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Full text of "Des tropes, ou, Des diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue : ouvrage utile pour l'intelligence des auteurs, & qui peut servir d'introduction à la rhétorique & à la logique"

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DES  TROPES 

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DES  DIFÉRENS  SENS 

Dans  lefquels  on  peut  prendre  un  même 
mot  dans  une  même  lan^^ue. 

Ouvrage  utile  pour  ^Intelligence  des 
Auteurs  ,  &  qui  peutjervlr  d Introduc- 
tion à  la  Rhétorique  Ô  à  la  Logique^ 

Par  Mûnjicur  DU  Marsais. 
NOUVELLE   ÉDITION. 


A    PARIS, 

Chez  David  ,  Libraire ,  rue  des  Mathiirins» 

M.     D  C  C,     L  V  I  i. 

Avec  Jpprôbatio'n  &  Privilège  du  Rojr. 

BIBLIOTKECA 


t^ 


À   '  M   A  D   A  M  E 

LA   MARQUISE 

DE  POMPADOUR  , 

DAME  DU  PALAIS  DE  LA  REINEe 


A  D  A  M  Ë 


Lj  protecllon  éclairée  que  vous  ac- 
€ordei  aux  Lettres  ,  &  t  accueil  favo- 
rable dont  vous  honore^  ceux  qui  les 


cultivent  avecjucccs ,  vous  donnent  un 
droit  légitime  à  leurs  hommages:  mais 
ojerai  je  le  dire  ici  ,  Ma  DAME^ 
ces  hommages  ,  quoique  dus  à,  lafupé- 
riorité  de  vos  lumières  &  de  vos  con^ 
noijpinces ,  nejontjouvent  quun  com- 
merce de  l'intérêt  qui  veut  acheter  les 
faveurs  de  la  grandeur  &  de  la  fortune. 
Pour  moi^AdADAMEy  en  publiant 
fous  vos  aufpices  le  chef-d'œuvre  d'un 
de  nos  plus  profonds  Grammairiens  ,yV 
ne  veux  qu  apprendre  à  toute  la  terre 
que  je  dois  beaucoup  à  votre  jujlice  (§ 
à  vos  bontés.  Ma  voix  ejl  trop  foible 
pour  fe  faire  entendre  ;  mais  cet  Ou- 
vrage de  M,  du  Ma? fais  la  portera 
dans  tous  les  lieux  &  dans  tous  les. 
lems.  Je  le  çhoifis  comme  un  marbre 
que  les  ficelés  refpe  Seront ,  &  fur  (^-. 


quel  reflet  ont  éternellement  gravis  des 
témoignages  publics  de  ma  reconnoifi 
Jancc, 

Je  fuis  avec  le  plus  profond  refpcçl^ 


MADAME 


Votre  très  -  humble  bç 
très-obéifTant  ferviteur 

DAVID. 


l'I 


AVERTI  s  SEMENT 

.  De  U  première  Edition. 

JE  fuis  perfiiadé  par  des  expérien- 
ces réitérées  ^  que  la  rnéchode  la 
plus  facile  &  la  plus  fiire  pour  co- 
Tnenccr  à  aprendre  le  latin ,  eft  de 
fe  fervir  d'abord  d'une  interprétation 
interlînéaire^  oiila  conftruction  foie 
toute  faite  ,  &  où  les  mots  ious-en- 
tendus  foient  (upléés.  J  efpère  doner 
bientôt  au  public  quelques-unes  de 
ces  tradu6bions. 

Mais,  quand  les  jeunes  gens  fonc 
•devenus  capables  de  réflexion,  oii 
doit  leur  montrer  les  rè2:les  de  la 
Grammaire  ,  &  faire  avec  eux  les  ob- 
fervations  grammaticales  qui  font  né- 
ceflaires  pour  Flntelligence  du  texte 
•qu'on  explique.  C'eft  dans  cette  vue 

que  j'ai  compofé  une  Grammaire  où 

3.  ij 


il)  A  VERTl^SEMENT. 

j*âi  raffemblé  ces  obfervationSé 

Je  divife  la  Grammaire  en  fept 
parties,  c^eft-à-dire,  que  je  penfe  que 
les  obfervations  que  Ton  peut  faire 
fur  les  mots ,  en  tant  que  fignes  de 
nos  penfées ,  peuvent  être  réduites 
fous  fept  articles ,  qui  font  : 

I.  La  conoiffance  de  la  propofi- 
tion  6«:  de  la  période  ^  en  tant  qu'elles 
font  compofées  de  mots,  dont  les 
terminaifons  &  raransement  leur 
font  fîgnifier  ce  qu'on  a  deffcin  qu'ils 
lignifient  : 

H.  L'Orthographe. 

IIL  LaProfodie,  c'eft-à-dîre,  la 
partie  de  la  Grammaire  ,  qui  traite 
de  la  prononciation  des  mots ,  6c  de 
la  quantité  des  fyllabes. 

IV.  L'Etymologie. 

V.  Les  préliminaires  de  la  Syn- 
taxe :  j'apèle  ainfi  la  partie  qui  traite 
de  la  nature  des  mots  &  de  leurs 
propriétés  grammaticales  ,   c'eft-à- 


AVERTISSEMENT.  v 
dire  ,  des  nonibres ,  des  genres ,  des 
perfones  ,  des  terni inaifons  ;  elle 
contient  ce  qu'on  apèle  les  Rudi- 
mens. 

Vf.  La  Syntaxe. 

VII.  Enfin  la  conoiflance  des  dî-. 
férens  iens  dans  Icfquels  un  même 
mot  efl:  employé  dans  une  m.ême  lan- 
gue.  La  conoiilance  de  ces  diférens 
Iens  eft  néceflau'ej  pour  avoir  une 
véritable  intelligence  des  mots,  en 
tant  que  fignes  de  nos  penfées  :  ainG 
j'ai  cru  qu'un  traité  farce  point  apar- 
tenoit  à  la  Grammaire  j  &  qu'il  ne 
faloit  pas  atendre  que  les  enflins  euf- 
fent  paffé  fept  ou  huit  ans  dans  l'étu- 
de du  latin,  pour  leur  aprendre  ce 
que  c'efl:  que  le  fens  propre  &:  le  fens 
figuré^  &  ce  qu'on  entend  par  Meta-» 
phore  ou  par  Métonymie* 

On  ne  peut  faire  aucune  cucftion 
fur  les  mots,  qui  ne  pulfle  être  réduite 
fous  quelqu'un  de  ces  fept  articles. 

3L  iij 


vj        AVERTISSEMENT. 

Tel  eft  le  plan  que  je*  me  fuis  fait, 

il  y  a  long-cems ,  de  la  Grammaire. 

Mais ,  quoique  ces  diférentes  par.- 
ties  fcient  liées  emre  elles,  de  telle, 
force  qu'en  les  réunillant  toutes  en- 
femble ,  elles  forment  un  tout  qu'on 
apèle  Grammaire  ;  cependant  chacune 
çn  particulier  ne  fupofe  nécejGTaire- 
ment  que  les  conoifïances  qu'on  a 
aquifes  par  Fufage  de  la  vie.  Il  n'y  a 
guère  que  les  préliminaires  de  la  fyn- 
taxe  qui  doivent  précéder  néceffai- 
rement  la  fyntaxe  ;  les  autres  parties 
peuvent  aler  afTez  indiféramenc  Tune, 
avant  l'autre  :  ainfi  cette  partie  de 
Grammaire  que  je  done  aujourd'hui, 
ne  fupofant  point  les  autres  parties , 
&  pouvant  facilement  y  être  ajou- 
tée  ,  doit  être  regardée  come  un 
traité  particulier  fur  les  tropes  &  fur 
les  diférens  fens  dans  lefqueîs  on  peut 
piendre  un  même  mot. 

Nous  ayons  des  traités  particuliers 


AVERTISSEMENT.  vîj 
fur  l'orthographe ,  fur  la  profodie,  ou 
quantité ,  fur  la  fyncaxe ,  6^c  :  en 
voici  un  fur  les  tropes. 

Je  rapèle  quelquefois  dans  ce  traité 
certains  points,  en  difanc  que  j'en  ai 
parlé  plus  au  long  ou  dans  la  fyntaxCj, 
ou  dans  quelqu*autre  partie  de  la 
Grammaire  ;  on  doit  me  pardoner 
de  renvoyer  ainfi  à  des  ouvrages  qui 
ne  font  point  encore  imprimés ,  parce 
qu'en  ces 'ocalîons  je  ne  dis  rien 
qu'on  ne  puiflè  bien  entendre  fans 
avoir  recours  aux  endroits  que  je  ra- 
pèle, j'ai  cru  que  puifque  les  autres 
parties  fuivront  celle-ci ,  il  y  auroic 
plus  d'ordre  &  de  liaifon  entre  elles, 
à  fupofer  pour  quelque  tems  ce  que 
i'crpère  qui  artvera. 


a  IV 


•jum 


AVERTISSEMENT. 

PEu  de  tcms  après  que  ce  Livre, 
parue  pour  la  première  fois ,  je 
lencontrai  par  hazard  un  home  riche 
qui  /ortoit  d'une  maifon  pour  entrer 
dans  fon  caroffe.  Je  viens ,  me  dit-il , 
en  paffant  d'entendre  dire  beaucoup 
de  bien  de  votre  Hifioire  des  Tropes. 
Il  crut  que  les  Tropes  étoiént  un  peu- 
ple. Cette  aventure  me  fit  faire  ré- 
flexion à  ce  que  bien  d'autres  perfo- 
res m'avoient  déjà  die ,  que  le  titre 
de  ce  Livre  n'étoit  pas  entendu  de 
tout  le  monde  ;  mais  après  y  avoir 
bien  penfé,  j*ai  vu  qu'on  en  pouvoit 
dire  autant  d'un  grand  nombre  d'au- 
tres ouvrages  auxquels  les  Auteurs 
ont  confervé  le  nom  propre  de  Ja 
Science  ou  de  l'Art  donc  ils  ont 
traité, 

p  ailleurs,  le  mot  de  Tropes  neft 


AVERTISSEMENT.  Ix 
pas  un  terme  que  j'aie  inventé  ,  c'eft 
lin  moc  conu  de  toutes  les  pcrfones 
qui  ont  fait  le  cours  ordinaire  des 
études  5  &  les  autres  qui  étudient  les. 
belles-Lettres  franc^oifes  trouvent  ce 
mot  dans  toutes  nos  Rhétoriques.' 

Il  n'y  a  point  de  Science  ni  d'Art 
qui  ne  foit  défigné  par  un  nom  par-^ 
çiculier,  &;  qui  n'ait  des  termes  con- 
facrés ,  inconus  aux  perfones  à  qui 
ces  Sciences  <^  ces  Arts  font  étran- 
ç^ers.  Les  termes  fervent  à  abréger . 
à  mettre  de  l'ordre  &  de  la  précilion, 
quand  une  fois  ils  font  expliqués  &: 
entendus.  Seulement  Li  bienféance  , 
&  ce  qu'on  apèle  Vapropos ,  exigent 
qu'on  ne  fafle  ufagc  de  ces  termes 
qu'avec  des  pcrfones  qui  font  en  état 
de  les  entendre,  ou  qui  veulent  s'en 
inrtruire  ,  ou  enfin  quand  il  s'agit  de 
la  dodrine  à  laquelle  ils  apartiènent. 

J'ai  ajouté  dans  cette  nouvelle  édi- 
tion ^  l'explication  des  noms  que  les 
Grammairiens  donent  aux  autres  fi- 


X       AVERTISSEMENT. 
gures ,  tant  à  celles  qu'ils  apèlent^/^-- 
tes  de  diSlions  j  diéîiomim  figura ,  qu'à 
celles  qu'ils  noment  figures  de  pen- 
fées  j  figura  fententiarum. 

Cette  addition  ne  fera  pas  inutile, 
du  moins  à  une  forte  de  perfones,  &; 
pour  le  prouver  3  je  vais  raconter  en 
peu  de  mots  ce  qui  y  a  doné  lieu. 

J*alai  voir  il  y  a  quelque-tems  un 
jeune  home  qui  a  bon  elprit,  6c  qui 
a  aquis  avec  l*âge  aflez  de  lumières  &: 
d'expérience  pour  fentir  qu'il  lui  fe- 
roit  utile  de  revenir  fur  fes  pas ,  &  de 
relire  les  Auteurs  clafliques.  Les  jeu- 
nes gens  qui  comencent  leurs  études, 
&  qui  en  fourniflent  la  carrière,  n'ont 
pas  encore  aflez  de  confiftance,  du 
moins  comunément ,  pour  être  tou- 
chés des  beautés  des  Auteurs  qu'on 
leur  fait  lire ,  ni  même  pour  en  faifir 
le  fens.  Il  feroit  à  fouhaiter  que  le 
goût  des  plaifirs  &  les  ocupations  de 
leur  état  leur  lailTafTent  le  loifir  d'i- 
miter le  jeune  home  dont  je  parle. 


AVERTISSEMENT,  xj 
Je  le  trouvai  fur  Horace.  11  avoit 
fur  fon  bureau  l'Horace  de  M.  Da- 
cier ,  celui  du  P.  Sanadon ,  de  celui 
des  Variorum  avec  les  notes  de  Jean 
Bon.  Il  en  étoic  à  TOde  XIII.  du 
V'^.  Livre  HorriJa  tempeftas.  Horace 
au  croilième  vers  nmc  mare^  nmcJylH^-^ 
fait  ce  dernier  mot  de  trois  fyilabes 
fy-Iu^.  M.  Dacier  ne  fait  aucune 
remarque  fur  ce  vers  5  le  P.  Sanadon 
fe  content.e  de  dire  cp' Horace  a  fait 
ici  ce  mot  de  trois  fyilabes  ,  &  que  ce  rieft 
pas  la  première  fois  que  ce  Poète  l'a  em- 
ployé ainp.  Jean  Bon  ajoure  qu'Horace 
a  fait  ce  mot  de  trois  fyilabes  par 
Diérèfe  ,  per  Di^refin.  Mais  qu'eft-ce 
que  faire  un  met  de  trois  fvUabes  par 
Diérèfe  ?  c  eft  ce  que  Jean  Bon  n'ex- 
plique  pas,  me  dit  ce  jeune  home. 
Y  a-t  il  là  quelque  myftère  ï  Ne  vous 
en  dit-il  pasaflez,  lui  répliquai  je, 
quand  il  vous  dit  que  le  m.ot  eft  ici 
de  trois  fyilabes.  Oui,  me  répondit-il, 
fi  le  Comentateur  en  demeuroît-là  j 


^i}      AVERTISSEMENT.^ 
mais  il  ajoute  que  c'eft  par  Dierèfe^  Sc 
voilà  ce  que  je  n'entends  point.  Dans 
un  autre  endroit  il  dit  que  c'eft  par 
^pher'efe  ^  ailleurs  ^av  Eperahèfe  ^  Sec, 

Je  voudrois  bien^  ajouta  le  jeune 
home  5  que  puifque  ces  termes  font 
en  ufage  chez  les  Grammairiens,  ils 
fuflent  expliqués  dans  quelque  re- 
cueil où  je  puifle  avoir  recours  au 
befoin.  Ce  fut  ce  qui  me  fit  venir  la 
penfée  d'ajouter  l'explicaçion  de  ces 
termes  à  celle  des  Tropes. 

Corne  les  Géomètres  ont  donc 
des  noms  particuliers  aux  diférentes 
fortes  d  angles ,  de  triangles  &  de  fi- 
gures géométriques ,  angle  obtus, 
angle  adjacent  ,  angles  verticaux  ^ 
triangle  ifo/cèle ,  triangle  oxygone , 
triangle  fcalène ,  triangle  amblygcne , 
&c.  de  même  les  Grammairiens  ont 
doné  des  noms  particuliers  aux  divers 
changemens  qui  arivent  aux  lettres 
^  aux  fyllabes  des  mots.  Le  mot  ne 
paroic  pas.  alors,  fo^s  fa  forme  oidU. 


AVERTISSEMENT,  ictij 
haire ,  il  prend ,  pour  ainfî  dire ,  une 
nouvelle  figure  à  laquelle  les  Gram- 
mairiens donenc  un  nom  particulier. 
J'ai  cru  qu'il  ne  feroic  pas  inutile  d'ex- 
pliquer ici  ces  diférentes  figures ,  en 
faveur  des  jeunes  gens>  qui  en  trou- 
vent fouvent  les  noms  dans  leurs  lec- 
tures, fans  y  trouver  l'explication  de 
ces  noms. 

On  m.e  dira  peut-être  que  je  m'ar- 
rête ici  quelquefois  à  des  chofes  trop 
aifées  ^  trop  comunes.  Mais  les  jeu- 
nes gens,  pour  qui  principalement 
ce  livre  a  été  fait,  ne  viènent  pas 
dans  le  monde  avec  la  conoiffance 
des  chofes  comunes ,  ils  ont  bcfoin 
de  les  aprendre  ,  &c  l'on  doit  les  leur 
montrer  avec  foin,  fi  Ton  veut  les 
faire  pafier  à  la  conoilTance  de  celles 
qui  (ont  plus  dificiles  &  plus  élevées^ 
parce  que  celles-ci  fupofent  néceflai- 
rement  celles-là.  C'eft  dans  le  difcer- 
nement  de  la  liaifon  ^  de  la  dépen- 
dance, de  renchainement  de  de  la 


x'^v        AVERTISSEMENT. 
fubordination  des  conoiflances ,  que 
confifte  le  talent  du  maître. 

D'autres  au  contraire  trouveront 
que  ce  Traité  contient  des  réflexionâ 
qui  font  au-deffus  de  la  portée  des  jeu- 
nes gens ,  mais  je  les  fuplie  d  obferver 
que  je  fupoie  toujours  que  les  jeunes 
gens  ont  des  maîtres.  Mon  objet  eft 
que  les  mairres  trouvent  dans  cet  ou- 
vrage  les  réflexions  &:  les  exemples 
dont  ils  peuvent  avoir  befoin ,  fi  ce 
n*eft  pour  eux-mêmes,  au  moins 
pour  leurs  élèves.  Oeft  enfuite  aux 
mrâtres  à  réo;ler  Tufao-e  de  ces  réfle- 
xions  (S:  de  ces  exemples ,  félon  leà 
lumières,  les  talens  &  la  portée  de 
l'efprit  de  leurs  difciples.  C'eft  cette 
conduite  qui  écarte  les  épines ,  qui 
donc  le  p-oût  des  lettres;  de  là  l'a- 
mour de  la  ledture,  d'où  nàit  nécef- 
fairement  l'inftrudtion ,  &  l'initritc- 
tien  fait  le  bon  citoyen ,  quand  un 
intérêt  fordide  &  mal  entendit  h'y 
forme  pas  d'oppoiition, 


ERRATA. 

JE  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  de  fautes  typographiques  dans 
cet  ouvrage  par  l'attention  des  Imprimeurs ,  ou  s'il  f 
en  a  elles  ne  font  pas  bien  confidcrables.  Cependant  ^ 
corne  il  n'y  a  point  encore  en  France  de  manière  unifor- 
me d'orthographier  ,  je  ne  doute  pas  que  chacun  ,  félon 
fcs  préjugés ,  ne  trouve  ici  un  grand  nombre  de  fautes. 

Mais  ,  1.  mon  cher  Lcileur  ,  avez-vous  jamais  médité 
fur  l'Orthographe  :  Si  vous  n'avez  point  fait  de  rcfiexions 
férieufes  fur  cette  partie  de  la  Grammaire,  fi  vous  n'avez 
qu'une  orthographe  de  hazard  &  d'habitude  ,  permettez- 
moi  de  vous  prier  de  ne  point  vous  aréter  a  la  manière 
donc  ce  livre  eft  ortliographic  ,  vous  vous  y  acoutumcrez 
infenfibiemenr. 

i.  Etcs-vous  partifan  de  ce  qu'on  apèle  anciène  ortho- 
graphe ?  Prenez  donc  la  peine  de  mettre  des  lettres  dou- 
bles qui  ne  fe  prononcent  point ,  dans  tous  les  mots  que 
vous  trouverez  écrits  fans  ces  doubles  lettres.  Ainfi ,  quoi- 
que félon  vos  principes  il  faille  avoir  égard  à  l'étymolo- 
gic  en  écrivant ,  &  que  tous  nos  anciens  auteurs  ,  tels  que 
Villehardouin,  plus  proches  des  fources  que  nous,  écrivif- 
fcnt  home  ,  dthomo ,  perfone  de  perfon/z,  noncut  de  honoVy 
doner  de  donare  ,  nnrurcle  de  naturalis  ,  &c.  cependanc 
ajoutez  une  m  à  hcme ,  &c  doublez  les  autres  confones, 
malgré  l'étymologie  Se  la  prononciation',  &  donez  le  nom 
de  novateurs  à  ceux  qui  fuivent  l'anciène  pratique. 

Ils  vous  diront  peut-être  que  les  lettres  font  des  fignes , 
que  tout  fignc  doit  fignificr  quelque  chofe,  qu'ainfi  une 
lettre  double  qui  ne  marque  ni  l'étymologie  ,  ni  la  pro- 
nonciation d'un  mot  ,  eft  un  figne  qui  ne  fignifîe  rien  , 
n'importe:  ajoutez- les  toujours,  fatisfaites  vos  yeux  ,  je 
ne  veux  rien  qui  vous  bielle  ;  &  pourvu  que  vous  vous 
douiez  la  peine  d'entrer  dans  le  fens  de  mes  paroles,  vous 
pouvez  faire  tout  ce  qu'il  vous  plaira  des  fignes  qui  fer- 
vent à  l'exprimer. 

Vous  me  direz  peut-être  que  je  me  fuis  écarté  de  l'u- 
fage  préfent  :  mais  je  vous  fuplic  d'obferver  ,  i .  Que  je 


E  R  R  A  T  A. 

n'ai  aucune  manière  d'écrire  qui  ma  foit  particulière ,  3é 
qui  ne  foit  autorifée  par  l'exemple  de  piuueurs  auteurs  dé 
réputation. 

a.  Le  P.  Bufier  prétend  même  que  le  grand  nombre  des 
Auteurs  fuit  aujourd'hui  la  nouvèle  orthographe  ,  c'eft-à- 
dire  qu'on  ne  fuit  plus  exaftement  l'anciène.  Tai  trouvé 
Iz  nouvele  orthographe  ,  dit-il ,  (  Gramm,  Franc,  pag.  388.) 
dans  plus  des  deux  tiers  des  Lièvres  qui  s'impriment  depuis  dix 
ans.  Le  P.  Bufier  nome  les  Auteurs  de  ces  livres.  Le  P.  Sa- 
nadon  ajoute  que  depuis  la  fuputation  du  P.  Biifier  le  nom- 
bre des  partifans  de  la  nouvèle  orthographe  s'efi  beaucoup 
augmenté  ^  s  augmente  encore  tous  les  jours.  (  Poëfies  d'Ho- 
race. Préface  ,  page  xvii.  )  Ainfi,  mon  cher  Ledreur,  je 
conviens  que  je  m'éloigne  de  votre  ufage  ;  mais  félon  lé 
P.  Bufier  &  le  P.  Sanâdon ,  je  me  conforme  à  l'ufage  le 
plus  fuivi. 

3.  Etes-vous  partifan  de  la  nouvèle  orthographe  ?  Vous 
trouverez  ici  à  réformer. 

Le  parti  de  l'anciène  orthographe  &  celui  de  la  nouvèle 
fe  fubdivifent  en  bien  des  branches  :  de  quelque  côté  que 
vous  foyez, ,  retranchez  ou  ajoutez  toutes  les  lettres  qu'il 
vous  plaira  ,  ^  ne  me  condânez  qu'après  que  vous  aurei 
VU  mes  raifons  dans  mon  Traité  de  l'Orthographe, 


CES 


DES  TROPES 


0  ;/ 


DES   DIFERENS    SENS 

Dans  lelquels  on  peut  prendre  un  mcme 
mon  dans  une  même  lanij-ue. 


s'.j^vijsRji^.'m^Laaji,'; 


^'rr^^»?^^^-y.-r^V^^^ 


P  R  E  Al  I  E  R  E     PARTIE 
Des  T'/uPcs  en  'jéncïûL 


ARTICLE     PREMIER. 

Idées  oéné raies  des  Fissures» 

VANT  que  de  parler  des  Tropcs 
en  particulier ,  je  dois  dire  un  mor 

des  figures  en  général  \  puifque  les 

1  ropes  ne  font  qu'une  efpèce  de  figures. 

On  dit  comunémeht  que  les  jTgures  /2.v/ 
des  manïtres  de  parler  tioignccj  de  celles  qui 

A 


%  DES   TR OPE  s 

font  naturèles  &  ordinaires  :  que  cefant  de  cer- 
tains tours  dr  de  certaines  façons  de  s^xpri- 
vier ,  qui  s"" éloignent  en  quelque  chofe  de  la  ma-- 
nicre  comune  (^  fmiple  de  parler  :  ce  qui  né 
Veut  dire  autre  choie  ,  fuTon  qUc  les  Figu- 
res font  des  manières  de  parler  éloignées 
de  celles  qui  ne  font  pas  figurées  ,  &  qu'en 
un  mot  les  Figures  font  des  Figures ,  ëc  ne 
font  pas  ce  qui  n'eft  pas  Figures. 

D'ailleurs  ,  bien  loin  que  les  Figures 
foient  des  manières  de  parler  éloignées  de 
celles  qui  font  naturèles  ôC  ordinaires  ,  il 
n'y  a  rien  de  fi  naturel ,  de  fi  ordinaire ,  &; 
de  ficomun  que  les  Figures  dans  le  langa- 
Thin.  de  u  gc  des  homes.  M.  de  Bretteville  après  avoir 
Châtre  é'  dit  QUC  Us  Fiçurcs  ne  font  autre  chofc  que  de 

du    Bar-  T.  '^.j  ir        J'    j  Al 

retu.L.  IIL  C£>'^'^tns  tours  a  exprcpon  &  aepenjee  dont  on 
<i>.  u  ne  fe  fer  t  point  corn  uniment  ^  ajoute  u  qu'il  n'y 
53  a  rien  de  fi  aifé  6c  de  fi  naturel.  J'ai  pris 
»>  fouvent  plaifir  ,  dit-il ,  à  entendre  des 
53  payfans  s'entretenir  avec  des  Figures  de 
«  diicours  fi  variées  ,  Ç\  vives  ,  fi  éloignées 
33  du  vulgaire,  que  j'avois  honte  d'avoir  v\. 
^3  long-tems  étudié  l'éloquence ,  voyant  en 
33  eux  une  certaine  Rhétorique  de  nature 
3}  beaucoup  plus  perfuafive,  &:  plus  élo- 
33  quente  que  toutes  nos  Rhétoriques  ar- 
»5  tificièlcs.  »> 


EN    GENERAL,  3 

En  éfec,  je  'fuis  perfuadé  qu'il  fe  fait 
iîlus  de  Figures  un  jour  de  marché  à  la 
Halle,  qu'il  ne  s'en  fait  en  plulieurs  jours 
d'aflembléeS  académiques.  Ainiî  ,  bien 
loin  que  les  Figures  s'éloignent  du  langa- 
ge ordinaire  des  homes  ,  ce  feroient  au 
contraire  les  taçons  de  parler  fans  Figures 
qui  s'en  éloigneroient,  s'il  étoit  poliible 
de  faire  un  difcours  ôii  il  n'y  eût  que  deâ 
exprefiions  non  figurées.  Ce  font  encore 
les  façbns  de  parler  recherchées  ,  les  Figu- 
res déplacées ,  5c  tirées  de  loin  ,  qui  s'écar- 
tent de  U  maniire  comune  é"  fimfle  de  par- 
ler i  come  les  parures  afe£lées  s'éloignent 
de  la  manière  de  s'habiller  ,  qui  eft  eil 
ufage  parmi  les  honêtes  gens. 

Les  Apôtres  étoient  perfécutés,  &  ils 
foufroient  pâtienment  les  perfécutions. 
Qu'y  a-'t-il  de  plus  naturel  U.  de  moins 
éloigné  du  langage  ordinaire ,  que  la  pein- 
ture que  fait  S.  Paul  de  cette  fituation  6c 
de  cette  conduite  des  Apôtres  ?  *»  On  nous 
«  maudit  ,  6c  nous  beniflons  :  on  nous 
5>  perfécute  ,  &  nous  foufrons  la  perfécu- 
»>  tion  :  on  prononce  des  blafphèmes  con- 

*  Maledîcimur  ,  &  benedkimus  :  pcrfecutiôném  pârf- 
mur ,  &  fuftinémus  :  blafphemâmur ,  &  obrecrâmus.  i .  Ci?/'l 
c.  X.  V.  II. 

A.j 


4  DES   TRO  P  Ë^ 

«  tre  nous ,  6c  'nous  répondons  pai'  des 
'5  prières.  «  Quoiqu'il  y  ait  dans  ces  paro- 
les de  la  (implicite  ,  de  la  naïveté  ,  6c 
qu'elles  ne  s'éloignent  en  rien  du  langa- 
ge ordinaire  j  cependant  elles  contiènent 
une  fort  belle  Figure  qu'on  apèle  antithèfe , 
c'eft-à-dire  ,  oppofition  :  maudir  eft  opofé 
à  henir  ,  perfccuîer  à  foufrir  ,  hlaf^hèmcs  à 
prières. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  comun  que  d^adref- 
fer  la  parole  à  ceux  à  qui  l'on  parle  ,  5c 
de  leur  faire  des  reproches  quand  on  n'elt 
pas  content  de  leur  conduite.  ^  0  Nation 
incrédule  &  méchante  !  s'écrie  Jefus-Chrifb , 
jufcjiics  à  quand  fer  ai-jc  avec  'vous  !  jufques  à 
quand  aurai-]e  a  vous  foufrir  iQ'c^  une  Fi- 
gure très-dmpie  qu'on  apèle  afojlrophe. 
Oiaif.  fu-  M.  Flêchier  au  comencement  de  Ion 
nèb.  de  M.  Oraifou  funèbrc  de  M.  de  Turène  ,  vou- 

de  Turène.  i       ^  j  •  j  <         '     '      i      j  i     • 

^xorde  ^^"'-  douucr  uuc  idcc  générale  des  exploits 
de  fon  Héros ,  dit  îj  conduites  d'armées  , 
5î  fiéges  de  places ,  prifes  de  villes ,  palFa- 
53  ges  de  rivières  ,  attaques  hardies  ,  re- 
53  traites  honorables ,  campemens  bien  or- 
33  donnés  ,  combats  foutenus  ,  batailles 
"  gagnées ,  énemis  vaincus  par  la  force  , 

*  O  generâtio  incrédula  &  pervérfa ,  qiio  uf^jne  cit> 
Mobîfcum  1  Quo  ufque  pâtiar  vos.  Iti^tt,  c.  17.  v.  i  (>, 


EN   GENERAL:  s 

w  dilTîpés  par  l'adrcfTè  ,  lafles  par  une  ù.ge 
"  de  noble  patience  :  Où  peut-on  trouver 
"  tant  &c  de  lî  nuillans  exemples ,  que  dans 
"  les  actions  d'un  home,  &c.  « 

Il  me  femble  qu'il  n'y  a  rien  dans  ces 
paroles  qui  s'éloigne  du  langage  militaire 
le  plus  fmiple  ;  c'cfk  là  cependant  une  Fi- 
gure qu'on  apèîe  CQnçcries ,  amas,  aflcm- 
blage.  M.  Flêchier  la  termine  en  cet  exem- 
ple, par  une  autre  Figure  qu'on  apèle  in- 
terrogation ^  qui  eft  encore  une  façon  de 
parler  fort  triviale  dans  le  langage  ordi- 
naire. 

Dans  l'Andriène  deTércnce,  Simon  fe-  ■ 
croyant  trompé  par  fon  fils ,  lui  dit ,  Quid  ^n^^"-  '*^' 
ai  s  omnium  . . .  Que  dis-tu  le  plus . . .  vous  ** 

voyez  que  la  propofition  n'eft  point  en- 
tière 5  mais  le  fens  fait  voir  que  ce  père 
vouloit  dire  à  fon  fils,  Que  dis-tu  te  plus 
7néchant  de  tous  Us  homes  ?  Ces  façons  de 
parler  dans  Icfquelles  il  eft  évident  qu'il 
faut  fnpléerdes  m.ots,  pour  achever  d'ex- 
primer une  penfée  que  la  vivacité  de  la 
paiffion  fe  contente  de  faire  entendre  ,  font 
fort  ordinaires  dans  le  langage  des  homes. 
On  apèle  cette  figure  Ellipfe ,  c'eft-à-dire  , 
omiifion, 

il  y  a,  à  la  vérité ,  quelques  Figures  qui 

A  iij 


6  DES   TROP  ES 

lie  font  udtées  que  dans  le  ftyle  {liblime  c. 
telle  eit  la  profcpûpée ,  qui  confifte  à  faire, 
parler  un  mort _, une  pcrfonne  abfente,  ou 
praiC  fu-  rnêmcles  chofes  inanimée^.  «Ce  tombeau 
T:  Mol^  "  s'ouvriroit,ceso{îemensrerejoindroienc 
taufier.  >5  pour  m.e  dire  ;  Ppurquoi  viens-tu  men- 
»3  tir  pour  moi  j  qui  ne  mentis  jamais 
'3  pour  perfonne?  Làiflèmoi  repofec  dans 
«  le  fein  de  la  vérité  ,  ôc  ne  viens  pas, 
V  troubler  ma  paix  ,  par  la  flateric  que 
M  j'ai  haïe,  u  C'eft.ainïi  que  M.  Flêchicr 
prévient  Tes  auditeurs  ,  6c  les  afllire  pat, 
ccUQ profipopée  ^  que  la  flaterje  n'aura  point 
de  part  dans  l'éloge  qu'il  va  faire  de  M. 
le  Duc  de  Montaulier. 

Hors  un  petit  nombre  de  figures  fem- 
blables,  réfervées  pour  le  ftyle  élevé,  les 
autres  fe  trouvent  tous  les  jours  dans  le, 
ftyle  le  plus  fimple,  ôc  dans  le  langage  le. 
plus  comun. 

Qu'eft-ce  donc  que  les  Figures  ?  Ce  mot 
fe  prend  ici  lui-même  dans  un  lens  figu- 
ré. C'eft  une  métaphore.  Figure  dans  le 
fens  propre ,  eft  la  forme  extérieure  d'un, 
corps.  Tous  les  corps  font  étendus  \  mais, 
outre  cette  propriété  générale  d'être  éten- 
dus ,  ils  ont  encore  chacun  leur  figure  ôç 
leur  forme  particulière  ,  qui  fait  que  ciia,- 


EN  GENERAL,  7 

que  corps  paroît  à  nos  yeux  diférent  ci'nii 
autre  corps  :  il  en  eft  de  même  des  ex- 
prelîions  figurées  y  elles  iont  d'abord  co- 
noitre  ce  qu'on  pcnfe  ^  elles  ont  d'abord 
cette  propriété  générale  qui  convient  à 
toutes  les  phrafcs  &c  à  tous  les  aifembla- 
ges  de  mots  ,  5c  qui  confifte  à  (ignifier 
quelque  chofe  ^  en  vertu  de  la  conftruc- 
tion  grammaticale  ;  mais  de  plus  les  ex- 
prefTions  figurées  ont  encore  une  modifi- 
cation particulière  qui  leur  eft  propre,  6c 
c'eft  en  vertu  de  cette  modification  par- 
ticulière ,  que  l'on  fait  une  efpèce  à  part 
de  chaque  forte  de  figure. 

L'antithèfe ,  par  exemple  ,  eft  diftin- 
guée  des  autres  manières  de  parler,  en  ce 
que  dans  cet  aftèmblage  de  mots  qui  for- 
ment l'antithèfe ,  les  mots  font  opofés  les 
uns  aux  autres,  ainfi  quand  on  rencontre 
des  exemples  de  ces  fortes  d'opofitions 
de  mots ,  on  les  rapporte  à  l'antithèfe. 

L'apaftrophe  eft  diférente  des  autres 
ënonciations,  parce  que  ce  n'eft  que  dans 
l'apoftrophe  qu'on  adreflè  tout  dt'un  coup 
la  parole  à  quelque  perfone  préfente ,  ou 
abfente ,  &c. 

Ce  n'eft  que  dans  la  profopopée  que 
l'on  fait,  parler  les  morts ,  les  abf:;ns ,  ou 

4iii> 


5  D  ES  TROP  ES 

Içs  ccrçs  inanimés  :  il,  en  ell;  de  mêrne  dc% 
autres  hgures  ,  elles  ont  chacune  leur  ca-, 
raccëre  particulier,  qui  les  diftinguc  des 
autres  aflcmblages  de  mots.,  qui  topit  un 
iens  dans  le  langage  ordinaire  des  homes.. 
Les  Grammairiens  &  les Khéteurs  ayant 
.fait  des  ob-fervations  lur  les  diférentes 
manières  de  parler  ,  ils  ont  fait  des  claf- 
fcs  particulières  de  ces  diférentes  maniè- 
res ,  afin  de  mettre  plus  d'ordre  &ç  d'ara n- 
gement  dans  leurs  réflexions.  Les  maniè- 
res de  parler  dans  Icfquelles  ils  n'ont  re- 
inarqué  d'autre  propriété  que  celle  de  fai- 
re conoitre  ce  qu'on  penfe ,  fojit  apelées 
f  itiplcment  phmfcs  ,  cxpnffions ,  périodes  ; 
.  jrnais  celles  qui  expriment  non  feulcmen; 
dcspenlées ,  mais  encore  des  penfées  énon- 
cées d'une  manière  particulière  qui  leur 
donne  un  caradbère  propre  ,  celles-là,  dis- 
jc"^  fout  apeléeSy^/zrfj-,  parce  qu'elles  pa- 
roifîent ,  pour  ainii  dire  ,  fous,  une  forme 
particulière ,  ^  avec  ce  caractère  propre 
qui  les  diftingue  les  unes  des  autres,  6c 
de  tout  ce  qui  n'cit  que  phrafe  ou  exprcf- 
fion. 
Carict.Dcs  M.  de  la  Bruyère  dit  ^5  qu'il  y  a  de  ccr- 
ojvrng.  de  ,j  taincs  chofcs  dont  la  mi-éddocrité  ell  in- 
"■'^    '      v.fi-^portablc  :  la  poéiic  ,  la  mufiquc  ,  la 


EN   G  EN  Eli  AL.  9 

s>  peinture,  &  le  difcours  public,  u  II  n'y 
poinclà  de  figure  ;  c'eft-  à-dire  ,  que  toute 
cette  phraie  ne  tait  autre  chofe  qu'expri- 
mer la  penfée  de  M.  de  la  Bruyère ,  lans 
avoir  de  plus  un  de  ces  tours  qui  ont  un 
çaraclère  particulier.  Mais  quand  il  ajoute, 
»5  Quel  iuplice  que  d'entendre  déclame* 
>5  pompeurement  un  troid  difcours  ,  ou 
>5  prononcer  de  médiocres  vers  avec  em- 
V  phafe  I  et  c'ell  la  même  penfée  \  mais  de 
plus  elle  cft  exprimée  fods  la  torme  parti-r 
cuJière  de  la  lurpriie,  de  1  admiration  , 
c'cft  une  figure. 

Imaginez-vous  pour  un  moment  une 
multitude  de  foidats,  dont  les  uns  n'ont 
que  l'habit  ordinaire  qu'ils  avoient  avanc 
leur  .engagement ,  &  les  autres  ont  l'ha^ 
bit  uniforme  de  leur  régiment  :  ceux-ci 
ont  tous  un  habit  qui  les  diftingue ,  &  qui 
fait  conoitre  de  quel  régiment  ils  font  ; 
les  uns  font  habillés  de  rouge,  les  autres 
de  bleu  ,  de  blanc ,  dç  jaune ,  ôçc.  Il  en  efl 
de  même  des  afiemblages  de  mots  qui 
compofent  le  difcours  -,  un  ledteur  inftruit 
raportc  un  tel  mot ,  une  telle  phrafe  à  une 
telle  efpècc  de  figure  ,  lelon  qu'il  y  reco- 
noit  la  forme  ,  le  ligne  ,  le  caracière  de 
cette  figure  \  les  phrafcs  &.  les  mots,  qui 


10  D  E  s    T  RO  P  ES 

n'ont  la  marque  d'aucune  figure  particu- 
lière ,  font  corne  les  foldats  qui  n'ont  l'ha- 
bit d'aucun  régiment  :  elles  n'ont  d'autres, 
modifications  que  celles  qui  font  nécef- 
faires  pour  faire  conoitre  ce  qu'on  penfe. 
11  ne  faut  point  s'étoner  fi  les  figures  , 
quand  elles  font  employées  à  propos  ,  do- 
uent de  la  vivacité ,  de  la  force  ,  ou  de  la, 
grâce  au  difcours  ,•  car  outre  la  propriété 
d'exprimer  les  penfées,  come  tous  les  au- 
tres aficmblages  de  mots  ^  elles  ont  en- 
core ,  fi  j'ofe  parler  ainfi  ,  l'avantage  de 
leur  habit,  je  veux  dire,  de  leur  modifi- 
cation particulière ,  qui  fert  à  réveiller  Ta- 
tention  ,  à  plaire ,  ou  à  toucher. 

Mais^  quoique  les  figures  bien  placées 
cmbélifi^nt  le  difcours,  ôc  qu'elles  foient , 
pour  ainfi  dire  ,  le  langage  de  l'imagina- 
tion de  des  paffions  ;  il  ne  faut  pas  croire 
que  le  difcours  ne  tire  fes  beautés  que  des 
figures  Nous  avons  pluficurs  exemples  ei> 
tout  genre  d'écrire ,  oi.i  toute  la  beauté 
confiile  dans  la  penfée  exprimée  fans  fi- 
gure. Le  père  des  trois  Horaces  ne  fâchant 
point  encore  le  motif  de  la  fuite  de  fon 
*Comeille.  fils  ,  aprend  avec  douleur  qu'il  n'a  pas  ré* 

Aa°^Tn'  ^^'^^^  ^"^  ^^^'^  Curiaces  • 

J'i*     '  '      ^  Q.^-^  '^oulkz,-vous  qnil  fii  corure  trais  ^ 


EN    G  EN  E  RAL.  ii 

lui  dit  Julie ,  ^/A/  mourut ,  répond  le  père. 

"^  Dans  une  autre  tragédie  de  Corncil-    'i^-Ni- 
le,  Prufias  dit  qu'en  une  ocafion  dont  il^°^^jj^ 
s'agit,  il  veut  fc  conduire  en  flre  ,  en  ma- [c.  5. 
tî.  Ne  foyçz  ni  l'un  ni  l'autre ,  Uii  dit  Ni- 
camède  : 

P  R  U  S  I  A  S 
Et  que  dois-je  être  \ 
N I  C  O  M  E  D  E 
Roi. 
Il  n'y  a  point  là  de  figure  ,  &  il  y  a  ce- 
pendant beaucoup  de  fublime  dans  ce  feul 
mot  :  voici  un  exemple  plus  (impie. 

En  vain  pour  fatisfaire  à  nos  lâches  envies  y 

Nous  paflTons  près  des  Rois  tout  le  tems  de  nos  vies,  Malherbe 

A  fouffrir  des  mépris  ,  à  ployer  les  eenoux  :  ^- 1-  P*»"^ 

^         ,.,  /a  -1    c  phr.du?f. 

Ce  qu  ils  peuvent  n  elt  nen  ;  ils  lont  ce  que  nous  cxLV. 

fomes  , 

Véritablement  homes , 

Et  meurent  corne  nous. 

Je  ppurois  raportcr  un  grand  nombre 
d'exemples  pareils  ,  énoncés  fans  figure , 
&  dont  la  pênfée  feule  fait  le  prix.  Ainfî , 
quand  on  dit  que  les  figures  cmbélifTent 
le  difcours,  on  veut  dire  feulement,  que 
dans  les  ocafions  où  les  figures  ne  feroienc 
point  déplacées ,  le  même  fonds  de  pen  - 


12  DES    TR  OPES 

fée  fera  exprimé  d'une  manière  ou  plus 
vive  ou  plus  noble  ,  ou  plus  agréable  par 
le  fecours  des  figures  ,  que  il  on  l'expri- 
moit  lans  fi2:urc. 

De  tout  ce  que  je  viens  de  dire  ,  on 
peut  former  cette  définition  des  figures  :■ 
Les  Figures  font  des  manières  de  parler 
diftinctement  des  autres  par  une  modifi- 
cation particulier,  qui  fait  qu'on  les  ré- 
duit chacune  à  une  cfpèce  à  part,  &  qui 
les  rend  ,  ou  plus  vives ,  ou  plus  nobles , 
ou  plus  agréables  que  les  manières  de  par- 
ler ,  qui  expriment  le  même  fonds  de  pen- 
fée ,  lans  avoir  d'autre  modification  parti- 
culière. 


ARTICLE     IL 

Di-vi/ion  des  Figures, 

N  di  vife  les  figures  en  figures  de  peu- 

2x«/"«  »  V  J  fées  ,  fi-zàrx  fement'uirum,  Schématai  bc 

me,  habit  ^^  ugurcs  dc  \xiOl.s ^  jiguY.i  l'crhorum.  il  y  a 

attitude,     cette  diférence ,  dit  Cicéron,  ^  entre  les 

figures  de  pcnfées  &  les  figures  de  mots , 

^;  *  Inter  conformatiônem  verborum  &  Sententiârum  hoc 
incereft  ,  quod  verbôrum  tôllitur,  fi  verba  mutâris  ,  fci\- 
tentiârum  péinianec ,  cjuibufcùmque  veibis  uti  velis.  Cic. 
de  Orat,  l,.  ULn*  zo\.  cJiter  LIL 


EN    GENERAL.  13 

tjtic  les  figures  de  penfées  dépendent  uni- 
quement du  tour  de  l'imagination  >  elles 
ne  confiitent  que  dans  la  manière  parti- 
culière de  penlcr  ou  de  fentir ,  cnlorte  que 
Ja  figure  demeure  toujours  la  même,  quoi- 
qu'on viène  à  changer  les  mots  qui  l'ex- 
priment. De  quelque  manière  que  M.Flê- 
chier   eût  fait  parler  M.  de  Montaufier 
dans  la  profopopée  que  j'ai  raportée  ci- 
defTus  ,  il  auroit  tait  une  profopopée.  Au 
contraire ,  les  figures  de  mots  font  telles 
que  fi  vous  changez  les  paroles  ,  la  figuré 
s'évanouit  ;  par  exemple  ,  lorfque  parlant 
d'une  armée  navale  ,  je  dis  qu'elle  étoit 
compofée  de  cent  voi/es  icciï  une  figure 
de  mots  dont  nous  parlerons  dans  la  fui- 
te ;  'voi/es  eft  là  pour  'vaH/eaux  :  que  fi  je 
fubflitue  le  mot  de  vaijieaux  à  celui  de 
'voiles,  j'exprime  également  ma  penfée  j 
mais  il  n'y  a  plus  de  figure. 

CHAPITRE     III. 

Divijiûiî  des  figures  de  mots. 

L  y  a  quatre  difércntes  fortes  de  figures 

qui  regardent  les  mots. 

i'^.  Celles  que  les  Grammairiens  apè- 


I 


14  DÈSTROPËS 

lent  Jigures  de  diction:  elles  regardent  leé 
changemens  qai  arivent  dans  les  lettres 
ou  dans  les  fyllabes  des  mots  j  telle  eft  j 
par  exemple  ,  la  fyncope,  c'efl:  le  retran- 
chement d'une  lettre  ou  d'une  fyllabe  aii 
milieu  d'un  mot ,  fcuta  <virâm  pour  viro- 
riim* 

z  ^ .  Celles  qui  regardent  uniquement  la 
conftrli£tion  j  par  exemple  ,  lorfqu'Ho- 
1. 1.  Od,  race  parlant  de  Cléopatre ,  dit  monftrum:, 
37. X.. ii.  ^«^...nous  difons  en  François  la  plupart 
des  homes  difent ,  ôC  non  pas  dit.  On  fait 
alors  la  conftructiôn  félon  le  fens.  Cette 
figure  s^2i'^h\cfyUepfe.  J'ai  traité  ailleurs  de 
ces  fortes  de  figures ,  ainli  je  n'en  parlerai 
point  ici. 

30.  Il  y  a  quelques  figures  de  mots^ 
dans  lefquelles  les  mots  confervcnt  leur 
fignification  propre ,  telle  eft  la  répétition  ; 
6cc.  C'eft  aux  Rhéteurs  à  parler  de  ces  for- 
tes de  figures  ^  aufli  bien  que  des  figures 
de  penfées.  Dans  les  unes  &;  dans  les  au- 
tres ,  la  figure  ne  confifte  point  dans  le 
changement  de  fignification  des  mots  ^ 
ainfi  elles  ne  font  point  de  mon  fujet. 

4*^.  Enfin  il  y  a  des  figures  de  mots 
qu'on  apèle  Tropes\  les  mots  prènent  par 
ces  fi2:ures  des  fio;nifications  diférentes  de 


EN    GENERAL  ï$ 

ïeur  (îgnification  propre.  Ce  font  là  les 
figures  donc  j'entreprens  de  parler  dans 
cette  partie  de  la  Grammaire. 

ARTICLE     î  V. 

Défnitioiî  des  Troues. 

LEs  Tropes  font  des  figures  par  lefqucl- 
les  on  fait  prendre  à  un  mot  une  figni- 
fication ,  qui  n'eft  pas  précilement  la  fi- 
gnification  propre  de  ce  mot:  ainii  pour 
entendre  ce  que  c'eft  qu'un  trope,  il  faut 
comencer  par  bien  comprendre  ce  que 
c'eft  que  la  fignification  propre  d'un  mot  \ 
nous  l'expliquerons  bien-tot. 

Ces  figures  font  apelées  trofes  du  grec  Tpc'-^oç 
tropos  coni)érJïû  ,  dont  la  racine  eft  trefo  ,  t^/ttc». 
Verto,y>  tourne.  Elles  font  ainfi  apelées  , 
parce  que  quand  on  prend  un  mot  dans  le 
fcns  figuré  ^  on  le  tourne  ^  pour  ainfi  dire  , 
afin  de  lui  faire  fignifier  ce  qu'il  ne  figni- 
fie  point  dans  le  fens  propre  :  l'oiles  dans 
le  lens  propre  ne  fignifie  point  -vai/fcaux  , 
les  voiles  ne  font  qu'une  partie  du  vail- 
feau  :  cependant  'uoilcs  fe  dit  quelquefois 
pour  vaijfcaux ,  corne  nous  l'avons  déjà  ïq^ 
marqué» 


16  D  ES    T  RO  P  ES 

Les  tropes  font  des  figures  ,  puifqae  ce 
font  des  manières  de  parier ,  qui ,  outre  la 
propriété  de  faire  conoître  ce  qu'on  penfe  * 
ionc  encore  diftinguées  par  quelque  dité- 
rence  particulière,  qui  fait  qu'on  les  ra- 
porte  chacune  à  une  efpèce  à  part: 

11  y  a  dans  les  tropes  une  modification 
ou  diférence  générale  qui  les  rend  tropes, 
de  qui  les  diftingue  des  autres  figures:  cVic 
confifte  en  ce  qu'un  mot  eft  pris  dans  une 
lignification  qui  n'eft  pas  précifémcnt  la 
fignification  propre  -,  mais  de  plus  chaque 
trope  difère  d'un  autre  trope  ,  &  cette  di- 
férence particulière  confilîe  dans  la  ma- 
nière dont  un  mot  s'écarte  de  fa  fiirnifi- 
cation  propre  :  par  exemple  ,  //  piy  a  plus 
de  Fyré:-iées  ^  dit  Louis  XIV.  d'immortèle 
mémoire ,  lorfque  Ton  petit-fils  le  Duc 
d'Anjou  ,  aujourd'hui  Philippe  V.  futapelé 
à  la  Couronne  d'Erpa2;ne.  Louis  Xl\'^ 
vouloit-il  ^ire  que  les  Pyrénées  a  voient 
été  abimée*s  ou  anéanties  ?  nulement  : 
perfone  n'entendit  cette  expreiîion  à  la 
lettre  ,  &  dans  le  fens  propre  j  elle  avoic 
un  fens  figuré.  Boileau  faifant  allufion  ^ 
à  ce  qu'en  \66^,  le  Roi  envoya  au  ie- 
CDurs  de  l'Empereur  des  troupes  qui  dé 
firent  les  Turcs ,  6c  encore  à  ce  que  S<i, 

Majclté 


EN    GENERAL.  17 

Hajefté  établit  la  compagnie  des  Indes  , 
dit  : 

Quand  je  vois  ta  faîîefle. 

Rendre  à  V Aigle  éperdu  fa  première  vigueur,  Difcouis 

La  France  fous  tes  loix  maitrifer  la  Fortune,  ^    ' 

Et  nos  vailFeaux  domtant  l'un  &  l'autre  Neptune...'. 

Ni  V  Aigle  ni  Neptune  ne  fe  prènent  point 
là  dans  le  fens  propre.  Telle  eft  la  modifi- 
cation ou  diférence  générale  ,  qui  fait  que 
ces  façons  de  parler  font  des  tropes. 

Mais  quelle  ef pèce  particulière  de  tropc? 
cela  dépend  de  la  manière  dont  un  mot 
s'écarte  de  fa  fignification  propre  pour  en 
prendre  une  autre.  Les  Pyrénées  dans  le 
ïens  propre,  font  de  hautes  montagnes  qui 
iéparent  la  France  cC  l'Efpagrie.  //  n'y  a 
plus  de  Pyrénées  ,  c'eft-à-dire ,  plus  de  fépa- 
ration ,  plus  de  divifion ,  plus  de  guerre  : 
il  n'y  aura  plus  à  l'avenir  qu'une  bone  in- 
telligence entre  la  France  &:  l'Efpagne  : 
c'eft  une  métonymie  du  (îgne ,  ou  une  mé- 
talepfe  :  les  Pyrénées  ne  feront  plus  un 
iignc  de  féparation» 

L'Aigle  eft  le  fymbole  de  l'Empire  ; 
l'Empereur  porte  un  aigle  à  deux  têtes 
dans  fcs  armoiries  :  ainfi  ,  dans  l'exemple 
que  je  viens  de  raporcci}  V aigle  fignifiè 

B 


is  DÈS    TROPES 

riVllemagiic.  C'eft  le  ligne  pour  la  chofé 
fîgnifîée  :  c'eit  une  niéconymie. 

Neptune  écoic  le  Dieu  de  la  mer ,  il  eiï 
pris  dans  It  même  exemple  pour  i'Ocean , 
pour  la  mer  des  Indes  orientales  &:  occi- 
dentales :  c'eft  encore  une  métonymie. 
Nous  remarquerons  dans  la  fuite  ces  diié- 
rences  particulières  qui  font  les  diterentes 
efpèces  de  cropcs. 

Il  y  a  autant  de  tropes  qu'il  y  a  de  ma- 
nières difërentes  ,  par  lefquelles  on  donc  à 
un  mot  une  lignihcation  qui  n'cft  pas  pré- 
ciiément  la  iignification  propre  de  ce  mot. 
Aveugle  dans  le  lens  propre,  fîgnifie  une 
perfone  qui  eft  privée  de  Tufagc  de  la  vue  : 
il  je  me  fers  de  ce  mot  pour  marquer  ceux 
qui  ont  été  guéris  de  leur  aveuglement , 
^  Mm.  c.  corne  quand  Jefus-Chriil  a  dit,  les  ave  U' 
■  """  ^'    gles  l' oient ,  alors  aveugles  n'eft  plus  dans  le 
fens  propre ,  il  eft  dans  un  fens  que  les  Phi^ 
Jofophes  apèlcnt  fens  divifé  :  ce  fens  divifé 
'     cft  un  trope ,  puifqu'alors  aveugles  fîgniae 
ceux  qui  ont  été  aveugles ,  &:  non  pas  ceux 
qui  le  font.  Ainfi  outre  les  tropes  dont  on 
parle  ordinairement,  j'ai  cru  qu'il  ne  fe- 
roit  pas  inutile  ni  étranger  à  mon  fujet, 
d'expliquer  encore  ici  les  autres  iens  dans 
lefquelsun  même  mot  peut  être  pris  dans 
le  difcours^ 


EN    GENERAL.  19 

ARTICLE     V. 

Le  iraîié  des  Trop  es  ejî  du  r effort  de  la  Grain- 
maire.  On  doit  conoître  les  Tropes pour  bien 
entendre  les  Auteurs ,  &  pour  avoir  des 
conoiffances  exactes  dans  l^art  de  parler  é^ 
d'écrire. 

AU  refte  ce  traité  me  paroît  être  uiie 
partie  ciïentièle  de  la  Grammaire, 
pLiifqa'il  eft  du  refTort  de  la  Grammaire 
de  faire  entendre  la  véritable  fignificatioa 
des  mots ,  6c  en  quel  fens  ils  font  employés 
dans  le  difcours. 

11  n*efl  pas  poffible  de  bien  expliquer 
l'auteur  même  le  plus  facile ,  fans  avoir 
recours  aux  conoiffances  dont  je  parle  ici. 
Les  livres  que  l'on  met  d'abord  entre  les 
mains  des  començans  ,  aulîî-bien  que  les 
autres  livres ,  font  pleins  de  mots  pris  dans 
des  fens  détournés  6c  éloignés  de  la  pre- 
mière lignification  de  ces  mots  j  par  exem-  . 
pie  : 

Tiryre,  tu  patuln:,  récubans  fub  tcgmine  fagi ,      Virg.  EcL 
Sylvéftrem,  ténui,  mufam  meditaris,  avéi;â.      ^-^i' 

Vvits  méditez  une  Mtife ,  c'cil:- à-dire  .  uns 

Bij 


20  DES    TROP  ES 

chanfon ,  'vous  vous  exercez^  a  chanter.  L^S 
Mules  étoient  rc2:ardées  dans  le  Pa2:anir- 
me  comme  les  Déciles  qui  inlpiroient  les 
Poètes  &lesMu{iciens:  ainiiAf/z/^fe  prend 
ici  pour  la  chanfon  même ,  c'efb  la  caufe 
pour  l'éfcc  ;  c'eft  une  métonymie  particu- 
lière, qui  étoit  en  ulage  en  latin-,  nous 
l'expliquerons  dans  la  luite. 

Avênd  dans  le  Icns  propre ,  veut  dire  de 
laveintt  m.ais  parce  que  les  Bergers  fe  fer- 
virent  de  petits  tuyaux  de  blé  ou  d'aveine 
pour  en  taire  une  forte  de  fiute ,  come  font 
encore  les  enfansàla  campagne  ;  de  là  par 
extcnfion  on  a  apelé  anjéna  un  chalumeau , 
une  flûte  de  Berger. 

On  trouve  un  grand  nombre  de  ces  for- 
tes de  figures  dans  le  Nouveau  Teftament, 
dans  l'Imitation  de  J.  C.  dans  les  fables 
de  Phèdre ,  en  un  mot,  dans  les  livres  mê- 
mes qui  (ont  écrits  le  plus  fimplcment,  6c 
parleiqucls  on  comence:  ainfi  je  demeure 
toujours  convaincu  que  cette  partie  n'ell 
point  étrangère  à  la  Grammaire ,  Se  qu'un 
Grammairien  doit  avoir  une  conoillan-ce 
détaillée  des  tropes. 
Réponfe      Je  couvicns ,  Ç\  l'on  veut ,  qu'on  peut 
â  une  ob- bîei-j    parler  fins    jamais  avoir  apris  les 
^'"^  ''^"*      noms  particuliers  de  ces  figures.  Combien 


EN    GENERAL.  21 

de  perfones  fe  fervent  d'expre (lions  méta- 
phoriques ,  fans  favoir  précifément  ce  que 
c'ell  que  métaphore  ?   C'eft  ainii  qu'il  y 
avoit  pius  de  40.  ans  que  le  Bourgeois-     Mola-re 
Gentilhome  ûlifiit  de  la  Profe ,  fans  qutl  tn  CcntîT  adt. 
fat  rien.  Ces  conoidànces  ne  font  d'aucun  n-  ^c,  4. 
ufage  pour  taire  un  compte,  ni  pour  hkn 
canduire  une  maifon  ^  comc  dit  IVP.  Jour-    ibid.  acT;. 
dain ,  mais  elles  font  utiles  &.  néceflaircs  ^  ^ ^'     ^" 
à  ceux  qui  ont  befoin  de  l'art  de  parler  &: 
d'écrire  j  elles  mettent  de  Tordre  dans  les 
idées  qu'on  fe  forme  des  mots  ;  elles  fer- 
vent à  démêler  le  vrai  fens  des  paroles ,  à 
rendre  raifon  du  difcours ,  &l  douent  de  la 
précilion  &c  de  la  jufteiîe. 

Les  Sciences  &:  les  Arts  ne  font  que  des 
obfervations  fur  la  pratique  :  l'ufage  &  la 
pratique  ont  précédé  toutes,  les  fciences  ^ 
tous  les  arts  i  mais  les  Iciences  &  les  arts 
ont  enfuite  periectioné  la  pratique.  Si  Mo- 
lière n'avoit  pas  étudié  lui-même  les  ob- 
fervations détaillées  de  l'art  de  parler  ôc 
d'écrire,  fes  pièces  n'auroient  été  que  des 
pièces  informes  ,  où  le  génie ,  à  la  vérité, 
auroit  paru  quelquefois  ^  mais  qu'on  auroic 
renvoyées  à  l'enfance  de  la  Comédie  :  f^s 
païens  ont  été  perfectionés  par  les  ob- 
servations, ôc  c'eft  l'art  même  qui  lui  a 

B  lij 


52  DES    TROPES 

apris  à  faifir  le  ridicule  d'un  arc  déplacé. 

On  voit  tous  les  jours  des  perfones  qui 
chantent  agréablement,  fans  conoîtreles 
notes,  les  clés,  ni  les  règles  delà  Mufi- 
c]ue ,  elles  ont  chanté  pendant  bien  des 
années  des  fil  £^  des  fa ,  fans  le  favoir  j 
faut-il  pour  cela  ^qu'elles  rejètent  les  fe- 
cours  qu'elles  peuvent  tirer  de  la  Mufl- 
que ,  pour  pcrfectioner  leur  talent  ? 

Nos  pères  ont  vécu  fans  conoître  la  cir- 
culation du  fang;  faut-il  négliger  la  co- 
FiOiilance  de  l'Anatomie  ?  de  ne  faut-il 
plus  étudier  la  Phyfique,  parce  qu'on  a 
refpiré  pendant  plufieurs  iiècles  fans  fa- 
voir que  l'air  eût  de  la  pefanteur^  de  l'é- 
laflicité  ?  Tout  a  fbn  tems  &  fes  ufages  , 
de  Molière  nous  déclare  dans  fes  préfaces, 
qu'il  ne  fe  moque  que  des  abus  &,  du  ri- 
dicule. 


AKTICLE     VI. 

Sens  Propre ,  Se;7s  Figuré. 

A  Vaut  que  d  entrer  dans  le  détail  de 
chaque  Trope  ,  il  eft  néceflaire  de 
bien  comprendre  la  difércnce  qu'il  y  a 
entre  le  fens  propre  6:  le  fens  ligure. 


Il; 

I 


EN    GENERAL.  .  23 

Un  mot  e(l  employé  dans  le  difcours  , 
on  dans  le  icns  propre,  ou  en  général 
dc\ns  un  lens  figure  ,  quel  que  puifîe  être 
le  nom  que  les  Rhéteurs  donent  eniuite 
à  ce  iens  figuré. 

Le  iens  propre  d'un  mot,  c'eil  la  pre- 
mière fignification  du  mot.  Un  mot  cîï 
pris  dans  le  fens  propre  ,  lorfqu'il  fignifie 
ce  pourquoi  il  a  été  premièrement  établi  ^ 
par  exemple:  Le  feu  brûle  ^  la  lumière  nous 
éclaire  ^  tous  ces  mots  là  font  dans  le  Iens 
propre. 

Mais,  quand  un  mot  efl:  pris  dans  un 
autre  fens  ,  il  paroît  alors ,  pour  ainfi  dire , 
fo u s  une  fo r m e  e m p ru n té e  ,  fo u s  im e  fi- 
gure qui  n'eft  pas  fa  figure  naturèle , 
c'eft- à-dire ,  celle  qu'il  a  eue  d'abord  ; 
alors  on  dit  que  ce  mot  eft  au  figuré  \  par 
exemple  :  Le  feit  de  vos  yeux  ,  le  feif  de  ri- 
maginntion  ,  Li  lumière  de  Fefpriî ,  la  clarté 
d'ua  difcours. 

Mdfqtie  dans  le  fens  propre  ,  fignifie 
une  forte  de  couverture  de  toile  cirée  ou 
de  quelque  autre  matière ,  qu'on  fe  met 
fur  le  vifage  pour  fe  déguifcr  ou  pour  fe 
garantir  des  injures  de  l'air.  Ce  n'ell  point 
dans  ce  fens  propre  que  [Malherbe  prcnoit 
le^moc  àQmafque  j  lorfqu'il  diloic  qu'à  la 

13  iv" 


®" 


2A  DES    TROP  ES 

Çonr  il  y  avoic  plus  de  mafques  que  de, 
yifages  :  m^J}fucs  eft  là  dans  un  fens  fi- 
guré ,  ôi  ff  prend  ^ouï perfores  dijjlmnlées , 
pour  ceux  qui  cachent  leurs  véritables  fen- 
timens  ,  qui  fe  démontent ,  pour  ainfi  dire, 
ievifage,  &  prèncnt  des  mines  propres  à 
marquer  une  lituation  d'efprit  &  de  cœur 
toute  autre  que  celle  ou  ils  font  éfective- 
ment. 

Ce  mot  l'oix ,  f  njox  )  a  été  d'abord  éta- 
bli pour  lignifier  le  Ton  qui  fort  de  la  bou- 
che des  animaux,  6c  fi.ir-tout  de  la  bou- 
che des  homes.  On  dit  d'un  home  ,  qu'il 
a  la  voix  mâle  ou  féminine  ,  douce  ou 
rude,  claire  ou  enrouée,  foible  ou  forte, 
enfin  aiguë,  flexible,  grêle ,  cafTée,  &c. 
En  toutes  ces  occafions  ,  -voix  eft  pris  dans 
le  fens  propre,  c'eft-à-dire ,  dans  le  fens 
pour  lequel  ce  mot  a  été  d'abord  établi: 
mais  quand  on  dit  que  le  menfonge  ne  fan- 
roit  ctoiiftr  la  l'oix  de  la  vérité  dans  le  fond  de 
nos  cœurs ,  alors  voix  ell  au  figuré ,  il  fe 
prend  pour  i^ffiration  intérieure^  remords ^ 
cCc.  On  dit  aulh  que  tant  que  le  Peuple  Juif 
écouta  la  voix  de  Dicà^  c'eft  à-du'c ,  tant 
qu'il  obéit  à  fcs  commandemcns  ,  il  en  fut 
affiflé.  Les  hrehis  entendent  la  'voix  du  -paf- 
îeur ,  on  ne  veut  pas  dire  feulement  qu'elles 


EN    GENERAL.  25 

rcconoiiïent  fa  voix  ,  &  la  diftingucnt  de 
la  voix  d'un  autre  home ,  ce  qui  ieroit  le 
fens  propre ,  on  veut  marquer  principale- 
ment qu'elles  lui  obéifTent ,  ce  qui  eit  le 
fens  figuré.  La  voix  du  fang ,  U  voix  de  U 
nature^  c'eft-à-dire,  les  mouvemens  inté- 
rieurs que  nous  reiïentons  à  l'occafion  de 
quelque  accident  arrivé  à  un  parent,  &c. 
La  voix  dit  peuple  ejl  U  voix  de  Dieu ,  c'eft- 
à-dire,  que  le  fentiment  du  peuple,  dans 
les  matières  qui  font  de  fon  reflbrt,  efl: 
le  véritable  fentimcnt. 

C'eft  par  la  voix  qu'on  dit  fon  avis  dans 
les  délibérations,  dans  les  élections,  dans 
les  aflemblées  où  il  s'agit  dé  juger  j  en- 
fuite,  par  extenfion  ,  on  a  apelé  voix ,  le 
fentiment  d'un  particulier,  d'un  Juge.; 
ainfi  en  ce  fens ,  voix  fignifie  avis ,  opinion^ 
fufrage ^  il  a  eu  toutes  les  voix  ,  c'cfl  à  dire , 
tous  les  fufrages  ;  briguer  les  voix  ,  la  plu' 
r alité  des  voix  i  il  vaudroit  mieux  ^  s'il  étoit 
pofFible,  pefer  les  voix  que  de  les  cofvptcr  ^ 
c'cft-à-dire,  qu'il  vaudroit  mieux  fuivre 
l'avis  de  ceux  qui  font  les  plus  favans  6c 
les  plus  fenfés ,  que  de  fe  lailTcr  entraî- 
ner au  ientiment  aveugle  du  plus  grand 
nombre. 

Voix  fignifie  auiîî  dans  un  fens  ércndiî. 


26  DES    TROPES 

gêmïjftment ,  prière.  Dieu  a  écouté  la  voix  de 
fon  peuple  y  &cc. 

Tous  ces  diférens  fens  dumoti/oi.v,  quj 
ne  font  pxis  précifémenr  le  premier  fens , 
qui  feul  eft  le  fens- propre,  foiiE  autant  de 
Icns  lîilurës. 


ARTICLE     VII. 

Ré^cxions  générales  fur  le  Sens  Figuré, 

I. 

Origine  du  Sens  Figuré. 

LA  liaifon  qu'il  y  a  entre  les  idées  ac- 
ceiïbires  ,  je  veux  dire ,  entre  les  idées 
qui  ont  raport  les  unes  aux  autres ,  ell  la 
lource  &  le  principe  des  divers  fens  figurés 
que  Ton  done  aux  mots.  Les  objets  qui 
font  fur  nous  des  impreffions ,  font  tou- 
jours acompagnés  de  ditérentes  circonf- 
tances  qui  nous  frapent,  &  par  Icfquellcs. 
nous  délignons  fouvent,  ou  les  objets  mê- 
mes qu'elles  n'ont  fait  qu'acompagner,  ou 
ceux  dont  elles  nous  réveillent  le  fouve- 
nir.  Le  nom  propre  de  l'idée  acceiïbire  eft 
fbuvent  plus  prélent  à  l'imagination  que 


EN    GENERAL.  27 

le  nom  de  l'idée  principale ,  &  foLivent 
aufli  ces  idées  acceiîoires,  délignaiu  les 
objets  avec  plus  de  circonftanccs  que  ne 
feroient  les  noms  propres  de  ces  objets , 
les  peignent  ou  avec  plus  d'énergie ,  ou 
avec  plus  d'agrément.  De-ià  le  figne  pour 
la  chofe  lignifiée,  la  caufe  pour  i'éiet,  la 
partie  pour  le  tout ,  l'ancécédent  pour  le 
conféquent,  &  les  autres  tropcs  dont  je 
parlerai  dans  la  fuite.  Corne  l'une  de  ces 
idées  ne  fauroit  être  réveillée  fans  exciter 
l'autre,  il  arive  que  rexprelîion  iigurée  efl 
aufîi  facilement  entendue  que  il  l'on  fe 
fervoit  du  mot  propre  -,  elle  eft  même  or- 
dinairement plus  vive  &c  plus  agréable 
quand  elle  eft  employée  à  propos  ^  parce 
qu'elle  réveille  plus  d'une  image  5  elle  ata- 
che  ou  amufe  l'imagination  6c  donc  ailé- 
ment  à  deviner  à  l'efprit. 

I  I. 

Ufages  ou  èfcts  des  Trofcs. 

T.  Un  des  plus  fréquens  ufages  des  tro- 
pcs ,  c'eft  de  réveiller  une  idée  principale, 
par  le  moyen  de  quelque  idée  accciToirc  : 
c'cft  ainfi  qu'on  dit  cent  voiles  pour  cent 
vailTcaux  j  cent  feux  pour  cent  maifous  \ 


2S  DES    TROPES 

il  aime  la  bouteille,  ceft-à-dire,  il  aime 
le  vinj  le  fer  pour  l'épée  ;  la  plume  ou  1© 
Hyle  pour  la  manière  d'écrire ,  &c. 

2.  Les  tropcs  donenc  plus  d'énergie  à 
nos  expreffions.  Quand  nous  fomes  vive- 
ment frapés  de  quelque  penfée ,  nous  nous 
exprimons  rarement  avec  fimplicitéj  l'ob- 
jet qui  nous  ocupe  fe  préiente  à  nous,  avec 
les  idées  acceifoires  qui  l'acompagnent , 
nous  prononçons  les  noms  de  ces  imag;es 
qui  nous  trapent ,  amii  nous  avons  nature- 
lement  recours  aux  tropes  ,  d'où  il  arrive 
que  nous  fefons  mieux  fentir  aux  autres 
ce  que  nous  Tentons  nous-mêmes  :  de  là 
viènent  ces  façons  de  parler ,  H  eji  cnfl^mé 
de  colère  ,  //  efi  tombé  dans  une  erreur  gro f- 
jTere  ^flétrir  U  réputamn^  i enivrer  de  pUi- 
pr  y  ècc, 

3 .  Les  Tropes  ornent  le  difcours.  M.  Fié- 
chier  voulant  parler  de  l'inftruction  qui 
difpofaM.  le  Duc  de  Montaulier  à  faire 
abjuration  de  l'hérélie  ,  au  lieu  de  dire  fim- 
plement  qu'il  fe  fit  initruire ,  que  les  mi- 
nières de  J.  C.  lui  aprirent  les  dogmes  de 
la  Religion  Catholique,  &.  lui  découvri- 
rent les  erreurs  de  l'héréfie  ,  s'exprime  en 
ces  termes  :  «  Tombez,  tombez,  voiles 
3î  importuns  qui  lui  couvrez  la  vérité  de 


EN    GENERAL.  29 

il  nos  myflères  :  îk.  vous ,  Prêtres  de  Jëfus- 
>j  Chrill ,  prenez  le  glaive,  de  la  parole^ 
"  ôc  coupez  fagement  jufqu'aux  racines 
î5  dé  l'erreur,  que  la  nailTance  &  l'éduca- 
î>  tion  avoient  fait  croître  dans  fon  ame. 
«  Mais  par  combien  de  liens  étoic-il  re- 
53  tenu  ? 

Outre  rApoftrophc ,  figure  de  pcnféc , 
qui  fe  trouve  dans  ces  paroles ,  les  TropeS 
en  font  le  principal  ornement  :  Tomlez. 
njoiles ,  couvrez,  .^prenez,  le  glaive ,  coupez,  jnf- 
^11  aux  racines ,  croître ,  liens ,  retenu  i  toutes 
ces  expreflions  font  autant  de  tropes  qui 
forment  des  imagée,  dont  l'imagination 
eft  agréablement  ocupée. 

4.  Les  Tropes  rendent  le  difcours  plus 
noble  :  les  idées  comunes  auxquelles  nous 
fomes  acoutumés,  n'excitent  point  en  nous 
ce  fentiment  d'admiration  &  de  furpnle  ^ 
qui  élève  l'ame  :  en  ces  ocafions  on  a  re- 
cours aux  idées  accclloires ,  qui  prêtent , 
pour  ainfî  dire,  des  habits  plus  nobles  à 
ces  idées  comunes.  Tous  les  bornes  meu- 
rent également  ;  voilà  une  penféc  comune: 
Horace  a  dit: 


JPâllida  mors,  xquo  pulfatpede  pauperum  tabérnas     I-iv.  r. 
Kegumque  turres.  '  "*' 


?o  DES    TROPES 

On  fait  la  paraphrafe  fîmple  Sc  naturèie 
que  Malherbe  a  taie  de  ces  vers. 

La  more  a  des  rigueurs  à  nulle  aiicre  pareilles, 
Aîallbcrb.  .  On  a  beau  la  prier  -, 

^^  La  cruèle  qu'elle  eft  fe  bouche  les  oreilles 

Et  nous  laiiTi  crier. 

Le  pauvre  en  fa  cabane ,  où  le  chaume  le  couvre  , 

Eil:  fujet  à  (es  loix  , 
Et  la  garde  qui  veille  aux  barières  du  Louvre, 
N'en  défend  pas  nos  Rois. 

Au  lieu  de  dire  qu^c'eft  un  Phénicien , 
iqui  a  inventé  les  caractères  de  l'écriture , 
ce  qui  feroic  une  expreflion  trop  iimple 
pour  la  Poëfte ,  Brébeuf  a  dit  ; 

Pharfaic,  C'eft  de  lui  que  nous  vient  cet  art  ingénieux, 
-  "I-     £>g  peindre  la  parole  Se  de  parler  aux  yeux. 
Et  par  les  traits  divers  de  figures  tracées , 
Doner  de  la  couleur  &  du  corps  aux  penfces.  * 

5.  Les  tropes  font  d'un  grand  ufiige 
pour  déguifer  des  idées  dures,  défagréa- 
bles ,  trilles  ,  ou  contraires  à  la  modellie  ; 

*  Piiocnices  primi./ famx  fi  çréditur,  aufi 
Manfûram,  lûJibus  ,  voccm  fignârc  ,  figùrîs.         luc.zn, 
LiS/.  m.  V.  itOm 


EN    GENERAL.  n 

on  en  trouvera  des  exemples  dans  l'arti- 
cle de  reuphémifme ,  èc  dans  celui  d&la 
périphrafe. 

6.  Enfin  les  tropes  enrichiiîent  une  lan- 
gue en  multipliant  l'ufage  d'un  même 
mot,  ils  douent  à  un  mot  une  {igniiica- 
rion  nouvèle  ,  foit  parce  qu'on  l'unit  avec 
d'autres  mots,  auxquels  fouvent  il  ne  le 
peut  joindre  dans  le  fens  propre,  foit 
parce  qu'on  s'en  fert  par  extcnfion  ôc  par 
reilemblance ,  pour  fupléer  aux  termes  qui 
manquent  dans  la  langue. 

