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Full text of "Des tropes: ou des différens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue ..."

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DES TROPES 

OU 

DES DIFÉRENS SENS 

Dans lesquels on peut prendre * 
un même mot dans une même 
langue* 

Ouvrage uf île pour V intelligence des Auteurs j 
& qui peut servir d'introduBion à la Rhétorique 
J & à la Logique» *, ; 

Par Monsieur duMarsais. 

quatrième' '-$$1 Vtqif; \i 




• A P A R I S> 

Chez NYON le jeune, Libraire, Place des Quatre 
Nations. N<\ i88z. 



M DCC CM 



Item» i«sx ismm 



AVERTISSEMENT 

De la première Édition* 

J e suis persuada par des ex- 
périences réitérées, que la mé- 
thode la plus facile Se la plus 
- s§ire pour comencer à aprendre 

le latin, eflde se servir d abord 

~ •»•»■>» • • • » j « ^ 

dune interprétait*?** ixtèminé$ir 
re , où la conftruâioo-scit toyte 
faite, & où les mot& s0u$ ; enteÈu- 
dus soient supléés< J'^sjpère 6q* 
ner bientôt au public quelques- 
unes de ces traduéHons. 

Mais , quand les jeunes gens 
sont devenus capables de refle- 
xion , on doit leur montrer les 
-règles de la Grammaire , & faire 
avec eux les observations gram- 

a 2 



iv AVERTISSEMENT. 
maticales qui sont nécessaires 
pour l'intelligence du texte qu'on 
explique. Céft dans cette vue 
que j'ai composé une Grammai- 
re ou j'ai, rassemblé ces obser- 
vations. 

Je divise la Grammaire en 
sept parties, c'eftrà-dire , que je 
pense que les observations que 
Tan peut faire sur les mots, en 
tant que signes de nos pensées, 
peuvent être réduites sous* sept 
.-. vticlés., çpâ.spnt : 
f: \J \. 4^/co^issance de la pro- 
••ppsitkra Sç de la période , en 
^ta : nt : cjtf^lies sont composées dte 
V ^ç^vfdan tries terminaisons &: 
TarangemêlAt le ur font signifier 
ce quon a dessein qu'ils signi- 
fient: 

II. L'Ortographe. 

III. La Prosodie, c'eft-à-dire , 
la partie de la Grammaire, qui 
traite de la prononciation des, 



AVERTISSEMENT. 9 

mots , & de la quantité des syl- 
labes : . 

IV. L'Etymologje. 
: V* Les préliminaires de la 
Syntaxe : j'gpèle .ainsi la partie 
qui traite de la nature des mots 
&. de leurs propriétés gramma- 
ticales, c ? ëft-à-dire , des nom- 
bres , des genres , des perso- 
nés , des terminaisons ; ellecon- 
tient ce qu on apèle les Kudi- 
mens. 

VI. La Syntaxe, 

VII. Enfin la conoissance des 
diférens sens dans lesquels un 
même mot eft employé dans une 
même langue. La conoissance 
de ces diférens sens eft néces- 
saire , pour avoir une véritable 
intelligence des mots , en tant 
que signes de nos pensées: ainsi 
j'ai cru qu'un traité sur ce poiut 
apartenoit à la Grammaire * & 
qu'il ne faloit pas atendre que 

a 3 



yf AVERTISSEMENT. 
les enfans eussent passé sept ouu 
huit ans dans l'étude du latin, 
pour leur aprendre ce xjue c'eft 
que le sens propre & le sens 
heure , & ce qu on entend par 
Métaphore ou par Métonymie. 

On ne peut faire aucune ques- 
tion sur les mots , qui ne puisse 
être réduite sous quelqu'un de 
ces sept articles. Tel eft le plan 
que je me suis fait , il y a long- 
tems , de la Grammaire. 

Mais , quoique ces diférentes 
parties soient liées entre elles > 
de telle sorte qu'en les réunis- 
sant toutes ensemble, elles for- 
ment un tout qu'on apèle Gram- 
maire y cependant chacune en 
particulier ne supose nécessaire- 
ment que les conoissances qu'on 
a aquises par l'usage de la vie* 
11 n'y a guère que les prélimi- 
naires de la syntaxe qui doivent 
précéder nécessairement la syn~ 



AVERTISSEMENT, vij 
taxe j les autres parties peuvent 
aler assez indiférament Tune 
avant l'autre : ainsi cette partie 
de Grammaire que je done au- 
jourd'hui, ne suposant point les 
autres parties, & pouvant faci- 
lement y être ajoutée , doit être 
regardée corne un traité parti- 
culier sur les tropes* & sur les 
difèrens sens dans lesquels on 
peut prendre un même mot. 

Nous avons des traités par- 
ticuliers sur Tortographe , sur la 
prosodie , ou quantité , sur la 
syntaxe , ,&_c : en voici un sur 
les tropes. 

Je rapèle quelquefois dans ce 
traité certains points. , en disant 
que j'en ai parle plus au long 
ou dans la syntaxe , ou dans 
quelqu'autre partie de la Gram- 
maire ; on doit me pardoner de 
renvoyer ainsi à des ouvrages 
qui ne sont point encore impri- 

a 4 



yiij AVERTISSEMENT. 
mes , parce qu'en ces ocasipns 
je ne dis rien qu'on ne puisse 
bien entendre sans avoir recours 
aux endroits que je rapèle , j'ai 
cru que puisque les autres par- 
ties suivront celle-ci, il y au- 
roit plus d'ordre & de liaison 
entre elles , à suposer pour quel- 
que tems ce que j'espère qui 
àrivera. 




AFERTISSEMENT. 

1 eu de tems après que ce 
Livre parut pour la première 
fois , je rencontrai par hazard 
un home riche qui sortoit d'une, 
maison pour entrer dans son ca- 
rbsse. Je Viens, 'me dit-il, en 
passant d'entendre dire beau- 
coup dé bien de votre Hljloire 
des Tropes. Il crut que les Tro- 
pes étoient un peuple. Cette 
aventure me fit faire réflexion 
à ce que bien d'autres personesi 
m'a voienr déjà dit , que le titre 
de ce LiVre n'étoit pas entendu 
de tout le monde ; mais après y 
avoir bien pensé , j'ai vu qu'on 
en. pouvoit dire autant d'un 
grand nombre d'autres ouvrages 
auxquels les Auteurs ont con- 
servé le nom propre de la Scien- 
ce ou de l'Art dont ils ont traité, 

a 5 



x AVERTISSEMENT. 

D'ailleurs , le mot de Tropes 
n'eft pas un terme que j'aie in- 
venté y c'eft un mot conu de 
toutes les persones qui ont fait 
le cours ordinaire des études , 
& les autres qui étudient les 
belles - Lettres françoises trou- 
vent ce mot dans toutes nos 
Rhétoriques. 

Il n'y a point de Science m 
d'Art qui ne soit désigné par 
un nom particulier , & qui n ait 
des termes consacrés , mconus 
aux persones à qui ces Scien- 
ces oc ces Arts sont étrangers. 
Les termes servent à abréger , 
à mettre de Tordre & de la 
précision , quand une fois ils. 
sont expliques & entendus. Seu- 
lement la bienséance , & ce 
qu'on apèle ïapropos , exigent 
qu'on ne fasse usage de ces ter- 
mes qu'avec des persones qui 
sont en état de les entendre > 



■ AVERTISSEMENT, xj 
ou qui veulent s'en inftruire , 
ou enfin quand il s'agit déjà 
doétrine à laquelle ils apartiè- 
nent. 

J'ai ajouté dans cette nou- 
velle édition , l'explication des 
noms que les Grammairiens do- 
nent aux autres figures , tant à 
celles qu'ils apèlent figures de 
dictions 9 dictionum figura , qu'à 
celles qu'ils noment figures de 
pensées > figura sententiarum. 

Cette addition ne sera pas 
inutile, du moins k une sorte 
de persones, & pour le prou- 
ver, je vais raconter en peu de 
mots ce qui y a doné lieu* 

Jalai voir il y a quelque tems 
un jeune home qui a bon es- 
prit y & qui a aquis avec l'âge 
assez de lumières & d'expérien- 
ce pour sentir qu'il lui seroit 
utile de revenir sur ses pas * 
& de relire les Auteurs classi- 

a 6 



xij AVERTISSEMENT. 
ques. Les jeunes gens qui co- 
mencent leurs études , & qui 
en fournissent la carrière , n'ont 
pas encore asse2 de consiftarc- 
ce , du moins comunément , 
]pour être touchés des beautés 
àes Auteurs qu'on leur fait lire f 
ni même pour en saisir le sens, 
llseroit à souhaiter que le goût 
des plaisirs & les ocupations de 
leur état leur laissassent le. loisir 
d'imiter le jeune home dont je 
parle* / 

Je le trouvai sur Horaée. II 
àvoit sur son bureau l'Horace 
de M. Dacier , celui du P. Sa- 
nadon ,' & celui des Variorum 
avec les notes de Jean Bon. 
11 en étoit à l'Ode XIII. du 
V e . Livre Harrida tempeftas. 
Horace au troisième vers nunc 
tnare , nunc sylvce y fait ce der- 
nier mot de trois syllabes sy- 
lu-s. M, Dacier ne tait aucunes 



AVERTISSEMENT, xiif 

remarque stir ce vers ; le P. 
Sanadon se contente de dire 
qu'Horace a fait <e mot de trois 
Syllabes , & que ce nejl pas la 
première fois que ce Poète Va 
employé ainsi* Jean Bon ajoute 
qu Horace a fait ce mot de 
trois syllabes, par Diérèse , ptr 
Diœresin. Mais qu'eft-ce que 
faire un mot de trois syllapes 
par Diérèse ? c'eft ce que Jean 
Bon n'explique pas , nfre dit ce 
jeune home. Y a -t- il là quel- 
que myftère ? Ne vous en dit- 
il pas assez , lui répliquai - je > 
quand il vous dit - que • le . mot 
ett ici de trois syllabes. Oui t 
me répondit -il , si le Cornen- 
tateur en demeuroit - là ; mais 
il ajoute que c'eft par Diérèse t 
& voilà ce que je -n'entends 
point. Dans un autre endroit il 
dit que, c'eft par Aphérèse 9 ail-» 
leurs par Epenthèse^ &c* 



xiv JFERTISSEMENT. 

Je voudrois bien , ajouta le 
jeune home , que puisque ces 
termes sont en usage chez les 
Grammairiens , ils fussent ex- 
pliqués dans quelque recueil 
oh je puisse avoir recours au 
besoin. Ce fut ce qui me fit 
venir la pensée d'ajouter l'ex- 
plication de ces termes à celles 
des Tropes. 

Come les Géomètres ont 
doné des noms particuliers aux 
diférentes sortes d'angles, de 
triangles & de figures géomé- 
triques , angle obtus , angle 
adjacent , angles verticaux > 
triangle isoscèU , triangle oxi- 
gone , triangle se alêne , triangle 
amblygont , &c. de même les 
Grammairiens ont doné des 
noms particuliers aux divers 
changemens qui arivent aux let- 
tres & aux syllabes des mots» 
Le mot ne paroît pas alors sous 



AVERTISSEMENT. X9 

sâ forme ordinaire , il prend , 
pour ainsi - dire , . une* nouvelle 
figure à laquelle les Grammai^ 
riens doneat un nom particu- 
lier. J'ai cru qu'il ne seroit pas 
inutile d'expliquer ici ces diffé- 
rentes figures , en faveur des 
jeunes gens , qui en trouvent 
souvent les noms dans leurs 
leéhires , sans y trouver Tex~ 
plication de ces noms. 

On me dira peut-être que je 
m'arrête ici quelquefois à des 
choses trop aisées & trop co- 
munes. Mais les jeunes gens* 
pour qui principalement ce li- 
vre a été fait, ne viènent pas 
dans le monde avec la conois- 
sance des choses comunes , ils 
ont besoin de les aprendre , 
& Ton doit les leur montrët 
avec soin , si Ton veut les faire 
passer à la conoissance de cel- 
les qui sont plus dificiks & 



xvj AVERTISSEMENT. 
plus élevées , parce que celle-- 
ci suposent nécessairement cel- 
les-là. Ceft dans le discerne- 
ment de la liaison, de la dé- 
pendance , de l'enchaînement 
& de la subordination des co- 
noissances , que consifte le ta- 
lent du maître. 

D'autres au contraire trouve- 
ront que ce Traité contient des 
reflexions qui sont au-dessus 
de la portée des jeunes gens , 
mais je les suplie d'observer que 
je supose toujours que Içs jeu- 
nes gens ont des- maîtres. Mon 
objet eik que les maîtres trou- 
vent dans cet; ouvrage les ré- 
flexions & les exemples dont 
ils peuvent avoir besoin, si ce 
n'eà pour eux-mêmes , au moins 
pour leurs élèves. ÇTe# ensuite 
aux maîtres, à régler l'usage de 
ces réflexions &. de ces exem- 
ples , selon les lumières , les 



AFERTISSEMENT. xvîj 
talens & la portée de l'esprit 
de leurs disciples. C'eft cette 
conduite qui écarte les épines, 
oui done le goût des lettres j 
de -là l'amour de la le&ure , 
d'où naît nécessairement l'ins- 
truÊHon , & l'inftruftion fait le 
bon citoyen, quand un intérêt 
sordide oc mal entendu n'y for- 
me pas déposition* 




ERRATA. 

J b ne crois pas qu'il y ait de fautes ty- 
pographiques dans cet ouvrage par l'atention 
ces Imprimeurs, ou s'il y en a elles ne sont 
pas bien considérables. Cependant , come 
il n'y a point encore en France de ma- 
nière uniforme d'ortographier, je ne doute 
pas que chacun , selon ses préjugés , ne 
trouve ici un grand nombre de fautes. 

Mais, î. mon cher Leâeur, avez -vous 
jamais médité sur l'Ortographe ? Si vous 
n'avez point fait de réflexions sérieuses sur 
cette partie de la Grammaire , si vous n'a- 
vez qu'une ortographe de hazard & d'ha- 
bitude , permettez -moi de vous prier de 
ne point vous arêter à la manière dont 
ce livre eft ortographié , vous vous y acou- 
tumerez insensiblement. 

a. Etes -vous partisan de ce qu'on apèle 
anciène ortographe? Prenez donc la pei- 
ne de mettre des lettres doubles qui ne se 
prononcent point , dans tous les mots que 
vous trouverez écrits sans ces doubles let- 
tres. Ainsi ," quoique selon vos principes il 
faille avoir égard à l'etymologie en écri- 
vant , & que tous nos anciens auteurs > 
tels que Villehardouin , plus proches des 
sources que nous , écrivissent home , de 
homo , persone depersona , honeur , de ho- 
nor , doner de donarc , naturèle de natura* 
lis , &c. cependant ajoutez une m à Ao- 
me, & doublez les autres consoncs , mal- 



ERRATA. i 9 

5 ré l'étymologie & la prononciation , & 
onez le fiom de novateurs à ceux qui sui- 
vent l'ànciène pratique. 

Ils vous diront peut-être que les lettres 
sont des signes, que tour signe doit signi- 
fier quelque chose, qu'ainsi une lettre dou- 
ble qui ne marque ni Pétyrtiologie , ni la 
prononciation d'un mot, eft un signe qui 
ne signifie rien, n'importe : ajoutez- les 
toujours, satisfaites vos yeux, je ne veux 
«en qui vous blesse; & pourvu que vous 
vous doniez la peine d'entrer dans le sens 
de mes paroles , vous pouvez faire tout ce 
qu'il vous plaira des signes qui servent à 
l'exprimer. 

Vous me direz peut • être que je me suis 
écarté de l'usage présent r mats je vous su- 
plie d'observer, i. Que je n'ai aucune ma* 
nière d'écrire qui me soit particulière, & 
qui ne soit autorisée par l'exemple de plu* 
sieurs auteurs de réputation. 

Le P. Bufier prétend même que fe 
grand nombre des Auteurs suit aujourd'hui 
la nouvèle ortographe , c'eft - à - dire qu'on 
ne suit plus exactement l'ànciène. J'ai trou- 
vé la nouvèle Ortographe , dit-îl, ( Gramm» 
Franc, pag. 388. ) dans plus des deux tièJs 
des Livres qui s'impriment depuis dix ans* 
Le P. Bufier nome les Auteurs de ces H* 
vres. Le P. Sanadon ajoute que depuis la 
suputatîon du P. Bufier le nombre des par- 
tisans de la nouvèle ortographe s*efl beau- 
coup augmenté & s'augmente encore tous le* 
jours. ( Poésies d'Horace. Préface , page 



20 E RTIA T A. 

*vn. ) Ainsi, mon cher . Leâeur % je con* 
viens que je m'éloïene -de votre usage ; 
mai» selon le P. Buner & le P. Sanado», 
je m,e conforme à l'usage ïe plus suivi. 
' .3. Etes -vous partisan de la nouvèle or- 
tographe ? Vous trouverez ici à réformer. 
Le parti de l'anciène ortographe & ce- 
lui de la nouvéië se subdivisent en bien 
des branches : de quelque côté que vous 
soyez , retranchez ou ajoutez toutes les 
lettres qu'il vous plaira f & ne mecondâ- 
nez qu'après que vous aurez vu mes rai- 
son» dans mon Trait.é de TOrtographe» 



T A B LJ. 

. T,rV , , f. 

PREMIERE PARTIE. 
Des Tropes ea géaéral. 

Art. 1.JL due générale des figures. 

pag. i. 
Art. II. Division des figures. - 14. 
Art. III. Division des figures de mois. 

ij. 
Art. IV. Définition des Tropes. 17. 

* -Art. V. Le Traité des Tropes eji du 
" ressort de la Grammaire " ; on. doit 

conoîtreles Tropes pour bien entendre 
les auteurs & pour avoir des concis- 
sances exactes dans l'art de parler 
& d'écrire. 22. 

^Réponse a une objeliiorU 24. 

* Ai*t. VI. Sens propre , Sens figuré. 16. 
Art. VII. Réflexions générales sur le 

sent figuré.'- 3.°» 

1. Origine du sens figuré* ibiçL 

\ 1 . Usages ou éfets des Tropes. 3 1 . 
1 1 1 , Ce qu'on doit observer* & ce qu'on 

* doit éviter dans Fusage *<!Lcs tropes » 
& pourquoi Us plésm* ity 



TABLE. 

iv. Suite des réflexions générales sur 
le sens figuré. 42. 

V, Observations sur les Diclionaires 
latins- françois. 45. 

■ r 1 H 1 . ; 1 . ■ 

SECONDE PARTIE. 
Des Tropes en particulier. 

JljA CatachrèfCj abus j extension 
ou imitation. 52. 

II. La Métonymie. 76. 

III. La MétaUpse. 104. 

IV. La Synecdoque. .113. 

V. V Antonomase. 152. 

VI. La Comunication dans tes paro- , 
les. 143. 

VIL La Litote. _ 145; 

. VIII. L'Hyperbole, * 47^ 

IX. L'Hypotyppse, 1 5 1 . 

X. La Métaphore. 1 5 $ . 
Remarques sur le mauvais usage des 

métaphores. 170. 

«XL La Syllcpse Oratoire* \iG. 

XJ1. L'Allégorie. 178. 

XIIL V Allusion. 188. 

• /£IV. V Ironie. .... }99* 

2ÇY, L'Euphémisme, %> o 1, 



TABLE. 

X VI. L'Antiphrase. 1 1 6 9 

XVII. La Périphrase. 2io f 

XVIII. L'HypaUage. i x? t 

XIX. L'Onomatopée. 242. 

XX. Qu'un même mot peut être dou- 
blement figuré. 2 4 j # 

XXL De la subordination des tropes ^ 
pu du rang qu'ils doivent tenir les uns 
à l'égard des autres j & de leurs ca~ 
ratières particuliers. 24 8. 

XXIL 1. Des tropes dont on n'a point 
parlé. 
il. Variété dans la dénomina- 
tion des tropes. 2 5 j , 
XXIII. Que l'usage & l'abus des tro* 
pes sont de tous les (ems & de tou- 
tes les langues, 25 S, 

TROISIÈME PARTIE, 

JLJ E$ autres sens dans lesquels un 
même mot J>cut être employé dans 
le discours. 16 j. 

I. Subjlantifs pris adjectivement ^ adjec-t 
tifs pris subftantivement j subjlantifs 
& adjectifs pus adverbialement. 264, 

Jl.Senj dçterm'uiépSCiff indétcrniïné.i'jÇt 



TABLE. 
.III. Stns actif \ sens passif j Xens neu» 

tre. . 172,. 

IV. Sens absolu j sens relatif. 27 9. 
V* Sens collectif, sens diflributif 280. 
VI. Sens équivoque j sens louche. 18 1 . 
VIL Des jeux de mots & de la;Paro- 

nomase» xi 6. 

VIII. Sens composé ; sens divisé. 289. 
JX. Sens l'itérai ^ sens spirituel. 292. 

Division du sens litéral. ip 3 . 

Division du sais spirituel. 301. 

Sens moral. ibid. 

Sens allégorique. 303. 

Sens anagogique. 307. 

X. Du sens adapté j ou que Von dont 

par allusion. - ^ 308* 

Remarques sur quelques passages 
adaptés à contresens. 309.. 

Suite du sens adapté. De la Parodie 

& (Us Cantons. 317. 

XL Du sens abftrait % sens concret. 3 vj k 

Des Termes abftraits. 331. 

Réflexions sur les abjlraciions par rap- 
port à la manière <t enseigner. 3 4.5, 
,XIL Dernièrç observation. S'il y a des 

mots synonymes. 330. 

Fin de la TaWç. 

DES 



■ 










Wa 


' , . " 


•MHS^éBb 




•*sfi 


K 


uc« 


m 




pfssp 



















DES TROPES 

ou 

DES DIFÉRENS SENS 

<P<wj lesquels an peut prendre un même 

mot dans une même langue. 



PREMIÈRE PARTIE, 
Des Tropes en général. 

m ■" ; ' ' ■ ' ' ' i m* 

ARTICLE PREMIER. 

Idées générales des Figures. 

Avant que de parler des Tropes 
en particulier , je dois dire un moc 
des figures en général , puisque les 
Tropes ne sont qu'une espèce de 

£gures. 

^ A 



i Des Tropes 

On dit communément que /£* j?£zr- -\ 
r§s sont des manières de parler elofc \ 
gtiées dç çellçs\$m sont nattirèles & jor+* t, 
dinaîres*: que ce sont de certains tours" 
& de certaines façons de* s'exprimer* 3 
qui **él&lgnent^ en quelque tkose de là 
manière comune & simple de parler : ce 
qu? ne '" verft $fç autre* chose ,, sinofc 
que les Figures sont des minières de 
parler éloignées de belles qui ne sont 
pas figurées , $c qu'en va mot les Fi- 
gures sont des Figures /& ne sont^ 
pas « qui n'eft pas Figures. 

D'ailleurs ,. bien loin que les Fi- 
gures soient des manières de parier 
éloignées de celles qui sont naturèles 
& ordiriaiçes ; il it'y a rien de si nâtu- 
rel , dé si ordinaire , & de si comun 
que les Figures dans* le lahgage^des 
eu>*. dé /tfhdttWs.'M, de Bretteville , après aVôif 

Chaire & du fa q ^ fo F^UfeS TX SMt àUtTC cflOSC 
Barreau* L. 3 J * . °^ r ,, • c j 

111. cA.it- i ue de certains tours a expression & de 
pensée dont on ne se sert point comuné- 
menty ajoute « qu'il n'y a rien de si aisé* 
» Se de si naturel. * J'ai pris souvéïft * 
i3 plaisir , dit il , à entendre dbs paysans 
j> s'entretenir avec des Figures de dis- 
•> cours si variées , si vives , si éloignées 



•EN èÉNlRAL f 

*> dt* vulgaire, que j'avois honte d'a- 
*» voir fi long*tems écudié^réloquence , 
t> venant en eux une certaine Rhétoti* 
» *jue de nature beaucoup plus persua- 
» sive , & plus éloquence que toutes 
» nos Rhétoriques attifictèles* » 

>En éfet* je suis persuadé qu'il se 
feit plus de Figure* un joue de mar- 
ché à la Halle 9 qu'il ne s'en fàic en 
plusieurs jours d'assemblées académt- ; 
ques. Ainsi , bien loin que les Figu- 
re» s'éloignent du langage ordinaire ^ 
des homes 9 ce seroient. au , Contran 
reles façons de parler sans Figures 
*jqi s'en étoigaerotent , s'il'écoit- pos- 
sible de faire un disc<ntfs;QÙ il n'y 
eût que^des expressions, non figurée*. 
Ce sont encore les façons de parie* - 
recherchées , les Figures deplacçe$ - f 
Se. tarées xle kân ,*qui s'écartent. d& la» 
manière camune & Simple de parler j 
conre tes. parures affe&œs s'éloignent 
de Ja manière de s'habiller y qui eft 
en tisage patfâi 4es hdhçte* %àns*y ' 

"Lès Aperces étoient persécutés ^ f ée» 
ils soiifroiént pàriénhtrnr lës w p&tsé^ u 
<u^ons\ Qu'y a - 1^ \l ûp J pltfs natiî-^ 
reï & 'de; moins éloigné ui(\a,ngagô^ 

A i 



4 Des Tropes 

ordinaire 3 que la peinture que fek 
S. Paul de cette situation & de cette 
condçké des Apôtres ? * « On nous 
» maudit , & nous bénissons : on 
» nous persécute , & nous soufrons 
» la persécution x on prononce des 
«> blasphèmes contre nous , & nous 
•> -répondons par des prières. » Quoi- 
qu'il y ait dans ces paroles de la sinv* 
plkrcé, de la naïveté , -& quelles ne 
s'éloignent en cien du langage ordi- 
natre ; cependant elles conaèoent une 
# fort belle Figure qu'on apèle antuhè* 
se j c'eft-à-dire , opposition t maudit 
eftoposé à bénir > persécuter à soufrir % 
blasphèmes à prières. 

Il n'y a rien de plus comun que 
d'adresser la parole à ceux à qui 1 on 
parle , & de leur faire des reproches 
quand on neft pas content de leur 
conduite; ** O Nation incrédule & 
méchante ! s'écrie Jesus*Ghrift , jus- 

• Makdicimur $ Se beftedtcimtis ; perstçu* 
ë&nra pâtimur , &. suginémus : bl?sphemi- 
swr, &• ©hsecràmus i. Çp{. ç» 4, v. 1 2. 

* * © geiter&tio incrédula & pervérsa , qu* 
jusque ero vobiscum ! Quo usque pâxiar yo$ 



EN GENERAL. J 

ijucs k quand serai-}* dyec vous ! jus- 
ques à quand aurai*] e à vous soufrit ! 
C'eft une Figure très-simple qu'on apè- 
fe apojtfophe* ' 

M. Flêchîer au comencement de On*, ftmfc 
son 0**i$ori funèbre! de M. du Tii-!^^** 
rêne, voulant donner une idée gé-£^ r ^ r 
nérale des exploits de son Héros , 
dit <c conduites d'arméey, sièges de 
» places y prises de villes , passages de 
n rivières , attaques hardies > retraites 
» honorables , campemens bief* ot- 
» donnés, combats soutenus^ batail- 
le lès gagnées, énemis vaincus par la 
»» force , dissipés par l'adresse , lassés 
'w par une sage & noble patience : 
» Où peut -on trouver tant & de si 
.»» puissants exemples , que dans les 
•» a&ohs d'un home , &c. » 

II me semble qu'il n'y a ri^n dans 
tes paroles qui s'éloigne du langage 
militaire le- plus simple •> c'eft là ce- 
pendant Une Figure qu'on apèle con- 
certes j amas, assemblage. M. FI ê- 
chîer la termine en cet exemple y par . 
une autre Figure qu'on apàie interro- 
gation y qui eft encore une .façon de 
parler , fort triviale dans le langage 
erdinairç, À 3 



•d Des Troues 

Dans rAndriène-de Térence > S*~ 
> mon se croyant trompé pat, son, fils* 
AnfcA&Y. lui dit » Q&ârf ais omfuum. . .'Qufe dis- 
$r , j». y. > tu le plus. . . vous voyez que k pro- 
position n'eft poijrt litière >[ nwis le 
sens^fait voir que ce père vouloit dite 
.à, son fils y Que dis-tu 4e plus tyosbant 
de tous I& homes J Ces façon* 4e 
parler .dans, lesquelles ,il. eft évidebt 
qij'il fauf supléer des. tP9?S * pour 
achever d'exprimer u*ie; pensée iq«e la 
vivacité de la, passion $e qoçt&ité de 
faire entendre > sont fort ordinaires 
dans le langage des homes. On apèle 
cette Figure Ellipse \^ ceft-à-dire > 
omission» 

Il y a , à la vérité » quelques 'Fi- 
gures qui np sont usitées que dans Iç 
ftyle sublime : telle eft la prosopopée 3 
"qui consifte a faite parler un mort % 
une personne absente , ou même les 
Ora't. funè- choses inanimées. « Ce tombeau s'ou- 
fcrcdeM.de»> vriroit > ces ossemens se. rejoin- 
JMooiauiier. „ droiçnt pour me dire . ^ Pourquoi 
f> viens -tu mentir pour moi, qui ne 
» mentis Jamais pour personne? Laisse* 
y moi reposer dans le sein de la vérité * 
* & ne viens pas. troubler nu paix » 
1 



. fc'tf Gé'NiRÀl. 7 

n par la flaterie que j'ai haïe. » C7eft 
âîrrsi cj.ue M. Flêchïer prévient ses au- 
diteurs, & les assure par cette proso- 
popëe , tjue îa v flaterie n'aura point de 
part dans l'éloge qu'il va faire de M. 
le Duc de Montausieî:. 

Hors un petit nombre de figures 

semblables , réservées pour le ftyle 

âevé, les autres se trouvent toits les 

'Jours dafns le ftyle' le plus SÏmple , & 

dans le langage' le plus cdmun. * • 

Qu'eft - ce donc que lés. Figures ? 
Ce mot se prend ici lui-même dans 
un sens figuré, C'eft une métaphore. 
Figure j dans le sens propre , eft "la 
forme extérieure d'un corps. Tous 
les corps sont étendus j mais. outre 
cette propriété générale d'être éten- 
dus , ils ont encore chacun leur fi- 
gure & leur forme particulière , qui 
* fait que chaque corps paroît à nos 
yeux diférent d'un autre corps 5 il 
eii efï de mêthe des expressions' fi- 
gurées ; elles 1 font d'abord cônoître 
ce qu'on pense ; elles ont d'abord 
cette propriété générale <jtti convient 
à toutes les phrases* & à tous les £$- 
iemblages démet y & qui ronsiftê 

A 4 



,8 Dçs Tropu 

t i signifier quelque chose , en. vertu 

de la conftru&ion grammaticale ; mais 

de plus les expressions figurées ont 

encore une modification particulière 

3ui leur eft propre > & c'eft en vertu 
e cette modification particulière , 
que Ion fait une espèce à part de 
chaque sprte de figure. 

L'antithèse , par exemple % eft dis- 
tinguée des autres manières de par* 
Ter , en ce que dans cet assemblage » 
de mots qui forment l'antithèse , les 
mots sont oposés les uns aux autres;; 
ainsi quand on rencontre des exemples 
de ces sortes dépositions de mots*/ 
on les raporte à l'antithèse* 

Lapoftrophe eft diférente des au>- 
tres énonciations , patce que ce n eft 
que dans l'apoftrophe quon adresse 
tout d'un coup la parole à quelque 
persone présente, ou absente, &c. 

Ce n'eft que dans la prosopopée 
que Ton fait parler les mort? , les 
absents* ou les êtres inanimés : il en 
eft de même des autres figures > elles 
ont. chacun? Içur caraâère particu- 
lier, qui les diftingue des autres as- 
semblages.de mots , qui font un sent 



EN GÉNÉRAL, $ 

dans le langage ordinaire des homes. 
Les Grammairiens & les Rhéteur* 
gyant fiât des observations sur les 
«fiférentes manières de parier, ils ont 
fait des' classes particulières de ces 
différentes manières ,. afin de mettre 

J>lus d'ordre & dérangement dam 
eurs réflexions. Les manières de par- 
ler dans lesquelles ils * n'ont remar- 
qué d'autre propriété -que celle de 
faire conoitre ce qu'on pense > sont 
apelées simplement phrases » expres- 
sions y périodes ; mais celles qui ex- 
priment non seulement des pensées , 
mais encore des pensées énoncées 
d'une manière particulière qui leur 
donne un cara&ère propre , celles- 
là , dis* je , sont apelées Jlgures 3 
parce qu'elles paraissent, pour ainsi- 
dire, 'sous un&<fbrme particulière, 
& avec ce caraûère propre qui les 
diftingue les unes des autres, & de 
tout_ce qui n'eft que phrase ou ex- ' 
pression. 

M, de la Bruyère dit « qu*tf y a S*VdJ 
» de certaines chofes dont la médio-^ftST 
» crité^eft insuportable : la poésie , 
» la* muëque^'U. peinture ,& le dis- 

A v 



ia Pes Trop es 

»>&>nts public. »? .11 n'y a. point Efe 
de figure jrceft-à-dke , que toute 
cetcq phraa^iiie;f#rautœchQÎfte que©» 
primer 1* pensés, de M., de JœBfuyàK 
te. , • sans avoir de plus, un de ce», 
tpurç. qui ont un ,caraâtère t pattiak- 
Jkn Mais quand il ajoute** "a Quefc 
» supiice que d'entendre déclamer 
»,, pompeusement un froid: dîaçoutfr * 
« ou prononce* de Anédipçtes vejs, 
* na-yf c , emp hase ! *--ç'eft la même 
pensée > m de : pi$$,eHe eft expûr 
niée' sous 1^ forme particulière de lfe 
surpxise y de radmkatk>0; :> é'eft une 
%u*e. ; . . 

fmagihez^vous pour un moment 
une. multitude de soldats , dont les, 
uns ntont que rhabij: oçdinaire; qu'ils, 
ayo^ôni ^yapcleui engagements Sç 
le$ autres. Qnt v j'hglgt. .uniforme, de 
ietm.negimenjt, : ceux-ci, ont tous un 
àabij: qui* les diftiagua % *fic qui fait 
jconoifre de qu^l xqgiment ils sont j; 
les uns sont habillés de roqge , les 
. autr§$ de bleu > de tbpc, dé, jàvpe >r 
&c. Il ça eft d^mfrpe dâs assem- 
blages de mois qui cop^po^enc le dis- 



EN GÉNÉRÂÉ. 1t 

tel mot -, une telle phrase à urte teHe 
espèce de figure , selon qu'il y re- 
ronoit la forme .» le .• signe ' , le ca- 
*a&ère de cette, figure ; les phrase* 
& les mi>t$ qui n'ont la marque d'au- 
cune figure particulière , sont corne 
les soldats qui n ont l'habit d'aucun 
féeiment j elles, n'ont d'autres - mcy 
dincations que celles qui sont néces- 
saires pour faire conokre ce qu'on ^^ 
pense. /. " y. [ ! • ^ • t\ -C 

Il ne faut point . détoner si les v 

figure» , quand elles sont employées ^ ' h ' 
à propos t donent de la vivacité » 7* .**••'* 
de la. force, ou de la grâce au dis- 
cours ^ car outre la propriété d'ex- 
primer les pensées > corné : tous les 
autres assemblages de mots , elles ont . 
encore , si fose parles ainsi y F avani- 
tage de leur habit , ^v^x dire, de" 
leur modification particulière , qui sert 
à réveille* ^acenâon- *'iài plaire iîou 
a.tiouçher^ , Mm < ^sU^c..- *> ^ 
.^ ; Ma|s A ayoiqije les.figufts.bîetfflar 
cées embélissent le discours, âcqulej-f 
les soient » pour ainsi dire » le lansa-* . .. ,* 



%4 D*$ f ROPE5 

de pensée * sans avoir d'autre mdrfifiF^ 

çàtion pwrciculiè^ ~>. -- 

— ——————— ■■ mu iiw^t— A^— wi^— — » 

A RTICLÊJL 
Division des Figures. 

V/h divise les figures en figures <J< 
^^^ pensées, figura scntenàdrum , $ché*r 
tô, attitude. /na/a ; & eu figures de mors^J?* 
^wne verbàrum. Il y a'cette difé^en*- 
ce , dit CLcéron , ^* entre les, figu?? 
tes de pensées & les figures de mv>t§ > 
que les. figures de. pensées dépens 
dent uniquement du tou£ de l'ioaa^ 

finatiot* ; elles ne consiftent que dan$ 
i. manière particulière de penser 01* 
de sentir , ensorte que la figure de$ 
meure toujours la même , quoiqp art 
viène à changer les mçfs qui l'ex^ 
priment. De quelque . manière quô 
M. Fiechjer eut tyt parlez M* d& 

. * Inter ^0nformatî6nçm verbqrum à Sefltr 
teatUtMn hoc iptereft , qubd verbçrum.t^lk 
tur , si verb.a. mutaris r . sententiâjrum, pérm^ 
^et , xjuibuS(CÛm<|a^ verbis ut£ ydi* # Ck+Âg 



EK OÉNiRAL tj 

Montausier dans la prosopopée que 
j'ai . «portée ci-dessus, il auroiç toc 
une - prosopopée. Au contraire . , les 
figures de mots sont telles que. si 
vous changez les paroles , la âgtue 
s'évanouit ; pat exemple > lorsque 
parlant d'une aimée navale , je dis - 
qu'elle éroit composée de cent voiles:} 
c'eft une figure de mots dont nous 
parlerons dans la suite ij voiles eft là 
pour vaisseaux.: que si je subftitue-le- 
mot de vaisseaux à celui de voiles + 
l'exprime également ma pensée y mai» 
il n y a plus, de figure* 



ARTICLE IIL. 

$ &wision de* figures de fnçts* 

JLir y a quatre différentes sortes dé 
figures qui regardent Içs mots» 

i°». Celles, que les • Grammairiens 
apèlent figures de diction : elles re- 
{patent les chaugemeits qui privent 
-dans le? lettres, ou. dans les syllabes 
îles mots ; celle eft , pac exemple.» 
k &y^cope v t c'eft te i<xm>&mM& 



itf E>&$ Tropes 
d'une lettre au d'une syllabe au mî* 
lieu d'un mot * scuta virûm pour vi- 
rérum. 

i 9 . Celles qui regardent unique- 
ment la conftrudion ; par exemple, 
lotsquHorace parlant de Cléopatre 9 
£. r. 04 j?, dit monfimm , qua... nous disons en 
r# tu fomçois la plupart des homes disent 3 
& non pas dit. On faut alors la cons» 
trudion selon le sens*. Cette figure 
s apèle syllepse* J'ai traité ailleurs de 
ces sortes de figures , ainsi je n'en 
parierai point ici. 

5°. Il y a quelques figures de 
mots , dans lesquelles les mots con- 
servent leur signification propre, telle 
eft la répétition, &c. Ceft aux Rhé- 
teurs à parler de ces sortes de figu- 
res , aussi bien que des figures de 
pensées. Dans les unes Se dans les 
autres , la figure ne eonsifte point 
dans le changement de signification 
dc^ mots, ainsi elles ne sent point 
de mon sujet. - 

4°.-Enfin il y a des figures de mots 
qu'on* apèle Trapes ; les mots j>rè» 
nest par ces* figures des significations 
difèsentes défont signification ptçpre* 



EN GÉNÉRAL. 17 

Ce sont là les figures donc j'entre- 
prens de parler dans cette partie de la 
Grammaire. 



ART I CL E IV, 
Définition des Tropes. 

JLi t s Tropes sont des figures par le*~ 
quelles on fait prendre à un mot une 
signification , qui n^ft pas précisé* 
nient la signification propre de ce 
mot : ainsi pour entendre ce que c'eft 
qu'un trope , il faut comencer par 
bien comprendre ce q lie cçft que là 
signification propre d'un mot ; nous 
1 expliquerons bientôt. 

<Jes figures «ont apelées tropes du */>**•*» 
grec tropos coovérsio j dont la racine . T ^ ?wr * 
eft trepe y verto , je tourne. Elles sont 
ainsi apelées , parce que quand on 
prend un mot dans Je sens figuré , 
on le tourne > pour ainsi dire , afin 
de lui faire signifier ce qu'il ne signi- 
fie point dans le sens propre : voiles 
dans le sens propre ne signifie point 
vaisseaux + l& VoUeà ne sont qujunt 



ïS I>es Tropës 

partie du vaisseau : cependant' vôUei 
se^it quelquefois pour vaisseaux , co- 
rne nous l'avons déjà remarqué'. ' 

Les trqges .sont des. figuras. ». puis- 
que ce sont des manières de parler , 
qui , omte la propriété de faire co- 
noître. ce qu'on pense , sont encore 
distinguées par quelque difërence par- 
ticulière , qui fait qu'on les raporre 
•chacune à une* espèce à part. — - 
Il y?a dans les ttopes une modi- 
fication ou diféèence générale q\ii les 
rend^tropes, & qui les diftingiïe des 
ancres figures : elle consïfte en ce 
qu'un mot" eft pris dans une signi- 
fication qui n ? eft pas précisément sa 
signification propre , mais de plus 
chaque trope -dircre d'un autre troî- 
îpe , & cette difétenee particulière 
consifte dans la manière dont un mot 
s'écarte de sa signification propre £ 
par exemple^ // n'y a plus de Pyré* 
nées* dit Louis XIV, d'immoitèle 
mémoire, lorsque son petit -fils te 
Pue d'Anjou , aujourd'hui Philippe 
¥• fut apelé à la Couronne d'Espa^ 
;ne. Louis XIV. voulpit-il jdire qoe 
es Pyrénées av oient éti abimées oU 



g 



Eft général; 19 

•anéanties"? nulement : persone n'en- 
tendit éettë expression à la lettre, Se 
* àins le sens ptofré ; elle avoit ~\m 
sens figure. Boiteau faisant allusion , 
à ce qtfën» 1 6^4'. le *Roi envoya au 
secours de l'Empereur des troupes qui 
défirent les Turcs , & f encore à ce 

3ue r Sa Mâjéfté établit 1* compagnie 
es * Indes , *dit~: ' - - ~ 

Quand je vois ta sagesse. ....... 

[ Rendre à Y Aigle éperdu sa premi è re vigueur , Discount 
La France sous tes loix maîtriser la Fortune , afl ^ oi » 
Et nos vaisseaux donnant Tun & l'autre Nçg- 
tunc. . . . . 

Ni XAigk ni Neptune ne $e pre- 
nant point là dans le «ens propfe. 
Telle eft la modification ou diféren- 
ce générale 5 qui fait que ces façons 
<le parler sont des tropes. 

Mais quelle espèce particulière de 
trope ? cela dépend de la manière 
dont un mot s'écarte de sa signifi- 
cation propre pour en prendre un 
autre. Les Pyrénées dans le sens pro- 
pre , sont de hautes montagnes qui 
«éparent la France & l'Espagne. U 
n'y a plus de Pyrénées , c'eA-à-dire* 



pkis de séparation , plus de piston; 

fias de guerre : il n'y aura plus i 
avenir qu'une bone intelligence €**• 
are la France & l'Espagne : c'eft çne 
métonymie da signe , ou une méca- 
lepse : les Pyrénées ne seront plus un 
signe de séparation. , • • , , 

L'Aigle eft le symbole de FEmpiret 
FEmpereuf porte un -.aigle, à dçt|x t$- 
tes dans ses armoiries : ainsi , clans 
l'exemple cjue je viens de .reporter, 
ïàigle signifie l'Allemagne. C'eft îe 
signe pour la chose signifiée : c'eft une 
métonymie. 

Neptune étôit le Dieu «le la mer ; 
i! eft pris dam le même exemple pour 
l'Océan 5 pour la mer des Indes orient 
taies ,& occidentales t c'eft encore 
une métonymie. Nous remarquerons 
dans la suite ces diférences particu- 
lières qui font les diferentes espèces 
de tropes. . * 

** II y a autant de tropes qu'il y a 
. de manières diférences , par lesquelles 
on donne à un mot une signification 
qui n'eft pas précisément la signifi- 
cation propre de ce root. Avcugkt 
dans le sens propre > signifie une per- 





EN GÉNÉRAL. *I 

*one qui <eft privée de l'usage de la 

vue : si Je me sers de ce mot pour , 

marquer ceux qui ont été guéris de 

leur aveuglement % corne quand Jésus* Matt. +XU 

Ciirift a dit , les aveugles voient , alors **/• 



aveugles n eft plus dans le sens pxo~ 

5>re > il eft dans un sens que les rhi- 
o$ophes apàlent sens divisé : ce sens 



divise eft un trope , puisqu'alors aveu- 
gles signifie ceux qqi ont été aveu* ' 
gles , •& non pas ceux qui le sont* * 
Ainsi outre les tropes dont on parle 
ordinairement , j'ai cro qu'il ne sçroit 

Îa6 inutile ni étranger à mon sujet , 
'expliquer encore ici les autres sens 
dans lesquels un même mot peux ètt* 
pris dans le discours» 



■#k 



^5j^ 



y 



1% DesTroses 

' • ■ ■ ■ ■ ■ ■■ «^ t , . 

A R T I G LE V. 

Le traité des Tropes ejl du ressort 
4e la Grammaire. On doit conoi- * 
ire les~ Tropes pour bien entendre 
les Auteurs , & pour avoir des cfr 
noissances exactes dans l'art de par* 
1er fy d'écrire. 

A» refte ce traité me pajroît être 
'une partie < .essentièle de la Gram- 
maire y puisqu'il eft du ressort de la 
Grammaire de fai*e entendre la vé- . 
ri table signification des mots , & ea 
quel sens ils sont t employés, dans le 
discours. 

Il n'eft pas possible de bien expli- 
que* l'Auteur même le plus facile , 
sans avoir recours^ aax conoissances 
dont ie parle icii Les livres que Ton 
met aabprd entre le* mains des co- 
mençans , aussi- bien que les autres 
livres , sont pleins de *- ors pris dans 
é^s sens détournés & éloignés de la 
première signification de ces mots j 
par exemple -: 



£]pr ÇÈNÉR AL 2J . 

Tityre, tu pâtulae, récubans sub tégmine yj rg- £^g 

•Sy lvéftrem , tcnui , iftusam medhâris ,, 
avénà» 

Vous médite^ une Mu^e y c'eft-à- 
dire, une chanson j vous vous exerce^ 
à chanter. Les Muses étoient regar- 
dées dans le Paganisme * corne les 
Déesses qui inspiroient Jes Poètes & 
\ les Musiciens : ainsi Musc se prend 
ici pour la chanson même , c'eft la 
i cause pour Féfet j c'eft une métony- 
I mie particulière , qui étoit en usage 
en larin j nous l'expliquerons dans la 
suite/ 
i Avéna dans le sens propre , veut 
( dire de YAveine ' : mais parce que les 
\ Bergers s£ servirent de petits tuyaux 
[de blé ou d'aveirie.pour en faire une 
r sotte de flûte, corne font encore les 
enfans à îa campagne \ de là par ex- 
tension on a'apelé àvéna un Chalu- 
meau, une ftûte de Berger. • 
» 'Gh trouve un grand nombre de 
ces* sortes de figures dans lé Nouveau 
Tèftamèrit, dans limitation de J. C. 
dans tes febles' dis Phèdre , en uh 
mot, dan$ les livres mêmes qui sont 



44 De $ Tro*e,$ 

écrits le plus simplement , & par les' 
quels on comence : ainsi je demeure 
toujours convaincu que cette partie 
n'eft point étrangère à la Grammaire» 
& qu un Grammairien doit avoir une 
-.s , conoissance détaillée des tropes. 
«ne Qbjec- J e conviens f si 1 on veut , .qu on 
tion. pept bien parler sajis jamais avoir 

apris les noms particuliers de ces fi- 
gures. Combien de persones se ser-» 
vent d'expressions métaphoriques f> 
sans 




Molière q u e 

Bourg, avoir 

* G€nta - aft *eeois- 4 Gentilhome disait V< la Prose* 
sans qu il en sut rien. Ces conoissan- 
ces ne sont d'aucun usage .pour faire 
un compte , ni pour bien conduire une 

■ii^ît ^Matàn±Cam& cfcr M*. Jourdain , mais 
elles sont utiles & nécessaires a ceux 

3ui ont besoin de l'art de parler ôç 
écrire ; elles mettent de l'ordre dans 
Us idées quon se forme des motsj 
elles servent à démêler le vrai sens 
des paroles , à rendre raison .du dis- 
cours , Se donent dé la précision & de 
la juftesse. .- \ 

Lés Sciences & les Arts ne son 

que 



EN GÉNÉRAL. 15 

«jue des observations sur la pratique : 
f usage Se la pratique ont précédé tou- 
tes les sciences 6c tous les arts ; mais 
les sciences & les arts ont ensuite per- 
fe&iôné la pratique. Si Molière n'a- 
voit pas étudié lui-même les observa- 
tions détaillées de lart de parler 6c 
d'écrire > ses pièces n'auroient été que 
des pièces informes, où le génie, à la 
vérité y auroit paru quelquefois , mais 
qu'on auroit renvoyées à l'enfance de 
la Comédie : ses taléns ont été perfeç- 
tîonés par les observations , 6c c'eft 
lart même qui lui a apris à saisir le 
ridicule d'un art déplacé. 

On voit tous les jours des persones * 
qui chantent agréablement , sans co- 
noître les noces , les clés , ni les règles 
de la Musique , elles ont chanté pen- 
dant bien des années des sol 6c des fa, 
sans le savoir ; faut -il pour cela qu'el- 
les rejètent les secours qu'elles peu- 
vent tirer de la Musique j pour per- 
feâioner leur talent? 

Nos pères. ont vécu sans conoître 
la circulation du sang ; faut-il négli- 
ger la conoissance de l'Anatomie ? 6c 
ne faut-il plus étudier la Physique , 

B 



i6 Des Tropes: 
parce qu'on a respiré pendant plu* 
sieurs siècles sans savoir que l'aie eût 
de la pesanteur & de l'élafticité ? 
Tout a son tems & ses usages , & 
Molière nous déclare dans ses préfet 
ces , qu'il ne se moque que des abus 
& du ridicule. 



ARTICLE VI. 
Sems Propre ^ Sens 'Figuré. 

Avant que d'entrer dans le dé- 
tail de chaque Trope , il eft néces- 
saire de* bien comprendre la diféren- 
ce qu'il y a entre le sens propre Se 
le sens figuré. 

Un mot eft employé dans le dis- 
cours , ou dans le sens propre 3 ou 
en général dans un sens hguré , quel 
que puisse être le nom que les Rhé- 
teurs donent ensuite au sens figuré. 

Le sens propre d'un mot , c'eft- 
îa première signification du mot. Un 
mot eft. pris dans le sens propre , 
lorsqu'il signifie ce pourquoi il a été 
premièrement établi \ par exemple : 
. Le feu brûle j la lumière nous éclaire 3 



fe N GÉNiilÀL. 17 

tous ces mots -là sont dans le sens 
propre. 

Mais quand un mot eft pris dans 
un autre sens , il paroît alors , pour 
ainsi dire*, sbus une forme emprun- 
tée , sous une figure qui n'eflf pas sa 
figure naturèle , c'eft>à-dire f celle 
qu'il a eue d'abord j alors on dit que 
ce mot eft au figuré j par exemple : 
Le feu de vos yeux > le feu de l'ima- 
gination j la lumière de l'esprit j la 
clarté d'un discours. 

Masque dans le sens propre , signi- 
fie une sorte de couverture de toile 
cirée ou de quelque autre matière , 

3u'on 5e met sur levLage pour 'se 
éguiser ou pour se garantir des in- 
jures de l'air. Ce n'eft point dans ce 
sens propre que Malherbe prenoit le 
mot de masque , lorsqu'il aisoirqu'à 
la Cour il y avoit plus de masques 
que de visages : masques eft là dans 
Un sens figuré , & se prend pour /w- 
soncs dissimulées , pour ceux qui ca- 
chent leurs véritables sentimens , qui 
se démontent, pour ainsi dire > le vi- 
sage , & prènent des mines propres 
à marquer une, situation d'esprit & de 

B 1 



*8 D^ s Tropes 

coeur toute autre que cette où ils sont 

éfeâivement. 

Ce mot voix ( vox ) a été d'abord 
établi pour signifier le son qui sorc de 
la bouche des animaux , & sur- tout 
de la bouche des homes. On dit d'un 
home , qu'il a la voix mâle ou fémi- 
nine , douce ou rude , claire ou en- 
rouée , foîble ou forte , enfin aiguë f 
flexible , grêle , cassée , &c. En tou- 
tes ces occasions , voix eft pris dans 
le sens propre , c'eft-à-dire , dans le 
sens pour lequel ce mot a été d'a- 
bord établi : mais quand on dit que 
le mensonge ne sauroit étoufer la voix 
de la vérité dans le fond de nos cœurs > 
alors voix eft au figuré , il se prend 
pour inspiration intérieure , remords y 
Sec. On dit aussi que tant que le 
Peuple Juif, écouta la voix de Dieu s 
c'eft-à-dire , tant qu'il obéit à ses corn- 
mandemens , il en fut ossifié. Les bre- 
bis entendent la voix du Pafieur > on 
ne veut pas dire seulement qu'elles 
reconoissent sa voix , Se la diftinguent 
de la voix d'un autre home , ce qui 
seroit-le sens propre j on veut mar- 
quer principalement qu'elles lui obéis- 



tN général; li- 
sent ; ce qui eft le sens figuré. La 
voix du sang , la voix de la nature , 
c*eft-à-dire , les môuvemens intérieurs 
que nous ressentons à l'occasion de 
quelque accident arrivé à un parent , 
&c. La voix du peuple çft la voix de 
Dieu 3 c'eft-à-dire , que le sentiment 
du peuple , dans les matières qui sont, 
de son ressort , eft te véritable sen- 
timent. 

C'eft par la voix qu'on dit son 
avis dans les délibérations , dans les 
îleâions , dans les assemblées où il 
«'agit de juger j ensuite , par ex- 
tension , on a apelé voix , le senti- 
ment d'un particulier^ d'un Juge' ; 
ainsi en ce sens , voix } signifie avis , 
opinion y sufrage 3 il a eu toutes les 
voix j c'eft- à-dire , tous les sufrages j 
briguer les voix , la pluralité des voix ; 
il vaudroit mieux j s'il étoit possible , 
peser les voix que de les compter 3 
c'eft-à-dire , qu'il vaudroit mieux sui- 
vre l'avis de ceux qui sont les plus 
savans & les plus sensés , que de se 
laisser entraîner au sentiment aveugle 
du plus grand nombre. 

Voix signifie aussi dans un sens éten- 



ja Des Trop es 

du , gémissement ^ prière. Dieu a écouté 
la voix de son peuple , &c. 

Tous ces diférens sens du mot voix 
qui ne sont pas précisément le pre- 
mier sens , qui seul eft le' sens pto^ 
pre 3 sont autant de sens figurés. 

A R T ICLE VIL 
Réflexions générales sur le Sens Figuré.. 

Origine du Sens Figure* 

X-ià liaison qu'il y a entre les idées 
accessoires , je veux dire , entre les 
idées qui ont rapport les unes aux 
autres , eft la source Se te principe 
des divers sens figurés que 1 on done 
aux mots. Les objets qui font sur 
nous des impressions , sont toujours 
acompagnés de diférences circonftan- 
ces qui nous frapent , & par lesquel- 
les nous désignons souvent y tous lès 
^objets mêmes qu'elles n'ont* fait -qti'a- 
. compagner, ou ceux dont elles nous 
réveillent le souvenir. Xe nom pte^- 



EN GÉNÉRAI. 31 

pre de l'idée accessoire eft souvent 
plus présent à l'imagination que le 
nom cje l'idée principale , & sou- 
vent aussi ces idées accessoires , dé- 
signant des objets avec plus de cir- 
conftances que ne feroient les noms 
propres de ces objets , les peignent 
ou avec plus d'énergie, ou avec plus 
d'agrément. De là le signe pour la 
chose signifiée, la cause pour l'éfet, 
.la partie pour le tout , l'antécédent 
pour le conséquent , &' les autres 
tropes dont je parlerai dans la suite. 
Corne lune de ces idées ne sauroit 
être réveillée sans exciter l'autre, il 
arrive que l'expression figurée eft^âussi 
facilement entendue que si l'on se 
servoit du mot propre ; elle eft mê- 
me ordinairement plus vive & plus 
agréable quand elle eft employée à 
propos , parce qu'elle révedle plus 
d'une image ; elle attache ou amuse 
l'imagination & done 'aisément à de- 
viner à l'esprit. 

1 1. 

Usages ou éfcts des Tropes* 

1 . Un des plus fréquens usages des 
B4 



fi " Des Tropis 

tropes , c'eft de réveiller une idée 

principale , par le moyen de quel- 

3 ue idée accessoire : c'eft ainsi qu'on 
ic cent voiles pour cent vaisseaux t 
cent feux pour cent maison^ ; il aime 
la bouteille , c'eft-rà-dke , il aime le 
vin : le fer pour i'épée j la plume oa 
le ftyle pour la manière d'écrire , &Cr 

!• Les tropes dbnent plus d'éner- 
gie à nos expressions» Quand nom 
somes vivement frapés de- quelqiie 
pensée , nous nous exprimons rare* 
ment avec simplicité ; l'objet qui nous 
ocupe se présente à nous , avec les 
idées accessoires qui Pacompagnenr, 
nous prononçons les noms de ces 
images qui nous frapent , ainsi nous 
avons naturèlemeat recours aux tro- 
pes % d'où il arrive que nous fesons 
mieux sentir aux autres ce que nous 
sentons nous -même : de làviènent 
ces façons de parler , U eft enflante 
de colère ^ il ejl tombé dans une erreur 
grossière , flétrir la réputation j s*en~ 
ivrer de plaisir , &c. 

3. Les tropes ornent le discours. 
M, Fléchier voulant parler de Tins- 
uu&ion qui disposa M. le Duc de 



ih général: jj 

Montausier à faire abjuration de l'hé- 
résie , au lieu de dire simplement 
qu'il se fie inftruire , que les minis- 
tres de J. C. lui apprirent les dogmes 
de la Religion Catholique j & lui 
découvrirent les erreurs de l'hérésie , 
s'exprime en ces refmes : « tombez , 
» tombez , voiles -importuns qui lui 
a» couvrez la vérité de nos myftères : 
* & vous, Prêtres de Jésus -Chrift/ 
m prenez le glaive de la parole, ÔC 
» coupez sagement jusqu'aux racines 
» de l'erreur* que la naissance & l'é- 
» ducarion avoient fait croître dans 
a son ame. Mais par combien de liens 
» étoit-il retenu?,». 

