*
D E S C R
I P
T I O N
D
E
L’ESPÈCE
DE
SINGE
AUSSI SINGULIER
QUE TRÈS RARE,
NOMMÉ
ORANG-OUTANG,
DE L’ISLE DE BORNEO.
J
Apporté vivant dans la Menagerie
D E
SON ALTESSE SERENISSIME,
MONSEIGNEUR LE PRINCE D’ORANGE ET DE NASSAU,
STADHOUDER HERE DITAIRE , GOUVERNEUR , CAPL
TAINE GENERAL ET AMIRAL DES PROV1NCES-
UNIES DES PAIS -BAS, &c. iÿc. &c.
DÉCRIT ET PUBLIÉ PAR
A. V O S M A E R,
Directeur des Cabinets d’Hifttire Naturelle U de Curiofitês , ainfi que de l a
Ménagerie de S. A. S. Mgr. le Prince d' Orange 6 ? de Nassau»
£fc. tf’C'&'c. Membre de l’Académie Impériale, Correspondant de
l’Académie Royale des Sciences de Paris , & Membre de la
Société des Sciences de Zélande à Vlisfmgue , comme
aujfi de la Société Hollandoife à Haerlem éÿc.
’ir
A AMSTERDAM,
Chez PIERRE M E IJ E K,
MBCCLXXrlIZ
HISTOIRE NATURELLE
D E
L’ORANG-OUTANG,
’Efpèce admirable de Singe, appellée en Afie Orang-Outang ,
nom qui fignifie Homme - Sauvage , & qui fert à prouver,
que les Indiens même découvrent, dans ce üngulier animal, des
propriétés analogues à l’Homme, a été fi fouvent, quoique très
défeètueufement décrite, par tant de Naturaliftes & de Voya-
geurs , que nous pourrions encore augmenter de plufieurs la
nombreule lifte que Mr. de Buffon en rapporte : Mais ju-
geant que les citations de tout ce qui n’appartient pas direftement
à un objet , dont on fe propofe de faire la defcription , caufent
plus de confulxon qu’elles ne fourniftent de lumières à cet égard ,
nous ne nous attacherons ici qu’à ceux de ces Auteurs , qui pa-
(*) Tueputs, Satyrus Indiens. Orang-Outang. Ohfervat. Med. lib. 3. Cap. y <5.
fig ibid.
Idem, la Traduction Holl. Geneeskundige Wdarnmingen , pag. 37 . £? fig. J
jointes. Edit, de 1740. in 8°.
Tyson, Orang-Outang, five Homo Sylvejleris ou Pygmée. Lond. 1699.40.
fig - 1 * 2. tfc.
Edwards, l'Homme Sauvage. Glamres Tom. I . pag. 6. fig. 213.
Buffon, Joçko. H'.jt. Nat. Tom. X IN. pag. 43- Tab. 1.
Lin NÉE, Satyrus Simia ecaudata ferruginea , lacer tùrum pilis rever fis ,
nutibus teltis. Sy[t. Nat. Edit. XII. pag. 34 N° 1 .
Hodttuis, Satyrus. Aap zonder Jlaart , van onderen kaal , Singe fans
queue, pélé en -deffous. ( Cette derniere circonjlance cji rapportée d’après
la Xme. Edit.de Linnée.) Natuurlyke Hijhrie , I.Deel. 7. Stuk, bladz,
354- Tab. VI. fig. X.
D E
BORNEO (*).
roift
4
DESCRIPTION de
roÏÏTent avoir eu pour but le même fujet que nous avons eu ,
vû & pu obferver vivant dans toutes les circonftances. Ainfi
nous rejettons , en ce point, la miférabîe Figure qu’en a donnée
le doéle & célèbre Bontius ( [a ), avec les récits d’autres Ecri-
vains, qui ont tellement exaggéré le merveilleux de cet animal,
auffi bien que fa grandeur réelle, que pouvant à peine difcerner
les degrés de différence, on feroit presque tenté de le confon-
dre avec l’Homme.
Celui que le célèbre Bourguemaîrre Tülp a décrit , & qui
étoit un Africain d’Angola, donné en préfent, environ l’année
1640, à Son Altesse Se're'nissime le Prince
Frederic-Henri, approche le plus, à. notre avis, du
fujet de la préfente defcription, tant par fa conformation, que
par fes propriétés & par fa taille. Seulement on pourroit dire ,
en voyant les bras & les jambes de celui de Tulp, que ces
parties étoient plus groffes & plus charnues, du moins fuivant
La Figure, qui porte des marques d’authenticité. Les pieds de
devant & de derrière, dans ce fujet, nous paroiffent cependant
un peu trop courts , & les doigts trop effilés.
Le Doéleur Tyson a donné , en 1 699 , une ample defcrip-
tion , en Anglois , fans doute du même animal , mais aulfi de
l’Afrique , & l’a enrichie de huit différentes Planches. Dans les
deux premières nous voyons tout l’animal, qui étoit un mêle,
repréfenté tant par devant que par derrière. Mais il nous paroît
que le Deffinateur n’a pas bien réuffi dans quelques parties. Les
oreilles font trop grandes & trop écartées , le nez eft beaucoup
trop élevé , le gros orteil , des pieds de derrière eft trop long ,
& pourvu d’un ongle, que nous n’avons pas trouvé en trois de
nos fujets. Les deux Planches fuivantes montrent l’animal
tant par devanfc que par derrière avec fes mufcles : La cinquième
en expofe le Squelette , & les trois dernières , les parties internes.
Ces
(a) Bontiüs, Hijt. Nat. Ind. pag. 84. fig-
L’ORANG-OUTANG.
5
Ces Figures anatomiques font fort vantées par Mrs. de Büffon
& pluüeurs autres ; & Mr. Daubenton, dont les exactes
anatomies d’animaux n’ont point encore trouvé leurs femblables ,
les a même empruntées dans fa defcripûon.
Mr. Edwards donne, dans fon Ouvrage fur l’Hiftoire Na-
turelle des Animaux , dont nous parlerons plus bas , la defcrip-
tion & la figure auffi certainement de cette même Efpèce , qu’il
femble tenir pour Africaine. La Figure en eft aflez bonne, en*
tant qu’elle n’a point été prife fur un fujet vivant; elle repréfen-
te auffi le gros orteil des pieds avec un ongle, que notre Efpèce
Afiatique n’a pas , ainfi que nous venons de le dire.
