
avoit qu'un : celui-ci le défrayoit pour un
quart, et restoit chez lui. On joignoit de mê-
me deux hommes libres qui avoient chacun
deux manoirs ; celui des deux qui marchoit
étoit défi^ayé de la moitié par celui qui restoit.
Il y a plus : nous avons une infinité de char^
très où Ton donne les privilèges des fiefs à des
terres ou districts possédés par des hommes
libres , et dont je parlerai (2) beaucoup dans
la suite. On exempte ces terres de toutes les
charges qu exigeoient sur elles les comtes et
autres officiers du roi ; et , comme on énumerc
en particulier toutes ces charges , et qu*il n*y
est point question de tributs , il est visible
qu'on n'en levoit pas.
Il étoit aisé que la maltôte romaine tombât
d'elle-même dans la monarchie des Francs :
c'étoit un art très compliqué et qui n'entroit ni
dans les idées ni dans le plan de ces peuples
simples. Si les Tar tares inondoient aujour-
d'hui l'Europe , il faudroit bien des affaires
i jf i^^i— — ^— ^1^— — ^^— ^^^i»^»^— — — ^1^—— — ^»^— — — *
(i) Qaataor mansos. Il me semble que ce qa*ou
appeloit mansus étoit une certaine portion de terre
attachée à une cenae où il y avoit des esclaves ; té-
moin le capitnlaire de Tan 853, apud Syhacum,
tit. XIV, contre cenx qni chassoient les esclaves
de leur mansus. — (2) Voyez ciaprès le chap. XX
de ce livre.
LITRE XXX, CUAP. XIII. 3]
pour leur faire entendre ce que c'est qu'un
financier parmi nous.
L'auteur incertain de la vie de Louis-le*Dë-
bonnaire (i) , parlant des comtes et autres of-
ficiers de la nation des Francs que Charlema-
gne établit en Aquitaine , dit qu'il leur donna
la garde de la frontière , le pouvoir militaire ,
et rintendancedes domaines qui appartenoient
à la couronne. Cela fait voir l'état des revenus
du prince dans la seconde race. Le prince a voit
gardé des domaines qu'il faisoit valoir par ses
esclaves. Mais les indictions , la capitation , et
autres impôts levés du temps des empereurs
sur la personne ouïes biens des bommes libres,
avoient été changés en une obligation de gar-
der la frontière , où d'aller à la guerre.
On voit, dans la même histoire (2), queLouia^
le-Débonnaire ayant été trouver son père en
Allemagne , ce prince lui demanda comment il
pouvolt erre si pauvre , lui qui étoit roi ; que
Louis lui répondit qu'il n'étoit roi que de nom,
et que les seigneurs tenoient presque tous ses
domaines ; que Charlemagne craignant que ce
jeune prince ne perdît leur affection s'il repre-
noit lui-même ce qu'il avoit inconsidérément
donné , il envoya des commissaires pour réta-
blir les choses.
Le» ëvéques écrivant à Louis ( 3) , frerc d«
(i) DansDacbesne, tome II, p. «87. — (a) làid,
tome II, p. 89.— .(3) Voycï Ip capitnlaire de Tmi
858, art. 14.
3a DE l'esprit des lois.
Charlés-le-Chauve , lui disoient : « Ayez soin
« de yos tenues , afin que vous ne soyez pas
« obligé de voyager sans cesse par les maisons.
« des ecclésiastiques , et de fatiguer leurs serfs
« par des voitures. Faites en sorte , disoierit-ils
« encore, que vous ayiez de quoi vivre et rece-
« voir des ambassades. » Il est visibl^ que les
revenus des rois consistoient alors dans leurs
domaines (i).
^ CHAPITRE XIV.
De ce qu'on appeloit census.
Lorsque les barbares sortirent de leur pays ^
ils voulurent rédiger par écrit leurs usages 9
mais comme on trouva de la difficulté à écrire
des n^ts germains avec des lettres romaines,
on donna ces lois en latin.
Dans la confusion de la conquête et de ses
progrès 9 la plupart des choses changèrent de
nature ; il fallut, pour les exprimer , se servir
des anciens mots latins qui avoient le plus de
rapport aux nouveauxvusages. Ainsi , ce qui
pouvoit réveiller Fidée de Taucien cens des Ro-
mains (2) , on le nomma census^ tributiim ; et,
■Il I '■ 111 ■— — ■— ^1— M^— ^a^M.— ^B— — — — — ^
(i) Ils levoient encore quelques droits snr les ri-
vières -lorsqu'il y avoit un pont on un passage.*—
(a) Le census étoit un mot si grnériqne, qu'on s'en
servit pour exprimer les péages des rivières lorsqu'il
y avoit un bac ou un pont à passer. Toyes le capitn-
Liiré III de l'an 8o3, édit. ds Baluxe, p. SgS, art. x ;
et le Y de Tan 819 , p. 616. On appela «ncor« de «e
^aand les choses n'y eurent aucun rapport
quelconque « on e^rlma comme on put lea
mots germains avec des lettres romaines: ainsi
on forma le mot fredian ^ dont je parlerai
beaucoup dans les chapitres suivants.
Les mots census et tributwn ayant été ainsi
employés d'une manière arbitraire, cela a jeté
quelque c^scunté dans la signification qu'a--
voient ces mots dans la première et dans la
seconde race : et des auteurs modernes , qui
avoient des systèmes particuliers ( i ), ayant
trouvé ce mot dans lés écrits de ces temps-là ^
ils ont jugé que ce qu'on appeloit census étoit
précisément le cens des Romains ; et ils en ont
tiré cette conséque&ce , que nos rois des deux
premières races s'étment mis à la place des em-
pereurs romains , et n'avoient rien changé à
leur administration (a) : et comme de certains
droits levés dans la seconde race ont été , par
quelques hasards et par de certaines modifica-
Uons , convertis en d'autres , ils en ont conclu
que ces droits étoieat le cens des Romains (3) :
I II— iy— ■— I I m I !■ Il 1 1 ■! Il II n mlmmÊtmmmmm^
nom les Toitures foomies par les hommes libres an
roi on & ses earoyés , comme il paroit par lef capita»
lairas deCharles-leChanve, de raa865, art. S.-*-
(i) M. Tabbé Dnbos, et ccmx qai l'ont sqivi.— ^
(^) Voyez la foiblesse des raisons de M* l^abbéDnbot,
Etablissement de la monarchie française , tome lO,
Ut.TI, chap. XIV, sar-tont Findoction qa'ii tire
d*anpas8aga de Grégoire de Tonrs sur an démêlé de
son é|^ ayec le roi Qtaribert.-*(^) ^^ exemple ,
par les affranchissements.
ZSPR. DIS LOIS. 5. ^
34 D« i-'esprit des xois.
et , comme depuis les règlements modernes ils
ont vu que le domaine de ïa couronne étoit ab-
soluiment inaliénable, ils ont dit que ces di:oits,
qui représentoient le cens des Romains , et qui
ne forment pas une partie de ce domaine ,
étoient de pures usurpations. Je laisse les au-
tres conséquences.
Transporter dans des siècles reculés toutes
les idées du siècle où Ton vit , cVst des source»
de l'erreur celle qui est la plus féconde. A ces
gen* qui veulent rendre modernes tous lès siè-
cles anciens , je dirai ce que les prêtres d'E-
gypte dirent à Solon : « O Athéniens^ vousti'è-
« tes que des enfantas. %
CHAPITRÉ XV*
Que te qn*On a)>peloît census ne se levoit que soi'
les serfs , et non pas sur les hommes libres.
JLiE roi, les ecdésiastiques , et les seigneurs ,
levoient des tributs réglés chacun sur lés serfs
de ses domaines. Je le prouve , à l'égard du
roi , par le capitulaire de villis ; à l'égard des
ecclésiastiques , par les codes des lois des bar-
bares (i) Va l'égard des seigneurs , par lès rè-
glements que Gharlemagne fit là-dessus (a).
Ces tributs étoient appelés ce»j//^:c'étoient
-■ ■ - ' ■ . ■
(i) Loi des Allemands , chap. XXII ; et la loi des
Bavarois, til. I, ch. XrV,'où l'on trouve les'réglc-
luents qae les ecclésiastiques firent sur leur état.^—
(a) Liv. V des capitulaires , cl». CGCUI.
dei droits économiques , et non pas fiai^anx;
des redçv.anc«s uniquement privées , et non
pas. des cliarges publiques.
Je dis que ce qu'on appeloît census^étoit un
tribut levé sur les serfs. Je le prouve par une
formule de Marculfe qui contient une permis-
sion du roi de se faire clerc , pourvu qu'on
soit ingénu ( i ) , et qu'on ne soit point inscrit
dans le registre du cens. Je le prouve encore
par tine commission que Cbarlemagne donna
à UA comte ( 5^) qufil envoya dans les contrées
de S^xfi;: elle contient Vaffrancbisseçteiit des
Saxons , à cause qu'ils^ avpient embrasse le
christianisme ; et c'est proprement une chartrc
d'ingénuité (3). Ce prince Içs.rétablit dan$ leur
première liberté civile (4)) et les exempte de
payer le cens. C'étoit donc ijpe même chose
d'être serf et de payer U cens , d'être libre et de
ne le payer pas.
Pgr une espèce de letti^es. pajientes du (5)
même prince en faveiir des Espagnols qni
avoient été reçus daps la mo|i%rcl^e , il €st dé-
fendu aux comtes d'exiger d'eux aucun cens ,
et de leur ôter leurs terres. On sait que les
■ . I 1 ^ I ■ ■ ■ ■ _ — . I.
(i) Si ille de eapite sno bene ingennas sit , et in
paletico pnblico oensitns non est. Liv. I., form. 19.
— -(a) De l'an 789, édit. des.capitolaires de Balu^ ,
tonws I, p, aSo. — (3) Et ut ista ingenuiiati.* pagiiMi
fivqia sta|>iUsqae consistât. Ibid.—rW P^istinaequ©
libertad donatçs , et on^pi nobis debito cenau solu-
tos. Ibid, — (5) Praeceptum pro Hispaais, de l'an
8 1 a , édition de Balnr^ , tome I ^ p» 5oo.
36 DC l'es^kit des lois.
étrangers quiarrivoient en France étoîent trai-
tés comme des serfs ; et Charlemagne, Tonlant
qu'on les regardât comme des hommes libres,
puisqu'il Tooloit qu'ils eussent la propriété de
leurs terres , défendoit d'exiger d'eux le cens.
Un ctpitulaire ( i ) de Chàrles-le- Chauve ,
donné en laveur des mêmes Espagnols , veut
qu'on les traite comme on traitoit^les autres
Francs, et défend d'exiger d'eux le cens : les
hommes libres ne le payoient donc pas.
L'article 3o de l'édit de Pistes réforme
l'abus par lequel plusieurs colons du roi ou de
l'église vendoient les terres dépendantes de
leurs manoirs à des ecclésiastiques ou à des
gens de leur condition , et ne se réservoient
qu'une petite case ; de sorte qu'on ne pouvoit
plus être payé du cens ; et il y est ordonné de
rétablir les choses dans leur premier état : 1«
cens étoit donc un tribut d'esclaves.
Il résulte encore de là qu'il n'y avoit point
de cens général dans la ménarchie; et cela est
clair par un grand nombre de textes. Car que
signifieroit ce capîtulaire(a), « Nous voulons
« qu'on exige le cens royal dans tous les lieux
« où autrefois on Tcxigeoit légitimement (3) ? »
(i) De Tan S44 , édit. deBaluse, ton^ II 9 art. i
€t a , p. 47.^2) Capitit). m , de l'an «o5, art. ad
et ^% , inséré dan» le recneil d^Aoïegiae 9 liv. IH ,
art. iS, Cela est conforme à celai de Charles-le-
Chanve , de Tan 854 , apuà Attiniacum , art. 6. —
(3) Undecnmque lei^timè axiirebAtiir. iifeV.
X.IT1BLE XXr, CHAt. XT. 3^
Qne Youdroit dire celui ( i^) où Charlemagne
ordonne à ses envoyés d^ns les provinces de
fair& une ■ vechcrohe exacte de tous les cens
qui avoient anciennement été du domaine du
roi (%) ? et çelui{3) où il dispose des cens payé^
par ceu^ dont cm les exige ^4) ? Quelle signifir
cation donner à cet autre (5) , où on lit , << Si
« quelqu'un (6) a acquis une terre tributaire
M sur laquelle nous avions accoutt^mé de lever
- «r le cens... ?» à cet autre enfin (7)où Charles-le*
Chauve (8) pu>le des terres censiieUes dont le
cens avoit de toute antiquité appartenu an
-rpi?
Remarquez qu'il y a quelques textes qui pa-
roissent d'abord contraires à ce que j'ai, dit ,
et qui cependant le confirment.^ On a vu ci*-
dessus qûerles hommes libres , dans la monai;-
chie,n'étoient obligés qu'à fournir de certaines
voitur^. Le capitulaice que je viens de citer
' ■ !i ■ r ■ • *. " ' '■■ ' • ' ' ■ ■ ' - '*
' (i) De Tarn 8ia , art« lo et ii, édit. de Balnse,
tome I9 p. 4§8. — (a) Undecamqa0 antiqnitns ad
partent vegis venire solebant. Capitniaire delan 8 1 a^
.art. 10 et 1 1 ..—(3) De Tan 8 1 3, art, 6yétixU de Baluze,
tome I, p. ^598.— (4) De il^ia^ondt cenaa e^gniit.
Capilulaire dfiXm 8i3^.art.^iT-(5) Liv, IV des
«apittiUires, art. 3.7 , ot inséré dans lu Ipi d«» Lo»-
hAràê, — (j6) Si qais tewrsim. tnbntariam , unde oensiis
ad pàttem uostram exiisej^olehat^ tiwîî^p^*** ^i"^» ^^
descapitulaires,art. 3 7. ---(7) p,e .ra»'8o5,art. 8.-r-
(3) Undfe censiu ad pariem rejçi# ewvit antiqoituf «
Capitniaire de ran 80 5 , art. 8.
4.
i$ 0« X.*lS>miT BBS LOXti
appelle cela census , et il Toppow an cens qni
étoit payé par les se^s (i).
De plus , redit de Pistes (a) parte de ces
liommes francs qui dévoient payer leocns royal
pour leur tète et pour leurs cases , et qui s'é*-
toient Tendus pendant la faamne ( 3 ). Le roi
Teut qu'ils soient rachetés. C*est ( 4 ) que ceux
qui étoient affranchis par lettres du roi n'ac-
quéroient point ordinairement une pleine al
«nticre liherté (5) ; mais ils payoient oensum
in cavité ; et c'est de cette sorte de gens qu'il
est ici parlé.
Il faut donc se défaire de l'idée d'un cens gé-
néral et universel , dérivé de la police des Ro-
mains ; duquel on suppose que les drcnta das
seigneurs ont dérivé de même par desnsop-
pations. Ce qu'on appdott cens dans 4a mo-
narchie française , independamment.de l'abua
qu'on a fait de ce mot , étoitun droit particu-
lier levé sur l^s serfs par les maîtres»
Je supplie le lecteur de me pardonner l'en-
nui mortel que tant de citations doivent lui
iWM
(i) Cenûboivel |iaraTer«di8 q«oé fnli^ bominca
ad r^iam potestattm exsoW«re debemtk'^a)Del*ftift
t64 , art. 34 9 édin de Baloar^ p. 1-99 <^3) De iltit
fniacis hominihux qui otfasamjregiande tao cspite
et de raie recellis debeaiit. l^ir/*-^4) L'article 28
dn même <édit explique bien toat eela. Il met même
«ne diatisetioa entre l'fefhrancbi romaio et rannncbi
franc ; et on y voit t^ne le eeiiS n'étoit pas général.
Il faut Ifc lire — (5) Comnie il paroît par un capita*
laire de Charlema^e , de l'an 81 3 , déjà cité.
âoiuier : îe serois plus court si je ne tronvoif
toiijoui*siieTant moi le livre de rEtabUsi^tnenl
4e U Bionarchie fraiafftise dans les Gaules de
id. Vabbjé Dubos. Rien ne recule plus le pro-
f^sdes connoissanoesfiu'uA mauvais ouvrage
d W auteur célèbre , parcequ'avant d'inslniir»
il faut fsommeaaxxT par détrov^er.
CHAPITRE XVI.
Des leadev ou vassaux.
J*xi'parl^ de ces volontaires qui 9 chesles
Oerm^ins, sttivoient les princes dans leurs en-
tr^rises, lie même usage se conserva après la
conquête. Tacite les désigne par le nom de com-
pagnons (i)i la loi salique, par celui d*hom-
ine« qui sont sous ta foi du roi (9) i les i ormulea
4e^ Marculfe (3) , par celui d'antrnstipns du
roi (4); nos premiers historiens , par celui de
leudes , de fiddes (5) ; et les suivants , par ce^
itti de vassaux et se^neurs (6).
On trouve dans les lois saliques et ripuaires
un nombre in&ni de dispositions pour les
Francs, et quelques unes seuleo^ent pour las
antrustions.; Les dispositions sur ces antrus-
tions sont différentes de celles faites pour les
autres Francs ; ou y règle par^'-tout l«s biens
, [ — — ' ■ - — • ' "' '
(x) Comtesi— (a) Qui jnnt in ttuste t«gi«, fit.
XLïV, «rt. 4.— (5) Liv. I , form. i«.— (4) Dn «»*
trew, qui sipdûe Jiàeie, the» Um AUemands, et due*
les Anglais, irue, ▼rai. — (5) Lcudea, fidcXe».—
(6) Vassalli^senioTOi.
4o DE L ESPRIT DES LOI».
des Francs-, et on ne dit rien de ceux des an»
trustions ; ce qui Tient de ce que les biens de
ceux-ci se ré]gloient plutôt par la loi politique
que par la loi civile , et qu'ils étoient le sort
d'une armée et non le patrimoine d'une fa-
mille.
Les biens réservés pour les leudes furent ap-
pelés^es biens fiscaux (i)^ des bénéfices , des
honneurs , des fiefs , dans les divers auteurs
et dans les divers temps.
On ne peut pas douter que d'abord les fiefs^
ne fussent amovibles (a). On voit , dans Gré-
goire de Tours ( 3) , que l'on ôte à Sunégisile
et à Galloman tout ce qu'ils ténoient du fisc ,
et qu'on ne leur laisse que ce qu'ils avoient em
'{Propriété. Gontran , élevant au trône son ncr
veu Childebert , eut une conférence secrète
avec lui , et lui indiqua ceux ( 4 ) ^ <rù il de-
voit donner des fiefs,' et ceux à qui il de-
voit les ôter. Dans une formule de Mar-
culfe ( 5 ) le roi donne en échange non seule-
■ • • ' ; — ■ ■ ' -
* (i) Fiscalia. Voyca la formule i4 de Mapculf^,
iiv. I. Il est dit dans la Tie de saint Maar, dédit
fiscum unum ; et dans les i^nales de Me^ sur Tan
• 747 , dédit ilU comitatus. dtfisçQS plurimos. Les
biensdeain^àrentretijpiidelafamiUexoyaleétoiexit
appelés regalia,'^{9) Voyea le Iiv. I , tit. I, des fiefs ;
etCojafi swt.oe Uy3re.-r-(3) Liv. IX , cb. XXXyiU.
•—^4) Qi^]^ bjonoia^et monenhat, qnos.a]^ honore
repelleret. I6id, Iiv. VIL— (5; Vel reliqt^»,quibni-
comque beneficii(B,qaodcamqne ille,y el û^cnMnoatef^
in ipsis locis tenoisse noscitnr« l<iv. I y form. 3o,
LITHE XXX, CHAP. XYI. 4l
xnent des bénéfices que son fisc tenoit , mais
encore ceux qu'on autre slyo t tenus. La loi
des Lombards oppose les bénéfices à la pro-
])riété ( I ). Les historiens , les formules , les
codes des différents peuples barbares , tous les
monuments qui nous restf^nt , sont unanimes.
Enfin ceux qui ont écrit le livre des fiefs (a)
nous apprennent que d'abord W sei^menri
purent les 6ter à leur yolonté , qu'ensuite ils let
assurèrent pour un an (3) , et ^;>rès le» donnè-
rent pour la vie.
CHAPITRE XVIL
Du service militaire 4ts honaief librei.
D E trx sortes de gens étoien^ tenus au service
militaire; les leudes vassaux ou arriere-vas^
saux, qui j étoient obligés en conséquence de
leur .fief; et les hommes libres, Francs, Ro-'
mains et Gaulois, qui servoient sous le comte ,
et étoient menés par lui et ses officiers.
On appeloit hommes libres ceux qui ^ d'un
côté , n avoient point de bénéfices ou fiefs , et
qui , de l'autre , ù'étoient point soiunis â la ser-
vitude de la glèbe ; les terres qu'ils possédoient
étoient ce qu'on appeloit des terres alloiliales.
Les comtes assembloient les hommes libres,
(i) liv. in, tit. Vni, §. 3.— (a) Feudoniin, ia>.
I, tit. I.-*-(3) Cétoit une espèce de précaire que le
•eignenr renoaveloit on ne renonTcloit pu TaiiDée
d^eni aite , comme Cnias Ta remarqaé.
J^1 pE lVsprit des lois.
et les.menoient à la guerre (i ' : ib avoient sous
eux des officier» qu'ils appeloient vicaires (2);
et, comme tous les hommes libres étoient di-
visés en. centaines, qui formoient ce que Ton
appeloit un bourg, les comtes avoimt encore
«ous eux dçs officiers qu'on appeloit centeniers,
qui menoient les hommes libres du bourg, ou
leurs centaines , à la guerre (3).
' Cette division par centaines est postérieure
à rétablissement des Francs dans les Gaules.
Elle fut faite par Clotaire et Childebert, dans
la vue d'obliger chaque district à répondre des
vols qui s'y feroient : on voit cela dans les dé-
crets de ces princes (4). Une pareille police
s'observe encore aujourdliui çn Angleterre. .
Comme les comtes menoient les hommes H-
l;>res à la guerre, les leudes y menoient aussi
leTVS vassaux ou arriiere- vassaux ; et les évé-
ques, abbés, pu leurs avoués (5), y menoient
les leurs (6).
Les évéques étoient assez embarrassés : ils
(ij Voyez le capitnlaire de Charlemagnc, de l'an
319) art. 3 et 4, édit. deBaltize, tomeI,p. 491 ; et
redit de Pistes , de l'an 864 , art. 26 , tome II, p. 1 86.
— (2) Et babebat nnasqnisqne cornes vicarios et ccn-
tenarios secam. Liy. II des capitnlaires , art. a8. —
(3) On les appeloit com/7a^e/Z5e5. — (4) Donnés vers
l'an 595 , art. i . Voyez les capitnlaires , édit. de Ba-
luze, p. 20. Ces règlements furent saris dont^ faits dfi
concert. — (5) Adyoc^ti. — (ô) Capitnlaire de Charlc-
roagne, de Tan 812, art. x et 5, édit. de Balnzc^
tome I, p. 490.
rivas 3^XX, CHÀP. XVII. /|\
ne convenoient pas bien eux-mêmes de leurs
faits (i)» Ils demandèrent à Charlemagne de ne
plus les obliger d'aller à la guerre; et, quand
ils l'eurent obtenu, ils se plaignirent de ce
qu'on leur faisoit perdre la considération pu-
blique: et ce prince fut obligé de justifier là-
dessus ses intentions. Quoi qu*il en soit, dans
les temps où ils n'allèrent plus à la guerre, je
ne vois pas que leurs vassaux y aient été menés
par les comtes; on voit au contraire que les
rois ou les évéques choisissoient un des fidèles
pour les y conduire (2).
Dans un capitulaire de Louis-le-Débon-
naire (^), ie roi distingue trois sortes de vas-
saux; ceux du roi, ceux des évéques, ceux du
comte. Les vassaux d'un leude (4) ou seigneur
n'étoient menés à la guerre par le comte que
lorsque quelque emploi dans la maison du roi
empéchoit ces leudes de les mener eux-ihémes.
-
. (i) Voyei 1« capitnlaire de l'an 8o3^ donne à
Worms, édit. de Balnze^ p. 408 et 410. — (2) C^ipi-
tnlaire de Worms, de Tan 8o3 , édit. de Balaze , p.
409; et le concile de Tan 845, sous Charles-le^
Chauve, in irerno palatio, édit. de Balaie, tome II,
p. 1 7, art. 8 . — (3) Capimlare quintom anni 819, art.
47, édit. de Balaze, p. 618. — (4) De vassis domi-
nicis qai adhac intra casam serviaat, et tameu béné-
ficia habere noscuatur, statutum est ût qtticnmqae
ex eis cam domino imperatore domi remanserint ,
vafssallos «nos casatos secnm non retinearit , sed cum
comitecQJas pagenses «int ire permittant. Capitul.
XI, deran8ia,art. 7, édit. de Baluze, tome I, p. 494*
44 ^B L ESPAIT DES LOIS.
3fais qui est-ce qui menoit les leudes à la
guerre? On ne peut douter que ce ne fût le roi,
qui étoit toujours à la tête de ses fidèles. C'est
pour cela que, dans les capitulaires , on voit
toujours uue opposition entre les vassaux du
roi et ceujt des évéqties (i). Nos rois, éoura*^
geux, fiers et magnanimes, n'étoient point
dans l'armëe pour se mettre à la tête de cette
milice ecclésiastique; ce n'étoit point ces gens^
là qu*ils choisissoient pour Taincre ou mourir
avec eux»
Mab ces leudes menoient de même leurs va»>
saux et arrière-vassaux ; et cela paroit bien par
ce capitulaire(a) où Charlemagne ordonne que
tout homme libre qui aura quatre manoirs^
soit dans sa propriété, soit dans le bénéfice de
quelqu'un, aille contre rennemi, ou suive son
seifi;neur. Il est visible que Charlemagne vent
dire que relui qui n'avoit qu'une terre en pro*-
pre entroit dans ta milice du comte, et que ce-
Ini qui tenoit un bénéfice du seigneur partoit
avec lui.
Cependant M. Tabbé Dubos (3) prétend que,
(t) Capltulaire I , de Tan ^ii , art. 5. De homini-
bas nostris , et episcopomm et abbatam , qui vel
bénéficia Tel talia propria habent, etc. , édit. de Ba-
Ittze, tome I, page 490. — (a) De l'an 812, eh. I^
édit. de Balaze, p. 490. Ut omnis homo liber qui
quatuor mansos vestitos de proprio suo , ^ve de ali-
cujus bénéficie, babet, ipse se prœparet , et ipse in
hostein pergat , sive cum seniore suo. — (3) Tome HI^
Ur.' VI^ ch. rv, p. 099. Etabliss; de la mon. fr.
LivmE XXX, citAF. xvir. 45
«piandil est parlé dans les capitulaires des hom-
mes qui dépendoient dVn seigneur particulier,
il n'est question que des serfs ; et il se fonde sur
la loi des Wisigoths , et la pratique de ce peu-
pie. U yaudroit mieux se fonder sur les capi-
tulaires mêmes. Celui que je viens de citer dit
formellement le contraire. Le traité entre Char-
les-le-Chauye et ses frères parle de même des
hommes libres , qui peUTcnt prendre à leur
clioix un seigneur ouïe roi; et cette disposi-
tion est conforme à beaucoup d'autres.
On peut donc dire qu'il y avoit trois sortes
de milices; celle des leudes ou fidèles du roi,
qui avoiènt eux'^mémes sous leur dépendance
d'autres fidèles; celle des évéques ou autres
ecclésiastiques, et de leurs yassaux; et enfin
celle du comte qui menoit les hommes libres.
Je ne dis point que les vassaux ne pussent
être soumis au comte, comme ceux qui ont un
crommandement particulier dépendent de ce-
lui qui a un commandement plus général.
On voit même que le comte et les envoyés
du roi pouvoient leur faire payer le ban , c'est-
à-dire une amende , lorsqu'ils n'avoient pas
rempli les engagements de leur fief.
De même , si les vassaux du roifaisœent des
rapines (i), ils étoient soumis à la correction
du comte ^ s'ils n'aimoient mieux ie soiuooettre
à celle du roi.
i I ■■" — ' ' " ' * »■'
(TyCàpitulaire de Tan 88a, art. ii, adi>srnis
palatium ,- édit. de Balnoe , tome II , p- ^
ESPR. DES T.OIS. %. ^
7-
/|6 DE L*£SPRIT DES LOIS,
CHAPITRE XVIII.
Da domble jerritre.
C<*i TOIT un principe fondamental de la mo-
narchie , que ceux qui itoient sous la puissance
militaire de quelcpi'un étoient aussi sous sa ju-
ridiction civile : aussi le capitulaire ( i ) de Louis-
le-Débonnaire, de Tan 8i5, fait -il marcher
d'un pas égal la .puissance militaire du. comte
et sa juridiction civile sur les hommes libres :
aussi les placites (2) du comte , qui menoit à la
guerre les hommes libres, étoient-ils appelés,
les placites des hommes libres (3); d'où ré-
sulta sans doute cette maxime, que ce n*étoit
que dans les placites du comte, et non dans
ceux de ses officiers , qu'on pouvoit juger les
questipns sur la liberté : aussi le comte ne me-
noit-il pas à la guerre les vassaux des évêques
ou abbés (4), parcequ*ils n'étoient pas sous sa
juridiction civile: aussi n'y menoit -il pas les
arrière - vassaux des leudes : aussi le Glos-
saire (5) des lois anglaises nous dit-il (6) que
(i) Àrt. I et a, et le concile in verno palatio ,
de Tan 845, art. 8 , édit. de Balnze , tome ÏI , p. 1 7.
— (a) Plaids ou assises. — (3) Capitulaires , liv. IV d©
la collection d'Anzegise, art. 57 ; et le cajâtulaire T
deLonis^le-Dëbonnaire, de Tan 819, art. 149 édit.
de Balnze, tome I, p. 61 5. — (4) Voyez, pag. 42 y
la note 6 ; et p. 44 , la note i . — (5) Que l'on trouve
dans le recueil de Guillaume Lambard, de priscii
Anglorwn Ugibus, — (6) Au mot satrapia.
tlT&E XXX, CHAP. XVIII. 47
ceux qu/ê- les Saxons appekôent copies lurent
nommés par les Normands comies , compa^
gnons ^ paxcequ'ils partageoîent arec le roi les
amendes judiciaires : aussi voyons-nous dans
tous les temps que l'obligation de tout vassal
envers (i) son seigneur fut de porter les armes
et déjuger ses pairs dans sa cour (a).
Une des raisons qqî attacfaoien t ainsi ce droit
de justice au droit de mener à la guerre étoit
cpie celai qui menoità la guerre faisoit en même
temps payer les. droits du fisc , qui consistoient
eu quelques services de voiture dus par les
hommes libres , et en général en de certains
profits judiciaires dont je parlerai ei-aprés.
!Les seigneurs eurent lé droit de rendre la
justice dans leur fief par le même principe qui
fit que les comtes eurenèle droit de la rendre
dans leur comté; et, pour bien dire, les com-
tés , dans les variations arrivées dans les di-
vers temps , suivirent toujours les variations
arrivées dans les fiefs : les uns et les autres
étoient gouvernés sur le même plan et sur les
mêmes idées. En un mot , les comtes, dans leurs
comtés, étoient des leudes; les leudes, dans
leurs seigneuries , étoient des comtes.
On n'a pas eu des idées justes lorsqu'on a
regardé les comtes comme des officiers de jus;-
(i)Le8assi8e8 de Jéra8aleiii,cli. CCXXIetCClÇXII,
expliquent bien ceci. — (a) Les avoués de réélise
(atlvocati) étoient également à la tétt de It ors plaids
et de lanr milice.
48 DS i.'espait des eois.
tice , et les ducs comme des offîciets raîKlalTes»
Les ans et les autres ëtoient également des^ of-
ficiers mititakes et dyils ( i ) : toute la différence
étmt que le duc aroit sous lui plusieurs comtes,
quOiqu'H y eàt des comtes qui n'aToient.pmnt
de duo sur eux, comme nous l'apprenons de
Frédégaire(ft).
On croira peat^tre que le gouTemement
des Francs étoit pour lors bien dur, puisque
les mêmes of&ciers aTOÎent en même temps sur
les sujets la puissance militaire et la puissance
civile, et même la puissance fiscale; chose que
j*ai dit , dans les livres précédents , être une
des marques distinctives du despotisme.
Mais il ne £Aut pas penser que les ccMnites ju-
geassent seuls et rendissent la justice comme
les backas la roulent en Turquie (3) : ilrats-
sembloîent , pour juger les affaires , des espèces
de plaids ou d'assises où les notables étoient
oonYoqués (4).
Pour quf on puisse bien entendre ce qui con-
cerne les jugements dans les formules, les lois
des barbares et les^^pitulaires , je dirai que les
fonctions du comte, du gravion et du cente-
nier, étoient les mêmes (5); que les juges, les
(i) Voyet la formule 8 de Marcalfe , liv. I, qui
contient les lettres accordées à an dnc, patrice , où
comte , gai lenr donnant la 4nridiction«ivile et l'ad-
miaiêtration fiscale. — (2) Chronique, c. LXX'VIII ,
sur l'an 636.— (3) Voyez Grégoire de Tours , liv. V,
ad annum 58o.— (4) Mallum.— (5) Joignez ici ce
que j'ai dit au liv. XXVIII, ch. XXVIII ; et au liv.
XXXI, ch. VUL
X.IY1LB XXX, CHA^. XYIII. 4^
rathiaburges et les échevins, étoient, sous
dilférentsnoins, les mêmes personnes; c*étoient
les adjoints da comte, et ordiniiremeat il en
av<Ht sept : et comme il ne Ini Calloit pas moins
de donze personnes pour jtrger Ti), Û remplis*
scHt lenombre par des notables (2).
Maïs i{ui que ce fàt qui eût la juridiction ^
le roi, le comte, le gra^ion, le oentenier, les
seigneurs, les ecdésiastiqnes, ils ne jugèrent
jamais seuls ; et cet usage , qui tiroit son ori-
gine des forêts de la Germanie , se maintint en*
core lorsque les fiefs prirent une forme- nou^
Telle.
Quant au pouvoir fiscal, il étoit tel que If
éomte ne pouyoit guère en abuser. Jjcê droits
.du prince, à l'égard des hommes Ubres, étoient ,
si simples , qu'ib ne ccmsistoient, comme j'ai
dit, c[a*en de certaines voitures exigées dana
de certaines occasions publiques (3) ; et , quant
,aux droits judiciaires, il y ayoit des lois qui
prérenoient les malrersations (4)*
(i) Yoyes sur tout ceci les capitulairet de Loais-
le-Débonnaire ajoutés à la loi saliqae, art. a ; et k
formule des jugemetits, donnée par du Cange, an
mot boni homines. — (a) Per bonos homînes. Qnel-
^efois il n*y avoit qne des notables. Toyez l'ap-
pendice aoz formules de Marcnlfe, cb. LI.« — (3) Et
quelques droits snrlesnyieres, dont j*ai parlé.r-^
<4) Voy^ la loi des Ripoaires, tit. LXXI^IX ; et k
ides Lombards^ Ut. II, tit. LII, S' 9<
S.
5é *s l'esp&it dks l^is.
CHAPITRE XIX.
Des compositions cllez les peit|»les bâiiMrcs,
CiOMHB il est impossible d'^itrer un peu ayant
dans notre droit politique si IW ne connoit
jmrfaitenient les lois et les moeudrs des peuples
germains , je nt'arréterai un moment poip^ faire
la redierche de ces mceur» et de.ces JLois.
Il paroit, par Taoite, que les -Germains ne
oonnoisaoient que deux crimes capitaux ; ils
pendcâentles traîtres, et noyotent les poltrons :
c'étoient chez eux les seuls crimes qui fussent
puMics. Lorsqu^unhoinmeaToitiliEiit quel«]ue
tert à un autre , les fwrents de la pers<»me of«>
fensée ou lésée entroient dans la querelle (i);
et la haines'appaisoit par une satisfaction. Cette
«atisfaetion regardoit celai qin ayoil été offen-
sé, sHl pouYOtt la recevoir; et les parents, ai
i'injure ou le tort leur étoit commun, ou si,
par la mort de edui qui avoit été offensé ou
lésé , la satisfiaction leur étoit dévolue.
De la manière dcmt parle Tacite , ces satis-
factions se £aisoientparune convention réci-
proque entre les parties : aussi , dans les codes
\
(i ) Snscipere tam inimicitias , «ea patris ,-seii pro>
pinqui, qaàm amicitias, neoasseest : nec implaca^
biles dorant; Ivitar enim «tiam homicidiiim certo
armentomm ae pecomm muiiero, recipitqne satif*
ftctioBem mÛTarsa domns. Tacite, de Morib. Germ.
ftIVSK KXX, CITAP. XIX. &fe
dm peuples ba^iares , ces satisfactions s'ap»
]^Iient*eUes des compositions.
Je ne trouve que la loi des Frisons qui ait
laissé le peuple dans cette situation où dhaque
£simille ennemie étoit pour ainsi dire dans l'é-
tat de nature (i), et où, sans être retenue par
quelque loi politique ou eivile ^ elle pouvoit-à
sa fantaisie exercep sa yengeance fusqu*à ee
qu'elle eût été satisfaite. Cette loi i»éme fut
tempérée r Ottétablit qfue <»lui dont on deman-
doit la TÎe aurott la paix dans sa maison , qu*il
l'auroit en allant et en reyenant de Téglise y et
du lieu où Ton rendok les. jugements (2).
Les compilateurs des lois saliques citent n»
amcîen usage des fVancs> par lequel celui qui
ayoit exhumé un cadayre pour le dépouiller
étoit banni de la sodété des hommes jusqu'à
ce que les parents consentissent à i*y faire ren^
trer (3) : et comme ayant ce ten^ il étoit dé-
fendu à tout le monde, et à sa femme méme^
de lui donner du pain ou de le receyoir dans
sa maison, un tel homme étoit à Tégard des
autres et les autres étoient à son égard dans
Tétat de nature ,ju9^'à ce que cet état eàt ces*
aé par la composition.
A cela près , on yoit que les sages des diyer-
ae» nations barbares songèrent a faire par eux-
(i) Toyex cette loi, tit. II, sur les meurtres ; et
Taddition de TnletMr sur les ▼<^.-^(*) Additio
sapientnm , tit. I , $. 1 .—(3) Loi talicpie ^ tit. LVIH»
$. i;tit.XVn,S. 3.
5^1 BX l'eSFRIT DBS LOIS.
mêmes ce qu'il étoit trop long et trop dange-
reux d'attendre de la convention réciproque
des parties. Ils furent attentifs à mettre un prix
juste à la composition que devoit recevoir celui
à qui on avoit fait qudque tort ou ^lelque in^
jure. Toutes ces l<ns des bari>ares ont là-dessus
ime précision admirable : on y distingue avec
finesse les ca&, on y pesé les circonstances (i);
la 1<À se met à la plaee de celuLqui est offensé,
et dem(uide pour lui la satisfaction que dans
un moment de sang froid ii aoroit demandé*
lui-même.
Ce fut par rétablissement de ces lois que les
-peuples germains sortirent de cet état de na-
ture où il semble (pi*ils étoient encore du temps
de Tacite.
Rotharis déclara , dans la loi des Lond^ards ,
qu'il avoit augmenté les compositions de la
coutume ancienne pour les blessures , afin que.
Je blessé- étant satbfait , les inimitiés pussent
cesser (2). £n effet 9 les Lombards , peuple pai»-
vre , s'étant enrichis par lax^onquét^ de Tltâlie,
les, compositions anciennes devenoient, frivo-
les, et les réconciliations tie se faisoient plus.
Je ne doute pas que cette considération n'ait
obligé les autres chefs des nations conqué-
rantes à faire les divers codes de lois que nous
avons aujourd'hui.
(1) Voyex sof-tout les tit. III, IV, V, VI, et VU
de la loi saline, qui regardent les voû des aiÛBaaiix.
— (a)LiT.Ï,tit.VII,S. i5.
.tlYRK XXX, CBAP. XIX. 53
liJi'priacipale comp<Mttion étoit celle que le
memtrier devoit payer aux parents du mort.
La différence des conditions en mettoit une
dans les compositions (i): «insi^ dans la lei
des Angles 9 la compositibn étoit de six cents
sotti pour la mort d'un adalingne , de deux
cents pour celle d'un homme libre, de trente
pour celle d'un serf. La grandeur de la com-
position établie sur la tète d'un homme faisoit
donc une de ses grandes prérogatires ; car,
outre la distinction qu'elle faisoit de sa per^
sonne, elle établissoit pour lui , parmi des na-
tions. violentes, une plus grande sûreté.
lia loi des Bavarois nous fait bien sentir ce-
ci (a): elle donne le nom des familier bava-
roises qui recevoient une composition double ,
parcequ'elles étoient les premières après les
Agilolfingues (3). Les Agilolfingues étoimit de
la race ducale, et on choisissoit le duc parmi
eux; ils avoient une oomposition quadruple.
La composition pour leduc excédoit d'un tiers
celle qui étoit établie pour les Agilolfingues.
« Pârcequ'iLest duc , dit la loi , on lui vmd un
«r plus grand honneur qu'à ses parents. »
Toutes ces compositions étoient fixées à prix
d'argent. Mais comme ces peuples, sur- tout
(a) Voye» la loi des Angleê^ lit. I, $• » i « 1 4 »
ibij. tit. V, S. 6 ; la loi des Bavarois , tit. I, ch. VIU
€t IX ; et la loi des Frisons, tit» XV.— (a) Tit. 11 ,
eh. XX.— (3) Hondra , Oiza , Sâgana , lÙilingna ,
Anniena. IbiJ^
54 DE L ESI^RIT DES LOIS.
pendant qu'ils setinrent dans la Germanie, n'en
avoient guère, on pouvoit donner du bétail ,
du bled, des^neubles, des armes, des chiens,
des oiseaux de chasse, des terres, etc. (i);
Souvent même la loi fixoit la valeur de ces
choses (2); ce <|ui expliquoit comment , avec si
peu d'argent, il y eut chez eux tant de peines
péenniaires. *
Ces lois s'attacherait donc à marquer avec
précision la différence des torts, des injures,
des crimes, afin que chacun connût au juste
jusqu'à'quel point il étoit lésé ou offensé ; qu'il
sât exactement la réparation qu'il devoit rece-
voir, et ^ir-tout qu'il n'en devoit pas recevoir
davantage.
Dans ce point de vue , on conçoit que celui
qui se vengeoit après avoir reçu la satisfaction
commettott un grand crime. Ce crime ne con-
tenoit pas moins une offense publique qu'une
offense particulière ; c'étoit un mépris de la loi
même. C'est ce crime que les législateurs (3)ne
manquèrent pas de punir.
(i) Ainsi la loi d'Ina estimoit la rie une ccrudoe
somme d'argei;(t on ane certain^ portion de tenîe.
Leges Inas régis , tituio de ViUico regio , de
priscis Anglorum legihus. Cambridge, 1644. —
(a) Voyez la loi des Saxons, qni fait même cette
fixation ponr plnsiesrs peuples , ch. XVIII. VoycB
aussi 1« loi des Ripoaires, tit. XXltVI, §. 1 1 ; la loi
des Bararois, tit. l, §. xo et 11 : Si aummnonha-
het , donet aliam pecnniam , mancipia , terram , etc.
— (3) Voyeï la loi des Lombards , liv. I , tit. XXV,
LirV&E TiX^, CHÀP. XIX. 5S
Il y ayoit un autre ciime, qui fut sur-tout
regardé comme dangereux lorsque ces peuples
perdirent, dans le gouyernement civil, quel-
que, chose de leur esprit d'indépendance (i),
et que les rois s'attachèrent à mettre dans Téta t
une meilleure police ; ce crime étoit de ne you-
Ipir point faire ou de ne vouloir pas recevoir
la satisfaction. Nous voyons , dans divers codes
des lois des barbares, que les législateurs (a)
y- obligeoient. £n effet, celui qui refusoit de
recevoir la satisfaction vouloit conserver son
droit de vengeance ; celui qui re&Lsoit de la faire
laissoit à To^fensé son droit de vengeance: et
c'est ce c[ue les gens sages avoient réformé dans
les institutions des Germains, qui invitoient
à la composition^ mais n'y obligeoient pas.
S. 2 1 ; ihid. liv. I, tit. IX , §. 8 et 34 ; ibid. g. 38 ;
elle capitnlaire de Chariemagne , de l'an 8oa , ch.
XXXII, contenatit une iustraction donnée à ceux
qu'il envojoit dan» les provinces. — (i) Voyez dans
Grégoire do Tonrs, Uv. VII, ch. XLVII, le dél^
d^ttn procès on nne partie perd la moitié de la com-
position qni lui avoit été adjngée ponr s*étre ^it
justice. elle-même au lieu de recevoir la satisfac-
tion , quelques «xçès qu'elle eut soufferts depuis. —
(a) Voyez la loi des Saxons , ch. III, §. 4 ; la loi des
Lombards , liv. I, tit. XXX Vil, §. i et a ; et la loi
des Allemand», tit. XLV, $. i et a. Cette dernière
loi permettoit de se £ure jnstiee soi-même sur-le-
champ et dans .fe premi^ mouvement. Voyez aussi
les capitnlaires de Charlemagne , de l'an 779, cb.
XXII ; de Tan 8oa , ch. X^JUI i et celui du même ,
deraa8o5,.ch.V. :
56 Dï l'esp&it des lois.
Je viens de parler d'un texte de la loi salique
où le législateur laîssoit à la liberté de Toffensé
de recevoir ou de ne recevoir pas la Mtisfac-
tion : c'est cette loi qui interdisoit à celui qui
avoit dépouillé un cadavre le coBamerce des
hommes (i) , jusqu^à ce que les parents , accep-
tant la satisfaction, eussent demandé qu'il pût
vivre parmi les hommes^ Le respect pour les
choses saintes fit que ceux qui rédigèrent les
lois sdUques ne touchèrent point à Tancioi
nsaffe.
Ilanroit été kijuste d'accorder une compo-
sition aux parents d\in voleur to^ dans l'ac-
tion du vol) oui ceux d'une femme qm avoit
été renvoyée après une séparation pour crime
d'adultère* La loi des Bavarois ne donnoit
point de composition dans des cas pareils (a),
et punisssoit les parents qui en,poursuivoient
la veuffeance. ^
n n est pas rare de trouver, dans les codes
des lois des barbares ^ des compositions pour
des actions involontaires. La loi des Lombards
cstprtsquetoujours sensée ;elle vouloitque (3),
dans ce cas^ on composât suivant sa généro-
sité, et que les parents ne pussent plus pour-r
suivre la vengeante.
I ■ I I ■ I I ■ !■ I ■ !■< ■
(i) les «ompiUteiirs des h>if 41m Ripniires pa^
•oissent avoit modifié ceci. Voyez le tit. LXXXY d^
cet lois.— («) Toyei le décret de T«ssilon ^depo-
pularibu* legihiis, art. 3, 4i lo, i6, 19; la Ici
dts Angle», Ut. Vfl, J. 4.— (3) Liv* I, tit. IX, §• 4 -
Liy&K XXX, GHAP. XIX. $7
Clotaire II fit un décret très sage : il défen*
ait à celui qui aToit été volé de recevoir sa coin-
position en secret (i) et sans TordonnaBce du
juge. On Ya voir tout«à41ieare le motif de cette
loi.
CHAPITRE XX.
De ee qu'on a ap|»elé depaiii la justice des seignenn.
iJuTEE la composition qu'on devoit payer
aux parents pour les meurtres, les torts et les
injures , il falloit encore payer un certain droit
que les codes des lois des barbares appellent
fredian (a). J'en parlerai beaucoup ;,et, pour
en donner l'idée, je dirai que c*est la récom-
pense de la protection accordée contre le droit
de vengeance. Encore aujourd'hui ^ dans la
langue suédoise, ^<?^ veut dire Ja paix.
