Skip to main content

Full text of "De l'esprit des lois"

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http: //books. google .com/l 



Google 



A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 

ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 

trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 
Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

A propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl 



UNIVERSIDAD COMPLUTENSE t 

llllllliiilillllli 
5319400046 






X s^T^^e. 



^■^ <- • *•% • • ^ * • * V 






OEUVRES 

DE 



MONTESQUIEU. 



DE L'ESPRIT DES LOIS. 

TOME CINQUIEME* 



CJFB. DKt LOIS. 5. 









A 



DE L'ESPRIT 

DES LOIS, 

P»* MONTESQUIEU. 

TOME CINQUIEME. 

ÉDITION STÉRÉO! ÏPE, 
D'iprài le procédé deFirminDiDOT. 



APAKIS, 

OEL'lHPItlMIIIII IT DE LA FOBDEUI ftittK<mm 

ME FiiiiBt DIDOT l'aIké , n DE fravur DIUOT. 



. / 



* ' t 
/ 






* * 






.. -»*»^ 



r' 



DE L ESPi 

DES LO 

LIVRE TRENTIE 

THEORIE DES LOIS FEODALES CHEZ LES FMAlTCS^ 

LE RAPPORT QU*ELLES OITT AVEC l'ÉTABUSSEMEITT 
SE LA MOITÀRCHIE. 




CHAPITRE PREMIER. 

Des lois féodales. 

J S croiroîs qa'il y auroît une imperfection 
dans mon ouvrage si je passois sous silence 
un éTènement arrivé une fois dans le monde , 
et 'pii n'arrivera peut-être jamais ; si je ne 
pa *lois de ces lois que Ton vit paroitre en un 
moment dans toute TEurope, sans qu'elles 
tinssent à celles que Ton avoit jusqu'alors con- 
nues ; de ces lois qui ont fait des biens et des 
maux infinis; qui ont laissé des droits quand 
on a cédé le domaine; qui , en donnant à plu- 
sieurs personnes divers genres de seigneurie 
sur la même chose ou sur lés mêmes person- 
nes, ont diminué le poids de la seigneurie 
entière; qui ont posé diverses limites dans des 
empires trop étendus ; qui ont produit la règle 



€ BE ^'esprit des lois. 

avec fCne inclinaison à Tanarcliie, et Tanarchie 
avec une tendance à Tordre et à Tharmonie. 

Ceci demai\dtfroit un ouvrage exprès ; mais , 
vu la nature de celui-ci , on y trouvera plutôt 
ce^ lois comn^ je lés ai envisagées que comme 
je les ai traitées. 

C'est un beau spectacle que celui des loit 
féodales; un chêne antique s'élève (i); l'œil en 
i^oît de loin les feuillages; il approche, il en 
voit la tige ; mais il n'en apperçoit point les ra- 
cines : il faut percer la terre pour les trouver. 

CÙAPITRE IL 

Des sources des lois féodales. 

Les peuples qui conquirent l'empire ro- 
main étoient sortis de la Germanie. Quoique 
peu d'auteurs anciens nous aient décrit leurs 
mœurs, nous en avons deux qui sont' d'un 
très grand poids. César, faisant la guerre aux 
Germains , décrit les mœurs des Germains (a); 
et c'est sur ces mœurs qu'il a réglé quelques 
unes de ses entreprises (3). Quelques pages de 
César sur cette matière sont des volumes. 

Tatite fait un ouvrage exprès sur les mœurs 
des Germains. Il est court cet ouvrage ;*mais 

(i) ; Quantum Tertice ad auTM 

ActLberéas, tantùm radiée in tartara tendit. 

YlEOILS. 

--(a) Liv. 'VI.— (3) Par exemple, sa retraite d*AlI^ 
luagne. luit/. 



IITAE XXX, GHÀP. II. 7 

c-est l'ouvrage de Tacite, qui abrégéoit tout « 
parcequ'il voyoit tout. 

Ces deux^ auteurs se trouvent dans un tel 
concert avec les codes des lois des peuples bar- 
bores que nous avons, qu'en Usant César et 
Tacite on trouve par-tout ces codes , et qu'en 
lisant ces codes on trouve par-tout César et 
Tacite. 

Que si, dans la recherche des lois féodales , 
je me vois dans un labyrinthe obscur , plein 
de routes et de détours , je crois que je tiens le 
bout du fil , et que je puis: marcbÂr^ 

CHAPITRE III. 

Origio^ du vassebge. 

« OiiSÀjL (i) dit que les Grennains ne s'at- 
« tachoiept point à l'agriculture , que la plun 
« part vivoient de lait , de fromage et de chair ; 
c que personne n'avoit de lerres ni de Unîtes 
« qui lui fussent propres ; que les princes et les 
« magistrats de chaque nation doniipient aux 
« particuliers la portion de terres qu'ils vou- 
a loient et dans le lieu qu'ils vouloient, et les 
« obligeoient l'année suivante de passer ail- 
<t leurs. » Tacite dit (a) « que chaque prince 
a avoit une troupe de gens qui s'attachoient à 
« lui et le suivoient. » Cet auteur, qui dans sa 

( i) Liv. YI de la Gaerre det Gaule». Tacite ajoute : 
liciUi domos, amager, ant aliqna cora ^ prout ad 
qnemque venere aluntur. De moribos Gcrm.— (a) là» 



^ DE L^ESFRIT DES tdIS. 

IfOigae leur donne un nom qui. a du rapport 
avec leur état, les nomme (i) compagnons. 
Il y avoil entre eux une émulation (2) singu- 
lière pour obtenir quelque distinction auprès 
du prince , et une même émulation entre les 
princes sur le nombre et la bravoure de leurs 
compagnons. « C'est, ajoute Tacite , la dignité, 
«c'est la puissance d'être toujours^ entouré 
« d'une foule de jeunes gens que Ton a choisis , 
« c'est un ornement dans la paix , c'est un rem- 
it part dans la guerre. On se rend célèbre dans 
« sa nation et chez les peuples voisins si l'on sur- 
it passe les autres par le nombre et le courage 
«t de ses compagnons : on reçoit des présents; 
« les ambassades viennent de toutes parts. 
«t Souvent la réputation décide de la guerre. 
« Dans le combat il est honteux aU prince 
« d'être inférieur en courage ; il est honteux à 
« la troupe de ne point égaler la valeur du 
«prince; c'est une infamie éternelle de lui 
« avoir survécu. L'engagement le plus sacré , 
/ ^ c'est de le défendre. Si une cité est en paix , 
« les princes vont chez celles qui font la guerre; 
« c'est par-là qu'ils conservent un grand nom- 
« bre d'amis. Ceix-ci reçoivent d'eux le cheval 
« du combat et lejavelot terrible. Les repaspeu 
« délicats , mais grands , sont une espèce de 
« solde pour eux. Le prince ne soutient ses 
« libéralités que par les guerres et les rapines. 
n Vous leur persuaderiez bien moins delaboa- 

(i) Comités. — (a) De moribns Germ. 



.LITES XXX, CKÀP. IIU g 

c rer la terre et d'attendre l'année , que d'ap<- 
« peler l'ennemi etdereeevoir des blessures; 
« ils n'acquerront pas par la sueur ce qu'ils 
a peurent obtenir par le sang. » 

Ainsi chez les Germains il y avoit des Tas- 
saiix et non pas des fi^s ; il n'y avoit point de 
fiefs, parceque les princes n'avoient point de 
terres à donner ; ou plutôt les fiefs étoient des 
chevaux de bataille , des armes , des repas. Il 
y avoit des vassaux , parcequ'il y avoit des 
hommes fidèles qui étoient liés par leur pa- 
role , qui étoient engagés pour la guerre , et 
qui faisoient à peu près le même service que 
l'on fit depuis pour les fiefs. 

CHAPITRE IV. 
Continuation da même sujet. 

CiiÊSÀK (i) dit que, « quand un des princes 
« déclaroit à l'assemblée qu'il avoit formé le 
« projet de quelque expédition et demandoit 
«qu'on le suivit, ceux qui approuvoieut le 
« chef et l'entreprise se levoient et offroient 
« leur secours. Ils étoient loués par la multi- 
« tûde. Mais, s'ils ne rempiinoient pas leurs 
« engagements , ils perdoient la confiance pu- 
«blique, et on les regardoit comme des dé- 
« scrteurs et dos traîtres. » 

Ce que dit ici César et ce que nous avons 

_^— ^-^— — ^— — ^^— — ^ 

(i) De bello OaUico , liv. \l. 

F.8PII. DES 1.0IS. 5. 2 



zo >>s l'esprit des lois. 

dit dans le chapitre précédent après Tacite est 

le germe de l'histoire de la première race. 

Il ne faut pas être étonné qae les rois aient 
toujours eu à chaque expédition de nouTelles 
armées à refaire , d'autres troupes à persua- 
der, de nouYclles gens à engager; qu'il ait 
fallu pour acquérir beaucoup qu'ils répan- 
diiisent beaucoup; qu'ils acquissent sans cesse 
par le partage des terres et des dépouilles , et 
qu'ils donnassent sans cesse ces terres et ces 
dépouilles; ^e leur -domaine grossît conti- 
nullement, et qu'il diminuât sans cesse ; qu'un 
père qui donnoit à un (de ses enfants un royau- 
me y joignît toujours Un trésor ( i) ; que le.trë- 
tor du roi fut regardé comme nécessaire à la 
monarchie; et qu'iin roi (a) ne pût, même 
pour la dot de sa fille , en faire part aux étran- 
gers sans le consentement des autres rois. La 
monarchie avoit son allure par des ressorts 
qu'il falloit toujours remonter. 

CHAPITRE V. 

De la conquête des Franci. 
Il n'est pas ▼rai.que les Francs , entrant dans 

(i) Voyez la Vie de Dagobcrt.— (a) Voyez Gré- 
goire de Tours , liv. VJ , sur le mariage de la fille de 
Ghilpéric. Childebert lui envoie dea ambassadeurs 
pour lui dire qu'il n*ait point à donner deg-nlles dii 
royaume de son père à sa fille, ni de ses trésors, ni 
des serfs, ni des eheiraux, ni des cavaliers, ni de» 
nitelages de bccnfs , etc. 



LITRE XXX, CSÀP. T. II 

la Gaule , aient occupé toutes les terres du 
pajs pour en faire des fiefs. Quelques gens ont 
pensé ainsi parcec[u*ils ont vu sur la fin de la 
seconde race presque toutes les terres deve- 
nues des fiefs , des arriere-fiefs , on des dépen- 
dances de l'un ou de l'antre ; mais cela a en des* 
causes particulières qu'on expliquera dans la 
suite, t 

" La conséquence qu'on envoudroit tirer que 
les barbares firent un règlement général pour 
établir par-tout la servitude de la glèbe n'est 
pas moins fausse que le principe. Si , dans un 
temps où les fiefs étoient amovibles , toutes les 
terres du royaume avoient été des îiitH ou des 
dépendances des fiefs ^et tous les hommes du 
royaume des vassaux ou des serfs qui dépen- 
doient d'eux ; comme celui qui a les biens a 
toHJonrs aussi la puissance , le roi, qui aurôit 
diiEposé continuellement des fiefs , c'est-à-dire 
dei'u^ique propriété , auroit eu une puissance 
aussi arbitraire que celle du sultan l'est en 
Turquie; ce qui renverse toute l'histoire. ' 

CHAPITRE VI. 
Des Gollis, des Bourguignons, et des Francs. 

LiES Gaules furent envahies par les nations 
germaines. Les Wisigoths occupèrent la Nar- 




le reste. 



14 DB L*ESP&IT DES LOIS. 

Il ne £9Lut pas douter que ces barbares n'aient 
conservé dans leurs concpétes les mœurs, les 
inclinations et les usages qu'ils avoient dans 
leur pays , parcequ'une nation ne change pas 
dans un instant de manière de penser et d'a- 
gir. Ces peuples , dans la Germanie , culti- 
voient peu les terres. Il paroît, par Tacite et 
César, qu'ils s'appliquoîent beaucoup à la vie 
pastorale ; aussi les dispositions des codes des 
lois des barbares roulent-elles presque toutes 
sur les troupeaux. Roricon , qui écrivoitlTiis- 
toire chez les E^rancs , étoit pasteur. 

CHAPITRE VII. 

Différentes manières de partager les terres. 

JjES Goths et les Bourguignons ayant pé- 
nétré sous divers prétextes dans l'intérieur 
de l'empire, les Romains, pour arrêter leurs 
dévastations , furent obligés de pourvoir àleur 
subsistance. D'abord ils leur donnoient du 
bled (i ; dans la suite ils aimèrent mieux leur 
donner dés terres. Les empereurs , ou sous 
leur nom les magistrats romains (2), firent 
des conventions avec eux sur le partage du 
pays, comme on le voit dans les chroniques et 



(i) Voyez Zozinie, liv. V, sur la distribution da 
hlcd demandée par Alaric. — (2) Bnrgnadiones par- 
tem Galliae ocrnpaverant, terrasqne cam Gallicis 
senatoribos diviserunt. Chronique do Marins sur 
Tan 456. 



fmmmt 



Z.XTRE XXX, CHÀP. YII« 1^ 

dans les codes des Wisigoths (i) et des Bour- 
guignons (a). 

Les Francs ne saÎTirent pas le même plan* 
On ne trouve dans les lois saliques etripuaires 
aucune trace d'un tel partage ae terres : ils 
ayoient conquis , ils prirent ce qu'ils voulu- 
rent , et ne firent de règlements qu'entre eux. 

Distinguons donc le procédé des Bourgid- 
gnons et des Wisigoths dans la Gaule, celui de 
ces mêmes Wisigoths en Espagne , des soldats 
auxiliaires (3) sous Augustule et Odoacre en 
Italie, d'avec celui des Francs dans les Gaules 
et des Vandales e;a Afrique (4). Les premiers 
firent des conventions avec les anciens liabi- 
tants , et en conséquence un par.tage.de terres 
avec eux; les seconds ne firent rien de tout 
^a. 

CHAPITRE VIII. 

ContiniiatioKi da m^me sujet. 

Oe qui donne l'idée à'une grande usurpa- 
tion des terres des Romains par les barbares ^ 
c'est qu'on trouve , dans les lois des Wisigoths 
et des Bourguignons^ que ces deux peuples 
eurent les deux tiers des terres : mais ces deux 

(i) Liv. X, tit. I, §.8, 9, et 16.— (a) Ch.LIV, 
$. I et-a ; et ce partage subsistoit du tempe de Louis- 
le-DéboDnaire , comme il paroît par son capitulairc 
de Tan 839, qui a été inséré dans la loi des Bour- 
guignons, tit. LXXIX, S- »•— (3) Voyes Procope» 
^aerre des Gotbs. — U) Guerre des Vandales. 

a. 



x4 DIS l'esprit des lois. 

tiers ne furent pris que dans de certains quar- 
tiers qu'on leur assigna. 

Gondebaud dit (i) , dans la loi des Bourgui- 
gnons y que son peuple , dans son établisse- 
ment, reçut les deux tiers des terres; et il est 
dit dans le second supplément à* cette loi (2) 
qu'on n'en donneroit plus que la moitié à ceux 
qui viendroient dans le pays. Toutes les terres 
n'avoient donc pas d'abord été partagées entre 
les Romains et les Bourguignons. 

On trouve dans les textes de ces deux règle- 
ments les mêmes expressions ; ils s'expliquent 
donc l'un et l'autre. Et , comme on ne peut pas 
entendre le second d'un partage universel des 
terres, on ne peut pas non plus donner cette 
signification au premier. 

Les Francs agirent avec la même modéra- 
tion que les Bourguignons ; ils ne dépouillèrent 
pas les Romains dans toute l'étendue de leurs 
conquêtes. Qu'auroient-ils îuàt de tant de ter- 
res? Ils prirent -celles qui leur convinrent , et 
laissèrent le reste. 



(i) Licet eo tempore qno populns noster manci- 
pioram tertiam çt diias terrarom partes accepit, etc. 
Loi des Bourguignons , tit. LFV, $. i.— (a) Ut non 
amplius a Burgundionibns qui infràvenerunf reqtd- 
ratnr quàm ad prsesens nécessitas fnerit ^ medietaS 
lerrae. Art. ii. 



I.ITEX XXX, CHAP. IX. l5 

CHAPITRE IX. 

Snalte application de la loi des Bonrgnignons et dtt 
celle des Wisigotlis sur le partage des terres. 

Il faut considérer que ces partages ne furent 
point faits par un esprit tyrannique , mais dans 
ridée de subvenir aux besoins mutuels des 
deux peuples qui dévoient hal^r le même 
pays. 

La loi des Bourguignons veut que chaque 
Bourguignon soit reçu en qualité d'hôte chez 
un Romain. Cela est conforme aux mœurs 
des Germains , qui , au rapport de Tacite (i), 
étoient le peuple delà terre qui aimoit le plus 
a exercer Thospitalité. 

La loi veut que le Bourguignon ait les deux 
tiers des terres , et le tiers des serfs. Elle sui- 
voit le génie des deux peuples , et se confor- 
jDioit à la manière dont ils se procuroient la 
subsistance. Le Bourguignon qui faisoit paitre 
des troupeaux avoit besoin de beaucoup de 
terres et de peu de serfs ; et le grand travail de 
la culture de la terre exigeoit que le Romain 
eût moins de glèbe , et un plus grand nombre 
de serfs. Les bob étoient partagés par moitié, 
parceque les besoins à cet égard étoient les 
mêmes. 

On voit dans le code des Bourguignons (a) 

(i) De moribas Germ. — (2) Et dans celui des Wi^ 
■if;oths. 



t6 DE l'esprit des lois* 

que chaque barbare fut placé chez chaque Ro« 
main. Le partage ne fut donc pas général : 
mais le nombre des Romains qui donnèrent le 
partage fut égal à celui des Bourguignons qui 
le recurent. Le Romain fut lésé le moins qu'il 
fat passible : le Bourguignon, guerrier, chas- 
seur et pasteur, ne dédaignoit pas de prendre 
des friches; le Romain gardoit les terres les 
plus propres à la ^culture: les troupeaux du 
Bourguignon engraissoient le champ du Ro- 
main. 

,, CHAPITRE X. 

Des servitades. 

Il est dit (i) dans la loi des Bourguignons 
qne, quand ces peuples s'établirent dans les 
Gaides , ils reçurent les deux tiers des terres 
et le tiers des serfs. La servitude de la glèbe 
étoit donc établie dans cette partie delà Gaule 
avant l'entrée des Bourguignons (a). 

La loi des Bourguignons , statuant sur le$ 
deux nations , distingue (i) formellement dans 
l'une et dans l'autre les nobles , les ingénus , et 
les serfs. La servitude n'étoit donc point ime 
chose particulière aux Romains , ni la liberté 

(i) Tit. LIV. — (a) Cela est confirmé par tout le 
titre da code de agricoUs et censitisj^colonis, — 
(3) Si dentem optimati Bargnndioni vel Romano 
nobili excnsserit, tit. "XXVI, J. i ; et si mcdiocri- 
bns personis ingennis, tam Bnrgandionibas qnàm 
liomaiiis. Ibid. %. 2. 



LIVRE XtX, CMAP. X. If 

et la noblesse une chose particulière aux bar- 
bares. 

Cette même loi dit que (i) , si un affranchi 
bourguignon n'avoit point donné une certaine 
^omme à son maître ni reçu uàe portion tierce 
d'un Romain , il ëtoit toujours censé de la fa- 
mille de son maître. Le Romain propriétaire 
étoit donc libre , puisqu'il n*étoit point dans 
la famille d'un autre; il étoit libre, puisque sa 
portion tierce étoit un signe de liberté. 

Il n'y a qu'à ouvrir les lois saliques et rî- 
puaires , poiir voir que les Romains ne vivoieni 
pas plus dans la servitude chez les Francs que 
chez les autres conquérants de la Gaule. 

M. le comte de Boulainvilliers a manqué 
le point capital de son système : il n'a point 
prouvé que les Francs aient fait un règlement 
général qui mît les Romains dans une espèce 
de servitude. 

Comme son ouvrçge est écrit sans aucun 
art , et qu'il y parle avec cette simplicité, cette 
franchise et cette ingénuité de l'ancienne no- 
blesse dont il est sorti, tout le monde est ca- 
pable de juger et des belles choses qu'il dit et 
des erreurs dans lesquelles il tombe. Ainsi je 
ne l'examinerai point ; je dirai seulement qu'il 
avoit plus d'esprit que de lumières , plus de 
lumières que de savoir; mais ce savoir n'étoit 
point méprisable, parceque de notre histoire 



(i)Tit.LVII. 



i8 »E l'espr^t^pes rois. 

et de nos lois il savoit très bien les grandes 
choses. 

M. le comte de BotilainyiUiers et M. l'abbé 
Dubos ont fait chacnn un système, dont Vnn 
semble être une conjuration contre le tiers-ëtat, 
et l'antre une conjuration contre la noblesse* 
Lorsque le Soleil donna à Phaéton son char à 
conduire, il lui dit: « Si yous montez trop 
« haut , TOUS brûlerez la demeure céleste ; si 
« vous descendez trop bas , tous réduirez en 
« cendres la terre: n'allez point trop. à droite , 
<( TOUS tomberiez dans la constellation du Ser- 
« peut; n'allez point trop- à gauche, tous iriez 
« dans celle de l'Autel : tenez-TOUS entre les 
« deux (i). » 

CHAPITRE XI. 

,Continiiation àa même sujet. 

Cl E.quira donné l'idée d'un règlement général 
fait dans le temps de la conquête , c'est qu'on a 
TU en France un prodigieux nombre de serTi- 
tudes Ters le commencement de la troisième 
race; et , comme on ne s'est pas apperçu de la 
progression continuelle qui se fit de ces servi- 

( I ) Nec preme, nec sammom môlire per aethera currum. 
Altiàs egressus , cœleKtia tecta cremabis ; 
Inferiùs , terras : medio tntissimas ibis. 
I9e« te dextcrior tortum declinet ad Angoem , 
Nere sinUterior pressam rota ducat ad Aram : 
Inter utmmque tene Ovn>. Métam. 1* H. 



LIVRE XXX^ CHÀP. XI. I9 

tudes , on a imaginé dans un temps obscur une 
loi générale qui ne fut jamais. 

Dans le commencement de la première race , 
onvoit un nombre infini dliommes libres , soit 
parmi les Francs , soit parmi les Romains : 
mais le nombre des serfs augmenta tellem^it , 
qu'au commencement de la troisième tous les 
laboureurs et presque tous les 'habitants des 
villes se trouvèrent serfs (j): et au lieu que, 
dans le commencement delà première, il y 
avoit dans les villes à peu près la même admi- 
nistration que che^ les Romains , des corps de 
bourgeoisie, un sénat, des cours de judica- 
ture ; on. ne trouve guère , vers le commence- 
ment de la troisième , qu'un seigneur et des 
serfs. - 

Lorsque les Francs, les Bour^gnons et les 
Goths , faisoient leurs invasions , ils prenoient 
l'or, l'argent, les meubles, les vêtements, les 
hommes , les femmes , les garçons , dont l'arr- 
mée pouvoit se charger ; le tout se rapportoit 
en commun, et l'armée le pàrtageoit (a). Le 
corps entier de l'histoire prouve qu'après le 
premier établissement , c'est-à-diré après les 
premiers ravages, ils reçurent à composition 
les habitants , et leur laissèrent tous leurs 

(x) Pendant qne lu Ganle étoit sous la domination 
des Romains , ils formoient des corps particuliers : 
c'étoient ordinairement des affranchis on descen- 
dants d'affranchis. — (a) Toyes Grégoire de Tonrs , 
Uv. n, ch. XXVII j iimoin, lir. I, ch. XIl. 



ao Ds i^'xspmiT des lois. 

droits politiques et civils. C'étoit le droit det 
gens de ces temps-là : on enlevoit tout dans lâ 
^erre , on accordoit tout dans la paix. Si cela 
n'avoit pas été ainsi , comment trouverions'^ 
nous dans les lois saliques et bourguignones 
jtant de dispositions contradictoires à la servi- 
tude générale des hommes ? 

Mais ce que la conquête ne fit pas , le même 
4roit des gens (i), qui subsista après la con«- 
quête, le fit. La résistance , la révolte , la prise 
des villes , emportoient avec elles la servitude 
des habitants : et comme , outre les guerres 
que les différentes nations conquérantes firent 
entre elles , il y eut cela de particulier chez les 
Francs , que les divers partages de la monar- 
chie firent naître sans cesse des. guerres civiles 
entre les frères ou neveux ^ dans lesquelles ce 
droit des gens fut toujours pratiqué , les ser- 
vitudes devinrent plus générales en France 
que dans les autres pays; et c'est, je crois, 
une des causes de la différence qui est entre 
nos lois françaises et celles d'Italie et d'£s- 
pagne , sur les droits des seigneurs. 

La conquête ne fut que l'affaire d'un mo- 
ment: et le droit des gens que l'on y employa 
produisit quelcjues servitudes. L'usage du 
même droit des gens , pendant plusieurs siè- 
cles , fit que les servitudes s'étendirent prodi- 
gieusement. 



(i) Voyez, les Yion des saints citées ci^prè», 
p. aï*. 



IITEX XXX* GHA». XI» 91 

Thenderic (i), croyant que les peuplés 
d'Auvergne ne lui étoient pas fid;des i dit aux 
Francs de son partage : « Suiyec-moi, je vous 
« mènerai dans un pays où tous aurez de l'or, 
«de l'argent, des captifs « desTètements^ des 
« troupeaux en aliondanee; et tous en trans^ 
« férerez tous les hommes dans Totre pays, n ^ 

Après la paix (2) qui se fit entre Gontraâ 
et GhilpériC) ceux qui assiégeoient Bourges 
ayant eu ordre de l*eTenir) ils amenèrent tant 
de butin qu'ils ne laissèrent presque dans la 
pays ni hommes ni troupeaux» 

Théodoric, roi d'Italie ^ dont Tesprit et la 
politique étoient de se distinguer toujours des 
autres roisbarbares , euToyant sonarméedans 
la Gaule , écrit au général (3) : « Je Teux qu'on 
« suive les lois romaines 9 et que tous rendiez 
« les esclaves fugitifs à leurs maîtres : le dé£en->^ 
a seur de la liberté ne doit point faToriser l'a-^ 
«bandon de la senritude. Que-ks autres rois. 
« se plaisent dans le pillage et la ruine des villei 
«qu'ils ont prises: nous TOulons Taincre de 
<i manière que nos sujets se plaignent d'avoir 
«c ac€[uis trop tard la sujétion^ » Il est clair 
qu'il vouloit rendre odieux les rois des Francs 
et des Bourguignons , et qu'il faisoit allusion 
à leur droit des gens. 

Ce droit subsista daiis la seconde face. L'àr^ 
mée de Pépin ^ étant entrée en Aqtdtaine , re* 

( i) Grégoire de Toiirs , Ht. m.— (a) Bid. Ht. VI^ 
«h. XXXI.— (3) Lett. 43 , Ut. III * dahs Cassiodorc. 
ispn. fi^s T.oi8é 5. ^ 



vint en France chargée d'un nombre infini 
de dépouilles et de serfs, disent les annales de 
Metz(i). 

Je pourrois citer des autorités (2) sans nom* 
bre. Et comme dans ces malheurs les entrailles 
de la charité s'émurent ; comme plusieurs saints 
évéqnes, voyant les captifs attachés deux à 
deux , employèrent l'argent des églises et ven- 
direntméme les vases sacrés ])our en racheter 
ce qu'ils purent ; que de saints moines s'y em- 
ployèrent (3); c'est dans les vies des saints que 
l'on trouve les phis grands éclaircissements 
sur cette matière. Quoiqu'on puisse reprocher 
aux auteurs de ces vies d'avoir été quelquefois 
un peu trop crédules sur des choses que Dieu 
a certainement faites si elles ont été dans l'or- 
dre de ses desseins, on ne laisse pas d'en tirer 
de grandes lumières sur les mœurs et les usa- 
ges de ces temps-là. 

Quand on jette les yeux sur les monuments 
de notre histoire et de nos lois, il semble que 
tout est mer, et que les rivages mêmes man- 

(i) Sur Tan 763. Innninerabilibtis spoliis et cap- 
tivis totas illeexercitos ditatas in Franciam reversas 
est. — (a) Annales de Fulde, année 739; Paul, diacre, 
Je gestis Longobardorum , liv. III, ch. XXX; et 
liv. ly, ch. I ; et les Vies des saints citées à la note 
suivante. — (3) Voyez les Vies de saint Epiphane, de 
saint Ëptadius , de saint Césaire , de saint Fidole , 
de saint Porcien, de saint Trévérins , de saiot Eusi- 
chios , et de saint Léger \ les miracles d« saint Julien» 



XIVaE XXX, CHAP. XI. i3 

quent à la mer (i). Tous ces écrits, froids, 
secs , insipides et durs , il fkut les lire , il faut 
les dévorer , comme la fable dit que Saturne 
dévoroit les pierres. 

Une infinité de terres que les hommes libres 
faisoient valoir ( 2 ) se changèrent en main- 
mortàbles : quand un pays se trouva privé 
des hommes libres qui Thabitoient ,' ceux qui 
avoient beaucoup de serfs prirent ou se firent 
céder de grands territoires , et y bâtirent des 
villages , comme on le voit dans diverses Char- 
tres. D*un autre côté , les hommes libres qui 
cultivoient les arts se trouvèrent être des serfs 
qui dévoient les exercer : les servitudes ren- 
doient aux arts et au labourage ce qu*on leur 
avoit ôté. 

Ce fut une chose usitée que les propriétaires 
des terres les donnèrent aux églises pour les 
tenir eux-mêmes à cens , croyant particîperpar 
leur servitude à la sainteté des églises. 

CHAPITRE XII. ' 

Que les terres du partage des harbares ne payoîent 

point de tribats. 

Jj E s peuples simples , pauvres , libres , guer- 
riers , pasteurs , qui vivoient sans industrie et 

(i) Deerant quoque littora ponto. 

Otid. Hv. Î. 
—(a) Les colons même n'étoient pas tous serfs: 
VoyeR les lois XVIIl et XX III , au code tie apicoUs 
et censitis et colan is ; et la yingticme du même titre. 



ai pu l'ebprit des lois. 

ne tenoxent à leurs terres que par des cases de 
jonc (1)9 suÎToient des chefs pour faire du bu- 
tin , et non pas pour payer ou lever des tributs. 
L'art de la maltôte est toujours inventé après 
coup et lorsque les hommes commencent à 
jouir de la félicité des autres arts. 

Le tribut(a) passager d'une cruche de vin 
par arpent ^ qui lut une des vexatèonsde Chil« 
péric et de Frédégomle^jieconcernaque lesïlo- 
mains* En effet , ce ne ftirent pas les Francs qui 
déchirèrent les rôles de ces taxes, mais les ecclé- 
siastiques , qui) dans. ces temps-là , étoient tous 
Romains (3), Ce tribut affligea principalement 
les habitants des villes (4) ; or les villes étoient 
presque toutes habitées pair des Romains. 

Grégoire de Tours (5) dit qu'un certain juge 
fut obligé y après la mort de Chilpéric , de se 
' réfugier dans une ég^se , pour avoir , sous le 
regnede ce prince,, assujetti à des tributs des 
Francs qui^ du .temps de Childebert , étoient 
ingénus. Multos de Francis^ qui^ tempère 
Childeherti régis ^ ingénia fnerant^piwlîco 
irihuto subegit. Les Francs qui n'étoient point 

serfs ne payoient donc point de tributs. 

1 '■ — I ■ ■ - , - — ■ 

(ï) Voycï Grégoire de Toars , liv. II. — (a) Ibid. 
Uv. V, — (3) Cela paroit par toute rhi3toire de Grë- 
|[oire de Toum Le même Grégoire demande à tut 
certain TalEliacus comment il aroit pn parvenir k 
là cléricature, lui qui étoit Lombard d'origine. Gré- 
goire cle l'ours, liv.- VIE. — (4) Qu» conditio nni- 
versis nrbibns per Galliam constitutis snromoperii 
est adhibita.^Tie de saint Aridius,— (5) I-ir. m^ 



X.IVmE XXXy GHÀP. XtT. i5 

n n'y a point de grammairien qui ne pâlisse 
en voyant comment ce passage a été interprété 
parM.rabbéDabos(i). U remarque que, dans 
ces temps-là , les affranchis étoient aussi appe- 
lés ingénus. Sur cela il interprète le mot latin 
tngenui par ces mots , affranchis de tributs : 
expression dont on peut se servir dans la lan- 
gue français, comme on dit affranchis de 
soins , affranchis de peines ; mais dans la 
langue latine , tngenui a trihutis , lihertinia 
tributis^ 7nanuniissiùributonan^^TO\exiXàt% 
expressions monstrueuses. 

Parthenius , dit Grégoire de Tours ( 2 ) , 
pensa être mis à mort par les Francs pour leur 
avoir imposé des tributs. M. l'abbé Dubos (3) , 
pressé par ce passage , suppose frpidement ce 
qui est en question; c*étoit, dit -il, une sur- 
charge. 

On voit dans la loi des Wisigoths ( 4 ) que , 
quand un barbare occupoit le fonds d'un Ro- 
main , le juge Tobligeoit de le vendre , pour 
que ce fonds continuât à être tributaire : les 
barbares ne payoient donc point de tributs sur 
les terres (5). 

( i) Etablissement db U montrehie française , tome 
m, ch. XIV, p. 5i5.--(a) Lit. UI, ch. ixXVI — 
(3) Tome III, p. 5i4. — (4) Jodices atque pweposilî 
terras RomaDorom, ab illis qni occapatas tenent, 
aoferant ; et Romaoia sna exactione sioe aliqna di« 
latione restituant, nt nihil û%po debeat deperire. 
lir. X, lit. I, chap. XIV— (5) Les Vandales n em 
payoient point en Afrique. Procope, Guerre d^ 

3. 



!à6 DE l'ssfait des lois. 

BI. l'abbé Duboi (i)9qtti avoit besoin que les 
Wisigoths payassent des (a) tributs, quitte le 
aeiis littéral et spirituel de la. loi , et imagine , 
uniquement parcequ^il imagine, qu'il y avoit 
jçfi entre l'établissement des Goths et cette loi 
une au^fmentation de tributs qui ne conçemoit 
que les Romains. Mais il n'est permis qu'au 
Vf Hardouîn d^exercer ainsi sur les ûdts un 
pouvoir arbitraire. 

M4 l'abbé Dubos va c)iercber'{ 3) îlans le 
code de J[ustinien ( 4 ) diîs lois pour prouver 
c{ue les bénéfices miUtaiii'es , chC7. les Romains , 
étoient sujets aux tributs : d'o ji il cpsticlut qu'il 
en étoit de même des fiefs ou bénéfices chez 
les Francs. lUais l'opiiiion que nos fiefs tirent 
leur origine de cet ét^blbsement des Romains 
est aujourd'liui proscrite : elle n'a eu de qrédit 
que dans les temps où l'on coimoissojlt l'hisr 
toire romaine et très peu la notre , et où nos 
monuments smciens étoient ensevelis dans la 
poussière.' 

Ajr. l'abbé Dubos a tort de citer Cassîodc^ « 

Vandales , 1. 1 et II ; Vi^storia miscella, 1. XVI, p. 
X06. Remarquez qae les conqnérants de TAfriqne 
étcHent un composé de TaRdales , d*Alauu , et d« 
Francs. HistorU miscella, liv. XXV, p. 94. — (i) Eta- 
blissement dtB Francs dans les Gaules, tome III, 
ch. Xiy^p. Sio.— (n) II. s*appnie snr une antre loi 
des Wisigoths , liv. X , Cit. I , art. x i , qni ne prouve 
al>solnment rien : elle dit seulement que ethd qni a 
reçu d*an seigneur nue lerre sous condition d*nne 

vedevance doit la payer (3) TomeUI, p^ 5xi. — • 

(4) Leg. m, ti^ UXIY, lib. XI. 



LIVKX XXX, CHÂF. XII. 27 

et d'employer ce qui se passoit en Italie et dans 
la partie de la Gaule soumise à Théodoric , 
pour nous apprendre ce qui étoit en usage chex 
les Francs ; ce sont des choses qu'il ne faut 
point confondre. Je ferai voir quelque jour, 
dans un ouvrage particulier , que le plan de la 
monarchie des Ostrogoths étoit entièrement 
différent du plan de toutes celles qui furent 
fondées dans ces temps-là par les autres peu- 
ples barbares ; et que , bien loin qu'on puisse 
dire qu'une chose étoit en usage chez les Francs 
]>arcequ'êlle Tétoit chez les Ostrogoths , on a au 
contraire un juste sujet de penser qu'une chose 
qui se pratiquoit chez les Ostrogoth:s ne se pra- 
tiquoit pas chez les Francs. 

Ce qui coûte le plus à ceux dont l'esprit 
ûoite dans une vaste éru(tition , c'est de cher- 
cher leurs preuves là où elles ne sont point 
étrangères au sujet , et de^trouver , pour parler 
comme les astronomes » le lieu du soleil. 
' M. l'abbé Dubos abuse des capitulaires com- 
me de rhistoire et des lois des peuples barba- 
res. Quand il veut.que les Francs aient payé 
des tributs, il applique à des hommes libres 
ce qui ne peut être entendu que des serfs ( i ) ; 
quand il veut parler de leur milice , il applique 
à des ( 2 ) serfs ce qui ne pouvoit concerner que 

des hommes libres. 

I ^ 

(i) KtabliMement de la monarchie française, tome 
jn, ch. XlV, p. 5x3 , où il cite l'art. a« de ledit 
de Pistes. Voyez ci-après le ch. XVUI. — (a) I^t'd. 
tome III, ch. rv, p. 298.: 



28 DE l'esprit des LOIS. 

CHAPITRE Xlil. 

Quelles étoient les charges des Romains et ctec 
Gaulois dans la monarchie des Francs. 

J E pourrois examiner si les Gaulois et les Ro* 
mains vaincus continuèrent de payer les char- 
ges auxcpielles ils étoient assujettis sous les em- 
pereurs. Mais , pour aller plus vite , je me con- 
-tenterai de dire que , s'ils les payèrent d'abord , 
ils en furent bientôt exemptés , et que ces tri- 
buts furent changés en un service militaire ; 
et 3*avoue que je ne conçois guère comment 
les Francs auroient été d'abord si amis de la 
maltôte , et en auroient paru tout à coup si 
«loignés. 

Un capitulaire ( i ) de Louîs-le-D^bonnaîre 
nous explique très bien l'état où étoient les 
hommes libres dans la monarchie des Francs. 
Quelques bandes (a) de Goths ou d'Ibères, 
fuyant l'oppression des Maures , furent reçus 
dans les terres de Louis. La convention qui fut 
faite avec eux porte que , comme les autres 
hommes libres , ils iroient à l'armée avec leur 
comte 5 que , dans la marche (3) , ils feroient la 

garde et les patrouilles sous les ordres du 

_ _■■ ■ i . 

(i) De Fan èi5, chap. I. Ce qui est conforme an 
capitulaire de Charles-le-ChauTe , de Tan 844, art. 
1 et a. — (a) Pro Hispanis in partibus Aquitaniae, 
Septimaniœ , et Provinciae consistentibus« Ibid. — 
(3) Ëxcobias et explora tionesquaswactas dicvnt. 1^. 



Z.IYRE XXX, CHÀF. XIII. BQ 

Blême comte , et qu'ils donneroient aux en* 
yojés du roi (i) et aux ambassadeurs qui par^ 
tiroient de sa coipr ou iroient vers lui , des che- 
vaux et des chariots pour les voitures ; que 
d*ailleurs ils ne pourroient être contraints à 
payer d'autres cens , et qu'ils seroient traités 
comme les autres honuneslibres. 

On ne peut pas dire que ce fussent de nou- 
veaux usages introduits dans le commence- 
ment de la seconde race ; cela devoit appar- 
tenir au moins au milieu ou à la fin de la pre^ 
miere. Un capitulaire de (a) Tan B64 dit ex- 
pressément que c'étoit une coutume ancienne 
que les hommes libres fissent le service mili- 
taire , et payassent de plus, les chevaux et les 
voitures dont nous avons parlé ; charges qui 
leur étoient particulières , et dont ceux qui 
possédoient les fiefs étoient exempts , comme 
je le prouverai dans la suite. 

Ce n'est pas tout : il y avoit un règle- 
ment (3) qui ne permettoit guère de soumettre 
ces hommes libres à des tributs. Celui qui 
■ I I — — Il I II ■ 

(i) Us n'étoient pas obligés d*en donnersa comte. 
Oipitolaire de Charles-le-Chanye, de Fan 8 44, art. 5. 
— (2) Ut pageiises franci qui caballos habent cam 
sais comitibos in hostem pergmnt. « Il est défendu 
M aux comtes de les priyer de leurs chevanx. » Ut 
hostem. £acere j et debltos parayeredos secnndùm an- 
tiqnam consnetadinem exsolyere possint. Edit de 
pistes, dans Balnze, p. 186. — (3) Capitolaire de 
Cbarlemagne , de Tan 81a , chap. I ; édit de Pistes, 
de Tan 864, art. 27. 



So 1>B L*ESPRIT DES LOIS. 

avoit quatre (i) manoirs étoit toujours obligé 
de marcher à la guerre; celui qui n'en avoit 
que trois étoit joint à un homme libre qui n'en 
avoit qu'un : celui-ci le défrayoit pour un 
quart, et restoit chez lui. On joignoit de mê- 
me deux hommes libres qui avoient chacun 
deux manoirs ; celui des deux qui marchoit 
étoit défi^ayé de la moitié par celui qui restoit. 

Il y a plus : nous avons une infinité de char^ 
très où Ton donne les privilèges des fiefs à des 
terres ou districts possédés par des hommes 
libres , et dont je parlerai (2) beaucoup dans 
la suite. On exempte ces terres de toutes les 
charges qu exigeoient sur elles les comtes et 
autres officiers du roi ; et , comme on énumerc 
en particulier toutes ces charges , et qu*il n*y 
est point question de tributs , il est visible 
qu'on n'en levoit pas. 

Il étoit aisé que la maltôte romaine tombât 
d'elle-même dans la monarchie des Francs : 
c'étoit un art très compliqué et qui n'entroit ni 
dans les idées ni dans le plan de ces peuples 
simples. Si les Tar tares inondoient aujour- 
d'hui l'Europe , il faudroit bien des affaires 
i jf i^^i— — ^— ^1^— — ^^— ^^^i»^»^— — — ^1^—— — ^»^— — — * 

(i) Qaataor mansos. Il me semble que ce qa*ou 
appeloit mansus étoit une certaine portion de terre 
attachée à une cenae où il y avoit des esclaves ; té- 
moin le capitnlaire de Tan 853, apud Syhacum, 
tit. XIV, contre cenx qni chassoient les esclaves 
de leur mansus. — (2) Voyez ciaprès le chap. XX 
de ce livre. 



LITRE XXX, CUAP. XIII. 3] 

pour leur faire entendre ce que c'est qu'un 
financier parmi nous. 

L'auteur incertain de la vie de Louis-le*Dë- 
bonnaire (i) , parlant des comtes et autres of- 
ficiers de la nation des Francs que Charlema- 
gne établit en Aquitaine , dit qu'il leur donna 
la garde de la frontière , le pouvoir militaire , 
et rintendancedes domaines qui appartenoient 
à la couronne. Cela fait voir l'état des revenus 
du prince dans la seconde race. Le prince a voit 
gardé des domaines qu'il faisoit valoir par ses 
esclaves. Mais les indictions , la capitation , et 
autres impôts levés du temps des empereurs 
sur la personne ouïes biens des bommes libres, 
avoient été changés en une obligation de gar- 
der la frontière , où d'aller à la guerre. 

On voit, dans la même histoire (2), queLouia^ 
le-Débonnaire ayant été trouver son père en 
Allemagne , ce prince lui demanda comment il 
pouvolt erre si pauvre , lui qui étoit roi ; que 
Louis lui répondit qu'il n'étoit roi que de nom, 
et que les seigneurs tenoient presque tous ses 
domaines ; que Charlemagne craignant que ce 
jeune prince ne perdît leur affection s'il repre- 
noit lui-même ce qu'il avoit inconsidérément 
donné , il envoya des commissaires pour réta- 
blir les choses. 

Le» ëvéques écrivant à Louis ( 3) , frerc d« 

(i) DansDacbesne, tome II, p. «87. — (a) làid, 
tome II, p. 89.— .(3) Voycï Ip capitnlaire de Tmi 
858, art. 14. 



3a DE l'esprit des lois. 

Charlés-le-Chauve , lui disoient : « Ayez soin 
« de yos tenues , afin que vous ne soyez pas 
« obligé de voyager sans cesse par les maisons. 
« des ecclésiastiques , et de fatiguer leurs serfs 
« par des voitures. Faites en sorte , disoierit-ils 
« encore, que vous ayiez de quoi vivre et rece- 
« voir des ambassades. » Il est visibl^ que les 
revenus des rois consistoient alors dans leurs 
domaines (i). 

^ CHAPITRE XIV. 

De ce qu'on appeloit census. 

Lorsque les barbares sortirent de leur pays ^ 
ils voulurent rédiger par écrit leurs usages 9 
mais comme on trouva de la difficulté à écrire 
des n^ts germains avec des lettres romaines, 
on donna ces lois en latin. 

Dans la confusion de la conquête et de ses 
progrès 9 la plupart des choses changèrent de 
nature ; il fallut, pour les exprimer , se servir 
des anciens mots latins qui avoient le plus de 
rapport aux nouveauxvusages. Ainsi , ce qui 
pouvoit réveiller Fidée de Taucien cens des Ro- 
mains (2) , on le nomma census^ tributiim ; et, 

■Il I '■ 111 ■— — ■— ^1— M^— ^a^M.— ^B— — — — — ^ 

(i) Ils levoient encore quelques droits snr les ri- 
vières -lorsqu'il y avoit un pont on un passage.*— 
(a) Le census étoit un mot si grnériqne, qu'on s'en 
servit pour exprimer les péages des rivières lorsqu'il 
y avoit un bac ou un pont à passer. Toyes le capitn- 
Liiré III de l'an 8o3, édit. ds Baluxe, p. SgS, art. x ; 
et le Y de Tan 819 , p. 616. On appela «ncor« de «e 



^aand les choses n'y eurent aucun rapport 
quelconque « on e^rlma comme on put lea 
mots germains avec des lettres romaines: ainsi 
on forma le mot fredian ^ dont je parlerai 
beaucoup dans les chapitres suivants. 

Les mots census et tributwn ayant été ainsi 
employés d'une manière arbitraire, cela a jeté 
quelque c^scunté dans la signification qu'a-- 
voient ces mots dans la première et dans la 
seconde race : et des auteurs modernes , qui 
avoient des systèmes particuliers ( i ), ayant 
trouvé ce mot dans lés écrits de ces temps-là ^ 
ils ont jugé que ce qu'on appeloit census étoit 
précisément le cens des Romains ; et ils en ont 
tiré cette conséque&ce , que nos rois des deux 
premières races s'étment mis à la place des em- 
pereurs romains , et n'avoient rien changé à 
leur administration (a) : et comme de certains 
droits levés dans la seconde race ont été , par 
quelques hasards et par de certaines modifica- 
Uons , convertis en d'autres , ils en ont conclu 
que ces droits étoieat le cens des Romains (3) : 

I II— iy— ■— I I m I !■ Il 1 1 ■! Il II n mlmmÊtmmmmm^ 

nom les Toitures foomies par les hommes libres an 
roi on & ses earoyés , comme il paroit par lef capita» 
lairas deCharles-leChanve, de raa865, art. S.-*- 
(i) M. Tabbé Dnbos, et ccmx qai l'ont sqivi.— ^ 
(^) Voyez la foiblesse des raisons de M* l^abbéDnbot, 
Etablissement de la monarchie française , tome lO, 
Ut.TI, chap. XIV, sar-tont Findoction qa'ii tire 
d*anpas8aga de Grégoire de Tonrs sur an démêlé de 
son é|^ ayec le roi Qtaribert.-*(^) ^^ exemple , 
par les affranchissements. 

ZSPR. DIS LOIS. 5. ^ 



34 D« i-'esprit des xois. 

et , comme depuis les règlements modernes ils 
ont vu que le domaine de ïa couronne étoit ab- 
soluiment inaliénable, ils ont dit que ces di:oits, 
qui représentoient le cens des Romains , et qui 
ne forment pas une partie de ce domaine , 
étoient de pures usurpations. Je laisse les au- 
tres conséquences. 

Transporter dans des siècles reculés toutes 
les idées du siècle où Ton vit , cVst des source» 
de l'erreur celle qui est la plus féconde. A ces 
gen* qui veulent rendre modernes tous lès siè- 
cles anciens , je dirai ce que les prêtres d'E- 
gypte dirent à Solon : « O Athéniens^ vousti'è- 
« tes que des enfantas. % 

CHAPITRÉ XV* 

Que te qn*On a)>peloît census ne se levoit que soi' 
les serfs , et non pas sur les hommes libres. 

JLiE roi, les ecdésiastiques , et les seigneurs , 
levoient des tributs réglés chacun sur lés serfs 
de ses domaines. Je le prouve , à l'égard du 
roi , par le capitulaire de villis ; à l'égard des 
ecclésiastiques , par les codes des lois des bar- 
bares (i) Va l'égard des seigneurs , par lès rè- 
glements que Gharlemagne fit là-dessus (a). 

Ces tributs étoient appelés ce»j//^:c'étoient 
-■ ■ - ' ■ . ■ 

(i) Loi des Allemands , chap. XXII ; et la loi des 
Bavarois, til. I, ch. XrV,'où l'on trouve les'réglc- 
luents qae les ecclésiastiques firent sur leur état.^— 
(a) Liv. V des capitulaires , cl». CGCUI. 



dei droits économiques , et non pas fiai^anx; 
des redçv.anc«s uniquement privées , et non 
pas. des cliarges publiques. 

Je dis que ce qu'on appeloît census^étoit un 
tribut levé sur les serfs. Je le prouve par une 
formule de Marculfe qui contient une permis- 
sion du roi de se faire clerc , pourvu qu'on 
soit ingénu ( i ) , et qu'on ne soit point inscrit 
dans le registre du cens. Je le prouve encore 
par tine commission que Cbarlemagne donna 
à UA comte ( 5^) qufil envoya dans les contrées 
de S^xfi;: elle contient Vaffrancbisseçteiit des 
Saxons , à cause qu'ils^ avpient embrasse le 
christianisme ; et c'est proprement une chartrc 
d'ingénuité (3). Ce prince Içs.rétablit dan$ leur 
première liberté civile (4)) et les exempte de 
payer le cens. C'étoit donc ijpe même chose 
d'être serf et de payer U cens , d'être libre et de 
ne le payer pas. 

Pgr une espèce de letti^es. pajientes du (5) 
même prince en faveiir des Espagnols qni 
avoient été reçus daps la mo|i%rcl^e , il €st dé- 
fendu aux comtes d'exiger d'eux aucun cens , 

et de leur ôter leurs terres. On sait que les 

■ . I 1 ^ I ■ ■ ■ ■ _ — . I. 

(i) Si ille de eapite sno bene ingennas sit , et in 
paletico pnblico oensitns non est. Liv. I., form. 19. 
— -(a) De l'an 789, édit. des.capitolaires de Balu^ , 
tonws I, p, aSo. — (3) Et ut ista ingenuiiati.* pagiiMi 
fivqia sta|>iUsqae consistât. Ibid.—rW P^istinaequ© 
libertad donatçs , et on^pi nobis debito cenau solu- 
tos. Ibid, — (5) Praeceptum pro Hispaais, de l'an 
8 1 a , édition de Balnr^ , tome I ^ p» 5oo. 



36 DC l'es^kit des lois. 

étrangers quiarrivoient en France étoîent trai- 
tés comme des serfs ; et Charlemagne, Tonlant 
qu'on les regardât comme des hommes libres, 
puisqu'il Tooloit qu'ils eussent la propriété de 
leurs terres , défendoit d'exiger d'eux le cens. 

Un ctpitulaire ( i ) de Chàrles-le- Chauve , 
donné en laveur des mêmes Espagnols , veut 
qu'on les traite comme on traitoit^les autres 
Francs, et défend d'exiger d'eux le cens : les 
hommes libres ne le payoient donc pas. 

L'article 3o de l'édit de Pistes réforme 
l'abus par lequel plusieurs colons du roi ou de 
l'église vendoient les terres dépendantes de 
leurs manoirs à des ecclésiastiques ou à des 
gens de leur condition , et ne se réservoient 
qu'une petite case ; de sorte qu'on ne pouvoit 
plus être payé du cens ; et il y est ordonné de 
rétablir les choses dans leur premier état : 1« 
cens étoit donc un tribut d'esclaves. 

Il résulte encore de là qu'il n'y avoit point 
de cens général dans la ménarchie; et cela est 
clair par un grand nombre de textes. Car que 
signifieroit ce capîtulaire(a), « Nous voulons 
« qu'on exige le cens royal dans tous les lieux 
« où autrefois on Tcxigeoit légitimement (3) ? » 



(i) De Tan S44 , édit. deBaluse, ton^ II 9 art. i 
€t a , p. 47.^2) Capitit). m , de l'an «o5, art. ad 
et ^% , inséré dan» le recneil d^Aoïegiae 9 liv. IH , 
art. iS, Cela est conforme à celai de Charles-le- 
Chanve , de Tan 854 , apuà Attiniacum , art. 6. — 
(3) Undecnmque lei^timè axiirebAtiir. iifeV. 



X.IT1BLE XXr, CHAt. XT. 3^ 

Qne Youdroit dire celui ( i^) où Charlemagne 
ordonne à ses envoyés d^ns les provinces de 
fair& une ■ vechcrohe exacte de tous les cens 
qui avoient anciennement été du domaine du 
roi (%) ? et çelui{3) où il dispose des cens payé^ 
par ceu^ dont cm les exige ^4) ? Quelle signifir 
cation donner à cet autre (5) , où on lit , << Si 
« quelqu'un (6) a acquis une terre tributaire 
M sur laquelle nous avions accoutt^mé de lever 
- «r le cens... ?» à cet autre enfin (7)où Charles-le* 
Chauve (8) pu>le des terres censiieUes dont le 
cens avoit de toute antiquité appartenu an 
-rpi? 

Remarquez qu'il y a quelques textes qui pa- 
roissent d'abord contraires à ce que j'ai, dit , 
et qui cependant le confirment.^ On a vu ci*- 
dessus qûerles hommes libres , dans la monai;- 
chie,n'étoient obligés qu'à fournir de certaines 
voitur^. Le capitulaice que je viens de citer 



' ■ !i ■ r ■ • *. " ' '■■ ' • ' ' ■ ■ ' - '* 



' (i) De Tarn 8ia , art« lo et ii, édit. de Balnse, 
tome I9 p. 4§8. — (a) Undecamqa0 antiqnitns ad 
partent vegis venire solebant. Capitniaire delan 8 1 a^ 
.art. 10 et 1 1 ..—(3) De Tan 8 1 3, art, 6yétixU de Baluze, 
tome I, p. ^598.— (4) De il^ia^ondt cenaa e^gniit. 
Capilulaire dfiXm 8i3^.art.^iT-(5) Liv, IV des 
«apittiUires, art. 3.7 , ot inséré dans lu Ipi d«» Lo»- 
hAràê, — (j6) Si qais tewrsim. tnbntariam , unde oensiis 
ad pàttem uostram exiisej^olehat^ tiwîî^p^*** ^i"^» ^^ 
descapitulaires,art. 3 7. ---(7) p,e .ra»'8o5,art. 8.-r- 
(3) Undfe censiu ad pariem rejçi# ewvit antiqoituf « 
Capitniaire de ran 80 5 , art. 8. 