Outre l'Apoftrophe, figure de pen* 
sée , qui se trouve dans ces paroles , 
ies Tropes en font le principal orne- 
ment : Tombe^ voiles > couvre^ , pre- 
nez U glaive j coupt\ jusqu'aux raci-" 
nés , croître j liens , retenu ; toutes ces 
expressions sont autant de tropes qui 
forment des images , doijt l'imagina* 
tipn eft agréablement ocupée. 

4» Les Tropes rendent le discours 
plus noble : les idées comunes aux* 
quelles nous somes acoutumés , n'es* 

B j 



34 Dis Troues 
i ' citent point en nous ce sentiment 
d'admiration ôc de surprise , qui élè- 
ve Tarne : en ces occasions on a re- 
cours aux idées accessoires , qui prê- 
tent , pour ainsi dite > des habits plus 
nobles à ces idées comunes. Tous les 
homes meurent également jj voilà une- 
pensée comune : Horace a dit : 

£fc.LC4p ill y at mors, «quo puisât pede pâupexuflfc 
tabérnas 
Regiunque turres» 

On sait la paraphrase simple Se na?- 
turèie que Malherbe a faite de ces 
vers. 
Mitterb* La mort a its riguenrs à nulîc autre pareilles.* 
On a beau la prier y ~ 

La cruel* qu elle eft se bouche les oreilles 
Et nous, laisse cries. 

Le pauvre en sa cabane » où le chaume le 
couvre, 

Eft sujet à ses loix > 
Et ht garde qui veille aux barîères du Louvre; 

N'en défend pas nos Rois, . 

Au lieu de dire que c'eft ua Phé^ 



en générai; .Jf 

Jtîcien, qui a inventé les caraâères 
de l'écriture , ce qui seroit une ex- 
pression trop simple pour la Poésie : 
Brébcuf a du : 

Çeft de lui que nous vient cet art Ingénieux , Flirtai*, 
De peindre la parole & de parler aux yeux t *••*• 1°* 
Et par lei traits divers de figures tracées , 
Doner de la couleur & du corps aux pensée*.* 

)• Les tropes sont d'un grand usa- 
ge pour déguiser des idées dures , 
désagréables , triftes , ou contraires 
i la modeftie ; on en trouvera des 
exemples dans l'article, de l'euphé- 
misme y de dans celui de la péri* 
phrase. 

6. Enfin les tropes enrichissent une 
langue en multipliant l'usage d'un 
même mot , ils donent à un mot 
une signification nouvèle y soit parce 
qu'on l'unit avec d'autres mots , aux- 

rls souvent il ne se peut Joindre 
s le sens propre, soit parce qu'on 
s'en sert par extension & par ressent» 

* Phoemces prîmi , firraae si crédïtur , ausi 
Mansûram , rûdibus , vocet» signâre , figiirisv 
Lik uu v* ix<k Lucane 

B v j 



yé Des Trop es 

blance, pour supléer aux termes qui 
M manquent dans la langue. 

' éw^iw Mais il ne feut pas croire avec quel- 
6c d v étudierque Savans , que les tropes n'aient 
kibeiidict- d'abord été inventés que par nécessité + 
RoiilaTto»^ cause du défaut & de ta disette des 
h. p. 146.8c mots propres % 8c qulîs aient contribué 
Cic.de Ot^depuis à ta beauté & à fomentent dk 
f l\itt*** discours , de mime à peu près que les 
xxxvuu vètemms ont été employés dans: le co~ 
Vq "î inft * ww*02C/tf pour couvrir le corps & 1$ 
r« . ^ défendre contre le froid, & ensuite ont 
servi à lembelir Ce à lorntr. Je ne 
crois pas. qu'il y ait ua assez grand 
nombre de mots qui supléent à. ceux 
qui manquent , pour pouvoir dire que 
tel ait été le premier & le principal 
usage de& tropes. D'ailleurs ce neflt 
point là , ce me semble , U marche » 
pour ainsi dire % de la nature , l'ima- 
gination a trop, de part dans le laifc» 
gage & dans la conduite des. homes» 
pour avoir été précédée en ce point 
par la nécessité» Si nous, disons d'ut* 
home qui marche avec trop de len- 
teur , quU vn plus lentement qu'un* 
tortue , d'un autre , qu'il va plus vkt 
qu* le veut * «Tua pa«iwé A qu'i/. se 



IN GÉNÉRAL 37 

/gtfj* emporter au torrent de ses pas» 
sïons y &c. c'eft que la vivacité avec 
laquelle nous ressentons ce que nous 
voulons exprimet , excite en nous ces 
images , nous en somes ocupés les 
premiers , & nous nous en servons 
ensuire pour mètre en quelque sorte 
devant les yeux des autres ce que nous 
Voulons leur faire entendre» Les ho- 
mes n'ont point consulté , s'ils avoient 
ou s'ils n'avoient pas des termes pro- 
pres pour exprimer ces idées } m si 
l'expression figurée seroit plus agréable 

Sue l'expression propre , ils ont suivi 
î$ mouvemens de leur imagination » 
êc cç que. leur inspiroit le désir de 
faire sentir vivement aux autres ce 
qu'ils sentoient eux mêmes vivement» 
Les Rhéteurs ont .ensuite remarqué 
que telle expression étoit plus noble > 
telle autre plus énergique ? celle -U 
plus agréable , celle-ci moins dure j 
en un mot , ils ont fait leurs obset^ 
varions sur le langage des homes. 

Je prendrai la liberté à ce sujet y 
de m' arrêter un moment sur une re- 
marque de peu d'importance : c'eft 
/jue pour faire voix que Ton subjtku* 



S* De.* Trop ë§ 

m k tr 'q^wffî 19 des termes figurés à la placé 
Tom. u! p es mots P ro P res q ul manquent 3 ce cjui 
*«*. ' eft très-véritable , Cicéron , Quintiliea 
& M. Rollin , qui pense & qui parle 
corne ces grands homes , disent que 
ç'eft par emprunt & par métaphore 
qu'on a apelé gemma le bourgeon de 
la vigne : parce , disent-ils , qu'il n'y 
avok point de mot propre pour l'ex- 
primer. Mais si nous en croyons les 
Ecymologiftes 9 gemma eft le mot pro- 
pre pour signifier le bourgeon de la 
vigne , & ça été ensuite par figure 
que les Latins ont doné ce nom aux 
perles & aux pierres précieuses. En 
éfet ^ c eft toujours le plus comun 8c 
le plus conw qui eft le propre , 8c 

2ui se prête ensuite au sens figuré- 
es laboureurs du pays Latin concis- 
soient les bourgeons des vignes & des 
arbres , 8c îeur avoient doné un nom 
avant que d'avoir vu des perles & des 
pierres précieuses : mais corne on dona* 
ensuite par figure & par imitation ce 
même nom aux perles & aux pierres 
, précieuses , & qu'aparemment Cké** 

Vcrbi tranflitio infficàta eft în^pià causa* 



IN GÉNÉRAI. 39 

ton y Quintilien & M. Rollin ont va 
plus de perles que de bourgeons de 
vignes , ils ont cru que le nom de 
ce qui leur étoic plus conu _, étoît le 
nom propre , & que le figuré écoir 
Celui de ce qu'ils conousoient moins* 

1 1 u 

Ce qu'on doit observer , & ce qu'on 
doit éviter dans l'usage des Tropes * 
& pourquoi ils plaisent. 

Les Tropes qui ne produisent pas 
les éfets que Je viens de remarquer , 

freq&entita deîeâatiéni*. Nam gtmmare vi- 
Us y hixuriem esst in herbïs s Utas séettes > 
étiam ruftici dicunt. Ck. de Orator. L. iik 
ju 15 c. aliter xxxviii. 

Necessitâre ruftici dkuat gemmam în rit»» 
bus. Qtiîd enim drcerent alnid î Quhttiï. mftit» 
orat. lib. vin. cap. 6. Metaph. 

Gemma eu rd quod in arb6ribus tuméscil 
cum parère incipiunt , à gcn* , id eft , gigoo • 
bine Margarîta & deinceps omnis lapis pre* 

tiosus dicitur gemma quod habet quoque 

Ter irtus , cujus ha?c sunt verba , a lapillo*. 
1» gemmas vocâvere à similitûdine gemma- 
» rum quas fn vfribus sive arbcSribus cémi~ 
p suis j gemma* enim pripriè sunt pûguS 



40 Des Tkopes 

sont défeftueux. Ils doivent sur- tout 
être clairs , faciles , se présenter na~ 
rurèlement , & n'être mis en œuvre 
qu'en tems Se lieu. Il n'y a rien de 
plus ridicule en tout genre , que l'a- 
reâation & le défaut de convenance* 
Molière dans ses Précieuses nous four- 
nit un grand nombre d'exemples de 
ces expressions* recherchées Se dépla- 
cées. La convenance demande qu'on 
dise simplement à uiv Laquais , done% 
Les Vtée^ es Sl ^g es » sâns *fer chercher le dé- 
Kid.Sc.ix/tour de lui dire ; voiture^-nous ici 
les comodites de la conversation. De 
plus , les idées accessoires ne Jouent 
point , si f ose parler ainsi , dans le 
langage des Précieuses de Molière , 
ou ne jouent point corne elles jouent 
dans l'imagination d'un home *ensé : 
Le conseiller des "grâces , pour dire Te 
8»d. ?«•▼*. miroir : contente^ l'envie qu'a ce fin** 
Mà.Suix^teuU de vous embrasser , pour dire 
asseyez-vous. 

» quos primo vîtes emîttunt ; & gemm&re 
» vîtes dicuntur f dam gemmas emittunt. $ 
Marti fui Lexicon, voce gemma. 

Gemma 6cùlus vitîs proprîè. 1. gemma 
deinde générale notnen eft lâpidum pretioç» 
iérum. Bas. Fakri Thcsaun Y. pmmtu 



EN GÉNÉR AL 41 

Toutes ces expressions tirées de 
loin & hors de leur place , marquent 
une trop grande contention d'esprit, 
& font sentir toute la peine qu'on a 
eue à les rechercher : elles ne sont 
pas , s'il eft permis de le dire ainsi , 
a l'unisson du bon sens , je veux 
dire qu'elles sont trop éloignées de 
la manière de penser , de ceux qui 
ont l'esprit droit Se jufte, & qui sen- 
tent les convenances. Ceux qui cher-' 
chent trop l'ornement dans le dis- 
cours , tombent souvent dans ce dé- 
faut 3 sans s'en apercevoir \ ils se sa- 
vent bon gré d'une expression qui leur 
paroît brillante & qui leur a coûté , 
&- se persuadent que les autres en 
doivent être aussi satisfaits qu'ils lé 
sont eux-mêmes. 

On ne doit donc se servir de Trp- 
pes que lorsqu'ils se présentent natu- 
rèlement i l'esprit ; qu'ils sont tirés 
du sujet ' y que les idées accessoires les 
font naître ; ou que les bienséances 
les inspirent : ils plaisent alors , mais 
il ne faut point les aler chercher dans 
la vue de. plaire. 

Je ne crois donc pas que ces sor- 



4% Dis Tropes 

Manière tes ^ e % u * es plaisent extrêmement? 

d'enseigner, pat 'l'ingénieuse hardiesse qu'il y a d'à- 

T.n.p.a47./ tfr au i om c h €rc her dts expressions 

étrangères à la place des naturèles 3 

qui sont sous la main , si Ion peut 

parler ainsi. Quoique ce soit là une 

E;nsée de Cicéron adoptée par M. 
ollin , je crois plutôt que les ex- 
pressions figurées donent de la grâce 
au discours , parce que , came ces 
deux grands homes le remarquent , 
Ib •248. € ^ es donent du corps > pour ainsi dire ^ 
aux choses les plus spirituèles , & les 
font presque toucher au doigt & à l'œil 
par les images qu'elles en tracent à 
l'imagination ; en un mot , par les 
idées sensibles & accessoires. 

i v. 

Suite des Réflexions générales sur le Sens 
fie*™. 

i. Il n'y a peut-être point de moi 
qui ne se prène en quelque sens figu- 
ré , c'eft-à-dîre # éloigné de sa signifi- 
cation propre & primitive. 

Les mors les plus comuns & qui 
teviènent souvent dans le discours % 
«ont ceux qui sont pris le plus fré- 



feN GÉNÉRAL, 45 

*juemment dans-un sens figuré , 6c qui 
ont pn plus grand nombre de ces sor- 
tes de sens : tels sont corps ^ ame tête, 
couleur ; avoir j faire 3 &c. 

ii. Un mot ne conserve pas dans , 
la traduction tout les sens figurés qu'il 
a d^ns la langue originale : chaque 
langue a des expressions figurées qui 
lui sont particulières , soit parce que 
ces expressions sont tirées de certains 
usages établis dans un pays , & inco- 
nus dans un autre ;. soit par quelque 
autre raisop purement arbitraire. Les 
diférens sens figurés ' du mot voix * 
que nous avons remarqués, ne sont 
pas tous en usage en latin > on ne dit 
point vox pour sufrage. Nous disons 
porter envie ^ ce qui ne seroit pas en- 
tendu en latin' par ferre invidiam : au 
contraire , moretn gérere alicui , eft une 
façon de parler latine , qui ne seroit 
pas entendue en françois -, si on se 
contentoit de la rendre mot à mot > 
& que Ton traduisit , porter la coutume 
à quelqu*un , au lieu de dire , faire voir 
à quelqu'un qu*on se conforme a sqîi 
goût , à sa manière de vivre , être 
complaisant » lui ohéir. Il en eft de' 



44 Des Trop £ s 

même de vicem gérere j verba dart\ 
& d'un grand nombre d'autres façons 
de parler que j'ai remarquées ailleurs, 
& que la pratique de la version ih- 
rerlinéaire aprendra. 

Ainsi, quand il s'agit de traduire 
en une autre langue quelque expres- 
sion figurée , le tradmfteur trouve sou- 
vent que sa langue n'adopte point la 
figure de la langue originale , alors il 
doit avoir recours à quelque autre ex- 
pression figurée çle sa propre langue , 
3ui réponde , s'il eft possible , à celle 
e son auteur» 
Le but de ces sortes de traduc- 
tions, n'eft que de faire entendre la 
pensée d'un auteur ; ainsi on doit 
alors s'attacher à la pensée & non i 
la lettre , & parler come Fauteur lui- 
même auroit parlé , si la langue dans 
laquelle on le traduit avoit été sa lan- 
gue naturèle. Mais quand il s'agit de 
Faire entendre une langue étrangère, 
on doit alors traduire litéralement , 
afin de faire comprendre le tour ori- 
ginal de cette langue. 



EN GÉNÉRAL 45 

V. 

Observations sur les Dictionaires 
Latins -François. 

Nos Dîâionaires n'ont point assés 
remarqué ces diférences ^ je veux dire , 
les divers sens que Ton done par fi- 
gure à un même mot dans une même 
langue ; & les diférentes significations 
que celui qui traduit eft obligé de do- 
ner à un même mot ou à une même 
expression , pour faire entendre la 
pensée de son auteur. Ce sont deux 
idées Fort diférentes que nos Diûio* 
naires confondent ; ce qui les rend 
moins utiles & souvent nuisibles aux 
començans. Je vais faire entendre ma 
pensée par cet exemple. 

Porter, se rend en latin dans le sens 
propre par ferre ; mais quand nous 
disons porter envie 9 porter la parole , 
se porter tien ou mal , &g on ne se 
sert plus de ferre pour rendre ces fa- 
çons de parler en latin : la langue 
latine a ses expressions particulières 
pour les exprimer j porter ou ferre ne 
sont plus alors dans l'imagination de 



46 Des TropeV 
celui qui parle latin : ainsi , quand 
on considère porter , tout seul & sé- 
paré des autres mots qui lui donenc 
un sens figuré , on manquerait d'e- 
xa&itude dans \çs Di&ionaires fran- 
çois- latins , si ion disoit d'abord 
simplement que porter se rend en 
latin par ferre , invidcre , dlloqui > 
yalére , &c 

Pourquoi donc tombe -t -on dans 
la même faute dans les Di&ionaires 
latins- françois , quand il s'agit de 
traduire un mot latin ? Pourauoi 
Joint-on à la signification propre aun 
mot , quelqu autre signification figu- 
rée qu'il n'a jamais tout seul en latin ? 
La figure n eu que dans notre fran- 
çois y parce que nous nous servons 
d'une autre image , & par conséquent 
de «mots tous diférens ; par exemple : 
DiéHoLTrl 6 * m ? terc s] &™fe , dit-on , envoyer , 
latin. fran- retenir , arrêter , écrire , n'eft-ce pas 
«oîs , împri- corne si Ton disoit dans le Di&ionaire 
mé sous Jeftançois-latin , que porter se rend en 

nom du R. P., • T /•••#/ m 

Taçhm , e*' atm P ar J crrc ■■> MVldctC , dlloqui , VCL- 

wivjfiLqx&Mrc ? Jamais mittere n'a eu la signifi- 
ées au.res cation <J e fet cmr , d'arrêter , d'écrire 
©«uvfiâuï. dans 1 imagination d un home qui 



IN GÉNÉRAL, A7 

parloir latin. Quand Téreûce a dit : 
* lacr/mas mitie , Se ** missam iram * ,Àde!i>: 
fdeiet ; mittere avoir toujours dans a &. j.sci; 
son esprit la signification d'envoyer : y * 57- 
envoyez loin de vous vos larmes »a&^ .*•**; 
* votre colère , corne on renvoyé tout T . 14. 
ce ^dont on veut se défaire. Que si 
en ces ©casions nous disons plutôt f 
reteneç vos l^mts ^ retene^ votre colè- 
re y c'eft que pour exprimer ce sens , 
nous ayons recours à une métaphore 
prise de laftion que Ton fait guand 
on retient un cheval avec le frein, 
ou quand on empêche qu'une chose 
ne tombe ou ne s'échape. Ainsi il 
faut toujours diftinguer les deux sor- > N 

tes de traductions dont j'ai parlé ail- 
leurs. Quand en ne traduit que pour 
faire entendre la pensée d'un auteur , 
on doit rendre s'il eft possible , fi-* 
gure par figure , sans s'atacher à tra- 
duire litéralement } mais quand il 
s'agit de doner l'intelligence d'un* 
langue , ce qui eft le but des di&io- 
naires , on doit traduire litéralement, 
afin de faire* entendre le sens figuré; 
qui eft en usage en cette langue ï 
l'égard d'un certain mot j autrement 



4* Des Tropis 
c^eft tout confondre : les Di&ionaires 
nous diront que aqua signifie Ufeu f 
de la même manière qu'ils nous di- 
sent que mittere veut dire arrêter 9 re* 
' , , . tenir : car enfin les Latins crioient 

* Térnta yi * > n. * j* ir* 

cinat, TéU a 4 uas > a i uas > ceft-à-dire , offerte 
cbmataquas.a^ttof , quand le feu avoir pris à la 
Frop. L. 4- maison, & nous crions alors au fcu % 
^^J^' 3 ^ ceft-à-dire, acourez au feu pour aider 
dum inctu.i l'éteindre. Ainsi quand il s'agir da- 
Mum, iaqwt prendre la langue d'un auteur , il faut 
ml°. US# a a bord demer à un mot sa significa- I 
tion propre , c'eft-à-dire, celle qu'il 
avoit dans l'imagination de l'auteur 
qui s'en eft servi, & ensuite on le j 
traduit , si l'on veut , selon la tra- | 
du&ion des pensées , c'efl>à*dire s 4 j 
la manière dont on rend le même 
fonds de pensée , selo» l'usage d'une 
autre langue. 

Mktère ne signifie' çlonc point en 
latin retenir , non plus que péllere f 

3ui veut dire chasser. Si Térence a 
mMm fc T# it lacrymas mute , Ykgîfe a dit dans 
7 $^ # ' * 'le même sens , Ucrymas diUclœ pelle 
Creusa. Chassez les fermes de Creuse , 
c'eft-à-dire, les larmes que vous ré- 
pandez pour l'amour de Crétise , ces- 
sez 



EN GÉNÉRAL. 49 

ses de pleurer votre chère Crétise, 
retenez lès larmes que tous répandez 
pour l'amour d'elle , consolee-vous. ' 

Mkterervz veut pas dire non plu* ' 
en- latin écrire ï Se quand on trouve 
mfctére epiftolam alicui j cela veut dire 
dans le latin ,. envoyer une lettre À 
<qkelqu x im , & nous disons plus ordi- 
nairement écrire une lettre * quel* 
qu'un. Je ne finirais point si te arou- 
lois rapqrter ici un plus grand nom- 
bre d'exemples du peu d'eaaûitudp 
de nos meilleurs Di&ionaires ; mçrce» 
punition , nox la morç > pulvis le ba- 
rcau^&c. * 

Je voudrais donc quç nos Diâio- 
mires donassent d'abord à un mot 
latin la. signification propre que ce 
mot avoir dans l'imagination des au- 
teurs latins : qu'ensuite ils ajoutas* 
sent les divers > sens figurés que les , 
Latins donoient à. ce mot.,Mais quand 
il arrive'quun mot- joint à un autre , 
forme une expression figurée > un 
sens , un* pensée que nous rendons 
en notre langue par une image di- 
' fèrente de celle qui étoit en usage en 
latin; alors je voudrois distinguer: . 

C 



50 Des Trope.s 

i. Si l'explication litérale qu'on a 
déjà douée du mot: kttn , suftc pour 
/aire -entemlre a la. lettre l'expression* 
figurée , ou k pensée litérale du la- 
tin j en ce cas <,' je me contenrtrois 
de rendre la pensée i notre manière; 

* par exemple i mittere envoyer , mittc 
iram * tetenez votre colère , nitttere 
cpiftolam alicut , écrire une lettre à 
quelqu'un. 

Provincia , Province , de pro ou 
procul 5 <& de vincire lier , obliger > 
ou selon d'autres y de vincerc , vain- 
cre : c'étoit le nom générique que les 
Romains donoient aux pays Jour ils , 
s'éroierit rendus maîtres hors de l'I- 
talie; On dit dans le sens propre , 
provifKiam.cdptrc , suscipcre > prendre . 
le gouvernement d'une province , en 
être fait gouverneur; & on dit par 
jpétaphore , provinciam \ suscipert > être 
dans un emploi , dans une fonâion , 
Ter. Phor. faire quelque entreprise. Provinciatn 
AU.*.**!. çeptjli durant , tu t'es chargé d'une 
mauvaise comissioa, d'un emploi di* 

' ficile, 

i. Mais lorsque la façon de parler 
latine eft trop éloignée de la fran* 



EN GÉNÉRAL. jlt 

5eîse , & que h lettre n'en peut jtas 
être aisément entendue , les' DÎAio- 
noires devraient Pexpliqjier d abord 
litéralemenr , & ensuite ajouter la 
phrase frarrçoise qui répond à ht la- 
cine j par exemple ; Idterem tmdunt 
iavdrc , iaver une brique crue 5 e ? efl> 
à-dire, perdre son temps & sa peine, 

Eerdre son latin. Qui laveroit une 
rique avant qu'elle fut cuite , ne 
feroit que de la boue * & perdroir 
la brique. On ne doit pas conclure 
de cet exemple , que jamais Iavdrc 
ait signifié en latin perdre f m latér 
cems ou peine. 

Au refte ,-il eft évident que cet 
diverses significations qukme langue 
done à un même mot d'une autre 
langue > sont étrangères à ce mot 
dans la langue originale } qinsi elles 
ne sont point de mon- sujet : je traita 
feulement ici des diférens sens que 
1 on dons à un même mot dans une 
même langue * de non pas des difé- 
rentes images dont on peut se servir 
en traduisant , pour exprimer le mê* 
sue fonds 4e pensée/ 



DES TROPES. 

SECONDE PARTIE- 

Des Tropès en particulier, 

» i ii ■ i i i 

La Catachrese, 

Abus j Extension j ou Imitation* 

jUi*xf»*s Les langues ks plus riches n'ont 
AbûsiQ. point un assez grand nombre de motp 
pour exprimer chaque idée, particu- 
lière , pajc un terme qui ne soit que 
le signe propre de cette idée ; ainsi 
Ton eft souvent obligé d'emprunter 
le mot propre de quelqu'autre idée , 
qui a le plus de rapport à celle qu'on 
veut exprimer } par exemple : l'usage 
ordinaire eft de clouer des fers sous 
les pies des chevaux , ce qui s'apèlô. 
ferrer, un cheval ;, que s'il arive qu'au 
lieu de fer on s§ serve d'argent , ou 
dit alors que les .chevaux font ferres 
d'argent , plutôt que 'd'inventer uni 



La Gâta chue se. yj 

nouveau mot qui ne seroit pas en- 
tendu : on ferre, aussi . d'argent une- 
cassette , &c. alors ferrer signifie par 
extension , garnir d'argenr au lieu de 
fer. On dit de même aler à cheval siir 
un bâton , c'eft-à-dire* se mettre sur 
un bâton de la même manière qu'on 
se place à cheval. 

Lûdere par impar; equitâre in arùndîne longâ. Hor. *. sut* 

Dans les ports de nter on dit Bâtir 
un vaisseau , quoique lé mot- de bâtir 
ne se dise proprement que des mai- 
sons ou autres édifices : Virgile s'eft 
servi d'œdifîcdre , bâtir, en parlant du jEn.i.v.x6. 
cheval de Troye ; & Cicéron a dit , 
adificdre classem , bâtir ane flote. • Cîc. proie- 

Diea dit à Moïse , je ferai pleu-P Ma" 1 '* 
-voir pour vous des pains du 'Ciel 3 & n \ 4 ' 
ces pains c'éroir la mâne : Moïse en 
la montrant dit aux Juifs , voilà le Exod * c «* 

XVl V A vC 

pain que Dieu vous a doné pour vivre. J# 
Ainsi la mâne fut apelée pain par 
extension* 

Parricida parricide , se dit en la* 
tin & en françdis > non seulement de 
celui qui tue son père , ce qui eft le 
premier usage de ce mot ; mais il se 



54 Là CÀ.TÀCHRE3F. 

dit encore par extension de celui qui 
fait mourir sa mère , ou quelqu'un 
de ses parens , ou enfin quelque per- 
sone sacréç. 

' Ainsi la Catachrèse eft un écart 
que certains mots font de leur pre- 
mière signification , pour en prendre 
une autre qui y a quelque raport , ôC 
c eft aussi ce qu'on apèle extension î 
par exemple : feuille se dit par exten- 
sion ou imitation des choses qui sont 
plates & minces > corne les feuilles 
des plantes ; on dit une feuille de pa- 
pier , une feuille de fer blanc , une feuille 
d'or j une feuille d'e'tain qu'on met 
derrière les -miroirs : une feuille de 
carton 3 le (aie se lève par feuilles ^ 
tes feuilles d'un paravent j, &c„ 

La langue , qui eft le principal or- 
gane de la parole , a doné son nom 
par piétonymie & par extension au 
mot générique dont on- se sert pour 
marquer les idiomes , le langage des 
diférentes nations : langue latine., Ion-* 
gue frwifoisi. 

Glace » dans le seas propre » c'eft 
de l'eau gelée ; ce mot. signifié en- 
cuite par imitation % par extension » 



Là pÀTACH'&SSJt.- ; jj 

un; verre poli-, une glace de miroir , 
une glace de carosse. 

G&ce, signifie encore une soixe de 
composition de sucre & de blanc 
d'œuf y que l'on coule suit les bis- 
cuits, ou que l'on met .sur les fruits 
confits. 

Enfin , glace se die encore au plu- 
riel , d'une sorte de liqueur conge- 
lée. .- 

- -. , U y a même des mots <qui ont 
perdu leur première signification , & 
n'ont retenu que celle qu'ils ont eue 
par extension : fiorir , florissant , se 
disaient autrefois des arbres 6c des 
plantes qui sont en fleurs j aujour- 
d'hui on dit plus ordinairement fleu- 
rir au propre 9 & fiorir au figuré ; si 
ce n'eft a l'infinitif , c'eft au moins 
dans les autres modes de ce verbe j 
alors, il signifie être en crédit, en ho- 
neur, en réputation : Pétrarque fia* 

, risselt vers le milieu du XIV. siècle ; 
une armée florissante , un empire floris- 

. smt. « La langue grèque , dit May 
m dame Daeter , se maintînt encore 
» assez florissante jusqu'à la prise de 

:» Conftantinople , en 1453. 

C 4 



jtf LaCatacurbsé* 

Prince, en latin princeps,, signlfioît 

seulement autrefois , premier , pritf- 

eipal y mais aujourd'hui en françois 

1 il signifie , un. souverain > ou une 

persone de maison souveraine. 

Le mat Impfrd$or 3 Empereur , ne . 
fut d'abord qu'un titre d'honeur que 
les soldats donoient dam le camp à 
leur 'Général , quand il s etoir difun- 

fué par quelque expédition mémora- 
le : on n'avok attaché à ce mot au- 
cune idée de souveraineté, du rems 
même de Jules César , qui avoir bien 
h réalité: de souverain- , mais qui gou- 
. -v vernoit sous la forme de l'antiène 
République. Ce mot perdit son an- 
ciène signification vefs la fin du rè- 
gne d'Augufte x ou peut «être même 
plus tard. * 

Le mot latin succûmrc y que nous 
, traduisons par secourir , veut dire pro- 
prement courir sous ou sur. Cicéron: 
s'en eft servi plusieurs fois. ence?en&». 
* Cîc. adAtt. suçcùrrctty atqut subibo, Quidquut? suc- 
JL, 14. EpAjeurrit libet seriberè , & SérièquediiL,. 
«•snbwfintm ! r^' vt ^ r ^ JZ - 720/^/2 *0« suticim&yïUmi-* 
^enec» P% TO# salut'dmus $ » lorsque ïious ,reii- 
^ » controns quelqu'un j fc^qœson nom 



La Cataghrese; flr 
m ne noxp -vient fMs daiis l'esprit , 
» nous l^ipelon*. Monsieur. «rCepeife- 
~«&nt corne il faut souvent se hâter & 
courir pour venir au secours de quel- 
qu'un , on a donné insensiblement à T 
ce mot par extension , le sens d'aider ? 
ou secourir. . -. i 
y Pétere« selon Pet izorûus-* vient du* l S"**V* 

• . j i Péri*, to 

-grec peto & petomat^ dont le premier Sana . Milu 
signifie tomber ; & l'autre vo&r; en-iîb. 4. c 4* 

.sorte que ces verbes marquent une 11 - <**• 
adtion qui se fait avec éfort & mou- 
veulent vers quelque objet ;-anfth 
• 1. Le premier iens de ^fof* ,-c f eft 
*fo vétt j se porter avec ardeur Vers un 
objet j ensuite on donc à ce mot pat 
extension plusieurs autres sens , qui 
sont une suite du premier* . T 

a. H signifie souhaiter et avoir ^ ali- 
gner l demander ; pétere constjlatum ? 

. briguer k consuls ^ pétere nùpçias a^- 
cujus , rechercher une persone en ma-* 
Thtg&> . \-. • .•". ,. .-.. 

\ 3. Aler prendre ; unde mihi petam Ter.deaut 

- cibi?m. •■. • ) 5**.*j* 

4. A ter vers quelqu'un ; Se en con- 
.séquence le frapef , fatajuer. Virgile i t %. j-.t.ta 

v âi dit x.malo me, .G&latéa petit y ic - 

> C 5: 



}£ La Catachrué 

Eftg» ée r Ovide * d pipuh saxis pratcrê&rxt 

******* .jctafi 

f. Enfin />af*re veut dire pat «- 
tension > aler en quelque lie* , ensotte* 
que ce lieu sait l'objet de nos de- 
mandes 6c de nos mouvement. Les: 
compagnons d'Enée » après leur nau- 
frage y demandent a Didon qu'il leur 
soit permis de se mètre en état d'a- 
Iec en Italie % dans le Laiium > ou 

du moins d aler trouver le Roi Àcefte» 

» « 

Àt fréta Sicâniae saltem sedésque parkas* 
Unde bue advéâi y ,reg£mque petamus 
Acéfteiu " ' , 

La réponse de Didon ett digne de 

remarque i 

* , • * 

Setr vos Hespériam mageam Saturmaqpe 

arva, ' 

Sîre Ery cis fines » reglmcpie ©ptatis Acéfie*; 

où vous voyez qu c/tâaar explique /**• 

tdmiu. 
Virg. £m Aàvertere signifie tourner vers i a& 
x **'itl'vérure agmm urfii j tourna sa» «- 



1 



L,à Catàchres*. r fy 

; vers la ville ; navcm advirtcre , 
tourner son vaisseau vers quelque 
endroit ^ y aborder : ensuite on la 

. dit par métaphore, de l'esprit ; adver- 

. tcre ânïmiim > adyérterc mentem ; tou- 
-, net l'esprit vers quelque objet , faire 

. attention , faire réflexion , considérer : 
on z même fait un mot composé de 

. animum Se Sadvérure ; anim - advér- 
ter&+ considérer , remarquer , exami* 
Jnejr. " ,. . . x , 

Mais parce qu'on tourne son es* 

. prit , soa sentifnent /vers ceux qui . 

. nous ont ofensés , & qu'on veut pu- 
- nir y on a doné ensuite par extension . 
le sens de punir à animaiv encre ; ver~ 
béribus animadvertébant in cives ; * ils **•!«*• 

. tournoient leur tessentiment , leur co- * * 
1ère.» avec des verges contre les ci- 
toyens ? c^eft-a-dire , cjuils conda- 

. noient au fouet les citoyens. Re- 
marquez qudnirnus se prend alors 

.dans le sei>s de colère*. * Animas ,**?'*• '*** 

, dit Faber , se prend souvent pour cette Maim ^ ** 
partie de l'ame > qu<z impttus habet 
& motus. .-■'..••*.... 
ta fcror bievît eftj inimom ?ege 9 <pit risi E *£ J £ 



êo Ljl Càtâchrese: 

• Imperat ; hune frems , hune ta convp^scë 

•.• ' catéiw. 

Ces sottes d'extensions* dbrveiit 
" être autorisée* par ftisage d'une fah- 
"g^i & ûe sont pas toujours téciprb- 

3uer dans une autre langue j c'eft-â- 
ire r que' fe mot français ou aie- 
ttiand j, qui répond aur mot latin, se- 
lon le sens propre , lie se prend 1 pâ* 
toujours ek françois'ou en alemaîfcL 
dans le même sens, figuré qjue Tôt* 
. dbrie au mot latin {'demander téppnd 
X ge'tere ; cependant nous' ne dfcôis: 

1 point demander £oaf ataqua \ ni- pour 

" aler & 

'Oppïdjo dans son' origine eft Te da- 
jaf a oppidum , viHe y ôppidopoMthL 
ville y au datif. lies laboureurs en s*efK 
tretenant ensemBte , dit ; Feftus , se 
demahdoîent ftm à fàûtrè ,' avèz-voas 
feît bbne récolte ? Sœpè respondebû- 
tur , quarifàm yel y ôppïdo-satis.esset ^ 
j'en aurois pour nourir toute la viller: 
& de H eft venu <ju*bn a tfit ôppido 
adverbialement, pour beaucoup \ hïnc 
in consuetùdxnem venu ut dlctrétut ù: 
' 6ppîdo pro valdè > ihultum. fcjtu***. 

♦ Oppido^. 



Là CATàcHREsè; 6i 

***. Vont vieor dç ûndl , ou plutôt, «Je 
<fe -loutt , come'-ndiis disdns tftZi-; <jfe- 
iftzair. Àïiqîàd de'derisùhdè utdtur , do- Tcrttcé 
iiez-fai un peu d*argfent dont il puî$ieAdei^h,A»* 
vivre en le metteur à ptofit : ce mbt^ fc -^ , * kî> ^ 
ife se prçhd : plus' aujourd'hui dans $a - 
signification primitive j on rié-dfc P*$ 
fà ville dont je 'viens % mais d?pà je. 
viens. : -■ \ '• t " 

Prvpiàare\ hàrte à fa santé de quel- 
qu'un , eft vit moi. purement grêç* 
qui Veut dire à la lettre boire k pre- 
mier. /Quand Mès r anciens vouloieAt 
exciter quëîqtfiàft i 1 feotre, & faire à 
*|>eu près à son égard ce- que nous, 
apelons. boire à la santé ;ik prenoient 
-tine cotise pleine de vin y ils en bu- 
♦voient un peu les premiers ; Se eii- 
'iwte Hs préséntoient la coupe à eelfri 
'qu'ils Vôuteieht eichér à* boire. * Cet 

~ *mc Regina gravem geraims aur {que pro<* 

; pésaï, : , . ' * 

«nplevftqiiè weso paterativ. «-•»»> ^ * - - 
*— & inmensa tâticam lib&m bénirent, . 

Priniàque libâto summo tenus âitigît ore :„ 
,Tum Éki^:dejiit incrépitans ; ille faipig** 
', : Jiausit 

" Sptoântem pâteram , & pteno se pr$ûîtaun)i 



4* , j,A C AT4CHHESI. 
, usage s eft conservé en Flandre 2 en 
.Holande , & dan*, le ,Nocd ; on fait 
lassai,; c'eft-i^dire, qu'ayant que de 
vous présenter le, vase , on en baie 
un peu , pour vous marquer que v^js 

Bmvez en boire, sans rien craindra, 
elà # par extension, par imitation „ 
on s*eft servi de propinâre poçc #vrcr 
quelqu'un 3 le trahir pour faire plaisir 
à un autre, •> le livrer > le çfoner f xome 
on done la coupe à boire après avoir 
Eût l'essai. Je vous le tivr& , dirT£- 
rence , en se servant par extension du 
T mot propino j moqueçvous de lm tact 

AéU^VfSt^^ vous plaira ± hune vpbis 4$à~ 
4tra* déndum propino* 

Nous avons vu dans la cinquième 
partie de cette Grammaire , que ja 
-préposition supléoit au raport qu'en 
* ne saurait marquer > par les, terminai- 
sons des mots } quelle marqçoit un 
raport général ou une circonftance 
générale , qui étoit ensuite dérermî- 
née par le mot qui suit la préposi- 
tion. 

1 - Or , ces rapports ou çiratoftances 
générales sont presque infinies , 9t JJc 
h s&wh^ des prépositions eu exrfô» 



L À C A T À CtCk R $ E. «5 

jnetnent borné j mais pouf supjéer à 
cçlks qui manquent , on done divers 
usages à la même préposition. 

Chaque préposition a sa première 
signification , elle , a sa destination 
principale > son premier sens propre ; 
& ensuite par extension , par imita* 
tion , par abus ,- en un mot par cata- 
chrèse , on la fait servir à marqua: 
.d'autres raportfe qui ont quelque ana- 
logie avec la~ deftina tion principale 
êe la préposition % 8c qui sont suffi- 
samenr indiqués par le sens du mot 
.qui eft lié à cette préposition , pal; 
exemple : 1 

La préposition in eft une prépost- 
don de heu > c*cft- à-dire , que son 
premier usage eft de Jroaxquer la cir- 
conftaace générale d'être dans on 
lieu. César fia tué dans k sénat, en- 
trer dans une maison , serrer dani une 
cassette. . .) ■ 

Ensuite on considère par meta- 
jhote les diférentes situations de le*- 

£iit & du corps , les diférens états de 
ï fortune , en un pu* les dtférentts? ' 
manières d'être , corne amant de lieux 
m l'home peut se trouves j ; Valois 



£4 La CàTàCHRES*. 

on dïr par extension _, ctrt dans lafoiel 
dans la crainte , dans k dessein , dans 
la bon* ou dans la mauvaise fortune^ 
dans mu parfaite santé , dans le désor- 
dre > dans tépéc j dans la roàc, dans 
k doùXtj &c. • ♦ * 

On se sert aussi de cette préposi- 
tion pour marquer le. tems tc'cft en- 
core par extension, , par imitation ; 
on considère le tems' corne un lieu * 
nolo me in iimporc hoc videat senex * 

- c eft te dernier vers du quatrième a£be 
-de TAndrièneide Térence. 

UH Se Ai sont des adverbes» de. 
lieu 'y on les fait servir aussi par imi- 

- tkm pour marquer le terras. , h&c ubi 
Y2rg.jEn. r^'dhcîa , après que -ces mots forent dits,. 
▼ Sf.Téren-après ces proies. Non tu Ai natkmï 
A&\*£\:( : ot>jurgafti) nalâces-vous pas sur le, 
*. nâ. : itatnp gronder votre fils > ne lui. dites» 

-tous rienr alors?- 

On peut faire de pareilles. observai 

rions sur les autres prépositions , Se 

sut un grand ^nombre d'autres motfc* 

. - •> » La prepdskibn après ,. dit M. 

•Ffciiifcyo.* t^bé. de Dangaau y * marque pxe- 

fr^ltûm*'* «^^«menç postériorité de lieu entre 

«jrù, «des- pensaae& o*, des. choses > /warr 



La Càtàchrfse. 65 

-*» cher après quelqu'un ; le valet court* 
». après son maure ; les Conseillers 
» sont assis après les Présidens* 

' ' Ensuite ' considérant les v horieiirs' , 
les richesses , &c. corne dfes êtres 
réels , on a dit par imitation , courir 
après les honeurs > soupirer après sa 
Êbertê* 

» Après y marque aussi poftériorïté 
». de temps , bar une espèce d'ex- 

~» tension de ta quantité de lieu a 
v» . celle du téms. Pierre ejl arivi après 
w Jaques. Quand un home marche 
» après un autre, il'arîve ordinaire- 
w ment plus tard j après demain , après 
» dîne y Sec. 

»'Cè Tableau éft fait d'après le Ti~ 

'm tien* Ce paysage eft fait d'après na~ 

» tarit ? ces-fëçons de parler ont ra- 

» port a la'poftériorité de fem$i£,e 

->» Titien avoft? fait le tableau avant 

, *> que le peintre le copiât'; la àature 

9» avort 'formé le paysage avant que 

» *\è jteîritre le 'représentât. • ll ' ' -• * 

' ' G'eft 'iinsî s que 'tes ^foûûofir fâ- 

. tmés : i èi-sub thàt^ùerrt'aWstt it ttWii^ 

^éoftfè je l'ai &tfV6ir. J ë«^Iahi:! i dôs 



66 LàCàtàchrese: 

* Il me semble , dit M. l'Àbé de 
» Dangeau , qu'il seroit fort utile 4e 
*» faire voir cornent on,eft venui do— 
» ner tpus ces divers usages à unmê- 
» me mot $ ce qui eft comua à la 
» plupart des langues. >> 

Le mot d'heures &px ^ n'a signifié 
d'abord que le tems ; ensuite par ex- 
tension il a signifié les quatre saisons 
de Tannée. Lorsqu 'Homère ,dit qqe 
llîad.L. V. depuis le comencement des tems les heu?- 
Trad. v%>' r€S veillent <J fa garde du haut Olyrn^ 

Rem P* * ( l ue J<w/ * portes du ciel 
a7 s. # '/ear 3/? co/j/fe' i Madame Dacier re- 
marque qu'Homère apèle les heures 
ce que nous apelons les saisons* 
Herod.L.1. Hérodote dit que les -Grecs ont 
pris des Babyloniens l'usage, de divi- 
Piine, Uj.sez le jour en douze parties. Les Ro- 
* *°« mains prirent ensuite cet usagé des 
Grecs , il ne fut introduit chez les 
Romains qu'après la première guerre 
punique ; ce Fut vers ce tems là que 
par une autre extension l'on dona le 
noça d'heures au£ douze parties; du 
joue» & aux, douze parties de la nuit; 
celles-ci éçqjjent divisées en quatre 
vailles , dont chacune comprenait apis 
heures. 



LaCatachrese. 6j 

Dans le langage de l'Eglise , les 
jours de la semaine qui suivent le 
dimanche , sont apeiés férus par ex- 
tension. » 

Il y avoir parmi les anciens des " 
fêtes & des fériés : les fêtes et oient 
des jours solennels où l'on faisoit des 
jeux & des sacrifices avec pompe. ; 
les fériés étoient seulement des jours 
de repos où Ton sabftenoit du tra- 
vail. Feftus prétend que, ce mot vient 
à fcrUndis viçlimis+ 

L'année chrétiène començoit autre- 
ibis au jour de Pâques ; ce qui étoir 
fondé sur ce passage de S. Paul : Quô- 
modo Çhrifius resurréx'u à môrtuis , Ua R onli c ^ 
& nos in novltâu vitte ambulémus. y. 4. 

L'Empereur Codtantin ordona que 
Ton s'abftiendroit de toute oeuvre ser- 
yile pendant la quinzaine de Pâques * 
& que ces quinze jours seroient fé- 
riés ; cela fut exécuté du moins pour 
la première semaine, : ainsi tous les 
jours de çerte première semaine fa- 
cejit fériés. Le lendemain 4u diman- / 
che d'après Pâques fut la seconde 
férié , ainsi des- autres. L'on dona 
ensuite: par extension , par. imitation* 



69 La Catàchrese; 
le nom de férié seconde _ 3 troisième * 
quatrième , &c. aux autres jours des 
semaines suivantes , pour éviter de leur 
doner les noms profanes des Dieux 
^es payeits. 

C'eft. ainsi que chez les Juifs le 
nom de sabat ( sabatum ) qui signi- 
fie repos y fut doné au septième jour 
de la semaine » en mémoire de ce 
qu'en ce Jour Dieu se reposa , pour 
ainsi J dire , en cessant de créer de 
nouveaux être : ensuite par extene 
sion on dona le même nom' à tous 
Us jours de la semaine , en ajoutant 
premier , second j troisième j &c. prî- 
<ma y secunda j Sec. fabhitorum. Saba- 
tum se dit aussi de la semaine. On 
dona encore ce nom à chaque sep- 
tième année , qu on apela année sab- 
batique , & enfin à Tannée qui arivoit 
après sept fois sept ans , c'étoit le 
jubilé des Juifs ; tems de rémission , 
<le reftîtution , où chaque particulier 
renttoit dans «es anciens héritages 
aliénés ,^& où les esclaves devenoient 
4ibres. / : 

Notte verbe alen, signifie dans* Je, 
sens propre j se' transporter fl'un firx 



La Catàchrjese. 69 
& m autre ; mais ensuite dans com- 
bien de sens figuré nqft-U pa* em-u 
ployé par extension ! Tout -mouve-. 
ment qui aboutit à quelque fin j.tQute 
manière de procéder , de se conduire , 
«î'ateindre à quelque but ; enfin tout 
ce qui peut èti-e comparé à des voy** ) 
geuçs qui vont -ensemble 5 s'exprime,, 
par le v*rbe aler j je vçis -, ou je vas ; 
aler à ses fins , aler droit au but : il ira 
loin j c'eft-à-dijre, il fera de grands 
progrès , aler étudier j alcr lire j Sec. 

Devoir , veut dire dans le sens pro- 
pre , être obâgépar les loix a payer ou 
à faire quelque chose : on le dit ensuite 
par extension de tout ce qu'on do^t 
faire par bienséance , par politesse > 
nous devons aprendre ce que nous de~ 
vx>ns aux autres j & ce que les autres 
nous doivent. 

. Devoir se dit encore par extension 
de ce qui arivera , corne si cfétoit 
une dette qui dût être payée ; je dois 
sortir : inflruisé%-vous de ce que vous 
êtes , de ce que voifs nttes pas , & de 
ce que vou? dev^ être , ceft-à-dijre ,, 
de ce que vous serez , de çç à quoi, 
vous êtçs deftbç, . 



7° LàCàtachreSK. 

•• Notre verbe auxiliaire avoir > que 

nous avons pris des Italiens > vient 

dans son origine du verbe habére s 

tuîquiuLn^^ > posséder. César a dit qu'il 

vmnem, q mm envoya au-devant toute la cavalerie 

^•"■'fT qu'il avoit assemblée de poiue la pro- 

tum hMb*t.y mc * > Ç uem ïoaBum habébàt. Il dit 

Ccsar de encore dans le même sens , avoir 

fcîiio Gaiu- i es f ermes tenues à bon marché > c'eft- 

C °^SiW//«^"^ re » avoir P^ u k* f crmes * boit 
parvo pritio marché , les tenir à bas prix. Dans - 
redimptak*lz sa i te on s ' e ft écarté de ce tter si- 
idem ibîd.g^ ification Propre d'avoir, & on a 
Noflramido- joint cer vetoe par métaphore ,& par 
îescénûam a b us , 1 uo supin , à un participe 
l>ic/tâm.rer> u ^jeftif ; ce sont des termes 
F.un. Aft. ». abftraits dont on parle corne de cho- 
«•3« y, ^ ses réelles : amâvi , j'ai aimé , ha~ 
beo ûmotum ; aimé eft alors un su- 
pin ., un nom qui marque le senti- 
ment que le verbe signifie ; je pos- 
sède I? sentiment cTaimer , corne un 
autre possède sa montre. On eft si 
fort acoutumé à ces façons jde par- 
ler , qu'on ne fait plus atention % 
i'anciène signification propre d'avoir; 
on Kû en doae une autre qui ne 
signifie avoir que par figure , & qui 



La Catachuesê. 71 
marque en deux mots Je même sen$ 
que les Latins exprimoient en, un 
senl mot. Nos Grammairiens qui ont, 
toujours rapprié notre Grammaire à* 
la Grammaiie; latine , disent qu'a- 
lors avoir eft un verbe auxiliaire r 
parce qu'il aide, le supin, ou le par- 
ticipe du verbe à marquer Je même 
tems que le verbe latin signifie en un 
seul moL -.*: . 

Etre ^dvoir , faire y sont les idées 
les plus simples , les plus comunes. 
Se lés plus intéressantes pour l'home : 
or les homes parlent toujours de tout 
par comparaison \z eux-mêmes > de 
là vient que ces mots ont été le plus, 
détournés a -des usages xfifôens..: être 
assti, ître aimé y :&cc* avoir de l'argent* 
avoir peter 9 avoir. konte , avoir quelque, 
chose faite ^ & ; en moins de mots 
ayoir fou. 

De plus , les homes réalisent leurs 
abftraûîoiis j ils en parlent par imi- 
tation , corne ils parlent des objets 
v réeh : ainsi ils se sont servis du mot 
avoir eh parlant des choses inanimées 
& de -choses abftraites.' On dit cette 
ville a, deux lieue f de tour* cet çuvragt 



7* La GiTACHUfis^ 
4t des défauts j les passions oxa^Jeur 
muge*;} U wde V esprits ± i/ et de Ja* 
vertu : 6c ensuite par imitation & par 
abus;* H a aimé , il a &* &c* 

Remarquez en passant que le vetbe 
* eH: alors au présent, & que la si-y 

r location du prétérit neftque dans 
supin ou participe* • 
i On a iâijt aussi du mot il un ter* 
me abftrait , qui représente une idée 
générale, l'être.., en général ^ il- y a 
3es homes qui disent , illud quoi 
tfi j iii habet hàminxs qui dictent : dans 
/ la bone latinité on prend un autre 

jsour , corne nous Payons remarqué : 
ailleurs. .j* : ., . é ' 

, , Notre 3 dans ces façons de par- 

0.25!' * X# k*> répond au restées Latins.: Pt6-. 
plus metum tes fàerat y \z chose avoit 
été proche de la crainte :. c'eft-à- 
dire , qu'il y avoit eu sujet de craindre. 
Res iteese habit 3 il eft. ainsi. Mes 
- tua âgkur : il s'agit de vos intérêts, 
&c. • 

' .Ce neft pas seulement .la: peo-: 
prière $ avoir , qu'on a attribuée;* 
ûqs êtres inanimés & à des idées abs- 
«eûtes , on leur a awsi attribué celle 

de 



i LàCatàchrese* 73 

(3e vouloir : on dit cela veut dire , au 
lieu de cela signifie ; un tel verbe veut 
m tel cas <; ce bois ne veut pas brû- 
ler ; cette clé ne veut pas tourner , <kc. 
Ces façons de parler figurées sont si 
ordinaires , qu'on ne s'apperçoit pas 
même de la figure* 

La signification des mots ne Jehr 
a pas été donée dans une assemblée 
générale de chaque peuple , dont le 
résultat .ait été signifié à chaque par- 
ticulier qui eft venu dans le monde ^ 
cela s*eft. fait" insensiblement & par 
1 éducation : les en fan s ont lié la si- 
gnification des mots aux idées que 
l'usage leur a fait conoître que ces 
macs signifioient. * 

i • A mesure qu'on nous, a doné 
au pain, & qu'on nous a prononcé 
le mot de pain ; d'un coté le. pain 4 - 
gravé par les yeux # $on image dans 
notre cerveau , Se en a excité l'idée : 
d'un autre côté , le son du mot pain. 
& fait aussi son impression par les 
oreilles , de sorte que ces deux idées 
accessoires , c'eft-à-dire > excitées en 
nous en même temps, ne sauroiene se 
iéveiller séparément > sans que l'une 
excite l'autre. D 



74 LaCatàchrese. 

i. Mais parce. que la coiioissance 
des autres mots qui signifient des 
abftra&ions ou des opérations de l'es- 
prit , ne nous a pas été donée dune 
manière aussi sensible ; que d'ailleurs 
la vie des homes eft courte , 6c qu'ils 
sont plus ocupés de* leurs besoins Se 
de leur bien être , que de cultiver . 
leur esprit , & de perfe&ioner leur 
langage ; corne il y a tant de va- 
riété & d'inconftânce dans leur situa- 
tion , dans, leur état , dans leur ima- 
gination , dans les diférentes rela- 
tions qu'ils ont les uns J avec les au- 
tres ; que par la dificulté que les 
homes trouvent à prendre les idées 
précises de ceux qui parlent , ils re- 
tranchent ou ajoutent presque tou- 
jours à ce qu'on leur dit J que d'ail- 
leurs la mémoire n'eft ni afTez fidèle , 
ni assez scrupuleuse pour retenir & 
rendre exactement les mêmes mots 
& les mêmes sons , & que les orga- 
nes de la parole n'ont pas dans tous 
les homes une conformation assez 
uniforme pour exprimer les sons pré- 
cisément de la même manière ; en- 
lin corne les* langues ne sont .point 



La Catachrese, 75 

assez fécondes pour fournit a thaque 
idée un mot précis qui y réponde : 
de tout cela il éft arivé que les en- 
fans se sont insensiblement écartés de 
la matière xle parler de leurs pèrçs > 
corne ils se ^ont écartés de leur ma- 
nière de vivre & de s'habiller j ils 
ont lié au même mot des idées difé- 
rentes -& éloignées , ils ont doné à 
ce même mot des significations em-- 
pruntées , & y ont âtacîié un tour 
jdiférent d'imagination : ainsi les mots 
n'ont pu garder long-tems une sim- 
plicité qui les reftraignit à un seuJ 
usage j c'eft ce qui a causé plusieurs 
irrégularités aparentes* dans la Gram- 
maire ôc dans le régime des mots j 
çn n'en J>eut rendre raison que par 
la* conôissance dé leur première ori- 
gine, Se de l'écart, pour ainsi dire, 
qu'un mot a fait de sa première si- 
gnification & de son premier usage: 
ainsi cette figure "mérite une atten- 
tion particulière * elle règn^ en quel- 
que sorte sur toutes les autres fi- 
gures. 

Avant que dé finir cet article , je 
crois qu'il n'eft pas inutile d'observer 

D i 



x 76 La Catachrèse. 

que la catachrèse n'eft pas toujours 
de la même espèce. - . v 

1. Il y a la catachrèse qui se fait 
lorsqu'on done à un mot une signifi- 
cation éloignée , qui nefï qu'une suite 
de la signification primitive : c'eft ainsi 
que succurrere signifie aider , secou- 
rir : Pétere j /attaquer : Ammadvérte- 
re 9 punk : ce qui peut souvent être 
«porté à la métalepse , dont nous 
parlerons dans "la suite, 

11. La seconde espèce de catachrè- 
se n'eft proprement qu'une sorte de 
métaphore, c'eft lorsqu'il y a imita- 
tion & comparaison , corne quand 
- on dit ferrer d' argent 9 feuille de #&- 
fier , &c. 

II- 
La Métonymie. 

Changement Aje mot de Métonymie signifie trans- 
de j*™*** position , du changement de nom, 
danrîacom.un nom pour un auore. 
positonmar En ce sens cette figure comprend 
que change- tous | es au tres tropes j cat dans tous 



La MÉTONYMIE. 77 

dans le sens qui lai.eft propre, il ré- 
veille une idée qui pouroit être ex- 
primée par un autre mot. Nous re- 
marquerons dans la suite ce qui dis- 
tingue proprement la métonymie des 
autres tropes. 

Les maîtresse l'art reftraignent'la 
métonymie aux usages suivans. 

X.'La CAUSE POUR l'ÉFETJ 

par exemple : vivre de son travail y 
c'eft-à-dire , vivre de ce qu'on gagne 
en travaillant. 

Les Païens regardoient Cérès co- 
rne ! la Déesse qui avoit fait sortir le 
bl,é de la terre , & qui avoit apris 
aux. homes la manière d'en faire du 

{>ain : ils croyoient que Bacchus étoit 
e Dieu qui avoit trouvé l'usage du 
vin - y ainsi ils donoient au blé le nom 
de Cérès , & au vin le nom de Bac- ' 
chus ; on en trouve un grand nom- 
- bre d'exemples dans les Poëtés : Vir-Virg.£n.i; 

§ile a dit, un vieux Bacchus j pour*'* 1 ?* 
ire du vieux vin s Impléntur véteris 
Bacchi. Madame des Houlièrês a fait 
' une balade dont te refrein eft , 

I/ambur laogoît sans Bacchus & Cérès; 



7$ La MÊTONYMtjr, 

C'eft la tradu&ion de ce passage de 

Ter. Eum Téience , sine Cérçrz & L&eto friget 

Àft-f.*c. x. y enu $ % C'eft-à^-dire, qu'on ne songe 

guère à faire Famouf quand on n*a 

pas de quoi vivre. Virgile a dit : , 

Mn. t. ▼> Xum Cérerem conûptam undis cetealiâque* 
*•*• arma 

Expédiunt fessi rerum* 

Scarron , dans sa traduction bur- 
lesque , se sert d'abord' de la mëm& 
figuré j mais voyant bien que x:ette: 
façon de parler ae seroit point en- 
tendue en notre langue > il: en ajouta 
i'expifcarion : 

Lors fut des vaisseaux descendue? 

yî?^r°t»i " Toute la Cérès corrompue ; 
Y*ftû L**. En langage ua peu plus humaîfr,. 