Chez ces nations violentes , rendre la justice
n'étoit autre chose qu'accorder à Celui qui avoit
fait Une offense sa protection contre la ven-
geance de celui qui l'avoit reçue , et obliger et
dernier à recevoir la satisfaction qui lui étdit
due : de sorte qUe chez les Germains , à la dif-
■ Il I » « ■■ I II I « i l II I I 1 1 »
( x) Pactus pro tenore pacis inter Childebértnin et
Clatarimn, ailAo 598; et decretioClotarii II régis,
circa annom SgS, ck. XJ.^-(a} Lorsque la loi ne le
iÙLoit pas , il étoit ordinairement le tiers de ce qa*om
donnoit ponr la composition , comme il parott dans
la loi des Ripttâires , ch. LXXXIX , qui est expliquée
par le troisième capitulaire de Tan $13, édition de
Baluze, tome I , p. 5il.
irSPR. DE8 LOIS. 5. ^ '
SB i>E l'ésp&it des lois.
férence de tous les autres peuples , la justice se
fendoit poui* protéger le criminel contre celui
qu'il avoit offensé*
Les codes des lois des barbares Aous don*
ient les cas où ce&/reda dévoient être exigés.
Dans ceux, où les pi^^ts ne poavoient pas
prendre de vengeance , ils ne donnent point dé
frèdum: en effet, là où il n'y av<)it ptMnt de
vengeance il ne pouvoit y avoir de droit de
i>rotection contre la vengeance. Ainsi, dans la
oi des Lombards (i) , si quelqu'un tuoit par
hasard un homme libre, il payoit la valeuï'
d'un homme mort , sans lefredimt ; parceque ,
l'ayant tué involontairement^ ce n'étoit pas le
cas où les parents eussent un droit de veù-
geance. Ainsi, dans la loi des Ripuaires (d),,
quand un homme étoît tué par un morceau de
}>ois ou un ouvrage fait de maift d'homme^
l^ouvrage oU le bois étoient censés coupables,
et les parents les prenpient pour leur Usage ^
sans pouvoir exiger de/redr/m»
De même , quand une béte avoit tué un
homme I la même (3) loi établissoit une com-
position sans lejreaum^ parceque les parents
du mort n'étoient pas offensés.
Enfin, par la lei«aliqtte^4)9 ^^ enfant qui
ittÊmm^mtm^m^Ê^mmt^^mm^immm^^mAt
(i) tir* I < tit. IX , §. I ^ < édit. de LindembtocX.
-r-i^) Tit. LXX.— (31) Tit. XXSVÎ. Toyez aussi la loi
des Lombards , lir. I ^ ch. XXI , §' 3 , édit* de Lin-
dembrock : Si caballtit cnm pede , etc. — (4) Tit.
xxvni,s.6.
«voit commis quelque faute ayant Tàge d^
douze ans payoit là composition sans le fre-
4{mi : comme il ne pouvoit porter ^core. lei
armes, il Ji'é(oit point dans le cas où la p^tie
lésée ou ses parents pussent demander la yei^r
geance. i
C'étoit le coupable ^ payoit le /reduniy
pour la paix et la sécurité que les excès qu'il
aToit commis lui avoient fait perdre, et qu'il
pouvoit recouvrer par la protection : mais^un
enfant ne perdoit point cette sécurité -, il n'étp^t
point un homme , et ne pouvoit être mis hors
de la société des hommes.
Ctfredimi étoit un droit local pour celui
quijugeoit^i) dans le territoire. Laloide^Ri-
puaires (a) lui défendoit pourtant de l'exiger '
lui-même; eUe vouloit que la partie qui avoit
obtenu gain de cause le reçut et le portât au
fisc , pour que la paix , dit û loi , fût ét^nelle
entre les Ripuair es.
La grandeiu* àxi,fredum se proportionna à
la grandeur de la protection 0) ; ain^i iefrôr
dum pour la protection du roi. tut plus grand
^ "W I I I M l ■ J I I 11 I I i l f
(i) Comme il paroi t par le décret dç Gotaire H,
de l'an SgS ; Fredas tamen jndicis , in cuju» pago
est , reservetBT.— (a)Tit. LXltXffl>-(3) Capitnlai»
inoerti ^oni *, oh. LYU, àwoàMmàn *o»« l^V'^^ ^'
Et il faut reami^uer que €eq»*o^ appelle /Ww*^*
faida, dan» Jka jQOtnnm^lB de û pr«*»i^« '*««♦
e'appeUe banmim dans ce»x de la seconde , comme
il paroît par le capitnlaire de p^rtibus SaXom^K
de Tan 789.
ÔO DB L^ESPKIT DES LOIS.
que celui accordé pour la protection du comte
et des autres juges. *'
' Je Yois déjà ni|ître la justice des seigneurs.
Les fiefs comprenoient de grands territoires,
comme il paroît par une ii^nité de monu-
mei^ts.J'ai dé^ prouvé que les rois ne levoieitt
•rie^ sur les terres qui étoient du partage des
Francs; encore moins pouvoient-ils se réserver
des droits sur les fiefs. Ceux qui les obtinrent
eurent à cet égard la jouissance la plus éten-*
due ; ils en tirèrent tous les fruits et tous les
émolumaits : et comme un des plus considé-
rables ( I ) étoîent les profits judiciaires {freda )
que Ton recevoit par les usages des Francs , il
suivoit que celui qui avoit le fief avoit aussi la
justice, qui ne s'exerçoit que par des compo-
'sitions aux parents , et des profits au seigneur ;
elle n*étoit autre chose que le droit de faire
payer les compositions de la loi , etcelui aexi-
ger les amendes de la loi.
On voit , par les formules qui portent la
confirmation ou la translation à perpétuité
d*un fief en faveur d'un leude ou fidèle (a), ou
des privilèges des fiefs en faveur des églises (3),
que les fiefs avoient ce droit. Cela paroît encore
(i) Voye« le oapitalaire de Cbarlemagne , de -vil^
dis, <m il met ceA freda aa noiùbre des grands re-
▼enas de ce tpCxin appeloh viilœ on domaines d||
'roi. — Ta) Voyez les formules 3^ 4, et 17, Hv. I^ d«
MaronUe.-^3) Ibid' form. a, 3, et 4.
CITUm XXX, GHÂP* XXf û%
psrjaiieipfimté de Chartres Ti) qoxcoiUîeaiieiit
une défense aux juges ou omciers du roi d'eii-
trer dans le territoire pour y exercer quelque
acte de justice que ce fût , et y exiger quelque
émoUunent de justice que ce fàt. Dès q|ie Um
juges, rc^anx ne pouvoient plus rien exigef
dans un district, ils n'entroient plus dans ce
district ; et ceux à qui restoit ce district y £ai*
soient les fonctions que ceux-là y avoient âiitea*
U est défendu aux juges royaux d'obliger lee
parties 4^ dimner des cautions pour comptr
roitre devant eux : Q^étoit donc à ce^ui qui rer
ee,¥OÎt le territoire à les exiger. Il est dît qjju^
les envoyés du roi ne pourvoi^ nt pins deman-
der de logement; e^ effiçt ils n*y a voient pluJL
aucune fonction.
La justice fut donc^ dan^ les fiefti anciens et
dans les fiefs nouveaux, un droit inhérent an
fief même, un droit lucratif quienCaisoitpartie*
Cest pour cela que, dans tous les temps , elle
a été regardée ainsi : d'où est né ce principe
que les justices sont patriinomfdes en France,
Quelques uns ont cru qi^e les justices tiroient
leur origine des affranchissements que les rois
et les seigneurs firent de leurs serfs. Mais les
nations germaines, et celles qui en ^sont des:-
cendues , ne sont pas les seules. quiaientaffran-.
ehi des esclaves, et ce sont lès seules cjui aient
(i) Voyes les recueils de cei Chartres, sur tout
celai qui est à la fin «lu cinquième volume des Hii»
toriens de France des PP.^éftêdictins.
4.
5:1 I>B LESFRÏT DES LOIS.
établi, des justices patrimoniales. D'ailleurs leè
formules de (i) Marculfe nous foiil voir des
liommes libres dépendants de ces justices dans
tes premiers temps : les serfs ont donc été jus*
ticiables , parcequ'ils se sont trouvés dans le
'territoire; et ils n'ont pas donné Torigine aux
^efs poT^ir avoir été englobés dans le ûef.
D'autres gens ont pris une voie plus courte :
les seigneurs ont usurpé les justices, ont -ils
dit ; et tout a été dit. Mais n'y a-t-il eu sur la
terre que les peuples descendus de la Germanie
qui aient usurpé les droits des princes ? L'his»
toire nous apprend assez que d'autres peuplés
ont fait des entreprises sur leurs souverains ;
mais on n'en voit pas naitre ce que l'on a ap-
|>elé les justices des seigneurs. C'étoit dtonc
dans le fond des usages et des coutumes des
-Germains qu'il en falloit chercher l'origine./
Je prie de voir, dans Loyseau (a), quelle est
la manière dont il suppose que les seigtieurs
procédèrent pour former et usurper leurs di-^
verses justices. Il faudroit qu'ils eussent été
les gens du monde les plus raffinés , et qu'ils
eussent volé, non pas comme les guerriers
pillent , mais comme des juges de village et des
■ '" ' I ■■ ' ' ■
- (i) Voyez la 3 , 4, et 1 4 du liy. I ; et la chartre de
Charlemag^iie, de l*aii 771 , dans Martenne, tojnel,
Aneçdot, coUect. XI. Prsecjpientes jabemot at nllna
jndex publicofl. ... bomipes ipsios ecclesiae e^ monas*
teiii ipsins Morbacensis, tam ingennos qnàm et
serves , et qui auper eomm ternis manerf 9 etc.—
(a) Traité des justices de village.
procureurs se voknt entre eux. Il &udrott
dire que ces guerriers , dans toutes les pro-
vinces particulières du royaume, et dans tant
de royaumes, auroient fait un système général
de politique. Loyseau les fait raisonner comme
dans son cabinet il raisonnoit lui-même. '
Je le dirai encoire : si la justice n'étoit point
tme dépendance du îfief , pourquoi voit-on par-
tout (i) que le service du fief étoit de servir le
Voi ou le seigneur et dans leurs cours et dans
leurs guerres?
CHAPITRE XXI.
De la justice territoriale des églises.
L« S églises acquirent des biens très considé^
Vables. Nous voyons que les rois leur donnè-
rent de grands fiscs, c'est-à-dire de grands
fiefs ; et nous trouvons d'abord les justices
établies dans les domaines de ces églises. D'où
auroit pris son origine un privilège si extra;-
ordinaire? Il étoit dans la nature de la chose
doiinée ; le bien des ecclésiastiques avoit ce
privilège , parcequ'on ne le lui ^toit pas. On
donnoit un fisc à l'élise; et on lui laissoit les
prérogatives qu'il auroit eues si on Tavmt
donné à unleude: aussi fut-il soumis au ser-
vice que l'état en auroit tiré s'il avoit été ac-
cordé au laïque , comme an l'a déjà vu.
« Les églises eurent donc le droit de faire payer
^r-*
(i) Voyes M. du Quige, au mol kominium.
64 i>B l'ksp&it xrxs lois.
les compositkms dans leur tçrrkoire, et d'en
exiger li fredam 'y et c<»nme^e6 droits emporr;.
toient n^oessalrement o^ii d'empêcher les of»
jficiers royaux d'entrer dans le territoire pour
exiger ces/reda et y exercer tous actes de jusi-
tice, le droit qu'euraiit les ecclésiastiques de
rendre la justice dans leur territoire jfiit appelé
ùrmumiié^ dans le style des foimnles (i), des
diartres ^ et des capitulaires.
La loi des Ripuaires (2) c^fend aux affràn^
diis (3) des égUses de tenir rassemblée où Ifi
justice se rend (4) ailleurs que dans Téglise où
ils ont été«ffranchis. Les églises avoient donc
des justices , même sur les hommes libres , et
tenoient leurs plaids dès les premiers temps
^ la monarchie.
Je trouve dans les Vies des si^nts (5) qu(e
<3oyis donna à un saint personnage la puisr
«ance via un territoire de six lieues de pays ,
«t qu'il Toulnt qu'il fût libre de t^te juridic-
tion quelconque. Je crois bien que c'est une
ijRtsseté , mais c'est une fausseté très aiicienne ;
le fondde la vie et les mensonges se rapportent
aux mœurs et aux lois du temps ; et ce sont ces
iRoeurs et ces lois que l'on chârche ici (6).
»' ■ Il , Il I ■■
(i) Toyee les formules 3 et 4 de Marcnlfe , liv. I,
-*-(a) Ne alicnhi, niai ad ecclesiam oBi relaxati snnt,
mallnm teneant, tit. LYIII, §. t . Voyez aussi le §. 1 9,
édit. deLindembrock. — (3)Tabii]âriis.— (4)MaUiiiii.
— >(5) Yita sancti Gcrmerii, episcopi Tdoaam , apnd
BoUandianos ,16 maii. — (6) Voyes ansai 1« fie do
stinc Mdaniaa, et celle de saiAt Déicole.
LIT&K XXX, CHÀP. XXI. 65
dotaire II ordonae aux évéques on aux
grands (i) qiii possèdent des terres dans dès
pays éloignés de choisir dans le lieu même ceux
qui doivent rendre la justice ou en recevoir les
émoltcmaits. .
Le même prince (2) règle la compétence en-
tre les juges des ég^ses et ses officiers. Le ca-
pitulairede Qiarlemagne, de Tan 80a, prescrit
aux évéques et i^ux abbés les qualités que doi-
vent avoir leurs officiers de justice. Un autre (3)
du même prince défend aux officiers royaux
d'exercer aucune juridiction sur ceux qui cul-
tivent les terres ecclésiastiques (4) 9 à moins
qu'ils n'aient pris cette condition en fraude et
pour se soustraire aux charges publiques. Les
évéques, assemblés à Reims, déclarèrent que
les vassaux des églises sont dans leur immu-
nité (5). Le capitulaire de Charlemagne , de
l'an S06 (6), veut que les églises aient la justit e
(i) Oana le concile de Pi^ris, 4e l'^a^iS. Epis-
copi Tel poteAtes , qi:^ in aliis possident regioDibns,
jadices Tel missoé discassores de aliis proTinciia
non instituant, nisi de loco, qni jnstitiam percipiant
et aliis reddant, art. 19. Toyez l'art. la. — (a) Dans
le concile de Paris, Tan 61 5, art. 5. — (3) Dans la loi
des Lombards, Ut. II, tit. XIIY^ ch. 11 , édit. de
Lindembrock. — (4) Servi aldiones , libellarii anti-
qai,Telalii noTiter facti. lù, — (5) Lettre de Tan 858,
art. 7 , dans les capitalaires , p. 108. Sicnt illc res
et facnltates in qaibns TiTont clerici , ita et illae snb
consecratione immnnitatis snnt de qaibns debent
militareTassalli. — (6) Il est ajonté à la loi des Baya-
rois, art. 7. Voyes aassi l'art. 3 de Tédit. de Lin-
fS Bc l'esp&it ovs lois.
crimineBe et civile sur tous ceux qrn faabkent
dans leur territoix^. £iifin le capitulaire de
Charles-le-ChauYe distingue les juridictions
du roi (1)9 celles des seigneurs, et cdled des
églises; et je n'en dirai rmi dayantage.
CHAPITEE XXII.
Que les joitices étoient établies ayant la fia de U
seconde race.
O N a dit que ce fut dans le désordre de la se>
coude race que les vassaux s'attribuèrent la
justice dans leurs fiscs : on a mieux aimé faire
une pr<^osition générale que de l'examiner : il
a été plus facile de dire que les vassaux ne pos-
sédoient pas , que de découvrir comment ils
poasédoient. Mais les justices ne doivent point
leur origine aux usurpations ;• elles dérivent
du premier établifiement , et non pas de sa cor-
ruption,
« Celui qui tue un homme libre , est-il dit
« dans la loi des Bavarois (a), paiera la compo-
« sition à ses parents , s'il en a ; et s'il n'en a
V point, il la paiera au duc , ou à celui à qui il
dembrock, p. 444. iD^primit omniani jubeiidniii
est ut habeant ecclesise eamm jastitias , et in yita
illoram qui habitant in ipsis ecclesiis et pqst , tant
in pecaniia qnàm et in ai^batantiis eamm. — (i) De
Taa 857, in synodo apud Carisiacum^ a^* 4^
édit. de Baluze, p. 96,— (a) Tit. UI, ch. Xin,cdit.
de Lindembrock.
LIYKE XXX, CHÀP. XXIX. 67
« s*étmt recommandé pendant sa Tie. ^^ On sait
ce que c*étoit qae se recommander pour un
bénéfice.
« Celui à qui on a enlevé son esclaye , dit la
«( loi des Allemands (i), ira au prince auquel
« est soumis le* rayisseur , afin qu'il en puisse
a obtenir la composition. »
« Si un centenier , est-il dit dans le décret de
« Childebert (a), trouve un voleur dans une
«autre centaine que la sienne, ou dans les
«c limites de nos fidèles , et qu'il ne l'en chasse
« pas, il représentera le voleur, ou se purgera
« par serment.' » Il y avoit donc de la différence
entre le territoire des centeniers et celui des
fidèles.
Ce décret de Childebert explique la consti*
tution de Clotaire (^) de la même année, qui ,
donnée pour le même cas et sur le même &it ,
ne diffère que dans les termes, la constitution
(1) Tit. LXXX V.— (a) De Tan 595,art. 1 1 él 12 ,
édit. des capital, de Ralaze, p. 19. Pari conditione
«onvenit ut si ana centena in alia centena vestiginm
secata-fnerit et invenerit, vel in quibnseiimqae fide*
Uam nostroram terminis yestiginm misent, et ip*
snm in aliam centenam minime expellere potnerit t
aat convictns reddat latronem , etc«->(3) Si yestigiis
comprokatar latronis, tamen prassentisB nibil longe
mnlctando ; ant si perseqnens latronem annm com-
préhenderit, integram sibi compositionem accipiat«
Qnod si in tmste invenitur, medietatem composi-
tionistmstis adqnirat, et capiule ezigat a latronfo
Art. a, 3.
6'd DE L'£5PaiT DES LOIS.
appelant in truste ce que le décret appelle in
terminis Jideliian nostrorum» MM. Bignon
et du Cange (i), qui ont cru que m truste si-
gnifioit le domaine d'un autre roi , n'ont {5as
bien rencontré.
Dans une constitution (2) de Pépin , roi
d'Italie , faite tant pour les Francs que pour les
Lombards , ce prince, après avoir imposé des
peines aux comtes et autres officiers royaux
qui prévariquent dans l'exercice de la justice,
ou qui différent de la rendre, ordonne que (3 ,
s'il arrive qu'un Franc ou un Lombard ayant
un fief ne veuille pas rendre la justice , le juge
dans le district duquel.il sera suspendra l'exer-
cice de son fief; et que , dans cet intervalle » lui
ou son envoyé rendront la justice.
Un capitulaire de (4) Çharlemagne prouve
que les rois ne levoient point par-toutles j^^^^ .
Un autre (5) du même prince nous /ait voir les
règles féodales et la cour féodale déjà établies.
(i) Yoyezle Glossaire, aa mot trustisf>^{^) In*«
ftérée dans ia loi des Lombards, lir. II, tit. LU, §. 1 4*
G* est le capitulaire de Tan 798) dans Balnze, p. 544S
art. 10. — (3) Et si forsitan Francns aat Longobardns
habens beneficinm justitiam facere noluerit, ille
jadex in en jus ministerio fnerit contradicit illi !>ۥ>
neficium sunm, intérim dnm ipse ant missat ejoa
jnstitiam faciat. Voyez encore la même loi des Lom-
bards, liv. II , tit. LU , S. a , qui se rapporte an ca •
pitakire de Çharlemagne, de Fan 779^ art. ai. —
(4) Le troisième de Tan ,8 x a , art. 10. — (5) Le second
capitalaire de l'an 8i3, *rt. 14 et ao, p. 509.
LIVUE XXX, CHAP. XXII. 69
Un autre de Louis-le-Débonnaire veut que ,
lorsque celui qui a un fief ne rend pas la jus-
tice (i) ou empêche qu'on ne la rende, on vive
à discrétion dans sa maison jusqu'à ce que la
justice soit rendue. Je citerai encore deux
oqpitulaires de Charles -le «Chauve^ l'un de
l'an 861 (a), où l'on voit des juridictions par-
ticulières établies , des juges et des officiers
sous eux ; l'autre (3) de l'an 864 , où il fait la
distinction de ses propres seigneuries d'avec
celles des particuliers.
On n'a point de concessions originaires des
fiefs, parcequ'ils furent établis par le partage
qu'on sait avoir été fait entre les yalnqueurs.
On ne peut donc pas prouver par des contrats
originaires que les justices, dans les commen-
cements, aient été attachées aux ûefs : mais si ,
dans les formules des confirmations ou des
(i) Capitnlare qnintnm anal 819, art. a3, édit,
de Balaze, p. 61 y. Ut obicamqae missi, aat epis-
copnm, aat abbatem, aat alium qnemlibet honore
praedittim , invenerint , qui justitiam facere nolait
Tel prohibait, de ipsias rebas vivant qoamdia in
eo loco jostitias facere debent. — (a) Edictom in
Carisiaco , dans Baloxe, tome II , p. x 5a. Unasqais-
qa« advocatas pro omnibus de sua advocatione....
in convenientia ut cum rainisterialibas de sua advo-
eatione qnos invenerit contra hana^nnom nostrnm
feeisse.... castiget. — (3) Edictum Pistense , art. x8,
cdit. dtfBalu2e, tome II, p. 181. Si in fiscum nos-
tram, vel in qoamcamqae immunitatem, aat ali-
cnjns potentis potestatem vel proprietatem , confn*
gerit , etc.
xsra. i>Es toit. .'».
^d t)£ L*£SPRIT DES LOIS.
Iranslaftioïis à perpétuité de ces fiefs, on trouTe,
comme on a dit, que la justice y étoit établie,
il falloit "bien que ce droit de justice fût de la
nature âa fief, et une de ses principales pré-
rogatives.
Nolis avons un plils grand nombre de mo*
numcnts qui établissent la justice patrimoniMe
ides églises dans leur territoire que nous n'en
avons pour prouver ceHe des bénéfices eu fiefe
des leùdes ou fidèles ; par deux raisons : la pre-
mière, que la plupart des monuments c^i nc^^
testent ont été conservés ou recueillis' |!>ai' les
moines pour l'utilité de leurs monastères : la
seconde, que le patrimoine des églises ayant
été formé par dés concessions partictdierés et
une espèce de dérogation à Tordre établi , il
falloit des Chartres pour cela ; au lieu que les
concessions faites aux leudes étant des consé^
quences de Tordre politique , on n'avoit pas
besoin d'avoir et encore moins de conserver
vne cbartrsè particulière. Souvent jnéme les
rois se cozïteiktoient de faire une simple tradi-
tion parie sceptre , comme il paroit par la vie
de S. Maur.
Mais la troisième formule (i) de Marculfe
nous prouve assez que le privilège d'immu-
nité , et par conséquent celui de la justice ,
(i) Liv. I. Blaxinram regni noatri angete eredi-
mos mommentam , si bénéficia opportuna lo^ ee-*
clesiaram , ant cai volneris dicere , benevoiâ dtflî*
beratione concedimus.
LIVRE XXX, CHAP. XXII. 7I
étoîent communs aux ecclésiastiques <ff: aux
séculiers, puisqu'elle est faite pour les uns et
pour les autres. Il en est de même de la consti-
tution de Clotaire H (i).
CHAPITRE XXIII.
IiJbée générale du Hwe de V Etablissement de la
monarchie française dans les Gaules , par
M. Tabbé Dubos.
XTj est bon qu avant de finir ce Kvre j'examine
un peu l'ouvrage de M. l'abbé Dubos , parce-
que mes idées sont perpétuellement contraires
aux siennes; et que , s'il a trouvé la vérité, je
ne l'ai pas trouvée,
Cet ouvrage a séduit beaucoup de gens,
parcequ il est écrit avec beaucoup (l'art; par-
cequ'on y'fuppose éternellement ce qui est en
question; parceque plus on y manque de preu-
ves, plus on y multiplie les probabilités; par-
cequ^une infinité de conjectures sont mises en
principe, et qu'on en tire comme conséquen-
ces d'autres conjectures : le lecteur oublie qu'il
a douté, pour commencer à croire. Et comme
une érudition sans fin est placée , non pas dans
le système , mais à côté du système, l'esprit est
distrait par des accessoires , et ne s'occupe plus
du principal. D'ailleurs tant de recherches ne
permettent pas d'imaginer qu'on n'ait rien
.(1) .Te l'ai citée dans le chapitre précédent : Epi^f'^
copi vel potenfes.
7» DE l'esprit des lois.
trouye ; la longueur du voyage fait croire qu'on
est enfin arrÎTé.
Mais , quand on examine bien , on trouve un
colosse immense qui a des pieds d'argile ; et
c'est parceque les pieds sont d'argile que le co-
losse est immense* Si le système de M. l'abbé
Dubos avoit eu de bons fondements, iln'au*
roit pas été obligé de faire trois mortels volu-
mes pour le prouver ; il auroit tout ti^uvé
dans son sujet; et, sans aller chercher de tou-
tes parts ce qui en étoit très loin , la raison
elle>méme se seroit chargée de placer cette vé-
rité dans la chaîne des autres vérités. L'his-
toire et nos lois lui auroient dit: « Ne prenez
et pas tant de peine, nous rendrons témoignage
à de vous. »
CHAPITRE XXIV.
Continuation da mfme fojet. Réflexion sur !•-
fond du aystéme.
Al. L*ABBi DuBOs veut ôter tonte espèce
d'idée que les Francs soient entrés dans les
Gaules en conquérants : selon lui , nos rois , ap«
pelés par les peuples, n'ont fait que se mettre
à la place et succéder aux droits de» empereurs
romains.
Cette prétention ne peut pas s^appliquer au
temps où Clovis , entrant dans les Gaules , sac-
cagea et prit les villes; elle ne peut pas s'appli-
quer non plus au temps où il défit Syagrius ,
officier romain , et conquit le pays qu'il tenoit :
livîit: xxjc, chap. xxiv. 73
elle ne peut donc se rapporter qu'à celui ori
Clovis, devenu maître d*une grande partie des
Gaules par la violence , auroit été appelé par le
choix et Taniour des peuples à la domination du
reste du pays. Et il ne suffit pas que Clovis ait
été reçu , il faut qu'il ait été appelé, il faut que
M. l'abbé Dubos prouve que les peuples ont
mieux aimé vivre sous la domination de Clovis
que de vivre sous la domination des Romains ,
ou sous leurs propres lois. Or les Romains de
cette partie des Gaules qui n'avoit point encore
été envahie par les barbares éloient, selon M.
l'abbé Dubos , de deux sortes ; les uns étoient
de la confédération armoriqne ^ et avoient
chassé les officiers de Tempercut pour se dé-
fendre eux - mêmes contre les barbares et se
gouverner par leurs propres lois ; les autres
obéissoient aux officiers romains. Or M. l'abbé
Dubos prouve-t-il que les Romaiifs qui étoient
encore soumis à l'empire , aient appelé Clovis?
Point du tout. Prouvc-t-il que la république
des Armoriques ait appelé Clovis et fait même
quelque traité avec lui? Point du tout encore.
Bien loin qu'il puisse jious dire quelle fut la
destinée de cette république , il n'en sauroit
pas même montrer Texistence; et, quoiqu'il la
suive depuis le temps d'Honorius jusqu'à la
conquête de Clovis , quoiqu'il y rapporte avec
un art admirable tous les événements de ces
temps-là, elle est restée invisible dans les au-
teurs. Car il y a bien de la différence entre
fjt, DE l'esprit des LOIS.
inrouver , par un passage de Zozime (i), qne y
$0us Tempire d'Hon<^rius , la contrée armori-
que et les autres provinces des Gaules se ré-
voltèrent et formèrent une espèce de républi-
que (a) , et faire voir que , raalgré les diverses
pacifications des Gaules, les Armoriques (ov-r
merent toujours une république particulière
qui subsista jusqu'à la conquête de Clovis.
Cependant il auroit besoin , pour établir son
système, de preuves bieil fortes et bien préci-
ses: car quand oii voit un conquérant entrer
dans un état et en soumettre une grande partie
par la force et par Ik violence, et qu'on voit
quelque temps a[Srès l'état entier soumis sans
que l'histoire dise comment il Ta été, on a un
très juste sujet de croire que l'affairé a fini
comme elle a commencé.
Ce poinJt tuie fois manqué , il est aisé de voir
que tout le système de M. l'abbé Dubos croule
de fond en comble ; et toutes les fois qu'il tirera
quelque conséquence de ce principe; que les
Gaules n'ont pas été conquises par les Francs ,
mais que les Francs ont été appelés par les
Romains , on pourra toujours la lui mm^
M. l'abbé Dubos prouve son principe par
les dignités roniaines dont Clovis fut rçv'étu ;
il veut que Clovis ait succédé à Childétic son
peré dans l'emploi de màitre de la milice. Maïs
ces deux charges sont purement de sa créa-
— • " ■ ■ I ' I II » I ■
(i) Hist. Ht. VI. — (a) Totnsqne tractns armciri*
cas , aliaMjaé Galliarom pro-vincise. Ibid,
tITRE rrX, CH^ÀP. XTIV. 7?
tion. La lettre de S. i emi à CIovîs , sur laquelle
il se fonde (i), n'est qu'une félicita tion sur
son avènement à la couronne. Quand l'objet
d'un écrit est connu, pourquoi lui en donner
un qui ne Test pas ?
Cibvis, sur la fin de son règne, fut fait con-
sul par l'empereur Anastase : mais quel droit
pouYoit lui donner une autorité simplement
annale? 11 y a apparence , dit M. l'abbé Dubos^
que, dans le même diplôme, l'empereur Anas-
tase fit CloTis proconsul. £t moi je dirai qu'il
y a appajrencè qu'il ne le fit pas. Sur un fait
qui n'est fondé sur lien , l'autorité de celui qui
le nie est égale à l'autorité de celui qui l'aile-
gue. J'ai même une raison pour cela. Grégoire
de Tours , qui parle du consulat , ne dit rien
du proconsulat, Ce proconsulat n'auroit été
même que d'environ six mois. Clovis mourut
tm an et demi après avoir été fait consul : il
n'est pas possible de faire du proconsulat une
charge héréditaire. Enfin , quand le consulat,
et si l'on veut, le proconsulat, lui furent don-
nés , il étoit déjà le maitf e de la monarchie , et
tous ses droits étoient établis.
La seconde preuve que M. l'abbé Dubos
allègue , c'est la cession faite par l'empereur
Justinien aux enfants et aux petits-enfants de
Clovis de tous les droits de l'empire sur les
Gailles. Taurois bien des choses à dire sur
cette cession. On peut juger de l'importance
■ 1 I —pi—. Il 1 f ! ■
(i) ToibeII,liV.ni,tKXVin,i». a70.
7<5 ïJE l'espbit des lois.
que les tois des Francs y mirent par la manière
dont ils en exécutèrent les conditions. D'ail-
kurs les rois dès Francs étoient maîtres des
Gaules; ils étoient souverains paisibles; Jus-
tinien n*y possédoit pas eu pouce de terre;
l'empire d'occident étoit détruit depuis long-
temps ; et l'empereur d'orient n avoit de droit
sur les Gaules que comme représentant Tem-
pereur d'occident : c'étoit des droits sur des
droits. La monarckie des Francs étoit déjà
Ibndée ; le règlement de leur étal]jissément
étoit fait; les droits réciproques des personnes
et des diverses nations qui vivoient dans la
monarchie étoient convenus ; le;5 lois de cha-
que nation étoient données et même rédigées
pw écrit. Que faisoit cette cession étrangère
à un établissement déjà formé ?
Que veurt dire M. l'abbé Dubos avec les dé-»
rlamations de tous ces évéques qui 9 dans le
désordre, la confusion, la chute totale de l'état,
les ravages de la conquête , cherchent à flatter
le vainqueur ? Que suppose la flatterie, que la
foiblesse de celui qui est obligé de flatter ? Que
prouvent la rhétorique et la poésie , que l'em-
ploi même de ces arts ? Qui ne seroit étonné de
vcnr Grégoire de Tours , qui , après avoir parlé
des assassinats de Clovis , dit qu€ cependant
Dieu prosternoit tous les jours ses ennemis^
parcequ'il marchoit dans ses voies ? Qui peut
douter que le clergé n'ait été> bien aise de la
conversion de Clovis , et qu'il n'en ait mêmç
tiré de ^ajids avantages ? Mais qui p«ut dour
LÎTRE XX1K, CHIP. XXIT. 77
ter en même temps que les peuples n'aient es-
suyé tons les malheurs de la concfuéte , et que
le gouTemement romain n*ait cédé au g ou^er-
nement germanique ? Les Francs n'ont point
voulu et n'ont pas même pu tout changer, et
même peu de vainqueurs ont eu cette manie.
Mais , pour que toutes les conséquences de.
M. l'abbé Dubos fussent vraies , il auroit fallu
que non seulement ils n'eussent rien changé
chez les Romains , mais ei^core qu'ils se fussent
changés eux-mêmes.
Je m'engagerois bien , en smvant la méthode
de M. l'abbé Dubos ^ à prouver de même que
les Grecs ne conquirent pas la Perse. D'abord
je parlerois des traités que quelques unes de
leurs villes firent avec les Perses : je parlerois
des Grecs qui furent à la solde des Perses ,
comme les Francs furent à la solde des Ro-
mains. Que si Alexandre entra dam le pays
des Perses, assiégea, prit , et détruisit la ville
de Tyr , c'étoit une affaire particulierp comme
ccDe de Syagrius. Mais voyez comment le pon-
tife des Juifs vient au-devant de lui : écoutez
l'oracle de Jupiter Ammon : r^ssouvenez-vous
comment il avoit été prédit à Gordium : voyez
comment toutes les villes courent, pour ainsi
dire, au-devant dé lui; comment les satrapes
et les grands arrivent en foule. Il s'habilie à la
manière des Perses; c'est la robe consulaire
de Clovis. Darius ne lui offrit-il pas la moitié
de son royaiune? Darius n'est-il pas assassiné
Comme un tyran? La mère et la femme de Da-
jS DE L'ESPKIT des LOIS.
rias tte plearent-elles pas )a mort d'Alexandre?
Quinte-Cttrce^Arrien^ Plutarque, étoient-ils
contemporains d'Alexandre ? L'imprimerie ( i )
ne nous a-t-eUe pas donné des Inmieres qui
manquoient à ces auteurs ? Voilà l'histoire de
ï Etablissement de la moncrchie française
dani les Gcuiles.
CHAPITRE XXV.
De la noblesse françsite.
^1. L*ABBi DnBos soutient que, dans les
premiers temps de notre monarchie,, il n'y
avoit cpi'un seul ordre de citoyens, parmi les
Francs. Cette prétention injurieuse au sang de
nos premières familles nele seroit |>as moins
aux trois grandes maisons qui ont successive-
ment régné sur nous. L'ori^^ine de leur gran-
deur n'iroit donc point se perdre dans l'oubli ^
la nuit, et le temps: l'histoire édaireroit des
siècles o^ elles auroient été des famiUes como-
munes; et pour que Qiildéric, Pépin, et Hu-
gues Capet fussent gentilshommes, il faudroit
aller chercher leur origine parmi les Romains
OU lés Saxons , c'est >à*dire |>armi les nations
subjuguées.
M . l'abbé Dubos fonde (2) son opinion sur
la loi salique. Il est clair, dit-il, par cette loi
(i) Voyez le discours prclimiiîarirc de M. Tabhé
Dnbo». — (2) ToynrEtffbiirsfiuent de la inonarchie
fra nçaise , tokne Iir , lîv. VI , eh, IV, p. 3o4 .
\
■
qu'il a'y aroit point deux xicrdres de cUoyeiu
ckes les Fcaiu». £Ue doimeit éeux cents sous
de composition pour ia mort de quelque Franq
que ce fut (i); mais die distioguoit chez les
Âomains le convive du roi , pour là mort dk-
^p&el dk donnoit tnois ocspAs sous de compo-
sitteny du Romain possesseur, à qui elle en
domifHt çemt , et dullomain tributaire, à qui
ellea*en donnoit que quarante-cinq. Et , coiD-
me la différence des compositions faisoit la
distinctioa principale , il conclut que , chez les
Francs , il u*y avdit (|U*uu ordre de citoyens ,
et qu'il y an avoit troisckes les Romaitis.
Û est surprenant que son erreur même nr
lui ait pas fait découvrir sob ccrreur. £n effet
il eût été bien extraordinaire \que les n;ohle.s
romains, q^ vivoiant sous la domination des
Fi'aaics , y eussent eu une composition pkis
f(raade et y eussent été des personnages plus
knportimts qiïe les plus illustres des Francs et
leurs plut grands'capitainesik QùeUe apparence
que le peujde vaincpieur eut eu si peu de res-
pect poui^ lui-même, et qu'il en eût eu tant
pour le peuple vaincu? De plus, M. Vàbbé
Bubos cite4es lois des autres nations barbares
qui prouvent qu'il y avoit parmi eux divers
ordres de citoyens. Il seroit bien extraordi-
naire que cette règle générale eàt précisément
manqué chez les Francs. Cela aiiroit dû lui
— I II 1 . 1 ■ "
(i) ileitele^treXLïVAeo«t^i©ii«tlalMi«#
lUpnaires , tit, VU «t XXXVI.
bo DB L'BSPaiT DBS LOCS.
faire penser qu'il eatendoit mal ou qu'il ap-
pliquoit malles textes de la loi salique ; ce qui
lui est effectivement arrivé.
On trouve, en ouvrant cette loi, que. la
composition pour la mort d'un antrustion (i),
c'est-à-dire d'un fidèle ou vassal du roi, étoit
de six cents sous, et -que celle pour la mort
d'un Romain convive du roi n'étoit que de
trois cents (a). On y trouve (3) que la ccmipo-
sition pour la mort d*un simple Franc étoit de
deux cents sous (L) , et que celle pour la.mQrt
d'un Romain (5j d'une condition ordinaire
n'étoit que de cent« On pajoit encore pourJa
mort d'un. Romain tributaire (6), espèce de
serf ou d'affranchi, une composition 'de qua-
rante-cinq sous; mais je n'en parlerai point,
non plus que de celle pour la mort du serf
franc ou de l'affranchi franc : il n'est point ici
question de ce troisième ordre de personne».
Que ^it M. l'abbé Dubos? il passe sous si-
lence le premier ordre de personnes chez les
Francs , c'est-à-dire l'ardde qui concerne les
antrustions ; et ensuite , comparant le Franc
ordinaire pour la mort duquel on payoitdeux
(i) Qui in truste dominica est, tit. XLTV, $. 4 ;
et cela se rapporte à la formule 1 3 de Marculfe , iie
régis antrustione^ Voyez aussi le tit. LXVI de la loi
salique, §. 3 et 4 ; et le tit. LXXIY ; et la loi des
Ripuaires , tit. XI ; et le capitulaire de Charles-le-
Chauve, apuii Carisiacum, de l'an S77, ch. XX.
— (a) Loi salique, tit. XLIV, J. 6.— (3) Ihid. %. 7.
—(4) Vfid, S. I.— (5) Ibid. S. i5.— (6) Ibid. %. 4.
LITAE XXX, CHÀP. XXT. %l
çetAs SOUS de composition avec ceux ijn'il ap-
pelle des trois ordres chet'les Romains, et
pour la mort desquels pn payoit des compo-
sitions différentes ,' il trouve qu'il n'y a voit
qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs,
et qu'il y en avoit trois chez les Boinains.
Comme, selon lui, il n y avoit qu'un seul
or^^ de personnes chez les Francs , il eût été
bon qu'il n'y en eût eu qu'un aussi chez les
Bourguignons , parceque leur royaume forma
une des principales pièces de notre monarchie.
Mais il y a dans leurs codes trois sortes de
compositions (i); -Funepoùrle noble bourgui-
gnon ou romain , Fautre pour le Bourgmgnon
ou Romain d'une condition médiocre , la troi-
sième pour ceux qui étoient d'une condition
inférieure dans les deux nations. M. l'abbé
Dubos n'a point cité cette loi.
n est singulier de voir comment il échappe
aux passages qui le pressent de toutes parts (ji).
Lui parle^t-on des grands , des seigneurs , des
nobles ? Ce sont , dit-il , de simples distinctions ,
et non pas des distinctions d'ordre ; ce sont des
(i) Si qitis , quolibet caêa , Hentem optimati Bar-
I gundioni vel Romano nobili excnsserit, solidos vi-
I ginti quinque cogatnr exsolvere ; de mediocribus
personisingeniiis, tam Burgnndionibiis quai» Ro-
manis , si dens çxcussqs fnerit, decem soUdis corn-
ponatar ; de infetiorîbas personis , qmnqae solidos.
Art. I, a, et 3 dntit. XXTI de la loi desBonrgoi-
gaons. — (a) Etablissement de la monarchie français^
tome III , Uv. VI , ch. IV etV.
tSPK, BKS 1.018. 5. 9
8a DE l'esprit des lois*
choses de Gourtoiaie , et non pas des proroga-
tives de laicà. Ou bien , dit-il , les gens dont on
parle étoient du conseil du roi;. ils pouvoient
même être des Romains : mais il nf avoit tou-
jours qu'un seid ordre de citoyens chez les
Francs. D'un autre coté , s'il est pai^é de quel^
que Franc dW rang inférieur (i) , ce sont des
serfs; et c'e&tide cette maniera qu'il interprète
lé déeret de Childebert. Il est nécessaire que
je m'arrête sur ce décret. M. l'abbé Dubos Ùl
rendu fameux , pareequ'il s'en est servi pour
prouver deux choses; l'une (a), que toutes les
compositions que l'oi^ trouve dans les lois des
barbares n' étoient que des intérêts civils ajou-
tés aux peines corporelles ^ ce qui renverse de
fond en comble tous les anciens moatuments ;
l'autre , que tous les hommes libi^es étoient
jugés directement et immédiatement par le
roi Çi)^ ce qui est contvedit par une infinité
de passages et d'autorités qui nous font con-
noitre l'ordre judiciairç de ees temps^là{4)«
Il est dit dans ce décret , fait dans une assem-
blée de la nation (5), que si le juge trouve un
( I ) Etablissement de la nionarôhi« francise ^ tçvxe
ni , liv. YI , ch. V, p. 3 1<) et 3ao.~(a) J*m/. Uv. ¥1,
«h. IV, p. 3o7 et 3o8.~(3) Ch. VI, p. Sop ; et «a
«h. «air. p. 3*9 et 3«o. — (4) Voye» le Kv. XXVIU
^ecet €mvi«ge,ch.XXVin ; etle liv. XXXI, eh. Via.
— (5) Itiiqpe eolonia conveoit et ita baanivimnt , ut
ian^a^iaque jndex criminoiam latronam ut an-
i4i«i(it y ad-oaaam«aafn ambnlet , et4.p8iim ligare-Ci-
«iat : ita nt, si Francos loerit, ad noatram praêtB-
I^IYRÇ XXX, C9AP. XXV. 8*)
▼oleur fameux, il le fera lier pour être envoyé
devant le roi , si c'est un Franc ( Francus ) ;
maisT si c'est une personne plus toible ( debi-
iforpersona\ il SM*a pendu sur le lieta. Selon
M. TabbéDubos, Franctisthl un bommelibre,
ileb^lior persciftae&X. un serf. J'ignorerai pouf
un aipment ce que peut signifier ici le mot
Franci0^ et je commencerai par examiner ce
qu'on peut entendre par ces motstme personne
plm foible^ Je dis que, dans quelque laengoe
que ce soit , tout comparatif suppose nëcésaai*
rement trois termes, le plus grand, le moindre,
et le plus petit. S*il n'étoit ici question que des
hommes libres et des serfs, on auroit dit ju»
S0rf^ çt non pas im homme dtt^ moindre
puissemce. Ainsi tiebiiior personane signifie
point là un serf, mais une personne aa^es-
sous de laquelle doit être le serf* Cela posé,
Franais ne signifiera pas un homme libre ,
mais un homme puissant : et Francus est pris
ici dans cette acception , parceque pa^mi les
Francs étoient toujours ceux qui avoientdans
l'état une plus grande puissance, et qu'il étoit
plus difficile au juge ou au comte de corriger.
Cette explication s'accorde avec un grand
nombre de capitulaires (i) qui ddkment les
cas dans lesquels les criminels pouvoient être
tiam diris^atar ; et, si debllior persoaa faerit, in loco
peodtti^i-. Capitalaires de l'édition de Ralaee, tonte I,
p. 19. — (i) Voyez le liv. TtXTIII de cet ouvrage,
ch. XXVIU ; et le liv. XXXI , cb. Vni.
84 I>S L^ESPRIT DES LOIS.*
renroyés devant le roi , et ceux qù ils ne le
pouvoient pas.
On trouve dans la vie de Louis-le-Débon-
naire, écrite par Tégan (i), que les ëvèques
furent les principaux auteurs de l'humiliation
de cet empereur, sur-tout ceux quiavoient été
serfs et ceux qui étoient nés parmi les bar-
bares. Tégan apostrophe ainsi Hébon, que ce
prince avoit tiré de la servitude et avoit fait ar-
chevêque de Reims : « Quelle récompense Tem-
« pereur a-t-41 reçue de tant de bienfaits (2) ?
« Il t'a fait libre , et non pas noble ; il ne pou-
ce voit pas te faire noble après t'avoir donné la
<t liberté. »
Ce discours, qui prouve si formellement
deux ordres de citoyens , n'embarrasse point
M. FabbéDubos. Il répond ainsi (3): « Ce pas-
ce sage ne veut point dire que Louis-le-Débon-
« naire n'eût pas pu faire entrer Hébon dans
«Tordre des nobles. Hébon, comme arche-
« véque de Reims, eût été du premier ordre,
« supérieur à celui de la noblesse. » Je laisse au
lecteur à décider si ce passage ne le veut point
dire; je lui laisse à juger s'il est ici question
d'une préséance du clergé sur la noblesse.
«Ce passage prouve seulement, continue (4)
(i) Ch. XLIII ctXLIV.~.(a) O qualem remane-
rationem reddidisti ei 1 Fecit te lïberam , lion no-
bilem , quod impotsibile est post libertatem. I6id.
— (3) Ëtablissement de la monarchie française, tome
iII,Uv. VI,ch. IV,p. 3i6.~(4) ////Vy.
LIVRE XXX, CHAP. XXV. 85
a M. Fabbë Dubos , que les citoyens nés libres
<t étoient qualifiés de nobles -hommes : dans
« l'usage du monde , noble-homme et homme
A né libre ont signifié long -temps la même
a chose. » Quoi ! sur ce que , dans nos temps
mMemes , quelques bourgeois ont pris la qua-
lité de nobles-hommes, un passage de la vie
de Louis-le-Débonnaire s'appliquera à ces sor*
tes de gens ! « Peut-être aussi , ajoule-t-il en-
n core(i), qu'Hébon n'avoit point été esclave
et dans la nation des Francs , mais dans la na-
« tion saxone , ou dans une autre nation ger-
<t mauique où les citoyens étoient divisés en
« plusieurs ordres. » Donc , k cause du peut-
être de M. l'abbé Dubos , il n'y aura point eu
de noblesse dans la nation des Francs. Mais il
n'a jamais plus mal appliqjaé àe peiU-éùre^ On
vient devoir queTégan(2)distingue les évêquei
qui avoient été opposés à Louis-le-Débonnaire,
dont les uns avoient été serfs, et les autres
étoient d'une nation barbare. Hébon étoit des
])remiers , et non pas des seconds. D'ailleurs
je ne sais comment on peut dire qu'im serf tel
qu'Hébon auroit été Saxon ou Germain : un
serf n'a point de famille , ni par conséquent
de nation. Louis -le -Débonnaire affranchit
(i) Etablissement de la monarcliie fraoçaise , tome
m, lii^.Vl, ch. IV, p. 3i6.— (a) Omnés episcopi
iiiolesti faersnt Ludovico , et maxime ii qnos c »er-
TÎli condition© honora tos babebat , cum bit qui ex
barbaris nationibai ad hoc fastiginm pcrdoeti aunt.