4. 



i$ 0« X.*lS>miT BBS LOXti 

appelle cela census , et il Toppow an cens qni 
étoit payé par les se^s (i). 

De plus , redit de Pistes (a) parte de ces 
liommes francs qui dévoient payer leocns royal 
pour leur tète et pour leurs cases , et qui s'é*- 
toient Tendus pendant la faamne ( 3 ). Le roi 
Teut qu'ils soient rachetés. C*est ( 4 ) que ceux 
qui étoient affranchis par lettres du roi n'ac- 
quéroient point ordinairement une pleine al 
«nticre liherté (5) ; mais ils payoient oensum 
in cavité ; et c'est de cette sorte de gens qu'il 
est ici parlé. 

Il faut donc se défaire de l'idée d'un cens gé- 
néral et universel , dérivé de la police des Ro- 
mains ; duquel on suppose que les drcnta das 
seigneurs ont dérivé de même par desnsop- 
pations. Ce qu'on appdott cens dans 4a mo- 
narchie française , independamment.de l'abua 
qu'on a fait de ce mot , étoitun droit particu- 
lier levé sur l^s serfs par les maîtres» 

Je supplie le lecteur de me pardonner l'en- 
nui mortel que tant de citations doivent lui 



iWM 



(i) Cenûboivel |iaraTer«di8 q«oé fnli^ bominca 
ad r^iam potestattm exsoW«re debemtk'^a)Del*ftift 
t64 , art. 34 9 édin de Baloar^ p. 1-99 <^3) De iltit 
fniacis hominihux qui otfasamjregiande tao cspite 
et de raie recellis debeaiit. l^ir/*-^4) L'article 28 
dn même <édit explique bien toat eela. Il met même 
«ne diatisetioa entre l'fefhrancbi romaio et rannncbi 
franc ; et on y voit t^ne le eeiiS n'étoit pas général. 
Il faut Ifc lire — (5) Comnie il paroît par un capita* 
laire de Charlema^e , de l'an 81 3 , déjà cité. 



âoiuier : îe serois plus court si je ne tronvoif 
toiijoui*siieTant moi le livre de rEtabUsi^tnenl 
4e U Bionarchie fraiafftise dans les Gaules de 
id. Vabbjé Dubos. Rien ne recule plus le pro- 
f^sdes connoissanoesfiu'uA mauvais ouvrage 
d W auteur célèbre , parcequ'avant d'inslniir» 
il faut fsommeaaxxT par détrov^er. 

CHAPITRE XVI. 

Des leadev ou vassaux. 

J*xi'parl^ de ces volontaires qui 9 chesles 
Oerm^ins, sttivoient les princes dans leurs en- 
tr^rises, lie même usage se conserva après la 
conquête. Tacite les désigne par le nom de com- 
pagnons (i)i la loi salique, par celui d*hom- 
ine« qui sont sous ta foi du roi (9) i les i ormulea 
4e^ Marculfe (3) , par celui d'antrnstipns du 
roi (4); nos premiers historiens , par celui de 
leudes , de fiddes (5) ; et les suivants , par ce^ 
itti de vassaux et se^neurs (6). 

On trouve dans les lois saliques et ripuaires 
un nombre in&ni de dispositions pour les 
Francs, et quelques unes seuleo^ent pour las 
antrustions.; Les dispositions sur ces antrus- 
tions sont différentes de celles faites pour les 

autres Francs ; ou y règle par^'-tout l«s biens 

, [ — — ' ■ - — • ' "' ' 

(x) Comtesi— (a) Qui jnnt in ttuste t«gi«, fit. 
XLïV, «rt. 4.— (5) Liv. I , form. i«.— (4) Dn «»* 
trew, qui sipdûe Jiàeie, the» Um AUemands, et due* 
les Anglais, irue, ▼rai. — (5) Lcudea, fidcXe».— 
(6) Vassalli^senioTOi. 



4o DE L ESPRIT DES LOI». 

des Francs-, et on ne dit rien de ceux des an» 
trustions ; ce qui Tient de ce que les biens de 
ceux-ci se ré]gloient plutôt par la loi politique 
que par la loi civile , et qu'ils étoient le sort 
d'une armée et non le patrimoine d'une fa- 
mille. 

Les biens réservés pour les leudes furent ap- 
pelés^es biens fiscaux (i)^ des bénéfices , des 
honneurs , des fiefs , dans les divers auteurs 
et dans les divers temps. 

On ne peut pas douter que d'abord les fiefs^ 
ne fussent amovibles (a). On voit , dans Gré- 
goire de Tours ( 3) , que l'on ôte à Sunégisile 
et à Galloman tout ce qu'ils ténoient du fisc , 
et qu'on ne leur laisse que ce qu'ils avoient em 
'{Propriété. Gontran , élevant au trône son ncr 
veu Childebert , eut une conférence secrète 
avec lui , et lui indiqua ceux ( 4 ) ^ <rù il de- 
voit donner des fiefs,' et ceux à qui il de- 
voit les ôter. Dans une formule de Mar- 
culfe ( 5 ) le roi donne en échange non seule- 

■ • • ' ; — ■ ■ ' - 

* (i) Fiscalia. Voyca la formule i4 de Mapculf^, 
iiv. I. Il est dit dans la Tie de saint Maar, dédit 
fiscum unum ; et dans les i^nales de Me^ sur Tan 

• 747 , dédit ilU comitatus. dtfisçQS plurimos. Les 
biensdeain^àrentretijpiidelafamiUexoyaleétoiexit 
appelés regalia,'^{9) Voyea le Iiv. I , tit. I, des fiefs ; 
etCojafi swt.oe Uy3re.-r-(3) Liv. IX , cb. XXXyiU. 
•—^4) Qi^]^ bjonoia^et monenhat, qnos.a]^ honore 
repelleret. I6id, Iiv. VIL— (5; Vel reliqt^»,quibni- 
comque beneficii(B,qaodcamqne ille,y el û^cnMnoatef^ 
in ipsis locis tenoisse noscitnr« l<iv. I y form. 3o, 



LITHE XXX, CHAP. XYI. 4l 

xnent des bénéfices que son fisc tenoit , mais 
encore ceux qu'on autre slyo t tenus. La loi 
des Lombards oppose les bénéfices à la pro- 
])riété ( I ). Les historiens , les formules , les 
codes des différents peuples barbares , tous les 
monuments qui nous restf^nt , sont unanimes. 
Enfin ceux qui ont écrit le livre des fiefs (a) 
nous apprennent que d'abord W sei^menri 
purent les 6ter à leur yolonté , qu'ensuite ils let 
assurèrent pour un an (3) , et ^;>rès le» donnè- 
rent pour la vie. 

CHAPITRE XVIL 

Du service militaire 4ts honaief librei. 

D E trx sortes de gens étoien^ tenus au service 
militaire; les leudes vassaux ou arriere-vas^ 
saux, qui j étoient obligés en conséquence de 
leur .fief; et les hommes libres, Francs, Ro-' 
mains et Gaulois, qui servoient sous le comte , 
et étoient menés par lui et ses officiers. 

On appeloit hommes libres ceux qui ^ d'un 
côté , n avoient point de bénéfices ou fiefs , et 
qui , de l'autre , ù'étoient point soiunis â la ser- 
vitude de la glèbe ; les terres qu'ils possédoient 
étoient ce qu'on appeloit des terres alloiliales. 

Les comtes assembloient les hommes libres, 

(i) liv. in, tit. Vni, §. 3.— (a) Feudoniin, ia>. 
I, tit. I.-*-(3) Cétoit une espèce de précaire que le 
•eignenr renoaveloit on ne renonTcloit pu TaiiDée 
d^eni aite , comme Cnias Ta remarqaé. 



J^1 pE lVsprit des lois. 

et les.menoient à la guerre (i ' : ib avoient sous 
eux des officier» qu'ils appeloient vicaires (2); 
et, comme tous les hommes libres étoient di- 
visés en. centaines, qui formoient ce que Ton 
appeloit un bourg, les comtes avoimt encore 
«ous eux dçs officiers qu'on appeloit centeniers, 
qui menoient les hommes libres du bourg, ou 
leurs centaines , à la guerre (3). 
' Cette division par centaines est postérieure 
à rétablissement des Francs dans les Gaules. 
Elle fut faite par Clotaire et Childebert, dans 
la vue d'obliger chaque district à répondre des 
vols qui s'y feroient : on voit cela dans les dé- 
crets de ces princes (4). Une pareille police 
s'observe encore aujourdliui çn Angleterre. . 

Comme les comtes menoient les hommes H- 
l;>res à la guerre, les leudes y menoient aussi 
leTVS vassaux ou arriiere- vassaux ; et les évé- 
ques, abbés, pu leurs avoués (5), y menoient 
les leurs (6). 

Les évéques étoient assez embarrassés : ils 

(ij Voyez le capitnlaire de Charlemagnc, de l'an 
319) art. 3 et 4, édit. deBaltize, tomeI,p. 491 ; et 
redit de Pistes , de l'an 864 , art. 26 , tome II, p. 1 86. 
— (2) Et babebat nnasqnisqne cornes vicarios et ccn- 
tenarios secam. Liy. II des capitnlaires , art. a8. — 
(3) On les appeloit com/7a^e/Z5e5. — (4) Donnés vers 
l'an 595 , art. i . Voyez les capitnlaires , édit. de Ba- 
luze, p. 20. Ces règlements furent saris dont^ faits dfi 
concert. — (5) Adyoc^ti. — (ô) Capitnlaire de Charlc- 
roagne, de Tan 812, art. x et 5, édit. de Balnzc^ 
tome I, p. 490. 



rivas 3^XX, CHÀP. XVII. /|\ 

ne convenoient pas bien eux-mêmes de leurs 
faits (i)» Ils demandèrent à Charlemagne de ne 
plus les obliger d'aller à la guerre; et, quand 
ils l'eurent obtenu, ils se plaignirent de ce 
qu'on leur faisoit perdre la considération pu- 
blique: et ce prince fut obligé de justifier là- 
dessus ses intentions. Quoi qu*il en soit, dans 
les temps où ils n'allèrent plus à la guerre, je 
ne vois pas que leurs vassaux y aient été menés 
par les comtes; on voit au contraire que les 
rois ou les évéques choisissoient un des fidèles 
pour les y conduire (2). 

Dans un capitulaire de Louis-le-Débon- 
naire (^), ie roi distingue trois sortes de vas- 
saux; ceux du roi, ceux des évéques, ceux du 
comte. Les vassaux d'un leude (4) ou seigneur 
n'étoient menés à la guerre par le comte que 
lorsque quelque emploi dans la maison du roi 
empéchoit ces leudes de les mener eux-ihémes. 

- 

. (i) Voyei 1« capitnlaire de l'an 8o3^ donne à 
Worms, édit. de Balnze^ p. 408 et 410. — (2) C^ipi- 
tnlaire de Worms, de Tan 8o3 , édit. de Balaze , p. 
409; et le concile de Tan 845, sous Charles-le^ 
Chauve, in irerno palatio, édit. de Balaie, tome II, 
p. 1 7, art. 8 . — (3) Capimlare quintom anni 819, art. 
47, édit. de Balaze, p. 618. — (4) De vassis domi- 
nicis qai adhac intra casam serviaat, et tameu béné- 
ficia habere noscuatur, statutum est ût qtticnmqae 
ex eis cam domino imperatore domi remanserint , 
vafssallos «nos casatos secnm non retinearit , sed cum 
comitecQJas pagenses «int ire permittant. Capitul. 
XI, deran8ia,art. 7, édit. de Baluze, tome I, p. 494* 



44 ^B L ESPAIT DES LOIS. 

3fais qui est-ce qui menoit les leudes à la 
guerre? On ne peut douter que ce ne fût le roi, 
qui étoit toujours à la tête de ses fidèles. C'est 
pour cela que, dans les capitulaires , on voit 
toujours uue opposition entre les vassaux du 
roi et ceujt des évéqties (i). Nos rois, éoura*^ 
geux, fiers et magnanimes, n'étoient point 
dans l'armëe pour se mettre à la tête de cette 
milice ecclésiastique; ce n'étoit point ces gens^ 
là qu*ils choisissoient pour Taincre ou mourir 
avec eux» 

Mab ces leudes menoient de même leurs va»> 
saux et arrière-vassaux ; et cela paroit bien par 
ce capitulaire(a) où Charlemagne ordonne que 
tout homme libre qui aura quatre manoirs^ 
soit dans sa propriété, soit dans le bénéfice de 
quelqu'un, aille contre rennemi, ou suive son 
seifi;neur. Il est visible que Charlemagne vent 
dire que relui qui n'avoit qu'une terre en pro*- 
pre entroit dans ta milice du comte, et que ce- 
Ini qui tenoit un bénéfice du seigneur partoit 
avec lui. 

Cependant M. Tabbé Dubos (3) prétend que, 

(t) Capltulaire I , de Tan ^ii , art. 5. De homini- 
bas nostris , et episcopomm et abbatam , qui vel 
bénéficia Tel talia propria habent, etc. , édit. de Ba- 
Ittze, tome I, page 490. — (a) De l'an 812, eh. I^ 
édit. de Balaze, p. 490. Ut omnis homo liber qui 
quatuor mansos vestitos de proprio suo , ^ve de ali- 
cujus bénéficie, babet, ipse se prœparet , et ipse in 
hostein pergat , sive cum seniore suo. — (3) Tome HI^ 
Ur.' VI^ ch. rv, p. 099. Etabliss; de la mon. fr. 



LivmE XXX, citAF. xvir. 45 

«piandil est parlé dans les capitulaires des hom- 
mes qui dépendoient dVn seigneur particulier, 
il n'est question que des serfs ; et il se fonde sur 
la loi des Wisigoths , et la pratique de ce peu- 
pie. U yaudroit mieux se fonder sur les capi- 
tulaires mêmes. Celui que je viens de citer dit 
formellement le contraire. Le traité entre Char- 
les-le-Chauye et ses frères parle de même des 
hommes libres , qui peUTcnt prendre à leur 
clioix un seigneur ouïe roi; et cette disposi- 
tion est conforme à beaucoup d'autres. 

On peut donc dire qu'il y avoit trois sortes 
de milices; celle des leudes ou fidèles du roi, 
qui avoiènt eux'^mémes sous leur dépendance 
d'autres fidèles; celle des évéques ou autres 
ecclésiastiques, et de leurs yassaux; et enfin 
celle du comte qui menoit les hommes libres. 

Je ne dis point que les vassaux ne pussent 
être soumis au comte, comme ceux qui ont un 
crommandement particulier dépendent de ce- 
lui qui a un commandement plus général. 

On voit même que le comte et les envoyés 
du roi pouvoient leur faire payer le ban , c'est- 
à-dire une amende , lorsqu'ils n'avoient pas 
rempli les engagements de leur fief. 

De même , si les vassaux du roifaisœent des 
rapines (i), ils étoient soumis à la correction 
du comte ^ s'ils n'aimoient mieux ie soiuooettre 
à celle du roi. 



i I ■■" — ' ' " ' * »■' 



(TyCàpitulaire de Tan 88a, art. ii, adi>srnis 
palatium ,- édit. de Balnoe , tome II , p- ^ 

ESPR. DES T.OIS. %. ^ 



7- 



/|6 DE L*£SPRIT DES LOIS, 

CHAPITRE XVIII. 
Da domble jerritre. 

C<*i TOIT un principe fondamental de la mo- 
narchie , que ceux qui itoient sous la puissance 
militaire de quelcpi'un étoient aussi sous sa ju- 
ridiction civile : aussi le capitulaire ( i ) de Louis- 
le-Débonnaire, de Tan 8i5, fait -il marcher 
d'un pas égal la .puissance militaire du. comte 
et sa juridiction civile sur les hommes libres : 
aussi les placites (2) du comte , qui menoit à la 
guerre les hommes libres, étoient-ils appelés, 
les placites des hommes libres (3); d'où ré- 
sulta sans doute cette maxime, que ce n*étoit 
que dans les placites du comte, et non dans 
ceux de ses officiers , qu'on pouvoit juger les 
questipns sur la liberté : aussi le comte ne me- 
noit-il pas à la guerre les vassaux des évêques 
ou abbés (4), parcequ*ils n'étoient pas sous sa 
juridiction civile: aussi n'y menoit -il pas les 
arrière - vassaux des leudes : aussi le Glos- 
saire (5) des lois anglaises nous dit-il (6) que 

(i) Àrt. I et a, et le concile in verno palatio , 
de Tan 845, art. 8 , édit. de Balnze , tome ÏI , p. 1 7. 
— (a) Plaids ou assises. — (3) Capitulaires , liv. IV d© 
la collection d'Anzegise, art. 57 ; et le cajâtulaire T 
deLonis^le-Dëbonnaire, de Tan 819, art. 149 édit. 
de Balnze, tome I, p. 61 5. — (4) Voyez, pag. 42 y 
la note 6 ; et p. 44 , la note i . — (5) Que l'on trouve 
dans le recueil de Guillaume Lambard, de priscii 
Anglorwn Ugibus, — (6) Au mot satrapia. 



tlT&E XXX, CHAP. XVIII. 47 

ceux qu/ê- les Saxons appekôent copies lurent 
nommés par les Normands comies , compa^ 
gnons ^ paxcequ'ils partageoîent arec le roi les 
amendes judiciaires : aussi voyons-nous dans 
tous les temps que l'obligation de tout vassal 
envers (i) son seigneur fut de porter les armes 
et déjuger ses pairs dans sa cour (a). 

Une des raisons qqî attacfaoien t ainsi ce droit 
de justice au droit de mener à la guerre étoit 
cpie celai qui menoità la guerre faisoit en même 
temps payer les. droits du fisc , qui consistoient 
eu quelques services de voiture dus par les 
hommes libres , et en général en de certains 
profits judiciaires dont je parlerai ei-aprés. 

!Les seigneurs eurent lé droit de rendre la 
justice dans leur fief par le même principe qui 
fit que les comtes eurenèle droit de la rendre 
dans leur comté; et, pour bien dire, les com- 
tés , dans les variations arrivées dans les di- 
vers temps , suivirent toujours les variations 
arrivées dans les fiefs : les uns et les autres 
étoient gouvernés sur le même plan et sur les 
mêmes idées. En un mot , les comtes, dans leurs 
comtés, étoient des leudes; les leudes, dans 
leurs seigneuries , étoient des comtes. 

On n'a pas eu des idées justes lorsqu'on a 
regardé les comtes comme des officiers de jus;- 

(i)Le8assi8e8 de Jéra8aleiii,cli. CCXXIetCClÇXII, 
expliquent bien ceci. — (a) Les avoués de réélise 
(atlvocati) étoient également à la tétt de It ors plaids 
et de lanr milice. 



48 DS i.'espait des eois. 

tice , et les ducs comme des offîciets raîKlalTes» 
Les ans et les autres ëtoient également des^ of- 
ficiers mititakes et dyils ( i ) : toute la différence 
étmt que le duc aroit sous lui plusieurs comtes, 
quOiqu'H y eàt des comtes qui n'aToient.pmnt 
de duo sur eux, comme nous l'apprenons de 
Frédégaire(ft). 

On croira peat^tre que le gouTemement 
des Francs étoit pour lors bien dur, puisque 
les mêmes of&ciers aTOÎent en même temps sur 
les sujets la puissance militaire et la puissance 
civile, et même la puissance fiscale; chose que 
j*ai dit , dans les livres précédents , être une 
des marques distinctives du despotisme. 

Mais il ne £Aut pas penser que les ccMnites ju- 
geassent seuls et rendissent la justice comme 
les backas la roulent en Turquie (3) : ilrats- 
sembloîent , pour juger les affaires , des espèces 
de plaids ou d'assises où les notables étoient 
oonYoqués (4). 

Pour quf on puisse bien entendre ce qui con- 
cerne les jugements dans les formules, les lois 
des barbares et les^^pitulaires , je dirai que les 
fonctions du comte, du gravion et du cente- 
nier, étoient les mêmes (5); que les juges, les 

(i) Voyet la formule 8 de Marcalfe , liv. I, qui 
contient les lettres accordées à an dnc, patrice , où 
comte , gai lenr donnant la 4nridiction«ivile et l'ad- 
miaiêtration fiscale. — (2) Chronique, c. LXX'VIII , 
sur l'an 636.— (3) Voyez Grégoire de Tours , liv. V, 
ad annum 58o.— (4) Mallum.— (5) Joignez ici ce 
que j'ai dit au liv. XXVIII, ch. XXVIII ; et au liv. 
XXXI, ch. VUL 



X.IY1LB XXX, CHA^. XYIII. 4^ 

rathiaburges et les échevins, étoient, sous 
dilférentsnoins, les mêmes personnes; c*étoient 
les adjoints da comte, et ordiniiremeat il en 
av<Ht sept : et comme il ne Ini Calloit pas moins 
de donze personnes pour jtrger Ti), Û remplis* 
scHt lenombre par des notables (2). 

Maïs i{ui que ce fàt qui eût la juridiction ^ 
le roi, le comte, le gra^ion, le oentenier, les 
seigneurs, les ecdésiastiqnes, ils ne jugèrent 
jamais seuls ; et cet usage , qui tiroit son ori- 
gine des forêts de la Germanie , se maintint en* 
core lorsque les fiefs prirent une forme- nou^ 
Telle. 

Quant au pouvoir fiscal, il étoit tel que If 
éomte ne pouyoit guère en abuser. Jjcê droits 
.du prince, à l'égard des hommes Ubres, étoient , 
si simples , qu'ib ne ccmsistoient, comme j'ai 
dit, c[a*en de certaines voitures exigées dana 
de certaines occasions publiques (3) ; et , quant 
,aux droits judiciaires, il y ayoit des lois qui 
prérenoient les malrersations (4)* 

(i) Yoyes sur tout ceci les capitulairet de Loais- 
le-Débonnaire ajoutés à la loi saliqae, art. a ; et k 
formule des jugemetits, donnée par du Cange, an 
mot boni homines. — (a) Per bonos homînes. Qnel- 
^efois il n*y avoit qne des notables. Toyez l'ap- 
pendice aoz formules de Marcnlfe, cb. LI.« — (3) Et 
quelques droits snrlesnyieres, dont j*ai parlé.r-^ 
<4) Voy^ la loi des Ripoaires, tit. LXXI^IX ; et k 

ides Lombards^ Ut. II, tit. LII, S' 9< 



S. 



5é *s l'esp&it dks l^is. 

CHAPITRE XIX. 
Des compositions cllez les peit|»les bâiiMrcs, 

CiOMHB il est impossible d'^itrer un peu ayant 
dans notre droit politique si IW ne connoit 
jmrfaitenient les lois et les moeudrs des peuples 
germains , je nt'arréterai un moment poip^ faire 
la redierche de ces mceur» et de.ces JLois. 

Il paroit, par Taoite, que les -Germains ne 
oonnoisaoient que deux crimes capitaux ; ils 
pendcâentles traîtres, et noyotent les poltrons : 
c'étoient chez eux les seuls crimes qui fussent 
puMics. Lorsqu^unhoinmeaToitiliEiit quel«]ue 
tert à un autre , les fwrents de la pers<»me of«> 
fensée ou lésée entroient dans la querelle (i); 
et la haines'appaisoit par une satisfaction. Cette 
«atisfaetion regardoit celai qin ayoil été offen- 
sé, sHl pouYOtt la recevoir; et les parents, ai 
i'injure ou le tort leur étoit commun, ou si, 
par la mort de edui qui avoit été offensé ou 
lésé , la satisfiaction leur étoit dévolue. 

De la manière dcmt parle Tacite , ces satis- 
factions se £aisoientparune convention réci- 
proque entre les parties : aussi , dans les codes 

\ 

(i ) Snscipere tam inimicitias , «ea patris ,-seii pro> 
pinqui, qaàm amicitias, neoasseest : nec implaca^ 
biles dorant; Ivitar enim «tiam homicidiiim certo 
armentomm ae pecomm muiiero, recipitqne satif* 
ftctioBem mÛTarsa domns. Tacite, de Morib. Germ. 



ftIVSK KXX, CITAP. XIX. &fe 

dm peuples ba^iares , ces satisfactions s'ap» 
]^Iient*eUes des compositions. 

Je ne trouve que la loi des Frisons qui ait 
laissé le peuple dans cette situation où dhaque 
£simille ennemie étoit pour ainsi dire dans l'é- 
tat de nature (i), et où, sans être retenue par 
quelque loi politique ou eivile ^ elle pouvoit-à 
sa fantaisie exercep sa yengeance fusqu*à ee 
qu'elle eût été satisfaite. Cette loi i»éme fut 
tempérée r Ottétablit qfue <»lui dont on deman- 
doit la TÎe aurott la paix dans sa maison , qu*il 
l'auroit en allant et en reyenant de Téglise y et 
du lieu où Ton rendok les. jugements (2). 

Les compilateurs des lois saliques citent n» 
amcîen usage des fVancs> par lequel celui qui 
ayoit exhumé un cadayre pour le dépouiller 
étoit banni de la sodété des hommes jusqu'à 
ce que les parents consentissent à i*y faire ren^ 
trer (3) : et comme ayant ce ten^ il étoit dé- 
fendu à tout le monde, et à sa femme méme^ 
de lui donner du pain ou de le receyoir dans 
sa maison, un tel homme étoit à Tégard des 
autres et les autres étoient à son égard dans 
Tétat de nature ,ju9^'à ce que cet état eàt ces* 
aé par la composition. 

A cela près , on yoit que les sages des diyer- 
ae» nations barbares songèrent a faire par eux- 



(i) Toyex cette loi, tit. II, sur les meurtres ; et 
Taddition de TnletMr sur les ▼<^.-^(*) Additio 
sapientnm , tit. I , $. 1 .—(3) Loi talicpie ^ tit. LVIH» 
$. i;tit.XVn,S. 3. 



5^1 BX l'eSFRIT DBS LOIS. 

mêmes ce qu'il étoit trop long et trop dange- 
reux d'attendre de la convention réciproque 
des parties. Ils furent attentifs à mettre un prix 
juste à la composition que devoit recevoir celui 
à qui on avoit fait qudque tort ou ^lelque in^ 
jure. Toutes ces l<ns des bari>ares ont là-dessus 
ime précision admirable : on y distingue avec 
finesse les ca&, on y pesé les circonstances (i); 
la 1<À se met à la plaee de celuLqui est offensé, 
et dem(uide pour lui la satisfaction que dans 
un moment de sang froid ii aoroit demandé* 
lui-même. 

Ce fut par rétablissement de ces lois que les 
-peuples germains sortirent de cet état de na- 
ture où il semble (pi*ils étoient encore du temps 
de Tacite. 

Rotharis déclara , dans la loi des Lond^ards , 
qu'il avoit augmenté les compositions de la 
coutume ancienne pour les blessures , afin que. 
Je blessé- étant satbfait , les inimitiés pussent 
cesser (2). £n effet 9 les Lombards , peuple pai»- 
vre , s'étant enrichis par lax^onquét^ de Tltâlie, 
les, compositions anciennes devenoient, frivo- 
les, et les réconciliations tie se faisoient plus. 
Je ne doute pas que cette considération n'ait 
obligé les autres chefs des nations conqué- 
rantes à faire les divers codes de lois que nous 
avons aujourd'hui. 

(1) Voyex sof-tout les tit. III, IV, V, VI, et VU 
de la loi saline, qui regardent les voû des aiÛBaaiix. 
— (a)LiT.Ï,tit.VII,S. i5. 



.tlYRK XXX, CBAP. XIX. 53 

liJi'priacipale comp<Mttion étoit celle que le 
memtrier devoit payer aux parents du mort. 
La différence des conditions en mettoit une 
dans les compositions (i): «insi^ dans la lei 
des Angles 9 la compositibn étoit de six cents 
sotti pour la mort d'un adalingne , de deux 
cents pour celle d'un homme libre, de trente 
pour celle d'un serf. La grandeur de la com- 
position établie sur la tète d'un homme faisoit 
donc une de ses grandes prérogatires ; car, 
outre la distinction qu'elle faisoit de sa per^ 
sonne, elle établissoit pour lui , parmi des na- 
tions. violentes, une plus grande sûreté. 

lia loi des Bavarois nous fait bien sentir ce- 
ci (a): elle donne le nom des familier bava- 
roises qui recevoient une composition double , 
parcequ'elles étoient les premières après les 
Agilolfingues (3). Les Agilolfingues étoimit de 
la race ducale, et on choisissoit le duc parmi 
eux; ils avoient une oomposition quadruple. 
La composition pour leduc excédoit d'un tiers 
celle qui étoit établie pour les Agilolfingues. 
« Pârcequ'iLest duc , dit la loi , on lui vmd un 
«r plus grand honneur qu'à ses parents. » 

Toutes ces compositions étoient fixées à prix 
d'argent. Mais comme ces peuples, sur- tout 

(a) Voye» la loi des Angleê^ lit. I, $• » i « 1 4 » 
ibij. tit. V, S. 6 ; la loi des Bavarois , tit. I, ch. VIU 
€t IX ; et la loi des Frisons, tit» XV.— (a) Tit. 11 , 
eh. XX.— (3) Hondra , Oiza , Sâgana , lÙilingna , 
Anniena. IbiJ^ 



54 DE L ESI^RIT DES LOIS. 

pendant qu'ils setinrent dans la Germanie, n'en 
avoient guère, on pouvoit donner du bétail , 
du bled, des^neubles, des armes, des chiens, 
des oiseaux de chasse, des terres, etc. (i); 
Souvent même la loi fixoit la valeur de ces 
choses (2); ce <|ui expliquoit comment , avec si 
peu d'argent, il y eut chez eux tant de peines 
péenniaires. * 

Ces lois s'attacherait donc à marquer avec 
précision la différence des torts, des injures, 
des crimes, afin que chacun connût au juste 
jusqu'à'quel point il étoit lésé ou offensé ; qu'il 
sât exactement la réparation qu'il devoit rece- 
voir, et ^ir-tout qu'il n'en devoit pas recevoir 
davantage. 

Dans ce point de vue , on conçoit que celui 
qui se vengeoit après avoir reçu la satisfaction 
commettott un grand crime. Ce crime ne con- 
tenoit pas moins une offense publique qu'une 
offense particulière ; c'étoit un mépris de la loi 
même. C'est ce crime que les législateurs (3)ne 
manquèrent pas de punir. 

(i) Ainsi la loi d'Ina estimoit la rie une ccrudoe 
somme d'argei;(t on ane certain^ portion de tenîe. 
Leges Inas régis , tituio de ViUico regio , de 
priscis Anglorum legihus. Cambridge, 1644. — 
(a) Voyez la loi des Saxons, qni fait même cette 
fixation ponr plnsiesrs peuples , ch. XVIII. VoycB 
aussi 1« loi des Ripoaires, tit. XXltVI, §. 1 1 ; la loi 
des Bararois, tit. l, §. xo et 11 : Si aummnonha- 
het , donet aliam pecnniam , mancipia , terram , etc. 
— (3) Voyeï la loi des Lombards , liv. I , tit. XXV, 



LirV&E TiX^, CHÀP. XIX. 5S 

Il y ayoit un autre ciime, qui fut sur-tout 
regardé comme dangereux lorsque ces peuples 
perdirent, dans le gouyernement civil, quel- 
que, chose de leur esprit d'indépendance (i), 
et que les rois s'attachèrent à mettre dans Téta t 
une meilleure police ; ce crime étoit de ne you- 
Ipir point faire ou de ne vouloir pas recevoir 
la satisfaction. Nous voyons , dans divers codes 
des lois des barbares, que les législateurs (a) 
y- obligeoient. £n effet, celui qui refusoit de 
recevoir la satisfaction vouloit conserver son 
droit de vengeance ; celui qui re&Lsoit de la faire 
laissoit à To^fensé son droit de vengeance: et 
c'est ce c[ue les gens sages avoient réformé dans 
les institutions des Germains, qui invitoient 
à la composition^ mais n'y obligeoient pas. 

S. 2 1 ; ihid. liv. I, tit. IX , §. 8 et 34 ; ibid. g. 38 ; 
elle capitnlaire de Chariemagne , de l'an 8oa , ch. 
XXXII, contenatit une iustraction donnée à ceux 
qu'il envojoit dan» les provinces. — (i) Voyez dans 
Grégoire do Tonrs, Uv. VII, ch. XLVII, le dél^ 
d^ttn procès on nne partie perd la moitié de la com- 
position qni lui avoit été adjngée ponr s*étre ^it 
justice. elle-même au lieu de recevoir la satisfac- 
tion , quelques «xçès qu'elle eut soufferts depuis. — 
(a) Voyez la loi des Saxons , ch. III, §. 4 ; la loi des 
Lombards , liv. I, tit. XXX Vil, §. i et a ; et la loi 
des Allemand», tit. XLV, $. i et a. Cette dernière 
loi permettoit de se £ure jnstiee soi-même sur-le- 
champ et dans .fe premi^ mouvement. Voyez aussi 
les capitnlaires de Charlemagne , de l'an 779, cb. 
XXII ; de Tan 8oa , ch. X^JUI i et celui du même , 
deraa8o5,.ch.V. : 



56 Dï l'esp&it des lois. 

Je viens de parler d'un texte de la loi salique 
où le législateur laîssoit à la liberté de Toffensé 
de recevoir ou de ne recevoir pas la Mtisfac- 
tion : c'est cette loi qui interdisoit à celui qui 
avoit dépouillé un cadavre le coBamerce des 
hommes (i) , jusqu^à ce que les parents , accep- 
tant la satisfaction, eussent demandé qu'il pût 
vivre parmi les hommes^ Le respect pour les 
choses saintes fit que ceux qui rédigèrent les 
lois sdUques ne touchèrent point à Tancioi 
nsaffe. 

Ilanroit été kijuste d'accorder une compo- 
sition aux parents d\in voleur to^ dans l'ac- 
tion du vol) oui ceux d'une femme qm avoit 
été renvoyée après une séparation pour crime 
d'adultère* La loi des Bavarois ne donnoit 
point de composition dans des cas pareils (a), 
et punisssoit les parents qui en,poursuivoient 
la veuffeance. ^ 

n n est pas rare de trouver, dans les codes 
des lois des barbares ^ des compositions pour 
des actions involontaires. La loi des Lombards 
cstprtsquetoujours sensée ;elle vouloitque (3), 
dans ce cas^ on composât suivant sa généro- 
sité, et que les parents ne pussent plus pour-r 
suivre la vengeante. 

I ■ I I ■ I I ■ !■ I ■ !■< ■ 

(i) les «ompiUteiirs des h>if 41m Ripniires pa^ 
•oissent avoit modifié ceci. Voyez le tit. LXXXY d^ 
cet lois.— («) Toyei le décret de T«ssilon ^depo- 
pularibu* legihiis, art. 3, 4i lo, i6, 19; la Ici 
dts Angle», Ut. Vfl, J. 4.— (3) Liv* I, tit. IX, §• 4 - 



Liy&K XXX, GHAP. XIX. $7 

Clotaire II fit un décret très sage : il défen* 
ait à celui qui aToit été volé de recevoir sa coin- 
position en secret (i) et sans TordonnaBce du 
juge. On Ya voir tout«à41ieare le motif de cette 
loi. 

CHAPITRE XX. 

De ee qu'on a ap|»elé depaiii la justice des seignenn. 

iJuTEE la composition qu'on devoit payer 
aux parents pour les meurtres, les torts et les 
injures , il falloit encore payer un certain droit 
que les codes des lois des barbares appellent 
fredian (a). J'en parlerai beaucoup ;,et, pour 
en donner l'idée, je dirai que c*est la récom- 
pense de la protection accordée contre le droit 
de vengeance. Encore aujourd'hui ^ dans la 
langue suédoise, ^<?^ veut dire Ja paix. 

Chez ces nations violentes , rendre la justice 
n'étoit autre chose qu'accorder à Celui qui avoit 
fait Une offense sa protection contre la ven- 
geance de celui qui l'avoit reçue , et obliger et 
dernier à recevoir la satisfaction qui lui étdit 

due : de sorte qUe chez les Germains , à la dif- 
■ Il I » « ■■ I II I « i l II I I 1 1 » 

( x) Pactus pro tenore pacis inter Childebértnin et 
Clatarimn, ailAo 598; et decretioClotarii II régis, 
circa annom SgS, ck. XJ.^-(a} Lorsque la loi ne le 
iÙLoit pas , il étoit ordinairement le tiers de ce qa*om 
donnoit ponr la composition , comme il parott dans 
la loi des Ripttâires , ch. LXXXIX , qui est expliquée 
par le troisième capitulaire de Tan $13, édition de 
Baluze, tome I , p. 5il. 

irSPR. DE8 LOIS. 5. ^ ' 



SB i>E l'ésp&it des lois. 

férence de tous les autres peuples , la justice se 
fendoit poui* protéger le criminel contre celui 
qu'il avoit offensé* 

Les codes des lois des barbares Aous don* 
ient les cas où ce&/reda dévoient être exigés. 
Dans ceux, où les pi^^ts ne poavoient pas 
prendre de vengeance , ils ne donnent point dé 
frèdum: en effet, là où il n'y av<)it ptMnt de 
vengeance il ne pouvoit y avoir de droit de 

i>rotection contre la vengeance. Ainsi, dans la 
oi des Lombards (i) , si quelqu'un tuoit par 
hasard un homme libre, il payoit la valeuï' 
d'un homme mort , sans lefredimt ; parceque , 
l'ayant tué involontairement^ ce n'étoit pas le 
cas où les parents eussent un droit de veù- 
geance. Ainsi, dans la loi des Ripuaires (d),, 
quand un homme étoît tué par un morceau de 
}>ois ou un ouvrage fait de maift d'homme^ 
l^ouvrage oU le bois étoient censés coupables, 
et les parents les prenpient pour leur Usage ^ 
sans pouvoir exiger de/redr/m» 

De même , quand une béte avoit tué un 
homme I la même (3) loi établissoit une com- 
position sans lejreaum^ parceque les parents 
du mort n'étoient pas offensés. 

Enfin, par la lei«aliqtte^4)9 ^^ enfant qui 



ittÊmm^mtm^m^Ê^mmt^^mm^immm^^mAt 



(i) tir* I < tit. IX , §. I ^ < édit. de LindembtocX. 
-r-i^) Tit. LXX.— (31) Tit. XXSVÎ. Toyez aussi la loi 
des Lombards , lir. I ^ ch. XXI , §' 3 , édit* de Lin- 
dembrock : Si caballtit cnm pede , etc. — (4) Tit. 

xxvni,s.6. 



«voit commis quelque faute ayant Tàge d^ 
douze ans payoit là composition sans le fre- 
4{mi : comme il ne pouvoit porter ^core. lei 
armes, il Ji'é(oit point dans le cas où la p^tie 
lésée ou ses parents pussent demander la yei^r 
geance. i 

C'étoit le coupable ^ payoit le /reduniy 
pour la paix et la sécurité que les excès qu'il 
aToit commis lui avoient fait perdre, et qu'il 
pouvoit recouvrer par la protection : mais^un 
enfant ne perdoit point cette sécurité -, il n'étp^t 
point un homme , et ne pouvoit être mis hors 
de la société des hommes. 

Ctfredimi étoit un droit local pour celui 
quijugeoit^i) dans le territoire. Laloide^Ri- 
puaires (a) lui défendoit pourtant de l'exiger ' 
lui-même; eUe vouloit que la partie qui avoit 
obtenu gain de cause le reçut et le portât au 
fisc , pour que la paix , dit û loi , fût ét^nelle 
entre les Ripuair es. 

La grandeiu* àxi,fredum se proportionna à 
la grandeur de la protection 0) ; ain^i iefrôr 
dum pour la protection du roi. tut plus grand 



^ "W I I I M l ■ J I I 11 I I i l f 



(i) Comme il paroi t par le décret dç Gotaire H, 
de l'an SgS ; Fredas tamen jndicis , in cuju» pago 
est , reservetBT.— (a)Tit. LXltXffl>-(3) Capitnlai» 
inoerti ^oni *, oh. LYU, àwoàMmàn *o»« l^V'^^ ^' 
Et il faut reami^uer que €eq»*o^ appelle /Ww*^* 
faida, dan» Jka jQOtnnm^lB de û pr«*»i^« '*««♦ 
e'appeUe banmim dans ce»x de la seconde , comme 
il paroît par le capitnlaire de p^rtibus SaXom^K 
de Tan 789. 



ÔO DB L^ESPKIT DES LOIS. 

que celui accordé pour la protection du comte 
et des autres juges. *' 
' Je Yois déjà ni|ître la justice des seigneurs. 
Les fiefs comprenoient de grands territoires, 
comme il paroît par une ii^nité de monu- 
mei^ts.J'ai dé^ prouvé que les rois ne levoieitt 
•rie^ sur les terres qui étoient du partage des 
Francs; encore moins pouvoient-ils se réserver 
des droits sur les fiefs. Ceux qui les obtinrent 
eurent à cet égard la jouissance la plus éten-* 
due ; ils en tirèrent tous les fruits et tous les 
émolumaits : et comme un des plus considé- 
rables ( I ) étoîent les profits judiciaires {freda ) 
que Ton recevoit par les usages des Francs , il 
suivoit que celui qui avoit le fief avoit aussi la 
justice, qui ne s'exerçoit que par des compo- 
'sitions aux parents , et des profits au seigneur ; 
elle n*étoit autre chose que le droit de faire 
payer les compositions de la loi , etcelui aexi- 
ger les amendes de la loi. 

On voit , par les formules qui portent la 
confirmation ou la translation à perpétuité 
d*un fief en faveur d'un leude ou fidèle (a), ou 
des privilèges des fiefs en faveur des églises (3), 
que les fiefs avoient ce droit. Cela paroît encore 

(i) Voye« le oapitalaire de Cbarlemagne , de -vil^ 
dis, <m il met ceA freda aa noiùbre des grands re- 

▼enas de ce tpCxin appeloh viilœ on domaines d|| 
'roi. — Ta) Voyez les formules 3^ 4, et 17, Hv. I^ d« 

MaronUe.-^3) Ibid' form. a, 3, et 4. 



CITUm XXX, GHÂP* XXf û% 

psrjaiieipfimté de Chartres Ti) qoxcoiUîeaiieiit 
une défense aux juges ou omciers du roi d'eii- 
trer dans le territoire pour y exercer quelque 
acte de justice que ce fût , et y exiger quelque 
émoUunent de justice que ce fàt. Dès q|ie Um 
juges, rc^anx ne pouvoient plus rien exigef 
dans un district, ils n'entroient plus dans ce 
district ; et ceux à qui restoit ce district y £ai* 
soient les fonctions que ceux-là y avoient âiitea* 

U est défendu aux juges royaux d'obliger lee 
parties 4^ dimner des cautions pour comptr 
roitre devant eux : Q^étoit donc à ce^ui qui rer 
ee,¥OÎt le territoire à les exiger. Il est dît qjju^ 
les envoyés du roi ne pourvoi^ nt pins deman- 
der de logement; e^ effiçt ils n*y a voient pluJL 
aucune fonction. 

La justice fut donc^ dan^ les fiefti anciens et 
dans les fiefs nouveaux, un droit inhérent an 
fief même, un droit lucratif quienCaisoitpartie* 
Cest pour cela que, dans tous les temps , elle 
a été regardée ainsi : d'où est né ce principe 
que les justices sont patriinomfdes en France, 

Quelques uns ont cru qi^e les justices tiroient 
leur origine des affranchissements que les rois 
et les seigneurs firent de leurs serfs. Mais les 
nations germaines, et celles qui en ^sont des:- 
cendues , ne sont pas les seules. quiaientaffran-. 
ehi des esclaves, et ce sont lès seules cjui aient 



(i) Voyes les recueils de cei Chartres, sur tout 
celai qui est à la fin «lu cinquième volume des Hii» 
toriens de France des PP.^éftêdictins. 

4. 



5:1 I>B LESFRÏT DES LOIS. 

établi, des justices patrimoniales. D'ailleurs leè 
formules de (i) Marculfe nous foiil voir des 
liommes libres dépendants de ces justices dans 
tes premiers temps : les serfs ont donc été jus* 
ticiables , parcequ'ils se sont trouvés dans le 
'territoire; et ils n'ont pas donné Torigine aux 
^efs poT^ir avoir été englobés dans le ûef. 

D'autres gens ont pris une voie plus courte : 
les seigneurs ont usurpé les justices, ont -ils 
dit ; et tout a été dit. Mais n'y a-t-il eu sur la 
terre que les peuples descendus de la Germanie 
qui aient usurpé les droits des princes ? L'his» 
toire nous apprend assez que d'autres peuplés 
ont fait des entreprises sur leurs souverains ; 
mais on n'en voit pas naitre ce que l'on a ap- 
|>elé les justices des seigneurs. C'étoit dtonc 
dans le fond des usages et des coutumes des 
-Germains qu'il en falloit chercher l'origine./ 

Je prie de voir, dans Loyseau (a), quelle est 
la manière dont il suppose que les seigtieurs 
procédèrent pour former et usurper leurs di-^ 
verses justices. Il faudroit qu'ils eussent été 
les gens du monde les plus raffinés , et qu'ils 
eussent volé, non pas comme les guerriers 
pillent , mais comme des juges de village et des 

■ '" ' I ■■ ' ' ■ 

- (i) Voyez la 3 , 4, et 1 4 du liy. I ; et la chartre de 
Charlemag^iie, de l*aii 771 , dans Martenne, tojnel, 
Aneçdot, coUect. XI. Prsecjpientes jabemot at nllna 
jndex publicofl. ... bomipes ipsios ecclesiae e^ monas* 
teiii ipsins Morbacensis, tam ingennos qnàm et 
serves , et qui auper eomm ternis manerf 9 etc.— 
(a) Traité des justices de village. 



procureurs se voknt entre eux. Il &udrott 
dire que ces guerriers , dans toutes les pro- 
vinces particulières du royaume, et dans tant 
de royaumes, auroient fait un système général 
de politique. Loyseau les fait raisonner comme 
dans son cabinet il raisonnoit lui-même. ' 

Je le dirai encoire : si la justice n'étoit point 
tme dépendance du îfief , pourquoi voit-on par- 
tout (i) que le service du fief étoit de servir le 
Voi ou le seigneur et dans leurs cours et dans 
leurs guerres? 

CHAPITRE XXI. 

De la justice territoriale des églises. 

L« S églises acquirent des biens très considé^ 
Vables. Nous voyons que les rois leur donnè- 
rent de grands fiscs, c'est-à-dire de grands 
fiefs ; et nous trouvons d'abord les justices 
établies dans les domaines de ces églises. D'où 
auroit pris son origine un privilège si extra;- 
ordinaire? Il étoit dans la nature de la chose 
doiinée ; le bien des ecclésiastiques avoit ce 
privilège , parcequ'on ne le lui ^toit pas. On 
donnoit un fisc à l'élise; et on lui laissoit les 
prérogatives qu'il auroit eues si on Tavmt 
donné à unleude: aussi fut-il soumis au ser- 
vice que l'état en auroit tiré s'il avoit été ac- 
cordé au laïque , comme an l'a déjà vu. 
« Les églises eurent donc le droit de faire payer 



^r-* 



(i) Voyes M. du Quige, au mol kominium. 



64 i>B l'ksp&it xrxs lois. 

les compositkms dans leur tçrrkoire, et d'en 
exiger li fredam 'y et c<»nme^e6 droits emporr;. 
toient n^oessalrement o^ii d'empêcher les of» 
jficiers royaux d'entrer dans le territoire pour 
exiger ces/reda et y exercer tous actes de jusi- 
tice, le droit qu'euraiit les ecclésiastiques de 
rendre la justice dans leur territoire jfiit appelé 
ùrmumiié^ dans le style des foimnles (i), des 
diartres ^ et des capitulaires. 

La loi des Ripuaires (2) c^fend aux affràn^ 
diis (3) des égUses de tenir rassemblée où Ifi 
justice se rend (4) ailleurs que dans Téglise où 
ils ont été«ffranchis. Les églises avoient donc 
des justices , même sur les hommes libres , et 
tenoient leurs plaids dès les premiers temps 
^ la monarchie. 

Je trouve dans les Vies des si^nts (5) qu(e 
<3oyis donna à un saint personnage la puisr 
«ance via un territoire de six lieues de pays , 
«t qu'il Toulnt qu'il fût libre de t^te juridic- 
tion quelconque. Je crois bien que c'est une 
ijRtsseté , mais c'est une fausseté très aiicienne ; 
le fondde la vie et les mensonges se rapportent 
aux mœurs et aux lois du temps ; et ce sont ces 
iRoeurs et ces lois que l'on chârche ici (6). 
»' ■ Il , Il I ■■ 

(i) Toyee les formules 3 et 4 de Marcnlfe , liv. I, 
-*-(a) Ne alicnhi, niai ad ecclesiam oBi relaxati snnt, 
mallnm teneant, tit. LYIII, §. t . Voyez aussi le §. 1 9, 
édit. deLindembrock. — (3)Tabii]âriis.— (4)MaUiiiii. 
— >(5) Yita sancti Gcrmerii, episcopi Tdoaam , apnd 
BoUandianos ,16 maii. — (6) Voyes ansai 1« fie do 
stinc Mdaniaa, et celle de saiAt Déicole. 



LIT&K XXX, CHÀP. XXI. 65 

dotaire II ordonae aux évéques on aux 
grands (i) qiii possèdent des terres dans dès 
pays éloignés de choisir dans le lieu même ceux 
qui doivent rendre la justice ou en recevoir les 
émoltcmaits. . 

Le même prince (2) règle la compétence en- 
tre les juges des ég^ses et ses officiers. Le ca- 
pitulairede Qiarlemagne, de Tan 80a, prescrit 
aux évéques et i^ux abbés les qualités que doi- 
vent avoir leurs officiers de justice. Un autre (3) 
du même prince défend aux officiers royaux 
d'exercer aucune juridiction sur ceux qui cul- 
tivent les terres ecclésiastiques (4) 9 à moins 
qu'ils n'aient pris cette condition en fraude et 
pour se soustraire aux charges publiques. Les 
évéques, assemblés à Reims, déclarèrent que 
les vassaux des églises sont dans leur immu- 
nité (5). Le capitulaire de Charlemagne , de 
l'an S06 (6), veut que les églises aient la justit e 

(i) Oana le concile de Pi^ris, 4e l'^a^iS. Epis- 
copi Tel poteAtes , qi:^ in aliis possident regioDibns, 
jadices Tel missoé discassores de aliis proTinciia 
non instituant, nisi de loco, qni jnstitiam percipiant 
et aliis reddant, art. 19. Toyez l'art. la. — (a) Dans 
le concile de Paris, Tan 61 5, art. 5. — (3) Dans la loi 
des Lombards, Ut. II, tit. XIIY^ ch. 11 , édit. de 
Lindembrock. — (4) Servi aldiones , libellarii anti- 
qai,Telalii noTiter facti. lù, — (5) Lettre de Tan 858, 
art. 7 , dans les capitalaires , p. 108. Sicnt illc res 
et facnltates in qaibns TiTont clerici , ita et illae snb 
consecratione immnnitatis snnt de qaibns debent 
militareTassalli. — (6) Il est ajonté à la loi des Baya- 
rois, art. 7. Voyes aassi l'art. 3 de Tédit. de Lin- 



fS Bc l'esp&it ovs lois. 

crimineBe et civile sur tous ceux qrn faabkent 
dans leur territoix^. £iifin le capitulaire de 
Charles-le-ChauYe distingue les juridictions 
du roi (1)9 celles des seigneurs, et cdled des 
églises; et je n'en dirai rmi dayantage. 

CHAPITEE XXII. 

Que les joitices étoient établies ayant la fia de U 

seconde race. 

O N a dit que ce fut dans le désordre de la se> 
coude race que les vassaux s'attribuèrent la 
justice dans leurs fiscs : on a mieux aimé faire 
une pr<^osition générale que de l'examiner : il 
a été plus facile de dire que les vassaux ne pos- 
sédoient pas , que de découvrir comment ils 
poasédoient. Mais les justices ne doivent point 
leur origine aux usurpations ;• elles dérivent 
du premier établifiement , et non pas de sa cor- 
ruption, 

« Celui qui tue un homme libre , est-il dit 
« dans la loi des Bavarois (a), paiera la compo- 
« sition à ses parents , s'il en a ; et s'il n'en a 
V point, il la paiera au duc , ou à celui à qui il 

dembrock, p. 444. iD^primit omniani jubeiidniii 
est ut habeant ecclesise eamm jastitias , et in yita 
illoram qui habitant in ipsis ecclesiis et pqst , tant 
in pecaniia qnàm et in ai^batantiis eamm. — (i) De 
Taa 857, in synodo apud Carisiacum^ a^* 4^ 
édit. de Baluze, p. 96,— (a) Tit. UI, ch. Xin,cdit. 
de Lindembrock. 



LIYKE XXX, CHÀP. XXIX. 67 

« s*étmt recommandé pendant sa Tie. ^^ On sait 
ce que c*étoit qae se recommander pour un 
bénéfice. 

« Celui à qui on a enlevé son esclaye , dit la 
«( loi des Allemands (i), ira au prince auquel 
« est soumis le* rayisseur , afin qu'il en puisse 
a obtenir la composition. » 

« Si un centenier , est-il dit dans le décret de 
« Childebert (a), trouve un voleur dans une 
«autre centaine que la sienne, ou dans les 
«c limites de nos fidèles , et qu'il ne l'en chasse 
« pas, il représentera le voleur, ou se purgera 
« par serment.' » Il y avoit donc de la différence 
entre le territoire des centeniers et celui des 
fidèles. 

Ce décret de Childebert explique la consti* 
tution de Clotaire (^) de la même année, qui , 
donnée pour le même cas et sur le même &it , 
ne diffère que dans les termes, la constitution 

(1) Tit. LXXX V.— (a) De Tan 595,art. 1 1 él 12 , 
édit. des capital, de Ralaze, p. 19. Pari conditione 
«onvenit ut si ana centena in alia centena vestiginm 
secata-fnerit et invenerit, vel in quibnseiimqae fide* 
Uam nostroram terminis yestiginm misent, et ip* 
snm in aliam centenam minime expellere potnerit t 
aat convictns reddat latronem , etc«->(3) Si yestigiis 
comprokatar latronis, tamen prassentisB nibil longe 
mnlctando ; ant si perseqnens latronem annm com- 
préhenderit, integram sibi compositionem accipiat« 
Qnod si in tmste invenitur, medietatem composi- 
tionistmstis adqnirat, et capiule ezigat a latronfo 
Art. a, 3. 



6'd DE L'£5PaiT DES LOIS. 

appelant in truste ce que le décret appelle in 
terminis Jideliian nostrorum» MM. Bignon 
et du Cange (i), qui ont cru que m truste si- 
gnifioit le domaine d'un autre roi , n'ont {5as 
bien rencontré. 

Dans une constitution (2) de Pépin , roi 
d'Italie , faite tant pour les Francs que pour les 
Lombards , ce prince, après avoir imposé des 
peines aux comtes et autres officiers royaux 
qui prévariquent dans l'exercice de la justice, 
ou qui différent de la rendre, ordonne que (3 , 
s'il arrive qu'un Franc ou un Lombard ayant 
un fief ne veuille pas rendre la justice , le juge 
dans le district duquel.il sera suspendra l'exer- 
cice de son fief; et que , dans cet intervalle » lui 
ou son envoyé rendront la justice. 

