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DES TROP ES,
PAR
ML DUMARSAIS.
DES TROPES
o u
DES DIFFÉRENS SENS
Dans lesquels on peut prendre un même
mot dans une même Langue.
Ouvrage utile pour V intelligence des Au*
teurs y et qui peut servir d'introduction
à la Rhétorique et à la Logique.
ÇA**
Par M. DUMARSAIS,
NOUVELLE ÉDITION,
Plus correcte que les précédentes
A LYON,
Chez tournachon - molïn,
Imprimeur-Libraire.
AN XII. = 1804.
TABLE
DES ARTICLES
Contenus dans cet Ouvrage.
»»■— ■— I III «Il l ni I ■!
PREMIÈRE PARTIE.
Des Tropes en général.
A
RT. I* Idées générales des figures, pag. ï
II. Division des Figures. IQ
III. Division des figures de mots. II
IV. Définition des Tropes. IZ
y. Le traité des Tropes est du ressort de la.
Grammaire. On doit conoître les Tropes pour
bien entendre les auteurs , et pour avoir des
conoissances exactes dans Vart de parler et
d'écrire. 1 5
VI. Sens propre , Sens figuré. 18
VII. Réflexions générales sur le Sens figuré, ao
I. Origine du Sens figuré. Ibidem.
II. Usages ou éfets des Tropes. 2.T
III. Ce qu'on doit observer , eu ce qu'on doit
éviter dans l'usage des Tropes , et pourquoi
ils plaisent, 2.7
2.65 Table,
IV. Suite des Réflexions générales sur le Sens
figure. page 29
V. Observations sur les Dictionnaires Latins-
Français. 3 1
SECONDE PARTIE.
Des Tropes en particulier.
XjLrt. I. La Catachrèse. pag. 36*
Abus , Extension ou Imitation* ibidem»
lî. La Métonymie. J4
III. La Méta.lepse. 74
IV. La Synecdoque* 80
V. L'Antonomase. 93
VL 1/2 Comunicatioti dans les paroles* ïO£
VII. La Litote. 102,
VIII. L'Hyperbole. 104
IX. L'FIypotypose* IOT
X. £0 Métaphore. lia
Remarques sur le mauvais usages des Méta-
phores. Xyi2r
XL la Syllepse Oratoire. 1x6
XII. UÀiUgorie* ll3
Xilî. L1 Allusion* XJJ
NIV. V Ironie. 143
XV. L'Euphémisme* 145
XVI. L'Antiphrase* 1$6
XVII. La Périphrase* 159
XVIIL VHypdlage, ?éé
T A B t £r £67
XIX. L'Onomatopée. page Ï76
XX. Qu'un même mot peut être doublement
figuré. 178
XXI. De la Subordination des Tropes , ou du
rang qu'ils doivent tenir les uns à l } égard
des autres f et de leurs caractères particu-
liers. 1 80
XXII. I. Des Tropes dont on n'a point
parlé 9 etc. 184
XXIII. Que V usage et l'abus des Tropes sont de
tous les tems et de toutes les langues, 187
TROISIEME PARTIE,
D,
^es autres sens dans lesquels un même mot
peut être employé dans le discours, pag, I9Ï
L Substantifs pris adjectivement , Adjectifs fris
substantivement , Substantifs et Adjectifs pris
adverbialement. Ibidem.
II. Sens déterminé , Sens indéterminé. JE 97
III. Sens actif, Sens passif , Sens neutre. 19S
IV. Sens absolu , Sens relatif lo-J
V. Sens Collectif \ Sens dis tribut if. 204
VI. Sens équivoque , Sens louche. CLOJ
VIL Des jeux de Mots et de la Paronomase. Q.09
VIII. Sens composé, Sens divisé* 111
IX. Sens litéral, Sens spiritueU 213
Division du Sens litéral. ai 4
Division du Sens spiritueL 111
1. Sens moral. Ibidem.
2. Sens allégorique. HZ
J. Sens analogique 9 12 J
a68 T ArB l e.
X. Du Sens adapté , ou que Von donne par
allusion* 226
Remarques sur quelques passages adaptés à
contre~sens. 1TJ
Suite du Sens adapté. De la Parodie et des
Centons. iyz
XI. Sens abstrait , Sens concret. 239
Des termes abstraits. 24a
Réflexions sur les abstractions , pas* raport à
la manière d'enseigner. 2.52.
XII. Dernière Observation. S'il y a des mots
synonymes* %^S
Fin de la Table.
i/VVVVVVVVVVVVWWWWVVWWWV
DES TROPES,
ou
DES DIFÉRENS SENS
Dans lesquels onpeutprendreunmême
mot dans une même langue.
PREMIÈRE PARTIE.
Des Tropes en général.
ARTICLE PREMIER.
Idées générales des Figures.
A V AN T que de parler des Tropes en particu-
lier , je dois dire un mot des figures en généra! *
puisque les Tropes ne sont qu'une espèce de
figure.
On dit comunément que les figures sont des \
manières de parler éloignées de celles qui sonù
natureles et ordinaires : que ce sont de certains
tours et de certaines façons de s'exprimer , qui
s* éloignent en quelque chose de la manière com-
mune et simple de parler : ce qui ne veut dire
autre chose , sinon que les figures sont des ma-
nières de parler éloignées de celles qui ne sont
a D E S T R O P E S
pas figurées , et qu'en un mot les figures sont des
figures , et ne sont pas ce qui n'est pas figures.
D'ailleurs , bien loin que les figures soient des
manières de parler éloignées de celles qui sont
naturèles et ordinaires , il n'y a rien de si natu-
rel , de si ordinaire , et de si comun que les fi-
gures dans le langage des homes. M. de Brette-
ville (i) , après avoir dit que les figures ne sont
autre chose que de certains tours d'expression et
de pensée dont on ne se sert point comunément ,
ajoute « qu'il n'y a rien de si aisé et de si natu-
» rel. J'ai pris souvent plaisir , dit-il , à entendre
» des paysans ^entretenir avec des figures de dis*
» cours si variées, si vives , si éloignées du vul-
» gaire , que j'avois honte d'avoir si long-tems
» étudié l'éloquence , voyant en eux certaine
» rhétorique de nature beaucoup plus persuasive,
» et plus éloquente que toutes nos rhétorique»
21 artificièles ».
En éfet , je suis persuadé qu'il se fait plus de
figures un jour de marché à la Halle, qu'il ne
s'en fait en plusieurs jours d'assemblées accadé->
iniques. Ainsi , bien loin que les figures s'éloi-
gnent du langage ordinaire des homes, ceseroient
au contraire les façons de parler sans figures
qui s'en éIoigneroietit,s'il étoit possible de faire un
discours où il n'y eût que des expressions non
figurées. Ce sont encore les façons de parler re-
cherchées ,les figures déplacées , et tirées de loin,
qui s'écartent de la manière comune et simple
(%) Eloquence die la cliaireNet du. karresH. L. IÎÏ â çh, i*
EN GÉNÉRAL. $
de parler; corne les parures afectées s'éloignent
rie la manière de s'habiller , qui est e». usage
parmi leshonêtes gens.
Les apôtres étoient persécutés , et ils soufroient
patiemment les persécutions. Qu'y at- il de plus
naturel et de moins éloigné du langage ordinaire,
que la peinture que fait S. Paul de cette situa-
tion et de cette conduite des apôtres (i)?" Oa
» nous maudit, et nous bénissons: on nous pér-
ir» sécute y et nous soufrons la persécution : oa
» prononce des blasphèmes contre nous et nous
« répondons par des prières ». Quoiqu'il y ait
dans ces paroles de la simplicité, de la naïveté ,
et qu'elles ne s'éloignent en rien du langage
ordinaire;cependant elles contiènent une fort belle
figure qu'on apèle antithèse , c'est-à-dire , oppo-
sition : maudir est oposé à bénir , persécuter à
soufrir , blasphèmes à prières.
I! n'y a rien de plus comun que d'adresser \z
parole à ceux à qui Pou parle, et de leur faire
des reproches quand on n'est pas content de leur
conduite. O nation incrédule et méchante ! s'e-
crie Jésus-Christ, jusqnes à quand serai-je avec
vous ? jusques à quand aurai- je à vous soufrir (l) î
C'est une figure très-simple qu'on apèle apos-
trophe.
(î) MalecHcimur , et bcnecicimus : persecutionem pk-
timur , et sùstirieraus : blasphemàmur 3 et cbsccrâmiiv
t. Cor. c. v. 12.
(2) O generatlo incrédula et perversa , quousque es*
vebiscum \ Quousçue pàtur vos. M^tt. c. 17. v. ii.
A Z
4 DESTROPES
M. Fléchier (i)au comencement de son orai«
son. funèbre de M. de Turène , voulant donner
une idée générale des exploits de son héros, dit:
a conduites d'armées, sièges déplaces, prises de
» villes , passages de rivières , attaques hardies,
m retraites honorables, campemens bien ordonnés
3> combats soutenus , batailles gagnées , énemis
5> vaincus par la force, dissipés par l'adresse,
3> lassés par une sage et noble patience : Où peut-
3) on trouver tant et de si puissants exemples , que
» dans les actions d'un home, etc. ».
lime semble qu'il n'y a rien dans ces paroles
qui s'éloigne du langage militaire le plus simple ;
c'est là cependant une figure qu'on apèle congé
r/w , amas , assemblage. M. Fléchier la termine
en cet exemple, par un autre figure qu'on apele
interrogation , qui est encore une façon de parler
fort triviale dans le langage ordinaire.
Dans l'Andriène de Térence, Simon se croyant
trompé par son fils, lui dit: Qui d ais omnium ...(i)
Que dis-tu le plus..? vous voyez que la proposi-
tion n'est point entière ,mais le sens fait voir que
ce père vouloit dire à son fils r Que dis-tu le plus
méchant de tous les homes ? Ces façons de parler
dans lesquelles il est évident qu'il faut supléer
des mots , pour achever d'exprimer une pensée
que la vivacité de la passion se contente de faire
entendre, sont fort ordinaires dans le langage
des homes. On apèle cette figure ellipse , c'est-
à-dire, omission.
(i) Oraison funèbre de M. de Turène* fixordc^
<£) Andr.acu V% «• j, r. $•
t N GÉNÉRAL J
Il y a , à la vérité, quelques figuresqui ne sont
usitées que dans le style sublime : telle est lapro-
sopopée , qui consiste à faire parler un mort ,
une personne absente, ou même les choses ina-
nimées (l).<< Ce tombeau s'ouvriroit , ces osse-
» mens se rejoindroient pour me dire :Pourquoi
v viens-tu mentir pour moi, qui ne mentis jamais
;? pour personne ? Laisse-moi reposer dans le
» sein de la vérité , et ne viens pas troubler ma
» paix , par la flaterie que j'ai haïe ». C'est ainsi
que M. Flécier prévient ses auditeurs , et les as-
sure par cette prosopopée , que la flaterie n'aura
point de part dans l'éloge qu'il va faire de M. le
ducde Montausier.
Hors un petit nombre de figures semblables
réservées pour le style élevé , les autres se trou-
vent tous les jours dans le style le plus simple ,
et dans le langage le plus cbnran.
Qu'est-ce donc que les figuresîCe mo? se prend
ici lui-même dans un sens figuré. C'est une méta-
phore. Figure 9 dans le sens propre , est la forme
extérieure d'un corps. Tous les corps sont éten-
dus ; mais outre cette propriété générale d'être
étendus , ils ont encore chacun leur figure et leur
forme particulière , qui fait que chaque corps
paroit à nos yeux diférent d'un autre corps ; il
en est de même des expressions figurées ; elles
font d'abord connoître ce qu'on pense; elles ont
d'abord cette propriété générale qui convient à
toutesles phrases et à tous les assemblages de
(i) Oraison funèbre de M. de Montausier.
A3
ê DESTROPES
mot , et qui consiste à signifier quelque chose ,
en vertu de la construction grammaticale; mais
déplus les expressions figurées ont encore une
modification particulière qui leur est propre ,
et c'est en vertu de cette modification particu-
lière que Ton fait une espèce à part de chaque
sorte de figure.
V antithèse , par exemple , est distinguée de*
autres manières de parler , en ce que , dans cet
assemblage de mots qui forment l'antithèse , les
mots sont oposés les uns aux autres ; ainsi quand
on rencontre des exemples de ces sortes dépo-
sitions de mots , on les raporte à l'antithèse.
U apostrophe est diférente des autres énoncia-
tions , parce que ce n'est que dans l'apostrophe
qu'on adresse tout d'un coup la parole à quelque
personne présente ou absente , etc.
Ce n'est que dans la prosopopée que Ton fait
parler les morts, les absens , ou les êtres inani-
més: il en est de même des autres figures, elles
ont chacune leur caractère particulier y qui les
distingue de autres assemblages des mots , qui
font un sens dans le langage ordinaire des homes.
Les grammairiens et les rhéteurs ayant fait des
observations sur les diférentes manières déparier;
ils ont fait des classes particulières de ces difé-
rentes manières , afin de mettre plus d'ordre et
d'arangement dans leurs réflexions. Les manières
de parler dans lesquelles ils n'ont remarqué d'autre
propriété que celle de faire conoître ce qu'on
pense , sont apelées simplement phrases 9 expres-
sions , périodes y mais celles qui expriment non
EN GÉNÉRAI. 7
seulement des pensées , mais encore des pensées
énoncées d'une manière particulière qui leur
donne un caractère propre, celles-là , dis-je,sont
apelées/zg-wre.?, parce quelles paroissent , pour
ainsi dire, sous une forme particulière, et avec
ce caractère propre qui les distingue les unes des
autres, et de tout ce qui n'est que phrase ou ex-
pression.
M. de la Bruyère dit (1) « qu'il y a de cer-
» taines choses dont la médiocrité est insuporta-
s> ble: ta poésie, la musique, la peinture, et le
j> discourspublic.il n'y a point là défigure;
c'est-à-dire, que toute cette phrase ne fait autre
chose qu'exprimer la pensée de M. de la Bruyère,
sans avoir de plus un de ces tours qui ont un
caractère particulier. Mais , quand il ajoute ,
« Quel supliceque d'entendre déclamer pompeu-
» sèment un froid discours, ou prononcer de mé-
» diocres vers avec emphase ! » c'est la même
pensée ; mais de plus elle est exprimée sous la
forme particulière de la surprise , de l'admira-
tion ; c'est une figure.
Imaginez-vous pour un moment une multitude
de soldats , dont les uns n'ont que l'habit ordi-
naire qu'ils avoient avant leur engagement, et
les autres ont l'habit uniforme de leur régiment:
ceux-ci ont tons un habit qui les distingue , et
qui fait conoître de quel régiment ils sont; les
tins sont habillés de rouge, les autres de bleu ,
de blanc , de jaune , etc. Ii en est de même des
(1) Caractère* des Ouvrages de l'esprit.
-M
# ©ESTROPES
assemblages des mots qui composent le disconrs;
un lecteur instruit raporte un tel mot , une telle
phrase à une telle espèce de figure, selon qu'il
y reconoît la forme , le signe , le caractère de cette
figure; les phrases et les mots ,qui n'ont la mar-
que d aucune figure particulière, sont corne les
soldats qui n'ont l'habit d aucun régiment : elles
n'ont d'autres modifications que celles qui sont
nécessaires pour faire conoître ce qu'on pense.
Il ne faut point s'étoner si les figures, quand
elles sont employées à propos, donent de la vi-
vacité , de la force, ou de la grâce au discours;
car outre la propriété d'exprimer les pensées ,
corne tous les autres assemblages de mots , elles
ont encore , si j'ose parler ainsi , l'avantage de
leur habit , je veux dire, de leur modification
particulière , qui sert à réveiller l'attention , à
plaire ou à toucher.
Mais, quoique les figures bien placées embe-
llissent les discours , et qu'elles soient , pour ainsi
dire , le langage de l'imagination et des passions;
il ne faut pas croire que le discours ne tire ses
beautés que des figures. Nous avons plusieurs
exemples en tout genre d'écrire,où toute la beauté
consiste dans la pensée exprimée sans figure. Le
père des trois Horaces ne sachant point encore
le motif de la fuite de son fils, aprend avec
douleur qu'il n'a pas résisté aux trois Curiaces.
Que voulie^vous qu'il fît contre trois ? lui
dit Julie: qu'il mourût , répond le père (i).
(i) Corneille, Horaces , Au . III , se. 3.
EN GÉNÉRAL 9
Dans une autre tragédie de Corneille (1), Pru-
siasdit qu'en une occasion dont s'agit , il veut
se conduire enpère , enmari* Nesoyezni l'un ni
l'autre , lui dit Nicomède :
p r u s I a s
Et que dois-je être?
NICOMÈDE.
Roi.
Il n'y a point là de figure, et il y a cepen-
dant beaucoup de sublime dans ce seul mot,
Voici un exemple plus simple.
ïïn vain pour satisfaire à nos lâcïies envies ,
Nous passons près des rois tout ie temps de nos vies,
A soufrir àes mépris à ployer les genoux :
Ce qu'ils peuvent n'est rien ; ils sont ce que nous somes ,
Véritablement nomes ,
Et meurent corne nous (2).
Je pourois raporter un grand nombre d'exem-
ples pareils , énoncés sans figure , et dont la pen-
sée seule fait le prix. Ainsi , quand on dit que
les figures embélissent le discours , on veut dire
seulement , que dans les ocasions où les figures
ne seroient point déplacées , le même fonds de
pensée sera exprimé d'une manière ou plus vive
ou plus noble , ou plus agréable par le secours des
figures , que si on l'exprimoit sans figures.
De tout ce que je viens de dire , on peut for-
mer cette définition des figures : Les figures sont
des manières déparier distinctement des autres,
par une modification particulière , qui fait qu'on
(1) Idem , Nicomède , act, IV 9sc. 3.
(2) Malherbe. Li\\ 1. Paraph. du Ps. CXL
V.
A5
ÎO 1>E-STR0*ES
les réduit chacune à une espèce à part , et qui
les rend, oifplus vives , ou plus nobles , ou plus
agréables que les manières de parler qui expri-
ment le même fonds de pensée , sans avoir d'autre
modification particulière.
» iii. .... » i .■ an ■ i ■ „ i i ii mntk
ARTICLE IL
Division des Figures.
On divise les figures en figures de pensées, ^z-
g'irce sentcntiàrum , Sckémata : et en figures d&
mots , figura* verborum. I! y a cette diférence , dit
Cicéron (î)r entre les figures de pensées et les
figures de mots ,, que les ligures de pensées dé-
pendent uniquement du tour de l'imagination ;
elles ne consistent que dans la manière particu-
lière de penser ou de sentir , ensorte que la figure
demeure toujours la même , quoiqu'on viène à
changer les mots qui l'expriment, De quelque
manière que M. Fiéehier eût fait parler M. de
Montausier dans la prosopopée que j'ai raportée ci-
dessus, il auroit fait uneproscpopée.Aœcontraire,
îes figures des mots sont telles que si vous chan-
gez les paroles ,1a figure s'évanouit ;par exemple^,
lorsque parlant dune armée navale, je dis
qu'elle étoit composée de cent voiles ; c'est une
figure de mots dont nous parierons dans lasuite;
yoiles est là pour vaisseaux : que je substitue Is
mot de vaisseaux à celui de voiles , j'exprime éga-
lement ma pensée ; mais il n'y a plus de figure,
(i) Inter conformationem verborum et sententiàrum
Iiog interest , quod verborum tollitur, si veiba mutàris ;
sententiàrum perraanet , quibuscmn ven>is mi velis. Ciç*
fc OrattLib, ÎÎL n% atj. aliter LIL
B N GÉNÉRAL Jï
ARTICLE III.
Divisions des figures des mots.
Il y a quatre diférentes sortes de figures qui
regardent les mots.
î.g Celles que ies grammairiens apèlent figures
de diction : elles regardent les changemens qui
arivent dans les lettre s ou dans les syllabes des
mots ; telle est , par exemple , la syncope , c'est
le retranchement d'une lettre ou d'une syllabe
au milieu d'un mot, scuta virûm pour virorum.
a.0 Celles qui regardent uniquement ia cons-
truction ; par exemple , lorsqu'Horace (i) parlant
de Cléopatre , dit monstrum , quœ.„ nous disons
en français la plupart des homes disent , et noa
pas dit. On fait alors la construction selon le sens
Cette figure s'apèle syllepse. J'ai traité ailleurs de
ces sortes de figures, ainsi je n'en parlerai point ici.
3.0 Il y a quelques figures de mots , dans les-
quelles les mots conservent leur signification pro-
pre, telle est la répétition , etc. C'est aux rhé-
teurs à parler de ces sortes de figures , aussi bien
que des figures de pensées. Dans les unes et dans
les autres , la figure ne consiste point dans le
changement de signification des mots^ainsi elles
ne sont point de mon sujet.
; 4.9 Enfin , il y a des figures de mots qu'on
apèle tropes ; les mots prènent par ces figures des
significations diférentes de leur signification
propre. Ce sont là les figures dont j'entreprends de
parler dans cette partie delà grammaire.
(1) Liv. ïm Ode 37 , y. 21, A 6
1% DES TROPES
ARTICLE I V.
Définition des Tropes*
Les Tropes sont des figures par lesquelles on
fait prendre à un mot une signification qui n'est
pas précisément la signification propre de ce mot ;
ainsi, pour entendre ce que c'est qu'un trope , il
faut comencer par bien comprendre ce que c'est
que la signification propre d'un mot ; nous l'ex-
pliquerons bientôt.
Ces figures sont apelées tropes du grec
îropos conversio , dont la racine est trepo , verto,
je tourne. Elles sont ainsi apelées , parce que
quand on prend un mot dans le sens figuré r on
le tourne ,. pour ainsi dire, afin de lui £faire
signifier ce qu'il ne signifie point dans le sens
propre : voiles dans le sens propre ne signifie point
vaisseaux > les voiles ne sont qu'une partie du
vaisseau : cependant voiles se dit quelquefois pour
vaisseaux , comme nous l'avons déjà remarqué.
Les tropes sont des figures, puisque ce sont
des manières de parler % qui , outre la propriété
de faire conoître ce qu'on pense, sont encore
distinguées par quelque diférence particulier e,qui
fait qu'on les raporte chacune à une espèce à part.
Il y a dans les tropes une modification ou di-
férence générale qui les rend tropes % et qui les
distingue des autres figures : elle consiste en ce
qu'un mot est pris dans une signification qui n'est
pas précisément sa signification propre ; mais de
çlus chaque trope difère d'un autre trope r et
EN GÉNÉRAL. I j
cette diférence particulière consiste dans la ma-
nière dont un mot s'écarte de sa signification pro-
pre , par exemple : // n'y a plus de Pyrénées , dit
Louis XIV d'immortèle mémoire , lorsque son
petit-fils le duc d'Anjou^aujourd'hui Philippe V,
fut apelé à la couronne d'Espagne. Louis XiV
vouloit-il dire que les Pyrénées avoient été abîmées
ou anéanties ? nuïement : persone n'entendit
cette expression à la lettre, et dans.Je sens propre;
elle avoit un sens figuré. Boileau faisant allusion,
à ce qu'en 1664, le Roi envoya au secours de
l'Empereur des troupes qui défirent les Turcs ,
et encore à ce que sa majesté établi la compagnie
des Indes, dit :
Quand je vois ta sagesse . . . .(1)
Rendre à l'Aigle éperdu sa première vigueur ,
La France sous tes loix maîtriser la fortune.
Et nos vaisseaux donnant l'un et l'autre Neptune... ,
Ni Y Aigle ni Neptune ne se prènent point là
dans le sens propre. Telle est la modification ou
diférence générale qui fait que ces façons de
parler sont des tropes.
Mais quelle espèce particulière de trope? cela
dépend de la manière dont un mot s'écarte de sa
signification propre pour en prendre une autre»
Les Pyrénées dans le sens propre , sont de hautes
montagnes qui séparent la France et l'Espagne.
Il ny a plus de Pyrénées , c'est-à-dire de plus ds
séparation , plus de division , plus de guerre : il
n'yauraplus à l'avenir qu'une boné intelligence
Cintre la France et l'Espagne: c'est une métonymie
(1) Discours au Roi.
Ï4 DES ÏROPES
du signe, ou une métalepse : les Pyrénées ne
seront plus un signe de séparation.
L'algie est le symbole de l'Empire: l'empereur
porte un aigle à deux têtes dans ses armoiries .*
ainsi , dans l'exemple que je viens de raporter
l'aigle signifie l'Allemagne, C'est le signe pour la
chose signifiée : c'est une métonymie.
Neptune étoit le Dieu de la mer, il est pris
danslemêmeexempepour l'Océan , pour la mer
des Indes orientales et occidentales : c'est encore
une métonymie. Nous remarquerons dans la suite
ces diférences particulières quifontles diférentes
espèces de tropes.
Il y a autant de tropcs qu'il y a de manières
diférentes , par lesquelles on done à un mot une
signification qui n'est pas précisémenda signifies*
tion propre de ce mot. Aveugle dans îe sens propre
signifie une personne qui est privée de l'usage de
la vue : si je rae sers de ce mot pour marquer
ceux qui ont été guéris de leur aveuglement , (i)
corne quand Jésus-Christ a àk,les aveugles voient,
alors aveugles n'est plus dans le sens propre , il
est dans un sens que les philosophes apèîent sens
divisé : ce sens divisé est un trope , puisqn'alors
aveugles signiie ceux qui ont été aveugles, et
non pas ceux qui le sont. Ainsi, outre les tropes
dont on parle ordinairement, j'ai a U qu'il ne seroit
pas inutiles ni étranger à mon sujet , d'expliquer
encore ici les antres sens dans lesquels U£ même
oot peut être pris dans le discours»
(i) Matt. c. XI , v. $.
EN GÉNÉRAL
ARTICLE V.
Le traité des Trop» s est du ressort de la Gram-
maire., On doit conoître les Tropes pour bien
entendre les auteurs , et pour avoir des conois-
sartçes exactes dans Fart de parler et d'écrire,
Au reste , ce traité me paroît être une partie
cssentièle de la grammaire; puisqu'il est du res-
sort delà grammaire de faire entendre la véritable
signification des mots , et en quel sens ils sont
employés dans le discours.
Il n'est pas possible de bien expliquer l'auteur
même le plus facile, sans avoir recours aux
conoissances dont je parle ici. Les livres que l'on.
met d'abord entre les mains des començans ,
aussi bien que les autres livres r sont pleins de
mots pris dans des sens détournés et éloignés de
la première signification de ces mots ; par
exemple.
Tityre jtupatuîaî recubans suh tegmine fagi,
Sylvestrem teum musam médita ris avenâ (l).
Vous médite^ une muse , c'est-à-dire , unt
chanson , vous vous exerce^ à chanter. Les Muses-"
étoient regardées dans le Paganisme corne les
déesse? qui inspîroient les poètes et les musiciens;
ainsi Muse se prend ici pour la chanson même,
c'est la cause pour l'éfet ; c'est une métonymie
particulière, qui étoit en usage en iatra \ nous
l'expliquerons dans la suite.
OOVirf.ÇcLLv.i,
lé DESTB.OPES
Avena , dans le sens propre , veut dire de
Vaveine: mais parce que les bergers se servirent
de petits tuyaux de blé ou d'aveine pour en faire
une sorte de flûte , corne font encore les enfans
à la campagne : delà , par extension , on aapelé
avêna un chalumeau , une flûte de berger.
On trouve un grand nombre de ces sortes de
figures dans le nouveau Testament , dans l'Imi-
tation de J. C. , dans les fables de Phèdre, en
un mot , dans les livres mêmes qui sont écrits
le plus simplement, et par lesquels on comence:
ainsi , je demeure toujours convaincu que cette
partie n'est point étrangère à la grammaire ,
et qu'un grammairien doit avoir une conois-
sance détaillée des tropes.
Je conviens (i) , si Ton veut, qu'on peut
bien parler sans jamais avoir apris les noms
particuliers de ces figures. Combien de persones
se servent d'expressions métaphoriques , sans
savoir précisément ce que c'est que métaphore ?
C'est ainsi qu'il y avoit plus de 40 ans que le
Bourgeois-Gentilhome disait de la prose , sans
qu'il en sût rien (a). Ces conoissances ne sont
d'aucun usage pour faire un compte > ni pour
bien conduire une maison , corne dit Mr.
Jourdain (3) , mais elles sont utiles et nécessaire
à ceux qui ont besoin de l'art de parler et
d'écrire; elles mettent de l'ordre dans les idées
qu'on se forme des mots ; elles servent à
démêler le vrai sens des paroles , à rendre raison
(1) Réponse à un objection.
(a) Molière, Bourgeois Gentilhom > azU II. sz.fr
(3) Ibid , azu III % sz. 3.
EN GÉNÉRAL. 17
du discours , et donent de la précision et de la
justesse.
Les Sciences et les Arts ne sont que des
observations sur la pratique : l'usage et la
pratique ont précédé toutes les sciences et tous
les arts; mais les sciences et les arts ont ensuite
perfectioné la pratique. Si Molière n'avoit pas
étudié lui-même les observations détaillées de
l'art de parler et d'écrire , ses pièces n'auroient
été que des pièces informes , où le génie , à la
vérité , auroit paru quelquefois, mais qu'on
auroit renvoyées à l'enfance de la comédie :
ses talens on été perfectionés par les observa-
tions , et c'est l'art mtme qui lui a apris à
saisir le ridicule d'un art déplacé.
On voit tous les jours des persones qui chan-
tent agréablement, sans conoître les notes, les
clés, ni les règles delà musique; elles ont
chanté pendant bien des années des sol et des
fa , sans le savoir ; faut-il pour cela qu'elles
rejètent les secours qu'elles peuvent tirer de la
musique pour perfectioner leur talent ?
Nos pères ont vécu sans conoitrela circulation
du sang ; faut-il négliger la conoissance de
l'anatomie ? et ne faut -il plus étudier la
physique, parce qu'on a respiré pendant plusieurs
siècles sans savoir que l'air eût de la pesanteur
et de l'élasticité ? Tout a son tems et ses usages,
et Molière nous déclare dans ses préfaces ,
qu'il ne se moque que des abus et du ridicule.
ï8 BES TROPES
ARTICLE VI.
Sens propre , Sens figuré,
AVANT que d'entrer dans le détail de chaque
trope,il est nécessaire de bien comprendre la
diférence qu'il y a entre le sens propre et le sens
figuré.
Un mot est employé dans le discours,oudans
Je sens propre, ou en général dans un sens figuré,
quel que puisse être le nom que les rhéteurs don-
nent ensuite à ce sens figuré.
Le sens propre d'un mot , c'est la première
signification du mot. Un mot est pris dans le
sens propre, lorsqu'il signifie ce pourquoi il a
été premièrement établi ; par exemple : Le feu
h >r aie , la lumière nous éclaire , tous ces mots là
sont dans le sens propre.
Mais quand un mot est pris dans un autre sens
îlparoîî alors, pour ainsi dire , sous une forme
empruntée, sous une figure qui n'est pas sa
figure naturèie , c'est-à-dire , celle qu'il a eue
d'abord ; alors on dit que ce mot est au figuré ;
par exemple : Le feu de vos yeux , le feu de
l 'imagination , la lumière de V esprit , la clarté
d'un discours.
Masque , dans le sens propre, signifie une sorte
de couverture de toile cirée ou de quelque autre
matière, qu'on se met sur le visage pour se dé-
guiser ou pour se garantir des injures de Tain
EN GÉNÉRAL 19
Ce n'est point dans ce sens propre que Malherbe
prenoit le mot de masque , lorsqu'il disoit qu'à
la Cour il y avoit plus de masques que cle
visages : masque est là dans un sens figuré ,
et se prend pous persones dissimulées ,pour ceux
qui cachent leurs véritables sentimens , qui se
démontent , pour ainsi dire, le visage , et prè-
nent des mines propres à marquer une situation
d'esprit et de cœur toute autre que celle où ils
sont éfectivement.
Ce mot voix , (vox) a été d'abord établi pour
signifier le son qui sort de la bouche des ani-
maux, et sur-tout de la bouche des homes. On
dit d'un home , qu'il a la voix mâle ou féminine ,
douce ou rude, claire ou enrouée, foible ou forte
enfin aiguë, flexible, grêle, cassée, etc. En
toutes ces occasions , voix est pris dans le sens
propre, c'est-à-dire, dans le sens pour lequel ce
mot a été d'abord établi : mais quand on dit que
le mensonge ne sauroitétoufer la voix de la vérité
dans le fond de nos cœurs , alors voix est au
figuré, il se prend pour inspiration intérieure ,
remords, etc. On dit aussi que tant que le peuple
Juif écouta la voix de Dieu , c'est-à-dire, tant
qu'il obéit à ses commandemens,?*/ en fut assisté.
Les brebis entendent la voix du pasteur , on ne
veut pas dire seulement qu'elles reconnoissent sa
voix , et la distinguent de la voix d'un autre
home, ce qui seroit le sens propre; on veut
marquer principalement qu'elles lui obéissent ,
ce qui est le sens figuré. La voix du sang , la voix
de la nature , c'est-à-dire , les mouvemens in:é-
2LO D ES TROHS
rieurs que nous ressentons à l'occasion de quelque
accident arrivé à un parent , etc. La voix du
peuple est la voix de Dieu , c'est-à-dire, que
le sentiment du peuple , dans les matières qui sont
de son ressort, est le véritable sentiment.
C'est par la voix qu'on dit son avis dans les
délibérations , dans les élections , dans les as-
semblées ou il s'agit de juger ; ensuite , par ex-
tension , on a apelé voix ,1e sentiment d'un par-
ticulier , d'un juge ; ainsi en ce sens , voix signifie
avis , opinion , sufrage , il a eu toutes les voix ,
c'est-à-dire , tous les sufrages ; briguer les voix,
la pluralité dej voix ;il vaudr oit mieux , s'il étoit
possible , peser les voix , que de les compter ,
c'est-à-dire , qu'il vaudroit mieux suivre Favis.
de ceux qui sont les plus savans et les plus sensés,
que de se laisser entraîner au sentiment aveugle
du plus grand nombre.
Voix signifie aussi dans un sens étendu ^gémis-
sement , prière. Dieu a écouté la voix de son
peuple , etc.
Tous ces diférens sens du mot voix qui ne
sont pas précisément le premier sens , qui
seul est le sens propre , sont autant de sens
figurés.
ARTICLE VII.
Reflexions générales sur le Sens figuré.
I. Origine du Sens figuré,
La liaison qu'il y a entre les idées acessoires,
je yeux dire , entre les idées qui ont raport les
EN GÉNÉRAL II
unes aux autres , est la source et le principe des
divers sens figurés que l'on done aux mots. Les
objets qui font sur nous des impressions , sont
toujours acompagnés de diférentes circonstances
qui nous frapent, et par lesquelles nous désignons
souvent, ou les objets mêmes qu'elles n'ont fait
qu'acompagner , ou ceux dont elles nous réveil'
lent le souvenir. Le nom propre de l'idée acces-
soire estsouvent plus présent à l'imagination que
le nom de l'idée principale, et souvent aussi ces
idées accessoires désignant les objets avec plus
de circonstances que neferoient les noms propres
de ces objets , les peignent ou avec plus d'énergie,
ou avec plus d'agrément. De-là , lesignepourla
chose signifiée,la cause pour l'éfet, la partie pour
le tout , l'antécédent pour le conséquent , et les
autres tropes dont je parlerai dans la suite. Corne
Tune de ces idées ne sauroit être réveillée sans
exerciter l'autre,il arrive que l'expression figurée
est aussi facilement entendue que si l'on se ser-
voit du mot propre; elle est même ordinairement
plus vive et plu» agréable quand elle est employée
à propos , parce qu'elle réveille plus d'une image^
elle attache ou amuse l'imagination et done ai-
sément à deviner à l'esprit.
1 1. Usages ou éfets des Tropes*
>
i. Un des plus fréquens usages des Tropes ,
c'est de réveiller une idée principale , par le moyea
de quelque idée accessoire : c'est ainsi qu'on dit
cent voiles pour ceat vaisseaux ; cent feux pou»
2,2 DES TROPES
cent maisons ; il aime la bouteille , c'est-à-dire,
il aime le v'm ; le fer pour l'épée ; la plume ou
le style pour la manière d'écrire , etc.
2.. Les tropes donnent plus d'énergie à nos ex-
pressions. Quand nous somes vivement frapés de
quelque pensée, nous nous exprimons rarement
avec simplicité; l'objet qui nous ocupe se présente
à nous , avec les idées accessoires qui raccom-
pagnent , nous prononçons les noms de ces ima-
ges qui nous frâpent , ainsi nous avons naturel-
lement recours aux tropes , d'où il arrive que
nous fesons mieux sentir aux autres ce que nous
sentons nous-mêmes : de-là viènent ces façons
de parier , il est enjlamé de colère , il est tombé
dans une erreur grossière , flétrir la réputation ,
s* enivrer de plaisir , etc.
3. Les tropes ornent le discours. M. Fléchier
voulant parler de l'instraction qui disposa M. le
duc de Montausier à faire abjuration de l'hé-
résie , au lieu de dire simplement qu'il se fit
instruire ? que les ministres de J. C. lui aprirent
les dogmes de la religion catholique, et lui dé-
couvrirent les erreurs de l'hérésie , s'exprime
en ces ternies : « Tombez, tombez , voiles im-
?f portons qui lui couvrez la vérité de nos mys-
î7 tères : et vous prêtres de J. C. prenez le glaive
79 de la parole , et coupez sagement jusqu'aux
» racines de l'erreur , que la naissance et l'édu-
t> cation avoient fait croître dans son ame. Mais
*> par combien de liens étoit-il retenu » ?
Outre l'apostrophe , figure de pensée , qui
se trouve dans ces paroles , les tropes en font te
EN GiNÉRAl, 23
principal ornement : Tombt\ voiles, couvre\^
prene\ le glaive , coupei jusqu'aux racines , croî-
tre , liens , retenu ; toutes ces expressions sont
autant de tropes qui forment des images, dont
-l'imagination est agréablement ocupée.
4. Les tropes rendent le discours plus noble :
les idées comunes auxquelles nous somes acou-
tumés , n'excitent point en nous ce sentiment
d'admiration et de surprise , qui élève l'ame :
en ces ©casions on a recours aux idées acces-
soires, qui prêtent, pour ainsi dire, des habits
plus nobles à ces idées comunes. Tous les hom~
mes meurent également ; voilà une pensée
commune : Horace a dit :
Pallida mors , aequo pede puisât pauperum tabernas
Reguinque turres (1)
On sait la paraphrase simple et naturèle qu©
Malherbe a faite de ces vers,
La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles t
On a beau la prier ;
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles ,
Et nous laisse crier (2),
Le pauvre en sa cabanne 5 cù le chaume je couvre 9
Est sujet à ses lois ,
Et la garde qui veille aux bariêres du Louvre ,
N'en défend pas nos rois.
Au lieu de dire que c'est un Phénicien qui
a inventé les caractères de l'écriture , ce qui
seroit une expression trop simple pour la poésie s
Brébeuf a dit :
(1) Lib. ï. Od. 4.
(2). Mal herbe-, VI*
14 DES TROP BS
C'est de lui que nous vient cet art ingénieux (i) ,
De peindre la parole et de parler aux yeux ,
Et par les trait* divers de figures tracées ,
Ponner de la couleur et dn corps aux pensées (2).
5, Les tropes sont d'un grand usage pour dé-
guiser des idées dures , désagréables , tristes ,
ou contraires à la modestie ; on en trouvera des
exemples dans l'article de l'euphémisme, et dans
celui de la périphrase,
6. Enfin les tropes enrichissent une langue en
multipliant l'usage d'un même mot , ilsdonent
à un mot une signification nouvelle , soit parce
qu'on l'unit avec d'autres mots , auxquels sou-
vent il ne peut se joindre dans le sens propre ,
soit parce qu'on s'en sert par extension et par
ressemblance , pour supléer aux termes qui man-
quent dans la langue.
Mais il ne faut pas croire avec quelques sa-
vans , que les tropes n'aient d'abord été inven-
tés que par nécessité 9 à cause du défaut et de
la disette des mots propres , et qu'ils aient con-
tribué depuis à la beauté et à V ornement du dis-
cours , de même à peu près que les vetemens ont
été employés dans le comencement peur couvrir
le corps et le défendre contre le froid , et ensuite
ont servi à Vembélir et à V orner ( 3. ) Je ne crois
(1) Pnarsale , Life. IXI.
(2) Pnasnices primi , famaj si creditur , ausi.
Mansuram rudibus vocem signare figuris. Zib. ni.
y, 2.20. Lucan,
(3) Manière d'enseigner et d'étudier les Belles-Lettres f
par M. Rollin , tome II , p. 246. et Gc. de Oratore ,n. 155.
aliter xxxviii. Yess* insu orat. L, iv. c. v^ n. 14.
pas
EN GENERAL. 1$
pas qu'il y ait un assez grand nombre de mots
qui suplcent à ceux qui manquent , pour pou-
voir dire que tel ait été le premier et le principal
«sage des tropes. D'ailleurs ce n'est point là ,
ce me semble, la marche, pour ainsi dire, de
ta nature ; l'imagination a trop de part dans le
langage et dans la conduite des hommes , pour
avoir été précédée en ce point par la nécessité.
Si nous disons d'un homme qui marche avec
trop de lenteur , qu'*7 va plus lentement qu'une
tortue , d'un autre , qu'il va plus vite que le
vent , d'un passioné , qu'il se laisse emporter
au torrent de ses passions , etc. c'est que la vi-
vacité avec laquelle nous ressentons ce que nous
voulons exprimer, excite en nous ces images,'
nous en somes ocupés les premiers , et nous
nous en servons ensuite pour mètre en quelque
sorte devant les yeux àzs autres ce que nous
voulons leur faire entendre. Les homes n'ont
point consulté , s'ils avoient ou s'ils n'avoient
pas des termes propres pour exprimer ces idées ,
ni si l'expression figurée seroit plus agréable
que l'expression propre ,* ils ont suivi les mon*
vemens de leur imagination , et ce que leur ins-
piroit le désir de faire sentir vivement aux autres
ce qu'ils sentoient eux-mêmes vivement. Les rhé-
teurs ont ensuite remarqué que telle expressioa
étoit plus noble , telle autre plus énergique, celle-là
plus agréable , celle-ci moins dure ; en un mot ,ils
ont faitleurs observations sur le langagedes homes.
Je prendrai la liberté à ce sujet , de m'arêter
un moment sur une remarque de peu d'impor*
B
t£ DESTROPES
tance : c'est que pour faire voir que Ton subs-
titue quelquefois des termes figurés à la place
4es mots propres qui manquent ( I ) , ce qui est
très-véritable , Cicéron , Quintilien et M. Rollin ,
qui pense et qui parle comme ces grands
homes , disent que c'est par emprunt et par mé-
taphore qu'on a appelé gemma le bourgeon de la.
vigne : parce , disent-ils, qu'il n'y avoit point
de mot propre pour l'exprimer. Mais si nous en
croyons les étymologistes , gemma ( 2 ) est le
mot propre pour signifier le bourgeon de la
vigne , et c'a été ensuite par figure que les La-
tins ont donné ce nom aux perle* et aux pierres
précieuses. En effet, c'est toujours le plus com-
mun et le plus connu qui est le propre , et qui
(i) M, Rollin , tome II , p. 24A,
(2) Yerbi translatio instituta est inopïae causa , fre-
quentata delectationis. Nam gemmare vîtes , luxuriem esse
in herbis ? lœtas segetes , etiam rustici dicunt. Cic. de
Oratore , L. III. n, 155. aliter xxxviii.
Necessitate rustici dicunt gemmara in vitibus. Qui4
enira dicerent aliud ? Quintil. iastit. orat. lib. vin. capa
6. Methaph*
Gemma est id quod in arboribus tumescit eum parère
fncipiuut 5 à geno , id est , gigno : hinc Margarita et
deinceps orrmis lapis pretiosus dicitur gemma..,, quod
habet quoque Perottus , cujus haec sunt verba , « lapil-
» los gemma vocavêre à similitudine gemmarum quas
>> in vitibus sive arboribus cernimus ; gemmae enim pro-
» prié sunt pupuli quos prima vites emittunt -, et gemmare
j> vites dicuntur , dum gemmas emittunt. » Martinii
Jjexlcon , voce gemma*
Çemma oculus vitis propriè. 2. gemma deinde gênerai©
nomén est lapidum pretiosorum. Bus. tabri Thesaur. vdc»
gemmai*
S N G É N é R A L. 17
se prête ensuite au sens figuré. Les laboureurs
du pays latin conoissoient les bourgeons des
vignes et des arbres , et leur avoient doné un
nom avant que d'avoir vu des perles et des pier-
res précieuses : mais corne on doua ensuite
par figure et par imitation ce même nom aux
perles et aux pierres précieuses, et qu'apparem-
ment Cicéron , Quintilien et M. Rollin ont vu
plus de perles que de bourgeons de vignes , ils
ont cru que le nom de ce qui leur étoit plus
conu , étoit le nom propre, et que le figuré
étoit celui de ce qu'ils conoissoient moins.
III.
Ce qu'on doit observer , et ce qu'on doit éviter
dans V usage des Tropes i et pourquoi ils
plaisent.
Les Tropes qui ne produisent pas les effets
que je viens de remarquer , sont défectueux. Us
doivent sur-tout être clairs , faciles , se pré-
senter naturellement , et n'être mis en œuvre
tju'en tems et lieu. Il n'y a rien de plus ridi-
cule en tout genre , que l'affectation et le dé-
faut de convenance. Molière dans ses Précieuses,
nous fournit un grand nombre d'exemples de ces
expressions recherchées et déplacées. La conve-
nance demande qu'on dise simplement à un la-
quais, donei des sièges , sans aler chercher le
détour de lui dire (i) : voiture^noùs ici les
comodités de la conversation. Déplus, les idées
(0 Les Fiécieuses ridicule* , se. ix.
B a
2.8 DES TROFES
accessoires ne jouent point > si j'ose parler ainsi ;
dans le langage des Précieuses de Molière , ou
ne jouent point corne elles jouent dans l'imagi-
nation d'un home sensé : Le conseiller des
grâces ( I ) , pour dire le miroir : contente\V envie
qu'a ce fauteuil de vous embrasser (2) , pour
dire asseyez-vous.
Toutes ces expressions tirées de loin et hors
de leur place, marquent une trop grande con-
tention d'esprit, et font sentir toute la peine
qu'on a eue à les rechercher : elles ne sont pas ,
s'il est permis de parler ainsi , à l'unisson du bon
sens , je veux dire qu'elles sont trop éloignées
de la manière de penser de ceux qui ont l'esprit
droit et juste , et qui sentent les convenances.
Ceux qui cherchent trop l'ornement dans le dis-
cours , tombent souvent dans ce défaut sans
s'en apercevoir ; ils se savent bon gré d'une
expression qui leur paroit brillante et qui leur a
coûté , et se persuadent que les autres en doi-
vent être aussi satisfaits qu'ils le sont eux-
mêmes.
On ne doit donc se servir de tropes que lors-
qu'ils se présentent naturellement à l'esprit ;
qu'ils sont tirés du sujet ; que les idées acces-
soires les font naître ; ou que les bienséances
les inspirent : ils plaisent alors, mais il ne faut
point les aller chercher dans la vue de plaire.
Je ne crois donc pas que ces sortes de figuret
(1) Ibid. se. vï.
(a) Ibid, se i$*
EN GÉNÉRAL 19
plaisent extrêmement (l) , par l'ingénieuse
hardiesse qu'il y a d'aller au loin chercher des
expressions étrangères à la place des naturelles ,
qui sont scus la main > si l'on peut parler ainsi.
Quoique ce soit là une pensée de Cicéron 9
adoptée par M. Roiiin , je crois plutôt que les
expressions figurées douent de la grâce au dis-
cours , parce que , comme ces deux grands
homes le remarquent , elles donent du corps
(*l) , pour ainsi dire, aux choses les plus spiri-
tuelles , et les font presque toucher au doigt et
à Vcsil par les images qu'elles en tracent à Vïtna-
gination ; en un mot , par les idées sensibles et
accessoires.
IV.
Suite des Réflexions générales sur le Sens figuré.
1. ÏL n'y a peut-être point de mot qui ne se
prène en quelque sens figuré 3 c'est-à-dire ,
éloigné de sa signification propre et primitive.
Les mots les plus comuns et qui reviènent
souvent dans ie discours 5 sont ceux qui sont
pris le plus fréquemment dans un ser?s figuré ,
et qui ont un plus grand nombre de ces sortes
de sens : tels sont corps ? ame , tête , couleur ,
avoir , faire , etc.
2. Un mot ne conserve pas dans la traduction
tous les sens figurés qu'il a dans la langue ori-
ginale : chaque langue a des expressions figurées
qui lui sont particulières , soit parce que ces
(i) Manière d'enseigner , tom. II. p. 247,
fc) Ibicî. F. a43.
B3
30 DES TU OPES
expressions sont tirées de certains usages établis
dans un pays , et inconus dans un autre; soit
par quelque autre raison purement arbitraire.
Les différens sens figurés du mot voix , que nous
avons remarqués , ne sont pas tous en usage en
latin , on ne dit point vox pour suffrage. Nous
disons porter envie , ce qui ne seroit pas entendu
en latin par ferre invidiam : au contraire, mo-
rem gerere alicui , est une façon de parler latine,
qui ne seroit pas entendue en français, si on se
contentoit de la rendre mot à mot, et que Ton
traduisit , porter la coutume à quelqu'un , au lieu
dédire, faire voir à quelqu'un qu'on se con-
forme à son goût , à sa manière de vivre , être
comp'aisant , lui obéir. Il en est de même de
vicem gerere , verba dare9 et d'un grand nombre
d'autres façons de parler que j'ai remarquées
ailleurs , et que Ja pratique de la version inter-
linéaire aprendrà.
Ainsi , quand il s'agit de traduire en une autre
langue quelque expression figurée, le traducteur
trouve souvent que sa langue n'adopte point
la figure de la langue originale, alors il doit
avoir recours à quelque autre expression figurée
de sa propre langue , qui réponde, s'il est pos-
sible , à celle de son auteur.
Le but de ces sortes de traductions , n'est que
de faire entendre la pensée d'un auteur ; ainsi oa
doit alors s'atacher à la pensée et non à la let-
tre , et parler comme l'auteur lui-même auroit
parlé , si la langue dans laquelle on le traduit
avoit été sa langue naturelle. Mais quand il s'agit
de faire entendre une langue étrangère , on doit
alors traduire litéralement , afin de faire com-
prendre le tour original de cette langue.
