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THE LIBRARY
The Ontario Institute
for Studies in Education
Toronto, Canada
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L I B R A R Y
JAN 241969
THE ONTARiO INiîlTUTE
FOR rT "ATION
ÉLÉMENS
D'IDÉOLOGIE.
DE L'IMPRIMERIE DE MME Ve COURCIER,
ÉLÉMENS
D'IDÉOLOGIE.
PREMIÈRE PARTIE.
IDÉOLOGIE
PROPREMENT DITE.
Par M. DESTUTT Comte de TRACY,
Pair de France , Membre de l'Institut de France et de la
Société Philosophique de Philadelphie.
TROISIÈME ÉDITION.
PARIS,
M" Ve COURCIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE,
rue du Jardinet, n° 12, quartier Saint-Andre'-dcs-Arcs.
1817.
Ouvrages du même auteur, qui se trouvent chez le
même JLibraire.
ÉLÉMENS D'IDÉOLOGIE, 4 vol. in-8°. Prix: 22 fr. pour
Paris , et 28 fr. francs de port.
Chaque partie se vend séparément, savoir :
ir? partie. Idéologie proprement dite, 3e édition, 1817, 5 fr.
2e partie. Grammaire, seconde édition, 1817, 5 fr.
3e partie. Logique, i8o5,6fr.
4e et 5e parties. Traité de la Volonté et de ses effets, i8i5, 6 fr.
PRINCIPES LOGIQLES, ou Recueil de faits relatifs à l'in-
telligence humaine, in-8°, 1817, 2 fr.
AVERTISSEMENT
De lJ Édition de i8o4.
Vjette nouvelle édition est une simple
réimpression de la première , qui était
épuisée. Cependant j'y ai ajouté des
notes et des éclaircissemens qui pour-
ront peut-être ne pas frapper le com-
mun des lecteurs, mais qui j'espère,
paraîtront importans à ceux qui appro-
fondissent le sujet. Du reste l'ensemble
de l'ouvrage est demeuré le même, car
je n'aurais pu en changer que la forme
ou le fond.
Or, pour le fond des idées, j'avoue
sincèrement que je crois être arrivé à
la vérité, et qu'il ne me reste aucun
louche ni aucun embarras dans l'esprit
sur les questions que j'ai traitées. Mes
réflexions postérieurs , mes travaux
subséquens, et les conséquences que j'ai
tirées des premières données, ont éga-
lement confirmé mes opinions; et c'est
VJ AVERTISSEMENT.
avec une sécurité entière que je me crois
assuré de là solidité des principes que
j'ai établis après beaucoup d'hésitations
et d'incertitudes.
A l'égard de la manière dont je les ai
exposés , elle ne me satisfait pas aussi
pleinement. lLe ton de conversation
naïve et presque triviale que j'ai pris
dans une partie de cet ouvrage, ne m'a
pas paru sans utilité alors, vu le moment
où j'écrivais, et parce qu'il s'agissait
d'une science dont on s'était fait beau-
coup de fausses idées, et dont on n'avait
point encore de traité complet. J'ai cru
cet excès de simplicité propre à faire
sentir à tous momens, combien le sujet
que je traitais est différent de ces mé-
ditations abstruses et vaines qui effraient
et égarent en même temps l'imagina-
tion, et à faire voir combien sont sim-
ples les procédés qui peuvent nous con-
duire à une véritable connaissance de
nos opérations intellectuelles. D'ailleurs
celte manière me semblait très-com-
AVERTISSEMENT. Vlj
mode pour éviter de m'ériger en maître
dans une matière que je ne faisais qu'é-
tudier la plume à la main. En effet,
mon but était bien moins de créer un
corps de doctrine que de tracer la
marche de mes recherches et d'en pré-
senter les résultats. Néanmoins ce ton
familier, s'il a plu à quelques personnes,
n'a pas été approuvé généralement ; et
je ne crois plus qu'il ait d'avantages, au-
jourd'hui que les têtes sont plus meu-
blées de ce genre de connaissances, que
beaucoup de personnes les ont appro-
fondies et systématisées, et qu'il ne s'agit
plus que de rallier un grand nombre
d'opinions toutes formées, et dans le
vrai peu divergentes entr'elles.
Que l'on ne soit point étonné de m'en-
tendre dire que les circonstances sont
changées pendant undélai si court. Dans
ce temps-ci tout va extrêmement vite
et plus vite que nous ne pouvons le
croire; et l'existence d'une section d'ana-
lyse dans l'Institut national, et d'une
yiij AVERTISSEMENT.
chaire de grammaire générale dans les
écoles publiques, malgré qu'elle ait très-
peu duré , a donné aux esprits une im-
pulsion prodigieuse, et qui ne s'arrêtera
point.
Je crois donc que je devrais dès au-
jourd'hui changer le ton général de cet
écrit, vu sur-tout qu'il est actuellement
suivi d'une seconde partie qui lui donne
plus de consistance, et dans laquelle j'ai
pris une marche plus ferme et plus ra-
pide, Mais cette amélioration exigeait,
de moi un assez grand travail. Or, je
pense que le vrai moment de m'y livrer
sera quand j'aurai terminé la troisième
partie, de l'achèvement de laquelle je
veux m'occuper avant tout. Alors seule-
ment l'ouvrage sera complet. Je pourrai
d'un coup - d'oeil en embrasser l'en-
semble, juger de l'effet général, et ré-
tablir l'harmonie entre les diverses
sciions. Jusque-là je continuerai à de-
mander de l'indulgence pour les défauts
dedétail,que je n'ai pu faire disparaître,
AVERTISSEMENT. IX
m'estimant très-heureux si on n'a que
de ceux-là à me reprocher.
Néanmoins, en attendant mieux, j'ai
cru utile de supprimer la longue réca-
pitulation qui terminait cette Idéologie
dans la première édition, et de la rem-
placer par un Extrait raisonné servant
de Table analytique, pareil à celui que
j'ai mis à la lin de la Grammaire. Je le
crois bien plus propre à montrer l'en-
chaînement des idées, et à en faire sen-
tir le faible si elles étaient mal fondées
ou mal suivies. Or, c'est-là mon princi-
pal objet, car on ne peut désirer d'être
approuvé qu'autant que l'on a raison.
Réussir autrement, c'est être nuisible
au lieu d'être *utile 5 et assurément ce
n'est pas la peine de travailler pour ar-
river à un tel succès.
TABLE
DES CHAPITRES.
Avertissement, pagev
Préface, xiij
Introduction, i
CHAP. Ier. Qu'est-ce que penser? zi
CHAP. II. De la Sensibilité et des Sensations , 28
CHAP. III. De la Mémoire et des Souvenirs, 3/
CHAP. IV. Du Jugement et des Sensations de
rapports , 4^
CHAP. V. De la Volonté et des Sensations de
désirs , 67
CHAP. VI. De la Formation, de nos Idées com-
posées , 74
CHAP. VII. De l'Existence, 107
CHAP. VIII. Comment nos Facultés intellectuelles
commencent-elles à agir? i42
CHAP. IX. Des Propriétés des Corps et de leur*
Relation, i55
CHAP. X. Continuation du précédent. De la me-
sure des Propriétés des Corps», 173
TABLE DES CHAPITRES. XJ
CHAP. XI. Réflexions sur ce qui précède , et sur
la manière dont Condillac a analysé
la pensée, page 210
• \.
CHAP.. XII. De la Faculté de nous mouvoir,
et de ses rapports avec la Faculté
de sentir, 229
CHAP. XIII. De l'influence de notre Faculté de
vouloir sur celle de nous mouvoir,
et sur chacune de celles qui com-
posent la Faculté de penser, 23g
CHAP. XIV. Des effets que produit en nous la
fréquente répétition des mêmes
actes , 253
CHAP. XV. Du perfectionnement graduel de nos
Facultés intellectuelles , 284
CHAP. XVI. Des Signes de nos Idées et de leur
effet principal, 3c2
CHAP. XVII. Continuation du précédent". Des
autres effets des signes, 355
Extrait raisonné de l'idéologie, servant de
Table analytique, 089
Nota. Pour soulager l'attention, ces dix-sept cha-
pitres peuvent être partagés en trois sections.
La première, composée des chapitres 1, 2, 5, 4»
5, 6, 7 et 8, contient la description de nos facultés
intellectuelles.
La seconde, composée des chapitres 9, 10 et il,
Xij TABLE DES CHAPITRES.
renferme l'application de cette connaissance â la con--
naissance des propriétés des corps.
Et la troisième, composée des chapitres 12, i3
i4, i5, 16 et 17, traite des effet3 de la réunion
de notre faculté de sentir avec la faculté de nous,
mouvoir.
Tin de la Table.
PRÉFACE
De V Édition de 18 o4.
J'offre en ce moment au public un
Ouvrage qui m'a coûté beaucoup de
travail, et dont je n'attends pas un grand
succès pour moi, mais un peu d'utilité
pour la science. Je le présente aux jeunes
gens comme un plan d'étude, aux con-
naisseurs comme un mémoire à consul-
ter. Je dois rendre compte à ceux-ci des
motifs qui m'ont dirigé, et de la ma-
nière dont j'ai envisagé mon sujet.
On n'a qu'une connaissance incom-
plète d'un animal , si l'on ne connaît pas
ses facultés intellectuelles. ' L'Idéologie
est une partie de la Zoologie, et c'est
sur-tout dans l'homme que cette partie
est importante et mérite d'être appro-
fondie : aussi l'éloquent interprête de la
nature, BufFon, aurait-il cru n'avoir pas
achevé son histoire de l'homme, s'il
XI V PREFACE.
n'avait pas au moins essayé de décrire
sa faculté de penser. Je ne prononcerai
pas que cette partie de son ouvrage n'est
point digne de son illustre auteur; mais
j'oserai assurer que c'est celle qui satis-
fait le moins le lecteur attentif et l'ob-
servateur scrupuleux. Il ne faut pas s'en
étonner, puisque de tous les sujets qu'il
a traités, c'est celui qui avait été le
moins étudié avant lui. Et cela encore
devait être. L'homme parsa nature tend
toujours au résultat le plus prochain et
le plus pressant. Il pense d'abord à ses
besoins, ensuite à ses plaisirs. Il s'occupe
d'agriculture, de médecine, de guerre,
de politique-pratique, puis de poésie et
d'arts, avant que de songer à la philo-
sophie : et lorsqu'il fait un retour sur
lui-même et qu'il commence à réfléchir,
il prescrit des règles à son jugement,
c'est la logique ; à ses discours, c'est la
grammaire; à ses désirs, c'est ce qu'il
appelle morale. Il se croit alors au som-
PREFACE. XV
met de la théorie, et n'imagine pas même
que l'on puisse aller plus loin. Ce n'est
que long-temps après qu'il s'avise de
soupçonner que ces trois opérations,
juger, parler, et vouloir, ont une source
commune ; que, pour les bien diriger,
il ne faut pas s'arrêter à leurs résultats,
mais remonter à leur origine ; qu'en
examinant avec soin cette origine, il
y trouvera aussi les principes de l'édu-
cation et de la législation; et que ce
centre unique de toutes les vérités est
la connaissance de ses facultés intellec-
tuelles.
Locke est, je crois, le premier des
hommes qui ait tenté d'observer et de
décrire l'intelligence humaine , comme
Ton observe et l'on décrit une propriété
d'un minéral ou d'un végétal, ou une
circonstance remarquable de la vie d'un
animal : aussi a-t-il fait de cette étude
une partie de la Physique. Ce n'est pas
qu'avant lui on n'eût fait beaucoup
XV j PRÉFACE.
d'hypothèses sur ce sujet, qu'on n'eût
même dogmatisé avec une grande har-
diesse sur la nature de notre ame; mais
c'était toujours en vue, non de décou-
vrir la source de nos connaissances ,
leur certitude et leurs limites, mais de
déterminer le principe et la fin de toutes
choses, de deviner l'origine et la desti-
nation du monde. C'est-là l'objet de
la Métaphysique. Nous la rangerons
au nombre des arts d'imagination des-
tinés à nous satisfaire, et non à nous
instruire.
Quelques bons esprits ont suivi et
continué Locke : Condillac a plus qu'au-
cun autre accru le nombre de leurs ob-
servations, et il a réellement créé l'Idéo-
logie. Mais, malgré l'excellence de sa
méthode et la sûreté de son jugement,
il ne paraît pas avoir été exempt d'er-
reurs. C'est sur-tout dans cette science
que l'on éprouve, ce que- nous aurons
lieu d'observer dans la suite, que nos
PRÉFACE» XVij
perceptions purement intellectuelles
sont bien fugitives , et que moins l'ob-
jet de nos recherches nous ramène sou-
vent au témoignage direct de nos sens ,
plus nous sommes sujets à nous mé-
prendre et à nous égarer. D'ailleurs les
ouvrages théoriques de Condillac ne
sont presque que des morceaux déta-
chés, des monumens de ses recherches.
Il s'est pressé d'appliquer ses décou-
vertes aux arts de parler, de raisonner,
d'enseigner : mais il ne s'est point oc-
cupé de les réunir, et ne nous a donné
nulle part un corps de doctrine complet
qui puisse servir de texte aux leçons
d'un cours.
Je me suis proposé d'y suppléer. J'ai
essayé de faire une description exacte
et circonstanciée de nos facultés intel-
lectuelles, de leurs principaux phéno-
mènes, et de leurs circonstances les plus
remarquables, en un mot de véritables
élémens d'Idéologie; et sans m'arrêter
b
XViij PRÉFACE.
aux difficultés de l'entreprise, je n'ai en-
visagé que son utilité. Je n'ignore pas
cependant que, même dans les sciences
les plus avancées et les plus connues,
les livres élémentaires sont de tous les
plus difficiles à faire. Dans un ouvrage
de recherches, pourvu que l'on dise des
vérités, on a rempli son but. Dans des
élémenscela ne suffit pas : il faut encore
disposer ces vérités dans un ordre con-
venable, n'oublier aucune de celles qui
sont essentielles, écarter toutes celles
qui sont surabondantes, faire que toutes
s'enchaînent et s'appuient réciproque-
ment; enfin, les présenter assez claire-
ment pour qu'elles soient entendues par
les personnes les moins instruites; et
certes c'est-là une assez grande tâche à
remplir. Les difficultés sont bien plus
grandes encore quand on traite une
science comme celle-ci, qui n'a pas été
suffisamment cultivée. Souvent, en ren-
dant compte d'un fait, on s'aperçoit qu'il
PREFACE. XIX
exige de nouvelles observations, et,
mieux examiné, il se présente sous un
tout autre aspect : d'autres fois , ce sont
les principes eux-mêmes qui sont à re-
faire, ou, pour les lier entr'eux, il y a
beaucoup de lacunes à remplir ; en un
mot, il ne s'agit pas seulement d'expo-
ser la vérité, mais de la découvrir. C'est
ce que j'ai tâché de faire, sans me flatter
d'y avoir toujours réussi.
Cependant il est arrivé de là premiè-
rement, qu'il y a dans cet écrit beaucoup
plus d'idées nouvelles que je n'aurais
voulu; je désirerais bien que toutes
celles qui m'ont paru justes fussent an-
ciennes, je serais bien plus sûr de ne
m'ètre pas trompé, et j'aurais bien plus
d'espérance de les voir accueillies : secon-
dement, que n'ayant pas toujours à
énoncer des vérités déjà connues , j'ai
souvent été obligé de quitter le ton de la
narration pour prendre celui de la dis-
cussion, et de donner à certains prin-
b. .
SX PREFACE.
cipes un développement proportionna
non pas à leur importance ou à leur
difficulté réelle, mais à la crainte de les
voir combattus et repoussés, ce qui né-
cessairement nuit à l'effet de l'ensemble:
troisièmement, qu'assuré de trouver
des préventions dans l'esprit de mes
lecteurs , j'ai quelquefois été obligé
d'aller au-devant, et, pour cela, de dé-
ranger l'ordre naturel des idées. Car,
quoique Condillac soutienne avec rai-
son qu'un auteur doit énoncer claire-
ment sa pensée, ne dire que ce qui est
nécessaire pour la prouver, et n'avoir
aucun égard aux préjugés dominans, et
qu'il viendra un temps où on ne lui re-
prochera pas d'avoir bien écrit, il est
pourtant vrai qu'on ne peut pas tou-
jours construire, sans auparavant né-
toyer le terrain : peut-être même ai-je
trop négligé cette précaution; du moins
est-il sûr que je l'aurais prise plus sou-
vent, si je ne m'étais pas décidé à écrire
PREFACE. XX j
principalement pour les jeunes gens,
que je crois encore en général les meil-
leurs juges en ces matières.
Cet état de la science est encore cause
que, pour bien éclaircir une difficulté,
j'ai quelquefois été obligé de suivre une
idée plus loin qu'il n'aurait été conve-
nable dans des élémens; et cela m'a en-
gagé dans des considérations qui paraî-
tront trop fines et trop étendues pour
les jeunes gens à qui je m'adresse. Au
reste, je regarde ce dernier inconvénient
comme plus apparent que réel ; car, je
le répète, je crois les jeunes gens en gé-
néral très-capables de comprendre ces
matières, et beaucoup plus disposés à
les saisir sous leur vrai jour que bien
des hommes instruits qui ont des opi-
nions toutes faites, et des habitudes
acquises.
De tout cela il résulte que je ne peux
pas avoir fait de bons élémens d'Idéolo-
gie. Quand je considère à quel degré de
XXlj PREFACE.
perfection sont parvenues les sciences
mathématiques , combien il existe de
livres élémentaires dans cette partie , et
que j'entends tous les jours se plaindre
qu'il n'y en a aucun qui satisfasse plei-
nement les connaisseurs, je ne saurais
me flatter d'avoir atteint ce but dès le
premier coup dans la science que j'ai
traitée. Mais il fallait bien commencer
par quelque chose. Mon ouvrage est
une ébauche à perfectionner, un cadre
que l'on peut étendre et resserrer, ou
même remplir différemment, enfin un
point de départ pour ceux qui courront
la même carrière à l'avenir : c'est comme
tel que je le présente au public. Tout
ce que j'en espère, c'est que ceux qui
écriront après moi se croiront obligés de
me discuter; ce qui fera que bientôt ils
auront une langue commune, au moyen
de laquelle on pourra les entendre tous;
tandis que jusqu'à présent chaque au-
PREFACE. Xxiij
leur a la sienne, qui n'est bien familière
qu'à lui.
J'avais encore un autre motif quand
j'ai commencé à écrire ce petit Traité.
Je voyais que les auteurs de la loi du 5
brumaire an 4, qui ontrendu àlaFrance
une instruction publique dès qu'ils lui
ont eu donné une constitution , avaient
établi une chaire de grammaire générale
dans chaque école centrale : je compre-
nais par là qu'ils avaient senti que toutes
les langues ont des règles communes
qui dérivent de la nature de nos facul-
tés intellectuelles, et d'où découlent les
principes du raisonnement ; qu'ils pen-
saient qu'il faut avoir envisagé ces règles
sous le triple rapport de la formation ,
de l'expression, et de la déduction des
idées , pour connaître réellement la
marche de l'intelligence humaine, et
que cette connaissance non-seulement
est nécessaire à l'étude des langues ,
mais encore est la seule base solide des
Xxiv PREFACE.
sciences morales et politiques dont ils
voulaient avec raison que tous les ci-
toyens eussent des idées saines, sinon
profondes; qu'en conséquence leur in-
tention était que, sous ce nom de gram-
maire générale, on fit réellement un
cours d'idéologie, de grammaire, et de
logique, qui, en enseignant la philoso-
phie du langage, servît d'introduction
au cours de morale privée et publique.
Mais la loi ne pouvait ni ne devait en-
trer dans ces détails. Les règlemens
d'exécution n'étaient point faits; et je
croyais que la plupart des citoyens ne
savaient pas ce que l'on voulait faire ap-
prendre à leurs enfans, que beaucoup
de professeurs mêmes ne se faisaient pas
une idée complète de l'enseignement
qu'on attendait de leur zèle. D'ailleurs,
quand ils l'auraient vu nettement, ils
n'avaient aucun livre qui pût leur servir
constamment de guide. Je crus donc
que je ferais une chose utile de leur of-
PRÉFACE. XXV
frir un texte à commenter, un canevas
à remplir ; et je ne doutais pas que bien-
tôt, par l'effet même de leurs leçons, les
cahiers de plusieurs d'entr'eux ne de-
vinssent d'excellens traités, aussi utiles
à l'avancement de la science qu'à son
enseignement.
Sur ce point je pourrais bien m'être
trompé : car je vois qu'à la fureur de
tout détruire a succédé la manie de ne
rien laisser s'établir, et que, sous pré-
texte de haïr les écarts de la révolution,
on déclare la guerre à tout ce qu'elle a
produit de bon : c'est une mode qui a
remplacé nos anciens beaux airs. Autre-
fois on ne parlait que de réformes , de
changemens nécessaires dans l'éduca-
tion; aujourd'hui on voudrait la voir
comme du temps de Charleinagne : on
ridiculisait l'expérience sous le nom de
routine; actuellement on croit donner
une haute idée de ses connaissances pra-
tiques en affectant du mépris pour les
XXVJ PREFACE.
théories qu'on ignore : on soutient gra-
vement que pour bien raisonner il n'est
pas nécessaire de connaître ses facultés
intellectuelles, et que l'homme en so-
ciété n'a nul besoin d'étudier les prin-
cipes de l'art social. Il semble que ce
soit déjà un usage gothique parmi nous,
que celui de cultiver sa raison ,- et de
l'affranchir du joug des préjugés. C'est
ainsi que l'on a vu des hommes, nova-
teurs effrénés, coiffés d'un bonnet rouge,
accuser les philosophes d'être des réfor-
mateurs timides, et des amis froids du
bien de l'humanité, qui maintenant les
accusent d'avoir tout bouleversé , et en
conséquence travaillent sans relâche à
renverser encore les institutions utiles
que ces mêmes philosophes sont parve-
nus à conserver ou à établir au milieu
des murmures et des proscriptions ;
Et des petits péchés commis dans leur jeune âge ,
Vont faire pénitence en opprimant un sage -,
constans dans ce seul point de toujours
PREFACE. XXVij
persécuter. Cependant j'espère que la
sagesse du gouvernement mettra un
terme à cette fureur hypocrite ; qu'il dira
aux fous qu'il veut bien les laisser jeter
des pierres aux gens raisonnables, mais
qu'il ne veut pas qu'ils les assom-
ment (1), et même que son exemple leur
persuadera qu'ils ne doivent pas comp-
ter long-temps sur les applaudissemens
des spectateurs. Je suis très-convaincu
que cela arrivera, et je m'en réjouirai
dans ma solitude. Mais comme, au mi-
lieu de cette nouvelle lutte, on peut être
quelques années sans s'occuper de la
science que je traite, et par conséquent
de mon ouvrage , il est possible que ,
quand on le lira, la manie actuelle soit
déjà oubliée : c'est pourquoi j'ai voulu
en faire mention ici, afin que l'on se rap-
(1) Voyez la fable de La Fontaine, un Fou et
un Sage.
C'est fort bien fait à toi ; recois cet e'cu-ci^
Tu fatigues assez pour gagner davantage.
XXVilj PREFACE.
pelle un jour qu'elle a beaucoup retar-
dé les progrès de nos études , sans toute-
fois refroidir notre zèle, ni altérer notre
tranquillité.
J'ai donc continué mon travail, ayant
sur-tout en vue les écoles publiques, et
particulièrement les écoles centrales.
Je crois même qu'eu égard à l'état de la
science e taux nombreuses imperfections
que je n'ai pu faire disparaître de mon
ouvrage, il a besoin, pour être vrai-
ment utile, d'être présenté, commenté,
peut-être même corrigé, par un habile
professeur : car, quoi qu'on en dise,
moins u%e science est avancée, moins
elle a été bien traitée, et plus elle a
besoin d'être enseignée. C'est ce qui me
fait beaucoup désirer qu'on ne renonce
pas en France à l'enseignement des
sciences idéologiques, morales, et poli-
tiques, qui, après tout, sont des sciences
comme les autres , à la différence près
que ceux qui ne les ont point étudiées
PREFACE. Xxix
sont persuadés de si bonne fois de les
savoir, qu'ils se croient en état d'en
décider (1). Néanmoins je ne renonce
pas à l'espérance qu'un bon esprit sans
prévention puisse me lire avec fruit,
même sans secours étranger. Dans ce
cas, je le prie seulement de ne pas s'ar-
rêter au premier endroit qu'il ne goû-
tera pas , mais d'aller jusqu'au bout
avant de me condamner, parce qu'il
trouvera souvent plus loin des déve-
loppemens subséquens qui éclairciront
les difficultés antérieures. Avec cette
précaution, je me flatte qu'on me com-
prendra assez pour que je sois approuvé,
si j'ai raison, ou réfuté en connaissance
de cause, si j'ai tort. Ce dernier succès
ne paraît pas très-flatteur à obtenir :
cependant il est réservé à ceux qui s'ex-
(1) Effectivement tous les hommes les savent plus
ou moins, comme ils savent assez de mécanisme pour
s'appuyer sur une canne, et assez de physique pour
souffler le feu.
XXX PREFACE.
priment avec une précision rigoureuse ;
et ce genre de mérite met bien sur le
chemin de trouver la vérité.
Il me reste à me justifier de publier
la première partie de ces élémens sans
la deuxième et la troisième. Sans doute
il eût mieux valu ne les pas séparer ; et
je regrette vivement de n'avoir pas pu
les donner ensemble, parce que je suis
très-persuadé que les dernières parties
eussent jeté beaucoup de jour sur la
première, et donné beaucoup d'appui
à ma manière de voir. Cependant je
prie le lecteur d'observer que cette
partie que je lui soumets en ce moment
renferme à proprement parler toute la
théorie, et que j'ai voulu pressentir son
jugement sur les principes avant de me
livrer aux applications. Si j'étais assez.
heureux pour recueillir de bonnes cri-
tiques, et que ma manière d'analyser
la pensée dût être réformée, nécessai-
rement ma Grammaire et ma Logique
PRÉFACE. XXX j
en seraient modifiées, et par là se trou-
veraient tout de suite plus dignes de
l'approbation des connaisseurs. C'est-là
ce qui m'a décidé; car la perfection est
loin de nous : tout ce que je souhaite
est de mériter que l'on dise que j'ai fait
un peu de bien. Si j'en étais sûr, je me
vanterais des excellens conseils que
j'ai reçus de plusieurs hommes éclairés
avec qui je suis intimement lié, et je
dédierais cet ouvrage à un véritable ami
à qui je suis particulièrement redevable
de ce qu'il peut y avoir de bon dans ce
que j'ai écrit. Mais je me refuserai ce
plaisir, jusqu'à ce que le public m'ait
jugé, ne voulant point associer des noms
respectables à un mauvais succès. Je
pense que l'on ne devrait jamais mettre
d'épître dédicatoire à une première
édition.
Peut-être en approuvant ma discré-
tion, jugera-t-on qu'au moins j'aurais
du citer les auteurs dont je me suis
XXXlj PREFACE.
quelquefois approprié les idées. J'avoue
que si je ne l'ai pas fait, c'est que le plus
souvent je ne me suis pas rappelé à qui
j'étais redevable. Je déclare une fois
pour toutes qu'il y a dans cet écrit beau-
coup de choses qui ne sont pas de moi ;
et je répète que je voudrais bien qu'il
en fût de même du reste, et que le tout
ne fût qu'un recueil de vérités déjà con-
nues et convenues : je m'occuperais
avec bien plus de confiance et de plaisir
à en tirer des conséquences et à en faire
des applications.
ELEME1NS
ÉLEMENS
D'IDÉOLOGIE.
IDÉOLOGIE
PROPREMENT DITE.
INTRODUCTION.
J eunes gens, c'est à vous que je m'adresse;
c'est pour vous seuls que j'écris. Je ne pré-
tends point donner des leçons à ceux qui
savent déjà beaucoup de choses, et les savent
bien : je leur demanderai des lumières au
lieu de leur en offrir. Et quant à ceux qui
savent mal, c'est-à-dire qui, ayant un très-
grand nombre de connaissances, en ont tiré
de faux résultats dont ils se croient très-sûrs,
et auxquels ils sont attachés par une longue
habitude, je suis encore plus éloigné de leur
présenter mes idées j car, comme Ta dit un
A
2 IDEOLOGIE.
des plus grands philosophes modernes (i)r
« Quand les hommes ont une fois acquiescé
y> à des opinions fausses, et qu'ils les ont
y) authentiquement enregistrées dans leurs
y> esprits, il est tout aussi impossible de
» leur parler intelligiblement que d'écrire
)) lisiblement sur un papier déjà brouillé
y> d'écriture. »
Rien n'est plus juste que cette observa-
lion de Hobbes. Peut-être verrons- nous
bientôt ensemble la raison de ce fait ; mais,
en attendant, vous pouvez le tenir pour
très- certain. Je serais même fort surpris si
votre petite expérience personnelle , quel-
que peu étendue qu'elle soit, ne vous en
avait pas déjà offert la preuve. En tout cas,
la première fois qu'il arrivera à un de vos
camarades de s'attacher obstinément à une
idée quelconque qui paraîtra évidemment
absurde à tous les autres , observez-le avec
soin, et vous verrez qu'il est dans une dispo-
sition d'esprit telle, qu'il lui est impossible de
comprendre les raisons qui vous semblent
les plus claires; c'est que les mêmes idées
(i) Hobbes, Traité de la Nature humaine, tra-
duction du baron d'Holbach.
INTRODUCTION. 3
se sont arrangées d'avance dans sa tête dans
un tout autre ordre que dans la vôtre, et
qu'elLes tiennent à une infinité d'autres idées
qu'il faudrait déranger avant de rectifier
celles-là. Dans une autre occasion vous lui.
donnerez peut-être sa revanche. Eh bien,
mes amis, c'est de la même manière et par
les mêmes causes que l'on s'attache à un
faux système de philosophie et à une fausse
combinaison dans un jeu d'enfans.
C'est pour vous préserver de l'un et de
l'autre que je veux, dans cet écrit, non pas
vous1 enseigner, mais vous faire remarquer
tout ce qui se passe en vous quand vous
pensez, parlez, et raisonnez. Avoir des idées,
les exprimer, les combiner, sont trois cho-
ses différentes, mais étroitement liées entre
elles. Dans la moindre phrase, ces trois opé-
rations se trouvent ; elle sont si mêlées, elles
s'exécutent si rapidement, elles se renou-
yellent tant de fois dans un jour, dans une.
heure, dans un moment, qu'il paraît d'abord
fort difficile de débrouiller comment cela
se passe en nous. Cependant, vous verrez
bientôt que ce mécanisme n'est point si
compliqué que vous le croyez peut-être.
Pour y voir clair, il suffit de l'examiner en
A 2
4 ÏJ3ÉOLOGÎE.
détail- et déjà vous sentez qu'il est néces-
saire de le connaître pour être sûr de se
faire des idées vraies, de les exprimer avec
exactitude, et de les combiner avec jus-
tesse; trois conditions sans lesquelles on ne
raisonne pourtant qu'au hasard. Étudions
donc ensemble notre intelligence, et que je
sois seulement votre guide; non parce que
j'ai déjà pensé plus que vous , car cela pour-
rait bien ne m'avoir servi de rien, mais
parce que j'ai beaucoup observé comment
l'on pense, et que c'est cela qu'il s'agit de
vous faire voir.
On donne difïërens noms à la science
dont nous allons parler; mais quand nous
serons un peu plus avancés, et que vous au-
rez une idée nette du sujet, vous verrez bien
clairement quel nom on doit lui donner.
Jusque-là tous ceux que je vous suggérerais
ne vous apprendraient rien, ou peut-être
même vous égareraient, en vous indiquant
des choses dont il ne sera point question
ici. Étudions donc, et nous trouverons en-
suite comment s'appelle ce que nous aurons
appris (1).