Enfin, Mr. de B u f f o n a employé tout le difcernement &
tout le foin imaginables, pour nous faire connoître cet animal
équivoque , en rapportant , à cet effet , tout ce qu’en ont dit les
Auteurs les plus diftingués. Il décrit l’Efpèce qu’il a vue , fous
le nom de Jocko , & paroîc lui donner de même, dans fa defcrip-
tion hiflorique , l’ongle au gros orteil des pieds de derrière.
Mr. Daubenton le dit également originaire d’Afrique, du
côté d’Angola. Il fe pourroit donc que cet ongle fût un carac-
tère diftinftif entre les Africains & les Afiatiques. La Figure
que Mr. de B u f f o n donne du Jocko , & qu’il juge être la
même que celle de Tulp, de Tyson <Sc d’E divards, ne
quadre nullement avec les Figures de ces Auteurs , lefquelles
approchent davantage de notre fujet Afiatique , & s’il y a des diffé-
rences , elles ne font peut être à attribuer qu’à l’idée, ou qu’au
point de vue des Deffinateurs. La face de fon Jocko eft trop
humaine , en ce que l’on a repréfenté le nez trop élevé , & les
lèvres beaucoup trop groffes. Les oreilles paroiffent auffi trop
grandes , & les paumes des mains ou des pieds de devant , un
peu trop raccourcies. Après avoir allégué les quatre principaux
Auteurs, qui ont expreffément traité cet objet, nous jugeons
néceffaire , ( avant que de communiquer l’Hiftoire Naturelle &
la Defcription de notre fujet ) de faire encore fuivre ici quelques
A 3 remar *
6
DESCRIPTION de
remarques , auxquelles pouvoient fuffiüimment nous donner lieu
l’occafion commode de confidérer notre fujet , & le tems que
nous l’avons eu fous les yeux.
L 'Orang-Outang, qui fait le fujet de cette DifTertation , eft
certainement de la même Efpèce que celui qui fut préfenté à
Son Altesse Se're'nissime Frédéric - Henri,
Prince d’Orange et de Nassau, décrit parMr. Tulp,
& ainli le fécond qui ait été vû vivant en Hollande. Les Au-
teurs , que nous venons de citer , font , ou paroiffent être dans
l’idée, que les animaux de cette Efpèce écoient encore fort
jeunes, & n’avoient pas toute leur crue; niais j’ai quelques rai-
fons d’en douter. D’où vient donc que tous ces fujets n’ont,
au plus , que la longueur de deux bons pieds ou deux pieds &
demi, comme a eu le nôtre, & que l’on ne nous en ait point
apporté de plus grands, qui par leur riche taille feroient alluré-
ment encore bien plus dignes d’admiration? Celui que j’entre-
prends ici de décrire a été plufieurs fois mefuré par moi, dès
fon arrivée, & fa hauteur, drelfé debout, étoit de deux pieds
& demi Rhénaux ; lorfqu’il me fut apporté mort, j’en pris de
nouveau la mefure , étendu convenablement ; & je fus étonné
de le trouver un peu raccourci, plutôt qu’allongé ; preuve évi-
dente qu’il n’avoit point crû dans l’eipace de fçpt mois qu’il a
vécu ici. J’avouë qu’aux marques extérieures l’on ne peut pas
toujours juger furement de l’âge, fur -tout dans les animaux y
autrement l’afpedt extérieur, & principalement les dents, qui
étoient fort greffes & parfaitement formées , n’indiquoient nulle-
ment un animal qui n’avoit pas achevé fa croiffance. Mais
pourquoi nous arrêter ici à des conjectures , tandis que nous
avons à nous promettre des obfervations anatomiques de la part
de Mr. le Profeffeur P. C a m pe R , qui , dès l’année r 7 7 o , a reçu,
de Bornéo, dans de Felprit devin, une femelle de cette Efpèce,
telle que la nôtre, qu’il a difféquée, mife en Squelette, & fur
laquelle il donna la même année, à fes Difciples, des Leçons
r . publi-
L’O R A N G - O U T A N G.
7
publiques , dont nous poffédons une Copie? Les inteftins avoient
été tirés de Ton fujet, pour le mieux préfer ver de la corruption;
mais nous avons tâché de lui réparer ce défaut dans deux envois
de difFérens fujets. Ce Profeffeur a déjà examiné les organes
de la voix & quelques autres parties de fon premier fujet , dont
il a traité dans fes Leçons anatomiques , & même dans des Let-
tres qu’il a écrites tant à Mr. de Buffon (/;) qu’à moi (O,
(ù il s efforce de prouver, que les organes de la voix font
abiulument deflitués de la faculté d’articuler des paroles. Mr.
Camper dit auOi, dans fa Leçon collégiale, que le gros or
teil des pieds de derrière , en fon fujet , étoic fans ongle.
Quant à la queftion , qui m’a fouvent été faite , fi cette Efpèce
eft le véritable Orang-Outang , j’avoue que j’en ai ci-devant tou-
jours fort douté, jufqu’à ce que j’eûfTe vu le nôtre. Trop préoc-
cupé des idées que les Auteurs , comme le lavant Bontiüs
& autres (dont quelques-uns en ont presque fait un Homme)
nous donnoient de fa forme, de fa grandeur de cinq à fix piés,
& de fa marche debout, ainfi que l’Homme, ces idées & ces
notions de Perfonnages diflingués confervoient quelque afcen-
dant fur mes doutes: Je cherchois l’Homme dans la Béte; com-
me j’avois fi fouvent (& tout récemment encore) trouvé la
Bête dans l’Homme. Mais maintenant, par l’examen delà créa-
ture vivante , que j’ai tenue , â cet effet , près de moi , pendant
un mois, je me trouve convaincu, puisque ce fujet, quoiqu’é-
tant & reliant un Singe, diffère trop des autres Singes à quel-
ques égards & même par fon naturel. Les impreffions qu’avoient
reçues mes idées, de la forme, de la taille & la marche debout ,
s’effacèrent ainû peu à peu dans l’examen de notre fujet ; car que
fait proprement la grandeur , que fait la forme imaginaire & peut-
être chimérique, que fait même la marche debout ? Ne voyons-
nous
(b) Supplément à l’HiJloire Naturelle , Tant, III. pag. 144.