Mais  il  ne  faut  pas  croire  avec  quelques     ^^a^^^c 
Sa  vans,  que  les  tropes  n'aient  d'abord  été  crn^rsc  à' é- 
invîntés  que  par  nécejjité ,  k  caufc  du  défaut  ":u"«iier  les 
&  de  la  difette  des  înoîs  propres ,  &  qu'ils  ^^^^^    ^^' 
aient  co?%îrihué depuis  à  la  beauté  0  a  l'or/^e-  M.  RolHn, 

ment  du  di  Ce  ours  ,  de  même  à  peu  près  a  ne  les  ^°"^-  ^^-  P- 
^        ,  ?  r     -     j^       f  '  146.&C1C. 

vetemens  ont  cte  employés  dans  le  corne  ne  e-  ^  oraco- 

ment  pour  couvrir  le  corps  é"  le  défendre  con-  le ,  n.  i  y 5. 

tre  le  froid ,  &  enfuit  e  ont  fervi  a  l'embélir     ^  ^'^^^ 

6'  a  P orner.  Je  ne  croîs  pas  qu'il  y  ait  un  VoiF.  infr. 

allez  erand  nombre  de  mots  qui  fuplécnt^^'^'^-^-^^'' 

<  «^         •  i  r      ..       c.vi.  n.  14. 

a  ceux  qui  manquent,  pour  pouvou"  dn-e 
que  tel  ait  été  le  premier  &:  le  principal 
ufage  des  tropes.  D'ailleurs  ce  n'ell  point 
là,  ce  me  femble ,  la  marche,  pour  ainfi 
dire ,  de  la  nature ,  l'imagination  a  trop  de 


32  DES   TROPES 

part  dans  le  langage  &  dans  la  conduite 
des  homes ,  pour  avoir  été  précédée  en  ce 
point  par  la  néceilité.  Si  nous  difons  d'un 
home  qui  marche  avec  trop  de  lenteur, 
qu'i/  'va  plus  lentement  quune  tortue ,  d'un 
autre,  qu'/7  va  plus  -vîte  que  h  vent  y  d'un 
paiîioné ,  ç^xxilfe  latjfe  emporter  au  torrent  de 
fes paffions ^  &c.  c'eit  que  la  vivacité  avec 
laquelle  nous  refîèntons  ce  que  nous  vou- 
lons cxDrimer,  excite  en  nous  ces  imasies, 
nous  en  lomes  ocupés  les  premiers  ,  ôC 
nous  nous  en  fervons  enfuite  pour  mètre 
en  quelque  forte  devant  les  yeux  des  au- 
tres ce  que  nous  voulons  leur  faire  enten- 
dre. Les  homes  n'ont  point  coniulté,  s'ils 
avoient  ou  s'ils  n'avoient  pas  des  termes 
propres  pour  exprimer  ces  idées ,  ni  li 
l'expreffion  figurée  f^roit  pkis  agréable 
que  i'exprelîîon  propre ,  ils  ont  fuivi  les 
mouvemens  de  leur  imagination  ,  ôc  ce 
que  leur  irtfpiroit  le  deGr  de  faire  fentir 
vivement  aux  autres  ce  qu'ils  fentoient 
eux-mcmes  vivement.  Les  Rhéteurs  ont 
enfuite  remarqué  que  telle  expreffion  étoit 
plus  noble ,  telle  autre  plus  énergique , 
celle-là  plus  agréable,  celle-ci  moins 
dure  ;  en  un  mot,  ils  ont  fait  leurs  obfer- 
^ations  fur  le  langage  des  homes. 


EN   GENERAL.  55 

Je  prendrai  la  liberté  à  ce  fujet ,  de  mV 
ïêter  un  moment  fur  une  remarque  de  peu 
d'importance  :  ccft  que  pour  faire  voir 
x|ue  l'on  fubflitfic  quelquefois  des  termes  Jï-  M.  Roi- 
çttrês  à  la  place  des  mots  prçpres  qui  man"  '"*  °"îf 
-quenî  ^  ce  qui  elt  très- véritable  ,  Ciceron, 
Quintilien  6c  M.  RoUin  ,  qui  penle  &  qui 
parle  corne  ces  grands  homes  ,  dilent  que 
c'eft  par  emprunt  '&  par  métaphore  qu'on  a 
apelé  gemma  le  bourgeon  de  U  'vigne  :  parce , 
difent-ils ,  quil  ri  y  avoit  point  de  mot  pro- 
pre pour  r exprimer.  Mais  ii  nous  en  croyons 
les  Etymologiftes ,  gemma  eft  le  mot  pro- 
pre pour  fîgnifîer  le  bourgeon  de  la  vi- 
gne, &  c'a  été  enfuite  par  figure  que  les 
Latins  ont  doné  ce  nom  aux  perles  6c  aux 
pierres  précieufes.  En  éfet,  c'eft  toujours 
le  plus  comun  &  le  plus  conu  qui  eft  le 
propre ,  &  qui  Te  prête  enfuite  au  fens 
figuré.  Les  laboureurs  du  pays  Latin  co- 
noiiTbient  les  bourgeons  des  vignes  &  des 
arbres ,  6c  leur  avoient  doné  un  nom  avant 
que  d'avoir  vu  des  perles  &  des  pierres 
précieufes  :  mais  come  on  dona  enfuite 
par  figure  &  par  imitation  ce  même  nom 
aux  perles  &  aux  pierres  précieufes,  &c 
qu'aparemmenc  Cicéron,  Quintilien   6c 

Verbi  rranflâtio  inftitûta  eft  inopix  caufâ ,  frcquentâca 

c 


54  DES    TROPES 

M.  RoUin  ont  vu  plus  de  perles  que"  dé 
bourgeons  de  vignes,  ils  ont  cru  que  le 
nom  de  ce  qui  leur  écoit  plus  conu  ,  étoit 
le  nom  propre,  èc  que  le  figuré  étoit 
celui  de  ce  qu'ils  conoifToient  moins. 
• 

III» 

Ce  quon  doit  oh  fer  ver ,  é*  ce  quon  doit 
éviter  dans  l'ufage  des  Troues ,  ^  pour- 
quoi ils  pUifent* 

Les  Tropes  qui  ne  produifent  pas  les 
ëfets  que  je  viens  de  remarquer,  font  dé- 
fectueux. Ils  doivent  fur-tout  être  clairs , 

deledlationis.  Nam  gemmâre  vitts  ,  luxuriem  ejfe  in  herbis  » 
Utas  fégetes ,  ctiam  ruftici  dicunt.  Cic.  de  Orator.  L,  m, 
n.  155.  aliter  XXXVIII. 

Neceffitâte  rûftici  dicunt  gemmam  in  vîtibus.Quid  enim 
dicerent  aliud  ?  Quintil.  inltit.  orat.  lib  viii.  c/r/>.  6.  Me- 
taph. 

Gemma  efl:  id  quod  in  arbôribus  tuméfcit  cum  parère 
incipiunt,  à  geno  ,  id  eft ,  gigwo  :  hinc  Margarfta  &  deiii- 
ceps  omnis  lapis  pretiofus  dicitur  gemma ....  quod  habet 
quoque  Perôttus ,  cujus  hxc  funt  verba,  n  lapillos  gcm- 
93  mas  vocavére  à  (îmilitûdine  gemmârum  quas  in  vitibus 
»:>  llve  arbôribus  ccrnimus;  gemma:  enim  prôpriè  funt  pù- 
'S3  puli  quos  primo  vires  emitrunt  ;  &  gemmâre  vires  di- 

«  cuntur ,  dum  gemmas  emittunt.  «  Martinii  Lexicon  , 

voce  gemma. 

Gemma  éculus  viris  propriè.  i.  gemma  deinde  gerterâle 

nomen  efl  lâpidum  pretioforum.  Baf,  Fabri  Thefaur^  v. 

gtmmu» 


EN    GENERAL.  35 

faciles ,  fc  préfeiiter  naturèlcment ,  Se  n'ê- 
tre mis  en  œuvre  qu'en  tems  &  lieu.  Il 
n'y  a  rien  de  plus  ridicule  en  tout  genre, 
qae  Tafectation  &  le  défaut  de  conve- 
nance. Molière  dans  Tes  Précieufes,  nous 
fournit  un  grand  nombre  d'exemples  de 
ces  expreiîions  recherchées  &  déplacées. 
La  convenance  demande  qu  on  dife  fim- 
plement  à  un  laquais ,  ^onez.  des  ficgcsj  fans 
aler  chercher  le  décour  de  lai  dire  ;  njoitti-    LesPr^c. 
rezo-nous  ici  les  comoditcs  de  Id  converfation*  RiiSc.ii, 
De  plus,  les  idées  accefîbire^  ne  jouent 
point ,  fi  j'ofe  parler  ainfi ,  dans  le  langage 
des  Précieufes  de  Molière ,  ou  ne  jouent 
point  corne  elles  jouent  dans  l'imagina- 
tion d'un  home  fenfé  :  Le  confeiller  des gra-  ibij.  sc.Vr. 
ces  y  pour  dire  le  miroir  :  contentez.  l\nvie  -^^^  Se  j,-, 
qua  ce  fauteuil  de  vous  embrajferj  pour  dire 
afleyez-vous. 

Toutes  ces  expreiîions  tirées  de  loin  &c 
hors  de  leur  place,  marquent  une  trop 
grande  contention  d'efprit ,  6c  font  fentir 
toute  la  peine  qu'on  a  eue  à  les  rechercher  : 
elles  ne  font  pas ,  s'il  eft  permis  de  parler 
ainfi ,  à  l'uniHon  du  bon  fens  ,  je  veux 
dire  qu'elles  font  trop  éloignées  de  la  ma- 
nière de  penfer ,  de  ceux  qui  ont  l'efpric 
droit  &.  jufte,  ôc  qui  fentent  lesconvc- 

Cij 


36        DES  rnoPEs 

nances.  Ceux  qui  cherchent  trop  Torne- 
anent  dans  le  difcours ,  tombent  fouvent 
dans  ce  détaiit ,  lans  s'en  apercevoir  ^  ils 
fe  fa  vent  bon  gré  d'une  expreliion  qui  leur 
paroît  brillante  &  qui  leur  a  coûté ,  &.  Ce 
perfuadent  que  les  autres  en  doivent  être 
aufîi  fatisfaits  qu'ils  le  font  eux-mêmes. 

On  ne  doit  donc  fe  fervir  de  Tropcs 
que  lorfqu'ils  fe  préfentent  naturèlement 
à  l'efprit  ;  qu'ils  font  tirés  du  fujet  ;  que 
les  idées  accefïbires  les  font  naître  \  ou 
que  les  bienféances  les  infpirent  4  ils  plai- 
lent  alors ,  mais  il  ne  faut  point  les  aler 
chercher  dans  la  vue  de  plaire. 
Manière  Je  ne  crois  donc  pas  que  ces  fortes  de 
â  eiifei-  figures  plaiferit  extrêmement ,  par  Pingénnufe 
p.  247.  *  hardiejjè  quil y  a  d'uler  au  loin  chercher  des 
expreffans  étrangères  à  U  place  des  natu^ 
reles  ,  ^ni  font  fous  Li  main ,  Il  l'on  peut  par- 
ler ainfi.  Quoique  ce  foit  là  une  penféc 
de  Cicéron ,  adoptée  par  M.  KoUin  ,  je 
crois  plutôt  que  les  expreffions  figurées 
douent  de  la  grâce  au  difcours ,  parce 
que,  corne  ces  xleux  grands  homes  le 
ib.  p.  148.  remarquent ,  elles  douent  du  corps ,  pour 
ainji  dire  ^  aux  chofes  les  plus  fpiritukles  ^  cr 
les  font  prefcjue  toucher  au  doigt  &  a  t œil  par 
Us  images  qu  elles  en  tracent  à  l'imagination  ; 


EN    GENERAL.  ^j 

en  im  mot,  pa^r  les  idées  fenfibles  5c  aç- 


cclFoires. . 

I  V. 


Suite  des  Reflexions  gêner  aïe  s  fur  h 
Sens  figurée 

iv  II  n'y  a  peut-être  point  de  mot  qui 
ne  fc  prène  en  quelque  fens  lî<j!;uré  ,  c'eil:- 
à-dire,  éloigné  de  (a  fignification  propre 
&  primitive. 

Les  mots  les  plus  comuns  6c  qui  re- 
viènent  fouvent  dans  le  difcours ,  font 
ceux  qui  font  pris  le  plus  fréquemment 
dans  un  fens  figuré ,  éc  qui  ont  un  plus 
2:rand  nombre  de  ces  fortes  de  fens  :  tels 
font  cor^s  y  ame ,  tète ,  couleur ,  avoir ,  faire , 
bec. 

n.  Unr  mot  ne  eonfer\^e  pas  dans  la 
traduction  tous  les  fens  figurés  qu'il  a  dans 
la  lan!2;ue  orii^inale  :  chaQ;ue  lan2;ue  a  des 
expreliions  figurées  qui  lui  font  particu- 
lières ,  foit  parce  que  ces  exprelTions  font 
tirées  de  certains  ufages  établis  dans  un 
pays,  ôc  inconus  dans  un  autre  \  foit  par 
quelque  autre  raifon  purement  arbitraire. 
Les  diférens  fens  figurés  du  mot  voix  ,  que 
nous  avons  remarqués ,  ne  font  pas  tous 
en  ufagc  enlatin ,  on  ne  dit  point  vox  pour 

C  iij 


3S  DES    TROPES 

fufrage.  Nous  dirons  porter  envk ,  ce  qui 
ne  feroit  pas  entendu  en  latin  par  ferre 
invidïam  :  au  contraire ,  morem genre  alicut, 
eft  une  façon  de  parler  latine ,  qui  ne  fe- 
roit pas  entendue  en  françojs ,  il  on  fe, 
contentoit  de  la  rendre  mot  à  mot,  ôc 
que  l'on  ixdiàmsit  ^  porter  la  coutume  à  quel- 
quun^  au  lieu  de  dire,  faire  voir  à  quel- 
qu'un qu'on  fe  conforme  à  fon  goût ,  à  fa 
manière  de  vivre  ,  être  complaifant ,  lui 
obéir.  Il  en  eft  de  même  de  mcem  gérere , 
'uerbadare  ^  &  d'un  grand  nombre  d'autres 
façons  de  parler  que  j'ai  remarquées  ail- 
lieurs,  &.  que  la  pratique  de  la  verfion 
interlinéaire  aprendra. 

Ain{i ,  quand  il  s'agit  de  traduire  en 
une  autre  langue  quelque  expreiîion  figu- 
rée ,  le  traducteur  trouve  fou  vent  que  fa. 
langue  n'adopte  point  la  figure  de  la  lan- 
gue originale,  alors  il  doit  avoir  recours 
à  quelque  autre  exprefiion  figurée  de  fa 
propre  langue ,  qui  réponde ,  s'il  eft  poiîi- 
ble ,  à  celle  de  fon  auteur. 

Le  bue  de  ces  fortes  de  traductions  ^ 
n'eft  que  de  faire  entendre  la  penfée  d'un' 
auteur  j  ainfi  on  doit  alors  s'atacher  à  la 
penfée  &:  non  à  la  lettre,  &  parler  corne 
l'auteur  lui-même  au roit  parlé,  filalan- 


I 


EN    GENERAL.  59 

îjue  dans  laquelle  on  le  traduic  avoit  été 
la  langue  nacurèle.  Mais  quand  il  s'agit 
de  fau'e  entendre  une  laneiue  étranG;ère  , 
on  doit  alors  traduire  litéralement ,  afin 
de  faire  comprendre  le  tour  original  de 
cette  langue.. 

V. 

Ohfcrvations  fur  Us  DîHlonalres  Latins» 
François. 

Nos  Diclionaires  n'ont  point  alîes  re- 
marqué ces  ditërcnces  j  je  veux  dire,  les 
divers  fens  que  Ton  done  par  figure  à  un 
même  mot  dans  une  même  langue  \  èC 
les  diférentes  fignifications  que  celui  qui 
traduit  eft  obligé  de  doncr  à  nn  même 
mot  ou  à  une  même  cxpredion,  pour  faire 
entendre  la  penfée  de  fon  auteur.  Ce  font 
deux  idées  fort  ditérentes  que  nos  I>ic- 
tionaires  confondent  ;  ce  qui  les  rend 
moins  utiles  ôc  fouvent  nuifibles  aux  co- 
mençans*  Je  vais  faire  entendre  ma  pen- 
fée par  cet  exemple. 

Porter ,  fe  rend  en-  latin  dans  le  fens 
propre  ip2.Y  ferre  :  mais  quand  nous  difons 
porter  envie  ,  porter  la  parole ,  fe  porter  bien 
oi^malj  &c,  on  ne  le  fert  plus  àc  ferre 
pour  rendre  ces  façons  de  parler  en  latin: 

Civ 


40  LES    TROPES 

la  langue  latine  a  Tes  expreffions  partica- 
lières  pour  les  exprimer;  porfer  ou  ferre 
ne  font  dIus  alors  dans  l'imagination  de 
celui  qui  parle  latin  :  ainfi^  quand  on 
çonGdèrc  ^^r/(rr,  tout  feul  &  féparé  des 
autres  mots  qui  lui  douent  un  fens  figuré^ 
on  manqucroit  d'exactitude  dans  les  Dic« 
tionaires  francois-latins ,  fi  l'on  difoit  d'a- 
bord  fimplement  que  porter  fe  rend  en 
latin  par  ferre  ,  invider e  ,  àlloqui  ,  'ua- 
1ère  ^  &CC. 

Pourquoi  donc  tombe-t  on  dans  la  mê- 
me faute   dans  les   Diélionaires   latins- 
françois,  quand  il  s'agit  de  traduire  uri 
mot  latin  ?  Pourquoi  joint-on  à  la  figni- 
fîcation  propre  d'un  mot  ,  quelqu'autre 
fignification  figurée  qu'il  n'a  jamais  tout 
feul  en  latin  ?  La  figure  n'efi:  que  dans  no- 
tre françois ,  parce  que  nous  nous  fervons 
*  Voyez  ({\iYiQ  autre  imaçc,  &  par  conféquent  de 
naiic  latin-  ^lots  tout  duercns  ;  par  exemple  :  *  M//- 
fiançois^ ,  1ère  (ignifie ,  dit  on ,  envoyer ,  retenir ,  are- 
imprime     ^^^    écrirc ,  n'cft-cc  pas  come  fi  l'on  di- 

ioiis     le  '  ■■ 

nom  du  R.  foit  daus  le  Diclionaire  françois-latin  , 
p.Tacharr,  q^g  porter  fc  rend  en  latin  par  ferre ,  invi" 

en  1717,  &     1^     -^    ,,,         .  /'     ^   T  •         -'  > 

quelques  ^^^^  y  auo^tit^  vaLcrc  ?  Jamais  mittere  n  a  eu 
autres  Die- la  figuification  de  retenir^  d'areter^  d'c- 
nonaires    ^^^     ^        l'ima^-inatiou  d'un  home  oui 


EN    GENERAL.  41 

parloit  latin.  Quand  Térence  a  dit:  *  /d-  '* Adclp. 

crymas  mitte  ,  ôc  *^  -miffam  îramfdciet;  mit-  ^  ^  ^'    ' 

Et  îcre  avoic  toujours  dans  fon  cfprit  la  figni-     **  Hcc 

fication  d'envoyer  :  envoyez  loin  de  vous  ^^-  ^  ^*^° 

,  -^  ,^    ^  1.  V.  14. 

vos  larmes ,  votre  colère,  corne  on  ren- 
voie tout  ce  dont  on  veut  fe  défaire.  Que 
Il  en  ces  ocalions  nous  difons  plutôt , 
retenez^  vos  larmes ,  retenez,  votre  colère ,  c'eft 
que  pour  exprimer  ce  fens  ,  nous  avons 
recours  à  une  métaphore  prife  de  l'action 
que  l'on  fait  quand  on  retient  un  cheval 
avec  le  frein,  ou  quand  on  empêche  qu'une 
chofe  ne  tombe  ou  ne  s'échape.  Ain  fi  il 
faut  toujours  diftingucr  les  deux  fortes  de 
traductions  dont  j'ai  parlé  ailleurs.  Quand 
on  ne  traduit  que  pour  faire  entendre  la 
penfée  d'un  auteur,  on  doit  rendre,  s'il 
efl:  pofîiblc  ,  figure  par  figure,  fans  s'ata- 
cher  à  traduire  litéralcment  j  mais  quand 
il  s'agit  de  doner  l'intelligence  d'une 
langue ,  ce  qui  efl  le  but  des  Dictionai- 
tes  ,  on  doit  traduire  litéralemcnr ,  afin  de 
faire  entendre  le  fcns  figuré  qui  ell  en 
ufa2:e  en  cette  lang-ue  à  l'éirard  d'un  cer- 
tain  mot  -,  autrement  c'eft<out  confondre  : 
les  Diclionaircs  nous  diront  que  /t^ua  Ci- 
gnifie  le  feu,  de  la  même  manière  qu'ils 
nous  difcnt  que  mttterc  veut  dire  arèter  ^ 


42  DES  TROP  ES 

retenir  ;  car  enfin  les  Latins,  crioient  aquai^ 

*  Térrita  aquas ,  "^  c'eft-à-dire ,  ajférte  aquaSy  quand 

vicmas      Yc  feu  avoit  pris  à  la  maifon ,  fie  nous 

Kiacaquas.  crions  alors  au  feu  ^  ceit-a-dire^  acourez 

Prop.  L.  4.  au  feu  pour  aider  à  réteindj;e.  Ainfi  quand 

*d  ^'extin.  ^^  s'agit  d'aprcndrc  la  langue  d^un  auteur^ 

gnéndum    il  faut  d'abord  doner  à  un  mot  fa  fignifî- 

^^^^'^g'^' cation  propre,   c'eft-à-dire,   celle  qu'il 

loaidus.     avoit  dans  l'imagination  de  l'auteur  qui 

îc^iA,  5*en  e{^  {ç.'cv'x ,  ôc  enfuite  on  le  traduit,  (î 

l'on  veut ,  félon  la  traduAion  des  penfées, 

c'eft  à' dire ,  à  la  manière  dont  on  rend  le 

même  fonds  de  penfée ,  félon  l'ufage  d\ine 

autre  langue. 

Mittere  ne  fignifie  donc  point  en  latin 
retenir  y  non  plus  c^^cpéllere ,  qui  veut  dire 
En.  2.  V.  chajfer.  Si  Térence  a  dit  lâcrymas  mitte , 
7^^-  Virgile  a  dit  dans  le  même  fens  ,  làcry^ 
mas  diléct^  felU  Creâfd,  Chafîez  les  larmes 
de  Créiife,  c'eft-à-dire ,  les  larmes  que 
vous  répandez  pour  l'amour  de  Créiile  , 
ceiïez  de  pleurer  votre  chère  Créiife ,  re- 
tenez les  larmes  que  vous  répandez  pour 
l'amour  d'elle ,  confolez-vous. 

Mittere  ne  veut  pas  dire  non  plus  eri; 
latin  écrire  :  6c  quand  on  trouve  mittere 
epiftolam  alictà,  cela  veut  dire  dans  le  latin, 
envGjer  une  lettre  à  qttelqt^^uriy^  nous,  di- 


EN    GENERAL.  43 

fons  plus  ordinairement ,  écrire  une  lettre 
À  quelqu'un.  Je  ne  finirois  point  (1  je  vou- 
lois  rapporter  ici  un  plus  grand  nombre 
d'exemples  du  peu  d'exa£ticude  de  nos 
meilleurs  Diclionaires  ;  merces  punition, 
nox  la  mort,  pulvis  le  bareau ,  &:c. 

Je  vo.udrois  donc  que  nos  Dictionaires 
donaiîent  d'abord  à  un  mot  latin  la  figni- 
fication  propre  que  ce  mot  avoit  dans  l'i- 
magination des  auteurs  latins:  qu'enluite 
ils  ajoutaflent  les  divers  fens  figurés  que 
les  Latins  donoient  à  ce  mot.  Mais  quand 
il  arrive  qu'un  mot  joint  à  un  autre  ,  for- 
me une  exprellion  figurée ,  un  fens  ,  une 
penfée  que  nous  rendons  en  notre  lan- 
gue ,  par  une  image  diférente  de  celle  qui 
étoit  en  ufage  en  latin  ;  alors  je  voudrois 
diftinguer  : 

I .  Si  l'explication  litérale  qu'on  a  déjà 
donée  du  mot  latin,  fuffit  pour  taire  en- 
tendre à  la  lettre  l'exprelîion  figurée,  ou 
la  penfée  litérale  du  latin  ;  en  ce  cas,  je 
me  contenterois  de  rendre  la  penfée  à 
notre  manière  j  par  exemple  :  mittcre  en- 
voyer, mitte  iram ^  retenez  votre  colère, 
mîttere  ep ift olam  altcai  ^écnzQ  une  lettre  à 
quelqu'un. 

Provfncia^  Province,  de pro  ou prôcul , 


44  DES    TROP  ES 

&  de  v'mctre  lier ,  obliger ,  ou  félon  d*atr- 
tres,  de  vmcere  ^  vaincre  :  c'étoic  le  nom 
généFic]ue  que  les  Romains  donoientanx 
pays  dont  ils  s'étaient  rendus  maîtres  hors 
de  l'Italie.  On  dit  dans  le  fens  propre , 
frovmciam  càpere  ^  fufctpere  ,   prendre  le 
gouvernement   d'une  province,  en  être 
fait  gouverneur  j  &   on  dit   par  méta- 
phore, provmciam  Jufcfpere  ^  être  dans  un 
emploi,  dans  une  fonction,  faire  quelque 
Aâ^'^r  °'^'  Cf^tJ^^P^^i^^*  Provmciam  cepijii  duram^  tu  t'es 
■^'chargé  d'une  mauvaife  comilTion ,  d'un 
emploi  diiicile. 

2 .  Mais  lorfque  la  façon  dp  parler  latine 
eft:  trop  éloignée  de  la  françoife,  &  que 
la  lettre  n'en  peut  pas  être  aifément  en- 
tendue ,  les  Di£tionaires  devroient  l'ex- 
pliquer d'abord  litéralcment,  6c  enfuite 
ajouter  la  phràfe  françoife  qui  répond  à  la 
latine  j  par  exemple  :  Uterem  crudumUvàrCy 
laver  une  brique  crue,  c'eft-à-dire  ,  per- 
dre fon  tems  <k;  fa  peine ,  perdre  fon  la- 
tin. Qui  laveroit  une  brique  avant  qu'elle 
fût  cuite ,  ne  feroit  que  de  la  boue ,  &  per- 
droit  la  brique.  On  ne  doit  pas  conclure 
de  cet  exemple,  que  jamais  Uvdre  ait  (i- 
gnifié  en  latin  perdre,  ni  Uter  tems  o« 
peine. 


EN    G  E  N  ERAL.         45 

Au  reflc ,  il  efl  évident  que  ces  diverfes 
/îgnilications  qu'une  langue  done  à  un 
même  mot  d'une  autre  langue ,  font  étran- 
gères à'ce  mot  dans  la  langue  originale  ; 
ainii  elles  ne  font  point  de  mon  fujet  :  je 
traite  feulement  ici  des  diférens  fens  que 
l'oTi  done  à  un  même  mot  dans  une  même 
langue ,  &  non  pas  des  diférentes  images 
dont  on  peut  fe  fervir  en  traduifant ,  pour 
exprimer  le  même  fonds  de  penfée. 


46 


DES    TROPES. 

SECONDE     PARTIE; 

Des  Tropes  en  particulier, 

—       ■  --  -■  I 

I.  . 

La    Catachrese, 

Ahus ,  Extenjion ,  ou  Imitation. 

Ka-TK^pticiç  ir  Es  langues  les  plus  riches  n'ont  point 
Abùfio.  f  j  un  affez  grand  nombre  de  mots  pour 
exprimer  chaque  idée  particulière ,  par  un 
terme  qui  ne  foit  que  le  ligne  propre  dé 
cette  idée  j  ainfi  l'on  eft  fbuvent  obligé 
d'emprunter  le  mot  propre  de  quclqu'au- 
tre  idée ,  qui  a  le  plus  de  raport  à  celle 
qu'on  veut  exprimer  ^  par  exemple  :  l'u- 
fage  ordinaire  eft  de  clouer  des  fers  fous  le^ 
pies  des  chevaux  ,  ce  qui  s'apèle  ferrer  un 
cheval'^  que  s'il  arive  qu'au  lieu  de  fer  on 
fe  ferve  d'argent ,  on  dit  alors  que  les  che- 
y^xxyi  font  ferrés  d'argent  ^  plutôt  que  d'in- 
venter un  nouveau  mot  qui  ne  feroit  pas 
entendu  :  on  terre  aufîi  d'argent  une  caf- 
fette,  ôcc.  alors  yîrrr^r  fignifie  par  excen- 


ip^ 


La  catachrese.      47 

tion ,  garnir  d'argent  au  lieu  de  fer.  On 
die  de  même  a/er  à  cheval  fur  un  bâton  ^ 
c'eft- à-dire,  fe  mettre  fur  un  bâton  de  la 
niême  manière  qu'on  fe  place  à  cheval. 

Ludere  par  impar  -,  equitare  in  amndine  longâ.        Hoh   x. 

Dans  les  ports  de  mer  on  dit  bâtir  un 
vaijjeau ,  quoique  le  mot  de  bâtir  ne  le  dife 
proprement  que  des  maifons   ou  autres 
édifices  :  Virgile  s'eft  fervi  à\edificdre^  bâ-   ^n-  î-  ^■ 
tir,  en  parlant  du  cheval  de  Troie;  6c  ^'^cic.  pro 
Cicérona  dit,  xdifcdre  clajfem^  bâtir  une  legeMani- 
flote.  ^^•"•^* 

Dieu  dit  à  Moïfe ,  je  ferai  pleuvoir  pour 
vous  des  pains  du  Ciel ,  Sc  ces  pains  c'étoit 
la  mâne  :  Moïfe  en  la  montrant  dit  aux 
Juifs ,  voila  le  pain  que  Dieu  vous  a  doné  Exod.  ck 
pour  vivre.  Ainfi  la  mâne  fut  apelée  pain  *y^*  '*^'  +- 
par  extenfion. 

Parricida ,  parricide ,  fc  dit  en  latin  6c 
en  françois ,  non  feulement  de  celui  qui 
tue  fon  père ,  ce  qui  eft  le  premier  ufage 
de  ce  mot  \  mais  il  fe  dit  encore  par  ex- 
teniion  de  celui  qui  fait  mourir  fa  mère  , 
ou  quelqu'un  de  (es  parens ,  ou  enfin  quel- 
que perfone  facrée. 

Ainfi  la  Catachréfe  eft  un  écart  que 
certains  mots  font  de  leur  première  figni- 


48       LA    CATACHRESE. 

ficatioa ,  pour  en  prendre  une  autre  qui  y 
a  quelque  raport,  OC  c'eft  auffi  ce  qu'on 
apèle  extenjion  :  par  exemple  \  feuille  fe  dit 
par  extenfion  ou  imitation  des  chofes  qui 
font  plates  Se  minces ,  corne  les  feuilles 
des  plantes  j  on  dit  une  feuille  de  papier,  une 
feuille  de  fer  blanc ,  une  feuille  d'or,  une  feuille 
^^  d'éiain ,  qu'on  met  derrière  les  miroirs  : 
une  feuille  de  carton  ,-  le  talc  fe  lè've  par  feuil- 
les s  les  feuilles  d'un  paravent ,  ôcc. 

La  langue ,  qui  eft  le  principal  organe 
de  la  parole,  a  doné  Ton  nom  par  méto- 
nymie &  par  extenfîon  au  mot  générique 
dont  on  fe  fert  pour  marquer  les  idiomes , 
le  langage  des  diférentes  nations  :  langue 
latine ,  langue  franc oife. 

Glace ,  dans  le  fens  propre ,  c'efl:  de  l'eau 
gelée:  ce  mot  lignifie  enfuite  par  imita- 
tion, par  extenlion,  un  verre  poli,  une 
çlacede  miroir,  une  glace  de  carolîe. 

Glace  fignifie  encore  une  forte  de  com- 
poiîtion  de  fucre  &  de  blanc  d'œuf ,  que 
l'on  coule  fur  les  bifcuits,  ou  que  l'on 
met  fur  les  fruits  confits. 

Enfin ,  glace  fe  dit  encore  au  pluriel , 
d'une  forte  de  liqueur  congelée 

Il  y  a  même  des  mots  qui  ont  perdu 
leur  première  fignifîcation,  é<:  n'ont  retenu 

que 


LA    CATACHRESE.       49 

qne  celle  qu'ils  ont  eue  par  extenfîon  -.fiorir, 
fiorijfdnt  ^  le  difoient  autrefois  des  arbres 
&  des  plantes  qui  font  en  fleurs  \  aujour- 
d'hui on  dit  plus  ordinairement^a/r/V  au 
propre  ^  &  florir  au  figuré  :  il  ce  n'eft  à 
l'infinitif,  c'ell  au  moins  dans  les  autres 
modes  de  ce  verbe  ;  alors  il  fignifie  être 
en  crédit,  en  honeur,  en  réputation  :  Vê- 
i-^'arcjueflorïjfoit  vers  le  milieu  du  XIV.  (iè- 
cle  :  une  armcc  fiortffante  y  un  empire  florif- 
fant.  «  La  langue  grèque,  dit  Madame 
"Dacier,  fe  maintint  encore  zS^^i.  florif- 
•i-i  fante  jufqu'à  la  prife  de  Conftantinoplcj 
33  en  T453. 

Prince  >,  en  latin  ^r/^r^^j  ,  lignifioit  feu- 
lement autrefois,  premier, principal  \  mais 
aujourd'hui  en  françois  il  fignifie,  un  fou- 
vcrain  ,  ou  une  perione  de  maifon  fouvc- 
raine. 

Le  mot  împerâtor y  Empereur,  ne  fut 
d'abord  qu'un  titre  d'honeur  que  les  foi- 
dats  donoient  dans  le  camp  à  leur  Géné- 
ral ,  quand  il  s'étoit  diflingué  par  quelque 
expédition  mémorable  :  on  n'avoit  ataché 
à  ce  mot  aucune  idée  de  fouveraineté  ,  dis 
tems  même  de  Jules  Céfar ,  qui  avoir  bien 
la  réalité  de  fouverain,  mais  qui  gouver- 
iioit  fous  la  forme  de  l'anciène  Républi- 

D 


50        LA    CATACHRESE, 

que.  Ce  mot  perdit  Ton  anciène  figniiica* 
tion  vers  la  fin  du  règne  d'AuguPtC ,  oit 
peut-être  même  plus  tard. 

Le  mot  latin  fuccârrere ,  que  nous  tra- 
duifons  ipâv  fecourir,  veut  dire  proprement 
courir  fous  ou  fur,  Cicéron  s'en  eft  fervi 
plufîeurs  fois  en  ce  fens  -,  fuccurram  atque 
*  clc.  ààfùb/^h.  Qjiidquîd  *  fuccnrrit  lihet  fcrfbcre^  î^ 
^'"•n.^*  rt  Séné  que  dit  ,  obvios ,  fi  nomr/i  non  fuctâr- 
fînem.        ^^t ,  Dommos jiilutdmHs i  «  lorlque  nous  rcn- 
Senec.  Ep.  „  controns  quelqu'un ,  &  que  Ion  nom  ne 
îî  nous  vient  pas  dans  l'efprit,  nous  l'ape- 
«  ions  Monfieur.  u   Cependant  come  il 
faut  fouvcnt  (e  hâter  &:  courir  pour  venir 
au  fecours  de  quelqu'un,  on  a  doué  in- 
fenfiblcment  à  ce  mot  par  cxtenlîon,  le 
fens  èi  aider  ou  f  courir. 
-ni-roi  Pétere  ,  félon  Perizonius ,  vient  du  grec 

'^vliiz'inP^^^  ^  P^i ornai  ^  àowx.  le  premier  fignific 
^t!i\\&:.Tm.w.  tomber  y  &C  V3.utvc  voler  i  enforte  que  ces 
^*^- 4- c.  4- verbes  marquent  une   action  qui  fe  fait 
■  "^  '        avec  éfort  &  mouvement  vers  quelque  ob- 
jet j  ainii  : 

I.  Le  premier  fens  de  pétere  ^  ceft  ^Ar 
vers  ^  fc  porter  avec  ardeur  vers  un  o')- 
jet  j  enfuite  on  dope  à  ce  mot  par  exten- 
fîon  plufîeurs  autres  fens,  qui  font  une 
fuite  du  premier. 


LA    CATACHRESE.        51 

2.  Il  Cigmûc  fouhaher  d'avoir  ^  briçucr  ^ 
demander  ;  pétcre  confuLitum  ,  briguer  le 
conftiLit  5  pécere  niipcias  aliciijus,  rechercher 
une  perfoiie  en  mariage. 

3.  Aler  prendre  ^/undc  milii  pctam  ci-  Ter.Heaut 
bum.  ^  ^-  M- 

4.  Aler  vers  quelqu'un  \  &  en  conféquen- 
ce  le  f râper  ^  l'ataquer.  Virgile  a  dit  :  mal» 

me  Galatéa  petit  ^  iSC  Ovide,  à  populo  faxis^^^-")"^-^^- 
pr^etereiinie  pctor.  -^^^S-  ^^ 

5.  hnhn pctere  vQiit  dire  par  extcniion, 
aler  en  quelque  lieu ,  enfortc  que  ce  lieu  foie 
l'objet  de  nos  demandes  Se  de  nos  mou- 
vemens.  Les  compagnons  d'Enée,  après 
leur-naufrage,  demandent  à  Didon  qu'il 
leur  Toit  permis  de  fe  mètre  en  état  d'aler 
en  Italie,  dans  le  Lntium ,  ou  du  moins 
d'aler  trouver  le  Roi  Acellc. 

Iciliam  b:ti  Latiûmque  petamus.  Virg.  J£.n, 

I.  V.   558. 

At  fréta  Sicanix  faltem  fedéfque  pârâcas, 
Uiiae  hue  advécli  ,  legémque  petamus  Acéfteii. 

La  réponfe  de  Didon  eildifî;ncde  rcmar* 

que  : 

Seu  vos  Hefpériam  magjiam  Saturniaque  arva  , 
Sive  Erycis  fines,  regémque  optâtis  Acéften. 
oii  vous  voyez  c^'optdtis  explique ^f^/V////. 

D>j 


52        LA   CATACHRESE, 

Virg/^n.  Advértere  fîgnifie  tourner  'vers:  advérîert 
12..  V.  ;;;.  ag7nen  tirhi^  tourner  fon  armée  vers  la  ville  s 
ndvem  advértere  y  tourner  Ton  vaitTeau  vers 
quelque  endroit ,  y  aborder:  enfuite  on  l'a 
clit  par  métaphore  de  refprit  \  advértere 
m'imum ,  advértere  mentem  ;  tourner  l'eTprit 
vers  quelque  objet ,  faire  atention  ,  faire 
A-éHexion  ,  conlidércr  :  on  a  même  fait  un 
mot  compofé  à<riinimti?n  dc  à' advértere  ; 
ani m- advértere  ,  confidérer ,  remarquer  , 
examiner. 

Mais  parce  qu'on  tourne  fon  efprit ,  ^<ix\. 
refîen riment ,  vers  ceux  qui  nous  ont  ofen- 
fés ,  &  qu'on  veut  punir,-  on  a  doné  enfuite 
par  extenilon  le  fens  de  ^unir  à  animadvér- 
tere  ;  verhérihtts  animndvertéhant  in  cives  ; 
*  Salufte -^  ils  tournoient  leur  reiTentiment ,  leur 
Catil.  51.   colère,  avec  des    verges   contre    les  ci- 
toyens, c'efii-à-dire,  qu^ils  condanoientau 
fouet  les  citoyens.  Remarquez  op^ânimas 
fe  prend  alors   dans  le  fens   de  colère. 
Bafil.  Fab. -^f  ^^//^//j- j  dit  Fabct ,  fe  prend  fouvenc 
ÀiUmus'     poï-^'^cct^te  partie  de  Tamc ,  qu£  imfetiis  ha- 
het  &  mottu. 

Hor.  lib.  ^'^^  furor  brevis  cft  ;  ânimum  rege  ,  qui  nifi  paiet 
I.  Epift.  i.  Imperat  -,  hune  frenis  ,  luinc  tu  compéfce  catén;-.. 

Ces  fortes  d'extenfions  doivent  être  au- 


LA  CATACHRESE.         5? 

rorifées  parTafage  d'une  langue, 6c  ne  (ont 
pas  toujours  réciproques  dans  une  autre 
Tangue;  c'eft-à-dirc  ,  que  le  mot  François 
ou  alemand ,  qui  répond  au  mot  latin  , 
félon  le  fens  propre  ,  ne  fe  prend  pas  tou- 
jours en  François  ou  en  alemand  dans  le 
même  fcns  fi^^uré  eue  l'on  done  au  mot 
latin  :  demander  répond  à  petcre  \  cepen- 
dant nous  ne  difons  point  demander  pour 
atacjmr ,  ni  pour  akr.  a. 

Oppido  dans  Fon  origine  cfl  le  datiFd'^?/»- 
fidum  ,  ville  ;  oppido  pour  la  ville  ,  au  darit. 
Les  laboureurs  en  s'entretenant  enfemble, 
dit  Feftus  ,  Fe  demandoient  l'un  à  l'autre  , 
avez-vous  Fait  bone  récolte  ?  Sdpe  refpan-^ 
débat ur  ,  quantum  vel  oppido  fatis  effet  ^  j'en 
aurois  pournourir  route  la  ville  :  &:  de  là 
efl:  venu  qu'on  a  dit  oppido  adverbialement, 
pour  beaucoup  -,  bine  in  confiietiidinem  l'cnit 
ut  dicerêtur  ,  oppido  pro  valdè  ,  mulciim» 
Feflus.  v.  Oppido. 

Dont  vient  de  undè^  ou  plutat  àc  de 
unde  ,  corne  nous  diFons  dcLi ,  dedans.  Ali-     Teienc^î 
quid  déderis  unde  utatur ,  donez-lui  un  peu  .  l  ^  ^'  .- 
a  argent  dont  il  puille  vivre  en  le  metant  5.  v.  14, 
à  profit  :  ce  m.ot  ne  Fe  prend  plus  aujour-» 
d'hui    dans    Fa  Fignihcation    primitive  y 
on  ne  dit  pas  la  ville,  dont  je  Tiens  ,  mais 
d'ok  je  viens,.  D  iij 


54       LA    CATACHRESE. 

Propinare^  boire  à  la  fanté  de  quelqu'un, 
çft  un  mot  purement  grec,  qui  veut  dire 
à  la  lettre  ,  boire  le  premier.  Quand  les  an- 
ciens vouloient  exciter  quelqu'un  à  boire, 
5c  faire  à  peu  près  à  fon  égard  ce  que  nous 
apelons  boire  à  la  fanté  \  ils  prenoient  une 
coupe  pleine  de  vin,  ils  en  bu  voient  un. 
peu  les  premiers,  &  enfuite  ils  préfcn- 
toient  la  coupe  à  celui  qu'ils  vouloient 
exciter  à  boire.  ^  Cet  ufage  s'efl  confervé 
en  Flandre,  en  Holand^  ,  Se  dans  le  Nord  : 
on  fait  l'eiïai,  c'eft-à  dire,  qu'avant  que 
de  vous  préfenter  le  vafç ,  on  en  boit  un. 
peu  ,  pour  vous  marquer. que  vous  pouvez 
en  boire  ians  rien  craindre.  De  là,  par  ex- 
tenfion,  par  imitation ,  on  s'eft  fervi  de 
propinarc  pour  livrer  quelqutm  ,  h  trahir 
pour  faire  plaifir  à  un  autre  j  le  livrer ,  le 
doner  corne  on  donc  la  coupe  à  boire  après 
avoir  fait  l'eiïai.  ]e  vous  le  livre  ^  dit  Té- 
rence,  en  fe  fervant  par  extenfion  du  mot 
Ter.  ^v^n. propf/iO  ,  moquez^  vous  de  lui  tant  quil  vous 

Act.v.  fcc- 

ïie dern.       _,     .  ,  .  ,  t     ,r  ■ 

*  Hic  Regina  gravem  gemmis  auroque  plopolciç, 

Implevitque  mero  pdteram 

'  5c  in  menfa  lâ:icum  Iibâvit  honorcm  , 

Primâ(L]ue  libâto  fummo  tenus  âttigit  ore  : 
Tum  Bitix  dcdit  incrépitans  j  ille  impiger  haufic 
Spumântcm  pâteram  ,  &  pleno  fe  proluit  auro.  &u.  I.  7  51. 


LA    CATACHliESE.         55 

flaira^  hune  vobis  dendéndum  propino. 

Nous  avons  vu  dans  la  cinquième  par- 
tic  de  cette  Grammaire  ,  que  la  prépofi- 
tion  fupléoit  aux  raports  qu'on  ne  lauroic 
marquer  par  les  terminaifons  des  mots  > 
qu'elle  marquoit  un  raport  général  ou  une 
circonftance  générale,  qui  étoit  enluite 
déterminée  par  le  mot  qui  fuie  la.prépo- 
iîtion. 

Or,  cts  raports  ou  circonllances  géné- 
rales font  prefque  infinies,  t-C  le  nombre 
des  prépoiirions  eft  extrêmement  borné  ; 
mais  pour  fupléer  à  celles  qui  manquent^ 
on  donc  divers  ufages  à  la  même  prépo.- 
iition. 

Chaque  prépofition  a  fa  première  figni- 
fication,  elle  a  la  dedination  principale, 
fon  premier  fens  propre  ;  ^  enfuite  par 
extenfion ,  par  imitation  ,  par  abus,  en  un 
mot  par  catachrèfe ,  on  la  fait  fervir  à 
marquer  d'autres  raports  qui  ont  quelque 
analo2;ic  avec  la  deilination  principale  de 
la  prépofition  ,  ôc  qui  font  futîifament  in- 
diqués par  le  lens  du  mot  qui  cil  lié  à 
cette  prépoiition  \  par  exemple  : 

La  prépofition  i'û  eft  une  prépofition  de 
lieu  ,  c'eft- à-dire,  que  fon  premier  u(age 
çR-  de  marauei;  la  circonllance  généf^ilt^ 


LA   CATACHRESE. 

4'être  dans  un  lieu  •  Ct far  fut  tué  dans  h- 
fénatj  entrer  dans  une  m^ijon^ferrer  dans  unç 
cajfctte. 

Enfuite  on  conddère  par  métaphore  les 
diférentes  (Ituations  de  refpric  &  du  corps, 
les  diférens  états  de  la  fortune  ^  en  un  mot 
les  diférentes  manières  d'être,  come  au- 
'  t;ant  de  lieux  oix  l'home  peut  fe  trouver  ; 
£c  alors  on  dit  par  extenfion ,  être  dans  U 
joie  y  dans  U  crainte ,  dans  le  dej^ein ,  dans  U 
bone  ou  dam  la  jnawvaife  fortune ,  dans  une 
parfaite  fanté  ^  dans  le  dé  (ordre  ,  dans  Cépée  y 
dans  la  robe ,  dans  le  doute ,  ^c. 

On  fe  fcrt  auffi  de  cette  prépofîtioii 
pour  marquer  le  tems  :  c'eft  encore  par  ex^ 
tenfion  ,  par  imitation  j  on  conlidère  le 
tems  come  un  lieu  ,  nolo  rne  in  témpore  hoc 
'videat  fenex  y^  c'efi:  le  dernier  vers  du  qua- 
trième acte  de  l'Andriènc  de  Térence. 

Uhi  êc  ihi  font  des  adverbes  de  lieu  ;  on 

les  fait  fer vir  aulîi  par  imitation  pour  mar- 

virg.iEn.  qucr  le  tcms  5  h£c  uhi  dicla^  après  que  ces 

I.  V.  85.     mots    furent    dits  ,    après    ces   paroles. 

And.  Adt.  '  A^^'^  ^"'^  ihi  natum  ?   (ohjurgajli)  n'alâtes- 

1.  fc.  I.  V.  vous  pas  fur  le  champ  gronder  votre  fils?. 

^^*'         ne  lui  dites-vous  rien  alors? 

.  '  On  peut  faire  de  pareilles  obfervations 

fur  les  autres  prépofitions. ,  ^  fur  uo  grand 
nombre  d'autres  mots. 


LA  CATACHRESE.        57 

«  La  prépoficion  après ,  dit  M.  l'Abé  de     . 
TA  j<.  •  ^  r        Feuille' 

«  Dangeau ,  *  marque  premièrement  poi-  voianrefur 

>5  tériorité  de  lieu  entre  des  perlones  ou  la  prépoii- 

>5  des  chofes  :  marcher  après  quelquun  ,•  le  "°"*i"'<^^- 

»î  l'akt  court  après  fon  maître  ;  les  CanfeilLers 

"^•i-Jont  ajjis  après  les  Vréfidens. 

Enfuite,  coniïdérant  les  honeurs  ,  les 
richelîes ,  &c.  come  des  êtres  réels ,  on  a 
dit  par  imitation  ,  courir  après  Us  honeurs , 
foHptrer  après  fa  liberté. 

"  Âpres ,  marque  auffi  poftériorité  de 
î^  tems  ,  par  une  efpjèce  d'extenfian  de  la 
«  quantité  de  lieu  à  celle  du  tems.  Pierre. 
M  eft  arrivé  après  Jaques.  Quand  un  home 
»  marche  après  un  autre ,  il  arive  ordi- 
M  nairement  plus  tard  j  aprls.  demain ,  apr\s 
»  dîné  .^  d>cc. 

'î  Ce  Tableau  efl  fait  d' après  le  Titien.  Cs 
"^^  payfage  e/l  fait  d'apr}s  nature  :  ces  façons 
M  de  parler  ont  raport  à  la  poftëriorité  de 
«  tems.  Le  Titien  avoit  fait  le  tableau 
"  avant  que  le  peintre  le  copiât  ;  la  nature 
xî  avoit  formé  le  payfage  avant  que  le  peia- 
»3  tre  le  repréfentât. 

C'eft  ainfi  que  les  prépofitions  latines  îi 
^fub  marquent  auffi  le  tems ,  come  je  l'ai 
fiiit  voir  en  parlant  des  prépofitions. 

1?  U  me  femble  >  d,it  M..  l'Abé  de  Daa-. 


5S        LA  CATACHRESE. 
"  geair ,  qu'il  feroic  fort  utile  de  faire  voir 
>î  cornent  on  ell:  venu  à  doner  tous  ces 
"  divers  ufa^jes  à  un  même  mot;  ce  qui 
>3  eft  comun  à  la  plupart  des  langues. 

Le  mot  6! heures  â>:t ,  n'a  lignifié  d'abord 

que  le  tems  j  enfuite  par  extenfion  il  a 

lignifié  les  quatre  faifons  de  Tannée.  Lorf- 

îliad.L.v.  qu'Homère  dit  que  depHis  le  comencement 

Trad.  pag.  ^^,j.  ^^^^^  /^j.  Ij^jiy^^  'vilUnt  d  la  garde  du  hmt 

Olympe  ^  &  que  le  foin  des  portes  du  ciel  leur 

Rem.  p.  ^ji  confié i  Madame  Dacier  remarque  qu'- 

^■^  '         Homère  apèle  les  heures  ce  que  nous  ape- 

lons  les  faifons. 
Herod.L.i.      Hérodote  dit  que  les  Grecs  ont  pris  des 
Babyloniens  Tu  (âge  de  divifer  le  jour  en 
Pline,  L.  douze  parties.  Les  Romains  prirent  en- 
7.  c.  60.     fuifç  cet  ufaire  des  Grecs  ,  il  ne  fi^it  intro- 
duit  chez  les  Romains  qu'après  la  pre- 
mière guerre  punique  :  ce  fut  vers  ce  tems- 
là  que  par  une  autre  extenfion  l'on  dona 
le  nom    èiheurc<;  aux   douze  parties    du 
jour  ,  ôc  aux  douze  parties  de  la  nuit  ; 
celles-ci  étoient  diviféesen  quatre  veilles, 
dont  chacune  comorenoic  trois  heures. 

Dans  le  lancra<^e  de  l'Ei^life,  les  jours 
de  la  lemaine  qui  fi.iivent  le  dimanche, 
font  apelés/<fwj  par  extenfion. 

Il  Y  avoit  parmi  les  anciens  des  fêtes  6c. 


^ 


LA  CATACHRESE.  59 
des  fériés  :  les  fêtes  écoienc  des  jours  So- 
lemnels  oii  l'on  faifoic  des  jeux  ck  des  fa- 
cri  lices  avec  ponipe  3  les  fériés  écoient  feu- 
lement des  jours  de  repos  où  l'on  s'abftc- 
noit  du  travail.  Feftus  prétend  que  ce  mot 
Vient  à  fer  tendis  njiciimis. 

L'anée  chrétiène  començoit  autrefois 
au  jour  de  Pâques  j  ce  qui  étoit  fondé  fur 
ce  paiïàge  de  S.  Paul  :  Quomodo  Chnfius     Rom.  c, 
refiiYYcxit  a.  mortuis ,  ita  (^  nos  in  noviîâtc  ^'  ^-  4- 
i'Ùjs  '  a  mhnlhnus. . 

L'Empereur  Conftantin  ordona  que  l'on, 
s'abfliendroit  de  toute  œuvre  lervile  pen- 
dant la  quinzaine,  de  Pâques,  &:  que  ces 
quinze  jours  f  eroient/e'r/Vj-  ;  cela  fut  exécu- 
té du  moins  pour  la  première  femaine; 
ainii  tous  les  jours  de  cette  première  (e- 
maine  furent j^V/V/.  Le  lendemain  du  di- 
manche d'après  Pâaues  fut  la  féconde  fé- 
rié ,  ain{i  des  autres^  L'on  dona  eniuite  par 
extenfîon  ,  par  imitation  ,  le  nom  àcfcrie 
féconde ,  troifième ,  ■  cjiiatri}nie ,  blQ.  aux  au- 
tres jours  des  femaines  luivantes  ,  pour 
éviter  de  leur  doner  les  noms  profanes  des 
Dieux  des  payens. 

C'efc  ainiî  que  chez  les  juifs  le  nom  de 
fihat  [fabhatum  )  qui  fignifie  repos^  fut  doné 
au  feptième  joui;  dç  la  femainc  ,  en  mé- 


60       LA    CATACHRESE. 

moire  de  ce  qu'en  ce  jour  Dieu  fe  repofà  J 
pour  aioli  dire,  en  ceflant  de  créer  de 
nouveaux  êtres:  cnfuite  par  extenfion  on 
dona  le  même  nom  à  tous  les  jours  de  la 
femaine  ,  en  2.]Qwx.2Lnt  premier^  fécond ,  troi^ 
/leme  ,  êcc.  prima  ^fectmda ,  ^c  ^  fabbatoruw^ 
Sahbatum  le  dit  auiîî  de  la  ièmaine.  On 
dona  encore  ce  nom  à  chaque  feptième 
année,  qu'on  apcla  année  fabatique^  ôî  enfin 
à  l'année  qui  arivoit  après  fept  fois  fepc 
ans ,  c'étoit  le  jubilé  des  Juifs  ;  tems  de 
rémiffion,  de  reftitution ,  oii  chaque  par- 
ticulier rentroit  dans  les  anciens  hérita- 
ges aliénés  ,  ôc  où  les  efclaves  devenoienc 
libres. 

Notre  verbe  aler^  fignifie  dans  le  fcns 
propre  ,  fe  tranfporter  d'un  lieu  à  un  autre  \ 
mais  enfuite  dans  combien  de  fens  figurés 
n'eft  il  pas  employé  par  extenfion  !  Tout 
mouvement  qui  aboutit  à  quelque  fin  ; 
toute  manière  de  procéder,  de  fe  condui- 
re ,  d'ateindre  à  quelque  but;  enfin  tout 
ce  qui  peut  être  comparé  à  des  voyageurs 
qui  vont  enfemble ,  s'exprime  par  le  verbe 
alen  je  vais  ^  ou  je  vas  3  aler  à  fesjins  ,  alcr 
droit  2X\hvX:  il  ira  loin,  c'eft-à-dire,  il  fera 
de  grands  progrès ,  akr  étudier,  alerlire^  ôcc» 

UcvoîKy  veut  dirs  dans  le  £ens  propre  3. 


LA    CATACHRESE.      6i 

hre  obligé  par  les  loix  a  payer  ou  à  faire  quel- 
que choje  :  OQ  le  dit  enfuice  par  extcnfion 
de  tout  ce  qu'on  doit  faire  par  bienféaiice, 
par  politcflèj  mus  devons  aprendre  ce  que 
nous  devons  aux  autres ,  (^  ce  que  les  autres 
nous  doivent» 

Devoir  fc  dit  encore  par  extenfion  de  qç^ 
t]ui  arivera,  corne  (î  c'étoit  une  dette  qui 
dût  être  payée  :  je  dois  fortir  :  in/lruifcz>- 
vous  de  ce  que  vous  êtes ,  de  ce  que  vous  nctes 
pas  y  (jr  de  ce  que  vous  devez^  être  ^  c'eft-à- 
dire,  de  ce  que  vous  ferez,  de  ce  à  quoi 
vous  êtes  deiliné. 

Notre  verbe  a.uxiliaire  avoir ,  que  nous 
avons  pris  des  Italiens ,  vient  dans  fon  ori-  CArarbrt^ 
gine  du  verbe  hahére ,  avoir ,  poiïëdcr.  Ce-  mifuec^m- 
far  a  dit  qu'il  envoya  au  devant  toute  la  ^'"^^'"^  ^"'~ 
cavalerie  qu  li  avoit  ailemblee  de  toute  la  ex  omm 
province,  quem  coadum  habcbat.  Il  dit  en-  p^o-tincU 
core  dans  le  même  icns,  avoir  l^s  fermes  ^^y^y^^ 
tenues  à  bon  marché ,  c'cil-à-dire  ,  avoir  pris    Cxfar  de 
les  fermes  à  bon  marché,  les  tenir  à  bas  prix,  f.^^^*^  ^al- 
Dans  la  fuite  on  s'eft  écarté  de  cette  (îgni-   vècHgdùa 
fication  propre  A'avoir ,  &c  on  a  joint  ceP'^^,^"  P>'^- 

1  /  1  r, ,  1  \  r      tiû  redem- 

verbe  par  métaphore  &  par  abus,  a  un  lu-^^^  hnbére. 
pin,  à  un  participe  ou  adjectif  ^  ce  font  Wem  ibid. 
des  termes  aburairs  dont  on  parle  come  ^f^^f^ 
<\'2  cnolcs  réelles  :  amavi ,  j  ai  aime,  habee  dam  ha- 


Cl      LA    CATACHRESE. 

bent  defpi-  amatum  i  aimé  eft  alors  un  fapin  ,  un  noiîi 

"^^™;  P''*  qui  marque  le  fentiment  que  le  verbe  fieni- 
Eun  Aft.x.  2      .        V  ^  j    I    r       •  j»   •  ^ 

fc  3.V.91.  ncj  je  poisedelclencimencd  aimer,  come 

tm  autre  pofsède  fa  montre.  On  eft  H  fore 

acoiitumé  à  ces  façons  de  parler ,  qu'on  ne 

fait  plus  atention  à  l'anciène  fîgnification 

propre  d'avoir  ;  on  lui  en  donc  une  autre 

qui  ne  fignifie  avoir  que  par  figure ,  bi  qui 

marque  en  deux  mots  le  même  fens  que 

les  Latins  exprimoient  en  un  feul  mot. 

Nos  Grammairiens  qui  ont  toujours  ra- 

porté  notre  Grammaire  à  la  Grammaire 

latine,  difent  qu'alors  avoir  eft  un  verbe 

auxiliaire  ,  parce  qu'il  aide  le  fupin  ou  le 

participe  du  verbe  à  marquer  le  même 

tems  que  le  verbe  latin  fignitie  en  un  feul 

mot. 

Etre ,  avoir  ^  faire  j  font  les  idées  les  plus 
fîmpîes  ,  les  plus  comunes ,  5c  les  plus  in- 
rércfllintes  pour  l'home  :  or  les  homes  par- 
lent toujours  de  tout  par  comparaifon  à 
eux-mêmes  ^  delà  vient  que  ces  mots  ont 
été  le  plus  détournés  à  des  ufages  difé- 
rens  :  être  afJis^  être  aimé ^  6cc.  avoir  de  l'ar- 
gcnt ,  avoir  peur ,  avoir  honte  ,  avoir  quclcjue 
chofc  faite  ^  &  en  moins  de  mots  avoir  fait. 

De  plus,  les  homes  réalifent  leurs  abs- 
tractions j  ils  en  parlent  pair  imitation  j 


LA   CATACHRESE,      6^, 

corne  ils  parlent  des  objets  réels  :  aiiifi  ils  fe 
font  fervis  du  mot  avoir  en  parlant  de 
chofes  inanimées  &:  de  chofes  abllraites. 
On  dit  cette  'ville  a  deux  licnes  de  tour  ^  cet 
ouvrage  a  des  défauts  ,•  les  pajpons  ont  leur 
il f âge  ;  /'/  a  de  Pefprit ,  il  a  de  la  vertu  :  5c 
cnfuite  par  imitation  de  par  abus,  il  a 
aime\  il  a  lu ,  ècc. 

Remarquez  en  pafTant  que  le  verbe  a 
€ft  alors  au  préfent,  èc  que  la  fignifica- 
tion  du  prétérit  n'efl  que  dans  le  iupin  ou 
participe. 

On  a  fait  aufll  du  niot  ^Vun  terme  abf- 
trait ,  qui  repréfente  une  idée  générale , 
i'être  en  général  ;  il  y  a  des  hommes  qui  di- 
fent,  illud  ^uod  ejl  y  ibi  habet  homines  qui  ^ 

dicnnt  :  dans  la  bone  latinité  on  prend 
un  autre  tour,  corne  nous  l'avons  remar- 
qué ailleurs. 

Notre  il  dans  ces  façons  de  parler,  ré- 
pond au  res  des  Latins  :  Propiùs  metum  res  T.  Llv.  L. 
fiicrat ,  la  chofe  avoit  été  proche  de   la^"'  ~^' 
crainte:  c'eft-à-dire ,  il  y  avoit  eu  fujet 
de  craindre.  Res  ita  fe  habet  ^  il  eil:  ainii. 
Rex  tua  agitur ,  il  s'agit  de  vos  intérêts , 

Ce  n'efl:  pas  feulement  la  propriété  d'./- 
'voir^  qu'on  a  atribuéc  à  des  êtres  inaui- 


64-      LA  CATACBRESE, 

mes  &  à  des  idées  abllraites,  on  leur  à 
aulîî  atribué  celle  de  'vouloir  :  on  dit  cela 
'veut  dire  ^  au  lieu  de  cela  Jfgnifie  ;  un  tel 
'verbe  veut  un  tel  casi  ce  bois  ne  veut  pas  brû- 
ler \  cette  clé  ne  "veut  ^as  tourner  ^  àc.  Ces 
façons  de  parler  figurées  font  fi  ordinaires, 
qu'on  ne  s'aperçoit -pas  même  de  la  iigure. 
La  lignification  des  mots  ne  leur  a  pas 
été  donée  dans  une  afîemblée  générale  de 
chaque  peuple,  dont  le  réfultat  ait  été  fi- 
gnifiée  à  chaque  particulier  qui  eit  venu 
dans  le  monde  \  cela  s'eft  fait  infenfible- 
ment  &  par  l'éducation  :  les  enfans  ont 
lié  la  lignification  des  mots  aux  idées  que 
l'ufage  leur  a  fait  conoîtrc  que  ces  mots 
figniKoient. 

I.  A  mefure  qu'on  nous  a  doné  du 
pain ,  &  qu'on  nous  a  prononcé  le  mot 
•pain  \  d'un  côté  le  pam  a  gravé  par  les 
yeux  fon  image  dans  notre  cerveau ,  &  en 
a  excité  l'idée  :  d'un  autre  côté,  le  fondu 
mot  pain  a  fait  auili  fon  impreflion  par  les 
Oî-eilles,  de  forte  que  ces  deux  idées  ac- 
celToires ,  c'eft-à-dire ,  excitées  en  nous  en 
même-tems  ,  ne  fauroient  fc  réveiller  fé- 
parément ,  fans  que  l'une  excite  l'autre. 

1.  Mais  parce  que  la  conoifTancedes  au- 
tres mots  qui  fignifient  des  abftra£tions  on 

des 


LA  CATACHRESE,        6^ 

des  opérations  de  l'erpric ,  ne  nous  a  pas  été 
donée  d'une  manière  aufli  fenfible  ,•  que 
d'ailieurs  la  vie  des  homes  ei\  courte  ,  6c 
qu'ils  iont  plus  ocupés  de  leurs  befoins 
éc  de  lieur  bien  être ,  que  de  cultiver  leur 
efprit,  6c  de  pcrfectioner  leur  langage; 
corne  il  y  a  tant  de  variété  &c  d'incout- 
tance  dajis  leur  iituation,  dans  leur  état^ 
dans  leur  imagination,  dans  les  diféren- 
tcs  relations  qu'ils  ont  les  uns  avec  les 
autres  j  que  par  la  dilicuité  que  les  homes 
trouvent  à  prendre  les  idées  précifes  de 
ceux  qui  parlent,  ils  retranchent  ou  ajou- 
tent prefque  toujours  à  ce  qu'on  leur  dit  j 
que  d'ailleurs  la  mémoire  n'eft  ni  allez  fi- 
dèle, ni  afiez  fcrupuleufe  pour  retenir  de 
rendre  exactement  les  mêmes  mots  ôc  les 
mêmes  fons  ^  6c  .que  les  organes  de  la 
parole  n'ont  pas  dans  tous  les  homes  une 
conformation  affez  uniforme  pour  expri- 
mer les  fons  précifément  de  la  même  ma- 
nière ;  enfin  corne  les  langues  ne  font 
point  aiïez  fécondes  pour  fournir  à  chaque 
idée  un  mot  précis  qui  y  réponde  :  de  tout 
cela  il  eil:  arivé  que  les  enfans  fe  font  in- 
fenfiblement  écartés  de  la  manière  de  par- 
ler de  leurs  pères,  come  ils  fe  font  écartés 
de  leur  manière  de  vivre  ëc  de  s'habiller  j 

Ë 


(.G      LA   CATACHRES  E. 

ils  ont  lié  au  même  mot  des  idées  difé- 
rentes  Se  éloignées,  ils  ont  doné  à  ce  mê- 
me mot  des  figniflcations  empruntées,  6c 
y  ont  ataché  un  tour  diférent  d'imagina- 
tion :  ainfi  les  mots  n'ont  pu  garder  long- 
tems  une  llmplicicé  qui  les  reflraignît  à 
un  feul  ufage  $  c'eft  ce  qui  a  caufé  pluiieurs 
irrégularités  aparentes  dans  la  Grammaire 
&  dans  le  régime  des  mots  ;  on  n'en  peut 
rendre  raifon  que  par  la  conoiflance  de 
leur  première  origine  ,  6i  de  l'écart,  pour 
ainfi  dire ,  qu'un  mot  a  fait  de  la  première 
iignifîcation  6c  de  fon  premier  ufage  :  ainfi 
cette  figure  mérite  une  attention  particu- 
lière ,  elle  règne  en  quelque  forte  fur  tou- 
tes les  autres  figures. 

Avant  que  de  finir  cet  article ,  je  crois 
qu'il  n'eft  pas  inutile  d'obferver  que  la  ca- 
tachrèfe  n'eft  pas  toujours  de  la  même  ef- 
pèce. 

1.  11  y  a  la  catachrèfe  qui  fe  fait  lorf- 
qu'on  done  à  un  mot  une  fignificatiori 
éloignée  ,  qui  n'eft  qu'une  flîite  de  la 
fignification  primitive  :  c'eft  ainfi  que 
fuccurrere  fignifie  aider  ,  fecourir  :  P/- 
tere ,  ataqucr  :  Animadvértere  ^  punir:  ce 
qui  peut  fouvent  être  raporté  à  la  méta- 
lepre,  dont  nous  parlerons  dans  la  fuite. 


LA    CATACHRESE.       67 

il.  Lci  féconde  efpèce  de  catachrèfe 
hVft  proprement  qu'une  force  de  méta- 
phore, c'cft  lorfqu  il  y  a  imitation  &  coni- 
paraifon,  corne  quand  on  ait  ferrer  d* ar* 
ge?n,  feuille  de  papier^  6cc. 

I     I. 

La    m  e  t  o  n  y  m  i  è. 

IE  mot  de  Méîonymk  fignilie  trartfpb-  i-Urccw^u. 
^fition,  ou  chanirement  de  nom,  un     Change^ 
'  o  >  ment  de 

nom  pour  un  autre.  hom,de 

En  ce  fèns  cette  figure  comprend  cous z"^-^^,  qui 
les  autres  tropes  $  car  dans  tous  les  cropes ,  compoff- 
iin  moc  n'écanc  pas  pris  dans  le  fens  qui  don  mar- 
lui  eft  propre .  il  réveille  une  idée  qui  pou-  ^^^  '^^'^"~ 

II'  Il  ferhent    iic 

toit  être  exprimée  par  un  autre  mot.  Nous  de  ^Vc^a  , 
Remarquerons  dans  la  fuite  ce  qui  diflin-  noi«- 
gue  proprement  la  métonymie  des  autres 
tropes. 

Les  maîtres  de  Tart  réllraignent  la  mé- 
tonymie aux  ufages  fuivans. 

I.  La  cause  pouk  l'efet;  par  exem- 
ple :  vivre  de  fon  travail ,  c'eft~à-dire ,  vi- 
vre de  ce  qu'on  gagne  en  travaillant* 

Les  Païens  regardoient  Cérès  corne  la. 
Déefle  qui  avoic  fait  forcir  le  blé  de  U 

E  ij 


«8        LA  METONYMIE. 

terre,  6c  qui  avoir  apris  aux  homes  la  ma* 
nière  d'en  faire  du  pain  ;  ils  croyoient  que 
Bacchus  ëtoit  le  Dieu  qui  avoir  rrouvé 
Tufage  du  vin  ;  ainfi  ils  donoienr  au  blé 
le  nom  de  Cérès  ,  èc  au  vin  le  nom  de  Bac- 
chus -y  on  en  rrouve  un  grand  nombre 
d'exemples  dans  les  Poëres  :  Virgile  a  dit , 
u'^  'vieux  Bacchtis  y  pour  dire  du  vin  vieux. 
virg.  ^n.  ImfléntuY  'véterisBacchi.  Madame  des  Hou- 
i.v.  119.    lièi-es  a  fait  une  balade  dont  le  reFrein  eft, 

L'amour  languit  fans  Bacchus  &  Cérès» 

C'eft  la  traduction  de  ce  pafTage  de  Té- 

Ter.Eun.  ren ce,  _/?/?<?  Cérerc  &  Lihero  ffiget  Venus, 

Aci:,4.fc.5.  C'eil:-à-dire  ,  qu'on  ne  fonge  guère  à  faire 

l'amour  quand  on  n'a  pas  de  quoi  vivre. 

Virgile  a  dir  : 

J£n.  I.  V.  TumCérerem  cormptam  undis  cerealiaque  arma 
^^^'  Expédiunt  felTi  rerunii 

Scarron,  dans  fa  rraduction  burlefquc, 

fe  ferr  d'abord  de  la  même  figure  ;  mais 

voyanr  bien  que  cette  façon  de  parler  ne 

feroir  point  enrendue  en  no; re  langue  ,  il 

en  ajoute  l'explication  : 

Scarron,  Lors  fut  des  vailfeaux  defcendue 

Virgile  Toute  la  Cérès  corompue  *, 

tiavcfti.  L.  _     ,  11' 

En  langage  un  peu  plus  humain, 

C'eft  ce  de  quoi  l'on  fait  du  pain. 


LA   METONYMIE.        69 

Ovide  a  dit,  qu'une  lampe  prête  à  s'étein- 
dre (e  ralumc  quand  on  y  verfc  Pallas ,  "^ 
c'cfl-à-dire ,  de  l'huile:  ce  fut  Pallas,  fé- 
lon la  fable ,  qui  la  première  fît  fortir  l'o- 
livier de  la  terre,  &  enfeigna  aux  homes 
l'art  de  faire  de  l'huile  ;  ainfi  Pallas  fc 
prend  pour  l'huile ,  corne  Bacchus  pour 


le  vin 


On  raporte  à  la  m.ême  efpèce  de  figure 
les  façons  déparier,  où  le  nom  des  Dieux 


du  Paganifme  fe  prend  pour  la  chofe  à 
quoi  ils  préfidoient ,  quoiqu'ils  n'en  fuf- 
fent  pas  les  inventeurs.    Jupiter  fe  prend 
pour  l'air ,  Vulcain  pour  le  feu  :  ainft  pour 
dire,  où  vas-tu  avec  ta  lanterne  ?  Plante  a 
dit ,  Ouo  âmhuLis  tu  ,  ûui  Vulcânum  in  cornu     PJ-'Jt. 
conclûfum geris  ^  Ou  vas  tu  toi  qui  portes  ^'  ^^  -^^  ^; 
Vulcain  enfermé  dans  une  corne?  Et  Vir-  1S5. 
gile  ,  furit  Vtdcanus  ;  &  encore  au  premier  .£n.  5.  y. 
livre  "des  Géorgiques,  voulant  parler  du  ^^-• 
vin  cuit  ou  du  réfmé  que  fait  une  ména- 
gère de  la  campagne ,  il  dit  qu'elle  fe  fert 
de  Vulcain  pour  diflipcr  Phumidité  du 
vin  doux. 

Aut  dalcis  mufti  Vulcano  dccoquit  humorem.       Geoig;  t.. 

*  Cujus  ab  alloqiiiis  anima  hxc  moribùnda  levvxic, 

Ut  vigil  iafafâ  Pâllade  flamaia  Iblet.  Ovtd.  Trift.  L.  iv.. 

^1.  5.  V.  d.. 


70        LA  METONYMIE. 

Neptune  fc  prend  pour  la  mer  \  Mars  te- 
Dieu  de  la  guerre  fe  prend  fouvenc  paur 
la  guerre  même ,  ou  pour  la  fortune  de  la 
guerre ,  pour  l'événement  des  combats  > 
l'ardeur,  l'avantage  des  combatans.  Lea 
hiftoriens  difent  (ouventqu'on  acombatu 
avec  un  Mars  égal ,  ^quo  Marte  ^ugnhum 
ry?,  c'ell-à-dire,  avec  un  avantage  égal  ^ 
ancipiti  Marte ^  avec  un  fuccès  douteux; 
njario  Marte ,  quand  l'avantage  eft  tantôt 
d'un  côté ,  &:  tantôt  de  l'autre.. 

C'eft  encore  prendra  la  caufe  pourTé- 
fet,  que  de  dire  d'un  Général  ce  qui ,  à  la. 
lettre ,  ne  doit  être  entendu  que  de  fou 
armée  ,•  il  en  eft  de  même  lorfqu'on  done 
le  nom  de  l'auteur  à  Tes  ouvrages:  il  a  ki 
Cicéron,  Horace,  Virgile;  c^eft- à-dire , 
les  ouvrages  de  Cicéron,  &c. 

Jéfus-Chrift  lui  même  s'eft  fcrvi  de  la 

métonymie  en  ce  fens,  lorfqa'il  a  dit^ 

itir.c.xvi  parlant  des.  Juifs  :  ils  ont  Moïfe  &c  les  Pro- 

"^•^^-        phètes,  c'eft- à- dire,  ils  ont  le^  livres  de 

iVîoïfe  6c  ceux  des  Prophètes. 

On  donc  fouvent  le  nom  de  l'ouvrier  à 
l'ouvrage  ;  on  dit  d'un  drap  que  c'eft  un 
Vaj7-Robais^  un  Roujjeau^  un  Pagnon ,  c'eft- 
à-dire ,  un  drap  de  la  manufacture  de  Van- 
Roba.is,  ou  de  celle  de  ïloufTeau,  &ç. 


LA   METONYMIE.       71 

C'eft  ain(i  qu'on  donc  le  nom  du  peintre  au 
tableau  ;  on  dit  j'ai  vu  un  beau  iiembrant, 
pour  dire  un  beau  tableau  fait  par  le  Rem- 
brant.  On  dit  d'un  curieux  en  ertampes, 
qu'il  a  un  grand  nombre  de  Callots^  c'ell-à- 
dire ,  un  grand  nombre  d'eftampes  gra- 
vées par  Cailoc. 

On  trouve  fouvent  dans  l'Ecriture  Sainte 
Jacob^  Ifraely  Juda^  qui  font  des  noms  de 
Patriarches ,  pris  dans  un  fens  étendu  pour 
marquer  tout  le  Peuple  Juif.  M.  Fléchicr, 
parlant  du  fige  &  vaillant  Machabée ,  au- 
quel il  compare  M.  de  Turène,  a  dit  "  cet     Oraifon 
«  home  qui  réjouiiïbit  Jacob  par  fes  vertus  jjj"^^'^^'^^ 
M  6c  par  fes  exploits,  ci  Jacob ,  c'eft-à-dire,  lène. 
le  Peuple  Juif. 

Au  lieu  du  nom  de  l'éfec ,  on  fe  fert  fou- 
vent  du  nom  de  la  caufe  inftrumentalc  qui 
fert  à  le  produire  :  ainii  pour  dire  que  quel- 
qu'un écrit  bien  ,  c'eft-à-dirc,  qu'il  forme 
bien  les  caracbères  de  récriture,  on  dit 
quV/  a  une  belle  main. 

1.2. plume  effc  auiîi  une  caufe  inllrumen- 
tale  de  l'écriture,  &  par  conféquent  de  la 
compoGtion  ;  aind  plume  fe  dit  par  méto  - 
nymie,  de  la  manière  de  former  les  cara- 
ctères de  récriture,  &  de  la  manière  de- 
compofer.. 

Eiv 


7.Z       LA    METONYMIE, 

Plume  fe  prend  aniTi  pour  l'auteur  même, 
ç'ejl  une  bofîe  plume  ^  c'eft-à-dire,  c'eft  un 
auteur  qui  écrit  bien  :  c'efi  tme  de  nos  meil- 
leures plumes  ^ccik-k-dirc ,  un  de  nos  meil- 
leurs auteurs. 

Sfjle,  fignifîe  aufli  par  figure  la  manière 
4'exprimer  les  penfécs. 
tv  Les  anciens  avoient  deux  manières  de 
former  les  caractères  de  l'écriture  ;  l'une, 
ètoit piiîgenda^  en  peignant  les  lettres,  ou 
fur  des  feuilles  d'arbres ,  ou  fur  des  peaux 
préparées,  ou  fur  la  petite  membrane  inté- 
rieure de  l'écorce  de  certains  arbres  ;  cette 
membrane  s'apèle  en  latin  liherj  d'où  vient 
livrer  ou  fur  de  petites  tablètes  faites  de 
rarbri{reau^.'7^/r//.f,  ou  fur  de  la  toile ,  &c. 
Us  écrivaient  alors  avec  de  petits  rofeaux, 
&.  dans  la  fuite  ils  (a  fervircnt  auiîi  de  plu- 
mes corne  nous. 