De gestis LiuioPici Pii^ cap. ^LUI et XLIV.
bÔ DE l'ïSPRIT des LOIS.
HéboD; et comme les serfs affranchis pre-
noient la loi de leur maître , Uébon devint
Franc , et non pas Saxon on Germain.
Je viens d'attaquer, il faut que je me dé-
fende. On me dira que le corps des an trustions
formoit bien dans l^tat un ordre distingué%e
celui des hommes libres ; mais que , comme
les fiefs furent d'abord amovibles et ensuite à
vie, cela ne pouvoit pas former une noblesse
d'origine , puisque les prérogatives n'étoient
point attachées à un fief héréditaire. C'est
cette objection qui a sans doule fait penser à
M. de Valois qu'il n'y avoit qu'un seul ordre
de citoyens chez les Francs: sentiment que
M. l'abbé Dubos a pris de lui , et qu'il a abso-
lument gAté à force de mauvaises preuves.
Quoi qu'il en soit , ce n'est point M. l'abbé
Dubos qui auroit pu faire cette objection. Car,
ayant donné trois ordres de noblesse romaine,
et la qualité de convive du roi pour le premier,
il n'anroit pas pu dire que ce titre marquât
plus une noblesse d^origine que celui d'an-
trustiom Mais il faut une réponse directe. Les
antrustions ou fidèles n ctoient pas tels parce-
qu'ils avoient un fief, mais on leur donnoit un
fief parcequ'ils étoient antrustions ou fidèles.
On se ressouvient de ce que j'ai dit dans les
premiers chapitres de ce livre: ils n'avoient
pas pour lors , comme ils eurent dans la suite,
le même ûe£^ mais s'ils n'avoient pas celui-là ,
ih en avoient un autre, et parceqiie les fief» se
donnoient à la naissance , et parcequ'ils se
LITRE XXX4 CnAP. XXV. 87
donnoîent souvent dans les assemblées de la
nation , et enfin parceque , comme il étoit de
rintérét des nobles d'en avoir, il étoit aussi de
l'intérêt du roi de leur en donner. Ces famiJles
étoient distinguées par leur dignité de ûdeles
et parla prérogative de pouvoir se recomman-
der pour un fief. Je ferai voir dans le livre sui-
vant (i) comment ^ par les circonstances des
temps, il y eut des hommes libres qui furent
admis à jouir de cette grande prérogative, et
par conséquent à entrer dans Tordre de la
noblesse. Cela n étoit point ainsi du temps de
Contran et de Chiidebert son neveu ; et cela
étoit ainsi du temps de Charlemagne. Mais
quoique dès le temps de ce prince les hommes
libres ne fussent pas incapables de posséder
des fiefs, il paroît, par le passage de Tégan
rapporté ci-dessus , que les serfs affranchis en
étoient absolument exclus. M. FabbéDubos (2),
qui va en Turquie pour nous donner une idée
de ce qu'étoit l'ancienne noblesse française,
BOUS dira-t-il qu'on se soit jamais plaint en
Turquie de ce qu'on y élevoit aux honneurs
et \aux dignités des gens de /basse naissance,
comme on s'en plaignoit sous les règnes de
Louis-le-Débonnaire et de Charles4e-Chauve ?
On ne s'en plaignoit pas du temps de Charle-
magne , parceque ce prince distingua toujours
(i) Ch. XXIII.— (2) Histoire de rEtablisscment
de la monarchie française , tome III ^ liv. VI ^ ch. IV,
p. 3oa.
b3 DE l'esprit des lois.
les anciennes familles d'avec les nouvelles ; ce
que Louis-le-Débonnaire et Charles4e-Chauv€
ne firent pas.
Le public ne doit pas oublier qu'il est rede-
vable à M. l'abbé Dubos de plusieurs compo-
sitions excellentes. C'est sur ces beaux ouvra-
ges qu'il doit le juger et non pas sur -celui-ci.
M. l'abbé Dubos y est tombé dans de grandes
fautes, parcequ'il a plus eu devant les yeux
M. le comte de Boulainvilliers que son sujet.
Je ne tirerai de toutes mes critiques que cette
réflexion : Si ce grand homme a erré , que ne
dois-je pas craindre ?
LIVRE XXXI.
THÉORIE DBS LOIS FEODALES CHEZ LES FRA.?iCS, i>AT(S
LE RAPPORT qu'elles ONT AYEC LES RESOLUTIONS
DE LEUR MONARCHIE.
CHAPITRE PREMIER.
Changemeiits daus les offices et les fiefs.
«
jj 'abord les comtes n'étoient envoyés dans
leurs districts que pour un an; bientôt ils
achetèrent la continuation de leurs offices. On
en trouve un exemple dès le règne des petits-
enfants de Clovis. Un certain Péonius (i) étoit
(i) Grégoire de Tours, liv. IV, ch. ILII.
tI\RE XX\1, CHAP. T* • 8()
comte dans la ville d'Auxerre : il envoya son
fils Mummolus porter de l'argent à Contran
pour, être continué dans son emploi; le fils
donna de l'argent pour lui-même , et obtint la
place du pcre. Les rois avoient déjà commencé
à corrompre leurs propres grâces.
Quoique par la loi du royaume les fiefs fes-
sent amovibles , ils ne se donnoient pourtant
ni ne s'ôtoient d'une manière capricieuse et
arbitraire; et c'étoit ordinairement une des
principales choses qui se tràitoient dans les^
assemblées de la nation. On peut bien penser
que la corruption se glissa dans ce point comme
elle s'étoit glissée dans l'autre ^ et que Ton con-
tinua la possession des fiefis pour de l'argent ,
comme on continuoit la possession des comtés.
Je fef>ai voir dans la suite de ce livre ( i )
qu'indépendamment des dons que les prinqes
firent pour un temps , il y en eut d'autres qu'ils
firent pour toujours. 11 arriva que la cour vou-
lut révoquer les dons qui avoient étéfaits : cela
mit un mécontentement général dans la na-
tion , et l'on en yit bientôt naître cette révolu-
tion fameuse dans l'histoire de France , dont
la première époque fut le spectacle étonnant
du supplice de Brunehault.
Il paroit d'abord extraordinaire que cette
reine , fille , sopur, mère de tant de rois , fe-
meuse encore aujoui'd'hui par des ouvrages
dignes d'un édile ou d'un proconsul romain ,
> •' . , '
(x) Ch. VII.
90 DE L*ESPKIT DES LOISt
née ayec un génie admirable pour les aCfaîres,
douée de qualités qui ay oient été si longrtemps
respectées, se soit vue (i) tout à coup exposée
à des supplices si longs , si honteux , si cruels ,
par on roi(a) dont l'autorité étoit assez mal af-
fermie dans sa nation, si ellen'étoittombéepar
quelque ccuse particulière dans la disgrâce de
dette nstion. Clotaire lui (5) reprocha la n<ort
de dix rois r mais il y en avoit detrx qu'il iit lui*
même mourir; la mort de quelques autres fut
le crime du sort, ou de la médianceté d'une
antre reine ; et ttne nation qui avoit laissé mou-
rir Frédégonde dans son lit , qui s'étoit mène
opposée (4 ) à la punition de ses époutantaiUes
crimes, devoit être bien froide sur- ceux de
BrUnehault. '
Elle fut mise stir un chameau , et ouf la pro-
mena dans toute l'armée; marque certaine
qu'elle étoit toilibée dans la disgrâce de cette
armée. Frédégaire dit que Protaire , farori de
Brunehault , prenoit le bien des seigneurs et
en gorgeoit id fisc, qu*il huniiiibit la noblesse,
et que personne ne pouYoit être sûr de garder
le poste qu'il avoit (5). L'armée conjura contre
(i) Chronique de Frédégaire , ch. XLII. — (a) Clo-
taire II, fils de Chilpéric et père de TJagobert. —
(3) Chronique de Frédégaire , ch» XLII. — (4) Voye«
Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XXXI. — (5) SacT»
illi fuit contra personas iniquitas, fisco nimiùm
tribnens, de rébus personarum ingeniosè fiscnm
vellens implere.... nt nulliis ^cp^^i^ef^ll' qui gradmn
JLIVAK XXXI9 CHAF. I. 9I
lui) on le poignarda dans »a tente; et Brune-
hault» soit par les vengeai^ces (i).qu dje tira
de cette mort, «oit p^ 1^ j>ûursuite du m^fçbe
plan, devint tous ^^s jours' plus od^u#e à la
nation {%).
Clotaire , ambitieux 4€régner seul ^ et plein
de là plus affreuse yengeance , sur de périr si
les.emiants de ^runeh^ult av;oient le 4€%f!as,
.entra daz^ une «^juratio^ ço^eli^ii^^nie;
et , soit qu'il fût mal habile ou qu'il fût J&>rcé
par les circonstances , il se rendÂt a^^^Aeur
de Brunebault , et fit faire d^ ceti;e nRe un
exemple terrible^
Wamachaire. avoit été l'ame de la çcinju-
ration pcmtre Brunelmult : il fut £^t jeajf^de
Bourgogne ; il exigea de Clotaire qu'il ^e so-
roit jaii^Mf 4^pl$ieé pendant sa yia (3). P^-là
le i9{û|^ ne p^ pl^is être d^i^ le casp^^ ^vpienf
été les seign^rs français ; et cette aiM^ité
jConupn^$a,à se r^dre indépendante de Tau-
jtorité soyi^.
C!f§toit 1^ funeste régence .de Brunebault
qpx ^<ût «iur*U>nt e^arpuçhé ^ ^tion. Xjm-
■'■'./
quem ari)ipaerfit.potiiis4et»(l^amere. Cbrouigae de
Frédcgaire, ch. ;K.X\I1, sur l'«i 6o5.— (i) Ibid.
sar Tan 607. — {a) Ibid, çh. XLI , sur Tan 61 3. Bor-
gandiap farones, tam episcopi qaàm caeteri leodes ,
timentet Bmmcliildeiii et odiam in eam habentes ,
«onsiliiini tnientei, «te. — (3) dhroniqne de^'fédé-
gaire, cbu XUI , «or Taa 61 3. Sacnumonma Clot^o
accef^to ne UD^uain -vit» toas tempocibus d^i^-
«Uretor.
^a DE L ESPRIT DES LOIS*
dis que les lois subsistèrent dans leur force ^
personne ne put se plaindre de ce qu'on lui
ôtoit un fief, puiscpie la loi ne le lui donnoit pas
pour toujours : mais cfuand TaYarice , les mau-
vaises^ pratiquées, la corruption, firent donner
des fiefs, on se plaignit de ce qu'on étoit privé
par de mauvaises voies des choses que sou-^
vent on avoit acquises de même. Peut-être que
si le bien public avoit été le motif de la révo-
cation des dons on n'auroit rien dit : m,ais on
iaont|||t Tordre sans cadier la corruption; on
récknRt le droit du fisc ^ pour prodiguer les
biens du fisc à sa fantaisie ; les dons ne furent
plus la récompense ou Tespérahce des services.
Brunehault , par un esprit corrompu ^ voulut
corriger les abus de la corruption ancienne.
Se$ caprices n'étoient point ceux d'iin esprit
foible: les leudes et les grands officiers se
crur^it perdus; ils la perdirent.
Il s*en faut bien que nous ayions tous les
actes qui furent passés dans ces temps-là;' et
les faiseurs de chroniques, qui savoient à peu
près de Thistoire de leur temps ce que les vil-
lageois savent aujourd'hui >ie cdle du nôtre ,
sont très stériles. Cependant nous avons une
constitution de Clotaire, donnée dans le con-
cile de Paris (i) pour la réformation des abus ,
qui fait voir que ce prince fit cesser les plaintes
— ^^^— — — i^— ^f I II III 1 I I II ■
(i) Qaelqne temps après le supplice deBmne-
haolt, Tan 6r5. Yoyes rédition des capitaUires de
Balnze, p. ai.
LIV&S XXXI, CHAF. 1^ ^3
qui avoient donné lieu à la révolution (i).
D'im côté, il y confirme tous le», dons qui
avoient été faits ou confirmés par les rois se»
prédécesseurs (a); et il ordonne deTai^treqme
tout ce qui a été 6té à ses leudes ou fidèles leur
soit rendu (3).
Ce ne fut pas la seule conce^ion que le roi
fit dans ce concile ; il voulut que ce qui avoit
été fait contre le privilège des ecclésiastiques
fût corrigé ^) ; il modéra l'influence de la
cour dans les élections aux évéch^ (5). Lf roi
réiorma de même les affaires fiscales; il voulut
que tous les nouveaux cens fussent ôtés (6);
qu'on ne levât aucun droit de passage établi
depuis la mort de Contran, Sigebert et Chil-
péric (7); c'est-à-dire qu'il supprimoit tout
ce qui avoit été fait pendant les régences de
Frcdégonde et de Brunehault : il défendit que
( I ) Qme contni rationis ordinem acta vel ordinata
sont, ne in antea,(iiiodavertat diviaius, contingant,
disposaerimaf , Ôirûto praeaille , p«r linjas edicti
nostri tenorem generaliter emendare. In prouïmio ,
édit. des capital, de Baluze, art. 16. — (a) lùid.
— (3) lèid, art. 17.— (4) Et qaod per tempora ex
lioc praetermistam est vel deblnc perpetoaliter ob-
seryetar. — (5) Ita ut^ episcopo decedente , in loco
ipsins qui a metropolitano ordinari débet enm pro-
viacialibos , a dero et populo eligator ; et si pertona
coadigna fnerit, per ordinationem .priueipit ordi-
netur ; vel certè si de palatio eligitar , per nseritiuii
personae et doctrinae ordiiietnr. /^<W. art. x • — (Ci) Ut
nbicnmqae censns novas impie additiis est emen-
detar. Art. 8. — (7) Ibid, art. 9.
KSPR. DIS TtOIS. 5.
(^4 DE l'esprit des lois.
tes tt*oapeaax fussent meaés dans les forêts
dc8parti<^er»(i]: et nous allons voir tout-
à-lTieure rpie la réforme fut encore plus géné-
rale, et s'étend. t aux affaires civiles.
CHAPITRE II.
Comment le goaTemement oivil fut réformé.
Otc avoit vu jusqu'ici la nation donner des
'marques d'impatience et de légèreté hur le
choix ou sur la conduite de ses maîtres; on
l'avoit vue régler les di^férents de ses maîtres
entre eux et leur imposer la nécessi'é de la
paix: maïs ce qu'on n'avoit pas encore vu , la
nation le fil pour lors; Alt jeta les yeux 5ur sa
situation ac^tuelle; elle examina ses lois de
sang Iroid; elle pourvut à leur insuffisance;
elle arrêta la violence ; elle régla le pouvoir.
Les régences mâles , hardies et insolentes ,
deFrédégondeet de Brunehault avoient moins
étonné cette nation qu'elles ne l'a voient aver-
tie. Frédégondeavoil défendu ses méchancetés
par ses méchancetés mêmes ; elle avoil justiÈé
le poison et les assassinats par le poison et les
assassinats ; elle s'étoit conduite de ma^niere
que ses attentats étoient encore plus particu-
'liers que publics : Frédégonde fit plus de maux;
* Brunehault en fit craindre davantage. Dans
cette crise la nation ne se contenta pas de met-
tte ovàte au gouvernement féodal , elle voulut
(x)Tojes]*cdit. des capital. dcBaluze^art. sr.
LIYEE XXXI, CHÀP. II. g%
aussi assurer son gouTeraement civil : car ce-
lui-ci étoit encore plus corrompu que Tautre;
et cette corruption étoit d'autant plus dange-
reuse qu'elle étoit plus ancienne, et teno't plus
en quelque sorte à Tabus des mœurs <qu*à Ta*
bus des lois.
L'histoire de Grégoire de Tours et les autres
monuments nous font voir , d'un c6té , une na-
tion féroce et barbare, et, de l'autre , des rois
qui ne l'étoient pas moins. Ces princes, étoient
meurtriers, injustes et cruels, parceque toute
la nation l'étoit. Si le chî^istianisme parut quel-
quefois-les adoucir , ce ne fut que par les ter-
reurs que le christianisme donne aux coupa-
bles : les églises se défendirent contre eux par
les miracles et les prodiges de leurs saints. Les
rois n'étoient point sacrilèges , parcequ'ils re-
doutoientles peines des sacrilèges ; mais d'ail-
leurs ils commirent ou par colère ou de sang
froid toutes sortes de crimes et d'injustices ^
parceque ces crimes et ces injusti(?es ne leur
montroient pas la main de la divinité si pré-
sente. Les Francs , comme j'ai dit , soullroient
des rois meurtriers , parcequ'i s étoient meur-
triers eux-mêmes ; ils n'étoient point trappes
des injustices et des rapines de leurs rois, par-
cequ'ils étoient ravisseurs et injustes comme
eux. U y avoit bien ^es lois établies , mais les
rois les rendoient inutiles par de certaines let-
tres appelées precepiions{\\ qui renversoient
- .<■ 'I II . ' .. ' "
(i) Cétoicnt des ordres qac^le roi enroyoit «ux
0Ô DEL*ESPRlTDEftLOIS.
ces mêmes lois : c*étoit à peu près comme les
i^îscripts des empereurs romains , soit que les
rois eussent pris d'eux cet usage, soit qu'ils
l'eussent tiré du fond même de leur naturel.
Oti Voit dans Grégoire de Tours qu'ils faisoient
des meurtres de sang froid , et faisoient mou-
rir des accusés quîii'avoientpâs seulement^té
entendus ; ils donnoient des préceptions pour
faire des mariages iilicitès-(i) ; ilsf en donnoient
jiour transporter les successions; ils en don-
noient pour 6 ter le droit des parents ; ils en
dbnhoient pour épouser des religieuses. Ils ne
faisoient point à la vérité des lois de leur seul
mouvement , mais ils suspendoient la pratique
cfé celles qui étoient faites.
Uééh de èlotaire redressa tous les griefs.
Péi-Soniie rie put plus être condamné sans être
ehtendii (a) ; les parents durent tonjours suc^
céder selon iWdre établi par la loi (3) ; toutes
prédeptions pour épouser des filles , des veu-
ves où des religieuses , furent nulles , et on
punit sévèrement ceux qui les obtinrent et en
firent usage (4). Nous saurions peut-être plus
exactement ce qu*il statuoit sur ces précep-
juges pour faire cm souffrir de certaines elioses con-'
trc la loi. — (i) Voyez Grégoire de Tours, liv. IV^*
p. 397. L'histoire et les Chartres sont pleines de
ceci ; et retendue de ces ahus paroit sur4o«t dans
redit de Clotaireir, de Tan 61 5, donné potit les
réformer. Voyez les capitulaires, édition de Balnze,
tomel, p, 22. — (9) Ihid. art. ai. — (3) lèid.
art. 6i-~ (4) Uid, art. 18.
MVR7. XXXT, CHAP. II. g^
lions , si Tarticle 1 3 de ce décret et 1rs deux
suivants navoient péri par le temps ; nous n'at-
vons que les premiers mots de cet article 1 3
qiïi ordonne que les préccptions seront ob-
servées ; ce qui ne peut pas s'entendre de celles
qu'il venoit d'abolir par la même loi. Nous
aVons une autre constitution du même prin-
ce (i), qui se rapporte à sonédit, et corrige de
même de point en point tous les abus des pré-
ccptions.
Il est vrai que M. Baluze , trorfvant cette
constitution sans date et sans le nom du lieu où
elle a été donnée , Ta attribuée à Clotaire I. Elie
est de Clotaire IL J'en donnerai trois raisons.
1°. Il y est dit que le roi conservera les im-
munités accordées aux églises par son père et
son aïeul (a). Quelles immunités auroit pu
accorder aux églises Childéric , aïeul de Clo-
taire I , lui qui n'étoit pas chrétien et-qui yivoit
avant que la monarchie eût été fondée ? Mais
si l'on attribue ce décret à Clotaire IP, pu lui
trouvera pouy aïeul Clotaire I lui-même , qui
fit des dons immenses aux églises pour expier
Ja mort de son fils Cramne , qu'il avoit fait
brûler avec sa femme et ses enfants.
• "" - u •
^^ , I
• "■" ' " • 1 1 . , .1 ■ I , ,.
(i) Dans l'édit. des capitalaires de Baluze , tome
I, p. 7. — (a) J'ai parlé an livre préoédent de ce«
iminuuiités , qui étoient dça coDcecsions de droits de
justice, et qni contenoien^ des défenses atix jnget
royaux de faire aucune fonction dans le territoire ^
et étoient équivalentes à Térection ou ôoncession
d'on fief.
9-
gS DE i:,'rsprit des lois.
a*. Les tîbus que cette constitution corrige
subsistèrent après la mort de Clotaire I , et fu-
rent même portés à leur comble pendant la foi-
bles$e du règne de Contran , la cruauté de ce-
lui de Chilpéric , et les détestables régences de
Frédégonde et de Brunebault. Or comment la
nation auroit-elle pu souffrir des griefs si so-^
lennelleraent proscrits , sans s'être jamais ré-
criée sur le retour continuel de ces griefs ?
Comment n'auroit-elle pas fait pour lors ce
qu'elle fit lorsque Chilpéric II ayant repris les
anciennes violences (i) , elle le pressa d'ordon-
ner que, dans les jugements, on suivît la loi
et ks coutumes comme on faisoit ancienne-
ment (2)?
Enfin cette constitution , faite pour redres-
ser les griefs , ne peut point concerner Clo-
taire I , puisqu'il n'y avoit point sous son
règne de plaintes dans le royaume à cet égard,
et que son autorité y étoit très affermie , sur-
tout dans le temps où l'on place cette constitu-
tion ; au lieu qu'elle convient très bien aux
événements qui arrivèrent sous le règne de
Clotaire II , qui causèrent une révolution dans
l'état politique du royaume. Il faut éclairer
l'histoire par les lois , et les lois par l'histoire.
* ' " 1 I I I ■ I II. Il ll> Il I I L I I I ■
(1) Il commenta k régner vers Tan 670.— (a) Toyex
U vie àt saint Léger.
XilTRX XXXI, CHÀF. III. f)Q
CHAPITRE III.
Autorité des maires da palais.
J*Ai dit que Glotaire II s'étoit engagé à ne
point ôter à Warnachaire la place de maire
pendant sa vie. La révolution eut un autre ef-
fet. Avant ce temps le maire étoit le maire du
roi , il devint le maire du royaume ; le roi le
choisissoit , la nation le choisit. Protaire ,
avant la révolution , avoit été fait maire par
Théodoric^ i ), et Landéric par rrédégonde(a);
mais , depuis , la nation fut en possession d'é-
lire (V).
Ainsi il ne faut pas confondre , comme ont
fait quelques auteurs , ces maires du palais
avec ceux qui avoient cette dignité avant la
mort de Brunehault , les maires du roi avec
les maires du royaume. On voit par la loi
des Bourguignons que chez eux la charge de
maire n'étoit point une des premières de l'é-
tat (4) ; elle ne fut pas non plus une des plus
(i) instigantê Brunichilde, Theodorico jubente,
etc. Frédégaire^ ch. XXVII , sur Tau 665.— (i) Gesta
reguni Francorura , ch. XXXVI. — (i) Voyea Frédé-
l^aire , chronique , ch. LFV, sur Tan 6a 6 ; et son con-
tinnatettr anonyme, ch. CI, sur Tan 69 5 ; et ch. CV,
sur ran 7 1 5 ; Aimohi, Ur. iV, eh. XV ; Bginhard ,
vie de Chfclemagnc, ch. XlVffl ; G«fcta Té^iai Fran-
corum, ch. XLV.--{4) Vo^e« U loi deà Bourgui-
gnons, in prœfat,, et U seoonA supjpléiÀèiit à»
eetteloi,tit. Xip.
I^OO DE l'esprit des LOIS.
éminentes chez les premiers rois francs (i).
Clotaire rassura ceux qui possédoient des
charges et dps fîefs; et, après ia morj de War-
nachaire , ce prince ayant demandé aux sei-
gneurs assemblés à Troies qui ils vpuloient
mettre en sa place, ils s*écrierent tous qu'ils n'é-
liroient point (a) ; et lui demandant ^a faveur,
ils se mirent entre ses mains.
Dagobert réunit , comme son père , toute
la monarchie : la nation se reposa sur lui , et
ne lui donna point de n^aire. Ce prince se sentit
en liberté ; et rassuré d'ailleurs par ses victoi-
res , il reprit le plan de Brunehault. Mais cela
lui réussit si mal , que les leudes d'Austrasie
se laissèrent battre par les Sclavons (3) , s'en
retournèrent chez eux, et les marches de l'Aus-
trasie furent en proie aux barbares.
Il prit le parti d'offrir aux Austrasiens de
(,i) Voyez Grégoire de Tours, liv. IX, ch. XXXVI.
— (a) Eo anno Clotarins cum proceribas et leadibo»
Bargaudiae Trecaasinis ccmjaiijgitar , cùm «onm»
easet sollicitas si yellent jatD, Warnachario discessa,
aliam in ejns honoris gradnm sublimare : sed omnea
unanimiter denegantes se neqnaqnam velle majorem
domns eli^ere , régis gratiam obnixè petentes , cnm
rege traiisegere. Chronique de Frédégaire , ch. LIV,
sur l'an 6a6. — (3) ^tam rictoriam qotm Vinidi
contra Francos luernernnt, non tan^iun SelayinoraHi
fortitudo obtinnit, quantum dement^tio Austra^io-
rum , dum se cemebant cnm Dagoberto odium in-
currisse, etasaiduèexpoliarentur. Ibid. ch. LXVIII,
sur Tan 63o.
LITRE XXXI, CBAP. III. lOl
céder rAuAtrasieà son fils Sigebert ayeciin tré-
sor, et de lùettre le gonvernement du royaume
et du palais entre les mains de Cunibert, é^é-
que de Cologne , et du duc Adaigise. Frédé-
gaire n*entre point dans le détail des conven-
tions qui furent faites pour lors : mais le roi les
confirma toutes par ses Chartres , et d'abord
l'Auslrasiè fut mise hors de danger (i),
Dagobert , se sentant mourir , recommanda
à A£ga sâi femme Nentechilde et son fitsClovis.
Les leudes de Neustrie et de Bourgogne choi-
sirent ce jeune prince pour leur roi (a). A£ga
et Nentechilde gouvemercfnt le palais (3); ils
rendirent touï les biens que !Dagobert aroit
pris (4) ; et les plaintes cessèrent en Nepstrie
et en Bourgogdfe , comme elles avoîent cessé
en Austrasie.
Après la mort d'AEga, la reine Nentechilde
engagea les seigneurs dé Bourgogne à élire
Floachatiis pour Jeur maire (5). Celui-ci en-
voy.faux évêques et aux principaux seigneurs
du royaume de Bourgogne des lettres , par les-
quelles il leur promettoit de leur conserver
pour toujours , c'est-à-dire pendant leur vie ,
leurs honneurs et leursdignité5(6). Il confirma
(i) Deioceps Aùstrisii eomm studio limiiem et
regnnm Fraocornm contrit Vinido* utiUter def en-
tasse Doscuntur. Chrôn. de Fredégaire , cb. LXXY,
sur 1 an 632.— (a) Ibid, ch. LXXIX, sur Fan 638.
—(3) lbid.-^{^) Ibid, ch. LXXX, snt Tan ©Sg.^
(5) Ibid, ch. LXXXIX, sur Tan 641.— (6) Ibid.
Floachatns cnnctis dacibns ^ regno'Bnrgnndi» ^ se»
lOÏ DE L ESPRIT DES LOIS*
sa parole par un serment. C'est ici que l'autetir
du livre des maires de la maison royale met le
commencement de l'administration du royau-
me par des maires du paîats (i^.
Frédégaire, qui étoit Bourguignon , est en-
tré dans de plus grands détails sur ce qui re-
garde les maires de Bourgogne dans les temps
de la révolution dont nous parlons que sur les
maires d*Austrasie et de Neustrie : mais les
> conventions qui furent faites en Bourgogne
furent, par les mêmes raisons , faites en Neus-
\ trie et en Auistrasie.
! La nation crut qu'il étoit plus sur de mettre
^ î la puissance entre les mains d'un maire qu'elle
' i élisoit, et à qui elle pouvoit imposer des con-
' / ditions , qu'entre celles d'un roi dont le pou-
^, * voir étoit héréditaire.
' GHAPITREIV.
Qael étoit k l'égard des jnaires le génie de ht nation.
U N gouvernement dans lequel une nation
qui avoit un roi élisoit celui qui devoit exer*
cer la puissance royale , paroit bien extraor-
- —
et pontificibns , per epistolam etiam et sacramentis
firmavit nnicoiqae gradnm honoris et dignitalem ,
«eu et amicitiam , perpetno conservare. — (i) Dein-
ceps a temporibnsClodovei, qni fuit lilius Dagoberti
inclyti reg^s , pater verô Theoderici , rcgnum Fran-
coram decidens per majores domûs cœpit ordioari.
J)0 major, domus regiœ.
LIYBE XXXI, CHÀP. iV. Io3
dinaire : mais , indépendamment des circon-
stances où l'on se trouvoit, je crois que les
Francs tiroient à cet égard leurs idées de bien
loin.
Ils étoient descendus des Germains , dont
Tacite dit que , dans le choix de leur roi , ils se
déterminoient par sa noblesse (i), et, dans le
ehoix de leur chef , par sa vertu. Voi'à les rois
de la première race, et les maires du palais;
les premiers étoient héréditaires , les seconds
étoient électifs.
On ne peut douter que ces princes qui , dan»
l'assemblée de la nation, se levoient et se pro-
posoient pour chefs de quelque entreprise à
tous ceux qui voudroient les suivre , ne n'u-
nissent pour la plupart dans leur i>ersonne et
Tautorité du roi et la puissance du maire. Leur
noblesse leur àvoit donné la royauté ; et leur
vertu , les faisant suivre par plusieurs volon-
taires qui les prenoienl pour chefs , leur don-
taoit I^ puissance du maire. CVst par îa dignité
toyate que nos premiers rois furent a la tête
des tribunaux et des assemblées, et donnèrent
des lois du consentement de ces assemblées :
c*e&X par la dignité de duc ou de chef qu'ils fi*
rent leurs expéditions et commandèrent leurs
armées.
Pour connoitre le génie des premiers Francs
à cet égard , il n'y a qu'à jeter les yeux sur la
( I ) R eçn ex nohilitate , duces ex v» rtute , samant.
De morlbus Germ.
104 91L l'bSPEIT DBS LOIS.
conduite que tint Arbogaste (i). Franc de nih
tïon , à qui Valentinien avoit donné le com-
mandement de Tannée. Il enferma l'empereur
dans le palais ^ il ne permit à qui que ce fût de
lui parler d'aucune affaire civile ou mUitaire.
Arboga&te fit pour lots ce que les Pépins firent
depuis.
CHAPITRE V.
Comment les maires iibtiiirexit le commandemeitt
• des armées.
Pendant que les rois commandèrent les ar-
mées , la nation ne pensa point à se choisir un
chef. Clovis et ses quatre fils furent à la tête des
Français , et les menèrent de victoire en vic-
toire. Thibault , fils de Théodebert , prince
jeune, foible et malade ,iiitle premier des rois
quijresta dans son palais (a). 11 refusa de faire
une expédition^ en Italie contre Narsès , et il
eut. le chagrin de. voir les Francs se choisir
deux chefs qui les y menèrent (3). Des quatre
enfants de Ciotaire I Contran fut celui qui né-
gligea le plus de comumnder les armées (4) *•
(i) y oyez Sulpicios Alesuinder daos Grégoire de
Tours, liv. n.-_(a) L*an 55:1, — (3) Leutheris vero
et Butilinns , tametsi id régi ipsorum minime pla-
cebat , belli cnm eis societatem iniernui. Agathias ,
Ut. I ; Grégoire de Tours, liv. IV, ch.IX. — (4) Con-
tran ne fit pas même Texpédition contre, Gondovalde,
qni se disoit fila de Ciotaire , et demandott sa part du
royaume.
LIYmS XXXI, CHÀK T. xoS
Vautres rois suiyirent cet exemple ; et , pour
remettre sans péril le commandement en d'au-
tres mains , ils le donnèrent à plusieurs che£i
ou ducs (i).
On en rit naitre des incouTénients sans
nombre : il n'y eut plus de discipline , on ne
sut plus obéir ; les armées ne furent plus fu*
nestcs qu'à leur propre pays ; elles étoieiit char-
gées de dépojoiiles ayant d'arriver chez les en-
itemis. On trouTC dans Grégoire de ^ours une
vire peinture de tous ces maux (a). « Comment
«pourrons -nous obtenir la yictoire , disoit
« Gontran (3) , nous qui ne conservons pas ce
« que nos pères ont acquis? notre nation n'est
« plus laniéme. . . » Chose singulière ! elle étoit
dans la décadence dés le temps des petits -fils
de Clovis.
U étoit donc naturel qu'on en vint à &ire un
duc unique ; un duc qui eût de l'autorité sur
celte multitude infinie de seigneurs et de leor:
des qui ne connoissoient plus leurs engage-
ments 'f un duc qui rétablH la discipline nûli-
(t) Quelquefois an nombre de vingt. Toyes Gré-
goire de Tours, liv. V, ch. XXVH ; liv. VIII, ch.
XYin et XXX ; liv. X , ch. III. Dagdbert, qui n'a-
voir point de maire eu Bourgogne, ent la même
poutiqae, et envoya contre les Oascona dix docs ,
et plusieurs comtes qui n^avoient point de dncs sur
eox. Ghroniqne de Frédégaire, ch. LXXVIIl, snr
Tan 636.— (a) Grégoire de Tours, Hv. TUI, ch.
XXX ; et IW. X, ch. UI. Ibid. Uv. TUI, ch. XXX,
0)lbid.
XSYR. DIS LOIS. 5. 2*
I06 PF. li'ESFRIT I>ES I.Q19.
taire , et qui menât contre rennetni une nA*»
tion qui ne savoit plus faire la guerre qu'à
^Ue-niéme. On donoa la puissance aux maire»
du palais.
La première fonction des maires vdu palais
fut le gouvernement économique des maisom
royales. Ils eurent , concurremment avec d'au-
tres, officiers » le gouvernement politique des
fiefs ; et à la fin ils en disposèrent seuls (i). Ils
eurent aussi l'administration des affaires de la
guerre et le conunandement des armées ; et ces
deux fonctions se trouvèrent nécessairement
liées avec les deux autres. Dans ces temps-là il
étoit plus difficile d'assembler lesarmées quede
Jes commander ; et quel-autre que celui qui dis-
T>osoit des grâces ppuvèit avoir cette autorité?
Dans cette nation indépendante et guerrière 9
il fallait phuèt inviter que contraindre , il fal-
loit donner ou faire espérer les fiefs qui ya-
quoient par la mort du possesseur , récompen-
ser sans cesse , faire craindre les préféren( es :
celui qui avoit la sixr-^ixtendance du parais dé-
çoit donc être le général de l'armée.
CHAPITRE VI.
Sccontle^époqne de rabaissement des rois de la
premiei'e race.
J3 E PUIS le supplice de Brunehanlt les maires
.' (i) Voyez le second sapplémeut à la loi desBour*
gnignous* tit. XXII; et Grégoire de Tours, liv. IX
àh. XXXVI.
SZTBE X&XI, CflAP. ru lO^
avoient été administrateur» du royaume sou»
les rois ; et , quoiqu'ils eussent la conduite dt
la guerre , ks rois étoicnt pourtant à la tête
des armées , et le maire et la nation combat-
toient sous eux. Mais Ja victoire du àoto Pépin
sur Thëodéric et sonmaire(r) acheva de dégra-
der les rois (2); cellç que reniporta'(3) Ciiai^les-
' Martel sur Chilpériç et son maire Rainfroy
confirma cette dégradation. L'Austrasie triom-
plia deux fois de la Neustrie et de la Bourgo-
gne ; et la maii4e d'Austrasie étant comme at-
tachée à la famille des Pépins , cette mairie s'é-
leva sur toutes les autres mairies , et cette mai-
son sur toutes les autres maisons. Les vain-
queurs craignirent que quelrjue homme accré-
dité ne se saisît de la personne des rois pour
exciter des troubles. Ils les tinrent dans une
lûaison royale commis dans une espèce de pri-
son (4). Une fois chaque année ils étoient mon-
trés au peuple. La ils faisoient des ordonnan-
ces , mais c'étoient celles du maire (5 ) ; ils ré-
pondoient aux ambassadeurs , mais c'étoienl
les réponses du maire. C'est dans ce temps que
les historiens nous parlent du gouvernement
(i) Voyez les Annales dé Metz, sur l'an 687 et
688. — (2) mis quidem uomina Cegum imponens,
îpse totins regni habens privilegium, etfc. Itid. sur
l'an 695.— (3) Ibid. sur l'an 7i9._(4) Sedemque
ilU regalem sub sua ditione concessit. Ibid. sur 1 an
719. — (5) Ex clironico Centulensi , lib. H. Ut res-
poasa quae erat edoctus, velpotiùs jussus, ex sua
Ttlat potestate redderct.
Z08 BB Z.*BSPRIT DES LOIS.
des maires sur les rois qui leur étoient assu-
jettis (i).
Le déliré de la nation pour la famille de Pé-
pin alla si loin qu'elle élut pour maire un de
ses petits-fib qui étoit encore dans l'en fance (2) ;
elle l'établit sur un certain Dagobert , et mit un
fantôme sur un fantôme.
CHAPITRE VII.
Des grands offices et des fîefs sons les maires du
palais.
Xje S maires du palais n'eurent garde de réta-
blir l'amovibilité des charges et des offices; ils
ne régnoient que par la protection qu'ils ac-
cordoient à cet égard à la noblesse : ainsi les
grands offices continuerjent à être donnés pour
la Tie , et cet usage se confirma de plus en
plus.
Mais j'ai des réflexions particulières à faire
sur les fiefs. Je ne puis douter que dès ce temps-
là la plupart n'eussent été rendus héréditaires.
(i) Annales de Metz , sur Tan 691. Anno princir
patàs Pippini «nper Theodericom.... Annales de
Folde ou de Lanrishan. Pippinos , dnx Franccnun
obtinuLt regnnm Francorom per annos 27 cnm re-
gibus, sibi snbjectis. — (a) Postbaec Theadoaldus ,
filins ejns ( Giimoaldi ) parrains , in loco ipsins ,
cnm praedicto rege Dagoberto, major domns palatii
effectos est. Le continnatenr anonyme de Frédégaire,
sur Tan 7 14, ch. CIV.
X.IT&Ï XXXI, CHAP. VII. 105
Dans le traité d'Andely (i) , Contran et soil
neveu Childébert s'obligent de maintenir les
libéralités faites aux leudes et aux églises par
tes rois leurs prédécesseurs ; et il est permis
aux reines , aux filles , ^ux veuves des rois , de
disposer par testament et pour toujours des
choses qu'elles tiennent du fiso(!»).
Marculfe écrivoit ses forrtiules du temps des
maires (!i). On en voit plusieurs où les rois
donnent et à la personne et aux héritiers (4)5
et comme les formules sont les images des ac^
tions ordinaires de la vie, elles prouvent que,
sur la fin de la première race , une partie des
fiefs passoit déjà aux héritiers. Il s'en falloit
bien que Ton eût dans ces temps4à l'idée d'un
domaine inaliénable ; c'est une chose très mo-
derne et qu'on ne connoissoit alors ni dans la
théorie ni dans ia pratique^
On verra bientôt sur cela des preuves de
ftiit : et , si je montre un temps où il ne se trouva
plus de bénéfice pour l'armée ni aucun fonds
■ '■ ■
(i) Rapporté par Grégoite de Tours, liv. IX.
Voyez aussi l'edit de Clotaire II, de Tan 6 15, art. 1 6.
— (2) Ut si quid de agriti fiscalibus vcl speciebus
atqne pr^sidio pro arbitfii sut volnntate facere , ant
cmqnam coaféri;e volnerint, fixa stabilitate perpétué
cooservetur. — (3) Voyez la 24 et la 34 du Jiv. 1. —
(4) Voyez la formule 14 du liv. I, qui s'applique
également à des biens fiscaux, donnés directement
pour toujours , ou donnés d'abord en bénéfice , et
ensuite pour toujours : Sicutab illo ant a fisco nosU»
fuit possessa. Voyez aussi la formulé 1 7, <^*«»
xo*
XIO DE 'li 'esprit des LOIS.
pour son entretien, il faudra bien convenir
que les anciens bénéfices avoient été aliénés.
Ce temps est celui de Charles-Martel, qui fon-
da de nouveaux fiefs , qu'il faut bien distinguer
des premiers.
Lorsque les rois commencèrent à donner
pour toujours ,- soit par la corruption qui se
glissa dans le gouvernement, soit par «a con-
stitution même qui faisoit que les rois éto^'ent
obligés de récompenser sans cesse , il étoit na-
turel qu'ils commençassent plutôt à donner à
perpétuité les fiefs que les comtés. Se priver
de quelques terres étoit peu de chose ; renon-
cer aux grands offices , c'étoit perdre la puis-
sance même.
CHAPITRE VIII.
Comment les aïeux forent changés en ûefa.
Lia. manière de chshiger un aleu en fief se
trouve dans une formule de Marculfe ( i ). On
donnoit sa terre au roi ; il la rendoit au dona-
teur en usufruit ou bénéfice , et celui-ci dési-
gnoit au roi ses héritiers.
Pour découvrir les raisons que l'on eut de
dénaturer ainsi son aleu , il faut que je cher-
che, comme dans des abymes, les anciennes
prérogatives de cette noblesse qui , depuis onze
siècles , est couverte de poussière , de sang et
de sueur.
(i)Iiv. I, formule i3.
LIVRE XX-XI, GHA». TIII. III
' Ceux qui tenoient des fiefs avoient de très
grands avantages. La composition pour les
torts qu'on leur faisoit étoit plus forte que celle
des honunes libres. Il paroit , par les formules
de Marculfe , que c'étoit un privilège du vassal
du roi que celui qui le tueroit paieroit six cents
sons de composition. Ce privilège étoit établi
par la loi salique ( i ) et par celle des Ripuai-
res (a); et pendant que ces deux lois ordon-
noient six cents sous pour la mort du vassal du
roi , elles n'en donnoient que deux cents pour
la mort d^un ingénu , Franc , barbare , ou hom-
me vivant sous la loi salique (3); et que cent
pour celle d'un Romain.
Ce n'étoit pas le seul privilège qu'eussent les
vassaux du roi. Il faut savoir que quand un (4)
homme étoit cité en jugement , et qu'il. ne se
présentoit point ou n'obéissoit'pas aux ordon-
nances des juges , il étoit appelé devant le roi ;
et , s'il persistoit dans sa contumace , il étoit
mis hors de la protection du roi , et personne
ne pouvoit le recevoir chez soi ni même lui
donner du pain (5) : or , s'il étoit d'une condi-
tion ordinaire , ses biens étoient confisqués (6);
mais s'il étoit vassal du roi, ils ne l'étoient
(i) Tit. XLIV. Toyea aussi les titres LXVI, §• 3
et 4 ; et le tit LXXlV.-l(a) Tit. XI. — (3) Voyez la loi
des Kipaaires, tit. VII; et la loi Bàîiqnè , tit. XLIV,
art. I et 4.— (4) La loi salique , tit. LIX et LXXVI,
— (5) Extra sermonem régis. Loi salique , tit. LIH
et LXXVI.— (6) Ibid. tit, LIX, S' »»
112 DE L*ESPHIT DES LOIS. '
pas (i). Le premier, par sa contumace, ëtoit
censé convaincu du crime , et non pas le se-
cond. Celui-là, dans les moindres crimes, ëtoit
soumis à la preuve par l'eau bouillante (a) ; ce-
lui-ci n'y étoit condamné que dans le cas du
meurtre ('^). Enfin un vassal du roi ne pouvoit
être contraiiit de jurer en justice contre un au-
tre vassal (4). Ces privilegeis augmentèrent tou-
jours ; et le éapitularre de Carloman fait cet
honneur aux vassaux du roi , qu'on ne peut les
obliger de jurer euix-mêmes, mais seulement
par ht bonèîïe de leurs propres vassaux (5). De
plus , lorkqûe celui <pii avoit les honneurs ne
s'étoit pas rendu à l'armée , sa peine ëtoit de
s'abstenir de chair et de vin autant de temps
qu'il avoit manqué au service : mais l'homme
libre qui n'avoit pas suivi le comte (6) payoit
une composition de soixante sous , et étOit mis
en servitude jusqu'à ce qu'il Teùt payée (7).
Il est donc aisé de penser que les Francs qui
n'étoient point vassaux du roi , et ei^core phis
les Romains , cherchèrent à le devenir ; et qu'a-
fin qu'ils ne fussent pas privés de leurs domai-
nes , on imagina l'usage de donner son aleti
au roi , de*ie rcÉCvôir de lui eti fief, et de lui '
désigner ses héritiers. Cet usçge continua ton-
(i) Loi salique, tit. tXXVI, §. i.— (2) Ibid, tit.
LVI et LIX.— (3) Ibid. tit. LXXVI, §. i .—(4) Ibîd,
§. 2. — (5) Apu4 vernis palatiam , de l'aa 883 , art.
4 et II — .(6) Capitolaire de Charlemagne , qui est
1« second de l'an 812, art. i c^ 3.— (7 >HeHbaunuin.
LIYEE XXXI, C9AP. ▼III. ni
jours , et il eut sur-tout lieu dans les désordres
de la seconde race , où tout le monde ayoît be-
soin d'un protecteur, et vouloit faire corps
avec d'autres seigneurs (i), et entrer, pour
ainsi dire , dans la monarchie féodale, parce-
qu'on n avoit plus la monarchie politique.
Ceci continua dans la troisième race, comme
on le voit par plusieurs Chartres (2) , soit qu'on
donnât son aleu, et qu^on le reprit par le même
acte, soit qu'on le déclarât aleu, et qu'on le
reconnût en fiefj On appeloit ces ûth/iefs de
reprise*
Cela ne signifie pas que ceux qui avoient des
fiefs les gouvernassent en bons pères de fa-
mille ; et , quoique les hommes libres cherchas-
sent beaucoup à avoir des fiefs, ifs traitoient
ce genre de biens comme on administre au-
jourd'hui lei usuiruits. C'est ce cpii fit faire à
Charlemagne, prince le plus vigilant et le plus
attentif que nous ayions eu, bien des règle-
ments pour empêcher qu'on ne dégradât les
fiefs en faveur de ses propriétés(5). Cela prouve
seulement que, de son temps, la plupart des
béméfices étoient encore à vie, et que par con-
séquent on prenoil plus de soin des aïeux que
(i) Non infirmis reliqnit baeredibns, dit Lambert
d*Ardres, dans da Cange, aa mot alodis, — (a) Yoyes
celles que du Cange cite au mot alodis ; et celles que
rapporte Galland , traité du franc-aleu, p* 1 4 «t suiv.
-^3) Capitul. II de Tan 80a, art. 10 ; et le «ipitul.
VII de Tan 8o3 , art. 3 ; et le capitulaire I , incerti
anni, art, 49 ; et le capitulaire de Van 806 , art. 7.
Il4 Dt r*ESP&IT DSS LOISr
des bénéfices : mais cela n'enipêche pas qu€
l'on n'aimât encore mieux être vassal du roi
qu*homme libre. On pouvoit avoir des raisons
pour disposer d'une certaine portion particu-
lière d'un ûef; mais on ne vouloit pas perdre
sa dignité mênie/
Je sais bien encore que Chârlemagne se
plaint dans un capitulai^e que , dans quelques
lieux, il y avoit des gens qui dionnoiéni leurs
fiefs en propriété , et les rachetôient ensuite en
propriété (i). Mais je ne dis point qu*on n'ai-
mât mieux une propriété qu'un usufruit : je
dis seulement que lorsqu'on pouvoit faire d'un
aleu un fief qui passât aux héritiers, ce qui est
le cas de la formule dont j'ai parlé , on avoit de
grands avantages à le faire.
CHAPITRE IX.