V.
Observations sur les Diciionaires Latins-Fran-
çais.
Nos dictionaires n'ont point assez remarqué
ces diférences \ je veux dire , les divers sens que
Ton done par figure à un même mot dans une
même langue ; et les diférentes significations
que celui qui traduit est obligé de doner à un
même mot ou à une même expression , pour
faire entendre la pensée de son auteur. Ce sont
deux idées fort diférentes que nos dictionaires
confondent ; ce qui les rend moins utiles et sou-
vent nuisibles aux començans. Je vais faire en-
tendre ma pensée par cet exemple :
Porter , se rend en latin dans le sens propre
par ferre: mais quand nous disons porter envie,
porter la parole , se porter bien ou mal , etc.
on ne se sert plus de ferre pour rendre ces façons
de parler en latin : la langue latine a ses expres-
sions particulières pour les exprimer j porter oa
ferre ne sont plus alors dans l'imagination de
celui qui parle latin : ainsi , quand on considère
porter , tout seul et séparé des autres mots qui
lui donent un sens figuré , on manqueroit
d'exactitude dans les dictionaires français-la-
tins , si l'on disoit d'abord simplement que porter
se rend en latin par ferre , in vider e , alloqui ,
voler e , etc.
B4
3^ BES TROPES
Pourquoi donc tombe-t-on dans la même
faute dans les dictionaires latins - français,
quand il s'agit de traduire un mot latin ? Pour-
quoi joint-on à la signification propre d'un mot,
quelqu'autre signification figurée qu'il n'a jamais
tout seul en latin > La figure n'est que dans
aotre français; parce que nous nous servons
d'une autre image , et par conséquent de mots
tout diférens ; par exemple ( ï ) : Mittere si-
gnifie , dit-on, envoyer, retenir, arrêter,
écrire ; n'est-ce pas comme si l'on disoit dans
le dicîionaire français-latin , que porter se rend
en latin parterre, invider e , allô qui , valere ?
Jamais mittere n'a eu la signification de retenir ,
^'arrêter , à* écrire , dans l'imagination d'une
home qui parloit latin. Quand Térence a dit:
lac r y mas mit te (1) , - et missam ira m faciet (3) ;
mittere avoit toujours dans son esprit la signi-
fication Renvoyer : envoyez loin de vous vos
larmes , votre colère , corne on renvoyé tout
ce dont on veut se défaire. Que si en ces occa-
sions y nous disons plutôt , retene\ vos larmes ,
retenez votre colère , c'est que pour exprimer ce
sens, nous avons recours à une métaphore prise
de l'action que Ton fait quand on retient un
cheval avec le frein , ou quand on empêche
qu'une chose ne tombe ou ne s'échappe. Ainsi
(1) Voyez le dictionaire latin-français , imprimé sous
le nom du R. P. Tachart , en 1727 , et quelques autres.
dictionaires. nouveaux.
(2) Adelpn. Act. 3 , se. 2 , v. 37»
(3) Hec. Au, 5 « se. a^. 14.
EN GÉNÉRAL 33
il faut toujours distinguer les deux sortes de
traductions dont j'ai parté ailleurs. Quand on ne
traduit que pour faire entendre la pensée d'un
auteur, on doit rendre , s'il est possible, figure
par figure, sans s'attacher à traduire litéraîe-
ment ; mais quand il s'agit de doner l'intelli-
gence d'une langue , ce qui est le but des dic-
tionaires, on doit traduire litératement, afin
de faire entendre le sens figuré qui est en usage
en cette langue à l'égard d'un certain mot ; au-
trement c'est tout confondre : les dictionaires
nvous diront que aqua signifie le feu , de la même
manière qu'ils nous disent que mittere veut dire
arrêter , retenir; car enfin les latins crioient
aquas , aquas (l) , c'est-à-dire, ajferte aquas ,
quand le feu avoit pris à la maison , et nous
crions alors au feu , c'est-à-dire , accourez au
feu pour aider à l'éteindre. x\insi quand il s'agit
d'aprendre la langue d'un auteur , il faut d'a-
bord doner à un mot sa signification propre 5
c'est-à-dire, celle qu'il avoit dans l'imagination
de l'auteur qui s'en est servi , et ensuite on le
traduit , si l'on veut , selon la traduction des
pensées , c'est-à-dire , à la manière dont on
rend le même fonds de pensée y selon l'usage
d'une autre langue.
Mittere ne signifie donc point en latin retenir 0
non plus que pellere , qui veut dire chasser. Si
Térence a dit lacrymas rnittey Virgile a dit dans
(i) Terriîa vicinal , Téïa clamât aquas, Prop. L. 4 ,
El. 9 , v. 32. ad extinguendum inceridium , inquit Be-i
ïQaldus* IbiJ,
34 BESTROPES
le même sens , lacrymas dilect ce pelle Creusa (ï).
Chassez les larmes de Créiise , c'est-à-dire , les
larmes que vous répandez pour l'amour de Créiise,
cessez de pleurer votre chère Créiise , retenez
les larmes que vous répandez pour l'amour d'elle ,
consolez-vous.
Mittere ne veut pas dire non plus en latin
écrire : et quand on trouve mittere epistolam
alicui) cela veut dire dans le latin , envoyer une
lettre à quelqu'un , et nous disons plus ordinai-
rement , écrire une lettre à quelquun. Je ne fini-
rois point si je voulois rapporter ici un plus
grand nombre d'exemples du peu d'exactitude
de nos meilleurs dictionaires ; merces punition ,
nox la mort , pulvis le bareau , etc.
Je voudrois donc que nos dictionaires donas-
sent d'abord à un mot latin la signification
propre que ce mot avoit dans l'imagination des
auteurs latins ; qu'ensuite ils ajoutassent les di-
yers sens figurés que les Latins donoient à ce
mot. Mais quand il arrive qu'un mot joint à
\xn autre , forme une expression figurée , un
sens , une pensée que nous rendons en notre
langue , par une image diférente de celle qui
étoit en usage en latin , alors je voudrois dis-
tinguer ;
I. Si l'explication litérale qu'on a déjà donée
du mot latin , suffit pour faire entendre à la
lettre l'expression figurée, ou la pensée littérale
du latin ; en ce cas, je me contenterois de rendre
k pensée à notre manière 5 par exemple : mit-
(s) Eneid. lib. II j v. 785,
EN GÉNÉRAL. 35
tere envoyer , mine iram , retenez votre colère,
mittere epistolam alicui , écrire une lettre à
quelqu'un.
Provincia , province , de pro ou procul , et
de vincire lier, obliger , ou selon d'autres., de
vincere , vaincre : c'étoit le nom générique que
les Romains donoient aux pays dont ils s'é-
toient rendus maîtres hors de l'Italie. On dit dans
le sens propre , provinciam capere , suscipcre ,
prendre le gouvernement d'une province , en
être fait gouverneur ; et on dit par métaphore ,
provinciam suscipere , être dans un emploi ,
dans une fonction f faire quelque entreprise (i).
Provinciam cepisti duram , tu t'es chargé d'une
mauvaise commission , d'un emploi difficile.
2. Mais lorsque la façon de parler latine est
trop éloignée de la française , et que la lettre
n'en peut pas être aisément entendue , les die-
tionaires devroient l'expliquer d'abord littéra-
lement , et ensuite ajouter la phrase française
qui répond à la latine , par exemple : laterem.
cruium lavare , laver une brique crue , c'est-
à-dire , perdre son temps et sa peine, perdre
son latin. Qui laveroit une brique avant qu'elle
fût cuite , ne feroit que de la boue , et per-
droit la brique. On ne doit pas conclure de
cet exemple , que jamais lavare ait signifié en
latin perdre , ni later temps ou peine.
Au reste, il esc évident que ces diverses signi-
fications qu'une langue done à un même mot
d'une autre langue , sont étrangères à ce mot
(i) Ter, Phcrm. Act. i, se. 2.
B 6
36 LA CATACHRÈSE,
dans !a langue originale , ainsi elles ne sonï
point de mon sujet ; je traite seulement ici
des différens sens que l'on done à un même
mot dans une même langue , et non pas des
diferentes images dont on peut se servir en
traduisant , pour exprimer le même fonds de
pensée.
SECONDE PARTIE.
Des Tropes en particulier*
s^ ... , ,
I. LA C A % A C H R È S E.
Abus , Extension , ou Imitation,.
JLes langues les plus riches n*ont point ua
assez grand nombre de mots pour exprimes
chaque idée particulière , par un terme qui ne
soit que le signe propre de cette idée ; ainsi
Ton est souvent obligé d'emprunter le mot
propre de quelqu'autre idée , qui a le plus de
raport à celle qu'on veut exprimer ; par exem-
ple ; l'usage ordinaire est de clouer des fers
sous les pies des chevaux, ce qui s'apèle ferrer
un cheval ; que s'il arive qu'au lieu de fer , oa
se serve d'argent , on dit alors que les chevaux
sont ferrés d'argent % plutôt que d'inventer ua
nouveau mot qui ne seroit pas entendu : ou
ferre aussi d'argent une cassette, «te* alors
ftrttv signifia par extension, garnir d'argent
. LAÇAT ACHR&SE. 37
au lieu de fer. On dit de même aller à cheval
sur un bâton , c'est-à-dire , se mettre sar uft
bâton de la même manière qu'on se place à
cheval.
Ludere par impar ; equitare in anmdine longâ (i).
Dans les ports de mer on dit bâtir un vais~
seau) quoique le mot de bâtir ne se dise pro-
prement que des maisons ou autres édifiées :
Virgile s'est servi 6'œdificare (2) , bâtir , ea
parlant du cheval de Troie ; et Cicéron a dit ,
œdifîcare classent , bâtir une flotte (3).
Dieu dit à Moïse , je ferai pleuvoir pour vous
des pains du ciel ; et ces pains , c'étoit la mâne :
Moïse en la montrant dit aux Juifs (4) > voilà
te pain que Dieu vous a doné pour vivre. Ainsi
la mâne fut appelée pain par extension.
Parricida > parricide y se dit en latin et en
français, non-seulement de celui qui tue son
père y ce qui est le premier usage de ce mot ;
mais il se dit encore par extension de celui qui
fait mourir sa mère , ou quelqu'un de ses pa-
rens , ou enfin quelque persone sacrée.
Ainsi , la Catachrèse est un écart que cer-
tains mots font de leur première signification ,
pour en prendre un autre qui y a quelque raport ,
et c'est aussi ce qu'on apèle extension : par
exemple , feuille se dit par extension ou imita-
tion des choses qui sont plates et minces x corne
(1) Hor. 2 , saî. 3 % v. 24.
(2) JEn.2, v. l6*
(3) Cic. pro lege ManiM. n.q*
(4) Exod. ck. xvi $ v. 4 et 5*
3? LA CATACHRÈSE.
les feuilles des plantes ; on dit une feuille de
papier , une feuille de fer blanc , une feuille
d'or ) une feuille dy et ain y qu'on met derrière les
miroirs: une feuille de carton , le talc se lève
par feuilles y les feuilles d'un paravent , etc.
La langue , qui est le principal organe de
la parole , a donné son nom par métonymie
et par extension au mot générique dont on se
sert pour marquer les idiomes , le langage
des diférentes nations : langue latine , langue
française.
. Glace , dans le sens propre , c'est de l'eau
gelée : ce mot signifie ensuite par imitation , par
extension , un verre poli > une glace de miroir,
une glace de carosse.
Glace r signifie encore une sorte de composi-
tion de sucre et de blanc d'œuf , que l'on coule
sur les biscuits , ou que Ton met sur les fruits
confits.
Enfin glace se dit encore au pluriel , d'une sorte
de liqueur congelée.
Il y a même des mots qui ont perdu leur pre-
mière signification , et n'ont retenu que celle
qu'us ont eue par extension : florir 9 florissant 9
se disoient autrefois des arbres et des plantes qui
sont en fleurs ; aujourd'hui on dit plus ordinai-
rement fleurit au propre, et florir au figuré :
si ce n'est à l'infinitif , c'est au moins dans les
autres modes de ce verbe ; alors il sigaifie être
en crédit , en honeur , en réputation ; Pétrarque
fiorissoit vers le milieu du XIV e siècle : une
armée florissante , un empire florissant, « La
LA 6ATACHRKSE. 39
» langue grèque, dit madame Dacier, semain-
>y tint encore assez florissante jusqu'à la prise de
79 Constantinople , en 1453. >>
? Prince , en latin princeps , signifioit seulement
autrefois, premier, principal ; mais aujourd'hui
en français il signifie , un souverain , ou une
persone de maison souveraine.
Le mot Imperator , Empereur , ne fut d'abord
qu'un titre d'honeur que les soldats donoient
dans leur camp à leur général, quand il s'étoit
distingué par quelque expédition mémorable :
on n'avoit ataché à ce mot aucune idée de sou-
veraineté , du tems même de Jules César, qui
avoit bien la réalité de souverain , mais qui gou-
vernoit sous la forme de l'anciène République.
Ce mot perdit son anciène signification vers la
fin du règne d'Auguste , ou peut-être même
plus tard.
Le mot latin succurrere , que nous traduisons
par secourir , veut dire proprement courir sous
ou sur. Cicéron s'en est servi plusieurs fois en
ce sens ; succurram atque subibo. QuiJquid (1)
succurrit libet scribere , et Sénèque dit , obvios ,
si nomen non succurrit , Dominos salutamus *
" lorsque nous rencontrons quelqu'un , et que
» son nom ne nous vient pas dans l'esprit ,
» nous l'apelons Monsieur. » Cependant corne
il faut so*uvent se hâter et courir pour venir
au secours de quelqu'un , on a doné insensible-
(r) Cic. ad Art. L. 14. Epist. I. sub. fcncm. Senct»
Ef. m.
40 1A CÀTÀCHRÉ.SË.
ment à ce mot par extension , le sens d'aider
ou secourir*
Petere , selon Perîsonîus , vient du grec peto
et petomai , dont le premier signifie tomber , et
l'autre voler; ensorte que ces verbes marquent
une action qui se fait avec éfort et mouvement
vers quelque objet ; ainsi ;
1. Le premier sens de petere , c'est aler vers y
se porter avec ardeur vers un objet ; ensuite on
done à ce mot par extension plusieurs autres
sens, qui sont une suite du premier.
2. Il signifie souhaiter d'avoir, briguer , de-
mander ; petere consulat um , briguer le consulat;
petere nuptias alicujus , rechercher une persone
en mariage*
3. Aler prendre ; undè mihi petam cïbum (i),
4. Aler vers quelqu'un ; et en conséquence
le f râper , Vataquer. Virgile a dit : malo me Ga-
latea petit (a) , et Ovide, à populo saxis prce~
tereunte petor (3).
J. Enfin petere veut dire par extension , aler
en quelque lieu , ensorte que ce lieu soit l'objet
de nos demandes et de nos mouvemens. Les com-
pagnons d'Enée , après leur naufrage , deman-
dent à Didon qu'il leur soit permis de se mettre
en état d'aier en Italie , dans le Latiupa , ou di&
moins d'aler trouver le Roi Aceste*
fa) Ter. Heau. 5, 2,2$.
(2) Eel. 3 , v, 64.
%) Eieg* 4e nuçe 3 y, 2i
LA CÂTACHRÈSS. 41
-— Italiam lœti Latiumque petamus (1).
••£
Àt fréta Sicaniae saltem sedesque paratas ,
Undè hue advecti , regemque petamus Acesten.
La réponse de Didon est digne de remarque:
Seu vos Hesperiam magnam Saturniaque arva ,
Sive Erycis fines 3 regemque optatis Acesten.
où vous voyez qa optatis explique petamus.
Advertere signifie tourner vers : advertere
cgmen urbi (a) , tourner son armée vers la ville;
navem advertere , tourner son vaisseau vers
quelque endroit , y aborder : ensuite on Ta dit
par métaphore de l'esprit ; advertere animum 9
advertere mentem , tourner l'esprit vers quelque
objet , faire attention , faire réflexion , consi-
dérer : on a même fait un mot composé de ani-
mum , et d1 'advertere ; anlmadvertere , considérer ?
remarquer , examiner.
Mais parce qu'on tourne son esprit, son sen-
timent , vers ceux qui nous ont ofenses , et qu'oa
veut punir ; on a doné ensuite par extension
le sens de punir à anlmadvertere ; verberibus ani-
madvertebant in cives (3) ; ils tournoient leur
ressentiment , leur colère , avec des verges contre
les citoyens, c'est-à-dire , qu'ils condanoient au
fouet les citoyens. Remarquez qu animus se
prend alors dans le sens de colère (4). Animus 3
(1) Virg. Mu. 1 , v. 558.
(2) Virg. Ma. 12 , v. 555*
(3) Saluste, Catiî. 51,
(4) Basil. Fa a. Thés. verb. animus*
4a X A CÀTACHRÈSE.
dit Faber , se prend souvent pour cette partie
de lame qua impetus habet et motus.
Ira furor brevis est ; animum rege , qui nisi paret (i) >
Imperat ; hune frenis , hune tu compesce catenâ.
Ces sortes d'extensions doivent être autorisées
par l'usage d'une langue , et ne sont pas tou-
jours réciproques dans une autre langue; c'est-
à-dire , que ie mot français ou alemand , qui
répond au mot latin , selon le sens propre , ne
se prend pas toujours en français ou en ale-
mand dans le même sens figuré que Ton done
au mot latin : demander répond à petere; cepen-
dant nous ne disons point demander pour ataqu.er9
ni pour aler à,
Oppido dans son origine est le datif à'oppi*
dum , ville ; oppido pour la ville , au datif. Les
laboureurs en s'entretenant ensemble , dit Fes-
tus , se demandoientl'un à l'autre , avez- vous fait
bone récolte? Sapé respondebatur , quantum vel
opido satisesset , j'en aurois pour nourir toute la
ville : et de-là est venu qu'on a dit oppido adver-
bialement , pour beaucoup , hinc in consuetu-
dinem venit diceretur oppido pro valdè > mul-
tum Festus , voc. Oppido.
Dont vient de undè , ou plutôt de de undè ,
corne nous disons delà > dedans. Aliquid dederis
undè utatur (2) , donez-lui un peu d'argent dont
fl puisse vivre en le metant à profit: ce mot ne
se prend plus aujourd'hui dans sa signification
(1) Hor. lib. I , Epist. 1, v. 62.
(a) Térence , Adelp. Act. 5. se 9. v. 34.
LA CATACHRESE. 43
primitive: on ne dit pas la ville dont je viens ,
mais d'oïl je viens.
Proplnare , boire à la santé de quelqu'un, est un
»ot purement grec, qui veut dire à la lettre
boire le premier. Quand les Anciens vouloient
exciter quelqu'un à boire, et faire à peu près à
son égard ce que nous apelons boireàla santé;
ils prenoient une coupe pleine de vin ,ils en bu-
voient un peu les pruniers, et ensuite ils présen-
toient la coupe à celui qu'ils vouloient exciter à
boire (1). Cet usage s'est conservé en Flandre,
en Holande et dans le Nord ; on fait l'essai ,
c'est-à dire , qu'avant de vous présenter le vase,
on en boit un peu , pour vous marquer que
vous pouvez en boire sans rien craindre. De-là ,
par extension, par imitation, on s'est servi de
propinare pour livrer quelqu'un , le trahir pour
faire plaisir à un autre ; le livrer , le douer
comme on done à boire après avoir fait l'essai.
Je vous le livre , dit Térence , en se servant
par extension du mot propino (l) , moquez-vous
de lui tant quyil vous plaira , hune vobis deri-
dendum propino.
Nous avons vu dans la cinquième partie de
(î) Hîc Regina gravem gemmis auroque poposcit,
Implevit que mero pareram. ...... . » •
— et in mensà laticum libavit honorem ,
Primaque libato suramo tenus attigit ore :
Tum Bitias dédit increpitaDs; ille impiger hau*it
Spumantem pateram , et pleno se proluit auro,
(3) Ter. Eun. Acr. 5. Scène dern.
44 t À GAÏAe'HRÈSE.
cette Grammaire , que la préposition supléoît
aux raports qu'on ne sauroit marquer par les
terminaisons des mots \ qu'elle marquoit un,
rapport général ou une circonstance générale ,
qui étoit ensuite déterminée par le mot qui suit
la préposition.
Or, ces raports ou circonstances générales,
sont presque infinis ; et le nombre des prépo-
sitions est extrêmement borné \ mais pour su-
piéer à celles qui manquent, on clone divers
usages à la même préposition.
Chaque préposition a sa première significa-
tion , elle a sa destination principale , son pre-
mier sens propre; et ensuite par extension , par
imitation , par abus , en un mot par catachrèse,
on la fait servir à marquer d'autres raports qui
ont quelque analogie avec la destination princi-
pale de la préposition , et qui sont sufisament
indiqués par le sens du mot qui est lié à cette
préposition ; par exemple :
La préposition m est une préposition de lieu,
c'est à dire , que son premier usage est de mar-
quer la circonstance générale d'être dans un lieu.
C tsar fut tué dans le sénat , entrer dans une mai-
son , serrer dans une cassette.
Ensuite on considère par métaphore les difé-
rentes situations de l'esprit et du corps , les difé-
rens état de la fortune , en un mot les difë-
rentes manières d'être , corne autant de lieux
où l'home peut se trouver ; et alors on dit par
extension , être dans la joie , dans la crainte 9
dans le dessein % dans la boae ou dans la mau->
LA CÀTÀCHRÈS2. 4$
valse fortune , dans une parfaite santé , dans le
désordre , dans Vépée , dans la robe , dans le
doute^ etc.
On se sert aussi de cette préposition pour
marquer le tems : c'est encore par extension ,
par imitation ; on considère le tems corne un
lieu , nolo me in tempore , hoc videat senex ,
c'est le dernier vers du quatrième acte de
l'Andriène deTérence,
Ubi et ibi sont des adverbes de lieu ; on les fait
servir aussi parimitation pour marquer le tems,
hac ubi dicta (1) ; après que ces mots furent dits,
après ces paroles. Non tu ibi natum objurgasti
(a) ? n'alâtes-vous pas sur-le-champ gronder
votre fils ?ne lui dîtes-vous rien alors?
On peut faire de pareilles observations sur les
autres prépositions , et sur un grand nombre
d'autres mots.
« La préposition après , dit M. l'abé de
*> Dangeau (3) , marque premièrement posté-
v riorité de lieu entre des persones ou des
?> choses : marcher après quelqu'un ; le valet
v court après son maître ; les Conseillers sont
i> assis apris les Présidens ».
Ensuite , considérant les honeurs , les richesses,
etc., corne des êtres réels, on a dit par imita-
tion, courir après les honeurs 9 courir apris s€
liberté.
(1) Virg. iEn. I, v. 8$.
(2) Térence , And. Act. I, se, ï , V. 12a.
{-§») Feuille volante sur la préposition après,
4* E A CAYACHRfeSI.
« Après, marque aussi postériorité de tems,
» par une espèce d'extension de la quantité de
i> lieu à celle du temps. Pierre esc arrivé après
ty Jacques. Quand un home marche après ua
autre, il arive ordinairement plus tard; après
demain , après dîné , etc.
» Ce tableau est fait d'après le Titien. Ce
79 paysage est fait d'après nature : ces façons
» de parleront raport à la postériorité de tems.
?> Le Titien avoit fait le tableau avant que le
» peintre le copiât ; la nature avoit formé le
)> paysage avant que !e peintre le représentât ».
C'est ainsi que les prépositions latines à et
sub marquent aussi le tems, corne je l'ai fait voir
en parlant des prépositions.
" Il me semble, dit M. l'abé de Dangeau ,
» qu'il seroit fort utile de faire voir cornent on
» est venu à doner tous ces divers usages à un
» même mot ; ce qui est comun à la plupart
w des langues ».
Le mot ày heure y n'a signifié d'abord que
le temps ; ensuite par extension il a signifié les
quatre saisons de Tannée. Lorsqu'Hoiiière dit
que (l) depuis le commencement des tems les
heures veillent à la garde du haut Olympe y et
que le soin des portes du ciel leur est confié ,
Madame Dacier remarque qu'Homère apèle les
heures ce que nous apeions les saisons (a).
Hérodote dit (3) que les Grecs ont pris de*
(i) lisd ? . v ,Trab. pag* 224,
(2) Rem. pag, 278»
(3) Eerod. L% *,
t "a catachrèse. 47
Babyloniens l'usage de diviser le jour en douze
parties (l). Les Romains prirent ensuite cet usage
des Grecs; il ne fut introduit chez les Romains
qu'après la première guerre punique : ce fut
vers ce tems- là que par une autre extension l'oa
dona le nom à' heures aux douze parties du jour
et aux douze parties de la nuit , celles-ci étoient
divisées en quatre veilles dont chacune comprenoit
trois heures.
Dans le langage de l'Eglise , les jours de la se-
maine qui suivent le Dimanche , sont apeîés/e-
ries par extension.
Il y avoit parmi les anciens des fêtes et des fé-
riés : les fêtes étoient des jours solemnels où l'on
faisoit des jeux et des sacrifices avec pompe ; les
fériés étoient seulement des jours de repos où Ton
sabstenoit du travail. Festus prétend que ce
mot vient à feriendis victimist
L'année chrétienne començoit autrefois au
jour de Pâques; ce qui étoit fondé sur ce pas-
sage de S. Paul. Quomoià Christus resurrexit à
mortuis , ita et nos in novitate vitce ambulemus(z)>
L'empereur Constantin ordona que l'on s'abs-
tiendroit de toute oeuvre servile pendant la quin-
zaine dePâques , et que ces quinze jours seroient
fériés : cela fut exécuté du moins pour la pre-
mièse semaine ; ainsi tous les jours de cette pre-
mière semaine furent fériés. Le lendemain du di-
manche d'après Pâques fut la seconde fécie , ainsi
(i) Pline , L. vu. c.6o.
{si) Rom. c. vï. 4.
48 LA CÂTHÀCRÈSE.
des autres. L'on dona ensuite par extension , paf
imitation, le nom de férié seconde , troisième ,
quatrième > etc., aux autres jours des semaines
suivantes, pour éviter de leur doner les noms
profanes des Dieux des païens.
C'est ainsi que chez les Juifs le nom de saba
[ sabatum ] qui signifie repos , fut donné au sep-
tième jour delà semaine, en mémoire de ce qu'en
ce jour Dieu se reposa, pour ainsi dire, en ces-
sant de créer de nouveaux êtres : ensuite par ex-
tension on dona le même nom à tous les jours de
la semaine , en ajoutant premier , second , troi-
sième , etc. , prima ^ secunda , etc. sabbatorum.
Sabatum se dit aussi de la semaine. On dona en-
core ce nom à chaque septième année , qu'on
apela année sabatique ,et enfin à l'année qui ari-
voit après sept fois sept ans ,c'étoit le jubilé des
Juifs: tems de remission, de restitution, où
chaque particulier rentroit dans ses anciens hé-
ritages aliénés , ou les esclaves devenoient libres.
Notre verbe aler > signifie dans le sens propre ,
se transporte d*un lieu à un autre ; mais ensuite
dans combien de sens figurés n'est- il pas em-
ployé par extension ? Tout mouvement qui abou-
tit à quelque fin; toute manière de procéder , de
se conduire, d'ateindre à quelque but ; enfin tout
ce qui peut être comparé à des voyageurs qui
vont ensemble, s'exprime par le verbe aler , je
vais ou je vas ; aler à ses fins ; aler droit au
but : il ira loin , c'est-à-dire , il fera de grands
progrès , aler étudier , aler lire , etc.
Devoir , veut dire dans le sens propre, être
obligé
LA CATACHRÈSE. 49
obligêparles luis à payer ou à faire quelque chose :
on le dit ensuite par extension de tout ce qu'on
doit faire par bienséance , par politesse , nous
devons aprendre ce que nous devons aux autres ,
et ce que les autres nous doivent.
Devoir se dit encore par extension de' ce qui
arrivera , corne si c'étoit une dette qui dût être
payée: je dois sortir : instruisez-vous de ce que
vous êtes, de ce que vous n'êtes pas , et de ce que
vous devet^ être, c'est-à-dire, de ce que vous
serez , de ce à quoi vous êtes destiné.
Notre verbe auxiliaire avoir , que nous avons
pris des Italiens, vient dans son origine du verbe
habere y avoir , posséder. César a dit (1) qu'il en-
voya au devant de toute la cavalerie qu'il avoit
assemblée de -toute la province , quem coactum
habebat. Il dit encore dans le même sens, avoir
les fermes tenues à bon marché, c'est-à-dire,
avoir pris les fermes à bon marché , les tenir &
bas prix. Dans la suite on s'est écarté de cette
signification propre Ravoir , et on a joint ce
verbepar métaphore et par abus , à un supin , à
un participe ou adjectif, ce sont des termes abs-
traits dont on parle corne de choses réelles :
a-mavi , j'ai aimé, habeo amatum ; aimé est alors
un supin , un nom qui marque le sentiment que
le verbe signifie ; je possède le sentiment d'aimer,
(1) Cœsar prœmisit ecuitatum omnem , quem ex omni
provinciâ coactum habebat. Cxszr , de bello Gallico. L. 1.
Vectigalia pervo pretio redempta hahere. Idem ibib.
Nostram adolescentiam habent despicatam. Ter. Eum. Act.
2. se. 3. v. 92,
c
50 I A C A T A C H R È S ff.
corne un autre possède sa montre. On est si fort
accoutumé à ces façons de parler , qu'on ne fait
plus atention à l'anciène signification propre
d'avoir ; on lui en donne une autre qui ne signifie
avoir que par figure, et qui marque en deux mots
le même sens que les Latins exprimoient en un
seul mot, Nos Grammairiens qui ont toujours
raporté notre Grammaire à la Grammaire latine,
disent qu'alors avoir est un verbe auxiliaire ,
parce qu'il aide le supin ou le participe du verbe
à marquer le même tems que le verbe latin si-
gnifie en un seul mot.
Etre , avoir , faire 9 sont les idées les plus sim-
ples , les plus comunes , et les plus intéressantes
pour l'home : or , les homes parlent toujours de
tout par comparaison à eux-mêmes, de-là vient
que ces mots ont été le plus détournés à des
usages diférens : être assis , être aime , etc. , avoir
de V argent , avoir peur , avoir honte , avoir quel-
que chose faite , et en moins de mots avoir fait*
De plus , les homes réalisent leurs abstrac-
tions ; ils en parlent par imitation , corne ils
parlent des objets réels ; ainsi ils se sont servis
«du mot avoir en parlant de choses inanimées et
de choses abstraites. On dit cette ville a deux
lieues de tour , cet ouvrage a des défauts ; les
passions ont leur usage ; il a de la vertu : et
ensuite par imitation et par abus , il a aimé ,
il a lu , etc.
Remarquez en passant que le verbe a est alors
au présent, et que la signification du prétérit n'est
que dans le supin ou participe.
LA CATACHRÈSE. 5I
On a fait aussi du mot il un terme abstrait, qui
représente une idée générale , l'être en généra!.
Il y a des homes qui disent, illud quod est , ibi
habet hommes qui dicunt : dans la bone latinité,
on prend un autre tour , corne nous l'avons re-
marqué ailleurs.
Notre il dans ces façons de parler, répond au res
des Latins iPropius metum resfuerat (1), la chose
avoit été proche de la crainte , c'est-à-dire , il y
avoit eu sujet de craindre. Res ita se habet , il
est ainsi. Res tua agitur : il s'agit de vos intérêts,
etc.
Ce n'est pas seulement la propriété A' avoir,
qu'on aatribuée à des êtres inanimés et à des
idées abstraites , on leur a aussi atribué celle de
vouloir : on dit cela veut dire , au lieu de cela
signifie ; un tel verbe veut un tel cas ; ce bois ne
veut pas brûler ; cette clé ne veut pas tourner , etc.
Ces façons de parler figurées sont si ordinaires ,
qu'on ne s'aperçoit pas même de la figure.
La signification des mots ne leur a pas été donée
dans une assemblée générale de chaque peuple ,
dontle résultatait été signifié à chaque particulier
qui est venu dans le monde; cela s'est fait in-
sensiblement et par l'éducation: les enfans ont lié
la signification des mots aux idées que l'usage leur
a fait conoître que ces mots signifioient.
1. A mesure qu'on nous a doné du pain, et
qu'on nous a prononcé le mot de pain ; d'un
côté le pain a gravé par les yeux son image dans
(1) T. Liv. libr. I. n. 25,
C 2
Jl LA CATACHRÈSE.
notre cerveau, et en a excité l'idée: d'un antre
côté , le son du mot pain a fait aussi son im-
pression par les oreilles , de sorte que ces deux
idées accessoires, c'est-à-dire, excitées en nous
en même temps, ne sauroient se réveiller séparé-
ment , sans que l'une excite l'autre.
a. Mais , parce que la conoissance des autres
mots qui signifient des abstractions ou des opé-
rations de l'esprit ,ne nous a pas été donée d'une
manière aussi sensible ; que d'ailleurs la vie des
homes est courte , et qu'ils sont plus occupés de
leurs besoins et de leur bien être , que de cul-
tiver leur esprit, etdeperfectionerleur langage ;
corne il y a tant de variété et d'inconstance dans
leur situation , dans leur état , dans leur imagina-
tion , dans les diférentes relations qu'ils ont les
uns avec les autres ; que par la dificulté que les
homes trouvent à prendre les idées précises de
ceux qui parlent, ils retranchent ou ajoutent pres-
que toujours à ce qu'on leur dit ; que d'ailleurs la
mémoire n'est ni assez fidèle, ni assez scrupuleuse
pour retenir et rendre exactement les mêmes mots
et les mêmes sons , et que les organes de la pa-
role n'ont pas dans tous les homes une confor-
mation assez uniforme pour exprimer les sons
précisément de la même manière ; enfin , corne les
langues ne sont point assez fécondes pour fournir
à chaque idée un mot précis qui y réponde: de
tout cela , il est arivé que les enfans se sont in-*
sensiblement écartés de la manière de parler de
leurs pères , corne ils se sont écartés de leur ma-
nière de vivre et de s'habiller; ils ont lié au même
LA C A T A C'H R È S E. 53
mot des idées diférentes et éloignées , ils ont doné
à ce même mot des significations empruntées,
y ont ataché un tour diférent d'imagination :
ainsiles mots n'ont pu garder long-temps une sim-
plicité qui les restraignît à un seul usage , c'est
ce quia causé plusieurs irrégularités aparentes
dans la grammaire et dans le régime des mots ;
on n'en peut rendre raison que par la conois-
sance de leur première origine , et de l'écart, pour
^linsi dire , qu'un mot a fait de sa première signi-
fication et de son premier usage: ainsi cette figure
mérite une attention particulière , elle règne en
"quelque sorte sur toutes les autres figures.
Avant de finir cet article ; je crois qu'il n'est
pas inutile d'observer que la catachrèse n'est pas
toujours de la même espèce.
I. Ii y a la catachrèse qui se faitylorsqu'on done
à un mot une signification éloignée , qui n'est
qu'une suite de la signification primitive : c'est
ainsi que succurrere signifie aider, secouriv.Petere,
ataquer : Animadvertere , punir : ce qui peut être
souvent raporté à la métalepse , dont nous parle-
rans clans la suite.
Jf. La seconde espèce de catachrèse n'est pro-
prement qu'une sorte de métaphore, c'est lors-
qu'il y a imitation et comparaison, comme quand
on ait ferrer d'argent , feuille de papier 9 etc.
C3
51 I A M 2 T O N Y M I E.
I I.
La Métonymie»
Le mot de Métonymie signifie transposi-
tion , ou changement de nom , un nom pour un
autre*
En ce sens cette figure comprend tous les
îropes: car dans tous les autres tropes , un mot
n'étant pas pris dans le sens qui lui est propre * il
réveille une idée qui pourroît être exprimée par un
autre mot. Nous remarquerons dans la suite ce
qui distingue proprement la métonymie des
tropes.
Les maîtres de l'art restreignent la métonymie
aux usages suivans.
r. La cause pour l'éfet ; par exemple :
vivre de son travail 5 c'est-à-dire , vivre de ce
qu'on gagne en travaillant.
Les Païens regardoient Cérès come la déesse
qui avoit fait sortir le blé de la terre , qui avoit
apris aux homes la manière d'en faire du pain ;
ils croyoientqueBacchus étoit le Dieu qui avoit
trouvé l'usage du vin ; ainsi ils donoient au blé
le nom de Cérès 9 et au vin le nom de Bacchus\
on en trouve un grand nombre d'exemples dans
les poètes : Virgile a dit , un vieux Bacchus, pour
dire du vin vieux. Implentur veteris Bacchi (l)a
(i) Virg . ^En. I. v. 219,
LA METONYMIE» y}
Madame des Koulières a fait une balade dont le
lefreinest ,
L'amour languit sans Bacchus et Cérès»
C'est la traduction de ce passage de Térence ,
sine Cerereet Liber o friget Venus (i). C'est-à-
dire^u'on ne songe guère à faire l'amour quand
■on n'a pas de quoi vivre. Virgile a dit :
Tum Cererem corruptam undis cerealiaque arma ,
Expediunt fessi rerum. (2)
Scarron , dans sa traduction burlesque } se sert
d'abord de la même figure; mais voyant bien que
cette façon de parler ne seroit point entendue en
notre langue , il en ajoute l'explication :
Lors fut des vaisseaux descendue
Toute la Cérès corrompue ;
En langage un peu plus humain ,
C'est ce de quoi Ton fait du pain (3).
Ovide a dit , qu'une lampe prête à s'éteindre se
ralume quand on y verse Pallas (4) , c'est-à-dire
de i'huile; ce fut Pallas, selon la fable , qui la
première fit sortir l'olivier delà terre , et enseigna
aux homes l'art de faire de l'huile ; ainsi Pallas se
prend pour l'huile, corne Bacchuspour le vin.
(1) Ter. Eim. Act. 5. se. 4.
(2) Mn. i.v. 181.
(3) Scarron , Virgile , travesti , L. I.
(4) Cujus ab alîoquiis anima base moribunda revixit $
Ut vigil infusa Pallade flamma solet. Ovid. Trist. L.
iv , El. 5.v. 4.
c4
J6 LA MÉTONYMIE.
On raporte à la même espèce de figure les fa-
çons de parler , où le nom des dieux du paganisme
se prend pour la chose à quoi ils présidoient , quoi-
qu ils n'en fussent pas les inventeurs. Jupiter se
prend pour l'air, Vulcain pour lefeu: ainsi pour
dire , où vas-tu avec ta lanterne ? Plaute a dit ,
quod ambulastu,qui Vulcanurn in cornu conclu.
sumgeris(i)?Oïx vas tu toi qui portes Vulcain en-
fermé dans une corne? Et Virgile ,furit Vulca-
nus (2) , et encore au premier livre des Géorgi-
ques, voulant parler du vin cuit ou du raisiné
que fait une ménagère de la campagne , il dit
qu'elle se sert du Vulcain pour disposer l'humi-
dité du vin doux.
Aat dulcis rausti Vulcano decoqnit humorem (3),
Neptune se prend pour la mer; Mars ,1e Dieu
«eia guerre, se prend souvent pour h guerre
même, ou pour la fortune delà guerre, pour '
1 événement des combats , l'ardeur , l'avantage des
comoatans. Les historiens disent souvent qu'on
a combatu avec un Mars égal , œqho Marte pu-
gnatum. est, c'est-à-dire , avec un avantage égal
anciphi Marte , avec un succès douteux : vario
Marte i r quand J'avantage est tantôt du côté, et
tantôt de l'autre.
C'est encore prendre la cause pour l'éfet , que
de dire d'un général ce qui, à la lettre , ne doit
^tre entendu que de son armée; il en est de même
(l)Plaut. Ampli. Act. I. se. I. V.18J.
(2) Mn. 5. v. 666.
(3) Gegrg. 1. v. 29J.
LA MÉTONYMIE. ft
lorsqu'on done le nom de l'auteur à ses ouvrages*:
il a lu Cicéron , Horace , Virgile; c'est-à-dire,
les ouvrages de Cicéron , etc.
Jésus-Christ lui-même s'est servi de la Méto-
nymie en ce sens, lorsqu'il a dit,parlant des Juifs:
ils ont Moïse et les Prophètes (l) , c'est-à-dire,iis
ont les livres de Moïse, et des Prophètes.
On done souvent le nom de l'ouvrier à l'ou-
vrage ; on dit d'un drap que c'est un Van-Ro-
bais ,un Rousseau , un Fagnon , c'est-à-dire , un
drap de la manufacture de Van-Robais,ou de celle
de Rousseau , etc. C'est ainsi qu'on done le nom
du peintre au tableau; on dit : j'ai vu un beau
Rembrant , pour dire un beau tableau fait par le
Rembrant. On dit d'un curieux en estampes,qu'il
a un grand nombre de Callots , c'est-à dire, un
grand nombre d'estampes gravées par Çaîlot.
On trouve souvent dans l'Ecriture Sainte Jacob
Israël , Juda , qui sont des noms de patriarches,
pris dans un sens étendu pour marquer tout le
peuple Juif. M. Fléchier, pariantdu sage et vail-
lant Machabée,auquel il compare M. de Turène ,
a dit (2): « Cet home qui réjouissoit Jacob par
ses vertus et par ses exploits ?>. Jacob , c'est-à-
dire , le peuple Juif.
Au lieu du nom de l'éfet , on se sert souvent
du nom de la cause instrumentale qui sert à le
produire; ainsi, pour dire quelqu'un écrit bien,
c'est-à-dire , qu'il forme bien les caractères de
l'écriture, on dit qu'il a une belle main,
(1) Luc. c. xvî. v. 29.
(2) Oraison funèbre de M. ào Turène.
c 5
5$ L A M É T G N Y M I E.
La plume est aussi une cause instrumentale de
Técriture , et par conséquent de la composition;
ainsi plume se dit par métonymie, de la manière
de former les caractères de l'écriture , et de la
; manière de composer.
Plume se prend ainsi pour l'auteur même, c'est
unebone plume , c'est-à-dire , c'est un auteur qui
écrit bien : c'est une de nos meilleures plumes 5
c'est-à-dire , un de nos meilleurs auteurs.
Style , signifie aussi par figure la manière d'ex-
primer les pensées.
Les anciens avoient deux manières de former
îes caractères de l'écriture ; l'une étoit pingendo 9
en peignant les lettres , ou sur des feuilles d'ar-
bres , ou sur des peaux préparées , ou sur la pe-
tite membrane intérieure de Técorce de certains
arbres ; cette membrane s'apèle en latin liber y
d'où vient livre \ ou sur de petites tabiètes faites
de l'arbrisseau papirus , ou sur de la tojle , etc»
ils écrivait alors avec de petits roseaux , et
dans la suite ils se servirent aussi de plumes
corne nous.
L'autre manière d'écrire des anciens , étoit in»
€idendo , en gravant les lettres sur des lames de
plomb ou de cuivre ; ou bien sur des tabiètes de
bois , enduites de cire. Or, pour graver les lettres
sur ces lames , ou sur ces tabiètes , ils se servoient
d'un poinçon, qui étoit pointu par un bout , et
aplati par l'autre : la pointe servoit à graver, et
l'extrémité aplatie servot à éfacer; et c'est pour
cela qu'Horace a dit stylum vertere (i) , tourner
ta) Lib, i» sa t. *« y. 7a.
LA MÉTONYMIE. 59
le style , pour dire , éfacer , corriger , retouchera
un ouvrage. Ce poinçon s'apeloit stylus , style,
tel est le sens propre de ce mot ;dans le sens fi-
gure , il signifie la manière d'exprimer les pensées.
C'est en ce sens que l'on dit , le style sublime , le
style simple , le sty!e médiocre , le style soutenu,
le style grave, le styîecomique , le style poétique.
le style de la conversation , etc*
Outre toutes ces manières diférentes d'ex-
primer les pensées , manières qui doivent con-
venir aux sujets dont on parle , et que pour cela
on apèle style de convenance ; il y a encore le
style personeî : c'est la manière particulière dont
chacun exprime ses pensées. On dit d'un auteur
que son style est clair et facile , ou au con-
traire , que son style est obscur , embarassé , etc.
on reconoît un auteur à son style , c'est-à-dire,
à sa manière d'écrire,come on reconoît un home
à sa voix, à ses gestes et à sa démarche.
Style se prend encore pour les diférentes ma-
nières de faire les procédures selon les difcWns
usages établis en chaque jurisdiction le style du
Palais , le style du Conseil ,1e style des Notai-
res, etc. Ce mot a encore plusieurs autres usages
qui viènent pas extension de ceux dont nous ve-
nons de parler.
Pinceau , outre son sen^ propre , se dit aussi
quelquefois par métonymie, corne plume et style:
on dit d'un habile peintre , que c'est un savant
pinceau.
Voici encore quelques exemples tirés de l'Ecri-
ture Sainte , où la cause est prise pour i'éfer. Si
C 6
éb LA -MÉTONYMIE.'
peccaverit anima ^pcrtabit iniquitatem suam (i),
elle portera son iniquité , c'est-à-dire, la
peine de son iniquité. Iram domini portabo qua-
nlam peccavi (2) , ou vous voyez que par la co-
lère du Seigneur , il faut entendre la peine qui
est une suite de la colère. Non morab'uur opus
mercenarii tui apudte usque mane (3), opus ,
l'ouvrage , c'est-à-dire , le salaire , la récompense
qui est due à l'ouvrier , à cause de son travail.
Tobie a dit la même chose à son fils tout sim-
plement : Quicumque tibialiquid operatus fuerit ,
statim ei mercedem restitue, et mer ces. mercenarii
tui apud te omnino non remaneat (4), Le prophète
Osée dit , queles prêtres mangeront lespéchésda
peuple (5) , peccata populi mei comedent , c'est-
à-dire , les victimes ofertes pour les péchés.
II. L'ÉFETPOURLACAUSE.-comelorsqu'Ovide
dit que le Mont-Pélion n'a point d'ombres , nec
habet Felion unibras (6) ; c'est-à-dire , qu'il n'a
point d'arbres , qui sont la cause de l 'ombre ;
V ombre , qui est Téfet des arbres ,'est prise ici
pour les arbres mêmes.
Dans la Genèse , il est dit de Rébecca , que
deux nations étoient en elle (7); c'est-à-dire ,
(3) Lé vit. c. V. v. r\
- (2)Mich.cVIL v. 9.
(3)Lévit. c.XIX.v. 13.
(4)Tob. c.IV.v. 15.
(5) Osée , ch. IV. v, 8.
(6) Metam. L. XII. v. 513.
(7) Du» gentes sunt in utero tuo 5 et duo populi es
ïc-jutre tuo 4ividentu-r, Gçn* c. XXY» v- 23
LA MÉTONYMIE. 6l
Esaii et Jacob , les pères des deux nations ; Jacob
des Juifs , Esaii des Iduméens.
Les poètes disent la pâle mort , les pâles mala-
dies , la mort et les maladies rendent pâles,
Pallidamque Pyrenen(l), la pâle fontaine de Py-
rène : c'étoit une fontaine consacrée aux Muses.
L'aplication à la poésie rend pâle, corne toute au-
tre aplication violente. Par la môme raison , Vir-
gile a dit la triste vieillesse.
Pallentes habitant morbi tristisque Senec tus (2).
Et Horace, Pallidamors (3). La mort ,1a mala-
die, et les fontaines consacrées auxM uses ne sont
point pâles ; mais elles produisent la pâleur: ainsi
on done à la cause une épithète qui ne convient
qu'à l'éfet.
III.LECONTENANTPOURLECONTENUICOme
quand on dlt9 il aime la bouteille , c'est-à-dire ,
il aime le vin. Virgile dit que Didon ayant pré-
senté à Bitiasune coupe d'or pleine de vin ,Bitias
la prit et se lava , syarosa de cet or plein ; c'est-
à dire , de la liqueur contenue dans cette .coupe
d'or.
ille impiger hausit
Spumàntem pateram;et pleno se proîuit auro (4).
Auro est pris pour la coupe , c'est la matière
pour la chose qui en est faite ; nous parlerons
bientôt de cette espèce de figure, ensuite la
coupe est prise pour le vin.
(i) Vers. Prol.
(2) Mn. L. VI. v. 275,
(3) Lib. i.Od. 4.
(4) JEa. 1. v. 743»
6x la métonym'ib.
Lecîel , où les anges et les saints jouissent de
la présence de Dieu, se prend souvent pour Dieu
même : implorer le secours du ciel;grace au ciel:
jy ai péché contre le ciel et contre vous (i) , dit
l'enfant prodigue à son père. Le ciel se prend
aussi pour les Dieux du Paganisme.
Laterre se tut devant Alexandre ( i) ;c*est-à-dire,
les peuples de la terre se soumirent à lui : Rome
désaprouva la conduite d'Appius,c'est-k- dire, Us
Romains désaprouvèrent: Toute l'Europe s'est ré-
jouie à la naissance du Dauphin : c'est-à-dire ,
tous les souverains > tous les peuples de l'Europe
se sont réjouis.
Lucrèce a dit que les chiens de chasse mettoient
une forêt en mouvement (3) ; où l'on voit qu'il
prend la forêt pour les animaux qui sont dans la
forêt.
Un nid se prend pour les oiseaux qui sont
encore au nid,
Carcer , prison > se dit en latin d'un home qui
mérite la prison.
iv. Le nom du lieu où une chose se fait , se
prend POUR LA CHOSE MÊME : on dit un Caude-
bec, au lieu de dire, un„chapeau fait àCaudebec,
ville de Normandie,
On dit de certaines étofes, c'est une Marseille,
(1) Pater peccavi in cœlum et coram te. Luc. c, XV»
v. 18.
(2) Siluit terra in conspectu ejus. Macab. L. X. c»
(3) Sepire plagis saîtum canibusque ciere. Lucr. L»
y. v. 1250-
LA MÉTONYMIE. 6}
c'est-à-dire , une étofe de la manufacture de Mar-
seille : c'est une Perse , c'est-à-dire , une toile
peinte qui vient de Perse.