(i) Cette science peut s'appeler Idéologie, si l'on
INTRODUCTION. 5
Bien des gens croient qu'à votre âge on
n'est pas capables de l'étude à laquelle je veux
vous engager. C'est une erreur; et, pour le
prouver, je pourrais me contenter de vous
citer mon expérience personnelle , et de
vous dire que j'ai souvent exposé à des en-
fans aussi jeunes qu'aucun de vous, et qui
n'avaient rien de remarquable pour l'intel-
ligence, toutes les idées dont je vais vous
entretenir, et qu'ils les ont saisies avec fa-
cilité et avec plaisir; mais je vous dois quel-
ques explications de plus; elles ne seront
pas inutiles par la suite
Premièrement, il n'est pas douteux que
nos forces intellectuelles , comme nos forces
physiques, s'accroissent et augmentent avec
le développement de nos organes; ainsi, dans
quelques années, vous serez certainement
ne fait attention qu'au sujet; Grammaire générale,
si l'on n'a égard qu'au moyen, et Logique , si l'on ne
considère que le but. Quelque nom qu'on lui donne,
elle renferme nécessairement ces trois parties ', car on
ne peut en traiter une raisonnablement sans traiter les
deux "autres. Idéologie me paraît le terme générique,
parce que la science des idées renferme celle de leur
expression et celle de leur déduction. C'est en même-
temps le nom spécifique de la première partie»
6 IDÉOLOGIE.
susceptibles d'une attention plus forte et
plus longue qu'aujourd'hui, comme vous
serez capables de remuer et de soutenir des
fardeaux plus lourds.
Secondement, il est tout aussi sur que
certaines facultés se développent avant d'au-
tres; et que, comme la souplesse du corps
précède sa plus grande vigueur, de même la
faculté de recevoir des impressions et celle
de se les rappeler se manifestent avant la
force nécessaire pour bien juger et combiner
ces sensations et ces souvenirs; c'est-à-dire
que la sensibilité et la mémoire précèdent
l'action énergique du jugement.
Un autre vérité d'observation constante ,
c'est que toutes ces facultés physiques ou
intellectuelles languissent dans l'inaction ,
se fortifient par l'exercice, et s'énervent
quand on en abuse.
Yoilà les faits : c'est toujours d'eux que
nous devons partir; car ce sont eux seuls
qui nous instruisent de ce qui est ; les vérités
les plus abstraites ne sont que des consé-
quences de l'observation des faits. Mais que
conclure de ceux-ci? rien autre chose, si
ce n'est que, dans tous les genres, il faut
exercer vos forces et ne pas les excéder;
INTRODUCTION. 7
qu'actuellement vos leçons doivent être
courtes et répétées, et que, dans quelque
temps, vous ferez en un mois ce que vous
ne faites à cette heure qu'en deux. Mais
cela s'applique-t-il plus particulièrement à
l'étude qui nous occupe qu'à une autre?
cela doit-il la faire écarter plus que toute
autre? Non assurément.
En effet, tout jeunes que vous êtes, on
vous a déjà donné des notions élémentaires
de physique et d'histoire naturelle; on vous
a fait connaître les principales espèces de
corps qui composent cet univers ; on vous
a donné une idée de leurs combinaisons,
de leur arrangement, des mouvemens des
corps célestes, de la végétation, de l'orga-
nisation des animaux ; et on a bien fait de
vous mettre tant d'objets divers sous les
yeux, quoique vous ne soyez pas en état
de les approfondir ; cela vous a toujours
fourni des idées préliminaires et des sujets
de réflexion. Dans tout cela, il est vrai,
beaucoup de choses ont frappé vos sens et
réveillé votre attention; votre mémoire,
sur-tout, a été exercée; cependant votre
jugement n'est pas demeuré inactif, car,
sans son secours, vous seriez restés dans un
8 IDÉOLOGIE.
véritable état d'idiotisme ; vous n'auriez rien
compris à tout ce qu'on vous a dit.
Ce n'est pas tout; on vous a aussi donné
quelques leçons de calcul; vous savez les
principes fondamentaux de la numération ;
là cependant il n'y a presque rien à voir,
très-peu à retenir de mémoire , presque tout
est raisonnement; vous l'avez compris pour-
tant : ce que nous avons à dire n'est pas
plus difficile.
Il y a plus ; vous avez déjà commencé
l'étude du latin; on vous a enseigné quel-
ques élémens de grammaire; on vous a
expliqué la valeur des mots , leurs relations,
le rôle qu'ils jouent dans le discours ; on
vous a parlé de substantifs, d'adjectifs, du
verbe simple et des verbes composés; vous
n'avez pas pu apprendre l'emploi de ces
signes sans connaître l'usage des idées qu'ils
représente; ou vous n'avez rien compris
du tout à tout cela, ou vous savez déjà, au
moins confusément, une grande partie de
tout ce qui va nous occuper; et, si je ne me
trompe beaucoup, la manière dont nous
allons reprendre toutes ces matières vous
les fera paraître beaucoup plus claires, d'au-
tant que ce que nous en dirons ne sera pas
INTRODUCTION. 9
embrouille par les mots d'une langue qui ne
vous est pas encore familière.
Enfin, quand vous n'auriez jamais en-
tendu parler ni de physique, ni de calcul,
ni de latin; quand, de votre vie, vous n'au-
riez reçu aucune leçon expresse; quand
vous ne sauriez pas lire; quand vous n'au-
riez appris qu'à parler, croyez -vous que
vous y fussiez parvenus sans faire un grand
usage de votre jugement ? Vous n'avez peut-
être jamais pris garde à la multitude de
choses qu'il faut qu'un enfant étudie pour
apprendre à parler; combien il faut qu'il
fasse d'observations et de réflexions pour
connaître et démêler tous les objets qui l'en-
vironnent; pour remarquer et distinguer
les voix et les articulations que prononcent
ceux qui l'entourent; pour s'apercevoir
que de ces paroles les unes s'appliquent aux
objets et les désignent, les autres expriment
ce qu'on en pense et ce qu'on en veut faire ;
pour parvenir lui-même à répéter ces pa-
roles et en faire une application juste , et en-
fin pour reconnaître la manière de les varier
et de les lier entr'ellcs de façon qu'elles
deviennent le tableau fidèle de sa pensée.
Pesez un peu toutes ces difficultés, et vous
ÎO IDEOLOGIE.
verrez que ce n'est pas sans beaucoup de
méditations et de raisonnemens qu'on par-
vient à surmonter tant d'obstacles. Aussi,
observez un enfant quand il vient de réussir
à distinguer les parties d'un objet qu'il ne
connaissait pas, à entendre quelque chose
qu'on lui dit et qu'il ne comprenait pas, à
faire comprendre son idée qu'on ne saisis-
sait pas ; voyez comme il est content, quelle
joie vive il manifeste; celle d'un savant qui
vient de faire une découverte n'est ni plus
grande, ni mieux fondée; elle est absolu-
ment du même genre, elle naît des mêmes
motifs, son succès est du à des efforts tout
pareils. Je vous disais, tout à l'heure, que
c'est par les mêmes causes que l'on se
trompe dans les jeux et dans les sciences ;
eh bien ! c'est par les mêmes procédés qu'on
apprend à parler, et qu'on découvre ou les
lois du système du monde, ou celles des
opérations de l'esprit humain, c'est-à-dire
tout ce qu'il y a de plus sublime dans nos
connaissances. .
Mes amis, plus vous aurez d'expérience ,
plus vous aurez réfléchi, et plus vous serez
convaincus qu'en aucun temps de votre vie
vous n'avez acquis autant de connaissances
INTRODUCTION. 11
réelles, vous n'avez fait des progrès aussi
rapides, que dans les trois ou quatre pre-
mières années de votre existence. Ce n'est
pas que, comme je l'ai dit, vous ne soyez
devenus dans la suite capables d'un juge-
ment plus ferme, d'une attention plus sou-
tenue; mais c'est que jamais vous n'aurez
été aussi constamment occupés d'appren-
dre (1). Le plaisir presque unique de la pre-
mière enfance est de faire des découvertes;
et, dans le reste de la vie, on ne se borne
que trop souvent à jouir, tant bien que mal,
des choses que l'on connaît à peu près. Ce
qui met le plus de différence entre les de-
grés de lumières et de talens auxquels par-
viennent les hommes, c'est de conserver
plus ou moins long-temps, plus ou moins
vivement ce premier penchant à l'investi-
gation, à la recherche des vérilés quelles
qu'elles soient.
(i) On peut ajouter : et jamais vous n'aurez suivi
une aussi bonne méthode. L'enfant part des impres-
sions qu'il reçoit, et il n'en infère que ce qu'elles pa-
raissent lui montrer. Il peut être par inexpérience trop
prompt à conclure ; mais du moins il est préservé, par
son ignorance même, de la folie de vouloir rien de-
viner à priori et par la vertu d'une maxime générale
composée d'avance.
12 IDEOLOGIE.
En voulez-vous un exemple? Les exemples
rendent les vérités plus sensibles. Vous ai-
mez sûrement bien les chevaux : qu'on vous
en donne un, et qu'on vous laisse libres;
vous courrez dessus des journées entières
sans vous embarrasser de savoir ni com-
ment il vit, ni comment il meurt , ni com-
ment il broie ses alimens, ni ce qu'ils de-
viennent , ni quelle est sa structure interne ;
sans peut - être seulement remarquer en
quoi consiste la différence de ses mouve-
mens au pas, au trot et au galop. Ce que
vous ferez, emportés par l'attrait du plaisir,
un homme plus âgé le fera dominé par ses
affaires, ou par l'appât du gain. Combien
de gens mènent des chevaux toute leur vie
sans faire autant de réflexions peut-être
pour les conduire que le cheval pour leur
obéir ! Au contraire , donnez un cheval de
carton à un enfant : soyez assuré qu'à l'ins-
tant même il le tourne et retourne de tous
les sens ; il l'examine autant qu'il est en lui;
bientôt il va l'éventrer pour voir ce qu'il
y a dedans : s'il le traîne , il le regarde à
chaque, instant; il veut deviner comment
cela se fait : vous voyez souvent à son pe-
tit a:r pensif qu'il est bien moins occupé de
INTRODUCTION. l5
l'effet, que de la manière dont il se produit;
son plaisir est de chercher; sa vraie passion
est la curiosité; et cet utile sentiment serait
encore bien plus permanent en lui, si sou
vent on ne l'en distrayait pas très-mal-
adroitement, et bien plus fructueux, si de
bonne heure on ne lui faisait pas abandonner
sa logique naturelle pour de faux principes.
Mais revenons.
Vous voyez donc que vous êtes très-ca-
pables de réflexion et de jugement, pourvu
que la recherche vous plaise, et ne dure
pas trop long-temps. Si vous avez cru le
contraire, c'est une erreur dont il faut vous
désabuser.
il est encore une chose qu'il faut que
vous sachiez, et dont vous verrez bien des
preuves par la suite : c'est que l'esprit hu-
main marche toujours pas à pas; ses progrès
sont graduels; ensorte que nulle vérité n'est
plus difficile à comprendre qu'une autre,
quand on sait bien tout ce qui est avant.
Il n'y a d'inintelligible pour nous que ce qui
est trop loin de ce que nous savons déjà ;
mais il n'y a pas plus de distance entre la
vérité la plus sublime des sciences et celle
qui la précède immédiatement, qu'entre
l4 IDEOLOGIE*
l'idée la plus simple et celle qui la suit,
comme dans les nombres il n'y a pas plus
loin de 9g à 100 que de 1 à 1. La série de
nos jugemens est une longue chaîne dont
tous les anneaux sont égaux. Il n'y a donc
pas de science qui soit par elle-même plus
obscure qu'aucune autre : tout dépend de
l'ordre que l'on sait y mettre pour éviter
les trop grandes enjambées, si je puis m'ex-
primer ainsi : trouver cet ordre, quand il
n'est pas encore connu , c'est-là le propre
du talent, et ce talent est le même qui fait
trouver des vérités nouvelles. Nous ver-
rons quelque jour en quoi il consiste ; car
le bien connaître est le moyen de l'acquérir,
et de se préserver de croire que le génie qui
invente marche au hasard.
Pour ne pas outrer ce que je viens de
dire sur l'enchaînement des vérités, il faut
cependant observer qu'il y a tel raisonne-
ment où la série de nos jugemens est si
longue, qu'il faut une attention peu com-
mune pour la suivre toute entière, et qu'il
y en a tel autre formé de vérités qui tiennent
à tant d'autres , que même , en les connais-
sant bien, il faut une force de tête au-dessus
de l'ordinaire pour ne pas perdre de vue
INTRODUCTION. 1 5
aucun des élémens qui les composent, ce
qui est cependant nécessaire pour n'en pas
tirer de fausses conséquences : mais vous
ne trouverez rien de tel dans tout ce que
nous avons à dire. Nous ne nous proposons
que d'examiner avec soin ce que nous fai-
sons quand nous pensons, et d'en conclure
ce que nous devons faire pour penser avec
justesse. Là, les faits sont en nous , les ré-
sultats tout près de nous , et le tout est si
clair, que nous aurons peine à comprendre
comment tant de gens l'ont si fort embrouillé
en y supposant ce qui n'y est pas, et y
cherchant ce que nous n'y pouvons trou-
ver. Ne vous effrayez donc point de cette
entreprise, aussi utile que facile, et qui,
j'en suis sûr , vous causera plus de plaisir
que de fatigue.
Mais, en terminant ces réflexions préli-
minaires, je dois encore vous rappeler que
celui d'entre vous qui a l'esprit le moins
exercé, a pourtant déjà une foule immense
d'idées , qu'il en a porté des millions de juge-
mens , et qu'il en est résulté une quantité pro-
digieuse de connaissances : tout cela est tel-
lement innombrable, dans toute la force du
terme, qu'assurément il n'y a aucun de
l6 IDÉOLOGIE.
vous qui pût faire rémunération complète
de toutes les idées qu'il a conçues, de tous
les jugemens qu'il a portés, et de toutes les
combinaisons qu'il en a faites ; et dans tout
cela vous sentez bien qu'il doit s'être glissé
déjà un grand nombre d'erreurs; à la vé-
rité elles ont du moins un avantage , c'est
qu'elles n'ont pas encore ce caractère de
fixité qu'elles acquièrent avec le temps.
Néanmoins vous êtes bien loin, pour me
servir de l'expression de Hobbes , d'être
semblables à des feuilles de papier blanc
sur lesquelles on puisse écrire commodé-
ment et sans précaution. Il faut partir de
l'état où vous êtes ; il faut profiter du che~
min que vous avez déjà parcouru; il faut vous
mettre en garde contre les fausses routes
dans lesquelles vous pouvez être entrés: c'est
ce que je crois avoir fait dans ce préambule.
En le lisant, bien des gens penseront
peut-être que moi, qui vous promettais
tout à l'heure de vous enseigner par la suite
l'art que l'on nomme méthode, c'est-à-dire
l'art de disposer ses idées dans l'ordre le
plus propre à trouver la vérité et à l'ensei-
gner, j'ai commencé par manquer moi-
même aux règles de cet art, en vous par-
lant
INTRODUCTION. 1 j
tant de beaucoup de choses dont je ne vous
fri point encore donné de notions exactes,
en me servant, pour vous en parler, de
beaucoup de ternies dont la signification
précise n'est pas encore convenue entre
nous. Us croiront que j'aurais dû débuter
par vous expliquer magistralement ce que
c'est que faculté , pensée , intelligence , sen-
sation, souvenir, idée, attention, réflexion,
jugement , raisonnement, combinaison , etc.;
et par vous donner des définitions positives
de tous les termes scientifiques que j'ai déjà
employés et que j'emploierai à l'avenir, et
ils seront persuadés que de cette manière
j'aurais été beaucoup plus clair.
Effectivement, si je m'y étais pris ainsi,
peut-être y auriez-vous été trompés vous--
mêmes; peut-être auriez-vous cru dès l'a-
bord me comprendre parfaitement, quoique
dans le vrai il n'en fut rien. Arous n'êtes pas
encore assez avancés pour que je puisse
vous faire bien voir d'où vous serait venue
cette confiance trompeuse; mais une preuve
qu'elle n'eut été qu'une illusion , c'est que
quand vous saurez bien ce que c'est que
toutes ces choses que nous venons de nom-
mer, quand par conséquent vous aurez une
B
l8 IDEOLOGIE.
idée bien nette et bien juste de la significa-»
tion des mots qui les expriment, je n'aurai
plus rien à vous dire, vous saurez la science
qui nous occupe. Or, il est bien évident que
c'est ce que je ne pouvais pas opérer dans
un petit nombre de paragraphes. Je n'au-
rais donc fait, avec toutes mes définitions,
que prendre des mots qui n'ont encore pour
vous qu'un sens assez vague, et, sans vous
donner aucune nouvelle lumière, les rem-
placer par d'autres mots nécessairement
tout aussi vagues que les premiers. C'est
ainsi que l'on s'éblouit, mais ce n'est point
ainsi qu'on s'éclaire.
Il n'y a peut-être pas un des termes que
je viens de citer, dont vous ne vous soyez
déjà servis mille et mille fois. Ils ont donc
pour vous un sens quelconque j j'ai donc pu
m'en servir en vous parlant, tout comme
j'ai fait de termes plus usuels, que vous em-
ployez encore plus souvent , quoique cer-
tainement vous n'en sentiez pas toujours
toutes les nuances. J'ai dû seulement ne pas
faire de ces mots un usage trop fin que vous
n'auriez pas compris j car ces termes scien-
tifiques ne réveillent pas en vous à beaucoup
près autant d'idées qu'en moi, et la signifi-
INTRODUCTION. 1$
cation que vous leur attachez est confuse
et indéterminée. Mais à mesure que je vous
expliquerai les choses qu'ils expriment, cette
signification deviendra et plus claire, et plus
précise, et plus complète ; et quand elle
sera exactement la même que celle que je
leur donne, nous serons au même point;
vous saurez la science que nous étudions ,
autant que moi, et comme moi; nous au-
rons fini. Commençons donc par dégrossir,
si je puis m'exprimer ainsi; ensuite nous
perfectionnerons successivement et gra-
duellement.
En effet, mon objet est de vous faire con-
naître en détail ce qui se passe en vous quand
vous pensez, parlez, et raisonnez : il faut
donc qu'auparavant vous ayez pensé , parlé,
et raisonné, sans quoi il vous serait impos-
sible de m'entendre. Je parlerais éternelle-
ment des couleurs à un aveugle-né, et des
sons à un sourd et muet de naissance,
qu'ils ne sauraient jamais comprendre de
quoi il s'agit. Il faut avoir éprouvé une im-
pression quelconque , il faut la connaître
déjà un peu pour pouvoir en raisonner :
c'est la marche constante de l'esprit humain.
Il agit d'abord ? puis il réfléchit sur ce qu'il
B 2
20 IDEOLOGIE.
a fait, et il apprend par là à le faire mieux
encore. Il prend une première connaissance
d'une chose, ensuite il la médite; enfin il la rec-
tifie et la perfectionne, et de là il va plus loin.
Il m'a donc fallu commencer par vous
parler de ce que vous savez déjà, de
ce que vous avez déjà fait; vous inviter
à y réfléchir , et vous faire entrevoir le
parti que je prétends en tirer, et le but où
je veux vous conduire, sans rechercher
d'abord une précision et une clarté par-
faites. Je n'ignore pas que la première fois
que vous lirez ces premières pages, sur-tout
si vous lisez seuls et sans guides, vous y
trouverez des choses que vous ne compren-
drez pas parfaitement : mais ce que vous en
aurez saisi suffira pour ce que nous allons
dire, et aura excité votre réflexion. Quand
nous aurons été plus loin , vous y revien-
drez : ce que nous aurons vu aura jeté un
nouveau jour sur ce commencement, qui
à son tour éclaircira ce que nous verrons
après; et ainsi successivement, jusqu'à ce
que vos idées soient parfaitement détermi-
nées : alors nous pourrons faire des défi-
nitions rigoureuses , ou plutôt des descrip-
CHAPITRE I. 21
tions complètes j car ce sont là les vraies dé-
finitions.
Entrons donc en matière , et commençons
par examiner ce que c'est que penser.
CHAPITRE PREMIER.
Qu'est-ce que penser?
Vous pensez tous : vous le dites souvent;
aucun de vous n'en doute; c'est pour vous
une vérité d'expérience, de sentiment, de
conviction intime, et je suis bien loin de la
nier. Mais vous êtes-vous jamais rendu un
compte un peu précis de ce que c'est que
penser, de ce que vous éprouvez quand
vous pensez, n'importe à quoi? Je suis bien
tenté de croire que non ; et bien des hommes
meurent sans l'avoir fait, sans y avoir seu-
lement songé. Cette insouciance si com-
mune devrait bien nous surprendre, s'il
n'était pas vrai qu'il n'y a que les choses
rares qui aient le pouvoir de nous éton-
ner. Essayons de faire ensemble cet exa-
men que je vous soupçonne de n'avoir ja-
mais fait.
S3 IDÉOLOGIE,
Vous dites tons, je pense cela, quand
vous avez une opinion , quand vous formez
un jugement. Effectivement, porter un ju-
ment vrai ou faux est un acte de la pensée;
et cet acte consiste à sentir qu'il existe un
rapport, une relation quelconque, entre
deux choses que l'on compare. Quand je
pense qu'un homme est bon , je sens que la
qualité de bon convient à cet homme. Il ne
s'agit pas ici de rechercher si j'ai raison ou
tort, ni d'où peut venir mon erreur; nous
verrons cela ailleurs... : penser, dans ce cas,
c'est donc apercevoir un rapport de conve-
nance ou de disconvenance entre deux idées,
c'est sentir un rapport.
Vous dites encore, je pense à notre pro-
menade d'hier y quand le souvenir de cette
promenade vient vous frapper, vous affec-
ter : penser, dans ce cas, c'est donc éprou-
ver une impression d'une chose passée ;
c'est sentir un souvenir.
Quand vous desirez, quand vous voulez
quelque chose , vous ne dites pas aussi com-
munément, je pense que j'éprouve un de-
sir, une volonté. Effectivement, ce serait
un pléonasme , une expression inutile : mais
il n'en est pas moins vrai que désirer et vou-
CHAPITRE I. 23
loir sont des actes de cette faculté intérieure
que nous appelons en général la pensée,
et que quand nous desirons ou voulons
quelque chose , nous éprouvons une impres-
sion interne, que nous appelons un désir ou
une volonté : ainsi penser, dans ce cas, c'est
sentir un désir.
Vous vous servez encore moins de l'ex-
pression, je pense, quand vous ne faites
qu'éprouver une impression actuelle et pré-
sente, qui n'est ni un souvenir d'une chose
passée, ni un rapport existant entre deux
idées, ni un désir de posséder ou d'éviter
un objet quelconque. Quand un corps chaud
vous brûle la main, vous ne dites point, je
pense que je me brûle, maisy'e sens que
je me brûle, ou mieux encore, tout simple-
mentje me brûle. Si vous êtes affectés par
quelques douleurs internes , celles de la co-
lique, par exemple, vous ne dites point, je
pense que je souffre, mais je souffre. Ce-
pendant le dérangement mécanique qui
s'opère dans votre main ou dans vos en-
trailles est une chose distincte et différente
de la douleur que vous en ressentez; la
preuve en est que si ces organes sont para-
lysés ou gangrenés, ils peuvent éprouver
$4; IDÉOLOGIE.
de bien plus fortes lésions sans que voua
vous en aperceviez : or, cette faculté d'être
affecté de plaisir ou de peine à l'occasion de
ce qui arrive à nos organes, fait encore par-
tie de ce que nous nommons la pensée ou
la faculté de penser. Penser , dans ce cas ,
c'est donc sentir une sensation, ou tout
simplement sentir.
Penser, comme vous voyez , c'est tou-
jours sentir, et ce n'est rien que sentir.
Maintenant me demanderez-vous ce que
c'est que sentir? je vous répondrai : C'est
ce que vous savez, ce que vous éprouvez.
Si vous ne l'éprouviez pas , ce serait bien
inutilement que je m'efforcerais de vous
l'expliquer : vous ne m'entendriez ni ne
me comprendriez. Mais puisque vous avez
la conscience de cette manière d'être , vous
n'avez besoin d'aucune explication pour la
connaître j il vous suffit de votre expérience.
Sentir est un phénomène de notre exis-
tence, c'est notre existence elle-même : car
un être qui ne sent rien peut bien exister
pour les autres êtres, s'ils le sentent ; mais
il n'existe pas pour lui-même, puisqu'il ne
s'en aperçoit pas.
Vous pourriez avec plus de raison me de-.
CHAPITRE I. 25
mander pourquoi, penser étant la même
chose que sentir, on a fait deux mots au
lieu d'un ? Je vous dirais que c'est parce que
l'on a plus spécialement destiné le mot sen-
tir à exprimer l'action de sentir les pre-
mières impressions qui nous frappent, celles
que l'on nomme sensations; et le mot pen-
ser à exprimer l'action de sentir les impres-
sions secondaires que celles-là occasion-
nent, les souvenirs, les rapports, les de-
sirs, dont elles sont l'origine. Ce partage
entre ces deux mots est mal vu, sans doute;
il n'est fondé que sur les idées fausses qu'on
s'était faites de la faculté de penser avant
de l'avoir bien observée, et il a ensuite cau-
sé d'autres erreurs. Mais malgré l'obscurité
que ce mauvais emploi des mots répand sur
notre sujet, il est clair, quand on y réfléchit ,
que penser c'est avoir des perceptions ou
des idées; que nos perceptions ou nos idées
(je ferai toujours ces deux mots absolument
synonymes) sont des choses que nous sen-
tons, et que par conséquent penser c'est
sentir. Nous avons donc actuellement une
connaissance générale de ce que c'est que
penser. Il nous reste à jentrer daus les
détails.
2$ IDÉOLOGIE.
Encore une fois, puisque penser c'est
sentir, si les mots de notre langue étaient
bien fails ou bien appliqués , nous devrions
appeler cette faculté sensibilité , et ses pro-
duits sensations ou sentimens; l'expression
rappellerait la chose même ; mais ne pou-
vant changer l'usage, nous le suivrons, et
nous nommerons cette faculté la pensée,
et ses produits des perceptions ou des
idées. Nous conserverons de même tous les
autres termes reçus; nous nous contente-
rons de bien déterminer leur signification.
On vous dira , et peut-être on vous a déjà
dit, que le mot idée vient d'un mot grec qui
signifie image , et qu'il a été adopté parce
que nos idées sont les images des choses.
Ce peut bien être effectivement là la raison
qui a fait créer ce mot, et qui l'a fait re-
cevoir dans beaucoup de langues ; mais cette
raison n'en est pas meilleure ; car nos idées
sont ce que nous sentons; et assurément
le sentiment de douleur que je sens, quand
je me brûle, n'est pas du tout la représen-
tation du changement de couleur ou de
figure qui arrive à mon doigt. Nous verrons
cela encore mieux par la suite; mais, dès
ce moment, gardons-nous de l'erreur coin-
CHAPITRE T. 27
mune de croire que nos idées soient la re-
présentation des choses qui les causent.
Quoi qu'il en soit , nous avons déjà re-
marqué que nous avions des idées ou per-
ceptions de quatre espèces différentes. Je
sens que je me brûle actuellement, c'est
une sensation que je sens; je me rappelle
que je me suis brûlé hier , c'est un souve-
nir que je sens ; je juge que c'est un tel
corps qui est cause de ma brûlure, c'est un
rapport que je sens entre ce corps et ma
douleur; je veux éloigner ce corps, c'est un
désir que je sens. Voilà quatre sentimens ,
ou, pour parler le langage ordinaire, quatre
idées qui ont des caractères bien distincts.
On appelle sensibilité la faculté de sentir
des sensations; mémoire, celle de sentir
des souvenirs; jugement, celle de sentir
des rapports; volonté, celle de sentir des
désirs. Ces quatre facultés font certaine-
ment partie de celle de penser; mais la cotn-
posent- elles toute entière? la faculté de
penser n'en renferme-t-elle aucune autre?
Quoique j'en sois bien convaincu, je ne me
permettrai pas de vous l'affirmer encore ;
c'est une question que nous traiterons par
la suite. Commençons par considérer ces
28 IDÉOLOGIE.
quatre facultés Fane après l'autre; si de
cet examen il résulte qu'elles suffisent à for-
mer toutes nos idées, il sera constant qu'il
n'y a rien autre chose dans la faculté de
penser; qu'elles la composent toute entière.
CHAPITRE IL
De la Sensibilité et des Sensations.
JLa sensibilité est cette faculté, ce pou-
voir, cet effet de notre organisation, ou, si
vous voulez , cette propriété de notre être
en vertu de laquelle nous recevons des im-
pressions de beaucoup d'espèces, et nous
en avons la conscience.
Chacun de nous ne la connaît par expé-
rience qu'en lui-même. Il la reconnaît dans
ses semblables à des signes non équivoques,
mais sans jamais pouvoir s'assurer au juste
du degré de son intensité dans chacund'eux :
il faudrait qu'il pût sentir par les organes
d'un autre. Elle se montre à nous plus ou
moins clairement dans les différentes es-
pèces d'animaux, à proportion qu'ils ont
plus ou moins de moyens de l'exprimer..
CHAPITRE IL «29
Elle ne se manifeste pas de même dans les
végétaux; mais aucun de nous ne pourrait
affirmer qu'elle n'y existe pas, ni même
dans les minéraux; personne ne peut être cer-
tain qu'une plante n'éprouve pas une vraie
douleur quand la nourriture lui manque,
ou quand on l'ébranche ; ni que les parti-
cules d'un acide, que nous voyons toujours
disposées à s'unir à celles d'un alkali, n'é-
prouvent pas un sentiment agréable dans
cette combinaison. Je ne veux point par
cette observation vous induire à supposer
la sensibilité par tout où elle ne paraît pas ;
car , en bonne philosophie , il ne faut jamais
rien supposer; mais je saisque noussommes
dans une ignorance complète à cet égard.
Quant aux motif que nous aurions de for-
mer une conjecture plutôt qu'une autre sur
ce point, ils ne sont pas de mon sujet ; je les
passe sous silence.
Si nous ignorons l'énergie et les limites
de la sensibilité dans tout ce qui n'est pas
nous , du moins nous savons un peu mieux
par quels organes elle agit en nous. Je n'en-
trerai point ici dans des détails physiolo-
giques; on a dû déjà vous donner une idée
générale de notre organisation , et vous en
3o IDÉOLOGIE.
ferez quelque jour une étude plus appro-
fondie : il me suffira de vous dire aujourd'hui
que mille expériences directes prouvent que
c'est principalement par les nerfs que nous
sentons. Ces nerfs, dans l'homme, sont des
filets d'une substance molle, à peu près de
même nature que la pulpe cérébrale; leurs
principaux troncs partent du cerveau, dans
lequel ils se réunissent et se confondent;
de là , par une multitude de ramifications
et de subdivisions qui s'étendent à l'infini,
ils se répandent dans toutes les parties de
notre corps , ou ils vont porter la vie et le
mouvement.
Nous recevons par les extrémités de ces
nerfs , qui se terminent à la surface de notre
corps , des impressions de différais genres ,
suivans les differens organes auxquels ils
aboutissent.
Ceux qui tapissent les membranes de
l'œil sont susceptibles de certains ébran-
lemens qui nous donnent les sensations de
la clarté et de l'obscurité , et de leurs dif-
férais degrés , celles des couleurs et de toutes
leurs nuances : ce qui constitue le sens de
la vue.
Ceux qui garnissent l'intérieur de la bou-
CHAPITRE II. 5l
che, la langue, le palais, éprouvent aussi
certains mouvemens particuliers qui nous
occasionnent les sensations des saveurs :
ce qui constitue le sens du goût.