L'autre  manière  d'écrire  des  anciens, 
étO'X  incicUndû  ^  en  gravant  les  lettres  fur 
des  lames  de  plomb  ou  de  cuivre  ;  ou  bien 
fur  des  tablètes  de  bois ,  enduites  de  cire. 
Or  pour  graver  les  lettres  uir  ces  Lames, 
ou  (ur  ces  tablètes,  ils  te  fervoient  d'un 
poinçon  ,  qui  étoit  pointu  par  un  bout,  & 
aplati  par  l'autre  :  la  pointe  fervoit  à  gra- 
ver, &  l'extrémité  aplatie  fervoit  à  éfacer, 


LA    METONYMIE.         73 
&  c'efl;  pour  cela  qa'Horace  2.  à\x.  fiyhtm  Lib.  i.fat, 
vértcre ,  tourner  le  (lyle  ,  pour  dire,  efacer^ 
corhcr.  rao^iehcr  à  un  ouvrage.  Ce  i^omcon. 
sapeloic  Sîyltis ^  ^  Style,  tel  eft  le  fcns   *<ie.;i/Aoç 
propre  de  ce  mot  ;  dans  le  lens  hgure ,  il  coiumciia 
iignifîe  la  manière  d'exprimer  les  penfées./'f^rVc  co- 
C'ell  en  ce  fens  que  l'on  dit,  le  llyle  ili-^"''^' 
blime,  le  ftylc  iîmple,  le  llyle  médiocre, 
le  ftyle  foutenu ,  le  ftyle  grave ,  le  ll:yle 
comique ,  |e  ftyle  poétique  ,  le  ftyle  de  la 
convcrracion ,  6:c. 

Outre  toutes  ces  manières  diférentes 
d'exprimer  les  penfées  ,  manières  qui  doi- 
vent convenir  aux  fujets  dont  on  parle ,  6c 
que  pour  cela  on  apèle  ftyle  de  convenan- 
ce; il  y  a  encore  le  ftyle  perfonel  :  c'eft  la 
manière  particulière  dont  chacun  exprime 
fes  penfées.  On  dit  d'un  auteur  que  foii 
ftyle  eft  clair  &  facile,  ou  au  contraire, 
que  fon  ftyle  eft  obfcur,  embarafte,  &c: 
on  reconoît  un  auteur  à  fon  ftyle ,  c'eft- 
à-dire ,  à  fa  manière  d'écrire ,  corne  oti 
reconoît  un  home  à  fa  voix ,  à  fes  gcftcs  , 
&:  à  f a  démarche. 

Style  fe  prend  encore  pour  les  diférentes 
manières  de  faire  les  procédures  félon  les 
diférens  ufages  établis  en  chaque  jurifdic- 
rion  :  le  ft-yle  d;i  Palais',  le  ftyle  du  Con- 


74  L\4  METONYMIE. 
feil ,  le  fliyle  des  Notaires ,  êcc.  Ce  mot  â 
encore  pliifieurs  autres  ufages  qui  viènenc 
par  extcndou  de  ceux  dont  nous  venons 
de  parler. 

Pinceau ,  outre  fon  fens  propre ,  fe  dit 
auffi  quelquefois  par  métonymie  ,  corne 
plume  ^ftyle  :  on  dit  d'un  habile  peintre, 
que  c'eft  un  Çzva.ntpi/îceau. 

Voici  encore  quelques  exemples  tirés 

de  l'Ecriture  Sainte  ,  où  la  caufe  eft  prife 

*Lcvit.c.  pour  l'éfct.  Si  ^peccaverif  mima^  portabit 

V.  V.  I.      im^uitatem  fuam^  elle  portera  fon  iniquité. 

Midi.  c.  c'eft- à- dire .  la  peine  de  Ton  iniquité.  Iram 
VII.  V.  q.     r»  ^    •    •  ^;  ^   •  ^    •        V 

Uomini  fortabo  cfuomam  peccavt^  ou  vous 

voyez  que  par  la  colère  du  Seigneur,  il 

faut  entendre  W  peine  qui  eft  une  fuite  de 

Levit.  c.  la  colère.  Non  mordbitur  opus  mercenarii  mi 

*"*  ^'^^'  apud  te  ufcjue  manè ,  opus,  l' ouvrage ,  c'eft- 

à-dire ,  le  falaire ,  la  récompenfe  qui  eft 

due  à  l'ouvrier  à  caufe  de  fon  travail. 

Tobie  a  dit  la  même  chofe  à  fon  fils  touc 

Tob.  c.iv.  fimplement  :  Quicumque  tihi  âliquid  oper^" 

^'        tusfûerityflaîim  ei  mercêdem  refthue^  d^  mer" 

ces  mercenarii  tut  apud  tt  omnino  non  remâ" 

neat.  Le  Prophète  Ofée  dit,  que  les  Prê- 

Oféc  c.  ^'^^^  mangeront  les  péchés  du  peuple  ,^/?<rc- 

IV.  V.  8.     cata  populi  mei  comcdent ,  c'eft-à-dire  ,  les 

victimes  ofertes,  pour  les  péchés.. 


LA  METONYMIE,         75 

II.  L'efet  rouR.  LA  CAUSE  :  comç 
îorfqu'Ovide  die  que  le  mont  Pélioii  n'a 
point  d'ombres  ^  kcc  habet  Pélion  timbras  \  Mcram.L. 
c'eft-à-dire ,  qu'il  n'a  point  d'nrbres,  qni^"'^*^*^' 
lont  la  caufe  de  l'ombre  j  l'ombre  ^  qui  eO: 
l'éfct  des  arbres,  cft  prifc  ici  pour  les  ar- 
bres mêmes. 

Dans  la  Genèfe ,  il  efl:  dit  de  Rébecca , 
que  deux  nations  étoient  en  elle  j  *  c'elK 
à-dire  ,  Efaii  6c  Jacob ,  les  pères  de  deux 
jiacions  \  Jacob  des  Juifs  ,  Êfaii  des  Idu- 
méens. 

Les  Poètes  difent  la  falc  mort ,  les  pâles 
maladies^  la  mort  6c  les  maladies  rendent 
pâle.  Pallidamque  Pyréuen^  la  pale  fontaine  Pcrfe.ProI. 
de  Pyrène  :  c'étoit  une  fontame  confacrée 
aux  Mufes.  L'aplicaclon  à  la  poëfie  rend 
pale,  corne  toute  autre  aplication  violen- 
te. Par  la  même  raiion  Virgile  a  dit  la 
trifte  vieillefîe.  . 

Pallenres  habitant  morbi  trîftifque  Senédliis.       -^n.  L.  vu 
Et  Horace  ,  pallida  mors,  La  mort ,  la  ma-  Lib^f.od, 
ladie ,  &  les  fontaines  confacrëcs  aux  Mu-  4. 
Tes  ne  font  point  pâles  \  mais  elles  produi- 
fent  la  pâleur:  ainli  on  donc  à  la  caufe 
une  épithète  qui  ne  convient  qu'à  l'ëfet. 

*  Dux  genres  funt  in  àtero  tuo,  &  duo  pôpuli  ex  vc^itrc 
cuo  dividcntur.  Gm.  c.  xxv.  v.  n. 


76        LA   METONYMIE, 

III  LF-  contenant  pour  le  CONTENU:, 
eome  quand  on  dit ,  H  aime  la  bouteille , 
c'e{^-à-dire  ,  //  aime  le  njin,  Virgile  dit  que 
Didon  ayant  préfenté  à  Bicias  une  coupe 
d'or  pleine  de  vin  ,  Bicias  }a  prit  ^  fe  lavn^ 
s\irofa  de  cet  or  fkin  j  c'eft-à-dire,  de  la, 
liqueur  contenue  dans  cette  coupe  d'or. 

•  ^•^' ille  impiser  haufîc 

bpumantem  paceram ,  ô<  pleno  le  proluit  auro.. 

Auro  eft  pris  pour  la  coupe ,  c'eft  la  ma- 
tière pour  la  chofe  qui  en  eft  faite,  nous 
parlerons  bien-tôt  de  cette  efpèce  de  fi- 
gure ,  enfuite  la  coupe  eft  prife  pour  le  vin. 

Le  ciel ,  où  les  anges  ôc  les  faints  jouif' 
fent  de  la  préfence  de  Dieu ,  fe  prend  fou- 

Parcr,  pcc-  ^  ^t-v  •  /^  T      i  i     r 

caviincœ-  ^^^^  pout  JJieu  meiiie  :  Implorer  le  fecours 

ium  &  co-  du  ciel;  grâce  an  ciel:  f  ai  péché  contre  le  ciel 
xamte.Luc.  ^  contre  VOUS ,,  dit  l'enfant  proclit>ue  à  fon 
siiuit  terra  perc.  Le  Ciel  le  pread  auffi  pour  les  Dieux 
iaconfpec-  Jq  PaganifiTie. 

Macab.'  L.  ^^  terre  fc  tut  devant  Alexandre  ;  c'eft-àv 
X.  c.  I.  V.3.  dire ,  les  peuples  de  la  terre  fe  fournirent  à. 
lui  :  Rome  défaprouva  la  conduite  d*Appius  , 
c'eft-à-dirc  ,  les  Romains  défaprouvèrent: 
Toute  l'Europe  s'eft  réjouie  à  la  naiiïance 
du  Dauphin  j  c'cft  à-dire  ,  tous  les  fouve- 
rains,  tous  les  peuples  de  l'Europe  fe  fone, 
réjouis. 


LA  METONYMIE.        77 

Lucrèce  a  dit  que  les  chiens  de  chaiïe 
fmctto'ient  u^e  fora  en  mouvement  j  "^  ou 
i'on  voit  qu'il  prend  la  forêt  pour  les  ani- 
maux qui  font  dans  la  forêt. 

Un  ^/Id  fe  prend  aufîi  pour  les  petits  oi~ 
féaux  qui  font  encore  au  nid. 

Carcer,  prifon,  fc  dit  en  Utin  d'un  home 
qui  mérite  la  prifon. 

IV.  Le  nom  du  lieu  ,  où  une  chofe  fe 
fait,  fe  prend  pour  la  chose  mesme  :  on 
dit  un  Caudehec  ,  au  lieu  de  dire  ,  un  cha- 
peau fait  à  Caudebec,  ville  de  Normandie. 

On  dit  de  certaines  étofes,  fVy?  une  Mar- 
feille  ^  c'cft-à-dire ,  une  étofe  de  la  manu- 
ta£bure  de  Marfeille  :  c^cfi  une  Perfe ,  c'eft- 
à-dire ,  une  toile  peinte  qui  vient  de  Perfe. 

A  propos  de  ces  fortes  de  noms^  j'ob- 
ferverai  ici  une  méprife  de  M.  Ménage, 
qui  a  été  fuivie  par  les  auteurs  du  Di6î:io- 
naire  Univerfel ,  apelé  comunément  Dic- 
tionaire  de  Trévoux  j  c'efl:  au  fujCt  d'une 
forte  de  lame  d'épée  qu'on  apèle  Olïnâe  : 
les  olindes  nous  vièncnt  d'Alemagne,  Sc 
lur-tout  de  la  ville  de  Solingen,  dans  le 
cercle  de  Weftphalie  :  on  prononce  Solin- 
gne.  Il  y  a  aparence  que  c'efl  du  noni  de 

*  Scpire  plagis  faltura  canibûrcjue  ciére.    ï-wr.  L.  v. 


7i        LA  METONYMIE, 

tette  ville  que  les  épées  dont  )e  parle,  ont 
été  apelées  des  olindts  par  abus.  Le  nom 
d'ûiwJe^nom  romanefque,  étoit  déjà  conuj 
corne  le  nom  de  Si/vie  i  ces  fortes  d'abus 
font  a{îez ordinaires  en  fait  d'étymologie. 
Quoi  qu'il  en  foit,  M.  Ménage  &  les  Au- 
teurs du  Dictionaire  de  Trévoux  n'ont 
point  rencontré  heureufement,  quand  ils 
ont  dit  ^ite  les  olindes  ont  été  ai n fi  apelées  de 
la  uilk  d^Olinde  dans  le  Bréfil^  d'où  ils  nous 
difent  que  ces  fortes  de  lames  font  'venues. 
Les  ouvrages  de  fer  ne  viènent  point  de  ce 
pays-là  :  il  nous  vient  du  Bréfil  une  forte  de 
bois  que  nous  apelons  bréfil  ^  il  en  vient 
auiîi  du  fucre,  du  tabac,  du  baume,  dd 
l'or,  de  l'argent ,  &c  :  mais  on  y  porte  le  fet 
de  l'Europe ,  5c  fur-tout  le  fer  travailléi 

La  ville  de  Damas  en  Syrie  ,  au  pié  dû 
mont  Liban  ,  a  doné  fon  nom  à  une  forte 
de  fabres  ou  de  couteaux  qu'on  y  fait  :  // 
a  un  vrai  Damas  >  c'eft-à-dire ,  un  fabrc  ott 
un  couteau  qui  a  été  fait  à  Damas. 

On  donc  auffi  le  nom  de  Damas  à  une 
forte  detofe  de  foie,  qui  a.  été  fabriquée 
originairement  dans  la  ville  de  Damas; 
on  a  depuis  imité  cette  forte  d'étofe  à  Ve- 
nlfc,  à  Gènes,  à  Lyon,  ^c.  ainfi  on  dit 
Damas  de  Vcnifs^  de  Lycr. ,  èic.  On  dons 


LA    METONYMIE.         79 

encore  ce  nom  à  une  force  de  prune ,  dont 
ia  peau  eft  fleurie  de  façon  qu'elle  imite 
i'étofe  dont  nous  venons  de  parler. 

Faycnce  cil  une  ville  d'Italie  dans  la  Ro* 
magne  :  on  y  a  trouvé  la  manière  de  faire 
une  forte  de  vaifsèle  de  terre  verniflee , 
qu'on  apèle  de  Lifayence  j  on  a  dit  enluite 
par  métonymie ,  qu'on  fait  de  fort  belles 
fiyences  en  Holande,  à  Ne  vers,  à  Rouen, 
6ic. 

C'efl:  ainfi  que  le  Lycée  fe  prend  pour  les 
difciples  d'Àriftote  ,  ou  pour  la  doctrine 
qu'A riftote  enfeignoit  dans  le  Lycée.  Le 
Portique  fe  prend  pour  la  Philofophie  que 
Zenon  enfeignoit  à  ^cs  difciples  dans  le 
Portique. 

Le  Lycée  étoit  un  lieu  près  d'Athènes , 
oii  Ariftote  enfeignoit  la  Philofophie  en 
fe  promenant  avec  fes  difciples  -,  ils  furent 
apelés  Pêripatéticiens  du  grec  peripateo  ,  je  ^.ônttri^ 
niC  promène  :  on  ne  penfe  point  ainjldans  le     âmbuio 
Lycée  ,  c'eft-à-dire ,  que  les  difciples  d'A-^J 
riftote  ne  font  point  de  ce  fentiment. 

Les  anciens  avoicnt  de  magnifiques  por- 
tiques publics  où  ils  aloient  fe  promener  ; 
c'étoicnt  des  galeries  baflès,  foutenues  par 
des  colones  ou  par  des  arcades  ,  à  peu  près 
corne  la  Place  Royale  de  Paris  ,  6c  corne 


dnimi  ca>:* 


çafe- 


i^o        LA   METONYMIE: 

les  cloîtres  de  certaines  grandes  maifons 
religieufes.  Il  y  en  avoit  un  entr'autreS 
Fort  célèbre  à  Athènes  ,  où  le  philofophc 
Zenon  tenoit  Ton  école  :  ain(î  par  le  For- 
ii^îie  on  entend  fouvent  la  philofopliie  de 
Zenon  ,  la  doctrine  des  Stoïciens  -,  caries 
dirciplcs  de  Zenon  furent  apelés  Stoïciens 
du  grec  fioa  ,  qui  {ignifie^^m^«f.  Le  For- 
tique  nefifas  toujours  d'accord  avec  le  Lycée , 
c'eft- à-dire  ,  que  les  fentimens  de  Zenon 
ne  font  pas  toujours  conformes  à  ceux 
d'Ariftote. 

Roufleau,  pour  dire  que  Cicéron  dans 
fa  maifon  de  campagne  méditoit  la  philo- 
fophie  d'Ariflote  &  celle  de  Zenon  ,  s'ex- 
plique en  ces  termes  : 

G'eft-là  que  ce  Romain ,  dont  l'éloquente  voix  , 

D'un  joug  prefque  certain ,  fauva  fa  République  , 

Fortifioit  fon  cœur  dans  l'étude  des  loix  , 

Pvoufieau,  Et  du  Lycée ,  &  du  Portique. 

i-iv.  2.  ode 

j.  Académus  laiiîà  près  d'Athènes  un  héri- 

tage ôii  Platon  enfeigna  la  philofophie.' 
Ce  lieu  fut  apelé  Académie ,  du  nom  de 
Ton  ancien  podèHeur  j  de  la  la  dodlrme  de 
Platon  fut  apelée  l' Acadhnie.  On  donc  aufli 
par  cxtenfion  le  nom  d' /académie  a.  diféren- 
tes  aiîeniblëcs  de  favans  qui  s'apliqucnt 

a 


LJi  METONYMIE.         si 

à  cultiver  lès  langues ,  les  fcicnccs ,  ou  les 
beaux  arts. 

Robert  Sorbon,  confefleur  èc  aumônier 
de  S.  Louis,  inftitua  dans  TUniverfité  de 
Paris  cette  fameufe  école  de  Théologie, 
qui  du  nom  de  Ton  fondateur  eft  apelée 
Sorhonc:  le  nom  de  Sorbonc  fe  prend  auflî 
par  figure  pour  les  Docteurs  deSorbone, 
ou  pour  les  fentimcns  qu'on  y  enfeigne  : 
ha  Sorbone  en  feigne  que  la  ptii(fdr/ce  Ecclc- 
Jlajlique  ne  peut  ôîcr  aux  Rois  les  courones 
que  Dieu  amifes  fur  leurs  tctes  ,  ni  dijpenfer 
Leurs  fujets  dû  ferment  de  fidélité.  Regnum  ^o^n-  c. 
meum  non  efl  de  hoc  mundo,  xMii.v.36. 

V.  Le  signe  pour  la  chose  signifie'e, 

Dans  ma  vieillefTe  languifTanre , 
Le  Sceptre  qiie  je  tiens  pèfe  à  ma  main  tremblante.    Quinaulc. 

C'eft-à-dire,  je  ne  fuis  plus  dans  Un  âge  aa:.^""^c. 
convenable  pour  me  bien  àquiter  des  foins 
que  demande  la  Royauté.  Aind  le  Sceftrt 
fe  prend  pour  l'autorité  royale  ;  le  bat  on 
de  Maréchal  de  France ,.  pour  la  dignité  de 
Maréchal  de  France  ;  le  chapeau  de  C'ardi- 
haly  &  même  fimplcment  le  chapeau  fe  dit 
pour  le  Cardinalat. 

Vépée  fe  prend  pour  la  profefîîon  mili- 
taire j  la  Robe  pour  la  M  agi  ft  rature  ^  &: 

F 


5' 


82        LA   METONYMIE. 

pour  l'ëcat  de  ceux  qui  ruivenc  le  barean. 
.A  la  fin  j'ai  quicé  la  Robe  pour  lEpée. 
Menteur,       Cicérou  a  die  que  les  armes  doivent 
^^•^•^^•^•céder  àlarobc. 

V.  I . 

Cédant  drma  îogx  ;  concédât  laurea  lingux. 
C'efb-à-dire ,  comme  il  l'explique  lui- 
même  ,  "^  que  la  paix  l'emporte  iur  la  guer- 
re ,  Se  que  les  vercus  civiles  &:  pacifiques 
fonc  préférables  aux  vertus  militaires. 
Mexerai.      "  La  laiicc,  dit  Mézeraî ,  étoit  autre- 
Hift.  de  ,5  fois  la  plus  noble  de  toutes  les  armes 
^ni  mm  ,  "  dont  le  iervnientlesGentilshomestrau- 

I OL.  loni.  j  •  _ 

p.  500-  îî  cois  :  a  la  quenouille  étoit  auiîi  plus  (ou- 
vcnt  qu'aujourd'hui  entre  les  mains  des 
femmes  :  de  là  on  dit  en  plufleurs  oca- 
fions  Lmce ,  pour  fignifier  un  home ,  ck: 
quenouilU  pour  marquer  une  femme  :  Jicf 
fjui  tombe  de  Unce  en  ofuenouilk ,  c'ell-à-dire, 
fîef  qui  paile  des  mâles  aux  femmes.  Le 
•  Royaume  de  France  ne  tombe  point  en  cjne- 

nouilLe^  c'eil-à-dire,  qu'en  France  les  fem- 
mes nefuccèdentpointàla  courone  :  mais 
les  Royaumes  d'Éfpagne,  d'Angleterre, 
oL  de  Suède  ,  tombent  en  quenouille  :  les 
femmes  peuvent  aufîi  fuccéder  à  TEmpirc 
de  Mofcovie. 

*  More  Poetârum  locutus  hoc  intclligi  volui ,  bcUum  ne 
tumùlcup  paci  arque  ôtio  conceflVuuin.  Qis.  Orat.  in 
PiTon.  n.  73,  alicer  xxx. 


LA  METONYMIE.        s? 

"  C'eft  ainfî  que  du  tems  ^cs  Romains  les 
fiifceaiix  fc  preiioient  pouf  l'autoricé  con- 
fulairc  i  les  aigles  romaines,  pour  les  ar- 
mées des  Romains  qui  avoienc  des  aigles 
pour  enfeigncs.  L'Aigle  qui  cil  le  plus  fore 
des  oifcaux  de  proie  ,  écoic  le  fymbole  de 
la  vicloire  chez  les  Egyptiens. 

Salufte  a  die  que  Cadlina,  après  avoir     SalnH-. 
rangé  Ton  armée  en  bataille,  fit  un  corps  ^^"^• 
<ie  réferve  des  autres  enfeigncs ,  c'eft-à- 
dire  ,  des  autres  troupes  qui  lui  reftoient , 
rélicjuajigrm  in  fubsidiis  drBiiis  collocat^ 

On  trouve  fou  vent  dans  les  auteurs  la- 
tins P^^.^j,  poil  folet,  pour  dire /4y>«;?f/ft% 
les  jeunes  gens  j  c'elt  ainli  que  nous  diions 
familièrement  à  un  jeune  home,  vous  êtes 
une  jeune  barbe  \  c'eli-à-dire  ,  vous  n'avez 
pas  encore  aiTez  d'expérience.  Canities^  les 
cheveux  blancs,  fc  prend  aufîi  pour  la  vieil- 
Icffc.  ^  Non  dedâces  cantîiem  ejus  ad  ïnferos,  *  5.  ^^^ 
'**  Dcducétis  canos  meos  cum  dolcre  ad  rnferos.  ^-  ^v.  6i 

Les  divers  fymboles  dont  les  anciens  fe  ,  ^  '''■^■'" 
ont  lervis,  &  dont  nous  nous  lervons  en- 
core quelquefois  pour  marquer  ou  certai- 
nes Divinités,  ou  certaines  nations,  ou 
enfin  les  vices  &  les  vertus ,  ces  fymboles, 
djs-je,  font  fouvenr  employés  ponr  mar- 
quer la  chûfe  dont  ils  font  le  fvmbolc. 

Fij 


84         LA  METONYMIE. 

OJe  fur  là  ,        .    ,       .  ^    . 

prife  de  11  voit  i Aigle  germanique 

Namur.  Uni  fous  les  Léopards. 

Par  le  Lion  beigiquc,  le  Poëte  entend  les 
Provinces-unies  des  pays  bas  :  par  YAigle 
germanique ,  il  entend  l'Allemagne  ;  êc 
parles  Lévfards ^  il  défisine  l'Angleterre, 
qui  a  des  léopards  dans  les  armoiries. 

ïd.  ibii.  Mais  qui  fait  enfler  la  Sambre  , 
Sous  les  Jumeaux  éfrayés  \ 
Sous  les  Jumeaux ,  c'eft-à-dire ,  à  la  fin  dit 
mois  de  Mai  &;  ail  comencement  du  mois 
de  Juin.  Le  Roi  alTîégea  Namur  le  16  de 
Mai  1691.  &  la  ville  fut  prife  au  mois  de 
Juin  fuivant.  Chaque  mois  de  Tannée  eft 
déiigné  par  un  ligne  vis  à-vis  duquel  lé 
loleil  le  trouve  depuis  le  2 1 .  d'un  mois  ou 
environ  >  julqu'au  1 1.  du  mois  fuivant; 

SimtAries,  Taurus,  Gemini,  Cancer,  Léo,  Virgoj 

Librâque,  Scorpius,  Arcicenens,  Caper,  Amphoia> 
Pifces. 

Arks  ^  le  Bélier  comence  vers  le  21.  du 

mois  de  Mars,  ainli  de  fuite. 
Montf.  An-      îj  Les  villcs,  Ics  fleuves,  les  régions  5c 
tiq.  cxp.xq.  ^^  jyj^fne  les  trois  parties  du  monde  avoicnu 

tOlBL.   III.  -.,  ""rii  .,. 

p.  1S5.  »  autrefois  leurs  fymboles  ,  qui  etoicnt 
■»3  corne  des  armoiries  par  lefquclles  on  les 
>:  dillin^uoit  les  unes  des  autres. 


LA  METONYMIE.  85 

Le  trident  eft  le  fymbole  de  Neptune  : 
k  pan  eiu  le  fymbole  de  Junon  :  l'olive  oli 
l'olivier  eft  le  fymbole  de  la  paix  &  de 
Minerve,  Déeiîe  des  beaux  arts  :  le  lau- 
rier étoit  le  fymbole  de  la  victoire  :  les 
vainqueurs  étoient  couronés  de  laurier , 
'même  les  vainqueurs  dans  les  arts  êc  dans 
les  fciences,  ç'eft- à-dire,  ceux  qui  s'ydil- 
tinguoientau-deHiis.  des  autres.  Peut-être 
qu'on  en  ufoit  ainfi  à  l'égard  de  ces  der- 
niers, parce  que  le  laurier  étoit  confacré 
à  Apollon ,  Dieu  de  la  poëfic  &  des  beaux 
arts.  Les  Poètes  étoient  fous  la  protection 
d'Apollon  de  de  Bacchus  -,  ainfi  ils  étoienD 
couronés ,  quelquefois  de  laurier ,  &  quel- 
quefois de  lierre,  docîarum  éder£  pr^^mia  Hor.l.  r. 
frontium.  ^^■^■^•^^,' 

La  palme  étoit  auilî  le  fymbole  de  la  vie-  k  proi?>^ae 
toire.  On  dit  d'un  fvint ,  qu'il  a  remporté  ^'^  P^^^^- 
la  palme  du  martyre.  Il  y  a  dans  cette  ex- 
prcilîon  U41C  métonymie,  palme  fe  prend 
poiu"  victoire  ^  &,  de  plus  l'cxpreilion  elV 
niétaphorique  ;  la  vicloire  dont  on  veut 
parler,  eft  une  victaire  fpirituèlc. 

'3  A  l'autel  de  Jupiter,  dit  le  P.  de  Mont-  Antiq.Ex- 
"  faucon,  on  mettoit  des  feuilles  de  hêtre .  P^'^-  ^°'"- 
î3  a  celui  d'Apollon,    de  laurier:   àcc-^'^'^"^" 
33. lui  de  Minerve,  d'olivier:  à  l'autel  ào 

F  iii 


S6         LA    METONYMIE. 

>3  Vénus,  de  myrte  :  à  celui  d'Hercule ,  de 
>î  peuplier  :  à  celui  de  Bacchus ,  de  lierre  : 
î>  à  celui  de  Pan  ,  des  feuilles  de  pin. 

VI.  Le  nom  abstrait  pour  le 
CONCRET.  J'explique  dans  un  article  ex- 
près le  Cens  abftrait  &   le  fens  concret^ 
i'oblervcrai  feulement  ici  cjuc  bLmcheur  efb* 
un  terme  abrtraic  \  mais  quand  je  dis  que 
ce  p.ipkr  cfi  hlanc ^  hUnc  eft  alors  un  terme 
concret.  \]n  nou'vel  cfcUvagc  fe  forme  tous- 
les  jours  four  njoiis ,  dit  Horace ,  c'eft-à- 
dire ,  vous  avez  tous  les  jours  de  nouveaux 
Hor.  liv.  1.  efclaves.  Tibi  férv'uus  crefcit  nova,  Sérvitus 
Od.8.v.i8.  çft  nn  abftrait ,  au  lieu  de  fcrvi^  ou  novi 
Hor.  liv.  ^^'^tores  cjiii  tïhi  fervlant.  Invidia  major ^  au-, 
z.  od.  10.  delKis  de  l'envie ,  c'eft-à-^lire ,  triomphant 
de  mes  envieux. 
^n.  I.  IX.      Cuftodia ,  garde ,  confervation,  fc  prend 
V.  léîô',      en  latin  pour  ceux  qui  gardent ,  noclcm  cuf- 
todia ducit  infomnem. 

Spes^  refpërance ,  fe  dit  fouvcnt  pour  ce 
ProY.  c.  qu'on  eipère,  Spes  ^uc  dijfértur a^igit  àrn- 
""'''•''■'- ma7n. 

Reg.  c.      Fetftio^  demande,  fe  dit  aufîi  pour  la 

chofe  demandée.  Dédit  mihi  dominus  pcti^ 

tionem  meam. 

vh.i.hh.      C^eft  ainll  que  Phèdre  a  dit ,  tua  caldmi-' 

îiis  nonfentiret  ^  c'efb-à-dire  ^  ///  calamitâ-' 


I 

î.   V.   i 


LA  METONYMIE.  87 

fnsnonfcntires.Tua  caîàmitas  eft  un  terme  *ibid.fab. 
abftrait,  au  lieu  que  tu  caUmitofus  cft  le  ^-^^ 
concret.  Credens  colli  longitiidinem^  po'^ïrfab.  13. 
collum  longum  :  6c  encore  corviflufor  ''^^  qui 
eft  Tabftrait,  pour  corvus  Jlupidus  qui  eft  ^^^Q^orc;. 
le  concret.  Virgile  a  dit  de  même , /f  rri  !■  iv.  Hf^. 
rigor*^^  qui  eft  l'abftrait,  au  lieu  de  fer- 
rum  rigidum  qui  eft  le  concret. 

VII.  Les  parties  du  corps  qui  font  re- 
gardées corne  le  liège  des  pallions  6c.  des 
fentimens  intérieurs ,  fe  prènent  pour  les 
fentimens  mêmes  :  c'eft  ainli  qu'on  dit  /'/ 
a  du  cœur  y  c'eft- à-dire,  du  courage. 

Obrervez  que  les  anciens  regardoicnt  le   *  Cataeft 
cœur  corne  le  (iè2;e  de  la  faeefïe,  de  Tef-  f^  câiWa, 

c?  o  ■'  hïiDct    cor 

prit,  de  l'adrefle  :  aind  hahct  cor  ^  dans  p/^„/f.  Pcr 
Plante ,  ne  veut  pas  dire  corne  parmi  nous,  ^^-  ^^-  4- 
elle  a  du  courage ,  mais  elle  a  de  Teiprit  \  ^["^i^^ [2\\C\ 
nj'ir  cordàtus  ^  veut  dire  en  latin  un  home  de  cou  Si  fat 
Cens,  qui  a  un  bon  difcernement.  ^''  ''ffi"\:. 

Cornutus  ,  philolophe  Stoïcien ,  qui  rut  ^ence. 
le  maître  de  Perle,  &  qui  a  été  enfuite  le  ^^'«^Mof- 
comentateur  de  ce  Poëte  ,  fait  cette  re-  \l  "^^^   '* 
marque  fur  ces  paroles  de  la  première  fa- 
tyre  :  Snmpctuldntifpleijccachmno.  «  Phylici 
"  dicunt  homines   fplene   ridére  ,    iclle 
55  inifci ,  jécore  amare,  corde  (iipere  &  pul- 
5>  monc  ja6tari.  ce  Aujourd'hui  on  a  d'au- 
tres lumières.  F  iv 


S8         L  A  ME  TONY  MIE. 
Prife.         Perfe  dit  que  le  ventre ,  c'eft-à-dire ,  la, 
pioîog-      faim ,  le  befoin  ,  a  fait  aprendre  aux  pies  & 
aux  corbeaux  à  parler, 

La  cervele  {e  preadauiîî  pour  l'efprit ,  le 
Oquanta  jugeiTienc  i  O  la  belle  the  !  s'écrie  le  renard 
fpcciesicé-  dans  Phèdre ,  auel  domaze ,  elle  n  a  point  d.e 
non  habet.  «^^^"^'^^^  I  Ua  dit  Q  UH  ctourdi,  quec  elt  une. 
Pii.i.i.fab.  tête  lans  cewele :  Ulyiîc  dit  à  Euryale,  fc- 
^'  Ion  la  traduction  de  Madame  Dacier, 

odyiT.T./^^^^^  ^J  orne  y  vous  avez,  tout  l'air  À' un  écerveU:: , 
a-  p.  ly  c'eft-à-dire,  corne  elle  l'explique  dans  fes 
ià vantes  rernarques,  vous  avez,  tout  l'air  d'urt 
home  peu  fage.  Au  contraire,  quand  on  dit., 
c* eji  un  home  dç  tête  y  ceft  une  bone  tète,  on 
veut  dire  que  celui  dont  on  parle ,  effc  ua 
habile  home,  un  home  de  jugement.  La 
tète  lui  a  tourné  ^  c'eft-à-dixe ,  qu'il  a  perdu 
k  bon  fens.^  la  préfence  d'efprit.  Avoir  de 
la  tète,  fe  dit  aniii  figuréraent  d'un  opiniâ- 
tre :  Tète  de  fer ,  fe  dit  d'un  home  apliqué 
ians  relâche ,  <^  encore  d'un  entêté. 

La  langue ,  qui  eil  le  principal  prgane  d€ 
la  parole,  fe  prend  pour  la  parole:  c'efl 
une  méchante  langue  ^  c'efl-à-dire,  c'eft  un 
médifant.i  avoir  la  langue  bien  pendue ,  c'eft. 
avoir  le  talent,  de  U  parole  ,  c'eft  parler 
facilement. 

Yn.  Le  nom  du  rnaitre  de  la  niaifon 


LA  METONYMIE.         89 

fe  prend  auffi  pour  la  maifon  qu'il  ocupc: 
Virgile  a  die ,  jam /^roximus  ardei  {JcàkgoTi.,    iïn.  1.  v. 
c'cil-à-dire  ,  le  feu  a  déjà  pris  à  la  maifon  ?^-* 
d*LJcalégon. 

On  donc  aufli  aux  pièces  de  nxonoie  le 
nom  du  Souverain  donc  elles  portent  l'em- 
preinte. Duc  cm  os  Pkilippos  rcddat  aûreos  :  Plaut.Bac- 
qu'elle  rende  deux  cens  Phiiipesà'oï  :  nous  *^^^*i'  ^^' 

^  .     .  '        -  ■  IV.  le.  i.  V. 

dirions  deux  cens  Louis  d'or.  8. 

Voilà  les  principales  efpèces  de  méto- 
nymie. Quelques-uns  y  ajoutent  la  méto- 
nymie, par  laquelle  on  nome  ce  qui  pré- 
cède pour  ce  qui  fuit,  ou  ce  qui  fuit  pour 
ce  qui  précède  ;  c'eft  ce  qu'on  àpèle  l' An- 
técédent POUR  LE  Conséquent,  ou 
LE  Conséquent  pour.  l'Antécédent; 
on  en  trouvera  des  exemples  dans  la  mé- 
talepfe ,  qui  n'eft  qu'une  efpèce  de  méto- 
nymie à  laquelle  on  a  doné  un  nom  par- 
ticulier :  au  lieu  qu'à  l'égard  des  autres 
efpèces  de  métonymie  ,  dont  nous  venons 
déparier,  on  fe  contente  de  dire  méto- 
nymie de  la  caufc  pour  l'éfet ,  métonymie 
du  contenant  pour  le  contenu ,  métony- 
mie du  figne ,  &c. 


90 


III. 
La    Metalepse. 


niTxnvliç.  TT    A  Métalepfe  eft  une  efpèce  de  méto- 
Tranfmit'^    |   ^  nymic  ,  par  laquelle  on  explique  ce 
trans.  >«^-  qui  fuic  pour  faire  entendre  ce  qui  précè- 
^ciiv,cdpio.  de  j  OU  ce  qui  précède  pour  faire  entendre 
ce  qui  fuit  :  elle  ouvre ,  pour  ainli  dire,  la 
porte  ,  dit  Quintilien  ,  afin  que  vous  pai- 
llez d'une  idée  à  une  autre ,  ex  àlio  in  àl'md 
Inil.  oiat.I.  qji^fj^  prxflat  j  c'eft  l'antécédent  pour   le 
conféqucnt ,  ou  le  conféquent  pour  l'an- 
técédent, &  c'cft  toujours  le  jeu  des  idées 
accefibires  dont  l'une  réveille  l'autre. 

Le  partage  des  biens  fe  fefoit  fouvcnc 
ôc  fe  fait  encore  aujourd'hui ,  en  tirant  au  î 
fort  :  Jofué  fe  fervit  de  cette  manière  de 
partaeer.  ^ 

Le  fort  précède  le  partage  ;  de  la  vient 
quey^rj-  en  latin  fe  prend  fouvent  pour  le 
partage  même  ,  pour  la  portion  qui  eftr 
échue  en  partage  ;  c'eft:  le  nom  de  l'anté- 
cédent qui  eft  donné  au  conféquent. 

*  Gumque  furrexiflent  viri ,  ut  pérgerent  ad  defcribén- 
dam  terrain  ,  pra;cépit  cis  Jôfue  dicens  :  circuite  tcrram  & 
defcribite  eam  ac  revertimini  ad  me  ;  ut  hîc  coram  domi- 
,  no,  in  Silo  niittam  vobis  forcera.  Jofue ^  ch.  xviu.  v.  S. 


LA   METALEPSE.         91 

Sûrs  fignifie  encore  jugement  ,  arrêt  , 
c  étoit  le  fort  qui  décidoit  chez  les  Ro- 
mains ,  du  rang  dans  lequel  chaque  cau(e 
devoit  être  plaidée  :  *  ainfi  quand  on  a 
dit  firs  pour  ju^^cment  ,  on  a  pris  l'anté- 
cédent pour  le  conféquent. 

Sortes  en  latin  fe  prend  encore  pour  un 
oracle  ,  f  oit  parce  qu'il  y  avoit  des  oracles 
qui  fe  rcndoient  par  le  fort  ,  foit  parce 
que  les  réponfcs  des  oracles  étoient  corne 
autant  de  jugemcns  qui  régloientla  defti- 
née  ,  le  partage  ,  l'écat  de  ceux  qui  les 
confultoient. 

On  croit  avant  que  de  parler  ;  je  crois  ,"^  ^Cr^d'di, 
dit  le  Prophète  ,  &  c'cll:  pour  cela  que  je  ^3"ocù- 
parle.  Il  n'y  a  point  là  de  métalepfe  :  mais  tus  fum. 
ji  y  a  une  métalepfe  quand  on  fe  fert  de  ^^•^^5•^'•^• 
l^arlcr  ou  de  dire  pour  lignifier  croire  \  di- 
rez-vous  après  cela  que  je  ne  fuis  pas  de 
vos  amis  ?  c'efb-à-dire  ,  croirez- vous  ?  au- 
rcz-vous  fujet  de  dire  ? 

Cedo  veut  dire  dans  le  fens  propre, /<? 

*  Ex  more  româno  non  audicbântur  cauHr  ,  nifi  per  for- 
tem  ordinâtx.  Témpore  enim  quo  caufaî  audicbântur,  con- 
vcnicbant  omnes,  uiide  &i  concilium  :  &  ex  forte  diérum 
ôrdinem  accipiébant ,  c|uo  poft  dics  triginta  fuas  caufas 
cïcqueréntur  ,  unde  ell  urnam  movet.  Servius  in  tllud  F«r- 

Ncc  vçro  hx  fine  forte  da:a:,  fine  jûdicc  fcdes.  J£n.  I.  v. 
V.  431. 


92         LA  METALEPSE. 

cède  ,  je  me  rens  :  cependant  par  une  méra- 
lepfc  de  l'antécédent  pour  le  conféquent^ 
ccdo  fignifie  fouvent  dans  les  meilleurs 
auteurs  dîtes  ou  donnez,  :  cette  fignifiçation 
vient  de  ce  que  quand  quelqu'un  veut 
nous  parler  ,  '&:  que  nous  parlons  tou- 
jours nous-mêmes ,  nous  ne  lui  donnons, 
pas  le  tems  de  s'expliquer  :  écoutez>'moi , 
nous  dit-il  \  hé  bien  je  vous  cède,  je  vous, 
écoute  ,  parlez  ;  cedo  ,  die. 

Quand  on  veut  nous  donner  quelque 
chofe ,  nous  refufons  fouvent  par  civilité , 
on  nous  preiîe  d'accepter  ,  &  enfin  nous 
répond ons/>  vaus  cède  ^]Ç,  vous  obéis,  je  me 
rens,  donnez, ,  cedo^  da;  cedo c\m  eft  le  plus 
poli  de  ces  deux  mots,  eft  demeuré  tout 
feul  dans  le  langage  ordinaire,  fans  être 
fuivi  àedk  ou  de  da  qu'on  fuprime  par  el- 
lipfe  :  cedo.fignlRc  alors  ou  l'un  ou  l'autre 
de  ces  deux  mots,  fclon  le  fensj  è'eft  ce 
qui  précède  pour  ce  i'pï  fuit  j  Se  voilà  pour- 
quoi on  dit  également  r^^^  ,  foit  qu'on 
parle  à  une  feule  perlone,  ou  à  plufieurs: 
-^   ^j  car  tout  l'ufige  de  ce  mot,  dit  un  ancien 
Fronto.      Grammairienr,  c'cfl:  de  demandée-  pour 
apudau«-T:6-  foi  ^  cedû  fibipofcit  O'  eft  immobile. 
latine    p.      ^^  raporcc  de  même  a  la  metalepie  ces 
I?3^  V.     façons  de  ^^ï\qï  y  il  oublie  ks  bienfaits  yÇcC^- 


LA   METALEPSE.         9? 

à-dire,  il  n'eft  pas  reconnoiiïanc.  Souve- 
ncz^-njous  de  notre  convention  ,  c'eifc-à-ciirc  , 
obfcrvez  notre  convention  :  Seiinciir^  ne 
njous  reJfûHvenezj  ^oint  de  nos  fautes  ^  ç'eft-à- 
dire  ,  ne  nous  en  puniflTez  point ,  acor- 
dez  nous  en  le  pardon  :  Je  ne  vous  conois  q^^^^^^^ 
fas  ,  c'eft-à  -dire  ,  je  ne  tais  aucun  cas  de  "«^s  morcà- 
vous  ,  je  vous  méprife  ,  vous  êtes  à  mon  i-a^^/f!^']" 
égard  corne  n'étant  point.  dîficanr. 

//  a  été ,  il  a  vécu ,  veut  dire  fouvent  //  efi     ■'"•'f^'^^^- 
mon\c  eit  1  antécédent  pour  le  coniequent.  ^y.  fc.     v_ 

C'en  eft  fait ,  Madame  ,  &  j'ai  vécu ,     Rac.  Mi- 

-,    n    \      \'  •  thrid.  ait. 

c  elt-a  -dire ,  je  me  meurs.  y_  £c,  dern. 

Un  mort  eil  rcgrcté  par  ies  amis,  ils  vou- 
droient  qu'il  fût  encore  en  vie^  ils  fouhai- 
tent  celui  qu'ils  ont  perdu ,  ils  le  délirent  : 
cefentimenr  rupofela  mort,  ou  du  moins 
l'abfence  "*de  la  perfone  -qu'on  regrèce. 
Ainfi  U  tnoYt,  la  perte  ou  Pabjence  font  l'an- 
técédent j  Se  le  dcfir ,  h  regret  font  le  con- 
iequent. Or,  en  latin  dejiderari ^  être  fou- 
haité,  fe  prend  pour  être  mort ,  être  perdu , 
être  ahfent  ^  c'eft  le  conféquent  pour  l'an- 
técédent ,  c'efl  une  métalepfe.  Ex  parte  q  curt. 
Alcxandri  triointa  ornnino  &  duo  ,  ou  Ici  on  ^-  ^  ï--  c.  ix. 
d'autres,  trecenti  omnîno ^  ex pedîtihus  dejl- 
ilerâti  fii'ati  du  coté  d'Alexandre  il  n'y  eut 


94       LA    M  ETALE  FSE. 

en  tout  que  trois  cens  fancaffins  dctilés, 
Alexandre  ne  perdit  que  trois  cens  homes 
Cx.ar.  tl 'infanterie.  NtilU  ndvis  defidcrabatnr  :  au- 
cun vaifleau  n'étoit  dédré  ^  c'eft  à-dire  , 
aucun  vaiireau  ne  périt,  il  n'y  eut  aucun 
vaiiTeau  de  perdu. 

"  Je  vous  avois  promis  que  je  ne  ferois 
«que  cinq  ou  iix  jours  à  la  campagne, 
«  dit  Horace  à  Mécénas,  &  cependant  j'y 
"  ai  déjà  paiTé  tout  le  mois  d'Août. 

Hor.  1.  I.      Qitinque  dies  tihi  polHcitus  me  rure  futurum  , 
ep-  7-  Sextilem  rotum  ,  mendax ,  desideror. 

Oii  vous  voyez  que  desideror  veut  dire 
par  métalepfe ,  je  fuis  abfent  de  Rome,  je 
me  tiens  à  la  campagne. 

Par  la  même  figure ,  dejtderari  fignifie 
encore  manquer  (dtficcre)  être  tel  que  les 
autres  aient  befoin  de  nous.  «  Les  Thé- 
«  bains,  par  des  intrigues  particulières, 
»î  n'ayant  point  mis  Èpaminondas  à  la 
"  tête  de  leur  armée,  reconurent  bien  tôt 
M  le  befoin  qu'ils  avoient  de  fon  habileté 
Corn.Nep.  ^^  ^^^^  p^^^^.  ^lilicaire  :  ce  *  de/ideràri  cœpta 

id.  c.  5»  eft  Epammond£  dlligêntia.  Cornélius  Népos 
dit  encore  que  Ménéclide  jaloux  de  la 
gloire  d'Epaminondas  ,  cxhortoit  conti- 
liuèlement  les  Thébaiiis  à  la  paix  ,  afin 


LA    METALEPSE.        05 

qu'ils  ne  fentiflcnt  point  le  befoin  qu'ils 
avoient  de  ce  général.  Hortdïi  folébat The- 
hânos ,  ut  pacern  bello  amefcrrent ,  ne  illlus 
impe/atoris  opéra  dejiderarhur, 

La   mécalcpfe   fe  fait  donc   lorfcja'on 
palIe  corne  par  degrés  d'une  ligniiicacioii 
à  une  autre  :  par  exemple  ,  quand  Virgile 
a  dit,  après  quelques  épis,  c'cft-à-dire,     Pcft  âli- 
après  quelques  années  :  les  épis  fupofent  ^"^"^  "^^.^ 

111  1  ^         .  g-,   replia  vi- 

le  tems  de  la  moilfon ,  le  tems  de  la  moil-  jens  mirâ- 
ibn  rupofe  Tété  ,  &:  Tété  fupofe  la  révolu-  boiariftas. 
tion  de  l'année.  Les  Poètes  prènent  les  ^'^^^  "^  '^' 
hivers ,  les  étés  ,  les  moillbns ,  les  autoncs, 
&  tout  ce  qui  n'arive  qu'une  fois  en  une 
année,  pour  l'année  même.  Nous  difons 
dans  le  difcours  ordinaire ,  c'efl  un  nj'm  de 
quatre fcuilUs  ^  pour  dire,  c'eft  un  vin  de 
quatre  ans  \  èc  dans  les  coutumes  on  trouve     Cout.  de 
bois  de  quatre  feuilles ,  c'eft-à-dire  ,  bois  de  ^°"<^""  > 

'         ,  •'  '  '  tir.  14.  arr. 

quatre  années.  3. 

Aind  le  nom  des  diférentes  opérations 
de  l'agriculture  fe  prend  pour  le  tems  de 
ces  opérations  ^"c'ell  le  conféquent  pour 
l'antécédent ,  la  moifîon  le  prend  pour  le 
tems  de  la  moifîbn ,  la  vendange  pour  le 
tems  de  la  vendange  j  il  efi  mort  pendant  Li 
moijfon ^  c'eft-à-dire,  dans  le  tems  de  \% 
moilTbn.  La  moiiîbn  fe  fait  orainairement 


96        LA    METAL'EPSE.y 

dans  le  mois  ci'Août,  ainfi  par  métonymie 
ou  métiileprc,  on  apèle  la  moiffon  VAoûr, 
qti^on  prononce  1V«,  alors  letems  dans  le- 
quel une  chofe  fe  taic,ie  prend  pour  la  chofe 
même  j  6c  toujours  à  caufe  de  la  liailon 
que  les  idées  acceflbires  ont  entre  elles. 

On  raporte  aufîi  à  cette  figure  ces  façons 
de  parler  des  Poètes  ,  par  lefquellcs  ih 
prènent  l'antécédent  pour  le  conféquent  j 
îorfqu'au  lieu  d'une  defcriprion,  ils  nous 
mettent  devant  les  yeux  le  fait  que  la  dcf- 
cription  fupofe. 

«  O  Ménaique  !  jfl  nous  vous  perdions  , 
33  dit  Virgile ,  "^  qui  émailleroit  la  terre  de 
«fleurs?  qui  feroit  couler  les  fontaines 
5î  fous  une  ombre  verdoyante  ?  «  C'eft  à- 
dire,  qui  chanteroit.  la  terre  émaillée  de 
fleurs  ?  Qui  nous  en  feroit  des  defcriptions 
aufli  vives  &c  aufli  riantes  cjue  celles  que 
vous  en  faites  ?  Qui  nous  peindroit  corne 
vous  ces  ruifleaux  qui  coulent  fous  une 
ombre  verte? 

Le  même  Poète  â  dit  ^-**  qiie  «  Silène 

*  Quis  cânerer  nympKas  ?  Quis  hiimutn  floréntibus  hcr- 
bis  Spârgeret ,  auc  viridi  fontes  indùcerec  unibrâ  ?  V:rgl 
Ecl.  IV.  V.  19. 

**  Tum  Phaerontiadas  murco  cucùmdat  amârœ 
•îirticis,  acque  fôlo  prôcéras  érigic  alnos.  Vtrg.  Ed.  vi. 
V.  6z. 

envelopA 


LA    SYNECDOQ^UE.         97 

iî  envelopa  chacune  des  fœars  de  Phaétoii 
«  avec  une  écorcc  amère ,  6c  fit  iorcir  de 
»5  terre  de  grands  peupliers  -,  «  c'eft-à-dire , 
que  Silène  chanta  d'une  manière  ii  vive 
la  métamorphofe  des  fœursdePhaéton  en 
peuplier ,  qu'on  croyoït  voir  ce  change- 
ment. Ces  façons  de  parler  peuvent  être 
raportées  à  l'hypotypoie  dont  nous  parle- 
rons dans  la  fuite.  , 


I  V. 

La    Synecdoque.* 

LE  terme  de  Synecdoque  fignific  com-  ^wrii-oy^^ 
préhenfion  ,  conception  :  en  éfet  dans  c°"^r''^^ 
la  Synecdoque  on  tait  concevou*  a  1  elprit 
plus  ou  moins  que  le  mot  dont  on  fe  fert 
ne  fignifie  dans  le  fcns  propre. 

*  On  écrit  ordinairement  Synecdocbe  ,  voici  les  raifons 
qui  me  détei  minent  à  écrire  Synecdoque. 

1°.  Ce  mot  n'efl:  point  un  mot  vulgaire  qui  foit  dans  la 
bouche  des  gens  du  monde  ,  enforte  qu'on  puifTe  les  con- 
fultcr  pour  conoîrre  l'ufage  qu'il  faut  fuivre  par  raport  à 
la  prononciation  de  ce  mot. 

z".  Les  gens  de  lettres  que  j'ai  confultcs  le  prononcent 
difércmment  ,  les  uns  d-iu:nt  Synecdoche  à  la  françoife  , 
come  Roche,  &:  les  autres  foutiènent  avec  Richelet ,  qu'on 
doit  prononcer  Synecdoque. 

■3  ".  Ce  mot  cfl  tout  grec  It'-kJ^o'.  m  ;  il  faut  donc  le  pro- 
noncer en  confcrvanc  au  y  fa  prononciation  originale , 

G 


98         LA  SYNECDOQUE. 

Quand  au  lieu  de  dire  d'un  home  qu'il 
aime  le  fin  ,  je  dis  qu'il  aime  la  bouteille, 
c'efl  une  fimple  métonymie ,  c'eft  un  nom 
pour  un  autre  :  mais  quand  je  dis  ccfjt  voiUs 
pour  cent  vaifTeaux  ,  non  feulement  je 
prens  un  nom  pour  un  autre ,  mais  je  donc 
au  mot  voiles  une  fignification  plus  éten- 
due que  celle  qu'il  a  dans  le  fens  propre  -, 
je  prens  la  partie  pour  le  tout. 

La  Synecdoque  cil:  donc  une  efpèce  de 
métonymie  ,  par  laquelle  on  donc  une  fî- 
gnification  particulière  à  un  mot ,  qui 
dans  le  fens  propre  a  une  lignification  plus 
générale  ;  ou  an  contraire ,  on  donc  une 


t'eft  ainfi  qu'on  prononce  &  qu'en  écrit  i-jrox^  j  Monarque 
fj.ov'lfyv.q  &  n'vxpx'^:  ;  Pentaceuque,  ■7:îvriirivx''i>  ^'^ndro- 
maque  ^  AV/pouap^-H  j  Télémaque  ^  Tn^fA^ax^';  ,  &c.  On 
conferve  la  même  prononciation  dans  EcAtf,  'H;)^&  j  Ecole, 
Schûla  2yo?,:r,  &c. 

Je  crois  donc  que  fynecdoque  étant  un  mot  fcicntifique 
qui  n'efl  point  dans  l'ufage  vulgaire  ,  il  faut  l'écrire  d'une 
manitre  qui  n'induife  pas  à  une  prononciation  peu  conve- 
nable a  fon  origine. 

4".  L'ufage  de  rendre  par  ch  le  y  des  Grecs  ,  a  introduit 
une  prononciation  françoife  dans  plufîeurs  mots  que  nous 
avons  pris  des  Grecs.  Ces  mots  étant  devenus  comuns  ,  &z 
l'ufage  ayant  fixé  la  manière  de  les  prononcer  &  de  les 
écrire,  refpeftons  l'ufage  ,  prononçons  catéchifme  ^  machi- 
ne ,  chimère ,  Archidiacre ,  Archirecie  ,  &c.  come  nous  pro- 
nonçons chi  dans  les  mots  François  :  mais  encore  un  coup 
Synecdoque  nc?t  point  un  mot  vulgaire,  écrivons  donc  & 
prononçons  Synecdoque. 


LA  SYNECDOQ^UE        99 

fîgnifîcation  générale  à  un  mot  qui  dans 
le  fens  propre  n'a  qu'une  fignificacion  par- 
ticulière. En  un  mot ,  dans  la  métonymie 
je  prcns  un  nom  pour  un  autre,  au  lieu 
que  dans  la  fynecdoque,  je  prens  le  plfis 
pour  le  moins  ,  ou  le  moins  pour  \q plus.  ' 

Voici  les  diterentes  forces  de  Synecdo- 
ques que  les  Grammairiens  ont  remar- 
quées. 

I.  Synecdoque  DU  genre:  corne 
quand  on  dit  les  mortels  pour  les  homes  j  le 
terme  de  mortels  devroit  pourtant  com- 
prendre auiîi  les  animaux  qui  font  fujets  à 
la  mort  aulîi  bien  que  nous  :  ainii ,  quand 
par  les  mortels  on  n'entend  que  les  homes  , 
c'ell:  une  fynecdoque  du  genre  :  on  dit  le 
plus  pour  le  moins. 

Dans  l'Ecriture  Sainte,  crcathre  rie  fi-    Eûntesîri 
î^nifie  ordinairement  que  les  homes  :  c'eft  "^^i"^^'"  . 

^  ,  M       1       r  1  1     univerfum 

encore  ce  qu  on  apele  la  lynecdoque  du  prxdicâte 
genre,  parce  qu'alors  un  mot  générique  ne  evangé- 
s'entend   que  d'une  efpèce  particulière  :  '"T,/,??'^^ 
créature  eiï  un  mot  générique,   puifqu'ilMarf.c.iô. 
comprend  toutes   les  efpèces   de  chofcs^-^^- 
créées  ,  les  arbres ,  les  animaux  ,  les  mé- 
taux ,  &c.  Ainfi  lorfqu'il  ne  s'entend  que 
des  homes,  c'ed:  une  fynecdoque  du  genre, 
t'eft-à-dire,  que  fous  le  nom  du  genre , 


Gi 


.i-QO      LA    SVNECDOQUE. 

on  ne  conçoit ,  on  n'exprime  qu'une  gT- 
pèce  particulière  y  on  reltraint  le  mot  gé- 
nérique à  la  fimple  lignification  d'un  mot 
qui  ne  marque  qu'une  efpèce. 

Nombre  eft  un  mot  qui  fe  dit  de  tout 
^      afTemblage  d'unités  :  les  Latins  fe  font 
quelquefois  lervis  de  ce  mot  en  le  reflrai- 
gnant  à  une  efpèce  particulière. 

1.  Pour  marquer  l'harmonie ,  le  chant  : 
il  y  a  dans  le  chant  une  proportion  qui  fe 

lvî,uoç.  compte.  Les  Grecs  apèlent  aulli  rmhmos 
tout  ce  qui  fe  tait  avec  une  certaine  pro- 
portion :  Qjndqmd  ccrto  modo  &  rationeft. 

Virg.  Ed. .     .     .     .     Numéros  mémini ,  fi  verba  tenérem. 

IX.  V.  4j.  „  Je  n-ie  fouviens  de  la  mefure ,  de  l'har- 
»5  monie  ,  de  la  cadence ,  du  chant ,  de 
"  l'air  j  mais  je  n'ai  pas  retenu  les  paroles. 

2.  Numerus  fe  prend  encore  en  particu- 
lier pour  les  vers  j  parce  qu'en  éfet  les  vers 
font  compofés  d'un  certain  nombre  de  pies 

Pçrfefat.  on  de  fyllabes  :  Scrîbimus  numéros^  nous 
î.  V.  j.       fefons  des  vers. 

3.  En  françois  nous  nous  fervons  aufli 
de  noynhre  ou  àQ  nombreux  ^  pour  marquer 
une  certaine  harmonie,  certaines  mefures:, 
proportions  ou  cadences ,  qui  rendent 
agréables  à  l'oreille  un  air,  un  vers,  une 
période,   un  difcours.   Il  y  a  un  certain 


LA  SYNECDOQ^UE.       lai 

uombre  qui  rend  les  périodes. ha rmoniea- 
ics.  On  dit  d'une  période  qu'elle  cfl:  fore 
nombrcufe,  numcrofd  oritio  \  c'eft-à-dire,    Cic.Orar. 
que  le  nombre  àxs  tyllabes  qui  la  compo-  "•  ^^''^^; 
lent  elt  ii  bien  diitribue,  que  1  oreille  en  scc. 
eil  frapée  agréablement:  numcrus  a  aùfli 
cette  lignification  en  latin.  In  orâtiane  mi-   cic.Orat. 
merus  latine^  gr.ecè  ^v^y.oç ,  incfe  dfcitnr.  .  /^- ^^- '^^  ^'•'''' 
.  .  Ad  capiéridas  aurex,  ajoute  Cicéron ,  nu-  lyx. 
meriab  oratore  quxrimîur  :  &  plus  bas  il  s'ex- 
prime en  ces  termes  ;  Arljtotelcs  verfum  m 
oratione  vetat  ejjè  ^  nûmerum  jubct,  Arillote 
ne  veut  point  qu'il  fe  trouve  un  vers  dans, 
la  profe  ,  c'cfi:-à-dire  ,  qu'il  ne  veut  point 
que  lorfqu'on  écrit  en  profe  ^  il  fe  trouve, 
dans  le  difcours  le  même  ailemblage  de 
pies,  ou  le  même  nombre  de  fyllabes  qui 
forment  un  vers.  Il  veut  cependant  que  la 
profe  ait  de  l'harmonie;  mais  une  Iwrmo- 
nie  qui  lui  loit  particulière,  quoiqu'elle 
dépende  également  du  nombre  des  fylja- 
bcs  'Se  de  l'arangement  des  mots. 

I  I..  Il  y  a  au  contraire  la  Synecdoque. 
DE  l'espèce  :  c'efh  lorfqu'un  motj  qui  dans 
le  fens  propre  ne  iignifle  qu'une  cfpèce 
particulière  ^  fe  prend  pour  le  genre  ;  c'ell 
ain(i  qu'on  apèlc  quelquefois  njolcur  un  mé- 
chant home.  C'cffc  alors  prendre  le  încin^ 
pour  marquer /(r^//^/.  G  iij 


lOi       LA  SYNECDOQUE, 

Il  y  avoit  dans  la  ThefTalie ,  entre  le 
mont  Oila  &.  le  mont  Olympe,  une  fa- 
meafe  plaine  apelée  Tempe ^  qui  pafloit 
pour  un  des  plus  beaux  lieux  de  la  Grèce  ; 
les  Poètes  grecs  5c  latins  fe  font  fervis  de 
ce  mot  particulier  pour  marquer  toutes 
fortes  de  belles  campagnes. 

"  Le  doux  fomeil ,  dit  Horace ,  n'aime 
V  point  le  trouble  qui  règne  chez  les 
'î  grands ,  il  fe  plaît  dans  les  petites  mai- 
55  Tons  de  bergers ,  à  l'ombre  d'un  ruifTeau, 
55  ou  dans  ces  agréables  campagnes ,  donc 
55  les  arbres  ne  font  agités  que  par  le  zé- 
55  phyre  ;  »3  &:  pour  marquer  ces  campa- 
gnes ,  il  fe  fert  de  Tempe  : 

Hor.  1. 3.  .  .  .    Somnus  agréftium 

'  '  ■"•   '  *'^'  Lenis  virorum,  non  hi'imiles  domos 

Faftidit ,  umbrofâmque  ripam  , 
Non  zéphyris  agitOiCa  Tempe. 

Le  mot  de  corps  &  le  mot  d'am.e  fc  prc.- 
nent  aufîi  quelquefois  féparément  pour, 
tout  l'home:  on  dit  populairement,  fur- 
^out  dans  les  provinces,  ce  corps-là  pour 
cet  home-là  ;  voilÀ  un  pUifant  corps ,  pour 
dire  un  plaifant  perfonagc.  On  dit,  auiîî 
qu'/'/j/  a  cent  mille  âmes  dans  une  ville ,  c'eft- 
à-dire ,  cent  mille  habitans.  Omnes  mima 


LA  SYNECDOQ^UE,       105 

domus  Jacob  ^  toutes  les  periones  de  Li  fa-    Gen.  c. 
mille  Je  Jacob.  Génnit  (cxdecim  animas  .  il  :t^-7-  -"• 

r  •  r  iDid.  V.  1  Sv 

eut  leize  eiitans. 

1 1 1.  Synecdoque  dans  le  nombre, 
c'cd  lorrqu'on  met  un  fîngulier  pour  un 
plurier,  ou  un  plurier  pour  un  (îngulier. 

1,  Le  Germain  révolté^  c'eft  à-dire,  lc$ 
Germains,  les  Alemans,  Céne7ni  vient  a  nous^^ 
c'eft-à-dire  ,  les  énemis.  Dans  les  hifloriens 
latins  on  trouve  fou  vent /'^^fj-  pour  fédi-^ 
tefy  le  fantaiïin  pour  les  fantaliins,  l'In- 
fanterie. 

2.  Le  plurier  pour  le  fingulier.  Souvent 
dans  le  ftyle  férieux  on  dit  nous,  au  lieu  de 

je  y  ^  de  même,  Il  e(l  écrit  dans  les  Prophè-  Qjioddic^ 
us  ^  c'eft-à  dire,  dans  un  livre  de  quel- 1!'"' ,f  ^''' 
qu  un  des  rrophetes.  Matt.  c.  %. 

3,  Un  nombre  certain  pour  un  nombre  ""'•  -i- 
incertain,  lime  l'a  dit  ^  dix  fois  ^  vint  fois  ^ 
cent  fois  ^  mMe  fois  ^  c'eft-à-dire,  plufieurs 
fois. 

4.  Souvent  pour  faire  un  compte  rond  , 
on  ajoute  ou  l'on  retranche  ce  qui  empê- 
che que  le  compte  ne  foit  rond  :  ainfi  on 
dit  la  verfion  des  feptante ,  au  lieu  de  dire 
la  verfion  des  foixante  6c  douze  interorè- 
tes,  qui,  félon  les  Pères  de  l'Eglifc,  tra- 
dkiifi.tent;  l'Ecriture  Sainte  en  grec ,  à  la 

G  iv 


104       L^'i  SVNECDOQ^UE. 

prière  de  Pcoléméc  Philadelphe  ,  Roi  d'E- 
gypte, environ  trois  cens  ans  avant  J.  C. 
Vous  voyez  que  c'eft  toujours  ou  /e  plus 
pour  le  moins ,  ou  au  contraire  U  moins  pour 
U  plus, 

IV.  La   partie  pouk  le  tout,  &: 

tE  TOUT  POUR  LA  PARTIE.  Ainfi  U  tête 
ie  prend  quelquefois  pour  tout  l'home  : 
ç'efl  ainfi  qu'on  dit  comunément,  on  a. 

■paye  tant  par  tête ,  c'eft-à-dire ,  tant  pour 
chaque  perfone  ;  une  tête  fi  chère  ^  c'eil-à- 
dire ,  une  perfone  (î  précieufe ,  li  fort 
aimée. 

Les  Poètes  difent  après  quelques  moif- 

fions ,  quelques  étés ,  quelques  hivers  ,  c'eft- 
à-dire ,  après  quelques  années. 

L'onde  ^  dans  le  fens  propre,  (igniiie  une 

vague ,  un  flot  \  cependant  les  Poètes  prè- 

nent  ce  mot  ou  pour  la  mer ,  ou  pour  l'eaii; 

d'une  rivière,  ou  pour  la  rivière  même. 

Çainault.      Vous  juriez  autrefois  que  cette  onde  rebèle 

îlis  ,aâ:.  I.        o     r       •  r    r'  m 

f(.   ,  be  rsroit  vers  la  loiirce  une  route  nouvele. 

Plutôt  qu'on  ne  verroit  votre  cœur  dégagé  : 
Voyez  couler  ces  flots  d.ins  cette  vafte  plaine  j 
C'eft  le  même  penchant  qui  toujours  les  en^ 

traîne  j 
Leur  cours  ne  ch^^nge  point,  &  vous  ayez  changç,^ 


LA  SYNECDOQUE.  105 
Dans  les  Poètes  latins  y  la  poupe  ou  la 
y(>r^«^  d'un  vai fléau,  Te  prènent  pour  tout 
le  vai{îcau.  On  dit  en  François  cc»f  voiles , 
pour  dire  cent  vaifl^eaux,  Tecfum,  le  toit , 
le  prend  en  latin  pour  toute  la  maifon  : 
jEnéan  in  reçut  ducït  tecla ,  elle  mène  Enée  Virg.  Mm 
uans  ion  palais.  '^ 

La  porte ,  &  même  le  feuil  de  la  porte ,  fe 
prènent  auiîi  en  latin  pour  toute  la  mai- 
fon ,  tout  le  palais ,  tout  le  temple.  C'cft 
peut-être  par  cette  efpècc  de  fynecdoque 
qu'on  peut  doner  un  fens  raifonable  à  ces 
vers  de  Virgile  : 

Tiim  foribus  Divîc,  média  teftûdine  templi,        ^n.  i.t^ 
Septa  armis,  falibque  alce  fubnixa  refédir.  ^ 

Si  Didon  étoit  affife  à  la  porte  du  temple , 
forihus  Div£  ,  coment  pouvoit-ellc  être 
alLfe  en  même-tems  fous  le  milieu  de  la 
voûte ,  média  tefttidine  ?  C'efl  que  par  fori- 
hus Di'v.c ,  il  faut  entendre  d'abord  en  gé- 
néral le  temple  j  elle  vint  au  temple ,  &,  fe 
plaça  fous  la  voûte. 

Lorfqu'un  citoyen  romain  étoit  fait  ef^ 
clavc,  fes  biens  apartenoient  à  Tes  héri- 
tiers ,  mais  s'il  revenoit  dans  fa  patrie ,  il 
rentroit  dans  la  pofl^eflion  &  jouifl"ancc  de 
tous  fes  biens:  ce  droit,  qui  efl  une  efpècc 


lo^      LA  SYNECDOQUE, 

de  droit  de  retour,  s*apeloit  en  htm  jus 
fojîlimmït  ;  àQpoJl^  après,  6c  de  limcriy  le 
feuil  de  la  porte  ,  l'entrée. 

Vorte ,  par  fynecdoque  2c  par  antono- 
mafe,  figaifie  auffi  la  coar  du  Grand  Sei- 
gneur, de  l'Empereur  Turc.  On  dit  faire 
un  traité  avec  la  Porte  ,  c'eft-à-dire ,  avec  la 
Cour  Ottomane.  C'cft  une  façon  dépar- 
ier qui  nous  vient  des  Turcs  :  ils  nomenc 
Porte  par  excélence  la  porte  du  férail ,  c'eft 
le  palais  du  Sultan  ou  Empereur  Turc ,  6c 
ils  entendent  par  ce  mot ,  ce  que  nous  ape- 
lons  la  Cour. 

Nous  difons  ily  a  cent  feux  dans  ce  villa- 
ge  j  c'eft-à-dire,  cent  familles. 

On  trouve  aulîi  des  noms  de  villes ,  de 
fleuves ,  ou  de  pays  particuliers ,  pour  des 
noms  de  provinces  ôc  de  nations.  *  Les 
Pélafgiens ,  les  Argiens ,  les  Doriens  ,  peu- 
ples particuliers  de  la  Grèce ,  fe  prènent 
pour  tous  les  Grecs ,  dans  Virgile  ôc  dans 
les  autres  Poëtes  anciens. 

On  voit  fouvent  dans  les  Poëtes  le  Ti- 
bre ^"^  pour  les  Romains  ;  le  Nil  ^our  les 

*  Eurusad  auroram  Nabathaeâque  régna  reccffit.  Ovidi 
Metam.  1.  i.  v.  èi. 

**  Cutn  Tîberi ,  Nilo  grâria  nulla  fuat.  Trop.  1.  i.  Elegu 
33.  V.  lo.  Peï  Tiberim  Românos ,  per  Nilum  iEgyptios. 
intcUïgko.  Beroald  in  Frapert^ 


LA    SYNECDOQ^UE.       107 

Egyptiens  ;  la  Seine  pour  les  François. 

^  Cloaque  climat  produit  des  favoris  de  Mars ,  *  Boilcau. 

La  Seine  a  des  Bourbons ,  le  Tibre  a  des  Céfars.      ^P-  '• 

*  *  Fouler  aux  pies  l'orgueil  &'du  Tage  &  du  Tibre,    i^:*  j^g„ 

Par  le  Tage  il  entend  les  Efpagnols ,  le     Di^'t^'^'^'' 
Tage  eft  une  des  plus  célèbres  rivières 
d'Elpagne. 

V.  On  fe  fert  fouvent  du  nom  de  la 
MATIER.E  pour  marquer  la  chose  qui 
EN  EST  FAITE:  le  pin  OU  quelqu'autrc 
arbre  fe  prend  dans  les  Poètes  pour  un 
vaifleau  -,  on  dit  comunément  de  l'argent^ 
pour  des  pièces  d'argent,  de  la  monoie. 
Le  fer  fe  prend  pour  l'épée  :  périr  par  le  fer. 
Virgile  s'ell:  fervi  de  ce  mot  pour  le  foc  de 
la  charue  : 

At  prius  ignotum  fèrro  quàm  fcîndimus  nequor.       i.  Georg; 

M.  Boilcau  dans  Ton  ode  fur  la  prife  de  ^'  ^'^' 
Namur ,  a  dit  V airain  pour  dire  les  canons. 

Et  par  cent  bouches  horribles 
"L'airain  fur  ces  monts  terribles 
Vomit  le  fer  &ç  la  mort. 

L'airain  en  latin  £Sy  fe  prend  auiîi  fréqucn- 
ment  pour  la  monoie ,  les  richcifes  :  la  pre- 
mière monoie  des  Romains  étoit  de  cui- 
vre: ^is  alicnum^  le  cuivre  d'autrui,  c'cil- 


V 


io8       LA    SYNECDOQUE, 
à-dire ,  le  bien  d  autrui ,  qui  eft  entre  nos 
mains  ,   nos   dettes  ,   ce    que    nous  de- 
vons. 

Enfin  xra  fe  prend  pour  des  vafes  de 
cuivre,  pour  des  trompètes,  des  armes, 
en  un  mot,  pour  tout  ce  qui  fe  fait  de 
cuivre. 

Dieu  dit  à  Adam ,  tu  es  pouffière ,  &  ta 
Gen.c.  3.  retourneras  en  poulTière ,  pulvis  es  é"  m 
*^'  pïl'vcrem  revcrtéris  ^  c'eft-à-dire,  tu  as  été 
fait  de  pouiîière ,  tu  as  été  formé  d'un  peu 
de  terre. 

Virgile  s'eft  fervi  du  nom  de  l'éléphant, 
pour  marquer  fimplement  de  l'ivoire  j  "^ 
c'efl:  ainii  que  nous  difons  tous  les  jours  uft 
cafior^  pour  dire  un  chapeau  fait  de  poil  de 
caftor,  ôcc. 

Le  pieux  Enée ,  dit  VirG;ile  ,  ^^  lança  fa 
'  Hafte,  pi- hafte  avec  tant  de  force  contre  Mézence, 
v^kP^de  4^^'^!^^  perça  le  bouclier  fait  de  trois  pla- 
Montfau-  qucs  de  cuivre  ,  Se  qu'elle  traverfa  les  pi- 
con,  tome  quurcs  de  toilc ,  &  l'ouvrage  fait  de  trois 
'       ^'     tant  eaux  j  c'eft-à-dire ,  de  trois  cuirs.  Cette 

...  .  *  Ex  auro,  foli;^6queelephânto.  Georg.  m.  v.  %6. 
Dona  dehiuc  auro  grâvia  fedôque  elephânco.  JEn.  iiï. 

V.  464. 

**  Tura  pius  i£néas  haftam  jacit  :  illa  per  orbcm 
Atc  cavum  triplici  per  linea  terga  ,  tribûfque 
Trinfiir  intcxcum  tauris  ypus.  ^J\.  1,  ^.  v.  jlj. 


LA  SYNECDOQUE.       109 

façon  de  parler  ne  feroit  pas  entendue  en 
notre  langue. 

Mais  il  ne  faut^pas  croire  qu'il  foit  per- 
mis de  prendre  indiférenment  un  nom 
pour  un  autre,  foit  par  métonymie,  foit 
par  fynecdoque  :  il  faut,  encore  un  coup  , 
que  les  exprelîions  figurées  foient  autori- 
fees  par  l'ufige  ;  ou  du  moins  que  le  fens 
litéral  qu'on  veut  faire  entendre,  fe  pré- 
fente  naturèlement  à  l'efprit  fans  révolter 
Ja  droite  raifon  ,  &  (ans  blelTerles  oreilles 
acoutumces  à  la  pureté  du  langage.  Si  l'on 
difoit  qu'une  armée  navale  étoit  compofée 
de  cefU  mhs ^  ou  de  cerU  avirons^  au  lieu 
de  dire  cent  -voiles  pour  cent  vaiileaux,  on 
fc  rendroit  ridicule  :  chaque  partie  ne  fe 
prend  pas  pour  le  tout ,  &  chaque  nom 
générique  ne  fe  prend  pas  pour  une  cfpèce 
particulière  ,  ni  tout  nom  d'elpècepour  le 
genre  \  c'eit  l'ufage  Icul  qui  done  à  fon 
gré  ce  privilège  à  un  mot  plutôt  qu'à  un 
autre. 

