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DES TROPES
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DES DIFÉRENS SENS
Dans lefquels on peut prendre un même
mot dans une même lan^^ue.
Ouvrage utile pour ^Intelligence des
Auteurs , & qui peutjervlr d Introduc-
tion à la Rhétorique Ô à la Logique^
Par Mûnjicur DU Marsais.
NOUVELLE ÉDITION.
A PARIS,
Chez David , Libraire , rue des Mathiirins»
M. D C C, L V I i.
Avec Jpprôbatio'n & Privilège du Rojr.
BIBLIOTKECA
t^
À ' M A D A M E
LA MARQUISE
DE POMPADOUR ,
DAME DU PALAIS DE LA REINEe
A D A M Ë
Lj protecllon éclairée que vous ac-
€ordei aux Lettres , & t accueil favo-
rable dont vous honore^ ceux qui les
cultivent avecjucccs , vous donnent un
droit légitime à leurs hommages: mais
ojerai je le dire ici , Ma DAME^
ces hommages , quoique dus à, lafupé-
riorité de vos lumières & de vos con^
noijpinces , nejontjouvent quun com-
merce de l'intérêt qui veut acheter les
faveurs de la grandeur & de la fortune.
Pour moi^AdADAMEy en publiant
fous vos aufpices le chef-d'œuvre d'un
de nos plus profonds Grammairiens ,yV
ne veux qu apprendre à toute la terre
que je dois beaucoup à votre jujlice (§
à vos bontés. Ma voix ejl trop foible
pour fe faire entendre ; mais cet Ou-
vrage de M, du Ma? fais la portera
dans tous les lieux & dans tous les.
lems. Je le çhoifis comme un marbre
que les ficelés refpe Seront , & fur (^-.
quel reflet ont éternellement gravis des
témoignages publics de ma reconnoifi
Jancc,
Je fuis avec le plus profond refpcçl^
MADAME
Votre très - humble bç
très-obéifTant ferviteur
DAVID.
l'I
AVERTI s SEMENT
. De U première Edition.
JE fuis perfiiadé par des expérien-
ces réitérées ^ que la rnéchode la
plus facile & la plus fiire pour co-
Tnenccr à aprendre le latin , eft de
fe fervir d'abord d'une interprétation
interlînéaire^ oiila conftruction foie
toute faite , & où les mots ious-en-
tendus foient (upléés. J efpère doner
bientôt au public quelques-unes de
ces tradu6bions.
Mais, quand les jeunes gens fonc
•devenus capables de réflexion, oii
doit leur montrer les rè2:les de la
Grammaire , & faire avec eux les ob-
fervations grammaticales qui font né-
ceflaires pour Flntelligence du texte
•qu'on explique. C'eft dans cette vue
que j'ai compofé une Grammaire où
3. ij
il) A VERTl^SEMENT.
j*âi raffemblé ces obfervationSé
Je divife la Grammaire en fept
parties, c^eft-à-dire, que je penfe que
les obfervations que Ton peut faire
fur les mots , en tant que fignes de
nos penfées , peuvent être réduites
fous fept articles , qui font :
I. La conoiffance de la propofi-
tion 6«: de la période ^ en tant qu'elles
font compofées de mots, dont les
terminaifons & raransement leur
font fîgnifier ce qu'on a deffcin qu'ils
lignifient :
H. L'Orthographe.
IIL LaProfodie, c'eft-à-dîre, la
partie de la Grammaire , qui traite
de la prononciation des mots , 6c de
la quantité des fyllabes.
IV. L'Etymologie.
V. Les préliminaires de la Syn-
taxe : j'apèle ainfi la partie qui traite
de la nature des mots & de leurs
propriétés grammaticales , c'eft-à-
AVERTISSEMENT. v
dire , des nonibres , des genres , des
perfones , des terni inaifons ; elle
contient ce qu'on apèle les Rudi-
mens.
Vf. La Syntaxe.
VII. Enfin la conoiflance des dî-.
férens iens dans Icfquels un même
mot efl: employé dans une m.ême lan-
gue. La conoiilance de ces diférens
Iens eft néceflau'ej pour avoir une
véritable intelligence des mots, en
tant que fignes de nos penfées : ainG
j'ai cru qu'un traité farce point apar-
tenoit à la Grammaire j & qu'il ne
faloit pas atendre que les enflins euf-
fent paffé fept ou huit ans dans l'étu-
de du latin, pour leur aprendre ce
que c'efl: que le fens propre &: le fens
figuré^ & ce qu'on entend par Meta-»
phore ou par Métonymie*
On ne peut faire aucune cucftion
fur les mots, qui ne pulfle être réduite
fous quelqu'un de ces fept articles.
3L iij
vj AVERTISSEMENT.
Tel eft le plan que je* me fuis fait,
il y a long-cems , de la Grammaire.
Mais , quoique ces diférentes par.-
ties fcient liées emre elles, de telle,
force qu'en les réunillant toutes en-
femble , elles forment un tout qu'on
apèle Grammaire ; cependant chacune
çn particulier ne fupofe nécejGTaire-
ment que les conoifïances qu'on a
aquifes par Fufage de la vie. Il n'y a
guère que les préliminaires de la fyn-
taxe qui doivent précéder néceffai-
rement la fyntaxe ; les autres parties
peuvent aler afTez indiféramenc Tune,
avant l'autre : ainfi cette partie de
Grammaire que je done aujourd'hui,
ne fupofant point les autres parties ,
& pouvant facilement y être ajou-
tée , doit être regardée come un
traité particulier fur les tropes & fur
les diférens fens dans lefqueîs on peut
piendre un même mot.
Nous ayons des traités particuliers
AVERTISSEMENT. vîj
fur l'orthographe , fur la profodie, ou
quantité , fur la fyncaxe , 6^c : en
voici un fur les tropes.
Je rapèle quelquefois dans ce traité
certains points, en difanc que j'en ai
parlé plus au long ou dans la fyntaxCj,
ou dans quelqu*autre partie de la
Grammaire ; on doit me pardoner
de renvoyer ainfi à des ouvrages qui
ne font point encore imprimés , parce
qu'en ces 'ocalîons je ne dis rien
qu'on ne puiflè bien entendre fans
avoir recours aux endroits que je ra-
pèle, j'ai cru que puifque les autres
parties fuivront celle-ci , il y auroic
plus d'ordre & de liaifon entre elles,
à fupofer pour quelque tems ce que
i'crpère qui artvera.
a IV
•jum
AVERTISSEMENT.
PEu de tcms après que ce Livre,
parue pour la première fois , je
lencontrai par hazard un home riche
qui /ortoit d'une maifon pour entrer
dans fon caroffe. Je viens , me dit-il ,
en paffant d'entendre dire beaucoup
de bien de votre Hifioire des Tropes.
Il crut que les Tropes étoiént un peu-
ple. Cette aventure me fit faire ré-
flexion à ce que bien d'autres perfo-
res m'avoient déjà die , que le titre
de ce Livre n'étoit pas entendu de
tout le monde ; mais après y avoir
bien penfé, j*ai vu qu'on en pouvoit
dire autant d'un grand nombre d'au-
tres ouvrages auxquels les Auteurs
ont confervé le nom propre de Ja
Science ou de l'Art donc ils ont
traité,
p ailleurs, le mot de Tropes neft
AVERTISSEMENT. Ix
pas un terme que j'aie inventé , c'eft
lin moc conu de toutes les pcrfones
qui ont fait le cours ordinaire des
études 5 & les autres qui étudient les.
belles-Lettres franc^oifes trouvent ce
mot dans toutes nos Rhétoriques.'
Il n'y a point de Science ni d'Art
qui ne foit défigné par un nom par-^
çiculier, &; qui n'ait des termes con-
facrés , inconus aux perfones à qui
ces Sciences <^ ces Arts font étran-
ç^ers. Les termes fervent à abréger .
à mettre de l'ordre & de la précilion,
quand une fois ils font expliqués &:
entendus. Seulement Li bienféance ,
& ce qu'on apèle Vapropos , exigent
qu'on ne fafle ufagc de ces termes
qu'avec des pcrfones qui font en état
de les entendre, ou qui veulent s'en
inrtruire , ou enfin quand il s'agit de
la dodrine à laquelle ils apartiènent.
J'ai ajouté dans cette nouvelle édi-
tion ^ l'explication des noms que les
Grammairiens donent aux autres fi-
X AVERTISSEMENT.
gures , tant à celles qu'ils apèlent^/^--
tes de diSlions j diéîiomim figura , qu'à
celles qu'ils noment figures de pen-
fées j figura fententiarum.
Cette addition ne fera pas inutile,
du moins à une forte de perfones, &;
pour le prouver 3 je vais raconter en
peu de mots ce qui y a doné lieu.
J*alai voir il y a quelque-tems un
jeune home qui a bon elprit, 6c qui
a aquis avec l*âge aflez de lumières &:
d'expérience pour fentir qu'il lui fe-
roit utile de revenir fur fes pas , & de
relire les Auteurs clafliques. Les jeu-
nes gens qui comencent leurs études,
& qui en fourniflent la carrière, n'ont
pas encore aflez de confiftance, du
moins comunément , pour être tou-
chés des beautés des Auteurs qu'on
leur fait lire , ni même pour en faifir
le fens. Il feroit à fouhaiter que le
goût des plaifirs & les ocupations de
leur état leur lailTafTent le loifir d'i-
miter le jeune home dont je parle.
AVERTISSEMENT, xj
Je le trouvai fur Horace. 11 avoit
fur fon bureau l'Horace de M. Da-
cier , celui du P. Sanadon , de celui
des Variorum avec les notes de Jean
Bon. Il en étoic à TOde XIII. du
V'^. Livre HorriJa tempeftas. Horace
au croilième vers nmc mare^ nmcJylH^-^
fait ce dernier mot de trois fyilabes
fy-Iu^. M. Dacier ne fait aucune
remarque fur ce vers 5 le P. Sanadon
fe content.e de dire cp' Horace a fait
ici ce mot de trois fyilabes , & que ce rieft
pas la première fois que ce Poète l'a em-
ployé ainp. Jean Bon ajoure qu'Horace
a fait ce mot de trois fyilabes par
Diérèfe , per Di^refin. Mais qu'eft-ce
que faire un met de trois fvUabes par
Diérèfe ? c eft ce que Jean Bon n'ex-
plique pas, me dit ce jeune home.
Y a-t il là quelque myftère ï Ne vous
en dit-il pasaflez, lui répliquai je,
quand il vous dit que le m.ot eft ici
de trois fyilabes. Oui, me répondit-il,
fi le Comentateur en demeuroît-là j
^i} AVERTISSEMENT.^
mais il ajoute que c'eft par Dierèfe^ Sc
voilà ce que je n'entends point. Dans
un autre endroit il dit que c'eft par
^pher'efe ^ ailleurs ^av Eperahèfe ^ Sec,
Je voudrois bien^ ajouta le jeune
home 5 que puifque ces termes font
en ufage chez les Grammairiens, ils
fuflent expliqués dans quelque re-
cueil où je puifle avoir recours au
befoin. Ce fut ce qui me fit venir la
penfée d'ajouter l'explicaçion de ces
termes à celle des Tropes.
Corne les Géomètres ont donc
des noms particuliers aux diférentes
fortes d angles , de triangles & de fi-
gures géométriques , angle obtus,
angle adjacent , angles verticaux ^
triangle ifo/cèle , triangle oxygone ,
triangle fcalène , triangle amblygcne ,
&c. de même les Grammairiens ont
doné des noms particuliers aux divers
changemens qui arivent aux lettres
^ aux fyllabes des mots. Le mot ne
paroic pas. alors, fo^s fa forme oidU.
AVERTISSEMENT, ictij
haire , il prend , pour ainfî dire , une
nouvelle figure à laquelle les Gram-
mairiens donenc un nom particulier.
J'ai cru qu'il ne feroic pas inutile d'ex-
pliquer ici ces diférentes figures , en
faveur des jeunes gens> qui en trou-
vent fouvent les noms dans leurs lec-
tures, fans y trouver l'explication de
ces noms.
On m.e dira peut-être que je m'ar-
rête ici quelquefois à des chofes trop
aifées ^ trop comunes. Mais les jeu-
nes gens, pour qui principalement
ce livre a été fait, ne viènent pas
dans le monde avec la conoiffance
des chofes comunes , ils ont bcfoin
de les aprendre , &c l'on doit les leur
montrer avec foin, fi Ton veut les
faire pafier à la conoilTance de celles
qui (ont plus dificiles & plus élevées^
parce que celles-ci fupofent néceflai-
rement celles-là. C'eft dans le difcer-
nement de la liaifon ^ de la dépen-
dance, de renchainement de de la
x'^v AVERTISSEMENT.
fubordination des conoiflances , que
confifte le talent du maître.
D'autres au contraire trouveront
que ce Traité contient des réflexionâ
qui font au-deffus de la portée des jeu-
nes gens , mais je les fuplie d obferver
que je fupoie toujours que les jeunes
gens ont des maîtres. Mon objet eft
que les mairres trouvent dans cet ou-
vrage les réflexions &: les exemples
dont ils peuvent avoir befoin , fi ce
n*eft pour eux-mêmes, au moins
pour leurs élèves. Oeft enfuite aux
mrâtres à réo;ler Tufao-e de ces réfle-
xions (S: de ces exemples , félon leà
lumières, les talens & la portée de
l'efprit de leurs difciples. C'eft cette
conduite qui écarte les épines , qui
donc le p-oût des lettres; de là l'a-
mour de la ledture, d'où nàit nécef-
fairement l'inftrudtion , & l'initritc-
tien fait le bon citoyen , quand un
intérêt fordide & mal entendit h'y
forme pas d'oppoiition,
ERRATA.
JE ne crois pas qu'il y ait de fautes typographiques dans
cet ouvrage par l'attention des Imprimeurs , ou s'il f
en a elles ne font pas bien confidcrables. Cependant ^
corne il n'y a point encore en France de manière unifor-
me d'orthographier , je ne doute pas que chacun , félon
fcs préjugés , ne trouve ici un grand nombre de fautes.
Mais , 1. mon cher Lcileur , avez-vous jamais médité
fur l'Orthographe : Si vous n'avez point fait de rcfiexions
férieufes fur cette partie de la Grammaire, fi vous n'avez
qu'une orthographe de hazard & d'habitude , permettez-
moi de vous prier de ne point vous aréter a la manière
donc ce livre eft ortliographic , vous vous y acoutumcrez
infenfibiemenr.
i. Etcs-vous partifan de ce qu'on apèle anciène ortho-
graphe ? Prenez donc la peine de mettre des lettres dou-
bles qui ne fe prononcent point , dans tous les mots que
vous trouverez écrits fans ces doubles lettres. Ainfi , quoi-
que félon vos principes il faille avoir égard à l'étymolo-
gic en écrivant , & que tous nos anciens auteurs , tels que
Villehardouin, plus proches des fources que nous, écrivif-
fcnt home , dthomo , perfone de perfon/z, noncut de honoVy
doner de donare , nnrurcle de naturalis , &c. cependanc
ajoutez une m à hcme , &c doublez les autres confones,
malgré l'étymologie Se la prononciation', & donez le nom
de novateurs à ceux qui fuivent l'anciène pratique.
Ils vous diront peut-être que les lettres font des fignes ,
que tout fignc doit fignificr quelque chofe, qu'ainfi une
lettre double qui ne marque ni l'étymologie , ni la pro-
nonciation d'un mot , eft un figne qui ne fignifîe rien ,
n'importe: ajoutez- les toujours, fatisfaites vos yeux , je
ne veux rien qui vous bielle ; & pourvu que vous vous
douiez la peine d'entrer dans le fens de mes paroles, vous
pouvez faire tout ce qu'il vous plaira des fignes qui fer-
vent à l'exprimer.
Vous me direz peut-être que je me fuis écarté de l'u-
fage préfent : mais je vous fuplic d'obferver , i . Que je
E R R A T A.
n'ai aucune manière d'écrire qui ma foit particulière , 3é
qui ne foit autorifée par l'exemple de piuueurs auteurs dé
réputation.
a. Le P. Bufier prétend même que le grand nombre des
Auteurs fuit aujourd'hui la nouvèle orthographe , c'eft-à-
dire qu'on ne fuit plus exaftement l'anciène. Tai trouvé
Iz nouvele orthographe , dit-il , ( Gramm, Franc, pag. 388.)
dans plus des deux tiers des Lièvres qui s'impriment depuis dix
ans. Le P. Bufier nome les Auteurs de ces livres. Le P. Sa-
nadon ajoute que depuis la fuputation du P. Biifier le nom-
bre des partifans de la nouvèle orthographe s'efi beaucoup
augmenté ^ s augmente encore tous les jours. ( Poëfies d'Ho-
race. Préface , page xvii. ) Ainfi, mon cher Ledreur, je
conviens que je m'éloigne de votre ufage ; mais félon lé
P. Bufier & le P. Sanâdon , je me conforme à l'ufage le
plus fuivi.
3. Etes-vous partifan de la nouvèle orthographe ? Vous
trouverez ici à réformer.
Le parti de l'anciène orthographe & celui de la nouvèle
fe fubdivifent en bien des branches : de quelque côté que
vous foyez, , retranchez ou ajoutez toutes les lettres qu'il
vous plaira , ^ ne me condânez qu'après que vous aurei
VU mes raifons dans mon Traité de l'Orthographe,
CES
DES TROPES
0 ;/
DES DIFERENS SENS
Dans lelquels on peut prendre un mcme
mon dans une même lanij-ue.
s'.j^vijsRji^.'m^Laaji,';
^'rr^^»?^^^-y.-r^V^^^
P R E Al I E R E PARTIE
Des T'/uPcs en 'jéncïûL
ARTICLE PREMIER.
Idées oéné raies des Fissures»
VANT que de parler des Tropcs
en particulier , je dois dire un mor
des figures en général \ puifque les
1 ropes ne font qu'une efpèce de figures.
On dit comunémeht que les jTgures /2.v/
des manïtres de parler tioignccj de celles qui
A
% DES TR OPE s
font naturèles & ordinaires : que cefant de cer-
tains tours dr de certaines façons de s^xpri-
vier , qui s"" éloignent en quelque chofe de la ma--
nicre comune (^ fmiple de parler : ce qui né
Veut dire autre choie , fuTon qUc les Figu-
res font des manières de parler éloignées
de celles qui ne font pas figurées , & qu'en
un mot les Figures font des Figures , ëc ne
font pas ce qui n'eft pas Figures.
D'ailleurs , bien loin que les Figures
foient des manières de parler éloignées de
celles qui font naturèles ôC ordinaires , il
n'y a rien de fi naturel , de fi ordinaire , &;
de ficomun que les Figures dans le langa-
Thin. de u gc des homes. M. de Bretteville après avoir
Châtre é' dit QUC Us Fiçurcs ne font autre chofc que de
du Bar- T. '^.j ir J' j Al
retu.L. IIL C£>'^'^tns tours a exprcpon & aepenjee dont on
<i>. u ne fe fer t point corn uniment ^ ajoute u qu'il n'y
53 a rien de fi aifé 6c de fi naturel. J'ai pris
»> fouvent plaifir , dit-il , à entendre des
53 payfans s'entretenir avec des Figures de
« diicours fi variées , Ç\ vives , fi éloignées
33 du vulgaire, que j'avois honte d'avoir v\.
^3 long-tems étudié l'éloquence , voyant en
33 eux une certaine Rhétorique de nature
3} beaucoup plus perfuafive, &: plus élo-
33 quente que toutes nos Rhétoriques ar-
»5 tificièlcs. »>
EN GENERAL, 3
En éfec, je 'fuis perfuadé qu'il fe fait
iîlus de Figures un jour de marché à la
Halle, qu'il ne s'en fait en plulieurs jours
d'aflembléeS académiques. Ainiî , bien
loin que les Figures s'éloignent du langa-
ge ordinaire des homes , ce feroient au
contraire les taçons de parler fans Figures
qui s'en éloigneroient, s'il étoit poliible
de faire un difcours ôii il n'y eût que deâ
exprefiions non figurées. Ce font encore
les façbns de parler recherchées , les Figu-
res déplacées , 5c tirées de loin , qui s'écar-
tent de U maniire comune é" fimfle de par-
ler i come les parures afe£lées s'éloignent
de la manière de s'habiller , qui eft eil
ufage parmi les honêtes gens.
Les Apôtres étoient perfécutés, & ils
foufroient pâtienment les perfécutions.
Qu'y a-'t-il de plus naturel U. de moins
éloigné du langage ordinaire , que la pein-
ture que fait S. Paul de cette fituation 6c
de cette conduite des Apôtres ? *» On nous
« maudit , 6c nous beniflons : on nous
5> perfécute , & nous foufrons la perfécu-
»> tion : on prononce des blafphèmes con-
* Maledîcimur , & benedkimus : pcrfecutiôném pârf-
mur , & fuftinémus : blafphemâmur , & obrecrâmus. i . Ci?/'l
c. X. V. II.
A.j
4 DES TRO P Ë^
« tre nous , 6c 'nous répondons pai' des
'5 prières. « Quoiqu'il y ait dans ces paro-
les de la (implicite , de la naïveté , 6c
qu'elles ne s'éloignent en rien du langa-
ge ordinaire j cependant elles contiènent
une fort belle Figure qu'on apèle antithèfe ,
c'eft-à-dire , oppofition : maudir eft opofé
à henir , perfccuîer à foufrir , hlaf^hèmcs à
prières.
Il n'y a rien de plus comun que d^adref-
fer la parole à ceux à qui l'on parle , 5c
de leur faire des reproches quand on n'elt
pas content de leur conduite. ^ 0 Nation
incrédule & méchante ! s'écrie Jefus-Chrifb ,
jufcjiics à quand fer ai-jc avec 'vous ! jufques à
quand aurai-]e a vous foufrir iQ'c^ une Fi-
gure très-dmpie qu'on apèle afojlrophe.
Oiaif. fu- M. Flêchier au comencement de Ion
nèb. de M. Oraifou funèbrc de M. de Turène , vou-
de Turène. i ^ j • j < ' ' i j i •
^xorde ^^"'- douucr uuc idcc générale des exploits
de fon Héros , dit îj conduites d'armées ,
5î fiéges de places , prifes de villes , palFa-
53 ges de rivières , attaques hardies , re-
53 traites honorables , campemens bien or-
33 donnés , combats foutenus , batailles
" gagnées , énemis vaincus par la force ,
* O generâtio incrédula & pervérfa , qiio uf^jne cit>
Mobîfcum 1 Quo ufque pâtiar vos. Iti^tt, c. 17. v. i (>,
EN GENERAL: s
w dilTîpés par l'adrcfTè , lafles par une ù.ge
" de noble patience : Où peut-on trouver
" tant &c de lî nuillans exemples , que dans
" les actions d'un home, &c. «
Il me femble qu'il n'y a rien dans ces
paroles qui s'éloigne du langage militaire
le plus fmiple ; c'cfk là cependant une Fi-
gure qu'on apèîe CQnçcries , amas, aflcm-
blage. M. Flêchier la termine en cet exem-
ple, par une autre Figure qu'on apèle in-
terrogation ^ qui eft encore une façon de
parler fort triviale dans le langage ordi-
naire.
Dans l'Andriène deTércnce, Simon fe- ■
croyant trompé par fon fils , lui dit , Quid ^n^^"- '*^'
ai s omnium . . . Que dis-tu le plus . . . vous **
voyez que la propofition n'eft point en-
tière 5 mais le fens fait voir que ce père
vouloit dire à fon fils, Que dis-tu te plus
7néchant de tous Us homes ? Ces façons de
parler dans Icfquelles il eft évident qu'il
faut fnpléerdes m.ots, pour achever d'ex-
primer une penfée que la vivacité de la
paiffion fe contente de faire entendre , font
fort ordinaires dans le langage des homes.
On apèle cette figure Ellipfe , c'eft-à-dire ,
omiifion,
il y a, à la vérité , quelques Figures qui
A iij
6 DES TROP ES
lie font udtées que dans le ftyle {liblime c.
telle eit la profcpûpée , qui confifte à faire,
parler un mort _, une pcrfonne abfente, ou
praiC fu- rnêmcles chofes inanimée^. «Ce tombeau
T: Mol^ " s'ouvriroit,ceso{îemensrerejoindroienc
taufier. >5 pour m.e dire ; Ppurquoi viens-tu men-
»3 tir pour moi j qui ne mentis jamais
'3 pour perfonne? Làiflèmoi repofec dans
« le fein de la vérité , ôc ne viens pas,
V troubler ma paix , par la flateric que
M j'ai haïe, u C'eft.ainïi que M. Flêchicr
prévient Tes auditeurs , 6c les afllire pat,
ccUQ profipopée ^ que la flaterje n'aura point
de part dans l'éloge qu'il va faire de M.
le Duc de Montaulier.
Hors un petit nombre de figures fem-
blables, réfervées pour le ftyle élevé, les
autres fe trouvent tous les jours dans le,
ftyle le plus fimple, ôc dans le langage le.
plus comun.
Qu'eft-ce donc que les Figures ? Ce mot
fe prend ici lui-même dans un lens figu-
ré. C'eft une métaphore. Figure dans le
fens propre , eft la forme extérieure d'un,
corps. Tous les corps font étendus \ mais,
outre cette propriété générale d'être éten-
dus , ils ont encore chacun leur figure ôç
leur forme particulière , qui fait que ciia,-
EN GENERAL, 7
que corps paroît à nos yeux diférent ci'nii
autre corps : il en eft de même des ex-
prelîions figurées y elles iont d'abord co-
noitre ce qu'on pcnfe ^ elles ont d'abord
cette propriété générale qui convient à
toutes les phrafcs &c à tous les aifembla-
ges de mots , 5c qui confifte à (ignifier
quelque chofe ^ en vertu de la conftruc-
tion grammaticale ; mais de plus les ex-
prefTions figurées ont encore une modifi-
cation particulière qui leur eft propre, 6c
c'eft en vertu de cette modification par-
ticulière , que l'on fait une efpèce à part
de chaque forte de figure.
L'antithèfe , par exemple , eft diftin-
guée des autres manières de parler, en ce
que dans cet aftèmblage de mots qui for-
ment l'antithèfe , les mots font opofés les
uns aux autres, ainfi quand on rencontre
des exemples de ces fortes d'opofitions
de mots , on les rapporte à l'antithèfe.
L'apaftrophe eft diférente des autres
ënonciations, parce que ce n'eft que dans
l'apoftrophe qu'on adreflè tout dt'un coup
la parole à quelque perfone préfente , ou
abfente , &c.
Ce n'eft que dans la profopopée que
l'on fait, parler les morts , les abf:;ns , ou
4iii>
5 D ES TROP ES
Içs ccrçs inanimés : il, en ell; de mêrne dc%
autres hgures , elles ont chacune leur ca-,
raccëre particulier, qui les diftinguc des
autres aflcmblages de mots., qui topit un
iens dans le langage ordinaire des homes..
Les Grammairiens & les Khéteurs ayant
.fait des ob-fervations lur les diférentes
manières de parler , ils ont fait des claf-
fcs particulières de ces diférentes maniè-
res , afin de mettre plus d'ordre &ç d'ara n-
gement dans leurs réflexions. Les maniè-
res de parler dans Icfquelles ils n'ont re-
inarqué d'autre propriété que celle de fai-
re conoitre ce qu'on penfe , fojit apelées
f itiplcment phmfcs , cxpnffions , périodes ;
. jrnais celles qui expriment non feulcmen;
dcspenlées , mais encore des penfées énon-
cées d'une manière particulière qui leur
donne un caradbère propre , celles-là, dis-
jc"^ fout apeléeSy^/zrfj-, parce qu'elles pa-
roifîent , pour ainii dire , fous, une forme
particulière , ^ avec ce caractère propre
qui les diftingue les unes des autres, 6c
de tout ce qui n'cit que phrafe ou exprcf-
fion.
Carict.Dcs M. de la Bruyère dit ^5 qu'il y a de ccr-
ojvrng. de ,j taincs chofcs dont la mi-éddocrité ell in-
"■'^ ' v.fi-^portablc : la poéiic , la mufiquc , la
EN G EN Eli AL. 9
s> peinture, & le difcours public, u II n'y
poinclà de figure ; c'eft- à-dire , que toute
cette phraie ne tait autre chofe qu'expri-
mer la penfée de M. de la Bruyère , lans
avoir de plus un de ces tours qui ont un
çaraclère particulier. Mais quand il ajoute,
»5 Quel iuplice que d'entendre déclame*
>5 pompeurement un troid difcours , ou
>5 prononcer de médiocres vers avec em-
V phafe I et c'ell la même penfée \ mais de
plus elle cft exprimée fods la torme parti-r
cuJière de la lurpriie, de 1 admiration ,
c'cft une figure.
Imaginez-vous pour un moment une
multitude de foidats, dont les uns n'ont
que l'habit ordinaire qu'ils avoient avanc
leur .engagement , & les autres ont l'ha^
bit uniforme de leur régiment : ceux-ci
ont tous un habit qui les diftingue , & qui
fait conoitre de quel régiment ils font ;
les uns font habillés de rouge, les autres
de bleu , de blanc , dç jaune , ôçc. Il en efl
de même des afiemblages de mots qui
compofent le difcours -, un ledteur inftruit
raportc un tel mot , une telle phrafe à une
telle efpècc de figure , lelon qu'il y reco-
noit la forme , le ligne , le caracière de
cette figure \ les phrafcs &. les mots, qui
10 D E s T RO P ES
n'ont la marque d'aucune figure particu-
lière , font corne les foldats qui n'ont l'ha-
bit d'aucun régiment : elles n'ont d'autres,
modifications que celles qui font nécef-
faires pour faire conoitre ce qu'on penfe.
11 ne faut point s'étoner fi les figures ,
quand elles font employées à propos , do-
uent de la vivacité , de la force , ou de la,
grâce au difcours ,• car outre la propriété
d'exprimer les penfées, come tous les au-
tres aficmblages de mots ^ elles ont en-
core , fi j'ofe parler ainfi , l'avantage de
leur habit, je veux dire, de leur modifi-
cation particulière , qui fert à réveiller Ta-
tention , à plaire , ou à toucher.
Mais^ quoique les figures bien placées
cmbélifi^nt le difcours, ôc qu'elles foient ,
pour ainfi dire , le langage de l'imagina-
tion de des paffions ; il ne faut pas croire
que le difcours ne tire fes beautés que des
figures Nous avons pluficurs exemples ei>
tout genre d'écrire , oi.i toute la beauté
confiile dans la penfée exprimée fans fi-
gure. Le père des trois Horaces ne fâchant
point encore le motif de la fuite de fon
*Comeille. fils , aprend avec douleur qu'il n'a pas ré*
Aa°^Tn' ^^'^^^ ^"^ ^^^'^ Curiaces •
J'i* ' ' ^ Q.^-^ '^oulkz,-vous qnil fii corure trais ^
EN G EN E RAL. ii
lui dit Julie , ^/A/ mourut , répond le père.
"^ Dans une autre tragédie de Corncil- 'i^-Ni-
le, Prufias dit qu'en une ocafion dont il^°^^jj^
s'agit, il veut fc conduire en flre , en ma- [c. 5.
tî. Ne foyçz ni l'un ni l'autre , Uii dit Ni-
camède :
P R U S I A S
Et que dois-je être \
N I C O M E D E
Roi.
Il n'y a point là de figure , & il y a ce-
pendant beaucoup de fublime dans ce feul
mot : voici un exemple plus (impie.
En vain pour fatisfaire à nos lâches envies y
Nous paflTons près des Rois tout le tems de nos vies, Malherbe
A fouffrir des mépris , à ployer les eenoux : ^- 1- P*»"^
^ ,., /a -1 c phr.du?f.
Ce qu ils peuvent n elt nen ; ils lont ce que nous cxLV.
fomes ,
Véritablement homes ,
Et meurent corne nous.
Je ppurois raportcr un grand nombre
d'exemples pareils , énoncés fans figure ,
& dont la pênfée feule fait le prix. Ainfî ,
quand on dit que les figures cmbélifTent
le difcours, on veut dire feulement, que
dans les ocafions où les figures ne feroienc
point déplacées , le même fonds de pen -
12 DES TR OPES
fée fera exprimé d'une manière ou plus
vive ou plus noble , ou plus agréable par
le fecours des figures , que il on l'expri-
moit lans fi2:urc.
De tout ce que je viens de dire , on
peut former cette définition des figures :■
Les Figures font des manières de parler
diftinctement des autres par une modifi-
cation particulier, qui fait qu'on les ré-
duit chacune à une cfpèce à part, & qui
les rend , ou plus vives , ou plus nobles ,
ou plus agréables que les manières de par-
ler , qui expriment le même fonds de pen-
fée , lans avoir d'autre modification parti-
culière.
ARTICLE IL
Di-vi/ion des Figures,
N di vife les figures en figures de peu-
2x«/"« » V J fées , fi-zàrx fement'uirum, Schématai bc
me, habit ^^ ugurcs dc \xiOl.s ^ jiguY.i l'crhorum. il y a
attitude, cette diférence , dit Cicéron, ^ entre les
figures de pcnfées & les figures de mots ,
^; * Inter conformatiônem verborum & Sententiârum hoc
incereft , quod verbôrum tôllitur, fi verba mutâris , fci\-
tentiârum péinianec , cjuibufcùmque veibis uti velis. Cic.
de Orat, l,. ULn* zo\. cJiter LIL
EN GENERAL. 13
tjtic les figures de penfées dépendent uni-
quement du tour de l'imagination > elles
ne confiitent que dans la manière parti-
culière de penlcr ou de fentir , cnlorte que
Ja figure demeure toujours la même, quoi-
qu'on viène à changer les mots qui l'ex-
priment. De quelque manière que M.Flê-
chier eût fait parler M. de Montaufier
dans la profopopée que j'ai raportée ci-
defTus , il auroit tait une profopopée. Au
contraire , les figures de mots font telles
que fi vous changez les paroles , la figuré
s'évanouit ; par exemple , lorfque parlant
d'une armée navale , je dis qu'elle étoit
compofée de cent voi/es icciï une figure
de mots dont nous parlerons dans la fui-
te ; 'voi/es eft là pour 'vaH/eaux : que fi je
fubflitue le mot de vaijieaux à celui de
'voiles, j'exprime également ma penfée j
mais il n'y a plus de figure.
CHAPITRE III.
Divijiûiî des figures de mots.
L y a quatre difércntes fortes de figures
qui regardent les mots.
i'^. Celles que les Grammairiens apè-
I
14 DÈSTROPËS
lent Jigures de diction: elles regardent leé
changemens qai arivent dans les lettres
ou dans les fyllabes des mots j telle eft j
par exemple , la fyncope, c'efl: le retran-
chement d'une lettre ou d'une fyllabe aii
milieu d'un mot , fcuta <virâm pour viro-
riim*
z ^ . Celles qui regardent uniquement la
conftrli£tion j par exemple , lorfqu'Ho-
1. 1. Od, race parlant de Cléopatre , dit monftrum:,
37. X.. ii. ^«^...nous difons en François la plupart
des homes difent , ôC non pas dit. On fait
alors la conftructiôn félon le fens. Cette
figure s^2i'^h\cfyUepfe. J'ai traité ailleurs de
ces fortes de figures , ainli je n'en parlerai
point ici.
30. Il y a quelques figures de mots^
dans lefquelles les mots confervcnt leur
fignification propre , telle eft la répétition ;
6cc. C'eft aux Rhéteurs à parler de ces for-
tes de figures ^ aufli bien que des figures
de penfées. Dans les unes &; dans les au-
tres , la figure ne confifte point dans le
changement de fignification des mots ^
ainfi elles ne font point de mon fujet.
4*^. Enfin il y a des figures de mots
qu'on apèle Tropes\ les mots prènent par
ces fi2:ures des fio;nifications diférentes de
EN GENERAL ï$
ïeur (îgnification propre. Ce font là les
figures donc j'entreprens de parler dans
cette partie de la Grammaire.
ARTICLE î V.
Défnitioiî des Troues.
LEs Tropes font des figures par lefqucl-
les on fait prendre à un mot une figni-
fication , qui n'eft pas précilement la fi-
gnification propre de ce mot: ainii pour
entendre ce que c'eft qu'un trope, il faut
comencer par bien comprendre ce que
c'eft que la fignification propre d'un mot \
nous l'expliquerons bien-tot.
Ces figures font apelées trofes du grec Tpc'-^oç
tropos coni)érJïû , dont la racine eft trefo , t^/ttc».
Verto,y> tourne. Elles font ainfi apelées ,
parce que quand on prend un mot dans le
fcns figuré ^ on le tourne ^ pour ainfi dire ,
afin de lui faire fignifier ce qu'il ne figni-
fie point dans le fens propre : l'oiles dans
le lens propre ne fignifie point -vai/fcaux ,
les voiles ne font qu'une partie du vail-
feau : cependant 'uoilcs fe dit quelquefois
pour vaijfcaux , corne nous l'avons déjà ïq^
marqué»
16 D ES T RO P ES
Les tropes font des figures , puifqae ce
font des manières de parier , qui , outre la
propriété de faire conoître ce qu'on penfe *
ionc encore diftinguées par quelque dité-
rence particulière, qui fait qu'on les ra-
porte chacune à une efpèce à part:
11 y a dans les tropes une modification
ou diférence générale qui les rend tropes,
de qui les diftingue des autres figures: cVic
confifte en ce qu'un mot eft pris dans une
lignification qui n'eft pas précifémcnt la
fignification propre -, mais de plus chaque
trope difère d'un autre trope , & cette di-
férence particulière confilîe dans la ma-
nière dont un mot s'écarte de fa fiirnifi-
cation propre : par exemple , // piy a plus
de Fyré:-iées ^ dit Louis XIV. d'immortèle
mémoire , lorfque Ton petit-fils le Duc
d'Anjou , aujourd'hui Philippe V. futapelé
à la Couronne d'Erpa2;ne. Louis Xl\'^
vouloit-il ^ire que les Pyrénées a voient
été abimée*s ou anéanties ? nulement :
perfone n'entendit cette expreiîion à la
lettre , & dans le fens propre j elle avoic
un fens figuré. Boileau faifant allufion ^
à ce qu'en \66^, le Roi envoya au ie-
CDurs de l'Empereur des troupes qui dé
firent les Turcs , 6c encore à ce que S<i,
Majclté
EN GENERAL. 17
Hajefté établit la compagnie des Indes ,
dit :
Quand je vois ta faîîefle.
Rendre à V Aigle éperdu fa première vigueur, Difcouis
La France fous tes loix maitrifer la Fortune, ^ '
Et nos vailFeaux domtant l'un & l'autre Neptune...'.
Ni V Aigle ni Neptune ne fe prènent point
là dans le fens propre. Telle eft la modifi-
cation ou diférence générale , qui fait que
ces façons de parler font des tropes.
Mais quelle ef pèce particulière de tropc?
cela dépend de la manière dont un mot
s'écarte de fa fignification propre pour en
prendre une autre. Les Pyrénées dans le
ïens propre, font de hautes montagnes qui
iéparent la France cC l'Efpagrie. // n'y a
plus de Pyrénées , c'eft-à-dire , plus de fépa-
ration , plus de divifion , plus de guerre :
il n'y aura plus à l'avenir qu'une bone in-
telligence entre la France &: l'Efpagne :
c'eft une métonymie du (îgne , ou une mé-
talepfe : les Pyrénées ne feront plus un
iignc de féparation»
L'Aigle eft le fymbole de l'Empire ;
l'Empereur porte un aigle à deux têtes
dans fcs armoiries : ainfi , dans l'exemple
que je viens de raporcci} V aigle fignifiè
B
is DÈS TROPES
riVllemagiic. C'eft le ligne pour la chofé
fîgnifîée : c'eit une niéconymie.
Neptune écoic le Dieu de la mer , il eiï
pris dans It même exemple pour i'Ocean ,
pour la mer des Indes orientales &: occi-
dentales : c'eft encore une métonymie.
Nous remarquerons dans la fuite ces diié-
rences particulières qui font les diterentes
efpèces de cropcs.
Il y a autant de tropes qu'il y a de ma-
nières difërentes , par lefquelles on donc à
un mot une lignihcation qui n'cft pas pré-
ciiément la iignification propre de ce mot.
Aveugle dans le lens propre, fîgnifie une
perfone qui eft privée de Tufagc de la vue :
il je me fers de ce mot pour marquer ceux
qui ont été guéris de leur aveuglement ,
^ Mm. c. corne quand Jefus-Chriil a dit, les ave U'
■ """ ^' gles l' oient , alors aveugles n'eft plus dans le
fens propre , il eft dans un fens que les Phi^
Jofophes apèlcnt fens divifé : ce fens divifé
' cft un trope , puifqu'alors aveugles fîgniae
ceux qui ont été aveugles , &: non pas ceux
qui le font. Ainfi outre les tropes dont on
parle ordinairement, j'ai cru qu'il ne fe-
roit pas inutile ni étranger à mon fujet,
d'expliquer encore ici les autres iens dans
lefquelsun même mot peut être pris dans
le difcours^
EN GENERAL. 19
ARTICLE V.
Le iraîié des Trop es ejî du r effort de la Grain-
maire. On doit conoître les Tropes pour bien
entendre les Auteurs , & pour avoir des
conoiffances exactes dans l^art de parler é^
d'écrire.
AU refte ce traité me paroît être uiie
partie ciïentièle de la Grammaire,
pLiifqa'il eft du refTort de la Grammaire
de faire entendre la véritable fignificatioa
des mots , 6c en quel fens ils font employés
dans le difcours.
11 n*efl pas poffible de bien expliquer
l'auteur même le plus facile , fans avoir
recours aux conoiffances dont je parle ici.
Les livres que l'on met d'abord entre les
mains des començans , aulîî-bien que les
autres livres , font pleins de mots pris dans
des fens détournés 6c éloignés de la pre-
mière lignification de ces mots j par exem- .
pie :
Tiryre, tu patuln:, récubans fub tcgmine fagi , Virg. EcL
Sylvéftrem, ténui, mufam meditaris, avéi;â. ^-^i'
Vvits méditez une Mtife , c'cil:- à-dire . uns
Bij
20 DES TROP ES
chanfon , 'vous vous exercez^ a chanter. L^S
Mules étoient rc2:ardées dans le Pa2:anir-
me comme les Déciles qui inlpiroient les
Poètes &lesMu{iciens: ainiiAf/z/^fe prend
ici pour la chanfon même , c'efb la caufe
pour l'éfcc ; c'eft une métonymie particu-
lière, qui étoit en ulage en latin-, nous
l'expliquerons dans la luite.
Avênd dans le Icns propre , veut dire de
laveintt m.ais parce que les Bergers fe fer-
virent de petits tuyaux de blé ou d'aveine
pour en taire une forte de fiute , come font
encore les enfansàla campagne ; de là par
extcnfion on a apelé anjéna un chalumeau ,
une flûte de Berger.
On trouve un grand nombre de ces for-
tes de figures dans le Nouveau Teftament,
dans l'Imitation de J. C. dans les fables
de Phèdre , en un mot, dans les livres mê-
mes qui (ont écrits le plus fimplcment, 6c
parleiqucls on comence: ainfi je demeure
toujours convaincu que cette partie n'ell
point étrangère à la Grammaire , Se qu'un
Grammairien doit avoir une conoillan-ce
détaillée des tropes.
Réponfe Je couvicns , Ç\ l'on veut , qu'on peut
â une ob- bîei-j parler fins jamais avoir apris les
^'"^ ''^"* noms particuliers de ces figures. Combien
EN GENERAL. 21
de perfones fe fervent d'expre (lions méta-
phoriques , fans favoir précifément ce que
c'ell que métaphore ? C'eft ainii qu'il y
avoit pius de 40. ans que le Bourgeois- Mola-re
Gentilhome ûlifiit de la Profe , fans qutl tn CcntîT adt.
fat rien. Ces conoidànces ne font d'aucun n- ^c, 4.
ufage pour taire un compte, ni pour hkn
canduire une maifon ^ comc dit IVP. Jour- ibid. acT;.
dain , mais elles font utiles &. néceflaircs ^ ^ ^' ^"
à ceux qui ont befoin de l'art de parler &:
d'écrire j elles mettent de Tordre dans les
idées qu'on fe forme des mots ; elles fer-
vent à démêler le vrai fens des paroles , à
rendre raifon du difcours , &l douent de la
précilion &c de la jufteiîe.
Les Sciences &: les Arts ne font que des
obfervations fur la pratique : l'ufage & la
pratique ont précédé toutes, les fciences ^
tous les arts i mais les Iciences & les arts
ont enfuite periectioné la pratique. Si Mo-
lière n'avoit pas étudié lui-même les ob-
fervations détaillées de l'art de parler ôc
d'écrire, fes pièces n'auroient été que des
pièces informes , où le génie , à la vérité,
auroit paru quelquefois ^ mais qu'on auroic
renvoyées à l'enfance de la Comédie : f^s
païens ont été perfectionés par les ob-
servations, ôc c'eft l'art même qui lui a
B lij
52 DES TROPES
apris à faifir le ridicule d'un arc déplacé.
On voit tous les jours des perfones qui
chantent agréablement, fans conoîtreles
notes, les clés, ni les règles delà Mufi-
c]ue , elles ont chanté pendant bien des
années des fil £^ des fa , fans le favoir j
faut-il pour cela ^qu'elles rejètent les fe-
cours qu'elles peuvent tirer de la Mufl-
que , pour pcrfectioner leur talent ?
Nos pères ont vécu fans conoître la cir-
culation du fang; faut-il négliger la co-
FiOiilance de l'Anatomie ? de ne faut-il
plus étudier la Phyfique, parce qu'on a
refpiré pendant plufieurs iiècles fans fa-
voir que l'air eût de la pefanteur^ de l'é-
laflicité ? Tout a fbn tems & fes ufages ,
de Molière nous déclare dans fes préfaces,
qu'il ne fe moque que des abus &, du ri-
dicule.
AKTICLE VI.
Sens Propre , Se;7s Figuré.
A Vaut que d entrer dans le détail de
chaque Trope , il eft néceflaire de
bien comprendre la difércnce qu'il y a
entre le fens propre 6: le fens ligure.
Il;
I
EN GENERAL. . 23
Un mot e(l employé dans le difcours ,
on dans le icns propre, ou en général
dc\ns un lens figure , quel que puifîe être
le nom que les Rhéteurs donent eniuite
à ce iens figuré.
Le iens propre d'un mot, c'eil la pre-
mière fignification du mot. Un mot cîï
pris dans le fens propre , lorfqu'il fignifie
ce pourquoi il a été premièrement établi ^
par exemple: Le feu brûle ^ la lumière nous
éclaire ^ tous ces mots là font dans le Iens
propre.
Mais, quand un mot efl: pris dans un
autre fens , il paroît alors , pour ainfi dire ,
fo u s une fo r m e e m p ru n té e , fo u s im e fi-
gure qui n'eft pas fa figure naturèle ,
c'eft- à-dire , celle qu'il a eue d'abord ;
alors on dit que ce mot eft au figuré \ par
exemple : Le feit de vos yeux , le feif de ri-
maginntion , Li lumière de Fefpriî , la clarté
d'ua difcours.
Mdfqtie dans le fens propre , fignifie
une forte de couverture de toile cirée ou
de quelque autre matière , qu'on fe met
fur le vifage pour fe déguifcr ou pour fe
garantir des injures de l'air. Ce n'ell point
dans ce fens propre que [Malherbe prcnoit
le^moc àQmafque j lorfqu'il diloic qu'à la
13 iv"
®"
2A DES TROP ES
Çonr il y avoic plus de mafques que de,
yifages : m^J}fucs eft là dans un fens fi-
guré , ôi ff prend ^ouï perfores dijjlmnlées ,
pour ceux qui cachent leurs véritables fen-
timens , qui fe démontent , pour ainfi dire,
ievifage, & prèncnt des mines propres à
marquer une lituation d'efprit & de cœur
toute autre que celle ou ils font éfective-
ment.
Ce mot l'oix , f njox ) a été d'abord éta-
bli pour lignifier le Ton qui fort de la bou-
che des animaux, 6c fi.ir-tout de la bou-
che des homes. On dit d'un home , qu'il
a la voix mâle ou féminine , douce ou
rude, claire ou enrouée, foible ou forte,
enfin aiguë, flexible, grêle , cafTée, &c.
En toutes ces occafions , -voix eft pris dans
le fens propre, c'eft-à-dire , dans le fens
pour lequel ce mot a été d'abord établi:
mais quand on dit que le menfonge ne fan-
roit ctoiiftr la l'oix de la vérité dans le fond de
nos cœurs , alors voix ell au figuré , il fe
prend pour i^ffiration intérieure^ remords ^
cCc. On dit aulh que tant que le Peuple Juif
écouta la voix de Dicà^ c'eft à-du'c , tant
qu'il obéit à fcs commandemcns , il en fut
affiflé. Les hrehis entendent la 'voix du -paf-
îeur , on ne veut pas dire feulement qu'elles
EN GENERAL. 25
rcconoiiïent fa voix , & la diftingucnt de
la voix d'un autre home , ce qui ieroit le
fens propre , on veut marquer principale-
ment qu'elles lui obéifTent , ce qui eit le
fens figuré. La voix du fang , U voix de U
nature^ c'eft-à-dire, les mouvemens inté-
rieurs que nous reiïentons à l'occafion de
quelque accident arrivé à un parent, &c.
La voix dit peuple ejl U voix de Dieu , c'eft-
à-dire, que le fentiment du peuple, dans
les matières qui font de fon reflbrt, efl:
le véritable fentimcnt.
C'eft par la voix qu'on dit fon avis dans
les délibérations, dans les élections, dans
les aflemblées où il s'agit dé juger j en-
fuite, par extenfion , on a apelé voix , le
fentiment d'un particulier, d'un Juge.;
ainfi en ce fens , voix fignifie avis , opinion^
fufrage ^ il a eu toutes les voix , c'cfl à dire ,
tous les fufrages ; briguer les voix , la plu'
r alité des voix i il vaudroit mieux ^ s'il étoit
pofFible, pefer les voix que de les cofvptcr ^
c'cft-à-dire, qu'il vaudroit mieux fuivre
l'avis de ceux qui font les plus favans 6c
les plus fenfés , que de fe lailTcr entraî-
ner au ientiment aveugle du plus grand
nombre.
Voix fignifie auiîî dans un fens ércndiî.
26 DES TROPES
gêmïjftment , prière. Dieu a écouté la voix de
fon peuple y &cc.
Tous ces diférens fens dumoti/oi.v, quj
ne font pxis précifémenr le premier fens ,
qui feul eft le fens- propre, foiiE autant de
Icns lîilurës.
ARTICLE VII.
Ré^cxions générales fur le Sens Figuré,
I.
Origine du Sens Figuré.
LA liaifon qu'il y a entre les idées ac-
ceiïbires , je veux dire , entre les idées
qui ont raport les unes aux autres , ell la
lource & le principe des divers fens figurés
que Ton done aux mots. Les objets qui
font fur nous des impreffions , font tou-
jours acompagnés de ditérentes circonf-
tances qui nous frapent, & par Icfquellcs.
nous délignons fouvent, ou les objets mê-
mes qu'elles n'ont fait qu'acompagner, ou
ceux dont elles nous réveillent le fouve-
nir. Le nom propre de l'idée acceiïbire eft
fbuvent plus prélent à l'imagination que
EN GENERAL. 27
le nom de l'idée principale , & foLivent
aufli ces idées acceiîoires, délignaiu les
objets avec plus de circonftanccs que ne
feroient les noms propres de ces objets ,
les peignent ou avec plus d'énergie , ou
avec plus d'agrément. De-ià le figne pour
la chofe lignifiée, la caufe pour i'éiet, la
partie pour le tout , l'ancécédent pour le
conféquent, & les autres tropcs dont je
parlerai dans la fuite. Corne l'une de ces
idées ne fauroit être réveillée fans exciter
l'autre, il arive que rexprelîion iigurée efl
aufîi facilement entendue que il l'on fe
fervoit du mot propre -, elle eft même or-
dinairement plus vive &c plus agréable
quand elle eft employée à propos ^ parce
qu'elle réveille plus d'une image 5 elle ata-
che ou amufe l'imagination 6c donc ailé-
ment à deviner à l'efprit.
I I.
Ufages ou èfcts des Trofcs.
T. Un des plus fréquens ufages des tro-
pcs , c'eft de réveiller une idée principale,
par le moyen de quelque idée accciToirc :
c'cft ainfi qu'on dit cent voiles pour cent
vailTcaux j cent feux pour cent maifous \
2S DES TROPES
il aime la bouteille, ceft-à-dire, il aime
le vinj le fer pour l'épée ; la plume ou 1©
Hyle pour la manière d'écrire , &c.
2. Les tropcs donenc plus d'énergie à
nos expreffions. Quand nous fomes vive-
ment frapés de quelque penfée , nous nous
exprimons rarement avec fimplicitéj l'ob-
jet qui nous ocupe fe préiente à nous, avec
les idées acceifoires qui l'acompagnent ,
nous prononçons les noms de ces imag;es
qui nous trapent , amii nous avons nature-
lement recours aux tropes , d'où il arrive
que nous fefons mieux fentir aux autres
ce que nous Tentons nous-mêmes : de là
viènent ces façons de parler , H eji cnfl^mé
de colère , // efi tombé dans une erreur gro f-
jTere ^flétrir U réputamn^ i enivrer de pUi-
pr y ècc,
3 . Les Tropes ornent le difcours. M. Fié-
chier voulant parler de l'inftruction qui
difpofaM. le Duc de Montaulier à faire
abjuration de l'hérélie , au lieu de dire fim-
plement qu'il fe fit initruire , que les mi-
nières de J. C. lui aprirent les dogmes de
la Religion Catholique, &. lui découvri-
rent les erreurs de l'héréfie , s'exprime en
ces termes : « Tombez, tombez, voiles
3î importuns qui lui couvrez la vérité de
EN GENERAL. 29
il nos myflères : îk. vous , Prêtres de Jëfus-
>j Chrill , prenez le glaive, de la parole^
" ôc coupez fagement jufqu'aux racines
î5 dé l'erreur, que la nailTance & l'éduca-
î> tion avoient fait croître dans fon ame.
« Mais par combien de liens étoic-il re-
53 tenu ?
Outre rApoftrophc , figure de pcnféc ,
qui fe trouve dans ces paroles , les TropeS
en font le principal ornement : Tomlez.
njoiles , couvrez, .^prenez, le glaive , coupez, jnf-
^11 aux racines , croître , liens , retenu i toutes
ces expreflions font autant de tropes qui
forment des imagée, dont l'imagination
eft agréablement ocupée.
4. Les Tropes rendent le difcours plus
noble : les idées comunes auxquelles nous
fomes acoutumés, n'excitent point en nous
ce fentiment d'admiration & de furpnle ^
qui élève l'ame : en ces ocafions on a re-
cours aux idées accclloires , qui prêtent ,
pour ainfî dire, des habits plus nobles à
ces idées comunes. Tous les bornes meu-
rent également ; voilà une penféc comune:
Horace a dit:
JPâllida mors, xquo pulfatpede pauperum tabérnas I-iv. r.
Kegumque turres. ' "*'
?o DES TROPES
On fait la paraphrafe fîmple Sc naturèie
que Malherbe a taie de ces vers.
La more a des rigueurs à nulle aiicre pareilles,
Aîallbcrb. . On a beau la prier -,
^^ La cruèle qu'elle eft fe bouche les oreilles
Et nous laiiTi crier.
Le pauvre en fa cabane , où le chaume le couvre ,
Eil: fujet à (es loix ,
Et la garde qui veille aux barières du Louvre,
N'en défend pas nos Rois.
Au lieu de dire qu^c'eft un Phénicien ,
iqui a inventé les caractères de l'écriture ,
ce qui feroic une expreflion trop iimple
pour la Poëfte , Brébeuf a dit ;
Pharfaic, C'eft de lui que nous vient cet art ingénieux,
- "I- £>g peindre la parole Se de parler aux yeux.
Et par les traits divers de figures tracées ,
Doner de la couleur & du corps aux penfces. *
5. Les tropes font d'un grand ufiige
pour déguifer des idées dures, défagréa-
bles , trilles , ou contraires à la modellie ;
* Piiocnices primi./ famx fi çréditur, aufi
Manfûram, lûJibus , voccm fignârc , figùrîs. luc.zn,
LiS/. m. V. itOm
EN GENERAL. n
on en trouvera des exemples dans l'arti-
cle de reuphémifme , èc dans celui d&la
périphrafe.
6. Enfin les tropes enrichiiîent une lan-
gue en multipliant l'ufage d'un même
mot, ils douent à un mot une {igniiica-
rion nouvèle , foit parce qu'on l'unit avec
d'autres mots, auxquels fouvent il ne le
peut joindre dans le fens propre, foit
parce qu'on s'en fert par extcnfion ôc par
reilemblance , pour fupléer aux termes qui
manquent dans la langue.
Mais il ne faut pas croire avec quelques ^^a^^^c
Sa vans, que les tropes n'aient d'abord été crn^rsc à' é-
invîntés que par nécejjité , k caufc du défaut ":u"«iier les
& de la difette des înoîs propres , & qu'ils ^^^^^ ^^'
aient co?%îrihué depuis à la beauté 0 a l'or/^e- M. RolHn,
ment du di Ce ours , de même à peu près a ne les ^°"^- ^^- P-
^ , ? r - j^ f ' 146.&C1C.
vetemens ont cte employés dans le corne ne e- ^ oraco-
ment pour couvrir le corps é" le défendre con- le , n. i y 5.
tre le froid , & enfuit e ont fervi a l'embélir ^ ^'^^^
6' a P orner. Je ne croîs pas qu'il y ait un VoiF. infr.
allez erand nombre de mots qui fuplécnt^^'^'^-^-^^''
< «^ • i r .. c.vi. n. 14.
a ceux qui manquent, pour pouvou" dn-e
que tel ait été le premier &: le principal
ufage des tropes. D'ailleurs ce n'ell point
là, ce me femble , la marche, pour ainfi
dire , de la nature , l'imagination a trop de
32 DES TROPES
part dans le langage & dans la conduite
des homes , pour avoir été précédée en ce
point par la néceilité. Si nous difons d'un
home qui marche avec trop de lenteur,
qu'i/ 'va plus lentement quune tortue , d'un
autre, qu'/7 va plus -vîte que h vent y d'un
paiîioné , ç^xxilfe latjfe emporter au torrent de
fes paffions ^ &c. c'eit que la vivacité avec
laquelle nous refîèntons ce que nous vou-
lons cxDrimer, excite en nous ces imasies,
nous en lomes ocupés les premiers , ôC
nous nous en fervons enfuite pour mètre
en quelque forte devant les yeux des au-
tres ce que nous voulons leur faire enten-
dre. Les homes n'ont point coniulté, s'ils
avoient ou s'ils n'avoient pas des termes
propres pour exprimer ces idées , ni li
l'expreffion figurée f^roit pkis agréable
que i'exprelîîon propre , ils ont fuivi les
mouvemens de leur imagination , ôc ce
que leur irtfpiroit le deGr de faire fentir
vivement aux autres ce qu'ils fentoient
eux-mcmes vivement. Les Rhéteurs ont
enfuite remarqué que telle expreffion étoit
plus noble , telle autre plus énergique ,
celle-là plus agréable, celle-ci moins
dure ; en un mot, ils ont fait leurs obfer-
^ations fur le langage des homes.