Un capitulaire de (4) Çharlemagne prouve 
que les rois ne levoient point par-toutles j^^^^ . 
Un autre (5) du même prince nous /ait voir les 
règles féodales et la cour féodale déjà établies. 

(i) Yoyezle Glossaire, aa mot trustisf>^{^) In*« 
ftérée dans ia loi des Lombards, lir. II, tit. LU, §. 1 4* 
G* est le capitulaire de Tan 798) dans Balnze, p. 544S 
art. 10. — (3) Et si forsitan Francns aat Longobardns 
habens beneficinm justitiam facere noluerit, ille 
jadex in en jus ministerio fnerit contradicit illi !>ۥ> 
neficium sunm, intérim dnm ipse ant missat ejoa 
jnstitiam faciat. Voyez encore la même loi des Lom- 
bards, liv. II , tit. LU , S. a , qui se rapporte an ca • 
pitakire de Çharlemagne, de Fan 779^ art. ai. — 
(4) Le troisième de Tan ,8 x a , art. 10. — (5) Le second 
capitalaire de l'an 8i3, *rt. 14 et ao, p. 509. 



LIVUE XXX, CHAP. XXII. 69 

Un autre de Louis-le-Débonnaire veut que , 
lorsque celui qui a un fief ne rend pas la jus- 
tice (i) ou empêche qu'on ne la rende, on vive 
à discrétion dans sa maison jusqu'à ce que la 
justice soit rendue. Je citerai encore deux 
oqpitulaires de Charles -le «Chauve^ l'un de 
l'an 861 (a), où l'on voit des juridictions par- 
ticulières établies , des juges et des officiers 
sous eux ; l'autre (3) de l'an 864 , où il fait la 
distinction de ses propres seigneuries d'avec 
celles des particuliers. 

On n'a point de concessions originaires des 
fiefs, parcequ'ils furent établis par le partage 
qu'on sait avoir été fait entre les yalnqueurs. 
On ne peut donc pas prouver par des contrats 
originaires que les justices, dans les commen- 
cements, aient été attachées aux ûefs : mais si , 
dans les formules des confirmations ou des 

(i) Capitnlare qnintnm anal 819, art. a3, édit, 
de Balaze, p. 61 y. Ut obicamqae missi, aat epis- 
copnm, aat abbatem, aat alium qnemlibet honore 
praedittim , invenerint , qui justitiam facere nolait 
Tel prohibait, de ipsias rebas vivant qoamdia in 
eo loco jostitias facere debent. — (a) Edictom in 
Carisiaco , dans Baloxe, tome II , p. x 5a. Unasqais- 
qa« advocatas pro omnibus de sua advocatione.... 
in convenientia ut cum rainisterialibas de sua advo- 
eatione qnos invenerit contra hana^nnom nostrnm 
feeisse.... castiget. — (3) Edictum Pistense , art. x8, 
cdit. dtfBalu2e, tome II, p. 181. Si in fiscum nos- 
tram, vel in qoamcamqae immunitatem, aat ali- 
cnjns potentis potestatem vel proprietatem , confn* 
gerit , etc. 

xsra. i>Es toit. .'». 



^d t)£ L*£SPRIT DES LOIS. 

Iranslaftioïis à perpétuité de ces fiefs, on trouTe, 
comme on a dit, que la justice y étoit établie, 
il falloit "bien que ce droit de justice fût de la 
nature âa fief, et une de ses principales pré- 
rogatives. 

Nolis avons un plils grand nombre de mo* 
numcnts qui établissent la justice patrimoniMe 
ides églises dans leur territoire que nous n'en 
avons pour prouver ceHe des bénéfices eu fiefe 
des leùdes ou fidèles ; par deux raisons : la pre- 
mière, que la plupart des monuments c^i nc^^ 
testent ont été conservés ou recueillis' |!>ai' les 
moines pour l'utilité de leurs monastères : la 
seconde, que le patrimoine des églises ayant 
été formé par dés concessions partictdierés et 
une espèce de dérogation à Tordre établi , il 
falloit des Chartres pour cela ; au lieu que les 
concessions faites aux leudes étant des consé^ 
quences de Tordre politique , on n'avoit pas 
besoin d'avoir et encore moins de conserver 
vne cbartrsè particulière. Souvent jnéme les 
rois se cozïteiktoient de faire une simple tradi- 
tion parie sceptre , comme il paroit par la vie 
de S. Maur. 

Mais la troisième formule (i) de Marculfe 
nous prouve assez que le privilège d'immu- 
nité , et par conséquent celui de la justice , 

(i) Liv. I. Blaxinram regni noatri angete eredi- 
mos mommentam , si bénéficia opportuna lo^ ee-* 
clesiaram , ant cai volneris dicere , benevoiâ dtflî* 
beratione concedimus. 



LIVRE XXX, CHAP. XXII. 7I 

étoîent communs aux ecclésiastiques <ff: aux 
séculiers, puisqu'elle est faite pour les uns et 
pour les autres. Il en est de même de la consti- 
tution de Clotaire H (i). 

CHAPITRE XXIII. 

IiJbée générale du Hwe de V Etablissement de la 
monarchie française dans les Gaules , par 
M. Tabbé Dubos. 

XTj est bon qu avant de finir ce Kvre j'examine 
un peu l'ouvrage de M. l'abbé Dubos , parce- 
que mes idées sont perpétuellement contraires 
aux siennes; et que , s'il a trouvé la vérité, je 
ne l'ai pas trouvée, 

Cet ouvrage a séduit beaucoup de gens, 
parcequ il est écrit avec beaucoup (l'art; par- 
cequ'on y'fuppose éternellement ce qui est en 
question; parceque plus on y manque de preu- 
ves, plus on y multiplie les probabilités; par- 
cequ^une infinité de conjectures sont mises en 
principe, et qu'on en tire comme conséquen- 
ces d'autres conjectures : le lecteur oublie qu'il 
a douté, pour commencer à croire. Et comme 
une érudition sans fin est placée , non pas dans 
le système , mais à côté du système, l'esprit est 
distrait par des accessoires , et ne s'occupe plus 
du principal. D'ailleurs tant de recherches ne 
permettent pas d'imaginer qu'on n'ait rien 

.(1) .Te l'ai citée dans le chapitre précédent : Epi^f'^ 
copi vel potenfes. 



7» DE l'esprit des lois. 

trouye ; la longueur du voyage fait croire qu'on 
est enfin arrÎTé. 

Mais , quand on examine bien , on trouve un 
colosse immense qui a des pieds d'argile ; et 
c'est parceque les pieds sont d'argile que le co- 
losse est immense* Si le système de M. l'abbé 
Dubos avoit eu de bons fondements, iln'au* 
roit pas été obligé de faire trois mortels volu- 
mes pour le prouver ; il auroit tout ti^uvé 
dans son sujet; et, sans aller chercher de tou- 
tes parts ce qui en étoit très loin , la raison 
elle>méme se seroit chargée de placer cette vé- 
rité dans la chaîne des autres vérités. L'his- 
toire et nos lois lui auroient dit: « Ne prenez 
et pas tant de peine, nous rendrons témoignage 
à de vous. » 

CHAPITRE XXIV. 

Continuation da mfme fojet. Réflexion sur !•- 
fond du aystéme. 

Al. L*ABBi DuBOs veut ôter tonte espèce 
d'idée que les Francs soient entrés dans les 
Gaules en conquérants : selon lui , nos rois , ap« 
pelés par les peuples, n'ont fait que se mettre 
à la place et succéder aux droits de» empereurs 
romains. 

Cette prétention ne peut pas s^appliquer au 
temps où Clovis , entrant dans les Gaules , sac- 
cagea et prit les villes; elle ne peut pas s'appli- 
quer non plus au temps où il défit Syagrius , 
officier romain , et conquit le pays qu'il tenoit : 



livîit: xxjc, chap. xxiv. 73 

elle ne peut donc se rapporter qu'à celui ori 
Clovis, devenu maître d*une grande partie des 
Gaules par la violence , auroit été appelé par le 
choix et Taniour des peuples à la domination du 
reste du pays. Et il ne suffit pas que Clovis ait 
été reçu , il faut qu'il ait été appelé, il faut que 
M. l'abbé Dubos prouve que les peuples ont 
mieux aimé vivre sous la domination de Clovis 
que de vivre sous la domination des Romains , 
ou sous leurs propres lois. Or les Romains de 
cette partie des Gaules qui n'avoit point encore 
été envahie par les barbares éloient, selon M. 
l'abbé Dubos , de deux sortes ; les uns étoient 
de la confédération armoriqne ^ et avoient 
chassé les officiers de Tempercut pour se dé- 
fendre eux - mêmes contre les barbares et se 
gouverner par leurs propres lois ; les autres 
obéissoient aux officiers romains. Or M. l'abbé 
Dubos prouve-t-il que les Romaiifs qui étoient 
encore soumis à l'empire , aient appelé Clovis? 
Point du tout. Prouvc-t-il que la république 
des Armoriques ait appelé Clovis et fait même 
quelque traité avec lui? Point du tout encore. 
Bien loin qu'il puisse jious dire quelle fut la 
destinée de cette république , il n'en sauroit 
pas même montrer Texistence; et, quoiqu'il la 
suive depuis le temps d'Honorius jusqu'à la 
conquête de Clovis , quoiqu'il y rapporte avec 
un art admirable tous les événements de ces 
temps-là, elle est restée invisible dans les au- 
teurs. Car il y a bien de la différence entre 



fjt, DE l'esprit des LOIS. 

inrouver , par un passage de Zozime (i), qne y 
$0us Tempire d'Hon<^rius , la contrée armori- 
que et les autres provinces des Gaules se ré- 
voltèrent et formèrent une espèce de républi- 
que (a) , et faire voir que , raalgré les diverses 
pacifications des Gaules, les Armoriques (ov-r 
merent toujours une république particulière 
qui subsista jusqu'à la conquête de Clovis. 
Cependant il auroit besoin , pour établir son 
système, de preuves bieil fortes et bien préci- 
ses: car quand oii voit un conquérant entrer 
dans un état et en soumettre une grande partie 
par la force et par Ik violence, et qu'on voit 
quelque temps a[Srès l'état entier soumis sans 
que l'histoire dise comment il Ta été, on a un 
très juste sujet de croire que l'affairé a fini 
comme elle a commencé. 

Ce poinJt tuie fois manqué , il est aisé de voir 
que tout le système de M. l'abbé Dubos croule 
de fond en comble ; et toutes les fois qu'il tirera 
quelque conséquence de ce principe; que les 
Gaules n'ont pas été conquises par les Francs , 
mais que les Francs ont été appelés par les 
Romains , on pourra toujours la lui mm^ 

M. l'abbé Dubos prouve son principe par 
les dignités roniaines dont Clovis fut rçv'étu ; 
il veut que Clovis ait succédé à Childétic son 
peré dans l'emploi de màitre de la milice. Maïs 
ces deux charges sont purement de sa créa- 
— • " ■ ■ I ' I II » I ■ 

(i) Hist. Ht. VI. — (a) Totnsqne tractns armciri* 
cas , aliaMjaé Galliarom pro-vincise. Ibid, 



tITRE rrX, CH^ÀP. XTIV. 7? 

tion. La lettre de S. i emi à CIovîs , sur laquelle 
il se fonde (i), n'est qu'une félicita tion sur 
son avènement à la couronne. Quand l'objet 
d'un écrit est connu, pourquoi lui en donner 
un qui ne Test pas ? 

Cibvis, sur la fin de son règne, fut fait con- 
sul par l'empereur Anastase : mais quel droit 
pouYoit lui donner une autorité simplement 
annale? 11 y a apparence , dit M. l'abbé Dubos^ 
que, dans le même diplôme, l'empereur Anas- 
tase fit CloTis proconsul. £t moi je dirai qu'il 
y a appajrencè qu'il ne le fit pas. Sur un fait 
qui n'est fondé sur lien , l'autorité de celui qui 
le nie est égale à l'autorité de celui qui l'aile- 
gue. J'ai même une raison pour cela. Grégoire 
de Tours , qui parle du consulat , ne dit rien 
du proconsulat, Ce proconsulat n'auroit été 
même que d'environ six mois. Clovis mourut 
tm an et demi après avoir été fait consul : il 
n'est pas possible de faire du proconsulat une 
charge héréditaire. Enfin , quand le consulat, 
et si l'on veut, le proconsulat, lui furent don- 
nés , il étoit déjà le maitf e de la monarchie , et 
tous ses droits étoient établis. 

La seconde preuve que M. l'abbé Dubos 
allègue , c'est la cession faite par l'empereur 
Justinien aux enfants et aux petits-enfants de 
Clovis de tous les droits de l'empire sur les 
Gailles. Taurois bien des choses à dire sur 
cette cession. On peut juger de l'importance 

■ 1 I —pi—. Il 1 f ! ■ 

(i) ToibeII,liV.ni,tKXVin,i». a70. 



7<5 ïJE l'espbit des lois. 

que les tois des Francs y mirent par la manière 
dont ils en exécutèrent les conditions. D'ail- 
kurs les rois dès Francs étoient maîtres des 
Gaules; ils étoient souverains paisibles; Jus- 
tinien n*y possédoit pas eu pouce de terre; 
l'empire d'occident étoit détruit depuis long- 
temps ; et l'empereur d'orient n avoit de droit 
sur les Gaules que comme représentant Tem- 
pereur d'occident : c'étoit des droits sur des 
droits. La monarckie des Francs étoit déjà 
Ibndée ; le règlement de leur étal]jissément 
étoit fait; les droits réciproques des personnes 
et des diverses nations qui vivoient dans la 
monarchie étoient convenus ; le;5 lois de cha- 
que nation étoient données et même rédigées 
pw écrit. Que faisoit cette cession étrangère 
à un établissement déjà formé ? 

Que veurt dire M. l'abbé Dubos avec les dé-» 
rlamations de tous ces évéques qui 9 dans le 
désordre, la confusion, la chute totale de l'état, 
les ravages de la conquête , cherchent à flatter 
le vainqueur ? Que suppose la flatterie, que la 
foiblesse de celui qui est obligé de flatter ? Que 
prouvent la rhétorique et la poésie , que l'em- 
ploi même de ces arts ? Qui ne seroit étonné de 
vcnr Grégoire de Tours , qui , après avoir parlé 
des assassinats de Clovis , dit qu€ cependant 
Dieu prosternoit tous les jours ses ennemis^ 
parcequ'il marchoit dans ses voies ? Qui peut 
douter que le clergé n'ait été> bien aise de la 
conversion de Clovis , et qu'il n'en ait mêmç 
tiré de ^ajids avantages ? Mais qui p«ut dour 



LÎTRE XX1K, CHIP. XXIT. 77 

ter en même temps que les peuples n'aient es- 
suyé tons les malheurs de la concfuéte , et que 
le gouTemement romain n*ait cédé au g ou^er- 
nement germanique ? Les Francs n'ont point 
voulu et n'ont pas même pu tout changer, et 
même peu de vainqueurs ont eu cette manie. 
Mais , pour que toutes les conséquences de. 
M. l'abbé Dubos fussent vraies , il auroit fallu 
que non seulement ils n'eussent rien changé 
chez les Romains , mais ei^core qu'ils se fussent 
changés eux-mêmes. 

Je m'engagerois bien , en smvant la méthode 
de M. l'abbé Dubos ^ à prouver de même que 
les Grecs ne conquirent pas la Perse. D'abord 
je parlerois des traités que quelques unes de 
leurs villes firent avec les Perses : je parlerois 
des Grecs qui furent à la solde des Perses , 
comme les Francs furent à la solde des Ro- 
mains. Que si Alexandre entra dam le pays 
des Perses, assiégea, prit , et détruisit la ville 
de Tyr , c'étoit une affaire particulierp comme 
ccDe de Syagrius. Mais voyez comment le pon- 
tife des Juifs vient au-devant de lui : écoutez 
l'oracle de Jupiter Ammon : r^ssouvenez-vous 
comment il avoit été prédit à Gordium : voyez 
comment toutes les villes courent, pour ainsi 
dire, au-devant dé lui; comment les satrapes 
et les grands arrivent en foule. Il s'habilie à la 
manière des Perses; c'est la robe consulaire 
de Clovis. Darius ne lui offrit-il pas la moitié 
de son royaiune? Darius n'est-il pas assassiné 
Comme un tyran? La mère et la femme de Da- 



jS DE L'ESPKIT des LOIS. 

rias tte plearent-elles pas )a mort d'Alexandre? 
Quinte-Cttrce^Arrien^ Plutarque, étoient-ils 
contemporains d'Alexandre ? L'imprimerie ( i ) 
ne nous a-t-eUe pas donné des Inmieres qui 
manquoient à ces auteurs ? Voilà l'histoire de 
ï Etablissement de la moncrchie française 
dani les Gcuiles. 

CHAPITRE XXV. 

De la noblesse françsite. 

^1. L*ABBi DnBos soutient que, dans les 
premiers temps de notre monarchie,, il n'y 
avoit cpi'un seul ordre de citoyens, parmi les 
Francs. Cette prétention injurieuse au sang de 
nos premières familles nele seroit |>as moins 
aux trois grandes maisons qui ont successive- 
ment régné sur nous. L'ori^^ine de leur gran- 
deur n'iroit donc point se perdre dans l'oubli ^ 
la nuit, et le temps: l'histoire édaireroit des 
siècles o^ elles auroient été des famiUes como- 
munes; et pour que Qiildéric, Pépin, et Hu- 
gues Capet fussent gentilshommes, il faudroit 
aller chercher leur origine parmi les Romains 
OU lés Saxons , c'est >à*dire |>armi les nations 
subjuguées. 

M . l'abbé Dubos fonde (2) son opinion sur 
la loi salique. Il est clair, dit-il, par cette loi 

(i) Voyez le discours prclimiiîarirc de M. Tabhé 
Dnbo». — (2) ToynrEtffbiirsfiuent de la inonarchie 
fra nçaise , tokne Iir , lîv. VI , eh, IV, p. 3o4 . 



\ 

■ 

qu'il a'y aroit point deux xicrdres de cUoyeiu 
ckes les Fcaiu». £Ue doimeit éeux cents sous 
de composition pour ia mort de quelque Franq 
que ce fut (i); mais die distioguoit chez les 
Âomains le convive du roi , pour là mort dk- 
^p&el dk donnoit tnois ocspAs sous de compo- 
sitteny du Romain possesseur, à qui elle en 
domifHt çemt , et dullomain tributaire, à qui 
ellea*en donnoit que quarante-cinq. Et , coiD- 
me la différence des compositions faisoit la 
distinctioa principale , il conclut que , chez les 
Francs , il u*y avdit (|U*uu ordre de citoyens , 
et qu'il y an avoit troisckes les Romaitis. 

Û est surprenant que son erreur même nr 
lui ait pas fait découvrir sob ccrreur. £n effet 
il eût été bien extraordinaire \que les n;ohle.s 
romains, q^ vivoiant sous la domination des 
Fi'aaics , y eussent eu une composition pkis 
f(raade et y eussent été des personnages plus 
knportimts qiïe les plus illustres des Francs et 
leurs plut grands'capitainesik QùeUe apparence 
que le peujde vaincpieur eut eu si peu de res- 
pect poui^ lui-même, et qu'il en eût eu tant 
pour le peuple vaincu? De plus, M. Vàbbé 
Bubos cite4es lois des autres nations barbares 
qui prouvent qu'il y avoit parmi eux divers 
ordres de citoyens. Il seroit bien extraordi- 
naire que cette règle générale eàt précisément 
manqué chez les Francs. Cela aiiroit dû lui 
— I II 1 . 1 ■ " 

(i) ileitele^treXLïVAeo«t^i©ii«tlalMi«# 
lUpnaires , tit, VU «t XXXVI. 



bo DB L'BSPaiT DBS LOCS. 

faire penser qu'il eatendoit mal ou qu'il ap- 
pliquoit malles textes de la loi salique ; ce qui 
lui est effectivement arrivé. 

On trouve, en ouvrant cette loi, que. la 
composition pour la mort d'un antrustion (i), 
c'est-à-dire d'un fidèle ou vassal du roi, étoit 
de six cents sous, et -que celle pour la mort 
d'un Romain convive du roi n'étoit que de 
trois cents (a). On y trouve (3) que la ccmipo- 
sition pour la mort d*un simple Franc étoit de 
deux cents sous (L) , et que celle pour la.mQrt 
d'un Romain (5j d'une condition ordinaire 
n'étoit que de cent« On pajoit encore pourJa 
mort d'un. Romain tributaire (6), espèce de 
serf ou d'affranchi, une composition 'de qua- 
rante-cinq sous; mais je n'en parlerai point, 
non plus que de celle pour la mort du serf 
franc ou de l'affranchi franc : il n'est point ici 
question de ce troisième ordre de personne». 

Que ^it M. l'abbé Dubos? il passe sous si- 
lence le premier ordre de personnes chez les 
Francs , c'est-à-dire l'ardde qui concerne les 
antrustions ; et ensuite , comparant le Franc 
ordinaire pour la mort duquel on payoitdeux 

(i) Qui in truste dominica est, tit. XLTV, $. 4 ; 
et cela se rapporte à la formule 1 3 de Marculfe , iie 
régis antrustione^ Voyez aussi le tit. LXVI de la loi 
salique, §. 3 et 4 ; et le tit. LXXIY ; et la loi des 
Ripuaires , tit. XI ; et le capitulaire de Charles-le- 
Chauve, apuii Carisiacum, de l'an S77, ch. XX. 
— (a) Loi salique, tit. XLIV, J. 6.— (3) Ihid. %. 7. 
—(4) Vfid, S. I.— (5) Ibid. S. i5.— (6) Ibid. %. 4. 



LITAE XXX, CHÀP. XXT. %l 

çetAs SOUS de composition avec ceux ijn'il ap- 
pelle des trois ordres chet'les Romains, et 
pour la mort desquels pn payoit des compo- 
sitions différentes ,' il trouve qu'il n'y a voit 
qu'un seul ordre de citoyens chez les Francs, 
et qu'il y en avoit trois chez les Boinains. 

Comme, selon lui, il n y avoit qu'un seul 
or^^ de personnes chez les Francs , il eût été 
bon qu'il n'y en eût eu qu'un aussi chez les 
Bourguignons , parceque leur royaume forma 
une des principales pièces de notre monarchie. 
Mais il y a dans leurs codes trois sortes de 
compositions (i); -Funepoùrle noble bourgui- 
gnon ou romain , Fautre pour le Bourgmgnon 
ou Romain d'une condition médiocre , la troi- 
sième pour ceux qui étoient d'une condition 
inférieure dans les deux nations. M. l'abbé 
Dubos n'a point cité cette loi. 

n est singulier de voir comment il échappe 
aux passages qui le pressent de toutes parts (ji). 
Lui parle^t-on des grands , des seigneurs , des 
nobles ? Ce sont , dit-il , de simples distinctions , 
et non pas des distinctions d'ordre ; ce sont des 

(i) Si qitis , quolibet caêa , Hentem optimati Bar- 
I gundioni vel Romano nobili excnsserit, solidos vi- 
I ginti quinque cogatnr exsolvere ; de mediocribus 
personisingeniiis, tam Burgnndionibiis quai» Ro- 
manis , si dens çxcussqs fnerit, decem soUdis corn- 
ponatar ; de infetiorîbas personis , qmnqae solidos. 
Art. I, a, et 3 dntit. XXTI de la loi desBonrgoi- 
gaons. — (a) Etablissement de la monarchie français^ 
tome III , Uv. VI , ch. IV etV. 

tSPK, BKS 1.018. 5. 9 



8a DE l'esprit des lois* 

choses de Gourtoiaie , et non pas des proroga- 
tives de laicà. Ou bien , dit-il , les gens dont on 
parle étoient du conseil du roi;. ils pouvoient 
même être des Romains : mais il nf avoit tou- 
jours qu'un seid ordre de citoyens chez les 
Francs. D'un autre coté , s'il est pai^é de quel^ 
que Franc dW rang inférieur (i) , ce sont des 
serfs; et c'e&tide cette maniera qu'il interprète 
lé déeret de Childebert. Il est nécessaire que 
je m'arrête sur ce décret. M. l'abbé Dubos Ùl 
rendu fameux , pareequ'il s'en est servi pour 
prouver deux choses; l'une (a), que toutes les 
compositions que l'oi^ trouve dans les lois des 
barbares n' étoient que des intérêts civils ajou- 
tés aux peines corporelles ^ ce qui renverse de 
fond en comble tous les anciens moatuments ; 
l'autre , que tous les hommes libi^es étoient 
jugés directement et immédiatement par le 
roi Çi)^ ce qui est contvedit par une infinité 
de passages et d'autorités qui nous font con- 
noitre l'ordre judiciairç de ees temps^là{4)« 

Il est dit dans ce décret , fait dans une assem- 
blée de la nation (5), que si le juge trouve un 

( I ) Etablissement de la nionarôhi« francise ^ tçvxe 

ni , liv. YI , ch. V, p. 3 1<) et 3ao.~(a) J*m/. Uv. ¥1, 

«h. IV, p. 3o7 et 3o8.~(3) Ch. VI, p. Sop ; et «a 

«h. «air. p. 3*9 et 3«o. — (4) Voye» le Kv. XXVIU 

^ecet €mvi«ge,ch.XXVin ; etle liv. XXXI, eh. Via. 

— (5) Itiiqpe eolonia conveoit et ita baanivimnt , ut 

ian^a^iaque jndex criminoiam latronam ut an- 

i4i«i(it y ad-oaaam«aafn ambnlet , et4.p8iim ligare-Ci- 

«iat : ita nt, si Francos loerit, ad noatram praêtB- 



I^IYRÇ XXX, C9AP. XXV. 8*) 

▼oleur fameux, il le fera lier pour être envoyé 
devant le roi , si c'est un Franc ( Francus ) ; 
maisT si c'est une personne plus toible ( debi- 
iforpersona\ il SM*a pendu sur le lieta. Selon 
M. TabbéDubos, Franctisthl un bommelibre, 
ileb^lior persciftae&X. un serf. J'ignorerai pouf 
un aipment ce que peut signifier ici le mot 
Franci0^ et je commencerai par examiner ce 
qu'on peut entendre par ces motstme personne 
plm foible^ Je dis que, dans quelque laengoe 
que ce soit , tout comparatif suppose nëcésaai* 
rement trois termes, le plus grand, le moindre, 
et le plus petit. S*il n'étoit ici question que des 
hommes libres et des serfs, on auroit dit ju» 
S0rf^ çt non pas im homme dtt^ moindre 
puissemce. Ainsi tiebiiior personane signifie 
point là un serf, mais une personne aa^es- 
sous de laquelle doit être le serf* Cela posé, 
Franais ne signifiera pas un homme libre , 
mais un homme puissant : et Francus est pris 
ici dans cette acception , parceque pa^mi les 
Francs étoient toujours ceux qui avoientdans 
l'état une plus grande puissance, et qu'il étoit 
plus difficile au juge ou au comte de corriger. 
Cette explication s'accorde avec un grand 
nombre de capitulaires (i) qui ddkment les 
cas dans lesquels les criminels pouvoient être 



tiam diris^atar ; et, si debllior persoaa faerit, in loco 
peodtti^i-. Capitalaires de l'édition de Ralaee, tonte I, 
p. 19. — (i) Voyez le liv. TtXTIII de cet ouvrage, 
ch. XXVIU ; et le liv. XXXI , cb. Vni. 



84 I>S L^ESPRIT DES LOIS.* 

renroyés devant le roi , et ceux qù ils ne le 
pouvoient pas. 

On trouve dans la vie de Louis-le-Débon- 
naire, écrite par Tégan (i), que les ëvèques 
furent les principaux auteurs de l'humiliation 
de cet empereur, sur-tout ceux quiavoient été 
serfs et ceux qui étoient nés parmi les bar- 
bares. Tégan apostrophe ainsi Hébon, que ce 
prince avoit tiré de la servitude et avoit fait ar- 
chevêque de Reims : « Quelle récompense Tem- 
« pereur a-t-41 reçue de tant de bienfaits (2) ? 
« Il t'a fait libre , et non pas noble ; il ne pou- 
ce voit pas te faire noble après t'avoir donné la 
<t liberté. » 

Ce discours, qui prouve si formellement 
deux ordres de citoyens , n'embarrasse point 
M. FabbéDubos. Il répond ainsi (3): « Ce pas- 
ce sage ne veut point dire que Louis-le-Débon- 
« naire n'eût pas pu faire entrer Hébon dans 
«Tordre des nobles. Hébon, comme arche- 
« véque de Reims, eût été du premier ordre, 
« supérieur à celui de la noblesse. » Je laisse au 
lecteur à décider si ce passage ne le veut point 
dire; je lui laisse à juger s'il est ici question 
d'une préséance du clergé sur la noblesse. 
«Ce passage prouve seulement, continue (4) 

(i) Ch. XLIII ctXLIV.~.(a) O qualem remane- 
rationem reddidisti ei 1 Fecit te lïberam , lion no- 
bilem , quod impotsibile est post libertatem. I6id. 
— (3) Ëtablissement de la monarchie française, tome 
iII,Uv. VI,ch. IV,p. 3i6.~(4) ////Vy. 



LIVRE XXX, CHAP. XXV. 85 

a M. Fabbë Dubos , que les citoyens nés libres 
<t étoient qualifiés de nobles -hommes : dans 
« l'usage du monde , noble-homme et homme 
A né libre ont signifié long -temps la même 
a chose. » Quoi ! sur ce que , dans nos temps 
mMemes , quelques bourgeois ont pris la qua- 
lité de nobles-hommes, un passage de la vie 
de Louis-le-Débonnaire s'appliquera à ces sor* 
tes de gens ! « Peut-être aussi , ajoule-t-il en- 
n core(i), qu'Hébon n'avoit point été esclave 
et dans la nation des Francs , mais dans la na- 
« tion saxone , ou dans une autre nation ger- 
<t mauique où les citoyens étoient divisés en 
« plusieurs ordres. » Donc , k cause du peut- 
être de M. l'abbé Dubos , il n'y aura point eu 
de noblesse dans la nation des Francs. Mais il 
n'a jamais plus mal appliqjaé àe peiU-éùre^ On 
vient devoir queTégan(2)distingue les évêquei 
qui avoient été opposés à Louis-le-Débonnaire, 
dont les uns avoient été serfs, et les autres 
étoient d'une nation barbare. Hébon étoit des 
])remiers , et non pas des seconds. D'ailleurs 
je ne sais comment on peut dire qu'im serf tel 
qu'Hébon auroit été Saxon ou Germain : un 
serf n'a point de famille , ni par conséquent 
de nation. Louis -le -Débonnaire affranchit 



(i) Etablissement de la monarcliie fraoçaise , tome 
m, lii^.Vl, ch. IV, p. 3i6.— (a) Omnés episcopi 
iiiolesti faersnt Ludovico , et maxime ii qnos c »er- 
TÎli condition© honora tos babebat , cum bit qui ex 
barbaris nationibai ad hoc fastiginm pcrdoeti aunt. 
De gestis LiuioPici Pii^ cap. ^LUI et XLIV. 



bÔ DE l'ïSPRIT des LOIS. 

HéboD; et comme les serfs affranchis pre- 
noient la loi de leur maître , Uébon devint 
Franc , et non pas Saxon on Germain. 

Je viens d'attaquer, il faut que je me dé- 
fende. On me dira que le corps des an trustions 
formoit bien dans l^tat un ordre distingué%e 
celui des hommes libres ; mais que , comme 
les fiefs furent d'abord amovibles et ensuite à 
vie, cela ne pouvoit pas former une noblesse 
d'origine , puisque les prérogatives n'étoient 
point attachées à un fief héréditaire. C'est 
cette objection qui a sans doule fait penser à 
M. de Valois qu'il n'y avoit qu'un seul ordre 
de citoyens chez les Francs: sentiment que 
M. l'abbé Dubos a pris de lui , et qu'il a abso- 
lument gAté à force de mauvaises preuves. 
Quoi qu'il en soit , ce n'est point M. l'abbé 
Dubos qui auroit pu faire cette objection. Car, 
ayant donné trois ordres de noblesse romaine, 
et la qualité de convive du roi pour le premier, 
il n'anroit pas pu dire que ce titre marquât 
plus une noblesse d^origine que celui d'an- 
trustiom Mais il faut une réponse directe. Les 
antrustions ou fidèles n ctoient pas tels parce- 
qu'ils avoient un fief, mais on leur donnoit un 
fief parcequ'ils étoient antrustions ou fidèles. 
On se ressouvient de ce que j'ai dit dans les 
premiers chapitres de ce livre: ils n'avoient 
pas pour lors , comme ils eurent dans la suite, 
le même ûe£^ mais s'ils n'avoient pas celui-là , 
ih en avoient un autre, et parceqiie les fief» se 
donnoient à la naissance , et parcequ'ils se 



LITRE XXX4 CnAP. XXV. 87 

donnoîent souvent dans les assemblées de la 
nation , et enfin parceque , comme il étoit de 
rintérét des nobles d'en avoir, il étoit aussi de 
l'intérêt du roi de leur en donner. Ces famiJles 
étoient distinguées par leur dignité de ûdeles 
et parla prérogative de pouvoir se recomman- 
der pour un fief. Je ferai voir dans le livre sui- 
vant (i) comment ^ par les circonstances des 
temps, il y eut des hommes libres qui furent 
admis à jouir de cette grande prérogative, et 
par conséquent à entrer dans Tordre de la 
noblesse. Cela n étoit point ainsi du temps de 
Contran et de Chiidebert son neveu ; et cela 
étoit ainsi du temps de Charlemagne. Mais 
quoique dès le temps de ce prince les hommes 
libres ne fussent pas incapables de posséder 
des fiefs, il paroît, par le passage de Tégan 
rapporté ci-dessus , que les serfs affranchis en 
étoient absolument exclus. M. FabbéDubos (2), 
qui va en Turquie pour nous donner une idée 
de ce qu'étoit l'ancienne noblesse française, 
BOUS dira-t-il qu'on se soit jamais plaint en 
Turquie de ce qu'on y élevoit aux honneurs 
et \aux dignités des gens de /basse naissance, 
comme on s'en plaignoit sous les règnes de 
Louis-le-Débonnaire et de Charles4e-Chauve ? 
On ne s'en plaignoit pas du temps de Charle- 
magne , parceque ce prince distingua toujours 



(i) Ch. XXIII.— (2) Histoire de rEtablisscment 
de la monarchie française , tome III ^ liv. VI ^ ch. IV, 



p. 3oa. 



b3 DE l'esprit des lois. 

les anciennes familles d'avec les nouvelles ; ce 
que Louis-le-Débonnaire et Charles4e-Chauv€ 
ne firent pas. 

Le public ne doit pas oublier qu'il est rede- 
vable à M. l'abbé Dubos de plusieurs compo- 
sitions excellentes. C'est sur ces beaux ouvra- 
ges qu'il doit le juger et non pas sur -celui-ci. 
M. l'abbé Dubos y est tombé dans de grandes 
fautes, parcequ'il a plus eu devant les yeux 
M. le comte de Boulainvilliers que son sujet. 
Je ne tirerai de toutes mes critiques que cette 
réflexion : Si ce grand homme a erré , que ne 
dois-je pas craindre ? 

LIVRE XXXI. 

THÉORIE DBS LOIS FEODALES CHEZ LES FRA.?iCS, i>AT(S 
LE RAPPORT qu'elles ONT AYEC LES RESOLUTIONS 
DE LEUR MONARCHIE. 



CHAPITRE PREMIER. 
Changemeiits daus les offices et les fiefs. 

« 

jj 'abord les comtes n'étoient envoyés dans 
leurs districts que pour un an; bientôt ils 
achetèrent la continuation de leurs offices. On 
en trouve un exemple dès le règne des petits- 
enfants de Clovis. Un certain Péonius (i) étoit 

(i) Grégoire de Tours, liv. IV, ch. ILII. 



tI\RE XX\1, CHAP. T* • 8() 

comte dans la ville d'Auxerre : il envoya son 
fils Mummolus porter de l'argent à Contran 
pour, être continué dans son emploi; le fils 
donna de l'argent pour lui-même , et obtint la 
place du pcre. Les rois avoient déjà commencé 
à corrompre leurs propres grâces. 

Quoique par la loi du royaume les fiefs fes- 
sent amovibles , ils ne se donnoient pourtant 
ni ne s'ôtoient d'une manière capricieuse et 
arbitraire; et c'étoit ordinairement une des 
principales choses qui se tràitoient dans les^ 
assemblées de la nation. On peut bien penser 
que la corruption se glissa dans ce point comme 
elle s'étoit glissée dans l'autre ^ et que Ton con- 
tinua la possession des fiefis pour de l'argent , 
comme on continuoit la possession des comtés. 

Je fef>ai voir dans la suite de ce livre ( i ) 
qu'indépendamment des dons que les prinqes 
firent pour un temps , il y en eut d'autres qu'ils 
firent pour toujours. 11 arriva que la cour vou- 
lut révoquer les dons qui avoient étéfaits : cela 
mit un mécontentement général dans la na- 
tion , et l'on en yit bientôt naître cette révolu- 
tion fameuse dans l'histoire de France , dont 
la première époque fut le spectacle étonnant 
du supplice de Brunehault. 

Il paroit d'abord extraordinaire que cette 
reine , fille , sopur, mère de tant de rois , fe- 
meuse encore aujoui'd'hui par des ouvrages 
dignes d'un édile ou d'un proconsul romain , 
> •' . , ' 

(x) Ch. VII. 



90 DE L*ESPKIT DES LOISt 

née ayec un génie admirable pour les aCfaîres, 
douée de qualités qui ay oient été si longrtemps 
respectées, se soit vue (i) tout à coup exposée 
à des supplices si longs , si honteux , si cruels , 
par on roi(a) dont l'autorité étoit assez mal af- 
fermie dans sa nation, si ellen'étoittombéepar 
quelque ccuse particulière dans la disgrâce de 
dette nstion. Clotaire lui (5) reprocha la n<ort 
de dix rois r mais il y en avoit detrx qu'il iit lui* 
même mourir; la mort de quelques autres fut 
le crime du sort, ou de la médianceté d'une 
antre reine ; et ttne nation qui avoit laissé mou- 
rir Frédégonde dans son lit , qui s'étoit mène 
opposée (4 ) à la punition de ses époutantaiUes 
crimes, devoit être bien froide sur- ceux de 
BrUnehault. ' 

Elle fut mise stir un chameau , et ouf la pro- 
mena dans toute l'armée; marque certaine 
qu'elle étoit toilibée dans la disgrâce de cette 
armée. Frédégaire dit que Protaire , farori de 
Brunehault , prenoit le bien des seigneurs et 
en gorgeoit id fisc, qu*il huniiiibit la noblesse, 
et que personne ne pouYoit être sûr de garder 
le poste qu'il avoit (5). L'armée conjura contre 

(i) Chronique de Frédégaire , ch. XLII. — (a) Clo- 
taire II, fils de Chilpéric et père de TJagobert. — 
(3) Chronique de Frédégaire , ch» XLII. — (4) Voye« 
Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XXXI. — (5) SacT» 
illi fuit contra personas iniquitas, fisco nimiùm 
tribnens, de rébus personarum ingeniosè fiscnm 
vellens implere.... nt nulliis ^cp^^i^ef^ll' qui gradmn 



JLIVAK XXXI9 CHAF. I. 9I 

lui) on le poignarda dans »a tente; et Brune- 
hault» soit par les vengeai^ces (i).qu dje tira 
de cette mort, «oit p^ 1^ j>ûursuite du m^fçbe 
plan, devint tous ^^s jours' plus od^u#e à la 
nation {%). 

Clotaire , ambitieux 4€régner seul ^ et plein 
de là plus affreuse yengeance , sur de périr si 
les.emiants de ^runeh^ult av;oient le 4€%f!as, 
.entra daz^ une «^juratio^ ço^eli^ii^^nie; 
et , soit qu'il fût mal habile ou qu'il fût J&>rcé 
par les circonstances , il se rendÂt a^^^Aeur 
de Brunebault , et fit faire d^ ceti;e nRe un 

exemple terrible^ 

Wamachaire. avoit été l'ame de la çcinju- 
ration pcmtre Brunelmult : il fut £^t jeajf^de 
Bourgogne ; il exigea de Clotaire qu'il ^e so- 
roit jaii^Mf 4^pl$ieé pendant sa yia (3). P^-là 
le i9{û|^ ne p^ pl^is être d^i^ le casp^^ ^vpienf 
été les seign^rs français ; et cette aiM^ité 
jConupn^$a,à se r^dre indépendante de Tau- 
jtorité soyi^. 

C!f§toit 1^ funeste régence .de Brunebault 
qpx ^<ût «iur*U>nt e^arpuçhé ^ ^tion. Xjm- 

■'■'./ 
quem ari)ipaerfit.potiiis4et»(l^amere. Cbrouigae de 

Frédcgaire, ch. ;K.X\I1, sur l'«i 6o5.— (i) Ibid. 

sar Tan 607. — {a) Ibid, çh. XLI , sur Tan 61 3. Bor- 

gandiap farones, tam episcopi qaàm caeteri leodes , 

timentet Bmmcliildeiii et odiam in eam habentes , 

«onsiliiini tnientei, «te. — (3) dhroniqne de^'fédé- 

gaire, cbu XUI , «or Taa 61 3. Sacnumonma Clot^o 

accef^to ne UD^uain -vit» toas tempocibus d^i^- 

«Uretor. 



^a DE L ESPRIT DES LOIS* 

dis que les lois subsistèrent dans leur force ^ 
personne ne put se plaindre de ce qu'on lui 
ôtoit un fief, puiscpie la loi ne le lui donnoit pas 
pour toujours : mais cfuand TaYarice , les mau- 
vaises^ pratiquées, la corruption, firent donner 
des fiefs, on se plaignit de ce qu'on étoit privé 
par de mauvaises voies des choses que sou-^ 
vent on avoit acquises de même. Peut-être que 
si le bien public avoit été le motif de la révo- 
cation des dons on n'auroit rien dit : m,ais on 
iaont|||t Tordre sans cadier la corruption; on 
récknRt le droit du fisc ^ pour prodiguer les 
biens du fisc à sa fantaisie ; les dons ne furent 
plus la récompense ou Tespérahce des services. 
Brunehault , par un esprit corrompu ^ voulut 
corriger les abus de la corruption ancienne. 
Se$ caprices n'étoient point ceux d'iin esprit 
foible: les leudes et les grands officiers se 
crur^it perdus; ils la perdirent. 

Il s*en faut bien que nous ayions tous les 
actes qui furent passés dans ces temps-là;' et 
les faiseurs de chroniques, qui savoient à peu 
près de Thistoire de leur temps ce que les vil- 
lageois savent aujourd'hui >ie cdle du nôtre , 
sont très stériles. Cependant nous avons une 
constitution de Clotaire, donnée dans le con- 
cile de Paris (i) pour la réformation des abus , 
qui fait voir que ce prince fit cesser les plaintes 
— ^^^— — — i^— ^f I II III 1 I I II ■ 

(i) Qaelqne temps après le supplice deBmne- 
haolt, Tan 6r5. Yoyes rédition des capitaUires de 
Balnze, p. ai. 



LIV&S XXXI, CHAF. 1^ ^3 

qui avoient donné lieu à la révolution (i). 
D'im côté, il y confirme tous le», dons qui 
avoient été faits ou confirmés par les rois se» 
prédécesseurs (a); et il ordonne deTai^treqme 
tout ce qui a été 6té à ses leudes ou fidèles leur 
soit rendu (3). 

Ce ne fut pas la seule conce^ion que le roi 
fit dans ce concile ; il voulut que ce qui avoit 
été fait contre le privilège des ecclésiastiques 
fût corrigé ^) ; il modéra l'influence de la 
cour dans les élections aux évéch^ (5). Lf roi 
réiorma de même les affaires fiscales; il voulut 
que tous les nouveaux cens fussent ôtés (6); 
qu'on ne levât aucun droit de passage établi 
depuis la mort de Contran, Sigebert et Chil- 
péric (7); c'est-à-dire qu'il supprimoit tout 
ce qui avoit été fait pendant les régences de 
Frcdégonde et de Brunehault : il défendit que 

( I ) Qme contni rationis ordinem acta vel ordinata 
sont, ne in antea,(iiiodavertat diviaius, contingant, 
disposaerimaf , Ôirûto praeaille , p«r linjas edicti 
nostri tenorem generaliter emendare. In prouïmio , 
édit. des capital, de Baluze, art. 16. — (a) lùid. 
— (3) lèid, art. 17.— (4) Et qaod per tempora ex 
lioc praetermistam est vel deblnc perpetoaliter ob- 
seryetar. — (5) Ita ut^ episcopo decedente , in loco 
ipsins qui a metropolitano ordinari débet enm pro- 
viacialibos , a dero et populo eligator ; et si pertona 
coadigna fnerit, per ordinationem .priueipit ordi- 
netur ; vel certè si de palatio eligitar , per nseritiuii 
personae et doctrinae ordiiietnr. /^<W. art. x • — (Ci) Ut 
nbicnmqae censns novas impie additiis est emen- 
detar. Art. 8. — (7) Ibid, art. 9. 

KSPR. DIS TtOIS. 5. 



(^4 DE l'esprit des lois. 

tes tt*oapeaax fussent meaés dans les forêts 
dc8parti<^er»(i]: et nous allons voir tout- 
à-lTieure rpie la réforme fut encore plus géné- 
rale, et s'étend. t aux affaires civiles. 

CHAPITRE II. 
Comment le goaTemement oivil fut réformé. 

Otc avoit vu jusqu'ici la nation donner des 
'marques d'impatience et de légèreté hur le 
choix ou sur la conduite de ses maîtres; on 
l'avoit vue régler les di^férents de ses maîtres 
entre eux et leur imposer la nécessi'é de la 
paix: maïs ce qu'on n'avoit pas encore vu , la 
nation le fil pour lors; Alt jeta les yeux 5ur sa 
situation ac^tuelle; elle examina ses lois de 
sang Iroid; elle pourvut à leur insuffisance; 
elle arrêta la violence ; elle régla le pouvoir. 

Les régences mâles , hardies et insolentes , 
deFrédégondeet de Brunehault avoient moins 
étonné cette nation qu'elles ne l'a voient aver- 
tie. Frédégondeavoil défendu ses méchancetés 
par ses méchancetés mêmes ; elle avoil justiÈé 
le poison et les assassinats par le poison et les 
assassinats ; elle s'étoit conduite de ma^niere 
que ses attentats étoient encore plus particu- 
'liers que publics : Frédégonde fit plus de maux; 
* Brunehault en fit craindre davantage. Dans 
cette crise la nation ne se contenta pas de met- 
tte ovàte au gouvernement féodal , elle voulut 

(x)Tojes]*cdit. des capital. dcBaluze^art. sr. 



LIYEE XXXI, CHÀP. II. g% 

aussi assurer son gouTeraement civil : car ce- 
lui-ci étoit encore plus corrompu que Tautre; 
et cette corruption étoit d'autant plus dange- 
reuse qu'elle étoit plus ancienne, et teno't plus 
en quelque sorte à Tabus des mœurs <qu*à Ta* 
bus des lois. 

L'histoire de Grégoire de Tours et les autres 
monuments nous font voir , d'un c6té , une na- 
tion féroce et barbare, et, de l'autre , des rois 
qui ne l'étoient pas moins. Ces princes, étoient 
meurtriers, injustes et cruels, parceque toute 
la nation l'étoit. Si le chî^istianisme parut quel- 
quefois-les adoucir , ce ne fut que par les ter- 
reurs que le christianisme donne aux coupa- 
bles : les églises se défendirent contre eux par 
les miracles et les prodiges de leurs saints. Les 
rois n'étoient point sacrilèges , parcequ'ils re- 
doutoientles peines des sacrilèges ; mais d'ail- 
leurs ils commirent ou par colère ou de sang 
froid toutes sortes de crimes et d'injustices ^ 
parceque ces crimes et ces injusti(?es ne leur 
montroient pas la main de la divinité si pré- 
sente. Les Francs , comme j'ai dit , soullroient 
des rois meurtriers , parcequ'i s étoient meur- 
triers eux-mêmes ; ils n'étoient point trappes 
des injustices et des rapines de leurs rois, par- 
cequ'ils étoient ravisseurs et injustes comme 
eux. U y avoit bien ^es lois établies , mais les 
rois les rendoient inutiles par de certaines let- 
tres appelées precepiions{\\ qui renversoient 
- .<■ 'I II . ' .. ' " 

(i) Cétoicnt des ordres qac^le roi enroyoit «ux 



0Ô DEL*ESPRlTDEftLOIS. 

ces mêmes lois : c*étoit à peu près comme les 
i^îscripts des empereurs romains , soit que les 
rois eussent pris d'eux cet usage, soit qu'ils 
l'eussent tiré du fond même de leur naturel. 
Oti Voit dans Grégoire de Tours qu'ils faisoient 
des meurtres de sang froid , et faisoient mou- 
rir des accusés quîii'avoientpâs seulement^té 
entendus ; ils donnoient des préceptions pour 
faire des mariages iilicitès-(i) ; ilsf en donnoient 
jiour transporter les successions; ils en don- 
noient pour 6 ter le droit des parents ; ils en 
dbnhoient pour épouser des religieuses. Ils ne 
faisoient point à la vérité des lois de leur seul 
mouvement , mais ils suspendoient la pratique 
cfé celles qui étoient faites. 

Uééh de èlotaire redressa tous les griefs. 
Péi-Soniie rie put plus être condamné sans être 
ehtendii (a) ; les parents durent tonjours suc^ 
céder selon iWdre établi par la loi (3) ; toutes 
prédeptions pour épouser des filles , des veu- 
ves où des religieuses , furent nulles , et on 
punit sévèrement ceux qui les obtinrent et en 
firent usage (4). Nous saurions peut-être plus 
exactement ce qu*il statuoit sur ces précep- 

juges pour faire cm souffrir de certaines elioses con-' 
trc la loi. — (i) Voyez Grégoire de Tours, liv. IV^* 
p. 397. L'histoire et les Chartres sont pleines de 
ceci ; et retendue de ces ahus paroit sur4o«t dans 
redit de Clotaireir, de Tan 61 5, donné potit les 
réformer. Voyez les capitulaires, édition de Balnze, 
tomel, p, 22. — (9) Ihid. art. ai. — (3) lèid. 
art. 6i-~ (4) Uid, art. 18. 



MVR7. XXXT, CHAP. II. g^ 

lions , si Tarticle 1 3 de ce décret et 1rs deux 
suivants navoient péri par le temps ; nous n'at- 
vons que les premiers mots de cet article 1 3 
qiïi ordonne que les préccptions seront ob- 
servées ; ce qui ne peut pas s'entendre de celles 
qu'il venoit d'abolir par la même loi. Nous 
aVons une autre constitution du même prin- 
ce (i), qui se rapporte à sonédit, et corrige de 
même de point en point tous les abus des pré- 
ccptions. 

Il est vrai que M. Baluze , trorfvant cette 
constitution sans date et sans le nom du lieu où 
elle a été donnée , Ta attribuée à Clotaire I. Elie 
est de Clotaire IL J'en donnerai trois raisons. 
1°. Il y est dit que le roi conservera les im- 
munités accordées aux églises par son père et 
son aïeul (a). Quelles immunités auroit pu 
accorder aux églises Childéric , aïeul de Clo- 
taire I , lui qui n'étoit pas chrétien et-qui yivoit 
avant que la monarchie eût été fondée ? Mais 
si l'on attribue ce décret à Clotaire IP, pu lui 
trouvera pouy aïeul Clotaire I lui-même , qui 
fit des dons immenses aux églises pour expier 
Ja mort de son fils Cramne , qu'il avoit fait 
brûler avec sa femme et ses enfants. 

• "" - u • 
^^ , I 

• "■" ' " • 1 1 . , .1 ■ I , ,. 

(i) Dans l'édit. des capitalaires de Baluze , tome 
I, p. 7. — (a) J'ai parlé an livre préoédent de ce« 
iminuuiités , qui étoient dça coDcecsions de droits de 
justice, et qni contenoien^ des défenses atix jnget 
royaux de faire aucune fonction dans le territoire ^ 
et étoient équivalentes à Térection ou ôoncession 
d'on fief. 

9- 



gS DE i:,'rsprit des lois. 

a*. Les tîbus que cette constitution corrige 
subsistèrent après la mort de Clotaire I , et fu- 
rent même portés à leur comble pendant la foi- 
bles$e du règne de Contran , la cruauté de ce- 
lui de Chilpéric , et les détestables régences de 
Frédégonde et de Brunebault. Or comment la 
nation auroit-elle pu souffrir des griefs si so-^ 
lennelleraent proscrits , sans s'être jamais ré- 
criée sur le retour continuel de ces griefs ? 
Comment n'auroit-elle pas fait pour lors ce 
qu'elle fit lorsque Chilpéric II ayant repris les 
anciennes violences (i) , elle le pressa d'ordon- 
ner que, dans les jugements, on suivît la loi 
et ks coutumes comme on faisoit ancienne- 
ment (2)? 

Enfin cette constitution , faite pour redres- 
ser les griefs , ne peut point concerner Clo- 
taire I , puisqu'il n'y avoit point sous son 
règne de plaintes dans le royaume à cet égard, 
et que son autorité y étoit très affermie , sur- 
tout dans le temps où l'on place cette constitu- 
tion ; au lieu qu'elle convient très bien aux 
événements qui arrivèrent sous le règne de 
Clotaire II , qui causèrent une révolution dans 
l'état politique du royaume. Il faut éclairer 
l'histoire par les lois , et les lois par l'histoire. 

* ' " 1 I I I ■ I II. Il ll> Il I I L I I I ■ 

(1) Il commenta k régner vers Tan 670.— (a) Toyex 
U vie àt saint Léger. 



XilTRX XXXI, CHÀF. III. f)Q 

CHAPITRE III. 

Autorité des maires da palais. 

J*Ai dit que Glotaire II s'étoit engagé à ne 
point ôter à Warnachaire la place de maire 
pendant sa vie. La révolution eut un autre ef- 
fet. Avant ce temps le maire étoit le maire du 
roi , il devint le maire du royaume ; le roi le 
choisissoit , la nation le choisit. Protaire , 
avant la révolution , avoit été fait maire par 
Théodoric^ i ), et Landéric par rrédégonde(a); 
mais , depuis , la nation fut en possession d'é- 
lire (V). 

Ainsi il ne faut pas confondre , comme ont 
fait quelques auteurs , ces maires du palais 
avec ceux qui avoient cette dignité avant la 
mort de Brunehault , les maires du roi avec 
les maires du royaume. On voit par la loi 
des Bourguignons que chez eux la charge de 
maire n'étoit point une des premières de l'é- 
tat (4) ; elle ne fut pas non plus une des plus 

(i) instigantê Brunichilde, Theodorico jubente, 
etc. Frédégaire^ ch. XXVII , sur Tau 665.— (i) Gesta 
reguni Francorura , ch. XXXVI. — (i) Voyea Frédé- 
l^aire , chronique , ch. LFV, sur Tan 6a 6 ; et son con- 
tinnatettr anonyme, ch. CI, sur Tan 69 5 ; et ch. CV, 
sur ran 7 1 5 ; Aimohi, Ur. iV, eh. XV ; Bginhard , 
vie de Chfclemagnc, ch. XlVffl ; G«fcta Té^iai Fran- 
corum, ch. XLV.--{4) Vo^e« U loi deà Bourgui- 
gnons, in prœfat,, et U seoonA supjpléiÀèiit à» 
eetteloi,tit. Xip. 