(c) Lettre à moi écrite , le 4 Mai 1771.
8
DESCRIPTION de
nous pas journellement, à nos Foires, exécuter ceci par de pe-
tits Singes de l’Efpèce la plus commune, qui y font dreffés ? Tout
bien confidéré, que cela fait- il à l’affaire, ou pour la décifion de
la queftion , fi ce fujet eft le véritable Orang-Outang ou non ? 11
n’y a que peu d’années & même encore en dernier lieu, que
l’on a vu un Singe d’une Efpèce affez commune, faire fes exer-
cices en marchant debout fur la corde. Quel étonnement ne
caufa-t’il point lorfque monté fur la corde & allîs entre les bâ-
tons croifés , il tendit de fon propre mouvement fes pieds de
derrière pour les faire frotter de craie en - deffous ? Enfuite pre-
nant le balancier dans fes pattes de devant , on le vit courir fur
la corde & exécuter d’autres tours d’adreffe avec une merveil-
leufe exactitude , auffi bien que le plus habile Danfeur de corde.
On a vu l’Eléphant , des Chevaux , des Chiens & plufieurs au-
tres animaux très différais , montrer une aptitude admirable
dans les tours qu’on leur avoit appris ; & le petit Sérin , que
l’on a fait voir à quelques-unes de nos Foires , eft , de tous , ce-
lui qui m’a le plus furpris. Mais il faut , en tout ceci , diftin-
guer les arts d’éducation des fonctions réelles & naturelles de
l’animal, & tâcher de découvrir par -là le degré d’intelligence
qui lui eft propre ; mais , pour cet effet , il feroit certainement be-
foin d’obferver l’état naturel & la façon de vivre de ces animaux
dans les Bois. Il ne s’agit donc ici que de favoir fi nous trou-
vons, dans cette créature, des caractères, tant dans la forme que
dans le naturel, qui le diftinguent en quelque façon des Singes
communs , & qui le rapprochent auffi en quelque façon de 1 Hom-
me ? Nous penfons , avec le célèbre Médecin 1 u l p , pouvoir ré-
pondre à l’affirmative , attendu que , fuivant l’anatomie de T yson ,
il y a , dans celui-ci , des parties qui ont plus de rapport avec
celles du Corps humain , & que , d’ailleurs , plufieurs de fes fonce-
rions réelles indiquent des traces d’humanité. Au refte s’il s’en
trouve quelque Efpèce encore plus voiiine de l’Homme , c’eft
ce dont on a fùffilâmtncnt lieu, de douter , comme mes Lecteurs
le
L’O R A N G - O U T A N G. -9
le verront plus amplement ci-delïbus; du moins quoique jaie
écrit nombre de Lettres aux Indes Orientales & Occidentales ,
dans l’efpace d’une vingtaine d’années, pour m’en informer Oc
le demander , l’on n’a pu encore ^n’en procurer d autre que
Outre les deffunts Gouverneurs des Indes , Mesfieurs Mossel
& van der Parra , à la politeffe & comptaifance desquels le
Cabinet a de très grandes obligations , & qui m’ont plus d une
fois alluré qu’il ne fe trouvoit point d 'Orang-Outang qui eût les
propriétés & la grandeur, que lui donnent communément divers
Auteurs anciens & modernes; outre le témoignage de ces Mts-
fieurs , dis-je , Mr. W. de Hogendorp, Réfident à Rembang,
( qui a bien voulu fe charger exprelfément de prendre des infor-
mations à cet égard) me marquoit, par une Lettre en date de
Batavia le 13 Mai 1774, ce qui fuit. „ Tout ce que je puis
vous dire, c’eft que X Orang-Outang , de la grandeur que vous
me l’avez dénoté , n’a jamais été vu ici & l’on doute meme
’’ qu’il exifte. On a bien ici quelquefois des Orangs-Outangs te
, moindre grandeur ; mais actuellement il n’y en a aucun . C eft
ce qu’il me confirma par une autre Lettre du 25 Septembre de
la même année, écrite en François & de la teneur foivante:
„ En attendant, Monfieur, j’ai l’honneur de vous envoyer u
Orang-Outang , non tel que vous m’en avez demandé de cinq
pieds, qu’on doute pouvoir trouver , mais un qu on dit être
allez joli , & qui a de l’efprit comme un Démon. J’ai fait
écrire , par un de mes amis , à Banjer-Majfîn , pour voir fi l’on
peut m’en procurer un grand ; & , dût-il coûter mille écus ,
vous l’aurez , s’il eft à trouver. Monfieur de Buffon , tout
„ grand Homme qu’il eft , me paroît battre la campagne dans
„ fon Article des Orangs-Outangs ; celui dont parle Tulp, etoit
„ du Nouveau Monde”. Peu de tems après Mr. de Hogen-
dorp m’écrivit encore, que , par un bonheur fingulier , il P°“'
voit m’envoyer deux Orangs-Outangs vivans; mais ils font mot
5 ,
55
J»
5 ,
S,
ÏO
DESCRIPTION de
l’un & l’autre dans le trajet , malgré tous les foins qu’on en avoit
pris à bord du Navire; & des deux l’on n’en a pu conferver
qu’un dans l’efprit de vin, ou l’Arak, lequel m’eft aufll par-
venu. Ce fujet , ici mefuré debout , n’avoit pas encore la hau-
teur de deux pieds Rhénaux; l’autre n’étoit guères plus grand
fuivant les avis que j’en ai reçus. Dans une Lettre ultérieure
du 30 Novembre de la même année, Mr. de Hogendorp
me difoit: „ Je me flatte que vous aurez reçu vivans les deux
„ Orangs-Outangs &c. Je crains bien, Monfieur, que je ne
„ pourrai point vous envoyer un Orang-Outang , tel que Mon-
„ fleur deBuffonIc décrit , & que vous fouhaiteriez l’avoir.