Il en est de même de ceux des oreilles, qui
nous font sentir les sons, et de ceux du nez,
qui font sentir les odeurs : ce qui compose
les sens de l'ouïe et de l'odorat.
Remarquez que ce n'est pas sans raison
que je dis que ces quatre genres de nerfs
éprouvent des mouvemens quelconques qui
leur «ont propres; car, de quelque manière
que vous excitiez ceux de l'oreille, ils ne
vous donneront jamais les sensations de la
vue; ni ceux de l'œil, celles du goût ; etainsi
de suite.
11 n'en est pas de même du cinquième
sens, que nous appelons le tact. Il paraît
être général et commun aux nerfs de toutes
les parties de la surface de notre corps; du
moins il n'en est aucune qui, dans l'occa-
sion, ne nous donne plus ou moins les sen-
sations de piqûre, de brûlure , de chaud, de
froid, celles qu'excite l'approche d'un corps
raboteux, oupoli, ou gluant, ou mouillé, etc..
Les organes mêmes par lesquelles nous re-
cevons des sensations particulières, telles
*>2 IDÉOLOGIE.
que les goûts, les sons, les saveurs et les
couleurs , sont encore capables de nous
donner ces sensations plus générales, qu'on
peut appeler tactiles. 11 est vrai que ces
sensations générales varient non-seulement
d'intensité, mais même de nature, dans les
différentes parties de notre corps. La même
blessure ne nous fait pas partout le même
genre de douleur; un léger frottement ne
nous donne pas partout la sensation du
frissonnement ou du chatouillement; un lé-
ger tiraillement , placé ailleurs que dans le
nez, ne nous procurerait pas ce léger spasme
qui précède et excite l'éternuement. On
pourrait donc , si on les observait avec soin,
établir des distinctions entre les sensations
tactiles des diverses parties du corps, les
localiser jusqu'à un certain point, et parta-
ger le sens du tact en plusieurs sens dif-
férens; mais cela serait peu utile, et d'une
exécution assez difficile, parce que ces
nuances ne sont pas très -tranchées, et pas
exactement les mêmes dans les divers in-
dividus. Cependant cela était bon à obser-
ver pour vous faire remarquer, ce dont
vous verrez de fréquentes preuves dans
toutes vos études , que toutes ces classifi-
cations
CHAPITRE If. 33
cations que font les hommes pour mettre de
l'ordre dans leurs idées, sont très-impar-
faites, et qu'il faut s'en servir parce qu'elles
sont commodes , mais ne jamais oublier que
toujours elles confondent des choses très-
distinctes, ou en séparent qui sont très-
analogues entf 'elles.
Quoi qu'il en soit, voilà le tableau assez
complet de celles de nos sensations qu'on
peut appeler externes, parce que nous les
recevons des extrémités de nos nerfs, qui
sont à la surface de notre corps. Vous re-
marquerez que je n'y ai point compris les
perceptions de grandeur, de distance , de
figure, de forme, de résistance, de dureté,
de mollesse , parce que ce ne sont pas des
sensations simples, de purs effets de notre
sensibilité • ce sont des idées composées dans
lesquelles il entre des jugemens; c'est ce
que je vous ferai reconnaître quand je vous
expliquerai la génération de nos idées com-
posées. Continuons.
Assez ordinairement, quand on rend
compte des effets de la sensibilité, on se
borne aux sensations externes que nous
venons d'examiner; souvent même on leur
donne exclusivement le nom de sensation.
C
54 IDÉOLOGIE.
Cependant, la colique, la nausée, la faim,
la soif, le mal d'estomac, le mal de tête,
les étourdissemens, les plaisirs que causent
toutes les sécrétions naturelles, les douleurs
que produisent leurs dérangemens ou leur
suppression sont bien aussi des sensations,
quoiqu'elles nous viennent de l'intérieur de
notre corps; et, par cette raison, on peut
les appeler des sensations internes. Mais à
quel sens les rapporterons- nous? Osera-t-on
bien dire qu'un éblouissement appartient au
sens de la vue, le mal de cœur au sens du
goût, ou le mal de reins au sens du toucher?
non, sans doute. Nous en parlerons donc
sans les rapporter à aucun sens, et il n'y
aura pas grand mal. Que cela vous prouve
seulement l'insuffisance de nos classifica-
tions. Toutefois, vous voyez que tout ébran-
lement d'un de nos nerfs, soit qu'il soit
l'effet du mouvement vital, soit qu'il soit
produit par une cause étrangère, est l'oc-
casion d'une sensation, et met en jeu notre
sensibilité.
C'est pour cela que toutes les fois que
nous faisons un mouvement quelconque
d'un de nos membres, nous en sommes
avertis, nous le sentons. C'est bien là encore
%
riiAPrTRR il. 35
une sensation. Elle n'a point de nom, mais
elle était bien essentielle à remarquer. Nous
l'appellerons la sensation de mouvement.
Enfin, il y a encore d'autres effets de la
sensibilité, auxquels on donne communé-
ment plutôt le nom de sentiment que celui1
de sensation, et qui pourtant sont bien des
résultats de l'état de nos nerfs, fort ana-
logues à tous ceux dont nous venons de
Taire mention; telles sont les impressions
que nous éprouvons quand nous nous sen-
tons fatigués ou dispos, engourdis ou agités,
tristes ou gais. Je sais que l'on sera surpris de
me voir ranger de pareils états de l'homme
parmi les sensations simples, sur-tout les
trois dernières, que l'on sera tenté de re-
garder plutôt comme des effets très-compli-
qués des différentes idées qui nous'occupent,
et par conséquent comme des pensées, des
sentimens très- composés. Cependant, de
même que souvent l'on se sent dans un état
d'accablement et de fatigue sans avoir au-
paravant exécuté de grands travaux, ou que
l'on éprouve un sentiment d'hilarité et de
bien-être sans un grand repos préalable ,
on ne peut nier qu'il arrive aussi que très-
eouvent nous ressentons de l'agitation, de*
C a
36 IDÉOLOGIE.
la gaîté ou de la tristesse , sans motif. J'en
appelle à l'expérience de tous les hommes ,
et sur-tout de ceux qui sont délicats et mo-
biles. L'état joyeux causé par une bonne
nouvelle, ou par quelques verres de vin,
n'est-il pas le même? y a-t-il de la différence
entre l'agitation de la fièvre et celle de l'in-
quiétude? ne confond-on pas aisément la
langueur du mal d'estomac et celle de l'af-
fliction? Pour moi, je sais qu'il m'est arrivé
souvent de ne pouvoir discerner si le sen-
timent pénible que j'éprouvais était l'effet
des circonstances tristes dans lesquelles
j'étais, ou du dérangement actuel de ma
digestion. D'ailleurs, lors même que ces
sentimens sont l'effet de nos pensées, ils
n'en sont pas moins des affections simples,
qui ne sont ni des souvenirs, ni des juge-
mens,ni des désirs proprement dits. Ce sont
donc des produits réels de la pure sensibi-
lité, et j'ai du en faire mention ici; en un
mot, ce sont de vraies sensations internes
comme les précédentes.
Il en est de même de toutes les passions ,
à la différence que les passions proprement
dites renferment toujours un désir. Dans la
haine, est le désir de faire de la peine j dans
CHAPITRE II. 5f
l'amitié, le désir de faire plaisir; et ces de-
sirs dépendent de la faculté que nous nom-
mons volonté. Mais l'état doux ou pénible
qu'éprouve l'homme qui aime ou hait un
autre homme, est une véritable sensation
interne. Je crois que tout ceci est entendu.
Voilà donc que nous avons passé en re-
vue tous les effets que l'on doit attribuer à
la pure sensibilité. Je crois bien que vous
n'en aviez jamais fait un examen si complet
et si scrupleux; et peut-être n'en sentez-
vous pas encore beaucoup l'utilité ; cepen-
dant cela doit commencer à vous faire un
peu mieux démêler ce qui se passe en vous.
A. mesure que nous avancerons, vous ver-
rez tout se débrouiller successivement sous
vos yeux, et l'ordre succéder au chaos; et
vous y trouverez toujours plus de plaisir.
Mais c'est assez parler de la sensibilité ;
passons à la mémoire.
CHAPITRE III.
De la Mémoire et des Souvenirs.
JLa mémoire est une seconde espèce de
sensibilité. La première consiste à être af-
58 iim';ologie.
fecté d'une sensation actuelle ; la seconde à
être affecté du souvenir de cette sensation.
Mais ce souvenir lui-même est une sensa-
tion; car c'est une chose sentie, c'est une
sensation interne, mais d'un autre genre que
celles dont nous parlions tout à l'heure.
En effet, le souvenir d'une sensation n'est
point la même chose que la sensation même;
quand je me rappelle que j'ai souffert, je
n'éprouve pas la même affection que quand
je souffre actuellement.il paraît assez vrai-
semblable que, quand nous sentons une
sensation , le mouvement quelconque qui
s'opère dans nos nerfs va de la circonfé-
rence au centre; et que, quand nous sentons
un souvenir, il se porte du centre à la cir-
conférence; ce qui aiderait à le croire, c'est
que quand le souvenir est très -vif, il va
quelquefois jusqu'à réveiller la sensation
elle-même dans la partie où elle a été sen-
tie; il semble qu'alors, en vertu de ce fort
ébranlement tendant du centre à la circon-
férence, il y ait une nouvelle réaction de la
circonférence au centre qui reproduise le
premier mouvement. Mais ce ne sont là
que des conjectures; le jeu mécanique de
CHAPITRE ni. 5^
nos nerfs a échappé jusqu'à présent à toutes
les observations.
J'ai dit que la mémoire consiste à sentir
les souvenirs des sensations passées : en-
tendez qu'elle consiste aussi à sentir les sou-
venirs de nos jugemens, de nos désirs, de
toutes nos idées composées; et même de
nos souvenirs eux-mêmes , car continuel-
lement il nous arrive de nous souvenir
d'impressions qui ne sont elles-mêmes que
des souvenirs.
On a excessivement admiré cette faculté
appelée la mémoire ; et certes ce n'est pas
sans raison; mais, pour être juste, il aurait
fallu commencer par s'émerveiller de celle
nommée sensibilité; car s'il est très-surpre-
nant qu'un être quelconque ait la propriété
d'être affecté du souvenir d'une impression
qu'il a reçue, il ne l'est pas moins que cet
être soit capable d'être modifié de tant de
manières par l'effet de tout ce qui l'approche,
y un et l'autre sont des résultats d'une orga-
nisation dont les ressorts secrets sont im-
pénétrables pour nous. Tout est également
admirable dans la nature, depuis la moindre
végétation jusqu'à la plus sublime pensée.
Mais se borner à l'admirer et à la célébrer,
40 IDÉOLOGIE.
c'est employer son temps d'une manière
très-stérile et qui n'apprend rien. Vouloir
la deviner, lui supposer des causes et des ori-
gines , est très-dangereux 5 c'est une source
inépuisable d'égaremens et d'erreurs. La
seule chose utile est d'étudier ce qui est;
cela conduit à le connaître et à en tirer tout
le parti possible pour notre avantage. Sui-
vons donc nos recherches.
On demande s'il est de l'essence de la mé-
moire que, quand nous sentons un souvenir,
nous sentions qu'il est la représentation
d'une impression passée, c'est-à-dire que
nous sachions toujours que c'est un sou-r
venir. Je réponds que non ; car il m'arrive
souvent d'avoir une idée que je crois nou^
velle pour moi, et, le moment d'après, je
trouve que depuis long-temps je l'ai écrite
quelque part, preuve sans réplique que je
puis avoir un souvenir sans avoir en même
temps la conscience que c'est un souvenir.
C'est-là une preuve de fait bien suffisante, car
elle est péremptoire ; cependant on peut en-
core y ajouter une preuve de raisonnement.
En effet, sentir une impression actuelle à
l'occasion d'une impression passée, c'est-là
le propre de la mémoire. Mais ensuite re-
CHAPITRE III. 4l
connaître que cette impression actuelle est
une représentation de l'impression passée,
en est le souvenir, c'est sentir un rapport
d'identité ou de ressemblance entre ces
deux impressions. Or, sentir un rapport est
un acte du jugement. Ce n'est donc pas un
effet de la simple mémoire , telle que nous
la considérons, séparée et distincte de toute
au Ire faculté intellectuelle. On pourrait donc,
tout au plus, demander si cet acte du juge-
ment est toujours et nécessairement lié à
tout acte delà mémoire; or, l'exemple que je
viens de citer répond pleinement à cette
dernière question.
Ce qui a jeté quelques nuages sur ce point
d'idéologie , c'est que quand nous avons le
souvenir d'une sensation proprement dite ,
nous ne manquons jamais de reconnaître
que ce n'est pas la sensation elle-même.
Quand je pense à une douleur que j'ai éprou-
vée, je sen% très-bien, excepté dans des cas
fort rares, que ce n'est pas cette douleur
elle-même que je ressens. Mais quand il
s'agit d'impressions moins différentes entre
elles qu'une douleur et un souvenir, ce jn-
gementnous échappe souvent; et, quand il
a lieu , il est un effet de la faculté de juger, et
4<î IDÉOLOGIE.
non pas une suite nécessaire de celle de se
ressouvenir. Je ne crois pas que cela puisse
souffrir de contradiction.
J'aurais pu, à propos de la sensibilité,
mettre en avant une question fort analogue
à celle que je viens d'élever au sujet de la
mémoire; mais j'ai préféré de ne vous la
proposer qu'après celle-ci, parce que la so-
lution en sera plus facile. On demande s'il
est de la nature de la sensibilité que quand
nous éprouvons une sensation quelconque,
nous reconnaissions d'où elle nous vient;
c'est-à-dire que nous la rapportions au
corps qui en est la cause , ou au moins à
l'organe qui nous la transmet. Prenez garde
à l'état de cette question; au fond elle n'est
pas plus difficile que celle que nous venons
de résoudre; mais elle demande cependant
un peu plus d'attention, parce que nous ne
pouvons pas y répondre directement par un
exemple comme à l'autre.
En effet, presque dès les premiers momens
de notre existence, nous savons que nous
sommes environnés de corps qui agissent
sur nous de mille manières; que nous avons
nous-mêmes un corps et des organes qui
reçoivent leurs impressions; que nous n'a-
CHAPITRE III. 43
vons aucune sensation externe qui ne
vienne de l'action de ces corps sur ces or-
ganes , et que toutes nos sensations internes
sont l'eflet des mouvemens qui s'opèrent
dans l'intérieur de ces mémos organes.
Toutes ces connaissances précèdent en nous
tous les temps dont nous nous souvenons :
la preuve en est que nous ne nous rappelons
pas de les avoir acquises. En conséquence,
nous avons de temps immémorial l'habitude
de rapporter nos sensations à tout ce qui
les cause; et nous sommes bien tentés de
croire qu'il est dans la nature même de
toute sensation d'indiquer d'où elle nous
vient, et que c'est-Ià une propriété de la sen-
sibilité.
A la vérité, les mouvemens très-vagues
des enfans dans le premier âge nous indi-
quent qu'ils éprouvent des sensations pen-
dant quelque temps, avant de savoir doù
elles leur viennent. Nous-mêmes, si nous
reconnaissons presque toujours quel est
l'organe par lequel nousvientune sensation,
nous ne distinguons pas toujours le corps
qui a agi sur lui, ni où il est précisément :
enfin nous nous trompons même quelque-
fois sur l'organe qui est affecté; il nous
44 IDEOLOGIE.
arrive de prendre l'un pour l'autre. Ces ob-
servations indiquent bien qu'il n'est pas ab-
solument de l'essence de la sensation de
faire connaître d'où elle vient ni par où elle
vient; qu'on sent souvent sans savoir cela ,
et que, par conséquent, ce ne sont pas deux
choses inséparablement unies. Cependant
tous ces faits ne sont pas aussi décisifs que
celui que j'ai allégué à propos de la mémoire.
On pourrait essayer d'expliquer ceux-ci par
les circonstances de notre organisation. A
défaut de la preuve de fait, ayons donc re-
cours à la preuve de raisonnement , qui nous
a déjà réussi. Disons delà sensibilité ce que
nous avons dit de la mémoire.
Sentir une sensation est un acte de la sen-
sibilité proprement dite; et sentir que cette
sensation nous vient d'un tel corps et par tel
organe, c'est sentir un rapport entre cette
sensation et ce corps ou cet organe; c'est un
acte du jugement. Ainsi il est évident qu'il
n'appartient pas à la sensibilité proprement
dite, et que par conséquent l'un n'est point
essentiellement et nécessairement insépa-
rable del'autre.Concluonsdonc,quoiquecela
répugne à nos habitudes les plus invétérées,
qu'il n'y a rien dans la simple- sensation qui
CHAPITRE III. 45
indique d'où elle vient ni par où elle vient;
et qu'il a pu y avoir un temps où nous sen-
tions sans juger, sanssa voir que nous avions
Un corps et des organes, et sans connaître
enfin que nous voyions par l'œil, que nous
tâtions par la main, et que ce que nous
voyions et touchions était d s corps.
Je dis, qu'il a pu y avoir un temps, et non
pas qu'il y a eu un temps. Car en conve-
nantde la j ustesse du raisonnement que nous
venons de faire, et auquel il me paraît im-
possible de se refuser, il est très-possible de
demander si ces deux facultés de sentir et
de juger ne naissent pas ensemble; si elles
ne résultent pas en même temps de notre
organisation; si leurs actes ne sont pas tou-
jours simultanés et confondus, ce qui pro-
duirait le même effet que si elles n'étaient
qu'une seule et même faculté : et ensuite on
peut demander comment, en supposant
que cela ne soit pas ainsi , il se. fait que
nous parvenons à connaître que notre
corps existe, qu'il en existe d'autres, et que
ce sont là les causes et les moyens de nos
sensations.
Sans vouloir encore traiter à fond ces
deux questions secondaires, je dirai, à l'égard
46 IDEOLOGIE,
de la première, que les faits allégués ci-
dessus commencent à prouver que la fa-
culté de juger ne se développe qu'après
celle de sentir • et que nous le reconnaîtrons
encore plus clairement dans le chapitre sui-
vant, où nous allons parler du jugement.
Quant à la seconde question, je vous
promets que, quand nous en serons là, je
vous montrerai comment nous apprenons
successivement et graduellement à con-
naître que les corps existent, et qu ils sont
les causes de nos sensations; et je me per-
suade que l'explication que je vous donnerai
de ce phénomène ne vous laissera rien à
désirer. Mais, quand même je serais dans
l'erreur, quand les explications que je vous
donnerai ne seraient pas satisfaisantes, il
s'ensuivrait seulement que je me suis trom-
pé, que j'ai mal vu la manière dont le fait
arrive, qu'il faut la chercher de nouveau*
Mais il n'en faudrait pas conclure que la
sensation toute seule nous donne la con-
naissance de ce qui la cause; car il n'en se-
rait pas moins vrai que quand on ne fait
uniquement que sentir, on n'apprend pas
par ce seul acte d'où vient la sensation : car
sentir et juger sont deux choses différentes f
CHAPITRE Iir. 47
qui sont quelquefois séparées. Voilà ce dont
il ne faut pas se départir, puisque cela est
indubitable. Il ne semble pas que ce soit
avoir fait un grand pas que de s'être assuré
d'une vérité si simple ; cependant vous ver-
rez dans la suite que bien des philosophes
s'égarentpour n'y pas faire assezd'attention,
et que nous , nous en tirerons des consé-
quences très-importantes.
Vous n'avez vraisemblablement jamais
observé avec tant de scrupules les divers
élémens de votre intelligence, et sûrement
vous êtes surpris que l'on découvre des
parties distinctes dans des choses qui pa-
raissent d'abord aussi indécomposables; et
que des choses qui semblent si simples don-
nent lieu à tant de questions délicates. Peut-
être aussi trouvez-vous ma marche un peu
lente, et mes recherches minutieuses; mais
soyez sûrs qu'on gagne bien du temps en
n'allant pas trop vite, et qu'on ne connaît
bien que ce qu'on a examiné en grand dé-
tail. Bientôt vous verrez que nous serons
récompensés de notre patience. Pour le
moment je n'ajouterai rien au peu que je
vous ai dit de la mémoire avant cette di-
gression. Il me suffit de vous avoir fait
48 IDÉOLOGIE.
connaître exactement ce que c'est , et en quoi
elle consiste. Passons au jugement. Quand
nous aurons ainsi examiné , pour ainsi dire,
pièce à pièce toutes les parties de la faculté
de penser, nous les rassemblerons pour les
voir agir; et c'est alors que nous ferons des
progrès qui seront rapides sans cesser d'être
sûrs.
CHAPITRE IV.
Du Jugement et des Sensations de
rapports.
jLjA faculté de juger, ou le jugement, est
encore une espèce de sensibilité ; car c'est
la faculté de sentir des rapports entre nos
idées ; et sentir des rapports c'est sentir.
Commençons par éclaircir le sens de ce mot
rapport; c'est une expression si générale ,
que , si l'on n'y prenait garde, elle pourrait
devenir un peu vague*
Toute circonstance, toute particularité
de chacune de nos idées peut être le sujet
d'un rapport entre cette idée et toutes les
autres.
Le rapport est cette vue de notre esprit,
cet
CHAPITRE IV. 4g
cet acte de notre faculté de penser par le-
quel nous rapprochons une idée d'une autre,
par lequel nous les lions , les comparons
ensemble d'une manière quelconque. Par
exemple, quand je juge qu'un cheval court
bien, je n'ai pas seulement présentes à l'es-
prit l'idée de ce cheval et l'idée de bien
courir; je sensquela propriété debien courir
appartient à ce cheval. C'est-là un rapport
entre cette action et cet animal. De même,
quand je juge que Pierre est gai, que Jacques
se porte bien, je ne sens pas seulement
l'idée de Pierre et celle d'être gai , l'idée de
Jacques et celle de se bien porter , je sens
de plus que celle d'être gai convient à Pierre,
que celle de se bien porter convient à Jac-
ques : ce sont là des sensations de rap-
ports, ce sont des jugemens. Vous trouve-
rez la même chose dans tous les exemples
que vous voudrez choisir, si vous les ana-
lysez bien (1).
(i) Nous expliquerons dans la suite avec plus de
précision , que l'acte de juger consiste toujours et uni-
quement à voir qu'une idée est comprise dans une
autre , fait partie de cette autre, est une des idées qui
la composent ou doivent la composer j mais nous n'a-
yons pas besoin de cela actuellement. Toutefois, si
D
5o IDÉOLOGIE.
Par cette explication , vous voyez nette-
ment en quoi consiste la faculté de juger. Ne
me demandez pas comment il se fait que
nous la possédons; c'est vraisemblablement
ce que nous ne saurons jamais. Il est in-
compréhensible sans doute que nous soyons
faits de façon à être affectés du rapport de
deux sensations ; mais il ne l'est pas moins
que nous soyons affectés de ces sensations
elles-mêmes et de leurs souvenirs. On pour-
rait même dire que le jugement est une con-
séquence nécessaire de la sensibilité; car,
dès qu'on sent distinctement deux sensa-
tions , il s'ensuit assez naturellement qu'on
sent leurs ressemblances, leurs différences,
et leurs liaisons. Quoi qu'il en soit, le
jugement est une partie de la faculté de
penser, comme la sensibilité et la mémoire;
ce sont trois résultats de notre organisa-
tion. Tenons-nous-en là; ne cherchons pas
à deviner des mystères; mais parcourons
les différentes observations que nous avons
à faire sur la faculté de sentir des rapports.
Remarquons d'abord qu'elle nous est bien
vous en êtes curieux dès ce moment, voyez la Gram-
maire, chapitre premier, de la Décomposition du
Discours dans quelque langage que ce soit.
CHAPITRE IVv 5i
nécessaire cette faculté; c'est d'elle seule que
nous tenons tout ce que nous savons; sans
elle, la sensibilité et la mémoire ne nous
seraient d'aucune utilité. Si nous n'avions pas
la faculté de sentir des rapports, nous joui-
rions et souffririons éternellement par nos
sensations et nos souvenirs , sans être ja-
mais plus avancés que le premier jour -,
nous ne pourrions en tirer aucuns résul-
tais ; nous ne saurions jamais ni d'où nous
viennent ces sensations , ni comment elles
nous viennent, ni quelles liaisons elles ont
entre elles, ni. en quoi elles se ressemblent
ou différent, ou se tiennent les unes aux
autres, ni par quels moyens nous pouvons
nous les procurer, ou les éviter; nous se-
rions incapables de réunir deux idées pour
en former une troisième; nous ne saurions
pas même s'il y a des corps et si nous en
avons un; en un mot, nous serions des
êtres toujours sentans, mais absolument et
complètement ignorans de tout ce qui nous
entoure et de nous-mêmes; car toutes nos
connaissances ne sont que des sensations
de rapports, des jugemens. Ceci sera en-
core plus clair pour vous quand nous au-
rons analysé la manière dont se forment
D 2
02 IDEOLOGIE.
nos idées composées , c'est-à-dire presque
toutes nos idées ; mais, dès ce moment,
vous devez le comprendre, et un exemple
va vous le rendre plus sensible.
Je reçois la sensation de la couleur jaune :
je suis affecté; mais cela ne m'apprend rien,
j'éprouve seulement une certaine modifica-
tion accompagnée de plaisir ou de peine.
Ce n'est ensuite que par les sensations de
certains rapports que sent mon jugement,
ou, comme on dit, par des jugemens que
je porte, que je sais que cette sensation me
vient par l'œil ; qu'elle est causée par un
corps ; qu'elle est un effet de la lumière ; que
le même corps qui me la cause, m'en cause
d'autres; que je puis en faire tel usage, etc.
Ainsi, vous voyez que tout ce que nous
savons ne consiste que dans des rapports
entre les diverses choses que nous sentons.
Voilà donc l'utilité et les fonctions du juge-
ment bien établies.
Observons actuellement que pour sentir
un rapport il faut déjà avoir eu au moins
deux idées; ainsi l'action de la sensibilité
proprement dite précède nécessairement,
au moins d'un moment, celle du jugement;
ces deux facultés ne peuvent pas commen-
CHAPITRE IV. 55
cer à s'exercer précisément dans le même
instant. Cela répond clairement, ce me
semble, comme je vous l'avais promis, à
la première des deux questions que nous
nous étions faites dans le chapitre précé-
dent (1).
Ceci ne veut pas dire, au reste, que nous
ne naissions pas doués de la faculté de juger
comme de celle de sentir. L'une et l'autre
sont également des résultats de notre orga-
nisation ; nous l'avons déjà dit. Ainsi, je n'ai
(1) On pourrait m'objecter que dès la première
sensation que nous éprouvons, nous pouvons la juger
agréable ou désagréable. Cela est vrai : je crois même
que nous le faisons, et je crois de plus que c'est le
soûl jugement que nous puissions porter de cette pre-
mière sensation, faute d'autres termes de comparaison.
Mais ce fait ne détruit pas ce que je viens de dire ; car
dans cette première sensation sont renfermées impli-
citement deux idées , celle de notre faculté sentante
et celle d'une affection qui la modifie ; et ce premier
jugement n'est que la perception du rapport que cette
affection a avec notre sensibilité, de la modifier en
bien ou en mal. Cette perception de rapport peut donc
naître tout de suite de notre première affection ; mais
enfin elle ne saurait la précéder, elle ne peut que la
suivre , et cela suffit pour la vérité de ce que j'avance .
Nous reviendrons encore sur cet objet au chap. 8,
54 1BÉOLOGTE.
pas plus de peine à concevoir qu'un enfant
qui vient de naître a en lui la capacité de
sentir un rapport , qu'à concevoir qu'il a
celle de sentir une sensation ; mais je dis
qu'il ne peut commencer à* user de l'une
qu'après s'être servi de l'autre. L'expérience
prouve de plus que celle de juger est la der-
nière qui se fortifie, et on pourrait même
dire la dernière qui s'éteint. Nous verrons
ailleurs quelles circonstances paraissent né-
cessaires pour qu'elle commence à. agir.
Remarquons encore que non-seulement
il faut avoir deux idées pour sentir un rap-
port , mais qu'il n'en faut jamais que deux ;
car dans tout rapport il ne peut y avoir que
deux termes, savoir, l'idée de laquelle on en
rapproche une autre, et celle que l'on en
rapproche ; c'est ce qu'on appelle le sujet et
l'attribut. S'il y avait plusieurs sujets ou
plusieurs attributs, il y aurait plusieurs
rapports et par conséquent plusieurs ju-
gemens, et non pas un seul. Le sujet et
l'attribut peuvent bien, à la vérité, être
chacun une idée extrêmement complexe,
c'est-à-dire composée d'une foule de parties,
mais elle est toujours considérée comme
unique ; et, dans chacun de nos jugemens,
CHAPITRE IV. 55
il n'y a que deux idées ou deux groupes
d'idées qui soient opposés l'un à l'autre.
Par exemple, quand je dis, l'homme qui
découvre une vérité, est utile à l'huma-
nité toute entière, je prononce beaucoup
de mots, mais je n'exprime qu'un jugement:
V homme qui découvre une vérité, est le
sujet; est utile à l'humanité toute entière >
est l'attribut.Cependant, l'homme, exprime
l'idée d'un individu ; qui, une idée de rela-
tion ; découvre, l'idée d'une action; une,
une idée de nombre; vérité, l'idée d'un pro-
duit de notre intelligence. Voilà cinq idées
bien distinctes, et chacune d'elles est com-
posée de bien d'autres ; mais à elles toutes
elles n'en font plus qu'une ; car je ne parle
pas seulement de l'homme, ou de l'homme
qui découvre, mais de l'homme qui dé-
couvre une vérité : c'est-là l'idée complète
et unique, quoique très -composée, dont
je vais en rapprocher une autre. Il en est
de même de l'attribut : est, exprime l'idée
de l'existence; utile, une idée de qualité ;
à, une idée de relation; l'humanité, l'idée
d'une collection d'hommes; tout, une idée
de qualité; entière, une autre idée de qua-
lité. Cela fait bien six idées, et toutes aussi
56 IDÉOLOGIE.
composées que les premières. Mais, à elles
toutes, elles ne font encore qu'une seule
idée; car je ne juge pas seulement du sujet
qu'il est, qu'il existe, ou qu'il est utile, ou
qu'il est utile simplement à l'humanité , mais
qu'il est utile à l'humanité toute entière ; ce
n'est qu'alors seulement que mon sens est
complet, et ce n'est qu'un seul fait que j'af-
firme en prononçant tant de mots. Ainsi,
comme je l'ai annoncé , cette phrase si
longue n'exprime qu'un seul jugement.
Dans celle-ci , au contraire , Pierre et
Paul existent; quoiqu'elle soit bien courte,
il y a deux jugemens; car il y a trois termes.
Je rapproche l'idée d'exister de celle de
Pierre et de celle de Paul, qui sont deux
idées distinctes et séparées; ce n'est qu'une
manière abrégée de dire que Pierre existe,
et que Paul existe aussi; ce qui fait deux ju-
gemens tellement distincts que l'un peut
être juste et l'autre faux.
Il est si vrai que le nombre des jugemens
tient au nombre des termes, c'est-à-dire
au nombre des groupes d'idées, et non au
nombre des idées composant chaque groupe,
que quand je dis, le genre humain existe,
je n'exprime qu'un seul jugement; quoiqu'il
CHAPITRE IV. 57
y ait bien plus d'idées renfermées sous ces
mots, le genre humain, que sous ceux-ci,
Pierre et Paul.
Il ne faut pas cependant que la forme
de l'expression fasse illusion. Par exemple,
quand je dis, un et un font deux, je ne pro-
nonce pas deux jugemens; car je ne dis pas
que un fait deux , et que un fait encore deux ;
mais je dis que un ajouté à un fait deux ,
phrase dans laquelle il n'y a qu'un juge-
ment : aussi n'y voyez-vous quedeux termes.