EN GENERAL. 55
Je prendrai la liberté à ce fujet , de mV
ïêter un moment fur une remarque de peu
d'importance : ccft que pour faire voir
x|ue l'on fubflitfic quelquefois des termes Jï- M. Roi-
çttrês à la place des mots prçpres qui man" '"* °"îf
-quenî ^ ce qui elt très- véritable , Ciceron,
Quintilien 6c M. RoUin , qui penle & qui
parle corne ces grands homes , dilent que
c'eft par emprunt '& par métaphore qu'on a
apelé gemma le bourgeon de U 'vigne : parce ,
difent-ils , quil ri y avoit point de mot pro-
pre pour r exprimer. Mais ii nous en croyons
les Etymologiftes , gemma eft le mot pro-
pre pour fîgnifîer le bourgeon de la vi-
gne, & c'a été enfuite par figure que les
Latins ont doné ce nom aux perles 6c aux
pierres précieufes. En éfet, c'eft toujours
le plus comun & le plus conu qui eft le
propre , & qui Te prête enfuite au fens
figuré. Les laboureurs du pays Latin co-
noiiTbient les bourgeons des vignes & des
arbres , 6c leur avoient doné un nom avant
que d'avoir vu des perles & des pierres
précieufes : mais come on dona enfuite
par figure & par imitation ce même nom
aux perles & aux pierres précieufes, &c
qu'aparemmenc Cicéron, Quintilien 6c
Verbi rranflâtio inftitûta eft inopix caufâ , frcquentâca
c
54 DES TROPES
M. RoUin ont vu plus de perles que" dé
bourgeons de vignes, ils ont cru que le
nom de ce qui leur écoit plus conu , étoit
le nom propre, èc que le figuré étoit
celui de ce qu'ils conoifToient moins.
•
III»
Ce quon doit oh fer ver , é* ce quon doit
éviter dans l'ufage des Troues , ^ pour-
quoi ils pUifent*
Les Tropes qui ne produifent pas les
ëfets que je viens de remarquer, font dé-
fectueux. Ils doivent fur-tout être clairs ,
deledlationis. Nam gemmâre vitts , luxuriem ejfe in herbis »
Utas fégetes , ctiam ruftici dicunt. Cic. de Orator. L, m,
n. 155. aliter XXXVIII.
Neceffitâte rûftici dicunt gemmam in vîtibus.Quid enim
dicerent aliud ? Quintil. inltit. orat. lib viii. c/r/>. 6. Me-
taph.
Gemma efl: id quod in arbôribus tuméfcit cum parère
incipiunt, à geno , id eft , gigwo : hinc Margarfta & deiii-
ceps omnis lapis pretiofus dicitur gemma .... quod habet
quoque Perôttus , cujus hxc funt verba, n lapillos gcm-
93 mas vocavére à (îmilitûdine gemmârum quas in vitibus
»:> llve arbôribus ccrnimus; gemma: enim prôpriè funt pù-
'S3 puli quos primo vires emitrunt ; & gemmâre vires di-
« cuntur , dum gemmas emittunt. « Martinii Lexicon ,
voce gemma.
Gemma éculus viris propriè. i. gemma deinde gerterâle
nomen efl lâpidum pretioforum. Baf, Fabri Thefaur^ v.
gtmmu»
EN GENERAL. 35
faciles , fc préfeiiter naturèlcment , Se n'ê-
tre mis en œuvre qu'en tems & lieu. Il
n'y a rien de plus ridicule en tout genre,
qae Tafectation & le défaut de conve-
nance. Molière dans Tes Précieufes, nous
fournit un grand nombre d'exemples de
ces expreiîions recherchées & déplacées.
La convenance demande qu on dife fim-
plement à un laquais , ^onez. des ficgcsj fans
aler chercher le décour de lai dire ; njoitti- LesPr^c.
rezo-nous ici les comoditcs de Id converfation* RiiSc.ii,
De plus, les idées accefîbire^ ne jouent
point , fi j'ofe parler ainfi , dans le langage
des Précieufes de Molière , ou ne jouent
point corne elles jouent dans l'imagina-
tion d'un home fenfé : Le confeiller des gra- ibij. sc.Vr.
ces y pour dire le miroir : contentez. l\nvie -^^^ Se j,-,
qua ce fauteuil de vous embrajferj pour dire
afleyez-vous.
Toutes ces expreiîions tirées de loin &c
hors de leur place, marquent une trop
grande contention d'efprit , 6c font fentir
toute la peine qu'on a eue à les rechercher :
elles ne font pas , s'il eft permis de parler
ainfi , à l'uniHon du bon fens , je veux
dire qu'elles font trop éloignées de la ma-
nière de penfer , de ceux qui ont l'efpric
droit &. jufte, ôc qui fentent lesconvc-
Cij
36 DES rnoPEs
nances. Ceux qui cherchent trop Torne-
anent dans le difcours , tombent fouvent
dans ce détaiit , lans s'en apercevoir ^ ils
fe fa vent bon gré d'une expreliion qui leur
paroît brillante & qui leur a coûté , &. Ce
perfuadent que les autres en doivent être
aufîi fatisfaits qu'ils le font eux-mêmes.
On ne doit donc fe fervir de Tropcs
que lorfqu'ils fe préfentent naturèlement
à l'efprit ; qu'ils font tirés du fujet ; que
les idées accefïbires les font naître \ ou
que les bienféances les infpirent 4 ils plai-
lent alors , mais il ne faut point les aler
chercher dans la vue de plaire.
Manière Je ne crois donc pas que ces fortes de
â eiifei- figures plaiferit extrêmement , par Pingénnufe
p. 247. * hardiejjè quil y a d'uler au loin chercher des
expreffans étrangères à U place des natu^
reles , ^ni font fous Li main , Il l'on peut par-
ler ainfi. Quoique ce foit là une penféc
de Cicéron , adoptée par M. KoUin , je
crois plutôt que les expreffions figurées
douent de la grâce au difcours , parce
que, corne ces xleux grands homes le
ib. p. 148. remarquent , elles douent du corps , pour
ainji dire ^ aux chofes les plus fpiritukles ^ cr
les font prefcjue toucher au doigt & a t œil par
Us images qu elles en tracent à l'imagination ;
EN GENERAL. ^j
en im mot, pa^r les idées fenfibles 5c aç-
cclFoires. .
I V.
Suite des Reflexions gêner aïe s fur h
Sens figurée
iv II n'y a peut-être point de mot qui
ne fc prène en quelque fens lî<j!;uré , c'eil:-
à-dire, éloigné de (a fignification propre
& primitive.
Les mots les plus comuns 6c qui re-
viènent fouvent dans le difcours , font
ceux qui font pris le plus fréquemment
dans un fens figuré , éc qui ont un plus
2:rand nombre de ces fortes de fens : tels
font cor^s y ame , tète , couleur , avoir , faire ,
bec.
n. Unr mot ne eonfer\^e pas dans la
traduction tous les fens figurés qu'il a dans
la lan!2;ue orii^inale : chaQ;ue lan2;ue a des
expreliions figurées qui lui font particu-
lières , foit parce que ces exprelTions font
tirées de certains ufages établis dans un
pays, ôc inconus dans un autre \ foit par
quelque autre raifon purement arbitraire.
Les diférens fens figurés du mot voix , que
nous avons remarqués , ne font pas tous
en ufagc enlatin , on ne dit point vox pour
C iij
3S DES TROPES
fufrage. Nous dirons porter envk , ce qui
ne feroit pas entendu en latin par ferre
invidïam : au contraire , morem genre alicut,
eft une façon de parler latine , qui ne fe-
roit pas entendue en françojs , il on fe,
contentoit de la rendre mot à mot, ôc
que l'on ixdiàmsit ^ porter la coutume à quel-
quun^ au lieu de dire, faire voir à quel-
qu'un qu'on fe conforme à fon goût , à fa
manière de vivre , être complaifant , lui
obéir. Il en eft de même de mcem gérere ,
'uerbadare ^ & d'un grand nombre d'autres
façons de parler que j'ai remarquées ail-
lieurs, &. que la pratique de la verfion
interlinéaire aprendra.
Ain{i , quand il s'agit de traduire en
une autre langue quelque expreiîion figu-
rée , le traducteur trouve fou vent que fa.
langue n'adopte point la figure de la lan-
gue originale, alors il doit avoir recours
à quelque autre exprefiion figurée de fa
propre langue , qui réponde , s'il eft poiîi-
ble , à celle de fon auteur.
Le bue de ces fortes de traductions ^
n'eft que de faire entendre la penfée d'un'
auteur j ainfi on doit alors s'atacher à la
penfée &: non à la lettre, & parler corne
l'auteur lui-même au roit parlé, filalan-
I
EN GENERAL. 59
îjue dans laquelle on le traduic avoit été
la langue nacurèle. Mais quand il s'agit
de fau'e entendre une laneiue étranG;ère ,
on doit alors traduire litéralement , afin
de faire comprendre le tour original de
cette langue..
V.
Ohfcrvations fur Us DîHlonalres Latins»
François.
Nos Diclionaires n'ont point alîes re-
marqué ces ditërcnces j je veux dire, les
divers fens que Ton done par figure à un
même mot dans une même langue \ èC
les diférentes fignifications que celui qui
traduit eft obligé de doncr à nn même
mot ou à une même cxpredion, pour faire
entendre la penfée de fon auteur. Ce font
deux idées fort ditérentes que nos I>ic-
tionaires confondent ; ce qui les rend
moins utiles ôc fouvent nuifibles aux co-
mençans* Je vais faire entendre ma pen-
fée par cet exemple.
Porter , fe rend en- latin dans le fens
propre ip2.Y ferre : mais quand nous difons
porter envie , porter la parole , fe porter bien
oi^malj &c, on ne le fert plus àc ferre
pour rendre ces façons de parler en latin:
Civ
40 LES TROPES
la langue latine a Tes expreffions partica-
lières pour les exprimer; porfer ou ferre
ne font dIus alors dans l'imagination de
celui qui parle latin : ainfi^ quand on
çonGdèrc ^^r/(rr, tout feul & féparé des
autres mots qui lui douent un fens figuré^
on manqucroit d'exactitude dans les Dic«
tionaires francois-latins , fi l'on difoit d'a-
bord fimplement que porter fe rend en
latin par ferre , invider e , àlloqui , 'ua-
1ère ^ &CC.
Pourquoi donc tombe-t on dans la mê-
me faute dans les Diélionaires latins-
françois, quand il s'agit de traduire uri
mot latin ? Pourquoi joint-on à la figni-
fîcation propre d'un mot , quelqu'autre
fignification figurée qu'il n'a jamais tout
feul en latin ? La figure n'efi: que dans no-
tre françois , parce que nous nous fervons
* Voyez ({\iYiQ autre imaçc, & par conféquent de
naiic latin- ^lots tout duercns ; par exemple : * M//-
fiançois^ , 1ère (ignifie , dit on , envoyer , retenir , are-
imprime ^^^ écrirc , n'cft-cc pas come fi l'on di-
ioiis le ' ■■
nom du R. foit daus le Diclionaire françois-latin ,
p.Tacharr, q^g porter fc rend en latin par ferre , invi"
en 1717, & 1^ -^ ,,, . /' ^ T • -' >
quelques ^^^^ y auo^tit^ vaLcrc ? Jamais mittere n a eu
autres Die- la figuification de retenir^ d'areter^ d'c-
nonaires ^^^ ^ l'ima^-inatiou d'un home oui
EN GENERAL. 41
parloit latin. Quand Térence a dit: * /d- '* Adclp.
crymas mitte , ôc *^ -miffam îramfdciet; mit- ^ ^ ^' '
Et îcre avoic toujours dans fon cfprit la figni- ** Hcc
fication d'envoyer : envoyez loin de vous ^^- ^ ^*^°
, -^ ,^ ^ 1. V. 14.
vos larmes , votre colère, corne on ren-
voie tout ce dont on veut fe défaire. Que
Il en ces ocalions nous difons plutôt ,
retenez^ vos larmes , retenez, votre colère , c'eft
que pour exprimer ce fens , nous avons
recours à une métaphore prife de l'action
que l'on fait quand on retient un cheval
avec le frein, ou quand on empêche qu'une
chofe ne tombe ou ne s'échape. Ain fi il
faut toujours diftingucr les deux fortes de
traductions dont j'ai parlé ailleurs. Quand
on ne traduit que pour faire entendre la
penfée d'un auteur, on doit rendre, s'il
efl: pofîiblc , figure par figure, fans s'ata-
cher à traduire litéralcment j mais quand
il s'agit de doner l'intelligence d'une
langue , ce qui efl le but des Dictionai-
tes , on doit traduire litéralemcnr , afin de
faire entendre le fcns figuré qui ell en
ufa2:e en cette lang-ue à l'éirard d'un cer-
tain mot -, autrement c'eft<out confondre :
les Diclionaircs nous diront que /t^ua Ci-
gnifie le feu, de la même manière qu'ils
nous difcnt que mttterc veut dire arèter ^
42 DES TROP ES
retenir ; car enfin les Latins, crioient aquai^
* Térrita aquas , "^ c'eft-à-dire , ajférte aquaSy quand
vicmas Yc feu avoit pris à la maifon , fie nous
Kiacaquas. crions alors au feu ^ ceit-a-dire^ acourez
Prop. L. 4. au feu pour aider à réteindj;e. Ainfi quand
*d ^'extin. ^^ s'agit d'aprcndrc la langue d^un auteur^
gnéndum il faut d'abord doner à un mot fa fignifî-
^^^^'^g'^' cation propre, c'eft-à-dire, celle qu'il
loaidus. avoit dans l'imagination de l'auteur qui
îc^iA, 5*en e{^ {ç.'cv'x , ôc enfuite on le traduit, (î
l'on veut , félon la traduAion des penfées,
c'eft à' dire , à la manière dont on rend le
même fonds de penfée , félon l'ufage d\ine
autre langue.
Mittere ne fignifie donc point en latin
retenir y non plus c^^cpéllere , qui veut dire
En. 2. V. chajfer. Si Térence a dit lâcrymas mitte ,
7^^- Virgile a dit dans le même fens , làcry^
mas diléct^ felU Creâfd, Chafîez les larmes
de Créiife, c'eft-à-dire , les larmes que
vous répandez pour l'amour de Créiile ,
ceiïez de pleurer votre chère Créiife , re-
tenez les larmes que vous répandez pour
l'amour d'elle , confolez-vous.
Mittere ne veut pas dire non plus eri;
latin écrire : 6c quand on trouve mittere
epiftolam alictà, cela veut dire dans le latin,
envGjer une lettre à qttelqt^^uriy^ nous, di-
EN GENERAL. 43
fons plus ordinairement , écrire une lettre
À quelqu'un. Je ne finirois point (1 je vou-
lois rapporter ici un plus grand nombre
d'exemples du peu d'exa£ticude de nos
meilleurs Diclionaires ; merces punition,
nox la mort, pulvis le bareau , &:c.
Je vo.udrois donc que nos Dictionaires
donaiîent d'abord à un mot latin la figni-
fication propre que ce mot avoit dans l'i-
magination des auteurs latins: qu'enluite
ils ajoutaflent les divers fens figurés que
les Latins donoient à ce mot. Mais quand
il arrive qu'un mot joint à un autre , for-
me une exprellion figurée , un fens , une
penfée que nous rendons en notre lan-
gue , par une image diférente de celle qui
étoit en ufage en latin ; alors je voudrois
diftinguer :
I . Si l'explication litérale qu'on a déjà
donée du mot latin, fuffit pour taire en-
tendre à la lettre l'exprelîion figurée, ou
la penfée litérale du latin ; en ce cas, je
me contenterois de rendre la penfée à
notre manière j par exemple : mittcre en-
voyer, mitte iram ^ retenez votre colère,
mîttere ep ift olam altcai ^écnzQ une lettre à
quelqu'un.
Provfncia^ Province, de pro ou prôcul ,
44 DES TROP ES
& de v'mctre lier , obliger , ou félon d*atr-
tres, de vmcere ^ vaincre : c'étoic le nom
généFic]ue que les Romains donoientanx
pays dont ils s'étaient rendus maîtres hors
de l'Italie. On dit dans le fens propre ,
frovmciam càpere ^ fufctpere , prendre le
gouvernement d'une province, en être
fait gouverneur j & on dit par méta-
phore, provmciam Jufcfpere ^ être dans un
emploi, dans une fonction, faire quelque
Aâ^'^r °'^' Cf^tJ^^P^^i^^* Provmciam cepijii duram^ tu t'es
■^'chargé d'une mauvaife comilTion , d'un
emploi diiicile.
2 . Mais lorfque la façon dp parler latine
eft: trop éloignée de la françoife, & que
la lettre n'en peut pas être aifément en-
tendue , les Di£tionaires devroient l'ex-
pliquer d'abord litéralcment, 6c enfuite
ajouter la phràfe françoife qui répond à la
latine j par exemple : Uterem crudumUvàrCy
laver une brique crue, c'eft-à-dire , per-
dre fon tems <k; fa peine , perdre fon la-
tin. Qui laveroit une brique avant qu'elle
fût cuite , ne feroit que de la boue , & per-
droit la brique. On ne doit pas conclure
de cet exemple, que jamais Uvdre ait (i-
gnifié en latin perdre, ni Uter tems o«
peine.
EN G E N ERAL. 45
Au reflc , il efl évident que ces diverfes
/îgnilications qu'une langue done à un
même mot d'une autre langue , font étran-
gères à'ce mot dans la langue originale ;
ainii elles ne font point de mon fujet : je
traite feulement ici des diférens fens que
l'oTi done à un même mot dans une même
langue , & non pas des diférentes images
dont on peut fe fervir en traduifant , pour
exprimer le même fonds de penfée.
46
DES TROPES.
SECONDE PARTIE;
Des Tropes en particulier,
— ■ -- -■ I
I. .
La Catachrese,
Ahus , Extenjion , ou Imitation.
Ka-TK^pticiç ir Es langues les plus riches n'ont point
Abùfio. f j un affez grand nombre de mots pour
exprimer chaque idée particulière , par un
terme qui ne foit que le ligne propre dé
cette idée j ainfi l'on eft fbuvent obligé
d'emprunter le mot propre de quclqu'au-
tre idée , qui a le plus de raport à celle
qu'on veut exprimer ^ par exemple : l'u-
fage ordinaire eft de clouer des fers fous le^
pies des chevaux , ce qui s'apèle ferrer un
cheval'^ que s'il arive qu'au lieu de fer on
fe ferve d'argent , on dit alors que les che-
y^xxyi font ferrés d'argent ^ plutôt que d'in-
venter un nouveau mot qui ne feroit pas
entendu : on terre aufîi d'argent une caf-
fette, ôcc. alors yîrrr^r fignifie par excen-
ip^
La catachrese. 47
tion , garnir d'argent au lieu de fer. On
die de même a/er à cheval fur un bâton ^
c'eft- à-dire, fe mettre fur un bâton de la
niême manière qu'on fe place à cheval.
Ludere par impar -, equitare in amndine longâ. Hoh x.
Dans les ports de mer on dit bâtir un
vaijjeau , quoique le mot de bâtir ne le dife
proprement que des maifons ou autres
édifices : Virgile s'eft fervi à\edificdre^ bâ- ^n- î- ^■
tir, en parlant du cheval de Troie; 6c ^'^cic. pro
Cicérona dit, xdifcdre clajfem^ bâtir une legeMani-
flote. ^^•"•^*
Dieu dit à Moïfe , je ferai pleuvoir pour
vous des pains du Ciel , Sc ces pains c'étoit
la mâne : Moïfe en la montrant dit aux
Juifs , voila le pain que Dieu vous a doné Exod. ck
pour vivre. Ainfi la mâne fut apelée pain *y^* '*^' +-
par extenfion.
Parricida , parricide , fc dit en latin 6c
en françois , non feulement de celui qui
tue fon père , ce qui eft le premier ufage
de ce mot \ mais il fe dit encore par ex-
teniion de celui qui fait mourir fa mère ,
ou quelqu'un de (es parens , ou enfin quel-
que perfone facrée.
Ainfi la Catachréfe eft un écart que
certains mots font de leur première figni-
48 LA CATACHRESE.
ficatioa , pour en prendre une autre qui y
a quelque raport, OC c'eft auffi ce qu'on
apèle extenjion : par exemple \ feuille fe dit
par extenfion ou imitation des chofes qui
font plates Se minces , corne les feuilles
des plantes j on dit une feuille de papier, une
feuille de fer blanc , une feuille d'or, une feuille
^^ d'éiain , qu'on met derrière les miroirs :
une feuille de carton ,- le talc fe lè've par feuil-
les s les feuilles d'un paravent , ôcc.
La langue , qui eft le principal organe
de la parole, a doné Ton nom par méto-
nymie & par extenfîon au mot générique
dont on fe fert pour marquer les idiomes ,
le langage des diférentes nations : langue
latine , langue franc oife.
Glace , dans le fens propre , c'efl: de l'eau
gelée: ce mot lignifie enfuite par imita-
tion, par extenlion, un verre poli, une
çlacede miroir, une glace de carolîe.
Glace fignifie encore une forte de com-
poiîtion de fucre & de blanc d'œuf , que
l'on coule fur les bifcuits, ou que l'on
met fur les fruits confits.
Enfin , glace fe dit encore au pluriel ,
d'une forte de liqueur congelée
Il y a même des mots qui ont perdu
leur première fignifîcation, é<: n'ont retenu
que
LA CATACHRESE. 49
qne celle qu'ils ont eue par extenfîon -.fiorir,
fiorijfdnt ^ le difoient autrefois des arbres
& des plantes qui font en fleurs \ aujour-
d'hui on dit plus ordinairement^a/r/V au
propre ^ & florir au figuré : il ce n'eft à
l'infinitif, c'ell au moins dans les autres
modes de ce verbe ; alors il fignifie être
en crédit, en honeur, en réputation : Vê-
i-^'arcjueflorïjfoit vers le milieu du XIV. (iè-
cle : une armcc fiortffante y un empire florif-
fant. « La langue grèque, dit Madame
"Dacier, fe maintint encore zS^^i. florif-
•i-i fante jufqu'à la prife de Conftantinoplcj
33 en T453.
Prince >, en latin ^r/^r^^j , lignifioit feu-
lement autrefois, premier, principal \ mais
aujourd'hui en françois il fignifie, un fou-
vcrain , ou une perione de maifon fouvc-
raine.
Le mot împerâtor y Empereur, ne fut
d'abord qu'un titre d'honeur que les foi-
dats donoient dans le camp à leur Géné-
ral , quand il s'étoit diflingué par quelque
expédition mémorable : on n'avoit ataché
à ce mot aucune idée de fouveraineté , dis
tems même de Jules Céfar , qui avoir bien
la réalité de fouverain, mais qui gouver-
iioit fous la forme de l'anciène Républi-
D
50 LA CATACHRESE,
que. Ce mot perdit Ton anciène figniiica*
tion vers la fin du règne d'AuguPtC , oit
peut-être même plus tard.
Le mot latin fuccârrere , que nous tra-
duifons ipâv fecourir, veut dire proprement
courir fous ou fur, Cicéron s'en eft fervi
plufîeurs fois en ce fens -, fuccurram atque
* clc. ààfùb/^h. Qjiidquîd * fuccnrrit lihet fcrfbcre^ î^
^'"•n.^* rt Séné que dit , obvios , fi nomr/i non fuctâr-
fînem. ^^t , Dommos jiilutdmHs i « lorlque nous rcn-
Senec. Ep. „ controns quelqu'un , & que Ion nom ne
îî nous vient pas dans l'efprit, nous l'ape-
« ions Monfieur. u Cependant come il
faut fouvcnt (e hâter &: courir pour venir
au fecours de quelqu'un, on a doué in-
fenfiblcment à ce mot par cxtenlîon, le
fens èi aider ou f courir.
-ni-roi Pétere , félon Perizonius , vient du grec
'^vliiz'inP^^^ ^ P^i ornai ^ àowx. le premier fignific
^t!i\\&:.Tm.w. tomber y &C V3.utvc voler i enforte que ces
^*^- 4- c. 4- verbes marquent une action qui fe fait
■ "^ ' avec éfort & mouvement vers quelque ob-
jet j ainii :
I. Le premier fens de pétere ^ ceft ^Ar
vers ^ fc porter avec ardeur vers un o')-
jet j enfuite on dope à ce mot par exten-
fîon plufîeurs autres fens, qui font une
fuite du premier.
LA CATACHRESE. 51
2. Il Cigmûc fouhaher d'avoir ^ briçucr ^
demander ; pétcre confuLitum , briguer le
conftiLit 5 pécere niipcias aliciijus, rechercher
une perfoiie en mariage.
3. Aler prendre ^/undc milii pctam ci- Ter.Heaut
bum. ^ ^- M-
4. Aler vers quelqu'un \ & en conféquen-
ce le f râper ^ l'ataquer. Virgile a dit : mal»
me Galatéa petit ^ iSC Ovide, à populo faxis^^^-")"^-^^-
pr^etereiinie pctor. -^^^S- ^^
5. hnhn pctere vQiit dire par extcniion,
aler en quelque lieu , enfortc que ce lieu foie
l'objet de nos demandes Se de nos mou-
vemens. Les compagnons d'Enée, après
leur-naufrage, demandent à Didon qu'il
leur Toit permis de fe mètre en état d'aler
en Italie, dans le Lntium , ou du moins
d'aler trouver le Roi Acellc.
Iciliam b:ti Latiûmque petamus. Virg. J£.n,
I. V. 558.
At fréta Sicanix faltem fedéfque pârâcas,
Uiiae hue advécli , legémque petamus Acéfteii.
La réponfe de Didon eildifî;ncde rcmar*
que :
Seu vos Hefpériam magjiam Saturniaque arva ,
Sive Erycis fines, regémque optâtis Acéften.
oii vous voyez c^'optdtis explique ^f^/V////.
D>j
52 LA CATACHRESE,
Virg/^n. Advértere fîgnifie tourner 'vers: advérîert
12.. V. ;;;. ag7nen tirhi^ tourner fon armée vers la ville s
ndvem advértere y tourner Ton vaitTeau vers
quelque endroit , y aborder: enfuite on l'a
clit par métaphore de refprit \ advértere
m'imum , advértere mentem ; tourner l'eTprit
vers quelque objet , faire atention , faire
A-éHexion , conlidércr : on a même fait un
mot compofé à<riinimti?n dc à' advértere ;
ani m- advértere , confidérer , remarquer ,
examiner.
Mais parce qu'on tourne fon efprit , ^<ix\.
refîen riment , vers ceux qui nous ont ofen-
fés , & qu'on veut punir,- on a doné enfuite
par extenilon le fens de ^unir à animadvér-
tere ; verhérihtts animndvertéhant in cives ;
* Salufte -^ ils tournoient leur reiTentiment , leur
Catil. 51. colère, avec des verges contre les ci-
toyens, c'efii-à-dire, qu^ils condanoientau
fouet les citoyens. Remarquez op^ânimas
fe prend alors dans le fens de colère.
Bafil. Fab. -^f ^^//^//j- j dit Fabct , fe prend fouvenc
ÀiUmus' poï-^'^cct^te partie de Tamc , qu£ imfetiis ha-
het & mottu.
Hor. lib. ^'^^ furor brevis cft ; ânimum rege , qui nifi paiet
I. Epift. i. Imperat -, hune frenis , luinc tu compéfce catén;-..
Ces fortes d'extenfions doivent être au-
LA CATACHRESE. 5?
rorifées parTafage d'une langue, 6c ne (ont
pas toujours réciproques dans une autre
Tangue; c'eft-à-dirc , que le mot François
ou alemand , qui répond au mot latin ,
félon le fens propre , ne fe prend pas tou-
jours en François ou en alemand dans le
même fcns fi^^uré eue l'on done au mot
latin : demander répond à petcre \ cepen-
dant nous ne difons point demander pour
atacjmr , ni pour akr. a.
Oppido dans Fon origine cfl le datiFd'^?/»-
fidum , ville ; oppido pour la ville , au darit.
Les laboureurs en s'entretenant enfemble,
dit Feftus , Fe demandoient l'un à l'autre ,
avez-vous Fait bone récolte ? Sdpe refpan-^
débat ur , quantum vel oppido fatis effet ^ j'en
aurois pournourir route la ville : &: de là
efl: venu qu'on a dit oppido adverbialement,
pour beaucoup -, bine in confiietiidinem l'cnit
ut dicerêtur , oppido pro valdè , mulciim»
Feflus. v. Oppido.
Dont vient de undè^ ou plutat àc de
unde , corne nous diFons dcLi , dedans. Ali- Teienc^î
quid déderis unde utatur , donez-lui un peu . l ^ ^' .-
a argent dont il puille vivre en le metant 5. v. 14,
à profit : ce m.ot ne Fe prend plus aujour-»
d'hui dans Fa Fignihcation primitive y
on ne dit pas la ville, dont je Tiens , mais
d'ok je viens,. D iij
54 LA CATACHRESE.
Propinare^ boire à la fanté de quelqu'un,
çft un mot purement grec, qui veut dire
à la lettre , boire le premier. Quand les an-
ciens vouloient exciter quelqu'un à boire,
5c faire à peu près à fon égard ce que nous
apelons boire à la fanté \ ils prenoient une
coupe pleine de vin, ils en bu voient un.
peu les premiers, & enfuite ils préfcn-
toient la coupe à celui qu'ils vouloient
exciter à boire. ^ Cet ufage s'efl confervé
en Flandre, en Holand^ , Se dans le Nord :
on fait l'eiïai, c'eft-à dire, qu'avant que
de vous préfenter le vafç , on en boit un.
peu , pour vous marquer. que vous pouvez
en boire ians rien craindre. De là, par ex-
tenfion, par imitation , on s'eft fervi de
propinarc pour livrer quelqutm , h trahir
pour faire plaifir à un autre j le livrer , le
doner corne on donc la coupe à boire après
avoir fait l'eiïai. ]e vous le livre ^ dit Té-
rence, en fe fervant par extenfion du mot
Ter. ^v^n. propf/iO , moquez^ vous de lui tant quil vous
Act.v. fcc-
ïie dern. _, . , . , t ,r ■
* Hic Regina gravem gemmis auroque plopolciç,
Implevitque mero pdteram
' 5c in menfa lâ:icum Iibâvit honorcm ,
Primâ(L]ue libâto fummo tenus âttigit ore :
Tum Bitix dcdit incrépitans j ille impiger haufic
Spumântcm pâteram , & pleno fe proluit auro. &u. I. 7 51.
LA CATACHliESE. 55
flaira^ hune vobis dendéndum propino.
Nous avons vu dans la cinquième par-
tic de cette Grammaire , que la prépofi-
tion fupléoit aux raports qu'on ne lauroic
marquer par les terminaifons des mots >
qu'elle marquoit un raport général ou une
circonftance générale, qui étoit enluite
déterminée par le mot qui fuie la.prépo-
iîtion.
Or, cts raports ou circonllances géné-
rales font prefque infinies, t-C le nombre
des prépoiirions eft extrêmement borné ;
mais pour fupléer à celles qui manquent^
on donc divers ufages à la même prépo.-
iition.
Chaque prépofition a fa première figni-
fication, elle a la dedination principale,
fon premier fens propre ; ^ enfuite par
extenfion , par imitation , par abus, en un
mot par catachrèfe , on la fait fervir à
marquer d'autres raports qui ont quelque
analo2;ic avec la deilination principale de
la prépofition , ôc qui font futîifament in-
diqués par le lens du mot qui cil lié à
cette prépoiition \ par exemple :
La prépofition i'û eft une prépofition de
lieu , c'eft- à-dire, que fon premier u(age
çR- de marauei; la circonllance généf^ilt^
LA CATACHRESE.
4'être dans un lieu • Ct far fut tué dans h-
fénatj entrer dans une m^ijon^ferrer dans unç
cajfctte.
Enfuite on conddère par métaphore les
diférentes (Ituations de refpric & du corps,
les diférens états de la fortune ^ en un mot
les diférentes manières d'être, come au-
' t;ant de lieux oix l'home peut fe trouver ;
£c alors on dit par extenfion , être dans U
joie y dans U crainte , dans le dej^ein , dans U
bone ou dam la jnawvaife fortune , dans une
parfaite fanté ^ dans le dé (ordre , dans Cépée y
dans la robe , dans le doute , ^c.
On fe fcrt auffi de cette prépofîtioii
pour marquer le tems : c'eft encore par ex^
tenfion , par imitation j on conlidère le
tems come un lieu , nolo rne in témpore hoc
'videat fenex y^ c'efi: le dernier vers du qua-
trième acte de l'Andriènc de Térence.
Uhi êc ihi font des adverbes de lieu ; on
les fait fer vir aulîi par imitation pour mar-
virg.iEn. qucr le tcms 5 h£c uhi dicla^ après que ces
I. V. 85. mots furent dits , après ces paroles.
And. Adt. ' A^^'^ ^"'^ ihi natum ? (ohjurgajli) n'alâtes-
1. fc. I. V. vous pas fur le champ gronder votre fils?.
^^*' ne lui dites-vous rien alors?
. ' On peut faire de pareilles obfervations
fur les autres prépofitions. , ^ fur uo grand
nombre d'autres mots.
LA CATACHRESE. 57
« La prépoficion après , dit M. l'Abé de .
TA j<. • ^ r Feuille'
« Dangeau , * marque premièrement poi- voianrefur
>5 tériorité de lieu entre des perlones ou la prépoii-
>5 des chofes : marcher après quelquun ,• le "°"*i"'<^^-
»î l'akt court après fon maître ; les CanfeilLers
"^•i-Jont ajjis après les Vréfidens.
Enfuite, coniïdérant les honeurs , les
richelîes , &c. come des êtres réels , on a
dit par imitation , courir après Us honeurs ,
foHptrer après fa liberté.
" Âpres , marque auffi poftériorité de
î^ tems , par une efpjèce d'extenfian de la
« quantité de lieu à celle du tems. Pierre.
M eft arrivé après Jaques. Quand un home
» marche après un autre , il arive ordi-
M nairement plus tard j aprls. demain , apr\s
» dîné .^ d>cc.
'î Ce Tableau efl fait d' après le Titien. Cs
"^^ payfage e/l fait d'apr}s nature : ces façons
M de parler ont raport à la poftëriorité de
« tems. Le Titien avoit fait le tableau
" avant que le peintre le copiât ; la nature
xî avoit formé le payfage avant que le peia-
»3 tre le repréfentât.
C'eft ainfi que les prépofitions latines îi
^fub marquent auffi le tems , come je l'ai
fiiit voir en parlant des prépofitions.
1? U me femble > d,it M.. l'Abé de Daa-.
5S LA CATACHRESE.
" geair , qu'il feroic fort utile de faire voir
>î cornent on ell: venu à doner tous ces
" divers ufa^jes à un même mot; ce qui
>3 eft comun à la plupart des langues.
Le mot 6! heures â>:t , n'a lignifié d'abord
que le tems j enfuite par extenfion il a
lignifié les quatre faifons de Tannée. Lorf-
îliad.L.v. qu'Homère dit que depHis le comencement
Trad. pag. ^^,j. ^^^^^ /^j. Ij^jiy^^ 'vilUnt d la garde du hmt
Olympe ^ & que le foin des portes du ciel leur
Rem. p. ^ji confié i Madame Dacier remarque qu'-
^■^ ' Homère apèle les heures ce que nous ape-
lons les faifons.
Herod.L.i. Hérodote dit que les Grecs ont pris des
Babyloniens Tu (âge de divifer le jour en
Pline, L. douze parties. Les Romains prirent en-
7. c. 60. fuifç cet ufaire des Grecs , il ne fi^it intro-
duit chez les Romains qu'après la pre-
mière guerre punique : ce fut vers ce tems-
là que par une autre extenfion l'on dona
le nom èiheurc<; aux douze parties du
jour , ôc aux douze parties de la nuit ;
celles-ci étoient diviféesen quatre veilles,
dont chacune comorenoic trois heures.
Dans le lancra<^e de l'Ei^life, les jours
de la lemaine qui fi.iivent le dimanche,
font apelés/<fwj par extenfion.
Il Y avoit parmi les anciens des fêtes 6c.
^
LA CATACHRESE. 59
des fériés : les fêtes écoienc des jours So-
lemnels oii l'on faifoic des jeux ck des fa-
cri lices avec ponipe 3 les fériés écoient feu-
lement des jours de repos où l'on s'abftc-
noit du travail. Feftus prétend que ce mot
Vient à fer tendis njiciimis.
L'anée chrétiène començoit autrefois
au jour de Pâques j ce qui étoit fondé fur
ce paiïàge de S. Paul : Quomodo Chnfius Rom. c,
refiiYYcxit a. mortuis , ita (^ nos in noviîâtc ^' ^- 4-
i'Ùjs ' a mhnlhnus. .
L'Empereur Conftantin ordona que l'on,
s'abfliendroit de toute œuvre lervile pen-
dant la quinzaine, de Pâques, &: que ces
quinze jours f eroient/e'r/Vj- ; cela fut exécu-
té du moins pour la première femaine;
ainii tous les jours de cette première (e-
maine furent j^V/V/. Le lendemain du di-
manche d'après Pâaues fut la féconde fé-
rié , ain{i des autres^ L'on dona eniuite par
extenfîon , par imitation , le nom àcfcrie
féconde , troifième , ■ cjiiatri}nie , blQ. aux au-
tres jours des femaines luivantes , pour
éviter de leur doner les noms profanes des
Dieux des payens.
C'efc ainiî que chez les juifs le nom de
fihat [fabhatum ) qui fignifie repos^ fut doné
au feptième joui; dç la femainc , en mé-
60 LA CATACHRESE.
moire de ce qu'en ce jour Dieu fe repofà J
pour aioli dire, en ceflant de créer de
nouveaux êtres: cnfuite par extenfion on
dona le même nom à tous les jours de la
femaine , en 2.]Qwx.2Lnt premier^ fécond , troi^
/leme , êcc. prima ^fectmda , ^c ^ fabbatoruw^
Sahbatum le dit auiîî de la ièmaine. On
dona encore ce nom à chaque feptième
année, qu'on apcla année fabatique^ ôî enfin
à l'année qui arivoit après fept fois fepc
ans , c'étoit le jubilé des Juifs ; tems de
rémiffion, de reftitution , oii chaque par-
ticulier rentroit dans les anciens hérita-
ges aliénés , ôc où les efclaves devenoienc
libres.
Notre verbe aler^ fignifie dans le fcns
propre , fe tranfporter d'un lieu à un autre \
mais enfuite dans combien de fens figurés
n'eft il pas employé par extenfion ! Tout
mouvement qui aboutit à quelque fin ;
toute manière de procéder, de fe condui-
re , d'ateindre à quelque but; enfin tout
ce qui peut être comparé à des voyageurs
qui vont enfemble , s'exprime par le verbe
alen je vais ^ ou je vas 3 aler à fesjins , alcr
droit 2X\hvX: il ira loin, c'eft-à-dire, il fera
de grands progrès , akr étudier, alerlire^ ôcc»
UcvoîKy veut dirs dans le £ens propre 3.
LA CATACHRESE. 6i
hre obligé par les loix a payer ou à faire quel-
que choje : OQ le dit enfuice par extcnfion
de tout ce qu'on doit faire par bienféaiice,
par politcflèj mus devons aprendre ce que
nous devons aux autres , (^ ce que les autres
nous doivent»
Devoir fc dit encore par extenfion de qç^
t]ui arivera, corne (î c'étoit une dette qui
dût être payée : je dois fortir : in/lruifcz>-
vous de ce que vous êtes , de ce que vous nctes
pas y (jr de ce que vous devez^ être ^ c'eft-à-
dire, de ce que vous ferez, de ce à quoi
vous êtes deiliné.
Notre verbe a.uxiliaire avoir , que nous
avons pris des Italiens , vient dans fon ori- CArarbrt^
gine du verbe hahére , avoir , poiïëdcr. Ce- mifuec^m-
far a dit qu'il envoya au devant toute la ^'"^^'"^ ^"'~
cavalerie qu li avoit ailemblee de toute la ex omm
province, quem coadum habcbat. Il dit en- p^o-tincU
core dans le même icns, avoir l^s fermes ^^y^y^^
tenues à bon marché , c'cil-à-dire , avoir pris Cxfar de
les fermes à bon marché, les tenir à bas prix, f.^^^*^ ^al-
Dans la fuite on s'eft écarté de cette (îgni- vècHgdùa
fication propre A'avoir , &c on a joint ceP'^^,^" P>'^-
1 / 1 r, , 1 \ r tiû redem-
verbe par métaphore & par abus, a un lu-^^^ hnbére.
pin, à un participe ou adjectif ^ ce font Wem ibid.
des termes aburairs dont on parle come ^f^^f^
<\'2 cnolcs réelles : amavi , j ai aime, habee dam ha-
Cl LA CATACHRESE.
bent defpi- amatum i aimé eft alors un fapin , un noiîi
"^^™; P''* qui marque le fentiment que le verbe fieni-
Eun Aft.x. 2 . V ^ j I r • j» • ^
fc 3.V.91. ncj je poisedelclencimencd aimer, come
tm autre pofsède fa montre. On eft H fore
acoiitumé à ces façons de parler , qu'on ne
fait plus atention à l'anciène fîgnification
propre d'avoir ; on lui en donc une autre
qui ne fignifie avoir que par figure , bi qui
marque en deux mots le même fens que
les Latins exprimoient en un feul mot.
Nos Grammairiens qui ont toujours ra-
porté notre Grammaire à la Grammaire
latine, difent qu'alors avoir eft un verbe
auxiliaire , parce qu'il aide le fupin ou le
participe du verbe à marquer le même
tems que le verbe latin fignitie en un feul
mot.
Etre , avoir ^ faire j font les idées les plus
fîmpîes , les plus comunes , 5c les plus in-
rércfllintes pour l'home : or les homes par-
lent toujours de tout par comparaifon à
eux-mêmes ^ delà vient que ces mots ont
été le plus détournés à des ufages difé-
rens : être afJis^ être aimé ^ 6cc. avoir de l'ar-
gcnt , avoir peur , avoir honte , avoir quclcjue
chofc faite ^ & en moins de mots avoir fait.
De plus, les homes réalifent leurs abs-
tractions j ils en parlent pair imitation j
LA CATACHRESE, 6^,
corne ils parlent des objets réels : aiiifi ils fe
font fervis du mot avoir en parlant de
chofes inanimées &: de chofes abllraites.
On dit cette 'ville a deux licnes de tour ^ cet
ouvrage a des défauts ,• les pajpons ont leur
il f âge ; /'/ a de Pefprit , il a de la vertu : 5c
cnfuite par imitation de par abus, il a
aime\ il a lu , ècc.
Remarquez en pafTant que le verbe a
€ft alors au préfent, èc que la fignifica-
tion du prétérit n'efl que dans le iupin ou
participe.
On a fait aufll du niot ^Vun terme abf-
trait , qui repréfente une idée générale ,
i'être en général ; il y a des hommes qui di-
fent, illud ^uod ejl y ibi habet homines qui ^
dicnnt : dans la bone latinité on prend
un autre tour, corne nous l'avons remar-
qué ailleurs.
Notre il dans ces façons de parler, ré-
pond au res des Latins : Propiùs metum res T. Llv. L.
fiicrat , la chofe avoit été proche de la^"' ~^'
crainte: c'eft-à-dire , il y avoit eu fujet
de craindre. Res ita fe habet ^ il eil: ainii.
Rex tua agitur , il s'agit de vos intérêts ,
Ce n'efl: pas feulement la propriété d'./-
'voir^ qu'on a atribuéc à des êtres inaui-
64- LA CATACBRESE,
mes & à des idées abllraites, on leur à
aulîî atribué celle de 'vouloir : on dit cela
'veut dire ^ au lieu de cela Jfgnifie ; un tel
'verbe veut un tel casi ce bois ne veut pas brû-
ler \ cette clé ne "veut ^as tourner ^ àc. Ces
façons de parler figurées font fi ordinaires,
qu'on ne s'aperçoit -pas même de la iigure.
La lignification des mots ne leur a pas
été donée dans une afîemblée générale de
chaque peuple, dont le réfultat ait été fi-
gnifiée à chaque particulier qui eit venu
dans le monde \ cela s'eft fait infenfible-
ment & par l'éducation : les enfans ont
lié la lignification des mots aux idées que
l'ufage leur a fait conoîtrc que ces mots
figniKoient.
I. A mefure qu'on nous a doné du
pain , & qu'on nous a prononcé le mot
•pain \ d'un côté le pam a gravé par les
yeux fon image dans notre cerveau , & en
a excité l'idée : d'un autre côté, le fondu
mot pain a fait auili fon impreflion par les
Oî-eilles, de forte que ces deux idées ac-
celToires , c'eft-à-dire , excitées en nous en
même-tems , ne fauroient fc réveiller fé-
parément , fans que l'une excite l'autre.
1. Mais parce que la conoifTancedes au-
tres mots qui fignifient des abftra£tions on
des
LA CATACHRESE, 6^
des opérations de l'erpric , ne nous a pas été
donée d'une manière aufli fenfible ,• que
d'ailieurs la vie des homes ei\ courte , 6c
qu'ils iont plus ocupés de leurs befoins
éc de lieur bien être , que de cultiver leur
efprit, 6c de pcrfectioner leur langage;
corne il y a tant de variété &c d'incout-
tance dajis leur iituation, dans leur état^
dans leur imagination, dans les diféren-
tcs relations qu'ils ont les uns avec les
autres j que par la dilicuité que les homes
trouvent à prendre les idées précifes de
ceux qui parlent, ils retranchent ou ajou-
tent prefque toujours à ce qu'on leur dit j
que d'ailleurs la mémoire n'eft ni allez fi-
dèle, ni afiez fcrupuleufe pour retenir de
rendre exactement les mêmes mots ôc les
mêmes fons ^ 6c .que les organes de la
parole n'ont pas dans tous les homes une
conformation affez uniforme pour expri-
mer les fons précifément de la même ma-
nière ; enfin corne les langues ne font
point aiïez fécondes pour fournir à chaque
idée un mot précis qui y réponde : de tout
cela il eil: arivé que les enfans fe font in-
fenfiblement écartés de la manière de par-
ler de leurs pères, come ils fe font écartés
de leur manière de vivre ëc de s'habiller j
Ë
(.G LA CATACHRES E.
ils ont lié au même mot des idées difé-
rentes Se éloignées, ils ont doné à ce mê-
me mot des figniflcations empruntées, 6c
y ont ataché un tour diférent d'imagina-
tion : ainfi les mots n'ont pu garder long-
tems une llmplicicé qui les reflraignît à
un feul ufage $ c'eft ce qui a caufé pluiieurs
irrégularités aparentes dans la Grammaire
& dans le régime des mots ; on n'en peut
rendre raifon que par la conoiflance de
leur première origine , 6i de l'écart, pour
ainfi dire , qu'un mot a fait de la première
iignifîcation 6c de fon premier ufage : ainfi
cette figure mérite une attention particu-
lière , elle règne en quelque forte fur tou-
tes les autres figures.
Avant que de finir cet article , je crois
qu'il n'eft pas inutile d'obferver que la ca-
tachrèfe n'eft pas toujours de la même ef-
pèce.
1. 11 y a la catachrèfe qui fe fait lorf-
qu'on done à un mot une fignificatiori
éloignée , qui n'eft qu'une flîite de la
fignification primitive : c'eft ainfi que
fuccurrere fignifie aider , fecourir : P/-
tere , ataqucr : Animadvértere ^ punir: ce
qui peut fouvent être raporté à la méta-
lepre, dont nous parlerons dans la fuite.
LA CATACHRESE. 67
il. Lci féconde efpèce de catachrèfe
hVft proprement qu'une force de méta-
phore, c'cft lorfqu il y a imitation & coni-
paraifon, corne quand on ait ferrer d* ar*
ge?n, feuille de papier^ 6cc.
I I.
La m e t o n y m i è.
IE mot de Méîonymk fignilie trartfpb- i-Urccw^u.
^fition, ou chanirement de nom, un Change^
' o > ment de
nom pour un autre. hom,de
En ce fèns cette figure comprend cous z"^-^^, qui
les autres tropes $ car dans tous les cropes , compoff-
iin moc n'écanc pas pris dans le fens qui don mar-
lui eft propre . il réveille une idée qui pou- ^^^ '^^'^"~
II' Il ferhent iic
toit être exprimée par un autre mot. Nous de ^Vc^a ,
Remarquerons dans la fuite ce qui diflin- noi«-
gue proprement la métonymie des autres
tropes.
Les maîtres de Tart réllraignent la mé-
tonymie aux ufages fuivans.
I. La cause pouk l'efet; par exem-
ple : vivre de fon travail , c'eft~à-dire , vi-
vre de ce qu'on gagne en travaillant*
Les Païens regardoient Cérès corne la.
Déefle qui avoic fait forcir le blé de U
E ij
«8 LA METONYMIE.
terre, 6c qui avoir apris aux homes la ma*
nière d'en faire du pain ; ils croyoient que
Bacchus ëtoit le Dieu qui avoir rrouvé
Tufage du vin ; ainfi ils donoienr au blé
le nom de Cérès , èc au vin le nom de Bac-
chus -y on en rrouve un grand nombre
d'exemples dans les Poëres : Virgile a dit ,
u'^ 'vieux Bacchtis y pour dire du vin vieux.
virg. ^n. ImfléntuY 'véterisBacchi. Madame des Hou-
i.v. 119. lièi-es a fait une balade dont le reFrein eft,
L'amour languit fans Bacchus & Cérès»
C'eft la traduction de ce pafTage de Té-
Ter.Eun. ren ce, _/?/?<? Cérerc & Lihero ffiget Venus,
Aci:,4.fc.5. C'eil:-à-dire , qu'on ne fonge guère à faire
l'amour quand on n'a pas de quoi vivre.
Virgile a dir :
J£n. I. V. TumCérerem cormptam undis cerealiaque arma
^^^' Expédiunt felTi rerunii
Scarron, dans fa rraduction burlefquc,
fe ferr d'abord de la même figure ; mais
voyanr bien que cette façon de parler ne
feroir point enrendue en no; re langue , il
en ajoute l'explication :
Scarron, Lors fut des vailfeaux defcendue
Virgile Toute la Cérès corompue *,
tiavcfti. L. _ , 11'
En langage un peu plus humain,
C'eft ce de quoi l'on fait du pain.
LA METONYMIE. 69
Ovide a dit, qu'une lampe prête à s'étein-
dre (e ralumc quand on y verfc Pallas , "^
c'cfl-à-dire , de l'huile: ce fut Pallas, fé-
lon la fable , qui la première fît fortir l'o-
livier de la terre, & enfeigna aux homes
l'art de faire de l'huile ; ainfi Pallas fc
prend pour l'huile , corne Bacchus pour
le vin
On raporte à la m.ême efpèce de figure
les façons déparier, où le nom des Dieux
du Paganifme fe prend pour la chofe à
quoi ils préfidoient , quoiqu'ils n'en fuf-
fent pas les inventeurs. Jupiter fe prend
pour l'air , Vulcain pour le feu : ainft pour
dire, où vas-tu avec ta lanterne ? Plante a
dit , Ouo âmhuLis tu , ûui Vulcânum in cornu PJ-'Jt.
conclûfum geris ^ Ou vas tu toi qui portes ^' ^^ -^^ ^;
Vulcain enfermé dans une corne? Et Vir- 1S5.
gile , furit Vtdcanus ; & encore au premier .£n. 5. y.
livre "des Géorgiques, voulant parler du ^^-•
vin cuit ou du réfmé que fait une ména-
gère de la campagne , il dit qu'elle fe fert
de Vulcain pour diflipcr Phumidité du
vin doux.
Aut dalcis mufti Vulcano dccoquit humorem. Geoig; t..
* Cujus ab alloqiiiis anima hxc moribùnda levvxic,
Ut vigil iafafâ Pâllade flamaia Iblet. Ovtd. Trift. L. iv..
^1. 5. V. d..
70 LA METONYMIE.
Neptune fc prend pour la mer \ Mars te-
Dieu de la guerre fe prend fouvenc paur
la guerre même , ou pour la fortune de la
guerre , pour l'événement des combats >
l'ardeur, l'avantage des combatans. Lea
hiftoriens difent (ouventqu'on acombatu
avec un Mars égal , ^quo Marte ^ugnhum
ry?, c'ell-à-dire, avec un avantage égal ^
ancipiti Marte ^ avec un fuccès douteux;
njario Marte , quand l'avantage eft tantôt
d'un côté , &: tantôt de l'autre..
C'eft encore prendra la caufe pourTé-
fet, que de dire d'un Général ce qui , à la.
lettre , ne doit être entendu que de fou
armée ,• il en eft de même lorfqu'on done
le nom de l'auteur à Tes ouvrages: il a ki
Cicéron, Horace, Virgile; c^eft- à-dire ,
les ouvrages de Cicéron, &c.
Jéfus-Chrift lui même s'eft fcrvi de la
métonymie en ce fens, lorfqa'il a dit^
itir.c.xvi parlant des. Juifs : ils ont Moïfe &c les Pro-
"^•^^- phètes, c'eft- à- dire, ils ont le^ livres de
iVîoïfe 6c ceux des Prophètes.
On donc fouvent le nom de l'ouvrier à
l'ouvrage ; on dit d'un drap que c'eft un
Vaj7-Robais^ un Roujjeau^ un Pagnon , c'eft-
à-dire , un drap de la manufacture de Van-
Roba.is, ou de celle de ïloufTeau, &ç.
LA METONYMIE. 71
C'eft ain(i qu'on donc le nom du peintre au
tableau ; on dit j'ai vu un beau iiembrant,
pour dire un beau tableau fait par le Rem-
brant. On dit d'un curieux en ertampes,
qu'il a un grand nombre de Callots^ c'ell-à-
dire , un grand nombre d'eftampes gra-
vées par Cailoc.
On trouve fouvent dans l'Ecriture Sainte
Jacob^ Ifraely Juda^ qui font des noms de
Patriarches , pris dans un fens étendu pour
marquer tout le Peuple Juif. M. Fléchicr,
parlant du fige & vaillant Machabée , au-
quel il compare M. de Turène, a dit " cet Oraifon
« home qui réjouiiïbit Jacob par fes vertus jjj"^^'^^'^^
M 6c par fes exploits, ci Jacob , c'eft-à-dire, lène.
le Peuple Juif.
Au lieu du nom de l'éfec , on fe fert fou-
vent du nom de la caufe inftrumentalc qui
fert à le produire : ainii pour dire que quel-
qu'un écrit bien , c'eft-à-dirc, qu'il forme
bien les caracbères de récriture, on dit
quV/ a une belle main.
1.2. plume effc auiîi une caufe inllrumen-
tale de l'écriture, & par conféquent de la
compoGtion ; aind plume fe dit par méto -
nymie, de la manière de former les cara-
ctères de récriture, & de la manière de-
compofer..
Eiv
7.Z LA METONYMIE,
Plume fe prend aniTi pour l'auteur même,
ç'ejl une bofîe plume ^ c'eft-à-dire, c'eft un
auteur qui écrit bien : c'efi tme de nos meil-
leures plumes ^ccik-k-dirc , un de nos meil-
leurs auteurs.
Sfjle, fignifîe aufli par figure la manière
4'exprimer les penfécs.
tv Les anciens avoient deux manières de
former les caractères de l'écriture ; l'une,
ètoit piiîgenda^ en peignant les lettres, ou
fur des feuilles d'arbres , ou fur des peaux
préparées, ou fur la petite membrane inté-
rieure de l'écorce de certains arbres ; cette
membrane s'apèle en latin liherj d'où vient
livrer ou fur de petites tablètes faites de
rarbri{reau^.'7^/r//.f, ou fur de la toile , &c.
Us écrivaient alors avec de petits rofeaux,
&. dans la fuite ils (a fervircnt auiîi de plu-
mes corne nous.
L'autre manière d'écrire des anciens,
étO'X incicUndû ^ en gravant les lettres fur
des lames de plomb ou de cuivre ; ou bien
fur des tablètes de bois , enduites de cire.
Or pour graver les lettres uir ces Lames,
ou (ur ces tablètes, ils te fervoient d'un
poinçon , qui étoit pointu par un bout, &
aplati par l'autre : la pointe fervoit à gra-
ver, & l'extrémité aplatie fervoit à éfacer,
LA METONYMIE. 73
& c'efl; pour cela qa'Horace 2. à\x. fiyhtm Lib. i.fat,
vértcre , tourner le (lyle , pour dire, efacer^
corhcr. rao^iehcr à un ouvrage. Ce i^omcon.
sapeloic Sîyltis ^ ^ Style, tel eft le fcns *<ie.;i/Aoç
propre de ce mot ; dans le lens hgure , il coiumciia
iignifîe la manière d'exprimer les penfées./'f^rVc co-
C'ell en ce fens que l'on dit, le llyle ili-^"''^'
blime, le ftylc iîmple, le llyle médiocre,
le ftyle foutenu , le ftyle grave , le ll:yle
comique , |e ftyle poétique , le ftyle de la
convcrracion , 6:c.