A propos de ces sortes de noms, j'observerai
ici une méprise de M. Ménage , qui a été suivie
par les auteurs du Dictionaire Universel , apelé
comunément Dictionaire de Trévoux , c'est au
sujet d'unesorte de lame d'épée qu'on apè'e olindet
les olindes nous viènent d'Alemagne, et sur-tout
delà ville de Solingen , dans le cercle de West-
phalie : on prononce Solengue. Il y a aparence
que c'est du nom de cette ville que les épées dont
je parle, ont été apelées des olindes , par abus.
Le nom A'olinde , nom romanesque , étoit déjà
conu, comelenom de Silvie ; ces sortes d'abus
sont assez ordinaires en fait d'étymologie. Quoi-
qu'il en soit, M. Ménage et-!es auteurs du dic-
tionaire de Trévoux n'ont point rencontré heu-
reusement , quand ils ont dit que les olindes ont
été ainsi apelées de la ville d'Olinde dans le
Brésil , d'oïi ils nous disent que ces sortes de lames
sont venues. Les ouvrages de fer ne viènent point
de ce pays-la : il nous vient du Brésil une sorte de
bois que nous apelons brésil, il en vient aussi du
sucre, du tabac, du baume, de l'or , de l'argent,
etc.: maison y porte le fer de l'Europe, et
sur-tout le fer travaillé.
La ville de Damas en Syrie, aupié du mont
Liban ,a doné son nom à une sorte de sabres ou
de couteaux qu'on y fait : il a un vrai damas ,
c'est-à-dire , un sabre ou un couteau qui a été
fait à Damas.
64 LA MÉTONYMIE*
On. done aussi le nom de damas à une sorte
d'éîofede soie,quiaété fabriquée originairement
dans la ville de Damas ; on a depuis imité cette
sorte d'étofe à Venise, à Gènes , à Lyon, etc. ,
ainsi on dit damas de Venise , de Lyon , etc. On
done encore ce nom à une sorte de prune, dont
la peau est fîeurie de façon qu'elle imite l'étofe
dont nous venons déparier.
Fayence est une ville d'Italie dans la Romagne:
on y a trouvé la manière de faire une sorte de
vaissèle de terre vernissée , qu'on apèle de la
fayence ; on a dit ensuite par métonymie, qu'on
fait de fort belles fayences en Rolande, à Nevers,
à Rouen , etc.
C'est ainsi que le Lycée se prend pour les dis-
ciples d'Aristore , ou pour la doctrine qu'Aristote
enseignoit dans le Lycée. Le Portique se prend
pour la philosophie que Zenon enseignoit à ses
disciples dans le Portique.
Le Lycée étoit un lieu près d'Athènes , où
Aristote enseignoitla philosophie en se promenant
avec ses disciples; ils furent a pelés Péripatéticiens
du grec peripateo , je promène : on ne pense
point ainsi dans le Lycée , c'est-à-dire que les dis-
ciples d'Aristote ne sont point de ce sentiment.
Les anciens avoient de magnifiques portiques
publics où ils aloient se promener ; c'étoient des
galeries basses , soutenues par des coîones ou par
des arcades , à-peu-près corne la place royale de
Paris, et corne les cloîtres de certaines maisons
religieuses. 11 y en avoit un entr'autres fort cé-
lèbre à Athènes, où/le philosophe Zenon ienoit
LA MÉTONYMIE. 6$
son école : ainsi par le Portique on entend sou-
vent la philosophie de Zéncn , la doctrine des
Stoïciens;car les disciples de Zenon furent apeîés
Stoïciens du grec stoa , qui signifie portique.
Le Portique n'est pas toujours d'accord avec le
Lycée y c'est-à-dire , que les sentimens de Zenon
ne sont pris toujours conformes à ceuxd'Arîstote.
Rousseau , pour dire que Cicéron dans sa mai-
son de campagne méditoit la philosophie d'Aris-
tote et celle de Zenon , s'explique en ces
termes :
C'est là que ce R.omain, dont l'éloquente voix ,
D'un joug presque certain > sauva sa République ,
Fortifioit son cceur dans l'étude des lois ,
Et du Lycée , et du Portique (i).
Àcadém us laissa près d'Athènes un héritage où
Platon enseigna la philosophie, Ce lieu fut apelé
Académie, au nom de son ancien possesseur; de-
là la doctrine de Platon fut apelée Y Académie. On
done aussi par extension le nom d'Académie à
difcreiîtes assemblées de savans quis'apliquent à
cultiver les langues , les sciences , ou les beaux-
arts.
Robert Sorbon , confesseur et aumônier de
St. Louis9institua dans PUniversité de Paris cette
fameuse école de Théologie , qui du nom de son
fondateur est apelée S orfane : ienom de Sorbone
se prend aussi par figure , pour les docteurs de
Sorbone, ou pour les sentimens qu'on y ensei-
gne. La Sorbone enseigne que la puissance Ec-
(i) Rousseau , L. 2 % Od, 3.
66 LA. MÉTONYMIE.
eclésiasdque ne peut êter aux Rois les courants
que Dieu a mises sur leurs têtes , ni dispenser
leurs sujets du serment de fidélité, Regnum meum
non est de hoc mundo ( i).
v. .Le signe pour la chose signifiée.
Dans ma vieillesse languissante ,
Le Sceptre que je tiens pèse à ma main tremblante (2).
C'est-à dire, je ne suis plus dans un âge conve-
nable pour me bien acquiter des soins que de-
mande la Royauté. Ainsi le Sceptre se prend pour
l'autorité royale, le bâton de Maréchal deFrance,
pour la dignité de Maréchal de-France; le chapeau
de Cardinal > et même simplement le chapeau se
dit pour le Cardinalat.
Uépée se prend pour la profession militaire ;
la Robe pour la Magistrature , et pour l'état de
ceux qui suivent le bareau.
A la fin, j'ai quité la Robe pour PEpée (3).
Cicéron a dit que les armes doivent céder à
la robe.
Cédant arma togœ ; concédât laurea linguœ.
C'est-à-dire^comme il l'explique lui-même (4).
que la paix l'emporte sur la guerre , et que les
vertus civiles et pacifiques sont préférables aux
vertus militaires. ,
(1) Joan.ch. XVIII, v.J<5.
(2) Quinault , Phaéton , act. II , se. $.
(3) Corn, e Menteur , act. 1 , se. , v. I.
(4) More. Poetarumlocutus hoc intelligi volui , belîum
ac tumultum paci atque otio concessurum, Çic, Orat. in
Pison. n. 73 , aliter XXX.
LA MÉTONYMIE. Gj
it La lance , dit Mézerai (i) , étoit autrefois
v la plus noble de toutes les armes dont se ser-
>i vissent les Gentils-homes français » : la que-
nouille étoit aussi plus souvent qu'aujourd'hui
entre les mains des femmes : de-là on dit en plu-
sieurs ocasions lance ^ pour signifier un home ,
et quenouille pour marquer un femme ', fief qui
tombe de lance en quenouille, c'est-à-dire , fief qui
passe des mâles aux femelles. Le royaume deFrance
ne tombe point en quenouille , c'est-à-dire , qu'en
France les femmes ne succèdent pointa la cou-
ronne : mais les royaumes d'Espagne , d'Angle-
terre et de Suède tombent en quenouille : les
femmes peuvent aussi succéder à l'Empire de
Moscovie.
C'est ainsi que du temps des Rojtwîs les fais~
ceaux se prenoient pour l'autorité consulaire; les
aigles romaines, pour les armées des Romains qui
avoient ces aigles pour enseignes. L'aigle qui est
le plus fort des oiseaux de proie , é^oit le symbole
de la victoire chez les Egyptiens.
Saluste a dit que Catilina (l), après avoir rangé
son armée en bataille , fit un corps de réserve
desautres enseignes , c'est-à-dire des autres trou-
pes qui lui restoient , reliqua signa in subsidiis
arctixis collocat.
On trouve souvent dans les auteurs latins
pubes , poil folet , pour dire la jeunesse Jes jeunes
gens ; c'est ainsi que nous disons familièrement
(i) Mézera;. Histoire de France , in-fol, tome 3 , p. 90*.
(2) Salust. Catil.
68 LA MÉTONYMIE.
à un jeune home , vous êtes une jeune barbe ;
c'est-à-dire , vous n'avez pas encore assez d'expé-
rience. Canidés , les cheveux blancs , se prend
aussi pour la vieillesse (l). Non deduces canitiem
ejus ad inferos (2). Deducetiscanos meos cura do-
lore ad inferos.
Les divers symboles dont les Anciens se sont
servis , et dont nous nous servons encore quel-
quefois pour marquer ou certaines Divinités, ou
certaines nations , ou enfin les vices et les ver-
tus y ces symboles , dis-je , sont souvent em-
ployés pour marquer la chose dont ils sont le
symbole*
Envain-au Lion belgique
l! voit l'Aigle germanique
Uni sous les Léopards (3).
Par le Lion belgique , le poëte entend les Pro-
vinces-unies des pays-bas : par Y Aigle germani-
que , i! entend l'Allemagne ; et par les Léopards,
il désigne l'Angleterre , qui a des Léopards dans
ses armoiries.
Mais qui fait enfler ~ la Sambre,
Sous les Jumeaux effrayés (4)
Sous les Jumeaux , c'est-à-dire , à la fin du mois
de Mai et au comencement du mois de Juin, le
roi assiégea Namur le 26 de Mai 1692 , et la ville
fut prise au mois de Juin suivant. Chaque mois
(1) 3-Reg. c. II, v. 6.
(2)Gen. c. 42 ,v. 38.
(3) Boileau , Ode sur la prise de Namur»
LA MÉTONYMIE. <)6
de l'année est désigné par un signe vis-à-vis
du quel le soleil se trouve depuis le il d'un mois
ou environ, jusqu'au ai du mois suivant.
Sunt Aries , Taurus, Gemini 3 Cancer, Léo , Virgo ,
Libraque , Scorpius^ Arcitenens , Caper, Amphora ,
Pisces.
Ânes 9 le Bélier commence vers le il du mois de
Mars, ainsi de suite.
« Les viiles,les fleuves (1), les régions et même
?> les trois parties du monde avoient autrefois
» leurs symboîes,qui étoient corne les armoiries
» par lesquelles on les distinguoit les unes des
;> autres ».
Le trident est le symbole de Neptune : le pain
est le symbole de Junon : l'olive ou l'olivier est
le symbole de la paix et de Minerve , Déesse des
beaux-arts : le laurier étoit le symbole de la vic-
toire : les vainqueurs étoient couronés de laurier:
même les vainqueurs dans les arts et dans les
sciences, c'est-à-dire, ceux qui s'y distinguoient
au-dessus des autres. Peut-être qu'on en usoit
ainsi à l'égard de ces derniers, parce que le lau-
rier étoit consacré à Apollon , Dieu de la poésie
et des beaux-arts. Les Poètes étoient sous la pro-
tection d'Apollon et de Bacchusjainsi ils étoient
couronés, quelquefo isde laurier , et quelquefois
de lierre ^doctarum ederce prœmia frontium (2).
La palme étoit aussi le symbole de la victoire,
(i) Montf. Aotiq. explique, tome III, p. 1983.
(i)Hor. L. 1, Od. 1 , v, 29. Voyez aussi le prologue de
Perse.
JO t A MÉTONYMIE.
On dit d'un saint , qu'il a remporté la palme du
martyre. Il y a dans cette expression une métony-
mie , palme se prend pour victoire , et de plus
l'expression est métaphorique; la victoire dont on
veut parler , est une victoire spirituèle.
« A l'autel de Jupiter (l) , dit le P.Montfau-
3> con , on mettoit les feuilles de hêtre : à celui
» d'Apollon , de laurier : à celui de Minerve ,
» d'olivier: à l'autel de Vénus, de myrthe : à
î? celui d'Hercule, de peuplier : à celui de Bac-
77 chus, de lierre: à celui de Pan, des feuilles
v de pin».
vi. Le nom abstrait pour le concret.
J'explique dans un article exprès le sens abstrait et
le sens concret ,• j'observerai seulement ici que
blancheur est un terme abstrait ; mais quand je
dis que ce papier est blanc , blanc est alors un
terme concret. Un nouvel esclavage se forme tous
les jours pour vous , dit Horace, c'est-à-dire ,
vous avez tous les jours de nouveaux esclaves.
Tibi servitus crescit nova (l), Servitus est un
abstrait,au lieu de servi9ou novi amatores qui tibi
serviant (3). Invidiâ major , au dessus de l'envie,
c'est-à dire , triomphant de mes envieux.
Custodia garde , conservation , se prend en
latin pour ceux qui gardent, noctem custodia du-
CU insomnem (4).
(1) Antique. Expliq. tome II , p. 129,
(a)Hor.liv. 2,0d. 8,v. 18.
(3) Ibid. OcL-30.
(4)iE.liv. IX. ▼. 266.
LA METONYMIE. 7I
Spes9 l'espérance, se dit souvent pour ce qu'on
espère. Spes quce dijfertur affligit animam (1).
Petkio , demande , se dit aussi pour la chose de-
mandée. Dédit mihi dominus petitionemmeam(2)>
C'est ainsi que Phèdre a dit , tua calamitas
non sentiret (3), c'est-à-dire, tu calamitosus non
sentires. Tua calamitas est un ternie abstrait, au
lieu que tu calamitosus est le concret. Credens
colli longitudinem (4) pour collum longum : et en-
core corvi stupor (5) qui est l'abstrait , pour cor-
vus stupidus qui est le concret. Virgile a dit de
mêmeferri rigor (6) qui est l'abstrait , au lieu
àeferrum rigidum qui est le concret.
VII. Les parties du corps qui sont regardées corne
le siège des passions et des sentimens intérieurs ,
seprènent pour les sentimens mêmes : c'est ainsi
qu'on dit il a du cœur , c'est à-dire ,du courage.
Observez que les Anciens regardoient le cœur
corne le siègedela sagesse, de l'esprit,de l'adresse :
ainsi habet cor (7) dans Plaute, ne veut pas dire
corne parmi nous , elle a du courage , mais elle a
de Fesprit; vir cordatus , veut dire en latin un
home de sens , un home qui a un bon discernement,
(i)Prov. c.XIII, v. 12.
(2) 1. Reg. cl. v. 27.
* (3) Lib. I , fab. 3.
(4) Ibid. fab. 8.
(5) Ibid. fab. 13.
(6) Georg. L. I , v, 143.
(7) Cata est et callida , habet cor. Plaute. Peraa. act»
"4, se. 4, v. 71-. Si est mihi cor. Si j'ai de V esprit t de
l'intelligence. Plaut. Mostel act. U se. 1 , v. 9,
69 LA MÉTONYMIE.
Cornutus , philosophe Stoïcien , qui fut le
maître de Perse , et qui ensuite a été le com-
mentateur de ce Poëte , fait cette remarque sur
ces paroles de la première satire : sum petulanti
splene cachinno. « Physici dicunt hominessplene
*> ridere , felle irasci , jecore amare, corde sapere
?> et pulmonejactari». Aujourd'hui on a d'autres
lumières.
Perse dit que le ventre (i) , c'est-à-dire, la
faim , le besoin , a fait aprendre aux pies et aux
corbeaux à parler,
La cervèle se prend aussi pour l'esprit , le ju-
gement : 0 la belle tête (2) ! s'écrie le renard dans
Phèdre , quel domage , elle na point de cervèle ?
On dit d'un étourdi , que c'est une tête sans cer-
vèle : Ulysse dit à Euryale , selon la traduction
de Madame Dacier (3) , jeune home , vous ave\
tout V air d'un écervelé : c'est-à-dire , corne elle
l'explique dans ses savantes remarques , vous ave\
tout l'air d'un home peu sage. Au contraire ,
quand on â'it9c'est un home de tête , c'est une
bout tête , on veut dire que celui dont on parle ,
est unhabilehome , un home de jugement. La
tête lui a tourné , c'est-à-dire, qu'il a perdu le
bon sens, la présence d'esprit. Avoir de la tête ,
se dit aussi figurément d'un opiniâtre : t ête de fer
se dit un home apliqué sans relâche ,et encore*
d'un entêté*
(1) Perse, prolog.
<2) O quanta species ! cerebrum non habet.Ph, liv. I ,
fab.7.
(3) Odyssée. T. 2, p. 13.
La
LA MÉTONYMIE. 7>
La langue ,qui est ie principal organe de la pa-
role, se prend pour la parole : c'est une méchante
langue, c'est-à-dire , c'est un médisant : avoir la,
langue bien pendue , c'est avoir le talent de la
parole, c'est parler facilement.
VIII. Le nom du maître de la maisonse prend
aussi pour la maison qu'il oenpe : Virgile a dit
jam proximus ardet Ucalegon (ï), c'est-à-dire, le
feu a déjà pris à la maison d'Ucalégon.
On done aussi aux pièces de rnonnoie le nom
du Souverain dont elles portent l'empreinte. Du-
centos Philippos reddat aureos (2) : qu'elle rende
deux cens Pkilippes d'or , nous dirions deux cens
Louis d'or.
Voilà les principales espèces de métonymie.
Quelques-uns y ajoutent le métonymie , par la-
quelle on nome ce qui précèdepour ce qui su,:r,
ou ce qui suit pour ce qui précède, c'est ce'çu*on
a-pè!eL'ANTÉCÉDENTPOURLECONSÉQUENT,OU
LE CONSEQUENT POUR i/antécédent ; on en
trouvera des exemples dans la Métalepse , qui
n'est qu'une espèce de métonymie à laquelle on a
doné un nom particulier : au lieu qu'à l'égard
6qs autres espèces de métonymie dont nous ve-
nons de parler , on se contente de dire métonymie
de la cause pour l'éfet, métonymie du contenant
pour le contenu , métonymie du signe , etc.
(0 JEn. 2 , v. vs.
{2}2>laut. Bacchid, act, IV 3 se. 2,v,3,
D
J4 £ A M Ê T A L E P S E.
l i l
t, a Mêtalepse,
La Métalepseest une espèce de métonymie,
par laquelle on explique ce qui suit pour
faire entendre ce qui précède; pu ce qui précède
pour faire entendre ce qui suit: elle ouvre , pour
ainsi dire 9 la porte , dit Quintilien , afin que vous
passiez d'une idée à un autre , ex alio in aliud
viamprcsstat (i); c'est l'antécédent pour le con^
séquent , ou le conséquent pour l'antécédent , et
c'est toujours le jeu des accessoires , dont Tune
réveille l'autre,
Le partage des biens sefaisoit souvent et se fait
encore aujourd'hui , en tirant au sort : Josué se
servit de cette manière départager (x).
Le sort précède le partage; de- là vient que sors
en latin se prend souvent pour le partage même,
pour la portion qui est échue en partage; c'est le
jiom de l'antécédent qui est doné au conséquent.
Sort signifie encore jugement, arêt ; c'étoit lç
fort qui déçidoit chez les Romain? , du rang dans
(i) Inst. orat. Liv. VIII , c? 6*
(2) Clinique surrexissent viri , ut pergerent ad descri-
jbendam terram , prascepit eis Josue , dicens ; circuite ter-
rain et describite eam ac revertimini ad me ; ut hîc co«-
pm Domino 5 in Silo mUtam ypbU sortem. Jpsue? chtî
?ÇVIII,v.g,
I A M E T A L E P S E. 7$
lequel chaque cause devoit être plaidée (i): ainsi
quand on a dit sort pour jugement, on a pris l'an-
técédent pour le conséquent.
Sortes en latin se prend encore pour un oracle ,
soit parce qu'il y avoit des oracles qui se ren-
doient par le sort , soit parce que les réponses
àes oracles étoient corne autant de jugemcns
qui régloient la destinée , le partage , l'état de
ceux qui les consultoient.
On croit avant que de parler ; je crois (2),
dit le Prophète , et c'est pour cela que je
parle. Il n'y a point là de métalepse ; mais il
y a une métalepse quand on se sert de parler ou
de dire pour signifier croire ; direz-vous après
cela que je ne suis pas de vos amis? c'est-à-
cfire , croirez- vous ? aurez-vous sujet de
dire?
Cedo veut dire dans le sens propre, je cède 9
je me rens : cependant par une métalepse de
l'antécédent pour le conséquent , cedo signifie
souvent dans les meilleurs auteurs dites ou
ou done\ : cette signification vient de ce que
quand quelqu'un veut nous parler, et que nous
(1) Ex more romano non audiebantur causas , nisi
per sortem ordinatas. Tempore enhn quo causai audie-
bantur , conveniebant omnes , unde et concilium : et ex
sorte dierum ordinem accipiebant , quo post dies triginta
suas causas exquererentur, unde est urncun movet. Set>
vius in illud Virgiliï,
Nec vero haj sine sorte datai , sine judice sedes.
JEn. lib. V, v.43i«'
(2) Credidi, propter quod locutus sum. P. m , v. 1,
D 2
JS L A MÉTALEJ»S&
parlons toujours nous-mêmes, nous ne lui donons
psa le tems de s'expliquer : écoute\-moi , nous
dit-il, eh bien ! je vous cède, je vous écoute ,
parlez ; cedo , diçf
Quand on veut nous doner quelque chose ,
nous refusons souvent par civilité , on nous
presse d'accepter , et enfin nous répondons je
vous cède , ]e vous obéis , je me rens , doneç
çedo , da ; cedo qui est le plus poli de ces deux
mots , est demeuré tout seul dans le langage
ordinaire, sans être suivi de die ou de da qu'on
suprime par ellipse : cedo signifie alors ou l'un,
ou l'autre de ces deux mots , selon le sens ;
c'est ce qui précède pour ce qui suit ; et voilà
pourquoi on dit également cedo , soit qu'on
parle à une seule persone , ou à plusieurs : car
tout l'usage de ce mot (i) , dit un ancien
Grammairien , c'est de demander pour soi, cedo
sibi posçit et est immobile»
On raporte de même à la métalepse ces façons
de parler , il oublie les bienfaits , ç' est-à-dire ,
il n'est pas reconoissant. Souvene\-vous de notre
convention , c'est-à-dire ? observez notre con-*
vention : Seigneur , ne vous ressouvenez point
de nos fautes , c'est-à-dire , ne nous en punissez,
point , acprdez-nous en le pardon (a) : Je ne
vous conoispas, c'est-à-dire, je ne fais aucun
cas de vous , je vous méprise , vous èîQs à mon
égard corne n'étant point.
(i)Cornçl. Fronto, apud auctores linguas latin», pi
1335 , v. cedo,
(a) Quem omnes mentales ignorant çt luçtifiçantt
t  METAPLEPSE. 77
// a été 9 il a vécu (i) , veut dire souvent
il est mort; c'est l'antécédent pour le conséquent.
. . . C'en est fait , madame , et j'ai. vécu. (2 )
c'est-à-dire , je me meurs.
Un mort est regreté par ses amis, ils voil-
droient qu'il fût encore en vie , ils souhaitent
celui qu'ils ont perdu , ils le désirent : ce sen-
timent supose la mort , ou du moins Pabsende
de la persone qu'on regrète. Ainsi la mort ,
la perte ou V absence sont l'antécédent ; et le
désir , le regret sont le conséquent. Or , en latin,
desiderari , ttre souhaité , se prend pour être
mort , être perdu , être absentée est le conséquent
pour l'antécédent, c'est une métalepse. Ex parte
Alexandri triginta omninôet duo (3) , ou selofi
d'autres , trecenti omninb , expeditibus desiderati
sunt ; du côté d'Alexandre , il n'y eut que trois
cens fantassins de tués , Alexandre ne perdit
que trois cens homes d'infanterie. Nuîla navis
desiderabatur (4). ; aucun vaisseau n'étoit
désiré , c'est-à-dire , aucun vaisseau ne périr,
il n'y eut aucun vaisseau de perdu.
« Je vous avois promis que je ne seroisqus
}j cinq ou six jours à la campagne , dit Horace
» à Mécénas , et cependant j'y ai déjà passé
» tout le mois d'Août >>♦
Quinque dies tibi pollicitus me rure futurum ±
Sextilem totum mendax desideror (5).
(1) Plaute. Amphi. act. IV. se. 3 , v. ï$.
(2) Rac. Mithrid. act. V , v. se. dern.
(3) Q. Curt.liv.ïiï , c.ïï, fin*
(4) César , comin. de bell. sali.
(5) Hor. liv.I, ep. 7.
D 3
78 r A M É * A L E P S B.
Ou vous voyez que desideror veut dire par
hiétalepse, je suis absent de Rome \ je me tiens
à Ja campagne.
Par la même figure , cfesiderari signifie
encore manquer (deficere) , être tel que les autres
aient besoin de nous. « Les Thébains , par des
intrigues particulières , n'ayant point mis
Epaminondas à la tête de leur armée, reconurent
bien-tôt le besoin qu'ils avoient de son habi-
leté dans l'art militaire » : Desiderari capta est
Epaminondœ dïUgcntia (i). Cornélius Népos
dit encore que Ménéciide, jaloux de la gloire
d'Epaminondas , exhortoit continuèiernent les
Thébains à la paix , afin qu'ils ne sentissent
point le besoin qu'ils avoient de ce général. Hor~
tari solebat Thebanos ; ut pacem bcllo anteferreni^
ne ïllius imper atoris opéra desideraretur.
La rnéîalepse se fait donc lorsqu'on passe
cG*? par degrés d'une signification à une autre :
par exemple , quand Virgile a dit (a) , après
quelques épis , c'est-à-dire* après quelques
années : les épis suposent le tems de la moisson,
leîems de la moisson supose l'été, et l'été supose
la révolution de l'année. Les Poëtes prènent le$
hivers , les étés> les moissons , les autones f
et tout ce qui n'arive qu'une fois en une année,
pour l'année même. Nous disons dans le discours
ordinaire > c'est un vin de quatre feuilles , pour
dire, c'est un vin de quatre ans; et dans les
(i) Corn. Nep. Epam. c. 7.1b. c. 5.
(2) Post ali^ttOt nsea régna videas mirabor arisias*
Vlr g* Ecl. 1 * v., 7Qi
tAMÊTALEPSÈé 79
Coutumes on trouve bois de quatre feuilles (i) ,
c'est-à-dire, bois de quatre années.
Ainsi , le nom des diférentes opérations de
l'agriculture se prend pour le tems de ces opé-
rations, c'est le conséquent pour l'antécédent :
la moisson se prend pour le tems de la moisson *
la vendange pour le tems de la vendange ; il est
mort pendant la moisson , c'est-à-dire , dans
le tems de la moisson. La moisson se fait
ordinairement dans le mois d'Août , ainsi par
métonymie ou par rnétalepSe, on apèle la moisson,
Y Août ^ qu'on prononce Yoût , alors le tems
dans lequel une chose se fait , se prend pour la
chose même , et toujours à cause de la liaison
que les idées accessoires ont entr'elles.
On raporte aussi à cette figure ces façons de
parler des Poètes ^ par lesques ils prènent Tan*
îécédent pour le conséquent, lorsqu'au lieu
d'une description , ils nous mètent devant les
yeux le fait que la description supose.
« O Ménalque ! si nous vous perdions , dit
» Virgile , qui émailleroit la terre de fleurs: qui
» feroit couler les fontaines sous une ombre ver*
v doyante » (2) ? c'est-à-dire, qui chanteroit
la terre émaillée de fleurs? qui nous en feroit
des descriptions aussi vives et aussi riantes que
celles que vous en faites ? Qui nous peindroit
corne vous ces ruisseaux qui coulent sous une
ombre verte ?
(1) Coût, de Loudun , tit , 14 , art. 3.
(2) Quis cancret nymplias ? Quis humum florentibus herbis
Spargeret 3 au* viridi fontes iaduceret umbrâ ?
Virg.Ecl. IX , y. 19*
D 4
8$ % A SYNECDOQUE.
Le même Poëtea dit (i) , que « Silène envg-
n lopa chacune des sœurs de Phaéton avec une
» écorce amère , et fit sortir de terre de grands
» peupliers » ; c'est-à-dire , que Silène chanta
ii'une manière si vive la métamorphose des
sœurs de Phaéton en peuplier > qu'on croyoit
voir ce changement. Ces façons de parler
peuvent être raportées à l'hypotypose dont nous
parlerons dans la suite.
I V.
L A S Y N • E C D O Q V E.
Le terme de Synecdoque > signifie compréhen*
sion 5. conception : en éfet dans la Synecdoque
on fait recevoir à l'esprit plus ou moins que
îe mot dont on se sert ne signifie dans le sens
propre.
Quand au lieu de dire d'un home qu'il aime
h vin r je dis qu'il aime la bouteille , c'est une
simple métonymie , c'est un nom pour iun autre:
mais quand je dis cent voiles pour cent vais-
seaux, non seulement je prçns un nom pour,un
autre , mais je done au moi: voiles une significa-
tion plus étendue que celle qu'il a dans le sens
propre; je prens la partie pour le tout.
La Synecdoque est donc une espèce de méto-
nymie > par laquelle on done une signification
(i) Tum Pkaetontiadas nrusco- circuindaÈ amarra
£orticis , atquf solo groeeras erigit alnos.
yirgiU £cl» VI*.. v. fa*
— -
î, À SYNECDOQUE. 8l
particulière à un mot , qui dans le sens propre
a une signification plus générale ; ou au con-
traire, on done une signification générale à un
mot qui dans le sens propre n'a qu'une signifi-
cation particulière. En un mot , dans la mé-
tonymie je prens un nom pour un autre , au
lieu que dans la Synecdoque , je prens le plus
pour le moins , ou le moins pour le plus.
Voici les djférentes sortes de Synecdoques
que les Grammairiens ont remarquées.
I. Synecdoque du genre : corne quand cm
dit les mortels pour les homes , le terme de
mortels devroit pourtant comprendre aussi les
animaux qui sont sujets à la mort aussi bien
que nous : ainsi quand par les mortels on
n'entend que les homes , c'est une Synecdoque
du genre : cm dit le plus pour le moins,
Dans l'Ecriture Sainte (i) , créature ne
signifie ordinairement que les homes ; c'est
encore ce qu'on apèîe la Synecdoque du genre ,
parce qu'alors un mot générique ne s'entend
que d'une espèce particulière : créature est un
mot générique , puisqu'il comprend toutes les
espèces de choses créées , les arbres , les ani-
maux, les métaux, etc* Ainsi lorsqu'il ne s'en-
tend pas des hommes, c'est une Synecdoque du
genre, c'est-à-dire, que sous le nom du genre,
on ne conçoit , on n'exprime qu'une espèce
particulière; on restreint le mot générique à
(i) Euntes in mundum unlversum prasdisate evange^
lium omni créature Marc. c. XV" , \% 16.
D5
2% U STNEC0OQITE.
la simple signification, d'un mot qui ne marque
qu'une espèce.,
Nombre est un mot qui se dît de tout assem-
blage d'unité : les Latins se sont quelquefois
servis de ce mot en le restreignant à une espèce
particulière»
1. Pour marquer l'harmonie ,. le chant : il y ar
dans léchant une proportion qui se compte. Les
Grecs apèlent aussi ruihmos , tout ce qui se
fait avec une certaine proportion : Quidquid
certo modo et ratione fit.
• . . . Numéros memini , si verBa tenererru-
« Je me souviens de la mesure, de l'harmonie,.
9) de la cadence , du chant , de l'air ; mais je
?> n'ai pas retenu les paroles >r(i),
2. Numerus se prend encore en particulier
pour les vers ; parce qu'en éfet les vers sont
composés d'un certain nombre de pies ou de*
.syllabes: Scribimus numéros ^ , nous fesons des
vers (i)i
3. En français, nous nous servons aussi de
nombre ou de nombreux , pour marquer une cer-
taine harmonie, certaines mesures , proportions
ou cadences , qui rendent agréables à Poreille
un air , un vers, une période ,. un discours . Il yv
a un certain nombre qui rend les périodes har-
mionieuses . On dit d'une période qu'elle est fort
mombreuse , numéro sa or ado (3) , c'est-à-dire ?,
(i)Virg. Ecî.IX,v.4r-
(2) Perse , sat. I , v. 3.
(3) Cic n* LVriI , oÛUt 19S , ctci
LA S Y N E (î î> O Q TJ £. 8j
«|ue le nombre des syllabes qui la composent
est si bien distribué , que l'oreille en est frapée
agréablement : numerus a aussi cette signification
en latin (i). In oratione ïiumetus latine , ruthmos
inesse dicitur. • • » Ad capiendas aurts } ajoute
Cicéron , numeri ab oratore quarentur et plus
bas , il s'exprime en ces termes : Aristoteles ver-
sum in oratione vetat esse , numerum jubet.
Aristote ne veut point qu'il se trouve un vers
dans la prose , c'est à-dire , qu'il ne veut point
que lorsqu'on écrit en prose , il se trouve dans
le discours le même assemblage de pies , ou le
même nombre de syllabes qui forment un vers.
Il veut cependant que la prose ait de l'harmo-
nie ; mais une harmonie qui lui soit particu-
lière , quoiqu'elle dépende également du nom-
bre des syllabes et de l'arangement des mots.
IL II y a au contraire la Synecdoque &è
ï/ESPÈCE : c'est lorsqu'un mot , qui dans le sens
propre ne signifie qu'une espèce particulière ,
se prend pour le genre , c'est ainsi qu'on apèle
quelquefois voleur un méchant home. C'est
alors prendre le moins pour marquer le plus.
Il y avoit dans la Thessalie , entre le mont
Ossa et le mont Olympe , une fameuse plaine
apelée Tempe , qui passoit pour un des plus
beaux lieux delà Grèce; les poètes grecs et latins
se sont servis de ce mot particulier pour marquer
toutes sortes de belles campagnes.
« Le doux someil , dit Horace , n'aime poias
JÙ) Ibid* n, LI , aliter 170 v 171 , 172.
84 £A SYNECDOQUE.
» le trouble qui règne cliez les grands ; fl se
» plaît dans les petites maisons de bergers , à
*> l'ombre d'un ruisseau , ou dans ces agréables
3? campagnes , dont les arbres ne sont agités
n que par fe zéphir » ; et pour marquer ces
campagnes, il se sert de Tempe::
...» Soimrus agrestitim;
Lenis virorurn .y non kumiles domos
Fastidifc , umhrosamqiie ripam ,
Non zepîiyris? agi ta ta Tempe (i).
Le mot de corps et le mot d'âme se prènenf
aussi quelquefois séparément pour tout l'home t.
on dit populairement r sur-tout dans les pro-
vinces,, ce corps-là, pour cet home-là ; voilà un
plaisant corps > pour dire un plaisant personage.
On dit aussi qu'il y cl cent mille âmes dans uns-
ville 5 c'est-à-dire , cent mille habitans, Omnes
animœ domus Jacob (2) ,. toutes les persones de
la famille Jacob/ Genu.it sexdecim animas (3),
iîeut seize enfans.
III. Synecdoque dans de nombre: c'est
lorsqu'on met un singulier pour, un pluriel ,. oifc
un pluriel pour un singulier.
I. Le Germain révolté , c'est-à-dire ,,I'es Ger*>
mains , les Alemands ; Véhenu vient a nous , cfest-
à-dire 9Jes éncmis, Dansles Historiens latins, on
trouve souvent ptdes pour pedites ; le. fantassin
pour les fantassins > l'infanterie.
2\ Le pluriel pour le singulier* Souvent dans
(1) Hor. liv. IIÏ, Cd> î, v, 22.
(2) Gen. c. xlv > v. ZJ+
(3) Ibid- v- i8".
£ À synecdoque. 8$
le style sérieux on dit nous au lieu de je ,et de
même , il est écrit dans les Prophètes (l) , c'est--
à-dire, dans un livre de quelqu'un des Prophètes".
3. Un nombre certain pour un nombre incer*
tain. 27 me Va dit , dix fois , vingt fois , cent fois 9
mille fois , c'est-à-dire , plusieurs fois.
4. Souvent pour faire un compte rond , on.
ajoute ou Ton retranche ce qui empêche quels
compte ne soit rond : ainsi on dit la version des
septante , au lieu de dire la version des soixante
et deux interprètes , qui , selon les Pères de l'E-
glise ^traduisirent TEcriture-Sainte en grec ,à la
prière de Ptolémée Philadeiphe, Roi d'Egypte,
environ trois cens ans avant J. C. Vous v©yez
que c'est toujours ou le plus pour le moins , oa
au contraire le moins pour le plus.
IV. La partie pour le tout, et le tout
POUR LA partie. Ainsi la tête se prend pour
tout l'home : c'est ainsi qu'on dit communément^
on a payé tant par tête , c'est-à-dire , tant par
persone ; une tête si chère , c'est-à-dire, une
persone si précieuse , si fort aimée.
Les Poètes disent , après quelques moissons y
quelques étés , quelques hivers , c'est-à dire,
après quelques années.
L'onde y dans le sens propre , signifie une
vague , un flot ; cependant les Poètes prènene
ce mot pour la mer ,. ou pour l'eau d'une
rivière , ou pour la rivière même»
Vous juriez autrefois que cette onde rebèle ,
(1) Qucd dlcium est per Proçhetas* Matt. c. tt. v. 23*
86 LA SYNECDOQUE.
Se fer oit vers sa source une route nonvèle ,
Plutôt qu'on ne verroit votre cœur dégagé ,
Voyez couleur ces flots dans cette vaste plaine ;
C'est le même penchant qui toujours les entraîne °f
Leur cours ne change point , et vous avez changé (i).
Dans les Poètes latins , la poupe on la proue
d'un vaisseau , se prènent pour tout le vaisseau,
On dit en français cent voiles pour dire cent
vaisseaux : Tectum , le toit t se prend en latin
pour toute la maison : JEneam in regia ducit
tecta (i) , elle mène Enée dans son palais.
La porte , et même le seuil de la porte , se
prènent aussi en latin pour toute la maison ,
tout le palais, tout le temple. C'est peut-être
par cette espèce de synecdoque qu'on peut
doner un sens raisonableà ces vers de Virgile;
Tum forihus Divje , mediâ testudine templr ,
Septa armis ,, so-lioque altè suhnixa resedit (3).
Si Didon étoit assise à la porte du temple,
fcribus Diva y cornent pouvoît-eUe être assise
eu même tems sous le milieu de la voûte
mediâ testudine 1 C'est que par forihus Diva
îl faut entendre d'abord en général le temple -
elle vint au temple , ei se plaça sous la
voûte.
Lorsqu'un citoyen romain étoit fait esclave ,
ses biens appartenoient à ses héritiers ; mai&
«'il revenoit dans sa patrie r il rentroit da<na
(ï) Quinault , Isis, act. 1 , se. 3*
(2) Virg. iEn. I , v. 6$$,
i3) Mn, I , v. %G%»
tA SYNECDOQUE. %J
la possession et jouissance de tous ses biens :
ce droit , qui est une espèce de droit de retour ,,
s'apeloit en latin jus post liminii; de post t après-,
et de limen , le seuil de laperre, Pentrée.
Porte, par synecdoque, et par antonomase,
signifie aussi la cour du Grand-Seigneur, de
l'Empereur Turc. On dit faire un traité avec la
Porte , c'est-à-dire , avec la Cour Ottomane.
C'est une façon de parler qui nous vient des
Turcs : ils noment Porte par excélence la porte
du sérail , c'est le palais du Sultan ou Empereur
Turc , et ils entendent par ce mot , ce que nous
apelons la Cour,
Nous disons il y a cent feux dans ce village 9
c'est-à-dire cent familles.
On trouve aussi des noms de villes , de
fleuves, ou de pays particuliers, pour des noms
de provinces et de nations (l). Les Pélasgiens,
les Argrens , les Doriens , peuples particuliers
de la Grèce , se prènent pour tous les Grecs 7
dans Virgile et dans les autres poètes anciens.
On voit souvent dans les poètes le Tibre (a)
pour les Romains ; le Nil pour les Egyptiens £
ta Seine pour les Français.
Ckaque climat produit des favoris de Mars (3) ;
La Seine a des Bourbons , le Tibre a des Césars.
Fouler aux. pies l'orgueil et duTage et du Tibre (4)»
(ï) Eurus ab auroram Nabathîeaque régna récessif»
Ovid» Metara. l.~i ,v.6i.
(2) Cum Tiberi , Nilo gratia nulla fuat. Trop. 1. 2,
Ekg. 33 , v. 20. Per Tiberim Rornanos , per Nilum
>/Egyptios intelligito. Beroald. in Jproptrt.
il) Eoileau. Ep. 1* (4) Idem. Discours au Ro\
88 3LA SYNECDOQUE.
Par le Tage , il entend les Espagnols; le
Tage est une des plus célèbres rivières d'Espagne.
V. On sesert souvent du nom de la matière,
pour marquer LA CHOSE qui en est faite ;
le pin ou quelqn'autre arbre se prend dans les
poëtes pour uri vaisseau ; on. dit comunément
de l'argent *, pour des pièces d'argent , de la
monoie. Le fer se prend pour l'épée: périr par
te fer, Virgile s'est servi de ce mot pour le soc
de la charue :
At prïus ignotum ferro quam scindimus sequor (i).
M. Boileau dans son ode sur la prise de
ÎQamur , a dit V airain pour dire les canons.
Et par cent bouches horribles
L*airam sur ces monts terribles
Vomit 3e fer et la mort»
V airain 9 en latin as 9 se prend aussi fréquem-
ment pour la monoie , les richesses : la première
monoie des Romains étoït de cuivre : as alienum
le cuivre d'autrui ; c'est-à-dire , Je bien d'autrui^
qui est entre nos mains > nos dettes , ce que
nous devons.
Enfin , ara se prend pour des vases de cuivre v
four des trompâtes , des armes ; en un mot
ponr tout ce qui se fait de cuivre.
Dieu dit à Adam 5 tu es poussière , et tu
retourneras en poussière (a) , pulvis es , et i®
(î) Géorg. T. v. 5,0.
(2) Cor. c. 3 , v. 19.
LA SfNECBOQVE. #9
pluverem rêver teris , c'est-à-dire , tu as été fait
de poussière , tu as été formé d'un peu de terre.
Virgile s'est servi du nom de l'éléphant , pour
marquer simplement de l'ivoire (1) j c'est ainsi
que nous disons tous les'jours un castor , pour
dire un chapeau fait de poil de castor, etc.
Le pieux Enée , rdit Virgile (2) , lança sa
haste (3) avec tant de force contre Méz2nce ,
qu'elle perça le bouclier fait de trois plaques
de cuivre , et qu'elle traversa les piqûres de
toile , et l'ouvrage fait de trois taureaux , c'est-
à-dire , de trois cuirs. Cette façon de parler ne
seroit pas entendue en notre langue.
Mais il ne faut pas croire qu'il soit permis
de prendre indiférement un nom pour un autre,
soit par métonymie, soit par synecdoque : il
faut encore un coup , que les expressions figu-
rées soient autorisées par l'usage; ou du moins
que le sens litéral qu'on veut faire entendre,
se présente naturèlement à l'esprit sans révolter
la droite raison , et sans blesser les oreilles
acoutumées à la pureté du langage. Si Ton
disoit qu'une armée navale étoit composée dt
cent mâts , ou de cent avirons , au lieu de dire
(1) Ex auro , solidoque elepîianto. Georg. III v. 26 f
Dona dehinc auro gravia sectoque elephanto.
JEn. III, ^464.
(2) Tum pius ./Eneas hastam jacit : illa per orbem
Mre cavum triplici per linea terga , tribusque
Transiit intextum tamis opus. Ain. 1. X , v. 783.
(3) Haste , pique , lance. Voj". le P# de Montfaucoa t
ÇO £ A SYKËCDÔQtrK*
cent voiles pour cent vaisseaux , onserendroit :
ïidicule : chaque pa rtie ne se prend pas pour le
tout, et chaque nom générique ne se prend
pas pour une espèce particulière , ni tout nom
d'espèce pour le genre ; c'est l'usage seul qui
done à son gré ce privilège à un mot plutôt
qu'à un autre.
Ainsi , quand Horace a dit que les combats
sont en horreur aux mères , bella matrihus detes-
tata (i) , je suis persuadé que ce poëte n'a
voulu parler précisément que des mères. Je
vois une mère alarmée pour son fils, qu'elle
sait être à la guerre , ou dans un combat , dont
on vient de lui aprendre la nouvelle : Horace
excite ma sensibilité en me fesant penser aux
larmes où les mères sont alors pour leurs enfans;
il me semble même que cette tendresse des mères
est ici le seul sentiment qui ne soit pas suscepti-
ble de foiblesse ou de quelqu'autre interprétation:
peu favorable : les alarmes d'une maîtresse pour
«on amant , n'oseroient pas toujours se montrer
avec la même liberté , que la tendresse d'une
mère pour son fils. Ainsi , quelque déférence que
j'aie pour le savant P. Sanadon , javoue que
je ne saurois trouver une synecdoque de l'espèce
dans bella matrihus detestata. Le P. Sanadon
croit que matrihus (a) comprend ici , même
les jeunes filles: voici sa traduction. Les combats,
qui sont pour les femmes un objet d'hornuK
(i( Hor.l. I,Od. ï3 v. 24.
O) Poésies d'Horace , tome a I > p. 7«
H SYNECDOQUE. $i
Et dans les remarques il dit , ?> que (i) les mères
;> redoutent la guerre pour les époux et pour
» leurs enfans ; mais les jeunes filles, ajoute-
?> t-il , ne doivent pas moins la redouter pour
v les objets d'une tendresse légitime que la
j> gloire leur enlève , en les rangeant sous les
» drapeaux de Mars. Cette raison m'a fait
» prendre matres dans la signification la plus
3ï étendue , comme les poëtes Pont souvent
» employé. Il me semble, ajoute-t-il, que ce
» sens fait ici un bel éfet ».
il ne s'agit pas de doner ici des instructions
aux jeunes filles, ni de leur aprendre ce qu'elles
doivent faire, lorsque la gloire leur enlève les
objets de leur tendresse , en les rangeant sous
les drapeaux de Mars ; c'est-à-dire , lorsque
leurs amans sont à la guerre; il s'agit de ce
qu'Horace a pensé; or , il me semble que le
terme de mères n'est relatif qu'à enfans ; il ne
l'est pas même k époux , encore moins aux objets
d'une tendresse légitime. J'ajouterois volontiers,
que les jeunes filles s'opposent à ce qu'on les
confonde sous le nom de mères ;mais pour parler
plus sérieusement , j'avoue que lorsque je lis»
dans la traduction du P. Sanadon , que les
combats sont pour les femmes un objet d'horreur,
je ne vois que des femmes épouvantées ; au lieu
que les paroles d'Horace me font voir une mère
attendrie : ainsi je ne sens point que l'une de ces
expressions puisse jamais être l'image de l'autre^
tO Poésies d'Horace , ga^c 12,
9^ LA SYNECDOQUE.
et bien loin que la traduction du P. SanadoM
fasse sur moi un plus bel éfet , je regrète le
sentiment tendre qu'elle me fait perdre. Mais re-
venons à la synecdoque.
Corne il est facile de confondre cette figure
avec la métonymie 5 fe crois qu'il ne sera pas
inutile d'observer ce qui distingue la synecdoque
de la métonymie : c'est i.pQue la synecdoque
fait entendre le plus par un mot qui dans le
sens propre signifie le moins9Qii au contraire elle ,
fait entendre le moins par un mot qui dans le
sens propre marque le plus.
2.° Dané l'une et dans l'autre figure , il y a
une relation entre l'objet dont ori veut parler,
et celui dont on emprunte le nom ; car s'il n'y
avoit point de raport entré ces objets, il n'y
auroit aucune idée accessoire , et par consé-
quent point de trope : mais là relation qu'il y
a entre les objets, dans la métonymie, est de
telle sorte, que l'objet dont on emprunte le nom
subsiste indépendament de celui dont il réveille
l'idée, et ne forme point un ensemble avec lui.
Tel est le raport qui se trouve entre la cause
et l'éfet, entre l'auteur et son ouvrage, entre
Cérès et le blé; entre le contenant et le contenu ,
corne entre la bouteille et le vin : au lieu que la
liaison qui se trouve entre les objets , dans la
synecdoque, supose que ces objets forment ut*
ensemble co.ne le tout etldi partie; leur union
n'est point un simple raport , elle est plus inté-
rieure et plus indépendante ; c'est ce qu'on peut
LA SYNECDOQUE, 93
remarquer dans les exemples de Tune et de l'au-
tre de ces figures.
V.
1/ Antonomase.
L'antonomase est une espèce de synecdo-
que, par laquelle on met un nom eomun pour
un nom propre 9 ou bien un nom propre pour
un nom comun. Dans le premier cas , on veut
faire entendre que la persone ou la chose dont
on parle excèle sur toutes celles qui peuvent être
comprises sous le nom comun , et dans le second
cas , on fait entendre que celui dont on parle
ressemble à ceux dont le nom propre est célèbre
par quelque vice ou par quelque vertu.
I. Philosophe , Orateur , Poète , Roi , Ville ,
Monsieur , sont des noms communs; cependant
l'antonomase en fait des noms particuliers qui
équivalent à des noms propres.
Quand les anciens disent le philosophe , ils
entendent Aristote.
Quand les Latins disent Y Orateur , ils enten-
dent Cicéron.
Quand ils disent le Poète , ils entendent
Virgile.
Les Grecs entendoient parler de Démosthène,
quand ils disoient YOrateur , et d'Homère f
quand ils disoient le Poète.
Quand nos théologiens disent le Doeteur
94 I5 ANTONOMASE.
Angélique , on l'ange de l'Ecole , ils veuletft
parler de S. Thomas. Scot estapeléle Docteur
subtil , S. Augustin le Docteur de la grâce*
Ainsi ondone par excélence par antonomase,
le nom de la science ou de l'art à ceux qui s'y
sont le plus distingués.
Dans chaque royaume , quand on dit simple-
ment le roi , on entend le roi du pays où l'on
est ; quand on dit la ville , on entend la capi-
tale du royaume , de la province ou du pays
dans lequel on demeure.
Quo te , Moeri , pedes ? an quô via ducit m urbem (i) ?
Urbeni en cet endroit veut dire la ville de Man-
toue: ces bergers parlent par raport au territoire
où ils demeurent. Mais quand les anciens par-
loient par raport à l'Empire Romain , alors par
urbem ils entendoient la ville de Rome.
Dans les comédies grèques , ou tirées du grec
h ville (astu) veut dire Athènes : An (x) in
astu venit > Est-il venu à la ville ? Cornélius
Népos parlant de Thémistocle et d'Alcibiade ,
s'est servi plus d'une fois de ce mot en <!e
sens (3).
Dans chaque famille , Monsieur veut dire le
maître de la maison.
Les adjectifs ou épithètes sont des noms
«
(i)Virg. Ec. IX, v. I.