Comment les biens ecclésiastiques furent convertis
en fiefs.
xj E s biens fiscaux n'atiroient dû avoir d'autre
destination que de servir aux dons que les rois
pouvoient faire potir inviter les Francs à de
nouvelles entre^^risés, lesquelles augmehtoient
d'un autre côté les biens fiscaux; et cela étoit^
comme j'ai dit, l'esprit de la nation : mais les
dons prirent un autre cours. Nous avons un
discours de Cbilpéric, petit-fils de Clovis, qui
se plaignoit déjà que ses biens avoient été près-
■-■■ '■.■■!' 1 ■ I ■ , I ■ ■ I I,
(i) Le (iinc[aieme de l'an 806 , aM. 8.
fiIT&E XXXI, CHÀP. IJC, 11$
que tous donnés aux églbes (i). « Notre fisc
« est devenu pauvre , disoit-il ; nos richesses
« ont été transportées aux églises (a). Il n*y a
«plus que les évéques qui régnent; ils sont
« dans la grandeur, et nous n'y somndes plus. »
Cela fît que les maires , qui n osoient atta-
X}uer les seigneurs , dépouillèrent les églises ;
et une des raisons qu'allégua Pépin pour en-
trer en Neustrie fut qu'il y a^oit été invité par
les ecclésiastiques pour arrêter les entreprises
des rob, ç'est-à<lire des maires, qui privoient
l'église de tou^ ses biens (3).
Les maires d'Au^trfi^e, c'est-à-dire la n>ai-
son des Pepips, fivoit traité Téglise avec plu#
de modératipl^ qu'on n'avoit fait en Neustri^
et en Bourgogne; et cela est bien clair pai^.nof
chroniques , où les inçines ne peuvent se lasser
d'adwirer la dévotion et la libéralité des Pé-
pins (4). Ils a voient occupé eux-mêmes jies pre-
mières places de Téglise. a Un corbeau ne crevé
« pas les yeux à un corbeau » , comime disoit
Chilpéric aux évêques (5).
Pépin soumit la Neustrie et la Bourgogne,:
(i) pans Grégoire de Tours , liv. YI , ch. XLVI,
— (a) Cela fit qa'il annnlla les testaments faits en
faveur des églises , et même les dons faits par son
père : Contran les rétablit , et fit raéme de nonveanx
dons. Grégoire de Tours, liv. Vn, ch. VU.— (3) V oy.
les Annales de Metz , sur l'an 687. Ëxcitor imprimis
querelis sacerdotum et servorum Dei, qui me ssepius
adierunt ut pro sublatis injuste patrimoniis , etc.-t-
(4) Iiid.^{5) Dans Grégoire de Tours.
Xl$ DE L'sS»aiT DZft LOIS.
mais ayant pris , pour détruire les maires et
les rois , le prétexte de l'oppression des églises ,
il ne pouToit plus les'dépouiller sans contre-
dire son titre et faire voir qu'il se jouoit de la
nation. Mais la conquête de deux grands royau-
mes et la desftruction du parti opposé lui four-
nirent assez de moyens de contenter ses ca-^
pitaines.
Pépin se rendit maître de la monardiie en
protégeant le clergé : Charles-Martel , son fils ,
ne put se maintenir qu'en l'opprimant. Ce
prince voyant qu'une partie des biens royaux
et des biens fiscaux avoit été donnée a vie ou
en propriété à la noblesse, et que le clergé, re*
cevant des mains des riches et des pauvres,
avoit acquis une grande partie des allodiaux
mêmes , il dépouilla les ég^ses; et, les fiefs du
premier partage ne subsistant plus , il forma
une seconde fois des fiefs (i). Il prit pour lui
et pour ses capitaines les Liens des églises et
les églises mêmes, et fit cesser un abus qui, à
la différence des maux ordinaires, étoit d'au-
tant plus facile à guérir qu'il étoit extrême.
CHA.PITRE X.
Richeues an clergé.
Le clergé recevoit tant, qu'il faut que, dans
(i) Karolas, plnrima jnri ecclesiastico detrabens,
praedia fisco sociavit, ac deinde militibos dispertivit.
£x chronico Centolensi , lib. II.
'LIYB-S XXXI, CHl». X, II7
les trois races , on lui ait donné plusieurs fois
tous les biens du royaume. Mais si les rois , la
noblesse et le peuple, trouvèrent le moyen de
leur donner tous leurs biens , ils ne trouvèrent
pas moins celui de les leur 6ter. l^a piété fit
fonder les églises dans la première race; mais
l'esprit militaire les fit^ donner aux gens de
guerre , qui les partagèrent à Içurs enfants,
Comluen ne sortit-il pas de terres de la mense
du clergé l Les rois de la seconde race ouvrir
rent leurs mains , et firent encore dlmmenses
libéralités. Les Normands arrivent, pillent et
ravagent, persécutent sur-tout les prêtres et
les moines, chercbent les abbayes, regardent
où ils trouveront quelque lieu religieux; car
. ils attribuoient aux ecclésiastiques la destruc
tion de leurs idoles et toutes les violences de
Charlemagne, qui les avoit obligés les uns
après les autres de se réfugier dans le nord.
C'étoient des haines que quarante oucipquante
années n'atoient pu leur faire oublier. Dans
cet état des choses, combien le clergé perdit-il
de biens! A peine y avoit-il des ecclésiastiques
pour les redemander, il resta donc encore à la
piété dé la troisième race assez de fondations
à faire et de terres à donner. Les opinions ré-
pandues et crues dans ces temps-là auroient
privé les laïques de tout leur bien , s'ils avoient
été assez honnêtes gens. Mais si les ecclésias-
• tiques avoient de Fan^ition , les laïques en
avoient aussi: si le mourant donnoit, le suc-
cesseur vouloit reprendre. On ne voit que que-
XSPH. DES LOIS. 5. '*
»
jiB Bt l'esprit des lois.
rdies entre les seigneurs et les évéque^, les
gentilshommes et les abbés; et il falloit qu'on
pressât rivement les ecclésiastiques, puisqu'ils
furent obligés de se mettre sous la protection
de certains seigneurs qui les défendoient pour
un moment, et les opprimoient après.
Déjà une meilleure police, cpii s'étàblissoit
dans le cours de la troisième race, permettoit
aux ecclésiastiques d'augmenter leur bien. Les
calvinistes parurent , et firent battre de la mon-
noie de tout ce qui se trouva d'or et d'argent
dans les églises. Comment le clergé auroit-il
été assuré de sa fortune? il nel'étoitpas de son
existence; il traitoit desmatieréS de contro-
verse , et Ton brûloit ses archives. Que servit-
i\ de redemander à une noblesse toujours mi-
née ce qu'elle n'a voit plu j, ou ce qu'elle à voit
hypothéqué de mille manières ? Le clergé a tou-
jours acquis , il a toujours rendu , et il acquiert
•ncore.
CHAPITRE XL
Etat de TEurope èa temps de Charles-Martel.
Cihirles-Màktel, qui entreprit de dé-
pouiller le clergé, se trouva dans les circon-
stances les plus heureuses. Il étoit craint et ai-
mé des gens de guerre , et il travailloit pour
-^ux; il avoit le prétexte de ses guerres contre
les Sarrasins (i) ; quelque haï qu'il fAt du cler-
(i) Voyez les Annales de MetK.
XTY&B XXXI, CKÀP. XI; 119
gé, il n'en ayoit aucun besoin; le pape, à qui
il étoit néce^s^ire, lui tendoit les bras :. on sait
la célèbre ambassade (i) que lui envoya Gré^
goire m. Ces deuxpuissances furenttrès unies,
parcequ'elles ne pouvoient se passer Tune de
Fautre : le pape ayoit besoin des Francs pour
le soutenir contre les Lombards et contre les
Grecs ; Gharles-JVIartel avoit besoin du pape
pour bumilier ^s Grées, embarrasser les Lom-
bards ^ se rendre plus respectable cbez lui, et
accréditer les titres qu'il avoit, et ceux que lui
ou s^s enfants pourroient prendre (a). U ne
pouvoit donc manquer son entrepH^*
S. Eucber, évêque d'Orléans, eut iine vision
qui étonna les princes. Il faut que je rapporte
à ce sujet la lettre (3) que les êvéqUes assem">
blés à Reinis écrivirent à Louis-le-Germani-
que, qui étoit entré dans les terres de Cl^arles-
(1) Epistolam qnoqne, decpeto Romanortim prin-
eipam, sibi praedicta» praesul Grcgorius miserat,'
qnôd sese populas Kômànii»^ telictâ inipeiratoris do>
minadone , ad snaiu defensionem et inTictam cle-
mentiam conyertere voluisset. AnDalcs de Metz, sur
l'an 7 4 1 ... £p pacto patrato ut a partibus imperatox-is
recoderet. Frédégaire. — (a) On peut voir dans le«
auteurs de ces temps-là rùopression que l'autorité de
tant de p,apeâ fit sur Tesprîtdes Français. Quoique le
roi Pépin eut déjà été couronné par Tarchevcque de
34a7ence , il regarda l'onction qu'il reçut du pape
Etienne comme une chose qui le confu-moit dans tons
«es droits. — (3) Anno 35^ , apud Carisiacwn, édit.
de Baluze , tome II, art. i , p. 109.
laO DE l'esprit DE!( LOIf.
le-Chaure, parceqn'elle est très propre à noos
faire voir quel étoit, dans ces temps-là, l'état
des choses et la situation des esprits. Ils di-
sent (i) que « saint Eucher ayant été ravi dans
«t le ciel, il vit Charles-Martel tourmenté dans
« Tenfer inférieur par Tordre des saints qui doi-
« vent assister avec Jésus-Christ au jugement
« dernier ; qu'ilavoitétécondamnéàcettepeine
<t avant le temps pour avoir dépouillé les églises
« de leurs biens , et s'être par>là rendu coupable
« des péchés de tous ceux qui les avoient do-
a tées ; que le roi Pépin fit tenir à ce sujet un
c concile ; qu'il fit rendre aux églises tout ce
« qu'il put retirer des biens ecdésiastiques ;
« que, comme il n'en put ravoir qu'une partie
« à cause de ses démêlés avec Vaifre, duc d'A-
« quitaine , il fit faire en faveur des églises Jes
« lettres précaires du reste (a), et régla que les
« laïques paieroient une dime des biens qu'ils
« tenoient des églises , et douze deniers pour
« chaque maison; que Charlemagne ne donna
c point les biens de l'église ; qu'il fit au con-
« traire un capitulaire par lequel il s'engagea ,
(i) Voyez rédition de Balaze , tome II , art. 7 , p.
109. — (2) Precaria qaôd precibas ntendam conce-
ditar , dit Cujas dans ses notes snrle lir. I des ûefs.
Je trouve dans an diplôme da roi Pépin , daté de la
troisième année de son règne , que ce prince n'établit
pas le premier ces lettres précaires ; il en cite une
faite par le maire Ebroin, et continuée depuis. Toyex
le diplôme de ce roi dans le tome Y des Historiens
de France des bénédictins , art. 6.
LIVBrE XXXIy CHAP. XI. lai
« pour lui et ses successeurs , de ne les donner
4t jamais ; que txmt ce qu'ils avancent est écrit,
« et que même plusieurs d'entre eux Tavoient
« entendu raconter à Louis4e-Débonnaire, père
«t des deux rois. »
Le règlement du roi Pépin dont parlent les
évéqnes fut fait dans le concile tenu à Lep-
tines (i). L'église y trouvoit cet avantage, que
ceux qui avoient reçu de ces biens ne les te-
noient plus que d'une maiiiere précaire ; et que
d'ailleurs elle en recevoit la dîme , et douze de-
niers pour chaque case qui lui àvoit appar-
tenu. Mais c'étoit un remède pcdiiatif , et le mal
restoit toujours.
Cela même trouva deïa contradiction ; et Pé-
pin fut obligé de faire un antre capitulaite (a) ,
où il enjoignit à ceux qui tenoient de ces béné-
fices de payer cette dime et cette redevance, et
même d'entretenir les maisons de l'évéché ou
du monastère , sous peine de perdre les biens
donnés. CHarlemagtte renouvela les règlements^
de Pépin (3).
Ce que les évéques disent dans la m^e let-
tre, que Cbarlemagne promit, ponr lui et ses
9?uceesseurs , de he plus partager les biens des
- ■ ■ ' ' .. r. . t I I II ' I
(i) L'an 743. Voyez le liv. V des capîtnfeircs,
•rt. 3, édit. de fiaioze, p. 8 a 5. — (2) Geioi de Metz,
de Van 756, art. 4. — (3) Yoyez son capitalaire dt
l'an 8o3 , donné à Worms , édit. de Balazc , p. 4ï 1 ,
«à il régie le eontrat précaire ; et celai de Frâûcfort,
de Tan: 794 , p. 167, art. 24, sur les réparations des
Biaisons ; et celai de Vaux ^00 , p. 33o.
II.
églises aux gens de guerre, est conforme du
capitulaire de ce prince, donné à Aix-la>Cha-<
pelle Tan 8o3 , fait pour calmer les terreurs des
ecclésiastiques à cet égard : mais les donations
déj^ faites sulisisterent toujours (i). Les ëvè-
cpies ajoutent, et avec raison, que Louis-leDé-
bonnaire suivit la conduite de Charlemagne,
et ne donna point les biens de l'église aux
soldats.
. Cependant les anciens abus allèrent ^i loin ,
que, sous les enfants de Louis-le-Débonnaire ,
les laïques établissoient des prêtres dans leurs
églises , ou les chassoient , sans le consente-
ment des évéques (2). Les églises se parta-
geoient entre les, héritiers (3); et, quand elles
étoient tenues dune manière indécente, les
évéques n'avoient d'autre ressource que d'en
retirer les reliques (4).
Le capitulaire de Compiegne (5) établit que
l'envoyé du roi pourroit faire la visite de tous
les monastères avec l'évéque, de l'avis et en
(i) Comme il paroît par la note précédente, et par
le capitolaire 4e Pépin , roi d'Italie , où il est dit que
le roi donneront en fief les monastères à ceoz qni se
recommanderoient pour des fiefs. Il est ajouté a la
loi des Lombards, lir. III , tit. I , §. 3o , et aoz lois
saliqnes, recueil des lois dePepin, dans Eehard,
p. 195, tit. XXVI , art. 4. — (2) Yoyes la constitation
de Lothaire I, dans la loi des Lombards, Ut. III, loi I9
S: 43.^3) Ibid. §. 44.--(4) Ibid.-^S) Donné la
yingt-bnitieme année dn règne de Gharles^le-Cluiavey
ran86a,édit. deBalnze,p.ao3. .
LIYILE XXXI, GHÀF. XI. 12^
présence de celui qui le tenoit ( i ) ; et cette règle
générale prouve que Tabus étoit général.
Ce n'est pas qu'on manquât de lois pour la
restitution des biens des églises. Le pape ayant
reproché aux évéques leur négligence sur le ré-
tablissement des monastères, ils écrivirent (2)
à Charles-le-Chauve qu'ils n'avoient point été
touchés de ce reproche, parcequ'iU n'en étoient
pas coupables , et ils l'avertirent de ce rrui avoit
été promis, résolu et statué, dans tant d'assem-
blées de la nation. Effectivement ils en citent
neuf.
On disputoit toujours. IjCs Normands arri-
Terent, et mirent tout le monde d'accord*
CHAPITRE XII.
Etablissement des dîmes,
JuE S réglemeiits faits sous le roi Pépin avoient
plutôt donné à l'église Fespérance d'un soula-
gement qu'un soulagement effectif: et comme
Charles-Martel trouva tout le patrimoine pu-
blic entre les mains des ecclésiastiques, Char-
lemagne trouva les biens des ecclésiastiques
entre les mains des gens de guerre. On ne pou-
voit faire restituer à ceux-ci ce qu'on leur avoit
donné; et le^ circonstances où l'on étoit pour
lors rendoient la chose encore plus imprati-
(i) Clnm concilio et consensa ipsius qui locam
Tetinet. — {7) Concilium apud BonoUum , seizième
année de Charles-le-aiaaYe , Van 856, édit. de Ba-
ins^, p. 78.
ia4 i>K l'espeit bxs lois.
cable qu'elle n'étoit de sa nature. D'un autre
côté le christianisme ne devoît pas périr faute
de ministres, de temples et d*instructions (i).
Cela fit que Charlemagne établit les dîmes ;
nouveau genre de bien qui eut cet avantage
pour le clergé, qu'étant singulièrement donné
à l'église, il fut plus aisé dans la suite d'en t£-
connottre les usurpations (a).
On a voulu donner à cet établissement des
dates bien plus reculées : mais les autorités que
l'on che me semblent être des témoins contre
ceux qui les allèguent. La constitution (3) de
Clotaire dit seulement qu'on ne leveroit point
de certaine$ dîmes (4) sur les biens de Téglise :
(i) Dans les gnerres civiles qui s'élevèrent du
temps de Charles-Martel, les biens de Téglise de
Kéims farent donnés anx laïques. On laissa le clergé
subsister connue il pontroit , est-il dit dans la' vie d«
saint Eemy. Surins, tome I, p. 279. — (a) Loi'^s
Lombards, Ht. III, tit. III, §. i et 2.--(3) -C'est
celle dont j'ai tant parlé au chap. IV ci-dessus, qoe
l'on trouve dans l'édition des capitnlaires de Balnze,
tome I , art. 1 1 , p. 9.— (4) Agraria et pascuaria , vel
décimas porcorum , ecclesiae concedimus ; i ta ut
actor aut decimator in rébus ecdesise nuUns arcccdat.
Le capitulaire de Charlemagne , de Tan 800, éditioa
de Balnze, p. 336 , explique très bioi oe que c*étoit
que cette sorte de dîme dont Clotaira exempte Té-
glise ; c'étoit le dixième des cochons que Ton met*
toit dans les forêts du roi pour engraisser : et Char-
lemagne veut que ses juges le paient comme les au-
tres , afin de donner Texemple. On voit que c'étoiç
Jin droit seigneurial ou économique.
f.IV&E XXXI, GHAP. XII. laS
bien loin donc que l'église levât des dîmes dans
ces temps-là , tonte sa prétention étoit de s*en
faire exempter. Le second concile de Màcon(i),
tenu Fan 585 , qui ordonne que Ton paie les
dîmes, dit à la vérité qu'on les avoit payées
dans les temps anciens ; mais il dit aussi que,
de son temps , on ne les payoit plus.
Qui doute qu'avant Charlemagne on n'eut
ouvert la Bible et prêché les dons çt^ les of-
frandes du Léyitique? Mais je dis qu'avant ce
prince les dîmes pouvoient être préchées , mais
qu'elles n'étoient point établies.
J'ai dit que les règlements faits sous le roi
Pépin avoient soumis au paiement des dîmes
et aux réparations des églises ceux qui possé-
doient en fief les biens ecclésiastiques. C'étoit
beaucoup d'obliger, par une loi dont on ne
pouvoit disputer ia justice, les principaux de
la nation à donner l'exemple.
Charlemagne fit plus; et on voit, par le ca-
pitulaire de villis (a), qu'il obligea ses propres
fonds au paiement des dîmes. C'étoit encoi^e
un grand exemple.
Mais le bas peuple n'est guère capable d'a-
bandonner ses intérêts par des exMnples. Le
synode de Francfort (3) lui présenta un motif
plus pressant pour payer les dîmes. On y fit un
(i) Canone V, ex tomo I Concilionim antiquomm
Gallia, operâ Jacobi Sirmundi. — (a) Art« 6, édit.
de Balnze , p. 33a. Il fat donné l'an 8oo.— (3) Tenu
tons Gharlemagne , Tan 794.
ia6 'I>£ L'BftPaiT DES LOIS.
capttnlaire d&ns lequel il est dit que, dans la
dernière famine, on avoit trouvé les épis de
Wcd vides (i), qu'ils avoient été dévorés par
les démons , et qu'on avoit entendu leurs voix
qui reprochoient de n'avoir pas payé la dime ;
et eij conséquence il fut ordonné à tous ceux
qui tenoient les biens ecclésiastiques de payer
la dime; et en conséquence encore on l'ordcm-*
na à tous.
Le projet de Cliarlemagne ne réussit pas
d'abord ; cette charge parut accablante (a). Le
paiement des dîmes chez les Jui& étoit entré
dans le plan de la fondation de leur républi-
que; mais ici le paiement des dîmes étoit une
charge indépendante de celles de l'établisse-
ment de la monarchie. On peut voir, dans les
dispositions ajoutées à la loi des Lombards, la '
difficulté qu'il y eut à faire recevoir les dîmes
par les lois civiles (3); on peut juger, par les
différents canons des conciles, de *lle qu'il y
(i) Experimento emm didicimnsin annoqnoilla
valida famés irrepsif, ebnllire vacuas annonas a d»-
moDibas devoratas, et voces exprobrationis aaditas,
etc. édition de Batbze, p. 267 , art. a5. — (2) Voyes
entre autres le capitulaire de Louis-le-Débonnaire ,
de l'an 829, édit. de Baluze, p. 66i, contre ceux
qui , dans la vue de ne pas payer la dime, ne culti-
voieht point leurs terres ; et art. 5. Nonis qûidem et
decittiis , nnde et genitor noster ^t nos fréquenter ia
diversis placitis admonitionem feoùniû. — (3) Entre»
autres celle de Lotkaire, liv. m, tit. Ul, ch. VI.
I.IVEE XXXI, €BÀ9* XII. 127
eut à les faire recevoir par les lois ecclésias-
tiques.
Le peuple consentit enfin à payerlés dimes ,
à condition qu'il pourroit les racheter. La con-
stitution de Louis-le-Débonnaire (i) et celle de
Tempereur Lothaire (2) son fils ne le permirent
pas.
Les lois de Charlemagne sur rétablissement
des dîmes étoient l'ouvrage de la nécessité; la
religion seule y eut part , et la superstition n'en
eut aucune.
La fameuse division (3) qu'il fit des dimes en
quatre parties , pour la fabrique des églises ,
pour les pauvres, pour Vévêque, pour les clercs,
prouve bien qu'il vouloit donner à Téglise cet
4tat ûxe et permanent qu'elle avoit perdu.
Son testament (4) fait voir qu'il voulut ache-
ver de réparer les maux que Charles-Martel,
son aïeul, avoitiaits. Il fit trois .parties égales
de ses biens mobiliers : il voulut que deux de
ces parties fussent divisées en viugt-une, pour
les vingt-une métropoles de son empire; cha-
que partie devoit être subdivisée entre la mé-
tropole et les évécbéft qui en dépendoient. U
partagea le tters qui restoit en quatre parties ;
u en donna une à ses enfants et ses petits-en-
(i) De Fan Sap, art. 7 , dans Balaze , tome J , p.
663. — (2) Loi des Lombards, liv. III, tit. lU, §. 8.
—(3) Uid, §. 4. — (4) Cest une espèce de «odicille
rapporté par Egiahard, et qui est différent du testa-
ment même qu'on trouve dans Goldasle et B aluze. .
ia8 BE l'espeit des lois.
fants , une autre fut ajoutée aux deux tiers déjà
donnés ^^es deux autres furent employées en
oeuvres pies. 11 sembloit qu'il regardât le don
immense qu'il yenoit de faire aux églises moins
comme une action religieuse que comme «le
dispensation politique.
CHAPITRE XIIL
Des élections aux éyéclits et abbayes.
Les églises étant devenues pauvres, les rois
abandonnèrent les élections aux évéchés et au-
tres bénéfices ecclésiastiques (i). Les princes
s'embarrassèrent moins d*en nommer les mi-
nistres , et les compétiteurs réclamèrent moins
leur autorité. Ainsi l'église recevoit une espèce
de compensation pour les biens qu'on lui avoit
étés.
£t si Louis-le-Débonnaire(2)laissa au peuple
romain le droit d'élire les papes , ce fut un effet
de l'esprit général de son temps. On se gou-
verna à l'égard du siège de Rome comme on
faisoit à l'égard des autres.
(x) Yo^res le capitnlaire de Charlemagne , de Tan
iJo3 , art. a , cdit. de Balnze , p. 879 ; et l'édit de
Lotiis-le-Débonnaire, de l'an 834, dans Goldasle ,
constitution impériale, tome I.— (2) Cela est dit dans
•le fameux canon e^o Ludovicus , qui est visiblement
rapposé. Il est dans TéditiotiL de Btlnze^ p. 591, anr
l'an 817.
X.IT&E XXXt, CHAP^ XIT. 1^9
CHAPITRE XIV-
Des fiefs de Charles-Martel.
J E ne dirai point si Charles-Martel donnant
les biens d^ l'église en fief, il les donna à Tie ou
à peipétuité. Tout ce que je sais, c'est que , du
temps de Charlemagne(i)et de Lothairel(a),
il y avoit de ces sortes de biens qui passoient
aux héritiers et se partageoient entre eux.
Je trouve de plus qu une partie (3) fut don^
née en aleu , et l'autre partie en fief.
J'ai dit que les propriétaires des aïeux étoient
soumis au service comme les possesseurs des
fiefs. Gela fut sans doute en partie cause: que
Charles-Martel donna en aleu aussi bien qu'en
fief.
(i) Comme il paroitpar son capitolaire de Van
801, art. 17, dans Balnze, tome I, p. 36o.— (a) Voyea
MA constitution insérée dans le code des Lombards,
liv. m, tit. I, §. 44. — (3) Voyez la constitution ci-
dessos , et le capitnlaire de Charles-le-Chanve , de
]an 846, ch. XX, invilia Sparnaço, édition de
Balnze, tome II, p. 3i ; et celui de Tan 853, cfa. III
et V, dans le synode de Soissons , édit. de Balnze ^
tomell, p. 54 , et celui de Tan 854^ apud Altinio'
cum, ch. X, édit. de Balnse, tome II, p. 70. Voyez
aussi le capitnlaire premier de Charlemagne, incerti
annl, art. 49 et 56 , édit. deBaluze , tome I ,?• 5»xg.
S8i»n. i>p.s T.oif. 5. **
x3o . Bfc ^ESPRIT DES LOIS*
CHAPITR.E XV.
Continuation du méoie sujet.
Il faut remarquer que les fiefs ayant été chai^
gés en biens d'église , et les biens d'église ayant
été changés en fiefs , les fiefs et les biens d'église
prirent réciproquement quelque chose de la
nature de l'un et de l'autre. Ainsi les biens d'é-
glbe eurent les privilèges des fiefs, et les fiefs
eurent les privilèges des biens d'église : tels fu-
rent les droits (i) honorific[ues dans les églises
qu'on vit naître dans ces temps-là. £t comme
ces droits OQt toujours été attachés à la haute
justice préférablement à ce que nous appelons
aujourd'hui le fief, il suit que les justices patri-
moniales étoient établies dans le temps même
de ces droits.
CHAPITRE XVI.
Confusion de la royauté et de la mairie. Seconde race»
JL'o&DRE des matières a fait que j'ai troublé
l'ordre des temps ; de sorte que j'ai parlé de
CharlemagnCvayant d'avoir parlé de cette épo-
que fameuse de la translation de la couronne
aux Carlo vingiens , faite sous le roi Pépin ;
chose qui, à la différence des événements or-
(i) Voyez les capitulaires , liv. V, art. 44 ; et Tédit
de Pistes , de Tan 866 , art. 8 et 9, où Ton voit les
droits honorifiques des seigneurs établis tels qu'iU
•ont aujourtrhui.
LIVRE XXXI, GHAP. XVI. l3l
binaires, est peut-être plus remarquée aujour-
dliui qu'elle ne le fut dans le temps même
rpi'elle arriva.
Les rob n'avoîent point d'autorité , mais ils
avoient un nom; le titre de roi éloit hérédi-
taire, et celui de maire étoit électif. Quoique
les maires, dans les derniers temps , eussent
mis sur le trône celui des Mérovingiens qu'ils
vouloient, ils n'avoient point pris de roi dans
une autre famille ; et l'ancienne loi qui donnoit
la couronne à une certaine famille n'étoit point
ef£acée du cœur des Francs : la personne du roi
étoit presque inconnue dans la monarchie;
mais la royauté ne l'étoit pas. Pépin , ûh de
Charles-Martel, crut qu'il étoit à propos de
confondre ces deux titres; confusion qui lais-
seroit toujours de l'incertitude si la royauté
nouvelle étoit héréditaire ou non; et cela suffi-
soit à celui qui joignoit à la royauté ime grande
puissance. Four lors l'autorité du maire fut
jointe à l'autorité royale. Dans le mélange de
ces deux autorités , il se fit une e»pece de con-
ciliation. Le maire avoit été électif, et le roi
héréditaire. La couronne, au commencement
de la seconde race, fut élective, parceque le
peuple choisit; elle fut héréditaire, parcequ'il
choisit toujours dans la même famille (i).
(i) Voyez le testament de Charlemagne^ et le par-
tage que Louia-le^Débonnaire fit à ses enfant» , dans
l^assemblée des états tenae à QoierzT, rapportée par
Goldaste : Qaem popolus eligere vclit, ut patri sno
«accédât in regni haereditate.
x3a ' BE l'esp&it des lois.
Le père le G)inte, malgré la foi de tous les
monuments (i), ni€(2) que le pape aitautorisé
ce grand changement : une de ses raisons est
qu*il auroit fait une injustice. £h! il est admi-
rable de voir un historien juger de ce que les
hommes ont fait par ce qu'ils auroient défaire.
Avec cette manière de raisonner, il n'y auroit
plus d'histoire.
Quoi qu'il en soit, il est certain que , dès le
moment de la victoire du duc Pépin , sa famille
fut régnante, et que celle des Mérovingiens ne
le fut plus. Quand son petit-fils Pépin fut cou-
ronné roi , ce ne fut qu'une cérémonie de plus
et un fantôme de moins : il n'acquit rien par-la
que les ornements rciyaùx j il n'y eut rien de
changé dans la nation.
J'ai dit ceci pour fixer le moUient de la ré-
volution, afin qu'on ne se trompe pas en re-
gardant comme une révolution ce qui ^'étoit
qu'une conséquence de la révolution.
Quand Hugues Capet fut couronné roi, au
commencemait de la troisième race , il y eut
un plus grand changement, pareeque l'état
passa de l'anarchie à un gouvernement quel-
eoiique : mais , quand Pépin prit la couronne ,
on passa d'un gouvernement au même gou-^
vernement.
*i ■ ' ■ . ■ ■»■
(ï) L'anonyme, sur Fan 752 ; et chron. Cental.
snr Tan 7 54. (a) Fabella qn» post Pippini mortetn
excogîtata est , aequitati ac sanctitati Zackariae pap»
plurimùm adversatâr.... Annales ecolésiastiqnes des
Français, tome II, p. 319.
IiITRE XXXI, CHAP. XVI. l53
Quand Pépin fut couronné roi, il ne fit que
changer de nom ; mais quand Hugues Capet
fut couronné roi , la chose changea, parce-
qu'un grand fief uni à la couronne fit cesser
l'anarchie.
Quand Pépin fut couronné roi, le titre de
roi fut uni au plus grand office ; quand Hugues
Capet fut couronné , le titre de roi fut uni au
plus grand fief.
'chapitre XVII.
Chose particulière dans T élection des rois de la
seconde race.
O N voit, dans la formule de la consécration
de Pépin (i), que Charles et Carioman furent
aussi oints et bénis; et que les seigneurs fran-
çais s'obligèrent, sous peine d'interdiction et
aexcommunication , de n'élire jamais per-
sonne d'une autre race (a).
Il paroit, par le testament d^ Charlemagne
el de Lcuis- le -Débonnaire , que les Francs
choisissoient entre les enfants des rois; ce qui
se rapporte très bien à la clause ci-dessus. £t,
lorsque l'empire passa dans une autre maison
que celle de Charlemagne , la faculté d'élire ,
qui étoit restreinte et conditionnelle , devint
(i) Tome V des Historiens de France, par les
PP. bénédictins, p. 9 (a) Ut nnnqnam de alterius
Jnmbis reg[em in aevo praesnniant eligere , sed ex ix>-
«Ofnm. Ibid^jf^ lo..
ra*
l34 I>E l'esprit DES LOtS.
pure et simple, et on s'éloigna de l'ancienne
constitution.
Pépin, se sentant près de sa fin, convoqua
les seigneurs ecclésiastiques et laïques à Sainte
Denys ( i) , et partagea son royaume à ses deux
fils, Charles et Carloman. Nous n'avons point
les actes de cette assemblée : mais on trouve ce
qui s'y passa dans l'auteur de rancienuecoUec-
tion historique mise au jour par Ganisn^ (a),
et celui des annales de Metz , comme Ma remar-
qué (3) M. Baluze. Et j'y vois deux choses en
quelque façon contraires , qu'il fit le partage
du consentement de» grands^, et ensuite qu'il
le fit par un droit paternel. Cela prouve ce que
j'ai dit , que le droit du peuple , dans cette race,
•étoit d'élire dans Ik famille : c'étoit ^ à propre*
ment parler, plutôt un droit d'exckire qu'u»
droit d'élire.
Cette espèce 'de droit d'élection »e trouve
confirmée par les monuments de la seconde
race. Tel est ce capitulairfe^e la division de'
l'empire que Charlemagne fait entrtf ses trot»
enfants, où, après avoir formé leur partage ,
il dit (4) que, « si un des trois frcres a un fil»
« tel que le peuple Veuille l'élire pour qu'il suc*
« cède au royaume de son père , ses pncles j
« consentiront. »
Cette même disposition se trouve dans le
(lÎL'an 768. — (2) Tom. BE, LectiMieBantiqiue.-*
(3) £<iit. d«s capital. tôOM I, p. 188. — (4) Dan* le
eapitul. I de l'an 806, édit. de BaloM^p. 439, art, 5.
LirHE XXXX, CHAP. XYII. l3S
partage que Louis -le -Débonnaire fit entre
ses trois enfants (i) Pépin, Louis , et Charles,
Fan 837, dans Tassembléed' Aix-la-Chapelle ,
et encore dans un autre partage du même em«
pereur (a), fait vingt ans auparavant , entre
Lothaire , Pépin , et Louis. On peut voir encore
le serment que Louis-le-Begue fit à Compiegne
lorsqu'il y fut oouroliné. *< Moi , Louis (3), con-
« fttitné roi par la miséricorde de Dieu et Télec-
« tion du peuple , je promets... » Ce que je dis
est confirmé par les actes du concile de Va-
lence (4) , tenu Tûn 890 , pour l'élection de
Louis , fils de Boson, au royaume d'Arles. On
y élit Louis , et on dohne pour principales rai-
sons de soti Section, qu'il étôit de la famille
impériale (5), que Charletf4e-Gros lui avoit
donné la dignité de roi , et cptte l'empereur Ar-
noul l'avoit investi par le sceptre et par lemi-
nistei^ de ses ambassadeurs. Le royaume d'Ar-
les, comme les autres démembrés ou dépen-
dants de f empare de Charlemagne, étoit électif'
ethéréditidré. '
(i) DansGoldaste, CoBStittttions impériales, tcmia
II, p. 19. — (2) Edit. de ISalnze, p. 574, art. 14. Si
verô aliqois illoram decedens legitimos- £lio« reli-
querit, non inter epspotesJU* ipsa dividator; sed^
potins populus , pariter conveniens , unum ex eis ,
qnem Dominus voluerît, eligat ; ethnne senior frater
in loco fratris et filii snscipiat. — (3) Capitnlaire de
Tan 877,édit. de Balaze,p. «7a.— (4) !>«*• Dn-
mont 9 *€dppè diplofiiattqae, téme I, -ttt. 36.—
(5) Par femmeK
l36 DE L*ESPJIIT DES LOIS, l
CHAPITRE XVIIL
Charlemagae.
(JuÀEi<EMAcifE songea à tenir le pouTOir*
de la noblesse dans ses limites, et à empêcher
l'oppression du clergé et des hommes libres. Il
mit un tel tempérament dan^ les ordres de l'é-
tat, qu'ils furent contrebalancés , et qu'il resta
le maître. Tout fut uni par la force de son gé-
nie. Il mena continuellement la noblesse d'ex-
pédition en expédition ; il ne lui laissa pas le
temps de former des desseins , et l'occupa tout
entière à suivre les siens. L'empire se maintint
par la grandeur du chef: le prince étoit grande
l'homme l'étoit davantage. Les rois ses enfants
furent ses premiers sujets , les instruments de
son pouvoir , et lés modèles de l'obéissance. U
fit d'admirables règlements ; il fit plus , il les fit
exécuter. ;Son génie se répandit sur toutes les
parties de Tempire. On voit dans les lois de ce,
prince un esprit de prévoyance qui comprendi
tout, et une certaine force qui entraine tout..
Les prétextes (i) pour éluder les devoirs sont
ôtés , les négligences corrigées , les abus réfor-
més ou prévenus. Il savoit punir ; il savoît
encore mieux pardonner. Vaste dans seê dcs-
( I ) YoyeK son capitolaire III , de l*aii 8 1 1 , p, 4B6^
art. z, a, 3, 4, 5,6, 7, et 8 ; et le capitolaire I , de
Tan 8 z a , p. 4^ , art. i ; et le capitulaire de la m^mo
4Pnée, p. 4^4 , art. 9 et 1 1 , et avtrea.
LIVRE XXXT, CHAP.,XVÏIt. l37
seins , simple dans Vexécution , personne n*eut
à un plus haut degré Fart de faîk'e les plus
grandes choses avec facilité , et les difficiles
avec promptitude. Il parcouroit sans cesse son
yaste empire, portant la main par-tout -où il
alloit tomber. Les affaires renaissoient de tou-
tes parts; il les finissoit dé toutes parts. Jamais
prince ne sut mieux braver les dangers ; j amais
prince ne les sut mieux éviter. Il sf joua de
tous les périls, et particulièrement de ceux
qu éprouvent presque toujours les grands con-
quérants ; je veux dire les conspirations. Ce
prince prodigieux étoit extrêmement modéré;
son caractère étoit doux, ses manières sim-
ples ; il aimoit à vivre avec les gens-de sa cour.
Il fut peut-être trop sensible au plaisir des
femmes : mais un prince qui gouverna tou-
jours par lui-même, et qui passa sa vie dans
les travaux , peut mériter plus d'excitses. Il
mit une règle admirable dans sa dépense ; il
fit valoir ses domaines avec sagesse , avec at-
tention, avec économie: un père de famille
pourroit apprendre (i) dans ses lois à gouver-
ner sa maison. On voit dans ses capitulaires
la source pure et sacrée d*où il tira ses riches-
ses. Je ne dirai plus qu'un mot : il ordonnoit (2)
(i) Voyea le capitnlaire de 'villis^ de l'an 800 ;
son capitnlaire II, de l'an 8i3, art. 6 et 19 ; et le
liv. V des capitulaires, art. 3o3. — (a) Capitnlaire
de -villis , art. 39. Voyez tont ce capitnlaire , qni
est nn ehef^'cenyre de prudence ^ de bonne admi*
nistration, et d'économie.
l38 DE L*f SPRIT DES LOIS.
qu'on vendît les œafs des basses-cours de set
domaines et les herbes inutiles de ses jardins ;
et il avoit distribué à ses peuples toutes les ri*-
chesses des Lombards et les immenses trésors
de ces Huns qui avoient dépouillé Tunivers. -
CHAPITRE XIX.
Contiaaation da même sajet.
C'HÂALEMAONBetses premiers successeurs
craignirent que ceux qu'ils placeroient dans
des lieux éloignés nefussent portés à la révolte;
ils crurent qu'ils trouverpient plus de docilité
dans les ecclésiastiques : ainsi ils érigèrent en
Allemagne un grand nombre d'évêcbés (i), et
y joignirent de grands fiefs. D paroît, par quel-
ques Chartres, que les clauses qui contenoient
les prérogatives de ces fiefs n'étoient pas dif-
férentes de celles qu'on mettoit ordinairement
dans ces concessions (2) , quoiqu'on voie au-
jourd'hui les principaux ecclésiastiques d'Al-
lemagne revêtus de la puissance souveraine.
Quoi qu*il en soit, c'étoient des pièces qu'ils
mettoient en avant contre les Saxons. Ce qu'ils
ne pouvoient attendre de l'indolence ou des
négligences d'un leude, ils crurent qu'ils de-
* I ' — — — ■ — - — ■
(i) Voyez entre antres la fondation de l'archevê-
ché de Brème, dans le capitulaire de 789, édii^. de
Baluze, p. 245. — (a) Par exemple, la défense aux
juges^royanx d'entrer dans le territoire pour exiger
les freina et antres droits. J'en ai beaucoup parlé au
livre précédent.
LIVRE XXXI, GHAP. XIX. iBg
voient Tattendre du zele et de lattention agis-
sante d'un évêque; outre qu'un tel vassal , bien
loin de se servir contre eux des peuples assu-
jettis , auroit au contraire besoin d'eux pour
«e soutenir contre ses peuples
CHAPITRE XX.
Loais-le-Débonnaire.
Auguste étant en Egypte fit ouvrir le tom*
beau d'Alexandre. On lui demanda s'il vouloit
qu'on ouvrit ceux des Ptolomées : il dit qu'il
avoit voulu voir le roi, et non pas les morts.
Ainsi, dans l'histoire de cette seconde race,
on cherche Pépin et Cbarlema gne ; on voudroit
voir les rois , et non pas les morts.
Un prince jouet de ses passions , et dupe de
ses vertus mêmes , un prince qui ne connut
jamais ni sa force ni sa foiblesse , qui ne sut se
concilier ni la crainte ni l'amour , qui, avec
peu de vices dans le cœur , avoit toute sorte
de défauts dans l'esprit, prit en main les rênes
de l'empire que Charlemagne avoit tenues.
Dans le temps que l'univers est en larmes
pour la mort de son père, dans cet instant d'é-
tonnement où tout le monde demande Charles
et ne le trouve plus, dans le temps qu'il bâte
ses pas pour aller remplir sa place , il envoie
devant lui des gens affidés pour arrêter ceux
qui avoieut contribué au désordre de la con-
duite de se» sœurs. Cela causa de sanglantes
I40 BE L^ESPEIT DBS LOIS.
tragédies (i). C*étoieiit des imprudences bien
précipitées. Il commença à venger les crimes
domestiques avant d'être arrivé au palais, et à
révolter les esprits avant d'être le maître.
Il fit crever les yeux à Bernard , roi d'Italie,
son neveu , qui étoit venu implorer sa clé-
mence, «t qui mourut quelques jours après:
cela multiplia ses ennemis. La crainte cpi'il en
eut le détermina à faire tondre ses frères : cela
en augmenta encore le nombre. Ces deux der-
niers articles lui furent bien reprochés (2): on
ne raanrfpa pas dé dire qu'il avoit violé son
serment et les promesses solenueUes qu'il avoit
faites à son père le jour de ^ son couronne-
ment (3).
Après la mort idel'in^ératrice Hirmengard^
dont il avôit trois enfants, ilépoi^sa Judith:
il en eut un tils ; et bientôt, mêlait les com-
plaisances d'un vieux mari avec toutes les foi-
bJesses d'un vieux roi, il mit un désordre dan^
sa famille qui çntraina la chute de la monar-
chie,
U changea sans cesse les partages qu'il
avoit faits à ses enfants. Cependant ces par-
( I ).L'aateur incertain de la vi e de Louis-Ie-Dëbon-
naire, dans le recueil de Dnchesne, tome II, p. agS.
— (*i) Voyez le procès-verbal de sa dégradation ,
dans le recueil de Duchesne, tome II, p. 333.—
(3) Il lui ordonna d*aToir pour ses sœuss, ses frères,
«t ses neveux, une clémence sans bornes, indefi'
cientem misericordiam, Tégan, dans le recneil d«
Dnchesne, tome II, p. 1176.
^ivaE XXXI,. çvAi'. XK^ f4r
tagçs avoiçnt été confirnafés tQur à tour par.ses
serments , ceux de ses enfants , et ceux de»
seigneurs. C'étoit vouJoIr tenter la fidélité de
ses sujets; c^étoit chercher à mettre de la con-
fusion , des scrupules , et des équivoques , dans
l'obéissance; c'étoit confondre les droits divers
des princes, da,ps un temps sur-to|it où,.lo^
forteresses étant rares , le premier rempart de
r^utorité étoit la foi promâse et la foi reçue.
Les enfants de l'empereur, pour maintenir
leurs partages , sollicitèrent le clergé et lui
donnèrent des. droits inouis jusqu'alors. Ces
droits étoient spécieux ; on faisoit entrer 1^
clergé en garantie d'une chose qu'on avoit
voidu qu'il autorisât. Agobai^d (i) représenta
à Louis-le-Débonnaire qu'il avoit envoyé Lo-
thaire à Rome pour le faire déclarer empe*
reur; qu'il avoit fait des partages à ses enfants
après avoir consulté le ciel par trois jours de
jeûnes et de prières. Que pouvoit faire un
prince superstitieux, attaqué d'ailleurs par la
superstition même ? On sent quel échec l'auto^
rite souveraine reçut deux fois par la prisoil
de ce prince et sa pénitence publique» On avoit
Toulu dégrader le roi, ob dégrada la royautél
On a d'abord de la peine à comprendre
comment un p?rince qui avoit plusieurs bonr
nés qualités , qui ne manquoitpas de lumières ,
qui aimoit naturellement le bien , et , pour tout
dire enfin, le fils de Charlcmagne, put avoir
(i) Voyez ses lettres.
ESPR. DES LOIS. 5. * "^
I41 DB L*ESP&IT DZS LOIs;
des ennemis si nombreux (i), si violents, si
irréconciliables, si ardents à Toffenser, si in*
solents dans son humiliation , si déterminés à
le perdre : et ils Tauroient perdu deux fois sana
retour, si ses enfents , dans le fond plus hon-
nêtes ||^s qu'eux , eussent pu suivre un projet
etfonyemr de quelque diose.
CHAPITAE XXI.
Coatinaation àa même sajet.
La fdrce que Cbarlemagne avoit mise dans
la nation subsbta assez sous Louis4e-Dëbon-
naire pour que Fétat put se maintenir dans sa
grandenr et être respecté des étrangers. Le
prince avoit Tesprit foible ; mais la nation étoit
guerrière. L'autorité se perdoit au dedans sans
que la puissance parût diminuer au dehors.
Charles- Martel, Pépin, et Charlemagne ,
gouvernèrent Tun après l'autre la monarchie.
Le premier flatta l'avarice des gens de (>iierre ;
. les deux autres celle du clergé : Louis-le-Dé-
bonnaire mécontenta tous les deux.
Dans 11 constitution française , le roi , la no*
blesse, et le clergé, avoient dans leurs main^
toute la puissance de l'état. Charles -JMEartel,
(i) Yoyez le procès-yerbal de sâ dégradation , dans
le recueil de Dachesne, tome II, p. 33 1. Voye«
aassi sa vie écrite par Tégan. Tanto enim odio la-
borabant, nt taederet tos vltâ ipsios, dit Tauteur in*
certain, dans Dnchetne , tome U, p. $oj.
LIVRE XXXI, GHAP. XXI. l4^
Pcpîn , et Charlemagnc , se joignirent quel-
quefois d'intérêts avec Tune des deux parties
pour contenir Tautre, et presque toujours avec
toutes les deux; mais Louis-le-Débonnaire dé-
taclia de lui l'un et l'autre de ces corps. Il in-
disposa les évêques par des règlements qui
leur parurent rigides , parceqù'il alloit plus
loin c[u*ils ne vouloient adler eux mêmes. Il y a
de très bonnes lois faites mal à propos. Les
évéques , accoutumés dans ces temps.là à aller
à la guerre contré les Sarrasins et les Sa-
xons (i), étoienl bien éloignés de l'esprit mo-
nastique. D'un autre côté, ayant perdu toute
sorte de confiance pour sa noblesse, il éleva
des gens de néant (a), il la priva de ses em-
plois (3), la renvoya du palais , appela des
étrangers. Il s'étoit séparé de ces deux corps ,
il en fat abandonné.
. _.^----— -----———— —
(i) «< Pour lors les évêques et les clercs commen-
« îîereat à quitter les ceintures et les baudriers d'or,
« les couteaux enricliis de pierreries qui y étoicnt
« suspendus, et les habillements d'un goût exquis^
t les éperons, dont la richesse accabloii leurs talons.