„ Voici ce qu’écrit, à Monfieur van der Beke, (à quij’avois
„ donné la commiffion de s’informer, chez fon Parent , après un
„ fi grand Orang-Outang ,) Monfieur Palm, Réfident de Ban -
„ jer-Majfm , ce qui vous prouvera que j’ai faifi l’occafion d’en.
„ avoir un , fi la chofe eft poflibîe
Extrait de la Lettre .
„ Pour ce qui concerne l’ Orang-Outang que vous demandez ,.
„ j’ai été moi-même tout exprès à Cajoetangie , ôc j’-ai prié le
„ Prince très-inftamment de m’en faire avoir un s’il étoit
„ pofîîble ; Il m’a aufll promis d’ordonner des recherches à cet
„ effet ; mais en me témoignant qu’il efl: très rare de trouver
„ de ces animaux de la grandeur que vous marquez , (avoir de
„ 5 pieds. Aufll les plus vieux Habitans m’afiiirent-ils n’avoir
„ jamais entendu parler d’aufli grands Orangs-Outangs. Cepen-
„ dant j’ai donné commiffion de côté & d’autre *.
Si l’on ajoute à ces avis , qui m’ont été communiqués , les re-
marques fuivantes, favoir, que les Orangs-Outangs de Tulp,
de Tyson, d’EDWARDs & de Mr. de Buffon n’ont eu
tous que la grandeur de deux pieds à deux & demi; Que ce-
lui qui me fut envoyé, en 1273, le premier en liqueur, par
Mr.
L'ORANG.OUTANG.
ji
Mr. van de R Parra, en Ton vivant Gouverneur de Batavia,
n’avoit auffi pas plus de deux bons pieds : Que les deux , expe-
diés en 1774, par Mr. de Hogendorp, étaient meme au-
deffous de deux pieds ; Que celui , qui fait le fujet de cette Dis-
fertaticn , n’a eu que deux pieds & demi de hauteur : Que celui
que Mr. Camper reçut en 1771 des Indes Orientales , fuivant
mes avis, étoit encore plus petit; & qu’enün celui que Mr. le
Profeffeur Allamand reçut il y a quelques années, n a voit
qu’ environ la même grandeur; tout cela me paroît fuffifam trient
prouver la vérité de mon aflertion, qu’il ne Te trouve aux Indes
Orientales point d’autre ni de plus grande Efpèce d 'Orang-Outang
que celui que nous allons décrire: car quant au dire du Prince
de Cajoetangie, que ces animaux, de la grandeur de cinq
pieds, fe trouvent rarement, je penfe qu’à cet égard il ne fau-
roit prévaloir fur celui des plus vieux Habitans, comme pro-
bablement mieux inftruits; & ceux-ci témoignent n avoir jamais
entendu parler de 11 grands Ourangs-Outangs (a). Que 1 on ajoute
à tout cela notre propre obfervation, dont nous venons de faire
mention, favoir que nous avons, à l’arrivée de cet Orang-Outang ,
roefuré fa véritable grandeur avec toute l’attention polfible,
&. trouvé, que, dreffé debout, il ne paffoit pas les deux
pieds & demi Rhénans; & qu’après fa mort 1 ayant meOnt
de nouveau , dans la même attitude , encore avec la plus lcru-
puleufe exactitude , nous fûmes furpris de le trouver tant foit
peu raccourci ; de forte que , pendant les fept mois de fon féjour
ici cet animal n’eft pas grandi le moins du monde ; ce qui ferait
certainement arrivé d’une façon fenfible s’il eût été jeune &
dans
(a) Après avoir achevé cette Defcription, nous avons eu la faüsfaaion de ren
contrer Rfr DurÊ7, natif de Berne, en Suifle, qui a fervi pendant
années comme Offirier Militaire à Bornéo, d’où il eft revenu depuis peu de : tan*
En lui montrant cet Orang-Outang au Cabinet du Prince, il maflura en avoir
vu de la mime Efptce , mais jamais de plus grands ; ajoutant que ce.
animaux n’y font pas même fort communs.
B %
12
DESCRIPTION de
dans fa croiflànce , ainfi que nous l’avons obfervé à l’égard de
plufieurs autres animaux de la Ménagerie : Et pourquoi donc ,
encore une fois, n’en a-t-on point apporté de plus grands, com-
me d’autres Efpèces de Singes plus connues, puisque la gran-
deur frappe toujours davantage? De tous les dix Orangs-Outans
fpécifiés ci-defiiis , quelques-uns ont eu moins , mais aucun , que
je fâche, n’a eu plus de deux pieds & demi de hauteur. Le
Doéteur Bontius ne dit rien de la véritable grandeur de fon
Orang-Outang , mais aufîï ne donne-t-il aucun fujet de penfer
qu’il ait été plus grand. Si maintenant , à ces onze exemples
de grandeur de ces animaux , nous ajoutons le témoignage de
Meilleurs de Hogendorp, van der Palm, & Düle'z,
de môme que notre obfervation , que celui de la Ménagerie du
Prince, après un féjour de fept mois, n’eft point grandi du tout,
l’on n’aura pas moins de quatorze ou quinze obfervations à' Orangs-
Outangs tant Afiatiques qu’Africains , qui prouvent contre la pré-
tendue grandeur de cinq à fix pieds que quelques Ecrivains don-
nent à ces animaux.
Après avoir ainfi , pendant plus de vingt ans , employé vaine-
ment tous mes efforts pour découvrir le véritable (JF) Orang-Ou-
tang , à quoi Mrs. les Gouverneurs Mossel&vanderParra,
auffi-bien que Mr. de Hogendorp, fe font donné toutes les
peines imaginables, il réuffit, enfin, à Mr. O. L. Hemmy,
Second & Maître-Marchand du Cap de Bonne-Efpérance ( mort
depuis , à mon grand regret) de m’envoyer , vivant , cet Orang-
Outang pour la Ménagerie du Prince. Suivant une Lettre que Mr.