Outre toutes ces manières diférentes
d'exprimer les penfées , manières qui doi-
vent convenir aux fujets dont on parle , 6c
que pour cela on apèle ftyle de convenan-
ce; il y a encore le ftyle perfonel : c'eft la
manière particulière dont chacun exprime
fes penfées. On dit d'un auteur que foii
ftyle eft clair & facile, ou au contraire,
que fon ftyle eft obfcur, embarafte, &c:
on reconoît un auteur à fon ftyle , c'eft-
à-dire , à fa manière d'écrire , corne oti
reconoît un home à fa voix , à fes gcftcs ,
&: à f a démarche.
Style fe prend encore pour les diférentes
manières de faire les procédures félon les
diférens ufages établis en chaque jurifdic-
rion : le ft-yle d;i Palais', le ftyle du Con-
74 L\4 METONYMIE.
feil , le fliyle des Notaires , êcc. Ce mot â
encore pliifieurs autres ufages qui viènenc
par extcndou de ceux dont nous venons
de parler.
Pinceau , outre fon fens propre , fe dit
auffi quelquefois par métonymie , corne
plume ^ftyle : on dit d'un habile peintre,
que c'eft un Çzva.ntpi/îceau.
Voici encore quelques exemples tirés
de l'Ecriture Sainte , où la caufe eft prife
*Lcvit.c. pour l'éfct. Si ^peccaverif mima^ portabit
V. V. I. im^uitatem fuam^ elle portera fon iniquité.
Midi. c. c'eft- à- dire . la peine de Ton iniquité. Iram
VII. V. q. r» ^ • • ^; ^ • ^ • V
Uomini fortabo cfuomam peccavt^ ou vous
voyez que par la colère du Seigneur, il
faut entendre W peine qui eft une fuite de
Levit. c. la colère. Non mordbitur opus mercenarii mi
*"* ^'^^' apud te ufcjue manè , opus, l' ouvrage , c'eft-
à-dire , le falaire , la récompenfe qui eft
due à l'ouvrier à caufe de fon travail.
Tobie a dit la même chofe à fon fils touc
Tob. c.iv. fimplement : Quicumque tihi âliquid oper^"
^' tusfûerityflaîim ei mercêdem refthue^ d^ mer"
ces mercenarii tut apud tt omnino non remâ"
neat. Le Prophète Ofée dit, que les Prê-
Oféc c. ^'^^^ mangeront les péchés du peuple ,^/?<rc-
IV. V. 8. cata populi mei comcdent , c'eft-à-dire , les
victimes ofertes, pour les péchés..
LA METONYMIE, 75
II. L'efet rouR. LA CAUSE : comç
îorfqu'Ovide die que le mont Pélioii n'a
point d'ombres ^ kcc habet Pélion timbras \ Mcram.L.
c'eft-à-dire , qu'il n'a point d'nrbres, qni^"'^*^*^'
lont la caufe de l'ombre j l'ombre ^ qui eO:
l'éfct des arbres, cft prifc ici pour les ar-
bres mêmes.
Dans la Genèfe , il efl: dit de Rébecca ,
que deux nations étoient en elle j * c'elK
à-dire , Efaii 6c Jacob , les pères de deux
jiacions \ Jacob des Juifs , Êfaii des Idu-
méens.
Les Poètes difent la falc mort , les pâles
maladies^ la mort 6c les maladies rendent
pâle. Pallidamque Pyréuen^ la pale fontaine Pcrfe.ProI.
de Pyrène : c'étoit une fontame confacrée
aux Mufes. L'aplicaclon à la poëfie rend
pale, corne toute autre aplication violen-
te. Par la même raiion Virgile a dit la
trifte vieillefîe. .
Pallenres habitant morbi trîftifque Senédliis. -^n. L. vu
Et Horace , pallida mors, La mort , la ma- Lib^f.od,
ladie , & les fontaines confacrëcs aux Mu- 4.
Tes ne font point pâles \ mais elles produi-
fent la pâleur: ainli on donc à la caufe
une épithète qui ne convient qu'à l'ëfet.
* Dux genres funt in àtero tuo, & duo pôpuli ex vc^itrc
cuo dividcntur. Gm. c. xxv. v. n.
76 LA METONYMIE,
III LF- contenant pour le CONTENU:,
eome quand on dit , H aime la bouteille ,
c'e{^-à-dire , // aime le njin, Virgile dit que
Didon ayant préfenté à Bicias une coupe
d'or pleine de vin , Bicias }a prit ^ fe lavn^
s\irofa de cet or fkin j c'eft-à-dire, de la,
liqueur contenue dans cette coupe d'or.
• ^•^' ille impiser haufîc
bpumantem paceram , ô< pleno le proluit auro..
Auro eft pris pour la coupe , c'eft la ma-
tière pour la chofe qui en eft faite, nous
parlerons bien-tôt de cette efpèce de fi-
gure , enfuite la coupe eft prife pour le vin.
Le ciel , où les anges ôc les faints jouif'
fent de la préfence de Dieu , fe prend fou-
Parcr, pcc- ^ ^t-v • /^ T i i r
caviincœ- ^^^^ pout JJieu meiiie : Implorer le fecours
ium & co- du ciel; grâce an ciel: f ai péché contre le ciel
xamte.Luc. ^ contre VOUS ,, dit l'enfant proclit>ue à fon
siiuit terra perc. Le Ciel le pread auffi pour les Dieux
iaconfpec- Jq PaganifiTie.
Macab.' L. ^^ terre fc tut devant Alexandre ; c'eft-àv
X. c. I. V.3. dire , les peuples de la terre fe fournirent à.
lui : Rome défaprouva la conduite d*Appius ,
c'eft-à-dirc , les Romains défaprouvèrent:
Toute l'Europe s'eft réjouie à la naiiïance
du Dauphin j c'cft à-dire , tous les fouve-
rains, tous les peuples de l'Europe fe fone,
réjouis.
LA METONYMIE. 77
Lucrèce a dit que les chiens de chaiïe
fmctto'ient u^e fora en mouvement j "^ ou
i'on voit qu'il prend la forêt pour les ani-
maux qui font dans la forêt.
Un ^/Id fe prend aufîi pour les petits oi~
féaux qui font encore au nid.
Carcer, prifon, fc dit en Utin d'un home
qui mérite la prifon.
IV. Le nom du lieu , où une chofe fe
fait, fe prend pour la chose mesme : on
dit un Caudehec , au lieu de dire , un cha-
peau fait à Caudebec, ville de Normandie.
On dit de certaines étofes, fVy? une Mar-
feille ^ c'cft-à-dire , une étofe de la manu-
ta£bure de Marfeille : c^cfi une Perfe , c'eft-
à-dire , une toile peinte qui vient de Perfe.
A propos de ces fortes de noms^ j'ob-
ferverai ici une méprife de M. Ménage,
qui a été fuivie par les auteurs du Di6î:io-
naire Univerfel , apelé comunément Dic-
tionaire de Trévoux j c'efl: au fujCt d'une
forte de lame d'épée qu'on apèle Olïnâe :
les olindes nous vièncnt d'Alemagne, Sc
lur-tout de la ville de Solingen, dans le
cercle de Weftphalie : on prononce Solin-
gne. Il y a aparence que c'efl du noni de
* Scpire plagis faltura canibûrcjue ciére. ï-wr. L. v.
7i LA METONYMIE,
tette ville que les épées dont )e parle, ont
été apelées des olindts par abus. Le nom
d'ûiwJe^nom romanefque, étoit déjà conuj
corne le nom de Si/vie i ces fortes d'abus
font a{îez ordinaires en fait d'étymologie.
Quoi qu'il en foit, M. Ménage & les Au-
teurs du Dictionaire de Trévoux n'ont
point rencontré heureufement, quand ils
ont dit ^ite les olindes ont été ai n fi apelées de
la uilk d^Olinde dans le Bréfil^ d'où ils nous
difent que ces fortes de lames font 'venues.
Les ouvrages de fer ne viènent point de ce
pays-là : il nous vient du Bréfil une forte de
bois que nous apelons bréfil ^ il en vient
auiîi du fucre, du tabac, du baume, dd
l'or, de l'argent , &c : mais on y porte le fet
de l'Europe , 5c fur-tout le fer travailléi
La ville de Damas en Syrie , au pié dû
mont Liban , a doné fon nom à une forte
de fabres ou de couteaux qu'on y fait : //
a un vrai Damas > c'eft-à-dire , un fabrc ott
un couteau qui a été fait à Damas.
On donc auffi le nom de Damas à une
forte detofe de foie, qui a. été fabriquée
originairement dans la ville de Damas;
on a depuis imité cette forte d'étofe à Ve-
nlfc, à Gènes, à Lyon, ^c. ainfi on dit
Damas de Vcnifs^ de Lycr. , èic. On dons
LA METONYMIE. 79
encore ce nom à une force de prune , dont
ia peau eft fleurie de façon qu'elle imite
i'étofe dont nous venons de parler.
Faycnce cil une ville d'Italie dans la Ro*
magne : on y a trouvé la manière de faire
une forte de vaifsèle de terre verniflee ,
qu'on apèle de Lifayence j on a dit enluite
par métonymie , qu'on fait de fort belles
fiyences en Holande, à Ne vers, à Rouen,
6ic.
C'efl: ainfi que le Lycée fe prend pour les
difciples d'Àriftote , ou pour la doctrine
qu'A riftote enfeignoit dans le Lycée. Le
Portique fe prend pour la Philofophie que
Zenon enfeignoit à ^cs difciples dans le
Portique.
Le Lycée étoit un lieu près d'Athènes ,
oii Ariftote enfeignoit la Philofophie en
fe promenant avec fes difciples -, ils furent
apelés Pêripatéticiens du grec peripateo , je ^.ônttri^
niC promène : on ne penfe point ainjldans le âmbuio
Lycée , c'eft-à-dire , que les difciples d'A-^J
riftote ne font point de ce fentiment.
Les anciens avoicnt de magnifiques por-
tiques publics où ils aloient fe promener ;
c'étoicnt des galeries baflès, foutenues par
des colones ou par des arcades , à peu près
corne la Place Royale de Paris , 6c corne
dnimi ca>:*
çafe-
i^o LA METONYMIE:
les cloîtres de certaines grandes maifons
religieufes. Il y en avoit un entr'autreS
Fort célèbre à Athènes , où le philofophc
Zenon tenoit Ton école : ain(î par le For-
ii^îie on entend fouvent la philofopliie de
Zenon , la doctrine des Stoïciens -, caries
dirciplcs de Zenon furent apelés Stoïciens
du grec fioa , qui {ignifie^^m^«f. Le For-
tique nefifas toujours d'accord avec le Lycée ,
c'eft- à-dire , que les fentimens de Zenon
ne font pas toujours conformes à ceux
d'Ariftote.
Roufleau, pour dire que Cicéron dans
fa maifon de campagne méditoit la philo-
fophie d'Ariflote & celle de Zenon , s'ex-
plique en ces termes :
G'eft-là que ce Romain , dont l'éloquente voix ,
D'un joug prefque certain , fauva fa République ,
Fortifioit fon cœur dans l'étude des loix ,
Pvoufieau, Et du Lycée , & du Portique.
i-iv. 2. ode
j. Académus laiiîà près d'Athènes un héri-
tage ôii Platon enfeigna la philofophie.'
Ce lieu fut apelé Académie , du nom de
Ton ancien podèHeur j de la la dodlrme de
Platon fut apelée l' Acadhnie. On donc aufli
par cxtenfion le nom d' /académie a. diféren-
tes aiîeniblëcs de favans qui s'apliqucnt
a
LJi METONYMIE. si
à cultiver lès langues , les fcicnccs , ou les
beaux arts.
Robert Sorbon, confefleur èc aumônier
de S. Louis, inftitua dans TUniverfité de
Paris cette fameufe école de Théologie,
qui du nom de Ton fondateur eft apelée
Sorhonc: le nom de Sorbonc fe prend auflî
par figure pour les Docteurs deSorbone,
ou pour les fentimcns qu'on y enfeigne :
ha Sorbone en feigne que la ptii(fdr/ce Ecclc-
Jlajlique ne peut ôîcr aux Rois les courones
que Dieu amifes fur leurs tctes , ni dijpenfer
Leurs fujets dû ferment de fidélité. Regnum ^o^n- c.
meum non efl de hoc mundo, xMii.v.36.
V. Le signe pour la chose signifie'e,
Dans ma vieillefTe languifTanre ,
Le Sceptre qiie je tiens pèfe à ma main tremblante. Quinaulc.
C'eft-à-dire, je ne fuis plus dans Un âge aa:.^""^c.
convenable pour me bien àquiter des foins
que demande la Royauté. Aind le Sceftrt
fe prend pour l'autorité royale ; le bat on
de Maréchal de France ,. pour la dignité de
Maréchal de France ; le chapeau de C'ardi-
haly & même fimplcment le chapeau fe dit
pour le Cardinalat.
Vépée fe prend pour la profefîîon mili-
taire j la Robe pour la M agi ft rature ^ &:
F
5'
82 LA METONYMIE.
pour l'ëcat de ceux qui ruivenc le barean.
.A la fin j'ai quicé la Robe pour lEpée.
Menteur, Cicérou a die que les armes doivent
^^•^•^^•^•céder àlarobc.
V. I .
Cédant drma îogx ; concédât laurea lingux.
C'efb-à-dire , comme il l'explique lui-
même , "^ que la paix l'emporte iur la guer-
re , Se que les vercus civiles &: pacifiques
fonc préférables aux vertus militaires.
Mexerai. " La laiicc, dit Mézeraî , étoit autre-
Hift. de ,5 fois la plus noble de toutes les armes
^ni mm , " dont le iervnientlesGentilshomestrau-
I OL. loni. j • _
p. 500- îî cois : a la quenouille étoit auiîi plus (ou-
vcnt qu'aujourd'hui entre les mains des
femmes : de là on dit en plufleurs oca-
fions Lmce , pour fignifier un home , ck:
quenouilU pour marquer une femme : Jicf
fjui tombe de Unce en ofuenouilk , c'ell-à-dire,
fîef qui paile des mâles aux femmes. Le
• Royaume de France ne tombe point en cjne-
nouilLe^ c'eil-à-dire, qu'en France les fem-
mes nefuccèdentpointàla courone : mais
les Royaumes d'Éfpagne, d'Angleterre,
oL de Suède , tombent en quenouille : les
femmes peuvent aufîi fuccéder à TEmpirc
de Mofcovie.
* More Poetârum locutus hoc intclligi volui , bcUum ne
tumùlcup paci arque ôtio conceflVuuin. Qis. Orat. in
PiTon. n. 73, alicer xxx.
LA METONYMIE. s?
" C'eft ainfî que du tems ^cs Romains les
fiifceaiix fc preiioient pouf l'autoricé con-
fulairc i les aigles romaines, pour les ar-
mées des Romains qui avoienc des aigles
pour enfeigncs. L'Aigle qui cil le plus fore
des oifcaux de proie , écoic le fymbole de
la vicloire chez les Egyptiens.
Salufte a die que Cadlina, après avoir SalnH-.
rangé Ton armée en bataille, fit un corps ^^"^•
<ie réferve des autres enfeigncs , c'eft-à-
dire , des autres troupes qui lui reftoient ,
rélicjuajigrm in fubsidiis drBiiis collocat^
On trouve fou vent dans les auteurs la-
tins P^^.^j, poil folet, pour dire /4y>«;?f/ft%
les jeunes gens j c'elt ainli que nous diions
familièrement à un jeune home, vous êtes
une jeune barbe \ c'eli-à-dire , vous n'avez
pas encore aiTez d'expérience. Canities^ les
cheveux blancs, fc prend aufîi pour la vieil-
Icffc. ^ Non dedâces cantîiem ejus ad ïnferos, * 5. ^^^
'** Dcducétis canos meos cum dolcre ad rnferos. ^- ^v. 6i
Les divers fymboles dont les anciens fe , ^ '''■^■'"
ont lervis, & dont nous nous lervons en-
core quelquefois pour marquer ou certai-
nes Divinités, ou certaines nations, ou
enfin les vices & les vertus , ces fymboles,
djs-je, font fouvenr employés ponr mar-
quer la chûfe dont ils font le fvmbolc.
Fij
84 LA METONYMIE.
OJe fur là , . , . ^ .
prife de 11 voit i Aigle germanique
Namur. Uni fous les Léopards.
Par le Lion beigiquc, le Poëte entend les
Provinces-unies des pays bas : par YAigle
germanique , il entend l'Allemagne ; êc
parles Lévfards ^ il défisine l'Angleterre,
qui a des léopards dans les armoiries.
ïd. ibii. Mais qui fait enfler la Sambre ,
Sous les Jumeaux éfrayés \
Sous les Jumeaux , c'eft-à-dire , à la fin dit
mois de Mai &; ail comencement du mois
de Juin. Le Roi alTîégea Namur le 16 de
Mai 1691. & la ville fut prife au mois de
Juin fuivant. Chaque mois de Tannée eft
déiigné par un ligne vis à-vis duquel lé
loleil le trouve depuis le 2 1 . d'un mois ou
environ > julqu'au 1 1. du mois fuivant;
SimtAries, Taurus, Gemini, Cancer, Léo, Virgoj
Librâque, Scorpius, Arcicenens, Caper, Amphoia>
Pifces.
Arks ^ le Bélier comence vers le 21. du
mois de Mars, ainli de fuite.
Montf. An- îj Les villcs, Ics fleuves, les régions 5c
tiq. cxp.xq. ^^ jyj^fne les trois parties du monde avoicnu
tOlBL. III. -., ""rii .,.
p. 1S5. » autrefois leurs fymboles , qui etoicnt
■»3 corne des armoiries par lefquclles on les
>: dillin^uoit les unes des autres.
LA METONYMIE. 85
Le trident eft le fymbole de Neptune :
k pan eiu le fymbole de Junon : l'olive oli
l'olivier eft le fymbole de la paix & de
Minerve, Déeiîe des beaux arts : le lau-
rier étoit le fymbole de la victoire : les
vainqueurs étoient couronés de laurier ,
'même les vainqueurs dans les arts êc dans
les fciences, ç'eft- à-dire, ceux qui s'ydil-
tinguoientau-deHiis. des autres. Peut-être
qu'on en ufoit ainfi à l'égard de ces der-
niers, parce que le laurier étoit confacré
à Apollon , Dieu de la poëfic & des beaux
arts. Les Poètes étoient fous la protection
d'Apollon de de Bacchus -, ainfi ils étoienD
couronés , quelquefois de laurier , & quel-
quefois de lierre, docîarum éder£ pr^^mia Hor.l. r.
frontium. ^^■^■^•^^,'
La palme étoit auilî le fymbole de la vie- k proi?>^ae
toire. On dit d'un fvint , qu'il a remporté ^'^ P^^^^-
la palme du martyre. Il y a dans cette ex-
prcilîon U41C métonymie, palme fe prend
poiu" victoire ^ &, de plus l'cxpreilion elV
niétaphorique ; la vicloire dont on veut
parler, eft une victaire fpirituèlc.
'3 A l'autel de Jupiter, dit le P. de Mont- Antiq.Ex-
" faucon, on mettoit des feuilles de hêtre . P^'^- ^°'"-
î3 a celui d'Apollon, de laurier: àcc-^'^'^"^"
33. lui de Minerve, d'olivier: à l'autel ào
F iii
S6 LA METONYMIE.
>3 Vénus, de myrte : à celui d'Hercule , de
>î peuplier : à celui de Bacchus , de lierre :
î> à celui de Pan , des feuilles de pin.
VI. Le nom abstrait pour le
CONCRET. J'explique dans un article ex-
près le Cens abftrait & le fens concret^
i'oblervcrai feulement ici cjuc bLmcheur efb*
un terme abrtraic \ mais quand je dis que
ce p.ipkr cfi hlanc ^ hUnc eft alors un terme
concret. \]n nou'vel cfcUvagc fe forme tous-
les jours four njoiis , dit Horace , c'eft-à-
dire , vous avez tous les jours de nouveaux
Hor. liv. 1. efclaves. Tibi férv'uus crefcit nova, Sérvitus
Od.8.v.i8. çft nn abftrait , au lieu de fcrvi^ ou novi
Hor. liv. ^^'^tores cjiii tïhi fervlant. Invidia major ^ au-,
z. od. 10. delKis de l'envie , c'eft-à-^lire , triomphant
de mes envieux.
^n. I. IX. Cuftodia , garde , confervation, fc prend
V. léîô', en latin pour ceux qui gardent , noclcm cuf-
todia ducit infomnem.
Spes^ refpërance , fe dit fouvcnt pour ce
ProY. c. qu'on eipère, Spes ^uc dijfértur a^igit àrn-
""'''•''■'- ma7n.
Reg. c. Fetftio^ demande, fe dit aufîi pour la
chofe demandée. Dédit mihi dominus pcti^
tionem meam.
vh.i.hh. C^eft ainll que Phèdre a dit , tua caldmi-'
îiis nonfentiret ^ c'efb-à-dire ^ /// calamitâ-'
I
î. V. i
LA METONYMIE. 87
fnsnonfcntires.Tua caîàmitas eft un terme *ibid.fab.
abftrait, au lieu que tu caUmitofus cft le ^-^^
concret. Credens colli longitiidinem^ po'^ïrfab. 13.
collum longum : 6c encore corviflufor ''^^ qui
eft Tabftrait, pour corvus Jlupidus qui eft ^^^Q^orc;.
le concret. Virgile a dit de même , /f rri !■ iv. Hf^.
rigor*^^ qui eft l'abftrait, au lieu de fer-
rum rigidum qui eft le concret.
VII. Les parties du corps qui font re-
gardées corne le liège des pallions 6c. des
fentimens intérieurs , fe prènent pour les
fentimens mêmes : c'eft ainli qu'on dit /'/
a du cœur y c'eft- à-dire, du courage.
Obrervez que les anciens regardoicnt le * Cataeft
cœur corne le (iè2;e de la faeefïe, de Tef- f^ câiWa,
c? o ■' hïiDct cor
prit, de l'adrefle : aind hahct cor ^ dans p/^„/f. Pcr
Plante , ne veut pas dire corne parmi nous, ^^- ^^- 4-
elle a du courage , mais elle a de Teiprit \ ^["^i^^ [2\\C\
nj'ir cordàtus ^ veut dire en latin un home de cou Si fat
Cens, qui a un bon difcernement. ^'' ''ffi"\:.
Cornutus , philolophe Stoïcien , qui rut ^ence.
le maître de Perle, & qui a été enfuite le ^^'«^Mof-
comentateur de ce Poëte , fait cette re- \l "^^^ '*
marque fur ces paroles de la première fa-
tyre : Snmpctuldntifpleijccachmno. « Phylici
" dicunt homines fplene ridére , iclle
55 inifci , jécore amare, corde (iipere & pul-
5> monc ja6tari. ce Aujourd'hui on a d'au-
tres lumières. F iv
S8 L A ME TONY MIE.
Prife. Perfe dit que le ventre , c'eft-à-dire , la,
pioîog- faim , le befoin , a fait aprendre aux pies &
aux corbeaux à parler,
La cervele {e preadauiîî pour l'efprit , le
Oquanta jugeiTienc i O la belle the ! s'écrie le renard
fpcciesicé- dans Phèdre , auel domaze , elle n a point d.e
non habet. «^^^"^'^^^ I Ua dit Q UH ctourdi, quec elt une.
Pii.i.i.fab. tête lans cewele : Ulyiîc dit à Euryale, fc-
^' Ion la traduction de Madame Dacier,
odyiT.T./^^^^^ ^J orne y vous avez, tout l'air À' un écerveU:: ,
a- p. ly c'eft-à-dire, corne elle l'explique dans fes
ià vantes rernarques, vous avez, tout l'air d'urt
home peu fage. Au contraire, quand on dit.,
c* eji un home dç tête y ceft une bone tète, on
veut dire que celui dont on parle , effc ua
habile home, un home de jugement. La
tète lui a tourné ^ c'eft-à-dixe , qu'il a perdu
k bon fens.^ la préfence d'efprit. Avoir de
la tète, fe dit aniii figuréraent d'un opiniâ-
tre : Tète de fer , fe dit d'un home apliqué
ians relâche , <^ encore d'un entêté.
La langue , qui eil le principal prgane d€
la parole, fe prend pour la parole: c'efl
une méchante langue ^ c'efl-à-dire, c'eft un
médifant.i avoir la langue bien pendue , c'eft.
avoir le talent, de U parole , c'eft parler
facilement.
Yn. Le nom du rnaitre de la niaifon
LA METONYMIE. 89
fe prend auffi pour la maifon qu'il ocupc:
Virgile a die , jam /^roximus ardei {JcàkgoTi., iïn. 1. v.
c'cil-à-dire , le feu a déjà pris à la maifon ?^-*
d*LJcalégon.
On donc aufli aux pièces de nxonoie le
nom du Souverain donc elles portent l'em-
preinte. Duc cm os Pkilippos rcddat aûreos : Plaut.Bac-
qu'elle rende deux cens Phiiipesà'oï : nous *^^^*i' ^^'
^ . . ' - ■ IV. le. i. V.
dirions deux cens Louis d'or. 8.
Voilà les principales efpèces de méto-
nymie. Quelques-uns y ajoutent la méto-
nymie, par laquelle on nome ce qui pré-
cède pour ce qui fuit, ou ce qui fuit pour
ce qui précède ; c'eft ce qu'on àpèle l' An-
técédent POUR LE Conséquent, ou
LE Conséquent pour. l'Antécédent;
on en trouvera des exemples dans la mé-
talepfe , qui n'eft qu'une efpèce de méto-
nymie à laquelle on a doné un nom par-
ticulier : au lieu qu'à l'égard des autres
efpèces de métonymie , dont nous venons
déparier, on fe contente de dire méto-
nymie de la caufc pour l'éfet , métonymie
du contenant pour le contenu , métony-
mie du figne , &c.
90
III.
La Metalepse.
niTxnvliç. TT A Métalepfe eft une efpèce de méto-
Tranfmit'^ | ^ nymic , par laquelle on explique ce
trans. >«^- qui fuic pour faire entendre ce qui précè-
^ciiv,cdpio. de j OU ce qui précède pour faire entendre
ce qui fuit : elle ouvre , pour ainli dire, la
porte , dit Quintilien , afin que vous pai-
llez d'une idée à une autre , ex àlio in àl'md
Inil. oiat.I. qji^fj^ prxflat j c'eft l'antécédent pour le
conféqucnt , ou le conféquent pour l'an-
técédent, & c'cft toujours le jeu des idées
accefibires dont l'une réveille l'autre.
Le partage des biens fe fefoit fouvcnc
ôc fe fait encore aujourd'hui , en tirant au î
fort : Jofué fe fervit de cette manière de
partaeer. ^
Le fort précède le partage ; de la vient
quey^rj- en latin fe prend fouvent pour le
partage même , pour la portion qui eftr
échue en partage ; c'eft: le nom de l'anté-
cédent qui eft donné au conféquent.
* Gumque furrexiflent viri , ut pérgerent ad defcribén-
dam terrain , pra;cépit cis Jôfue dicens : circuite tcrram &
defcribite eam ac revertimini ad me ; ut hîc coram domi-
, no, in Silo niittam vobis forcera. Jofue ^ ch. xviu. v. S.
LA METALEPSE. 91
Sûrs fignifie encore jugement , arrêt ,
c étoit le fort qui décidoit chez les Ro-
mains , du rang dans lequel chaque cau(e
devoit être plaidée : * ainfi quand on a
dit firs pour ju^^cment , on a pris l'anté-
cédent pour le conféquent.
Sortes en latin fe prend encore pour un
oracle , f oit parce qu'il y avoit des oracles
qui fe rcndoient par le fort , foit parce
que les réponfcs des oracles étoient corne
autant de jugemcns qui régloientla defti-
née , le partage , l'écat de ceux qui les
confultoient.
On croit avant que de parler ; je crois ,"^ ^Cr^d'di,
dit le Prophète , & c'cll: pour cela que je ^3"ocù-
parle. Il n'y a point là de métalepfe : mais tus fum.
ji y a une métalepfe quand on fe fert de ^^•^^5•^'•^•
l^arlcr ou de dire pour lignifier croire \ di-
rez-vous après cela que je ne fuis pas de
vos amis ? c'efb-à-dire , croirez- vous ? au-
rcz-vous fujet de dire ?
Cedo veut dire dans le fens propre, /<?
* Ex more româno non audicbântur cauHr , nifi per for-
tem ordinâtx. Témpore enim quo caufaî audicbântur, con-
vcnicbant omnes, uiide &i concilium : & ex forte diérum
ôrdinem accipiébant , c|uo poft dics triginta fuas caufas
cïcqueréntur , unde ell urnam movet. Servius in tllud F«r-
Ncc vçro hx fine forte da:a:, fine jûdicc fcdes. J£n. I. v.
V. 431.
92 LA METALEPSE.
cède , je me rens : cependant par une méra-
lepfc de l'antécédent pour le conféquent^
ccdo fignifie fouvent dans les meilleurs
auteurs dîtes ou donnez, : cette fignifiçation
vient de ce que quand quelqu'un veut
nous parler , '&: que nous parlons tou-
jours nous-mêmes , nous ne lui donnons,
pas le tems de s'expliquer : écoutez>'moi ,
nous dit-il \ hé bien je vous cède, je vous,
écoute , parlez ; cedo , die.
Quand on veut nous donner quelque
chofe , nous refufons fouvent par civilité ,
on nous preiîe d'accepter , & enfin nous
répond ons/> vaus cède ^]Ç, vous obéis, je me
rens, donnez, , cedo^ da; cedo c\m eft le plus
poli de ces deux mots, eft demeuré tout
feul dans le langage ordinaire, fans être
fuivi àedk ou de da qu'on fuprime par el-
lipfe : cedo.fignlRc alors ou l'un ou l'autre
de ces deux mots, fclon le fensj è'eft ce
qui précède pour ce i'pï fuit j Se voilà pour-
quoi on dit également r^^^ , foit qu'on
parle à une feule perlone, ou à plufieurs:
-^ ^j car tout l'ufige de ce mot, dit un ancien
Fronto. Grammairienr, c'cfl: de demandée- pour
apudau«-T:6- foi ^ cedû fibipofcit O' eft immobile.
latine p. ^^ raporcc de même a la metalepie ces
I?3^ V. façons de ^^ï\qï y il oublie ks bienfaits yÇcC^-
LA METALEPSE. 9?
à-dire, il n'eft pas reconnoiiïanc. Souve-
ncz^-njous de notre convention , c'eifc-à-ciirc ,
obfcrvez notre convention : Seiinciir^ ne
njous reJfûHvenezj ^oint de nos fautes ^ ç'eft-à-
dire , ne nous en puniflTez point , acor-
dez nous en le pardon : Je ne vous conois q^^^^^^^
fas , c'eft-à -dire , je ne tais aucun cas de "«^s morcà-
vous , je vous méprife , vous êtes à mon i-a^^/f!^']"
égard corne n'étant point. dîficanr.
// a été , il a vécu , veut dire fouvent // efi ■'"•'f^'^^^-
mon\c eit 1 antécédent pour le coniequent. ^y. fc. v_
C'en eft fait , Madame , & j'ai vécu , Rac. Mi-
-, n \ \' • thrid. ait.
c elt-a -dire , je me meurs. y_ £c, dern.
Un mort eil rcgrcté par ies amis, ils vou-
droient qu'il fût encore en vie^ ils fouhai-
tent celui qu'ils ont perdu , ils le délirent :
cefentimenr rupofela mort, ou du moins
l'abfence "*de la perfone -qu'on regrèce.
Ainfi U tnoYt, la perte ou Pabjence font l'an-
técédent j Se le dcfir , h regret font le con-
iequent. Or, en latin dejiderari ^ être fou-
haité, fe prend pour être mort , être perdu ,
être ahfent ^ c'eft le conféquent pour l'an-
técédent , c'efl une métalepfe. Ex parte q curt.
Alcxandri triointa ornnino & duo , ou Ici on ^- ^ ï-- c. ix.
d'autres, trecenti omnîno ^ ex pedîtihus dejl-
ilerâti fii'ati du coté d'Alexandre il n'y eut
94 LA M ETALE FSE.
en tout que trois cens fancaffins dctilés,
Alexandre ne perdit que trois cens homes
Cx.ar. tl 'infanterie. NtilU ndvis defidcrabatnr : au-
cun vaifleau n'étoit dédré ^ c'eft à-dire ,
aucun vaiireau ne périt, il n'y eut aucun
vaiiTeau de perdu.
" Je vous avois promis que je ne ferois
«que cinq ou iix jours à la campagne,
« dit Horace à Mécénas, & cependant j'y
" ai déjà paiTé tout le mois d'Août.
Hor. 1. I. Qitinque dies tihi polHcitus me rure futurum ,
ep- 7- Sextilem rotum , mendax , desideror.
Oii vous voyez que desideror veut dire
par métalepfe , je fuis abfent de Rome, je
me tiens à la campagne.
Par la même figure , dejtderari fignifie
encore manquer (dtficcre) être tel que les
autres aient befoin de nous. « Les Thé-
« bains, par des intrigues particulières,
»î n'ayant point mis Èpaminondas à la
" tête de leur armée, reconurent bien tôt
M le befoin qu'ils avoient de fon habileté
Corn.Nep. ^^ ^^^^ p^^^^. ^lilicaire : ce * de/ideràri cœpta
id. c. 5» eft Epammond£ dlligêntia. Cornélius Népos
dit encore que Ménéclide jaloux de la
gloire d'Epaminondas , cxhortoit conti-
liuèlement les Thébaiiis à la paix , afin
LA METALEPSE. 05
qu'ils ne fentiflcnt point le befoin qu'ils
avoient de ce général. Hortdïi folébat The-
hânos , ut pacern bello amefcrrent , ne illlus
impe/atoris opéra dejiderarhur,
La mécalcpfe fe fait donc lorfcja'on
palIe corne par degrés d'une ligniiicacioii
à une autre : par exemple , quand Virgile
a dit, après quelques épis, c'cft-à-dire, Pcft âli-
après quelques années : les épis fupofent ^"^"^ "^^.^
111 1 ^ . g-, replia vi-
le tems de la moilfon , le tems de la moil- jens mirâ-
ibn rupofe Tété , &: Tété fupofe la révolu- boiariftas.
tion de l'année. Les Poètes prènent les ^'^^^ "^ '^'
hivers , les étés , les moillbns , les autoncs,
& tout ce qui n'arive qu'une fois en une
année, pour l'année même. Nous difons
dans le difcours ordinaire , c'efl un nj'm de
quatre fcuilUs ^ pour dire, c'eft un vin de
quatre ans \ èc dans les coutumes on trouve Cout. de
bois de quatre feuilles , c'eft-à-dire , bois de ^°"<^"" >
' , •' ' ' tir. 14. arr.
quatre années. 3.
Aind le nom des diférentes opérations
de l'agriculture fe prend pour le tems de
ces opérations ^"c'ell le conféquent pour
l'antécédent , la moifîon le prend pour le
tems de la moifîbn , la vendange pour le
tems de la vendange j il efi mort pendant Li
moijfon ^ c'eft-à-dire, dans le tems de \%
moilTbn. La moiiîbn fe fait orainairement
96 LA METAL'EPSE.y
dans le mois ci'Août, ainfi par métonymie
ou métiileprc, on apèle la moiffon VAoûr,
qti^on prononce 1V«, alors letems dans le-
quel une chofe fe taic,ie prend pour la chofe
même j 6c toujours à caufe de la liailon
que les idées acceflbires ont entre elles.
On raporte aufîi à cette figure ces façons
de parler des Poètes , par lefquellcs ih
prènent l'antécédent pour le conféquent j
îorfqu'au lieu d'une defcriprion, ils nous
mettent devant les yeux le fait que la dcf-
cription fupofe.
« O Ménaique ! jfl nous vous perdions ,
33 dit Virgile , "^ qui émailleroit la terre de
«fleurs? qui feroit couler les fontaines
5î fous une ombre verdoyante ? « C'eft à-
dire, qui chanteroit. la terre émaillée de
fleurs ? Qui nous en feroit des defcriptions
aufli vives &c aufli riantes cjue celles que
vous en faites ? Qui nous peindroit corne
vous ces ruifleaux qui coulent fous une
ombre verte?
Le même Poète â dit ^-** qiie « Silène
* Quis cânerer nympKas ? Quis hiimutn floréntibus hcr-
bis Spârgeret , auc viridi fontes indùcerec unibrâ ? V:rgl
Ecl. IV. V. 19.
** Tum Phaerontiadas murco cucùmdat amârœ
•îirticis, acque fôlo prôcéras érigic alnos. Vtrg. Ed. vi.
V. 6z.
envelopA
LA SYNECDOQ^UE. 97
iî envelopa chacune des fœars de Phaétoii
« avec une écorcc amère , 6c fit iorcir de
»5 terre de grands peupliers -, « c'eft-à-dire ,
que Silène chanta d'une manière ii vive
la métamorphofe des fœursdePhaéton en
peuplier , qu'on croyoït voir ce change-
ment. Ces façons de parler peuvent être
raportées à l'hypotypoie dont nous parle-
rons dans la fuite. ,
I V.
La Synecdoque.*
LE terme de Synecdoque fignific com- ^wrii-oy^^
préhenfion , conception : en éfet dans c°"^r''^^
la Synecdoque on tait concevou* a 1 elprit
plus ou moins que le mot dont on fe fert
ne fignifie dans le fcns propre.
* On écrit ordinairement Synecdocbe , voici les raifons
qui me détei minent à écrire Synecdoque.
1°. Ce mot n'efl: point un mot vulgaire qui foit dans la
bouche des gens du monde , enforte qu'on puifTe les con-
fultcr pour conoîrre l'ufage qu'il faut fuivre par raport à
la prononciation de ce mot.
z". Les gens de lettres que j'ai confultcs le prononcent
difércmment , les uns d-iu:nt Synecdoche à la françoife ,
come Roche, &: les autres foutiènent avec Richelet , qu'on
doit prononcer Synecdoque.
■3 ". Ce mot cfl tout grec It'-kJ^o'. m ; il faut donc le pro-
noncer en confcrvanc au y fa prononciation originale ,
G
98 LA SYNECDOQUE.
Quand au lieu de dire d'un home qu'il
aime le fin , je dis qu'il aime la bouteille,
c'efl une fimple métonymie , c'eft un nom
pour un autre : mais quand je dis ccfjt voiUs
pour cent vaifTeaux , non feulement je
prens un nom pour un autre , mais je donc
au mot voiles une fignification plus éten-
due que celle qu'il a dans le fens propre -,
je prens la partie pour le tout.
La Synecdoque cil: donc une efpèce de
métonymie , par laquelle on donc une fî-
gnification particulière à un mot , qui
dans le fens propre a une lignification plus
générale ; ou an contraire , on donc une
t'eft ainfi qu'on prononce & qu'en écrit i-jrox^ j Monarque
fj.ov'lfyv.q & n'vxpx'^: ; Pentaceuque, ■7:îvriirivx''i> ^'^ndro-
maque ^ AV/pouap^-H j Télémaque ^ Tn^fA^ax^'; , &c. On
conferve la même prononciation dans EcAtf, 'H;)^& j Ecole,
Schûla 2yo?,:r, &c.
Je crois donc que fynecdoque étant un mot fcicntifique
qui n'efl point dans l'ufage vulgaire , il faut l'écrire d'une
manitre qui n'induife pas à une prononciation peu conve-
nable a fon origine.
4". L'ufage de rendre par ch le y des Grecs , a introduit
une prononciation françoife dans plufîeurs mots que nous
avons pris des Grecs. Ces mots étant devenus comuns , &z
l'ufage ayant fixé la manière de les prononcer & de les
écrire, refpeftons l'ufage , prononçons catéchifme ^ machi-
ne , chimère , Archidiacre , Archirecie , &c. come nous pro-
nonçons chi dans les mots François : mais encore un coup
Synecdoque nc?t point un mot vulgaire, écrivons donc &
prononçons Synecdoque.
LA SYNECDOQ^UE 99
fîgnifîcation générale à un mot qui dans
le fens propre n'a qu'une fignificacion par-
ticulière. En un mot , dans la métonymie
je prcns un nom pour un autre, au lieu
que dans la fynecdoque, je prens le plfis
pour le moins , ou le moins pour \q plus. '
Voici les diterentes forces de Synecdo-
ques que les Grammairiens ont remar-
quées.
I. Synecdoque DU genre: corne
quand on dit les mortels pour les homes j le
terme de mortels devroit pourtant com-
prendre auiîi les animaux qui font fujets à
la mort aulîi bien que nous : ainii , quand
par les mortels on n'entend que les homes ,
c'ell: une fynecdoque du genre : on dit le
plus pour le moins.
Dans l'Ecriture Sainte, crcathre rie fi- Eûntesîri
î^nifie ordinairement que les homes : c'eft "^^i"^^'" .
^ , M 1 r 1 1 univerfum
encore ce qu on apele la lynecdoque du prxdicâte
genre, parce qu'alors un mot générique ne evangé-
s'entend que d'une efpèce particulière : '"T,/,??'^^
créature eiï un mot générique, puifqu'ilMarf.c.iô.
comprend toutes les efpèces de chofcs^-^^-
créées , les arbres , les animaux , les mé-
taux , &c. Ainfi lorfqu'il ne s'entend que
des homes, c'ed: une fynecdoque du genre,
t'eft-à-dire, que fous le nom du genre ,
Gi
.i-QO LA SVNECDOQUE.
on ne conçoit , on n'exprime qu'une gT-
pèce particulière y on reltraint le mot gé-
nérique à la fimple lignification d'un mot
qui ne marque qu'une efpèce.
Nombre eft un mot qui fe dit de tout
^ afTemblage d'unités : les Latins fe font
quelquefois lervis de ce mot en le reflrai-
gnant à une efpèce particulière.
1. Pour marquer l'harmonie , le chant :
il y a dans le chant une proportion qui fe
lvî,uoç. compte. Les Grecs apèlent aulli rmhmos
tout ce qui fe tait avec une certaine pro-
portion : Qjndqmd ccrto modo & rationeft.
Virg. Ed. . . . . Numéros mémini , fi verba tenérem.
IX. V. 4j. „ Je n-ie fouviens de la mefure , de l'har-
»5 monie , de la cadence , du chant , de
" l'air j mais je n'ai pas retenu les paroles.
2. Numerus fe prend encore en particu-
lier pour les vers j parce qu'en éfet les vers
font compofés d'un certain nombre de pies
Pçrfefat. on de fyllabes : Scrîbimus numéros^ nous
î. V. j. fefons des vers.
3. En françois nous nous fervons aufli
de noynhre ou àQ nombreux ^ pour marquer
une certaine harmonie, certaines mefures:,
proportions ou cadences , qui rendent
agréables à l'oreille un air, un vers, une
période, un difcours. Il y a un certain
LA SYNECDOQ^UE. lai
uombre qui rend les périodes. ha rmoniea-
ics. On dit d'une période qu'elle cfl: fore
nombrcufe, numcrofd oritio \ c'eft-à-dire, Cic.Orar.
que le nombre àxs tyllabes qui la compo- "• ^^''^^;
lent elt ii bien diitribue, que 1 oreille en scc.
eil frapée agréablement: numcrus a aùfli
cette lignification en latin. In orâtiane mi- cic.Orat.
merus latine^ gr.ecè ^v^y.oç , incfe dfcitnr. . /^- ^^- '^^ ^'•''''
. . Ad capiéridas aurex, ajoute Cicéron , nu- lyx.
meriab oratore quxrimîur : & plus bas il s'ex-
prime en ces termes ; Arljtotelcs verfum m
oratione vetat ejjè ^ nûmerum jubct, Arillote
ne veut point qu'il fe trouve un vers dans,
la profe , c'cfi:-à-dire , qu'il ne veut point
que lorfqu'on écrit en profe ^ il fe trouve,
dans le difcours le même ailemblage de
pies, ou le même nombre de fyllabes qui
forment un vers. Il veut cependant que la
profe ait de l'harmonie; mais une Iwrmo-
nie qui lui loit particulière, quoiqu'elle
dépende également du nombre des fylja-
bcs 'Se de l'arangement des mots.
I I.. Il y a au contraire la Synecdoque.
DE l'espèce : c'efh lorfqu'un motj qui dans
le fens propre ne iignifle qu'une cfpèce
particulière ^ fe prend pour le genre ; c'ell
ain(i qu'on apèlc quelquefois njolcur un mé-
chant home. C'cffc alors prendre le încin^
pour marquer /(r^//^/. G iij
lOi LA SYNECDOQUE,
Il y avoit dans la ThefTalie , entre le
mont Oila &. le mont Olympe, une fa-
meafe plaine apelée Tempe ^ qui pafloit
pour un des plus beaux lieux de la Grèce ;
les Poètes grecs 5c latins fe font fervis de
ce mot particulier pour marquer toutes
fortes de belles campagnes.
" Le doux fomeil , dit Horace , n'aime
V point le trouble qui règne chez les
'î grands , il fe plaît dans les petites mai-
55 Tons de bergers , à l'ombre d'un ruifTeau,
55 ou dans ces agréables campagnes , donc
55 les arbres ne font agités que par le zé-
55 phyre ; »3 &: pour marquer ces campa-
gnes , il fe fert de Tempe :
Hor. 1. 3. . . . Somnus agréftium
' ' ■"• ' *'^' Lenis virorum, non hi'imiles domos
Faftidit , umbrofâmque ripam ,
Non zéphyris agitOiCa Tempe.
Le mot de corps & le mot d'am.e fc prc.-
nent aufîi quelquefois féparément pour,
tout l'home: on dit populairement, fur-
^out dans les provinces, ce corps-là pour
cet home-là ; voilÀ un pUifant corps , pour
dire un plaifant perfonagc. On dit, auiîî
qu'/'/j/ a cent mille âmes dans une ville , c'eft-
à-dire , cent mille habitans. Omnes mima
LA SYNECDOQ^UE, 105
domus Jacob ^ toutes les periones de Li fa- Gen. c.
mille Je Jacob. Génnit (cxdecim animas . il :t^-7- -"•
r • r iDid. V. 1 Sv
eut leize eiitans.
1 1 1. Synecdoque dans le nombre,
c'cd lorrqu'on met un fîngulier pour un
plurier, ou un plurier pour un (îngulier.
1, Le Germain révolté^ c'eft à-dire, lc$
Germains, les Alemans, Céne7ni vient a nous^^
c'eft-à-dire , les énemis. Dans les hifloriens
latins on trouve fou vent /'^^fj- pour fédi-^
tefy le fantaiïin pour les fantaliins, l'In-
fanterie.
2. Le plurier pour le fingulier. Souvent
dans le ftyle férieux on dit nous, au lieu de
je y ^ de même, Il e(l écrit dans les Prophè- Qjioddic^
us ^ c'eft-à dire, dans un livre de quel- 1!'"' ,f ^'''
qu un des rrophetes. Matt. c. %.
3, Un nombre certain pour un nombre ""'• -i-
incertain, lime l'a dit ^ dix fois ^ vint fois ^
cent fois ^ mMe fois ^ c'eft-à-dire, plufieurs
fois.
4. Souvent pour faire un compte rond ,
on ajoute ou l'on retranche ce qui empê-
che que le compte ne foit rond : ainfi on
dit la verfion des feptante , au lieu de dire
la verfion des foixante 6c douze interorè-
tes, qui, félon les Pères de l'Eglifc, tra-
dkiifi.tent; l'Ecriture Sainte en grec , à la
G iv
104 L^'i SVNECDOQ^UE.
prière de Pcoléméc Philadelphe , Roi d'E-
gypte, environ trois cens ans avant J. C.
Vous voyez que c'eft toujours ou /e plus
pour le moins , ou au contraire U moins pour
U plus,
IV. La partie pouk le tout, &:
tE TOUT POUR LA PARTIE. Ainfi U tête
ie prend quelquefois pour tout l'home :
ç'efl ainfi qu'on dit comunément, on a.
■paye tant par tête , c'eft-à-dire , tant pour
chaque perfone ; une tête fi chère ^ c'eil-à-
dire , une perfone (î précieufe , li fort
aimée.
Les Poètes difent après quelques moif-
fions , quelques étés , quelques hivers , c'eft-
à-dire , après quelques années.
L'onde ^ dans le fens propre, (igniiie une
vague , un flot \ cependant les Poètes prè-
nent ce mot ou pour la mer , ou pour l'eaii;
d'une rivière, ou pour la rivière même.
Çainault. Vous juriez autrefois que cette onde rebèle
îlis ,aâ:. I. o r • r r' m
f(. , be rsroit vers la loiirce une route nouvele.
Plutôt qu'on ne verroit votre cœur dégagé :
Voyez couler ces flots d.ins cette vafte plaine j
C'eft le même penchant qui toujours les en^
traîne j
Leur cours ne ch^^nge point, & vous ayez changç,^
LA SYNECDOQUE. 105
Dans les Poètes latins y la poupe ou la
y(>r^«^ d'un vai fléau, Te prènent pour tout
le vai{îcau. On dit en François cc»f voiles ,
pour dire cent vaifl^eaux, Tecfum, le toit ,
le prend en latin pour toute la maifon :
jEnéan in reçut ducït tecla , elle mène Enée Virg. Mm
uans ion palais. '^
La porte , & même le feuil de la porte , fe
prènent auiîi en latin pour toute la mai-
fon , tout le palais , tout le temple. C'cft
peut-être par cette efpècc de fynecdoque
qu'on peut doner un fens raifonable à ces
vers de Virgile :
Tiim foribus Divîc, média teftûdine templi, ^n. i.t^
Septa armis, falibque alce fubnixa refédir. ^
Si Didon étoit affife à la porte du temple ,
forihus Div£ , coment pouvoit-ellc être
alLfe en même-tems fous le milieu de la
voûte , média tefttidine ? C'efl que par fori-
hus Di'v.c , il faut entendre d'abord en gé-
néral le temple j elle vint au temple , &, fe
plaça fous la voûte.
Lorfqu'un citoyen romain étoit fait ef^
clavc, fes biens apartenoient à Tes héri-
tiers , mais s'il revenoit dans fa patrie , il
rentroit dans la pofl^eflion & jouifl"ancc de
tous fes biens: ce droit, qui efl une efpècc
lo^ LA SYNECDOQUE,
de droit de retour, s*apeloit en htm jus
fojîlimmït ; àQpoJl^ après, 6c de limcriy le
feuil de la porte , l'entrée.
Vorte , par fynecdoque 2c par antono-
mafe, figaifie auffi la coar du Grand Sei-
gneur, de l'Empereur Turc. On dit faire
un traité avec la Porte , c'eft-à-dire , avec la
Cour Ottomane. C'cft une façon dépar-
ier qui nous vient des Turcs : ils nomenc
Porte par excélence la porte du férail , c'eft
le palais du Sultan ou Empereur Turc , 6c
ils entendent par ce mot , ce que nous ape-
lons la Cour.
Nous difons ily a cent feux dans ce villa-
ge j c'eft-à-dire, cent familles.
On trouve aulîi des noms de villes , de
fleuves , ou de pays particuliers , pour des
noms de provinces ôc de nations. * Les
Pélafgiens , les Argiens , les Doriens , peu-
ples particuliers de la Grèce , fe prènent
pour tous les Grecs , dans Virgile ôc dans
les autres Poëtes anciens.
On voit fouvent dans les Poëtes le Ti-
bre ^"^ pour les Romains ; le Nil ^our les
* Eurusad auroram Nabathaeâque régna reccffit. Ovidi
Metam. 1. i. v. èi.
** Cutn Tîberi , Nilo grâria nulla fuat. Trop. 1. i. Elegu
33. V. lo. Peï Tiberim Românos , per Nilum iEgyptios.
intcUïgko. Beroald in Frapert^
LA SYNECDOQ^UE. 107
Egyptiens ; la Seine pour les François.
^ Cloaque climat produit des favoris de Mars , * Boilcau.
La Seine a des Bourbons , le Tibre a des Céfars. ^P- '•
* * Fouler aux pies l'orgueil &'du Tage & du Tibre, i^:* j^g„
Par le Tage il entend les Efpagnols , le Di^'t^'^'^''
Tage eft une des plus célèbres rivières
d'Elpagne.
V. On fe fert fouvent du nom de la
MATIER.E pour marquer la chose qui
EN EST FAITE: le pin OU quelqu'autrc
arbre fe prend dans les Poètes pour un
vaifleau -, on dit comunément de l'argent^
pour des pièces d'argent, de la monoie.
Le fer fe prend pour l'épée : périr par le fer.
Virgile s'ell: fervi de ce mot pour le foc de
la charue :
At prius ignotum fèrro quàm fcîndimus nequor. i. Georg;
M. Boilcau dans Ton ode fur la prife de ^' ^'^'
Namur , a dit V airain pour dire les canons.
Et par cent bouches horribles
"L'airain fur ces monts terribles
Vomit le fer &ç la mort.
L'airain en latin £Sy fe prend auiîi fréqucn-
ment pour la monoie , les richcifes : la pre-
mière monoie des Romains étoit de cui-
vre: ^is alicnum^ le cuivre d'autrui, c'cil-
V
io8 LA SYNECDOQUE,
à-dire , le bien d autrui , qui eft entre nos
mains , nos dettes , ce que nous de-
vons.
Enfin xra fe prend pour des vafes de
cuivre, pour des trompètes, des armes,
en un mot, pour tout ce qui fe fait de
cuivre.
Dieu dit à Adam , tu es pouffière , & ta
Gen.c. 3. retourneras en poulTière , pulvis es é" m
*^' pïl'vcrem revcrtéris ^ c'eft-à-dire, tu as été
fait de pouiîière , tu as été formé d'un peu
de terre.
Virgile s'eft fervi du nom de l'éléphant,
pour marquer fimplement de l'ivoire j "^
c'efl: ainii que nous difons tous les jours uft
cafior^ pour dire un chapeau fait de poil de
caftor, ôcc.
Le pieux Enée , dit VirG;ile , ^^ lança fa
' Hafte, pi- hafte avec tant de force contre Mézence,
v^kP^de 4^^'^!^^ perça le bouclier fait de trois pla-
Montfau- qucs de cuivre , Se qu'elle traverfa les pi-
con, tome quurcs de toilc , & l'ouvrage fait de trois
' ^' tant eaux j c'eft-à-dire , de trois cuirs. Cette
... . * Ex auro, foli;^6queelephânto. Georg. m. v. %6.
Dona dehiuc auro grâvia fedôque elephânco. JEn. iiï.
V. 464.
** Tura pius i£néas haftam jacit : illa per orbcm
Atc cavum triplici per linea terga , tribûfque
Trinfiir intcxcum tauris ypus. ^J\. 1, ^. v. jlj.
LA SYNECDOQUE. 109
façon de parler ne feroit pas entendue en
notre langue.
Mais il ne faut^pas croire qu'il foit per-
mis de prendre indiférenment un nom
pour un autre, foit par métonymie, foit
par fynecdoque : il faut, encore un coup ,
que les exprelîions figurées foient autori-
fees par l'ufige ; ou du moins que le fens
litéral qu'on veut faire entendre, fe pré-
fente naturèlement à l'efprit fans révolter
Ja droite raifon , & (ans blelTerles oreilles
acoutumces à la pureté du langage. Si l'on
difoit qu'une armée navale étoit compofée
de cefU mhs ^ ou de cerU avirons^ au lieu
de dire cent -voiles pour cent vaiileaux, on
fc rendroit ridicule : chaque partie ne fe
prend pas pour le tout , & chaque nom
générique ne fe prend pas pour une cfpèce
particulière , ni tout nom d'elpècepour le
genre \ c'eit l'ufage Icul qui done à fon
gré ce privilège à un mot plutôt qu'à un
autre.
Ainfi , quand Horace a dit que les com-
bats font en horreur aux mères , helU ma- ^°"- '■ ^•
mhus aetejtaUi je luis pcriuade que ce
Poète n'a voulu parler précifément que
des mères. Je vois une mère alarmée pour
Ion fils , qu'elle lait être à la guerre , ou
îio LA SYNECDOQ^UE.
dans un combat , donc on vient de lui
aprendre la nouvèle : Horace excite ma
fenlibilité en me telant penler aux alar-
mes où les mères font alors pour leurs en-
fans \ il me femblc même que cette ten-
drefTe des mères eft ici le feul fentimcnt
qui ne loit pas fulcepcible de foiblefle ou
ae quelqu'autre interprétation peu tavo-
rable : les alarmes d'une maîtrefle pour Ton
amant, n'oferoient pas toujours fe mon-
trer avec la même liberté , que la tendreflè
d'une mère pour Ton fils. Ainfi quelque >
déférence que j'aie pour le favantP. Sana-
don , j'avoue que je ne faurois trouver une
fynecdoque de refpècc dans belU matn-
hns dcteftdta. Le P. Sanadon croit que;wi-
Poëfies tribus comprend ici , même les jeunes filles ;
t i°p^7^'^^^^^ ^^ traduction : Les combats , cjui
font four les femmes un objet d'horreur. Ee
*p. iz. dans les remarques il dit, que « "^ les
« mères redoutent la guerre pour leurs
)î époux &: pour leurs cnfans \ mais les jeu-
aï nés filles, ajoute-t-il , ne doivent pas
5) moins la redouter pour les objets dune
53 tendrelle légitime que la gloire leur en-
>3 lève, en les rangeant fous les drapeaux
33 de Mars. Cette raifon m'a fnit prendre
M mctres dans la {ignification la plus écen-
LA SYNECDOq^UE. m
>^ due , come les Poètes l'ont foiivent em-
« ployé. Il me fcinble , ajoute- t-il , que ce
>3 iens fait ici un plus bel éfet. c*
Il ne s'agit pas de doner ici des infime- '
tions aux jeunes filles , ni de leur apren-
dre ce qu'elles doivent faire, lorfque Id
gloire leur enltve les objets de leur tendre ffe ,
£fi les rangeant fous les drapeaux de Murs $
c'eft-à-dire , lorfque leurs amans font à la
guerre j il s'agit de ce qu'Horace a penfé :
or, il me femble que le terme de mères
n'efl rélatiPqu'à enfansî il ne l'effc pas mê-
me à époux , encore moins aux objets d^nne
tendrejfe légitime. J'ajouterois volontiers ,
que les jeunes filles s'opofent à ce qu'on
les confonde fous le nom de mères -^ mais
pour parler plus férieufement, j'avoue que
lorfque je lis dans la traduction du P. Sa-
nadon, que les combats font pour les femmes
un objet d'horreur , je ne vois que des fem-
mes épouvantées j au lieu que les paroles
d'Horace me font voir une mère atendrie:
ainfi je ne fens point que l'une de ces ex-
prcllions puifîe jamais être l'image de
l'autre; &: bien loin que la traduction du
P. Sanadon fafTe fur moi un plus bel é'ÎQt^
je rcgrète le fentiment tendre qu'elle me
fait perdre. Mais revenons à la fynecdo-
quc»
U2 LA SYNECDOQUE,
Corne il elV facile de confondre cette
figure avec la métonymie , je crois qu'il
ne fera pa.s inutile d'obfervcr ce qui dil-
tingue la lynecdoque de la métonymie ,
c'elt 1°. Que la fynecdoque fait entendre
le p/us par un mot qui dans le fens pro-
pre fignifîe le moins y ou au contraire elle
tait entendre le moins par un mot qui
dans le fens propre marque \c plus.