« Mais l'ennemi du genre humain ne sonfi'rit point
« une telle dévotion , qui souleva contre elle les ec-
« clésiastiqnes de tous les ordres , et se fit à elle-même
« la guerre. » L'auteur incertain de la vie de Louis-
le-Débonnaire , dans le recueil de Duchesne, tome
II, p. 298. — (a) ïégan dit que ce qui se faisoit très
rarement sous Charlemagne se fit communément soiif
Louis.^(3) Voulant contenir la noblesse , il prit
pour son cha«tbrier un cerUin Benard, qui acheva
. de la désespérer.
i44 de-l'esi^eit dits lois/
CHAPITRE XXII.
CoiEiiiiafktion an Bptéme SDJet«
IVx i I ^ ce qui aCfoiblît sur<r tout la monarchie ,
cj*es|; que ce prince ep dissipa les domidaes (i).
C'est ici qi^ Nitard , un (des plus judicieux his-
toriens que nous ayions; NitarcJ, petit-fils de
.Çh^rjemagne , qpi étoit attaché au parti de
Louis4e-pébonn^ire , et qui écrivoit rkistoirc
par ordre de Charles - le - Chauye , doit être
écouté*
Jl dit « qu*un certain Adelhard avoit eu
ft pendanlt un temps un tel empire si^r l'esprit
a dej'emperç^r, que ce prince suivoit sa vo^
«[ lonté en toutes choses ; qu'à l'instigation de
a ce jfavori il i^vpit donné les biens fiscaux (a)
« à tous ceux qui en avaient voulu , et par-là
<c avoit anéanti la république (H). » Ainsi il fit
dans tout l'empire ce que j'ai dit (4) qu'il avoit
f^it en Aq titaine ; chose que Charlemagne ré-
para, et que personne ne repara plus.
. L'état fut mis dans cet épuisement ou Char-.
les-Martel le trouva lorsqu'il parvint à la mai-^
rie; et l'on étoit dans ces circonstances, qu'il
'*' ■ . — i — ■ ^ ■
(i> Villas regias, quae erant s»i et avi et tiitavi,
fidelibus sais tradidit eas in possessiones senipi-
ternas : iecitenim hoc din fempore. Tégan , £^e Ges^
ti& Ludovici Piï. — (a) Hinc libertates,hiiic public»
in propriis osibas distribnere suasit. Nitard, liv. IV,
A lî^ fin.-— (3) Rempubliçain penitii^ annnJlavit,
Ibùi,~^{/^) Voyez le liv. XXX, cbap.. XIII.
LITILE ICXXI, CHAP. XXII. ll^S
n'étoit plus question d*iin coup d'autorité pour
le rétablir.
Le fisc se trouva si pauvre, que, sous Char-
les-le-Chauve, on ne maintenoit personne dans
les honneurs (i), on n'accordoit la sûreté à
personne , que pour de l'argent : quand on
pouvoît détruire les Normands (a), on les lais-
soit échapper pour de l'argent: et le premier
conseil que Hincmar donne à Louis-le-Begue,
c'est de demander dans une assemblée de quoi
soutenir les dépenses de sa maison.
CHAPITRE XXIII.
Contianatien dà même sujet.
JLe clergé eut sujet de se repentir de la protec-
tion qu'il avoit accordée aux enfants de Louis-
le - Débonnaire. Ce prince , comme j'ai dit ,
n'avoit jamais donné de préceptions des biens
de l'église sujix laïques (3); mais bientôt Lo-
thaire en Italie , et Pépin en Aquitaine , quit-
tèrent le plan de Charlemagne, et reprirent
celui de Charles -Martel. Les ecclésiastiques
eurent recours à l'empereur contre ses en-
fants : mais ils avoient affoibli eux-mêmes l'au-
torité qu'ils réclamoient. Kn Aquitaine on eut
(i) Hincmar, lettre i à Louis-lë^Begae. — (a)"Voyeï
le fragment de la chronique du monastère de Saint-
Serge d'Angers, dansDuchesnc, tome II, p. 401»
.—(,'{) Voyez ce que disent le* évt^qucs dans le synode
de l'an 845, aputi fe adonis viltam, att. 4.
i3.
jl^6 DE l'esprit de» lois.
quelque condescendance; en Italie on n'obéit
pas. *
Les guerres civiles qui avoient troublé la
vie de Louis-le-Débonnairc furent le gei'mc*
de celles qui suivirent sa mort. Les trois frères,
Lothaire, Louis, et Charles, cherchèrent cha-
cun de leur côté à attirer les grands dans leur
parti et à se faire des créatures. Ils donnèrent
à ceux qui voulurent les suivre des préceptions
des biens de Féglise ; et j>our gagner la noblesse
ils lui livrèrent le clergé.
On voit dans les eapitulaircs (i) que ces
grinces furent obligés de céder à Timportunité
des demandes , et qu'on leur arracha souvent
ce qu'ils n'auroient pas voulu donner : on y
voit que le clergé se croyoit plus opprimé par
la noblesse que par les rois. Il paroît encore
que Charles-le-Chauve (2) fut celui qui attaqua
( 1 ) "Voyez le synode de l'an 8 4 5 , apiid Teudonis
tnliam, tri. 3 et 4, qui décrit très bien Tétat de*
fiihoses ; aossi b^en qne celui de la m<''iue année, tenu
a*i palais de Ternes , art. i a ; et le synode de Beau-
vais, encore de la même année, art. 3, 4^ ^^ ^ » et
le capitulairc in 'villa Sparnaco y de Fan 846 , art.
30 ; et la lettre que les évéques assembles à Reims
écrivirent l'an 858 à Louis-le-Gcrmaniqu6% art. 81
-*-(») Yoyex le capitulaire in 'viLla Sparnaco, de
Tan 846. La noblesse avoit irrité le roi contre les
évoques ; de sorte qu'il les chassa de l'assemblée ;
on choisit quelques canons des synodes ^ et on leur
déclara que ce seroient les seuls qu'on obscrveroit ;
on ne leur accorda que ce qu'il éloit impossible de
leur refuser. Voyez les art. 'ao", 21 , et 22. Vojex
LITRE XXXI, GHAP. XXIII. 14?
le plus le patrimoine du clergé, soit qu'il «fût
le plus irrité contre lui parcequ il avoit dégradé
son père à son occasion , soit qu'il fût le plus
timide. Quoi qu'il en soit, on Toit, dans les
capitulaires(i), des querelles continuelles en-
tre le clergé, qui demandoit ses biens , et la.
noblesse , qui refusoit , qui éludoit , ou qui di£-
féroit de les rendre; et les rois entre deux.
C'est 1in spectacle digne de pitié de voir
l'état des choses en ces temps-là. Pendant que
Louis-le -Débonnaire faisoit aux églises des
dons immenses de ses domaines , ses enfants
distribuoient les biens du clergé aux Jaïques.
Souventla même main quifondoit des abbayes
nouvelles dépouilloit les anciennes. Le clergé
n'avoil point un étftt fixe. On lui Àtoit; il rega-
g^noil: mais la eouronne perdoit toujours.
nussi la lettre que les évéqucs assemblés écrivirent ,
l'an. 858 , à Loais-le-Germîinique , art. 8 ; et l'édit
de Pistes, de 86/,, art. 5.-r-(i) Voyez le même capi.-
tnlaire de l'an 846, in 'villa Spaniaco, Voyez aussi
le eapitalaire de l'assemblée tenue apnd Marsnanij
de l'an 84^7 , art. 4 , dani laquelle le clergé se retran-
cha à demander qu'on le reji^ît en possession de
tout ce dont il avoit joui sous le règne de Louis-le-
Dcbonnaire. Voyez aussi le* eapitalaire de Tan 85i ,
apud Marsnani, art. 6 et 7 , qui maintient la no-
blesse et le clergé dans leurs possessions ; et celui
apud Bonoilum, de l'an 856, qui est une remon-
trance des évêques au roi sur ce que les maux , après
tant de lois faites , n'avoient pas été réparés ; et enfiu
la lettre que les évéques assemblés à Reims écrivirent^
l'an 858 , à Louia-le-Germi^uique , art. 8i
l4V BE I.*ESP&IT DES LOIS.
Vers la fin du règne de Cbarles-le-Chauveet
depuis ce règne, il ne fut plus guère question
des démêlés du clergé et des laïques sur la res-
titiition desl>iensde l'église. Les évéques jetè-
rent bien ei^core quelques soupirs dans leurs
remontrances à Charles-le-Chauve , que Ton
trouve dans le capitulaire de Fan 856 , et dans
la lettre (i) qu'ils écrivirent à Louis-le^Germa-
nique Tan 858 : mais ils proposoient des choses
et ils réclamoient des promesses tant de fois
éludées, que Ton voit qu'ils n'a voient aucune
espérance de les obtenir.
U ne fut plus question (2) que de réparer en
général les torts faits dans l'églbe et dans l'é-
tat. I^s rois s'engageoient de ne point ôter aux
leudes leurs Hommes libres, et de ne plus don-
ner les biens ecclésiastiques par des précep-
tions (3); de sorte que le clergé et la noblesse
parurent s'unir d'intérêts.
Les étranges ravages des Normands, comme
j'ai dit, contribuèrent beaucoup à mettre fin
à ces querelles.
Les rois , tous les jours moins accrédités , et
par les causes que j'ai dites et par celles que je
dirai, crurent n'avoir d'autre parti à prendre
que de se mettre entre les mains des ecclésias-
(i) Voye* la note précédente. — (a) Voyez le ca-
pitulaire de Tan 85i, art. 6 et 7. — (3) Charies-le-
Chauve, dans le synode de Soissons, dit>qail avoit
promis aux évéques de ne plus donner de prcccp-
tions des biens de l'église. Capitulaire de l'an 853,
«rt. II , édit. de Balnze, tome II, p. 56.
LITRE XXXI ^ CHAP. X^III. 149
tiques. Mais Le clergé ayoit af£f>ibU les rois , et
les làois aboient affoibli le clergé.
£nyainCharles-Ie-Chauve et ses successeurs
appelerenuls le clergé (i) pour soutenir Fétat
et en empêcher la chute; en vain se serTÎ^'ent-
ils du respect que les peuples a voient pour cà
corps (2) , pour maintenir celui qu'on devoit
avoir pour eux ; en vain chercherent-ils à don-
ner de Tautorité à leurs lois par l'autorité de»
canons (3) ; en vain joignirent - ils les peines
ecclésiastiques aux peines civiles (4); en vain,
(i) Voyeas dans Nitard, liv. FV, comment, après
la fuite de Lothaire , les rois Loais et Charles consol-
terent les érèques pour savoir Vils poarroient pren-
dre et partager le royanme qu'il avoit ahandonné.
En effet , comme les évéqnes formoient entre eux un
corps pins uni que les leudes, il oonvenoit à c«a
princes d^assurer leurs^droits par une résolution des,
évoques, qui pourroient engager tous les autres
seigneurs à les suivre. — (2) Voyez le capitulaire de
Charles-le-Chauve , apiiâ SaponariaSt de Tan 8 Sg,
art. 3. Venilon, que j'avois fait archevêque de Sens,
m'a sacré ; et je ne de vois être chassé du royaume par
personne, « saltem sine andientia et judicio episco-
« porum , quorum ministerio in regem sum conse-
« cratus, et qui throni Dei sunt dicti ,in quibus Deus
« sedet, et per quos sua decernie judicia; quorum
« paternis correctionibns et castigatoriis judiciisme
« subdere fui paratus, et iu praesénti sum subditus.»
— (3; Voyez le capitulaire de Charles-le-Chanve ,
ie Carisiaco, de l'on 857, édit. de Balute, tome H,
p. 88, art. 1, 2, 3, 4, et 7.— (4) Voyez le aynôde
de Pistes , de l'an 86a , art. 4 ; et le capitulaire de
x5o DB l'esprit des lois.
pour contrebalancer l'autorité du comte , donr-
nerent-ils à chaque évêque la qualité de leur
envoyé dans les provinces ( i) : il fut impossible
au clergé de réparer le mal qu'il avoit fiait; et
un étrange malheur, dont je parlerai bientôt,
fit tomber la couronne à terre.
CHAPITRE XXIV.
Que les hommes libres farent rendus capables de
posséder des fiefs.
J 'ai dit que les hommes libres alloient à la
guerre sous leur comte , et les vassaux sous
leur seigneur. Cela faisoit que les ordres de
l'état se balançoient les uns les autres ; et quoi-
que les leudes eussent de» vassaux sous eux ,
ils pouvoient être contenus par le comte, qfii
étoit à la tête de tous les hommes libres de la
monarchie^
D'abord (a) ces hommes libres ne purent
pas se recommander pour un fief, mais ils le
purent dans la suite ; et je trouve que ce chan-
gement se fit dans le temps qui s'écoula depuis
le règne de Contran jusqu'à celui de Cha'rle-
magne. Je le prouve par la comparaison qu'on
Carloman et de Louis II , apitd vernis palatium ,
de Tan 883 , art. 4 et 5. — (1) Capitnlaire de l'an 87(5,
sous Ciiarles4e-Chauve , in synodo Pontigonensi ,
édit. de Balore, art. la.-^(a) Voyee ce que j'ai dit
ci-devant an Uv. X1[X, chap. dernier, vers la fin.
lilYRE XXXI, GHAP. XXIT. l5x
peut faire du traité d'Andely (i), passé entre
Contran, Childebert et la reine Brunehault,
et le partage fait par Charlemagne à ses en-
fants, et un partage pareil fait par Louis-le«
Débonnaire (2). Ces trois actes contiennent
des dispositions à peu près pareilles à Tégard
des vassaux ; et comme on y règle les mêmes
points et à peu près dans les mêmes circon-
stances , Tesprit et la lettre de ces trois traités
se trouvent à peu près les mêmes à cet égard.
Mais pour ce qui concerne les hommes li-
bres ^il s'y trouve une différence capitale. Le
traité d'Ajidely ne dit point qu'ils pussent se
recommander pour un fief; au lieu qu'on
trouve dans les partages de Charlemagne et
dé Louis-le-Débonnaire des clauses expresses
pour qu'ils pussent s'y recommander : ce qui
fait voir que, depuis le traité d'Andely, un
nouvel usage s'introduisoit , par lequel le$
hommes libres étoient devenus capables de
cette grande prérogative.
Cela dut arriver lorsque Charles -Martel
ayant distribué les biens de Féglbe à ses sol-
dats , et les ayant donnés partie en fief, partie
en aleu, il se fit une espèce de révolution dans
les lois féodales. Il est vraisemblable que les
nobles qui avoient déjà des fiefs trouvèrent
plus avantageux de recevoir les nouveaux
(i) De Taû 58; , dans Grégoire de Tour», liv. IX.
— (a) Voyez le chapitre snivant, ou je parle plus aa
long de ces partages , et les notes où ils sont cites.
i5a t>s l'esprit des lois*
don» en aleu , et que les hommes libres se trou^
verent encore trop heureux de les recevoir
en fief.
CHAPITRE •XXV.
ClUSE PA0CIPU.E DE Ii*A*FOIBl.lMXME]|T 1>B lA
SEOOKDE RlfE.
Gkangeraent dans les aïeux.
OHAKXEMÂCifE, dans le partage dont j'ai
parié aw clu^itre précédent (i) régla qu'après
sa mort les hommes de ehaque roi recevrpient
des bénéfices dans le royaume de leur roi , et
non dans le royaniiie d'un autre (a) ; au lîèu
t|ti*on conserveroit ses aïeux dans quelque
royaume que ce fût. Mais il ajoute que tout
homme Hbre pourroit , après la mort de son
seigneur, se recommander pour un ûef dans
les t^ois royaumes à qui il voudroit , de même
que celui qui n'ayoît jamais eu de seigneur (3).
On trouve les mêmes dispositions dans le par-
tage que fit Louis-le-Débonnaire à %e% enfants
Fan 817 (4),
(i) De l'an 806, entre Charles, Pépin, et Loa:.s.
Il est rapporté par Goldaste et par Raluze , tome I «
p. 439- — (a) Art. 9 , p. 443. Ce qui est conforme au
traité d'Andely, dans Grégoire de Tours, liv. FX. —
(3) Art. 10. Et iln*est point parlé de ceci dans le
traité d'Andely. — (4) Dans Bahize, tome I, p. 1 74.
licentiaui habeaC nnnsqnisqne liber honto , qoi se-
BÎorem non habnerit , enicnmqne ex his tribus fra*
tribtts vohxerit se commenâanda, art. 9. Voyes anssi
lilT&E XXXI, GHAP. XXT. l53
Mais quoique les hommes libres se recom-
ixiandassent pour un fief, la milice du comte
n'en étoit point affoil>lie : il f'alloit toujours
que l'homme libre contribuât pour son aleui ,
et préparât des gens qui en fissent le service
à raison d'un homme pour quatre manoirs ,
ou bien' qu'il préparât un homme qui servit
pour lui le fief : et quelques ab^s s'étant intro-
duits là-dessus , ils furent corrigés , comme îi
paroit par les constitutions (i) de Ch^kmar-
gne et par celle de Pépin, roi dltalie {%)^ quj
s'expliquent l'une l'autre.
Ce que les historiens ont dit^ que la bataille
de Fontenay causa la ruine de la moivircbit ,
est trçs vrai. Mais qu'il me soit permis de jetey
un coup-d'œil sur les funestes conséquences
de cette journée, .
Quelque temps après cette bataille, les trois
frères, Lothaire, Louis et Charles, firent un
traité dans lequel je trouve des clauses qui
durent changer tout l'état politique che» l«i
Français (3).
le partage que fit le même empereur, Tan SS^, 9fst. 6^
édit. de Balaze, p. 686. — (i) De Fan 8ii, édit. dç
Balaze, tome I, p. 486, art. 7 et 8 ; et celle de Van
8x2, Ibid, p. 490, art. i. Ut omnis liber homo c[ai
quatuor xnahso^ ve«titos de proprio sao, aive dç
alicnjns beheficio, habet, ipse se prieparet, et ipse
in hostem pergat , sive cum sexriore suo , etc. yoyei
le capitidaire de Fan 807, édit. de Balaze, toine I^
p. 458.— (a) De Van 798, insérée dans U loi de»
Lombards, liv. III, tit. IX , c. IX.— (3) En Tan 847*
BSPR. DU LOIS. 5. ' ^
x54 ^^ l'esprit des lois.
Dans rannonciation (i) que Charles fit au
peuple de la partie de ce traité qui le concer-
noit, il dit que tout homme libre pourroit
choisir pour seigneur qui il Youdroit, du roi
ou des autres seigneurs (t). Avant ce traité
rhomme libre pouvoit se recommander pour
un fief, mais son aleu restolt toujours sous la
gnissance immédiate du roi, c'est-à-dire sous
i juridiction du comte ; et il ne dépendoit du
seigneur auquel il s*étoit recommandé qu'à
raison du fief cpi'il en avoit obtenu. Depuis ce
traité tout homme libre put soumettre son
aleu au roi , ou à un antre seigneur , à son
choix, n n'est point question de ceux qui se re-
commandoient pour un fief, mais de ceux qui
changeoient leur aleu en fief, et sortoient pour
ainsi dire de la juridiction civile pour entrer
dans la puissance du roi , ou du seigneur qu'ils
Youloient choisir.
Ainsi ceux qui étoient autrefois nuement
«bus la puissance du roi , en qualité d'hommes
libres sous le comte, devinrent insensiblement
vassaux les uns des autres , puisque chaque
homme libre pouvoit choisir pour seigneur
qui il vouloit, ou du roi ou des autres sei-
gneurs.
rapporté par Aobert-le-Mire et Baloze, tome II,
p. 4a, conuentus apud Marsnam, — (i) Adnnn-
tiatio.— (a) Ut onnsquisque liber homo in nostro
Ipegno seniorem qnem yolûerit, in nobis et in nos-
tris fidelibus, accipiat. Art. a de rAnnonciation àê
Chavles. * •
LITRE XXXI, CHÀP. XXY. l55
a*". Qtt'un homme changeant en fief une terre
qu'il possédoit à perpétuité , ces nouveaux
fiefs ne pouToient plus être à yie. Aussi
Toyons-nous,un moment après, une loi géné-
rale pour donner les fiefs aux enfants du pos-
sesseur; elle est de Charles-le-Chauve, un des
trois princes qui contractèrent (i).
Ce que j*ai dit de la liberté qu'eurent tous
les hommes de la monarchie , depuis le traité
des trois frères , de choisir pour seigneur qui
ils Youlchent, du roi ou des autres seigneurs ,
se confirme par les actes passés depuis ce
temps-la.
Du temps de Gharlemagne, lorsqu'un vas-
sal avoit reçu d'un seigneur une chose , ne va-
lût-elle qu^un sou, il ne pouvoit plus le quit-
ter (a). Mais sous Charles -le-Chauve les vas-
saux purent impunément suivre leurs intérêts
ou leur caprice : et ce prince s'exprime si for-
tement là-dessus , qu'il semble plut6t les invi-
ter àjouir de cette liberté qu'à la restreindre (3).
s :-
(i) GapitaU^ de Taii 877 , tit. LUI , art. 9 et 10,
apud Carisiacitm, Similiter et de nostris yassallis
faciendum est, etc. Ce capitulaire se rapporte à un
aatre de la même année et dn même lien ^ art. 3. —
(a) (^pitalaire d*Aix-la-Cfiapel]e, de Fan 8x3, art.
16. Quôd nnllns seniorem snam dimittat , postquam
ab eo acceperit yalente solidam annm. Et le capita-
laire de Pépin, de Tan 783, art. 5.— (3) Voyez le
capitnlaire ^e Carisiaco, de l'an 856, art. 10 et 1 3^
édit. de Baluze, tome II, p. 83, dan» leqnellc roi
et les seigneurs eccl^iastiqnes et laïques convinrent
iS6 DE l'esprit des Lait.
Du temps de Charlemagneles bénéfices étoient
plus personnels que réels ; dans la suite ils de-
vinrent plus réels que personnels.
, CHAPITRE XXVl.
Ghan^ment dans les ûéU.
1 L n* arrivapas de moindres changements dans
les fiels que dans les aïeux. On voit par le ta-
pitulaire de Compiegne , fait sous le roi Pé-
pin (i), que ùenx à qui le roi donnoitun béné-
fice donnoient eux-mêmes une partie de oc
bénéfice à divers vassaux ; mais ces parties,
n'étoient point distinguées du tout. Le roi les
6toit lorsqu'il ôtoit le tout; et à la mort du
leude le vassal perdoit aussi son arriere-fief ;
un nouveau bénéficiaire venoit qui établissoit
aussi de nouveaux arrière-vassaux. Ainsi Far-
riere-fief ne dépendoit point du fief; c'étoit la
personne qui dépendoit. D'un côté, Tarricre-
vassal revenoit au roi parcequ'il n'étoit pas
attaché pour toujours au vassal ; i*t l'arriérer
fief revenoit de même au roi,parcequ'il étoit
le fiel même et non pas une dépendance du
fief.
de ceci : Et tk aliqois de vobis sit cui sous senioratos
non placet, etilii simulât ut adaliam seniorem me-
iiùs qoàm ad illum acaptare possit, yeniat ad illom,
et ipse tranquillo et paciiico aaimo donet illi com-
nieatnm....«t qnod Deas illi cupicrit et ad alium se-
niorem acaptare potuerit, pacillcè liabeat. — Ci)De
l'an 757, art. 6, cdit. de Balnze, p. 181.
LITEE XXXI, CAAP. XXVI. iS'J
Tel'étoit rarriere-vasselage lorsque les fiefs
étoient amovibles ; tel il éloit encore pendant
qne les fiefs furent à vie. Cela changea lorsque
les fiefs jSasserent aux héritiers et que les ar-
riere-fiefs j passèrent de même. Ce qui rele-
voit du roi immédiatement n'en releva plus
que média tentent ; et la puissance royale se
trouva pour ainsi dire reculée d*ui» degré,
quelquefois de deux, et souvent davantage.
On voit dans les livres des fiefs(i)q(ie , quoi-
que les vassaux dm roi pussent donner en fief,
c'est-à-dire en arriere-fief du roi , cependant
ces arrière-vassaux ou petits vavasseurs ne
pouvoient pas de même donner en ûef; de
sorte que ce (pi'ils avoient donné ils pouvoient
toujours le reprendre. D'ailleurs une telle con-
cession ne passoit point aux enfants comme les
fiefs , parcequ'elle n'étoit point censée faite se-
lon la loi des fiefs.
Si l'on compare l'état où étoit l'arriere-vas-
selage du temps que les deux sénateurs de Mi-
lan ccrivoient ces livres , avec celui où il étoit
du -temps du roi Pépin, on trouvera que les
arrière -fiefs conservèrent plus long-^emps
leur nature primitive que les fiefs (2).
Mais lorsque ces sénateurs écrivirent, on
avoit mis des ^exceptions si générales à cette
règle qu'elles l'avoient presque anéantie. Car
si celui qui avoit xeçu un fief du petit vavas-
(i) Liv. I, ch. I. — (a) Au inoin* en Italie et en
Allemagne.
i58 DE l'espmt bes lois.
seur Tavoit suivi à Rome dans une expédition ,
il acquéroit tous les droits de vassal : de mê-
me s'il avoit donhé de l'argent au petit vavas-
seur i>our obtenir le fief, celui-ci ne pouvoit
le lui ôter, ni l'empêcher de le transmettre a
sou fils, jusqu'à ce qu'il lui eût rendu son ar-
gent (i). Enfin cette règle n'étoit plus snivie
dans le sénat de Milan (a).
CHAPITRE XXVII.
Autre cliangement arrivé CaiM les fiefs.
D u temps de Charlk?magne (3) on étoit obligé
sons de grandes peines de se rendre à la con-
vocation pour quelque guerre que ce fût ; on
ne recevoit point d'excuses ; et le comte qui
auroit exempté quelqu'un auroit été puni lui-
même. Mais le traité des trois frères mit là-
dessus une restriction (4) qui tira pour ainsi
dire la noblesse de la main du roi (5) : on ne
fut plus tenu de suivre le roi à la guerre que
cpiand cette guerre étoit défensive. Il fut libre
dans les autres de suivre son seigneur ou de
-■■■-■ II. ^
(i) Liv. I des fiefs, ch. I. — ^^a) Ilfid. — (3) Capi-
tiiUire de l'aa 802 , ait. 7 , édit. Ce Raluie , p, 365.
— -(4) Apnd Marsnqm, l'an 847, ^it. de Baloze,
p. 4a. — [5) Volumus ut cajuscumque nostriîm ho-
mo, in cujuscumqae rep;no sit, cum scniore suo iu
liostem, vel aliis suis ntilitatibas, pergat ; nisi talis
re^i iirvasio quam La niuife ri dicant^ quodafasit,
acciderit, ot omnis popnlus illius re^ftii ad cam re-
pellendamcommunilerpergat. Art. 5, //7V. p,44.
LITKE XXXJ, CHÂP. XXVII. l6g
Tftquer à ses affaires. Ce traité se rapporte à
on auti'e fait cinq ans auparavant entre les.
deux'fi'eres Charles -le-Chauve et Louis, roi de
Germanie , par lequel ces deux frères dispen-
seront leurs vassaux de les suivre à la guerre
en caa qu'ils fissent quelque entreprise lun
contre l'autre; chose que 1^ deux princes
jurèrent et qu'ils firent jurer aux deux ar-
mées (i).
La mort de cent mille Français à la bataille
de Fontenay fit penser à ce qui resloit encore
de noblesse (a), que , par les querelles particu-
lières de ses rois sur leur partage , elle seroit
enfin exterminée, et que leur ambition et leur
jalousie feroient verser tout ce qu*il y avoit en-
core de sang à répandre. On fit cette loi , que
la noblesse ne seroit contrainte de suivre le»
princes à la gueiTc que lorsqu'il s'agiroit de
défendre l'état contre une invasion étrangère.-
Eilc fut en usage pendant plusieurs siècles (3).
CHAPITRE XXVIIL
Chaiijcmenls arrivés dans les grands offices et dans
les iief».
Il sembloît que tout prit un vice particulier
(i) Apud Argentoratnm, dans Balnze, C«|>itn-
laires , tome II, p. 3<), — (2) Effertivement ce fut la
noblesse qui fit ce traite. Voyra JNitard, liv. IV.—
(3) Voyez Ip loi de Guy, roi des Romains, parmi
celles qui ont été ajontk'S à la loi «alique et à celle
des Lombards, tit. Vl , §. t» , c'ans licbard.
i6o OB l'esprit des lois.
et se corrompit en même temps. J'ai dit quer
dans les premiers temps plusieurs fiefs étoient
aliénés à perpétuité : mais c*étoient des caspar-
ticuliers , et les fiefs en général conservoient
toujours leur propre nature ; et si la couronne
avoit perdu des fiefs , elle en avott substitué
d'autres. J'ai dit, encore que la couronne n'a-
voit jamais aliéné les grands offices à perpé-
tuité (i).
Mais Charles-le-Chauve fit un règlement gé-
néral qui affecta également et les grands offi-
ces et les fiefs : il établit dans ses capitulaires
que les comtés seroient donnés aux enfants du
comte ; et il voulut que ce règlement eût en-
core lieu pour les fiefs (a).
On verra tout-à-l'heure que ce règlement
reçut une plus grande extension ; de sorte que
les grands offices et les fiefs passèrent à des pa-
rents plus éloignés. Il suivit de là que la plu-
part des seigneurs qui r^levoient inunédiate-
ment de la couronne n'en relevèrent plus que
niédiatement. Ces comtes fpxi rendoient autre-
fois la justice dans les plaids du rpi, ces com-
» — »■.— i— ^-— — 1^—. 1 1 1 -»^— ^— 1^^^— 1^»^»»
( i) Des autears oat dit que la comté de Toulouse
avoit été donnée par Charles-Martel, et passa d'hé-
ritier en héritier jusqu'au dernier Raymond : mais
si cela est^ ce fut l'effet de quelques circonstances
qui purent engager à choisir les comtes de Toulouse
|>armi les enfants du dernier possesseur. — (a) Voyes
son capitulaire dp Tan 877, tit. LUI, art. 9 et 10,
i9/fud Caîisiacwn, Ce capitulaire se rapporte à un
autre de la même année et du mcme lieu , art. 3.
I.iyRE XXXI, 6HAP. XXVIII. l6l
tes qui ^enoient les hommes libres à la guerre 9
se trouvèrent entre le roi et ses hommes Jibres;
et la puissance se trouva encore reculée d*un
degré.
Il y a plus : il paroît , par les capitulaires ,
que 1er comtes avoient des bénéfices attachés
à leurs comtés , et des vassaux sous eux ( i ).
Qu^d les comtés furent héréditaires , ces vas-
saux du comte ne furent plus les vassaux im-
médiats du roi ; les bénéfices attachés aux com-
tés ne furent plus tes bénéfices du roi ; les com-
tes devinrent plus puissants , parceque les vas-
saux qu'ils avoient déjà les mirent en état de
s*en procurer d'autres.
Pour bien sentir l'affoiblissement qui en ré-
sulta à la fin de la seconde race , il n'y a qu'à
voir ce qui arriva au commencement de la trot
sieme , où Ja multiplication des arriere-fiefs mit
les grands vassaux au désespoii .
C'étoit une coutume du royaume que qnand
les aines avoient donné des partages à leurs ca-
dets ceux-ci en faisoient hommage à l'ainé (2);
de manière que le seigneur dominant ne les te»
Aoit plus qu'en arriere-fief. Philippe- Auguste ,
le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers ,
de Boulogne, de Saint-Paul, de Dampierre,
( I ) Le capitulaire III de l'an ^12, art. 7 ; et celni
de l'an B 1 5 , «rt. 6 , snr les Espagnols ; le recueil des
capitnbires, liv. V, art. 228 ; et le capitolaire d«
l'an 869, art. 2; et celui de l'an 877, art. i3, édit.
de Baloze. — (2) Comme il paroit par Othon de Fris-
singne, des Gestes de Frédéric, liv. II, ch. XXIX.
X62 DE L*E8PftIT DES LOIS*
et autres seigneurs , déclarèrent que doréna^
Tant , soit que le fief lût divisé par succession
ou autrement , le tout rdeveroit toujours du
même seigneur, sans aucun seigneur rooy^(i);
Cette ordonnance ne tut pas généralement sui-
vie; car, comme j'ai dit ailleurs, il étoit im-
possible de faire dans ces temps-là des ordob-
nances générales : mais plusieurs de nos cou-
tumes se réglèrent là-dessus..
CHAPITRE XXIX,
De la nature des fiefs depuis le règne de Charles-le*
Chauve.
J*Ai dit que Charles-le-Chauvc voulut que
quand le possesseur d'iin grand office ou d'un
fief laisseroit en mourant un fils , l'offîce ou le
fief lui fût donné. Il seroit difficile de suivre le
progrès des abus qui en résultèrent et de l'ex-
tensîon qu'on donna à cette loi dans chaque
pays. Je trouve dans les livres des fiefs (2)qu'au
commencement du règne de Tempereur Con-
rad II , les fiefs , dans les pays de sa domina-
tion, ne passoient point aux petits-fils; ilspas-
soient seulement à celui des enfants du dernier
possesseur que le seigneur avoit choisi (3):
(i) Yoyez rordonnance de Philippe-Auguste, de
Tau laog, dans le nouveau recueil. — (a) Liv.I,tit. I.
— ^3) Sic progressa m est, ut ad filios dereniret in
quem dominus hoc veUet heneficium oonfirniare.
Ibid,
LITRE XXXI9 GHAP. XXIX. 16)
ainsi les &fs furent donnés par une espèce d*ë-
tection que le seigneur fit entre ses enfants.
. . J ai expliqué au chapitre XVII de ce livre
comment , dans la seconde race , la couronne
se trouYoit à certains égards élective, et à
certains égards héréditaire. £lle étoit hérédi-
taire, parcequ'on pr«noit.toujours les rois dans
cette race ; elle i'étok encore, parceque les en-
fants succédoient : elle étoit élective , parceque
le peuple choisissoit entre les enfants. Comme
ies choses vont toujours de proche en proche ,
et qu'une loi politique a toujours du rapport à
une autre loi politique, on suivit pour la suc-
cession des fiéfs le même esprit que Fou avoit
suivipour la succession à la couronne ( i ). Ainsi
^s fiefs passèrent aux enfants et par droit de
succession et par droit d'élection ; et chaque
fief^elrouva, comme la couronne , électif et
héréditaire.
Ce droit d'élection dans la personne du sei-
gneur ne suhsistoit (2) pas du temps des au-
teurs des livres des fiefs (3); c'est-à-dire sous
le règne de l'empereur Frédéric I.
CHAPITRE XXX.
ContiBiiJitioii du même sujet.
1 L est jdit dans le livre des fiefs (4) que , quand
(i ) Aa môini en Italie et en Allemagne. — (a) Qnod
hodie iu stabilitam es^t, ntad omne« seqnaliter ve-
,|iiat. lÂT. I des SkÎs^ tit. I. — (3) Gerardus Niger, et
Anhertiu de Otto.— «(4) Liv. I , des fiefs , tit. I.
l64 1>E I'ëSPRIT DES LOIil.
Temperenr Conrad partit pour Roue , le» û.^
deles qui étoîent à son service Im demandèrent
de faire une loi pour que les fiefs qui passoient
aux enfants passassent aussi sltijb: p^ts^en*
fants; et que celui dont- le frère éloit mort
sans héritiers légitimes pût succéder au fief
qui ayoit appartenu à leur père comnum : cela
tat accordé.
. On y ajoute , et il faut se smnroiir que ceux
qui parlent TÎ^oient du temps de l'empereur
Frédéric I (i) , '< q^e les anciens jurisconsidteil
« avoient toujours tenu que lat succession dei
« fiefs en ligne collatérale ne passoit point au<-
<c 4.elà des frères genftains , quoique dans des
« temps moderne^ on Vtét portée jusqu'au sep-
« tieme degré ; comme ^ par le droit nouveau ,
« on FavoîÉ portée en Jigne directe jusqu'à l'i»
« uni (2). » C'est ainsi que la loi de Conrad re-
çut peiji à peu des extensions.
Toutes ces ohoises supposées , la simple lec-
ture de P'Htstbire de France fera \mr que la
perpétuité de^ fiefs s'établit plutôt en Fraace
qu'en AlJeraagne^ Lorsque l'emp^eur Cosr
rad II commença à régner en ioa4 « les choses
se trouvèrent encore, erf Allemagne comme
elles étoieat.déja en France »cms le règne de
Charles-le- Chauve, qui mouruten 877. Mais en
France , depuis le règne df» Charles-le-Ckauv« ,
il se fit de tek changements que. Charles-le -
(i ) Cnjas l'a très bien pronvé.^^a) Lit. ^dm
tit. I.
i«»
LIV&E XXXI9 CHAP. XXX. 16S
Simple se trouva hors d'état de disputer à
une maison étrangère ^s droits incontesta-
bles à Tempire ; et qu'enfin , du temps de Hu-
gues Capet , la maison régnante , dépouillée
de tous ses domaines , ne put pas même soute-
nir la couronne.
La foiblesse d^esprît de Charles-le-Chauve
mit en France une égale foiblesse dans l'état*
Mais comme IiOuis4e-G€rman{que, son freré ,
et queU{ues uns de ceux qui lui succédèrent eur
rent de plus grandes quidités , la force de leu^
état se soutint plus long-temps.
Que dis-je ? peut-^tre que l'humeur flegma-
tique , et , si j'ose le dire , l'immutabilité de
l'esprit de la nation allemande ^ résista plu^
long- temps que celui de la nation française à
cette disposition des choses qui falsoit que les
fiefs , comme par une tendance naturelle , se
perpétuoient dans les familles.
J'ajoute que le royaume d'Allemagne ne fiât
pas dévasté 5 et pour ainsi dire anéantr, comme
le fut celui de France , par ce genre particidier
de guerre que lui firent les Normands et les
Sarrasins. Il y avoit moins de richesses en Ai-*
lemagne , moins de vflles à saccager ^ moin& de
c6tes à parcourir , plus de marais à franchir ,
plus de forêts à pénétrer. Les princes , qui ne
virent pas à chaque instant l'état prêt à tom->
ber } eurent moins besoin de leurs vassailx |
c'est-à-dire en dépendirent moins. Et il y a ap-
parence que si les empereurs d'Allemagne n*a-
voient été obligés de s'aller faire couronnera
Ksni. DXA r^it. 5. ' ^S
166 DE L'xSPmiT DES LOIS.
Jiome , et de faÎFe des expéditions continuelles
en Italie, les fiefs aurqient conservé plus long-
temps chez eux leur nature primitive.
CHAPITRE XX3CI.
Comment Tempirç sortit dp la maison de
Charlemagne.
li* E M F I K E ) à[m. , au préjudice de la braacKe
de Charles-le4^hauve, avoit déjà été donné aux
l>âtapds de celle dé Louis-le-Germaniqiite(i) ,
passa encore dans uni» maison étrangère pte
i*ëlectioil de Conrad , duc de Francoiiie , Tan
9 1 !i. La brancke qui régnoit en Fraiîce , et qui
pouvoit à peine disputer des villages , étoit en-
core moins en état de disputer l'empire. Nous
avons un accord passé entre Charles-le-Simpte
«t l'empereur Henri I , qui avoit succédé à
Conrad. On l'appelle le pacte de Bonn (2). Lqs
deux princes se rendirent dans un navire qu'on
avoit placé au milieu du Rhin , et se jurèrent
une amitié éternelle. On employa un rtrezzo
termine assez bon. Charles prit le titre-de roi
de la France occidentale , et Henri celui de roi
de la France orientale. Charles contracta avec
le roi de Germanie , et non avec l'empereur.
(i) Arnonl et son fils Louis IV. — (2) De l'an 926,
Vapporté par Apbert-le-Mire, cod. donati^num
LlV&ft XXXI9 CKAP. XXXlt. 1^7
CHAPITRE XXXII.
Cbmmfot k cowtoiuie d« France pasaa dans la maîsoit
cU Hugues Capet.
_ »
Li'Hi^R^DiTiÊ d«s fi^fs et rétabUssement gé-
néral des arriérer fiefs éteignirei|t le gouverne-
ment politique et formèrent le.gouyernement
féodal. Au lieu de cette multitude innombra^
ble de vassaux cfûe le» rois avoient eus , ils n*ea
«urent pitis que quelques uns, dont les autres
dépendirent. Les rois n'eurent presque plu$
d'autorité directe : un pouvoir qui devolt pas^
ser par tant d'autres pouvoirs , et par de si
grands pouvoirs , s'arrêta ou se perdit avant
d'arriver à son terme. De si grands vassaux
n'obéirent plus , et ilt se servirent ïnéme d«
leurs arrière-vassaux pou^ ne plus obéir. Les
rois , privés de leurs domaines , réduits aux
tilies de Reims et de Laon , restèrent à leur
*merci. L'arbre étendit trop loin ses branches;
et la tète se sécha. Le royaume se trouva sauf
domaine , comme est aujourd'hui l'empire. Ou
donna la couronne à un des plus |)uissants
vassaux.
Les Normands ravageoient le royaume; ils
venoient sur des espèces de radeaux ou de
petits bâtiments , enlroient par rcmbouchure
des rivières, les remontoient, et dévastoient
le pays des deux côtés. Les villes d'Orléans et
£68 DK ^*XSP&IT DES LOIS. .
de Parisarrétoieût ces brigands (i^; et ils ne
pouvoient avancer ni sur la Seine ni sur la
Loire. Hugues Capet , qui possédoit ces deux
▼illes, tenoit dans ses mains les deux tiieh
des malheureux restes du royaume: on lui
défera une couronne qu'il étoit seul en état de.
défendre. C*est ainsi que depuis on a donné
l'empire à la maison qui tient immobiles les
frontières des Turcs.
L'empire étoit sorti de la maison de Cbarle-
magne dans le temps que l'hérédité des fiefs ne
s'établissoit que comme une condescendance.
Elle fut même plus tard en usage chez les Alle-
mands que chez les Français (a): cela fit que
l'empire , considéré comme un fief, fut électif.
Au contraire, quand la couronne de France
sortit de la maison de Charlemagne , les fiefs
étoient réellement héréditaires dans ce royau^
me : la couronne, comme un grand fief, le fut
aussi. *
Du reste, on a eu grand tort de rejeter sur
le moment de cette révolution tous les chan^
gements qui étoient arrivés ou qui arrivèrent
depuis. Tout se réduisit à deux événements;
la famille régnante changea, et la couronne
fut unie à un grand fief.
(i) Voyez le capîtulaire de Charles-le-Qiaave , de
Van 877, apudCarisiacum, aar Timportance de
Paria , de Saint-Denys , et des châf eaax sur la Loire ,
dans œs temps-là.— (a) Toyez ci-devant le ch. XX X^
p. i63.
'•
IIYRE XXXI, CHAT. XXXYII. 169
CHAPITRE XXÎtIII.
Quelques conséqaeiices de la perpétuité des ûtfs,
1 L suivit de la perpétuité des fiefs que le droit
d'aînesse et de priinogéniture •'établit parmi
les Français. On ne le connoissoit point dans
la première race (i^: la couronne se parta-
geoit entre les frères , les alenx «se divisoient
de même; et les fiefs, amovibles ou à vie,
n'étant pas un objet de succession , ne pou^
voient pas être un objet de partage.
Dans la seconde race , le titre d'empereur
qu'avoit Louis-le-Dcboni.aire , et dont il ho-
nora Lothairc son fils aine, lui fit imaginev
de donner à ce prince une espèce de primauté
sur ses cadets. Les deux toîs dévoient aller
trouver l'empereur chaque année, lui porter
des présents (a) et en recevoir de lui de plus
grands; ils d(ï voient conférer avec lui sur le»
affaires communes. C'est ce qui donna à Lo*
thairc ces prétentions qui lui réussirent si mal.
Quand Agobard écrivit pour ce prince (3), il
allégua la disposition de l'empereur même,
qui avoit associé Lothaire à l'empire , après
que, par trois jours de jcùaa et par la célébra-
(i) Voyez fa loisalique et la loi des Ripuaires, au
litre des aleox. — (2) Voyez le capitulaire de Tân 81 7,
qni cootieut le premier partage que Louis-lc-Debon-
naire fit entre ses enfants. — (3) Voyc/ses deuxlettre»
à ce sujet, dont l'une a pour litre de dipisione
imperii*
i5.
I70 DE l'esfrit des lois.
tion des saints sacrifices , par des prières et
des aumônes, Dieu avoit été consulté; que la
nation lui avoit prêté . serment ; qu'elle ne
pouvoit point se parjurer; qu'il avoit envoyé
Lothaîre à Rome pour être confirmé par le
pape. Il pesé sur tout ceci et non pas sur le
droit d'aînesse. Ilditlnen que l'empereur avoit
désigné un partage aux cadets , et qu'il avoit
préféré Tainé : mais en disant qu'il avoit pré-
féré l'aîné , c'étoit dire en même ten^ps qu'il
auroit pu préférer les cadets.
Mais quand les fiefs furent héréditaires , le
droit d'aînesse s'établit dans la succession des
fiefs ; et par la même raison dans celle de la
couronne, qui étoit le grand fief. La loi an-
cienne qui formoit des partages ne subsista
plus; les fiefs étant chargés d'un service, il
falloit que le possesseur fut en état de le rem-
plir. On établit un droit de primogéniture ; et
la raison de la loi féodale força celle de la loi
politique ou civile.
Les fiefs passant aux enfants du possesseur,
les seigneurs perdoient la liberté d'en dispo-
ser; et pour s'en dédommager ils établirent
un droit qu'on appela droit de rachat , dont
parlent nos coutumes, qui se paya d'abord en
ligne directe , et qui , par usage , ne se paya
plus qu'en ligne collalérale.
., Bientôt les fiefs purent être transportés aux
étrangers comnie un bien patrimonial. Cela
fit naître le droit de lods et ventes établi dans
presque toutj^e rovauuio. Ces droits lurent
LITRB X'XXI, CHAF. XXXIII. I7I
d'abord arbitraires : mais quand la pratique
d'accorder ces ))ennissions devint générale où
les fixa dans chaque contrée.
Le droit de rachat devoit se payer à chaque
mutation d'héritier, et se paya même d'abord
en ligne directe (i). La coutume la plus géné-
rale l'avoit fixé à une année du revenu. Cela
étoit onéreux et incommode au yassa) , et af-
fectoit pour ainsi dire le fief. 11 obtint souvenfl
dans l'acte d'hommage que le seigneur ne de-
manderoit plus pour le rachat qu'une certaine
somme d'argent (2), laquelle , par les change-
ments^ arrivés aux monnoies , est devenue de
nulleimporlance : ainsi le droit de rachat se
trouve aujourd'hui presque réduit à rien , tan-
dis que celui de lods et ventes a subsisté dans
toute son étendue. Ce droit-ci ne concernant
ni le vassal ni ses héritiers , mais étant un cas
fortuit qu'oi^ine devoit ni prévoir ni attendre ,
on ne fit point ces sortes de stipulations , el
on continua à payer une certaine portion du
prix.
Lorsque les fiefs étoient à vie on ne pouvoit
pas donner une partie de son fief pour le tenir
pour toujours en arriere-fief ; il eût été absurde
qu'un simple usufruitier eut disposé de la pro-
(1) Voyez rordonnance de Philippe-Aagnste , de
Tan xaOQ, »ur les fiefs. — (a) On trouve dans Its
Chartres plusieurs de ces conventions , comiùe dans
le capitulaire de Vendôme et celui de Fabbaye de
Saiat-Cyprien, en Poitou , dont M. Galland , p. 55^
• donné des extraits.
173 DE L*ESPRIT DES LOIS.
pri^té de la chose. Mais lorsqu'ils devinrent
perpétuels cela fut permis (i)^ avec de certai-
nes restrictions que mirent les coutumes (a),
ce qu'on appela se jouer de son fief.
La perpétuité des fiefs ayant fait établir le
droit de racha t , les filles purent succéder à un
fief au défaut des mâles. Car le seigneur don-
nant le fief à sa fille, il multiplioit les cas de ton
droit de rachat, parceque le mari devoil le
payer comme la fçmrae (3). Cette disposition
ne pouvoit avoir lieu pour la couronne ; cai',
comme elle ne reîevoit de personne , il ne pou-
•voit point y avoir de droit de rachat sur elle.