Ainfi ,  quand  Horace  a  dit  que  les  com- 
bats font  en  horreur  aux  mères  ,  helU  ma-  ^°"-  '■  ^• 
mhus  aetejtaUi  je  luis  pcriuade  que  ce 
Poète  n'a  voulu  parler  précifément  que 
des  mères.  Je  vois  une  mère  alarmée  pour 
Ion  fils ,  qu'elle  lait  être  à  la  guerre ,  ou 


îio  LA  SYNECDOQ^UE. 
dans  un  combat ,  donc  on  vient  de  lui 
aprendre  la  nouvèle  :  Horace  excite  ma 
fenlibilité  en  me  telant  penler  aux  alar- 
mes où  les  mères  font  alors  pour  leurs  en- 
fans  \  il  me  femblc  même  que  cette  ten- 
drefTe  des  mères  eft  ici  le  feul  fentimcnt 
qui  ne  loit  pas  fulcepcible  de  foiblefle  ou 
ae  quelqu'autre  interprétation  peu  tavo- 
rable  :  les  alarmes  d'une  maîtrefle  pour  Ton 
amant,  n'oferoient  pas  toujours  fe  mon- 
trer avec  la  même  liberté ,  que  la  tendreflè 
d'une  mère  pour  Ton  fils.  Ainfi  quelque > 
déférence  que  j'aie  pour  le  favantP.  Sana- 
don ,  j'avoue  que  je  ne  faurois  trouver  une 
fynecdoque  de  refpècc  dans  belU  matn- 
hns  dcteftdta.  Le  P.  Sanadon  croit  que;wi- 

Poëfies   tribus  comprend  ici ,  même  les  jeunes  filles  ; 

t  i°p^7^'^^^^^    ^^    traduction  :    Les  combats ,    cjui 

font  four  les  femmes  un  objet  d'horreur.  Ee 

*p.  iz.  dans  les  remarques  il  dit,  que  «  "^  les 
«  mères  redoutent  la  guerre  pour  leurs 
)î  époux  &:  pour  leurs  cnfans  \  mais  les  jeu- 
aï  nés  filles,  ajoute-t-il ,  ne  doivent  pas 
5)  moins  la  redouter  pour  les  objets  dune 
53  tendrelle  légitime  que  la  gloire  leur  en- 
>3  lève,  en  les  rangeant  fous  les  drapeaux 
33  de  Mars.  Cette  raifon  m'a  fnit  prendre 
M  mctres  dans  la  {ignification  la  plus  écen- 


LA  SYNECDOq^UE.       m 

>^  due ,  come  les  Poètes  l'ont  foiivent  em- 
«  ployé.  Il  me  fcinble ,  ajoute- t-il ,  que  ce 
>3  iens  fait  ici  un  plus  bel  éfet.  c* 

Il  ne  s'agit  pas  de  doner  ici  des  infime-  ' 
tions  aux  jeunes  filles  ,  ni  de  leur  apren- 
dre  ce  qu'elles  doivent  faire,  lorfque  Id 
gloire  leur  enltve  les  objets  de  leur  tendre ffe , 
£fi  les  rangeant  fous  les  drapeaux  de  Murs  $ 
c'eft-à-dire  ,  lorfque  leurs  amans  font  à  la 
guerre  j  il  s'agit  de  ce  qu'Horace  a  penfé  : 
or,  il  me  femble  que  le  terme  de  mères 
n'efl  rélatiPqu'à  enfansî  il  ne  l'effc  pas  mê- 
me à  époux ,  encore  moins  aux  objets  d^nne 
tendrejfe  légitime.  J'ajouterois  volontiers  , 
que  les  jeunes  filles  s'opofent  à  ce  qu'on 
les  confonde  fous  le  nom  de  mères -^  mais 
pour  parler  plus  férieufement,  j'avoue  que 
lorfque  je  lis  dans  la  traduction  du  P.  Sa- 
nadon,  que  les  combats  font  pour  les  femmes 
un  objet  d'horreur ,  je  ne  vois  que  des  fem- 
mes épouvantées  j  au  lieu  que  les  paroles 
d'Horace  me  font  voir  une  mère  atendrie: 
ainfi  je  ne  fens  point  que  l'une  de  ces  ex- 
prcllions  puifîe  jamais  être  l'image  de 
l'autre;  &:  bien  loin  que  la  traduction  du 
P.  Sanadon  fafTe  fur  moi  un  plus  bel  é'ÎQt^ 
je  rcgrète  le  fentiment  tendre  qu'elle  me 
fait  perdre.  Mais  revenons  à  la  fynecdo- 
quc» 


U2      LA  SYNECDOQUE, 

Corne  il  elV  facile  de  confondre  cette 
figure  avec  la  métonymie  ,  je  crois  qu'il 
ne  fera  pa.s  inutile  d'obfervcr  ce  qui  dil- 
tingue  la  lynecdoque  de  la  métonymie , 
c'elt  1°.  Que  la  fynecdoque  fait  entendre 
le  p/us  par  un  mot  qui  dans  le  fens  pro- 
pre fignifîe  le  moins  y  ou  au  contraire  elle 
tait  entendre  le  moins  par  un  mot  qui 
dans  le  fens  propre  marque  \c  plus. 

2°.  Dans  l'une  &  dans  l'autre  figure  il  y 
a  une  relation  entre  l'objet  dont  on  veut 
parler,  ^  celui  dont  on  emprunte  le  nom  ; 
car  s'il  n'y  avoit  point  de  raport  entre  ces 
objets,  il  n'y  auroit  aucune  idée  accelîbi- 
re,  &  par  conféquent  point  de  trope  : 
mais  la  relation  qu'il  y  a  entre  les  objets, 
dans  la  m.étonymie,  eft  de  telle  forte  ,  que 
l'objet  dont  on  emipruntc  le  nom ,  (ubfifte 
indépendamcnt  de  celui  dont  il  réveille 
l'idée  ,  6c  ne  forme  point  un  enfemble 
avec  lui.  Tel  eft  le  raport  qui  fe  trouve 
entre  la  caiife  de  IV/^/,  entre  l'auteur  &; 
fon  ouvrage  ,  entre  Cérès  6c  le  blé  \  entre  le 
contenant  U.  le  contenu ,  come  entre  la  bou- 
teille oc  le  vin  :  au  lieu  que  la  liaifon  qui 
fe  trouve  entre  les  objets ,  dans  la  fynec- 
doque, fupofe  que  ces  objets  forment  un 
enfemble  come  le  tout  6c  la  partie  i  leur 

union 


M  L'ANTONOMASE.        113 

ianiôn  n'eft  point  un  {împlc  raporc ,  elle 
eft  plus  intérieure  êc  plus  indépendante: 
c  ell  ce  qu'on  peut  remarquer  dans  les 
exemples  de  l'une  &  de  rautré  de  ces  fi- 
gures, 

V. 

L' A  N  t  Ô  N  O  M  A  s  E. 

L'Antonorriafe  eft  Une  efpèce  de  fynec-  'Aitovo,».-- 
doque,  par  laquelle  on  met  un  nom  "'*'/.'''"'^" 
comun  pour  un  nom  propre,  ou  bien  un  nom  pour 
nom  propre  pour  un  nom  comun.   Dans '^^'^^^^^^''^^ 

t         .        •  ^  ^  r  •  ^       j  a»7  (  pour , 

le  premier  cas  ,  on  veut  raire  entendre  que  contre   sc 
la  perfone  ou  la  chofe  dont  on  parle  ex-  oVc^«^a.,/é 
cèle  fur  toutes  celles  qui  peuvent  être  corn-  "' 
prifes  fous  le  nom  comun  ;  ôc  dans  le  fé- 
cond cas,  on  fait  entendre  que  celui  dont 
on  parle  reflemble  à  ceux  dont  le  nom 
propre  efi:  célèbre  par  quelque  vice  ou  par 
quelque  vertu. 

i .  PhUofophc  ^  Orateur^  Poète  ^  Roiy  t^îlle^ 
Monjienr  ^  foiit  des  noms  comunS  j  cepen- 
dant  l'antonômafe  en  fait  des  noms  parti- 
culiers qui  équivalent  à  des  noms  propres. 

Quand  les  anciens  difent  U  Philofophc:^ 
ils  entendent  Ariftote, 

H 


lom^. 


lU       LANTONOMASË. 

Quand  les  Latins  difent  VOrateuVy  ils 
entendent  Cicéron. 

Quand  ils  difent  le  Poète  ,  ils  entendent 
Virgile. 

Les  Grecs  entendoient  parler  de  De- 
mofthène /quand  ils  difoient  VOrateur^-tL 
d'Homère  quand  ils  difoient  le  Poète. 

Quand  nos  Théologiens  difent  le  Doc- 
teur angélique ,  ou  V Ange  de-l'Ecclc^  ils  veu- 
lent parler  de  S.  Thomas,  Scot  e(l  apelé 
le  Doctettr  fuhtil  ^  S.  Augullin  le  Docleur  de 
la,  grâce. 

.  Ainfi  on  done  par  excélence  6l  par  aii^ 
tonomafe  ,  le  norn  de  la  fcience  ou'<âè 
Tart  à  ceux  qui  s'y  font  le  plus  diftingués* 

Dans  chaque  royaume  ,  quand  on  dit 
fîmplement /^  i?tf/,  on  entend  le  Roi  du 
pays  où  Ton  eft  \  quand  on  dit  la  ville ^  on 
entend  la  capitale  du  royaume,  de  la  pro- 
vince ou, du  pays  dans  lequel  on  demeure. 

Virer  Ec       Qs^o  'e  j  Mœri ,  pedes  :  an  quo  via  diicit  in  ur- 
IX.  v."!.   *  bem? 

Urbem  en  cet  endroit  veut  dire  la  ville  de 
Mantoue  :  ces  bergers  parlent  par  raport 
au  territoire  où  ils  demeurent.  Mais  quand 
les  anciens  parloient  par  raport  à  l'Em- 
pire Romain  ,  alors  par  urbem  ils  enten- 
doient la  ville  de  Rome* 


L'ANTONOMASE.  115 

Dans  les  comédies  grèques  ^  pii  -tirées 
du  grec ,  la  vile  (  aiUi  )  veut  dire  Acliènes  : 
Af^-^  in  njhi  vcnit  ?  Eft-il  venu  à  la  ville  ?  '^^^^'''-u'" 
Cornélius  Népos  parlant  de  Thémiftocle  deç«a.  ma* 
Se  d'Alcibiade,  s'eilfprvi  plus'd  une  fois  '^^o- 
de  ce  mot  en  ce  fens.  "^^  ,;,,  ., 

Dans  chaque  famille ,  Monjteiir,  veut 
dire  le  maître  de  la  maifon. 

Les  adjeclifs  ou  épichètes  font  des  noms  .  . 
comuns  ,  que  l'on  peut  apliquer  aux  difé- 
rens  objets  auxquels  ils  conviènent ,  l'an- 
tonomalc  en  fait  àç.s  noms  particuliers  : 
,  i'ïn'vmcilU  ,  le  conquérant  ^  le  grand ,  le  juftey 
le  fige  ^  fe  difent  par  antonomafe,  de  cer- 
tains Prmces  ou  d'autres  perfones  particu- 
lières. 

Ticç  -  Live  apèle  fouvent  Annibal   le  ihUvA, 
-Carthaginois  ;  le  Carthaginois  ,  dit -il  ^^i-"-». 

avoit  un  grand  nombre  d'homes  :  ahunda- 
•^l^at  rnuliitâdine  hominum  Vœnus.  Didon  dit 
,ià  fa  fœur  "^^^j  njon^  mettrez,  fur  le  hacher  les 
:  armef-^ue  le  perfide  a  laijfées ,  &  par  ce  pcr- 
-fide- eilç -entend  Enée. 

■  %  xércn.  Eun.  aâr.  v.  fc,  vi.  félon  Madame  Dâcier,  &  fc.  j-, 
V.  17.  fclôii  les  éditions  vulgaires.  ■       '   ;' 

**  Xerxcs  prôtinus  accélTit  aftu.  Qorn.  Nep.  Tiiemift.  4, 
Alciblades  poRquam  aftu  venic.  idem  Alcib.  6. 
'^'^'^  Arma  vivi ,  thâlamo  qux  fixa  rcliquit  ';  -' 
Impius. . .  luper  impônas.  u^ff.  1.  iv,  v.  4-9  S- 

H  ï] 


îi6        L'ANTONOMASE. 

Le  Deftrticicur  de  Carthage  à-  de  Nu- 
wance ,  (ignifie  par  anconomafe ,  Scipion 
Emilien. 

Il  en  eft  de  même  des  noms  patronymi- 
ques  dont  j'ai  parlé  ailleurs,  ce  font  des 
poms  tirés  du  nom  du  père  ou  d'un  aïeul , 
bc  qu'on  done  aux  defccndans  -,  par  exem- 
An.l.v.  pie,  quand  Virgile  apèle  EntQ  A/ichist^' 
^'  ^°'^'  des^  ce  nom  eft  doné  à  Enée  par  antono- 
mafe ,  il  eft  tiré  du  nom  de  Ton  père ,  qui 
s'apeloit  Anchife.  Diomède,  héros  célè- 
bre dans  l'antiquité  fabuleufe,  eft  fou  vent 
apelé  Tydides ,  parce  qu'il  étoit  fils  de  Ty- 
dée ,  Roi  des  Etoliens. 

Nous  avons  un  recueil  ou  abrégé  deslf 
loix  des  anciens  François,  qui  a  pour  ti-  [' 
tre,  Lex  Salîca  :  parmi  ces  loix  il  y  a  un  • 
article  *  qui  exclut  les  femmes  de  la  fuc 
cefîîon  aux  terres  faliques,  c'eft-à  dn-e, 
aux  fiefs  :  c'eft  une  loi  qu'on  n'a  obfcrvée^ 
inviolablcmient  dans  la  fuite  qu'à  l'égardB 
des  femmes  qu'on  a  toujours  exclufes  dcl 
la  fucceflion  à  la  couronc.  Cet  ufage  tou 
jours  obfervé ,  eft  ce  qu'on  apèle  au'jour 
d'hui  loi  faliqm  par  antonomafe  ,  c'cft-à- 

*  De  tertâ  verb  falicâ,  nulla  p6rtio  hrreditâtis  mulieri  vé 
niât,  fed  ad  virilcm  fexum  toca  terrée  h«rcàicas  pervi 
niât.  Lr.v  S4lica.  arc.  ^z.  de  Mode.  $.  6. 


LANTONOMASE.         117 

dire ,  que  nous  douons  à  la  loi  particulière 
d'exclure  les  femmes  de  la  courone,,  un 
nom  que  nos  pères  douèrent  autrefois  à 
un  recueil  général  de  loix. 

II.  La  féconde  efpèce  d'antonomafe , 
eft  lorfqu'on  prend  un  nom  propre  pour 
un  nom  cornun,  ou  pour  un  adjectif. 

Sar  ianapale,  dernier  Roi  des  AfTyriens, 
vivoit  dans  une  extrême  molclTe  ;  du 
moins  tel  eft  lefentimcntcomun;  de  là  on 
dit  d'un  voluptueux,  c'cfi  un  Sardanapale» 

L'Empereur  Néron  fut  un  prince  de 

mauvaifes  mœurs ,  ôc  barbare  jufqu'à  faire 

'  mourir  fa  propre  mère  ;  de  là  on  a  dit  des 

Princes  qui  lui  ont  refïemblé ,  c'cft  ua 

Néron. 

Catoii ,  au  contraire  ,  fut  recomanda- 
blc  par  l'auftérité  de  fes  mœurs  :  de  là  S.  J^'^^^-  ^-  *- 
Jérôme  a  dit  d'un  hypocrite,  c'eft  un  Ca-  ivronach"  * 
ton  au  dehors ,  un  Néron  au  dedans ,  i^tus  ^^b.  fin. 
NtroJorisCato.  ^"Sd^P- 

Mécénas,   favori   de  l'Empereur  Au- hf.   cdu, 
,  gufte  ,  protégeoit  les  gens  de  lettres  :  on  ^7i3.  p. 
dit   aujourd'hui  d'un    feigneur  qui  leur  ' 
acorde  jfa  protection ,  ctft  un  Mécêms, 

Mais  fans  un  Mécénas,  à  quoi  ferc  un  Augufte  î        Boikau 

ç'çft  à-dire,  fans  un  prote£î:eur. 

H  iij 


118        LANTONOMASE, 

Homer.       Irus  étoît  lin  pauvrc  de  l'île  d'Ithaque , 
OdyfT.l.ig.  ^j^jj  ^j-Q-j.  ^  jg^  f,^^]j.e  des  amans  de  Pénélope,' 

il  a  doné  lieu  aii  proverbe  des  anciens , 
p/ns  pauvre  qnlrus.  Au  contraire,  C refus. 
Roi  de  Lydie ,  fut  un  Prince  extrême- 
rnent  riche  ,•  de  là  on  trouve  dans  les  Poè- 
tes Irus  pour  iin  pauvre ,  &  Créfus  pour  \xn 
riche. 

Ovi  Trift  ^^^^^  ^  ^^  fubitb  qui  modoCrœfus  erat. 

ïii.  Eleg.  ....  Non  diftat  Croefus  ab  Iro.  § 

7-  V.  4t. 

§  Propert.      Zoïlc  fut  uu  Critique  paflîoné  &  jaloux  :. 
i!l^\  ^^  ^^^^  ^*^^^  ^^  ^^^  encore  *  d'un  home  qui  ^^ 
les  mêmes  défauts;  Ariftarque,  au  con-, 
traire,  fut  un  critique  judicieux:  Tun  6c 
l'autre  ont  critiqué  Homère  :  Zoïle  t*a  cen-- 
-  .    rfuré  avec  aigreur  &;  avec  paffion  ;  mais, 
Arifbarque  Ta  critiqué  avec  un  fage  difcer-; 
nement ,  qui  l'a  fait  regarder  come  le  mo- 
dèle des  critiques  :  on  a  dit  de  ceux  qui 
-    -l'ont  imité,  qu'ils   étoient  des   Arillar- 

B-ouiTcia  ^^  de  moi-même  Ariftarqiie  incomode  : 

Miifes.  ^'^^  C'eft-^-dire ,  cenftur.  Lifez  vos  ouvrages:^; 

.*8.f.sa»?*  Ing^nîum  magni  detréârat  livor  Homéri  : 

Quifquis  es,  ex  illo ,  Zôile  ,  noraca  habes,  O^if^ 
^Rcmed.  amor.  V.  .365.  ' 


I 


VANTONOMASE.         119 

dit  Horace ,  *  à  un  ami  judicieux  :  il  vous 
en  fera  lentir  les  défauts ,  il  fera  pour  vous 
un  Arifiarqne» 

Therfice  fut  le  plus  malfait,  le  plus  lâ- 
che, le  plus  ridicule  de  tous  les  Grecs: 
Homère  a  rendu  les  défauts  de  ce  iircc  il 
célèbres  àc  (\  conus ,  que  les  anciens  ont 
Ibuvent  dit  un  Therjhe^  pour  un  home  di- 
formc,  pour  un  home  mépriiable.  C'eil     aBmye- 

'  I  .  r  ^        re  ,  caract. 

dans  ce  dernier  lens  que  M.  de  la  Bruyère  desGrands. 

a  dit ,  "  jetez-moi  dans  les  troupes  come 

«  un  lîmpîe  foldat,  je  luis  Thcrlite  j  me- 

>3  tez-moi  à  la  tête  d'une  armée  dont  j'aie 

M  à  répondre  à  toute   l'Europe  ,   je  fuis 

»  Achille,  u 

Edipe,  célèbre  dans  les  tcms  fabuleux 
pour  avoir  deviné  l'énigme  du  Sphinx,  a 
doné  lieu  à  ce  mot  de  Térençç ,  D^y^s  Ter.  A^ar. 
fum  ,  'non  (Edipus.  ..  ■'  •  ^'  "  "  ad.  i.  fc,  ?.. 

Je  fuis  Dave,  Seigneur,  &  ne  fuis  pas  Edipe. 

C'eft-à-dire,   je  ne  fai  point  deviner  les 
difcours  énigmatiques.  Dans  notre  An- 

*  Vir  bonus  ac  prudcns  vcrfus  reprehéncîet  inertes, 
Culpâbit  duros  ,  incompcis  âdlinet  atrurn 
Traiifvérfo  cal^mo  fi^rnum  j  ambiti6ra  recîdec 
Ornamcnta  ,  parum  cïaris  lucem  daïe  coget  j 
Arguée  ambi^uè  didum  5  mutânda  norâbit, 
I^iet  Ariftarchus.  ïloruî.  arc.  poct.  y.  4.^4. 

H  i  V 


120       L'ANTONOMASE, 
driène  françoife   on  a   traduit  , 
And.  aa.      ^^  ^'^^^  Dave,  Monfieur,  &  ne  fuis  pas  devin  :. 
ï.  fc.  5=      ce  qui  f?.it  perdre  l'agrément  &  la  juftefle. 
de  rop.ofition  entre  Dave  ôc  Edipe  :  je  fuis 
Dave ,  donc  je  ne  fins  pas  Edipe ,  la  con- 
clu lion  eft  jufte  ;  au  lieu  que,  je  fuis  Dave  y 
donc  ji^  ne  fuis  pas  devin  \  la  conféquence 
n'eft  pas  bien  tirée,  car  il  pourok  être 
Dave  &:  devin. 

M.  Saumaife  a  été  un  fameux  critique 
dans  ]e  dix-feptième  iiècle  :  c'eft  ce  qui  a 
don,é  lieu  à  ce  vers  de  Boileau , 

Boiilcau       ^"x  Saumaifes  futurs  préparer  des  torrures , 

eTpric^ceft  Ç'^^-^-<iirc  >  ^i-^x  Critiques  ,  aux  cpmenta- 

U  ix!       teurs  à  venir- 

Xantippe,  femme  du  phîlofôphe  Socrate, 
étoit d'une  humeur  fâcheufe  &  incomode  : 
on  a  doné  fon  nom  à  pluiieurs  femmes 
de  ce  caractère. 

Pénélope  &:  Lucrèce  fe  font  diftinguécs 
par  leur  vertu,  telle  ell  du  moins  leui; 
çomune  réputation  :  on  a  doné  leur  nom 
aux  femmes  qui  kur  ont  r^iïemblé  :  au 
contraire ,  les  femmes  débauchées  ont  été 
apelées  des  Phrynés  ou  des  Laïs  ;  ce  font 
les  noms  de  deux  fameufcs  courtifanes  de 
i'anciène  Grèce, 


VANTONOMASE.        ut 

Aux  teras  les  plus  féconds  en  Phrynés,  en  Laïs,  Boilcaa, 

Plus  d'une  Pénélope  honora  fon  pays. 
Typhis  fat  le  pilote  des  Argonautes; 
Aiitomédoii  fut  l'écuyer  d'Achille,  c'écoit 
lui  qui  menoit  fon  char  :  de  là  on  a  doué 
les  noms  de  Typhis  ôc  d'Automédon  à  un 
home  qui,  par  des  préceptes  ,  mène  6c  con- 
duit à  quelque  fcience  ou  à  quelque  art. 
C'eft  ainfi  qu'Ovide  a  dit  qu'il  étoit  le 
Typhis  ^  l'Automédoii  de  l'art  d'aimer. 

Typhis  &  Automedon  dicar  amôris  ego.  Ov\à.  èe 

Sous  le  règne  de  Philippe  de  Valois  le  i.  i.'y.  g, 
Dauphiné  fut  réuni  à  la  courone.  ^  Hum- 
bcrt^  Dauphin  de  Viemiois  ^  qui  fe  fit  enfuite 

*  Termes  de  la  confîrmarion  du  dernier  afte  de  tranfport 
du  Dauphiné  ,  en  faveur  de  Charles  fils  de  Jean,  Duc  de 
Normandie.  Cet  ade  eft  du  i6  Juillcr  1549^  Voyez  les 
preuves  de  l'hiftoire  du  Dauphiné  de  M.  de  Valbonnay,  ^ 
fes  Mémoires  pour  fcrvir  à  l'hiftoire  du  Dauphiné.  A  Paris, 
chez  de  Bacs ,  17  1 1. 

x>  On  s'cft  pcrfuadé  que  la  condition  en  faveur  du  pre- 
55  micr  né  de  nos  Rois ,  étoit  tacitement  renfermée  dans  ces 
"  paroles,  quoiqu'elle  n'y  foit  pas  iitéraleraent  exprimée,  « 
corne  on  le  croit  comunément.  Htjioire  du  Dauphiné,  page 
60}.  édit.  de  1711. 

Dans  le  tems  de  cette  donation  faire  à  Charles  ,  Jean 
père  de  Charles,  étoit  le  fils  aîné  du  RoiPhilippe  deValois, 
&  fut  fon  fuccefTeur,  c'eft  Jeiin  II.  Après  la  mort  du  Roi 
Jean  II.  Charles  Ton  fils,  qui  étoit  déjà  Dauphin  ,  lui  fuc- 
ccdn  au  Royaume  ,  c'eft  Charles  V.  dit  le  Saj;e.  Ainfi  ce  ne 
iuc  pas  le  fils  aîné  du  Roi  qui  fut  le  premier  Dauphia  ,  ce 
tiu  Charles  fils  de  l'aîné. 


m       rANTONQMASE, 

,■'       ■  Beligieux  de  l'Ordre  de  S.Dominique, 

fe  dejfaifit  &  dcvcftiî  dit  Dalphiné  &  de  fts 

autres  terres ,  O'  en  fuifit  reniement ,  corporè^ 

lement  &  de  fiit  Charles  petit- fil  s  du  Roi» 

fréfent  ér  acceptant  pour  H  dr  fes  hoirs  d^ 

fuccejfeurs  ,  6c   plus    bas ,   tr  an  [porte  audit 

Charles ,  fes  hoirs  &  fuccejfeurs ,  O'  ^^«-^  ^^^ 

auront  caufe  de  li  perpétuelement  à^  hérita- 

hlement  en  faifne  ô"  en  propriété  pleine  ledit 

Dalphiné. 

Hift.de la      Charles  devint   Roi  de  France,  cin- 

Franc,  par  ^i-^ieme  du  nom ,  &  dans  la  luite  »  il  a  ete 

G.  Marcel,  ■»  atêté  que  le  fils  aîné  de  France  porte- 

T.  m.  p.  ,j  J.QJJ.  1^^^^  jg  i\x.zQ.  de  Dauphin. 

On  fait  allufion  au  Dauphin  lorfque 
dans  les  familles  des  particuliers  on  apèle 
Dauphin  le  fils  aîné  de  la  maifon,  ou 
celui  qui  eft  le  plus  aimé  ;  on  dit  que  c'eft 
le  Dauphin  par  antonomafe ,  par  allufion, 
par  métaphore ,  ou  par  ironie.  On  dit  aufli 
un  Benjamin,  faifant  allufion  au  fils  biea 
aimé  de  Jacob. 


^ 


-nis. 


LA  COMUNlCATîON,&c.    113. 

VI. 

La  Comunication  dans  lfs  paroles. 

LEs  Rhéteurs  parlent  J'une  figure  ape-     Ko/foVv; 
lée  (implemcnt  Comunication  :  c'eft^','^.  ^°^' 
lorlque  1  orateur  s'adrcUant  a  ceux  a  qui  paidcipâ- 
il  parle,  paroît  fe  comuniquer,  s'ouvrir  à "."  fermo- 
cux  ,  les  prendre  eux  mêmes  pour,  juges  ; 
par  exemple  :  £pi  cjhoI  vous  ai-je  donè  ikn 
de  vous  plaindre 'i  Répondezrmffi ,  que  con- 
voi s -je  faire  de ptits}  Qu  auricz^-voibs  fait  en 
'/na  place  ?  6cc.  En  ce  fens  la  comunicatioa 
eft  une  figure  de  penfée ,  &  par  conië- 
quent  elle  n'cft  pas  de  mon  fujet. 

La  figure  dont  je  veux  parler  efl  un 
trope,  par  lequel  on  fait  tomber  fur  Toi- 
même  ou  fur  les  autres ,  une  partie  de  cç 
qu'on  dit  :  par  exemple ,  un  maître  dit 
quelquefois  à  i^cs  difciples  ,  nous  perdons 
tout  notre  tems  ^  au  lieu  de  dire,  vous  ne  fat' 
tes  que  vous  amufer.  Oua.vons-nous  fait  ? 
veut  dire  en  ces  ocaiions ,  quavez>-vous 
fm  ?  ainfi  nous  dans  ces  exemples  n'eft  pas 
le  fcns  propre,  il  ne  renferme  point  celui 
qui  parle.  On  ménage  par  ces  cxprefîlons 
l'amour  propre  de  ceux  à  qui  ou  adrefïo 


IZ4  LA  COMUNlCATION,&c. 
là  parole,  en  paroifTanc  partager  avec  eux 
le  blâme  de  ce  qu  on  leur  reproche  j  la  re- 
montrance étant  moins  perfonèle ,  &  pa- 
roiflànt  comprendre  celui  qui  la  fait ,  en 
Cil  moins  aigre,  &  devient  fouvent  plus 
utile. 

Les  louanges  qu'on  fe  done  ble{!ent  tou- 
jours Tamour  propre  de  ceux  à  qui  l'on 
parle.  Il  y  a  plus  de  modeftie  à  s'énoncer 
a'une  manière  qui  fafle  retomber  fur  d'au- 
tres une  partie  du  bien  qu'on  veut  dire  de 
fai  :  ainfi  un  capitaine  dit  quelquefois  que 
fa  compagnie  a  fait  telle  ou  telle  action, 
plutôt  que  d'en  faire  retomber  la  gloire 
fur  fa  feule  perfone. 

On  peut  regarder  cette  figure  corne  unq 
cfpèce  particulière  de  fynecdoque  ,  puif- 
qu  on  dit  le  plus  pour  tourner  l'atention  ati( 
moins. 


VII. 

La.   Litote. 

'Kiri^v'  à  T"   A  Litote  ou  diminution ,  eft  un  tropc 

A;ro    fîm-  l^par  lequel  on  fe  fert  de  mots,  qui ,  à 

4us,viiis.  la  lettre,  paroilient  atoiblir  une  penlee 

dont  on  fait  bien  que  les  idées  accefToire.s 


LA  LITOTE.  11$ 

feront  fentir  toute  la  force,:  on  dit  le  moins 
par  modeflie  ou  par  égard  ,•  mais  on  fait 
bien  que  ce  moins  réveillera  l'idée  du  plus. 

Quand  Chimène  dit  à  Rodrigue,  ^ua ^     Corn,  le 
je  ne  te  hais  point ,  elle  lui  fait  entendre  bien  ^'^^'r^"' 
plus  que  ces  mots-là  ne  fignifient  dans  leur 
iens  propre. 

Il  en  eil  de  même  de  ces  façons  de  par^ 
1er,  je  ne  puis  'vous  louer  ^  c'efi-à-dire  ,  je 
blâme  votre  conduite  :  je  ne  méj^rife  pa.s 
njôs  préfens  ^  fignifie  que  j'en  fais  beau- 
coup de  cas:  il  nefl  pas  fot ^  veut  dire  , 
qu'il  a  plus  d'efprit  que  vous  ne  croyez  : 
//  ncft  pas  poltron ,  fait  entendre  qu'il  a 
du  courage  :  Pythagore  riefi  pas  un  au- 
teur méprifahle  ^  *  c'eft-à-dire ,  que  Py- 
thagore  eft  un  auteur  qui  mérite  d'être 
cftimé.  ]e  ne  fuis  pas  diforme  ,  "^^  veut  dire 
modèftement  qu'on  eft  bien  fait ,  ou  du 
/noins  qu'on  le  croit  ainii. 

On  apèle  aufli  cette  figure  exténuation  : 
elle  eft  opofée  à  l'hyperbole. 

*  Non  fôrdidus  autor  natûrx  vcriquc.  Hor.  1.  x.  o4e  z?» 
**  Nec  fumâdeô  informis.  Virg.  Ecl.  t.  v.  i/. 


C^ 


^^  -------  -  - 


t  II  I. 

L'  H  Y  P  E  R  B  O  L  E. 


TV?r,5c>H'.  T   Orsque  nous  fbmes  vivement  frapés 


excès, 


hyperbole,  j   ^  de  quelque  id'ce  que  nous  voulons  re- 
préienter,  ,(5ç   que  les  termes   ordinaires 
nous  paroiiïènt  trop  foibles  pour  exprimer 
ce  que  nous  voulons :dire;  nous  nous  fcr- 
vpns  de  mots ,  qui ,  à  les  prendre  à  la  let- 
-  xre^  vont  au-delà  de  la  vérité,  S>L  repré- 
fentent  le  plus  ou  le  moins  pour  taire  en- 
tendre quelque  excès  en  grand  ou  en  petit. 
•Cetix'  qui  noiis    entendeat  rabatent   de 
irtiotre  exprcilion  ce  qu'il  en  iaut  rabatre, 
"  •&:  il  fe  forme  dans  leur  efprit  une  idée 
i;  plus  confofi5tc/à  celle  que  nous  voulons  y 
exciter,  que  il  nous  nous  étions  fervis  de 
mots  propres  :  par  exemple  ,fî  nous  vou- 
lons faire  comprendre   la  légèreté  d'un 
çlieyal  qui  court  extrêmement  vite,  nous 
"  *  iiifons  qvÇîI  và'plùs  'vite  ^h'é  "Uvint.  Cette  fi- 
gure s'apèle  hyperbole ,  mot  grec  qui  figni- 
iie  exe  es, 

Julius  Solinus  dit  qu'un  certain  Lada 
étoit  d'une  fi  grande  légèreté,  qu'il  ne 


L'HYPERBOLE.  127 

kifloit  fur  le  fable  aucun  veftige  de  Tes 
pies.  * 

Virgile  dit  de  la  princefle  Camille, 
qu'elle  furpafloic  les  vents  à  la  courfc;,  (Se 
qu'elle  eût  couru  fur  des  épis  de  blé  fans 
les  faire  plier ,  ou  fur  les  flots  de  la  mer 
fans  y  enfoncer,  Sz  même  fans  fe  mouil- 
ler la  plante  des  pies.  "^"^ 

Au  contraire,  il  l'on  veut  faire  enten- 
dre qu'une  perfone  marche  avec  une  ex- 
trême lenteur,  on  dit  qu'elle  marche  plus 
lentement  qu'une  tortue. 

Il  y  a  plufîeurs  hyperboles  dans  l'Ecriture    Edùcam- 

c    •    i  ■  1]  1        .        J  •  vos  ad  ter- 

bamte  -,  par  exemple ,  Je  njotis  donerat  une  ^.^,^  ^^^^j.^. 
terre  ou  coulent  des  riiijfcMix  de  lait  &  de  rniel^  tcm  lade 
c'ell;  à-dire,  une  terre  fertile  ;  &  dans  la  Ge-  ^  '3"'^^'^* 
nèle  il  efl  dit,  ]e  multiplierai  tes  enfiins  en  y.  i^. 
au jji  grand  nombre ,  cjut  les  grains  de  poujjiere  Fâciarafe- 
de  la  terre.  S.  Jean  à  la  fin  de  fon  Evangile  'f^"^'^^  pî'J™ 
■^"^  *"  dit  que  fi  l'on  racontoit  en  détail  les  verem  ter- 

Primampalmam  velocicatiSjLadas quidam  adcptus  eiTj  _     ■  . 

tjuiita  fupracavani'ptilvercrn  curfitâvic,  lit  arcnis  pendén-    '*'' 
Ci  bus  nulla  indicia  ïelinqucrec  vclHgiônim.  lui.  Solin.  c.  6. 

**  nia  vel  intâcla;  fégetis  pci  fumma  volârec 

Gràinîna  ,  nec  téneras  cuiTu  larfiflec  ariftas  , 

Vcl  marc  per  médium  fluctu  furpénfa  tumtati 

Fcrrci:  ircr  ,  célcres  nec  tingeret  xquore  plantas.  yE».  1. 

VII.  V.  8o§. 
■    ***  Sunc  autem  &  âlia  multa  qiix  fccit  Jefu'î,  ,  qux  (î 
fcribintiu  per  singula  ,  nec  ipfum  ârbi:ror  mundum'câpcrc 
polie  eos ,  qui  fcnbéndi  fuat  libios,  }o>jn.  xxi.  v.  i  j. 


128  LHYPERBOLE. 

aclions  &  les  miracles  de  Jéfus -ChrilT:,  il 
ne  croit  pas  que  le  monde  entier  pût  con- 
tenir les  livres  qu'on  en  pouroit  faire. 

L'hyperbole  eft  ordinaire  aux  Orien- 
taux. Les  jeunes  gens  en  font  plus  fouvent 
Lifage  que  les  perfones  avancées  en  âge. 
On  doit  en  ufer  Tobrement  Se  avec  quel- 
que coreclif  ^  par  exemple,  en  ajoutant  j 
pour  ainfi  dire  -^  Ji  Con  peut  ptrUr  ainfi, 

Carad.  des     "  Les  efprits  vifs,  pleins  de  feu,  &  qu'une 

ouvrages    ,i  vaile  im.agination  emporte  hors  des  rè- 
^"'^*  "  S'^^  ^  ^^  ^^  juliefîè ,  ne  peuvent  s'aiïbu- 
»  vir  d'hyperboles ,  dit  M.  de  la  Bruyère. 
Excepté  quelques  faisons  de  parler  co- 
muncs  êc  proverbiales,  nous  ufons  très- 
rarement  d'hyperboles  en  François.  On  en 
trouve  quelques  exemples  dans  le  ftyle 
fatyrique  &  badin,  6c  quelquefois  même 
îléchier.  ^^"^  le  ilyle  fublinie  &.  poétique  :    Dts 

Oraifon     rmjftaux  dc  larmes  co nièrent  des  yeux  de  tous 

^^""^^'^^Ues  habitans. 

M.  de  Tu-  ^  ,  .  y  r 

rène.Exor-      "  Lcs  Grccs  *  avoicnt  une  grande  pal- 

^^'  »  fion  pour  l'hyperbole,  corne  on  le  peut 

53  voir  dans  leur  Anthologie ,  qui  en  ell 

*  Traité  de  la  vraie  &  de  la  fauffe  beauté  dans  les  ou- 
vrages d'cfprir,  C'eft  une  traduétion  que  Richelet  nous  à 
douce  de  la  diircrtàcioii  que  Mefîleurs  de  P.  R,  ont  riiife  a 
ia  lête  de  leur  Delécitu  EfigrammatKnu 

toute 


LHVPOTYPVSE.  129 

Vî  tonte  remplie.  Cette  figure  eft  là  ref- 
«  foLirce  des  petits  efprits  qui  écrivent 
»5  pour  le  bas  peuple. 

Juvénal  élevé  dans  les  cris  de  l'école  ,  Ecil.  Arc, 

Pouffa  ûifqu'à  l'excès  fa  mordante  hyperbole.     T'oenque, 

■»  Mais  quand  on  a  du  eénie  &  de  l'u- 
'5  fage  du  monde  ,  on  ne  fe  fent  guère  de 
"  goût  pour  ces  fortes  de  penfées  fauiîes 
53  èc  outrées. 


ÎX, 

L'  H  Y  P  O  T  Y  P  O  s  E. 

L'Hypotypofc  cil  un  rriot  grec  qui  Ci-    tVoti- 
2:nifie  ima^e  .  tdh'leau.    C'eft  Ibrfquè™^/^ '•, 
dan*;  les  delcriptions  on  psmt  les  i<i\ts  ù-r-^ru-nôc^  , 
dont  on  parle  ,  coaie  fî  ce  qu'on  dit  étoit'?^^'"^"  •    , 
actuèlemeut  devant  les  yeux  \  on  montre ,  ^^l^  ^figlrÔ: 
pour  â'nlî  dire,  ce  qu'où  ne  fait  que  ra- 
conter; On  donc  en  quelque  forte  l'origi- 
nal pour  la  copie,  les  objets  pour  les  ta- 
bleaux :  vous  en  trouverez  un  bel  exenl- 
ple  dans  le  récit  de  la  mort  d'Hippolyte. 


Cependant ,  fur  le  dos  de  la  plaine  liquide i  Ràc.  rhc- 

S'clève  à  gros  bouillons  «ne  rtîontagne  hurhide  •,£v''^^  '  '''' 


150  LHVPOTYPOSÉ. 

L'onde  aproche ,  fe  brife ,  &  vomit  à  nos  yeux 
Parmi  les  flots  d'écume,  un  monftre  furieux; 
Son  front  large  efl:  armé  de  cornes  menaçantes  , 
Tout  fon corps  eft  couvert  d'écaillés  jaunilTantcsi 
Indomtable  taureau,  dragon  impétueux. 
Sa  croupe  fe  recourbe  en  replis  tortueux  : 
Sqs  longs  mugifTemens  font  trembler  le  rivage-, 
Le  ciel  avec  horreur  voit  ce  monftre  fauvage  , 
La  terre  s'en  émeut,  l'air  en  eft  infecté. 
Le  flot  qui  l'aporta  recule  épouvanté. 

Ce  dernier  vers  a  paru  afccté  ;  on  a  dit  que 
les  flots  de  la  mer  aloient  &  venoient  fans 
le  motif  de  l'épouvante,  &  que  dans  une 
ocafion  aufîi  trille  que  celle  de  la  mort 
d'un  fils ,  il  ne  convenoit  point  cie  badi- 
ner avec  une  fiction  auiil  peu  naturèle.  Il 
eil  vrai  que  nous  avons  plufieurs  exem- 
ples d'une  femblable  profopopée  j  mais  il 
eft  mieux  de  n'en  taire  ufage  que  dans  les 
ocahons  où  il  ne  s'agit  que  d'amufer  l'i- 
magination ,  èc  non  quand  il  faut  toucher 
le  cœur.  Les  figures  qui  plaifent  dans  un 
épithalame,  déplaifent  dans  une  oraifon 
Hôr,  Airt.  funèbre  \  la  triffcefTe  doit  parler  fîmple* 
î'ot:.v.$»7.  |-,-jet;jt-    j]  elle  veut  nous  intéreiîer  :  mais 
revenons  à  l'hypotypolc. 

Remarquez  que  tous  les  verbes  de  cette 


ï 


l 


LHYPOTVPOSE.  131 

îiarratioQ  font  au  prélenc  .  r'û?u/e  aproche  , 
fe  brifc^  ècc.  c'eft  ce  qui  fait  l'hypotypofe  5 
l'image ,  la  peinture  ;  il  femble  que  l'ac- 
tion le  pafTè  fous  vos  yeux. 

M.  l'Abé  SégLîi,  dans  foil  panégyrique 
de  S.  Louis  ,  prononcé  eh  prélence  de  l'A- 
cadémie françoife ,  nous  fournit  encore  un. 
bel  exemple  d'hypocypofe ,  dans  la  dcf- 
cription  qu'il  fait  du  départ  de  S.  Louis  , 
du  voyage  de  ce  prince ..  &:  de  Ton  arivée 
en  Afrique. 

«Il  part  baigné  de  pleurs,  ôc  comblé  Paneg.  de; 
'3  des  bénédictions  de  fon  peuple:  déjà  ^•^°'^^''' 
MgémifTent  les  ondes  fous  le  poids  de  ïa  ,1^  '  "^'^' 
>3  puillante  flote  ^  déjà  s'ofrent  à  Tes  yeux 
M  les  côtes  d'Afrique  ;  déjà  font  rangées 
>3  en  bataille  les  innombrables  troupes  dès 
>3  Sarafins.  Ciel  ëc  terre ,  foyez  témoins 
»3  des  prodiges  de  la  valeur.  Il  fe  jette  avec 
'3  précipitation  dans  les  flots ,  fuivi  de  fou 
»  armée  que  fon  exemple  encourage ,  mal- 
w  gré  les  cris  éfroyables  de  l'énemi  fu- 
«rieux,  au  milieu  des  vagues  ÔC  d'une 
i3  grêle  de  dards  qui  le  couvrent  :  il  s'a- 
>3  vance  come  un  géant  vers  les  champs 
«  oii  la  victoire  l'apèle  :  il  prend  terre  ,  il 
»3  aborde,  il  pénètre  les  bataillons  épais 
>i  des  barbares  j  £c  couvert  du  bouclier 


Ï22  IHYPOTYPOSE. 

>3  inviiible  du  Dieu  qui  fait  vivre  6c  qui 
ï>  fait  mourir,  frapant  d'un  bras  puiflaiic 
5î  à  droit  &  à  gauche,  écartant  la  mort, 
«  &  la  renvoyant  à  Ténemi  ;  il  femble  en- 
55  core  fe  multiplier  dans  chacun  de  fcs 
53  foldats.  La  terreur  que  les  infidèles 
5»  croyoient  porter  dans  les  cœurs  des 
13  liens  ,  s'empare  d'eux-mêmes.  Le  Sara- 
53  fin  éperdu ,  le  blafphème  à  la  bouche , 
53  le  défefpoir  dans  le  cœur ,  fuit ,  &.  lui 
53  abandone  le  riva':rc. 

Je  ne  mecs  ici  cette  fî^^ure  au  ran^r  des 
tropes ,  que  parce  qu'il  y  a  quelque  force 
de  trope  à  parler  du  pafle  corne  s'il  écoit 
préfent  j  car  d'ailleurs  les  mots  qui  font 
employés  dans  cette  ligure,  confervenc 
leur  lignification  propre.  De  plus ,  elle  eft 
fi  ordinaire,  que  j'ai  cru  qu'il  n'étoit  pas 
inutile  de  la  remarquer  ici. 

La    Métaphore. 

Méràso^K  »  T   "^  Métaphore  eft  une  figure  par  la- 

tianfiâtio  :  |    ^  quelle  OU  tranfporte  ,  pour  ainfi  dire  , 

tiâmfero.  ^^  lignihcation  propre  d  un  nom  a  une 

autre  (ignification  qui  ne   lui  convient 


LA  METAPHORE,  133 
qu'en  verra  d'une  comparaifon  qui  eft 
dans  rcfpric.  Un  mot  pris  dans  un  fens 
inétaphorique ,  perd  fa  fignificarion  pro- 
pre ,  &;  en  prend  une  nouvèle  qui  ne  fe 
préfenre  à  l'efprit  que  par  la  comparai- 
son que  l'on  fait  encre  le  fens  propre  dç 
ce  mot ,  de  ce  qu'on  lui  compare  :  par 
exemple,  quand  on  dit  que  le  ??2enfonge 
fi  fare  fouvent  des  couIchyi  de  U  vérité  ^  en 
cette  phrafe  ,  couleurs  n'a  plus  fa  fignifica- 
tion  propre  &  primitive  j  ce  mot  ne  mar- 
que plus  cette  lumière  modifiée  qui  nous 
fait  voir  les  objets  ou  blancs  ,  ou  rouges,^ 
ou  jaunçs ,  &c  :  il  fignifi,e  les  dehors ,  les 
aparences  ;  ^  cela  par  comparaifon  entre 
le  fens  propre  de  couleurs^  èc  les  dehors 
que  prend  un  home  qui  nous  en  impofe 
fous  le  mafque  de  la  fincérité.  Les  cou- 
leurs font  conoître  les  objets  fendbles  , 
elles  en  font  voir  les  dehors  ôc  lesaparen-; 
ces  :  un  home  qui  ment ,  imite  quelque- 
fois (î  bien  la  contenance  &c  les  difcours 
de  celui  qui  ne  ment  pas ,  que  lui  trou- 
vant les  mêmes  dehors ,  &  pour  ainll  dire 
les  mêmes  couleurs  ^  nous  croyons  qu'il 
nous  dit  la  vérité  :  ainlî  come  nous  ju- 
geons qu'un  objet  qui  nous  paroît  blanc 
^fcblanc^  de  même  nous  foincs  fouvenc 

liij 


134        i-A   METAPHORE. 
la  dupe  d'une  flncéricé  aparente,  6c  dan$ 
le  tems  qu'un  impoileur  ne  fait  que  pren- 
dre   les    dehors    d'home    fincère  ,   nous 
croyons  qu'il  nous  parle  (incéremenc. 

Quand  on  dit  la  lumîèrc  de  l'efprit ,  ce 
mot  àclu?meret9i  pris  métaphoriquement; 
car  come  la  lumière  dans  le  fens  propre 
nous  fait  voir  les  objets  corporels  ,    de 
même  la  faculté  de  conoître  Se  d'aperce- 
voir éclaire  l'efprit ,  êc  le  met  en  état  de 
porter  des  jugemens  fains. 
Metâpho-      La  métaphore  eft  donc  une  efpèce  de 
ramquam  tropc ,  le  mot  dont  on  fe  fcrt  dans  la  mé- 
canT^^s  raphore  eft  pris  dans  un  autre  fens  que 
tiaiatiô-     dans  le  fens  propre  ^ilefl  ^  pour  ainfi.  dire , 
iiem,id  eft,  ^^.^^  ^^^^  démettre  empruntée ,  dit  un  ancien , 

domo  mu-  •       n  ri         rr-        •    i    \  \ 

çuâcum      ce  qui  eit  comun  ce  elientiel  a  tous  les 

verbunii        trOpCS. 

mur  "^in-       ^^  P^"^ ,  il  y  a  unc  forte  de  comparai- 
cjuit  Ver-   fou  OU  quclquc  raport  équivalent  entre  le 
nus  F^/«^,  mot  auquel  on  donc  un  fens  métaphori- 
phoram.     ^^ -,  ^  l'objet  à  quoi  on  veut  l'apîiquer  ; 
•  ■    ■        par  exemple ,  quand  on  dit  d'un  home  en 
colère  ,  c'ej^  un  lion ,  lion  eft  pris  alors  dans 
nn  fens  métaphorique  j  on  compare  l'ho- 
me en  colère  au  lion,  6c  voilà  ce  qui  dif- 
çingue  la  métaphore  des  autres  figures. 
Il  y  a  cette  diférence  entre  la  métaphore 


LA   METAPHORE.         135 

^  la  comparaifoii,  que  dans  la  comparai- 
fon  011  fe  ferc  de  termes  qui  font  conoître 
que  l'on  compare  une  chofc  à  une  autre  \ 
par  exemple  ,  li  Ton  dit  d'un  home  en 
colère  ,  qu'//  efi  corne  un  lion  ,  c'eft  une  com- 
paraifon ,  mais  quand  on  dit  fimplement 
ccfl:  un  lion  ,  la  comparaifon  n'eil  alors 
que  dans  l'efprit  &:  non  dans  les  termes  j 
c'eft  une  métaphore. 

Mefurer^  dans  le  feus  propre ,  c'eft  juger 
d'une  quantité  inconue  par  une  quantité 
conue,  foit  parle  fecours  du  compas  ,  de 
la  règle ,  ou  de  quelqu'autre  inftrument 
qu'on  apèlew^y^r^.  Ceux  qui  prènentbiea 
toutes  leurs  précautions  pour  ariver  à  leurs 
fins,  font  comparés  à  ceux  qui  mefurent 
quelque  quantité  ,  ainii  on  dit  par  méta- 
phore ,  quV/j-  ont  bien  pris  leurs  mefures.  Par 
la  même  raifon  on  dit  que  les  perfones 
d'une  condition  médiocre  ne  doivent  pas  fe 
mefurer  avec  les  grands^  c'efb-à-dire ,  vivre 
come  les  grands ,  fe  comparer  à  eux , 
corne  on  compare  une  mefure  avec  ce 
qu'on  veut  mefurer.  On  doit  ni^ftireT  Ça  dc- 
penfe  a  fon  revenu  \  c'efb- à-dire,  qu'il  fiiut 
régler  fa  dépenfe  fur  fon  revenu  ;  la  quan- 
tité du  revenu  doit  être  come  la  medu'e  de 
la  quantité  de  la  dépenfe. 

liv 


u6       LA  METAPHORE. 

Corne  une  clé  ouvre  la  porte  d'un  apat- 
temenç ,  &  nous  en  donc  l'entrée ,  de  mê- 
me il  y  a  des  conoifTances  préliminaires 
qui  ouvrent ,  pour  aiufi  dire ,  l'entrée  aux 
fciences  plus  profondes  :  ces  conpill^nces 
ou  principes  fopt  apelés  clés  par  méta- 
phore j  la  Grammaire  eft  la  dé  des  fcien- 
ces :  la  Logique  eft  la  clé  de  la  Philofo- 
phic. 

On  dit  au.fll  d'une  ville  fortifiée,  qui  eft. 
fur  une  frontière,  qu'elle  eft  la  clé  du  royau- 
me, c'eft-à-dire ,  que  lenemi  qui  fe  ren- 
droit  maître  de  cette  ville,  feroit  à  portée 
d'entrer  enfuite  avec  moins  de  peine  dan^ 
le  royaume  dont  on  parle. 

Par  la  même  raifon  l'on  donc  le  nom 
de  f//,  en  termes  de  mufique ,  à  certaines; 
marques  ou  caractères  que  l'on  met  au 
comen.cement  des  lignes  demulique  :  ces 
marques  font  conoître  le  nom  que  l'on 
doit  doner  aux  notes  i  elles  douent,  pour 
ainfi  dire,  l'entrée  du  chant, 

Quand  les  métaphores  font  régulières, 
il  n'effc  pas  dificile  de  trouver  le  raport  dç 
comparai  fon. 

La  métaphore  eft  donc  auffi  étendue 
que  la  comparaifon  ;  &  lorfque  la  corn- 
paraifon  ne  feroit  pas  juftc  ou  feroit  trop. 


LA  METAPHORE.        157 

recherchée ,  la  métaphore  ne  feroic  pas 


régulière. 


Nous  avons  déjà  remarqué  que  les  lan- 
gues n'ont  pas  autant  de  mots  que  nous 
avons  d'idées  ^  cette  disète  de  mots  a  doné 
lieu  à  pluiieurs  métaphores  ;  par  exemple  : 
k  cœur  tendre ,  le  cœur  dur ,  un  ray-on  de  miel, 
les  rayons  d'une  roue,  &:c:  l'imagination 
vient ,  pour  ainfi  dire,  au  fecours  de  cette 
disète  ;  elle  Tuplée  par  les  images  &  les 
idées  accefibircs  aux  mots  que  la  lancine 
ne  peut  lui  rournn-  ;  6c  il  arive  même  , 
come  nous  l'avons  déjà  dit,  que  ces  ima-, 
ges  &  ces  idées  accefToires  ocupent  l'efprit 
phis  agréablement  que  fi  l'on  (c  fervoit 
de  mots  propres ,  &  qu'elles  rendent  le 
difcours  plus  énergique  ;  par  exemple, 
quand  on  dit  d'un  home  endormi ,  qu'/7 
efl  enfevcU  dans  le  fomeïl ^  cette  métaphore 
dit  plus  que  (i  l'on  difoit  iimplement  qu'il 
dort  :  Les  Grecs  fur  prirent  Troie  enfcueliz 
•d^ns  le  vin  &  dans  k  fomeil. 

Invâdunt  urbem  fomno  vinoque  fepûltam.  Vir»-.  jïn 

Remarquez,  i".  que  dans  cet  exemple,   '  '     ^* 
ïepûltam  a  un  fcns  tout  nouveau  ôc  difé- 
rcnt  de  fon  fens  propre.  2^.  Septdtam  n'a 
ce  nouveau  fens,  que  parce  qu'il  efl  joiiiC 


I3S        LA    METAPHORE, 

hfim^o  vmû^fue ,  avec  Icfquels  il  ne  iauroit 
être  uni  dans  le  lens  propre,-  car  ce  n'efb 
que  par  une  nouvèie  union  des  termes , 
que  les  mots  fe  donent  le  fens  métapho- 
rique. Lumière  n'ell:  uni  dans  le  fens  pro- 
pre ,  qu'avec  le  feu ,  le  foleil  &:  les  autres 
objets  lumineux  ;  celui  qui  le  premier  a 
uni  lumière  à  efprit ,  a  doné  à  lumière  un 
fens  métaphorique ,  6c  en  a  fait  un  mot 
nouveau  par  ce  nouveau  fens.  Je  voudrois. 
que  l'on  pût  doner  cette  interprétation  a 
ces  paroles  d'Horace  : 

Hor.  Art.      Dîxeris  egrégiè  ,  notum  fi  câllida  verbum 
oec.v.  47.      Reddiderit  jundiira  novum. 

La  métaphore  eft  très-ordinaire  -,  en 
voici  encore  quelques  exemples  :  on  dit 
dans  le  fens  propre,  senyvrer  de  quelque 
liqueur  ;  ôC  l'on  dit  par  métaphore,  s\nyvrer 
de  plaifirs  :  la.  hone  fortune  enyvre  les  fois , 
c'eft-à  dire,  qu'elle  leur  fait  perdre  la  rai- 
fon,  &C  leur  fait  oublier  leur  premier  état. 

Boit.  Art.      Ne  vous  enyvrei  point  des  éloges  flateurs 
Poët.  chant      Qq^  ygns  donc  un  amas  de  vains  admirateurs. 

Le  peuple ,  qui  jamais  n'a  conu  la  prudence  a 
chant  7.   *      »S"c/2yv/-o/r  folement  de  fa  vaine  efpérance. 

Dûner  un  frein  à  fes  gaffions  ;  c'eft-à-dire  j^ 


LA   METAPHORE.  13g 

n'en  pas  fuivre  tons  les  mouvemens ,  les 
modérer,  les  retenir  corne  on  retient  un 
cheval  avec  le  frein  ,  qui  effc  un  morceau 
de  fer  qu'on  met  dans  la  bouche  du  che- 
val. 

Mézerai,  parlant  de  riiéréfie,  dit  au  il  Abrégé  de 
etoit  mcejjaire  a  ara  cher  cette  z^iz^anie ,  c  eit-  j^  France 
à-dire ,  cette  fcmence  de  divifion ,  z^iz^^me  eft  FrançoisiL 
là  dans  un  fens  métaphorique  :  c'eft  un  P*  ^^^' 
mot  grec  qui  veut  dire  yvroie ,  mauvaife 
herbe  qui  croît  parmi  les  blés  ,  &  qui  leur 
cft:  nuilible.  Ziz^ame  n'eft  point  en  ufage 
au  propre  ,  mais  il  fe  dit  par  métaphore 
pour  difcorde  ,    méfimeUigence  ,   dïvifion  : 
femer  la  z.iz.anie  dû.as  une  famille. 

Mater ia^  matière,  fe  dit  dans  le  fens 
propre,  de  la  fub (lance étendue  confidé- 
rée  corne  principe  de  tous  les  corps  -,  en- 
fuite  on  a  apelé  matière ,  par  imitation  & 
par  métaphore,  ce  qui  ell:  le  fujet,  l'ar- 
gument, le  thème  d'un  difcours  ,  d'un 
poëme  ,  ou  de  quelqu'autre  ouvrage  d'ef- 
prit. 

i£f6pns  auclor ,  quam  matériam  répperit,  Phxd.  1. 1: 

Hanc  ego  polivi  vérfibus  Senariis. 

y  ai  poli  la  matière  ^  c'eft-à-dire  ,  j'ai  doné 
l'agrément  de  la  poëHe  aux  fables  qu'E- 


140       LA  METAPHORE, 

fope  a  inventées  avant  moi.  Cette  maifetP 
efi  bien  riante  ^  c'eft-à-dire ,  elle  infpire  la 
gaieté  corne  les  perfones  qui  rient.  La> 
fleur  de  la  jcu^ejfe;  le  feu  de  ramottr  ;  ï aveu- 
glement de  rejpyiti  le  fil  d'un  dif cours  j  lefl 
des  af aires. 

C'ell:  par  métaphore  que  les  diférentes 
clafles,  ou  coniidérations ,  auxquelles  fe 
réduit  tout  ce  qu'on  peut  dire  d'un  fujet^ 
font  apelées  lieux  comuns  en  Rhétorique, 
ôc  en  Logique,  loci  cammmes»  Le  genre, 
l'efpèce,  la  caufe  ,  les  éfets,  &c.  font  des  1 
lieux  comuns,  c'eft-à-dire,  que  ce  fonç 
corne  autant  de  célules  ou  tout  le  monde 
peut  aler  prendre,  pour  ainfi  dire,  la  ma- 
tière d'un  difcours.  &  des  ar2:umens  fur 
toutes  fortes  de  fujets.  L'atention  que  l'on 
fait  fur  ces  diférentes  claffes,  réveilla  des 
penfées  que  l'on  n'auroit  peut-être  pas 
fans  ce  fecours. 

Quoique  ces  Heux  comuns  ne  foient 
pas  d'un  grand  ufagc  d^ins  la  pratique,  il 
n'eft  pourtant  pas  inutile  de  les  conoître; 
on  en  peut  faire  ufage  pour  réduire  un 
difcours  à  certains  chefs-,  mais  ce  qu'on 
peut  dire  pour  &  contre  fur  ce  point ,  n'eft;- 
pas  de  mon  fujet. 

On  apèle  aulTi  en  Théologie  par  n^éçî^- 


LA   METAPHORE:         141 

fhore  ,  ioci  Theologici ,  les  diférentes  four- 
ces  où  les  Théologiens  puifent  leurs  ai> 
gumens.  Telles  font  l'Ecriture  Sainte , 
la  tradition  contenue  dans  les  écrits  des 
Saints  Pères  ,  les  Conciles,  ôcc. 

En  terme  de  chymie^  règne  fe  dit  par 
métaphore ,  de  chacune  des  trois  claiîcs 
fous  lefquelles  les  Chymiiles  rangent  les 
êtres  naturels. 

1°.  Sous  le  règne  ammaliXs  comprènent 
les  animaux. 

1°.  Sous  le  règne  végétal^  les  végétaux  j 
c'eft-à-dire ,  ce  qui  croît  j  ce  qui  produit, 
corne  les  arbres  îk  les  plantes. 

3°.  Enfin,  fous  le  règne  minéral  ils  com- 
prènent tout  ce  qui  vient  dans  les  mines. 

On  dit  aufîi  par  métaphore ,  que  la 
Géographie  (^  la,  Chronologie  font  les  deux 
yeux  del'Hiftoire.  On  perfonific  l'Hiftoire, 
^  on  dit  que  la  Géographie  &,  la  Chro- 
nologie font  à  l'égard  de  l'Hiftoire  ,  ce 
que  les  yeux  font  à  l'égard  d'une  perfone 
vivante  ;  par  l'une  elle  voit,  pour  ainfl 
dire ,  les  lieux ,  &:  par  l'autre  les  tems  ; 
c'eft- à-dire,  qu'un  hiftorien  doit  s'apli- 
quer  à  faire  conoître  les  lieux  &  les  tems 
dans  lefquels  fe  font  paiTés  les  faits  dont 
il  décrit  l'hiftoire. 


Î42        LA  METAPHORE. 

Les  mots  primitifs  d'où  les  autres  font 
dérivés  ou  dont  ils  font  cOmpofés ,  font 
apelés  racines ,  par  métaphore  :  il  y  a  des 
Dictionaires  où  les  mots  font  rangés  par 
racines.  On  dit  aulîi  par  métaphore  ^  par- 
lant des  vices  ou  des  vertus ,  jeter  de  fro- 
fondes  racines ,  pour  dire  s'afermir. 

Calas ^  dureté,  durillon,  en  latin  cal- 
lum ,  fe  prend  fouvent  dans  un  fcns  méta- 
Cic.Tufc.  phoriqucj  Lahor  quafi callum  qiioddam  ohdu- 
i.  nura.  36.  çif  dolôYi ,  dit  Cicéron  :  le  travail  fait  come 
une  efpèce  de  calus  à  la  douleur,  c'eft-à- 
dire,  que  le  travail  nous  rend  moins  fen- 
fibles  à  la  douleur.  Et  au  troifième  livré 
des  Tufculanes ,  il  s'exprime  de  cette  for- 
Tufc.  l.  3.  te  :  M  agi  s  me  moverant  Corinihi  fûhiio  afpéc' 
n.yj.alicer  f^^ayietr/iJ!. ,  quàm  ipfos  Corinthios  ,  quorum 
animis  diutûrna  cogitatio  callum  ijetujrâtis  oh  • 
duxerat.  Je  Ris  plus  touché  de  voir  tout 
d'un  coup  les  murailles  ruinées  de  Corin- 
the ,  que  ne  l'étoient  1-es  Corinthiens  mê- 
me ,  auxquels  l'habitude  de  voir  tous  les 
jours  depuis  long-tems  leurs  murailles  aba- 
tues ,  avoit  aporcé  le  calus  de  l'anciéneté  ; 
c'eft-à-dire,  que  les  Corinthiens,  acoutii- 
més  à  voir  leurs  murailles  ruinées  ^  n'é- 
toient  plus  touchés  de  ce  malheur,  C'cfl: 
ainii  que  callére  ^  qui  dans  le  fens  propre 


LA    METAPHORE.       143 

veut  dire  avoir  des  durillons ^  être  endurci^ 
fîgnifie  enfuice,  par  cxtenfion  ôc  par  mé- 
taphore ,  favoir  bien ,  conoitre  parfaitement^ 
eniorte   qu'il  fe  foit  fait  corne  un  calus 
dans  refprit  par  raport  à  quelque  conoif- 
fance.    Ouo  pacfo  id  jieri  Joleat  cdlleo.  La  Tcr.Heaur. 
manière  dont  cela  fe  fait,  a  fait  un  calus  ^'^^  ^^'•^'^« 
dans  mon  efprit;  j'ai  médité  fur  cela  ,  je 
f<ii  à  merveille  coment  cela  fe  fait  ;  je  fuis 
maître  p^ilTé  ,  dit  Madame  Dacier.  illins    id.Adelp. 
fenfum  cdlleo.  j'ai  étudié  {o\\  humeur:  ie  ^'^•4-fc.i. 
luis  acoutume  a  les  manières,  je  lai  le 
prendre  come  il  faut. 

Vue ^  fe  dit  au  propre,  de  la  faculté  de 
voir,  6c  par  cxtenfion,  de  la  manière  de 
regarder  les  objets  :  enfuite  on  donc  par 
métaphore ,  le  nom  de  vue  aux  penfées , 
aux  projets,  aux  defleins:  avoir  de  grandes 
vues  ^  perdre  de  vue  une  entreprife  ^  n'y  plus 
penfer. 

Goût ,  fe  dit  au  propre  du  fens  par  le- 
quel nous  recevons  les  imprefîions  de  fes 
faveurs.  La  lan2;ue  ell  l'ori2:ane  du  soût; 
avoir  le  go  ut  dépravé  ^  c'eil:-à-dire  ,  trouver 
bon  ce  que  ôomunément  les  autres  trou- 
vent mauvais  ,  &:  trouver  mauvais  ce  que 
les  autres  trouvent  bon. 

Enfuite  on  fe  lert  du  ternie  de  ooitt  car 


144  LA  METAPHORE, 
métaphore  ,  pour  marquer  le  fentiment 
intérieur  dont  l'efprit  eft  afe£té  à  l'oca- 
ilon  de  quelque  ouvrage  de  la  nature  ou 
de  l'art.  L'ouvrage  plaît  ou  déplaît ,  otl 
l'aprouve  ou  on  le  défaprouve  j  c'eft  le 
cerveau  qui  efb  l'organe  de  ce  goût-là  : 
jLe  goiit  de  Par/s  s'ejl  trouvé  conforme  au 
ooût d'Athènes  ^  dit  Racine  dans  la  préface 
d'Iphigéniej  c'efl-à-dire,  come  il  le  dit 
lui-même ,  que  les  fpedtateurs  ont  été 
émus  à  Paris  des  mêmes  chofes  qui  ont 
mis  autrefois  en  larmes  le  plus  favant  peu- 
ple de  la  Grèce. 

Il  en  eft  du  goût  pris  dans  le  fens  fi- 
guré ,  come  du  goût  pris  dans  le  fenS 
propre.         ,         . 

Les  viandes  plaifent  ou  déplaifent  au 
goût ,  fans  qu'on  foit  obligé  de  dire  pour- 
quoi :  un  ouvrage  d'efprit,  une  peniée, 
une  exprefîion  plaît  ou  déplaît ,  fans  que 
nous  foyons  obligés  de  pénétrer  Ja  raifon 
du  fentiment  dont  nous  fomes  afectés. 

Pour  fc  bien  conoître  en  mets  ôc  avoir 
lin  goût  fur,  il  faut  deux  chofes  j  i .  un  or- 
gane délicat;  2.  de  l'expérience,  s'être 
trouvé  louvent  dans  les  bones  tables ,  &:c  : 
on  cO:  alors  plus  en  état  de  dire  pourquoi 
un  mets  eft  bon  ou  mauvais.    Pour  être 

éonoiffcut 


LA  METAPHORE.         145 

conoilTeur  en  ouvrage  d'elpric  ,  il  fliuc  un 
bon  jugement ,  c'elt  un  prélcnc  de  la  na- 
ture \  cela  dépend  de  la  dilpofition  des 
organes  $  il  faut  encore  avoir  fait  des  ob- 
Icrvations  fur  ce  qui  plaît  ou  fur  ce  qui 
déplaît  ;  il  faut  avoir  fu  alier  l'étude  &  la 
méditation  avec  le  comerce  des  perfones 
éclairées  :  alors  on  efk  en  état  de  rendre 
raiion  des  règles  &.  du  goût. 

Les  viandes  ôc  les  alFaifonemens  qui 
plaifent  aux  uns  ,  déplaifcnt  aux  autres  ; 
c'eft  un  éfct  de  la  diférente  conftitution 
des  organes  du  goût.  Il  y  a  cependant  fur 
ce  point  un  goût  général  auquel  il  fiiut 
avoir  ^égard,  c'cft  à-dire,  qu'il  y  a  des 
viandes  &  des  mets  qui  font  plus  généra- 
lement au  goût  des  perfones  délicates  :  il 
en  efl  de  même  des  ouvrages  d'efprit  s  nn 
auteur  ne  doit  pas  le  flater  d'atirer  à  lui 
tous  les  fufrages ,  mais  il  doit  fe  confor- 
mer au  goût  général  des  perfones  éclairées 
qui  font  au  fait. 

Le^goût,  par  rapoit  aux  viandes  1,  dé- 
pend beaucoup  de  l'habitude  &  de  l'édu- 
cation ;  il  en  eft  de  même  du  goût  de 
Tcfprit  :  les  idées  exemplaires  que  nous 
avons  reçues  dans  notre  jeunelTe,  nous 
fervent  de  règle  dans  un  âge  plus  avancé  j 

'    ■       K 


14^      LA  METAPHORE. 

telle  eft  la  force  de  l'éducation,  de  l'ha* 
bkiide,  6c  du  préjugé.  Les  organes,  acou- 
tumés  à  une  telle  imprelîion,  en  font  fiâ- 
tes de  telle  forte  ,  qu'une  impreflion  di Té- 
rente  ou  contraire  les  aflicre  :  aind  mal- 
2:ré  Texamen  &i  les  difcuffions  ,  nous  con- 
tinuons  fouvent  à  admirer  ce  qu'on  nous 
a  fait  admirer  dans  les  premières  années 
de  notre  vie  ;  &  de  là  peut-être  les  deux 
partis,  l'un  des  anciens,  l'autre  des  mo- 
dernes. 

Remarques  fur  le  'manvAis  tifagc  des 
métaphores. 

Les  métaphores  font  défectueufes, 
1°.  Quand  elles  font  tirées  de  fujets  bas» 
Le  P.  de  Colonia  reproche  à  Tertulicn 
d'avoir  dit  que  le  déluge  univerfel  fut  Lt 
lejfi'ue  de  U  niitiire.  * 

z°.  Quand  elles  font  forcées,  prifcs  de 
loin ,  &  que  le  raport  n'eft  point  allez  na- 
turel, ni  la  comparaifon  alFez  feniible  ; 
corne  quand  Théophile  a  dit  -.je  baigner. ^A 
mes  mains  dans  les  ondes  de  tes  cheveux  :  6C 
dans  un  autre  endroit  il  dit  que  la  -chante 

*  Ignobilitàtis  vîcio  laborare  vidécur  cclebri^  ilUi  Ter- 
tulliâni  metaphora ,  quâ  dilùviam  appciia:  natùrje  g'-^i»- 
râlc  liïlviuiîi.  D«  arte  ^hef.  p.  148. 


La  METAPHORE,         147 

(corche  UfU'im.  ->•>  Théophile ,  dit  M.  de  la 

«  Bruyère ,  *  char^^e  fes  dclcriptions  ,  s'a-    *  Caraa. 

»  pcf-intit  fur  les  détails  j  il  exagère  ,  il  [f^^^.^   "^^ 

"  paiïe  le  vrai  dans  la  nature ,  il  en  fait  le 

'>  roman. 

On  peut  raporter  à  la  même  efpèce  les 
métaphores  qui  font  tirées  de  fujets  peu 
conus. 

j'*.  Il  faut  aufîi  avoir  égard  aux  conve- 
nances des  difércns  fliyles,  il  y  a  des  mé- 
taphores qui  conviènent  au  Ityle  poéti- 
que, qui  feroient  déplacées  dans  le  flyle 
oratoire  :  Boileau  a  dit  : 

Acourez  croupe  favante  ;  Oà<t  fur 

Des  fons  que  ma  lyre  enfante  ^,  P^^  '^ 

Ces  arbres  font  réjouis. 

On  ne  diroit  pas  en  profe ,  (^tine  lyre 
enfante  des  fons.  Cette  obfervation  a  lieu 
auffi  à  l'égard  des  autres  tropes  -,  par  exem- 
ple :  Lumen  dans  le  fens  propre ,  fignifie 
lumière:  les  Poètes  latins  ont  doné  ce  nom 
à  l'œil  par  métonymie ,  les  yeux  font  Tor- 
gane  de  la  lumière,  &:  font,  pour  ainli 
dire ,  le  flambeau  de  notre  corps.  Un  jeune      l;»«Vai 
earçon  fort  aimable  étoit  borgne  j  il  avoit^'/^r",  '^* 
ime  lœur  tort  belle,  qui  avoit  le  même /««,-.  luc; 
défaut)  on  leur  apliqua  ce  diiHque,  qiii^-^^- v-?4. 


hB        la   METAPHORE. 

fut  fait  à  une  autre  ocafîoii  fous  le  règtiC' 
de  Philippe  II.  Roi  d'Efpagne. 

Parve  puer,  lumen  quod  habes  concède  forori  t 
Sic  tu  cœcus  Amor ,  lie  erit  illa  Venus. 

Où  vous  voyez  que  lumen  IigaifTic /V/7,  il 
n'y  a  rien  de  fi  ordinaire  dans  les  Poètes 
latins ,  que  de  trouver  Inmina  pour  les  yeux  ; 
mais  ce  mot  ne  le  prend  point  en  ce  fens 
dans  la  profe. 

4.  On  peut  quelquefois  adoucir  une 
raétaphore  ,  en  la  changeant  en  compa- 
railon,  ou  bien  en  ajoutant  quelque  co- 
rectif:  par  exemple,  en  à'iÇ2.nt  pour  ai nji 
dire  ^  fi  l'on  peut  parler  ainfi ,  &c.  «  L'art 
î5  doit  être,  pour  ainfî  dire,  enté  fur  la 
"  nature  ;  la  nature  foutient  l'art  6c  lui 
»  fert  de  bafe  j  6c  l'art  embélit  &  perfec- 
»  tione  la  nature. 

5.  Lorfqu'ii  y  a  plufieurs  métaphores 
de  fuite,  il  n'elt  pas  toujours  néceflairc 
qu'elles  foient  tirées  exaclement  du  même 
lu  jet ,  corne  on  vient  de  le  voir  dans  l'e- 
xemple précédent:  enté  ç.^  pfis  de  la  cul- 
ture des  Aïhïcs\  foutient ,  bafe ,  font  pris  de 
l'architecliure  ;  mais  il  ne  taut  pas  qu'on 
les  prènc  de  fujets  opofés ,  ni  que  les  ter- 
mes métaphoriques  dont  l'un  elt  dit  de 


LA  METAPHORE.         149 

l'ciutrc  ,  excitent  des  idées  qui  ne  puillenc 
point  être  liées,  corne  fi  l'on  difoit  d'un 
orateu r ,  c'e/I  un  torrcrit  qui s\ilume ,  au  lieu 
de  dire  ,  c'efl  un  torrent  qui  entraîne.  On  a 
reproché  à  Malherbe  d'avoir  dit  : 

Prens  ta  foudre  Louis  &:  va  corne  un  lion,  Mrtlli.  1. 1. 

Il  fliloit  plutôt  dire  corne  Jupiter.  Y'  '"°^- 

Dans  les  premières  éditions  du  L,id ,  dcMénacç, 
Chimène  difoit  :  ^}''  '"  P°^'- 

ues  dcMal- 
Malgré  des  feux  iî  beaux  qui  rompent  ma  cogère,    herbe. 

Feux  de  rompent  ne  vont  point  enfcmble  :  '^''  '^'  ^'^' 
c'eft  une  obfervation  de  l'Académie  fur 
les  vers  du  Cid.  Dans  les  éditions  fui  van- 
tes on  a  mis  troublent  au  lieu  de  rompent  ; 
je  ne  fai  li  cette  correction  répare  la  pre- 
mière faute. 

Ecorce ; (^zns  le  fens  propre,  efl  la  par> 
tic  extérieure  des  arbres  &  des  fruits ,  c'cft 
leur  couverture  :  ce  mot  fe  dit  fort  bien 
dans  un  fens  métaphorique ,  pour  mar- 
quer les  dehors ,  Taparence  des  chofes  y 
ain(i  l'on  dit  que  les  ignorons  s\trctent  À 
l'c'corce  ^  qu'/'/j"  s  atdchcnt ,  quV/f  s'amujent  a 
récorce.  Remarquez  que  tous  ces  verbes 
s'arètent  ^  s  atachent ,  i'amufent ,  conviènent 
fort  bien  avec  éco-^ce  pris  au  propre  ^  mais 
yous  ne  diriez  pas  au  propre  ^fondre  ué- 

K  iij 


î5a  LA  METAPHORE. 
cor  ce '^  fondre  fe  die  de  la  glace  ou  du  mé- 
tal ,  vous  ne  devez  donc  pas  dire  au  figuré 
fondre  l'ecorce.  J'avoue  que  cette  expreflior^ 
me  paroît  trop  hardie  dans  une  ode  de 
Pvoufîeau  :  pour  dire  que  l'hiver  eft  pafîe , 
&  que  les  glaces  font  tondues^  il  s'exprime 
de  cQitQ  forte  : 

^ÏY-  3-     L'hiver,  qui  fi  long-temsa  fait  blanchir  nos  plaines, 
^^:  ■'       N'enchaîne  plus  le  cours  des  paifibles  ruilTeaux  -, 
Et  les  jeunes  zéphirs  de  leurs  chaudes  haleines 
Ont  fondu  Vccorce  des  eaux. 

6.  Chaque  langue  a  des  métaphores  par- 
ticulières qui  ne  font  point  en  ufage  dans 
les  autres  langues  ;  par  exemple  :  les  La- 
tins difoient  d'une  armée,  dextrum  &finif- 
îYum  cornu ,  &  nous  difons  l\iiU  droite  & 
raille  gauche.  •  y 

Il  eil;  Il  vrai  que  chaque  langue  a  fcs. 
métaphores  propres  &:  confacrées  par  l'u- 
fage  ,  que  il  vous  en  changez  les  termes 
par  les  équivaiens  même  qui  en  apro- 
çhent  le  plus,  vous  vous  rendez  ridicule. 

Un  étranger,  qui  depuis  devenu  un  de 
nos  citoyens ,  s'ell  rendu  célèbre  par  fes 
ouvrages,  écrivant  dans  les  premiers  tems 
de  ion  arivée  en  France ,  à  fon  protecteur, 
lui  diloit  3  MônCei^ncur  ^  vous  avez,  pour 


I 


LA   METAPHORE,        151 

moi  des  boyaux  de  père  ^  il  vouloit  dire  des 
entrailles. 

On  die  mettre  la  lumière  fous  le  hoijjcau , 
pour  dire  cacher  fes  talens ,  les  rendre  inu- 
tiles, l'auteur  du  poëme  de  la  Madeleine   Poèfme  de 
ne  devoir  donc  pas  dire ,  mettre  le  flambeau  ^^^^^^^-  ^• 
Jous  le  mui. 


X  I. 

La    Syllepse   Okatoire. 

LA  Syllepfe  oratoire  eft  une  efpèce  de    s^'m^i,; 
métaphore  ou  de  comparaifon ,  par  Comf>rei:e>t, 

1  11  A  /l         •  J  Jîo,  complet 

laquelle  un  même  mot  elt  pris  en  deux  _^^^  s,jy,. 
fens  dans  la  même  plirafe,  l'un  aupro-^  uUvù,^ 
pre  ,  1  autre  au  hgure  -,  par  exemple ,  Co-  ^^  ^ 
rydon  dit  que  Galathée  eft  pour  lui  plus 
douce  que  le  thym  du  mont  Hybla  -,  *  ainll 
parle  ce  berger  dans  une  églogue  de  Vir- 
gile ;  le  mot  doux  eft  au  propre  par  raporc 
au  thym ,  6c  il  eft  au  figuré  par  raport  à 
rimprelïion  que  ce  berger  dit  que  Gala- 
thée fait  fur  lui.  Virgile  fait  dire  cnfuite 
à  un  autre  berger,  &  moi  quoique ]e paroi ffe 
a  Galathée  plus  amer  que  les  herbes  de  Sar- 

*  .  .  .  .  Galathasa  thymo  mihi  dùlcior  Hyblx.  F/>j. 
Ecl,  7.  V.  }7. 