I^OO DE l'esprit des LOIS. 

éminentes chez les premiers rois francs (i). 

Clotaire rassura ceux qui possédoient des 
charges et dps fîefs; et, après ia morj de War- 
nachaire , ce prince ayant demandé aux sei- 
gneurs assemblés à Troies qui ils vpuloient 
mettre en sa place, ils s*écrierent tous qu'ils n'é- 
liroient point (a) ; et lui demandant ^a faveur, 
ils se mirent entre ses mains. 

Dagobert réunit , comme son père , toute 
la monarchie : la nation se reposa sur lui , et 
ne lui donna point de n^aire. Ce prince se sentit 
en liberté ; et rassuré d'ailleurs par ses victoi- 
res , il reprit le plan de Brunehault. Mais cela 
lui réussit si mal , que les leudes d'Austrasie 
se laissèrent battre par les Sclavons (3) , s'en 
retournèrent chez eux, et les marches de l'Aus- 
trasie furent en proie aux barbares. 

Il prit le parti d'offrir aux Austrasiens de 



(,i) Voyez Grégoire de Tours, liv. IX, ch. XXXVI. 
— (a) Eo anno Clotarins cum proceribas et leadibo» 
Bargaudiae Trecaasinis ccmjaiijgitar , cùm «onm» 
easet sollicitas si yellent jatD, Warnachario discessa, 
aliam in ejns honoris gradnm sublimare : sed omnea 
unanimiter denegantes se neqnaqnam velle majorem 
domns eli^ere , régis gratiam obnixè petentes , cnm 
rege traiisegere. Chronique de Frédégaire , ch. LIV, 
sur l'an 6a6. — (3) ^tam rictoriam qotm Vinidi 
contra Francos luernernnt, non tan^iun SelayinoraHi 
fortitudo obtinnit, quantum dement^tio Austra^io- 
rum , dum se cemebant cnm Dagoberto odium in- 
currisse, etasaiduèexpoliarentur. Ibid. ch. LXVIII, 
sur Tan 63o. 



LITRE XXXI, CBAP. III. lOl 

céder rAuAtrasieà son fils Sigebert ayeciin tré- 
sor, et de lùettre le gonvernement du royaume 
et du palais entre les mains de Cunibert, é^é- 
que de Cologne , et du duc Adaigise. Frédé- 
gaire n*entre point dans le détail des conven- 
tions qui furent faites pour lors : mais le roi les 
confirma toutes par ses Chartres , et d'abord 
l'Auslrasiè fut mise hors de danger (i), 

Dagobert , se sentant mourir , recommanda 
à A£ga sâi femme Nentechilde et son fitsClovis. 
Les leudes de Neustrie et de Bourgogne choi- 
sirent ce jeune prince pour leur roi (a). A£ga 
et Nentechilde gouvemercfnt le palais (3); ils 
rendirent touï les biens que !Dagobert aroit 
pris (4) ; et les plaintes cessèrent en Nepstrie 
et en Bourgogdfe , comme elles avoîent cessé 
en Austrasie. 

Après la mort d'AEga, la reine Nentechilde 
engagea les seigneurs dé Bourgogne à élire 
Floachatiis pour Jeur maire (5). Celui-ci en- 
voy.faux évêques et aux principaux seigneurs 
du royaume de Bourgogne des lettres , par les- 
quelles il leur promettoit de leur conserver 
pour toujours , c'est-à-dire pendant leur vie , 
leurs honneurs et leursdignité5(6). Il confirma 

(i) Deioceps Aùstrisii eomm studio limiiem et 
regnnm Fraocornm contrit Vinido* utiUter def en- 
tasse Doscuntur. Chrôn. de Fredégaire , cb. LXXY, 
sur 1 an 632.— (a) Ibid, ch. LXXIX, sur Fan 638. 
—(3) lbid.-^{^) Ibid, ch. LXXX, snt Tan ©Sg.^ 
(5) Ibid, ch. LXXXIX, sur Tan 641.— (6) Ibid. 
Floachatns cnnctis dacibns ^ regno'Bnrgnndi» ^ se» 



lOÏ DE L ESPRIT DES LOIS* 

sa parole par un serment. C'est ici que l'autetir 
du livre des maires de la maison royale met le 
commencement de l'administration du royau- 
me par des maires du paîats (i^. 

Frédégaire, qui étoit Bourguignon , est en- 
tré dans de plus grands détails sur ce qui re- 
garde les maires de Bourgogne dans les temps 
de la révolution dont nous parlons que sur les 
maires d*Austrasie et de Neustrie : mais les 
> conventions qui furent faites en Bourgogne 
furent, par les mêmes raisons , faites en Neus- 
\ trie et en Auistrasie. 

! La nation crut qu'il étoit plus sur de mettre 

^ î la puissance entre les mains d'un maire qu'elle 

' i élisoit, et à qui elle pouvoit imposer des con- 

' / ditions , qu'entre celles d'un roi dont le pou- 

^, * voir étoit héréditaire. 

' GHAPITREIV. 

Qael étoit k l'égard des jnaires le génie de ht nation. 

U N gouvernement dans lequel une nation 
qui avoit un roi élisoit celui qui devoit exer* 

cer la puissance royale , paroit bien extraor- 

- — 

et pontificibns , per epistolam etiam et sacramentis 
firmavit nnicoiqae gradnm honoris et dignitalem , 
«eu et amicitiam , perpetno conservare. — (i) Dein- 
ceps a temporibnsClodovei, qni fuit lilius Dagoberti 
inclyti reg^s , pater verô Theoderici , rcgnum Fran- 
coram decidens per majores domûs cœpit ordioari. 
J)0 major, domus regiœ. 



LIYBE XXXI, CHÀP. iV. Io3 

dinaire : mais , indépendamment des circon- 
stances où l'on se trouvoit, je crois que les 
Francs tiroient à cet égard leurs idées de bien 
loin. 

Ils étoient descendus des Germains , dont 
Tacite dit que , dans le choix de leur roi , ils se 
déterminoient par sa noblesse (i), et, dans le 
ehoix de leur chef , par sa vertu. Voi'à les rois 
de la première race, et les maires du palais; 
les premiers étoient héréditaires , les seconds 
étoient électifs. 

On ne peut douter que ces princes qui , dan» 
l'assemblée de la nation, se levoient et se pro- 
posoient pour chefs de quelque entreprise à 
tous ceux qui voudroient les suivre , ne n'u- 
nissent pour la plupart dans leur i>ersonne et 
Tautorité du roi et la puissance du maire. Leur 
noblesse leur àvoit donné la royauté ; et leur 
vertu , les faisant suivre par plusieurs volon- 
taires qui les prenoienl pour chefs , leur don- 
taoit I^ puissance du maire. CVst par îa dignité 
toyate que nos premiers rois furent a la tête 
des tribunaux et des assemblées, et donnèrent 
des lois du consentement de ces assemblées : 
c*e&X par la dignité de duc ou de chef qu'ils fi* 
rent leurs expéditions et commandèrent leurs 
armées. 

Pour connoitre le génie des premiers Francs 
à cet égard , il n'y a qu'à jeter les yeux sur la 



( I ) R eçn ex nohilitate , duces ex v» rtute , samant. 
De morlbus Germ. 



104 91L l'bSPEIT DBS LOIS. 

conduite que tint Arbogaste (i). Franc de nih 
tïon , à qui Valentinien avoit donné le com- 
mandement de Tannée. Il enferma l'empereur 
dans le palais ^ il ne permit à qui que ce fût de 
lui parler d'aucune affaire civile ou mUitaire. 
Arboga&te fit pour lots ce que les Pépins firent 
depuis. 

CHAPITRE V. 

Comment les maires iibtiiirexit le commandemeitt 

• des armées. 

Pendant que les rois commandèrent les ar- 
mées , la nation ne pensa point à se choisir un 
chef. Clovis et ses quatre fils furent à la tête des 
Français , et les menèrent de victoire en vic- 
toire. Thibault , fils de Théodebert , prince 
jeune, foible et malade ,iiitle premier des rois 
quijresta dans son palais (a). 11 refusa de faire 
une expédition^ en Italie contre Narsès , et il 
eut. le chagrin de. voir les Francs se choisir 
deux chefs qui les y menèrent (3). Des quatre 
enfants de Ciotaire I Contran fut celui qui né- 
gligea le plus de comumnder les armées (4) *• 

(i) y oyez Sulpicios Alesuinder daos Grégoire de 
Tours, liv. n.-_(a) L*an 55:1, — (3) Leutheris vero 
et Butilinns , tametsi id régi ipsorum minime pla- 
cebat , belli cnm eis societatem iniernui. Agathias , 
Ut. I ; Grégoire de Tours, liv. IV, ch.IX. — (4) Con- 
tran ne fit pas même Texpédition contre, Gondovalde, 
qni se disoit fila de Ciotaire , et demandott sa part du 
royaume. 



LIYmS XXXI, CHÀK T. xoS 

Vautres rois suiyirent cet exemple ; et , pour 
remettre sans péril le commandement en d'au- 
tres mains , ils le donnèrent à plusieurs che£i 
ou ducs (i). 

On en rit naitre des incouTénients sans 
nombre : il n'y eut plus de discipline , on ne 
sut plus obéir ; les armées ne furent plus fu* 
nestcs qu'à leur propre pays ; elles étoieiit char- 
gées de dépojoiiles ayant d'arriver chez les en- 
itemis. On trouTC dans Grégoire de ^ours une 
vire peinture de tous ces maux (a). « Comment 
«pourrons -nous obtenir la yictoire , disoit 
« Gontran (3) , nous qui ne conservons pas ce 
« que nos pères ont acquis? notre nation n'est 
« plus laniéme. . . » Chose singulière ! elle étoit 
dans la décadence dés le temps des petits -fils 
de Clovis. 

U étoit donc naturel qu'on en vint à &ire un 
duc unique ; un duc qui eût de l'autorité sur 
celte multitude infinie de seigneurs et de leor: 
des qui ne connoissoient plus leurs engage- 
ments 'f un duc qui rétablH la discipline nûli- 

(t) Quelquefois an nombre de vingt. Toyes Gré- 
goire de Tours, liv. V, ch. XXVH ; liv. VIII, ch. 
XYin et XXX ; liv. X , ch. III. Dagdbert, qui n'a- 
voir point de maire eu Bourgogne, ent la même 
poutiqae, et envoya contre les Oascona dix docs , 
et plusieurs comtes qui n^avoient point de dncs sur 
eox. Ghroniqne de Frédégaire, ch. LXXVIIl, snr 
Tan 636.— (a) Grégoire de Tours, Hv. TUI, ch. 
XXX ; et IW. X, ch. UI. Ibid. Uv. TUI, ch. XXX, 

0)lbid. 

XSYR. DIS LOIS. 5. 2* 



I06 PF. li'ESFRIT I>ES I.Q19. 

taire , et qui menât contre rennetni une nA*» 
tion qui ne savoit plus faire la guerre qu'à 
^Ue-niéme. On donoa la puissance aux maire» 
du palais. 

La première fonction des maires vdu palais 
fut le gouvernement économique des maisom 
royales. Ils eurent , concurremment avec d'au- 
tres, officiers » le gouvernement politique des 
fiefs ; et à la fin ils en disposèrent seuls (i). Ils 
eurent aussi l'administration des affaires de la 
guerre et le conunandement des armées ; et ces 
deux fonctions se trouvèrent nécessairement 
liées avec les deux autres. Dans ces temps-là il 
étoit plus difficile d'assembler lesarmées quede 
Jes commander ; et quel-autre que celui qui dis- 
T>osoit des grâces ppuvèit avoir cette autorité? 
Dans cette nation indépendante et guerrière 9 
il fallait phuèt inviter que contraindre , il fal- 
loit donner ou faire espérer les fiefs qui ya- 
quoient par la mort du possesseur , récompen- 
ser sans cesse , faire craindre les préféren( es : 
celui qui avoit la sixr-^ixtendance du parais dé- 
çoit donc être le général de l'armée. 

CHAPITRE VI. 

Sccontle^époqne de rabaissement des rois de la 

premiei'e race. 

J3 E PUIS le supplice de Brunehanlt les maires 

.' (i) Voyez le second sapplémeut à la loi desBour* 
gnignous* tit. XXII; et Grégoire de Tours, liv. IX 
àh. XXXVI. 



SZTBE X&XI, CflAP. ru lO^ 

avoient été administrateur» du royaume sou» 
les rois ; et , quoiqu'ils eussent la conduite dt 
la guerre , ks rois étoicnt pourtant à la tête 
des armées , et le maire et la nation combat- 
toient sous eux. Mais Ja victoire du àoto Pépin 
sur Thëodéric et sonmaire(r) acheva de dégra- 
der les rois (2); cellç que reniporta'(3) Ciiai^les- 
' Martel sur Chilpériç et son maire Rainfroy 
confirma cette dégradation. L'Austrasie triom- 
plia deux fois de la Neustrie et de la Bourgo- 
gne ; et la maii4e d'Austrasie étant comme at- 
tachée à la famille des Pépins , cette mairie s'é- 
leva sur toutes les autres mairies , et cette mai- 
son sur toutes les autres maisons. Les vain- 
queurs craignirent que quelrjue homme accré- 
dité ne se saisît de la personne des rois pour 
exciter des troubles. Ils les tinrent dans une 
lûaison royale commis dans une espèce de pri- 
son (4). Une fois chaque année ils étoient mon- 
trés au peuple. La ils faisoient des ordonnan- 
ces , mais c'étoient celles du maire (5 ) ; ils ré- 
pondoient aux ambassadeurs , mais c'étoienl 
les réponses du maire. C'est dans ce temps que 
les historiens nous parlent du gouvernement 

(i) Voyez les Annales dé Metz, sur l'an 687 et 
688. — (2) mis quidem uomina Cegum imponens, 
îpse totins regni habens privilegium, etfc. Itid. sur 
l'an 695.— (3) Ibid. sur l'an 7i9._(4) Sedemque 
ilU regalem sub sua ditione concessit. Ibid. sur 1 an 
719. — (5) Ex clironico Centulensi , lib. H. Ut res- 
poasa quae erat edoctus, velpotiùs jussus, ex sua 
Ttlat potestate redderct. 



Z08 BB Z.*BSPRIT DES LOIS. 

des maires sur les rois qui leur étoient assu- 
jettis (i). 

Le déliré de la nation pour la famille de Pé- 
pin alla si loin qu'elle élut pour maire un de 
ses petits-fib qui étoit encore dans l'en fance (2) ; 
elle l'établit sur un certain Dagobert , et mit un 
fantôme sur un fantôme. 

CHAPITRE VII. 

Des grands offices et des fîefs sons les maires du 

palais. 

Xje S maires du palais n'eurent garde de réta- 
blir l'amovibilité des charges et des offices; ils 
ne régnoient que par la protection qu'ils ac- 
cordoient à cet égard à la noblesse : ainsi les 
grands offices continuerjent à être donnés pour 
la Tie , et cet usage se confirma de plus en 
plus. 

Mais j'ai des réflexions particulières à faire 
sur les fiefs. Je ne puis douter que dès ce temps- 
là la plupart n'eussent été rendus héréditaires. 

(i) Annales de Metz , sur Tan 691. Anno princir 
patàs Pippini «nper Theodericom.... Annales de 
Folde ou de Lanrishan. Pippinos , dnx Franccnun 
obtinuLt regnnm Francorom per annos 27 cnm re- 
gibus, sibi snbjectis. — (a) Postbaec Theadoaldus , 
filins ejns ( Giimoaldi ) parrains , in loco ipsins , 
cnm praedicto rege Dagoberto, major domns palatii 
effectos est. Le continnatenr anonyme de Frédégaire, 
sur Tan 7 14, ch. CIV. 



X.IT&Ï XXXI, CHAP. VII. 105 

Dans le traité d'Andely (i) , Contran et soil 
neveu Childébert s'obligent de maintenir les 
libéralités faites aux leudes et aux églises par 
tes rois leurs prédécesseurs ; et il est permis 
aux reines , aux filles , ^ux veuves des rois , de 
disposer par testament et pour toujours des 
choses qu'elles tiennent du fiso(!»). 

Marculfe écrivoit ses forrtiules du temps des 
maires (!i). On en voit plusieurs où les rois 
donnent et à la personne et aux héritiers (4)5 
et comme les formules sont les images des ac^ 
tions ordinaires de la vie, elles prouvent que, 
sur la fin de la première race , une partie des 
fiefs passoit déjà aux héritiers. Il s'en falloit 
bien que Ton eût dans ces temps4à l'idée d'un 
domaine inaliénable ; c'est une chose très mo- 
derne et qu'on ne connoissoit alors ni dans la 
théorie ni dans ia pratique^ 

On verra bientôt sur cela des preuves de 
ftiit : et , si je montre un temps où il ne se trouva 
plus de bénéfice pour l'armée ni aucun fonds 

■ '■ ■ 

(i) Rapporté par Grégoite de Tours, liv. IX. 
Voyez aussi l'edit de Clotaire II, de Tan 6 15, art. 1 6. 
— (2) Ut si quid de agriti fiscalibus vcl speciebus 
atqne pr^sidio pro arbitfii sut volnntate facere , ant 
cmqnam coaféri;e volnerint, fixa stabilitate perpétué 
cooservetur. — (3) Voyez la 24 et la 34 du Jiv. 1. — 
(4) Voyez la formule 14 du liv. I, qui s'applique 
également à des biens fiscaux, donnés directement 
pour toujours , ou donnés d'abord en bénéfice , et 
ensuite pour toujours : Sicutab illo ant a fisco nosU» 
fuit possessa. Voyez aussi la formulé 1 7, <^*«» 



xo* 



XIO DE 'li 'esprit des LOIS. 

pour son entretien, il faudra bien convenir 
que les anciens bénéfices avoient été aliénés. 
Ce temps est celui de Charles-Martel, qui fon- 
da de nouveaux fiefs , qu'il faut bien distinguer 
des premiers. 

Lorsque les rois commencèrent à donner 
pour toujours ,- soit par la corruption qui se 
glissa dans le gouvernement, soit par «a con- 
stitution même qui faisoit que les rois éto^'ent 
obligés de récompenser sans cesse , il étoit na- 
turel qu'ils commençassent plutôt à donner à 
perpétuité les fiefs que les comtés. Se priver 
de quelques terres étoit peu de chose ; renon- 
cer aux grands offices , c'étoit perdre la puis- 
sance même. 

CHAPITRE VIII. 

Comment les aïeux forent changés en ûefa. 

Lia. manière de chshiger un aleu en fief se 
trouve dans une formule de Marculfe ( i ). On 
donnoit sa terre au roi ; il la rendoit au dona- 
teur en usufruit ou bénéfice , et celui-ci dési- 
gnoit au roi ses héritiers. 

Pour découvrir les raisons que l'on eut de 
dénaturer ainsi son aleu , il faut que je cher- 
che, comme dans des abymes, les anciennes 
prérogatives de cette noblesse qui , depuis onze 
siècles , est couverte de poussière , de sang et 
de sueur. 



(i)Iiv. I, formule i3. 



LIVRE XX-XI, GHA». TIII. III 

' Ceux qui tenoient des fiefs avoient de très 
grands avantages. La composition pour les 
torts qu'on leur faisoit étoit plus forte que celle 
des honunes libres. Il paroit , par les formules 
de Marculfe , que c'étoit un privilège du vassal 
du roi que celui qui le tueroit paieroit six cents 
sons de composition. Ce privilège étoit établi 
par la loi salique ( i ) et par celle des Ripuai- 
res (a); et pendant que ces deux lois ordon- 
noient six cents sous pour la mort du vassal du 
roi , elles n'en donnoient que deux cents pour 
la mort d^un ingénu , Franc , barbare , ou hom- 
me vivant sous la loi salique (3); et que cent 
pour celle d'un Romain. 

Ce n'étoit pas le seul privilège qu'eussent les 
vassaux du roi. Il faut savoir que quand un (4) 
homme étoit cité en jugement , et qu'il. ne se 
présentoit point ou n'obéissoit'pas aux ordon- 
nances des juges , il étoit appelé devant le roi ; 
et , s'il persistoit dans sa contumace , il étoit 
mis hors de la protection du roi , et personne 
ne pouvoit le recevoir chez soi ni même lui 
donner du pain (5) : or , s'il étoit d'une condi- 
tion ordinaire , ses biens étoient confisqués (6); 
mais s'il étoit vassal du roi, ils ne l'étoient 

(i) Tit. XLIV. Toyea aussi les titres LXVI, §• 3 
et 4 ; et le tit LXXlV.-l(a) Tit. XI. — (3) Voyez la loi 
des Kipaaires, tit. VII; et la loi Bàîiqnè , tit. XLIV, 
art. I et 4.— (4) La loi salique , tit. LIX et LXXVI, 
— (5) Extra sermonem régis. Loi salique , tit. LIH 
et LXXVI.— (6) Ibid. tit, LIX, S' »» 



112 DE L*ESPHIT DES LOIS. ' 

pas (i). Le premier, par sa contumace, ëtoit 
censé convaincu du crime , et non pas le se- 
cond. Celui-là, dans les moindres crimes, ëtoit 
soumis à la preuve par l'eau bouillante (a) ; ce- 
lui-ci n'y étoit condamné que dans le cas du 
meurtre ('^). Enfin un vassal du roi ne pouvoit 
être contraiiit de jurer en justice contre un au- 
tre vassal (4). Ces privilegeis augmentèrent tou- 
jours ; et le éapitularre de Carloman fait cet 
honneur aux vassaux du roi , qu'on ne peut les 
obliger de jurer euix-mêmes, mais seulement 
par ht bonèîïe de leurs propres vassaux (5). De 
plus , lorkqûe celui <pii avoit les honneurs ne 
s'étoit pas rendu à l'armée , sa peine ëtoit de 
s'abstenir de chair et de vin autant de temps 
qu'il avoit manqué au service : mais l'homme 
libre qui n'avoit pas suivi le comte (6) payoit 
une composition de soixante sous , et étOit mis 
en servitude jusqu'à ce qu'il Teùt payée (7). 

Il est donc aisé de penser que les Francs qui 
n'étoient point vassaux du roi , et ei^core phis 
les Romains , cherchèrent à le devenir ; et qu'a- 
fin qu'ils ne fussent pas privés de leurs domai- 
nes , on imagina l'usage de donner son aleti 
au roi , de*ie rcÉCvôir de lui eti fief, et de lui ' 
désigner ses héritiers. Cet usçge continua ton- 

(i) Loi salique, tit. tXXVI, §. i.— (2) Ibid, tit. 
LVI et LIX.— (3) Ibid. tit. LXXVI, §. i .—(4) Ibîd, 
§. 2. — (5) Apu4 vernis palatiam , de l'aa 883 , art. 
4 et II — .(6) Capitolaire de Charlemagne , qui est 
1« second de l'an 812, art. i c^ 3.— (7 >HeHbaunuin. 



LIYEE XXXI, C9AP. ▼III. ni 

jours , et il eut sur-tout lieu dans les désordres 
de la seconde race , où tout le monde ayoît be- 
soin d'un protecteur, et vouloit faire corps 
avec d'autres seigneurs (i), et entrer, pour 
ainsi dire , dans la monarchie féodale, parce- 
qu'on n avoit plus la monarchie politique. 

Ceci continua dans la troisième race, comme 
on le voit par plusieurs Chartres (2) , soit qu'on 
donnât son aleu, et qu^on le reprit par le même 
acte, soit qu'on le déclarât aleu, et qu'on le 
reconnût en fiefj On appeloit ces ûth/iefs de 
reprise* 

Cela ne signifie pas que ceux qui avoient des 
fiefs les gouvernassent en bons pères de fa- 
mille ; et , quoique les hommes libres cherchas- 
sent beaucoup à avoir des fiefs, ifs traitoient 
ce genre de biens comme on administre au- 
jourd'hui lei usuiruits. C'est ce cpii fit faire à 
Charlemagne, prince le plus vigilant et le plus 
attentif que nous ayions eu, bien des règle- 
ments pour empêcher qu'on ne dégradât les 
fiefs en faveur de ses propriétés(5). Cela prouve 
seulement que, de son temps, la plupart des 
béméfices étoient encore à vie, et que par con- 
séquent on prenoil plus de soin des aïeux que 

(i) Non infirmis reliqnit baeredibns, dit Lambert 
d*Ardres, dans da Cange, aa mot alodis, — (a) Yoyes 
celles que du Cange cite au mot alodis ; et celles que 
rapporte Galland , traité du franc-aleu, p* 1 4 «t suiv. 
-^3) Capitul. II de Tan 80a, art. 10 ; et le «ipitul. 
VII de Tan 8o3 , art. 3 ; et le capitulaire I , incerti 
anni, art, 49 ; et le capitulaire de Van 806 , art. 7. 



Il4 Dt r*ESP&IT DSS LOISr 

des bénéfices : mais cela n'enipêche pas qu€ 
l'on n'aimât encore mieux être vassal du roi 
qu*homme libre. On pouvoit avoir des raisons 
pour disposer d'une certaine portion particu- 
lière d'un ûef; mais on ne vouloit pas perdre 
sa dignité mênie/ 

Je sais bien encore que Chârlemagne se 
plaint dans un capitulai^e que , dans quelques 
lieux, il y avoit des gens qui dionnoiéni leurs 
fiefs en propriété , et les rachetôient ensuite en 
propriété (i). Mais je ne dis point qu*on n'ai- 
mât mieux une propriété qu'un usufruit : je 
dis seulement que lorsqu'on pouvoit faire d'un 
aleu un fief qui passât aux héritiers, ce qui est 
le cas de la formule dont j'ai parlé , on avoit de 
grands avantages à le faire. 

CHAPITRE IX. 

Comment les biens ecclésiastiques furent convertis 

en fiefs. 

xj E s biens fiscaux n'atiroient dû avoir d'autre 
destination que de servir aux dons que les rois 
pouvoient faire potir inviter les Francs à de 
nouvelles entre^^risés, lesquelles augmehtoient 
d'un autre côté les biens fiscaux; et cela étoit^ 
comme j'ai dit, l'esprit de la nation : mais les 
dons prirent un autre cours. Nous avons un 
discours de Cbilpéric, petit-fils de Clovis, qui 
se plaignoit déjà que ses biens avoient été près- 



■-■■ '■.■■!' 1 ■ I ■ , I ■ ■ I I, 

(i) Le (iinc[aieme de l'an 806 , aM. 8. 



fiIT&E XXXI, CHÀP. IJC, 11$ 

que tous donnés aux églbes (i). « Notre fisc 
« est devenu pauvre , disoit-il ; nos richesses 
« ont été transportées aux églises (a). Il n*y a 
«plus que les évéques qui régnent; ils sont 
« dans la grandeur, et nous n'y somndes plus. » 

Cela fît que les maires , qui n osoient atta- 
X}uer les seigneurs , dépouillèrent les églises ; 
et une des raisons qu'allégua Pépin pour en- 
trer en Neustrie fut qu'il y a^oit été invité par 
les ecclésiastiques pour arrêter les entreprises 
des rob, ç'est-à<lire des maires, qui privoient 
l'église de tou^ ses biens (3). 

Les maires d'Au^trfi^e, c'est-à-dire la n>ai- 
son des Pepips, fivoit traité Téglise avec plu# 
de modératipl^ qu'on n'avoit fait en Neustri^ 
et en Bourgogne; et cela est bien clair pai^.nof 
chroniques , où les inçines ne peuvent se lasser 
d'adwirer la dévotion et la libéralité des Pé- 
pins (4). Ils a voient occupé eux-mêmes jies pre- 
mières places de Téglise. a Un corbeau ne crevé 
« pas les yeux à un corbeau » , comime disoit 
Chilpéric aux évêques (5). 

Pépin soumit la Neustrie et la Bourgogne,: 

(i) pans Grégoire de Tours , liv. YI , ch. XLVI, 
— (a) Cela fit qa'il annnlla les testaments faits en 
faveur des églises , et même les dons faits par son 
père : Contran les rétablit , et fit raéme de nonveanx 
dons. Grégoire de Tours, liv. Vn, ch. VU.— (3) V oy. 
les Annales de Metz , sur l'an 687. Ëxcitor imprimis 
querelis sacerdotum et servorum Dei, qui me ssepius 
adierunt ut pro sublatis injuste patrimoniis , etc.-t- 
(4) Iiid.^{5) Dans Grégoire de Tours. 



Xl$ DE L'sS»aiT DZft LOIS. 

mais ayant pris , pour détruire les maires et 
les rois , le prétexte de l'oppression des églises , 
il ne pouToit plus les'dépouiller sans contre- 
dire son titre et faire voir qu'il se jouoit de la 
nation. Mais la conquête de deux grands royau- 
mes et la desftruction du parti opposé lui four- 
nirent assez de moyens de contenter ses ca-^ 
pitaines. 

Pépin se rendit maître de la monardiie en 
protégeant le clergé : Charles-Martel , son fils , 
ne put se maintenir qu'en l'opprimant. Ce 
prince voyant qu'une partie des biens royaux 
et des biens fiscaux avoit été donnée a vie ou 
en propriété à la noblesse, et que le clergé, re* 
cevant des mains des riches et des pauvres, 
avoit acquis une grande partie des allodiaux 
mêmes , il dépouilla les ég^ses; et, les fiefs du 
premier partage ne subsistant plus , il forma 
une seconde fois des fiefs (i). Il prit pour lui 
et pour ses capitaines les Liens des églises et 
les églises mêmes, et fit cesser un abus qui, à 
la différence des maux ordinaires, étoit d'au- 
tant plus facile à guérir qu'il étoit extrême. 

CHA.PITRE X. 

Richeues an clergé. 

Le clergé recevoit tant, qu'il faut que, dans 

(i) Karolas, plnrima jnri ecclesiastico detrabens, 
praedia fisco sociavit, ac deinde militibos dispertivit. 
£x chronico Centolensi , lib. II. 



'LIYB-S XXXI, CHl». X, II7 

les trois races , on lui ait donné plusieurs fois 
tous les biens du royaume. Mais si les rois , la 
noblesse et le peuple, trouvèrent le moyen de 
leur donner tous leurs biens , ils ne trouvèrent 
pas moins celui de les leur 6ter. l^a piété fit 
fonder les églises dans la première race; mais 
l'esprit militaire les fit^ donner aux gens de 
guerre , qui les partagèrent à Içurs enfants, 
Comluen ne sortit-il pas de terres de la mense 
du clergé l Les rois de la seconde race ouvrir 
rent leurs mains , et firent encore dlmmenses 
libéralités. Les Normands arrivent, pillent et 
ravagent, persécutent sur-tout les prêtres et 
les moines, chercbent les abbayes, regardent 
où ils trouveront quelque lieu religieux; car 

. ils attribuoient aux ecclésiastiques la destruc 
tion de leurs idoles et toutes les violences de 
Charlemagne, qui les avoit obligés les uns 
après les autres de se réfugier dans le nord. 
C'étoient des haines que quarante oucipquante 
années n'atoient pu leur faire oublier. Dans 
cet état des choses, combien le clergé perdit-il 
de biens! A peine y avoit-il des ecclésiastiques 
pour les redemander, il resta donc encore à la 
piété dé la troisième race assez de fondations 
à faire et de terres à donner. Les opinions ré- 
pandues et crues dans ces temps-là auroient 
privé les laïques de tout leur bien , s'ils avoient 
été assez honnêtes gens. Mais si les ecclésias- 

• tiques avoient de Fan^ition , les laïques en 
avoient aussi: si le mourant donnoit, le suc- 
cesseur vouloit reprendre. On ne voit que que- 

XSPH. DES LOIS. 5. '* 



» 



jiB Bt l'esprit des lois. 

rdies entre les seigneurs et les évéque^, les 
gentilshommes et les abbés; et il falloit qu'on 
pressât rivement les ecclésiastiques, puisqu'ils 
furent obligés de se mettre sous la protection 
de certains seigneurs qui les défendoient pour 
un moment, et les opprimoient après. 

Déjà une meilleure police, cpii s'étàblissoit 
dans le cours de la troisième race, permettoit 
aux ecclésiastiques d'augmenter leur bien. Les 
calvinistes parurent , et firent battre de la mon- 
noie de tout ce qui se trouva d'or et d'argent 
dans les églises. Comment le clergé auroit-il 
été assuré de sa fortune? il nel'étoitpas de son 
existence; il traitoit desmatieréS de contro- 
verse , et Ton brûloit ses archives. Que servit- 
i\ de redemander à une noblesse toujours mi- 
née ce qu'elle n'a voit plu j, ou ce qu'elle à voit 
hypothéqué de mille manières ? Le clergé a tou- 
jours acquis , il a toujours rendu , et il acquiert 
•ncore. 

CHAPITRE XL 

Etat de TEurope èa temps de Charles-Martel. 

Cihirles-Màktel, qui entreprit de dé- 
pouiller le clergé, se trouva dans les circon- 
stances les plus heureuses. Il étoit craint et ai- 
mé des gens de guerre , et il travailloit pour 
-^ux; il avoit le prétexte de ses guerres contre 
les Sarrasins (i) ; quelque haï qu'il fAt du cler- 

(i) Voyez les Annales de MetK. 



XTY&B XXXI, CKÀP. XI; 119 

gé, il n'en ayoit aucun besoin; le pape, à qui 
il étoit néce^s^ire, lui tendoit les bras :. on sait 
la célèbre ambassade (i) que lui envoya Gré^ 
goire m. Ces deuxpuissances furenttrès unies, 
parcequ'elles ne pouvoient se passer Tune de 
Fautre : le pape ayoit besoin des Francs pour 
le soutenir contre les Lombards et contre les 
Grecs ; Gharles-JVIartel avoit besoin du pape 
pour bumilier ^s Grées, embarrasser les Lom- 
bards ^ se rendre plus respectable cbez lui, et 
accréditer les titres qu'il avoit, et ceux que lui 
ou s^s enfants pourroient prendre (a). U ne 
pouvoit donc manquer son entrepH^* 

S. Eucber, évêque d'Orléans, eut iine vision 
qui étonna les princes. Il faut que je rapporte 
à ce sujet la lettre (3) que les êvéqUes assem"> 
blés à Reinis écrivirent à Louis-le-Germani- 
que, qui étoit entré dans les terres de Cl^arles- 



(1) Epistolam qnoqne, decpeto Romanortim prin- 
eipam, sibi praedicta» praesul Grcgorius miserat,' 
qnôd sese populas Kômànii»^ telictâ inipeiratoris do> 
minadone , ad snaiu defensionem et inTictam cle- 
mentiam conyertere voluisset. AnDalcs de Metz, sur 
l'an 7 4 1 ... £p pacto patrato ut a partibus imperatox-is 
recoderet. Frédégaire. — (a) On peut voir dans le« 
auteurs de ces temps-là rùopression que l'autorité de 
tant de p,apeâ fit sur Tesprîtdes Français. Quoique le 
roi Pépin eut déjà été couronné par Tarchevcque de 
34a7ence , il regarda l'onction qu'il reçut du pape 
Etienne comme une chose qui le confu-moit dans tons 
«es droits. — (3) Anno 35^ , apud Carisiacwn, édit. 
de Baluze , tome II, art. i , p. 109. 



laO DE l'esprit DE!( LOIf. 

le-Chaure, parceqn'elle est très propre à noos 
faire voir quel étoit, dans ces temps-là, l'état 
des choses et la situation des esprits. Ils di- 
sent (i) que « saint Eucher ayant été ravi dans 
«t le ciel, il vit Charles-Martel tourmenté dans 
« Tenfer inférieur par Tordre des saints qui doi- 
« vent assister avec Jésus-Christ au jugement 
« dernier ; qu'ilavoitétécondamnéàcettepeine 
<t avant le temps pour avoir dépouillé les églises 
« de leurs biens , et s'être par>là rendu coupable 
« des péchés de tous ceux qui les avoient do- 
a tées ; que le roi Pépin fit tenir à ce sujet un 
c concile ; qu'il fit rendre aux églises tout ce 
« qu'il put retirer des biens ecdésiastiques ; 
« que, comme il n'en put ravoir qu'une partie 
« à cause de ses démêlés avec Vaifre, duc d'A- 
« quitaine , il fit faire en faveur des églises Jes 
« lettres précaires du reste (a), et régla que les 
« laïques paieroient une dime des biens qu'ils 
« tenoient des églises , et douze deniers pour 
« chaque maison; que Charlemagne ne donna 
c point les biens de l'église ; qu'il fit au con- 
« traire un capitulaire par lequel il s'engagea , 

(i) Voyez rédition de Balaze , tome II , art. 7 , p. 
109. — (2) Precaria qaôd precibas ntendam conce- 
ditar , dit Cujas dans ses notes snrle lir. I des ûefs. 
Je trouve dans an diplôme da roi Pépin , daté de la 
troisième année de son règne , que ce prince n'établit 
pas le premier ces lettres précaires ; il en cite une 
faite par le maire Ebroin, et continuée depuis. Toyex 
le diplôme de ce roi dans le tome Y des Historiens 
de France des bénédictins , art. 6. 



LIVBrE XXXIy CHAP. XI. lai 

« pour lui et ses successeurs , de ne les donner 
4t jamais ; que txmt ce qu'ils avancent est écrit, 
« et que même plusieurs d'entre eux Tavoient 
« entendu raconter à Louis4e-Débonnaire, père 
«t des deux rois. » 

Le règlement du roi Pépin dont parlent les 
évéqnes fut fait dans le concile tenu à Lep- 
tines (i). L'église y trouvoit cet avantage, que 
ceux qui avoient reçu de ces biens ne les te- 
noient plus que d'une maiiiere précaire ; et que 
d'ailleurs elle en recevoit la dîme , et douze de- 
niers pour chaque case qui lui àvoit appar- 
tenu. Mais c'étoit un remède pcdiiatif , et le mal 
restoit toujours. 

Cela même trouva deïa contradiction ; et Pé- 
pin fut obligé de faire un antre capitulaite (a) , 
où il enjoignit à ceux qui tenoient de ces béné- 
fices de payer cette dime et cette redevance, et 
même d'entretenir les maisons de l'évéché ou 
du monastère , sous peine de perdre les biens 
donnés. CHarlemagtte renouvela les règlements^ 
de Pépin (3). 

Ce que les évéques disent dans la m^e let- 
tre, que Cbarlemagne promit, ponr lui et ses 
9?uceesseurs , de he plus partager les biens des 

- ■ ■ ' ' .. r. . t I I II ' I 

(i) L'an 743. Voyez le liv. V des capîtnfeircs, 

•rt. 3, édit. de fiaioze, p. 8 a 5. — (2) Geioi de Metz, 

de Van 756, art. 4. — (3) Yoyez son capitalaire dt 

l'an 8o3 , donné à Worms , édit. de Balazc , p. 4ï 1 , 

«à il régie le eontrat précaire ; et celai de Frâûcfort, 

de Tan: 794 , p. 167, art. 24, sur les réparations des 

Biaisons ; et celai de Vaux ^00 , p. 33o. 

II. 



églises aux gens de guerre, est conforme du 
capitulaire de ce prince, donné à Aix-la>Cha-< 
pelle Tan 8o3 , fait pour calmer les terreurs des 
ecclésiastiques à cet égard : mais les donations 
déj^ faites sulisisterent toujours (i). Les ëvè- 
cpies ajoutent, et avec raison, que Louis-leDé- 
bonnaire suivit la conduite de Charlemagne, 
et ne donna point les biens de l'église aux 
soldats. 

. Cependant les anciens abus allèrent ^i loin , 
que, sous les enfants de Louis-le-Débonnaire , 
les laïques établissoient des prêtres dans leurs 
églises , ou les chassoient , sans le consente- 
ment des évéques (2). Les églises se parta- 
geoient entre les, héritiers (3); et, quand elles 
étoient tenues dune manière indécente, les 
évéques n'avoient d'autre ressource que d'en 
retirer les reliques (4). 

Le capitulaire de Compiegne (5) établit que 
l'envoyé du roi pourroit faire la visite de tous 
les monastères avec l'évéque, de l'avis et en 

(i) Comme il paroît par la note précédente, et par 
le capitolaire 4e Pépin , roi d'Italie , où il est dit que 
le roi donneront en fief les monastères à ceoz qni se 
recommanderoient pour des fiefs. Il est ajouté a la 
loi des Lombards, lir. III , tit. I , §. 3o , et aoz lois 
saliqnes, recueil des lois dePepin, dans Eehard, 
p. 195, tit. XXVI , art. 4. — (2) Yoyes la constitation 
de Lothaire I, dans la loi des Lombards, Ut. III, loi I9 
S: 43.^3) Ibid. §. 44.--(4) Ibid.-^S) Donné la 
yingt-bnitieme année dn règne de Gharles^le-Cluiavey 
ran86a,édit. deBalnze,p.ao3. . 



LIYILE XXXI, GHÀF. XI. 12^ 

présence de celui qui le tenoit ( i ) ; et cette règle 
générale prouve que Tabus étoit général. 

Ce n'est pas qu'on manquât de lois pour la 
restitution des biens des églises. Le pape ayant 
reproché aux évéques leur négligence sur le ré- 
tablissement des monastères, ils écrivirent (2) 
à Charles-le-Chauve qu'ils n'avoient point été 
touchés de ce reproche, parcequ'iU n'en étoient 
pas coupables , et ils l'avertirent de ce rrui avoit 
été promis, résolu et statué, dans tant d'assem- 
blées de la nation. Effectivement ils en citent 
neuf. 

On disputoit toujours. IjCs Normands arri- 
Terent, et mirent tout le monde d'accord* 

CHAPITRE XII. 

Etablissement des dîmes, 

JuE S réglemeiits faits sous le roi Pépin avoient 
plutôt donné à l'église Fespérance d'un soula- 
gement qu'un soulagement effectif: et comme 
Charles-Martel trouva tout le patrimoine pu- 
blic entre les mains des ecclésiastiques, Char- 
lemagne trouva les biens des ecclésiastiques 
entre les mains des gens de guerre. On ne pou- 
voit faire restituer à ceux-ci ce qu'on leur avoit 
donné; et le^ circonstances où l'on étoit pour 
lors rendoient la chose encore plus imprati- 

(i) Clnm concilio et consensa ipsius qui locam 
Tetinet. — {7) Concilium apud BonoUum , seizième 
année de Charles-le-aiaaYe , Van 856, édit. de Ba- 
ins^, p. 78. 



ia4 i>K l'espeit bxs lois. 

cable qu'elle n'étoit de sa nature. D'un autre 
côté le christianisme ne devoît pas périr faute 
de ministres, de temples et d*instructions (i). 

Cela fit que Charlemagne établit les dîmes ; 
nouveau genre de bien qui eut cet avantage 
pour le clergé, qu'étant singulièrement donné 
à l'église, il fut plus aisé dans la suite d'en t£- 
connottre les usurpations (a). 

On a voulu donner à cet établissement des 
dates bien plus reculées : mais les autorités que 
l'on che me semblent être des témoins contre 
ceux qui les allèguent. La constitution (3) de 
Clotaire dit seulement qu'on ne leveroit point 
de certaine$ dîmes (4) sur les biens de Téglise : 

(i) Dans les gnerres civiles qui s'élevèrent du 
temps de Charles-Martel, les biens de Téglise de 
Kéims farent donnés anx laïques. On laissa le clergé 
subsister connue il pontroit , est-il dit dans la' vie d« 
saint Eemy. Surins, tome I, p. 279. — (a) Loi'^s 
Lombards, Ht. III, tit. III, §. i et 2.--(3) -C'est 
celle dont j'ai tant parlé au chap. IV ci-dessus, qoe 
l'on trouve dans l'édition des capitnlaires de Balnze, 
tome I , art. 1 1 , p. 9.— (4) Agraria et pascuaria , vel 
décimas porcorum , ecclesiae concedimus ; i ta ut 
actor aut decimator in rébus ecdesise nuUns arcccdat. 
Le capitulaire de Charlemagne , de Tan 800, éditioa 
de Balnze, p. 336 , explique très bioi oe que c*étoit 
que cette sorte de dîme dont Clotaira exempte Té- 
glise ; c'étoit le dixième des cochons que Ton met* 
toit dans les forêts du roi pour engraisser : et Char- 
lemagne veut que ses juges le paient comme les au- 
tres , afin de donner Texemple. On voit que c'étoiç 
Jin droit seigneurial ou économique. 



f.IV&E XXXI, GHAP. XII. laS 

bien loin donc que l'église levât des dîmes dans 
ces temps-là , tonte sa prétention étoit de s*en 
faire exempter. Le second concile de Màcon(i), 
tenu Fan 585 , qui ordonne que Ton paie les 
dîmes, dit à la vérité qu'on les avoit payées 
dans les temps anciens ; mais il dit aussi que, 
de son temps , on ne les payoit plus. 

Qui doute qu'avant Charlemagne on n'eut 
ouvert la Bible et prêché les dons çt^ les of- 
frandes du Léyitique? Mais je dis qu'avant ce 
prince les dîmes pouvoient être préchées , mais 
qu'elles n'étoient point établies. 

J'ai dit que les règlements faits sous le roi 
Pépin avoient soumis au paiement des dîmes 
et aux réparations des églises ceux qui possé- 
doient en fief les biens ecclésiastiques. C'étoit 
beaucoup d'obliger, par une loi dont on ne 
pouvoit disputer ia justice, les principaux de 
la nation à donner l'exemple. 

Charlemagne fit plus; et on voit, par le ca- 
pitulaire de villis (a), qu'il obligea ses propres 
fonds au paiement des dîmes. C'étoit encoi^e 
un grand exemple. 

Mais le bas peuple n'est guère capable d'a- 
bandonner ses intérêts par des exMnples. Le 
synode de Francfort (3) lui présenta un motif 
plus pressant pour payer les dîmes. On y fit un 

(i) Canone V, ex tomo I Concilionim antiquomm 
Gallia, operâ Jacobi Sirmundi. — (a) Art« 6, édit. 
de Balnze , p. 33a. Il fat donné l'an 8oo.— (3) Tenu 
tons Gharlemagne , Tan 794. 



ia6 'I>£ L'BftPaiT DES LOIS. 

capttnlaire d&ns lequel il est dit que, dans la 
dernière famine, on avoit trouvé les épis de 
Wcd vides (i), qu'ils avoient été dévorés par 
les démons , et qu'on avoit entendu leurs voix 
qui reprochoient de n'avoir pas payé la dime ; 
et eij conséquence il fut ordonné à tous ceux 
qui tenoient les biens ecclésiastiques de payer 
la dime; et en conséquence encore on l'ordcm-* 
na à tous. 

Le projet de Cliarlemagne ne réussit pas 
d'abord ; cette charge parut accablante (a). Le 
paiement des dîmes chez les Jui& étoit entré 
dans le plan de la fondation de leur républi- 
que; mais ici le paiement des dîmes étoit une 
charge indépendante de celles de l'établisse- 
ment de la monarchie. On peut voir, dans les 
dispositions ajoutées à la loi des Lombards, la ' 
difficulté qu'il y eut à faire recevoir les dîmes 
par les lois civiles (3); on peut juger, par les 
différents canons des conciles, de *lle qu'il y 

(i) Experimento emm didicimnsin annoqnoilla 
valida famés irrepsif, ebnllire vacuas annonas a d»- 
moDibas devoratas, et voces exprobrationis aaditas, 
etc. édition de Batbze, p. 267 , art. a5. — (2) Voyes 
entre autres le capitulaire de Louis-le-Débonnaire , 
de l'an 829, édit. de Baluze, p. 66i, contre ceux 
qui , dans la vue de ne pas payer la dime, ne culti- 
voieht point leurs terres ; et art. 5. Nonis qûidem et 
decittiis , nnde et genitor noster ^t nos fréquenter ia 
diversis placitis admonitionem feoùniû. — (3) Entre» 
autres celle de Lotkaire, liv. m, tit. Ul, ch. VI. 



I.IVEE XXXI, €BÀ9* XII. 127 

eut à les faire recevoir par les lois ecclésias- 
tiques. 

Le peuple consentit enfin à payerlés dimes , 
à condition qu'il pourroit les racheter. La con- 
stitution de Louis-le-Débonnaire (i) et celle de 
Tempereur Lothaire (2) son fils ne le permirent 
pas. 

Les lois de Charlemagne sur rétablissement 
des dîmes étoient l'ouvrage de la nécessité; la 
religion seule y eut part , et la superstition n'en 
eut aucune. 

La fameuse division (3) qu'il fit des dimes en 
quatre parties , pour la fabrique des églises , 
pour les pauvres, pour Vévêque, pour les clercs, 
prouve bien qu'il vouloit donner à Téglise cet 
4tat ûxe et permanent qu'elle avoit perdu. 

Son testament (4) fait voir qu'il voulut ache- 
ver de réparer les maux que Charles-Martel, 
son aïeul, avoitiaits. Il fit trois .parties égales 
de ses biens mobiliers : il voulut que deux de 
ces parties fussent divisées en viugt-une, pour 
les vingt-une métropoles de son empire; cha- 
que partie devoit être subdivisée entre la mé- 
tropole et les évécbéft qui en dépendoient. U 
partagea le tters qui restoit en quatre parties ; 
u en donna une à ses enfants et ses petits-en- 

(i) De Fan Sap, art. 7 , dans Balaze , tome J , p. 
663. — (2) Loi des Lombards, liv. III, tit. lU, §. 8. 
—(3) Uid, §. 4. — (4) Cest une espèce de «odicille 
rapporté par Egiahard, et qui est différent du testa- 
ment même qu'on trouve dans Goldasle et B aluze. . 



ia8 BE l'espeit des lois. 

fants , une autre fut ajoutée aux deux tiers déjà 
donnés ^^es deux autres furent employées en 
oeuvres pies. 11 sembloit qu'il regardât le don 
immense qu'il yenoit de faire aux églises moins 
comme une action religieuse que comme «le 
dispensation politique. 

CHAPITRE XIIL 

Des élections aux éyéclits et abbayes. 

Les églises étant devenues pauvres, les rois 
abandonnèrent les élections aux évéchés et au- 
tres bénéfices ecclésiastiques (i). Les princes 
s'embarrassèrent moins d*en nommer les mi- 
nistres , et les compétiteurs réclamèrent moins 
leur autorité. Ainsi l'église recevoit une espèce 
de compensation pour les biens qu'on lui avoit 
étés. 

£t si Louis-le-Débonnaire(2)laissa au peuple 
romain le droit d'élire les papes , ce fut un effet 
de l'esprit général de son temps. On se gou- 
verna à l'égard du siège de Rome comme on 
faisoit à l'égard des autres. 

(x) Yo^res le capitnlaire de Charlemagne , de Tan 
iJo3 , art. a , cdit. de Balnze , p. 879 ; et l'édit de 
Lotiis-le-Débonnaire, de l'an 834, dans Goldasle , 
constitution impériale, tome I.— (2) Cela est dit dans 
•le fameux canon e^o Ludovicus , qui est visiblement 
rapposé. Il est dans TéditiotiL de Btlnze^ p. 591, anr 
l'an 817. 



X.IT&E XXXt, CHAP^ XIT. 1^9 

CHAPITRE XIV- 

Des fiefs de Charles-Martel. 

J E ne dirai point si Charles-Martel donnant 
les biens d^ l'église en fief, il les donna à Tie ou 
à peipétuité. Tout ce que je sais, c'est que , du 
temps de Charlemagne(i)et de Lothairel(a), 
il y avoit de ces sortes de biens qui passoient 
aux héritiers et se partageoient entre eux. 

Je trouve de plus qu une partie (3) fut don^ 
née en aleu , et l'autre partie en fief. 

J'ai dit que les propriétaires des aïeux étoient 
soumis au service comme les possesseurs des 
fiefs. Gela fut sans doute en partie cause: que 
Charles-Martel donna en aleu aussi bien qu'en 
fief. 

(i) Comme il paroitpar son capitolaire de Van 
801, art. 17, dans Balnze, tome I, p. 36o.— (a) Voyea 
MA constitution insérée dans le code des Lombards, 
liv. m, tit. I, §. 44. — (3) Voyez la constitution ci- 
dessos , et le capitnlaire de Charles-le-Chanve , de 
]an 846, ch. XX, invilia Sparnaço, édition de 
Balnze, tome II, p. 3i ; et celui de Tan 853, cfa. III 
et V, dans le synode de Soissons , édit. de Balnze ^ 
tomell, p. 54 , et celui de Tan 854^ apud Altinio' 
cum, ch. X, édit. de Balnse, tome II, p. 70. Voyez 
aussi le capitnlaire premier de Charlemagne, incerti 
annl, art. 49 et 56 , édit. deBaluze , tome I ,?• 5»xg. 



S8i»n. i>p.s T.oif. 5. ** 



x3o . Bfc ^ESPRIT DES LOIS* 

CHAPITR.E XV. 

Continuation du méoie sujet. 

Il faut remarquer que les fiefs ayant été chai^ 
gés en biens d'église , et les biens d'église ayant 
été changés en fiefs , les fiefs et les biens d'église 
prirent réciproquement quelque chose de la 
nature de l'un et de l'autre. Ainsi les biens d'é- 
glbe eurent les privilèges des fiefs, et les fiefs 
eurent les privilèges des biens d'église : tels fu- 
rent les droits (i) honorific[ues dans les églises 
qu'on vit naître dans ces temps-là. £t comme 
ces droits OQt toujours été attachés à la haute 
justice préférablement à ce que nous appelons 
aujourd'hui le fief, il suit que les justices patri- 
moniales étoient établies dans le temps même 
de ces droits. 

CHAPITRE XVI. 

Confusion de la royauté et de la mairie. Seconde race» 

JL'o&DRE des matières a fait que j'ai troublé 
l'ordre des temps ; de sorte que j'ai parlé de 
CharlemagnCvayant d'avoir parlé de cette épo- 
que fameuse de la translation de la couronne 
aux Carlo vingiens , faite sous le roi Pépin ; 
chose qui, à la différence des événements or- 

(i) Voyez les capitulaires , liv. V, art. 44 ; et Tédit 
de Pistes , de Tan 866 , art. 8 et 9, où Ton voit les 
droits honorifiques des seigneurs établis tels qu'iU 
•ont aujourtrhui. 



LIVRE XXXI, GHAP. XVI. l3l 

binaires, est peut-être plus remarquée aujour- 
dliui qu'elle ne le fut dans le temps même 
rpi'elle arriva. 

Les rob n'avoîent point d'autorité , mais ils 
avoient un nom; le titre de roi éloit hérédi- 
taire, et celui de maire étoit électif. Quoique 
les maires, dans les derniers temps , eussent 
mis sur le trône celui des Mérovingiens qu'ils 
vouloient, ils n'avoient point pris de roi dans 
une autre famille ; et l'ancienne loi qui donnoit 
la couronne à une certaine famille n'étoit point 
ef£acée du cœur des Francs : la personne du roi 
étoit presque inconnue dans la monarchie; 
mais la royauté ne l'étoit pas. Pépin , ûh de 
Charles-Martel, crut qu'il étoit à propos de 
confondre ces deux titres; confusion qui lais- 
seroit toujours de l'incertitude si la royauté 
nouvelle étoit héréditaire ou non; et cela suffi- 
soit à celui qui joignoit à la royauté ime grande 
puissance. Four lors l'autorité du maire fut 
jointe à l'autorité royale. Dans le mélange de 
ces deux autorités , il se fit une e»pece de con- 
ciliation. Le maire avoit été électif, et le roi 
héréditaire. La couronne, au commencement 
de la seconde race, fut élective, parceque le 
peuple choisit; elle fut héréditaire, parcequ'il 
choisit toujours dans la même famille (i). 