La fille de Guillaumey, comte de Toulouse^
ne succéda pas à la comté. Dans la suite Aliénor
succéda à l'Aquitaine , et Mathiide à la Nor-»
mandie : et le droit de la succession des filles
parut dans ces teraps-là si bien étidE>li , que
Louis-le- Jeune, après la dissolution de son
mariage avec Aliénor, ne fit aucune difficulté
de lui rendre la Guienne. Comme ces deux
derniers exemples suivirent de très près le
premier, il fatit que la loi générale qui appe-
loit les femmes à la succession des fiefs se soit
intrwluiteplus tard^ans la comté de Toulouse
que dans les autres provinces du royaume (4).
(i) Mais on ne pouvoit pas abréger le fîejf, c'est-
à-dire en éteindre une portion. — (a) Klles fixèrent
U portion dont on pouvoit se jouer. — (3) C'est pour
pela que le seigneur contraignoit la veuve de se re-
marier. — (4) La plupart des grandes maisons avoient
LITKE XXXI, CHAP. XXXIII. I7S
La constitution de divers royaumes de l'Eu-
rope a suivi Tétat actuel où étoient les fiefs
dans les temps que ces royaumes ont été fon-
dés. Les femmes ne succédèrent ni à la cou^
ronne de France ni à Tempire, parceque dans
rétablissement de ces deux monarchies les
femmes ne pouvoient succéder aux fiefs; mais
elles succédèrent dans les royaumes dont l'é-
tablissement suivit celui de la perpétuité des
fiefs , tels que ceux qui furent fondés par les
conquêtes des Normands , ceux qui le furent
par les concpiétes faites sur les Maures ; d'au-
tres enfin qui, au-delà des limites de l'Alle-
magne et dans des temps assez modernes,
prirent en quelque façon une seconde nais-
sance par l'établissement du christianisme.
Quand les fiefs étoient amovibles on les
donnoit à des ^ns qui étoient en état de les
servir; et il n'étoit point question des mi-
neurs : mais quand ils furent perpétuels, les
sei{(neurs prirent le fief jusqu'à la majorité,
soit pour augmenter leurs profits, soit pour
faire élever le pupille dans l'exercice des ar-
mes fi). C'est ce nue nos coutumes appellent
leurs lois de succession particulières/ Voyez ce que
M. de la Thaumassiere nous dit snr^es maisons du
Berri. — (i) On voit dans le capitnlaire de l*annë«
877, apud Carisiacnmy art. 3 , édit. de Baluxe,
tome II, p. 269, le moment où les rois firent admi-
nistrer les iiefs pour les conserver aux mineurs :
exemple qui fut suivi par les seigneurs, et donn»
Torigine à c« que nous appelons la garde-noble.
174 l'K l'espeit des kois.
la garde-noble , laquelle est fondée sur d'au-
tres principes que ceux de la tutele, et en est
entièrement distincte.
Quand les fiefs étoient a vie on se recom-
mandoit pour un fief; et la tradition réelle
qui se faisoit par le seeptre constatoit le fief ^
comme fait aujourd'hui Thommage. Nous, ne
"voyons pas que les comtes ou même les en-
voyés du roi reçussent les hommages dans les
provinces ; et cette fonction ne se trouve pas
dans les commissions de ces officiers qui nous
ont été conservées dans les capitulaires. Ils
faisoientbien quelquefois prétey le serment de
fidélité à tous les sujets (i); mais ce serment
étojt si peu un hommage de la nature de ceux
qu'on établit depuis , que, dans ces derniers ^
le serment de fidélité étoit une action jointe à
l'hommage , qui tantôt suivok et tantôt pré-
cédoit l'hommage, qui n'a voit point lieu dans
tous' les hommages, qui fut moins solennelle
que Fhommage, et en étôit entièrement dis-
tincte (2).
(t) On en troave la^rmiil« dans le capitulaire
II de Taii 80a. Voyez ausai celui de l'an S54, art. l'X
et antres.-^s) M. du Cange, an mot homimum^
p. 1 1&3 , et an tnoxfidelitas, p. 474 , cite les Char-
tres des anciens hommages où ces différences se
trocrvent , «t grand nombre d'autorités qu'on peut
voir. Dans l'hommage , le vassal mettoit sa main dans
eelle du seigneur, et juroit : le serment de fidélité se
faisoit en jurant sur les évangiles. L'hommage se fai-
6oit à genonx: le serment de fidélité debout. Il n'y
I.IT^B XXXX, CBAf. tVXIII. I7S
Xe$ comtes et les envoyés du roi ftisoicfit
encore , dans les occasions, dowuer aux vas*
saux dont la fidélité étoit suspecte une assu*
rance qu'on appeloit^^>7n;A0kf (i); mais cette,
assurance ne pouvoit être un ko^mage, puis-
que les rois se la donnoient entre eux (a).
Que si l'abbé Suger parle d'une chaire de
Dagobert , où , selon ic rapport de l'antiquité,
les rois de France avoient coutume de recevoir
les hommages des seigneurs Ç^) , il est clair
qii'tl emploie ici les idées et le langage de son
tempfr.
. Lorsque les fiefs paaserent aux héritiers , la
reconnoissance du vassal , qui n'étoit dans les
premiers temps qu!ime chose occasicmnelle,
devint une action réglée : eUe fixt faile d'une
manière phis éclatante; die fut remplie deplvs
de formalités, parcequ'elle devoit porter la
mémoire des devoirs réciproques du seigneur
et du vassal dans tous les âges.
Je poiurrois croire que les hommages com^
mencerent à s'établir du temps du roiP«pin,
qui est le temps où j'ai ^ que plusieurs béné-
fices furent dùnnés à perpétuité ; mais je le
croirois avec précaution , et dans la supposi*
avo^t ^9ç 1« ligueur qxii pût recevoir Thommage ;
mais sefi officiers pouv oient prendr<f^ le serment de
fidélité. Voyez Littleto^, sect. XCI et XQI- Foi e£
hommage, c'est fidélité et hommage. — '(i) Capitol,
die Charlea-le-Chaiave, de l'an ^60 ^jaost redit um a
conjluentibus, art. 3, édit. de Baluze, p.- 14 5».^-^
(2) Ibid, art. i.— (3) Lil?. d« udroinistratione tua.
176 DE L*ESPRIT DES LOIS.
tion seule qtte les auteurs des anciennes an*
nales des Francs n'aient pas été des ignorants,
qui , décrivant les cérémonies de Tacte de fidé-
lité que Tassillon , duc de Bavière , fit à Pé-
pin (i), aient parlé suivant les usages q[u'ils
Toyoient pratiquer de leur temps (a).
CHAPITRE XXXIV,
Gontinaation da même sujet.
O u  ir D les fiefs étoient amovibles ou à vie ,
ils n'appartenoient guère qu'aux lois politi-
ques ; c'est pour cela que dans les lois civiles
de ces temps-là il est fait si peu de mention des
lois des fiels. Mais lorsqu'ils devinrent héré-
iditaires , qu'ils purent se donner, se vendre ,
se léguer, ils appartinrent et aux lois poli-
tiques et aux lois civiles. Le fief , considéré
comme une obligation au service militaire,
tenoit au droit politique ; considéré comme
un genre de bien qui étoit dans le commerce ,
il tenoit au droit civil. Cela donna, naissance
aux lois civiles sur les fiefs.
Les fiefs ét^nt devenus héréditaires , les loi»
concernant Tordre des successions durent être
relatives à la perpétuité des fiefs. Ainsi s'établit ,
(i) Anno 757, ch. XVII. — (a) Tassillo venit in
vassallatico se commendans, per mantts sacramenta
jurarit mnlta , et iimnmerabilia , reliqniis sànctoram
manasimponens, et fidelitatem promisit Pippino.
Il sembleroit qall y anroit là un hommage et an ser-
ment de fidélité. VoycE k la page 1 74 la note a.
LIT&E XXTI, CHÀP. XXXIV. I77
malgré la disposition du droit romain et de la
loi salique (i), cette règle du droit français,
'propres ne remontent poirû[*k). Il falloit que
iefief fÀt seryi ; maisun aïeul , un grand-oncle,
auroient été de mauvais vassaux a donner au
seigneur: aussi cette règle n*eut-ellé d'abbrd
lieu que pour les fie£s, comme nous l'appre-
nons de Boiltillier (^).
Les fiefs étant devenus héréditaires , les sei-
gneurs , qui dévoient veiller à ce que le fief
fût servi , exigèrent que les filles qui dévoient
succéder au fief (4), et je crois quelquefois les
mâles, ne pussent se marier sans leur consen<»
tement; de sorte que les contrats de mariage
devinrent pour les nobles une disposition îéo-
dale et une disposition civUe. Dans un acte
pareil lait sous les yeux du seigneur, on fit des
dispôsiticmspour la succession future , dans la
vue que le fief pût être servi par les héritiers :
aussi les seuls nobles eurent-ils d'abord la li*^
berté de disposer des successions futures par
contrat de mariage , comme l'ont remarqué
Boyer (5) et Aufrérius (6).
- ■ I I II < ' Il • I I ■.————y»
(1) Au titre dei aicux.-^a) Liv. IV, defeudis ,
tit. LIX. — (3) Somme mrale^ lly. I, tit. LTLXYI,
p. 447.-^4) Suivant une ordonnance de saint Louis,
de Fan 1246, pour constater \tt coutumes d* Anjou
et du Maine, ceux qui auront le bail d*une fille hé>
ritiere d'un fief donneront assurance au seigneur
qu'elle ne aéra mariée que de son consentement.—
(5) Décis. i55 , n^ 8 ; et 204, n^ 38.— («) Incapel*
Thol. décision 453.
sspa. DFs i;ois. 5. ^^
l'jS DE l'eSlPRIT des LOIS.
Il est ii^utik de dire que le rétrait Ugnager^
fondé sur i'ancieu droit des parents ^ qui est
un mystère de notre ancienne jurispmdeBce
IraRçaise que je n'ai pas le temps de dévelop-
per, ne put avoir lieu à Végéta -des fiefs que
faM^squIls .deyiorent perpétuel .
Itaham^ lùaiiam (i). . . . ^ finis le traité
des fiiéfs ou la ^«part des av^iu's l'oi^t com-
mencé.
(i) Al^atid. liT« III, vors 5a3.
VIV DX L^SPKIT DES LOIS.
DEFENSE
DE
L'ESPRIT DES LOIS.
PREMIERE PARTIE.
On a divisé cette difense en trois paities.
Uaas la première on a répondu aux i-eproches
généraux qui ont éié faits a l'auteur de l'Es-
jirit des lois. Bans la seconde on répond aux
reproches particuliers. La troisième contient
des réflexions sur la manière dont on l'a cii ti-
qué. Le publiera connoitre l'état des cboses;
U pourra, juger.
QuoiQiJBl'Espri
de pure .politique t
l'auteur a eu souvei
religion chrétiennr
en faire sentirtoat«
enponr objet de tr,
à cherché à la faire aimer.
Cependant ,. dans deu? feuilles périodiques
ifto DEFENSE
qui ont paru coup sur coup (i). on lui a fait
les plus affreuses imputations. 11 ne s'agit pas
nunns que de saToir s'il est spinosiste et déiste :
et quoique ces deui accusations soient par
elles-mêmes contradietoireft, on le mené sans
cesse de l'une à l'autre. Toutes les deux , étant
incompatibles , ne peuvent pas le rendre plus
coupable qu'une seule; mais toutes les deux
peuvent le rendre plus odieux.
Il est dOBC spinosiste 9 lui qui, dès le pre-
mier article de son livre , a distingué le monde
matériel d'av^ les intelligences spirituelles.
Il est donc spinosiste, lui qui, dans le se-
cond article , a attaqué l'athéisme. « Ceux qui
« ont dit qu'une fatalité aveugle a produit tous
« les effets que nous voyons dans le monde ,
<t ont dit une grande ab&urdité ; car quelle plus
(t grande absurdité qu'une fatsdité aveugle ifai
ce auroit produit des êtres intelligents? »
U est donc spinosiste lui qui a continué par
ces paroles : « JDieu adu rapport avec l'univers
<t comme créateur et conservateur (2) : les lois
<t selon lesquelles il a créé sont celles selon les-
« quelles il conserve. Il agit selon ces règles,
« parcequ'il les connoit ; il les connoit , parce-*
<^ qu'il les a faites ; il les a faites , patcequ*elles
« ont du rapport aVec sa sagesse et sa pais*
û sance. »
Il est donc spinosiste, lui qui a ajouté;
(i) L*iine du 9 octobre 1749, l'tatre du x6 du
iiiéme^iiioi«.-^rs) liv. I, ch. I.
BE L ESPRIT DES LO^S. xS|
ft Comine no\Ls voyons que le inonde foriné
« par le mouvement de la ma^^ere « et privé
^ d'intelligence, subsiste toujpaws, etc. (i)» »
n est donc ^pinosiste^ lai q^ui a démontre,
contre Hobbes et Spinosa, «, que les rappprU
« de justice et d'équité étoiei^t antérieurs à
« toutes les lois positives (a), »
Il est donc spinosiste ^Ini qui a dit au com-
mencement du cliapitïre second; « Cette loi
« qui 5 en imprimant dans nous-mêmes l'idée
« d'un créateur, nous porte vers lui, est!^ la
« première des lois naturelles par sou in^or-^
« tance. » ^
Il est dpnc spinosiste , lui qui a combattu de
toutes ses forces le paradoxe de Bayle , cm'il
vaut nûeux être athée qu'idolâtre; paradoxe
dont les athées tireroîent les plus dangereuses
conséquences.
Que dit-on après des passa^ges^i formas ?
Et réqaité naturelle demande que Iç degré
de preuve soit proportionné à4a|;randeur de
l'accusation,
ftll'auteur tombe dès le premier Bas. Les
« lois ^,imi la signification la plus,^tendue ,
« diMl^^ont les rapports néçi^^Si^res qui dé*"
« rivent de la nature d^s chpse^^Xes lois dea
«r^por^l cela ^e eouçQ^trîj^^^., .'Cependant
«4*aHteur li'a pas changé, la jâléônitiou ordi-
t uairç d^& lois sans dessein, (inél es* donc son
(i ) Liv. I , ch- T.— (a) Jàid.
x6.
« bttt? le Tmci. Selon le nouTeau système, 3
« y a entre tons les êtres qui forment ce que
« Pope appeBe \t grand totuxm, enchaînement
« si nécessaire que le moindre dérangement
«porteroit la confusion jusqu'au trône -du
« premier être. Cest ce qui Cût dire à Pope que
« les choses n'ont pu être autrement qu'eues
K ne sont, et que tout est bien comme il est.
a Cela poflfé, on entend la signification de ce
<i langage nouveau, que les lois sont les rap-
« ports nécessaires qui dérivent de la nature
(c des choses. A quoi l'on ajoute que dans ce
« sens tous les êtres ont leurs lois ; la di^i-
« nité a ses lois; le monde matériel a ses lois ;
a les intdligences supérieures à l'homme ont
« leurs lois ; les bêtes ont leurs lois } lliomme
« a ses lois. »
aiÊPONSE.
Les ténèbres mêmes ne sont pas pins ob^
scures que ced. Le critique a ouï dire que
Spinosa admettent un principe ayeugle et né*
cessaire qui gou^emoit l'univers : il ne lui en
dut pas davantage; dès^ qu'il trouvera le mot
nécessaire, ce sera du spinosisme. L'auteur a
dit que les lois étolent un rapport nécessaire :
voilà donc du spinosisme, parceque voilà du
nécessaire, £t ce qu'il y a de sui^enant , c'est
que l'auteur, chez le critique, se trouve spi-
nosiste à cause de cet article, quoique cet ar»
ticle combatte ezpressànentles systèmes dan-
gereux. L'auteur a eu en vue d'attaquer la
système de Hobbes; système terrible , qui fiû»
^
DE l'esprit ds^ lois. i83
^ant dépendre tontes les Tertus et tons les vices
de l'établissement des lois que les hommes s«
sont faites, et voulant prouver que les hom*
mes naissent tous en état de guerre , et que la
première loi naturelle est la guerre de tous
contre tous , renverse , comme Spînosa , et
tout"; religion et toute morale. Sur cela l'au-
teur a établi , premièrement , qu'il y avoit des
lob de justice et d'écpûté avant l'établissement
des lois posi^ves: il ^ prouvé que tous les êtres
avoient des lois; que, niéme avant leur créa-
tion, ils avoient des lois possibles ; que Dieu
lui-même avoit des lois, c'est-à-dire les lois
qu'il s^étoit £aites. Il a démontré qu'il étoit
faux que les hommes naquissent en état de
guerre (i); il a fait voir que l'état de guerre
n'avoit commencé qu'après l'établissement
des sociétés; il a donné là -dessus des prin-
cipes clairs. Mais il en vésultè toujours que
l'auteur a attaqué les erreurs de Hobbes et
les conséquences de celles de Spinosa, et quHl
lui est arrivé qu'on l'a si peu entendu , quel'on
a pris pour des opinions de Spinosa les objec-^
dons qu'il fait contre le spinosisme. AVant
d'èntrei^ en dispute il firadroit commencer par
se mettre au fait de l'état de la question , et sa-
voir du moms si celui qu'on attaque est ami
ou ennemi.
SECOVDEOBlECTIOir.
Le critique continue : « Sur quoi l'auteur
(i)Liv.I,ch.|L
1^4 oiPEHsm
« cttePltttaxiqtte,^qaidit qoeUloir^itlarem
« de tous les mortel» et iamçrtéU* M^ «aft^oe
« d'oa païen? etc. »
U est vnu ^eranteiir a cité Fiaitafqfi» qui
dit que la loi est ia v^ine de to<u l6ft«^sstel««t
TaOISIKXX OBJECTION*
L'auteur a dit <« qfielacréatiou, qui paroit
« étFC un acte arbijtipaûce, 8i:9pe»e des relies
« aussi in^arâJbles qpA la fataÛté des ath/ées. »
De lies termes le critique coa<j)it^{ii£ Touteur
mlmet la fatalité des atUées.
aÉpoii6&.
UA-momeut auparai^aut il a détruit cette
£atalité par ces paroles : « Gei^ qui ont dit
« qu'une £atal«té aveugle gouverne runiirers
« ourdit une grande absurdité ; carcpveUe plot
« grande absyrdité qpijuie Natalité av^^ngle qid
«a produit des i;y:esintdUgeats?» De plosi
daxu le paAsag^ qu'on ceoBur^, ou ne peut
laincparler rauteur que dece dout il-parle.Il
«e parle «point; dies causes^ et £1 ne^sompare
pointles causes ; juais il parle des tffets , et il
compara les effetSvTout Tartide, celui q|ui k
précède et «celui qui le suit ,. font Toir qu'ila'^est
question ici .queues règles du iiMHriiemautf
que l'auteur dit avoir été établies :par Dieu;
elles sont .invariables ces règles » et toute la
pb^sique le. dit avec lui^ elles sont ûwam-
bles, parcfique Dieu a voulu qu'elles dissent
DE L*£SPRIT DES LOIS. l85
telles , et qu'il a voulu conserver le monde. Il
nen dît ni plus ni moins.
Je dirai toujours que le critique n'entend ja-
mais le isens des choses et ne s'attache qu'aux
paroles. Quand l'auteur a dtt que la création ,
qui paroissoit être un acte arbitraire, suppo-
soit des règles aussi invariables que la fatalité
des athées, on n'a pas pu l'entendre comme
s'il disoit que la créatioil fut un acte nécessaire
comme la fatalité des athées, puisqu'il a déjà
combattu cette fatalité. De plus les deux mem-
bres d'une comparaison doivent se rapporter;
ainsi il faut absolument que la phrase veuille
dire : la création , qui paroit d'abord devoir
produire des règles de mouvement variables ,
en a d'aussi invariables que la fatalité des
athées. Le critique, encore une fois , n'a vu et
ne voit que les mots.
IL »
Il n'y a donc point de splnosisme dans l'Es-
prit des lois. Passons à une autre accusation, et
voyons s'il est vrai que l'auteur ne reconnoisse
pas la religion révélée. L*auteur, à la fin du
chapitre premier, partant de l'homme , qui est
une inteliigence finie, sujette à l'ignorance et
à l'erreur, a dit: «vUn tel étrepouvoit à tous
«les instants oublier son créateur; Dieu Ta
« rappelle à lui par les lois de la religion. »
U a dit au chapitre premier du livre XXIV:
«Je n'examinerai les diverses religions du
l36 DÉFENSE
« monde que par rapport au bien que Ton tu
« tire dans l'état civil , soit que je parle de celle
u qiû a sa racine dans le ciel, ou bien de celles
« qui ont la leur sur la terre.
« Il ne faudra*que très peu d'équité pour
4c voir que je n'ai jamais prétendu faire céder
« les intérêts de la religion aux intérêt^ poli-^
« tiques , mais le:^ unir: or pour les unir il faut
» les connoitre. Ia religion chrétienne ^ qui
« ordonne aux hommes de s'aimer, veut sans
« doutiQ que chaqpe peuple ait les meilleures
« lois politiques et les meilleures lois civiles ;
M parcequ'elks sont, aprèi elle, le plus grand
« bien cpie les koiasui^s puissent donner et re-
« cevoir. »
£t au chapitre second du même livre : «i Un
« prinœqui aime la religion et qui la craint
« est un lion qui cède à la main qui Le flatte ou
A à la Toix qui Tâppaise. Celui qui craint la
« religion et qui la l^ak est comme les bêtes
« sauvages qui mordent la chaîne qui les em-
« péeh« de ae jeter sur ceux qui passent. Celui
« qui n'a point du tout de r^igimi est -cet ani*
H mal terrible qui ne sent sa liberté que lors-
<c qu'il déchire et qu'il dévore. 9
Auchapitre troisieme'du mime liyjse : ^ Pcnr
« dant que les prUices mahométana donnent
« sans cesse la mort ou la reçoivent, laxeli^on
« chez les chrétiens radies prin/œs j^oina ti^
«c mides*, et par conséquent moins cmela* Le
« prinee compte sur ses sujets , et le» sujets
« sur le (urince. Chose admirable ! la religion
DE L*ESPR1T DES LOIS. 1^7
« clirétienne, qui ne semble aroir d'objet que
« la félicité de Fatitre vie , fait encore notre
<c bonbeur dans celle-c}. >»
Au cbapitre quatrième du même livre: « Sur
« le caractère de la ^lîgion chrétienne et celui
« de la mahométane , Ton doit , sans autre exa-
«c men , eihbr^sser Tune et rejeter Tautre. » On
prie de continuer.
Dans le chapitre sixième : « M. Ba^le , après
« avoir insulté toutes les religions , flétrit la
a religion chrétienne : il ose avancer que de
« véritables chrétiens ne formeroient pas un
« état qui put subsister. Potirquoi non ? Ce
«t seroient des citoyens infiniment éclairés sur
« leurs devoirs et qui auroient un très grand
« zèle pour les remplir ; ils sentiroient très
« bien les droits de la défense naturelle; plus
« ils droiroient devoir à la religion , plus ils
«c penseroient devoir à la patrie. Les principes
« du christianisme bien gravés dans le cœur
« seroient infiniment plus forts que ce faux
<t honneur des monarchies , ces vertus humai-
« nés des républiques, et cette crainte servilc
« des états despotiques.
a II est étonnant que ce grand homme n'ait
« pas su distinguer les ordres pour l'établisse.
« ment du christianisme d'avec le christianisme
<cméme, et qu'on puisse lui imputer d'avoir
<(. méconnu l'esprit de sa propre religion. Lors*-
« que le législateur, au lieu de donner des lois ,
« a donné des conseils, c'est qu'il a vu que ses
« conseils , s'ils étoient ordonné» comme des
lB8 PBFENSe
n lois , seroient contraires à l*esprit de ses
«lois. »
Aa chapitre dixième : « Si je ponvoîs un
« moment cesser de penser que je suis chré*
« |ien« je ne pourrois m'empécher de mettre
« la destruction de la sect? de Zenon au nom-
ffbre des malheurs du genre humain , etc.
« Faites abstraction des yérités révélées ; cher-
«^chez dans toute la nature , tous n ^ trouve-
«rez pas de. plus grand objet que les Anto-
«cnins, etc. »
£t au chapitre treizième : « La religion
« païenne , qui ne défendoit que qudques cri-
« mes grossiers , qui arrétoit la main etaban-
« donnoit le cœur, pouvoit avoir des crimes
« inexpiables. Mais une religion qui enveloppe
« toutes les passions , qui n'est pas plus jalouse
«des actions que des désirs et des pensées,
« qui ne nouç tient point attachés par quelque
«chaine, mais par un nombre innombrable
« de fils, qui Caisse derrière elle la justice hu-
(c maine , et commence une autre justice , qui
ft est faite pour mener sans cesse du repentir à
A Tamour et de Tamour au repentir, qui met
<c entre le juge et le criminel un grand média -
«( teur, entre le juste et le médiateur un grand
« ju^ 9 luie telle religion ne doit point avoir de
« crimes inexpiables. Mais , quoiqu'elle donne
«c des craintes et des espérances à tous , elle fait
« assez sentir que, s*il n*y a point de crime qui
« par sa nature soit inexpiable , toute une vie
«peut Tétrej qu'il seroit très-dangereux de
DE L*ESPEIT DES LOIS. 189
t tounneiiter sans cesse la mitéricorde par de
<i nouveaux crimes et de nouvelles expiations;
« qu'incpiiets sur les anciennes dettes, jamais
«quittes envers le Seigneur, nous devons
«eraindre d*en contracter de nouvelles, de
« combler la mesure, et d'aller juscpi'au terme
« où la bonté paternelle finit. »
Dans le chapitre dix-neuvieme , à la fin,
Tauteur , après avoir fait sentir les abus de di-
verses religions païennes sur l'état d€s âmes
dans l'autre vie, dit : « Ce n'est pas assez pour
4t une religion d'établir un dogme , il faut en-
« core qu'elle le dirige : c'est ce qu'a fait ad-
« mirablement bien la religion chrétienne à
« l'égard des dogmes dont nous parlons. Elle
« nous fait espérer un état que nous croyions ,
« non pas un état que nous sentions ou que
«nous connoissions : tout, jusqu'à la résur-
« rection des corps , nous mené à des idées spi-
« rituelles. »
Et au chapitre vingt-sixième , à la fin : a II
t suit de là qu'il est presque toujours conve-
« nable qu'une religion ait des dogmes parti-
tt culiers et un culte général* Dans les lois qui
<c concernent les pratiques du culte il faut peu
« de dét^s; par exemple, des mortifications,
« et non pas une certaine mortification. Le
< christianisme est plein de bon sens : rabsti-
« nence est de droit divin ^mais une abstinence
<t particulière est de droit de police , et on peut
« la changer. »
Au chapitre dernier, livre vingl^inquieme :
'l()0 liJÊFENSE
« MaU il n'en résulte pas qu'une religion a}>-
« portée dans un pays très éloigné, et totale-
« ment différent de climat, de lois, de mœurs
« et de manières , ait tout le succès que sa sain-
te teté devroit lui promettre. »
Et au chapitre troisième du livre vingt-qua-
trième : « C'est la religion chrétienne qui , maî-
« gré la grandeur de Tempire et le vice du cli-
« mat, a empêché le despotisme de s'établir en
« £thioi{)ie , et a porté au milieu de l'Afrique
" « les moeurs de fEurope et ses lois , etc. ...»
« Tout près de là on voit le mahométisme faire
« enfermer les enfants du roi de Sennar : à $a
« mort Ve conseil les envoie égorger en faveur
« de celui qui monte sur le trône. »
« Que , d'un côté , Ton se mette devant les
« jeux les massacres continuels des rois et des
9. chefs grecs et romains , et de 1 autre , la des-
« truction des peuples et des villes par ces
<c mêmes chefs, Timur etOengiskan, qui ont
« dévasté f Asie; et nous verrons que nous dc-
« vons au christianisme et dans 1« gouverne-
« ment un certain droit politique , et dans la
« guerre un certain droit des gens , que la na-
« ture humaine ne sauroit assez reconnoitre. »
On supplie de lire tout le chapitre.
Dans le chapitre huitième du livre vîngt-
quetrieme: « Dans un pays où l'on a le mal-
« heur d'avoir une religion que Dieu n'a pas
« donnée , il est toujours nécessaire qu'elle
« s'accorde ^avcc la morale; parceque la reli-
«gion, méâif fausse, est le meilleur garant
D£ L ESPRIT DES LOIS* li^l
« ({ue les lnommes puissent avoir «iela probité
<t des hommes. »
Ce sont des passages fonncls. On y voit un
écrivain qui non seulement croit la religion
chrétienne , mais qui Taime. Que dilroii peur
prouver le contraire ? £t on avertit eneor^
une fois qu'il faut que les preuves^ soient pro^
portionnées à Taccusaûon: cette accusatloi»
n'est pas frivole , les preuves ne doivent pas
rétre : et comme ces preuves sont dbnrccs
dans une forme assez extraordinaire, étant
toujours moitié preuve», moitié injures, et
se trouvant comme enveloppées dans la suite
d*un discours fort vague ,Je vais les<:hercher^
PREMIERE OBJECTION*
L'auteur a loué les stoïciens, qui adaiet-
toient une fatalité aveugle, un encWin^menl
nécessaire y etc. (i). C'eat le fondement de Ift
religion naturelle»
RipoirsB*
Je suppose un moment que cette mauvaise
manière de raisonner soit bonne. L'auteur
a-t-il loué la phy&ique et la métaphysique des^
stoïciens? U a loué leur morale; il a dit que les
peuples en avoient tiré de grands biens ; il a dit
cela , et il n'a rien dit de plus»^ Je me trompe ,
il a dit plus ; car, dès la prentiere page du livre ,
il a attaqué cette fatalité des stoïciens : il ne l'a
doue pas louée quand il a loué les stoïciens.
I Il I .■ M III
(i) P;^^ lui de la dciodciiie feoillc dtt i6©c-
tohte 1749.
ig!! Dé F EN SE
SECONDE OBXEGTIOir.
L'auteur a kmé Bayle eu l'appelant ua
grand homme (i).
&ÉPO N ss.
Je suppose encore un moment qu'en gêne-
rai cette manière de raisonner soit bonne, elle
ne Test pas du moins dans ce cas-<;i. Il est yrai
.que Fauteur a appelé Bayle un grand homme;
nuds il a censuré ses opinions : s'il les a censu-
rées , il ne les admet pas. £t puisqu'il a com-
battu ses opinions , il ne l'appelle pas un jg^rand
homme àrause de ses opinions.Tout le monde
sait que Bayle avoitun grand esprit dont il a
abusé; mai^ cet esprit dont il a abusé il Tavoit.
L'auteur a^combattu ses sophismes , et il plaint
ses égarements. Je n'aime point les gens qui
renversent les lois de leur patrie ; mais j'au-
r<Hs delà peineà croire que César et Cromwel
fussent de petits esprits. Jo' n'aime point les
conquérants; mais on ne pourra guère me
persuader Qu'Alexandre et Gengiskan aient
été des génies communs'. Il n'auroit pas fallu
l>eaucoup d'esprit à l'auteur pour dire que
Bayle étoit un homme abominable ; mais U y
a apparence qu^il n'aime point à dire des in-
jures , soit qu'il tienne cette disposition de la
nature , -soit qu'il l'ait reçue de son éducation.
J'ai lieu de croire que , s'il prenoit la plume ,
il n'en diroit pas même à ceux cfui ont cher-
ché à lui faire un des plus grands maux qu'un
(i) Page 1 65 de la deuxième feuille.
DE L^ESPRIT DES LOIS. I9)
homme puisse faire à un homme, en trayail-^
lant à le rendre odieux à tons ceux qui ne le
connoifsent pas, et suspect à. toua ceux qui-k
connoissent.
De plus j'ai remarqué que les déclamations
des hommes furieu,x ne font guère d'impres-
sion que sur ceux qui sont furieux eux-mêmes.
La plupart des lecteurs sont des gens modérés ;
on ne prend |;u£re un livre que lorsqu'on est
de sang froid ; les gens raisonnsd>les aiment
les raisons. Quand l!attteur auroit dit mille
injures à Bayle , il n'en seroit résulté ni que
Bayle eût bien raisonné ni que Ba^ eut mal
raisonné ; tout oe qu'on en aurait pu conclure
auroit été que l'auteur savoit dire des usures.
TROISIEME OSJEGTI|0Zr«
£lle est tirée de ce que l'auteur n'a point
parlé, dans son chapitre premier ., du péché
originel (i), .
RiPOH SE.
Je demande à tout homme sensé m, ce cha-
pitre est un traité de théologie. Si l'auteur
avoit parlé du péché originel , on lui aqroit
pu imputer tout de même de n'avoir point
parlé de la rédemption ; ainsi » d'aotide en ar^
ticle^'àrinfinL
QUATRIEMyC OB7.SCTIOH.
. £lle est tirée de ce que M. Domat a com-
mencé son, ouvrage autrement que^ l'auteur,
tt qu'il a d^ord padé de la révâatîon«
H * rm' ^
(1} Heoilk du 9 octobre 1749»?* '^*"
17.
lg4 1> É F K N s E
RÉPOirSE.
est vrai que M. Domat a commencé son
onvrage autrement que Tauteur , et qu'il a d'a-
bord parlé de la révélation .
CXVQUIEME OBJECTION.
L'auteur a suivi le système du poème de
Pope.
nÉPOirsE.
Dans tout l'ouvrage il n'y t pas un mot du
système de Pôpe.
SIXIEME OBJSCTIOir.
Ututenr dit que la loi qui prescrit à lliom-
me ses devoirs envers Dieu est la plus impor-
tante ; mais il nie qu'elle soit la première. Il
prétend que la première loi de la natnre est la
paix ; que les kommes ont commencé par avoir
peur les uns des autres, etc ; que les enfants
savent que la première loi c'est d'aimer Dieu,
et la seconde c'est d'aimer son prochain.
aépoKSE.
Voici les paroles de l'auteur : « Cette loi qui,
« en imprimant dans nous-mêmes l'idée d'un
« créateur, nous porte vers lui, est la première
« des lois naturelles par son importance, et
ff non pas dans Tordre de ces lois. L'homme,
« dans l'état de nature , auroit plutôt la faculté
« de connoitre, qu'il n'auroit des connoissan-
« ces. Il est clair que ses premières idées ne
« seroient point des idées spéculatives; il son-
« geroit à la conservation de son être avant de
« chercher l'origine de son être. Un homme
« pareil ne sentiroit d'abord que sa foiblesse;
DE L*ESPRlt DBS. LOIS. I9S
« sa timidité seroit extrême; et si Ton avoit ]à-
« dessus besoin de Texpérience, Toa a trouvé
« dans les forêts des hommes sauvages ; tout
« les fait trembler, toutJes fait fuir (i). » L'au-
teur a donc dit que là. loi qui , en imprimant
en nous-mêmes l'idée du créateur^ nous porte
vers lui , ëtoit la première des loi« naturelles*
Il ne lui a pas été défendu plus qu'aux philo*
sophes et aux écrivains du droit naturel de con-
sidérer l'homme sous divers égards : il lui a été
permis de supposer un homme comme tombé
des hues , laissé à lui-même et sans éducation ,
avant l'établissement des sociétés. £h bien !
l'auteur a dit que la première loi naturelle, la
plus importante , et par conséquent la capi^
taie, seroit pour lui, comme pour tous les hom-
mes, de se porter vers son créateur. Il a aussi
été permis à l'auteur d'examiner quelle seroit
la prenâere impression qui se feroit sur cet
homme, et de voir l'ordre dans lequel ces im-
pressions seroient reçues dans son cerveau; et
il a cru' qu'il auroit des sentiments avant de
faire des réflexions ; que le premier , dans l'or-
dre du temps , seroit la peur , ensuite le besoin
de se nourrir, etc. L'auteur a dit que la loi
qui , en imprimant en nous l'idée du créateur,
nous porte vers lui, est la première des lois
naturelles : le critique dit que la première
loi natureMe est d'aimer Dieu : ils ne aont
divisés que par les injures.
I - 1
(i) Liv. I,ch. II»
lûG . il É F s N s £
Elle est tirée du chapitre premier du premier
livre , ou l'auteur, après avoir dit que lliomaie
étoit un être borné , a ajouté : « Un tel être pou-
« voit à tous les instants oublier son créateiur:
« Dieu Ta rappelé à lui par les lois de la «eli-
« giou. » Or. dit-0P, quelle est cette religion
dont parle 1 auteur? iljiarie sans doute de la
religion naturelle ; il ne c^oit donc ^e la ireli-
gion natnreUiO.
mipOH».
. Je suppose encore un moment que cette ma'-
niere de raisonner $oit bonne ;, et que, de oe
que l'auteur nfauroit parlé là que de la religicm
naturelle^ on en pût conclure qull ne c^it que
la reUgion naturelle , et qu'il €^ut la religum
révélée. Je dis que , dans cet endroit, il a parlé
de la religion révélée, et npn pa# de lareligimi
naturello; ,qar , s*ii. av^it parlé de la Teti^n
naturelle, il 8erx>it un idicMt. C^ seroit conme
s'il disoit: Un tel être pou v4Ût aisément oublier
S9n créajteur, c'est-à-dire Is^ ratigion natuapeUe:
]>iett IVvappelé à lui par les loi& de la religiiMI
naturelle ;.de sorte que Oieu lui auroit 4ûnné
la re^gion nar^urelle pour perfec^nner en lui
la reUg^>n naturelle. Ainsi , pour sepr^^arer
à dire des invectives à l'auteur, on commence
par àter à aes paroles le senS'du monde le pkift
olair pour leur donner le seps du monde le
plus absurde; et, pour avoir meilleur marché
de jiii , on Iç prive du sens commun.
BE L ESPaiT DES LOIi. I97
HUITIEME aBJECTIOir.
Uauteuîr a dit (i), en pariant de l'homme:
« Un tel être pouvoit à tons les instants oublier
« son créateur ; Dieu Fa râp]^>elé à lui par les
« lois de la religion : un tel être pouv oit à tous
H les instants s'oublier lui-même ; le$ philoso-
«t phes l'ont averti par les lois de la morale :
« fait pour vivre dans la société 9 il y pouvoit
« Oublier les autres ; les législateurs Tont rendu
« à ses devoirs par les lois politiques et civiles,
d Donc, dit !e critic[ue (2), selon Tauteur , le
a gouvernement du monde est partagé entre
« Dieu , les philosophes , et les législateurs ,
« etc. Où Iqs philosophes ont-ils appris les lois
de la morale ? Où les législateurs ont-ils vu ce
« qu'il faut prescrire pour gouverner les ao-
« ciétés avec équité ? 9
KI^POHSE.
Et cette réponse est très aisée. Us l'ont ap-
pris dans la révélation, s'ils ont été assez heu*
reux pour cela, ou bien dans cette loi qui, en
imprimant en nous Tidéé du créateur , nous
porte vers lui. L'auteur de l'Esprit des lois
a-t-il dit commeVirgile, « César partage l'em-
« pire avec Jupiter?» Dieu, qui gouverne l'u-
nivers , n*a-t-il pas donné à de certains hommes
phis de lumières , à d'autres plus de puissance ?
Vous diriez que l'auteur a dit que, parceque
Dieu a voulu que les hommes gouvernassent '
(0 Ltv. I, ch. I.--(a) Page 16a de la feuille du
tj oetobre 1 7 49.
J98 DÉFENSE
«lis hommes, il n'a pas voulu qu'ils lui obéis-
sent, et qu'il s'est démis de l'empire qu'il «voit
sur eux, etc. Voilà qù sont réduits Gçnn qui ,
ayant beaucoup de foibless9 pour raisonner ,
ont beaucoup de force pour déplamer. -
N£UTIBItfE OBJECTION*
Le critique continue. « Remarquons encore
<( que l'aujt^ur, qui, trouye que Dieu ne peut
(i pas goul^rner les êtres libres aussi bien que
« les autres 4 parcequ'étant libres il £aut c^u'ils
« agij&sent par eux-ipémes (je remarquerai en
« passant que Tauteur ne sq sert point de cette
« expression, que Di'eu fie peut pas), ne re-
'f. médie à ce dâordre que par des lois q|ii peu-
a vent bien montrer a l'homme ce cpi'il doit
u faire , mais qui ne bjû donitent pas le pouvoir
« de le faire : ainsi , dans le système de l'auteur,
« Dieu créedes êtres dont il nei peut empêcher le
f( désordre m le réparer... Aveugle, qui ne voit
<c pas qiie Dieu fait ce qu'il veut de cwx mêmes
'i qui ne font pas ce qu'il veuJt ! »
EÉPONSE.
Le critique a déjà reprocké à l'auteur de
n'avoir point parlé du péché originel : il le
prend encore sur le fait; il n'a point parlé de
la grâce. C*est une chose triste d'avoir affaire
à un homme qui censure tous les articles d'un
livre, et n'a qu'une idée dominante. C'est le
conte de ce curé de village à qui des astronomes
montroient la lune dans un télescope, et qui
Xi y voyoit que son clocher.
L'auteur de l'Esprit dos lois a cru qu*il de-
/
/
DE L ESPRIT DES LOIS* > I99
Toit ccmtmencer par donner quelque idée des
lois générales et du droit de là nature et des
gens. Ce sujet étoit imiAense , et il l'a traité
dans deux diapitres ; il a été obligé d'omettre
quantité de choses qui appartenoient à son
sujet; à plus forte raison a-t-il omb celles qui
n'y aToient point de rapport.
DIXIEME ÔBJECTIOK.
L'auteur a dît qu'en Angleterre l'homicide
de soi-même étoit l'effet d'une maladie, et qu'on
ne pouvoit pas plus le punir qu'on ne punit les
effets de la démence. Un sectateur de la reli-
giou naturelle n'oublie pas que l'Angleterre
est le berceau de sa secte; il passe l'éponge sur
tous tes crimes qu'il y apperçoit.
REPONSE. .
L'autemr ne sait point si l'Angleterre est le
berceau de la religion naturelle ; mais il sait
que l'Angleterre n'est pas son berceau. Parce-
qu'il a parlé d'un effet physique qui se Toit en
Angleterre, il ne pense pas sur la relrgion
comme les Anglais ; pas plus qu'ui^ Anglais
qui parleroit d'un effet physique arrivé en
Fravîe ne pcnseroit sûr la religion comme les
Français. L auteur de l'Esprit des lois n'est
point du tout sectateur de la religion natu-
relle j mais il voudroit que son critique fût
sectateur de la logique naturelle.
Je crois avoir déjà bit tomber des mains du
critiquetes armes enrayantes dont il s'est servi :
je vais à présent donner une idée de son exorde,
900 D K E B N s E
qiil est tel que je crains qii*on ne pense q«e ce
toit par dérision que j'en parle ici.
Il dit d'abord, et ce sont ses paroles, « que
« le livre de l'Esprit des îois est une de ce» pro-
« ductions irrégulieres..é qui ne se sont si fort
« multipliées que depuis l'arrivée de la bulle
a XJnigenÙKS, » Mais faire arriver l'Esprit des
lois à cause d^ l'arrivée de la constitution Tlni-
fenitus^ n'est-ce pas vouloir faire rire? La
ullè XJnigenitus n'est point la cause occasion-
nelle du livre de V Esprit des lois ; mais la' bulle
IJnigenmis et le livre de l'Esprit des lois ont été
les causes occasionnelles qui ont fait faire au
critique un raisonnement si puéril. Le critique
continue : « L'auteur dit qu'il a bien des fois
« commencé et abandonné son ouvrage... Ce-
« pendant, quand il jetoit au feu ses prmieres
« productions , il étoit moins éloigné de la vé~
« rite que lorsqu'il a commencé à être content
« de son travail. » Qu'en sait-il ? Il ajoute : « Si
« Tanteur avoit voulusuivre un chemin frayé,
<t son ouvrage lui auroit coûté moins de tra-
« vail. » Qu'en sai^-il encore? Il prononce en-
suite cet oracle r« Il i\e^£aut pas beaucoup de
c pénétration pour appercevoir que le -livre
(c de l'Esprit des lois est fondé sur le système
c de la religion naturelle... On a montré , dans
tt les lettres contre le poème de Pope intitulé
<t Esmi suri* homme ^ que le système de la reli-
ft giôn naturelle rentre dans celui de Spinosa ;
« c'en est assez pour inspirer à un chrétien
« l'horreur du nouveau livre que nous annon-
BE l'k^prit dis lois. a«t
« çon». » Je réponds qfne non seulement c'en
efttasiez, mtis m^equec^en seroit beaucoup
th>p. Mais je viens de prouver que le système
dei'aKtefir a'eit pas celui de la religion natu-
relle ; et, en lui passant que le système de la
rdtigîon naturdle rentrât dans celui de Spî-
nosa , le système de Tauteur n'entreroit pas
dans eelui de Spinosa , puisqu'il n*est pas celui
de la religion naturelle.
H veut donc insj)irer de lliorreur avant
d*avoir prouvé qu'on doit avoir de rhorrcur.
Voici les deux formules des raisonnemenis
répandus dans ks deux écrits auxquels je ré-
pcnids. L'auteur de l'Esprit des lois est un sec-]
tateur de la religion naturelle ; donc il taul
expliquer ce qu'il dit ici par les principes de lalf^
religion naturelle : or , si ce qu'il dit ici est i S^^
fondé sur les principes delà religion naturelle ^ \^
il est un sectateur de la religion naturelle*
L'autre formule est ceÙe-ci: L'auteur de
l'Esprit des lois est un sectateur de la religion
naturelle ; donc ce qu'il dit dans son livre en
faveur de la révélation li'est que pour cacher
qu'il est un sectateur de la religion natureUe>
or, s'il se cache aitisi, ij est un sectateur de la
religion naturelle.
Avant de finir cette première partie, je se*
rois tenté de faire une objection à celui qui en
a tant fait. Il a si fort effrayé les oreilles du
mot dé sectateur de la religion naturelle, que
moi , qui défends l'auteur , je n'ose presqujp
prononcer ce nom: je vai* cependant prendre
StPRi JlEf tois. 5* • l8
SOS DiFKVSE
courage. Ses deux écrits ne demanderolent-lh
pas plus d'explication que celui que je défends ?
Fait-il bien , en pajiant de la religion natur^e
et de la révélation , de se jeter perpétuellement
tout d*nn c6té, et de Caire perdre les trace'S de
l'autre ? Fait-il bien de ne distinguer jamais
ceux qui ne reconnoissent que la seule religion
naturelle d'avec ceux qui reconnoissent et la
religion naturelle et la révélation? Fait-^il bien
de ?e££arouclier toutes les fois que l'auteur
considère l'homme dans l'état de la religion
naturelle, et qu'il explique quelque chose sur
les principes de la religion liaturelle ? Fait «il
bien de confondre la religion naturelle avec
l'athéisme ? N'ai-je pas toujours ouï dire que
nous avions tous une religion naturelle*? N'ai-je
pas ouï dire que le christianisme 'étoit la per-
fection de la religion naturelle ? N^ai-je pas ouï
dire que l'on employoit la religion naturelle
pour protiver la révélation contre les déistes ,
et que l'on employoit la même reli^on natu-
relle pour prou V et l'existence de Dieu contre
les athées? Il dit que les stoïciens étoient des
sectateurs de la religion naturelle; et moi je
lui dis qu'ils étoient des athées [i)^ puisqu'ils
(i) Yoyes la page i65 des feuilles da 9 octobre
X749* «Les stoïciens n*admettdieiit qa*aa Dieu;
« mais ce Dieu n'étoit antre chose qne Tame dn
« monde. Ib y^nloieut que tous les êtres, depuis le
« premier, fnssent nécessairement eùchaines les nns
«arec les antres ; nne nécessité fatale entraînoit
«tont. lia nioient l'immortalité de l'ame, et fiai-
DE l'esp&it des lois. ao3
ttroyoient qu'une fatalité aveugle gouvemoit
l'univers; et que c'est par la religion naturelle
que l'on combat les stoïciens. Il dit que le sys-
tème de la religion naturelle rentre dans celui
de Spinosa (i); et moi je lui dis qu'ils sont
contradictoires , et cpie c'est pai^ la religioa
naturelle qu'on détruit le système de Spinosa*
Je lui dis que , confondre la religion naturelle
avec l'athéisme, c*est confondre la preuve
avec la chose qu'on veut prouver , et l'ob-
jection contre l'erreur avec l'erreur même ;
que c'est 6ter les armes puissantes que l'on a
contre cette erreur. A Dieu ne plaise que je
veuille imputer aucun mauvais dessein au cri-
tique , ni faire valoir les conséquences que l'on
pourroit tirer de ses principes ! quoiqu'il ait
très peu d'indulgence, on en veut avoir pour
lui. Je dis seulement que les idées métaphysi-
ques sont extrêmement confuses dans sa tète;
qu'il n'a point du tout la faculté de séparer;
qu'il ne sauroit porter de bons jugements,
parceque, parmi les diverses choses qu'il faut
voir, U n'en voit jamai» qu'une: et cela même
je ne le dis pas pour lui faire des reproches ,^
•mais pour détruire le» siens.