Si l'usage était raisonnable, au lieu de dire
un et un font deux, on dirait un et un fait
deux comme on dit un ajouté à un fait deux ;
puisque, dans un cas comme dans l'autre, il
n'y a réellement qu'un sujet unique; mais,
dans les langues, l'usage est souvent absurde,
parce qu'elles ont été faites avant la science.
Concluons qu'il ne peut jamais y avoir
plus de deux termes dans la sensation d'un
rapport, dans un jugement.
Maintenant je dois aller au devant d'une
difficulté qui pourrait vous embarrasser.
On vous a sûrement déjà dit, en vous
parlant de grammaire latine ou française,
qu'une proposition était l'expression d"uu
jugement, et cela est vrai; mais on vous a
53 IDÉOLOGIE.
peut-être dit aussi, car c'est assez l'usage,
que toute proposition est composée néces-
sairement de trois termes, le sujet, l'attri-
but, et la copule ou le lien. Si cela était vrai,
cela impliquerait contradiction avec le prin-
cipe que je viens de vous démontrer- car
comment se pourrait -il qu'il n'y eût que
deux termes dans un jugement, et qu'il y
en eût nécessairement trois dans la propo-
sition , qui n'est que son expression fidèle ?
Aussi cela est-il faux, et voici comment on
a été induit en erreur.
On a remarqué que , dans toutes les
propositions quelconques, le verbe être se
trouve ou explicitementeomme dans celle-ci,
Pierre est grand, ou implicitement comme
dans cette autre, Pierre marche, que l'on
peut traduire ainsi, Pierre est marchant.
Cette observation est juste ; mais les gram-
mairiens, qui ne sont pas toujours idéolo-
gistes, sont partis de là pour imaginer qu'il
y avait je ne sais quelle propriété occulte
dans ce verbe être, et qu'il était une espèce
de liaison nécessaire entre le sujet et l'at-
tribut; ils l'ont appelé lien ou copule, et ils
en ont fait un troisième terme de la propo-
sition; mais le verbe être ne lie rien, et le
CHAPITRE IV. 59
nom de lien qu'on lui donne est vide de sens.
Le verLe être se trouve dans toutes les
propositions, parce qu'on ne peut pas dire
qu'une chose est de telle manière, sans dire
auparavant qu'elle est. Je ne puis ni juger,
ni exprimer que Pierre existe grand, sans
auparavant juger et exprimer que Pierre
existe. Mais ce mot est, qui est dans toutes
les propositions, y fait toujours partie de
l'attribut; il en est toujours le début et la
base ; il est l'attribut général et commun de
toutes les choses qui existent, ou dont on
parle comme existantes. Il n'y a donc pas
trois termes dans la proposition , non plus
que dans le jugement dont elle est l'énoncé.
D'autres grammairiens ont cru que le
verbe être exprimait l'action de l'esprit qui
juge, la persuasion de l'homme qui parle.
Mais encore une lois , le verbe être par lui-
même n'exprime que l'existence.
Si en outre il exprime l'affirmation , ce
n'est qu'accidentellement, c'est par la forme
qu'on lui fait prendre. La preuve en est que
quand je dis, Pierre être bon, il n'y a pas
plus d'affirmation, pas plus de prononcé de
jugement que quand je dis, Pierre bon. Le
verbe n'exprime l'affirmation nue quand il
6o IDÉOLOGIE.
est à un mode défini. C'est donc dans le mode,
et non dans le verbe même, qn'est l'affirma-
tion : aussi une phrase n'est jamais une
proposition, un prononcé de jugement, que
quand il s'y trouve un mode défini énoncé
ou sous-entendu. Mais que le verbe exprime
ou non l'affirmation, ce n'est là qu'un acces-
soire, qui ne l'empêche pas de faire toujours
partie de l'attribut.
J'ai donc eu raison , et de vous dire qu'il
n'y avait jamais que deux termes dans un
jugement, et d'analiser, comme je l'ai fait
ci-dessus, les énoncés des jugemens que je
vous ai cités pour exemples.
Comme la discussion à laquelle je viens
de me livrer porte sur un point encore con-
testé, j'ai été contraint de l'étendre un peu:
elle a du vous paraître longue ; et cependant
je crains que vous ne l'ayez trouvée pénible ,
parce qu'elle est prématurée à quelques
égards. Nous y reviendrons quand nous
traiterons spécialement de l'expression de
la pensée; vous l'entendrez plus complète-
ment alors, parce que plusieurs prélimi-
naires nécessaires auront été expliqués (i) :
(i) t'oyez la Grammaire ; cliap. 2 <*t 3.
CHAPITRE IV. 6i
mais j'ai dit anticiper un peu; sans quoi ce
que l'on a pu déjà vous dire des principes
de la grammaire aurait jeté quelques nuages
sur la manière dont je vous ai expliqué les
sensations de rapports. Cela doit commen-
cer à vous montrer combien la science de
la pensée, et celle de la parole, sont intime-
ment liées, combien elles "sont nécessaires
l'une à l'autre, et combien il est dangereux
de s'occuper de la manière d'exprimer les
idées avant d'avoir étudié la manière dont
elles se forment en nous : vous en verrez
bien d'autres preuves.
De ce qu'il faut avoir à la fois deux idées,
et de ce qu'il n'en faut avoir que deux pour
sentir une sensation de rapports, nous de-
vons conclure qu'il faut encore que ces deux
idées soient présentes à la pensée en même
temps d'une manière distincte, et qu'elles
ne s'y confondent pas; car, si elles se con-
fondaient ensemble, elles ne feraient plus à
elles deux qu'une seule idée complexe,
comme celles que nous venons de voir, qui,
réunies, ne forment qu'un sujet ou un attri-
but. Il n'y aurait donc qu'un terme dans la
pensée; il ne pourrait pas y avoir sensation
de rapport. Exemple : Pour que je sente un
62 IDÉOLOGIE^
rapport entre la sensation de noir et celle de
blanc, il faut qu'elles demeurent séparées,
et qu'elles ne se mêlent pas de manière à
former la sensation de gris; car alors il n'y
a plus de terme de comparaison. Retenez
cette remarque, elles nous sera fort utile
lorsque nous examinerons quand et com-
ment notre faculté de juger peut commencer
à agir.
Faisons encore, en finissant, une ré-
flexion qui a échappé à beaucoup de gram-
mairiens et de logiciens, et qui dissipera
bien des nuages : c'est qu'il n'y a point de
jugement négatif. Dans les propositions né-
gatives, la négation se trouve dans la forme
de l'expression , mais elle n'est pas dans la
pensée. Par exemple, quand je dis, Pierre
n'est pas grand, on dit communément que
je sens, que je porte un jugement négatif,
que je juge que l'idée d'être grand ne con-
vient pas à Pierre. Cela n'est pas exact; je
fais plus , je sens positivement que l'idée de
n'être pas grand lui convient. La négation
fait partie de l'attribut; cela est si vrai, que
c'est comme si je jugeais que Vidée d'être
petit ou du moins d'être de la taille corn-*
mune, convient à Pierre; ce qui est incon-
CHAPITRE IV. C5
testablement un jugement positif. Celte dis-
tinction pourra paraître minutieuse : cepen-
dant elle est très-importante; car l'expres-
sion que je combats jette du louche sur l'opé-
ration de notre pensée dans le jugement.
Je sais, pour moi, qu'elle m'a long- temps
empêché de la comprendre nettement. En
effet, juger, c'est sentir un rapport, c'est une
chose positive : or que serait-ce que sentir
qu'un rapport n'existe pas? ce serait sentir
une chose qui n'existe pas; cela implique
contradiction. Déplus, en adoptant l'expli-
cation que je rejette , on est obligé de ne pas
faire delà négation une partie de l'attribut,
on en fait une modification du verbe; et il
faut par conséquent faire du verbe un troi-
sième terme, ce qui brouille tout : enfin cela
conduit à méconnaître une vérité, la base
de tout raisonnement, et que je vous prou-
verai dans la suite; c'est que tout jugement
consiste à reconnaître que l'idée totale de
l'attribut est comprise toute entière dans
l'idée du sujet, et en fait partie. Mais nous
verrons cela quand nous en serons à la troi-
sième partie de ce Cours, à l'histoire de la
déduction de nos idées (1). Pour le moment
(i) En attendant, je crois devoir uue explication
64 IDÉOLOGIE.
retenez que tout jugement est positif, que
la négation n'existe que dans la forme de l'ex-
provisoire à ceux qui ont déjà étudié la matière , et
qui pourraient être surpris de cette dernière assertion.
En effet, ils savent que l'idée exprimée par l'attribut
doit toujours être une idée plus générale que celle ex-
primée par le sujet. On peut bien dire, un homme est
un animal; mais on ne peut pas dire, un animal est
un homme. C'est pour cela que les anciens logiciens,
à tort ou à raison , ont appelé l'attribut le grand terme,
et la proposition dans laquelle il entre la majeure, par
opposition au sujet, qu'ils nomment le petit terme, et
à la proposition qui le renferme , qu'ils nomment la
mineure. Cela semble contraire au principe que je
viens d'avancer , que l'idée totale de l'attribut est corn-'
-prise toute entière dans Vidée du sujet; mais cette
contradiction apparente va s'expliquer et s'évanouir
par une distinction très-simple.
Il y a deux choses à considérer dans une idée, son
extension, ou le nombre des objets auxquels elle con-
vient, et sa compréhension, ou le nombre des idées
qu'elle renferme. Plus une idée est générale, plus elle
convient à un grand nombre d'objets ; mais moins elle
retient des idées propres à chacun d'eux : et au con-
traire, plus elle est particulière, plus est petit le
nombre des objets auxquels elle s'applique; mais plus
elle renferme des idées composantes de chacun d'eux.
Ainsi, l'idée générale renferme l'idée particulière
dans son extension, et l'idée particulière renferme
l'idée générale dans sa compréhension. En effet, dans
pression,
CHAPITRE IV. 65
pression, et qu'elle fait toujours partie de
l'attribut.
Actuellement que vous connaissez suffi-
l'idée à.' animal sont compris tous les individus hommes;
mais dans les idées composantes de l'idée homme est
comprise l'idée d'être un individu de la classe des ani-
maux , d'être un animal.
Or, comme je soutiens que tout jugement consiste
toujours à voir que l'idée de l'attribut est une des idées
composantes de celle du sujet, est une circonstance
qui lui appartient, je me crois en droit de dire que
l'idée de cet attribut, bien que plus générale, fait
partie de celle du sujet, quoique plus particulière, et
que c'est pour cela, et pour cela seul, que nous pou-
vons affirmer l'attribut du sujet.
J'en ai d'autant plus de raison , que dès que deux
idées sont comparées , dès qu'elles sont la matière d'un
jugement, elles ne diffèrent plus que par leur compré~
hension : elles sont toujours parfaitement égales en
extension. Quand l'on dit que l'homme est un animal,
on entend un animal de l'espèce des hommes, et non
pas de l'espèce des singes ou de toute autre. De même
quand on dit, cet homme est malade, on entend ma-
lade de sa maladie particulière, et non pas de toutes
les infirmités qui peuvent mériter à un être sensible
le nom de malade. C'est toujours l'extension du sujet
qui détermine l'extension de l'attribut. Celle-ci ne
peut jamais la surpasser, puisque l'attribut n'est ja-
mais dit que des objets auxquels s'applique le sujet;
E
66 IDÉOLOGIE.
samment ce que c'est que la faculté de sen-
tir des rapports, nous allons parler de celle
de sentir des désirs.
mais elle doit l'égaler, puisque l'attribut est toujours
dit de tous les êtres auxquels s'étend le sujet.
Cela nous fait voir pourquoi l'attribut doit toujours
être une idée au moins aussi générale que le sujet.
C'est qu'on ne peut pas accroître à yolonté l'extension
d'une idée (cela en fait une autre idée), au lieu qu'on
peut toujours la restreindre de manière à n'être qu'é-
gale à celle d'une autre. On ne peut pas étendre
l'idée d'animal à tous les êtres, elle deviendrait l'idée
d'être, tandis qu'on peut très-bien la restreindre à ne
s'appliquer pour le moment qu'aux animaux appelés
hommes : elle n'est pas dénaturée pour cela.
Mais ces réflexions nous montrent aussi bien claire-
ment combien est fausse cette dénomination de grand
ferme donnée à l'attribut d'une proposition, puisque
les deux termes sont toujours égaux en extension, et
que c'est le sujet qui, par sa nature, est nécessaire-
ment le grand terme sous le rapport de la compré-
hension.
C'est-là la différence radicale entre l'ancienne logi-
que , s'appuyant sur des hypothèses hasardées et des
formules vaines, et la nouvelle logique, fondée sur
l'observation attentive de la formation de nos idées ;
entre la fausse conception de l'art syllogistique et
l'exposition vraie du mécanisme naturel de nos dé-
ductions.
Au reste, on trouvera, cette explication plus com-
CHAPITRE V. G7
CHAPITRE V.
De la Volonté et des Sensations
de désirs.
V ous savez tous ce que c'est que désirer;
vous l'avez éprouvé : vous avez senti bien des
désirs, et de très-vifs. On donne le nom de
volonté à cette admirable faculté que nous
avons de sentir ce qu'on appelle des désirs.
Elle est une conséquence immédiate et né-
cessaire de la singulière propriété qu'ont cer-
taines sensations de nous faire peine ou plai-
sir, et des jugemens que nous en portons;
car dès que nous avons jugé qu'une chose
est pour nous ce que nous appelons bonne
ou mauvaise, il nous est impossible de ne
pas désirer d'en jouir, ou de l'éviter : d'où
vous voyez que la seule façon d'empêcher la
volonté de s'égarer, est de rectifier le juge-
ment qui la détermine.
plète dans la Grammaire, chap. ier et chap. 3 , § 4>
et sur-tout'dans la Logique , où je me flatte qu'elle ne
laissera rien à désirer. Ce n'était pas encore ici le
moment de lui donner tous ses développemens.
E 2
68 IDÉOLOGIE»
La volonté n'est, comme nos autres fa-
cultés, qu'un résultat de notre organisation;
mais elle a cela de particulier, que nous
sommes toujours heureux ou malheureux
par elle. Je puis bien avoir une sensation
ou un souvenir qui ne me fasse ni peine ni
plaisir. Lorsque je porte un jugement, ce
€[ui m'importe , à cause des conséquences
qui en résultent, c'est de porter un juge-
ment juste; du reste il m'est égal de sentir
tel rapport ou tel autre; ni l'un ni l'autre ne
me sont par eux-mêmes agréables ou dé-
sagréables à sentir. Le désir, au contraire ,
exclut l'indifférence; il est de sa nature d'être
une jouissance s'il est satisfait, et une souf-
france s'il ne l'est pas; ensorte que néces-
sairement notre bonheur ou notre malheur
en dépendent : et même, si par erreur nous
nous avisons de désirer des choses qui nous
soient essentiellement nuisibles, c'est-à-
dire qui nous conduisent inévitablement à
d'autres dont nous voudrions être préser-
vés , il est indispensable que nous soyons
malheureux; car, de quelque côté que la
Chance tourne, il y a un de nos désirs qui
n'est pas satisfait. C'est-là une propriété bien
remarquable dans la volonté.
CHAPITRE V. 69
Elle en a encore une autre bien incom-
préhensible et bien importante; c'est qu'elle
dirige les mouvemens de nos membres et
les opératious de notre intelligence. L'em-
ploi de nos forces mécaniques et intellec-
tuelles dépend de notre volonté; ensorte que
c'est par elle seule que nous produisons des
effets, et que nous sommes une puissance
dans le monde. Quand je sens des sensa-
tions ou des souvenirs, ce sont des modifi-
cations que j'éprouve, elles n'affectent que
moi ; quand je porte des jugemens sur ces
sensations et ces souvenirs, que j'y sens des
rapports, que j'y découvre des vérités, ce
sont encore des choses qui se passent en
moi, et n'influent que sur moi; mais quand,
par suite de. ces jugemens, je ressens des
désirs, et qu'en conséquence de ces- désirs
j'agis, alors j'opère sur tout ce qui m'envi-
ronne. C'est donc ma volonté qui réduit en
actes les résultats de toutes mes autres fa-
cultés intellectuelles. le ne prétends pas
dire néanmoins que toutes nos pensées et
tous nos mouvemens soient absolument vo^
lontaires : je sais que beaucoup ont lieu à
notre insu, et même malgré nous; et j'exa-.
minerai quelque part jusqu'à quel point cl
70 IDEOLOGIE.
suivantquelmode toutes nos facultés dépen-
dent de notre volonté. Mais il n'en est pas
moins vrai que nous faisons beaucoup d'ac-
tions quand nous le voulons, et que, par
difïérens moyens , nous nous procurons
aussi, à notre gré, beaucoup d'idées, et
exécutons beaucoup d'opérations intellec-
tuelles.
C'est sans doute la considération de ces
effets de notre volonté qui nous a conduits
à croire que nous étions plus essentielle-
ment actifs dans l'exercice de cette faculté
que dans celui des autres ; car si par être
actif on entend seulement agir, sentir une
sensation, un souvenir, un rapport, est une
action tout comme sentir; ainsi nous ne
sommes pas plus actifs dans un cas que dans
l'autre. Si, au contraire, par être actif on
n'entend pas seulement agir, maïs agir libre-
ment, c'est-à-dire d'après sa volonté; et
si par être passif on entend agir forcément
ou contre sa volonté, il n'y a peut-être pas
une action dont nous soyons moins les
maîtres que de sentir ou de ne pas sentir
un désir : ainsi, à ce compte, il n'y aurait
pas en nous une faculté plus passive que
celle de vouloir. Mais cela rentre dans la
CHAPITRE V. 71
question que je viens de promettre d'exa-
miner ailleurs : je ne veux pas la traiter ici,
parce qu'elle exige des explications que je
ne puis pas encore vous donner, et parce
qu'à présent je n'ai pour objet que de vous
faire connaître ce que c'est que la volonté.
Une autre conséquence plus juste que
l'on tire généralement des effets de la vo-
lonté, c'est le désir que nous avons tous que
la volonté des autres soit conforme à la
nôtre, nous soit favorable, c'est-à-dire qu'ils
nous veuillent du bien, qu'ils nous aiment.
Ce désir est la source du plaisir que nous
goûtons dans l'amitié; il est très-raisonna-
ble ; car la bienveillance de nos semblables
est pour nous une grande source de bonheur,
puisqu'ils agissent d'après leur volonté.
Une suite encore très -juste de ce désir
de la bienveillance est celui de l'estime;
car nous éprouvons tous que nous sommes
très-disposés à vouloir du bien à ceux en
qui nous connaissons de bons sentimens et
de grands talens.
Et enfin, du désir de la bienveillance et
de l'estime des autres naît, avec beaucoup
de raison, le bien-être que nous éprouvons
quand nous nous sentons animés de mou-
73 IDEOLOGIE.
vemens de bienfaisance , et le malaise qui
nous tourmente quand nous nous recon-
naissons travaillés de passions haineuses ,
bien que l'un et l'autre soient encore ignorés ;
car nous voyons très-bien en secret que,
si nous venons à être connus , dans le pre-
mier cas tous les cœurs viennent à nous ,
et que dans l'autre nous sommes rebutés par
tous nos semblables ; et nous entrevoyons
confusément qu'il est impossible qu'un jour
ou l'autre nos dispositions ne soient pas
aperçues , ou du moins soupçonnées. Aussi
tous les hommes bons ont l'habitude et les
manières de la candeur et de la sérénité , et
les méchans celles de la dissimulation et
de la défiance ; mais cela même les fait re-
connaître.
Ces observations, et un grand nombre
d'autres qui y tiennent, demanderaient à
être développées avec beaucoup de détails;
mais cela composerait un traité de morale,
c'est-à-dire de l'art de régler nos désirs et
nos actions de la manière la plus propre à
nous rendre heureux. Ce n'est point ici le
lieu d'approfondir un pareil sujet; je me
propose de le traiter quand nous connaî-
trons complètement notre faculté de penser
CHAPITRE V. 75
et toutes ses opérations; l'art d'employer
toutes nos facultés de la manière la plus
propre à nous conduire au bonheur étant
la plus belle application de la connaissance
de ces facultés, et ne pouvant être, sans
cette connaissance , qu'une routine aveugle
dénuée de principes. Déjà vous voyez que
cet art consiste presque uniquement à évi-
ter de former des désirs contradictoires,
puisque ce sont des sujets certains de cha-
grins; à nous préserver autant que possible
des maux physiques, puisque ce sont de
vraies souffrances ; enfin , à obtenir la bien-
veillance de nos semblables , et à nous con-
cilier notre propre approbation, puisque ce
sont des biens réels.
Pour le moment, retenez seulement que
de même que sans la faculté déjuger nous
ne saurions rien, sans celle de vouloir nous
ne ferions rien; que nos désirs dirigent nos
actions, et sont la cause de presque tous
nos plaisirs et nos chagrins ; et que , puis-
qu'ils sont la suite nécessaire des jugemens
que nous portons des choses, le seul moyen
de les bien régler est de porter des juge-
mens justes et vrais. Maintenant passons à
74 IDÉOLOGIE.
autre chose; voilà des préliminaires suffi-
sais pour aller plus loin.
Il semblerait que ce serait ici le moment
d'examiner jusqu'à quel point nos autres
facultés sont soumises à notre volonté, et
comment notre volonté elle-même est sus-
ceptible d'être influencée ; mais il faut au-
paravant avoir vu les effets de ces diffé-
rentes facultés. Je reviendrai ailleurs sur
ce sujet.
CHAPITRE VI.
De la Formation de nos Idées composées.
Jeunes gens, nous voilà arrivés à une
époque de nos recherches qui mérite que
vous vous y arrêtiez un moment. Vous avez
vu avec moi que nous sommes doués de
sensibilité, de mémoire, de jugement et de
volonté ; vous avez reconnu que sentir des
sensations, sentir des souvenirs, sentir des
rapports et sentir des désirs, c'est toujours
sentir. Quoique je ne vous l'aie pas encore
démontré, je vous ai annoncé que ces
quatre facultés composaient notre faculté
CHAPTTRE VT. rj5
de penser toute entière ; et je crois qu'en
examinant les opérations de votre esprit,
vous éprouvez l'impossibilité d'en décou-
vrir une qui ne se rapporte pas à une de
celles-là ; et que cela commence à vous per-
suader que je ne vous ai pas trompés sur
ce point. Je vous ai fait connaître avec pré-
cision ce qui appartient à chacune de ces
facultés, et ce qu'il ne faut pas lui attribuer;
j'ai, pour ainsi dire, mis sous vos yeux les
traits qui les caractérisent et les distinguent
les unes des autres; ainsi, à proprement
parler, vous connaissez déjà toute votre fa-
culté de penser. Cependant, ou je me trompe
fort, ou vous ne voyez pas encore la liai-
son de tout cela avec toutes les idées qui
meublent vos têtes, avec toutes les pensées
qui occupent vos esprits; votre raison et
votre conscience intime vous disent bien
qu'une intelligence humaine ne peut pas faire
autre chose que sentir, se ressouvenir, ju-
ger, vouloir, et agir en conséquence ; et en
même temps vous sentez que vous faites
une quantité de choses qui ne vous parais-
sent précisément aucune de celles-là. Vous
vous trouvez comme pressés entre deux
expériences toutes deux constantes, et qiii
76 IDÉOLOGIE.
pourtant semblent contradictoires; tous
éprouvez un embarras singulier, et vous
ne savez pas encore comment vous avez
formé l'idée Rembarras; vous cherchez,
vous réfléchissez, et vous ne savez pas préci-
sément ce que c'est que réfléchir, ni com-
ment on réfléchit. Expliquons-le en pas-
sant; ce sera toujours une idée éclaircie , et
cela se retrouvera dans l'occasion.
Réfléchir, être réfléchissant, c'est l'état
de rhomme qui désire apercevoir un ou
plusieurs rapports, porter un ou plusieurs
jugemens; qui, en conséquence de ce désir,
s'efforce de se rappeler d'abord des faits
entre lesquels il puisse voir une liaison , et
ensuite d'autres faits, pour s'assurer si cette
liaison est bien réelle, si elle est constante;
et qui examine jusqu'à quel point on peut
la généraliser , et enfin ce que l'on en peut
affirmer sans se tromper ; voilà ce que c'est
que réfléchir. JJ embarras est le sentiment,
la sensation interne qu'éprouve cet homme
quand les faits lui manquent ou quand ils
ne lui reviennent pas , ou quand il ne voit
pas de liaison entr'eux, ou quand il en aper-
çoit qui lui semblent contradictoires, quand
enfin il manque de moyens pour asseoir le
CHAPtTRE vr. 77
jugement qu'il désire porter .Vous, par exem-
ple, si vous avez pris pour sujet de vos mé-
ditations une pêche dont vous avez goûté
hier, vous voyez bien qu'elle vous a donné
les sensations d'une belle couleur, d'une
bonne odeur, d'un goût agréable, que vous
l'avez sentie molle au toucher , que vous
vous ressouvenez de tout cela : que vous en
concluez que cette pêche est i#ure, qu'elle
vous sera salutaire, et qu'en conséquence
vous desirez la manger, et que vous allez
la chercher ou une autre pareille. Vous re-
connaissez que, comme nous l'avons dit, il
ne s'agit là que de sentir des sensations,
des souvenirs, des rapports, des désirs, et
d'agir en conséquence ■ mais vous ne dé-
mêlez pas de même comment , avec ces sen-
sations, ces souvenirs et ces rapports, vous
vous êtes fait l'idée complète de cette pêche;
comment ensuite vous l'avez étendue à tous
les fruits semblables, et encore moins com-
ment vous avez composé les idées plus gé-
nérales encore de bonté, de beauté, de mol-
lesse ou de dureté , de maturité , de salubrité,
de similitude, de passé, de présent et d'ave-
nir. .C'est qu'effectivement ces idées très-
composées ne sont pas les résultats d'une
78 IDÉOLOGIE.
seule expérience ; il faut en rassembler plu-
sieurs ; et vous ne devinez pas l'usage qu'il
en fautfaire. Cela vous jette dans une grande
perplexité ; il est bon que vous l'ayez éprou-
vée, mais il est temps de vous en tirer.
Pour y réussir, il n'y a que trois choses
à vous expliquer, savoir, comment nous
apprenons que les sensations que nous éprou-
vons sont causées par un objet quelconque,
comment elles nous servent à former l'idée
complète de cet objet , et comment nous ti-
rons de plusieurs de ces idées ce qu'elles
ont de commun pour en faire d'autres idées
plus générales. Il n'en faut pas davantage
pour que vous voyiez naître toutes les idées
possibles du petit nombre d'élémens que
nous avons examinés.
L'ordre chronologique et généalogique de
ces faits demanderait que je vous rendisse
compte d'abord du premier. Cependant,
quoique le premier, et précisément parce
qu'il est le premier , il est le plus difficile à
comprendre • et comme il pourra nous en-
gager daus quelques discussions, je le ré-
serverai pour le chapitre suivant, et trai-
terai d'abord des deux autres, qui, pour
ainsi dire, n'en font qu'un. Retenez que,
CHAPITRE VI. 79
pour être bien compris, il faut toujours
partir du point où sont les gens à qui l'on
parle , et des idées qui leur sont les plus fa-
milières. Or, il y a long- temps que vous
n'en êtes plus à vos premières sensations ,
et qu'une longue habitude vous a fait perdre
de vue les premiers jugemens que vous en
avez portés. Je ne dois donc pas me borner
à vous tracer historiquement la filiation des
idées d'un homme qui part de l'impression
la plus simple et la plus particulière pour
arriver à l'idée la plus composée et la plus
générale • vous ne sauriez vous mettre à sa
place 5 vous ne pourriez reconnaître dans
ce tableau le portrait de ce qui s'est passé
en vous; au contraire, vous avez déjà une
multitude d'idées qui sont compliquées , gé-
néralisées, combinées plus même que vous
ne le croyez. C'est donc dans cet état qu'il
faut vous prendre, ce sont ces idées qu'il
faut examiner; et lorsque, toujours en re-
montant, nous serons arrivés jusqu'à la
première, tout sera débrouillé pour vous;
l'ordre et l'enchaînement de leur formation
ne vous échappera plus.
J'ai déjà fait, dans mon Introduction,
des réflexions à peu près semblables, dont
8o IDEOLOGIE,
celles-ci ne vous paraîtront peut-être qu'une
répétition inutile ; mais j'aime à y insister i
parce qu'on en trouve l'application toutes
les fois qu'on a une chose quelconque à ex-
pliquer, soit de vive voix, soit par écrit, et
qu'elles sont la base de toutebonne méthode.
D'après ces principes, j'ai commencé par
vous faire distinguer, dans cette foule d'idées
que vous avez, des sensations, des souve-
nirs, des jugemens, et des désirs. C'est déjà
une manière de les classer et de s'y recon-
naître : il ne s'agit plus que de trouver com-
ment ces élémens se combinent.
Supposons d'abord que vous savez com-
ment vous êtes parvenus à regarder vos
sensations comme des effets des différens
êtres qui existent dans la nature : cela nous
est permis ; car il n'est pas douteux que vous
le faites : et quand un fait est certain, on
peut, sans inconvénient, en différer l'expli-
cation, et pourtant s'en servir comme d'une
chose non contestée. Il ne nous reste donc
plus qu'à voir comment, par le moyen de
ces sensations, vous formez les idées indi-
viduelles des êtres qui les causent, et ensuite
des idées plus générales, de classes, de
eenres .
CHAPITRE VI. 8l
genres et d'espèces, et toutes celles qui dé-
rivent de celles-là.
Rappelez-vous que dans le chapitre du
Jugement, lorsque je voulais vous prouver
que dans tout jugement quelconque vous ne
comparez jamais ensemble que deux idées,
je vous citai cette proposition, L'homme
qui découvre une vérité est utile à F hu-
manité toute entière, et je vous montrai
que le sujet et l'attribut, quoique composés
tous deux de beaucoup d'idées différentes ,
n'en formaient pourtant chacun qu'une seule,
qui était la résultante de- toutes les autres.
Si vous aviez donné un nom unique à cha-
cune de ces deux idées, elles seraient res-
tées fixées à jamais dans vos tètes, vous
n'auriez plus besoin de les refaire ; et toutes
les fois que l'occasion d'employer l'idée
d'homme qui découvre une vérité, ou celle
ftêtre utile à l'humanité toute entière, se
représenterait à vous, vous vous serviriez
de ces deux noms comme de tous les autres
termes de la langue. Eh bien! c'est ainsi que
de toutes les sensations que vous cause un
objet, et de toutes les propriétés que vous
lui découvrez, vous faites un seul groupe,
une idée unique, qui est l'idée de cet être,
F
%2 IDÉOLOGIE.
et que son nom vous rappelle. Reprenons
l'exemple de la pêche : supposons que vous
la voyez pour la première fois, et que vous
n'en ayez pas vu d'autres; elle vous donne
la sensation d'une certaine couleur, d'un
certain goût; vous reconnaissez qu'elle a
une certaine forme, qu'elle présente une
certaine résistance molle quand on la presse,
ju'elle est portée sur un arbre fait d'une
certaine manière, et situé dans tel en-
droit. De toutes ces idées, vous formez une
idée unique, qui est l'idée de cette pêche,
et qui n'est d'abord que l'idée de celle-là, et
non de toute autre pêche que vous ne con-
naissez pas encore. Dans cet état, cette idée
est individuelle et particulière : si vous
n'avez l'usage d'aucune langue, le signe de
cette idée est l'individu lui-même. Si vous
vous faites à vous même un langage qui vous
soit propre, vous donnez à votre idée le
nom ou le signe que vous voulez; mais ce
nom ne représente que l'individu observé.