(i) Voyez le testament de Charlemagne^ et le par- 
tage que Louia-le^Débonnaire fit à ses enfant» , dans 
l^assemblée des états tenae à QoierzT, rapportée par 
Goldaste : Qaem popolus eligere vclit, ut patri sno 
«accédât in regni haereditate. 



x3a ' BE l'esp&it des lois. 

Le père le G)inte, malgré la foi de tous les 
monuments (i), ni€(2) que le pape aitautorisé 
ce grand changement : une de ses raisons est 
qu*il auroit fait une injustice. £h! il est admi- 
rable de voir un historien juger de ce que les 
hommes ont fait par ce qu'ils auroient défaire. 
Avec cette manière de raisonner, il n'y auroit 
plus d'histoire. 

Quoi qu'il en soit, il est certain que , dès le 
moment de la victoire du duc Pépin , sa famille 
fut régnante, et que celle des Mérovingiens ne 
le fut plus. Quand son petit-fils Pépin fut cou- 
ronné roi , ce ne fut qu'une cérémonie de plus 
et un fantôme de moins : il n'acquit rien par-la 
que les ornements rciyaùx j il n'y eut rien de 
changé dans la nation. 

J'ai dit ceci pour fixer le moUient de la ré- 
volution, afin qu'on ne se trompe pas en re- 
gardant comme une révolution ce qui ^'étoit 
qu'une conséquence de la révolution. 

Quand Hugues Capet fut couronné roi, au 
commencemait de la troisième race , il y eut 
un plus grand changement, pareeque l'état 
passa de l'anarchie à un gouvernement quel- 
eoiique : mais , quand Pépin prit la couronne , 
on passa d'un gouvernement au même gou-^ 

vernement. 

*i ■ ' ■ . ■ ■»■ 

(ï) L'anonyme, sur Fan 752 ; et chron. Cental. 

snr Tan 7 54. (a) Fabella qn» post Pippini mortetn 

excogîtata est , aequitati ac sanctitati Zackariae pap» 

plurimùm adversatâr.... Annales ecolésiastiqnes des 

Français, tome II, p. 319. 



IiITRE XXXI, CHAP. XVI. l53 

Quand Pépin fut couronné roi, il ne fit que 
changer de nom ; mais quand Hugues Capet 
fut couronné roi , la chose changea, parce- 
qu'un grand fief uni à la couronne fit cesser 
l'anarchie. 

Quand Pépin fut couronné roi, le titre de 
roi fut uni au plus grand office ; quand Hugues 
Capet fut couronné , le titre de roi fut uni au 
plus grand fief. 

'chapitre XVII. 

Chose particulière dans T élection des rois de la 

seconde race. 

O N voit, dans la formule de la consécration 
de Pépin (i), que Charles et Carioman furent 
aussi oints et bénis; et que les seigneurs fran- 
çais s'obligèrent, sous peine d'interdiction et 
aexcommunication , de n'élire jamais per- 
sonne d'une autre race (a). 

Il paroit, par le testament d^ Charlemagne 
el de Lcuis- le -Débonnaire , que les Francs 
choisissoient entre les enfants des rois; ce qui 
se rapporte très bien à la clause ci-dessus. £t, 
lorsque l'empire passa dans une autre maison 
que celle de Charlemagne , la faculté d'élire , 
qui étoit restreinte et conditionnelle , devint 

(i) Tome V des Historiens de France, par les 

PP. bénédictins, p. 9 (a) Ut nnnqnam de alterius 

Jnmbis reg[em in aevo praesnniant eligere , sed ex ix>- 
«Ofnm. Ibid^jf^ lo.. 

ra* 



l34 I>E l'esprit DES LOtS. 

pure et simple, et on s'éloigna de l'ancienne 
constitution. 

Pépin, se sentant près de sa fin, convoqua 
les seigneurs ecclésiastiques et laïques à Sainte 
Denys ( i) , et partagea son royaume à ses deux 
fils, Charles et Carloman. Nous n'avons point 
les actes de cette assemblée : mais on trouve ce 
qui s'y passa dans l'auteur de rancienuecoUec- 
tion historique mise au jour par Ganisn^ (a), 
et celui des annales de Metz , comme Ma remar- 
qué (3) M. Baluze. Et j'y vois deux choses en 
quelque façon contraires , qu'il fit le partage 
du consentement de» grands^, et ensuite qu'il 
le fit par un droit paternel. Cela prouve ce que 
j'ai dit , que le droit du peuple , dans cette race, 
•étoit d'élire dans Ik famille : c'étoit ^ à propre* 
ment parler, plutôt un droit d'exckire qu'u» 
droit d'élire. 

Cette espèce 'de droit d'élection »e trouve 
confirmée par les monuments de la seconde 
race. Tel est ce capitulairfe^e la division de' 
l'empire que Charlemagne fait entrtf ses trot» 
enfants, où, après avoir formé leur partage , 
il dit (4) que, « si un des trois frcres a un fil» 
« tel que le peuple Veuille l'élire pour qu'il suc* 
« cède au royaume de son père , ses pncles j 
« consentiront. » 

Cette même disposition se trouve dans le 

(lÎL'an 768. — (2) Tom. BE, LectiMieBantiqiue.-* 
(3) £<iit. d«s capital. tôOM I, p. 188. — (4) Dan* le 
eapitul. I de l'an 806, édit. de BaloM^p. 439, art, 5. 



LirHE XXXX, CHAP. XYII. l3S 

partage que Louis -le -Débonnaire fit entre 
ses trois enfants (i) Pépin, Louis , et Charles, 
Fan 837, dans Tassembléed' Aix-la-Chapelle , 
et encore dans un autre partage du même em« 
pereur (a), fait vingt ans auparavant , entre 
Lothaire , Pépin , et Louis. On peut voir encore 
le serment que Louis-le-Begue fit à Compiegne 
lorsqu'il y fut oouroliné. *< Moi , Louis (3), con- 
« fttitné roi par la miséricorde de Dieu et Télec- 
« tion du peuple , je promets... » Ce que je dis 
est confirmé par les actes du concile de Va- 
lence (4) , tenu Tûn 890 , pour l'élection de 
Louis , fils de Boson, au royaume d'Arles. On 
y élit Louis , et on dohne pour principales rai- 
sons de soti Section, qu'il étôit de la famille 
impériale (5), que Charletf4e-Gros lui avoit 
donné la dignité de roi , et cptte l'empereur Ar- 
noul l'avoit investi par le sceptre et par lemi- 
nistei^ de ses ambassadeurs. Le royaume d'Ar- 
les, comme les autres démembrés ou dépen- 
dants de f empare de Charlemagne, étoit électif' 
ethéréditidré. ' 

(i) DansGoldaste, CoBStittttions impériales, tcmia 
II, p. 19. — (2) Edit. de ISalnze, p. 574, art. 14. Si 
verô aliqois illoram decedens legitimos- £lio« reli- 
querit, non inter epspotesJU* ipsa dividator; sed^ 
potins populus , pariter conveniens , unum ex eis , 
qnem Dominus voluerît, eligat ; ethnne senior frater 
in loco fratris et filii snscipiat. — (3) Capitnlaire de 
Tan 877,édit. de Balaze,p. «7a.— (4) !>«*• Dn- 
mont 9 *€dppè diplofiiattqae, téme I, -ttt. 36.— 
(5) Par femmeK 



l36 DE L*ESPJIIT DES LOIS, l 

CHAPITRE XVIIL 

Charlemagae. 

(JuÀEi<EMAcifE songea à tenir le pouTOir* 
de la noblesse dans ses limites, et à empêcher 
l'oppression du clergé et des hommes libres. Il 
mit un tel tempérament dan^ les ordres de l'é- 
tat, qu'ils furent contrebalancés , et qu'il resta 
le maître. Tout fut uni par la force de son gé- 
nie. Il mena continuellement la noblesse d'ex- 
pédition en expédition ; il ne lui laissa pas le 
temps de former des desseins , et l'occupa tout 
entière à suivre les siens. L'empire se maintint 
par la grandeur du chef: le prince étoit grande 
l'homme l'étoit davantage. Les rois ses enfants 
furent ses premiers sujets , les instruments de 
son pouvoir , et lés modèles de l'obéissance. U 
fit d'admirables règlements ; il fit plus , il les fit 
exécuter. ;Son génie se répandit sur toutes les 
parties de Tempire. On voit dans les lois de ce, 
prince un esprit de prévoyance qui comprendi 
tout, et une certaine force qui entraine tout.. 
Les prétextes (i) pour éluder les devoirs sont 
ôtés , les négligences corrigées , les abus réfor- 
més ou prévenus. Il savoit punir ; il savoît 
encore mieux pardonner. Vaste dans seê dcs- 

( I ) YoyeK son capitolaire III , de l*aii 8 1 1 , p, 4B6^ 
art. z, a, 3, 4, 5,6, 7, et 8 ; et le capitolaire I , de 
Tan 8 z a , p. 4^ , art. i ; et le capitulaire de la m^mo 
4Pnée, p. 4^4 , art. 9 et 1 1 , et avtrea. 



LIVRE XXXT, CHAP.,XVÏIt. l37 

seins , simple dans Vexécution , personne n*eut 
à un plus haut degré Fart de faîk'e les plus 
grandes choses avec facilité , et les difficiles 
avec promptitude. Il parcouroit sans cesse son 
yaste empire, portant la main par-tout -où il 
alloit tomber. Les affaires renaissoient de tou- 
tes parts; il les finissoit dé toutes parts. Jamais 
prince ne sut mieux braver les dangers ; j amais 
prince ne les sut mieux éviter. Il sf joua de 
tous les périls, et particulièrement de ceux 
qu éprouvent presque toujours les grands con- 
quérants ; je veux dire les conspirations. Ce 
prince prodigieux étoit extrêmement modéré; 
son caractère étoit doux, ses manières sim- 
ples ; il aimoit à vivre avec les gens-de sa cour. 
Il fut peut-être trop sensible au plaisir des 
femmes : mais un prince qui gouverna tou- 
jours par lui-même, et qui passa sa vie dans 
les travaux , peut mériter plus d'excitses. Il 
mit une règle admirable dans sa dépense ; il 
fit valoir ses domaines avec sagesse , avec at- 
tention, avec économie: un père de famille 
pourroit apprendre (i) dans ses lois à gouver- 
ner sa maison. On voit dans ses capitulaires 
la source pure et sacrée d*où il tira ses riches- 
ses. Je ne dirai plus qu'un mot : il ordonnoit (2) 

(i) Voyea le capitnlaire de 'villis^ de l'an 800 ; 
son capitnlaire II, de l'an 8i3, art. 6 et 19 ; et le 
liv. V des capitulaires, art. 3o3. — (a) Capitnlaire 
de -villis , art. 39. Voyez tont ce capitnlaire , qni 
est nn ehef^'cenyre de prudence ^ de bonne admi* 
nistration, et d'économie. 



l38 DE L*f SPRIT DES LOIS. 

qu'on vendît les œafs des basses-cours de set 
domaines et les herbes inutiles de ses jardins ; 
et il avoit distribué à ses peuples toutes les ri*- 
chesses des Lombards et les immenses trésors 
de ces Huns qui avoient dépouillé Tunivers. - 

CHAPITRE XIX. 
Contiaaation da même sajet. 

C'HÂALEMAONBetses premiers successeurs 
craignirent que ceux qu'ils placeroient dans 
des lieux éloignés nefussent portés à la révolte; 
ils crurent qu'ils trouverpient plus de docilité 
dans les ecclésiastiques : ainsi ils érigèrent en 
Allemagne un grand nombre d'évêcbés (i), et 
y joignirent de grands fiefs. D paroît, par quel- 
ques Chartres, que les clauses qui contenoient 
les prérogatives de ces fiefs n'étoient pas dif- 
férentes de celles qu'on mettoit ordinairement 
dans ces concessions (2) , quoiqu'on voie au- 
jourd'hui les principaux ecclésiastiques d'Al- 
lemagne revêtus de la puissance souveraine. 
Quoi qu*il en soit, c'étoient des pièces qu'ils 
mettoient en avant contre les Saxons. Ce qu'ils 
ne pouvoient attendre de l'indolence ou des 

négligences d'un leude, ils crurent qu'ils de- 

* I ' — — — ■ — - — ■ 

(i) Voyez entre antres la fondation de l'archevê- 
ché de Brème, dans le capitulaire de 789, édii^. de 
Baluze, p. 245. — (a) Par exemple, la défense aux 
juges^royanx d'entrer dans le territoire pour exiger 
les freina et antres droits. J'en ai beaucoup parlé au 
livre précédent. 



LIVRE XXXI, GHAP. XIX. iBg 

voient Tattendre du zele et de lattention agis- 
sante d'un évêque; outre qu'un tel vassal , bien 
loin de se servir contre eux des peuples assu- 
jettis , auroit au contraire besoin d'eux pour 
«e soutenir contre ses peuples 

CHAPITRE XX. 

Loais-le-Débonnaire. 

Auguste étant en Egypte fit ouvrir le tom* 
beau d'Alexandre. On lui demanda s'il vouloit 
qu'on ouvrit ceux des Ptolomées : il dit qu'il 
avoit voulu voir le roi, et non pas les morts. 
Ainsi, dans l'histoire de cette seconde race, 
on cherche Pépin et Cbarlema gne ; on voudroit 
voir les rois , et non pas les morts. 

Un prince jouet de ses passions , et dupe de 
ses vertus mêmes , un prince qui ne connut 
jamais ni sa force ni sa foiblesse , qui ne sut se 
concilier ni la crainte ni l'amour , qui, avec 
peu de vices dans le cœur , avoit toute sorte 
de défauts dans l'esprit, prit en main les rênes 
de l'empire que Charlemagne avoit tenues. 

Dans le temps que l'univers est en larmes 
pour la mort de son père, dans cet instant d'é- 
tonnement où tout le monde demande Charles 
et ne le trouve plus, dans le temps qu'il bâte 
ses pas pour aller remplir sa place , il envoie 
devant lui des gens affidés pour arrêter ceux 
qui avoieut contribué au désordre de la con- 
duite de se» sœurs. Cela causa de sanglantes 



I40 BE L^ESPEIT DBS LOIS. 

tragédies (i). C*étoieiit des imprudences bien 
précipitées. Il commença à venger les crimes 
domestiques avant d'être arrivé au palais, et à 
révolter les esprits avant d'être le maître. 

Il fit crever les yeux à Bernard , roi d'Italie, 
son neveu , qui étoit venu implorer sa clé- 
mence, «t qui mourut quelques jours après: 
cela multiplia ses ennemis. La crainte cpi'il en 
eut le détermina à faire tondre ses frères : cela 
en augmenta encore le nombre. Ces deux der- 
niers articles lui furent bien reprochés (2): on 
ne raanrfpa pas dé dire qu'il avoit violé son 
serment et les promesses solenueUes qu'il avoit 
faites à son père le jour de ^ son couronne- 
ment (3). 

Après la mort idel'in^ératrice Hirmengard^ 
dont il avôit trois enfants, ilépoi^sa Judith: 
il en eut un tils ; et bientôt, mêlait les com- 
plaisances d'un vieux mari avec toutes les foi- 
bJesses d'un vieux roi, il mit un désordre dan^ 
sa famille qui çntraina la chute de la monar- 
chie, 

U changea sans cesse les partages qu'il 
avoit faits à ses enfants. Cependant ces par- 

( I ).L'aateur incertain de la vi e de Louis-Ie-Dëbon- 
naire, dans le recueil de Dnchesne, tome II, p. agS. 
— (*i) Voyez le procès-verbal de sa dégradation , 
dans le recueil de Duchesne, tome II, p. 333.— 
(3) Il lui ordonna d*aToir pour ses sœuss, ses frères, 
«t ses neveux, une clémence sans bornes, indefi' 
cientem misericordiam, Tégan, dans le recneil d« 
Dnchesne, tome II, p. 1176. 



^ivaE XXXI,. çvAi'. XK^ f4r 

tagçs avoiçnt été confirnafés tQur à tour par.ses 
serments , ceux de ses enfants , et ceux de» 
seigneurs. C'étoit vouJoIr tenter la fidélité de 
ses sujets; c^étoit chercher à mettre de la con- 
fusion , des scrupules , et des équivoques , dans 
l'obéissance; c'étoit confondre les droits divers 
des princes, da,ps un temps sur-to|it où,.lo^ 
forteresses étant rares , le premier rempart de 
r^utorité étoit la foi promâse et la foi reçue. 

Les enfants de l'empereur, pour maintenir 
leurs partages , sollicitèrent le clergé et lui 
donnèrent des. droits inouis jusqu'alors. Ces 
droits étoient spécieux ; on faisoit entrer 1^ 
clergé en garantie d'une chose qu'on avoit 
voidu qu'il autorisât. Agobai^d (i) représenta 
à Louis-le-Débonnaire qu'il avoit envoyé Lo- 
thaire à Rome pour le faire déclarer empe* 
reur; qu'il avoit fait des partages à ses enfants 
après avoir consulté le ciel par trois jours de 
jeûnes et de prières. Que pouvoit faire un 
prince superstitieux, attaqué d'ailleurs par la 
superstition même ? On sent quel échec l'auto^ 
rite souveraine reçut deux fois par la prisoil 
de ce prince et sa pénitence publique» On avoit 
Toulu dégrader le roi, ob dégrada la royautél 

On a d'abord de la peine à comprendre 
comment un p?rince qui avoit plusieurs bonr 
nés qualités , qui ne manquoitpas de lumières , 
qui aimoit naturellement le bien , et , pour tout 
dire enfin, le fils de Charlcmagne, put avoir 

(i) Voyez ses lettres. 

ESPR. DES LOIS. 5. * "^ 



I41 DB L*ESP&IT DZS LOIs; 

des ennemis si nombreux (i), si violents, si 
irréconciliables, si ardents à Toffenser, si in* 
solents dans son humiliation , si déterminés à 
le perdre : et ils Tauroient perdu deux fois sana 
retour, si ses enfents , dans le fond plus hon- 
nêtes ||^s qu'eux , eussent pu suivre un projet 
etfonyemr de quelque diose. 

CHAPITAE XXI. 

Coatinaation àa même sajet. 

La fdrce que Cbarlemagne avoit mise dans 
la nation subsbta assez sous Louis4e-Dëbon- 
naire pour que Fétat put se maintenir dans sa 
grandenr et être respecté des étrangers. Le 
prince avoit Tesprit foible ; mais la nation étoit 
guerrière. L'autorité se perdoit au dedans sans 
que la puissance parût diminuer au dehors. 

Charles- Martel, Pépin, et Charlemagne , 

gouvernèrent Tun après l'autre la monarchie. 

Le premier flatta l'avarice des gens de (>iierre ; 

. les deux autres celle du clergé : Louis-le-Dé- 

bonnaire mécontenta tous les deux. 

Dans 11 constitution française , le roi , la no* 
blesse, et le clergé, avoient dans leurs main^ 
toute la puissance de l'état. Charles -JMEartel, 

(i) Yoyez le procès-yerbal de sâ dégradation , dans 
le recueil de Dachesne, tome II, p. 33 1. Voye« 
aassi sa vie écrite par Tégan. Tanto enim odio la- 
borabant, nt taederet tos vltâ ipsios, dit Tauteur in* 
certain, dans Dnchetne , tome U, p. $oj. 



LIVRE XXXI, GHAP. XXI. l4^ 

Pcpîn , et Charlemagnc , se joignirent quel- 
quefois d'intérêts avec Tune des deux parties 
pour contenir Tautre, et presque toujours avec 
toutes les deux; mais Louis-le-Débonnaire dé- 
taclia de lui l'un et l'autre de ces corps. Il in- 
disposa les évêques par des règlements qui 
leur parurent rigides , parceqù'il alloit plus 
loin c[u*ils ne vouloient adler eux mêmes. Il y a 
de très bonnes lois faites mal à propos. Les 
évéques , accoutumés dans ces temps.là à aller 
à la guerre contré les Sarrasins et les Sa- 
xons (i), étoienl bien éloignés de l'esprit mo- 
nastique. D'un autre côté, ayant perdu toute 
sorte de confiance pour sa noblesse, il éleva 
des gens de néant (a), il la priva de ses em- 
plois (3), la renvoya du palais , appela des 
étrangers. Il s'étoit séparé de ces deux corps , 

il en fat abandonné. 

. _.^----— -----———— — 

(i) «< Pour lors les évêques et les clercs commen- 
« îîereat à quitter les ceintures et les baudriers d'or, 
« les couteaux enricliis de pierreries qui y étoicnt 
« suspendus, et les habillements d'un goût exquis^ 
t les éperons, dont la richesse accabloii leurs talons. 
« Mais l'ennemi du genre humain ne sonfi'rit point 
« une telle dévotion , qui souleva contre elle les ec- 
« clésiastiqnes de tous les ordres , et se fit à elle-même 
« la guerre. » L'auteur incertain de la vie de Louis- 
le-Débonnaire , dans le recueil de Duchesne, tome 
II, p. 298. — (a) ïégan dit que ce qui se faisoit très 
rarement sous Charlemagne se fit communément soiif 
Louis.^(3) Voulant contenir la noblesse , il prit 
pour son cha«tbrier un cerUin Benard, qui acheva 
. de la désespérer. 



i44 de-l'esi^eit dits lois/ 

CHAPITRE XXII. 

CoiEiiiiafktion an Bptéme SDJet« 

IVx i I ^ ce qui aCfoiblît sur<r tout la monarchie , 
cj*es|; que ce prince ep dissipa les domidaes (i). 
C'est ici qi^ Nitard , un (des plus judicieux his- 
toriens que nous ayions; NitarcJ, petit-fils de 
.Çh^rjemagne , qpi étoit attaché au parti de 
Louis4e-pébonn^ire , et qui écrivoit rkistoirc 
par ordre de Charles - le - Chauye , doit être 
écouté* 

Jl dit « qu*un certain Adelhard avoit eu 
ft pendanlt un temps un tel empire si^r l'esprit 
a dej'emperç^r, que ce prince suivoit sa vo^ 
«[ lonté en toutes choses ; qu'à l'instigation de 
a ce jfavori il i^vpit donné les biens fiscaux (a) 
« à tous ceux qui en avaient voulu , et par-là 
<c avoit anéanti la république (H). » Ainsi il fit 
dans tout l'empire ce que j'ai dit (4) qu'il avoit 
f^it en Aq titaine ; chose que Charlemagne ré- 
para, et que personne ne repara plus. 

. L'état fut mis dans cet épuisement ou Char-. 
les-Martel le trouva lorsqu'il parvint à la mai-^ 

rie; et l'on étoit dans ces circonstances, qu'il 
'*' ■ . — i — ■ ^ ■ 

(i> Villas regias, quae erant s»i et avi et tiitavi, 
fidelibus sais tradidit eas in possessiones senipi- 
ternas : iecitenim hoc din fempore. Tégan , £^e Ges^ 
ti& Ludovici Piï. — (a) Hinc libertates,hiiic public» 
in propriis osibas distribnere suasit. Nitard, liv. IV, 
A lî^ fin.-— (3) Rempubliçain penitii^ annnJlavit, 
Ibùi,~^{/^) Voyez le liv. XXX, cbap.. XIII. 



LITILE ICXXI, CHAP. XXII. ll^S 

n'étoit plus question d*iin coup d'autorité pour 
le rétablir. 

Le fisc se trouva si pauvre, que, sous Char- 
les-le-Chauve, on ne maintenoit personne dans 
les honneurs (i), on n'accordoit la sûreté à 
personne , que pour de l'argent : quand on 
pouvoît détruire les Normands (a), on les lais- 
soit échapper pour de l'argent: et le premier 
conseil que Hincmar donne à Louis-le-Begue, 
c'est de demander dans une assemblée de quoi 
soutenir les dépenses de sa maison. 

CHAPITRE XXIII. 

Contianatien dà même sujet. 

JLe clergé eut sujet de se repentir de la protec- 
tion qu'il avoit accordée aux enfants de Louis- 
le - Débonnaire. Ce prince , comme j'ai dit , 
n'avoit jamais donné de préceptions des biens 
de l'église sujix laïques (3); mais bientôt Lo- 
thaire en Italie , et Pépin en Aquitaine , quit- 
tèrent le plan de Charlemagne, et reprirent 
celui de Charles -Martel. Les ecclésiastiques 
eurent recours à l'empereur contre ses en- 
fants : mais ils avoient affoibli eux-mêmes l'au- 
torité qu'ils réclamoient. Kn Aquitaine on eut 

(i) Hincmar, lettre i à Louis-lë^Begae. — (a)"Voyeï 
le fragment de la chronique du monastère de Saint- 
Serge d'Angers, dansDuchesnc, tome II, p. 401» 
.—(,'{) Voyez ce que disent le* évt^qucs dans le synode 
de l'an 845, aputi fe adonis viltam, att. 4. 

i3. 



jl^6 DE l'esprit de» lois. 

quelque condescendance; en Italie on n'obéit 
pas. * 

Les guerres civiles qui avoient troublé la 
vie de Louis-le-Débonnairc furent le gei'mc* 
de celles qui suivirent sa mort. Les trois frères, 
Lothaire, Louis, et Charles, cherchèrent cha- 
cun de leur côté à attirer les grands dans leur 
parti et à se faire des créatures. Ils donnèrent 
à ceux qui voulurent les suivre des préceptions 
des biens de Féglise ; et j>our gagner la noblesse 
ils lui livrèrent le clergé. 

On voit dans les eapitulaircs (i) que ces 
grinces furent obligés de céder à Timportunité 
des demandes , et qu'on leur arracha souvent 
ce qu'ils n'auroient pas voulu donner : on y 
voit que le clergé se croyoit plus opprimé par 
la noblesse que par les rois. Il paroît encore 
que Charles-le-Chauve (2) fut celui qui attaqua 

( 1 ) "Voyez le synode de l'an 8 4 5 , apiid Teudonis 
tnliam, tri. 3 et 4, qui décrit très bien Tétat de* 
fiihoses ; aossi b^en qne celui de la m<''iue année, tenu 
a*i palais de Ternes , art. i a ; et le synode de Beau- 
vais, encore de la même année, art. 3, 4^ ^^ ^ » et 
le capitulairc in 'villa Sparnaco y de Fan 846 , art. 
30 ; et la lettre que les évéques assembles à Reims 
écrivirent l'an 858 à Louis-le-Gcrmaniqu6% art. 81 
-*-(») Yoyex le capitulaire in 'viLla Sparnaco, de 
Tan 846. La noblesse avoit irrité le roi contre les 
évoques ; de sorte qu'il les chassa de l'assemblée ; 
on choisit quelques canons des synodes ^ et on leur 
déclara que ce seroient les seuls qu'on obscrveroit ; 
on ne leur accorda que ce qu'il éloit impossible de 
leur refuser. Voyez les art. 'ao", 21 , et 22. Vojex 



LITRE XXXI, GHAP. XXIII. 14? 

le plus le patrimoine du clergé, soit qu'il «fût 
le plus irrité contre lui parcequ il avoit dégradé 
son père à son occasion , soit qu'il fût le plus 
timide. Quoi qu'il en soit, on Toit, dans les 
capitulaires(i), des querelles continuelles en- 
tre le clergé, qui demandoit ses biens , et la. 
noblesse , qui refusoit , qui éludoit , ou qui di£- 
féroit de les rendre; et les rois entre deux. 

C'est 1in spectacle digne de pitié de voir 
l'état des choses en ces temps-là. Pendant que 
Louis-le -Débonnaire faisoit aux églises des 
dons immenses de ses domaines , ses enfants 
distribuoient les biens du clergé aux Jaïques. 
Souventla même main quifondoit des abbayes 
nouvelles dépouilloit les anciennes. Le clergé 
n'avoil point un étftt fixe. On lui Àtoit; il rega- 
g^noil: mais la eouronne perdoit toujours. 

nussi la lettre que les évéqucs assemblés écrivirent , 
l'an. 858 , à Loais-le-Germîinique , art. 8 ; et l'édit 
de Pistes, de 86/,, art. 5.-r-(i) Voyez le même capi.- 
tnlaire de l'an 846, in 'villa Spaniaco, Voyez aussi 
le eapitalaire de l'assemblée tenue apnd Marsnanij 
de l'an 84^7 , art. 4 , dani laquelle le clergé se retran- 
cha à demander qu'on le reji^ît en possession de 
tout ce dont il avoit joui sous le règne de Louis-le- 
Dcbonnaire. Voyez aussi le* eapitalaire de Tan 85i , 
apud Marsnani, art. 6 et 7 , qui maintient la no- 
blesse et le clergé dans leurs possessions ; et celui 
apud Bonoilum, de l'an 856, qui est une remon- 
trance des évêques au roi sur ce que les maux , après 
tant de lois faites , n'avoient pas été réparés ; et enfiu 
la lettre que les évéques assemblés à Reims écrivirent^ 
l'an 858 , à Louia-le-Germi^uique , art. 8i 



l4V BE I.*ESP&IT DES LOIS. 

Vers la fin du règne de Cbarles-le-Chauveet 
depuis ce règne, il ne fut plus guère question 
des démêlés du clergé et des laïques sur la res- 
titiition desl>iensde l'église. Les évéques jetè- 
rent bien ei^core quelques soupirs dans leurs 
remontrances à Charles-le-Chauve , que Ton 
trouve dans le capitulaire de Fan 856 , et dans 
la lettre (i) qu'ils écrivirent à Louis-le^Germa- 
nique Tan 858 : mais ils proposoient des choses 
et ils réclamoient des promesses tant de fois 
éludées, que Ton voit qu'ils n'a voient aucune 
espérance de les obtenir. 

U ne fut plus question (2) que de réparer en 
général les torts faits dans l'églbe et dans l'é- 
tat. I^s rois s'engageoient de ne point ôter aux 
leudes leurs Hommes libres, et de ne plus don- 
ner les biens ecclésiastiques par des précep- 
tions (3); de sorte que le clergé et la noblesse 
parurent s'unir d'intérêts. 

Les étranges ravages des Normands, comme 
j'ai dit, contribuèrent beaucoup à mettre fin 
à ces querelles. 

Les rois , tous les jours moins accrédités , et 
par les causes que j'ai dites et par celles que je 
dirai, crurent n'avoir d'autre parti à prendre 
que de se mettre entre les mains des ecclésias- 

(i) Voye* la note précédente. — (a) Voyez le ca- 
pitulaire de Tan 85i, art. 6 et 7. — (3) Charies-le- 
Chauve, dans le synode de Soissons, dit>qail avoit 
promis aux évéques de ne plus donner de prcccp- 
tions des biens de l'église. Capitulaire de l'an 853, 
«rt. II , édit. de Balnze, tome II, p. 56. 



LITRE XXXI ^ CHAP. X^III. 149 

tiques. Mais Le clergé ayoit af£f>ibU les rois , et 
les làois aboient affoibli le clergé. 

£nyainCharles-Ie-Chauve et ses successeurs 
appelerenuls le clergé (i) pour soutenir Fétat 
et en empêcher la chute; en vain se serTÎ^'ent- 
ils du respect que les peuples a voient pour cà 
corps (2) , pour maintenir celui qu'on devoit 
avoir pour eux ; en vain chercherent-ils à don- 
ner de Tautorité à leurs lois par l'autorité de» 
canons (3) ; en vain joignirent - ils les peines 
ecclésiastiques aux peines civiles (4); en vain, 

(i) Voyeas dans Nitard, liv. FV, comment, après 
la fuite de Lothaire , les rois Loais et Charles consol- 
terent les érèques pour savoir Vils poarroient pren- 
dre et partager le royanme qu'il avoit ahandonné. 
En effet , comme les évéqnes formoient entre eux un 
corps pins uni que les leudes, il oonvenoit à c«a 
princes d^assurer leurs^droits par une résolution des, 
évoques, qui pourroient engager tous les autres 
seigneurs à les suivre. — (2) Voyez le capitulaire de 
Charles-le-Chauve , apiiâ SaponariaSt de Tan 8 Sg, 
art. 3. Venilon, que j'avois fait archevêque de Sens, 
m'a sacré ; et je ne de vois être chassé du royaume par 
personne, « saltem sine andientia et judicio episco- 
« porum , quorum ministerio in regem sum conse- 
« cratus, et qui throni Dei sunt dicti ,in quibus Deus 
« sedet, et per quos sua decernie judicia; quorum 
« paternis correctionibns et castigatoriis judiciisme 
« subdere fui paratus, et iu praesénti sum subditus.» 
— (3; Voyez le capitulaire de Charles-le-Chanve , 
ie Carisiaco, de l'on 857, édit. de Balute, tome H, 
p. 88, art. 1, 2, 3, 4, et 7.— (4) Voyez le aynôde 
de Pistes , de l'an 86a , art. 4 ; et le capitulaire de 



x5o DB l'esprit des lois. 

pour contrebalancer l'autorité du comte , donr- 
nerent-ils à chaque évêque la qualité de leur 
envoyé dans les provinces ( i) : il fut impossible 
au clergé de réparer le mal qu'il avoit fiait; et 
un étrange malheur, dont je parlerai bientôt, 
fit tomber la couronne à terre. 

CHAPITRE XXIV. 

Que les hommes libres farent rendus capables de 
posséder des fiefs. 

J 'ai dit que les hommes libres alloient à la 
guerre sous leur comte , et les vassaux sous 
leur seigneur. Cela faisoit que les ordres de 
l'état se balançoient les uns les autres ; et quoi- 
que les leudes eussent de» vassaux sous eux , 
ils pouvoient être contenus par le comte, qfii 
étoit à la tête de tous les hommes libres de la 
monarchie^ 

D'abord (a) ces hommes libres ne purent 
pas se recommander pour un fief, mais ils le 
purent dans la suite ; et je trouve que ce chan- 
gement se fit dans le temps qui s'écoula depuis 
le règne de Contran jusqu'à celui de Cha'rle- 
magne. Je le prouve par la comparaison qu'on 

Carloman et de Louis II , apitd vernis palatium , 
de Tan 883 , art. 4 et 5. — (1) Capitnlaire de l'an 87(5, 
sous Ciiarles4e-Chauve , in synodo Pontigonensi , 
édit. de Balore, art. la.-^(a) Voyee ce que j'ai dit 
ci-devant an Uv. X1[X, chap. dernier, vers la fin. 



lilYRE XXXI, GHAP. XXIT. l5x 

peut faire du traité d'Andely (i), passé entre 
Contran, Childebert et la reine Brunehault, 
et le partage fait par Charlemagne à ses en- 
fants, et un partage pareil fait par Louis-le« 
Débonnaire (2). Ces trois actes contiennent 
des dispositions à peu près pareilles à Tégard 
des vassaux ; et comme on y règle les mêmes 
points et à peu près dans les mêmes circon- 
stances , Tesprit et la lettre de ces trois traités 
se trouvent à peu près les mêmes à cet égard. 

Mais pour ce qui concerne les hommes li- 
bres ^il s'y trouve une différence capitale. Le 
traité d'Ajidely ne dit point qu'ils pussent se 
recommander pour un fief; au lieu qu'on 
trouve dans les partages de Charlemagne et 
dé Louis-le-Débonnaire des clauses expresses 
pour qu'ils pussent s'y recommander : ce qui 
fait voir que, depuis le traité d'Andely, un 
nouvel usage s'introduisoit , par lequel le$ 
hommes libres étoient devenus capables de 
cette grande prérogative. 

Cela dut arriver lorsque Charles -Martel 
ayant distribué les biens de Féglbe à ses sol- 
dats , et les ayant donnés partie en fief, partie 
en aleu, il se fit une espèce de révolution dans 
les lois féodales. Il est vraisemblable que les 
nobles qui avoient déjà des fiefs trouvèrent 
plus avantageux de recevoir les nouveaux 

(i) De Taû 58; , dans Grégoire de Tour», liv. IX. 
— (a) Voyez le chapitre snivant, ou je parle plus aa 
long de ces partages , et les notes où ils sont cites. 



i5a t>s l'esprit des lois* 

don» en aleu , et que les hommes libres se trou^ 
verent encore trop heureux de les recevoir 
en fief. 

CHAPITRE •XXV. 

ClUSE PA0CIPU.E DE Ii*A*FOIBl.lMXME]|T 1>B lA 
SEOOKDE RlfE. 

Gkangeraent dans les aïeux. 

OHAKXEMÂCifE, dans le partage dont j'ai 
parié aw clu^itre précédent (i) régla qu'après 
sa mort les hommes de ehaque roi recevrpient 
des bénéfices dans le royaume de leur roi , et 
non dans le royaniiie d'un autre (a) ; au lîèu 
t|ti*on conserveroit ses aïeux dans quelque 
royaume que ce fût. Mais il ajoute que tout 
homme Hbre pourroit , après la mort de son 
seigneur, se recommander pour un ûef dans 
les t^ois royaumes à qui il voudroit , de même 
que celui qui n'ayoît jamais eu de seigneur (3). 
On trouve les mêmes dispositions dans le par- 
tage que fit Louis-le-Débonnaire à %e% enfants 
Fan 817 (4), 

(i) De l'an 806, entre Charles, Pépin, et Loa:.s. 
Il est rapporté par Goldaste et par Raluze , tome I « 
p. 439- — (a) Art. 9 , p. 443. Ce qui est conforme au 
traité d'Andely, dans Grégoire de Tours, liv. FX. — 
(3) Art. 10. Et iln*est point parlé de ceci dans le 
traité d'Andely. — (4) Dans Bahize, tome I, p. 1 74. 
licentiaui habeaC nnnsqnisqne liber honto , qoi se- 
BÎorem non habnerit , enicnmqne ex his tribus fra* 
tribtts vohxerit se commenâanda, art. 9. Voyes anssi 



lilT&E XXXI, GHAP. XXT. l53 

Mais quoique les hommes libres se recom- 
ixiandassent pour un fief, la milice du comte 
n'en étoit point affoil>lie : il f'alloit toujours 
que l'homme libre contribuât pour son aleui , 
et préparât des gens qui en fissent le service 
à raison d'un homme pour quatre manoirs , 
ou bien' qu'il préparât un homme qui servit 
pour lui le fief : et quelques ab^s s'étant intro- 
duits là-dessus , ils furent corrigés , comme îi 
paroit par les constitutions (i) de Ch^kmar- 
gne et par celle de Pépin, roi dltalie {%)^ quj 
s'expliquent l'une l'autre. 

Ce que les historiens ont dit^ que la bataille 
de Fontenay causa la ruine de la moivircbit , 
est trçs vrai. Mais qu'il me soit permis de jetey 
un coup-d'œil sur les funestes conséquences 
de cette journée, . 

Quelque temps après cette bataille, les trois 
frères, Lothaire, Louis et Charles, firent un 
traité dans lequel je trouve des clauses qui 
durent changer tout l'état politique che» l«i 
Français (3). 

le partage que fit le même empereur, Tan SS^, 9fst. 6^ 
édit. de Balaze, p. 686. — (i) De Fan 8ii, édit. dç 
Balaze, tome I, p. 486, art. 7 et 8 ; et celle de Van 
8x2, Ibid, p. 490, art. i. Ut omnis liber homo c[ai 
quatuor xnahso^ ve«titos de proprio sao, aive dç 
alicnjns beheficio, habet, ipse se prieparet, et ipse 
in hostem pergat , sive cum sexriore suo , etc. yoyei 
le capitidaire de Fan 807, édit. de Balaze, toine I^ 
p. 458.— (a) De Van 798, insérée dans U loi de» 
Lombards, liv. III, tit. IX , c. IX.— (3) En Tan 847* 

BSPR. DU LOIS. 5. ' ^ 



x54 ^^ l'esprit des lois. 

Dans rannonciation (i) que Charles fit au 
peuple de la partie de ce traité qui le concer- 
noit, il dit que tout homme libre pourroit 
choisir pour seigneur qui il Youdroit, du roi 
ou des autres seigneurs (t). Avant ce traité 
rhomme libre pouvoit se recommander pour 
un fief, mais son aleu restolt toujours sous la 

gnissance immédiate du roi, c'est-à-dire sous 
i juridiction du comte ; et il ne dépendoit du 
seigneur auquel il s*étoit recommandé qu'à 
raison du fief cpi'il en avoit obtenu. Depuis ce 
traité tout homme libre put soumettre son 
aleu au roi , ou à un antre seigneur , à son 
choix, n n'est point question de ceux qui se re- 
commandoient pour un fief, mais de ceux qui 
changeoient leur aleu en fief, et sortoient pour 
ainsi dire de la juridiction civile pour entrer 
dans la puissance du roi , ou du seigneur qu'ils 
Youloient choisir. 

Ainsi ceux qui étoient autrefois nuement 
«bus la puissance du roi , en qualité d'hommes 
libres sous le comte, devinrent insensiblement 
vassaux les uns des autres , puisque chaque 
homme libre pouvoit choisir pour seigneur 
qui il vouloit, ou du roi ou des autres sei- 
gneurs. 

rapporté par Aobert-le-Mire et Baloze, tome II, 
p. 4a, conuentus apud Marsnam, — (i) Adnnn- 
tiatio.— (a) Ut onnsquisque liber homo in nostro 
Ipegno seniorem qnem yolûerit, in nobis et in nos- 
tris fidelibus, accipiat. Art. a de rAnnonciation àê 
Chavles. * • 



LITRE XXXI, CHÀP. XXY. l55 

a*". Qtt'un homme changeant en fief une terre 
qu'il possédoit à perpétuité , ces nouveaux 
fiefs ne pouToient plus être à yie. Aussi 
Toyons-nous,un moment après, une loi géné- 
rale pour donner les fiefs aux enfants du pos- 
sesseur; elle est de Charles-le-Chauve, un des 
trois princes qui contractèrent (i). 

Ce que j*ai dit de la liberté qu'eurent tous 
les hommes de la monarchie , depuis le traité 
des trois frères , de choisir pour seigneur qui 
ils Youlchent, du roi ou des autres seigneurs , 
se confirme par les actes passés depuis ce 
temps-la. 

Du temps de Gharlemagne, lorsqu'un vas- 
sal avoit reçu d'un seigneur une chose , ne va- 
lût-elle qu^un sou, il ne pouvoit plus le quit- 
ter (a). Mais sous Charles -le-Chauve les vas- 
saux purent impunément suivre leurs intérêts 
ou leur caprice : et ce prince s'exprime si for- 
tement là-dessus , qu'il semble plut6t les invi- 
ter àjouir de cette liberté qu'à la restreindre (3). 

s :- 

(i) GapitaU^ de Taii 877 , tit. LUI , art. 9 et 10, 
apud Carisiacitm, Similiter et de nostris yassallis 
faciendum est, etc. Ce capitulaire se rapporte à un 
aatre de la même année et dn même lien ^ art. 3. — 
(a) (^pitalaire d*Aix-la-Cfiapel]e, de Fan 8x3, art. 
16. Quôd nnllns seniorem snam dimittat , postquam 
ab eo acceperit yalente solidam annm. Et le capita- 
laire de Pépin, de Tan 783, art. 5.— (3) Voyez le 
capitnlaire ^e Carisiaco, de l'an 856, art. 10 et 1 3^ 
édit. de Baluze, tome II, p. 83, dan» leqnellc roi 
et les seigneurs eccl^iastiqnes et laïques convinrent 



iS6 DE l'esprit des Lait. 

Du temps de Charlemagneles bénéfices étoient 
plus personnels que réels ; dans la suite ils de- 
vinrent plus réels que personnels. 

, CHAPITRE XXVl. 
Ghan^ment dans les ûéU. 

1 L n* arrivapas de moindres changements dans 
les fiels que dans les aïeux. On voit par le ta- 
pitulaire de Compiegne , fait sous le roi Pé- 
pin (i), que ùenx à qui le roi donnoitun béné- 
fice donnoient eux-mêmes une partie de oc 
bénéfice à divers vassaux ; mais ces parties, 
n'étoient point distinguées du tout. Le roi les 
6toit lorsqu'il ôtoit le tout; et à la mort du 
leude le vassal perdoit aussi son arriere-fief ; 
un nouveau bénéficiaire venoit qui établissoit 
aussi de nouveaux arrière-vassaux. Ainsi Far- 
riere-fief ne dépendoit point du fief; c'étoit la 
personne qui dépendoit. D'un côté, Tarricre- 
vassal revenoit au roi parcequ'il n'étoit pas 
attaché pour toujours au vassal ; i*t l'arriérer 
fief revenoit de même au roi,parcequ'il étoit 
le fiel même et non pas une dépendance du 
fief. 

de ceci : Et tk aliqois de vobis sit cui sous senioratos 
non placet, etilii simulât ut adaliam seniorem me- 
iiùs qoàm ad illum acaptare possit, yeniat ad illom, 
et ipse tranquillo et paciiico aaimo donet illi com- 
nieatnm....«t qnod Deas illi cupicrit et ad alium se- 
niorem acaptare potuerit, pacillcè liabeat. — Ci)De 
l'an 757, art. 6, cdit. de Balnze, p. 181. 



LITEE XXXI, CAAP. XXVI. iS'J 

Tel'étoit rarriere-vasselage lorsque les fiefs 
étoient amovibles ; tel il éloit encore pendant 
qne les fiefs furent à vie. Cela changea lorsque 
les fiefs jSasserent aux héritiers et que les ar- 
riere-fiefs j passèrent de même. Ce qui rele- 
voit du roi immédiatement n'en releva plus 
que média tentent ; et la puissance royale se 
trouva pour ainsi dire reculée d*ui» degré, 
quelquefois de deux, et souvent davantage. 

On voit dans les livres des fiefs(i)q(ie , quoi- 
que les vassaux dm roi pussent donner en fief, 
c'est-à-dire en arriere-fief du roi , cependant 
ces arrière-vassaux ou petits vavasseurs ne 
pouvoient pas de même donner en ûef; de 
sorte que ce (pi'ils avoient donné ils pouvoient 
toujours le reprendre. D'ailleurs une telle con- 
cession ne passoit point aux enfants comme les 
fiefs , parcequ'elle n'étoit point censée faite se- 
lon la loi des fiefs. 

Si l'on compare l'état où étoit l'arriere-vas- 
selage du temps que les deux sénateurs de Mi- 
lan ccrivoient ces livres , avec celui où il étoit 
du -temps du roi Pépin, on trouvera que les 
arrière -fiefs conservèrent plus long-^emps 
leur nature primitive que les fiefs (2). 

Mais lorsque ces sénateurs écrivirent, on 
avoit mis des ^exceptions si générales à cette 
règle qu'elles l'avoient presque anéantie. Car 
si celui qui avoit xeçu un fief du petit vavas- 



(i) Liv. I, ch. I. — (a) Au inoin* en Italie et en 
Allemagne. 



i58 DE l'espmt bes lois. 

seur Tavoit suivi à Rome dans une expédition , 
il acquéroit tous les droits de vassal : de mê- 
me s'il avoit donhé de l'argent au petit vavas- 
seur i>our obtenir le fief, celui-ci ne pouvoit 
le lui ôter, ni l'empêcher de le transmettre a 
sou fils, jusqu'à ce qu'il lui eût rendu son ar- 
gent (i). Enfin cette règle n'étoit plus snivie 
dans le sénat de Milan (a). 

CHAPITRE XXVII. 

Autre cliangement arrivé CaiM les fiefs. 

D u temps de Charlk?magne (3) on étoit obligé 
sons de grandes peines de se rendre à la con- 
vocation pour quelque guerre que ce fût ; on 
ne recevoit point d'excuses ; et le comte qui 
auroit exempté quelqu'un auroit été puni lui- 
même. Mais le traité des trois frères mit là- 
dessus une restriction (4) qui tira pour ainsi 
dire la noblesse de la main du roi (5) : on ne 
fut plus tenu de suivre le roi à la guerre que 
cpiand cette guerre étoit défensive. Il fut libre 

dans les autres de suivre son seigneur ou de 

-■■■-■ II. ^ 

(i) Liv. I des fiefs, ch. I. — ^^a) Ilfid. — (3) Capi- 
tiiUire de l'aa 802 , ait. 7 , édit. Ce Raluie , p, 365. 
— -(4) Apnd Marsnqm, l'an 847, ^it. de Baloze, 
p. 4a. — [5) Volumus ut cajuscumque nostriîm ho- 
mo, in cujuscumqae rep;no sit, cum scniore suo iu 
liostem, vel aliis suis ntilitatibas, pergat ; nisi talis 
re^i iirvasio quam La niuife ri dicant^ quodafasit, 
acciderit, ot omnis popnlus illius re^ftii ad cam re- 
pellendamcommunilerpergat. Art. 5, //7V. p,44. 



LITKE XXXJ, CHÂP. XXVII. l6g 

Tftquer à ses affaires. Ce traité se rapporte à 
on auti'e fait cinq ans auparavant entre les. 
deux'fi'eres Charles -le-Chauve et Louis, roi de 
Germanie , par lequel ces deux frères dispen- 
seront leurs vassaux de les suivre à la guerre 
en caa qu'ils fissent quelque entreprise lun 
contre l'autre; chose que 1^ deux princes 
jurèrent et qu'ils firent jurer aux deux ar- 
mées (i). 

La mort de cent mille Français à la bataille 
de Fontenay fit penser à ce qui resloit encore 
de noblesse (a), que , par les querelles particu- 
lières de ses rois sur leur partage , elle seroit 
enfin exterminée, et que leur ambition et leur 
jalousie feroient verser tout ce qu*il y avoit en- 
core de sang à répandre. On fit cette loi , que 
la noblesse ne seroit contrainte de suivre le» 
princes à la gueiTc que lorsqu'il s'agiroit de 
défendre l'état contre une invasion étrangère.- 
Eilc fut en usage pendant plusieurs siècles (3). 

CHAPITRE XXVIIL 

Chaiijcmenls arrivés dans les grands offices et dans 

les iief». 

Il sembloît que tout prit un vice particulier 

(i) Apud Argentoratnm, dans Balnze, C«|>itn- 
laires , tome II, p. 3<), — (2) Effertivement ce fut la 
noblesse qui fit ce traite. Voyra JNitard, liv. IV.— 
(3) Voyez Ip loi de Guy, roi des Romains, parmi 
celles qui ont été ajontk'S à la loi «alique et à celle 
des Lombards, tit. Vl , §. t» , c'ans licbard. 



i6o OB l'esprit des lois. 

et se corrompit en même temps. J'ai dit quer 
dans les premiers temps plusieurs fiefs étoient 
aliénés à perpétuité : mais c*étoient des caspar- 
ticuliers , et les fiefs en général conservoient 
toujours leur propre nature ; et si la couronne 
avoit perdu des fiefs , elle en avott substitué 
d'autres. J'ai dit, encore que la couronne n'a- 
voit jamais aliéné les grands offices à perpé- 
tuité (i). 

Mais Charles-le-Chauve fit un règlement gé- 
néral qui affecta également et les grands offi- 
ces et les fiefs : il établit dans ses capitulaires 
que les comtés seroient donnés aux enfants du 
comte ; et il voulut que ce règlement eût en- 
core lieu pour les fiefs (a). 

On verra tout-à-l'heure que ce règlement 
reçut une plus grande extension ; de sorte que 
les grands offices et les fiefs passèrent à des pa- 
rents plus éloignés. Il suivit de là que la plu- 
part des seigneurs qui r^levoient inunédiate- 
ment de la couronne n'en relevèrent plus que 
niédiatement. Ces comtes fpxi rendoient autre- 
fois la justice dans les plaids du rpi, ces com- 
» — »■.— i— ^-— — 1^—. 1 1 1 -»^— ^— 1^^^— 1^»^»» 

( i) Des autears oat dit que la comté de Toulouse 
avoit été donnée par Charles-Martel, et passa d'hé- 
ritier en héritier jusqu'au dernier Raymond : mais 
si cela est^ ce fut l'effet de quelques circonstances 
qui purent engager à choisir les comtes de Toulouse 
|>armi les enfants du dernier possesseur. — (a) Voyes 
son capitulaire dp Tan 877, tit. LUI, art. 9 et 10, 
i9/fud Caîisiacwn, Ce capitulaire se rapporte à un 
autre de la même année et du mcme lieu , art. 3. 



I.iyRE XXXI, 6HAP. XXVIII. l6l 

tes qui ^enoient les hommes libres à la guerre 9 
se trouvèrent entre le roi et ses hommes Jibres; 
et la puissance se trouva encore reculée d*un 
degré. 

Il y a plus : il paroît , par les capitulaires , 
que 1er comtes avoient des bénéfices attachés 
à leurs comtés , et des vassaux sous eux ( i ). 
Qu^d les comtés furent héréditaires , ces vas- 
saux du comte ne furent plus les vassaux im- 
médiats du roi ; les bénéfices attachés aux com- 
tés ne furent plus tes bénéfices du roi ; les com- 
tes devinrent plus puissants , parceque les vas- 
saux qu'ils avoient déjà les mirent en état de 
s*en procurer d'autres. 

Pour bien sentir l'affoiblissement qui en ré- 
sulta à la fin de la seconde race , il n'y a qu'à 
voir ce qui arriva au commencement de la trot 
sieme , où Ja multiplication des arriere-fiefs mit 
les grands vassaux au désespoii . 

C'étoit une coutume du royaume que qnand 
les aines avoient donné des partages à leurs ca- 
dets ceux-ci en faisoient hommage à l'ainé (2); 
de manière que le seigneur dominant ne les te» 
Aoit plus qu'en arriere-fief. Philippe- Auguste , 
le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers , 
de Boulogne, de Saint-Paul, de Dampierre, 

( I ) Le capitulaire III de l'an ^12, art. 7 ; et celni 
de l'an B 1 5 , «rt. 6 , snr les Espagnols ; le recueil des 
capitnbires, liv. V, art. 228 ; et le capitolaire d« 
l'an 869, art. 2; et celui de l'an 877, art. i3, édit. 
de Baloze. — (2) Comme il paroit par Othon de Fris- 
singne, des Gestes de Frédéric, liv. II, ch. XXIX. 



X62 DE L*E8PftIT DES LOIS* 

et autres seigneurs , déclarèrent que doréna^ 
Tant , soit que le fief lût divisé par succession 
ou autrement , le tout rdeveroit toujours du 
même seigneur, sans aucun seigneur rooy^(i); 
Cette ordonnance ne tut pas généralement sui- 
vie; car, comme j'ai dit ailleurs, il étoit im- 
possible de faire dans ces temps-là des ordob- 
nances générales : mais plusieurs de nos cou- 
tumes se réglèrent là-dessus.. 

CHAPITRE XXIX, 

De la nature des fiefs depuis le règne de Charles-le* 

Chauve. 

J*Ai dit que Charles-le-Chauvc voulut que 
quand le possesseur d'iin grand office ou d'un 
fief laisseroit en mourant un fils , l'offîce ou le 
fief lui fût donné. Il seroit difficile de suivre le 
progrès des abus qui en résultèrent et de l'ex- 
tensîon qu'on donna à cette loi dans chaque 
pays. Je trouve dans les livres des fiefs (2)qu'au 
commencement du règne de Tempereur Con- 
rad II , les fiefs , dans les pays de sa domina- 
tion, ne passoient point aux petits-fils; ilspas- 
soient seulement à celui des enfants du dernier 
possesseur que le seigneur avoit choisi (3): 



(i) Yoyez rordonnance de Philippe-Auguste, de 
Tau laog, dans le nouveau recueil. — (a) Liv.I,tit. I. 
— ^3) Sic progressa m est, ut ad filios dereniret in 
quem dominus hoc veUet heneficium oonfirniare. 
Ibid, 



LITRE XXXI9 GHAP. XXIX. 16) 

ainsi les &fs furent donnés par une espèce d*ë- 
tection que le seigneur fit entre ses enfants. 
. . J ai expliqué au chapitre XVII de ce livre 
comment , dans la seconde race , la couronne 
se trouYoit à certains égards élective, et à 
certains égards héréditaire. £lle étoit hérédi- 
taire, parcequ'on pr«noit.toujours les rois dans 
cette race ; elle i'étok encore, parceque les en- 
fants succédoient : elle étoit élective , parceque 
le peuple choisissoit entre les enfants. Comme 
ies choses vont toujours de proche en proche , 
et qu'une loi politique a toujours du rapport à 
une autre loi politique, on suivit pour la suc- 
cession des fiéfs le même esprit que Fou avoit 
suivipour la succession à la couronne ( i ). Ainsi 
^s fiefs passèrent aux enfants et par droit de 
succession et par droit d'élection ; et chaque 
fief^elrouva, comme la couronne , électif et 
héréditaire. 