Ceft ce de quoi l'on fait du pain» 

Ovide a. dit > qu'une tampe prête à 
s'éteindre se ralume quand on y verSa 
Pallas,. * c'eft-sUdire de l'huile : çe : 
fiit Pallas, selon. la fable, qui la pre^ 

* Cujus aballoquiis anima haec moribûnda. 
revixit , 
Ut vigil infusa Pallade flamma- solet Qv'hL 
Trift. L. îv. Et j.**. 4. 



La Métonymie. 79 
mière fit sortir lolivier de 1^ terre , . 
& enseigna aux homes l'art d§ faire 
de l'huile j ainsi Pallas se prend 
pour l'huile , corne Bacchus pour le 
vin. 

On raporte à la même espèce de 
figure les façons de parler , où le 
nom des Dieux du Paganisme se 
prend pour la chose à quoi ils pré- 
sidoient , quoiqu'ils nsn fussent pas 
les inventeurs. Jupiter se prend pour 
l'air , Vtdcain pour le feu : ainsi pour 
dire, où vas -m avec ta lanterne ? 
Plante a dit , que âmbulas tu j qui piauf# 
Vukânum in cornu conclùsum geris ? Amph. au. 
Où vas -tu toi qui portes Vulcain *• sc . i. v. 
enfermé dans une corne ? Et Vir- l8;# 
gile , furit Vukânus ; & encore au ^ ^ Vt 

{>remier livre des Georgiques , your- 662. 
ant parler du vin cuit ou du résiné 
que fait une ménagère de la cam- 
pagne y il dit qu'eUe se sert de Vul- 
cain pour dissiper l'humidité du via 
idouxv 

Aut duïcîs mufti Vulcâno dêcoquit humé- Geof &" f • 
rem. " ^ 

i Neptune se prend pour la mer j 

D 4 



80 La MÉTONYMIE. 
Mars le Dieu de la guerre se prend 
souvent pour la guerre même > pu 
pour la fortune de la guerre , pour 
l'événement des combats , l'ardeur , 
l'avantage des combattans. Les hifto- 
riens disent souvent qu'on a comba- 
tu avec un Mars égal , œquo Marte 
pugnâtum eft , c'eft*à-dire s avec un 
avantage égal ; ancipiti Marte , avec 
un succès douteux : varia Marte y 
quand l'avantage eft tantôt d'un coté > 
& tantôt de l'autre. <• 

C eft encore prendre la cause pour 
Péfet , que de dire d'un Général ce 
qui , à la lettre , rte doit être entendu 
que de son armée , ii en eft de même 
lorsqu'on ddne le nom de l'auteur à 
ses ouvrages : il a lu Gicétpn > Ho- 
race , Virgile ; c'eft-à-dire % les ou- 
vrages de Cicéron , Sec. 

Jésus- Chrift .lui-même s eft servi 
de la Métonymie en ce sens , lors- 
qu'il a dit y parlant des Juifs : ils ont 
Luc. c xvi. Moïse & les Prophètes, ceft-àrdirçi 
«.a?» ils ont les livres de Moïse & ceux 
des Prophètes, 

On clone souvent le nom de Fou- 
vrier à l'ouvrage : on dit d'un drap 



i 



La Métonymie. 8i 

que ceft un Van -Rabais , un Rouf- 

seau j uh Pagnon ^ ceft- à- dire , un 

drap de la manufacture de Van-Ro- 

-bais', ou de celle de. Roufleau , &c. 

Ceft ainsi qu'on done le nom dtt 

peintre, au tableau : on dit j'ai vu un 

beau Rtmbrant , pour dire un beau 

tableau fait par le Rembrant. On dit 

d'un curieux en eftampes, qu'il a un 

grand nombre de Callots , c'eft-à-dire > 

-un grand nombre d'eftampes gravées 

par Callot. 

On trouve souvent dans l'EcritUr- 
re Sainte * Jacob > Israël^ Juda j qui 
sont des nortis de Patriarches , pris 
dans un sens étendu pour marquer 
tout le Peuple Jiiif. JML Fléchier , 
parlant du sage & vaillant M^cha- 
bëe , auquel 2 compare M. de Tu- 
rêne, a dit « cet home qui réjouis- a^deSu 
» soit Jacob par ses vertus & par se£ de lurent* 
.*> exploits.» Jacob, ceft -à- dire , le 
Peuple Juift ^ 

Au lieu du nom de l'éfet , on se 
sert souvent du nom de la cause ins- 
trumentale qui sert à le produise : 
ainsi pour dire que quelqu'un écrit 
bien > c'eft-à- dire , <m'il forme bîça 



#1 La MÉTONYMIE» 

les caraûères de récriture, on dît 

qu il a uni belle main. 

h* plume eft aussi une cause inftru- 
mentale de 1 écriture , & par censé- 
. quent de la composition } ainsi plume 
se dit par métonymie , de . la ma- 
nière »de former les caractères de l'é- 
criture , & de la manière de corn- 
.poser. 

Plume se prend aussi pour 1 auteur 
même , c*e/t une bone plume y c'eft-i* 
dire , ç'eft un auteur qui écrit bien 4 
c'eft une de nos meilleures plumes > 
ceft-à-dire , un de nos meilleurs au- 
teurs. 

Style > signifie aussi par figure lac 
.manière d*exprimer les pensées* 

Lés anciens avoient deux maniè- 
res de former les caractères de l'écri- 
ture y Tune étoit pingenda y en pei- 
gnant les lettres» ou sur des feuilles 
d arbres, ou sur des peaux préparées, 
ou sur la petite membrane intérieu- 
re de i'écorce de certains arbres ; 
<erte membrane s'apèle en latin li- 
ber > doù vient liyre ;> ou sur de pe- 
tites tablètes faites de l'arbrisseau pa- 
pimsj ou sur de la toile ,. &c. Ils* 



La Métonymie. S> 

Renvoient alors avec de petits ro x 
seaux , & dans la suite ils se servi- 
rent aussi de plumes corne nous. 

L'autre : manière •décrire des an- 
ciens , étoil incidéndo j en gravant 
'fes lettres sur des lames de plomb ou 
de cuivre j ou bien sur des .tablètes 
de*bois , enduites- de cire. Or pouç 
graver les lettres sur ces lames , ou 
-sur ces tablètes, ils se.servoientd'un 
poinçon , qui étoit pointu par * un 
bout * & aplati par l'autre : la pointe 
servoit à graver , & l'extrémité apla- 
tie aervoit à éiacer j & c'eft pour cela 
tJti'Horace a dit ftylum yértere , tour- Lîb. i.»t. 
' ner le ftyle , pour dire éfacer , cori- Xm v,7a ' 
ger y retoucher à un ouvrage. Ce poin- 
çon s'apetok Stytus > * Style , tel eft * De *f*H 
4e sens propre de ce mot ; dans le J^™j£ * 
-sens figuré , il signifie la manière d'ex*^]^»*! 
primer les* pepsées. C'eft en ce sens 
que Ton dit, le ftyle sublime , le ftyle 
«impte , le ftyle médiocre , le ftyle 
Soutenu , le ftyle grave , le ftyle co- 
inique , le ftyle poétique, le ftyle de 
la conversation , &c» •; 

Outre toutes ces manières diféren* 
•tft d'exprimer ses pensées * manières 

D 6 



$4 Là M Et ONT MIE. 
qui doivent convenir 'aux sujets doAt 
on parle 9 & que pour cela on apèle 
ftyle de convenance ; 3 y a encore 
Je ftyle person«4 : ceft la manière 
particulière dont chacun exprime .ses 
pensées. On dit d'un auteur que son 
ftyle eft clair & facile , ou au con- 
traire, que son ftyle eft obscur, fcnv 
harassé > &c» on reconoît un auteur 
à son ftyle y ceft^l^dire > à sa ma- 
nière d'écrire ,• corne on reconoît un 
home i sa voix , 4 ses gcfte* t ôc à 
sa démarche. 

Style se prend encore pour les -di» 
ftrentes manières de faire les procé- 
dures selon les diféiens usages éta** 
blis en chaque jurisdiâiorî : le ftyle 
du Palais 5 le ftyle du Conseil , le 
ftyle des Notaires y ÔCc. Ce mot a 
encore plusieurs autres usages qui vièr 
nent par extension de ceux dont nçt* 
venons de parler. 

Pinceau , outre son sens propre i 
se dit aussi quelquefois p*r métony- 
mie , corne plume Se fiylt : on dit 
d'un habile peintre , que c'eft un sa- 
vant pinceau. 

Voici encore quelques exemples 



La Métonymie. 85 

tirés de l'Ecfiturt Sainte , où la cause 
eft prise pou* l'éfet* Si * peccdvefu * Le vit, c 
Âftima, portable iniquitâtem suam^ elle» v ' v * '• 
portera son iniquité, c'eft -à-dire, la 
peine de son iniquité, lram DàmmiMiQh.c.Ttu 
portâbo quômarn peccâvi > où vous Y *? # 
voyez que par la colère du Seigneur , 
il faut entendre la peine qui eft une 
suite de la colère. Non mordbitur opus *•«*«*• *• 
mercenarii tui ùpui te- usque manè /^ v " l ** 
opus , l'ouvrage * c'eft- à-cure , le sa- 
laire y la récompense qui çft due à 
1 ouvrier à cause de son travail. To- 
bie a dit la même chose à son fils 
tout simplement : Quicâmquc tibi àGf Toht *• **• 
. quid operâtus fàcr'u yftaùrn ei merci-*' *** . 
dem refiitue* & merces mercenarii tui 
apui te omninb non r émane at. Le Pro- 
phète Osée dit * que lés Prêtres man- 
geront les péchés di\ peuplé , piccâta y% 8 f %€ ' ir * 
pôpuFi nui cbmedent , c*efr-à-dire> les 
viâimes pfertes pour les péchés. 
"-■il. L'bfet pour ia cause: 4 
corne lorsqu'Ovide dit qtte le mont 
Pélion n'a point d ombres , nec habtt M«tam. L. 
Pélion umbras 1 c'eft-à-dire , qu'il xu.^. ji$% 
n a point d'arbres , qui sont la cause 
de l'ombre j l'ombre , qui eft l'éfec des 



t6 LA MtTONTMIE r 

arbres , eft prise ici pour les arbres 
mêmes. 

Dans fa Genèse Y il eft dit de Ré- 

becca , que deux nations étoieot? eft 

elle ; * c'eft- à-dite , Esa» Se Jacob , 

* tes pères dé deux nations ; Jacob de* 

Juifs , Esati des Iduméens. 

Les Poëtes disent la paie mort ^ /es 
pâles maladies , la mort & les mala- 
ime. Prol. d j es reIK j ent pâles. PallidâmqaePyré- 

nen , la " pâle fontaine de Pyrène : 
•c'étoit une fontaine consacrée aux 
Muses. Explication à fa poésie rend 
pâle , Corne touce autre aplication 
c violente. Par la même raison Vitgife 
a dit la rrifte vieillesse. . 

JEn. fc.'vï.pallentes habitant morbi triftisque Sëné£his« 

Lib. 1. Od. Et Horace ,. Pâllida mors. La mort , 
4. la maladie-, >&c les fonwçes consa- 

crées aux Muses , ne sout point pâles ; 
mais elles- produisent la pâleur t ainçi 
on dons a la cause une épithète qui 
ne «convient qu'à Téfetv. - * . *.., 

UT. lai CONTENANT VQVK 1B 

* Du» geitfes stjnt in utero tuo a & duo-po- 
puli ex ventre tuo divîdétitur. Gen. c. XxV. 



LA Mâ;TQNTM.I£. $7 

contenu : fpBté , quapd on dit * 
il aime la bouteille, c'eft*à-dire > ik 
aime le vin* Virgile c£t que TDidon? 
?^int présenté a Binas une coupe 
:<Tor pleine de vin , Bkias la prit & 
se lava , sarosa de cet or plein j; c'eft- 
à-dire ,- de la liqueur contenue dati& 
cette coupe don 

"•:*;.".; . ille impiger hausit X** 1 ** 
Spum£ntem pâteram, & pleno se préluît 74 * 
*auto. 

j/uro eft pria pour la coupe , ceft 
la matière pour la chose qui en eft 
faite , nous parlerons bien-rot de cette, 
espèce de figure > ensuite la coupe eft 
prise pour le vin. 

Le ciel > ou les anges, ôc les saints 
jouissent de la présence de Dieu,: se 
prend souvent pour Dieu même': Im- 
plorer le secours du ciel ; grâce au ciel : Pater peceà*- 
j*«i piohé contre le ciel & contre veœ& , T* în c<3cU ' m 
qit tentant prodigue a son père. i^xuctxT.f. 
^cUIsq prend aussi pour les Dieux du i>. 
Paganisme. ^Siiuitterr* 

jLd ferre 4e tut devant Alexandre ; ; e ju$.Macab. 
c'eft - à - dire , les peuples de la ferre L. u c. 1. ▼• 
se soumirent à lui ;,2l0/»c de'sàpmuva** 



88 Là MÉTONYMIE. 

la conduite d'Appius , c'eft-à-dire , lé* 
Romains désaprouverent : Toute l'Ew» 
rope s eft réjouie à la naissance /lu 
Dauphin ;ceft-à-dire , tous les sou- 
verains , tous les peuples de l'Europe 
se .sont réjouis. 

Lucrèce a dit que les chiens de 
chasse (nettoient une foret en mouve- 
ment ; * où Ton voit qu'il prend la 
forêt pour les animai» qui sont dans 
la forêt. 

Un nid se prend aussi pour les pe- 
tits oiseaux qui sont encore au nid. 

Carccr ; prison , se dit en latin d'un 
home qui tnérite la prison. 

iv. Le nom du v\\& % où une 
chose se fait , se ' prend pour i*a 
chose mbmi; on dit uxi'Caudebec , 
au lieu de dire ,. un chapeau fait à 
Caudebec , ville de Normandie. 

On dit de certaines étofas , c'eft 
une Marstïlk y c'eft-à-dire 4 une étofe 
de la mânufaâare de- Marseille : c'eft 
une Perse j c'eft-à-dire, une toHe peinte, 
qui vient de Perse. 

* Se'pire plagis saltunv canibûsqwe cite* 
JLuari L. v. v* i*ço* . 



JLa Métonymie, 89 
A propos - de ces sortes de noms » 
j'observerai ici une méprise de Ml 
Ménage > qui a^të suivie par les au- 
teurs du Didionaire Universel, ape- 
lé comunément Diûionaire.dë Tré- 
voux j c'eft au sujet d'une sorte de 
lame d'épée qu'on apèle Olindez les 
dindes nous viènent d'Alemagne » & 
sur- tout de la ville de Solingen \ dans 
le cercle de Weftphalie ; on prononce 
S dingue. Il y a apareflce que c*eft 
du nom de cette ville que les épées 
dont je parle > ont été apelées des 
dindes par abus* Le nom à'olinde y 
nom romanesque , étoit déjà conu , 
corne le nom de SUvie j\ces sortes 
d'abus sont assez ordinaires en fait 
d'étymologie. Quoiqu'il erç soit , M. 
Ménage & les auteurs du Didionai- 
re de Trévoux n*ont point rencontré 
heureusement , quand ils ont dit 
que les dindes ont été ainsi apelées 
de M< ville d'Qlinde dans le Brésil j 
d'ouWs nous disent qup ces sortes de 
lames Sont venues. Les ouvrages de fer 
.né viènent point de ce r p^ys-ià : il 
nous, vient du Brésil uae sorte de 
bois que "nous apeions hrésU 4 ii en 



L 



ço La Métonymie; 

vient aussi du sucre , du tabac , du 
baume , de l'or , de l'argent , &c : 
mais on y porté le fer de l'Europe > 
& sur tout le fer travaillé. 

La* ville de Damas en Syrie, au 
pïé du mont Liban , a doné son nom 
à une sorte de sabres ou de coureaux 
qu'on y fait : il a un vrai Damas % 
c'eft-a-dire , un' sabre ou un couteau 
, qui a* été fait à Damas. 

On done aussi le nom de Damas 
à une sorte d'étofe de soie , qui a été 
fabriquée originairement dans la ville 
de Damas \ on a depuis imité cette 
sorte d'étofe à Venise y à Gènes , à 
Lyon , &c. ainsi on dit Damas dç 
'Venise j de Lyon ± &c. On done en- 
core ce nom à : une sorte de prune , 
"dont la peau eft fleurie de façon 

Qu'elle imite Tétôfe dont nous venons 
e parler» 
Fayence eft une vilkî d'Italie dans 
la Ràmagne j on y a 'trouvé la ma- 
nière de faire une sorte de vaissèle 
de terre vfernissée', ijabn apèle de la 
fayence / oh à dit; etiiuîté par métony- 
mie , qu'on fait- de fort belles/ày erices 
■• en Hoiandë , a Nevèrs , à Rouen* &c* 



"EaMItonymie, 91 

C'eft ainsi que le Lycét se prend 

Cur les disciples d'A^iftote , ou pour 
doâribe quAriftote enseignait dans 
Je Lycée^.Zé Portique sq prend pour 
la Philosophie que Zenon ensei- 
gnoit à ses disciples dans le Porti- 
que* 

Le Lycée étoît. un lieu près d'A- 
thènes , où Ariftote enseignoit la. 
Philosophie en se promenant avec 
ses disciples ; ils furent apelés Péri- v^au» 
fatéticiens, du grec peripateo , je mt^mbuio âni- 
promène ; en ne pense point ainsi micaus *+ 
dans le Lycée j c'eft-à-dire, que les 
disciples d' Ariftote jtie sont point de ce 
sentiment. 

Les anciens avoîent de magnifi- 
ques portiques publics où. ils aîoiént; 
se promener ; côtoient des . galeries 
basses , soutenues par des cqlones ou 

{>ar des arcades > a -.peu -près corner 
a Place Royale de Paris > & corne* 
les cloîtres de certaines grandes mai-» 
sons religieuses. Il y en àvoit un 
entr 'autres fort çéîèbte à Athènes * 
©ù le Philosophe Zenon : tenoit son 
école m . ainsi par le Portique on eh~ 
teod souvent la phfosofhtt'de^aQft h 



çt La Métonymie. 

la do&rine des Stoïciens ; car les dis- 
ciples, de Zenon furent apelés Stcîi- 
** ciens du grec Jloa , qui signifie pof- 
tique. Le Portique n'eft pas, toujours 
d'accord avec le Lycée 3 c'eft-a-dire , 
que les sentimens de Zenon* ne sont 
pas toujours conformes à ceux d'A- 
riftote. 

Rousseau , pour dire que Cicéron 
dans sa maison dç campagne médi- 
toit la philosophie d'Ariftote & celle 
de Zenon , s'explique en ces termes : 

Rousseau Ç^k & <¥** ce Romain , dont l'éloquente 
Lit. l. Od« " voix , 

^* D'un joug presque certain , sauva sa Ré- 

publique, 
Fortifioit son cœur dans l'étude des loix ; 
Et du Lycée , & du Portique. 

Académus laissa près d'Athènes un hé- 
ritage où Platon enseigna la philoso* 

-phie. Ce lieu fut apeié Académie 3 
ou nom de son ancien possesseur j 
de là la do<5trine de Platon fut ape- 
lée $ Académie. On done aussi par ex- 

. tension le mot d'Académie a diféren- 
fies assçm W^es de smos qui t'apli- 



La Métonymie. 93 

-quent a cultiver les langues , tes scien-* 
ces , ou les beaux arts. 

Robert Sorbon , confesseur & au- . 
mônîer de S. Louis , inftitua dans 
l*Université de Paris oetçe fameuse 
école de' Théologie , qui du nom de N 

- son fondateur eft apelée. Sorbonc : le 
nom de Sorbone se prend aussi par 
figure pour les Do&eurs de Sorbone, 
ou pour les sentimens qu on y en- 
seigne : La Sorbone enseigne que ta 
puissance Ecclésiajlique ne peut ôter 
1 au$ Rois. les courones que Dieu a mi- 
ses sur leurs têtes ^ ni dispenser leurs 
sujets du. serment de fidélité. Regnum Joan, c; 
meum non eft de hoc mundo. xvm.v.3^ 

v. Le signe. pour la chosi 

SÏ'GNlFliE, 

Dans ma vieillesse languissante , Quînault. 

Le Scçptre que je tiens pesé a ma main #em- 1 x , K I 
Mante. 

Ceft4-dirë , je ne suis plus dans un 
âge convenable pour me bien aquiter 
<k$ soins que demande la Royauté. 
/ Ainsi le (Sceptre se prend pour Tau* 
torité royale .; le bâton de Maréchal 
de France > pour la digniré de Maréchal - 



94 La Métonymie. 
cle France ; le chapeau de Cardinal i 
& même simplement le chapeau se dit 
pour le Cardinalat. . 

Vépée se prend pour la profession 
militaire ; la Robe pour la Magistra- 
ture , & pour l'état de ceux qui sui- 
vent le bareaiu 

Corn. le À la fin j'ai quité U Robe pour FÉpée. 
lîfenteur , 

*ô. u $c. u -Cicéron a «fit «que les armes doi- 
* 9 *• vent céder à la robe; 

Cédant arma toga ; concédât laiirea 
lingwz* ' 

C'eft-à-dite , comme il l'explique 
lui-même , * que la paix l'emporte 
sur la guerre , & que les vertus civi- 
les & pacifiques sont préférables aux 
vertus militaires, 

* »» La lance , dit Mézerai , étoit 
^ waî ' » autrefois la plus noble de toutes 

France/»/.? les armes dpnt se servissent les 
tom. j.'pag.» Genrilshomes françois : » la. que- 
5)00f 

* More Poetârum locûtus hoc intélfigf 
vAlui, bellum ac tumûltum paci atque otio 
coiicesstirum. Oc. Orat. in Pison, n. 73. 
aliter xxx. 



Là MÉTONYMIE. Çf 
nouille étoit aussi plus souvent qu au- 
jourd'hui enrre les mains des fem- 
mes : de Ai on dit en plusieurs oca- 
sîons lance y pour signifier un home, 
& quenouille pour marquer une fem- 
me : Jief qui tombe de lance en que- 
nouille j c'eft-à-dire , fief qui passe 
des mâles aux femmes. Le Royaume 
de France ne tombe point en que- 
nouille > c'eft-à-dire , qu'en France 
Ijès femmes ne succèdent point à la 
i couronne : mais les Royaumes d'Es- 
pagne , d'Angleterre , & de Suéde ; 
tombent en quenouille ; les femmes 

S eurent aussi succéder à l'Empire de 
loscovie. 
C'eft ainsi que du tertip£ des/ Ro- 
! mains Je* faisceaux se prenoient pour 
l'autorité consulaire j les aigles romai- 
nes , pour les armées des Romains 
qui avoîent des aigles pour enseignes, 
L'Aigle qui eft le plus fort des oi- ' 
seaux de proie , étoit le symbole de • 
la vi&oke chez les Egyptiens. 
- Salufte a dit que • Catilinà , après Saluft.CatU. 
f avoir rangé soh armée en bataille , 
fit un corps de réserve des autres en- 
seignes , c'eft-à-dire * des autres troupes 



96 LaMetony mi t; 

qui litireftoient 9 réliqua signa in sufc 

sîdiis ârcHùs coliocat* 

On. trouve souvent dans les auteurs 
latins Pubes > poil folet , pour, dire 
la jeunesse * les jeunes gens ; c eft 
ainsi que ftpus disons familièrement t 
un jeune home , vous êtes une jeune 
barbe ; c'eft-à<-dite 5 Voïis n'avez pas 
encore assez d'expérience. Cânîties / 
» «, »*- pour la vieillesse. * Non dedàces car 

c. i. v. 6; nitiem efus ad, mjeros» * * Ueducetis 
** G * n ' c -canos meos cum dolôre ad ïnferos. 

4*-v v 3*. £ es jj yer ^ symboles dont les an- 
ciens se sont servis , & dont nous 
nous servons encore quelquefois pour { 
marquer ou certaines Divinités \ ou 
certaines nations ,' o u enfin les vices 
& les vertus , ces symboles , dis-je , 
sont souvent employés pour marquer 
la chose dont ils sont le symbole. 

BoiWuu , En va1n au *** belgîque 

Ode. sur la II voit Y Aigle germanique 

prise de Na- Uni ^ les léopards. 

Par le Lion belgique ,-ié Poëre entend 
les Provinces unies des *j>ay$ bas : par 
I* Aigle germanique > il entend T^Ifc- 

magnej 



La Métonymie. 97 

magne j & par les Léopards , il dési- 

fne l'Angleterre , qui a 4e* léopards 
ans ses armoiries. 

Maïs qui fait enfler la Sambre, -, .... 

Sous les Jumeaux efrayés. 

Sous les Jumeaux > c eft-à-dire , à la 
fin du mois de mai & au commence- 
ment du mois de Juin. Le roi assié- t _ 
sea Namur le 16 de Mai \6$i m & """ 

la ville fut prise au mois de Juin sui- 
vant. Chaque mois de Tannée çft dé- 
signé par un signe vis -a -vis duquel 
le soleil se trouve depuis le ai. d'un 
mois où environ, jusqu'au ai. du 
mois suivant. 



\ 



Sunt Arles ,Taurus, Gemini , Cancer ,Xeo ; 

Virgo * 
Lîbraque , Scôrpius , Arciteaens , Caper ; 

Ampbora , Pisces. 

Varies y le Bélier comence vers le ai; 
-du mois de Mars , ainsi de suite. 

» Les villes , ïfes fleuves , les ré- Montf. An* 
i> gions & même les trois parties dutiq. expii«(. ; 
*» monde avoient autrefois leurs sym- tom * *«• p f 
r tôles, quiétoient corne les armoi- 18 *' 

E 



98 La Métonymie. 

i» ries par lesquelles on les diftinguoit 

» lés unes des autres. 

Le trident eft le symbole de Nep-> 
tune : le pan eft le symbole de Ju- 

^ non : l'olive ou l'olivier eft le sym- 
bole de la paix & de Minerve , Déesse 

. des beaux arts : le laurier étoit le sym- 
bole de la vi&oire j les vainqueurs 
étoient couronés de laurier , . même 
les vainqueurs dans les arts & dans 
les sciences , c'eft-à-dise , ceux qui 
s'y diftinguoient au-dessus des autres. 
Peut-être qu'oçi en usoit ainsi à l'é- 
gard de ces derniers , parce que le 
laurier étoit consacré à Apollon , Dieu 
de la poésie Se des beaux arts. Les 
Poètes étoien* sous la prote&ion d'A- 
pollon & de Bacchus ; ainsi ils étoient 
couronnés , quelquefois de laurier , & 
quelquefois de lierre , docldrurn édere 

Hor 1. i.P ramia frontiu™* 
Od.i.v.aj. La palme étoit aussi le symbole de 
Voy. .aussi la vi&oire. On dit d'un saint , qu'il 
è pmef^ remporté la palme du martyre. Il 
y a dans cette expression une méto- 
nymie , palme se prend pour viEtoi* 
rc y Se de plus l'expression eft mé- 
raphorique j la victoire dont on veut 



La Métonymie. 99 

parler , eft une vkioire spirituèle. 

» A l'autel de Jupiter, dit le P. 1 f t ^ fB E ^ 
» de Montfaucon , on mettoit des ^j^T ** 
»> feuilles de hêtre : à celui <TApol- 
» Ion , de laurier : à celui de Miner- 
» ye , d olivier : à celui de Vénus , 
v> de myïthe : à celui d'Hercule > de 
» peuplier : à celui de Bacchus , de 
» lierre : à celui de Fan , de feuilles 
w de. pin; 
l vi. Le nom abstrait pour le 
[ cofocRET; Jexpliqup dans un arti- 
i cle exprès le sens aoftrait & le sens 
concret, j'observerai seulement ici que 
: blancheur* eft un terme abftrait \ mais 
| quand je dis que ce papier eft blanc 3 
blanc eft alors un terme concret. Un 
nouvel esclave, se forme tous les jours 
pour vous j dit Horace, c'eft-à-ctire > 
vous avez tous les jours de nouveaux 
esclaves. Tibi sérvitus crescit nova. Sér- J*°! # llV - *• 
vitus eft un abftrait, au lieu de servi > ' ' # 
ou hovi amatcres qui tibi serviant. In- Hor. \w. a# 
yûlia major j au-dessus de l'envie, ^ 20 ; 
c'eft-à-dire , triomphant de mes en- 
r vieux. 

Cuftôdia j garde , conservation , se ^«-i- «*•" 
' wend en latin pour ceux qui car- v " 2 
I - *" • E z / 



, IO0 La MÉTONYMIE. 

dent , noclem cuftbdia ducit insômntnu 
Spes j l'espérance , se dit souvent 
Çtov. c. P our ce qu'on espère. Spes quœ differ- 
xii*. v. il tur affligït ânimatn* 

Petitio j demande , se dit aussi pour 

• *««, ^ » k chose demandée. Dédit mihi demi" 

I. iv eg. ci. m t ^ 

v. 27. nus petitionern meam. 

Ceft ainsi que Phèdre a dit , tua 

Lib. x . fab. • / . x y y n \ r 

* calamitas non sentiret > c eft -a -dire, 
tu calamitôsus non sentires. Tua cala" 
mitas eft un terme abftrak , au lieu 
que tu caldmitôsiis eft le concret. Cre- 
dens colli longitàdinem * pour collum 

*!?££ b ;?' lonzum : & encore éorvijlupor** qui 
,. eft 1 abltrait , pour corvus jtupidus Qj& 

eft le concret. Virgile a dit de même ; 

/erri rigw *** qui eft labftrait , au 

1. 1. v. Mîf ^ eu ^ e f errum rîgidum qui eft le 
concret. 

vu. Les parties du corps qui sont 
Regardées corne le siège des passions 
& des sentimens intérieurs se prè- 
nent pour les sentimens tnémes : c'eft 
.ainsi qu'on dit il a du cçsur ? c'eft-à- 
dire , du courage. 

Observez que les anciens regar- 
daient le cœur com'è le siège de la 
sagesse , de l'esprit, <Je l'adresse ; mû 



La Métonymie, ioi 

habet cor *dans Plaute, ne veut pas *Cataeft& 
dire corne parmi nous , elle a du cou- caiiida, habet 
rage , mais elle a de l'esprit ; vir cor- Z'JJa."'. 
dâtus y veut dire en latin un home de sc> 4 . v . 71. 
sens , qui a un bon discernement. Si eft miw 

Cornutus , philosophe Stoïcien ^.SijUide 
qui fut le maître de rerse , & qm a vimdu^nct 
été ensuite le comentateur de ce-Poë.-' pw.Mos- 
te , fait cette remarque sur ces paroles tel - aa - «•««• 
,de la première satyre : sum pctulânti ,v ' 3 ' 
splene cachinno.j* Physici dicunt ho- 
» mines splene ridére > felle irâsci , 
» jécore amâre , corde sâpere & pul- 
» mone ja&âri. » Aujourd'hui on a 
d'autres lumières. 

Perse dit que le ventre > c'eft-à-dire, p er $e. 
la faim , lé besoin, a fait qprendre aux Prolog. 
pies & aux corbeaux à parler* 

La cervèle se prend aussi pour l'es- 
prit , le jugement ; O la belle tête ! O quanta 
s'écrie le renard dans Phèdre , quel do- *?*«" ! «<• 

„ , .1 \t 1 r\ ™rutn non 

mage , die n a point de cerveie ! Un habet- Ph# u 
dit d'un étourdi , que c'eft une 1ete1.ftb.-7. 
sans cervèle : Ulysse dit à Eùryale , 
selon la tradù&ion de Madame Dacier , 
jcme home , vous ave\ tout Vair d'unOày%%.T % x> 
ecèryelé ï ce&-à-dite > corne elle l'ex-P-'î» 
plique dans ses savantes remarques , 

E 3 



ioz La Métonymie. 
y ouï ave% tout l'air d'un home peu sàgt* 
Au contraire , quand on dit 3 c'eft m 
'home de tête j cefi une boue tête 3 on 
veut dire que celui donc on parle , eft 
x un habile nome , un home de juge- 
ment. La tête lui a tourné , c'eft-à- 
dire ,. qu'il a perdu la bon sens , la 
présence ^esprit. Avoir de U tête, se 
dit aussi figurément d'un opiniâtre: 
Tête de fer^ se dit d'un home apUqué 
sans relâche , & encore d'un entêté. 

La langue ' y qui eft le principal or- 
gane de la parole , se prend pour la 
parole : c*ejl une méchante langue > 
c'eft- à -dire , c'eft un médisant ; avoir 
la langue bhen pendue > c'eft avoir k 
talent de h parole % c'eft parler faci- 
lement. 

viir. Le nom du maître de la 
maison se prend aussi pour là mai* 

&>. ». son v® oc yp e r ; y*g* \i\>J m 

312. proximus ardet Ucalegon^ eeft-a*dire» 

le feu à déjà pris i la maison d'U~ 
calégon. 

On dons aussi aux pièces de mo- 

noie lé nom du Souverain dont elles 

c 2^ t B ^; portent l'empreinte. Ducéntos Philip- 

ic. a. v. 8. pos reddat aureos : qu'elfe rende deux 



La Métonymie; 105 
cehs Philipes d'or > nous dirions deux 
cens Louis cTon 

Voilà les principales espèces de mé- 
tonymie. Quelques-uns y ajoutent la 
métonymie , par laquelle on nome 
ce qui précède pour ce qui suie , oti 
ce qui suit pour ce qui précède - y c'eft 
ce qu on apèle l'Antécédent pour 
le Conséquent, ou le Consé- 
quent pour l'Antécédent} on 
en trouvera des exemples dans la mé- 
talepse , qui n'eft qu'une espèce de 
métonymie à laquelle on a doné un 
nom particulier ; au lieu qu'a l'égard 
des autres espèces de métqnymie , 
dont nous venons de parler , on se 
contente de dire métonymie . de la 
cause pour l'éfet , métonymie du con- 
tenant pour le contenu , métonymie . 
du signe, &C- 



E 4 



tdtio 



104 La Métalepse." 
I I I. 

LA MÉTilLEPSL 

Transmu JLi a Métalepse eft une espèce dfe 

^^ ' métonymie , par laquelle on explr- 

xùL/xterL , que ce qui: suit pour faire entendre 

cdpia. œ q U i précède j ou ce qui précède 

pour faire entendre ce qui suit : elle 

ouvre , pour ainsi dire , k porte » 

inft. oraudit Quinrilien, afin que vous passiez 

Ltuuc (• d'une ^e à une autre , ex dlio im 

âliud viam prœftât ; c eft Tantécédenc 

pour le conséquent y ou le conséquent 

pour l'antécédent , & c'eft toujours le 

jeu des idées accessoires dont lune 

réveille l'autre. 

Le partage des biens se fesott sou* 
vent S: se fait encore aujourd'hui % 
en tirant au sort : Josué se servit dô 
cette manière de partager» * 

* Clinique surrexissent viri , ut purgèrent 
ad describendam terram , praecépît eis Jâsue 
dicens ; circulte terram & descrvbkë eam ac 
revertimtni ad me; ut hic coram domino, in 
Silo mittam vobis sorteuu Josué> chap* xviuu 
v. S. 



La Métàlepse. 105 
, . Le son ; précède le partage ; de là 
vient que sors en latin se prend sou- 
vent pour le partage même , pour la 
portion qui eft échue en partage ; c'eft 
le nom de l'antécédent qui eft doné 
au conséquent. 

Sors signifie encore jugement , ar- 
rêt , c'étoit le sort qui décidoit chez 
les Romains , du rang dans lequel 
chaque cause devoit être plaidée : * 
ainsi quand on a dit sors pont juge- 
ment , ona pris l'antécédent pour le 
conséquent. 

Sortes en latin.se prend encore pour 
un oracle , soit parce qu'il y avoit 
des oracles qui se rendoient par le 
sort , soit parce que les réponses des 
oracles étoient corne autant de ju- 
gemens qui régloient la deftinée , le 

* Ex more romano non audiebàntur causas, 
nisi per sortent ordinâtae.Témpore enîm quo 
causse audiebàntur , convéniebant omnes 9 
uhde & coneilîum : Ça ex sorte diérum Ar- 
dinem accipiébant , quo port dies ftiginta 
sua» causas exequérentur , unde eft urnam 
moyet. Servius in illud VirgUii > 

Nec vero bac sine sorte data» , sine jûdicc 
sedes. JEn. 1. v. v. 431. 

E5 



106 LA MÉTALEPSE. 

j>artage ; l'état de ceux qui les coi*- 
sultoient. 

On croit avant que de parier j je 
* C:WîdS j crois * dit le Prophète, & c'eft pour 
ecdtus s,m. cela que je parle. Il n y a point la 
Pi.HJ.y. i.de métalepse : mais il y a une méta- 
lepse quand on se sert de parler oU 
de <#re pour signifier croire,; ditex- 
vous après cela q\ie je ne suis pas de 
vos amis ? ç'eft*i-dire , croirez- vous ? 
aurez-vous sujet de dire ? 

Cedo veut dire dans le sens pro- 
pre , je cède j je me rens .« cependant 
par une métalepse de l'antécédent 
pour le conséquent , cedo signifie sou* 
vent dans les meilleurs auteurs dites 
ou done% : cette signification vient 
de cç que quand quelqu'un veut 
j&ous parler , & que nous ^parlons 
toujours nous - mçmes , nous ne lui 
douons pas le tems de s'expliquer 2 
qçoute^-moi 3 nous dit -il ; hé bien je 
vous cède y je vous écoute , parlez ; 
çedo 3 die* 

Quand on veut nous doner quel- 
que chose y nous refusons souvent 
par civilité, on nous presse d'accep- 
ter, & enfin nous répondons je vous 



La Métalepse. 107 

ccdc y je vous obéis , je me rens r 
done% , cedo >da ; cedo qui efi le plus 
poli de ces deux mots , eft demeuré 
tout seul dans le langage ordinaire , 
.sans être suivi dé die ou de da qu on 
suprime par ellipse : cedo signifie alo^s 
-ou l'un ou l'autre de ces deux mots r 
selon le sens ; c'eft ce qui précède 
pour ce qui suit ; & voila pourquoi- 
on dit également cedo y soie quoi» 
parle à une seule persone ,. ou à plu- 
sieurs t car tout l'usage de ce mot* 
dit un ancien Grammairien , x'effc de -5 <3rrn?I ^ . 
demander pour soi ? cedo sibi posât auftdres îin- 

& tfi immobile* gu* latinae t 

'On raporte de même à la Jnéta-£^ 3 3J. v% 
lepse ces façons de parler , il oublie 
lès bienfaits ; c*eft-à~dire , il n'eft pas» 
reconnoissant. Souvenez-vous de notre 
convention , e'eft-à-dire , observez no-» 
tre convention : Seigneur , ne vous 
ressouvenez point de nos faute* > c'eft- 
à-dire , ne nous en punissez point y 
acordez-nous-en le pardon : Je ne _ • 
vohs conois pas , c elt-a-dire , je ne nes mort ii M 
fais aucun cas de vous , je vous roé- ignorant & 
prise y vous êtes à mon égard corne lwdlficallt * 
n'étant point. 

E 6 



108 La Métalefse. 

Il a été , il a vécu , veut dire son- 
a5Ta vent > " ^ f ô " i <*<* Tantécédenr 
iv. se. 3. v. pour le conséquent. 
13* 

, . . . Cea çft fait » Madame , & j'ai vécut» 

Rao. Mi- 

thrid. *&. v. c'eft-à-Jire , Je me meurs. 

te* de?». u n moFt e jj re g ret é par ses amîs ; 

ils voudraient qu'il fut encore en 
vie , ils souhaitent celui qu'Us ont 
perdu , ils le désirent : ce sentiment 
supose la mort, ou dû moins l'al>- 
sènee de la persone qu'on regrète* 
Ainsi la mort , la perte ou F absence 
sont l'antécédent ; & le désir 4 k rc~ 
gret sont le conséqi*ent. Or, en la— 
- tin desïderdrt , être souhaité , se prend 
pour être mort, être perdu , être ab- 
sent , c'eft le conséquent pour l'ari^ 
recèdent , c'eft une métalepse. Ex 
* * t parte Àlexandri triginut émnînb & 
<uc.i!,fin.^°j ou selon d autres ,* trecenti ont- 
nirib j ex peditibus desiderâti sunt 1 
du côté d'Alexandre il* n'y eut en 
tout que trois cens fantassins de tués , 
Alexandre ne perdit que trois cens 
homes d'infanterie. NuUa nâvis desi- 
€*««* derabâtur : aucun vaisseau n'étoit dé- 
siré x ç'e£-à*dke % aucun vaisseau ne. 



L A M Ê T A L E PS E. 109 

périt , il n'y eut aucun vaisseau cfe 
perdu. 

*» Je vous avois promis que je ne 
» serois que cinq ou six jours à la 
# campagne , dit Horace à Mécénas , 
» 8c cependant j'y ai déjà passé tout 
» le mois d'Août. 

Quinque dies tibi pollichus me rare futurum, ' 
Sextilem totum , tnendax , desideror. 

Où vous voyez 'que desideror veut 
dire par métalepse , je suis absent de 
Rome, je me tiens à la campagne. 

Par la même figure , desidtrâri si- 
gnifie encore manquer ( defïcere ) être 
tel que les autres aient besoin de 
nous. n. Les Thébains > par des in- 
v trigues particulières , n'ayant point 
» mis Epaminondas à la tête de leur 
» armée , reconurent bien-tôt le be* 
» soin qu'ils avoient de son habileté 
» dans lart militaire : » * <&jirf*-* Com#Ne * 
tari eœpta efi Epamhnôndœ dilïgéntia.il*™\ % * 7 * 
Cornélius Népos dit encore que Mé- 
néclide jaloux de la gloire d'Epami- 
nondas, exhortoit continuèlement les 
Thébains à la paix , afin qu'ils ne sen- 
tissent point le besoin qu'ils avoienc 



no La Métàlepse. 

de ce général. Bortari soiébat TkebA- 
tios , ut paccm bcllo antcferrent , ne 
illius impcratéris opéra desiderarétar. 

La métaiepse se fait /donc lors- 
qu'on passe corne par degrés d'une 
signification à une autre : par exem- 
ple y quand Virgile a dit , après quel- 
P»ft ftîcpiot ques épis , c eft-à-dire y après quelques 
mta régna vî-aunées. : l es épis suposent le tems dç 

cens nairabor 1 - f 1 i * 

«riftas. Vire,™ moi * swl 9 & ^mS de la molSSOJÏ 

Eci.i^.7o!supo$e Tété, & l'été supose la ré- 
# vcâution de l'année. Les roëtes piè- 

gent les hivers, les étés» les mois- 
sons y tes autones , & tout ce qui 
n'arive qu'une fois en une année y 

rur Tannée même. Nous disons dans 
discours ordinaire , c'efi un v'm de 
quatre feuilles * pour dite » c'eft un vin 
de quatre ans; Se dans les coutumes 
Coût. «*e ou trouve bois de quatre fouilles y c'eft- 
Uudun ,tk^ à-dire , bois de quatre années^ 
*4, art. 3. Ainsi le nom des diférentes opé- 
< rations de l'agriculture se prend pour 
le tems de ces opérations , ceft le 
conséquent pour l'antécédent , k mois- 
son se prend pour le tems de la ^mois- 
son '. y la vendange pour le tems de 
la vendange j il ejl mojrt pendant la 



La Metaxepse. -m 

moisson y ceft-à-dire % dans le teins, 
de la moisson. La moisson se fait or- 
dinairement dans, le mois d'Août , 
ainsi par métonymie où métalepse , 
on apèle la moisson l'Août , qu'on 
prononce Yoi , alors te tems dans le- 
quel une chose se fait, se prend -pour 
la chose même > & toujours à cause 
de la liaison que les idées accessoires 
ont entre elles. x 

On raporte aussi à cette %u*ç ces 
façons de parler des Poètes , par les- 
quelles ils pcènent l'antécédent pour 
le conséquent , lorsqu'au lieu a une 
description , ils nous mètem devant 
les yeux le ait que la description 
sùpose. 

» O Ménalque ? si nous vous pet- 
» dions , dit Virgile , * qui émailk- 
» roit la terre de fleurs ? qui feroit 
» couler les fontaines sous une 6m- 
» bre verdoyante ? » Ceft-à-dïre > 

3ui chanteroit la terre émaïllée de 
eurs ? Qui nous en feroit des des- 
criptions aussi vives & aussi riantes 

* Quis caneret nymphas ? Quis humum 
florentibus herbis spargeret, aut viridi fontes 
iadiiceret timbra l Firg. EcL iv. v. 19, 



àîi La Métalepse. 

que celles que vous en faites ? Qui 
nous peindroit corne vous ces rais- 
seaux qui coulent sous une ombre 
verte ? 

Le même Poëte^a dit , * que » Sî- 
9» lène envelopa chacune des sœurs de 
» * Phaéton avec une écorce àmère r 
» & fit sortir de terre de grands peu* 
» pliers; » c'eft-à-dire, que Silène 
chanta d'une manière si vive la mé- 
tamorphose des sœurs de Phaéton en 
peuplier , qu'on croyoit voir ce chan- 
gement. Ces façons de parler peu- 
vent être raportées à l'hypotypose donc 
nous parlerons dans la suite. 

* Tum Phaetontfadas musco drcûmâat 
amâr» 
Cftrtlcîs , atque solo, procéras érigit alnoc» 
Firg. EcL vit v. 6a, 



La Synecdoque, iij 

IV. 
La Synecdoque.* 

JLj i terme de Synecdoque signifie *«*«*/<>;#. 
compréhension, conception : en éfet Çompréheiv» 
dans la Synecdoque on fait conce- 
voir à l'esprit plus ou moins que le 

* On écrit ordinairement Synecdoche , voi» 
ci les raisons qui me déterminent à écrire 
Synecdoque. 

i°. Ce mot n'eft point un mot vulgaire 
qui soit dans la bouche des gens du monde , 
ensorte qu'on puisse les consulter pour co- 
noître l'usage qu'il faut suivre par raport à 
la prononciation de ce met. 

a°. Les gens de lettres que J'ai consulté! 
le prononcent diféremment , les uns disent 
Synecdoche à la françoîse , corne Roche , & 
ks autres soutiènent avec Richelet , qu'on 
doit- prononcer Synecdoque. 

3°. Ce mot eft tout grec ^JVBKSoxi] ; il 
faut donc le prononcer en conservant an # 
sa prononciation originale , c'eft ainsi qu'on 
prononce & qu'on écrit èirozq ; Monarque 
fAOvàpzw & i*6»ccp%cç' ; Pentatenque , Fîey- 
rdlevxoç ; Anàromaque , A*v$fOfAci%ti , 7#£- 
mtaque , lvi>.ipx%oç , &c. On conserve la 
même prononciation dans Echo % H^cy ; 
Ecole « Schola 2*0À$ % &c* 



ii4 La Synecdoque. 

mot dont on se sert ne signifie dans 
le sens propre. 

QuancLau lieu de dire d'un home 
qu'il aime le vin , je dis qull aime 
la bouteille , ceft une simple méto- 
nymie , c'eft un nom pour un autre : 
mais quand je dis cent voiles pour 
cent vaisseaux -, non seulement je prens 
un nom pouf an autre , mais je done 
au mot voiles une signification plus 
étendue que celle qu'il a dans le sens 
propre j je prens la partie pour le 
tout. 

Je croîs donc que synecdoque étant un 
mot scientifique qui n'eft point dans l'usage 
vulgaire, il faut récrire aune manière qui 
n'induise pas à une prononciation peu con- 
venable à son origine. 

4 a . L'usage de rendre par ch îe % des 
Grecs , a introduit une prononciation fran- 
Çpise dans plusieurs mots que nous avofts 
pris des Grecs. Ces mots étant devenus co- 
mmis , 6c l'usage ayant fixé là manière de 
les prononcer & de les écrire , respectons 
l'usage , prononçons catéchisme > machine , 
chimère* Archidiacre, Archheftc , &c* corne 
nous prononçons cki dans les mots franco is ; 
mais encore ua coup Synecdoque n'eft point 
un mot vulgaire , écrivons, donc & pronoa- ' 
çons Synecdoque. 



Là Synecdoque, iiç 

La Synecdoque eft donc une espè- 
ce de métonymie , pa* laquelle on 
done une signification particulière à 
un mot , qui dans le sens propre à 
une signification plus générale j ou 
au contraire, on done une significa- 
tion générale à un mot qui dans le 
sens propre n'a qu'une signification 
particulière. En un mot , dans la mé- 
tonymie je prens un nom pour un au- 
tre , au lieu que dans k Synecdoque % 
je prens le plus pour le moins , ou le 
moins pour te plus* 

Voici les diférentes sortes de Sy- 
necdoques que les Grammairiens ont 
remarquées. 

i. Synbcdoque dv genre : 
corne quand on dit les morcels pour 
les homes , le terme de mortels de- 
vront pourtant comprendre aussi les : 
animaux qui sont sujets à la mort 
aussi -bien que nous : ainsi > quand 

Ear les mortels on n'entend que les E 5 ntes '? 
ornes , c eft une synecdoque 4u gen- vérsum P r«- 
re : on dit le plus pour le moins. - àkite evan-~ 
Dans l'Ecriture-Sainte % créature ne^ lk ? omni 
signifie ordinairement que les homes ; M ^ Ct ^ 
c*cft encore ce qu'on apèle la synec-v* t$. 



n6 La Synecdoque* 

doque du genre , parce qu'alors un 
mot générique ne s'entend que d'une 
espèce particulière : créature eft un 
mot générique 9 puisqu'il comprend 
toutes les espèces de choses créées , 
les arbres , les animaux > les métaux, 
&c. Ainsi lorsqu'il ne s'entend que 
des homes, c'eft une synecdoque du 
genre , c'eft- à-dire , que sous le nom 
du genre , on ne conçoit , on n'ex- 
prime qu'une espèce particulière ; on 
reftraint le mot générique à la simple 
signification d'un mot qui ne marque 
qu'une espèce. 

Nombre eft un mot qui se dit de 
tout assemblage d'unités : les Latins 
se sont quelquefois servis de ce mot 
en le reftraignant à une espèce par- 
ticulière. 

i. Pour marquer l'harmonie , le 
fvèu'ot. c hant > il y a .dans le chant une pro- 
portion qui se compte. Les Grecs apè- 
lent aussi ruthmos tout ce qui se fait 
avec une certaine proportioa : Quid- 
quid certo modo & ratiône fit. 

Virg. Ed. • . . Numéros mémini , si verba tenérem. 
» Je me -souviens de la mesure: 



La Synecdoque. 117 

v> de l'harmonie , de la cadence , du 
» chant , de l'air ; mais je n'ai pas. 
» retenu les paroles. 

2. Numerus , se prend encore en 
particulier pour les vers , parce qu'en 
éfet les vers sont composés d'un cer- 
tain nombre de pieds ou de syllabes;' 
Skribimus numéros > bous fesons des Perf. sat; 
vers, - v * 3» 

j. En françois nous nous servons 
> aussi de nombre ou de nombreux , pour 
I marquer une certaine harmonie , cer- 
! taines mesures , proportions ou ca- / 

dences , qui rendent agréables à l'o- 
reille un air, un vers , une période, 
un discours. Il y a un certain nonv- 
bre qui reiid les périodes harmonieu- 
ses. Oh dit d'une période 'qu'elle eft 
fort nombreuse , numerôsa qrâtio ; cîc - 0rat * 
ceft-à-dire , que le nombre des .rçU* r ^ L ££'£; 
bes qui la composent eft si bien dîftrir 
bué , que l'oreille en eft fripée agréa- 
blement : numerus a aussi cette signi- 
fication en latin. In oratione numerus Cjc Orat. 
laimè , graci } v 6f*èç , inéssé dicitur. . . "^^ 
'.*. .Ad capUndas aures , ajoute Cicé- 
rpn , numeri ab oratôre quaruntur : & 
plus bas il s exprime en ces termes ; 



ixS La Synecdoque. 

Ariflotelcs yersum in oratïône vetat esse y 
nàmcrum juhet. Ariftote ne veut point 
qu'il se trouve un vers dans la prose , 
c'eft-à-dke , qu'il ne veut point <jue 
lorsqu'on écrit en prose , il se trouve 
dans le discours le même assemblage 
de pies , ou le même nombre de syl- 
labes qui forment ufr vers. Il veut ce- 
pendant <jue la prose ait de l'harmo- 
nie y mais une harmonie qui lui soit 
particulière , quoiqu'elle dépende éga- 
lement du nombre des syllabes Se de 
l'arangement des mots. 

xi. Il y a au contraire la Synec- 
doque de l'espèce : c'eft lorsqu'un 
mot , qui dans le sens propre ne si- 
gnifie qu'une espèce particulière , se 
prend pour le genre ; c'eft ainsi qu'on 
apèle quelquefois voleur un méchant 
home. C'eft .alors prendre le moins 
pour marquer le plus. 

Il y avoit dans la Thessalie , entre 
le mont Ossa & le mont Olympe , 
une fameuse plaine apelée Tempe ', qui 
passoit ^>our un àes plus beaux lieux 
de 4a Grèce ; les Poètes grecs & larins 
se sont servis de ce mot particulier 
pour marquer toutes sortes de- belles 
campagnes. 



La Synecdoque. 119 

» Le doux someil , dit Horace , 
» n'aime point le trouble qui règne 
» chez les grands , il se plaît dans les 
•> petites maisons de bergers , à l'om- 
» bre d'un ruisseau , ou dans ces 
99 agréables campagnes y dont les ar- 
99 bres ne sont agités que par le zé- 
w phire j » /& pour marquer ces cam- 
pagnes , il se sert de Tempe : 

* . « Somnus agréftium 

Lenis vir&rum , non hiimiles domos od J^ " v " a f # - 

Faftidit , umbrosamque ripam , 

Non zéphiris agitâta Tempe. 

Le mot de corps & le mot dW 

v se prènent aussi quelquefois séparé- 
ment pour tout l'home ; on dit po- 
pulairement , sur -tout dans les pro- 
vinces, ce corps -là\ pour cet home- 
là j voilà un plaisant corps , pour dire 
un plaisant personage. On dit aussi 

! qu'i? y a cent, mille ornes dans une 
ville y c'eft à-dire , cent mille habi- 

! tans. Omnes anima domûs Jacob , tou- y *"' *•**• 
tes les persones de la famille de Jacob» 

, Cénu'n séxdecim animas j il eut seize ibid.y. x8* 
enfans. 

m,. Synecdoque pans le 



iio La Synecdoque. - 
XOM8RE , c'eft lorsqu'on met un 
singulier pour un plurier \ ou un plu- 
rier pour un singulier. 

i. Le Germain révolté , c'eft-àrdïre , 

les Germains , les Alemands , Vénemï 

vient à nous , c'eft- à -dire 5 les énemis. 

Dans les hiftoriens latins on trouve 

souvent pedes povttpédites ; le fàntas- 

- sin pour les fantassins , l'Infanterie. 

î. Le plurier pour le* singulier. 

* Souvent dans le ftyle sérieux on dit 

nous j au lieu de je , & de même 5 

$ i0d cr di pZ J J e fi " rit ians M s Prophètes , c'eft- 
pkéta*. mm, à-dire , dans un livre de quelqu'un -des 
«* a. v. 23. Prophètes. 

3. Un nombre certain pour un nom- 
bre incertain. Il me Va dit j dix fois 3 
vingt fois , cent fois , mille fois , c'eft-. 
à- dire, plusieurs fois. 

4. Souvent pour faire un compte 
rond , on ajoute ou l'on retranche ce 
qui empêche que le compte ne soit 
rond : ainsi on dit la version des sep- 
tante , au lieu <ie dire la version oes 
soixante & douze interprètes , qui , 
selon les Pères de l'Eglise , traduisi- 
rent l'Ecriture Sainte en grec , à im ■ 
prière de Ptojémée Philadelphe , Roi 

d'Egypte,, 



La Synecdoque, m 

iâ*Egypte, environ trois^cens ans avant 
J, C. Vous voyez que c'eft toujours 
ou le plus pour le moins , ou au con- 
traire le moins pour le plusS 

IV. IiA PARTI* POUR LE TOUT ï 
& LB TOUT POUR LÀ PARTIE, Ainsi 

la tête se prend quelquefois pour tout 
l'iiome : c'eft ainsi qu'on die comuné- 
ment 9 on a payé tant par tête , c'eft-* 
4-dire , tant par chaque persofte j une . 

tête si chère 3 c'eft- à- dire 9 une per- 
sone si précieuse , si fort aimée. 

Les roëtes disent après quelques 
moissons , quelques étés , quelques hi- 
vers j c'eft-à-dire , après quelques an- 
nées* 

L'onde , dont le sens propre r signi- 
fie une vague , un flot ; cependant les 
Pôëtes prènent ce mot pour la mer , 
ou pour l'eau d'une rivière , ou pour 
la rivière même. 

Vous juriefe autrefois que cette onde rebèlé 

Se feroît vers sa source Une route nouvèle, ^ # . 
tM a , * " . il £ [ Quwlttftfi 

Plutôt qu on ne verroit votre cœur dégagé t i s j $ % aftè lè 

IVoyez couler ces flots dans cette vaftè plaine : *c. j, _ 

<G'eft le même penchant qui toujours les en* 

* "' traîne ; 

F. • " 



/ 
in La Synecdoque. 

Leur cours ne change point , fit vous avez 
changé. 

Dans les Poètes latins , la poupe 
ou la proue d'un vaisseau , se prènent 
pour tout le vaisseau. On dit en fran- 
çois cent boites , pojur dire cent vais- 
seaux » Tj&um j le toît , se prend en 
latin pour toute la maison : JEnéan in 
Yîrg. JEn* r £ai a ducit tecla , elle mène Enée dans 
l - v635 - son palais. 

La porte j & même le seuil de la 
porte j se prènent aussi en latin pour 
toute la maison , tout le palais , tout 
le temple. C'eft peut-être par cette 
espèce de synecdoque qu'on peut do- 
ner,un sens raisonable à ces vers de 
Virgile : 

JEn. x* v. Xum fôribus I>iv* , média teftùdine tem* 

*>* ■ pu, 

Septa arrais, solibque alte $ubnkaresédîa 

Si Didon écoit assise à la porte du 
temple , fôrïbus Diva > cornent pou- 
voit-elle être assise en même tems 
sous le milieu de la voûte ' > média 
tejludine ? C'eft que par fôribusDivœ * 
il faut entendre d'abord en général 



La Syn ec.dôque, hj 
le temple j elle vint au temple , & 
se plaça sous la voûte. 

Lorsqu'un citoyen romain étoit fait 
esclave , $çs biens apartenoient à ses 
héritiers ; mais s'il revenoit dans sa 
patrie , il rentroit dans la possession 
&' jouissance de tous ses biens : ce 
droit , qui eft une espèce (de droit 
de retour , s'apeloit en latin jus poji- 
limimi ; de pqft j après , & de limen , 
le seuil de la porte, l'entrée. 