Hemmy m’écrivit en même tems, en date du 29 Février 1776,,
il l’avoit reçu, depuis un an, de fon Fils, Mr. G. Hemmy,
Second-Marchand à Batavia , avec quelques particularités touchant
le
00 Nous difons ici, le véritable Orang-Outang, comme ayant auparavant été
mis, par divers Auteurs, dans l’idée commune, que c’étoit un anima! prefque delà
figure & de la grandeur de l’Homme ; fur ce pied nous cherchions une telle Créa-
ture, & fi nous ne l’avons point trouvée, c’efi: afiurémenc parce qu’elle, n’exifte nas..
L’ORANG-OUTANG. f 3
te naturel de l’animal , dont nous parlerons tantôt ; & qu’il étoit
venu de Banjer- Maffin dans l’Ifie de Bornéo.
Le 29 Juin de l’année paflëe 1 77^, l’on m’informa de fon
heureufe arrivée. Charmé de cette agréable nouvelle & de voir
pour la première fois un animal fi rarement apporté vivant ici,
j'ordonnai de le placer le plus près de moi qu il fei oit poffible ,
pour avoir occafion de l’examiner à mon aife. Après l’avoir ainfi
gardé tout un mois , fe portant parfaitement bien , je me vis obligé
de l’envoyer à la Ménagerie , â caufe de l’affluence des curieux ,
qui augmentoit de jour en jour à un point, qu’il n’etoit pas pof-
fible de le tenir près de moi plus longtems. A l’égard de fon
naturel & de fes autres propriétés , voici ce que nous pouvons
en marquer avec certitude.
Comme c’étoit une femelle , nous avons apporté la plus
grande attention à nous alïitrer fi elle étoit fujecte à 1 écoulement
périodique, fans rien pouvoir découvrir à cet égard. En man-
geant elle ne faifoit point de poches latérales au gofier , comme
toutes les autres Efpèces de Singes. Elle étoit d’un fi bon na-
turel , qu’on ne lui vit jamais montrer la moindre marque de
méchanceté ou de fâcherie ; on pouvoir fans crainte lui mettre
la main dans la bouche. Son air extérieur avoit quelque chofe
de trille , qui ne^ fe remarquoit pourtant point dans toutes^ fes
autres circonftances. Elle aimoit la compagnie fans diftinaion
de fexe, donnant feulement la préférence naturelle aux gens qui
la foignoient journellement & qui lui faifoient du bien , qu’elle
paroifloit affectionner davantage. Souvent lorfqu’ils fe retiraient,
elle fe jettoit à terre , étant â la chaîne , comme au defcfpoir ,
pouffant des cris lamentables , & déchirant par lambeaux tout le
linge qu’elle pouvoit attraper , dès qu’elle fe voyoit leule. ^ Son
Garde ayant quelquefois la coutume de s’affeoir auprès d’elle à
terre, elle prenoit, d’autres fois, du foin de fa litière, l’arran-
geoit à fon côté, & fembloit, par toutes fes démonftratïons ,
rinviter à s’afièoir auprès d’elle. Un jour je le trouvai dans un
B 3 ter ~
14 DESCRIPTIONde
terrible embarras. L’animal , attaché à une grolfe chaîne , fixée
par un anneau à une longue barre de fer verticale , avoir faifi cet
homme, qu’il tenoit comme immobile, debout, collé contre
fa poitrine , le ferrant fermement entre fes pattes de devant &
de derrière , fans qu’il fût poffible de lui faire lâcher prife. Ce-
pendant lui ayant préfenté quelques fraifes fur une alîiette , il
defcendit enfin pour les manger, & Mfa-là for. homme, qui
nie ait que s étant afiis près de lui, le Singe, monté fur fes ge-
noux, l’a voit ainfi embraflé, fans lui faire aucun mal, & le
tenoit déjà depuis quelque tems dans cette fituation, Iorfque
j arrivai fort â propos pour le délivrer , un moment après qu’il
fe fût relevé , non fins beaucoup de peine.
La marche ordinaire de cet animal étoit à quatre pieds , com-
me les autres Singes ; mais il pouvoit bien aufiî marcher debout
fur les pieds de derrière, &, muni d’un bon bâton , il s’y tenoit
appuyé fouvent fort longtems ; Cependant il ne pofoit jamais les
pieds à plat, à la façon de l’Homme, mais recourbés en dehors,
de forte qu’il fe foutenoit fur les côtés extérieurs des pieds de
derrière, les doigts retirés en dedans; ce qui dénotoit une apti-
tude à grimper fur les arbres. Il étoit attaché à une efpèce de
collier de cuir, fermé d’un petit cadenas , avec une afTez longue
chaîne , & logé dans un galetas fous un toît fort élevé. Un
matin que nous étions venus le vifiter, nous le trouvâmes dé-
chaîné , s’étant ôté ce collier en le tirant par deiïüs fa tête ; & nous
le vîmes monter, avec une merveilleufe agilité, contre les pou-
tres & les lattes obliques du toît , tandis que quatre hommes mirent
plus d’une heure à le rattrapper & à lui palier le collier par delfus
la tête. A cette occallon où je voulus affilier moi-même , nous
remarquâmes une force extraordinaire dans fes mufcles; on ne
parvint qu’avec beaucoup de peine à le coucher fur le dos , deux
hommes vigoureux eurent chacun affez à faire à lui ferrer les pieds,
l’autre à lui tenir la tête , & le quatrième à lui repalfer le collier
par delfus la tête & à le fermer mieux. Dans cet état de liberté,
l’animal
15
L’ORANG-OUTANG.
l’animal avoit entr’autres ôté le bouchon d’une bouteille conte-
nant un relie de vin deMallaga, qu’il but jufqu’à la derniere goûte ,
& remit enfuite la bouteille à fa même place.
Il mangeoit prefque de tout ce qu’on lui préfentoit. Sa nour-
riture ordinaire étoit du pain , des racines , en particulier des ca-
rottes jaunes , toutes fortes de fruits fur- tout des fraifes , mais
il paroifloit fingulièrement friand de plantes aromatiques , comme
du perfil & de fa racine. 11 mangeoit aufîï de la viande bouillie
ou rôtie & du poilfon. On ne le voyoit point chalfer aux In-
fectes , dont les autres Efpèces de Singes font d’ailleurs fi avides.