Ce droit d'élection dans la personne du sei- 
gneur ne suhsistoit (2) pas du temps des au- 
teurs des livres des fiefs (3); c'est-à-dire sous 
le règne de l'empereur Frédéric I. 

CHAPITRE XXX. 
ContiBiiJitioii du même sujet. 

1 L est jdit dans le livre des fiefs (4) que , quand 

(i ) Aa môini en Italie et en Allemagne. — (a) Qnod 
hodie iu stabilitam es^t, ntad omne« seqnaliter ve- 
,|iiat. lÂT. I des SkÎs^ tit. I. — (3) Gerardus Niger, et 
Anhertiu de Otto.— «(4) Liv. I , des fiefs , tit. I. 



l64 1>E I'ëSPRIT DES LOIil. 

Temperenr Conrad partit pour Roue , le» û.^ 
deles qui étoîent à son service Im demandèrent 
de faire une loi pour que les fiefs qui passoient 
aux enfants passassent aussi sltijb: p^ts^en* 
fants; et que celui dont- le frère éloit mort 
sans héritiers légitimes pût succéder au fief 
qui ayoit appartenu à leur père comnum : cela 
tat accordé. 

. On y ajoute , et il faut se smnroiir que ceux 
qui parlent TÎ^oient du temps de l'empereur 
Frédéric I (i) , '< q^e les anciens jurisconsidteil 
« avoient toujours tenu que lat succession dei 
« fiefs en ligne collatérale ne passoit point au<- 
<c 4.elà des frères genftains , quoique dans des 
« temps moderne^ on Vtét portée jusqu'au sep- 
« tieme degré ; comme ^ par le droit nouveau , 
« on FavoîÉ portée en Jigne directe jusqu'à l'i» 
« uni (2). » C'est ainsi que la loi de Conrad re- 
çut peiji à peu des extensions. 

Toutes ces ohoises supposées , la simple lec- 
ture de P'Htstbire de France fera \mr que la 
perpétuité de^ fiefs s'établit plutôt en Fraace 
qu'en AlJeraagne^ Lorsque l'emp^eur Cosr 
rad II commença à régner en ioa4 « les choses 
se trouvèrent encore, erf Allemagne comme 
elles étoieat.déja en France »cms le règne de 
Charles-le- Chauve, qui mouruten 877. Mais en 
France , depuis le règne df» Charles-le-Ckauv« , 
il se fit de tek changements que. Charles-le - 



(i ) Cnjas l'a très bien pronvé.^^a) Lit. ^dm 
tit. I. 



i«» 



LIV&E XXXI9 CHAP. XXX. 16S 

Simple se trouva hors d'état de disputer à 
une maison étrangère ^s droits incontesta- 
bles à Tempire ; et qu'enfin , du temps de Hu- 
gues Capet , la maison régnante , dépouillée 
de tous ses domaines , ne put pas même soute- 
nir la couronne. 

La foiblesse d^esprît de Charles-le-Chauve 
mit en France une égale foiblesse dans l'état* 
Mais comme IiOuis4e-G€rman{que, son freré , 
et queU{ues uns de ceux qui lui succédèrent eur 
rent de plus grandes quidités , la force de leu^ 
état se soutint plus long-temps. 

Que dis-je ? peut-^tre que l'humeur flegma- 
tique , et , si j'ose le dire , l'immutabilité de 
l'esprit de la nation allemande ^ résista plu^ 
long- temps que celui de la nation française à 
cette disposition des choses qui falsoit que les 
fiefs , comme par une tendance naturelle , se 
perpétuoient dans les familles. 

J'ajoute que le royaume d'Allemagne ne fiât 
pas dévasté 5 et pour ainsi dire anéantr, comme 
le fut celui de France , par ce genre particidier 
de guerre que lui firent les Normands et les 
Sarrasins. Il y avoit moins de richesses en Ai-* 
lemagne , moins de vflles à saccager ^ moin& de 
c6tes à parcourir , plus de marais à franchir , 
plus de forêts à pénétrer. Les princes , qui ne 
virent pas à chaque instant l'état prêt à tom-> 
ber } eurent moins besoin de leurs vassailx | 
c'est-à-dire en dépendirent moins. Et il y a ap- 
parence que si les empereurs d'Allemagne n*a- 
voient été obligés de s'aller faire couronnera 

Ksni. DXA r^it. 5. ' ^S 



166 DE L'xSPmiT DES LOIS. 

Jiome , et de faÎFe des expéditions continuelles 
en Italie, les fiefs aurqient conservé plus long- 
temps chez eux leur nature primitive. 

CHAPITRE XX3CI. 

Comment Tempirç sortit dp la maison de 
Charlemagne. 

li* E M F I K E ) à[m. , au préjudice de la braacKe 
de Charles-le4^hauve, avoit déjà été donné aux 
l>âtapds de celle dé Louis-le-Germaniqiite(i) , 
passa encore dans uni» maison étrangère pte 
i*ëlectioil de Conrad , duc de Francoiiie , Tan 
9 1 !i. La brancke qui régnoit en Fraiîce , et qui 
pouvoit à peine disputer des villages , étoit en- 
core moins en état de disputer l'empire. Nous 
avons un accord passé entre Charles-le-Simpte 
«t l'empereur Henri I , qui avoit succédé à 
Conrad. On l'appelle le pacte de Bonn (2). Lqs 
deux princes se rendirent dans un navire qu'on 
avoit placé au milieu du Rhin , et se jurèrent 
une amitié éternelle. On employa un rtrezzo 
termine assez bon. Charles prit le titre-de roi 
de la France occidentale , et Henri celui de roi 
de la France orientale. Charles contracta avec 
le roi de Germanie , et non avec l'empereur. 

(i) Arnonl et son fils Louis IV. — (2) De l'an 926, 
Vapporté par Apbert-le-Mire, cod. donati^num 



LlV&ft XXXI9 CKAP. XXXlt. 1^7 

CHAPITRE XXXII. 

Cbmmfot k cowtoiuie d« France pasaa dans la maîsoit 

cU Hugues Capet. 

_ » 

Li'Hi^R^DiTiÊ d«s fi^fs et rétabUssement gé- 
néral des arriérer fiefs éteignirei|t le gouverne- 
ment politique et formèrent le.gouyernement 
féodal. Au lieu de cette multitude innombra^ 
ble de vassaux cfûe le» rois avoient eus , ils n*ea 
«urent pitis que quelques uns, dont les autres 
dépendirent. Les rois n'eurent presque plu$ 
d'autorité directe : un pouvoir qui devolt pas^ 
ser par tant d'autres pouvoirs , et par de si 
grands pouvoirs , s'arrêta ou se perdit avant 
d'arriver à son terme. De si grands vassaux 
n'obéirent plus , et ilt se servirent ïnéme d« 
leurs arrière-vassaux pou^ ne plus obéir. Les 
rois , privés de leurs domaines , réduits aux 
tilies de Reims et de Laon , restèrent à leur 
*merci. L'arbre étendit trop loin ses branches; 
et la tète se sécha. Le royaume se trouva sauf 
domaine , comme est aujourd'hui l'empire. Ou 
donna la couronne à un des plus |)uissants 
vassaux. 

Les Normands ravageoient le royaume; ils 
venoient sur des espèces de radeaux ou de 
petits bâtiments , enlroient par rcmbouchure 
des rivières, les remontoient, et dévastoient 
le pays des deux côtés. Les villes d'Orléans et 



£68 DK ^*XSP&IT DES LOIS. . 

de Parisarrétoieût ces brigands (i^; et ils ne 
pouvoient avancer ni sur la Seine ni sur la 
Loire. Hugues Capet , qui possédoit ces deux 
▼illes, tenoit dans ses mains les deux tiieh 
des malheureux restes du royaume: on lui 
défera une couronne qu'il étoit seul en état de. 
défendre. C*est ainsi que depuis on a donné 
l'empire à la maison qui tient immobiles les 
frontières des Turcs. 

L'empire étoit sorti de la maison de Cbarle- 
magne dans le temps que l'hérédité des fiefs ne 
s'établissoit que comme une condescendance. 
Elle fut même plus tard en usage chez les Alle- 
mands que chez les Français (a): cela fit que 
l'empire , considéré comme un fief, fut électif. 
Au contraire, quand la couronne de France 
sortit de la maison de Charlemagne , les fiefs 
étoient réellement héréditaires dans ce royau^ 
me : la couronne, comme un grand fief, le fut 
aussi. * 

Du reste, on a eu grand tort de rejeter sur 
le moment de cette révolution tous les chan^ 
gements qui étoient arrivés ou qui arrivèrent 
depuis. Tout se réduisit à deux événements; 
la famille régnante changea, et la couronne 
fut unie à un grand fief. 

(i) Voyez le capîtulaire de Charles-le-Qiaave , de 
Van 877, apudCarisiacum, aar Timportance de 
Paria , de Saint-Denys , et des châf eaax sur la Loire , 
dans œs temps-là.— (a) Toyez ci-devant le ch. XX X^ 
p. i63. 



'• 



IIYRE XXXI, CHAT. XXXYII. 169 

CHAPITRE XXÎtIII. 
Quelques conséqaeiices de la perpétuité des ûtfs, 

1 L suivit de la perpétuité des fiefs que le droit 
d'aînesse et de priinogéniture •'établit parmi 
les Français. On ne le connoissoit point dans 
la première race (i^: la couronne se parta- 
geoit entre les frères , les alenx «se divisoient 
de même; et les fiefs, amovibles ou à vie, 
n'étant pas un objet de succession , ne pou^ 
voient pas être un objet de partage. 

Dans la seconde race , le titre d'empereur 
qu'avoit Louis-le-Dcboni.aire , et dont il ho- 
nora Lothairc son fils aine, lui fit imaginev 
de donner à ce prince une espèce de primauté 
sur ses cadets. Les deux toîs dévoient aller 
trouver l'empereur chaque année, lui porter 
des présents (a) et en recevoir de lui de plus 
grands; ils d(ï voient conférer avec lui sur le» 
affaires communes. C'est ce qui donna à Lo* 
thairc ces prétentions qui lui réussirent si mal. 
Quand Agobard écrivit pour ce prince (3), il 
allégua la disposition de l'empereur même, 
qui avoit associé Lothaire à l'empire , après 
que, par trois jours de jcùaa et par la célébra- 

(i) Voyez fa loisalique et la loi des Ripuaires, au 
litre des aleox. — (2) Voyez le capitulaire de Tân 81 7, 
qni cootieut le premier partage que Louis-lc-Debon- 
naire fit entre ses enfants. — (3) Voyc/ses deuxlettre» 
à ce sujet, dont l'une a pour litre de dipisione 

imperii* 

i5. 



I70 DE l'esfrit des lois. 

tion des saints sacrifices , par des prières et 
des aumônes, Dieu avoit été consulté; que la 
nation lui avoit prêté . serment ; qu'elle ne 
pouvoit point se parjurer; qu'il avoit envoyé 
Lothaîre à Rome pour être confirmé par le 
pape. Il pesé sur tout ceci et non pas sur le 
droit d'aînesse. Ilditlnen que l'empereur avoit 
désigné un partage aux cadets , et qu'il avoit 
préféré Tainé : mais en disant qu'il avoit pré- 
féré l'aîné , c'étoit dire en même ten^ps qu'il 
auroit pu préférer les cadets. 

Mais quand les fiefs furent héréditaires , le 
droit d'aînesse s'établit dans la succession des 
fiefs ; et par la même raison dans celle de la 
couronne, qui étoit le grand fief. La loi an- 
cienne qui formoit des partages ne subsista 
plus; les fiefs étant chargés d'un service, il 
falloit que le possesseur fut en état de le rem- 
plir. On établit un droit de primogéniture ; et 
la raison de la loi féodale força celle de la loi 
politique ou civile. 

Les fiefs passant aux enfants du possesseur, 
les seigneurs perdoient la liberté d'en dispo- 
ser; et pour s'en dédommager ils établirent 
un droit qu'on appela droit de rachat , dont 
parlent nos coutumes, qui se paya d'abord en 
ligne directe , et qui , par usage , ne se paya 
plus qu'en ligne collalérale. 
., Bientôt les fiefs purent être transportés aux 
étrangers comnie un bien patrimonial. Cela 
fit naître le droit de lods et ventes établi dans 
presque toutj^e rovauuio. Ces droits lurent 



LITRB X'XXI, CHAF. XXXIII. I7I 

d'abord arbitraires : mais quand la pratique 
d'accorder ces ))ennissions devint générale où 
les fixa dans chaque contrée. 

Le droit de rachat devoit se payer à chaque 
mutation d'héritier, et se paya même d'abord 
en ligne directe (i). La coutume la plus géné- 
rale l'avoit fixé à une année du revenu. Cela 
étoit onéreux et incommode au yassa) , et af- 
fectoit pour ainsi dire le fief. 11 obtint souvenfl 
dans l'acte d'hommage que le seigneur ne de- 
manderoit plus pour le rachat qu'une certaine 
somme d'argent (2), laquelle , par les change- 
ments^ arrivés aux monnoies , est devenue de 
nulleimporlance : ainsi le droit de rachat se 
trouve aujourd'hui presque réduit à rien , tan- 
dis que celui de lods et ventes a subsisté dans 
toute son étendue. Ce droit-ci ne concernant 
ni le vassal ni ses héritiers , mais étant un cas 
fortuit qu'oi^ine devoit ni prévoir ni attendre , 
on ne fit point ces sortes de stipulations , el 
on continua à payer une certaine portion du 
prix. 

Lorsque les fiefs étoient à vie on ne pouvoit 
pas donner une partie de son fief pour le tenir 
pour toujours en arriere-fief ; il eût été absurde 
qu'un simple usufruitier eut disposé de la pro- 

(1) Voyez rordonnance de Philippe-Aagnste , de 
Tan xaOQ, »ur les fiefs. — (a) On trouve dans Its 
Chartres plusieurs de ces conventions , comiùe dans 
le capitulaire de Vendôme et celui de Fabbaye de 
Saiat-Cyprien, en Poitou , dont M. Galland , p. 55^ 
• donné des extraits. 



173 DE L*ESPRIT DES LOIS. 

pri^té de la chose. Mais lorsqu'ils devinrent 
perpétuels cela fut permis (i)^ avec de certai- 
nes restrictions que mirent les coutumes (a), 
ce qu'on appela se jouer de son fief. 

La perpétuité des fiefs ayant fait établir le 
droit de racha t , les filles purent succéder à un 
fief au défaut des mâles. Car le seigneur don- 
nant le fief à sa fille, il multiplioit les cas de ton 
droit de rachat, parceque le mari devoil le 
payer comme la fçmrae (3). Cette disposition 
ne pouvoit avoir lieu pour la couronne ; cai', 
comme elle ne reîevoit de personne , il ne pou- 
•voit point y avoir de droit de rachat sur elle. 

La fille de Guillaumey, comte de Toulouse^ 
ne succéda pas à la comté. Dans la suite Aliénor 
succéda à l'Aquitaine , et Mathiide à la Nor-» 
mandie : et le droit de la succession des filles 
parut dans ces teraps-là si bien étidE>li , que 
Louis-le- Jeune, après la dissolution de son 
mariage avec Aliénor, ne fit aucune difficulté 
de lui rendre la Guienne. Comme ces deux 
derniers exemples suivirent de très près le 
premier, il fatit que la loi générale qui appe- 
loit les femmes à la succession des fiefs se soit 
intrwluiteplus tard^ans la comté de Toulouse 
que dans les autres provinces du royaume (4). 

(i) Mais on ne pouvoit pas abréger le fîejf, c'est- 
à-dire en éteindre une portion. — (a) Klles fixèrent 
U portion dont on pouvoit se jouer. — (3) C'est pour 
pela que le seigneur contraignoit la veuve de se re- 
marier. — (4) La plupart des grandes maisons avoient 



LITKE XXXI, CHAP. XXXIII. I7S 

La constitution de divers royaumes de l'Eu- 
rope a suivi Tétat actuel où étoient les fiefs 
dans les temps que ces royaumes ont été fon- 
dés. Les femmes ne succédèrent ni à la cou^ 
ronne de France ni à Tempire, parceque dans 
rétablissement de ces deux monarchies les 
femmes ne pouvoient succéder aux fiefs; mais 
elles succédèrent dans les royaumes dont l'é- 
tablissement suivit celui de la perpétuité des 
fiefs , tels que ceux qui furent fondés par les 
conquêtes des Normands , ceux qui le furent 
par les concpiétes faites sur les Maures ; d'au- 
tres enfin qui, au-delà des limites de l'Alle- 
magne et dans des temps assez modernes, 
prirent en quelque façon une seconde nais- 
sance par l'établissement du christianisme. 

Quand les fiefs étoient amovibles on les 
donnoit à des ^ns qui étoient en état de les 
servir; et il n'étoit point question des mi- 
neurs : mais quand ils furent perpétuels, les 
sei{(neurs prirent le fief jusqu'à la majorité, 
soit pour augmenter leurs profits, soit pour 
faire élever le pupille dans l'exercice des ar- 
mes fi). C'est ce nue nos coutumes appellent 

leurs lois de succession particulières/ Voyez ce que 
M. de la Thaumassiere nous dit snr^es maisons du 
Berri. — (i) On voit dans le capitnlaire de l*annë« 
877, apud Carisiacnmy art. 3 , édit. de Baluxe, 
tome II, p. 269, le moment où les rois firent admi- 
nistrer les iiefs pour les conserver aux mineurs : 
exemple qui fut suivi par les seigneurs, et donn» 
Torigine à c« que nous appelons la garde-noble. 



174 l'K l'espeit des kois. 
la garde-noble , laquelle est fondée sur d'au- 
tres principes que ceux de la tutele, et en est 
entièrement distincte. 

Quand les fiefs étoient a vie on se recom- 
mandoit pour un fief; et la tradition réelle 
qui se faisoit par le seeptre constatoit le fief ^ 
comme fait aujourd'hui Thommage. Nous, ne 
"voyons pas que les comtes ou même les en- 
voyés du roi reçussent les hommages dans les 
provinces ; et cette fonction ne se trouve pas 
dans les commissions de ces officiers qui nous 
ont été conservées dans les capitulaires. Ils 
faisoientbien quelquefois prétey le serment de 
fidélité à tous les sujets (i); mais ce serment 
étojt si peu un hommage de la nature de ceux 
qu'on établit depuis , que, dans ces derniers ^ 
le serment de fidélité étoit une action jointe à 
l'hommage , qui tantôt suivok et tantôt pré- 
cédoit l'hommage, qui n'a voit point lieu dans 
tous' les hommages, qui fut moins solennelle 
que Fhommage, et en étôit entièrement dis- 
tincte (2). 

(t) On en troave la^rmiil« dans le capitulaire 
II de Taii 80a. Voyez ausai celui de l'an S54, art. l'X 
et antres.-^s) M. du Cange, an mot homimum^ 
p. 1 1&3 , et an tnoxfidelitas, p. 474 , cite les Char- 
tres des anciens hommages où ces différences se 
trocrvent , «t grand nombre d'autorités qu'on peut 
voir. Dans l'hommage , le vassal mettoit sa main dans 
eelle du seigneur, et juroit : le serment de fidélité se 
faisoit en jurant sur les évangiles. L'hommage se fai- 
6oit à genonx: le serment de fidélité debout. Il n'y 



I.IT^B XXXX, CBAf. tVXIII. I7S 

Xe$ comtes et les envoyés du roi ftisoicfit 
encore , dans les occasions, dowuer aux vas* 
saux dont la fidélité étoit suspecte une assu* 
rance qu'on appeloit^^>7n;A0kf (i); mais cette, 
assurance ne pouvoit être un ko^mage, puis- 
que les rois se la donnoient entre eux (a). 

Que si l'abbé Suger parle d'une chaire de 
Dagobert , où , selon ic rapport de l'antiquité, 
les rois de France avoient coutume de recevoir 
les hommages des seigneurs Ç^) , il est clair 
qii'tl emploie ici les idées et le langage de son 
tempfr. 

. Lorsque les fiefs paaserent aux héritiers , la 
reconnoissance du vassal , qui n'étoit dans les 
premiers temps qu!ime chose occasicmnelle, 
devint une action réglée : eUe fixt faile d'une 
manière phis éclatante; die fut remplie deplvs 
de formalités, parcequ'elle devoit porter la 
mémoire des devoirs réciproques du seigneur 
et du vassal dans tous les âges. 

Je poiurrois croire que les hommages com^ 
mencerent à s'établir du temps du roiP«pin, 
qui est le temps où j'ai ^ que plusieurs béné- 
fices furent dùnnés à perpétuité ; mais je le 
croirois avec précaution , et dans la supposi* 

avo^t ^9ç 1« ligueur qxii pût recevoir Thommage ; 
mais sefi officiers pouv oient prendr<f^ le serment de 
fidélité. Voyez Littleto^, sect. XCI et XQI- Foi e£ 
hommage, c'est fidélité et hommage. — '(i) Capitol, 
die Charlea-le-Chaiave, de l'an ^60 ^jaost redit um a 
conjluentibus, art. 3, édit. de Baluze, p.- 14 5».^-^ 
(2) Ibid, art. i.— (3) Lil?. d« udroinistratione tua. 



176 DE L*ESPRIT DES LOIS. 

tion seule qtte les auteurs des anciennes an* 
nales des Francs n'aient pas été des ignorants, 
qui , décrivant les cérémonies de Tacte de fidé- 
lité que Tassillon , duc de Bavière , fit à Pé- 
pin (i), aient parlé suivant les usages q[u'ils 
Toyoient pratiquer de leur temps (a). 

CHAPITRE XXXIV, 
Gontinaation da même sujet. 

O u  ir D les fiefs étoient amovibles ou à vie , 
ils n'appartenoient guère qu'aux lois politi- 
ques ; c'est pour cela que dans les lois civiles 
de ces temps-là il est fait si peu de mention des 
lois des fiels. Mais lorsqu'ils devinrent héré- 
iditaires , qu'ils purent se donner, se vendre , 
se léguer, ils appartinrent et aux lois poli- 
tiques et aux lois civiles. Le fief , considéré 
comme une obligation au service militaire, 
tenoit au droit politique ; considéré comme 
un genre de bien qui étoit dans le commerce , 
il tenoit au droit civil. Cela donna, naissance 
aux lois civiles sur les fiefs. 

Les fiefs ét^nt devenus héréditaires , les loi» 
concernant Tordre des successions durent être 
relatives à la perpétuité des fiefs. Ainsi s'établit , 



(i) Anno 757, ch. XVII. — (a) Tassillo venit in 
vassallatico se commendans, per mantts sacramenta 
jurarit mnlta , et iimnmerabilia , reliqniis sànctoram 
manasimponens, et fidelitatem promisit Pippino. 
Il sembleroit qall y anroit là un hommage et an ser- 
ment de fidélité. VoycE k la page 1 74 la note a. 



LIT&E XXTI, CHÀP. XXXIV. I77 

malgré la disposition du droit romain et de la 
loi salique (i), cette règle du droit français, 
'propres ne remontent poirû[*k). Il falloit que 
iefief fÀt seryi ; maisun aïeul , un grand-oncle, 
auroient été de mauvais vassaux a donner au 
seigneur: aussi cette règle n*eut-ellé d'abbrd 
lieu que pour les fie£s, comme nous l'appre- 
nons de Boiltillier (^). 

Les fiefs étant devenus héréditaires , les sei- 
gneurs , qui dévoient veiller à ce que le fief 
fût servi , exigèrent que les filles qui dévoient 
succéder au fief (4), et je crois quelquefois les 
mâles, ne pussent se marier sans leur consen<» 
tement; de sorte que les contrats de mariage 
devinrent pour les nobles une disposition îéo- 
dale et une disposition civUe. Dans un acte 
pareil lait sous les yeux du seigneur, on fit des 
dispôsiticmspour la succession future , dans la 
vue que le fief pût être servi par les héritiers : 
aussi les seuls nobles eurent-ils d'abord la li*^ 
berté de disposer des successions futures par 
contrat de mariage , comme l'ont remarqué 
Boyer (5) et Aufrérius (6). 

- ■ I I II < ' Il • I I ■.————y» 

(1) Au titre dei aicux.-^a) Liv. IV, defeudis , 
tit. LIX. — (3) Somme mrale^ lly. I, tit. LTLXYI, 
p. 447.-^4) Suivant une ordonnance de saint Louis, 
de Fan 1246, pour constater \tt coutumes d* Anjou 
et du Maine, ceux qui auront le bail d*une fille hé> 
ritiere d'un fief donneront assurance au seigneur 
qu'elle ne aéra mariée que de son consentement.— 
(5) Décis. i55 , n^ 8 ; et 204, n^ 38.— («) Incapel* 
Thol. décision 453. 

sspa. DFs i;ois. 5. ^^ 



l'jS DE l'eSlPRIT des LOIS. 

Il est ii^utik de dire que le rétrait Ugnager^ 
fondé sur i'ancieu droit des parents ^ qui est 
un mystère de notre ancienne jurispmdeBce 
IraRçaise que je n'ai pas le temps de dévelop- 
per, ne put avoir lieu à Végéta -des fiefs que 
faM^squIls .deyiorent perpétuel . 

Itaham^ lùaiiam (i). . . . ^ finis le traité 
des fiiéfs ou la ^«part des av^iu's l'oi^t com- 
mencé. 

(i) Al^atid. liT« III, vors 5a3. 



VIV DX L^SPKIT DES LOIS. 



DEFENSE 

DE 

L'ESPRIT DES LOIS. 

PREMIERE PARTIE. 

On a divisé cette difense en trois paities. 
Uaas la première on a répondu aux i-eproches 
généraux qui ont éié faits a l'auteur de l'Es- 
jirit des lois. Bans la seconde on répond aux 
reproches particuliers. La troisième contient 
des réflexions sur la manière dont on l'a cii ti- 
qué. Le publiera connoitre l'état des cboses; 
U pourra, juger. 



QuoiQiJBl'Espri 
de pure .politique t 
l'auteur a eu souvei 
religion chrétiennr 
en faire sentirtoat« 
enponr objet de tr, 
à cherché à la faire aimer. 

Cependant ,. dans deu? feuilles périodiques 



ifto DEFENSE 

qui ont paru coup sur coup (i). on lui a fait 
les plus affreuses imputations. 11 ne s'agit pas 
nunns que de saToir s'il est spinosiste et déiste : 
et quoique ces deui accusations soient par 
elles-mêmes contradietoireft, on le mené sans 
cesse de l'une à l'autre. Toutes les deux , étant 
incompatibles , ne peuvent pas le rendre plus 
coupable qu'une seule; mais toutes les deux 
peuvent le rendre plus odieux. 

Il est dOBC spinosiste 9 lui qui, dès le pre- 
mier article de son livre , a distingué le monde 
matériel d'av^ les intelligences spirituelles. 

Il est donc spinosiste, lui qui, dans le se- 
cond article , a attaqué l'athéisme. « Ceux qui 
« ont dit qu'une fatalité aveugle a produit tous 
« les effets que nous voyons dans le monde , 
<t ont dit une grande ab&urdité ; car quelle plus 
(t grande absurdité qu'une fatsdité aveugle ifai 
ce auroit produit des êtres intelligents? » 

U est donc spinosiste lui qui a continué par 
ces paroles : « JDieu adu rapport avec l'univers 
<t comme créateur et conservateur (2) : les lois 
<t selon lesquelles il a créé sont celles selon les- 
« quelles il conserve. Il agit selon ces règles, 
« parcequ'il les connoit ; il les connoit , parce-* 
<^ qu'il les a faites ; il les a faites , patcequ*elles 
« ont du rapport aVec sa sagesse et sa pais* 
û sance. » 

Il est donc spinosiste, lui qui a ajouté; 

(i) L*iine du 9 octobre 1749, l'tatre du x6 du 
iiiéme^iiioi«.-^rs) liv. I, ch. I. 



BE L ESPRIT DES LO^S. xS| 

ft Comine no\Ls voyons que le inonde foriné 
« par le mouvement de la ma^^ere « et privé 
^ d'intelligence, subsiste toujpaws, etc. (i)» » 

n est donc ^pinosiste^ lai q^ui a démontre, 
contre Hobbes et Spinosa, «, que les rappprU 
« de justice et d'équité étoiei^t antérieurs à 
« toutes les lois positives (a), » 

Il est donc spinosiste ^Ini qui a dit au com- 
mencement du cliapitïre second; « Cette loi 
« qui 5 en imprimant dans nous-mêmes l'idée 
« d'un créateur, nous porte vers lui, est!^ la 
« première des lois naturelles par sou in^or-^ 
« tance. » ^ 

Il est dpnc spinosiste , lui qui a combattu de 
toutes ses forces le paradoxe de Bayle , cm'il 
vaut nûeux être athée qu'idolâtre; paradoxe 
dont les athées tireroîent les plus dangereuses 
conséquences. 

Que dit-on après des passa^ges^i formas ? 
Et réqaité naturelle demande que Iç degré 
de preuve soit proportionné à4a|;randeur de 
l'accusation, 

ftll'auteur tombe dès le premier Bas. Les 
« lois ^,imi la signification la plus,^tendue , 
« diMl^^ont les rapports néçi^^Si^res qui dé*" 
« rivent de la nature d^s chpse^^Xes lois dea 
«r^por^l cela ^e eouçQ^trîj^^^., .'Cependant 
«4*aHteur li'a pas changé, la jâléônitiou ordi- 
t uairç d^& lois sans dessein, (inél es* donc son 

(i ) Liv. I , ch- T.— (a) Jàid. 

x6. 



« bttt? le Tmci. Selon le nouTeau système, 3 
« y a entre tons les êtres qui forment ce que 
« Pope appeBe \t grand totuxm, enchaînement 
« si nécessaire que le moindre dérangement 
«porteroit la confusion jusqu'au trône -du 
« premier être. Cest ce qui Cût dire à Pope que 
« les choses n'ont pu être autrement qu'eues 
K ne sont, et que tout est bien comme il est. 
a Cela poflfé, on entend la signification de ce 
<i langage nouveau, que les lois sont les rap- 
« ports nécessaires qui dérivent de la nature 
(c des choses. A quoi l'on ajoute que dans ce 
« sens tous les êtres ont leurs lois ; la di^i- 
« nité a ses lois; le monde matériel a ses lois ; 
a les intdligences supérieures à l'homme ont 
« leurs lois ; les bêtes ont leurs lois } lliomme 
« a ses lois. » 

aiÊPONSE. 

Les ténèbres mêmes ne sont pas pins ob^ 
scures que ced. Le critique a ouï dire que 
Spinosa admettent un principe ayeugle et né* 
cessaire qui gou^emoit l'univers : il ne lui en 
dut pas davantage; dès^ qu'il trouvera le mot 
nécessaire, ce sera du spinosisme. L'auteur a 
dit que les lois étolent un rapport nécessaire : 
voilà donc du spinosisme, parceque voilà du 
nécessaire, £t ce qu'il y a de sui^enant , c'est 
que l'auteur, chez le critique, se trouve spi- 
nosiste à cause de cet article, quoique cet ar» 
ticle combatte ezpressànentles systèmes dan- 
gereux. L'auteur a eu en vue d'attaquer la 
système de Hobbes; système terrible , qui fiû» 



^ 



DE l'esprit ds^ lois. i83 

^ant dépendre tontes les Tertus et tons les vices 
de l'établissement des lois que les hommes s« 
sont faites, et voulant prouver que les hom* 
mes naissent tous en état de guerre , et que la 
première loi naturelle est la guerre de tous 
contre tous , renverse , comme Spînosa , et 
tout"; religion et toute morale. Sur cela l'au- 
teur a établi , premièrement , qu'il y avoit des 
lob de justice et d'écpûté avant l'établissement 
des lois posi^ves: il ^ prouvé que tous les êtres 
avoient des lois; que, niéme avant leur créa- 
tion, ils avoient des lois possibles ; que Dieu 
lui-même avoit des lois, c'est-à-dire les lois 
qu'il s^étoit £aites. Il a démontré qu'il étoit 
faux que les hommes naquissent en état de 
guerre (i); il a fait voir que l'état de guerre 
n'avoit commencé qu'après l'établissement 
des sociétés; il a donné là -dessus des prin- 
cipes clairs. Mais il en vésultè toujours que 
l'auteur a attaqué les erreurs de Hobbes et 
les conséquences de celles de Spinosa, et quHl 
lui est arrivé qu'on l'a si peu entendu , quel'on 
a pris pour des opinions de Spinosa les objec-^ 
dons qu'il fait contre le spinosisme. AVant 
d'èntrei^ en dispute il firadroit commencer par 
se mettre au fait de l'état de la question , et sa- 
voir du moms si celui qu'on attaque est ami 
ou ennemi. 

SECOVDEOBlECTIOir. 

Le critique continue : « Sur quoi l'auteur 



(i)Liv.I,ch.|L 



1^4 oiPEHsm 

« cttePltttaxiqtte,^qaidit qoeUloir^itlarem 
« de tous les mortel» et iamçrtéU* M^ «aft^oe 
« d'oa païen? etc. » 

U est vnu ^eranteiir a cité Fiaitafqfi» qui 
dit que la loi est ia v^ine de to<u l6ft«^sstel««t 



TaOISIKXX OBJECTION* 

L'auteur a dit <« qfielacréatiou, qui paroit 
« étFC un acte arbijtipaûce, 8i:9pe»e des relies 
« aussi in^arâJbles qpA la fataÛté des ath/ées. » 
De lies termes le critique coa<j)it^{ii£ Touteur 
mlmet la fatalité des atUées. 

aÉpoii6&. 

UA-momeut auparai^aut il a détruit cette 
£atalité par ces paroles : « Gei^ qui ont dit 
« qu'une £atal«té aveugle gouverne runiirers 
« ourdit une grande absurdité ; carcpveUe plot 
« grande absyrdité qpijuie Natalité av^^ngle qid 
«a produit des i;y:esintdUgeats?» De plosi 
daxu le paAsag^ qu'on ceoBur^, ou ne peut 
laincparler rauteur que dece dout il-parle.Il 
«e parle «point; dies causes^ et £1 ne^sompare 
pointles causes ; juais il parle des tffets , et il 
compara les effetSvTout Tartide, celui q|ui k 
précède et «celui qui le suit ,. font Toir qu'ila'^est 
question ici .queues règles du iiMHriiemautf 
que l'auteur dit avoir été établies :par Dieu; 
elles sont .invariables ces règles » et toute la 
pb^sique le. dit avec lui^ elles sont ûwam- 
bles, parcfique Dieu a voulu qu'elles dissent 



DE L*£SPRIT DES LOIS. l85 

telles , et qu'il a voulu conserver le monde. Il 
nen dît ni plus ni moins. 

Je dirai toujours que le critique n'entend ja- 
mais le isens des choses et ne s'attache qu'aux 
paroles. Quand l'auteur a dtt que la création , 
qui paroissoit être un acte arbitraire, suppo- 
soit des règles aussi invariables que la fatalité 
des athées, on n'a pas pu l'entendre comme 
s'il disoit que la créatioil fut un acte nécessaire 
comme la fatalité des athées, puisqu'il a déjà 
combattu cette fatalité. De plus les deux mem- 
bres d'une comparaison doivent se rapporter; 
ainsi il faut absolument que la phrase veuille 
dire : la création , qui paroit d'abord devoir 
produire des règles de mouvement variables , 
en a d'aussi invariables que la fatalité des 
athées. Le critique, encore une fois , n'a vu et 
ne voit que les mots. 

IL » 

Il n'y a donc point de splnosisme dans l'Es- 
prit des lois. Passons à une autre accusation, et 
voyons s'il est vrai que l'auteur ne reconnoisse 
pas la religion révélée. L*auteur, à la fin du 
chapitre premier, partant de l'homme , qui est 
une inteliigence finie, sujette à l'ignorance et 
à l'erreur, a dit: «vUn tel étrepouvoit à tous 
«les instants oublier son créateur; Dieu Ta 
« rappelle à lui par les lois de la religion. » 

U a dit au chapitre premier du livre XXIV: 
«Je n'examinerai les diverses religions du 



l36 DÉFENSE 

« monde que par rapport au bien que Ton tu 
« tire dans l'état civil , soit que je parle de celle 
u qiû a sa racine dans le ciel, ou bien de celles 
« qui ont la leur sur la terre. 

« Il ne faudra*que très peu d'équité pour 
4c voir que je n'ai jamais prétendu faire céder 
« les intérêts de la religion aux intérêt^ poli-^ 
« tiques , mais le:^ unir: or pour les unir il faut 
» les connoitre. Ia religion chrétienne ^ qui 
« ordonne aux hommes de s'aimer, veut sans 
« doutiQ que chaqpe peuple ait les meilleures 
« lois politiques et les meilleures lois civiles ; 
M parcequ'elks sont, aprèi elle, le plus grand 
« bien cpie les koiasui^s puissent donner et re- 
« cevoir. » 

£t au chapitre second du même livre : «i Un 
« prinœqui aime la religion et qui la craint 
« est un lion qui cède à la main qui Le flatte ou 
A à la Toix qui Tâppaise. Celui qui craint la 
« religion et qui la l^ak est comme les bêtes 
« sauvages qui mordent la chaîne qui les em- 
« péeh« de ae jeter sur ceux qui passent. Celui 
« qui n'a point du tout de r^igimi est -cet ani* 
H mal terrible qui ne sent sa liberté que lors- 
<c qu'il déchire et qu'il dévore. 9 

Auchapitre troisieme'du mime liyjse : ^ Pcnr 
« dant que les prUices mahométana donnent 
« sans cesse la mort ou la reçoivent, laxeli^on 
« chez les chrétiens radies prin/œs j^oina ti^ 
«c mides*, et par conséquent moins cmela* Le 
« prinee compte sur ses sujets , et le» sujets 
« sur le (urince. Chose admirable ! la religion 



DE L*ESPR1T DES LOIS. 1^7 

« clirétienne, qui ne semble aroir d'objet que 
« la félicité de Fatitre vie , fait encore notre 
<c bonbeur dans celle-c}. >» 

Au cbapitre quatrième du même livre: « Sur 
« le caractère de la ^lîgion chrétienne et celui 
« de la mahométane , Ton doit , sans autre exa- 
«c men , eihbr^sser Tune et rejeter Tautre. » On 
prie de continuer. 

Dans le chapitre sixième : « M. Ba^le , après 
« avoir insulté toutes les religions , flétrit la 
a religion chrétienne : il ose avancer que de 
« véritables chrétiens ne formeroient pas un 
« état qui put subsister. Potirquoi non ? Ce 
«t seroient des citoyens infiniment éclairés sur 
« leurs devoirs et qui auroient un très grand 
« zèle pour les remplir ; ils sentiroient très 
« bien les droits de la défense naturelle; plus 
« ils droiroient devoir à la religion , plus ils 
«c penseroient devoir à la patrie. Les principes 
« du christianisme bien gravés dans le cœur 
« seroient infiniment plus forts que ce faux 
<t honneur des monarchies , ces vertus humai- 
« nés des républiques, et cette crainte servilc 
« des états despotiques. 

a II est étonnant que ce grand homme n'ait 
« pas su distinguer les ordres pour l'établisse. 
« ment du christianisme d'avec le christianisme 
<cméme, et qu'on puisse lui imputer d'avoir 
<(. méconnu l'esprit de sa propre religion. Lors*- 
« que le législateur, au lieu de donner des lois , 
« a donné des conseils, c'est qu'il a vu que ses 
« conseils , s'ils étoient ordonné» comme des 



lB8 PBFENSe 

n lois , seroient contraires à l*esprit de ses 
«lois. » 

Aa chapitre dixième : « Si je ponvoîs un 
« moment cesser de penser que je suis chré* 
« |ien« je ne pourrois m'empécher de mettre 
« la destruction de la sect? de Zenon au nom- 
ffbre des malheurs du genre humain , etc. 
« Faites abstraction des yérités révélées ; cher- 
«^chez dans toute la nature , tous n ^ trouve- 
«rez pas de. plus grand objet que les Anto- 
«cnins, etc. » 

£t au chapitre treizième : « La religion 
« païenne , qui ne défendoit que qudques cri- 
« mes grossiers , qui arrétoit la main etaban- 
« donnoit le cœur, pouvoit avoir des crimes 
« inexpiables. Mais une religion qui enveloppe 
« toutes les passions , qui n'est pas plus jalouse 
«des actions que des désirs et des pensées, 
« qui ne nouç tient point attachés par quelque 
«chaine, mais par un nombre innombrable 
« de fils, qui Caisse derrière elle la justice hu- 
(c maine , et commence une autre justice , qui 
ft est faite pour mener sans cesse du repentir à 
A Tamour et de Tamour au repentir, qui met 
<c entre le juge et le criminel un grand média - 
«( teur, entre le juste et le médiateur un grand 
« ju^ 9 luie telle religion ne doit point avoir de 
« crimes inexpiables. Mais , quoiqu'elle donne 
«c des craintes et des espérances à tous , elle fait 
« assez sentir que, s*il n*y a point de crime qui 
« par sa nature soit inexpiable , toute une vie 
«peut Tétrej qu'il seroit très-dangereux de 



DE L*ESPEIT DES LOIS. 189 

t tounneiiter sans cesse la mitéricorde par de 
<i nouveaux crimes et de nouvelles expiations; 
« qu'incpiiets sur les anciennes dettes, jamais 
«quittes envers le Seigneur, nous devons 
«eraindre d*en contracter de nouvelles, de 
« combler la mesure, et d'aller juscpi'au terme 
« où la bonté paternelle finit. » 

Dans le chapitre dix-neuvieme , à la fin, 
Tauteur , après avoir fait sentir les abus de di- 
verses religions païennes sur l'état d€s âmes 
dans l'autre vie, dit : « Ce n'est pas assez pour 
4t une religion d'établir un dogme , il faut en- 
« core qu'elle le dirige : c'est ce qu'a fait ad- 
« mirablement bien la religion chrétienne à 
« l'égard des dogmes dont nous parlons. Elle 
« nous fait espérer un état que nous croyions , 
« non pas un état que nous sentions ou que 
«nous connoissions : tout, jusqu'à la résur- 
« rection des corps , nous mené à des idées spi- 
« rituelles. » 

Et au chapitre vingt-sixième , à la fin : a II 
t suit de là qu'il est presque toujours conve- 
« nable qu'une religion ait des dogmes parti- 
tt culiers et un culte général* Dans les lois qui 
<c concernent les pratiques du culte il faut peu 
« de dét^s; par exemple, des mortifications, 
« et non pas une certaine mortification. Le 
< christianisme est plein de bon sens : rabsti- 
« nence est de droit divin ^mais une abstinence 
<t particulière est de droit de police , et on peut 
« la changer. » 

Au chapitre dernier, livre vingl^inquieme : 



'l()0 liJÊFENSE 

« MaU il n'en résulte pas qu'une religion a}>- 
« portée dans un pays très éloigné, et totale- 
« ment différent de climat, de lois, de mœurs 
« et de manières , ait tout le succès que sa sain- 
te teté devroit lui promettre. » 

Et au chapitre troisième du livre vingt-qua- 
trième : « C'est la religion chrétienne qui , maî- 
« gré la grandeur de Tempire et le vice du cli- 
« mat, a empêché le despotisme de s'établir en 
« £thioi{)ie , et a porté au milieu de l'Afrique 
" « les moeurs de fEurope et ses lois , etc. ...» 
« Tout près de là on voit le mahométisme faire 
« enfermer les enfants du roi de Sennar : à $a 
« mort Ve conseil les envoie égorger en faveur 
« de celui qui monte sur le trône. » 

« Que , d'un côté , Ton se mette devant les 
« jeux les massacres continuels des rois et des 
9. chefs grecs et romains , et de 1 autre , la des- 
« truction des peuples et des villes par ces 
<c mêmes chefs, Timur etOengiskan, qui ont 
« dévasté f Asie; et nous verrons que nous dc- 
« vons au christianisme et dans 1« gouverne- 
« ment un certain droit politique , et dans la 
« guerre un certain droit des gens , que la na- 
« ture humaine ne sauroit assez reconnoitre. » 
On supplie de lire tout le chapitre. 

Dans le chapitre huitième du livre vîngt- 
quetrieme: « Dans un pays où l'on a le mal- 
« heur d'avoir une religion que Dieu n'a pas 
« donnée , il est toujours nécessaire qu'elle 
« s'accorde ^avcc la morale; parceque la reli- 
«gion, méâif fausse, est le meilleur garant 



D£ L ESPRIT DES LOIS* li^l 

« ({ue les lnommes puissent avoir «iela probité 
<t des hommes. » 

Ce sont des passages fonncls. On y voit un 
écrivain qui non seulement croit la religion 
chrétienne , mais qui Taime. Que dilroii peur 
prouver le contraire ? £t on avertit eneor^ 
une fois qu'il faut que les preuves^ soient pro^ 
portionnées à Taccusaûon: cette accusatloi» 
n'est pas frivole , les preuves ne doivent pas 
rétre : et comme ces preuves sont dbnrccs 
dans une forme assez extraordinaire, étant 
toujours moitié preuve», moitié injures, et 
se trouvant comme enveloppées dans la suite 
d*un discours fort vague ,Je vais les<:hercher^ 

PREMIERE OBJECTION* 

L'auteur a loué les stoïciens, qui adaiet- 
toient une fatalité aveugle, un encWin^menl 
nécessaire y etc. (i). C'eat le fondement de Ift 
religion naturelle» 

RipoirsB* 
Je suppose un moment que cette mauvaise 
manière de raisonner soit bonne. L'auteur 
a-t-il loué la phy&ique et la métaphysique des^ 
stoïciens? U a loué leur morale; il a dit que les 
peuples en avoient tiré de grands biens ; il a dit 
cela , et il n'a rien dit de plus»^ Je me trompe , 
il a dit plus ; car, dès la prentiere page du livre , 
il a attaqué cette fatalité des stoïciens : il ne l'a 
doue pas louée quand il a loué les stoïciens. 



I Il I .■ M III 



(i) P;^^ lui de la dciodciiie feoillc dtt i6©c- 
tohte 1749. 



ig!! Dé F EN SE 

SECONDE OBXEGTIOir. 

L'auteur a kmé Bayle eu l'appelant ua 
grand homme (i). 

&ÉPO N ss. 
Je suppose encore un moment qu'en gêne- 
rai cette manière de raisonner soit bonne, elle 
ne Test pas du moins dans ce cas-<;i. Il est yrai 
.que Fauteur a appelé Bayle un grand homme; 
nuds il a censuré ses opinions : s'il les a censu- 
rées , il ne les admet pas. £t puisqu'il a com- 
battu ses opinions , il ne l'appelle pas un jg^rand 
homme àrause de ses opinions.Tout le monde 
sait que Bayle avoitun grand esprit dont il a 
abusé; mai^ cet esprit dont il a abusé il Tavoit. 
L'auteur a^combattu ses sophismes , et il plaint 
ses égarements. Je n'aime point les gens qui 
renversent les lois de leur patrie ; mais j'au- 
r<Hs delà peineà croire que César et Cromwel 
fussent de petits esprits. Jo' n'aime point les 
conquérants; mais on ne pourra guère me 
persuader Qu'Alexandre et Gengiskan aient 
été des génies communs'. Il n'auroit pas fallu 
l>eaucoup d'esprit à l'auteur pour dire que 
Bayle étoit un homme abominable ; mais U y 
a apparence qu^il n'aime point à dire des in- 
jures , soit qu'il tienne cette disposition de la 
nature , -soit qu'il l'ait reçue de son éducation. 
J'ai lieu de croire que , s'il prenoit la plume , 
il n'en diroit pas même à ceux cfui ont cher- 
ché à lui faire un des plus grands maux qu'un 



(i) Page 1 65 de la deuxième feuille. 



DE L^ESPRIT DES LOIS. I9) 

homme puisse faire à un homme, en trayail-^ 
lant à le rendre odieux à tons ceux qui ne le 
connoifsent pas, et suspect à. toua ceux qui-k 
connoissent. 

De plus j'ai remarqué que les déclamations 
des hommes furieu,x ne font guère d'impres- 
sion que sur ceux qui sont furieux eux-mêmes. 
La plupart des lecteurs sont des gens modérés ; 
on ne prend |;u£re un livre que lorsqu'on est 
de sang froid ; les gens raisonnsd>les aiment 
les raisons. Quand l!attteur auroit dit mille 
injures à Bayle , il n'en seroit résulté ni que 
Bayle eût bien raisonné ni que Ba^ eut mal 
raisonné ; tout oe qu'on en aurait pu conclure 
auroit été que l'auteur savoit dire des usures. 

TROISIEME OSJEGTI|0Zr« 

£lle est tirée de ce que l'auteur n'a point 
parlé, dans son chapitre premier ., du péché 
originel (i), . 

RiPOH SE. 

Je demande à tout homme sensé m, ce cha- 
pitre est un traité de théologie. Si l'auteur 
avoit parlé du péché originel , on lui aqroit 
pu imputer tout de même de n'avoir point 
parlé de la rédemption ; ainsi » d'aotide en ar^ 
ticle^'àrinfinL 

QUATRIEMyC OB7.SCTIOH. 

. £lle est tirée de ce que M. Domat a com- 
mencé son, ouvrage autrement que^ l'auteur, 
tt qu'il a d^ord padé de la révâatîon« 



H * rm' ^ 



(1} Heoilk du 9 octobre 1749»?* '^*" 

17. 



lg4 1> É F K N s E 

RÉPOirSE. 

est vrai que M. Domat a commencé son 
onvrage autrement que Tauteur , et qu'il a d'a- 
bord parlé de la révélation . 

CXVQUIEME OBJECTION. 

L'auteur a suivi le système du poème de 
Pope. 

nÉPOirsE. 

Dans tout l'ouvrage il n'y t pas un mot du 
système de Pôpe. 

SIXIEME OBJSCTIOir. 

Ututenr dit que la loi qui prescrit à lliom- 
me ses devoirs envers Dieu est la plus impor- 
tante ; mais il nie qu'elle soit la première. Il 
prétend que la première loi de la natnre est la 
paix ; que les kommes ont commencé par avoir 
peur les uns des autres, etc ; que les enfants 
savent que la première loi c'est d'aimer Dieu, 
et la seconde c'est d'aimer son prochain. 

aépoKSE. 

Voici les paroles de l'auteur : « Cette loi qui, 
« en imprimant dans nous-mêmes l'idée d'un 
« créateur, nous porte vers lui, est la première 
« des lois naturelles par son importance, et 
ff non pas dans Tordre de ces lois. L'homme, 
« dans l'état de nature , auroit plutôt la faculté 
« de connoitre, qu'il n'auroit des connoissan- 
« ces. Il est clair que ses premières idées ne 
« seroient point des idées spéculatives; il son- 
« geroit à la conservation de son être avant de 
« chercher l'origine de son être. Un homme 
« pareil ne sentiroit d'abord que sa foiblesse; 



DE L*ESPRlt DBS. LOIS. I9S 

« sa timidité seroit extrême; et si Ton avoit ]à- 
« dessus besoin de Texpérience, Toa a trouvé 
« dans les forêts des hommes sauvages ; tout 
« les fait trembler, toutJes fait fuir (i). » L'au- 
teur a donc dit que là. loi qui , en imprimant 
en nous-mêmes l'idée du créateur^ nous porte 
vers lui , ëtoit la première des loi« naturelles* 
Il ne lui a pas été défendu plus qu'aux philo* 
sophes et aux écrivains du droit naturel de con- 
sidérer l'homme sous divers égards : il lui a été 
permis de supposer un homme comme tombé 
des hues , laissé à lui-même et sans éducation , 
avant l'établissement des sociétés. £h bien ! 
l'auteur a dit que la première loi naturelle, la 
plus importante , et par conséquent la capi^ 
taie, seroit pour lui, comme pour tous les hom- 
mes, de se porter vers son créateur. Il a aussi 
été permis à l'auteur d'examiner quelle seroit 
la prenâere impression qui se feroit sur cet 
homme, et de voir l'ordre dans lequel ces im- 
pressions seroient reçues dans son cerveau; et 
il a cru' qu'il auroit des sentiments avant de 
faire des réflexions ; que le premier , dans l'or- 
dre du temps , seroit la peur , ensuite le besoin 
de se nourrir, etc. L'auteur a dit que la loi 
qui , en imprimant en nous l'idée du créateur, 
nous porte vers lui, est la première des lois 
naturelles : le critique dit que la première 
loi natureMe est d'aimer Dieu : ils ne aont 
divisés que par les injures. 

I - 1 

(i) Liv. I,ch. II» 



lûG . il É F s N s £ 

Elle est tirée du chapitre premier du premier 
livre , ou l'auteur, après avoir dit que lliomaie 
étoit un être borné , a ajouté : « Un tel être pou- 
« voit à tous les instants oublier son créateiur: 
« Dieu Ta rappelé à lui par les lois de la «eli- 
« giou. » Or. dit-0P, quelle est cette religion 
dont parle 1 auteur? iljiarie sans doute de la 
religion naturelle ; il ne c^oit donc ^e la ireli- 
gion natnreUiO. 

mipOH». 

. Je suppose encore un moment que cette ma'- 
niere de raisonner $oit bonne ;, et que, de oe 
que l'auteur nfauroit parlé là que de la religicm 
naturelle^ on en pût conclure qull ne c^it que 
la reUgion naturelle , et qu'il €^ut la religum 
révélée. Je dis que , dans cet endroit, il a parlé 
de la religion révélée, et npn pa# de lareligimi 
naturello; ,qar , s*ii. av^it parlé de la Teti^n 
naturelle, il 8erx>it un idicMt. C^ seroit conme 
s'il disoit: Un tel être pou v4Ût aisément oublier 
S9n créajteur, c'est-à-dire Is^ ratigion natuapeUe: 
]>iett IVvappelé à lui par les loi& de la religiiMI 
naturelle ;.de sorte que Oieu lui auroit 4ûnné 
la re^gion nar^urelle pour perfec^nner en lui 
la reUg^>n naturelle. Ainsi , pour sepr^^arer 
à dire des invectives à l'auteur, on commence 
par àter à aes paroles le senS'du monde le pkift 
olair pour leur donner le seps du monde le 
plus absurde; et, pour avoir meilleur marché 
de jiii , on Iç prive du sens commun. 



BE L ESPaiT DES LOIi. I97 

HUITIEME aBJECTIOir. 

Uauteuîr a dit (i), en pariant de l'homme: 
« Un tel être pouvoit à tons les instants oublier 
« son créateur ; Dieu Fa râp]^>elé à lui par les 
« lois de la religion : un tel être pouv oit à tous 
H les instants s'oublier lui-même ; le$ philoso- 
«t phes l'ont averti par les lois de la morale : 
« fait pour vivre dans la société 9 il y pouvoit 
« Oublier les autres ; les législateurs Tont rendu 
« à ses devoirs par les lois politiques et civiles, 
d Donc, dit !e critic[ue (2), selon Tauteur , le 
a gouvernement du monde est partagé entre 
« Dieu , les philosophes , et les législateurs , 
« etc. Où Iqs philosophes ont-ils appris les lois 
de la morale ? Où les législateurs ont-ils vu ce 
« qu'il faut prescrire pour gouverner les ao- 
« ciétés avec équité ? 9 

KI^POHSE. 