Porte j par synecdoque & par an- > 
tonomase , signifie aussi la cour du 
Grand - Seigneur , de l'Empereur 
Turc. On dit faire un traité avec la 
Porte 3 dtft - à - dire , avec la Cour 
Ottomane. C'eft une façon de parler 
qui nous vient des Turcs , ils no- 
ment Porte par excèlence lit, porte 
du sérail , c'eft le palais dû JSuItait 
*>u Empereur Turc , & ils entfndenc 
par ce mot , ce que nous apelons &j J 
Cour. A ^ 

Nous disons il y a cent feux id<ms ' 
ce village ^ c*eft-à-dire , cent îlfc- * 
milîés. '* \, 

On trouve aussi des noms de vilr ^ / 
Jes, de flçuves , ou de pays partir ^ 



1*4 LA S YNEfcDOQUÉ, 

culiers , pour des noms de province* 
6c de nations. * Les Pélasgiens , les 
Argiens , les Doriens , peuples parti- 
culiers de la Grèce , se prènent pour 
tous les Grecs , dans Virgile & dans 
les autres Poètes anciens. 

On voit souvent dans les Poètes 
+ le Tibre * * pour les Romains ; le Nil 

pour les Egyptiens j la Seine pour les 
François. 

Boîleau. Chaque climat produit de** favoris de Mars ; 
Ep. i. La Seine a des Bourbons y le Tibre a des 
Césars. - 

Idem , Fouler aux pies l'orgueil & du Tage & du 
Discours au Tibre. • 

Roi. 

Par le Tage il entend les Espa- 

Ênols , le Tage eft une des plus ce- 
ibres rivières d'Espagne, 
v. On se sert souvent du nom 
de la ma tibre pour marquer la 

* Eurus ad aur6ram Nabathxâquç régna 
recéssit. Ovid* Metam. 1. 1. v. 61. 

** Cum Tîberi , Nilo erâtta nulla fuat. 
Prop. 1. a. Elee. 33. v. ao. Per Tiberim Ro- 
inânos , per Wilum JSgyptios intelligito. 
fierodd. id Propert* , 



Là SYNECDOQUE.' ïl'j 

chose qui e n- e s t F* i t e ; le pin 
ou quelqu autre arbre se prend dan» 
les Portes pour un vaisseau } on dit 
comunément de l 'argent , pour des 
pièces d'argent , de la monoie. Le fer ^ ' 

se prend pour l'épée : périr par le fer. 
Virgile s'eft servi de ce mot pour le 
soc de la charue : 

At prius ignotum ferro quam scindimus *• Georg. 

v. 50. 

aequor. 

M. Boileau daas son ode sur la prise 
de Namur , a dit Y airain pour dire lej 
.canons. 

Et par cent bouches horribles 
V airain sur ces monts terribles 
Vomit le fer & la mort. 

U airain en latin as 3 se prend aussi 
ftéquenment pour la monoie , les ri- 
chesses : la première monoie des Ro- 
mains étoit de cuivre : as aliénum , le 
cuivre dautrui, c'eft-à-dire, le bien 
d'autrui , qui eft entre nos mains , nos ■ 
dettes t ce que nous devons. 

Enfin ara j se prend pour des va- 
$es de cuivre ^ pour des trompètes , 

F, 



n6 LaSynecdoqul 

des armes , en un mot pour tout ce 

qui se fait de cuivre. 

Dieu dit à Adam , tu es poussière -, 

Gcn. c. 3. 8c. tu retourneras en poussière , pulvis 

T » 1 9« es & in pulvercm revertéris j c'eft-à-dire y 

tu as été fait de poussière*, tu as été 

formé d'un peu de terre. 

Virgile s'eft servi du nom de Pélé- 

Fhant , pour marquer simplement de 
ivoire ; * c'eft ainsi que nous di- 
sons tous les jours uncafior y pour 
dire un chapeau fait de poil de cas- 
tor , Sec. 

Le pieux Enée > dît Virgile , * * 
Ilafte, pi- lança sa hafte avec tant de force con- 
vié RdV tr ? Mézence , qu'elle perça le bouclier 
Monttauco» &k de trois plaques de cuivre , & 
tonu4«p.6'j. qu'elle traversa les. ptquures de toile» 
, & l'ouvrage fait de trois taureaux * 

. . • . . *Ex auro,soMd<5qiie eùphânto. Georg. ; 
III. v. 16. 

Dona dehinc auro grâvia seûéque ele- 
phânto. JBtt. ni. v. 464. " 

** ïuin pius iEnéas haftam j.acit : itta pee 
ofbetri 

iEre cavum triplici , pèr Knea terga , tri- 
bûsque 

Trânsîît intéxtum tauris Opus. JE*. Lx> 



Là Synecdoque. 117- 

c*eft-à-dire , de trois cuirs. Cette façon 
de parler ne seroir pas entendue en 
notre langue. 

Mai* il ne faut pas croire qu'il soit 
permis de -prendre indiférenment un 
nom pour un autre , soit par méto- 
nymie , soit par synecdoque : il faut , 
encore un coup, que les expressions 
figurées soient autorisées par l'usage; 
bu du moins que le sens littéral qu'on 
veut faire entendre , se présente na- 
tutèlement à l'esprit sans révolter la 
droite raison , & sans blesser les oreil- 
les acoutumées à la pureté du lan- 
gage. Si l'on disoit qu'une armée na- , 
vale étoit composée de cent mâts 3 
ou . de cent avirons 3 au lieu de dire v 

cent voiles pour cent vaisseaux , on se 
rendroit ridicule : chaque partie ne se 
prend pas pour le tout , & chaque 
notn générique ne se prend pas pour . 
une espèce particulière , ni tout nom 
d'espèce pour le genre ; c'eft l'usage 
seul qui done à son gré ce privilège, 
à un mot plutôt qu'à un autre. 

Ainsi , quand Horace a dit que les 
combats sont en horreur aux' mères, Hor.l.i.oé» 
btlla màtribus detejidta ; je sui&'per- *•-▼•- M* 



n8 La Synecdoque; 

suadé que ce Poète n'a voulu parlef 
précisément que des mères. Je vois 
une mère alarmée pour son fils , qu'el- 
le saie eue à la guerre x ou dans un 
combat y dont on vient de lui apren- 
dre la nouvèle : Horace excite ma 
sensibilité en me fesant penser aux 
alarmes où les mères sont alors pour 
leurs enfans ; il me semble même 
que cette tendresse des mères eft ici 
le seul sentiment qui ne soit pas sus- 
ceptible de foiblesse ou de quelqu'au- 
tre interprétation peu favorable ; les 
alarmes d'une maîtresse pour son 
amant > n'oseroient pas toujours se 
montrée avec la même liberté, que 
la tendresse d'une mère pour son fais* 
Ainsi quelque déférence que j'aie pour 
le savant P. Sanadon , j'avoue que je 
ne saurois trouver une synecdoque 
de l'espèce dans bella mdtribus dites- 
tdta. Le P. Sanadon croit que md- 
tribus comprend ici, même les jeunes 
filles : voici sa tradu&ion : Les com<* 
1. 1. p. 7. ' bats x qui sont pour les femmes, un 
objet d'horreur* Er dans les remar- 
ques il dit , que » * les mères re- 
1 » doutent la guerre pour leurs, époux 



Poésies 
tfHorac* 



I*. 



• La Synecdoque. 119 

* & pour leurs enfans : mais lés jeu- 
». nés filles, ajoute- t-il , ne doivent 
» pas jnoins la redouter pour les ob- 

» jçts d'une tendresse légitime que - 
» la gloire leur enlève , en les ran- 
» géant sous les drapeaux de Mars. . 

* Cette raison m'a fait prendre ma- 
» très dans la signification la plus 
» étendue., corne les Poètes lont 
» souvent employé- Il me semble , 
» ajoute-t-il , que ce sens fait ici un 
» plus bel éfet. » 

Il n$ s'agit pas de doner ici des 
inftru&ions aux jeunes fillfes , ni de 
leur apreaire ce qu'elles doivent faire » 
lorsque la glaire leur enlève les objets 
de leur tendresse j en les rangeant sous 
les drapeaux de Mars ; c'eft-à-dire,, 
lorsque leurs amans sont à la guerre j 
il s'agit de ce qu'Horace, a pensé ; 
or, il me semble que Jejgtérme de 
tnères n'eft relatif quà enjamhj il ne 
l'eft pas même à époux _, encore moins 
aux objets d'une tendresse légitime. J'a- 
jouterois volontiers , que les jeunes 
filles s'oposent à ce qu'on les confon- 
de sous le nom de mères ; mais pour 
Carier plus sérieusement , j'avoue que- 



ijo La Synecdoque, 

lorsque je lis dans la traduction <ta 
P. Sanadon , que les combats sont 
pour Us, femmes un objet d'horreur M 
je ne vois que . . • "" mmes épouvan- 
tées j au Heu que le* paroles d'Ho- 
race , me font voir une mère atten- 
drie : ainsi je ne sens point que l'une 
de ces expressions puisse jamais être 
l'image de l'autre ; & bien loin que 
la traduction du P. Sanadon fasse sur . 
^moi un plus bel éfet A je regrète le 
sentiment tendre qu'elle me fait pe*r 
dre. Mais revenons à la synecdoque* 

Corne il eft facile de confondre 
cette figure avec fe méw^mie , je 
xrois qiul ne sera pas inutile d'obser- 
ver ce qui diftinguè la synecdoque de 
la métonymie y c'eft i*. Que la sy- 
necdoque fait entendre le plus par un 
mot qui dans le sens propre signifie 
le moirÈËk ou au contraire elle aie 
entendreTe moins par un moc qui 
dans le sens propre marque le plus*. 

i°. Dans Tune & dans l'autre fi- 
gure il 'y a une relation entre l'ob- 
jet dont on vçut parler y . & celui dont 
on emprunte le nom ; car s'il ny 
avoit point de raport entre ces objets* 



La Synecdoque; iyr 
3 n'y auroît aucune idée accessoire , 
. & par conséquent point de trçpe : 
mais la relation qu'il y a entre les 
objets , dans la métonymie , eft de 
telle sorte , que l'objet dont on em- 
prunte le nom , subsifte indépenda- 
naent de celui dont il réveille Vidée , 
Se ne forme point un ensemble avec 
lui. Tel eft le raport qui se trouve 
entre la cause & Véfet j entre l'au- 
teur & son ouvrage , entre Cérès & 
le blé ; entre le contenant Se le conte-* 
nu j corne entre la ; bouteille & le 
vin , au lieu que la liaison qui se 
trotfve entre les objets , dans la sy- 
necdoque , supose que ces objets for- 
ment un ensemble corne le tout & la 
partie ; leur union n'eft point un sim- 
ple raporr, elle eft plus intérieure & 
plus indépendante : c'eft ce qu'on peut 
remarquer dans les exemples de 1 une 
te dz l'autre de ces figures*- v 



F & 



13* l'ÀNTON OMASE. 

V. 

/ 

t* A NTONOMASA 
(ronominatjoi MjL ANTONOMASE Cil UI1Ô eSpèC© 

Dom pour un ^ synecdoque , par laquelle on mec 
^ÎTpou/, uù nom comur* pour un. nom pro-> 
çomre >, & pre » ou- bien un nom propre pout 
^«^" ' ye utn : nom comnn. Dans le premier cas > 
on veut faire 'entendre que la perso-» 
ne ou la chose donc on parle excèle 
sur toutes, celles qui peuvent être 
comprises sous le nom: comim ; & 
dans le second cas. , on fait entent 
dre que celui dont on parle ressemble 
à ceux dont le nom propre eft célè- 
bre par quelque, vice ou par quelque 
Yertu. 

■ i.. Philosophe >. Orateur , Poète >. 
Soi ' y Vïïle.y Monsieur * sont des noms 
> comuns ; cependant l'antonomase, en 

fait des noms particuliers qui équiva.- 
fent à des noms propres. 

Quand les anciens disent le Philo- 
sophe j ils entendent Ariftote. 
. Quand les Latins disent YQrateur * 
SU entendent Cicétoiu 



^ANTONOMASE. IJJ 

Quand ils disent le Poète , ils en- 
tendent Virgile* 

Les Grecs entendoient parler de 
Démofthène , quand Us disoient l'O- 
wateur j &c d'Homère quand il disoient 
te Poète* 

t Quand nos Théologténs dirent le 
Docteur arifeélique y ou Y Ange de YE~ 
tôle _, ils veulent parler de S. Thomas 
Sept eft apelé le DoQeur subtil * S* 
Auguftin le Docteur de la grâce.. 

Ainsi on done pai excèlence & par 
antonomase , te nom de la science ou 
de l'art à ceux qui s'y sont le plus 
diftingués» . 

Dans chaque royaume , quand ort „ 
dit simplement le Roi > on entend le 
Roi du pays ou l'on eft j qi#nd on> 
dit la ville: j on entend, la capitale du, 
ïoyautne, de .j£ 4 province ou du pays, 

dans lequel on démente* 

-^» ' 
Qu{> te , "Mœrï , pedes l an qui> via ducit vrrg.Ec.HC* 
in urbem ? v. ù 

Urbem en cet endroit veut dire la' 
ville dé Màntoue : ces bergers parlent 
par raport,.au territoire où ils. demeu- 
K^ntK.Mais quand les anciens parloieat t 



i34 t'ÀNf orrptitksz* 
par raport à l'Empire Romain , alors 
par ar£oa ils entendoient la ville de 
Rome. 
Ta <fe*,tot. Dam tes comédies erèquës , ou ti- 
urbs, ,**//«.. çée* du gEec , la ville { aftu ) veut 
ne*t / ma "dîre Athènes r ^/ï * *« <*/?« venir ? 
Eft-il venu à la ville ? Cornélius N6- 
pos parlant de Thémiftocle & d'ÀU 
cibiade y s'eft servi plus d'une fois de 
ce mot en ce sens. ** 

'Dans chaque famille , Monsieur s 
veut dire le maître de la maison. 

Lès adjectifs ou épithères sont des 
noms comuns , que l'on peut apli- 
quer aux diférens objets auxquels ife 
conviènent , l'antonomase en feic de* 
noms particuliers : ^invincible ± le 
conquérant ^ le grand y le ptfie y le 
sage j se disent par antonomase , de 
certains princes ou d'autres persones 
particulières. 

* Téren. Eun. aft. v. se. vi. selon Madame 
Bacier , & se. 5. v. 17. selon les édition» 
vulgaires. 

** Xerxes prAtinus accessit aftu. Corn* Ncp+ 
Themift. 4. 
Alcibiades poftquam aftu vénit* Idem. 



~ l'Antonomase» 135 

Tite-Live apèle souvent AnnibalTît. Liv, I. 
le Carthaginois j le Carthaginois , dit- 2U *' * # 
il , a voit un grand nombre d'homes : 
abundâbat multi&kdine haminum Pa- 
nas. Didon dit à sa sœur.* , vous met-* 
ûncç sur le bâcher les armes que le per- 
fide a laissées y & par ce perfide elle 
entend Enée* 

Le Dejlructeur de Carthage & de 
Numance y signifie par antonomase , ~ 
Scipion EmiueiK 

Il en eft de même 'des noms pa- 
tronymiques donc j'ai parlé ailleurs , 
ce sont des noms tirés du nom du 
père ou d'un aïeul , & qu'on done 
aux descendant ; . par exemple , quand 
Virgile apèle Enée Ànchisiadts > ce /En. l ▼. *i 
nom eft doné à Enée par amono-4°7* 
mase , il eft tiré; du nom de son 
père , qui s'apeloit Ànchise. Diomè- 
de , héros célèbre dans, l'antiquité fe- ^ 
buleuse eft souvent apelé Tydtdes f 
parce qir'rl étott fit de Tydée > Roi 
des Ecoliens. 

Nous avons un recueil ou abrégé 

* Arma viri % thâlamo quae fixa relfcprir- 
Impius. • •>* super imjwnas, JRn* 1, Vk 



I}6 L*'A NTONOMASE, 

des lois \ies anciens François , qui 
a pour titre, Lex Sâlica ;parmrces 
k>ix il y a un article * qui exclue les 
femmes de la succession aux terres 
saliques, c'eft-a-dire, aux fiefs : c'eft' 
une loi qu'on n'a observée* invioia- 
blement dans la suite qu'à l'égard des 
femmes qu'on a toujours excluses de 
là succession a la courone. Cet usage 
toujours observé» eft ce qu'on apèle. 
aujourd'hui loi saliquc par antonoma- 
se , e'eft-à-dire , que nous douons à 
la loi particulière d'exclure les fem- 
mes de la courone \ un nom que nos 
pères douèrent autrefois à un recueil 
général de loi*. 

H. La seconde espèce d'antonoma- 
se, eft lorsqu'on prend un nom pro- 
pre pour .un* nom comun „ ou pour 
un adjeâif. . 

SaEdanapaJe , dernier Roi des As- 
siriens , vivoit dans une extrême" 
molesse. j du moins tel eft le sen- 
timent comun : de là on dit d'ui* 

* De terra ver6 salicâ , nulla portîo ha?re- 
ditatls muïierî yéniat , sedad virilern sçxbiï* 
tôt* t«rr* hœréditas pervéniat. Lex Sdlfta* 
axu6a*de*Àlode*§;6.. ( \. 



2 



*.* Antonomase. 137 

Voluptueux , c'eft un Sardanapale. 
L'Empereur Néron fut un Prince 

de mauvaises mœurs , Se barbare jus- 
lu'à faire mourir sa propre mère , 
le là on a dit des Princes qui lui ont. 

ressemblé ,. c'éft un Néron. 

Caton , au contraire , fut recoman- 

dable par l'auftérité de ses mœurs : 

de là S: Jérôme a dit d'un hypo- E *'£ l ^ 

crite y 'c'éft un Caton au dehors , un .Monach. 

Néron au dedans , intus Nero ^ forts sub - fin - 

Catn ' - • ' Lu S d -P- al 7 

¥;. ,- r . ', „n fcFaris.ed. 

Mecénas , favori de 1 Empereur 1718.P.3 86. 
Àugufte y jprotégeoit les gens de let- 
tres : on dit aujourd'hui d'un seigneur 
qui leur acorde sa prote&ion , c'ejt un 
Mecénas 3 

Mais sans un Mecénas 9 à quoi sert un Au* Boîleau v 
gufïe? Sat.i. v .So. 

c'eft-à-dire , sans un prote&eur. 

Irus étoit un pauvre de l'île d'Itha- Homer._ 
ue , qui étoit a la suite des amans IS$ * l 
e Pénélope y il a doné lieu au pro- 
verbe des anciens , plus pauvre qulrus. 
Au contraire , Crésus , Roi -à* Ly- 
die , fut un Prince - extrêmement ri- 
che i de là' cm trouve dans les Poëce* 



3: 



138 l'Antonomase. 

Jrus pour un p&uvre , 6c Crésus pour 1 
un riche. 

Ovid. Trift. 
III. Eleg. 7. Irus & eft subito qui modb Crtesus erat, 

▼• 4»* ♦ . . • Non diftat Croesus ab Iro. S 

§Propert. 3 

V*'^ 5 ' Zoïle fiit un critique passioné & 
jaloux : son nom se aie encore * a un 
home qui a les mêmes défauts > Aris- 
targue , au contraire , fut un critique 
judicieux ; l'un & l'autre ont criti- 
qué Homère : Zoïle l'a censuré , avec 
aigreur & avec passion ; mais' Ans- ' 
tarque l'a critiqué avec un sage dis- , 
cernement , qui l'a fait regarder corne j 
le modèle des critiques : on a dit de 
ceux qui l'ont imité , qu'ils- étokût 
des Anftarques. 

Romt«au f Et ^ e «aoi-meme Ariftarque incommode : 

uù$9$. C'eft a-dire, censeur. Lisez vos ou- 
vrages dit Horace ** , à un ami judi- 

* Ingémum magni detré&at livor Homéri : 
Quuquis es > ex ilk> , Z6ile , nonteo habes, 

Ovid. Rçmed. amor. v. 365. 

* * Virixmus ac prudens versus reprehén- 

det inertes, 
• Culpabit 4uros, incompris' âdliaet atiîun 



L* À N T O N O M À S E. I J£ 

deux : il vous en fera sentir les dé* 

fauts » il sera pour vous un Ariftarque. 

Thersite fut le plus mal fait , le 

(>lus lâche, le plus ridicule de tous 
es Grecs : Homère a rendu les dé- 
fauts de ce grec si célèbres & si co- 
ntis, que les anciens ont souvent dit 
un Thersite y pour un home diforme, 
pour un home méprisable. C'eft dan$£, a 8 ruy $ ft ^ 
ce dernier sens que M. de la Bruyère caraft <*«* 
a dit , » jetez moi dans les troupes Grand ** 
» corne un simple soldat , .je suis 
» Thersite , metez moi à la tête d'une 
» armée dont j'aie à répondre à toute 
» l'Europe , je suis Achille. » 

Edipe y célèbre dans les tems fà- - -• 
buleux pour avoir deviné l'énigme du 
Sphinx y a doné lieu à ce mot de 
Térence, Davussunij non Œdipus. Ter. Ao<*. 
Je suis Dave , Seigneur , & ne suis pas Edipe. ***• *• **• ** 
C'eft-à-dre , je ne sai point deviner 

Transvêrso caîamo signum ; ambitiésa re- 
cidet i 

. Ornâmenta , parum claris lucem dare co 
get ; 

Arguet ambiguë, di&um ; mutanda nota- 
bit , 

fiet Ariûârchus, Horat. art. poet. v. 444. 



140 l'Antonomase: 

les discours énigmatiques. Dans notre 
Andriène françoise on a traduit > 

Ànd. Àft.I. Je suîsDave , Monsieur, & ne 6uis point devin: 

ic. 3. 

ce qui fait perdre l'agrément & La 
juftesse de roposition entre Dave & 
Edipe : je suis Dave 3 donc je ne suis 
pas Edipe _, la conclusion eft jufte - y au 
lieu que , je suis Dave 3 donc je ne suis 
pas devin ; la conséquence n'eft . pas 
bien tirée , car il pouroit être Dave 
& devin. 

M. Saumaise a été ufi fameux cri- 
tique dans le dix -septième siècle : 
c'eft ce qui a doné lieu à ce vers de 
JBoileau , 

2 îleau ^ ux Saumaises futurs préparer des tortures* - 

^ pl )j t * c ^ceft-à-dire , aux critiques, aux co- 
la ix. xnentateurs à venir. 

- Xantippe , femme du philosophe 
Socrate , étoit d'une humeur fâcheu- 
. se & incomode :. on a doné son 
nom à plusieurs femmes de ce ca- 
ractère. 
v Pénélope & Lucrèce se sont dis- 

tinguées par leur vertu, telle eft du 
moins leur,comune réputation : on a 



l'Antonomase. 141 

clone leur nom aux femmes qui leur 
ont ressemblé : au contraire , les fem- 
mes débauchées ont été apelées des 
Phrynés ou des Laïs; ce sont les noms 
dé deux fameuses courtisanes de l'an- 
Ciène Grèce. 

Au ceins les plus féconds en Phrynés , en Boilfau'jf 

Lais , - . Sat, x, 

Plus (f une Pénélope honora son pays, 

Typhis fut le* pilote des 'Argonau- 
tes , Automédon fut t'écuyer d'A- 
chille , c'étoit lui qui menoit son 
char : de la on a doné les noms de 
Typhis & d' Automédon à un home 
qui , par des préceptes , mène & con- 
duit à quelque science ou à quelque 
art. C'eft ainsi qu'Ovide a dit qu'i^ 
étoit le Typhis & l'Automédon de 
l'art d'aimer. 

Typhis & Automédon dicar amdrîs ego. q^ ^ 

Sous le règne de Philippe de Va-f; 4 ;/™- 1 ' 
lois le Dauphiné fut réuni à la cou* 
rone. * Humbert j Dauphin de ffren- 

* Termes de la confirmation du dernier afle 
de transport du Dauphiné , en faveur de 
Charles fils de Jean * Duc de Normandie. 



141 l'Antonomase. 
nois j qui se fit ensuite Religieux de 
l'Ordre de S. Domique , se dessaisit 
& dévejtiz du Dalphiné & de ses autres 
terres j & en saisit réellement j corporè- 
lement & de fait Charles petit- fils du 
Roi , prisent & acceptant pour li & ses . 
hoirs & successeurs y & plus bas , trans- 
porte audit Charles j ses hoirs & succes- 
seurs j & ceux qui auront cause de li 

Cet afte eft du 16 Juillet 1349. Voyez les 
preuves de l'hiftoire du Dauphiné 4e M. de 
Valbonnay , & ses Mémoires pour servir à 
Fhiftoire du Dauphiné. A Paris , chez de 
Bats , 171 1. 

» On s'eft persuadé que la condition en 
w faveur du premier né de nos Rois j étoit 
» tacitement renfermée dans ces paroles , 
» quoiqu'elle n'y soit pas litéralement ex- 
f> piimée , » corne on le croit comuné- 
ment. Hift. du Dauphiné , pag. 603. édit. 
de 1722. 

Dans le tems de cette donation faite à 
Charles , Jean père de Charles , étok le 
fils aîné du Roi Philippe de Valois , & fut 
«on successeur , c'eft Jean IL Après la 
mort du Roi Jean 1 1. Charles son fus , qui 
étoit déjà Dauphin, lui succéda au Royau- 
me , c'eft Charles V. dit le Sage, Ainsi ce 
ne fut pas te fils aine du Roi qui fut le 
premier Dauphin , ce fui Charles fils d* 
faîne. 



l'Antonomase. 145 

perpétuèlement & héritablemeht en saisi- 
ne & en propriété pleine ledit Dalphiné. 

Charles devint Roi de France , Hift.defcf 
cinquième du nom , & dans la suite Monarque 
»> il a été arrêté que le fils aîné de MarceiTli 
» France, porteroit seul le titre de 111. p. sa* 
» Dauphin. 

On fait allusion au Dauphin lors- 
que dans les familles des particuliers 
on apèle Dauphin le fils aîné de la 
_ maison- , ou celui qui eft le plus ai- 
mé : on dit que c'eft le Dauphin par 
antonomase , par allusion , par méta- 
phore , ou par ironie. On dit aussi 
un Benjamin , faisant allusion au fils 
bien aimé de Jacob. 



VI.' 

La Comunication 
dans les paroles. 

JL e s Rhéteurs parlent d'une figure x*i?o*7»* \i yt 
apelée simplement Comunication j «*»»<*»;*«». 
ceft lorsque l'orateur, s'adressant àj^JJ^JE* ' 
ceux à qui il parle > paroît se cornu-» 
niquer , souyrir à eux , lejs prendre 



144 La Cqmunïcation, &c; 
eux-mêmes pour juges , par exemple : 
En quoi vous ai- je donc dieu de vous 
plaindre ? Répondez-moi que pouvois- 

- je faire de plus ? Quauricç-vous fait 
à ma place ? &c. En ce 'sens la co- 
munication eft une figure de pensée , 
& par conséquent elle n'eft pas de' 
jnon sujet. 

La figure dont je veux parler eft 
un trope , par lequel on fait tomber 
sur soi-même ou sur les aurres , une ' 
partie de ce qu'on dit : par exemple , 
un maître dit quelquefois à ses dis- 
ciples , nous perdons tout notre tems j 
au lieu.de dire , vous ne faites que \ 
vous amuser. Qu'avons - nous fait ? ! 
veut dire en ces opasions quave^vous , 
fait .<* ainsi nous dans ces exemples j 
ji'eft pas le sens propre , il ne renfer- 
me point celui qui parle. On ménage 
par ces expressions l'amour propre de 
ceux à qui on adresse la parole , en ] 
paraissant partager avec eux le blairiè < 
de ce qu'on leur reproche ; la remon- 
trance étant moins personèle , & pa- 

» xoissant comprendre celui qui la fait, 
en eft moins aigre, & devient souvent 
plus utile. 

Le* 



La Communication , &c. ^ 145 

- t,es louanges qu'on se done bles- 
sent toujeurs l'amour propre de ceux 
à qui loii parle. 11 y a plus de mo- 
deftie à s'énoncer d'une manière qui 
fasse retomber sur d'autres une partie 
du bien qu'on veut dire de soi : ainsi 
un capitaine dit quelquefois que sa 
compagnie a fait {elle ou telle aétion , 
plutôt que d'en faire retomber la gloi- 
re sur sa seule persone. . 

*On peut «egarder cette figure corne 
une espèce particulière de synecdoque , 
puisqu'on dit le plus pour tourner l'a- 
tendon au moins. 



.VIL 

La Litote. 

JLa Litote ou diminution , eft un a<tJt»c à 
trope par lequel ^on se sert.de mots >pi«VXs, 
qui , à la lettre , paroissent afbiblirviiis.' 
une pensée dont on sait bien que 
les idées accessoires feront sentir tou- 
te la force : on dit le moins par mo- 
| deftie ou par ég£*d ; mais on sait 
bien que ce moins réveillera l'idée <!u v 

p 1 s. 



146 La Litote. 

Quand Chimène dit à Rodrigue, 
va t je .ne te hais point y elle lui fait 
CM. ta! iu! enten îk e bien plus que ces mots là ne 
se 4. * ' signifient dans leur sens propre* 

Il en "eft de même de ces façons 
de parler , /* ne puis vous louer, ceft- 
à -dire > je blâme votre conduite : je 
ne méprise pas vos présens 3 signifie que 
j en fais beaucoup de cas : il nejt pas 
sot j veut dire qu'il a plus d'esprit que 
vous ne croyez : il neft pas poltron 3 
fait entendre qu'il a du courage : 
Pythagore n*ejl pas un auteur mépris 
sable j * c'eft-à-dire > que Pythagore 
eft un auteur qui mérite d'être eftimé , 
Je ne suis pas diforme > ** veut dire 
modeftement qu'on eft bien fait, ou 
du moins qu'on le croit ainsi. 

On apèle aussi cette figure exténua- 
tion : elle eft oposée à l'hyperbole* 

* Non s6rdidus autor naturae verique. lier. 
' 1.1. od. 18. 

** Nec sum â3eà informis. FftgvEcL a. 
v. aj. i 



l'Hyperbole, 147 * 

VIII. " 
l'Hyperbo le. 

JL o r s q v 1 nous «ornes vivement J r * t, 5 ^ * 
frapés de quelque idée que nous vou- Jj££ 9 ° * 
Ions représenter , & que les termes 
ordinaires nous paroissem trop foibles 
pour exprimer ce que nous voulons 
dire j nous nous servons de mots , 
qui y à les prendre à la lettre , vont 
au-delà de la vérité, & représentent 
le plus ou le moins pour fiurç enten- 
dre quelque excès en grand ou en 
petit. Ceux qui nous entendent rabo- 
tent de notre expression ce qu'il en 
faut rabatre 9 8c u se forme dans leur 
esprit une idée plus conforme à celle 
que nous voulons y exciter , que si 
nous nous étions servis de mots pro- 
pres : par exemple , si nous vouions 
taire comprendre la légèreté d'un che- 
val qui court extrêmement vite , nous 
disons qui/ va plus vite que le vent. 
Cette figure s'apèle hyperbole > mot 
grec cjui signifie excès. 
-Julius Solinus dit qu'un certain Lada 
G a - . 



1 



I 148 l'Hyperbole. 

' ' étoit d'une si erande légèreté , quit 

j ne laissoit sur Te sable aucun veftige, 

f de ses pies. * 

! Virgile dit de la princesse Camil- 

le , qu'elle surpassent les vents à ta 
course j & qu'elle eût couru sur des 
épis de blé sans les faire plier, ou 
sur les flots de la mer sans y enfon- 
cer , & même sans se mouiller la plan- 
te des pies. ** 

Au contraire , si Ton veut faire en- 
tendra qu'une persone marche avec 
un* extrême lenteur , on dit qu'elle 
marche plus lentement qu'une tortue. 
Eddcam vos Il y a plusieurs hyperboles dans 
•«SnS^ 1 ^" 1116 Sainte} par exemple , Je 
te & meiwvous donerai une terre oh coulent des 

£xod. c. $i - 

*. fj* * Primam palmam velocitâtis ; Ladas qui- 

dam adéptus eft , qui ita supra cavum pûl- 
verem cui;$itâvit , ut arénis pendéntibus 
Bulla indicia relinqueret veftigi^rum. Jul. 
Solin. c. 6. 

** Illa vel intâftae ségetîs per summa vo- 

liret 
Grâmina, nec téneras cursubesfsset ariftas, 
Vel mare per médium flu&u suspénsa tu- 

menti 
JFerret iter , céleres nec tingeret aeqiiore 
- plantas. uEn, l vu. v. 808* 



V Hyperbole. 149 

ruisseaux de lait & de miel y c'eft-â- 

diré , une terre fertile : & dans la ^ 

Genèse il êft dit, Je multiplierai tes m „ n tuum 

en/ans en aussi grand nombre j que les sicut pùlve- 

graius de voussure de la terre. S. Jean r « m terraB * 

a Ja fait de son Evangile . du que v§ l6- 

si Ton racontoit en détail les aâions 

& les miracles de Jesus-Chrift , il ne 

croit pas que le monde entier put 

contenir les livres qu'on en pouroit 

faire. 

L'hyperbole eft ordinaire auxOrien- 
raux. Les jeunes gens en font plas 
souvent usage que ks persones avan*- 
cécs en âge. On doit en user sobre- 
ment & avec quelque core&if ; par 
exemple , en ajoutant , pour ainsi dire i 
si Von peut parler ainsi. c*f aA. des 

a Les esprits vifs, pleins de feu , ouvrages <u 
»> Se qu'une vafte imagination empor- l?cs P rit * 
»> te hors des règles & de la juftesse , 
i> ne peuvent s'assouvir d'hyperboles , 
»> dit M. de la Bruyère. 

Excepté quelques façons de parler 

• * Simt autem & alla nrnlcâ quae fecit Jé- 
sus , quae si scribântur per singula , nec ip- 
sum ârbitror mundum câpere posse eos , qui 
•cribéndi sunt libres, Joan. xxi. v. ic. < 

G} 



ijo l'Hyperbole. 
comunes & proverbiales > nous usons 
très-rarement d'hyperboles en françois. 
On en trouve quelques exemples dans 
le ftyle satyrique & badin , & quel- 
quefois même dans le ftyle sublime 
Ttéchîer. & poëtique : Des ruisseaux de larmes 
°-? ÎM ? îi" coulèrent des yeux de tous les habitons. 

nebrt de M. T -^ + - i 

dt Turent. " Les Grecs * avoient une grande 

Exorle. » passion pour l'hyperbole , corne on 

p le peut voir dans leur Anthologie , 

a» qui en eft toute remplie. Cette fi- 

* gure eft la reflource des petits esprits 

•> qui écrivent pour le bas peuple* 

PriïqJ"' Jttvénal é, « vé dans l€S crîs dc réco,e > 
driat. a. ' Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole , 

» Mais quand on a du génie & de 
» l'usage du monde , on ne se sent 
» guère de goût pour ces sortes de 
» pensées fausses Se outrées. 

* Traité de la vraie & de la firafle beauté 
dans le* ouvrages d'esprit. Ceft une traduc- 
tion que Richetet nous a donée de la disser- 
tation que Messieurs de P/R* ont mise à k 
tête de leur DcliHus Epigrdmmatum. 

***** 



L'H YPOTYt>t>SE. 151 ; 

I X. 

L*H YPOTY POSE. 

JLi'H y p ot y p o s 1 eft un mot grec ïW**** 
qui signifie image J tabfam.Cvfk Ioo-^^Ca. 

2ue dans les descriptions on peint les&>«»ârt4R* 9 
ûts dont on parle , comt si ce quon*"***^* 
dit étoit aâutuement devant tes yeux > 
en montre , pour ainsi dire , ce qu'on 
ne fait que raconter y on done en 
quelque sorte l'original pour la co- 
pie j les objets pour les tableaux : 
vous en trouverez un bel exemple 
dans le récit de la mort d'Hyppo- 
lyte. 

Cependant sur le dos de la plaine liquide, lUcPhèAs. 
S'élève à gros bouillons une montagne foi- ■**•*•"•*• 

v. mide ; 
L'onde aproche , se briie , & vomit à nos 

yeux 
Parmi les flots d'écume , on monÛre furieux ; 
Son front large eft armé de cornes mena* 

çantes, 
Tout son corp* eft couvert d'écaillés jaunis- 

santés » 

G 4 



151 L*HYPOTYPÔS£. 
Indomtable taureau, dragon impétueux, 
Sa croupe se recourba en} replis tortueux; 
Ses longs mugissemens font trembler le ri- 
vage; - * * 
Le ciel avec horreur voit ce monflre sauvage, 
La terre s'en émeut , l'air en eft inlefté , 
Le flot qui l'aporta recule épouvanté. 

Ce dernier vers a parti afe&é ; on a 
dit cjue les flots de la r mer aloient Se 
venoient sans ie motif de l'épouvan- 
te , & que dans une ocasion aussi 
trifte que celle de la mort d'un fils , 
il ne convenoic point de fcadiner avec 
J une fiétion aussi peu naciirèle. Il eft 
v vrai que îious avons plusieurs exem** 
pies d'une semblable prosopopée; mais 
il eft mieux de n'en faire usage que 
dans les ocasipns où. il ns s'agit quç 
d'amuser l'imagination , & noiKquand 
il faut toucher le coeur. ' Les figures 
qui plaisent dans un épithalame , dé- 
plaisent dans une oraison funèbre ; la 
triftesse doit parler simplement , si 
Hor. Art e u e veur nous intéresser : mais teve- 
Poét - v -^- nons àrhypptypofe. 

Remarquez que tous les verbes dé 
cette* narration sont au présent j Yondc 



l'Hy p otypos e. 155 

aproeke x se irise j &c. c'eft ce cjui fait 
l'hypotypose , l'image > la peinture j 
il semble que 1 a&ion se passe sous vos 
yeux. 

M. l'Abé Ségui , dans son panégy- 
rique de S. Louis prononcé en pré- 
sence de l'Académie firançoise» nous 
fournit un bel exemple d'hypotypose , 
dans la description qu'il fait du départ 
de S. Louis , du voyage de ce prince , 
& de son arivée en Afrique, 

» Il part baigné de pleurs , Se com- _ Pan *g- d « 
» blé de bénédi&ions de son peuple : "j w jj£ 
» déjà gémissent lès .ondes sous le 
» poids de sa puissante flote j déjà 
» s ofrent à ses yeux les cotes d'Afri- 
» que ; déjà sont rangées en batailles 
» les innombrables troupes des Sara- 
» sins. Ciel & terre , soyez témoins . 
» des prodiges de sa valeur. Il se jette » 
» avec précipitation dans les flots , 
» suivi de son armée que son exemple 
» encourage, malgré les cris éfroya- 
*> blés de lenemi furieux, au milieu 
» des vagues & d'une grêle de dards 
3 qui le couvrent : il ^avance corne 
» un géant vers les champs où la 
» vi&oire' lapèle ; il prend terre , il 

G 5 



154 i'Hy^ot yposi. 

r> aborde , il pénètre les bataillons 
» épais des barbares ; Se couvert du 
» bouclier invisible du Dieu qui fait 
r> vivre Se qui fait mourir , trapant 
» d'un bras, puissant à droite Se à 
» gauche , écartant la mort , Se la ren- 
t> voyant à l'énemi j il semble encore 
j> se multiplier dans chacun de ses 
» soldats. La terreur que les infidèles 
m croyoient porter dans les cœurs des 
ff siens , s'empare d'eux-mêmes. Le 
* Sarasin éperdu , le blasphème à la 
» bouche , le désespoir dans le cœur » 
:» fuit, Se lui abandone le rivage. 

Je ne mets ici cette figure au rang 
des tropes* que parce qu'il y a quel- 
que sorte de trôpe à parler du passé 
corne s'il étoit présent ; car d ailleurs 
les mots qui sont employés dans cette 
figure 3 conservent leur Signification 
propre. De plus , elle eft si ordinaire , 
que j'ai cru qu'il n 'étoit pas inutile de 
la remarquer ici. 



X; 

La Métaphore. 

X/a. Métaphore eft une figure par tr S^V 
laquelle on transporte > pour ainsi- Mo7«*i,«. 
dire , îa signification propre <run Tr * a$fc '°» 
nom à une autre signification qui ne 
lui convient qu'en vertu d'une com- 
paraison qui eft dans l'esprit. Un mot 
pris dans un sens métaphorique , perd 
sa signification propre , & en prend 
une nouvèle qui ne se présente à les-; 
prit que par la comparaison que Ton 
Fait entre le sens propre de ce nhor, 
êc ce qu'on lui compare : par exem- 
ple , quand on dit que le mensonge se 
pare souvent des couleurs de la vérité \, 
en cette phrase , couleurs n'a plus sa » 
signification propre & primitive t ce • 
mot ne marque plus cette lumière 
modifiée qui nous fait voir les ob- 
jets ou blancs , ou rouges , ou jau- 
nes , &c : il signifie les dehors j les 
aparences j Se cela par comparaison 
entrs le. sens pcojve de couleurs 4 6c 
- J * G 6 ^ 



1^6 La MÉTAPHORE, 

les dehors que prend un' home qui 
nous en impose sous le masque de 
la sincérité. Les couleurs font conoî- 
tre les objets sensibles , elles en font 
voir les dehors & les aparences : un 
home qui ment , imite quelquefois 
si bien la contenance & les discours 
de celui qui ne ment pas", qcie lui 
trouvant les mêmes dehors, &'pour 
ainsi dire les mêmes couleurs , noufc 
croyons . qu'il nous dit la vérité : 
v ainsi corne nous jugeons qu'un objet 

qui nous^ paroît blanc eft blanc , de 
même nous sômes souvent la dupe 
d'une sincérité aparente , & dans le 
tems qu'un impofteur ne fait que 
prendre les dehors d'home sincère > * 
. nous croyons quil nous parle sincè- 
/ rement. '' 

'■ Quand on dit la lumière de l'esprie , • 
ce mot de lumière eft prïs'métaphô-' 
riquement ; car corne la ïtimièré dans 
/ le sens propre nous fait voir les objets 
côrp3rels , cfë même la' faculté 1 dé 1 co- 
noître & d'apercevoir éclaire l'esprit , 
& lé met en état de porter des ju- 

tw\ua» LVmétaj>Jitfrô eft donc uAeespèce' 



La Métaphore. 157 
cte trope , le mot dont on se sèrr Gracî v©^ 
dans la métaphore eft pris dans ùh cant » nos tr fT 
autre sens que dans le sens propre , cft dof ^ 
il ejl j pour ainsi dire, dans une de- mutuitum 
rneure empruntée j dit un ancien , ce vcrbum quo 
qui eft comun & essentiel à tods Ies d ^ r e ^ 
tropes. . . ■'\'F*/lm$jr.M» 

E)e plus, il y a une sorte de com r taphoram» 

Î>araison ou quelque raport équiva- 
ent entre le inot auquel on done un 
sens métaphorique , & l'objet a quoi 
on veut Tapliquer y par exemple i 
quand on dit d'un home en colère * 
c 9 ejl un lion j lion'tft. pfis alors dans „ 
un sens métaphorique , an comparé ". * 
Phome en colère ad lion , 8c ^jbilà ce 
^ui diftingue la métaphore des autres 
figurer v 

~;I1 y a cette diférence entre la mé- 
taphore & la comparaison ^ que dans 
là comparaison on : sh Sert de termes 
qui font cpiioître que Pon compare 
une chose à une autre-; par exem- 
ple , si Ton dit dW ftoffie' 'eh' colère } 
Qu'il ejl corne un lion j 'c'eft une com- 
paraison ,' mais quand onr dit simple- 
ment cefi un lion y la comparaison 
û'efk alors qub dans l'esprit &' noii 



i;8 La Métaphore. 

dans les termes ; c'eft . une méta- 
phore. 

Mesurer y dans le sens propre > c'eft 
juger d'une quantité inconue par une 

Îuantité conue , soit par le secours 
u compas , de la règle * ou de quel- 
qu'autre inftrument qu'on apèle me- 
sure. Ceux qui prènent bien coures 
leurs précautions pour ariver à leurs 
fins , sont comparés à ceux qui me- 
surent quelque quantité , ainsi on dit 
par métaphore , ou ils ont bien pris 
leurs mesures. Par la même raison on 
dit que les personnes d'une condition 
médiocre ne doivent pas se mesurer 
avec l($ grands, ^ c'eft-à-dir^, vivre 
corne les grands , se comparer a eux , 
corne on compare une mesure avec 
ce qu'on veut mesurer. On doit me- 
surer sa dépens^ son revenu ; c'eft- 
à-dire qu'il faut régler sa dépense sur 
son revenu y la quantité dit revenu 
doit être corne la mesure de la quan- 
tité de la dépense. 

Corne une clé ouvre la porte d'un 
apwement > & nous en done l'en- 
trée, de même il y a des conoîssan^ 
ces préliminaires qui ouvrent , pour 



La Métaphore. 159 

ainsi dire , l'entrée aux sciences plus 
profondes : ces conois&nces ou prin- 
cipes sont apelés clés par métaphore ; 
la Grammaire eft la clé des sciences : 
la Logique eft la clé de la Philoso- 
phie. 

On dit aussi d'une ville fortifiée , 
qui eft sur une- frontière , au'elle eft 
la clé du royaume , c'eft-à-aire , que 
l'énemi qui se rendroit maître de cène 
ville , seroit à portée d'entrer ensuite 
avec moins de peine dans le royaume 
dont en parle. 

Par la même raison Ton done le 
nom de clé 9 en termes de musique > 
à certaines marques ou caraâères que 
l'on met au comencement des ligaes 
de musique : ces marques font co- 
noître le nom que l'on doit douer 
aux notes j elles douent , pour ainsi 
dire, l'entrée du chant. 

Quand les métaphores sont régu- 
lières , il n'eft pas diâcile de trouver 
le raport de comparaison. 

La métaphore eft donc aussi éten- 
due que la comparaison j & lorsque 
. la comparaison ne ' seroit pas jufte 
ou seroit trop recherchée > la md- 



i6o ^ La Métaphore. 
taphore ne seroit pas régulière. 

Nous avons déjà remarqué que les 
langues n'ont pas autant de mots que 
nous- avons d'idées j cette disète de 
> -mots a doné lieu à plusieurs méta- 
phores j par exemple : le cœur ten- 
are j le cœur dur 4 un rayon de miel , 
les rayons d'une roue , &c : l'imagi- 
nation vient , pour ainsi dire , au se- 
cours de cette disète ; elle suplée par 
les images 8c les idées accessoires 
aux mots que la langue ne peut lui 
fournir ; & il arrive même , corne 
nous l'avons déjà dit, que ces images 
& ces idées accessoires ocupent l'es- 
prit plus agréablement que si l'on se 
servoit de mots propres , & qu'elles 
rendent le discours phis énergique } 
„ par exemple , quand on dit d'un ho- 
me endormi , qui/ ejt enseveâ dans U 
sorneil j cette métaphore dit plus que 
si Ton disoit simplement qu'il dort : 
Les Grecs surprirentTroie ensevelie dans 
le vin & dans Je sorneil* 

Vîrg. JEn. 2. Invâdunt urbem somncrvinoque sepultam. 

Remarquez, i°, que dans cet exem- 
ple > sepùkam a un sens tout nouveau 



La Métaphore. 161 
& diféjrênt de son sen* propre. z r \ 
Sepultam n'a ce nouveau ^ens , que 
parce qu'il eft joint à sorruio vinô- J 
que j avec lesquels il ne > sauroit être 
uxji. dans, le sçns propre j car ce 
n*eft que par une nouvèle union des 
termes > que les mots se donent le 
sens métaphorique. Lumière n'eft uni 
dans le sens propre, qu'avec le feu, 
le soleil êc les autres objets, luroi^ 
neux • celui qui le premier a uni lu* 
mière à esprit y a doné à lumière ui» 
sens métaphorique ~ 9 &;en a fait \xvt . 
mot nouveau par ce nouveau sens.. 
Je voudrais que Ton pût doner cette - 
interprétation à côs paroles. d'Hors 
ee : . -' 

Dixerîs egrégîè , notum si câllîda verbimi Wor. Art. 
Reddklerit jun&ûra novum. / . ** * 

La métaphore 1 eft très -ordinaire ; 
en voici encore quelques ^exemples :• 
on dit dans le sens propre , s'entrer 
de auelqût liqueur ; & l'on dit par mé- 
taphore , s'enyvrer de plaisir : ta bone 
fortune enyvre les sofs j c eft- à -dire , 
qu'elle leur fait perdre lataisoijL , 6c 
leur fait oublier leur premier état. 



l6l La MÉTAPHORE. 

Boil. Art.Nc vont tnyvrei point des éloges dateurs 
Pocu chantQoe vous doue un amis de Vains adon» 
4 * rateurs. 

14 peuple, cpi jamais n'a conu la prudence, 
t huit 7* * % S^enyvroa folement de sa taine espérance» 

Doncr un frein à ses passions ; c eft- 
à-dire , n'en. pas suivre tous les mou* 
vemens , les modérer , les retenir 
corne on retient un cheval avec le 
frein y qui eft un morceau de fer 
qu'on met dans la bouche du che- 
val. 
Abrège dt Mézerai , parlant de l'hérésie , dit 
rHiftoirt deq n ^/ j t0lc nécessaire d'aracher cent 

France , \ > n. \ j* j 

Frinçois \\.VK am e * c eft-à-dire 3 cette semence de 
p. 99*. division j \i\anie eft là dans un sens 
métaphorique. : c'eft un mot grec qui 
veut dire yvroie^ mauvaise herbe qui 
croît parmi les blés , & qui leur eft 
nuisible. Zizanie n'eft point en usage 
au propre , mais il se dit par méta- 
phore pour discorde 3 mésintelligence ■> 
division : semer la \i\anie dans une 
famille. 

Matéria 3 matière , se dit dans le 
sens propre , de la sublUnce éten- 
due considérée corne principe de cous 



La Métaphore. 163 

les corps j ensuiee on a apelé ma- 
tière y par imitation & par méta- 
phore , ce qui cft le sujet , l'argu- . 
ment , le thème d'un discours , d un 

Soëme , ou de quelqu autre ouvrage 
'esprit. 

JE&épva auôoî , quant matériatn répperit, J^f^ *• ** 
Hanc ego polivi rérsiiras Seflariis. 

J'ai poli la matière â c'eft à* - dire , 
}'ai doné l'agrément de la poésie aux 
fables qu'Esope a in ventées avant moi. 
Cette maison ejl bien riante j c'eft- â- 
dire , elle inspire la gaieté corne les 
persones qui rient. La fleur de la jeu* 
ncjfe ; le feu de l'amour ; l'aveugle* 
ment de l'esprit ; le fil d'un discours ; 
le fil des ajaires. 

C'eft par métaphore que les difé- 
tentes classes , ou considérations f 
auxquelles se réduit tout ce qu'on 
peut dire d'un sujet > sont apelées 
lieux commis en Rhétorique > & en 
Logique y loci communes. Le genre, 
l'espèce , la cause , les éfets , &c. 
sont des lieux comuns , c'eft -à- dire f 
que ce sont corne autant de célules 
où tout le monde peut aler prendre. 



164 La Métaphore, 
pour ainsi dire , la matière d'an dis-, 
cours , & des argumens $ur toutes 
sortes de sujets. L'atention ,que Ton 
fait sur ces diférentes classes , réveille 
des pensées que Ton n'auroit peut être 
pas sans ce secours. 

Quoique ces lieux comuns ne soient 
pas d un grand usage dans la prati- 
que , il n'eft pourtant pas inutile de 
les conoître ; on en peut faire usage 
pour réduire un . discours à certains 
chefs x j mais ce qu'on peut dire pour 
& contre sur ce point , n'eft pa«s de . 
mon sujet. 

On apèle aussi en Théologie par 
métaphore , loci Theologici > les difé- 
rentes sources où les Théologiens pui- 
sent Jeurs argumens. Telles sont l'E- 
criture Sainte , la tradition contenue 
dans les écrits des Saints Pères , les 
Conciles , &c. 

En terme de chymie , règne se dit. 
par métaphore, de chacune des trois 
classes sous lesquelles les Chymiftes 
rangent les êtres naturels. 

i°. Sous le règne animal il comprè- 
iient les animaux. 

x 9 . Sous le. règne végétai^ les vd- 



La MÉTAPHORE. î6j 

géraux , c'eft-à-dire , ce qui croît , ce 
qui produit , corne les arbres & les 
plantes. 

3°. Enfin , sous le règne minéral ils 
comprènent tout ce qui vient dans les 
mines. 

On dit aussi par métaphore , que 
la Géographie & ta Chronologie sont 
les deux yeux de FHiJloire. On per- 
sonifie rfïiftoire , & on dit que la 
Géographie & la Chronologie sont 
à l'égard de l'Hiftoire , ce que les 
yeux sont à l'égard d'une persone 
vivante ; par Tune elle voit , pour 
ainsi dire , les lieux , & par l'autre 
les tems ; ceft-à-dire 3 qu'un hifto- 
rien doit s'apliquer à faire conoître 
les lieux & les tems dans lesquels se 
sont passés les faits dont il décrit 
fhiftoire. 

hes mots primitifs d'où 1 s autres 
sont dérivés ou dont ils sont compo- 
sés , sont apelés racines j par méta- 
phore : il y a'^es Di&ionnres cù les' 
mots $ojn rafigés par racines. On dît 
aussi par métaphore , parlant des v.'ces 
ou des vertus , jeter de profond** r& 
ânes \j pour dire s'afcrmir. 



\ 



i66 La Métaphore. 

Calus j dureté , durillon , en latin 

Cîc. jwK.cattwn » se prend souvent dans un 

*. »um. 36. sens métapHbrique ; Labor quasi cal- 

ttit« xr. fan quo ddam obdùcit dolàri , dit Ci-. 

céron : le travail fait corne une es- 

Sèce de calus à Ja douleur , c'eft-à- 
ire , que le travail nous rend moins 
• ' sensible i la douleur. Et au troisiè- 
». 5^ aliter me ^ vre ^ e$ Tusculanes , il s'exprime 
nu. de cette sorte : Magls me môverant 
Corlnthi sùbitb aspé&ct parittîna > quant 
ipsos Corùuhios j quorum ânimis diu- 
tùrna cogitdtio callum retuftâtis obdâ- 
xerat. Je fus plus touché de voir tout 
d'un coup les murailles ruinées dé 
Çorinthe , que ne l'étoient les Co- 
rinthiens même , auxquels l'habitude 
dfc voir tous les jours depuis long- 
tems leurs murailles abatues, avoit 
aporté le calus de l'ànciéneté } c'eft- 
à-dire , que les Corinthiens , acoutu- 
ipés à voir leurs murailles ruinées , 
n'étoient plus touchés de ce malheur. 
- C'eft r ainsi que callére j qui dans le 
sens propre veut dire avoir des dw 
niions j être endurci j signifie eifcuite, * 
par extension & par métaphore, jh- 
voir tien > eonoître parfaitement > en- 



La MItaphore. 167 
sorte qu'il se soie fait corné un calus 
dans l'esprit par raport à quelque co- 
lïoissance. Quopaclo idfieri sôleat cal-* 
leo. La manière dont cela se fait , a T " er - Hei11 ^ 
fait un calus dans mon esprit j J 9 **"*^ 9 *** 
médité sur cela , je sai à merveille 
cornent cela se fait ; je suis maître 
passé , dit Madame Dacier. lUîus sen- M. Adelp; 
sum callcûj j'ai étudié son humeur j^4**c.i« 
je suis acoutumé à ses manières, je** 17 * 
sai le prendre corne il faut. 
. Vue se dit au propre , de la fa- 
culté de voir > 6c par extension , de 
la manière de regarder les objets : 
ensuite on done par métaphore , le 
nom de vue aux pensées , aux pro- 
jets 9 aux desseins : avoir de grandes 
vues j perdre de vue une entreprise » 
n y plus penser. 

Goût y se dit au propre du sens par 
lequel nous recevons les impressions 
de ses saveurs. La langue eft l'organe 
du goût , avoir le goût dépravé j c eft- 
i-dire , trouver bon ce que cornu- 
nément les autres trouvent mauvais , 
& trouver mauvais ce que Us autres . 
trouvent bon. 

Ensuite on se sert du terme de 



l68 LA MÉTAPHORE. 
goût j par métaphore , pour marquer 
le sentiment intérieur dont* l'esprit 
eft afe&é à i'ocasion de quelqde* ou- 
vrage de la nature ou de l'art; L'ou- 
vrage plaît ou déplaît , on Taprouve 
ou on le désaprouve ; c eft lé cer- 
veau qui eft l'organe de ce goût là : 
Le goût de Paris s'eft trouvé confort 
me au goût d'Athène > dit Racine dans 
sa préface dlpTiigénie ; c ? eft-à-dire, 
come il le dit lui-même , que les spec- 
tateurs ont été émus à Paris des mê- 
mes choses qui ont mis autrefois en 
larmes le plus savant peuple de la 
Grèce. 

Il en eft du goût pris dans le sens 
figuré , come du goût pris dans le sens . 
propre. 

Les viandes plaisent ou déplaisent 
au goût , sans qu'on soit obligé de 
dire pourquoi : un ouvrage d esprit , 
une pensée , une expression plaît ou 
diplait , sans que nous soyons obligés 
dt pénétrer la raison du sentiment dont 
nbus somes afe&és. . 

Pour se bien conoître en mersf & 
avoir un goût sûr , il faut deux chp- 
ses ; i» i\n organe délicat ; 1. de 

l'expérience , 



Là MÈTAPHO R*. 169 
périence, s'êttte trouvé souvent dans 
les bones tables , &c : on eft alors 
plus en état de dire pourquoi an mets, 
eft bon ou mauvais. Pour être co- 
noisseur en ouvrage d'esprit , il faut 
an bon jugement, ceft un présent de 
la nature ; cela dépend de la dispo- 
sition des organes ; il faut encore 
avoir fait des ohservatkms sur ce qui 
plaît ou sur ce qui déplaît ; il faut 
avoir su alier l'étude & la méditation 
avec le comerce des persones éclai- 
rées : alors, on eft en état de rendre 
raison des règles & du goût. 