■I' Il ■ ■ ■ ■ Il I I " I I I ■ n i'
« soient consister le ftouveraln b(mhear k vivre con-
« formément à la nature. C'est le fond dn système
<t de la relifi^on natareîle. » — (i^) Voyee page i6i de
la première feniîle dn 9 octobre X749) À la fin de
la première coloase.
204 D É F K N s £
SECONDE PARTIE.
S9É.E 0]Éir£KALÉ4
J'ai absous le livre de TEsprît des lob de djeux
reproches généraux dont on Tavoit; çl;argé : il
y a eucor^ des imput^atlous partiçuijLer^ aux-
quelles il faut que je réponde. Mais ipovax don-
ner un plus gf'and jour à ce que j'ai dit et à ce
que je dirai dans la suite ^ je vais expliquer ee
q\ii a donné lieu o^ a servi de pf^t^xte dui^ in<
vectives.
Les ^ps les plus sei^s^s de divers pays de
l'Europe, les hommes les plu$ éplainés et les
plus^ages, ont rega?;de le îivrç d^ TËsprit des
lois comité un ouvrage utiles il» oi^tpe^sé qi^e
la n^oraie en étoit pure, lej^ principes justes ^
qu'il étoit propre à former d^honj^t^ gens -,
qu'on y détruiso^t les opinions, pernloifiuises ,
qi^'on y encourageoit les bonnes.
D'ui^ ai^lre c6të, voilà un hpnunf qui en
parle comme d'un hvre d^gei^eux^ i) çn fait
le sujet des invectives les. plus outrées. Il feut
que j'explique ceci.
^ien loin d'avoir entendbi les endroits par-
tîculief s qu'il critiquoîjt dans ce livre , il.û*a pas
seulement su quelle étoit la matière qui y étoit
traitjçe : ainsi , déclamant en l'air et combattant
contre le vent , il a remporté des triomphes de
même espèce. Il a bien critiqué le livre qu'il
•^" *■ --, 1
i>c l'bsp&iy des lois. âo!^
AYolt dans la tète , il n'a pas critiqué ce Ini de
l'anteur. Mais comment a-t-on pu manquer
ainsi le svijtt et le butd'o» ouvrage qu'on avoil
devant l«s yeux ? Ceux qui auront quelques
huBtfTes yerrbnfr dU; premier coup-d'cQil que
cet ouvrage a pour objet les lois , les cou tuâ-
mes , et les divers usages de tous- les peuples'
de la terre. On peut dfire que le sujet eu>st
immense , puisqu'il embrasse toutes les insti-
tutions qvd sont reçues parmi les Hommes ;
puisqiie Fauteur distingue ces institutions '^
qu il examine celles qui conviennent le plus à
la société et à chaque société; qu*il en cherche:
l'origine ; qu'il en découvre les causes physi-.
ques et morales ; qù*il examine celles qnion^
un degré de bonté par elles-mêmes, et ceHes
qui n'en ont aucun; que, de deux pratiques
pernicieuses, il cherche celle qui Test plus et
eelle qui IVsst moins ; qu'il y discute cdles qui
peuvent avoir de bons edffets à un certain ^rd,
et de mauvais dans un. autre, £1 a cru ses re-<
cherches utiles , pareeque le bon sens consiste
beaucoup à connoltre les nuauces des choses.
Or, dans un sujet aussi étendu^il a été néces-
saire de traiter de la religion; car, y ayant sur-
la teirre une religion vraie et uiie 'infinité de
ûiusses, une religion envoyée du ciel et une-
ialinité d'antres qui sont nAes. sur la terre, il»
n'a pu regarder toutes les refigions hausses que
comme'des institutions humaines: ainsi il a dû-
tes examiner comme toutes les autres institu-
tiona humaines. Et quant à la religion chré-
4b6 DSFBNSB
ûtnnû^ il na eu qa'à l'adprer, cornait étant
mie inHîlutîen divine; Ce H'étoit point de cette
leligion qu'il devait traiter , pareeqAe, |Mir sa
nature^ die n*est sujette à aucuu>eiaiiien; de
sorte quby quand il en a parlée il Be4'a jamais
fisit pour la. iàite entrer dans le plan de son
ouvrage 9 oàais pour lui payer le tribut de res-
pect et d'amour qui lui est dû par tout du^-
tien , et ^^our que, dans les comparaisons qu'il
en pouvoit faire avec les autres rdyigions , il
pût la faire triompher de toutes. Ce que je dis
se voit dans toutJ'ouvrage; mats Fauteur l'a
' partiouliireiiient expliqué au comifiénoement
du livre vi^gt-quatrieme) qui est le premier
des deux livres qu'il a faits Sjur la religion. U
le commence ftiasi : « Comme oh peut juger
« parmi les ténèbres celles qui sont les moins^
« épaisses, et parmi les abymes qeux qui sont
« les moins profonds; ainsi Ton peut cberdier
«entre lés religions âmsses^œllrs qui sont -les
« plus conformes au bien de là société; odics
« qui V quoiqu'elles n'aient pas l'elfef de mener
« les hommes aux félicités de l'autre vie , peup
« vent lé plus contribuer à leur bonheur dans^
«cel)e*€i«
« Je n'examinerai donc les dÎTtrses eeltgtoiis
M du môuide cfue par. rapport au bien que l'on
«en tire <bms l'état tcivil, soit que je parle de
« ci^e quia sa raouie dans' le ciel ^. ou bifin de
«•celles qui ont la leur sur la terre. »
L*aiiteur, ne vegardatit donc les religions,
httuwiiies que coinme des institutions humai*
r
DE l'eSPEIT des lois. IO7
acft ^ a d4 ^n fMurler t pareeqa'eUet enUwient
nécessairevofent dan^ ftoa plan. Il n'a point été
le» Qhercl|eiï% naît elles «ont venues le cher-
ch«r. £t qciaiH à la religion chrétienne , il n'en
a parlé que par occasion , pareeque , par sa na-
tnre, ne pouvant être modifiée, mitigée , c<h^
rigée , eUe n'entroit point dans le ^an qu^il
«'étoit proposé. ,
QoVvon fait ponr doi^^er une ample car*
riei^ au» déclamations et ouvrir la porte la
plus large aux invectives ? On a considéré Tau-
leur comm^ si, à Texemple de M. Abbadie^ il
avoit vomlu faire un. traitfUur la raligipn chré-
tienne : on l'a attaqué comme si /les deuE livres
ftgr la religion étoient deux traités de théolo*
gie chrétienne: on Ta repris comme si, parlant
d'une religicm, quelconque qui n'est pas la
chrétiennai ij avpit eu à l'examiner selon les
principes et les dogmes de la religion chré-
^anne; on l'a jugé commue s'il s'étoit chargé ^
dans ses deux livres, d'établir pour les chré»
tiens et de prêcher aux mahométans et aux
idolâtres les dogmes de la religion chrétienne.
Toutes les fois qu'il a parlé de la religion en
général, toutes les fois qu'il aemployé ie mot
de religion , on a dit : C'est la religion chré-
tienne. .Tontes ks fbts ^''d a compara ^^^ P^^
tiques religieuses de quefqnes natioics quel**
conques*, «t. quTil a dit qu'elles étoient iplos
coBfonnman gouvenement politique de em
pay s qu e ts U s au tr» pratiqu e, on a' dit ^-Vous
les approuvez donc, et vous abaddoiyiaajla
do8 D lé F E ir 9 1
foi ehrétienne. Lorsqu'il a parlé de c[uelque
peuple qal n*a p<mit embrassé le christianisme,
ou qui a précédé la Tenue de Jé^s-Christ, on
lui a dit : Vous ne reconnoissez donc pas la
momie chrétienne. Quand il a examiné en écri-
Tain politique quelque pratique que ce êolty
on lut a dit : Cétoit tel dogme de théologie
chrétienne que tous deTÎez mettre là. Vous
dites que TOUS êtes jurisèonsulte, et je tous
ferai théologien malgré tous. Vous nous don-
nez d'mUeurs de très belles choses srr la reli-
gion chrétienne; mais c'est pour tous cacher
que TOUS les dites , car je oonnois ToHre cœur
et je lis dans tos pensées. Il est Trai que je
n*entends point TOtre Uttc, il nHmportepas
que j*aie démêlé bien ou mal Fobjet dansle-t
quel il a 'été écrit; mais je connoià au fond tou^r
tes TOS pensées. Je ne sais pas un mot de
ce que tous dites; mais ^entends trè» biai ce
que TOUS né ^tes pas. Entrons à présent en
*matiepe.
DES CONSEILS DE RELIGION,
Jj'AiTTtva, dans le UTve sttr~kreKgîiNi, a
eombattu l'erreur de Bayle: i^ioîci ses pann
les (i). « M. Bayle, après aroir insulté toute»
«les religions 9 ilétrit là, religîott ^Axéêaamt.
(i) liT. Xïiv, ch. vr.
DE L'ESPafT DES LOIS. 209
« Il ose avaiicex que de véritables chrétiens ne
« tormeroient paa un état qui pût subsister,
« Pourquoi non? Ce seroient des citoyens in-
« ÛDÛnent éclairés sur leurs devoirs et qui au-
V r oient un très grand zèle pour les remplir :
« Us sentiroient très bien les droits de I4 défense
« naturelle. Plus ils croirçient devoir à 1â reli-
« ^lon ^ plus ils penseroient devoir à I9. patrie.
«c tiCS principes du christianisme biea gravés
« dans le cœur seroient iiifiniipent pins, forts
a que ce famx l^onneur des monarchjies , ces
<i vertus buQiaines des républiques » et cette
<c crainte seivile des états despotiques.
« U est étonnant que ee grand homme n*ait
(c pas su distinguer les ordres pour rétablisse-
nt ment du christianisme d'avec le christianisme
« même > et qu'on puisse lui imputer d'avoir
« méconnu l'esprit de sa propre reiigioti. Eors-
« que le législateur , au lieu de donner des lois,
« a donné des conseils, c'est qu'il a vu que ses
« conseils , s'ils étoient ordonnés comme des
« lois, seroient contraires à l'esprit de ses lois.»
Qu'a -t -on fait pour ôter à l'auteur la gloire
d'avoir combattu ainsi l'erreur de Bayle? On
prend le chapitre (r) suivant , qui n*a rien à
faire avec Bayle. « Les lois humaines, y est-il
« dit , faites pour pairler i l^esprit r doivent
a doi^ier des préceptes et point de conseils ; la
<« religion ) i^ite pour parler, au cœur, doit
« donner ^««oup de conseils çt peu de pré-
(i) C'est le eh. VII du liv. XXIV.
210 DKFEN'SK
« ceptes. » £t de là on conclut que l'auteur re-
garde tous les préceptes de révangile comme
des «onseils. Il pourroit dire aussi que celui
qui fait cette critique regarde lui-même tous
les conseil» de révangile coifnme des préceptes ;
mais ce n*est pas sa manière de raisonner , et
encore moins sa manière d'agir. Allons au fait:
il faut un peu alongér ce que l'auteur a ra-
courci. M. Bayle avoit soutenu qu'une société
de chrétiens ne pourroit pas subsister ; et il
alléguoit pour cela l'ordre de l'évangile , de
présenter l'autre joue quand on reçoit un
soufflet , de quitter le monde , de se retirer
dans le désert , etc. L^auteur a dit que Bayle
prenoitpour des préceptes ce qui n'étoit que
des conseils , pour des règles générales ce qui
n'étq^t que des règles particulières : en cela
l'auteur a défendu la religion* Qu'arrive-t-U?
on pose pour premier article de sa croyance
que tons les liTres de l'étangile ne contiennent
que des conseils.
DE LA POLYXÎAMIE.
1 3 ' A u T R E s articles ont encore fourni des su-
jets commodes pour les déclamations. La po-
lygamie en étoit un excellent. L'auteur a fait
un chapitre exprès où il Ta réprourée : le
Toici.
0£ L*£SP&IT DES LOIS. ^11
De la polygamie en elle-même.
« A regarder la polygamie en général ^ iu-
<t dépendamment des circonstances qui peu-
«c vent la faire un peu tolérer, elle n'est point
<« utile au genre humain ni à aucun des deux
« sexes , soit à celui qui abuse , soit à celui dont
« on abiise. Elle n'est pas non plus utile aux
« enfants ; et un de ses graids inconvénient»
« est que le père et la mère ne peuvent avoir
<c la même sîffection pour leurs enfants ; un
«( père ne peut pas aimer vingt enfants comme
« une mère en aime deux. C'est bien pis quand
« une femme a plusieurs maris; car pour lors
« l'amour paternel ne tient qu'à cette opinion^
« qu'un père peut croire, s'il veut, ou que les
« autr^ peuvent croire , ^que de certains en-
« fants lui appartiennent
« La pluralité des fenunet , qui le diroit ?
« mené a cet amour que la nature désavoue :
« c'est qu'une dissolution en entraine toujours
« une autre , etc.
<t II y a plus : la possession de beaucoup de
« femmes ne prévient pas toi^ours les désirs
« pour ( eRe d'un autre: il en est de la luxure
A comme de l'avarice , elle augmenté sa soif
« par l'acquisition des trésors.
« Du temps de Justinien plusieurs pbiloso-
« phes , gênés par le christianisme , se retire-
t rent en Perse auprès de Cosroès. Ce qui les
« frappa le plus , dit Agathias , ce ftit que la
212 D ri FEKSE
a polygamie étoit permise à des gens qni ne
« s'abstenoient pas même de l'jidmHere. >•
L'auteur a donc établi que la polygamie
étoit par sa nature et en elle-même une chose
mauvaise; il falknt partir de ee chapitre, et
c'est pourtant de ce chapitre que l'on n'a rien
dit. L'auteur a.de plus examiné philosophicpe-
ment dans quels pays , dans que|s climats, dans
quelles circof^tàRces , elle avoit de moms mau-
vais effets; il a con^aré l^s climats aux climats
et les pays aux pays ; et il a trouré qu'il y avoit
des pays où elle avoit des effets meins mauvais
que dans d'autres; parceque, suivant l'es rc^
lations , le nombre des hommes et 4es femmes
n'étant point égal dans tous les pays , il est dair
que, s'il y a.^des pays où il y ait beaucoup plus
de femmes que d*hommes , la polygamie, mau-
vaise en elle-même, l'est moins dans ceux-là
que dans d'autres. L'auteur a discuté ceci dans
le chapitre ÏV du même livre : mais , parceique
le titre de ce chapitre porte ces mots , €fue la
lui de la polygamie est une affaire de cal-
cul^ on a saisi ce tijtre. Cependant, comme le
titre d'un chapitre se rapporte au chapitre
même et ne peut dire ni plus ni dloins que ce
chapitre , voyons-le.
« Suivant les calculs quel'oii fait en Averses
» parties dé l'Europe, il y naît plus ée garçons
« que de fiHes : au contraire les relations de
« 1 Asie nous disent qu'ily naft beaucoup plus
a de filles que de garçons. La loi d^une seule
« femme en Europe et celle ffut en permet plu-
[
DE l'eSP&IT des lois. 2i)
« sieurs en Asie ont done un certain rapport
«au climat.
« Dans les clin^ts froids de TAsie il naît ,
«comme en E^uope, beaucoup plus de gar-^i
« çons que de filles: c'est, ^disent les lamas, la
« raiston (îe la loi qui, che? eux, permet à une
a femme d'avoir plusieurs maris. >
« Mais j'ai peine à < roire <;u'il y aibbeaucoup-
« de pays où la disproportion soit assez grande^
« pour qu'elle eiiige qu'on y introduise la loi>
« de plusieurs femmes <^u la loi de plusieurs
« maris. Cela Veut dire seulement que la plura-
« lité des femmes , ou même la pluralité des
« hommes , est plus conforme à la nature dans
a de certains pays que dans d'autres.
« J'avoue que si ce (|ue les relatioas nous di-
« sent étoit vrai , qu'à Bantam il y a dix femmes
« pour un homme, ce seroit un cas bien parti-
« cuîier de la polygamie.
« Dans lotit ceci je n* justifie pas les usages «
tf mais j'en rends les raisons. »
Revenons au titre , /a polygamie est une
affaire de calcul. Oui , elle l'est cpiand on
Yeut savoir si elle est plus ou moins perni-
cieuse dans de certains climats, dans de cer-
tains pays, dans de certaines circonstances,
que dans d'autrt s : elle n'est point une affaire
de calcul quand on doit décider si elle est bonne
ou mauvaise par elle-même.
Elle n'est point une affaire de calcul (Juand
Oft raisonne sur sa nature : elle peut être une
affaire de calcul quand on combine ses ^fet&:
SSrR. DES LOIS. 5. '9
çnfin elle n'est jamais une affaire de calcul
quand on examine le but du mariage, et elle
l:est encore moins quand on examine le ma-
riage comme établi par Jésus>Christ.
J'ajouterai ici que le hasard a très bien servi
l'auteur. 11 ne préroyoit pas sans doute qu'on
Oublieroit un chapitre formel pour donner des
sens équivoques à un autre : il a le bonheur
4l*avoir fini cet autre par ces paroles : <c Dabs
« tout ceci je ne justifie point les usages , mais
«j'en rends les raisons^ »
L'auteur vient de dire qu'il ne voyoit pas
qu'il put y avoir des climats où le nombre des
kmiù€9 pàt tellement excéder celui des hom-
mes, ou !e nombre des hommes celui des fem-
mes , que cela dût engager à la polygamie dans
aucun pays ; et il a ajouté : « Cela veut dire
« seulement que la pluralité des femmes , et
« même la pluralité des hommes, est plus con^
<v forme à la nature dans de certains pays que
« dans d'autres (z). » Le critique a saisi le mot
est plus conforme à la nature pour faire dire
à l'auteur qu'il approuvoit la polygamie. Mais
si je disois que j'aime mieux la fièvre que 1«
scorbut , cela signifier oit-il que j'aime la fieyre,
ou seulement que le scorbut m'est plus désa-
gréable que la fièvre?
Voici mot pour mot une objection bien ex-
traordinaire.
' « Là polygasjàie d'une femme qui a pluaienrs
(i> Chap. IV du livre XVI.
SE L^ESPEIT DIS LOIS. 9lS
4 maris est on désordre monstraeux (|mii*a été
« permis en aucun cas, et que l'auteur ne dU-
« tîngue en aucune sorte de la polygamie d'un
«.liomme qni a plusieurs femmes (i). Ce lan*
a gage, dans un sectateur de la religion natu-
« reUt , n'a pas besoin de commentaire. »
Je supplie de Caire attention à la liaison des
idées du critique. Selon lui, il suit que, de ce
que Fauteur est un sectateur de la religion na-
turelle, il n'a point parlé de ce dont il n'avoit
que faire de parler : ou bien il suit, selon lui,
que l'auteur n'a point parlé de ce dont il n'a-
voitque faire de parler, parcequ*il est sectateur
de la religion naturelle. Ces deux raisonne-
men ts sont de même espèce, et les conséquences
se trouvent également dans les prémisses. La
manière ordinaire est de critiquer sur ce que
Ton écrit; ici le critique s'évapore sui^ ce que
l'on n'écrit pas.
Je dis tout ceci en supposant, avec le criti-
que, que l'auteur n'eût point distingué la po-
lygamie d'une femme qui a plusiexirs maris de
celle où un mari auroit plusieurs fertimes. Mais
si l'auteur les a distinguées, que dira-t4t? Si
l'auteur a fait voir que, dans le premier cas,
les abus étoient plus grands , que dira-t-il? Je
supplie le lecteur de relire le chapitre VI du
livre XVI; je l'ai rapporté ci-dessus. Le criti-
que lui a fait des invectives parcequ'il avoit
gardé le silence sur cet article; il ne resto
(i} Page 164 de la fcBille da 9 octobre 1749.
plus Cfûe de lui en faire sur ce qu'il ne Ta pas
gï^rdé.
Mais voici une chose que je ne puis corn-
- prendre: Le critique a mis dans la seconde de
ses feuilles, page i66 : « L'auteur nous a ditci-
« dessus que la religion doit permettre la poly-
« 'garnie dans les pays chauds, et non dans les
« pays froids. » Mais l'auteur n'a dit cela nulle
part. Il n'est phis question de mauvais raison-
nements entre le critique et lui; il est question
d un fait. Et comme l'auteur n*a dit nulle part
que la religion doit permettre la polygamie
' dans les pays chauds et non dans les pays froids,
si l'imputation est fausse comme elle Test el
grave comme elle l'est, je prie le critique -de se
juger tul-même. Ce nVst pas le seul endroit sur
lequel i 'auteur ait à faire un cri. A la page i63,
à la fin de la première feuille , il est dit : « Le
« chapitre IV porte pour titre que la loi de la
« polygamie est une affaire de calcul; c'est-à-
« dire que , dans l* s lieux où il naît plus de gar-
ft çons que de filles, comme en Europe, on ne
« doit épouser qu'une femme; dans ceux où il
« naît pius de filles que de garçons, la polyga-
«mie doit y être introduite- » Ainsi, lorsque
l'auteur explique qijelques usages ou donne la
raison de quelques pratiques, on les lui fait
mettre en maximes, et, ce qui est plus triste
encore, en maximes de religion; et , comme il
a parlé d'une infinité d'usages et de pratiques
dans tous ies pays du monde, on peut, avec
une pûreille méthode, le charger des erreurs et
DE l'eSPHIT BES LOIS. %tf
même det abominations de tout TunÎTers. Le
critique dit, à la fin de st seconde feuille, que
Dieu lui a donné quelque zèle. Eh, bien! je ré-
ponds que Dieu ne lui a pas d<»Bé celui-là»
CLIMAT.
Oe que Tauteur a dit sur le climat est encore
une matière très propre pour la rhétorique.
Mais tous les effets qudconques ont des cau-
ses : le climat et les autres causes physiques
produisent un nombre infini d'ettets. Si l'au-
teur aToit dit le contraire, on l'auroitregardé
comme un homme stupide. Toute la question
se réduit à savoir si, dans des pays éloignés
entre eux, si, sous des climats différents, il y
a das caractères d'esprit nationaux. Or qu'il y
ait de telles différences, cela est établi par l'uni-
▼ersalité presque entier*» des livres qui ont été
écrits. £t comme le caractère de l'esprit influe
beaucoup dans la disposition du cœur, on ne
sauroit encore douter cpi'il n'y ait de certaines
qualités du cœur plus fréquentes dans un pays
qiiedansun atflre ; et l'on a encore pour preuve
'Un nombre inlmi d'écrivains de tous les lieux
et de tous les temps. Comme ces choses sont
humaines, l'auteur en a parlé d'une façon hu-
maine. Il auroif'ptigoindre là bien des queS'
tiens que l'on Àté dans les éHles sur les ver-
tus bamainés et sur les verttis chrétiennes;
19.
tl8 DÉFEITSB
mai» ce n'est point avec ces questions que l'on
fait des livres de physique, de politique et de
jurisprudence. En un mot, ce physique du cli-
mftt peut produire diverses dispositions dans
les esprits ; ces dispositions peuvent influer sur
les actions humaines : cela chjoque-t-il l'empire
de celui qui a créé ou les mérites de celui qui
a racheté ?
Si l'auteur a recherché ce que les magistrats
de d.vers pays pouvoiént faire pour conduire
leur nation de la manière la plus convenable et
la plus conforme à son caractère, quel mal a-
t-ii fait en cela?
On raisonnera de même à l'égard de diverses
pratiques locales de religion. L'auteur n'avoit
à les considérer ni comtne bonnes ni comme
mauvaises : il a dit seulement qu'il y avoit
des climats où de certaines pratiques de reli-
gion étoient plus aisées à recevoir, c'est-à-dire ,
étoient plus aisées à pratiquer par les peuples
de ces climats que par les peuples d'un autre.
De ceci il est inutile de donner des exemples j
* il y en a cent mille.
Je sais bien que la religion est indépendante
par elle-même de tout effet physique quelcon-
que, que celle qui est bonne j|ps un pays est
bonne dans im antre, et quWe ne peut être
mauvaise dans un pays sans l'être danstous:
mais je dis qûé, comme elle est pratiquée par
les hommes et pour les hommes, il y a des
lieux où une Migion quelconque trouve plus
de £aéilité a être pratiquée , soit en tout, soit
DE L ESPRIT DES LOIS. 219
en partie , dans de certains pays que dans d au-
tres, et dans de cerlaines circonstauces que
dans d'autres; et, dès que quelqu'un dira le
contraire, il renoncera au boa sens.
L'auteur a remarqué que le climat des In*
des produisoit une certaine douceur dans lei
mœurs. Mais, dit le critique, les femmes s'y
brûlent à la mort de leur mari. Il n'y a guère
de philosophie dans cette objection. Le criti-
que ignore-t-il les contradictions de l'esprit
humain , et comment il sait séparer les choses
les plus unies et unir celles qui sont les plus sé-
parées ? Voyez là-dessus les réflexions de l'au-
teur au chapitre III du livre XIV.
TOLERANCE.
1 ouT ce que l'auteur a dit sur la tolérance se
rapporte à cette proposition du chapitre IX ,
livre XXV : a Nous sommes ici politiques et
« non pas théologiens ; et, pour les théologiens
« mêmes, il y a bien de la différence entre to-
« lérer une religion et rapprouvef .
« Lorsque les lois de l'état ont cru devoir
< souffrir plusieurs religions , il faut qu'elles
« les obligent aussi à se tolérer entre elles. » On
prie de lire le reste dif chapitre.
On a beaucoup crié sur ce que l'auteur a
. ajouté au chapitre X, livre XXV : « Voici le
, « principe fondamental de» lois politiq[uef en
4t fait de religion : qnand on est maitre de r<s
t ceyoir dans un état une nouvelle religion ou
« de ne la pas receToir, il ne faut pas l'y établir;
« quand elle y est établie, il faut la tolérer. »
On objecte à l'auteur qu'il va avertir le»
princes idolâtres de fermer leurs ét§ts à la re-
ligion chrétienne : effectivement c'est un secret
qu'il a été dire à l'oreille au roi de la Cochin-
chine. Comme cet argument a fourni matière
à beaucoup de déclamations, j'y ferai deux ré-
ponses. La première, c'est que l'auteur a ex-
cepté nommément dans son livre la religion
chrétienne- Il a dit au livre XXIV, chapitre
premier, à la fin : « La rëlîgion chrétienne, qui
«ordonne aux hommes de s'aimer, veut sans
« doute que chaque peuple ait les meilleures
• lois politiques et les meilleures lois civiles,
« parcequ'elles sont, après eile, le plus grand
« bien que les hommes piiissent donner et re-
<t cevoir. » Si donc la religion chrétienne est le
premier bien et les lois politiques et civiles le
second , il n'y a point de lois politiques et ci-
viles dans un état qui puissent ou doivent y
empêcher l'entrée de la religion chrétienne.
Ma seconde réponse est que la religion du
ciel ne s'établit pas par les mêmes voies que les
religions de la terre. Lisez l'histoire de l'église,
et vous verrez les prodiges de la religion chré-
tienne. A~t-elle résolu d'entrer dans un pays?
elle sait s'en faire ouvrir le» porîcs; tous les
instruments sont bons pour cela : quelquefois
Dieu veut se servir de qndques pécheurs ; qiuSl»
DE L*ESP&IT DES LOIS. 221
quefûis il va prendre sur le trône un empereur,
et fait plier sa tête sous le joug de i'évangile.
La religion chrétienne se cache-t-die'dans les
lieux souterrains? attendez un moment, et
vous verrez la inajesié impériale parier pour
- elle. Elle traverse quand elle veut les mers , les
rivières et les montagnes; ce ne sont |>as les
obstacles d'ici-bas qui l'empêchent d'à llet - Met-
tez de la répugnance dans les esprits , elle saura
vaincre ces répugnances : établissez des cou-
tumes, foritiez des usages, publiez des édits,
faites des lois; elle triomphera du ch mat, des
lois qui en résultent, et des législateurs qui jes
auront faites. Dieu, suivant dos décrets que
nous ne connoissons point, étend ou resserre
les limites de sa religion.
On dit : C'est comme si vous alliez dire aux
rois d'orient^u'il ne faut pas qu'ils reçoi\ent
chez eux la religion chrétienne. C'est être bien
charnel que de parler ainsi : étoit-ce donc Hé-
rode qui devoit être le messie? Il semble qu'on
regarde Jésus-Christ comme un roi qui , vou-
lant conquérir un état voisin , cache ses prati-
ques et ses intelligences. Rendonfruous justice :
la manière dont nous nous conduisons dans les
affaires humaines est-elle assez pure pour pen-
ser à l'employer à la conversion des peuples ?
^^'À% DÉFEirsfi
■#««a
CELIBAT.
Nous Toici à l'article du célibat. Tout ce que
Tauteur en a dit se rapporte à cette proposi-
tion ) qui se trouve au livre XXV, chapitre IV:
la voici.
« Je fte parlerai point ici des conséquences
4 de la loi du célibat; on sent qu^elle pourroit
« devenir nuisible à proportion que le corps du
« clergé seroit trop étendu, et que par consé-
<f quent celui des laïques ne le seroi t pas assez, i
Il est clair que Fauteur ne parle ici que de la
plus grande ou de la moindre extension que
Ton doit donner au célibat par rapport au plus
|p*and ou au moindre nombre de ceux qui doi-
vent l'embrasser; et, comme l'a dit l'auteur en
un autre endroit , cette loi de perlf ction rie
peut pas être faite pour tous les hommes : da
sait d'ailleurs que la loi du célibal, telle que
nous l'avons , n'est qu'une loi de discipline. II
n'a jamais été question dans l'Esprit des lois
de la nature du célibat même et du degré de sa
bonté; et ce n'est en aucune façon une matière
qui doive entrer dans un livre de lois politi-
ques et civiles. Le critique ne veut jamais que
Fauteur traite son sujet, il veut continuelle-
ment qu'il traite le sien; et, parcequ'il est tou-
jours théologien, il ne veut pas que , même
dans un livre de droit , il soit jurisconsulte. Ce-
1
OF. L*£^PEIT DRf LOIS. 22^
pendant on yerra tout-à4'keure qu'il e&t wr le
célibat de l'opinion des tkéologîens ^ c'est- à-
dire qu'il en a reconnu la bonté. U faut saToir
que, dans le livre XXIII, où il e&t traité du
rapport que les lois ont avec le nombre des ha-
bitant , l'auteur a donné une tbéorie de ce que,
les lois politiques et civiles de divers peuples
avoient fait à cet égard. Il a fiailt voir^ en exa-
mmant les Histoires des divers peuples de la
terre, qu'il y avoit eu des circonstanciés où ces
lois furent plus nécessaires que dans d'autres «
des peuples qui en avoient eu plus de besoin ,
de certains temps où ces peuples eu avoient eu
plus de besoin encore: et, comme il a pensé
quç les Romains furent le peuple dsi]t monde le
plu^ sage, et qui, pour réparer ses pertes, eut
le plus de besoin de pareilJes lais, il a recueilli
avec exactitude les lois ^'ils avoient faites à
0et égard; il a marqué avec précision dans
queUes circons1;iuices elles avoient été faites et
dans quelles autres circoAstances elles avoient
été.^ées. Il n'y a point de théologie dans tout
çec^y et i) n'en faut point pour tout cecL Ce-
pendant il a jugé àpi^opos d'y en mettre. Voici
tes paroles : '< A Dieu ne plaise que je parle ici
« contre le célibat qu^sulopiié la rVligion ! mai^^
t qui pourroit se taire contre celui qu'a formé
<le libertinage j. celui où les deux sexes, se cor-
«i rompant par les sentiments naturels mêmes,
«rfuient une union qui doit les rendre meil-
<i leurs, pour vivre dans celle qui les rend
<loujouPâ pires ?
sa4 D ^ F E N s s
« Cest une règle tirée de la nature , que plus
t on diminue le nombre des mariages qui pour»
«roient se faire, plus on corrompt ceux qui
« sont faits; moins il y a de gens mariés , moins
« il y a de fidélité dans les mariages; eomnir
c lorsqull y a plus de Toleurs il y a plus de
« vols(i). »
' L'auteur n'a donc point désapprouvé le cé-
libat qui a pour motif la religion. On ne pou-
voît se plaindre de ce qu'il s'élevoit contre le
célibat introduit par le libertinage; de ce qu'il
désapprouvoit qu'une infinité de gens riches
et voluptueux se portassent à fuir le joug du
mariage pour la commodité de leurs dérègle-
ments ; qu'ils prissent^>our eux les délices et la
volupté, et laissassent les peines au*' miséra-
bles ; on ne pouvoit , dis-^e , s'en plaindre. Mais
le critique, après avoir cité ce que l'auteur a
dit, prononce ces paroles : « On apperçoit ici
« toute la malignité de Fauteur, qui veut je-
« ter sur la religion chrétienne des désordres
« qii*elle déteste. » Il n'y a pas d'aj^parence d'ac-
cuser le critique de n'avoir pas voulu entendre
l'auteur; je dirai setdement qu'il ne l'a point
entendu, et qu'il lui fait dire contre la retigion
ce qu il a dit contre le libertinage. 11 doit en
être bien fâché.
•mê
(i) Livre XXIH, ch, XXI, à la fin.
DE L'XSY&IT D£S LOIS» 223
ri
ERREURS PARTICULIERES
DU CRITIQUE,
vJ ir croiroit que le critique a juré de n élr©
jamais au fait de i*état de la question ^ et de
n'entendre pas un seul des passages qii'il atta-
que. Tout le second chapitre du livre XXV
roule sur les motifs plus ou moins puissants
qui attachent les hommes à la conservation de
leur religion. Le critique trouve, dans son ima-
gination, Un autre chapitre qui auroit pour
sujet des motifs qui obligent les hommes à pas-
ser d'une religion dans une autre. Le premier
sujet emporte un état passif, le second un état
d'action; et, apph quant sur un suj.t ce que
l'auteur a dit sur un autre, il déraisonne tout
à son aise.
L'auteur a dit, au second article du cha-
pitre XI du livre XXV : « Nous sommes extré-
« mement portés à l'idolâtrie , et cependant
« nous ne sommes pas fort attachés aux reli-
<t gions idolâtres ; nous ne sommes guère por-
<f tés aux idées spirituelles , et cependant nous
« sommes très attachés aux religions qui nous
«c font adorer un être spirituel. Cela vient ^e
^ la satisfaction que nous trouvons en nous-
« mêmes d'avoir été assez intelligents pour
n avoir choisi une religion qui tire la divinité
t de Thumiliation où les autres l'avoient mise. •
*»PR. hrs J.eis. 5. -^o
aiC D i F K H s £
L*atttear n'ayoit fait cet article que pour expli-
qaer pourquoi les mahomé tans et les Juifs ,
qui n'ont pas les mêmes grâces que nous, sont
aussi invinciblement attachés à leur religion
qu'(m le sait par expérience : le critique l'en-
tend autrement. « Cest à Torgueil , dit-il, que
€ l'on attribue d'ayoir fait passer les hommes
« de ridolàtrie à Tunité d'un Dieu (i). » Mais il
n*est question ici, ni dans tout le chapitre,
d'aucun plissage d'une religion dans une au-
tre : et si Un chrétien sent de la satisfaction à
ridée de la gloire et à la vue de la^^^andeur d«
Dieu, et qa*on appelle cela de l'orgueil , c'est
nn très bon orgueil.
MARIAGE.
Voici une autre objection qui n'est pas com-
mune. L'auteur a fait deux chapitres au li-
vre X»X11I : l'un a pour titre, des /nommes e4
des atiùnaitocpar rapport à la propagation
de r espèce \ et l'autre est intitulé , des ma^,
riages* Dans le premier il a dit ces paroles :
fi Les femelles des animaux ont à peu près une
« fécondité constante; mais, dans l'espèce hu-
« i^aine , la manière de penser, le caractère , les
« passions , les fantaisies, les caprices, l'idée de
« conserver sa beauté, l'embarras de la gros-
(x) Pagt 1 60 de la seconde feaiU«.
BE l'esphio" des lois. 127
«sésse, celui d'une famille trop nombreuse ^
< troublent la propagation de mil^ manières. »
£t dans l'autre il a dit : « L'obligation natu-
(c relie qu'a le père de nourrir ses enfants a fait
<t établir le mariage , qui déclare celui qui doit
« remplir cette obligation. >
On dit là-dessus : « Un chrétien rapporte-
(i roit l'institution du mariage à Dieu méine
a qui donna une compagne à Adam , et qui unit
«( le premier homme à la première femme par
a un lien indissoluble avant qu'ils eussent des
<i enfants à nourrir; maisr l'auteur évite tout ce
<i qui a trait à la révélation. » Il répondra qu'il
est chrétien, mais qu'il n'est point imbécille^
qu'il adore ces vérités , mai's qu'il ne veut point
mettre à tort et à travers toutes les vérités qu'il
croit. L'empereur Justinien étoit chrétien , et
son compilateur Tétoit aussi : eh bien ! dans
leurs livres de droit que Ton enseigne aux jeu-
nes gens dans les écoles, ils définissent le ma-
riage l'union de l'homme et de la femme qui
forme une société de vie individuelle (i). Il
n'est jamais venu dans la tête de personne de
leur reprocher de n'avoir pas parlé de la ré-
Télation.
(1) Maris et femiase coojanctio, individaam vit»
flocietatem continens.
aaS D É F E H s E
USURE.
Nous voici à Taffaire de Tusure. J'ai peur que
le lecteur ne soit fatigué de m'entendre dire
que le critique n'est jamais au fait, et ne prend
jamais le sens des passages qu'il censure. It dit,
au sujet des usures maritimes : « L'auteur ne
« voit rien que de juste dans les usures mari-
' « rimes. Ce sont ses termes. » En vérité cet ou-
vrage de l'Esprit des lois a un terrible inter-
prète. L'auteur a traité des usures maritimes
. au chapitre XX du livre XXII ; il a donc dit
dans ce chapitre que les usures maritimes
éloient justes. Voyons-le.
Des usures marîtimçs.
« La grandeur des usures maritimes est fon-
« dée sur deux choses; le péril de la mer, qui
« fait qu'on ne s'expose à prêter son argent que
« pour en avoir beaucoup davantage , et la fa-
« cililé que le commerce donne à l'emprunteur
« de faire promptement de grandes affaires et
« en grand nombre : au lieu que les usures de
«f terre, n'étant fondées sur aucune de ces deux
« raisons , sont ou proscrites par le législateur,
« ou, ce qui est plus sensé, réduites à de justes
« bornes. »
Je demande à tout homme sensé si l'auteur
DE t ESPRIT DES LOIS. lîfj
Tient de décider que les usures inaritimes sont
justes , ou sll a dit simplement que la gran-
deur des usures maritimes répùgnoit moins à
Téquité naturelle que la grandeur des usures
de terre. Le critique ne connoit que les quali-
tés positives et absolues ; il ne sait ce que c*est
que ces termes plus ou moins^ Si on lui disoit
qu'un mulâtre est moins noir qu'un nègre,
cela signiiieroit, selon lui, qu'il est blanc com-
me de la neige : si on lui disoit qu'il est plus
noir qu'un Européen , il croiroit encore qu'on
veut dire qu'il est noir comme du charbon.
Mais poursuivons.
Il y a dans l'Esprit des lois, au livre XXII-,
quatre chapitres sur l'usure. Dans les deux pre-
miers, qui sont le XIX et celui qu'on vient de
lire, l'auteur examine l'usure (i) dans le rap-
port qu'elle peut avoir avec le commerce che»
les différentes nations et dans les divers gou-
vernements du monde : ces deux chapitres ne
s'appliquent qu'à cela. Les deux suivants ne
sont faits que pour expliquer les variations de
l'usure chez les Romains. Mais voilà qu'on
érige tout à coup l'auteur en casuiste, en cano-
niste et en théologien , uniquement par la rai-
son que celui qtii critique est casuiste, cano-
niste et théologien, ou deux des trois, ou im
des trois, ou peut-être dans le fond aucun d^t
trois. L'auteur sait qu'à regarder le prêt à in-
( I ) Usore oa intérêt tigmfioit la même chose ch«»
les Romains.
a'JO D lé F E N s E
^ térêt dans son rapport avec la religion cliré*
tienne, la matière a des distinctions et des li-
mitations sans fin : il sait que les jurisconsultes
et plusieurs tribunaux ne sont pas toujours
d'accord avec les casuistes et les canonistes;
que les uns admettent de certaines limitations
au principe général de n'exiger jamais d'inté-
rêts , et que les autres en admettent de plus
grandes. Quand toutes ces questions auroient
appartenu à son sujet , ce qui n'est pas , com-
ment auroit-il pu les traiter? On a bien de la
peine à savoir ce qu'on a beaucoup étudié, en-
core moins sait-on ce qu'on n'a étudié de sa
vie : mais 1rs chapitrè^méraes que l'on emploie
contre lui prouvent assez qu'il n'est qu'bis-
torien et juirisconsulte. Lisons le chapitre
.XIX(i).
« L'argent est le signe dès valeurs. Il est
« clair que celui qui a besoin de ce signe doit
« le louer , comme il fait toutes les choses dont
, CI il peut avoir besoin. Toute la différence est
« que les autres choses peuvent ou se louer ou
« s'acheter , au lieu que l'argent , qui est le prix
« des choses , se loue et ne s'achette pas.
• « C'est bien une action très bonne de prêter
w( à un autre son argent sans intérêt : mais on
tt sent que ce ne peut être qu'un conseil de reli-
^ « gion, et non une loi civile.
«c Pour que le commerce puisse se bien faire,
ft il faut que l'argent ait un prix , mais que ce
* »
(i) Lir. XXlt.
DE l'eSPEIT des LOIS. a3i
» prix soit peu considérable. S'il est trop haut,
« le négociant , qui voit qu*il lui en coûteroit
« plus en intérêts qu'il ne pourroit gagner dans
« son commerce , n'entreprend rien ; ai Tar-
« gent n'a point de prix , personne n'en prête,
« et le négociant n'entreprend rien non plus.
« Je me trompe quand je dis que personne
« n'en prête ; il faut toujours que les affaires de
« la société aillent : l'usure s'établit , mais avec
• les désordres que l'on a éprouvés dans tous
« les temps.
« La loi de Mahomet confond l'usure avec le
« prêt à intérêt. L'usure augmente dans les pays
« mahométans à proportion de la sévérité de la
«t défense : le prêteur s'indemnise du péril de la
« contravention.
«' Dans ces pays d'orient la plupart âeshom>
« mes n'ont rien d'assuré ; il n'y a presque
« point de rapport entre la possession actuelle
R d'une somme et l'espérance de la ravoir après
« l'avoirprêtée.L'usure y augmentedoncà pro-
« portion du péril de l'insolvabilité. »
Ensuite viennent le chapitre des lisuresma-
ritimes^ que j'ai rapporté ci-dessUs , et le cha-
pitire XXI , qui traite du prêt par contrat et
de r usure cJiez les Romains , que' voici.
« Outre le prêt fait pour le commerce , il y
* a encore une espèce de prêt fait par un con-
« jtrat civil , d'où résulte un intérêt ou usure.
« Le peuple chez les Romains augmentant
« tous les jojirs sa puissance , les magistrats
Vc cherchèrent à le flatter et à lui faire faire le»
ala DEFENSE
« lois qui lui étoient le plus agréables. Il re*
M trancha les capitaux , il diminua les intérêts ,
« il défendit d'en prendre , il ôta les contraintes
«I par corps; enfin Tabolitiondes dettes fut mise
« -n question toutes les fois qu*un tribun vou-
« lut se rendre populaire.
« Ces continuels changements , soit par des
« lois , soit par des plébiscites , naturalisèrent
'< à Rome Tusure ; car les créanciers , voyant le
«( i>euple leur débiteur , leur législateur et leur
« j uge , n'eurent plus de confiance dans les con-
« trats. Le peuple , comme un débiteur décré-
« dite , ne tentoit à emprunter que par de gros
<t profits ; d'autant plus que , si les lois ne ye-
<î noient que de temps en temps y les plaintes
« du peuple étoienf continuelles et intimidoient
«t toujours les créanciers. Cela fit que tous les
« moyens honnêtes de prêter et d'emprunter
ff furent abolis à Rome et qu'une usure affreuse,
A toujours foudroyée et toujours renaissante ,
« s'y établit.
n Cicéron nous dit que , de son temps , on
« î>rétoit à Rome à trente-quatre pour cent , et
« à quarante-huit pour cent dans les provinces.
« Ce mal venoit , encore un coup , de ce que
<« les lois n'avoient pas été ménagées. Les lois
<t extrêmes dans le bien font naître le mal ex-
« trême : il fallut payer pour le prêt de l'argent
« et pour le danger des peines de la loi. » L'au-
teur n'a donc parlé du prêt à intérêt que dans
son rapport avec le commerce des divers peu-
ples ou avec les lois civiles deê Romains ; cl
tf
DE l'esprit des LOIS. 2 Vj
cela est si vrai , qu il a distingué , au second
article du chapitre XIX , les établissements des
législateurs de la religion d'avec ceux des lé-
gislateurs politiques. S*il avoit parlé là nom-
mément de la religion chrétienne , ayant un
autre sujet à traiter , il auroit employé d'au-»
très termes , et fait ordonner à la religion
clirétienne ce qu'elle ordonne , et conseiller ce
Qu'elle conseille ; il auroit distingué avec les
théologiens les cas divers, il auroit posé toutes
les limitations que les principes de la religion
chrétienne laissent à cette loi générale, établie
quelquefois chez les Romains , et toujours chez
les mahonlétans , « qu'il ne faut jamais , dans
« aucun cas et dans aucune circonstance, re-
« cevoir d'intérêt pour de l'argent. » L'auteur
n'avoit pas ce sujet à traiter , mais celui-ci,
qu'une défense générale, illimitée, indistincte,
et sans restriction , perd le commerce du z les
mahométans , et pensa perdre la république
chez les Romains ; d'où il suit que , parceoue
les chrétiens ne vivent pas sous ces termes ri-
gides,le commerce n'est point détruit chez eux;
et que l'on ne voit point dans leurs états ces
usures affreuses qui s'exigent chez les maho-
métans et que Ton extorquoit autrefois chez
les Romains.
L'auteur a employé les chapitres XXT et
XXII ( I ) à examiner quelles furent les lois
chez les Romains au sujet du prêt par contrat
(i) Liv. TlXIL
^34 DÉFENSE
dans les divers temps de leur république. Son
critique quitte un moment les bancs de théo-
logie et se tourne du c6té de Térudition. On
va voir qu^ se trompe encote dans son éru-
dition , et qu'il n*est pas seulement au fait de
Tétat des cfuestions qu'il traite* Lisons le cba-
pitreXXII(i).