2°. Dans l'une & dans l'autre figure il y
a une relation entre l'objet dont on veut
parler, ^ celui dont on emprunte le nom ;
car s'il n'y avoit point de raport entre ces
objets, il n'y auroit aucune idée accelîbi-
re, & par conféquent point de trope :
mais la relation qu'il y a entre les objets,
dans la m.étonymie, eft de telle forte , que
l'objet dont on emipruntc le nom , (ubfifte
indépendamcnt de celui dont il réveille
l'idée , 6c ne forme point un enfemble
avec lui. Tel eft le raport qui fe trouve
entre la caiife de IV/^/, entre l'auteur &;
fon ouvrage , entre Cérès 6c le blé \ entre le
contenant U. le contenu , come entre la bou-
teille oc le vin : au lieu que la liaifon qui
fe trouve entre les objets , dans la fynec-
doque, fupofe que ces objets forment un
enfemble come le tout 6c la partie i leur
union
M L'ANTONOMASE. 113
ianiôn n'eft point un {împlc raporc , elle
eft plus intérieure êc plus indépendante:
c ell ce qu'on peut remarquer dans les
exemples de l'une & de rautré de ces fi-
gures,
V.
L' A N t Ô N O M A s E.
L'Antonorriafe eft Une efpèce de fynec- 'Aitovo,».--
doque, par laquelle on met un nom "'*'/.'''"'^"
comun pour un nom propre, ou bien un nom pour
nom propre pour un nom comun. Dans '^^'^^^^^^''^^
t . • ^ ^ r • ^ j a»7 ( pour ,
le premier cas , on veut raire entendre que contre sc
la perfone ou la chofe dont on parle ex- oVc^«^a.,/é
cèle fur toutes celles qui peuvent être corn- "'
prifes fous le nom comun ; ôc dans le fé-
cond cas, on fait entendre que celui dont
on parle reflemble à ceux dont le nom
propre efi: célèbre par quelque vice ou par
quelque vertu.
i . PhUofophc ^ Orateur^ Poète ^ Roiy t^îlle^
Monjienr ^ foiit des noms comunS j cepen-
dant l'antonômafe en fait des noms parti-
culiers qui équivalent à des noms propres.
Quand les anciens difent U Philofophc:^
ils entendent Ariftote,
H
lom^.
lU LANTONOMASË.
Quand les Latins difent VOrateuVy ils
entendent Cicéron.
Quand ils difent le Poète , ils entendent
Virgile.
Les Grecs entendoient parler de De-
mofthène /quand ils difoient VOrateur^-tL
d'Homère quand ils difoient le Poète.
Quand nos Théologiens difent le Doc-
teur angélique , ou V Ange de-l'Ecclc^ ils veu-
lent parler de S. Thomas, Scot e(l apelé
le Doctettr fuhtil ^ S. Augullin le Docleur de
la, grâce.
. Ainfi on done par excélence 6l par aii^
tonomafe , le norn de la fcience ou'<âè
Tart à ceux qui s'y font le plus diftingués*
Dans chaque royaume , quand on dit
fîmplement /^ i?tf/, on entend le Roi du
pays où Ton eft \ quand on dit la ville ^ on
entend la capitale du royaume, de la pro-
vince ou, du pays dans lequel on demeure.
Virer Ec Qs^o 'e j Mœri , pedes : an quo via diicit in ur-
IX. v."!. * bem?
Urbem en cet endroit veut dire la ville de
Mantoue : ces bergers parlent par raport
au territoire où ils demeurent. Mais quand
les anciens parloient par raport à l'Em-
pire Romain , alors par urbem ils enten-
doient la ville de Rome*
L'ANTONOMASE. 115
Dans les comédies grèques ^ pii -tirées
du grec , la vile ( aiUi ) veut dire Acliènes :
Af^-^ in njhi vcnit ? Eft-il venu à la ville ? '^^^^'''-u'"
Cornélius Népos parlant de Thémiftocle deç«a. ma*
Se d'Alcibiade, s'eilfprvi plus'd une fois '^^o-
de ce mot en ce fens. "^^ ,;,, .,
Dans chaque famille , Monjteiir, veut
dire le maître de la maifon.
Les adjeclifs ou épichètes font des noms . .
comuns , que l'on peut apliquer aux difé-
rens objets auxquels ils conviènent , l'an-
tonomalc en fait àç.s noms particuliers :
, i'ïn'vmcilU , le conquérant ^ le grand , le juftey
le fige ^ fe difent par antonomafe, de cer-
tains Prmces ou d'autres perfones particu-
lières.
Ticç - Live apèle fouvent Annibal le ihUvA,
-Carthaginois ; le Carthaginois , dit -il ^^i-"-».
avoit un grand nombre d'homes : ahunda-
•^l^at rnuliitâdine hominum Vœnus. Didon dit
,ià fa fœur "^^^j njon^ mettrez, fur le hacher les
: armef-^ue le perfide a laijfées , & par ce pcr-
-fide- eilç -entend Enée.
■ % xércn. Eun. aâr. v. fc, vi. félon Madame Dâcier, & fc. j-,
V. 17. fclôii les éditions vulgaires. ■ ' ;'
** Xerxcs prôtinus accélTit aftu. Qorn. Nep. Tiiemift. 4,
Alciblades poRquam aftu venic. idem Alcib. 6.
'^'^'^ Arma vivi , thâlamo qux fixa rcliquit '; -'
Impius. . . luper impônas. u^ff. 1. iv, v. 4-9 S-
H ï]
îi6 L'ANTONOMASE.
Le Deftrticicur de Carthage à- de Nu-
wance , (ignifie par anconomafe , Scipion
Emilien.
Il en eft de même des noms patronymi-
ques dont j'ai parlé ailleurs, ce font des
poms tirés du nom du père ou d'un aïeul ,
bc qu'on done aux defccndans -, par exem-
An.l.v. pie, quand Virgile apèle EntQ A/ichist^'
^' ^°'^' des^ ce nom eft doné à Enée par antono-
mafe , il eft tiré du nom de Ton père , qui
s'apeloit Anchife. Diomède, héros célè-
bre dans l'antiquité fabuleufe, eft fou vent
apelé Tydides , parce qu'il étoit fils de Ty-
dée , Roi des Etoliens.
Nous avons un recueil ou abrégé deslf
loix des anciens François, qui a pour ti- ['
tre, Lex Salîca : parmi ces loix il y a un •
article * qui exclut les femmes de la fuc
cefîîon aux terres faliques, c'eft-à dn-e,
aux fiefs : c'eft une loi qu'on n'a obfcrvée^
inviolablcmient dans la fuite qu'à l'égardB
des femmes qu'on a toujours exclufes dcl
la fucceflion à la couronc. Cet ufage tou
jours obfervé , eft ce qu'on apèle au'jour
d'hui loi faliqm par antonomafe , c'cft-à-
* De tertâ verb falicâ, nulla p6rtio hrreditâtis mulieri vé
niât, fed ad virilcm fexum toca terrée h«rcàicas pervi
niât. Lr.v S4lica. arc. ^z. de Mode. $. 6.
LANTONOMASE. 117
dire , que nous douons à la loi particulière
d'exclure les femmes de la courone,, un
nom que nos pères douèrent autrefois à
un recueil général de loix.
II. La féconde efpèce d'antonomafe ,
eft lorfqu'on prend un nom propre pour
un nom cornun, ou pour un adjectif.
Sar ianapale, dernier Roi des AfTyriens,
vivoit dans une extrême molclTe ; du
moins tel eft lefentimcntcomun; de là on
dit d'un voluptueux, c'cfi un Sardanapale»
L'Empereur Néron fut un prince de
mauvaifes mœurs , ôc barbare jufqu'à faire
' mourir fa propre mère ; de là on a dit des
Princes qui lui ont refïemblé , c'cft ua
Néron.
Catoii , au contraire , fut recomanda-
blc par l'auftérité de fes mœurs : de là S. J^'^^^- ^- *-
Jérôme a dit d'un hypocrite, c'eft un Ca- ivronach" *
ton au dehors , un Néron au dedans , i^tus ^^b. fin.
NtroJorisCato. ^"Sd^P-
Mécénas, favori de l'Empereur Au- hf. cdu,
, gufte , protégeoit les gens de lettres : on ^7i3. p.
dit aujourd'hui d'un feigneur qui leur '
acorde jfa protection , ctft un Mécêms,
Mais fans un Mécénas, à quoi ferc un Augufte î Boikau
ç'çft à-dire, fans un prote£î:eur.
H iij
118 LANTONOMASE,
Homer. Irus étoît lin pauvrc de l'île d'Ithaque ,
OdyfT.l.ig. ^j^jj ^j-Q-j. ^ jg^ f,^^]j.e des amans de Pénélope,'
il a doné lieu aii proverbe des anciens ,
p/ns pauvre qnlrus. Au contraire, C refus.
Roi de Lydie , fut un Prince extrême-
rnent riche ,• de là on trouve dans les Poè-
tes Irus pour iin pauvre , & Créfus pour \xn
riche.
Ovi Trift ^^^^^ ^ ^^ fubitb qui modoCrœfus erat.
ïii. Eleg. .... Non diftat Croefus ab Iro. §
7- V. 4t.
§ Propert. Zoïlc fut uu Critique paflîoné & jaloux :.
i!l^\ ^^ ^^^^ ^*^^^ ^^ ^^^ encore * d'un home qui ^^
les mêmes défauts; Ariftarque, au con-,
traire, fut un critique judicieux: Tun 6c
l'autre ont critiqué Homère : Zoïle t*a cen--
- . rfuré avec aigreur &; avec paffion ; mais,
Arifbarque Ta critiqué avec un fage difcer-;
nement , qui l'a fait regarder come le mo-
dèle des critiques : on a dit de ceux qui
- -l'ont imité, qu'ils étoient des Arillar-
B-ouiTcia ^^ de moi-même Ariftarqiie incomode :
Miifes. ^'^^ C'eft-^-dire , cenftur. Lifez vos ouvrages:^;
.*8.f.sa»?* Ing^nîum magni detréârat livor Homéri :
Quifquis es, ex illo , Zôile , noraca habes, O^if^
^Rcmed. amor. V. .365. '
I
VANTONOMASE. 119
dit Horace , * à un ami judicieux : il vous
en fera lentir les défauts , il fera pour vous
un Arifiarqne»
Therfice fut le plus malfait, le plus lâ-
che, le plus ridicule de tous les Grecs:
Homère a rendu les défauts de ce iircc il
célèbres àc (\ conus , que les anciens ont
Ibuvent dit un Therjhe^ pour un home di-
formc, pour un home mépriiable. C'eil aBmye-
' I . r ^ re , caract.
dans ce dernier lens que M. de la Bruyère desGrands.
a dit , " jetez-moi dans les troupes come
« un lîmpîe foldat, je luis Thcrlite j me-
>3 tez-moi à la tête d'une armée dont j'aie
M à répondre à toute l'Europe , je fuis
» Achille, u
Edipe, célèbre dans les tcms fabuleux
pour avoir deviné l'énigme du Sphinx, a
doné lieu à ce mot de Térençç , D^y^s Ter. A^ar.
fum , 'non (Edipus. .. ■' • ^' " " ad. i. fc, ?..
Je fuis Dave, Seigneur, & ne fuis pas Edipe.
C'eft-à-dire, je ne fai point deviner les
difcours énigmatiques. Dans notre An-
* Vir bonus ac prudcns vcrfus reprehéncîet inertes,
Culpâbit duros , incompcis âdlinet atrurn
Traiifvérfo cal^mo fi^rnum j ambiti6ra recîdec
Ornamcnta , parum cïaris lucem daïe coget j
Arguée ambi^uè didum 5 mutânda norâbit,
I^iet Ariftarchus. ïloruî. arc. poct. y. 4.^4.
H i V
120 L'ANTONOMASE,
driène françoife on a traduit ,
And. aa. ^^ ^'^^^ Dave, Monfieur, & ne fuis pas devin :.
ï. fc. 5= ce qui f?.it perdre l'agrément & la juftefle.
de rop.ofition entre Dave ôc Edipe : je fuis
Dave , donc je ne fins pas Edipe , la con-
clu lion eft jufte ; au lieu que, je fuis Dave y
donc ji^ ne fuis pas devin \ la conféquence
n'eft pas bien tirée, car il pourok être
Dave &: devin.
M. Saumaife a été un fameux critique
dans ]e dix-feptième iiècle : c'eft ce qui a
don,é lieu à ce vers de Boileau ,
Boiilcau ^"x Saumaifes futurs préparer des torrures ,
eTpric^ceft Ç'^^-^-<iirc > ^i-^x Critiques , aux cpmenta-
U ix! teurs à venir-
Xantippe, femme du phîlofôphe Socrate,
étoit d'une humeur fâcheufe & incomode :
on a doné fon nom à pluiieurs femmes
de ce caractère.
Pénélope &: Lucrèce fe font diftinguécs
par leur vertu, telle ell du moins leui;
çomune réputation : on a doné leur nom
aux femmes qui kur ont r^iïemblé : au
contraire , les femmes débauchées ont été
apelées des Phrynés ou des Laïs ; ce font
les noms de deux fameufcs courtifanes de
i'anciène Grèce,
VANTONOMASE. ut
Aux teras les plus féconds en Phrynés, en Laïs, Boilcaa,
Plus d'une Pénélope honora fon pays.
Typhis fat le pilote des Argonautes;
Aiitomédoii fut l'écuyer d'Achille, c'écoit
lui qui menoit fon char : de là on a doué
les noms de Typhis ôc d'Automédon à un
home qui, par des préceptes , mène 6c con-
duit à quelque fcience ou à quelque art.
C'eft ainfi qu'Ovide a dit qu'il étoit le
Typhis ^ l'Automédoii de l'art d'aimer.
Typhis & Automedon dicar amôris ego. Ov\à. èe
Sous le règne de Philippe de Valois le i. i.'y. g,
Dauphiné fut réuni à la courone. ^ Hum-
bcrt^ Dauphin de Viemiois ^ qui fe fit enfuite
* Termes de la confîrmarion du dernier afte de tranfport
du Dauphiné , en faveur de Charles fils de Jean, Duc de
Normandie. Cet ade eft du i6 Juillcr 1549^ Voyez les
preuves de l'hiftoire du Dauphiné de M. de Valbonnay, ^
fes Mémoires pour fcrvir à l'hiftoire du Dauphiné. A Paris,
chez de Bacs , 17 1 1.
x> On s'cft pcrfuadé que la condition en faveur du pre-
55 micr né de nos Rois , étoit tacitement renfermée dans ces
" paroles, quoiqu'elle n'y foit pas iitéraleraent exprimée, «
corne on le croit comunément. Htjioire du Dauphiné, page
60}. édit. de 1711.
Dans le tems de cette donation faire à Charles , Jean
père de Charles, étoit le fils aîné du RoiPhilippe deValois,
& fut fon fuccefTeur, c'eft Jeiin II. Après la mort du Roi
Jean II. Charles Ton fils, qui étoit déjà Dauphin , lui fuc-
ccdn au Royaume , c'eft Charles V. dit le Saj;e. Ainfi ce ne
iuc pas le fils aîné du Roi qui fut le premier Dauphia , ce
tiu Charles fils de l'aîné.
m rANTONQMASE,
,■' ■ Beligieux de l'Ordre de S.Dominique,
fe dejfaifit & dcvcftiî dit Dalphiné & de fts
autres terres , O' en fuifit reniement , corporè^
lement & de fiit Charles petit- fil s du Roi»
fréfent ér acceptant pour H dr fes hoirs d^
fuccejfeurs , 6c plus bas , tr an [porte audit
Charles , fes hoirs & fuccejfeurs , O' ^^«-^ ^^^
auront caufe de li perpétuelement à^ hérita-
hlement en faifne ô" en propriété pleine ledit
Dalphiné.
Hift.de la Charles devint Roi de France, cin-
Franc, par ^i-^ieme du nom , & dans la luite » il a ete
G. Marcel, ■» atêté que le fils aîné de France porte-
T. m. p. ,j J.QJJ. 1^^^^ jg i\x.zQ. de Dauphin.
On fait allufion au Dauphin lorfque
dans les familles des particuliers on apèle
Dauphin le fils aîné de la maifon, ou
celui qui eft le plus aimé ; on dit que c'eft
le Dauphin par antonomafe , par allufion,
par métaphore , ou par ironie. On dit aufli
un Benjamin, faifant allufion au fils biea
aimé de Jacob.
^
-nis.
LA COMUNlCATîON,&c. 113.
VI.
La Comunication dans lfs paroles.
LEs Rhéteurs parlent J'une figure ape- Ko/foVv;
lée (implemcnt Comunication : c'eft^','^. ^°^'
lorlque 1 orateur s'adrcUant a ceux a qui paidcipâ-
il parle, paroît fe comuniquer, s'ouvrir à "." fermo-
cux , les prendre eux mêmes pour, juges ;
par exemple : £pi cjhoI vous ai-je donè ikn
de vous plaindre 'i Répondezrmffi , que con-
voi s -je faire de ptits} Qu auricz^-voibs fait en
'/na place ? 6cc. En ce fens la comunicatioa
eft une figure de penfée , & par conië-
quent elle n'cft pas de mon fujet.
La figure dont je veux parler efl un
trope, par lequel on fait tomber fur Toi-
même ou fur les autres , une partie de cç
qu'on dit : par exemple , un maître dit
quelquefois à i^cs difciples , nous perdons
tout notre tems ^ au lieu de dire, vous ne fat'
tes que vous amufer. Oua.vons-nous fait ?
veut dire en ces ocaiions , quavez>-vous
fm ? ainfi nous dans ces exemples n'eft pas
le fcns propre, il ne renferme point celui
qui parle. On ménage par ces cxprefîlons
l'amour propre de ceux à qui ou adrefïo
IZ4 LA COMUNlCATION,&c.
là parole, en paroifTanc partager avec eux
le blâme de ce qu on leur reproche j la re-
montrance étant moins perfonèle , & pa-
roiflànt comprendre celui qui la fait , en
Cil moins aigre, & devient fouvent plus
utile.
Les louanges qu'on fe done ble{!ent tou-
jours Tamour propre de ceux à qui l'on
parle. Il y a plus de modeftie à s'énoncer
a'une manière qui fafle retomber fur d'au-
tres une partie du bien qu'on veut dire de
fai : ainfi un capitaine dit quelquefois que
fa compagnie a fait telle ou telle action,
plutôt que d'en faire retomber la gloire
fur fa feule perfone.
On peut regarder cette figure corne unq
cfpèce particulière de fynecdoque , puif-
qu on dit le plus pour tourner l'atention ati(
moins.
VII.
La. Litote.
'Kiri^v' à T" A Litote ou diminution , eft un tropc
A;ro fîm- l^par lequel on fe fert de mots, qui , à
4us,viiis. la lettre, paroilient atoiblir une penlee
dont on fait bien que les idées accefToire.s
LA LITOTE. 11$
feront fentir toute la force,: on dit le moins
par modeflie ou par égard ,• mais on fait
bien que ce moins réveillera l'idée du plus.
Quand Chimène dit à Rodrigue, ^ua ^ Corn, le
je ne te hais point , elle lui fait entendre bien ^'^^'r^"'
plus que ces mots-là ne fignifient dans leur
iens propre.
Il en eil de même de ces façons de par^
1er, je ne puis 'vous louer ^ c'efi-à-dire , je
blâme votre conduite : je ne méj^rife pa.s
njôs préfens ^ fignifie que j'en fais beau-
coup de cas: il nefl pas fot ^ veut dire ,
qu'il a plus d'efprit que vous ne croyez :
// ncft pas poltron , fait entendre qu'il a
du courage : Pythagore riefi pas un au-
teur méprifahle ^ * c'eft-à-dire , que Py-
thagore eft un auteur qui mérite d'être
cftimé. ]e ne fuis pas diforme , "^^ veut dire
modèftement qu'on eft bien fait , ou du
/noins qu'on le croit ainii.
On apèle aufli cette figure exténuation :
elle eft opofée à l'hyperbole.
* Non fôrdidus autor natûrx vcriquc. Hor. 1. x. o4e z?»
** Nec fumâdeô informis. Virg. Ecl. t. v. i/.
C^
^^ ------- - -
t II I.
L' H Y P E R B O L E.
TV?r,5c>H'. T Orsque nous fbmes vivement frapés
excès,
hyperbole, j ^ de quelque id'ce que nous voulons re-
préienter, ,(5ç que les termes ordinaires
nous paroiiïènt trop foibles pour exprimer
ce que nous voulons :dire; nous nous fcr-
vpns de mots , qui , à les prendre à la let-
- xre^ vont au-delà de la vérité, S>L repré-
fentent le plus ou le moins pour taire en-
tendre quelque excès en grand ou en petit.
•Cetix' qui noiis entendeat rabatent de
irtiotre exprcilion ce qu'il en iaut rabatre,
" •&: il fe forme dans leur efprit une idée
i; plus confofi5tc/à celle que nous voulons y
exciter, que il nous nous étions fervis de
mots propres : par exemple ,fî nous vou-
lons faire comprendre la légèreté d'un
çlieyal qui court extrêmement vite, nous
" * iiifons qvÇîI và'plùs 'vite ^h'é "Uvint. Cette fi-
gure s'apèle hyperbole , mot grec qui figni-
iie exe es,
Julius Solinus dit qu'un certain Lada
étoit d'une fi grande légèreté, qu'il ne
L'HYPERBOLE. 127
kifloit fur le fable aucun veftige de Tes
pies. *
Virgile dit de la princefle Camille,
qu'elle furpafloic les vents à la courfc;, (Se
qu'elle eût couru fur des épis de blé fans
les faire plier , ou fur les flots de la mer
fans y enfoncer, Sz même fans fe mouil-
ler la plante des pies. "^"^
Au contraire, il l'on veut faire enten-
dre qu'une perfone marche avec une ex-
trême lenteur, on dit qu'elle marche plus
lentement qu'une tortue.
Il y a plufîeurs hyperboles dans l'Ecriture Edùcam-
c • i ■ 1] 1 . J • vos ad ter-
bamte -, par exemple , Je njotis donerat une ^.^,^ ^^^^j.^.
terre ou coulent des riiijfcMix de lait & de rniel^ tcm lade
c'ell; à-dire, une terre fertile ; & dans la Ge- ^ '3"'^^'^*
nèle il efl dit, ]e multiplierai tes enfiins en y. i^.
au jji grand nombre , cjut les grains de poujjiere Fâciarafe-
de la terre. S. Jean à la fin de fon Evangile 'f^"^'^^ pî'J™
■^"^ *" dit que fi l'on racontoit en détail les verem ter-
Primampalmam velocicatiSjLadas quidam adcptus eiTj _ ■ .
tjuiita fupracavani'ptilvercrn curfitâvic, lit arcnis pendén- '*''
Ci bus nulla indicia ïelinqucrec vclHgiônim. lui. Solin. c. 6.
** nia vel intâcla; fégetis pci fumma volârec
Gràinîna , nec téneras cuiTu larfiflec ariftas ,
Vcl marc per médium fluctu furpénfa tumtati
Fcrrci: ircr , célcres nec tingeret xquore plantas. yE». 1.
VII. V. 8o§.
■ *** Sunc autem & âlia multa qiix fccit Jefu'î, , qux (î
fcribintiu per singula , nec ipfum ârbi:ror mundum'câpcrc
polie eos , qui fcnbéndi fuat libios, }o>jn. xxi. v. i j.
128 LHYPERBOLE.
aclions & les miracles de Jéfus -ChrilT:, il
ne croit pas que le monde entier pût con-
tenir les livres qu'on en pouroit faire.
L'hyperbole eft ordinaire aux Orien-
taux. Les jeunes gens en font plus fouvent
Lifage que les perfones avancées en âge.
On doit en ufer Tobrement Se avec quel-
que coreclif ^ par exemple, en ajoutant j
pour ainfi dire -^ Ji Con peut ptrUr ainfi,
Carad. des " Les efprits vifs, pleins de feu, & qu'une
ouvrages ,i vaile im.agination emporte hors des rè-
^"'^* " S'^^ ^ ^^ ^^ juliefîè , ne peuvent s'aiïbu-
» vir d'hyperboles , dit M. de la Bruyère.
Excepté quelques faisons de parler co-
muncs êc proverbiales, nous ufons très-
rarement d'hyperboles en François. On en
trouve quelques exemples dans le ftyle
fatyrique & badin, 6c quelquefois même
îléchier. ^^"^ le ilyle fublinie &. poétique : Dts
Oraifon rmjftaux dc larmes co nièrent des yeux de tous
^^""^^'^^Ues habitans.
M. de Tu- ^ , . y r
rène.Exor- " Lcs Grccs * avoicnt une grande pal-
^^' » fion pour l'hyperbole, corne on le peut
53 voir dans leur Anthologie , qui en ell
* Traité de la vraie & de la fauffe beauté dans les ou-
vrages d'cfprir, C'eft une traduétion que Richelet nous à
douce de la diircrtàcioii que Mefîleurs de P. R, ont riiife a
ia lête de leur Delécitu EfigrammatKnu
toute
LHVPOTYPVSE. 129
Vî tonte remplie. Cette figure eft là ref-
« foLirce des petits efprits qui écrivent
»5 pour le bas peuple.
Juvénal élevé dans les cris de l'école , Ecil. Arc,
Pouffa ûifqu'à l'excès fa mordante hyperbole. T'oenque,
■» Mais quand on a du eénie & de l'u-
'5 fage du monde , on ne fe fent guère de
" goût pour ces fortes de penfées fauiîes
53 èc outrées.
ÎX,
L' H Y P O T Y P O s E.
L'Hypotypofc cil un rriot grec qui Ci- tVoti-
2:nifie ima^e . tdh'leau. C'eft Ibrfquè™^/^ '•,
dan*; les delcriptions on psmt les i<i\ts ù-r-^ru-nôc^ ,
dont on parle , coaie fî ce qu'on dit étoit'?^^'"^" • ,
actuèlemeut devant les yeux \ on montre , ^^l^ ^figlrÔ:
pour â'nlî dire, ce qu'où ne fait que ra-
conter; On donc en quelque forte l'origi-
nal pour la copie, les objets pour les ta-
bleaux : vous en trouverez un bel exenl-
ple dans le récit de la mort d'Hippolyte.
Cependant , fur le dos de la plaine liquide i Ràc. rhc-
S'clève à gros bouillons «ne rtîontagne hurhide •,£v''^^ ' ''''
150 LHVPOTYPOSÉ.
L'onde aproche , fe brife , & vomit à nos yeux
Parmi les flots d'écume, un monftre furieux;
Son front large efl: armé de cornes menaçantes ,
Tout fon corps eft couvert d'écaillés jaunilTantcsi
Indomtable taureau, dragon impétueux.
Sa croupe fe recourbe en replis tortueux :
Sqs longs mugifTemens font trembler le rivage-,
Le ciel avec horreur voit ce monftre fauvage ,
La terre s'en émeut, l'air en eft infecté.
Le flot qui l'aporta recule épouvanté.
Ce dernier vers a paru afccté ; on a dit que
les flots de la mer aloient & venoient fans
le motif de l'épouvante, & que dans une
ocafion aufîi trille que celle de la mort
d'un fils , il ne convenoit point cie badi-
ner avec une fiction auiil peu naturèle. Il
eil vrai que nous avons plufieurs exem-
ples d'une femblable profopopée j mais il
eft mieux de n'en taire ufage que dans les
ocahons où il ne s'agit que d'amufer l'i-
magination , èc non quand il faut toucher
le cœur. Les figures qui plaifent dans un
épithalame, déplaifent dans une oraifon
Hôr, Airt. funèbre \ la triffcefTe doit parler fîmple*
î'ot:.v.$»7. |-,-jet;jt- j] elle veut nous intéreiîer : mais
revenons à l'hypotypolc.
Remarquez que tous les verbes de cette
ï
l
LHYPOTVPOSE. 131
îiarratioQ font au prélenc . r'û?u/e aproche ,
fe brifc^ ècc. c'eft ce qui fait l'hypotypofe 5
l'image , la peinture ; il femble que l'ac-
tion le pafTè fous vos yeux.
M. l'Abé SégLîi, dans foil panégyrique
de S. Louis , prononcé eh prélence de l'A-
cadémie françoife , nous fournit encore un.
bel exemple d'hypocypofe , dans la dcf-
cription qu'il fait du départ de S. Louis ,
du voyage de ce prince .. &: de Ton arivée
en Afrique.
«Il part baigné de pleurs, ôc comblé Paneg. de;
'3 des bénédictions de fon peuple: déjà ^•^°'^^'''
MgémifTent les ondes fous le poids de ïa ,1^ ' "^'^'
>3 puillante flote ^ déjà s'ofrent à Tes yeux
M les côtes d'Afrique ; déjà font rangées
>3 en bataille les innombrables troupes dès
>3 Sarafins. Ciel ëc terre , foyez témoins
»3 des prodiges de la valeur. Il fe jette avec
'3 précipitation dans les flots , fuivi de fou
» armée que fon exemple encourage , mal-
w gré les cris éfroyables de l'énemi fu-
«rieux, au milieu des vagues ÔC d'une
i3 grêle de dards qui le couvrent : il s'a-
>3 vance come un géant vers les champs
« oii la victoire l'apèle : il prend terre , il
»3 aborde, il pénètre les bataillons épais
>i des barbares j £c couvert du bouclier
Ï22 IHYPOTYPOSE.
>3 inviiible du Dieu qui fait vivre 6c qui
ï> fait mourir, frapant d'un bras puiflaiic
5î à droit & à gauche, écartant la mort,
« & la renvoyant à Ténemi ; il femble en-
55 core fe multiplier dans chacun de fcs
53 foldats. La terreur que les infidèles
5» croyoient porter dans les cœurs des
13 liens , s'empare d'eux-mêmes. Le Sara-
53 fin éperdu , le blafphème à la bouche ,
53 le défefpoir dans le cœur , fuit , &. lui
53 abandone le riva':rc.
Je ne mecs ici cette fî^^ure au ran^r des
tropes , que parce qu'il y a quelque force
de trope à parler du pafle corne s'il écoit
préfent j car d'ailleurs les mots qui font
employés dans cette ligure, confervenc
leur lignification propre. De plus , elle eft
fi ordinaire, que j'ai cru qu'il n'étoit pas
inutile de la remarquer ici.
La Métaphore.
Méràso^K » T "^ Métaphore eft une figure par la-
tianfiâtio : | ^ quelle OU tranfporte , pour ainfi dire ,
tiâmfero. ^^ lignihcation propre d un nom a une
autre (ignification qui ne lui convient
LA METAPHORE, 133
qu'en verra d'une comparaifon qui eft
dans rcfpric. Un mot pris dans un fens
inétaphorique , perd fa fignificarion pro-
pre , &; en prend une nouvèle qui ne fe
préfenre à l'efprit que par la comparai-
son que l'on fait encre le fens propre dç
ce mot , de ce qu'on lui compare : par
exemple, quand on dit que le ??2enfonge
fi fare fouvent des couIchyi de U vérité ^ en
cette phrafe , couleurs n'a plus fa fignifica-
tion propre & primitive j ce mot ne mar-
que plus cette lumière modifiée qui nous
fait voir les objets ou blancs , ou rouges,^
ou jaunçs , &c : il fignifi,e les dehors , les
aparences ; ^ cela par comparaifon entre
le fens propre de couleurs^ èc les dehors
que prend un home qui nous en impofe
fous le mafque de la fincérité. Les cou-
leurs font conoître les objets fendbles ,
elles en font voir les dehors ôc lesaparen-;
ces : un home qui ment , imite quelque-
fois (î bien la contenance &c les difcours
de celui qui ne ment pas , que lui trou-
vant les mêmes dehors , & pour ainll dire
les mêmes couleurs ^ nous croyons qu'il
nous dit la vérité : ainlî come nous ju-
geons qu'un objet qui nous paroît blanc
^fcblanc^ de même nous foincs fouvenc
liij
134 i-A METAPHORE.
la dupe d'une flncéricé aparente, 6c dan$
le tems qu'un impoileur ne fait que pren-
dre les dehors d'home fincère , nous
croyons qu'il nous parle (incéremenc.
Quand on dit la lumîèrc de l'efprit , ce
mot àclu?meret9i pris métaphoriquement;
car come la lumière dans le fens propre
nous fait voir les objets corporels , de
même la faculté de conoître Se d'aperce-
voir éclaire l'efprit , êc le met en état de
porter des jugemens fains.
Metâpho- La métaphore eft donc une efpèce de
ramquam tropc , le mot dont on fe fcrt dans la mé-
canT^^s raphore eft pris dans un autre fens que
tiaiatiô- dans le fens propre ^ilefl ^ pour ainfi. dire ,
iiem,id eft, ^^.^^ ^^^^ démettre empruntée , dit un ancien ,
domo mu- • n ri rr- • i \ \
çuâcum ce qui eit comun ce elientiel a tous les
verbunii trOpCS.
mur "^in- ^^ P^"^ , il y a unc forte de comparai-
cjuit Ver- fou OU quclquc raport équivalent entre le
nus F^/«^, mot auquel on donc un fens métaphori-
phoram. ^^ -, ^ l'objet à quoi on veut l'apîiquer ;
• ■ ■ par exemple , quand on dit d'un home en
colère , c'ej^ un lion , lion eft pris alors dans
nn fens métaphorique j on compare l'ho-
me en colère au lion, 6c voilà ce qui dif-
çingue la métaphore des autres figures.
Il y a cette diférence entre la métaphore
LA METAPHORE. 135
^ la comparaifoii, que dans la comparai-
fon 011 fe ferc de termes qui font conoître
que l'on compare une chofc à une autre \
par exemple , li Ton dit d'un home en
colère , qu'// efi corne un lion , c'eft une com-
paraifon , mais quand on dit fimplement
ccfl: un lion , la comparaifon n'eil alors
que dans l'efprit &: non dans les termes j
c'eft une métaphore.
Mefurer^ dans le feus propre , c'eft juger
d'une quantité inconue par une quantité
conue, foit parle fecours du compas , de
la règle , ou de quelqu'autre inftrument
qu'on apèlew^y^r^. Ceux qui prènentbiea
toutes leurs précautions pour ariver à leurs
fins, font comparés à ceux qui mefurent
quelque quantité , ainii on dit par méta-
phore , quV/j- ont bien pris leurs mefures. Par
la même raifon on dit que les perfones
d'une condition médiocre ne doivent pas fe
mefurer avec les grands^ c'efb-à-dire , vivre
come les grands , fe comparer à eux ,
corne on compare une mefure avec ce
qu'on veut mefurer. On doit ni^ftireT Ça dc-
penfe a fon revenu \ c'efb- à-dire, qu'il fiiut
régler fa dépenfe fur fon revenu ; la quan-
tité du revenu doit être come la medu'e de
la quantité de la dépenfe.
liv
u6 LA METAPHORE.
Corne une clé ouvre la porte d'un apat-
temenç , & nous en donc l'entrée , de mê-
me il y a des conoifTances préliminaires
qui ouvrent , pour aiufi dire , l'entrée aux
fciences plus profondes : ces conpill^nces
ou principes fopt apelés clés par méta-
phore j la Grammaire eft la dé des fcien-
ces : la Logique eft la clé de la Philofo-
phic.
On dit au.fll d'une ville fortifiée, qui eft.
fur une frontière, qu'elle eft la clé du royau-
me, c'eft-à-dire , que lenemi qui fe ren-
droit maître de cette ville, feroit à portée
d'entrer enfuite avec moins de peine dan^
le royaume dont on parle.
Par la même raifon l'on donc le nom
de f//, en termes de mufique , à certaines;
marques ou caractères que l'on met au
comen.cement des lignes demulique : ces
marques font conoître le nom que l'on
doit doner aux notes i elles douent, pour
ainfi dire, l'entrée du chant,
Quand les métaphores font régulières,
il n'effc pas dificile de trouver le raport dç
comparai fon.
La métaphore eft donc auffi étendue
que la comparaifon ; & lorfque la corn-
paraifon ne feroit pas juftc ou feroit trop.
LA METAPHORE. 157
recherchée , la métaphore ne feroic pas
régulière.
Nous avons déjà remarqué que les lan-
gues n'ont pas autant de mots que nous
avons d'idées ^ cette disète de mots a doné
lieu à pluiieurs métaphores ; par exemple :
k cœur tendre , le cœur dur , un ray-on de miel,
les rayons d'une roue, &:c: l'imagination
vient , pour ainfi dire, au fecours de cette
disète ; elle Tuplée par les images & les
idées accefibircs aux mots que la lancine
ne peut lui rournn- ; 6c il arive même ,
come nous l'avons déjà dit, que ces ima-,
ges & ces idées accefToires ocupent l'efprit
phis agréablement que fi l'on (c fervoit
de mots propres , & qu'elles rendent le
difcours plus énergique ; par exemple,
quand on dit d'un home endormi , qu'/7
efl enfevcU dans le fomeïl ^ cette métaphore
dit plus que (i l'on difoit iimplement qu'il
dort : Les Grecs fur prirent Troie enfcueliz
•d^ns le vin & dans k fomeil.
Invâdunt urbem fomno vinoque fepûltam. Vir»-. jïn
Remarquez, i". que dans cet exemple, ' ' ^*
ïepûltam a un fcns tout nouveau ôc difé-
rcnt de fon fens propre. 2^. Septdtam n'a
ce nouveau fens, que parce qu'il efl joiiiC
I3S LA METAPHORE,
hfim^o vmû^fue , avec Icfquels il ne iauroit
être uni dans le lens propre,- car ce n'efb
que par une nouvèie union des termes ,
que les mots fe donent le fens métapho-
rique. Lumière n'ell: uni dans le fens pro-
pre , qu'avec le feu , le foleil &: les autres
objets lumineux ; celui qui le premier a
uni lumière à efprit , a doné à lumière un
fens métaphorique , 6c en a fait un mot
nouveau par ce nouveau fens. Je voudrois.
que l'on pût doner cette interprétation a
ces paroles d'Horace :
Hor. Art. Dîxeris egrégiè , notum fi câllida verbum
oec.v. 47. Reddiderit jundiira novum.
La métaphore eft très-ordinaire -, en
voici encore quelques exemples : on dit
dans le fens propre, senyvrer de quelque
liqueur ; ôC l'on dit par métaphore, s\nyvrer
de plaifirs : la. hone fortune enyvre les fois ,
c'eft-à dire, qu'elle leur fait perdre la rai-
fon, &C leur fait oublier leur premier état.
Boit. Art. Ne vous enyvrei point des éloges flateurs
Poët. chant Qq^ ygns donc un amas de vains admirateurs.
Le peuple , qui jamais n'a conu la prudence a
chant 7. * »S"c/2yv/-o/r folement de fa vaine efpérance.
Dûner un frein à fes gaffions ; c'eft-à-dire j^
LA METAPHORE. 13g
n'en pas fuivre tons les mouvemens , les
modérer, les retenir corne on retient un
cheval avec le frein , qui effc un morceau
de fer qu'on met dans la bouche du che-
val.
Mézerai, parlant de riiéréfie, dit au il Abrégé de
etoit mcejjaire a ara cher cette z^iz^anie , c eit- j^ France
à-dire , cette fcmence de divifion , z^iz^^me eft FrançoisiL
là dans un fens métaphorique : c'eft un P* ^^^'
mot grec qui veut dire yvroie , mauvaife
herbe qui croît parmi les blés , & qui leur
cft: nuilible. Ziz^ame n'eft point en ufage
au propre , mais il fe dit par métaphore
pour difcorde , méfimeUigence , dïvifion :
femer la z.iz.anie dû.as une famille.
Mater ia^ matière, fe dit dans le fens
propre, de la fub (lance étendue confidé-
rée corne principe de tous les corps -, en-
fuite on a apelé matière , par imitation &
par métaphore, ce qui ell: le fujet, l'ar-
gument, le thème d'un difcours , d'un
poëme , ou de quelqu'autre ouvrage d'ef-
prit.
i£f6pns auclor , quam matériam répperit, Phxd. 1. 1:
Hanc ego polivi vérfibus Senariis.
y ai poli la matière ^ c'eft-à-dire , j'ai doné
l'agrément de la poëHe aux fables qu'E-
140 LA METAPHORE,
fope a inventées avant moi. Cette maifetP
efi bien riante ^ c'eft-à-dire , elle infpire la
gaieté corne les perfones qui rient. La>
fleur de la jcu^ejfe; le feu de ramottr ; ï aveu-
glement de rejpyiti le fil d'un dif cours j lefl
des af aires.
C'ell: par métaphore que les diférentes
clafles, ou coniidérations , auxquelles fe
réduit tout ce qu'on peut dire d'un fujet^
font apelées lieux comuns en Rhétorique,
ôc en Logique, loci cammmes» Le genre,
l'efpèce, la caufe , les éfets, &c. font des 1
lieux comuns, c'eft-à-dire, que ce fonç
corne autant de célules ou tout le monde
peut aler prendre, pour ainfi dire, la ma-
tière d'un difcours. & des ar2:umens fur
toutes fortes de fujets. L'atention que l'on
fait fur ces diférentes claffes, réveilla des
penfées que l'on n'auroit peut-être pas
fans ce fecours.
Quoique ces Heux comuns ne foient
pas d'un grand ufagc d^ins la pratique, il
n'eft pourtant pas inutile de les conoître;
on en peut faire ufage pour réduire un
difcours à certains chefs-, mais ce qu'on
peut dire pour & contre fur ce point , n'eft;-
pas de mon fujet.
On apèle aulTi en Théologie par n^éçî^-
LA METAPHORE: 141
fhore , ioci Theologici , les diférentes four-
ces où les Théologiens puifent leurs ai>
gumens. Telles font l'Ecriture Sainte ,
la tradition contenue dans les écrits des
Saints Pères , les Conciles, ôcc.
En terme de chymie^ règne fe dit par
métaphore , de chacune des trois claiîcs
fous lefquelles les Chymiiles rangent les
êtres naturels.
1°. Sous le règne ammaliXs comprènent
les animaux.
1°. Sous le règne végétal^ les végétaux j
c'eft-à-dire , ce qui croît j ce qui produit,
corne les arbres îk les plantes.
3°. Enfin, fous le règne minéral ils com-
prènent tout ce qui vient dans les mines.
On dit aufîi par métaphore , que la
Géographie (^ la, Chronologie font les deux
yeux del'Hiftoire. On perfonific l'Hiftoire,
^ on dit que la Géographie &, la Chro-
nologie font à l'égard de l'Hiftoire , ce
que les yeux font à l'égard d'une perfone
vivante ; par l'une elle voit, pour ainfl
dire , les lieux , &: par l'autre les tems ;
c'eft- à-dire, qu'un hiftorien doit s'apli-
quer à faire conoître les lieux & les tems
dans lefquels fe font paiTés les faits dont
il décrit l'hiftoire.
Î42 LA METAPHORE.
Les mots primitifs d'où les autres font
dérivés ou dont ils font cOmpofés , font
apelés racines , par métaphore : il y a des
Dictionaires où les mots font rangés par
racines. On dit aulîi par métaphore ^ par-
lant des vices ou des vertus , jeter de fro-
fondes racines , pour dire s'afermir.
Calas ^ dureté, durillon, en latin cal-
lum , fe prend fouvent dans un fcns méta-
Cic.Tufc. phoriqucj Lahor quafi callum qiioddam ohdu-
i. nura. 36. çif dolôYi , dit Cicéron : le travail fait come
une efpèce de calus à la douleur, c'eft-à-
dire, que le travail nous rend moins fen-
fibles à la douleur. Et au troifième livré
des Tufculanes , il s'exprime de cette for-
Tufc. l. 3. te : M agi s me moverant Corinihi fûhiio afpéc'
n.yj.alicer f^^ayietr/iJ!. , quàm ipfos Corinthios , quorum
animis diutûrna cogitatio callum ijetujrâtis oh •
duxerat. Je Ris plus touché de voir tout
d'un coup les murailles ruinées de Corin-
the , que ne l'étoient 1-es Corinthiens mê-
me , auxquels l'habitude de voir tous les
jours depuis long-tems leurs murailles aba-
tues , avoit aporcé le calus de l'anciéneté ;
c'eft-à-dire, que les Corinthiens, acoutii-
més à voir leurs murailles ruinées ^ n'é-
toient plus touchés de ce malheur, C'cfl:
ainii que callére ^ qui dans le fens propre
LA METAPHORE. 143
veut dire avoir des durillons ^ être endurci^
fîgnifie enfuice, par cxtenfion ôc par mé-
taphore , favoir bien , conoitre parfaitement^
eniorte qu'il fe foit fait corne un calus
dans refprit par raport à quelque conoif-
fance. Ouo pacfo id jieri Joleat cdlleo. La Tcr.Heaur.
manière dont cela fe fait, a fait un calus ^'^^ ^^'•^'^«
dans mon efprit; j'ai médité fur cela , je
f<ii à merveille coment cela fe fait ; je fuis
maître p^ilTé , dit Madame Dacier. illins id.Adelp.
fenfum cdlleo. j'ai étudié {o\\ humeur: ie ^'^•4-fc.i.
luis acoutume a les manières, je lai le
prendre come il faut.
Vue ^ fe dit au propre, de la faculté de
voir, 6c par cxtenfion, de la manière de
regarder les objets : enfuite on donc par
métaphore , le nom de vue aux penfées ,
aux projets, aux defleins: avoir de grandes
vues ^ perdre de vue une entreprife ^ n'y plus
penfer.
Goût , fe dit au propre du fens par le-
quel nous recevons les imprefîions de fes
faveurs. La lan2;ue ell l'ori2:ane du soût;
avoir le go ut dépravé ^ c'eil:-à-dire , trouver
bon ce que ôomunément les autres trou-
vent mauvais , &: trouver mauvais ce que
les autres trouvent bon.
Enfuite on fe lert du ternie de ooitt car
144 LA METAPHORE,
métaphore , pour marquer le fentiment
intérieur dont l'efprit eft afe£té à l'oca-
ilon de quelque ouvrage de la nature ou
de l'art. L'ouvrage plaît ou déplaît , otl
l'aprouve ou on le défaprouve j c'eft le
cerveau qui efb l'organe de ce goût-là :
jLe goiit de Par/s s'ejl trouvé conforme au
ooût d'Athènes ^ dit Racine dans la préface
d'Iphigéniej c'efl-à-dire, come il le dit
lui-même , que les fpedtateurs ont été
émus à Paris des mêmes chofes qui ont
mis autrefois en larmes le plus favant peu-
ple de la Grèce.
Il en eft du goût pris dans le fens fi-
guré , come du goût pris dans le fenS
propre. , .
Les viandes plaifent ou déplaifent au
goût , fans qu'on foit obligé de dire pour-
quoi : un ouvrage d'efprit, une peniée,
une exprefîion plaît ou déplaît , fans que
nous foyons obligés de pénétrer Ja raifon
du fentiment dont nous fomes afectés.
Pour fc bien conoître en mets ôc avoir
lin goût fur, il faut deux chofes j i . un or-
gane délicat; 2. de l'expérience, s'être
trouvé louvent dans les bones tables , &:c :
on cO: alors plus en état de dire pourquoi
un mets eft bon ou mauvais. Pour être
éonoiffcut
LA METAPHORE. 145
conoilTeur en ouvrage d'elpric , il fliuc un
bon jugement , c'elt un prélcnc de la na-
ture \ cela dépend de la dilpofition des
organes $ il faut encore avoir fait des ob-
Icrvations fur ce qui plaît ou fur ce qui
déplaît ; il faut avoir fu alier l'étude & la
méditation avec le comerce des perfones
éclairées : alors on efk en état de rendre
raiion des règles &. du goût.
Les viandes ôc les alFaifonemens qui
plaifent aux uns , déplaifcnt aux autres ;
c'eft un éfct de la diférente conftitution
des organes du goût. Il y a cependant fur
ce point un goût général auquel il fiiut
avoir ^égard, c'cft à-dire, qu'il y a des
viandes & des mets qui font plus généra-
lement au goût des perfones délicates : il
en efl de même des ouvrages d'efprit s nn
auteur ne doit pas le flater d'atirer à lui
tous les fufrages , mais il doit fe confor-
mer au goût général des perfones éclairées
qui font au fait.
Le^goût, par rapoit aux viandes 1, dé-
pend beaucoup de l'habitude & de l'édu-
cation ; il en eft de même du goût de
Tcfprit : les idées exemplaires que nous
avons reçues dans notre jeunelTe, nous
fervent de règle dans un âge plus avancé j
' ■ K
14^ LA METAPHORE.
telle eft la force de l'éducation, de l'ha*
bkiide, 6c du préjugé. Les organes, acou-
tumés à une telle imprelîion, en font fiâ-
tes de telle forte , qu'une impreflion di Té-
rente ou contraire les aflicre : aind mal-
2:ré Texamen &i les difcuffions , nous con-
tinuons fouvent à admirer ce qu'on nous
a fait admirer dans les premières années
de notre vie ; & de là peut-être les deux
partis, l'un des anciens, l'autre des mo-
dernes.
Remarques fur le 'manvAis tifagc des
métaphores.
Les métaphores font défectueufes,
1°. Quand elles font tirées de fujets bas»
Le P. de Colonia reproche à Tertulicn
d'avoir dit que le déluge univerfel fut Lt
lejfi'ue de U niitiire. *
z°. Quand elles font forcées, prifcs de
loin , & que le raport n'eft point allez na-
turel, ni la comparaifon alFez feniible ;
corne quand Théophile a dit -.je baigner. ^A
mes mains dans les ondes de tes cheveux : 6C
dans un autre endroit il dit que la -chante
* Ignobilitàtis vîcio laborare vidécur cclebri^ ilUi Ter-
tulliâni metaphora , quâ dilùviam appciia: natùrje g'-^i»-
râlc liïlviuiîi. D« arte ^hef. p. 148.
La METAPHORE, 147
(corche UfU'im. ->•> Théophile , dit M. de la
« Bruyère , * char^^e fes dclcriptions , s'a- * Caraa.
» pcf-intit fur les détails j il exagère , il [f^^^.^ "^^
" paiïe le vrai dans la nature , il en fait le
'> roman.
On peut raporter à la même efpèce les
métaphores qui font tirées de fujets peu
conus.
j'*. Il faut aufîi avoir égard aux conve-
nances des difércns fliyles, il y a des mé-
taphores qui conviènent au Ityle poéti-
que, qui feroient déplacées dans le flyle
oratoire : Boileau a dit :
Acourez croupe favante ; Oà<t fur
Des fons que ma lyre enfante ^, P^^ '^
Ces arbres font réjouis.
On ne diroit pas en profe , (^tine lyre
enfante des fons. Cette obfervation a lieu
auffi à l'égard des autres tropes -, par exem-
ple : Lumen dans le fens propre , fignifie
lumière: les Poètes latins ont doné ce nom
à l'œil par métonymie , les yeux font Tor-
gane de la lumière, &: font, pour ainli
dire , le flambeau de notre corps. Un jeune l;»«Vai
earçon fort aimable étoit borgne j il avoit^'/^r", '^*
ime lœur tort belle, qui avoit le même /««,-. luc;
défaut) on leur apliqua ce diiHque, qiii^-^^- v-?4.
hB la METAPHORE.
fut fait à une autre ocafîoii fous le règtiC'
de Philippe II. Roi d'Efpagne.
Parve puer, lumen quod habes concède forori t
Sic tu cœcus Amor , lie erit illa Venus.
Où vous voyez que lumen IigaifTic /V/7, il
n'y a rien de fi ordinaire dans les Poètes
latins , que de trouver Inmina pour les yeux ;
mais ce mot ne le prend point en ce fens
dans la profe.
4. On peut quelquefois adoucir une
raétaphore , en la changeant en compa-
railon, ou bien en ajoutant quelque co-
rectif: par exemple, en à'iÇ2.nt pour ai nji
dire ^ fi l'on peut parler ainfi , &c. « L'art
î5 doit être, pour ainfî dire, enté fur la
" nature ; la nature foutient l'art 6c lui
» fert de bafe j 6c l'art embélit & perfec-
» tione la nature.
5. Lorfqu'ii y a plufieurs métaphores
de fuite, il n'elt pas toujours néceflairc
qu'elles foient tirées exaclement du même
lu jet , corne on vient de le voir dans l'e-
xemple précédent: enté ç.^ pfis de la cul-
ture des Aïhïcs\ foutient , bafe , font pris de
l'architecliure ; mais il ne taut pas qu'on
les prènc de fujets opofés , ni que les ter-
mes métaphoriques dont l'un elt dit de
LA METAPHORE. 149
l'ciutrc , excitent des idées qui ne puillenc
point être liées, corne fi l'on difoit d'un
orateu r , c'e/I un torrcrit qui s\ilume , au lieu
de dire , c'efl un torrent qui entraîne. On a
reproché à Malherbe d'avoir dit :
Prens ta foudre Louis &: va corne un lion, Mrtlli. 1. 1.
Il fliloit plutôt dire corne Jupiter. Y' '"°^-
Dans les premières éditions du L,id , dcMénacç,
Chimène difoit : ^}'' '" P°^'-
ues dcMal-
Malgré des feux iî beaux qui rompent ma cogère, herbe.
Feux de rompent ne vont point enfcmble : '^'' '^' ^'^'
c'eft une obfervation de l'Académie fur
les vers du Cid. Dans les éditions fui van-
tes on a mis troublent au lieu de rompent ;
je ne fai li cette correction répare la pre-
mière faute.
Ecorce ; (^zns le fens propre, efl la par>
tic extérieure des arbres & des fruits , c'cft
leur couverture : ce mot fe dit fort bien
dans un fens métaphorique , pour mar-
quer les dehors , Taparence des chofes y
ain(i l'on dit que les ignorons s\trctent À
l'c'corce ^ qu'/'/j" s atdchcnt , quV/f s'amujent a
récorce. Remarquez que tous ces verbes
s'arètent ^ s atachent , i'amufent , conviènent
fort bien avec éco-^ce pris au propre ^ mais
yous ne diriez pas au propre ^fondre ué-
K iij
î5a LA METAPHORE.
cor ce '^ fondre fe die de la glace ou du mé-
tal , vous ne devez donc pas dire au figuré
fondre l'ecorce. J'avoue que cette expreflior^
me paroît trop hardie dans une ode de
Pvoufîeau : pour dire que l'hiver eft pafîe ,
& que les glaces font tondues^ il s'exprime
de cQitQ forte :
^ÏY- 3- L'hiver, qui fi long-temsa fait blanchir nos plaines,
^^: ■' N'enchaîne plus le cours des paifibles ruilTeaux -,
Et les jeunes zéphirs de leurs chaudes haleines
Ont fondu Vccorce des eaux.
6. Chaque langue a des métaphores par-
ticulières qui ne font point en ufage dans
les autres langues ; par exemple : les La-
tins difoient d'une armée, dextrum &finif-
îYum cornu , & nous difons l\iiU droite &
raille gauche. • y
Il eil; Il vrai que chaque langue a fcs.
métaphores propres &: confacrées par l'u-
fage , que il vous en changez les termes
par les équivaiens même qui en apro-
çhent le plus, vous vous rendez ridicule.
Un étranger, qui depuis devenu un de
nos citoyens , s'ell rendu célèbre par fes
ouvrages, écrivant dans les premiers tems
de ion arivée en France , à fon protecteur,
lui diloit 3 MônCei^ncur ^ vous avez, pour
I
LA METAPHORE, 151
moi des boyaux de père ^ il vouloit dire des
entrailles.
On die mettre la lumière fous le hoijjcau ,
pour dire cacher fes talens , les rendre inu-
tiles, l'auteur du poëme de la Madeleine Poèfme de
ne devoir donc pas dire , mettre le flambeau ^^^^^^^- ^•
Jous le mui.
X I.
La Syllepse Okatoire.
LA Syllepfe oratoire eft une efpèce de s^'m^i,;
métaphore ou de comparaifon , par Comf>rei:e>t,
1 11 A /l • J Jîo, complet
laquelle un même mot elt pris en deux _^^^ s,jy,.
fens dans la même plirafe, l'un aupro-^ uUvù,^
pre , 1 autre au hgure -, par exemple , Co- ^^ ^
rydon dit que Galathée eft pour lui plus
douce que le thym du mont Hybla -, * ainll
parle ce berger dans une églogue de Vir-
gile ; le mot doux eft au propre par raporc
au thym , 6c il eft au figuré par raport à
rimprelïion que ce berger dit que Gala-
thée fait fur lui. Virgile fait dire cnfuite
à un autre berger, & moi quoique ]e paroi ffe
a Galathée plus amer que les herbes de Sar-
* . . . . Galathasa thymo mihi dùlcior Hyblx. F/>j.
Ecl, 7. V. }7.
Kiv
Î51 LA SYLLEPSE ORATOIRE.
daigfie , &c. ^ Nos bergers difent/>///j- aigre
qu'un citron verd.
Pyrrhus, fils d'Achille, l\in des princi-
paux chefs des Grecs , & qui cnt le plus
de part à rembrafemenc de la ville de
Troie, s'exprime en ces termes dans l'une
des plus belles pièces de Racine :
Rac. An- Je foufre toiis les maux que j'ai îiiiis devant Troie j
• ' £"■ ^'^ ■ Vaincu , chargé de fers , de regrets confumé ,
Brûlé de plus de feux que je n'en aiumai.