Kiv 


Î51    LA  SYLLEPSE  ORATOIRE. 

daigfie ,  &c.  ^  Nos  bergers  difent/>///j-  aigre 
qu'un  citron  verd. 

Pyrrhus,  fils  d'Achille,  l\in  des  princi- 
paux chefs  des  Grecs ,  &  qui  cnt  le  plus 
de  part  à  rembrafemenc  de  la  ville  de 
Troie,  s'exprime  en  ces  termes  dans  l'une 
des  plus  belles  pièces  de  Racine  : 

Rac.  An-  Je  foufre  toiis  les  maux  que  j'ai  îiiiis  devant  Troie  j 
•  '  £"■  ^'^  ■  Vaincu ,  chargé  de  fers ,  de  regrets  confumé , 
Brûlé  de  plus  de  feux  que  je  n'en  aiumai. 

Briî/éei\  au  propre  par  raport  aux  feux  que 
Pyrrhus  aluma  dans  la  ville  de  Troie  j  èc 
il  eftau  ligure,  par  raport  à  la  paflion  vio- 
lente que  Pyrrhus  dit  qu'il  rejQTentoit  pour 
Andromaque.  Il  y  a  un  pareil  jeu  de  mots 
dans  le  diitique,  qui  effc  gravé  fur  le  tom- 
beau de  Defpautère  : 

Hic  jacet  unoculus  vifu  prc-eftantior  Argo  , 
Nomen  Joânnes  cui  ninivi,ta  fuit. 

Vi/k  eO:  au  propre  par  raport  à  Argus,  à 
qui  la  fable  donc  cent  yeux  ;  êc.il  cfb  aa 
figuré  par  raport  à  D-crpautère  :  l'auteur 
de  l'épitaphe  a  voulu  parler  de  la  vue  de 

Fefpric. 

*  .  .  .   ego  Sarddis  videar  tibi  amârior  herbis.  ibid. 


VALLEGORIE.  155 

Au  rcftc  ,  cette  figure  joue  trop  fur  les 
riiots  pour  ne  pas  demander  bien  de  la 
circonrpection  ;  il  faut  éviter  les  jeux  de 
mots  tiop  afeclés  &:  tirés  de  loin. 

XII. 

L'A  L   L  E  G  O  R  I  E. 

L'Allégorie  a  beaucoup  de  raport  avec  A\v.r/opfx , 
la  métaphore  :  l'alleeiorie  n'eil  même  mutano,  fi- 
,     ^  ,  .  *■     ,  sura  qua 

qu  une  métaphore  contmuec.  ^liud  dici- 

L'allé^orie  cft  un  difcours  ,  oui  eft  d'à-  t<ir,âliudri- 
bord  prélenté  fous  un  fens  propre,  ^^^i  l'^'^V^*^ ' 
paroît  toute  autre  choie  que  ce  qu'on  a  âliud,cr>/:- 
deflein  de  faire  entendre,  èc  qui  cepen- /=:'-^'  y^^ 

ant  ne  lert  que  de  comparailon  ,  pour  j^^ij-o  con- 
doner  l'intelligence  d'un  autre  fens.  qu'on  ciônor,  vel 
n'exprime  point.  '^.'''"  v^^*,^' 

La  métaphore  jomt  le  mot  hgure  acio^orâdo, 
quelque  terme  propre  ;  par  exemple ,  Icfeii' 
de  vos  yeux  i  yeux  eft  au  propre  :  au  lieu 
que  dans  l'allégorie  tous  les  mots  ont  d'a- 
bord un  fens  figuré  ;  c'eft-à-dire ,  que  tous 
les  mots  d'uue  phrafeou  d'un  difcours  aî- 
léï^orique  forment  d'abord  un  fens  1  itérai 
qui  n'eft  pas  celui  qu'on  a  deiîcin  de  faire 
entendre  :  les  idées  acceiloires  dévoilent 


154         VALLEGORIE. 

enfuite  facilement  le  véritable  i^iis  qu'on 
veut  exciter  dans  l'efprit,  elles  démaf- 
quent,  pour ainfi  dire ,  le  fcns  litéral  étroit, 
elles  en  font  l'aplication. 

Quand  on  a  comencé  une  allégorie, 
on  doit  conferver  dans  la  luite  du  dif- 
cours  ,  l'image  dont  on  a  emprunté  les 

Îtremières  exprciïîons.  Madame  des  Hou- 
ières ,  fous  l'image  d'une  bergère  qui 
parle  à  fes  brebis ,  rend  compte  à  fcs  en- 
fans  de  tout  ce  qu'elle  a  fait  pour  leur 
procurer  des  établifïemens  -,  ôc  fe  plaine 
tendrement  fous  cette  image  de  la  dureté 
de  la  fortune: 

PocTies  de  Dans  ces  prés  fleuris 

Mad.  des  Qu'arofe  la  Seine  , 

Houl.T.  1.  /^L       1  •  V 

-^  gg^  Cherchez  qui  vous  mente , 

Mes  chères  brebis  ; 

J'ai  fait  pour  vous  rendre 

Le  deftin  plus  doux , 

Ce  qu'on  peut  atendre 

D'une  amitié  tendre  j 

Mais  fon  long  courouK 

Détruit,  empoifone 

Tous  mes  foins  pour  vous ,, 

Et  vous  abandone 

Aux  fureurs,  des  lougs^. 


L'ALLEGORIE.  155 

Seriez-vous  leur  proie. 
Aimable  Troupeau' 
Vous  de  ce  hameau 
L'honeur  &  la  joie  , 
Vous  qui  gras  Se  beau 
Me  déniez  fans  çe(ïe 
Sur  i'herbèce  épailîe 
Un  plaifir  nouveau  I 
Que  je  vous  regrète  1 
Mais  il  faut  céder  -, 
Sans  chien ,  fans  houlète , 
Puis-je  vous  garder  î 
X^'injuHe  fortune 
Me  les  a  ravis. 
Envain  j'importune 
Le  ciel  par  mes  cris  y 
1\  rit  de  mes  craintes. 
Et  fonrd  à  mes  plaintes  ^ 
Houlète  ,  ni  chien  , 
Il  ne  me  rend  rien. 
PuifTiez-vous  contentes. 
Et  fans  mon  fecours , 
PafTer  d'heureux  jours , 
Brebis  inocentes  , 
Brebis  mes  amours. 
Que  Pan  vous  défende ,, 
Hclas  l  il  le  fait  -, 


Ï56  LALLEGORIE, 

Je  ne  lui  demancte 
Que  ce  feul  bienfait. 
Oui ,  brebis  chéries  , 
Qu'avec  tant  de  foin 
J'ai  toujours  nouries. 
Je  prens  à  témoin 
Ces  bois,  ces  prairies. 
Que  fi  ies  faveurs 
Du  Dieu  des  pafteurs 
Vous  gardent  d^outrages  ^ 
Et  vous  font  avoir 
Du  matin  au  foir 
De  gras  pâturages*, 
J'en  conferverai 
Tant  que  je  vivrai" 
La  douce  mémoire  -, 
Et  que  mes  chanfons 
En  mille  façons 
Porteront  fa  gloire , 
Du  rivage  heureux. 
Où,  vif  &  pompeux  ,. 
L'aftre  qui  mefure 
Les  nuits  &  les  jours, 
Començant  fon  cours 
Rend  à  la  nature 
Toute  fa  parure  3 


LALLEGORIE.  1^7 

.  Jufqu'en  ces  climats , 
Où ,  fans  douce  ,  las 
D'éclairer  le  monde. 
Il  va  chez  Thétis 
Ralumer  dans  l'onde 
Ses  feux  amortis. 

Cette  allégorie  eft  toujours  foutenu^ 
par  des  images  qui  toutes  ont  raport  à 
l'image  principale  par  où  la  ligure  a  co- 
mencé  :  ce  qui  eft  elFcntiel  à  l'allégorie. 
*  Vous  pouvez  entendre  à  la  lettre  tout  ce 
difcours  d'une  bergère ,  qui  touchée  de 
ne  pouvoir  m.cner  les  brebis  dans  de  bons 
pâturages ,  ni  les  préfcrver  de  ce  qui  peut 
leur  nuire  ,  leur  adrciTeroit  la  parole ,  &  fe 
plaindroit  à  elles  de  fon  impuifTànce  :  mais 
ce  fens ,  tout  vrai  qu'il  paroît ,  n'eft  pas 
celui  que  Madame  des  Houlières  avoir 
dans  l'efprit  :  elle  étoitocupée  des  befoins 
de  fes  entans,  voilà  Tes  brebis  j  le  chien 
.dont  elle  parle,  c'eft  fon  mari  qu'elle avoit 
perdu  :  le  Dieu  Pan  c'eil:  le  Roi. 

Cet  exemple  fait  voir  combien  eft  peu     Daciei  , 

Œuvres 
*  Id  quoque  impiimisert:  cuftodiéndiim  ,  ut  quo  ex  gé-  d'Horace  , 
herc  ccepcris  tranflationis ,  hoc  dcimas.  Multi  enim  ,  cum  T. i.p.n  j, 
Inîciiim  à  tempcftâte  lumpfcrunt ,  inccndio  aut  ruina  fi-  troif.   édic. 
niuut  3  qux  eft  inconfequéntia  rerum  fccdiffima.  Ouint,  1,  i?-*^. 
iS-  c.  6.  Allcciôria. 


L 


is^  L'ALLEGORIE, 

jufte  la  remarque  de  M.  Dacier ,  qui  pré- 
tend  qii/me  cUégork  qui    reyripUroit  toute 
une  pièce ,  eft  un  monfire  \  6c  qu  ainfi  l'Ode 
14.  du  I .  livre  d'Horace ,  O  navis  réfèrent ^ 
&c.  n'efi:  point  allégorique,  quoi  qu'en  ait 
Quint.  1.8.  cru  Quintilien  6c  IcsCornentateurs.  Nous 
c.  6.  alleg.  avons  des  pièces  entières  toutes  allégori- 
ques. On  peut  voir  dans  l'oraifon  de  Ci- 
céron  contre    Pifon  ,  ^  un  exemple  de 
l'allégorie,  oii ,  corne  Horace,  Cicérori 
compare   la  République   Romaine  à  un 
vaiffeau  agité  par  la  tempête. 

L'allégorie  ell  fort  en  ufage  dans  les 
proverbes.  Les  proverbes  allégoriques  ont 
d'abord  un  fens  propre  qui  eft  vrai ,  mais 
qui  n'eft  pas  ce  qLi'on  veut  principale- 
ment faire  entendre  ;  on  dit  familièrc- 
jment  tant  i)a  la  cruche  à  l'eau ,  au  à  la  fin- 
elle  fe  ^ri/Z- ;  c'eft- à-dire,  que,  quand  on 
afronte  trop  fouvent  les  dangers,  à  la  fin 
cri  y  périt  \  ou. que,  quand  on  s'expofe 
fréquenment  aux  ocafions  de  pécller ,  oii' 
finit  par  y  fuccomber. 

*  Neque  tam  fui  tîmidus ,  ut  qui  in  mâximis  ttjrMnibiiS 

ac  flùftibus  Reipùblicx  navem  gubernâfTem,  falvâmque  in 
portu  collocâlTem  ;  froiuis  tua:  nubéculani,  tum  coUéga: 
tui  concaminâcum  Cpliimm  pcrciméfcerem.  Alios  ego  vidi 
ventos  ,  âlias  piofpéxi  ânimo  procéllas  :  aliis  impendénti- 
bus  teiT;pefl:.i:ibus  non  cffll,  fed  his  unum  me  prb  ômniuni 
falùre  obtuli.  de,  in  Pif.  b.  ix.  alircr,  10.  &  zi. 


L'ALLEGORIE.  159 

Les  fixions  que  l'on  débite  corne  des 
hiftoires  pour  en  tirer  quelque  moralité, 
font  des  allégories  qu'on  apèle  apologues  \ 
parabeles  onfahles  morales  s  telles  font  les 
fables  d'Efopc.  Ce  fut  par  un  apologue 
que  xMénénius  Agrippa  rapela  autrefoS  la 
populace  romaine,  qui,  mécontente  du 
Sénat,  s'étoit  retirée  fur  une  montao-ne. 
Ce  que  ni  l'autorité  des  loix  ,  ni  la  dignité 
des  Magiflrats  Romains  n'avoient  pu  fai- 
re ,  fe  fit  par  les  charmes  de  l'apoloo-ue. 

Souvent  les  anciens  ont  expliqué  par 
tine  hiftoire  fabuleufe  les  éfets  naturels 
dont  ils  ignoroient  les  caufes  $  6c  dans  la 
faite  on  a  doné  des  fens  allégoriques  à 
ces  hiftoires. 

Ce  n'eft  plus  la  vnpeur  qui  produic  le  tonerre,  Boaeaa, 

C'eft  Jupirer  armé  pour  éfrayer  la  terre  i  ^"-  P^"- 

Un  orage  terrible  aux  yeux  des  matelots  ,  "^'^""^  '  '  ^' 

C'eft  Neptune  en   courroux  qui  gourmande  les 

flots  -, 
Echo  n'eft  plus  un  fon  qui  dans  l'air  retentifTe , 
C'eft  une  Nymphe  en  pleurs  qui  fe  plaint  de 

NarcilTe. 

Cette  manière  de  philofopher  flate  l'ima- 
gmation  ;  elle  amufc  le  peuple,  qui  aime 
le  merveilleux  i  ^  elle  eit  bien  plus  facile 


i6o  LALLEGORIE. 

que  les  recherches  exactes  que  refpric  mé- 
thodique a  introduites  dans  ces  derniers 
tcms.  Les  amateurs  de  la  (impie  vérité  ai- 
ment bien  mieux  avouer  qu'ils  ignorent  ^ 
que  de  fixer  ainiî  leur  efprit  à  des  ilki- 
lions. 

Les  chercheurs   de  la  pierre  phiiofo- 
phale  s'expriment  auffi  par  allégorie  dans 
leurs  livres;  ce  qui  donc  à  ces  livres  un 
air  de  myftère  ôc  de  protondeur,  que  la 
limplicitë  de  la  vérité  ne  pouroit  jamais 
leur  concilier,  Ainli  ils  couvrent  fous  les 
voiles  myftérieux  de  rallégorie  ^  les  uns 
leur-fourberie,  èc  les  autres  leur  fanatii-' 
me  f,  je  veux  dire ,  leur  foie  perfiiafion.  En 
éi^t,  la  nature  n'a  qu'une  voie  dans  ies 
opérations  j  voie  unique  que.  l'art  peut 
contrefaire ,  à  la  vérité  ,  mais  qu'il  ne  peut 
jamais  imiter  parfaitcrrient.  11  éft  auiTi  im- 
polFible  de  taire  de  l'or  par  un  moyen  difé- 
rcnc  de  celui  dont  la  natufe  fe  lert  pôur 
former  l'or ,  qu'il  eft  impo(îible  de  faire 
un  irrain  de  blé  d'une  manière  diférente 
de  celle  qu'elle  emploie  pour  produire  le 
blé.  •'    . 

.  rhp  terme  àc  matière  générale  n'cfl  qu'une 
idée  abllraite  qui  n'exprime  rien  de  réel  j 
e'ek-à-dire  ,  rien  qui  exifle  hors  de  notre 


imaguiatioît. 


L'ALLEGORIE.  lôi 

imagination.  Il  n'y  a  point  dans  la  nature 
une  matière  générale  dont  l'art  puiiTc  faire 
tout  ce  qu'il  veut  ;  c'efb  ainfi  qu'il  n'y  a 
point  une  blancheur  générale  d'où  l'on 
puiiîe  former  des  objets  blancs.  C'efb  des 
divers  objets  blancs  qu'eR"  venue  l'idée  de 
blancheur,  corne  nous  l'expliquerons  dans 
ia  fuite;  6c  c'eft  des  divers  corps  particu- 
liers ,  dont  nous  fomes  afe^Vés  eii  tant  de 
manières  diférentes,  que  s'eft  formée  en 
nous  l'idée  abdraite  de  matière  générale. 
C'ell:  pafler  de  l'ordre  idéal  à  l'ordre  phy- 
fique  ,  que  d'imaginer  uii  autre  fyftème. 

Les  énigmes  font  alifli  une  efpèce  d'al- 
légorie :  nous  en  avons  de  fort  belles  en 
vers  françois.  L'énigme  efl  un  difcours 
qui  ne  fait  point  conoîtrc  l'objet  à  quoi  il 
convient,  &  c'eft  cet  objet  qu'on  propofe 
à  deviner.  Ce  difcours  ne  doit  point  ren- 
fermer de  circonilance  qui  ne  convièile 
pas  au  rhot  de  l'énigme. 

Obfervcz  que  l'énigme  cache  avec  foin 
ce  qui  peut  la  dévoiler  r  mais  les  autres 
elpèces  d'allégories  ne  doivent  point  être 
des  énigmes  ,  elles  doivent  être  exprimées 
de  manière  qu'on  puifle  aifément  en  faire 
Taplication, 


e 


ï6i 


XIII. 
L' Allusion» 


Aîlûdeic.  1'  Es  alliifions  &L  les  jeux  de  mots  onC 
R.  ad,  &  I  ^encore du raport  avec  rallé^orie:  l'al- 
légorie  preiente  un  lens ,  ôc  en  tait  enten- 
dre un  autre  :  c'eft  ce  qui  arrive  auffi  dans 
les  alluiions ,  &c  dans  la  plupart  des  jeux 
de  mots ,  rei  ahinits  ex  âiterâ  notâtio.  On 
fait  allufion  à  l'hiftoire ,  à  l'a  fable ,  aux 
coutumes  j  6c  quelquefois  même  on  jonc 
fur  les  mots. 

Henriâde,      Ton  Roi  ^  jeune  Biron ,  te  fauve  enfin  la  vie  -, 
chant  7.         j[  t'arache  fanglant  aux  fureurs  des  foldats. 

Dont  les  coups  redoublés  achevoient  ton  trépas  : 
Tu  vis  \  fonge  du  moins  à  lui  refter  fidèle. 

Ce  dernier  vers  fait  allufion  à  la  mallicu- 
reufe  confpiration  du  Maréchal  de  Biron  \ 
il  en  rapèle  le  fouvenir. 

Voiture  étoit  fils  d'un   marchand  de 

vin  :  un  jour  qu'il  jouoit  aux  proverbes 

avec  des  Dames,  Madame  des  Loges  lui 

Hift.  de  dit  ,  celui-là  ne  vaut  rien ,  percez.-mus  en 

1  r\cad.  T.  ^'^^.^  autre.   On  voit  que  cette  dame  fcfoit 

i.p.  177.  ,.  n    r  j       ■ 

une  maligne  aliulion  aux  toneaux  de  vin  : 


VAL  LU  s  ION,  1^3 

cxn  percer^  fe  dit  d'un  toneau  ,  Se  non  pas 
d'un  proverbe  ;  ain(i  elle  réveilloic  mnli- 
cieufemenc  dans  l'eiprit  de  l'aflemblée  le 
fou  venir  humiliant  de  la  nailTcincc  de  Voi- 
rurc.  C'ell  en  cela  que  confillie  l'alluiion  j 
elle  réveille  les  idées  acceiroires. 

A  l'égard  des  allu fions  qui  ne  confiftent 
que  dans  un  jeu  de  mots ,  il  vaut  mieux 
parler  &:  écrire  fimplement,  que  de  s'amu- 
fer  à  des  jeux  de  mots  puérils,  froids- 
ôc  fades  :  en  voici  un  exemple  dans  cette 
épitaphe  de  Defpautère  : 

Grammaricam  fcivit,  mulcos  docuitque  per  annos  j 
Declinâre  tamen  non  potiiic  tiimulum. 

Vous  voyez  que  l'auteur  joue  fur  la  dou- 
ble fignification  de  declinâre. 
I|  Il  iut  la  Grammaire ,  il  l'enfeigna  pen- 
dant plufieurs  années  ,  ôc  cependant  il  ne 
put  décliner  le  m.ot  tn-mulns.  Selon  cette 
traduction  ,  la  penfée  eft  faude  \  car  Def- 
pautère favoit  fort  bien  décliner  tumuiusi, 
Que  11  l'on  ne  prend  point  tninulm  ma- 
térièlement,  &  qu'on  le  prènc  pour  ce 
qu'il  lignifie,  c'efl-à-dire  ,  pour  le  tom- 
beau ,  &:  par  métonymie  pour  la  w^;'/}  alors 
il  faudra  traduire  que  malgré  tome  la  co- 
noijfancs  que  Defpautère  avo'n  de  la  Gram- 

Lij 


1^4  rALLU  S  10  N. 

maire ,  il  ne  put  éviter  la  mort  :  ce  qui  n'a  ni 
fel ,  ni  raifon  ;  car  on  fait  bien  qnc  la 
Grammaire  n'exente  pas  de  la  nécefîité  de 
mourir. 

La  traduction  eft  l'écueil  de  ces  fortes 
de  penfées  :  quand  une  penfée  efl  foiide  , 
tout  ce  qu'elle  a  de  réalité  fe  conferve 
dans  la  traduction  \  mais  quand  toute  fa 
valeur  ne  confifte  que  dans  un  jeu  de 
mots ,  ce  faux  brillant  fe  diffipe  par  la  tra- 
duction. 

Boileau       Ce  n'eft  pas  toiuefbis  qu'une  mufe  un  peu  fine 
Art.  Poët.       Sur  un  mot ,  en  partant ,  ne  joue  &  ne  badine  j 
Et  d'un  fens  détourné  n'abufe  avec  fuccès  : 
Mais  fuyez  fur  ce  point  un  ridicule  excès. 

Giles  Ro-  Dans  le  placet  que  M.  Robin  préfenta  au 

bin ,   natifs-.      .  ^^  *  •  j  \  rr  iT 

du  S.  Ef-   R^i  po^^î^  etî'c  mamtenu  dans  la  polleilion 
prit ,   de   d'une  île  qu'il  a  voit  dans  le  Rhône ,  il  s'ex- 

d'Aiîe^.™''  P^^^^  ^^  ^^^  termes  : 

Qu'eft-ee  en  éfet  pour  toi ,  Grand  Monarque  de« 
•  Gaules, 

Qu'un  peu  de  fable  &  de  gravier  ; 

Que  faire  de  mon  île  "i  II  n'y  croît  que  des  faules  ; 
Et  tu  n'aimes  que  le  laurier. 

Saules  eft  pris  dans  le  fens  propre,  6c  laurier 


I 


VALLUSIO  N,  i6^ 

dans  le  fens  figuré  :  mais  ce  jeu  préfcnte 
à  refpritune  penfée  très-fine  6c  trèsiolidc. 
Il  faut  pourtant  obferver  qu'elle  n'a  de 
vérité  que  parmi  les  nations  où  le  laurier 
ell  regardé  corne  le  fymbole  de  la  vic- 
toire. 

Les  allufions  doivent  être  facilement 
aperçues.  Celles  que  nos  Poètes  font  à  la 
fable  font  défectueufes  ,  quand  le  iujet; 
auquel  elles  ont  raport ,  n'ell:  pas  conu, 
Malherbe,  dans  fes  ftances  à  M.  du  Pe- 
rler, pour  le  confoler  de  la  mort  de  fa. 
fille,  lui  dit: 

Tithon  n'a  plus  les  ans  qui  le  firent  cigale,  Poëfiesdc 

_    „,  .         ,,,     .  Malherbe  , 

Et  Pluton  aujourd  nui ,  i  y,^ 

Sans  égard  du  pafle  les  mérites  égalQ 

D'Archemore  &  de  lui. 

Il  y  a  peu  de  lecteurs  qui  conoilîènt  Ar- 
chemore ,  c'eft  un  enfant  du  tems  fabu-^ 
îeux.  Sa  nourice  l'ayant  quitté  pour  quel- 
ques momens,  un  ferpent  vint  6c  l'écoufa, 
Malherbe  veut  dire  que  Tithon  après  une 
longue  vie ,  s'eft  trouvé  à  la  mort  au  même 
point  qu'Archemore  ,  qui  ne  vécut  que 
peu  de  jours. 

L'au,teur  du  Poème  de  la.  Madeleine,, 

Liii 


i66         L'A  L  LU  S 10  N. 

dans  une  apoftrophc  à  Tamonr  prophanCj 
dit ,  pariant  de  Jéfus-Chrift  : 

L.  %.  pag.      Puifqiie  cet  Amiros  t'a  fi  bien  défarmé  ; 

Le  mot  àHAntcros  nefl:  guère  conu  que 
des  fa  vans,  c'eft  un  mot  grec  qui  fignifie 
contre- antoiir  :  c'étoit  une  divinité  du  Pa- 
2;anirme  :  le  Dieu  veng-eur  d'un  amour 
rnepnle. 

Ce  poëme  de  la  Madeleine  eft  rempli 
de  jeux  de  mots,  6c  d'allufions  fi  recher- 
chées ,  que  malgré  le  refpecb  du  au  fujet , 
^  la  bone  intention  de  l'auteur,  il  eft  di- 

,  ficile  qu'en  lifant  cet  ouvrage ,  on  ne  foit 
point  afedté  corne  on  l'eft  à  la  ledture 
d'un  ouvrage  burlefque.  Les  figures  doi- 
vent venir,  pour  ainfi  dire,  d'elles  mê- 
mes; elles  doivent  naître  du  fujet,  ôc  fe, 
préfcnter  naturèlcment  à  l'efprit,  comc 
nous  l'avons  remarqué  ailleurs  :  quand 
ç'eft  l'efprit  qui  va  les  chercher ,  elles  dé- 
plaifent,  elles  étonent,  ôc  fouvent  font 
rire  par  l'union  bizare  de  deux  idées,  donc 
Vune  nç  devoit  jamais  être  affortie  avec 
l'autre.  Qui  croiroit ,  par  exemple  ,  que 
jamais  le  jeu  de  piquet  dût  entrer  dans  uri 

.  poëme  fait  pour  décrire  la  pénitence  &  la 
cha'jrité  de  fainte  Madeleine  \  de  que  ce 


LALLU  s  10  N.  167 

jeu  d'Jt  faire  naître  la  penfée  de  fe  doner 
la  diicipline  i 

Piquez-vous  feulemenr  de  jouer  au  piquer,  Poc'raecîc 

A  celui  que  j'entens  qui  fe  fait  fans  caqner  -,  l.iMadelci- 
J'encens  que  vous  preniez  par  fois  la  difcipline ,  '  •  '"  t" 
Et  qu'avec  ce  beau  jeu  vous  faffiez  bone  mine. 

On  ne  s'atend  pas  non  plus  à  trouver  les 
termes  de  Grammaire  détaillés  dans  un 
ouvrage  qui  porte  pour  titre,  le  nom  de 
fainte  Madeleine  ,•  ni  que  l'auteur  ima- 
gine je  ne  fai  quel  raporc  entre  la  Gram- 
maire 6c  les  exercices  de  cette  Sainte  :  ce- 
pendant une  tête  de  mort  &  une  difci- 
pline font  les  RUDiMENS  de  Madeleine. 

Et  regardant  toujours  ce  têt  de  trépaflTé,  Ibi(i.  1.  i.p. 

Elle  voit  LE  FUTUR  dans  ce  présent  passé.  ^^-  ^v.-  ^c» 

...     .•.•••.•••••«. 
Et  c'eft  fa  difcipline ,  ôc  tous  fes  chatimens , 
Qui  lui  font  comencer  ces  rudes  rudimens. 
Ce  qui  la  fait  trembler  pour  fon  grammairien  , 
C'eft  de  voir,  par  un  cas  du  tout  déraifonnable» 
Que  fon  amour  lui  rend  la  mort  indéclinable  ,. 
Et  qu' ACTIF  come  il  eft  auHi  bien  qu'excelfif 
Il  le  rend  à  ce  point  d'impafîible  passif. 
O  que  l'amour  eft  grand ,  &  la  douleur  amcre  ». 
Q'ji^and  un  verm  passif  fait  toute  fa  grammaire^ 

Liv 


168  VAL  LU  s  ION. 

La  muse  pour  cela  me  dit ,  non  fans  raifon  j 
Que  toujours  la  première  eft  fa  conjugaison. 

Sçachant  bien  qu'en  aimant  elle  peut  tout  pré-; 
tendre , 

Corne  tout  enseigner,  tout  lire,  &  tout  en- 
tendre. 

Pendant  qu'elle  s'ocupe  à  piunir  le  forfait 

De  fon  TEMs  prétérit  qui  ne    fut  qu'iMPAR-. 

FAIT  , 

Tems  de  qui  le  futur  réparera  les  pertes 
Par  tant  d'aflictions  &  de  peines  foufertes  \ 
Et  le  PRESENT  eft  tel,  que  c'eft  I'indicatif, 
D'un  amour  qui  s'en  va  jufqu'à  I'infinitif. 
Puis  par  un  optatif,  ahl  plût  à  Dieu,  dit-elle? 
Que  je  n'euiïe  jamais  été  fi  criminelle  1 

Prenant  avec  plaifir,  dans  l'ardeur  qui  la  brûle. 
Le  FOUET  pour  difcipline ,  &  la  croix  pour 

'FERULE. 

Vous  voyez  qii'il  n'oublie  rien.  Cet  our 
yrage  eft  rempli  d'un  nombre  infini  d'al? 
luhorK  aufîi  recherchées  ,  pour  ne  pas, 
dire ,  aufîi  puériles.  Le  défaut  de  juge- 
ment qui  empêche  de  fentir  ce  qui  eft  ou 
ce  qui  n'eft  pas  à  propos,  &  le  defir  mal 
çiitendu  de  mçnçrer  de  l'efprit  6c  de  fairç. 


VAL  LUS  10  N,  jCcf 

p.irridc  de  ce  qu'on  (ait ,  cnrantcnt:  ces  pro- 
çiucliions  ridicules. 

Ce  ftvle  hguic  ,  dont  on  fait  vanité,  Molière  , 

bort  du  Don  caractère  ùc  de  la  vente  '<,  ^  ç^^  ^^ 

Ce  n'eft  que  jeux  de  mots ,  qu'afedation  puce  > 
Et  ce  n'efl:  pas  ainfi  que  parle  la  nature. 

J'ajouterai  encore  ici  une  remarque  ,  à 
propos  de  i'allufion  :  c'eft  que  nous  avons 
en  notre  langue  un  grand  nombre  de 
chanfons ,  dont  le  fens  litéral,  fous  une 
aparence  de  {implicite ,  eft  rempli  d'allu- 
fions  obfcèncs.  Les  auteurs  de  ces  pro- 
ductions font  coupables  d'une  infinité  de 
penlees  donc  ils  raliflent  l'imagination  ; 
&  d'ailleurs  ils  fe  deshonorent  dans  l'ef- 
prit  des  honêtes  gens.  Ceux  qui  dans  des 
ouvrages  férieux  tombent  par  iimplicité 
dans  le  même  inconvénient  que  les  fe- 
feurs  de  chanfons,  ne  font  guère  moins 
repréhenfibles ,  6c  fc  rendent  plus  ridi- 
cules. 

Quintilien ,  tout  païen  qu'il  étoit ,  veut  Quî»t.  î"^- 

ri  ^  '    -^      1        ^        1       tir.  Orat.  l, 

que  non-lculement  on  évite  les  paroles ^^  ^     ^^ 
obfcèncs,  mais  encore  tout  ce  qui  peutRifu. 
réveiller  des  idées  d'obfcénité.  Ohfcœûitas 
'vero  non  à  verhis  tanîùm  abcjfe  débet  ^  fed 
éîiam  à  Jîgnijicationc , 


I70  L'ALLUSION. 

w  On  doit  éviter  avec  foin  en  écrivant, 
55  dit-il  ailleurs  ,  ^  tout  ce  qui  peut  doncr 
>5  lieu  à  des  alludons  deshonêtes.  Je  fai 
>»  bien  que  ces  interprétations  viènent  fou- 
55  vent  dans  refprit  plutôt  par  un  éfet  de 
55  la  corruption  du  cœur  de  ceux  qui  H- 
55fent,  que  par  la  mauvaife  volonté  de 
55  celui  qui  écrit  -,  mais  un  auteur  fage  6c 
55  éclairé  doit  avoir  égard  à  la  foiblelîe 
55  de  Tes  lecleurs ,  &c  prendre  garde  de 
55  faire  naître  de  pareilles  idées  dans  leur 
55  efprit  :  car  enfin  nous  vivons  aujour- 
55  d  liui  dans  un  fiècle  où  l'imagination 
55  des  homes  efl  fi  fort  çâtée ,  qu'il  v  a  un 
55  grand  nomorc  de  mots  qui  etoient  au- 
55  trefois  très  honêtes  ,  dont  il  ne  nous  cffc 
55  plus  permis  de  nous  fervir  par  l'abus 

*  Hoc  vitium  "^-'.r■tc'çaT5r  vocâtur,  five  raaiâconfuctùdinc 
in  obfcœnum  intelléclum  fcrmo  decôrtus  eft . .  , .  difta 
fandlc  &  antique  ridcn.cur  à  nobis  :  quam  culpaip  non  fcri- 
feéntium  quidcm  jùdico  ,  fed  legéntinm:  ramen  vitânda  j 
quâtenus  verba  honéfta  môribus  pcrdidimus  ,  &  cvincénti- 
bus  étianx  viriis  cedéndum  eft.  Sive  jundiuadeformircr  fo- 
nat  ....  àli.-e  conjuncliones  âliquid  simile  fâciunt 
quas  pérfcqui  lonj];uni  eft  ,  in  eo  vitio  f]uod  vicândiim  dici- 
mus  ,  commoràntcs.  Sed  divifio  quoquc  aiïert  eândem  in- 
j^ùriam  pudôri.  Nec  fcripto  modo  id  âccidit  ;  fcd  éciani 
fenfu  pkrique  obfcoenc  intellîgere  ,  nlfi  câveris  ,  cûpiunt, 
ac  ex  verbis  qiiar  lonsifTimè  ab  obfcœnicàce  abfnnt,  occa- 
lîônem  turpiriidinis  râpcre.  Quint.  Inft.  Orat.  lib.  vni.  ç. 
5.  de  On-!a>u. 


V  l  R  O  N  1  E.  171 

«  qu'on  en  fait  \  de  forte  que  fans  une  at- 
?î  tcntion  fcrupuieufe  de  la  part  de  celui 
iï  qui  écrit ,  fes  lecteurs  trouvent  mali- 
35  gnemcnt  à  rire  en  faliflant  leur  imagi- 
ii  nation  avec  des  mots,  qui,  parcux-mê- 
>ï  mes,  font  très-éloignés  de  l'obfcénité. 

y  'I     ■■      .1  ■  ■■■■  ■  ■■■»■  I  I  ■  ■  ■  -—  I     ■■!       I  1^— .^M  III  II  — 

XIV, 

L'  I  R  o  N  I  E, 

L'Ironie  eft  une  iiG;ure  par  laquelle  on  ^^^''!^' 
veut  taire  entendre  le  contrau'e  de  ce  tiomorti* 
qu'on  dit  :  aind  les  mots  dont  on  fe  fert  tion«, 
dans  l'ironie  ,  ne  font  pas  pris  dans  le  fens 
propre  &  1  itérai. 

M,  Boileau ,  qui  n'a  pas  rendu  à  Qui- 
nault  toute  la  juitice  que  le  public  lui  a 
rendue  depuis,  a  dit  par  ironie  : 

Je  le  déclare  donc,  Quinault  eft  un  Virgile.  Boileau, 

Srtt.  IX. 
Il  vouloit  dire  un  mauvais  Poëtc. 

Les  idées  acceiToires  font  d'un  grand 
ufage  dans  l'ironie  :  le  ton  de  la  vorx ,  &: 
plus  encore  la  conoifTance  du  mérite  ou 
du  démérite  perfonel  de  quelqu'un  ,  &:  de 
la  façon  de  penfer  de  celui  qui  parle , 
fervent  plus  à  faire  conoître  l'ironie ,  que 


172  L  1  R  0  N  I  E. 

les  paroles  dont  on  fe  fcrt.  Un  home  s'é- 
crie ,  oh  le  bel  efprit  !  Parle-t-il  de  Cicéron  , 
d'Horace  ?  il  n'y  a  point  là  d'ironie  ,•  les 
mots  font  pris  dans  le  fens  propre.  Parle- 
t-il  de  Zoïie  ?  C'efb  une  ironie.  Ainfi  l'i- 
ronie fait  une  fatyre ,  avec  les  mêmes  pa- 
roles dont  le  dilcours  ordinaire  fait  un 
ëlo^e. 

Tout  le  monde  fait  ce  vers  du  père  de 
Chimène  dans  le  Cid  ; 

Corn.  Cid.      A  de  plus  hauts  partis  Rodrigue  doit  prétendre. 

C'eft;  une  ironie.  On  en  peut  remarquer 
plufieurs  exemples  dans  Balzac  &  dans 
Voiture.  Je  ne  fai  fi  l'ufage  que  ces  au- 
teurs ont  fait  de  cette  figure,  feroit  au- 
jourd'hui aufii  bien  reçu  qu'il  l'a  été  dç 
leur  tems. 

Cicéron  comence  par  une  ironie  l'orai- 
fon  pour  Ligarius.  Novum  crimen  ,  Caï 
Cdpir,  é"  ^'^te  hune  diem  inaudùum  ,  &c.  Il 
y  a  aufii  dans  l'oraifon  cantre  Pifon  un 
fort  bel  exemple  de  l'ironie  :  c'effc  à 
l'ocafion  de  ce  que  Pifon  difoit  que  s'il 
n'avoit  pas  triomphé  de  la  Macédoine, 
c'étoit  parce  qu'il  n'avoit  jamais  fouhaité 
les.  hpneurs  du  triomphe.  «  Que  Pompée 


LEUPHEMISME.         173 

M  eft  malheureux ,  dit  Cicéron  ,  ^  de  ne 
»  pouvoir  profiter  de  votre  confeil  !  Oh  I 
»>  qu'il  a  eu  tort  de  n'avoir  point  eu  de 
»5  2;oût  pour  votre  philofophie  1  11  a  eu  la 
>3  folie  de  triompher  trois  fois.  Je  rougis, 
"  CrafTus  ,  de  votre  conduite.  Quoi ,  vous 
"avez  brigué  1  honeur  du  triomphe  avec 
"  tant  d'empreflement  !  dcc. 

XV. 

L' Euphémisme. 


L 


'Euphémirme  eft  une  figure  par  la-  ivfmicf4àç, 
quelle  on  dég-uife  des  idées  défagréa-  ^°"^  °"^/^ 

,  1      ,.       ^  '^         •/!  r  J  niscapta- 

bles,  odieules,  OU  triites,  ious  des  noms  tio:^/yco«rf 
qui  ne  font  point  les  noms  propres  de  ces  ^^  bonau- 
idées  :  ils  leur  fervent  come  de  voile ,  &  ^,v»,  hett- 
ils  en  expriment  en    aparcnce    de   plus  reufement , 
agréables,  de  moins  choquantes,  ou  de  ^^"''"'^  ^* 
plus  honêtes  félon  le  befoin  j  par  exem- 
ple :  ce  feroit  reprocher  à  un  ouvrier  ou 
à  un  valet  la  baiïèfle  de  fon  état ,  que  de 
l'apeler  ouvrier   ou  'valet -■,  on  leur  done 

*  Non  eft  incegium  Cn.  Pompéio ,  confilio  jam  uti  tuo  j 
crrâvi:  caim.  Non  guftârac  iflam  tuam  philofôphiam  ;  ter, 
jam  homo  ftukus ,  triumphâvit.  Sec.  Cic.  in  Pifon.  n.  >S. 

StXIY. 


174      VEUPHEMÎSMÊ, 
d'autres  noms  plus  honêtes  qui  ne  doi- 
vent pas  être  pris  dans  le  fens  propre.  C'ell 
ainli  que  le  boureau  eft  apelé  par  honeur, 
le  maître  des  hautes  œuvres. 

C'efl:  par  la  même  raifon  qu'on  àowc  à 
certaines  étofcs  groffières  le  nom  d'étoics 
plus  fines  ;  par  exemple  :  on  apèle  velvurs 
de  Mauriene  une  forte  d'étofle  de  gros 
drap  qu'on  fait  en  Mauriene ,  provmce 
de  Savoie  j  &  dont  les  pauvres  Savoyards 
font  habillés.  Il  y  a  auffi  une  forte  d'étofe 
de  fil  dont  on  fait  des  meubles  de  cam- 
pagne ;  on  honore  cette  étofe  du  norh  de 
damas  de  Caux  ^  parce  qu'elle  fe  fabriqué 
au  pays  de  Caux  en  Normandie. 

Un  ouvrier  qui  a  fait  la  bcfogne  pour 
laquelle  on  l'a  fait  venir,  &  qui  n'atend 
plus  que  fon  payement  pour  fe  retirer ,  au 
lieu  de  à'iïQ payez^-moi ^  dit  par  euphémif- 
me ,  ri* avez,  vous  plus  rien  à  rnordoner. 

Nous  difons  auffi ,  Dieu  vous  ajïtjle  ■ 
Dieu  vous  benijfe.,  plutôt  que  de  dire,  je 
nai  rien  à,  vous  doner. 

Souvent  pour  congédier  quelqu'un ,  ort 
lui  dit,  voilà  qui  eft  bien  ,  je  vous  remercie , 
plutôt  que  de  lui  dire  alez.  vous-en. 

Les  Latins  fe  fervoient  dans  le  même 
fens  de  leur  recfè ,  qui ,  à  la  lettre ,  fignifie 


L  EU?  HE  Ml  s  ME.       175 

bien ,  au  lieu  de  répondre  qu'ils  n'avoient 
rien  à  dire.  "  Quand  nous  ne  voulons  pas 
«dire  ce  que  nous  penfons ,  de  peur  de 
«  faire  de  la  peine  à  celui  qui  nous  inté- 
■»  roge,  nous  nous  fervons  du  mot  de  recfè^ 
î5  die  Donat.  ^ 

Softraca ,  dans  Tércnce ,  ^"^  dit  à  fou 
iîls  Pa.n\^h.ï\G ,  pourquoi  pleurez-vous  i  Qj^'a» 
'vesL-'vous ,  mon  fils  ?  Il  répondit ,  reffe 
mater.  Tout  va  bien  ,  ma  mère.  Madame 
Dacier  traduit ,  rieri ,  ma  mhe ,  tel  ell  le 
tour  trançois. 

Dans  une  autre  comédie  deTérence^ 
Clitiphon  dit  que  quand  fa  maîtrelle  lui 
demande  de  l'argent ,  il  fe  tire  d'afairc  en 
lui  répondant  recfè  ^  c'eft-à-dire ,  en  lui 
donant  de  belles  efpérances  :  car ,  dit-il , 
je  n'oferois  lui  avouer  que  je  nai  rien  j  le 
mot  de  rien  efl  un  motfuncfle. 

Madame  Dacier  a  mieux  aimé  tra- 
duire ,  lorfqueUc  me  demande  de  l^ argent  .^  je 
ne  fais  que  marmot er  entre  les  dents  j  car  je 

*  R*(3è  dlcimus  cum  fine  injuria  interrogântis  âliquid 
reticcnius.  Donat.  in  Tcrent.  Hccyr.  a<ft.  5.  u:.  z.  v.  10. 

**  s.  Quid  lâcrymas  :  Quid  es  tam  triftis  ?  P.  re<Slè  ma- 
ter. Ter.  Hecyr  adl.  5.  Ce.  z. 

Tum,  quod  dcm  ci,rtciè  cft  :  nam  nihil  efTemihi,  religio 
cft  diccre.  Ueaut.aô:.  &.  Ce.  i.  v.  16.  ^  ftlon  Mad.  Daeter^ 
ai\.  I,  le.  4.  V.  id. 


i7«î      rEUPHEMISME. 

n  ai  garde  de  lui  dire  que  je  n  ai  pas  le  foû. 

Si  Madame  Dacicr  eût  été  plus  enten- 
due qu'elle  ne  l'étoit  en  galanterie  ,  elle 
auroit  bien  fcnti  que  marmoter  entre  les 
dents  y  n'étoit  pas  une  contenance  trop 
propre  à  faire  naître  dans  une  coquècc 
refpérance  d'un  préfent. 

11  y  avoit  toujours  un  verbe  fous-en- 
^Andr.  ad.  tendu  avcG  recvh  ReÛè  âdmones,  *  E^o 
5.  fc.  4.  V.  iji^Q  reci}  ut  fiant  videro.  ^"^  ReBè  fuades  -, 

^î  ib.  ad.  ^^*  2cc. 

1.  fc.  é.  V.      A  l'égard  du  rcBè  de  la  1^.  fcène  du 

♦**Heaut  ^^^^'  ^^^  ^^  l'Hécyre ,   il  faut  lous  en- 

siCt.  5.  fc.z.  tendre  ou  valeo  ,  recle  vâleo  ,  ou  recl}  mibi 

^'  45-       confulo  ,  ou  enfin  quelqu'autre  mot  pareil , 

QoniQres  bene  fe  habet  ^  6lc.  Pamphile  vou- 

loit  exciter  cette  idée  dans  l'cfprit  de  la 

mère  pour  en  éluder  la  demande. 

Heaut. aft.      Pour  ce  qui  eft  de  l'autre  r^c?^,Clici- 

I.  fc.  I.      phon  vouloir  faire  entendre  à  fa  maîtreire, 

qu'il  avoit  des  reffources  pour  lui  trouver 

de  l'argent  j  que  tout  iroit  bien ,  èc  que 

fes  defirs  feroient  enfin  fatisfaits. 

Ainfi ,  quoique  Madame  Dacier  nous 

*  Dans  les  dife*  que  nous  n'avons  point  de  mot  eh 

lemarques  notre  lanoiue ,  qui  puifle  exi">rimer  la  force 

furlafc.  1.  j  ^.^     '.  ^       i  .  ,.,^     ,  J    ^    ^    „ 

du^ad.de"^  ce  recle ,  je  crois  qu  il  répond  a  cc.'> 
rHécyre.    façons  de  parler,  cela  a/a  bien ,  cela  ne  i>a 

p.is 


L'EUPHEMISME.         177 

i>'js  fi  mal  que  vous  pcnfcz.  \  courage  ^  il  y  a 
efpcrancc ,  cela  cfi  bon  ;  tout  ira  bien ,  &:c.  ce 
ïbnt-là  aiiranc  d'Euphémifmes. 

Dans  toutes  les  nations  policées  on   a 
toujours  évité  les  termes  qui  expriment 
des  idées  deshonctcs.  Les  perfônes  peu 
jnftruites  croient  que  les  Latins  n'avaient 
pas  cette  délicateilc  :  c'ell  une  erreur.  Il 
cft  vrai  qu'aujourd'hui  on  a  quelquefois 
recours  au  latin  pour  exprimer  des  idées 
dont  on  n'oferoit  dire  le  mot  propre  en 
françois  \  mais  c'eft:  que  come  nous  n'a- 
vons àpris  les  mots  latins  que  dans  les  li- 
vres ,  ils  fc  préfentent  à  nous  avec  une 
idée  acceflbire  d'érudition  ôc  de  ie(f}:ure  , 
qui  s'empare  d'abord  de  l'imagination  ; 
elle  la  partage ,  elle  enyelope  ,  en  quel- 
que forte,  Timage  deshonête,  elle   l'é- 
cartc  .  &:  ne  la  fait  voir  que  de  loin  :  ce 
font  deux  objets  que  l'on  préfente  alorâ 
à  l'imagination ,  dont  le  premier  cil  le 
mdt  latin  qui  couvre  l'idée  qui  le  fuiti 
ainli  ces  mots  fervent  corne  de  voile  &l 
de  périphrafe  à  ces  idées  peu  honêtes  :  au 
lieu  que  come  nous  fomcs  acoutumés  aux 
mots  de  nôtre  langue ,  l'efprit  n'eil  pas 
partagé.  Quand  on  fe  fert  des  termes  pro- 
pres, il  s'ocupe  direcbem.ent  des  objets 

M 


I7S        LEUPHEMISME. 

que  ces  termes  fignifîent.  Il  en  étoic  de 
même  à  l'égard  des  Grecs  Ôc  des  Romains, 
les  honeces  gens  ménageoient  les  termes 
corne  nous  les  ménaf^eons  en  François,  &C 
leur  icrupiile  aloit  même  quelquefois  ii 
loin, qu'ils  évitoienr  la  rencontre  des  fyl- 
labes ,  qui ,  jointes  enfemble ,  auroient  pu 
réveiller  des  idées  deshonêtes.  Quiaji  ita, 
Orât.  ^.dicerctur^  obfcœniiis  concurrcrent  Interd^  dit 

154.  ahter  (^j^^j-qj^    ^  QuintiUen  a  fait  la  même  re- 
inft.Oràt.  marque. 

1.  VIII.  c.  j.  „  jsje  dcvrois  tu  point  mourir  de  honte^ 
15  dit  Chrêmes  à  Ton  fils  ,  *  d'avoir  eu  l'in- 
45  folence  d'amener  à  mes  yeux,  dans  ma 
«  propre  maifon ,  une ....  je  n'ofe  pronon- 
«  cer  un  mot  deshonête  en  préfence  de 
^5  ta  mère,  bi.  tu  as  bien  ofé  comètre  une 
«  a£lion  infâme  dans  notre  propre  mai- 
«  Ton  \ 

C'étoit  par  la  même  figure  qu'au  lieu  de 

*  Non  mihi  per  fallâcias  addûcerc  ante  6culas  .... 
puàet  dicere  hâc  praïfence  verbum  turpe  j  at  te  id  nuUo  mo- 
<io  puduit  facere.  Hcaut.  a£l.  5.  fc.  4.  v.  18. 

Ego  fervo  Se  (crvâbo  Platénis  verecûiidiam.  Itaque  cec- 
tis  vevMs  ,  ea  ad  te  fcripiî  ,  tjua:  apcrcifîîmis  aï^unt  Stoici. 
iUfTériam  crcpitus  aiunt  ascjuè  liberos,  ac  rudus,  elle  opoi- 
téït.Cic.  1.  IX.  Epilt.  2.x. 

J£i^\xè  eâdem  modcftiâ,  potius  cum  muliere  fuifTe,  qium 
cop.cubuiiTe,  dicébant.  Farro  de  lin;:,  lac.  1.  v.  fub.  fin. 

Mosfuit ,  res  tmpes  &  fœdas  prolâcu  ,  Uoneftiôrura  eoii- 
veftirier  dignitâic.  Arnob.  1.  r. 


L  EUPHEMISME.         179 

aire  ,yV  njotis  ah  an  donc  ,  je  ne  me  mits  j^oint 
en  peine  de  vous  j  je  vous  quîte  ,  les  anciens 
dilbient  iouvcnc  ,  vivez. ,  portez,-vôus  hmi. 
Vivez,  forets  ^  *  cette  cxpi-eifibn  ,  dans  l'cn- 
droit  oii  Virgile  s'en  eft  fcrvi ,  ne  niarqiie 
pas  un  Touhait  que  le  berger  falîe  aux  fo- 
rêts, il  veut  dire  lîmplement  qu'il  les 
abandone. 

Ils  difoient  aufli  quelquefois,  avoir  vêcu-^ 
avoir  été ^  s* en  être  aie  j  avoir  p:ijj'é par  la  vie  ^ 
(  vita  funcius^  ^^  )  au  lieu  de  dire  kremort-^ 
le  terme  de  mourir  leur  paroillbit  en  cci- 
taines  ocaiions  un  mot  funefte. 

Les  anciens  portôient  la  fLipcrflitioii 
jufqu'à  croire  qu'il  y  avoit  des  mots ,  donc 
la  feule  prononciation  pouvoit  atirer  quel- 
que malheur  :  corne  (i  les  paroles  ,  qui  ne 
font  qu'un  air  mis  en  mouvement ,  pou- 
vôient  produire,  par  elles-mêmes,  quel- 
qu'autre  éfet  dans  la  nature  ,  que  celui 
d'exciter  dans  l'air  un  ébranlement,  qui , 
fe  comuniquant  à  l'organe  de  l'ouïe,  fait 

*  Omnia  vel  médium  fiant  mare,  vivite  Tylva:.  Virg.  Le. 
viii.  V,  58. 

Vâlcanr,  qui  inter  nos  dillidium  volant.  Ter.  And.  ait. 
IV.  fc.  1.  V.  I  3. 

Caftra  peco  :  valeâtque  Veniiç,  valeânrquc  pucllx.T?/'«/{. 
1.  1.  El.  é.  V.  9. 

,  **  Fungi  fungor ,  fignifîc  pajjer  par,  dans  un  Cens  méta- 
phorique ;  être  délivré  d^  ,  s'a  r»  aqittté  de, 

Mij 


iSo        L'EUPHEMISME. 

naître  dans  i'efprit  des  homes  les  idées 
donc  ils  font  convenus  par  réducacion 
qu'ils  ont  reçLie. 

Cette  fuperfticion  paroilToit  encore  plus 
dans  les  cérémonies  de  la  religion  :  on 
craignoit  de  doner  aux  Dieux  quelque 
nom  qui  leur  fôt  déiagréable.  On  étoic 
averti  *  au  çomcncement  du  facrifice  où 
de  la  cérémonie ,  de  prendre  garde  de 
prononcer  aucUn  mot  qui  pût  atu'cr  quel- 
que mallieur,  de  ne  dire  que  de  bones 
paroles ,  bona  iicrhafari^  enfin  d'être  favo- 
rable de  la  langue  ,  fat'éte  linguis ,  ou  lin- 
gua ,  ou  ore  \  ôc  de  garder  plutôt  le  iilence, 
que  de  prononcer  quelque  mot  funefle  qui 
pût  déplaire  aux  Dieux  :  &:  c'efl  de  là  que 
favéte  linguis ,  fignifie  par  extenfion ,  jCr;/f  j- 
filence. 

Par  la  même  raifon,  ou  plutôt  par  le 
même  fanatifme,  lorfqu'un  oifeau  a  voie 

*  Maîè  ominâtis  pârcite  vcrbis  ,  «ti  félon  d'autres ,  malc 
nominâtis.  Hor.  1.  i,.  oà.  14. 

Favécc  linguis.  Hor.  l.  3.  od.  i. 

Ore  favérc  omnes.  Virg.  JEn.  1.  5.  v.  yr. 

Dicâmus  bona  veiba ,  vcnit  natalis ,  ad  aras. 
Quifquis  adcs,  liuguâ,  vir  mulicrqiic  fave.  Tibull.  1,  1. 
El.  2.  V.  1. 

Prôfpera  lux  ôritur ,  linguifque  animifquc  favéte  , 
Nunc  dicéuda  bono ,  funt  bona  verba,  die.  Ovid^  lift; 
L  I.  V.  -ji. 


VEU?  REMIS  ME.         igi 

ccé  de  boçi  augure ,  &  que  ce  qu'on  de  voie 
acendre  de  cet  heureux  préfage  ,  étoit  dé- 
truit par  un  augure  contraire,  ce  fécond 
augure  ne  s'apeloit  point  mauvais  augure  ; 
mais  iimplement  l'autre  augure .,  ^  ou  l'aur- 
trt  oifeau.  C'eft  pourquoi,  dit  Feftus ,  ce 
terme  alter^  veut  dire  q^Lielqueîois  coatrai- 
YCy  mauvais, 

il  y  avoit  des  mots  confàcrés  pour  les 
lacrifices  ,  dont  le  lens  propre  6c  literal 
étoit  bien  diférent  de  ce  qu'ils  fignihoient 
dans  ces  cérémonies  fuperilitieufes  ;  par 
exemple  :  maciâre ,  qui  veut  dire  magîs  auc- 
târe  .  auîxmenter  davantage  ,  Te  difoit  des 
victimes  qu'on  facrifioit.  On  n'avoit  gardç 
de  fe  fervir  alors  d'un  mot  qui  pût  fairç 
naître  l'idée  funefte  de  la  mort  j  on  fe  fer- 
voit  par  euphémifme ,  de  maBare ,  aug- 
menter -,  foit  que  les  victimes  augmenta f- 
fent  alors  en  honeur,  foit  que  leur  volume 
fût  groHl  par  les  ornemens  dont  on  les 
paroit  \  foit  enfin  que  le  facrifice  augmen- 
tât en  quelque  forte  l'honeur  qu'on  ren- 
doit  aux  Dieux.  Nous  avons  fur  ce  point 


*  Alter^  &  pro  non  bono  pônitur  ,  ut  in  augùriis,  altéra 
eum  appcllâcur  rti/ii  qua:  vuique  prôfpcra  non  cft  ;  Cic  al- 
ter  nonnùnqiiani  pro  a^dvédb  diciciu-  Se  malo.  Fejiu-s ,  v.. 
ajter. 

M  iii 


i8i        VEUF  HE  MIS  ME. 

un  beau  paiïage  de  Varron ,  que  l'on  peut 

voir  ici  au  bas  dç  la  page.  * 

De  même ,  parce  que  cremari^  être  brûlé, 

auroit  été  un  mot  de  mauvais  augure,  6c 

que  l'autel  croifToit,  pour  ainfi  dire  ,  pat 

les  herbes ,  par  les  entrailles  des  victimes , 

6c  par  tout  ce  qu'on  metoit  defllis  pour 

être  brûlé  \  au  lieu  de  dire  ok  br aie  fur  les 

AàpléCcvLMauteU^  ilsdifoicnt,  les  autels  croijjenî ^  car 

^^?^F^      ^dolére  6c  adoléfcere^  figni fient  proprement 

cTora/'^fv.  croifire  \  6c  ce  n'eH:  que  par  euphémifme 

■V-  57i?-      que  ces  mots  fignifient  brider, 

C'eft  ainfi  que  les  perfones  du  peuple 
difent  quelquefois  dans  leur  colère ,  que  le 
bon  Dieu  njous  emporte  ,  n'ofant  prononcer 
le  nom  du  malin  ef'prit. 

Dans  l'Ecriture  Sainte,  le  mot  de  bénir 
efl:  mxis  quelquefois  au  lieu  de  maudire, 
qui  cft  précifemcnt  le  contraire.  Come  il 
n'y  a  rien  de  plus  afreux  à  concevoir,  que 

*  ^ticidre,  verbum  eftTacrorum,  /r'^'  %  rvui<!t'c:  ài^am^ 
fluaft  m.tgts  aubère,  ut  adotére  ;  undè  &c  magménttim c^w^. 
il  majus  augméntHtn  :  nam  hôftios  tanî^ûntur  molâ  fal<^â,  8ç 
tum  immoldu  dicuntur  ;  cum  verb  icft^r  funt  Se  aliquid  ex 
jlhs  in  aram  datum  eft ,  tnatldu  dicùntur  per  laudaciô- 
nc»»,  itémque  boni  ôminis  Cgnificariônem.  Et  cum  ilîis 
i-pola  falfa  imponitur,  dicitur  macle  ejîo.  Varro  de  vitâ 
Pop.  Rom.  1.  1.  dxns  les  fragimns  qui  font  à  la  fin  des  d^u~ 
'vres  de  Tarron .  ds  Hdtticn  de  J.  Janfon,  Amft.  1715.  p» 
<3-  • 


V  EUPHEMISME,         183 

dSmaf^iner  quelqu'un  qui  s'emporte  juf- 
qu'À  des  imprécations  facrilèges  contre 
X)ieu  même  ;  au  lieu  du  terme  de  rnattdir^i 
on  a  mis  le  contraire  par  euphémifme, 

Naboth  n'ayant  pas  voulu  vendre  au 
Roi  Achab  ,  une  vigne  qu'il  poiFédoit,  &C 
qui  étoit  l'héritage  de  ies  pères  ;  la  Reine 
Jézabel,  femme  d' Achab  ,  fuTcita  deux 
faux  témoins ,  qui  déposèrent  que  Naboth 
avoit  blafphémé  contre  Dieu  Ck:  contre  le 
Roi  :  or,  l'Ecriture,  pour  exprimer  ce 
blafphême,  tait  dire  aux  témoins,  que 
Nahoth  a  béni  Dieu  O'  l^  Roi.  *. 

Job  dit  dans  le  même  fens,  feut-hre 
que  mes  enfuns  ont  péche\  0-  qiiils  ont  béni 
Dieu  dans  leur  cœur.  "^* 

C'eft  ainfî  que  dans  ces  paroles  de  Vir-  ^«Im- 
gile  ,  auri  facra  famés ,  facra  fe  prend  pour  ^'  ^^' 
execrdbilis ,  félon  Servius  ;  foit  par  euphé- 
mifme ,  foit  par  extenfion  :  car  il  eft  à 
obferver  que  louvent  par  extenfion  ,  facer 
vouloit  dh'C  exécrable.  Ceux  que  la  juliice 
humaine  avoit  condânés,  &  ceux  qui  (c 
dévouoient  pour  le  peuple,  étoient  regar- 

*  Viri  diabolici  dixérunt  contra  eum  teftiraonmm  corairt 
multitùdine  i  benedixit  NaLoth  Deum  &  llçgem.  Re^.  lll. 
c.  ti.  V.  m.  Se  I  j, 

=*^*  Ne  forte  peccaverint  filii  mci  Se  benedixcriiu  Deo  in 
ço.rdibus  fuis.  Job^  i.  v.  5, 

M  iv 


18.4        V  EUPHEMISME. 

dés  cpmc  autant  de  pciTones  facrées.  De  l'a, 

dit  Feluis  ,  "*  tout  méchant  home  cfk  apelc. 

facer.  O  le  maudit  houfon  ,  dit  Afranius ,  en 

§Fra^m.  fe  fervant  àcfacrum  :  §  Ofacrninfcurram^  ç^ 

Lond  ™  w^//«!;;;.  Et  Plante,  parlant  d'un  marchand 

p.  ijii.     d'eiclaves,  s'exprime  en  ces  termes  ,  Ho- 

plauc.Pœn.  mini  {fi  kno  efi  homo]  quant U7n  homiriHin 

Prolog.  Y.  fPYYd  fâftinet ,  facérrimo. 

On  peut  encore  raporter  à  reuphémifme 
CCS  périphrafcs  ou  circonlocutions  ,  dont 
un  orateur  délicat  envelope  habilement 
une  idée,  qui ,  toute  fimple,  exciteroit 
peut-être  dans  rcfprit  de  ceux  à  qui  il 
parle,  une  image  ou  des  lentimens  peu. 
favorablesà  fon  dciïcin  principal.  Cicéron 
n'a  garde  de  dire  au  Sénat,  que  les  domef- 
tiqucs  de  Milon  tuèrent  Clodius  ;  "^  * 
5,3  ils  firent ,  dit-il,  ce  que  tout  maître  eii^t 
5.5  voulu  que  Tes  efclaves  euiîent  fait  en 

*  Horao  fecer  is  cfl: ,  quem  pôpulus  judicâvic  ob  male- 
ficium,  necjuefas  eft  cuni  immolâri.  .  .  ex  quoqiiivis  ho- 
mo ,  malus  arque  improbus ,  facer  appcUâri  folet.  Tcftus. 
V.  facer. 

Ma.'Tiliéafes  ,  quôties  peftiléntiâ  laboiabaat ,  unus  fe  ex 
paupéribus  olterébar,  alcndus  anno  integro  pûblicis  &  pu- 
ïioribus  cibis.  Hic  pofteà  ,  oi  nâcus  verbénis  &  vcftibns  fa- 
cris  ,  circumdiicebâtur  pcr  ;.oram  civirârem,  cum  exccra- 
tioîiibus  ;  ut  m  ipfum  recidereat  mala  torius  civicâtis  i  Se 
fie  projiciebâcur.  Ser-vms  in  J£,n.  III.  v.  57. 

"**  Fecérunt  id  fervi  Milôiiis  ....  quod  faosquifquc  fer- 
^/os  tn  rali  re  fâcere  voiuiflec.  Cic.  pro  Milonc  ,  nuni.  Zi>. 


L'ANTIPHRASE.  i%s 

xx  pareille  ocaiion.  ci  De  même,  lorfqa'oii 
ne  done  pas  à  un  mercenaire  tout  l'ar- 
gent qu'il  demande,  au  lieu  de  lui  dire, 
je  ne  veux  pas  vous  en  doner  davantage ,  fou- 
vcnt  on  lui  dit  par  cuphémifme ,  je  vous 
€~a  donerai  davantage  une  autre  fois  j  cela  J} 
trouvera  :  je  chercherai  les  ocafions  de  vous 
rêcû:npenfer^  àcc. 

XVI. 
L'A  NTIPHRASE. 

'Euphcmifme  &:   l'Ironie   ont   doné 
lieu    aux    Grammairiens    d'inventer 
une  figure  qu'ils,  apèlent  Antiphrafe  ^  c'ell- 
à-dire,  contrC''Vcritc\  par  exemple:  la  mer 
noire  fujète  à  de  fréqucns  naufrages,  6c 
dont  les  bords  étoient   habités   par  des 
homes  extrêmement  féroces ,  étoit  apcléc 
Fû/nEux'm^  c'eft-à-dire,  mer  favorable  à  fes     rhv--, 
hotcs^  mer  hofpitaliere.  C'efi:  pourquoi  Ovide  l^^^P^^'^^  ». 
a  dit  que  le  nom  de  cette  mer  etoit  un  Thofptaiité, 
menteur. 

Qnem  tenetEuxini,  mendaxcognomine,  littus.  Ovi.  Trift. 
^^tf/Z/éwr^;  Pontus,  Euxini  falfonomine  didus.  ^^\^  ,^* 

^Sanclius  &;  quelques  autres  ne  vculçnt  ei.i^j^^v.^V. 


iS6  L'ANTIPHRASE, 

point  mètre  l'antiphrafe  au  rang  des  figu- 
res. Il  y  a  en  éfet  je  ne  fai  quoi  duopole  à 
Tordre  naturel ,  de  nomer  une  chofe  par 
fon  contraire  ,  d'apeler  lumineux  un  objet, 
parce  qu'il  eft  obfcur  ^  Tantiphrafe  ne 
latisfait  pas  l'cfprit. 

Malgré  les  mauvaifes  qualités  des  ob- 
jets ,  les  anciens  qui  perfonifioient  tout , 
leur  donoient  quelquefois  des  noms  da- 
teurs ,  corne  pour  fe  les  rendre  favorables  ^ 
ou  pour  fe  faire  un  bon  augure ,  un  bon 
préiage. 

A  in  fi  c'étoit  par  euphémifme ,  par  fu- 
perftition  ,  &;  non  par  antiphrafe,  que 
ceux  qui  al  oient  à  la  mer  que  nous  a  pe- 
lons aujourd'hui  la  mer  noire ,  k  nomoient 
mer  hofpitaliere  ,  c'eft-à-dire,  mer  qui  ne 
nous  fera  point  funefbe ,  qui  nous  fera  pro- 
pice, où  nous  ferons  bien  reçus,  mer  qui 
fera  pour  nous  une  mer  hofpitalière ,  quoi- 
qu'elle foit  cornu nément  pour  les  autres 
une  mer  funcfte. 

Les  trois  Déeffes  infernales  ,  filles  de 
i'Erèbc  6c  de  la  Nuit,  qui ,  félon  la  fable , 
filent  la  trame  de  nos  jours,  étoient  ape- 
lées  les  Far(jiies\  de  Tadjeclif /'^rr/^/,  ûjuia 
parce  nohis  n;itam  trwuunt.  Chacun  trouve 
qu'elles  ne  lui  filent  pas  affez  de  jours. 


LANTIPHRASE.         îSt 

D'autres  difcnc  qu'elies  ont  été  ainfi  npe- 
lecs ,  parce  que  leurs  fonctions  font  par- 
tagées^ P^ircxy  qtiaji  partitd. 

Cîotlio  colum  uétinet ,  LachehsneCj&  Atropos 
occat. 

Ce  n'cft  donc  point  par  antiphrafe,  {juU 
né'Uini  parcuMî ,  qu'elles  ont  été  apelées 
F  arques. 

Les  Furies,  Aledo,  Tifiphone  &:  Mé- 
gère ,  ont  été  apelées  Euménidcs ,  du  grec     iv^m^q^ 
enmencis  ,  bcnévôLc ,  douces ,  bienfefantes. 
La  coniuné  opinion  efk  que  ce  nom  ne 
leur  fut  doné  qu'après  qu'elles  eurent  cefîe 
de  tourmenter  Orcfte  qui  avoit  tué   fa 
mère.  Ce  prince  fut,  dit-on,  le  premier 
qui  les  apela  Eiimènidçs.  Ce  fentiment  ell;     Pocfics 
adopté  par  le  P.  Sanadon.  D.'autres  pré- ^^'*"*^*î; 
tendent  que    les  runes   etoient  apelées  4^2. 
Euménïdes  long-tems  avant  qu'Orcfte  vînt 
au  monde  ;  mais  d'ailleurs  cette  aventure 
d'Orefte  efl  remplie  de  tant  de  circonf- 
tantcs  labuleuics,  que  j'aime  mieux  croire 
qu'on  a  apelé  les  Furies  Euménides  par  eu- 
phémilme,  pour  fe  les  renda-e  favorables. 
C'eft  aind  qu'on  traite  tous  les  jours  de 
bo'dcs  èc  de  bienfefantes  les  perfones  les  plus 
aigres  fie  les  plus  dificilcs  dont  on  veut 


iS8        VANTIPHRASE. 

apaifer  l'emportement,  ou  obtenir  quel- 
que bienfait. 

On  dit  encore  qu'un  bois  facré  efl  apelé 
lucus ,  par  antiphrafe  j  car  ces  bois  étoient 
fort  fombres ,  6c  Lhchs  vient  de  lucérc , 
luire  :  mais  (i  luctis  vient  de  lucére ,  c'eft  par 
une  raifon  contraire  à  l'antiphrafe  ;  car 
Corne  il  n'étoit  pas  permis ,  par  refpeà,  de 
couper  de  ces  bois,  ils  étoient  fort  épais,  &: 
par  conféquent  fort  fombres,  ainfi  le  bc- 
foin  ,  autant  que  la  fuperfkition,  avoir  in- 
troduit l'ufage  d'y  alumer  des  flambeaux. 

Mânes  y  les  mancs  ,  c'eft- à-dire,  les  âmes 

des  morts,  &:  dans  un  fens  plus  étendu ,  les 

habitans  des  enfers,  eft  encore  un  mot 

qui  a  doné  lieu  à  l'antiphrafe.   Ce  mot 

*  Fcftus,  vient  de  l'ancien  adjectif  manus  ,  ^  dont 

^.îAanÀre,  on  fc  fcrvoit  au  lieu  de  bonus.  Ceux  qui 

Nonius,c.  P^^°^^"^  les  mânes,  les  apeloient  amU 

ï.  n,  3J7.  pour  fe  les  rendre  favorables.  Vos  o  mihi 

\\lzAzi  ^\  ^^^^^  ^fi'^  ^^^^  i  ^'^^  ce  que  Virgile  fait 
5- initio.    dire  à  Turnus.    Ainfî  tous  les  exemples 
Virg. iEn.  dont  OU  prétend  autorifer  l'antiphrafe,  fe 
^47-  reportent ,  ou  à  l'cuphémifme ,  ou  à  l'iro- 
nie ;  corne  quand  on  dit  à  Paris,  c\fi une 
muete  des  haies,  c'eft- à-dire,  une  femme 
qui  chante  pouillcs,  une  vraie  harangère 
des  haies  j  i7îue!e  eft  dit  alors  par  iropie.. 


18^ 


XVII. 

La    Périphrase. 

Uintîlien  met  la  Përiphrafc  au  rang   rîp,Varftf,.. 
des  tropes  ;  cti  éfet ,  Duirque  les  tro-   9"cumlo- 
pcb  cienent  la  place  des  expreiiions  pro-cùcum. 
près,  lit  përiphrafc  cil  un  trope,  car  la  Ç'/'^ï^ <ii<^o- 
përiphrafe  tient  la  place,  ou  d'un  mot  ou 
d'une  phrafe. 

Nous  avons  expliqué  dans  la  première 
partie  de  cette  Grammaire,  ce  que  c'ëtoic 
qu'une  phrafe  :  c'cil:  une  exprelfion ,  une 
manière  de  parler ,  un  arangement  de 
mots ,  qui  fait  un  fens  fini  ou  non  fini. 

La  përiphrafc  ou  circonlocution  eft  un 
aiïcmblage  de  mots  qui  expriment  en  plu- 
licurs  paroles  ce  qu'on  auroit  pu  dire  en 
moisis,  &:  fouvent  en  un  feul  mot;  par 
exemple  :  /e  uaïnqucur  de  Darius ,  au  lieu 
de  dire,  Alexandre  :  Cafire  du  jour ^  pour 
dire  le  foie  il. 

On  fe  fert  de  përiphrafes,  ou  par  bien- 
léance,  ou  pour  un  plus  grand  ëclaircif- 

riiiribus  autem  vcrbis  cum  id  quod  uno  ,  auc  pauciô- 
ribus  ceicc  ,  dici  poteft  ,  cxplic;uur  ,  -zii-'i-ppciciY  vocanr , 
tiiciiirum  Io(juéndi.  Oitini.  luit.  Or.  1.  vin.  c,  é.  de 
Trc>j)is. 


190       LA  PERIPHRASE, 

fement,  ou  poui'  romement  du  difcDurs, 
OQ  enfin  par  héce/îké. 

1.  Par  bicnféance  ,  lorfqu'on  a  recours 
à  la  périphrafc  ,  pour  enveloper  les  idées 
balTes  ou  peu  honêtes.  Souvent  aufli ,  au 
lieu  de  fe  lervir  d'une  exprelîion  qui  exci- 
terôit  une  image  trop  dure,  on  l'adoucit 
par  une  périphraie,  comme  nous  l'avons 
remarqué  dans  reuphémifme. 

2.  On  fe  fert  aulîi  de  périphrafe  pdur 
ëclaircir  ce  qui  eil;  obfcur ,  les  définitions 
font  autant  de  périphrafcs  ;  corne  lorf- 
qu'au  lieu  de  dire  les  Parques ^  on  dit,  les 
trois  Dcefes  i?ifcrnales ,  qui  félon  la  fable , 

fient  la  trame  de  nos  jours. 

Là  Pap.a-     Remarquez  que  quelquefois  aptes  qu'on 

a  expliqué  par  une  périphrafe  un  mot  ob- 

fcur  ou  peu  conu ,  on  dévclope  plus  au 

long  la  penfée  d'un  auteur,  en  ajoutant 

des  réflexions  ou  des  circonftances  qu'il 

auroit  pu  ajouter  lui-même  j  mais  alors 

..    ces  fortes  d'explications  plus  amples  ôc 

jdf.ct^fy.lùs.  conformes  au  fens  de  l'auteur ,  font  Ce 

îuxta  dico         ,  V1J       r>  f      r      \  \    •   r 

id  eft  le-  <^^^  o^  apele  acs  raraphrajes^  la  paraphralc 
quor  juxta  eft  uuc  cfpècc  de  comcntaire  :  on  reprend 

%.^^^\  le  difcours  de  celui  qui  a  déjà  parlé  ,  on 
alius  dixit  .  1  ^  r  • 

<:Taca,  jux-1  explique,  on  1  étend  davantage  en  lui- 

ta,rupra  yant  toujours  fcn  clprit.  Nous  avbns  dc^ 


LA    PERIPHRASE.        191 

paraphrafcs  des  Preaumes  ,  du  livre  de 
Job  ,  du  nouveau  Teftamcnt ,  ècc.  Nous 
avons  auffi  des  paiaphrafes  de  l'art  poéti- 
que d'Horace,  6cc.  La  périphrafe  ne  fait 
que  tenir  la  place  d'un  mot  ou  d'une  ex- 
preiîion  ,  au  tond  elle  ne  dit  pas  davanta- 
ge i  au  lieu  que  la  paraphrafe  ajoute  d'au- 
tres penlées  ,  elle  explique ,  elle  dévelope. 
5.  On  fe  lert  de  périphrafes  pour  l'or- 
nement du  difcours ,  &  lur-tont  en  poëlie. 
Le  génie  de  la  poefie  conlllle  à  amufer  l'i- 
magination par  des  images  qui  au  fond  fe 
réduifent  (ouvent  à  une  penfee  que  le  dif- 
cours  ordinaire  exprimeroit  avec  plus  de 
Hmplicité,  mais  d'une  manière  ou  trop 
sèche  ou  trop  bafic  ;  la  périphrafe  poéti- 
que préfente  la  penfee  fous  une  forme  plus 
gracieufe  ou  plus  noble  :  c'eft  ainfi  qu'au 
iieu  de  dire  fimplement  a  la  jointe  dit  jour  ^ 
les  Poètes  difent: 

L'Aurore  cependant  au  vifage  vermeil ,  Hcnriade, 

Ouvroic  dans  l'Orient  le  palais  du  foleil  :  ^^-  ^^" 

Ln  nuit  en  d'autres  lieux  portoit  Tes  voiles  fombres. 
Les  fonges  voltigeans  fuioient  avec  les  ombres. 

Madame  Dacier  cbmcnce  le  XVII^.  livre 
de  l'OdyiTée  d'Homère  par  ce  vers  : 

Dès  que  la  belle  Aurore  suc  anoncc  le  jour. 


XiS 


EcI.i.v.S3 


192        LA   Pl^RIPHRASE. 

Iliade,  Et  ailleurs  elle  die,  «  la  brillante  Aurore 
5i  fortoii:  à  peine  du  fein  de  l'Océan,  poui? 
>j  anoncer  aux  Dieux  de  aux  homes  le 
>3  retour  du  foleiî. 

Pour  dire  que  le  jour  finit,  qu'il  efl:  tard, 
advefperafcit ^  Virgile  dit  qu'on  voit  déjà 
fumer  de  loin  les  chemiinées,  que  déjà  les 
ombres  s'alongent  6c  femblent  tomber 
des  montagnes. 

Et  jam  fumma  procul  villârum  ciilmina  fumant^ 
Majoréfque  cadunt  altis  de  montibus  umbrce. 

Boileau  a  dit  par  imitation  : 

Lutrin ,       Les  ombres  cependant  fut  la  ville  épandues 
Gh.  1.  j)a  faite  des  maifons  defcehdent  dans  les  rues. 