« Tacite dit que la loi des douze tables fixa
« l'intérêt à un pour cent par an. Il est visible
(I qu'il s'est trompé , et qu'il a pris pour la loi
« des douze tables une autre loi dont je vais
« parler. Si la loi des douze tables avoit réglé
« cela , comment dans les disputes qui s'éleve-
« rent depuis entre les créanciers et les débi-
« teurs ne se seroit-on pas servi de son auto-
« rite ? On ne trouve aucun vestige de cette
« loi sur le prêt à intérêt ; et , pour peu qu'on
« soit versé dans l'histoire de Rome , on verra
« qu'une loi pareille ne devoit point être Tou-
« vrage des décemvirs. » Et un peu après l'au-
teur ajoute : « L'an 898 de Rome les tribuns
«( Duellius et Ménénius firent passer une loi
« qui réduisoit les intérêts à un pour cent par
« an. C'est cette loi que Tacite confond avec la
« loi des douze tables , et c'est la première nui
« ait été faite chez les Romains pour fixer le
rt taux de l'intérêt , etc. » Voyons à présent.
L'auteur dit que Tacite s'est trompé en di-
sant que la loi des douze tables avoit fixé l'u-
(i) Liv. XXII.
DE l'esprit des LOIS. 2^5
9Uré clxez les Romains ; il a dit que Tacite a
pris pour la loi des douze tables une loi qui fat
faite par les tribuns Duellius et Ménénius , en-
viron quatre-vingt quinze ans après la loi des
douze tables , et que cette loi fut la première
qui fixa à Eome le taux de Tusure. Que lui dit-
on ? Tacite ne s'est pas trompé ; il a parlé de
l'usure à un pour cent par mois , et non pas de
l'usure à uapo^ir cent par an. Mais il n'est pas
ques tionici du taux de l'usure ; il fcgit de savoir
si la loi des douz£ tables a fait quelque disposi-
tion qudcoiiqtte sur l'usure. L'auteur dît que
Tacite s'est trompé ,paTcequ'il a ditqueleftdé-*
cemvirs , dans la loi des douze t^les , avoient
fait un régleinent pour fixer le taux de l'usure :
et là-dessus le critique dit quç Tacite ne s'est
pas trompé , parcequ'il a parlé de l'usure à un
pour cent par mois , et non pas à un pour cent
par an. J^'avoi» dooc raison d<^ dire que le criti-
que ne sait pas l'état de la question.
Mais.il en reste une autre, qui est de savoir
si la loi quelconque dont parle Tacite fixa l'u-
sure à un pour cent par an , comme l'a dit l'au-
teur , o^ bien à un pour cent par mois , comme
le dit le critique. La prudence vouloit qu'il
n'enltreprlt pas une dispute avec l'auteur sur
les 1ms romaines sans conaoiti e les lois romai-
nes ; qu'il ne lui niât pas uii fait qu'il ne ^avoit
pas ^ et dont il ignoroit même les moyens de
s'éclaircir. La question étoit de savoir ce que
Tacite avoit entendu par ces mots uncianim
%36 DÉFENSE
fœnus ( I ) : il ne lui falloit qu'ouvrir les dic-
tionnaires ; il aùroit trouvé , dans celui de Cal-
vinus ou Kahl(a), que lusure onciaire étoit
d'un pour cent par an , et non d'un pour cent
par mois. Vouloit-il consulter les savants ? il
auroittrouvé la même chose dans Saumaise (3^.
(j) Nam primo daodecîm tabalis sanctum ne
quis unoiario f<jyxore ampUàs exerceret. Annal, liv^
VI. — (a) Usurarum species ex assis partibns deno-
minantnr : qaod at intelligatar, illnd scire oportet
sortem omnem ad eentenarium niimtrum reTocari;
sonutiam antem as^ram esse cum païf^ sortis cente-
é.ma. singulis mensibus persolvitnr. £t quoniam
ista rat^one samma h«ec usura dnodecim aureos an-
naos in centenos efficit, duodenarius namerns jn-
risconsultos movit ut asseœ hune usurarium appel-
èrent. Qnemadmoduin hic as , non ex nienstma ,
sed ex annua pensione aestimandns est.; simîHter
omnes ej us partes ex anhi ratione intelli^endae sont ;
ut , si nnus in centenos anniiatim.pendatar , nncia*
ria ositra ; si bini, sexftftus; si t^^i;, quadrant ; si
quaterni, triens; si quini, qninqannx ; si semi, semis;
si septeni*, septunx ; si octoni, bes ; si novem, do-
draos ; si déni ^ dextcans ; si undeni, deunx ; si duo-
deni.,as. Lexicon Joannîs Cal^ini , tXik^Kdkl,
Colonise Allobrogum, anno i6a2, apnd Petrum
Balduinum , in verba kisura, p. g6o. — (3) 0e modo
usnrarnœ , Lu^nlîi Batavornm, ex officin* ^zevi-
riornm^ iinno 1639, p; 3^9, ^TO, et 271 ; et sur*
tout CCI mo^ >:< Unde Terius sit unciarium fœnus
eorum , yel nncias usuras , nt eas qnpque appeUatas
infrà osteudam , non unciam.dare meustmani in ce»-
tum, sed annnam.
Dx l'sspait des lois. a37
Testif mearam eentimaiiiis Gya*
Sententiamm. Hor. Ht, m, od. IV, y. 69.
Remontoit-il aux sources ? il auroit trouvé
là - dessus des textes clairs dans les Kyres de
droit ( I ) ; il ri'auroit point brouillé toutes les
idées; il eût distingué les temps et les occasions
ùh l'usure onciaire sigmfioit un pour cent par
mois d'avec les temps et les occasions où elle
signifioit un pour cent par an , et il n'auroit
pas pris le douzième de la cenlésime**potir kt
Cèntésime.
Lorsqu'il n'y aroit point de lois sur le taux
de l'usure chez les Romains , l'usage le plus or-
' diiiaire étoit que les usuriers prenoientdcJuze
çnces de cuivre sur cent onces qu'ils prétoient,
c'est-à-dire douze pour cent par an; et, comme
un as valoit douze onces de cuivre ; les usu-
riers retiroient chaque année thtt 'ts sur cent
onces ; et comrtië il falloît souvent compter Vu-
sure par mois , l'usure de six mois fut appelée
semis , ou la moitié de l'as; l'usure de quatre
mois fut appelée triens , ou le tiers de l'as ;
l'usure pour trois mois fut appelée quadrans ,
ou le quart de l'as ; et enfin l'usure pout un
mois fut appelée nnciaria , ou le douzième de
l'as : de sorte que, comme on letolt une once
chaque mois sur cent onces qu'on a-toît pré*
tées, cette usure onciaire , ou dSin pour cent
y ■■'.■'
(i) Argamentnm legis XLVII , §• Pïsrfectnf le-
gionis, ff. de administ. et pcriculo mtoris.
f
a38 DKFENSK
par mois , 6u dé douze pour cenP par an , fut
appèïéfe usuf e centésime. Lé cwtiquea ieu con-
noissaçce de cette siguiiication de Tusure cen-
tésime , et il l'a appliquée très mal.
On yoit que tout ceci n'étoit qu'une espèce
de H^ithode , de formule ou de règle, entre le
déhi^eugr et le créancier, pour compter leurs,
usure», dans la supposition que Tusure fut à.
douze f^ur cent par an ^ ce qui étqlt; Tu^ag/e le
jlh^^ j>ê4^|iaire ! et , #i quelqu'un a'voit^rété.à
dix-huit pour cent par an , on se seroit seryij
4e la m^men^étjbode, en. augti^€|[i;t^ant d'un
ti^s l'usure de chaque mois ;-de SQff.e que l'u*,
sure pi^c^rp^ auroit été d'une once«t demie
parmoi^, , , • .
Quand les Romains fîrent des lois sur l'u-
sure , U ^e fu^pp^it question de qette méthode ,
qui avoU ^<^y^ et qui servoit encore au^ d^bi-;
tours çt au^;€];éandiefs pout la dlyis^on du,
temp^ et' Ia commodité du paijement de leùvs
usures. Xie législateui; çivoitim.réglen^ent pu-
blic à luire;; il ne^^^'^^issoit ppint de parlafjcr
1 usure.ypar jnois, il *voit è^ûx^f et il fiif l'u-
sure pfir an.. Qn continua à se servii' des teriiîCv7-^
tirés ile Ja djfyifiiiçfl. de Tas , sans y apj^iquer k s
mêmes i4éf 6 4, airvsi ru&iu\e oniçiaire.sig^i^a un
pQUjc Q^nf |>a^ an,; yuLS\Jxeeja//^uidra/Ue signi-
Sa tijo^ft pour cent pai^.a»;^ Tj^s^^e ex, triante ,
quatre pour cent j)ar anj l'usure semis , six
pour,cen,t;P*r.an^ !Çl^^ l'usiiire.pnciaire- ayoît
, signifié un pQi^, ccijt par mpis ^ les lois qUi \q^%
fixèrent exijuadra?itCs ejotritiJi tc^ex semisse^
DE "L ESPRIT DES LOIS. 2 .^
auroîentfixé l'usure à trois pour cent, à quatre
pour cent , à six pour cent par mois ; ce qui au-
roit été absurde , parceque leâ lois faites pour
réprimer l'usurç auroient été plus ciuelles que
les usuriers.
Le critique a donc confondu les espèces des
choses. Mais j*ai intérêt de rapporter ici ses
propres paroles , afin qu'on soit bien convaincu
que l'intrépidité avec laquelle il parle ne doit
imposer à personne : les voici (i) : « Tacite ne
« s'est point trompé ; il parle de l'intérêt à un
'« pour cent par mois , et l'auteur s'est imaginé
« qu'il parle d'Un pour cent par an. Rien n'est
< si connu que le centésime qui se payoit à l'u-
<? surier tous les mois. Un homme qui écrit
« deux volumes in-4°. sur les lois devroit-fl
'4 l'ignorer ? »
'' Que cet homme ait ignoré ou n*ait pas ignoré
«ce centésime, c'est une chose très indifférente:
mais il ne l'a pas ignoré puisqu'il en a parlé en
trois endroits. Mais comment en a-t-il parlé ;
-et oùen à*-t41 parlé (a) ? Jepourrois bien défier
le critique de le deviner , parcequ'il n'y trou-
ver oit point les mêmes termes et les mêmes ex-
pressions qu'il sait. .
Il n'est pas question ici de savoir si l'auteur
de l'Esprit des lois a manqué d'érudition ou
(i) Feuille du g octobre 1749, p. i^>4. — (2) La
troisième et la dernière note, ch. XXH, liv. X"XÎI,-
et le texte de la troisième noie.
a4o P é F E N s E
non, mais de défendre ses autels (i). Cepen-
dant il a fallu faire voir au public que le criti-
que , prenant un ton si décisif sur des choses
qu'il ne sait pas , et dont il doute si peu qu'il
n'ouvre pas même un dictionnaire pour se ras-
surer, ignorant les choses , et accusant les au-
tres d'ignorer ses propres erreurs , il ne mérite
pas plus de confiance dans les autres accusa-
tions. Ne peut-on pas croire que la hauteur et
la fierté du ton qu'il {wend par-tout n'empê-
chent en aucune manière qu'il n'ait tort ; que,
quand il s'échauffe , cela ne veut pas dire qu'il
n'ait pas tort ; que , quand il anathématise avec
^es mots d'impie et de sectateur de la religion
naturelle, on peut encore croire qu'il a tort;
qu'il faut bien sç garder de recevoir les impres-
«ions que pourroient donner l'activité de son
esprit et l'impétuosité de son style j que , dans
j$ès deux écrite , il est bon de séparer les injures
de ses raisons , mettre ensuite à part les raisons
qui sont mauvaises, aprè& quoi il. ne restera
plus rien ?
L'auteur , aux chapitres du prêt à intérêt et
de l'usure chez les Romains, traitant ce sujet
sans doute le plus important de leur histoire,
ce sujet qui tenoit tellement à la constitution
qu'elle pensa mille fois en être .renversée , par-
lant des lois qu'ils firent par désespoir, de
celles où ils suivirent leur prudence , des régle^
ments qui n'étoient que pour un temps , de
%B ^ _ ■ ■ l
(i) Pro aria.
lïE L*ESPRIT DES LOIS. ^\l
ceux qu'ils firent pour toujours , dit , vers la
£n du ckapitre XXII : « L'an 898 de Rome les
« tribuns Duellius et Ménéniu* firent passer
* une loi<|fii réduîioit les intérêts à un pour
« cent par an. . . . Dix ans après j cette uéure fut
^ réduite à la moitié ; daus la -suite on Tôta
« tout-à-fàît. . . .
« D en fut de cette loi comnie de toutes celles
<t où le législateur a porté les choses à Texoès ;
«c on trouva une infinité de moyens pour Télu-
« der : il en fallut faire beauoôup d'autres pour
« la confirmer , corriger, tènipérer ; tantôt on
« quitta lés lois pour suivre les'usages , tantôt
H on quitta les usages pour suivre les lois. Mais,
u dans ce cas , l'usage deVoif aisément préva-
a loir. Quand un homme emprunté , il trouvé
<t un obstacle dans la loi même qui est faite en
« sa faveur : cette loi a contce elle et celui qu'elle
« secourt et celui qu'elle condamne. Le prét<ftir
, « Sem|>Foqins Asellus , ayant permis aux dé-
«rbiteurs d'iagir en conséquence des lois, fût
« ttté par les créanciers pour avoir voulu rap-
« peler la mémoire d'une rigidité qu'on i^epou-
« voit plus soutenir.
« iSôus Sylla , Lucius Valériu$ Flaccus fît
« une loi qui permettoit Vititèvéi à trois pour
'H Cent par au. Cett£ loi , la plus équitable et la
' « phis modérée de celtes que ks Romams firent
« à cet égard , Pàterculus la désapprouve. Mais
« si eeUe loi étoit nécessaire à la république , si
« elle éjto»t,utile à tous les particuliers , si elle
c formoitune communication, d'aisance entre
- -A «1,
/ H^ DÉFENSE
« le débiteur et l'emprunteur , elle n'étoit poii^
<r injuste.
« Celui-là pftie moins , dit Ulpien , <fui paie
«plus tard. Gela décide la question si l'intérêt
« est légitime , e'est-i-dire si le créancier peut
« Tendre le temps , et le débiteur l'acheter. »
Voiâ comme le critique raisonne sur ce
dernier passage qui se rapporte uniquement à
la loi de Flaccus et aux dispositions politiques
des Romains : L'auteur, dit41., en résumant
tout ce qu'il a dit de l'usure , soutient qu'il est
permis à un créancier, de vendre le temps. On
diroit , a entendre le critique , que hauteur
vient de &ire un trait^ de théologie ou de droit
canon , et qu'il résume ensuite ce traité d^
théologie et de droit canon ; pendant qu'il est
clair qu'il ne parle^que des dispositions politi-
ques des Romains , de la loi de Flaccus , et de
l'opinion de Paterculus : de sorte que cette loi
de Flaccus , l'opinion de Paterculus , la réfle-
xion d'Ulpien , celle de l'auteur , Se tiennent
et ne peuvent pas se séparer.
J'aurois encore bien des dioses à dire , mai^
j'aime mieux renvoyer aiix feuilles mêmes.
<c Croyes-^tnoi., mes ehers Pisons , elles ressem-
« blent à un ouvrage qui 9 comme les aongei
«r d'un malade , ne fait voir que des £ant6mes
<«vains(i}.»
li II i I I m ■■ i { i 1 ' I ■ .1 I I II ii.i
(i) Crédite , Pisones , isti tabulie fore Ubnun
Persimilem , cujos , Teint aigri tomnia , ▼tmt
f'ingevtur species. Houat. dt Arte poet., t. 6.
DE L ESPEIT DES LOIS. 2/|H
TROISIEME PARTIE.
O N a TU dans les deux premières parties que
tout ce qui résBite de tant de critiques ameres
est ceci , que l'auteur de TEsprit des lois n'a
point fait son ouvrage suivant le plan et les
vues de ses critiques ; et que 9 si ses critiques
avoient fait un ouvrage sur le même sujet , ils
y auroient mis un très grand ndmbre de choses
qu'ils savent. Il en râuite encore qu'ils sont
diéologiens , et que Taiiteur est jurisconsulte ;
quils se croient en ëtat de faire son métier , et
que lui ne se sent pas propre à faire le leur. En-
^ fin il en résulte qu'au lieu de l'attaquer avec
tant d'aigreur , ils auroient mieux fait de s^i-
tir eux-mêmes le prix des choses qu'il a dites
en faveur de la religion , qu'il a également res-
pectée et défendue. U me reste à faire quelques
réflexions. .
Cette manière déraisonner n*est pas bonne,
qui , employée contre quelque bon livre que ce
soit, peut le faire paroitre aussi mauvais que
quelque mauvais livre que ce soit, et qui , pra-
tiquée contre quelque mauvais livre que ce soit,
peut le faire paroitre aussi bon que quelque bon
livre que oe soit.
Cette manière de raisonner n'est pas bonne.
^44 DÉFENSE
qui aux choses dont il s*agit en rappelle d'au^
très qui ne sont point accessoires , et qui con-
fond les diverse» sciences et les idées de chaque
science.
I L ne faut point argumenter sur un ouvrage
fait sur une science p'ar des raisons 'qui pour-
roient attaquer la science même.
Quand on critique un ouvrage ^ et un grand
ouvrage , il faut tâcher de se procurer une con-
noissance particulière de la science qui y est
traitée , et bien lire les auteurs approuvés qui
ont déjà écrit sur cette science , afin de voir si^
Fauteur s'est écarté de la manière reçue et or-
dinaire de la traiter.
Lorsqu'un auteur s'explique par ses pa»
rôles , ou par ses écrits qui en sont l'image , il
est contre la raison de quitter les signes exté-
rieurs de ses pensées pour chercher ses pen-
sées , parcequ'il n'y a que lui qui sache ses pen-
sées. C'est bien pis lorsque ses pensées sont
bonnes et qu'on lui en attribue de mauvaises.
Qu A N D on écrit contre un auteur et qu'on
s'irrite contre lui , il faut prouver les qualifica-
tions par les choses , et non pas les choses par
les qualifications.
Q u A N D on voit dans un auteur uàe bonne
intention générale , on se trompera plus* rare-
DE l'esprit des' lois. 24^
ment si , sur certains endroits qu'on croît équi-
voques , on juge suivant l'intention générale ,
que si on lui prête une mauvaise intention par-
ticulière.
Dàks les livres faits pour Famusement , trois
ou quatre pages donnent Tidée du style et des
agréments de Fouvrage ; dans les livres de ra>-
sonnement , on ne tient rien si on ne tient toute
la chaîne.'
Comme il est très difficile de faire un bon
ouvrage et très ai^é de le critiquer , parcequc
l'auteur a eu tous Içs^ défilés à garder et que
le critique n'en a qu'un à. forcer , il, ne faut
point que celui-ci ait tort ; et s'il arriyoit qu'il
eut continuellement tort, il seroit inexcusable.
D'ailleurs, la critique pouvant être con-
sidérée comme une ostentation de sa supério-
rité sur les autres , et son effet ordinaire étant
de donner des moments délicieux pour l'or-
gueil humain , ceux qui s'y livrent méritent
bien toujours de l'équité , mais rarement de
l'indulgence.
, Et comme de tous les genres d'écrire elle est
celui dans lequel il est plus difficile de montrer
un bon naturel , il faut avoir attention à ne
point augmenter par l'aigreur deà paroles la
tristesse de la chose.
2/|6 DÉFENSE
Quand on écrit sur les grandes matières ,
il ne suffit pas de consulter son zèle , il faut en-
core consulter ses luniieres ; et si le ciel ne nous
a pas accordé de grands talents , on peut y sup-
pléer par la défiance de soi-même , Telactitude,
Je travail , et les réflexions.
Ce T art de trouver dans une chose qui na-
turellement a un bon sens tous les mauvais
sens qu'un esprit qui ne raisonne pas just«
peut lui donner n'est- point utile aux hom-
mes : ceux qui le pratiquent ressemblent aux
corbeaux , qui fuient les corp» vivants et vo-
lent dé tous côtés pour chercher des cadavres.
Une pareille manière dé critiquer produit
deux grands inconvénients. Le premier , c'est
qu'elle gôite l'esprit des lecteurs par un mélange
du vrai et du faux , du bien et du mal : ils s'ac-
coutument à chercher un mauvais sens dans
les choses qui naturellement en ont un très
bon ; d'où il leur est aisé de passer à cette dis-
position , de chercher un bon sens dans les cho-
ses qui naturellement en ont tm mauvais : on
leur fait perdre la foculté de raisonner juste
pour les jeter dans les subtilités d'une mau-
vaise dialectique. Le second mal est qu'en ren-
dant , par cette façbn de raisonner , les bons
livreis suspects , on n'a point d'autres armes
pour attaquer les mauvais ouvrages ; de sorte
que le public n'a plus' de reglfe pour les distin-
guer. Si l'on traite de spînosistes et de déistes
DE L^ESPRIT DES LOIS. 247
ceux qui ne le sont pas , que dira-t-on à ceux
qui le sont ?
Quoique nous devions penser aisément
que les gens qui écrivent contre ngius , sur des
matières qui intéressent tous les liommes , y
sont déterminés par la force de la charité chré-
tienne ; cependant , comme la nature de cette
vertu est de ne pouvoir guère se cacher ;, qu'elle
sfe montre en nous malgré nous , et qu'elle
^late et brille de toutes parts , s'il arrivoit qye,
àans deux écrits faits contré^ la même personne
coup sur coup , on n'y tarouvât aucune trace de
cette charité , qu'elle n y parut dans aucune
phrase , dans aucun tour, aucune, parole, au-
cune expression , celui qui a\iroit écrit de pa-
reils ouvrage^ auroit un juste siy el de craindre
de n'y avoir pas été port^par la cltarité chré-
tienne.
I
•T • ^ ' ' ' * y ', ' • ' ' ' ' < . '
E T qomme les vertus purement humaines
sont en nous l'effet de ce qu'on appelle un bon
itaturel , s'il étoit impossible ,d y découvrir au-
cun vestige de ce bon naturel, fe.public pour-
roit en conjure que ces écrits ne serdient pas
même l'effet des vettus humaines- ..
Aux.ye^xdeshomrjaes les actions sont tou-
jours pljÇL^ ^incey es que les molffs ; et il leur est
plusjaciie^etîroire que l'aclion de dire des in-
jures atroces est un mal que dé se persuader
que le motif qui les a fait dire est «n bien.
QuÂiTD un homme tient à un état qui fait
respecter la religion et que la religion fait
respecter, et qu U attaque devant tes gens du
monde un homme qui vit dans le monde , il est
essentiel qu'il maintienne par sa manière d'agir
la supériorité de son caractère. Le monde est
tvès corrompu ; mais il y a de certaines passions
qi^i sV trouvent très contraintes ; il y en a de
favorites qui défendent aux autres de parof Iré.
Considérez les ç^ens du monde entre eux ; il n'y
a rien de si timide ; c*est Forgueil qui n'ose pas
dire àes secrets , et qui , dans les égards qu'il
a pour les autres y se quitte pour se reprendre.
Le christianisme nous dionfte l'habitude de sou-
meltre cet orgueil , le monde nous donne l'ha-
l^itude de le cacher, 'Avecle peil de vertu que
nous avons , que deviendrions -nous si toute
notre ame se mettoit en libeçté , et si nous n'é-
tions pas attentifs aux moindres paroles , aux
moindres signes , aux moindres gestes ? Or ,
quand des hommes d'un caractère respecté
manifestent des emportements que le^ gens du
monde n'oseroient mettre au jour, ceux d
commencent à se croire meilleurs qu'ils ne sont
en effet ; ce qui est un très grand mal.
No us autres gens du inonde sommes si foî-
bles que nous méritons extrêmement d'être mé-
nagés. Ainsi , lorsqu'on nous fait voir toutes
les marques extérieures des passions violentes,
que veut-K)n que nous pensions de Fintéri^ur ?
DS L*EBPRIT DES LOIS. 34^
P€Ut?on espérer qtie notts , avec notre témérité
ordinaire déjuger , ne jugions pas ?
O n peut avoir remarqué , dans les disputée
et les couTei^ations, ce qui arriye aux g«ns
éont l'écrit est dur et difiSicile : comme ils ne
combattent pas pour s'aider les*uns les antres ^
mais pour se jeter à terre , ils s'éloignent de
la yéiité , non pas à proportion de la gran*
deur istu de la petitesse de leur esprit , mais d^
la bizarrerie ou de l'inflexibilité plus ou moins
grande de leur caractère. Le contraire arrive à
ceux à qui la nature ou l'éducation ont donné
de la douceur : Comme leurs disputes sont des
secours mutuels , qu'ils concourent au mètàe
objet , ' qu'ils ne pensent différemment que
pour parvenir à penser ^e même, ils trouvent
la vérité à proportion de leurs lumières j c'est
Jla récompense d*un bon naturel.
Q u À ir D un bomme écrit sur les matières dé
religion y il ne faut pas qu'il compte tellement
sur la piété de ceux qui le lisent, qu'il aise
des choses contraires au bon sens ; parceque ,
pour s'accréditer auprès de ceux qui ont plus
depiét^ que de lumières , il se décrédite auprès
de ceux qui ont plus de lumières que de piété.
Et comme la religion se défend beaucoup
par elle-même, elle perd plus lorsqu'elle est
mal défendue que lorsqu'elle ti'est point du
tout défendue.
2l5e D É F E tf s B '
S'iii arrlvoit qu'un homme, après a^oif
perdu ses lecteurs , attaquât quel(|u'ttB qui eût
quelque réputation , et trouvât par là le moyen
de se faire lire; on pourroit peut-être soup-
çonner que, sous prétexte de sacrifier cette
victime à la religion » il la saciifieroit à son
amour-propre^
. L A mamere de critiquer dont nous parlons
est la chose du monde la plus capable de bor-
ner l'étendue, et de diminuer, si J'ose me servir
de ce terme , la somme du génie national. La
théc^ogie a ses bornes , elle a ses formules ;
pacceque les vérités qu elle enseigne étant con-
nues , il faut que les hommes s'y tiennent , et
on doit les empêcher de s'en écarter : c.*est-là
qu'il ne faut pas que le génie prenne l'essor;
on le circonscrit, pour ainsi dire, dans wMi
enceinte. Mais c'est se mpcquer du monde de
vouloii^mettre cette même enceinte autour de
ceux qui traitent les sciences humaines. Les
principes de la géométrie sont très vrais ; mais
si on les appliquoit à des choses de goût, on
feroit déraisonner la raison même. Rien n'é^
touffe plus la doctrine que de mettre à toutes
les choses une robe de docteur ; les gens qui veu-
lent toujours enseigner empêchent beaucoup
d'apprendre : il n'y a point de génie qu'on ner4-
trëcisse lorsqu'on l'enveloppera d'un million de
scrupules vains .Avez- vous les meilleures inten-
tions du monde ? on vous forcera vous-même-
d'en douter. Vous ne pouvez plus être occupa
BE Ii*£SP&IT DES LOIS. aSx
i bien dire quand tous êtes efirayé par la
CFainte de dire mal , et qu'au lieu de suivre
vôtre pensée Vous ne tous occupez que des ter-
mes qui peuvent échapper à la subtilité des
critiques. Obvient nous mettre un béguin sur
la tête pour nous <^e à chaque mot : Prenez
garde de tomber; vous voulez parler comme
TOUS , je vcttx que vous pariiez commue moi.
Va-t-on prendre Tessor ? ils vous arrêtent par
la manche. A-t-on de la force et de la vie ? on
vous rôte à coups d'épingle. Vous élevez-vous
un peu ? voilà des gens qui prennent leur pied
ou leur toise, lèvent la tête, et vous crient de
descendre pour vous mesurer. Courez - vous
dans votre carrière ? ils voudront que vous re-
gardiez toutes les pierres que les fourmis ont
.mises sur votre chemin : il n'y a ni science ni
littérature qui puisse résister à ce pédantisme*
Kbtre siècle a formé des académies , on vou-
dra, nous faire rentrer dans les écoles des siè-
cles «ténébreux. Descartes est bien propre à
rassurer ceux qui, avec un génie infiniment
moindre que le sien, ont d'aussi bonnes inten-
tions que lui. Ce grand homme fut sans cesde
accusé d'athéisme ; et l'on n'emploie pas au-
jourd'hui contre les athées de plus forts argu-
ments que les siens*
Du reste nous ne devons regarder les cri-
tiques comme personnelles que dans les cas où
ceux qui les font ont voulu les rendre telles*
Uest très permit de critiquer les ouvrages qui
i5a Dirsifsi oi l'ssput des lois;
ont été donnés au public , parcequ'il MViÀl ri-
dicule que ceux qui out voulu éclaitfer I^& au-
tres ne voulusseut pas être éclairés eux-mê-
mes. Ceux qui nous avertissent sont ks com*
pagnons de nos travaux. Si le critique et Tau-
teur cherchent la vérité, ils ont le même inté-
rêt^ car la vérité est le bien de tous les hommes ;
ils seront des confédérés , et non pas des en-
nemis.
C*xsT avec grand plaisir que je quitte la
plume: on auroit continué à garder le silence
si de ce qu'on le gardoit plusieurs personnes
n*avoient co^clfi qu'on y étqit réduit*
]Kt:LÂiRcissEMi^irTS, etc. 25S
ÉCLAIRCISSEMENTS
SUR L'ESPRIT DES LOIS.
I.
V2uEi.QiTEs personnes ont fait cette objec-
tion : Dans le livre de FEspri t des lois c'est Thon-
neur ou la crainte qui sont le principe de cer-
tains gouvernement», non pas la vertu ; et la
vertu n'est le principe que de quelques autres :
donc les vertus chrétiennes ne sont pas requises
dans la plupart des gouvernements.
y o I c I la réponse. L'au tecu: a mis cette note
au cliapitre Y du livre troisième. « Je parie ici
« de la vertu politique , qui est la vertu morale ,
« dans le sens qu'elle se dirige au bien général ;
« fort peu des vertus morales particulières ; et
« point du tout de cette vertu qui a du rapport
'< aux vérités révélées. » Il y a au chapitre sui-
vant une autre note qui renvoie à celle-ci ; et,
aux chapitres II et III du livre cinquième,
l'auteur a défini sa vertu, Y amour de la
patrie. Il définit l'amour de la patrie, Yw
;mour de TégaUtè et de lafrugaHté. Tout le
^livre cinquième pose sur ces principes. Quand
•un écrivain ^. défini un mot dans son ouvrage,
quand il a donné , pour me servir de cette ex-
t$4 icLÀI&CISSEM£.IIT9
pression, son dictionnaire, ne fauf41 pas en-
tendre ses paroles suivant la &igni£6ationqiL*il
leur a donnée ?
Lx mot de yertu , comme la plupart des
mots de toutes les langes, est pris dantf di-
verses acceptions : tantôt il signifie les vertus
chrétiennes, tantôt les vertus païennes ; sou-
vent une certaine vertu chrétienne, ou bien
une certaine vertu païenne ; quelquefois la for-
ce; quelquefois, dans qu^ques langues , U|i6
certaine capacité pour un art ou de certains
arts. C'est ce qui précède ou ce qui suit cç mot
qui en fixe la signification. Ici l'auteur a fait
plus; il a donné plusieurs fois sa défijùitipQ*
On n'a donc fait Tobjection que parqe^'oaii
lu Fouvrage avec trop de rapidité.
IL
L'i-iTTEUftadit auUyre IJ, (pltaptiui» !|I^
« La meilleure aristocratie çst celle oà 1^ purtio
« d^L peuple qui n*a point de part k la puissance
-ft est si petite et si pauvre que la pattie domi-
K nante n'a aucun intérêt à l'opprimer : aîntt
n quand Antipater établit à Athènes que ceux
^ qui n'auroient pas deux mille drachmes se-
« l'oient exclus du droit dé suffrage (i), il for-
^ ma la meiUeure aristocratie qui lût pîossible;
mm^
(i) Di»<bTO, Uv KTIU, p. 6ai, édit. de Rli0<
K
SUR l'esprit des lois, a5S
« parçequQ ce cens étoit si petit qu'il n'excluoit
« que pçi^ de gens , et personne qui ewquel-
« que considéràtioli dans la cité. Les familles
« aristQcra,tiques doivent donc être peuple au-
« tant qu'il est possible. Pl\ts upe aristocratie
« approchera dé la démocratie , plus elle sera
t parfaite ; et elle I0 deviendra moins à mesure
« qu'elle approchera die la monarchie. »
Dans une lettre insérée dans le journal de
Trévoux, du mois d'avril 1749, on a objecté
à l'auteur sa citation même. On a , dit-on, de-
vant les yeux Tendroit cité ; et on y trouve
qu'il n'y ayoit que neuf mille personnes qui
eussent le cens prescrit par AÎitipater ; qu'il
y en avoit vingt-deux mille qui ne l'avoient
pas : d'où l'on conclut que l'auteur applique
mal ses citations, puisque, dans cette r^ubli-
que d'Antipater , le petit nombre étoit dans le
cens et que le grand nombre n'y étoit pas.
RÉPONSE.
I L eût été à désirer que celui qui a fait cette
critique eût fait plus d'attention et à ce qu'a
dit Fauteur et à ce qu'a dit Diodore.
I • I L n'y avoit point vingt-deux miUe per<^
sonnes qui n'eussent pa^^ le cens dans larépu*
blique d'Antipater : les vingt-deux mille per-
sonnes dont parle Diodore furent reléguées et
établies dans la Thrace , et il ne resta pour for-
mer cette" république que les neuf mille ci-
toyens qui avoient le cens, et ceux du bas peu-
ple qui ne voulurent pas partir pour la Thrace.
Le lecteur peut consulter Diodore*
l56 iCLliaCISSEMENTft, ftC.
2" ^u AN D il serolt resté à Athènes yingt*
deux mille personnes qui n*aur.oient ^^s eu le
cens, robjection n'en seroit pas plus juste. Les
mots de grand et à^ petit %qtl\ relatifs. Neuf
mille souverains dans un état font un nombre
immense, et Tingt>deux mille sujets dans le
même état font un nombre infiniment petit.
*
>
y
•V
REMERCIEMENT
SINCERE
À UPf HOMME CHARITABLE,
l.TTRIBUi À T01.TAIRK.
^ A Marseille, mai 1750.
VOUS avez rendu service au genre humain
en vous déchaînant sagement contre des ou^
Vrdgcs faite pour lé pervertir. Vous né cessez
d'écrire contre FEsprît des lois-, et même il
paroH à Votre style que vous êtes l'ennemi de
toute sorte d'esprit. Vous avertissez que vous
avez préservé le monde du venin répandu
dans l'Essai sur ^'homme, de Pope, livre que
je àc cesse de relire pour me convaincre de plus
en plus de la force de vos '•aisons et de l'im*
poHance de vos services. Vous ne vous amusez
pas, inonsieùr, à examiner le fond.de l'ou-
vrage sur lès lois, à vérifier les citations, a
discuter s'il y a dé la justesse , de la profon-
deur ^ de la clarté, de la sagesse; si les cha-
pitres naissent les uns des autres > s'ils forment
un tout ensemble ; si enfin ce livre , qui dé*
vroit être utile , ne seroit pas par malheur iSa
livré agréable.
Vous allez d'abord au fait : et , regardant
M. de Montesquieu comme le disciple de Pope»
a58 &EMEmciXMKir'f
vous les regardez tous deux comme les disci-
ples de Spinosa. Vous leur reprocliez avec un
zèle merveilleux d'être athées, parceque vous
découvrez, dites- vous, dans toute leur philo-
Sophie les principes de la religion naturelle.
Rien n'est assurément, monsieur, ni plus cha-
ritable, ni plus judicieux, que de conclure
qu'un philosophe ne connoit point de Dieu^
de' cela même qu'il i>ose pour principe que
Dieu parle au cœur de tous les hommes.
«c Un honnête homnae est le plus noble ou-
« vrage de Dieu», dit le qélebre poète philo-
sophe ; vous vous élevez au-dessus de l'hon-
nête homme. Vous confondez ces maximes
funestes , que la Divinité est l'auteur «t le lien
de tous les êtres, que tous les hommes sont
frères, que Dieu est leur père commiïn, qu'il
faut ne rien innover dans la religion, ne point
troubler la paix établie par un monarque sage ,
qu'on doit tolérer les sentiments des hommes,
ainsi que leurs défauts. Continuez, monsieur;
écrasez cet affreux libertinage , qui est au fond
la ruine de la société. Cest beaucoup que par
vos Gazettes ecclésiastiques vous ayiez sainte?
ment essayé de tourner en ridicule toutes les
puissances; tt, quoique la grâce d'être plai-
sant vous ait manqué, volenli et conanti^
cependant vous avez le mérite d'avoir fait
tous vos efforts pour écrire agréablement des
invectives. Vous avez voulu quelquefois ré-
jouir des saints ; mais vous avez souvent es«
sayé d'armer chrétiennement les fidèle^ les ona
siifCEms. a^g
contre les autres. Vous prêchez le schisme
pour la plus grande gloire de Dieu. Tout cela
est très édifiant: mais ce n'est point encore
assez.
Votre zèle n!a rien fait qu'à demi, si vous
ne parvenez à faire brûler les livres de Pope,
de Locke , et de Bay le , l'Esprit des lois , etc.
dans un bûcher auquel on mettra le feu avec
un paquet de NouveUes ecclésiastiques.
En effet, monsieur, quels maux épouvan-
tables n'ont pas fait dans le nionde Une dou-
zaine .de vers répandus dans l'Essai sur
lliomme, de ce scélérat de Pope, cinq ou sjx
articles du bictiônnaire de cet abominable
Bayle , une ou deux pages, de ce coquin de
Locke , et d'autres incendiaires de cette es-
pèce I II est vrai que ces hommes ont mené
june vie pure et innocente, que tous les hon-
nêtes gens les chérissoient et les consultoîent j
mais c'est par 'là qu'ils sont dangereux. Vous
voyez leurs sectateurs, les armes à la main,
troubler les^roy aumes , porter par-tout le flamr
beau des guerres civiles. Montaigne, Charron,
le président' de Thou, Descartes, Gassendi,
Rohaut, le Vayer, ces hommes affreux qui
étoient dans les mêmes principes, boulever-
serei^t tout en France. C'est leur philosophie
qui fit'donner tant de batailles, et qui causa
la Saint-Bar thélemi. C*est leur esprit de tolé-
rantisme qui est la ruine du monde ; et c'est
votre saint zèle qui r^and par-tout la douceur
de la concorde.
'a6Ô RBlkE&GIEMElVT
Vous nous apprenez que tous les partisans
de la religion naturelle sont les ennemis de
la religion chrétienne. Vraiment , monsieur ^
vous avez fait là une belle découverte ! Ainsi,
dès que je verrai un komme sage, qui dans sa
philosophie reconnoîtra par-tout l'Etre su-
prême, qui admirera la Providence dans l'in-
finiment grand et dans Tinfiniment petit , dans
la production des mondes, et dans celle des
Insectes, je concltirai de là qu'il est impossible
que cet homitie soit chrétien. Vous nous aver-
tissez qu^it faut penser ainsi àujourd*hui de
tous les philosophes. On ne poinfôit certai-
nement rieh dire de plus sensé et déplus utile
au christianisme, que ^'assurer que nôtre re-
ligion est bafouée dans toute TÉûrope ôar toujs
ceux dont la profession est de chercher la vé-
ritél Vous pouvez vous vanter d'avoir fait là
Une réflexion dont les conséquences seront
bien avantageuses au public.
Que j*aime encore totre colère contre l'au-
teur de l'Esprit des lois , quand vous lid re-
prochez d'atoir loué' les Solon, les Platon,
les S«crate, lés Aristide, les Cicéron, les Ca-
ton, les Epictete, les Antonin, et les Trajan ! On
croiroit, à votre dévote fureur contre ces gens»
là, qu'ils ont tous signé le formulaire. Quels
monstres, monsieur, que tous ces grands
hommes de l'antiquité f Brûlons tout ce qui
nous reste de leurs écrits, avec ceux de Pope,
de Locke, et de M. de Montesquieu. En effet,
tous ces anciens sages sont vos ennemis j ils
«Ht tous été édairéft pjù: la re%llHi niittnrélle ;
et la TÔtrè^ monsieur, je dis la vôtre eh par-
ticulier ^ pàrott si fort contre la ttàtiire-, que
Je ne m'étonne fla^ que tou^ décestic^ siftcére-
itaent tons ces lÛastres réiprouvés qtti ont Mt,
je ne sais comment, tant de bien à la terre. Re-
jBerciez bien Dieu de n'avxnr rien de comiiittn ,
m ^Tcc leur conduite , ni avec leurs écrits.
Vos saintes idées sur le gonvernement poli-
tique sont une suite de Totre sagesse. On Voit
c[ue TOUS oonnoissez les royaumes de la terre
tout comme le royaume des cieux. YoU's bon-
damiMz de Totre a'ûtorité privée les gains que
Foùa fait dans les risques niaritimes; Vous ne
savez pas probablement te que c^est que Tai^
gent à la grosse ; mais vous appelez ce conn
merce usure. C'est une nouvelle obligation
que le roi vous aura d*em]>écher ses sujets de
commercer à Cadix : il faut laisser cette œuvre
de Satan aux Anglais et aux Hollandais, qui.
sont déjà damnés sans ressource. Je voudrois,
monsieur, que vous nous dissiez combien vous
rapporte le commerce sacré de vos Nouvelles
ecclésiastiques. Je crois que la bénédiction ré-
pandue sur ce chef-d'œuvre peut bien faire
monter le profit à trois cents pour cent. Il n'y a
point de commerce profane qui ait jamab si
bien rendu.
Le commerce maritime que vous condam-*
nez pourroit être excusé peut-être en faveur de
l'utilité publique , de la hardiesse d'envoyer
son. bien dans un autre hémisphère, et du
vtfA. BIS LOI». B, a 3
risque des naufrages. Votre pcftit négoce atme
utiUté plus sensible; il demande plus de cou-
rage y et expose à de plus grands risques.
Quoi de plus utile en effet que.d^instruire
l'univers quatre fois par mois des aven tures de
quelques clercs tonsurés ? quoi de plus coura-
geux que d'outrager y otrc roi et votre arche-
vêque? et quel risq[ue ^ monsieur., que ces pe-
tites humiliations que vous pourriez essuyer
en place publique ? Mais je* me trompe ; il y a
des charmes à souffrir pour la bonne cause : il
vaut mieux o}>ëir à Dieu qu'aux hommes, et
vous me paroisses tout fait pourrlenwBrtyre,
que je vous jso^^ha' te cordialement , étant votrt
très humble <et t;rès (^^sant serviteur. .
tlV 9<I. TOMB CINQUIEME.
,)
TABLE
DES LIVRES ET CHAPITRES
ê
coHTKirir* '
DANS LE CINQUIEME VOLUME,
LIVRE TRENTIEME.
Théorie des lois féodales ebet les Francs , dans le'
rapport qu'elles ont ayec réublissement de la
monarchie.
Chàp. I. Des lois féodales. Page 5
Chàp. LI. Des sources des lois féodales. «G*
Chap. ni. Origine du vasselage. j
Cbap.IV. ContinaatioQ du ménié sujet. g
Chap. V. De la conquête des Francs. lO
Chàp. Yl. Des Goths» des BourguigUons , et des
Francs. il
Chap. YII. Différentes manières de partager les
terres. la
Chap. y III. Continuation du même sujet. i3
Chap. IX. Juste application de la loi des Bonrgul^
gnons et de celles des Wisigotii^ sur le partage
àts terres. r 5'
Cbap. X. Des servitude*. i5
Chap. XI. Continuation du même sujet. id>
Chap. XII. Que les terres du partage des barbares
ne payoîent point de tributs. . - %5
Cbap. XIII. Quelles étoient les charges des Romains
et des Gaulois dans ta monarchie des Francs. ^8
Cbap.'XIV» De ce qnW appeloit census; 3%
9104 TABLE.
ChJIf. XY . Qaê et qaW appeloit census ne se leroit
que sur les terfs» ei non pas sur le» hommes
libres. Page 34
Cha». XTI. Des leudes ou Tassaux. • 39
Ckaf* XYII* Du serrice militaire des liQminet
libres. 4t
Chàp. XVin. Du double serrice. 46
Chap. XIX. Des compositions chez les peuples
barbares. 5o
Chaf. XX. De ce qn'on a appelé depuis la justice
des 'seigneurs. 5j
Chaf . XXI . De la Justice territoriale des églises. 6)
Chaf. XXII. Que les justices étoient établies avant
la fin de la seconde race. 66
CàAF. XXIU. Idée générale du Urre de rEtaèlissé-
ment 4e la mon^frchieffçiiç^ite 4im» IciGatUetg
par M. IVbbé Dubos. 7t
Chaf. XXIV. Continuation duméme su jet.Réflexion
sur le fond du système. ' y%
Cbaf. XXY. De U noblesse française, 7&
LIVRE XXXI,
Théorie des loie féodales cbes les Francs , dans le
rapport qu'ellci ont ayec les rérolatious de leuv
monarchie.
Chaf. I. Changements dans les ofBces et les fiefs. SS
Chaf. II. Comment Iç gpuyemement civil fut ré-
formé. g4
Chaf. ill. Autorité des maires du palais. 99
Chaf. (V. Quel étoit à l'égard des maires le^énie
de la nation. loa
Chaf. V . Comment les maires obtinrent le coi|io|an-
dement des armées. io4
Chaf. VI. Seconde époque d^e Tabaissemeiit de»
rois de la seconde race. 106
Chaf. VU. Des grands of&cff et des fiefs sons les
nw»ires dn palais. 108
VIBLX. i65
CHAf. Yin. ComHuntlgimleox furent cbugJt tn
6ett. Pi^ ,10
Csir. ES. CommentUibiciuccclJiMKiiiBCifumt
cODTïTtiteBWt. 11^
CttAt, X. RichaMt du clergé. 1 16
CnAE. XI. Etat de l'Europe dn tcnipi de Ourles-
Mircel. iiS
Ch». X[I. Eiibliuement dei dtmM. 193
Chap. Xm. D« élcclioiK aux ittchét cl ibbajci. laft
' CBAf. XIT. DeiecfideCliulct.Maricl. 119
CHAr. XV. Coatlanitioa du mime nijat. i3o
Cbai. XVI. Confoiion de la rojaaté •( d* la mai-
rie. Seconde race. ib.
CoAF. XVII. Choae peitlcnliere daui l'éleMion dei
. roii de la teconde lace. 1 33
Chai, xyill. Chartemagne. )3<>
Chai. XIX. ContiouatioD du même lujet. |3S
Chaï. XX. Louii'le.DaDmiaîre. . 139
Chip. XXI. ConlmnadOD du même iDJet. t4>
CuAp. XSIt, CaotlDnatian da même mite. i4â
CSA>. XXttl. Contiunation du mlmt >uJFt. i45
Qui.XSIV, Qoeleibommeilibrei forent rendue
capable» de pouéder des fief» ■ i5o
CniP. XSV. Cause principale de 1 afloiUiEiement
de la lecaude race. Changement danileialeni. i5i
Ckaf. XXV(. Changement dam l« Gefs. 1 56
Chat. XXVII. Antre changement arriTJ dan) lei
ËeTt. i5«
Cbaf.XXVIU. CltengementaarriTéidantleai^udi
nfGces et dan> les fieft.
Chap. XXIX. De la lulnrc
de Charlei-le-Cl>ao<e.
CsAr. XXX. Can'ianation
Cba». XXXI. Commentl'ei
de Charlrmigne.
Cbap. XXXII. Comment 1
paua daat U maiaan de
ft66 TABLE.
CtUB* XXXIII. Quelques conséquences de la per^
pétoité des fiefs. Page 169
Cbap. XXJUY. Contînnation du mAme jujet. 176
DEFENSE D£ L'ESPRIT DES LOTS.
PaiMisax vÀETix. 179
Skcomss vàetu. ao4
Idée générale. ib.
Des conseils de religMm. aoS
De la polygamie. ^10
Climat. 217
Tolérance* %i9
Célibat. aia
Erreurs i^articnlieres du crilk^ a^S
Mariage. ^^5
Usure. • a^
Des usures Ufaritimet* ib.
T&OISXSMS FÀETIX. M3
EciAmcnsBMnrrs svm x.*ss»niT dbs mis. iS3
Hcirercieirent sincère à un homme diaritable. 257
FIN.
.6}
t79
ib.
33S
ib.
343
353
25;
•Vp'
/■ t . t.; . , ' '
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