Les viandes & les assatsonemens 
qui plaisent aux uns , déplaisent aux 
autres ; c eft un éfet de la diférente 
conftmition des organes du goût. Il y 
a cependant sur ce point un goût géné- 
ral auquel il faut avoir égard , c'eft-à~ 
dire , qu'il y a des viandes 9c des mets 

3ui sont plus généralement au goût 
es pérsones délicates : il es eft de 
même des ouvrages d'esprit» un auteur 
ne doit pas se flater d'atïre<; à lui tous 
les sufrages > mais il dote se confor- 
mer ait goût général des persones éclai- 
rées qui sont au fait. 

H 



170 La MÉTAPHORE, 

Le goût , par raport aux viandes , 
dépend beaucoup de l'habitude & de 
l'éducation ; il en eft de même du 
goût de l'esprit : les idées exemplai- 
res que nous avons reçues dans notre 
jeunesse, nous servent de règle dans 
un âge plus avancé \ telle eft la force 
de l'éducation , de l'habitude 7 Se du 
préjugé. Les organes , acotteumés à 
une telle impression , en sont flatés 
de relie sorte, qu'une, impression dif- 
férente ou contraire les aflige : ainsi 
malgré l'examen & les discussions* , 
nous continuons souvent à admirer 
ce qu'on nous a fait admirer dans 
les premières années de notre vie-; 
& de là peut-être les deux partis , 
l'un des anciens , l'autre des mo- 
dernes. 

Remarques sur le mauvais usage 
des métaphores. 

Les métaphores sont défectueu- 
ses , 

i v * Quand elles sont tirées 4e su- 
jets bas. Le P, de Colonia repro- 
che à Tertuiien d'avoir dit que le 



Là Métaphore. 171 

déluge universel fut la lessive 4e la 



nature. * 



z°» Quand elles sont, forcées , pri- 
ses de loin,,& que le raport n'eft 
point assez naturel , ni la comparai- 
son assez sensible ; corne quand Théo- 
phile a dit : je baignerai mes mains 
dans les ondes de tes cheveux : Se 
dans un aurre endroit il dit que la 
charue écorche la plaine. » Théophile J x 
»> dit M. de la Bruyère , * charge , * Car *^. 

i • • , ' p P des ouv. de 

»> ses descriptions , s apesantit sur les i* 9$?l - lU 
» détails j if exagère , il passe le vrai 
» dans la nature , il en fait le ro~- 
v man. 

On peut raporter à la même espèce 
les métaphores qui sont tirées de su- 
jets peu conus. T 

3 . Il faut aussi avoir égard aux 
convenants des diférens ftyles , il j 
a des métaphores qui conviènent au 
ftyle poétique , qui seroient dépla- 
cées* dans le ftyle oratoire : Boifeau 
a dit ; 

* Ignobilitâtîs vitîo laborâre vîdétur célS- 
brîs illa Tertûlltâni metâphora; qui dtfûviufti 
appéllat natiir» generiU lixiyium. De art* 
Rhct. p. 148. 

Hz 



tyx La MÉTAPHORE. 
Odt tur U Acouret troupe savante ; 
prise rf« Nt- Des sons que ma lyre enfante 
mur * Cet arbres sont réjouis. 

On ne dirent pas en prose , qiiune 
lyre enfante des sons. Cette observa- 
tion a lieu aussi à l'égard des autres 
tropes i par exemples : Lumen dans 
le tiens propre, signifie lumière : les 
Poètes latins ont doné ce nom à l'œil 
par métonymie , les yeux sont l'orga- 
ne de la lumière , & sont , pour ainsi 
dire , te flambeau de notre corps. Un 
Lmcimê eéfm j^une garçon fort aimableétoit borgne j 
pjrit tut ejt U avoit une sœur fort belle , qui avoit 
écuUt fmw.| e mêmç défaut : on leur apliqua ce 
tue. c. xx» j. A - • /*>*•**" r ^ 

w. y+. diftique , qm fut fait: a une autre oca~ 

ston sous le règne de Philippe II. 
Roi d'Espagne. 

Paire puer, lumen quod habes concède 
sorôri : 

• Sic tu, cœçus Arnor, sic erh îlU Venin. 

Où vous voyez que lumen signifie 
Fait ; il n'y^a rien de si ordinaire 
dans ïçs Poëres lat«ns , que de trou- 
ver lamina pour les yeux ; mais ce 
mot ne te prend point en ce peus dam 
la prose, 



La Métaphore. 171 

4. On peut quelquefois adoucir 
une métaphore , en la changeant en 
comparaison , ou bien en ajoutant 

Suelque coredif : par exemple , en 
isant pour ainsi dire 3 si l'on peut 
parler ainsi 3 &c » L'art doit être , 
» pour ainsi dire, enté sur la nature > 
» la nature soutient l'art & lui sert 
» de base ; & l'art embélit & per- 
» fedione la nature* 

4. Lorsqu'il y a plusieurs métapho- 
res de suite , il n'eft pas toujours né- 
cessaire qu'elles soient tirées exacte- 
ment du même sujet > corne on vient 
de le voir dans l'exemple précédent : 
enté eft pris de la culture des arbres; 
Jetaient j base , sont pris de l'ardu- 
teékure $ mais il ne faut pas qu'on 
les prène de sujets pposés , ni que les 
termes métaphoriques dont l'un eft die* 
de l'autre > excitent des idées qui ne 
puissent point être liées, corne si Ton 
disait d'un orateur , c'eji un torrent 
qui s'alume y au lieu de dire , c'eft un v Ma . lh * l 2 - 
torrent qui entraîne. On a reproché a testions 
Malherbe d'avoir dit: 4e Ménage M 

Prens ta fondre Lotus & va corne un t iesdeM M l~ 
Von, heibo, 

H, 



174 La Métapho fis. 

Il faloit plutôt dire corne Jupiter. 
Dans les ptemières éditions du Cid, 
Aftj..ie.4-Chîmènedisoît:' 

Malgré des feux si beaux qui rompent ma 

colère. 

Feux & rompent ne vont point ensem- 
ble : c'eft une observation -deJ'Àca*- 
démie sur les vers du Cid. Dans les 
éditions suivantes on a mis troublent 
au lieu de rompent ; je ne sai si cette 
correction répare la première faute. 

Ecorce , dans le sens propre , eft 
la partie extérieure des arores & des 
fruits , c'eft leur couverture : ce mot 
se dit fort bien dans un sens meta* 
phorique , pour marquer les dehors, 
laparence des choses j ainsi Ton dit 
que let igtiorahs s'àrêtent à Vécorce A 
qiiils s'atackent j qu'ils s'amusent à 
Vécorce. Remarquez que tous ces ver- 
bes s'arêtent j s'atackent , s'amusent y 
çonviénent fort bien avec ecorce pris 
.au propre ; mais vous ne diriez pas 
au propfe, fondre Vécorce : fondre se 
dit de la glace ou du métal , vous 
ne devez, donc -pas dire au figuré 
fondre Vécorce. J'avoue que cette ex- 



La Métaphore. 175 

pression me pajoît trop hardie dans 
une ode de Rousseau : pour dire que 
l'hiver eft passé , & qbe les glaces, 
sont fondues , il s'exprime de cette 
sorte : • . ' 

L'hiver qui si long-tems a, fait blanchir nos LiV^.Ode 
plaines , 6. 

N'enchaîne plus le cours des paisibles ruis- 
seaux ; 

Et les jeunis zéphirs de leurs chaudes Ba- 
leines ' 

Ont fondu Vécorct des eaux. 

6. Chaque langue a des métapho-* 
res particulières qui .ne sont point en 
usage dans les autres langues ; par v 
exemple : tes Latins disôient d'une 
arniée , dcxtrum & siriiftrum cornu j 
éc nous disons Faite droite & l'aile 
gauche. 

Il eft si vrai que chaque langue t 
ses métaphores propres 8c consacrées 

(>at l'usage, que si vous en changea? 
es termes par les équivalent même; 
qui en aproçhent le plus , vous vont 
rendez ridicule. 

Un étranger , qui depuis devenu 
un de nos citoyens, s'eft rendu ce- 

H 4 



17$ La Métaphore. 
lèbre par ses ouvrages, écrivant dans 
le premier rems de son arivée ' en 
France , à son proteâeur , lui disoit 3 
Monseigneur 3 vous ave\ pour moi des 
boyaux de père ; il vouloir dire des 
entrailles. 

On dit mettre fa lumière sous te 

m ^k boisseau j pour dire cacher ses talens % 

MadeTi.7.' es ren< ^ re inutiles y l'auteur du poë- 

p, 1x7. sne de la Madeleine ne de voit donc 

pas dire, mettre le flambeau, sous le 

muu 



XL 

La Syllepse Oratoire* 

Cù^t^li»^ jK SyMepse oratoire eft une espèc* 

compila, de métaphore ou de comparaison , 

z<jx\*pfy» par laquelle un même nfrot eft pris 

en deux sens dans la même phrase, 

Uun au propre , l'autre au figuré j 

tac exemple , Corydon dit que Ga~ 
Lthée eft pour lui plus douce que le 
thym ({amont Hybla j * ainsi parle 

* . . . . Galathara thymo mihi duldor Hy*. 
' Km. Virg. Ed. 7. v. 37. 



La Syllekse Oratoire. 177 

,,-ce berger dans une églogue de Vir- 
gile : le .mot doux eft au propre par 
raport au thym , & il eft au figuré par 
raport à l'impression que ce berger 
die que Galathée fait sur lui. Virgile 
fait dire ensuite à un autre berger, 
& moi quoique je paroisse à Galathée 
plus amer que les herbes de Sardaigne j 
&c. * Nos bergers disent plus aigre 
quun citron verd. 

Pyrrhus , fils d'Achille , l'un des 
principaux chef? des Grecs y 8c qui 
eut le plus de part à l'embrasement 
de la ville de Troie , s'exprime en 
ces termes dans Tune des plus belles 
pièces de Racine. 

Je soufre tous îes maux que ?ai faits devant . Rac - Aft - 
Troïe; ***.*.%. 

Vaincu , chargé de fers , de regrets consumé , 
Brûlé de plus de feux , que je n'en aiumai. 

Brûlé eft au propre par raport aux 
feux que Pyrrhus aluma dans la ville 
de Troie $ Se il --eft au figuré , par 
taport a la passion violente que Pyr- 

*...♦/* ego Sardois videar tibi amârior 
kerbis. Ibid v. 41. 

H î 



178 La Syllepse Oratoire. 

rhus dit qu'il ressentoit pour Andro- 
maque. Il y a un pareil jeu de mots 
dans le diftique , qui eft gravé sur le 
tombeau de Despautère : 

Hic jacet unéculus visu pratftântior Argo , 
Nomen Joânnes cui ninivita fuit. 

Pïsus eft au propre par raport à Ar- 
gus , à qui la fable done cent yeux * y 
ôc il eft au figuré per raport à Des- 
pautère : l'auteur de Tépitaphè a voulu 
parler de la vue de Pesprit. 

Au refte y cette figure joue trop sur 
les mots pour ne pas demander bien 
de la circonspection j il. Faut éviter 
les jeux de mats trop affe&és & tirés 
de loin. 



X I I. 

L' A L L i G O R I E. 

utàtio , fi- J^/ A LiiGORiEâ beaucoup de raport 



g lira «jusl a- 



%AàkhJ m * vec ** ^aphore ; L'allégorie a eft 

aiiud $igni-même qu'une métaphore continuée. 

ficatur , R. L'allégorie eft un discours 5 qui 

t^; a , li v d e»eft d'abord' présenté sous un- sem 



l'Allégorie* 179 
propre > qui paroîc toute autre chose èrwii»jî&*. 
que ce qu'on a besoin de faire en*- T0 • C ™ C J 6 - 
Cendre , A & qui cependant ne sert que âiia, * w *, 
de comparaison pour donner rintel* c . 6ncio > or ** 
ligence d'un autre sens qu'on n'expri- tl0# 
me point. 

La métaphore joint le mot figuré 
à quelque terme propre \ par exem- 
ple , le feu de vos yeux ; yeux eft au 
propre : au lieu que dans l'allégorie 
tous les mots ont djabord un sens 
figuré y c'eft-à-dire , que tous les mots 
d'une phrase ou d\m discours allé- 
gorique forment d'abord un sens li- 
téfal qui n'eft pas celui qu'on a des- 
sein de faire entendre : les idées ac- 
cessoires dévoilent ensuite facilement 
le véritable sens qu'on veut exciter 
dans l'esprit ^ elles démasquent , pour 
ainsi dire , le sens littéral étroit , elles 
en font Implication. 

Quand on a comerlcé une allégo- 
rie , on doit conserver dans la suite 
du discours , l'image dont on a em- 
prunté les premières expressions. Ma- 
dame des Houlières , sous l'image 
d une bergère qui parle à ses brebis > 
rend compte à ses çnfyns de tout ce 
' H 6 



180 l'Allégorie. 
qu'elle a fait pour leur procurer des 
établissemens ; & se plaint cendre-» 
ment sous cette image de b dureté 
de la fbrotoe ; 

Po&Ut a* 

Madame des Dans ces prés fleuris , 
HouL T. a. Qu'arose la Seine , 
** Ckerchea qui vous mène » 

Mes chères brebis :- 

Pai fait pour tous rendre 

Le deftin pins doux , 

Ce qu'on peut attendre 

Dfune amitié tendre ; 

Mais son long coutoiut 

Détruit » empojsone 

Tous mes soins pour vous* 

Et vous abandone 

Aux fureurs des loup*. 

Seriez- vous leur proie * 

Aimable Troupeau l 

Vous de ce hameau 

L'honeuc & H joie v 

Vous qui gras. & beau 

Me dontta sans cesse 

Sur Fherbète épaisse 

Un plaisir nouveau ! 

Q«e ge vont regrète t 



l'Allégorie. j8i 

Mais il Jant céder ; 
Sam chien , sans houlète , 
Puis-je tous garder? 
Llnjofte fortune 
Me les a ravis» 
Envahi j'importune 
Le ciel par mes cris ; 
Il rit de mes craintes , 
Et sourd à mes plaintes, 
Houlète , ni chien 9 . 
Il ne me rend rien. 
Puksie*-vous cbmentes, 
Et sans mon secours , 
Passer d'hçoreux jours. 
Brebis inocentes, 
Brebis mes amours» 
Que Pan tous défende, 
Hélas! il le sait; 
le ne lui demande 
Que ce seul bienfait. 
Oui , brebis chéries , 
Qu'arec tant de soi» 
J'ai toujours nouries, 
Je prens à témoin 
Ces bots , ces pt aines, 
Que si les faveurs 
Du Dieu des pa&eur* 



i$l L'AtLiCORlEé 
Vous gardent d'outrages^ 
Et vous font avoir 
Du matin au soir 
De gras pâturages; 
J'en conserverai 
Tant que j[e vivrai 
La douce -mémoire ; * 
Et que mes chansons, 
Et mille façons 
Porteront sa gloire » 
Du rivage heureux, 
Où vif 6t pompeux , * 

L'aftre qui mesure 
Les nuits & les jours , 
Començant son cours * 
Rend à la nature 
Toute sa parure; 
Jusqu'en ces climats » 
Où , sans doute., las 
D'éclairer le monde , < 
Il va chez Thétis- 
Ralumer dans l'onde 
Ses feux amortis* 

Cette allégorie eft toujours soute- 
nue par des images qui toutes ont 
rapoit à l'image principale par où 



L'AlL ÈGO RI E. I$j 

la figure a comencé i ce qui eft es- 
sentiel à l'allégorie. * Vous pouvez 
entendre à la lettre tout ce discours 
d'une bergère , qui touchée de ne 
pouvoir mener ses brebis dans de bons 
pâturages , ni les préserver de ce qui 
peut leur nuire , leur adresseroit la „ 
parole , & se plandroii à elles de son 
impuissance : mais ce sens , tout vrai 

3u'il paroît 5 n'eft pas celui que Ma- 
ame des Houlières avoit dans l'es- 
prit : elle étoit ocùpée .des besoins 
de ses enfans , vpilà ses brebis , le 
chien dont elle parle , c'eft son mari 
quelle avoit perdi\ : le Dieu Pan c'eft 
le Roi. 

Cet exemple fait voir combien eftDacîer,<i:i^ 
peu jufte la remarque de M. Dacier, vr<$ à% **°- 

1 • ' / i > , rt^ • • race, T. i. 

qui prétend quune allégorie qui rcm- ?m ^ t #troif; 
/ pliroit toute une pièce eft un monjlre ; édit. 1709. 
& qu'ainsi l'Ode 14. du 1. livre 
d'Horace , O navis réfèrent , Sec. n'eft 

* là quoque toiprimis eft euftodiéndum., 
ut qiio ex génère cœpetis tranflâtîonis , hoc 
désinas. Multi enim , cum tnirium à tem- 
peftate sumpsénint t incéndio aiit ruina- 6* 
niant ; quas eft inconséquente rerum-fœdi»- 
sima, Quint. 1. 8. c. 6. Àllegoria. 



t*4 l'Allégorie. 

Quînt. l, s. point allégorique , quoi qu'en ait 
c. t. alUf» cru Quintilien & les Comentateurs. 
Nous avons des pièces entières tou- 
tes allégoriques. On peut voir dans 
l'oraison de Cicéroi^ contre Pison » * 
un exemple de l'allégorie , où , corne 
Horace , Cicéron compare la Répu- 
blique Romaine, à un vaisseau agité 
par la tempête. 

L'allégorie eft forr en usage dans 
1er proverbes* Les proverbes allégo- 
riques ont d'abord un sens propre qui 
eft vrai* mais qui n'eft pas ce qu'on 
▼eut principalement faire entendre t 
on dit familièrement tant va la cru- 
che à l'eau j qu'à la fin elle se brise ; 
c'eft-à-dire> que, quand on afronte 
trop souvent les dangers, à la fin on 
y périt ; ou que > quand on s'expose 

* Neqni tam fui tfmîdus, nt qui in mi- 
»mis turbinibus ac âûâibus Reîpùblic* na- 
rcm gnbentâssem, salVàmque ii> p<vtu col* 
locastem ; frontis tu* nubéculara » tum col- 
lège tui contaminatwm spiritum peirimés-* 
cerem. ATîos ego ridi ventos , afias pros* 
pé*i amtno procélkt : âliis îrrtpendéntibns 
tempeftâtihus non cessi , sed hi* unum me 
• pro 6auiium salûts 6bwLu Cic. in Pis* o*. uu 
aliter ao &iu 



l'Allégorie. 185 

ftéquenraent aux ocasions de pécher > 
on finit par y succomber. 

Les fiâions que Ton débite corne 
des hiftoires, pour en tirer quelque 
'moralité , sont des allégories qu'on 
apèle - apologues ^ paraboles, ou fables 
morales ; telles sont les fables d'£-< 
fope. Ce fiic par un apologue que 
Méqfénius Agrippa rapela autrefois la 
populace romaine , qui , mécontente 
du sénat , s'étoit retirée sur une mon- 
tagne. Ge que ni l'autorité des loix 9 
ni la dignité des Magiftrats Romains 
n'avoient pu faire , se fit par les char- 
mes de l'apologue. 

Souvent les anciens ont expliqué 
par une hiftoire fabuleuse les éfets na- 
turels dont ils ignoraient les causes ; 
& dans la suite on a doné des sent 
allégoriques à ces hiftoires. 

Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonerre* B*&ci« , 
Ceft Jupiter armé pour éfrajer la terre ; ^^j^^ 
Un orage terrible aux yeux des matelots » 
<7eft Neptune en courroux qui gourmande 

les flots ; 
Echo n'eft plus un son qui dans Fait ft* 

temiwe, 



l86 L V A LtiGO RIE, 
Ceft une Nymphe en pieu» qui Mf pWiM ' 
de Narcbse. 

Cette manière de philosopher flate 
l'imagination ; elle amuse le peuple j 
qui aime le merveilleux \ & elle eft 
bien plus facile que les recherches 
exa&es que l'esprit méthodique* a iiv- 
rroduites dans ces derniers teiiis. Les 
amateurs de la simple vérité aiment 
bien mieux avouer qu'ils ignorent'* 

3 ire de fixer ainsi leur esprit à des 
Iusions. 

Les recherches de la pierre philo- 
sophale s'expriment aussi par allégo*- 
rie dans leurs livres y ce qui done 
à ces livres un air de mjftèrë & de 
profondeur, que la simplicité- de la 
irrité ne poiîrôit jamais leur cohei-' 
lier. Ainsi ils couvrent sous lés voi- ; 
les miftérieux de l'allégorie , les uns 
leur fourberie , & les autres leur fa- 
natisme,' je veux dire, leur foie per- 
suasion.' En éfet , la nature n'a qu'une 
voie dans ses opérations j voie uni- 
que que l'art peut contrefaire , à la 
vérité , mais qu'il né peut jamais imi- 
ter parfaitement II eft aussi impossi- 



l'Ailé g oui t. • 1&7 
t>îe de faire de l'or par un moyen di- 
férent de celui dont la nature se sert 
pour former l'or , qu'il eft impossible 
de faire un grain de blé d'une ma- 
nière diférente de celle qu'elle emploie 
pour produire le. bié. 

Le terme de matière générale n ? eft 
qu'une idée abstraite qui n'exprime 
rien de réel, c'eft-à-dire , rien qui 
exifte hors de notre imagination. U 
n'y a point dans la nature une ma- , 
tière générale dont l'art- puisse faire 
tout ce <ju'il veut : c'eft ainsi qu'il 
n'y a point une blancheur générale 
d'où l'on puisse former des objets 
blancs. C'eft des divers objets blancs 
qu'eft venue l'idée de blancheur, co- 
rne nous l'expliquerons dans la suite ; 
& c'eft des divers corps particuliers:, 
dont nous somes afe&és en tant de 
manières diférentes , que s'eft formée 
en nous l'idée abftraite de matière gé- 
nérale. C'eft passer de l'ordre idéal à 
l'ordre physique , que d'imaginer un 
autre syftème. 

Les énigmes font aussi une espèce 
d'allégorie : nous en avons de fort 
belles en vers françois. L'énigme eft 



r!8 L'Auioo&u. 
on discours qui ne fait point canot* 
tre l'objet à quoi il convient , & c'eft 
cet objet qu'on propose à devinée» 
Ce discours ne doit point renfermer 
de circonftance qui ne conviène pas 
au mot de l'énigme. 

Observez que l'énigme cache avec 
coin ce qui peut la dévoiler ? mais 
les autres espèces d'allégories ne doi- 
vent point être des énigmes , elles 
doivent être exprimées de manière 
• qu'on puisse aisément en faire impli- 
cation. 



XIII. 

L'Allusion. 

AiMdere.R. jL* es allusions & les jeux de mots 
ad,& iWe^ont encore du raport avec l'allégorie: 
l'allégorie préfente un sens , & en Eût 
entendre un autre : c'eft ce qui arrive 
aussi dans les allusions > & dans la plu- 
part des jeux de mots , rei a/ténus ex 
altéra notatfo. On fait allusion à l'his- 
toire , à la fable , aux coutumes ; & quel- 
quefois même on joue sur les oiQtf* 



l'Allusion. t-89 

Ton Roi , jeune Biron, te sauve enfin la vie; Hênriaëe ♦ 
H t'arache sanglant aux foreurs des soldats , chant j. 
Dont les coups redoublés achevoient ton 

trépas : 
Tu vis ; songe du moins à lui refter fidèle. 

Ce dernier vers fait allusion à la mal* 
heureuse conspiration du Maréchal dt 
Biron ; il en rapèle le souvenir. 

Voiture écoir fils d'un marchand 
Ae vin : un jour qu'il jouoit aux pro- 
verbes avec des Dames , Madame des 
Loges lui dit , celui-là ne vaut rien 3 H», de TA- 
perce\-mus-en d'un autre. On voit que *■*• Tom * * 
cette dame fesoic une «aligne allu- p * * 7T * 
«ion aux toneaux de vin : car percer M 
se die d'un toneau , êc non pas d'un 
proverbe ; ainsi elle réveillon mali- 
cieusement dans l'esprit de l'assem- 
blée le souvenir humiliant de la nais- 
sance de Voiture. C'eft en cela que 
consifte l'allusion j elle réveille les 
idées accessoires. 

A l'égard des allusions qui ne con- 
siftent que dans un jeu. de mots , il 
Vaut mieux parler $c. écrire* simple- 
ment , que de s'amuser à 6e$ jeux de 
«mots puérils , ftoids , âc fades : e» 



I90 L f A L L U S I O N. 

voici an exemple dans cette épitaphe 
de Despautère: 

Grammdticam scivit , multtfs docuitque per 
annos ; 

Declinare tamen non p6tuit tùmolum. 

Vous voyez que l'Auteur |ooe sur la 
double! signification d&declwâre. 

Il sut la Grammaire , il l'enseigna 
pendant plusieurs années , & cepen- 
dant il ne put décliner le mot tùrnu- 
lus. Selon cette traduâion , la pen- 
sée eft Êiusse \ -car Despautère savoir 
fort bien décliner tumulus. 

Que si ton ne prend point tumu- 
lus matérièlement , & qu on le prène 
pour ce qu'il signifie , c'eft-à-dire , 
pour le tombeau , & par métonymie 
pour Va mort ; alors il faudra traduire 

3ue malgré toute la conoissanec que 
despautère avoit * de la Grammaire 3 
il ne put éviter la mort : ce gui n'a 
ni sel , ni raison ; car on sait bien 
que la Grammaire n'exente pas de la 
nécessité de mourir. 

La tradu#ion eft l'écueil de ces 
sortes de pensées : quand une pen- 
sée eft solide , tout ce qu'elle a de 



C A ll usi on. 191 

réalité se conserve dans la traduc- 
tion ; mais quand toute sa valeur ne 
consifte que dans un jeu de mots , 
ce faux brillant se dissipe par la tra- 
duction. 

Ce n'eft pas toutes fois qu'une muse un peu Boilew , 

fine : Art Poèt - 

~ , chant 2. 

Sur un mot , en passant , ne joue oc ne ba- 
dine; 

Et d'un sens détourné n'abuse avec succès : 

Mais fuyez sur ce point un ridicule excès» 

Dans le placer que M. Robin oré- GiiesRobîn, 
senta au Roi pour être maintenu dans nati *. du s * 
la possession d'une île qu'il avoir dans ^^"éîiiie* 
le Rhônfe , il s'exprime en ces ter- a* Arles, 
mes : 

Qu'eftr ce en éfet pour toi , Grand Monarque 
des Gaules, 
Qu'un peu de sable & de gravier?. 
Que faire de mon lie î il n'y croit que des 
saules ; 
Et tu n'aimes que le laurier* 

Saules, eft pris dans le sens propre ; 
&' laurier dans le sens figuré : rrjais 
Ce jeu présente à l'esprit une pensée 
trè*-fiaé & très-solide» Il faut pour- 



191 l'ÀLLVSION. 

tant observer quelle n'a de vérité que 
parmi les nations où le laurier eft re- 
gardé corne le symbole de la viâoire. 
les allusions doivent être facile- 
ment aperçues. Celles que nos Por- 
tes font à la fable sont défectueu- 
ses , quand le sujet auquel elles ont 
laport , n'eft pas conu. Malherbe » 
dans ses ftances i M. du Périer , pour 
le consoler de la mort de sa fille » 
lui dit: 

Poésies 4ê Thhon n 9 a plus les ans qui le firent dgalf ± 
Malherbe , Et Muton aujourd'hui f 

rU Sans égard du passé les mérites égale 

D'Archemore & de loi. 

Il y a peu de fréteurs qui conois* 
sent Archemore , c'eft un. enfant da 
teins fabuleux. Sa nourice l'ayant quit- 
té pour quelques moraens , un ser- 
pent vint & Fétoufa. Malherbe veut 
dire que Tithon après une longue vie , 
s'eft trouvé a la mort au même point 

3 u Archemore , qui ne vécut que peu 
e jours. 

l'Auteur di Poème de la Made- 
leine, dans une apoftxopht ài'amour 

prophane, 



l'Allusion. 195 

prophane , dit 9 parlant de Jésus-Chrift : 

Puisque cet Antiros t*a si bien désarmé : L. a. p. aj. 

"Ce mot iïAntcros n'eft guère cdnu 
que des savans , c'eft un mot grec 
qui signifie contre-amour : c'étoit une ' 
divinité du Paganisme j le Dieà ven- .. 
geur d'un amour méprisé. 

Ce Poëme de la Madeleine eft 
rempli de jeux de mots , 8c cTal*- 
lusions si recherchées , "que malgré 
le resped dû au sujet , & Ja bone 
intention de l'auteur > il eft dïficile 
qu'en lisant cet ouvrage , on ne soit 
point afeâé corne ça l'eft à la leo. 
ture d'un ouvrage burlesque. Les &•> 
gures doivent venir , pour aiifii-dire, 
d'elles-mêmes \ elles doivent naître 
du sujet , & se présentée naturêle- 
ment à l'esprit > corne nous l'avons 
remarqué auteurs : quand c'eft l'es- 
prit qui va les chercher elles déplai- 
sent , elles étonent & souvent font 
rire par l'union bizare de deux idées > 
dont Pune ne devoir jamais être as- 
sortie avec l'aucce^ Qui croiroit , par 
exemple , que jamais le - jeu de pi* 
quet dut entrer dans un poëme tair 



, 94 l'Allusion. 
pour décrire la pénitence & la charité 
ae sainte Madeleine i & que ce jeu 
dût faire naître la pensée de se donet 
la discipline ! 

Poème de la p; quez . V ou» seulement de jouer au piquet , 
M,d«l.ine , A ceb . ue j , entcns qui $e fait $an s caquet ; 

ÎP ' 41 ' Pentens que vous preniez par fois la disci- 
pBne , 
Et qu'avec ce beau jeu vous fessiez bone 
mine. 

On ne s'atend pas non plus à trou- 
ver les termes de Grammaire détail- 
lés dans un ouvrage q«" P°" e . P our 
titre , le nom de sainte Madeleine ; 
ni que l'autenr imagine je ne sai quel 
taport éhtte la Grammaire & les exer- 
cices de cette Sainte •. cependant une 
tête de mort & une discipline sont 
les rudimens de Madeleine. 

Ibid. 1. ». p. Et regardant toujours ce têt de trépassé , 
18 , 19. &c. gjj a yo j t j e FVTUR dans ce présent passe. 

Et c'eû sa discipline , & tous ses châtiment.» 
Qui lui font comencef ces rudes rVdimens. 
Ce qui la fait trembler pour son grammai- 
rien, 



l'Allusion. 195 

Ceft de voir , par un cas du tout dérai- 

raisonable, 
Que son amour lui rend la mort indécli- 
nable., 
Et qu'ACTiF corne il eft aussi bien qu'excessif 
11 le rend à ce point d'impassible passif. 
O que l'amour eft grand , & la douleur amère. 
Quand un verbe passif fait toute sa gram* 

maire ! 
La mvse pour cela me du\ non sans raison , 
Que toujours Ja première eft sa conju- 

\ GAISON. 

Sachant bien qu'en aimant elle peut tout 
prétendre, 

Come tOUt ENSEIGNER, tOUt LIRE, &'tOUt 
ENTENDRE , 

fendant qu'elle s'ocupe a punir le forfait 
De son . tems prétérit qui ne fut qu'iitf- 

PARFAIT , 

Tems de qui le futvr réparera les pertes 

Par tant d'afliûions & de peines soufertes : 

Et le présent eft tel , que c'eft I'indicatif , 

D'un amour qui s'en va jusqu'à I'infinitif. 

Puis par un optatif , ah ! plût à Dieu ,' dit- 
elle, 

Que je n'eusse jamais été si -criminelle ! 
Prenant avec plaisir , dans l'ardeur quila bi ûle 

1 i 



196 l'Allusion. 

Le Fouet pour discipline, & la croix pour 
férule. 

^ Vous voyez qu'il n'oublie rien. Cet 
ouvrage eft rempli d'un nombre in- 
fini d'allusions aussi recherchées, pour 
ne pas dire aussi puériles. Le 'défaut 
de jugement qui empêche de sentir 
ce qui eft ou ce qui n'eft pas à pro- 
pos , & le désir mal entendu de mon- 
trer de l'esprit Se dd faire parade de 
ce qu'on sait , enfantent ces produc- 
tions ridicules. 



Molière 



MiTant la Cc ftyle fi S uré • dont bn fait vanité •' 

x**c. 2. $° rt du hon caraâère & de la vérité; 

Ce n'eft que. jeux de mots, qu'afeftation pure, 
Et ce n'eft pas *insi que parle la nature. 

J'ajouterai encore ici une remarque 9 
à propos de l'allusion, t c'eft que nous 
avons en notre langue un grand nom- 
bre de chansohs , dont le sens Kté- 
. rai , sous une aparence de simplici- 
té , eft rempli d'allusions obscènes. 
Les autçuçs de ces productions sont 
coupables d\me infinité de pensées 
dont ils sali'ssçnt ' l'imagination ; Se 
d'ailleurs ils se deshonorent dans Tes- 



l'Allusion. 197 

prît des honetes gens. Ceux qui daas 
des ouvrages sérieux tombent par sim- 
plicité dans le même inconvénient 
que les faiseurs de chansons , ne sont 
guère moins repréhensibles , & se ren- 
dent plus ridicules. 

Quintilien , tout païen qu'il étoit ,^J B ^ 
veut que non seulement on évite le> c%3# deRisu! 
paroles obscènes , mais encore tout 
ce qui peut réveiller des idées d'obs- 
cénité. Obscœnitas verb non à verbis- 
tanthm abésse débet j sed étiam à si- 
gnificatiône. 

» On doit éviter avec soin en écri- 
99 vant dit-il ailleurs , * tout ce qui 
» peut doner lieu à des allusions des* ' 
» nonêtes. Je \sai bien que ces in- 
y terprétations viènent souvent dans 

* Hoc vîtîum xcm&q&Iov yocàtur , sîve malâ 
cemsuetùdineln obscœnutri imellè&iftri sermo 
detértus eft... diâa sanôè & antique ridémur 
à nobts : quam àilpam non scribéntium qui- 
dem fûdtro , sed legéntium : tamen vitânda ; 
quateiius verba honéfta m 6 ri bus perdidimus 9 
6c evincéntibtis étiam yitiis cedéndum eft. 
Stve junâûra deformkcr sonat. . . allas con- 
junftiônes âliquid stmile fâciunt quas pér- 
sequi longum éd.* in eo vitio quod virandtfm 
dicimus , comnaorântes. Sed divisio quoque 

1 3 



198 l'Allusion. 
» l'esprit plutôt par un éfet de la cor- 
v ruption du cœur de ceux qui lisent > 
» que par la mauvaise volonté de ce- 
» lui qui écrit ; mais un auteur sage 
» & éclairé doit avoir égard à la foi- 
» blesse de ses le&eurs, & prendre 
» garde de faire paître de pareilles 
» idées dans leur esprit : car enfin 
» nous vivons aujourd'hui dans un siè- 
» cle où l'imagination des homes eft si 
» fort gâtée , qu'il y a un grand nom- 
>> bre de mots qui étoient autrefois 
m très-honêtes , dont il ne nous eft 
» pas permis, de nous servir par l'abus 
» qu'on en a fait ; de sorte que sans 
» une attention scrupuleuse de la part 
» de celui qui écrit, ses lefteurs trou- 
» vent malignement à rire en salissant 
» leur imagination avec des mots * 
*> qui , par eux-mêmes, sont très- 
» éloignés de l'obscénité* 

affert eândem injuriant pudôri. Née scripto 
modo kl âccidit ; sed éttam sensu plerique 
.obscoenè intelligere , nisi câveris , cûpiunt , 
*ic ex verhîs quae longissimè ab obscœnitâte 
absunt , occasi 6 ne m turpkùdtfns râpere. Quint. 
lad. Orat. lib. vui. c* 3. de-Omânu 



l'Ironie. i<jf 



XIV. 

l'Ironie, 

JL'Ironie eft une figure par la- fy»v«/* , 
quelle on veut faire entendre le con-? issimul ? Éi * 
traire de ce qu on dit : ainsi les mots 
dont on se sert dans l'ironie , ne 
«ont pas pris dans le sens propre & 
litéral. 

M. Boileau^ qui n'a pas rendu A 
Quinault toute la juftice que le pu- 
blic lui a rendue depuis , a dit p*r 
ironie : 

Je le déclare donc , Quinault eft un Virgile* Boil^au , 

v Sat, iz. 

Il vouloit dire un mauvais Poëte. 

Les idées accessoires sont d'ungr^nd 
usage dans l'ironie j le ton de la voix , 
& plus encore la conoissance du mé- 
rite ou du démérite personel de quel- 
qu'un , & de la façon de penser de 
celui qui parle , servent plus à faire 
conoître l'ironie ? que les paroles dont 
on se sert. Un home s'écrie , oh U 
bel esprit ! Parle -t- il de Cicéron , 



f 



foo LM RaNÎE. 

d'Horace ? il n'y a point là d'ironie \ 
fes mots font pris dans le sens pro- 
pre. Parle- 1- il de Zoïle ï ceft «ne 
ironie. Ainsi l'ironie fait une satyre * 
avec les mêmes paroles dont le dis- 
cours ordinaire fait un éloge. 

Tout le monde sait ce vers du père 
de Chimène dans le Cid. 

Corn. Gd. ^ j e p] us h auts partis Rodrigue doit pré- 
•â.i.tc.3* tendre. 

Ceft une ironie. On' en peut remar- 
quer plusieurs exemples daos Balzac 
& dans Voiture. Je ne sai si l'usage 
que ces auteurs ont fait de cette figu- 
re , serôit aujourd'hui aussi bien reçu 
qu'il Ta été de leur tems. •■ 

Cicéron .comence par une ironie 
l'oraison pour Ligarius. Novum cu- 
min y Çài Cœsar j & ante hune diem 
inaudltum , &cv II y a aussi dans l'o- 
raison contre Pison un fort bel exem- 
ple de l'ironie : c'eft à Tocasion de 
ce que Pison disoit que s'il n'avoir 
. pas triomphé de la Macédoine, c'é- 
toit parce qu'il n'atfoit jamais sôuh'ai- 
ré les honeurs du triomphe. » Que 
s> Pompée tft malheurenx , dit Cî- 



L' I R O N I E. 101 

» céron , * de ne pouvoir profiter 
» de votre conseil ! Oh ! qu'il a eu 
» .tort de n'avoir point eu de goût 
» -pour votre philosophie ! Il tf eu 
» la folie de triompher trois fois» 
o Je rougis , Crassus , de votre con- 
99 duite. Quoi ,< vous, avez brigué l'ho- 
99 neur du triomphe avec tant d'em- 
» pressement! Sec. 



XV. 

l'Euphémisme, 

JL/ Euphémisme eft une figure j^J?^^' ' 
par laquelle on déguise des idées dé- capt ^ . 
sagréables, odieuses, ou trilles, sous'-****" ** 
des noms qui ne sont point les noms*™ * u $" tt e * 
propres de qes idées : ils leur servent^*™/^,,^ 
com£ cle voile, & ils en expriment Jw**»/* 
en apparence de plus agréables , de 
jnoins choquantes , ou de plus ho- 

* Non eft intégrerai Cn. Pompéïo , consï- 
lio jam utî tuo ; erravit enim. Non guftâ- 
rat iftam tuam philos6phiam ; ter • jam 
homo^ftultas , triwnphâvit. &c. Cic. în Pk 
son* n. < 8. xxiv. 

15 



201 l'Euphémisme. 
nêtes selon le besoin j par exemple : 
ce seroit reprocher à un ouvrier ou à 
un valet la bassesse de son état , que 
de i'apeler ouvrier ou valet ; on leur 
done d'autres noms plus honêtes qui 
ne doivent pas être pris dans le sens 
propre. Ceft ainsi que le boureau eft 
apelé par honeur , k maître des hautes 
cuvres. 

Ceft par la même raison qu'on 
done à certaines étofes grossières le 
nom detofes plus fines ; par exem- 
ple : on apèle velours de Mauricnc une 
sorte d'^tofe de gros drap qu'on fait 
en Mauriène , province de Savoie , 
& dont les pauvres Savoyards sont 
habillés. Il y a aussi une sorte d*é- 
tofe de fil dont on fait des meubles 
de campagne } on honore cette étofe 
du nom de damas de Caux s parce 
qu'elle se fabrique au pays de Caux 
en Normandie- 
Un ouvrier qui a fait la besogne 
pour laquelle on Fa fait venir , & qui 
n atend plus que son payement pour 
se retirer , au lieu de dite paye%~moi 3 
«lit pat euphémisme , uave\-vous plue 
rien à m'ordonnes 



l'Euphémisme. ioJ 

Nous disons aussi , Dieu vous os- 
sifie y Dieu vous bénisse j plutôt qu* 
de dire, je n'ai rien à vous doner. 

Souvent pour congédier quelqu'un f 
on lui dit , voilà qui efi bien j je vous 
remercie j plutôt que de lui dire ale% 
vous-en. 

Les Latins se servoient dans le mê- , 
me sens de leur reclè j qui , à là ler- 
tre , signifie bien j au lieu de répondre 
qu'ils n'avoient rien à dire. » Quand 
» nous ne voulons pas dire ce que 
» nous pensons , de peur de faire de 
h la peine à celui qui nous intéroge, 
»> nous nous seryons du mot de re3è j 
dît Donat. * 

Softrata, dans Térence , ** dit à 
son fils Pamphile , pourquoi pleure*- 
yous ? Qu'avec- vous j mon fils ? Il 

* Refiè dicîmus cum sine injuria interro* 

fântis âliquid reticémus. Donat» in Tereat. 
[ecyr. aft. 3. se. a. v. 10. 
** S. Quid lâcrymas ? Quid es tam 
triftis ? P. refiè mater. Ter. Hecyr. a& 3. 
$c. a. 

Tum , quod dem ei 9 re£U cft : nam ni- 
liil esse mihi , religio eft dicere. Heaut. aâ. 2. 
se. I. v. 16. & stlcn Mad. D acier > aâ. i. 
4C« 4. y. 16. 



104 L f E U P H É M I S M E.' 
répondit , reclè mater. Tout va bien , 
ma mère. Madame Dacier traduit , 
rien j ma mère j tel eft le tour fran- 
çois. 

• Dans une autre comédie de Téren- 
ce , Clitiphon dit que quand sa maî- 
tresse lui demande de l'argent , il se 
tire d'afaire en lui reponaant reclè 3 
c'eft- à - dire , en lui donant de belles 
espérances : car , dit-il , je noserois 
lui avouer que je n'ai rien ; le mot 
de rien eft un mot funefte. 

Madame Dacier a mieux aimé tra- 
duire ,. lorsqu'elle me demande de l'ar- 
gent j je ne fais que marmoter entre 
les dents ; car je n'ai garde de lui dire 
que je n'ai pas le sou» 

Si Madame Dacier eût été plus 
entendue qu'elle ne l'étok en gaîar*- 
terie , elle auroit bien senti que mar- 
moter entre les dents , n'étoit pas une 
contenance trop propre à faire naî- 
♦Andr zù xxe ^ ans une co 4 u ^ te l'espérance d'un 
r sc n 4 .v.îc.* présent. 

♦Mb. aft.a. B y avoit toujours tMi verbe sous- 
**** HeaVt* entendu aveC rc 8*< Reclè ddmones* 
•&.s.î™%.*Ego ift*c reclè ut fiant Vidtro* ** 
t. 43* Reàè suâdes i *** &c. 



l'Euphémisme. îoç 

A l'égard du reciè de la 2 e . scène 
du IIP a&e de THécyre , il faursous- 
entendre ou vâleo 3 reciè valéo j ou 
reciè mihi consuloj ou enfin quelqu'au- 
tre mot pareil , corne res benè se habet^ 
&c. Pamphyle vouloir exciter cette 
idée dans l'esprit de $a mère pour en 
éluder la demande. 

Pour ce qui eft <|e l'autre rectè ^J^ 
Clitiphon vouldit faire entendre à sa 
maîtresse , qu'il avoit des ressources 
pour lui trouver <ie l'argent ; que tout 
iroit bien , & que ses désirs seroient 
enfin satisfaits. 

Ainsi , quoique Madame Dacier 
nous dise * que nous n'avons point *Dids les 
de mot en notre langue , qui puisse remar i ue$ 

i r j r,/ . x • sur la se 2. 

exprimer la force de ce recte 3 je croîs du aa de 
qu'il' répond à ces façons de parler ,ruécyte. 
cela va bien y cela ne va pas si mal 
que vous pense% ; courage ^ il y a espé- 
rance j cela ejl bon ; tout ira bien ^ &c. 
ce sont là autant d'Euphémismes. 

Dans «toutes les nations policées 
on a toujours évité les termes qui 
expriment des idées deshonêtés. Les 

Crsones peu inftruites croient que les 
itins n^voient pas cette délicatesse; 



ic6 l'Eu ph£ mis me» 

c'eft une erreur. Il eft vrai qu'au- 
jourd'hui on a quelquefois recours 
au latin pour exprimer des idées dont 
on n'oseroit dire le mot propre *en 
françois : mais c'eft que corne nous 
n'avons apris les mots Jatins que dans 
les livres , ils se présentent à nous 
avec une idée accessoire d'érudition 
& de le&ure , qui s'empare d abord 
de l'imagination ; elle la partage , 
elle envelope , en quelque sorte , 
l'image desnonête , elle récarte , & 
ne la fait voir que de loin : ce sont 
deux objets que Ton présente alors 
à l'imagination , dont le premier eft 
le mot latin qui couvre- l'idée qui le 
suit ; ainsi ces mots servent, corne de 
vorle & de périphrase à ces idées 
peu honêtes : au lieu qne corne nous 
somes acoutumés aux mots de notre 
langue , l'esprit „ n'eft pas partagé. 
Quand on se sert .de termes pro- 
pres , il s'ocupe direétement des ob-t 
jets qne ces termes signifient. Il en 
ctoit de même à l'égard des Grecs 
& des Romains , les honêtes gens 
ménageoient les termes corne nous 
les ménageons en françois, Se leur 



l'Euphémisme. 207 

scrupule aloit même quelquefois si 
loin , qu'ils évitoient la rencontre des 
syllabes , qui , jointes ensemble * au- 
raient pu réveiller des idées desho- 
nêtes. Quia si ita dicerétur 3 ohscœrQ nt *•*?*• 
nias concentrent littcrct , dit Cicé- aliterxLr - 
ron 5 & Quintilien a fait la même Inft - 0rat * 
remarque* * 

» Ne devrois-tu point mourir de 
-» honte , dit Chrêmes à son fils , 
» * d'avoir eu l'insolence d'amener 
» à mes yeux , dans ma propre mai- 
» son , une. • . * je n'ose prononcer 
» un mot deshonête en présence de 
r> ta mère , & ru as bien osé comètre 

* Non tnihi per fallâcias adducere ante 
i&culos. , . pudet dicerc hâc présente verbum 
tutpe ; at te id nullo modo pûduit facere. 
Heaut. aâ. 5. se. 4. y. iS. 

Ego servo & sèrvâbo Platénis verecû»- 
dîara. Itaque teôis verbis , ea ad te scripsi , 
quae apertissimis agunt Stolci. Xlii étiam cré- 
piras aiunt aequè libères , ac ruâus , est* 
oportére. Cïc. 1. ix. Eptft. 22. 

JEque eâdem modéftiâ , p6tius cum mn- 
liere fuisse , quàm concubuisse , dicébant. 
Varro de ling. lat. 1. v. sub fin. 
' Mo» fuît , res turpes & ftedas prolâtn } 
honeftkSmm coaveftirier dîgnhàtc. ArmU 
Iy. 



ao8 l'Euphémisme. 

•> une adion infâme dans notre pro- 

» pre maison. 

.C etoir par la même figure qu'au 
lieu de dire , je vous abandone * je 
ne me mets point en peine de vous 9 
je vous quite j les anciens disoient sou- 
vent, viveç y portez-vous tien. Vive\ 
forêts j * cette expression , dans l'en- 
droit où Virgile s'en eft servi , ne 
marque pas un souhait que le berger 
fasse aux forêts , il veut dire simple- 
ment qu'il les abandon?. 

Ils disoient aussi quelquefois , avoir 
vécu j avoir été y s 9 en être aie j avoir 
passé par la vie j ( vitâ funSuSj ** ) 
au lieu de dire être mort j le terme 
de mourir leur paroissoit en certaines 
ocasions un mot funefte. 

Les anciens portoient la superfti- 
tion jusqu'à ctoire qu'il y avoit des 

* Omfti* vel médium fiant mare, vivite 
;sylv«* Firg. Eç. vui. v, 58. 

Vâleant , qui inter nos dissidtum volunù 
Ter. And, a£L iv. se. 2. v, 1 3. 

Caftro peto : valeatque Venus , valeintque 
pûell*. TibtM. L'a. EL 6. v. 9. 4 

„ **. Fungf fiingor, signifie passer par dans ' 
un sens métaphorique ; être délivré d$ , s art 
aquué de. ' *~ 



t'EuPHÉMlSMÊi 200 
'mors , dont la seule prononciation 
pouvoir atirer quelque malheur : ço~ 
me si les paroles, qui ne, sont qu'un 
air mis en mouvement , pouvoient 
produite , par elles-mêmes , quel* 
qu'autre, éfet dans la navire , que ce- 
lui d exciter dans, l'air - un ébranle- 
ment , qui , se comuniquant à l'or- 
gane de l'ouïe s fait naître dans Tes* 
prit des homes les idées .dont ils sont 
convenus par l'éducation qu'ils ont 
reçue. 

Cette superftition paroissoit encore 
plus dans les cérémonies de la relt- 

Êion : on craignoit de doner aux 
>ieux quelque nom qui leur fut dé- 
sagréable. On étoit avecti * au. com- 
mencement du sacrifice ou de la cé- 
rémonie , de prendre garde de pror 

* Malè ominâtîs pârcîte vertus , ou selon 
d'autres , malè nominâtis. Hor. L 3. od.- 14. 

Favéte linguis. Hor. 1, 3. od. j. 

Ore favéte omoes. Virg. JEti. 1. 5. v. 71. 

Dicâmus bona verba, venit natâlis, ad 
aras. 

Quîsqùis ades 9 linguâ , vir tmiHérqae &ve, 
TibulL 1. 2. El. a. v. 1. 

Prospéra lux 6ritur , linguisque anhqiscpe 
fovéte , • . 



no l'Euphémisme. 

noncer aucun mot qui pût atirer quel- 
que malheur , de ne dire que de bo* 
nés paroles >'bona verba fari 3 enfin 
d'être favorable de la langue , favéte 
linguis j ou lingud 3 ou orc ;' Se de 
garder plutôt le silence que de pro- 
noncer quelque mot fonefte qui 1 pût 
déplaire aux Dieux : 6c c'eft de là que 
favéte linguis j signifie par extension , 
faites silence* 

Par la même raison , ou plutôt par 
le même fanatisme , lorsqu'un oiseau 
avoit été de bon augure j & que 1 ce 
qu'on devoit atendre de cet heureux 
présage /étoit détruit par un augure 
contraire , ce second augure ne s a- 
peloit point mauvais augure ; mais 
simplement l'autre augure j * ou Vau- 
tre oiseau. C'eft pourquoi , dit Feftus* 
ce terme altcr > veut dire quelquefois 
contraire * mauvais* 

Nunc dlcenda bono , sont bons vcrba , 
«fie. Ov'uL Fait 1. 1. v, 71. 

* AU*r % ic pro.non bono pànitnr , w in 
sugûriis , altéra cum appellâtur avis quat utî- 
que prospéra non eft ; sic alter nonnumqnam 
pro advérso dicitur & malo. Fcflus, y.altcr. 



L'E U P H i M I S M E. irï 
Il y avoit des mots consacrés pouf 
les sacrifices , dont le sens propre Se 
litéral étoh bien diférent de ce qu'ils 
signifioieni dans ces cérémonies su- 
perftitieuses ; par exemple : macîâre 3 
qui veut dire magis auSârc ^ augmen- 
ter davantage , se disoit des vidimes 
qu'on sacrinoit. On n'avoit garde de 
se servir alors d'un mor qui pût faire 
naître l'idée funefte de la mort j on 
se servoit par euphémisme x de mac- 
tare j augmenter ; soit que les victi- 
mes augmentassent alors en honeur 9 
soît que leur volume fût grossi par 
• les ornemens dont on les paroit : spic 
enfin que le sacrifice augmentât en 
quelque sorte l'honeur qu'on rendoit 
aux Dieux» Nous avons sur ce point 
un beau passage de Varron , que l'on 
peut voir ici au bas de la page, * 

* AîaëUre f verbum & sacrorum , *«r' 

IvwiÀifpiv diftura , quasi magis aubère , ut 
adolire , undè & magméntum cjuasi mains aug* 
méntum : nam héfti* tanguntur molà salsâ f 
& tum immoldta dîcuntur ^ cum verb iâae 
sunt & aliquid ex illis in aram datum eft, 
mattata dîcuntur per laudatiônem. , itémque 
bon! 6minîs significatiénem. Et cum illis 
jnola saka impànitur , diçitur math cjlç* 



dll L'EUPHÉMISME. 

De même , parce que crémari 3 , 
être brûlé, auroit été un mot de maur 
vais augure , Se que l'autel croissoic , 

{>our ainsi dire , par les herbes , par 
es entrailles des vi&imes > & par tout 
ce qu'on mettoit dessus pour être 

f g *fb°us ar»! brulé i au lie * <\ e dire on brâlc suf 
VirgGtorgJes autels > ils disoient y les autels crois-' 

»▼• *• 379* fent j car adolere & adoléscere > signi- 
fient proprement croître ; & ce n'eft 
que par euphémisme que ces mots 
signifient brûler. 
. . C'eft ainsi que les persones du peu- 

{>le disent quelquefois dans leur co- 
ère, que le bon Dieu vous emporte, j 
n'osant prononcer le nom du malin 
esprit. 

Dans l'Ecriture Sainte > le mot : de 
b<nir eft mis quelquefois au lieu de 
maudire, qui eft précisément le con- 
traire. Corne il n'y a rien de plus 
afirèux à concevoir , que d'imaginer 
quelqu'un qiii s'emporte jusqu'à des 
< imprécations sacrilèges contre Dieu . 

* Varro de vîta Pop. Rom, 1. a. dans les frag* 

,mcns qui sont à la fin des œuvres de Var- 

ron , de l'édition de h I*nson » Amft. 1723. 



L*EUPHÉMIS ME. ÏI| 
même j au lieu du terme de maudi- 
re j on a mis le contraire par euphé- . * 
misme. j 

Naboth n'ayant pas voulu vendre 
au Roi Achab , une vigne qu'il pos- 
- sédoit , fir qui étoit l'héritage de ses 
pères ; la Reine Jézabel , femme d'A- 
chab , suscita deux faux témoins , qui - t 
déposèrent que Naboth avoit blasphè- 
me contre Dieu & contre le Roi ; or, 
l'Ecriture, pour exprimer ce blasphè- 
me, fait -dire aux témoins, que Na- 
both, a béni Dieu & le Roi. * 

Job dit dans le même sens , peut- 
être que mer enfans ont péché j & qu'Us 
ont béni Dieu dans leur cœur. ** 

C'eft ainsi que dans cç$ paroles de <£<>• *• u« 
irgile , auri sacra famés ± sacra se* ,T * 
prend pour execrabilis .,' selon Seryq/s \ 
soit par euphémisme , soit par exten- 
sion : car il eft à observer que sou- 
vent par extension , saccr vouloir dire 

* Viri 4tab6fici ; dixérunt;c6ntrt >U|tî téftî-' 
minium' çoram niukitûclînè ; benedixit Na* 
febth Deum & Regeih. Reç. IIÏ Ç. a t. v. 10. 
& 13. J ; ' 

** Ne forte peccâverînt filii mei & benêt 
dixerint Deo in cordbius suis. Job. 1. v. 5* 



H4 l'Euphémisme* 
exécrable. Ceux que la juftice humai- 
ne avoit condanés , & ceux qui se dé- 
vouoient pour le peuple , étoient re- 
gardés corne autant de persones sa- 
crées. De -là, dit Feftus, * tout mé- 
chant home eft apelé sacer. O le mau- 
dit boufon j dit Afranius , en se ser- 
ve* p'olt 1 * vant ^ e sacrum : § O sacrum scurram 3 
Lonîl. 1713. 6* malum. Et Plaute , parlant d'un 
pag 1511. marchand d'esclaves y s'exprime en 
PUut. Pan. £ es termes Hômini ( si Icno efi homo ) 
Prolog, r. * . x " in- 

jo. quantum hominum terra sujtinet j sa- 

cérrimo. 

. On peur encore raporter à Teu- 

Îrfiémisme ces périphrases ou circonl- 
ocutions , dont un orateur délicaç 

II; ' t .• 

* Homo saçenls eft* que m populus judi- 
câvit oh malefipum , neque fas eft eum im- 

moferi ex quo quivis homo , malus 

atque frnprobùs , sacer appellâri solet. Fet- 
tus. v. sacer. 

Massiliéftses >. xjaoties pefttiéniiâ laborâ* 
bant , unus se ex paupéribus offérebat , alén- 
dps apno ingegro publiais & purioribus cibis. 
Hic p6#eà , ornâtus vqrbépis & véftibus sa- 
crii » ciifcunflucebât^r per tojtam civitatem , 
cum execrati6nibus ; ut in ipsum reciderent 
mala totius ciyîtatis ; & sic projiciebâtur, 
Seryius. In JEn. IIL r. 57. 



l'Euphémisme, iij 

envelope habilement une idée , qui , 
toute simple > exciteroit peut-être 
dans l'esprit de ceux i qui il parle , 
une image ou des sentimens peu fa- 
vorables à son dessein principal. Ci- 
céron n'a garde de dire au Sénat \ 
que les domeftiques de Milon tuè- 
rent Clodius ; * » Ils firent , dit-il , 
» ce que tout maître eût voulu que 
» ses esclaves eussent fait en pareille 
« ocasion. » De même , lorsqu'on 
ne done pas à un mercenaire tout 
l'argent qu'il demande , au lieu de lui 
dire , je ne veux pas vous en doner 
davantage j souvent on lui dit par 
euphémisme , je vous en donerai da- 
vantage une autre fois ; cela se trou- 
vera : je chercherai les ocasion* de vous 
récompenser } &c* r 

* Fecérunt id servi MUénî* ♦ . . . quo4 
iuos quisque servos in tali re fâcere voluissçu 
Cic* pro Miléne , num. 19. 



n6 l'Antiphrase. 



X V L 

l'Antiphrase. 