(2) Térence. Eun. act. V, se. VI , selon Madame Da-
cier , et se. V, v. 17 , selon les éditions vulgaires.
(3) Xerxes protinus accessit astu.
Corn. Nep. Themist, 4g
Alcibiades postquàm astu venit. Idem, Alcib. 6,
L' À N T O N O M A S £. JÇ
comuns , que Ton peut apliquer aux diférens
objets auxquels ils conviènent , l'antonomase en
fait des noms particuliers : l'invincible , le
conquérant , le grand, le juste , le sage , se disent
par antonomase, de certains princes ou d'autres
personnes particulières.
Tire-Live (i) apèle souvent Annibal le Cartha*
ginoisî le Carthaginois , dit-il , avoit un grand
nombre d'homes : Abundabat multitudine homi-
num pœnus. Didon dit à sa sœur (a) , vous
mettre^ sur le bûcher les armes que le perfide cl
laissées , et par ce perfide , elle entend Enée.
Le destructeur de Carthage et de Numancey
signifie par antonomase , Scipion Emilien.
Il en est de même des noms patronymiques
dont j'ai parlé ailleurs , ce sont des noms tirés
du père ou d'un aïeul , et qu^on done aux
descendans ; par exemple , quand Virgile apèle
Enée Anchisiades (3) , ce nom est doné à Enée
par antonomase , il est tiré du nom de son père,
qui s'apeloit Anchise. Diomède , héros célèbre
dans l'antiquité fabuleuse , est souvent apelé
Tydides y parce qu'il étoit fils de Tydée , roi
des Etoliens.
Nous avons un recueil ou abrégé des lois des
anciens Français , qui a pour titre Lex Salica :
(1) Tit. Liv. L21 , n. 8,
(3) Arma viri thalamo quas fixa religuit.
Impius... super imponas. JEn. 1. IV > v. 49$»
(3) iEiKl.YjV.4c7,
9^ L' ANTONOMASE,
parmi ces lois , il y a un article (i) qui exclut
les femmes de la succession aux terres saliques ,
c'est-à-dire, aux fiefs: c'est une loi qu'on n'a
observée inviolablement dans la suite qu'à l'égard
des femmes qu'on a toujours excluses de la
succession à la Couronne, Cet usage toujours
observé , est ce qu'on apèle aujourd'hui loi
salique, par antonomase , c'est- à-dire, que nous
donons à la loi particulière d'exclure les femmes
de la Couronne, un nom que nos pères douèrent
autrefois à un recueil générai de lois.
IL La seconde espèce d'antonomase est lors-
qu'on prend un nom propre pour un nom comun,
ou pour un adjectif,
Sardanapale dernier roi des Assyriens , vivoit
dans une extrême molesse ; du moins tel est le
sentiment commun : de-là , on dit d'un volu-
ptueux , c'est un Sardanapale,
L'empeur Néron fut un prince de mauvaises
mœurs 9 et barbare jusqu'à faire mourir sa
propre mère ; de-là , on dit des princes qui lui
ont ressemblé , c'est un Néron.
Caton., au contraire, fut remarquable par
l'austérité de ses mœurs ; de-là S. Jérôme (2) a
dit d'un hypocrite, c'est un Caton au dehors ,
lin Néron au dedans , intus Nero , forts Cato.
Mécénas , favori de l'empereur Auguste, pro-
(1) De terra vero saiicâ nulla portio hîtreditatis mu-
lieri vernat , sed ad virilem sexum tota terrai hœreditas
proveniat, LexSalica , art. 62 , de Àlode , §. 6.
(1) Hier. 1. 2 , Ep. 13. Rus. Monache. sub. fin, Ludg.
p, 22J ^ et Paris , edit, 1718 , p. 386.
tégeoit
Lv ANTONOMASE. 97
cégeoit les Gens de lettres: on dit aujourd'hui
d'un seigneur qui leur accorde sa protection ,
c'est un Mécénas,
Mais sans un Mécénas , à quoi sert un Auguste (1) ?
c'est-à-dire , sans un protecteur.
Irusétoit un pauvre de l'île d'Ithaque (2) qui
étoit à la suite des amans de Pénélope ; il s
doné lieu au proverbe des anciens , plus pauvre
qu'Irus. Au contraire, Crésus ,roi de Lydie , fut
un prince extrêmement riche ; de-là, on trouve
dans les poètes Irus pour un pauvre, et Crésus
pour un riche.
Irus et est subit6 qui modo Crœsus erat (3).
-.... Non distat Crœsus ablro (4).
Zoile fut un critique passioné et jaloux : son
nom se dit encore (5) d'un home qui a les
mêmes défauts ; Aristarque , au contraire , fut
un critique judicieux: l'un et l'autre ont critiqué
Homère : Zoile l'a censuré avec aigreur et avec
passion; mais Aristarque l'a critiqué avec un
sage discernement , qui l'a fait regarder corne
le modèle des critiques : on a dit de ceux qui
l'ont imité, qu'ils étoient des Aristarques.
Et de moi-même Aristarque incomode (6) :
Çest-à-dire , censeur. Lisez vos ouvrages , dit
(1) Boilôau , Sat. I , v. 80..
(2) Homer. Odiss. 1. XVI1L
(3) Ovid. Trist. IÎI , Eleg. 7, v. 42.
(4) Propert. 1. III , £ieg. 4. v. 39.
(5) Ingenium magni detrectat livor Homeri :
Quisquis es , ex ilio , Zoïle , nomen habos.
Ovid. Reined. amor, v. 365*
(6) Rousseau , Ep, 1 , aux Muses.
E
%% $/ ANTONOMASE.
Horace (i), à un amî judicieux : il vous en fera
sentir les défauts 9 il sera pour vous un Aris-
t arque*
Thersite fut le plus mal fait , le plus lâche ,
je plus ridicule de tous les Grecs : Homère a
rendu les défauts de ce grec si célèbres et si conus$
que les anciens ont souvent dit un Thersite ,
pour un home diforme , pour un home mé-
prisable (i). C'est dans ce dernier sens que M,
de la Bruyère a dit : » jetez-moi dans les troupes
v corne un simple soldat , je suis Thersite ;
» metez-moi à la tête d'une armée dont j'aie à
?> répondre a toute l'Europe , je suis Achille»,
(Sdjpe , célèbre dans les tems fabuleux pour
^voir deviné l'énigme du Sphinx , -a doné lieu à
ce mot deTérence ,Davus sùm, non Œdipus (3),
Je suis Dave , Seigneur , et ne suis point (gdipe.
C'est-à-dire 5 je ne sais point deviner les dis-*
cours énjgmatiques. Bans notre Andriène fran^
tikè , oÀ a traduit :
5e suis Dave , Monsieur , et ne suis pas devin (3)
Ce qui fait perdre l'agrément et la justesse de
l'oposition entre Dave et Œdipe : je suis Dave ,
donc je ne suis pas Œdipe 9 la conclusion est
(1) Vir. bonus ac prudens versus reprehendet inertes ."
Culpàbit duros , incomptis allinet atrum
Trinsverso calamo signiun ; ambitiosa recidet
Ornementa , parùni claris iucem daie coget ^
Ar^ret ambiguë dictum ; mutanda notabit ,
Fiet AristarcKus. Horat. art. poeî. v. 4440
(2) La Bruyère , caract. des Grands,
(3) Ter. And. act, ï, se. 2,
(4) Acd. set. I , se 3.
i'antonomase. 99
juste ; au lieu que, je suis D ave , donc je ne
suis pas devin ,* la conséquence n'est pas bien
tirée , car il pouroit être Dave et devin.
M. Saumaise a été un fameux critique dans
le dix-septième siècle: c'est ce qui a dené lieu
à ce vers de Boileau ,
Aux Saumaises futurs préparer des tortures (i).
c'est-à-dire , aux critiques , aux comentateurs à
venir.
Xantipe , femme du philosophe Socrate , étoit
d'une humeur fâcheuse et incomode : on a doné
son nom à plusieurs femmes de ce caractère.
Pénélope et Lucrèce se sont distinguées par
leur vertu , telle est du moins leur comune
réputation : on a doné leur nom aux femmes qui
leur ont ressemblé : au contraire, les femmes
débauchées ont été apel&s des Phrynés ou des
Lais ; ce sont les noms de deux fameuses cour-
tisanes de l'ancien e Grèce.
Aux temps les plus féconds en Phrynés , en Laïs,"
Plus d'une Pénélope honora son pays (2).
Typhis fut le pilote des Argonautes; Automé-
cîon fut l'écuyer d'Achille, c'étoitlui qui meno't
son char : de-là , on a doné les noms de Typhis
et d'Automédon à un home qui, par des pré-
ceptes , mère et conduit à quelque science ou
à quelque art. C'est ainsi qu'OvicTe a' dit
qu'il étoit le Typhis et l'Automédon ce l'art
d'aimer.
(1) Boiîean , Kpit. à son esprit ? c'est la IX.
(2) £oileau , Sut, X.
E %
IOO L' ANTONOMASE.
Typliis et Aatomedon dicar amoris ego (i).
Sous le règne de Philippe de Valois , le Dau-
phiné fût réuni à la Courcne (a). Humbert ,
Dauphin de Viennois , qui se fit ensuite religieux
de l'ordre de S. Dominique , se dessaisit et
dévestiù du Dauphiné et de ses autres terres f
et en saisit réellement , corp or élément et de fait,
Charles, petit fils du Roi , présent et acceptant
pour li et ses hoirs et successeurs ; et plus bas,
transporte audit Charles , ses hoirs et successeurs
et ceux qui auront cause de li perpétuelement et
héritablement en saisine et en propriété pleine
ledit Dalphinê. *
Charles devint roi de France (3) , cinquième
(1) Ovid. de Arte ama, 1. I , v. 8.
(2)Termes de la confirmation du dernier acte de trans-
port du Dauphiné , en faveur de Charles , fils de Jean ,
duc de Normandie. Cet acte est du 16 Juillet 1349.
Voyez les preuves de l'histoire du Dauphiné de M. de
Valbonnay- > et ses Mémoires , pour servir à l'histoire
du Dauphiné. A paris , chez de Bats , 1711.
« On s'est persuadé que la condition en faveur du
» premier né de nos Rois , étoit tacitement renfermée
» dans ces paroles , quoiqu'elle n'y soit pas litéralement
» exprimée » , corne on le croit communément. Histoire
du Dauphiné, pag. 603 , édir. de 1722,
Dans le tems de cette donation faite a Charles , Jean
père de Charles , étoit le fils aîné du Roi Philippe de
V^lpis , et fut son sucesseur , c'est Jean II. Après la
mort du Roi Jean II , Charles son fils , qui étoit déjà
Dauphin , lui succéda au royaume, c'est Charles V ,
dit le Sage. Ainsi ce ne fut pas le fils aîné du Roi qui fut
le premier Dauphin , ce fut Charles , fils de l'aîné.
(3) Eist. de la Monarchie Française, par G* Marcel *
îom. III j pa§. 52.
l' A N T O N O M A S E. ÎOI
du nom , et dans la suite « il a été arrêté que
» le fils aîné de France porteroit seul le titre
» de Dauphin ».
On fait allusion au Dauphin , lorsque dans les
familles des particuliers on apèle Dauphin le
fils aîné de la maison , ou celui qui est le plus
aimé : on dit que c'est le Dauphin par antono-
mase , par allusion , par métaphore , ou par
ironie. On dit aussi un Benjamin, faisant allusion
au fils bien aimé de Jacob.
V I.
La Communication dans les paroles.
Les Rhéteurs parlent d'une figure apeîée sim-
plement comunication ; c'est lorsque l'orateur
s'adressant à ceux à qui il parle , paroît se com-
muniquer, s'ouvrir à eux , les prendre eux-mêmes
pour juges ; par exemple : En quoi vous ai- je
doné lieu de vous plaindre ? Répondéç-tridi 9
que pouvois-je faire de plus ? Qu aurie\-vous
fait a via place? etc. En ce sens^ la comunication
est une figure de pensée , et par conséquent
elle n'est pas de mon sujet.
La figure dont je veux parler est un trop* ,
par lequel on fait tomber sur soi-même ou sur
les autres , une partie de ce qu'on dit : par
exemple, un maître dit quelquefois à ses disciples,
nous perdons tout notre tems , au lieu de dire,
vous ne faites que vous amuser. Qu'avons-no&e
E3
Ï02 LA COMMUNICATION, etc.
fait ? veut dire en ces occasions qu'aveç-vous
fait ? ainsi nous dans ces exemples n'est pasle
sens propre , il ne renferme point celui qui
parle. On ménage par ces expressions l'amour
propre de ceux à qui on adresse la parole , en
paroissant partager a\ec eux le blâme de ce
qu'on leur reproche; la remontrance étant moins
personèîe , et paroissant comprendre celui qui
l'a fait , en est moins aigre , et devient souvent
plus utile.
Les louanges qu'on se done blessent toujours
l'amour propre de ceux à qui l'on parle. Il y a
plus de modestie à s'énoncer d'une manière qui
fasse tomber sur d'autres une partie du bien
qu'on veut dire de soi : ainsi un capitaine dit
quelquefois que sa compagnie a fait telle ou
telle action, plutôt que d'en faire retomber la
gloire sur sa seule personne.
On peut regarder cette figure corne une es^
pèce particulière de synecdoque , puisqu'on dit
le plus pour tourner l'atention au moins*
V I I.
La Litote.
La litote ou diminution est un trope par
lequel on se sert de mots , qui à la lettre ,pa-
roissent afoiblir une pensée dont on sait bien que
les idées accessoires feront sentir toute la force ;
t A L I t O T E. I03
en dit 1-2 moins par modestie ou par égard ;
mais on sait bien que ce moins réveillera l'idée
du plus.
Quand Chimène dit à Rodrigue , Vd * /é «tf
fe Aaw />o//zr (1)* elle lui fait entendre bien
plus que ces mots-là ne signifient dans leur sens-
propre.
Il en est de même de ces façons de parler ;
je ne puis vous louer , c'est-à-dire , je blâme
votre conduite : je ne méprise pas vos présens ,
signifie que j'en fais beaucoup de cas : il n'est
pas sot , veut dire qu'il a plus d'esprit que
vous ne croyez : il n'est pas poltron , fait en-
tendre qu'il a du courage : Pythagore n est pas
un auteur méprisable (2}; c'est-à-dire, que
Pythagore est un auteur qui mérite d'être
estimé. Je ne suis pas diforme (3), veut dire
modestement qu'on est bien fait , ou du moins
qu'on le croit ainsi.
On apèle aussi cette figure exténuation ; elle
est oposée à l'hyperbole*
(1) Corn, le Cid , act. III, se. 4.
(2) Non sordibus auctor
Nature , verique. Hor. 1. I. od. 28.
{3) Née sum adeo informis. V^g* Ecl. II , v. &f*
«4
104 .X HYPERBOLE.
VIIL
l'Hyperbole.
LORSQUE nous somes vivement frapés de
quelque idée que nous voulons représenter, et
que les termes ordinaires nous paroissent trop
foibles pour exprimer ce que nous voulons dire,
nous nous servons de mots qui , à les prendre
à ia lettre, vont au-delà de la vérité, et re-
présentent le plus ou le moins , pour faire en-
tendre quelque excès en grand ou en petit.
Ceux qui nous entendent rabatent de notre
expression ce qu'il en faut rabatre , et il se
forme dans leur esprit une idée plus conforme
à celle que nous voulons y exciter, que si nous
nous étions servis de mots propres : par exemple,
si nous voulons faire comprendre la légèreté
d'un cheval qui court extrêmement vite , nous
disons qu'il va plus vite que le vent» Cette
figure s'apèle hyperbole , mot grec qui signifie
excès,
Julius Soîinus dit qu'un certain Ladas étoit
d'une si grande légèreté, qu'il ne laissoit sur le
sable aucun vestige de ses pies (i).
(i) Primam palmam velocitatis Ladas quidam adep-
tus est , qui ita suprà cavum pulverem cursitavit , ut
arenis pendentibus nulla indicia reKirçueret vestigiorum.
Jul. S clin, c. 6*
L' H V P E R B O L E, I05
Virgile dit de la princesse Camille , qu'elle
surpassoit les vents à la course , et qu'elle eût
couru sur des épis de blé sans les faire plier,
ou sur les flots de la mer sans enfoncer , et même
sans se mouiiler la plante des pies (1).
Au contraire , si l'on veut faire entendre
qu'une persone marche avec une extrême len-
teur, on dit qu'il marche plus lentement qu'une
tortue.
Il y a plusieurs hyperboles dans l'Ecriture
Sainte , par exemple : Je vous donerai une terre
où coulent des ruisseaux de lait et de miel (2) ,
c'est-à-dire, une terre fertile : et dans la Ge-
nèse il est dit (3) : Je multiplierai tes enfans
en aussi grand nombre que les grains de pous^
sière de la terre. S. Jean , à la fin de son
évangile (4) , dit que si on raconîoit en détail
les actions et les miracles de Jésus-Christ , il
(1) Illa veî intacte s&getis per snmrria volareî
Gramina , nec teneras cursu lîtsisset aristas ,
"Vel mare per médium fînctu suspensa tamenti ,
Ferret iter , celeres nec tingeret îtqaore plantas.
Ain. 1, VII , v. 8c8.
(2) Educam vos ad terram fluentem lacté et melle.
Exod. c. lïï , v. 17.
(3) Faciam semen tuum sicuî pulverem terrae.
Gènes, t. XIII j v. 16.
(4) Sunt autem et âlia multa qna; fecxi Jésus 3 qua*
si scribantur per singuia , nec ipsum arbitrer munduni
capere posse eos, qui- scrlfcer*di sunt îib^os. Joan% >pCX»
Î05 t" HYPERBOLE.
ne croit pas que le monde entier pût contenir
les livres qu'on en pouroit faire.
L'hyperbole est ordinaire aux Orientaux, Xes
jeunes gens en font plus souvent usage que les
persones avancées en âge. On doit en user so-
brement et avec quelque corectif : par exemple,
en ajoutant , pour ainsi dire ; si Von peut parler
ainsi.
" Les esprits vifs (i) , pleins de feu , et qu'une
» vaste imagination emporte hors des règles
77 et de la justesse, ne peuvent s'assouvir d'hy-
97 perboles » , dit M. de la Bruyère.
Excepté quelques façons de parler corounes
et proverbiales , nous usons très-rarement d'hy-
perboles en français. Oa en trouve quelques
exemples dans le style satyrique et badin , et
quelquefois même dans le style sublime et poé-
tique (a) : Des ruisseaux de larmes coulèrent
des yeux de tous les habit ans.
« Les Grecs (3) avoient une grande passion
77 pour l'hyperbole , corne on le peut voir dans
n leur Anthologie , qui en est toute remplie*.
(î) Caract. des ouvrages de l'esprit..
(1) Fléch. Oraison funèbre de M. de Turène. Exorde-
•(3) Traiiié de la vraie et de la fausse beauté dans
les ouvrages d'esprit. C'est une traduction que Riche-
let nous a donée de la dissertation que Messieurs de
P. R. ont mise à la tête de leur Bdectus Epigratn*
j&atum*
i/hyfqtyposb. rc/
ir Cette figure est la ressource des petits esprits
» qui écrivent pour le bus peuple.
Juvénal élevé dans les cris de l'école ,
Poussa jusqu'à l'e*cès sa mordante hyperbole (i)a-
>* Mais quand on a du génie et de l'usage
» du monde , on ne se sent guère de goût pour
n ces sortes de pensées fausses et outrées ».
■J- ■' ■ ■ ' ■ ■ ■■■ ,IM j— ■■■■.■— ■■—■■■■■■y
I 3Kr
£y H Y F O T Y P OfS fe
Ï/hypoîypose e?t un mot grec qui signifie
image , tableau. C'est lorsque dans les descrip-^
tions on peint les faits dont on parle , corne
si ce qu'on dit étoit actuèlement devant les
yeux; on montre, pour ainsi dire, ce qu'on
ne fait que raconter ; on done en quelque-sorte
l'original pour la copie , les objets pour les ta-
bleaux : vous en trouverez un bel exemple dans
le récit de la mort d'Hippolyte»
Cependant sur le dos de la plaine liquide ,
S'élève à gros bouillons une montagne humide 5
L'onde aproche , se brise , et vomit à nos yeux
Parmi les flots d'écume ',, .un monstre furieux ,
Son front large est armé de cornes menaçantes V
Tout son corps est couvert d'écaillés jaunissantes v
(i) BoiU Art. poétique , chamt. 4,
E 6
ïo8 L5 H Y P O T Y F O S E,
ïndomtafcle taureau , dragon impétueux ,
Sa croupe se recourte en replis tortueux ;
Ses longs mugissemens font trembler le rivage ;
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage %
La terre s'en émeut , l'air en est infecté ,
Le flot Qui Paporta recule épouvanté (i).
Ce dernier vers a paru nfecté; on a dit que
les flots de la mer aîoient et venoient sans le
motif de l'épouvante , et que dans une oca-
sion aussi triste que celle de la mort d'un fils r
il ne convenoit point de badiner avec une fic-
tion aussi peu naturèle. Il est vrai que nou&
avons plusieurs exemples d'une semblable pro-
sopopée ; mais il est mieux de n'en faire usage
que dans les ocasions où il ne s'agit que d'a-
muser l'imagination , et non quand il faut
toucher le cœur» Les figures qui plaisent dans
un épithalame , déplaisent dans un oraison fu-
nèbre ; la tristesse doit parler simplement (2) r
si elle veut nous intéresser : mais revenons à
3'hypotypose.
Remarquez que tous les verbes de cette nar-
ration sont au présent j Yonde apwche ,. se
irise , etc. c'est ce qui fait l'hypotypose , l'i-
mage , la peinture; il semble que l'action se
passe sous vos yeux.
M. l'abé Sigui , dans son panégyrique de
Saint-Louis , prononcé en présence de l'Aca-
(i) Rac. Phèdre, act. Y. se. 6,
(2) Hor. Art Poét, v. 97-,
1/ H Y P O T Y P O S E. Ï09
demie française , nous présente encore un bel
exemple d'hypotypose , dans la description qu'il
fait du départ de S. Louis , du voyage de ce
prince , et de son arivée en Afrique.
«.Il part baigné de pleurs (1) , et comblé
?> des bénédictions de son peuple : déjà gémissent
97 les ondes sous le poids de sa puissante flotte;
» déjà, s'ofrent à ses yeux les côtes d'Afrique ;
>> déjà sont rangées en bataille les innombrables
?> troupes des Sarasins. Ciel et terre ! soyez
j) témoins des prodiges de sa valeur. Il se jette
» avec précipitation dans les flots , suivi de son
» armée que son exemple encourage , malgré
» les cris éfroyables de l'énemi furieux , au
» milieu des vagues et d'une grèîe de dards qui
» le couvrent : il s'avance corne un géant vers
» les champs où la victoire l'apèîe , il prend
» terre , il aborde , il pénètre les bataillons épais
>> de barbares ; et couvert du bouclier invisible
» du Dieu qui fait vivre et qui fait mourir ,
?> frapant d'un bras puissant à droite et à gauche 5
?> écartant la mort , et la renvoyant à Fénemi;
j> il semble encore se multiplier dans chacun
5> de ses soldats. La terreur que les infidèles
» croyoient porter dans les cœurs des siens ,
?> s'empare d'eux-mêmes. Le Sarasin éperdu ?
?> le blasphème à la bouche , le désespoir dans
» le cœur , fuit et lui abandonne le rivage >>.
Je ne mets ici cette figure au rang des tropes ,
que parce qu'il y a quelque sorte de trope à
£1) Panég. de S, Louis , en 1729 ; p. 22»
ÏTO LA M É T A P H 0 R E.
parler du passé corne s'il étott présent ; car y
d'ailleurs les mots qui sent employés dans cette
figure , conservent leur signification propre. De
plus, elle est si ordinaire, que j'ai cru qu'il
n'étoit pas inutile de la remarquer ici.
X.
L A M É T A P H O R E.
La métaphore est une figure par laquelle
on transporte, pour ainsi dire, la significatioa
propre d'un nom à un autre signification qui
ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison
qui est dans l'esprit. Un mot pris dans un sensl
métaphorique , perd sa signification propre ,
et en prend une nouvèle qui ne se présente à
Fesprit que par la comparaison que l'on fait
entre le sens propre de ce mot , et ce qu'on
lui compare: par exemple, quand on dit que
le mensonge se pare souvent des couleurs de la
vérité \ en cette phrase , couleurs n'a plus sa
signification propre et primitive ; ce mot ne
marque plus cette lumière modifiée qui nous
fait voir les objets ou blancs, ou rouges, ou
jaunes , etc : il signifie les dehors rles aparences $
et cela par comparaison entre le sens propre
de. couleurs , et les dehors que prend un home
qui nous en impose sous le masque de la sin-
cérité. Les couleurs font connoître les objets
LA MÉTAPHORE. III
sensibles , elles en font voir les dehors et les
aparences : un home qui ment , imite quel-
quefois si bien la contenance et les discours de
celui qui ne ment pas , que lui trouvant les
mêmes dehors, et, pour ainsi dire, les mêmes
couleurs , nous croyons qu'il nous dit la vérité :
ainsi corne nous jugeons qu'un objet qui nous
paroît blanc est blanc , de même nous somes
souvent la dupe d'une sincérité aparente , et
dans le temps qu'un imposteur ne fait que prendre
les dehors d'home sincère , nous croyons qu'il
nous parle sincèrement.
Quand on dit la lumière de V esprit , ce mot
de lumière est pris méthaphoriquement ; car
corne la lumière dans le sens propre nous fait
voir les objets corporels , de même la faculté
de conoître et d'apercevoir éclaire l'esprit , et
le met en état de porter des jugemens sains.
La métaphore ( I ) est donc une espèce de
trope, le mot dont on se sert dans la métaphore
est pris dans un autre sens que dans le sens
propre , il est , pour ainsi dire , dans une de-
meure empruntée > dit un ancien , ce qui est
comun et essentiel à tous les tropes.
De plus , il y a une sorte de comparaison
ou quelque raport équivalent entre le mot au-
quel on done un sens métaphorique, et l'objet
à quoi on veut Papliquer : par exemple , quand
(i) Metrphoram quam Graeci vocant , nos translatio-
nem , va est , domo mut u a tu m verbum quo utisnur ?
inquit Verius. Festus* v. Metaphoram.
II&. LA MÉTAPHORE.
on dit d'un home en colère, c'est un lion ,
lion est pris alors dans un sens métaphorique ;
on compare l'home en colère au lion , et
voilà ce qui distingue la métaphore des autres
figures.
Il y a cette diférence entre la métaphore et
la comparaison , que dans la comparaison on
se sert de termes qui font conoître que l'on
compare une chose à une autre : par exemple ,
si l'on dit d'un home en colère , qu'/7 est corne
un lion , c'est une comparaison ; mais quand
on dit simplement c'est un lion y la comparaison
n'est alors que dans l'esprit et non dans les
termes ; c'est une métaphore,
Mesurer dans le sens propre , c'est juger
d'une quantité inconue par une quantité conue,
soit par le secours du compas , de la règle ,
ou de quelqu'autre instrument qu'on apèle me--
sure. Ceux qui prènent bien toutes leurs pré-
cautions pour ariver à leurs fins , sont compa-
rés à ceux qui mesurent quelque quantité ; ainsi
en dit par métaphore , qu'ils ont bien pris leurs
mesures. Par la même raison , on dit que leà
persanes d'une condition médiocre , ne doivent
pas se mesurer avec les grands , c'est-à-dire,
vivre corne les grands , se comparer à eux ,
corne on compare une mesure avec ce qu'on
velu mesurer. On doit mesurer sa dépense à
son revenu ; c'est-à-dire , qu'il faut régler sa
dépense sur son revenu; la quantité du revenu
doit être corne la mesure de la quantité de la
dépense.
LA MÉTAPHORE. HJ
Corne une clé ouvre la porte d'un aparte-
rrent , et nous en done l'entrée , de même il
v a des conoissances préliminaires qui ouvrent,
pour ainsi dire , l'entrée aux sciences plus pro-
fondes : ces conoissances ou principes sont
apeîés clés par métaphore ; la Grammaire est
la clé des sciences : la Logique est la clé de la
Philosophie.
On dit aussi d'une ville fortifiée qui est sur
une frontière, qu'elle est la clé du royaume,
c'est-à-dire , que i'énemi qui se rendroit maître
de cette ville , seroit à portée d'entrer ensuite
avec moins de peine dans le royaume dont on
parle.
Par la même raison , l'on done le nom de
clé , en termes de musique , à certaines mar-
ques ou caractères que Pon met au comence-
ment des lignes de musique : ces marques font
conoître le nom que l'on doit douer aux notes ;
elles donent , pour ainsi dire , l'entrée du
chant.
Quand les métaphores sont régulières , il
n'est pas difficile de trouver le raport de com-
paraison.
La métaphore est donc aussi étendue que la
comparaison ; et lorsque la comparaison ne se-
roit pas juste ou seroit trop recherchée, la mé-
taphore ne seroit pas régulière.
Nous avons déjà remarqué que les langues
n'ont pas autant de mots que nous avons d'i-
dées j cette disète de mots a doné lieu à plu-
ÏÎ4 LA MfeTAïHOK fc
sieurs métaphores \ par exemple : le cœur tendre?
le cœur dur , un rayon de miel x les rayons
d'une roue , etc. : l'imagination vient , pour
ainsi dire , au secours .de cette disète ; elle
supiée par les images et les idées accessoires
aux mots que la langue ne peut lui fournir ;
et il arive même , cerne naus l'avons déjà dit ,
que cet images et ces idées accessoires ocupent
l'esprit plus agréablement que si l'on se servoit
de mots propres , et qu'elles rendent le discours
plus énergique ; par exemple , quand on dit
d'un home endormi , qu'il est enseveli dans le
someil 9 cette métaphore dit plus que si Toit
disoit simplement qu'il dort : Les Grecs sur-
prirent Troie ensevelie dans le vin et dans l&
sonieih
Invadunt nrbem. somno vinogue sepukam (j).
Remarquez , l.° que dans cet exemple 9 se--
pultam a un sens tout nouveau et diférent de-
son sens propre. a.Q Sepultam n'a ce nouveau
sens , que parce qu'il est joint à somno vino-
que , avec lesquels il ne~ sauroit être uni dans
le sens propre ; car ce n'est que par une nou-
vêle union des termes, que les mots se douent
le sens métaphorique. Lumière n'est uni dans
le sens propre > qu'avec le feu > le soleil et les
autres objets lumineux ; celui qui le premier
a uni lumière à esprit , a doné à lumière uni
sens métaphorique x et en a fait un mot aou>-
d) Vit g.. Ma. II. v. 265,
LA MÉTAPHORE. î%.%
t:eau par ce nouveau sens. Je voudrois que
Ton pût doner cette interprétation à ces paroles
d'Horace.
Dixeris egregiè , notum si callida vêrbum
Reddiderit junctura novum (i)».
La métaphore est très - ordinaire ; en voici
encore quelques exemples : on dit dans le sens
propre , s'enivrer de quelque liqueur ; et Ton
dit par métaphore , s'enivrer de plaisir , la,
bone fortune enivre les sots \ c'est-à-dire , qu'elle
leur fait perdre la raison , et leur fait oublier
leur premier état.
Ne vous* enivre^ point des éloges flatteurs ,
Que vous done un amas de vains admirateurs (l).
Le peuple , qui jamais n'a conu la prudence ,
S'enivroit folement de ta vaine espérance (*)•
Doner un frein à ses pissions ; c'est-à-dire,
n'en pas suivre tous les mouvemens t les mo-
dérer , les retenir corne on retient un cheval
avec le frein , qui est un morceau de fer qu'on
met dans la bouche du cheval.
Mézerai (4) , parlant de l'hérésie , dit qiïil
étoit nécessaire d'aracher cette \i\anie , c'est-
(1) Hor. Art Poét. v. 47*
(2) Boï. Art. Poit. cliant. 4.
(3) Kenriade , chant. 7.
( 4 ) Abrégé de l'Histoire de France , François lîi
p. 9,2.
Ïl6 LA MÉTAPHORE,
à- dire , cette semence de division , \i\anie est
là dans un sens métaphorique : c'est un mot
grec qui veut dire ivroie , mauvaise herbe qui
croit parmi les blés , et qui leur est nuisible.
Zizanie n'est point en usage au propre , mais
il se dit par métaphore pour discorde , mésin-
telligence , division : semer la \i{anie dans une
famille.
Materia , matière , se dit dans le sens propre,
de la substance étendue , considérée corne prin-
cipe de tous les corps ; ensuite on a apelé ma"
titre > par imitation et par métaphore, ce qui
est le sujet, l'argument , le thème d'un discours ,
d'un poëme , ou de quelqu'autre ouvrage d'es-
prit»
^sopus aucîor , qtiam materiam reperit ,
Hanc ego polivi versibus senariis (i).
V ai poli la matière , c'est-à-dire , j'ai doné
l'agrément de la poésie aux fables qu'Esope a
inventées avant moi. Cette maison est bien riante ,
c'est-à-dire, elle inspire la gaieté corne les per-
sonnes qui rient. La fleur de la jeunesse ; le feu
de V amour ; V aveuglement de V esprit ; le fil d'un
discours ; le fil des a f air es.
C'est par métaphore que les diférentes classes ,
ou considérations auxquelles se réduit tout ce
qu'on peut dire d'un sujet , sont apelées lieux
comuns en Rhétorique , et en Logique , locicomu-
nes. Le genre 3 l'espèce , la cause , les éfets , etc«
(i) Phced. I. I. Prol.
LA MÉTAPHORE. 117
lont des lieux comuns , c'est-à-dire , que ce
sont come autant de celules où tout le monde
peut aler prendre , pour ainsi dire , la matière
d'un discours , et des argumens de toutes sortes
de sujets. L'atention que l'en fait sur ces difé-
rentes classes , réveille des pensées que l'on n'au-
roit peut-être pas sans ce secours.
Quoique ces lieux comuns ne soient pas d'un
grand usage dans la pratique , il n'est pourtant
pas inutile de les conoirre ; on en peut faire
usage pour réduire un discours à certains chefs ;
mais ce qu'on peut dire pour et contre sur ce
point , n'est pas de mon sujet.
On apèle aussi en Théologie par métaphore,
loci Theologici , les diférentes sources où les
Théologiens puisent leurs argumens. Telles sont
l'Ecriture Sainte , la tradition contenue dans
les écrits des S. Pères , les Conciles , etc.
En terme de chimie règne se dit par mataphore,
de chacune des trois classes sous lesquelles les
Chimistes rangent les êtres naturels.
I.q Sous le règne animal , ils comprènent les
animaux.
I 2.° Sous le règne végétal , les végétaux ; c'est-
à-dire , ce qui croît , ce qui produit , come
les arbres et les plantes.
3.^ Enfin , sous le règne minéral , ils comprè-
nent tout ce qui vient dans les mines.
On dit aussi par métaphore que la Géogra-
phie et la Chronologie sont les deux yeux de
l'Histoire. On personifie l'Histoire , et on dit
que la Géographie et la Chronologie sont à
tîS X A MÉTAPUOR E.
regard de l'Histoire , ce que les yeux sont k
l'égard d'une persone vivante ; par l'une elle
voit, pour ainsi dire 9 les lieux, et par l'autre
les tems ; c'est-à-dire , qu'un historien doit
s'apliquer à faire conohre les lieux et les tems
dans lesquels se sont passés les faits dont il décrit
l'histoire.
Les mots primitifs d'où les autres sont dé-
rivés ou dont ils sont composés , sont apelés
racines , par métaphore : il y a des Dictionaires
où les mots sont rangés par racines. On dit
aussi par métaphore , parlant des vices ou des
vertus , jeter de profondes racines , pour dire
s'affermir.
talus , dureté, durillon, en latin callum, se
prend souvent dans un sens métaphorique (i) :
Labor quasi callum quoddarn obducit dotons 9
-dit Cicéron : le travail fait corne une espèce de
calus à la douleur , c'est-à-dire , que le travail
nous rend moins sensibles à la douleur* Et au
troisième livre des Tusculanes , il s'exprime de
cette sorte : Mugis me moverant Corinthi subith
aspectes parietina , quant ipsos Corinthios , çr/o-
fum animis diuturna cogitatio callum vetustatis
obduxerat (a). Je fus plus touché de voir tout
d'un coup les murailles ruinées de Corinthe ,
que ne l'étoient les Corinthiens même , aux-
quels l'habitude de voir tous les jours depuis
long-tems leurs murailles abatues , avoit aporté
«(i) Cic. Tusculan. H , num. 36. aliter xY*
{2) Tusc, liv. III. n. 53. aliter xxh.
£ A MÉTAPHORE. ir$
le calus de l'ancieneté ; c'est-à-dire , que les
Corinthiens , acoutumés à voir leurs muraille*
ruinées , n'étoient plus touchés de ce malheur.
C'est ainsi que callere , qui dans le sens propre
veut dire avoir des durillons , être endurci ,
signifie ensuite , par extension et par métaphore,
savoir bien , conoître parfaitement , ensorte qu'il
se soit fait come un calus dans l'esprit par raport
à quelque conoissance. Quo facto id fieri soleit
ealleo (i), La manière dont cela se fait, a fait
un calus dans mon esprit , j'ai médité sur cela ,
je sais à merveille cornent cela se fait ; je suis
maître passé , dit Madame Dacier. Illius sensum
calleo (a) , j'ai étudié son humeur; je suis acou-
tumé a' ses manières, je fais le prendre come
il faut.
Vue se dit au propre , de la faculté de voir5
et par extension , de la manière de regarder
les objets : ensuite on done par métaphore, le
nom de vue aux pensées , aux projets , aux des-
seins ; avoir de grandes vues , perdre de vue une
entreprise , n'y plus penser.
Gcût , s: dit au propre du sens par lequel
nous recevons les impressions de ses saveurs
La langue est l'organe du goût ; avoir le goût
dépravé , c'est - à - dire , trouver boa ce que
comunément les autres trouvent mauvais , et
trouver mauvais es que les autres trouvent
bon.
<i) Ter, Heaut. set. IÏL se. l, v. 37.
(3) Id. Adelp. act. IV. se, I. v. 17.
Ï10 LA MÉTAPHORE.
Ensuite on se sert du terme de goût p&r mé-
taphore , pour marquer le sentiment intérieur
dont i'esprit est afecté à l'ocasion de quelque
ouvrage de la nature ou de l'art. L'ouvrage plaît
ou déplaît , on l'aprouve ou on le désaprouve;
c'est le cerveau qui est l'organe de ce goût-
là : Le goût de Paris s* est trouvé conforme au
goût d'Athène , dit Racine dans sa préface d'Iphi-
génie; c'est-à-dire, corne il le dit lui-même»
que les spectateurs ont été émus à Paris des
mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes
le p'us savant peuple de la Grèce.
Il en est du goût pris dans le sens figuré , corne
du goût pris dans le sens propre.
Les viandes plaisent ou déplaisent au goût ,
sans que l'on soit obligé de dire pourquoi : un
ouvrage d'esprit , une pensée , une expression
plaît ou déplaît , sans que nous soyons obligés
de pénétrer la raison du sentiment dont nous
cornes afectés.
Pour se bien conoître en mets et avoir un
goût sûr , il faut deux choses ; I. un organe
délicat ; a. de l'expérience , s'être trouvé sou-
vent dans les bones tables , etc. : on est alors
plus en état de dire pourquoi un mets est bon
ou mauvais. Pour être conoisseur en ouvrage
d'esprit , il faut un bon jugement, c'est un pré-
sent de la nature ; cela dépend de la disposition
des organes ; il faut encore avoir fait des ob-
servations sur ce qui plaît ou sur ce qui déplaît :
il faut avoir su alier l'étude à la méditation
a^ec le comerce des persones éclairées : alors
on
LA METAPHORE. III
en est en état de rendre raison des règles et
du goût.
Les viandes et les assaisonemens qui plaisent
aux uns , déplaisent aux autres ; c'est un éfet
de la diférente constitution des organes du goût :
îl y a cependant sur ce point un goût géné-
ral auquel il faut avoir égard, c'est-à-dire*
qu'il y a des viandes et des mets qui sont
plus généralement au goût des persones déli-
cates : il en est de même des ouvrages d'es-
prit ; un auteur ne doit pas se fiater d'atirer
à lui tous tous les sufrages , mais il doit se
conformer au goût général des persones éclai-
rées qui sont au fait.
Le goût , par vaport aux viandes , dépend
beaucoup de l'habitude et de l'éducation ; il
en est de même du goût de l'esprit : les idées
exemplaires que nous avons reçues dans notre
jeunesse , nous servent de régie dans un âçe
plus avancé; telle est la force de l'éducation,
de l'habitude , et du préjugé. Les organes , ac-
coutumés à une telle impression , en sont fiâtes
de telle sorte , qu'une impression diférente ou
contraire les aflige : ainsi , malgré l'examen et les
discussions , nous continuons souvent à admirer
ce qu'on nous a fait admirer dans les premières
années de notre vie ; et de-là peut-être ^es
deux partis , l'un des anciens , l'autre des mo-
dernes,
ïia LA M E T A ï> H O R £.
Remarques sur le mauvais usage des
Métaphores,
Les métaphores sont défectueuses 5
l.p Quand elles sont tirées de sujets bas.
Le P. de Colonia reproche à Tertullien d'avoir
dit que le déluge universel fut la lessive de la,
nature (i).
a.° Quand elles sont forcées , prises de loin,
et que le raport n'est point assez naturel , ni
la comparaison assez sensible ; corne quand
Théophile a dit : Je baignerai mes mains dans
les ondes de tes cheveux : et dans un autre
endroit , il dit que la charue écorche la plaine,
a Théophile,, dit M. de la Bruyère (a) , charge
?> ses descriptions , s'apesantit .sur les détails ;,
p il exagère , il passe le vrai dans la nature ,
v il en fait le roman. »
On peut raport er à la même espèce les mé-
taphores qui sont tirés de sujets peu conus.
. 3«Q II faut aussi avoir égard aux conve-
nances des diférens styles ; il y a des méta-
phores qui conviènent au style poétique, qui
seroient déplacées dans le style oratoire. Boileau
a dit :
Acourez troupe savante (3) ;
Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis.
( 1 ) Ignobiiitatis vitio ïaborare videtur celebris ijîa
Tertulliani metaphora , quâ diiuvium appellat naturae
générale li-sivium. De arte Khet. p. 148.
(2) Caract. des ouvrages de l'esprit.
(g) Ode sur la prise de Namur.
LA MÉTAPHORE. 12}
On ne diroit pas en prose , qu'une lyre en-
fante des sons. Cette observation a lieu aussi
à l'égard des autres tropes ; par exemple : Lu~
men. , dans le sens propre , signifie lumière :
les Poètes latins ont donné ce nom à l'œil par
métonymie , les yeux sont l'organe de la la-
trière , et sont, pour ainsi dire, le flambeau
de notre corps (i). Un jeune garçon fort ai-
mable étoit borgne ; il avoit une sœur fort
belle qui avoit le même défaut ; on leur appli-
qua ce distique , qui fut fait à une autre
ocasion sous le règne de Philippe II , roî
d'Espagn:.
Parye puer 5 lumen quod habes concède sorori :
Sic tu cœcus Amor , sic erit illa Venus.
Où vous voyez que lumen signiSe Vœil; il
n'y a rien de si ordinaire dans les Poètes la-
tins , que de trouver lamina pour les yeux*;
niais ce mot ne se prend point en ce sens dans
la prose.
4,^ On peut quelquefois adoucir une méta-
phore , en la changeant en comparaison , ou
bien en ajoutant quelque corectif : par exemple,
en disant ,pour ainsi dire , si Von peut parler
ainsi , etc. « L'art doit être , pour ainsi dire ,
» enté sur la nature ; la nature soutient l'art
?) et lui sert de base ; et l'art embélit et per-
» fectione la nature. »
(«) Luççrna corpçris tui est oculus tuus. Luc. C XL
v. 34,
F %
124 LA MÉTAPHORE,
5.0 Lorsqu'il y a plusieurs métaphores de
suite , il n'est pas toujours nécessaire qu'elles
soient tirées exactement du même sujet , corne
on vient de le voir dans l'exemple précédent :
enté est pris de la culture des arbres , soutien 9
base , sont pris de l'architecture ; mais il ne
faut pas qu'on les prène de sujets oposés , ni
que les termes métaphoriques dont l'un est dit
de l'autre 5 excitent des idées qui ne puissent
point être liées , corne si l'on disoit d'un ora-
teur , c'est un torrent qui s'alume , au lieu de
dire , c'est un torrent qui entraîne (1). On a
reproché à Malherbe d'avoir dit :
Frens ta foudre Louis et va comme un lion*
Il faloit plutôt dire corne Jupiter.
Dans les premières éditions du Cid , Chir
mène disoit :
Malgré des feux si beaux qui rompent ma colère.
Feux et rompent ne vont point ensemble : c'est
une observation de l'Académie sur les vers du
Cid. Dans les éditions suivantes on a mis trou~
blent au lieu de rompent ; je ne sais si cette
corection répare ia première faute.
Écorce , dans le sens propre , est la partie exté-
rieure des arbres et des fruits , c'est leur couver-
ture : ce mot se dit fort bien dans un sens
méthaphorique > pour marquer les dehors , l'apa-
rence des choses; ainsi l'on dit que lesignorans
(1) Malh. 1. II- Voy, les observations de Ménage â
fiuï les poésies âé Malherbe , Act. III. sç. 4,
LA METAPHORE. 12$
s'arètent à l'écorce, qu'ils s'atachent , qu'ils
s'amusent à Vécorce . Remarquez que tous ces
verbes s' arêûent , s'atachent , s'amusent 9 convié-
nent fort bien avec écorce pris au propre ; mais
vous ne diriez pas au propre 9 fondre Vécorce:
fondre se dit. de la glace ou du métal , vous ne
devez donc pas dire au figuré fondre Vécorce.
J'avoue que cette expression me paroît trop
hardie dans une ode de Rousseau. Pour dire
que l'hiver est passé , et que les glaces sont
fondues , il s'exprime de cette sorte :
L'hiver qui si long-temps a fait blanchir nos plaines ,
N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux ;
£t les jeunes zéphirs , de leurs chaudes haleines,
Ont fondu Vécorce des eaux, (i)
6.Q Chaque langue a des métaphores par-
ticulières qui ne sont point en usage dans les
autres langues ; par exemple : les Latins disoient
d'une armée : dextrum et sinistrunt cornu 3 et
nous disons Vaîle droite et Vaîle gauche.
Il est si vrai que chaque langue à ses mé-
taphores propres et consacrées par l'usage f
que si vous en changez .les termes par les équi-
valens même qui en aprochent le plus , vous
vous rendez ridicule.
Un étranger , qui depuis devenu un de nos
citoyens , s'est rendu célèbre par ses ouvrages %
écrivant dans le premier tems de son arivée
en France , à son protecteur 3 lui disoit , Mon-
(s) Liv. III. Ode 6.
F }
Jl6 LA MÉTAPHORE,
seigneur , vous ave\ pour moi des boyaux de
père ; il vouloit dire des entrailles»
On dit mettre la lumière sous le boisseau ,
pour dire cacher ses talens } les rendre inutiles ;
l'auteur du poëme de la* Madeleine (l) ne de-
voit donc pas dire , mettre le flambeau sous
h mui.
X I.
La Sïiiepse Oratoire»
La Syllepse oratoire est une espèce de mé-
taphore ou de comparaison , par laquelle uï\
même mot est pris en deux sens dans la même
phrase , l'un au propre , l'autre au figuré ; par
exemple , Corydon dit que Galathée est pour
lui plus douce que le thym du mont Hybla (i) ;
ainsi parle ce berger dans une éclogue de Vir-
gile : le mot doux est au propre par raport
au thym , et il est au figuré par raport à
l'impression que ce berger dit que Galathée
fait sur lui. Virgile fait dire ensuite à un autre
berger 3 et moi quoique je paroisse à Galathée
(ï) Poème de la Madeleine , I. VU 3 p. i Vf:
{l) .... Galath&a thymo mihi duîciox Hyblae.
Virg* Ed. YIÏ 3 v. 37.
LA SYLLEPSE ORATOUE. 127
plus amer que les herbes de S ar daigne , etc. (l).
Nos bergers disent plus aigre quun citron vert.
Pyrrhus , fils d'Achille , l'un des principaux
ehefs des Grecs , et qui eut le plus de part à
l'embrasement de la ville de Troie y s'exprime
en ces termes dans l'une des plus belles pièces
de Racine.
Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie j
Vaincu , chargé de fers , de regrets consumé ,
'Brûlé de plus de feux que je n'en alumai. (2)
Brûlé est au propre par raport aux feux que
Pyrrhus aluma dans la ville de Troie ; et il esc
au figuré par raport à la passion violente que
Pyrrhus dit qu'il ressentoit pour Andromaque.
Il y a un pareil jeu de mots dans le distique 5
qui est gravé sur le tombeau de Despautère :
Hic jacet unocuîus visu prastantior Arjgo y
Nomen Joannes cui ninivita fuit.
Visus est au propre par raport à Argus , à
qui la fable done cent yeux ; et il est au figuré
par raport à Despautère : l'auteur de l'épitaphe
a voulu parler de la vue de l'esprit.
Au reste , cette figure joue trop sur les mots
pour ne pas demander bien de la circonspection ;
il faut éviter les jeux de mots trop afectés et tirés
de loin.
(1).... Ego Sardoïs videar tibi ainarior herfeis. Ibid,
v. 4> •
(2) Rac. Àiidroin. act. I. se. 4.
F 4
ia8 X' ALLÉGORIE.
XI I.
L' ALLEGOR I E.
X'Adlegorje a beaucoup de raport avec la
métaphore ; l'Allégorie n'est même qu'une mé-
taphore continuée.
L'allégorie est un discours > qui est d'abord
présenté sous un sens propre , qui paroît tout
autre chose que ce qu'on a dessein de faire
entendre , et qui cependant ne sert que de com-
paraison pour donner l'intelligence d'un autre
sens qu'on n'exprime point.
La métaphore joint le mot figuré à quelque
terme propre; par exemple, le feu de vos yeux ;
yeux est au propre : au lieu qu.e dans l'allégo-
rie tous les mots ont d'abord un sens figuré \
c'est-à-dire , que tous les mots d'une phrase ou
d'un discours allégorique forment d'abord un
sens litéral qui n'est pas celui qu'on a dessein
de faire entendre : les idées accessoires dévoi-
lent ensuite facilement le véritable sens qu'on
veut exciter dans l'esprit , elles démasquent ,
pour ainsi dire 9 le sens litéral étroit , elles en
font Implication.