Et cette réponse est très aisée. Us l'ont ap- 
pris dans la révélation, s'ils ont été assez heu* 
reux pour cela, ou bien dans cette loi qui, en 
imprimant en nous Tidéé du créateur , nous 
porte vers lui. L'auteur de l'Esprit des lois 
a-t-il dit commeVirgile, « César partage l'em- 
« pire avec Jupiter?» Dieu, qui gouverne l'u- 
nivers , n*a-t-il pas donné à de certains hommes 
phis de lumières , à d'autres plus de puissance ? 
Vous diriez que l'auteur a dit que, parceque 
Dieu a voulu que les hommes gouvernassent ' 

(0 Ltv. I, ch. I.--(a) Page 16a de la feuille du 
tj oetobre 1 7 49. 



J98 DÉFENSE 

«lis hommes, il n'a pas voulu qu'ils lui obéis- 
sent, et qu'il s'est démis de l'empire qu'il «voit 
sur eux, etc. Voilà qù sont réduits Gçnn qui , 
ayant beaucoup de foibless9 pour raisonner , 
ont beaucoup de force pour déplamer. - 

N£UTIBItfE OBJECTION* 

Le critique continue. « Remarquons encore 
<( que l'aujt^ur, qui, trouye que Dieu ne peut 
(i pas goul^rner les êtres libres aussi bien que 
« les autres 4 parcequ'étant libres il £aut c^u'ils 
« agij&sent par eux-ipémes (je remarquerai en 
« passant que Tauteur ne sq sert point de cette 
« expression, que Di'eu fie peut pas), ne re- 
'f. médie à ce dâordre que par des lois q|ii peu- 
a vent bien montrer a l'homme ce cpi'il doit 
u faire , mais qui ne bjû donitent pas le pouvoir 
« de le faire : ainsi , dans le système de l'auteur, 
« Dieu créedes êtres dont il nei peut empêcher le 
f( désordre m le réparer... Aveugle, qui ne voit 
<c pas qiie Dieu fait ce qu'il veut de cwx mêmes 
'i qui ne font pas ce qu'il veuJt ! » 

EÉPONSE. 

Le critique a déjà reprocké à l'auteur de 
n'avoir point parlé du péché originel : il le 
prend encore sur le fait; il n'a point parlé de 
la grâce. C*est une chose triste d'avoir affaire 
à un homme qui censure tous les articles d'un 
livre, et n'a qu'une idée dominante. C'est le 
conte de ce curé de village à qui des astronomes 
montroient la lune dans un télescope, et qui 
Xi y voyoit que son clocher. 

L'auteur de l'Esprit dos lois a cru qu*il de- 



/ 
/ 



DE L ESPRIT DES LOIS* > I99 

Toit ccmtmencer par donner quelque idée des 
lois générales et du droit de là nature et des 
gens. Ce sujet étoit imiAense , et il l'a traité 
dans deux diapitres ; il a été obligé d'omettre 
quantité de choses qui appartenoient à son 
sujet; à plus forte raison a-t-il omb celles qui 
n'y aToient point de rapport. 

DIXIEME ÔBJECTIOK. 

L'auteur a dît qu'en Angleterre l'homicide 
de soi-même étoit l'effet d'une maladie, et qu'on 
ne pouvoit pas plus le punir qu'on ne punit les 
effets de la démence. Un sectateur de la reli- 
giou naturelle n'oublie pas que l'Angleterre 
est le berceau de sa secte; il passe l'éponge sur 
tous tes crimes qu'il y apperçoit. 

REPONSE. . 

L'autemr ne sait point si l'Angleterre est le 
berceau de la religion naturelle ; mais il sait 
que l'Angleterre n'est pas son berceau. Parce- 
qu'il a parlé d'un effet physique qui se Toit en 
Angleterre, il ne pense pas sur la relrgion 
comme les Anglais ; pas plus qu'ui^ Anglais 
qui parleroit d'un effet physique arrivé en 
Fravîe ne pcnseroit sûr la religion comme les 
Français. L auteur de l'Esprit des lois n'est 
point du tout sectateur de la religion natu- 
relle j mais il voudroit que son critique fût 
sectateur de la logique naturelle. 

Je crois avoir déjà bit tomber des mains du 
critiquetes armes enrayantes dont il s'est servi : 
je vais à présent donner une idée de son exorde, 



900 D K E B N s E 

qiil est tel que je crains qii*on ne pense q«e ce 
toit par dérision que j'en parle ici. 

Il dit d'abord, et ce sont ses paroles, « que 
« le livre de l'Esprit des îois est une de ce» pro- 
« ductions irrégulieres..é qui ne se sont si fort 
« multipliées que depuis l'arrivée de la bulle 
a XJnigenÙKS, » Mais faire arriver l'Esprit des 
lois à cause d^ l'arrivée de la constitution Tlni- 

fenitus^ n'est-ce pas vouloir faire rire? La 
ullè XJnigenitus n'est point la cause occasion- 
nelle du livre de V Esprit des lois ; mais la' bulle 
IJnigenmis et le livre de l'Esprit des lois ont été 
les causes occasionnelles qui ont fait faire au 
critique un raisonnement si puéril. Le critique 
continue : « L'auteur dit qu'il a bien des fois 
« commencé et abandonné son ouvrage... Ce- 
« pendant, quand il jetoit au feu ses prmieres 
« productions , il étoit moins éloigné de la vé~ 
« rite que lorsqu'il a commencé à être content 
« de son travail. » Qu'en sait-il ? Il ajoute : « Si 
« Tanteur avoit voulusuivre un chemin frayé, 
<t son ouvrage lui auroit coûté moins de tra- 
« vail. » Qu'en sai^-il encore? Il prononce en- 
suite cet oracle r« Il i\e^£aut pas beaucoup de 
c pénétration pour appercevoir que le -livre 
(c de l'Esprit des lois est fondé sur le système 
c de la religion naturelle... On a montré , dans 
tt les lettres contre le poème de Pope intitulé 
<t Esmi suri* homme ^ que le système de la reli- 
ft giôn naturelle rentre dans celui de Spinosa ; 
« c'en est assez pour inspirer à un chrétien 
« l'horreur du nouveau livre que nous annon- 



BE l'k^prit dis lois. a«t 

« çon». » Je réponds qfne non seulement c'en 
efttasiez, mtis m^equec^en seroit beaucoup 
th>p. Mais je viens de prouver que le système 
dei'aKtefir a'eit pas celui de la religion natu- 
relle ; et, en lui passant que le système de la 
rdtigîon naturdle rentrât dans celui de Spî- 
nosa , le système de Tauteur n'entreroit pas 
dans eelui de Spinosa , puisqu'il n*est pas celui 
de la religion naturelle. 

H veut donc insj)irer de lliorreur avant 
d*avoir prouvé qu'on doit avoir de rhorrcur. 

Voici les deux formules des raisonnemenis 
répandus dans ks deux écrits auxquels je ré- 
pcnids. L'auteur de l'Esprit des lois est un sec-] 
tateur de la religion naturelle ; donc il taul 
expliquer ce qu'il dit ici par les principes de lalf^ 
religion naturelle : or , si ce qu'il dit ici est i S^^ 
fondé sur les principes delà religion naturelle ^ \^ 
il est un sectateur de la religion naturelle* 

L'autre formule est ceÙe-ci: L'auteur de 
l'Esprit des lois est un sectateur de la religion 
naturelle ; donc ce qu'il dit dans son livre en 
faveur de la révélation li'est que pour cacher 
qu'il est un sectateur de la religion natureUe> 
or, s'il se cache aitisi, ij est un sectateur de la 
religion naturelle. 

Avant de finir cette première partie, je se* 
rois tenté de faire une objection à celui qui en 
a tant fait. Il a si fort effrayé les oreilles du 
mot dé sectateur de la religion naturelle, que 
moi , qui défends l'auteur , je n'ose presqujp 
prononcer ce nom: je vai* cependant prendre 

StPRi JlEf tois. 5* • l8 



SOS DiFKVSE 

courage. Ses deux écrits ne demanderolent-lh 
pas plus d'explication que celui que je défends ? 
Fait-il bien , en pajiant de la religion natur^e 
et de la révélation , de se jeter perpétuellement 
tout d*nn c6té, et de Caire perdre les trace'S de 
l'autre ? Fait-il bien de ne distinguer jamais 
ceux qui ne reconnoissent que la seule religion 
naturelle d'avec ceux qui reconnoissent et la 
religion naturelle et la révélation? Fait-^il bien 
de ?e££arouclier toutes les fois que l'auteur 
considère l'homme dans l'état de la religion 
naturelle, et qu'il explique quelque chose sur 
les principes de la religion liaturelle ? Fait «il 
bien de confondre la religion naturelle avec 
l'athéisme ? N'ai-je pas toujours ouï dire que 
nous avions tous une religion naturelle*? N'ai-je 
pas ouï dire que le christianisme 'étoit la per- 
fection de la religion naturelle ? N^ai-je pas ouï 
dire que l'on employoit la religion naturelle 
pour protiver la révélation contre les déistes , 
et que l'on employoit la même reli^on natu- 
relle pour prou V et l'existence de Dieu contre 
les athées? Il dit que les stoïciens étoient des 
sectateurs de la religion naturelle; et moi je 
lui dis qu'ils étoient des athées [i)^ puisqu'ils 

(i) Yoyes la page i65 des feuilles da 9 octobre 
X749* «Les stoïciens n*admettdieiit qa*aa Dieu; 
« mais ce Dieu n'étoit antre chose qne Tame dn 
« monde. Ib y^nloieut que tous les êtres, depuis le 
« premier, fnssent nécessairement eùchaines les nns 
«arec les antres ; nne nécessité fatale entraînoit 
«tont. lia nioient l'immortalité de l'ame, et fiai- 



DE l'esp&it des lois. ao3 

ttroyoient qu'une fatalité aveugle gouvemoit 
l'univers; et que c'est par la religion naturelle 
que l'on combat les stoïciens. Il dit que le sys- 
tème de la religion naturelle rentre dans celui 
de Spinosa (i); et moi je lui dis qu'ils sont 
contradictoires , et cpie c'est pai^ la religioa 
naturelle qu'on détruit le système de Spinosa* 
Je lui dis que , confondre la religion naturelle 
avec l'athéisme, c*est confondre la preuve 
avec la chose qu'on veut prouver , et l'ob- 
jection contre l'erreur avec l'erreur même ; 
que c'est 6ter les armes puissantes que l'on a 
contre cette erreur. A Dieu ne plaise que je 
veuille imputer aucun mauvais dessein au cri- 
tique , ni faire valoir les conséquences que l'on 
pourroit tirer de ses principes ! quoiqu'il ait 
très peu d'indulgence, on en veut avoir pour 
lui. Je dis seulement que les idées métaphysi- 
ques sont extrêmement confuses dans sa tète; 
qu'il n'a point du tout la faculté de séparer; 
qu'il ne sauroit porter de bons jugements, 
parceque, parmi les diverses choses qu'il faut 
voir, U n'en voit jamai» qu'une: et cela même 
je ne le dis pas pour lui faire des reproches ,^ 
•mais pour détruire le» siens. 

■I' Il ■ ■ ■ ■ Il I I " I I I ■ n i' 

« soient consister le ftouveraln b(mhear k vivre con- 
« formément à la nature. C'est le fond dn système 
<t de la relifi^on natareîle. » — (i^) Voyee page i6i de 
la première feniîle dn 9 octobre X749) À la fin de 
la première coloase. 



204 D É F K N s £ 



SECONDE PARTIE. 

S9É.E 0]Éir£KALÉ4 

J'ai absous le livre de TEsprît des lob de djeux 
reproches généraux dont on Tavoit; çl;argé : il 
y a eucor^ des imput^atlous partiçuijLer^ aux- 
quelles il faut que je réponde. Mais ipovax don- 
ner un plus gf'and jour à ce que j'ai dit et à ce 
que je dirai dans la suite ^ je vais expliquer ee 
q\ii a donné lieu o^ a servi de pf^t^xte dui^ in< 
vectives. 

Les ^ps les plus sei^s^s de divers pays de 
l'Europe, les hommes les plu$ éplainés et les 
plus^ages, ont rega?;de le îivrç d^ TËsprit des 
lois comité un ouvrage utiles il» oi^tpe^sé qi^e 
la n^oraie en étoit pure, lej^ principes justes ^ 
qu'il étoit propre à former d^honj^t^ gens -, 
qu'on y détruiso^t les opinions, pernloifiuises , 
qi^'on y encourageoit les bonnes. 

D'ui^ ai^lre c6të, voilà un hpnunf qui en 
parle comme d'un hvre d^gei^eux^ i) çn fait 
le sujet des invectives les. plus outrées. Il feut 
que j'explique ceci. 

^ien loin d'avoir entendbi les endroits par- 
tîculief s qu'il critiquoîjt dans ce livre , il.û*a pas 
seulement su quelle étoit la matière qui y étoit 
traitjçe : ainsi , déclamant en l'air et combattant 
contre le vent , il a remporté des triomphes de 
même espèce. Il a bien critiqué le livre qu'il 



•^" *■ --, 1 



i>c l'bsp&iy des lois. âo!^ 

AYolt dans la tète , il n'a pas critiqué ce Ini de 
l'anteur. Mais comment a-t-on pu manquer 
ainsi le svijtt et le butd'o» ouvrage qu'on avoil 
devant l«s yeux ? Ceux qui auront quelques 
huBtfTes yerrbnfr dU; premier coup-d'cQil que 
cet ouvrage a pour objet les lois , les cou tuâ- 
mes , et les divers usages de tous- les peuples' 
de la terre. On peut dfire que le sujet eu>st 
immense , puisqu'il embrasse toutes les insti- 
tutions qvd sont reçues parmi les Hommes ; 
puisqiie Fauteur distingue ces institutions '^ 
qu il examine celles qui conviennent le plus à 
la société et à chaque société; qu*il en cherche: 
l'origine ; qu'il en découvre les causes physi-. 
ques et morales ; qù*il examine celles qnion^ 
un degré de bonté par elles-mêmes, et ceHes 
qui n'en ont aucun; que, de deux pratiques 
pernicieuses, il cherche celle qui Test plus et 
eelle qui IVsst moins ; qu'il y discute cdles qui 
peuvent avoir de bons edffets à un certain ^rd, 
et de mauvais dans un. autre, £1 a cru ses re-< 
cherches utiles , pareeque le bon sens consiste 
beaucoup à connoltre les nuauces des choses. 
Or, dans un sujet aussi étendu^il a été néces- 
saire de traiter de la religion; car, y ayant sur- 
la teirre une religion vraie et uiie 'infinité de 
ûiusses, une religion envoyée du ciel et une- 
ialinité d'antres qui sont nAes. sur la terre, il» 
n'a pu regarder toutes les refigions hausses que 
comme'des institutions humaines: ainsi il a dû- 
tes examiner comme toutes les autres institu- 
tiona humaines. Et quant à la religion chré- 



4b6 DSFBNSB 

ûtnnû^ il na eu qa'à l'adprer, cornait étant 
mie inHîlutîen divine; Ce H'étoit point de cette 
leligion qu'il devait traiter , pareeqAe, |Mir sa 
nature^ die n*est sujette à aucuu>eiaiiien; de 
sorte quby quand il en a parlée il Be4'a jamais 
fisit pour la. iàite entrer dans le plan de son 
ouvrage 9 oàais pour lui payer le tribut de res- 
pect et d'amour qui lui est dû par tout du^- 
tien , et ^^our que, dans les comparaisons qu'il 
en pouvoit faire avec les autres rdyigions , il 
pût la faire triompher de toutes. Ce que je dis 
se voit dans toutJ'ouvrage; mats Fauteur l'a 
' partiouliireiiient expliqué au comifiénoement 
du livre vi^gt-quatrieme) qui est le premier 
des deux livres qu'il a faits Sjur la religion. U 
le commence ftiasi : « Comme oh peut juger 
« parmi les ténèbres celles qui sont les moins^ 
« épaisses, et parmi les abymes qeux qui sont 
« les moins profonds; ainsi Ton peut cberdier 
«entre lés religions âmsses^œllrs qui sont -les 
« plus conformes au bien de là société; odics 
« qui V quoiqu'elles n'aient pas l'elfef de mener 
« les hommes aux félicités de l'autre vie , peup 
« vent lé plus contribuer à leur bonheur dans^ 
«cel)e*€i« 

« Je n'examinerai donc les dÎTtrses eeltgtoiis 
M du môuide cfue par. rapport au bien que l'on 
«en tire <bms l'état tcivil, soit que je parle de 
« ci^e quia sa raouie dans' le ciel ^. ou bifin de 
«•celles qui ont la leur sur la terre. » 

L*aiiteur, ne vegardatit donc les religions, 
httuwiiies que coinme des institutions humai* 



r 



DE l'eSPEIT des lois. IO7 

acft ^ a d4 ^n fMurler t pareeqa'eUet enUwient 
nécessairevofent dan^ ftoa plan. Il n'a point été 
le» Qhercl|eiï% naît elles «ont venues le cher- 
ch«r. £t qciaiH à la religion chrétienne , il n'en 
a parlé que par occasion , pareeque , par sa na- 
tnre, ne pouvant être modifiée, mitigée , c<h^ 
rigée , eUe n'entroit point dans le ^an qu^il 
«'étoit proposé. , 

QoVvon fait ponr doi^^er une ample car* 
riei^ au» déclamations et ouvrir la porte la 
plus large aux invectives ? On a considéré Tau- 
leur comm^ si, à Texemple de M. Abbadie^ il 
avoit vomlu faire un. traitfUur la raligipn chré- 
tienne : on l'a attaqué comme si /les deuE livres 
ftgr la religion étoient deux traités de théolo* 
gie chrétienne: on Ta repris comme si, parlant 
d'une religicm, quelconque qui n'est pas la 
chrétiennai ij avpit eu à l'examiner selon les 
principes et les dogmes de la religion chré- 
^anne; on l'a jugé commue s'il s'étoit chargé ^ 
dans ses deux livres, d'établir pour les chré» 
tiens et de prêcher aux mahométans et aux 
idolâtres les dogmes de la religion chrétienne. 
Toutes les fois qu'il a parlé de la religion en 
général, toutes les fois qu'il aemployé ie mot 
de religion , on a dit : C'est la religion chré- 
tienne. .Tontes ks fbts ^''d a compara ^^^ P^^ 
tiques religieuses de quefqnes natioics quel** 
conques*, «t. quTil a dit qu'elles étoient iplos 
coBfonnman gouvenement politique de em 
pay s qu e ts U s au tr» pratiqu e, on a' dit ^-Vous 
les approuvez donc, et vous abaddoiyiaajla 



do8 D lé F E ir 9 1 

foi ehrétienne. Lorsqu'il a parlé de c[uelque 
peuple qal n*a p<mit embrassé le christianisme, 
ou qui a précédé la Tenue de Jé^s-Christ, on 
lui a dit : Vous ne reconnoissez donc pas la 
momie chrétienne. Quand il a examiné en écri- 
Tain politique quelque pratique que ce êolty 
on lut a dit : Cétoit tel dogme de théologie 
chrétienne que tous deTÎez mettre là. Vous 
dites que TOUS êtes jurisèonsulte, et je tous 
ferai théologien malgré tous. Vous nous don- 
nez d'mUeurs de très belles choses srr la reli- 
gion chrétienne; mais c'est pour tous cacher 
que TOUS les dites , car je oonnois ToHre cœur 
et je lis dans tos pensées. Il est Trai que je 
n*entends point TOtre Uttc, il nHmportepas 
que j*aie démêlé bien ou mal Fobjet dansle-t 
quel il a 'été écrit; mais je connoià au fond tou^r 
tes TOS pensées. Je ne sais pas un mot de 
ce que tous dites; mais ^entends trè» biai ce 
que TOUS né ^tes pas. Entrons à présent en 
*matiepe. 



DES CONSEILS DE RELIGION, 

Jj'AiTTtva, dans le UTve sttr~kreKgîiNi, a 
eombattu l'erreur de Bayle: i^ioîci ses pann 
les (i). « M. Bayle, après aroir insulté toute» 
«les religions 9 ilétrit là, religîott ^Axéêaamt. 

(i) liT. Xïiv, ch. vr. 



DE L'ESPafT DES LOIS. 209 

« Il ose avaiicex que de véritables chrétiens ne 
« tormeroient paa un état qui pût subsister, 
« Pourquoi non? Ce seroient des citoyens in- 
« ÛDÛnent éclairés sur leurs devoirs et qui au- 
V r oient un très grand zèle pour les remplir : 
« Us sentiroient très bien les droits de I4 défense 
« naturelle. Plus ils croirçient devoir à 1â reli- 
« ^lon ^ plus ils penseroient devoir à I9. patrie. 
«c tiCS principes du christianisme biea gravés 
« dans le cœur seroient iiifiniipent pins, forts 
a que ce famx l^onneur des monarchjies , ces 
<i vertus buQiaines des républiques » et cette 
<c crainte seivile des états despotiques. 

« U est étonnant que ee grand homme n*ait 
(c pas su distinguer les ordres pour rétablisse- 
nt ment du christianisme d'avec le christianisme 
« même > et qu'on puisse lui imputer d'avoir 
« méconnu l'esprit de sa propre reiigioti. Eors- 
« que le législateur , au lieu de donner des lois, 
« a donné des conseils, c'est qu'il a vu que ses 
« conseils , s'ils étoient ordonnés comme des 
« lois, seroient contraires à l'esprit de ses lois.» 
Qu'a -t -on fait pour ôter à l'auteur la gloire 
d'avoir combattu ainsi l'erreur de Bayle? On 
prend le chapitre (r) suivant , qui n*a rien à 
faire avec Bayle. « Les lois humaines, y est-il 
« dit , faites pour pairler i l^esprit r doivent 
a doi^ier des préceptes et point de conseils ; la 
<« religion ) i^ite pour parler, au cœur, doit 
« donner ^««oup de conseils çt peu de pré- 

(i) C'est le eh. VII du liv. XXIV. 



210 DKFEN'SK 

« ceptes. » £t de là on conclut que l'auteur re- 
garde tous les préceptes de révangile comme 
des «onseils. Il pourroit dire aussi que celui 
qui fait cette critique regarde lui-même tous 
les conseil» de révangile coifnme des préceptes ; 
mais ce n*est pas sa manière de raisonner , et 
encore moins sa manière d'agir. Allons au fait: 
il faut un peu alongér ce que l'auteur a ra- 
courci. M. Bayle avoit soutenu qu'une société 
de chrétiens ne pourroit pas subsister ; et il 
alléguoit pour cela l'ordre de l'évangile , de 
présenter l'autre joue quand on reçoit un 
soufflet , de quitter le monde , de se retirer 
dans le désert , etc. L^auteur a dit que Bayle 
prenoitpour des préceptes ce qui n'étoit que 
des conseils , pour des règles générales ce qui 
n'étq^t que des règles particulières : en cela 
l'auteur a défendu la religion* Qu'arrive-t-U? 
on pose pour premier article de sa croyance 
que tons les liTres de l'étangile ne contiennent 
que des conseils. 



DE LA POLYXÎAMIE. 

1 3 ' A u T R E s articles ont encore fourni des su- 
jets commodes pour les déclamations. La po- 
lygamie en étoit un excellent. L'auteur a fait 
un chapitre exprès où il Ta réprourée : le 
Toici. 



0£ L*£SP&IT DES LOIS. ^11 



De la polygamie en elle-même. 

« A regarder la polygamie en général ^ iu- 
<t dépendamment des circonstances qui peu- 
«c vent la faire un peu tolérer, elle n'est point 
<« utile au genre humain ni à aucun des deux 
« sexes , soit à celui qui abuse , soit à celui dont 
« on abiise. Elle n'est pas non plus utile aux 
« enfants ; et un de ses graids inconvénient» 
« est que le père et la mère ne peuvent avoir 
<c la même sîffection pour leurs enfants ; un 
«( père ne peut pas aimer vingt enfants comme 
« une mère en aime deux. C'est bien pis quand 
« une femme a plusieurs maris; car pour lors 
« l'amour paternel ne tient qu'à cette opinion^ 
« qu'un père peut croire, s'il veut, ou que les 
« autr^ peuvent croire , ^que de certains en- 
« fants lui appartiennent 

« La pluralité des fenunet , qui le diroit ? 
« mené a cet amour que la nature désavoue : 
« c'est qu'une dissolution en entraine toujours 
« une autre , etc. 

<t II y a plus : la possession de beaucoup de 
« femmes ne prévient pas toi^ours les désirs 
« pour ( eRe d'un autre: il en est de la luxure 
A comme de l'avarice , elle augmenté sa soif 
« par l'acquisition des trésors. 

« Du temps de Justinien plusieurs pbiloso- 
« phes , gênés par le christianisme , se retire- 
t rent en Perse auprès de Cosroès. Ce qui les 
« frappa le plus , dit Agathias , ce ftit que la 



212 D ri FEKSE 

a polygamie étoit permise à des gens qni ne 
« s'abstenoient pas même de l'jidmHere. >• 

L'auteur a donc établi que la polygamie 
étoit par sa nature et en elle-même une chose 
mauvaise; il falknt partir de ee chapitre, et 
c'est pourtant de ce chapitre que l'on n'a rien 
dit. L'auteur a.de plus examiné philosophicpe- 
ment dans quels pays , dans que|s climats, dans 
quelles circof^tàRces , elle avoit de moms mau- 
vais effets; il a con^aré l^s climats aux climats 
et les pays aux pays ; et il a trouré qu'il y avoit 
des pays où elle avoit des effets meins mauvais 
que dans d'autres; parceque, suivant l'es rc^ 
lations , le nombre des hommes et 4es femmes 
n'étant point égal dans tous les pays , il est dair 
que, s'il y a.^des pays où il y ait beaucoup plus 
de femmes que d*hommes , la polygamie, mau- 
vaise en elle-même, l'est moins dans ceux-là 
que dans d'autres. L'auteur a discuté ceci dans 
le chapitre ÏV du même livre : mais , parceique 
le titre de ce chapitre porte ces mots , €fue la 
lui de la polygamie est une affaire de cal- 
cul^ on a saisi ce tijtre. Cependant, comme le 
titre d'un chapitre se rapporte au chapitre 
même et ne peut dire ni plus ni dloins que ce 
chapitre , voyons-le. 

« Suivant les calculs quel'oii fait en Averses 
» parties dé l'Europe, il y naît plus ée garçons 
« que de fiHes : au contraire les relations de 
« 1 Asie nous disent qu'ily naft beaucoup plus 
a de filles que de garçons. La loi d^une seule 
« femme en Europe et celle ffut en permet plu- 



[ 



DE l'eSP&IT des lois. 2i) 

« sieurs en Asie ont done un certain rapport 
«au climat. 

« Dans les clin^ts froids de TAsie il naît , 
«comme en E^uope, beaucoup plus de gar-^i 
« çons que de filles: c'est, ^disent les lamas, la 
« raiston (îe la loi qui, che? eux, permet à une 
a femme d'avoir plusieurs maris. > 

« Mais j'ai peine à < roire <;u'il y aibbeaucoup- 
« de pays où la disproportion soit assez grande^ 
« pour qu'elle eiiige qu'on y introduise la loi> 
« de plusieurs femmes <^u la loi de plusieurs 
« maris. Cela Veut dire seulement que la plura- 
« lité des femmes , ou même la pluralité des 
« hommes , est plus conforme à la nature dans 
a de certains pays que dans d'autres. 

« J'avoue que si ce (|ue les relatioas nous di- 
« sent étoit vrai , qu'à Bantam il y a dix femmes 
« pour un homme, ce seroit un cas bien parti- 
« cuîier de la polygamie. 

« Dans lotit ceci je n* justifie pas les usages « 
tf mais j'en rends les raisons. » 

Revenons au titre , /a polygamie est une 
affaire de calcul. Oui , elle l'est cpiand on 
Yeut savoir si elle est plus ou moins perni- 
cieuse dans de certains climats, dans de cer- 
tains pays, dans de certaines circonstances, 
que dans d'autrt s : elle n'est point une affaire 
de calcul quand on doit décider si elle est bonne 
ou mauvaise par elle-même. 

Elle n'est point une affaire de calcul (Juand 
Oft raisonne sur sa nature : elle peut être une 
affaire de calcul quand on combine ses ^fet&: 

SSrR. DES LOIS. 5. '9 



çnfin elle n'est jamais une affaire de calcul 
quand on examine le but du mariage, et elle 
l:est encore moins quand on examine le ma- 
riage comme établi par Jésus>Christ. 

J'ajouterai ici que le hasard a très bien servi 
l'auteur. 11 ne préroyoit pas sans doute qu'on 
Oublieroit un chapitre formel pour donner des 
sens équivoques à un autre : il a le bonheur 
4l*avoir fini cet autre par ces paroles : <c Dabs 
« tout ceci je ne justifie point les usages , mais 
«j'en rends les raisons^ » 

L'auteur vient de dire qu'il ne voyoit pas 
qu'il put y avoir des climats où le nombre des 
kmiù€9 pàt tellement excéder celui des hom- 
mes, ou !e nombre des hommes celui des fem- 
mes , que cela dût engager à la polygamie dans 
aucun pays ; et il a ajouté : « Cela veut dire 
« seulement que la pluralité des femmes , et 
« même la pluralité des hommes, est plus con^ 
<v forme à la nature dans de certains pays que 
« dans d'autres (z). » Le critique a saisi le mot 
est plus conforme à la nature pour faire dire 
à l'auteur qu'il approuvoit la polygamie. Mais 
si je disois que j'aime mieux la fièvre que 1« 
scorbut , cela signifier oit-il que j'aime la fieyre, 
ou seulement que le scorbut m'est plus désa- 
gréable que la fièvre? 

Voici mot pour mot une objection bien ex- 
traordinaire. 
' « Là polygasjàie d'une femme qui a pluaienrs 

(i> Chap. IV du livre XVI. 



SE L^ESPEIT DIS LOIS. 9lS 

4 maris est on désordre monstraeux (|mii*a été 
« permis en aucun cas, et que l'auteur ne dU- 
« tîngue en aucune sorte de la polygamie d'un 
«.liomme qni a plusieurs femmes (i). Ce lan* 
a gage, dans un sectateur de la religion natu- 
« reUt , n'a pas besoin de commentaire. » 

Je supplie de Caire attention à la liaison des 
idées du critique. Selon lui, il suit que, de ce 
que Fauteur est un sectateur de la religion na- 
turelle, il n'a point parlé de ce dont il n'avoit 
que faire de parler : ou bien il suit, selon lui, 
que l'auteur n'a point parlé de ce dont il n'a- 
voitque faire de parler, parcequ*il est sectateur 
de la religion naturelle. Ces deux raisonne- 
men ts sont de même espèce, et les conséquences 
se trouvent également dans les prémisses. La 
manière ordinaire est de critiquer sur ce que 
Ton écrit; ici le critique s'évapore sui^ ce que 
l'on n'écrit pas. 

Je dis tout ceci en supposant, avec le criti- 
que, que l'auteur n'eût point distingué la po- 
lygamie d'une femme qui a plusiexirs maris de 
celle où un mari auroit plusieurs fertimes. Mais 
si l'auteur les a distinguées, que dira-t4t? Si 
l'auteur a fait voir que, dans le premier cas, 
les abus étoient plus grands , que dira-t-il? Je 
supplie le lecteur de relire le chapitre VI du 
livre XVI; je l'ai rapporté ci-dessus. Le criti- 
que lui a fait des invectives parcequ'il avoit 
gardé le silence sur cet article; il ne resto 

(i} Page 164 de la fcBille da 9 octobre 1749. 



plus Cfûe de lui en faire sur ce qu'il ne Ta pas 
gï^rdé. 

Mais voici une chose que je ne puis corn- 
- prendre: Le critique a mis dans la seconde de 
ses feuilles, page i66 : « L'auteur nous a ditci- 
« dessus que la religion doit permettre la poly- 
« 'garnie dans les pays chauds, et non dans les 
« pays froids. » Mais l'auteur n'a dit cela nulle 
part. Il n'est phis question de mauvais raison- 
nements entre le critique et lui; il est question 
d un fait. Et comme l'auteur n*a dit nulle part 
que la religion doit permettre la polygamie 
' dans les pays chauds et non dans les pays froids, 
si l'imputation est fausse comme elle Test el 
grave comme elle l'est, je prie le critique -de se 
juger tul-même. Ce nVst pas le seul endroit sur 
lequel i 'auteur ait à faire un cri. A la page i63, 
à la fin de la première feuille , il est dit : « Le 
« chapitre IV porte pour titre que la loi de la 
« polygamie est une affaire de calcul; c'est-à- 
« dire que , dans l* s lieux où il naît plus de gar- 
ft çons que de filles, comme en Europe, on ne 
« doit épouser qu'une femme; dans ceux où il 
« naît pius de filles que de garçons, la polyga- 
«mie doit y être introduite- » Ainsi, lorsque 
l'auteur explique qijelques usages ou donne la 
raison de quelques pratiques, on les lui fait 
mettre en maximes, et, ce qui est plus triste 
encore, en maximes de religion; et , comme il 
a parlé d'une infinité d'usages et de pratiques 
dans tous ies pays du monde, on peut, avec 
une pûreille méthode, le charger des erreurs et 



DE l'eSPHIT BES LOIS. %tf 

même det abominations de tout TunÎTers. Le 
critique dit, à la fin de st seconde feuille, que 
Dieu lui a donné quelque zèle. Eh, bien! je ré- 
ponds que Dieu ne lui a pas d<»Bé celui-là» 



CLIMAT. 

Oe que Tauteur a dit sur le climat est encore 
une matière très propre pour la rhétorique. 
Mais tous les effets qudconques ont des cau- 
ses : le climat et les autres causes physiques 
produisent un nombre infini d'ettets. Si l'au- 
teur aToit dit le contraire, on l'auroitregardé 
comme un homme stupide. Toute la question 
se réduit à savoir si, dans des pays éloignés 
entre eux, si, sous des climats différents, il y 
a das caractères d'esprit nationaux. Or qu'il y 
ait de telles différences, cela est établi par l'uni- 
▼ersalité presque entier*» des livres qui ont été 
écrits. £t comme le caractère de l'esprit influe 
beaucoup dans la disposition du cœur, on ne 
sauroit encore douter cpi'il n'y ait de certaines 
qualités du cœur plus fréquentes dans un pays 
qiiedansun atflre ; et l'on a encore pour preuve 
'Un nombre inlmi d'écrivains de tous les lieux 
et de tous les temps. Comme ces choses sont 
humaines, l'auteur en a parlé d'une façon hu- 
maine. Il auroif'ptigoindre là bien des queS' 
tiens que l'on Àté dans les éHles sur les ver- 

tus bamainés et sur les verttis chrétiennes; 

19. 



tl8 DÉFEITSB 

mai» ce n'est point avec ces questions que l'on 
fait des livres de physique, de politique et de 
jurisprudence. En un mot, ce physique du cli- 
mftt peut produire diverses dispositions dans 
les esprits ; ces dispositions peuvent influer sur 
les actions humaines : cela chjoque-t-il l'empire 
de celui qui a créé ou les mérites de celui qui 
a racheté ? 

Si l'auteur a recherché ce que les magistrats 
de d.vers pays pouvoiént faire pour conduire 
leur nation de la manière la plus convenable et 
la plus conforme à son caractère, quel mal a- 
t-ii fait en cela? 

On raisonnera de même à l'égard de diverses 
pratiques locales de religion. L'auteur n'avoit 
à les considérer ni comtne bonnes ni comme 
mauvaises : il a dit seulement qu'il y avoit 
des climats où de certaines pratiques de reli- 
gion étoient plus aisées à recevoir, c'est-à-dire , 
étoient plus aisées à pratiquer par les peuples 
de ces climats que par les peuples d'un autre. 
De ceci il est inutile de donner des exemples j 
* il y en a cent mille. 

Je sais bien que la religion est indépendante 
par elle-même de tout effet physique quelcon- 
que, que celle qui est bonne j|ps un pays est 
bonne dans im antre, et quWe ne peut être 
mauvaise dans un pays sans l'être danstous: 
mais je dis qûé, comme elle est pratiquée par 
les hommes et pour les hommes, il y a des 
lieux où une Migion quelconque trouve plus 
de £aéilité a être pratiquée , soit en tout, soit 



DE L ESPRIT DES LOIS. 219 

en partie , dans de certains pays que dans d au- 
tres, et dans de cerlaines circonstauces que 
dans d'autres; et, dès que quelqu'un dira le 
contraire, il renoncera au boa sens. 

L'auteur a remarqué que le climat des In* 
des produisoit une certaine douceur dans lei 
mœurs. Mais, dit le critique, les femmes s'y 
brûlent à la mort de leur mari. Il n'y a guère 
de philosophie dans cette objection. Le criti- 
que ignore-t-il les contradictions de l'esprit 
humain , et comment il sait séparer les choses 
les plus unies et unir celles qui sont les plus sé- 
parées ? Voyez là-dessus les réflexions de l'au- 
teur au chapitre III du livre XIV. 



TOLERANCE. 

1 ouT ce que l'auteur a dit sur la tolérance se 
rapporte à cette proposition du chapitre IX , 
livre XXV : a Nous sommes ici politiques et 
« non pas théologiens ; et, pour les théologiens 
« mêmes, il y a bien de la différence entre to- 
« lérer une religion et rapprouvef . 

« Lorsque les lois de l'état ont cru devoir 
< souffrir plusieurs religions , il faut qu'elles 
« les obligent aussi à se tolérer entre elles. » On 
prie de lire le reste dif chapitre. 

On a beaucoup crié sur ce que l'auteur a 
. ajouté au chapitre X, livre XXV : « Voici le 
, « principe fondamental de» lois politiq[uef en 



4t fait de religion : qnand on est maitre de r<s 
t ceyoir dans un état une nouvelle religion ou 
« de ne la pas receToir, il ne faut pas l'y établir; 
« quand elle y est établie, il faut la tolérer. » 

On objecte à l'auteur qu'il va avertir le» 
princes idolâtres de fermer leurs ét§ts à la re- 
ligion chrétienne : effectivement c'est un secret 
qu'il a été dire à l'oreille au roi de la Cochin- 
chine. Comme cet argument a fourni matière 
à beaucoup de déclamations, j'y ferai deux ré- 
ponses. La première, c'est que l'auteur a ex- 
cepté nommément dans son livre la religion 
chrétienne- Il a dit au livre XXIV, chapitre 
premier, à la fin : « La rëlîgion chrétienne, qui 
«ordonne aux hommes de s'aimer, veut sans 
« doute que chaque peuple ait les meilleures 
• lois politiques et les meilleures lois civiles, 
« parcequ'elles sont, après eile, le plus grand 
« bien que les hommes piiissent donner et re- 
<t cevoir. » Si donc la religion chrétienne est le 
premier bien et les lois politiques et civiles le 
second , il n'y a point de lois politiques et ci- 
viles dans un état qui puissent ou doivent y 
empêcher l'entrée de la religion chrétienne. 

Ma seconde réponse est que la religion du 
ciel ne s'établit pas par les mêmes voies que les 
religions de la terre. Lisez l'histoire de l'église, 
et vous verrez les prodiges de la religion chré- 
tienne. A~t-elle résolu d'entrer dans un pays? 
elle sait s'en faire ouvrir le» porîcs; tous les 
instruments sont bons pour cela : quelquefois 
Dieu veut se servir de qndques pécheurs ; qiuSl» 



DE L*ESP&IT DES LOIS. 221 

quefûis il va prendre sur le trône un empereur, 
et fait plier sa tête sous le joug de i'évangile. 
La religion chrétienne se cache-t-die'dans les 
lieux souterrains? attendez un moment, et 
vous verrez la inajesié impériale parier pour 
- elle. Elle traverse quand elle veut les mers , les 
rivières et les montagnes; ce ne sont |>as les 
obstacles d'ici-bas qui l'empêchent d'à llet - Met- 
tez de la répugnance dans les esprits , elle saura 
vaincre ces répugnances : établissez des cou- 
tumes, foritiez des usages, publiez des édits, 
faites des lois; elle triomphera du ch mat, des 
lois qui en résultent, et des législateurs qui jes 
auront faites. Dieu, suivant dos décrets que 
nous ne connoissons point, étend ou resserre 
les limites de sa religion. 

On dit : C'est comme si vous alliez dire aux 
rois d'orient^u'il ne faut pas qu'ils reçoi\ent 
chez eux la religion chrétienne. C'est être bien 
charnel que de parler ainsi : étoit-ce donc Hé- 
rode qui devoit être le messie? Il semble qu'on 
regarde Jésus-Christ comme un roi qui , vou- 
lant conquérir un état voisin , cache ses prati- 
ques et ses intelligences. Rendonfruous justice : 
la manière dont nous nous conduisons dans les 
affaires humaines est-elle assez pure pour pen- 
ser à l'employer à la conversion des peuples ? 



^^'À% DÉFEirsfi 



■#««a 



CELIBAT. 

Nous Toici à l'article du célibat. Tout ce que 
Tauteur en a dit se rapporte à cette proposi- 
tion ) qui se trouve au livre XXV, chapitre IV: 
la voici. 

« Je fte parlerai point ici des conséquences 
4 de la loi du célibat; on sent qu^elle pourroit 
« devenir nuisible à proportion que le corps du 
« clergé seroit trop étendu, et que par consé- 
<f quent celui des laïques ne le seroi t pas assez, i 
Il est clair que Fauteur ne parle ici que de la 
plus grande ou de la moindre extension que 
Ton doit donner au célibat par rapport au plus 
|p*and ou au moindre nombre de ceux qui doi- 
vent l'embrasser; et, comme l'a dit l'auteur en 
un autre endroit , cette loi de perlf ction rie 
peut pas être faite pour tous les hommes : da 
sait d'ailleurs que la loi du célibal, telle que 
nous l'avons , n'est qu'une loi de discipline. II 
n'a jamais été question dans l'Esprit des lois 
de la nature du célibat même et du degré de sa 
bonté; et ce n'est en aucune façon une matière 
qui doive entrer dans un livre de lois politi- 
ques et civiles. Le critique ne veut jamais que 
Fauteur traite son sujet, il veut continuelle- 
ment qu'il traite le sien; et, parcequ'il est tou- 
jours théologien, il ne veut pas que , même 
dans un livre de droit , il soit jurisconsulte. Ce- 



1 



OF. L*£^PEIT DRf LOIS. 22^ 

pendant on yerra tout-à4'keure qu'il e&t wr le 
célibat de l'opinion des tkéologîens ^ c'est- à- 
dire qu'il en a reconnu la bonté. U faut saToir 
que, dans le livre XXIII, où il e&t traité du 
rapport que les lois ont avec le nombre des ha- 
bitant , l'auteur a donné une tbéorie de ce que, 
les lois politiques et civiles de divers peuples 
avoient fait à cet égard. Il a fiailt voir^ en exa- 
mmant les Histoires des divers peuples de la 
terre, qu'il y avoit eu des circonstanciés où ces 
lois furent plus nécessaires que dans d'autres « 
des peuples qui en avoient eu plus de besoin , 
de certains temps où ces peuples eu avoient eu 
plus de besoin encore: et, comme il a pensé 
quç les Romains furent le peuple dsi]t monde le 
plu^ sage, et qui, pour réparer ses pertes, eut 
le plus de besoin de pareilJes lais, il a recueilli 
avec exactitude les lois ^'ils avoient faites à 
0et égard; il a marqué avec précision dans 
queUes circons1;iuices elles avoient été faites et 
dans quelles autres circoAstances elles avoient 
été.^ées. Il n'y a point de théologie dans tout 
çec^y et i) n'en faut point pour tout cecL Ce- 
pendant il a jugé àpi^opos d'y en mettre. Voici 
tes paroles : '< A Dieu ne plaise que je parle ici 
« contre le célibat qu^sulopiié la rVligion ! mai^^ 
t qui pourroit se taire contre celui qu'a formé 
<le libertinage j. celui où les deux sexes, se cor- 
«i rompant par les sentiments naturels mêmes, 
«rfuient une union qui doit les rendre meil- 
<i leurs, pour vivre dans celle qui les rend 
<loujouPâ pires ? 



sa4 D ^ F E N s s 

« Cest une règle tirée de la nature , que plus 
t on diminue le nombre des mariages qui pour» 
«roient se faire, plus on corrompt ceux qui 
« sont faits; moins il y a de gens mariés , moins 
« il y a de fidélité dans les mariages; eomnir 
c lorsqull y a plus de Toleurs il y a plus de 
« vols(i). » 

' L'auteur n'a donc point désapprouvé le cé- 
libat qui a pour motif la religion. On ne pou- 
voît se plaindre de ce qu'il s'élevoit contre le 
célibat introduit par le libertinage; de ce qu'il 
désapprouvoit qu'une infinité de gens riches 
et voluptueux se portassent à fuir le joug du 
mariage pour la commodité de leurs dérègle- 
ments ; qu'ils prissent^>our eux les délices et la 
volupté, et laissassent les peines au*' miséra- 
bles ; on ne pouvoit , dis-^e , s'en plaindre. Mais 
le critique, après avoir cité ce que l'auteur a 
dit, prononce ces paroles : « On apperçoit ici 
« toute la malignité de Fauteur, qui veut je- 
« ter sur la religion chrétienne des désordres 
« qii*elle déteste. » Il n'y a pas d'aj^parence d'ac- 
cuser le critique de n'avoir pas voulu entendre 
l'auteur; je dirai setdement qu'il ne l'a point 
entendu, et qu'il lui fait dire contre la retigion 
ce qu il a dit contre le libertinage. 11 doit en 
être bien fâché. 



•mê 



(i) Livre XXIH, ch, XXI, à la fin. 



DE L'XSY&IT D£S LOIS» 223 



ri 



ERREURS PARTICULIERES 
DU CRITIQUE, 

vJ ir croiroit que le critique a juré de n élr© 
jamais au fait de i*état de la question ^ et de 
n'entendre pas un seul des passages qii'il atta- 
que. Tout le second chapitre du livre XXV 
roule sur les motifs plus ou moins puissants 
qui attachent les hommes à la conservation de 
leur religion. Le critique trouve, dans son ima- 
gination, Un autre chapitre qui auroit pour 
sujet des motifs qui obligent les hommes à pas- 
ser d'une religion dans une autre. Le premier 
sujet emporte un état passif, le second un état 
d'action; et, apph quant sur un suj.t ce que 
l'auteur a dit sur un autre, il déraisonne tout 
à son aise. 

L'auteur a dit, au second article du cha- 
pitre XI du livre XXV : « Nous sommes extré- 
« mement portés à l'idolâtrie , et cependant 
« nous ne sommes pas fort attachés aux reli- 
<t gions idolâtres ; nous ne sommes guère por- 
<f tés aux idées spirituelles , et cependant nous 
« sommes très attachés aux religions qui nous 
«c font adorer un être spirituel. Cela vient ^e 
^ la satisfaction que nous trouvons en nous- 
« mêmes d'avoir été assez intelligents pour 
n avoir choisi une religion qui tire la divinité 
t de Thumiliation où les autres l'avoient mise. • 

*»PR. hrs J.eis. 5. -^o 



aiC D i F K H s £ 

L*atttear n'ayoit fait cet article que pour expli- 
qaer pourquoi les mahomé tans et les Juifs , 
qui n'ont pas les mêmes grâces que nous, sont 
aussi invinciblement attachés à leur religion 
qu'(m le sait par expérience : le critique l'en- 
tend autrement. « Cest à Torgueil , dit-il, que 
€ l'on attribue d'ayoir fait passer les hommes 
« de ridolàtrie à Tunité d'un Dieu (i). » Mais il 
n*est question ici, ni dans tout le chapitre, 
d'aucun plissage d'une religion dans une au- 
tre : et si Un chrétien sent de la satisfaction à 
ridée de la gloire et à la vue de la^^^andeur d« 
Dieu, et qa*on appelle cela de l'orgueil , c'est 
nn très bon orgueil. 



MARIAGE. 

Voici une autre objection qui n'est pas com- 
mune. L'auteur a fait deux chapitres au li- 
vre X»X11I : l'un a pour titre, des /nommes e4 
des atiùnaitocpar rapport à la propagation 
de r espèce \ et l'autre est intitulé , des ma^, 
riages* Dans le premier il a dit ces paroles : 
fi Les femelles des animaux ont à peu près une 
« fécondité constante; mais, dans l'espèce hu- 
« i^aine , la manière de penser, le caractère , les 
« passions , les fantaisies, les caprices, l'idée de 
« conserver sa beauté, l'embarras de la gros- 

(x) Pagt 1 60 de la seconde feaiU«. 



BE l'esphio" des lois. 127 

«sésse, celui d'une famille trop nombreuse ^ 
< troublent la propagation de mil^ manières. » 
£t dans l'autre il a dit : « L'obligation natu- 
(c relie qu'a le père de nourrir ses enfants a fait 
<t établir le mariage , qui déclare celui qui doit 
« remplir cette obligation. > 

On dit là-dessus : « Un chrétien rapporte- 
(i roit l'institution du mariage à Dieu méine 
a qui donna une compagne à Adam , et qui unit 
«( le premier homme à la première femme par 
a un lien indissoluble avant qu'ils eussent des 
<i enfants à nourrir; maisr l'auteur évite tout ce 
<i qui a trait à la révélation. » Il répondra qu'il 
est chrétien, mais qu'il n'est point imbécille^ 
qu'il adore ces vérités , mai's qu'il ne veut point 
mettre à tort et à travers toutes les vérités qu'il 
croit. L'empereur Justinien étoit chrétien , et 
son compilateur Tétoit aussi : eh bien ! dans 
leurs livres de droit que Ton enseigne aux jeu- 
nes gens dans les écoles, ils définissent le ma- 
riage l'union de l'homme et de la femme qui 
forme une société de vie individuelle (i). Il 
n'est jamais venu dans la tête de personne de 
leur reprocher de n'avoir pas parlé de la ré- 
Télation. 



(1) Maris et femiase coojanctio, individaam vit» 
flocietatem continens. 



aaS D É F E H s E 



USURE. 

Nous voici à Taffaire de Tusure. J'ai peur que 
le lecteur ne soit fatigué de m'entendre dire 
que le critique n'est jamais au fait, et ne prend 
jamais le sens des passages qu'il censure. It dit, 
au sujet des usures maritimes : « L'auteur ne 
« voit rien que de juste dans les usures mari- 

' « rimes. Ce sont ses termes. » En vérité cet ou- 
vrage de l'Esprit des lois a un terrible inter- 
prète. L'auteur a traité des usures maritimes 

. au chapitre XX du livre XXII ; il a donc dit 
dans ce chapitre que les usures maritimes 
éloient justes. Voyons-le. 

Des usures marîtimçs. 

« La grandeur des usures maritimes est fon- 
« dée sur deux choses; le péril de la mer, qui 
« fait qu'on ne s'expose à prêter son argent que 
« pour en avoir beaucoup davantage , et la fa- 
« cililé que le commerce donne à l'emprunteur 
« de faire promptement de grandes affaires et 
« en grand nombre : au lieu que les usures de 
«f terre, n'étant fondées sur aucune de ces deux 
« raisons , sont ou proscrites par le législateur, 
« ou, ce qui est plus sensé, réduites à de justes 
« bornes. » 

Je demande à tout homme sensé si l'auteur 



DE t ESPRIT DES LOIS. lîfj 

Tient de décider que les usures inaritimes sont 
justes , ou sll a dit simplement que la gran- 
deur des usures maritimes répùgnoit moins à 
Téquité naturelle que la grandeur des usures 
de terre. Le critique ne connoit que les quali- 
tés positives et absolues ; il ne sait ce que c*est 
que ces termes plus ou moins^ Si on lui disoit 
qu'un mulâtre est moins noir qu'un nègre, 
cela signiiieroit, selon lui, qu'il est blanc com- 
me de la neige : si on lui disoit qu'il est plus 
noir qu'un Européen , il croiroit encore qu'on 
veut dire qu'il est noir comme du charbon. 
Mais poursuivons. 

Il y a dans l'Esprit des lois, au livre XXII-, 
quatre chapitres sur l'usure. Dans les deux pre- 
miers, qui sont le XIX et celui qu'on vient de 
lire, l'auteur examine l'usure (i) dans le rap- 
port qu'elle peut avoir avec le commerce che» 
les différentes nations et dans les divers gou- 
vernements du monde : ces deux chapitres ne 
s'appliquent qu'à cela. Les deux suivants ne 
sont faits que pour expliquer les variations de 
l'usure chez les Romains. Mais voilà qu'on 
érige tout à coup l'auteur en casuiste, en cano- 
niste et en théologien , uniquement par la rai- 
son que celui qtii critique est casuiste, cano- 
niste et théologien, ou deux des trois, ou im 
des trois, ou peut-être dans le fond aucun d^t 
trois. L'auteur sait qu'à regarder le prêt à in- 



( I ) Usore oa intérêt tigmfioit la même chose ch«» 
les Romains. 



a'JO D lé F E N s E 

^ térêt dans son rapport avec la religion cliré* 
tienne, la matière a des distinctions et des li- 
mitations sans fin : il sait que les jurisconsultes 
et plusieurs tribunaux ne sont pas toujours 
d'accord avec les casuistes et les canonistes; 
que les uns admettent de certaines limitations 
au principe général de n'exiger jamais d'inté- 
rêts , et que les autres en admettent de plus 
grandes. Quand toutes ces questions auroient 
appartenu à son sujet , ce qui n'est pas , com- 
ment auroit-il pu les traiter? On a bien de la 
peine à savoir ce qu'on a beaucoup étudié, en- 
core moins sait-on ce qu'on n'a étudié de sa 
vie : mais 1rs chapitrè^méraes que l'on emploie 
contre lui prouvent assez qu'il n'est qu'bis- 
torien et juirisconsulte. Lisons le chapitre 

.XIX(i). 

« L'argent est le signe dès valeurs. Il est 
« clair que celui qui a besoin de ce signe doit 
« le louer , comme il fait toutes les choses dont 

, CI il peut avoir besoin. Toute la différence est 
« que les autres choses peuvent ou se louer ou 
« s'acheter , au lieu que l'argent , qui est le prix 
« des choses , se loue et ne s'achette pas. 

• « C'est bien une action très bonne de prêter 

w( à un autre son argent sans intérêt : mais on 
tt sent que ce ne peut être qu'un conseil de reli- 

^ « gion, et non une loi civile. 

«c Pour que le commerce puisse se bien faire, 
ft il faut que l'argent ait un prix , mais que ce 



* » 



(i) Lir. XXlt. 



DE l'eSPEIT des LOIS. a3i 

» prix soit peu considérable. S'il est trop haut, 
« le négociant , qui voit qu*il lui en coûteroit 
« plus en intérêts qu'il ne pourroit gagner dans 
« son commerce , n'entreprend rien ; ai Tar- 
« gent n'a point de prix , personne n'en prête, 
« et le négociant n'entreprend rien non plus. 
« Je me trompe quand je dis que personne 
« n'en prête ; il faut toujours que les affaires de 
« la société aillent : l'usure s'établit , mais avec 

• les désordres que l'on a éprouvés dans tous 
« les temps. 

« La loi de Mahomet confond l'usure avec le 
« prêt à intérêt. L'usure augmente dans les pays 
« mahométans à proportion de la sévérité de la 
«t défense : le prêteur s'indemnise du péril de la 
« contravention. 