L'Euphémisme & l'Ironie ont 
* doné lieu aux Grammairiens d'inven- 
ter une figure qu'ils apèlent Antiphrase ^ 
c'eft-à-dire , contre-vérité ; par exem- 
ple : la mer noire suiète à de fré- 
quens naufrages , & aont les bords 
étoient habiçés par des homes extrê- 
mement féroces , écoit apelée Pont- 
ivfwm., Euxin, c'eft-à-dire , mer favorable à 
*n^l:*s" h °" s * mer hospitalière. Ceft pour- 

j/J" exerce 4 m " ... * x « ->i • 

VU-pitaliti. quoi Ovide a dit que le nom 4e CWS 
mer étoit un menteur.' ' 

OvW Trist Q uem tenet E uxini » mendax cogirômine f 

1. 5/ Elcg! littus - 

jo. t. 13. Et mlkurs ; Poatus Euxini faUo ndmine 

Ideml. 3. . .. diâos. 

ELij.r.ult, 

San&ius & quelques autres ne veu- 
lent point tnècre 1 antiphrase au rang 
d^s figures. Il y a en éfet je ne sai 
quoi d'oposé à- l'ordre naturel , de 
nomer une chose par son contraire / 
d'apeler lumineux un objet, parce qu'il 
t eft 



^ . l'Antiphrase. ^17 
eft obscur j l'antiphrase ne satisfait pas 
l'esprit. 

Malgré les mauvaises qualités des 
objets , les anciens qui personifioient 
tout , leur donoient quelquefois des 
noms flateurs, corne pour se les ren- 
dre favorables, ou pour se faire un 
bon augure , un bon présage. 

Ainsi c'ëtoit par euphémisme, par 
superftition , & non par antiphrase , 
que ceux qmaloient à la mer que nous 
apelons aujourd'hui la mer noire j la 
nomoient mer hospitalière j c eft-à-dire, 
riiefc qui nô nous sera point fonefte , 
qui nous sera propice, où nous serons 
Ken reçus , mer'qni sera pour nous 
une mer hospitalière , quoiqu'elle soit 
cdttitméttient pour les autres une mer 
funefte. 

Les trois : Déesses infernales , filles 
de l'Erèbe .& de la Nuit , qui , selon 
la fable , filent la trame de nos jours , 
étdiént ^pelées les Parques : de l'ad- 
je&if parcus'j quia ptrcl npbis vitam 
tribùunu Chacun trouve quelles ne 
lui filent pas assez de jours» D'autres 
disent quelles ont été ainsi âpçlées, 
parce que leurs fondions sont- parta- 
it ' - 



siS l'Antiphrase. 

gées j Parca quasi partit*. 

Clotho colum rétinet , Lâchesis net , & Atro- 
pos ocaat. 

Ce n'eft donc point par antiphrase , 
quia mtmini parcunt Jt quelles ont été 
apelées Parques. 

Les Furies , Ale&o ,- Tisîphone. & 
Mégère , ont été apelées Euménidcs y 

mpaft. du grec cumencis j benévokt^ douces , 
bienfaisantes. La comune opinion eft 
que ce nom ne leur fut doné qua- 
près qu'elles eurent cessé de tourmen- 
ter Orefte qui avait tué sa mère. Ce 
{>rince fut , dit-on , le premier qui 
es apela Euménidcs. Ce sentiment 
eft adopté par le P. Sanadon. D au- 
tres prétendent que les Furies étoient 

Foëiies apelées Euménidcs lone-tems avant 
j^p^jgqu'Orefte vînt au monde : mais d'ail- 
leurs cette aventure d'Orefte eft rem- 
plie de tant de circonftances fabuleu- 
ses , que j'aime mieux croire qu on 
a apelé les Furies Euménidcs par eu- 
phémisme , pour se les rendre favo- 
rables. C'eft ainsi qu on traite tous les 
jours de bonts & de bienfesantes les 
persones Us plus aigres & les plus 



i.' Antiphrase. 119 

dificiles dont on veut apaiser rem- 
portement, ou obtenir quelque bien- 
fait. 

On dît encore qu'un bois sacré eft 
apelé lucus j par antiphrase - y car ces 
bois étoient Fort sombres , & lucus 
vient de luccre j luire : mais si lucus 
vient de lucére ^ c'eft par une raison ' 
contraire à l'antiphrase ; car come il 
n etoit pas permis , par respeft , de 
couper de ces bois , ils étoient fort 
épais , & par conséquent fort som- -/ 
bres , ainsi lé besoin autant que la 
superftition , avoit introduit l'usage 
d'y alumer des flambeaux. 

Mânes : les mânes , c'eft- à- dire , 
lès âmes des morts , & dans un sens 
plus étendu , les habitans des enfers , 
eft encore un mot qui a doné lieu 
à l'antiphrase. Ce mot vient de l'an- 
cien adje&if manus j * dont on* se *ïeftus,r. 
servait au lieu de bonus. Ceux qui ^^ w «' 
prioient les Jtnanes , les apeloient 
ainsi pour se les rendre favorables. c# f[° n nm ** 
Vx>s ô miki mânes ejte boni ; c'èft ce * Varr. de 
que Virgile fait dire à Turnus. Ainsi |wg;Ut.i.j, 
tous les exemples dont on prétend W y£\ jEn 
autoriser l'antiphrase, se raportent ,12.^/647/ 



no l'Antiphrase. 

ou à l'euphémisme , ou à l'ironie } 
corne quand on dit à Paris , c eft une 
muète des haies, c'eft à- dire , une 
femme qui .chante pouilles , une Vraie 
harangère, des haies j, mucte eft dit 
«lors par ironie. 



XVII. 

tk PÉRIPHRASE. 

€iTcum^7Jl Q y. i n t i l i e ii met la Périphrase 
ciitio. *V , a!r ranK des tropesj en éfet, puisque 
ET*" les tripes tiènerit la place Ses ex- 
pressions propres , la périphrase eft un 
trope , car la périphrase tient la place , 
ou d'un cnot ou dune phrase. . 

Nous avons expliqué dans la pre- 
mière partie de cette Grammaire , ce 
que c étoit qu'une phrase : c eft une 
expression , une manière de parler , 
un arangement de mots , qui fait un 
sens fini ou non fini. < 

Plùribus autem verbis chm id quod utio , 
aut pauciiribus certè , dici poteft , explica- 
tur , vettycuriv voaànt, circûitum locpéndi 
Quint. Inft. Orat. 1. viu. c. 6. <te Trapw. 



v 



La Périphrase, ni 

La périphrase ou circonlocution eft 
un assemolage de mots qui expri- 
ment en plusieurs paroles ce qu'on 
auroit pu dire en moins , & souvent 
en un seul mot ; par exemple : le 
vainqueur de Darius j au lieu de dire , 
Alexandre : faftre du jour j pour dire 
le soleil. 

On se sert de^périphrases , ou par 
bienséance , ou pour un plus grand 
éclaircissement , ou pour l'ornement 
du discours ,.ou enfin par nécessité. 

i. Par bienséance, lorsqu'on a re- 
tours à la périphrase, pour enveloper 
les idées basses ou peu honêtes. Sou- 
vent aussi, au lieu de se servir dune 
expression qui exciteroit une image 
trop dure , on l'adoucir pat une pé- 
riphrase , corne nous l'avons remarqué 
dans l'euphémisme. 

2. On se sert aussi de périphrase 
pour éclaircir ce qui eft obscur», les 
définirions sont autant de périphrases ; ( 
corne lorsqu'au lieu de dire les Par- 
ques j ou , les trois Déesses infer- 
nales j qui selon la fable j filent la 
trame de nos jours* 

K j 



211 La Périphrase; 
Remarquez que quelquefois après 
La p A j A . qu'on a expliqué par une périghçase 
phrase* un mot obscur ou peu cônu , on dé- 
velope plus au long la. pensée d'un _ 
auteur, en ajoutant des réflexions ou 
des circonftances qu'il auroit pu ajou- 
ter lui-même ; mais alors ces sortes 
d'explications plus amples & confor- 
mes au sens de l'auteur , sont ce 
qu'on apèle des Paraphrases 9 la pa- 
raphrase eft une espèce de comentai- 
*«/>*wji£«, re : on reprend le discours de celui 
id X eft ''o-*! 11 * a déjà P ar ^ y on l'explique , on 
quor. juxtal'étend davantage en suivant toujours 
ca qu« iliu* son esprit. Nous ayons des paraphra- 
jûxta' suprâ ses des Psaumes, du livre de Job , 
^^« v dico du nouveau -Teftament , &c. Nous 
avons aussi des paraphrases de l'art 
poetiqiie d'Horace , &c. La périphrase 
ne fait que tenir la place ^1 un mot ou 
d'une expression , au fond elle ne dit 
pas # davantage ; au lieu que la para- 
phrase ajoute d'autres pensées , elle 
s explique, elle dévelope. 

$. On se sert de périphrases pour 
l'ornement du discours , & sur -tout 
en poésie. Le génie de la poësie con- 



La Périphrase. iij 

âfte à amuser l'imagination par des 
images qui au fond se réduisent sou- 
vent à une pensée que le discçprs or- 
dinaire exprimeroit avec plus de sim- 
plicité y mais d une manière ou trop 
sèche ou trop basse : la périphrase 
poétique présente la pensée sous une 
forme plus gracieuse pu plus noble: 
c eft ainsi qu'au lieu de dire simple- 
ment à h pointe du p>ur 9 les Poètes 
disent: 

L'Aurore cependant au visage vermeil , ' Henriidft, 

Ouvroit dans l'Orient le palais du soleil : c * # VI# 

La nuit en d'autres lieux portoufses voilât 
sombres , . . 

Les songes vokigeans fay oient avec les om- 
bres, *■ -^ ■ 

Madame Dacier comence le XVII e . 
livre de l'Odyssée d'Homère par ce 
vers : 

Dès que la belle Aurore eut annoncé le jour. 

Et ailleurs elle dit a » la brillante Wwd§ t *• 
» Aurore sortoit à peine du sein du XIr# 
>' l'Océan , pour annoncer aux Dieux 
» & aux homes le retour du soleil. 
Pour dire que le jour finit, qu'il 
K 4 



214 Là PÉRIPHRASE. 

eft tard , advespcrascit , Virgile dit 
qu'on voit déjà fiimer de loin les 
cheminées , que déjà les ombres s*a- 
longent & semblent tomber des mon- 
tagnes. 

Ec1.Lt. Sj. Et jam summa procul villârum culmina fa* 
mant , 
Majorésque çadunt altis de mintibus umbr*. 

Boileau a dit par imitation : 

Lutrin, ch. Les ombres cependant sur la ville épandues 
*• Du faîte des maisons descendent dans les rues. 

On pourra remarquer un plus grand 
nombre d'exemples pareils dans hs ~ 
auteurs. Je me contenterai d'observer 
ici qu'on ne doit se servir de péri- 
phrases que quand elles rendent le 
discours plus noble ou plus vif par le 
secours des images. Il faut éviter les 
périphrases qui ne présentent rien de, 
nouveau, qui n'ajoutent aucune idée 
accessoire , elles ne servent qu'à ren- 
dre le discours languissant : si après 
-avoir dit d'un liome acablé de re- 
mords ; qu'i/ eft toujours trifte 3 vous 
vous servez de quelque périphrase qui 
ne dise autre chose , sinon que cet 



La Périphrase, zif * 
hofhe ejl toujours sombre _, rêveur y 
mélancolique & de; mauvaise humeur ^ 
vous ne rendez guère votre discours 
plus vif par de telles expressions. M. 
Boileàu ? sur un sujet pareil , a fait 
d'après Horace une espèce de péri- 
phrase qui tire tout .son prix: de la 
.peinture dont elle ocupe l'imagination 
du le&eur. 

Ce fou rempli d'erreurs que le trouble acom- E P« y * 
pagne, 

Et malade a la ville ainsi qu'à la campagne , 

Envain monte à cheval pour tromper sonPoft.&joîtem 
"~ ennui , «edet atra 

Le chagrin monte en croupe & galope avec*"™' H ° r * 
lui. ' '' ° * *' 

Le . même Poëte , au lieu de . dire , 
pendant que je suis encore jeune 'j se 
sert de trois périphrases qui expriment 
cette même pensée sous trois images 
diférentes. " 

Tandis que libre encpr , malgré les deftinées , s*t. i » 
Mon corps n'eft point courbé sous le faix des 
4 années ; 

Qu'on ne voit point mes pas sons l'âge chan- 
celer, 

Et qu'il refte à la Parque encor de quoi filet. 

K 5 



p. le 



*i6 La Périphrase. 

On doit aussi éviter les périphrases 
obscures & trop enflées. * Celles qui 
ne servent ni a la clarté , ni à l'or- 
nement du discours , sont défectueu- 
ses. Ceft une inutilité désagréable 
qu'une périphrase à la suite d'une pen- 
sée vive , claire , solide & noble. 
L'esprit qui a été frapé d'une pensée 
bien exprimée , n'aime point à la re- 
trouver sous d'autres formes moins 
agréables , qui ne lui aprènent rien 
de nouveau , ou rien qui l'intéresse/ 
Après que le père des trois Horaces , 
dans l'exemple que j'ai déjà raporté > 
a dit qu'i/ mourût j il devoit en de- 
meurer là , & ne pas ajouter : 

Ou qu'un beau désespoir enfin le secourût. 

Marot y dans une de ses plus bel- 

. Jes épîtres > raconte agréablement au 

Roi François I. le malheur qu'il a 

eu d'avoir été volé par son valet , 

qui lui avoit pris son argent , ses ha- 

* Ut cùm décorum habet , periphrasîs , 
ita edm in vi'tîum meidit , TrefiFfstoyfc 
dicitur: obftat enim quidquid non adjurât* 
Quint. hïQiu Orat l vm. c. 6» 



La Périphrase. z%*f 
bits , & son cheval ; ensuite il die : 

Et néanmoins ce que~je vous en mande , 
N'eftpour vous faire ou requête ou de- 
mande: 
Je ne veux point tant dé gens ressembler , 
Qui n'ont souci autre qne d'assembler ; 
Tant qu'ils vivront ils demanderont , eux ; 
Mais je comence à devenir honteux , 
* Et ne yeux point à vos dons m'arêtér. 
Je ne dis pas , si voulez rien prêter , 
Que ne le prène : il n'eft point de prêteur 
S'il veut prêter, qu'il ne fasse un debteur. 
Et savez-vous , Sire , cornent je paie , 
Nul ne le sait si premier ne l'essaie. 
Vous me devrez , si je puis , de retour; 
Et vous ferai encore un bon tour ; 
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle , 
Je vous ferai une belle cédule , 
A vous payer , sans usure il s'entend , 
Quand on verra tout le monde content; 
Si vous voulez, à payer ce sera, 
Quand votre los & renom cessera. 

Voilà où le génie conduisit Marot , 
& voilà où l'art devoit le faire are- 
ter : ce qu'il dit ensuite que les deux 
princes Lorains h plaideront , & encore 

YL6 



n8 Là Périphrase: 

Avisez donc , si vous avez désir 
De rien prêter , vous me ferez plaisir •> 

rt d *°xiuT<>ut cela, dis-je, n'ajoute plus rien 
aliter 51. à la pensée : c'eft ce que Cicéron 
< apèle vetborum y cl optimârum .àtquc 

ornât Issimôrum sônïtus induis. Qup s'il 
y avpit quelque chose de plus à dire » 
ce sont les douze derniers vers qui 
font un nouveau sens , & ne sont 
plus une périphrase qui regarde l'em- 
prunt. 

Voilà le point principal de ma lettre * 
Vous- savez tout , il n'y faut plus rie» 
* mettre, 

Rien mettre las l Certes, & si ferai, 
En ce faisant mon ftyie j'enflerai ; 
Disant, 6 Roi amoureux des neuf Muses , 
Roi, en qui sont leurs sciences infuses , 
Roi , plus que Mars , d'honeur environé, 
Roi , le plus Roi qui fut onc couroné ; 
Dieu tout puissant te doint, pour t'eftréner, 
Les quatre coins du monde à gouverner % 
Tant pour le bien de la ronde machine* 
Que pour autant que sur tous en es digrie. 

4. On se sert de périphrase par 
nécessité , quand il s agit de traduire , 



La Périphrase. 129 

& que la langue du tradu&eur n'a 
point d'expression propre qui répon- 
de à la langue originale : par exem- 
ple , pour exprimer en latin une per- 
ruque , il faut dire coma aiscititia y 
une chevelure empruntée , des che- 
veux qu'on s'eft ajuftés. Il y a en 
latin des vetbes qui n'ont point de 
supin , & par conséquent point de 
participe , ainsi au lieu de s'exprimer 
par le participe , on eft obligé de re- 
courir à la périphrase fort ut s cssefu-* 
turum ut ; j'en ai doné plusieurs exem- ^ 
pies dans la syntaxe. 

XVIII.., 

l'Hypallage. 

Virgile , pour dire mettre à la XH^S^ 
voile j a dit *dare cldssibus auftros : ùri $ u b , afc 
Tordre naturel demandoit qu'il dît* *****«• 

1 a » , n - ior. a. pasi# 

plutôt , date classes aujtris. d'ixW?». 

Cicérpn dans Poraison pour Mar- * &*• 1. «• 
cellus , dit à César qu'on n'a jamais y,6x# 
vu dans la ville son épée vuide du 
foureau , glàdium yagina vâcuum in 
urbe non vidimus. Il ne s'agit pas du 



130 l'Hypallage. 

fonds de la pensée > qui eft de fake 
entendre que César navoit exercé auy 
cune cruauté dans la ville de Rome, 
il s agir de la combinaison des paroles 
qui ne paroissent pas liées entre elles 
corne elles le spnt-dans le langage 
ordinaire , car vâcuus se dit plutôt du 
foureau que de l'épée. 

Ovide comence ses métamorphoses 
par ces paroles : 

In nova fert ânimus mutâtas dicere tows 
Côrpora. 

La conftru&ion eft ânimus fert me ad 
dicere formas mutâtas in nova corpora. 
Mon génie me porte à raconter les 
formes changées en de nouveaux, 
corps : il étoit plus naturel de dire , 
à raconter les corps j c'eft-à-dire , à 
parler des* corps changés en de nouvèles 
formes. 

Vous voyez que dans ces sortes 
d'expressions les mots ne sont pas 
conftruits ni combinés entr'eux corne 
ils lé devraient être selon la deftina- 
rion des terminaisons & la conftruc- 
tion ordinaire. C'eft cette transposi- 
tion ou changement de cohftru&ion 



l'Hypallage. 231 

^u'on apèle Hypailage j mot grec qui - 
signifie changement 

Cette figure eft bien malheureuse: . A n . 

1 t»i / & i- 5/1 Inft. Orat. 

les Rhéteurs disent que c elt auxi. Iv# c . 13. 
Grammairiens à en parler, Gramma-***» «• 
: ticôrum pôtius schéma eft quàm tropuSj 
dit Vossius ; & les Grammairiens l a c D n "^ g * y £ 
renvoient aux Rhéteurs : l* hypailage , p . ^g/ 
à vrai dire ; neft point une figure de 
Grammaire j dit la nouvèle .Méthode 
de P. R. C'eft un trope ou une figurt 
iïilocution. 

Le changement qui se fait dans la 
conftru&ion des mots par cette figu- 
re , ne regarde pas leur signification y 
ainsi en ce sens cette figure n'eft 
point un trope , & doit être mise 
clans la classe des idiotismes ou façons 
de parler particulières à *la langue la- 
tine : mais j'ai cru qu'il n'étoit pa* 
inutile d'en faire mention parmi les _ 
tropes \ le changement que l'hypalla- 
ge fait dans la combinaison & dan& 
la conftru&ion des mots , eft une sor- 
te de trope ou de conversion. Après 
tout -, dans quelque rang qu'on juge 
à propos de placer Thypallage , il eft 
certain que c eft une figure très-re- 
marquable. 



13* L'HyPÀLL AGE. 

Souvent la vivacité de l'imagination » 
nous fait parler de manière , que 
quand nous venons ensuite à consi- 
dérer de sang froid larangement dans 
lequel nous avons conftruit les mots 
dont nous nous somes servis , nous 
trouvons que nous nous somes écar- 
tés de Tordre naturel , & de la ma- 
nière dont les autres homes cpnftrui- 
sent les mots quand ils veulent expri- 
mer la même pensée ; ceft un man- 
que d'exa&itude dans les modernes j 
mais les langues anciènes autorisent 
souvent ces transpositions : ainsi dans 
les anciens la transposition dont nous 
parlons eft une ngure respe&able 
qu'on apèle hypallage^ ceft -à- dire, 
changement , transposition , ou ren- 
versement de conftru&ion. Le besoin 
d'une certaine mesure dans les vers > 
a souvent obligé les anciens Portes 
d'avoir recours à ces façons de par- 
ler , & il faut convenir qu'elles ont 
quelquefois de la grâce : aussi les a- 
t-on élevées à la dignité d'expressions 
figurées} & en' ceci les anciens l'em- 
portent bien sur les modernes , à qui 
on- ne fera pas de long-tems le même 
hdneur. , 



l'Hyfai/lag.e. 13} 

Je vais , ajouter encore ici quel- 
ques exemples de cette figure , pour 
la faire mieux conoître. Virgile fait 
dire à Didon : 

Et cîim frigida tnors anima sedûxerit artus. /En. I. iy. 

v. 385, 

Après que la froide mort aura séparé 
de mon ame les membres de mon corps 3 
il eft plus ordinaire de dire aura séparé 
mon ame de mon corps : le corprf de- 
meure , & lame le quitte ; ainsi Sôr- 
vins & la plupart des comèntateurs 
trouvent un hypallage dans ces paro- 
les de Virgile. 

Le même, Poëte parlant d'Enée & 
de la Sibylle qui conduisit ce héros 
dans les enfers > dit 2 

Ibant' obscuri solâ sub noôe per umbratn. ■ "1 l " ru 

Pour dire qu'ils marchoient tout seuls 
dans les ténèbres dune nuit sombre. 
Servius & le P. de la Rue , disent 
que c'eft ici une hypallage pour ibant 
soli sub obscùrâ noàe. 
Horace a dit : % 

Pécula lethaeos m si ducéntiœomnos « Hor. 1. v. 
Trixerim. t od. 14.V.3. 



134 l'Hypallagi. 

Corne sij'avois bu les eaux qui amènent 

le someil du fleuve Uthé. Il étoit plus 

naturel de dire pôcula lethea , les eau* 

du fleuve Lethé. 

Virgile a dit cpxEnéc raluma des 

feux presque éteints. 
Ma. 1. t. 

^- 743* Sopitos suscitât ignés. 

Il n'y a point B dliypallage , car so- 
pitos j selon la conftruâion ordinai-. 
re , & raporte à ignés : mais quand 
pour dire <\x\Enée raluma sur l'autel 
d'Hercule le feu presque éteint , Virgilt 
s'exprime en ces termes: 

Mm ' hrïlu Hercûleîs sopitas ignibus aras 

V - J42 ' Excitât. 

Alors il y a un hypallage*, car se- 
lon la combinaison ordinaire , il au- 
roit dit , excitât ignés sopitos in aris 
herculeis j id eft , Hérculi sacris. 

Au livre XII. pour dire , si au 
contraire Mars fait tourner la viSoire 
de notre côté j il s'exprime en ces 
termes : 

. ; , * I,, Sin noftrum annûerît nobis viô6ria Martem. 

▼. 157 * 

S«rviu«.ibH. Ce qn j ftft uft hypaIlage t $elon S^f. 



L'HYPALLAGÉ. 1J5 

vins. Uypallage : pro sin nofter Mars 
annûerit nobis vi&oriam : nom Mar- 
tem Victoria comkâtur. 

On peut aussi regarder corne une 
sorte d'nypallage , cette façon de par- 
ler selon laquelle on marque par un 
adjedif , une circonftance qui eft or- 
dinairement exprimée par un adver- 
be : c'eft ^ainsi qu'au lieu de dire 
€[\xEnée envoya promptement Achate 3 
Virgile dit : 

2 . . . Râpidum ad naves premittit Achâten -dEn. 1. t. 
Ascânîo. ¥-6j|4 - 

Râpidum eft pour promptement 3 en 
dUîgence. 

Age diversas j c eft-à-dire , chassez- ***• *•!*• 
les çà & là. 

Jamque ascendébant collem qui plûribus urbi JE*. !• i. 
Imminet. *-4*3* 

Plùrimus j c'eft-à-dire , en long y une 
coline qui domine y qui règne tout le 
long de la ville. v 

Médius j summus j infimus ^ sont 
souvent employés en latin dans un Ter E 
sens que nous rendons par des ad- Aft..i.«c. ij 
verbes , & de même nullus pour non : ▼• «*• 



i]6 l'Hyp àllàge. 

mcmini ^ tamétsi nullus montas y pour 
non môneas j copie Donat la re- 
marqué. 

Par tous ces exemples oft peut ob- 
server : 
„ i . Qu'il ne faut» point que l'hy- 
pallage aporte de l'obscurité ou de 
l'équivoque à la pensée. Il faut tou- 
. jours qu'au travers du dérangement 
de conftru&ion , le fonds de la pen- 
sée puisse être aussi facilement démê- 
lé , que si Ton se fût servi de i'aran- 
gement ordinaire. On ne doit parler 
que pour être entendu par ceux qui 
conoissent le génie d'une langue. 

2. Ainsi quand la conftruàion ^ft 
équivoque, ou que les paroles expri- 
ment un sens contraire à ce que l'au- 
teur a voulu dirs ; on doit convenir 
qu'il y a équivoque , que l'auteur a 
fait un contre-sens , & qu'en un mot 
il s'eft mal exprimé. Les anciens 
4toient Chômes , 8c par conséquent 
sujets à faire des fautes corne nous. 
Il- y a de la petitesse & une sorte de 
fanatisme à recourir aux figures pour 
excuser, des expressions qu'ils conda- 
neroient eux-mêmes , éc que leurs 



l'Hypallage. ij7 

contemporains ont souvent condânées, 
l/hypallage ne prête pas son nom aux 
contre -sens & aux équivoques \ au- 
trement tout seroit confondu , & cette 
figure deviendroit un asyle pour l'er- 
reur & pour l'obscurité. 

L'hypallage ne se fait que quand 
en ne suit point dans les mots l'a- 
rangement écabfi dans une langue , , 

mais il ne faut point juger de ^ran- 
gement '& de là signification des mots 
d'une langue par Tusage établi en une 
autre langue pour exprimer la même 
pensée. Nous disons en françois , je 
me répens j je m'aftige de nia faute : 
Je eft le sujet de la Proposition , c*eft 
le nominatif du verbe : en latin on 

{>rend un autre tour , les termes de 
a proposition ont un autre arange- 
ment , je y devient le terme de l'ac- 
tion, ainsi , selon la defti nation des 
cas , je j se met £ lacusatif \ le sou- 
venir de ma faute m'aflige * m'afefte 
de repentir ; tel eft le tour latin, \p& 
nitet me cuipa j ç'eft-à-dire, records 
tio j ratio ^ respéctus 3 vitium 3 Wgô- y , / f f ' f * *• 
tium j factum j ou malum culpa pœni- l. j.f. 7# 
~ ut me j Phèdre a dit , màiïs neqéttâ** 4- 



140 L'Hy PALL AGE. 

d'abord à l'esprit de ceux qui savent 
la langue. 

Jugeons donc du latin par le latin 
même , & nous ne trouverons ici ni 
contre -sens ni hypallage , nous ne 
• * verrons qu'une phrase latine fort or- 
dinaire en prose & en vers. 

On dit en latin dondre mimera all- 
eux, doner des présens à quelqu'un, 
& l'on dit aussi dàndre aliquem mû- 
nere. , gratifier quelqu'un d'un présent : 
on dit également circûmdare urbern 
, mcmibus > & circûmdare memia urbi; 
de même on se sert de mutdre , soit 
. pour doner, soit pour prendre une 
chose au lieu d'une autre. 
.„! ' Muto j disent les- Etymologiftes , 
vient de mottt : mutare quasi motare.' 
L'anciène manière d'aquérir ce qu'on 
n'avoît pas , se fesoit par des échan- 
ges , delà muto signifie également 
acheter ou vendre 3 prendre ou doner 
quelque chose au lieu d'une autre, 
&no aut vende /dit Martinius', & il 
cite Columelle , qui % dit perçus tâc- 
leus are mutândus ejl± il fout acheter 
un cochon de lait. 

Ainsi , mutât LuçrétUtm * signifie 

visât 



l'Hypàllàqe. 141 
vient prendre , vient posséder , vient 
habiter le Lucrétile , il achète , pour 
ainsi dire, le Lucrétile par le Lycée. 

M. Dacier, sur ce passage d'Ho- 
race , remarque qu Horace parle sou- 
vent de même j & je s ai bien ^ ajoute- 
t-il , que quelques hifioriens font imité; 

Lorsqu'Ovide fait dire à - Médée 
quelle voudroit avoir acheté Jason 
pour toutes les richesses de l'Univers , 
il se sert de mutâre* 

-v „ % t » 1 Met. L vu. 

Quemque ego cum rébus quas tptus pp&$idej v# .^ 

• orbis 

.Êsonidem mutasse velim. 

Où vous voyez que corne Horace ± 
Ovide emploie mutâre dans le sens 
d'aque'rir ce qu'on na pas > de pren- 
dre j d'acheter une chose en en donant 
une autre. Le P. Sanadon remarque Tom * *• 
<ju Horace s'eft souvent servi de mu-*' l/5 " 
tare en ce sens ^ mutâvk lugubre sa- 
gum pûnico j * pour pâmcum sagum 
liigubri 1 mutet lucâna càlabrïs pàs- 
cuis j ** pour câlabra pàscua lucànis : 

* L. V. Od. ix. 
** L. V. Od. 1. 



±4i l'Hypallàge. 

mutât uvarn firîgili j * pour firigilïm 
avâ. 

L'usage de mutdre âliquid âlîquâ re 
dans le sens de prendre ai échange j 
eft trop fréquent pour être autre cho- 
se qu'une phrase latine , come donâ- 
re "àlïquem âlïquà re , gratifier quel- 
qu'un de quelque chose \ Se circum- 
dare mœnia urbi j-doner des murailles 
à une ville tout autour, c'eft-à-dire, 
entourer une ville de murailles : l'hy- 
pallage ne se met pas ainsi à toqs les 
jours. 



XIX. 
V Onomatopée. 

ô»é^o*fti- mSO nomatopée eft une figure 
£« y/ c X#P ar laquelle un mot imite le son na-, 
f&iù: forma. turel de ce qu'il signifie. On réduit 
tion d'un sous cette figure les mots formés par 
" r;Qt * imitation du son j corne le glouglou 

de la bouteille : le cliquetis j ceft-à- 
dire , le bruit que font les boucliers f 

* t. II, Sat. vu. v. no. 



l'Onomatopée. 243 
les ëpées, & les autres armes en se 
choquante T^e trictrac qu'on apeloit 
autrefois ticiac ; sorte de jeu assez 
comun , ainsi nomé du bruit que font 
les dames & les dés dont on se sert 
à ce jeu : Tlnnîtus œris j tintement: 
c'eft le son clair & aigu des métaux. 
S iliire j bïlbit dmphora j la petite 
bouteille qui fait glou-glbu , on le die 
d'une petite bouteille dont le goulot 
eft étroit. Taratântara ^ c'eft le bruit 
de la trompette* 

At tuba terribili sinîtu taratântara durit. 

C'eft un ancien vers d'Ennius , au 
raport de Servius. Virgile en a chan- 
gé le dernier hénûftiçhe , qu'il n'a pas 
trouvé assez digne de la poésie épo- 
que ; voyez Servius sur ce vers de 
Virgile : 

Àt tuba terribilem sérôtum procul *f ç ca- JE*. f. 

n<Sr<r *• >°3' 

f ncrépuît. 

Caçhùmus j c'eft un rire immodéré. 
Çachinno , ônis > se dit d'un home qui 
rie sans retenue : ces deux mots sont 
frrmés du soq ou du bruit que Ton 



144 l'Onomatopée. 
entend quand quelqu'un rit avec éclat. 
Il y g aussi plusieurs mors qui ex- 
priment le cri des animaux , conte 
Lucr.i. 5. , bêler , qui se die des brebis. 
v. 4 07*. Baubdri > aboyer, se dit des gros 

chiçns. Latrâre 3 aboyer , hurler , c eft 
le mot générique. Mutirc , parler 
entre les dents , murmurer , gronder, 
coihe les chiens : mu canum eft , undè 
mutire y dit Charisius. 

Les noms de plusieurs animaux sont 
tirés de leurs cris, sur- tout dans les 
langues originales. 
Upupa ^ Hupe , Hibou. 
CùculuSy qu'on prononçait coucoulouSj 

un Coucou , oiseau. 
Hirùndo , une Hirondèle. 
Ulula > Chouète. 
Bubo j Hibou. 
Grâccidus 9 un Choucas , espèce de 

Corneille, 
CaUinay une Poule. 

Cette figure* n'eft point un trope , 
puisque le mot se prend dans le çeps 
propre : mais j'ai cru qu'il n'étoit pa$ 
inutile <ie la remarquer ici. 



MÊME MOT, &C. 245 

XX. 

Qu'un même mot peut être doublement 
figuré. 

Il eft à. observer que souvent un 
mot eft doublement figuré j c'eft-à- 
dire , qu'en un certain sens il apar- 
rient à un certain trope , & qu'en un 
autre sens il peut être rangé sous un 
autre trope. On peut avoir fait cette 
remarque dans quelques exemples que 
j'ai déjà raportés. Quand Virgile dit 
de Bitias , que pleno se prôluit auro 3 
wiro j se prend d'abord pour la cou- 
pe , c'eft une synecdoque de la ma- 
tière pour la chose qui en eft faite ; 
ensuite la coupe se prend pour la li- 
queur qui étoit contenue dans cette 
coupe -1 c eft une métonymie du con- 
tenant pour le contenu. 

Nota j marque > signe , se dit en 
général de tout ce qui sert à conoî- 
tre ou remarquer quelque chose ; 
mais lor c que nota > ( note ) se prend 
pour dédems j marque d'infemie , ta- 

L i 



146 MÊME MOT, &C. 
che dans la réputation , corne quand 
on dit d'un militaire > il s' eft enfui eri 
une telle occasion y c'ejl une note j il y 
a une métaphore & une synecdoque 
dans cette façon de parler. 

Il y a métaphore , puisque cette 
note n eft pas une marque réèle , ou 
un signe sensible , qui soit sur la per- 
sone dont on parle ; ce n'eft que par 
comparaison qu'on se sert de ce mot ; 
on done à note un sens spirituel & 
métaphorique. 

Il y a synecdoqqe , puisque nou t 
eft reftraint à la signification particu- 
lière tache x dédecus.. 

Lorsque pour dire qu'il faut faire 
pénitence & réprimer ses passions , 
on dit qu'il faut mortifier la chair ; 
ç eft une expression figurée qui peut-, 
se raporter à la synecdoque & a la 
métaphore. Chair ne se prend point 
alors dans le sens propre , ni dans " 
toute son étendue \ il se prend pour 
le corps humain, & sur -tout pour 
les passions , les sens : ainsi c'eft une 
synecdoque j- mais mortifier eft an - 
tenjie métaphorique , on veut dire 
qu'il faut éloigner de nous toutes les 



* MÊME MOT, &$. 147 

délicatesse s sensibles \ qu'il faut punir 
notre corps , le sevrer de ce qui le 
flate , afin d'afoiblir l'apétit charnel , 
la convoitise, les passions, les sou- 
mettre à l'esprit , & pour ainsi-dire , 
les faire mourir. 

Le changement a état par lequel 
un citoyen romain perdoit «a liberté 9 
ou aloit en exil , ou changeoit de fa- 
mille , s'apéloit câpiùs minùtïo ^ di- 
minution ae tête : c'eft encore une ex- 
pression métaphorique qui peut aussi 
être raportée à la synecdoque. Je crois 
qu'eii ces ocasions on peut s'épargner 
la peine d'une exactitude trop recher- 
chée , & qu'il suffit de remarquer 
que l'expression eft figurée , & la ran- 
ger sous l'espèce de tropc auquel elle 
- a le plus de raport* 




x>j8 Subordination 



XXI. 

De la subordination des Tropes j ou 
du rang qu'ils doivent tenir Us uns 
à l'égard des autres 3 & de leurs 
caractères particuliers. 

I^Iuintjlien dit * que les Gram- 
mairiens aussi- bien que les Philoso- 
phes disputent beaucoup encre eux 
pour savoir combien il y a de difé- 
lentes classes de tropes , combien 
chaque classe renferme d'espèces par- 
ticulières , 6c enfin quel eft Tordre 
qu'on doit garder entre ces classes 
& ces espèces. 
Inft. Orat. Vossius soutient qu'il n'y a que 



Art. t. & c. 



i. iv. «. v. q aa tre tropes principaux , <jui sont la 
Xt aft# It Métaphore , la Métonymie , la Sy- 
necdoque Se l'Ironie ; lés autres , à 
ce qu'il prétend , se raportent à ceux-* 

* Grca cjuem ( tropum ) înexplîcâbilis 9 
& Grammâticis inter ipsos , & Phil6sophîs 
pugna eft ; quae sint généra , quap spécies , 

Î[uis' nûmerus , quîs cui subjiciitur. Qunê. 
nft. Orat. 1. vin, c 6. 



desTropes. 149 

là corne les espèces aux genres : mais 
toutes ces discussions sont assez inu- 
tiles dans la pratique , & il ne faut 
point s'amuser à des recherches qui 
souvent n'ont aucun objet certain. 

Toutes les fois qu'il y a de la di- 
férence dans le raport naturel qui 
done lieu à la signification emprun- 
tée , on peut dire que l'expression cjui 
eft fondée sur ce raport apartient à 
■ un trope particulier. 

Oeft le raport de ressemblance qui 
eft le fondement de la catachrèsé & 
de la métaphore ; on dît au propre 
me feuille d'arbre 3 & par catachrèsé 
une feuille de papier y parce qu'une 
feuille de papier eft à -peu- près aussi 
mince qu'une feuille d'arbre. La ca- 
tachrèsé eft la première espèce de mé- 
taphore. On a recours à la catachrèsé 
par nécessité , quand" on ne trouve 
point de mot propre pour exprimer 
ce qu'on veut dire. Les autres espè- 
ces de métaphores se font par d'au- 
tres mouvemens de l'imagination qui 
ont toujours la reçsemblaace pour 
fondement. 

L'ironie au contraire eft fondée sur 

M 



*5 a Subordination 

un raport d oposition , de contrarié- 
té , de diférence , & , pour ainsi-dire , 
sur le con traite qu'il y a » ou que 
nous imaginons entre un objet & un 
autre jc'eft ainsi que Boileau a dit f 
Qubiault eft un Virgile. 
Satyre ix« £ a métonymie & la synecdoque , 
aussi-bien que les figures qui ne sont 
que des espèces de l'une ou de l'au- 
tre , sont fondées sur quelque autre 
sorte de raport qui n'eft ni un raport > 
de ressemblance , ni un raport .du 
contraire. Tel eft , par exemple , le 
tàporc de la cause à l'éfet \ ainsi dans 
la métonymie & d,ans la synecdoque 
les objets ne sont considérés ni corne 
» semblables , ni corne contraires , on 
les regarde seulement corne ayant en- , 
tr'eux quelque relation , quelque liai- 
son , quelque sorte d'union ; mais il . 
y a cette diférence , que , dans la 
métonymie , l'union n'empêche pas 
qu'une chose ne subsifte indépehda- 
ment d'une autre ; au lieu que , dans 
la synecdoque , les objets dont Tua 
eft dit pour l'autre , ont. uAe liaison 
plus dépendante , corne nous lavons 
déjà remarqué , Fun eft compris sous ■ 



DES Tr OPE.S, Iff 

le nom de l'antre , ils forment un 
ensemble , un tout ; par exemple , 
quand je dis de quelqu'un j qu'il a lu 
CUéron 3 Horace 9 Virgile ^ au lieu de 
dire, les ouvrages de Cicéron 3 &c. je 
prens la cause pour l'éfet, c'eft le rap- 
port qu'il y a entre un auteur & son 
livre , qui eft le fondement de cette 
façon de parler , voilà une relation , 
mais le livre subside sans son auteur , 
& ne forme pats un tout avec lui j au' 
lieu que , lorsque je dis cent voiles ' 
^pour cent vaisseaux j je prens la partie 
pour le tout, les voiles sont nécessai- 
res à un vaisseau : il en eft de même 
quand je dis qu'on a payé tant par 
tête j la tête eft une partie essentièle 
à l'home. Enfin dans la synecdoque 
fl y a plus d'union £: de dépendance 
entre les objets dont le nom de l'un 
se met pour le nom de l'autre , qu*il 
n'y en a dans la métonymie. 

L'allusion se sert de toutes les sor- 
tes de relations , peu lui importe qu§ 
les termes convièrient ou he con* 
viènens pas < entre eux , pourvu que 
par la liaison qu'il y a entre les idées 
accessoires , ils réveillent celle qu'on 



H 



*5* Subordination 
a eu dessein de réveiller. Les circons- 
tances qui acompagnent le sens litté- 
ral des mots dont on se sert dans 
l'allusion, nous*. font conoître que ce 
sens littéral n'eft pas celui qu'on a eu 
dessein d'exciter dans notre esprit , Se 
nous dévoilent facilement le sens fi- 

Sure qu'on a voulu nous faire enten- 
re. 

L'euphémisme eft une espèce d'allu- 
sion y avec cette diférence qu'on cher- 
che à éviter les mots qui pouroient 
exciter quelque Idée trifte y dure , ou 
contraire à h bienséance* 

Enfin chaque espèce de trope a son 
caractère propre qui le diftineue d'un 
autre > corne il a été facile <îe le re- 
marquer par les observations qui ont 
été faites sur chaque trope en parti- 
culier. Lés persones qui trouveront ces 
observations ou trop abftiaites, ou peu 
utiles dans la pratique > pouront &e 
contenter de bien sentir par les exem- 
ples la diférence qu'il y a d'un trope à 
W autre. Les exemples les mèneront 
kvsei^ibkment aux observations* 



Variété, &t. *fj 



XXII. 

ï. Des Tropes dont on **a point parte* 
il. Variété dans la dénomination des 
Tropes. 

i.v^# o m t les figures ne sont que 
des manières de parler qui ont un 
caràâère particulier auquel on a do- 
ué un nom j que d'ailleurs chaque 
sorte de figure peut être variée et* 
plusieurs manières diférentes y il eft 
évident que si l'on vient à observer 
chacune de cgb manières, & à leur 
douer des noms particuliers , on en 
fêta autant de figures* De -la les noms 
de nàmésis - 3 apèpkasis 3 catdphasis > 
afteismus > my&crismus x charientter* 
mus , diasyrmusj sarcasmus*, & au- 
tres pareils qu'on ne trouve guère que 
dans les ouvrages de ceux qui les ont 
imaginés. 

JLeS expressions figirrées qur ©nt 
doné lieu à ces sortes de noms > 
peuvent aisément être réduites sou* 



254 Des Trop es; 

quelqu'une des classes de cropes donc 
j ai déjà parlé. Le sarcasme j par 
exemple , neft autre chose qu'une ' 
ironie faite avec aigreur & avec em- 
portement, * On trouve l'infini par- 
tout : mais quand une fois on eft par- 
venu au point de division où ce qu'on 
divise neft plus palpable, c'eft perdre 
son tems & sa peine que de s'amuser 
à cliviser. 

IL Les auteurs donent quelquefois 
des noms diférens à la même espèce 
' d x expressiôn figurée , je veux dire , 
que l'un apèle hypallage 3 ce qu'un 
autre nome métonymiç : les noms de 
ces sortes de figures étant arbitrai- 
res , & quelques-uns ayant beaucoup 
de râport à d'autres , selon leur éty- * 
mologie , il neft pas étonant qu'on 
les ait souvent confondus. Ariftote 
done lé nomde jnétaphore à la plû- 
• part des - trope* qui ont aujourd'hui 
n.94. «ifrtfdes noms particuliers. Arifiôuks ijla 

* Eft autem sarcàsmus hoftilis irrisio. . . ; 
cum quis tporsis labfjs subsànnat âlium. . • , 
irrisîoque fiât didu&is labris , oftensâque dén- 
tium carne. Vissius, Inft. Orat 1. Jv. ç. 13, 
De Strcasmo;' * 



Varjété, &c. 157 

omnia tranjlatiônes vocat. Cicéron re- 
marque aussi que les Rhéteurs no- 
ment hypallage la même figure .que 
les Grammairiens apèlent métonymie. 
* Aujourd'hui que ces dénomiriations 
sont plus déter/ninées , on doit se 
conformer sur ce point à l'usage or- 
dinaire des Grammairiens Se des Rhé- 
teurs. Un de nos Poètes a dit : 

Leurs cris remplissent Tair de leurs tendres 
souhaits. 

Selon la conftru&ioh ordinaire , on 
dirait plutôt que ce sont les souhaits 
qui font pousser des cris qui reten-^ 
tissent dans les airs. L'auteur du Die- 
tionaire Néologique done à cette ex- 
pression le nom de métathèse : les fa- 
çons de parler semblables qu'on trou-v 
ve dans les anciens , sont apelées des 
hypallages : le mot der métathèse n'eft - 
guère d'usage que lorsqu'il s'agit d'une * 
transposition de lettres ** 

*Hanc t hypâllagen Rhétores, quîa quasi, 
snmmutântur verba pro verbis ; metonymiam 
Grammatici vocant , quod nômina transfer 
runtur. Ckerp, Orâtor, n. 93. dliter XXVII, 

?* MèToidwiç , mutatio , seu transposkio, ut ' 



156 Des Tr ope s; 

M. Gibert nous fournit encore un 
bel exemple de cette variété dans 
les .dénominations des figures , il 
apèle métaphore * ce que Quinti- 

Evandre pro Evandtr / Tymbre pro Tymber > 
Isidor. liv. i. c. 34. 

Metâthesis , ( apud Rhétores ) eft figura 
qua mittit ânimos jûdicum in res praetéritas 
aut futuras , hoc modo : Rcvocâu mentes ad 
speMculum expugnata\ miser* civitdtis , &c : 
m funirum autem eft anticipâtio e6ram qiue 
di&urus eft adversarius. Idem. 1. a. c. n. 

* M. Gibert a suivi en ce point la divi- 
sion d*Ariftote , il ne s'eft écarté de ce Phi- 
losophe que dans les exemples. Voici les pa- 
roles d Ariftote dans sa Poétique, c xxu 
& selon M. Dacier , c. xxxi. Je me servirai 
de la traduâion de M. Dacier. 

» La Métaphore, dit Ariftote, eft un traris- 
» port d"un nom qu'on tire de sa signification 
» ordinaire. 11 y a quatre sortes de métapho- 
» res ; celle du genre à Fespèce , celle de l'es» 
» pèce au genre , celle de l'espèce à l'espèce » 
» & celle qui eft fondée sur l'analogie. Papèle 
m métaphore du genre à l'espèce , corne ce 
tt vers d'Homère ; mon vaisseau s* efl ariti 
tt loin de ta ville dans le port. Car le mot j'a- 
a reter eft un terme généricrue , & il Ta apli- 
» que à l'espèce pour dire être dans le port. 

Voici la remarque que M. Dacier fait en- 
suite sur ces paroles d'Ariftote : » Quelques 
» anciens , dit-il , ont condâné Ariftote de ce 



Variété, &c. 157 
'lien * & les autres nomcnt antono- 
mafe. » Il y a , dit M. Gibert , 
»■ quatre espèces de métaphores j la Rhetw * 
» première emprunte le nom du gen- 5 
» re pour le doner à l'espèce , corne 
» quand on dit , Y Orateur pour Cicé- 
» ron j ou le Philosophe pour Ariftote.* 
Ce sont** là cependant les exemples 
ordinaires que les Rhéteurs douent 
* de l'antonomase : mais , après tout , 
le nom ne fa"«t rien a la chose j le 
principal eft de remarquer que lex- 

» Qu'il a mis sous le nom de métaphore les 
» deux premières qui ne sont proprement 
» que des synecdoques ; mais Ariftote parle 
» en général , & il écriyoit dans un tems 
» où l'on n'avoit pas encore rafiné sur les 
» figures pour les diftinguer , & pour leur 
» doner à chacune le nom qui en auroit 
» mieux expliqué la nature^ ** Dacîcr , Poe- 
tique cTArittote , page 345. 

* A'vT0V0fA<x*i<x 9 quae iliquid pro ndmine 
ponit , poétis Jfrequentissima. . . Oratéribus 
etiam si rams ejus rei , non nullus tamen usus 
eft : nâm utTydiden & Peliden non dîxerint, 
ità dixétunt eversorem Carthâginis & Nu- 
raântiae pro. Scipione ; & romans eloquéntias 
princtpem pro Cicerène posuisse non dufci« 
tant, QuiruiL Inft, Orat, l vul c. & 



158 Oes Troues, &c 
pression eft figurée, & en quoi elfe 
eft figurée. 



X X 1 1 L 

Que F usage & l'abus des Tr opes sont 

de tous les tems & ae toutes 

les langues* 

Une même cause dans les mêmes 
circonftances produit des éfets sem- 
blables. Dans tous les tems & dans 
^tous les lieux où il y a eu , des ho- 
mes , il y a eu de l'imagination > 
des passions , des idées accessoires ,- 
Se par conséquent <les tropetf 

Il y a eu des tropes dans la langue 
des Chaldéens , dans celle des Egyp- 
tiens 9 dans celle des Grecs & dans 
celle des Latins : on en fait usage 
aujourd'hui parmi les peuples même 
les plus barbares , parce qu'en un 
mot ces peuples sont des homes , ils 
ont de J'imagination ôc des idées ac- 
cessoires. 

Il eft vrai que telle expression fi- 
gurée en particulier n*a p^s été en 



Variété, &c. 25$ 
«sage par- tout • mais par -tout il y a 
eu des expressions figurées. Quoique 
la nature soit uniforme dans le fonds 
d^s chofes , il y a une variété infinie 
dans l'exécution , dans Implication > 
dans les circonstances > dans les ma- 
nières. 

Ainsi nous nous servons de tropeç» 
non parce que les anciens s*en sont 
servis } mais parce que nous some» 
homes corne eux. 

Il eft dificile en pariant & en écri- 
vant , d'aporter toujours latention & 
le discernement nécessaires pour re- 
jeter les idées accessoires qui ne cqrt* 
viènent point au sujet /aux circons- 
tances , Se aux idées principales <jue 
Ton met en œuvre : de-14 « eft arivè 
dans tous les tems , que les écrivains 
se sont quelquefois servis d'expres- 
sions figurées qui ne doivent pas être 
prises pour modèles. 

Les règles ne doivent point être 
faites "sur l'ouvragé d'aucun particu- 
lier ^ elles doivent être prises dans le 
bon sens & dans la nature : & alors 
quiconque s'en éloigne ne doit point 
être imité en ce point. Si l'on veut 



i6o Des Tu opes, &c. 
former le goût des jeunes gens , om 
doit leur faire remarquer les défaurs , 
aussi bien que les beautés des auteurs 

3u'on leur fait lire. Il eft plus facile 
admirer , j'en conviens y mais une 
critique sage , éclairée , exemte de 
passion & de fanatisme , eft bien plus 
utile.- 

Ainsi Ton peut dire que chaque 
siècle a pu avoir ses critiques & son 
Dictionaire Néologique. Si quelques 
DiAion. persones disent aujourd'hui avec rai* 
Néologique. son ou sans fondement , qu'il règne 
' dans le langage une af éclat ion puéri- 
le : que le Jlyle frivole & recherché 
Orat. n. P^m jusqu'aux tribunaux les plus gra^ 
9*. aliter, ves ; Cicéron a fait la même plainte 
xxvii.. d e S on rems : ËJi tmm quoddam étïam 
insigne & florens oratiônis y pifikum y & 
cxpolitum genuSj in quo omnes verbô- 
rum j omnes sententiarum illigâritur là- 
pères. Hoc totum è sophijlârum fond- 
bus deftàxu in forum , &c. 

» Au plus beau siècle de Rome» 

» c'eft-à-dire , au siècle de Jules Cé- 

LeP,Sina-„ $ar & d'Augufte , un auteur a dit 

«on , Poes. . r n , ° j-tn. 

d , Hor.T f II. ,, tnjantes Jtcauas j pour dire des fta- 
P« aj4, v tues nouvèlçroeat faites ; un autre» 



Variété, ~&e. i6t 

» que Jupiter cracholt la nège sur les 
» Alpes. 

Jupiter hibernas canà nive conspuit Alpes. L. i. Sat. u 

Horace sç moque de l'un & de Tau- * 
tre de ces auteurs ; mais il n'a pas été 
exemt lui-même des fautes qu'il a 
reprochées à ses contemporains. // ne Le P. Sa* 
refit a la plupart des Ôomentateurs nadon »P réf « 
d'autre liberté que pour louer > pour ad^ % XIX# 
mirer y pour adorer ; mais ceux qui 
Font usage de leurs lumières , & qui . # 

ne se conduisent point par une pré- Kpag.xx. 
vention aveugle y désaprouvent ^certains 
vers lyriques dont la cadence riefi point 
assez châtiée* Ce sont les termes du 
P. Sanadon , J'ai relevé en plusieurs IbU. 
endroits , poursuit- il , des pensées j 
des sentimens j des tours & des expres- 
sions j qui m'ont paru répréhensibles* 

Quintilien , après avoir repris dans Inft. Or # 
les anciens quelques métaphores dé- 1 -™ 11 **. 6. 
fedueuses , dir que ceux qui sont ins- om P aratw - 
truits du bon & du mauvais usage des 
figures , ne trouveront que trop d'e- 
xemples à reprendre ; Quorum exempta 
nimiàm fréquenter repréhendetj qui scî- 
verit hceç vitia essç. 



161 DesTropes, frc 

Au refte , les fautes qui regardent 
les mots , ne sont pas celles que Ion 
doit remarquer avec le plus de soin i 
il eft bien plus utile d'observer celles 
qui pèchent contre la conduite > con- 
tre la juftesse du raisonement , con- 
tre la probité > la droiture Se les bon- 
nes mœurs. Il seroit à souhaiter que 
les exemples de ces dernières sortes 
de fautes fussent moins rares, ou plu- 
tôt qu'ils fussent inconus. 




DES TROPES. 

i - 

TROISIÈME PARTIE. 

Des autres sens dans lesquels un mente 
mot peut être employé dans le discours. 

\J utre les Tropes dont nous ve- 
nons de parier , & dont les Gram- 
mairiens & les Rhéteurs traitent or- 
dinairement , il y a encore d'autres 
sens dans lesquels les mots peuvent 
être employés , & ces sens sont la 
plupart autant d'autres diférentes sor- 
tes de tropes : il me paroît qu'il eft 
très- utile de les conoîtré pour mettre 
de Tordre dans les pensées , pour 
rendre raison dû discours , & pour 
bien entendre les auteurs. Ç'eft ce^qui 
va faire la matière de cette troisième 
partie. 



%64 Substantifs 



I. 



Subjlantifs pris adjectivement j Adjectifs 
pris fubfiantivement > Subjlantifs & 
Adjectifs pris adverbialement* . 

U n nom subftantif se prend quel- 
quefois adjectivement, e'eft - à - dire , 
dans le sons d'un atribut; par exem- 
ple -.-Un père ejl toujours père y cela 
veut dire qu'un père eft toujours ten* 
dre' pour. ses entans , Se que malgré 
les mauvais procédés , il a toujours 
des senûmens de père à leur. égard; 
alors Ces subftantifs se conftruisent 
corne de véritables adje&ifs. » Dieu 
» eft notre ressource , notre lumiè- 
» re , notre vie , notre soutien , 
» notre tout» * L'home neft qu ut* 
» néant. Etes-vpu$ Prince ? Èçes- 
» tous Roi ? Etes- vous Avocat ? » 
Alors Prince j Roi ? Avocat ,' sont 
adjeétifk. 

Cette remarque sert à décider h 
qqeftion que font les Grammairiens , 

savoir 



PRIS ADJECTIVEMENT, &C. 165 
Savoir si ces mots Roi , Reine j Père > 
Mère j &c. sont subftantifs ou adjec- 
tifs : ils sont l'un & l'autre , suivant 
l'usage qu'on en fait. Quand Hs sont 
le sujet de la proposition i ils sont 
pris subftantivement ; quand ils sont 
l'atribut de la proposition , ils sont 
pris adjectivement. Quand je dis h 
Roi came le peuple y la Reine a de la 
piété : Roi j Reine j sont des subftan- 
tifs qui marquent un tel Roi & une 
telte Reine en particulier ; ou , co*- 
me parlent les Philosophes, ces mots 
marquent alors un individu qui eft le 
Roi ? mais quand je dis que Louis 
quinze ejl Roi j Roi eft pris alors ad- 
jectivement ; je dis de Couis qu'il eft 
revêtu de la puissance royale. 

Il y a quelques noms subftantifs 
latins qui sont quelquefois pris adjec- 
tivement , par métonymie , par sy- 
necdoque ou par antonomase. Scelus s 
crime , se dit d'un scélérat , d'un 
home qui eft > pour ainsi - dire > le 
crime ipême : Scelus quemnam hic lau^ *Ter. And. 
dat ? * Le scélérat de qui pirle-t-il ? aft 5. se, 2. 
Ubi illic eft scelus qui me pcrdidit ? ** v *î\ h d 

Û» eft & scéléwc <jui m'a p*du ? où 3 .k, ,,7. ,,' 

■ : \ 



i66 Substantifs 
vous voyez que sctlus se conftruit avec 
Mie qui eft un masculin ; car selon les 
anciens Grammairiens , on disoit au- 
trefois illic j Mac 3 Mue j au lieu de 
ille j Ma j illud : la conftru&ion se 
fair alors selon le sens , c'eft-à-dire , 
par raport a la persone dont on parle, 
& non selon le mec qui çft neutre. 

Carcer j prison , se dit aussi par 
métonymie ,• de celui qui mérite la 
prison. Ain tandem carcer ? Que dis-tu 

a^i. se.™! malheureux ? C'eft peut-être dans le 

v. 16. même sens qu'Enée , dans Virgile a 
parlant des Grecs à Pocasion de la 

-, , fourberie dç Sinon , dit , & criminc 
#0 wzo a/^c^ omnes. Ce que nous ne 
saurions rendre en franco is en CQnserr 
vant le même tour , un seul fourbe > 
une seule de leurs fourberies j vous fera 
çonoître le caractère de tous les Grecs. 

2*?™z* r.Térencç a dit unum cognârls j omnes 

3y f * nçris. 