Lui ayant une fois donné une grolfe Araignée & une grolfe
Mouche, il les écrafa l’une & l’autre entre les dents, comme
pour les goûter , & les rejetta tout de fuite : Je lui préfentai de
même un Moineau vivant; il prit la ficelle attachée au pied de
l’oifeau , qui commençant à voler lui caufa beaucoup de peur ,
& lorfque fe fentant manier trop groffiérement , le Moineau l’eût
piqué au bras , il en fut encore plus effrayé , & parut y être
très fenfible. Enfin , l’ayant pincé à mort , il lui arracha quel-
ques plumes du corps, y mordit, en goûta la chair & le rejetta
bien vite. Dans la Ménagerie & lorfqu’il étoit déjà fort malade »
je l’ai vu manger une fois tant foit peu de viande crue, mais
fans aucune marque de goût. Je lui donnai un œuf crud , qu il
ouvrit des dents , & le fuça tout entier avec beaucoup d’appétit.
Suivant les avis du Cap , il y avoit vuidé quelques pots remplis
de couleur; mets dont il s’étoit trouvé fort indifpofé; mais au
moyen d’une bouteille d’huile douce qu’on lui fit prendre , & de
quelques lavemens onctueux, il fe rétablit très promptement. Le
rôti & le poiffon étoient fes alimens favoris. On lui avoit appris
à manger avec la cuilliere & la fourchette. Quand on lui don-
noit des fraifes fur une affiette , c’étoit un plaifir de voir com-
ment il les pjquoit une par une & les portoit à la bouche avec
la fourchette , tandis qu’il tenoit de l’autre main ou patte Fafîiette
ou la foucoupe. Sa boiffon ordinaire étoit l’eau ; mais il bu-
- voit
1 6 D E S C R I P T 1 0 N de
voit très volontiers toutes fortes de vin, & principalement le
Mallaga. Lui donnoit on une bouteille , il en droit le bouchon
avec la main , & bûvoit très bien dehors de meme que hors d’un
verre à bière, & cela fait, il s’efluyoit les lèvres comme une
perfonne, foie fimplement avec la main, ou avec un linge. Après
avoir mangé, fi on lui donnoit un cure- dent , il s’en fervoit au
même ufage que nous. Il droit fort adroitement du pain & au-
tres chofes hors des poches. On m’a alluré qu’étant à bord
du Navire il courait librement parmi l’Equipage , jouoit avec les
Matelots , & alloit quérir comme eux fa portion à la cuifine.
A l’approche de la nuit il alloit fe coucher; & les difpo-
fitions qu'on lui voyoit faire pour prendre fon repos avoient
quelque chofe de plus étonnant encore, que fa façon de man-
ger & de boire. Il ne dormoit pas volontiers dans fa loge ,
de peur , à ce qu’il me parut , d’y être enfermé. Lors donc
qu’il vouloir fe coucher , il arrangeoit le foin de fa litière ordi-
naire , le fecouoit bien , en apportoit davantage pour former fon
chevet, fe mettoit le plus fou vent fur le côté, & fe couvrait
chaudement d’une couverture , étant fort frilleux , quoique déjà
accoutumé au Cap à un climat plus froid que celui des Indes
Orientales. De tems en tems nous lui avons vu faire une chofe ,
qui' nous furprit extrêmement , fur-tout la première fois que nous
en fûmes témoins. Ayant préparé fi couche h l’ordinaire , il
prit un lambeau de linge qui étoit auprès de lui , l’étendit fort
proprement fur le plancher , mit du foin dans le milieu , & relè-
vant les quatre coins du linge par defiüs , porta ce paquet avec
beaucoup d’adrefie fur fon lit, pour lui fervir d’oreiller, tirant
enfuite la couverture fur fon corps. De jour il dormoit par in-
tervalles , mais pas longtems. Bien fouvent étant accroupi il s’affu-
bloit d’un habillement qu’il fe palfoit fur la tête , quelquefois
auffi feulement au col , & autour du corps , pour fe garantir du
froid, quoique ce fût en été & qu’il fît fort chaud; ce qui lui
donnoit une comique figure. Une fois me voyant , avec beau-
coup
L’O RANG-OUTANG. i?
coup d’attention , ouvrir à la clef, & refermer enfuite le
cadenas de fa chaîne , il faifit un petit morceau de bois , qui fe
trouvoit près de lui , le fourra dans le trou de la ferrure , le
tournant & retournant en tous fens , & regardant fi le cadenas
ne s’ouvroit pas. Comme l’animal étoit attaché par une forte
chaîne à une longue barre de fer , contre laquelle il montoit
quelquefois trop haut, jufques fur une des poutres du toît, je
fis , pour l’empêcher , clouer au plancher , par un crampon de
fer , un des anneaux de la chaîne ; furquoi ayant arraché , je ne
fais comment, un gros clou de cinq pouces de longueur de l’un
des ais de fa loge , il eflàya de tirer le crampon , fe fervant de
ce clou précifément comme d’un levier à cet effet.
Un jour on lui donna un petit Chat encore fort jeune ; il le
flaira par- tout , principalement au derrière, (ainfi qu’il l’avoit fait
au Moineau, & qu’il le faifoit presque de tout ce qu’on lui pré-
fentoit ) mais le Chat , trop rudement traité , lui ayant égratigné
le bras , il le jetta de côté , regardant fa bleflure , & ne voulut
plus toucher cette petite bête.
Quand il avoit uriné fur le plancher de fon gîte , il prenoit
quelquefois un chiffon de toile , & l’effuyoit fort proprement. Une
fois on lui a vu recevoir fon eau dans fa main ou patte, & la
boire , quoiqu’il eût étanché fa foif peu de momens auparavant.
D’abord en arrivant on l’avoit placé dans une chambre, auprès
d’une Armoire de bois de Noyer; fouvent il prenoit un de fes
chiffons, avec lequel il enlevoit foigneufement la pouffiere qui
s’attachoit fur le pied de l’Armoire.
Quand des Cavaliers en bottes venoient le voir , il fe fervoit
quelquefois auffi d’un petit balai à cendres , qui fe trouvoit près
de lui, pour nettoyer proprement leurs bottes. Il déboucloit de
même les fouliers des Spectateurs , avec autant d’adrefle qu’un
Domeftique pouvoit le faire.