Si vous êtes avec des gens qui parlent fran-
çais, et c'est le cas où vous vous êtes trou-
vés dans votre enfance, ils vous disent que
cela s'appelle ime pêche: meàsce mot pêche,
qu'ils ont déjà généralisé, et qui est pour
CHAPITRE VI. 83
eux le nom commun à toutes les pêches ima-
ginables , n'est encore pour vous que le nom
de celle que vous voyez ; il est purement
individuel , comme le serait celui que vous
auriez créé arbitrairement pour votre usage.
Cette opération de l'esprit, qui consiste à
rassembler plusieurs idées pour n'en former
qu'une seule, à laquelle on donne un nom
qui les réunit, bien que très-commune as-
surément , n'a point elle-même de nom dans
la langue française : on peut l'appeler con-
craire, par opposition à abstraire, nom que
l'on a donné à l'opération inverse dont nous
allons parler. C'est ainsi que l'on appelle
termes concrets les adjectifs, tels que pur,
bon, etc., qui expriment une qualité consi-
dérée comme unie à son sujet, tandis que
l'on appelle termes abstraits les mots pu-
reté, bonté, etc., qui expriment ces qua-
lités séparées de tout sujet. De même on dit
que trois mètres est un nombre concret , et
que trois tout court est un nombre abstrait.
Nous verrons bientôt ce que nous devons
penser de ces dénominations. Continuons.
Voilà donc l'opération par laquelle de
plusieurs idées différentes nous formons un
groupe qui est l'idée propre et individuelle
F 2
84 IDÉOLOGIE.
de Pètre qui en est la cause. Voyons ac-
tuellement celle par laquelle ces idées par-
ticulières, et propres à un individu seule-
ment, deviennent générales et communes à
plusieurs. Revenons à l'exemple de la pêche.
Après vous être formé l'idée de cette pre-
mière pêche , vous voyez d'autres êtres qui
ont à peu près les mêmes qualités qu'elle,
qui ont avec elle beaucoup de caractères
communs, mais qui en diffèrent cependant
à bien des égards , car il n'y a pas deux
êtres absolument semblables dans la nature.
Toutes les pêches n'ont pas exactement les
mêmes couleurs, la même figure,' la même
grosseur, le même degré de maturité; elles
différent au moins par le lieu , par le temps
où vous les voyez. Vous négligez ces diffé-
rences, vous les écartez, ou, comme on dit,
vous en faites abstraction; vous ne consi-
dérez ces dernières pêches que par ce qu'elles
ont de commun avec la première que vous
avez observée; vous prononcez que ce sont
encore des pêches : et voilà que l'idée dé-
pêche est devenue générale, et n'est plus
composée que des caractères qui convien-
nent absolument à toutes les pêches. Cette
CHAPITRE VI. 8i3
opération s'appelle abstraire. Ce mot vient
de l'ancien mot traire, qui n'est plus d'usage,
et qui est synonyme de tirer (1 ) : abstraire ,
c'est tirer de.... Effectivement, vous tirez de
deux ou plusieurs idées individuelles tout ce
qui les confond , en rejetant tout ce qui les dis-
tingue, et vous en faites une idée commune.
Il n'est pas inutile d'observer ici que puis-
que l'on a tiré, abstrait, certaines parties de
l'idée particulière pour la généraliser, elle
n'est plus exactement la même quand elle
est devenue générale que quand elle était
individuelle. C'est sur cette remarque qu'est
fondé le grand principe de logique, qu'on ne
peut pas conclure du particulier au général.
En effet, de ce qu'une pêche est gercée, de
ce qu'un homme est malade, je ne peux
pas conclure que toutes les pêches sont ger-
cées , que tous les hommes sont malades ;
car ce sont là des circonstances particulières
de l'idée individuelle qui n'ont pas été con-
servées dans l'idée généralisée ; au contraire,
tout ce que je pourrai affirmer de l'idée gé-
nérale, je pourrai l'affirmer des individus:
(1) Tous deux viennent des mots latins traherer
abstrahere, qui signifient tirer, traîner, arracher.
86 IDÉOLOGIE.
car toutes les idées qui ont été conservées
dans cette idée générale doivent se retrou-
ver dans toutes les idées particulières dont
elle est abstraite.
Cette opération d'abstraire, ainsi que celle
de concraire, est d'un très-fréquent usage :
nous leur devons toutes nos idées compo-
sées ; mais remarquez bien la différence es-
sentielle de leurs effets. L'opération de con-
craire nous sert à nous former l'idée des
êtres qui existent, et celle d'abstraire à com-
poser des groupes d'idées dont le modèle
n'existe pas dans la nature, etquinéanmoins
nous sont très-commodes pour faire de nou-
velles comparaisons et apercevoir de nou-
veaux rapports entre les résultats des rap-
ports que nous connaissons déjà. En effet,
une telle pêche existe réellement, telles et
telles autres existent aussi; c'est par l'opé-
ration de concraire les sensations qu'elles
nous ont données que nous avons formé
l'idée de chacune d'elles. Mais une pêche en
général, abstraction faite des circonstances
particulières qui distinguent chacun de ces
individus pêches, une telle pêche n'existe
que dans notre esprit, et c'est par l'opéra-
tion d'abstraire que nous en avons forme
CHAPITRE VI. 87
l'idée : néanmoins cette idée me sera très-
utile si je veux, par exemple, établir la dif-
férence entre les pêches et les abricots; car
alors je n'ai pas besoin de foire attention
à toutes les nuances qui différencient les
pêches entr'elles et les abricots entr'eux;
je n'ai à considérer que ce qui est commun
à toutes les pêches, et ce qui est commun
à tous les abricots. Je vois que ces deux
groupes d'idées sont différens en certains
points, et que par conséquent ces deux
classes d'êtres diffèrent constamment à
certains égards. Nous traitons ces classes
comme des individus, quoique dans le fait
il n'existe réellement que des individus iso-
lés, c'est-à-dire qu'il n'y a que des êtres
individuels qui nous causent des sensa-
tions, et qu'il n'existe nulle part en réalité
une telle chose, qu'une classe qui puisse
agir directement et immédiatement sur nous.
Cette opération d'abstraire ne nous sert
pas seulement à grouper des individus réels
pour les ranger par classes, à généraliser
leur idée particulière pour en faire une idée
commune à plusieurs ; elle nous sert à en
fah»e de même de chacune de leurs qualités,
c'est-à-dire de chacune des impressions
88 IDÉOLOGIE.
qu'ils nous causent et de leurs circons-
tances. Ainsi, nous sentons successivement
que plusieurs choses nous font du bien,
nous disons qu'elles sont bonnes. C'est déjà
une classification, une généralisation que
ces expressions bien et bonnes; car toutes
ces choses ne nous font pas le même bien,
ne nous sont pas bonnes de la même ma-
nière. Ainsi, ce sont des impressions diffé-
rentes entr'elles que nous réunissons sous
un même point de vue par la ressemblance
commune qu'elles ont de nous faire chacune
un bien , de nous être chacune ce que nous
appelons bonne. Mais ne nous en tenons
pas là; de toutes ces choses qui sont bonnes,
nous extrayons l'idée de bonté, et nous em-
ployons cette idée comme si c'était une
chose qui existât indépendamment des êtres
dans lesquels elle se trouve; de tout ce qui
est utile, nous extrayons de même l'idée
futilité; de ce qui est beau, l'idée de
beauté. Ce sont ces termes et ces idées
qu'on appelle plus communément termes
abstraits, idées abstraites. Effectivement, il
y a une abstraction de plus; mais, à parler
rigoureusement, tout nom généralisé, toute
idée d'un individu étendue à plusieurs est
CHAPITRE Vr. 3f)
déjà un mot abstrait , une idée abstraite ;
car, dans l'usage qu'on en fait, il y a déjà
des particularités de ses élémens qu'on a
négligées, et d'autres qu'on a séparées, ti-
rées dehors pour ainsi dire, enfin qu'on a
abstraites.
Remarquez même que ces deux opéra-
tions opposées, concraire et abstraire, se
trouvent toujours réunies, et sont néces-
saires toutes deux dans la formation de
toute idée composée quelconque; car toutes
les fois que je forme une nouvelle idée avec
divers élémens pris çà et là, si je sépare
chacun de ces élémens de circonstances
que je néglige parce qu'elles ne sont pas
nécessaires à mon objet, si je les abstrais,
en même temps je les réunis , je les concrais
pour en former l'idée nouvelle. Ainsi j'ab-
strais et je concrais en même temps, ou
plutôt ce que j'abstrais d'un côté je le con-
crais de l'autre; c'est pourquoi je n'aime pas
beaucoup ces mots abstraire et concraire.
Mais on fait tant d'abus des mots abstrait
et abstraction , que j'ai voulu vous faire
comprendre ce que l'on peut raisonnable-
ment entendre par abstraire et par son
opposé concraire.
go IDEOLOGIE.
Ne nous servons plus ni de l'un ni de
l'autre; ne séparons plus deux opérations
intellectuelles qui, dans la pratique, n'ont
jamais lieu l'une sans l'autre; et, sans nous
embarrasser de vaines dénominations, ren-
dons-nous compte tout simplement de ce
que nous faisons quand nous formons nos
idées composées.
Je suppose que j'éprouve pour la pre-
mière fois la sensation que, dans la suite,
j'appellerai le rouge. Si je ne sais ni d'où
elle me vient, ni par où elle me vient; si je
ne fais que la sentir sans y mêler aucun
jugement , c'est une pure sensation que
j'éprouve, c'est une idée simple que j'ai :
nécessairement elle est individuelle et par-
ticulière.
Si à cette sensation, à cette pure im-
pression, à cette idée simple, je joins la
sensation d'un rapport entre un être dont
l'existence consiste à me causer cette sen-
sation, et moi, dont l'existence consiste à
la sentir, cette idée de rouge n'est déjà plus
une idée simple ; elle est composée d'une
sensation et d'un jugement; mais elle est
encore individuelle, c'est-à-dire particu-
lière à ce seul fait. Je ne l'ai pas étendue à
CHAPITRE VI. 91
toutes les sensations à peu près pareilles
que je puis recevoir de différons autres êtres
que je ne connais pas encore.
Il en est de même de la saveur et de
l'odeur que peut me faire sentir ce même
corps. Si je ne fais que les sentir, ce sont
des idées simples; si, de plus, je juge d'où
elles me viennent, ce sont des idées com-
posées, mais toujours particulières et pas
encore généralisées.
Maintenant, que je réunisse ces trois
idées, d'une certaine couleur, d'une certaine
saveur, d'une certaine odeur, j'en forme
l'idée de l'être qui me les cause ; idée déjà
plus composée, mais toujours individuelle
et particulière; car d'autres êtres peuvent
être capables de me faire les mêmes impres-
sions, mais je ne les connais pas encore :
ainsi je n'ai pas étendu cette idée sur eux.
Que je désigne cette idée ou l'être qui me la
donne, ce qui est la même chose pour moi,
par le mot fraise, ce nom est celui de cette
fraise et non des fraises en général, car je
ne l'ai pas encore généralisé.
Si je ne connais cette fraise que par
ces trois effets, son existence à mon égard
n'est composée que de ces trois idées 3 elle
92 IDÉOLOGIE.
est, pour moi, un être capable de me faire
sentir ces trois sensations, et rien de plus;
car, remarquez -le bien, l'idée d'un être
quelconque n'est jamais pour nous que
l'assemblage des propriétés que nous lui
connaissons; c'est ce qui fait que le même
mot n'a presque jamais exactement la même
signification pour aucun de ceux qui le pro-
noncent; il exprime pour chacun d'eux plus
ou moins d'idées, suivant le degré de con-
naissance qu'ils ont du sujet. Quand j'aurai
observé que cette fraise est de forme coni-
que, qu'elle vient à la suite d'une petite
fleur blanche, qu'elle est portée sur une
petite plante verte, qu'elle est destinée à
reproduire cette plante, etc., je joindrai
toutes ces propriétés aux premières ; le mot
fraise \as renfermera toutes, et mon idée
de cette fraise sera plus composée ; au reste
elle ne cessera point encore d'être indivi-
duelle et particulière; seulement elle sera
plus complète.
Quand cette fraise serait le premier être
existant qui eût frappé mes sens; quand,
par conséquent, son idée serait la première
idée d'un pareil être que je compose, elle
me fournirait, sans cesser d'être indivi-
CHAPITRE VT. Q,5
Quelle et particulière , l'occasion de créer
plusieurs des idées que nous exprimons par
les mots appelés adjectifs, et par les sub-
stantifs nommés abstraits.
Par exemple, si j'ai appelé le rouge une
des sensations qu'elle m'a causée, je dirai
que cette fraise est rouge, c'est-à-dire
qu'elle est cause, pour moi, de l'impression
appelée le rouge.Cet adjectif est l'expression
abrégée d'un des jugemens que j'ai portés
de cette fraise, d'un des rapports que j'ai
remarqués entre elle et moi; il me sert à
exprimer que cette fraise a ce rapport avec
moi. Si, ensuite, je fais attention que ce
rapport a une cause dans la fraise, j'appelle
cette cause rougeur de la fraise; c'est une
de ses qualités, une des idées qui composent
l'idée de cet être.
Si nous avions donné des noms particu-
liers aux saveurs et aux odeurs comme aux
couleurs, je ferais de même à l'occasion des
rapports que cette fraise a avec moi de me
causer une certaine odeur et une certaine
saveur; car tout rapport donne nécessaire-
ment lieu à trois idées, celle du rapport
lui-même, celle de son effet, celle de sa
cause; si le plus souvent nous ne formons
g4 IDÉOLOGIE.
pas ces idées, ou si nous ne les désignons
pas distinctement par des noms particuliers,
c'est que cela ne nous est pas utile , ou plu-
tôt c'est que les noms particuliers que nous
leur avons donnés d'abord, nous les avons
étendus à d'autres idées à peu près sem-
blables ; qu'ainsi ils sont devenus communs
et généraux, et que nous ne nous sommes
pas embarrassés de les remplacer par d'au-
tresqui soientrestésparticuliers etspéciaux.
Mais il n'y a pas un des innombrables rap-
ports que chacun des êtres existans ont avec
nous , qui ne pût être la source de trois idées
particulières , de trois mots particuliers
pour les exprimer.
Ainsi , par exemple , cette fraise a avec
moi les rapports de me faire trois effets;
l'un que j'appelle me faire plaisir , l'autre
que j'appelle me faire du bien, le troisième
que j'appelle me faire ou me rendre service :
j'exprime ces trois rapports en disant qu'elle
est belle, qu'elle est bonne, qu'elle est utile ,
et les causes de ces trois rapports, par les
mots beauté, bonté, utilité, qui représentent
trois propriétés de la fraise, trois des idées
qui composent l'idée de cet être.Mais quand
j'aurai généralisé les mots plaisir, bien , ser-
CHAPITRE VI'. g5
vice, qui sont encore l'expression spéciale
des effets particuliers de cette fraise sur
moi; quand je les aurai étendus à d'autres
effets produits par d'autres êtres, effets qui
sont analogues à ceux-ci , mais qui ne sau-
raient être exactement les mêmes, il ne me
reste plus de moyen d'exprimer privative-
ment le plaisir que me fait cette fraise, le
bien qu'elle me cause , le service qu'elle me
rend; de dire la manière particulière dont
elle est belle , bonne et utile ; de peindre le
genre spécial de la beauté, de la bonté, de
l'utilité qui lui sont propres.Voilà à quoi nous
sommes réduits actuellement que toutes nos
idées sont si travaillées , que tous les mots
qui les expriment sont si généralisés. Nous
n'en avons plus pour exprimer particuliè-
rement chaque chose ; il n'y a plus que les
noms propres qui désignent un être à l'ex-
clusion de tout autre. Cependant, vous de-
vez sentir que tant que cette fraise , que j'ai
prise pour exemple, est supposée le seul
être que j'aie examiné , non-seulement son
nom est un nom propre dans la force du
terme, mais toutes les idées qu'elle m'a
donné occasion de former ont ce même ca-
ractère; elles sont uniques dans leur genre,
§f) IDÉOLOGIE.
les nwts qui les expriment ne s'appliquent
qu'à un seul fait; et en même temps vou3
voyez que, sur ce seul être, j'ai créé des
idées de bien des espèces. Nous trouverons
facilement la manière dont ces idées parti-
culières se généralisent.
J'ai beaucoup insisté sur ce premier pas
de notre esprit , parce que si vous ne le com-
preniez pas bien, vous n'entendriez jamais
l'artifice de la composition de nos idées , ni
celui du langage qui en est l'expression , ni
celui du raisonnement. La plus grande diffi-
culté que j'aie éprouvée pour vous l'expli-
quer, c'est que les mots manquent à tout
moment : comme , par un long usage, nous
les avons tous généralisés, on ne sait com-
ment s'y prendre pour obliger l'auditeur
à les prendre dans un sens restreint et in-
dividuel qu'ils n'ont plus ; et malgré tous mes
soins, je ne serai pas étonné de n'y être
pas complètement parvenu. Si à une pre-
mière lecture il vous était resté quelque
louche, je vous exhorterais à en faire une
seconde, en tâchant de vous bien pénétrer
de l'intention que j'ai eue, et en vous re-
portant sans cesse à la position où est un
homme qui forme ces premières combinai-
sons;
CHAPITÎIE VI. 97
sons 5 car je ne puis pas faire que nousayonS)
pour exprimer les idées de cet homme,
d'autres mots que ceux dont nous avons fait
depuis un tout autre usage que lui, et qui,
par conséquent, ont une autre valeur pour
nous que pour lui : et, encore une fois, la
science des idées est bien intimement liée à
celle des mots; car nos idées composées
n'ont pas d'autre soutien, d'autre lien qui
unisse tous leurs élémens, que les mots qui
les expriment et qui les fixent dans notre mé-
moire. Nous examinerons quelque jour les
causes et les conséquences de ce fait; mais
en attendant, je puis parler d'une idée et
du mot qui la représente comme d'une seule
et même chose, car tout ce qui arrive à l'un
arrive à l'autre.
Voilà donc qu'en conséquence de l'exa^
men d'un seul être, j'ai formé et séparé les
unes des autres l'idée de cet être , celles de
ses rapports, celles de leurs effets, celles de
leurs causes ; et toutes ces idées sont encore
particulières. J'ai créé, pour les exprimer,
des mots que nous appelons un nom de sub-
stance, des noms adjectifs, des noms sub-
stantifs abstraits; et tous ces mots sont
encore rigoureusement des noms propres
G
98 IDÉOLOGIE.
d'un tel être, d'an tel rapport, et d'un tel
effet ou d'une telle qualité. Voyons com-
ment ces idées et ces noms vont se géné-
raliser.
Après avoir vu cette fraise, j'en vois
d'autres; je les examine : elles lui ressem-
blent par des qualités constantes, communes
à toutes; elles en diffèrent par des circons-
tances variables. Je retranche ces circons-
tances variables et de l'idée de la première
fraise et de celles des fraises que je vois en-
suite; je réunis les qualités constantes, et
voilà que l'idée et le nom de fraise sont de-
venus communs à bien des êtres , et sont
généralisés autant qu'ils peuvent l'être.
Par la même raison, les mots belle, bonne,
utile, rouge; plaisir, bien , service, le rouge :
beauté, bonté, utilité, rougeur, n'expriment
plus les rapports de cette première fraise
avec moi, leurs produits et leurs causes,
mais les rapports, les effets et les qualités
des fraises en général : ils sont déjà généra-
lisés aussi, mais pas à beaucoup près autant
qu'ils peuvent l'être; car dans la suite je
les étendrai à bien d'autres êtres, les uns
plus, les autres moins, d'après mes obser-
vations.
CHAPITRE VI. 99
En effet, après avoir vu ces fraises, je
vois une cerise; je fais l'idée de cette cerise
comme j'ai fait celle de la première fraise ,
et l'idée générale de cerise comme l'idée gé-
nérale de fraise. Ces cerises sont aussi, pour
moi, belles, bonnes, utiles, rouges d'une
certaine manière; mais cette manière n'est
pas exactement la même que celle des
fraises. Si, au lieu de donner aux rapports
que je sens entre ces cerises et moi, des
noms particuliers et qui leur soient propres,
je leur applique ces noms-ci que j'ai déjà
donnés aux rapports des fraises avec moi, il
est clair que je ne le puis qu'en écartant des
uns et des autres les circonstances qui les
différencient, et en ne conservant que celles
qui leur sont communes. Par conséquent,
chaque fois que je généralise davantage un
nom, que je l'étends à un plus grand nombre
d'êtres, je retranche beaucoup des idées qu'il
renfermait dans son sens plus restreint ; il
en exprime réellement beaucoup moins. A
proportion qu'une idée devient plus géné-
rale, elle fait partie d'un plus grand nombre
d'êtres, mais elle est une plus faible partie
de chacun d'eux.
C'est ce qui se voit bien clairement dans
G 2
400 IDEOLOGIE.
la formation des idées d'espèces, de genres,
de classes , qui se composent tout comme
les précédentes : la seule différence est qu'un
nom nouveau exprime chaque degré de gé-
néralisation , et les fait remarquer en les
empêchant de se confondre. Je vois un in-
dividu, je reconnais toutes les qualités qui
lui appartiennent, toutes les propriétés qui
le caractérisent, en un mot toutes les im-
pressions qu'il me fait; je l'appelle Jacques.
Il est clair que ce nom propre est l'expres-
sion del'idée complètede cet individu, c'est-
à-dire de toutes les idées qui la compo-
sent; je le réunis avec un certain nombre
d'autres individus, differens de lui à beau-
coup d'égards, mais qui ont aussi beaucoup
de choses communes; j'en forme une classe
d'individus, que je désigne par le nom de
Parisiens; je joins ces individus à d'autres
qui ont moins de points de ressemblance ,
j'en forme une seconde classe plus étendue,
que je désigne par le mot de Français : je
forme ainsi successivement les mots et les
idées d'Européen, d'homme, d'animal,
et >enfin d'être, qui est le terme le plus
général dont on puisse s'aviser, puisqu'il
s'étend ù tout ce qui existe. Il est clair que
CHAPITRE VT. IO*
ces idées très-composées vont toujours ren-
fermant un plus grand nombre d'individus,
ce qui constitue leur extension, mais un
moindre nombre de circonstances de clia-t
cun d'eux, ce qui constitue leur compré-
hension; car quand je dis de Jacques qu'il
est un être, je n'en dis qu'une seule chose,
c'est qu'il est capable de m'affecter, sans dé^
signer du tout comment; je dis qu'il existe,
et rien de plus; quand je dis qu'il est un ani^
mal, je dis de plus que je lui connais vie et
mouvement, qu'il se nourrit,, qu'il se re-
produit, en un mot , qu'il existe de toutes les
manières qui caractérisent un animal; quand
je dis qu'il est homme, je dis de plus que je
sais qu'il est fait de telle ou telle manière ,
qu'il a telle qualité qui m'a frappé ; quand je
dis qu'il est Européen, Français, Parisien,
j'ajoute toujours quelque chose à l'idée; et
enfin quand je dis qu'il est Jacques, je dis
implicitement tout ce que je sais de lui, et
même tout ce qui lui appartient, quand
même je ne le connaîtrais pas encore; car
je puis fort bien ignorer qu'il est fort, qu'il
est aimable, qu'il est malade : mais quand je
le saurai, ce sera seulement de nouvelles
idées que je devrai ajouter aux nombreuse*
102 IDEOLOGTE.
idées qui composent pour moi celle de
Jacques. Cela rentre dans ce que j'ai dit plus
haut, qu'un nom signifie toujours plus ou
moins de choses pour ceux qui le pronon-
cent, à proportion qu'ils connaissent plus
ou moins le sujet dont il s'agit; mais cela
ne change rien à la vérité que j'ai établie,
que l'idée particulière d'un individu ren-
ferme toutes les idées qui lui appartiennent,
et que l'idée d'un nom de classe ne ren-
ferme que celles qui sont communes à tous
les individus de la classe, et par conséquent
un nombre d'idées d'autant moindre, que les
individus sont plus nombreux et la classe
plus étendue.
C'est ainsi que des idées de cerise, de
fraise, d'abricot, etc> on fait l'idée de fruit,
qui ne renferme plus les idées particulières
à chacun de ces êtres, mais seulement la
propriété qui leur est commune , d'être pro-
duits d'une certaine manière par des végé-
taux; et si je généralise encore plus le mot
fruit) comme on fait dans le sens méta-
phorique, en disant, par exemple, que la
science est le fruit du travail, que les décou-
vertes sont le fruit de la réflexion, ce mot
fruit ne renferme plus que l'idée d'être pro-
CHAPITRE Vr. 103
duit par un être quelconque, sans aucune
désignation de cause ni de manière.
De même, des idées de verd, de jaune,
de rouge, en faisant abstraction de leurs dif-
férences, je fais l'idée de couleur, qui n'ex-
prime plus que la qualité commune à ces
sensations d'être senties par l'œil comme les
sons par l'oreille. Des idées de couleur et de
son je fais l'idée plus générale de sensation,
qui n'est que celle d'être sentie, n'importe
par quelle voie.
De même encore, en revenant aux ad-
jectifs cités ci-dessus, ce mot rouge, qui
n'exprimait d'abord que la manière d'être
rouge de la fraise, ensuite des fraises en gé-
néral, puis des fraises et des cerises, de-
vient petit à petit l'expression de ce que tous
les corps rouges ont de commun entr'eux ;
la même chose arrive au mot bon. A chaque
degré de généralisation il y a des différences
négligées, le mot change réellement de si-
gnification ; cela est si vrai , qu'il est mani-
feste que la bonté d'un homme, la bonté
d'un fruit, la bonté d'un cheval, la bonté en
général né sont pas la même chose. Dans
ces quatre cas, les mots bon et bonté sont
appliqués à trois idées individuelles diiïé-
104 IDEOLOGIE.
rentes, et à une idée générale. Les idées
changeant, en rigueur les mots devraient
changer aussi, comme les mots verd, jaune,
rouge et couleur; mais aucune langue n'est
assez riche pour cela, parce que les incon-
véniens d'une telle abondance surpasse-
raient ses avantages. Cependant cela était
bon à remarquer, pour que vous ne soyez
pas dupes des mots , et qu'ils ne vous mas-
quent pas la génération des idées lorsqu'ils
ne la peignent pas fidèlement.
Quoi qu'il en soit, voilà que vous con-
naissez comment se forment toutes celles
de nos idées que nous exprimons par des
substantifs et des adjectifs. Je pourrais vous
expliquer de même la formation de celles
qui sont représentées par les autres élémens
du discours, tels que les verbes, les prépo^
sitions, etc. ; mais ces détails seront mieux
placés quand nous étudierons la grammaire,
cJest à-dire la science de l'expression de nos
idées. Qu'il vous suffise pour le moment de
savoir qu'elles dérivent toutes de celles que
nous avons examinées , et qu'elles se for-
ment par les mêmes moyens. Vous voyez
donc qu'il ne s'agit jamais que de recevoir
des impressions, d'observer des rapports,
CHAPITRE VI. 105
de les ajouter, de les retrancher, de tes réu-
nir, de les diviser, et d'en former de nou-
veaux groupes ; et vous ne devez plus être
embarrassés de comprendre comment tant
de combinaisons si différentes sont le pro-
duit du petit nombre de facultés que nous
avons distinguées dans notre faculté de pen-
ser. C'était le seul but que je me proposais
dans ce chapitre : nous pouvons actuelle-
ment passer à un autre objet.
Observons seulement, en finissant, que
la marche que nous venons de tracer à l'es-
prit humain dans la formation de nos idées
composées , est celle que suivrait nécessai-
rement un homme isolé et sans secours ,
qui formerait ces idées et leurs signes pour
son usage à lui tout seul. Elle est métho-
dique, mais elle est pénible et lente; aussi
certainement cet homme ne composerait
guère d'idées , et son dictionnaire serait fort
court. Toute langue un peu riche' n'a pu
être le résultat que des efforts de beaucoup
d'hommes et de bien des générations suc-
cessives. Mais ce n'est pas par ce chemin
que tant d'idées sont entrées dans nos tètes,
à nous , jetés dès notre enfance au milieu
d'hommes parlant une langue perfectionnée .
lo6 IDÉOLOGIE.
Nous n'avons pas créé ces idées, nous les
avons reçues ; leurs signes ont d'abord frappé
notre oreille pêle-mêle et au hasard, sui-
vant que l'occasion s'en est présentée; nous
n'avons eu qu'à en démêler les significa-
tions , et à les classer , en profitant bien ou
mal d'expériences multipliées ; c'est sur les
mots et d'après les mots, que nous avons
appris les idées. Cette opération est souvent
restée incomplète; de là bien des erreurs,
bien des fausses liaisons , une grande igno-
rance de l'enchaînement de certains résul-
tats. On n'en sera pas surpris, si l'on songe
que dans un petit nombre d'années de notre
première enfance, nous mettons dans nos
têtes la plus grande partie des idées qui ont
été créées depuis l'origine du genre humain.
Quand on fait des provisions si précipitées,
il est difficile de les bien connaître et de les
bien ranger. Mais en voilà assez sur ce cha-
pitre : relisez- le quelquefois pour vous fa-
miliariser avec ces combinaisons; et cepen-
dant occupons-nous de chercher comment
nous apprenons que les sensations qui nous
affectent sont causées par un objet quel-
conque.
CHAPITRE VIT. IO7
CHAPITRE VII.
De l'Existence.
x enser , c'est sentir ; et sentir, c'est s'aper-
cevoir de son existence d'une manière ou
d'une autre; nous n'avons pas d'autre moyen
de connaître que nous existons. Aussi, si
nous ne sentions rien, ce serait bien pour
nous l'équivalent de ne pas exister. Une sen-
sation est donc une manière d'exister, une
manière d'être, et rien de plus ; et toutes nos
sensations diverses sont purement et sim-
plement différentes modifications de notre
être : une sensation est donc une chose qui
se passe uniquement en nous. Il en est de
même, à plus forte raison, des souvenirs
de ces sensations , des rapports que nous
apercevons entr'elles, et des désirs qu'elles
font naître.
Mais une pure sensation quelconque a-
t-elle par elle-même la propriété de nous
avertir qu'elle nous vient de quelque chose
qui n'est pas nous? C'est une question que
nous avons déjà traitée dans le chapitre de
la Mémoire, pages 42 et suivantes; et nous
108 IDÉOLOGIE.
nous sommes décidés pour la négative , par
cette considération sans réplique, que sen-
tir une sensation, c'est sentir ; et que sentir
d'où elle nous vient, c'est sentir un rap-
port, c'est juger. Ainsi, toute sensation que
nous rapportons à un être quelconque n'est
déjà plus une pure sensation, elle est ac-
compagnée d'un jugement.
Nous nous sommes demandé ensuite si
ce jugement est inséparable de la sensation ;
et nous avons vu dans le chapitre du Juge-
gement, pages 62 et 55, qu'il en est si peu
inséparable , qu'il est même impossible que
la faculté de juger commence à agir aussitôt
que la faculté de sentir.
Il nous reste donc à trouver comment
nous avons été conduits à juger que nos
sensations sont occasionnées par des êtres
qui ne sont pas nous , et si nous avons rai-
son de porter ce jugement. Nous appelons
corps ces êtres auxquels nous attribuons
d'être la cause de nos sensations : pour que>
ce jugement soit juste, il faut premièrement
que ces corps existent; secondement, qu'ils,
soient en effet les causes des impressions
que nous ressentons. La première chose
a examiner est donc celle-ci, y a-t-il des.
CHAPITRE VIT. 109
corps ? et la seconde , comment le savons-
nous?C'est ce dont nous allons nous occuper.