On  pourra  remarquer  un  plus  grand  nom- 
bre d'exemples  pareils  dans  les  auteurs.  Je 
me  contenterai  d'oblerver  ici  qu'dn  ne 
^doit  fe  fervir  de  périphrafes  que  quand 
elles  rendent  le  difcours  plus  noble  eu 
plus  vif  par  le  fecours  des  images.  Il  faut 
éviter  les  périphrafes  qui  ne  préfentenc 
rien  de  nouveau,  qui  n'ajoutent  aucune 
idée  acceOoire,  elles  ne  fervent  qu'à  ren- 
di-e  le  difcours  languifKmt  :  fi  après  avoir 
dit  d'un  home  acablé  de  remords,  qu';7 
tjl  toujours  irific  ^   vous    vous  fervez   à'z 

quelque 


LA   PERIPHRASE.        193 

ôiiclque  périphrafe  qui  ne  dife  autre  cho- 
ie ,  fmon  que  cet  home  cft  toujours  fombrc  , 
rêveur ,  mélancolique  d-  de  mauvaife  humeur , 
vous  ne  rendez  guère  votre  dilcours  plus 
vif  par  de  telles  expreffions.  M.  Boileau  , 
fur  un  fujct  pareil ,  a  fait  d'après  Horace 
une  efpèce  de  périphrafe  qui  tire  tout  fon 
prix  de  la  peinture  dont  elle  ocupe  l'ima- 
gination du  lecteur. 

Ce  fou  rempli  d'erreurs  que  le  trouble  acompagne.  £p.  y. 
Et  malade  à  la  ville  ainfi  qu'à  la  campagne  , 
En  vain  monte  à  cheval  pour  tromper  fôn  ennui ,     Po^  cqui- 
Le  chagrin  monte  en  croupe  &  galope  avec  lui.       ^,^\  ^^^l^^ 
Le  même  Poëte,  au  lieu  de  dire,  pendant  ^°^-  '  ^^^' 

.     />  .  /•    >         ,         ^   .         ,     od.  ï.v.  40; 

que  ]e  juîs  encore  jeune  ,  le  iert  de  trois  pe- 
riphrafcs  qui  expriment  cette  même  pen- 
fée  fous  trois  images  diférentcs. 

Tandis  que  libre  encor,  malgré  les  deftinées ,         sat.  i; 
Mon   corps  n'eft  point  courbé  fous  le  faix  des 

années \ 
Qu'on  ne  voit  point  mes  pas  fous  l'âge  chanceler. 
Ht  qu'il  refte  a  la  Parque  encor  dequoi  filer. 

On  doit  auffi  éviter  les  périphrafes  obfcu- 
res  6c  trop  enflées.  "^  Celles  qui  ne  fervent 

*  Ut  cùm  décorum  habet,  penphrafis  ,  ita  cdm  in  vltium 
incidit,  'T-o/(îîoA37/adicitur  :  obftat  ènim  quidquid  non  âd- 
isvâr.  Quint.  Inftit.  Orat.  1.  viii.  c.  ^.     i 

N 


page  lo. 


194         LA  PERIPHRASE. 

ni  à  la  clarté,  ni  à  l'ornement  du  d'iC- 
cours  ,  font  détectueufcs.  C'cfi:  une  inuti' 
lire  défagréable  qu'une  périphrafe  à  la 
fuite  d'une  penfée  vive,  claire,  folide  6c 
noble.  L'efprit  qui  a  été  frapé  d'une  pen- 
fée bien  exprimée ,  n'aime  point  à  la  re- 
trouver fous  d'autres  formes  moins  agréa- 
bles ,  qui  ne  lui  aprènent  rien  de  nou- 
veau ,  ou  rien  qui  l'intérelîe.  Après  que  le 
père  des  trois  Horaces,  dans  l'exemple 
que  j'ai  déjà  raporté,  "^  a  dit  qt^'il  mourût^ 
il  devoit  en  demeurer  là,  5c  ne  pas  ajouter  : 

Ou  qu'un  beau  défefpoir  enfin  le  fecourûc. 

Marot,  dans  une  de  fes  plus  belles  épî- 
tres,  raconte  agréablement  au  Roi  Fran- 
çois I.  le  malheur  qu'il  a  eu  d'avoir  été 
volé  par  fon  valet ,  qui  lui  avoit  pris  fon 
argent,  fes  habits ,  6c  fon  cheval  i  enfuite 
il  dit  : 

Et  néanmoins  ce  que  je  vous  en  mande  , 
N'eft  pour  vous  faire  ou  requête  ou  demande  : 
Je  ne  veux  point  tant  de  gens  relTembler  ; 
Qui  n'ont  fouci  autre  que  d'affembler  ; 
Tant  qu'ils  vivront  ils  demanderont,  eux  : 
Mais  je  comence  à  devenir  honteux , 
Et  ne  veux  point  à  vos  dons  m'aréter. 
Je  ne  dis  pas,  iî  voulez  rien  piêcer. 


LA   PERIPHRASE.         195 

'Que  ne  le  prène  :  il  n'eft  poinr  de  prêteur  , 
S'il  veut  prêter,  qu'il  ne  falfe  un  debteur. 
Et  favez-vous ,  Sire,  cornent  je  paie  , 
Nul  ne  le  fait  fi  premier  ne  l'ellaie. 
Vous  me  devrez,  fi  je  puis,  de  retour; 
Et  vous  ferai  encores  un  bon  tour  j 
A  celle  fin  qu'il  n'y  ait  faute  nulle , 
■Je  vous  ferai  une  belle  cédule  , 
A  vous  payer,  fuis  ufure  il  s'entend , 
Quand  on  verra  tout  le  monde  content } 
Ou  fi  vous  voulez ,  a.  payer  ce  fera. 
Quand  votre  lois  ôc  renom  cefiera. 

Voilà  ou  le  génie  cbnduifit  Marot,  tk 
voilà  où  l'arc  devoit  le  faire  arêter  :  ce 
'qu'il  die  enfuiî:c  que  /es  deux  ^rirtces  Lo- 
rains  le  fUïgeront ,  6c  encore 

Avifez  donc ,  fi  vous  avez  defir 

De  rien  prêter ,  vous  me  ferez  plaifir  : 

Tout  cela  ,  dis- je  ,  n'ajoute  plus  rien  à  là     cîc.  de 
ncnfée  :  c'efr  ce  que  Cicéron  apèle  verho-  ^'^^'^-  ^-  \: 

1  1  n.xiii'i- 

Yiim  vcl  o^timorum  âtque  ornMijfimorum  f6~  ter  51/ 
nittis  inanis.  Que  s'il  y  avoit  quelque  chofc 
de  plus  à  dire  ,  ce  font  les  douze  derniers 
vers  qui  font  un  nouveau  fens,  &:  ne 
font  plus  une  périphrafe  qui  regarde  l'em- 
prunt. 

N  ii 


196         LA  PERIPHRASE. 

VoiU  le  point  principal  de  ma  lettre , 
Vous  favez  tout,  il  n'y  faut  plus  rien  mettre 
Rien  mettre  las  l  Certes,  &  fi  ferai , 
En  ce  faifant  mon  ftyle  j'enflerai , 
Difant ,  ô  Roi  amoureux  des  neuf  Mufes> 
Roi,  en  qui  font  leurs  fciences  infufes. 
Roi ,  plus  que  Mars ,  d'honeur  environé. 
Roi ,  le  plus  Roi  qui  fut  onc  couroné  ; 
Dieu  tout  puilTant  te  doint,  pour  t'eftrèner , 
Les  quatre  coins  du  monde  à  gouverner. 
Tant  pour  le  bien  de  la  ronde  machine , 
Que  pour  autant  que  fur  tous  en  es  digne. 

4.  On  fe  fertdepériphrafeparnécefficéj 
quand  il  s'agit  de  traduire ,  &.  que  la  lan- 
gue du  traducteur  n'a  point  d'cxpreflion 
propre  qui  réponde  à  la  langue  originale  ; 
par  exemple ,  pour  exprimer  en  latin  une 
péruque,  il  faut  dire  coma  adfcitttia  ^  une 
chevelure  empruntée ,  des  cheveux  qu'on 
s'eft  ajuftés.  Il  y  a  en  latin  des  verbes  qui 
n'ont  point  de  fupin ,  &  par  conféquent 
point  de  participe  :  ainfi  au  lieu  de  s'ex- 
primer par  le  participe,  on  eft  obligé  de 
recourir  à  la  périphrafe/î?r^  »/,  ejfefutHrum 
Mti  j'en  ai  donc  plufieurs  exemples  dans  la 
fyntaxe. 


V 


15>7 


X  V  I  1  I. 

L'Hypallage. 

Irgile,  pour  dire  mtttrç  à  la  l'oile  y  a  tW\a«7h, 
die,  *  dare  clàffthus  aujlros  :  l'ordre  na-  ^'n^^^l^râcio. 
turel  dema^doit  qu'il  dît  plucôc ,  dar^  cUf^,!^^f^.,,\ 
fes  nufiris.  aor.  i.  pafT. 

Cicéron,  dans  l'oraifon  pour  Marccllus,  ^  VXn'^l 
dit  à  Céfar  qu'on  n'a  jamais  vu  dans  lam.  v.  éi. 
ville  Ton  épéc  vuide  du  foureau  ,  glàdium, 
l'agma  vacuum  in  tirbe  non  njidimus.  11  ne 
s'agit  pas  du  fonds  de  la  penfëe,  qui  eft 
de  faire  entendre  que  Céfar  n'avoit  exercé 
aucune  cruauté  dans  la  ville  de  Rome ,  il 
s'agit  de  la  combinaifon  des  paroles  qui 
ne  paroifîent  pas  liées  entre  elles  come 
elles  le  font  dans  le  langage  ordinaire, 
car  njàcHus  fe  dit  plutôt  du  foureau  que  de 
epee. 

Ovide  comence  fes  rnétamorphofcspar 
ces  paroles  : 

In  nova  fèrt  ânimus  miuâtas  cîicere  formas. 
Corpora. 

La  conftruction  cfl:  ânimus  fèrt  me  ad  d/ccre 
formai  mtitatns  i&  mVA  corpora.  Mon  génie. 

N  ii) 


Î98  LHYPALLAGE. 

me  porte  à  raconter  les  formes  changées 
en  de  nouveaux  corps  :  il  étoit  plus  natu- 
rel de  dire ,  à  raconter  les  corps ,  c'eft-à- 
dire ,  a  parler  des  corps  changes  en  de  nouvè- 
les  formes. 

Vous  voyez  que  dans  ces  fortes  d'ex- 
preffions  les  mots  ne  font  pas  conitruits. 
hi  combinés  entr'eux    corne  ils    le    de- 
vroient  être  félon  la  deftination  des  ter- 
minaifons  6c  de  la  conftruction  ordinai- 
re. C'efl  cette  *tranfpo(ition  ou  change- 
rnent  de  conilruction  qu  on  apèle  HjipaU 
lage ^  mot  grec  qui  (îgnifie  changement. 
\'  Cette  fi2;ure  eft  bien  malheureufe  :  les 
inft.  Orat.  Rhéteurs  difent  que  c'eft  aux  Grammai- 
^  IV.  c.  15.  j^j^j^g  à  en  parler,  Gra7nmaticôrum   potius 
fchema  efi  quàm  trapus ,  dit  VofTius  j  6c  les, 
Grammairiens  la  renvoient  aux  Rhéteurs  : 
^^^  %■  ^^  rhypallage  ,  à  vrai  dire ,  n*cft  point  une  figure 
yi.  p.  c'8.  ^^  Graminaire ,  dit  la  nouvèle  Méthode  de 
P.  R.  C'efi  un,  t râpe  ou  une  figure  d'élocution. 
Le  changement  qui  fe  fait  dans  la  conf- 
trucbion  des  mots  par  cette  figure  ,  ne  re- 
garde p-as  leur  jQgnification ,  ainfî  en  ce 
fens  cette  figure  n'eft  point  un  trope,  & 
doit  être  mife  dans  la  clailc  des  idiotifmes 
ou  façons  de  parler  particulières  à  la  lan- 
gue latine  :  mais  j'ai  cru  qu'il  n'étoit  pas 


UHVFALLAG  E.  199 

inutile  d'en  faire  mention  parmi  les  tro- 
pes  j  le  changement  que  l'hypalLige  fait 
dans  la  combmaiion  éc  dans  la  conilruc- 
tion  des  mots,  eft  une  forte  de  trope  ou 
de  converfion.  Après  tout ,  dans  quelque 
rang  qu'on  juge  à  propos  de  placer  i'hypal- 
lage ,  il  eft  certain  que  c'eft  une  figure 
très- remarquable. 

Souvent  la  vivacité  de  l'imagination 
nous  fait  parler  de  manière  ,  que  quand 
nous  venons  enfuite  à  confidérer  de  fmg 
froid  l'arangementdans  lequel  nous  avons 
conftruit  les  mots  dont  nous  nous  fomcs 
fervis ,  nous  trouvons  que  nous  nous  fo- 
mes  écartés  de  l'ordre  naturel ,  6c  de  la 
manière  dont  les  autres  homes  conftrui- 
fent  les  mots  quand  ils  veulent  exprimer 
la  même  penfée  ;  c'eft  un  manque  d'exacti- 
tude dans  les  modernes  \  mais  les  langues 
anciènes  autorifent  fouvent  ces  tranfpoii- 
tions  :  ainii  dans  les  anciens  la  tranfpoii- 
tion  dont  nous  parlons  eft  une  figure  rei- 
pedlable  qu'on  apèle  hypalLtge  ,  c'eft-à- 
dire ,  changement,  tranfpofition ,  ou  ren-, 
verfement  de  conftru6tion.  Le  befoiii 
d'une  certaine  mefure  dans  les  vers,  a 
fouvent  obligé  les  anciens  Poètes  d'avoir 
recours  à  ces  façons  de  parler ,  &  il  fauç 

N  iv 


200         LHYFALLAGE, 

convenir  qu'elles  ont  quelquefois  de  la 
grâce  :  auiîi  les  a-t-on  élevées  à  la  dio;nicé. 
d'expreflîons  figurées  j  &:  en  ceci  les  an- 
ciens remportent  bien  furies  modernes  ,  à 
qui  on  ne  fera  pas  de  Iqng-tems  le  même 
lioneur. 

Je  vais  ajouter  encore  ici  quelques 
exemples  de  cette  figure ,  pour  la  fairo 
mieux  conoître.  Virgile  fait  dire  à  Didon  : 

Mxs,.  L  IV.      Et  cùni  frigida  mors  anima  fedûxeric  at tus. 

Apres  que  la  froide  mort  aura  féparé  de  mon 
ame  les  membres  de  mon  corps ^  il  eft  plus  or-^ 
dinaire  de  dire  aura  féparé  mon  ame  de  mon 
corps  :  le  corps  demeure,  &  l'arae  le  quite  -, 
ainfi  Scrviiis  &:  la  plupart  des  comenta- 
teurs  trouvent  une  hypallage  dans  ces  pa- 
roles de  Virgile. 

Le  même  Poète  parlant  d'Enée  &  de 
la  Sibylle  qui  conduifit  ce  héros  dans  les 
enfers,  dit: 

jr    ,  Ibant  obfcùri  folâ  fub  nocte  per  umbsam. 

An.  L  VI.  »^  ■ 

Y-  %6Z.  Pour  dire  qu'ils  marchoient  tout  feuls, 
dans  les  ténèbres  d'une  nuit  fombrc.  Ser- 
vius  &  le  P.  de  la  R  ue  difent  que  c'effc  ici, 
\ine  hypallage  pour  ibant  foli  fub  obfcurOi 
nocie,  "  ' 


L'HYPALLAGE,  soi 

Horace  a  die  : 

Pôcula  lethaeos  m  fi  ducéntia  fomnos  ^^^-  '•"^- 

T,  ,       .  od.  i4.v.i. 

iraxerim. 

Corne  fi  favois  htt  les  eaux  qui  am}nent  k 
fomeil  du  fleuve  Léthé.  11  étoic  plus  naturel 
de  dire  ^ocuU  leth^ea^  les  eaux  du  fleuve 
Léthé. 

Virgile  a  dit  (^iiEnée  raluma  des  feux 
frefijue  éteints. 

,  .     .     .     .    Sopitos  fûfcitat  ignés.  ^n- 1-  v- 

11  n'y  a  point  là  d'hypallage,  c^xfopnos^   '  ^  ' 
Iclon  la  conjlruclioii  ordinaire ,  le  raporte 
à  igaes  :  mais  quand  pour  dire  o^aEnée  ra- 
luma fur   l'autel  d'Hercule  le  feu  prefque 
éteint ,  Virgile  s'exprime  en  ces  termes  : 

.     .     .     .    Hercùleis  fopîras  ignitîus  aras  iEn.Lvnx. 

Excitât.  ^-  ^'^'^' 

Alors  il  y  a  une  hypallage,  car  félon 
la  combinaifon  ordinaire,  il  auroit  dit, 
(X citât  ignés  fopttos  in  aris  hercukis ,  id  eft , 
Hérculi  facris. 

Au  livre  XII .  pour  àlvz^fi au  coîUraire 
Ai ar s  fait  tourner  la  viBoire  de  notre  coté^  il 
s'exprime  en  ces  termes  : 

Sin  noftrum  annûerit  nobis  vidoria  Marteni.        iEn.  I.  xn» 
Ce  qui  cfb  une  hypallage,  félon  Servius.  ^^/^^j^*^ 

ibt4 


202  L'HYPALLAGE. 

HypalUge  :  pro  fin  nofter  Mars  anmîerit 
nobis  vicxoriam  :  fjam  Marum  vicfaria  co- 
miiàttir. 

On  peut  auffi  regarder  corne  une  forte 
d'hypailage ,  cette  façon  de  parler  félon 
laquelle  on  marque  par  un  adjectif,  une 
circonitance  qui  eft  ordinairement  expri- 
mée par  un  adverbe  :  c'eil:  ainfi  qu'au  lieu 
de  dire  qiiE^iée  envoya  promptement  Achate^ 
Virgile  dit  : 

^n.  1. 1.  V. .     .     .     .    Rapidum  ad  naves  pracmîttit  Acliatei» 
^44-  Afcânio. 

Rapidum  eft  ^omx prompt ement ,  en  diligence, 
îbid.  V.  70.      Age  diverfas ,  c'eil-  à-dire  ,  chaflez-ies 
ça  ôc  là. 

Mn.  1. 1. V.      JaiTique  afcendébant  collem  qui  plùrimus  urbi 
*^î*  Imminet. 

P/urimus ,  c*efl  à-dire ,  en  lonj^ ,  une  coline 
qui  domine ,  qui  règne  tout  le  long  de  la 
ville. 

Médius^  fummtés  ,  infimus ,  font  fouvent 

employés  en  latin  dans  un  fens  que  nous 

rendons  par  des  adverbes ,  &:  de  même 

Ter.  Eiin.  nullus  pour  non  :  inémini ,  tam'etfi  nullus  mo' 

^  1. 1.  ic.  ^^^j.   pçj^j^j.  ^^^  moneas^  corne  Donat  l'a  rc- 

marque. 


L'HYPALLAGE.  205 

Par   tous   ces    exemples  011   peut  ob- 
Icrver : 

1 .  Qu'il  ne  faut  point  que  l'hypalLige 
aporte  de  robfcurité  ou  de  l'équivoque  à 
la  penfée.  Il  faut  toujours  qu'au  travers 
du  dérangement  de  conftruction  ,  le  fonds 
de  la  penfée  puifTe  être  auih  facilement 
démêlé,  que  fi  Ton  fe  fût  fervi  de  l'aran- 
c^cment  ordinaire.  On  ne  doit  parler  gue 
pour  être  entendu  par  ceux  qui  conoiilcnt 
le  génie  d'une  langue. 

2.  Ainfi  quand  la  conftrudion  eft  équi- 
voque ,  ou  que  les  paroles  expriment  uu 
fens  contraire  à  ce  que  l'auteur  a  voulu 
dire  j  on  doit  convenir  qu'il  y  a  équivo- 
que, que  l'auteur  a  fait  un  contre-lcns  , 
&  qu'en  un  mot  il  s'eft  mal  exprimé.  Les 
anciens  étoient  homes  ,  &  parconléquent 
fujets  à  faire  des  fautes  come  nous.  Il  y  a 
de  la  petitefTe  &  une  forte  de  fanatiime  à 
recourir  aux  figures  pour  excufcr  des  ex- 
prcffions  qu'ils" condamneroient  eux-mê- 
mes, &  que  leurs  contemporains  ont  fou- 
vent  condânécs.    L'hypallage-  ne    prête 
pas  fon.nom  aux  contre-fcns  £c  aux  équi- 
voques ;  autrement  tout  fcroit  confondu  , 
&  cette  figure  deviendroit  un  afyle  pour 
l'erreur  6c  pour  l'obfcurité. 


Z04         VHYFALLAGE, 

3.  L'hypallage  ne  Te  fait  que  quand  on 
ne  luit  point  dans  les  mots  larangement 
établi  dans  une  langue  j  mais  il  ne  faut 
point  juger  de  larangement  &  de  la  fi- 
gnification   des   mots   dune  langue  par 
rufage  établi  en  une  autre  langue  pour 
expruner  la  même  penféc.  Nous  difons 
en  François,  ;>  me  repens^je  m'aflige  de  ma. 
faute:  je  eft  le  fujet  de  la  propofition  , 
c'eft  le  nominatif  du  verbe  :  en  latin  on 
prend  un  autre  tour,  les  terjnes  de  la  pro- 
pofition ont  un  autre  arangement ,  ;>,  de- 
vient le  terme  de  ladion  ,  ainfi,  félon  la, 
deftination  des  cas ,  ]e  fe  met  à  Tacufatif  ; 
le  fo avenir  de  ma  faute  m'aftige  ,  m'afeB-e 
de  repentir^  tel  eft  le  tour  latin  ,  pœnitet 
me  culp£ ,   c'eft-à-dire ,   recerdatio ,  ratio  , 
refpé^HS ,   vftium  ,   negotium  ,  facîum ,  ou 
\.i,.î.%.v.inalum   culp^  pœnitet  me\  Phèdre  a   dit, 
V'  i     y  '^'^^^•^^^'^''^^^'^  pour^^f»///^/   res  cihi  pour 
^■,^'  ''^'^'  cibus.  Voyez  les  obfervations   que  nous 
avons  faites   fur   ce  fujet  dans  la  fyn- 
taxc. 

Il  fl*y  a  donc  point  d'hypallage  dans 
pœnitet  me  culpji  ^  m  dans  les  autres  façons 
de  parler  fcmblables  ;  je  ne  crois  pas  non. 
plus,  quoi  qu*cn  difent  les  Comenta- 
^eurs  d'Horace,  qu'il  y  ait  une  byp^K 


I  LHYPALLAGE.  ±ts 

iagc  dans  ces  vers  de  l'Ode  17.  du  livré 
premier. 

Vclox  amœnum  fncpè  Lucrétilem 
Mutât  Lycaeo  Faunus. 

C'eft-à-dire  ,  que  Faune  prend  fouvent 
en  échange  le  Lucrécile  pour  le  Lycée,  il 
vient  fouvent  habiter  le  Lucrétile  auprès 
de  la  maifon  de  campagne  d'Horace ,  de 
quite  pour  cela  le  Lycée  fa  demeure  ordi- 
naire. Tel  eft  le  fens  d'Horace ,  corne  U 
fuite  de  Code  le  done  nécejpiircment  a  enten- 
dre» Ce  font  les  paroles  du  P.  Sanadon  ,  Tom.  r.  p. 
cjui  trouve  dans  cette  façon  de  parler  ^  J79- 
tme  vraie  hypallage  ou  un  renvcrfemcm  de 
confiruciion^ 

Mais  il  me  paroît  que  c'efi  juger  du 
latin  parle  François,  que  de  trouver  une 
hypallage  dans  ces  paroles  d'Horace , 
Lucrétilem  mutât  Lyc£o  Faunus,  On  co- 
mence  par  atacher  à  mutâre  la  même  idée 
que  nous  atachons  à  notre  verbe  changer  ; 
doner  ce  qu'on  a  pour  ce  cjuon  na  pas  -^  en- 
fuite  ,  fans  avoir  égard  à  la  phrafe-latine , 
on  traduit ,  Faune  change  le  Lucrétile  pour 

*  Voyer  les  remarques  du  P.  Sanadon  ,  à  l'ocafion  de 
îyHcana  niutet pafcuis,  vers  18.  de  l'OJc  Ibis^kttrnis.  Pod' 
lies  d'Horace,  tom.  I.  page  17;. 


206  VHYPALLAGÈ. 

le  Lycée  :  6c  corne  cette  exprefîion  fîgnifîc  * 
en  françois ,  que  Faune  paUe  du  Lucrétile 
au  Lycée  ,  t<.  non  du  Lycée  au  Lucrétile, 
ce  qui  eft  pourtant  ce  qu'on  fait  bien 
qu'Horace  a  voulu  dire,  on  eft  obligé 
de  recourir  à  l'hypallage  pour  fauver  le 
contre-fens  que  le  françois  feul  préfente; 
Mais  le  renverfeinent  de  conftrut^ion  né 
doit  jamais  rcnverfer  le  fens,  come  je 
viens  de  le  remarquer  ;  c'eft  la  phrafe 
même,  &;  non  la  fuite  du  difcours, 
qui  doit  faire  entendre  la  penfée  ,  fi  ce 
n'effc  dans  toute  fon  étendue ,  c'eft  au 
moins  dans  ce  qu'elle  préfente  d'abord  à 
l'efprit  de  ceux  qui  favent  la  langue. 

jugeons  donc  du  latin  parle  latin  mê- 
me ,  ôc  nous  ne  trouverons  ici  ni  contre- 
fens  ni  hypallage ,  nous  ne  verrons  qu'une 
phrafe  latine  fort  ordinaire  en  profe  6c 
en  vers. 

On  dit  en  latin  donàre  mûnera  aïicui  y 
doner  des  préfens  à  quelqu'un ,  &  i'ori 
dit  aulli  do?: are  aliquem  mûnere ,  gratifier 
quelqu'un  d'un  préfent:  on  dit  également 
ctrcâmdare  urbem  mœnihus  ^  &  circmndaré 
wœnia  urbi  ,*  de  même ,  on  fe  fert  de  mu- 
tdre ,  foi*  pour  doncr,  foit  pour  ptendré 
%uie  choie  au  lieu  d'une  autrej 


L'HVPALLAGE.  207 

Muto,  difent  les  Etymolo^iftes,  vient  ^^"^^  ^'^^^ 
e  motu  :  mutare  quali  motare,  L  anciene 
manière  d'aquérlr  ce  qu'on  n'avoir  pas  y 
fe  fefoit  par  des  échanges,  de  là  muto  fi- 
gnitie  également  achcttr  ou  'vendre^  fren- 
dre  ou  doner  quelque  chofc  au  lieu  d'une 
autre  ,  cmo  aut  "vendo  ,  dit  Martinius ,  &  il 
cite  Columelle,  qui  a  dit  porcus  L^cfeus 
,ere  mutandus  efl,  il  faut  acheter  un  cochon 
de  lait. 

Ainfi,  mutât  Lucrhilem ,  fignifie  vient 
prendre,  vient  polîëder ,  vient  habiter  le 
Lucrétile  ,  il  achète,  pour  ainfî  dire,  le 
Lucrétile  par  le  Lycée. 

M,  Dacier ,  fur  ce  paflage  d'Horace  ^ 
remarque  o^vi  Horace  parle  Joiivent  de  même^ 
^  je  fdi  bic/t ,  ajoute-t-il,  ^ue  ^uc/^ues  hij- 
toriens  l'om  imité. 

Lorfqu'Ovide  fait  dire  à  Médée  qu'elle 
voudroit  avoir  acheté  Jafon  pour  toutes 
les  richelFes  de  l'Univers  ,  il  fe  fert  de 
muîa/e, 

Quemque  ego  cam  rébus  quas  totus  poffidec  orbis  Mer,  1.  vu- 
i£f6niden  mutalfe  velim.  v-\5?- 

Où  vous  voyez  que  corne  Horace ,  Ovide 
emploie  mutàrt  dans  le  fens  à'aauêrir  ce 
<l^uQn  nu  pas  ,  de  prendre ^  d'acheter  uns 


208        Lhypallagë. 

Tom.  I.  chofe  en  en  donant  une  autre.  Le  P.  Sanadon 
P*  *''^*  remarque  qu'Horace  s'ejft  fouvent  fervi  de 
rnutàre  en  ce  fens ,  ■muta.vit  lugubre  jagum 
fimico ,  *  pour  ptmicurn  fagum  lâgubri  :  mu- 
îet  lucana  caLihris  pâfcms ,  *  ^  pour  cdlahra 
fafcua  lucanis  :  mutât  uvam  Jlrtgili  ,  "^  "^  ^ 
^ouï  Jlrîgîlim  ttvâ. 

L'uflige  de  mut  are  aliquid  aliquâ  re  dans 
le  fens  de  prendre  en  échange  y  ell  trop  fré- 
quent pour  être  autre  chofe  qu'une  phrafc 
latine ,  coaie  donare  âlïquem  alicjuâ  re ,  gra- 
tifier quelqu'un  de  quelque  chofe  ;  bc  cir- 
cumdare  mœnia  urhi ,  doncr  des  murailles 
à  une  ville  tout  autour,  c'eft- à-dire,  en- 
tourer une  ville  de  murailles  :  l'hypallagé 
ne  fe  met  pas  ainfi  à  tous  les  jours. 


XIX. 

L'  O  N  O  M  A  T  O  P  e'  E. 


o^o,MaTc-T   'Onomatopée  eft  une  figure  pair  la- 
'^"'^*^'^~lj  quelle  un  mot  imite  le  fon  naturel 

mims  Jeu    -»— •    1        ^  -  /  1     •     r 

voc'dbuii     de  ce  qu  il  lignine.   Un  réduit  lous  cette 
fiato  :  for-  f^aure  les  mots  formés  par  imitation  du 

d'uamo:.        *  l.  ^.  Od.  ix. 
**  L.  V.  Od.  I. 

^**  L.  IX.  Sai.  vil.  V.  iio. 

ion  \ 


VONOMATÛ  PÉE.        109 

ibil  ;  comc  le  glouglou  de  la  bontcille  :  te  cli- 
éfuetis  ^  c'eft  à-dire ,  le  bruit  (}ùe  font  les 
boucliers,  les  épées ,  Se  les  autres  armes 
en  fe  choquant.  Le  tricïrac  qu'on  apcloic 
autrefois  uBac  ;  forte  de  jeu  aflez  comun , 
ainli  nomé  du  bi*uitque  font  les  dames  61 
les  dés  dont  on  fe  fert  à  ce  jeu  :  Tinnhus 
œr'îs ^  tintement  j  c'eft  le  Ton  clair  ÔC  aigu 
des  métaux.  Bilhne ybilbit  amphora\  là  pe- 
tite bouteille  fait  glou-glou ,  on  le  dit 
d'une  petite  bouteille  dont  le  goulot  eit 
étroit.  Taratmtara  y  c'eil  le  bruit  de  la 
ti-ompète. 

At  tuba  terribili  fonitu  taratantara  dixic. 

C'eft  un  ancien  vers  d'Ennius  ,  au  raport 
de  Servius.  Virs^ile  en  a  chang-é  le  dernier 
hémiftiche  ,  qu'il  n'a  pas  trouvé  allez  di-J 
gne  de  la  poeiie  épique  j  voyez  Serviué 
lur  ce  vers  de  Virgile  : 

Ar  tilba  terribileni  fonitùm  procul  aère  canoro       Kw.  i.  ix: 
Incrcpific. 

Cachmnus^,  c'efl:  un  rire  immodéré,  Cj- 
chinno ,  onis ,  fe  dit  d'un  home  qui  rit  fans 
retenue  ;  Qts>  deux  mots  font  formés  du 
fôn  ou  du  bruit  que  Ton  entend  quand 
quelqu'un  rit  avec  éclat, 

& 


V.  J05, 


210       VONO  MA  TOPEE. 

Il  y  a  au(îî  plufîeurs  mots  qui  exprirnenC 
le  cri  des  animaux,  corne  hêler,  qui  fe  dit 
des  brebis. 
Lucr.  1. 5.  Banbdri ,  aboyer  ,  fe  dit  des  gros  chiens. 
'^°^^*  Latrare,  aboyer,  hurler,  c'eft  le  mot  gé- 
nérique. Mtiure  ^  parler  entre  les  dents, 
murmurer,  gronder,  corne  les  chiens  :  ma 
canum  eft,  undè  nmtire  ^  dit  Charilius. 

Les  noms  de   plufîeurs  animaux  font 
tirés  de  leurs  cris,  fur-tout  dans  les  lan- 
gues originales. 
Upupa^  Hupe,  Hibou. 
Cucidus  ,  qu'on  prononçoit  coucoîdous  ,  un 
Coucou ,  oifeau.  ' 

Hirtmdo  ^  une  Hirondèle. 
Ululd ,  Chouète. 
Btiho  ^  Hibou. 
Gracculus  ,  un  Choucas ,  cfpèce  de  Cor* 

neille. 
GaUma,  une  Poule. 

Cette  figure  n'eft  point  un  trope,  puif- 
que  le  mot  fé  prend  dans  le  fens  propre: 
mais  j'ai  cru  qu'il  n  étoit  pas  inutile  de  la 
ïemarquer  ici. 


X  r  r 

XX. 

Qjùtn  même  mot  peut  être  doublement 
figuré. 

IL  cil  à  obferver.quc  fouvent  un  mot 
eft  doublement  figuré  ;  c'eft-à-dire, 
qu'en  un  certain  fens  il  apartient  à  uii 
certain  troDe  ,  ôc  qu'en  un  autre  fens  il 
peut  être  rangé  lous  un  autre  trope.  Oïl 
peut  avoir  fait  cette  remarque  dans  quel- 
ques exemples  que  j'ai  déjà  raportés. 
Quand  Virgile  dit  de  Bitias  ,  que  fknofe 
proluit  àuro^  nmo^  fe  prend  d'abord  pour  la 
coupe,  c'eft  une  fynecdoque  de  la  matière 
pour  là  chofe  qui  erl  eft  taite,-  enfuite  la 
coupe  fe  prend  pour  la  liqueur  qui  étoic 
contenue  dans  cette  coupe  :  c'eft  une  mé- 
tonymie du  corltenant  pour  le  contenu. 

Nota-^  marque  ,  figne  ,  le  dit  en  gêné- 
t'ai  de  tout  ce  qui  fcrt  à  cOnoître  ou  re-- 
marquer  quelque  chofe  :  mais  lorfque 
nota^  [note)  fe  prend  pour  dédecus  ,  mar- 
qué d'infam.ie,  tache  dans  la  réputation  , 
comc  quand  on  dit  d'un  militaire,  ils'ejl 
enfui  en  une  telle  ocafion  ,  c\ft  une  notc^  il  y 
a  une  métaphore  &:  une  fynecdoque  dans 
cette  façon  de  parler. 

Oi) 


ail         MEME    MOT,  &c 

■Il  y  a  métaphore,  puifque  cette  ^{)te 
neil  pas  une  marque  réèle,  ou  un  figne 
feniibie,  qui  foit  lur  la  perfone  donc  ou 
parle  j  ce  nciï  que  par  comparaifon  qu'on 
le  ferc  de  ce  mot,  on  done  à  î2ou  un  fens 
fpirituel  &  métaphorique. 

Il  y  a  fynecdoque,  puifque  f^ou  eO:  ref- 
trainc  à  la  (ignitication  particulière  de 
tache  ^  dédccus. 

Lorfque  pour  dire  qu'il  faut  faire  péni- 
tence &;  réprimer  Tes  palTions,  on  dit  qu'i/ 
fûHi  moïtifitr  la  chair  j  c'eft  une  exprellion 
figurée  qui  peut  fe  raporter  à  la  fynec- 
doque &:  à  la  métaphore.  Ch^ir  ne  fc 
prend  point  alors  dans  le  fens  propre,  ni 
dans  toute  fou  étendue  j  il  fe  prend  pour 
le  corps  humain,  &.  fuç-tout  pour  les  pdf- 
fions,  les  fens:  ainli  c'eft  une  fynecdo- 
que \  mais  mortijîer  eft  un  terme  métapho- 
rique ,  on  veut  dire  qu'il  faut  éloigner  de 
nous  toutes  les  délicatefîes  fenfibles  -,  qu'il 
faut  punir  notre  corps ,  le  fevrer  de  ce  qui 
le  flate,  afin  d'afoiblir  l'apétit  charnel, 
la  convoitife ,  les  paffions ,  les  loumettre 
à  l'efprit  ,  &.  pour  ainii  dire,  les  faire 
mourn". 

Le  changement  d'écit  par  lequel  un  ci- 
toyen romain  pcrdoit  la  liberté ,  ou  aloiî: 


-  MEME  MOT,  érc  215 
en  ëxil ,  ou  changcoit  de  famille ,  s'ape- 
loic  capitis  miniitio  ,  diminution  de  cêce  v 
c'eft  encore  une  exprelïion  métaphorique  ^  . . 
qui  peut  auffi  être  raportée  à  la  fynecdo-  ^  .1  .nA 
que.  Je  crois  qu'en  ces  ocafibns  on  peut 
s'épargner  la  peine  d'une  exactitude  trop 
recherchée ,  hc  qu'il  fufit  de  remarquer 
que  Texprcllion  eft  figurée,  &:  la  ranger 
fous  l'efpèce  de  trqpè.auquel  elle  a  le  plus 
de  raport. 


XX. 

^e  U  fubordination  des  Tropes ,  ou  du  rang 
(juils  doivent  tenir  les  uns  à  P égard  des 
autres  ,  &  dt  leurs  caractères  particu- 
liers,, 

OUintilien  dit  *  que  les  Grammai- 
riens aulli-bien  que  les  Philofophes 
disputent  beaucoup  entre  eux  pour  fa  voir 
combien  il  y  a  de  diférentes  clafles  de 
tropes,  combien  chaque  clafle  renferme 

d'cfpè.çes.particLilières,  6c  enfin  (^uel  eft 

■  ■'  »  .   ^ 

*  Cîrca  quem  (  tropum  )  inexplîcâbilîs  ,  5c  Gtammâticis 
intcr  ipfos  ,  &  Philoûaphis  pugna  cft  ;  qua;  fuit  gcnera  , 
qjia,'  fpccies  ,  quis  nùiperus  ,  quis  cvji  fubjiciâçur.  Quint, _ 
liifr,  Orat.  1.  VIII.  c.  ^. 

Oiii 


ZI4    SUBORDIN4TîON,&c. 

Tordre  qu'on  doit  garder  entre  ces  clafïès 

ô:  ces  efpèccs, 

inft.Oiat.      Vofîîiis  foutienr  qu'il  n  y,  a  que  qua- 

\ï7 ^  &^  ^'''^  tropes  principaux,  qui  font  la  Méta- 

X.  art  I.     phore,  la  Métonymie  ,  la  Synecdoque  6c 

l'Ironie  \  les  autres ,  à  ce  qu'il  prétend  ,  fc, 

raportent  à  ceux-là  cotne  les  eîpèccs  au^c 

genres  :  mais  toutes  ces  difcuflions  font 

afr,"z  inutiles  dans  la  pratique,  &  il  nç, 

faut  pç):nt  s'amufer  à  des  recherches,  çpx 

fouvent  n'ont  aucun  objet  certain.  ' 

■  Toutes  les  fois  qu'il  y  a  de  la  diférence 

dans  le  raport  naturel  qui  donc  lieu  à  la 

lignification  empruntée  ,  on  peut  dire  que 

l'exprelîîon  qui  eft  fondée  iur  ce  mport 

spartient  à  un  trope  particulier. 

C'eft  le  raport  de  rcflemblance  qui  ed 
le  fondement  de  la  catachrèfe  &.  de  la  mé- 
taphore j  on  dit  au  propre  une  feuille,  et  ar- 
bre ,  6c  par  catachrèîe  une  feuille  de  papier  ^ 
parce  qu'une  feuille  de  papier  eft  à  peu 
près  aufîi  mince  qu'une  feuille  d'arIjre.La 
catachrèfe  ell  la  première  efpèce  de  nié- 
taphore.  On  a  recours  à  la  catachrèfe  par 
nécellité,  quand  on  ne  trouve  point  de 
mot  propre  pour  exprimer  ce  qu'on  veut 
dire.  Les  autres  efpèces  de  métaphores  fe 
font  par  d'autres  mouvemens  de  rimacci- 


DES  TROPES.  115 

nation  qui  ont  ton  jours  la  reiïemblance 
pour  iondement. 

L'ironie  au  contraire  eft  fondée  fur  un 
raporc  d'opolition ,  de  contrariété ,  de  di- 
férencc  ,  &. ,  pour  ainii  dire  ,  fur  le  con- 
trarte  qu'il  y  a,  ou  que  nous  imaginons 
entre  un  objet  &  un  autre  ^  c'eft  ainfi  que 
Boileau  a  dit,  Qu'tnauh  efl  ttn  l^irgile.         Satyre ix. 
-.    La  métonymie  cC  la  fynecdoque ,  auflî- 
bien  que  les  figures  qui  ne  font  que  des 
efpèces  de  l'une  ou  de  l'autre,  font  fon- 
dées fur  quelque  autre  forte  de  raport  qui 
n'eft  ni  un  raport  de  redemblance  ,  ni  un 
raport  du  contraire.  Tel  efb ,  par  exemple, 
le  raport  de  la  caufe  à  l'éfet  j  ainfi  dans  la 
métonymie  ôc  dans  la  fynecdoque  les  ob- 
jets ne  font  confidérés  ni  come  fcmbla- 
bles,  ni  come  contraires,  on  les  re^-ardc 
feulement  come  ayant  entr'eux  quelque 
relation  ,  quelque  liaifon  ,  quelque  forte 
d'union  -,  mais  il  y  a  cette  diférence  ,  que , 
dans  la  métonymie  ,  l'union  n'empêche 
pas  qu'une  cliofe  ne  fubfifle  iniépendan- 
ment  d'une  autre;  au  lieu  que,  dans  la 
fynecdoque,  les  objets  dont  l'un  eft  dit 
pour  l'autre,  ont  une  liaifon  plus  dépen-  pageio<î. 
dante,come  nous  l'avons  déjà  remarqué, 
l'un  el\  compris  fous  le  nom  de  l'autre , 

Oiv 


ii^      SUBORDINATION- 

ils  forment  un  enfemble,  un  tout  ;  par - 
exemple ,  quand  je  dis  de  q.ueiqu'un,  quU 
a  lu  Cicéron^  Horace  y  Virgile  y  au  lieu  de. 
dire,  les  ouvrages  de  Cicéron  ^  ôcc  ,  je  prens 
la  caufe  pour  Tëfec,  c'efl  le  raporc  qu'il  y 
a  entre  un  auteur  &  Ton  livre ,  qui  eft  le 
fondement  de  cette  façon  de  parler ,  voilà 
yne  relation,  mais  le.  livre  (ubflfte  fans 
Ibn  auteur,  &  ne  forme  pas  un  tout  avec 
lui }  au  lieu  que  ,  Iprfque  je  dis  cent  voiles 
pour  cent  vaijjeaux  ,  je  prens  la  partie  pour 
le  tout,  \q.s  voiles  iont  néceiïaires  à  un 
vallîcau  :  il  en  eft  de  même  quand  je  dis 
Q^on  a  payé,  tant  par  tète ,  la  tête  eft  une 
partie  ellentièle  à  l'home.  Enfin  dans  la 
fynecdoque  il  y  a  plus  d'union  &  de  dé- 
pendance entre  les  objets  dont  le  nom  de 
l'un  fe  met  pour  le  nom  de  l'autre,  qu'il 
n'y  en  a  dans  la  métonymie. 

L'alluliQn  fe  fert  de  toutes  les  fortes  de 
relrTtions,  peu  lui  importe  que  les  termes 
conviènerjt  ou  ne  conviènent  pas  entre 
eux,  pourvu  que  par  la  liai fon  qu'il  y  a 
entre  ies  idées  accefloires ,  ils  réveillent 
ççlle  qu'on  a  eu  deflèin  de  réveiller.  Les 
circonfÉances  qui  acompagnent  le  fens  li- 
béral des  mots  dont  on  fe  fert  dans  l'allu- 
fion  5  nous  font  cpnoître  que  ce  fens  Ucé- 


DES    TROP  ES.  117 

rai  n'efl  pas  celui  qu'on  a  eu  dcfîeiii 
d'excicer  dans  notre  elorit,  &  nous  dé- 
voilent  facilement  le  Icns  figuré  qu'on  a 
Voulu  nous  taire  entendre. 

L'euphémifme  eft  une  efpèce  d' ilki- 
fion,  avec  cette  ditérence  ,  qu'on  cherche 
à  éviter  les  mots  qui  pouroient  exjiter 
quelque  idée  trifte ,  dure ,  ou  contraire  à 
la  bienféance. 

Enfin  chaque  efpèce  de  trope  a  Ton  ca- 
raiflère  propre  qui  le  dii-tingue  d'un  au- 
tre, corne  il  a  été  facile  de  le  remarquer 
par  les  obfervations  qui  ont  été  faites  fur 
chaque  trope  en  particulier.  Les  perfones 
qui  trouveront  ces  oblervations  ou  trop 
abftraites ,  ou  peu  utiles  dans  la  pratique , 
pouront  fe  contenter  de  bien  lentir  pac 
Ics  exemples  la  diférence  qu'il  y  a  d'un 
trope  à  un  autre.  Les  exemples  les  mé-^ 
nerpnt  infenfiblement  aux  obfervations. 


2l8 

X  X  I  I. 

I .  Des  Tropcs  dont  on  na  point  parle. 

I I.  Variété  da'iis  U  dénomination  desTropcs. 

I.  ^^^Ome  les  figures  ne  font  que  des 
V^  manières  de  parler  qui  ont  un  ca- 
ractère particulier  auquel  on  a  doné  un 
nom  j  que  d'ailleurs  chaque  force  de  fi- 
gure peut  être  var  èe  en  plulieurs  manières 
diférentes ,  il  eft  évident  que  fi  Ton  vient 
à  obferver  chacune  de  ces  manières ,  ôc 
à  le  ir  doner  des  noms  particuliers  ,  on  en 
fera  autant  de  figures.  De  la  les  noms  de 
mimé  fis  ,  âpophajïs  ,  catàphajis ,  ajldfmus  , 
mycfi'rifmus ,  charientïjrniis  ,  diafyrrnus ,  far- 
cafmus  ^  êc  autres  pareils  qu'on  ne  trouve 
guère  que  dans  les  ouvrages  de  ceux  qui 
Tes  ont  imaginés. 

Les  expreliions  figurées  qui  ont  doné 
lieu  à  ces  fortes  de  noms ,  peuvent  aifé- 
ment  être  réi'.iites  fous  quelqu\]ne  des 
clafies  de  tropes  dont  j'ai  déjd  parlé.  Le 
farcafme  ^  par  exemple  ,  n'eft  autre  chofe 
qu'une  ironie  faite  avec  aigreur  6c  avec 
emportement.  ^  On  trouve  l'infini  par- 

*  Eft  aurcm  farcâfmus  hoftilis  irrifio , . .  cum  c^uis  mor- 


VARIETE\&c.  îï^ 

çout  :  mais  quand  une  fois  on  eft  par- 
venu au  point  de  divifion  où  ce  qu'on 
divife  n'cll:  plus  palpable,  c'ell:  perdre 
fon  cems  6c  fa  peine  que  des*amufer  à  di- 
vife r. 

IL  Les  auteurs  donent  quelquefois  des 
noms  diférens  à  la  même  cfpèce  d'cx- 
preiîion  figurée,  je  veux  dire,  que  l'un 
ix^hlc  hypdUage  ^  ce  qu'un  autre  nome  mé- 
tonymie :  les  noms  de  ces  fortes  de  figures 
étant  arbitraires  ,  êc  quelques-uns  ayant 
beaucoup  de  raport  à  d'autres  ,  félon  leur 
étymologie  ,  il  n'cft  pas  éconant  qu'on  les 
ait  fouvent  confondus.  Ariftotc  done  le 
nom  de  métaphore  à  la  plupart  des  tropes 
qui  ont  aujourd'hui  des  noms  particuliers-, 
Arifl-ottks  ïfîa  omnia  traflationcs  'vocat.  Ci  -  Ck.  Orat. 
çéron  remarque  au(îi  que  les  Rhéteurs  no-  ""  ^^'  '*'* 
ment  hypallage  la  même  figure  que  les 
Grammairiens  apèlent  métonymie.  *  Au- 
jourd'hui que  ces  dénominations  font  plus 
déterminées  ,  on  do.t  fe  conformer  fur  ce 
point  à  l'ufage  ordinaire  des  Grammai- 

■fis  labris  fubfânnat  âlium  .  . .  irrifio  qux  fiât  diiudis  la- 
biis  ,  oftenfâquc  déntium  came.  VôJJias  ^  Inft.  Orat.  1.  iv. 
c.  r  5.  De  Sarcafmo. 

*  Hanc,  hypâllac^en  Rhétores,  quia  quafi  fummutântur 
verba  pro  vcrbis  ;  metoavmiam  Grammatici  vocant,  quôd 
uômiiu  transfcrûiuur.  Cieero ^  Oikiox.  n.  j  j.  Aliter  x\\i\. 


ter  XXV  u^ 


aïo        DES   TROPES.éc, 
riens  ^  des  Rhéteurs.  Un  de  nos  Poètes 


a 


dit: 


Leurs  cris  rempUirent  l'air  de  leurs-tendres  fouhaits. 

Selon  Ici  conftruccion  ordinaire,  on  dirok 
plutôt  que  ce  font  les  fouhaits  qui  fonc 
poufTcr  des -cris  qui  rerenti{ïènt  dans  les 
airs.  L'aute'iiV  du  Dicbionaire  Néologique 
done  à  cette  expreiîion  le  nom  de  méta- 
thèCe  :  les  façons  de  parler  femblables 
qu'on  trouve  dans  les  anciens  ,  font  ape- 
lées  des  hypailages  :  le  mot  de  métathefe 
n'eft  guère  d'ufage  que  lorfqu'il  s'agit 
d'une  tranfpoiit.on  de  lettres.  "^ 

M.  Gibert  nous  fournit  encore  un  Bel 
exeinple  de  cette  variété  dans  les  dénomi- 
Dations  des  figures ,  il  apèie  métaphore  *  ^ 

*  M  T.-v'Çîc/c,  mucâtio,  feu  tranfporitio ,  ur  Evantir*- 
ipxoEvander 'ylymbre^ïo  TymI/er,  Ij^Jor.  liv.  i.  c.  J4. 

Meràchefis ,  (  apud  Rhétoies  )  eiî:  figura  aux  mittit-aiii- 
mos  jûdicum  in  res  pra;:én:as  aatfutûras,  noc  modo  :  lie- 
"jocâte  mentes  dd  fpectacHlum  expiipiâts,  mijers,  civitdtis  , 
&c  :  in  fucùium  aiicem  eft  aiicicipâcio  eôrum  quacdiétu.-» 
rus  eft  adverfârius.  Idem.  1.  1.  c.  zi.  ..,« 

**  M.  Giberc  a  fuivi  en  ce  point  la  divifion  d'Arîftote  ,  ' 
il  ne  s'eft  écarte  de  ce  Pliilofophe  que  dans  les  exemples. 
Voici  les  paroles  d'Ariftote  dans  (aPo'dnque,  c.  xxi.  &: 
félon  M.  Dacier  c.  xxii.  Je  me  fervirai  de  la  traduétÏDn 
de  M.  Dacier. 

M  La  métaphore,  dit  Ariftotc ,  eft  un  tranfport  d'un  nom 
>»  qu'on  tire  de  fa  fignification  ordinaire.  Il  y  a  quatre  fortes 
-■«•de  métaphores  :  celle  du  genre  à  fefpèce,  celle  de  f  efpècç 


FA  RI  ET  E\  de.  22t 

ce  que  Quintilieii  "^  6c  les  antres  no- 
menc  antonomafc ,  »  Il  y  a  ,  dit  M.  Gibert,  Pv.Ketor, 
«quatre  elpèces  de  métaphores;  la  pre-^"-^^^* 
î>  mière  emprunte  le  nom  du  genre  pour 
'!>  le  doner  à  refpècc,  corne  quand  on  dic^ 
•i-^  Y  Orateur  pour  Ciccrcn ,  ou  /^  Philo  fophe 
-^-i  ^ouï  Ari/foîc.  «  Ce.  font- là  cependant 
les  exemples  ordinaires  que  les  Rhéteurs 
douent  de  l'antonomafe  :  mais,  après 
tout,  le  nom  ne  fait  rien  à  la  chofe  ;  le 
principal  efl:  de  remarquer  que  l'expreffion 
cil  figurée,  c-C  en  quoi  elle  cQ;  figurée. 

33  au  genre  ,  celle  de  l'efpèce  à  l'efpcce,  &  celle  qui  ePc  foft- 
»  dée  fur  l'analogie.  J'apèie  métaphore  du  genre  àl'efpèce, 
y>  comt  ce  vers  d'Homère  ;  Mon  vAiffeetu  s  efl  arètc  loin  de 
y»  la  ville  dans  le  port.  Car  le  mot  i" arétert\\.  un  terme  z^'-''^^- 
«  rique,  &  il  l'a  apliqué  a  l'efpèce  pour  dire  être  dans  leport. 

'Voici  la  remarque  que  M.  Dacier  fait  enfuire  fur  ces  pa- 
roks  d'Ariftote  :  33  Quelques  anciens  ,  dit-il ,  ont  condané 
>3  Ariftote  de  ce  qu'il  a  mis  fous  le  nom  de  métaphore  les 
»  deux  premières  qui  ne  font  proprement  que  des  fyaecdo- 
3:>ques  ;  mais  Ariftote  parle  en  général ,  &  il  écrivoic  dans 
53  un  tems  où  l'on  n'avoir  pas  encore  rafîné  fur  les  figures 
33  pour  les  diftingucr,  &  pour  leur  doner  à  chacune  le 
33  nom  qui  en  auroit  mieux  expliqué  la  nature.  D.-icier^ 
33  Pocdque  d'Ariftote  ,  page  ?4î. 

*  A'/rao^aî/a:,  qu£  âliquid  pro  nomine  ponit,  poéti";  fre- 
quentiflîma. . .  Oratôiibus  étiam  lî  rarus  ejus  rei,  non  nnl- 
îus  tamen  ufus  eft:  nam  ut  Tydiden  Se  Pciiden  non  dixs- 
rint ,  ità  dixérunr  everfôrem.  Carthâginis  &  Numandx  pro 
Scipiône  5  &  romans  cloquéntir  principem  pro  Cicerônd 
poruiflcuondùbitani;.  Qjunttl.  Inft.  Orat.  1.  viii.  c.  6. 


122 


XXIII. 

Qjtc  Vufage  &  l'ahïis  des  Trop  es  font  de  toui 
Us  tems  &  de  toutes  les  langues, 

UNe  même  caufe  dans  les  mêmes  cir- 
conftances  produit  des  éfets  fembla- 
bles.  Dans  tous  les  tems  &  dans  tous  les 
lieux  ou  il  y  a  eu  des  homes,  il  y  a  eu  de 
Timagination ,  des  pallions ,  des  idées  ac- 
ceffoires,  &.  par  conféqucnt  des  tropes. 

Il  V  a  eu  des  tropes  dans  la  langue  des 
Chaldéens.  dans  celle  des  Egyptiens,  dans 
celle  des  Grecs  &:  dans  celle  des  Latins  : 
DQ  en  fait  ufage  aujourd'hui  parmi  les  peu- 
ples même  les  plus  barbares,  parce  qu'erl 
tin  mot  ces  peuples  font  des  homes,  ils 
ont  de  l'imagination  &  des  idées  accef- 
ioircs. 

11  efl  vrai  que  telle  exprefîion  figurée  ert 
particulier  n'a  pas  été  en  ufage  par-tout  \ 
mais  par-tout  il  y  a  eu  des  expreiîions  fi- 
gurées. Quoique  la  nature  foit  uniiorme 
dans  le  fonds  des  chofes  >  il  y  a  une  va- 
riété infin:e  dans  Texécution,  dans  l'apli- 
cation ,  dans  les  circonilances ,  dans  les 
manières; 


^ 


FA  RI  ET  E\  &c.  22^ 

Àinfî  nous  nous  fervons  de  tropes  ,  non 
parce  que  les  anciens  s'en  font  f ervis  ;  mais 
parce  que  nous  fomes  homes  come  eux. 

Il  ell  diiîcile  en  parlant  &.  en  écrivant ^ 
d'aporter  toujours  l'atention  &  le  difcer- 
nement  néceilaires  pour  rejeter  les  idées 
accellbires  qui  ne  conviènent  point  au  fu- 
jet,  aux  circonftances,  Se  aux  idées  prin- 
cipales que  l'on  met  en  œuvre:  de  là  il 
eil:  arive  dans  cous  les  tems ,  que  les  écri- 
vains fe  font  quelquefois  fervis  d'expref- 
fions  figurées  qui  ne  doivent  pas  être  prî- 
fes  pour  modèles. 

Les  règles  ne  doivent  point  être  faites 
fur  l'ouvrage  d'aucun  particulier,  elles 
doivent  être  puifées  dans  le  bon  fens  6c 
dans  la  nature  ;  &  alors  quiconque  s'en 
éloigne  ne  doit  point  être  imité  en  ce 
point.  Si  l'on  veut  former  le  goût  des  jeu- 
nes gens,  on  doit  leur  faire  remarquer  les 
défauts ,  aulFi-bicn  que  les  beautés  des  au- 
teurs qu'on  leur  fait  lire.  11  eft  plus  fa- 
cile d'admirer,  j'en  conviens  ^  mais  une 
critique  fagc,  éclairée,  exemte  depalîioa 
&  de  t-anatifme  ,  efl  bien  plus  utile. 

Ainfi  l'on  peut  dire  que  chaque  (iècle 
a  pu  avoir  Tes  critiques  Se  Ton  Diclionaire 
écologique.  Si  quelques  perfoncs  difcnt 


p-H        ^^S   TROPES,  &c. 
aujourd'hui  avec   raifon  ou  fans  fonde- 
Didicn.  ment ,  qu'//  règ^/e  dans  le  langage  une  afec- 

Neologi-    f^^ioy^  piîérHc  :  qtic  kftyte  frivole  ôr  recherché 

pajje  jnfqu  au>c    nibiinaux  les  ■plus  gradues  j 

Cicéron  a  fait  la  même  plainte  de  fou 

Orat.  n.  tems  :  E/l  cntm  cjuoddam  eùam  insigne  O'fio^ 

^6.  aliter.  ^.^^^^  oratïonis ^  ficium^  &  expûlùum  genu^  ^ 
in  cfno  omnes  'verbonim ,  omnes  fentcnttârum 
rlligaijîur  Icjroref.  Hoc  îotum  è  fophijldrum 
fontihus  dtjiuxît  in  forum  ^  &c. 

->■>  Au  plus  beau  (iècle  de  Rome ,  c'eft- 
î5  à  dire ,  au  iiècle  de  Jules  Célar  &  d'Au- 
«guile,  un  auteur  a  dit  infantes  ftâtuas  ^ 

LeP.Sana-"pour  dire  des  flatues  non  vêlement  fai- 

don ,  Poëf.  ,5  j;£s  ;  ,^,j-j  autre,  que  Jupiter  crkchoït  la 

IL  p.  154.   »  nege  lur  les  Alpes. 

L  1  Sat  f       Jupiter  hibernas  canâ  nive  confpuic  Alpes; 

V.  40.  Horace  fe  moque  de  l'un  &  de  l'autre  dé 
ces  auteurs  ;  mais  il  n'a  pas  été  exemt  lui- 
même  des  fautes  qu'il  a  reprochées  à  ies 

Le  P.  Sana- contemporains.  //;^^  refle  à  la  plupart  des 

(ion  ,  Pref.  Gomcntatcurs  S  autre  liberté  que  pour  loaer^ 

P^g-^"-  pQJ^y  aimher ^  pour  adorer;  mais  ceux  qui 
font  ufage  de  leurs  lumières  ,  6c  qui  ne  fe 

H.pag. XX.  cônduilent  point  par  u,.e  pévcntion  aveu- 
gle ,  défapYouvent  certains  vers  lyriques  dont 
U  cadence  n\fi  point  ajfcz.  châtiée.  Ce  font 

les 


FA  RI  ET  E\  &c.  225 

les  termes  da  P.  Sanadon  ^  J'ai  relevé  en     îbid, 
yflufieurs  endroits  ,  pourfuic-il ,  des  peyjféi's  ^ 
des  fenûmens ,  des  tours  é^  dts  exprejjions  , 
qui  m  ont  para  répréhenjiblcs, 

Quintilien,  après  avoir  repris  dans  les  i^i^:.  Or.  L 
anciens  quelques  métaphores  défe£tueu- ^"'' ^' ^* 

r         1-  •  r         ■     n       •  Coaipara- 

les,  dit  que  ceux  qui  lont  uiitruits  du  bon  ûo. 
^  du  mauvais  uGtge  des  figures  ,  ne  trou- 
veront que  trop  d'exemples  à  reprendre  : 
Qjtorum  exémpla  mmiùm  frer^iuêmer  repre- 
héndet  -,  quifcivertt  hxc  vitin  effe. 

Au  refte ,  les  fautes  qui  regardent  les 
tnbts,  ne  font  pas  celles  que  l'on  doit  re- 
marquer avec  le  plus  de  foin  :  il  eft  bien 
|)kis  utile  d'obfcrver  celles  qui  pèchent 
contre  la  conduite ,  contre  la  judelïe  du 
raifonement ,  contre  la  probité  ^  la  droi- 
ture &  les  bônes  mœurs-.  Il  feroit  à  fou- 
haiter  que  les  exemples  de  ces  dernières 
•fortes  de  fautes  fuflent  moins  rares ,  où 
|)lutot  qu'ils  fullcnt  inconus. 


i%S 


DES    TROPES. 

TROISIEME    PARTIE. 


Des  autres  fens  dans  lefquels  un  même  mot 
peut  être  employé  dans  le  difcours. 

OUtre  les  tropes  dont  nous  venons  de 
parier,  &:  dont  les  Grammairiens  6c 
les  Rhéteurs  traitent  ordinairement ,  il  y  a 
encore  d'autres  fens  dans  lefquels  les  mots 
peuvent  être  employés ,  &  ces  fens  font  la 
plupart  alitant  d'autres  diférentes  fortes 
de  tropes  :  il  me  paroi t  qu'il  ell  très-utile 
de  les  conoîtrc  pour  mettre  de  l'ordre 
dans  les  penfées,  pour  rendre  raifon  du 
difcours ,  &;  pour  bien  entendre  les  au- 
teurs. C'eft  ce  qui  va  faire  la  matière  de 
cette  troifième  partie. 


SUBSTANTIFS, éf,       227 


L 

Sfihftantîfs  fris  adjectivement  y  AdjeBifs  pris 

fubjl activement,  Suhjiantifs  &  Adjcfhfs 

pris  adverbialement. 

UN  nom  fubftantlf fe  prend  quelque- 
fois adjectivement,  c'eil  à  du'e,  dans 
le  lens  d'un  atribut;  par  exemple.-  Un  père 
efi  toujours  pire ,  cela  veut  dire  qu'un  père 
cil  toujours  tendre  pour  Tes  enfans,  ôc 
que  malgré  les  mauvais  procédés,  il  a 
toujours  des  fentimens  de  père  à  leur 
égard  ;  alors  ces  fubftantits  fe  cônftrui- 
fent  come  de  véritables  adjectifs.  •»  Dieu 
»3  eft  notre  reflource ,  notre  lumière ,  no- 
55  tre  vie  ,  notre  foutien  ,  notre  tout, 
is  L'home  n'efl  qu'un  néant.  Etcs-vous 
V>  Prince  .^  Etes- vous  Koi  ?  Etes-vous  Avo- 
»>  cat  ?  et  Alors  Prince  >  Koi  ^  Avocat ,  font 
adjectifs. 

Cette  remarque  fert  à  décider  là  quef- 
tion  que  font  les  Grammairiens  ,  favoir  il 
ces  mots  Roi,  Reines  Père,  Mère,  ôcc; 
font  fubftantifs  ou  adjectifs  :  ils  font  l'uii 
&.  l'autre,  fuivant  l'ufage  qu'on  en  fait. 
Quand  ils  font  le  fujet  de  la  propofitiori  ; 

pij 


2i8  SUBSTANTIFS 

ils  font  pris  fubftantivemenc  j  quand  ils 
font  l'atribiit  de  la  proportion ,  ils  font  pris 
adjectivement.  Quand  je  dis  le  Roi  aime 
le  peuple  ,  la  Reine  a  de  la  piété  :  Roi^  Racine ^ 
font  des  fubftantifs  qui  marquent  un  tel 
Roi  6c  une  telle  Reine  en  particulier  \  ou, 
corne  parlent  les  Philofophes  ,  ces  mots 
marquent  alors  un  individu  qui  ell  le 
Roi;  mais  quand  je  dis  que  Louis  quinz^e 
efi  Roi ^  Roi  eil  pris  alors  adjectivement  ; 
je  dis  de  Louis  qu'il  cft  revêtu  de  la  puif- 
lance  royale. 

Il  y  a  quelques  noms  fubftantifs  latins 
-qui  font  quelquefois  pris  adjedlivement , 
■par  métonymie ,  par  fynecdoque  ou  par 
antonomale.   Sce/us ,  crime  ,  fe  dit  d'un 
fcélératj  d'un  home  qui  eft,  pour  ainfî 
dire ,  le  crime  même  :  Scelus  qucmnam  hic 
*Ter.Aii(î.  laudot  :?  "^  Le  fcélérat  de  qui  parle-t-il  ? 
V.  X.     ^'  ^^^  ^^^^^  efl f ceins  qui  mepérdidit ?  "^^  Où  ell 
**ib.aa:.  ce  fcélérat  qui  m'a  perdu  ?  où  vous  voyez 
3.fc.5.v.i.  Q^Qjli>ifis  fe  conftruit  avec  illic  qui  eft  un 
mafculin;  car  félon  les  anciens  Grammai- 
riens ,  on  difoit  autrefois  illic  ^  ilUc  ^  illuc  ., 
au  lieu  de  ille ,  ilU^  illud:  la  <:onllruction 
fe  fait  alors  félon  le  {ç,x\^ ,  c'eft-à-dire , 
par  raport  <à  la  perfone  dont  on  parle,  6c 
non  félon  le  mot  qui  eft  neutre. 


TRIS  ADJECTIVEMENT,  é-c.  219 

Carcer,  prifon,  fe  dit  auiïî  par  métony- 
mie, de  celui  qui  mérite  la  prifon.  ^/,j^' TeiPhorn»; 
tandcn  y  carcer^.  Que  dis-tu  malheureux  ?^*]  "^^'^  ^'^^ 
C'ell:  peut-être  dans  le  même  feus  qu  E- 
née ,  dans  Virgile,  parlant  des  Grecs  à 
l'ocafion  de  la  fourberie  de  Sinon  ,  dit,  & 
CYtminc  ab  nna  dïfce  omncs.  Ce  que  nous  ne   ^n.  %.  v,. 
faurions  rendre  en  François  en  confervant  ^^' 
le  même  tour,  un  fenl  fourbe ,  une  feule  do, 
leurs  fourberies  ^  vous  fera,  conoître  le  carac^ 
tere  de  tous  les  Grecs.  Térence  a  dit  unmn     pborm. 
cognorisy  omnes  noris.  ^^-  2-  fc.i.. 

Noxa ,  ^  ,  eft  un  fubftantif ,  qui  dans  le  ^*  ^^" 
fens  propre  lignifie  fliutc ,  peine,  domage  : 
de  nocére.  Il  e(l  dit  dans  les  Inilituts  de 
Juftinien  ,  que  ce  mot  fe  prend  au  (fi  pour 
l'efclave  même  qui  a  fait  le  domage.  Noxa  i^ftit  î.  4. 
autem  e(l  ipfum  corpus  qnod  nofuit ,  id  eflfer-  Tic  s.  ^  1,. 
vus  {noxius.)  Ce  mot  n'ell  pourtant  pas 
d'un  ufa2;e  ordinaire  en  ce  fens  dans  la 
langue  latine. 

Un  adjectif  fe  prend  aufîî  quelquefois 
fubftantivement  j  c'eft-à-dire,  qu'un  moc 
qui  eft  ordinairement  atribut,  eft  quel- 
quefois fujet  dans  une  propofition  :  ce  qui 
ne  peut  ariver  que  parce  qu'il  y  a  alors 
quelqu'autrc  nom.  fous-entendu  qui  eft 
4ans  l'efprit  j  par  exemple  :  le  vrai  ver- 

Piij 


x^o        SUBSTANTIFS^ 

fttadc  ,  c'eft-à-dire ,  ce  qui  eft  vrai ,  Vêtre^ 
njrai,  ou  la  vérité.  Le  tout  pùjfant  vengera, 
les  f cibles  quon  oprime  ^  c'eft-à-dire  ,  Dieu, 
qui  eft  tout  puilïanc ,  vengera  les  homes 
loibles. 

Nous  avons  vu  dans  les  préliminaires 
delà  fyntaxe ,  que  l'adverbe  eft  un  mot 
qui  renferme  la  prépofition  &  le  nom  qui 
la  détermine.  La  prépofition  marque  une 
çirconftance  générale  ,  qui  eft  enfuite  dé- 
terminée par  le  nom  qui  fuit  la  prépoli- 
tion  fclon  l'ordre  des  idées  :  or  l'adverbe 
renfermant  la  prépofition  6c  le  nom,  il 
marque  une  çirconftance  particulière  du 
fujet,  ou  de  l'atribut  de  la  propofition: 
fnfienter ^  avec  fagciTc,  avec  jugement; 
f.ep}  y  fouvent ,  en  plufieurs  ocafions  \  ubi , 
pii ,  en  quel  lieu ,  en  quel  endroit  j  ibi  ,  là, 
en  cet  endroit  là. 

Il  y  a  quelques  nomsfubftantifs  qui  font 
pris  adverbialement ,  c'eft-à-dire,  qu'ils 
n'entrent  dans  une  propofition  que  pour 
marquer  une  çirconftance  du  fujet  ou  de 
l'atribut,  en  vertu  de  quelque  prépofition, 
fous-entendue;  par  exemple:  domi ^  à  la 
maifon  ,  au  lieu  de  la  demeure.  Vtdct  nup- 
Ter.  And.  ^^^^  ^^^^  apparart^  elle  voit  qu'on  fé  pré- 
\  54.        pare  chei  nous  à  la  noce  ;  domi  marque 


-PRIS  ADJECTîVEMENT.éc.  Z51 
la  circonftance  du  lieu  où  l'on  fe  prépa- 
roit  à  la  noce:  on  fous  entend ,  in  xdibus 
domi ,  dans  les  aparcemens  de  la  maifon  , 
de  la  demeure  \  ou  bien  in  aliquo  loco  domi. 
Plauce  a  exprimé  xdes  \  omnes  domi per  xdes^  Plante, Ca- 

de  chambre  en  chambre,  d'apartement  A"^'^'' "^^ 

>        r  le.  j.  V.  31, 

en  apartement. 

Quand  domi  eft  opofé  à  belli  ou  militi£, 
on  fous-entend  in  rébus -^  Cicéron  Ta  ex- Cic.  de of- 
primé  ,  quibufcumaiiz  rébus  ojel  belli  ,   vel^^-  V  -•"• 
domi  ;  alors  domi  le  prend  pour  la  patrie  ,  xxiv. 
la  ville ^  &  félon  notre  manière  de  parler, 
pour  la  paix  i  le  tcms  de  la  paix.   Nous 
avons  parlé  ailleurs   de  ces   fortes  d'el- 
lipfes. 

Oppido  fe  prend  aufll  adverbialement , 
come  nous  l'avons  remarqué  pkis  haut. 
Quand  on  fait  une  fois  la  raifon  des  ter-natre  -<» 
mmailons  de  ces  mots,  on  peut  le  con- 
tenter de  dire  que  ce  font  des  fubftantits 
pris  adverbialement. 

Les  adjectifs  fe  prènent  auffi  fort  fou- 
vent  adverbialement ,  come  je  l'ai  remar- 
qué en  parlant  des  adverbes  ;  par  exem- 
ple :  parler  haut ,  parler  bas^  parler  (^rec  &  la- 
tin ,  griccè  ôc  latine  loqui  :  penfer  jiifre^  fcn~ 
tir  bon ,  fentir  mauvais  ,  marcher  vite ,  voir 
clair  ^fraper  fort ^  ôcc. 

Piv 


^5^      SUBSTANTIFS,&c.^ 

Ces  adjectifs  font  alors  au  neutre,  &l- 

VirjT^.  Ec.  c'eft  une  imitation  des  Latins  :  Tranfverfa. 

^'^'  ^'      tiiéntihus  hircïs  i  hïrcis  tuéntihus  ad  ncgoti^ 

tranfvérfa.   Recens  eft  très-ufité  dans  les 

bons  auteurs ,  au  lieu  de  recéntcr^  qui  ne. 

fe    trouve   o^ue    dans   les  auteurs  de   la 

Yiij;,Gcor.  nioyène  latinité  :  Sole  recens  orto  :  Pûerum 

^  *  Pilur.  ^^^^^^  natum  réécrire.  *  Dans  ces  ocafions 

çiftei.i.i.  il  faut  fous-entendre  la  prépofîtion^^,  oa 

l^v  juxta ,  ou  in  ijitxta  recens  negotium ,  ou  tem- 

pus ,  çome.  nous  difons  ^  à  Lifrançoife ,  a  U 

mode ,  à  Li  renvcrfe ,  À  Vimfro'vifte ,  à  U  tra- 

ijcrfe ,  &c.  Horace  a  dit  ad pUnnm  pour. 

plene ^  pleinement,  abondament,  à  plein: 

L.  I.  Ode  manahit  ad -plénum.  On  trouve  auffi  in  pour. 

^  Hor.  1  -  ^'^î  /^///j-  in  pïdfens  ânimus  :  Ja^is  in  altum 

Ode  16.  V.  moUhus,  "*^^ 

M; 

^  îjor.  1.    £xit:  in  imménfum  fœcûnda  licencia  vatum.  ***' 
3-  Ode  I. 

\V*o  ,1  -A.  in  fi  quand  Salufte  a  dit,  mons  imincn- 
Amor.  1.  }.  -^^^'"^  /^'////j- ,  §  il  faut  fous  entendre  in  y  Sc 
Ikg.  ii.v.  avec  ces  adjectifs  on  fous  entend  un  mot 
"^IJuaurt.  S^f'^^i^'-^-  >  r^egoiiurn  ,  fpatium,  tempus^^ 
fuh  fùv      -ivtim ,  6cc. 


esî 


^3% 

I    I. 

Sens  détermine'.  Sens  indéterminé'. 

CHaqiie  mot  a  une  certaine  fignifica- 
tion  dans  le  diicours  ;  autreinent  il 
ne  lignifieroit  rien:  mais  ce  fens,  quoi- 
que déterminé,  ne  marque  pas  toujours 
préciiément  un  tel  individu  ,  un  tel  parti- 
culier: ainfi  on  2L^h\c  fcds  mdétermmé ^  ou 
indéfînL^  celui  qui  marque  une  idée  vague^ 
ime  pcnfée  générale,  qu'on  ne  fait  point 
tomber  fur  un  objet  particulier  ;  par  exem- 
ple :  on  croit ,  on  dit  \  ces  termes  ne  déli- 
gnent perfone  en  particulier  qui  croie  ou 
qui  diic  :  ç'eft  le  iens  indéterminé,  c'eft- 
à  dire,  que  ces  mots  ne  marquent  point 
lui  tel  particulier  de  qui  l'on  diie  qu';/ 
croit  :,  ou  Q^ il  dit. 

Au  contraire ,  le  fens  déterminé  tombe 
fur  un  objet  particulier  j  il  défigne  une  ou 
pluileufs  pcriones ,  une  ou  pluiieurs  cho- 
Çcs ,  corne ,  les  Carté/îens  croient  que  les  ani- 
inaiix  font  des  machines  :  Cicéron  dit  dans  fes  l.  i.  n.  84, 
Oj/ces  ^  (j'M  Li  honefoi  efl  le  lien  de  U  fociétt.  aliter xxiv. 

On  peut  raporter  ici  \c  fens  étendu  6c  le 
fcns  étroit.  Il  y  a  bien  des  proportions  qui 


i54       5'£.VS  DÉTERMINÉ  y  à'c: 
font  vraies  dans  un  fens  étendu,  latè^  8C 
faufles  lorfque  les  mots  en  font  pris  à  la 
rigueur,  ftricfè  :  nous  en  douerons  des 
exemples  en  parlant  du  fens  litéral. 


III. 

Sens  Actif,  Sens  Passif,  Sens  Neutre^ 

yiCtif  vient  de  a^ere ,  poujG^er,  agir, 
^^/i  faire.  Un  mot  eft  pris  dans  un  fens 
actif,  quand  il  marcpe  que  l'objet  qu'il 
exprime,  ou  dont  il  eft  dit,  fait  une  ac- 
tion ,  ou  qu'il  a  un  fentiment ,  une  fen- 
fation. 

Il  faut  remarquer  qu'il  y  a  des  a6fcions 
&C  des  fentimens  qui  paUent  fur  un  objet 
qui  en  eft  le  terme.  Les  Philofophes  apè- 
Icnx.  patient^  ce  qui  reçoit  Taclion  d'un 
autre  ;  ce  qui  eft  le  terme  ou  l'objet  du 
fentiment  d'un  autre.  kmÇi  patient  ne  veut 
pas  dire  ici  celui  qui  relient  de  la  douleur; 
mais  ce  qui  eft  le  terme  d'une  action  ou 
d'un  fentiment.  Pierre  bat  Paul\  bat  eft  pris 
dans  un  fens  aclif ,  puifqu'il  marque  une 
action  que  je  dis  que  Pierre  fait ,  &  cette 
action  a  Paul  pour  objet  ou  pour  patient. 
Le  Roi  aime  le  peuple -y  aime  eft  auili  dans 


SENS   ACTIF,&c.         235 

un  îens  a6tif,  &c  le  peuple  cft  le  terme  o.u 
l'objet  de  ce  fentiment. 

Un  mot  eil  pris  dans  un  fens  paiïif, 
quand  il  marque  que  le  fujet  de  la  propo- 
rtion ,  ou  ce  dont  on  parle,  efl  le  terme 
ou  le  patient  de  l'aclion  d'un  autre.  Paul 
ejl  bat n  par  Pierre  i  batti.  efl:  un  terme  paflif: 
je  juge  de  Paul  qu'il  eft  le  terme  de  l'ac- 
tion de  batre. 