Noxaj ϱ eft un subftanrif, qui 
dans le sens propre signifie faute , 
peine , domage : de nocére. Il eft cfw 
dans les Inftituts de Juftinieh > que ce 

Icto. 1. 4. mpt se P ren d aussi pour esclave même 

Tît4$,Y< i!qui a fait le domage, Noxa wtem ej£ 



PRIS ADJECTIVEMENT, &c* l6j 
Ipsum corpus quod nôcuit^ idejlj servus 
(nôxius.) Ce mot neft pourtant pas 
d'un usage ordinaire en ce sens dans 
la langue latine. 

Un adje&if se prend aussi quelque- 
fois subftantivement ; c'eft-à-dire, 
qu'un mot qui eft 1 ordinairement attri- 
but * eft quelquefois sujet dans N une 
proposition ; ce qui ne peut ariver 
que parce qu'il y a alors quëlqu'au- 
tre nom sous -entendu .qui eft dans 1 
l'esprit j par exemple : le vrai per- 
suade y c'eft-à-dire , ce qui eft vrai , 
l'être* vrai ^ ou la vérité. Le tout-puis* 
sont vengera les faibles qu'on oprime j 
ceft-à-dire, Dieu, qui eft tout-puis* 
5ant , vengera les homes foibles. 

Nous a^ons vu dans les préliminai- 
res de la syntaxe , que l'adverbe eft 
un mot qui renferme la préposition 
& le nom qui la détermine, La pré- 
position marque une circonftance gé- 
nérale , qui eft ensuite déterminée par 
le nom qui suit la préposition selon 
l'ordre des idées : or l'adverbe renfer- 
mant la préposition & le nom , il mar- 
que une circonftance particulière du 
sujet, ou de Vatpbut de la proposa 

M % 



i68 Substantifs 
rion : sapienter j avec sagesse , avec 
jugement j sape ^ souvent en plu-/ 
sieurs ocgsions ; ubi j où , en quel lieu, 
en quel endroit j ibi ^ là , en cet en- 
droit là. 

Il y a quelque noms subftantifs qui 
sont pris adverbialement, c'efb-à-dire,, 
qu'ils n'entrent dans une proposition 

3 ue pour marquer une circonftance 
u sujet ou de 1 atribut , en vertu de 
quelque préposition sous -entendue j 
Ter And P ar exer>1 P^ e : domi j à la jiiaison , 
*a. 3 . se. i! au li eu de la demeure. Videt niiptias 
v, 34- domi apparâriy ellp voit qu'on se pré- 
pare chez nous à la noce j domi mar- 
que la circonftance du lieu où Ton se 
préparoit à la noce : on sous-ençend , 
in œdibus domi , dans les apartemens 
de la maison , de 1$ demeure m y ou bien 
Flaute,Ca.ifl àliquo bec dçmi. PUutç a^expriiné 
sina , afl. j. ades ; omnes domi per œdes 3 dç cham- 
•c. 5- v - 3*. bre en oh^mbjre * département en 
apartement. 

Quand domi eft oposé à belli ou 

j x . n . %s.m«itix j on $ou$-entend in toî ; Ci- 

ftfitçr xxiv. céron l'a exprimé > quibujeutyque rébus 

vel belli 3 vel domi ; alors domi se 

: prend pour la patrie j larvUle , &C, $çIq& 



PRIS ADJECTIVEMENT, &Ù. 169 
hotre manière de parler, pour la paix s 
le temps de la paix. Nous ayons, parlé 
ailleurs de ces sortes d'ellipses. 

Oppidb se prend aussi adverbiale- 
ment , corne nous l'avons remarqué 
plus haut. Quand on sait une fois la pas 49 * 
raison des terminaisons de ces mots, on 
peut se contenter de dire que ce sont . 
des subftàntifs pris adverbialement. 

Les adjeétifs se prènent aussi fort 
souvent adverbialement, corne je 1 ai 
remarqué en parlant des adverbes j 
par exemple : parler haut y parler bas y 
parler grec & latin j gtxcè Se latine 
loqui : penser jujle , sentir bon j sentir 
mauvais 3 marcher vite 4 <voir clair j 
f râper fort > &c. 

Ces adjeûifs sont alors au neutre y 
Se c'eft une imitation des Latins : 
Transversa tuéntibus hircis ; hircis tuén- VlT ^ Ec * 3# 
tibus ai négocia transvérsa. Recens eft 
très - Ubité dans les bons auteurs * au 
lieu de recénter y qui ne se trouve que 
dans les auteurs de la moyène lati- 
nité : Sole recens orto : Puerum recens Vîr S* Ge*r. 
natum reperire.* Dans des ocasions il*'*' pî a J t 
faut sous-entendts la préposition ad , cr.ei. 1.2. 
ou juxta j ou in ; juxta recens negô- *<>. 

M } 



±7o Substantifs, &c. 
tium y ou tcmpus , corne nous disons , 
à la francoise j à la mode j à la ren- 
verse j à Vimprovifie ^ â la traverse , &c» 
Horace a dit ad plénum pour plenè _, 
» , -., pleinement , abondament , à plein : 
Hor. v *• mana ° lt <*" plénum. On trouve aussi 
Ode 16. t. in pour di j /afttf in prasens ânïmus : 

2 J- . Jaètis in altum môlibus. * 
r* Hor. 1.5. 

^ >d - e J*!*3.V Exit m imménsum foecûnda licétitia va- 

A ** ° V1 *' tum. « 

Amor. 1. 5» 

41 c ; 5#12,v# Ainsi quand Salufte a dit, morts 
§ Jugurf immensàm éditus , § il faut sous-ea- 

«ub fin. tendre in : 6c avec ces adje&ifs on 
sous-entend un mot générique , negô- 
tium , spdtium , tempus 3 avum ^ &c. 



SENS déterminé, Sens 

INDETERMINE. 

Chaque mot a une certaine si- 
gnification dans le. discours ; autre- 
ment il ne signifieroit rien :♦ mais ce 
sens", quoique déterminé , ne marque 
pas toujours précisément un tel indi- 



Sens déterminé, &c 271 . 
vidu y un tel particulier : ainsi on apèle 
sens indéterminé j ou indéfini. 3 celui 
qui marque une idée vague , une pen- 
sée générale , qu'on ne fait point tom- 
ber sur un objet particulier ; par exem- 
ple*: on croit 3 on dit ; ces termes ne 
désignent persône en particulier qui 
troie ou qui dise 5 c'eft le sens indé- 
terminé, c'eft-à-dire, que ces moçs 
ne* marquent point un tel particulier 
cle qui Ton dise qu'i/ croit ^ ou qu'i/ 
dit. 

Au contraire , le sens déterminé 
tombe sur un objet particulier ; il 
désigne une ou plusieurs persones , une 
ou plusieurs choses 3 corne les Carte- ' 
siens croient que les- animaux sont des 
machines : Cicéron dit dans s*s Ofi- L 2 n g ' 
ces j que la bone foi efi le lien de la âiaer xyiv. 
éociété. 

On peut raporter ici le sens étendu 
& le sens étroite II y a bien des pro- 
positipns qui sont vraies -dans un sens- 
•é rendu , latè j & fausses lorsque les 
mots en sont pris à la rigueur ^Jlriclè : 
nous en donnerons des exemples ea 
parlant du sens litéraL v 

M 4 



17% Sens. Actif, 



III. 

Sens Actif, Sens Passif, 
Sens Neutre. 

yi CT IF vient de dgere , pousser , 
agir, faire. Un mot eft pris dans un 
sens a6tif , quand il marque que l'ob- 
jet qu'il exprime, où donc il eft dit, 
fait une action., ou qu'il a un senti- 
ment , une sensation. 

Il faut remarquer qir'il y a des ac- 
tions & des sentimens qui passent sur 
un objet qui en' eft le terme. Les 
Philosophes apèlent patient j ce qui 
reçoit laéfcion d'un autre : ce qui eft 
le terme ou l'objet du sentiment d'un 
autrç. Ainsi patient ne veut pas dire 
ici celui qui ressent de la douleur j 
mais ce qui eft le terme d'une a&ion 
ou d'un sentiment. Pierre bat Paul ; 
bat eft pris dans un sens aâif , puis- 
qu'il marque une aâion que je dis 
que Pierre fait , & cette aââon a Pàui 
pour- objet ou pour patient, te Roi 
aime le peuple ; aime eft aussi dans ua 



Sens Passif* &c. 173 
; sens a£tif , & le peuple eft le terme 
ou l'objet de ce sentiment. 

Un mot eft pris dans un sens pas- 
sif, quand il marque que le sujet de 
la proposition , ou ce dont on parle , 
eft le terme ou le patient de l'a&ion ' 
d'un autre- Paul ejt batu par Pierre ; 
batu eft un terme passif : je juge de 
Paul qu'il eft le terme de l'a&ion de 
batte. 

Je ne suis point bâtant , de peur d*être batu. M Hère ^ 

cocu imag. , 

Bâtant eft a&if , & batu eft passif, se. xvu. 

Il ,y a des mots qui marquent de 
simples propriétés ou manières d'ê- 
tre , de simples situations , Se même 
des a&ions , mais qui n'ont point de 
patient ou d'objet qui en soit le ter- 
me ' y c*eft ce qu'on apèle le sens neu- 
tre. Neutre veut dire ni Vun ni Vau- 
tre j c'eft-à-dire , ni adtif ni passif. 
Un verbe qui ne marque ni a&ion 
qui ait un patient , ni une passion , 
c'eft-à-dire, qui ne marque pas que 
l'objet dont on parle soit le terme 
d'une a&ion , ce verbe , dis-je , n'eft 
ni a&if , ni passif j & par conséquent 
il eft apelé neutre. 

M 5 



274 Sens Actif, 

Amâre , aimer , chérir j diligere 3 

avoir de l'amitié , de l'afeâion , sont 

des verbes aârifs , Amâri y être aimé > 

être chéri j diligi y être celui pour qui 

Ton a de l'amitié , sont x xies verbes 

passifs : mais sedére , être assis , eft ua 

verbe neutre \ ardére , être allumé j 

être ardent , eft aussi un verbe neutre» 

Souvent les verbes adtifs se preneur 

dans un sens neutre y & quelquefois 

_ les verbes neutres se prènent dans un 

sens a&if \ écrire une lettre 3 eft un sens 

adtif ; mais quand on demande, Que 

fait Monsieur ? & qu'on répond , il 

écrit j il dort j il chante y il danse ; 

tous ces verbes-là sont pris alors dans 

. un sens neutre. Quand Virgile dît que 

l2 ;^' 'Tumus entra dans un emportement 
que rien ne put appaiser , implàcubilis 
ardet : ardet eft alors un verbe neu>- 
tre : mais quand le même Pbëte , pour 
dire que Coridon aimoit Alexis éper- 
dument , se sert de cette expression > 
Coridon ardébat Aléxin 3 alors ardébat 

Ec. i. t. i. eft pris dans un sens aétif , quoiqu*on 
puisse dire aussi ardébat kxtà Aléxin 3 
Drûloit pour Alexis. 
Pxquiescere j se repojer, être oisif > 



Sens Passif, &c. %j$ 
.être en repos > eft un verbe neutre. 
Virgile la pris "dans un sens aéti£% 
lofsqu'i 1 a dit : 

Et mutâta suos requiérunt flûmma cursus, Ec1, 8 * *• * 

Le* fleuves changés , ceft - à - dire , 
contre leur usage , contre leur nature , 
arrêtèrent le cours de leurs eaux, rc- 
tinuérunt suos cursus. 

Simon , dans PAndriène , rapèle a 
Sosie les bienfaits dont il Ta comblé : 
» me remettre ainsi vos bienfaits de- 
» vanr les yeux , lui dit Sosie , c'eft 
» me reprocher que je les ai oubliés. » 
JJlœc commcmordùo j quasi exprobrâ- Tet - Amî - 
tio eji immémoris bcntfkïu Les Inter-*[ ' ^ St,a * 
prêtes d'acord entre eux pour le fonds 
de la pensée , né le sont pas pour te 
sens y à 3 immémoris : se doit-il prendre 
dans un sens a6tif , ,ou dans un sens 
passif ? Madame Dacier dit que ce 
mot peut être expliqué des deux ma- 
nières : cxprobâtio mei immémoris ^ 
& alors immémoris çft a&if } ou bien , 
cxprobrdiio benefkii immémoris , 1er re- 
proche d'un bienfait oublié ; & alor| 
immémoris eft passif. Selon cette ex- 
plication , quand immémor veut dire 

M 6 



zj6 Sens A ctif, 

celui qui oublie > il eft pris dans uti 
sens a&if ; au lieu que quand il si- 
gnifie ce qui ejl oublié > il eft dans un 
sens passif ^ du moins par raport à 
notre manière de traduire. 

Mais ne pouroit-on pas ajouter 
qu'en latin immemor veut dire sou- 
vent qui neft pas demeuré dans la mé- 
moire ? Tacite a dit , immemor bene- 
ficium , un bienfait qui n'eft pas de- 
meuré dans la mémoire , ou selon 
notre manière de penser , un bienfait 
* Horace, oublié. Horace * a dit memor nota 9 
9 K ' ,3# une marque qui dure long-tems , qui 
**jEn. .i.fait ressouvenir. Virgile ** a dit dans 
le même sens memor ira > une colère 
qui demeure long-tems dans le cœur r 
ainsi immémoris seroit dans un sens 
neutre en latin. 

Que fait Monsieur ? Il joue : jouet 
eft pris alors dans un sens neutre : mais 
quand on dit , il joue gros jeu ; il joue 
eft pris dans un sens adif , Se gros jeu 
eft le régime de il joue. 

Danser eft un verbe neutre ; mais 
lorsqu'on dit , danser une courante 3 
danser un menuet ; danser eft alors un 
.verbe aftif. 



^•4* 



Sens P assit y &c. 277 

Les Latins ont fait le même usage 
de saltâre , qui répond à danser. Sa- , - 
lutte a dit de Sempronia , qu elle sa- 
voit mieux -chanter & "danser qu'une 1 

honête femme ne doit le smou y Psal- S * im ' CttlU 
1ère & sakâre elegdntius 3 quant ne* 
cesse eft probœ ; ( supple ) docla erat 
hoctoc psâllere & saltâre ; saltâre eft pris 
alors dans un sens neutre : mais lors- 
qu'Horace a dit Saltâre Cyclôpq. , dan- Hot * *• »• 
ser le Cyclope ; saltâre eft pris alors Sat,5 ' v * 3 * 
dans un sens a&if. * Les Grecs & fcs . # R«««fr 
* Latins , dit Monsieur Dacier , ont\ ! * 
» dit danser le Cyclope j danser Glau- 
» eus j danser Ganïmede j Léda y Eu* 
» rope j &c. » c'elt-à-dire , représenter 
en dansant les aventures du Cyclope \ 
de Glanais, &c. 

Le même poëte a dit * Fûsius ébrius 
lllionam edbrmit j le comédien Fu- Sat °^ * 6t * 
sius , en représentant Ilione endor- 
mie, s'endort lui-même corne un ho- ** Ter. 
me yvre qui cuve son vin. Térence a AdeLaft * *• 
dit ** edormiscam hoc vïlli> je cuverai **i p ]aut " 
mon vin : & Piaute , *** edormiscamKuà. afl. 2. 

hanc crâpulam 3 ôc dans TAmphitrioii" 7*" v - 1 f* 
•1 j- *• t • r §Id. Amph. 

il a dit , § edormiscat unum somnurn ^^ 2 SCt%s 

corne nous disons dormir un some,i*t%» 



î7& S en s Actif, 
Vous voyez que dans ces exemples , 
edormirc &c edormisctrc se prènent dans 
un sens aâif. 

Cette remarque sert à expliquer ces 
façons de parkr itur j favétur ^ &c. 
ces verbes neutres se prènent alors en 
latin dans un sens passif, & marquent 
qne l'a&ion qu'ils signifient eft faite ; 
iter itur , Tadion d aïer $e fait. Voyez 
ce que nous en avons dit dans la syn- 
taxe : Taâion que le verbe signifie , 
sert alors de nominatif au verbe mê- 
me , selon la remarque des anciens 
Grammairiens. * 

* Ut curritur i me , pro curro ; vel fiatur 
à te , pro fias : sedétur ab ilie , pro sedct 
ïlle : in eis poteft îpsa res intélligi voce pas- 
slva ; ut curritur cursus , bcllMur bellum. 
Priscidnu* , lib. XV il. c. de Pronominum 
conftruâione. 

Et Vos suis s' exprime en ces termes , verba 
accusauvum habent suas originis vel 4t g n â- 
tac significationis: prions géneris apudTerén- 
tium pft lûdere luditm. Eun. a&. 3. se. 5. v. 39. 
Apud Maronem fûrère furérem. Mn. 1. 12. v. 
680. Donâtus Archaismum vocat , tnallem 
Atticismum dixisset.. .. quia sic locutos cons- 
tat , non eos modo qui désita & obsoléra 
amant , sed optimos quosque optimi aevi 
scripeores , &c. Vossius de Conftmûiàne , 
pag. 409. 



Sens absolu, &c. 279 

«— —^— —————— . 1 » 1 ■ 1. 1 1 1 1 1 1 1 11 1 < 

IV. ' 

Sens absolu, Sens 

RELATIF. 

\J n mot eft. pris dans un sens ab- 
solu , lorsqu'il exprime une chose 
considérée en elle-même sans aucun 
raport à une autre, absolu vient dW* 
solùtus y qui* veut dire achevé , acom- 
pli y qui ne demande rien davantage j . 
par exemple , quand je dis que le so- 
leil eft lumineux , cette expression eft 
dans un sens absolu \ celui à qui je 
parle n'atend rien de plus , par raport 
au sens de cette phrase* 

Mais si je disois que le soleil eft 
plus grand que la terre 3 alors je con- 
sidérerais le soleil par raport à la 
terre , ce serait un sens relatif ou res- 
pectif. Le sens relatif ou respeûif eft 
donc lorsqu'on parle d'une chose par 
raport a quelqu'aucre \ c'eft pour cela 
que ce sens s apcle au&si respeclifj du 
latin respîcere 3 regarder - y p^rce que 
la chose dont on. parle, en regarda * 



*8o Sfns collectif, &<?. 
pour ainsi dire, une autre j elle en 
rapcle l'idée , elle y a dû raport , elle 
s'y raporte ; de -là vient relatif y de 
referre raporter. Il y a des mots rela- 
tifs , tels que père j fils 3 époux j &c ; 
nous en avons parlé ailleurs. 



Sens collectif, Sens 
distributif. 

Collectif vient du latin colligere 9 
qui veut dire recueillir > assembler. Dis- 
tnbutif vient de diftribuére j qui veut 
/ dire , diftribuer , partage^. 

La jemme aime à parler : cela eft 
vrai en parlant des femmes en géné- 
ral j ainsi le mot de femme eft pris là 
dans un sens colleâif : mais la pro- 
position eft fausse dans le sens diftri- 
butif , ceft-à-dire , qu; cela n'eft 
poinr vrai de chaque femme en par- 
ticulier. 

Vhome eft sujet à la mort ; "cela 
eft vrai dans le sens colledif , & dans 
le sens diftributif. 



Sens coLLEctiF, &ù. 281 

Au lieu de dire le sens collectif & 
le sens dijlributifj on dit aussi le sens 
général & le sens particulier. 

Il y a des mots qui sont colle&ifs , 
c'eft-à-dire , dont l'idée représente un 
tout en tant que composé de parties 
a&uèlement séparées , & qui forment 
autant d'unités ou d'individus parti- 
culiers : tels sont armée j république j 
, régiment* 

' ■ » H 11 

V I. 

Sens équivoque, Sens 
louche. 

X i< y a des mots & des propositions 
équivoques. Un mot eft équivoque , 
lorsqu'il signifie des choses diférentes : 
corne chœur 3 assemblée de plusieurs 
persones qui chantent } cœur j partie 
intérieure des animaux : autel j table 
sur quoi l'on fait des sacrifices au* 1 
Dieux ; hôtel j grande maison. Ces 
mots sont équivoques , du moins dans 
la prononciation. Lion 3 nom d'un ani- 
mal ; Lion 3 nom d'une conftellation f 
d'un signe célefte ; Lyon j nom d'ui*$ 



*8i Sens équivoque, 

ville. Coin , sorte de fruit $ coin y sa* 
gle , endroit ; coin > inftrument avec 
quoi Ton marque les monnoies & les 
médailles j coin j inftrument qui sert 
à fendre du bois : coin , eft encore un 
terme de manège j &c. 
Molière , jy e q ue l[ e l an g ue voule%~VOus vous 

ce "le. + ** serv * r avcc mvl * ait le do&eur Pan- 
crace , parlant à Sganarèle : de la lan- 
gue que j'ai dans ma bouche ^ répond 
Sganarèle 5 où vous Voyez que par lan- 
gue , Ton entend langage , idiome ; & 
l'autre entend , corne il le dit , la lan- 
gue que nous avons dans la bouche. 

Dans la suite d'un raisonement , 
on doit toujours prendre un mot dans 
Je même sens qu'on Ta pris d'abord , 
autrement on ne raisoneroit pas jufte j 
parce que ce seroii ne dire qu'une 
même chose de deux choses diféren- 
tts : car , quoique les termes équivo- 
* ques se ressemblent quant au son , 
ils signifient pourtant des idées difé- 
rentes ; ce qui eft vrai de l'un n'tft 
donc pas toujours virai de l'autre. 

Une proposition eft équivoque , 
quand le sujet ou Tatribut présente 
deux- sens à l'esprit $ ou quand il a 



Sens louche. 18$ 

quelque terme qui peut se raporter 
où à ce qui précède , où à ce qui 
suit: c'eft ce qujil faut éviter avec 
soin , afin de s'accumuler à des idées 
précises. 

Il y a des mots qui ont une cons- 
truction louche , c'eft lorsqu'un mot 
parok d'abord se raporter à -ce qui 
précèdes & que cependant il se ra- 
porte à ce qui suit : par exemple , 
dans cette chanson si conue 9 *d'un de 
nos meilleurs opéras , 

Tu sais charmer , 
Tu sais désarmer, 
Le Dieu de la guerre ; 
Le Dieu du tonerre 
Se laisse enflàmer. 

Xe Dieu du tonerre paroit d'abord être 
le terme de Pa&ion de charmer y & 
de désarmer y aussi-bien que le Dieu de 
la guerre ; cependant , quand on con- 
tinue à. lire , on voit aisément que le 
Dieu du tonerre eft le nominatif ou 
le sujet de se laisse enflàmer. 

Toute conftrudion ambiguë , qui 
peut signifier deux choses en même 
tems , ou avoir deux raports diférens^ 



I 



184 Sens équivoque; . 

eft apelée équivoque , ou louche. Louché J 
eft une sorte d'équivoque , souvent 1 
Facile à démêler. Louche eft ici un ter- I 
me métaphorique : car corne les per- 
sones louches paroissent regarder d'un 
Coté pendant qu'elles regardent d'un 
autre , de même dans les conftru&ions [ 
louches , les mots semblent avoir un 
certain raport , pendant qu'ils en ont 
un autre j mais quand on ne voit pas 
aisément quel raport on doit leur* do - 
ner, on eut alors qu'une proposition 
eft équivoque , plutôt que de dire sim- 
plement qu'elle eft louche. .. 

Les pronoms de la troisième per-> 
sone font souvent des .sens équivo- 
ques ou louches , sur- tout quand ils 
ne se raportent pas au sujet de la pro- 
position. Je pourois en raporter un 
grand nombre d'exemples de nos meil- 
leurs auteurs , je me contenterai de 
celui-ci. 
Tabfeg^. *. François I. érigea Vendôme en 
illogique » Duché-rairie en faveur de Charles 
^es&ois de,, d e Bourbon ; 8c il le mena avec 
mïï£ fc> ,ui à la x conquête dii duché de Mi- 
Bourbon, » lan , où il $e comporta vaillament* 
P' Quand ce Prince eût été pris à 



Sens louche. zSj 
» Pavie , il ne voulut point accepter 
» la régence qu'on lui proposoit : u fut 
^> déclaré cher du conseil , il continua* 
» cje travailler pour la liberté du Roi j 
» & quand il fut délivré , il continua 
'» à lé bien seryit> 

Il n'y a que ceux qui sont déjà au 
fait de l'hiftôire y qui puisse démêler, 
ies divers raports de ce Prince > & dç 
tous ces il. Je crois qu'il vaut mieux 
répéter le mot , que de se servir d'ut* 
pronom dont le rapçrt n'efl: aperçu 
que par ceux qui savent déjà ce qu'ils 
lisent. On évitoit facilement ces sens 
louches en latin , par les usages difé- 
rens de sûus j ejus _, hic j Me , is j ijte. 

Quelquefois pour abréger > on se 
contente de faire une proposition de 
deux membres , "dont l'un çft négatif % 
& l'aufre affirmatif, & on les joint par 
une conjonction : cette sorte de cotisa 
tru6tion n'eft pas régulière, & fait sou- 
vent des équivoques 5 par exemple : 

L'amour n'eft qu'un plaisir , & Phoneur «n d J r ^^v 
devoir. III. $ c. 6. 

Jl/Académie * a remarqué <jue ComeillQ d * s *f[ îm ! Bt 



/ 



286 Sens équivoque,^. 

L'amonr n'eft qu'un plaisir, l'honeur eft un. 
devoir. 

En éfet , ces mots neft que j du pre- 
mier membre , marquent une néga- 
tion , ainsi ils ne peuvent pas se çons-» 
truire encore avec un devoir j qui eft 
dans un sens àffirmatif au second 
membre ; autrement il sembleroit qu^ 
Corneille , contre son intention , eût „ 
voulu mépriser également l'amour & 
Fhoneur. 

On ne saUroit aporter trop déten- 
tion pour éviter tous ces défauts : on 
ne doit écrire que pour se faire en- 
tendre j la néteté & la précision sont 
la fin & le fondement de lart de par- 
ler & d'écrire* 



VIL 

I 

Des jeux de Mots 
et de la paronomase. 

1 l y a deux sortes de jeux, de Mots. 

i. Il y a des jeux de Mots qui ne 

-cqnsiftent que dans un équivoque ou 

dans une allusion , & j'en «ri doné des 



Des Jeux de mots , &c. 187 

exemples. Les bons mots qui n'ont 
d'autre sel que celui qu'ils rirent d'un 
équivoque où d'une allusion fade Se 
puérile , ne sont pas du goût des gens 
sensés, parce que ees mots-là n'ont 
rien de vrai ni de solide.- 

2. Il y a des mots dont la fignifi- 
cation eft diférente, & dont le son . 
eft presque le même : ce raport qui 
se trouve entre le son de deux^mots, 
fait une espèce de jeu, dont les Rhé-ï^'^noi. 
teurs ont fait une figure qu'ils apèlent m f n ; Anno- 
Paronomasej par exemple, amantes J^^ JCU 
sont amentes , les amans sont des in- 
sensés : le jeu ^ui eft dans le latin , ne 
se retrouve pas dans le françoir. Entretien 

Aux funérailles de Marguerite d'Au- d'Arift. & 
triche, qui mourut en couche, on fitd'Eug. vi. 
We devise dont le corps étoit une fiutfc 
aurore qui aporte le jour au monde y 
avec ces paroles. Dum pdrio, péreo > 
je péris en donant le jour. 

Pour marquer l'humilité d'un ho- 
me de bien qui se cache en fesant 
de bones qeuvices , on peint un ver à 
soie qui s'enferme dans sa coque j 
l'ame de cette devise eft un jeu de 
motsj oféruur dum operâtuu Dans 



/. 



x88 Des Jeux de mots , &c. 

ces exemples & dans plusieurs autres 
pareils, le sens subsifte indépenda- 
ment des mots. 

J'observerai à cette ocasion deux 
autres figures qui ont du raport à celle 
dont nous venons de parler : l'une 
s'apèle similitcr cadens ; ceft quand 
les diférens membres ou incises d'une 
période finissent par des cas ou des 
tems dont la terminaison eft sembla- 
ble : l'autre s'apèle similitcr désinenSj 
c'eft lorsque les mots qui finissent les 
diférens membres ou incises d'une 
pétiode ont la même terminaison, 
mais une terminaison qui n'est point 
une désinence de cas, de tems, ou 
de persone , corne quand on dit fâcere 
fôrtuer & vîvere turpiter. Ces deux der- 
nières figures sont proprement la mê- 
me j on en trouve un grand nombre 
d'exemples dans S. Àuguftin. On doit 
éviter Iqs jeux de mots qui sont vides 
de sens ; mais quand le sens subsiste in- 
dépendament du jeu de mots, il$ ne 
perdent rien de leur mérite* 

VIII. 



Sens composé, &c. , 289 

V I I L 

Sens composé, Sens 
divisé. 

1^/uand l'Evangile dit'fes aveu- Mattfc. c. xt 
gies voient j les boiteux marchent ; ces y ' 5 * 
termes les aveugles j les boiteux > se 
prènent en cette ocasioft dans le sens 
. divisé,, c'est-à-dire', que ce mot aveu- 
gles se dit H de ceux qui étoient aveu- 
gles, & qui ne le sont plus : ils sont , , 
divisés, pour ainsi dire, de leur aveu- ' ' 
glement, car les aveugles "en tant 
qu'-aveugles , ce qui seroit le sens 
composé, ne voient * pas. ^ 

L'Evangile parle a un certain £i- Matt. 16. r. 
mon apelé le lépreux y parce qu'il l'a- 6 » 
voit été , c'eft le sens divisé. 

Ainsi, quand S. Paul a dit que les x.Cor.c. 6. 
idolâtres n'entreront pas dans le royau- v * 9- 
me des cieux , il a parlé des idolâtres 
dans le sens composé, c'eft-à-dire, 
de ceux .qui demeureront dans l'ido- 
lâtrie. Les idolâtres en tant qu'idolâ- 
tres n'entreront pas dans le royauîne 
4e$ cieux ; c'eft le sens composé } maij 

N 



190 Sens composé, 

les idolâtres qui auront quité Pidoja-* 
trie , & qui auront fait pénitence $ 
entreront dans le royaume des cieux : 
c'eft le ssn$ divisé. 

Apelle ayant exposé, selon sa cou* 
tume, un tableau à la critique du pu- 
blic,, un cordonier censura la chaus- 
sure d'une figure de ce tableau : 
Apelle réforma ce que le cordonier 
avoit blâmé; mais le lendemain le 
cordonier ayant trouvé à redire à unç 
jambe , Apelle lui dit qu'un cordo- 
nier ne devoit juger que de la chaussu- 
re ; d'où eft venu le proverbe ne suy 
for ultra crépidam y supple , jùdicet. 
. La récusation qu'Apelle fit de cç 
cordonier , étoit plus piquante que 
raisonable : un cordonier, en tant 
que cordonier, ne doit juger que de 
ce qui eft de son métier; mais, si 
ce cordonier a d'autres lumières, il 
ne doit point être récusé, par cela 
seul qu'il est cordonier : en tant que 
cordonier, ce qui eft le sens compo- 
sé , il juge $i un soulier eft bien fait 
fie bien peint, & en tant qu'il a des 
connoissanec s supérieures à- son métier^ 
il eft j u gfc compétent suf. «fftutsç; 



Sens divisé. 191 

points ; il juge alors dans le sens di- 
visé, par rapirt à son métier de cor- 
don 1er. 

Ovide parlant du sacrifice d'Iphi- 
génie , dit que l'intérêt public triom- 
pha de la tendresse paternelle j le Roi 
vainquit le père. 



; Poftquam pietâtem pûblica causa, 0vîd » Met. 

-Rexque patrem vicit. *• *"• v » a 9« 

Ces dernières paroles sont dans' un 
sens divisé. Agaraemnom se regardant 
corne Roi, étoufe les sentimens qu'il 
ressent come père. 

Dans le sens composé , un mot con- 
serve sa signification à tous égards > 
_ôc cette signification entre dans la 
composition du sens de toute la phra- 
se; au îieu que dans le sens divisé, 
ce n'est qu'en un certain sens , et avec 
leftri&ion , qu'un mqj: conserve son 
anciène signification ; les aveugles 
voient , c'eft-à-dire, ceux qui ont été 
aveugles. 



&o<^&< 



N* 



I 191 Sens Litéral; 



IX. 

Sens Litéral, Seks 
Spirituel. 

jLf E sens litéral eft cçlui que les. mots 

excitent d'abord dans l'esprit de ceux. 

qui entendent une langue, c'est le 

sens qui se présente naturèlement à 

l'esprit. Entendre une expression lité-» 

Auguft.Gen. ralement, c'est la prendre au pié de 

Rdht. Hb 8. | a j ettre> Q ua diaa sunt secùndurn lit* 

c,i. tom.HI. y -j n *,- '• 

teram accipere j id ejt x non aliter m- 

ulligere qudm littera^ sonat; c'eft le 
sens que les paroles signifient immé- 
diatement, is quem verba immédiate; 
sigmficant. 

Le sens spirituel, est celui que le 1 
sens litéral renferme , il eft enté , pouç 
ainsi dire, sur le sens litéral j c'eft 
celui que des choses signifiées pajr le 
sens litéral font naître dans .l'esprit, 
Ainsi dans les paraboles, dans les fa- 
bles, dans les allégories, il y a d'a- 
bord un sens litéral : on dit, par 
-Çxçmjde, qu'un Jbup & un agneau 



S eks Spirituel.- 293 

vinrent boire à un même ruisseau ; 
que le loup ayant cherché querèle à 
l'agneau , il le dévora. Si vous vous 
attachez simplement à la lettre , vous 
he verrez dans ces paroles qu'une sinv* ^ 
pie aventure arivée à deux animaux j 
mais 1 cette narration a un autre objet j 
on a dessein de vous faire voir que 
les foibles sont quelquefpis oprimés 
par ceux qui sont plus puissansj & 
voilà le sens spirituel , qui eft tou- 
jours fondé sur le sens litéral. 

Division du sens litéral. 

Le sens tuerai eft donc de deux 
sortes : ' ' V ' 

1 . Il y a un sens litéral rigoureux ; ' 
c eft le ' sens propre d'un mot , c'eft 
la lettre prise à la rigueur, JlriSè. 

2. La secortde espèce de sens lité- < 
rai , c'eft celui que les expressions 
figurées dont nous avons parlé pré- 
sentent naturèlement à l'esprit de ceux 
qui entendent bien une langue, c'est 
un sens litéral-figuré ; par exemple, 
quand on dit d'un politique qu'i/ sème 

à propos la division entre ses propres éne~. 
mis : semer ne se doit pas entendre à la 



194 Division 

rigueur selon le sens propre , Se de ï& 
même manière qu'on dit semer du bléz 
mais ce mot ne laisse pas d'avoir un 
sens litéraf, qui eft un sens figuré qui 
se présente naturèiement à l'esprit* 
La krtre ne doit pas toujours être 
prise à la rigueur, elle tue, dit S. 
*- Cor -3- Paul. On ne doit point exclure toute 
signification -métaphorique & figurée, 
II faut bien se garder, dit S. Augus- 
tin, * de prendre à la lettre une fa- 
çon de parler figurée, & c'eft, à cela 
Îu'il faut apliquer ce passage de S, 
'aul , la lettre tue^ & l'esprit done la vie.' 
Il faut s'atacher au sens que les 
mots excitent naturèlement dans no- 
tre esprit, quand nous ne somes point 
F revenus, & que nous somes dans 
état tranquile de la raison : voilà le 
véritable sens litéral-figuré , c'eft ce- 
lui-là qu'il faut doner aux loix , aux 
canons , aux textes des coutumes , & 
même à l'Ecriture Sainte. 

* In principîo cavéndum eft ne figurâtam 
locutionem ad litçram accipias; & ad hoc 
enini pértînet quod ait Ap6ftolus , litera occ£ 
\dït % spiritus autem vivifient. .Augufl. de- 
Doâr, Chrift. 1. 3. c. J. UUX. Parisiis 1685* 



r>u Sens Litéral. 29$ 
Quand J. C. a dit que celui f ai Luc. c. 9/* 
metJa main a la chante y & qui re- 62. 
gttrak derrière lui ^ nejl point propre 
pour le Royaume de Dieu ; on voit 
bien qu'il n'a pas voulu dire qu'un 
laboureur qui en travaillant tourne 
quelquefois la tète * n'eft pas propre 
... pour le ciel^: le vrai sens que ces ' 

paroles présentent naturèlement à l'es- ^ 
prit , c'eft que ceux qui ont comencé 
à mener une vie chrétienne , & % être 
les disciples de Jésus-Chrift , ne doi- 
vent pas changer de conduite , ni de 
doétrine , s'ils veulent être sauvés 5 
c eft donc là un sens litéral-figuré. Il 
en eft de même de ces autres passa-', 
ges de l'Evangile , où J. C. dit , * * Matt. cV 
de présenter la joue gauche à celui *' v - 39- 
qui nous a rrapé sur la droite , * * ** fbîd. v 
~<ie s'aracher la main ou l'œil qui eft ^9* 3*. 
un sujet de scandale ; il faut enten- 
dre cçs paroles de la même manière 
qu'on entend toutes les expressions 
métaphoriques & figuré« : ce iiqjsç- a 
roit pas leur douer leur vrai sens y 
que de les entendre selon/ le sens li- 
béral pris à la rigueur ; elles doivent 
Cire encendues selon la seconde sorte 

N 4 



aç6 Division 

de cens litéral qui réduit tout?? ces 
. façons de parler figurées • à leur jufte 
valeur, c'eft-i-dire, au sens qu'elles 
avoient dans l'esprit de celui qui a 
parlé , & qu'elles excitent dans l'esprit 
de ceux qui entendent la langue ou 
l'expression figurée Se autorisée par 
l'usage. * « Lorsque nous douons au 
» blé 4e nom de Cérès dit Cicéron , 
>> & au vin le nom de Bacchus , nous 
>» nous servons d'une façon de parler 
97 usitée en notre langue , Se persone 
» n'eft assez dépourvu de sens pour 
*> prendre ces paroles à la rigueur de 
99 la lertare. 

Ou se sert dans toutes les nations 
policées , de certaines expressions ou 
formules de politesse , qui ne doivent 
. point être prises dans le sens litéral 
étroit. J'ai thoneur de ... Je vous 
baise . les mains : Je suis votre très- 
humble & très : obéissant serviteur. Cette 
dernière façon de parler, dont on se 
sert pour finir les lettres , n'eft jamais 

'* Cîun fmges Cérerem, vinum Liberum 
dicimus , génWe nos quîdem sermonis ûtimur 
usitâto : sed ecquem tam améntem esse putas 
qui &c. CicAs Nat. Deor. 1. 3. n. 41. aliter 
xvx. 



0U Sens LitÉhal. 10 
ïegardée que corne une formule de 
politesse. 

On dit de certaines persones , c'ejt 
Un fou j c J e/l une foie : ces paroles ne 
marquent pas toujours que la, persone 
dont on parle ait perdu Pesprit au 
point qu'il ne refte plus qu'à renfer- 
mer y on veut dire «seulement que c'eft 
une persone qui suit ses caprices , 
qui ne se prête pas aux réflexions des 
autres , qu'elle n'eft pas toujours maî- 
tresse de son imagination , que dans 
le tems qu'on lui parle elle eft ocu- 
pée ailleurs, &. qu'ainsi on ne sauroit 
avoir avec elle ce comefce récipro- 
que dç pensées & de sentimens , qui 
fait l'agrément de la conversation &• 
le lien de la société. L'home sage eft 
toujours en état de tout écouter , dô 
tout entendre , & de profiter des avis 
qu'on lui dotie. 

Dans l'ironie , les paroles n'e se pré- 
sent point dans le sens iicéral pro- 
{>rement dit j elles se prènent selon 
e sens litéral-figuré , c'eft -à -dire , se- 
lon ce que signifient les mots acom- 
{>agnés du ton de la voix & de toutes 
es autres circonftances* 

N 5 / 



2$$ D I V I S I O PT • 

II y a souvent dans le langage des- 
tomes un sens licéral qui eft caché ,. 
& que les circonftances" des choses 

, découvrent : ainsi il arive souvent que 
la môme proposition a un tel sons 
dans la bouche ou dans les écrits 
d'un certain home , & qu'elle en a 

- un autre dans les discours & dans les 
ouvrages d'un autre home : mais il 
ne faut pas légèrement doner des s^ris 
désavantageux aux paroles de ceux qut 
ne pensent pas en tout corne nous ^ 
il faut que ces sens cachés soient si 
facilement dévelopés par les circons- 
ces , qu'un home de bon sens qui 
n'eft pas prévenu ne puisse pas sy 
méprendre. Nos préventions nou$ ren- 
dent toujours injuftes , & nous font 
souvent prêter aux autres des senti- 
mens qu'ils détellent aussi sincèrement 
que nous les déreftons. 

Au refte , je viens d'observer que 
le sens litéral-figuré eft celui que Je» 

Î>aroles excitent . naturèlement dans 
'esprit de ceux qui entendent la tan- 
gue où 1 expression figurée eft autori- 
sée par l'usage r ainsi pour bien en— 
teadie le véritable sens, litéxal d'tu» 



eu Sens Literà£. ; £99 , 

auteur , il ne sufit pas cPentendf e les 
mots particuliers dont il sr'eff servi ,. 
il faut encore Bi^n entendre les fa- 
çons de parler usitées dans la langue 
de cet auteur } sans quoi , où Ton 
n'entendra point le passage, où Ton' 
tombera dans des contre -sens. En 
françois , doncr parole ^ veut dire pro~ 
tnettre ; en latin , verba dare > signi- 
fie tromper : Pœnas dare alicui , ne 
Veut pas dire doner de la peine à 
quelqu'un , lui faire de la peine , il 
veut dire\au contraire être puni par 
quelqu'un _> lui doner la satisfa&ion 
qu'il exige de nous, lui doner notre 
suplice en payement , corne on paye ' 
une amende. Quand Propërce dit à Lî - ÊIe S« 
Cinthie , dabis mihi perfida panas j il 
ne veut pas dire perfide vous tnale\ . 
causer bien des tourmens , il lui dit au * 

contraire y qu'il la fera repentir de sa* * 
perfidie. 

Il n'eft pas possible d'entendre le 
sens litéral de l'Ecriture Sainte . si 
ï'on n'a aucune conoissance des hé- 
braïsmes & des héllénismes , c'eft-à- 
dire , des façons de parler de la lan-- 
gue hébraïque & de la langue grèque*. 



3^o Division 

Lorsque les interprètes traduisent st 
la rigueur de la lettre , il rendent les 
mots & non le véritable sens : de-lA 
vient qu'il y a , par exemple , dans 
P»aU 35. r.j es p s€a ^ m€S plusieuts versets qui ne 

s nt pas intelligibles en latin. Montes 
L ci , ne veut pas dire des montagnes 
consacrées à Dieu M mais de hautes* 
montagnes. 

Dans le Nouveau Teftament *né- 
me il y a plusieurs passages qui ne 
sauroient être entendus sans la con- 
s , noissance des idiotismes, c'eft- à-dire ,. 
des façons de parler des auteurs ori- 
ginaux. Le mot hébreu qui répond 
,-• au mot laiiii verbum > se prend ordi- 
nairement en hébreu pour chose signi- 
fiée par la parole - y c'eft la mot gé^ 
nérique qui répond à negotïum ou res 
lffCr«, 1. r. desLatins. Transeâmus usque Bethléem* 
*** & videâmus hoc verbum quod faclum 

eft : Passons jusqu'à Bethléem y & 
voyons ce qui y eft arivé. Ainsi lors- 
qu'au 5 e . verset du chapitre 8. du 
Deutéronome , il eft dit ( Deus) dédit 
tibi cibum marina quod ignorâbas tu 
& patres tui > ut ofiénderet tibi quod 
non in solo pane vivat homo j sed in 



ï>v Sens Litêrai. 301 

t>rnni verbo quod egréditur de ore DeL 
Vous voyez que in omnï verbo signi- 
fie in omni re> c'eft-à-dire, de tout ce 
que Dieu ditj ou veut j qui serve de 
nduriture. C'cft dans ce même sens 
que Jesus-Chrift a cité ce passage : 
le démon lui proposoit de changer les 
pierres en pain, il n'est pas nécessai- 
re de faire ce changement, répond 
. Jesus-Chrift , car Vhome ne vit pas séu- y 
lement xte pain > il se nourit encore de 
tout ce qui plait à Dieu de lui doner 
pour noujriture j de tout ce que Dieu 
dit qui servira de nouriture ; voila te 
sens litéral -, celui qu'on done comu- 
nément à ces paroles > n'eft qu'un -sens 
moral. 

Division du sens splritueL 

Le sens spirituel eft aussi de plu- 
sieurs sortes. 1. Le sens moral j 1. Le 
sens allégorique f $ . Le sens anagogïqueS 

1. Sens morale 

^ Le sens moral eft un Interpréta- 
tion selon laquelle on ti*e quelque 
ïnftruftion pour les mœurs. On tire 
*w sçns moral des hiftoires > des fa- 



Matf^ , 



yst Divisroff 

blés , &cc< II n'y a rien de si pf oP 
phane dont on ne puisse titer des 
moralités , ni rien de si sérieux qu oit 
lie puisse tourner en burlesque. Telle 
eft la liaison que les idées ont les unes 
avec les autres : le moindre raport ré-* 
veille une idée de moralité dans un* 
home dont le goût eft tourné du eoré . 
de la morale ; & au contraire celui 
dont l'imagination aime le burles- 
que, trouve du burlesque par-tout. 

Thomas "Walleis , Jacobin An-^ 
glois, fit imprimer vers la fin du 
XVe. siècle,, à l'usage des prédica- 
teurs une explication morale des mè* 
tamorpîiosjss d'Ovide. * Nous avons 
le Virgile travefti de Scaron. Ovide 
n'avoit point pensé à la morale que* 
Walleis lui prête; Se Virgile n'a ja- 
mais eu les idées burlesques que' Sca-* 
ton a trouvées dans son Enéide. Il 
n'en eft pas de même des fables rao-- 

*• Metamorph6sîs Ovidiâna morâliter $ 
MagiftroThoma Walleis Anglico, deprofes- 
si6ne prœdicatorum sub S. Dominico, expia- 
nâta. Ce livre raie fut traduit en 1484. V. le 
P. Echard, T. 1, p^ 508. & M. Maittaii**, 
Annales Typographyqqes>T. 1. p, 176*. 



du Sens Spirituel, jrç 
raies; leurs auteurs mêmes nous en> 
découvrent les moralités 5 elles sont 
tirées du texte come une conséquence 
eft tirée de son principe,* 

2. Sens Allégorique* 

le sens allégorique se tire d'un dis-; 
Cours , qui , à le prendre dans soi* 
sens propre , signifie toute autre cho-* 
se : c'eft une histoire qui eft l'image 
. d'une autre histoire , ou de quelqu'au- 
tre pensée* Nous avons déjà parlé de 
Pallégorie. 

L'esprit humain- a bien de ta peine 
à demeurer indéterminé sur les cau- 
ses dont il voit, ou dont il ressent les* 
éfets : ainsi lorsqu'il ne conoît pas les- 
causes , il en imagine , !& le voilà sa- 
tisfait. Les Païens imaginèrent d'à-' 
bord des causes frivoles de la plupart 
des éfets naturels : l'amour fut Téfet 
d'une divinité particulière : Promet 
thée vola le feu du ciel : Cérès in- 
venta le blé : Bacchus le vin, Sec* 
Les recherches exactes sont trop pé*- 
nibles, & ne sont pas à la portée dr 
tout le monde. Quoi qu'il eu soit , te 
vulgaire superjluietix > dit le P^San^- 



^04 Division 

* Poësiesdon * fut la dupe des visionaires qitf 
^Hor. T. i. inventèrent toutes ces fables. 

* 4 * Dans la suite , quand les Païens co» 

mencèrent à se polîcer & à faite des 
réflexions sur ces hiftoires fabuleuses» 
il se trouva parmi eux des myftiques 
qui en envelopèrent les absurdités 
sous le voile des allégories & des se*is 
figurés, auxquels les premiers auteurs 
de ces fables n'avoient jamais pensé. 

Il y a des pièces allégoriques en 
prose Se en vers : les auteurs de ces 
ouvrages .ont prétendu qu'on leur 
donât un sens allégorique ; mais dans 
les hiftoires* & dans les. autres ou- 
vrages dans lesquels il ne paroît pas 
que l'auteur ait songé à l'allégorie > 
il eft inutile d'y en chercher. Il faut ' 

3ue les hiftoires dont^on tire ensuite 
es allégories 3 aient été composées 
dans la vue de l'allégorie j autrement 
les explications allégoriques qu'on 
leur done, ne prouvent rien, & ne 
sont que des aplkations arbitraires 
dont il eft libre à chacun de s'amu- 
ser corne il lui plaît, pourvu qu'on 
n'en rire pas des conséquences dan- 
gereuses. 



au Sens spirituel. 50c 
Quelques auteurs * ont trouvé une * îndicuïus 
ïmage des révolutions arivées à la hifttfrico- 
langue latine, dans la ftatue ** que tlT^Ù 

«._ Vil- *«t eus, inrabri 

JN abuchodonosor vu en . songe ; ils Thesauro. 
trouvent dans ce songe une allégorie ** Daniel a. 
de ce qui devoit ariver à la langue v * * u 
latine. ^ 

*tette ftatue étoit extraordinaire- " 1 

ment grande ; la langue latine n'étoit- 
elle pas répandue presque par-tout., 

La tête de cette ftatue étoit d'or, 
c'eft le siècle d'or, de la langue lati- 
ne y c'eft le tems de Térence, de. 
César , de Cicéron , de Virgile ; en 
un rpot , c'eft le siècle d'Atigufte. 

La poitrine & les bras de la ftatue 
étoient d'argent, c'eft lç siècle d'ar- 
gent de la langue latine ; c'est depuis 
Ta mort d'Auguste jusqu'à la mort de 
l'Empereur Trajan , c'est-à-dire, jus- 
qu'environ cent ans après Augufte, 

Le ventre et les cuisses de la fta- 
tue étoient d'airain ; c'est le siècle 
d'aîrainude la langue latine , qui com- 
prend depuis la mort de Trajan , jusr 
qu'à la priSe de Rome par les Goths > 
en 410. 

Les jambes de la ftatue étoient de 



3ô6 Division 

fer , & les pies partie de fer & partie 
de terre } c eft le siècle de fer de la 
langue latine , ^pendant lequel les di- 
férentes incursions, des barbares plon- 
gèrent les homes dans une extrême 
ignorance ; à peine la langue latine 
se cbnserva-t-elle dans le langage de 
TEglise- 

Ënfin une pierre abattit la ftatue j 
c*eft la langue latine qui cessa d'ê- 
tre, une langue vivante. 

C'eft ainsi qu'on raporte tout au* 
idées dont on eft préocupé. 

Les sens allégoriques ont été au- 
trefois fort à la mode , & ils le sont 
* ^encore en Orient ; on en trouvoic 

par -tout jusques dans les nombres. 
' ■ - Métrodore de Lampsaque , au raport 
Huet.Orige- c j e Taûen , avoit tourné Homère tout 

nianor. 1. a. • ,, , ^ • 

quseft. 13. p. en ^ier en allégories. On aime mieux 
171. aujourd'hui la réalité du sens litéraL 

r T f aî ] é , d . u Les explications mvftiques de l'Ecri- 
dufenfmys- rure oamte , qui ne sont point n- 
tique, félon xées par les Apôtres , ni établies ciaire- 
ia doftrine ment par j a révélation. , sont sujètes 

des Pères. A \ j Si • * r 

Paris, chez a . des illusions qui mènent au r^na- 

Jacques Vin- tisme, 
. ««fit* \ 



pu Sens Spirituel; 307 

3 . Sens Anagogique. 

Le sens anagogique n'eft guère en 
usage que lorsqu'il s'agit des diférens 
sçns de l'Ecriture Sainte. Ce mot ana- 
gogique vient du grec àuûcywyvj , qui 
veut dire élévation : àvà , dans la com- 
position des mots, signifie souvent, 
au-dessus j en haut ^ ayocyv\ veut dire 
conduite ; de «y« , je conduis : àihsi 
Je sens anagogique de l'Ecriture. Sainte 
eft un sens myftique, qui élève I'es- 

{>rit aux objets céleftes & divins de 
a vie éternèle dont les Saints jouis- 
sent dans le ciel. 

Le sens l'itérai eft le fondement 
des autres sens de l'Ecriture Sainte» 
Si les explications qu'on en done 
ont raport aux mcsurs , c'eft le sens 
moral. 

_Si les explications des passages de 
l'ancien Teftament regardent l'Eglise 
& les myftères de notre Religion par 
analogie ou ressemblance ,- c'est le 
sens allégorique; ainsi le sacrifice de 
l'agneau pascal , le serpent d'airain 
élevé dans le désert, étoient autant 
de figures du sacrifice de la croix* 



'jo'8 Division, &o« 

Enfin , lorsque ces explications re- 
* gardent l'Eglise triomphante & la vie 
ces bienheureux dans le ciel, c'eft 
le sens anagogique ; c'est ainsi que le 
sabat des Juifs eft regardé corne ri- 
mage du repos éternel des bienheiir 
reux. Ces diférens se t ns, qui ne sont 
point le senslitéral , ni le sens moral 5 
s'apèlent aussi en général sens tropo- 
logique , c'eft-à-dire , sens figuré. Mais 
corne je lai déji , remarqué , il faut 
suivre dans le sens allégorique Se dans 
le sens anagogique ce que la révéla- 
tion nous -en' aprend , & ^'apliquet 
sur-tout à l'intelligence du sens litérai , 
qui eft la règle infaillible de ce que 
nous devons croire & pratiquer pour 

être sauvés. 

\ 

" ' ' ■ * 

X. 

Du Sens adapté, 

oh que Von done par allusion* 

V^Iuelquefois on se sert des paro- 
les dé l'Ecriture Sainte ou de quelque 
auteur profane , pour en faire uns 



Du Sens' adapté, joj 

aplication particulière qui .convient au 
sujet dont on veut parler , mais qui 
n'eft pas le sens naturel & litéral de 
l'auteur dont on les emprunte, c*eft ce 
qu'on apèle sensus accommodatitius 3 
sens adapté. 

Dans les panégyriques des Saints 
& dans les Oraisons funèbres , le texte 
du discours eft pris ordinairement dans 
le sens dont nous parlons. M. Fléchier 
dans son oraison funèbre de M. de Tu- 
rène, aplique à son héros ce qui eft dit 
dans l'Ecriture à Pocasion de Judas Ma- 
chabée qui fur tué dans unp bataille. 

Le P. le Jeune de l'Oratoire, fa- 
meux missionaire, s'apeloit Jean} il 
étoit devenu aveugle : il fut nomé pour 
prêcher le .carême à Marseille aux 
Àcoules ; voici le texte de son premier 
sermon : Fuit homo missus à Deo j cui 
nomen erat Joannes ; non erat Me lux 3 N 
N $ed ut taftimônium perhibéret de lumïne* 
On voit qu'il fesoit allusion à son nom 
ôc à son aveuglement. 

Remarques sur quelques passages adaptes 
à contre-sens.* 

Jl y a quelques passages des 'auteurs 



3io Du Sens adapté, 

profanes qui sont corne passés en pro- 
verbes jSc auxquels on done corau- 
nément un sens détourné qui n'eft pas 
précisément le même sens que celui 
qu'ils ont dans l'auteur d'où ils sont 
tirés : en voici des exemples* : 

i . Quand on veut animer un jeune 

home à faire parade de ce qu'il sait, 

ou blâmer un savant de ce qu'il se 

tient dans l'obscurité , on lui dit ce 

^ . _ , vers fc Perse : 

*• *7* Scire tuumnihil eft, nisi te scire hoc scîat 

alter ? 

Toute votre science n'eft rien , si les 
autres ne savent pas combien vous 
êtes sâvanf. la pensée de Perse eft 
pourtant de blâmer ceux qui n'étu- 
dient que pour faire ensuite parade 
de.ee qu'ils savent. O tems ! ô mœurs! 
s'écri-t-il, ejt-ce donc pour la gloife 
que vous pâlisse^ sur Us livres ! Quoi 
donc ? croyez-vous que la sciencenejl 
rien y à moins que les autres ne sa~ 
chent que vous êtes savant ? 

Perf. Sat, I. En pallor, senîiimque : O mores! usque 
*• *7* ade6ne 

Scire tuum nihil eft, nisi te sçîre hoc sçUf 
alter f 



Du Sens adapté. 311 
II y a une interrogation & une sur- 
prise dans le texte, & Von cite le 
vers dans un sens absolu. 

1. On dit d'un home qui parle 
avec emphase , d'un ftyle empoulé 
& recherché , que 

Projicit ampullas & sesquîpedâlia vçrba : ? or - Art 

il jète , il fait sortir de sa bouche des 

paroles enflées & des mots d'un pié 

& demi. Cependant ce vers a un sens 

tout contraire dans Horace. » La. tra- 

» gédie , dit ce Poëte , ne s'exprime 

» pas toujours d'un ftyle pompeux & 

» élevé : Télèphe & Pelée , tous deux 

» pauvres , tous deux chassés de leurs 

» pays, ne doivent point recourir à 

» des termes enflés, ni se servir de 

» grands mots : il faut qu'ils fassent 

» parler leur douleur d'un ftyle sim- 

» pie & naturel, s'ils veulent non$ v 

» toucher, Se que nous nous intéres^ 

» sions à leur mauvaise foçtunej » 

ainsi projicit, dans Horace, veut dirç 

il rejeté. 

Et trâjicus plerûmque dolet sermone pedéstri Hor. Ai 
félephus & Peleus, cum pauper & exulPoëuv.97* 
utérque 



3Ti Du Sens adapté. 

Projicit ampullas & sesquîpedâlia yerba ; 
Si curât cor speâantis tetigisse querélà. 

M. Boileau nous done le même pré- 
cepte : 

Art Poeu Q ae «levant Troie en flame, Hécube désolée 
*fc»t 5» Ne viène pas pousser une plainte empoulée. 

Cette rerharque, qui se trouve dans 
* la plupart des Commentateurs d'Ho- 
race , ne devoir point échaper aux 
auteurs des Di&ionriaires sur le mot 
projiccre. 

3. souvent pour excuser les fau- 
tes d'un habile homme , on cite ce mot- 
d'Horace : 

Hor. Art..,,. Quandoque bonus dormitat Homérus ; 
Poët.v.359. 

Corne si Horace avoit voulu dire que 
le bon Homère sendort quelquefois. 
Mais quandôque eft la pqur quando- 
cunque , toutes les fois q-^ej & bonus 
eft pris en bonne part. Je suis fâché 
. » ait Horace , toutes les fois que je 
» m'aperçois qu'Homère, cet èxcè- 
» lent Poëte, s'endort, se néglige, 
v ne se soutient pas. 