Vous êtes certainement surpris d'une pa-
reille question : il ne vous est jamais venu
en tête qu'on imaginât de la proposer, et
qu'il pût être incertain s'il y a des corps et
si vous en avez un; ce doute vous paraît im-
pertinent; cependant je suis bien assuré qu'il
vous est impossible de le lever^ et que,
quelque inébranlable que soit votre opinion
à cet égard, vous ne sauriez en démontrer
la vérité. Cela seul doit vous prouver que
le sujet mérite d'être approfondi; de plus,
vous sentez que c'est la base fondamentale
de . l'édifice entier des connaissances hu-
maines. Car si nous nous trompons sur ce
point capital, si l'existence des corps est
une illusion, nous vivons entourés de fan-
tômes, et toutes nos connaissances ne sont
que des chimères. Or^ en matière si impor-
tante, il n'est pas permis de se contenter
d'un sentiment confus et d'assertions sans
preuves.
Je sais qu'un très-grand préjugé en faveur
de la réalité de l'existence des corps est la
croyance générale de tous les hommes, qui
n'en doutent pas, et n'imaginent pas même
110 IDEOLOGIE.
qu'on puisse en douter. Mais, premièrement,
cette croyance n'est pas sans exception ;
car plusieurs hommes, et de grands hommes,
ont pensé et ont soutenu qu'il n'existe réel-
lement rien de semblable à ce que nous ap-
pelons des corps, et que quand les corps
existeraient, nous n'avons en nous absolu-
ment aucuns moyens de les connaître :
d'ailleurs, quand même une opinion serait
parfaitement universelle, ce ne serait pas
encore une preuve sans réplique de sa jus-
tesse, car le genre humain tout entier peut
fort bien se tromper, et ce ne serait peut-
être pas la première fois que cela lui fût ar-
rivé. Il faut donc en revenir à examiner si
l'existence des corps est réelle, et comment
nous parvenons à la connaître.
Avec un moment d'attention vous pouvez
vous apercevoir que non-seulement la solu-
tion de cette question ne se présente pas
d'elle-même à l'esprit avec évidence , mais
encore qu'elle est assez difficile à trouver
quand on y pense. En effet vous venez de
voir que toutes nos idées composées ne
sont autre chose que des combinaisons de
nos sensations, de nos souvenirs, de nos
jugemens, et de nos désirs. Il est bien évi-
CHAPITRE VII. 111
dent que ces combinaisons se font en nous
sans aucune intervention étrangère ; il ne
l'est pas moins que nos sensations de sou-
venirs, de jugemens et de désirs sont aussi
des choses qui se passent uniquement dans
notre intérieur. Or, qu'est-ce qui empêche^
rait qu'il n'en fût de même de nos sensa-
tions proprement dites? et que, tandis que
nous croyons voir,.entendre, goûter, sentir,
toucher des êtres réels et distincts de nous,
ces impressions ne fussent que des modifi-
cations internes de notre faculté de sentir,
des manières d'être produites en elle par
des raisons inconnues, mais sans aucune
cause extérieure, comme celles que nous
éprouvons dans certains rêves ou nous nous
croyons actuellement frappés par des corps
qui bien certainement sont alors fort éloi-
gnés de nous, ou comme celles que nous
ressentons même éveillés , dans certaines
circonstances, ainsi que nous en avons fait
la remarque aux chapitres de la Sensibilité
et de la Mémoire.
Cette supposition n'est point absurde.
Cependant, si elle était conforme à la vé-
rité, cette plume que je crois tenir, ce papier
sur lequel je crois en ce moment tracer ces
112 IDEOLOGIE.
mots, mon corps lui-même, que je crois
sentir et par lequel je crois sentir, ne sej
raient que de vaines apparences résultantes
de diverses modifications arrivées et com-
binées dans l'intérieur de ma faculté pen-
sante quelle qu'elle soit et quelque part
qu'elle existe; et, dans le fait, quand la
chose serait ainsi, pourvu que ces modifi-
cations et leurs combinaisons suivent les
mêmes lois, qu'elles soient internes ou ex-
ternes, qu'elles viennent du dedans ou du
dehors, tout va de même pour moi qui les
éprouve. Que vous, à qui je parle, soyez
des êtres existans ou idéals; si, dans les
deux cas, il doit résulter des mots que je
profère que vous me présentiez les mêmes
aspects, si je dois suivre les mêmes règles
pour produire sur vous les mêmes effets ,
rien n'est changé pour moi ; et je n'ai, par
conséquent, aucun moyen de démêler ce
qui en est; je n'ai certitude de rien que des
effets que j'éprouve.
A la vérité, actuellement que nous sommes
parvenus (nous verrons quelque jour par
quels moyens ) à nous comprendre récipro-
quement, quand vous me dites que vous
sentez comme moi, quand je vous vois
CHAPITRE VII. 110
agir spontanément comme moi, quand vous
m'assurez que c'est en vertu d'impressions
tout-à-fait semblables à celles que je vous
dépeins comme existantes en moi, quand
mille expériences continuellement répétées
et toujours convaincantes me prouvent la
vérité de ces assertions, il m'est bien diffi-
cile de vous refuser d'être des êtres sentans
et par conséquent existans comme moi.
Mais si j'étais le seul être animé sur la terre,
et qu'un génie d'une espèce supérieure,
supposé doué du talent de se faire entendre
à moi, vînt me dire que tout ce que je crois
voir et entendre, et tout ce que je crois
faire , n'est qu'une suite d'illusions ; que je
suis purement et uniquement une vertu
sentante, incapable de toute autre chose que
d'être affectée successivement de mille ma-
nières différentes; que, quand je me meus,
je crois me mouvoir; que, quand je touche,
je crois toucher : il est bien vraisemblable
que ce génie me persuaderait ; il l'est sur-
tout que, quand j'oserais douter de sa révé-
lation, je ne saurais pas lui en démontrer là
fausseté.
Cela est si vrai, que, sans que ce génie ait
jamais apparu à personne, et malgré toutes
H
11 4 IDÉOLOGIE.
les lumières que fournit l'état de société ,
des sectes entières d'anciens philosophes ,
hommes doués de beaucoup de pénétra-
tion, après y avoir mûrement réfléchi , ont
prononcé qu'il nous est absolument et com-
plètement impossible d'être jamais parfai-
tement surs de rien ; et, à cet égard, la
démonstration tant vantée de Diogène, qui,
lorsque Zenon d'Elée niait le mouvement,
pour toute réponse, se promenait devant
lui, ne me paraît pas du tout digne de sa
réputation; car il ne niait pas que nous vis-
sions une apparence que nous appelons
mouvement, mais il niait que nous puissions
être sûrs que cette apparence ait quelque
réalité ailleurs que dans notre pensée. Cette
manière de résoudre la difficulté ressemble
beaucoup à .celle d'Alexandre qui coupe le
noeud gordien qu'on lui propose de dénouer.
Elle est bonne dans le conquérant, car elle
remplit son objet; mais je suis persuadé
que le philosophe cynique ne s'en fût pas
contenté s'il eût pu s'aviser d'une meilleure.
Aussi, parmi les modernes encore, Mal-
lebranche, un de nos plus beaux génies,
a dit que les corps existent réellement; que
nous n'en pouvons douter, puisque Moïse
tr
CHAPITRE VII. Il5
nous a raconté les circonstances de leur
création ; mais que nous n'avons pas d'autre
moyen de le savoir, et qu'il est absolument
impossible qu'aucune de nos facultés intel-
lectuelles nous en procure une connaissance
directe ; il a même ajouté que ces corps
n'existent que dans la pensée de Dieu , ce
qui est bien toujours n'exister que dans
une pensée. Et Berkeley, autre excellent
esprit, a soutenu que le récit de Moïse
bien entendu ne prouve pas l'existence des
corps, et qu'ils n'existent réellement pas.
Sans exagérer le nombre des sectateurs
de cette singulière opinion, je pourrais-
peut-être ranger encore parmi ceux qui
ont nié l'existence des corps, ou qui en ont
douté, tous les partisans des idées innées,
quand même ils n'auraient pas tiré expres-
sément cette conséquence de leur système;
car quand on pense ( et c'était l'opinion gé-
nérale avant Locke ) que toutes nos idées
existent en nous au moment de notre nais-
sance , et que quand nous les recevons ou
les composons nous ne faisons que nous en
ressouvenir, il ne paraît ni nécessaire, ni
morne naturel de supposer que ces impres-
H 2
tl6 IDÉOLOGIE»
sions soient causées en nous par des êtres
réellement existans.
Quoi qu'il en soit, il est certain que beau-
coup de philosophes, et nommément tous
ceux qui ont reconnu que nos sensations
sont la source de toutes nos idées, ont cru
fermement, comme le vulgaire, que ces
sensations sont excitées en nous par l'action
des corps sur nos organes, et que ces corps
et ces organes sont des êtres bien réels;
mais ils n'ont pas toujours été très-heureux
à expliquer comment nous apprenons à
reconnaître cette existence , et pourquoi
nous en sommes certains; on peut même
dire que cette question n'a encore jamais
été parfaitement éclaircie.
Le plus souvent on s'est contenté de dire
en général que nos sensations ont la pro-
priété de nous apprendre d'où elles nous
viennent, et que dans la sensation la plus
simple est renfermée cette connaissance;
ce qui est dire implicitement que l'action
de sentir, qui bien sûrement nous fait con-
naître notre propre existence, nous révèle
aussi celle d'un autre être et du rapport qu'il
a avec nous, et que ce jugement ou le sen-
Itmentde ce rapport est inséparable de la
CHAPITRE VII. 117
sensation simple. C'est-là une assertion et
non pas une démonstration.
Aussi, quand on a voulu entrer dans les
détails, on a été fort embarrassé de détermi-
ner à quelles sensations en particulier pou-
vait s'appliquer cette maxime, et à quelle
espèce de sensations appartenait réellement
ce tte propriété de nous apprendre Fexistence
des corps.
D'abord personne n'a songé à dire que
cela convînt à aucune des sensations que
nous avons nommées internes : elles n'ont
paru que de simples affections de plaisir
ou de peine, qui à elles seules ne pouvaient
nous apprendre que notre propre exis-
tence.
Ensuite, parmi nos sensations externes ,
on est encore généralement convenu que
celles de l'odorat, de l'ouïe et du goût, ne
pouvaient nous faire connaître par elles-
mêmes l'existence des corps extérieurs : il
est trop visible que nous éprouvons sou-
vent des affections de ce genre sans l'inter-
vention d'aucun corps étranger, et que
même, lorsque ces corps en sont les causes,
nous ne connaissons pas le plus souvent d'où,
elles nous viennent.
Il8 IDEOLOGIE.
L'article de la vue a souffert plus de dif-
ficulté; la plupart des idéologistes ont cru ,
il est vrai, que quand des rayons de lumière
frappent notre œil, il nous est impossible
de méconnaître que l'objet qui nous renvoie
ces rayons est la cause de cette impression,
et que, puisque ces faisceaux de lumière
frappent différens points de notre œil les
uns à côté des autres, et occupent ainsi une
certaine étendue dans notre organe, nous
sommes forcés de les rapporter de même
les uns à côté des autres dans une certaine
portion de l'espace, et par conséquent de
reconnaître que l'objet qui nous les envoie
est étendu, est un corps.
Je ne peux pas ici discuter à fond cette
opinion, parce qu'il faudrait que vous con-
nussiez bien ce que c'est que la propriété
des corps appelée l'étendue, dont ces phi-
losophes ne se sont jamais fait une idée bien
nette, et que vous ne pouvez le comprendre
complètement qu'après les explications que
je vais bientôt vous donner de la manière
dont nous la connaissons. Mais je puis dès
ce moment vous faire part des deux objec-
tions générales que l'on fait à ceux qui pré-
tendent que les impressions de la vue nous
CHAPITRE VIT. 119
apprennent nécessairement l'existence des
corps et leur étendue. Elles sont déjà, sui-
vant moi, une réfutation sullisante.
On leur a dit, premièrement, les corps
ne frappent pas l'œil plus immédiatement
que le nez et l'oreille; les rayons lumineux
nous arrivent au travers de l'air comme les
ondulations sonores et les particules odo-
rantes; toute la différence, c'est que ceux-
là ne nous arrivent qu'en ligne droite, tandis
que celles-ci nous parviennent par toute
sorte de chemins. Or, ces particules odo-
rantes, ces ondulations sonores partent,
comme les rayons lumineux , de chfférens
points des corps; elles frappent difïérens
points de l'oreille et du nez, comme ceux-ci
difïérens points de l'œil : cependant , vous
convenez que ces émanations odorantes et
sonores ne sont pas capables de nous faire
juger qu'il y a des corps, et des corps éten-
dus. Il ne parait pas vraisemblable que la
particularité de venir à nous en ligne droite
donne cette propriété aux rayons lumi-
neux.
Secondement, on a ajouté, et ceci est pé-
remptoire, quand on vous passerait ce j,re~
mier point, vous n'eu seriez pas plus avancé;
120 IDEOLOGIE.
car il est bien manifeste que le même corps
apparaît à notre œil de mille manières dif-
férentes , suivant qu'il est éclairé d'une ma-
nière ou d'une autre, vu de plus près ou de
plus loin, ou de plus haut ou de plus bas,
ou d'un côté ou d'un autre : or, laquelle de
toutes ces manières d'être vu est la vraie
manière d'être de ce corps? il est clair que
la sensation visuelle seule ne nous met pas
à même de la décider : elle ne nous ferait
donc jamais connaître l'existence réelle de
ce corps , quand même on vous accorderait
qu'elle nous apprend à elle seule d'où elle
nous vient.
Il y a quelque chose de plus singulier en-
core dans le sens de la vue, c'est que nous
avons l'expérience irrécusable que la sensa-
tion visuelle nous trompe quelquefois com-
plètement; elle nous fait voir des corps où
il n'y en a pas; les effets de la réfraction des
diffërens milieux et ceux de la réflexion des
miroirs nous font voir réellement les objets
où ils ne sont pas; ce bâton à demi plongé
dans l'eau n'est pas où je le vois; ce beau
paysage n'est pas dans ma glace. Dans les
cabinets de physique, par l'arrangement de
quelques miroirs concaves, on me fait voir
CHAPITRE VII. 121
un objet an milieu de la chambre; je passe
la main à l'endroit où cet objet paraît être
avec toutes ses formes et toutes ses cou-
leurs, et je m'assure qu'il n'y arien du tout
dans cet endroit. Ce n'est pas ici le moment
d'expliquer ces effets; mais ils suffisent
pour prouver qu'un sens qui sur le même
être nous fait continuellement des rapports
diffërens, et qui crée souvent pour nous
des êtres absolument imaginaires, n'estpas
propre à nous assurer de la réalité de ceux
qu'il nous montre.
Reste donc les sensations tactiles. Tout
le monde convient que ce sont celles-là qui
nous donnent des connaissances vraies de
l'existence réelle des corps, et que ce sont
elles qui nous apprennent ensuite à rap-
porter à ces mêmes corps les impressions
qu'ils font sur nos autres sens, et à nous
faire des idées justes de ces rapports : je ne
nie pas qu'il n'en soit ainsi; mais comment
cela se fait-il? c'est ce qui mérite expli-
cation.
En effet, il ne paraît pas que les sensations
tactiles aient par elles-mêmes aucune pré-
rogative essentielle à leur nature qui les dis-
tingue de toutes les outres. Qu'un corps
122 IDEOLOGIE.
affecte les nerfs cachés sous la peau de ma
main, ou qu'il produise certains ébranle-
mens sur ceux répandus dans les mem-
branes de mon palais, de mon nez, démon
œil, ou de mon oreille; dans les deux cas
c'est une pure impression que je reçois, c'est
une simple affection que j'éprouve ; et Ton
ne voit point de raison de croire que l'une
soit plus instructive que l'autre, que l'une
soit plus propre que l'autre à me faire porter
le jugement qu'elle me vient d'un être étran-
ger à moi. Pourquoi le simple sentiment
d'une piqûre, d'une brûlure, d'un chatouil-
lement, d'une pression quelconque me don-
nerait-il plus de connaissance de sa cause
que celui d'une couleur, ou d'un son , ou
d'une douleur interne? il n'y a nul motif de
le penser. Tant que nous sommes immo-
biles, que nous n'agissons pas nous-mêmes ,
que nous ne faisons que recevoir passive-
ment les impressions qui surviennent, celles
qui affectent notre tact ne nous éclairent
pas plus que les autres. Voilà donc encore
le toucher passif reconnu aussi incapable
que les autres sens de nous faire soupçon-
ner l'existence des corps.
Au premier aperçu, on sent confusément
CIIAP1TRH VII. 125
qu'il ne doit pas en être de même quand,
au contraire, c'est nous qui agissons, qui
nous mouvons, qui allons, pour ainsi dire ,
chercher les impressions; mais on ne dé-
mêle pas toujours bien les raisons de la dif-
férence. En effet, cette condition toute seule
ne suffit pas encore pour nous éclairer.
Car d'abord, supposons pour un moment
que nous aj^ons la faculté de nous mouvoir
comme nous l'avons, mais sans que les
mouvemens de nos membres produisent en
nous aucune sensation interne, sans que
nous les sentions, sans par conséquent que
nous en soyons avertis et que nous en ayons
aucune conscience. Dans cet état, je remue
mon bras, ou plutôt mon bras remue, mais
je l'ignore. Il va rencontrer un corps résis-
tant, doué d'inertie, mais je n'en sais rien.
J'éprouvebien, si l'on veut, de la part de ce
corps, i'eiïèt que nous nommons résistance;
mais cette résistance n'est point pour moi
une opposition à ce que nous appelons
mouvement, puisque je ne sais pas ce que
c'est que le mouvement, ni que j'en fais..
Bien loin de là : elle n'est pas même à mon
égard, dans cette supposition, la cessation
du sentiment intérieur que nous cause le
124 IDEOLOGIE.
déplacement des parties de notre corps ,
puisque, dans l'hypothèse , ce sentiment n'a
pas lieu, et que nous nous mouvons sans
rien éprouver, sans être avertis de rien, sans
avoir la conscience de rien. Etant ainsi or-
ganisé, l'impression que je recevrais d'un
corps résistant ne pourrait donc consister
que dans une sensation de chaud, ou de
froid, ou de mouillé, ou dans toute autre
sensation uniquement relative au tact pur
et passif. Elle serait une impression aussi
simple et aussi peu instructive que toutes
les autres. Je n'en pourrais encore rien
conclure.
A la vérité, si vous ajoutez à cette faculté
de nous mouvoir, la circonstance que chaque
mouvement de nos membres produise en
nous une sensation interne, vous verrez
naître un nouvel ordre de choses : car dès
que je sens quelque chose quand mes mem-
bres se meuvent, dès que j'éprouve une
certaine manière d'être pendant qu'ils se
meuvent , je suis nécessairement averti
quand cette manière d'être commence et
quand elle cesse. Rentrons donc dans l'hy-
pothèse réelle, et examinons soigneusement
les effets qui en résultent.
CHAPITRE VII. 125
Non-seulement nous nous mouvons, mais
nous sentons quelque chose quand cela ar-
rive. Quand un de nos membres s'agite, nos
nerfs sont ébranlés , nous recevons une sen-
sation que nous avons nommée sensation
de mouvement. Quand le mouvement cesse,
la sensation cesse. C'est déjà beaucoup,
mais ce n'est pas encore tout pour l'objet
qui nous occupe. En effet, mon bras se
meut, je ne sais pas «encore que c'est mon
bras, ni même que j'ai un bras; mais j'é-
prouve quelque chose qui est la sensation
de ce mouvement. Mon bras rencontre un
corps qui l'arrête , ma sensation de mouve-
ment cesse , je n'éprouve plus cette manière
d'être; j'ensuis averti, il est vrai; mais ne
sachant pas qu'il y a des corps, je ne sais
encore rien du tout de la cause de cet effet;
ainsi me voilà, avec la faculté de me mouvoir
et la sensation que me cause le mouvement,
tout aussi ignorant qu'avec les sensations
tactiles passives, et toutes les autres, que
nous avons déclarées insuffisantes pour nous
apprendre l'existence des corps. Du moins
il n'est pas prouvé que je sois nécessaire-
ment conduit, par ces changemens de ma-
nière d'être, à reconnaître que ce qui cause
126 IDÉOLOGIE.
la cessation de ma sensation de mouvement,
est un être étranger à mon moi. J'ai pensé
jadis que cela était ainsi, mais je crois que
je m'étais trop avancé.
Il faut donc , pour rendre cette découverte
inévitable, appeler encore à notre aide une
autre de nos facultés, et c'est la faculté de
vouloir. Avec celle-là, il ne nous manquera
plus rien. Car lorsque je me meus, que je
perçois une sensation en me mouvant, et
que j'éprouve en même temps le désir de
percevoir encore cette sensation ; si mon
mouvement s'arrête, si ma sensation cesse,
mon désir subsistant toujours, je ne puis
méconnaître que ce n'est pas là un effet de
ma seule vertu sentante; cela impliquerait
contradiction, puisque ma vertu sentante
veut de toute l'énergie de sa puissance la
prolongation de la sensation qui cesse.
A la vérité, si je m'aperçois tout de suite
que la cessation de cette sensation que je
désire continuer, n'est pas un effet de la puis-
sance de ma vertu sentante, de ma volonté,
de mon moi, je puis fort bien ne pas m'a-
percevoir si promptement qu'elle est l'effet
de la puissance d'un autre être, et ne pas
découvrir tout de suite l'existence de cet
CHAPITRE VIT. 127
autre être. Mais quand j'aurai fréquemment
éprouve que très-souvent cette sensation
se prolonge autant que je le veux, et que
dans d'autres cas elle cesse subitement en
tout ou en partie malgré moi, il est impos-
sible que plutôt ou plus tard je ne vienne
pas à soupçonner que ce dernier effet a une
cause, et à faire de cette cause un être qui
n'est pas moi. Je puis et je dois sans doute
me tromper fréquemment , d'abord sur
les circonstances adjacentes, et porter ce
jugement sans beaucoup de discernement.
Par exemple, ne connaissant ni mon corps
ni les corps étrangers, ni leur configuration,
n'ayant même aucune idée de forme ni
d'étendue, je ne dois pas distinguer quand
mon mouvement est arrêté uniquement par
la limite de l'extension possible à mes mus-
cles et par la disposition de mes articulations
qui s'y refusent, ou quand il l'est par l'oppo-
sition d'un corps tout-à-fait séparé du mien.
Mais dans les deux cas je porte un juge-
ment également juste, en pensant, en sen-
tant que la cessation de ma sensation de
mouvement est l'effet d'un être différent de
ma volonté.
Ensuite dans tous les cas où cet effet est
128 IDÉOLOGIE.
produit, soit par un corps absolument dis-
tinct du mien , soit par un de mes membres
qui s'oppose au mouvement d'un autre, je
ne puis manquer à la longue de remarquer
que le sentiment de cette cessation de mou-
vement est toujours accompagné de di-
verses sensations tactiles, ou visuelles, ou
auriculaires, et quelquefois olfactives, et
de faire de ces sensations les propriétés de
l'être qui cause, malgré ma volonté, la ces-
sation du sentiment de mouvement que je
voudrais continuer. Enfin, je ne puis man-
quer non plus de m'apercevoir que cette
cessation de mouvement n'est pas toujours
absolue, qu'elle n'éprouve souvent que cette
modification que plus instruit j'appellerai
changer de direction, qu'il y a des limites à
la puissance de cet être qui s'oppose à ma
sensation de mouvement, que les confins
de sa puissance sont ce que nous nommons
sa surface, que ce sont eux qui constituent
ce que nous appelons sa forme ; et que si je ne
puis pas franchir ces confins , et passer au
travers de ce corps, je puis tourner autour
et le circonscrire, et par conséquent déter-
miner le mode d'existence, ou ce que nous
appelons l'étendue de cet être, qui, ou est
tout-
CHAPITRE VIT. ] 29
tout-à-fait étranger à mon moi sentant et
voulant (ce sont les corps extérieurs), ou
quelquefois lui obéit (c'est notre propre
corps), mais toujours en est distinct et agit
sur lui de beaucoup de manières.
Nous verrons dans la suite par quelles
expériences successives nous distinguons
le corps par lequel nous sentons et qui
obéit à notre volonté, de tous ceux qui nous
sont entièrement étrangers; comment nous
démêlons les propriétés de celui-là et de
tous les autres; dans quel ordre nous dé-
couvrons ces propriétés . et quelles relations
elles ont entr'elles. Mais pour le moment il
nous suffit d'avoir bien reconnu que la prin-
cipale de ces propriétés , la première connue
et avérée , est celle de s'opposer à la conti-
nuation du sentiment que nous causent nos
mouvemens , malgré que nous voulions le
prolonger. Celle-là est vraiment fondamen-
tale ; car elle nous assure, d'une manière
certaine qu'il y a là un être qui n'est pas
nous : et elle constitue l'existence réelle de
cet être. Cette existence devient pour nous
une conséquence immédiate et nécessaire
de notre sentiment de vouloir, et de la con-
I
l5o IDEOLOGIE.
trariélé quïl éprouve, deux choses dont
nous sommes bien assurés.
Il n'est pas du tout nécessaire, pour la
vérité de cette conclusion , que nous puis-
sions expliquer d'une part ce que c'est que
ce sentiment de vouloir, et comment il se
fait que nous en soyons capables; et de
l'autre, pourquoi tous les êtres qui tombent
sous nos sens sont doués plus ou moins du
pouvoir de résister au mouvement, et en
quoi consiste cette puissance. Ce sont deux
faits incompréhensibles pour nous, et dont
les causes nous sont complètement incon-
nues, mais deux faits bien constans; et il
ne l'est pas moins qu'être voulant et être
résistant, c'est être réellement, c'est être;
et que l'être voulant, quoiqu'ignorant en-
core qu'il y a du mouvement et des êtres ,
quand il éprouve que souvent il peut à vo-
lonté se donner la sensation qui résulte du
mouvement de ses membres, et que sou-
vent il ne le peut pas quoiqu'il le veuille,
doit, dans ce dernier cas, conclure qu'il y
a des êtres résistàns ; que cette conclusion
doit le conduire à une connaissance plus
détaillée de ces êtres, et que tout lui prouve
r
CHAPITRE VII. l5l
postérieurement que cette première con-
clusion est légitime.
Cet effet de la réunion de notre faculté de
vouloir avec celle de nous mouvoir et de le
sentir, étant une fois reconnu et avoué, on
est tenté de croire d'abord que toutes les
autres sensations de l'être doué de volonté,
peuvent le conduire à la connaissance des
êtres qui causent ces sensations, tout comme
celle de mouvement dont nous venons de
parler. Cependant je ne le pense pas, parce
qu'il y a là une différence essentielle ; sans
doute je puis bien désirer de prolonger ou
de renouveler une sensation visuelle, ou
tactile, ou auriculaire, ou olfactive, tout
comme la sensation d'un mouvement; mais
si je suis supposé ignorer tout, et le mou-
vement, et les êtres, et moi-même, je ne
puis rien faire en conséquence de ce désir ;
car je ne puis pas le satisfaire immédiate-
ment. Je ne saurais me donner directement
la sensation de telle odeur, de telle couleur,
de tel son, ou telle autre impression. Tout
ce que je puis, est de faire un mouvement
de ma main, ou de mes yeux, ou de tout
autre organe, pour me la procurer. Mais
pour cela il faut que je sache que ces mou-
I 2
l52 IDÉOLOGIE.
vemens sont propres à produire cet effet.
Or, qui me l'apprendra d'abord?
Au contraire, pour la sensation directe
qui résulte en nous des mouvemens de nos
membres, il n'y a pas lieu à ce ricochet.
Toute douleur, toute souffrance , tout mal-
aise seulement, fait naître en nous le désir,
le besoin même de nous remuer, de nous
agiter. Ce sentiment de mouvement est un
soulagement, un vrai bien-être. Nous jouis-
sons tant qu'il dure; nous pouvons ordinai-
rement le prolonger à volonté. Quand il est
suspendu malgré nous, ce n'est pas par
nous. C'est donc par quelque chose qui n'est
pas nous, et qui tantôt agit sur nous, tan-
tôt n'y agit pas; et bientôt le mouvement
lui-même nous fait connaître ce quelque
chose par une multitude d'expériences dont
celle-ci est la base. Il n'y a là ni cascade ni
embarras.
Les mouvemens vagues des en fans nou-
veau-nés, bien observés, me paraissent
une preuve que les choses se passent ainsi
dans leurs têtes. On les voit souvent s'agi-
ter uniquement pour le plaisir de remuer.
C'est une satisfaction pour eux, et ils sont
très-fàchés quand on les en prive. On les
CHAPITRE VII. l55
voit aussi s'agiter quand ils éprouvent de
la douleur; et ils se dépitent violemment si
quelque chose les en empêche. Enfin, on les
voit s'agiter encore lorsqu'ils désirent quel-
que chose, parce que tout désir non satis-
fait est aussi une souffrance. Mais leurs
mouvemens n'ont pas d'abord une direction
plus déterminée dans ce dernier cas que
dans les deux autres. Ils ne commencent à
prendre une tendance marquée vers l'objet
de leur désir, que quand ils ont appris à
démêler et à distinguer les différens corps,
à les reconnaître pour les causes des im-
pressions qu'ils reçoivent, et à sentir que
ce n'est pas vaguement telle impression
qu'ils désirent éprouver, mais tel objet,
cause de cette impression, qu'ils veulent
posséder et dont ils veulent jouir.Or, je crois
qu'ils n'arrivent à ce degré de connaissance
que par la route que nous avons indiquée.
On pourrait dire, il est vrai, qu'indépen-
damment de la sensation interne que cause
tout mouvement, ces mouvemens fortuits
peuvent leur faire rencontrer par hasard
une sensation externe qui leur plaise, une
sensation visuelle par exemple ; que ces
mouvemens peuvent même se trouver di-
2 34 IDEOLOGIE.
rigés de manière à prolonger cette sensation
prête à échapper; à suivre, par exemple,
une lumière qui passe devant leurs yeux ;
et que cette expérience répétée peut les
conduire à faire avec intention ces mêmes
mouvemens exécutés d'abord au hasard.
On pourrait même le soutenir avec plus
d'avantage des sensations tactiles. Un enfant
étend son bras uniquement pour l'étendre.
Il rencontre une chaleur douce qui lui fait
plaisir; il retire ce bras et l'étend de nou-
veau, il retrouve cette même chaleur; ou
bien il le laisse étendu et il ressent cons-
tamment cette sensation agréable.
De cet effet, répété plusieurs fois, il peut
résulter, dira-t-on, qu'il apprenne à étendre
son bras dans l'intention d'éprouver cette
sensation, ou à le laisser dans la position
où il l'éprouve afin qu'elle continue. Je
n'oserais pas affirmer qu'il soit absolument
impossible que cela arrive; mais je crois
que c'est extrêmement difficile, parce que
je ne vois pas quelle liaison cet enfant,
ignorant tout, peut établir entre cette sen-
sation qu'il éprouve et le mouvement de
ses organes nécessaire pour se la procurer,
à moins qu'il ne s'aperçoive du mouvement
CHAPITRE TH. l55
de ces mêmes organes ; et alors nous voilà
revenus à la nécessité du mouvement senti.
La sensation externe n'est plus que la cause
occasionnelle de l'action de sa volonté j la
sensation interne du mouvement est seule
cause de la connaissance du moyen de se
procurer cette autre sensation désirée.
D'ailleurs, je vois bien notre nouveau-né
arrivé à désirer une sensation et à savoir,
dans quelques cas, se la procurer en com-
mençant par s'en donner une autre qu'il à
reconnu conduire à celle-là. Mais je ne vois
pas du tout comment il parviendrait à ap-
prendre que la sensation qui est son but, et
que celle qui est son moyen, sont causées
par des êtres distincts de son moi, et à dé-
couvrir qu'il y a des corps et qu'il en a un.