Je  ne  fuis  point  bâtant  ,  de  peur  d'être  batu,  Molièrç  • 

cocu  iniag. 

Bâtant  elt  actif,  &  batu  elt  paiiir.  fc  xvu. 

Il  y  a  des  mots  qui  marquent  de  {im- 
pies propriétés  ou  manières  d'être ,  de  lim- 
ples  lituations ,  &  même  des  actions,  mais 
qui  n'ont  point  de  patient  ou  d'objet  qui 
en  foit  le  terme  ,•  c'efl;  ce  qu'on  apèle  le 
fens  neutre.  Neutre  veut  dire  ni  l^un  ni  l'au- 
tre ,  c'eft- à-dire ,  ni  a6bif  ni  palîif.  Un 
verbe  qui  ne  marque  ni  action  qui  aie 
un  patient,  ni  une  palîion ,  c'eft-à-dire , 
qui  ne  marque  pas  que  Tobjet  dont  on 
parle  foit  le  terme  d'une  action ,  ce  verbe, 
dis-je  ,  n'eft  ni  a6cif ,  ni  paflif  j  ôc  par  con- 
féquent  il  eft  a  pelé  neutre, 

Amâre ^  aimer,  chérir;  diligcre ,  avoir  de 
l'amitié,  de  l'afedtion  ,  font  des  verbes 
actifs.  Amàri ,  être  aimé ,  être  chéri  ;  dtligiy 


256  SENS  ACTIF. 

être  celui  pour  qui  l'on  a  de  l'amitié ,  fone 
des  verbes  pafîifs  :  n\âis  fédère ,  être  affis^ 
eft  un  verbe  neutre  ;  ardére ,  être  alumé  ;. 
être  ardent,  eft  aufîi  un  verbe  neutre. 

Souvent    les   verbes  actifs  fe  prènent 

dans  un  Ç^ns  neutre,  ôc  quelquefois  les 

verbes  neutres  fe  prènent  dans  un  fens 

actif:  écrire  une  lettre,  eft  un  fens  a6tif ; 

mais  quand  on  demande  ,  Que  fait  Mon- 

fieur  ?  ^^  quon  répond  ,  il  écrit ,  il  dort ,  il 

chante ,  iJ  danfe  y  tous  ces  verbes  là  font 

Yirg.-<En.  pris  alors  dans  un  fens  neutre.  Quand  Vii^ 

'^'  ^'  ^'     gile  dit  que  Turnus  entra  dans  un  empor- 

temiCnt  que  rien  ne  put  apaifer ,  impUcà- 

bitis  ardet  i  ardet  eft  alors  un  verbe  neutre: 

mais  quand  le  même  Poëte,  pour  dire 

que  Coridon  aimoit  Alexis  éperdument, 

Ec.  i.  V.  I.  fe  ferc  de  cette  expreiîîon ,  Coridon  ardéhat 

Altxin ,  alors  ardéhat  eft  pris  dans  un  fens 

actif,  quoiqu'on  puifte  dire  aufîi  ardébat  ' 

KciTcc  Aléxin ,  briiloit  pour  Alexis. 

Retfuiéfccre  ^  fé  repofer,  être  oifif,  être 
en  repos ,  eft  un  verbe  neutre.  Virgile  l'a* 
pris  dans  un  fens  actif,  lorfqu'il  a  dit: 

Ed.  8.V.  4.      Et  mutâta  fuos  requiérunt  fli'imina  curfus  : 

Les  fleuves  changés,  c'eft- à-dire,  contre 
leur  ufage ,  cocitrc  leur  nature ,  î^rrêt^-^. 


SENS  PASSîF.é'c-  2l7 
rent  le  cours  de  leurs  eaux,  retinuérunt 
fuos  curfus. 

Simon  ,  dans  l'Andriène,  rapèle  àSofie 
les  bienfaits  dont  il  l'a  comblé  :  «  me  re- 
>5  mettre  aifiii  vos  bienfaits  devant  les 
»  yeux  ,  lui  dit  Sofie,  c'ell:  me  reprocher 
que  je  les  ai  oubliés.  lji£c  commémorât io  ,  Ter.  Ani 
tjuaji  exfrohrhiû  efi  immémoris  hcmfîcu.  Les  y_  ^_,,' 
Interprètes  d'acord  entre  eux  pour  le  fonds 
de  la  penlée,  ne  le  font  pas  pour  le  fens 
A' immémoris  :  fe  doit-il  prendre  dans  un 
fens  actif ,  ou  dans  un  fens  palîif?  Ma- 
dame Dacicr  dit  que  ce  mot  peut  être  ex- 
pliqué des  deux  manières  :  exprobrdùv  mei 
immêmoris  ^  6c  alors  immêmeris  efl:  a£l:if; 
DU  bien  ,  exprohratîo  bmeficii  immémoris ^  le 
reproche  d'un  fait  oublié  \  6c  alors  immé- 
moris  eft  pallif.  Selon  cette  explication , 
quand  immcmor  Ycut  dire  celui  qui  oublie^ 
i\  eft  pris  dans  un  fens  a£tif  j  au  lieu  que 
quand  il  fignifie  ce  qui  efl  oublié ^  il  eft  dans 
\\n  fens  paffif  ^  du  moins  par  raport  à  no- 
tre manière  de  traduire. 

Mais  ne  pouroit-on  pas  ajouter  qu'en 
latin  immemor  veut  àxïç^  fouvent  qui  nefl^ 
pas  demeuré  dans  la  mémoire  i  Tacite  a  dit ,       .,  „  .r 
tmmemor  beneficium  ^  \\w  bienfait  qui  ncft 
"^o.^  demeuré  dans  la  mémoire ,  ou  félon 


l3t  SENS   ACTIF, 

notre  manière  de  parler,  un  bienfait  diî- 

*  Horace,  blié.  Horace  *  a  dit  mtmor  nota  ,  une  mar- 

'^'     '^^*  que  qui  dure  long-teras,  qui  fait  reiïbu- 

**  Un.  I.  venir.  Virgile  ^*  a  dit  dans  le  même  fens 

î.  V.  4.       me??wr  ira ,  une  colère  qui  demeure  long- 

tems  dans  le  cœur ,  ainii  immémoris  feroit 

dans  un  fens  neutre  en  latin» 

Q^ae  fait  Monfiatr  ?  Ujone  :  jouer  efl:  pris 
alors  dans  un  fens  neutre  :  mais  quand  on 
dit,  il  joue  gros  jeu  \  il  joue  eft  pris  dans  un 
fens  actif,  ôc  gros  jeu  eft  le  régime  de  il 
joue, 

Danfer  eft  un  verbe  neutre  j  mais  lorf- 
qu'on  àitydanfer  une  courante.^  danfer  un  me- 
nuet ;  danfer  eft  alors  un  verbe  actif. 

Les  Latins  ont  fait  le  même  ufage  de 
faltare  ^  qui  répond  a  danfer.  Salufte  a  dit 
de  Sempronia ,  qu'elle  favoit  mieux  chan- 
ter ôc  danfer  qu'une  honnête  femme  ne 
Salluft.Ca-  Joit  le  favoir,  PfdUere  &  fait  are  elegantius)^ 
quam  necéjfe  eft  probd  :  (  fupple  )  docfa  erat 
nxri  p [aller e  '&  faltare  ;  faltare  eft  pris  alors 
Hor.  1. 1.  dans  un  fens  neutre  :  mais  lorfqu'Horace 
Sac.;.v.63.  ^  jjj.  faltare  Cyclopa  ^  danfer  le  CyclopCj 
faltare  eft  pris  alors  dans  un  fens  ac^if. 
Remarq.  »  Les  Grecs  6c  les  Latins,  dit  Monfieur 
ibid.         „  Dacier,  ont  dit  danfer  le  Cyclope ,  danfer 
■»>  Glaucus ,  danfer  Ganymede,  Léda, Europe^ 


Sens  PAssiFyà'c.      15^ 

ZlCy  c'eft-à-dire,  reprëfenter  en  danfanr 
les  avennires  du  Cyclope ,  de  Glaucus , 

Le  même  Poète  a  dit  ^  F4fius  êhrius  *Hor,î.i. 
llionam  e dormit  ^  le  comédien  Fufius  ,  en^^'^-i-v-^i, 
repré(encant  Ilione   endormie ,  s'endort 
lui-même  come  un  home  yvre  qui  cuve 
fon  vin.  Térence  a  die  *^  edormifcam  hoc     **  Ter, 
"vHH  ,  je  cuverai  mon  vin  :  &  Plaute  ,  **^  r  ^  '^'^V^' 

'     J  '  IC.  1.  V.  I  I. 

edormifcdm  han-c  €rdpuUm ,  6c  dans  l'Am-  ***  Piaur. 
phitryon  il  a  dit,  §  edormifcat  unum  fom-^^^-^^-'^' 
num ,  come  nous  difons  dormir  un  fomme,  §  id.Amplû 
Vous  voyez  que  dans  ces  exemples,  tdor-  a^a.i.fc.i, 
mirt  ôc  edi/rmfc^re  fe  prènent  dans  un  fens  ^*  ^^' 
aaif. 

Cette  remarque  fert  à  expliquer  ces  ï^- 
cons  de  parler /V«r,/4^'////r,  êcc.  ces  ver- 
bes neutres  fe  prènent  alors  en  latin  dans 
un  fens  pafîif,  ëc  marquent  que  l'action 
qu'ils  figni fient  eft  faite  \  iter  itur^  l'adlion 
d'aler  fe  fait.  Voyez  ce  que  nous  en  avons 
dit  dans  la  fyntaxe  :  l'aciion  que  le  verbe 
{ignifie  ,  fert  alors  de  nominatif  au  verbe 
même  ,  félon  la  remarque  des  anciens 
Grammairiens  (4). 

(  /»  )  Uc  càrritur  à  me  ,  pro  curro  ;  vel  ftatur  k  te ,  pro 
fins  :  (èdétur  ah  tllo  y  t^ïo  fedet  iUe  :  in  eis  poteft  ipfa  res  in- 
cciiigi  vofce  pafsiva^  ut  cUrntur  curfus  ^  bellâtur  belltim. 
PriJ(i4nus ,  lib.  XVII.  c.  de  Piouôminum  conftrudione. 


i4Ô 

IV. 

Sens  absolu.  Sens  re l At i f. 

UN  mot  eft  pris  dans  un  fens  abfola  ^ 
lorlqu'il  exprime  une  chofe  confidé- 
rée  en  elle-même  fans  aucun  raport  à  une 
autre.  Abfola  vient  à'ahfolutus ,  qui  veut 
dire  achevé ,  acompli ,  qui  ne  demande 
rien  davantage  j  par  exemple ,  quand  je 
dis  que  le  fokïl  eft  lumineux ,  cette  exprel- 
iion  cft  dans  un  fens  abfolu  5  celui  à  qui 
je  parle  n'atend  rien  de  plus  ,  par  raport 
au  fens  de  cette  phrafe. 

Mais  fi  je  difois  que  le  feleïl  efi  plus 
^r,ind  que  la  terre  ^  alors  je  coniidérerois  le 
foleii  par  raport  à  la  terre  ^  ce  feroit  un 
fens  relatif  ou  refpeclif.  Le  fens  relatif  ou 
refpe<^if  eft  donc  lorfqu  on  parlé  d'une 
choie  par  raport  à  quelqu'antre  :  c'efi:  pour 
cela  que  ce  fens  s'apèle  auffi  refpcctif^  du 

T^t  Voulus  s'exprime  en  ces  termes  ,  vcrba  accurativiini 
habent  Paseoriginis  vcl  coepiâcx  fîgnificatiônis  :  priôiis  gé~ 
ncris  apud  Tciéncium  cft /«<^<?rf  ludum.  Enn.  aÂ.  5.  fc.  j. 
V.  50.  Âpud  Maioncm  f»r ère  fi-'rôrem  ^,n.  1.  11.  v.  <;8c. 
Donâtus  Arcliaîfmum  vocat ,  mallcm  AtricifiTuim  dixif- 

fct quia  fie  locùcos  conftat ,  non  cos  modo  qui  défita 

&  obfoléta  amanc ,  fed  ôprimos  quofque  épcimi  asvi  fcrip- 
tôres,  &c.  Vojfms  de  Conftiutliône,  pag.  409. 

latiri 


SENS   ABSOLU,         241 

îatiii  refptccre ,  regarder  ;  parce  que  la  chofe 
dont  on  parle ,  en  regarde ,  pour  ainlî  dire, 
une  autre  \  elle  en  rapèle  l'idée ,  elle  y  a 
du  raport ,  elle  s'y  rapbrte  ;  de  là  vient 
relatif,  de  reftrre  raporter.  11  y  a  des  mots 
Tclatifs,  tels  qu^  père  ^  f/s  ,  époux  ^  &c; 
îious  en  avons  parlé  ailleurs. 


V. 
Sens  collectif,  Sens  DistKiBUtiF. 

COllcffif  vient  du  latin  colligcre ,  qui 
veut  dire  recueillir  ^afcmbler,  Difirihu- 
if//^ vient  de  dijirihuere\  qui  veut  dire  dif^ 
tribuer^  partager, 

ha  femme  aime  à  parler  :  cela  efl:  vrai  en 
parlant  des  femmes  en  général  jainfi  le 
mot  ào.  ftmme  efl:  pris  là  dans  un  fens  col- 
lectif: mais  la  propofition  eft  faufle  dans 
le  i'ens  diflributif,  c'eft-à  dire,  que  cela 
n'eft  point  vrai  de  chaque  femme  en  par- 
ticulier. 

L'home  efi  fujet  à  la  mort  \  cela  efb  vrai 
dans  le  fen$  colle£lif ,  6c  dans  le  fens  dif- 
tributif. 

Au  lieu  de  dire  le  fens  collet  if '&  le  feni 

Q 


t4i      SENS   COLLECTîP. 

diftributify  on  dit-  auflî  U  fens  général  ôc  U 
fens  particulier. 

Il  y  a  des  mots  qui  font  collectifs ,  c'eft- 
à-dirc ,  dont  l'idée  repréfente  un  tout  en 
tant  que  compofé  de  parties  acbuèlement 
féparées ,  6c  qui  forment  autant  d'unités 
ou  d'individus  particuliers  :  tels  font  ar- 
mée ,  répuhliqm  ,  régiment. 


I 


VL 

Sens  équivoque,  Sens  louche. 
L  y  a  des  mots  &  des  propofitions  équi- 


voques. Un  mot  eft  équivoque ,  lorf- 
qu'il  lignifie  des  chofes  diférentes:  corne 
chœur ,  afîemblée  de  plufîeurs  perfones  qui 
chantent  ;  cœur  ^  paVtie  intérieure  des  ani- 
maux: autel  y  table  fur  quoi  l'on  fait  des 
lacrificcs  aux  Dieux  3  hôtel  y  grande  mai- 
fon.  Ces  mots  font  équivoques  ,  du  moins 
<.lans  la  prononciation.  Lion  ,  nom  d'un 
animal  jLw;^^  nom  d'une  conilellation , 
d'un  (igné  célefte  \  Lyon ,  nom  d'une  ville. 
Coin ,  forte  de  fruit  \  coin^  angle ,  endroit  j 
coin^  inftrument  avec  quoi  l'on  marque 
les  monoics  &:  les  médailles  -,  coin ,  inftru- 
fnent  qui  fert  à  fendre  du  bois  :  coin  ciV 


SENS   LOUCHE,  243 

'encore  un   terme   de   manège  ,  Sec. 

De  quelle  langue  l'oule^.-ojous  'vous  fervir  Molière, 
avec  moi  ?  dit  le  doclcnr  Pancrace ,  parlant  "^^'lagc 
à  Sganarèle  :  de  U  langue  que  f  ai  dans  ma 
bouche  ,  répond  Sga narèle  -,  ôii  vous  voyez 
que  ^-m:  langue  y  l'un  entend  langage  ^  idio- 
7HC  -,  6c  l'autre  entend ,  corne  il  le  dit ,  la 
langue  que  nous  avons  dans  la  bouche. 

Dans  la  luite  d'au  raifonement ,  on  doit 
toujours  prendre  un  mot  dans  le  même 
lens  qu'on  l'a  pris  d'abord ,  autrement  on 
ne  raifoneroit  pas  jufte  ^  parce  que  ce  fe- 
roit  ne  dire  qu'une  même  chofe  de  deux 
chofes  ditérentes  :  car ,  quoique  les  termes 
équivoques  fe  refTemblent  quant  au  Ton, 
ils  lignifient  pourtant  des  idées  diféren- 
tes  \  ce  qui  eft  vrai  de  l'une  n'cil  donc  pas 
toujours  vrai  de  l'autre. 

Une  propofition  eft  équivoque  ,  quand 
le  fujet  ou  l'atribuc  prélcnte  deux  fcns  à 
l'efprit  ;  ou  quand  il  y  a  quelque  terme 
qui  peut  fe  raporter  ou  à  ce  qui  précède, 
bu  à  ce  qui  fuit  :  c'cft  ce  qu'il  tant  évi- 
ter avec  loin,  afin  de  s'acoutumer  à  des 
idées  précifes^. 

Il  y  a  des  mots  qui  ont  une  conftruc- 
tion  louche,  c'eft  lorfqu'un  mot  paroîc 
d'abord  fe  raporter  à  ce  qui  précède,  6c 

Q  A 


244      SENS  EQUIVOQUE. 
que  cependant  il  Te  raporte  à  ce  qui  fuiC  t 
par  exemple ,  dans  cette  chanfon  (i  co- 
nue,  d'un  de  nos  meilleurs  opéra, 

Tu  fais  charmer , 
Tu  fais  défarmer , 
Le  Dieu  de  ia  guerre  ', 
Le  Dieu  du  tonerre 
Se  laiiTe  euflamer. 

Le  Dkii  dti  îûncrre  paroît  d^abôrd  être  \t 
terme  de  Tacliion  de  charmer  6c  de  défor- 
mer ^  au ((î  bien  que  k  Dieu  de  la  guerre  i 
cependant ,  quand  on  continue  à  lire,  on 
voit  aifément  que  le  Dieu  da  tonerre  eft  le 
nominatif  ou  le  fujet  àcfelaijfe  enjlaraer. 
Toute  conilruclion  ambiguë ,  qui  peut 
fîgnifier  deux  chofes  en  même  tcms,  ou 
avoir  deux  raports  diférens,  eft  apeléc 
éqaiiwque ,  ou  louche.  Louche  eft  une  forte 
d  équivoque  ,  fou  vent  facile  à  démêler. 
Louche  eft  ici  un  terme  métaphorique  :  car 
corne  les  perfones  louches  paroiflent  re- 
garder d'un  côté  pendant  qu'elles  regar- 
dent d'un  autre ,  de  même  dans  les  conl- 
truci:ions  louches,  les  mots  femblent  avoir 
un  certain  raport,  pendant  au'ils  en  ont 
un  autre ^  mais  quand  on  ne  voit, pas  ai- 
fément quel  raport  on  doit  leur  donc^r, 


SENS  LOUCHE.  245 
on  dit  alors  qu'une  propofîcion  cfl  équi- 
voque, plutôt  que  de  dire  iimplemenç 
qu'elle  ell  louche. 

Les  pronoms  de  la  troidèrae  perfone 
font  fou  vent  des  fens  équivoques  ou  lou- 
ches, fur- tout  quand  ils  ne  le  raportenc 
pas  au  fil  jet  de  la  propofîcion.  Je  pourojs 
en  raporter  un  grand  nombre  d'exemples 
de  nos  meiiiears  auteurs ,  je  me  conten- 
terai de  celui-ci  : 

i>  François  I.  érigea  Vendôme  en  Du-   J^^^^?>^' 
»  ché-Pairie  en  faveur  de  Charles  de  Bout-  ^^i^cisâc 
«  bon  ;  6c  i/  le  mena  avec  lui  à  la  conquête  Francs  de 
»  du  duché  de  Milan  ,  où  //  fe  comporta  j  ^''^^^°^ 
»  vaillament.   Quand  ce  Prmce  eut  eccbon. 
»  pris  à  Pavie,  il  ne  voulut  point  accepter 
M  la  régence  qu'on  lui  propofoit  :  //  fut 
>î  déclaré  chef  du  confcii ,  il  continua  de 
>5  travailler  pour  la  liberté  du  Roi  ,-  &; 
«quand  il  fut  délivré^  //  continua  à  le 
M  bien  fervir. 

11  n'y  a  que  ceux  qui  (ont  déjà  au  fait 
de  l'hiftoire ,  qui  pu i lie  démêler  les  divers 
raports  de  ce  Prince  ^  ôi.  de  tous  ces  //.  Je 
croi  qu'il  vaut  mieux  répéter  le  mot,  que 
de  fe  fervir  d'iui  pronom  dont  le  raparc 
n'eil:  aperçu  que  par  ceux  qui  favent  déjà 
ce  qu'ils  lifent.  On  évicoit  facilement  ces 

Qiii 


i4v^      SENS   EQUIVOQUE, 

fens  louches  en  latin ,  par  les  ufages  dife-, 

rens  àc^  fuus^  ejus^  hic^  ilU^  is,  ijie» 

Quelquefois  pour  abréger,  on  fe  con- 
tente de  faii'c  une  proportion  de  deux 
membres ,  dont  l'un  cft  négatif,  &  l'autre 
affirmatif,  &:  on  les  joint  par  une  con- 
jonction :  cette  forte  de  conftruclion  n'eft 
pas  régulière,  &:  fait  fbuvent  des  équivo- 
ques j  par  exemple: 

ï'rem.  édit,  L'amour  n'eft  qu'un  plaifir ,  &  l'honeur  un  devoir. 

in^fc^f^  L'Académie  *  a  remarqué  que  Corneille 

*Seiniraentdevoit  dire  : 

îli  le  Cid.  L'amour  n'efl qu'un  plaifir ,  l'honeur  eft  un  devoir. 
En  éfet,  ces  mots  neft  que  ^  du  premier 
membre,  marquent  une  négation,  ainfr 
ils  ne  peuvent  pas  fe  conftrnire  encore 
avec  un  devoir^  qui  eft  dans  un  fens  affir- 
matif  au  fécond' membre  ;  autrement  W 
femblcroit  que  Corneille,  contre  fon  in- 
tention, eût  voulu  méprifer  égalemenc 
l'amour  &  l'honeur. • 

On  ne  fauroit  aporter  trop  d'atention 
pour  éviter  tous  ces  défauts  ;  on  ne  doit, 
çcrire  que  pour  fe  faire  entendre  \  la  néteté 
&  la  précifion  font  la  fin  &  le  fondement:^ 
de  l'art  de  parler  6c  d'écrire,^ 


247 

VII. 

Des  jeux  de  mots  et  de  la  Paronomase, 

IL  y  a  deux  forces  de  jeux  de  mots. 
I.  Il  y  a  des  jeux  de  mots  qui  ne 
confiftent  que  dans  un  équivoque  ou  dans 
une  àllufion,  de  j'en  ai  doné  des.  exem- 
ples. Les  bons  mots  qui  n'ont  d'autre  fel 
que  celui  qu'ils  tirent  d'un  équivoque  ou 
d'une  alluiion  fade  &:  puérile ,  ne  font  pas 
du  goût  des  gens  fenfés,  parce  que  ces 
mots-là  n'ont  rien  de  vrai  ni  de  folide» 

2.  Il  y  a  des  mots  dont  la  fignificatioiî 
efl  diférente ,  6c  dont  le  fon  eft  prefque 
le  même  :  ce  raport  qui  fe  trouve  entre  le 
fon  de  deux  mors,  fait  une  efpèce  de  jeu, 
dont  les  Rhéteurs  ont  fait  une  figure  qu'ils  rrypà,  jux- 
apèlent  Paronomafes  :  par  exemple,  aw.t/;r  ^^  ■  ''-^f  » 

*^  ,  r  S       '    r         nomen.An- 

res  fimt  amentes ,  les  amans  lont  des  inlen-  nominitio, 
fés  :  le  jeu  qui  eft  dans  le  latin,  ne  fe  ^c,' jeudsmoti. 
trouve  pas  dans  le  françois. 

Aux  funérailles  de  Marguerite  d'Au-  Entretiens 
triche,  qui  mourut  en  couche,  on  fit  une  d'Arrift.  &- 
devife  dont  le  corps  étoit  une  aurore  qui  ^^^^'  ^ "' 
aporte  le  jour  au  monde,  avec  ces  paro- 
\cs,  Dum p.iriû ,  pércû^  je  péris  en  donani 
te  joiir, 

qiv 


:t48       DES  JEUX  DE  MOTS, 

Pour  marquer  l'humilité  d'un  home  de. 
bien  qui  fe  cache  en  fefant  de  boncs  œu- 
vres ,  on  peint  un  ver  à  foie  qui  s'enferme, 
dans  fa  coque  j  l'ame  de  cette  devife  eft 
un  jeu  de  mots  ;  opêrîtur  dnm  opérât ur. 
Dans  ces  exemples  &  dans  plufieurs  au- 
tres pareils,  le  fens  fubfifte  indépenda- 


ment  des  mots. 


J'obferverai  à  cette  ocafion  deux  autres 
figures  qui  ont  du  raport  à  celle  dont  nous 
venons  de  parler  :  l'une  s'apèlc  _/?W///^r 
cadens;  c'cfl  quand  les  ditérens  membres 
ou  incifcs  d'une  période  îiniflènt  par  des, 
cas  ou  des  tems  dont  la  termiiaaiion  eft. 
femblable  :  l'autre  ^ 2.\^h\^  fimiUur  définens ^ 
c'eft  Icrfque  les  mots  qui  finiflènt  les  di- 
ferens  membres  ou  incifes  d'une  période 
ont  la  même  terminaifon ,  mais  gnç  ter- 
minaifon  qui  n'eft  point  une  défjnence  de 
cas ,  de  tems  ^  ou  de  perfone ,  come  quand 
on  (X\tfaccrefoi'titer  y  &  t'ivere  târpher.  Ces. 
deux  dernières  figures  font  proprement  la 
même  :  on  en  trouve  un  jrrand  nombre 
d'exemples  dans  S.  Auguftin.  On  doit  évi- 
ter les  jeux  de  mots  qui  font  vides  de  fens  : 
mais  quand  le  fens  fubfifte  indépenda- 
ment  du  jeu  de  mots,  ils  ne  perdent  rien,^ 
dç.  leur  mérjxe. 


2  49 


VIII. 

Sens  coMPost',  Sens  divis e\ 

Uand  l'Evangile  dii  ,  les  aveugles  ^^a"-  c. 
f  voient  ^  les  boiteux  marchent  ;  ces  ter-  '  ^'  ^-' 
mes' les  aveugles^  les  boiteux^  fe  p  rêne  ne 
en  cette  ocalion  dans  le  feas  divifé  ,  c'eil- 
à-dire,  que  ce  mot  aveugles  fe  dit  là  de 
ceux  qui  étoient  aveugles ,  2c  qui  ne  le 
font  plus  j  ils  Ç'QWt  divifés ,  pourainfi dire, 
de  leur  aveuglement ,  car  les  aveugles 
çn  tant  qu'aveugles  ,  ce  qui  feroic  le  fens 
compofé ,  ne  voient  pas. 

L'Evangile   parle   d'un  certain  Simon  ^^^ç^  ^ 
apelé /t'  lépreux^  parce  qu'il  i'avoic  été ,  v.  é. 
ce  il:  le  fens  divilé. 

Ainfi ,  quand  S.  Paul  a  dit  que  les  ido-  i.  Cor.  c. 
lâtres  n'entreront  pas  dans  le  royaume  *^-  ''•  ^' 
des  cicux  ,  il  a  parlé  des  idolâtres  dans  le 
fens  compofé,  c'eft-à-dire ,  de  ceux  qui 
demeureront  dans  l'idolâtrie.  Les  idolâ- 
tres en  tant  qu'idolâtres  n'entreront  pas 
dans  le  royaume  des  cieux  :  c'ell  le  fens 
çompofi  \  mais  les  idolâtres  qui  auront 
quité  l'idolâtrie,  &  qui  auront  fait  péni- 
tence ,  entreront  dans  le  royaume  des 
cicux  :  c'cft  le  fens  divifé. 


ajô        SENS    DlFISr, 

A  pelle  ayant  expofé ,  félon  fa  coutume-^ 
un  tableau  à  la  critique  du  public  ,  ua 
cordonier  cenfura  la  chauilure  d'une  fi- 
gure de  ce  tableau  ;  Apelle  réforma  ce 
que  le  cordonier  avoit  blâmé  j  mais  le 
lendemain  le  cordonier  ayant  trouvé  à 
redire  à  une  jambe,  Apelle  lui  dit  qu'un 
cordonier  ne  devoit  juger  que  de  la  chauf- 
furc  ;  d'oii  eft  venu  le  proverbe  ^e  fntor 
ultra  crépidam.  fu^flc  ^j/iidicet. 

La  récufation  qu  Apelle  fit  de  ce  cordo- 
nier, étoit  plus  piquante  que  raifonable: 
un  cordonier,  en  tant  que  cordonier,  ne 
doit  juger  c^uç  de  ce  qui  eft  de  fon  métier; 
mais ,  fi  ce  cordonier  a  d'autres  lumières, 
il  ne  doit  point  être  récufé^  par  cela  feul 
qu'il  eft  cordonier:  en  tant  que  cordonier^ 
ce  qui  eft  le  fens  compofé,  il  juge  fi  uï> 
foulier  eft  bien  fait  Ôc  bien  peint  ;  &:  en 
tant  qu'il  a  des  conoifiances  fupérieures  à 
fon  métier ,  il  eft  juge  compétent  fur  d'au- 
tres points  j  il  juge  alors  dans  le  fens  di- 
vifé,  par  raport  à  fon  métier  de  cordonier.. 

Ovide  parlant  du  facrifice  d'Iphigénie-, 
dit  que  rimérèt  puhUc  triompha  de  la  tcn^ 
drejfe  paternelle ,  le  Roi  'vainquit  le  père  : 

©vM.  Met.  .     .     •     .    PoftquampietâtempLibliçaçsiLiÀv 
tx.ii.v.z^.      Rçxque  patreoi  viçit^. 


SENS    COMPOSE'.       151 

Ces  dernières  paroles  font  dans  un  fens 
divifé.  Agamemnon  Te  regardant  comç 
Roi  ,  étoufc  les  fentimens  qu'il  rcflenç 
corne  père. 

Dans  le  fens  compofé ,  un  mot  con- 
ferve  fa  liirnification  à  tous  ésiards,  ôc 
cette  ligniîicatian  entre  dans  la  compodr 
cion  du  fens  de  toute  la  pJirafe  ;  au  liçu 
que  dans  le  fens  divifé,  ce  n'eft  qu'en  un 
certain  fens  ,  &:  avec  reffriction,  qu'un 
mot  conlcrvc  fon  anciène  lignification  : 
les  aveugles  voient^  c'eft-à-dire ,  ceux  qui 


ont  ete  aveugles. 


I  X. 

Sens  Lit  eral,- Sens  Spirituel. 

iE  fens  lithnl  efl:  celui  que  les  mots 
excitent  d'abord  dans  l'efprit  de  ceuî^ 
qui  entendent  une  langue  \  c'çft  le  lens 
qui  fe  préfente  naturèlemcnt  à  l'ej^rit. 
Entendre    une    expreffion  litéralcment , 
c'eit  la  prendre  au  pie  de  la  lettre.   Ou.t    Auî^ufl'. 
dicta  fiint  fecundum  litteram  acc^pere ,  id  cft\  v^'^ ^^  l* 
non  dliter  intelligere  cjuàm  littera  fonat  ;  c'eft  Xom.  m, 
le  fens  que  les  paroles  fignifient  immé- 
diatement ,  is  qttcm  verha  immédiate  fignifi- 
eant. 


252  DIVISION 

Le  fens  fpiriîuel ^  efl  celui  que  le  fens  lî- 
téral  renferme ,  il  efb  enté ,  pour  ainft  dire  , 
fur  le  fens  litéral  \  c'effc  celui  que  les  cho- 
(ts  lignifiées  par  le  fens  litéral  font  naître 
dans  Teiprit.  Ainll  dans  les  paraboles , 
dans  les  fables,  dans  les  allégories  ,  il  y  a 
d'abord  un  fens  litéral  :  on  dit,  par  exem- 
ple ,  qu'un  loup  &  un  agneau  vinrent 
boire  à  un  même  ruiffeau  r  que  le  loup 
ayant  cherché  querèle  à  l'agneau,  il  le 
dévora.  Si  vous  vous  atachez  fimplement 
à  la  lettre  ^  vous  ne  verrez  dans  ces  paro- 
les qu'une  fimple  aventure  arivëe  à  deux 
animaux:  mais  cette  narration  a  un  au- 
tre objet  ;  on  a  defTein  de  vous  faire  voir 
que  les  foibles  font  quelquefois  oprimés 
par  ceux  qui  font  plus  puifTans  ;  &:  voilà 
le  fens  fpirituel ,  qui  efl  toujours  fondé 
fur  le  fens  litéral. 

T)ivîfion  du  fens  litéraL, 

Le  fens  litéral  efl  donc  de  deux  fortes  : 

1 .  Il  y  a  un  fens  litéral  rigoureux  ;  c'eil  le 
fèns  propre  d'un  mot ,  c'efl  la  lettre  priie 

,  à  la  rigueur ,  7?r/t;7^. 

2.  La  féconde  efpèce  de  fens  litéral^ 
c'cll  celui  que  les  cxprcirions  figurées.dont^ 


DU  SENS   LITERAL,       253 
îions  avons  parlé  prérencent  nacarèlemenc 
à  refpric  de  ceux  qui  entendent  bien  une 
langue  ,  c'eft  un  fens  litérai-fgurê  \  par 
exemple,  quand  on   dit   d'un  politique 
qu'//  sème  à  propos  la  druifion  entre  fes  pro- 
pres ênemis  -/ftrncr  ne  fe  doit  pas  entendre 
à  la  rigueur  félon  le  lens  propre  ,  &  de  la 
même  manière  qu'on  à'\x  fcr/icr  dn  blé  :  mais 
ce  mot  ne  laille  pas  d'avoir  un  fens  lité- 
ral ,  qui  eft  un  fens  figuré  qui  fe  préfente 
naturèiement  à  l'eiprit.  La  lettre  ne  doit 
pas  toujours  être  prite  à  la  rigueur,  elle 
tue  ,  dit  S.  Paul.  On  ne  doit  point  exclure    i-  Cor.  5^ 
toute  fignification  métaphorique  &.  figu-^'  ^* 
rée.  Il  faut  bien  (c  garder,  dit  S>  Auguf- 
tin ,  "*  de  prendre  à  la  lettre  une  façon  de 
parler  figurée,  &  c'eft  à  cela  qu'il  faut      ;. 
apliquer  ce  paiïage  de  S.  Paul,  la  lettre 
tue  ,  d"  Cefprit  donc  la  vie. 

Il  faut  s'atacher  au  fens  que  les  mots 
iexcitent  naturèiement  dans  notre  efprit , 
quand  nous  ne  fomcs  point  prévenus  ,  & 
que  nous  fomes  dans  létat  tranquile  de 
ia  raifon  ;  voilà  le  véritable  fens  litéral- 


*  In  priiiclpio  càvcndum  eft  ne  figurâcam  locutionem  ad 
iirïiam  accjpias  ;  &  ad  hoc  eiiim  pértinec  quod  ait  Apof- 
tolus  ,  Utero,  oc  ci  dit  y  fpiritus  autcm  vivificat,  Au^tifi.  de 
Podr.  Chrift,  |.  j.  c.  j.  t.  m.  Pariiîis  1 6'ij. 


154  DIVISION 

figuré,  c'ell  celui-là  qu'il  faut  doner  aux 
loiXj  aux  canons,  aux  textes  des  coutu- 
mes ,  bc  même  à  l'Ecriture  Sainte. 
Luc.  c.  5).      Quand  J.  C.  a  dit  que  ccini  qui  met  U 
^-  ^--        main  à  la  charue ,  &  qui  regarde  derrière  lui , 
neji  point  propre  pour  h  Koyaume  de  Dieu  > 
on  voit  bien  qu'il  n'a  pas  voulu  direqu'uii 
laboureur  qui  en  travaillant  tourne  quel- 
quefois la  tête ,  n'eft  pas  propre  pour  le 
ciel  :  le  vrai  fens  que  ces  paroles  préfen- 
tent  naturèlement  à  l'efprit ,  c'eft  que  ceux 
qui  ont  comencé  à  mener  une  vie  chré- 
tiène,  &  à  être   les  difcipleS  de  Jéius- 
Chrjft,  ne  doivent  pas  changer  de  con- 
duite, ni  de  doctrine,  s'ils  veulent  êtte 
fauves-,  c'eft  donc  là  un  fens  litéral-figuré. 
m     11  en  eil  de  même  de  ces  autres  paiïages 
*  Matt.  c.  de  l'Evangile ,  où  J.  C,  dit ,  "^  de  préfen- 
5-  V.  ?9.    J.ÇJ.  j^  JQj^j^  gauche  à  celui  qui  nous  a  fra- 
**  ibii.  V.  pés  fur  la  droite ,  **  de  s'aracher  la  main 
i9-  5^-      ou  l'œil  qui  eft  un  fujet  de  fcandale  ;  il 
faut  entendre  ces  paroles  de  la  même  ma- 
nière qu'on  entend  toutes  les  exprelîions 
métaphoriques  ôc  figurées  :  ce  ne  feroit 
pas  leur  doner  leur  vrai  fens ,  que  de  les 
entendre  félon  le  fens  litéral  pris  à  la  ri- 
gueur j  elles  doivent  être  entendues  félon 
la  féconde  forte  de  fens  litéral  qui  réduic 


DU  SENS  LITERAL      255 

toutes  ces  façons  de  parler  figurées  à  leur 
jufte  valeur,  c'eft-à-dire,  au  fens  qu'elles 
avoient  dans  refprit  de  celui  qui  a  parlé, 
6c  qu'elles  excitent  dans  refprit  de  ceux 
qui  entendent  là  langue  où  l'expreiîion 
figurée  eft  autorifée  par  l'ufagc.  ^  »  Lorf- 
'î  que  nous  douons  au  blé  le  nom  de  Ceres^ 
»3  dit  Cicéron  ,  &  au  vin  le  nom  de  Bac- 
M  chus  5  nous  nous  fer  vous  d'une  façon  de 
55  parler  ufitée  en  notre  langue  ,  ôc  perfone 
>5  n'efl  afïez  dépourvu  de  fens  pour  pren- 
M  dré  ces  paroles  à  la  rigueur  de  la  lettre. 

On  fe  fert  dans  toutes  les  nations  poli- 
cées ,  de  certaines  expreiîions  ou  formules 
de  politefîe,  qui  ne  doivent  point  être 
prifes  dans  le  fens  litéral-étroit.  fat  l'ho- 
netiY  de ,» .  Je  'vous  haife  les  mains  :  Je  fuis 
"votre  tres-huinble  ô"  très-  ohajfani  ferviteur» 
Cette  dernière  façon  de  parler,  dont  on 
fe  fert  pour  finir  les  lettres,  n'eft  jamais 
regardée  que  come  une  formule  de  poli- 
teSe. 

On  dit  de  certaines  pcrfones,  c''efi  un 
fou ,  c'eft  une  foie  :  ces  paroles  ne  marquent 


*  Cum  fruges  Cérerem,  vinum  Liherum  Hicimus,  génère 
nos  cjuidcni  (ermonis  luimur  ufitâto  :  fcd  ccquem  tair. 
amciuem  cfTe  putas  qui  5:c.  Cic.  de  Nat.  Deor.  1.  3 .  n.  41- 
dlircr  XV f. 


256  DIVISION 

pas  toujours  que  la  perfône  dont  on  parle 
ait  perdu  refprit  au  point  qu'il  ne  refte 
plus  qu'à  l'entcrmer -,  on  veut  dire  feule- 
ment que  c'eft  une  perione  qui  fuit  fes  ca- 
prices ,  qui  ne  fe  prête  pas  aux  réfle- 
xions des  autres ,  qu'elle  n'eil  pas  toujours 
maîtrelle  de  fon  imagination  ,  que  dans 
le  tems  qu'on  lui  parle  elle  eft  ocupéc 
ailleurs  ,  &:  qu'ainfi  on  ne  fauroit  avoir 
avec  elle  ce  comerce  réciproque  de  pcn- 
fées  &:  cie  fentimens,  qui  tait  l'agrément 
de  la  converfation  &  le  lien  de  la  fociété. 
L'home  fage  eft  toujours  en  état  de  tout 
écouter ,  de  tout  entendre  ,  ôc  de  profiter 
des  avis  qu'on  lui  donc. 

Dans  l'ironie ,  les  paroles  ne  fe  prènent 
pointdanS  le  fens  litéral  proprement  dit; 
elles  fe  prènent  félon  le  fens  litéral-figuré, 
c'eft-à-dire,  fclon  ce  que  fignifient  les  mots 
acompagnés  du  ton  de  la  voix  6c  de  tou- 
tes les  autres  circonftances. 

Il  y  a  fouventdans  le  langage  des  homes 
un  lens  litéral  qui  eft  caché,  &  que  les 
circonftances  des  chofes  découvrent:  ainft 
il  arive  fouyent  que  la  même  propoiition 
a  un  tel  fens  dans  la  bouche  ou  dans  leS 
écrits  d'un  certain  home,  &  qu'elle  en  à 
uii   autre  dans   les  difcours  éc  dans  les 

OLivra'j^vo* 


DU  SENS  LITERAL.  257 
©uvrages  d'un  autre  home  :  mais  il  ne  faut 
pas  légèrement  doner  des  fens  déiavaJita- 
geux  aux  paroles  de  ceux  qui  ne  penfent 
pas  en  tout  corne  nous  -,  il  faut  que  ces 
lens  cachés  foient  fi  facilement  déve- 
lopés  par  les  circonftances ,  qu'un  home 
de  bon  fens  qui  n'eft  pas  prévenu  ne  puillè 
pas  s'y  méprendre.  Nos  préventions  nous 
rendent  toujours  injufles,  &  nous  font 
foLiverit  prêter  aïix  autres  des  fentimens 
qu'ils  détellent  auiîi  {incèrement  que  nous 
les  déteftons. 

Au  refte,  je  viens  d'obferver  que  le 
fens  litéral-figuré  eft  celui  que  les  paroles 
'excitent  naturèlement  dans  rcfprit  de 
ceux  qui  entendent  la  langue  ou  l'expref- 
fion  figurée  eft:  autorifée  par  l'ufnge:  aind 
pour  bien  entendre  le  véritable  fens  lité- 
jal  d'un  auteur,  il  ne  fufit  pas  d'entendre 
les  mots  particuliers  dont  il  s'efl  fervi ,  il 
faut  encore  bien  entendre  les  façons  de 
parler  ufitées  dans  la  langue  de  cet  au- 
teur ;  fans  quoi ,  où  l'on  n'entendra  point 
le  paiTage,  ou.  l'on  tombera  dans  des  con- 
tre-fens.  En  françois,  doner  parole  ^  y ci\t 
dire  promettre  ;  en  latin ,  verha  darc ,  ligni- 
fie tromper  :  Pœ/ias  dare  alicui ,  ne  veut  pas 
dire  doncr  de  la  peine  à  quelqu'un ,  lui 


25^  DIVISION 

faire  de  la  peine ,  il  veut  dire  au  contiMÎi'^ 
êire  f  uni  far  qucLqiitm^  lai  douer  la  latis- 
fadtion  qu'il  exige  de  nous,  lui  doncr 
notre  fupiice  en  payement,  corne  on  paye 
t.  i.tieg.  ""C  amende.  Quand  Properce  dit  à  Cin- 
î-  V.  5.  thie  ,  dahis  mihi  perjida.  fœnas^  il  ne  veut 
pas  dire  perfide ,  vous  m'alez,  eau  fer  bien  des 
tofirmens ,  il  lui  dit  au  contraire ,  qu'il  la 
fera  repentir  de  fa  perfidie. 

Il  n'eft  pas  polFible  d'entendre  le  fens 
litéral  de  l'Ecriture  Sainte ,  fi  l'on  n'a  au- 
cune conoifTance  des  hébraïfmes  ôc  des 
hellénilmes,  c'e il: -à-dire,  des   façons  de 
parler  de  la  langue  hébraïque   û.  de  U 
langue  grèque.  Lorlque  les  inteprètes  tra- 
duisent à  la  rigueur  de  la  lettre,  ils  ren- 
dent les  mots  ôc  non  le  véritable  fens  .- 
de  là  vient  qu'il  y  a,  par  exemple  ,  dans 
pfâl.  55.  les  Pfeaumes  piulieurs  verfets  qui  ne  font 
^-  ■?*         pas  intelligibles  en  latin.  Montes  Del,  ne 
veut  pas  dire  des  montagnes  confacrées  a 
Dieu ,  mais  de  hautes  montagnes. 

Dans  le  Nouveau  Teftamcnt  même  il 
V  a  piulieurs  palTages  qui  ne  fauroient  être 
entendus,  fans  la  conoiflàncc  desidiotil- 
mes,  c'cft  à-dire,  des  façons  de  parler  des 
auteurs  originaux.  Le  mot  hébreu  qui  ré- 
pond au  mot  latin  ver  hum  ,  fe  prend  ordi- 


bu  SENS   LITERAL.     159 
bairement  en  hébreu  pour  chofe  iignifiée 
par  la  parole  ;  c'eft  le  mot  générique  qui  ré- 
pond à  mgotiumowres  des  Latins.  Tranfea-    Luc.  c  i. 
mus  Hfcjiie  Bethléem,  d^  videamus  hoc  verbum  ^'  ^  ^' 
ïjuodfaclum  eJiiVâCCons  jufqu'à  Bethléem, ôc 
voyons  ce  qui  y  eft  arivé.  Ainfi  lorfqu'au 
3^.  verfet  du  chapitre  8.  du  Deutéronome, 
il  eft  dit  {Deus)   dédit  tihi   cihtim  7nanna. 
qmd  ignorahas  tu.  ^  patres  tui ,  ut  oflénderet 
îihi  quod  non  in  Jolo  pane  "vivat  homo ,  fed  in- 
omni  verbo  quod  egréditur  é/è  ore  Dci.  Vous 
voyez  que  in  omni  l'erbo  fignitie  in  omni  re, 
c'eft-à-dire  ,  de  tout  ce  que  Dieu  dit ,  oii    > 
•veut ,  qui  ferve  de  nouriture.  C'eft  dans  ce 
même  icns  que  Jéfus-Chrift  a  cité  ce  paf- 
fage  :  le  démon  lui  propofoit  de  changer 
les  pierres  en  pain,  il  n  eft -pas  néceflaire 
de  taire  ce  changement,  répond  Jéfus- 
Chrift  ,  car  l'home  ne  ijrt  pas  feulement  de  -^^^^  ^ 
pain ,  ilfe  nourit  encore  de  tout  ce  qui  plaît  à  v.  4. 
Dieù  de  lui  dbner  pour  nùuriture ,  de  tout  ce 
que  Dieu  dit  qui  fervira  de  nouriture  ;  voilà 
le  fens  litéral  ;  celui  au'on  done  comuné- 
ment  à  ces  paroles .  n'cft  qu'un  fens  moral. 

Divijion  du  fens  fpirttueL 

Le  fens  fpirituel  eft  aufîl  de  pludeur*; 


260  DIVISION 

fortes,  r.  \.q.  fens  moral ^  z.'Ltfensnllcgvri' 
^fie  ^  3.  \^ç.  fcns  anagogique, 

I.  Sens  mer  al. 

1l.ç:  fens  moral  eft  une  interprétation  fé- 
lon laquelle  on  tire  quelque  inftruction. 
pour  les  mœurs.  On  tire  un  fens  moral 
des  hiftoires  »  des  fables  ,  &;c.  Il  n'y  a  rien 
de  fi  prophane  dont  on  ne  puiiïe  tuer  des 
moralités,  ni^|ien  de  il  férieux  qu'on  ne 
puilFe  tourner  en  burlefque.  Telle  eft  la 
liaifon  que  les  idées  ont  les  unes  avec  les 
autres  :  le  moindre  raport  réveille  une 
idée  de  moralité  dans  un  home  dont  le 
goût  ell:  tourné  du  côté  de  la  morale  \  tsi 
au  contraire  celui  dont  l'imagination  aime 
le  burlefque ,  trouve  du  burlefque  par- 
tout. 

Thomas  \v^alleis,  Jacobin  Angîois  ,  fie 
imprimer  vers  la  fin  du  XV^.  fiècle,  à 
l'ufage  des  Prédicateurs  une  explication 
morale  des  métamorphofes  d'Ovide.  ^ 
Nous  avons  le  Virgile  travefti  de  Scaron. 

*  MetamorphôfîsOvidiâna  morâliter  à  MagiftroThoma 
Walleis  Anglico ,  de  profertîône  prardicatôrum  fub  S.  Do- 
minico,  cxplanàta.  Ce  livre  rare  fut  traduit  en  1484.  V.  le 
P.  Echard,  T.  i   p.  508.  &  M.  Maiccaire  ,  Anualcs  Ty[Hi 
graphiques  ,  T.  i,  p.  17^. 


DU  SENS  SPIRITUEL       261 

Ovide  n'avoic  point  penfé  à  Li  morale 
que  Walleis  lui  prête  -,  &C  Virgile  n'a  ja- 
mais en  les  idées  burlefcjues  que  Scaroii 
a  trouvées  dans  Ton  Enéide.  Il  n'en  eft  pas 
de  même  des  fables  morales  ;  leurs  au- 
ceurs  mêmes  nous  en  découvrent  les  mo- 
ralités ;  elles  font  tirées  du  texte  come 
une  conféquencc  eft  tirée  de  fon  prin- 
cipe. 

X.  Sens  Allégorique. 

Le  feKs  allégorique  fe  tire  d'un  difcours, 
qui ,  à  le  prendre  dans  fon  fens  propre , 
fignifie  toute  autre  chofc  :  c'eft  une  hif- 
Eoire  qui  eft  l'image  d'une  autre  hiftoire , 
ou  de  quelqu'autre  penfée.  Nous  avons 
déjà  parlé  de  l'allégorie. 

L'efprit  humain  a  bien  de  la  peine  à  de- 
meurer indéterminé  fur  les  caufes  dont  il 
voit,  ou  dont  il  re{tent  les  éfets  :  ainfi  lorf- 
qu'il  ne  conoit  pas  les  caufes  ,  il  en  imagi- 
ne, ôclevoilàfatisfait.  Les  Païens  imaginè- 
rent d'adord  des  caufes  frivoles  de  la  plu- 
part des  éfets  naturels  :  Tamour  fut  Féfetj 
d'une  divinité  particulière  :  Prométliée 
vola  le  feu  du  ciel  :  Cérès  inventa  le  blé: 
Bacchus  le  via,  &c.  Les  recherches  exac- 
tes font  trop  pénibles ,  êc  ne  font  pas  à  la 


262  DIVISION 

portée  de  tout  le  monde.   Quoi  qu'il  en 

Ibit,  le  vulgaire  fupcrjtitieiix ,  dit  le  P.  Sa- 

*  Pocfies  naûon ,  ^  fut  la  dupe  des:  vifionairts  qui  in- 

dHor.T.i.  ventèrent  toutes,  ces  fables, 

p-  5^4-  Dans  la  fuite  ,  quand  les.  Païens,  comen- 

cèrent  à  fe  policer  6c  à  faire  des  réflexions, 
fur  ces  hiftoires  fabuleufes  ,  il  fe  trouva 
parmi  eux  des  myftiqucs  qui  en  envelo-r 
pèrent  les  abfurditës  fous  le  voile  des  allé- 
gories &  des  fens  figurés ,  auxquels  les 
premiers  auteurs  de  ces  fables  n'avoienp 
Jamais  penfé. 

Il  y  a  des  pièces  allégoriques  en  profe. 
&  en  vers  :  les  auteurs  de  ces  ouvragesi 
ont  prétendu  qu'on  leur  donât  un  fcns 
allégorique  ;  mais  dans  les  hiftoires  ,  6c 
dans  les  autres  ouvrages  dans  lefquels  il  ne 
paroît  pas  que  l'auteur  ait  fongé  à  l'allégo- 
rie, il  eft  inutile  d'y  en  chercher.  11  faut 
que  les  hiftoires  dont  on  tire  enfuite  des 
allégories,  aient,  été  compofées  dans  la 
vue  de  l'allégorie  ;  autrement  les  explica- 
tions allégoriques  qu'on  leur  donc,  ne 
prouvent  rien ,  6c  ne  font  que  des  aplica- 
tions  arbitraires  dont  il  eft  libre  à  cha- 
cun de  s'amufer  comc  il  lui  plaît ,  pourvu 
qu'on  n'en  tire  pas  des  conféquences  dan- 


gercufcs. 


DU  SENS  SPIRITUEL.       2(^5 
Quelques  auteurs   *  ont   trouvé   une*indiculus 
imao:e  des  révolutions  arivées  à  la  lanirue  ^'_^^'^^°' 

1-1  1       T  -vT    T         1     ^1       chronolo- 

latine,  dans  la  itatue'^*  que  Naouchodo-  gicus,inia- 
nofor  vit  en  fonge  j  ils  trouvent  dans  ce  ^i^ïTl^cfau-. 
fonge  une  allégorie  de  ce  qui  devoit  ari-  *** Daniel 
ver  à  la  langue  latine.  i.  v.  51. 

Cette  ftatue  étoit  extraordinairemerïC 
grande  ;  la  langue  latine  n'étoit-elle  pas 
répandue  prelque  par-tout. 

La  tête  de  cette  ftatue  étoit  d'or ,  c'cft 
le  fiècle  d'or  de  la  langue  latine  j  c'efl;  le 
cems  de  Térencc  ,  de  Céfar ,  de  Cicéron  , 
de  Virgile  i  en  un  mot ,  c'eft  le  liècle  d'Au- 
gufte, 

La  poitrine  &  les  bras  de  la  flatue 
étoient  d'argent  ^  c'efl  le  fiècle  d'argent 
de  la  langue  latine  j  c'clt  depuis  la  mort 
d'Augufte  jufqu'à  la  mort  de  l'Empereur 
Trajan  ,  c'ell; -à-dire^  julqu'environ  cent 
ans  après  Augudc 

Le  ventre  &  les  cuiffes  de  la  ftatue 
ëtoient  d'airain  •  c'efl:  le  liècle  d'airain  de 
la  langue  latine  ^  qui  comprend  depuis  la 
mort  de  Trajan ,  jufqu'à  la  prife  de  Rome 
par  les  Goths  ,  en  4 1  o. 

Les  jambes  de  la  ilatue  étoient  de  fer , 
&  les  pies  partie  de  fer  6c  partie  de  terre  ; 
ç'çft  le  fièclç  de  fer  de  U  langue  latine , 

Riv 


2.64  DIVISION 

*        pendant' lequel  les  diférences  incurfions. 
des  barbares  plongèrent  les  homes  dans 
une  extrême  ignorance  j  a  penie  la  langue, 
latine  fe  conierva-t-elle  dans  le  langage. 
deTEglife. 

Enfin  une  pierre  abatit  la  fl-atue*,  c*e{t. 
k  kngue  latine  qui  çefla.  d'être  une  lan- 
gue vivante. 

C'efl:  ainfi  qu'on  raporte  tout  aux  idées 
dont  on  eft  préocupé. 

Les  fcns  allégoriques  ont  été  autrefois, 

fort  à  la  mode,  &  ils.  le  font  encore  ea 

Orient  ;  on  en  trouvoit  par-tout  jufques. 

Huet.  Oi:-<^âi"'S  Ics  nombres.  Métrodore  deLampfa- 

gcnianor.   quç ,  au  rappit  de  Tatien,  avoit  tourné 

.■,^n^^!t/  Homèretoutcntierenallé2;ories.Onaime. 

Traité  du  mîeux  aujourd'hui  la  réalité  du  lens  lité- 

fens  htérai  j-^[^  £^3  explications  myftiques  de  l'Ecri- 

&  du  fens  _    .         ^  .  r         ■        ■  r      < 

m/ftique,  tiirebainte,  qui  ne  iont  point  hxees  par. 
iiloniado-les  Apôttcs ,  ni  établies  clairement  par  la. 
p/*"5^^p!^_ révélation,  fontfujètes  à  des  illufions qui. 
ris,cliezja-m.ènenr  au  fanatiime, 

cjaes  Vin- 

Ç-cnt.  -,  . 

3,.  oens  Afiâgogiû^uç, 

Le  fms  nmigogicjuc  n'eft  guère  en  ufagc, 
que  lorfqu'il  s'agit  à^s  diférens  fens  de. 
l'Ecriture  Sainte,  Ce  mot  anagogiquç,  vient, 


BU  SENS  SPIRITUEL.  265 
du  grec  a'a7W7>',  quî  veiit  àircélévadon  :  «Va, 
dans  la  compofition  des  mots,  fjgmtie 
foLivenc  ,  aii-dcffus ^  en  haut ,  ho=->-^  veut  dire 
conduit  a  de  h^ ,  ]e  conduis  ;  ainii  le  fens  ana- 
gogique  de  l'Ecriture  Sainte  eft:  un  fens 
myftique,  qui  élève  refprit  aux  objets  cè- 
le ilcs  6:  divins  de  la  vie  érernèle  dont  les 
Saints  jouiiîent  dans  le  ciel. 

Le  fens  Hier  al  efl  le  fondement  des  au- 
tres iens  de  l'Ecriture  Sainte.  Si  les  expli- 
cations qu'on  en  donc  ont  raport  aux 
mœurs,  c'eft  le  fens  moral. 

Si  les  explications  des  pafîages  de  l'an- 
cien Teftament  reo;ardent  TEelife  &  les 
myftères  de  notre  Religion  par  analogie 
ou  reficmblance ,  c'eil  le  fens  allégori- 
que ;  ainfî  le  facrifice  de  l'ag^neau  pa'cal , 
le  ferpent  d'airain  élevé  dans,  le  défert, 
étoient  autant  de  fiîrures  du  lacrificc  de  la 
croix. 

Enfin,  lorfque  ces  explications  regar- 
dent l'Eglife  triomphante  &  la  vie  des 
bienheureux  dans  le  ciel,  c'eft  le  fens 
analogique  j  c'eft  ainfi  que  le  fabat  des 
Juifs  eft  regardé  come  l'image  du  repos 
éternel  des  bienheureux.  Ces  diférens 
fens ,  qui  ne  font  point  le  fens  litéral ,  ni 
le  fens  moriil ,  s'apèlent  aulTi  en  général 


266  DIVISION 

fens  trofologiqtce ,  c'eft-  à-dire ,  fens  figure. 
Mais  corne  je  l'ai  déjà  remarqué ,  il  faut 
fuivre  dans  le  fens  allégorique  &  dans  le 
fens  anagogique  ce  que  la  révélation  nous 
en  aprend ,  &  s'apliquer  fur-tout  à  l'intel- 
ligence du  fens  litéral ,  qui  eft  la  règle  in-r 
faillible  de  ce  que  nous  devons  croire  ^ 
pratiquer  pour  être  fauves^ 


Du   Sens  adapte', 

ou   que  l^on   donc  par   alltijion» 

OUelquefois  on  fe  fert  des  paroles  de 
l'Ecriture  Sainte  ou  de  quelque  au- 
teur profane ,  pour  en  faire  une  aplica- 
tion  particulière  qui  convient  au  fujec 
dont  on  veut  parler ,  mais  qui  n'eft  pas  le 
fens  naturel  6c  litéral  de  Tauteur  dont  oa 
les  emprunte,  c'eft  ce  qu'on  2.^h\Q  fenfus. 
Âccommodatitiits  y  fens  adapté. 

Dans  les  panégyriques  des  Saints  ôC 
dans  les  Oraifons  tunèbres ,  le  texte  du 
difcours  eft  pris  ordinairement  dans  le 
fens  dont  nous  parlons.  M.  Fléchier  dans 
fon  Oraifon  funèbre  de  M.,  dç  Turèae^ 


DU  SENS  ADAPTE'.     2^7 

fipliqne  à  Ton  héros  ce  qui  cfb  dit  dans 
l'Ecriture  à  l'ocafion  de  Judas  Machabée 
çjui  fut  tué  dans  une  bataille. 

Le  P.  le  Jeune  de  l'Oratoire,  fameux 
miiliouaire ,  s'apeloit  Jean  j  il  ëtoit  de- 
venu aveugle  :  il  fut  nomé  pour  prêcher 
le  carême  à  Marfcille  aux  Acoules  ;  voici 
le  texte  de  Ion  premier  iermon  :  Fuit  homo  Joann.c  f. 
mijjus  à  Di'O  y  eut  nomen  erat  Jodnncs  ;  non  ^'  ^' 
(rat  ille  Ittx ,  fcà  ut  teftimon'mm  perhibcret  de 
li'tmine.  On  voit  qu'il  iefoit  alluilon  à  loa 
nom  hc  à  fon  aveuglement. 

Remarques  fur  quelques  pajfagcs  adaptés 
À  contY.e-fcns. 

Il  y  a  quelques  paiïagcs  des  auteurs 
profanes  qui  font  corne  pafïes  en  prover- 
bes, 2c  auxquels  on  donc  comunément 
un  fens  détourné  qui  n'efl  pas  précifé- 
ment  le  même  fens  que  celui  qu'ils  ont 
dans  l'auteur  d'oii  ils  iont  tirés  ;  en  voici 
des  exemples  : 

I.  Quand  on  veut  animer  un  jeune 
home  à  faire  parade  de  ce  qu'il  fait,  ou 
blâmer  un  favant  de  ce  qu'il  fe  tient  dans 
l'obfcurité  ,  on  lui  dit  ce  vçrs  de  Pcrfe  : 

Scire  cuum  nihil  eft,  nifi  te  fcire  hoc  fciat  alcer  î    ^«^^^-  Sat.i, 

V.  17. 


268  DU  SENS  ADAPTEE 
Toute  votre  fcience  n'eft  rien ,  fî  les  au- 
tres ne  favent  pas  combien  vous  êtes  fa- 
vant.  La  pcnlée  de  Perfe  eft  pourtant  de 
blâmer  ceux  qui  n'étudient  que  pour  faire 
enkiite  parade  de  ce  qu'ils  lavent.  O 
tems  !  o  mœurs  !  s'écrie- 1- il ,  ejl-ce  do^nc pour 
la  gloire  que  udus  ^âlî[[iz,  fur  les  livres  !  Qjioi 
donc  ?  croyez,- vous  que  la  fcience  neft  rien  , 
4  moins  que  Us  autres  ne  fâchent  que  vous 
êtes  f avant  î* 

rcrf.  Sat.     ^^"^  pallor ,  feniumque  :  O  mores  1  ufque  adeons 
I .  V.  i7.         Scire  tuum  nihil  eft ,  nifi  te  fcire  hoc  fciat  alter  l 

Il  y  a  une  interrogation  &  une  flirprife 
dans  le  texte ,  ôc  l'on  cite  le  vers  dans  ua 
fens  abfolu. 

2.  On  dît  d'un  home  qui  parle  avec 
cmphafe,  d'uri  ftyle  empoulé  &  recher* 
çhé,  que 

Hor,  Art.      Projicit  ampuillas  &  fefquipedàlia  verba  :. 

il  jète ,  il  fait  fortir  de  fa  bouche  des  pa- 
roles enflées  6v  des  mots  d'un  pié  ôc  demi. 
Cependant  ce  vers  a  un  fens  tout  con- 
traire dans. Horace.  >5  La  tragédie  ,  dit  ce 
"Poète,  ne  s'exprime  pas  toujours,  dim 
"  ftyle  pompeux  &;  élevé  :  Télèphe  & 
>5  Pelée,  nous,  deux  pauvres,  tous  deuit^ 


DU  SENS  ADAPTE'.       2(^9 

'iî  chaiîes  de  leurs  pays ,  ne  doivent  point 
'»i  recourir  à  des  termes  enflés ,  ni  fe  fer- 
>î  vir  de  grands  mots  :  il  faut  qu'ils  fafîènt 
*3  parler  leur  douleur  d'un  ftylc  iimple  &; 
^'naturel,  s'ils  veulent  nous  toucher,  èc 
^5  que  nous  nous  intérelîîons  à  leur  mau- 
«i  vaife  fortune  j  «  ainfi  projicit ,  dans  Ho- 
race ,  veut  dire  il  rejeté. 

Et  trâgicus  pleramqae  dolet  fermone  pedéftri        Hor.  Art. 
Télephus  &  Peleus ,  cum  pauper  6c  exul  luér-  ^^°^^-  ^'^z'* 

que 
Projicit  ampùllas  &  fefquipedâlia  verba  > 
Si  curât  cor  fpedântis  terigille  queréiâ. 

M.  Boileau  nous  done  le  même  précepte  : 

t^jue  devant  Troie  en  flame,  Hécube  défolée        Art.  Poer. 
Ne  viène  pas  pouffer  une  plainte  empoulée.        ^  ^^^'  ^' 

Cette  remarque ,  qui  fe  trouve  dans  la 
plupart  des  Comentateurs  d'Horace,  ne 
devoir  point  échaper  aux  auteurs  des  Dic- 
tionaires  fur  le  mot proj/cere. 

3.  Souvent  pour  excufer  les  fautes  d'un 
habile  home ,  on  cite  ce  mot  d'Horace  : 

.  .  .  Quandôqu^  bonus  dormitat  Homérus  -,  Hor.  Art. 

Pocc.v.35^ 

Corne  H  Horace  avoit  voulu  dire  que  le 


lyo     DU  SENS  ADAPTE. 

bon  Homère  s'endort  quelquefois.  Mais 
qudndoauct^  là  ^àwï  qtiandocunque  ^  toutes 
les  fois  que  \  &C  bonus  eft  pris  en  bone  part. 
"  Je  fuis  fâché ,  dit  Horace ,  toutes  les 
"  fois  que  je  m'aperçois  qu'Homère  ^  cet 
»  excélent  Poète,  s'endort,  fe  néglige  j 
»3  ne  fe  foutient  pas. 

Indignor  quànd^que  bonus  dormitat  Homérus; 

M.  Danct  s'eft  trompé  dans  l'explication 
qu'il  à.o\\ç.  de  ce  paffige  dans  fon  Diclio- 
riaire  latin-françbis  fur  ce  mot  quiindoqitc. 
4.  Enfin  pour  s'cxcufer  quand  on  ell 
tombé  dans  quelque  faute ,  on  cite  ce 
vers  de  Térence: 

Heaot  aft  Homo  funi ,  humani  nihil  à  me  aliénum  puro , 
1.  le.  I.  V.  Cqj^c  fî  Térence  avoit  voulu  dire  ,  je  fuis 
home  ,  yV  ne  Juis  point  exempt  des  foiblejjes  de 
r humanité ^  ce  n'eft  pas  là  le  fens  de  Té- 
rence. Chrêmes,  touché  de  l'afliction  oii 
il  voit  Ménédème  fon  vôifin,  vient  lui 
demander  quelle  peut  être  là  caufe  de  fon 
chagrin  &:  des  peines  qu'il  fe  done  :  Mé- 
nédème lui  dit  brufquement,  qu'il  faut 
qu'il  ait  bien  du  loifu*  pour  venir  fe  mêler 
des  afaires  d'autrui.  ^5  Je  fuis  home ,  ré- 
»  pond  tranquilement  Chrêmes  ;  rien  de 


»5 


DU  SENS  ADAFTÉ\      171 

«tout  ce  qui  regarde  les  autres  homes 
>î  n'eft  étranger  pour  moi  ,  je  m'intëreilc 
iï  à  tout  ce  qui  regarde  mon  prochain, 

"  On  doit  s'étoner,  dit  Madame  Da- 
•»  cicr ,  que  ce  vers  ait  été  fî  mal  entendu, 
»j  après  ce  que  Cicéron  en  a  dit  dans  le 
>5  premier  livre  des  Olices. 

Voici  les  paroles  de  Cicéron  :  Ejt  enim  i.OfFn.ij, 
dijjtciiis  cura,  rerum  alienarum ,  (juaricjuam  ^  ^^^^  ^^^ 
T^  erentiânus  ille  Chermts  hummi  nihil  à  Je 
^liénumptitat.  J'ajouterai  un  pafîage  deSé- 
nèque,  qui  eft  un  comentaire  encore  plus 
clair  de  ces  paroles  de  Térence.  Sénèque, 
ce  Philofophe  païen ,  explique  dans  une 
de  Tes  lettres ,  cornent  les  homes  doivent 
honorer  la  majefté  des  Dieux  ;  il  dit  que 
ce  ntfi  (jtien  croyant  en  eux  ,  en  pratiquant 
de  ho  ne  s  œuvres  y  dr  en  tachant  de  les  imiter 
dans  leurs  perfeBions ,  cfuonpeut  leur  rendre 
un  culte  agréable  \  il  parle  enfuite  de  ce 
que  les  homes  fe  doivent  les  uns  aux  au- 
tres. "  Nous  devons  tous  nous  regarder , 
♦î  dit-il ,  corne  étant  les  membres  d'un 
^>  grand  corps  ;  la  nature  nous  a  tous  ti- 
»3  rés  de  la  même  fource ,  &  par  là  nous  a 
>3  tous  faits  parens  les  uns  des  autres  ;  c'eft 
«  elle  qui  a  établi  l'équité  &:  la  juftice. 
»>  Selon  l'inftitution  de  la  nature  ,  on  eft 


27^  DU  SENS  ADAPTE'. 
ti  plus  à  plaindre  quand  on  nuit  aux  au- 
«  très  ,  que  quand  on  en  reçoit  du  doma- 
îî  ge.  La  nature  nous  a  doué  des  mains 
55  pour  nous  aider  les  uns  les  autres  j  ainli 
«  ayons  toujours  dans  la  bouche  &.  dans 
M  le  cœur  ce  vers  de  Térence  ,/Vy^/V  ho.'^^e^ 
»  rk-»  de  tout  ce  qui  regarde  les  bornes  ntjî 
55  étranger  four  r^ioi,  * 

Il  eft  vrai  en  général  que  les  citations 
iSc  les  aplicacions  doivent  être  juftes  au- 
tant qu'il  eft  poffible  j  puifqu'autrement 
elles  ne  prouvent  rien  ^  &:  ne  fervent  qu'à 
montrer  une  faufîe  érudition  ;  mais  il  y 
auroit  bien  du  rigorifme  à  condaner  tout 
fens  adapté. 

Il  y  a  bien  de  la  diférence  entrt  raportet 
un  paflage  corne  une  autorité  qui  prouve  , 

*  Quômodo  fiiit  Dii  coléndi  foict  pr<Kcipi  ....  Deuni 

colit  qui   novit Primus  tù  Deôrum  cultus  ,  Deos 

crédere,  deindc  léddere  illis  majeftâtem  fuam,  réddere  bo- 
nitâtem  fmc  c]uâ  iiuUa  màjcftas  cil  :  vis  Deos  propiriâvc  , 
bonus  efto.  Satis  illos  coluit  cjaifquis  imitâcus  eft.  Ecce  al- 
téra quxftio  ,  quomodo  homînibus  fît  uréndum  ....  1 
poflim  bréviter  haiic  fôrmulam  humâni  oiFicii  trddere  .  .  . 
.  .  .  membra  furaus  côrporis  magni ,  natûia  nos  cognâcos 
cdidir ,  cum  ex  iifd'.-m  &  in  idem  *  gigneret.  Hxc  no'oi'; 
araôiem  Indidic  mù'-uum&  fociâbilesfecit  jillaxquum  ju'  - 
tûmque  compôfuit  :  ex  illius  conllitutione  miférius  eft  n(5  - 
cérc  quam  Icedi  ;  &  illius  império  parârx  funt  ad  juvân- 
dum  manus.  Ifte  verfus  &  in  pédore  &  in  ore  fit ,  boiro 
[nm ,  hiimânï  nihil  a  me  aliénumfttto.  Habeâmus  in  cbm- 
œuiie  j  qaod  nati  fumas.  Sente  JL'^.  xcv.  *  officia. 

oii 


bu  SENS  ADAPTE'.  273 
'où  fimplemenc  corne  des  paroles  conucs  , 
auxquelles  ou  donc  un  fens  nouveau  qui 
convient  au  lujec  donc  on  veut  parler; 
dans  le  -premier  cas,  il  faut  confervcr  le 
fens  de  rauceur  -,  mais  dans  le  fécond  cas  , 
les  partages  ,  auxquels  on  donc  un  iens 
diférenc  de  celui  qu'ils  ont  dans  leur  au- 
teur, font  regardés  corne  autant  de  paro- 
dies ,  &  come  une.  forte  de  jeu  donc  il 
eil  fouvent  permis  de  faire  ufagc. 

Sf4ite  du  fins  adapte. 
De  la  PàrCdie  et   des  Centons. 

LA  Parodie  eft  auiïî  une  forte  de  fens  Athénée,  i. 
adapté.  Ce  mot  efb  grec ,  car  les  Grecs  H  &  i  j. 
ont  fait  des  parodies, 

Paro  lie  *  fîgnifie  à  la  lettre  un  chant 
compofé  à  l'imitation  d'un  autre,  ôc  par 
extenlion  on  dône  le  nom  de  parodie  à 

*  Wcicot^lx  ,  cânticum.  R.  -rupi  ,  juxta ,  &  w/i' ,  canrus  , 
caimen.  Cânticum  vel  caimcn  ad  alcérius  fimilitûdinem 
eompôntum,  cum  altérius  poéts  verfus  jocosè  in  âliud 
aii;i.unéntum  tiansfcrûntur.  ^ 

Eft  ctiam  parodia  ,  Hermogeni ,  cùm  quis  ,  ubi  paitc.:^     , 
âliquam  verfus  prôtulit  ,  réliquum,  à  fe  ,  id  eft  ,  de  fuo, 
braciône  Tolûtâ  elôquitur  ,  Jkobtrtfon.  Th.  ling.  grxc,  t. 


'  un  ouvrage  en  vers,  dans  lequel  on  dé- 
tourne, dans  un  fens  railleur,  des  vers 
qu'un  antre  a  faits  dans  une  vue  diféren- 
te.  On  a  la  liberté  d'ajouter  ou  de  re- 
trancher ce  qui  eft  nécelTaire  au  deiTein 
qu'on  fe  propofe  j  mais  on  doit  confcrver 
autant  de  mots  qu'il  eft  nécelfaire  pour 
rapelet  le  fouvenir  de  l'original  dont  on 
emprunte  les  paroles.  L'idée  de  cet  origi- 
nal ôcl'aplication  qu'on  en  fait  à  un  fujet 
d'un  ordre  m.oins  férieux,  forment  dans 
l'imagination  un  contrafte  qui  la  fur- 
prend ,  &;  c'eft  en  cela  que  conlifte  la 
plaifanterie  de  la  parodie.  Corneille  a  dit 
dans  le  ftyle  grave,  parlant  du  père  de 
Chimène  : 

Le  Cid.aâ.      Ses  rides  fur  fon  front  ont  gravé  £cs  exploirs. 

Racine  a  parodié  ce  vers  dans  les  Plai- 
deurs :  l'Intimé  parlant  de  Ion  père  qui 
étoit  fergent,  dit  plaifament  : 

Les  Plaid.  H  gagnoit  en  un  jour  plus  qu'un  autre  en  fix  mois , 
aQ.iAc.  5.  5g5  rides  fur  fon  front  gravoient  tous  fes  exploits. 

Dans  Corneille ,  exploits  fic;nifîe  actions 
mémorables  ,  exploits  militaires  ;  ôé  dans  les 
Plaideurs,  f'.Y/'/^i/j  fc  prend  pour /i'/  actes 
Qw  procédures  que  font  Icsfergens.  On  die 


■DU  SENS  ADA?TE\      275 

que  le  ^rând  Corneille  fut  ofenfé  de  cette 
plailantcrie  du  jeune  Racme, 

Au  refte,  l' Académie  a  obfervé  que  les  Seaûmtni 
rides  marquent  les  années  :  m  dis  ne  gravent  j-J  ,-    , 
point  les  exploits.  vèisduCiJ. 

Les  vers  les  plus  conus ,  font  ceux  qui 
font  le  plus  expofés  à  la    parodie.    On 
trouve  dans  les  dernières  éditions  des  œu- 
vres de  Boileau,  une  parodie  ingénieufc  Tom.  z.  p 
de  quelques  fcènes  du  Cid.  On  peut  voir  j^^^'^^V"^" 
auili  dans  les  Poëfies  de  Mad.  des  Hou-  dcsHoîI 
lièrcs  une  parodie  d'une  Cchne  de  la  même  tdit.  àc 
tragédie.  Le  Théâtre  Italien  eft  riche  en  ;7^^  î^S- 
parodies.   Le  Poëme  du  Vice  Puni  ell  "' 
rempli  d'aplications  heurcufes  de  vers  de 
nos  meilleurs  Poètes:  ces  aplications  font 
autant  de  parodies. 

Les   Centons   font    encore  une   forte     K/fT^!-, 
d'ouvrage  qui  à  iraport  au  fens  adapté.  "''';°' "^■'^.': 
Lento  en  latin  lignine ,  dans  le  lens  pro-  paimiscon- 
pre,  urie  pièce  de  drap  qui  doit  être  cou-  farcinàca, 
fue  à  quelqu'autre  pièce,  ôc  plus  foUvent  pj^^o  " 
un  manteau  ou  un  habit  fait  de  dii"érentes 
pièces  taportécs  :   cnfuite  on  a  doné  ce 
nom  ,  par  métaphore  ,  à  uii  ouvrage  com- 
pofé  de  plufieurs  vers  ou  de  plufieurs  paf- 
fages  empruntés  d'un  ou  de  plufieurs  au- 
teurs. On  prend  ordinairement  la  moitié 

Sij 


ijè  SUITE 

d'un  vers ,  &  on  le  lie  par  le  fens  avec  la 
moitié  d'un  autre  vers.  ^  On  peut  em- 
ployer un  vers  tout  entier  &:  la  moitié  du 
iuivant,  mais  on  délaprouvc  qu'il  y  ait 
deux  vers  de  fuite  d'un  même  auteur. 
Voici  un  exemple  de  cette  forte  d'ou- 
vrage ^  tiré  des  centons  de  Proba  Falco- 
nia.  §  Il  s'agit  de  la  défenfe  que  Dieu  fit 
à  Adam  '6i  à  Eve  de  manger  du  fruit 
défendu  ;    Proba  Falconia  fait  parler  le 

*  Vâiiis  de  locis ,  fcnfîbûfque  cîivérfis  ,  quscJam  câr- 
hiiais  ilru(fliiia  roiidârnr ,  in  unuin  verfom  ut  côeant 
caefi  duo  ,  aut  uiius  &  fequens  cum  médio  :  nam  duos 
junccim  locârc  ineptum  ell:  ,  &  trcs  ,   unâ  fcrie, ,  racix 

MUgx fcnfus  divérfi  ut  côiigruant  ;  adopcivâ  qua: 

funt,  ut  cognâta  vidcântur  ;  aîténà  ne  interli'iccant  \  hialca 
ne  pâieant.    Anjotiius  Paulo.  Eniih    o^ua  pr&légi:ur    anu 

lEdyli.  XIII. 