Briî/éei\ au propre par raport aux feux que
Pyrrhus aluma dans la ville de Troie j èc
il eftau ligure, par raport à la paflion vio-
lente que Pyrrhus dit qu'il rejQTentoit pour
Andromaque. Il y a un pareil jeu de mots
dans le diitique, qui effc gravé fur le tom-
beau de Defpautère :
Hic jacet unoculus vifu prc-eftantior Argo ,
Nomen Joânnes cui ninivi,ta fuit.
Vi/k eO: au propre par raport à Argus, à
qui la fable donc cent yeux ; êc.il cfb aa
figuré par raport à D-crpautère : l'auteur
de l'épitaphe a voulu parler de la vue de
Fefpric.
* . . . ego Sarddis videar tibi amârior herbis. ibid.
VALLEGORIE. 155
Au rcftc , cette figure joue trop fur les
riiots pour ne pas demander bien de la
circonrpection ; il faut éviter les jeux de
mots tiop afeclés &: tirés de loin.
XII.
L'A L L E G O R I E.
L'Allégorie a beaucoup de raport avec A\v.r/opfx ,
la métaphore : l'alleeiorie n'eil même mutano, fi-
, ^ , . *■ , sura qua
qu une métaphore contmuec. ^liud dici-
L'allé^orie cft un difcours , oui eft d'à- t<ir,âliudri-
bord prélenté fous un fens propre, ^^^i l'^'^V^*^ '
paroît toute autre choie que ce qu'on a âliud,cr>/:-
deflein de faire entendre, èc qui cepen- /=:'-^' y^^
ant ne lert que de comparailon , pour j^^ij-o con-
doner l'intelligence d'un autre fens. qu'on ciônor, vel
n'exprime point. '^.'''" v^^*,^'
La métaphore jomt le mot hgure acio^orâdo,
quelque terme propre ; par exemple , Icfeii'
de vos yeux i yeux eft au propre : au lieu
que dans l'allégorie tous les mots ont d'a-
bord un fens figuré ; c'eft-à-dire , que tous
les mots d'uue phrafeou d'un difcours aî-
léï^orique forment d'abord un fens 1 itérai
qui n'eft pas celui qu'on a deiîcin de faire
entendre : les idées acceiloires dévoilent
154 VALLEGORIE.
enfuite facilement le véritable i^iis qu'on
veut exciter dans l'efprit, elles démaf-
quent, pour ainfi dire , le fcns litéral étroit,
elles en font l'aplication.
Quand on a comencé une allégorie,
on doit conferver dans la luite du dif-
cours , l'image dont on a emprunté les
Îtremières exprciïîons. Madame des Hou-
ières , fous l'image d'une bergère qui
parle à fes brebis , rend compte à fcs en-
fans de tout ce qu'elle a fait pour leur
procurer des établifïemens -, ôc fe plaine
tendrement fous cette image de la dureté
de la fortune:
PocTies de Dans ces prés fleuris
Mad. des Qu'arofe la Seine ,
Houl.T. 1. /^L 1 • V
-^ gg^ Cherchez qui vous mente ,
Mes chères brebis ;
J'ai fait pour vous rendre
Le deftin plus doux ,
Ce qu'on peut atendre
D'une amitié tendre j
Mais fon long courouK
Détruit, empoifone
Tous mes foins pour vous ,,
Et vous abandone
Aux fureurs, des lougs^.
L'ALLEGORIE. 155
Seriez-vous leur proie.
Aimable Troupeau'
Vous de ce hameau
L'honeur & la joie ,
Vous qui gras Se beau
Me déniez fans çe(ïe
Sur i'herbèce épailîe
Un plaifir nouveau I
Que je vous regrète 1
Mais il faut céder -,
Sans chien , fans houlète ,
Puis-je vous garder î
X^'injuHe fortune
Me les a ravis.
Envain j'importune
Le ciel par mes cris y
1\ rit de mes craintes.
Et fonrd à mes plaintes ^
Houlète , ni chien ,
Il ne me rend rien.
PuifTiez-vous contentes.
Et fans mon fecours ,
PafTer d'heureux jours ,
Brebis inocentes ,
Brebis mes amours.
Que Pan vous défende ,,
Hclas l il le fait -,
Ï56 LALLEGORIE,
Je ne lui demancte
Que ce feul bienfait.
Oui , brebis chéries ,
Qu'avec tant de foin
J'ai toujours nouries.
Je prens à témoin
Ces bois, ces prairies.
Que fi ies faveurs
Du Dieu des pafteurs
Vous gardent d^outrages ^
Et vous font avoir
Du matin au foir
De gras pâturages*,
J'en conferverai
Tant que je vivrai"
La douce mémoire -,
Et que mes chanfons
En mille façons
Porteront fa gloire ,
Du rivage heureux.
Où, vif & pompeux ,.
L'aftre qui mefure
Les nuits & les jours,
Començant fon cours
Rend à la nature
Toute fa parure 3
LALLEGORIE. 1^7
. Jufqu'en ces climats ,
Où , fans douce , las
D'éclairer le monde.
Il va chez Thétis
Ralumer dans l'onde
Ses feux amortis.
Cette allégorie eft toujours foutenu^
par des images qui toutes ont raport à
l'image principale par où la ligure a co-
mencé : ce qui eft elFcntiel à l'allégorie.
* Vous pouvez entendre à la lettre tout ce
difcours d'une bergère , qui touchée de
ne pouvoir m.cner les brebis dans de bons
pâturages , ni les préfcrver de ce qui peut
leur nuire , leur adrciTeroit la parole , & fe
plaindroit à elles de fon impuifTànce : mais
ce fens , tout vrai qu'il paroît , n'eft pas
celui que Madame des Houlières avoir
dans l'efprit : elle étoitocupée des befoins
de fes entans, voilà Tes brebis j le chien
.dont elle parle, c'eft fon mari qu'elle avoit
perdu : le Dieu Pan c'eil: le Roi.
Cet exemple fait voir combien eft peu Daciei ,
Œuvres
* Id quoque impiimisert: cuftodiéndiim , ut quo ex gé- d'Horace ,
herc ccepcris tranflationis , hoc dcimas. Multi enim , cum T. i.p.n j,
Inîciiim à tempcftâte lumpfcrunt , inccndio aut ruina fi- troif. édic.
niuut 3 qux eft inconfequéntia rerum fccdiffima. Ouint, 1, i?-*^.
iS- c. 6. Allcciôria.
L
is^ L'ALLEGORIE,
jufte la remarque de M. Dacier , qui pré-
tend qii/me cUégork qui reyripUroit toute
une pièce , eft un monfire \ 6c qu ainfi l'Ode
14. du I . livre d'Horace , O navis réfèrent ^
&c. n'efi: point allégorique, quoi qu'en ait
Quint. 1.8. cru Quintilien 6c IcsCornentateurs. Nous
c. 6. alleg. avons des pièces entières toutes allégori-
ques. On peut voir dans l'oraifon de Ci-
céron contre Pifon , ^ un exemple de
l'allégorie, oii , corne Horace, Cicérori
compare la République Romaine à un
vaiffeau agité par la tempête.
L'allégorie ell fort en ufage dans les
proverbes. Les proverbes allégoriques ont
d'abord un fens propre qui eft vrai , mais
qui n'eft pas ce qLi'on veut principale-
ment faire entendre ; on dit familièrc-
jment tant i)a la cruche à l'eau , au à la fin-
elle fe ^ri/Z- ; c'eft- à-dire, que, quand on
afronte trop fouvent les dangers, à la fin
cri y périt \ ou. que, quand on s'expofe
fréquenment aux ocafions de pécller , oii'
finit par y fuccomber.
* Neque tam fui tîmidus , ut qui in mâximis ttjrMnibiiS
ac flùftibus Reipùblicx navem gubernâfTem, falvâmque in
portu collocâlTem ; froiuis tua: nubéculani, tum coUéga:
tui concaminâcum Cpliimm pcrciméfcerem. Alios ego vidi
ventos , âlias piofpéxi ânimo procéllas : aliis impendénti-
bus teiT;pefl:.i:ibus non cffll, fed his unum me prb ômniuni
falùre obtuli. de, in Pif. b. ix. alircr, 10. & zi.
L'ALLEGORIE. 159
Les fixions que l'on débite corne des
hiftoires pour en tirer quelque moralité,
font des allégories qu'on apèle apologues \
parabeles onfahles morales s telles font les
fables d'Efopc. Ce fut par un apologue
que xMénénius Agrippa rapela autrefoS la
populace romaine, qui, mécontente du
Sénat, s'étoit retirée fur une montao-ne.
Ce que ni l'autorité des loix , ni la dignité
des Magiflrats Romains n'avoient pu fai-
re , fe fit par les charmes de l'apoloo-ue.
Souvent les anciens ont expliqué par
tine hiftoire fabuleufe les éfets naturels
dont ils ignoroient les caufes $ 6c dans la
faite on a doné des fens allégoriques à
ces hiftoires.
Ce n'eft plus la vnpeur qui produic le tonerre, Boaeaa,
C'eft Jupirer armé pour éfrayer la terre i ^"- P^"-
Un orage terrible aux yeux des matelots , "^'^""^ ' ' ^'
C'eft Neptune en courroux qui gourmande les
flots -,
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentifTe ,
C'eft une Nymphe en pleurs qui fe plaint de
NarcilTe.
Cette manière de philofopher flate l'ima-
gmation ; elle amufc le peuple, qui aime
le merveilleux i ^ elle eit bien plus facile
i6o LALLEGORIE.
que les recherches exactes que refpric mé-
thodique a introduites dans ces derniers
tcms. Les amateurs de la (impie vérité ai-
ment bien mieux avouer qu'ils ignorent ^
que de fixer ainiî leur efprit à des ilki-
lions.
Les chercheurs de la pierre phiiofo-
phale s'expriment auffi par allégorie dans
leurs livres; ce qui donc à ces livres un
air de myftère ôc de protondeur, que la
limplicitë de la vérité ne pouroit jamais
leur concilier, Ainli ils couvrent fous les
voiles myftérieux de rallégorie ^ les uns
leur-fourberie, èc les autres leur fanatii-'
me f, je veux dire , leur foie perfiiafion. En
éi^t, la nature n'a qu'une voie dans ies
opérations j voie unique que. l'art peut
contrefaire , à la vérité , mais qu'il ne peut
jamais imiter parfaitcrrient. 11 éft auiTi im-
polFible de taire de l'or par un moyen difé-
rcnc de celui dont la natufe fe lert pôur
former l'or , qu'il eft impo(îible de faire
un irrain de blé d'une manière diférente
de celle qu'elle emploie pour produire le
blé. •' .
. rhp terme àc matière générale n'cfl qu'une
idée abllraite qui n'exprime rien de réel j
e'ek-à-dire , rien qui exifle hors de notre
imaguiatioît.
L'ALLEGORIE. lôi
imagination. Il n'y a point dans la nature
une matière générale dont l'art puiiTc faire
tout ce qu'il veut ; c'efb ainfi qu'il n'y a
point une blancheur générale d'où l'on
puiiîe former des objets blancs. C'efb des
divers objets blancs qu'eR" venue l'idée de
blancheur, corne nous l'expliquerons dans
ia fuite; 6c c'eft des divers corps particu-
liers , dont nous fomes afe^Vés eii tant de
manières diférentes, que s'eft formée en
nous l'idée abdraite de matière générale.
C'ell: pafler de l'ordre idéal à l'ordre phy-
fique , que d'imaginer uii autre fyftème.
Les énigmes font alifli une efpèce d'al-
légorie : nous en avons de fort belles en
vers françois. L'énigme efl un difcours
qui ne fait point conoîtrc l'objet à quoi il
convient, & c'eft cet objet qu'on propofe
à deviner. Ce difcours ne doit point ren-
fermer de circonilance qui ne convièile
pas au rhot de l'énigme.
Obfervcz que l'énigme cache avec foin
ce qui peut la dévoiler r mais les autres
elpèces d'allégories ne doivent point être
des énigmes , elles doivent être exprimées
de manière qu'on puifle aifément en faire
Taplication,
e
ï6i
XIII.
L' Allusion»
Aîlûdeic. 1' Es alliifions &L les jeux de mots onC
R. ad, & I ^encore du raport avec rallé^orie: l'al-
légorie preiente un lens , ôc en tait enten-
dre un autre : c'eft ce qui arrive auffi dans
les alluiions , &c dans la plupart des jeux
de mots , rei ahinits ex âiterâ notâtio. On
fait allufion à l'hiftoire , à l'a fable , aux
coutumes j 6c quelquefois même on jonc
fur les mots.
Henriâde, Ton Roi ^ jeune Biron , te fauve enfin la vie -,
chant 7. j[ t'arache fanglant aux fureurs des foldats.
Dont les coups redoublés achevoient ton trépas :
Tu vis \ fonge du moins à lui refter fidèle.
Ce dernier vers fait allufion à la mallicu-
reufe confpiration du Maréchal de Biron \
il en rapèle le fouvenir.
Voiture étoit fils d'un marchand de
vin : un jour qu'il jouoit aux proverbes
avec des Dames, Madame des Loges lui
Hift. de dit , celui-là ne vaut rien , percez.-mus en
1 r\cad. T. ^'^^.^ autre. On voit que cette dame fcfoit
i.p. 177. ,. n r j ■
une maligne aliulion aux toneaux de vin :
VAL LU s ION, 1^3
cxn percer^ fe dit d'un toneau , Se non pas
d'un proverbe ; ain(i elle réveilloic mnli-
cieufemenc dans l'eiprit de l'aflemblée le
fou venir humiliant de la nailTcincc de Voi-
rurc. C'ell en cela que confillie l'alluiion j
elle réveille les idées acceiroires.
A l'égard des allu fions qui ne confiftent
que dans un jeu de mots , il vaut mieux
parler &: écrire fimplement, que de s'amu-
fer à des jeux de mots puérils, froids-
ôc fades : en voici un exemple dans cette
épitaphe de Defpautère :
Grammaricam fcivit, mulcos docuitque per annos j
Declinâre tamen non potiiic tiimulum.
Vous voyez que l'auteur joue fur la dou-
ble fignification de declinâre.
I| Il iut la Grammaire , il l'enfeigna pen-
dant plufieurs années , ôc cependant il ne
put décliner le m.ot tn-mulns. Selon cette
traduction , la penfée eft faude \ car Def-
pautère favoit fort bien décliner tumuiusi,
Que 11 l'on ne prend point tninulm ma-
térièlement, & qu'on le prènc pour ce
qu'il lignifie, c'efl-à-dire , pour le tom-
beau , &: par métonymie pour la w^;'/} alors
il faudra traduire que malgré tome la co-
noijfancs que Defpautère avo'n de la Gram-
Lij
1^4 rALLU S 10 N.
maire , il ne put éviter la mort : ce qui n'a ni
fel , ni raifon ; car on fait bien qnc la
Grammaire n'exente pas de la nécefîité de
mourir.
La traduction eft l'écueil de ces fortes
de penfées : quand une penfée efl foiide ,
tout ce qu'elle a de réalité fe conferve
dans la traduction \ mais quand toute fa
valeur ne confifte que dans un jeu de
mots , ce faux brillant fe diffipe par la tra-
duction.
Boileau Ce n'eft pas toiuefbis qu'une mufe un peu fine
Art. Poët. Sur un mot , en partant , ne joue & ne badine j
Et d'un fens détourné n'abufe avec fuccès :
Mais fuyez fur ce point un ridicule excès.
Giles Ro- Dans le placet que M. Robin préfenta au
bin , natifs-. . ^^ * • j \ rr iT
du S. Ef- R^i po^^î^ etî'c mamtenu dans la polleilion
prit , de d'une île qu'il a voit dans le Rhône , il s'ex-
d'Aiîe^.™'' P^^^^ ^^ ^^^ termes :
Qu'eft-ee en éfet pour toi , Grand Monarque de«
• Gaules,
Qu'un peu de fable & de gravier ;
Que faire de mon île "i II n'y croît que des faules ;
Et tu n'aimes que le laurier.
Saules eft pris dans le fens propre, 6c laurier
I
VALLUSIO N, i6^
dans le fens figuré : mais ce jeu préfcnte
à refpritune penfée très-fine 6c trèsiolidc.
Il faut pourtant obferver qu'elle n'a de
vérité que parmi les nations où le laurier
ell regardé corne le fymbole de la vic-
toire.
Les allufions doivent être facilement
aperçues. Celles que nos Poètes font à la
fable font défectueufes , quand le iujet;
auquel elles ont raport , n'ell: pas conu,
Malherbe, dans fes ftances à M. du Pe-
rler, pour le confoler de la mort de fa.
fille, lui dit:
Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale, Poëfiesdc
_ „, . ,,, . Malherbe ,
Et Pluton aujourd nui , i y,^
Sans égard du pafle les mérites égalQ
D'Archemore & de lui.
Il y a peu de lecteurs qui conoilîènt Ar-
chemore , c'eft un enfant du tems fabu-^
îeux. Sa nourice l'ayant quitté pour quel-
ques momens, un ferpent vint 6c l'écoufa,
Malherbe veut dire que Tithon après une
longue vie , s'eft trouvé à la mort au même
point qu'Archemore , qui ne vécut que
peu de jours.
L'au,teur du Poème de la. Madeleine,,
Liii
i66 L'A L LU S 10 N.
dans une apoftrophc à Tamonr prophanCj
dit , pariant de Jéfus-Chrift :
L. %. pag. Puifqiie cet Amiros t'a fi bien défarmé ;
Le mot àHAntcros nefl: guère conu que
des fa vans, c'eft un mot grec qui fignifie
contre- antoiir : c'étoit une divinité du Pa-
2;anirme : le Dieu veng-eur d'un amour
rnepnle.
Ce poëme de la Madeleine eft rempli
de jeux de mots, 6c d'allufions fi recher-
chées , que malgré le refpecb du au fujet ,
^ la bone intention de l'auteur, il eft di-
, ficile qu'en lifant cet ouvrage , on ne foit
point afedté corne on l'eft à la ledture
d'un ouvrage burlefque. Les figures doi-
vent venir, pour ainfi dire, d'elles mê-
mes; elles doivent naître du fujet, ôc fe,
préfcnter naturèlcment à l'efprit, comc
nous l'avons remarqué ailleurs : quand
ç'eft l'efprit qui va les chercher , elles dé-
plaifent, elles étonent, ôc fouvent font
rire par l'union bizare de deux idées, donc
Vune nç devoit jamais être affortie avec
l'autre. Qui croiroit , par exemple , que
jamais le jeu de piquet dût entrer dans uri
. poëme fait pour décrire la pénitence & la
cha'jrité de fainte Madeleine \ de que ce
LALLU s 10 N. 167
jeu d'Jt faire naître la penfée de fe doner
la diicipline i
Piquez-vous feulemenr de jouer au piquer, Poc'raecîc
A celui que j'entens qui fe fait fans caqner -, l.iMadelci-
J'encens que vous preniez par fois la difcipline , ' • '" t"
Et qu'avec ce beau jeu vous faffiez bone mine.
On ne s'atend pas non plus à trouver les
termes de Grammaire détaillés dans un
ouvrage qui porte pour titre, le nom de
fainte Madeleine ,• ni que l'auteur ima-
gine je ne fai quel raporc entre la Gram-
maire 6c les exercices de cette Sainte : ce-
pendant une tête de mort & une difci-
pline font les RUDiMENS de Madeleine.
Et regardant toujours ce têt de trépaflTé, Ibi(i. 1. i.p.
Elle voit LE FUTUR dans ce présent passé. ^^- ^v.- ^c»
... .•.•••.•••••«.
Et c'eft fa difcipline , ôc tous fes chatimens ,
Qui lui font comencer ces rudes rudimens.
Ce qui la fait trembler pour fon grammairien ,
C'eft de voir, par un cas du tout déraifonnable»
Que fon amour lui rend la mort indéclinable ,.
Et qu' ACTIF come il eft auHi bien qu'excelfif
Il le rend à ce point d'impafîible passif.
O que l'amour eft grand , & la douleur amcre ».
Q'ji^and un verm passif fait toute fa grammaire^
Liv
168 VAL LU s ION.
La muse pour cela me dit , non fans raifon j
Que toujours la première eft fa conjugaison.
Sçachant bien qu'en aimant elle peut tout pré-;
tendre ,
Corne tout enseigner, tout lire, & tout en-
tendre.
Pendant qu'elle s'ocupe à piunir le forfait
De fon TEMs prétérit qui ne fut qu'iMPAR-.
FAIT ,
Tems de qui le futur réparera les pertes
Par tant d'aflictions & de peines foufertes \
Et le PRESENT eft tel, que c'eft I'indicatif,
D'un amour qui s'en va jufqu'à I'infinitif.
Puis par un optatif, ahl plût à Dieu, dit-elle?
Que je n'euiïe jamais été fi criminelle 1
Prenant avec plaifir, dans l'ardeur qui la brûle.
Le FOUET pour difcipline , & la croix pour
'FERULE.
Vous voyez qii'il n'oublie rien. Cet our
yrage eft rempli d'un nombre infini d'al?
luhorK aufîi recherchées , pour ne pas,
dire , aufîi puériles. Le défaut de juge-
ment qui empêche de fentir ce qui eft ou
ce qui n'eft pas à propos, & le defir mal
çiitendu de mçnçrer de l'efprit 6c de fairç.
VAL LUS 10 N, jCcf
p.irridc de ce qu'on (ait , cnrantcnt: ces pro-
çiucliions ridicules.
Ce ftvle hguic , dont on fait vanité, Molière ,
bort du Don caractère ùc de la vente '<, ^ ç^^ ^^
Ce n'eft que jeux de mots , qu'afedation puce >
Et ce n'efl: pas ainfi que parle la nature.
J'ajouterai encore ici une remarque , à
propos de i'allufion : c'eft que nous avons
en notre langue un grand nombre de
chanfons , dont le fens litéral, fous une
aparence de {implicite , eft rempli d'allu-
fions obfcèncs. Les auteurs de ces pro-
ductions font coupables d'une infinité de
penlees donc ils raliflent l'imagination ;
& d'ailleurs ils fe deshonorent dans l'ef-
prit des honêtes gens. Ceux qui dans des
ouvrages férieux tombent par iimplicité
dans le même inconvénient que les fe-
feurs de chanfons, ne font guère moins
repréhenfibles , 6c fc rendent plus ridi-
cules.
Quintilien , tout païen qu'il étoit , veut Quî»t. î"^-
ri ^ ' -^ 1 ^ 1 tir. Orat. l,
que non-lculement on évite les paroles ^^ ^ ^^
obfcèncs, mais encore tout ce qui peutRifu.
réveiller des idées d'obfcénité. Ohfcœûitas
'vero non à verhis tanîùm abcjfe débet ^ fed
éîiam à Jîgnijicationc ,
I70 L'ALLUSION.
w On doit éviter avec foin en écrivant,
55 dit-il ailleurs , ^ tout ce qui peut doncr
>5 lieu à des alludons deshonêtes. Je fai
>» bien que ces interprétations viènent fou-
55 vent dans refprit plutôt par un éfet de
55 la corruption du cœur de ceux qui H-
55fent, que par la mauvaife volonté de
55 celui qui écrit -, mais un auteur fage 6c
55 éclairé doit avoir égard à la foiblelîe
55 de Tes lecleurs , &c prendre garde de
55 faire naître de pareilles idées dans leur
55 efprit : car enfin nous vivons aujour-
55 d liui dans un fiècle où l'imagination
55 des homes efl fi fort çâtée , qu'il v a un
55 grand nomorc de mots qui etoient au-
55 trefois très honêtes , dont il ne nous cffc
55 plus permis de nous fervir par l'abus
* Hoc vitium "^-'.r■tc'çaT5r vocâtur, five raaiâconfuctùdinc
in obfcœnum intelléclum fcrmo decôrtus eft . . , . difta
fandlc & antique ridcn.cur à nobis : quam culpaip non fcri-
feéntium quidcm jùdico , fed legéntinm: ramen vitânda j
quâtenus verba honéfta môribus pcrdidimus , & cvincénti-
bus étianx viriis cedéndum eft. Sive jundiuadeformircr fo-
nat .... àli.-e conjuncliones âliquid simile fâciunt
quas pérfcqui lonj];uni eft , in eo vitio f]uod vicândiim dici-
mus , commoràntcs. Sed divifio quoquc aiïert eândem in-
j^ùriam pudôri. Nec fcripto modo id âccidit ; fcd éciani
fenfu pkrique obfcoenc intellîgere , nlfi câveris , cûpiunt,
ac ex verbis qiiar lonsifTimè ab obfcœnicàce abfnnt, occa-
lîônem turpiriidinis râpcre. Quint. Inft. Orat. lib. vni. ç.
5. de On-!a>u.
V l R O N 1 E. 171
« qu'on en fait \ de forte que fans une at-
?î tcntion fcrupuieufe de la part de celui
iï qui écrit , fes lecteurs trouvent mali-
35 gnemcnt à rire en faliflant leur imagi-
ii nation avec des mots, qui, parcux-mê-
>ï mes, font très-éloignés de l'obfcénité.
y 'I ■■ .1 ■ ■■■■ ■ ■■■»■ I I ■ ■ ■ -— I ■■! I 1^— .^M III II —
XIV,
L' I R o N I E,
L'Ironie eft une iiG;ure par laquelle on ^^^''!^'
veut taire entendre le contrau'e de ce tiomorti*
qu'on dit : aind les mots dont on fe fert tion«,
dans l'ironie , ne font pas pris dans le fens
propre & 1 itérai.
M, Boileau , qui n'a pas rendu à Qui-
nault toute la juitice que le public lui a
rendue depuis, a dit par ironie :
Je le déclare donc, Quinault eft un Virgile. Boileau,
Srtt. IX.
Il vouloit dire un mauvais Poëtc.
Les idées acceiToires font d'un grand
ufage dans l'ironie : le ton de la vorx , &:
plus encore la conoifTance du mérite ou
du démérite perfonel de quelqu'un , &: de
la façon de penfer de celui qui parle ,
fervent plus à faire conoître l'ironie , que
172 L 1 R 0 N I E.
les paroles dont on fe fcrt. Un home s'é-
crie , oh le bel efprit ! Parle-t-il de Cicéron ,
d'Horace ? il n'y a point là d'ironie ,• les
mots font pris dans le fens propre. Parle-
t-il de Zoïie ? C'efb une ironie. Ainfi l'i-
ronie fait une fatyre , avec les mêmes pa-
roles dont le dilcours ordinaire fait un
ëlo^e.
Tout le monde fait ce vers du père de
Chimène dans le Cid ;
Corn. Cid. A de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre.
C'eft; une ironie. On en peut remarquer
plufieurs exemples dans Balzac & dans
Voiture. Je ne fai fi l'ufage que ces au-
teurs ont fait de cette figure, feroit au-
jourd'hui aufii bien reçu qu'il l'a été dç
leur tems.
Cicéron comence par une ironie l'orai-
fon pour Ligarius. Novum crimen , Caï
Cdpir, é" ^'^te hune diem inaudùum , &c. Il
y a aufii dans l'oraifon cantre Pifon un
fort bel exemple de l'ironie : c'effc à
l'ocafion de ce que Pifon difoit que s'il
n'avoit pas triomphé de la Macédoine,
c'étoit parce qu'il n'avoit jamais fouhaité
les. hpneurs du triomphe. « Que Pompée
LEUPHEMISME. 173
M eft malheureux , dit Cicéron , ^ de ne
» pouvoir profiter de votre confeil ! Oh I
»> qu'il a eu tort de n'avoir point eu de
»5 2;oût pour votre philofophie 1 11 a eu la
>3 folie de triompher trois fois. Je rougis,
" CrafTus , de votre conduite. Quoi , vous
"avez brigué 1 honeur du triomphe avec
" tant d'empreflement ! dcc.
XV.
L' Euphémisme.
L
'Euphémirme eft une figure par la- ivfmicf4àç,
quelle on dég-uife des idées défagréa- ^°"^ °"^/^
, 1 ,. ^ '^ •/! r J niscapta-
bles, odieules, OU triites, ious des noms tio:^/yco«rf
qui ne font point les noms propres de ces ^^ bonau-
idées : ils leur fervent come de voile , & ^,v», hett-
ils en expriment en aparcnce de plus reufement ,
agréables, de moins choquantes, ou de ^^"''"'^ ^*
plus honêtes félon le befoin j par exem-
ple : ce feroit reprocher à un ouvrier ou
à un valet la baiïèfle de fon état , que de
l'apeler ouvrier ou 'valet -■, on leur done
* Non eft incegium Cn. Pompéio , confilio jam uti tuo j
crrâvi: caim. Non guftârac iflam tuam philofôphiam ; ter,
jam homo ftukus , triumphâvit. Sec. Cic. in Pifon. n. >S.
StXIY.
174 VEUPHEMÎSMÊ,
d'autres noms plus honêtes qui ne doi-
vent pas être pris dans le fens propre. C'ell
ainli que le boureau eft apelé par honeur,
le maître des hautes œuvres.
C'efl: par la même raifon qu'on àowc à
certaines étofcs groffières le nom d'étoics
plus fines ; par exemple : on apèle velvurs
de Mauriene une forte d'étofle de gros
drap qu'on fait en Mauriene , provmce
de Savoie j & dont les pauvres Savoyards
font habillés. Il y a auffi une forte d'étofe
de fil dont on fait des meubles de cam-
pagne ; on honore cette étofe du norh de
damas de Caux ^ parce qu'elle fe fabriqué
au pays de Caux en Normandie.
Un ouvrier qui a fait la bcfogne pour
laquelle on l'a fait venir, & qui n'atend
plus que fon payement pour fe retirer , au
lieu de à'iïQ payez^-moi ^ dit par euphémif-
me , ri* avez, vous plus rien à rnordoner.
Nous difons auffi , Dieu vous ajïtjle ■
Dieu vous benijfe., plutôt que de dire, je
nai rien à, vous doner.
Souvent pour congédier quelqu'un , ort
lui dit, voilà qui eft bien , je vous remercie ,
plutôt que de lui dire alez. vous-en.
Les Latins fe fervoient dans le même
fens de leur recfè , qui , à la lettre , fignifie
L EU? HE Ml s ME. 175
bien , au lieu de répondre qu'ils n'avoient
rien à dire. " Quand nous ne voulons pas
«dire ce que nous penfons , de peur de
« faire de la peine à celui qui nous inté-
■» roge, nous nous fervons du mot de recfè^
î5 die Donat. ^
Softraca , dans Tércnce , ^"^ dit à fou
iîls Pa.n\^h.ï\G , pourquoi pleurez-vous i Qj^'a»
'vesL-'vous , mon fils ? Il répondit , reffe
mater. Tout va bien , ma mère. Madame
Dacier traduit , rieri , ma mhe , tel ell le
tour trançois.
Dans une autre comédie deTérence^
Clitiphon dit que quand fa maîtrelle lui
demande de l'argent , il fe tire d'afairc en
lui répondant recfè ^ c'eft-à-dire , en lui
donant de belles efpérances : car , dit-il ,
je n'oferois lui avouer que je nai rien j le
mot de rien efl un motfuncfle.
Madame Dacier a mieux aimé tra-
duire , lorfqueUc me demande de l^ argent .^ je
ne fais que marmot er entre les dents j car je
* R*(3è dlcimus cum fine injuria interrogântis âliquid
reticcnius. Donat. in Tcrent. Hccyr. a<ft. 5. u:. z. v. 10.
** s. Quid lâcrymas : Quid es tam triftis ? P. re<Slè ma-
ter. Ter. Hecyr adl. 5. Ce. z.
Tum, quod dcm ci,rtciè cft : nam nihil efTemihi, religio
cft diccre. Ueaut.aô:. &. Ce. i. v. 16. ^ ftlon Mad. Daeter^
ai\. I, le. 4. V. id.
i7«î rEUPHEMISME.
n ai garde de lui dire que je n ai pas le foû.
Si Madame Dacicr eût été plus enten-
due qu'elle ne l'étoit en galanterie , elle
auroit bien fcnti que marmoter entre les
dents y n'étoit pas une contenance trop
propre à faire naître dans une coquècc
refpérance d'un préfent.
11 y avoit toujours un verbe fous-en-
^Andr. ad. tendu avcG recvh ReÛè âdmones, * E^o
5. fc. 4. V. iji^Q reci} ut fiant videro. ^"^ ReBè fuades -,
^î ib. ad. ^^* 2cc.
1. fc. é. V. A l'égard du rcBè de la 1^. fcène du
♦**Heaut ^^^^' ^^^ ^^ l'Hécyre , il faut lous en-
siCt. 5. fc.z. tendre ou valeo , recle vâleo , ou recl} mibi
^' 45- confulo , ou enfin quelqu'autre mot pareil ,
QoniQres bene fe habet ^ 6lc. Pamphile vou-
loit exciter cette idée dans l'cfprit de la
mère pour en éluder la demande.
Heaut. aft. Pour ce qui eft de l'autre r^c?^,Clici-
I. fc. I. phon vouloir faire entendre à fa maîtreire,
qu'il avoit des reffources pour lui trouver
de l'argent j que tout iroit bien , èc que
fes defirs feroient enfin fatisfaits.
Ainfi , quoique Madame Dacier nous
* Dans les dife* que nous n'avons point de mot eh
lemarques notre lanoiue , qui puifle exi">rimer la force
furlafc. 1. j ^.^ '. ^ i . ,.,^ , J ^ ^ „
du^ad.de"^ ce recle , je crois qu il répond a cc.'>
rHécyre. façons de parler, cela a/a bien , cela ne i>a
p.is
L'EUPHEMISME. 177
i>'js fi mal que vous pcnfcz. \ courage ^ il y a
efpcrancc , cela cfi bon ; tout ira bien , &:c. ce
ïbnt-là aiiranc d'Euphémifmes.
Dans toutes les nations policées on a
toujours évité les termes qui expriment
des idées deshonctcs. Les perfônes peu
jnftruites croient que les Latins n'avaient
pas cette délicateilc : c'ell une erreur. Il
cft vrai qu'aujourd'hui on a quelquefois
recours au latin pour exprimer des idées
dont on n'oferoit dire le mot propre en
françois \ mais c'eft: que come nous n'a-
vons àpris les mots latins que dans les li-
vres , ils fc préfentent à nous avec une
idée acceflbire d'érudition ôc de ie(f}:ure ,
qui s'empare d'abord de l'imagination ;
elle la partage , elle enyelope , en quel-
que forte, Timage deshonête, elle l'é-
cartc . &: ne la fait voir que de loin : ce
font deux objets que l'on préfente alorâ
à l'imagination , dont le premier cil le
mdt latin qui couvre l'idée qui le fuiti
ainli ces mots fervent corne de voile &l
de périphrafe à ces idées peu honêtes : au
lieu que come nous fomcs acoutumés aux
mots de nôtre langue , l'efprit n'eil pas
partagé. Quand on fe fert des termes pro-
pres, il s'ocupe direcbem.ent des objets
M
I7S LEUPHEMISME.
que ces termes fignifîent. Il en étoic de
même à l'égard des Grecs Ôc des Romains,
les honeces gens ménageoient les termes
corne nous les ménaf^eons en François, &C
leur icrupiile aloit même quelquefois ii
loin, qu'ils évitoienr la rencontre des fyl-
labes , qui , jointes enfemble , auroient pu
réveiller des idées deshonêtes. Quiaji ita,
Orât. ^.dicerctur^ obfcœniiis concurrcrent Interd^ dit
154. ahter (^j^^j-qj^ ^ QuintiUen a fait la même re-
inft.Oràt. marque.
1. VIII. c. j. „ jsje dcvrois tu point mourir de honte^
15 dit Chrêmes à Ton fils , * d'avoir eu l'in-
45 folence d'amener à mes yeux, dans ma
« propre maifon , une .... je n'ofe pronon-
« cer un mot deshonête en préfence de
^5 ta mère, bi. tu as bien ofé comètre une
« a£lion infâme dans notre propre mai-
« Ton \
C'étoit par la même figure qu'au lieu de
* Non mihi per fallâcias addûcerc ante 6culas ....
puàet dicere hâc praïfence verbum turpe j at te id nuUo mo-
<io puduit facere. Hcaut. a£l. 5. fc. 4. v. 18.
Ego fervo Se (crvâbo Platénis verecûiidiam. Itaque cec-
tis vevMs , ea ad te fcripiî , tjua: apcrcifîîmis aï^unt Stoici.
iUfTériam crcpitus aiunt ascjuè liberos, ac rudus, elle opoi-
téït.Cic. 1. IX. Epilt. 2.x.
J£i^\xè eâdem modcftiâ, potius cum muliere fuifTe, qium
cop.cubuiiTe, dicébant. Farro de lin;:, lac. 1. v. fub. fin.
Mosfuit , res tmpes & fœdas prolâcu , Uoneftiôrura eoii-
veftirier dignitâic. Arnob. 1. r.
L EUPHEMISME. 179
aire ,yV njotis ah an donc , je ne me mits j^oint
en peine de vous j je vous quîte , les anciens
dilbient iouvcnc , vivez. , portez,-vôus hmi.
Vivez, forets ^ * cette cxpi-eifibn , dans l'cn-
droit oii Virgile s'en eft fcrvi , ne niarqiie
pas un Touhait que le berger falîe aux fo-
rêts, il veut dire lîmplement qu'il les
abandone.
Ils difoient aufli quelquefois, avoir vêcu-^
avoir été ^ s* en être aie j avoir p:ijj'é par la vie ^
( vita funcius^ ^^ ) au lieu de dire kremort-^
le terme de mourir leur paroillbit en cci-
taines ocaiions un mot funefte.
Les anciens portôient la fLipcrflitioii
jufqu'à croire qu'il y avoit des mots , donc
la feule prononciation pouvoit atirer quel-
que malheur : corne (i les paroles , qui ne
font qu'un air mis en mouvement , pou-
vôient produire, par elles-mêmes, quel-
qu'autre éfet dans la nature , que celui
d'exciter dans l'air un ébranlement, qui ,
fe comuniquant à l'organe de l'ouïe, fait
* Omnia vel médium fiant mare, vivite Tylva:. Virg. Le.
viii. V, 58.
Vâlcanr, qui inter nos dillidium volant. Ter. And. ait.
IV. fc. 1. V. I 3.
Caftra peco : valeâtque Veniiç, valeânrquc pucllx.T?/'«/{.
1. 1. El. é. V. 9.
, ** Fungi fungor , fignifîc pajjer par, dans un Cens méta-
phorique ; être délivré d^ , s'a r» aqittté de,
Mij
iSo L'EUPHEMISME.
naître dans i'efprit des homes les idées
donc ils font convenus par réducacion
qu'ils ont reçLie.
Cette fuperfticion paroilToit encore plus
dans les cérémonies de la religion : on
craignoit de doner aux Dieux quelque
nom qui leur fôt déiagréable. On étoic
averti * au çomcncement du facrifice où
de la cérémonie , de prendre garde de
prononcer aucUn mot qui pût atu'cr quel-
que mallieur, de ne dire que de bones
paroles , bona iicrhafari^ enfin d'être favo-
rable de la langue , fat'éte linguis , ou lin-
gua , ou ore \ ôc de garder plutôt le iilence,
que de prononcer quelque mot funefle qui
pût déplaire aux Dieux : &: c'efl de là que
favéte linguis , fignifie par extenfion , jCr;/f j-
filence.
Par la même raifon, ou plutôt par le
même fanatifme, lorfqu'un oifeau a voie
* Maîè ominâtis pârcite vcrbis , «ti félon d'autres , malc
nominâtis. Hor. 1. i,. oà. 14.
Favécc linguis. Hor. l. 3. od. i.
Ore favérc omnes. Virg. JEn. 1. 5. v. yr.
Dicâmus bona veiba , vcnit natalis , ad aras.
Quifquis adcs, liuguâ, vir mulicrqiic fave. Tibull. 1, 1.
El. 2. V. 1.
Prôfpera lux ôritur , linguifque animifquc favéte ,
Nunc dicéuda bono , funt bona verba, die. Ovid^ lift;
L I. V. -ji.
VEU? REMIS ME. igi
ccé de boçi augure , & que ce qu'on de voie
acendre de cet heureux préfage , étoit dé-
truit par un augure contraire, ce fécond
augure ne s'apeloit point mauvais augure ;
mais iimplement l'autre augure ., ^ ou l'aur-
trt oifeau. C'eft pourquoi, dit Feftus , ce
terme alter^ veut dire q^Lielqueîois coatrai-
YCy mauvais,
il y avoit des mots confàcrés pour les
lacrifices , dont le lens propre 6c literal
étoit bien diférent de ce qu'ils fignihoient
dans ces cérémonies fuperilitieufes ; par
exemple : maciâre , qui veut dire magîs auc-
târe . auîxmenter davantage , Te difoit des
victimes qu'on facrifioit. On n'avoit gardç
de fe fervir alors d'un mot qui pût fairç
naître l'idée funefte de la mort j on fe fer-
voit par euphémifme , de maBare , aug-
menter -, foit que les victimes augmenta f-
fent alors en honeur, foit que leur volume
fût groHl par les ornemens dont on les
paroit \ foit enfin que le facrifice augmen-
tât en quelque forte l'honeur qu'on ren-
doit aux Dieux. Nous avons fur ce point
* Alter^ & pro non bono pônitur , ut in augùriis, altéra
eum appcllâcur rti/ii qua: vuique prôfpcra non cft ; Cic al-
ter nonnùnqiiani pro a^dvédb diciciu- Se malo. Fejiu-s , v..
ajter.
M iii
i8i VEUF HE MIS ME.
un beau paiïage de Varron , que l'on peut
voir ici au bas dç la page. *
De même , parce que cremari^ être brûlé,
auroit été un mot de mauvais augure, 6c
que l'autel croifToit, pour ainfi dire , pat
les herbes , par les entrailles des victimes ,
6c par tout ce qu'on metoit defllis pour
être brûlé \ au lieu de dire ok br aie fur les
AàpléCcvLMauteU^ ilsdifoicnt, les autels croijjenî ^ car
^^?^F^ ^dolére 6c adoléfcere^ figni fient proprement
cTora/'^fv. croifire \ 6c ce n'eH: que par euphémifme
■V- 57i?- que ces mots fignifient brider,
C'eft ainfi que les perfones du peuple
difent quelquefois dans leur colère , que le
bon Dieu njous emporte , n'ofant prononcer
le nom du malin ef'prit.
Dans l'Ecriture Sainte, le mot de bénir
efl: mxis quelquefois au lieu de maudire,
qui cft précifemcnt le contraire. Come il
n'y a rien de plus afreux à concevoir, que
* ^ticidre, verbum eftTacrorum, /r'^' % rvui<!t'c: ài^am^
fluaft m.tgts aubère, ut adotére ; undè &c magménttim c^w^.
il majus augméntHtn : nam hôftios tanî^ûntur molâ fal<^â, 8ç
tum immoldu dicuntur ; cum verb icft^r funt Se aliquid ex
jlhs in aram datum eft , tnatldu dicùntur per laudaciô-
nc»», itémque boni ôminis Cgnificariônem. Et cum ilîis
i-pola falfa imponitur, dicitur macle ejîo. Varro de vitâ
Pop. Rom. 1. 1. dxns les fragimns qui font à la fin des d^u~
'vres de Tarron . ds Hdtticn de J. Janfon, Amft. 1715. p»
<3- •
V EUPHEMISME, 183
dSmaf^iner quelqu'un qui s'emporte juf-
qu'À des imprécations facrilèges contre
X)ieu même ; au lieu du terme de rnattdir^i
on a mis le contraire par euphémifme,
Naboth n'ayant pas voulu vendre au
Roi Achab , une vigne qu'il poiFédoit, &C
qui étoit l'héritage de ies pères ; la Reine
Jézabel, femme d' Achab , fuTcita deux
faux témoins , qui déposèrent que Naboth
avoit blafphémé contre Dieu Ck: contre le
Roi : or, l'Ecriture, pour exprimer ce
blafphême, tait dire aux témoins, que
Nahoth a béni Dieu O' l^ Roi. *.
Job dit dans le même fens, feut-hre
que mes enfuns ont péche\ 0- qiiils ont béni
Dieu dans leur cœur. "^*
C'eft ainfî que dans ces paroles de Vir- ^«Im-
gile , auri facra famés , facra fe prend pour ^' ^^'
execrdbilis , félon Servius ; foit par euphé-
mifme , foit par extenfion : car il eft à
obferver que louvent par extenfion , facer
vouloit dh'C exécrable. Ceux que la juliice
humaine avoit condânés, & ceux qui (c
dévouoient pour le peuple, étoient regar-
* Viri diabolici dixérunt contra eum teftiraonmm corairt
multitùdine i benedixit NaLoth Deum & llçgem. Re^. lll.
c. ti. V. m. Se I j,
=*^* Ne forte peccaverint filii mci Se benedixcriiu Deo in
ço.rdibus fuis. Job^ i. v. 5,
M iv
18.4 V EUPHEMISME.
dés cpmc autant de pciTones facrées. De l'a,
dit Feluis , "* tout méchant home cfk apelc.
facer. O le maudit houfon , dit Afranius , en
§Fra^m. fe fervant àcfacrum : § Ofacrninfcurram^ ç^
Lond ™ w^//«!;;;. Et Plante, parlant d'un marchand
p. ijii. d'eiclaves, s'exprime en ces termes , Ho-
plauc.Pœn. mini {fi kno efi homo] quant U7n homiriHin
Prolog. Y. fPYYd fâftinet , facérrimo.
On peut encore raporter à reuphémifme
CCS périphrafcs ou circonlocutions , dont
un orateur délicat envelope habilement
une idée, qui , toute fimple, exciteroit
peut-être dans rcfprit de ceux à qui il
parle, une image ou des lentimens peu.
favorablesà fon dciïcin principal. Cicéron
n'a garde de dire au Sénat, que les domef-
tiqucs de Milon tuèrent Clodius ; "^ *
5,3 ils firent , dit-il, ce que tout maître eii^t
5.5 voulu que Tes efclaves euiîent fait en
* Horao fecer is cfl: , quem pôpulus judicâvic ob male-
ficium, necjuefas eft cuni immolâri. . . ex quoqiiivis ho-
mo , malus arque improbus , facer appcUâri folet. Tcftus.
V. facer.
Ma.'Tiliéafes , quôties peftiléntiâ laboiabaat , unus fe ex
paupéribus olterébar, alcndus anno integro pûblicis & pu-
ïioribus cibis. Hic pofteà , oi nâcus verbénis & vcftibns fa-
cris , circumdiicebâtur pcr ;.oram civirârem, cum exccra-
tioîiibus ; ut m ipfum recidereat mala torius civicâtis i Se
fie projiciebâcur. Ser-vms in J£,n. III. v. 57.
"** Fecérunt id fervi Milôiiis .... quod faosquifquc fer-
^/os tn rali re fâcere voiuiflec. Cic. pro Milonc , nuni. Zi>.
L'ANTIPHRASE. i%s
xx pareille ocaiion. ci De même, lorfqa'oii
ne done pas à un mercenaire tout l'ar-
gent qu'il demande, au lieu de lui dire,
je ne veux pas vous en doner davantage , fou-
vcnt on lui dit par cuphémifme , je vous
€~a donerai davantage une autre fois j cela J}
trouvera : je chercherai les ocafions de vous
rêcû:npenfer^ àcc.
XVI.
L'A NTIPHRASE.
'Euphcmifme &: l'Ironie ont doné
lieu aux Grammairiens d'inventer
une figure qu'ils, apèlent Antiphrafe ^ c'ell-
à-dire, contrC''Vcritc\ par exemple: la mer
noire fujète à de fréqucns naufrages, 6c
dont les bords étoient habités par des
homes extrêmement féroces , étoit apcléc
Fû/nEux'm^ c'eft-à-dire, mer favorable à fes rhv--,
hotcs^ mer hofpitaliere. C'efi: pourquoi Ovide l^^^P^^'^^ ».
a dit que le nom de cette mer etoit un Thofptaiité,
menteur.
Qnem tenetEuxini, mendaxcognomine, littus. Ovi. Trift.
^^tf/Z/éwr^; Pontus, Euxini falfonomine didus. ^^\^ ,^*
^Sanclius &; quelques autres ne vculçnt ei.i^j^^v.^V.
iS6 L'ANTIPHRASE,
point mètre l'antiphrafe au rang des figu-
res. Il y a en éfet je ne fai quoi duopole à
Tordre naturel , de nomer une chofe par
fon contraire , d'apeler lumineux un objet,
parce qu'il eft obfcur ^ Tantiphrafe ne
latisfait pas l'cfprit.
Malgré les mauvaifes qualités des ob-
jets , les anciens qui perfonifioient tout ,
leur donoient quelquefois des noms da-
teurs , corne pour fe les rendre favorables ^
ou pour fe faire un bon augure , un bon
préiage.
A in fi c'étoit par euphémifme , par fu-
perftition , &; non par antiphrafe, que
ceux qui al oient à la mer que nous a pe-
lons aujourd'hui la mer noire , k nomoient
mer hofpitaliere , c'eft-à-dire, mer qui ne
nous fera point funefbe , qui nous fera pro-
pice, où nous ferons bien reçus, mer qui
fera pour nous une mer hofpitalière , quoi-
qu'elle foit cornu nément pour les autres
une mer funcfte.
Les trois Déeffes infernales , filles de
i'Erèbc 6c de la Nuit, qui , félon la fable ,
filent la trame de nos jours, étoient ape-
lées les Far(jiies\ de Tadjeclif /'^rr/^/, ûjuia
parce nohis n;itam trwuunt. Chacun trouve
qu'elles ne lui filent pas affez de jours.
LANTIPHRASE. îSt
D'autres difcnc qu'elies ont été ainfi npe-
lecs , parce que leurs fonctions font par-
tagées^ P^ircxy qtiaji partitd.
Cîotlio colum uétinet , LachehsneCj& Atropos
occat.
Ce n'cft donc point par antiphrafe, {juU
né'Uini parcuMî , qu'elles ont été apelées
F arques.
Les Furies, Aledo, Tifiphone &: Mé-
gère , ont été apelées Euménidcs , du grec iv^m^q^
enmencis , bcnévôLc , douces , bienfefantes.
La coniuné opinion efk que ce nom ne
leur fut doné qu'après qu'elles eurent cefîe
de tourmenter Orcfte qui avoit tué fa
mère. Ce prince fut, dit-on, le premier
qui les apela Eiimènidçs. Ce fentiment ell; Pocfics
adopté par le P. Sanadon. D.'autres pré- ^^'*"*^*î;
tendent que les runes etoient apelées 4^2.
Euménïdes long-tems avant qu'Orcfte vînt
au monde ; mais d'ailleurs cette aventure
d'Orefte efl remplie de tant de circonf-
tantcs labuleuics, que j'aime mieux croire
qu'on a apelé les Furies Euménides par eu-
phémilme, pour fe les renda-e favorables.
C'eft aind qu'on traite tous les jours de
bo'dcs èc de bienfefantes les perfones les plus
aigres fie les plus dificilcs dont on veut
iS8 VANTIPHRASE.
apaifer l'emportement, ou obtenir quel-
que bienfait.
On dit encore qu'un bois facré efl apelé
lucus , par antiphrafe j car ces bois étoient
fort fombres , 6c Lhchs vient de lucérc ,
luire : mais (i luctis vient de lucére , c'eft par
une raifon contraire à l'antiphrafe ; car
Corne il n'étoit pas permis , par refpeà, de
couper de ces bois, ils étoient fort épais, &:
par conféquent fort fombres, ainfi le bc-
foin , autant que la fuperfkition, avoir in-
troduit l'ufage d'y alumer des flambeaux.
Mânes y les mancs , c'eft- à-dire, les âmes
des morts, &: dans un fens plus étendu , les
habitans des enfers, eft encore un mot
qui a doné lieu à l'antiphrafe. Ce mot
* Fcftus, vient de l'ancien adjectif manus , ^ dont
^.îAanÀre, on fc fcrvoit au lieu de bonus. Ceux qui
Nonius,c. P^^°^^"^ les mânes, les apeloient amU
ï. n, 3J7. pour fe les rendre favorables. Vos o mihi
\\lzAzi ^\ ^^^^^ ^fi'^ ^^^^ i ^'^^ ce que Virgile fait
5- initio. dire à Turnus. Ainfî tous les exemples
Virg. iEn. dont OU prétend autorifer l'antiphrafe, fe
^47- reportent , ou à l'cuphémifme , ou à l'iro-
nie ; corne quand on dit à Paris, c\fi une
muete des haies, c'eft- à-dire, une femme
qui chante pouillcs, une vraie harangère
des haies j i7îue!e eft dit alors par iropie..
18^
XVII.
La Périphrase.
Uintîlien met la Përiphrafc au rang rîp,Varftf,..
des tropes ; cti éfet , Duirque les tro- 9"cumlo-
pcb cienent la place des expreiiions pro-cùcum.
près, lit përiphrafc cil un trope, car la Ç'/'^ï^ <ii<^o-
përiphrafe tient la place, ou d'un mot ou
d'une phrafe.
Nous avons expliqué dans la première
partie de cette Grammaire, ce que c'ëtoic
qu'une phrafe : c'cil: une exprelfion , une
manière de parler , un arangement de
mots , qui fait un fens fini ou non fini.
La përiphrafc ou circonlocution eft un
aiïcmblage de mots qui expriment en plu-
licurs paroles ce qu'on auroit pu dire en
moisis, &: fouvent en un feul mot; par
exemple : /e uaïnqucur de Darius , au lieu
de dire, Alexandre : Cafire du jour ^ pour
dire le foie il.
On fe fert de përiphrafes, ou par bien-
léance, ou pour un plus grand ëclaircif-
riiiribus autem vcrbis cum id quod uno , auc pauciô-
ribus ceicc , dici poteft , cxplic;uur , -zii-'i-ppciciY vocanr ,
tiiciiirum Io(juéndi. Oitini. luit. Or. 1. vin. c, é. de
Trc>j)is.
190 LA PERIPHRASE,
fement, ou poui' romement du difcDurs,
OQ enfin par héce/îké.
1. Par bicnféance , lorfqu'on a recours
à la périphrafc , pour enveloper les idées
balTes ou peu honêtes. Souvent aufli , au
lieu de fe lervir d'une exprelîion qui exci-
terôit une image trop dure, on l'adoucit
par une périphraie, comme nous l'avons
remarqué dans reuphémifme.
2. On fe fert aulîi de périphrafe pdur
ëclaircir ce qui eil; obfcur , les définitions
font autant de périphrafcs ; corne lorf-
qu'au lieu de dire les Parques ^ on dit, les
trois Dcefes i?ifcrnales , qui félon la fable ,
fient la trame de nos jours.
Là Pap.a- Remarquez que quelquefois aptes qu'on
a expliqué par une périphrafe un mot ob-
fcur ou peu conu , on dévclope plus au
long la penfée d'un auteur, en ajoutant
des réflexions ou des circonftances qu'il
auroit pu ajouter lui-même j mais alors
.. ces fortes d'explications plus amples ôc
jdf.ct^fy.lùs. conformes au fens de l'auteur , font Ce
îuxta dico , V1J r> f r \ \ • r
id eft le- <^^^ o^ apele acs raraphrajes^ la paraphralc
quor juxta eft uuc cfpècc de comcntaire : on reprend
%.^^^\ le difcours de celui qui a déjà parlé , on
alius dixit . 1 ^ r •
<:Taca, jux-1 explique, on 1 étend davantage en lui-
ta,rupra yant toujours fcn clprit. Nous avbns dc^
LA PERIPHRASE. 191
paraphrafcs des Preaumes , du livre de
Job , du nouveau Teftamcnt , ècc. Nous
avons auffi des paiaphrafes de l'art poéti-
que d'Horace, 6cc. La périphrafe ne fait
que tenir la place d'un mot ou d'une ex-
preiîion , au tond elle ne dit pas davanta-
ge i au lieu que la paraphrafe ajoute d'au-
tres penlées , elle explique , elle dévelope.
5. On fe lert de périphrafes pour l'or-
nement du difcours , & lur-tont en poëlie.
Le génie de la poefie conlllle à amufer l'i-
magination par des images qui au fond fe
réduifent (ouvent à une penfee que le dif-
cours ordinaire exprimeroit avec plus de
Hmplicité, mais d'une manière ou trop
sèche ou trop bafic ; la périphrafe poéti-
que préfente la penfee fous une forme plus
gracieufe ou plus noble : c'eft ainfi qu'au
iieu de dire fimplement a la jointe dit jour ^
les Poètes difent:
L'Aurore cependant au vifage vermeil , Hcnriade,
Ouvroic dans l'Orient le palais du foleil : ^^- ^^"
Ln nuit en d'autres lieux portoit Tes voiles fombres.
Les fonges voltigeans fuioient avec les ombres.
Madame Dacier cbmcnce le XVII^. livre
de l'OdyiTée d'Homère par ce vers :
Dès que la belle Aurore suc anoncc le jour.
XiS
EcI.i.v.S3
192 LA Pl^RIPHRASE.
Iliade, Et ailleurs elle die, « la brillante Aurore
5i fortoii: à peine du fein de l'Océan, poui?
>j anoncer aux Dieux de aux homes le
>3 retour du foleiî.
Pour dire que le jour finit, qu'il efl: tard,
advefperafcit ^ Virgile dit qu'on voit déjà
fumer de loin les chemiinées, que déjà les
ombres s'alongent 6c femblent tomber
des montagnes.
Et jam fumma procul villârum ciilmina fumant^
Majoréfque cadunt altis de montibus umbrce.
Boileau a dit par imitation :
Lutrin , Les ombres cependant fut la ville épandues
Gh. 1. j)a faite des maifons defcehdent dans les rues.
On pourra remarquer un plus grand nom-
bre d'exemples pareils dans les auteurs. Je
me contenterai d'oblerver ici qu'dn ne
^doit fe fervir de périphrafes que quand
elles rendent le difcours plus noble eu
plus vif par le fecours des images. Il faut
éviter les périphrafes qui ne préfentenc
rien de nouveau, qui n'ajoutent aucune
idée acceOoire, elles ne fervent qu'à ren-
di-e le difcours languifKmt : fi après avoir
dit d'un home acablé de remords, qu';7
tjl toujours irific ^ vous vous fervez à'z
quelque
LA PERIPHRASE. 193
ôiiclque périphrafe qui ne dife autre cho-
ie , fmon que cet home cft toujours fombrc ,
rêveur , mélancolique d- de mauvaife humeur ,
vous ne rendez guère votre dilcours plus
vif par de telles expreffions. M. Boileau ,
fur un fujct pareil , a fait d'après Horace
une efpèce de périphrafe qui tire tout fon
prix de la peinture dont elle ocupe l'ima-
gination du lecteur.