Indignoj 






Du Sens AbÂ'fri. $1$ 

încfignor quandôque bonus dormitat Hbnîé- 



TU6. 



M. Danét is'éft trôrilpé dans 'l'expia 
cation qu'il doue de ce passage clans 
son Di&ionaire latin-françois sût et 
mot quandbque. 

4. Enfin pour S'excuse* quand oh 
-eft tombé dans quelque faute , on cîte 
ce veïs de Térence <: 

Bomo sum f 4iumani nihil à me alienuitt ; He*tft. séi 
,puto> pc.t.v.*j* 

Corne si Térence avôit voulu dire^ 
je suis home j je ne suis point exempt 
des foiblesses de V humanité à ce h'eft pas 
là le sens de Térence. Chrêmes tou- 
ché de Tafli&ion où il voit Ménédè- 
. me son voisin , vient lui demander 
quelle peut être la cause de sùn cha- 
grin & des peines qu'il se done « Mé- 
nédème lui dit brusquement, qu'il faut 
qu'il ait bien du loisir pour vefiïr se 
mêler des âfarres d autrui* -a te suis 
» home 3 répond tfanquilemeftt Chré- 
» mes j tien de tout ce qui itegàtde les 
» autres homes n'eft étranger pouf 
» moi , Je m'intéresse à tout ce qui 
?> regarde mon prochain. 

Ô . 



Ji4 Du Sens adapté 

» On doit s'étoner, dit Madame 
»> Dacier, que ce vers ait été si mal 
*< entendu , après ce que Cicéron- en 
» a dit dans le premier livre des Ofi- 

«Uter jv Voici les paroles "de Cicéron : EJl 

enim difficilis cura rerum alienârum > 
quanquam Terentiânus Me Chrêmes hu- 
mâni nihil a fe aliénum putat. J'ajou- 
terai un passage de Sénèque , qui eft 
un com en taire encore plus clair de 
'"" tes paroles de Térence. Sénèque, ce 
Philosophe païen , explique dans une 
de ses lettres , cornent les homes doi- 
vent honorer la majefté des Dieux : il 
dit que ce neji quen croyant en eux y 
en pratiquant de bones œuvres j &• en 
tâchant de les imiter dans leurs perfec~ 
tions j qu'on peut leur rendre un culte 
agréable ; il. parle ensuite de ce que les 
homes se doivent les uns aux autres, 
v Nous devons tous' nous regarder , 
» dit-il , corne étant les membres d'un 
» grand corps; la nature nous a tous ti- 
99 tés de la même source , & par là nous 
» a tous fait parens les uns des au- 
» très; c'eft elle qui a établi Péquité 
*> Ôc h juftjce» Selon Tinfliçutipa de 



DU SEfcS ADAPTA 3^ 

v la nature , on eft plus à plaindre 
» quand on nuit aux autres , que 
*» quand on en reçoit du dothage* La 
j> nature nous a doïié des mains pouf 
*v nous aider les uns les autres j ainsi 
?> ayons toujours dans la bouche & 
» dans le cœur ce vers de Xérence d 
*> je suis home > rien de tout ce qui' 
»» regarde les homes neft étranger pout 
** mai. * 

Il eft vrai en général que les cita* 

* Quomodo sint Dîi coléndi solet prae« 

«îpi Deum colit qui novit Primus 

eftDeorum cultus, Deos crédere, deinde 
réddere iJlis majeftâtem suam , réddere bo» 
nitàtem sine quâ nulla majéftas eft : vis 
Deos propitiâre , bonus efto. Satis iîlos co- 
luit qulsquis imitâtus eft. Ecce altéra quaeftio, 

•quimodo hominibus sit utendûm possim 

bréviter hanc formulain hum a ni officii trâ- 
<lere. .,..,. membra sumus corporis magni , 
natûra nos cognât os édidit cum ex iisaem 
& in idem * gigneret. Haec nobïs amorem 
indidh mutuum & sociâbiles fecit ; il/a 
aequum juftûmque composuit : ex illius 
conftitutiône misérius eft nocére quam lardi ; 
v &. illius império parâtô sunt ad javandutn 
manus. Ifte versus & in pé&ore & in ore 
sit , homo sum , humdni nihil à mi aliénum 
futo. Habeâmus in commune i quod natt 
sumus. Stnec. £p 9 xcv, * officia. 

O i 



3'i6 Du Sens adapte. 

tions & les aplications doivent erré 
juftes autant qu'il eft possible } puis- 
qu'autrement elles ne prouvent rien , 
& ne servent qu'à moiu reirune fausse 
érudition ; mais il y auroit bien xiu 
rigorisme à condâner tout sens adapté. 
Il y a bien de la diférence entre 
raporter un passage corne une auto- 
rité qui prouve , ou simplement corne 
des paroles tonues , auxquelles on do- 
ne un sens nouveau qui convient $u 
sujet dont on veuf pajrler. ; dans le 
premier cas , il faut conserve? lç-sens 
de Fauteur; mais dans le second ca?, 
Us passages ^ auxquels on done an 
sens diférent de celui qu'ils ont dans 
leur auteur, sont regardés corne au- 
tant de parodies , & çQme une sorte 
4e' jeu dont il eft souyen,t permis dç 
faire usage. 



Du Sens auapt é. 317 



SUITED.U SENSADAPTÉ. 

\ 
.D* /a parodie & des Centons. 

I.1 a parodie eft aussi une sorte de, ÀtMnée.i. 
sens adapté. Ce mot eft grec, car 1 ** 1 ** 
lès Grecs ont fait des parodies. 

Parodie * signifie à la lettre un 
chant composé à l'imitation d'un aiv- 
tre ,. & par extension on done le nom ' 
de parodie à un ouvrage en vers, 
dans lequel on détourne , dans un 
sens railleur j des vers qu'un autre a 
faits- dans um vue diférente. On a 
Fa liberté d'ajouter ou de retrancher 
ce qui. eft nécessaire au dessein qu'on 
5e propose j mais on doit conserver 

*YlxçGùàioi , canticam. R. <zrapà 9 ]uxta , 
& ù($v\ , camus , carmen. Cânticum vel çar- 
men ad altérius similitûdinem compôsitum > 
cum altérius poétae versus joc6sè in âliud ar» 
g'iméntum- transferuntur. 

Eft étiam parodia, Herm6geni , cum quis , 
ubi partem alîquam versus protulir, réli- 
quum , à se , id eft , de suo , oratione solûtâ 
eI6quîtur , Robtrtson. Th. ling. graec. v. 

O 3 ; 



ji8 * Suite 
autant de mots qu'il eft nécessaire 
pour rapeler le souvenir de l'original 
dont on emprunte les paroles. L'idée, 
de cet origvial & Implication qu'on 
en fait à un sujet d'un, ordre moins, 
sérieux, forment dans l'imagination un 
contraftef qui la. surprend & c'eft en 
çel^ que consifte la plaisanterie de 
la parodie. Corneille a dit dans le 
fkyle grave, parlant du père de Chi- 
mène : 

* e l • a * Ses rides sur son front ont gravé se* exploits* 

Racine a parodié ce vers dans lès. 

Plaideurs : l'Intimé parlant de son. 

père qui étoit sergent , dit plaise 
ment : 

tes Plaid. H gagnoit en un jour ph» qu'un autre en, 
a& I* *c« $• six mois , 

Ses rides sur son front, gravoient tous ses* 
exploits. 

Dans Corneille , exploits signifie ac- 
tions mémorables y exploits militaires £ 
& dans les Plaideurs *, exploits se. 
prend pour les actes ou procédures. ' 
que font les sergens. On dit que 1e* 
grand Corbeille fiu. ofensé dp cette. 



ùu Sens aôàptê. $19 
plaisanterie du jeune Racine. 

Au refte , l'Académie a observé que SentWns 
les rides marquent les armées : mals % ^li^ y ^ s . 
ne gravent point les exploits* d u ci<u- 

Les vers les plus conus , sont ceux 
qui sont le plus exposés à la parodie. 
On trouve dans les dernières éditions f om# 2 p t 
des oeuvres de Boiïeau, une par0die4n.edit.de 
ingénieuse de qtïelques^scènes du Cid. x 7* 6 - 
On peut voir aussi dans les Poésies de 
Madame des Houlières une parodie Des Hcut. 
d'une scène de la même tragédie. Le £ î 1 t j£ 7a,t 
Théâtre Italien eft riche en parodies. 
Le Poëme du Vice Puni eft rempli 
duplications heureuses de vers de nos 
meilleurs Poètes : ces aplications sont 
autant de parodies. - 

Les Centons sont encore une sorte ^^^^ 
d'ouvrage qui a raport au sens adap variis pannîs 
té; Cento en latin signifie , dans le «onsarcînata 
sens propre , une pièce de drap qui gô™* pU1 * 
doit être cousue à quelqu'autre pièce , 
& plus souvent un manteau ou un 
habit fait de diférentes pièces ra- 
portées r ensuite on a doné ce nom y 
par métaphore , à* un ouvrage com- 
posé de plusieurs vers ou de plu- 
sieurs passages empruntés d'un ou* 

O 4 



5%<l S U I T B 

de plusieurs auteurs, On prend or- 
dinairement la moitié d'un vers, 3c, 
on. le lie pat le sens avec la moitié 
d'un autre vers.. * On peut employer 
un vers tout entier & la moitié du 
suivant , mais on désaptouve. qu'il y 
ait deux vers, de suite d'un, m^me aur 
teur. Voici un exemple de cette sorte 
d'ouvrage, tiré des centons de Proba- 
Falçonia. ** Il s'agit de la défense que 

* Varifc 4e lôcis , sensibifeque divérsis t 
quaedam carfmnis{hu£hirasolidâtur,in unum 
versum ut coeant çsesi duo , aut unus & sc- 
quens cum médio : nam. dups junâim locâse 
ineptum eft , & tras , unâ série , mers nu- 

g*T sensus divérsi Ut cohgruant ; 

adoptiva quae sunt-, ut cognata videântur;. 
aliéna ne interlûceant ; hiûlca ne pateant. 
Ausonius. Paulo. Epift. qua pralêgitur ante 
Edyjl. xiii. 

** Probae Fàlconiae vatis clanteimae à S, 
Hier6nymo comprobât* centones de Fidei 
noftrae myftériis , è Maronis carminibus,&o. 
Parisiis , apud JE°\dmin Gorbinum 1 576. 
f, 17» in-8°. Item, Parisiis, apud. Franciscugi 
Stéphanum. 1543. 

Lis centons de Proha Fqlccnià se trouvent' 
4tiisi dans Bibltothéca Patrttm , Tom. 5: Lug- 
<}uni 1 677. Voici ce qui eft dit de. cette, sa- 
vante 6*. pieuse Dam» dans /'Index Au&6-. 
rjim.Bibl. Patr. Tom. x. Proba Falçon^ 



du Sens adapté, ji* 
Dieu fit à Adam & à Eve de mange* 
du fruit défendu ; Praba Falconia fait 
parler le Seigneur» en ces termes., au 
chapitre xvi. 

XL 2. 712. Vos fâmuli qoae dicam ânimf 

advértite veftris : 
a. ai. Eft in conspeôu * ramis fe* Gé *• *** 

licîbus arbcrr. 
7. 691. Quam neque fas igni cuîcraanr 

nec ftérnere ferro, • 
7.608. Rêlligi6ne sacra* nunquam -*• 3^ 7 00 * 

concessa movid. 
M. 591. Hâc quîciuiupie' sacrcw * de- *• 141; 

cérpserit arbore fœtus , ■ 
M. 849. Morte luet mérita, *necme sen- 1.241». 

téfttia vertit ;: 
G. 2. 315. Nec tibi tam prudens quisquam 

persuâdeat auôor *' 

uxor non Adélphi Procohsulis ,.ut scribit Isi- 
dorus , sed Anicii Probi Praeféôi Pra?t6rio ,.. 
p6(leà'C6nsulis, mater jProbfni, Olibrii , 
&. Probi, similiter Consûlum. De qaâ multa 
Hieronymus Epift. 8. &Bar6nuis, Tom. 4* 
& 5. Annâlium. Scripsit Virgjlio-cent6nes 
qui extânt fol. 1218. Floruit non sub Theo- 
dosio jani6re , ut.vult Sixtus Senénsis,,sedl 
suh Gratiâno. 

0-5, 



jii Suite 

S« 461. E c - S- 48. Coramaculâre îpapus. * Lfceafe 
te Voce monéri 
G. 3. %\6.'Vimmat+nuttiH*uhland#suai;. 

sïo v'mcatt 
G. 1. 168, Si te cligna manet dfrjfi! glqria* 
ruris. 

Nous ayons aussi les, centons d'Etiène 
de Pleurre * & de quelque^ autres.. 
ame $< Ed H L'Empereur Valerçtinien , au raport 
tqliu * d'Àusojie ,. s'étoit aussi amusé à cette' 
sprte de jeu : mais il vaut mieux so-. 
cupei: à bien penser , & à bien expri- 
mer ce qu'on pense , qu'à perdre le 
tenps à un travail où l'esprit eft tou-. 
jours dans les, entraves , où la pensée, 
eft subordonée aux mpts i au lieu que, 
ce sont les mots qu'il faut toujours, 
subordoner aux pensées* 

Ce n'étoit pas assez pour quelques 
écrivains, que la contrainte des cen- 
tons : nous avons des, ouvrages ou 
l'auteur s'eft * * interdit successive-. 

* Stéphani Pleurrei jEneis sacra c6ntineo$ 
aôa Domini N.J.C. & prim<Srum Mârtyrum. 
Virgilio-centonibus conscripta. Parisus, apud 
Àdriânum Taupinart , 1618. in»4°. 

** Liber absque litteris , de iCtatibus mun-: 
4'i , & hominis $ aji&Sre Fâbio , Claudio , Gor^ 



du Sens adapté- jrrj: 
ment par chapitres, & selon l'ordre* 
de l'alphabet l'usage d'une lettre ,, 
e'effcr à-dire ^ que dans le premier cha- 
pitre il n'y a point da & dans le se- 
cond point de h* ainsi de suite. TJiii 
autre* a fait un Poëme dont tous les 
mots tomencent par un/% 

Plaudite porcélli ^ porc6rum pigra propage 
-Progréditur , plures porci pinguédine plenfc 
Pugnântes pergunt. Pécudum pars prodigi6sa'- 
Perturbât pede petr6sas plerûmque platéas ^ 
Pars portentosè-populôrum prata profanât.. 

Dans le X e . siècle,. Mubaud Re~ 

diâno , Fulgéntio , Edidh. P. Jacôbus Hom^ 
mey Àugiiftiniânus , PiâaviL Proflat Pari-- 
siis apud Viduara Câroli Coignard $ 1696,, 
Le titre du manuscrit promet ab À usque ia» 
Z. mais l'Imprimeur n'à> mis- au jour que XIV - 
chapitres , c'ejfârdire , jusqu'à l'O inclusive' 
ment ; 6* il déclare que le copifle a égaré lr 
refte. Hue tu que codex, cujus scriptor addit :: 
ii decem de quibus fit méntio . in titulo „- 
nescio ubi sunt. 

*Pugna Porc6rum per P. Porcium. Ce 
Pp'éme efl composé de 248 vers. Je l'ai vu dans 
un recueil qui a pour titré : Nugae Vénales». 
Moeéri atribue ce Poème à Léo Placentius.- 
V. Plaisant , dans l'édition de Morérti 
de. 1718.. 



ybfa Suit e. - 

ligieux Béné4iâ:in de S. Amande 
dédia à l'Empereur. Charles le Chau- 
ve un Poëme composé à l'honeur des 
chauves , dont tous Iqs mots çpmpn-. 
"cept par la lettre c. 

Càrmina, cotisons, calvis jcantâteCamériae. 

* Un autre s'eft mis dans une. corçr 
-traihte encore plus grande , il a fait 
un Poëme de 1^5 6. vers de six pies., 
dont le dernier seul eft un, spondée,, 
tes cinq autres sont autant de da<3y- 
les. Le second pié rime avec le qua- 
trième, & le dernier mot d'un, vers 
rime avec le dernier mot^ du vers qui- 
Ife suit-, à là manière de nos vers frari- 
çois à rimes suivies j en. voici Iç co r . 
mencenjent :, 

Hor a, novissi ma , téinpora $è$simà sunt, vi~~ 
gAémus. 

Ecce vaitiiciter imminet arb/to? ïlltf supr^r*. 

**Bernardî Morlanensfc 9 Moïiachî 6rdinjs : 
Cluniacensis , ad Petrum Cluniacensem Ab- 
fyâtem qui clârutt annç> 1 140. d« Çontemptu 
Mundi, libri très ex vetéribus membrâni> t 
riecens.descripti, Bremae ^ ànno 1 59 j ? 



jd u Se h s a d.a p t é. 32,5 

l^minet , immi/w* ut mala termines, sequa 

corônet; 
Recla remiWm; ânxia- lib^m, aethexa do- 

neti 
Aûferat kspera y - dqraque p6ncW mentis, 

onûfia , 
Sobria mw/z/tf* , iïnproba piiw4f,ûtraqiiejtf/?£,, 
Hle pi&iimitf ; ille Qxvùsimus ecce venit ^«e. 
Surgat homo r*w , inftat homo Qeus, à- pa- 

tre juifa» 

Les Poëmes dont je viens de parlé c L 
sont aujourd'hui au même .rang qaer 
Les acrpftiches & les anagtames.,* X#- 

* Uàcroftiche eft* une sorte d'ouvrage en, 
vers, dont chaque vers, comence par chacune 
des lettres qui forment un certain mot. A là 
tête dé chaque congédie de Plaute , il y a un 
argument fait en acroftiche : c'eft le nom dfe 
, la pièce qui eft lé motTcle l'àcroftiche ; par- 
exemple :* Aniphitruô : le premier vers de 
l'argument comence par un A\ le second par; 
une M 9 ainsi de suite. Ces argumens sont an- 
ciens, 6V Madame Daciet dans ses remar- 
ques sur celui de l'Amphitryon, fait entendre 
Îue Plaute en eft l'auteur, 
îicéroiv nous, aprend qu'Enmus avoit fait 
dç* acrostiches ; a%poçi%tç dtcitur, chm dein- 
ceps ex primis vèfsuum litieris dit qui d connètà- 
tur % ut în quibusdam Enniàhis. Cic % de. DK 
yjnatione 1. 2. n. m , aliter uv, 
§, Auguftin de Çiv. Dei, l,xvn. c« ify. 



ji6 Suite 

goût de toutes ces sortes d ouvrages^ 
neufieusemeht, eft passé. Il y a eu uq* 
tems où les ouvrages d'esprit tiroient 
leur principal mérite de la peine qu'it 
y avoit à les produire y Se souvent la? 
montagne étoit récompensée de n'en- 
fanter qu'une souris , pourvu quelle 
Molière, e * t ^ lone-tems en travail. Aujous- 
^ a ^ d nui le tems oc la» dinculté ne font rien 

à l'afàire ; on aime ce qui eft vrai , ce 
qui inftruit , ce qui éclaire , ce qui 
intéresse , ce qui a un objet ntisona- 
ble j & 1 on ne regarde plus les mots, 

parle dîun acroffiche de là Sibyle Erythrée,* 
dont les lettres initiales formoient ce sens-,, 
IfyTÏV Xpiffèç ôfï Tibç Swnfc. 

Au reftë , aeroftiche vient de deux mots, 
grecs ci'éCpoç , sunamus qui efi à une des ex- 
trémités ; & çi%?ç versus, ordo. àxpcçixiç: 
fj & &xç6çt%ov to ; initium versus. 

À l'égard de Yanagrame , ce mot eft encore* 
grec ;tl eft composé de là préposition âvàquï 
dans la composition des mots» répond souvent 
à retrà, ri; & de rpappot, lettre. L'ànagrame 
se fait lorsqu'on déplaçant les lettres d\m<- 
mot , on en forme un autre mot , qui a. 
une signification diférente ; par exemple,, 
dé Ztoraine , on a fait Alérion. 

Il ne paroît pas que les anagrames aîentt 
jamais été en usage parmi les Latin*. 



du Sens adapté. 317^ 
que corne des. signes auxquels on ne 
- s'arête que pour aler droit à ce qu'ils, 
signifient. La vie eft si courte , & il 
y a tant à aprendre à tout âge ., que si 
l'on a le bonheuç de surmonter lae. 
paresse & l'indolence naturèle. de Tes** 
prit, on ne doit pas le mettre à la to&- 
uure sur des *iens , ni L'apliquer en 
,£ure perte* 

' 'XI...', 

Sens Abstrait, S e n & 
Concret. ^~ 

V> H mot abftrait vient du latin #&#-> 
trâclus , participe à'abjlrâhere , qui veut 
dire , tirer A amcher ± séparer de* 

Tout corps eft retiennent étendu 
en longueur, largeur & profondeur >: 
mais souvent on pense à la longueur, 
sans faire atention à là largeur ni à 
lia profondeur, c'eft ce qu'on apèle. 
faire abftraftion de la largeur & de 
la profondeur j c'eft considérer la. 
longueur dans un sens abftrait : c'eft: 
^insi qu'en géométrie on considère le. 



yi8 Sens Abstrait, 
point , la ligne , le cercle , sans- 
avoir é^ard ni à un tel point, ni à 
une telle ligne, ni. a un. tel cerclé 
physique*, 

Ainsi en général le sens abffrait eft 

celui par lequel on s'ocupe d'une 

idée ,. sans faire atention aux autres 

, idées qui. ont un raport naturel &. 

nécessaire avec cette idée. 

i .... On peur considérer le corps en 
général sans penser à. la figure ni à 
coures les autres? propriétés particu- 
lières du corps physique : c'eft consi* 
dërer le. corps dans- un sens abftrait,; 
c'eft considérer laxhosesans le mode,, 
corne parlent les Philosophes ,. rts*- 
absque modo*. 

1. On peut au contraire considé- 
rer les propriétés des objets sans faire 
atention à aucun sujet particulier au- 
quel elles soient atachées x modus abs- 
que ri. C'eft ainsi qu'on parle de là. 
blancheur , du mouvement , du re- 
pos , sans faire aucune atention par* 
ticulière à quelque objet blanc,. ni à 
quelque corps qui 'soie -en mouvement.. 
qu en repos. 

L'idée dont on. s'ôcupe /par absr- 



Sens Concret. 3*1^ 
tsa&ion , eft tirée , pour ainsi dire >, 
des autres idéjes qui ont raport à 
celle-là , elle en eft corne séparée ,, 
& c'eft pour, cela, qu'on l'apèle idée 
abftraite* 

L'abftra&ion eft donc une sorte de 
, séparation qui se fait, par la pensée. 
Souvent on considère ua tout par 
parties ^ c'eft une espèce d'abftraç- 
tâon , c'eft ainsi qu'en anatomie on 
fait des démonftrations particulières 
de la tête >. ensuite; de la poitrine ^ 
&c. mais c'eft plutôt diviser qu'abs- 
traire : on apèle plus particulièrement 
faire- akfiraQioriy lorsque Ton- consi^ 
dère quelque propriété dçs objets sans 
faire atention ni à l'objet , ni aux 
autres propriétés , ou lorsque l'on con-. 
$idère l'objet s^ns le$ propriétés, 

/ Le sens concret , au , contraire. ,', 
c'eft lorsque Ton considère lé sujet 
uni au mode , ou le mode uni au su- 
jet y c'eft lorsque l'on regarde un 
sujet, tel qu'il eft, & que l'on pensée 
que v ,cç suj^t & sa qualité ne font 
ensemble qu'une même chos.e y & for- 
ment un être particulier y par exemple.: 
de gagiej; blanc y> cette taklç. quarree^ 



330 Sens abstrait, 
cette boîte ronde ; blanc j quarree s 
ronde > sont dits alors dans un. sens 
concret» 

Ce mat* concret vient du latin con~ 
crétus , participe de concréscere j croî- 
tre ensemble, s'épaissir, se coaguler r 
être composé de j en éfer , dans te 
sens concret , les adje&ifs ne forment 
qu'un tout avec leurs sujets , on ne 
les sépare point l'un de l'antre par la 
pensée* 

Le concret renferme donc toujours 
deux idées, celle du sujet ^Ôc celle 
de la propriété» 

Tous les subftantifs qui sont priar 
adjectivement , sont alors des termes 
concrets , ainsi quand on dit Petrus 
tfi komcy; homo eft alors un terme 
concret > Petrus ^ eft kabens humanitci- 
tem- 

Observer qu'il y a de lé diférence 
entre faire abftraéfcion & se servir 
d'un terme abftrait. On peut se servir 
de mots qui expriment des objets 
réels , & faire abftra&ion , corne 
quand on examine quelque partie 
d'un tout , sans avoir égard aux* atf- 
toe& parties : on peut au contraire se; 



Sens Concret, 3 jt 
servir de termes 1 abftraits, sans faire 
abftra&ion y corne quand on dit que 
la fortune eft aveugle* 

Des termes ahjlraitx. 

Dans le langage ordinaire , abs<- 
trait se prend pour subtil y méta-physlr- 
que : ces idées sont abfiraites , c'tft-à- 
dire, qu'elles demandent d.ë la mé- 
ditation, qu'elles ne sont pas aisées. 
à comprendre, qu'elles ne tombent 
point sous le sens. 

On dit aussi d'un homç , qu'il eft. 
ebjlraity quand il ne s'ocupe que de 
ce quil a dans l'esprit , sans se prêter. 
à ce qu'on lui dit* Mais ce que j°ëiw 
tens ici par termes abfiraits\ ce sont 
les mots qui ne marquent aucun ob- 
jet qui exifte hors de notre imagina- 
tion. 

Que les homes pensent au soleil ^ 
ou qu'ils n'y pensent points le soleil 
exifte , ainsi le mot de soleil n'eft: 
point un terme abftrait. 

Mais beauté "j laideur* &c. sont des, 

. fermes abftraits. II y a des. objets qui. 

sous plaisent. & que nous trouvons. 



3J4 Sens AbstkjOt^ 
<lée générale, nous nous servons dtt 
terme de mouvement. Ce que je veux 
dire s'entendra mieux par cet exem- 
ple. 

Les noms que Ton done aux tro- 
pes ou figures dont nous avons parlé , 
ne représentent point des êtres réels ; 
il n'y a point d'être., point de subs- 
tance , qui soit une métaphore , ni 
une métonymie; ce sont les diféten- 
tes expressions métaphoriques , & 
les autres façons de parler figurées 
qui ont doné lieu aux maîtres de 
l'art d'inventer le terme de meta- 
phare + & les. autres noms des figures : 
par là ils réduisent à une espèce, a 
une classe particulière les expressions 
qui ont un tour pareil selon lequel 
elles se ressemblent , & c'eft sous ce 
raport de ressemblance qu'elles sont 
comprises dans chaque sorte particu- 
lière de figure , c'eft- à -dire , dans la 
même manière d'exprimer les pen- 
sées : toutes les expressions métapho- 
riques sont comprises sous la méta- 
phore , eller s'y raportent ; l'idée de 
métaphore eft donc une idée abftraite 
qui ne représente, aucune expression 



Sens Concret. 335 

métaphorique en particulier , mais 
seulement cette sorte d'idée générale 
<]ue les, homes se sont faite pour ré- 
duire a une classe à, part les expres- 
sions figurées d'une même espèce , 
ce qui met. de Tordre & de la né- 
teté dans nos pensées , & abrège nos 
discours. 

Il en eft de même de tous les au- 
tres noms d'arts & de sciences : la 
physique, par exemple, n'existe point, 
c # eft-à-dire, qu'il n y a point un être 

f particulier qui soit la physique : mais 
es homes ont fait, un grand nombre 
de réflexions sur les direrenres opéra- 
tions de la nature j & ensuite ils ont 
doné le nom de science physique au 
recueil ou assemblage de ces réflexions, 
ou plutôt à l'idée abftraite à laquelle 
ils raportent toutes les observations 
qui regardent les êtres naturels. 

Il en eft de même de douceur s 
amertume z être 3 néant y vie , mort ^ N 
mouvement y repos , &c. Chacune de 
ces idées-générales , quoiqu'on en dise , • 
eft aussi positive que l'autre, puisqu'elle . 
peut être également le sujet dupe pro-, 
position. 



336 SïNS ABSTRAIT, 

•Corne les diférens objets blaïïèS 
'ont doné lieu à notre esprit de se for- 
mer l'idée de blancheur * idée abs*- 
traite , qui ne marque qu'une sorte 
d'-afe&ion de l'esprit} de même les 
divers objets ., qui nous afeéfcent en 
tant de manières diférentes , nous 
6nt doné lieu de nous former l'idée 
d-cnrt-j de sabftanct; àUxiflenee ; sus> 
tout^, lorsque nous ne considérons 
Içs objets que corne exiftans, safts 
avoir égard à leurs autres propriétés 
particulières •: c'eft le point dans le- 
quel les êtres particuliers se Tessem* 
blent le plus. 

Les objets réels ne -sont pas toa* 
jours dans la même situation , ils 
changent de place, ils disparoissent, 
& nous sentons xéèlement ce chan- 
gement & cette absence : alors il se 
λasse en nous une afcéfcion réèle , par 
aquelle nous sentons que nous ne 
Tecevons^aucune :împressron d'un ob- 
jet dont la présence excitoit en nous 
deux éfets sensibles > de- là Pidée d'ab- 
sence j de privation j de néant*: de sorte 
que quoique le néant ne soit rien en 
lui-même*, cependant ce mot marque 

une 



Seks Concret. 337 

une afe&itfn réèle de l'esprit , c eft 
une idée abftraite ..que nous aquérons 

far l'usage de la vie , à l'occasion de- 
abserice des objets , & de tant de 
privations qui nous font plaifir ou qui 
nous afligent. 

Dès que nous avons eu quelque 
usage de notre faculté de consentir 
ou de ne pas consentir à ce qu'on 
nous "proposoit , nous avons consen-: 
ti , ou nous n'avons pas consenti , 
nous avons dit oui , ou nous avons 
dit non : ensuite à mesure que nous 
avons réfléchi sur nos propres senti- 
mens intérieurs, & que nous les avons 
réduits à certaines classes , nous avons 
apelé afirmation cette manière unifor- 
me dont notre esprit eft afe&é quand 
il -acquiesce , quand il consent ; 6C 
nous avons apelé négation la manière 
dont notre esprit eft afeéfcé quand il 
cent qu'il refuse de consentir à quel-, 
que jugement. 

Les termes abftraïts, qui sont en 
très -grand nombre , ne marquent 
donc que des afedions de l'entende- 
ment ; ce sont des opérations natu- 
cèles de l'esprit , par lesquelles nous 



338 Sens Abstrait, 

nous formons autant de classes difé- 
rentes des diverses sortes d'impressions 
particulières, dont nous somes afec- : 
tés par l'usage de la vie. Tel eft l'ho- 
me. Les noms de ces classes difëren- 
tes ne désignent point de ce& êtres 
réels qui subsiftent hors de nous : lés 
objets blancs sont des êtres réels y 
mais la blancheur n'eft qu'une idée 
abftraite : les expressions métaphori- 
ques sont tous les jours en usage dans 
le langage des homes , mais la méta- 
phore n'eft que dans l'esprit des Gram- 
mairiens & des Rhéteurs. 

Les idées abftraites que nous aqué- 
rons par l'usage de la vie, sont en 
nous autant d'idées exemplaires qui 
nous servent» ensuite de règle Se de 
modèle pour juger si un objet a ou 
n'a pas telle ou telle propriété , c'eft- 
à-dire , s'il fait ou s'il ne fait pas en 
nous une impression semblable à celte 
que d'autres objets noms ont causée , 
& dont ils nous ont laissé l'idée op 
afeâion habituèle. Nous réduisons 
chaque sorte d'impression que nous 
recevons , à la classe à laquelle il 
nous paroît^u ? elle^se rapporte j nous 



Sens Concret. 339 

raportons toujours les nouvèles im- 
pressions aux anciènes, & si nous ne 
trouvons pas quelles puissent s'y ra- 
porter , nous eh fesons une classe nou- 
vêle ou une classe à pan , & c'eft de 
là que viènent tous les noms appella- 
tifs , qui marquent des genres ou des 
espèces particulières y ce sont autant 
de termes abftraits quand on n'en fait 
pas Implication à quelque individu, 
particulier ; ainsi quand on considère 
en général le cercle , une ville , cercle 
§c ville sont des termes abftraïts ; mais 
s'il s'agit d un tel cercle , ou d'une 
telle ville en particulier , le terme 
n'eft plus abftrait. 

Ce que nous venbns de dire, que 
nous aquérons ces idées exemplaires 
par l'usage de la vie , fait bien voir 
qu'il ne faut poiat élever les jeunes - 
gens dans des solitudes , Se qu'on doit 
ne leur montrer que du bon & du 
beau autant qu'il eft possible. C'eft 
un avantage/'que les enrans des grands 
ont au - dessus des enfans des autres 
homes ; ils voient un plus grand nom- 
bre d'objets , & il y a plus de choix 
dans ce qu'on leur montre; ainsi ils 

P z 



34° Sens Abstrait; 

ont plus d'idées exemplaires j & c'eft 
de cps idées que se forme le goût. Un 
jeune home qui n'auroit vu que~d*ex- 
célents tableaux , n admireroit guère 
les médiocres. 

I£n termes d'arithmétique , quand 
on dit trois louis j dix homes, en un 
mot, quand on aplique le nombre à 
quelque sujet particulier , ce nombre 
eft apelé concret , au lieu que si Ton 
dit deux & deux font quatre 9 ce sont 
là des nombres abftrairs-, qui ne sont 
unis à aucun sujet particulier. On 
considère alors par abftra&ion le 
nombre en lui-même, ou plutôt l'i- 
dée de nombre que nous avons àquise - 
par l'usage de la vie. 

Tous les objets qui nous environ- 
nent & dont nous recevons des im- 
pressions j sont autant d'êtres parti- 
culiers que les Philosophes apèlent 
des individus. Parmi cette multitude 
inombrable d'individus , Us uns sont 
semblables aux autres eij certains 
points : de~là les idées abftraites de 
genre & d'espèce. 

Remarquez qu'un individu eft un< 
être réel que vous ne sauriez diviser 



Sens Concret.. # 341 
en un autre lui-même.: Platon ne peut 
être que Platon. Un diamant de mille 
éciis peut être divisé en plusieurs au- 
tres diamans , mais il ne sera plus le 
diamant de mille écus : cette table , 
si vous la divisez , ne sera plus cette 
table j de-là l'idée d'unité , ceft-à- 
dire , l'afedion de l'esprit qui con- 
çoit l'individu dans un sens abftrait. 
Observez encore qu'il n'eft pas 
nécessaire que j^aie vu tous les objets 
blancs pour me former l'idée abftraite 
de blancheur ; un seul objet blanc 
pouroit me faire naître cette idée , 
& dans la suite je n'apèlerois blanc 
que ce qui y seroit conforme , corne 
le peuple n'atribue les propriétés du 
soleil qu a l'aftre qui fait le jour. Ainsi 
il n'eft pas nécessaire que j'aie vu tous 
les cercles 'possibles , pour vérifier si 
dans tout cercle les lignes tirées du 
centre à la circonférence sont égales j 
un objet qui n'a pas cette propriété , 
n'eft point un cercle,, parce qu'd n'eft 
pas conforme 4 l'idée exemplaire que 
j'ai aquise. du cercle, par l'usage de 
la vie , & par les réflexions que cet * 
usage a fait naître dans mon esprit. _ 



34* "S ENS ÀB STRAIT, 

La fortune , le Hasard & la Des- 
tinée, que ion personifie si souvent 
dans le langage ordinaire , ne sont 
<jue des termes abftraits. Cette mul- 
titude d'événements , qui nous ari- 
vent tous les jours, sans que la cause 
particulière qui les produit nous soit 
conue, a afeété notre esprit de ma- 
nière, qu'elle a excité en nous l'idée 
indéterminée d'une cause inconue que 
le vulgaire a apelée Fortune , Ha~ 
rardy ou DeJIinée : ce sont des idées 
d'imitation formées à l'exemple des 
idées que nous avons des causes 
réèles. 

Les impressions que nous recevons 
des objets , & les réflexions que nous 
fesons sur ces impressions par l'usage 
de la vie & par la méditation 3 sont 
la source de- toutes nos idées j c'eft- 
à-dire , de toutes les afe&ions de no- 
, tre esprit quand il conçoit quelque 
chose, de quelque manière qu'il la 
conçoive : c'eft ainsi que l'idée de 
Dieu nous vient par les créatures qui 
nous anoncent son exiftence & ses 
perfections : * Cœli énarrant glôriam 
Dcu * Jnvisibilia mim ipsius per éa 



, S;E NS CON CRET, 343 
qaœ faàa sunt\inUllé£ta çonspk'wntur ± 
sémpitérna quoqi{e eju$ virtus & divini- 
.taSi Une montre nous dit qu'il y a 
.un ouvrier q#i i.V,taue, l'idée qu'elle 
£ait naître en moi de cet ouvrier , 
•quelque inçiéteçi?iinée qji'çlle soie , 
lî'eft ippint; Tidée d'un être abftrait , 
-elle «ft r X'uàéft d'un être réejLqui.doit 
^yoir.de intelligence $c<4è ^adresse: 
.ainsi l'Univeçs nous apeen^ qu'il y a 
un Créateur qui l'a, gré 4u néant , 
qui le ê^nserve, qu'il doit avoir des 
perfe&ions infinies , & qu'il exige de 
nous de la reconnoissance & des ado- 
rations. 

.- Les abftra&iqhs ,$ç#it une faculté 
particulière de notre. esprit > qui doit 
?nous faire reconoitEe combien nous 
somes élevés au-dessus <les eues pa- 
iement corporels. 

Dans le langage ordinaire , on 
parle des abftradions de l'esprit co- 
rne on parle des réalités ," les termes 
abftraks n'ont même, été inventés 
qu'à Timitaûqn des niots qui expri- 
ment des êtres phisiques. C'eft pçut- 
être ce qui a doné lieu à un grand 

P4 



344 Sens àbstrâ ït; 
nombre d erreurs où les homes sont 
tombés , faute devoir recomi que tes 
mors dont ils se servoîenr en ces oca- 
«ions , n'étoient que les signes des 
afe&ions de leur esprit, en un mot ^ 
de leurs abftratfions, & non l'ex- 
pression d'objets réels ; de-là Tordre 
"idéal confondu avec lofclre physi»- 
♦A^terro^qwe; dt?-W enfin Terreur * de ceux 
opinantium qui croietît savoir cequ'ils ignorent - % 

f * $ ciant lU0 ^ 9 U * P ar J ent <k * eurs imaginations 
Àup in En métaphysiques avec la même assurance 
chuid. ad que les autres homes parlent des objets 

Chax.^cap. Les abftra&ïons sont un pays où il 
5ç*T. vi p. y a encore bien des découvertes è 
*6* Pari * «-faire > & dans lequel on feroit quel- 
ques progrès j si ion ne prenoir pas 
pour lumière ce qui n eft qu'une sé- 
duction délicate de l'imagination , 8c 
si Ton pouvoir se rapeler , sans pré- 
vention , la manière dont nous avons 
aquts nos idées & nos conoissances 
dans les premières années de notre 
vie ; mais cela n'eft pas maintenant 
de mon sujet» 



SensConcret. 34Ç 

Réflexions sur les abjlraclions j par ra~ 
porc à la manière d'enseigner* 

"Corne cefk aux Maîtres que j'a- 
dresse cet ouvrage, je crois pouvoir 
ajouter ici quelques réflexions par , 
raport à la manière d'enseigner. Le 
grancTart de^la Didadique , * c'eft de 
savoir profiter des conoissances qui 
sont déjà dans Tesprit de ceux qu'on 
veut inftruire , pour les mener à cel- 
les qu'ils n'ont point - y c'eft ce qu'on 
apèle aler du conu à l'inconu. Tout 
le monde convient du principe y mais 
dans la pratique on s\en écarts, ou 
faute détention 3 ou parce qu'on su- 
pose dans les jeunes gens des conois- 
sances qu'ils n'o v nt point encore aqui«^ 
ses. Un Métaphysicien qui a médité 
sur l'infini , sur l'être en général , &c. 
persuadé que ce sont là autant d'idées x 
innées , parce qu'elles sont faciles à 
aqtiérir, & qu'elles lui sont familier 
res , ne doute point que ces conois* 
sances" ne soient aussi familières ay 

*La Dida&ique, c'eft l'art d'enseigner 

AtScuclixîç , aptu$ ad docèndum. Aidàcxrt. 
doceo. 



34<S Sens Abstrait; 
jeune home qu'il inftruit, qu'elles le 
sont à lui-même} sur ce fondement, 
il parle toujours j on ne l'entend 
point, il s'en étone; il élève la voix, 
il s'épuise , & on l'entend encore 
moins. Que ne se rapèle-t-il les pre- 
mières années de son enfance ? A voit- 
il à cet âge des conoissancès aux- 
quelles il n'a pensé que dans la suites 
par le secours des réflexions , & après 
que son cerveau a eu aquis un cer- 
tain degré de - consiftance ? En un 
mot, conoissoit-il alors ce qu'il ne 
conoissoit pas encore, & ce qui lui 
a paru nouveau dans la suite , quel- 
que facilité qu'il ait eue à le conce- 
voir? 

Nous avons besoin d'impressions 

{>articulières , & pour ainsi dire , pré- 
iminairesj pour nous élever ensuite 
par le secours de l'expérience & des 
réflexions , jusqu'à la sublimité des 
idées abftraites : parmi celles ci, les 
unes sont plus faciles à aquérir que les 
autres , l'usage de la vie nous mène à 
quelques unes presque sans réflexion , 
& quand nous venons ensuite à nous 
apercevoir que nous les avons aqui-r 



Sens Concret. 347 

ses, nous les regardons corne nées 
avec nous. 

Ainsi il me paroît. qu'après qu'on a 
aquis un çrand nombre de conois- 
sances particulières dans quelque art 
ou dans quelque science que ce soit , 
on ne sauroit rien faire de plus utile 
pour soi-même , que de se former des 
principes d'après ces conoissances 
particulières , er de mettre par cette 
voie , de la nèteté, de l'ordre , & de 
l'arangement dans ses pensées* 

M.iis quand il s'agit d'inftruire les 
autres il faut imiter la Nature ; elle 
ne comence point par les principes 
& par les idées abftraites : ce seroit 
cdmencer par Tinconu ; elle ne nous 
jdone point l'idée ^animal avant que 
de nous montrer des oiseaux , des* 
chiens , des chevaux, &c. Il faut des 
principes : oui sans doute; mais jl en 
Faut en tems & lieu. Si par principes 
vous entendez des règles , aes maxi- 
mes , des nptions générales , des idées 
abftraites qui renferment des conois- 
sances particulières , alors Je dis qu'il 
ne faut point comencer par de tels 
principes. 

P 6 



348 Sens abstrait, 

Que si par principes vous entendez 
des notions, comunes, des pratiques 
faciles, des opérations aisées qui ne 
suposent dans votre élève d'autre 
pouvoir ni d'autres conoissarïces que 
celjes que vous savez bien qu'il a déjà; 
alors je conviens qu'il faut des prin- 
cipes , & ces. principes ne sont autre 
chose que les idées particulières qu'il 
faut lui dôner , avant que de passer 
aux règles & aux idées abftraites» 

Les règles n'aprènent qu'à ceux qui 
savent déjà , parce que les règles ne 
sont que des observations sur l'usage : 
ainsi comencez par faire lire les exem- 
ples des figures avant que d'eu doner 
la définition. 

Il n'y a rien de si naturel que la 
Logique & les principes sur lesquels 
elle eft fondée ; cependant les jeunes 
Logicien* se trouvent corne dans un 
monde nouveau dans les premiers 
tems qu'ils étudient la Logique , lors- 
qu'ils ont des maîtres qui comencent 
par leur doner en abrégé le plan gé- 
néral de toute la Philosophie ; qui 
parlent de science , de perception y dV- 
dée.} de jugement j de fin ; de cause ^ 



S ens Concret. 349 

. de catégorie > d'universaux 9 de degrés 
métaphysiques , &c. corne si c'étaient 
14 autant d'êtres réels , & non de pu* 
res abftra&ions 'de l'esprit» Je suis 
persuadé que c*eft se conduire avec 
beaucoup plus de méthode , de co- 
meqcer par mètre, pour ainsi- dire, 
devant les yeux quelques-unes des 

J>ensées particulières , qui ont doné 
ieu de former chacune de ces idées 
abftraites. 

1 J'espère traiter quelque jour cet ar- 
ticle plus en détail , 6c faire voir que 
la méthode analytique eft la vraie mé- 
thode d'enseigner , & que celle qu'on 
apèle synthétique ou de dodrine , qui 
comence par les principes , n'eft bo- 
ue que pour mètre de l'ordre dans 
ce qu'on sait déjà , ou dans quelques 
autres ocasions qui ne sont pas main- 
tenant de mon sujet. > 



•fe&àg* 



}5° Dernière 

XI I. 
Dernière Observation. 

S'il y a des mots Synonymes» 

J^I o v s avons vu qu'un même mot 
peut avoir par figure d'autres signifi- 
cations que celle qu'il a dans le sens 
propre & primitif: voiles peut signi- 
fier vaisseaux. Ne suit-il pas de-là qu'il 
y a des mots synonymes , & que voi- 
les eft'synohyme à vaisseaux ? 

Monsieur L'Abbé Girard a déjà exa- 
miné cette queftion , dans le discours 
préliminaire qu'iL a mis à la tète de 
A Parîs , son Traité de la juftesse de la langue 
cheidH ° u " francoise.it ne ferai guère ici qu'un 

rv t 171». J i . . o . * . . 

extrait de ses raisons , & je prendrai 
même la liberté de me servir souvent 
'de ses termes , me contentant de ti- 
rer mes exemples de la langue latine. 
JLe Leûeur trouvera dans le livre de 
M. l'Abbé Girard de quoi se satisfaire 
pleinement sur ce qui regarde le fran- 
cois 9 



Observation. ' jp 
» On entend comunéroent par sy- 
*> nonymes les mors qui ne diférant 
99 que par l'articulation de la voix , 
•> sont semblables par l'idée qu'ils ex-r 
99 priment. Mais y a-t-il de ces sortes 
» de mots ? Il faut diftingua* : 

» Si vous prenez le terme de syno- Id . V» ** 
99 nyme dans un sens étendu pour une & 2? * 
» simple ressemblance de signification, 
» il y a des termes synonymes, c'eft- 
» à-dire, qu'il y a- des mots qui ex- 
»> priment une même idée principale:»» 
ferre j bajuldre j pondre , tôlière j sufti- 
nére à gérere > gejlâre 3 seront en ce 
sens autant de synonymes. 

Mais si par synonymes, vous en- P« a *» 
tendez des mots qui ont » une res- 
» semblance de signification «i entier 
» & si parfaite , que le sens pris dans 
» toute sa force & dans toutes sqs 
» çircoiïftances soit toujours & abso- 
» lument le même j ensorte qu'un des 
u synonymes ne signifie ni plus ni 
» moins que l'autre j qu'on puisse 
» ks employer indiférament dans tou- 
» tes les ocasions , & qu'il n'y ait 
» pas plus de choix à foire entre eux 
» pour la signification &! pour l'énçr- 



351 . E>.E R'NIERE 
» gie , qu'entre les goûtes d'eau d'une 
» même source pour le goût & pour 
» la qualité : dans ce second sens, 
» il n'y a point de mots synonymes 
i» en aucune langue. » Ainsi ferre , 
bajulure j portàre j tôlière j sujlinére , 
gérere 3 geftâre > auront chacun leur 
deftination particulière : en éfet, 

Ferre , signifie porter , c'eft l'idée 
principale. 

Bajulâre , c'eft porter sur les épau- 
les ou sur le cou. 

Pondre , se di» proprement lors- 

3u'on fiait porter quelque chose sur 
es bêtes de some, sur des charètes 
^ ou par des crocheteurs. Portâri dïci- 
mus ea qwz quis jument o secum ducit. 
Voyez le titre XVI. du cinquantième 
livre du Digefte de yerbôruni signifia 
catione. 
Tite-Lire, Tôlière, c'eft lever en haut; d'où 
*• x *™ ,u vient le subftantif tolMno y onis , çeft 
'•foiiéoo.' une machine à tirer de l'eau d'un 
puits. 

Sujlinére [ c'eft soutenir , porter 
pour empêcher de tomber.. 
Con. Nep. Gérere , c'eft porter sur soi : Gâleam 
I4 ** % gérere in cdfitc* 



OB MER V ATIO N. tf% 

Gejldre Ment de gérera, c'eft faire 
parade de ce qu'on porte. 

"Malgré ces diféreflces , il arive 
souvent que dans la pratique on em- 
ploie ces mots l'un pour l'autre par 
ligure, en • conservant toujours l'idée 
principale , & en ayant égard à l'u- 
sage de la langue : mais ce qui fait 
voir qu'à parler exactement , ces mots 
ne sont pas synoftymes , c'eft qu'il 
n'eft pas toujours permis de mètre 
indiférament l'un pour l'autre* Ainsi 
quoiqu'on dise morem gérere , on ne ^ 
diroit pas morem ferre ou morefn por- 
tare > &c. Les Latins sentoient mieux 

3ue nous ces diférences délicates y 
ans le tems même qu'ils ne pou- 
yoient les exprimer, nikil inter fac- t.îicet.58; 

tum & peflum interefi , licet yidedtur D, S e ^- d * 

j a 1 'v j/r ' - j- verb<Srumsi- 

queedam subtuis dtfferentia j dit un an- gnifkatione. 

cien Jurisconsulte. D'autres ont remar- 
qué que aêiaprôpriè adtogam speclant y 
gejia ad militiam. Varron dit que 
c'eft une erreur de confondre dgere ^ 
facere 8c gérere j de qu'ils ont chacun 
leur deftination particulière. * 

* Propter sîmiHtûdinem agéndi , & facîén- 
dij Stgeréndi, quidam «rror his qui putant 



354 \PÇRNI t E^E , 

Nous avons quelques recueils , des 
anciens Grammairiens , sur la pro- 
priété des mots latins ; tels sont Fes- 
tus de, vtrkôrum sïgnifiçationt ; Nb- 
nius Marcellus de varia signïficatiône 
jermopum. Voy^z Grampiûxici yéteres. 
On peut encore consulter un au- 
tre recueil qui a pour titre : Autans 
lïnguA '-latina. , De plus, nous avons 
un grand npmbre» cTob$ervations ré- 
pandues dans Varron de lingui latinâ y 
dans les Comentaires de Doaat & de 
Servius : elles font voir ks diférences 
qu'il y a entre plusieurs mots que Ton 
' prend cômunément pour synonymes. 
Quelques auteurs modernes ont fait 
des réflexions sur le même sujet , tels 
sont le P. Vavasseur , Jésuite, dans 
ses remarques sur la langue latine , 
Scioppius y Henri Etiène, de latinitâte 

esse unum : poteft enîm quîs âlîquid fâcere 
& non âgere : ût poëta facit fâbulam & non 
agît; contra aftor agit et non facit, & sic 
à poëta fabula fit & non dgitur , ab aâore 
âgitur & non fit : contra Imperâtor qui dici- 
tur rcs gérçre , in eo neque agit , neque fa- 
cit, sed gerït , id eft sûftinet : tranfiâtum 
ab his qui ônera gêrunt quod sûftinent. 
Farr. de ling. lat. 1. v, sub finem. 



Observation. 35c 
falsb suspecta^ Se plusieurs autres. 

• On tire aussi la même conséquence 
de plusieurs passages des meilleurs au- 
teurs j voici deux exemples tirés de 
Cicéron , qui font voir la diférence 
qu'il y a entre amure & diligere* 

Quis erat qui putâretadewn amôrern I c i. cer ' E P # 
quem erga te kabebam j posse aliquid ac- Ep# x * 
cédtrc ? Tantum accessit 3 ut.mihir^unc 
dénique amâre yidear y ânteà dilexisse. 
» Qui Tauroit pu croire , dit Cicé- 
» ron , que l'afe&ion que j'avois pour s 
» vous eût pu recevoir quelque de- 
» gré de plus : cependant elle eft si 
» fort augmentée > que je sens bien 
a> qu'à la vérité vous m'étiez cher au- 
» trefois, mais qu'aujourd'hui je vous 
» aime tendreqient. 

Et au livre ij. Ep-47. Quid ego 
tibi comméhdem eum quem tu ipse dili- 
gis : sed tamen 3 ut scires eum non à me 
diligi solunty verum étiam amdri _, ob 
eam rem tibi heee scribo* » Vous l'ai- 
» mez , mais je l'aime encore davan- ,_ 
• » tage ; s & c'eft pour cela que je vous 
» le recomande. 

Voilà une diférence bien marquée Tu$cul.l.a; 
entre amâre 8c diligere ; Cicéïon ofy-'n. ij. 



30 Derniers 

serve ailleurs qu'il y a de la difé- 
rence entre dolére 6c laboràre 3 lors 
même que ce dernier mot eft pris 
dans le sens du premier i Intereft âli- 
quid inter labôrem & dolôrcm ; sunt 
ftnftima omnino 3 sed tamcn dffdrt âli~ 
quid : labor eft funftio quadam vel 
ânimi vel côrporis j graviôr'ts opéris vel 
munens ;. dolor autcm motus asper in 
. côrpore. . • à liud iaquam eft dolére 3 
âliud laboràre. Cum varices secabdntur 
Cn. Mario s doUbat : cum œftu magno 
ducébat agmen, laborâbau - 

Les savans ont observé de pareil- 
les diférences entre plusieurs autres 
mots y que les jeunes gens & ceux 
qui manquent de goût & de réfle- 
xion regardent corne autant, de sy- 
nonymes. Ce qui fait voir qu'il n'eft 
peut - être pas aussi utile qu on le 
pense de faire le thème en deux fa- 
çons; 
Caraft. des M. de la Bruyère remarque » qu^/j- 
Ouv.dePes- » tre toutes les diférentes expressions qui 
prit. „ peuvent rendre une seule de nos pen- 

>5 sées j il ny en a qu'une qui soit la 
» bone : que tout ce qui ne l'eft point 
» eft foible j & ne satisfait pas un 



Observation. 357 

•> home d'esprit » Ainsi ceux qui se 
sont doné la peine de traduire les au- 
teurs latins en un autre" latin , en afec- 
tanr d'évitsr les termes dont ces auteurs 
se sont servis , auroient pu s'épargner 
un travail qui gâte plus le goût qu'il- 
n'aporte de lumière. L'une & l'autre 
pratique eft une fécondité stérile qui 
empêche de sentir la propriété des 
termes, leur énergie > & la finesse 
de la langue, corne je lai remarqué 
ailleurs. 

Lucus veut dire un bois consacré 
à quelque divinité*} Sylva , un bois 
en général : Virgile ne manque pas 
à cette diftudionj mais le Traduc- 
teur latin eft obligé de s'écarter de 
Texa&itude de son original. 

Ne quis sit lucus quo se plus jaôet Ap6Ilo. Vîrg.Eçfj 

Ainsi pajle Virgile. Voici cornent on 
le traduit T Ut nuila su sylva , quâ 
magis Apôllo gloriétur* 

Nex j ntcis 3 vient de necâre 3 Se 
se dit d'une mort violente ; au lieu 
que mors signifie simplement la mort , 
la cessation de la vie» Virgile dit par» 
laût d'Hercule : 



35$ Dernière 

JEn* $. ▼• Nece Geryonis spoliîsque superbus ; 

1Q2. 

Mais son tradu&eur eft obligé de 
dife morte Geryonis. 

Je pourois raporter un grand nom- 
bre d'exemples pareils : je me con- 
tenterai d'oDserver que plus on fera 
de progrès , plus on reconoîtra cet 
usage propre des termes , &: par con- 
séquent l'inutilité de ces versions qui 
ne sont ni latines ni françoises. Ce 
n'eft que pour inspirer le goût de 
cette propriété des mots, que je fais 
ici cette remarque. 

Voici les principales raisons pour 
lesquelles il n'y a point de synony- 
mes parfaits. 
, i. SU y avoît des synonymes par- 

■ fait», il y auroit deux langues dans 
une même langue. Quand on a trou- 
vé le signe exa& d une idée , on n'en 
cherche pas un autre. Les mots an- , 
tiens, & les mots nouveaux d'une 
langue sont synonymes : maints eft 
synonyme de plusieurs ; mais le pre- 
mier n'eft plus en usage : c'eft la 
grande ressemblance de signification 
qui eft cause que l'usage -n a conservé . 



Observation, 359 

que l'un de ces termes , & qu'il a re- 
jeté l'autre conte inutile. L'usage , ce 
tyran des langues , 7 opère souvent 
des merveilles que l'autorité de tous- 
les souverains ne pouroit jamais y 
opérer. '.-''• 

2. Il eft fort inutile d'avoir plu- 
sieurs mots pour une seule idée- màis> 
il eft très-avantageux d'avoir des mots 
particuliers pour toutes les idées qui 
ont quelque raport entre elles. 

$. On doit juger de la richesse 
d'une langue par le nombre des pen- 
sées qu'elle peut exprimer , & non 
par le nombre des articulations de la 
voix. Une langue sera véritablement 
riche , si elle a des termes pour dis- 
, tinguer , non-seulement les idées prin- 
cipal, mais encore. leurs dife'rences, 
leurs délicatesses , le plus & le moins 
d'énergie 3 d'étendue , de précision ^ 
de simplicité , & de composition. 

4. Il y a des ocasions où il eft in- 
diférent de se servir d'un de ces mots 
qu'on apèle , synonymes , plutôt que 
d'un autre ; mais aussi il y a des oca^ 
sions où il eft beaucoup mieux de 
faire un choix : il y a donc de la 



360 Dernière Observ. 

diférence entre ce* mots ; ils ne sont 
donc pas exa&ement synonymes. 

Lorsqu'il ne s'agit que de faire en- 
tendre l'idée comune , sans y joindre 
ou sans en exclure les idées accessoi« 
res , on peut employer indiftindfce- 
ment l'un ou l'autre de ces mots, 
puisqu'ils sont tous deux propres i 
exprimer ce qu'on veut faire enten- 
dre ; mais cela n'empêche pas que 
chacun d'eux n'ait une force particu- 
lière qui le diftingue de l'autre j & 
à laquelle il faut avoir égard selon le 
plus ou le moins de précision que de- 
mande ce que l'on veut exprimer. 

Ce choix eft un éfet de la finesse 
de l'esprit , & supose une grande co^ 
noissance de la4angiie. 



FIN. 



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