Il me semble qu'il ne peut y réussir pour
son propre corps que par l'observation de
la souplesse ou de la rigidité de ses organes;
et, pour les corps étrangers à lui, que par
l'application immédiate de ces mêmes or-
ganes sur eux ; et alors nous voilà encore
revenus, non-seulement à la nécessité d'un
mouvement senti et voulu, mais encore à
celle d'un sentiment de résistance éprouvé;
à quoi il faut ajouter qu'on ne saurait com-
1$6 IDÉOLOGIE.
prendre comment le mouvement d'un or-
gane pourrait être senti si ses parties n'é-
taient pas douées d'une certaine force de
résistance au mouvement.
Il me paraît donc prouvé, i° que nous
sommes très -assurés de l'existence des
corps, c'est-à-dire d'êtres qui ne sont pas
notre moi sentant et voulant, et qui lui
obéissent ou lui résistent plus ou moins;
2° que c'est à la faculté de vouloir, jointe à
celle de nous mouvoir et de le sentir, que
;nous devons la connaissance de ces corps
et la certitude de la réalité de leur existence 5
5° que, pour que ces facultés produisent cet
effet, il faut que ces corps soient doués
d'une certaine force de résistance au mou-
vement. Action voulue et sentie d'une part,
et résistance de l'autre ; voilà, j'ose n'en pas
douter, le lien entre les êtres sentans et les
êtres sentis ; c'est-là le point de contact qui
assure très-certainement ceux-là de l'exis-
tence de ceux-ci, et je ne leur en vois pas
d'autre qui soit possible.
De cette vérité, si c'en est une, comme
je le crois très-fermement, il résulte deux
conséquences singulières; l'une, qu'un être
complètement immatériel et sans organes,
CHAPITRE VI r. 107
s'il en existe, ce que nous ne pouvons savoir,
ne peut absolument rien connaître que lui-
même et ses affections, et ne saurait en au-
cune manière se douter de l'existence de la
matière et des corps ; l'autre , que pour nous
à qui on a tant dit sans preuves que si nous
étions tout matière nous ne pourrions pen-
serai est démontré au contraire que, si nous
étions totalement immatériels et sans corps,
nous ne pourrions pas penser comme nous
faisons, et nous ne saurions rien de tout.ee
que nous savons. Peut-être saurions-nous
des choses toutes différentes. Mais qui nous
le dira? et qui osera nous apprendre com-
ment nous serions si nous étions d'une ma-
nière que nul de nous n'a pu ni éprouver ni
observer, et dont nul de nous ne peut même
concevoir la possibilité 5 et d'ailleurs de quoi
cela nous servirait-il?
Tels sont, suivant moi, les résultats in-
contestables de l'examen auquel nous venons
de nous livrer. Maintenant il reste à voir s'il
ne nous laisse pas encore quelque chose à
désirer.
J'avais un double but à atteindre. Je devais
faire voir, d'une part, que c'est à tort que
l'on attribue à toutes nos sensations propre-
l38 IDÉOLOGIE.
ment dites, ou à certaines d'entr'elles, la
propriété de nous faire connaître les êtres
qui les causent; et de l'autre, que cependant
nous avons un moyen certain de connaître
ces êtres, et que leur existence n'est point
une illusion. Il s'agissait de prouver aux
hommes trop confians, que tant qu'on ne
fait que sentir des sensations on n'est as-
suré que de sa propre existence; et aux
hommes trop sceptiques, que quand on sent
que Ton veut, que l'on agit en conséquence,
et que l'on éprouve une résistance à cette
action sentie et voulue, on est certain non-
seulement de son existence, mais encore
de l'existence de quelque chose qui n'est
pas soi.
Le premier point sans doute n^est pas
sans intérêt ; car de nous former une idée
fausse de la nature de nos sensations, nous
ferait rencontrer beaucoup d'obstacles à
bien connaître les propriétés des corps et
la génération de cette connaissance. Cepen-
dant, quand je serais dans l'erreur à cet
égard, et quand nous aurions bien plus de
moyens que je ne crois d'être assurés de
l'existence des êtres qui ne sont pas nous,
l'existence de ces êtres n'en serait que plus
CHAPITRE VII. l3g
certaine, et le fondement de nos connais-
sances ne serait pas ébranlé.
Le second point, au contraire, est d'une
toute autre importance; car s'il n'était pas
vrai que quand je sens un désir, quand je
fais en conséquence de ce désir une action
que je sens aussi, et quand j'éprouve une
résistance à cette action, je suis certain
d'une existence autre que celle de ma facul-
té de sentir, j'aurais, contre mon intention,
prouvé que nous ne sommes jamais sûrs
de cette seconde existence, en prouvant
que tous autres moyens de la connaître sont
insuffisans; mais j'avoue que je n'ai pas cette
inquiétude, et que je crois avoir établi ce
second point d'une manière incontestable;
car il est bien constant que ma volonté c'est
moi, et que ce qui résiste à ma volonté est
autre chose que moi.
Toutefois l'on voit que pour que cette
résistance me soit connue pour être une
véritable résistance, il ne suffit pas que
je sente un désir; il faut que ce désir soit
suivi d'une action, que je sente cette action
aussi quand elle a lieu, et que tantôt elle ait
lieu librement, tantôt elle éprouve une. op-
position. Voilà pourquoi, pour avoir con-
l4o IDÉOLOGIE.
naissance d'autre chose que de ma vertu
sentante, il fallait que j'eusse la faculté de
faire des mouvemens , et pourquoi la pre-
mière manière dont les êtres autres que
moi m'apparaissent, c'est par la propriété
qu'ils ont de résister aux mouvemens que
je fais faire à la portion de matière qui obéit
à ma volonté et par laquelle je sens.
Cette propriété fondamentale des corps
que nous nommons force ^inertie est donc
nécessairement la première par laquelle
nous les apercevons. Elle est la¥ base de
toutes celles que nous leur connaissons et
que nous joignons ensuite à celle-là pour
former l'idée complète de chacun de ces
êtres. Sans elle nous n'aurions pas connu
les corps étrangers à nous, ni même le nôtre.
Nous ne nous serions pas seulement aperçus
de nos mouvemens; car c'est la résistance
de la matière de nos membres au mouve-
ment, qui nous occasionne cette sensation
de mouvement. Ainsi , si la matière avait
pu être non résistante, nous n'aurions cer-
tainement jamais rien connu que nous, et
nous n'aurions connu de nous que notre
vertu sentante. Il n'est même pas aisé de
CHAPITRE VIT. l4l
concevoir comment nous aurions pu sentir
quelque chose, quoi que ce soit. .
Autrefois j'ai été plus loin; j'ai soutenu
que si nous ne connaissions d'existence que
celle de notre vertu sentante, si nous ne
connaissions pas les autres êtres, nous ne
ferions éternellement que sentir des impres-
sions, et que nous ne parviendrions jamais
à sentir des rapports et des désirs; qu'ainsi,
dans cette supposition, nous n'aurions ni
jugement ni volonté. Je suis très-convaincu
que j'avais tort. Cependant cela mérite exa-
men ; non pas assurément que je pense que
mes opinions aient assez d'autorité pour
qu'une erreur de ma part vaille la peine
d'une discussion solennelle, mais parce que
ceux qui auraient adopté mon ancienne
opinion me diraient : Vous avez prouvé
autrefois qu'on ne peut vouloir que quand
on connaît les corps; vous montrez au-:
jourd'hui qu'on ne peut connaître ces corps
qu'en vertu de mouvemens sentis et voulus.
Il s'ensuit que nous ne pouvons jamais les
connaître, et que tout ce que vous aVez dit
là-dessus porte à faux. Ce raisonnement
serait irréplicable. Aussi , quand j'ai dit que
notre volonté ne peut naître tant que nous
#
l42 IDÉOLOGIE.
ne connaissons pas l'existence des corps,
j'ai soutenu en même temps que des mou-
vemens involontaires suffisent pour nous
apprendre cette existence. Aujourd'hui que
je conviens que ce dernier point n'est pas
prouvé, et que je pense que des mou-
vemens voulus sont nécessaires pour con-
naître l'existence des êtres autres que nous ,
je dois faire voir que nous pouvons vouloir
avant d'avoir cette connaissance. Ce sera
l'objet du chapitre suivant; ensuite nous
reviendrons à l'examen des diverses pro-
priétés des corps.
CHAPITRE VIII.
Comment nos Facultés intellectuelles
commencent-elles à agir ?
Après nous être fait une idée générale de
la faculté de penser ou de sentir, et des fa-
cultés qui la composent; après avoir reconnu
par quel emploi de ces facultés nous for-
mons nos idées composées, et comment
nous apprenons avec certitude qu'il existe
autre chose que notre moi, il est temps
d'examiner comment ces facultés commen-
CHAPITRE VIII. l43
cent à agir. Je vais d'abord exposer com-
ment je raisonnais quand je pensais que nous
ne pouvions commencer à sentir des désirs
qu'après avoir porté le jugement que nos
sensations nous viennent des corps.
Je disais : il n'est pas douteux qu'on ne
peut avoir des souvenirs et porter des ju-
gemens avant d'avoir reçu des impressions:
ainsi la sensibilité proprement dite est né-
cessairement la première de nos facultés
intellectuelles qui commence à agir.
D'un autre côté , il n'est pas moins vrai
qu'une sensation pure et simple ne nous
apprend rien que notre propre existence.
Quand on ne fait uniquement que sentir,
sans mélange d'aucune connaissance, on re-
çoit une impression quelconque , on éprouve
une certaine manière d'être : la vertu sen-
tante, l'existence personnelle est modifiée
d'une telle façon, et voilà tout. Enfin, il est
encore vrai que pour porter un jugement il
faut avoir à la fois à comparer deux idées ,
et deux idées différentes l'une de l'autre :
ainsi une première sensation ne peut donner
lieu à aucun jugement.
Maintenant, qu'à cette première sensation
il vienne s'en joindre une autre, quelque
l44 IDÉOLOGIE.
différente de la première qu'on la suppose
pour nous, qui connaissons leurs circons-
tances, leurs propriétés, les corps qui les
occasionnent, les organes qui les trans-
mettent; quand on ignore tout cela, il est
bien vraisemblable qu'on n'est pas en état
de séparer Tune de l'autre ces deux sensa-
tions qu'on éprouve en même temps : faute
de moyens de les distinguer, elles doivent
paraître à elles deux ne faire encore qu'une
sensation. Malgré tout ce que nous savons
d'avance, quelque chose d'analogue à cela
nous arrive tous les jours, lorsque les don-
nées nous manquent pour juger : ainsi, par
exemple, quand j'éprouve le goût d'un sel,
je ne distingue pas ceux de l'acide et de l'ai-
kali qui le composent; quand le noir et le
blanc se mêlent, j'ai la sensation de gris, et
je ne distingue pas les couleurs compo-
santes; quand je sens un pot-pourri bien
fait, je sens l'odeur du pot-pourri, et ne
discerne pas celle de chaque fleur; quand
j'entends un son, souvent je ne discerne pas
chacun des sons harmoniques qui le com-
posent; quand je suis poussé par une force ,
j'ignore si c'est une force unique ou la ré-
sultante de plusieurs autres; quand enfin
CHAPITRE VIII. l45
je sens une douleur interne, il m'est impos-
sible de dire si elle est seule ou formée de
plusieurs, c'est-à-dire de la lésion de plu-
sieurs points sentans; et si elle change de
nature, je ne saurais affirmer si ce n'est
pas plusieurs de ces douleurs compo-
santes qui disparaissent, ou d'autres qui
s'y joignent.
Fondé sur ces motifs, on peut et on doit
donc croire qu'une seconde sensation ve-
nant se joindre à la première, ne donnera
pas plus de prise qu'elle à l'action du juge-
ment, et que toutes celles qui surviendront
se confondant de même ensemble, jamais,
par l'effet de sensations simultanées, le ju-
gement ne peut commencer à agir tant que
ces sensations sont de simples impressions
dénuées de toute connaissance de leurs
causes.
A la vérité ces sensations peuvent bien
nous donner des souvenirs; mais il est ma-
nifeste que ces souvenirs sont aussi de
^simples impressions, et que s'ils viennent
plusieurs ensemble , ils feront le même effet
que les sensations dont ils sont les images,
ils se confondront de même : ainsi point d'ac-
tion encore de la part du jugement.
K
ï46 IDÉOLOGIE.
A cette heure, supposons qu'à une sensa-
tion simple actuellement présente, vienne
se joindre un souvenir d'une sensation pas-
sée, se confbndra-t-il avec elle ou non? Si
l'on songe qu'il n'y a rien dans la nature de
la mémoire qui nous avertisse qu'un souve-
nir est un souvenir, que nous-mêmes qui le
savons bien, il nous arrive pourtant d'avoir
des souvenirs sans savoir que ce sont des
souvenirs , 'on n'hésitera pas à prononcer
qu'un souvenir fera le même effet qu'une
sensation actuelle, qu'il se confondra de
même avec la première sensation, et qu'il
n'y a encore rien à attendre de cette com-
binaison pour la naissance de l'action du ju-
gement.
On doit donc conclure que tant qu'on ne
connaît pas les circonstances , les causes , les
moyens de ses sensations; tant qu'on ignore
i'existence des corps et celle de ses propres
organes, l'action du jugement ne saurait
commencer.
Or, on ne peut désirer qu'en conséquence*
d'un jugement; on ne peut donc former un
désir que quand on à porté au moins un ju-
gement : ainsi tant qu'on n'a pas eu la sen-
sation de mouvement, on ne juge ni ne
CHAPITRE VIII. l47
■désire , on sent son existence , et voilà
tout.
Mais qu'un hasard, quel qu'il soit, me
fasse faire un mouvement, je le sens; qu'une
douleur quelconque me fasse remuer le
bras, j'ai le sentiment que je me meus, j'é-
prouve la sensation de mouvement; mon
bras rencontre un corps, il est arrêté : je ne
sais encore ni ce que c'est que ce corps,
ni ce que c'est que mon bras; mais ma ma-
nière d'être change : au lieu de la sensation
de mouvement, j'éprouve celle de résis-
tance : je ne puis les éprouver ensemble ;
et elles sont trop opposées pour que, quand
j'éprouve l'une et que je me rappelle l'autre,
je puisse confondre cette sensation et ce
souvenir. Je les distingue donc ; je sens
entr'euxun rapport de différence, je porte
un jugement; en conséquence de ce juge-
ment, j'en porte d'autres, je forme des de-
sirs, etc. Ainsi c'est à cette époque que
commence le développement de toutes nos
facultés, et c'est à la seule sensation de mou-
vement que je le dois.
On ne saurait nier que ce raisonnement
ne soit très-conséquent ; mais il part d'un
principe qu'on ne peut établir par aucunes
K a
l48 IDÉOLOGIE.
preuves directes , et qui n'est qu'an emploi
abusif de deux idées généralisées. On dit :
Une sensation pure et simple ne nous ap-
prend rien que notre propre existence (1).
Sans doute cela est vrai de l'action de sentir
en général, et de l'existence en général;
c'est-à-dire que quand on ne fait rien que
sentir, on ne sent que sa propre existence :
c'est certain. Mais une sensation réelle n'est
pas l'action de sentir en générai; elle est un
fait particulier; elle ne nous fait pas sentir
notre existence en général, mais une ma-
nière d'être déterminée; elle est opérée par
un certain mouvement de nos organes sen-
tans, de nos nerfs. Or, qui est-ce qui pour-
(0 Si je voulais stipuler les intérêts de mon amour-
propre , je pourrais dire que ce principe hasardé n'est
pas de moi; qu'il se trouve dans le Traité des Sensa-
tions, de Condillac, et que je n'ai fait que le pousser
à l'extrême. Mais qu'importe à la science que le germe
d'une erreur soit de moi ou d'un homme plus habile
que moi? Ce qui est utile, c'est de voir ce qui a pu
égarer cet homme habile. D'ailleurs , si je voulais re-
jeter sur lui une faute dans laquelle son autorité a pu
m'entraîner, je devrais commencer par lui restituer
tout ce que je lui dois, c'est-à-dire presque tout ce
que je sais , et même ce qu'il ne m'a pas appris direc-
tement , puisqu'il m'a mis sur le chemin de le trouver.
CHAPITRE Vllf. l49
rait assurer que dans le mouvement de nos
nerfs qui produit en nous l'effet appelé une
telle sensation , il n'y a pas des circonstances
qui font que nous ne pouvons conlbndre ce
mouvement avec un autre mouvement ana-
logue, et qui produisent en nous la sensation
d'un rapport de différence entr'eux, c'est-
à-dire ce que nous appelons un jugement?
Assurément personne n'oserait prononcer
que cela n'est pas.
Au contraire, chacun sait que beaucoup
de sensations ont par elles-mêmes la pro-
priété de nous être agréables ou désagréa-
bles. Or, qu'est-ce que trouver une sensation
agréable ou désagréable , si ce n'est pas en
porter un jugement, sentir un rapport entre
elle et notre faculté sentante? et sentir ce
rapport entre une sensation et nous , n'est-ce
pas sentir en même temps le désir d'éprou-
ver cette sensation ou celui de l'éviter ?
Toutes ces opérations peuvent donc se trou-
ver et se trouvent réellement réunies dans
un seul fait, dans la perception d'une seule
sensation quelconque : j'ai donc eu tort de
le nier, et d'avancer que nos facultés de
juger et de vouloir ne peuvent commencer
à agir que quand nous ayons éprouvé la
l5o IDÉOLOGIE.
sensation de mouvement et celle de résis-
tance.
D'ailleurs, si on me l'accordait, je me
trouverais avoir prouvé une chose absurde,
c'est que jamais nous ne pouvons commen-
cer à juger ni à vouloir. Car aucun fait di-
rect ne prouve que les deux sensations de
mouvement et de résistance doivent faire
mieexceptionàlaloi générale. Il n'y a même
pas sentiment de résistance proprement dit,
quand il n'y a pas auparavant sentiment de
volonté. Dans cet état, Une peut exister que
la sensation du mouvement et celle de sa
cessation ; or, ces deux sensations, bien que
très-opposées, ne le sont guère plus que
celles de blane et de noir, de chaud et de
froid; et on ne paraît pas suffisamment fon-
dé à affirmer des unes ce que l'on nie des
autres.
Au contraire, un fait constant démontre
que le sentiment de vouloir, que la sensa-
tion d'un désir, peut précéder en nous la
sensation de mouvement; car chacun de
nous sait qu'un résultat constant de notre
organisation, et probablement de celle de
tous les êtres sentans, c'est qu'une douleur
quelconque, sur- tout si elle est vive, nous
CHAPITRE VI IL l5î
fait éprouver le besoin de nous remuer, de
nous agiter, très-indépendamment de toute
connaissance de l'effet qui en arrivera, et
même malgré la certitude que l'effet sera
nuisible. Or, qu'est-ce que ce besoin , si ce
n'est un désir? il est irréfléchi sans doute,
mais il n'en est pas moins un désir, et un
désir très-vif. Il n'y a donc pas à craindre
que nous ne puissions pas désirer de nous
mouvoir avant de savoir ce que c'est que
le mouvement; et il est très-possible que le
premier de tous les mouvemens faits par
chacun de nous ait été accompagné de vo-
lonté.
Mille faits viennent à l'appui de ceux-là.
Cette manière d'envisager les objets nous
met sur la voie de comprendre comment
certaines circonstances de notre organisa-
tion, provenant de la différence destempé-
ramens, des âges, des maladies, ont tant
d'influence sur nos jugemens et nos pen-
chans, et de concevoir ce que c'est que les
déterminations instinctives (1), qui autre-
ment sembleraient renverser toutes les
(i) Ce sont des sensations qui renferment jugement
et désir.
l52 IDEOLOGIE.
idées que nous nous faisons de la manière
d'agir de notre faculté de penser. Mais nous
en parlerons ailleurs.
A cette heure concluons que ma nouvelle
théorie est fondée sur des faits positifs , et
que la première ne portait que sur un rap-
port aperçu entre deux idées généralisées,
dont je m'étais servi sans m'en douter,
comme si elles étaient deux êtres réels. Cela
doit vous montrer, jeunes gens, combien il
est aisé et dangereux d'abuser de pareilles
idées, quoiqu'il soit utile et nécessaire de
s'en servir.Nous avons bienfait, sansdoute,
pour étudier notre faculté de sentir, de dis-
tinguer les différentes fonctions que nous
avons pu reconnaître en elle , de considérer
séparément la sensation, le souvenir, le ju-
gement, le désir, en général; mais il ne faut
jamais oublier que ce que nous avons ainsi
séparé par la pensée se trouve souvent con-
fondu et réuni par le même fait, et que c'est
toujours des faits réels dont il faut partir.
Au reste tout ce que nous venons de dire ne
détruit rien de ce que nous avions établi pré-
cédemment au sujet de la sensibilité, de la
mémoire, du jugement, et de la volonté:
CHAPITRE VIII. l55
cela nous montre seulement leurs effets sous
leur vrai jour.
Il reste donc constant que nous ne voyons
pas que les sensations sans action nous
prouvent certainement une autre existence
que la nôtre ;
Que le mouvement sans volonté ne paraît
pas suffisant non plus pour nous donner
cette certitude j
Que la volonté peut précéder le mou-
vement ;
Que le mouvement volontaire nous donne
seul un vrai sentiment de résistance ;
Que le sentiment de quelque chose qui
résiste à une action que nous voulons,
nous prouve invinciblement la réalité d'une
autre existence que celle de notre vertu
sentante ;
Que nous savons donc avec certitude
qu'il y a des corps, et que la première
propriété que nous leur connaissons est la
force d'inertie.
Voyons actuellement comment celle-là
nous fait découvrir toutes les autres, et
nous fait composer certaines idées dont on
ne s'est jamais bien rendu compte, faute de
connaître la manière dont nous les formons:
l54 IDEOLOGIE.
ce sera la meilleure preuve que nous avons
réellement trouvé la base de toute exis-
tence réelle, et l'origine de toute connais-
sance certaine.
Je dois convenir auparavant que j'aurais
pu arriver plus promptement aux résultats
que nous venons de trouver. Mais il s'agis-
sait d'opinions fort contestées; }'avais à me
réfuter moi-même sur deux points ; j'ai cru
devoir donner un peu d'étendue à leur
examen, et je suis persuadé d'ailleurs que
cette discussion n'est pas sans utilité à d'au-
tres égards : au reste on peut la passer si
l'on veut- mais alors il ne faut pas lire l'un
sans l'autre les chapitres VII et VIII. II
faut s'en tenir à ce résultat , que quand un
être organisé de manière à vouloir et à
agir sent en lui une volonté et une action,
et en même temps une résistance à cette
action voulue et sentie, il est assuré de son
existence et de l'existence de quelque chose
qui n'est pas lui.
Voilà le lien entre notre ?noi et les autres
êtres; c'est la volonté et l'action sentie
réunies. L'une sans l'autre ne suffirait pas.
Un être sentant et même voulant qui n'agi-
rait pas, ne pourrait connaître que lui-
CHAPITRE IX. l55
même, que sa vertu sentante et voulante;
et un être qui agirait, mais sans le vouloir
ou sans le sentir, ne s'apercevrait pas en-
core que quelque chose lui résiste, et par
conséquent existe.
CHAPITRE IX.
Des Propriétés des Corps et de leur
Relation.
XL demeure donc convenu que tant que
nous ne faisons que sentir, nous ressou-
venir, juger, et vouloir, sans qu'aucune ac-
tion s'ensuive , nous n'avons connaissance
que de notre existence, et nous ne nous con-
naissons nous-mêmes que comme un être
sentant, comme une simple vertu sentante,
sans étendue, sans forme, sans parties,
sans aucune des qualités qui constituent les
corps.
Il demeure encore constant que dès que
notre volonté est réduite en acte, dès qu'elle
nous fait mouvoir, la force d'inertie de la
matière de nos membres nous en avertit,
nous donne la sensation de mouvement, ce
qui peut-être ne nous apprend encore rien
l56 IDÉOLOGIE.
de nouveau; mais lorsque ce mouvement,
que nous sentons, que nous voudrions con-
tinuer, est arrêté, nous découvrons certai-
nement qu'il existe autre chose que notre
vertu sentante. Ce quelque chose c'est notre
corps, ce sont les corps environnans, c'est
l'univers et tout ce qui le compose.
Sans doute nous ne savons pas d'abord
ce que c'est; nous ne distinguons dans le
principe, ni les corps étrangers à nous,
ni notre propre corps; mais enfin nous
sommes assurés que nous existons, et que
quelque chose existe qui n'est pas nous.
Cette certitude est comprise dans le senti-
ment même de résistance.
La propriété de résister à notre volonté
est donc la base de tout ce que nous ap-
prenons à connaître; et nous ne la décou-
vrons que par les effets qui suivent notre
volonté, par nos mouvemens. Cette pro-
priété est la force d'inertie des corps, qui n'a
lieu et ne se découvre que par leur mobilité.
Si la matière avait pu exister parfaite-
ment immobile , nous n'aurions rien senti ;
et quand nous aurions senti, nous n'aurions
pas agi, nous n'aurions connu que notre
sentiment. Si la matière avait pu être par-
CHAPITRE IX. l57
faitement mobile, absolument non résis-
tante (1), nous n'aurions rien senti encore,
puisque toutes nos sensations sont le produit
de la résistance de nos organes à l'action
des corps, et de la résistance de ces corps
à leur action les uns sur les autres; et quand
nous aurions pu sentir et agir, nous aurions
agi sans en être avertis; nous n'aurions ja-
mais découvert l'existences des corps ni
celle de nos organes.
Mais dès que nous pouvons agir et nous
en apercevoir, le vouloir et éprouver résis-
tance, l'univers va naître pour nous. Sem-
blable à ce point animé qu'on observe dans
l'œuf les premiers jours de l'incubation, et
qui, imperceptible d'abord, se développe,
s'accroît, et devient un animal parfait, nous
(i) On peut regarder comme presqu'absolument
non résistante la matière de la lumière , celle des
queues des comètes et celle de la lumière zodiacale,
puisqu'elles ne font aucun obstacle sensible au mou-
vement des corps célestes qui les traversent. Voyez
Y Exposition du Système du Monde, de M. Laplace,
page 286 de l'édition in-4°. Cependant il faut bien
que ces matières soient capables d'une résistance
quelconque , puisqu'elles produisent des sensation»
visuelles.
ï58 IDÉOLOGIE.
allons voir notre sentiment s'étendre, se
répandre dans tous nos membres, s'aper-
cevoir de leurs formes , de leurs limites ,
de leurs fonctions, découvrir tout ce qui
l'entoure, le juger, le connaître, le conver-
tir à son usage, et le soumettre à sa volonté.
La mobilité et Y inertie sont donc à notre
égard les deux premières qualités des corps,
celles sans lesquelles notre organisation ne
saurait subsister, sans lesquelles nous ne
pouvons rien sentir, nous ne pouvons rien
connaître, sans lesquelles nous ne pouvons
pas même concevoir ce que serait l'exis-
tence de l'univers.
Observez cependant que ces deux pro-
priétés des corps en nécessitent une troi-
sième , c'est celle en vertu de laquelle ces
corps en mouvement ont la puissance d'a-
gir sur les autres corps , de les déplacer ;
c'est, pour me servir des expressions de
d'Alembert (1), Cette force qu'ont tous les
corps en mouvement de mettre aussi en
mouvement les autres corps qu'ils rencon-
trent. D'Alembert reconnaît bien cette force
pour être une propriété des corps j mais il
(i) Art. Corps, ancienne Encyclopédie.
CHAPITRE IX. l5(J
ne lui donne point de nom : je l'appellerai la
force d'impulsion; et, contre l'avis de
d'Alembert, je la reconnaîtrai pour une
propriété du premier ordre, c'est-à-dire gé-
nérale et invariable, et toujours existante,
quoiqu'elle ne s'exerce pas toujours, parce
que, comme l'inertie, elle se retrouve tou-
jours la même dans tous les corps dans les
mêmes circonstances. Je dirai donc que
V impulsion (prise ainsi comme puissance
et non pas comme effet) est dans les corps
cette propriété par laquelle, lorsqu'ils sont
en mouvement, ils communiquent de leur
mouvement aux autres corps qu'ils rencon-
trent; de même que V inertie est cette pro-
priété qui fait qu'un corps ne reçoit jamais
de mouvement d'un autre corps qu'en le
dépouillant d'une quantité de mouvement
égale à celle qu'il en reçoit. Ce sont deux qua-
lités correspondantes, dont Tune ne peut
exister sans l'autre , et ni l'une ni l'autre n'au-
rait lieu sans le mouvement.
La mobilité, l'inertie et l'impulsion sont
donc trois propriétés inséparables. Nous
verrons bientôt comment nous apprenons
à calculer leurs effets : nous ne faisons d'a-
bord que les sentir.
i6o IDÉOLOGIE.
L'idée de mouvement n'est pas d'abord
pour nous cette idée composée dont nous
nous rendons compte , en disant que le mou-
vement est l'état d'un corps qui passe d'un
lieu dans un autre. Un lieu est une portion
de l'espace; l'idée de lieu dérive de celle d'é-
tendue, que nous n'avons pas encore. Le
mouvement n'est donc d'abord pour nous
qu'une sensation simple , une manière d'être.
Je me meus, je le sens, et voilà tout. Voyons
ce qui en arrive.
Je m'agite en divers sens, je n'éprouve
aucune opposition; tout ce que je rencon-
tre, fût-ce un fluide éthéré, delà lumière,
de l'air même, n'est rien pour moi, puis-
qu'il ne me donne pas le sentiment de résis-
tance à ma volonté : c'est le néant absolu ;
je ne sais pas même que c'est-là ce qu'à tort
ou à raison j'appellerai le vide quand je con-
naîtrai le plein; je ne sais pas que je traverse
ce vide, puisque j'ignore qu'il est étendu et
qu'il y a au monde quelque chose qui soit
étendu.
Bientôt le mouvement que je voudrais
continuer, qui n'est qu'une manière d'être
que je voudrais prolonger, cesse malgré
moi ; ce qui l'arrête n'est pas moi , mais c'est
quelque
CHAPITRE IX. l6l
quelque chose, c'est un être, et cet être est
un corps. J'ignore sans doute que ce corps
est étendu, qu'il a des parties, une forme,
une figure; il ne me semble qu'un point,
qu'une vertu résistante, comme je ne me
parais à moi-même qu'une vertu sentante :
je sais seulement de lui qu'il existe.
Je ne prétends pas même que ce soit dès
la première expérience que je parvienne à
ce faible résultat ; mais que ce soit après une
ou après mille, peu importe, il suffit que
j'aie trouvé la route.
Parmi ces nombreuses expériences, il y
en aura sûrement une où, pressant cet être
et glissant sur sa surface, je sentirai que je
me meus sans cesser de sentir cet être. Dès-
lors cet être cesse de n'être qu'un point; je
lui reconnais des parties les unes à côté des
autres, je juge qu'il est étendu; car la pro-
priété d'être étendu est bien en elle-même
la propriété d'avoir des parties distinctes,
des parties situées les unes hors des autres;
mais c'est par notre mouvement que nous
la connaissons ; elle est, par rapport à nous,
la propriété d'être touchée continuement
pendant que nous faisons une certaine quan-
tité de mouvement. Voilà donc Yétendue
L
î6* IDEOLOGIE.
connue; c'est une nouvelle propriété des
corps dépendante de leur résistance au mou-
vement, de leur existence par rapport à
nous. Elle en est une conséquence si immé-
diate, que, quand une fois nous la connais-
sons, nous ne pouvons plus concevoir rien
qui en soit totalement privé. Nous pouvons
bien supposer qu'un corps est excessive-
ment petit, admettre que son étendue est
réduite autant que possible, même jusqu'au
point d'être imperceptible à nos sens ; mais
nous ne pouvons l'imaginer absolument
nulle, sans anéantir le corps lui-même. Ja-
mais aucun être humain ne comprendra
réellement comment existerait un être qui
n'existerait nulle part et n'aurait point de
parties. C'est s'abuser soi-même que de se
persuader qu'on comprend pareille chose ;
j'en appelle à la conscience intime de tous
ceux qui scruteront de bonne foi leur propre
intelligence.