§    Piobx   Falcônix   vatis  clan'llîmx  à    S.  Hierônymo 

comprobâ:a:  centônes  de  fidci  noftrx  myftcriis,  c  Marôriis 

carm:nibus ,  &c.  Parihis  ,  apud  ./Egidiuni  Goibiaiim  1 576. 

f.   17.  in-'i.  hem  Parilris ,   apud  Prai'icircum  SrcphànJm. 

M45- 

Lti  centons  de  Proba  Falconia  fe  trouvent  i'HJfi  dzns  Bi- 
blio:héca  Patrum ,  Tom.  5.  Lugdûni  id-j-;.  Voici  ce  qui  c^ 
■ait  de  cette  fa,viinte  ^  f!enfe  Dame  dans  l'Index  Autlo- 
rnm  Bib!.  Patr.  Tom.  i.  Proba  Falconia  uxor 
non  Adciphi  Prôcônfulis ,  uc  fcribic  Ifldorus ,  fed  Anicii 
Probi  Prxlcclri  Pixtôrio",  pôfteà  Côiifulis ,  mater  Probîni, 
Olibrii ,  8c  Probi  ,  fimiliLer  Cônfulum.  De  quâmulta  Hic- 
rônymus  Epift.  S.  &  P.arônius ,  Tom.  4.  &  5.  Annâlium. 
Scripfiu  Virgiiio-centor-es  qui  extant  fol.  liiS.  Flôrui: 
non  fub  Theodôfio  juniorc  ,  u:  viiit  Sixtus  Scncnfîs ,  fr-J 
(ub  Gradàno. 


DU  SENS  AD-APTE\      277; 

Seigneiu- en  ces  termes,  au  chapitre  xvi. 

A.  z.    711.   Vos  farnuli  quac  dicam  âuimis  advcrcice  vef- 
tiis  : 
1,     il.  Ffl  in  confpediu  "^  ramis  felicibus  arbpr  q    ,^    gj_ 

7.  6ç)t.  Qu/im  neque  fas  igni  cuicjuam  nec  ftçnierc 

fdrro, 
7.  <Jo8.  Relligiône  frtcr^.*  nuiicjuam  concElTamovcJii.  ^_  ,_  _f,o. 
II.  591.  Hàc  quicumque  facrw  *  deccipferic  âibore         ^    j  .  j_^ 

foetus  , 
II.  849.  Morte  lact  mérit.î,  '^  nec  me  fcntcntia  vertit^         i.  141. 
G.    2.  515.  Ncc  tibi   tam  prudens  (juifquaru  peiTuâdeat 

auror 
Ec  S.    48,  Commaculâie  manus.  *  Liccat  te  voce  monéri         ,    ^^t. 
G.    5.  Il  6.  FémïiiZ ,  ^  nullÎMs  te  blandafu.i^o 'vincat  y 
G.   I.  168.  Si  te  digna  mançc  divini  gJôiif  raris. 

Nous  avons  auiîi  les  centons  cl'Et;iène  de 
Pleutre  *  ôc  de  quelques  autres.  L'Empe   Aufon.  Eo. 
reur  Valcntinien  ^  an  raport  d'Aufone  ,  ^^''-'^^  -^y^^- 
s'étoit  aulFi  amufé  à  cette  lorrc  de  jeu  :  ^^''" 
mais  il  vaut  mieux  s'ocuper  à  bien  peu- 
fer ,  &  à  bien  exprimer  ce  qu'on  penfc , 
qu'à  perdre  le  tems  à  un  travail  oii  l'cf- 
prit  eft  toujours  dans  les  entraves,  où  la 
penfée  efb  fubordonée  aux  mots.,  au  lieu 

*  Stéphani  Pleurrei  Mnch  facra  cônciiicns  ada  D6- 
ininî  N.  J.  C.  &  primôrum  Mârtyi'am  Virgilio-centoni-, 
l?us  confcripta.  Parîflis  ,  apiid  AdiianumTaiipinart,  j  618. 
iu-4'', 

S  iij 


-278  S^UITE 

que  ce  font  les  mots  qu'il  faut  toujours 

fubordoner  aiix  penfées. 

Ce  n'ëtoit  pas  afTez  pour  quelques  écri- 
vains, que  la  contrainte  des  centons:  nous 
avons  des  ouvrages  où  l'auteur  "^  s'eft  in- 
terdit fucceirivement  par  chapitres  ,  ôC 
félon  l'ordre  de  l'alphabet  l'ufage  d'une 
lettre,  c'eft  à-dire ,  que  dans  le  premier 
chapitre  il  n'y  a  point  (ïa ,  àc  dans  le  fé- 
cond point  de  ^ ,  aind  de  fuite.  Un_  autre  § 
a  fait  un  Poëme  dont  tous  les  mots  co- 
mencent  par  un.  p. 

Plaiidite  porcélli  5  porcorum  pigra  propaga 
Progrédirur,  plures  porci  pinguédine  pleni 
Pugnantes  pergunt.  Pécud^m  pars  prodigiofa 
Perturbât  pede  petrbfas  pleriimque  platéasi. 
Pars  portent  se  populérum  prata  profanât. 

*  Liber  abCquelitteris,  de  ^tâtibus  mundi  &  hominis  ; 
autore  Fâbio,  Claudio,  Gordiâuo  ,  Fulgéntio.  Edidit.  P.  Ja- 
côbus  Homraey  Augaftiiiiâniis ,  Pidavii.  Proftat  Parifiis 
apud  Viduam  Câroh  Coignard  ,  i6')6.Le  titre  du,  tnanuf- 
crit  promet  zA  h  ufcjue  in  Z.  7nais  l'Imprimeur  n'a  mis  ait 
pur  que  xiv.  chapitres  ■,  c'efl  à.- dire  y  jnfqu'à  l'O  incltifive- 
ment  ;  ^  il  àlclare  que  le  copiflt  et  égaré  le  refie.  Hue  ufque 
codex  ,  cujus  fcripror  addic  :  ii  dccem  de  quibus  fît  niéntio 
in  ritulo  ,  néfcio  ubi  funt. 

§  Pugiià  Porcorum  per  P,  Pôrcium.  Ce  Voème  tft  corn- 
pofé  de  148.  vers.  Se  l'ai  -vit  d*ns  un  recueil  qui  a  pour  titre  : 
Nuga:  Vénales.  Moréri  atnbue  ce  Poétne  à  Léo  Placentius. 
y.  Plaisant,  dans  l'édition  de  Moréri  de  171 8. 


I 


DU  SENS  ADAPTE',      279 

Dans  le  IX^  fiècle,  Huband Religieux 
Bénédictin  de  S.  Amand,  dédia  àTEnipc- 
reui-  Charles  le  Chauve  un  Poëme  com- 
poié  à  l'honeur  des  chauves ,  donc  tous 
les  mots  comenccnt  par  la  lettre  c. 

Carmina,  clarifoncc,  calvis  cantate  Camcncc. 

■*  Un  autre  s'eft  mis  dans  une  contrainte 
encore  plus  grande,  il  a  fait  un  Poëme  de 
2956.  vers  de  fix  pies ,  dont  le  dernier  feul 
eil  un  fpondée,  les  cinq  autres  font  au- 
tant de  dactyles.  Le  fécond  pié  rime  avec 
le  quatrième ,  6c  le  dernier  mot  d'un  vers 
rime  avec  le  dernier  mot  du  vers  qui  le  fuit, 
à  la  manière  de  nos  vers  françois  à  rimes 
iuivies  j  en  voici  le  comencement  : 

HotAnovisJima,  témpora  ipcsf ma  funt,  wigïUmus. 
Ecce  mmkciter  imminet  arb/Vsr  ille  {apvémus. 
Imminet ,  iinmlneiQt  mala  términet,  xquacoro/z^f, 
Reda  ïemiwerct ,  anxia  Viheret ,  .'Echera  donet  : 
Aûferat  kCçera,  diiràque  pondem  mentis  onûjla  , 
Sobria  mûniat,  'miproba  pûniat ,  îitraque  ]ujîe  .^ 
\\\Qpu[JîmuSi  ille  gr:a.w i//imiis  ecce  venit  Rex. 
Siirgat  hovnoreus,  inftat  homoZ>eK5,  àpatre  jude^r. 

*  Bcrnarcti  Morlanenfis,  Mônachi  ôxdiais  Cluniaccnfis, 
a.l  Petrum  Cluniacenfem  Abbâcem  cjui  clâruic  anno  1 140. 
de  Coiitcinptu  Muiidi ,  libri  trcs,  ex  vctéiibus  membrânis, 
çqcens  dcCcripti,  Brcma: ,  anno  i  f  «jj. 

Siv. 


iSo  SUITE 

Les  Poëmes  dont  je  viens  de  parler  font 
anjoiird'hiii  au  même  rang;  que  les  acrof- 
tiches  &  les  anag-iames.  *  Le  2;oiit  de  tou- 
t€s  ces  fortes  d'ouvrages,  heureufement, 
efl:  paflë.  îl  y  a  eu  un  tem.s  où  les  ouvra- 
ges d'efprit  ciroient  leur  principal  mérite^ 
de  la  peine  qu'il  y  avoir  à  les  produire,  ôC 
fouvent  la  montagne  étoit  récompense 

*  L'acroHiche  eft  une  forte  d'ouvrage  en  vers  ,  dont  cha- 
que vers  comence  par  chacune  des  lettres  qui  forment  un 
certain  mot.  A  la  tête  de  chaque  comédie  de  Plaute  ,  il  y 
a  un  argument  fait  en  acroftiche  :  c'eft  le  nom  de  la  pièce 
qui  eft  le  mot  de  l'acroftiche  j  par  exemple  :  Amphitruo  : 
lé  premier  vers  de  l'argument  comence  par  un  A,  le  fécond 
par  un  M,  ainfi  de  fuite.  Ces  argurr  eus  font  anciens ,  & 
Madam.e  Dacier  dans  fcs  remarques  fur  celui  de  l'Amphi- 
tryon   fait  entendre  que  Plaute  en  eft  l'auteur. 

Cicéron  nous  aprend  qu'Ennius  avoir  fait  des  acrofti- 
ches  ;  à.Kpoc,iy\q  dicitur  ^  cum  deinceps  ex  primis  xérfuum 
Utteris  dliqtiid  ccmiéclitur  ,  ut  in  quiènfà^m  Enni^nis.  Ctc^. 
de  Divinatiône  1.  z.  n.  iii.  aliter  liv. 

S.  Auguftin ,  de  Civ.  Dci,  1.  xvii.  c.  13.  parle  d'un 
acroftiche  de  la  Sibyle  Erythrée  ,  dont  les  lettres  initiales 
fermaient  ce  fens ,  Vuai:  Xfiç,oç  GiouThçlcûTv'f. 

Au  rcfte,  acroftiche  vient  de  deux  mots  grecs  k'v.pc;..  fum- 
mus ,  qui  eji  a  une  des  extrémités;  &  j'^''^  verfus,  ordo. 
ff.ypo::iy}ç    m'    Sc  â.Kfoçix^''    tc  i  inltijum  verfus. 

A  l'égard  de  \' anagrame ,  ce  mor  eft  encore  grec  :  il  eft 
compofé  de  la  prépofition  :l:ct  qui  dans  la  compofition  des 
mots,  répond  fouvent  zretra,  rè 'y  &  de  ',fâi'_/.:r'  lettre. 
L'anagrame  fc  fair  lorfqu'en  dépb^ant  les  lettres  d'un  mor, 
on  en  forme  un  autre  mot ,  qui  a  une  fignifîcatiou  diféren- 
te  ;  par  exemple  ,  de  Lsraine  on  a  fait  Alérion. 

Il  ne  paroît  pas  que  les  anagrames  aient  jamais  été  ca 
ufagc  parmi  les  Latir>s.  " 


DU  SENS  ADAPTE'.  iSr^ 
de  n'enfanter  qu'une  Couris ,  pourvu  qu'el- 
le eût  été  long-tems.  en  travail.  Aujour-  Moiièrr^ 
d'hui  le  tems  ëc  la  diticulté  ne  fonf  rien  à  ^ii^an.ad. 
l  afiiire  i  oii  aime  ce  qui  elt  vrai ,  ce  qui 
inftruit ,  ce  qui  éclaire  ^  ce  qui  intércfîe  , 
ce  qui  a  un  objet  raifonable;  &  l'on  ne 
regarde  plus  les  mots  que  corne  des  fignes. 
auxquels  on  ae  s'arêce  que  pour  aler  droit 
à  ce  qu'ils  lignifient.  La  vie  efb  fi  courte, 
&:  il  y  a  tant  à  aprendrc  à  tout  âge  ,  que  li 
l'on  a  le  bonheur  de  iurmonter  la  pareile 
&:  l'indolcLice  naturèle  de  Tefprit ,  on  ne 
doit  pas  le  mettre  à  la  torture  fur  des 
riens  ,  ni  l'apliquer  en  pure  perte. 

X   I. 

Sens  Abstrait,  Sens  Concret. 

'E  mot  cib (hait  vient  du  \^tm  abjirac-. 
tus  ^  participe  à'^ibjlrahere  ^  qui  veut; 
du'e  tirer  ,  ar-icher ,  fépdrer  de. 

Tout  corps  eft  réèlement  étendu  en  lon^ 
gucur,  lar2;cur  &:  profon.deur,  mais  fou- 
vent  on  pcnfe  à  la  longueur  fans  faire 
ntention  à  la  largeur  ni  à  la  profondeur, 
ç'cil;  ce  qu'on  apèle  faire  abllradtion  de 
la  Lirgeur  &  de  U  profondeur^  c'eft  coa- 


282         SENS  ABSTRAIT, 

fidérer  la  longueur  dans  un  fens  abftrait:. 
c'eilamfî  qu'en  géométrie  onconiidère  le 
point ,  la  ligne ,  le  cercle ,  fans  avoir  égard 
ni  à  un  tel  point ,  ni  à  une  telle  ligne,  ni 
à  un  tel  cercle  phyiiquc. 

Ainfi  en  général  le  fens  abftrait  eft  ce- 
lui par  lequel  on  s'ocupe  d'une  idée ,  fans 
faire  atention  aux  autres  idées  qui  ont  un 
raport  naturel  6c  nécefTaire  avec  cette 
idée. 

1 .  On  peut  confidérer  le  corps  en  gé- 
néral fans  penfer  à  la  figure  ni  à  toutes 
les  autres  propriétés  particulières  du  corps 
phyfiquc  :  c'elt  confidérer  le  corps  dans  un 
fens  abftrait ,  c'efl:  confidérer  la  chofe  fans. 
le  mode ,  corne  parlent  les  Pliilofophes , 
res  abfcjue  mode. 

2.  On  peut  au  contraire  confidérer  les 
propriétés  des  objets  fans  faire  atention  à 
aucun  fujet  particulier  auquel  elTes  foienc 
atachées,  modus  abfcjue  r^.C'efb ai nfi  qu'on 
parle  de  la  blancheur ,  du  mouvemenî: , 
du  repos  ,  fans  faire  aucune  atention  parti- 
culière à  quelque  objet  blanc,  ni  à  quelque 
corps  qui  foit  en  mouvement  ou  en  repos. 

L'idée  dont  on  s'ocupe  par  abftraclion , 
efl  tirée ,  pour  ainfi  dire  ,  des  autres  idées 
qiii  ont  raport  à  celle-là  ^  elle  en  eft  come 


SENS  CONCRET.        283 

fëparée,  6c  c  cil  pour  cela  qu'on  l'apèle 
idée  abilraitc. 

L'abilractiou  e(t  donc  une  forte  de{é- 
pararian  qui  ie  fait  par  la  penfée.  Souvent 
on  confidère  un  tout  par  parties,  c'eft  une 
efpèce  d'abllraclion  ,  c'cli  ainfi  qu'en  ana- 
tomie  on  fait  des  démonih-ations  parti- 
culières de  la  tête  ,  enluitc  de  la  poitrine, 
&:c.  mais  c'ell  plutôt  divifcr  qu'abftrairc  ; 
on  apèle  plus  particulièrement  fltire  abf- 
tracfion ,  lorfque  l'on  confidère  quelque 
propriété  des  objets  lans  faire  atention  ni 
à  l'objet,  ni  aux  autres  propriétés,  ou 
lor(quc  l'on  conlldère  robjct  fans  les  pro- 
priétés. 

Le  fens  concret,  au  contraire,  c'eft  lorf- 
que l'on  confidère  le  lu  jet  uni  au  mode, 
pu  le  mode  uni  au  fujct  \  c'eft  lorfque 
l'on  regarde  un  fujet  tel  qu'il  eft ,  &:  que 
l'on  penfe  que  ce  fujec  &  f<i  qualité  ne 
font  enfemble  qu'une  même  chofe ,  & 
forment  un  être  particulier^  par  exemple: 
ce  papier  hUnc ,  cette  table,  (juarrée^  cette  botte 
ronde  ,•  bUnc.^  quarrêe ,  ronde ,  font  dits  alors, 
dans  un  fens  concret. 

Ce  mot  concret  vient  du  latin  cancrètus^ 
participe  de  concréfcere ^  croître  enfemble^ 
s'épailCr,  fe  coaguler,  être  compofé  dc^ 


284       SENS  ABSTRAIT, 

enéfet,  dans  le  fens  concret,  les  adjec-* 
tifs  ne  tormenc  qu'un  tout  avec  leurs  fu-^ 
jets  ,  on  ne  les  fëparc  point  l'un  de  l'autre 
par  la  penfée. 

Le  coiicret  renferme  donc  toujours  deux 
idées,  celle  du  fujet,  6c  celle  de  la  pro- 
priété. 

Tous  les  fabftantifs  qui  font  pris  adjcc-r 
tivement,  font  alors  des  termes  concrets, 
ainfi  quand  on  dit  Petrus  efi  homo  ;  homo 
eft  alors  un  ternie  concret ,  Vetrtu  tji  ha- 
hens  humanitâîem, 

Obfenvcz  qu'il-  y  a  de  la  diférence  entre 
faire  abftraction  ôc  fe  fervir  d'un  terme 
abflrait.  On  peut  fe  fervir  de  mots  qui 
expriment  des  objets  réels ,  ôc  faire  abf- 
traction ,  corne  quand  on  examine  quel- 
que partie  d'un  tout,  fans  avoir  égard  aux 
autres  parties  :  on  peut  au  contraire  fe  fer- 
vir de  termes  abftraits ,  fans  faire  abftrac- 
tion  ,  corne  quand  on  dit  que  la  fçrtune 
cft  aveugle. 

Des  termes  ahfiraits. 

Dans  le  langage  ordinaire,  abflrait  fe 
prend  pour  fuhtil ,  'metaphyfique  :  ces  talées 
fint  aijlYAÏtis.^  c'çft-à-dire,  qu'elles  d^^. 


^■^A^^  CONCRET.        2^5 

mandent  de  la  méditation ,  qu'elles  ne 
font  pas  aifées  à  comprendre;,  qu'elles  ne 
tombent  point  fous  les  fens. 

On  dit  aulîi  d'un  home ,  qu'il  eil:  ahftrait 
quand  il  ne  s'ocupc  que  de  ce  qu'il  a  dans 
l'efprit,  lans  fe  prêter  à  ce  qu'on  lui  dit. 
Mais  ce  que  j'entens  ici  par  ter?nes  ahf- 
truits ,  ce  lont  les  mors  qui  ne  marquent 
aucun  objet  qui  exifte  hors  de  notre  ima- 


gmacion. 


Que  les  homes  penfent  au  foleil ,  ou 
qu'ils  n'y  penfent  point,  le  foleil  exifte, 
ainlî  k  mot  dt;  foleil  n'eft  point  un  terme 
abdrait. 

Mais  beanîé ^  Lv.dctir  y  &c.  font  des  ter- 
mes abilrairs.  Il  y  a  des  objets  qui  nous 
plaifent  &  que  nous  trouvons  ^^j/y.v ,  il  y 
en  a  d'autres  au  contraire  qui  nous  afcc- 
tent  d'une  manière  délagréable,  6i  que 
nous  apelons  Liids  ;  mais  il  n'y  a  aucun 
être  réel  qui  foit  la  beauté  ou  la  laideur. 
Il  y  a  des  homes  ,  mais  Vhumanhé  n'eft 
point,  c'ed-àdire,  qu'il  n'y  a  point  un 
être  qui  foit  Chumaniîé, 

Les  abltractions  ou  idées  a.bftraites  fu- 
polent  les  impredions  particulières  des  ob- 
jets ,  ôC  la  méditation,  c'eft-à-dirc,  les 
téHéxions  que  nous  fefons  naturèlemcnt 


286  SENS  ABSTRAIT, 

fur  ces  impreffions.  C'eft  à  l'ocafion  dé 
ces  irnpreilions  que  nous  confidérons  en- 
fuite  iéparénicnt,  ôc  indépendamenc  des 
objets  ,  les  diférentes  afections  qu'elles 
ont  fait  naître  dans  notre  efpnt,  c'eft  ce 
que  nous  apelons  les  propriétés  des  objets  ; 
je  ne  coniidérerois  pas  le  mouvement  en 
lui-même,  ii  je  n'avois  jamais  vu  de  corps 
en  mouvement. 

Nous  fomes  acoutumés  à  donef  des 
noms  particuliers  aux  objets  réels  &  fcn- 
fibles ,  nous  en  douons  aufli  par  imita- 
tion aux  idées  abflraites ,  corne  fi  elles  re- 
préfentoient  des  êtres  réels  j  nous  n'avons 
point  de  moyen  plus  facile  pour  nous  co- 
rnu niquer  nos  penfées. 

Ce  qui  a  fur-tout  dôné  lieu  aux  idées 
abflraites ,  c'eft  l'uniformité  des  imprcf- 
fîons  qui  ont  été  excitées  dans  notre  cer- 
veau par  des  objets  ditérens,  &c  pourtant 
femblables  en  un  ccrtjm  point  :  les  homes 
ont  inventé  des  mots  particuliers  pour  ex- 
primer cette  reiïemblance,  cette  U il i for- 
mité  d'impreffion  dont  ils  fe  font  formé 
une  idée  abftraite.  Les  mots  qui  expriment 
ces  idées  nous  fervent  à  abréger  le  d if- 
cours,  6c  à  nous  faire  entendre  avec  plus 
de  facilité;  par  exemple,  nous  avons  VlI 


SENS  CONCRET.  2S7 

■piufieurs  objets  blancs,  enfaite  pour  ex- 
primer rimpreiîîon  nnil-ormc  que  ces  difé- 
rens  objets  nous  ont  cauice  ,  éc  pour  mar- 
quer /e  point  dans  lequel  ils  fc  rejfemhlent  ^ 
nous  nous  (ervons  du  mot  de  blancheur. 

Nous  fomes  acoutumés  dès  notre  en- 
fance à  voir  des  corps  qui  paflent  iuccef- 
fivemcnt  d'une  place  à  une  autre;  enfuitc 
pour  exprimer  cette  propriété  &  la  ré- 
duire à  une  forte  d'idée  générale,  nous 
nous  {ervons  du  terme  de  mouvement.  Ce 
que  je  veux  dire  s'entendra  mieux  par  cet 
exemple. 

Les  noms  que  l'on  donc  aux  tropes  ou 
figures  dont  nous  avons  parlé ,  ne  repré- 
fentent  point  des  êtres  réels  j  il  n'y  a  point 
d'être,  pomt  de  fubftance ,  qui  foit  une 
métaphore,  ni  une  métonymie;  ce  font 
les  diférentes  expreffions  métaphoriques, 
Se  les  autres  façons  de  parler  figurées  qui 
ont  doné  lieu  aux  maîtres  de  l'art  d'in- 
venter le  terme  de  métaphore  ^  6c  les  autres 
noms  des  figures  :  par  là  ils  réduifent  à 
une  efpèce ,  à  une  clafle  particulière  les 
cxprefTions  qui  ont  un  tour  pareil  félon 
lequel  elles  le  rcflèmblent,  ôc  c'ell  fous 
ce  raport  de  reffjmblance  qu'elles  font 
comprifes  dans  chaque  forte  particulière 


2-83        SENS  ABSTRAIT, 

<ie  figure ,  c'eft- à-dire ,  dans  la  même  mkî 
nièrc  d'exprimer  les  penfées  :  toutes  les 
expreflions  métaphoriques  font  comprifcs 
fous  la  métaphore  ,  elles  s'y  raportent  ^ 
ridée  de  métaphore  eft  donc  une  idée 
abftraite  qui  ne  repréfente  aucune  ex- 
preilîon  métaphorique  en  particulier,  mais 
leulement  ceute  iorte  d'idée  générale  que 
Jes  homes  fe  (ont  faite  pour  réduire  à  une 
clalîe  à  part  les  exprefTions  rîgurées  d'une 
même  elpèce ,  ce  qui  met  de  l'ordre  &.  de 
la  néteté  dans  nos  penfées,  êc  abrège  nos 
difcours. 

11  en  eft  de  même  de  tous  les  autres 
noms  d'arts  &  de  fciences  :  la  phyfique , 
par  exemple,  n'exifte  point,  c'eil-à-dire , 
qu'il  n'y  a  point  un  être  particulier  qui 
ioic  la  phvfique  :  mais  les  homes  ont  fait 
un  etand  nombre^  de  réflexions  fur  les 
diférentes  opérations  de  la  nature;  &  en- 
fuite  ils  ont  doné  le  nom  àc  fcioice  phyfi- 
aiic  au  recueil  ou  atîemblage  de  ces  ré- 
flexions ,  ou  plutôt  à  l'idée  abftraite  à  la- 
quelle ils  raportent  toutes  les  obfervations 
qui  regardent  les  êtres  naturels. 

Il  en  eft  de  même  de  doi^eur,  amertume^ 
être  y  néant ,  njk ,  mort ,  motiuemem ,  rej/os , 
£:.c.  Chacune  de  ces  idées  générales ,  quoi 

qu'on 


SENS   CONCRET.        h;, 

'qu'bn  en  dife,  eft  aufïi  pofitive  que  l'au- 
tre, piiifcia'clle  peut  être  également  le  fu- 
jet  d'une  puopolîtiono 

Corne  les  diférens  objets  blancs  ont 
doné  lieu  à  notre  eiprit  de  fe  former  l'i- 
dée de  ^///>^r/;^//r  ,  idée  abiVraite,  qui  ne 
marque  qu'une  forte  d'afeclioh  de  l'ef- 
prit  j  de  même,  les  divers  objets ,  qui  nous 
afeclent  en  tant  de  manières  diiérentes  , 
nous  ont  dôné  lieu  de  nous  former  l'idée 
d'être  j,  de  fitbjld/ice  ,  <^exïftanct  \  fur- tout , 
lorfque  nous  be  confidérônè  les  objets  que 
come  exiftans  ,  fans  avoir  égard  à  leurs 
autres  propriétés  particulières  :  c'efb  le 
point  dans  lequel  les  êtres  particuliers  fc 
reffemblent  le  plus. 

Les  objets  réels  ne  font  pas  toujours 
dans  la  même  iituation ,  ils  changent  de 
place  ,  ils  difparôiffent ,  &  nous  fentons 
réèlement  ce  chancrcment  &:  cette  abfen- 
ce  :  alors  il  fe  pafTe  en  nous  une  afecliiori 
réèle,  par  laquelle  nous  lentons  que  nous 
ne  recevons  aucune  imprelli'on  d'iln  objet 
dont  la  préfencè  excitdit  en  nous  deux 
éfets  fenfiblcs  \  de  là  l'idée  à^ahfenct  ^  de 
privation ,  de  néant  :  de  forte  que  quoique 
le  néant  ne  foit  rien  en  lui-m.ême  ,  cepen- 
dant ce  mot  marque  une  afection  rcèk 

t 


290       SENS   ABSTRAIT, 

de  l'erprit,  c'eft  une  idée  abftraite  que 
nous  aquérons  par  l'ufage  de  la  vie ,  à 
l'ocalion  de  l'abfence  des  objets,  èc  de 
tant  de  privations  qui  nous  font  plaihr  ou 
qui  nous  afligent. 

Dès  que  nous  avons  eli  (Quelque  ufage 
de  notre  faculté  de  confentir  ou  de  ne  pas 
confentir  à  ce  qu'on  nous  propofoit,  nous 
avons  confenti  ,ou  nous  n'avons  pas  con- 
fenti,  nous  avons  dit  oui ,  ou  nous  avons  dit 
fw;-^  :  enfuite  à  mefure  que  nous  avons  réflé- 
chi fur  nos  propres  fentimens  intérieurs,  èc 
que  nous  les  arons  réduits  à  certaines  claf- 
fcs,  nous  avons  apelé  afirmation  cette  ma- 
nière uniforme  dont  notre  efprit  eft  afeclé 
quand  il  aquiefce,  quand  il  confcnt;  6c 
nous  avons  apelé  négutionX-x  manière  dont 
notre  efprit  cd  afccté  quand  il  fent  qu'il 
refufe  de  confentir  à  quelque  jugement. 

Les  termes  abftraits,  qui  font  entrés- 
grand  nombre  ,  ne  marquent  donc  que  des 
afeclions  de  l'entendement  \  ce  font  des 
opérations  naturèles  de  l'efprit,  par  lefquel- 
Ics  nous  nous  formons  autant  de  clalîès  dif- 
férentes des  diverfes  fortes  d'impredions 
particulières  ,  dont  nous  fomcs  afe£lés  par 
l'ufage  de  la  vie.  Tel  eft  l'home.  Les  noiiis 
de  ces  claiTcs  diférentes  ne défignent  point 


SENS  CONCRET.  291 

decesêci'esréelsquifu'ûfiftenchorsdenous: 
les  objets  blancs  font  des  êtres  réels  }  mais 
la  blancheur  n'eft  qu'une  idée  abftraite  i 
les  exprelîions  métaphoriques  font  tous 
les  jours  en  ufagc  dans  le  langage  des 
homes  ,  mais  la  métaphore  n'eft  que  dans 
refprit  des  Grammairiens  &  des  Rhéteurs, 
Les  idées  abftraites  que  nous  aquérons 
par  l'ufage  de  la  vie,  font  en  nous  autant 
d'idées  exemplaires  qui  nous  fervent  en- 
fuite  de  règle  èc  de  modèle  pour  juger  lî 
un  objet  a  ou  n'a  pas  telle  ou  telle  pro- 
priété ,  c'eft-à-dirc,  s'il  fait  ou  s'il  ne  fait 
pas  en  nous  une  imprelîiôn  femblable  à 
celle  que  d'autres  objets  nous  ont  caufée, 
6c  dont  ils  nous  ont  laiflTé  l'idée  ou  afec- 
tion  liabituèle.  Nous  réduilons  chaque 
ïorte  d'impreiîion  que  nous  recevons,  à 
la  clafTe  à  laquelle  il  nous  parôît  qu'elle 
fe  raporte  ;  nous  raportôns  toujours  les 
nouvèles  imprefîîons  aux  anciènes  ;  &  fî 
nous  ne  trouvons  pas  qu'elles  puifTent  s'y 
raporter,  nous  en  fefons  une  claiïe  nou- 
vèle  où  une  claffe  à  part ,  ôc  c'eft  de  là 
que  viènent  tous  les  noms  apellatifs ,  qui 
marquent  des  genres  ou  des  efpèces  par- 
ticulières ,  ce  font  autant  de  termes  abf- 
traits  quand  on  n'en  fait  pas  l'aplication 


29i       SENS  ABSTRAIT, 

à  quelque  individu  particulier  ;  ain{l 
quand  on  coniîdère  en  général  le  cercle, 
une  ville,  cerc/e  &  'vil/e  font  des  termes 
abftrâits  j  mais  s'il  s'agit  d'un  tel  cercle  ^ 
ou  d'une  telle  ville  en  particulier ,  le  ter- 
me n'eft  plus  abftrait. 

Ce  que  nous  venons  de  dire ,  que  nous 
aquérons  ces  idées  exemplaires  par  l'u- 
fage  de  la  vie^  fait  bien  voir  qu'il  ne  faut 
point  élever  les  jeunes  gens  dans  des  fo- 
iitudes,  èc  qu'on  doit  ne  leur  montrer 
que  du  bon  6c  du  beau  autant  qu'il  ell 
pOiTible.  C'eft  un  avantage  que  les  enfans 
des  grands  ont  au-dejGRis  des  enfans  des 
autres  homes  j  ils  voient  un  plus  grand 
nombre  d'objets,  &:  il  y  a  plus  de  choix 
dans  ce  qu'on  leur  montre  ;  ainfi  ils  ont 
plus  d'idées  exemplaires ,  &  c'eft  de  ces 
idées  que  fe  forme  le  goût.  Un  jeune 
home  qui  n'auroit  vu  que  d'excélens  ta- 
bleaux, n'admireroit  guère  les  médio- 
cres. 

En  termes  d'arithmétique,  quand  on 
dit  irûis  Louis ,  dix  homes  ^  en  un  mot  ^ 
quand  on  apiique  le  nombre  à  quelque 
fujet  particulier,  ce  nombre  eft  apelé  con- 
cret ^  au  lieu  que  li  l'on  dit  deux  &  deux 
font  quatre  ^  ce  font-là  des  nombres  ab(- 


SENS   CONCRET.         29^ 

ti"aits,qLii  ne  (ont  unis  à  aucun  fn  jet  particiu 
lier.  On  confidère  alors  par  abftraclion  Iç 
nombre  en  lui-même,  ou  plutôt  l'idée  de. 
nombre  que  nous  avons  aquife  par  i'ufage 
de  la  vie. 

Tous  les  objets  qui  nous  environent  Sc 
dont  nous  recevons  des  impreffions,  fonc 
autant  d'êtres  particuliers  que  les  Philo- 
fophes  apèlent  des  individus.  Parmi  cette 
multitude  innombrable  d'individus  ,  les 
uns  font  fcmblables  aux  autres  en  cer- 
tains points  ;  de  là  les  idées  abdraites  dç 
genre  6c  d'efpèce. 

Remarquez  qu'un  individu  cil  un  être 
réel  que  vous  ne  (auriez  divifer  en  un  au- 
tre lui-même  ;  Platon  ne  peut  être  que 
Platon.  Un  diamant  de  mille  écus  peut 
être  divifé  en  plufieurs  autres  diamans, 
mais  il  ne  fera  plus  le  diamant  de  mille 
écus  :  cette  table ,  Çi  vous  la  divifez  ,  ne 
fera  p.lus  cette  table  ;  de  là  l'idée  d'unité  , 
c'eft-à-dire,  l'afection  de  l'efprit  qui  cout 
çoit  Tindividii  dans  un  fens  abftrait. 

Obfervez  encore  qu'il  n'eft  pas  nécef- 
faire  que  j'aie  vu  tous  les  objets  blancs 
pour  me  former  l'idée  abftraite  de  blan- 
cheur-,  un  feul  objet  blanc  pouroit  me 
faire  naître  cette  idée  ^  ôç.  dans  la  fuite  jç 

T  iij 


294         SENS  ABSTRAIT^ 

n'apèlerois  blanc  qne  ce  qui  y  feroit 
conforme  ,  corne  le  peuple  h'atribiie  les 
propriétés  du  foleil  qu'à  l'aftre  qui  fait  le 
jour.  Ainfi  il  n'eft  pas  nécefTaire  que  j'aie 
vu  tous  les  cercles  pollibles ,  pour  vérifier. 
fî  dans  tout  cercle  les  lignes  tirées  du 
centre  à  la  circonférence  font  égales,  ur^ 
objet  qui  n'a  pas  cette  propriété ,  n'efl; 
point  un  cercle ,  parce  qu'il  n'eft  pas  con- 
forme à  l'idée  exemplaire  que  j'ai  aquife 
du  cercle,  par  l'ufage  de  là  vie,  ôc  par 
les  réflexions  que  cet  ufage  a  fait  naître 
dans  mon  efpnt. 

La  Fortune ,  le  Hazard  6c  la  Deftinée , 
que  l'on  perfonifie  fi  fouvent  dans  le  lan- 
gage ordinaire,  ne  font  que  des  termes 
abftraits.  Cette  multitude  d'évènemens , 
qui  nous  arivent  tous  les  jours  ,  fans  que 
la  caufe  particulière  qui  les  produit  nous 
foit  conue ,  a  afecté  notre  efprit  de  ma- 
nière,  qu'elle  a  excité  en  nous  l'idée  in- 
déterminée d'une  caufe  inconue  que  le 
vulgaire  a  apelée  Fortune^  Hazarâl ^  on 
Deftinée  :  ce  font  des  idées  d'imitation 
formées  à  l'exemple  des  idées  que  nous, 
avons  des  caufes  réèles. 

Les  impreflîons  que  nous  recevons  des 
objets,  (3c  les  réflexions  que  nous  fefons 


SENS  CONCRET.  295 

iiir  ces  imprcilions  par  Tufage  de  la  vie  6c 
par  la  médication  ,  font  la  iburce  de  tou- 
tes nos  idées,  c'eil-à-dire ,  de  toutes  les. 
afectioûs  de  notre  efprit  quand  il  conçoit 
quelque  chofe ,  de  quelque  manière  qu'il 
la  conçoive  :  c'eft  ainfi  que  l'idée  de  Dieu 
nous  vient  par  les  crçatures  qui  nous  anon- 
cent  Ton  exi fiance  &:.  Tes  perfetflions  : 
^  Cœli  enarrant  glor'uirn  Dei.  "*  "^  InvifihUiA  *Pfa,i.  is. 
enim  ipsuis  ver  ea  qu,e  faHa  funt  intclltcîaZ'J.\^ 
conjpicimttir ,  Jcnipiterna  quocfiie  ejiis  virtus  j .  y.  ,3, 
d"  divmitas.  Une  montre  nous  dit  qu'il  y 
a  un  ouvrier  qui  l'a  faite,  l'idée  qu'elle 
fait  naître  en  moi  de  cet  ouvrier,  quel- 
que, indéterminée  qu'elle  loit,  n'ell:  point 
l'idée  d'un  être  abftrait ,  elle  eft  l'idée  d'un- 
être  réel  qui  doit  avoir  de  rintclligence 
&;  de  l'adrelïé  :  ainfi  l'Univers  nous  aprend 
qu'il  y  a  un  Créateur  qui  l'a  tiré  du  néant, 
qui  le  conferve ,  qu'il  doit  avoir  des  per- 
fections infinies ,  &;  qu'il  exige  de  nous 
de  la  reconoifïance  ôc  des  adoi-ations. 

Les  abftra£lions  font  une  faculté  par- 
ticulière de  notre  efprit ,  qui  doit  nous 
faire  reconoître  combien  nous  fomcs  éle- 
vés au-defïlis  des  êtres  purement  corpo- 
rels. 

pans.  Iq  langage  çrdinairc ,  on  parle 

T  iv 


29,6       SENS   ABSTRAIT, 

des  ab(lra£lions  de  rcfp.ric  corne  en  parle, 
des  réalités  ,  les  terme?  abftraits  n'ont 
même  été  inventés  qu'à  l'imiration  des 
mots  qui  expriment  des  êtres  phyfiques. 
C'eil  peut-être  ce  qui  a  doné  lieu  à  un 
grand  nombre  d'erreurs  cù  les  homes 
font  tombés  ,  faute  d'avoir  reconu  que  les 
mots  dont  ils  fç  ferv.oient  en  ces  ocafions, 
n'étoient  que  les  fignes  des  afections  de. 
leur  efprit,  en  un  mot,  de  leurs  abftrac- 
tions,  &  non  l'expreilion  d'objets  réels  j 
de  là  l'ordre  idéal  confondu  avec  l'ordre 
^  AbH-:  ei- phyiique  y  de  là  enfin  l'erreur  ^  de  ceux 
roropinan- qui  crojcnc  favoir  cc  qu'ils  ii^norent,  &. 

tium  fe  Ici-     '    •  l       ^    j      j  *  •      "l* 

re  quod  ^^^^  patient  de  leurs  jmagu:iations  meta- 
néfciant.  phyiiques  avec  la  même  aifurance  que  les 
A:ég.  inEn-  ^utrcs  Iiomcs  parlent  des  objets  réels. 

Ciund.  ad  .-  i  n       o  •   '        r  '      M 

Laur.deFi-      i-^s  abltractions  lont  un  pays  ou  il  y. 

de,Spe, &  a  encore  bien  des  découvertes  à  faire ,.  6c 
lan  cap.  ^^^^^  lequel  on  feroit  q^uelqucs  progrès  , 

p.  ii3.Pa-fi  l'on  ne  prenoit  pas  pour  lumière  ce  qui 

ris,ifc8;.  j^'^f^  qu'une  féducliçn  délicate  de  l'ima- 
gination, £c  (i  l'on  pouvoit  fe  rapeler, 
fans  prévention ,  la  manière  dont  nous, 
avons  aquis  nos  idées  èc  nos  conoiflan- 
çes  dans  les  premières  années  de  notre, 
vie  ;  mais  cela  n'eft  pas  maintenant  dçi 
mon  fujct. 


SENS   CONCRET.  297 

Kéjlcxions  fur  Us  ahjl raclions  ,  par  raport  a 
la  manière  cCenÇeigncr, 

Come  c'eft  aux  Maîtres  que  j'adrefl'e 
cet  ouvrage ,  je  crois  pouvoir  ajouter  ici 
quelques  réflexions  par  raport  à  la  ma- 
nière d'enfei'^uer.  Le  grand  art  de  la  Di- 
dactique, *  c'eft  de  l'avoir  profiter  des 
çonoiflances  qui  font  déjà  dans  refpric 
de  ceux  qu'on  veut  inllruire,  pour  les 
mener  à  celles  qu'ils  n'ont  point  \  c'eft  ce 
qu'on  apèle  aler  du  conu  à  l'inconu.  Tout 
le  monde  convient  du  principe  ,  mais 
dans  la  pratique  on  s'en  écarte ,  ou  faute 
d'atention,  ou  parce  qu'on  fupoie  dans 
les  jeunes  gens  des  conoifïanccs  qu'ils 
n'ont  point  encore  aquifes.  Un  métaphy- 
sicien qui  a  médité  fur  l'infini,  fur  l'être 
en  général ,  &c.  perfuadé  que  ce  font  la 
autant  d'idées  innées,  parce  qu'elles  font 
faciles  à  aquérir,  ôc  qu'elles  lui  fone  fli- 
iières,  ne  doute  point  que  ces  conoiflances 
ne  foient  auiîi  familières  au  jeune  home 
qu'il  inftruit ,  qu'elles  le  font  à  lui-mênic  \ 
fur  ce  fondement,  il  parle  toujours;  on 
ne  l'entend  point,  il  s'en  étone  -,  il  élève 

*  La  Didadique  ,  c'eft  l'art  d'enfeigner.  Az/axTijcèi  ^ 
^:us  *d  doccnd'jai.  A; J  Kc;:a) .  doceo. 


298       SENS    ABSTRAIT, 

la  voix ,  il  s'épLiife ,  &  on  rencend  encore 
moins.  Que  ne  fe  rapèle-t-il  les  premières 
années  de  Ton  en  tance  ?  Avoit-il  à  cet 
âge  des  conoifFances  auxquelles  il  n'a 
pcnfé  que  dans-la  fuite ,  par  le  fecours  des 
réflexions  ,  &  après  que  fon  cerveau  a  eu 
aquis  un  certain  degré  de  confiftance  t 
En  un  mot,  conoiifoit-il  alors  ce  qu'il 
ne  conoifîbit  pas  encore ,  6c  ce  qui  lui  a 
paru  nouveau  dans  la  fuite ,  quelquç  f;?.- 
cilité  qu'il  ait  eue  à  le  concevoir  ? 

Nous  avons  befoin  d'impreillons  parti- 
culières, §v  pour  ainfl  dire,  préliminai^ 
res,  pour  nous  élever  enfuite  par  le  fe- 
cours de  l'expérience  de  des  réflexions  , 
jufqu'à  la  fùblimité  des  idées  abftraites  : 
parmi  celles  ci,  les  unes  font  plus  faciles  à 
aquérir  que  les  autres ,  l'ufage  de  la  vie 
nous  mène  à  quelques-unes  prefque  fans 
réflexion ,  èc  qi.iand  nous  venons  enfuite 
à  nous  apercevoir  que  nous  les  avons 
aquifes ,  non  s.  les  regardons  come  nées 
avec  nous. 

Ainfl  il  me  paroît  qu'après  qu'on  a 
aquis  un  grand  nombre  de  conoiflânces 
particulières  dans  quelque  art  ou  dans 
quelque  fcience  que  ce  foit ,  on  ne  fauroir 
rien  faire  de  plus  utile  pour  foi-m^çme  ^ 


SENS   CONCRET.       299 

que  de  fe  former  àes  principes  d'après^ 
ces  conoiflànces  particulières ,  èc  de  met- 
tre par  cette  voie  ,  de  la  nèteté ,  de  l'or- 
dre -  &  de  1  aran^ement  dans  fes  pen- 
iees. 

Mais  quand  il  s'agit  d'inftruire  les  au- 
tres ,  il  faut  imiter  la  Nature^  elle  ne  co- 
mence  point  par  les  principes  èc  par  les 
idées  abftraites  :  ce  feroit  comencer  par 
l'inconu  -,  elle  ne  nous  doue  point  l'idée 
ai  animal  avant  que  de  nous  montrer  des 
oifeaux,  des  chiens,  des  chevaux,  &c.  Il 
faut  des  principes  :  oui  fans  doute  ^  mais 
il  en  faut  en  tems  &:  lieu.  Si  par  princi- 
pes vous  entendez  des  règles,  des  maxi- 
mes ,  des  notions  générales ,  àç.s  idées 
abstraites  qui  renferment  des  conoifïances 
particulières,  alors  je  dis  qu'il  ne  faiit  point 
comencer  par  de  tels  principes. 

Que  Ç\  par  principes  vous  entendez  des 
notions  comunes,  des  pratiques  faciles^ 
des  opérations  aifées  qui  ne  fupofent  dans 
votre  élève  d'autre  pouvoir  ni  d'autres- co- 
noilTànces  que  celles  que  vous  favez  bien 
qu'il  a  déjà  ;  alors,  je  conviens  qu'il  faut 
des  principes ,  &  ces  principes  ne  font  au- 
tre chofe  que  les  idées  particulières  qu'il 
faut  leur  doner ,  avant  que  de  pafTer  aux 
rèo;les  ôc'aux  idées  abftraites. 


300       SENS  ABSTRAIT, 

Les  règles  n'aprènent  qu'à  ceux  qui  fa-* 
vent  déjà,  parce  qiie  les  règles  ne  font  que 
des  obrcrvations  lur  l'afagc:  ainii  comen-r 
cez  par  faire  lire  les  exemples  des  figures 
avant  que  d'en  doner  la  définition. 

Il  n'y  a  rien  de  fi  naturel  que  la  Logi- 
que êc  les  principes  fiir  lefquels  elle  eft 
fondée  }  cependant  les  jeunes  Logiciens 
fc  trouvent  corne  dans  un  monde  nou- 
veau dans  les  premiers  tems  qu'ils  étu- 
dient la  Logique,  lorfqu'ils  ont  des  maî- 
tres qui  comencent  par  leur  doner  en 
abrégé  le  plan  général  de  toute  la  Philo- 
fophie  i  qui  parlent  de  fcience  ^  do percep^ 
tiûu  j  d'idée ,  de  jugement ,  de  fin  ^  de  caufe  , 
de  catégorie ,  d' univerfaux ,  de  degrés  meta- 
f^hyfiques ,  &c.  come  fi  c'étoient  là  autant 
d'êtres  réels,  &  non  dépures abftra£tions 
de  l'efprit.  Je  fuis  perfuadé  que  c'eft  fc 
conduire  avec  beaucoup  plus  de  méthode, 
de  comencer  par  mètre ,  pour  ainfi  dire-, 
devant  les  yeux  quelques-unes  des  pen- 
fees  particulières ,  qui  ont  doné  lieu  de 
former  chacune  de  ces  idées  abftraites. 

J'efpèrc  traiter  quelque  jour  cet  article 
plus  en  détail ,  &:  faire  voir  que  la  mé- 
thode analytique  eft  la  vraie  méthode 
d'enfeigner ,  &:  que  celle  qu'on  apèlefyn- 


SENS  CONCRET.         301 

thétiqne  ou  de  doctrine,  qui  comencc 
par  les  principes,  n'eft  bone  que  pour 
mètre  de  l'ordre  dans  ce  qu'on  fait  déjà , 
bu  dans  quelques  autres  ocafions  qui  ne 
font  pas  maintenant  démon  fujet. 

XII. 

JDerniere    Observation. 
S'il  y  a  des  mots  Synonymes* 

NO  us  avons  vu  qu'un  même  mot  peut 
avoir  par  figure  d'autres  iîgnifîcations 
que  celle  qu'il  a  dans  le  fens  propre  & 
primitif:  njoiks  peut  (îgnifier  vaijfcaux.  Ne 
fuit-il  pas  de  là  qu'il  y  a  des  mots  fyno- 
nymes  ,  &:  que  voiles  eft  fynonyme  à  vaif- 
feaux  ? 

Monfieur  l'Abbé  Girard  a  déjà  examiné 
cette  queftion ,  dans  le  difcours  prélimi- 
naire qu'il  a  mis  à  la' tête  de  fon  Traité     a  Paris, 
de  la  JKfleffe  de  U  Unçue  francoife.  Je  ne  «^^^^  ^'- 
ferai  guère  ici  qu  un  extrait  de  les  rai- ^  ^g' 
Ions ,  6c  je  prendrai  même  la  liberté  de 
me  fervir  fouvent  de  fes  termes  ,  me  con- 
tentant de  tirer  mes  exemples  de  la  lan- 
j^ue  latine.  Le  Lccleur  trouvera  dans  le 


loz  DERNIERE 

livre  de  M.  l'Abbé  Girard  de  quoi  le  (ktis- 
taire  pleinement  fur  ce  qui  regarde  le 
irançois, 

«  On  entend  comunément  ^^^Jymnymes 
»î  les  mots  qui  ne  diférant  que  par  Tarti- 
'>  culation  de  la  voix,  font  femblables 
"  pat  l'idée  qu'ils  expriment.  Mais  y  a-t-il 
"  de  ces  fortes  de  mots  ?  Il  faut  diffcinî^uer  : 
id.  p.  i6.  "  Si  vous  prenez  le  terme  à.Q  fynonyme 
*  *7-  «  dans  un  fens  étendu  pour  une  fîmplc 
î>  reffemblance  de  (ignification  ,  il  y  a  des 
»  termes  fynonymes  ,  c'eft-à-dire  j  qu'il  y 
»>  a  des  mots  qui  expriment  une  même 
"  idée  principale  :  et  ferre  ,  hajuldre ,  por- 
tare ,  tollcre^  fnjlmcre^gércre  ygeftare ,  feront 
en  ce  fens  autant  de  fynonymes. 
p.  zs.  Mais  (i  "ÇTiXJynonymes^  vous  entendez  dc§ 
mots  qui  ont  »  une  reflemblahce  de  figni- 
>3  fication  il  entière  &  fi  parfaite  ,  que  lé 
M  fens  pris  dans  toute  fa  force  &:  dans  tou- 
'5  tes  fes  circonftanccs  foit  toujours  &  ab- 
«  folument  le  même,  enforte  qu'un  des 
»>  fynonymes  ne  lignifie  ni  plus  ni  moins 
.  "  que  l'autre  j  qu'on  puifle  les  employer 
M  indiférament  dans  toutes  les  ocalîbns, 
"  5c  qu'il  n'y  ait  pas  plus  de  choix  à  faire 
"  entre  eux  pour  la  lignification  ôc  pour 
»  l'énergie,  qu'entre  les  goûtes  d'eau  d'une 


OBSERVATION,  305 

Vî  même  fource  pour  le  goiic  Se  pour  la 
v>  qualité  :  dans  ce  fécond  fens ,  il  n'y  a 
M  point  de  mots  iynonymes  en  aucune 
>3  langue.  «  Ainii  ferre  ^  i?ajulare  ^  portare  ^ 
tollcre^  f/ijlmére ,  gérer e  ,  gefiâre^  auront 
chacun  leur  defti nation  particulière  :  en 
ëfet  ^ 

Ferre ^  fignifie  porter,  c*eft  l'idée  prin- 
cipale. 

BajuLîre  ^  c'eft  porter  fur  les  épaules  ou 
fur  le  cou. 

Portdre  fe  dit  proprement  lorfqu'on  fait 
porter  quelque  chofe  fur  des  bêtes  de 
fome,  fur  des  charètes  ou  par  des  croche- 
teurs.  Portari  dicimus  ea.  qtiji  qms  juménto 
fecum  ducit.  Voyez,  le  titre  XVI.  du  cin- 
quantième livre  du  Digefte  de  verborum 
fignificatiéne. 

Tollere  ,  c'eft  lever  eà  haut  ;  d'oii  vient  Ti:e-Livs, 
le  fubftantif  tollé-/io .  oais .  c'eft  une  ma^  ^'  ^^^^^'"'^' 

,.  ipj.  •  n.5.Feftus, 

chnie  a  tirer  de  1  eau  d  un  puits.  v.Tolléno. 

Siiftimre^  c'eft  foutenir ,  porter  pour  em- 
pêcher de  tomber. 

Gérer  e  ,  c'eft  porter  fur  foi  :  GaUamgérere  Com.  Nep. 
in  cdpite.  ^^-  î- 

Geftdre  vient  àcgérere ,  c'eft  faire  parade 
de  ce  qu'on  porte. 

Malgré  ces  diférences ,  il  arive  fouvenc 


?ô4  DERNIERE 

que  dans  k  pratique  on  emploie  ces  mots 
l'un  pour  l'autre  par  figure ,  en  confervant 
toujours   l'idée  principale,  de    en  ayant 
égard  à  l'ufage  de  la  langue  j  mais  ce  qui 
fait  voir  qu'à  parler  exactement,  ces  mors 
ne  iont  pas  fynonymes,  c'cfk  qu'il  n'ell 
pas  toujours  permis  de  mètre  indiféra- 
ment  l'un  pour   l'autre.  Ainfi  quoiqu'on 
difc  m  or  cm  gérer  e  ^  on  ne  diroit  pas  morem- 
ferre  ou  îriorem  portare^  àCc.  Les  Latins  fen- 
rbient  mieux  que  nous  ces  diférences  déli- 
cates, dans  le  tems  même  qu'ils  ne  pou- 
Liicet.  58.  voient  les  exprimer,  nihil  inter  fActum  & 
Digeft.  de  g^jl^^-^  mtcreft ,  licei  videatnr  quidam  fuhîilis 
fijrnifica-    diferéntia  ,  dit  un  ancien  Jurifconfulte; 
tiônc.        D'autres  ont  remarqué  que  aBa  proprie  ad 
to^/im  fpeEîarit  ^  Z^ft^  ^^  mHhîa.rn.  Varron 
dit   que  c'eft  une  erreur   de   confondre 
âgere ,  fdcere  6c  gér^e ,  &:  qu'ils  ont  chacun 
leur  deflination  particulière.  * 

Nous  avons  quelques  recueils  des  an- 
ciens Grammairiens ,  fur  la  propriété  des 

*  Pioptcr  fimilitûdinem  agéndi ,  &  faciéndi ,  &  geréndi, 
quidam  eiror  his  qui  putant  elle  unum  :  poteft  enim  qui? 
aiiquid  fâcere  &  non  âgcre  :  ut  poëtà  facit  fâbulam  &  non 
agit  ;  contra  aâ:or  agit  &  r\on  facit ,  &:  fie  à  poëta  fabula 
fitS>:  non  dgitur  y  ab  aftore  dgitur  &  non  fit  :  coiltra  Impe- 
làtorqui  dicitur  res  gérere  ,  in  eo  neque  agit ,  nequc/;ïf/f, 
Çzàgerit,  id  eft  fuftinet  :  tianllatum  ab  his  qui  ôneragerun: 
(^uàd  luftiocnt.  Varr.  de  ling.  lat.  l,  v.  fub  finem, 

mofî 


OBSERVATION.  305 

mots  latins  :  tels  font  Fdl:us  de  verhortim 
Jignificaîio^e  y  Nonius  Marcellus  de  varia 
fignijîcationc  fcrmonum.  Voyez  Grammâtici 
"vêteres. 

On  peut  encore  confiilter  un  autre  re- 
cueil qui  a  pour  titre  :  Autovcs  lingim  latrax. 
De  plus,  nous  avons  un  grand  nombre 
d'obfervations  répandues  dans  Varron  de 
l'moua,  latinà^  dans  les  Comentaires  de 
Donat  ôc  de  Servius  :  elles  font  voir  les 
ditérences  qu'il  y  a  entre  pludeurs  mots 
que  l'on  prend  comunément  pour  fynony- 
mes.  Quelques  auteurs  modernes  ont  tait 
des  réHexions  fur  le  même  fujet ,  tels  font 
le  P.  Vavaiïèur,  Jéfuite,  dans  Tes  remar- 
ques fur  la  langue  latine,  Scioppius,  Henri 
Etiène,  de  Utinitate  falso  fufpéctâ  ^  de  plii- 
fieurs  autres. 

On  tire  auiïî  la  même  conféquence  de 
plufieurs  paflàges  des  meilleurs  auteurs  ; 
voici  deux  exemples  tirés  deCicéron,  qui 
font  voir  la  diférence  qu'il  y  a  entre  arnar^ 
de  diligcre, 

Quis  erat  qui  putareî  ad  etim  amorem  qiiem  Cicei.  Ep, 
trga  te  hahéham^  pojfe  aii qui d  accéder e  ?  Tan-  ad  fa  m.  U 
tum  aciéifit ,  ut  mihi  nunc  dénique  amâre  nji- 
dear^  anteà  dilexijjè.  »  Qui  l'auroit  pu  croi- 
>j  re,  dit  Cicéron,  que  lafedion  que  j'a- 

V 


5c6  DERNIERE 

»  vois  pour  vous  eût  pu  recevoir  quelque 
î5  degré  de  plus  ;  cependant  elle  elt  iî  iorc 
»  augmentée  ,  que  je  Icns  bien  qu'à  la  vé- 
^î  rite  vous  m'édez  cher  autrefois ,  mais 
53  qu'aujourd'hui  je  vous  aime  tendrement. 

Et  au  livre  i  3.  Ep.  47.  Ouidego  iihi  com- 
me ncUm  eum  qucm  tif  ipfe  dtligïs  i  fed  tamen^ 
ut  foires  eum  non  à.  me  diligi  folum ,  njcrum 
étiam  amari  ^  oh  eam  rem  tibi  hdc  fcribo, 
îî  Vous  i'aim.cz  ,  mais  je  l'aime  encore  da- 
»  vantage  j  &  c'eft  pour  cela  que  je  vous 
>5  le  recomande.  « 

Voilà  une  diférence  bien  marquée  entre 

Tufcul.  1.  ^'^^'"^  ^  diligcre  \  Cicéron  obferve  ailleurs 

i.  n.  15.    qu'il  y  a  de  la  diiérence  entre  dolére  ôc  U- 

borare  j  lors  même  que  ce  dernier  mot  efl: 

pris  dans  le  lens  du  premier  :  Ifaerefi  dli- 

quid  inter  Liborem  d^  doloremi  fnnt  jînitimA 

omnrao  y  fed  tamen  dijft.  rt  àliquïd  :  lahor  efi 

fânciio  quidam  vel  ânimi  njel  corporis  ^  gra- 

'vioris  operis  z'el  muneris  -,  dolor  autem  motus 

afper  in  cor  pore., .  àliud  inquum  efi  do  1ère , 

aliud  lahor  are.  Cum  njârices  Cecahànttir  Cn. 

Mario ,  doUhat  >  çu7n  dfin  magno  ditcébat  ag- 

men^  lahor  abat. 

Les  favans  ont  obfervé  de  pareilles  di- 
férences  entre  plufieurs  autres  mots  ,  que 
les  jeunes  gens  &  ceux  qui  manquent  de 


OB^ERVATÎO'N.  J07 

goût  &  de  réflexion  regardent  corne  au- 
tant de  fynonymes.  Ce  qui  fait  voir  qu'il 
n'ell:  peut-être  pas  aulîî  utile  qu  on  le  penfe 
de  faire  le  thème  en  deux  façons. 

M.  de  la  Bruyère  remarque  «  cp'emre  Caïaa. 
"  toutes  les  difér entes  'exprejfions  qui  peuvent  ^^^  Pl;'^: , 
'■>  rendre  une  feule  de  nos  f  en  fée  s  ^  il  n  y  en  a 
'3  qutme  qtii  foit  la  hone  :  que  tout  ce  qui  ne 
'3  l'efi  point  efi  foible ,  &  ne  fatisfait  pas  u?i 
•i-»  home  d'ejprit.  «  Ainfi  ceux  qui  fe  font 
doné  la  peine  de  traduire  les  auteurs  la- 
tins en  un  autre  latin  ,  en  alectant  d'éviter 
les  termes  dont  ces  auteurs  fe  font  fervis , 
auroient  pu  s'épargner  un  travail  qui  gâte 
plus  le  goût  qu'il  n'aporte  de  iumièrCo 
L'une  &  l'autre  pratique  eil  une  fécondité 
ftérile  qui  empêche  de  fentir  la  propriété 
des  termes ,  leur  énergie ,  &.  la  finelTe  de  la 
langue ,  corne  ye  l'ai  remarqué  ailleurs. 

Lucus  veut  dire  un  bois  confacré  à  quel- 
que divinité-,  Sylva,  un  bois  en  général  : 
Virgile  ne  manque  pas  à  cette  diftinclion  ; 
mais  le  Traducteur  latiu  eft  obligé  de  s'é- 
carter  de  l'exactitude  de  fon  original. 

Ne  quis  fit  lucus  quo  fe  plus  jadet  Apollo,  virg.  Ecl, 

Ainfî  parle  Virgile.  Voici  coment  ori  le 
traduit ,  Ut  nullajit  fylva ,  quâ  magis  Apolb 
gloïiétur^  V  ij 


30$  DERNIERE 

Nex  ^  necis  ^  vient  de  necare  ^  &  fe  dk 
d'une  mort  violente  ;  au  lieu  que  mors  ii- 
gniiie  (implcment  la  more ,  la  celîation  de 
la  vie.  Virgile  die  parlant  d'Hercule: 

^n.  s.v Nece  Geryonis  fpoliifque  fuperbus  ; 

101. 

Mais  fon  traducleur  cH:  obligé  de  dire 
morte  Geryonis. 

Je  pou  roi  s  raporter  un  grand  nombre 
d'exemples  pareils  :  je  me  contenterai 
d'ooferver  que  plus  on  fera  de  progrès , 
plus  on  reconoîtra  cet  uiagc  propre  des 
termes  ,  &  par  conféquent  l'utilité  de  ces 
verfions  qui  ne  font  ni  latines  ni  françoi* 
fcs.  Ce  n'ell:  que  pour  infpirer  le  goût  de 
cette  propriété  des  mots,  que  je  tais  ici 
cette  remarque. 

Voici  les  principales  raifons  pour  lef- 
quelicsil  n'y  a  point  de  fynonymes  parfaits. 
1 .  S'il  y  avoit  des  fynonymes  parfaits  ,  il 
y  auroit  deux  langues  dans  une  même  lan- 
gue. Quand  on  a  trouvé   le  ligne  exact 
d'une  idée,  on  ïiqw  cherche  pas  un  autre. 
Les  mots  anciens ,  ai  les  mots  nouveaux 
d'une  langue  font  fynonymes  :  maints  eft 
fynonyme  de  flufieurs  ;  mais  le  premier 
n'eft  plus  en  ufage:  c'ell  la  grande  reiîenv 
blance  de  fignification  qui  ell  caufc  que 


OBSERVATION.  309 

l'iifagc  n'a  confcrvé  que  1*1111  de  ces  ter- 
mes ,  ^  qu'il  a  rejeté  l'autre  corne  inutile. 
L'uiage  j  ce  tyran  des  langues ,  y  opère 
fouvcnt  des  merveilles  que  l'autorité  de 
tous  les  fouverains  ne  pouroit  jamais  y 
opérer. 

2.  Il  eft  fort  inutile  d'avoir  pluiicnrs 
mots  pour  une  l'eule  idée  j  mais  il  ciz  très- 
avantageux  d'avoir  des  mots  particuliers 
pour  toutes  les  idées  qui  ont  quelque  ra- 
porc  entre  elles, 

3.  On  doit  juger  de  la  richeflè  d'une 
langue  par  le  nombre  des  penfées  qu'elle 
peut  exprimer ,  di.  non  par  le  nombre  des 
articulations  de  la  voix.  Une  langue  fera 
véritablement  riche  ,  fi  elle  a  des  termes 
pour  diftinguer,  non-feulement  les  idées 
principales,  mais  encore  leurs  diférences, 
leurs  délicatefles  ,  le  plus  &  le  moins  d'é 
nergie ,  d'étendue  ,  de  précifion  ,  de  fini- 
plicité,  ôc  de  compofition. 

4.  Il  y  a  des  ocafions  où  il  efl:  indifé- 
rcnt  de  fe  fervir  d'un  de  ces  mots  qu'on 
apèle  fynonymes  ,  plutôt  que  d'un  autre  ; 
mais  aulTi  il  y  a  des  ocafions  oii  il  efi:  beau- 
coup mieux  de  faire  un  choix  :  il  y  a  donc 
de  la  difércnce  entre  ces  mots  -,  ils  ne  font 
dpnc  pas  exactement  fynonymes. 

V  iij 


310         DERNIERE  OBSERF. 

LoiTqu'il  ne  s'agit  que  de  faire  entendre 
l'idée  comune,  fans  y  joindre  ou  {ans  en 
exclure  les  idées  acceiïbircs,  on  peut  em- 
ployer indiftinctement  l'un  ou  l'autre  de 
ces  mots,,  puifqu'ils  font  tous  deux  pro- 
pres à  exprimer  ce  qu'on  veut  faire  enten- 
dre :  mais  cela  n'empêche  pas  que  chacun 
d'eux  n'ait  une  force  particulière  qui  le 
diftingue  de  l'autre;  &:  à  laquelle  il  faut- 
avoir  égard  félon  le  plus  ou  le  moins  de 
précifion  que  demande  ce  que  l'on  veut 
exprimer. 

Ce  choix  efl  un  éfet  de  la  fînefTe  de  l'ef- 
prit ,  &  fupofe  une  grande  conoiflàncc  de 
1^  langue. 

FIR 


(  8/BLIOTHfCA 


T  A 

BLE 

PREMIERE    PARTIE. 
Des  Tropes  en  général. 

Art.  I.     "YDce générale  des  figures.  ■<^2.z,'   i^ 

Art.  II.  _/  Divifiûn  des  figures.  12» 

Art.  m.  Divïfion  desjîgurcs  de  mots,    13.. 

Art.  IV.  Définition  des  Troues.  i  5. 

Art.  V.  Le  Traité  desTropes  eft  du  r effort 
de  la  Grammaire  ;  on  doit  conoîire  les  tro- 
fes  four  bien  entendre  les  auteurs  &  pour 
avoir  des  conoijfances  exactes  dans  l\irt  de 
parler  ^  d'écrire.  19,. 

Réponfe  à  une  objection.  20. 

Art.  VII.  Sens  propre  ^  Sens  figuré.         22. 

Art.  VII.  Réflexions  générales  fur  le  fens 
figuré.  zG^ 

I.  Origine  du  fens  figuré.  ibid, 

I I .  Ufages  ou  éfets  des  tropes:  2  7 , 
ii\,Ce cjuon doit obferver ,  d"  ce  quon  doit 

éviter  dans  l'ufage  des  tropes ,  (y  pourquoi 
ils  plaifent.  34. 

IV.  Suite  des  réflexions  générales  fur  le  fens 
figuré.  ^  37. 

V.  Ohfervations  fur  les  Diéîionaires  latine- 
franc  ois.  39. 


TABLE 

SECONDE    PARTIE. 
Des  Tropes  en  particulier. 

I.  'ïï'  A  Catachrèfe  j    ahiis  ^    extenfion  ou 
M  j     imitation. 

II.  La  Métonymie. 
m.  La  Métalepfe. 

IV.  La  Synecdôt^ue, 

V.  U Antonomafe, 

VI.  La  Comunication  dans  les  paroles. 
VIL  La  Litotes. 
VIIL  VHyperbole. 

IX.  L'Hypotypofe. 

X.  La  Métaphore, 
Keinarqucs  fur  le  mauvais  uf âge  des  méta- 
phores. 14(3. 

Xï.  La  SylUpfe  Oratoire.  151. 

:^\hV  Allégorie.  153, 

XIÎI.  UAllufion,  16 1. 

yilY.  L'irome.    .  171. 

'X.W .  L'Euphcmifme»  173. 

XVI.  L'Antiphrafe,  185. 

XVII.  L^  Pm/>^r.f/^.  189. 
XVIIÏ.  VHypallage.  197. 

XIX.  L'Onomatopée.  208. 

XX.  ^«'/^;>?  ;«f?»^  wo/  peut  être  doublement 
Jguré.  2. 1 1 . 


page  4^. 
67. 
90. 

97- 
113. 

/.      113. 

114. 
11^. 

119. 

131. 

TABLE. 

XXI.  De  la  fubordinatioft  des  tropes^  ou  du 
rang  qu'ils  doivent  tenir  les  uns  k  l'égard 
des  autres ,  <S*  de  leurs  caracihcs  particu- 
liers. 113, 

XXII.  I.  Des  îrapes  dont  onna  point  parlé. 
I  I.  Variété  dans  la  dénomination  des 

tropcs.  218. 

XXI II.  Oue  l^tffage  é"  l'ahus  des  tropes  font 
de  tous  les  tans  &  de  toutes  les  langues. 

o 

22Z 


TROISIEME    PARTIE. 

g  ^  Es  autres  fcns  dans  lefquels  un  même 
^t  ^ mot  peut  être  employé  dans  ledifcours, 

page  ii6, 

I.  Suhftantifs  pris  adjecsivement ,  adjeÛifs 
pris  fubftantivcment ,  fuhfiamifs  ^  adjec- 
tifs pris  adverbialement.  227. 

II.  Sens  déterminé ^  fens  indéterminé.      233. 
m.  Sens  actifs  f^*^^P^JPf->  f^^^  neutre,  234. 

I V .  Sens  abfolu ,  fens  relatif.  2  40. 

V.  Sens  cûlUclif  ^  fens  diflributif.  241, 

VI .  Sens  équivoque ,  fens  louche.  241. 

VII.  Des  jeux  de  mots  &  de  la  Faronomafe. 

247. 
Y  ni.  Sens  compcfé  ^  Sens  divifé,  249. 


TABLE. 

ÏX.  Se^s  Hier  al  ^  fens  Jftritud.  251^ 

Divijion  du  fens  l itérai.  2  5  2  » 

Dwifion  du  fens  ffirkueL  259. 

Sens  'mord.  260, 

Sens  allégorique.  261. 

Sens  analogique é  264. 

X.  Du  fens  adapté  j  ou  que  Von  dont  par  al- 

lufion.  2^6. 

Remarques  fur  quelques  p^ffages  adaptés  a 

contre-fens.  i^'-j. 

Suite  du  fens  adapti.  De  la  Parodie  é*  des 

C  entons,  273. 

XL  Du. Sens,  ahjlrait ,  fens  concret.       281. 

Des  Termes  ahflraits.  2  S4. 

Réflexions  fur  les  ahflr  actions  par  raport  à 

la  manière  d'enfeigner.  "^91' 

XIL  Dernière  obfervation.  S' il  y  a  des  mots 

fynonymes.  3°^» 

Fin  de  la  Table. 


AP  P  ROBATI  O  N. 

J'Ai  lu  par  ordre  de  Monfeigneur  le  Chancelier, 
un  Livre  intitulé  :  Des  Tror^es ,  ou  des  dijférefzs 
fens  dans  lefquels  on  ■peut -prendre  iinmcme  mot ,  &c. 
lequel  m'a  paru  exadl  &  inftrudif.  A  Paris,  ce  2'X. 
Décembre  175:0. 

P,  GERMAIN. 


PRIVILEGE   DU  ROI. 

louis,  par  la  grace  de  dieu, 
Roi  de  France  et  de  Navarre, 
à  nos  amés  &  féaux  Confeillers  ,  les  Gens  tenans 
nos  Cours  de  Parlement ,  Maîtres  des  Requêtes, 
ordinaires  de  notre  Hôtel ,  Grand-Conlèil ,  Prévôt 
de  Paris,  Baillifs,  Sénéchaux,  leurs  Lieutenans 
Civils,  &  autres  nos  Jufticiers  qu'il  appartiendra; 
Salut,  Notre  bien  amé  le  Sieur  du  M  a  R  sais. 
Nous  a  fait  expofer  qu'il  defireroit  faire  imprimer 
&  donner  au  Public  les  (Euvres  de  fa  compofltion , 
s'il  nous  plaifoit  lui  accorder  nos  Lettres  de  Privi- 
lèges pour  ce  nçceflaires.  A  ces  causes  ,  voulant 
favorablement  traiter  l'Expofant,  Nous  lui  avons, 
permis  &  permettons  par  ces  Préfentes ,  de  faire 
imprimer  fefdites  (Euvres  autant  de  fois  que  bon 
lui  femblera  ,  &  de  les  faire  vendre  &  débiter  par- 
tout notre  Royaume  pendant  le  tems  de  dix  années 
confécutives,  à  compter  du  jour  de  la  date  des 
Préfentes.  Faifons  défenfes  à  tous  Imprimeurs- 
Libraires,  &  autres  perfonnes  de  quelque  qualité 
&  condition  qu'elles  (oient,  d'en  introduire  d'im- 
preflion  étrangère  dans  aucun  lieu  de  notre  obéiC- 
fance  ;  comme  aufîî  d'imprimer  ,  faire  imprimer  , 
vendre  ,  faire  vendre ,  débiter  ni  contrefaire  lef- 
dites  Œuvres  ,  fous  quelque  prétexte  que  ce  puilTe 
erre ,  fans  h  permiflîon  expreife  &  par  écrit 
dudit  Expofant,  ou  de  ceux  qui  auront  de  lui  •,  à 
peine  de  confifcarion  des  exemplaires  contrefaits  » 
do   trois    mille  livres  d'amende  contre  chacun. 


des  conrrevenans ,  dont  un  tiers  à  Nous,  un  tiers  à 
J'Hôtel-Dieu  de  Paris,  l'autre  tiers  audit  Expofant 
ou  à  celui  qui  aura  droit  de  lui ,  &  de  tous  dépens , 
dommages  &  intérêts.  A  la  charge  que  ces  préfen- 
tes feront  enregiftrées  tout  au  lomg  fur  le  Regiftre 
de  la  Communauté  des  Libraires  ô:  Imprimeurs  de 
Paris ,  dans  trois  mois  de  la  date  d'icelles.  Que 
l'imprefiion  defdits  (Euvres  fera  faite  dans  notre 
Royaume,  &  non  ailleurs,  en  bon  papier  &  beaux 
caraéleres,  conformément  à  la  feuille  imprimée  & 
attachée  pour  modèle  fous  le  contre-fcel  des  Préfen- 
tes. Que  rimpétrant  fe  conformera  en  tout  aux  Ré- 
glemens  de  la  Librairie,  &  notamment  à  celui  du 
10.  Avril  1723*.  Qu'avant  de  les  expofer  en  vente, 
le  Manufcrit  qui  aura  lervi  de  copie  à  l'impreffion 
defdites  (Euvres  ,  fera  remis  dans  le  même  état  où 
l'Approbation  y  aura  étédonnée,  es  mains  de  notre 
très  cher  &  féal  Chevalier  Chancelier  de  France 
le  fieur  de  la  Moignon.  Qu'il  en  fera  enfuite 
remis  deux  exemplaires  de  chacun  dans  notre  Bi- 
bliothèque publique,  un  dans  celle  de  notre  Châ- 
teau du  Louvre ,  un  dans  celle  de  notredit  très-cher 
&  féal  Chevalier  Chancelier  de  France  le  fieur 
DE  LA  Moignon,  &  un  dans  celle  de 
notre  très  cher  &  féal  Chancelier  Garde  des 
Sceaux  de  France  le  Sieur  de  Machault, 
Commandeur  de  nos  ordres  :  le  tout  à  peine 
de  nullité  des  préfentes ,  du  contenu  defquel- 
les  vous  mandons  &  enjoignons  de  faire  jouir 
l'Expofant  ou  fes  ayans  C3u!è  ,  pleinement  & 
paifiblement ,  fans  foufFrir  qu'il  leur  ("oit  fait  aucuns 
troubles  ou  empêchcmens  :  Voulons  que  la  cojpie 


j 


des  Prëfentes ,  cjui  fera  împrîmce  tout  au  long  au 
comencement  ou  à  la  fin  défaits  ouvrages,  foit  te- 
nue pour  dûement  fignifiée ,  ôc  qu'aux  copies  colla- 
tionnées  par  l'un  de  nos  amez  &  féaux  Confeillers 
&  Secrétaires ,  foi  y  foit  ajoutée  comme  à  l'ori- 
ginal. Commandons  au  premier  notre  HuifTier  ou 
Sergent  fur  ce  requis,  de  faire  pour  l'exécution 
d'icelles  tous  ades  requis  &  néceffaires,  fans  de- 
mander autre  permiflion  ,  &  nonobftant  clameur 
de  Haro ,  Chartre  Normande ,  &  Lettres  à  ce  con- 
traires ;  Car  tel  eil:  notre  plaifir.  Donné  à  Ver- 
failles  le  vingt-deuxième  jour  du  mois  de  Mars, 
l'an  de  grâce  mil  fept  cens  cinquante-quatre ,  &  de 
notre  règne  le  trente- neuvième.  Par  le  Roi  en 
fon  Conleil.  S\gné,  PERRIN. 

Extrait  du  Regi/lrc  XIII.  de  la  Chambre  Royale 
&  Syndicale  des  Lihrairas  &  Imprimeurs  de  Paris  y 
N''.  ^ij.fol.  159.  reg'jlré  le  neuf  Avril  i']  <i^.  que 
je  certifie  véritable.  A  Paris  le  2.S.  Septembre  l  JJ'J. 

R  G.  LE  MERCIER,  Svndic. 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottowa 

ÉcKéonce 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


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