. Tous nœuds faits en corde ou autrement , quelque ferrés &
redoublés qu’ils fûffent, il favoit fort habilement les défaire avec
C les
«
1
DESCRIPTION de
les doigts , ou , s’ils tenoient trop ferme , avec les dents ; mais il
ne paroilfoit point avoir de l’intelligence pour les former.
Lorfqu’il vouloic avoir quelque chofe à quoi fes mains ou
pattes de devant ne pouvoient atteindre , il le couchoit tout de
fon long fur le dos, à terre, & faififlbit l’objet avec les pieds de
derrière étendus ; & quelquefois il le fervoit auiïi , il cet effet ,
d’une longue bande de toile, dont il frappoit l’objet jufqu’à ce
qu’il fût à fa portée.
Ayant un verre , ou un baquet dans une main , & un bâton
dans l’autre , on avoit bien de la peine à le lui ôter , s’efquivant
& s’efcrimanc continuellement du bâton pour le conferver.
Jamais on ne l’entendoit poufilr quelque cri , fi ce n’efi: lors-
qu’il fe trouvoit feul , & pour lors c’étoit d’abord un fon appro-
chant de celui d’un jeune Chien qui hurle; enfuite îldevenoit très
rude & rauque; ce que je ne puis mieux comparer qu’au bruit
que fait une grolfe feie en palfant â travers le bois.
Nous avons déjà remarqué que cet animal avoir une force ex-
traordinaire ; mais elle étoit fur-tout apparente dans les pattes de
devant , ou mains , dont il fe fervoit à tout , comme font
toutes les autres Efpèces de Singes , pouvant lever <$t remuer
de très lourds fardeaux.
Ses excrémens , lorfqu’il fe portoit bien , étoient en crottes
ovales.
Une propriété des plus fingulières , & que je ne fâche pas avoir
encore été obfervée en aucun autre animal que celui-ci , c’eft
la fuivame :
Etant à la Ménagerie , en bonne lànté , quelqu’un lui cracha
dans la main ou patte ; il regarda la falive & la lécha , puis en
raffemblant lui - même dans fa bouche , on la lui vit cracher éga-
lement dans fa main , auffi naturellement qu’une Perfonne pou-
voit le faire. Sa falive étoit écumante comme celle de l’Homme.
Cette découverte cafuelle m’a été communiquée par mon fa-
vant Ami , Mr. L Tak, Doéteur en Médecine à Leide.
Après
L’ORANG-OUTANG. 19
Après avoir, comme je l’ai dit , gardé foigneufement près de
moi cet étonnant fujet , pendant quatre Termines , je 1 envoyai , le
28 Juillet de la même année, avec toutes les précautions poffi-
bles , en un logis expreffément préparé pour lui dans la Ména-
gerie. Au bout de quelques mois , qu’il s’étoit affez bien porté ,
la pauvre bête devint malade en Novembre , ( félon le fort qui
femble êrre attaché à cette Ménagerie) tremblant de tout Ton
corps, & ayant une forte dylfenterie: Une petite dofe de Rhu-
barbe, qu’on lui fit prendre, parut tout rétablir: Mais celà ne
fut pas de longue durée ; & , bientôt après , l’animal tomba dans
une maladie de langueur & de confomption, dont il mourut le
22 Janvier 1 777. Suivant les rapports , il avoir, peu de tems
auparavant , pouffé de grands gémiffemens , qui furent fuivis du
râlement à la gorge , & de quelques derniers foupirs , après avoir
ici vécu l’efpace d’environ fept mois.
Nous pourrions ici convenablement paffer , fuivant la coutu-
me, à notre propre Defcription de ce véritable Orang-Outang y
fi certaine remarque de Mr. G. Forster, dans la 2 de. Partie
de Ton Voyage autour du Monde, publié à Londres , en Anglois ,
en 1777, ne nous paroiffoit mériter une courte réfutation, tan-
dis que nous ne daignons pas répondre à d’autres miferables cri-
tiques anonymes. Nous difons donc naïvement , fans nous aider
de bas menfonges , à Ton exemple aulïï imprudent que peu géné-
reux , que ce Voyageur, fort probablement fur un faux rapport,
s’eft, 5 à tous égards, écarté de la vérité, dans fa Note au fujet
de f Orang-Outang . H feroit trop long de rapporter ici toutes les
circonftances de ce qui s’eft paffé après la mort de . cet animal ,
qui a été empaillé & placé dans le Cabinet du Prince avec la
pleine & entière approbation de Son Altesse Se'renis-
sime, touchant la conduite que j’ai tenue dans cette affaire , ce
dont un chacun , qui le defire , peut voir les preuves entre mes
mains , & même en lieu tiers. Il diffère fouvent beaucoup de
quelle façon on repréfente une chofe : c’eft ici préciféœent le
20
DESCRIPTION de
cas. J’ai feulement fait donner , dans le fens le plus rigoureux ,
ce que j’avois promis ; le Cabinet exigeoit ce rare animal : mon
Empailleur , réellement un très habile Artifte , auroit certaine-
ment bien juré, fi quelqu’un le lui eût demandé (mais chacun
l’en croira facilement ) qu’il ne pouvoit point empailler ce fujet
fans laiflerà la peau la tête & les pattes. Peut-être Mr. Forster.
en fait-il un moyen que nous ignorons. A l’égard defes accufa-
tions & de fes induftions , qui me concernent perfonnellement ,
je les lui pardonne, comme ayant été fort malheureufement in-
duit en erreur h cet égard , lui fouhaitant que de pareilles faufle*
tés n’aient point d’influence fur les Leéteurs de fa Relation, en
ce que la plupart fe croient en droit de prétendre, qu’un Voya-
geur examine , fouvent de plus d’un côté , les chofes qu’il ra-
conte , & qu’il voie un peu plus loin que fon nez.
DESCRIPTION
D E
L’O R A N G- O UT A N G
DES
INDES-ORIENTALES.
' Tab. XIV. Tab. XV.