Ce fou rempli d'erreurs que le trouble acompagne. £p. y.
Et malade à la ville ainfi qu'à la campagne ,
En vain monte à cheval pour tromper fôn ennui , Po^ cqui-
Le chagrin monte en croupe & galope avec lui. ^,^\ ^^^l^^
Le même Poëte, au lieu de dire, pendant ^°^- ' ^^^'
. /> . /• > , ^ . , od. ï.v. 40;
que ]e juîs encore jeune , le iert de trois pe-
riphrafcs qui expriment cette même pen-
fée fous trois images diférentcs.
Tandis que libre encor, malgré les deftinées , sat. i;
Mon corps n'eft point courbé fous le faix des
années \
Qu'on ne voit point mes pas fous l'âge chanceler.
Ht qu'il refte a la Parque encor dequoi filer.
On doit auffi éviter les périphrafes obfcu-
res 6c trop enflées. "^ Celles qui ne fervent
* Ut cùm décorum habet, penphrafis , ita cdm in vltium
incidit, 'T-o/(îîoA37/adicitur : obftat ènim quidquid non âd-
isvâr. Quint. Inftit. Orat. 1. viii. c. ^. i
N
page lo.
194 LA PERIPHRASE.
ni à la clarté, ni à l'ornement du d'iC-
cours , font détectueufcs. C'cfi: une inuti'
lire défagréable qu'une périphrafe à la
fuite d'une penfée vive, claire, folide 6c
noble. L'efprit qui a été frapé d'une pen-
fée bien exprimée , n'aime point à la re-
trouver fous d'autres formes moins agréa-
bles , qui ne lui aprènent rien de nou-
veau , ou rien qui l'intérelîe. Après que le
père des trois Horaces, dans l'exemple
que j'ai déjà raporté, "^ a dit qt^'il mourût^
il devoit en demeurer là, 5c ne pas ajouter :
Ou qu'un beau défefpoir enfin le fecourûc.
Marot, dans une de fes plus belles épî-
tres, raconte agréablement au Roi Fran-
çois I. le malheur qu'il a eu d'avoir été
volé par fon valet , qui lui avoit pris fon
argent, fes habits , 6c fon cheval i enfuite
il dit :
Et néanmoins ce que je vous en mande ,
N'eft pour vous faire ou requête ou demande :
Je ne veux point tant de gens relTembler ;
Qui n'ont fouci autre que d'affembler ;
Tant qu'ils vivront ils demanderont, eux :
Mais je comence à devenir honteux ,
Et ne veux point à vos dons m'aréter.
Je ne dis pas, iî voulez rien piêcer.
LA PERIPHRASE. 195
'Que ne le prène : il n'eft poinr de prêteur ,
S'il veut prêter, qu'il ne falfe un debteur.
Et favez-vous , Sire, cornent je paie ,
Nul ne le fait fi premier ne l'ellaie.
Vous me devrez, fi je puis, de retour;
Et vous ferai encores un bon tour j
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle ,
■Je vous ferai une belle cédule ,
A vous payer, fuis ufure il s'entend ,
Quand on verra tout le monde content }
Ou fi vous voulez , a. payer ce fera.
Quand votre lois ôc renom cefiera.
Voilà ou le génie cbnduifit Marot, tk
voilà où l'arc devoit le faire arêter : ce
'qu'il die enfuiî:c que /es deux ^rirtces Lo-
rains le fUïgeront , 6c encore
Avifez donc , fi vous avez defir
De rien prêter , vous me ferez plaifir :
Tout cela , dis- je , n'ajoute plus rien à là cîc. de
ncnfée : c'efr ce que Cicéron apèle verho- ^'^^'^- ^- \:
1 1 n.xiii'i-
Yiim vcl o^timorum âtque ornMijfimorum f6~ ter 51/
nittis inanis. Que s'il y avoit quelque chofc
de plus à dire , ce font les douze derniers
vers qui font un nouveau fens, &: ne
font plus une périphrafe qui regarde l'em-
prunt.
N ii
196 LA PERIPHRASE.
VoiU le point principal de ma lettre ,
Vous favez tout, il n'y faut plus rien mettre
Rien mettre las l Certes, & fi ferai ,
En ce faifant mon ftyle j'enflerai ,
Difant , ô Roi amoureux des neuf Mufes>
Roi, en qui font leurs fciences infufes.
Roi , plus que Mars , d'honeur environé.
Roi , le plus Roi qui fut onc couroné ;
Dieu tout puilTant te doint, pour t'eftrèner ,
Les quatre coins du monde à gouverner.
Tant pour le bien de la ronde machine ,
Que pour autant que fur tous en es digne.
4. On fe fertdepériphrafeparnécefficéj
quand il s'agit de traduire , &. que la lan-
gue du traducteur n'a point d'cxpreflion
propre qui réponde à la langue originale ;
par exemple , pour exprimer en latin une
péruque, il faut dire coma adfcitttia ^ une
chevelure empruntée , des cheveux qu'on
s'eft ajuftés. Il y a en latin des verbes qui
n'ont point de fupin , & par conféquent
point de participe : ainfi au lieu de s'ex-
primer par le participe, on eft obligé de
recourir à la périphrafe/î?r^ »/, ejfefutHrum
Mti j'en ai donc plufieurs exemples dans la
fyntaxe.
V
15>7
X V I 1 I.
L'Hypallage.
Irgile, pour dire mtttrç à la l'oile y a tW\a«7h,
die, * dare clàffthus aujlros : l'ordre na- ^'n^^^l^râcio.
turel dema^doit qu'il dît plucôc , dar^ cUf^,!^^f^.,,\
fes nufiris. aor. i. pafT.
Cicéron, dans l'oraifon pour Marccllus, ^ VXn'^l
dit à Céfar qu'on n'a jamais vu dans lam. v. éi.
ville Ton épéc vuide du foureau , glàdium,
l'agma vacuum in tirbe non njidimus. 11 ne
s'agit pas du fonds de la penfëe, qui eft
de faire entendre que Céfar n'avoit exercé
aucune cruauté dans la ville de Rome , il
s'agit de la combinaifon des paroles qui
ne paroifîent pas liées entre elles come
elles le font dans le langage ordinaire,
car njàcHus fe dit plutôt du foureau que de
epee.
Ovide comence fes rnétamorphofcspar
ces paroles :
In nova fèrt ânimus miuâtas cîicere formas.
Corpora.
La conftruction cfl: ânimus fèrt me ad d/ccre
formai mtitatns i& mVA corpora. Mon génie.
N ii)
Î98 LHYPALLAGE.
me porte à raconter les formes changées
en de nouveaux corps : il étoit plus natu-
rel de dire , à raconter les corps , c'eft-à-
dire , a parler des corps changes en de nouvè-
les formes.
Vous voyez que dans ces fortes d'ex-
preffions les mots ne font pas conitruits.
hi combinés entr'eux corne ils le de-
vroient être félon la deftination des ter-
minaifons 6c de la conftruction ordinai-
re. C'efl cette *tranfpo(ition ou change-
rnent de conilruction qu on apèle HjipaU
lage ^ mot grec qui (îgnifie changement.
\' Cette fi2;ure eft bien malheureufe : les
inft. Orat. Rhéteurs difent que c'eft aux Grammai-
^ IV. c. 15. j^j^j^g à en parler, Gra7nmaticôrum potius
fchema efi quàm trapus , dit VofTius j 6c les,
Grammairiens la renvoient aux Rhéteurs :
^^^ %■ ^^ rhypallage , à vrai dire , n*cft point une figure
yi. p. c'8. ^^ Graminaire , dit la nouvèle Méthode de
P. R. C'efi un, t râpe ou une figure d'élocution.
Le changement qui fe fait dans la conf-
trucbion des mots par cette figure , ne re-
garde p-as leur jQgnification , ainfî en ce
fens cette figure n'eft point un trope, &
doit être mife dans la clailc des idiotifmes
ou façons de parler particulières à la lan-
gue latine : mais j'ai cru qu'il n'étoit pas
UHVFALLAG E. 199
inutile d'en faire mention parmi les tro-
pes j le changement que l'hypalLige fait
dans la combmaiion éc dans la conilruc-
tion des mots, eft une forte de trope ou
de converfion. Après tout , dans quelque
rang qu'on juge à propos de placer i'hypal-
lage , il eft certain que c'eft une figure
très- remarquable.
Souvent la vivacité de l'imagination
nous fait parler de manière , que quand
nous venons enfuite à confidérer de fmg
froid l'arangementdans lequel nous avons
conftruit les mots dont nous nous fomcs
fervis , nous trouvons que nous nous fo-
mes écartés de l'ordre naturel , 6c de la
manière dont les autres homes conftrui-
fent les mots quand ils veulent exprimer
la même penfée ; c'eft un manque d'exacti-
tude dans les modernes \ mais les langues
anciènes autorifent fouvent ces tranfpoii-
tions : ainii dans les anciens la tranfpoii-
tion dont nous parlons eft une figure rei-
pedlable qu'on apèle hypalLtge , c'eft-à-
dire , changement, tranfpofition , ou ren-,
verfement de conftru6tion. Le befoiii
d'une certaine mefure dans les vers, a
fouvent obligé les anciens Poètes d'avoir
recours à ces façons de parler , & il fauç
N iv
200 LHYFALLAGE,
convenir qu'elles ont quelquefois de la
grâce : auiîi les a-t-on élevées à la dio;nicé.
d'expreflîons figurées j &: en ceci les an-
ciens remportent bien furies modernes , à
qui on ne fera pas de Iqng-tems le même
lioneur.
Je vais ajouter encore ici quelques
exemples de cette figure , pour la fairo
mieux conoître. Virgile fait dire à Didon :
Mxs,. L IV. Et cùni frigida mors anima fedûxeric at tus.
Apres que la froide mort aura féparé de mon
ame les membres de mon corps ^ il eft plus or-^
dinaire de dire aura féparé mon ame de mon
corps : le corps demeure, & l'arae le quite -,
ainfi Scrviiis &: la plupart des comenta-
teurs trouvent une hypallage dans ces pa-
roles de Virgile.
Le même Poète parlant d'Enée & de
la Sibylle qui conduifit ce héros dans les
enfers, dit:
jr , Ibant obfcùri folâ fub nocte per umbsam.
An. L VI. »^ ■
Y- %6Z. Pour dire qu'ils marchoient tout feuls,
dans les ténèbres d'une nuit fombrc. Ser-
vius & le P. de la R ue difent que c'effc ici,
\ine hypallage pour ibant foli fub obfcurOi
nocie, " '
L'HYPALLAGE, soi
Horace a die :
Pôcula lethaeos m fi ducéntia fomnos ^^^- '•"^-
T, , . od. i4.v.i.
iraxerim.
Corne fi favois htt les eaux qui am}nent k
fomeil du fleuve Léthé. 11 étoic plus naturel
de dire ^ocuU leth^ea^ les eaux du fleuve
Léthé.
Virgile a dit (^iiEnée raluma des feux
frefijue éteints.
, . . . . Sopitos fûfcitat ignés. ^n- 1- v-
11 n'y a point là d'hypallage, c^xfopnos^ ' ^ '
Iclon la conjlruclioii ordinaire , le raporte
à igaes : mais quand pour dire o^aEnée ra-
luma fur l'autel d'Hercule le feu prefque
éteint , Virgile s'exprime en ces termes :
. . . . Hercùleis fopîras ignitîus aras iEn.Lvnx.
Excitât. ^- ^'^'^'
Alors il y a une hypallage, car félon
la combinaifon ordinaire, il auroit dit,
(X citât ignés fopttos in aris hercukis , id eft ,
Hérculi facris.
Au livre XII . pour àlvz^fi au coîUraire
Ai ar s fait tourner la viBoire de notre coté^ il
s'exprime en ces termes :
Sin noftrum annûerit nobis vidoria Marteni. iEn. I. xn»
Ce qui cfb une hypallage, félon Servius. ^^/^^j^*^
ibt4
202 L'HYPALLAGE.
HypalUge : pro fin nofter Mars anmîerit
nobis vicxoriam : fjam Marum vicfaria co-
miiàttir.
On peut auffi regarder corne une forte
d'hypailage , cette façon de parler félon
laquelle on marque par un adjectif, une
circonitance qui eft ordinairement expri-
mée par un adverbe : c'eil: ainfi qu'au lieu
de dire qiiE^iée envoya promptement Achate^
Virgile dit :
^n. 1. 1. V. . . . . Rapidum ad naves pracmîttit Acliatei»
^44- Afcânio.
Rapidum eft ^omx prompt ement , en diligence,
îbid. V. 70. Age diverfas , c'eil- à-dire , chaflez-ies
ça ôc là.
Mn. 1. 1. V. JaiTique afcendébant collem qui plùrimus urbi
*^î* Imminet.
P/urimus , c*efl à-dire , en lonj^ , une coline
qui domine , qui règne tout le long de la
ville.
Médius^ fummtés , infimus , font fouvent
employés en latin dans un fens que nous
rendons par des adverbes , &: de même
Ter. Eiin. nullus pour non : inémini , tam'etfi nullus mo'
^ 1. 1. ic. ^^^j. pçj^j^j. ^^^ moneas^ corne Donat l'a rc-
marque.
L'HYPALLAGE. 205
Par tous ces exemples 011 peut ob-
Icrver :
1 . Qu'il ne faut point que l'hypalLige
aporte de robfcurité ou de l'équivoque à
la penfée. Il faut toujours qu'au travers
du dérangement de conftruction , le fonds
de la penfée puifTe être auih facilement
démêlé, que fi Ton fe fût fervi de l'aran-
c^cment ordinaire. On ne doit parler gue
pour être entendu par ceux qui conoiilcnt
le génie d'une langue.
2. Ainfi quand la conftrudion eft équi-
voque , ou que les paroles expriment uu
fens contraire à ce que l'auteur a voulu
dire j on doit convenir qu'il y a équivo-
que, que l'auteur a fait un contre-lcns ,
& qu'en un mot il s'eft mal exprimé. Les
anciens étoient homes , & parconléquent
fujets à faire des fautes come nous. Il y a
de la petitefTe & une forte de fanatiime à
recourir aux figures pour excufcr des ex-
prcffions qu'ils" condamneroient eux-mê-
mes, & que leurs contemporains ont fou-
vent condânécs. L'hypallage- ne prête
pas fon.nom aux contre-fcns £c aux équi-
voques ; autrement tout fcroit confondu ,
& cette figure deviendroit un afyle pour
l'erreur 6c pour l'obfcurité.
Z04 VHYFALLAGE,
3. L'hypallage ne Te fait que quand on
ne luit point dans les mots larangement
établi dans une langue j mais il ne faut
point juger de larangement & de la fi-
gnification des mots dune langue par
rufage établi en une autre langue pour
expruner la même penféc. Nous difons
en François, ;> me repens^je m'aflige de ma.
faute: je eft le fujet de la propofition ,
c'eft le nominatif du verbe : en latin on
prend un autre tour, les terjnes de la pro-
pofition ont un autre arangement , ;>, de-
vient le terme de ladion , ainfi, félon la,
deftination des cas , ]e fe met à Tacufatif ;
le fo avenir de ma faute m'aftige , m'afeB-e
de repentir^ tel eft le tour latin , pœnitet
me culp£ , c'eft-à-dire , recerdatio , ratio ,
refpé^HS , vftium , negotium , facîum , ou
\.i,.î.%.v.inalum culp^ pœnitet me\ Phèdre a dit,
V' i y '^'^^^•^^^'^''^^^'^ pour^^f»///^/ res cihi pour
^■,^' ''^'^' cibus. Voyez les obfervations que nous
avons faites fur ce fujet dans la fyn-
taxc.
Il fl*y a donc point d'hypallage dans
pœnitet me culpji ^ m dans les autres façons
de parler fcmblables ; je ne crois pas non.
plus, quoi qu*cn difent les Comenta-
^eurs d'Horace, qu'il y ait une byp^K
I LHYPALLAGE. ±ts
iagc dans ces vers de l'Ode 17. du livré
premier.
Vclox amœnum fncpè Lucrétilem
Mutât Lycaeo Faunus.
C'eft-à-dire , que Faune prend fouvent
en échange le Lucrécile pour le Lycée, il
vient fouvent habiter le Lucrétile auprès
de la maifon de campagne d'Horace , de
quite pour cela le Lycée fa demeure ordi-
naire. Tel eft le fens d'Horace , corne U
fuite de Code le done nécejpiircment a enten-
dre» Ce font les paroles du P. Sanadon , Tom. r. p.
cjui trouve dans cette façon de parler ^ J79-
tme vraie hypallage ou un renvcrfemcm de
confiruciion^
Mais il me paroît que c'efi juger du
latin parle François, que de trouver une
hypallage dans ces paroles d'Horace ,
Lucrétilem mutât Lyc£o Faunus, On co-
mence par atacher à mutâre la même idée
que nous atachons à notre verbe changer ;
doner ce qu'on a pour ce cjuon na pas -^ en-
fuite , fans avoir égard à la phrafe-latine ,
on traduit , Faune change le Lucrétile pour
* Voyer les remarques du P. Sanadon , à l'ocafion de
îyHcana niutet pafcuis, vers 18. de l'OJc Ibis^kttrnis. Pod'
lies d'Horace, tom. I. page 17;.
206 VHYPALLAGÈ.
le Lycée : 6c corne cette exprefîion fîgnifîc *
en françois , que Faune paUe du Lucrétile
au Lycée , t<. non du Lycée au Lucrétile,
ce qui eft pourtant ce qu'on fait bien
qu'Horace a voulu dire, on eft obligé
de recourir à l'hypallage pour fauver le
contre-fens que le françois feul préfente;
Mais le renverfeinent de conftrut^ion né
doit jamais rcnverfer le fens, come je
viens de le remarquer ; c'eft la phrafe
même, &; non la fuite du difcours,
qui doit faire entendre la penfée , fi ce
n'effc dans toute fon étendue , c'eft au
moins dans ce qu'elle préfente d'abord à
l'efprit de ceux qui favent la langue.
jugeons donc du latin parle latin mê-
me , ôc nous ne trouverons ici ni contre-
fens ni hypallage , nous ne verrons qu'une
phrafe latine fort ordinaire en profe 6c
en vers.
On dit en latin donàre mûnera aïicui y
doner des préfens à quelqu'un , & i'ori
dit aulli do?: are aliquem mûnere , gratifier
quelqu'un d'un préfent: on dit également
ctrcâmdare urbem mœnihus ^ & circmndaré
wœnia urbi ,* de même , on fe fert de mu-
tdre , foi* pour doncr, foit pour ptendré
%uie choie au lieu d'une autrej
L'HVPALLAGE. 207
Muto, difent les Etymolo^iftes, vient ^^"^^ ^'^^^
e motu : mutare quali motare, L anciene
manière d'aquérlr ce qu'on n'avoir pas y
fe fefoit par des échanges, de là muto fi-
gnitie également achcttr ou 'vendre^ fren-
dre ou doner quelque chofc au lieu d'une
autre , cmo aut "vendo , dit Martinius , & il
cite Columelle, qui a dit porcus L^cfeus
,ere mutandus efl, il faut acheter un cochon
de lait.
Ainfi, mutât Lucrhilem , fignifie vient
prendre, vient polîëder , vient habiter le
Lucrétile , il achète, pour ainfî dire, le
Lucrétile par le Lycée.
M, Dacier , fur ce paflage d'Horace ^
remarque o^vi Horace parle Joiivent de même^
^ je fdi bic/t , ajoute-t-il, ^ue ^uc/^ues hij-
toriens l'om imité.
Lorfqu'Ovide fait dire à Médée qu'elle
voudroit avoir acheté Jafon pour toutes
les richelFes de l'Univers , il fe fert de
muîa/e,
Quemque ego cam rébus quas totus poffidec orbis Mer, 1. vu-
i£f6niden mutalfe velim. v-\5?-
Où vous voyez que corne Horace , Ovide
emploie mutàrt dans le fens à'aauêrir ce
<l^uQn nu pas , de prendre ^ d'acheter uns
208 Lhypallagë.
Tom. I. chofe en en donant une autre. Le P. Sanadon
P* *''^* remarque qu'Horace s'ejft fouvent fervi de
rnutàre en ce fens , ■muta.vit lugubre jagum
fimico , * pour ptmicurn fagum lâgubri : mu-
îet lucana caLihris pâfcms , * ^ pour cdlahra
fafcua lucanis : mutât uvam Jlrtgili , "^ "^ ^
^ouï Jlrîgîlim ttvâ.
L'uflige de mut are aliquid aliquâ re dans
le fens de prendre en échange y ell trop fré-
quent pour être autre chofe qu'une phrafc
latine , coaie donare âlïquem alicjuâ re , gra-
tifier quelqu'un de quelque chofe ; bc cir-
cumdare mœnia urhi , doncr des murailles
à une ville tout autour, c'eft- à-dire, en-
tourer une ville de murailles : l'hypallagé
ne fe met pas ainfi à tous les jours.
XIX.
L' O N O M A T O P e' E.
o^o,MaTc-T 'Onomatopée eft une figure pair la-
'^"'^*^'^~lj quelle un mot imite le fon naturel
mims Jeu -»— • 1 ^ - / 1 • r
voc'dbuii de ce qu il lignine. Un réduit lous cette
fiato : for- f^aure les mots formés par imitation du
d'uamo:. * l. ^. Od. ix.
** L. V. Od. I.
^** L. IX. Sai. vil. V. iio.
ion \
VONOMATÛ PÉE. 109
ibil ; comc le glouglou de la bontcille : te cli-
éfuetis ^ c'eft à-dire , le bruit (}ùe font les
boucliers, les épées , Se les autres armes
en fe choquant. Le tricïrac qu'on apcloic
autrefois uBac ; forte de jeu aflez comun ,
ainli nomé du bi*uitque font les dames 61
les dés dont on fe fert à ce jeu : Tinnhus
œr'îs ^ tintement j c'eft le Ton clair ÔC aigu
des métaux. Bilhne ybilbit amphora\ là pe-
tite bouteille fait glou-glou , on le dit
d'une petite bouteille dont le goulot eit
étroit. Taratmtara y c'eil le bruit de la
ti-ompète.
At tuba terribili fonitu taratantara dixic.
C'eft un ancien vers d'Ennius , au raport
de Servius. Virs^ile en a chang-é le dernier
hémiftiche , qu'il n'a pas trouvé allez di-J
gne de la poeiie épique j voyez Serviué
lur ce vers de Virgile :
Ar tilba terribileni fonitùm procul aère canoro Kw. i. ix:
Incrcpific.
Cachmnus^, c'efl: un rire immodéré, Cj-
chinno , onis , fe dit d'un home qui rit fans
retenue ; Qts> deux mots font formés du
fôn ou du bruit que Ton entend quand
quelqu'un rit avec éclat,
&
V. J05,
210 VONO MA TOPEE.
Il y a au(îî plufîeurs mots qui exprirnenC
le cri des animaux, corne hêler, qui fe dit
des brebis.
Lucr. 1. 5. Banbdri , aboyer , fe dit des gros chiens.
'^°^^* Latrare, aboyer, hurler, c'eft le mot gé-
nérique. Mtiure ^ parler entre les dents,
murmurer, gronder, corne les chiens : ma
canum eft, undè nmtire ^ dit Charilius.
Les noms de plufîeurs animaux font
tirés de leurs cris, fur-tout dans les lan-
gues originales.
Upupa^ Hupe, Hibou.
Cucidus , qu'on prononçoit coucoîdous , un
Coucou , oifeau. '
Hirtmdo ^ une Hirondèle.
Ululd , Chouète.
Btiho ^ Hibou.
Gracculus , un Choucas , cfpèce de Cor*
neille.
GaUma, une Poule.
Cette figure n'eft point un trope, puif-
que le mot fé prend dans le fens propre:
mais j'ai cru qu'il n étoit pas inutile de la
ïemarquer ici.
X r r
XX.
Qjùtn même mot peut être doublement
figuré.
IL cil à obferver.quc fouvent un mot
eft doublement figuré ; c'eft-à-dire,
qu'en un certain fens il apartient à uii
certain troDe , ôc qu'en un autre fens il
peut être rangé lous un autre trope. Oïl
peut avoir fait cette remarque dans quel-
ques exemples que j'ai déjà raportés.
Quand Virgile dit de Bitias , que fknofe
proluit àuro^ nmo^ fe prend d'abord pour la
coupe, c'eft une fynecdoque de la matière
pour là chofe qui erl eft taite,- enfuite la
coupe fe prend pour la liqueur qui étoic
contenue dans cette coupe : c'eft une mé-
tonymie du corltenant pour le contenu.
Nota-^ marque , figne , le dit en gêné-
t'ai de tout ce qui fcrt à cOnoître ou re--
marquer quelque chofe : mais lorfque
nota^ [note) fe prend pour dédecus , mar-
qué d'infam.ie, tache dans la réputation ,
comc quand on dit d'un militaire, ils'ejl
enfui en une telle ocafion , c\ft une notc^ il y
a une métaphore &: une fynecdoque dans
cette façon de parler.
Oi)
ail MEME MOT, &c
■Il y a métaphore, puifque cette ^{)te
neil pas une marque réèle, ou un figne
feniibie, qui foit lur la perfone donc ou
parle j ce nciï que par comparaifon qu'on
le ferc de ce mot, on done à î2ou un fens
fpirituel & métaphorique.
Il y a fynecdoque, puifque f^ou eO: ref-
trainc à la (ignitication particulière de
tache ^ dédccus.
Lorfque pour dire qu'il faut faire péni-
tence &; réprimer Tes palTions, on dit qu'i/
fûHi moïtifitr la chair j c'eft une exprellion
figurée qui peut fe raporter à la fynec-
doque &: à la métaphore. Ch^ir ne fc
prend point alors dans le fens propre, ni
dans toute fou étendue j il fe prend pour
le corps humain, &. fuç-tout pour les pdf-
fions, les fens: ainli c'eft une fynecdo-
que \ mais mortijîer eft un terme métapho-
rique , on veut dire qu'il faut éloigner de
nous toutes les délicatefîes fenfibles -, qu'il
faut punir notre corps , le fevrer de ce qui
le flate, afin d'afoiblir l'apétit charnel,
la convoitife , les paffions , les loumettre
à l'efprit , &. pour ainii dire, les faire
mourn".
Le changement d'écit par lequel un ci-
toyen romain pcrdoit la liberté , ou aloiî:
- MEME MOT, érc 215
en ëxil , ou changcoit de famille , s'ape-
loic capitis miniitio , diminution de cêce v
c'eft encore une exprelïion métaphorique ^ . .
qui peut auffi être raportée à la fynecdo- ^ .1 .nA
que. Je crois qu'en ces ocafibns on peut
s'épargner la peine d'une exactitude trop
recherchée , hc qu'il fufit de remarquer
que Texprcllion eft figurée, &: la ranger
fous l'efpèce de trqpè.auquel elle a le plus
de raport.
XX.
^e U fubordination des Tropes , ou du rang
(juils doivent tenir les uns à P égard des
autres , & dt leurs caractères particu-
liers,,
OUintilien dit * que les Grammai-
riens aulli-bien que les Philofophes
disputent beaucoup entre eux pour fa voir
combien il y a de diférentes clafles de
tropes, combien chaque clafle renferme
d'cfpè.çes.particLilières, 6c enfin (^uel eft
■ ■' » . ^
* Cîrca quem ( tropum ) inexplîcâbilîs , 5c Gtammâticis
intcr ipfos , & Philoûaphis pugna cft ; qua; fuit gcnera ,
qjia,' fpccies , quis nùiperus , quis cvji fubjiciâçur. Quint, _
liifr, Orat. 1. VIII. c. ^.
Oiii
ZI4 SUBORDIN4TîON,&c.
Tordre qu'on doit garder entre ces clafïès
ô: ces efpèccs,
inft.Oiat. Vofîîiis foutienr qu'il n y, a que qua-
\ï7 ^ &^ ^'''^ tropes principaux, qui font la Méta-
X. art I. phore, la Métonymie , la Synecdoque 6c
l'Ironie \ les autres , à ce qu'il prétend , fc,
raportent à ceux-là cotne les eîpèccs au^c
genres : mais toutes ces difcuflions font
afr,"z inutiles dans la pratique, & il nç,
faut pç):nt s'amufer à des recherches, çpx
fouvent n'ont aucun objet certain. '
■ Toutes les fois qu'il y a de la diférence
dans le raport naturel qui donc lieu à la
lignification empruntée , on peut dire que
l'exprelîîon qui eft fondée iur ce mport
spartient à un trope particulier.
C'eft le raport de rcflemblance qui ed
le fondement de la catachrèfe &. de la mé-
taphore j on dit au propre une feuille, et ar-
bre , 6c par catachrèîe une feuille de papier ^
parce qu'une feuille de papier eft à peu
près aufîi mince qu'une feuille d'arIjre.La
catachrèfe ell la première efpèce de nié-
taphore. On a recours à la catachrèfe par
nécellité, quand on ne trouve point de
mot propre pour exprimer ce qu'on veut
dire. Les autres efpèces de métaphores fe
font par d'autres mouvemens de rimacci-
DES TROPES. 115
nation qui ont ton jours la reiïemblance
pour iondement.
L'ironie au contraire eft fondée fur un
raporc d'opolition , de contrariété , de di-
férencc , &. , pour ainii dire , fur le con-
trarte qu'il y a, ou que nous imaginons
entre un objet & un autre ^ c'eft ainfi que
Boileau a dit, Qu'tnauh efl ttn l^irgile. Satyre ix.
-. La métonymie cC la fynecdoque , auflî-
bien que les figures qui ne font que des
efpèces de l'une ou de l'autre, font fon-
dées fur quelque autre forte de raport qui
n'eft ni un raport de redemblance , ni un
raport du contraire. Tel efb , par exemple,
le raport de la caufe à l'éfet j ainfi dans la
métonymie ôc dans la fynecdoque les ob-
jets ne font confidérés ni come fcmbla-
bles, ni come contraires, on les re^-ardc
feulement come ayant entr'eux quelque
relation , quelque liaifon , quelque forte
d'union -, mais il y a cette diférence , que ,
dans la métonymie , l'union n'empêche
pas qu'une cliofe ne fubfifle iniépendan-
ment d'une autre; au lieu que, dans la
fynecdoque, les objets dont l'un eft dit
pour l'autre, ont une liaifon plus dépen- pageio<î.
dante,come nous l'avons déjà remarqué,
l'un el\ compris fous le nom de l'autre ,
Oiv
ii^ SUBORDINATION-
ils forment un enfemble, un tout ; par -
exemple , quand je dis de q.ueiqu'un, quU
a lu Cicéron^ Horace y Virgile y au lieu de.
dire, les ouvrages de Cicéron ^ ôcc , je prens
la caufe pour Tëfec, c'efl le raporc qu'il y
a entre un auteur & Ton livre , qui eft le
fondement de cette façon de parler , voilà
yne relation, mais le. livre (ubflfte fans
Ibn auteur, & ne forme pas un tout avec
lui } au lieu que , Iprfque je dis cent voiles
pour cent vaijjeaux , je prens la partie pour
le tout, \q.s voiles iont néceiïaires à un
vallîcau : il en eft de même quand je dis
Q^on a payé, tant par tète , la tête eft une
partie ellentièle à l'home. Enfin dans la
fynecdoque il y a plus d'union & de dé-
pendance entre les objets dont le nom de
l'un fe met pour le nom de l'autre, qu'il
n'y en a dans la métonymie.
L'alluliQn fe fert de toutes les fortes de
relrTtions, peu lui importe que les termes
conviènerjt ou ne conviènent pas entre
eux, pourvu que par la liai fon qu'il y a
entre ies idées accefloires , ils réveillent
ççlle qu'on a eu deflèin de réveiller. Les
circonfÉances qui acompagnent le fens li-
béral des mots dont on fe fert dans l'allu-
fion 5 nous font cpnoître que ce fens Ucé-
DES TROP ES. 117
rai n'efl pas celui qu'on a eu dcfîeiii
d'excicer dans notre elorit, & nous dé-
voilent facilement le Icns figuré qu'on a
Voulu nous taire entendre.
L'euphémifme eft une efpèce d' ilki-
fion, avec cette ditérence , qu'on cherche
à éviter les mots qui pouroient exjiter
quelque idée trifte , dure , ou contraire à
la bienféance.
Enfin chaque efpèce de trope a Ton ca-
raiflère propre qui le dii-tingue d'un au-
tre, corne il a été facile de le remarquer
par les obfervations qui ont été faites fur
chaque trope en particulier. Les perfones
qui trouveront ces oblervations ou trop
abftraites , ou peu utiles dans la pratique ,
pouront fe contenter de bien lentir pac
Ics exemples la diférence qu'il y a d'un
trope à un autre. Les exemples les mé-^
nerpnt infenfiblement aux obfervations.
2l8
X X I I.
I . Des Tropcs dont on na point parle.
I I. Variété da'iis U dénomination desTropcs.
I. ^^^Ome les figures ne font que des
V^ manières de parler qui ont un ca-
ractère particulier auquel on a doné un
nom j que d'ailleurs chaque force de fi-
gure peut être var èe en plulieurs manières
diférentes , il eft évident que fi Ton vient
à obferver chacune de ces manières , ôc
à le ir doner des noms particuliers , on en
fera autant de figures. De la les noms de
mimé fis , âpophajïs , catàphajis , ajldfmus ,
mycfi'rifmus , charientïjrniis , diafyrrnus , far-
cafmus ^ êc autres pareils qu'on ne trouve
guère que dans les ouvrages de ceux qui
Tes ont imaginés.
Les expreliions figurées qui ont doné
lieu à ces fortes de noms , peuvent aifé-
ment être réi'.iites fous quelqu\]ne des
clafies de tropes dont j'ai déjd parlé. Le
farcafme ^ par exemple , n'eft autre chofe
qu'une ironie faite avec aigreur 6c avec
emportement. ^ On trouve l'infini par-
* Eft aurcm farcâfmus hoftilis irrifio , . . cum c^uis mor-
VARIETE\&c. îï^
çout : mais quand une fois on eft par-
venu au point de divifion où ce qu'on
divife n'cll: plus palpable, c'ell: perdre
fon cems 6c fa peine que des*amufer à di-
vife r.
IL Les auteurs donent quelquefois des
noms diférens à la même cfpèce d'cx-
preiîion figurée, je veux dire, que l'un
ix^hlc hypdUage ^ ce qu'un autre nome mé-
tonymie : les noms de ces fortes de figures
étant arbitraires , êc quelques-uns ayant
beaucoup de raport à d'autres , félon leur
étymologie , il n'cft pas éconant qu'on les
ait fouvent confondus. Ariftotc done le
nom de métaphore à la plupart des tropes
qui ont aujourd'hui des noms particuliers-,
Arifl-ottks ïfîa omnia traflationcs 'vocat. Ci - Ck. Orat.
çéron remarque au(îi que les Rhéteurs no- "" ^^' '*'*
ment hypallage la même figure que les
Grammairiens apèlent métonymie. * Au-
jourd'hui que ces dénominations font plus
déterminées , on do.t fe conformer fur ce
point à l'ufage ordinaire des Grammai-
■fis labris fubfânnat âlium . . . irrifio qux fiât diiudis la-
biis , oftenfâquc déntium came. VôJJias ^ Inft. Orat. 1. iv.
c. r 5. De Sarcafmo.
* Hanc, hypâllac^en Rhétores, quia quafi fummutântur
verba pro vcrbis ; metoavmiam Grammatici vocant, quôd
uômiiu transfcrûiuur. Cieero ^ Oikiox. n. j j. Aliter x\\i\.
ter XXV u^
aïo DES TROPES.éc,
riens ^ des Rhéteurs. Un de nos Poètes
a
dit:
Leurs cris rempUirent l'air de leurs-tendres fouhaits.
Selon Ici conftruccion ordinaire, on dirok
plutôt que ce font les fouhaits qui fonc
poufTcr des -cris qui rerenti{ïènt dans les
airs. L'aute'iiV du Dicbionaire Néologique
done à cette expreiîion le nom de méta-
thèCe : les façons de parler femblables
qu'on trouve dans les anciens , font ape-
lées des hypailages : le mot de métathefe
n'eft guère d'ufage que lorfqu'il s'agit
d'une tranfpoiit.on de lettres. "^
M. Gibert nous fournit encore un Bel
exeinple de cette variété dans les dénomi-
Dations des figures , il apèie métaphore * ^
* M T.-v'Çîc/c, mucâtio, feu tranfporitio , ur Evantir*-
ipxoEvander 'ylymbre^ïo TymI/er, Ij^Jor. liv. i. c. J4.
Meràchefis , ( apud Rhétoies ) eiî: figura aux mittit-aiii-
mos jûdicum in res pra;:én:as aatfutûras, noc modo : lie-
"jocâte mentes dd fpectacHlum expiipiâts, mijers, civitdtis ,
&c : in fucùium aiicem eft aiicicipâcio eôrum quacdiétu.-»
rus eft adverfârius. Idem. 1. 1. c. zi. ..,«
** M. Giberc a fuivi en ce point la divifion d'Arîftote , '
il ne s'eft écarte de ce Pliilofophe que dans les exemples.
Voici les paroles d'Ariftote dans (aPo'dnque, c. xxi. &:
félon M. Dacier c. xxii. Je me fervirai de la traduétÏDn
de M. Dacier.
M La métaphore, dit Ariftotc , eft un tranfport d'un nom
>» qu'on tire de fa fignification ordinaire. Il y a quatre fortes
-■«•de métaphores : celle du genre à fefpèce, celle de f efpècç
FA RI ET E\ de. 22t
ce que Quintilieii "^ 6c les antres no-
menc antonomafc , » Il y a , dit M. Gibert, Pv.Ketor,
«quatre elpèces de métaphores; la pre-^"-^^^*
î> mière emprunte le nom du genre pour
'!> le doner à refpècc, corne quand on dic^
•i-^ Y Orateur pour Ciccrcn , ou /^ Philo fophe
-^-i ^ouï Ari/foîc. « Ce. font- là cependant
les exemples ordinaires que les Rhéteurs
douent de l'antonomafe : mais, après
tout, le nom ne fait rien à la chofe ; le
principal efl: de remarquer que l'expreffion
cil figurée, c-C en quoi elle cQ; figurée.
33 au genre , celle de l'efpèce à l'efpcce, & celle qui ePc foft-
» dée fur l'analogie. J'apèie métaphore du genre àl'efpèce,
y> comt ce vers d'Homère ; Mon vAiffeetu s efl arètc loin de
y» la ville dans le port. Car le mot i" arétert\\. un terme z^'-''^^-
« rique, & il l'a apliqué a l'efpèce pour dire être dans leport.
'Voici la remarque que M. Dacier fait enfuire fur ces pa-
roks d'Ariftote : 33 Quelques anciens , dit-il , ont condané
>3 Ariftote de ce qu'il a mis fous le nom de métaphore les
» deux premières qui ne font proprement que des fyaecdo-
3:>ques ; mais Ariftote parle en général , & il écrivoic dans
53 un tems où l'on n'avoir pas encore rafîné fur les figures
33 pour les diftingucr, & pour leur doner à chacune le
33 nom qui en auroit mieux expliqué la nature. D.-icier^
33 Pocdque d'Ariftote , page ?4î.
* A'/rao^aî/a:, qu£ âliquid pro nomine ponit, poéti"; fre-
quentiflîma. . . Oratôiibus étiam lî rarus ejus rei, non nnl-
îus tamen ufus eft: nam ut Tydiden Se Pciiden non dixs-
rint , ità dixérunr everfôrem. Carthâginis & Numandx pro
Scipiône 5 & romans cloquéntir principem pro Cicerônd
poruiflcuondùbitani;. Qjunttl. Inft. Orat. 1. viii. c. 6.
122
XXIII.
Qjtc Vufage & l'ahïis des Trop es font de toui
Us tems & de toutes les langues,
UNe même caufe dans les mêmes cir-
conftances produit des éfets fembla-
bles. Dans tous les tems & dans tous les
lieux ou il y a eu des homes, il y a eu de
Timagination , des pallions , des idées ac-
ceffoires, &. par conféqucnt des tropes.
Il V a eu des tropes dans la langue des
Chaldéens. dans celle des Egyptiens, dans
celle des Grecs &: dans celle des Latins :
DQ en fait ufage aujourd'hui parmi les peu-
ples même les plus barbares, parce qu'erl
tin mot ces peuples font des homes, ils
ont de l'imagination & des idées accef-
ioircs.
11 efl vrai que telle exprefîion figurée ert
particulier n'a pas été en ufage par-tout \
mais par-tout il y a eu des expreiîions fi-
gurées. Quoique la nature foit uniiorme
dans le fonds des chofes > il y a une va-
riété infin:e dans Texécution, dans l'apli-
cation , dans les circonilances , dans les
manières;
^
FA RI ET E\ &c. 22^
Àinfî nous nous fervons de tropes , non
parce que les anciens s'en font f ervis ; mais
parce que nous fomes homes come eux.
Il ell diiîcile en parlant &. en écrivant ^
d'aporter toujours l'atention & le difcer-
nement néceilaires pour rejeter les idées
accellbires qui ne conviènent point au fu-
jet, aux circonftances, Se aux idées prin-
cipales que l'on met en œuvre: de là il
eil: arive dans cous les tems , que les écri-
vains fe font quelquefois fervis d'expref-
fions figurées qui ne doivent pas être prî-
fes pour modèles.
Les règles ne doivent point être faites
fur l'ouvrage d'aucun particulier, elles
doivent être puifées dans le bon fens 6c
dans la nature ; & alors quiconque s'en
éloigne ne doit point être imité en ce
point. Si l'on veut former le goût des jeu-
nes gens, on doit leur faire remarquer les
défauts , aulFi-bicn que les beautés des au-
teurs qu'on leur fait lire. 11 eft plus fa-
cile d'admirer, j'en conviens ^ mais une
critique fagc, éclairée, exemte depalîioa
& de t-anatifme , efl bien plus utile.
Ainfi l'on peut dire que chaque (iècle
a pu avoir Tes critiques Se Ton Diclionaire
écologique. Si quelques perfoncs difcnt
p-H ^^S TROPES, &c.
aujourd'hui avec raifon ou fans fonde-
Didicn. ment , qu'// règ^/e dans le langage une afec-
Neologi- f^^ioy^ piîérHc : qtic kftyte frivole ôr recherché
pajje jnfqu au>c nibiinaux les ■plus gradues j
Cicéron a fait la même plainte de fou
Orat. n. tems : E/l cntm cjuoddam eùam insigne O'fio^
^6. aliter. ^.^^^^ oratïonis ^ ficium^ & expûlùum genu^ ^
in cfno omnes 'verbonim , omnes fentcnttârum
rlligaijîur Icjroref. Hoc îotum è fophijldrum
fontihus dtjiuxît in forum ^ &c.
->■> Au plus beau (iècle de Rome , c'eft-
î5 à dire , au iiècle de Jules Célar & d'Au-
«guile, un auteur a dit infantes ftâtuas ^
LeP.Sana-"pour dire des flatues non vêlement fai-
don , Poëf. ,5 j;£s ; ,^,j-j autre, que Jupiter crkchoït la
IL p. 154. » nege lur les Alpes.
L 1 Sat f Jupiter hibernas canâ nive confpuic Alpes;
V. 40. Horace fe moque de l'un & de l'autre dé
ces auteurs ; mais il n'a pas été exemt lui-
même des fautes qu'il a reprochées à ies
Le P. Sana- contemporains. //;^^ refle à la plupart des
(ion , Pref. Gomcntatcurs S autre liberté que pour loaer^
P^g-^"- pQJ^y aimher ^ pour adorer; mais ceux qui
font ufage de leurs lumières , 6c qui ne fe
H.pag. XX. cônduilent point par u,.e pévcntion aveu-
gle , défapYouvent certains vers lyriques dont
U cadence n\fi point ajfcz. châtiée. Ce font
les
FA RI ET E\ &c. 225
les termes da P. Sanadon ^ J'ai relevé en îbid,
yflufieurs endroits , pourfuic-il , des peyjféi's ^
des fenûmens , des tours é^ dts exprejjions ,
qui m ont para répréhenjiblcs,
Quintilien, après avoir repris dans les i^i^:. Or. L
anciens quelques métaphores défe£tueu- ^"'' ^' ^*
r 1- • r ■ n • Coaipara-
les, dit que ceux qui lont uiitruits du bon ûo.
^ du mauvais uGtge des figures , ne trou-
veront que trop d'exemples à reprendre :
Qjtorum exémpla mmiùm frer^iuêmer repre-
héndet -, quifcivertt hxc vitin effe.
Au refte , les fautes qui regardent les
tnbts, ne font pas celles que l'on doit re-
marquer avec le plus de foin : il eft bien
|)kis utile d'obfcrver celles qui pèchent
contre la conduite , contre la judelïe du
raifonement , contre la probité ^ la droi-
ture & les bônes mœurs-. Il feroit à fou-
haiter que les exemples de ces dernières
•fortes de fautes fuflent moins rares , où
|)lutot qu'ils fullcnt inconus.
i%S
DES TROPES.
TROISIEME PARTIE.
Des autres fens dans lefquels un même mot
peut être employé dans le difcours.
OUtre les tropes dont nous venons de
parier, &: dont les Grammairiens 6c
les Rhéteurs traitent ordinairement , il y a
encore d'autres fens dans lefquels les mots
peuvent être employés , & ces fens font la
plupart alitant d'autres diférentes fortes
de tropes : il me paroi t qu'il ell très-utile
de les conoîtrc pour mettre de l'ordre
dans les penfées, pour rendre raifon du
difcours , &; pour bien entendre les au-
teurs. C'eft ce qui va faire la matière de
cette troifième partie.
SUBSTANTIFS, éf, 227
L
Sfihftantîfs fris adjectivement y AdjeBifs pris
fubjl activement, Suhjiantifs & Adjcfhfs
pris adverbialement.
UN nom fubftantlf fe prend quelque-
fois adjectivement, c'eil à du'e, dans
le lens d'un atribut; par exemple.- Un père
efi toujours pire , cela veut dire qu'un père
cil toujours tendre pour Tes enfans, ôc
que malgré les mauvais procédés, il a
toujours des fentimens de père à leur
égard ; alors ces fubftantits fe cônftrui-
fent come de véritables adjectifs. •» Dieu
»3 eft notre reflource , notre lumière , no-
55 tre vie , notre foutien , notre tout,
is L'home n'efl qu'un néant. Etcs-vous
V> Prince .^ Etes- vous Koi ? Etes-vous Avo-
»> cat ? et Alors Prince > Koi ^ Avocat , font
adjectifs.
Cette remarque fert à décider là quef-
tion que font les Grammairiens , favoir il
ces mots Roi, Reines Père, Mère, ôcc;
font fubftantifs ou adjectifs : ils font l'uii
&. l'autre, fuivant l'ufage qu'on en fait.
Quand ils font le fujet de la propofitiori ;
pij
2i8 SUBSTANTIFS
ils font pris fubftantivemenc j quand ils
font l'atribiit de la proportion , ils font pris
adjectivement. Quand je dis le Roi aime
le peuple , la Reine a de la piété : Roi^ Racine ^
font des fubftantifs qui marquent un tel
Roi 6c une telle Reine en particulier \ ou,
corne parlent les Philofophes , ces mots
marquent alors un individu qui ell le
Roi; mais quand je dis que Louis quinz^e
efi Roi ^ Roi eil pris alors adjectivement ;
je dis de Louis qu'il cft revêtu de la puif-
lance royale.
Il y a quelques noms fubftantifs latins
-qui font quelquefois pris adjedlivement ,
■par métonymie , par fynecdoque ou par
antonomale. Sce/us , crime , fe dit d'un
fcélératj d'un home qui eft, pour ainfî
dire , le crime même : Scelus qucmnam hic
*Ter.Aii(î. laudot :? "^ Le fcélérat de qui parle-t-il ?
V. X. ^' ^^^ ^^^^^ efl f ceins qui mepérdidit ? "^^ Où ell
**ib.aa:. ce fcélérat qui m'a perdu ? où vous voyez
3.fc.5.v.i. Q^Qjli>ifis fe conftruit avec illic qui eft un
mafculin; car félon les anciens Grammai-
riens , on difoit autrefois illic ^ ilUc ^ illuc .,
au lieu de ille , ilU^ illud: la <:onllruction
fe fait alors félon le {ç,x\^ , c'eft-à-dire ,
par raport <à la perfone dont on parle, 6c
non félon le mot qui eft neutre.
TRIS ADJECTIVEMENT, é-c. 219
Carcer, prifon, fe dit auiïî par métony-
mie, de celui qui mérite la prifon. ^/,j^' TeiPhorn»;
tandcn y carcer^. Que dis-tu malheureux ?^*] "^^'^ ^'^^
C'ell: peut-être dans le même feus qu E-
née , dans Virgile, parlant des Grecs à
l'ocafion de la fourberie de Sinon , dit, &
CYtminc ab nna dïfce omncs. Ce que nous ne ^n. %. v,.
faurions rendre en François en confervant ^^'
le même tour, un fenl fourbe , une feule do,
leurs fourberies ^ vous fera, conoître le carac^
tere de tous les Grecs. Térence a dit unmn pborm.
cognorisy omnes noris. ^^- 2- fc.i..
Noxa , ^ , eft un fubftantif , qui dans le ^* ^^"
fens propre lignifie fliutc , peine, domage :
de nocére. Il e(l dit dans les Inilituts de
Juftinien , que ce mot fe prend au (fi pour
l'efclave même qui a fait le domage. Noxa i^ftit î. 4.
autem e(l ipfum corpus qnod nofuit , id eflfer- Tic s. ^ 1,.
vus {noxius.) Ce mot n'ell pourtant pas
d'un ufa2;e ordinaire en ce fens dans la
langue latine.
Un adjectif fe prend aufîî quelquefois
fubftantivement j c'eft-à-dire, qu'un moc
qui eft ordinairement atribut, eft quel-
quefois fujet dans une propofition : ce qui
ne peut ariver que parce qu'il y a alors
quelqu'autrc nom. fous-entendu qui eft
4ans l'efprit j par exemple : le vrai ver-
Piij
x^o SUBSTANTIFS^
fttadc , c'eft-à-dire , ce qui eft vrai , Vêtre^
njrai, ou la vérité. Le tout pùjfant vengera,
les f cibles quon oprime ^ c'eft-à-dire , Dieu,
qui eft tout puilïanc , vengera les homes
loibles.
Nous avons vu dans les préliminaires
delà fyntaxe , que l'adverbe eft un mot
qui renferme la prépofition & le nom qui
la détermine. La prépofition marque une
çirconftance générale , qui eft enfuite dé-
terminée par le nom qui fuit la prépoli-
tion fclon l'ordre des idées : or l'adverbe
renfermant la prépofition 6c le nom, il
marque une çirconftance particulière du
fujet, ou de l'atribut de la propofition:
fnfienter ^ avec fagciTc, avec jugement;
f.ep} y fouvent , en plufieurs ocafions \ ubi ,
pii , en quel lieu , en quel endroit j ibi , là,
en cet endroit là.
Il y a quelques nomsfubftantifs qui font
pris adverbialement , c'eft-à-dire, qu'ils
n'entrent dans une propofition que pour
marquer une çirconftance du fujet ou de
l'atribut, en vertu de quelque prépofition,
fous-entendue; par exemple: domi ^ à la
maifon , au lieu de la demeure. Vtdct nup-
Ter. And. ^^^^ ^^^^ apparart^ elle voit qu'on fé pré-
\ 54. pare chei nous à la noce ; domi marque
-PRIS ADJECTîVEMENT.éc. Z51
la circonftance du lieu où l'on fe prépa-
roit à la noce: on fous entend , in xdibus
domi , dans les aparcemens de la maifon ,
de la demeure \ ou bien in aliquo loco domi.
Plauce a exprimé xdes \ omnes domi per xdes^ Plante, Ca-
de chambre en chambre, d'apartement A"^'^'' "^^
> r le. j. V. 31,
en apartement.
Quand domi eft opofé à belli ou militi£,
on fous-entend in rébus -^ Cicéron Ta ex- Cic. de of-
primé , quibufcumaiiz rébus ojel belli , vel^^- V -•"•
domi ; alors domi le prend pour la patrie , xxiv.
la ville ^ & félon notre manière de parler,
pour la paix i le tcms de la paix. Nous
avons parlé ailleurs de ces fortes d'el-
lipfes.
Oppido fe prend aufll adverbialement ,
come nous l'avons remarqué pkis haut.
Quand on fait une fois la raifon des ter-natre -<»
mmailons de ces mots, on peut le con-
tenter de dire que ce font des fubftantits
pris adverbialement.
Les adjectifs fe prènent auffi fort fou-
vent adverbialement , come je l'ai remar-
qué en parlant des adverbes ; par exem-
ple : parler haut , parler bas^ parler (^rec & la-
tin , griccè ôc latine loqui : penfer jiifre^ fcn~
tir bon , fentir mauvais , marcher vite , voir
clair ^fraper fort ^ ôcc.
Piv
^5^ SUBSTANTIFS,&c.^
Ces adjectifs font alors au neutre, &l-
VirjT^. Ec. c'eft une imitation des Latins : Tranfverfa.
^'^' ^' tiiéntihus hircïs i hïrcis tuéntihus ad ncgoti^
tranfvérfa. Recens eft très-ufité dans les
bons auteurs , au lieu de recéntcr^ qui ne.
fe trouve o^ue dans les auteurs de la
Yiij;,Gcor. nioyène latinité : Sole recens orto : Pûerum
^ * Pilur. ^^^^^^ natum réécrire. * Dans ces ocafions
çiftei.i.i. il faut fous-entendre la prépofîtion^^, oa
l^v juxta , ou in ijitxta recens negotium , ou tem-
pus , çome. nous difons ^ à Lifrançoife , a U
mode , à Li renvcrfe , À Vimfro'vifte , à U tra-
ijcrfe , &c. Horace a dit ad pUnnm pour.
plene ^ pleinement, abondament, à plein:
L. I. Ode manahit ad -plénum. On trouve auffi in pour.
^ Hor. 1 - ^'^î /^///j- in pïdfens ânimus : Ja^is in altum
Ode 16. V. moUhus, "*^^
M;
^ îjor. 1. £xit: in imménfum fœcûnda licencia vatum. ***'
3- Ode I.
\V*o ,1 -A. in fi quand Salufte a dit, mons imincn-
Amor. 1. }. -^^^'"^ /^'////j- , § il faut fous entendre in y Sc
Ikg. ii.v. avec ces adjectifs on fous entend un mot
"^IJuaurt. S^f'^^i^'-^- > r^egoiiurn , fpatium, tempus^^
fuh fùv -ivtim , 6cc.
esî
^3%
I I.
Sens détermine'. Sens indéterminé'.
CHaqiie mot a une certaine fignifica-
tion dans le diicours ; autreinent il
ne lignifieroit rien: mais ce fens, quoi-
que déterminé, ne marque pas toujours
préciiément un tel individu , un tel parti-
culier: ainfi on 2L^h\c fcds mdétermmé ^ ou
indéfînL^ celui qui marque une idée vague^
ime pcnfée générale, qu'on ne fait point
tomber fur un objet particulier ; par exem-
ple : on croit , on dit \ ces termes ne déli-
gnent perfone en particulier qui croie ou
qui diic : ç'eft le iens indéterminé, c'eft-
à dire, que ces mots ne marquent point
lui tel particulier de qui l'on diie qu';/
croit :, ou Q^ il dit.
Au contraire , le fens déterminé tombe
fur un objet particulier j il défigne une ou
pluileufs pcriones , une ou pluiieurs cho-
Çcs , corne , les Carté/îens croient que les ani-
inaiix font des machines : Cicéron dit dans fes l. i. n. 84,
Oj/ces ^ (j'M Li honefoi efl le lien de U fociétt. aliter xxiv.
On peut raporter ici \c fens étendu 6c le
fcns étroit. Il y a bien des proportions qui
i54 5'£.VS DÉTERMINÉ y à'c:
font vraies dans un fens étendu, latè^ 8C
faufles lorfque les mots en font pris à la
rigueur, ftricfè : nous en douerons des
exemples en parlant du fens litéral.
III.
Sens Actif, Sens Passif, Sens Neutre^
yiCtif vient de a^ere , poujG^er, agir,
^^/i faire. Un mot eft pris dans un fens
actif, quand il marcpe que l'objet qu'il
exprime, ou dont il eft dit, fait une ac-
tion , ou qu'il a un fentiment , une fen-
fation.
Il faut remarquer qu'il y a des a6fcions
&C des fentimens qui paUent fur un objet
qui en eft le terme. Les Philofophes apè-
Icnx. patient^ ce qui reçoit Taclion d'un
autre ; ce qui eft le terme ou l'objet du
fentiment d'un autre. kmÇi patient ne veut
pas dire ici celui qui relient de la douleur;
mais ce qui eft le terme d'une action ou
d'un fentiment. Pierre bat Paul\ bat eft pris
dans un fens aclif , puifqu'il marque une
action que je dis que Pierre fait , & cette
action a Paul pour objet ou pour patient.
Le Roi aime le peuple -y aime eft auili dans
SENS ACTIF,&c. 235
un îens a6tif, &c le peuple cft le terme o.u
l'objet de ce fentiment.
Un mot eil pris dans un fens paiïif,
quand il marque que le fujet de la propo-
rtion , ou ce dont on parle, efl le terme
ou le patient de l'aclion d'un autre. Paul
ejl bat n par Pierre i batti. efl: un terme paflif:
je juge de Paul qu'il eft le terme de l'ac-
tion de batre.
Je ne fuis point bâtant , de peur d'être batu, Molièrç •
cocu iniag.
Bâtant elt actif, & batu elt paiiir. fc xvu.