Quand on a commencé une allégorie , on
doit conserver dans la suite du discours , l'image
dont on a emprunté les premières expressions.
Madame des Houlières , sous l'image d'une ber-
1/ ALLÉGORIE. II9
gère qui parle à ses brebis , rend compte à
ses enfans de tout ce qu'elle a fait pour leur
procurer des établissemens , et se plaint ten-
drement sous cette image de la dureté de la
fortune :
Dans ces prés fleuris (1)
Qu'arose la Seine ,
Cherchez qui vous mène ,
Mes chères brebis :
J'ai fait pour vous rendre
Le destin plus doux ,
Ce qu'on peut attendre
D'une amitié tendre ;
Mais son long courroux
Détruit , empoisonne
Tous mes soins pour vous j
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie >
Aimable troupeau !
Vous de ce hameau
L'honneur et la joie ,
Vous qui gras et beau ,
Me doniez sans cesse
Sur l'herbête épaisse
Un plaisir nouveau !
Que je vous regrette !
Mais il faut céder ?
Sans chien , sans houlète ?
Puis-je *jas garder ?
L'injuste fortune
(i) Poésies de Mad. des Houl. t. II. p. 86.
F î
*30 LALLEGORIE*
Me les a ravis.
Envain j'importune
Le ciel par mes cris ;
Il rit de mes craintes ,
Et sourd à mes plaintes-
Houîète , ni chien 3,
Il ne me rend rien.
Puissiez- vous 3 contentes^.
Et sans mon secours ,
Passer d'Iieureux jours ^
Brebis innocentes ,
Brebis mes amours !
Que Pan vous défende*
Eélas ! il le sait y
Je ne lui demande
Que ce seul bienfait.
Oui , brebis cnéries 5,
Qu'avec tant de soin
J'ai toujours nourries %i
Je prens à témoin
Ges bois y ces prairies .7
Que si les faveurs
Du Bien des pasteurs
Vous gardent d'outragss ^
Et vous font avoir
Du matin; au soir
De gras pâturages 3
J'en conserverai
Tant que je vivrai
La douce mémoire ;
Et que mes cbansons,3
En mille façons
Porteront sa gloire %
1/ A L L É G 0 R I E, 131
£)u rivage heureux ,
Où, vif et pompeux ,•
L'astre qui mesure
Les nuits et les jours 5
Comeuçant son cours ,
Rend à la nature
" Toute sa parure J
Jusqu'en ees climats #
Où , sans doute , las
D'éclairer le monde ,,
Il va chez Thétis
Ralumer dans l'onde
Ses feux amerris*
Cette allégorie est toujours soutenue par des
images qui toutes ont raport à l'image prin-
cipale par où la figure a comencé : ce qui est
essentiel à l'allégorie (l). Vous pouvez enten-
dre à la lettre tout ce discours d'une bergère,
qui touchée de ne pouvoir mener ses brebis
dans de bons pâturages , ni les préserver de
ee qui peut leur nuire , leur adresseroit la
parole ,. et se plaindroit à elles de son impuis-»
sauce : mais ce sens , tout vrai qu'il paroît r
n'est pas celui que Madame des Houlières avoit
dans l'esprit ': elle étoit ocupée des besoins de
(1) Id quoque imprimis est' custodiendum , ut quo
ex génère cœperis translationis , hoc desinas, Muki
enim , cum initium à tempestate sumpserunt . incendio
aut ruina âniunt : qu» est inconsequentia rerum fœdis*
5Îma>-
Quintr Ir VIIL c. 6, Alîegoiia,
F 6
î?a I a l l é g o r i %.
ses enfans , voilà ses brebis ; le chien dont elle
parle , c'est son mari qu'elle avoit perdu ; le
Dieu Pan , c'est le Roi.
Cet exemple fait voir combien est peu juste
la remarque de M. Dacier , qui prétend qu'une
allégorie qui remplirait toute une pièce est un
monstre (i) ; et qu'ainsi l'Ode 14 du premier
livre d'Horace , O navis réfèrent , etc. n'est
parut allégorique , quoiqu'en ait cru Quin-
tilien (p.) et les Comentateurs. Nous avons des
pièces entières toutes allégoriques. On peut
voir dans l'oraison de Cicéron contre Pison (3) ,
un exemple de l'allégorie , où , corne Horace ,
Cicéron compare la République Romaine à un
vaisseau agité par la tempête.
L'allégorie est fort en usage dans les pro-
verbes. Les proverbes allégoriques ont d'abord
un sens propre qui est vrai , mais qui n'est
pas ce qu'on veut principalement faire enten-
dre : on dit familièrement, tant va la cruche
(1) Dacier 3 (Euvres d'Horace , tome L p. 211 * troi-
sième édition , 1709.
(2) Quintv 1. VIII. v. 6. alleg.
(3) Neque tara fui timidus r ut qui ïn maximis tnr-
fcfcnibus ae fluctibus Reipablicse navem gufcernassem ; saî-
vamqpoe in pcrtu collocassem ; frontis tu^e nubecularn ,
tum collegae tui contaminatum spiritum pertimescerem.
Alios ego vidi ventos 9 alias prospexi animo procellas :
aliis impendentibus non cessi ^ sed his urram me pro
omnium salute obtuli. Cic. in Pis. n. 9, aliter , 20
et as*
l' Allégorie. ,135
à Veau , qu'à la fin elle se brise ; c'est-à-dire ,
que quand on afronte trop souvent les dan-
gers , à la fin on y périt ; ou que , quand on
s'expose fréquement aux ocasions de pécher %
on finit par y sucomber.
Les fictions que Ton débite corne des his-
toires pour en tirer quelque moralité , sont
des allégories qu'on apèle apologues , para-
boles ou fables morales ; tels que sont les
fables d'Esope. Ce fut par un apologue que
Ménénius Agrippa rapela autrefois la populace
Romaine , qui , mécontente du sénat , s'étoit
retirée sur une montagne. Ce que ni l'autorité
des lois , ni la dignité des magistrats Romains
n'avoient pu faire , se fit par les charmes de
l'apologue.
Souvent les anciens ont expliqué par une
histoire fabuleuse les effets naturels dont ils
ignoroient les causes ; et dans la suite on a doné
des sens allégoriques à ces histoires.
Ce n'est, plus la vapeur qui produit le tonerre (i) ,
C'est Jupiter armé pour éfrayer la terre ',
Un orage terrible aux yeux des matelots ,
C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots \
Echo n'est plus un son qni dans l'air retentisse ,
C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse,
Cette manière de philosopher flate l'imagî-
»ation , elle amuse le peuple , qui aime le
merveilleux , et elle est bien plus facile que les
{*) JBoiUau , Art Poét. chant ni.
IJ4 ï/ À L L É G' O R I E.
recherches exactes que l'esprit méthodique a
introduites dans ces derniers tems. Les amateurs
de la simple vérité aiment bien mieux avouer
qu'ils ignorent, que de fixer ainsi leur esprit à
des illusions.
Les chercheurs de la pierre philosophale sJex-
priment aussi par allégorie dans leurs livres ;
ce qui done à ces livres un air de mystère et
de profondeur, que la simplicité de la vérité
ne pouroit jamais leur concilier. Ainsi ils cou-
vrent sous les voiles mystérieux de l'allégorie,
les uns leur fourberie, et les autres leur fana-
tisme , je veux dire , leur foie persuasion. En
éfet , la nature n'a qu'une voie dans ses opé-
rations ; voie unique que l'art peut contre-
faire à la vérité , mais quril ne peut jamais
imiter parfaitement. Il est aussi impossible dé-
faire de l'or par un moyen diférent de celui dont
l'a nature se sert pour faire l'or ,. qu'il est im-
possible de faire un grain de blé d'une manière
différente que celle qu'elle emploie pour pro-
duire le blé.
Le terme de mœtière générale n'est qu'une
idée abstraite qui n'exprime rien de réel , c'est-
à-dire , rien qui existe hors de notre imagi-
nation. Il n'y a point dans la nature une ma-
tière générale dont l'art puisse faire tout ce
qu'il veut : c'est ainsi qu'il n'y a point une
blancheur générale d'où l'on puisse former des
objets blancs. C'est des divers objets blancs qu'est
venue l'idée de blancheur , corne nous l'expli—
L* ALLEGORIE. 135
querons dans la suite ; et c'est des divers corps
particuliers dont nous somes afectés en tant
de manières diférenves , que s'est formée en nous
Tidée abstraite de matière générale. C'est passer
de Tordre idéal à Tordre physique , que d'ima-
giner un autre système.
Les énigmes sont aussi une espèce d'allégo-
rie : nous en avons de fort belles en vers fran-
çais. L'énigme est un discours qui ne fait point
conoître Tobjet à quoi il convient, et c'est cet
objet qu'on propose à deviner. Ce discours ne
doit point renfermer de circonstance qui ne con-
viène pas au mot de l'énigme*
Observez que Ténigme cache avec soin ce qui
peut la dévoiler", mais les autres espèces d'allé-
gories ne doivent point être des énigmes , elles
doivent être exprimées de manière qu'on puisse
aisément en faire l'application.
S
XI I h
L' Allusion.
Les allusion-s (1) et les jeux de mots ont
encore du raport avec l'allégorie : l'allégorie
présente un sens , et en fait entendre un autre :
c'est ce qui arive aussi dans les allusions , et>
dans la plupart des jeux de mots , rei alurius
(1) Àlludere R. ad , et ludere.
136 l' A L I u s r O N,
ex altéra notatio. On fait allusion à l'histoire ,
à la fable, aux coutumes , et quelquefois même
©n joue sur les mots.
Ton Roi j jeune Biron , te sauve enfin la vie ;
Il t'arache sanglant aux fureurs des soldats ,
Dont les coups redoublés acKevoient ton trépas ;
Tu vis; songe du moins à lui rester fidèle (1).
Ge dernier vers fait allusion à la malheureuse
conspiration du maréchal de Biron ; il en rapèle
le souvenir.
Voiture étoit fils d'un marchand de vin :
un jour qu'il jouoit au proverbe avec des dames,
madame des Loges lui dit (a) , celui-là ne vaut
rien 9 perceç-nous en d'un autre. On voit que
cette dame fesoit une maligne allusion aux to-
aeaux de vin : car percer , se dit d'un toneau t
et non pas d'un proverbe ; ainsi elle réveilloit
malicieusement dans l'esprit de l'assemblée le
souvenir humiliant de la naissance de Voiture.
C'est en cela que consiste l'allusion ; elle réveille
les idées accessoires.
A l'égard des allusions qui ne consistent que
dans un jeu de mots , il vaut mieux parler et
écrire simplement , que s'amuser à des jeux de
mots puérils, froids et fades : en voici un exemple
dans cette épitaphe de Despautère :
Grammaticam scivit, multos docuitque per aimosjj
Declinare tamen non potuit tumuïum,
(1) Henriade ,r chant 7.
fa) Hist de TAcad. tome I. p. 277;
1/ A L L V S I O N. I}7
Vous voyez que l'auteur joue sur la double si-
gnification de declinare.
« II sut la Grammaire , il l'enseigna pendant
plusieurs années, et cependant il ne put décli-
ner le mot tumulus». Selon cette traduction,
la pensée est fausse ; car Despautère savoit fort
bien décliner tumulus.
Que si on ne prend point tumulus matériè-
lement , et qu'on le prène pour ce qu'il signi-
fie, c'est-à-dire v pour le tombeau, et par mé-
tonymie pour la mort ; alors il faudra traduire
que malgré toute la conolssance que Despautère
avoit de la Grammaire , il ne put éviter la mort :
ce qui n'a ni sel , ni raison ; car on sait bien
que la Grammaire n'exempte pas de la nécessité
de mourir.
La traduction est recueil de ces sortes de
pensées ; quand une pensée est solide , tout ce
qu'elle a de réalité se conserve dans la traduc-
tion ; mais quand toute sa valeur ne consiste
que dans un jeu de mots , ce faux brillant $&
dissipe par la traduction.
Ce n'est pas toutefois qu'une muse un peu fine
- Sur un mot , en passant , ne joue et ne, badine :
Et d'un sens détourné n'abuse avec succès :
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès (1).
Dans le placet que M. Robin (2) présenta
Boileau , Art. Poét. chant II.
(2) Giles Robin , natif du St. Esprit , de l'Académie
4' Arles.
I3§ ■£' A t L V S I O N,
au Roi pour être maintenu dans la possession
d'une île qu'il avoit dans le Rhône , il s'exprime
en ces termes :
Qu*est - ce en éfet pour toi, grand monarque de»
Gaules ,
Qu'un peu de sable et de gravier ?
Que faire de mon île ? Il n'y croît que des saules ;
Et tu n'aimes que le laurier.
Saules est pris dans le sens propre , et lau-
rier dans le sens figuré : mais ce jeu présente
à l'esprit une pensée très -fine et très -solide.
Il faut pourtant observer qu'elle n'a de vérité
que parmi les nations où le laurier est regardé
corne le symbole de la victoire.
Les allusions doivent être facilement aperçues.
Celles que nos Poètes font à la fable sont dé-
fectueuses , quand le sujet auquel elles ont ra-
port, n'est pas conu. Malherbe, dans ses stances
à M. du Périer , pour le consoler de la mort
de sa fille , lui dit :
Titlion nra plus les ans qui îe firent cigale *
Et Fluton aujourd'hui ,
Sans égard du passé les mérites égale
D'Ârchemore et de lui (i)..-
Il y a peu de lecteurs qui conoissent Ar-
chemore , c'est un enfant du tems fabuleux.
Sanourice l'ayant quitté pour quelques momens?
(i) Poésies de Malherbe , liv. \u
L* ALLUSION, T}9
un serpent vint et l'étoufa. Malherbe veut dire
que Tithon , après une longue vie, s'est trouvé
à la mort au même point qu'Archemore , qui
ne vécut que peu de jours.
L'auteur du Poëme de la Madeleine , dans
une apostrophe à l'amour prophane , dit , par-
lant de lésus-Christ :
Puisque cet Antéros t'a si Lien désarmé (i)*
Le mot à* Antéros n'est guère conu que des
savans ; c'est un mot grec qui signifie contre-
amour ; c'étoit une divinité du Paganisme , le
Dieu vengeur d'un amour méprisé.
Ce poëme de la Madeleine est rempli de jeux
de mots et d'allusions si recherchées , que mal-
' gré le respect dû au sujet, et la bonne inten-
tion de fauteur, il est dificile qu'en lisant cet
ouvrage , on ne soit point afecté corne on l'est
à la lecture d'un ouvrage burlesque. Les figures
doivent venir , pour ainsi dire, d'elles-mêmes;
elles doivent naître du sujet , et se présenter
naturclement à l'esprit , corne nous l'avons re-
marqué ailleurs : quand c'est l'esprit qui va les
chercher, elles déplaisent y elles étonent, er sou-
vent font rire par l'union bizare de deux idées 9
dont l'une ne devoit jamais être assortie avec
l'autre. Qui croiroit, par exemple, que jamais
le jeu de piquet dût entrer dans un poëme fait
pour décrire la pénitence et la charité de sainte
(i) L* Il , page 25*
I40 LALLUSION.
Madeleine ; et que ce jeu dût faire naître k '
pensée de se doner la discipline ?
Piquez-vous seulement de jouer au piquet,
A celui que j'entens qui se fait sans caquet ;
J'entens que vous preniez par fois la discipline,
Et qu'avec ce beau jeu vous fassiez bone mine (1).
On ne s'atend pas non plus à trouver les
termes de Grammaires détaillés dans un ouvrage
qui porte pour titre, le nom de sainte Made-
leine ; ni que Fauteur imagine je ne sais quel
raport entre la Grammaire et les exercices de
cette sainte : cependant une tête de mort et une
discipline sont les Rudimens de Madeleine.
Et regardant toujours ce têt de trépassé (2) ,
Elle voit le futur dans ce présent passe. • . ? .
Et c'est sa discipline, et tous ses cbâtimens,
Qui lui font comencer ces rudes rudimens.
Ce qui la fait trembler pour son Grammairien t
C'est de voir par un CAS du tout déraisonable ,
Que son amour lui rend la mort INDÉCLINABLE ,
Et qu' actif corne il est aussi bien qu'excessif,
Il le rend à ce point d'impassible PASSIF.
O que l'amour est grand , et la douleur amère ^
Quand un verbe passif fait toute sa grammaire !
La MUSE pour cela me dit , non sans raison ,
Que toujours la première est sa conjugaison. .
Sçackant bien qu'en aimant elle peut tout prétendre ,
(1) Poème de la Madeleine , iiv. III , vers 42.
($ Ibid. Iiv. II. pag. i3 , 19 , etc.
t* AHUS IOH. Ï4I
Corne tout enseigner , tout ure , et tout ENTEkPRE ,
Pendant qu'elle s'ocupe à punir le forfait
De son TEMS PRÉTÉRIT qui ne fut qu'iMrARJFAIT,
Tems de qui le futur réparera les pertes
Par tant d'aflictions et de peines soufertes ;
Et le présent est tel que c'est L'Indicatif,
D'un amour qui s'en va jusqu'à TInFINITIF.
Puis par un optatif , ah î plut- à-Dieu , dit-elk ,
Que je n'eusse jamais été si criminelle !
....... ......... r • • «,
Prenant avec plaisir , dans l'ardeur qui la brûle ,
JLe fouet pour discipline, et la croix pour FÉRULE.
Vous voyez qu'il n'oublie rien. Cet ouvrage
est rempli d'un nombre infini d'allusions aussi
recherchées , pour ne pas dire aussi puériles.
Le défaut de jugement qui empêche de sentir
ce qui est ou ce qui n'est pas à propos , et le
désir ma! entendu de montrer de l'esprit et de
faire parade de ce qu'on sait , enfantent ces pro-
ductions ridicules.
Ce style figuré , dont ont fait vanité (1) ,
Sort du bon caractère et de la vérité :
Ce n'est que jeu de mots 5 qu'afectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature.
J'ajouterai encore ici une remarque , à propos
de l'allusion : c'est que nous avons en notre
langue un grand nombre de chansons , dont
le sens litéral , sous une aparence de simpli-
(r) Mqfcère , Misant, act. I, se. U.
*4^ l' A L L U S I O îî,
cité, est rempli d'allusions obscènes. Les auteur*
de ces productions sont coupables d'une infinité
de pensées dont ils salissent. l'imagination ; et
d'ailleurs ils se déshonorent dans l'esprit des
honnêtes gens. Ceux qui dans des ouvrages
sérieux tombent par «implicite dans le même
inconvénient que les feseurs de' chansons , ne
sont guère moins repréhensibles , et se rendent
plus ridicules.
Quintilien (i) , tout païen qu'il étoit , v«ut
que non seulement on évite les paroles obscènes,
mais encore tout ce qui peut réveiller des idées
d'obscénité. Obszcenitas verb non à verbis tantùm
abesse débet , se à etïam k signifie atione*
« On doit éviter avec soin en écrivant , dit-
il ailleurs (2) , tout ce qui peut donner lieu
à des allusions déshonêtes. Je sais bien que
ces interprétations viènent souvent dans l'es-
prit plutôt par un éfet de corruption du cœur
de ceux qui lisent , que par la mauvaise vo-
lonté de celui qui écrit ; mais un auteur sage
et éclairé doit avoir égard à la foiblesse de
ses lecteurs, et prendre garde de faire naître
de pareilles idées dans leur esprit : car enfin
nous vivons aujourd'hui dans un siècle oti
l'imagination des homes est si fort gâtée , qu'il
y a un grand nombre de mots qui étoient
autrefois très-honêtes , dont il ne nous est pas
permis de nous servir par l'abus qu'on en fait ;
de sorte que sans une atention scrupuleuse
(i) Quint, instit. Orat. Ub. VI % se. III. de Risi*
I* A L L U S. I O N. 143
» de la part de celui qui écrit , ses lecteurs
?» trouvent malignement à rire en salissant leur
?> imagination avec des mots , qui , par eux~
» mêmes, sont très-éloignés de l'obscénité. »
X I V.
L'Ironie.
L'Ironie est une figure par laquelle on
veut faire entendre le contraire de ce qu'on dit :
ainsi les mots dont on se sert dans l'ironie , ne
sont pas pris dans le sens propre et litéral.
M. Boileau , qui n'a pas rendu à Quinault
toute la justice que le public lui a rendue depuis 5
a dit par ironie :
Je le déclare donc, Quinault est un Virgile (1).
Il vouloit dire un mauvais Poëte.
Les idées accessoires sont d'un grand usage
dans l'ironie : le ton de voix , et plus encore
la conoissance du mérite ou du démérite per-
sonel de quelqu'un , et de la façon de penser
de celui qui parle , servent plus à faire conoître
l'ironie , que les paroles dont on se sert. Un
home s'écrie , oh le bel esprit ! Parle- t-il de
Cicéron , d'Horace ? il n'y a point là d'ironie ;
(1) BoiUau y Sat. IX.
*44 t'îïten %
les mots sont pris dans le sens propre, Parle*
t-ii deZoile? c'est une ironie. Ainsi l'ironie fait
une satyre , avec les mêmes paroles dont le dis*
cours ordinaire fait un éloge.
Tout le monde sait ce vers du père de Chi-
mène dans le Cid.
A 4e plus hauts partis Rodrigue doit prétendre (i).
C'est une ironie. On en peut remarquer plu-
sieurs exemples dans Balzac et dans Voiture. Je
ne sais si l'usage que ces auteurs ont fait de
cette figure , seroit aujourd'hui aussi bien reçu
qu'il l'a été de leur tems.
Cicéron comence par une ironie , l'oraison
pour Ligarius. Novum crimen , Caï Casar 9
et ante hune diem inauditum , etc. Il y a aussi
dans l'oraison contre Pison un fort bel exemple
de l'ironie : c'est à l'ocasion de ce que Pison
disoit que s'il n'avoit pas triomphé de la Ma-
cédoine , c'étoit parce qu'il n'avoit jamais sou-
haité les honneurs du triomphe. « Que Pom-
9) pée est malheureux , dit Cicéron (2 ) , de
*> ne pouvoir profiter de votre conseil./ Oh
» qu'il a eu tort de n'avoir point eu de goût
t} pour votre philosophie ! Il a eu la folie de
(ï) Corn, Cid. act. I. se. III.
(2) Non est integrum Cn. Pompeio , cônsilio jam nû
fuo j erravit enim. Non gustârat istam tuam philoso-
phiam ; ter 5 jam homo stultus > triumphavit , etc. Cic,
la Pison. n. $8 , XXIV.
triompher
I,' I- R O N I E. 145
n^triompher trois fois. Je rougis , Crassus ,
)> de votre conduite. Quoi , vous avez brigué
)> l'honeur du triomphe avec tant d'empresse-
» ment ! etc.
X V.
L'Euphémisme.
L'Euphémisme est une figure par la-
quelle on déguise des idées désagréables , odieu-
ses , ou tristes , sous des noms qui ne sont
point les noms propres de ces idées : ils leur
servent corne de voile, et ils en expriment en.
aparence de plus agréables , de moins cho-
quantes y ou de plus honctes selon le besoin ;
par exemple : ce seroit reprocher à un ouvrier
ou à un valet la bassesse de son état , que de
Ta peler ouvrier ou valet ; on leur done d'autres
noms plus honêtes qui ne doivent pas être
pris dans le sens propre. C'est ainsi que le
boureau est apelé par honeur, le maître des
hautes œuvres.
C'est par la même raison qu'on done à cer-
taines étofes grossières le nom d'étofes plus
iines ; par exemple : on apèle velours de Mau-
riène une sorte d'étofe de gros drap qu'on fait
en Mauriène ? province de Savoie , et do::t les
pauvres Savoyards sont habilles. Il y a aussi
une sorte d'étofe ce fil dont on fait les meubles
G
Î46 l'Eu 3? h i m 1 s m e.
de campagne ; on honore cette étofe du nom
de damas de Caux , parce quelle, se fabrique
au pays de Caux en Normandie.
Un ouvrier qui a fait la besogne pour la-
quelle on Ta fait venir , et qui n'atend plus
que son payement pour se retirer , au lieu de
dire paye{-moi , dit par euphémisme , n'ave\~
vous plus rien à m'ordonner ?
Nous disons aussi , Dieu vous assiste , Dieu
vous bénisse , plutôt que de dire , je n'ai rien
à vous doner*
Souvent pour congédier quelqu'un , on lui
dit , voilà qui est bien > je vous remercie , plutôt
que de lui dire ale\ vous- en.
Les Latins se servoient dans le même sens
de leur reçu , qui , à la lettre , signifie bien ,
au lieu de répondre qu'ils n'avoient rien à dire.
a Quand nous ne voulons pas dire ce que nous
» pensons , de peur de faire de la peine à celui
5> qui nous interroge , nous nous servons du mot
v rectè y dit Donat (l).
Sostrata , dans Térence (1) , dit à son fils
Pamphile 9 pourquoi pleurez-vous ? Qu avei^vous 9
(1) Reçtè diciraus cura sine injuria interrogantis ali-
quid retkemus. Donat. in Terent. Hecyr. act. III. se. II,
v. 20.
(2) S. Quid lacrymas ? Quid est tant tristis ? P, rectè
mater. Ter, Hecyr. act, III. se, II.
Tum , quod dem ei , rectè est : nam nihil idsse mini ,
religio est dicere. Heaut. act. II. se. I. y. 16. çt %ilçnu
%t&i> Dackr , act* I. se, IY* v. 16,
tVÈ U ï H É M I S M S. Î47
mon fils ? Il répondit , rectè mater. Tout va
bien ma mère. Madame Dacier traduit , rien ,
ma mère; tel est le tcur français.
Dans une autre comédie de Térence , Cliti-
phon dit que quand sa maîtresse lui demande
de l'argent , il se tire d'affaire en lui répon-
dant rectè , c'est-à-dire, en lui donnant de
belles espérances : car , dit-il , je n'oserois lai
avouer que je nai rien : le mot de rien est un,
mot funeste.
Madame Dacier a mieux aimé traduire, lors-
qu'elle me demande de Vargent-^jz ne fais que
marmoter entre les dents-; car je rJai garde de
lui dire que je n'ai pas le sou*
Si Madame Dacier eût été plus entendue
qu'elle ne l'étoit en galanterie , elle auroit bien
senti que marmoter entre les dents , n'éîoit
pas une contenance trop propre à faire naître
dans une coquète l'espérance d'un présent.
Il y avoit toujours un verbe sous- entendu
avec rectè. Rectè admones (1). Ego ïsîcec reetc
nt fiant vider o (2). Rectè sua des (3) , etc.
A Fégard du rectè de la II.e scène du III.*
acte de l'Hécyre , il faut sous-entendre ou 7 a-
leo y rectè valeo , ou rectè miki consulo , ou
enfin quelqn'amre mot pareil , corne res benè
se habet , etc. Pamphile vouloit exciter cette
(1) Andr. act. V- se. IV. v. 50.
IkiiL act. II. se VI. v. 25.
(3) K'eaut, net. V, se II. v. 4tv
G %
T4& L' E U P H É M I S ME.
idée dans l'esprit de sa mère pour en éluder la
demande.
Pour ce qui est de l'autre recte (i) , Cliti-
phôn vouloit faire entendre à sa maîtresse, qu'il
avoit des ressources pour lui trouver de l'ar-
gent ; que tout iroit bien , et que ses désirs
seroient satisfaits.
Ainsi, quoique madame Dacier nous dise (a)
que nous n'avons point de mot en notre langue ,
qui puisse exprimer la force de ce rectè , je
crois qu'il répond a ces façons de parler, cela
va bien , cela ne va pas si mal que vous pen~
se\ y courage , il y a espérance , cela est bon ;
tout ira bien , etc. ce sont là autant d'euphé-
mismes.
Dans toutes les nations policées, on a tou-
jours évité les termes qui expriment des idées
deshonêtes. Les persones peu instruites croient
que les Latins n'avoient pas cette délicatesse :
c'est une erreur. Il est vrai qu'aujourd'hui on
a quelquefois recours au latin pour exprimer
des idées dont on n'oseroit dire le mot propre
en français : mais c'est que corne nous n'avons
apris les mots latins que dans les livres , ils
se présentent à nous avec une idée accessoire
d'érudition et de lecture , qui s'empare d'abord
de l'imagination ; elle la partage , elle enve-
(i) Heaut. act. ï. se. ï.
(2) Dans les remarques sur la se,. îî. 4n îil« acte 5ç
fHécv-re.
lV ë u p h é m i S M E< 14?
lope i eu quelque sorte , l'image déshônête >
elle l'écarté , et ne la fait voir que de loin :
ce sont deux objets que Ton présente alors à
l'imagination , dont le premier est le mot latia
qui couvre l'idée qui le suit ; ainsi ces mots
servent corne cle voile et de périphrase à ces
idées peu lionêtes : au lieu que corne nous
somes accoutumés aux mots de notre langue ,
l'esprit n'est pas partagé. Quand on se sert
des termes propres , il s'occupe directement àes
objets que ces termes signifient. Il en étoit de
même à l'égard des Grecs et des Romains ,
les honêtes gens ménageoient les termes com3
fions les ménageons en fraaçais , et leur scru-
pule aloit même quelquefois si loin , qu'ils evi-
toien't la rencontre des syllabes , qui , jointes
ensemble , auroient pu réveiller des idées dés-
honêtes (l). Quia si ita diceretur , ohscccnitîis
concurrerent Huer ce , dit Cicéron (2); et Quia-
tilien a fait la même remarque.
u Ne devrois-tu point mourir de honte , dit
v Chrêmes à son fils (3) , d'avoir eu Tinso-
(1) Orat. n. 154. aliter XLY.
(2) Inst. Orat. vin. c. III.
(3) Non mihi per fallacias addncere ante ocuîos. . ;
pudct dicere Me présente verbum turpe ; at te id nullo
jnodopuduit facere. Heaut. act. V. se. IV. v. 18.
Ego servo et servabo Platonis verecundiam. Itaque
tectis verbis } ea ad te scripsi , quai arertissimis agunt
Stoici. Ilii etiam crepitus aiunt œquè liberos , ac ruo
tus , esse opertere. Cic 1. IX. Epist. 2.2.
G}
150 i'euphémis m e.
77 lence démener à mes yeux , clans ma propre I
» maison ? une... : je n'ose prononcer un mot
?> déshonête en présence de ta mère , et tu as
» bien osé comettre une action infâme dans
n notre propre maison !
C'étoit par la même figure qu'au lieu de dire»
je vous abandone , je ne me mets point en peine
de vous , je vous quitte , les Anciens disoient
souvent , vive\ , porte\ - vous bien. Vive\ fo-
rêts (1) : cette expression , dans l'endroit ok
Virgile s'en est servi , ne marque pas un sou-
hait que !e berger fasse aux forêts , il veut dire
simplement qu'il les abandone.
Us disoient aussi quelquefois > avoir vécu r
avoir été , s'en être aie , avoir passé par la
yie , [ vhâ functus ] (2) , an lieu de dire être
Mqnè. eadem moàesùk > potius cam muîiere fuisse ,
«oiam concubuisse 3 dicebanr. Varro de ling. lat. 1. v.
sub fin.
Mes fuit , res turpes et fœdas prolatu y honestiorum
convestirier dignitate. Amob. h V.
(1) Omnia vel médium fiant mare vivite , sylv».
Virg. Ec» VIII. v. 58.
Valeant
Qui inter nos dissidium volunt ; Ter. And. act. IV;
se. II. v. 13.
Castra peto : valeatque Venus , vaîeantque puellœ,
Tibull. I. II. El. 6. v. 9.
(2) Fungi 5 fuogor , signifie passer par , dans un sens,
métaphorique ; être délivré de , s'hre acquitté de.
l'euphémisme, 151
mort ; le terme de mourir leur paroissoit ea
certaines ocasions un mot funeste.
Les Anciens portoient la superstition jusqu'à
croire qu'il y avoit des mots , dont la seule
prononciation pouvoit atirer quelque malheur :
come si les paroles , qui ne sont qu'un air mis
en mouvement , pouvoient produire , par elles-
mêmes , quelqu'autre éfet dans la nature , que
celui d'exciter dans l'air un ébranlement , qui,
se comuniquant à l'organe de l'ouïe , fait naître
dans l'esprit des homes les idées dont ils sont
convenus par l'éducation qu'ils ont reçue.
Cette superstition paroissoit encore plus dans
les cérémonies de la religion : on craignoit de
doner aux Dieux quelque nom qui leur fut dé-
sagréable. On étoit averti (1) au comencement
du sacrifice ou de la cérémonie , de prendre
garde de prononcer aucun mot qui pût atirer
quelque malheur , de ne dire que de bones pa-
roles , bona verba fari , enfin d'être favorable
de la langue, favete linguis ou linguâ 9 ou
(1 ) Malè ominatis parcite verbis , ou selon d'autres x
malè nominatis. Hor. 1. III. od. 14.
Favete linguis. Hor. 1. III. od. 1.
Ore favete omnes. Virg. ALn. h V. v. 71.
Dicamus bona verba 5 venit natalis , ad aras.
Quisquis ades , linguâ , vir mulierque fave.
Tibul. 1. II. El. II. v. 1;
Prospéra lux oritur , linguisque animisque favete,
Nunc discenda bono , sunt bona verba , die.
Qvid. Fast. 1. I. v. 71.
G4
îjx l'euphémisme.
ore ; et de garder plutôt le silence , que de
prononcer quelque mot funeste qui pût déplaire
aux Dieux : et c'est de-là que favete linguis,
signifie par extension , faites silence.
Par la même raison , ou plutôt par le même
fanatisme , lorsqu'un oiseau avoit été de bon
augure , et que ce qu'on devait atendre de
cet heureux présage , étoit détruit par un au-
gure contraire ; ce second augure ne s'apeloît
point mauvais augure, mais simplement l'autre
augure (i) , ou Vautre oiseau. C'est pourquoi,
dit Fesîus , ce terme aller , veut dire quelque-*
fois contraire , mauvais,
II y avoit dus mots consacrés pour les sa-
crifices 9 dont le sens propre et litéral étoit
bien diférent de ce qu'ils signifioient dans les
cérémonies superstitieuses ; par exemple : mac-
tare , qui veut dire magis auctare , augmenter
davantage, se disoit des victimes qu'on saçrir-
fioit. On n/avoit garde de se servir alors d'un
mot qui pût faire naître l'idée funeste de la
mort ; on se seivoit par euphémisme, de mac-
tare , augmenter ; soit que les victimes aug-
mentassent alors en honeur , soit que leur vo-
lume fut grossi par les ornernens dont on les.
paroi t ; sait enfin que le sacrifice augmentât
en quelque sorte l'honeur qu'on rendoit aux
(î) Altcr ? et pro non hcno ponitur , nt in auguriis ,
altéra cum appellatiir avis quse utique prospéra non est \
sic alter nonimncTuàm pro adverse- dicitur et maîo.
F.estus , v. alU\\
L' EUPHÉMISME. 153
Dieux. Nous avons sur ce point un beau pas-
sage de Varron , que Ton peut voir ici au bas
de la page (1).
De même, parce que cremari , être brûlé,
auroit été un mot de mauvais augure , et que
l'autel croissoit , pour ainsi dire , par les her-
bes/par les entrailles des victimes , et par-tout
ce qu'on mettoit dessus pour être brûlé (2) ;
au lieu de dire on brûle sur les autels , ils di-
soient 9 les autels croissent , car adolere et ado-
lescere , signifient proprement croître; et ce
n'est que par euphémisme que ces mots signi-
fient brûler.
C'est ainsi que les persones du peuple disent
quelquefois dans leur colère , que le bon Dieu
vous emporte , n'osant prononcer le nom du
malin esprit.
Dans FEcriture-Sainte s le mot de bénir est
mis quelquefois au lieu de maudire , qui est
(1) Mactare , verbum et sacrorum kat'euphemismon
dictum , quasi magis augere 3 ut adolere; imclè et maëH
mentum quasi majus augmenîum : nam hostia* tanguntur
molâ salsâ , et tum immolâtes dicuntur ; cum vero ictas
sunt et aliquid es illis in aram datum est , mactatœ di-
cuntur per laudationem , itemque boni omnis significa-
tionem. Et cum illis moia salsa imponitar , dicitur ,*
macte esto. Varro^ de vitâ Pop. Rom. 1. II. dans les
fragmens qui sont à la fin des œuvres de Varron 3 d$
V édition de J. îanson , Amst. 1703. p, 63,
(2) Adolescunt Sgnibus aijge, Virgfr Georg, IV. V»
379-
154 L' E U P H i M 1 S M E.
précisément le contraire. Come il n'y a rienl
de plus afreux à concevoir, que d'imaginés
quelqu'un qui s'emporte jusqu'à des impréca-
tions sacrilèges contre Dieu même ; au lieu du
ferme de maudire , on a mis le contraire par
euphémisme»
Naboîh n'ayant pas voulu vendre au rot
Achab , une vigne qu'il possédoit , et qui étoit
l'héritage de ses pères ; la reine Jézabel , femme
d' Achab , suscita deux faux témoins , qui dé-
posèrent que Naboth avoit blasphémé contre
Dieu et contre le Roi ; or , l'Ecriture-, pour
exprimer ce blasphème , fait dire aux témoins %
que Naboth a béni Dieu et le Roi (i).
Job dit dans le même sens , peut-être que
mes enfans ont péché , et qu'ils ont béni Dieu
dans leur cœur (2)..
C'est ainsi que dans ces paroles de Virgile (?),
auri sacra famés , sacra se prend pour exe~
crabilis , selon Servius , soit par euphémisme ,
soit par extension : car il est à observer que
souvent par extension , sacer vouloit dire èxé-
trahie. Ceux que la justice humaine avoit con-
dânés , et ceux qui &e dévouaient pour le
(i) Viri diabolici dixerimt contra eum testimonium co-
rain multitudine ; benedixit Nabotîi Deum et Regem.
Reg.lll. c.XXI. v. io et 13.
(2) Ne forte peccaverint ûlii rnei et benedixerint De@f
jîi cordibus suis. Job. I. v. 5.
(3) Mn. h ni. v, 57*
l' euphémisme. ï$$
peuple , étoient regardés corne autant de per-
sones sacrées. De-là , dit Festus (i) , tout
méchant home est apelé sacer» O le maudit
boufon , dit Afranius , en se servant de sa~
crum (l) : O sacrum scurram , et malum. Et
Plaute , parlant d'un marchand d'esclaves, s'ex-
prime en ces termes , Homini ( si leno est homo )
quantum kominum terra sustinet , sacerrimo.
On peut encore raporter à l'euphémisme ces
périphrases ou circonlocutions , dont un ora-
teur déiicat enveioppe habilement une idée ,
qui, toute simple, exciteroit peut-être dans
l'esprit de ceux à qui il parle , une image ou
des sentimens peu favorables à son dessein
principal* Cicéron n'a garde de dire au Sénat ,
que les domestiques de Milon tuèrent Clodius (1) ;
( I ) Homo sacer is est quem populus judicavit ob
maleficium , neque fas est eum immolari .... ex
quo quivis homo , malus arque imprebns , sacer appellari
solet. Festus , v. sacer.
Massilienses , quoties pestilentia îaborabant , unus se
ex pauperibus offerebat , alendus anno integro publicis
et purioribus cibis. Kîc posteà , orna tus verbenis et
vestibus sacris , circunducebatur per totam civitatem 9
cum execrationibus ; ut in ipsum reciderent mala tqp
tius civitatis ; et sic projiciebatur. Servais , in Mn. HT.
v- 57-
(2) Fragm. Yet. Poét. Lond. 1713. p. i$i2. PlautJ
Pœn. Prolog, v. 90.
(3) Feceiint id seTvi Miîonis ? I . • quod suos quis--
que servos in taii re facere voluisset. Cic. pro Milone*.
num. 29.
G6
« ** H E M i s . M _
*'"Is firent, dit-i' r.
voulu que ses e cl Ce *ae ^ ^re eût
P- à un merceJre Z'y0lSqUOaaeà0a&
-ude,auiieude]VXe,a;r;e^^
TOitt ea d'oser Jav„„, ' 7 "e vew;r /""
P« enphéia^e r T*** °» ,uî *«
L' A » T I P H R A s Ef
'ieu aux Gr^Zll kv « °nt don*
^ gèlent ^^ ^ ^ -- »»e figUre
d*s fréquens «J ;, ,a M« no,« Iujète a
lofent habités par de! Vj '£S bords
-«s, étoit apSél ttT^*'
««• favoraklch ses hL ' c e«-à-dire,
Cs» Pourquoi Ovide a dit'c^T ^f^
«« étoit menteur. ? e nom de «"e
1 Wi0 nora«e dktus (e),
« "*- i m. eue. XII, v< u!t< 3'
L* ANTIPHRASE. * 57
Sanctïus et quelques autres ne veulent point
mettre l'antiphrase au rang des figures. Il y a
en éfet je ne sais quoi d'oposé à l'ordre natu-
rel , de nomer une chose par son contraire ,
d'apeîer lumineux un objet , parce qu'il est
obscur ; l'antiphrase ne satisfait pas l'esprit.
Malgré les mauvaises qualités des objets ,
les anciens qui personifioient tout , leur do-
noient quelquefois des noms flateurs , corne
pour se les rendre favorables , ou pour se faire
un bon augure , un bon présage.
Ainsi c'étoît par euphémisme , par supers-
tition , et non par antiphrase 9 que ceux qui
aloient à la mer que nous apelons aujourd'hui
la Mer noire , la nomoient mer hospitalière ,
c'est-à-dire , mer qui ne nous sera point fu-
neste , qui nous sera propice , où nous serons
bien reçus , mer qui sera pour nous une mer
hospitalière , quoiqu'elle soit comunémenî pour
les autres une mer funeste.
Les trois Déesses infernales -, filles de l'E-
rèbe et de la Nuit , qui , selon la fable , filent
la trame de nos jours , étoient apelées les
Parques : de l'adjectif parais , quia parce nabis
vitam tribuunt. Chacun trouve qu'elles ne
lui filent pas assez de jours. D'autres disent
qu'elles ont été ainsi apelées 9> parce que
leurs fonctions sont partagées ; V arecs quasi
partitœ.
Clotho colum retinet , Lachesis net, et Atropos occat.
Ce n'est donc point par antiphrase , quia nemini
parcunt , qu'elles ont été apelées Parques,
Ijg l/ ANTIPHRASE.
Les Furies , Alecto , Thisiphone et Mégère*
ont été apelées Euménides , dérivé du grec*
eumeneis , bénévoles , douces, bienfaisantes. La
comune opinion est que ce nom ne leur fut
doné qu'après qu'elles eurent cessé de tour-
menter Oresté, qui avoit tué sa mère. Ce prince
fut , dit-on , le premier qui les apela Eumé-
nides (i). Ce sentiment est adopté par le P. Sa--
nadon. D'autres prétendent que les Furies
étoient apelées Euménides long « tems avant
qu'Oreste vînt au monde : mais d'ailleurs cette
avanture d'Ôreste est remplie de tant de cir-
constances fabuleuses , que j'aime mieux croire
qu'on a apelé les Furies Euménides par euphé-
misme , pour se les rendre favorables. C'est ainsi
qu'on traite tous les jours de bones et de bien-
faisantes les persones les plus aigres et les plus
dificiles dont on veut apaiser l'emportement ,
ou obtenir quelque bienfait.
On dit encore qu'un bois sacré est apelé lu-
eus , par antiphrase ; car ces bois étoient fort
sombres , et lucus vient de lucere r luire : mais
si lucus vient de lucere , c'est par une raison
contraire à l'antiphrase ; car corne il n'étoit
pas permis , par respect , de couper de ces
bois , ils étoient fort épais , et par conséquent
fort sombres , ainsi le besoin autant que la su-
perstition, avoit introduit l'usage d'y alumer
des flambeaux,
Mânes : les mânes r c'est-à-dire , les âmes
(0 Poésies d'Horace % jom, I. p. 458.
l' a n t i p h r a se. IJ9
des morts , et dans un sens plus étendu , les
habitans des enfers , est encore un mot qui a
doné lieu à l'antiphrase. Ce mot vient de l'an-
cien adjectif manus (i), dont on se servoit au
lieu de bonus. Ceux qui prioient les mânes (2) ,
les apeîoient ainsi pour se les rendre favora-
bles. Vos ô mihi mânes este boni (3) ,* c'est
ce que Virgile fait dire à Turnus (4). Ainsi
tous les exemples dont on prétend autoriser
l'antiphrase , se raportent , ou à l'euphémisme 9
ou à l'ironie ; corne quand on dit à Paris t
c'est une muete des haies , c'est-à-dire , une
femme qui chante pouilles, une vraie harangère
des haies ; muete est dit alors par ironie.
XVIL
La Périphrase.
Quintilien met la Périphrase au rang
des tropes ; en éfet , puisque les tropes tiènent
la place des expressions propres , la périphrase
est un trope , car la périphrase tient la place y
ou d'un mot ou d'une phrase.
(1) Festus 3 v. Manare , mane.
(2) Nonnius y c. I. n. 337.
(3) Varr. de ling. lat. 1. V. initie.
(4) Virg. Mr. XII. v, 647.
îéô LA PÉRIPHRASE.
Mous avons expliqué dans la première partie
de cette Grammaire , ce que c'éîoit qu'une
phrase : c'est une expression , une manière de
parler , un arangement de mots , qui fait un
sens fini ou non fini.
La périphrase ou circonlocution est un as-
semblage de mots qui expriment en plusieurs
paroles ce qu'on auroit pu dire en moins ; et
souvent en un seul mot ; par exemple : le vain-
queur de Darius , au lieu de dire , Alexandre t
V astre du jour , pour dire le soleil.
On se sert de périphrases , ou par bien-
séance, ou pour un plus grand éclaircissement,
ou pour l'ornement du discours , ou enfin par
nécessité.
1. Par bienséance , lorsqu'on a recours k
la périphrase , pour enveloper les idées basses
ou peu honêtes. Souvent aussi , au lieu de
se servir d'une expression qui exciteroit une
image trop dure , ou l'adoucit par une péri-
phrase , corne nous l'avons remarqué dans l'eu-
phémisme.
1, On se sert aussi de périphrase pour éclair-
cî-r ce qui est obscur, les définitions sont au-
tant de périphrases ; corne lorsqu'au lieu de
dire les Parques , on dit , les trois Déesses
infernales , qui selon la fable > filent la trame,
de nos jours.
Remarquez que quelquefois après qu'on a
expliqué par une périphrase un mot obscur ou
peu conu (i) , on d'évelope plus au long h
(i) La Paraphrase»
LÀ. PÉRIPHRASE* l6t
pensée d'un auteur , en ajoutant des réflexions
où des circonstances qu'il auroit pu ajouter
lui-même ; mais alors , ces sortes d'explications
plus ampies et conformes au sens de l'auteur,
sont ce qu'on apè!e des paraphrases ; la para-
phrase est une espèce de comentaire : on re-
prend le discours de celai qui a déjà parié ,
on l'explique , on l'étend davantage en suivant
toujours son esprit. Nous avons des paraphrases
des Psaumes , du livre de Job , du nouveau
Testament , etc. Nous avons aussi des para-
phrases de l'Art poétique d'Horace , ce, La
périphrase ne fait que tenir la place d'un met
ou d'une expression ; au fond elle ne dit pas
davantage ; au lieu que la paraphrase ajoute
d'autres pensées , elle explique , elle déveîôpe.
3. On se sert de périphrases pour l'ornement
du discours , et sur-tout en poésie. Le génit
de la poésie consiste à amuser l'imaginatioa
par des images qui au fond se réduisent sou-*
vent à une pensée que le discours ordinaire-
exprimeroit avec plus de simplicité, mais d'une
manière ou trop sèche ou trop basse \ la pé-
riphrase poétique présente la pensée sous une
forme plus gracieuse ou plus noble : cest ainsi
qu'au lieu de dire simplement à la pointe du
jour , les poètes disent :
L'aurore cependant au visage vermeil ,
Ouvroit dans l'Orient le palais da soleil :
La nuit en d'autres lieux portoit ses voiles sombres t
Les songes voltigeans fuyoient avec les ombres (1),
(1) Hcnriade , cb. VI,
î6l LA PÉRIPHRASE.
Madame Dacier comence le XVIL livre de
TOdyssée d'Homère par ce vers :
Dès que la belle aurore eut annoncé le jour.
Et ailleurs elle dit : (i) « La brillante Aurore
« sortoit à peine du sein de l'Océan , pour
» anoncer aux Dieux et aux homes le retour
;> du soleil. »
Pour dire que le jour finit, qu'il est tard,
cdvesperascit , Virgile dit qu'on voit déjà
fumer de loin les cheminées 5 que déjà les
ombres s'alongent et semblent tomber des mon-
Et jam sumraa procul villanim culmina fumant %
Majoresque cadunt altis de montibus umbrœ (2),
Boileau a dit par imitation :
Les omLres cependant sur la ville épandues
Du faîte des maisons descendent dans les rue>s (3).
On pourra remarquer tin plus grand nombre
d'exemples pareils dans les auteurs. Je me con-
tenterai d'observer ici qu'on ne doit se servir
de périphrases que quand elles rendent le dis-
cours plus noble ou plus vif par le secours
des images. Il faut éviter les périphrases qui
(1) Iliade, 1. XIX.
(2) Ed. ï. v. 83.
{3) Lutrin, ck. IL
LA PERIPHRASE, l6j
ne présentent rien de nouveau , qui n'ajoutent
aucune idée accessoire , elles ne servent qu'à
ndre le discours languissant : si après avoir
h d'un home accablé de remords , qu'i/ est
toujours triste ; vous vous servez de quelque
périphrase qui ne dise autre chose , sinon que
eet home est toujours sombre , rêveur , mélan-
colique et de mauvaise humeur, vous ne ren-
drez guère votre discours plus vif par de telles
expressions. M. Boileau , sur un sujet pareil >
a fait d'après Horace une espèce de périphrase 9
qui tire tout son prix de la peinture dont elle
ocupe l'imagination du lecteur.
Ce fou rempli d'erreurs que le trouble acompagne (i) £
Et malade à la ville ainsi qu'à la campagne ,
En vain monte à cheval pour tromper son ennui (2) *
Le chagrin monte en croupe et galope avec lui.