«' Dans ces pays d'orient la plupart âeshom> 
« mes n'ont rien d'assuré ; il n'y a presque 
« point de rapport entre la possession actuelle 
R d'une somme et l'espérance de la ravoir après 
« l'avoirprêtée.L'usure y augmentedoncà pro- 
« portion du péril de l'insolvabilité. » 

Ensuite viennent le chapitre des lisuresma- 
ritimes^ que j'ai rapporté ci-dessUs , et le cha- 
pitire XXI , qui traite du prêt par contrat et 
de r usure cJiez les Romains , que' voici. 

« Outre le prêt fait pour le commerce , il y 

* a encore une espèce de prêt fait par un con- 
« jtrat civil , d'où résulte un intérêt ou usure. 

« Le peuple chez les Romains augmentant 
« tous les jojirs sa puissance , les magistrats 
Vc cherchèrent à le flatter et à lui faire faire le» 



ala DEFENSE 

« lois qui lui étoient le plus agréables. Il re* 
M trancha les capitaux , il diminua les intérêts , 
« il défendit d'en prendre , il ôta les contraintes 
«I par corps; enfin Tabolitiondes dettes fut mise 
« -n question toutes les fois qu*un tribun vou- 
« lut se rendre populaire. 

« Ces continuels changements , soit par des 
« lois , soit par des plébiscites , naturalisèrent 
'< à Rome Tusure ; car les créanciers , voyant le 
«( i>euple leur débiteur , leur législateur et leur 
« j uge , n'eurent plus de confiance dans les con- 
« trats. Le peuple , comme un débiteur décré- 
« dite , ne tentoit à emprunter que par de gros 
<t profits ; d'autant plus que , si les lois ne ye- 
<î noient que de temps en temps y les plaintes 
« du peuple étoienf continuelles et intimidoient 
«t toujours les créanciers. Cela fit que tous les 
« moyens honnêtes de prêter et d'emprunter 
ff furent abolis à Rome et qu'une usure affreuse, 
A toujours foudroyée et toujours renaissante , 
« s'y établit. 

n Cicéron nous dit que , de son temps , on 
« î>rétoit à Rome à trente-quatre pour cent , et 
« à quarante-huit pour cent dans les provinces. 
« Ce mal venoit , encore un coup , de ce que 
<« les lois n'avoient pas été ménagées. Les lois 
<t extrêmes dans le bien font naître le mal ex- 
« trême : il fallut payer pour le prêt de l'argent 
« et pour le danger des peines de la loi. » L'au- 
teur n'a donc parlé du prêt à intérêt que dans 
son rapport avec le commerce des divers peu- 
ples ou avec les lois civiles deê Romains ; cl 



tf 



DE l'esprit des LOIS. 2 Vj 

cela est si vrai , qu il a distingué , au second 
article du chapitre XIX , les établissements des 
législateurs de la religion d'avec ceux des lé- 
gislateurs politiques. S*il avoit parlé là nom- 
mément de la religion chrétienne , ayant un 
autre sujet à traiter , il auroit employé d'au-» 
très termes , et fait ordonner à la religion 
clirétienne ce qu'elle ordonne , et conseiller ce 
Qu'elle conseille ; il auroit distingué avec les 
théologiens les cas divers, il auroit posé toutes 
les limitations que les principes de la religion 
chrétienne laissent à cette loi générale, établie 
quelquefois chez les Romains , et toujours chez 
les mahonlétans , « qu'il ne faut jamais , dans 
« aucun cas et dans aucune circonstance, re- 
« cevoir d'intérêt pour de l'argent. » L'auteur 
n'avoit pas ce sujet à traiter , mais celui-ci, 
qu'une défense générale, illimitée, indistincte, 
et sans restriction , perd le commerce du z les 
mahométans , et pensa perdre la république 
chez les Romains ; d'où il suit que , parceoue 
les chrétiens ne vivent pas sous ces termes ri- 
gides,le commerce n'est point détruit chez eux; 
et que l'on ne voit point dans leurs états ces 
usures affreuses qui s'exigent chez les maho- 
métans et que Ton extorquoit autrefois chez 
les Romains. 

L'auteur a employé les chapitres XXT et 
XXII ( I ) à examiner quelles furent les lois 
chez les Romains au sujet du prêt par contrat 

(i) Liv. TlXIL 



^34 DÉFENSE 

dans les divers temps de leur république. Son 
critique quitte un moment les bancs de théo- 
logie et se tourne du c6té de Térudition. On 
va voir qu^ se trompe encote dans son éru- 
dition , et qu'il n*est pas seulement au fait de 
Tétat des cfuestions qu'il traite* Lisons le cba- 
pitreXXII(i). 

« Tacite dit que la loi des douze tables fixa 
« l'intérêt à un pour cent par an. Il est visible 
(I qu'il s'est trompé , et qu'il a pris pour la loi 
« des douze tables une autre loi dont je vais 
« parler. Si la loi des douze tables avoit réglé 
« cela , comment dans les disputes qui s'éleve- 
« rent depuis entre les créanciers et les débi- 
« teurs ne se seroit-on pas servi de son auto- 
« rite ? On ne trouve aucun vestige de cette 
« loi sur le prêt à intérêt ; et , pour peu qu'on 
« soit versé dans l'histoire de Rome , on verra 
« qu'une loi pareille ne devoit point être Tou- 
« vrage des décemvirs. » Et un peu après l'au- 
teur ajoute : « L'an 898 de Rome les tribuns 
«( Duellius et Ménénius firent passer une loi 
« qui réduisoit les intérêts à un pour cent par 
« an. C'est cette loi que Tacite confond avec la 
« loi des douze tables , et c'est la première nui 
« ait été faite chez les Romains pour fixer le 
rt taux de l'intérêt , etc. » Voyons à présent. 

L'auteur dit que Tacite s'est trompé en di- 
sant que la loi des douze tables avoit fixé l'u- 

(i) Liv. XXII. 



DE l'esprit des LOIS. 2^5 

9Uré clxez les Romains ; il a dit que Tacite a 
pris pour la loi des douze tables une loi qui fat 
faite par les tribuns Duellius et Ménénius , en- 
viron quatre-vingt quinze ans après la loi des 
douze tables , et que cette loi fut la première 
qui fixa à Eome le taux de Tusure. Que lui dit- 
on ? Tacite ne s'est pas trompé ; il a parlé de 
l'usure à un pour cent par mois , et non pas de 
l'usure à uapo^ir cent par an. Mais il n'est pas 
ques tionici du taux de l'usure ; il fcgit de savoir 
si la loi des douz£ tables a fait quelque disposi- 
tion qudcoiiqtte sur l'usure. L'auteur dît que 
Tacite s'est trompé ,paTcequ'il a ditqueleftdé-* 
cemvirs , dans la loi des douze t^les , avoient 
fait un régleinent pour fixer le taux de l'usure : 
et là-dessus le critique dit quç Tacite ne s'est 
pas trompé , parcequ'il a parlé de l'usure à un 
pour cent par mois , et non pas à un pour cent 
par an. J^'avoi» dooc raison d<^ dire que le criti- 
que ne sait pas l'état de la question. 

Mais.il en reste une autre, qui est de savoir 
si la loi quelconque dont parle Tacite fixa l'u- 
sure à un pour cent par an , comme l'a dit l'au- 
teur , o^ bien à un pour cent par mois , comme 
le dit le critique. La prudence vouloit qu'il 
n'enltreprlt pas une dispute avec l'auteur sur 
les 1ms romaines sans conaoiti e les lois romai- 
nes ; qu'il ne lui niât pas uii fait qu'il ne ^avoit 
pas ^ et dont il ignoroit même les moyens de 
s'éclaircir. La question étoit de savoir ce que 
Tacite avoit entendu par ces mots uncianim 



%36 DÉFENSE 

fœnus ( I ) : il ne lui falloit qu'ouvrir les dic- 
tionnaires ; il aùroit trouvé , dans celui de Cal- 
vinus ou Kahl(a), que lusure onciaire étoit 
d'un pour cent par an , et non d'un pour cent 
par mois. Vouloit-il consulter les savants ? il 
auroittrouvé la même chose dans Saumaise (3^. 

(j) Nam primo daodecîm tabalis sanctum ne 
quis unoiario f<jyxore ampUàs exerceret. Annal, liv^ 
VI. — (a) Usurarum species ex assis partibns deno- 
minantnr : qaod at intelligatar, illnd scire oportet 
sortem omnem ad eentenarium niimtrum reTocari; 
sonutiam antem as^ram esse cum païf^ sortis cente- 
é.ma. singulis mensibus persolvitnr. £t quoniam 
ista rat^one samma h«ec usura dnodecim aureos an- 
naos in centenos efficit, duodenarius namerns jn- 
risconsultos movit ut asseœ hune usurarium appel- 
èrent. Qnemadmoduin hic as , non ex nienstma , 
sed ex annua pensione aestimandns est.; simîHter 
omnes ej us partes ex anhi ratione intelli^endae sont ; 
ut , si nnus in centenos anniiatim.pendatar , nncia* 
ria ositra ; si bini, sexftftus; si t^^i;, quadrant ; si 
quaterni, triens; si quini, qninqannx ; si semi, semis; 
si septeni*, septunx ; si octoni, bes ; si novem, do- 
draos ; si déni ^ dextcans ; si undeni, deunx ; si duo- 
deni.,as. Lexicon Joannîs Cal^ini , tXik^Kdkl, 
Colonise Allobrogum, anno i6a2, apnd Petrum 
Balduinum , in verba kisura, p. g6o. — (3) 0e modo 
usnrarnœ , Lu^nlîi Batavornm, ex officin* ^zevi- 
riornm^ iinno 1639, p; 3^9, ^TO, et 271 ; et sur* 
tout CCI mo^ >:< Unde Terius sit unciarium fœnus 
eorum , yel nncias usuras , nt eas qnpque appeUatas 
infrà osteudam , non unciam.dare meustmani in ce»- 
tum, sed annnam. 



Dx l'sspait des lois. a37 

Testif mearam eentimaiiiis Gya* 
Sententiamm. Hor. Ht, m, od. IV, y. 69. 

Remontoit-il aux sources ? il auroit trouvé 
là - dessus des textes clairs dans les Kyres de 
droit ( I ) ; il ri'auroit point brouillé toutes les 
idées; il eût distingué les temps et les occasions 
ùh l'usure onciaire sigmfioit un pour cent par 
mois d'avec les temps et les occasions où elle 
signifioit un pour cent par an , et il n'auroit 
pas pris le douzième de la cenlésime**potir kt 
Cèntésime. 

Lorsqu'il n'y aroit point de lois sur le taux 
de l'usure chez les Romains , l'usage le plus or- 
' diiiaire étoit que les usuriers prenoientdcJuze 
çnces de cuivre sur cent onces qu'ils prétoient, 
c'est-à-dire douze pour cent par an; et, comme 
un as valoit douze onces de cuivre ; les usu- 
riers retiroient chaque année thtt 'ts sur cent 
onces ; et comrtië il falloît souvent compter Vu- 
sure par mois , l'usure de six mois fut appelée 
semis , ou la moitié de l'as; l'usure de quatre 
mois fut appelée triens , ou le tiers de l'as ; 
l'usure pour trois mois fut appelée quadrans , 
ou le quart de l'as ; et enfin l'usure pout un 
mois fut appelée nnciaria , ou le douzième de 
l'as : de sorte que, comme on letolt une once 
chaque mois sur cent onces qu'on a-toît pré* 
tées, cette usure onciaire , ou dSin pour cent 

y ■■'.■' 

(i) Argamentnm legis XLVII , §• Pïsrfectnf le- 
gionis, ff. de administ. et pcriculo mtoris. 



f 



a38 DKFENSK 

par mois , 6u dé douze pour cenP par an , fut 
appèïéfe usuf e centésime. Lé cwtiquea ieu con- 
noissaçce de cette siguiiication de Tusure cen- 
tésime , et il l'a appliquée très mal. 

On yoit que tout ceci n'étoit qu'une espèce 
de H^ithode , de formule ou de règle, entre le 
déhi^eugr et le créancier, pour compter leurs, 
usure», dans la supposition que Tusure fut à. 
douze f^ur cent par an ^ ce qui étqlt; Tu^ag/e le 
jlh^^ j>ê4^|iaire ! et , #i quelqu'un a'voit^rété.à 
dix-huit pour cent par an , on se seroit seryij 
4e la m^men^étjbode, en. augti^€|[i;t^ant d'un 
ti^s l'usure de chaque mois ;-de SQff.e que l'u*, 
sure pi^c^rp^ auroit été d'une once«t demie 
parmoi^, , , • . 

Quand les Romains fîrent des lois sur l'u- 
sure , U ^e fu^pp^it question de qette méthode , 
qui avoU ^<^y^ et qui servoit encore au^ d^bi-; 
tours çt au^;€];éandiefs pout la dlyis^on du, 
temp^ et' Ia commodité du paijement de leùvs 
usures. Xie législateui; çivoitim.réglen^ent pu- 
blic à luire;; il ne^^^'^^issoit ppint de parlafjcr 
1 usure.ypar jnois, il *voit è^ûx^f et il fiif l'u- 
sure pfir an.. Qn continua à se servii' des teriiîCv7-^ 
tirés ile Ja djfyifiiiçfl. de Tas , sans y apj^iquer k s 
mêmes i4éf 6 4, airvsi ru&iu\e oniçiaire.sig^i^a un 
pQUjc Q^nf |>a^ an,; yuLS\Jxeeja//^uidra/Ue signi- 
Sa tijo^ft pour cent pai^.a»;^ Tj^s^^e ex, triante , 
quatre pour cent j)ar anj l'usure semis , six 
pour,cen,t;P*r.an^ !Çl^^ l'usiiire.pnciaire- ayoît 
, signifié un pQi^, ccijt par mpis ^ les lois qUi \q^% 
fixèrent exijuadra?itCs ejotritiJi tc^ex semisse^ 



DE "L ESPRIT DES LOIS. 2 .^ 

auroîentfixé l'usure à trois pour cent, à quatre 
pour cent , à six pour cent par mois ; ce qui au- 
roit été absurde , parceque leâ lois faites pour 
réprimer l'usurç auroient été plus ciuelles que 
les usuriers. 

Le critique a donc confondu les espèces des 
choses. Mais j*ai intérêt de rapporter ici ses 
propres paroles , afin qu'on soit bien convaincu 
que l'intrépidité avec laquelle il parle ne doit 
imposer à personne : les voici (i) : « Tacite ne 
« s'est point trompé ; il parle de l'intérêt à un 
'« pour cent par mois , et l'auteur s'est imaginé 
« qu'il parle d'Un pour cent par an. Rien n'est 
< si connu que le centésime qui se payoit à l'u- 
<? surier tous les mois. Un homme qui écrit 
« deux volumes in-4°. sur les lois devroit-fl 
'4 l'ignorer ? » 

'' Que cet homme ait ignoré ou n*ait pas ignoré 
«ce centésime, c'est une chose très indifférente: 
mais il ne l'a pas ignoré puisqu'il en a parlé en 
trois endroits. Mais comment en a-t-il parlé ; 
-et oùen à*-t41 parlé (a) ? Jepourrois bien défier 
le critique de le deviner , parcequ'il n'y trou- 
ver oit point les mêmes termes et les mêmes ex- 
pressions qu'il sait. . 

Il n'est pas question ici de savoir si l'auteur 
de l'Esprit des lois a manqué d'érudition ou 

(i) Feuille du g octobre 1749, p. i^>4. — (2) La 
troisième et la dernière note, ch. XXH, liv. X"XÎI,- 
et le texte de la troisième noie. 



a4o P é F E N s E 

non, mais de défendre ses autels (i). Cepen- 
dant il a fallu faire voir au public que le criti- 
que , prenant un ton si décisif sur des choses 
qu'il ne sait pas , et dont il doute si peu qu'il 
n'ouvre pas même un dictionnaire pour se ras- 
surer, ignorant les choses , et accusant les au- 
tres d'ignorer ses propres erreurs , il ne mérite 
pas plus de confiance dans les autres accusa- 
tions. Ne peut-on pas croire que la hauteur et 
la fierté du ton qu'il {wend par-tout n'empê- 
chent en aucune manière qu'il n'ait tort ; que, 
quand il s'échauffe , cela ne veut pas dire qu'il 
n'ait pas tort ; que , quand il anathématise avec 
^es mots d'impie et de sectateur de la religion 
naturelle, on peut encore croire qu'il a tort; 
qu'il faut bien sç garder de recevoir les impres- 
«ions que pourroient donner l'activité de son 
esprit et l'impétuosité de son style j que , dans 
j$ès deux écrite , il est bon de séparer les injures 
de ses raisons , mettre ensuite à part les raisons 
qui sont mauvaises, aprè& quoi il. ne restera 
plus rien ? 

L'auteur , aux chapitres du prêt à intérêt et 
de l'usure chez les Romains, traitant ce sujet 
sans doute le plus important de leur histoire, 
ce sujet qui tenoit tellement à la constitution 
qu'elle pensa mille fois en être .renversée , par- 
lant des lois qu'ils firent par désespoir, de 
celles où ils suivirent leur prudence , des régle^ 
ments qui n'étoient que pour un temps , de 

%B ^ _ ■ ■ l 

(i) Pro aria. 



lïE L*ESPRIT DES LOIS. ^\l 

ceux qu'ils firent pour toujours , dit , vers la 
£n du ckapitre XXII : « L'an 898 de Rome les 
« tribuns Duellius et Ménéniu* firent passer 
* une loi<|fii réduîioit les intérêts à un pour 
« cent par an. . . . Dix ans après j cette uéure fut 
^ réduite à la moitié ; daus la -suite on Tôta 
« tout-à-fàît. . . . 

« D en fut de cette loi comnie de toutes celles 
<t où le législateur a porté les choses à Texoès ; 
«c on trouva une infinité de moyens pour Télu- 
« der : il en fallut faire beauoôup d'autres pour 
« la confirmer , corriger, tènipérer ; tantôt on 
« quitta lés lois pour suivre les'usages , tantôt 
H on quitta les usages pour suivre les lois. Mais, 
u dans ce cas , l'usage deVoif aisément préva- 
a loir. Quand un homme emprunté , il trouvé 
<t un obstacle dans la loi même qui est faite en 
« sa faveur : cette loi a contce elle et celui qu'elle 
« secourt et celui qu'elle condamne. Le prét<ftir 
, « Sem|>Foqins Asellus , ayant permis aux dé- 
«rbiteurs d'iagir en conséquence des lois, fût 
« ttté par les créanciers pour avoir voulu rap- 
« peler la mémoire d'une rigidité qu'on i^epou- 
« voit plus soutenir. 

« iSôus Sylla , Lucius Valériu$ Flaccus fît 
« une loi qui permettoit Vititèvéi à trois pour 
'H Cent par au. Cett£ loi , la plus équitable et la 
' « phis modérée de celtes que ks Romams firent 
« à cet égard , Pàterculus la désapprouve. Mais 
« si eeUe loi étoit nécessaire à la république , si 
« elle éjto»t,utile à tous les particuliers , si elle 
c formoitune communication, d'aisance entre 

- -A «1, 



/ H^ DÉFENSE 

« le débiteur et l'emprunteur , elle n'étoit poii^ 
<r injuste. 

« Celui-là pftie moins , dit Ulpien , <fui paie 
«plus tard. Gela décide la question si l'intérêt 
« est légitime , e'est-i-dire si le créancier peut 
« Tendre le temps , et le débiteur l'acheter. » 

Voiâ comme le critique raisonne sur ce 
dernier passage qui se rapporte uniquement à 
la loi de Flaccus et aux dispositions politiques 
des Romains : L'auteur, dit41., en résumant 
tout ce qu'il a dit de l'usure , soutient qu'il est 
permis à un créancier, de vendre le temps. On 
diroit , a entendre le critique , que hauteur 
vient de &ire un trait^ de théologie ou de droit 
canon , et qu'il résume ensuite ce traité d^ 
théologie et de droit canon ; pendant qu'il est 
clair qu'il ne parle^que des dispositions politi- 
ques des Romains , de la loi de Flaccus , et de 
l'opinion de Paterculus : de sorte que cette loi 
de Flaccus , l'opinion de Paterculus , la réfle- 
xion d'Ulpien , celle de l'auteur , Se tiennent 
et ne peuvent pas se séparer. 

J'aurois encore bien des dioses à dire , mai^ 
j'aime mieux renvoyer aiix feuilles mêmes. 
<c Croyes-^tnoi., mes ehers Pisons , elles ressem- 
« blent à un ouvrage qui 9 comme les aongei 
«r d'un malade , ne fait voir que des £ant6mes 
<«vains(i}.» 

li II i I I m ■■ i { i 1 ' I ■ .1 I I II ii.i 

(i) Crédite , Pisones , isti tabulie fore Ubnun 
Persimilem , cujos , Teint aigri tomnia , ▼tmt 
f'ingevtur species. Houat. dt Arte poet., t. 6. 



DE L ESPEIT DES LOIS. 2/|H 

TROISIEME PARTIE. 

O N a TU dans les deux premières parties que 
tout ce qui résBite de tant de critiques ameres 
est ceci , que l'auteur de TEsprit des lois n'a 
point fait son ouvrage suivant le plan et les 
vues de ses critiques ; et que 9 si ses critiques 
avoient fait un ouvrage sur le même sujet , ils 
y auroient mis un très grand ndmbre de choses 
qu'ils savent. Il en râuite encore qu'ils sont 
diéologiens , et que Taiiteur est jurisconsulte ; 
quils se croient en ëtat de faire son métier , et 
que lui ne se sent pas propre à faire le leur. En- 
^ fin il en résulte qu'au lieu de l'attaquer avec 
tant d'aigreur , ils auroient mieux fait de s^i- 
tir eux-mêmes le prix des choses qu'il a dites 
en faveur de la religion , qu'il a également res- 
pectée et défendue. U me reste à faire quelques 
réflexions. . 

Cette manière déraisonner n*est pas bonne, 
qui , employée contre quelque bon livre que ce 
soit, peut le faire paroitre aussi mauvais que 
quelque mauvais livre que ce soit, et qui , pra- 
tiquée contre quelque mauvais livre que ce soit, 
peut le faire paroitre aussi bon que quelque bon 
livre que oe soit. 

Cette manière de raisonner n'est pas bonne. 



^44 DÉFENSE 

qui aux choses dont il s*agit en rappelle d'au^ 
très qui ne sont point accessoires , et qui con- 
fond les diverse» sciences et les idées de chaque 
science. 

I L ne faut point argumenter sur un ouvrage 
fait sur une science p'ar des raisons 'qui pour- 
roient attaquer la science même. 

Quand on critique un ouvrage ^ et un grand 
ouvrage , il faut tâcher de se procurer une con- 
noissance particulière de la science qui y est 
traitée , et bien lire les auteurs approuvés qui 
ont déjà écrit sur cette science , afin de voir si^ 
Fauteur s'est écarté de la manière reçue et or- 
dinaire de la traiter. 

Lorsqu'un auteur s'explique par ses pa» 
rôles , ou par ses écrits qui en sont l'image , il 
est contre la raison de quitter les signes exté- 
rieurs de ses pensées pour chercher ses pen- 
sées , parcequ'il n'y a que lui qui sache ses pen- 
sées. C'est bien pis lorsque ses pensées sont 
bonnes et qu'on lui en attribue de mauvaises. 

Qu A N D on écrit contre un auteur et qu'on 
s'irrite contre lui , il faut prouver les qualifica- 
tions par les choses , et non pas les choses par 
les qualifications. 

Q u A N D on voit dans un auteur uàe bonne 
intention générale , on se trompera plus* rare- 



DE l'esprit des' lois. 24^ 

ment si , sur certains endroits qu'on croît équi- 
voques , on juge suivant l'intention générale , 
que si on lui prête une mauvaise intention par- 
ticulière. 

Dàks les livres faits pour Famusement , trois 
ou quatre pages donnent Tidée du style et des 
agréments de Fouvrage ; dans les livres de ra>- 
sonnement , on ne tient rien si on ne tient toute 
la chaîne.' 

Comme il est très difficile de faire un bon 
ouvrage et très ai^é de le critiquer , parcequc 
l'auteur a eu tous Içs^ défilés à garder et que 
le critique n'en a qu'un à. forcer , il, ne faut 
point que celui-ci ait tort ; et s'il arriyoit qu'il 
eut continuellement tort, il seroit inexcusable. 

D'ailleurs, la critique pouvant être con- 
sidérée comme une ostentation de sa supério- 
rité sur les autres , et son effet ordinaire étant 
de donner des moments délicieux pour l'or- 
gueil humain , ceux qui s'y livrent méritent 
bien toujours de l'équité , mais rarement de 
l'indulgence. 

, Et comme de tous les genres d'écrire elle est 
celui dans lequel il est plus difficile de montrer 
un bon naturel , il faut avoir attention à ne 
point augmenter par l'aigreur deà paroles la 
tristesse de la chose. 



2/|6 DÉFENSE 

Quand on écrit sur les grandes matières , 
il ne suffit pas de consulter son zèle , il faut en- 
core consulter ses luniieres ; et si le ciel ne nous 
a pas accordé de grands talents , on peut y sup- 
pléer par la défiance de soi-même , Telactitude, 
Je travail , et les réflexions. 

Ce T art de trouver dans une chose qui na- 
turellement a un bon sens tous les mauvais 
sens qu'un esprit qui ne raisonne pas just« 
peut lui donner n'est- point utile aux hom- 
mes : ceux qui le pratiquent ressemblent aux 
corbeaux , qui fuient les corp» vivants et vo- 
lent dé tous côtés pour chercher des cadavres. 

Une pareille manière dé critiquer produit 
deux grands inconvénients. Le premier , c'est 
qu'elle gôite l'esprit des lecteurs par un mélange 
du vrai et du faux , du bien et du mal : ils s'ac- 
coutument à chercher un mauvais sens dans 
les choses qui naturellement en ont un très 
bon ; d'où il leur est aisé de passer à cette dis- 
position , de chercher un bon sens dans les cho- 
ses qui naturellement en ont tm mauvais : on 
leur fait perdre la foculté de raisonner juste 
pour les jeter dans les subtilités d'une mau- 
vaise dialectique. Le second mal est qu'en ren- 
dant , par cette façbn de raisonner , les bons 
livreis suspects , on n'a point d'autres armes 
pour attaquer les mauvais ouvrages ; de sorte 
que le public n'a plus' de reglfe pour les distin- 
guer. Si l'on traite de spînosistes et de déistes 



DE L^ESPRIT DES LOIS. 247 

ceux qui ne le sont pas , que dira-t-on à ceux 
qui le sont ? 

Quoique nous devions penser aisément 
que les gens qui écrivent contre ngius , sur des 
matières qui intéressent tous les liommes , y 
sont déterminés par la force de la charité chré- 
tienne ; cependant , comme la nature de cette 
vertu est de ne pouvoir guère se cacher ;, qu'elle 
sfe montre en nous malgré nous , et qu'elle 
^late et brille de toutes parts , s'il arrivoit qye, 
àans deux écrits faits contré^ la même personne 
coup sur coup , on n'y tarouvât aucune trace de 
cette charité , qu'elle n y parut dans aucune 
phrase , dans aucun tour, aucune, parole, au- 
cune expression , celui qui a\iroit écrit de pa- 
reils ouvrage^ auroit un juste siy el de craindre 
de n'y avoir pas été port^par la cltarité chré- 
tienne. 

I 

•T • ^ ' ' ' * y ', ' • ' ' ' ' < . ' 

E T qomme les vertus purement humaines 
sont en nous l'effet de ce qu'on appelle un bon 
itaturel , s'il étoit impossible ,d y découvrir au- 
cun vestige de ce bon naturel, fe.public pour- 
roit en conjure que ces écrits ne serdient pas 
même l'effet des vettus humaines- .. 

Aux.ye^xdeshomrjaes les actions sont tou- 
jours pljÇL^ ^incey es que les molffs ; et il leur est 
plusjaciie^etîroire que l'aclion de dire des in- 
jures atroces est un mal que dé se persuader 
que le motif qui les a fait dire est «n bien. 



QuÂiTD un homme tient à un état qui fait 
respecter la religion et que la religion fait 
respecter, et qu U attaque devant tes gens du 
monde un homme qui vit dans le monde , il est 
essentiel qu'il maintienne par sa manière d'agir 
la supériorité de son caractère. Le monde est 
tvès corrompu ; mais il y a de certaines passions 
qi^i sV trouvent très contraintes ; il y en a de 
favorites qui défendent aux autres de parof Iré. 
Considérez les ç^ens du monde entre eux ; il n'y 
a rien de si timide ; c*est Forgueil qui n'ose pas 
dire àes secrets , et qui , dans les égards qu'il 
a pour les autres y se quitte pour se reprendre. 
Le christianisme nous dionfte l'habitude de sou- 
meltre cet orgueil , le monde nous donne l'ha- 
l^itude de le cacher, 'Avecle peil de vertu que 
nous avons , que deviendrions -nous si toute 
notre ame se mettoit en libeçté , et si nous n'é- 
tions pas attentifs aux moindres paroles , aux 
moindres signes , aux moindres gestes ? Or , 
quand des hommes d'un caractère respecté 
manifestent des emportements que le^ gens du 
monde n'oseroient mettre au jour, ceux d 
commencent à se croire meilleurs qu'ils ne sont 
en effet ; ce qui est un très grand mal. 

No us autres gens du inonde sommes si foî- 
bles que nous méritons extrêmement d'être mé- 
nagés. Ainsi , lorsqu'on nous fait voir toutes 
les marques extérieures des passions violentes, 
que veut-K)n que nous pensions de Fintéri^ur ? 



DS L*EBPRIT DES LOIS. 34^ 

P€Ut?on espérer qtie notts , avec notre témérité 
ordinaire déjuger , ne jugions pas ? 

O n peut avoir remarqué , dans les disputée 
et les couTei^ations, ce qui arriye aux g«ns 
éont l'écrit est dur et difiSicile : comme ils ne 
combattent pas pour s'aider les*uns les antres ^ 
mais pour se jeter à terre , ils s'éloignent de 
la yéiité , non pas à proportion de la gran* 
deur istu de la petitesse de leur esprit , mais d^ 
la bizarrerie ou de l'inflexibilité plus ou moins 
grande de leur caractère. Le contraire arrive à 
ceux à qui la nature ou l'éducation ont donné 
de la douceur : Comme leurs disputes sont des 
secours mutuels , qu'ils concourent au mètàe 
objet , ' qu'ils ne pensent différemment que 
pour parvenir à penser ^e même, ils trouvent 
la vérité à proportion de leurs lumières j c'est 
Jla récompense d*un bon naturel. 

Q u À ir D un bomme écrit sur les matières dé 
religion y il ne faut pas qu'il compte tellement 
sur la piété de ceux qui le lisent, qu'il aise 
des choses contraires au bon sens ; parceque , 
pour s'accréditer auprès de ceux qui ont plus 
depiét^ que de lumières , il se décrédite auprès 
de ceux qui ont plus de lumières que de piété. 

Et comme la religion se défend beaucoup 
par elle-même, elle perd plus lorsqu'elle est 
mal défendue que lorsqu'elle ti'est point du 
tout défendue. 



2l5e D É F E tf s B ' 

S'iii arrlvoit qu'un homme, après a^oif 
perdu ses lecteurs , attaquât quel(|u'ttB qui eût 
quelque réputation , et trouvât par là le moyen 
de se faire lire; on pourroit peut-être soup- 
çonner que, sous prétexte de sacrifier cette 
victime à la religion » il la saciifieroit à son 
amour-propre^ 

. L A mamere de critiquer dont nous parlons 
est la chose du monde la plus capable de bor- 
ner l'étendue, et de diminuer, si J'ose me servir 
de ce terme , la somme du génie national. La 
théc^ogie a ses bornes , elle a ses formules ; 
pacceque les vérités qu elle enseigne étant con- 
nues , il faut que les hommes s'y tiennent , et 
on doit les empêcher de s'en écarter : c.*est-là 
qu'il ne faut pas que le génie prenne l'essor; 
on le circonscrit, pour ainsi dire, dans wMi 
enceinte. Mais c'est se mpcquer du monde de 
vouloii^mettre cette même enceinte autour de 
ceux qui traitent les sciences humaines. Les 
principes de la géométrie sont très vrais ; mais 
si on les appliquoit à des choses de goût, on 
feroit déraisonner la raison même. Rien n'é^ 
touffe plus la doctrine que de mettre à toutes 
les choses une robe de docteur ; les gens qui veu- 
lent toujours enseigner empêchent beaucoup 
d'apprendre : il n'y a point de génie qu'on ner4- 
trëcisse lorsqu'on l'enveloppera d'un million de 
scrupules vains .Avez- vous les meilleures inten- 
tions du monde ? on vous forcera vous-même- 
d'en douter. Vous ne pouvez plus être occupa 



BE Ii*£SP&IT DES LOIS. aSx 

i bien dire quand tous êtes efirayé par la 
CFainte de dire mal , et qu'au lieu de suivre 
vôtre pensée Vous ne tous occupez que des ter- 
mes qui peuvent échapper à la subtilité des 
critiques. Obvient nous mettre un béguin sur 
la tête pour nous <^e à chaque mot : Prenez 
garde de tomber; vous voulez parler comme 
TOUS , je vcttx que vous pariiez commue moi. 
Va-t-on prendre Tessor ? ils vous arrêtent par 
la manche. A-t-on de la force et de la vie ? on 
vous rôte à coups d'épingle. Vous élevez-vous 
un peu ? voilà des gens qui prennent leur pied 
ou leur toise, lèvent la tête, et vous crient de 
descendre pour vous mesurer. Courez - vous 
dans votre carrière ? ils voudront que vous re- 
gardiez toutes les pierres que les fourmis ont 
.mises sur votre chemin : il n'y a ni science ni 
littérature qui puisse résister à ce pédantisme* 
Kbtre siècle a formé des académies , on vou- 
dra, nous faire rentrer dans les écoles des siè- 
cles «ténébreux. Descartes est bien propre à 
rassurer ceux qui, avec un génie infiniment 
moindre que le sien, ont d'aussi bonnes inten- 
tions que lui. Ce grand homme fut sans cesde 
accusé d'athéisme ; et l'on n'emploie pas au- 
jourd'hui contre les athées de plus forts argu- 
ments que les siens* 

Du reste nous ne devons regarder les cri- 
tiques comme personnelles que dans les cas où 
ceux qui les font ont voulu les rendre telles* 
Uest très permit de critiquer les ouvrages qui 



i5a Dirsifsi oi l'ssput des lois; 

ont été donnés au public , parcequ'il MViÀl ri- 
dicule que ceux qui out voulu éclaitfer I^& au- 
tres ne voulusseut pas être éclairés eux-mê- 
mes. Ceux qui nous avertissent sont ks com* 
pagnons de nos travaux. Si le critique et Tau- 
teur cherchent la vérité, ils ont le même inté- 
rêt^ car la vérité est le bien de tous les hommes ; 
ils seront des confédérés , et non pas des en- 
nemis. 

C*xsT avec grand plaisir que je quitte la 
plume: on auroit continué à garder le silence 
si de ce qu'on le gardoit plusieurs personnes 
n*avoient co^clfi qu'on y étqit réduit* 



]Kt:LÂiRcissEMi^irTS, etc. 25S 

ÉCLAIRCISSEMENTS 
SUR L'ESPRIT DES LOIS. 

I. 

V2uEi.QiTEs personnes ont fait cette objec- 
tion : Dans le livre de FEspri t des lois c'est Thon- 
neur ou la crainte qui sont le principe de cer- 
tains gouvernement», non pas la vertu ; et la 
vertu n'est le principe que de quelques autres : 
donc les vertus chrétiennes ne sont pas requises 
dans la plupart des gouvernements. 

y o I c I la réponse. L'au tecu: a mis cette note 
au cliapitre Y du livre troisième. « Je parie ici 
« de la vertu politique , qui est la vertu morale , 
« dans le sens qu'elle se dirige au bien général ; 
« fort peu des vertus morales particulières ; et 
« point du tout de cette vertu qui a du rapport 
'< aux vérités révélées. » Il y a au chapitre sui- 
vant une autre note qui renvoie à celle-ci ; et, 
aux chapitres II et III du livre cinquième, 
l'auteur a défini sa vertu, Y amour de la 
patrie. Il définit l'amour de la patrie, Yw 
;mour de TégaUtè et de lafrugaHté. Tout le 
^livre cinquième pose sur ces principes. Quand 
•un écrivain ^. défini un mot dans son ouvrage, 
quand il a donné , pour me servir de cette ex- 



t$4 icLÀI&CISSEM£.IIT9 

pression, son dictionnaire, ne fauf41 pas en- 
tendre ses paroles suivant la &igni£6ationqiL*il 
leur a donnée ? 

Lx mot de yertu , comme la plupart des 
mots de toutes les langes, est pris dantf di- 
verses acceptions : tantôt il signifie les vertus 
chrétiennes, tantôt les vertus païennes ; sou- 
vent une certaine vertu chrétienne, ou bien 
une certaine vertu païenne ; quelquefois la for- 
ce; quelquefois, dans qu^ques langues , U|i6 
certaine capacité pour un art ou de certains 
arts. C'est ce qui précède ou ce qui suit cç mot 
qui en fixe la signification. Ici l'auteur a fait 
plus; il a donné plusieurs fois sa défijùitipQ* 
On n'a donc fait Tobjection que parqe^'oaii 
lu Fouvrage avec trop de rapidité. 

IL 

L'i-iTTEUftadit auUyre IJ, (pltaptiui» !|I^ 
« La meilleure aristocratie çst celle oà 1^ purtio 
« d^L peuple qui n*a point de part k la puissance 
-ft est si petite et si pauvre que la pattie domi- 
K nante n'a aucun intérêt à l'opprimer : aîntt 
n quand Antipater établit à Athènes que ceux 
^ qui n'auroient pas deux mille drachmes se- 
« l'oient exclus du droit dé suffrage (i), il for- 
^ ma la meiUeure aristocratie qui lût pîossible; 



mm^ 



(i) Di»<bTO, Uv KTIU, p. 6ai, édit. de Rli0< 



K 



SUR l'esprit des lois, a5S 

« parçequQ ce cens étoit si petit qu'il n'excluoit 
« que pçi^ de gens , et personne qui ewquel- 
« que considéràtioli dans la cité. Les familles 
« aristQcra,tiques doivent donc être peuple au- 
« tant qu'il est possible. Pl\ts upe aristocratie 
« approchera dé la démocratie , plus elle sera 
t parfaite ; et elle I0 deviendra moins à mesure 
« qu'elle approchera die la monarchie. » 

Dans une lettre insérée dans le journal de 
Trévoux, du mois d'avril 1749, on a objecté 
à l'auteur sa citation même. On a , dit-on, de- 
vant les yeux Tendroit cité ; et on y trouve 
qu'il n'y ayoit que neuf mille personnes qui 
eussent le cens prescrit par AÎitipater ; qu'il 
y en avoit vingt-deux mille qui ne l'avoient 
pas : d'où l'on conclut que l'auteur applique 
mal ses citations, puisque, dans cette r^ubli- 
que d'Antipater , le petit nombre étoit dans le 
cens et que le grand nombre n'y étoit pas. 

RÉPONSE. 

I L eût été à désirer que celui qui a fait cette 
critique eût fait plus d'attention et à ce qu'a 
dit Fauteur et à ce qu'a dit Diodore. 

I • I L n'y avoit point vingt-deux miUe per<^ 
sonnes qui n'eussent pa^^ le cens dans larépu* 
blique d'Antipater : les vingt-deux mille per- 
sonnes dont parle Diodore furent reléguées et 
établies dans la Thrace , et il ne resta pour for- 
mer cette" république que les neuf mille ci- 
toyens qui avoient le cens, et ceux du bas peu- 
ple qui ne voulurent pas partir pour la Thrace. 
Le lecteur peut consulter Diodore* 



l56 iCLliaCISSEMENTft, ftC. 

2" ^u AN D il serolt resté à Athènes yingt* 
deux mille personnes qui n*aur.oient ^^s eu le 
cens, robjection n'en seroit pas plus juste. Les 
mots de grand et à^ petit %qtl\ relatifs. Neuf 
mille souverains dans un état font un nombre 
immense, et Tingt>deux mille sujets dans le 
même état font un nombre infiniment petit. 



* 






> 



y 






•V 



REMERCIEMENT 

SINCERE 

À UPf HOMME CHARITABLE, 



l.TTRIBUi À T01.TAIRK. 



^ A Marseille, mai 1750. 

VOUS avez rendu service au genre humain 
en vous déchaînant sagement contre des ou^ 
Vrdgcs faite pour lé pervertir. Vous né cessez 
d'écrire contre FEsprît des lois-, et même il 
paroH à Votre style que vous êtes l'ennemi de 
toute sorte d'esprit. Vous avertissez que vous 
avez préservé le monde du venin répandu 
dans l'Essai sur ^'homme, de Pope, livre que 
je àc cesse de relire pour me convaincre de plus 
en plus de la force de vos '•aisons et de l'im* 
poHance de vos services. Vous ne vous amusez 
pas, inonsieùr, à examiner le fond.de l'ou- 
vrage sur lès lois, à vérifier les citations, a 
discuter s'il y a dé la justesse , de la profon- 
deur ^ de la clarté, de la sagesse; si les cha- 
pitres naissent les uns des autres > s'ils forment 
un tout ensemble ; si enfin ce livre , qui dé* 
vroit être utile , ne seroit pas par malheur iSa 
livré agréable. 

Vous allez d'abord au fait : et , regardant 
M. de Montesquieu comme le disciple de Pope» 



a58 &EMEmciXMKir'f 

vous les regardez tous deux comme les disci- 
ples de Spinosa. Vous leur reprocliez avec un 
zèle merveilleux d'être athées, parceque vous 
découvrez, dites- vous, dans toute leur philo- 
Sophie les principes de la religion naturelle. 
Rien n'est assurément, monsieur, ni plus cha- 
ritable, ni plus judicieux, que de conclure 
qu'un philosophe ne connoit point de Dieu^ 
de' cela même qu'il i>ose pour principe que 
Dieu parle au cœur de tous les hommes. 

«c Un honnête homnae est le plus noble ou- 
« vrage de Dieu», dit le qélebre poète philo- 
sophe ; vous vous élevez au-dessus de l'hon- 
nête homme. Vous confondez ces maximes 
funestes , que la Divinité est l'auteur «t le lien 
de tous les êtres, que tous les hommes sont 
frères, que Dieu est leur père commiïn, qu'il 
faut ne rien innover dans la religion, ne point 
troubler la paix établie par un monarque sage , 
qu'on doit tolérer les sentiments des hommes, 
ainsi que leurs défauts. Continuez, monsieur; 
écrasez cet affreux libertinage , qui est au fond 
la ruine de la société. Cest beaucoup que par 
vos Gazettes ecclésiastiques vous ayiez sainte? 
ment essayé de tourner en ridicule toutes les 
puissances; tt, quoique la grâce d'être plai- 
sant vous ait manqué, volenli et conanti^ 
cependant vous avez le mérite d'avoir fait 
tous vos efforts pour écrire agréablement des 
invectives. Vous avez voulu quelquefois ré- 
jouir des saints ; mais vous avez souvent es« 
sayé d'armer chrétiennement les fidèle^ les ona 



siifCEms. a^g 

contre les autres. Vous prêchez le schisme 
pour la plus grande gloire de Dieu. Tout cela 
est très édifiant: mais ce n'est point encore 
assez. 

Votre zèle n!a rien fait qu'à demi, si vous 
ne parvenez à faire brûler les livres de Pope, 
de Locke , et de Bay le , l'Esprit des lois , etc. 
dans un bûcher auquel on mettra le feu avec 
un paquet de NouveUes ecclésiastiques. 

En effet, monsieur, quels maux épouvan- 
tables n'ont pas fait dans le nionde Une dou- 
zaine .de vers répandus dans l'Essai sur 
lliomme, de ce scélérat de Pope, cinq ou sjx 
articles du bictiônnaire de cet abominable 
Bayle , une ou deux pages, de ce coquin de 
Locke , et d'autres incendiaires de cette es- 
pèce I II est vrai que ces hommes ont mené 
june vie pure et innocente, que tous les hon- 
nêtes gens les chérissoient et les consultoîent j 
mais c'est par 'là qu'ils sont dangereux. Vous 
voyez leurs sectateurs, les armes à la main, 
troubler les^roy aumes , porter par-tout le flamr 
beau des guerres civiles. Montaigne, Charron, 
le président' de Thou, Descartes, Gassendi, 
Rohaut, le Vayer, ces hommes affreux qui 
étoient dans les mêmes principes, boulever- 
serei^t tout en France. C'est leur philosophie 
qui fit'donner tant de batailles, et qui causa 
la Saint-Bar thélemi. C*est leur esprit de tolé- 
rantisme qui est la ruine du monde ; et c'est 
votre saint zèle qui r^and par-tout la douceur 
de la concorde. 



'a6Ô RBlkE&GIEMElVT 

Vous nous apprenez que tous les partisans 
de la religion naturelle sont les ennemis de 
la religion chrétienne. Vraiment , monsieur ^ 
vous avez fait là une belle découverte ! Ainsi, 
dès que je verrai un komme sage, qui dans sa 
philosophie reconnoîtra par-tout l'Etre su- 
prême, qui admirera la Providence dans l'in- 
finiment grand et dans Tinfiniment petit , dans 
la production des mondes, et dans celle des 
Insectes, je concltirai de là qu'il est impossible 
que cet homitie soit chrétien. Vous nous aver- 
tissez qu^it faut penser ainsi àujourd*hui de 
tous les philosophes. On ne poinfôit certai- 
nement rieh dire de plus sensé et déplus utile 
au christianisme, que ^'assurer que nôtre re- 
ligion est bafouée dans toute TÉûrope ôar toujs 
ceux dont la profession est de chercher la vé- 
ritél Vous pouvez vous vanter d'avoir fait là 
Une réflexion dont les conséquences seront 
bien avantageuses au public. 

Que j*aime encore totre colère contre l'au- 
teur de l'Esprit des lois , quand vous lid re- 
prochez d'atoir loué' les Solon, les Platon, 
les S«crate, lés Aristide, les Cicéron, les Ca- 
ton, les Epictete, les Antonin, et les Trajan ! On 
croiroit, à votre dévote fureur contre ces gens» 
là, qu'ils ont tous signé le formulaire. Quels 
monstres, monsieur, que tous ces grands 
hommes de l'antiquité f Brûlons tout ce qui 
nous reste de leurs écrits, avec ceux de Pope, 
de Locke, et de M. de Montesquieu. En effet, 
tous ces anciens sages sont vos ennemis j ils 



«Ht tous été édairéft pjù: la re%llHi niittnrélle ; 
et la TÔtrè^ monsieur, je dis la vôtre eh par- 
ticulier ^ pàrott si fort contre la ttàtiire-, que 
Je ne m'étonne fla^ que tou^ décestic^ siftcére- 
itaent tons ces lÛastres réiprouvés qtti ont Mt, 
je ne sais comment, tant de bien à la terre. Re- 
jBerciez bien Dieu de n'avxnr rien de comiiittn , 
m ^Tcc leur conduite , ni avec leurs écrits. 

Vos saintes idées sur le gonvernement poli- 
tique sont une suite de Totre sagesse. On Voit 
c[ue TOUS oonnoissez les royaumes de la terre 
tout comme le royaume des cieux. YoU's bon- 
damiMz de Totre a'ûtorité privée les gains que 
Foùa fait dans les risques niaritimes; Vous ne 
savez pas probablement te que c^est que Tai^ 
gent à la grosse ; mais vous appelez ce conn 
merce usure. C'est une nouvelle obligation 
que le roi vous aura d*em]>écher ses sujets de 
commercer à Cadix : il faut laisser cette œuvre 
de Satan aux Anglais et aux Hollandais, qui. 
sont déjà damnés sans ressource. Je voudrois, 
monsieur, que vous nous dissiez combien vous 
rapporte le commerce sacré de vos Nouvelles 
ecclésiastiques. Je crois que la bénédiction ré- 
pandue sur ce chef-d'œuvre peut bien faire 
monter le profit à trois cents pour cent. Il n'y a 
point de commerce profane qui ait jamab si 
bien rendu. 

Le commerce maritime que vous condam-* 
nez pourroit être excusé peut-être en faveur de 
l'utilité publique , de la hardiesse d'envoyer 
son. bien dans un autre hémisphère, et du 

vtfA. BIS LOI». B, a 3 



risque des naufrages. Votre pcftit négoce atme 
utiUté plus sensible; il demande plus de cou- 
rage y et expose à de plus grands risques. 

Quoi de plus utile en effet que.d^instruire 
l'univers quatre fois par mois des aven tures de 
quelques clercs tonsurés ? quoi de plus coura- 
geux que d'outrager y otrc roi et votre arche- 
vêque? et quel risq[ue ^ monsieur., que ces pe- 
tites humiliations que vous pourriez essuyer 
en place publique ? Mais je* me trompe ; il y a 
des charmes à souffrir pour la bonne cause : il 
vaut mieux o}>ëir à Dieu qu'aux hommes, et 
vous me paroisses tout fait pourrlenwBrtyre, 
que je vous jso^^ha' te cordialement , étant votrt 
très humble <et t;rès (^^sant serviteur. . 



tlV 9<I. TOMB CINQUIEME. 



,) 



TABLE 

DES LIVRES ET CHAPITRES 

ê 

coHTKirir* ' 

DANS LE CINQUIEME VOLUME, 



LIVRE TRENTIEME. 

Théorie des lois féodales ebet les Francs , dans le' 
rapport qu'elles ont ayec réublissement de la 
monarchie. 

Chàp. I. Des lois féodales. Page 5 
Chàp. LI. Des sources des lois féodales. «G* 

Chap. ni. Origine du vasselage. j 

Cbap.IV. ContinaatioQ du ménié sujet. g 

Chap. V. De la conquête des Francs. lO 
Chàp. Yl. Des Goths» des BourguigUons , et des 

Francs. il 
Chap. YII. Différentes manières de partager les 

terres. la 

Chap. y III. Continuation du même sujet. i3 
Chap. IX. Juste application de la loi des Bonrgul^ 

gnons et de celles des Wisigotii^ sur le partage 

àts terres. r 5' 

Cbap. X. Des servitude*. i5 

Chap. XI. Continuation du même sujet. id> 
Chap. XII. Que les terres du partage des barbares 

ne payoîent point de tributs. . - %5 
Cbap. XIII. Quelles étoient les charges des Romains 

et des Gaulois dans ta monarchie des Francs. ^8 

Cbap.'XIV» De ce qnW appeloit census; 3% 



9104 TABLE. 

ChJIf. XY . Qaê et qaW appeloit census ne se leroit 

que sur les terfs» ei non pas sur le» hommes 

libres. Page 34 

Cha». XTI. Des leudes ou Tassaux. • 39 

Ckaf* XYII* Du serrice militaire des liQminet 

libres. 4t 

Chàp. XVin. Du double serrice. 46 

Chap. XIX. Des compositions chez les peuples 

barbares. 5o 

Chaf. XX. De ce qn'on a appelé depuis la justice 

des 'seigneurs. 5j 

Chaf . XXI . De la Justice territoriale des églises. 6) 
Chaf. XXII. Que les justices étoient établies avant 

la fin de la seconde race. 66 

CàAF. XXIU. Idée générale du Urre de rEtaèlissé- 

ment 4e la mon^frchieffçiiç^ite 4im» IciGatUetg 

par M. IVbbé Dubos. 7t 

Chaf. XXIV. Continuation duméme su jet.Réflexion 

sur le fond du système. ' y% 

Cbaf. XXY. De U noblesse française, 7& 

LIVRE XXXI, 

Théorie des loie féodales cbes les Francs , dans le 
rapport qu'ellci ont ayec les rérolatious de leuv 
monarchie. 

Chaf. I. Changements dans les ofBces et les fiefs. SS 

Chaf. II. Comment Iç gpuyemement civil fut ré- 
formé. g4 

Chaf. ill. Autorité des maires du palais. 99 

Chaf. (V. Quel étoit à l'égard des maires le^énie 
de la nation. loa 

Chaf. V . Comment les maires obtinrent le coi|io|an- 
dement des armées. io4 

Chaf. VI. Seconde époque d^e Tabaissemeiit de» 
rois de la seconde race. 106 

Chaf. VU. Des grands of&cff et des fiefs sons les 
nw»ires dn palais. 108 



VIBLX. i65 

CHAf. Yin. ComHuntlgimleox furent cbugJt tn 

6ett. Pi^ ,10 

Csir. ES. CommentUibiciuccclJiMKiiiBCifumt 

cODTïTtiteBWt. 11^ 

CttAt, X. RichaMt du clergé. 1 16 

CnAE. XI. Etat de l'Europe dn tcnipi de Ourles- 

Mircel. iiS 

Ch». X[I. Eiibliuement dei dtmM. 193 

Chap. Xm. D« élcclioiK aux ittchét cl ibbajci. laft 
' CBAf. XIT. DeiecfideCliulct.Maricl. 119 

CHAr. XV. Coatlanitioa du mime nijat. i3o 

Cbai. XVI. Confoiion de la rojaaté •( d* la mai- 
rie. Seconde race. ib. 
CoAF. XVII. Choae peitlcnliere daui l'éleMion dei 

. roii de la teconde lace. 1 33 

Chai, xyill. Chartemagne. )3<> 

Chai. XIX. ContiouatioD du même lujet. |3S 

Chaï. XX. Louii'le.DaDmiaîre. . 139 

Chip. XXI. ConlmnadOD du même iDJet. t4> 

CuAp. XSIt, CaotlDnatian da même mite. i4â 

CSA>. XXttl. Contiunation du mlmt >uJFt. i45 

Qui.XSIV, Qoeleibommeilibrei forent rendue 

capable» de pouéder des fief» ■ i5o 

CniP. XSV. Cause principale de 1 afloiUiEiement 

de la lecaude race. Changement danileialeni. i5i 
Ckaf. XXV(. Changement dam l« Gefs. 1 56 

Chat. XXVII. Antre changement arriTJ dan) lei 

ËeTt. i5« 

Cbaf.XXVIU. CltengementaarriTéidantleai^udi 

nfGces et dan> les fieft. 
Chap. XXIX. De la lulnrc 

de Charlei-le-Cl>ao<e. 
CsAr. XXX. Can'ianation 
Cba». XXXI. Commentl'ei 

de Charlrmigne. 
Cbap. XXXII. Comment 1 

paua daat U maiaan de 



ft66 TABLE. 

CtUB* XXXIII. Quelques conséquences de la per^ 

pétoité des fiefs. Page 169 

Cbap. XXJUY. Contînnation du mAme jujet. 176 

DEFENSE D£ L'ESPRIT DES LOTS. 

PaiMisax vÀETix. 179 

Skcomss vàetu. ao4 

Idée générale. ib. 

Des conseils de religMm. aoS 

De la polygamie. ^10 

Climat. 217 

Tolérance* %i9 

Célibat. aia 

Erreurs i^articnlieres du crilk^ a^S 

Mariage. ^^5 

Usure. • a^ 

Des usures Ufaritimet* ib. 

T&OISXSMS FÀETIX. M3 

EciAmcnsBMnrrs svm x.*ss»niT dbs mis. iS3 

Hcirercieirent sincère à un homme diaritable. 257 




FIN. 



.6} 



t79 
ib. 

33S 

ib. 
343 

353 

25; 



•Vp' 



/■ t . t.; . , ' ' 



J