Il y a des mots qui marquent de {im-
pies propriétés ou manières d'être , de lim-
ples lituations , & même des actions, mais
qui n'ont point de patient ou d'objet qui
en foit le terme ,• c'efl; ce qu'on apèle le
fens neutre. Neutre veut dire ni l^un ni l'au-
tre , c'eft- à-dire , ni a6bif ni palîif. Un
verbe qui ne marque ni action qui aie
un patient, ni une palîion , c'eft-à-dire ,
qui ne marque pas que Tobjet dont on
parle foit le terme d'une action , ce verbe,
dis-je , n'eft ni a6cif , ni paflif j ôc par con-
féquent il eft a pelé neutre,
Amâre ^ aimer, chérir; diligcre , avoir de
l'amitié, de l'afedtion , font des verbes
actifs. Amàri , être aimé , être chéri ; dtligiy
256 SENS ACTIF.
être celui pour qui l'on a de l'amitié , fone
des verbes pafîifs : n\âis fédère , être affis^
eft un verbe neutre ; ardére , être alumé ;.
être ardent, eft aufîi un verbe neutre.
Souvent les verbes actifs fe prènent
dans un Ç^ns neutre, ôc quelquefois les
verbes neutres fe prènent dans un fens
actif: écrire une lettre, eft un fens a6tif ;
mais quand on demande , Que fait Mon-
fieur ? ^^ quon répond , il écrit , il dort , il
chante , iJ danfe y tous ces verbes là font
Yirg.-<En. pris alors dans un fens neutre. Quand Vii^
'^' ^' ^' gile dit que Turnus entra dans un empor-
temiCnt que rien ne put apaifer , impUcà-
bitis ardet i ardet eft alors un verbe neutre:
mais quand le même Poëte, pour dire
que Coridon aimoit Alexis éperdument,
Ec. i. V. I. fe ferc de cette expreiîîon , Coridon ardéhat
Altxin , alors ardéhat eft pris dans un fens
actif, quoiqu'on puifte dire aufîi ardébat '
KciTcc Aléxin , briiloit pour Alexis.
Retfuiéfccre ^ fé repofer, être oifif, être
en repos , eft un verbe neutre. Virgile l'a*
pris dans un fens actif, lorfqu'il a dit:
Ed. 8.V. 4. Et mutâta fuos requiérunt fli'imina curfus :
Les fleuves changés, c'eft- à-dire, contre
leur ufage , cocitrc leur nature , î^rrêt^-^.
SENS PASSîF.é'c- 2l7
rent le cours de leurs eaux, retinuérunt
fuos curfus.
Simon , dans l'Andriène, rapèle àSofie
les bienfaits dont il l'a comblé : « me re-
>5 mettre aifiii vos bienfaits devant les
» yeux , lui dit Sofie, c'ell: me reprocher
que je les ai oubliés. lji£c commémorât io , Ter. Ani
tjuaji exfrohrhiû efi immémoris hcmfîcu. Les y_ ^_,,'
Interprètes d'acord entre eux pour le fonds
de la penlée, ne le font pas pour le fens
A' immémoris : fe doit-il prendre dans un
fens actif , ou dans un fens palîif? Ma-
dame Dacicr dit que ce mot peut être ex-
pliqué des deux manières : exprobrdùv mei
immêmoris ^ 6c alors immêmeris efl: a£l:if;
DU bien , exprohratîo bmeficii immémoris ^ le
reproche d'un fait oublié \ 6c alors immé-
moris eft pallif. Selon cette explication ,
quand immcmor Ycut dire celui qui oublie^
i\ eft pris dans un fens a£tif j au lieu que
quand il fignifie ce qui efl oublié ^ il eft dans
\\n fens paffif ^ du moins par raport à no-
tre manière de traduire.
Mais ne pouroit-on pas ajouter qu'en
latin immemor veut àxïç^ fouvent qui nefl^
pas demeuré dans la mémoire i Tacite a dit , ., „ .r
tmmemor beneficium ^ \\w bienfait qui ncft
"^o.^ demeuré dans la mémoire , ou félon
l3t SENS ACTIF,
notre manière de parler, un bienfait diî-
* Horace, blié. Horace * a dit mtmor nota , une mar-
'^' '^^* que qui dure long-teras, qui fait reiïbu-
** Un. I. venir. Virgile ^* a dit dans le même fens
î. V. 4. me??wr ira , une colère qui demeure long-
tems dans le cœur , ainii immémoris feroit
dans un fens neutre en latin»
Q^ae fait Monfiatr ? Ujone : jouer efl: pris
alors dans un fens neutre : mais quand on
dit, il joue gros jeu \ il joue eft pris dans un
fens actif, ôc gros jeu eft le régime de il
joue,
Danfer eft un verbe neutre j mais lorf-
qu'on àitydanfer une courante.^ danfer un me-
nuet ; danfer eft alors un verbe actif.
Les Latins ont fait le même ufage de
faltare ^ qui répond a danfer. Salufte a dit
de Sempronia , qu'elle favoit mieux chan-
ter ôc danfer qu'une honnête femme ne
Salluft.Ca- Joit le favoir, PfdUere & fait are elegantius)^
quam necéjfe eft probd : ( fupple ) docfa erat
nxri p [aller e '& faltare ; faltare eft pris alors
Hor. 1. 1. dans un fens neutre : mais lorfqu'Horace
Sac.;.v.63. ^ jjj. faltare Cyclopa ^ danfer le CyclopCj
faltare eft pris alors dans un fens ac^if.
Remarq. » Les Grecs 6c les Latins, dit Monfieur
ibid. „ Dacier, ont dit danfer le Cyclope , danfer
■»> Glaucus , danfer Ganymede, Léda, Europe^
Sens PAssiFyà'c. 15^
ZlCy c'eft-à-dire, reprëfenter en danfanr
les avennires du Cyclope , de Glaucus ,
Le même Poète a dit ^ F4fius êhrius *Hor,î.i.
llionam e dormit ^ le comédien Fufius , en^^'^-i-v-^i,
repré(encant Ilione endormie , s'endort
lui-même come un home yvre qui cuve
fon vin. Térence a die *^ edormifcam hoc ** Ter,
"vHH , je cuverai mon vin : & Plaute , **^ r ^ '^'^V^'
' J ' IC. 1. V. I I.
edormifcdm han-c €rdpuUm , 6c dans l'Am- *** Piaur.
phitryon il a dit, § edormifcat unum fom-^^^-^^-'^'
num , come nous difons dormir un fomme, § id.Amplû
Vous voyez que dans ces exemples, tdor- a^a.i.fc.i,
mirt ôc edi/rmfc^re fe prènent dans un fens ^* ^^'
aaif.
Cette remarque fert à expliquer ces ï^-
cons de parler /V«r,/4^'////r, êcc. ces ver-
bes neutres fe prènent alors en latin dans
un fens pafîif, ëc marquent que l'action
qu'ils figni fient eft faite \ iter itur^ l'adlion
d'aler fe fait. Voyez ce que nous en avons
dit dans la fyntaxe : l'aciion que le verbe
{ignifie , fert alors de nominatif au verbe
même , félon la remarque des anciens
Grammairiens (4).
( /» ) Uc càrritur à me , pro curro ; vel ftatur k te , pro
fins : (èdétur ah tllo y t^ïo fedet iUe : in eis poteft ipfa res in-
cciiigi vofce pafsiva^ ut cUrntur curfus ^ bellâtur belltim.
PriJ(i4nus , lib. XVII. c. de Piouôminum conftrudione.
i4Ô
IV.
Sens absolu. Sens re l At i f.
UN mot eft pris dans un fens abfola ^
lorlqu'il exprime une chofe confidé-
rée en elle-même fans aucun raport à une
autre. Abfola vient à'ahfolutus , qui veut
dire achevé , acompli , qui ne demande
rien davantage j par exemple , quand je
dis que le fokïl eft lumineux , cette exprel-
iion cft dans un fens abfolu 5 celui à qui
je parle n'atend rien de plus , par raport
au fens de cette phrafe.
Mais fi je difois que le feleïl efi plus
^r,ind que la terre ^ alors je coniidérerois le
foleii par raport à la terre ^ ce feroit un
fens relatif ou refpeclif. Le fens relatif ou
refpe<^if eft donc lorfqu on parlé d'une
choie par raport à quelqu'antre : c'efi: pour
cela que ce fens s'apèle auffi refpcctif^ du
T^t Voulus s'exprime en ces termes , vcrba accurativiini
habent Paseoriginis vcl coepiâcx fîgnificatiônis : priôiis gé~
ncris apud Tciéncium cft /«<^<?rf ludum. Enn. aÂ. 5. fc. j.
V. 50. Âpud Maioncm f»r ère fi-'rôrem ^,n. 1. 11. v. <;8c.
Donâtus Arcliaîfmum vocat , mallcm AtricifiTuim dixif-
fct quia fie locùcos conftat , non cos modo qui défita
& obfoléta amanc , fed ôprimos quofque épcimi asvi fcrip-
tôres, &c. Vojfms de Conftiutliône, pag. 409.
latiri
SENS ABSOLU, 241
îatiii refptccre , regarder ; parce que la chofe
dont on parle , en regarde , pour ainlî dire,
une autre \ elle en rapèle l'idée , elle y a
du raport , elle s'y rapbrte ; de là vient
relatif, de reftrre raporter. 11 y a des mots
Tclatifs, tels qu^ père ^ f/s , époux ^ &c;
îious en avons parlé ailleurs.
V.
Sens collectif, Sens DistKiBUtiF.
COllcffif vient du latin colligcre , qui
veut dire recueillir ^afcmbler, Difirihu-
if//^ vient de dijirihuere\ qui veut dire dif^
tribuer^ partager,
ha femme aime à parler : cela efl: vrai en
parlant des femmes en général jainfi le
mot ào. ftmme efl: pris là dans un fens col-
lectif: mais la propofition eft faufle dans
le i'ens diflributif, c'eft-à dire, que cela
n'eft point vrai de chaque femme en par-
ticulier.
L'home efi fujet à la mort \ cela efb vrai
dans le fen$ colle£lif , 6c dans le fens dif-
tributif.
Au lieu de dire le fens collet if '& le feni
Q
t4i SENS COLLECTîP.
diftributify on dit- auflî U fens général ôc U
fens particulier.
Il y a des mots qui font collectifs , c'eft-
à-dirc , dont l'idée repréfente un tout en
tant que compofé de parties acbuèlement
féparées , 6c qui forment autant d'unités
ou d'individus particuliers : tels font ar-
mée , répuhliqm , régiment.
I
VL
Sens équivoque, Sens louche.
L y a des mots & des propofitions équi-
voques. Un mot eft équivoque , lorf-
qu'il lignifie des chofes diférentes: corne
chœur , afîemblée de plufîeurs perfones qui
chantent ; cœur ^ paVtie intérieure des ani-
maux: autel y table fur quoi l'on fait des
lacrificcs aux Dieux 3 hôtel y grande mai-
fon. Ces mots font équivoques , du moins
<.lans la prononciation. Lion , nom d'un
animal jLw;^^ nom d'une conilellation ,
d'un (igné célefte \ Lyon , nom d'une ville.
Coin , forte de fruit \ coin^ angle , endroit j
coin^ inftrument avec quoi l'on marque
les monoics &: les médailles -, coin , inftru-
fnent qui fert à fendre du bois : coin ciV
SENS LOUCHE, 243
'encore un terme de manège , Sec.
De quelle langue l'oule^.-ojous 'vous fervir Molière,
avec moi ? dit le doclcnr Pancrace , parlant "^^'lagc
à Sganarèle : de U langue que f ai dans ma
bouche , répond Sga narèle -, ôii vous voyez
que ^-m: langue y l'un entend langage ^ idio-
7HC -, 6c l'autre entend , corne il le dit , la
langue que nous avons dans la bouche.
Dans la luite d'au raifonement , on doit
toujours prendre un mot dans le même
lens qu'on l'a pris d'abord , autrement on
ne raifoneroit pas jufte ^ parce que ce fe-
roit ne dire qu'une même chofe de deux
chofes ditérentes : car , quoique les termes
équivoques fe refTemblent quant au Ton,
ils lignifient pourtant des idées diféren-
tes \ ce qui eft vrai de l'une n'cil donc pas
toujours vrai de l'autre.
Une propofition eft équivoque , quand
le fujet ou l'atribuc prélcnte deux fcns à
l'efprit ; ou quand il y a quelque terme
qui peut fe raporter ou à ce qui précède,
bu à ce qui fuit : c'cft ce qu'il tant évi-
ter avec loin, afin de s'acoutumer à des
idées précifes^.
Il y a des mots qui ont une conftruc-
tion louche, c'eft lorfqu'un mot paroîc
d'abord fe raporter à ce qui précède, 6c
Q A
244 SENS EQUIVOQUE.
que cependant il Te raporte à ce qui fuiC t
par exemple , dans cette chanfon (i co-
nue, d'un de nos meilleurs opéra,
Tu fais charmer ,
Tu fais défarmer ,
Le Dieu de ia guerre ',
Le Dieu du tonerre
Se laiiTe euflamer.
Le Dkii dti îûncrre paroît d^abôrd être \t
terme de Tacliion de charmer 6c de défor-
mer ^ au ((î bien que k Dieu de la guerre i
cependant , quand on continue à lire, on
voit aifément que le Dieu da tonerre eft le
nominatif ou le fujet àcfelaijfe enjlaraer.
Toute conilruclion ambiguë , qui peut
fîgnifier deux chofes en même tcms, ou
avoir deux raports diférens, eft apeléc
éqaiiwque , ou louche. Louche eft une forte
d équivoque , fou vent facile à démêler.
Louche eft ici un terme métaphorique : car
corne les perfones louches paroiflent re-
garder d'un côté pendant qu'elles regar-
dent d'un autre , de même dans les conl-
truci:ions louches, les mots femblent avoir
un certain raport, pendant au'ils en ont
un autre ^ mais quand on ne voit, pas ai-
fément quel raport on doit leur donc^r,
SENS LOUCHE. 245
on dit alors qu'une propofîcion cfl équi-
voque, plutôt que de dire iimplemenç
qu'elle ell louche.
Les pronoms de la troidèrae perfone
font fou vent des fens équivoques ou lou-
ches, fur- tout quand ils ne le raportenc
pas au fil jet de la propofîcion. Je pourojs
en raporter un grand nombre d'exemples
de nos meiiiears auteurs , je me conten-
terai de celui-ci :
i> François I. érigea Vendôme en Du- J^^^^?>^'
» ché-Pairie en faveur de Charles de Bout- ^^i^cisâc
« bon ; 6c i/ le mena avec lui à la conquête Francs de
» du duché de Milan , où // fe comporta j ^''^^^°^
» vaillament. Quand ce Prmce eut eccbon.
» pris à Pavie, il ne voulut point accepter
M la régence qu'on lui propofoit : // fut
>î déclaré chef du confcii , il continua de
>5 travailler pour la liberté du Roi ,- &;
«quand il fut délivré^ // continua à le
M bien fervir.
11 n'y a que ceux qui (ont déjà au fait
de l'hiftoire , qui pu i lie démêler les divers
raports de ce Prince ^ ôi. de tous ces //. Je
croi qu'il vaut mieux répéter le mot, que
de fe fervir d'iui pronom dont le raparc
n'eil: aperçu que par ceux qui favent déjà
ce qu'ils lifent. On évicoit facilement ces
Qiii
i4v^ SENS EQUIVOQUE,
fens louches en latin , par les ufages dife-,
rens àc^ fuus^ ejus^ hic^ ilU^ is, ijie»
Quelquefois pour abréger, on fe con-
tente de faii'c une proportion de deux
membres , dont l'un cft négatif, & l'autre
affirmatif, &: on les joint par une con-
jonction : cette forte de conftruclion n'eft
pas régulière, &: fait fbuvent des équivo-
ques j par exemple:
ï'rem. édit, L'amour n'eft qu'un plaifir , & l'honeur un devoir.
in^fc^f^ L'Académie * a remarqué que Corneille
*Seiniraentdevoit dire :
îli le Cid. L'amour n'efl qu'un plaifir , l'honeur eft un devoir.
En éfet, ces mots neft que ^ du premier
membre, marquent une négation, ainfr
ils ne peuvent pas fe conftrnire encore
avec un devoir^ qui eft dans un fens affir-
matif au fécond' membre ; autrement W
femblcroit que Corneille, contre fon in-
tention, eût voulu méprifer égalemenc
l'amour & l'honeur. •
On ne fauroit aporter trop d'atention
pour éviter tous ces défauts ; on ne doit,
çcrire que pour fe faire entendre \ la néteté
& la précifion font la fin & le fondement:^
de l'art de parler 6c d'écrire,^
247
VII.
Des jeux de mots et de la Paronomase,
IL y a deux forces de jeux de mots.
I. Il y a des jeux de mots qui ne
confiftent que dans un équivoque ou dans
une àllufion, de j'en ai doné des. exem-
ples. Les bons mots qui n'ont d'autre fel
que celui qu'ils tirent d'un équivoque ou
d'une alluiion fade &: puérile , ne font pas
du goût des gens fenfés, parce que ces
mots-là n'ont rien de vrai ni de folide»
2. Il y a des mots dont la fignificatioiî
efl diférente , 6c dont le fon eft prefque
le même : ce raport qui fe trouve entre le
fon de deux mors, fait une efpèce de jeu,
dont les Rhéteurs ont fait une figure qu'ils rrypà, jux-
apèlent Paronomafes : par exemple, aw.t/;r ^^ ■ ''-^f »
*^ , r S ' r nomen.An-
res fimt amentes , les amans lont des inlen- nominitio,
fés : le jeu qui eft dans le latin, ne fe ^c,' jeudsmoti.
trouve pas dans le françois.
Aux funérailles de Marguerite d'Au- Entretiens
triche, qui mourut en couche, on fit une d'Arrift. &-
devife dont le corps étoit une aurore qui ^^^^' ^ "'
aporte le jour au monde, avec ces paro-
\cs, Dum p.iriû , pércû^ je péris en donani
te joiir,
qiv
:t48 DES JEUX DE MOTS,
Pour marquer l'humilité d'un home de.
bien qui fe cache en fefant de boncs œu-
vres , on peint un ver à foie qui s'enferme,
dans fa coque j l'ame de cette devife eft
un jeu de mots ; opêrîtur dnm opérât ur.
Dans ces exemples & dans plufieurs au-
tres pareils, le fens fubfifte indépenda-
ment des mots.
J'obferverai à cette ocafion deux autres
figures qui ont du raport à celle dont nous
venons de parler : l'une s'apèlc _/?W///^r
cadens; c'cfl quand les ditérens membres
ou incifcs d'une période îiniflènt par des,
cas ou des tems dont la termiiaaiion eft.
femblable : l'autre ^ 2.\^h\^ fimiUur définens ^
c'eft Icrfque les mots qui finiflènt les di-
ferens membres ou incifes d'une période
ont la même terminaifon , mais gnç ter-
minaifon qui n'eft point une défjnence de
cas , de tems ^ ou de perfone , come quand
on (X\tfaccrefoi'titer y & t'ivere târpher. Ces.
deux dernières figures font proprement la
même : on en trouve un jrrand nombre
d'exemples dans S. Auguftin. On doit évi-
ter les jeux de mots qui font vides de fens :
mais quand le fens fubfifte indépenda-
ment du jeu de mots, ils ne perdent rien,^
dç. leur mérjxe.
2 49
VIII.
Sens coMPost', Sens divis e\
Uand l'Evangile dii , les aveugles ^^a"- c.
f voient ^ les boiteux marchent ; ces ter- ' ^' ^-'
mes' les aveugles^ les boiteux^ fe p rêne ne
en cette ocalion dans le feas divifé , c'eil-
à-dire, que ce mot aveugles fe dit là de
ceux qui étoient aveugles , 2c qui ne le
font plus j ils Ç'QWt divifés , pourainfi dire,
de leur aveuglement , car les aveugles
çn tant qu'aveugles , ce qui feroic le fens
compofé , ne voient pas.
L'Evangile parle d'un certain Simon ^^^ç^ ^
apelé /t' lépreux^ parce qu'il i'avoic été , v. é.
ce il: le fens divilé.
Ainfi , quand S. Paul a dit que les ido- i. Cor. c.
lâtres n'entreront pas dans le royaume *^- ''• ^'
des cicux , il a parlé des idolâtres dans le
fens compofé, c'eft-à-dire , de ceux qui
demeureront dans l'idolâtrie. Les idolâ-
tres en tant qu'idolâtres n'entreront pas
dans le royaume des cieux : c'ell le fens
çompofi \ mais les idolâtres qui auront
quité l'idolâtrie, & qui auront fait péni-
tence , entreront dans le royaume des
cicux : c'cft le fens divifé.
ajô SENS DlFISr,
A pelle ayant expofé , félon fa coutume-^
un tableau à la critique du public , ua
cordonier cenfura la chauilure d'une fi-
gure de ce tableau ; Apelle réforma ce
que le cordonier avoit blâmé j mais le
lendemain le cordonier ayant trouvé à
redire à une jambe, Apelle lui dit qu'un
cordonier ne devoit juger que de la chauf-
furc ; d'oii eft venu le proverbe ^e fntor
ultra crépidam. fu^flc ^j/iidicet.
La récufation qu Apelle fit de ce cordo-
nier, étoit plus piquante que raifonable:
un cordonier, en tant que cordonier, ne
doit juger c^uç de ce qui eft de fon métier;
mais , fi ce cordonier a d'autres lumières,
il ne doit point être récufé^ par cela feul
qu'il eft cordonier: en tant que cordonier^
ce qui eft le fens compofé, il juge fi uï>
foulier eft bien fait Ôc bien peint ; &: en
tant qu'il a des conoifiances fupérieures à
fon métier , il eft juge compétent fur d'au-
tres points j il juge alors dans le fens di-
vifé, par raport à fon métier de cordonier..
Ovide parlant du facrifice d'Iphigénie-,
dit que rimérèt puhUc triompha de la tcn^
drejfe paternelle , le Roi 'vainquit le père :
©vM. Met. . . • . PoftquampietâtempLibliçaçsiLiÀv
tx.ii.v.z^. Rçxque patreoi viçit^.
SENS COMPOSE'. 151
Ces dernières paroles font dans un fens
divifé. Agamemnon Te regardant comç
Roi , étoufc les fentimens qu'il rcflenç
corne père.
Dans le fens compofé , un mot con-
ferve fa liirnification à tous ésiards, ôc
cette ligniîicatian entre dans la compodr
cion du fens de toute la pJirafe ; au liçu
que dans le fens divifé, ce n'eft qu'en un
certain fens , &: avec reffriction, qu'un
mot conlcrvc fon anciène lignification :
les aveugles voient^ c'eft-à-dire , ceux qui
ont ete aveugles.
I X.
Sens Lit eral,- Sens Spirituel.
iE fens lithnl efl: celui que les mots
excitent d'abord dans l'efprit de ceuî^
qui entendent une langue \ c'çft le lens
qui fe préfente naturèlemcnt à l'ej^rit.
Entendre une expreffion litéralcment ,
c'eit la prendre au pie de la lettre. Ou.t Auî^ufl'.
dicta fiint fecundum litteram acc^pere , id cft\ v^'^ ^^ l*
non dliter intelligere cjuàm littera fonat ; c'eft Xom. m,
le fens que les paroles fignifient immé-
diatement , is qttcm verha immédiate fignifi-
eant.
252 DIVISION
Le fens fpiriîuel ^ efl celui que le fens lî-
téral renferme , il efb enté , pour ainft dire ,
fur le fens litéral \ c'effc celui que les cho-
(ts lignifiées par le fens litéral font naître
dans Teiprit. Ainll dans les paraboles ,
dans les fables, dans les allégories , il y a
d'abord un fens litéral : on dit, par exem-
ple , qu'un loup & un agneau vinrent
boire à un même ruiffeau r que le loup
ayant cherché querèle à l'agneau, il le
dévora. Si vous vous atachez fimplement
à la lettre ^ vous ne verrez dans ces paro-
les qu'une fimple aventure arivëe à deux
animaux: mais cette narration a un au-
tre objet ; on a defTein de vous faire voir
que les foibles font quelquefois oprimés
par ceux qui font plus puifTans ; &: voilà
le fens fpirituel , qui efl toujours fondé
fur le fens litéral.
T)ivîfion du fens litéraL,
Le fens litéral efl donc de deux fortes :
1 . Il y a un fens litéral rigoureux ; c'eil le
fèns propre d'un mot , c'efl la lettre priie
, à la rigueur , 7?r/t;7^.
2. La féconde efpèce de fens litéral^
c'cll celui que les cxprcirions figurées.dont^
DU SENS LITERAL, 253
îions avons parlé prérencent nacarèlemenc
à refpric de ceux qui entendent bien une
langue , c'eft un fens litérai-fgurê \ par
exemple, quand on dit d'un politique
qu'// sème à propos la druifion entre fes pro-
pres ênemis -/ftrncr ne fe doit pas entendre
à la rigueur félon le lens propre , & de la
même manière qu'on à'\x fcr/icr dn blé : mais
ce mot ne laille pas d'avoir un fens lité-
ral , qui eft un fens figuré qui fe préfente
naturèiement à l'eiprit. La lettre ne doit
pas toujours être prite à la rigueur, elle
tue , dit S. Paul. On ne doit point exclure i- Cor. 5^
toute fignification métaphorique &. figu-^' ^*
rée. Il faut bien (c garder, dit S> Auguf-
tin , "* de prendre à la lettre une façon de
parler figurée, & c'eft à cela qu'il faut ;.
apliquer ce paiïage de S. Paul, la lettre
tue , d" Cefprit donc la vie.
Il faut s'atacher au fens que les mots
iexcitent naturèiement dans notre efprit ,
quand nous ne fomcs point prévenus , &
que nous fomes dans létat tranquile de
ia raifon ; voilà le véritable fens litéral-
* In priiiclpio càvcndum eft ne figurâcam locutionem ad
iirïiam accjpias ; & ad hoc eiiim pértinec quod ait Apof-
tolus , Utero, oc ci dit y fpiritus autcm vivificat, Au^tifi. de
Podr. Chrift, |. j. c. j. t. m. Pariiîis 1 6'ij.
154 DIVISION
figuré, c'ell celui-là qu'il faut doner aux
loiXj aux canons, aux textes des coutu-
mes , bc même à l'Ecriture Sainte.
Luc. c. 5). Quand J. C. a dit que ccini qui met U
^- ^-- main à la charue , & qui regarde derrière lui ,
neji point propre pour h Koyaume de Dieu >
on voit bien qu'il n'a pas voulu direqu'uii
laboureur qui en travaillant tourne quel-
quefois la tête , n'eft pas propre pour le
ciel : le vrai fens que ces paroles préfen-
tent naturèlement à l'efprit , c'eft que ceux
qui ont comencé à mener une vie chré-
tiène, & à être les difcipleS de Jéius-
Chrjft, ne doivent pas changer de con-
duite, ni de doctrine, s'ils veulent êtte
fauves-, c'eft donc là un fens litéral-figuré.
m 11 en eil de même de ces autres paiïages
* Matt. c. de l'Evangile , où J. C, dit , "^ de préfen-
5- V. ?9. J.ÇJ. j^ JQj^j^ gauche à celui qui nous a fra-
** ibii. V. pés fur la droite , ** de s'aracher la main
i9- 5^- ou l'œil qui eft un fujet de fcandale ; il
faut entendre ces paroles de la même ma-
nière qu'on entend toutes les exprelîions
métaphoriques ôc figurées : ce ne feroit
pas leur doner leur vrai fens , que de les
entendre félon le fens litéral pris à la ri-
gueur j elles doivent être entendues félon
la féconde forte de fens litéral qui réduic
DU SENS LITERAL 255
toutes ces façons de parler figurées à leur
jufte valeur, c'eft-à-dire, au fens qu'elles
avoient dans refprit de celui qui a parlé,
6c qu'elles excitent dans refprit de ceux
qui entendent là langue où l'expreiîion
figurée eft autorifée par l'ufagc. ^ » Lorf-
'î que nous douons au blé le nom de Ceres^
»3 dit Cicéron , & au vin le nom de Bac-
M chus 5 nous nous fer vous d'une façon de
55 parler ufitée en notre langue , ôc perfone
>5 n'efl afïez dépourvu de fens pour pren-
M dré ces paroles à la rigueur de la lettre.
On fe fert dans toutes les nations poli-
cées , de certaines expreiîions ou formules
de politefîe, qui ne doivent point être
prifes dans le fens litéral-étroit. fat l'ho-
netiY de ,» . Je 'vous haife les mains : Je fuis
"votre tres-huinble ô" très- ohajfani ferviteur»
Cette dernière façon de parler, dont on
fe fert pour finir les lettres, n'eft jamais
regardée que come une formule de poli-
teSe.
On dit de certaines pcrfones, c''efi un
fou , c'eft une foie : ces paroles ne marquent
* Cum fruges Cérerem, vinum Liherum Hicimus, génère
nos cjuidcni (ermonis luimur ufitâto : fcd ccquem tair.
amciuem cfTe putas qui 5:c. Cic. de Nat. Deor. 1. 3 . n. 41-
dlircr XV f.
256 DIVISION
pas toujours que la perfône dont on parle
ait perdu refprit au point qu'il ne refte
plus qu'à l'entcrmer -, on veut dire feule-
ment que c'eft une perione qui fuit fes ca-
prices , qui ne fe prête pas aux réfle-
xions des autres , qu'elle n'eil pas toujours
maîtrelle de fon imagination , que dans
le tems qu'on lui parle elle eft ocupéc
ailleurs , &: qu'ainfi on ne fauroit avoir
avec elle ce comerce réciproque de pcn-
fées &: cie fentimens, qui tait l'agrément
de la converfation & le lien de la fociété.
L'home fage eft toujours en état de tout
écouter , de tout entendre , ôc de profiter
des avis qu'on lui donc.
Dans l'ironie , les paroles ne fe prènent
pointdanS le fens litéral proprement dit;
elles fe prènent félon le fens litéral-figuré,
c'eft-à-dire, fclon ce que fignifient les mots
acompagnés du ton de la voix 6c de tou-
tes les autres circonftances.
Il y a fouventdans le langage des homes
un lens litéral qui eft caché, & que les
circonftances des chofes découvrent: ainft
il arive fouyent que la même propoiition
a un tel fens dans la bouche ou dans leS
écrits d'un certain home, & qu'elle en à
uii autre dans les difcours éc dans les
OLivra'j^vo*
DU SENS LITERAL. 257
©uvrages d'un autre home : mais il ne faut
pas légèrement doner des fens déiavaJita-
geux aux paroles de ceux qui ne penfent
pas en tout corne nous -, il faut que ces
lens cachés foient fi facilement déve-
lopés par les circonftances , qu'un home
de bon fens qui n'eft pas prévenu ne puillè
pas s'y méprendre. Nos préventions nous
rendent toujours injufles, & nous font
foLiverit prêter aïix autres des fentimens
qu'ils détellent auiîi {incèrement que nous
les déteftons.
Au refte, je viens d'obferver que le
fens litéral-figuré eft celui que les paroles
'excitent naturèlement dans rcfprit de
ceux qui entendent la langue ou l'expref-
fion figurée eft: autorifée par l'ufnge: aind
pour bien entendre le véritable fens lité-
jal d'un auteur, il ne fufit pas d'entendre
les mots particuliers dont il s'efl fervi , il
faut encore bien entendre les façons de
parler ufitées dans la langue de cet au-
teur ; fans quoi , où l'on n'entendra point
le paiTage, ou. l'on tombera dans des con-
tre-fens. En françois, doner parole ^ y ci\t
dire promettre ; en latin , verha darc , ligni-
fie tromper : Pœ/ias dare alicui , ne veut pas
dire doncr de la peine à quelqu'un , lui
25^ DIVISION
faire de la peine , il veut dire au contiMÎi'^
êire f uni far qucLqiitm^ lai douer la latis-
fadtion qu'il exige de nous, lui doncr
notre fupiice en payement, corne on paye
t. i.tieg. ""C amende. Quand Properce dit à Cin-
î- V. 5. thie , dahis mihi perjida. fœnas^ il ne veut
pas dire perfide , vous m'alez, eau fer bien des
tofirmens , il lui dit au contraire , qu'il la
fera repentir de fa perfidie.
Il n'eft pas polFible d'entendre le fens
litéral de l'Ecriture Sainte , fi l'on n'a au-
cune conoifTance des hébraïfmes ôc des
hellénilmes, c'e il: -à-dire, des façons de
parler de la langue hébraïque û. de U
langue grèque. Lorlque les inteprètes tra-
duisent à la rigueur de la lettre, ils ren-
dent les mots ôc non le véritable fens .-
de là vient qu'il y a, par exemple , dans
pfâl. 55. les Pfeaumes piulieurs verfets qui ne font
^- ■?* pas intelligibles en latin. Montes Del, ne
veut pas dire des montagnes confacrées a
Dieu , mais de hautes montagnes.
Dans le Nouveau Teftamcnt même il
V a piulieurs palTages qui ne fauroient être
entendus, fans la conoiflàncc desidiotil-
mes, c'cft à-dire, des façons de parler des
auteurs originaux. Le mot hébreu qui ré-
pond au mot latin ver hum , fe prend ordi-
bu SENS LITERAL. 159
bairement en hébreu pour chofe iignifiée
par la parole ; c'eft le mot générique qui ré-
pond à mgotiumowres des Latins. Tranfea- Luc. c i.
mus Hfcjiie Bethléem, d^ videamus hoc verbum ^' ^ ^'
ïjuodfaclum eJiiVâCCons jufqu'à Bethléem, ôc
voyons ce qui y eft arivé. Ainfi lorfqu'au
3^. verfet du chapitre 8. du Deutéronome,
il eft dit {Deus) dédit tihi cihtim 7nanna.
qmd ignorahas tu. ^ patres tui , ut oflénderet
îihi quod non in Jolo pane "vivat homo , fed in-
omni verbo quod egréditur é/è ore Dci. Vous
voyez que in omni l'erbo fignitie in omni re,
c'eft-à-dire , de tout ce que Dieu dit , oii >
•veut , qui ferve de nouriture. C'eft dans ce
même icns que Jéfus-Chrift a cité ce paf-
fage : le démon lui propofoit de changer
les pierres en pain, il n eft -pas néceflaire
de taire ce changement, répond Jéfus-
Chrift , car l'home ne ijrt pas feulement de -^^^^ ^
pain , ilfe nourit encore de tout ce qui plaît à v. 4.
Dieù de lui dbner pour nùuriture , de tout ce
que Dieu dit qui fervira de nouriture ; voilà
le fens litéral ; celui au'on done comuné-
ment à ces paroles . n'cft qu'un fens moral.
Divijion du fens fpirttueL
Le fens fpirituel eft aufîl de pludeur*;
260 DIVISION
fortes, r. \.q. fens moral ^ z.'Ltfensnllcgvri'
^fie ^ 3. \^ç. fcns anagogique,
I. Sens mer al.
1l.ç: fens moral eft une interprétation fé-
lon laquelle on tire quelque inftruction.
pour les mœurs. On tire un fens moral
des hiftoires » des fables , &;c. Il n'y a rien
de fi prophane dont on ne puiiïe tuer des
moralités, ni^|ien de il férieux qu'on ne
puilFe tourner en burlefque. Telle eft la
liaifon que les idées ont les unes avec les
autres : le moindre raport réveille une
idée de moralité dans un home dont le
goût ell: tourné du côté de la morale \ tsi
au contraire celui dont l'imagination aime
le burlefque , trouve du burlefque par-
tout.
Thomas \v^alleis, Jacobin Angîois , fie
imprimer vers la fin du XV^. fiècle, à
l'ufage des Prédicateurs une explication
morale des métamorphofes d'Ovide. ^
Nous avons le Virgile travefti de Scaron.
* MetamorphôfîsOvidiâna morâliter à MagiftroThoma
Walleis Anglico , de profertîône prardicatôrum fub S. Do-
minico, cxplanàta. Ce livre rare fut traduit en 1484. V. le
P. Echard, T. i p. 508. & M. Maiccaire , Anualcs Ty[Hi
graphiques , T. i, p. 17^.
DU SENS SPIRITUEL 261
Ovide n'avoic point penfé à Li morale
que Walleis lui prête -, &C Virgile n'a ja-
mais en les idées burlefcjues que Scaroii
a trouvées dans Ton Enéide. Il n'en eft pas
de même des fables morales ; leurs au-
ceurs mêmes nous en découvrent les mo-
ralités ; elles font tirées du texte come
une conféquencc eft tirée de fon prin-
cipe.
X. Sens Allégorique.
Le feKs allégorique fe tire d'un difcours,
qui , à le prendre dans fon fens propre ,
fignifie toute autre chofc : c'eft une hif-
Eoire qui eft l'image d'une autre hiftoire ,
ou de quelqu'autre penfée. Nous avons
déjà parlé de l'allégorie.
L'efprit humain a bien de la peine à de-
meurer indéterminé fur les caufes dont il
voit, ou dont il re{tent les éfets : ainfi lorf-
qu'il ne conoit pas les caufes , il en imagi-
ne, ôclevoilàfatisfait. Les Païens imaginè-
rent d'adord des caufes frivoles de la plu-
part des éfets naturels : Tamour fut Féfetj
d'une divinité particulière : Prométliée
vola le feu du ciel : Cérès inventa le blé:
Bacchus le via, &c. Les recherches exac-
tes font trop pénibles , êc ne font pas à la
262 DIVISION
portée de tout le monde. Quoi qu'il en
Ibit, le vulgaire fupcrjtitieiix , dit le P. Sa-
* Pocfies naûon , ^ fut la dupe des: vifionairts qui in-
dHor.T.i. ventèrent toutes, ces fables,
p- 5^4- Dans la fuite , quand les. Païens, comen-
cèrent à fe policer 6c à faire des réflexions,
fur ces hiftoires fabuleufes , il fe trouva
parmi eux des myftiqucs qui en envelo-r
pèrent les abfurditës fous le voile des allé-
gories & des fens figurés , auxquels les
premiers auteurs de ces fables n'avoienp
Jamais penfé.
Il y a des pièces allégoriques en profe.
& en vers : les auteurs de ces ouvragesi
ont prétendu qu'on leur donât un fcns
allégorique ; mais dans les hiftoires , 6c
dans les autres ouvrages dans lefquels il ne
paroît pas que l'auteur ait fongé à l'allégo-
rie, il eft inutile d'y en chercher. 11 faut
que les hiftoires dont on tire enfuite des
allégories, aient, été compofées dans la
vue de l'allégorie ; autrement les explica-
tions allégoriques qu'on leur donc, ne
prouvent rien , 6c ne font que des aplica-
tions arbitraires dont il eft libre à cha-
cun de s'amufer comc il lui plaît , pourvu
qu'on n'en tire pas des conféquences dan-
gercufcs.
DU SENS SPIRITUEL. 2(^5
Quelques auteurs * ont trouvé une*indiculus
imao:e des révolutions arivées à la lanirue ^'_^^'^^°'
1-1 1 T -vT T 1 ^1 chronolo-
latine, dans la itatue'^* que Naouchodo- gicus,inia-
nofor vit en fonge j ils trouvent dans ce ^i^ïTl^cfau-.
fonge une allégorie de ce qui devoit ari- *** Daniel
ver à la langue latine. i. v. 51.
Cette ftatue étoit extraordinairemerïC
grande ; la langue latine n'étoit-elle pas
répandue prelque par-tout.
La tête de cette ftatue étoit d'or , c'cft
le fiècle d'or de la langue latine j c'efl; le
cems de Térencc , de Céfar , de Cicéron ,
de Virgile i en un mot , c'eft le liècle d'Au-
gufte,
La poitrine & les bras de la flatue
étoient d'argent ^ c'efl le fiècle d'argent
de la langue latine j c'clt depuis la mort
d'Augufte jufqu'à la mort de l'Empereur
Trajan , c'ell; -à-dire^ julqu'environ cent
ans après Augudc
Le ventre & les cuiffes de la ftatue
ëtoient d'airain • c'efl: le liècle d'airain de
la langue latine ^ qui comprend depuis la
mort de Trajan , jufqu'à la prife de Rome
par les Goths , en 4 1 o.
Les jambes de la ilatue étoient de fer ,
& les pies partie de fer 6c partie de terre ;
ç'çft le fièclç de fer de U langue latine ,
Riv
2.64 DIVISION
* pendant' lequel les diférences incurfions.
des barbares plongèrent les homes dans
une extrême ignorance j a penie la langue,
latine fe conierva-t-elle dans le langage.
deTEglife.
Enfin une pierre abatit la fl-atue*, c*e{t.
k kngue latine qui çefla. d'être une lan-
gue vivante.
C'efl: ainfi qu'on raporte tout aux idées
dont on eft préocupé.
Les fcns allégoriques ont été autrefois,
fort à la mode, & ils. le font encore ea
Orient ; on en trouvoit par-tout jufques.
Huet. Oi:-<^âi"'S Ics nombres. Métrodore deLampfa-
gcnianor. quç , au rappit de Tatien, avoit tourné
.■,^n^^!t/ Homèretoutcntierenallé2;ories.Onaime.
Traité du mîeux aujourd'hui la réalité du lens lité-
fens htérai j-^[^ £^3 explications myftiques de l'Ecri-
& du fens _ . ^ . r ■ ■ r <
m/ftique, tiirebainte, qui ne iont point hxees par.
iiloniado-les Apôttcs , ni établies clairement par la.
p/*"5^^p!^_ révélation, fontfujètes à des illufions qui.
ris,cliezja-m.ènenr au fanatiime,
cjaes Vin-
Ç-cnt. -, .
3,. oens Afiâgogiû^uç,
Le fms nmigogicjuc n'eft guère en ufagc,
que lorfqu'il s'agit à^s diférens fens de.
l'Ecriture Sainte, Ce mot anagogiquç, vient,
BU SENS SPIRITUEL. 265
du grec a'a7W7>', quî veiit àircélévadon : «Va,
dans la compofition des mots, fjgmtie
foLivenc , aii-dcffus ^ en haut , ho=->-^ veut dire
conduit a de h^ , ]e conduis ; ainii le fens ana-
gogique de l'Ecriture Sainte eft: un fens
myftique, qui élève refprit aux objets cè-
le ilcs 6: divins de la vie érernèle dont les
Saints jouiiîent dans le ciel.
Le fens Hier al efl le fondement des au-
tres iens de l'Ecriture Sainte. Si les expli-
cations qu'on en donc ont raport aux
mœurs, c'eft le fens moral.
Si les explications des pafîages de l'an-
cien Teftament reo;ardent TEelife & les
myftères de notre Religion par analogie
ou reficmblance , c'eil le fens allégori-
que ; ainfî le facrifice de l'ag^neau pa'cal ,
le ferpent d'airain élevé dans, le défert,
étoient autant de fiîrures du lacrificc de la
croix.
Enfin, lorfque ces explications regar-
dent l'Eglife triomphante & la vie des
bienheureux dans le ciel, c'eft le fens
analogique j c'eft ainfi que le fabat des
Juifs eft regardé come l'image du repos
éternel des bienheureux. Ces diférens
fens , qui ne font point le fens litéral , ni
le fens moriil , s'apèlent aulTi en général
266 DIVISION
fens trofologiqtce , c'eft- à-dire , fens figure.
Mais corne je l'ai déjà remarqué , il faut
fuivre dans le fens allégorique & dans le
fens anagogique ce que la révélation nous
en aprend , & s'apliquer fur-tout à l'intel-
ligence du fens litéral , qui eft la règle in-r
faillible de ce que nous devons croire ^
pratiquer pour être fauves^
Du Sens adapte',
ou que l^on donc par alltijion»
OUelquefois on fe fert des paroles de
l'Ecriture Sainte ou de quelque au-
teur profane , pour en faire une aplica-
tion particulière qui convient au fujec
dont on veut parler , mais qui n'eft pas le
fens naturel 6c litéral de Tauteur dont oa
les emprunte, c'eft ce qu'on 2.^h\Q fenfus.
Âccommodatitiits y fens adapté.
Dans les panégyriques des Saints ôC
dans les Oraifons tunèbres , le texte du
difcours eft pris ordinairement dans le
fens dont nous parlons. M. Fléchier dans
fon Oraifon funèbre de M., dç Turèae^
DU SENS ADAPTE'. 2^7
fipliqne à Ton héros ce qui cfb dit dans
l'Ecriture à l'ocafion de Judas Machabée
çjui fut tué dans une bataille.
Le P. le Jeune de l'Oratoire, fameux
miiliouaire , s'apeloit Jean j il ëtoit de-
venu aveugle : il fut nomé pour prêcher
le carême à Marfcille aux Acoules ; voici
le texte de Ion premier iermon : Fuit homo Joann.c f.
mijjus à Di'O y eut nomen erat Jodnncs ; non ^' ^'
(rat ille Ittx , fcà ut teftimon'mm perhibcret de
li'tmine. On voit qu'il iefoit alluilon à loa
nom hc à fon aveuglement.
Remarques fur quelques pajfagcs adaptés
À contY.e-fcns.
Il y a quelques paiïagcs des auteurs
profanes qui font corne pafïes en prover-
bes, 2c auxquels on donc comunément
un fens détourné qui n'efl pas précifé-
ment le même fens que celui qu'ils ont
dans l'auteur d'oii ils iont tirés ; en voici
des exemples :
I. Quand on veut animer un jeune
home à faire parade de ce qu'il fait, ou
blâmer un favant de ce qu'il fe tient dans
l'obfcurité , on lui dit ce vçrs de Pcrfe :
Scire cuum nihil eft, nifi te fcire hoc fciat alcer î ^«^^^- Sat.i,
V. 17.
268 DU SENS ADAPTEE
Toute votre fcience n'eft rien , fî les au-
tres ne favent pas combien vous êtes fa-
vant. La pcnlée de Perfe eft pourtant de
blâmer ceux qui n'étudient que pour faire
enkiite parade de ce qu'ils lavent. O
tems ! o mœurs ! s'écrie- 1- il , ejl-ce do^nc pour
la gloire que udus ^âlî[[iz, fur les livres ! Qjioi
donc ? croyez,- vous que la fcience neft rien ,
4 moins que Us autres ne fâchent que vous
êtes f avant î*
rcrf. Sat. ^^"^ pallor , feniumque : O mores 1 ufque adeons
I . V. i7. Scire tuum nihil eft , nifi te fcire hoc fciat alter l
Il y a une interrogation & une flirprife
dans le texte , ôc l'on cite le vers dans ua
fens abfolu.
2. On dît d'un home qui parle avec
cmphafe, d'uri ftyle empoulé & recher*
çhé, que
Hor, Art. Projicit ampuillas & fefquipedàlia verba :.
il jète , il fait fortir de fa bouche des pa-
roles enflées 6v des mots d'un pié ôc demi.
Cependant ce vers a un fens tout con-
traire dans. Horace. >5 La tragédie , dit ce
"Poète, ne s'exprime pas toujours, dim
" ftyle pompeux &; élevé : Télèphe &
>5 Pelée, nous, deux pauvres, tous deuit^
DU SENS ADAPTE'. 2(^9
'iî chaiîes de leurs pays , ne doivent point
'»i recourir à des termes enflés , ni fe fer-
>î vir de grands mots : il faut qu'ils fafîènt
*3 parler leur douleur d'un ftylc iimple &;
^'naturel, s'ils veulent nous toucher, èc
^5 que nous nous intérelîîons à leur mau-
«i vaife fortune j « ainfi projicit , dans Ho-
race , veut dire il rejeté.
Et trâgicus pleramqae dolet fermone pedéftri Hor. Art.
Télephus & Peleus , cum pauper 6c exul luér- ^^°^^- ^'^z'*
que
Projicit ampùllas & fefquipedâlia verba >
Si curât cor fpedântis terigille queréiâ.
M. Boileau nous done le même précepte :
t^jue devant Troie en flame, Hécube défolée Art. Poer.
Ne viène pas pouffer une plainte empoulée. ^ ^^^' ^'
Cette remarque , qui fe trouve dans la
plupart des Comentateurs d'Horace, ne
devoir point échaper aux auteurs des Dic-
tionaires fur le mot proj/cere.
3. Souvent pour excufer les fautes d'un
habile home , on cite ce mot d'Horace :
. . . Quandôqu^ bonus dormitat Homérus -, Hor. Art.
Pocc.v.35^
Corne H Horace avoit voulu dire que le
lyo DU SENS ADAPTE.
bon Homère s'endort quelquefois. Mais
qudndoauct^ là ^àwï qtiandocunque ^ toutes
les fois que \ &C bonus eft pris en bone part.
" Je fuis fâché , dit Horace , toutes les
" fois que je m'aperçois qu'Homère ^ cet
» excélent Poète, s'endort, fe néglige j
»3 ne fe foutient pas.
Indignor quànd^que bonus dormitat Homérus;
M. Danct s'eft trompé dans l'explication
qu'il à.o\\ç. de ce paffige dans fon Diclio-
riaire latin-françbis fur ce mot quiindoqitc.
4. Enfin pour s'cxcufer quand on ell
tombé dans quelque faute , on cite ce
vers de Térence:
Heaot aft Homo funi , humani nihil à me aliénum puro ,
1. le. I. V. Cqj^c fî Térence avoit voulu dire , je fuis
home , yV ne Juis point exempt des foiblejjes de
r humanité ^ ce n'eft pas là le fens de Té-
rence. Chrêmes, touché de l'afliction oii
il voit Ménédème fon vôifin, vient lui
demander quelle peut être là caufe de fon
chagrin &: des peines qu'il fe done : Mé-
nédème lui dit brufquement, qu'il faut
qu'il ait bien du loifu* pour venir fe mêler
des afaires d'autrui. ^5 Je fuis home , ré-
» pond tranquilement Chrêmes ; rien de
»5
DU SENS ADAFTÉ\ 171
«tout ce qui regarde les autres homes
>î n'eft étranger pour moi , je m'intëreilc
iï à tout ce qui regarde mon prochain,
" On doit s'étoner, dit Madame Da-
•» cicr , que ce vers ait été fî mal entendu,
»j après ce que Cicéron en a dit dans le
>5 premier livre des Olices.
Voici les paroles de Cicéron : Ejt enim i.OfFn.ij,
dijjtciiis cura, rerum alienarum , (juaricjuam ^ ^^^^ ^^^
T^ erentiânus ille Chermts hummi nihil à Je
^liénumptitat. J'ajouterai un pafîage deSé-
nèque, qui eft un comentaire encore plus
clair de ces paroles de Térence. Sénèque,
ce Philofophe païen , explique dans une
de Tes lettres , cornent les homes doivent
honorer la majefté des Dieux ; il dit que
ce ntfi (jtien croyant en eux , en pratiquant
de ho ne s œuvres y dr en tachant de les imiter
dans leurs perfeBions , cfuonpeut leur rendre
un culte agréable \ il parle enfuite de ce
que les homes fe doivent les uns aux au-
tres. " Nous devons tous nous regarder ,
♦î dit-il , corne étant les membres d'un
^> grand corps ; la nature nous a tous ti-
»3 rés de la même fource , & par là nous a
>3 tous faits parens les uns des autres ; c'eft
« elle qui a établi l'équité &: la juftice.
»> Selon l'inftitution de la nature , on eft
27^ DU SENS ADAPTE'.
ti plus à plaindre quand on nuit aux au-
« très , que quand on en reçoit du doma-
îî ge. La nature nous a doué des mains
55 pour nous aider les uns les autres j ainli
« ayons toujours dans la bouche &. dans
M le cœur ce vers de Térence ,/Vy^/V ho.'^^e^
» rk-» de tout ce qui regarde les bornes ntjî
55 étranger four r^ioi, *
Il eft vrai en général que les citations
iSc les aplicacions doivent être juftes au-
tant qu'il eft poffible j puifqu'autrement
elles ne prouvent rien ^ &: ne fervent qu'à
montrer une faufîe érudition ; mais il y
auroit bien du rigorifme à condaner tout
fens adapté.
Il y a bien de la diférence entrt raportet
un paflage corne une autorité qui prouve ,
* Quômodo fiiit Dii coléndi foict pr<Kcipi .... Deuni
colit qui novit Primus tù Deôrum cultus , Deos
crédere, deindc léddere illis majeftâtem fuam, réddere bo-
nitâtem fmc c]uâ iiuUa màjcftas cil : vis Deos propiriâvc ,
bonus efto. Satis illos coluit cjaifquis imitâcus eft. Ecce al-
téra quxftio , quomodo homînibus fît uréndum .... 1
poflim bréviter haiic fôrmulam humâni oiFicii trddere . . .
. . . membra furaus côrporis magni , natûia nos cognâcos
cdidir , cum ex iifd'.-m & in idem * gigneret. Hxc no'oi';
araôiem Indidic mù'-uum& fociâbilesfecit jillaxquum ju' -
tûmque compôfuit : ex illius conllitutione miférius eft n(5 -
cérc quam Icedi ; & illius império parârx funt ad juvân-
dum manus. Ifte verfus & in pédore & in ore fit , boiro
[nm , hiimânï nihil a me aliénumfttto. Habeâmus in cbm-
œuiie j qaod nati fumas. Sente JL'^. xcv. * officia.
oii
bu SENS ADAPTE'. 273
'où fimplemenc corne des paroles conucs ,
auxquelles ou donc un fens nouveau qui
convient au lujec donc on veut parler;
dans le -premier cas, il faut confervcr le
fens de rauceur -, mais dans le fécond cas ,
les partages , auxquels on donc un iens
diférenc de celui qu'ils ont dans leur au-
teur, font regardés corne autant de paro-
dies , & come une. forte de jeu donc il
eil fouvent permis de faire ufagc.
Sf4ite du fins adapte.
De la PàrCdie et des Centons.
LA Parodie eft auiïî une forte de fens Athénée, i.
adapté. Ce mot efb grec , car les Grecs H & i j.
ont fait des parodies,
Paro lie * fîgnifie à la lettre un chant
compofé à l'imitation d'un autre, ôc par
extenlion on dône le nom de parodie à
* Wcicot^lx , cânticum. R. -rupi , juxta , & w/i' , canrus ,
caimen. Cânticum vel caimcn ad alcérius fimilitûdinem
eompôntum, cum altérius poéts verfus jocosè in âliud
aii;i.unéntum tiansfcrûntur. ^
Eft ctiam parodia , Hermogeni , cùm quis , ubi paitc.:^ ,
âliquam verfus prôtulit , réliquum, à fe , id eft , de fuo,
braciône Tolûtâ elôquitur , Jkobtrtfon. Th. ling. grxc, t.
' un ouvrage en vers, dans lequel on dé-
tourne, dans un fens railleur, des vers
qu'un antre a faits dans une vue diféren-
te. On a la liberté d'ajouter ou de re-
trancher ce qui eft nécelTaire au deiTein
qu'on fe propofe j mais on doit confcrver
autant de mots qu'il eft nécelfaire pour
rapelet le fouvenir de l'original dont on
emprunte les paroles. L'idée de cet origi-
nal ôcl'aplication qu'on en fait à un fujet
d'un ordre m.oins férieux, forment dans
l'imagination un contrafte qui la fur-
prend , &; c'eft en cela que conlifte la
plaifanterie de la parodie. Corneille a dit
dans le ftyle grave, parlant du père de
Chimène :
Le Cid.aâ. Ses rides fur fon front ont gravé £cs exploirs.
Racine a parodié ce vers dans les Plai-
deurs : l'Intimé parlant de Ion père qui
étoit fergent, dit plaifament :
Les Plaid. H gagnoit en un jour plus qu'un autre en fix mois ,
aQ.iAc. 5. 5g5 rides fur fon front gravoient tous fes exploits.
Dans Corneille , exploits fic;nifîe actions
mémorables , exploits militaires ; ôé dans les
Plaideurs, f'.Y/'/^i/j fc prend pour /i'/ actes
Qw procédures que font Icsfergens. On die
■DU SENS ADA?TE\ 275
que le ^rând Corneille fut ofenfé de cette
plailantcrie du jeune Racme,
Au refte, l' Académie a obfervé que les Seaûmtni
rides marquent les années : m dis ne gravent j-J ,- ,
point les exploits. vèisduCiJ.
Les vers les plus conus , font ceux qui
font le plus expofés à la parodie. On
trouve dans les dernières éditions des œu-
vres de Boileau, une parodie ingénieufc Tom. z. p
de quelques fcènes du Cid. On peut voir j^^^'^^V"^"
auili dans les Poëfies de Mad. des Hou- dcsHoîI
lièrcs une parodie d'une Cchne de la même tdit. àc
tragédie. Le Théâtre Italien eft riche en ;7^^ î^S-
parodies. Le Poëme du Vice Puni ell "'
rempli d'aplications heurcufes de vers de
nos meilleurs Poètes: ces aplications font
autant de parodies.
Les Centons font encore une forte K/fT^!-,
d'ouvrage qui à iraport au fens adapté. "''';°' "^■'^.':
Lento en latin lignine , dans le lens pro- paimiscon-
pre, urie pièce de drap qui doit être cou- farcinàca,
fue à quelqu'autre pièce, ôc plus foUvent pj^^o "
un manteau ou un habit fait de dii"érentes
pièces taportécs : cnfuite on a doné ce
nom , par métaphore , à uii ouvrage com-
pofé de plufieurs vers ou de plufieurs paf-
fages empruntés d'un ou de plufieurs au-
teurs. On prend ordinairement la moitié
Sij
ijè SUITE
d'un vers , & on le lie par le fens avec la
moitié d'un autre vers. ^ On peut em-
ployer un vers tout entier &: la moitié du
iuivant, mais on délaprouvc qu'il y ait
deux vers de fuite d'un même auteur.
Voici un exemple de cette forte d'ou-
vrage ^ tiré des centons de Proba Falco-
nia. § Il s'agit de la défenfe que Dieu fit
à Adam '6i à Eve de manger du fruit
défendu ; Proba Falconia fait parler le
* Vâiiis de locis , fcnfîbûfque cîivérfis , quscJam câr-
hiiais ilru(fliiia roiidârnr , in unuin verfom ut côeant
caefi duo , aut uiius & fequens cum médio : nam duos
junccim locârc ineptum ell: , & trcs , unâ fcrie, , racix
MUgx fcnfus divérfi ut côiigruant ; adopcivâ qua:
funt, ut cognâta vidcântur ; aîténà ne interli'iccant \ hialca
ne pâieant. Anjotiius Paulo. Eniih o^ua pr&légi:ur anu
lEdyli. XIII.