Le même poëte , au lieu de dire , pendant que
je suis encore jeune, se sert de trois périphrases
qui expriment cette même pensée sous trois
images diférentes*
Tandis que libre encor , malgré les destinées r
Mon corps n'est point courbé sous le faix des années £
Qu'on ne voit point mes pas sous l'âge chanceler ,
Et qu'il reste à la Parque encor de quoi filer (3).
(0 EP. V.
(2) Post equitem sedet atra cura» Hor. L III» od. I*
v. 40.
(3) *at* I,
Ï&4 £ A PÉRIPHRASE.
On doit aussi dviîer les périphrases obscures
et trop enflées. Celles qui ne servent ni à la
clarté, ni à l'ornement du discours, sont dé-
fectueuses. C'est une inutilité désagréable qu'une
périphrase à la suite d'une pensée vive , claire ,
solide et noble. L'esprit qui a été frapé d'une
pensée bien exprimée, n'aime point à la retrou-
ver sous d'autres formes moins agréables, qui
ne lui aprènent rien de nouveau , ou rien qui
l'intéresse. Apre; que le père des trois Horaces ,
dans l'exemple que j'ai déjà raporté , a dit qu'il
mourût , il devoit en demeurer là , et ne pas
ajouter :
Ou qu'un beau désespoir enfin îe secourut*
Marot , dans une de ses plus belles épitres,
raconte agréablement au roi François Ler le
malheur qu'il a eu d'avoir été volé par son valet,
qui lui avoît pris son argent , ses habits , et
son cheval \ ensuite il dit ;
Et néanmoins ce que je vous en mande,
N'est pour vous faire ou requête ou demande :
Je ne veux point tant de gens ressembler ,
Qui n'ont souci autre que d'assembler ;
Tant qu'ils vivront ils demanderont , eux :
Mais je eomence à devenir bonteux ,
Et ne veux point à vos dons m'arêter»
Je ne dis pr.s , si voulez rien prêter ,
Que ne le prène : il n'est point de prêteur ,
S'il veut prêter , qui ne fasse un debteur.
LA P É R I P Ô R A S E. 165
Et savez-vous , Sire , corne je paie ?
Nul ne le sait si premier ne l'essaie.
Vous me devrez 3 si je puis , de retour '3
Et vous ferai encore , un bon tour ;
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle.
Je vous ferai une belle cédule ,
A vous payer , sans usure il s'entend ,
Quand on verra tout le monde content ;
Ou si voulez t à payer ce fera ,
Quand votre loz et renom cessera,
Voilà où le génie conduisit Marot , et voilà
où Part devoit le faire arrêter : ce qu'il dit
ensuite que les deux princes Lorains le plaide-
ront , et encore :
Avisez donc , si vous avez désir
De rien prêter , vous me ferez plaisir ;
Tout cela , dis-je , n'ajoute plus rien à la pen-
sée ; c'est ce que Cicéron apèle verborum vel
optimorum atque ornatissimorum sonitus ina-
nis (l) : Que s'il y avoit quelque chose de plus
à dire , ce sont les douze derniers vers qui font
un nouveau sens , et ne sont plus une péri-
phrase qui regarde l'emprunt.
Voilà le point principal de ma lettre ,
Vous savez tout 5 il n'y faut plus rien mettre»
Rien mettre las 1 Certes , et si ferai ,
En ce faisant mon style j'enflerai ,
(ï) Cic. de Orat. 1, I. n, VII. aliter. 51.
U6
LA PÉRIPHRASE.
Disant , ô Roi amoureux des neuf Muses ,
Roi , en qui sont leurs sciences infuses f
J&oi , plus que Mars , d'honeurs environé ,
Roi , le plus Roi qui fut onc couronné ;
Dieu tout puissant te doint , pour t'estréner f
iLes quatre coms du monde à gouverner ,
Tant pour le bien do la ronde machine ,
Que pour autant que sur tous en es digne.
4. Oa se sert de périphrase par nécessité ,
quand il s'agit de traduire , et que la langue
du traducteur n'a point d'expression propre
qui réponde à la langue originale : par exemple ,
pour exprimer en latin une péruque , il faut
dire corna adscititia , une chevelure emprun-
tée, des cheveux qu'on s'est ajustés. Il y a en
latin des verbes qui n'ont point de supin 5 et
par conséquent point de participe ; ainsi au
iieu de s'exprimer par le participe , on est
obligé de recourir à la périphrase fore ut , esse
futurumut; j'en ai doné plusieurs exemples dans
la syntaxe.
XVII L
L'Hypali,age.
Virgile, pour dire mettre à la voile, a
dit (i) , dare classibus austros : l'ordre naturel
demandoit qu'il dit plutôt^ dare classes austris,
(1) ALnçidoSt
l'hy^allage. î6y
Cfcéron , dans l'oraison pour Marcellus , dit
à César qu'on n'a jamais vu dans la ville son
épée vuide du foureau , gladium vaginâ va-
cuum in urbe non vidimus. Une s'agit pas du
fonds de la pensée , qui est de faire entendre
que César n'avoit exercé aucune cruauté dans
la ville de Home , il s'agit de la combinaison
des paroles qui ne paroissent pas liées entre
elles corne elles le sont dans le langage ordi-
naire , car vacuus se dit plutôt du foureau que
de l'épée.
Ovide comence ses métamorphoses par ces
paroles :
In nova fert anlmus mutaîas dicere formas
Copora.
La construction est aninius fert ad me dicere
formas mut a tas in nova corpora. Mon génie
nie porte à raconter les formes changées en
de nouveaux corps : il étoit plus naturel de
dire , à raconter les corps > c'est-à-dire , à parler
des corps changés en de nouvelles formes.
Vous voyez que dans ces sortes d'expres-
sions , les mots ne sont pas construits , ni com-
binés entr'eux , corne ils le devroient être , selon
la destination des terminaisons et la construction
ordinaire. C'est cette transposition ou change-
ment de construction qu'on apèle Hypallage ^
mot grec qui signifie changement.
Cette figure est bien malheureuse : les Rhe-
theurs disent que c'est aux Grammairiens à e»
î68 l'hypallage.
parler (i) , Grammaticorum potius schéma est
quant tropus , dit Vossius ; et les Grammai-
riens la renvoient aux Rhéteurs (a) : l'hy-
pallage , à vrai dire > n'est point une figure
de Grammaire , dit la nouvèle méthode de
Port - Royal. C'est une trope ou une figure
d'élocuîion.
Le changement qui se fait dans la construc-
tion des mots par cette figure , ne regarde
pas leur signification ^ ainsi en ce sens cette
figure n'est point un trope , et doit être mise
dans la classe des idiotismes ou façons de par-
ler particulières à la langue latine : mais j'ai,
cru qu'il n'étoic pas inutile d'en faire mention
parmi les tropes ; le changement que l'hypal-
lage fait dans la combinaison et dans la cons-
truction des mots , est une sorte de trope ou
de conversion. Après tout , dans quelque rang
qu'on juge à propos de placer l'hypallage ,
il est certain que c'est une figure très-remar-
quable.
Souvent la vivacité de l'imagination nous
fait parler de manière , que quand nous venons
ensuite à considérer de sang-froid l'arangement
dans lequel nous avons construit les mots dont
nous nous somes servis , nous trouvons que
nous nous somes écartés de Tordre naturel ,
et de la manière dont les autres homes cons-
truisent les mots quand ils veulent exprimer la
(i) Inst. Orat. 1. IV. C XIII. art. 12.
(2) Des fig. de Const. ch. VI. P- 558,
même
l/ HYPALLAGE. 169
même pensée ; c'est un manque d'exactitude
dans les modernes , mais les langues anciennes
autorisent souvent ces transpositions : ainsi dans
les anciens la transposition dont nous parlons
est une figure respectable qu'on apèle hypallage ,
c'est-à-dire , changement , transposition , ou
renversement de construction. Le besoin d'une
certaine mesure dans les vers , a souvent obligé
les anciens poètes d'avoir recours à ces façons
de parler , il faut convenir qu'elles ont quel-
quefois de la grâce , aussi les a-t-on élevées
à la dignité d'expressions figurées ; et en ceci
les anciens l'emportent bien sur les modernes ,
à qui on ne fera pas de long-tems le même
honeur.
Je vais ajouter encore ici quelques exemples
de cette figure , pour la faire mieux conoitre,
Virgile fait dire à Didon :
Et cum frigida mors anima seduxerit artus fi).
Après que la froide mort aura séparé de mon
ame les membres de mon corps r, il est plus or-
dinaire de dire aura séparé mon ame de mon
corps : le corps demeure , et Pâme le quitte ;
ainsi Servius et la plupart dos comentateurs
trouvent un hypallage dans ces paroles de
Virgile.
Le même poè'te parlant d'Enée et de la Sibylle
qui conduisit ce héros dans les enfers , dit :
Ibant- obscuri solâ sub nocte per umbraira (2).
(1) JEn. 1. IV. v. 3B5.
GO JB&. 1. VI. v. 268.
H
179 LHYPAEIACE.
Pour dire qu'ils marchotent tout seuls dans le$ I
ténèbres d'une nuit sombre* <Servius et le P. de
la Rue disent que c'est ici une hypallage, pour
ibant soli sub obscurâ nocte.
Horace a dit :
Pocula letha?os ut si ducentia somnos
Traxerîm (1).
Corne si fayots hu les eaux qui amènent le
some'il du fleuve Lethé. Il étoit plus naturel de
dire pocula Lethecz , les eaux du fleuve Léthé.
Virgile a dit qiiEnée ralume des feux presque
éteints*
Sopitos suscitât ignés (2),
Il n'y a point là d'hypallage , car sopitos , selon
îa construction ordinaire, se raporte à ignés :
niais quand pour dire qiiEnée ralume sur V autel
d'Hercule le feu presque éteint , Virgile s'exprime
en ces termes :
.,..•..• Herculels sopitas ignibus aras
Excitât (3).
Alors il y a une hypallage ; car selon la
combinaison ordinaire , il auroit dit , excitât"
ignés sopitos in avis Herculeis , id est , Herculi
sa cris*
Au livre XII , pour dire, si au contraire Mars
fait tourner la victoire de notre côté ^ il s'exprime
en ces termes :
(1) Hor. 1. V. od. XIV. v. 3.
(2) Mu. 1. V. v. 743.
(3) Mn. 1. YIII. v. 542«
t* HYPALLAGE. 17X
Sin nostrum annuerit nobis Victoria Martem (1).
Ce qui est une hypallage (a) , selon Servius,
Hypallage : pro sin noster Mars annuerit nobis
victorlam : nam Martem Victoria comitatur.
On peut aussi regarder come une sorte d'hy-
paliage , cette façon de parler selon laquelle
on remarque par un adjectif , une circonstance
qui est ordinairement exprimée par un adverbe :
c'est ainsi qu'au lieu de dire qu'Enée envoya
promptement Achate , Virgile dit :
• . . • . . Rapidam ad naves prsbinrttit Acnaten ,,
Ascanio (3)
Rapidutn est pour promptement , en diligence*
Age diversas , c'est-à-dire , chassez-les çà
et là (4).
Jamque ascendebant coîlem qui plurlmus urbi imrai-
net ÏS).
Plurimus , c'est-à-dire , en long , une coline qui
domine , qui règne tout le long de la ville.
Médius , summus , infirnus , sont souvent em-
ployés en latin dans un sens que nous rendons
par des adverbes , et de même nullus pour
non : memini (6) , tametsi nullus rnoneas pour
non moneas , come Donat Pa remarqué,
(1 ) jEr. 1. XII. v. 187,
(2) Servius. ïlid.
(3) JEn. 1. I. v. 644.
(4) Ibid. v. 70.
(5) JEn. 1. L v. 413.
(6) Ter, Eun. Act. II. se» I. v. 10.
H x
17* " l'hypallage.
Par tous ces exemples on peut observer :
I. Qu'il ne faut point que l'hypaîlage aporfe
de l'obscurité ou de l'équivoque à la pensée.
ïl faut toujours qu'au travers du dérangement
de construction , le fonds de la pensée puisse
être aussi facilement démêlé , que si l'on se fût
servi de Parangement ordinaire. On ne doit
parler que pour être entendu par ceux qui conçus-
sent le génie d'une langue.
a. Ainsi quand la construction est équivo-
que , ou que les paroles expriment un sens
contraire à ce que l'auteur a voulu dire ; ou
doit convenir qu'il y a équivoque , que l'au-
teur a fait un contre-sens., et qu'en un mot
il s'est mal exprimé. Les anciens étoient homes,
et par conséquent sujets à faire des fautes com2
nous. Il y a de la petitesse et une sorte de
fanatisme à recourir aux figures pour excuser
ces expressions qu'ils condaneroient eux-mêmes,
et que leurs contemporains , ont souvent con-
dânées. L'hypaîlage ne prête pas son nom aux
contre-sens et aux équivoques ; autrement tout
seroit confondu ^ et cette figure deviendrait ua
asile pour Terreur et pour l'obscurité.
3. L'hypaîlage ne se fait que quand on ne
suit point dans les mots l'arangement établi
dans une langue ; mais il ne faut point juger
de l'arrangement et- de la signification des mots
d'une langue par l'usage établi en une autre
langue pour exprimer la même pensée. Nous
disons en français , je vie repens , je wJajiige
de ma faute ; Je est le sujet d^ la proposition s
l' h y p a l l a g e. 173
c'est !e nominatif du verbe : en iatin on prend
un autre tour , les tenues de la proposition ont
- un autre arangernent : je , devient le terme de
Faction ; ainsi , Selon la destination des cas ,
je , se met à l'acusatif ; le souvenir de ma faute
m'aflige j m'afecte de repentir , tel est le tour
latin y pœnitet me culpœ , c'est-à-dire , rzzor-
datio , ratio , respectas , vïiium cul p es poenitet
me (1) : Phèdre a dit (a) , raj/ûr nequiiiœ pour
nequïtia ; re* «"ii pour cihus. Voyez les ob-
servations que nous avons faites sur ce sujet
dans la syntaxe.
Il n'y a donc point d'rn^pallage dans pœnitet
me culpœ , ni dans les autres façons de parler
semblables : je ne crois pas non plus , quoi
-qu'en disent les Comentateurs d'Horace , qu'il
y ait une hypaiiage dans ces vtrs de l'Ode 17
• du livre premier,
Velox ï?ma?Riï!iî sacpè Lucrétile m
Mutât Lycseo Faiums.
C'est-à-dire , que Fanne prend souvent eii
échange le Lucrétile pour le Lycée , il vient
souvent habieer le Lucrétile (auprès de la mai-
son de campagne d'Horace ) , et qcite pour
cela le Lycée, sa demeure ordinaire. Tel est
le sens d'Horace , corne la suite de l'ode le
done nécessairement à entendre. Ce sont les par
roies du P. Sanadon , qui trouve dans cette
(1) L. m. f. 8. v. 15.
00 L. III. f. 7. v. 4.
174 X' H Y P A I I A G E.
façon de parler (i) une vraie hypallage ou un
renversement de construction.
Mais il ne paroît pas que c'est juger du
latin par le français , que de trouver une hy-
pallage dans ces paroles d'Horace , Lucretilem
mutât Lycao Faunus. On comence par atacher
à mutare la même idée que nous atachons à
notre verbe changer ; doner ce quon a pour
ce quon n'a pas ; ensuire , sans avoir égard
à la phrase latine , on traduit , Faune change
le Lucrétile pour le Lycée : et corne cette ex-
pression signifie en français , que Faune pass«
du Lucrétile au Lycée , et non du Lycée au
Lucrétile, ce qui est pourtant ce qu'on sait
bien qu'Horace a voulu dire , on est obligé de
recourir à l'hypallage pour sauver le contre-
sens que le français seul présente. Mais le ren-
versement de construction ne doit jamais ren-
verser le sens, corne je viens de le remarquer,
clest la phrase même , et non la suite du dis-
cours , qui doit faire entendre la pensée , si ce
r/est dans toute son étendue , c'est au moins
dans ce qu'elle présente d'abord à l'esprit de
ceux qui savent la langue.
Jugeons donc du latin par le latin même ,
et nous ne trouverons ici ni contre - sens ni
hypallage, nous ne verrons qu'une phrase la-
tine fort ordinaire en prose et en vers.
On dit en latin donare munera alicui , doner
(x) Voyez les remarques du P. Sanadon , à l'occasion
de Lucana mutet pascuis , vers 28 3 de FOde Ibis liburnisé
Poésies d'Horace * tom. I. p. 17$.
L' H Y P A L L A -G E. 17 5
des présens à quelqu'un , et l'on dit aussi do-
nare aliquem munere , gratifier quelqu'un d'un
présent : on dit également circumdare urbcvi
manibus , et circumdare m ce nia urbi ; de même,
on se sert de mutare ; soit pour doner , soit
pour prendre une chose au lieu d'une autre.
Muta (1) , disent les étymoiogiens , vient de
motu ; mutare quasi motare. L'anciène manière
d'acquérir ce qu'on n'avoit pas , se faisoit par
des échanges ; de - là muto signifie également
acheter ou vendre , prendre ou doner quelque
chose au lieu d'une autre , emo aut vendo , d;t
■Martinius, et il cite Colurneîle, qui a dit porc us
lactens aère mutandus est , il faut acheter un
cochon de lait.
Ainsi , mutât Lucretilem , signifie vient pren-
dre , vient posséder , vient habiter le Lucré-
tile ; il achète , pour ainsi dire , le Lucrétile
par le Lycée.
AL Dacier , sur ce passage d'Horace , re-
marque qu'Horace parle souvent de même , et
je sais bien , ajoute-t-ii , que quelques histo-
riens Vent imité,
Lorsqu'Ovide fait dire à Médée qu'elle vou-
droit avoir acheté Jason pour toutes les richesses
gle l'univers , il se sert de mutare.
Quemque ego cum rébus quas totus possidet orbls
^tisoaidem matasse velim (2).
Où vous voyez que corne Horace , Ovide
(ï) Mart. Lex. V. muîo.
(2) Met. 1. VII. v. %?.
H 4
I76 l' H T ? A L L A G E,
emploie mutare dans le sens à'aquêrir ce qu'on
n7a pas , de prendre , d'acheter une chose en
■ en donnant une autre (1), Le F. Sanadon re-
marque qu'Horace s'est souvent servi de mu-
tare en ce sens , matavit lugubre sagum pu-
nko (2) , pour punie um sagum lugubri y mutcù
lucana calabris pascuis (3) , peur calabra pas-
cua lucànis : mutât uvain strigili (4) , pour
strïgïlim uva.
L'usage de mutare aliquid aliquâ re dans le
sens de prendre en échange , est trop fréquent
pour être autre chose qu'une phrase latine ,
corné donare cliquent aliquâ re , gratifier quel-
qu'un de quelque chose , et circttmdare mania
urbi , douer àes murailles à une ville tout au-
teur , c'est-à-dire , entourer une ville de mu-
railles : l'hypallage ne se met pas ainsi à tous
les tours.
X î X.
L* O N O M A T O 1* È E.
L'onomatopée est une figure par laquelle
tin mot imhe le son naturel de ce qu'il sigajl
fie. On réduit sous cette figure les mots foi|
(1) Tome I. p. 175.
(2) L..V. Od. IX.
(3) L. V. Od. ï.
(4) L. II. Sat. VIL v. 110;
l' o n o m a t o p k K. 177,
mes par imitation du son ; corne ie glouglou de
la bouteille; le cliquetis , c'est-à-dire, le bruit
que font les boucliers , les épées et les autres
armes en se choquant. Le trictrac qu'on apeloit
autrefois tictac ; sorte de jeu assez comun ,
ainsi nomé du bruit que font les darnes et
les dés dent on se sert à ce jeu : Tinnitus aeris ,
tintement : c'est le son clair et aigu des mé-
taux : B'dbire , bilbit amphora , la petite rc\ -
teille ïilt gloU glou : on le dit d'une petite
bouteille dont le goulot est étroit. Taratan-
tiira , c'est le bruit de la trompeté.
At tuba îerri&ili sonitu taratanîara àixii
C'est un ancien vers d'Ennius , au raport
de Servius, Virgile en a changé le dernier hé-
mistiche , qu'il n'a pas trouvé assez digne de
la poésie épique : Voyez Servius sur ce vers
de Virgile :
At tuba îerrife'Ii soaitu procul aère canoro
Increpuit (1).
Cachinnus , c'est un rire immodéré, Cachinno r
onis ; se dit d'un homme qui rit sans retenue :
ces deux mots sont formés du son ou du bruit
que l'on entend quand quelqu'un rit avec éclat.
Il y a aussi plusieurs mots qui expriment
le cri des animaux > corne bêler ,. qui se dit des
brebis.
Baubari , aboyer , se dit des gros chiens. La-
trare , aboyer , hurler (a) , c'est le mot gêné—
(1) JEn. 1. IX. y. 503.
(2) Zucr, 1. Y. v. 1072,
h 5
I78 L' O K O M A T O P É E.
*ique. Mutire , parler entre les dents , mur-
murer , gronder , corne les chiens ; mu cauum
est , undè mutire , dit Charisius.
Les noms de plusieurs animaux sont tirés de
leurs cris , sur-tout dans les langues originales.
Upupa , hupe , hibou.
Cuculus , qu'on prononçait coucoulous , un
coucou , oiseau.
Hinmdo , un hiro ndèîe.
Ulula , chouète.
Bubo , hibou.
Gracculus , un cohucas , espèce de corneille.
Callina , une poule.
Cette figure n'est point un trope , puisque
le mot se prend dans le sens propre : mais
j'ai cru qu'il n'étoit pas inutile de la remarquer
ici.
X X.
Qu'un même mot peut être doublement figuré.
Il est à observer que souvent un mot est
doublement figuré; c'est-à-dire, qu'en un
certain sens il apa'rtient/à un certain trope,
et qu'en un autre sens , il peut être rangé sous
un autre trope. On peut avoir fait cette re-
marque dans quelques exemples que j'ai déjà
raportés. Quand Virgile dit de Bitias , que pleno
se proluit auro , auro se prend d'abord pour la
coupe , c'est une synecdoque de ht matière ,
MÊME MOT, etc. î?9
pour fa chose qui en est faite ; ensuite la coupe
se prend pour la liqueur qui étoit contenue dans
cette coupe : c'est une métonymie du conte-
nant pour le contenu.
Nota , marque , signe , se dit en général de
tout ce qui sert à conoître ou remarquer quel-
que chose : mais lorsque nota , (note ) se prend
pour dedecus , marque d'infamie , tache dans
la réputation , corne quand on dit d'un mili-
taire , il s'est enfui en une telle occasion 5 c'est
une note , il y a une métaphore , et une synec-
doque dans cette façon de parler.
Il y a métaphore , puisque cette note n'est
pas une marque réèle , ou un signe sensible ,
qui soit sur-la personne dont on parle ; ce n'est
que par comparaison qu'on se sert de ce mot :
on done à note un sens spirituel et metapho*
rique.
Il y a synecdoque , puisque note est res-
treint à la signification particulière de tache ,
dedecus.
Lorsque , pour dire qu'il faut faire pénitence
et réprimer ses passions , on dit qu'il faut mor-
tifier la chair ; c'est une expression figurée qui
peut se raporter à la synecdoque et à la mé-
taphore. Chair ne se prend point alors dans
le sens propre , ni dans toute son étendue ;
il se prend pour le corps humain , et sur-tout
pour les passions , les sens : ainsi c'est une sy-
necdoque ; mais mortifier est un terme méta-
phorique , on veut dire qu'il faut éloigner de
nous toutes les délicatesses sensibles ; qu'il faut
H 6
ï8o M Ê M E MOT, etc.
punir notre corps , le sevrer de c« qui !e fîare,
afin d'afoiblir Tapetit charnel, la convoitise,
les passions f les soumettre à l'esprit , et pour
ainsi dire, les faire mourir.
Le changement d'état par lequel un citoyen
romain perdoit la liberté , ou aloit en exil , ou
changeoit de famille , s'apeloit capitis minutio 9
diminution de tête : cesi encore une expres-
sion métaphorique qui peut aussi être rapor-
tée à la synecdoque. Je crois qu'en ces occa-
sions on peut s'épargner la peine d'une exac-
titude trop recherchée , et qu'il sufit de re-
marquer que l'expression est figurée , et la ranger
sous l'espèce de trope auquel elle a le plus de
raport.
X X u
De la subordination des Tropes , ou du rang
qu'ils doivent tenir les uns à l'égard des autre s f
et de leurs caractères particuliers,
QuiNTILîSN dit (t) que les Grammairiens
aussi bien que les Philosophes disputent beau-
coup entre eux pour savoir combien il y a
de diférentes classes de tropes , combien chaque
(l) Circa quem ( trcpura ) inexplîcabilis , et Gram-
cis jLnter ipsos , et Pliilosophis pugna est; qua?
enera 5 quae species , quis numerus > quts cui sub-
t- i tar»
Quint. Iast. Oiat. I. VIII. c. YI.
SUBORDINATION iSî
classe renferme d'espèces particulières, et enfin
quel est l'ordre qu'on doit garder entre ces
classes et ces espèces,
Vossius (1) soutient qu'il n'y a que quatre
îropes principaux , qui sont la Métaphore , la
Métonymie , la Synecdoque et l'Ironie ; les
autres , à ce qu'il prétend , se raportent à
ceux-là comj les espèces aux genres ; mais
toutes ces discussions sont assez inutiles dans
la pratique , et H ne faut point s'amuser à
des recherches qui souvent n'ont aucun objet
certain.
Toutes les fois quTi y a de la diférence dans
le raport naturel qui do ne lieu, à la significa-
tion empruntée , on peut dire que l'expression
qui est fondée sur ce raport apartient à un
trope particulier.
C'est le raport de ressemblance qui est la
fondement de la catachrèse et de la métaphore ;
on dit au propre une feuille d'arbre , et par
catachrèse une feuille de papier 9 parce qu'une
feuille de papier est à-peu-près aussi mince
qu'une feuille d'arbre. La catachrèse est la pre-
mière espèce de métaphore. On a recours à
la catachrèse par nécessité ,. quand on ne trouve
point de mot propre pour exprimer ce qu'on
veut dire. Les autres espèces de métaphores
se font par d'autres mouvemens de l'imagina-
tion qui ont toujours la ressemblance pour
fondement.
(i) Inst, Orat. 1. iy. c. y. art. IL et c. X>
I.
ï8a SUBORDINATION
L'ironie au contraire est fondée sur un ra-
port déposition, de contrariété, de diférence ,
et , pour ainsi dire , sur le contraste qu'il y
a , ou que nous imaginons entre un objet et
un autre ,* c'est ainsi que Boileau a dit (i) ,
Quinault est un Virgile,
La métonymie et la synecdoque , aussi bien
que les figures qui ne sont que des espèces
de Tune ou de l'autre , sont fondées sur quel-
que autre sorte de raport qui n'est ni un
raport de ressemblance , ni un raport du con-
traire. Tel est , par exemple , le raport de k
cause à l'éfet ; ainsi dans la. métonymie et dans
la synecdoque les objets ne sont considérés ni
corne semblables , ni corne contraires , on les
regarde seulement corne ayant entr'eux quel-
que relation , quelque liaison , quelque sorte
d'union ; mais il y a cette diférence, que, dans
la métonymie , l'union n'empêche pas qu'une
chose ne subsiste indépendament d'une autre ;
au lieu que , dans la synecdoque , les objets
dont l'un est dit pour l'autre , ont une liaison
plus dépendante , corne nous l'avons déjà re-
marqué ; l'un est compris sous le nom de l'au-
tre , ils forment un ensemble , un tout ; par
exemple , quand je dis de quelqu'un qail a
lu Cicéron , Horace , Virgile , au lieu de dire
les ouvrages de Cicéron , etc. , je prens la cause
pour l'éfet , c'est le raport qu'il y a entre un
auteur et son livre , qui est le fondement de
(i) Satire IX.
DES TROPES. igj
cette façon de parler ; voilà une relation , mais
le Kvre subsiste sans son auteur , et ne forme
pas un tout avec lui ; au lieu que , lorsque
je dis, cent voiles pour cent vaisseaux , je prens
la partie pour le tout , les voiles sont néces-
saires à un vaisseau : il en est de même quand
je dis qu'on a payé tant par tête , la tête est
une partie essentielle à l'home. Enfin dans la
synecdoque , il y a plus d'union et de dépen-
dance entre les objets dont le nom de l'un se
met pour le nom de l'autre , qu'il n'y en a dans
la métonymie.
L'allusion se sert de toutes les sortes de re-
lations , peu lui importe que les termes con-
viènent ou ne conviènent pas entr'eux , pourvu
que par la liaison qu'il y a entre les idées ac-
cessoires , ils réveillent celle qu'on a eu des-
sein de réveiller. Les circonstances qui acom-
pagnent le sens litéral des mots dont on se
sert dans l'a lusion , nous font conoître que ce
sens litéral n'est pas celui qu'on a eu dessein
d'exciter dans notre esprit , et nous dévoilent
facilement le sens figuré qu'on a voulu nous
faire entendre.
L'euphémisme est une espèce d'allusion , avec
cette diférence , qu'on cherche à éviter les mots
qui pouroient exciter quelque idée triste _, dure,
ou contraire à la bienséance.
Enfin , chaque espèce de trope a son ca-
ractère propre qui le distingue d'un autre ,
corne il a été facile de le remarquer par les
observations qui ont été faites sur chaque trope
l8'4 DES TRONES.
en particulier. Les persones qui trouveront
ces observations ou trop abstraites , ou peu
utiles dans la pratique , pouronf se contenter
de bien sentir par les exemples la diférence qu'il
y a d'un trope à un autre. Les exemples les
mèneront insensiblement aux observations.
X X I L
I, Des Trop es dont on n a y oint parlé»
IL Variété dans lu dénomination des Trope s*
L Co'ME les figures ne sont que des ma-
nières de parler qui ont un caractère particu-
lier auquel on a donné un nom ; que d'ailieurs
chaque sorte de figure peut être variée en plu-
sieurs manières diférentes , il est évident que
si l'on vient à observer chacune de ces manières,,
et à leur doner des noms particuliers, on en
fera autant de figures. De-\k les noms de mi-
me sis 9 apophasis , cataphasis > asteismus , myc-
terismus , charientismus y diasyrmus , sarcas-
mus , et autres pareils qu'on ne trouve guère
que dans les ouvrages de ceux qui les ont
imaginés.
Les expressions figurées qui ont donélieu.à
ces sortes de noms , peuvent aisément être ré-
duites sous quelqu'une des classes de tropes dont
j'ai déjà paie. Le sarcasme , par exemple \ n'est
autre chose qu'une, ironie faite avec aigreur et
VARIÉTÉ, etc. l8$
avec emportement (1). Op. trouve l'infini pare-
ront : mais quand une fois on est parvenu au
point de division ou ce qu'on divise n'est plus
palpable , c'est perdre son tems et sa peine que
de s'amuser à diviser.
II. Les auteurs douent quelquefois des noms
diféreos à la même espèce d'expression figurée,
je veux dire , que l'un apèie hypallage , ce
qu'un autre nome métonymie : les noms de ces
sortes de figures étant arbitraires , et quelques-
uns ayant beaucoup de r a port n d'autres , selca
leur étymologie y il n'est pas étonnant qu'on
les ait souvent confondus. Arîstote done le no a
de métaphore à la plupart des tropes qui ort
aujourd'hui des noms particuliers. Arlstotelesip.)
ista otnnia translation.es vocaù Cîcéron remarque
aussi que les Rhéteurs nomër.t kypallage a
même figure que les Grammairiens apèlent mé-
tonymie (3). Aujourd'hui que ces dénominations
sont plus déterminées , on doit se conformer sur
ce point à l'usage ordinaire des Grammairien*
et dzs Rhéteurs. Un de nos Poètes a dit :
Leurs cris remplissent l'air de leurs tendres souhaits»
Selon la construction ordinaire , on diroit plutôt
( I ) Est autem sarcasmus tostiïiis irrisio . . . cum
quis morsis labris suhsannat alium .... irrisioque nat
didnetîs labris , ostensacue de-ntium carne. Vossius ,
làst. Orar. 1. IV. c. Xïïï. De Sarcasme*.
(2) CÎC. Orafr. IX. n. 94, aliter , XVII.
(3) Hanc , kypallagen Rhetores , quia quasi summu-
fantur verba pro verbis ; metonymiam Gràmmatici vq-
cant , quod nomina transferuntur. Çicero 4 Orator , n. 03 5
éduer XXVII,
DES T R O P £ S ,
que ce sont les souhaits qui font pousser des
cris qui retentissent dans les airs. L'auteur du
Dictionaire Néologique dones cette expression
Je nom de métathcse : les façons de parler sem-
blables qu'on trouve dans les anciens , sont
«pelées des hypallages : le mot de mêtathèse
n'est guère d'usage que lorsqu'il s'agit d'une
transposition de lettres (i).
M. Gibert nous fournit encore un bel exemple
<Ie cette variété dans les dénominations des fi-
gures , il apèle métaphore (2) ce que Quintilien
(1) Metathesis 9 mutatio , seu transpositio , ut Evandre
$ro Evander ; Tymbre pro Tymber. Isidor , liv. I.
*ii. XXXIV.
Metathesis , ( apud Rherores ) est figura quai mitât
animes judicium in res prseteritas aut futuras , hoc modo :
Hevocate mentes ad spectazulum -expugnatœ. miserez ci-
■n/itatis , etc. ; in fuîurum autem est anticipatio eorum quae
«ïicturus est adversarius. Idem , 1. II. XXI.
(2) M. Gibert a suivi en ce point la division d'Aristote ,
ïî ne s'est écarté de ce Philosophe que dans les exemples.
Voici les paroles d'Aristote dans sa Poétique , c. XXI ,
«et selon M. Dacier, c. XXII. Je me servirai de la tra-
duction de M. Dacier.
« La métaphore , dit Aristote , est un transport d'un
yy nom qu'on tire de s'a signification ordinaire. Il y a
» quatre sortes de métaphores : celle du genre à l'es-
» pèce , celle de l'espèce au genre , celle de l'espèce à
» l'espèce , et celle qui est fondée sur l'analogie. J'apèle
*» métaphore du genre à l'espèce ; corne ces vers d'Ho-
*» mère 1 mon vaisseau s'est arrêté loin de la ville dans
yy le port. Car le mot s'arrêter est un terme générique -,
» et il l'a apliqué à l'espèce pour dk-e être dans le
» port » .
Voici la remarque que M. Dacier fait ensuite sur
ces paroles d'Aristote : « Quelques anciens , dit-il ; ont
» coudâné* Aristote de ce qu'il a mis sous le nom de
VARIÉTÉ, etc. I87
et les antres noment antonomase (ï). « Il y
» a , dit M. Gibert (2) , quatre espèces de
» métaphores ; la première emprunte le nom
» du genre pour le doner à l'espèce , corne
jy quand on dit , Y Orateur pour Cicêron , ou
>> le Philosophe pour Aristote, ?> Ce sont - là
cependant les exemples ordinaires que les Rhé-
teurs douent de l'antonomase : mais , après tout ,
le nom ne fait rien à la chose ; le principal est
de remarquer que l'expression est figurée , et
en quoi elle est figurée.
XXII.
Que r usage et Vabus des Tropes sont de tous
les, terns et de toutes les langues.
Une même cause dans les mêmes circonstances
produit des éfets semblables. Dans tous les terns
» métaphore , les ceux premières , qui ne sont propre-
» .ment que des synecdoques ; mais Aristote parle en
» général , et II écrivit dans un terns où Ton n'a voit
» pas encore rafiné sur les ligures pour les distinguer ,
» et pour leur doner à chacune le nom qui en auroit
» mieux expliqué la nature». D acier ^ Poétique d' Aris-
tote , pag. 345.
(1) Arttonomasia , quae aliquid pro nomine pcnit ,
poetis fréquent issima. . . . Oratoribus etiam si rarus ejus
rei , non nullus tamen usus est : nam ut Tydiden et
Peliden non dixerint , ita dixerunt eversorem Carthaginis
et Numantije pro Scipione \ et romande eloquentiae prin-
cipem pro Cicérone posuisse non dubitant. Quint. Inst.
Orat. 1. VIII. c. VI.
(2) Ruetor. p. 555.
188 E E S TROPES,
et dans tous les lieux où il y % eu ies homëV',
il y a eu de l'imagination , des passions ;'."
des idées "accessoires , et par conséquent des*;
tropes.
Il y a eu des tropes dans la langue des Chal-
déens , daiïs *celle ■ des 'Egyptiens , dans celle
des Grecs et dans celle des Latins : on en fait
usage aujourd'hui parmi les peuples même les
plus barbares , parce qu'en un mot ces peuples
sont des homes , ils ont de l'imagination et des
idées accessoires.
Il est vrai que telle expression figurée en,
particulier n'a pas été en usage par-tout ; mais
par-tout il y a eu des expressions figurées. Quoi-
que la nature soit uniforme dans le fonds des
choses , il y a une variété infinie dans l'exé-
cution , dans Implication , dans les circons-
tances , dans les manières.
Ainsi nous nous servons de tropes , non parce
que les anciens s'en sont servis , mais parce que
nous somes homes corne eux.
Il est dificile en parlant et en écrivant , dé-
porter toujours Tatention et le discernement
nécessaires pour rejeter les idées accessoires qui
ne conviènent point au sujet , aux circons-
tances , et aux idées principales que Ton met
en œuvre : de-là il est arivé dans tous les texns,
que les Fcrivains se sont quelquefois servis d'ex-
pressions figurées qui ne doivent pas être prises
pour modèles.
Les règles ne doivent point être faites sur
l'ouvrage d'aucun particulier, elles doivent être
VARIÉTÉ, etc. 189
puisées dans le bon sens et clans la nature :
et alors quiconque s'en éloigne ne doit point
être imité en ce point. El l'on veut former le
goût des jeunes gens , on doit leur faire re-
marquer les défauts , aussi bien que les beautés
des auteurs qu'on leur fait lire. Ii est plus facile
d'admirer, j'en conviens ; mais une critique
sage , éclairée , exemte de passion et de fana-
tisme , est bien plus utile.
Ainsi Ton peut dire que chaque siècle a pu
avoir ses critiques et son Dictionnaire Néo-
logique. Si quelques persones disent aujourd'hui
avec raison ou sans fondement (1) , qu'i/ règne
dans le langage une afectation puérile : que le
style frivole et recherché passe jusqu'aux tri-
bunaux les plus graves ; Cicéron a fait la même
plainte de son terns : Est enini quoddam etiam
insigne et florens oraiionis , pictum 9 et expo-
litum genus , in quo omnes verborum , onines
stntenîiarum illigantur lepores. Hoc totum è so-
phistarum fontibus defluscii in forum , etc. (2).
« Au plus beau siècle de Rome , c'est-à-
» dire , au siècle de Jules César et d'Auguste,
?> un. auteur a dit , infantes statuas ( 3 ) ,
» peur dire des statues nouvèlement faites :
» un autre , que Jupiter crachait la neige sur
» les Alpes >>,
Jupiter hibernas canâ nive conspuit Alpes (4).
(1) Diction. Néologique.
(2) Orat. h. 96. aliter. XXVIL
(3) Le ?. Sanadon, Pcés. d'Horace, t. II. p. 254.
L. II. Sat, V, v. 40.
X90 DES TRONES,
Horace se moque de l'un et de l'autre de
ces auteurs ; mais il n'a pas été exemt lui-même
des fautes qu'il a reprochées à ses contempo-
rains (1). Il ne reste à la plupart des Comen-
tateurs d'autre liberté que pour louer , pour
admirer , pour adorer y mais ceux qui font usage
de leurs lumières , et qui ne se conduisent
point (2) par une prévention aveugle , désa-
pr auvent certains vers lyriques dont la cadence
nest point asst\ châtiée. Ce sont les termes
du P. Sanadon : J'ai relevé en plusieurs en-
droits , poursuit-il (3) , des pensées , des sen-
tïmens , des tours et des expressions , qui m'ont
paru répréhensibïes.
Quintilien (1) , après avoir repris dans les
anciens quelques métaphores défectueuses , dit
que ceux qui sont instruits du bon et du mau-
vais usage des figures , ne trouveront que trop
d'exemples à reprendre : Quorum exempta ni-
mïum fréquenter reprehendet , qui sciverit kœc
vhia esse*
Au reste , les fautes qui regardent les mots ,
ne sont pas celles que l'on doit remarquer avec
le plus de soin : il est bien plus utile d'observer
celles qui pèchent contre la conduite , contre
la justesse du raisonnement, contre la probité ,
la droiture et les bones moeurs. Il seroit à sou-
haiter que les exemples de ces dernières sortes
(1) Le P. Sanadon , préface , pag. 19.
(2) Idem j page 20.
(3) Ibid.
(4) Znst. Orat. 1. yill. c. VI. Comparatif
SUBSTANTIFS, etc. ICI
de fautes fussent moins rares , ou plutôt qu'ils
fussent inconus.
TROISIÈME PARTIE.
Des autres sens dans lesquels un même mot peut
être employé dans le discours.
\ J UT RE les tropes dont nous venons de par-
ler , et dont les Grammairiens et les Rhéteurs
traitent ordinairement , il y a encore d'autres
sens dans lesquels les mots peuvent être em-
ployés , et ces sens sont la plupart autant
d'autres diférentes sortes de tropes : il me paroît
qu'il est très-utile de les conoître pour mettre
de l'ordre dans les pensées , pour rendre rai-
son du discours , et pour bien entendre les au-
teurs. C'est ce qui va faire la matière de cette
III.e partie.
Substantifs pris adjectivement , adjectifs pris
substantivement , Substantifs et Adjectifs pris
adverbialement.
Un nom substantif se prend quelquefois ad-
jectivement , c'est-à-dire, dans le sens d'un
ïga SUBSTANTIFS
atribut ; par exemple : Un père est toujours
père , cela veut dire qu'un père est toujours
tendre pour ses enfans , et que malgré les mau-
vais procédés , il a toujours des sentimens de
père à leur égard ; alors ces substantifs se cons-
truisent corne de véritables adjectifs, te Dieu est
j> notre ressource , notre lumière , notre vie ,
» notre soutien , notre tout. L'home n'est qu'un
j> néant. Etes - vous prince ? Etes -vous roi?
>> Etes-vous vous avocat ? » Alors prince , roi ,
avocat 9 sont adjectifs.
Cette remarque sert à décider la question
que font les Grammairiens , savoir si ces mots
roi , reine , père , mère , etc. sont substantifs
ou adjectifs : ils sont l'un et l'autre , suivant
l'usage qu'on* en fait. Quand il sont le sujet
de la proposition , ils sont pris substantivement ;
quand ils sont l'atribut de la proposition , ils
sont pris adjectivement. Quand je dis le roi aime
le peuple 5 la reine a de la piété : roi , reine ,
sont des substantifs qui marquent un tel roi
et une telle reine en particulier ; ou , corne
parlent les philosophes , ces mots marquent
alors un individu qui est le roi : mais quand
je dis que Louis XV est roi , roi est pris alors
adjectivement , je dis de Louis qu'il est revêtu
de la puissance royale.
Il y a quelques noms substantifs latins qui
sont quelquefois pris adjectivement 9 par mé-
tonymie , par synecdoque ou par antonomase.
Scelus , crime , se dit d'un scélérat , d'un home
qui est , pour ainsi dire , le crime même :
Scelus
FUIS ADJECTIVEMENT , etc. I93
Jcelus quemnam hic laudat ? (1) Le scélérat
t '2 qui parle~t-il ? Vbi illic est sctlus qui me
perdidic (1) ? Où est ce scélérat qui m'a perdu 1
où vous voyez que scelus se construit avec illic
cjui est un masculin ; car selon les anciens
Grammairiens , on disoiî autrefois illic , illœc ,
illuc , au lieu de ille , iUa , illud : la construc-
tion se fait alors selon le sens , c'est-à-dire ,
par raport à la persone dont on parle 3 et non
selon le mot qui est neutre,
Çarcer , prison, se dit aussi par métonymie ,
de celui qui mérite la prison, Ain tandem çar-
cer (3) ? Que dis-tu , malheureux ? C'est peut-
être dans le même ?en~ qu'Enee , dans Vir-
gule , parlant des Grecs à Yoczslon. de la four-
Beri , de Sinon 9 dit , et crimiht ab uno disce
:s (4). Ce que nous ne saurions rendre ea
fr ;ais en conservant te raême tour , un seul
fr e9 une seule de leurs fourberies , vous fera,
conoître le caractère de tous les Grecs, T.érencs
a dît unum cognons ^ ontnes norls (5%
1... xà 9 œ , ect un sufeâtantif, qui dans le
sens prox ~e , signifie faute, peine * domage:
de nocere. Il est dit dans les instituts de Justi-
nien , que ce mot *e prend aussi pour l'esclave
même qui a fait le domage, Noxa (6) dutem
(1) Ter. Açd. act. V. se VI. v. 3,.
(2) Ibid. aet. III. se. V» v. ï. ^
(3) Ter. Phorm. act. IL se. III. v. 2c?.
f (4) Mn. II. v. 65.
" (5) Phorm. act. II. se. I. v. 35.
{6) Inst. I. iy. TU. VIII. §♦ L
l
194 SUBSTANTIFS
est Ipsum corpus quoi nocuic , ii est scrvus
( nôxiiïs ), Ce mot n'est pourtant pas d'un.
usage ordinaire en ce sens dans la langue la-
tine.
Un adjectif se prend aussi quelquefois subs-
tantivement ; c'est-à-dire , qu'un mot qui est
ordinairement atribu: , est quelquefois sujet
dans une proposition ; ce qui ne peut ariver
que parce qu'il y a alors quelqu'autre nom
sous-entendu qui est dans l'esprit ; par exemple
le vrai persuade , c'est-à-dire , ce qui est vrai ,
Y être vrai y ou la vérité. Le tout puissant ven-
gera les foibies qu'on oprime , c'est-à-dire;
Dieu , qui est tout puissant, vengera les homes
tbibles.
Nous avons vu dans les préliminaires de la
syntaxe , que l'adverbe est un mot qui ren-
ferme la préposition et le nom qui la ^ter-
mine. La préposition marque une circonstance
générale , qui est ensuite déterminée par le
nom qui suit la préposition selon Tordre des
idées : or , l'adverbe renfermant la préposition,
et le nom , il marque une circonstance par-
ticulière du sujet , ou de l'atribut de la pro-
position : sapienter , avec sagesse , avec Juge-
ment ; sœpb , souvent , en plusieurs ocasions ;
ubi , où , en quel lieu , en. quel endroit ; ibi ,
là , en cet endroit-îà.
Il y a quelques noms substantifs qui sont
pris adverbialement , c'est- à—diire , qu'ils n'en-
trent dans une proposition que pour marquer
jUHç circonstance di; sujet ou de l'atribm $, m
PÎIIS ADJECTIVEMENT , etc. I9J
vertu de quelque préposition sous-entendue ;
par exemple : domi , à la maison , au lieu de
la demeure. Videt nuptias domi apparari (1) ,
elle voit qu'on se prépare chez nous à la noce ;
domi marque la circonstance du lieu où Pen-
se préparoit à la noce : on sous -entend , im
cedïbus demi , dans les aparîemens de la maison,
de la demeure; ou bien in aliquo loco domi,
Plaute a exprimé cèdes ; omnes domi per cèdes (2) ,
de chambre en chambre , département en apar-
tement.
Quand domi est opposé à bclli ou militiez ;
on sous-entend in rébus; Cicéron l'a exprimé,
quibuscumque rébus vel belii , vel domi (3) ;
alors domi se prend pour la patrie , la ville ,
et selon notre manière de parler , pour la paix ,
le tems de la paix. Nous avons parlé ailleurs
de ces sortes d'ellipses.
Oppido se prend aussi adverbialement , corne
nous l'avons remarqué plus haut. Quand on sait
une fois la raison des terminaisons de ces mots,
on peut se contenter de dire que ce sont d^s
substantifs pris adverbialement.
Les adjectifs se prènent aussi fort souvent
adverbialement, corne je l'ai remarqué en par-
lant des adverbes ; par exemple : parler haut ,
parler bas , parler grec et latin , graxè et
latine loqui : penser juste , sentir bon , sen~
(1) Ter, And. act. III , se. II , v. 34.
(2) Plaute , Casina , act. V , se. Y , v. 31.
^) Cic. de OiHc. 1. II , n. 85 , aliter XXIV.
I a
Ï96 ■ SUBSTANTIFS, etc.
tir mauvais 9 marcher vite 9 voir clair 9 fraper
fort , etc.
Ces adjectifs sont alors au neutre , et c'est
une imitation des Latins : Transversa tuenti-
bus hircis ; hircis tuentibus ad 'negotia trans-
versa (1). Recens est très-usité dans les bons
auteurs , au lieu de recenter , qui ne se trouve
que dans les auteurs de la moyène latinité :
Sole recens orto : Puerum recens (a) natum
reperire (3). Dans des ocasions il faut sous^
entendre la préposition ad , ou juxta , ou in;
juxta recens negotium j ou tempus , corne nous
disons , à la française , à la mode 9 à la ren-
verse , à Vimproviste , à la traverse 9 etc. Ho-
race a dit ad plénum pour plenè , pleinement,
abondament 9 à plein : manabit ad plénum (4).
On trouve aussi in pour ad ; latus in pressens
animus : Jactis in altum molibus (5)>
Exit in immensum fœcunda licsntia vatum (6).
Ainsi quand Saluste a dit , mons immensum
editus (7) , il faut «spus-entendre in ; et avec
ces adjectifs on sous-entend un mot générique ,
negotium , spatium , tempus } avum , etç,
(1) Virg. Ecl. IÏÏ. v. 8.
(a) Virg. Gecr. IÏÏ. v. i$/S.
(3) Plaut. Cistel. i,2, 16.
<4) L. I , Ode XVII , Hor. 1. II , Ode XVI, V. %fi
(5) H@r. h III , Ode I. v. 34.
(6) Ovid. Amor. 1. III, Eleg, XII , V» 4*»
(7) Jugurt. $*b fam
SENS DÉTERMINÉ, etc. I97
I I,
Sens déterminé. Sens
indéterminé.