S A hauteur , mefuré debout , étoît de deux pieds & demi
Rhénans. A fon arrivée en ce Pays , l’animal n’étoit point
maigre, mais fort bien en chair, quoique les pieds de devant
& de derrière ne fûflent nullement auflî mufculeux que le Pa-
yant Tu lp nous les repréfente dans fa Figure; mais le
ventre »
L’ORANG-OUTANG. . 21
ventre, fur -tout étant accroupi, étoit également gros & gonflé.
Cette femelle avoit les retins des mammelles fort petits & tout
près des ailfelles. Le nombril rdfembloit beaucoup il celui
d’une Perfonne.
Les pieds de devant , ou les bras , avoient depuis les ailfelles juf-
qu’au bout des doigts du milieu, 23 pouces. La main feule,
jufqu’au bout du doigt du milieu , 7 pouces. Le doigt du mi-
lieu 3^ pouces de long; le premier un peu plus court, le troi-
flème un peu plus long , le quatrième, ou le petit-doigt , beaucoup
plus court ; mais le pouce l’eft encore bien davantage. Tous
les doigts ont trois articulations , le pouce n’en a que deux ; ils
font tous garnis d’un ongle noir & rond.
Les jambes , depuis la hanche jufqu’au talon , avoient 20 pou-
ces , mais le fémur me parut h proportion beaucoup plus court
que’ le tibia. Les pieds , pofés à plat , étoient depuis le derrière
du talon jufqu’au bout du doigt ou orteil du milieu , longs de
8 pouces. Les jorteils des pieds font plus courts que les doigts
des bras ou pieds de devant ; celui du milieu eft auffi un peu
plus long que les autres , mais ici le pouce ou gros orteil eft
beaucoup plus court que celui de la main ovi des pieds de de-
vant. Les orteils font , ainfi que les doigts , à ongles noirs ; mais
le pouce ou gros orteil , qui n’a que deux articulations , eft
abfolument dépourvu d’ongle dans quatre fujets de cette Efpèce
Afiatique , qui me font connus : Peut-être eft-ce un caraftère
diftinftif de l’Efpèce Américaine , dont les pouces ou gros or-
teils parodient onguiculés.
Le côté intérieur des pieds de devant &de derrière eft entière-
ment nud, fans poil, revêtu d’une peau allez douce d un noir
fauve ; mais après la mort de l’animal , & pendant fa maladie , cette
peau étoit déjà devenue beaucoup plus blanche. Les doigts des
pieds de devant & de derrière étoient auffi fans poils.
Les cuifles ne font ni pelées ni calleufes comme aux autres
Efpèces de Singes , mais l’on ne pouvoit appercevoir ni feAf-s
C 3 . m
sa DESCRIPTION de
ni mollets aux jambes , non plus que le moindre indice de
queue.
La têce eft par -devant toute recouverte d’une peau chauve
couleur de fouris. Le mufeau , ou la bouche , eft un peu Tail-
lant , quoique pas tant qu’aux Efpèces de Magots ; mais l’animal
pouvoir auffi beaucoup l’avancer & le retirer. L’ouverture du
mufeau , ou de la bouche , de meme qu’à la plupart des quadru-
pèdes , eft fort large. Autour des yeux , fur les lèvres & fur
le menton , la peau étoit un peu plus couleur de chair. Les yeux
font d’un brun bleuâtre , dans le milieu noirs. Les paupières
tant inférieures que fupérieures , font garnies de petits cils fàillans.
On voit auffi quelques poils au-deüus des yeux, ce que l’on ne
peut pourtant pas bien nommer des fourcils. Le nez eft très
épaté & large vers le bas. Les dents de devant à la mâchoire
fupérieure font au nombre de quatre , fuivies , de chaque côté ,
d’un intervalle , après lequel , auffi de part & d’autre , vient une
dent macheliere, qui eft plus longue, &, là-delfus, de chaque
côté , l’on compte encore trois dents molaires , dont la derniere
eft la plus grofle. Le même ordre règne à la mâchoire inférieure.
Les dents font fort femblables à celles de l’Homme , &c donnoient à
connoître, par leur grofleur & leur largeur , un état de croillance
achevée. Le haut de la bouche en dedans , ou le palais , eft
de couleur noire; fous la langue, au contraire, c’eft la couleur
de chair ; les gencives autour des dents de la mâchoire inférieure
font auffi noires. La langue eft longue , arrondie par-devant ,
lifte & douce. Les oreilles font fans poil , & de forme humai-
ne, mais plus petites qu’elles ne font repréfentées par d’autres.
A fon arrivée , l’animal n’avoit point de poil , fi ce n’eft du
noir à la partie poftérieure du corps , fur les bras , les cuilfes
«Se les jambes. La tête , en-deffus ou derrière , la poitrine & le
ventre, n’offroient que la peau nuë , couleur de fouris. Sur les
bras on remarquoit la même direction du poil dont le Dr. Tyson
parle , favoir depuis l’épaule jufqu’au coude vers le bas , & de-
puis ‘
23
L’ORANG-OUTANG.
puis les mains ou pieds de devant vers le haut jufqu au coude,
c’eft à-dire en fens contraire. A l’approche de l’hyver l’animal
acquit beaucoup plus de poil; & lorlque Mr. H A AG, Peintre
de la Cour, en prit la figure, il avoit la tête affez bien garnie
d’un poil raz de couleur brune plus jaunâtre. Le dos , la poi-
trine ôc toutes les autres parties du corps étoient couvertes de
pareil poil châtain clair; deforte qu’il paroifïbit être un animal
tout différent. Les plus longs poils du dos avoient trois pouces.
i/
G -
*
% S
»
•a
»*
wn <*7J ! i
ï<A
. '{
i!ï Çi
*i l
-J X . . 1 J
1
« O A t ,
si rul
», a
:
t!» . ; i;
*».;{
, 5 'A*
• - X
•
t'b 2'
Sil'-VUifj V’
ii. os
i '
]► ■ : 'l.: r .7 V' ’ •■•: V p : :
-:': 3 cr g;*j'ü ' . : .- ;s l . / ■ . - . '‘V \
♦ %
' ■ -j
■*
, ' wV> / ,
-- ; - v ' ;
tr.
'*'o
*
* C \T
k ~ - \ !
«A 7*
4Î *k
r~
«
» */
* V
•• •;* .
. V • .•
r • «
f —
*■ #
«L
i
Toi. XV.