§ Piobx Falcônix vatis clan'llîmx à S. Hierônymo
comprobâ:a: centônes de fidci noftrx myftcriis, c Marôriis
carm:nibus , &c. Parihis , apud ./Egidiuni Goibiaiim 1 576.
f. 17. in-'i. hem Parilris , apud Prai'icircum SrcphànJm.
M45-
Lti centons de Proba Falconia fe trouvent i'HJfi dzns Bi-
blio:héca Patrum , Tom. 5. Lugdûni id-j-;. Voici ce qui c^
■ait de cette fa,viinte ^ f!enfe Dame dans l'Index Autlo-
rnm Bib!. Patr. Tom. i. Proba Falconia uxor
non Adciphi Prôcônfulis , uc fcribic Ifldorus , fed Anicii
Probi Prxlcclri Pixtôrio", pôfteà Côiifulis , mater Probîni,
Olibrii , 8c Probi , fimiliLer Cônfulum. De quâmulta Hic-
rônymus Epift. S. & P.arônius , Tom. 4. & 5. Annâlium.
Scripfiu Virgiiio-centor-es qui extant fol. liiS. Flôrui:
non fub Theodôfio juniorc , u: viiit Sixtus Scncnfîs , fr-J
(ub Gradàno.
DU SENS AD-APTE\ 277;
Seigneiu- en ces termes, au chapitre xvi.
A. z. 711. Vos farnuli quac dicam âuimis advcrcice vef-
tiis :
1, il. Ffl in confpediu "^ ramis felicibus arbpr q ,^ gj_
7. 6ç)t. Qu/im neque fas igni cuicjuam nec ftçnierc
fdrro,
7. <Jo8. Relligiône frtcr^.* nuiicjuam concElTamovcJii. ^_ ,_ _f,o.
II. 591. Hàc quicumque facrw * deccipferic âibore ^ j . j_^
foetus ,
II. 849. Morte lact mérit.î, '^ nec me fcntcntia vertit^ i. 141.
G. 2. 515. Ncc tibi tam prudens (juifquaru peiTuâdeat
auror
Ec S. 48, Commaculâie manus. * Liccat te voce monéri , ^^t.
G. 5. Il 6. FémïiiZ , ^ nullÎMs te blandafu.i^o 'vincat y
G. I. 168. Si te digna mançc divini gJôiif raris.
Nous avons auiîi les centons cl'Et;iène de
Pleutre * ôc de quelques autres. L'Empe Aufon. Eo.
reur Valcntinien ^ an raport d'Aufone , ^^''-'^^ -^y^^-
s'étoit aulFi amufé à cette lorrc de jeu : ^^''"
mais il vaut mieux s'ocuper à bien peu-
fer , & à bien exprimer ce qu'on penfc ,
qu'à perdre le tems à un travail oii l'cf-
prit eft toujours dans les entraves, où la
penfée efb fubordonée aux mots., au lieu
* Stéphani Pleurrei Mnch facra cônciiicns ada D6-
ininî N. J. C. & primôrum Mârtyi'am Virgilio-centoni-,
l?us confcripta. Parîflis , apiid AdiianumTaiipinart, j 618.
iu-4'',
S iij
-278 S^UITE
que ce font les mots qu'il faut toujours
fubordoner aiix penfées.
Ce n'ëtoit pas afTez pour quelques écri-
vains, que la contrainte des centons: nous
avons des ouvrages où l'auteur "^ s'eft in-
terdit fucceirivement par chapitres , ôC
félon l'ordre de l'alphabet l'ufage d'une
lettre, c'eft à-dire , que dans le premier
chapitre il n'y a point (ïa , àc dans le fé-
cond point de ^ , aind de fuite. Un_ autre §
a fait un Poëme dont tous les mots co-
mencent par un. p.
Plaiidite porcélli 5 porcorum pigra propaga
Progrédirur, plures porci pinguédine pleni
Pugnantes pergunt. Pécud^m pars prodigiofa
Perturbât pede petrbfas pleriimque platéasi.
Pars portent se populérum prata profanât.
* Liber abCquelitteris, de ^tâtibus mundi & hominis ;
autore Fâbio, Claudio, Gordiâuo , Fulgéntio. Edidit. P. Ja-
côbus Homraey Augaftiiiiâniis , Pidavii. Proftat Parifiis
apud Viduam Câroh Coignard , i6')6.Le titre du, tnanuf-
crit promet zA h ufcjue in Z. 7nais l'Imprimeur n'a mis ait
pur que xiv. chapitres ■, c'efl à.- dire y jnfqu'à l'O incltifive-
ment ; ^ il àlclare que le copiflt et égaré le refie. Hue ufque
codex , cujus fcripror addic : ii dccem de quibus fît niéntio
in ritulo , néfcio ubi funt.
§ Pugiià Porcorum per P, Pôrcium. Ce Voème tft corn-
pofé de 148. vers. Se l'ai -vit d*ns un recueil qui a pour titre :
Nuga: Vénales. Moréri atnbue ce Poétne à Léo Placentius.
y. Plaisant, dans l'édition de Moréri de 171 8.
I
DU SENS ADAPTE', 279
Dans le IX^ fiècle, Huband Religieux
Bénédictin de S. Amand, dédia àTEnipc-
reui- Charles le Chauve un Poëme com-
poié à l'honeur des chauves , donc tous
les mots comenccnt par la lettre c.
Carmina, clarifoncc, calvis cantate Camcncc.
■* Un autre s'eft mis dans une contrainte
encore plus grande, il a fait un Poëme de
2956. vers de fix pies , dont le dernier feul
eil un fpondée, les cinq autres font au-
tant de dactyles. Le fécond pié rime avec
le quatrième , 6c le dernier mot d'un vers
rime avec le dernier mot du vers qui le fuit,
à la manière de nos vers françois à rimes
iuivies j en voici le comencement :
HotAnovisJima, témpora ipcsf ma funt, wigïUmus.
Ecce mmkciter imminet arb/Vsr ille {apvémus.
Imminet , iinmlneiQt mala términet, xquacoro/z^f,
Reda ïemiwerct , anxia Viheret , .'Echera donet :
Aûferat kCçera, diiràque pondem mentis onûjla ,
Sobria mûniat, 'miproba pûniat , îitraque ]ujîe .^
\\\Qpu[JîmuSi ille gr:a.w i//imiis ecce venit Rex.
Siirgat hovnoreus, inftat homoZ>eK5, àpatre jude^r.
* Bcrnarcti Morlanenfis, Mônachi ôxdiais Cluniaccnfis,
a.l Petrum Cluniacenfem Abbâcem cjui clâruic anno 1 140.
de Coiitcinptu Muiidi , libri trcs, ex vctéiibus membrânis,
çqcens dcCcripti, Brcma: , anno i f «jj.
Siv.
iSo SUITE
Les Poëmes dont je viens de parler font
anjoiird'hiii au même rang; que les acrof-
tiches & les anag-iames. * Le 2;oiit de tou-
t€s ces fortes d'ouvrages, heureufement,
efl: paflë. îl y a eu un tem.s où les ouvra-
ges d'efprit ciroient leur principal mérite^
de la peine qu'il y avoir à les produire, ôC
fouvent la montagne étoit récompense
* L'acroHiche eft une forte d'ouvrage en vers , dont cha-
que vers comence par chacune des lettres qui forment un
certain mot. A la tête de chaque comédie de Plaute , il y
a un argument fait en acroftiche : c'eft le nom de la pièce
qui eft le mot de l'acroftiche j par exemple : Amphitruo :
lé premier vers de l'argument comence par un A, le fécond
par un M, ainfi de fuite. Ces argurr eus font anciens , &
Madam.e Dacier dans fcs remarques fur celui de l'Amphi-
tryon fait entendre que Plaute en eft l'auteur.
Cicéron nous aprend qu'Ennius avoir fait des acrofti-
ches ; à.Kpoc,iy\q dicitur ^ cum deinceps ex primis xérfuum
Utteris dliqtiid ccmiéclitur , ut in quiènfà^m Enni^nis. Ctc^.
de Divinatiône 1. z. n. iii. aliter liv.
S. Auguftin , de Civ. Dci, 1. xvii. c. 13. parle d'un
acroftiche de la Sibyle Erythrée , dont les lettres initiales
fermaient ce fens , Vuai: Xfiç,oç GiouThçlcûTv'f.
Au rcfte, acroftiche vient de deux mots grecs k'v.pc;.. fum-
mus , qui eji a une des extrémités; & j'^''^ verfus, ordo.
ff.ypo::iy}ç m' Sc â.Kfoçix^'' tc i inltijum verfus.
A l'égard de \' anagrame , ce mor eft encore grec : il eft
compofé de la prépofition :l:ct qui dans la compofition des
mots, répond fouvent zretra, rè 'y & de ',fâi'_/.:r' lettre.
L'anagrame fc fair lorfqu'en dépb^ant les lettres d'un mor,
on en forme un autre mot , qui a une fignifîcatiou diféren-
te ; par exemple , de Lsraine on a fait Alérion.
Il ne paroît pas que les anagrames aient jamais été ca
ufagc parmi les Latir>s. "
DU SENS ADAPTE'. iSr^
de n'enfanter qu'une Couris , pourvu qu'el-
le eût été long-tems. en travail. Aujour- Moiièrr^
d'hui le tems ëc la diticulté ne fonf rien à ^ii^an.ad.
l afiiire i oii aime ce qui elt vrai , ce qui
inftruit , ce qui éclaire ^ ce qui intércfîe ,
ce qui a un objet raifonable; & l'on ne
regarde plus les mots que corne des fignes.
auxquels on ae s'arêce que pour aler droit
à ce qu'ils lignifient. La vie efb fi courte,
&: il y a tant à aprendrc à tout âge , que li
l'on a le bonheur de iurmonter la pareile
&: l'indolcLice naturèle de Tefprit , on ne
doit pas le mettre à la torture fur des
riens , ni l'apliquer en pure perte.
X I.
Sens Abstrait, Sens Concret.
'E mot cib (hait vient du \^tm abjirac-.
tus ^ participe à'^ibjlrahere ^ qui veut;
du'e tirer , ar-icher , fépdrer de.
Tout corps eft réèlement étendu en lon^
gucur, lar2;cur &: profon.deur, mais fou-
vent on pcnfe à la longueur fans faire
ntention à la largeur ni à la profondeur,
ç'cil; ce qu'on apèle faire abllradtion de
la Lirgeur & de U profondeur^ c'eft coa-
282 SENS ABSTRAIT,
fidérer la longueur dans un fens abftrait:.
c'eilamfî qu'en géométrie onconiidère le
point , la ligne , le cercle , fans avoir égard
ni à un tel point , ni à une telle ligne, ni
à un tel cercle phyiiquc.
Ainfi en général le fens abftrait eft ce-
lui par lequel on s'ocupe d'une idée , fans
faire atention aux autres idées qui ont un
raport naturel 6c nécefTaire avec cette
idée.
1 . On peut confidérer le corps en gé-
néral fans penfer à la figure ni à toutes
les autres propriétés particulières du corps
phyfiquc : c'elt confidérer le corps dans un
fens abftrait , c'efl: confidérer la chofe fans.
le mode , corne parlent les Pliilofophes ,
res abfcjue mode.
2. On peut au contraire confidérer les
propriétés des objets fans faire atention à
aucun fujet particulier auquel elTes foienc
atachées, modus abfcjue r^.C'efb ai nfi qu'on
parle de la blancheur , du mouvemenî: ,
du repos , fans faire aucune atention parti-
culière à quelque objet blanc, ni à quelque
corps qui foit en mouvement ou en repos.
L'idée dont on s'ocupe par abftraclion ,
efl tirée , pour ainfi dire , des autres idées
qiii ont raport à celle-là ^ elle en eft come
SENS CONCRET. 283
fëparée, 6c c cil pour cela qu'on l'apèle
idée abilraitc.
L'abilractiou e(t donc une forte de{é-
pararian qui ie fait par la penfée. Souvent
on confidère un tout par parties, c'eft une
efpèce d'abllraclion , c'cli ainfi qu'en ana-
tomie on fait des démonih-ations parti-
culières de la tête , enluitc de la poitrine,
&:c. mais c'ell plutôt divifcr qu'abftrairc ;
on apèle plus particulièrement fltire abf-
tracfion , lorfque l'on confidère quelque
propriété des objets lans faire atention ni
à l'objet, ni aux autres propriétés, ou
lor(quc l'on conlldère robjct fans les pro-
priétés.
Le fens concret, au contraire, c'eft lorf-
que l'on confidère le lu jet uni au mode,
pu le mode uni au fujct \ c'eft lorfque
l'on regarde un fujet tel qu'il eft , &: que
l'on penfe que ce fujec & f<i qualité ne
font enfemble qu'une même chofe , &
forment un être particulier^ par exemple:
ce papier hUnc , cette table, (juarrée^ cette botte
ronde ,• bUnc.^ quarrêe , ronde , font dits alors,
dans un fens concret.
Ce mot concret vient du latin cancrètus^
participe de concréfcere ^ croître enfemble^
s'épailCr, fe coaguler, être compofé dc^
284 SENS ABSTRAIT,
enéfet, dans le fens concret, les adjec-*
tifs ne tormenc qu'un tout avec leurs fu-^
jets , on ne les fëparc point l'un de l'autre
par la penfée.
Le coiicret renferme donc toujours deux
idées, celle du fujet, 6c celle de la pro-
priété.
Tous les fabftantifs qui font pris adjcc-r
tivement, font alors des termes concrets,
ainfi quand on dit Petrus efi homo ; homo
eft alors un ternie concret , Vetrtu tji ha-
hens humanitâîem,
Obfenvcz qu'il- y a de la diférence entre
faire abftraction ôc fe fervir d'un terme
abflrait. On peut fe fervir de mots qui
expriment des objets réels , ôc faire abf-
traction , corne quand on examine quel-
que partie d'un tout, fans avoir égard aux
autres parties : on peut au contraire fe fer-
vir de termes abftraits , fans faire abftrac-
tion , corne quand on dit que la fçrtune
cft aveugle.
Des termes ahfiraits.
Dans le langage ordinaire, abflrait fe
prend pour fuhtil , 'metaphyfique : ces talées
fint aijlYAÏtis.^ c'çft-à-dire, qu'elles d^^.
^■^A^^ CONCRET. 2^5
mandent de la méditation , qu'elles ne
font pas aifées à comprendre;, qu'elles ne
tombent point fous les fens.
On dit aulîi d'un home , qu'il eil: ahftrait
quand il ne s'ocupc que de ce qu'il a dans
l'efprit, lans fe prêter à ce qu'on lui dit.
Mais ce que j'entens ici par ter?nes ahf-
truits , ce lont les mors qui ne marquent
aucun objet qui exifte hors de notre ima-
gmacion.
Que les homes penfent au foleil , ou
qu'ils n'y penfent point, le foleil exifte,
ainlî k mot dt; foleil n'eft point un terme
abdrait.
Mais beanîé ^ Lv.dctir y &c. font des ter-
mes abilrairs. Il y a des objets qui nous
plaifent & que nous trouvons ^^j/y.v , il y
en a d'autres au contraire qui nous afcc-
tent d'une manière délagréable, 6i que
nous apelons Liids ; mais il n'y a aucun
être réel qui foit la beauté ou la laideur.
Il y a des homes , mais Vhumanhé n'eft
point, c'ed-àdire, qu'il n'y a point un
être qui foit Chumaniîé,
Les abltractions ou idées a.bftraites fu-
polent les impredions particulières des ob-
jets , ôC la méditation, c'eft-à-dirc, les
téHéxions que nous fefons naturèlemcnt
286 SENS ABSTRAIT,
fur ces impreffions. C'eft à l'ocafion dé
ces irnpreilions que nous confidérons en-
fuite iéparénicnt, ôc indépendamenc des
objets , les diférentes afections qu'elles
ont fait naître dans notre efpnt, c'eft ce
que nous apelons les propriétés des objets ;
je ne coniidérerois pas le mouvement en
lui-même, ii je n'avois jamais vu de corps
en mouvement.
Nous fomes acoutumés à donef des
noms particuliers aux objets réels & fcn-
fibles , nous en douons aufli par imita-
tion aux idées abflraites , corne fi elles re-
préfentoient des êtres réels j nous n'avons
point de moyen plus facile pour nous co-
rnu niquer nos penfées.
Ce qui a fur-tout dôné lieu aux idées
abflraites , c'eft l'uniformité des imprcf-
fîons qui ont été excitées dans notre cer-
veau par des objets ditérens, &c pourtant
femblables en un ccrtjm point : les homes
ont inventé des mots particuliers pour ex-
primer cette reiïemblance, cette U il i for-
mité d'impreffion dont ils fe font formé
une idée abftraite. Les mots qui expriment
ces idées nous fervent à abréger le d if-
cours, 6c à nous faire entendre avec plus
de facilité; par exemple, nous avons VlI
SENS CONCRET. 2S7
■piufieurs objets blancs, enfaite pour ex-
primer rimpreiîîon nnil-ormc que ces difé-
rens objets nous ont cauice , éc pour mar-
quer /e point dans lequel ils fc rejfemhlent ^
nous nous (ervons du mot de blancheur.
Nous fomes acoutumés dès notre en-
fance à voir des corps qui paflent iuccef-
fivemcnt d'une place à une autre; enfuitc
pour exprimer cette propriété & la ré-
duire à une forte d'idée générale, nous
nous {ervons du terme de mouvement. Ce
que je veux dire s'entendra mieux par cet
exemple.
Les noms que l'on donc aux tropes ou
figures dont nous avons parlé , ne repré-
fentent point des êtres réels j il n'y a point
d'être, pomt de fubftance , qui foit une
métaphore, ni une métonymie; ce font
les diférentes expreffions métaphoriques,
Se les autres façons de parler figurées qui
ont doné lieu aux maîtres de l'art d'in-
venter le terme de métaphore ^ 6c les autres
noms des figures : par là ils réduifent à
une efpèce , à une clafle particulière les
cxprefTions qui ont un tour pareil félon
lequel elles le rcflèmblent, ôc c'ell fous
ce raport de reffjmblance qu'elles font
comprifes dans chaque forte particulière
2-83 SENS ABSTRAIT,
<ie figure , c'eft- à-dire , dans la même mkî
nièrc d'exprimer les penfées : toutes les
expreflions métaphoriques font comprifcs
fous la métaphore , elles s'y raportent ^
ridée de métaphore eft donc une idée
abftraite qui ne repréfente aucune ex-
preilîon métaphorique en particulier, mais
leulement ceute iorte d'idée générale que
Jes homes fe (ont faite pour réduire à une
clalîe à part les exprefTions rîgurées d'une
même elpèce , ce qui met de l'ordre &. de
la néteté dans nos penfées, êc abrège nos
difcours.
11 en eft de même de tous les autres
noms d'arts & de fciences : la phyfique ,
par exemple, n'exifte point, c'eil-à-dire ,
qu'il n'y a point un être particulier qui
ioic la phvfique : mais les homes ont fait
un etand nombre^ de réflexions fur les
diférentes opérations de la nature; & en-
fuite ils ont doné le nom àc fcioice phyfi-
aiic au recueil ou atîemblage de ces ré-
flexions , ou plutôt à l'idée abftraite à la-
quelle ils raportent toutes les obfervations
qui regardent les êtres naturels.
Il en eft de même de doi^eur, amertume^
être y néant , njk , mort , motiuemem , rej/os ,
£:.c. Chacune de ces idées générales , quoi
qu'on
SENS CONCRET. h;,
'qu'bn en dife, eft aufïi pofitive que l'au-
tre, piiifcia'clle peut être également le fu-
jet d'une puopolîtiono
Corne les diférens objets blancs ont
doné lieu à notre eiprit de fe former l'i-
dée de ^///>^r/;^//r , idée abiVraite, qui ne
marque qu'une forte d'afeclioh de l'ef-
prit j de même, les divers objets , qui nous
afeclent en tant de manières diiérentes ,
nous ont dôné lieu de nous former l'idée
d'être j, de fitbjld/ice , <^exïftanct \ fur- tout ,
lorfque nous be confidérônè les objets que
come exiftans , fans avoir égard à leurs
autres propriétés particulières : c'efb le
point dans lequel les êtres particuliers fc
reffemblent le plus.
Les objets réels ne font pas toujours
dans la même iituation , ils changent de
place , ils difparôiffent , & nous fentons
réèlement ce chancrcment &: cette abfen-
ce : alors il fe pafTe en nous une afecliiori
réèle, par laquelle nous lentons que nous
ne recevons aucune imprelli'on d'iln objet
dont la préfencè excitdit en nous deux
éfets fenfiblcs \ de là l'idée à^ahfenct ^ de
privation , de néant : de forte que quoique
le néant ne foit rien en lui-m.ême , cepen-
dant ce mot marque une afection rcèk
t
290 SENS ABSTRAIT,
de l'erprit, c'eft une idée abftraite que
nous aquérons par l'ufage de la vie , à
l'ocalion de l'abfence des objets, èc de
tant de privations qui nous font plaihr ou
qui nous afligent.
Dès que nous avons eli (Quelque ufage
de notre faculté de confentir ou de ne pas
confentir à ce qu'on nous propofoit, nous
avons confenti ,ou nous n'avons pas con-
fenti, nous avons dit oui , ou nous avons dit
fw;-^ : enfuite à mefure que nous avons réflé-
chi fur nos propres fentimens intérieurs, èc
que nous les arons réduits à certaines claf-
fcs, nous avons apelé afirmation cette ma-
nière uniforme dont notre efprit eft afeclé
quand il aquiefce, quand il confcnt; 6c
nous avons apelé négutionX-x manière dont
notre efprit cd afccté quand il fent qu'il
refufe de confentir à quelque jugement.
Les termes abftraits, qui font entrés-
grand nombre , ne marquent donc que des
afeclions de l'entendement \ ce font des
opérations naturèles de l'efprit, par lefquel-
Ics nous nous formons autant de clalîès dif-
férentes des diverfes fortes d'impredions
particulières , dont nous fomcs afe£lés par
l'ufage de la vie. Tel eft l'home. Les noiiis
de ces claiTcs diférentes ne défignent point
SENS CONCRET. 291
decesêci'esréelsquifu'ûfiftenchorsdenous:
les objets blancs font des êtres réels } mais
la blancheur n'eft qu'une idée abftraite i
les exprelîions métaphoriques font tous
les jours en ufagc dans le langage des
homes , mais la métaphore n'eft que dans
refprit des Grammairiens & des Rhéteurs,
Les idées abftraites que nous aquérons
par l'ufage de la vie, font en nous autant
d'idées exemplaires qui nous fervent en-
fuite de règle èc de modèle pour juger lî
un objet a ou n'a pas telle ou telle pro-
priété , c'eft-à-dirc, s'il fait ou s'il ne fait
pas en nous une imprelîiôn femblable à
celle que d'autres objets nous ont caufée,
6c dont ils nous ont laiflTé l'idée ou afec-
tion liabituèle. Nous réduilons chaque
ïorte d'impreiîion que nous recevons, à
la clafTe à laquelle il nous parôît qu'elle
fe raporte ; nous raportôns toujours les
nouvèles imprefîîons aux anciènes ; & fî
nous ne trouvons pas qu'elles puifTent s'y
raporter, nous en fefons une claiïe nou-
vèle où une claffe à part , ôc c'eft de là
que viènent tous les noms apellatifs , qui
marquent des genres ou des efpèces par-
ticulières , ce font autant de termes abf-
traits quand on n'en fait pas l'aplication
29i SENS ABSTRAIT,
à quelque individu particulier ; ain{l
quand on coniîdère en général le cercle,
une ville, cerc/e & 'vil/e font des termes
abftrâits j mais s'il s'agit d'un tel cercle ^
ou d'une telle ville en particulier , le ter-
me n'eft plus abftrait.
Ce que nous venons de dire , que nous
aquérons ces idées exemplaires par l'u-
fage de la vie^ fait bien voir qu'il ne faut
point élever les jeunes gens dans des fo-
iitudes, èc qu'on doit ne leur montrer
que du bon 6c du beau autant qu'il ell
pOiTible. C'eft un avantage que les enfans
des grands ont au-dejGRis des enfans des
autres homes j ils voient un plus grand
nombre d'objets, &: il y a plus de choix
dans ce qu'on leur montre ; ainfi ils ont
plus d'idées exemplaires , & c'eft de ces
idées que fe forme le goût. Un jeune
home qui n'auroit vu que d'excélens ta-
bleaux, n'admireroit guère les médio-
cres.
En termes d'arithmétique, quand on
dit irûis Louis , dix homes ^ en un mot ^
quand on apiique le nombre à quelque
fujet particulier, ce nombre eft apelé con-
cret ^ au lieu que li l'on dit deux & deux
font quatre ^ ce font-là des nombres ab(-
SENS CONCRET. 29^
ti"aits,qLii ne (ont unis à aucun fn jet particiu
lier. On confidère alors par abftraclion Iç
nombre en lui-même, ou plutôt l'idée de.
nombre que nous avons aquife par i'ufage
de la vie.
Tous les objets qui nous environent Sc
dont nous recevons des impreffions, fonc
autant d'êtres particuliers que les Philo-
fophes apèlent des individus. Parmi cette
multitude innombrable d'individus , les
uns font fcmblables aux autres en cer-
tains points ; de là les idées abdraites dç
genre 6c d'efpèce.
Remarquez qu'un individu cil un être
réel que vous ne (auriez divifer en un au-
tre lui-même ; Platon ne peut être que
Platon. Un diamant de mille écus peut
être divifé en plufieurs autres diamans,
mais il ne fera plus le diamant de mille
écus : cette table , Çi vous la divifez , ne
fera p.lus cette table ; de là l'idée d'unité ,
c'eft-à-dire, l'afection de l'efprit qui cout
çoit Tindividii dans un fens abftrait.
Obfervez encore qu'il n'eft pas nécef-
faire que j'aie vu tous les objets blancs
pour me former l'idée abftraite de blan-
cheur-, un feul objet blanc pouroit me
faire naître cette idée ^ ôç. dans la fuite jç
T iij
294 SENS ABSTRAIT^
n'apèlerois blanc qne ce qui y feroit
conforme , corne le peuple h'atribiie les
propriétés du foleil qu'à l'aftre qui fait le
jour. Ainfi il n'eft pas nécefTaire que j'aie
vu tous les cercles pollibles , pour vérifier.
fî dans tout cercle les lignes tirées du
centre à la circonférence font égales, ur^
objet qui n'a pas cette propriété , n'efl;
point un cercle , parce qu'il n'eft pas con-
forme à l'idée exemplaire que j'ai aquife
du cercle, par l'ufage de là vie, ôc par
les réflexions que cet ufage a fait naître
dans mon efpnt.
La Fortune , le Hazard 6c la Deftinée ,
que l'on perfonifie fi fouvent dans le lan-
gage ordinaire, ne font que des termes
abftraits. Cette multitude d'évènemens ,
qui nous arivent tous les jours , fans que
la caufe particulière qui les produit nous
foit conue , a afecté notre efprit de ma-
nière, qu'elle a excité en nous l'idée in-
déterminée d'une caufe inconue que le
vulgaire a apelée Fortune^ Hazarâl ^ on
Deftinée : ce font des idées d'imitation
formées à l'exemple des idées que nous,
avons des caufes réèles.
Les impreflîons que nous recevons des
objets, (3c les réflexions que nous fefons
SENS CONCRET. 295
iiir ces imprcilions par Tufage de la vie 6c
par la médication , font la iburce de tou-
tes nos idées, c'eil-à-dire , de toutes les.
afectioûs de notre efprit quand il conçoit
quelque chofe , de quelque manière qu'il
la conçoive : c'eft ainfi que l'idée de Dieu
nous vient par les crçatures qui nous anon-
cent Ton exi fiance &:. Tes perfetflions :
^ Cœli enarrant glor'uirn Dei. "* "^ InvifihUiA *Pfa,i. is.
enim ipsuis ver ea qu,e faHa funt intclltcîaZ'J.\^
conjpicimttir , Jcnipiterna quocfiie ejiis virtus j . y. ,3,
d" divmitas. Une montre nous dit qu'il y
a un ouvrier qui l'a faite, l'idée qu'elle
fait naître en moi de cet ouvrier, quel-
que, indéterminée qu'elle loit, n'ell: point
l'idée d'un être abftrait , elle eft l'idée d'un-
être réel qui doit avoir de rintclligence
&; de l'adrelïé : ainfi l'Univers nous aprend
qu'il y a un Créateur qui l'a tiré du néant,
qui le conferve , qu'il doit avoir des per-
fections infinies , &; qu'il exige de nous
de la reconoifïance ôc des adoi-ations.
Les abftra£lions font une faculté par-
ticulière de notre efprit , qui doit nous
faire reconoître combien nous fomcs éle-
vés au-defïlis des êtres purement corpo-
rels.
pans. Iq langage çrdinairc , on parle
T iv
29,6 SENS ABSTRAIT,
des ab(lra£lions de rcfp.ric corne en parle,
des réalités , les terme? abftraits n'ont
même été inventés qu'à l'imiration des
mots qui expriment des êtres phyfiques.
C'eil peut-être ce qui a doné lieu à un
grand nombre d'erreurs cù les homes
font tombés , faute d'avoir reconu que les
mots dont ils fç ferv.oient en ces ocafions,
n'étoient que les fignes des afections de.
leur efprit, en un mot, de leurs abftrac-
tions, & non l'expreilion d'objets réels j
de là l'ordre idéal confondu avec l'ordre
^ AbH-: ei- phyiique y de là enfin l'erreur ^ de ceux
roropinan- qui crojcnc favoir cc qu'ils ii^norent, &.
tium fe Ici- ' • l ^ j j * • "l*
re quod ^^^^ patient de leurs jmagu:iations meta-
néfciant. phyiiques avec la même aifurance que les
A:ég. inEn- ^utrcs Iiomcs parlent des objets réels.
Ciund. ad .- i n o • ' r ' M
Laur.deFi- i-^s abltractions lont un pays ou il y.
de,Spe, & a encore bien des découvertes à faire ,. 6c
lan cap. ^^^^^ lequel on feroit q^uelqucs progrès ,
p. ii3.Pa-fi l'on ne prenoit pas pour lumière ce qui
ris,ifc8;. j^'^f^ qu'une féducliçn délicate de l'ima-
gination, £c (i l'on pouvoit fe rapeler,
fans prévention , la manière dont nous,
avons aquis nos idées èc nos conoiflan-
çes dans les premières années de notre,
vie ; mais cela n'eft pas maintenant dçi
mon fujct.
SENS CONCRET. 297
Kéjlcxions fur Us ahjl raclions , par raport a
la manière cCenÇeigncr,
Come c'eft aux Maîtres que j'adrefl'e
cet ouvrage , je crois pouvoir ajouter ici
quelques réflexions par raport à la ma-
nière d'enfei'^uer. Le grand art de la Di-
dactique, * c'eft de l'avoir profiter des
çonoiflances qui font déjà dans refpric
de ceux qu'on veut inllruire, pour les
mener à celles qu'ils n'ont point \ c'eft ce
qu'on apèle aler du conu à l'inconu. Tout
le monde convient du principe , mais
dans la pratique on s'en écarte , ou faute
d'atention, ou parce qu'on fupoie dans
les jeunes gens des conoifïanccs qu'ils
n'ont point encore aquifes. Un métaphy-
sicien qui a médité fur l'infini, fur l'être
en général , &c. perfuadé que ce font la
autant d'idées innées, parce qu'elles font
faciles à aquérir, ôc qu'elles lui fone fli-
iières, ne doute point que ces conoiflances
ne foient auiîi familières au jeune home
qu'il inftruit , qu'elles le font à lui-mênic \
fur ce fondement, il parle toujours; on
ne l'entend point, il s'en étone -, il élève
* La Didadique , c'eft l'art d'enfeigner. Az/axTijcèi ^
^:us *d doccnd'jai. A; J Kc;:a) . doceo.
298 SENS ABSTRAIT,
la voix , il s'épLiife , & on rencend encore
moins. Que ne fe rapèle-t-il les premières
années de Ton en tance ? Avoit-il à cet
âge des conoifFances auxquelles il n'a
pcnfé que dans-la fuite , par le fecours des
réflexions , & après que fon cerveau a eu
aquis un certain degré de confiftance t
En un mot, conoiifoit-il alors ce qu'il
ne conoifîbit pas encore , 6c ce qui lui a
paru nouveau dans la fuite , quelquç f;?.-
cilité qu'il ait eue à le concevoir ?
Nous avons befoin d'impreillons parti-
culières, §v pour ainfl dire, préliminai^
res, pour nous élever enfuite par le fe-
cours de l'expérience de des réflexions ,
jufqu'à la fùblimité des idées abftraites :
parmi celles ci, les unes font plus faciles à
aquérir que les autres , l'ufage de la vie
nous mène à quelques-unes prefque fans
réflexion , èc qi.iand nous venons enfuite
à nous apercevoir que nous les avons
aquifes , non s. les regardons come nées
avec nous.
Ainfl il me paroît qu'après qu'on a
aquis un grand nombre de conoiflânces
particulières dans quelque art ou dans
quelque fcience que ce foit , on ne fauroir
rien faire de plus utile pour foi-m^çme ^
SENS CONCRET. 299
que de fe former àes principes d'après^
ces conoiflànces particulières , èc de met-
tre par cette voie , de la nèteté , de l'or-
dre - & de 1 aran^ement dans fes pen-
iees.
Mais quand il s'agit d'inftruire les au-
tres , il faut imiter la Nature^ elle ne co-
mence point par les principes èc par les
idées abftraites : ce feroit comencer par
l'inconu -, elle ne nous doue point l'idée
ai animal avant que de nous montrer des
oifeaux, des chiens, des chevaux, &c. Il
faut des principes : oui fans doute ^ mais
il en faut en tems &: lieu. Si par princi-
pes vous entendez des règles, des maxi-
mes , des notions générales , àç.s idées
abstraites qui renferment des conoifïances
particulières, alors je dis qu'il ne faiit point
comencer par de tels principes.
Que Ç\ par principes vous entendez des
notions comunes, des pratiques faciles^
des opérations aifées qui ne fupofent dans
votre élève d'autre pouvoir ni d'autres- co-
noilTànces que celles que vous favez bien
qu'il a déjà ; alors, je conviens qu'il faut
des principes , & ces principes ne font au-
tre chofe que les idées particulières qu'il
faut leur doner , avant que de pafTer aux
rèo;les ôc'aux idées abftraites.
300 SENS ABSTRAIT,
Les règles n'aprènent qu'à ceux qui fa-*
vent déjà, parce qiie les règles ne font que
des obrcrvations lur l'afagc: ainii comen-r
cez par faire lire les exemples des figures
avant que d'en doner la définition.
Il n'y a rien de fi naturel que la Logi-
que êc les principes fiir lefquels elle eft
fondée } cependant les jeunes Logiciens
fc trouvent corne dans un monde nou-
veau dans les premiers tems qu'ils étu-
dient la Logique, lorfqu'ils ont des maî-
tres qui comencent par leur doner en
abrégé le plan général de toute la Philo-
fophie i qui parlent de fcience ^ do percep^
tiûu j d'idée , de jugement , de fin ^ de caufe ,
de catégorie , d' univerfaux , de degrés meta-
f^hyfiques , &c. come fi c'étoient là autant
d'êtres réels, & non dépures abftra£tions
de l'efprit. Je fuis perfuadé que c'eft fc
conduire avec beaucoup plus de méthode,
de comencer par mètre , pour ainfi dire-,
devant les yeux quelques-unes des pen-
fees particulières , qui ont doné lieu de
former chacune de ces idées abftraites.
J'efpèrc traiter quelque jour cet article
plus en détail , &: faire voir que la mé-
thode analytique eft la vraie méthode
d'enfeigner , &: que celle qu'on apèlefyn-
SENS CONCRET. 301
thétiqne ou de doctrine, qui comencc
par les principes, n'eft bone que pour
mètre de l'ordre dans ce qu'on fait déjà ,
bu dans quelques autres ocafions qui ne
font pas maintenant démon fujet.
XII.
JDerniere Observation.
S'il y a des mots Synonymes*
NO us avons vu qu'un même mot peut
avoir par figure d'autres iîgnifîcations
que celle qu'il a dans le fens propre &
primitif: njoiks peut (îgnifier vaijfcaux. Ne
fuit-il pas de là qu'il y a des mots fyno-
nymes , &: que voiles eft fynonyme à vaif-
feaux ?
Monfieur l'Abbé Girard a déjà examiné
cette queftion , dans le difcours prélimi-
naire qu'il a mis à la' tête de fon Traité a Paris,
de la JKfleffe de U Unçue francoife. Je ne «^^^^ ^'-
ferai guère ici qu un extrait de les rai- ^ ^g'
Ions , 6c je prendrai même la liberté de
me fervir fouvent de fes termes , me con-
tentant de tirer mes exemples de la lan-
j^ue latine. Le Lccleur trouvera dans le
loz DERNIERE
livre de M. l'Abbé Girard de quoi le (ktis-
taire pleinement fur ce qui regarde le
irançois,
« On entend comunément ^^^Jymnymes
»î les mots qui ne diférant que par Tarti-
'> culation de la voix, font femblables
" pat l'idée qu'ils expriment. Mais y a-t-il
" de ces fortes de mots ? Il faut diffcinî^uer :
id. p. i6. " Si vous prenez le terme à.Q fynonyme
* *7- « dans un fens étendu pour une fîmplc
î> reffemblance de (ignification , il y a des
» termes fynonymes , c'eft-à-dire j qu'il y
»> a des mots qui expriment une même
" idée principale : et ferre , hajuldre , por-
tare , tollcre^ fnjlmcre^gércre ygeftare , feront
en ce fens autant de fynonymes.
p. zs. Mais (i "ÇTiXJynonymes^ vous entendez dc§
mots qui ont » une reflemblahce de figni-
>3 fication il entière & fi parfaite , que lé
M fens pris dans toute fa force &: dans tou-
'5 tes fes circonftanccs foit toujours & ab-
« folument le même, enforte qu'un des
»> fynonymes ne lignifie ni plus ni moins
. " que l'autre j qu'on puifle les employer
M indiférament dans toutes les ocalîbns,
" 5c qu'il n'y ait pas plus de choix à faire
" entre eux pour la lignification ôc pour
» l'énergie, qu'entre les goûtes d'eau d'une
OBSERVATION, 305
Vî même fource pour le goiic Se pour la
v> qualité : dans ce fécond fens , il n'y a
M point de mots iynonymes en aucune
>3 langue. « Ainii ferre ^ i?ajulare ^ portare ^
tollcre^ f/ijlmére , gérer e , gefiâre^ auront
chacun leur defti nation particulière : en
ëfet ^
Ferre ^ fignifie porter, c*eft l'idée prin-
cipale.
BajuLîre ^ c'eft porter fur les épaules ou
fur le cou.
Portdre fe dit proprement lorfqu'on fait
porter quelque chofe fur des bêtes de
fome, fur des charètes ou par des croche-
teurs. Portari dicimus ea. qtiji qms juménto
fecum ducit. Voyez, le titre XVI. du cin-
quantième livre du Digefte de verborum
fignificatiéne.
Tollere , c'eft lever eà haut ; d'oii vient Ti:e-Livs,
le fubftantif tollé-/io . oais . c'eft une ma^ ^' ^^^^^'"'^'
,. ipj. • n.5.Feftus,
chnie a tirer de 1 eau d un puits. v.Tolléno.
Siiftimre^ c'eft foutenir , porter pour em-
pêcher de tomber.
Gérer e , c'eft porter fur foi : GaUamgérere Com. Nep.
in cdpite. ^^- î-
Geftdre vient àcgérere , c'eft faire parade
de ce qu'on porte.
Malgré ces diférences , il arive fouvenc
?ô4 DERNIERE
que dans k pratique on emploie ces mots
l'un pour l'autre par figure , en confervant
toujours l'idée principale, de en ayant
égard à l'ufage de la langue j mais ce qui
fait voir qu'à parler exactement, ces mors
ne iont pas fynonymes, c'cfk qu'il n'ell
pas toujours permis de mètre indiféra-
ment l'un pour l'autre. Ainfi quoiqu'on
difc m or cm gérer e ^ on ne diroit pas morem-
ferre ou îriorem portare^ àCc. Les Latins fen-
rbient mieux que nous ces diférences déli-
cates, dans le tems même qu'ils ne pou-
Liicet. 58. voient les exprimer, nihil inter fActum &
Digeft. de g^jl^^-^ mtcreft , licei videatnr quidam fuhîilis
fijrnifica- diferéntia , dit un ancien Jurifconfulte;
tiônc. D'autres ont remarqué que aBa proprie ad
to^/im fpeEîarit ^ Z^ft^ ^^ mHhîa.rn. Varron
dit que c'eft une erreur de confondre
âgere , fdcere 6c gér^e , &: qu'ils ont chacun
leur deflination particulière. *
Nous avons quelques recueils des an-
ciens Grammairiens , fur la propriété des
* Pioptcr fimilitûdinem agéndi , & faciéndi , & geréndi,
quidam eiror his qui putant elle unum : poteft enim qui?
aiiquid fâcere & non âgcre : ut poëtà facit fâbulam & non
agit ; contra aâ:or agit & r\on facit , &: fie à poëta fabula
fitS>: non dgitur y ab aftore dgitur & non fit : coiltra Impe-
làtorqui dicitur res gérere , in eo neque agit , nequc/;ïf/f,
Çzàgerit, id eft fuftinet : tianllatum ab his qui ôneragerun:
(^uàd luftiocnt. Varr. de ling. lat. l, v. fub finem,
mofî
OBSERVATION. 305
mots latins : tels font Fdl:us de verhortim
Jignificaîio^e y Nonius Marcellus de varia
fignijîcationc fcrmonum. Voyez Grammâtici
"vêteres.
On peut encore confiilter un autre re-
cueil qui a pour titre : Autovcs lingim latrax.
De plus, nous avons un grand nombre
d'obfervations répandues dans Varron de
l'moua, latinà^ dans les Comentaires de
Donat ôc de Servius : elles font voir les
ditérences qu'il y a entre pludeurs mots
que l'on prend comunément pour fynony-
mes. Quelques auteurs modernes ont tait
des réHexions fur le même fujet , tels font
le P. Vavaiïèur, Jéfuite, dans Tes remar-
ques fur la langue latine, Scioppius, Henri
Etiène, de Utinitate falso fufpéctâ ^ de plii-
fieurs autres.
On tire auiïî la même conféquence de
plufieurs paflàges des meilleurs auteurs ;
voici deux exemples tirés deCicéron, qui
font voir la diférence qu'il y a entre arnar^
de diligcre,
Quis erat qui putareî ad etim amorem qiiem Cicei. Ep,
trga te hahéham^ pojfe aii qui d accéder e ? Tan- ad fa m. U
tum aciéifit , ut mihi nunc dénique amâre nji-
dear^ anteà dilexijjè. » Qui l'auroit pu croi-
>j re, dit Cicéron, que lafedion que j'a-
V
5c6 DERNIERE
» vois pour vous eût pu recevoir quelque
î5 degré de plus ; cependant elle elt iî iorc
» augmentée , que je Icns bien qu'à la vé-
^î rite vous m'édez cher autrefois , mais
53 qu'aujourd'hui je vous aime tendrement.
Et au livre i 3. Ep. 47. Ouidego iihi com-
me ncUm eum qucm tif ipfe dtligïs i fed tamen^
ut foires eum non à. me diligi folum , njcrum
étiam amari ^ oh eam rem tibi hdc fcribo,
îî Vous i'aim.cz , mais je l'aime encore da-
» vantage j & c'eft pour cela que je vous
>5 le recomande. «
Voilà une diférence bien marquée entre
Tufcul. 1. ^'^^'"^ ^ diligcre \ Cicéron obferve ailleurs
i. n. 15. qu'il y a de la diiérence entre dolére ôc U-
borare j lors même que ce dernier mot efl:
pris dans le lens du premier : Ifaerefi dli-
quid inter Liborem d^ doloremi fnnt jînitimA
omnrao y fed tamen dijft. rt àliquïd : lahor efi
fânciio quidam vel ânimi njel corporis ^ gra-
'vioris operis z'el muneris -, dolor autem motus
afper in cor pore., . àliud inquum efi do 1ère ,
aliud lahor are. Cum njârices Cecahànttir Cn.
Mario , doUhat > çu7n dfin magno ditcébat ag-
men^ lahor abat.
Les favans ont obfervé de pareilles di-
férences entre plufieurs autres mots , que
les jeunes gens & ceux qui manquent de
OB^ERVATÎO'N. J07
goût & de réflexion regardent corne au-
tant de fynonymes. Ce qui fait voir qu'il
n'ell: peut-être pas aulîî utile qu on le penfe
de faire le thème en deux façons.
M. de la Bruyère remarque « cp'emre Caïaa.
" toutes les difér entes 'exprejfions qui peuvent ^^^ Pl;'^: ,
'■> rendre une feule de nos f en fée s ^ il n y en a
'3 qutme qtii foit la hone : que tout ce qui ne
'3 l'efi point efi foible , & ne fatisfait pas u?i
•i-» home d'ejprit. « Ainfi ceux qui fe font
doné la peine de traduire les auteurs la-
tins en un autre latin , en alectant d'éviter
les termes dont ces auteurs fe font fervis ,
auroient pu s'épargner un travail qui gâte
plus le goût qu'il n'aporte de iumièrCo
L'une & l'autre pratique eil une fécondité
ftérile qui empêche de fentir la propriété
des termes , leur énergie , &. la finelTe de la
langue , corne ye l'ai remarqué ailleurs.
Lucus veut dire un bois confacré à quel-
que divinité-, Sylva, un bois en général :
Virgile ne manque pas à cette diftinclion ;
mais le Traducteur latiu eft obligé de s'é-
carter de l'exactitude de fon original.
Ne quis fit lucus quo fe plus jadet Apollo, virg. Ecl,
Ainfî parle Virgile. Voici coment ori le
traduit , Ut nullajit fylva , quâ magis Apolb
gloïiétur^ V ij
30$ DERNIERE
Nex ^ necis ^ vient de necare ^ & fe dk
d'une mort violente ; au lieu que mors ii-
gniiie (implcment la more , la celîation de
la vie. Virgile die parlant d'Hercule:
^n. s.v Nece Geryonis fpoliifque fuperbus ;
101.
Mais fon traducleur cH: obligé de dire
morte Geryonis.
Je pou roi s raporter un grand nombre
d'exemples pareils : je me contenterai
d'ooferver que plus on fera de progrès ,
plus on reconoîtra cet uiagc propre des
termes , & par conféquent l'utilité de ces
verfions qui ne font ni latines ni françoi*
fcs. Ce n'ell: que pour infpirer le goût de
cette propriété des mots, que je tais ici
cette remarque.
Voici les principales raifons pour lef-
quelicsil n'y a point de fynonymes parfaits.
1 . S'il y avoit des fynonymes parfaits , il
y auroit deux langues dans une même lan-
gue. Quand on a trouvé le ligne exact
d'une idée, on ïiqw cherche pas un autre.
Les mots anciens , ai les mots nouveaux
d'une langue font fynonymes : maints eft
fynonyme de flufieurs ; mais le premier
n'eft plus en ufage: c'ell la grande reiîenv
blance de fignification qui ell caufc que
OBSERVATION. 309
l'iifagc n'a confcrvé que 1*1111 de ces ter-
mes , ^ qu'il a rejeté l'autre corne inutile.
L'uiage j ce tyran des langues , y opère
fouvcnt des merveilles que l'autorité de
tous les fouverains ne pouroit jamais y
opérer.
2. Il eft fort inutile d'avoir pluiicnrs
mots pour une l'eule idée j mais il ciz très-
avantageux d'avoir des mots particuliers
pour toutes les idées qui ont quelque ra-
porc entre elles,
3. On doit juger de la richeflè d'une
langue par le nombre des penfées qu'elle
peut exprimer , di. non par le nombre des
articulations de la voix. Une langue fera
véritablement riche , fi elle a des termes
pour diftinguer, non-feulement les idées
principales, mais encore leurs diférences,
leurs délicatefles , le plus & le moins d'é
nergie , d'étendue , de précifion , de fini-
plicité, ôc de compofition.
4. Il y a des ocafions où il efl: indifé-
rcnt de fe fervir d'un de ces mots qu'on
apèle fynonymes , plutôt que d'un autre ;
mais aulTi il y a des ocafions oii il efi: beau-
coup mieux de faire un choix : il y a donc
de la difércnce entre ces mots -, ils ne font
dpnc pas exactement fynonymes.
V iij
310 DERNIERE OBSERF.
LoiTqu'il ne s'agit que de faire entendre
l'idée comune, fans y joindre ou {ans en
exclure les idées acceiïbircs, on peut em-
ployer indiftinctement l'un ou l'autre de
ces mots,, puifqu'ils font tous deux pro-
pres à exprimer ce qu'on veut faire enten-
dre : mais cela n'empêche pas que chacun
d'eux n'ait une force particulière qui le
diftingue de l'autre; &: à laquelle il faut-
avoir égard félon le plus ou le moins de
précifion que demande ce que l'on veut
exprimer.
Ce choix efl un éfet de la fînefTe de l'ef-
prit , & fupofe une grande conoiflàncc de
1^ langue.
FIR
( 8/BLIOTHfCA
T A
BLE
PREMIERE PARTIE.
Des Tropes en général.
Art. I. "YDce générale des figures. ■<^2.z,' i^
Art. II. _/ Divifiûn des figures. 12»
Art. m. Divïfion desjîgurcs de mots, 13..
Art. IV. Définition des Troues. i 5.
Art. V. Le Traité desTropes eft du r effort
de la Grammaire ; on doit conoîire les tro-
fes four bien entendre les auteurs & pour
avoir des conoijfances exactes dans l\irt de
parler ^ d'écrire. 19,.
Réponfe à une objection. 20.
Art. VII. Sens propre ^ Sens figuré. 22.
Art. VII. Réflexions générales fur le fens
figuré. zG^
I. Origine du fens figuré. ibid,
I I . Ufages ou éfets des tropes: 2 7 ,
ii\,Ce cjuon doit obferver , d" ce quon doit
éviter dans l'ufage des tropes , (y pourquoi
ils plaifent. 34.
IV. Suite des réflexions générales fur le fens
figuré. ^ 37.
V. Ohfervations fur les Diéîionaires latine-
franc ois. 39.
TABLE
SECONDE PARTIE.
Des Tropes en particulier.
I. 'ïï' A Catachrèfe j ahiis ^ extenfion ou
M j imitation.
II. La Métonymie.
m. La Métalepfe.
IV. La Synecdôt^ue,
V. U Antonomafe,
VI. La Comunication dans les paroles.
VIL La Litotes.
VIIL VHyperbole.
IX. L'Hypotypofe.
X. La Métaphore,
Keinarqucs fur le mauvais uf âge des méta-
phores. 14(3.
Xï. La SylUpfe Oratoire. 151.
:^\hV Allégorie. 153,
XIÎI. UAllufion, 16 1.
yilY. L'irome. . 171.
'X.W . L'Euphcmifme» 173.
XVI. L'Antiphrafe, 185.
XVII. L^ Pm/>^r.f/^. 189.
XVIIÏ. VHypallage. 197.
XIX. L'Onomatopée. 208.
XX. ^«'/^;>? ;«f?»^ wo/ peut être doublement
Jguré. 2. 1 1 .
page 4^.
67.
90.
97-
113.
/. 113.
114.
11^.
119.
131.
TABLE.
XXI. De la fubordinatioft des tropes^ ou du
rang qu'ils doivent tenir les uns k l'égard
des autres , <S* de leurs caracihcs particu-
liers. 113,
XXII. I. Des îrapes dont onna point parlé.
I I. Variété dans la dénomination des
tropcs. 218.
XXI II. Oue l^tffage é" l'ahus des tropes font
de tous les tans & de toutes les langues.
o
22Z
TROISIEME PARTIE.
g ^ Es autres fcns dans lefquels un même
^t ^ mot peut être employé dans ledifcours,
page ii6,
I. Suhftantifs pris adjecsivement , adjeÛifs
pris fubftantivcment , fuhfiamifs ^ adjec-
tifs pris adverbialement. 227.
II. Sens déterminé ^ fens indéterminé. 233.
m. Sens actifs f^*^^P^JPf-> f^^^ neutre, 234.
I V . Sens abfolu , fens relatif. 2 40.
V. Sens cûlUclif ^ fens diflributif. 241,
VI . Sens équivoque , fens louche. 241.
VII. Des jeux de mots & de la Faronomafe.
247.
Y ni. Sens compcfé ^ Sens divifé, 249.
TABLE.
ÏX. Se^s Hier al ^ fens Jftritud. 251^
Divijion du fens l itérai. 2 5 2 »
Dwifion du fens ffirkueL 259.
Sens 'mord. 260,
Sens allégorique. 261.
Sens analogique é 264.
X. Du fens adapté j ou que Von dont par al-
lufion. 2^6.
Remarques fur quelques p^ffages adaptés a
contre-fens. i^'-j.
Suite du fens adapti. De la Parodie é* des
C entons, 273.
XL Du. Sens, ahjlrait , fens concret. 281.
Des Termes ahflraits. 2 S4.
Réflexions fur les ahflr actions par raport à
la manière d'enfeigner. "^91'
XIL Dernière obfervation. S' il y a des mots
fynonymes. 3°^»
Fin de la Table.
AP P ROBATI O N.
J'Ai lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier,
un Livre intitulé : Des Tror^es , ou des dijférefzs
fens dans lefquels on ■peut -prendre iinmcme mot , &c.
lequel m'a paru exadl & inftrudif. A Paris, ce 2'X.
Décembre 175:0.
P, GERMAIN.
PRIVILEGE DU ROI.
louis, par la grace de dieu,
Roi de France et de Navarre,
à nos amés & féaux Confeillers , les Gens tenans
nos Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes,
ordinaires de notre Hôtel , Grand-Conlèil , Prévôt
de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans
Civils, & autres nos Jufticiers qu'il appartiendra;
Salut, Notre bien amé le Sieur du M a R sais.
Nous a fait expofer qu'il defireroit faire imprimer
& donner au Public les (Euvres de fa compofltion ,
s'il nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privi-
lèges pour ce nçceflaires. A ces causes , voulant
favorablement traiter l'Expofant, Nous lui avons,
permis & permettons par ces Préfentes , de faire
imprimer fefdites (Euvres autant de fois que bon
lui femblera , & de les faire vendre & débiter par-
tout notre Royaume pendant le tems de dix années
confécutives, à compter du jour de la date des
Préfentes. Faifons défenfes à tous Imprimeurs-
Libraires, & autres perfonnes de quelque qualité
& condition qu'elles (oient, d'en introduire d'im-
preflion étrangère dans aucun lieu de notre obéiC-
fance ; comme aufîî d'imprimer , faire imprimer ,
vendre , faire vendre , débiter ni contrefaire lef-
dites Œuvres , fous quelque prétexte que ce puilTe
erre , fans h permiflîon expreife & par écrit
dudit Expofant, ou de ceux qui auront de lui •, à
peine de confifcarion des exemplaires contrefaits »
do trois mille livres d'amende contre chacun.
des conrrevenans , dont un tiers à Nous, un tiers à
J'Hôtel-Dieu de Paris, l'autre tiers audit Expofant
ou à celui qui aura droit de lui , & de tous dépens ,
dommages & intérêts. A la charge que ces préfen-
tes feront enregiftrées tout au lomg fur le Regiftre
de la Communauté des Libraires ô: Imprimeurs de
Paris , dans trois mois de la date d'icelles. Que
l'imprefiion defdits (Euvres fera faite dans notre
Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux
caraéleres, conformément à la feuille imprimée &
attachée pour modèle fous le contre-fcel des Préfen-
tes. Que rimpétrant fe conformera en tout aux Ré-
glemens de la Librairie, & notamment à celui du
10. Avril 1723*. Qu'avant de les expofer en vente,
le Manufcrit qui aura lervi de copie à l'impreffion
defdites (Euvres , fera remis dans le même état où
l'Approbation y aura étédonnée, es mains de notre
très cher & féal Chevalier Chancelier de France
le fieur de la Moignon. Qu'il en fera enfuite
remis deux exemplaires de chacun dans notre Bi-
bliothèque publique, un dans celle de notre Châ-
teau du Louvre , un dans celle de notredit très-cher
& féal Chevalier Chancelier de France le fieur
DE LA Moignon, & un dans celle de
notre très cher & féal Chancelier Garde des
Sceaux de France le Sieur de Machault,
Commandeur de nos ordres : le tout à peine
de nullité des préfentes , du contenu defquel-
les vous mandons & enjoignons de faire jouir
l'Expofant ou fes ayans C3u!è , pleinement &
paifiblement , fans foufFrir qu'il leur ("oit fait aucuns
troubles ou empêchcmens : Voulons que la cojpie
j
des Prëfentes , cjui fera împrîmce tout au long au
comencement ou à la fin défaits ouvrages, foit te-
nue pour dûement fignifiée , ôc qu'aux copies colla-
tionnées par l'un de nos amez & féaux Confeillers
& Secrétaires , foi y foit ajoutée comme à l'ori-
ginal. Commandons au premier notre HuifTier ou
Sergent fur ce requis, de faire pour l'exécution
d'icelles tous ades requis & néceffaires, fans de-
mander autre permiflion , & nonobftant clameur
de Haro , Chartre Normande , & Lettres à ce con-
traires ; Car tel eil: notre plaifir. Donné à Ver-
failles le vingt-deuxième jour du mois de Mars,
l'an de grâce mil fept cens cinquante-quatre , & de
notre règne le trente- neuvième. Par le Roi en
fon Conleil. S\gné, PERRIN.
Extrait du Regi/lrc XIII. de la Chambre Royale
& Syndicale des Lihrairas & Imprimeurs de Paris y
N''. ^ij.fol. 159. reg'jlré le neuf Avril i'] <i^. que
je certifie véritable. A Paris le 2.S. Septembre l JJ'J.
R G. LE MERCIER, Svndic.
La Bibliothèque
Université d'Ottowa
ÉcKéonce
The Library
University of Ottawa
Date due
-^-v
i ■■'
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