Chaque mot a une certaine signification
dans le discours; autrement* il ne sîgnifieroit
rien : mais ce sens , quoique déterminé , n^e
marque pas toujours précisément un tel indi-
vidu , un tel particulier : ainsi on apèle sens
indéterminé , ou indéfini y celui qui marque une
idée vague , une pensée générale , qu'on ne fait
point tomber sur un seul objet particulier ; par
exemple : on croit, on dit: ces termes ne dé-
signent persone en particulier qui croie ou qui
dise ; c'est le sens indéterminé , c'est-à-dire ,
que ces mots ne marquent point un tel particulier
de 'qui l'on dise qu^/7 croit, ou qu'il dit.
Au contraire , le sens déterminé tombe sur
un objet particulier ; il désigne une ou plu-
sieurs persones , une ou plusieurs choses, coma
les Cartésiens croient que les animaux sont des
machines : Cicéron dit dans ses ofices (l) y que
la bonne foi est le lien de la société.
■ On peut raporter ici le sens étendu et le
sens étroit. H y a bien des propositions qui
sont vraies dans un sens étendu , late , et
fausses , lorsque les mots en sont pris à la ri-
(1) L. II. n. 84 aliter XXIV-
13
I98 SENS ACTIF, etc.
gneur, stricte : nous en donerons des exemples
en parlant du sens litéral.
I I I,
Sens Actif, Sens Passif,
Sens Neutre.
A cci f vient de agere , pousser , agir , faire.
Un mot est pris dans un sens actif, quand il
marque que l'objet qu'il exprime , ou dont il
est dit , fait une action, ou qu'il a un senti-
ment , une sensation.
Il faut remarquer qu'il a des actions et
des sentimens qui passent sur un objet qui en
est le terme. Les philosophes apèlent patient ,
ce qui reçoit l'action d'un autre , ce qui est
le terme ou l'objet du sentiment d'un autre.
Ainsi patient ne veut point dire ici celui qui
ressent de la douleur ; mais ce qui est le terme
d'une action ou d'un sentiment. Fièvre bat Paul;
bat est pris dans un sens actif, puisqu'il mar-
que une action que je dis qae Pierre fait , et
cette action a Paul pour objet ou pour patient.
Le roi aime le peuple ; aime est aussi dans un
sens actif, et le peuple est le terme ou l'objet
de ce sentiment. *
Un mot est pris dans un sens passif, quand
il marque que le sujet de la proposition , ou
«e dont on parle , est le terme ou le patient
SENS PASSIF, 6tC. I99
de l'action d'un autre. Paul est haut par Pierre ;
batu est un terme passif : je juge de Paul qu'il
est terme de l'action de batre.
Je ne suis point bâtant 3 de peur d'être batu (i).
Bâtant est actif, et batu est passif.
Il y a des mots qui marquent de simples
propriétés ou manières d'être, de simples situa-
tions , et même èes actions , mais qui n'ont
point de patient ou d'objet qui en soit le
terme ; c'est ce qu'on apèie le sens neutre*
Neutre veut dire ni Vun ni Vautre ; c'est-à-
dire , ni actif ni passif. Un verbe qui ne mar-
que ni action qui ait un patient , ni une paî-
sion , c'est-à-dire, qui ne marque pas que
l'objet dont en parle soit le term% d'une action,
ce verbe, dis— je , n'est ni actif, ni passif, et
par conséquent il est apelé neutre»
Aniare , aimer , chérir ; diligere , avoir de
l'amitié , de i'afection , sont des verbes actifs.
A mari , être aimé, être chéri ; âiligi , être
celui pour qui l'on a de l'amitié , sont des
verbes passifs : mais sedere , être assis , est
un verbe neutre ; ardere , être alumé , être
ardent , est aussi un verbe neutre.
Souvent les verbes actifs- se prenant dans
un sens neutre , et quelquefois les verbes neu-
tres se présent dans un sens actif;' écrire une
lettre , est un sens actif ; mais quand on de-
mande , que fait monsieur ? et qu'on répond ,
il écrit , il dort ; il chante y il danse ; tous ces
(1) Molière , Cocu unag. se. XYII-
1 4
100 SENS ACTIF', etc.
verbes-là sont pris alors datas, un sens neutre.
Quand Virgile dit que Turnus entra dans un
empoitement que rien ne put apaiser , impla-
eabilis ârdet (ï) ; arclet est alors un verbe neu-
tre : mais quand le.rnêrns poë'te, pour dire que
Coridon airnoit Alexis éperdûmênt, se sert de
cette expression , Coridon ar débat Alex in (&) ,
alors ar débat est pris dans un sens actif, quoi-
qu'on puisse dire aussi ar débat in Alexin ,
brûloit pour Alexis.
Requietcere , se, reposer , être oisif, être en
repos , est un verbe neutre , Virgile l'a pris
dans un sen» actif, lorsqu'il a dit :
Et mutata suos retruierunt fmmina cursus Ç3J.
Xes fieuves changés /c'est-à-dire , contre leur
usage , coœtre kur nature, arêtèrent le cours
de leurs eaux, reùnuerunt suos cursus.
Simon , dans l'Àsd-riène , rapèle à Sosie les
bienfaits dont il Fa comblé ; « Me remettre
?> ainsi vos bienfaits devant les yeux, lui dit
» Sosie , c'est me reprocher que je les ai ou-
3? bliés. » Istœc cornmemoratio , quasi expro-
bratio est immemoris beneficii (4). Les inter-
prètes d'acord entre eux: pour le fonds de la
pensée , ne le sont pas pour le sens cYimme-
moris : se doit-il prendre dans un «eus actif,
(n) Vîrg-. JEn. XII. v. 3.
(2) Ed. II , v. 1.
(3) Bel. VIII» v. 4. '
(4) Ter. And. act. I.- se. II , v. 17.
SENS PASSIF, etc. 201
ou dans un sens passif ? Madame Dacier dit
que ce mot peut être expliqué des deux ma-
nières : exprobratio met immemoris , et alors
Immemoris est actif ; ou bien , exprobratio be-
neficii immemoris , le reproche d'un fait ou-
blié ; et alors , immemoris est passif. Selon cette
explication , quand immemor veut dire celui qui
oublie , il est pris dans un sens actif; au lieu
que quand il signifie ce qui est oublié , il est
dans un sens passif, du moins par raport à
notre manière de traduire.
Mais ne pourrait-on pas ajouter qu'en latin
immemor veut dire souvent qui n'est pas de-
meuré dans la mémoire ? Tacite a dit , imme-
mor beneficium , un bienfair qui n'tst pas de-
meuré dans la mémoire, ou selon notre manière
de parler , un bienfait oublié. Horace a dit
memor nota (l) , une marque qui dure ïong-
îéms, qui fait ressouvenir. Virgile a dit dans
le même sens memor ira (2) , une colère qui
demeure long-tems dans le cœur , ainsi im-
memoris , seroit dans un sens neutre en latin.
Que fait monsieur ? Il joue y jouer est pris
alors dans un sens neutre ; mais quand on dit,
il joue gros jeu; il j eue est pris dans un sens
actif, et gros jeu est le régime de il joue.
Danser est un verbe neutre ; mais lorsqu'on
dit, danser une courante , danser un menuet %
danser est alors un verbe actif,
(1) Horace, 1. I, Od. 13.
{2) JEn. I I, vc 4,
1$
acz
$ E iï S V A S S I F , etc.
Les Latins ont fait te même usage de W*-
fan? , qui répond à danser* Saluste a dit de
Sempronia , qu'elle savoit mieux chanter et
danser qu'une honête femme ne doit le savoir,
Psallere et saltare elegantiîis , quant necesse
est probœ ( I ) : ( suppte ) docta erat psœl-
1ère et saltare • saltare est pris alors dans un
sens neutre : mais lorsquTIorace a dit saltare
Cyclopa (2) , danser le Cyclope ; saltare est
pris alors dans un sens actif. « Les Grecs (3)
» et les Latins , dit monsieur Dacter, ont dit
;> danser le Cyclope s danser le Glaucus , dan"
» ser Ganymède , Leda , Europe , etc. » c'est-
à-dire , représenter en dansant les aventures du
Cyclope , de Glaucus , etc.
Le même poète a dit : Fusius ebrius Illonam
edormit (4) , le comédien Fusius , en repré-
sentant Ilione endormie, s'endort lui-même
corne ua home ivre qui cuve son vin. Té-
rence a dit (5) edormiscam hoc vïlli , je cu-
verai mon vin : et Plaute (6) edormiscam hanc
çrapulam , et dans l'Amphitrion , il a dit ,
zdormiscat unum. somnutn ( 7 ) > corne no>us
(1) Sallust. Catil.
{2)„Hor. 1. I. Sat. V. v. 63.
(2) Remarq. ihid.
(4) lier. 1. IL sat-. III. v. 6t.
(-5) Ter. Adeî. act. V. se. IX. r. lî.
(6) Pleut. B.uà. act. II. se. VIL v. 2$.
(7) îd. Ampli, act. IL se. II. v. 65. Et Vosslus s'ex-
prime en ces termes , verba aecusstivum habent suas
©rlgiîus vel co&aata; signifie a tioiûs ; prions geueris apad
SENS ABSOLU, etc. %0$
disons dormir un some. Vous voyez que tTans
ces exemples , edormïre et edormlscere se prè-
nent dans un sens actif.
Cette remarque sert à expliquer ces façons
de parler itur , favetur , etc. ces verbes neutres
se prènent alors en latin dans un sens passif,
et marquent que l'action qu'ils signifient est
faite , iter , itur , l'action dater se fait. Voyez
ce que nous en avons dit dans la syntaxe :
l'action que le verbe signifie , sert alors de
nominatif au verbe môme , selon la remarque
des anciens Grammairiens (i).
I V.
Seks absoiu, Sens relatif.
Un mot est pris dans un sens absolu , lors-
qu'il exprime une chose considérée en elle-même
sans aucun raport à une autre, Absolu vient
Terentium est luders ludum. Eun. set. ÎIÏ. se. V. v. 39.
Apud Maronem/urerefurorem. sEn. 1. XiL v. 6'Sqà
Donatus Arcnaisinum vocat , mallem Atticismi^ tlixis-
set quia sic locutos constat , non eos
modo qui desita et obsoleta amant , sed optimos quos-
que optinii aevi scriptores , etc. Vossius de Gonstruc-
ïione , p. 409.
(1) Ut curriiitr à me , pro curro ; -:el staiur à te , pro
stas : sedetur ab ïllo , pro sedet ille : in eis potest ipsi
Tes ïnteiligi voce passiva 5 ut currttur cursus , bellatur
hélium Priscianus , lib. XVII. c. de Pronominum torrt-
tructione.
I 6
2.04 S £ H S ABSOLU, ètC.
ftabsoluias 9 qui veut dire achevé , acomplî ,
qui ne demande rien davantage ; par exemple;
quand je dis que le soleil est lumineux , cette
expression est dans un sens absolu ; celui à qui
je parle n'entend rien 'de plus , par raport au
sens de cette phrase.
Mais si je eiisois que le soleil est plus grand
que la terre , alors je considérerois le soleil
par raport à la terre , ce seroit un sens re-
latif ou respectif. Le sens relatif ou respectif
est donc lorsqu'on parle d'une chose par ra-
pport à quelqu'autre : c'est pour cela que ce
.sens s'apèle aussi respectif , du. latin respi-
e ère , regarder; parce que la chose dont on
parle , en regarde , pour ainsi dire y une autre ;
elle en rapèle l'idée , elle y a du raport , elle
s'y raporte ; de-là , vient relatif \ de referre >
raporter. Il y a des mots relatifs , tels que
père , fils 9, époux , eu, : nous en avons parlé
ailleurs.
V.
Sens collectif r Sens distribuait.
Colzfctif vient du latin colligere 5 qui
veut dire recueillir , assemblât; Distributif
Tient de distribuere qui veut dire distribuer ,
partager.
La femme aime à parler i cela est vrai ea
SENS COLLECTIF, etc. 10 j
parlant des femmes en général ; ainsi le mot
de femme est pris là clans un sens collectif :
mais la proposition est fausse dans le sens
distributif ; c'est-à-dire, que cela n'est point
vrai de chaque femme en particulier.
L'home est sujet à la mort ; cela est vrai
dans le sens collectif , et dans le sens distri-
butif.
Au lieu de dire le sens collectif et le sens-
distributif^ on dit aussi , le sens général et le
sens particulier.
Il y a des mots qui sont collectifs , c'est-
à-dire , dont l'idée représente un tout en tant-
que composé de parties actuèlement séparées f
et qui forment autant d'unités ou d'individus
particuliers : tels sont armée 9 république , ré-
ginient.
V L
Sens équivoque, Sens louche*
ÎL y a des mots et àes propositions équi-
voques. Un mot est équivoque, lorsqu'il signi-
fie des choses diftrentes : coine chœur , assem-
blée de plusieurs persones qui chantent ^cœur^
partie intérieure des animaux ; autel , table sur-
quoi l'on fait des sacrifices aux Dieux ; hôtel ,
grande maison. Ces mots sont équivoques , du
moins dans U prononciation, Lion , nom d'un
106 S E E S ÉQUIVOQUE,
animal ; Lion , nom dîme constellatoin , d'un
signe céleste ; Lyon , nom d'une ville ; coin ,
sorte de fruit ; coin, angle, endroit.; coin ,
instrument avec quoi Ton marque les monoies
et les médailles ; coin > instrument qui sert à
fendre du bois : coin , est encore un terme de
manège , etc.
De quelle langue (l) voule\-vous vous servir
avec moi ? dit le docteur Pancrace , parlant à
Sganarèle : de la langue que j'ai dans ma bou-
che , répond Sganarèle ; où vous voyez que
par langue , l'un entend langage , idiome ; et
l'autre entend , corne il le dit , la langue que
nous avons dans la bouche.
Dans la suite d'un raisonnement , on doit
toujours prendre un mot dans le même sens
qu'on Pa pris d'abord , autrement on ne rai-
sonneront pas juste ; parce que ce seroit ne
dire qu'une même chose de deux choses difé-
rentes ; car, quoique les termes équivoques se
ressemblent quant au son , ils signifient pour-
tant des idées diférentes ; ce qui est vrai de l'une
n/es* donc pas toujours vrai de l'autre.
Une proposition est équivoque quand le sujet
ou Tatribut présente deux sens à l'esprit ; ou
quand il y a quelque terme qui peut se raporter
ou à ce qui précède , ou à ce qui suit : c'est
ce qu'il faut éviter avec soin , afin de s'acou-
tumer à des idées précises*
Il y a des mots qui ont une construction
ti) Molière , Diariag^ forcé , se IV.
SENS LOUCHE. 2.07
louche , c'est lorsqu'un mot paroît d'abord se
raporter à ce qui précède , et que cependant
il se raporte à ce qui suit : par exemple , dans
cette chanson si conue , d'un de nos meilleurs
opéras ,
Tu sais charmer ,
Tu sais désarmer
Le Dieu de la guerre 5
L*e Dieu du tonerre
Se laisse enfîamer.
Le Dieu du tonerre paroît d'abord être îc
terme de l'action de charmer et de désarmer ,
aussi bien que le Dieu de la guerre : cepen-
dant , quand on continue à lire , on voit ai-
sément que le Dieu du tonerre est le nominatif
ou le sujet de se laisser enflamer.
Toute construction ambigiie , qui peut si-
gnifier deux choses en même tems , ou avoir
deux raports diférens , est apeîée équivoque 3
ou Icuche. Louche est une sorte d'équivoque ,
souvent facile à démêler.^ Louche est ici un
terme métaphorique : c\v corne les persones
louches parcissenî regarder d'un coté pendant
qu'elles regardent d'un autre , de même dans
les constructions louches , les mets semblent
avoir un certain raport , pendant qu'ils en
ont un antre ; mais q-jand on ne voit pas
aisément quel raport on doit leur doner , an
dit alors qu'une proposition est équivoque ,
plutôt que de dire simplement qu'elle est
louche.
Les pronoms de la troisième persone font
ao8 SENS ÉQUIVOQUE,
souvent des sens équivoques ou louches , sur-
tout quand ils ne se rapôrtent pas au sujet de
la proposition. Je pourois en raporter un grand
nombre d'exemples de nos meilleurs auteurs , je
me contenterai de celui-ci :
« François I.er (i) érigea Vendôme en Du-
» ché-Pairie en faveur de Charles de Bourbon 9
n et il le mena avec lui à la conquête du
» duché de Milan , où il se comporta vailla-
n ment. Quand ce prince eut été pris à Pavie,
» il ne voulut point accepter la régence qu'on
?> lui proposoit : il fut déclaré chef du conseil,
» il continua de travailler pour la liberté du
» roi ; et quand il fut délivré , il continua à
» le bien servir >*v
Il n'y a que ceux qui sont déjà au fait de
l'histoire , qui puissent démêler les divers ra-
ports de ce .prince , et de tous ces //. Je croîs
qu'il vaut mieux répéter le mot , que de se
servir d'un pronom dont le raport n'est ap-
perçu que par ceux qui savent déjà ce qu'i%
lisent. On évitoft facilement ces sens louches
en latin , par les usages diférens de suus , ejus ,
hic , ille , is , iste.
Quelquefois pour abréger , on se contente
■de faire une proposition de deux membres +
dont l'un est négatif, et l'autre afirmatif , et
on les joint p-ir u»ne conjonction : cette sorte
de construction n'est pas régulière , et fait sou-
vent des équivoques ; par exemples :
(i) Table généalogique des Rois de fiance de la maison
de Bourbon»
SENS LOUCHE. 5.00
L'amour (i) n'est qu'un plaisir , et Thoneur un devoir.
L'académie (i) a remarqué que Corneille devoit
dire :
L'amour n'est qu'un plaisir , l'honeur est un devoir.
En éfet , ces mots n'est que , du premiet
membre , marquent une négation , ainsi ils ne
peuvent pas se construire encore avec un de-
voir , qui est dans un sens afirmatif au second
membre ; autrement il sembleroit que Corneille ,
contre son intention , eût voulut mépriser éga-*
kment l'amour et l'honeur.
On ne sauroit aporter trop d'atention pour
éviter tous ces défauts : on ne doit écrire que
pour se faire entendre : la néteté et la pré-
cision sont l'a fin et le fondement de l'art de
parler et d'écrire.
V I I.
Des jeux b e mots et di
la paronomase.
Il y a deux sortes de jeux de mots,
I. Il y a des feux de mots qui ne consis-
tent que dans une équivoque au dans une al-
lusion ; et j'en ai doné des exemples. Les bons
mots qui n'ont d'autre sel que celui qu'ils
(i) Prem. édit. du Cid -, act. III, se. YL
(2) Sentiment de l'Acad. sur le Cid.
aro des jEtrx de mots, etc.
tiretft d'une équivoque ou d'une allusion fade
et puérile , ne sont pas du goût des gens sensés ,
parce que ces mots-là n'ont rien de vrai ni
de solide.
a, Jl y a des mots dont la signification est
diférente , et dont le son est presque le même :
ce raport qui se trouve entre le son de deux
mots , fait une espèce de ^jeu , dont les
Rhéteurs on| fait une figure qu'ils apèlent Pa-
ronomase ; par exemple, amantes s un t cimen-
tes , les amans sont des insensés : le jeu qui
est dans le latin , ne se retrouve pas dans le
français.
Aux funérailles (i) de Margueritte d'Autri-
che , qui mourut en couche , on fit une devise
dont le corps éîoit une aurore qui aporte le
josr au monde , avec ces paroles, Dam pario9
pereo 9 je péris en donant le jour.
Pour marquer l'humilité è\m home de bien
qui se cache en fesant de bones œuvres , on
peint un ver à soie qui s'enferme dans sa co-
que ; Pâme de cette devise est un jeu de mots ;
operitur dum operatur. Dans ces exemples et
dans plusieurs autres pareils , le sens subsiste
indépendament des mots.
J'observerai à cette ocasion deux autres fi-
gures qui ont du raport à celle dont nous
venons de parler : l'une s'apèle simiiiier cadens ;
c'est quand les diférens membres ou incises d'usé
période , finissent par des cas ou des térns dont
(j) Efltr^tless d'Arist. et d'Eug.
I
DES JEUX DE MOTS, etc. III
la terminaison est semblable : l'autre s'apèle
simditcr desinens , c'est lorsque les mots qui
finissent les diféiens membres ou incises d'une
période ^ ont la même terminaison , mais une
terminaison qui n'est point une désinence de
cas , de tems , ou de persone , corne quand on
dit facere fortiter ^ et vivere turp'ter. Ces deux
dernières figures sont proprement la même ;
on en trouve un grand nombre d'exemples dans
St. Augustin. On doit éviter les jeux de mots
qui sont vides de sens ; mais quand !e sens sub-
siste indépendament du jeu de mots 3 ils ne per-
dent rien de leur mérite. N
VIII.
Sens composé, Sens divisé.
Quand PEvangi!e (i) dit, les aveugles
voient y let boiteux marchent ; ces termes les
aveugles , les boiteux , se prènent en cette
ocasion dans le sens divisé , c'est-à-dire , que
ce mot aveugles se dit là de ceux qui étoient
aveugles , et qui ne le sont plus ; ils sont di-<
visés , pour ainsi dire 5 de leur aveuglement ,
car les aveugles en tant qu'aveugles , ce qui se-
roit le sens composé , ne voient pas.
L'Rvangile (2) parle d'un certain Simon apelé
(i) Matt. c. XI. v. 5.
(-0 Matt. c. XXVI. v. 6.
Itl SENS COMPOSÉ,
le lépreux , parce qu'il l'avoit été , c'est le
sens divisé.-
Ainsi , quand St. Paul a; dit (ï) que tes
idolâtres n'entreront pas dans le royaume des
cieux , il a parlé des idolâtres dans le sens
composé > c'est-à-dire, de ceux qui demeure-
ront dans l'idolâtrie. Les idoiârres en tant qu'i-
dolâtres n'entreront pas dans le royaume des
cieux, C'est lé sens composé ; mais les ido-
lâtres qui auront quitté l'idolâtrie, et qui auront
fait pénitence , entreront dans le royaume des
cieux : c'est le sens divisé.
Ap*!les ayant exposé , selon sa coutume ,
un tableau à la critique du public , un cordon-
nier censura la. chaussure d'une figure de ce
tableau ; Àpelies réforma ce que le cordonier
avoit blâmé ; mais le lendemain le cordonier
ayant trouvé à redire à une jambe , Apelies lui
dit qu'un cordonier ne devoit juger que de la
chaussure ; d'où est venu le proverbe ne sutor
ultra crepidatn , ( sapple ) judlcet,
La récusation qu'Apelles fit de ce cordo-
nier , est plus piquante que raisonnable : un
cordonier , en tant que cordonier , ne doit
juger que de ce qui est de son métier; mais,
si ce cordonier a d'autres lumières , il ne doit
point être récusé , par cela seul qu'il est cor-
donier ; en tant que cordonier , ce qui est le
sens composé , il juge si un soulier est bien
fait et bien peint ; et en tant qu'il a des co-
(0 I. Cor. c. yi. v. 9*
SENS DIVISÉ, ±1$
noissances supérieures à son métier, il est juge
compétent sur d'autres points ; il juge alors
dans le sens divisé par ' raport à son métier
de cordonier,
Ovide parlant du sacrifice d'Iphigénie , dit
que l'intérêt public triompha de la tendresse pa~
ternelle , le roi vainquit le père.
. . . . . . Postquàm pietatem ; publica causa ,*
Rexque patrem vicit (i).
Ces dernières paroles sont dans un sens divisé*
Agamemnon se regardant corne roi , étoufe les
sentiniens qu'il ressent corne père.
Dans le sens composé , un mot conserve sa
signification à tous égards 9 et cette significat-
ion entre dans la composition du sens de toute
la phrase; au lieu que dans le sens divisé, ce
n'est qu'en un certain sens f et avec restriction ,
qu'un mot conserve son anciène signification :
les aveugles voient } c'est-à-dire ? ceux qui ont
été aveugles,
Sens litéral, Sens spirituel*
Le sens litéral est celui que les mots ex^
citent d'abord dans l'esprit de ceux qui enten-
dent une langue ; c'est le sens qui se présente
(i) Oyid. Met. I. XII. v. 29.
114 C I T I S I O N
naturèlement à l'esprit. Entendre une expres-
sion litéralement , c'est la prendre au pie de
la lettre. Qiiœ dicta surit secundlim litteram
accipere , id est , non aliter intelligere quant
liitera sonant (i) ; c'est le sens que les paroles
signifient immédiatement , is queni verba im-
médiate signifiant.
Le sens spirituel est celui que le sens lité~"
rai renferme, il est enté, pour ainsi dire, sur
le sens litéral ; c'est celui que les choses signi-
fiées par le sens litéral font naître dans l'esprit.
Ainsi dan* les paraboles , dans les fables , dans
les allégories , il y a d'abord un sens litéral :
on dit , par exemple , qu'un loup et un agneau
vinrent boire à un même ruisseau : que le
loup ayant cherché querèle à l'agneau , il le
dévora. Si vous vous a tachez simplement à la
lettre , vous ne verrez dans ces paroles qu'une
simple aventure arivée à deux animaux : mais
cette narration a un autre objet ; on a dessein
de vous faire voir que les foibles sont quel-
quefois oprimés par ceux qui sont plus puis-
sans , et voilà le sens spirituel , qui est toujours
fondé sur le sens litéral.
Division du sens litéral.
Le sens litéral est donc de deux sortes :
I. Il y a un sens litéral rigoureux ; c'est \%
sens propre d'un mot , c'est la lettre prise à
la rigueur , stricte.
(i) August. Gen. ad lit, Mb. VIII. c. IL t. III.
DU SENS LITERAL, Q.I J
1. La seconde espèce de sens litéral , c'est
^elui que* les expressions figurées dont nous
avons parlé présentent naturèlerrvcnt à l'esprit
de ceux qui entendent bien une langue, c'est
un sens litéral figuré ; par exemple , quand on
dit d'un politique qiïd sème à propos la di-
vision entre ses propres ennemis ; semer ne se
doit pas entendre à la rigueur selon le sens
propre , et de la même manière qu'on dit semer
du blé : mais ce mot ne laisse pas d'avoir un
sens litéral , qui est un sens figuré qui se pré-
sente naturèlement k l'esprit. La lettre ne doit
pas toujours être prise à la rigueur; elle tue,
dit Saint Paul (i). On ne doit point exclure
toute signification métaphorique et figurée* Il
faut bien se garder, dit Saint Augustin ('2),
de prendre à ia lettre une foçon de parler fi-
gurée , et c'est à cela qu'il faut appliquer ce
passage de St. Paul , la lettre tue y et Vef^rit
dont la vit*
Il faut s'atacher au sens que les mots exci-
tent naturèlement dans notre esprit , quand
nous ne somes point prévenus , et que nous
somes dans l'état tranquille de la raison :
voilà le véritable sens litéral figuré , c'est ee-
lui-là qu'il faut doner aux lois , aux canons %
(i) 2. Cor. III. n. 6.
( 2 ) In principio cavendum est ne figuratam lootf*
tionera ad literain accipias ; et ad hoc enim pertinet
quod ait Apostolus , litera occidit , spiritus cutem yivi-
fxat. Aug. de Doctr. Christ. 1. 1IL c. Y- *• III- P*«
xisïXs 3 168$.
ai6 ditision
aux taxes des coutumes , et même à l'Ecriture-
Sainte.
Quand Jésus-Christ a dit que celui qui met
la main à la charue , et qui regarde derrière
lui , n'est point propre pour le royaume de
Dieu (î) ; on voit bien qu'il n'a pas voulu
dire qu'un laboureur qui en travaillant tourne
quelquefois la tête , ntst pas propre pour le
ciel : le vrai sens que ces paroles présentent
naturèlement à l'esprit , c'est que ceux qui ont
comencé à mener une vie chrétienne , et à être
les disciples de Jésus-Christ , ne doivent pas
changer de conduite , ni de doctrine , s'ils
veulent être sauvés; c'est donc là un sens lit-
téral figuré. Il en est de même de ces autres
passages de l'Evangile , ou Jésus-Christ dit (a)9
de présenter la joue gauche à celui qui nous
a frappé sur la droite ($) ', de s'aracher la
main ou l'œil qui est un sujet de scandale ; il
faut entendre ces paroles de la même manière
qu'on entend toutes les expressions métapho-
riques et figurées ; ce ne seroit pais leur doner
leur vrai sens , que de les entendre selon le
sens litéral pris à la rigueur ; elles doivent être
entendues selon la seconde sorte de sens lité-
ral qui réduit toutes ces façons de parler fi-
gurées à leur juste valeur, «'est -à- dire , au
sens quelles avoient dans l'esprit de celui qui
a parlé, et qu'e'V excitent dans l'esprit de ceux
(i) Luc. g. IX. v. 52.
(2) Matt. c. V. y. 39,
fe) Ibid. v. 29. 30.
qui
DU SENS LITÊRA1. 11J
qui entendent la langue ou l'expression figurée
et autorisée par l'usage. « Lorsque nous donons
» au blé le nom de Cet es (i) , dit Cicéron ,
» et au v'm le nom de Bacchus 5 nous nous
>* servons d'une façon de parler usirée en notre
» langue , et persone n'est assez dépourvu de
» sens pour prendre ces paroles à la rigueur
i> de la lettre >».
Qa se sert dans toutes les nations policées ,
de certaines expressions ou formules de poli-
tesse , qui ne doivent point être prises dans
le sens litéral étroit. J'ai Vhoneur de . . . . Je
vous baise les mains : Je suis votre très- humble
et très- obéissant serviteur, Cette dernière façon
de parler dont on se sert pour finir les lettres f
n'est jamais regardée que corne une formule de
politesse.
On dit de certaines persones , c'est un fou 9
c'est une foie : ces paroles ne marquent pas
toujours que la persone dont on parle ait perdu
Pesprit au point qu'il ne reste plus qu'à l'en-
fermer ; on veut dire seulement que c'est une
persone qui suit ses caprices , qui ne se prête
pas aux réflexions des autres , qu'elle n'est pas
toujours maîtresse de son imagination , que
dans le tems qu'on lui parle elle est ocupée
ailleurs , et qu'ainsi on ne sauroit avoir avec
fille ce comerce réciproque dépensées et de seïi-
( i ) Cùm fruges Cererem , vinum Ziberum dicfmus f
génère nos quidem sermonis utimur usitato : sed ecquerai
tam amentem esse putas qui , etc.
Ck, de Nat. Deer. I III, Q. 4'If aiit5r % XyJ#
«8 division
timens , qui fait l'agrément de la conversation
et le lien de la société. L'home sage est toujours
en état de tout écouter , de tout entendre , et de
profiter des avis qu'on lui done.
Dans l'ironie , les paroles ne se prènent point
dans le sens litérai proprement dit : elles sç
prènent selon le sens litérai figuré , c'est-à-
dire , selon ce que signifient les mots acom-
pagnes du ton de la voix et de toutes les autres
circonstances»
Il y a souvent dans le langage des homes un
sens litérai qui est caché , et que les circons-
tances des choses découvrent ; ainsi il arive
souvent que la même proposition a un tel sens
dans la bouche ou dans les écrits d'un certain
home , et qu'elle en a un autre dans les dis«?
cours et dans les ouvrages d'un autre home :
irais il ne faut pas légèrement doner des sens
désavantageux aux paroles de ceux qui ne pen«?
sent pas en tout corne nous ; il faut que ces
sens cachés soient si facilement dévelopés par
les circonstances , qu'un home de bon sens qui
n'est pas prévenu ne puisse pas s'y méprendre.
Nos préventions nous rendent toujours injustes ,
et nous font souvent prêter aux autres des sen-?
timens qu'ils détestent aussi sincèrement que
nous les détestons.
Au reste , je viens d'observer que le sens li-
béral figuré est celui que les paroles excitent
îjatur^lement dans l'esprit de ceux qui enten-
lient 1* langue où l'expression figurée est auto-
risée par l'usage ; ainsi pour bien entendre Je
DU SENS LITÊRAL. ai«J
véritable sens literal d'un auteur , il ne suffit
pas d'entendre les mots particuliers dont il s'est
servi , il faut encore bien entendre les façons
de parler usitées dans la langue de cet auteur ;
sans quoi, ou l'on n'entendra point le passage ,
ou l'on tombera dans des contre- sens. En fran-
çais , doner parole , veut dire promettre ; en
latin , verba dare , signifie tromper : Panas
dare alicui , ne veut pas dire doner de !a peine
à quelqu'un , lui faire de la peine ; il veut
dire au contraire , être puni par quelqu'un j
lui doner la satisfaction qu'il exige de nous ,
lui doner notre suplice en payement , corne on
paye une amende. Quand Properce dit à Cin-
thie , dabis mihi perfida panas (i) , il ne veut
par dire perfide vous tnale\ causer bien des
tourmens ; il lui dit au contraire , qu'il la fera
repentir de sa perfidie.
Il n'est pas possible d'entendre le sens lité-
ral de l'Ecriture - Sainte , si Ton n'a aucune
conoissance des hébraïsmes et des héllénismes,
c'est-à-dire , des façons de parier de la langue
hébraïque et de la langue grèque. Lorsque les
interprètes traduisent à la rigueur de la lettre,
ils rendent les mots et non le véritable sens :
de-là vient qu'il y a , par exemple , dans les
Psaumes, plusieurs versets (2.) qui ne sent pas
intelligibles en latin. Montes Dei t ne veut pas
dire des montagnes consacrées à Dieu , mais
de hautes montagnes.
(i) L. II. Eleg. V. v. 3.
(2) Psal. XXXV. ▼. 7-
K %
220
D I V I S I O TS
Dans le nouveau Testament même il y a
plusieurs passages qui ne sauroient être en-
tendus sans la conoissance des idiotismes, c'est-
à-dire , des façons de parler des auteurs ori-
ginaux. Le mot hébreu qui répond au mot la-
tin verbum , se prend ordinairement en hébreu
pour chose signifiée par la parole ; c'est le mot
générique qui répond à negotium ou res des
Latins ( I ). Transeamus usquè Bethléem , et
videamus hoc verbum quod factum est: Passons
jusqm'à Bethléem , et voyons ce qui y est arivé.
Ainsi lorsqu'au troisième verset du chapitre S
du Deutéronome , il est dit ( Deus ) dédit tibi
cibum manna quod ignorabas tu et patres tut 9
nt ostenderet tibi quod non in solo pane vivit
homo , sed in omni verbo quod egreditur de
ore Dei. Vous voyez que in omni verbo signi-
fie in omni re y c'est-à-dire , de tout ce que
Dieu dit , ou veut , qui serve de nourriture»
C'est dans ce même sens que Jésus -Christ a
cité ce passage : le démon lui proposoit de
changer les pierres en pain , il n'est pas né-
cessaire de faire ce changement , répond Jésus-
Christ ( 1 ) , car Vhome ne vit pas seulement
de pain , il se nourit encore de tout ce qui plaît
à Dieu de lui doner pour nourriture , de tout
ce que Dieu dit qui servira de nourriture ; voilà
le sens liîéral , celui qu'on done comunément
à ces paroles , n'est qu'un sçns moral?
(i) Luc. c. IL v. 15.
(2) Matu c9 IV , v. 4,
DU SENS SPIRITUEL. 211
Division du sens spirituel.
Le sens spirituel est aussi de plusieurs sortes.
I. Le sens moral. 1. Le sens allégorique.
3. Le sens analogique.
I. Sens moral.
Le sens moral est une interprétation selon
laquelle on tire quelque instruction pour les
mœurs. On tire un sens moral des histoires ,
des fables , etc. Il n'y a rien de si profane
dont on ne puisse tirer des moralités , ni rien
de si sérieux qu'on ne puisse tourner en bur-
lesque. Telle est la liaison que les idées ont
les unes avec les autres : le moindre raport
réveille une idée de moralité dans un home dont
le goût est tourné du côté de la morale ; et
au contraire celui dont l'imagination aime le
burlesque , trouve du burlesque par-tout.
Thomas Walleis , Jacobin Anglois , fit im-
primer vers la fin du XV.e siècle, à l'usage
àes prédicateurs une explication des métamor-
phoses d'Ovide ( I ). Nous avons le Virgile
travesti de Scaron. Ovide n'avoit point pensé
à la morale que Walleis lui prête ; et Virgile
n'a jamais eu les idées burlesques que Scaron
( 1 ) Metamorpîiosis Ovidiana moraliter à Magisiro
Thoma Walleis Anglico , de professione praedicatorum
sub S- Dominico , explartûta. Ce livre rare fut traduit en
1484. Voyez le P. Echard , tom. 1. p. 508 , et M. Mait-
taire , Annales Typographiques , tom. I. p. 176.
K3
222 .DITISIOU
a trouvées dans son Fnéïde. Il n'en est pas
de même des fables morales ; leurs auteurs mêmes
nous en découvrent les moralités ; elles sont
tirées du texte corne une conséquence est tirée
de son principe.
1. Sens allégorique.
Ie sens allégorique se tire d'un discours ,
qui , à le prendre dans son sens propre , si-
gnifie tout autre chose : c'est une histoire
qui est l'image d'une autre histoire , ou de
quelqu'autre pensée. Nous avons déjà parlé de
l'allégorie.
L'esprit humain a bien de la peine à de-
meurer indéterminé sur les causes dont il voit f
ou dont il ressent les éfets : ainsi lorsqu'il ne
conoît pas les causes , il en imagine , et le
voilà satisfait. Les païens imaginèrent d'abord
des causes frivoles de la plupart des éfets na-
turels : l'amour fut l'éfet d'une divinité par-
ticulière : Prométhée vola le feu du ciel : Cérès
inventa le blé : Bacchus le vin , etc. Les re-
cherches exactes sont trop pénibles , et ne sont
pas à la portée de tout le -monde. Quoiqu'il en
$oit , le vulgaire superstitieux , dit le P. Sana-
don (i) , fut la dupe des visionaires qui inven-
tèrent toutes ces fables.
Dans la suite , quand les païens comencèrent
à se policer et à faire des réflexions sur ces
histoires fabuleuses , il se trouva parmi eux des
(i) Poésies d'Hoiacea tom. I, page 504.
DU SENS SPIRITUEL. 1*3
Mystiques qui envelopèrent les absurdités sous
le voile âçs allégories et des sens figurés 9 aux-
quels les premiers auteurs de ces fables n'avoient
jamais pensé.
Il y a des pièces allégoriques en prose et en
vers : les auteurs de ces ouvrages ont prétendu
qu'on leur donât un sens allégorique ; mais
dans les histoires , et dans les autres ouvrages
dans lesquels il- ne paroît pas que l'auteur ait
songé à l'allégorie , il est inutile d'y en chercher.
Il faut que les histoires dont on tire ensuite
èe& allégories , aient été composées dans la vue
de l'allégorie ; autrement les explications allé-
goriques qu'on leur done , ne peuvent rien , et
ne sont que des aplications arbitraires dont il
est libre à chacun de s'amuser corne il lui plaît,
pourvu qu'on n'en tire pas des conséquences
dangereuses.
Quelques auteurs (i) ont trouvé une image
des révolutions arivées à la langue latine ,
dans la statue ( 2 ) que Nabuchodonosor vit
en songe ; ils trouvent dans ce songe une
allégorie de ce qui devoit ariver à la langue
latine.
Cette statue étoit extraordinairement grande ,
la langue latine n'étoit-elle pas répandue pres-
que par-tout ?
La tête de cette statue étoit d'or , c'est le
siècle d'or de la langue latine ; c'est le tems de
(i) Indiculiis historico-chronologicus , in Fabri The-
sauro.
(a) Daniel i II , v. 31.
K4
124 DIVISION
Térence , de César , de Cicéron , de Virgile 5
en un mot , c'est le siècle d'Auguste»
La poitrine et les bras de la statue étoient
d'argent ; c'est le siècle d'argent de la langue
latine ; c'est depuis la mort d'Auguste jusqu'à
la mort de l'empereur Trajan , c'est-à-dire ,
jusqu'environ cent aris après Auguste.
Le ventre et le« cuisses de la statue étoient
d'airain ; c'est le siècle d'airain de la langue
latine , qui comprend depuis la mort de Tra-
jan , jusqu'à la prise de Rome par les Goths ,
en 410.
Les jambes de la statue étoient de fer , et
les pies , partie de fer , partie de terre ; c'est
ie siècle de fer de la langue latine , pendant
lequel les diférentes incursions des barbares
plongèrent les homes dans une extrême igno-
rance ; à peine la langue latine se conserva-
t-elle dans le langage de l'Eglise.
Enfin une pierre abatit la statue ; c'est la langue
latine qui cessa d'être une langue vivante.
C'est ainsi qu'on raporte tout aux idées dont
on est préocupé.
Les sens allégoriques ont été autrefois fort
à la mode 5 et ils le sont encore en Orient ;
on en trouvoit par-tout jusques dans les nom-
bres. Métrodore de Lampsaque (1) au raport
de Tatien , avoit tourné Homère tout entier
en allégories. On aime mieux aujourd'hui la
(1) Huet. Origenianor. 1. II , quœst. XIII 5 p. 171.
DU SENS SPIRITUEL. Q.1J
réalité du sens litéral (i). Les explications mys-
tiques de l'Ecriture-Sainte , qui ne sont point
fixées par les Apôtres , ni établies clairement
par la révélation , sont sujètes à des illusions
qui mènent au fanatisme.
3. Sens anagogique.
Le sens anagogique n'est guère en usage
que lorsqu'il s'agit des diférens sens del'Ecriture-
Sainte. Ce mot anagogique vient d'un mot grec ,
qui veut dire élévation : ainsi le sens anago-
gique de l'Ecriture -Sainte est un sens mystique ,
qui élève l'esprit aux objets célestes et divins
de la vie éternèle dont les Saints jouissent dans
le ciel.
Le sens litéral est le fondement des autres
sens de l'Ecriture - Sainte. Si les explications
qu'on en done ont raport aux mœurs , c'est
le sens moral.
Si les explications des passages de l'ancien
Testament regardent l'Eglise et les mystères
de notre religion par analogie ou ressem-
blance , c'est le sens allégorique ; ainsi le sa-
crifice de l'agneau pascal , le serpent d'airain
élevé dans le désert , étoient autant de figures
du sacrifice de la croix.
Enfin lorsque ces explications regardent l'é-
glise triomphante et la vie des bienheureux
dans le ciel , c'est le sens anagogique ; c'est
(1) Traité du sens litéral et du sens mystique , selon
ia doctrine des Pèies»
k 5
aa6 division
ainsi que le sabat des Juifs est regardé corne
l'image du repos éternel des bienheureux. Ces
diférens sens , qui ne sont point le sens lité-
ra! , ni le sens moral , s'apèlent aussi en gé-
néral sens tropologique , c'est-à-dire , sens fi-
guré. Mais corne je l'ai déjà remarqué , il faut
suivre dans le sens allégorique et dans le sens
anagogique ce que la révélation nous en
aprend , et s'apliquer sur-tout à l'intelligence
du sens litéral , qui est la règle infaillible de
ce que nous devons croire et pratiquer pour
être sauvés.
X.
Du Sens adapté,
Ou que Von done par allusion.
Quelquefois on se sert des paroles de
l'Ecriture-Sainte ou de quelqu'auteur profane,
pour en faire une aplication particulière qui
convient au sujet dont on veut parler, mais
qui n'est pas le sens naturel et litéral de l'auteur
dent on les emprunte , c'est ce qu'on apèle sen-
sus acGotnodatitiîis y sens adapté.
Dans les panégyriques des Saints et dans
les Oraisons funèbres , le texte du discours
est pris ordinairement dans le sens dont nous
parlons. M, Fiéchier dans son oraison funè-
BU SENS ADAPTÉ. a^7
}re de M. de Turène , aplique à son héros ce qui
est dit dans l'Ecriture à l'occasion de Judas Ma-
chabée qui fut tué dans une bataille.
Le P. le Jeune de l'Oratoire , fameux mis-
sionaire , s'apeloit Jean ; il étoit devenu aveu-
gle : il fut nomé pour prêcher le carême à
Marseille aux Acoules ; voici le texte de son
premier sermon (i) : Fuit homo missus à Deo ,
eut nom en erat Joannes ; non erat Me lux , sed
ut testïmonium perhiberet de lumine. On voit
qu'il fesoit allusion à son nom et à son aveu-
glement,
Remarques sur quelques passages adaptés à
contre-sens.
Il y a quelques passages des auteurs pro~
fanes qui sont corne passés en proverbes , et
auxquels on done comunément un sens dé-
tourné qui n'est pas précisément le même sens
que celui qu'ils ont dans l'auteur d'où ils sont
tirés ; en voici des exemples :
i. Quand on veut animer un jeune home à
faire parade de ce qu'il sait , ou blâmer un
savant de ce qu'il se tient dans l'obscurité , on
lui dit ce vers de Perse :
Scire tuurn nihil est, nisi te scire lioc sciât alter (2) ?
« Toute votre science n'est rien , si les autres
» ne savent pas combien vous êtes savant ;>#
(1) Joann. c. I , v. 6.
(a) Pers. Sat. I. \^ 27*
K 6
ai8 D V SENS ADAPTÉ.
La pensée de Perse est pourtant de blâmer ceux
qui n'étudient que pour faire ensuite parade
de ce qu'ils savent. 0 tems ! ô mœurs ! s'écrie-
t-H , est-ce donc pour la gloire que vous pâlisse^
sur les livres ? Quoi donc ! croyez-vous que la.
science n'est rien , à moins que les autres ne
sachent que vous êtes savant ?
En pallor , seniumque : O mores ! usgue adeone
Scire tuumnihil est , nisi te scire hoc sciât alter (i)?
Il y a une interrogation et une surprise dans
le texte , et l'on cite le vers dans un sens
absolu.
a. On dit d'un home qui parle avec em-
phase , d'un style ampoulé et recherché, que
Projicit ampullas et sescjuipedalia verba (2).
>5 il jète y il fait sortir de sa bouche des pa-
» rôles enflées et des mots d'un pie et demi ».
Cependant ce vers a un sens tout contraire
dans Horace. « La tragédie , dit ce Poète , ne
» s'exprime pas toujours d'un style pompeux
j> et élevé : Théièphe et Pelée , tous deux pau-
» vres , tous deux chassés de leurs pays , ne
s> doivent point recourir à des termes enflés s
» ni se servir de grands mots : il faut qu'ils
3? fassent parler leur douleur d'un style simple
*> et naturel , s'ils veulent nous toucher , et
35 que nous nous intéressions à leur mauvaise
3> fortune »«jj ainsi projicit , dans Horace., veut
dire il rejeté.
(1) Fers. Sat. ï. v. Tj.
{2} Hor. Art Poét. v, 97.
DU SENS ADAPTÉ. 21$
IEt tragicus plcrumque dolet sermone pedestri
Teiephus et Peleus , cum pauper et exul uterque
Projicit ampuîlas et sesquipedalia verba ,
Si curât cor spectantis tetigisse quereïa (i).
M. Boileau nous done le même précepte :
Que devant Troie en flame , Hécube désolée
Ne viène pas pousser une plainte ampoulée (2).
Cette remarque , qui se trouve dans la plu-
art des Comentateurs d'Horace , ne devoît
oint échaper aux auteurs des Dictionaires sur
e mot projicere.
3. Souvent pour excuser les fautes d'un habile
home , on cite ce mot d'Horace :
Quandoque bonus dormitat Homerus (3) ;
Corne si Horace avoit voulu dire que le bon
Homère s'endort quelquefois ; mais quando-
que est-là pour quandocunque , toutes les fo:'s
que ; et bonus est pris en bonne part. « Je
a suis fâché , dit Horace > toutes les fois que
?) je m'aperçois qu'Homère, cet excèîent Poète,
31 s'endort, se néglige j ne se soutient pas ».
Indignor quandoque bonus dormitat Homerus*
M. Danet s'est trompé dans l'explication qu'il
done de ce passage , dans son Dictionaire latin-
français sur ce mot quandoque*
4. Enfin , pour s'excuser quand on est
tombé dans quelque faute , on cite ee vers
de Térence :
(1) Hor. Ait. Poét. v.
(2) Art Poët. chant III.
(3) Hor* Art. Pc et. y 359*
0.$Ô DU SENS ADAPTÉ.
Homo sum , humani nihil à me alienum puto (i);
Corne si Térence avoit voulu dire je suis
home 9 je ne suis point exempt des foiblesses
de Vhumanitê ; ce n'est pas là le sens de Té-
rence. Chrêmes touché de l'afliction où il voit
Ménédème son voisin , vient lui demander quelle
peut être la cause de son chagrin et des peines
qu'il se done : Ménédème lui dit brusquement ,
qu'il faut qu'il ait bien du loisir pour venir
se mêler des afaires d'autrui. « Je suis home ,
„ répond tranquilement Chrêmes , rien de tout
„ ce qui regarde les autres homes n'est étran-
„ ger pour moi , je m'intéresse à tout ce qui
„ regarde mon prochain ».
" On doit s'étoner , dit Madame Dacier ,
9, que ce vers ait été si mal entendu , après
„ ce que Cicéron en a dit dans le premier
9, livre des Ofices „.
Voici les paroles de Cicéron (a) : Est enirn
difficilis cura rerum alienarum , quamquam Te-
rentianus ille Chrêmes humani nihil à se alie-
num putet. J'ajouterai un passage de Sénèque,
qui est un comentaire encore plus clair de ces
paroles de Térence. Sénècjue , ce philosophe
païen , explique dans une de ses lettres , co-
rnent les homes doivent honorer la majesté des
Dieux : il dit que ce nest qu'en croyant en
eux , en pratiquant de hones œuvres , et en
tâchant de les imiter dans leurs perfections 9
(i) Heaut. act. I. se. I. v. 2$.
(a) x. Offtc. n. 29V aliter , IX.
DU SENS ADAPTÉ. %$T
qu'on peut leur rendre un culte agréable , iî
parle ensuite de ce que les homes se doivent
les uns aux autres. " Nous devous tous nous
„ regarder , dit-il , come étant les membres
„ d'un grand corps ; la nature nous a tous
,9 tirés de la même source , et par-là nous a
„ tous faits parens les uns des autres ; c'est
„ elle qui a établi l'équité et la justice. Selon
„ l'institution de la nature , on est plus à
„ plaindre quand on nuit aux autres , que
„ quand on en reçoit du domage. La nature
„ nous a doné des mains 'pour nous aider les
„ uns les autres ; ainsi ayons toujours dans
„ la bouche et dans le cœur ce vers de Té-
„ rence , je suis home , rien de tout ce qui re-
9) garde les homes nest étranger pour moi (i)*
Il est vrai en général que les citations et les
(i) Quomodo sint Dii colendi solet praecipi. . . ;
Deum colit qui novit. . . Primus est Deorum cultus ,
Deos credere , deinde reddere iliis majestatem suam , red-
dere benitatem sine qua nulla majestas est : vis Deos pro-
pitiare , bonus esto. Satis illos coluit quisquis imitatus
est. Ecce altéra qusesti^o , quomodo nominibus sit uten-
dum possim breviter haric fornmlam huma-
ni officii tradere membra sumus corporis
magni , natura nos cognatos edidit , cum ex risàem et in
eacfém * gigneret. Kaec nobis amorem indiait mutuum
et sociabiles fecit ; illa aequuin justumque composât :
ex illius constitutione miserius est nocere quam laedi ;
et illius imperio parafai suut adjuvandum manus, Iste
versus et in pectore et ia ore fit homo sum , humani
nihil à me alienum puto. Habeamus in commune 3 quod
»ati sumus. Sençc, Ep, 2CT.
a32 SUITE
aplications doivent être justes autant qu'il est
possible ; puisqu'autrement eiles ne prouvent
rien , et ne servent qu'à montrer une fausse
érudition : mais ii y auroit bien du rigorisme
à condâner tout sens adapté.
Il y a bien de la diférenoe entre raporter
en passage corne une autorité qui prouve, ou
simplement corne des paroles conues , aux-
quelles on doue un sens nouveau qui convient
au sujet dont on veut parler : dans le premier
cas , ii faut conserver le sens de l'auteur ; mais
dans le second cas , les passages , auxquels on
done un sens diférent de celui qu'ils ont dans
leur auteur , sont regardés corne autant de pa-
rodies , et corne une sorte de jeu dont il est
souvent permis de faire usage.
Suite du Sens adapté.
De la Parodies et des C entons*
L A Parodie est aussi une sorte de sens
adapté (i). Ce mot est grec , car les Grecs ont
aussi fait des parodies.
Parodie (a) signifie à la lettre un chant com-
(i) Athénée , 1. XIV et XV.
(2) Parodia canticurru R. para , juxta et ode cantus/
carmen. Canticum vel carmen ad alteriûs similitudinera
compositum , cum aîterius poetae versus jccQSè in, aliud
plument um Uaasfertuuur*
DU SENS ADAPTÉ. I33
posé à l'imitation d'un autre , et par extension ,
on clone le nom de parodie à un ouvrage en
vers , dans lequel on détourne , dans un sens
railleur , des vers qu'un autre a faits dans une
vue diférente. On a la liberté d'ajouter ou de
retrancher ce qui est nécessaire au dessein qu'on
se propose ; mais on doit conserver autant de
mots qu'il est nécessaire pour rapeler le souve-
nir de l'original dont on emprunte les paroles.
L'idée de cet original et Implication qu'on en
fait à un sujet d'un ordre moins sérieux , for-
ment dans l'imagination un contraste qui la
surprend , et c'est en cela que consiste la plai-
santerie de la parodie. Corneille a dit dans le
style grave , parlant du père de Chimène :
Ses rides sur son front ont gravé ses exploits (1).
Racine a parodié ce vers dans les plaideurs :
l'Intimé parlant de son père qui étoit sergent ,
dit plaisament :
Il gagnoit en un jour plus qu'un autre en six mois ;
Ses rides sur son front gravoient tous ses exploits (2).
Dans Corneille , exploits signifie actions mémo-
rables , exploits militaires ; et dans les Plai-
deurs , exploits se prend pour les actes ou pro-
cédures que font les sergens. On dit que le
Et etiam parodia , Hermogeni , cum quis , ubi partem
aliquam versus protulit , reliquum à se, id est ; de suo ,
oratione solutâ eloquitur , ; Robertson y Th. iiug. grsec.
V. parodeo.
(1) Le Cid , act. I , se I.
(2) Les Piaid. act. I , se. V-
*34 sùiîë
grand Corneille fat ofensé de cette plaisanterie
è\x jeune Racine.
Au reste (i) , l'Académie a observé que les
rides marquent les années y mais ne gravent point
les exploits.
Les vers les plus conus , sont ceux qui sont
le plus exposés à la parodie. On trouve dans
les dernières éditions des œuvres de Boiieau (l) ,
tne parodie ingénieuse de quelques scènes du
Cid. On peut voir aussi dans les Poésies de
Madame des Houlières une parodie d'une scène
de la même tragédie (3). Le Théâtre Italien
est riche en parodies. Le Poëme du Vice Punî
est rempli duplications heureuses de vers de nos
meilleurs Poètes : ces aplications sont autant
de parodies.
Les Centons sont encore une sorte d'ouvrage
qui a raport au sens adapté. Cento en latin
«ignifie , dans le sens propre 9 une espèce de
drap qui doit être cousue à quelqu'autre pièce 5
et plus souvent un manteau ou un habit fait
de difvrênîes pièces raportées ; ensuite on adoné
ce nom , par métaphore , à un ouvrage com-
posé de plusieurs vers ou de plusieurs passages
empruntés d'un ou de plusieurs auteurs. On
prend ordinairement la moitié d'un vers ? et
on le lie par le sens avec la moitié d'un autre
( I ) Sentimens de l'Académie Française sur les vers
du Cid.
(2) Tome II , p. 411. édit. de 1726.
(3) Des Houl. édit. de 1725. p. 273,
DU SENS ADAP TÉ. 23$
vers (1). On peut employer un vers tout entier
et la moitié d'un suivant , mais on désaprouve
qu'il y ait deux vers de suite d'un même au-
teur. Voici un exemple de cette sorte d'ouvrage,
tiré des centons de Proba Falconia ( 1 ). Il
s'agit de la défense que Dieu fit à Adam et
à Eve de manger du fruit défendu ; Proba
Falconia fait parler le Seigneur en ces termes r
au chapitre XVI.
JEn* 2 , 712. Vos famuîi qu» dicam animis advertite
vestris :
2 , ai. Est in conspectu rarnis feîicibus arbor (3)
( I ) Variis de locis , sensibusque diversis , quaedam
carminis structura solidatur , in unum versum ut cœant
csesi duo , aut unus et sequens cura medio : nam duos
junctim locare ineptum est y et très , unâ série 5 mer»
nugœ . . . sensus diversi ut congruant ; adoptiva quae
sunt , ut cognata videantur ; aliéna ne interluceant ;
hiulca ne pateant. Ausonius Pauio Epis*, quœ pr&legi-
tur ante. Edyll. XIII.
(2) Probae Falconias vatis clarissimu à S. Hieronymo
cornprobatse centones de Fidei nostrse mysteriis , è Ma-
ronis carminibus , etc. Parisiis Apud iEgidium Gorbi-
num 1576 , f. 27, in-8. Item Parisiis , apud Fianciscura
Stephanum 1548.
Les cenwns de Proba Falconia se trouvent aussi dans
Bibliotheca Patrum , tom. V. Lugduni 1677. Voici ce
qui est dit de cette savante et pieuse Dame dans /'In-
dex AucEorum. Bibl. Patr. tom. I. Proba Falconia uxor
non Adelphi Proconsulis , ut scribit Isidorus , sed Ani-
cii Probi Prsefecti Praetorio , postea Consulis , mater
Probini , Olibrii , et Probi , similiter Consulum. De
qua multa Hieronymus Epist 3 et Baronius , tom. IV.
et V. Annalium, Scripsit Viigilio-centones qui extant
fol. 1218. Floruit non Theodosio juniore , ut vult Sixtus
Senensis , sed sub Gratiano.
(3J Gcorg. 2, Si.
135
BÛ SENS ADAPTÉ.
7 , 692. Quam neque fas igûi cuiquam nec stemere
ferro 5
7 , 6q8. Religione sacra namquam eoncessa mo-
veri (1)
n , 59K Kac quicumque sacros decerpserit arbore
foetus (2) ,
JEn. 11 , 849. Morte luet mérita nec me sententia
vertit (3) :
G. 2 , 315. Nec tibi tam prudens quisquam persudeat
autor
Ec. 8 , 48. Commacuîare manus. Liceat te vote mo-
neri (4)
G. 3 , 216. Femina , nullius te blanâa suasio vincat s
G. I , 168. Si te digna manet divini gloria ruris.
Nous avons aussi les centons d'Etiène de
Pieurre (%) et de quelques autres. L'empereur
Vaientinien , au raport d'Àusone (6) , s'étoit
aussi amusé à cette sorte de jeu : mais il vaut
mieux s'ccuper à bien penser , et à bien ex-
primer ce qu'on pense i qu'à perdre le tems à
un travail où l'esprit est toujours dans les en-
traves , où la pensée est subordonée aux mots,
au lieu que ce sont les mots qu'il faut toujours
subordoner aux pensées.
Ce n'éîoit pas assez pour quelques Ecrivains 9
que la contrainte des centons : nous avons des
(1) JEn. 3 3 700.
(2) 6, 141.
(3) 1 , 241.
(4) 5 , 4*1.
($) Stephani Pleurrei sacra ^neis sacra continens acta
Domini N. J. C, et primorum Martyrum , Virgiïio cen-
tosiibus conscripta. Parisiis , apud Adriajaiim Taupinart ,
1618. in-4,
(6) Auson. Bp. anfce Edyll, XIII.
suite iyf
ouvrages oîi l'auteur (i) s'est interdît succes-
sivement par chapitres , et selon l'ordre de l'al-
phabet, l'usage d'une lettre, c'est-à-dire, que
dans le premier chapitre il n'y a point d'à , .
et dans le second point de b , ainsi de suite.
Un autre (2) a fait un Poëme dont tous les -
mots comencent par un p.
Plaudite porcelli ; porcorum pigra propago
Progreditur , plures porci pinguedine pleni
Pugnantes per&unt. Pecudum pars prodigiosa
Perturbât pede petrosas plerumque plateas ;
etc. etc.
Dans le IX. siècle , Hubaud , religieux bé-
nédictin de St. Amand , dédia à l'empereur
Charles le Chauve un Poëme composé à l'ho-
neur des chauves , dont tous les mots comen-
cent par la lettre c.
Carmina , cîarisonae , calvis cantate Camenae.
(3) Un autre s'est mis dans une contrainte
(ï) Liber absque litteris , de ./Etatibue mundi et ho-
minis ; autore Fabio , Claudio , Gordiano , Fuïgentio ,
EdiditP. Jacobus Hommey Augustinianus , Pictavii. Pros-
tat Parisiisapud Viduam Caroli Coîgnard y 1696. Le titre
du manuscrit promet ad A usque in Z ; mais l'Impri-
meur n'a mis au jour que xiv chapitres , c'est-à-dire , jus-
qu'à l'O inclusivement ; et il déclare que le copiste a égaré
le reste. Hue usque codex , cujus scriptor addit : ii decem
de quibus fit mentio in titulo 5 nescio ubi sunt.
(2) Pugna Porcorum per P. Porcium Ce Poème est
eomposé de 248 vers. Je l'ai vu dans un recueil qui a
pour titre : Nugae Vénales. More ri attribue ce Poème à
"Léo Placentius. V. Plaisant , dans l'édition de Moreri
de 1718.
(3) Eernardi Morlanensis , Monachi ordinis Cluniacea-
13^ SUITE
encore plus grande , ii a fait un Poëme de
2.9 j6 vers de six pies, dont le dernier seul est
un spondée , les cinq autres sont autant de
dactiles. Le second pié rime avec le quatrième ,
et le dernier mot d'an vers rime avec le der-
nier mot du vers qui le suit , à la manière
de nos vers français à rimes suivies j et voici
le comencement :
Hora novissima , tempora pessima sunt , vigïïemus*
Ecce miiiaçi^r irnminet nrhiter ille supremus.
Imminet , imminet at mala terminez , zequa coronet f
P.ecta remuneret x anxia liberet , jethera donet :
Auferat zsçera , duraque pondéra mentir onusta é
Sobria muniat , improba ipuniat , utraque )uste ,
Ille yiissimus , ille gra.\issimus eçce venit Rex.
Surgat homo reus , instat homo Deus , à pâtre )\xàex.
Les Poèmes dont je viens de parler sont au-
jourd'hui au même rang que les acrostiches et
les anagrames (1). Le goût de toutes ces sortes
sis , ad Petrum Cluniacensem Abbatem qui cîaruit anno
Ï140 , de Conternptu Mundi , libri très 5 ex veteribus
inembranis recens descripti. Bremae aino 1 595 •
(1) L'acrostiche est une sorte d'ouvrage en vers t dont
cbaque vers comence par chacune des lettres qui forment
un certain mot. A la tête de cbaque comédie de Plaute,
il y a un argument fait en acrostiche : c'est le nom de
la pièce qui est le mot de l'acrostiche ; par exemple î
Amphitfuo : îe premier vers de L'argument comence par
nn A , îe second par une M 9 ainsi de suite» Ces argumens
sont anciens, et Madame Dacier dans ses Remarques sur
celui ,de l'Amphitryon , fait entendre que Plaute en est
l'auteur,
Cicérôn nous apprend qu'Eanius avoit fait des acros«
tâches* acêostkhi: dicitur , cum dcincepsex primis versuum
litterU alijuid ccnaectitur , ut in quibusdam Ennianh,
ÇiCé de Divinatioiie. 1. lt n. in, aliter, LIT*
DU SENS ADAPTÉ. 139
d*ouvrages , heureusement , est passé. Il y a
eu un tems où les ouvrages d'esprit tiroient
leur principal mérite de la peine qu'il y avoit
à les produire , et souvent la montagne étoit
récompensée de n'enfanter qu'une souris , pourvu
qu'elle eût étéjong-temps en travail (l) Au-
jourd'hui le tems et la difficulté ne font rien à
l'affaire ; on aime ce qui est vrai , ce qui ins-
truit , ce qui éclaire , ce qui intéresse , ce qui
a un objet raisonable ; et l'on ne regarde plus
les mots que corne des signes auxquels on ne
s'arête que pour aler droit à ce qu'ils signi-
fient. La vie est si courte, et il y a tant à
aprendre à tout âge , que si l'on a le bonheur
de surmonter la paresse et l'indolence natu-
rèles de l'esprit , on ne doit pas le mettre à
la torture sur des riens , ni l'apliquer en pure
perte.
X I.
Sens abstrait, Sens concret.
C E mot abstrait vient du latjn abstractus ;
A l'égard de Yanagrame , ce mot e$t encore grec : il
est composé de la préposition ana , qui dans la composition
des mots , répond souvent à rttrd , rè ; et de grama lettre.
L'anagrame se fait lorsqu'en déplaçant les lettres d'un mot 3
on en forme un autre mot , qui a une signification diféreBte J
•par exemple , de Loraine on a fait Alérion*
il) Molière j Misau. açt. I. sf . IL
£40 SENS ABSTRAIT,
participe à'abstrahere , qui veut dire tirer t
cracher , séparer de.
Tout corps est réèlement étendu en longueur,
largeur et profondeur, mais, souvent on pense
à la longueur sans faire atention à la largeur
ni à la profondeur , c'est ce qu'on apèle faire
abstraction de la largeur et de la profondeur ;
c'est considérer la longueur dans un sens abs-
trait : c'est ainsi qu'en géométrie ont consi-
dère le point , la ligne , le cercle , sans avoir
égand ni à un tel point , ni à une telle ligne 9
ni à un tel cercle physique.
Ainsi en général le sens abstrait est celui par
lequel on s'ocupe d'une idée , sans faire atention
aux autres idées qui ont un raport naturel et
nécessaire avec cette idée»
I, On peut considérer le corps en général
sans penser à la figure , ni à toutes les autres
propriétés particulières du corps physique : c'est
considérer le corps dans un sens abstrait , c'est
considérer la chose sans le mode , corne parlent
les philosophes , res afoque modo.
a. On peut au contraire considérer les pro*-
prietés des objets , sans faire atention à aucun
sujet particulier auquel elles soient atachées ,
moins absout reP C'est ainsi qu'on parle de la
blancheur , du mouvement , du repos , sans
faire aucune zx^nùon particulière à quelque
objet blanc , ni à quelque corps qui soit en
mouvement ou en repos.
L'idée dont on s'ocupe par abstraction , est
lirée , pour ainsi dire , des autres idées qui
SENS CONCRET. 141
qui ont raport à celle-là, elle en est corne
séparée , et c'est pour cela qu'on l'apële idée
abstraite.
L'abstraction est donc une sorte de sépa-
ration qui se fait par la pensée. Souvent on
considère un tout par parties , c'est une espèce
d'abstraction ; c'est ainsi qu'en anatomie on
fait des démonstrations particulières de la tête ,
ensuite de la poitrine , etc. mais c'est plutôt
diviser qu'abstraire , on apèle plus particuliè-
rement faire abstraction , lorsque l'on consi-
dère quelque propriété des objets sans faire
atention ni à l'objet , ni aux autres proprié-
tés , ou lorsque l'on considère l'objet sans les
propriétés.
Le sens concret , au contraire , c'est lorsque
Ton considère le sujet uni au mode , ou le mode
uni au sujet ; c'est lorsque l'on regarde un sujet
tel qu'il est , et que l'on pense que ce sujet et
sa qualité ne font ensemble qu'une même chose ,
et forment un être particulier ; par exemple :
ce papier blanc , cette table .quarêe , cette boîte
ronde ; blanc 9 quarêe , ronde , sont dits alors
dans un sens concret.
Ce mot concret vient du latin concretus y par-
ticipe de concrescere , croître ensemble , s'épais-
sir , se coaguler , être composé de ; en éfet ,
dans le sens concret , les adjectifs ne forment
qu'un tout avec leurs sujets ; on ne les sépare
point l'un de l'autre par la pensée.
Le concret renferme donc toujours deux idées,
celle du sujet , et celle de la propriété.
L
L
24* SENS ABSTRAIT,
Tous les substantifs qui sont pris adjective-
ment , sont alors des termes concrets : ainsi
quand on dit Parus est homo ; hotno est
alors un terme concret , Petrus est habens hu~
manitatenu
Observez qu'il y a de la diférence entre faire
abstraction et se servir d'un terme abstrait. On
peut se servir de mots qui expriment des objets ,
réels , et faire abstraction, corne quand on exa-
mine quelque partie d'un tout , sans avoir
égard aux autres parties : on peut , au con-
traire , se servir de termes abstraits , sans faire
abstraction , corne quand on dit que la fortune
est aveugle.
Des termes abstraits.
Dans le langage ordinaire , abstrait se prend
pour subtil , métaphysique : ces idées sont
abstraites , c'est - à - dire , qu'elles demandent
de la méditation , qu'elles ne sont pas aisées
à comprendre , qu'elles ne tombent point sous
le sens.
On dit aussi d'un home, qu'il est abstrait
quand il ne s'ocupe que de ce qu'il a dans l'es-
prit , sans se prêter à ce qu'on lui dit. Mais ce
que j'entens ici par termes abstraits , ce sont
les mots qui ne marquent aucun objet qui existe
hors de notre imagination.
Que les homes pensent au soleil , ou qu'ils
n'y pensent point , le soleil existe , ainsi le mot
de soleil n'est point un terme abstrait.
SENS CONÇUS T. 243
Mais beauté , laideur , etc. sont des termes
abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent
et que nous trouvons beaux ; il y en a d'autres
au contraire qui nous afectent d'une manière
désagréable , et que nous apelons laids \ mais
il n'y a aucun être réel qui soit la beauté ou
la laideur. H y a des homes , mais Vhumanité
n'est point ; c'est-à-dire , qu'il n'y a point ua
être qui soit Vhumanité,
Les abstractions ou idées abstraites suposent
les impressions particulières des objets , et la
méditation , c'est-à-dire , les réflexions que
nous faisons naturèlement sur ces impressions.
C'est à l'ocasion de ces impressions que nous
considérons ensuite séparément , et indépenda-
ment des objets , les diférentes afections qu'elles
ont fait naître dans notre esprit , c'est ce que
nous apelons les propriétés des objets ; je ne
considérerois pas le mouvement en lui-même f
si je n'avois jamais vu de corps en mouve-
ment.
Nous somes acoutumés à doner des noms
particuliers aux objets réels et sensibles ; nous
en donons aussi par imitation aux idées abs-
traites , corne si elles représentent des êtres
réels ; nous n'avons point de moyen plus facile
pour nous comuniquer nos pensées.
Ce qui a sur-tout doné lieu aux idées abs-
traites , c'est l'uniformité des impressions qui
ont été excitées dans notre cerveau par des
objets diférens , et pourtant semblables en ua
L %
144 SENS ABSTRAIT,
certain point : les homes ont inventé des mots
particuliers pour exprimer cette ressemblance y
cette uniformité d'impressions dont ils se sont
formés une idée abstraite. Les mots qui expri-
ment ces idées nous servent à abréger le dis-
cours , et à nous faire entendre avec plus
de facilité ?* par exemple , nous avons vu plu-
sieurs objets blancs; ensuite pour exprimer l'im-
pression uniforme que ces diférens objets nous
ont causée, et pour marquer le point dans le-
quel ils se ressemblent , nous nous servons du
mot de blancheur.
Nous somes acoutumés dès notre enfance à
voir des corps qui passent successivement d'une
place à un autre ; ensuite pour exprimer cette
propriété et la réduire à une; sorte d'idée gé-
nérale , nous, nous servons du terme de mou-
vement. Ce que je veux dire §'entendra mieux
par cet exemple,
Les noms que l'on, done a.ux tropes ou fi-
gures dont nous avons parlé , ne représentent
point dés êtres réels'. Il n'y a point d'être ,
point de substance , qui soit une métaphore ,
ni une métonymie ; ce sont les diférentes exr
pressions métaphoriques , et les autres façons
de parler figurées qui ont doné lieu aux maîtres
de l'art , d'inventer le terme de métaphore , et
les autres noms des figures : par-là ils rédui-
sent à une espèce 9 à une classe particulière
les expressions qui ont un tour pareil , selon
lequel elles se ressemblent , et c'est sous ce ra-^
SENS COKCRET. 1^
port de ressemblance qu'elles sont comprises
dans chaque sorte particulière de figure , c'est-
à-dire , dans la même manière d'exprimer les
pensées : toutes les expressions métaphoriques
sont comprises sous la métaphore , elles s'y
raportent ; l'idée de métaphore est donc une
idée abstraite qui ne présente aucune expres-
sion métaphorique en particulier , mais seule-
ment cette sorte d'idée générale que les homes
se sont faite pour réduire à une classe à part
les expressions figurées d'une même espèce , ce
qui met de l'ordre et de la néteté dans nos pen-
sées y et abrège nos encours.
Il en est de même de tous les autres noms
d'arts et de sciences : !a physique , par exemple,
n'existe point, c'est-à-dire , qu'il n'y a point
un être particulier qui soit la physique : mais
les homes ont fait un grand nombre de ré-
flexions sur les diférentes opérations de la na-
ture ; et ensuite ils ont doné le nom de science
physique au recueil ou assemblage de ces ré-
flexions , ou plutôt à l'idée abstraite à laquelle
ils raportent toutes les observations qui regar-
dent les êtres naturels.
Il en est de même de douceur , amertume ,'
être 9 néant , vie , mort , mouvement 9 repos , etc.
Chacune de ces idées générales , quoiqu'on
en dise , est aussi positive que l'autre , puis-
qu'elle peut être également le sujet d'une pro-
position.
Corne les diférens objets blancs ont doné
L3
046 SENS ABSTRAIT,
lieu à notre esprit de se former l'idée de blan-
cheur , idée abstraite , qui ne marque qu'une
sorte d'afection de l'esprit ; de même , les di-
vers objets qui nous afectent en tant de ma-
nières diférentes , nous ont doné lieu de nous
former l'idée A' être ^ de substance , à' existence ;
sur-tout , lorsque nous ne considérons les objets
que corne existans , sans avoir égard à leurs
autres propriétés particulières : c'est le point
dans lequel les êtres particuliers se ressemblent
le plus.
Les objets réels ne sont pas toujours dans
la même situation, ils changent de -place, ils
disparoissent , et nous sentons réèlernent ce
changement et cette absence : alors il se passe
en nous une afection réèle , par laquelle nous
«entons que nous ne recevons aucune impres-
sion d'un objet dont la présence excitoit en
nous deux éfets sensibles ; de-là l'idée d'ab-
sence , de privation , de néant : de sorte que
quoique le néant ne soit rien en lui-même ,
cependant ce mot marque une afection réèle
de l'esprit , c'est une idée abstraite que nous
acquérons par l'usage de ia vie , à l'ocasion de
l'absence de l'objet , et de tant de privations
qui nous font plaisir ou qui nous afligent.
Dès que nous avons eu quelque usage de
notre faculté de consentir ou de ne pas con-
sentir à ce qu'on nous proposoit , nous avons
consenti , ou nous n'avons pas consenti , nous
avons dit oui , ou nous avons dit non : en-
SENS CONCRET. 247
suite à mesure que nous avons réfléchi sur nos
propres sentimens intérieurs , et que nous les
avons réduits à certaines classes , nous avons
apelé afirmation cette manière uniforme dont
notre esprit est afecté quand il acquiesce, quand
il consent ; et nous avons apelé négation la
manière dont notre esprit est afecté , quand
il sent qu'il refuse de consentir à quelque ju-
gement.
Les termes abstraits , qui sont en très-grand
nombre , ne marquent donc que des aftctions
de l'entendement ; ce sont des opérations na-
turèles de l'esprit , par lesquelles nous nous
formons autant de classes diférentes des diverses
sortes d'impressions particulières dont nous
somes afectés par l'usage de la vie. Tel est
l'home. Les noms de ces classes diférentes ne
désignent point de ces êtres réels qui subsis-
tent hors de nous : les objets blancs sont des
êtres réels ; mais la blancheur n'est qu'une idée
abstraite : les expressions métaphoriques sont
tous les jours en usage dans le langage des
homes , mais la métaphore n'est que dans l'es-
prit des Grammairiens et des Rhéteurs.
Les idées abstraites que nous acquérons par
l'usage de la vie , sont en nous autant d'idées
exemplaires qui nous servent ensuite de règle
et de modèle pour juger si un objet a ou n'a
pas telle ou telle propriété, c'est-à-dire, s'il
fait ou s'il ne fait pas en nous une impression
semblable à celle que d'autres objets nous ont
G.48 SENS ABSTRAIT,
causée , et dont ils nous ont laissé l'idée ou
afection habituèle. Nous réduisons chaque sorte
d'impression que nous recevons , à la classe à
laquelle il nous paroit qu'elle se raporte ; nous
raportons toujours les nouvèles impressions aux
anciènes , et si nous ne trouvons pas qu'elles
puissent s'y raporter , nous en fesons une classe
nouvèîe ou une classe à part , et c'est de-là
que viènent tous les noms ap?eilatifs , qui mar-
quent des gerires ou des espèces particulières;
ce sont autant de termes abstraits quand on
n'en fait pas l'application à quelque individu
particulier ; ainsi quand on considère en gé-
néral le cercle , une ville , cercle et ville sont
des termes abstraits ; mais s'il s'agit d'un tel
cercle , ou d'une telle ville en particulier , le
terme n'est plus abstrait.
Ce que nous venons de dire , que nous ac-
quérons ces idées exemplaires par l'usage de la
vie , fait bien voir qu'il ne faut point élever
les jeunes gens dans des solitudes , et qu'on
doit ne leur montrer que du bon et du beau
autant qu'il est possible. C'est un avantage que
les enfans des grands ont au-dessus des enfans
des autres homes ; ils voient un plus grand
nombre d'objets , et il y a plus de choix dans
ce qu'on leur montre ; ainsi ils ont plus d'idées
exemplaires y et c'est de ces idées que se forme
le goût. Un jeune home qui n'auroit vu que
d'excélens tableaux , n'ad'mireroit guère les mé-
diocres,
SENS CONCRET. 2.49
En termes d'arithmétique , quand on dit
trois louis , dix hommes , en un mot , quand
on aplique le nombre à quelque sujet particu-
lier , ce nombre est apelé concret ; au lieu que
si Ton dit deux et deux font quatre , ce sont-
ià des nombres abstraits , qui ne sont unis à
aucun sujet particulier. On considère alors par
abstraction le nombre en lui-même , ou plutôt
Tidée de nombre que nous avons acquise par
l'usage de la vie,
Tous les objets qui nous environnent et dont
nous recevons des impressions , sont autant
d'êtres particuliers que les philosophes apèlent
des individus , les uns sont semblables aux autres
en certains points : de-là les idées abstraites de
genre et d'espèce.
Remarquez qu'un individu est un être réel
que vous ne sauriez diviser en un autre lui-
même : Platon ne peut être que Platon. Un
diamant de milie écus peut être divisé en plu-
sieurs autres diamans , mais il ne sera plus le
diamant de mille écus : cette table , si vous
la divisez , ne sera plus cette table ; de - là
l'idée d'unité , c'est - à - dire , l'afection de
l'esprit qui conçoit l'individu dans un sens
abstrait.
Observez encore qu'il n'est pas nécessaire
que j'aie vu tous les objets blancs pour me
former l'idée abstraite de blancheur ; un seul
objet blanc pouroit me faire naître cette idée 5
et dans la suite je n'apelerois blanc que ce
ajo sens abstrait;
qui y seroit conforme , corne le peuple n'atri-
bue les propriétés du soleil qu'à l'astre qui fait
le jour. Ainsi , il n'est pas nécessaire que j'aie
vu tous les cercles possibles , pour vérifier si
dans tout cercle les lignes tirées du centre à
la circonférence sont égales ; un objet qui n'a
pas cette propriété , n'est point un cercle, parce
qu'il n'est pas conforme à l'idée exemplaire que
j'ai aquise du cercle , par l'usage de la vie, et
par les réflexions que cet usage fait naître dans
mon esprit.
La fortune , le hasard et la destinée , que
Ton personne si souvent dans le langage or-
dinaire , ne sont que des termes abstraits. Cette
multitude d'évènernens qui nous arivent tous
les jours , sans que la cause particulière qui les
produit nous soit conue , a afeeté notre esprit
de manière qu'elle a excité en nous l'idée, in-
déterminée d'une cause inconue que le vulgaire
a apelée fortune , hasard , ou destinée : ce sont
Aes idées d'imitation formées à l'exemple des.
idées que nous avons des causes réèles.
Les impressions que nous recevons des ob^-
fets , et les réflexions que nous fesons sur ces
impressions par l'usage de la vie et par la mé-
ditation , sont la source de toutes nos idées 5
e'est-à-dire , de toutes les afections de notre
«sprit quand il conçoit quelque chose , de quel-
que manière qu'il la conçoive : c'est ainsi que
l'idée de Dieu nous vient par les créatures qui
aous angnceat son existence et ses perfec-
S E N S CONCRET. 1J2
tions (i) : Ctf/Z enarrant gloriam Dei (2),
Invisibilia enim ipsius per ea quœ fada sunt
inteîlecta conspiciuntur , sempiterna quoque ejus
virtus et divinlcas. Une montre nous dit qu'il
y a un ouvrier qui l'a faite ; l'idée qu'elle fait
naître en moi de cet ouvrier , quelque indé-
terminée qu'elle soit, n'est pas l'idée d'un être
abstrait , elle est l'idée d'un être réel qui doit
avoir de l'intelligence et de l'adresse : ainsi
l'Univers nous aprend qu'il y a un Créateur
qui l'a tiré du néant , qui le conserve , qu'il
doit avoir des perfections infinies, et qu'il exige
de nous de la reconoissance et des adorations.
Les abstractions sont une faculté particulière
de notre esprit , qui doit nous faire reconoître
combien nous somes élevés au-dessus des êtres
purement corporels.
Dans le langage ordinaire , on parle des abs-
tractions de l'esprit come on parle des réali-*
tés ; les termes abstraits n'ont même été in-
ventés qu'à l'imitation des mots qui expriment
des êtres physiques. C'est peut-être ce qui a
doné lieu à un grand nombre d'erreurs où les
homes sont tombés , faute d'avoir reconn que
les mots dont ils se servoient en ces ocasions ,
n'étoient que les signes des afections de leur
esprit, en un mot, de leurs abstractions, et
non l'expression d'objets réels \ de - là l'ordre
(1) Psal. 18. v. 1,
(2) Ad Rom, 1. v, 20,
L 6
25a SENS ABSTRAIT,
idéal confondu avec Tordre physique ; de - là
enfin l'erreur ( I ) de ceux qui croient savoir
ce qu'ils ignorent, et qui parlent de leurs ima-
ginations métaphysiques avec la même assu-
rance que les autres homes parlent des objets
réels.
Les abstractions sont un pays où il y a
encore bien des découvertes à faire , et dans
lequel on feroit quelques progrès, si l'on ne pre-
noit pas pour lumière ce qui n'est qu'une sé-
duction délicate de l'imagination , et si l'on
pouvoit se rapeler , sans prévention , la ma-
nière dont nous avons acquis nos idées et nos
conoissances dans les premières années de notre
vie ; mais cela n'est pas maintenant dans mon
sujet.
Réflexions sur les abstractions , par raport
à la manière d'enseigner*
CoME c'est aux Maîtres que j'adresse cet
ouvrage , je crois pouvoir ajouter ici quelques
réflexions par raport à la manière d'enseigner.
Le grand art de la didactique > c'est de
savoir profiter des, conoissances qui sont déjà
dans l'esprit de ceux qu'on veut instruire , pour
les mener à celles qu'ils n'ont point; c'est ce
qu'on apèle alors au conu à l'inconu. Tout le
(î) Absit error opinant in 111 se scire quod nesciunt*
Àv-g- in Enchirid, ad Laur. de Fide , Spe , et Char, cap,
59 3 ton*. Y*» !?»£• 2.18. Paiis j 1685»
SENS CONCRET. Ift
monde convient du principe , mais dans îa
pratique on s'en écarte, ou faute d'atention ,
ou parce qu'on supose dans les jeunes gens des
conoissances qu'ils n'ont point encore aquises.
Ua Métaphysicien qui a médité sur l'infini ,
sur l'être en général , etc. persuadé que ce
sont- là autant d'idées innées , parce qu'elles
sont faciles à aquérir , et qu'elles lui sont fa-
milières , ne doute point que ces conoissances
ne soient aussi familières au jeune home qu'il
instruit , qu'elles le sont à lui-même ; sur ce
fondement , il parle toujours ; on ne l'entend
point , il s'en étone ; il élève la voix , il s'é-
puise , et on l'entend encore moins. Que ne
se rapèle-t-il les premières années de son en-
fance ? Avoit - il à cet âge des conoissances
auxquelles il n'a pensé que dans la suite , par
le secours des réflexions , et après que son
cerveau a eu aquis un certain degré de con-
sistance ? En un mot , conoissoit-il alors ce
qu'il ne conoît pas encore , et ce qui lui a
paru nouveau dans la suite , quelque facilité
qu'il ait eue à le concevoir ?
Nous avons besoin d'impressions particu-
lières, et pour ainsi dire , préliminaires, pour
nous élever ensuite par le secours de l'expé-
rience et des réflexions , jusqu'à la sublimité
des idées abstraites : parmi celles-ci , les unes
sont plus faciles à aquérir que les autres*,
l'usage de la vie nous mène à quelques-unes
presque sans réflexion , et quand nous ve-
4J4 SENS ABSTRAIT,
nons ensuite à nous apercevoir que nous les
avons aquises , nous les regardons corne nées
avec nous.
Ainsi , il me paroît qu'après qu'on a aquis
un grand nombre de conoissances particulières
dans quelque art ou dans quelque science que
ce soit , on ne sauroit rien faire de plus
utile pour soi-même , que de se former des
principes d'après ces conoissances particulier
res , et de mettre par cette voie , de la né-
teté , de l'ordre , et de l'arangement dans ses
pensées.
Mais quand il s'agit d'instruire les autres,
il faut imiter la Nature ; elle ne comence point
par les principes et par les idées abstraites ,
ce seroit comencer par l'inconu ; elle ne nous
done point l'idée d'animal avant que de nous
montrer des oiseaux , des chiens , des che-
vaux , etc. Il faut des principes : oui sans
doute \ mais il en faut en tems et lieu. Si par
principes vous entendez des règles , des maximes ,
des notions générales , des idées abstraites qui
renferment des conoissances particulières , alors
je dis qu'il ne faut point comencer par de tels
principes.
Que si par principes vous entendez des no-
tions comunes, des principes faciles, des opé-
rations aisées qui ne suposent dans votre élève
d'autre pouvoir ni d'autres conoissances que
celles que vous savez bien qu'il a déjà ; alors
je conviens qu'il faut des principes > et ces pria-
SENS CONCRET. CL y Ç
cipes ne sont autre chose que les idées parti-
culières qu'il faut lui doner , avant que de passer
aux règles et aux idées abstraites.
Les règles n'aprènent qu'à ceux qui savent
déjà } parce que les règles ne sont que des obser-
vations sur l'usage : ainsi comencezpar faire lire
les exemples des figures avant que d'en doner
la définition.
Il n'y a rien de si naturel que la Logique
et les principes sur lesquels elle est fondée ; ce-
pendant les jeunes Logiciens se trouvent corne
dans un monde nouveau dans le premier tems
qu'ils étudient la Logique , lorsqu'ils ont des
des maîtres qui comencent par leur doner en
abrégé le plan général de toute la Philosophie \
qui parlent de science , de perception , d'Idée ,
de jugement , de fin > de cause , de catégorie r
à'universaux , de degrés métaphysiques > eic*
corne si c'étaient - là autant d'êtres réels , et
non de pures abstractions de l'esprit, Je
suis persuadé que c'est se conduire avec beau-
coup plus de méthode f de comencer par met-
tre j pour ainsi dire , devant les yeux quel-
ques - unes des pensées particulières qui ont
doné lieu de former chacune de ces idées abs-
traites.
J'espère traiter quelque jour cet article plus
en détail 9 et faire voir que la méthode ana-
lytique est la vraie méthode d'enseigner , et
que celle qu'on apèle synthétique ou de doc-
trine , qui comence par les principes y n'est
1^6 DERNIÈRE
bone que pour mettre de Tordre dans ce
qu'on sait déjà , ou dans quelques autres
ocasions qui ne sont pas maintenant de mon
sujet.
X I I.
Dernière Observation.
S'il y a des mots synonymes.
Nous avons vu qu'un même mot peut
avoir par figure d'autres significations que celle
qu'il a dans le sens propre et primitif : voiles
peut signifier vaisseaux. Ne suit-il pas de- là
qu'il y a des mots synonymes , et que voiles
est synonyme à vaisseaux ?
Monsieur l'Abbé Girard a déjà examiné cette
question , dans le discours préliminaire qu'il
a mis à la tête de son Traité de la justesse
de la langue française. Je ne ferai guère ici
qu'un extrait de ses raison^ , er je prendrai
même la liberté de me servir souvent de ses
termes , me contentant de tirer mes exemples
de la langue latine. Le Lecteur trouvera dans
le livre de M. l'Abbé Girard de quoi se sa-
tisfaire pleinement sur ce qui regarde le fran-
çais,
« On entend comunément par synonymes
» les mots qui , ne diférant que par i'arti-
v culation de la voix 7 sont semblables par
OBSERVATION. ^57
» l'idée qu'ils expriment. Mais y a-t-il de ces
» sortes de mots ? Il faut distinguer :
" Si vous prenez le terme de synonyme
» dans un sens étendu pour une simple res-
» semblance de signification ( 1 ) , il y a des
» termes synonymes , c'est-à-dire , qu'il y a
» des mots qui expriment une idée princi-
» pale » : ferre , bajulare , portare , tollere ,
» suninere , gérer e , gestare , seront en ce sens
autant de synonymes.
Mais si par synonymes vous entendez des
mots qui ont « une ressemblance de signifi-
r> cation si entière et si parfaite , que le sens
» pris dans toute sa force et dans toutes ses
» circonstances soit toujours et absolument
j> le même , ensorte qu'un des synonymes ne
» signifie ni plus ni moins que l'autre : qu'on
» puisse les employer indiférament dans toutes
» les ocasions , et qu'il n'y ait pas plus de
» choix à faire entre eux pour la signification
» et pour l'énergie , qu'entre les goûtes d'eau
„ d'une même source pour le goût et pour la
,, qualité : dans ce second sens , il n'y a point
„ de mots synonymes en aucune langue „ :
ainsi ferre , bajulare , portare , t aller e , susti-
nere , gerere , gestare , auront chacun leur des-
tination particulière : en éht ,
Ferre , signifie porter , c'est l'idée princi-
pale.
( i ) Traité de la Justesse de la langue française ,
p. 2Ô et Xj.
ij8 DERNIÈRE
Bajulare , c'est porter sur les épaules ou sur
le cou,
Portare , se dit proprement lorsqu'on fait
porter quelque chose stfr des bêtes de some ,
sur des charètes ou par des crocheteurs. Por-
tari dicimus ea quœ quis jumento secum ducit.
Voyez le titre XVI du cinquantième livre du
Digeste , de verborum signifie atione*
Tollere (i) , c'est lever en haut ; d'où vient
le substantif tolleno , onis , c'est une machine à
tirer de l'eau d'un puits.
Sustinere , c'est soutenir , porter pour em-
pêcher de tomber.
Gerere , c'est porter sur soi : Galeam ge-
rere in capite (2).
Gestare vient de gerere , c'est faire parade
de ce qu'on porte.
Malgré ces diférences , il arive souvent que
dans la pratique on emploie ces mots l'un pour
Pautre , par figure , en conservant toujours l'i-
dée prmcipale , et en ayant égard à l'usage de
la langue ; mais ce qui fait voir qu'à parler
exactement , ces mots ne sont pas synonymes ,
c'est qu'il n'est pas toujours permis de mettre
indiférament l'un pour l'autre. Ainsi quoiqu'on
dise morem gerere , on ne diroit pas morem
ferre, ou morem portare , etc. Les Latins sen-
toient mieux que nous ces diférences délicates ,
( i) Tite-Live , 1. XXXVIÏÏ , n. 5. Festus , v. Toîieno.
(2) Corn. Nep. 14. 3.
I
OBSERVATION. 0.J9
f dans le tems même qu'ils ne pouvoient les ex-
primer (i) , nihil inter factum et gestum inte-
rest 9 licet videatur qucedam subtilis différen-
tiel , dit un ancien Jurisconsulte. D'autres ont
remarqué que acta propriè ad togam spec-
tant , gesta ad militiam, Varron dit que c'est une
erreur de confondre , agere , facere et gérer e ,
et qu'ils ont chacun leur destination particu-
lière (2).
Nous avons quelques recueils des anciens
Grammairiens , sur la propriété des mots la-
tins : tels sont Festus , de verborum significa-
tione. Voyez Grammatici veteres.
On peut encore consulter un autre recueil
qui a pour titre , Auctores lingua latinœ. De
plus , nous avons un grand nombre d'obser-
vations répandues dans Varron , de linguâ la-
tinâ , dans les Comentaires de Donat et de
Servius : elles font voir les diférences qu'il y
a entre plusieurs mots que l'on prend cornu-
nément pour synonymes. Quelques auteurs mo-
dernes ont fait des réflexions sur le même sujet ,
(1) L. licet 58. Digest. de verborum significatione.
(2) Propter sîmilitudinem agendi , et faciendi , et ge-
rendi , quidam error his qui putant esse unum : potest
enim quis aliquid facere et non agere : ut poëta facit ,
fabula m et non agit ; contra actor agit et non facit et sic
à poëta fabula fit et non agitur , ab actora agitur et non
fit : contra Imperator qui dicitur res gerere , in eo neque
facit s sed gerit , id est sustinet : translatum ab his qui
onera gerunt cjuocl sustinent. Van\ de ling. iat. 1. Y* sub
âiiem.
2.6o DERNIÈRE
tels sont le P. Vavasseur , Jésuite , dans ses
Remarque ssur îa langue latine , Sciopins , Henri
Ftiène, de latinitate falso suspecta , et plusieurs
autres.
On tire aussi la même conséquence de plu-
sieurs passages des meilleurs auteurs ; voici
deux exemples tirés de Cicéron , qui font
voir la diférence qu'il y a entre amare et di-
ligere.
Quis erat qui putaret ad eum amorern quent
erga te habebam , posse aliquid accéder e ? Tan-
tuni accessit , ut mihi nunc denique amare vi-
dear , antea dilexisse ( I ). (ç Qui l'auroit pu
„ croire , dit Cicéron , que l'afection que j'a-
,, vois pour vous eût pu recevoir quelque degré
„ de plus ? cependant elle est si fort augmentée,
5, que je sens bien qu'à la vérité vous m'étiez
9, cher autrefois , mais qu'aujourd'hui je vous
9> aime tendrement.
Et au livre XIIL Epi. 47» Quid ego tibi corn-
mendem eum quem tu ipse diligis : sed tamen,
ut scires eum non à me diligi solum , verutn
etiam amari , ab eam rem tibi hcec scribo.
46 Vous l'aimez , mais je l'aime encore davan-
„ tage ; et c'est pour cela que je vous le
„ recomande „,
Voilà une diférence bien marquée entre amare
et diligere (i) ; Cicéron observe ailleurs qu'il
y a de la diférence entre dolere et laborare 9
(1) Cicer. Ep. ad fam. î. IX. Ep. 14.
(2) TuscnU 1. IL n. 1$.
OBSERVATION. 2.6l
lors même que ce dernier mot est pris dans le
sens du premier : Interest aliquid inter laborern
et dolorem ; sunt finitima omninb , sed tamen
dijfert aliquid : labor est functio qucedam vcl
animi vel corporis , gravions operis vel mune-
ris ; dolor autem motus asper in corpore ....
alïud inquam est dolere , aliud laborare , cum
varices secabantur Cn. Mario , doleret : cum
astu magno ducebat agmen , laborabat.
Les savans ont observé de pareilles dïférences
entre plusieurs autres mots, que les jeunes gens
et ceux qui manquent de goût et de réflexion re-
gardent corne autant de synonymes. Ce qui fait
voir qu'il n'est peut être pas aussi utile qu'on le
pense de faire le thème en deux façons.
M. de la Bruyère remarque " qu'entre toutes
„ les dlf créâtes expressions (i) qui peuvent ren-
„ dre une seule de nos pensées , il n'y en a
,, quune qui soit la bone : que tout ce qui ne Test
„ point estfolble , et ne satisfait point un k&me
„ d'esprit „. Ainsi ceux qui se sont donés la
peine de traduire les auteurs latins en un autre
latin , en afectant d'éviter les termes dont ces
auteurs se sont servis , auroient pu s'épargner
un travail qui gâte plus le goût qu'il n'aporte
de lumière. L'une et l'autre pratique est une
fécondité stérile qui empêche de sentir la pro-
priété des termes , leur énergie , et la finesse
de la langue , corne je l'ai remarqué ailleurs.
Lucus veut dire un bois consacré à quelque
(î) Caract. des Ouvr. de l'Esjpit,
l6l DERNIERE
divinité y Sylva , un bois général : Virgile ne
manque pas à cette distinction; mais le Tra-
ducteur latin est obligé de s'écarter de l'exac-
titude de son original.
Ne quis sit lucus quo se plus jactet Apollo (i).
Ainsi parle Virgile. Voici cornent on le tra-
duit : Ut nulla sic sylva , quâ magis Apollo
glorietur,
Nex , necls , vient de necare , et se dit d'une
mort violente ; au lieu que mors signifie simple-
ment îa mort , la cessation de la vie. Virgile
dit , parlant d'Hercule :
. . . Nece Geryonis spoliisque superbus (2) ;
Mais son traducteur est obligé de dire morte
Geryonis,
Je pourois raporter un grand nombre d'exem-
ples pareils : je me contenterai d'observer que
plus on fera de progrès , plus on reconoîtra
cet usage propre des termes , et par conséquent
l'utilité de ces versions qui ne sont ni latines,
ci françaises. Ce n'est que pour inspirer le goût
de cette propriété des mots , que je fais ici cette
remarque.
Voici les raisons pour lesquelles il n'y a point
de synonymes parfaits.
I. S'il y avoit des synonymes parfaits , il
y auroit deux langues dans une même langue.
Quand on a trouvé le signe exact d'une idée,
(0 Virg. Ecl. VI. v. 73.
(2; Ma. VIII. v. 202.
OBSERVATION. 263
on n'en cherche pas un autre. Les mots anciens ,
et les mots nouveaux d'une langue sont syno-
nymes : maints est synonyme de plusieurs : mais
le premier n'est plus en usage : c'est la grande
ressemblance de signification qui est cause que
l'usage n'a conservé que l'un de ces termes ,
et qu'il a rejeté l'autre corne inutile. L'usage,
ce tyran des langues , y opère souvent des
merveilles que l'autorité de tous les souverains
ne pouroit jamais y opérer.
a. Il esi fort inutile d'avoir plusieurs mots
pour une seule idée ; mais il est très-avantageux
d'avoir des mots particuliers pour toutes les
idées qui ont quelque raport entre elles.
3. On doit juger de la richesse d'une langue
par le nombre des pensées qu'elle peut expri-
mer , et non par le nombre des articulations de
la voix. Une langue sera véritablement riche ,
si elle a des termes pour distinguer , non-seu-
lement les idées principales , mais encore leurs
diférences , leurs délicatesses , le plus ou le
moins d'énergie , d'étendue , de précision , de
simplicité et de composition.
4. Il y a des ocasions où il est indiférent de
se servir d'un de ces mots qu'on apèle syno-
nymes , plutôt que d'un autre ; mais aussi il
y a des ocasions où il est beaucoup mieux de
faire un choix : il y a donc de la diférence
entre ces mots ; ils ne sont donc pas exactement
synonymes.
Lorsqu'il ne s'agit gue de faire entendre
2$4 DERNIERE OBSERVATION,
l'idée comune , sans y jpindre ou sans exclure
les idées accessoires , on peut employer indis-
tinctement l'un ou l'autre de ces mots , puis-
qu'ils sont tous deux propres à exprimer ce
qu'on veut faire entendre : mais cela n'em-
pêche pas que chacun d'eux n'ait une force
particulière qui le distingue de l'autre ; et à
laquelle il faut avoir égard selon le plus ou le
moins ce précision que demande ce que l'on
veut exprimer.
Ce choix est un éfet de la finesse de l'esprit , et
supose une grande çonoissance de la langue.
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Deacidified using the Bookkeeper proc
Neutralizing agent: Magnésium Oxide
Treatment Date: Sept. 2007
the Bookkeeper process.
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Treatment Date: Sept. 2007
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