Aussi, quand j'ai dit que tant que nous
ne faisons que sentir sans agir, nous ne
eous paraissons à nous-mêmes qu'un point,
qu'une vertu sentante, et que, quand nous
sentons résistance à notre volonté, l'être
qui s'y oppose ne nous semble d'abord qu'un
CHAPITRE IX. l65
point, qu'une vertu résistante, je me suis
servi de deux mots abstraits que nous
sommes habités à employer comme des
êtres réels, afin de rendre ma pensée pres-
que sensible. J'ai voulu rendre manifeste
que nous sentions uniquement que nous
avions une volonté et que quelque chose
lui résistait, et que nous ne savions rien de
plus; mais je n'ai pas prétendu établir que
nous crussions être un point mathématique,
ni que nous nous fissions une idée d'une
vertu quelconque existante sans apparte-
nir à aucun être : cela est impossible. C'est
pourquoi, en même-temps que nous décou-
vrons la propriété d'être étendu dans ce qui
résiste à notre volonté, nous la découvrons
dans notre moi qui sent; il s'étend et se ré-
pand , pour ainsi dire , dans toutes les parties
par lesquelles il sent et qui se meuvent à
son gré. Nous apprenons l'étendue de notre
corps comme celle des autres corps, et nous
la circonscrivons par les mêmes moyens. Il
est même vraisemblable que c'est la pre-
mière dont nous nous apercevons ; car le
corps qui nous appartient ne diffère des au-
tres, à notre égard, qu'en ce que c'est par
lui que nous sentons; du reste, il fait comme
L 2
l64 IDÉOLOGIE.
eux résistance à nos mouvemens j et il paraît
bien que quand un de nos membres s'appuie
et frotte contre un autre, la double sensation
que nous recevons dans la partie qui se
meut et dans celle qui résiste, doit nous
donner plus d'avantage pour reconnaître ce
qui arrive dans cette occasion, que quand
il s'agit d'un corps étranger qui ne nous rend
rien. Cette conjecture tirerait une nouvelle
force de l'examen physiologique de la ma-
nière dont s'opère nos sensations, et de la
correspondance qui existe entre les divers
organes de la sensibilité ; mais ce n'est pas
ce dont il est question actuellement : nous y
reviendrons quand il en sera temps. Pour
le moment y il suffit d'avoir expliqué ce que
c'est que l'étendue de notre corps et des au-
tres, et montré que nous ne la connaissons
que par l'effet combiné de la mobilité et de
l'inertie des corps.
L'étendue, dans ce sens, est une propriété
des corps ; mais nous donnons souvent une
autre signification au mot étendue. Lorsque
nous en faisons le synonyme du mot espace,
il exprime une autre idée; il semble alors
que ces deux termes, étendue, espace, re-
présentent un être réellement existant. Ce
CHAPITRE IX. l65
n'est cependant véritablement qu'une idée
abstraite dont nous sommes dupes. Voyons
comment nous la composons, c'est le seul
moyen de la connaître et de faire qu'elle ne
nous égare plus, car toute illusion disparaît
quand on se comprend.
Je fais une certaine quantité de mouve-
ment pour arriver d'un point d'un corps à
d'autres points du même corp6. je dis que
ce corps est étendu. Que l'on ôte ce corps,
il me faudra toujours la même quantité de
mouvement pour aller du lieu où était un
de ces points matériels à ceux où étaient les
autres 5 je dirai qu'il y a la même étendue ,
le même espace entr'eux; seulement, comme
je puis me mouvoir en tout sens dans cet es-
pace, ce que je ne pouvais faire avant, j'a-
jouterai que cet espace est vide au lieu d'être
plein , comme je dis d'un coffre qu'il est plein
ou vide suivant qu'il y a dedans quelque
chose ou rien. Mais un coffre consiste dans
les parois qui le composent, indépendam-
ment de ce qu'il renferme , et l'espace n'a
point de parois. Or, qu'on me dise ce que
c'est qu'un coffre vide qui n'a point de pa-
rois , si ce n'est le néant absolu. Aussi avons-
nous vu que tant que nous nous mouvons
l66 IDEOLOGIE.
sans résistance, ce que nous rencontrons
n'est absolument rien. L'espace est donc la
propriété d'être étendue considérée séparé-
ment de tout corps à qui elle puisse appar-
tenir : c'est une idée abstraite ; c'est le néant
personnifié par la faculté que nous avons
de nous mouvoir quand aucune chose ne
nous en empêche, quand le rien nous le
permet : nouvelle preuve que c'est en nous
mouvant que nous découvrons s'il existe
quelque chose ou rien autour de nous, au-
tour de notre faculté de sentir et de vouloir.
En voilà assez sur l'étendue : passons à
ses conséquences. Plusieurs propriétés gé-
nérales et communes à tous les corps ne
sont que des dépendances nécessaires et
immédiates de celle d'être étendu: il suffira
de les indiquer. Telles sont celles d'être di-
visible, d'avoir une certaine forme, d'être
impénétrable.
. Dès qu'un être est étendu , il est nécessai-
rement divisible, car puisqu'être étendu
c'est avoir des parties telles qu'il faille faire
un mouvement pour aller de l'une à l'autre,
on peut toujours s'arrêter au milieu de ce
mouvement, et par là se trouver entre une
de ces parties et l'autre, et par conséquent
CHAPITRE IX. 167
la séparer, la diviser. La divisibilité, la pos-
sibilité d'être divisé, résulte donc inévita-
blement de la propriété d'être étendue.
Il n'en résulte pas moins la nécessité d'a-
voir une certaine forme, ce qu'on appelle
être figuré. Aucun corps ne peut être étendu
à l'infini, car il n'en existerait pas d'autres.
D'ailleurs , nous ne pouvons nous faire une
idée réelle de l'infini dans aucun genre ; c'est
encore là une idée abstraite qui ne peut avoir
aucune existence positive; c'est celle d'un
bâton qui n'aurait qu'un bout, ou même qui
n'aurait pas de bouts. Tout corps a donc des
limites. Nous appelons surface de ce corps
l'assemblage des points qui le terminent,
c'est-à-dire passé lesquels il ne nous em-
pêche plus de nous mouvoir. La disposition
de cette surface constitue ce qu'on appelle
la forme ou la figure de ce corps. On em-
ploie ces deux mots indifféremment, et on
a tort ; on devrait appeler exclusivement
forme d'un corps la manière d'être étendu
que nous lui reconnaissons par le tact en
nous mouvant autour de lui, et réserver le
mot figure pour l'impression que cette forme
l'ait sur notre œil. La même forme présente
plusieurs figures , suivant qu'elle est vue d'un
l68 IDÉOLOGIE.
côté ou d'un autre; mais elle fait toujours la
même impression sur le tact , ce qui prouva
encore que c'est-là sa vraie manière d'être,
et que c'est la résistance à nôtre mouve-
ment qui nous fait connaître la manière
d'être réelle des corps.
Puisqu'un corps est étendu ou n'est rien ,
il faut absolument qu'il soit impénétrable ,
c'est-à-dire qu'un autre corps ne puisse pas
occuper la portion d'espace qu'il remplit, à
moins qu'il ne la lui cède ; car s'ils occu-
paient tous les deux en même temps le même
lieu , ils ne seraient plus que comme un, l'un
des deux serait anéanti, il n'y aurait pas co-
existence.
Aussi lorsque nous voyons deux corps
s'unir de manière qu'ils occupent moins
d'espace que lorsqu'ils étaient séparés , nous
en concluons qu'un des deux ou tous deux
sont poreux, c'est-à-dire qu'ils renferment
entre leurs parties solides ou réelles, des es-
paccs vides dans lesquels se sont logées les
parties solides ou réelles de l'autre corps.
C'est aussi ce que nous prouve directement
l'augmentation de poids à volume égal, qui
résulte toujours de pareille union. Mille ex-
périences prouvent que tous les corps con-
CHAPITRE IX. 169
nus sont poreux ; ainsi la porosité est encore
une propriété générale des corps ; elle est
une conséquence de l'étendue , mais elle n'en
est pas une conséquence nécessaire ; car on
peut très-bien concevoir un corps dont les
parties ne laisseraient aucun intervalle entre
elles. Si cela n'arrive jamais, il faut sans doute
qu'il y ait quelque raison 5 mais elle nous est
inconnue.
Les corps sont donc poreux ; mais ils pour-
raient ne pas l'être , au moins suivant nos
moyens de les connaître. Au contraire, il
faut absolument qu'ils soient étendus pour
que nous les connaissions, puisque nous ne
les connaissons que par le mouvement^Dès
qu'ils sont étendus , il est nécessaire qu'ils
soient impénétrables ; et c'est cette impéné-
trabilité qui fait que l'un résiste au mouve-
ment de l'autre, ce qui constitue l'inertie,
et que l'autre communique de son mouve-
ment à celui-là, ce qui constitue l'impulsion.
Tel est l'enchaînement des propriétés prin-
cipales que nous découvrons dans les corps,
à partir du premier moment où nous sommes
conduits nécessairement à juger qu'ils exis-
tent. Je vais maintenant expliquer comment
nous apprécions et mesurons les uns par les
170 IDÉOLOGIE.
autres les effets sensibles de ces propriétés,
et cette explication me fournira de nouvelles
preuves que c'est bien ainsi que nous appre-
nons à les connaître, et que j'ai bien démêlé
ce qu'elles sont pour nous.
Auparavant, observons que ce que j'ai dit
de l'inertie de la matière ne signifie pas du
tout qu'elle soit essentiellement passive et
qu'elle ait besoin, pour être mue, d'un prin-
cipe d'action étranger à elle, ni même qu'elle
ait plus de tendance au repos qu'au mouve-
ment. Je trouve , au contraire , que les faits
conduisent à une conclusion opposée; car,
quand même on ne regarderait pas la pro-
duction des êtres animés comme une dé-
monstration suffisante que l'activité est pro-
pre à la matière et inhérente à sa nature , et
qu'elle ne fait que se manifester par l'or-
ganisation , on ne peut au moins nier que
l'attraction ne soit une tendance au mouve-
ment existante à tous les instans dans toutes
les particules de la matière. J'entends ici par
le terme général d'attraction, non-seulement
la force de gravitation en vertu de laquelle
tous les corps célestes pèsent les uns sur les
autres, et tous les corps terrestres pèsent
vers le centre du globe , mais encore toutes
CHAPITRE IX. 171
ces attractions particulières qui produisent
les combinaisons chimiques, l'adhésion, la
cohésion, etc. Or, toutes ces forces tou-
jours agissantes et les phénomènes qu'elles
produisent, me montrent qu'il n'y a nulle
part de repos absolu dans la nature, et qu'il
n'y a même jamais de repos relatif que par
l'effet de forces contraires qui se balancent;
d'où je conclus que ce n'est pas le repos ,
mais le mouvement, qui est l'état naturel de
la matière ; et si je n'avais craint de trop
choquer les idées reçues, j'aurais mis l'ac-
tivité à la tête des propriétés des corps, et
je n'aurais regardé la mobilité que comme
une conséquence de l'activité. Au reste, ce
ne sont pas les classifications que nous fai-
sons qui sont importantes; ce qui est essen-
tiel est de bien voir les phénomènes, et dans
le cas présent de ne pas se faire une idée
fausse de l'inertie, laquelle ne consiste qu'en
ceci : c'est que quand un corps reçoit du
mouvement, le corps qui lui en donne en
perd une quantité égale à celle qu'il lui com-
munique. Passons à une autre observation.
La durée est encore une propriété com-
mune à tout ce qui existe, c'est-à-dire à tout
ce qui sent ou est senti. Différente en cela
173 IDEOLOGIE.
de toutes les autres propriétés des corps,
elle pourrait même appartenir à des êtres
sans étendue, si nous pouvions en connaître
ou même en concevoir de tels (voyez l'Ex-
trait raisonné). Par cette raison, nous n'a-
vons pas besoin de connaître autre chose
de nous-mêmes que notre propre sentiment
pour nous faire l'idée de durée : notre seule
existence suffit. Je sens une impression ac-
tuelle; dès que je puis porter le jugement
que je l'ai déjà sentie, je puis prononcer que
j'existe actuellement, que j'existais alors, et
que j'ai continué d'exister dans l'intervalle.
Tout cela est compris dans l'acte de recon-
naître cette impression. Dés ce moment j'ai
donc l'idée de durée, qui n'est autre chose
que celle d'une succession d'impressions.
Lorsque je connais d'autres existences que
la mienne, quand j'aperçois un objet et que
je m'assure que c'est bien le même que j'ai
déjà vu, je lui applique cette idée de durée,
je dis que cet objet a duré : cela ne souffre
pas de difficulté. Mais si j'acquiers ainsi
Vidée de durée, je n'acquiers pas de même
la possibilité de mesurer cette durée ; car la
succession de mes impressions n'est ni assez
uniforme ni assez invariable pour me servir
CHAPITRE X. 175
de mesure ; d'ailleurs je n'ai aucun moyen
pour constater les limites de la durée de
chacune. Je n'ai donc pas l'idée de temps,
qui n'est que celle d'une durée mesurée (1).
Nous allons voir comment elle nous vient,
en examinant comment nous mesurons les
effets sensibles des propriétés des corps.
Nous commencerons par l'étendue.
CHAPITRE X.
Continuation du précédent; de la Mesure
des propriétés des Corps.
■lN ous l'avons déjà dit, la propriété d'être
étendu consiste à pouvoir être touché con-
tinuement par notre main qui se meut. Un
corps n'est étendu que parce qu'il a des
parties telles, qu'il faut faire une certaine
quantité de mouvement pour aller des unes
aux autres. Mais comment évaluons- nous,
mesurons-nous la quantité de son étendue?
La manière en est simple et directe. Nous
(1) Cette définition du temps, qui m'a été contestée,
est celle de Locke. Essai sur l'Entendement humain,
liy. II, chap. 14.
iy4 IDÉOLOGIE.
comparons cette étendue à une portion fixa
et déterminée d'étendue que nous prenons
pour terme de -comparaison , c'est-à-dire
pour unité; tels sont les pieds et les mètres,
et tous leurs analogues, ainsi que toutes les
mesures de surface et de capacité ou soli-
dité qui en dérivent ; car ce que nous appe-
lons mesurer la longueur, la surface ou la
solidité d'un corps , n'est autre chose que
reconnaître la quantité de mètres ou de par-
ties de mètre linéaires, carrés ou cubes
que contient ce corps ; et le premier élément
de toutes ces mesures est une quantité fixe
d'étendue en longueur, telle qu'un pied ou
un mètre. Or, qu'est-ce pour nous qu'un
pied ou un mètre? C'est la représentation
constante de la quantité de mouvement que
notre main a dû faire pour se porter depuis
l'extrémité de ce mètre qui a commencé à
lui faire éprouver le sentiment de résistance,
jusqu'à l'autre extrémité où elle a cessé d'é-
prouver cette résistance. Concluons donc
que nous mesurons l'étendue par l'étendue
même; mais n'oublions pas que l'unité fon-
damentale de toutes ces mesures nous est
donnée par le mouvement, et n'est autre
ciiose que la représentation permanente
CHAPITRE X. 175
d'une certaine quantité de mouvement. Pas^
sons à la durée.
La durée est, comme nous l'avons dit, une
propriété commune à tout ce qui sent ou
est senti, et qui appartient à tous les êtres,
même indépendamment de l'étendue. Il s'a-
git maintenant de reconnaître comment
nous la mesurons. Sans doute , nous ne la
mesurons que par elle-même ; car mesurer
une chose quelconque , c'est la comparer à
une quantité déterminée de cette même
chose , que l'on prend pour terme de com-
paraison, pour unité. Ainsi, mesurer, éva-
luer une longueur, un poids, une valeur,
c'est trouver combien elles contiennent de
mètres, de grammes, de francs, en un mot,
d'unités de même genre; et on ne peut pas
évaluer une distance en grammes, ni un
poids en francs, ni dire qu'une valeur est
plus grande ou plus petite qu'un poids ou
qu'une distance , et réciproquement. Mesu-
rer la durée, c'est donc l'évaluer en unités
de durée. Mais nous avons déjà remarqué
que la propriété des* êtres appelée durée,
bien différente en cela de celle appelée éten-
due, ne nous donne par elle-même aucun
moyen de constater d'une manière exacte
I76 IDÉOLOGIE.
et durable les limites de chacune de ses par-
ties. Ces parties sont fugitives et transitoires;
elles ne coexistent pas ensemble; leurs divi-
sions ne sont marquées par rien; il n'y en
a par conséquent aucune qui soit détermi-
née avec assez de précision pour servir
d'unité. Que faisons-nous donc pour parta-
ger la durée en temps, c'est-à-dire en quan-
tités de durée mesurées avec justesse? Nous
avons recours au mouvement; c'est lui, et
lui seul, qui nous rend perceptibles les di-
visions de la durée. Aussi, prenez-y garde,
les temps sont toujours marqués par quel-
ques mouvemens opérés; leurs subdivisions
seraient arbitraires et incertaines si elles ne
se rapportaient au mouvement de quelques
astres ou de quelques machines. Nous me-
surons donc la durée par elle-même comme
toutes choses; mais c'est le mouvement qui
nous la rend commensurable.
Maintenant il reste à voir comment le
mouvement, qui est en lui-même aussi fugi-
tif, aussi transitoire , aussi peu susceptible
de divisions fixes et permanentes que la
durée, peut devenir pour elle la base et le
moyen d'une mesure exacte ; car le mou-
vement, sans doute, ainsi que toute autre
chose ,
CHAPITRE X. 177
chose, ne se mesure que par lui-même; et
s'il n'est pas susceptible de divisions déter-
minées et invariables, comment peut -il
servir d'échelle et de terme de comparaison
pour évaluer des quantités d'une autre es-
pèce? C'est que le mouvement s'opère dans
l'étendue, qu'il parcourt l'étendue, qu'elle le
représente et le constate. En effet, comment
voyons -nous qu'un jour, une heure, une
minute, une seconde, sont écoulés? c'est
parce que le soleil, une aiguille de montre,
la verge d'un pendule, ont parcouru un cer-
tain espace ; parce que l'eau d'une clepsydre,
le sable d'une horloge, ont laissé vide une
certaine portion d'étendue. Ainsi, par l'in-
termède du mouvement, les parties de la
durée se trouvent manifestées par les par-
ties de l'étendue , et par là elles participent
à l'avantage inestimable qu'ont celles-ci de
pouvoir être divisées et mesurées de la ma-
nière la plus rigoureuse et la plus invariable.
Mais, me direz-vous, nous voyons bien
que c'est toujours un mouvement opéré
qui nous rend sensiblel a quantité de durée
écoulée, et toujours une étendue parcourue
qui constate le mouvement opéré; mais cela
ne suffit pas encore pour que l'étendue soit
M
1<7<3 IDEOLOGIE.
la mesure fixe de la durée ; il faudrait pour
cela que la même quantité d'étendue par-
courue répondît toujours exactement à la
même quantité de durée écoulée ; et pour
que cela arrivât, il faudrait que nous n'eus-
sions égard, dans la mesure du temps, qu'à
un seul mouvement d'une vitesse connue et
uniforme^
Je réponds que c'est aussi ce que vous
faites sans vous en apercevoir. En effet,
prenez-y garde, dans la mesure de la durée,
l'unité c'est le jour; toutes les périodes plus
longues sont des multiples de celle-là , toutes
celles qui sont plus courtes en sont des frac-
tions : toutes sont plus ou moins arbitraires,
aussi toutes varient à notre gré. L'année
renferme plus ou moins de jours, suivant
que nous préférons de la rapporter au soleil
ou à la lune ; le jour seul est un temps qu'on
ne peut ni augmenter ni diminuer, parce
qu'il est déterminé par la nature des choses
et ne dépend pas de nos conventions. Or,
à parler rigoureusement, qu'est-ce qu'un
joAir? Ce n'est pas le temps qui s'écoule entre
deux levers du soleil dans les climats où ce
lever avance ou retarde, c'est l'intervalle
de deux levers du soleil dans les pays où cet
CHAPITRE X. 1(79
intervalle est toujours le même ; c'est le
temps que la terre met à tourner sur son
axe; c'est, par conséquent, le temps qu'un
point de son équateur emploie à parcourir
la totalité de ce grand cercle de la sphère.
Ainsi voilà une durée, un mouvement et
une étendue qui sont toujours les mêmes et
qui se correspondent toujours exactement.
Voilà la véritable unité qui peut servir et
qui sert de terme commun de comparaison
pour la mesure de ces trois espèces de quan-
tité. Il ne reste plus qu'à voir comment nous
l'employons pour évaluer chacune d'elles.
Pour l'étendue, nulle difficulté, nous l'a-
vons déjà vu. Cette propriété des corps a
exclusivement à toute autre le précieux
avantage d'être susceptible de la division
la plus commode, la plus durable, la plus
précise, la plus distincte, la plus constante,
la plus inaltérable , en un mot, la plus inac-
cessible à toute cause d'erreur. Aussi rien
n'est-il plus aisé que de la mesurer : on en
prend une portion quelconque et on y rap-
porte toutes les autres. Il est avantageux, et
satisfaisant que cette portion soit une frac-
tion connue de la circonférence du globe
terrestre; cela sert h pou\uir \a retrouver
M r>
l8o IDÉOLOGIE.
toujours si l'étalon en était perdu; mais
quand elle serait de pure convention , elle
pourrait toujours servir de mesure.
Pour la durée, c'est, comme nous l'avons
dit, par l'intermédiaire du mouvement qu'on
rapporte ses parties aux parties de l'étendue;
et , dans tous les mouvemens possibles , c'est
celui de la terre sur son axe qui sert de type.
Ainsi une heure, un siècle, une minute, ne
sont autre chose que tant de milliers de
lieues parcourues par un point de l'équateur
de la terre dans sa révolution diurne. Que
les mouvemens plus ou moins accélérés de
toutes nos machines à mesurer le temps ne
vous fassent donc pas illusion; l'étendue
qu'ils parcourent sert, comme nous l'avons
dit, à constater qu'ils sontfaits; mais qu'elle
soit plus ou moins grande , cela est fort indif-
férent, parce qu'elle ne sert pas directement
de mesure, mais seulement à rapporter le
mouvement qu'elle constate à la mesure
commune de toute durée, le mouvement de
la terre sur son axe. C'est pour cela qu'une
heure est également représentée et mesurée
et par l'aiguille qui fait le tour du cadran pen-
dant ce temps , et par celle qui n'en fait que
la douzième partie, et par celle qui le par-
CHAPITRE X. l8i
court soixante fois tout entier ; car qu'est-ce
qu'une heure? c'est la vingt-quatrième partie
de la révolution de la terre , c'est la vingt-
quatrième partie de sa circonférence par-
courue par un des points de sa surface; ainsi
tout mouvement qui s'opère vingt- quatre
fois pendant la durée d'un jour, marque
exactement une heure, quel que soit l'es-
pace qu'il parcoure. Peu importe la grandeur
du cadran de ma montre ; elle n'est destinée
qu'à m'apprendre que chaque fois que telle
aiguille en a fait le tour, la terre a effectué
la vingt-quatrième partie de sa révolution ,
un point de l'équateur a parcouru tant de
millions de mètres. Nous voyons donc com-
ment la durée est mesurée par le mouve-
ment, et comment il la rend appréciable
avec exactitude , parce qu'il rapporte à une
quantité invariable d'étendue le temps qui
sert de terme de comparaison à tous les
autres. Cela nous fait déjà apercevoir aussi
comment nous mesurons parfaitement le
mouvement lui-même malgré ses innom-
brables variétés. C'est ce qui nous reste à
développer.
La mobilité est une propriété des êtres
qui diffère essentiellement de la durée, en
182 IDÉOLOGIE.
te point que, parmi les êtres possibles, elle
ne peut appartenir qu'à ceux que nous ap-
pelons corps, c'est-à-dire à ceux qui sont
étendus ; car des êtres qui n'auraient aucune
étendue, s'il nous était possible d'en conce-
voir de tels, n'occupant aucun lieu, ne pour-
raient en changer.
Le mouvement est l'exercice de la pro-
priété appelée mobilité; c'est un effet des
corps comme la couleur ou la saveur; je ne
dis pas comme l'attraction (1), l'inertie ou
l'impulsion; car de ces trois choses, les deux
premières ne consistent qu'en tendance ou
en résistance au mouvement, et la troisième
n'est que sa communication ; ainsi elles ne
sont que des dépendances du mouvement,
et leur intensité ne s'évalue que par le moyen
du mouvement qu'elles produisent ou em-
pêchent : ce sont donc des sujets de consi-
dérations secondaires. Mais ici c'est le mou-
vementlui-même qui nous occupe.Comment
(1) Je comprends toujours sous ce mot générique,
non-seulement la gravitation céleste et la pesanteur
terrestre, mais encore toutes les attractions et affi-
nités particulières, en un mot, toutes les tendances
quelconques d'un corps Vers un autre.
CHAPITRE X. l8o
semesure-t>il? voiià la question qu'il s'agit
de résoudre.
On voit d'abord que cet effet des côrftè
appelé mouvement, .est parfaitement repré-
senté par cet autre effet des corps appela
étendue ; car puisque la propriété d'être
étendu n'est pour nous que la propriété
d'être parcouru par le mouvement^ les par-
ties de l'étendue répondent très-bien et très-
exactement aux parties du mouvement fait
pour les parcourir. Ainsi la quantité d'éten-
due parcourue constate rigoureusement la
quantité de mouvement fait.
Je dis que l'étendue constate et représenté
très-bien les mouvemens faits, mais non pas
qu'elle mesuré le mouvement; car, il ne iatit
jamais l'oublier, mesurer une chose quel-
conque, c'est la rapporter à une quantité"
de cette même chose qui est connue et dé-
terminée, et qui sert de terme de comparai-
son, de mesure. Le mouvement ne saurait
être excepté de cette règle générale; on ne
peut pas plus, quoiqu'on en dise, mesurer
du mouvement avec de l'étendue ou de la
durée, que celles-ci avec des valeurs ou des
poids. Mesurer le mouvement, évaluer son
intensité, n'est et ne peut être que le rap-
l8<± IDÉOLOGLE.
porter à un mouvement dont l'énergie soit
connue : c'est ce qu'on appelle déterminer
sa vitesse.
X-es mathématiciens disent cependant que
la vitesse d'un mouvement est le rapport
«ntre l'espace parcouru et le temps em-
ployé ; mais on devrait leur demander d'ex-
pliquer quel rapport ils peuvent découvrir
entre deux choses d'une nature aussi diffé-
rente, et par conséquent aussi incommensu-
rables que l'étendue et la durée, et comment
il se fait que ce rapport soit l'expression
exacte de la mesure d'une troisième chose
totalement différente des deux premières.
Ils prétendent qu'ils trouvent l'expression
de cette vitesse en divisant l'espace par le
temps; mais je leur demanderai comment
ils s'y prennent pour diviser l'une par l'autre
deux quantités concrètes d'espèces diffé-
rentes, et trouver au quotient une quantité
d'une troisième espèce ; car ils savent bien
qu'on ne peut diviser une quantité concrète
quelconque que de deux manières, ou par
une quantité de même espèce, ce qui donne
pour quotient un nombre abstrait qui ex-
prime combien de fois le diviseur est con-
tenu dans le dividende; ou par un nombre
CHAPITRE X. l85
abstrait, auquel cas le quotient est un nom-
bre concret de l'espèce du dividende, et qui
y est renfermé autant de fois que le diviseur
contient l'unité. Or, ils savent aussi que de
l'étendue ne peut pas renfermer de la durée ,
et que le nombre qui exprimerait un rapport
si extraordinaire ne peut pas être une quan-
tité de mouvement. Je n'ai pas connaissance
qu'aucun d'eux nous ait donné la solution
de cette difficulté, qui cependant n'a pu
manquer de les frapper. Nous allons facile-
ment suppléer à leur silence au moyen des
observations que nous avons déjà faites sur
l'étendue et la durée.
En effet, nous avons vu, d'une part, que
le temps qui sert de mesure commune à
toute durée , et dont tous les temps possibles
ne sont que des multiples ou sous-multiples,
est celui de la révolution diurne de la terre
sur son axe, et que les limites et les divi-
sions de ce temps appelé jour ne deviennent
perceptibles que par le mouvement que fait
un point de l'équateur pendant ce temps;
d'une autre part, que tout mouvement est
très-bien représenté par l'espace parcouru.
Rapporter l'espace parcouru par un mouve-
ment à la portion de durée qu'il a employée.
186 IDÉOLOGIE.
c'est donc réellement comparer ce mouve-
ment au mouvement connu d'un point de
Péquateur pendant la révolution diurne de la
terre. Or, c'est-là véritablement le mesurer;
car mesurer une quantité quelle qu'elle soit,
c'est toujours la comparer à une quantité
connue de même espèce qui sert de mesure
commune. Voilà pourquoi on peut dire sans
erreur, quoique ce soit une très-ma,uvaise
manière de s'énoncer, que l'on a la vitesse
d'un mouvement en divisant l'espace par le
temps, locution vicieuse que l'on exprime
par ces caractères f V = ^ ) qui, en l'abré-
geant, déguisent encore davantage le fond
de la pensée.
Voulez-vous la preuve que cette formule
a réellement le sens que je lui donne, quoi-
qu'elle ne le fasse pas apercevoir d'abord?
Appliquons-la à un cas particulier. Suppo-
sons qu'il s'agisse d'un mouvement qui par-
court dix mille mètres en six heures, vous
aurez pour expression de sa vitesse cette
fraction I0(.o^èt-, laquelle ne signifie absolu-
ment rien ; ou si vous faites la division, vous
aurez le nombre i666,()6, qui n'est ni des
mètres, ni des heures, ni du mouvement, et
CHAPITRE X. 187
qui ne saurait exprimer que des heures
soient comprises dans des mètres, car cela
est impossible. Ainsi il n'a réellement aucun
sens; ainsi vous ne pouvez rien conclure du
tout de ces deux expressions vagues, si ce
n'est que ce mouvement est double d'un
autre qui serait exprimé par cette fraction
'"'aTeuT''? ou Par ce nomDre 853,55, qui en
est le quotient. Vous aurez donc, par cette
manière d'opérer, le rapport de ces deux
mouvemens; mais vous n'aurez jamais l'ex-
pression de la valeur ni de l'un ni de l'autre,
quoique la formule vous annonce qu'on
trouve la vitesse d'un mouvement en divi-
sant l'espace par le temps.
Au contraire, au lieu d'évaluer le temps
en heures, exprimez-le par l'espace que
parcourt pendant ces heures un point de
l'équateur terrestre, vous aurez ces deux
fractions _2^^L_ et ">•"<"""*'•, (1): et
10. 000. 00a met. 20.000.000 met. V ' '
(1) J'observe que les dénominateurs de ces deux
fractions ne sont exacts qu'en supposant l'équateur
égal au méridien, ce qui n'est pas exactement vrai ;
mais je n'ai pas tenu compte de cette différence , parce
qu'elle ne fait rien à mon raisonnement, et que je vou-
lais avoir des nombres ronds.
l83 IDÉOLOGIE.
en faisant les divisions vous trouverez ces
deux nombres abstraits 0,001 et o,ooo5,qui
non-seulement vous donnent le rapport de
ces deux mouvemens entr'eux, mais encore
vous apprennent la valeur réelle de chacun
d'eux, en vous montrant que l'un est le mil-
lième et l'autre les cinq dix -millièmes du
mouvement d'un point de l'équateur, qui
est la mesure commune ou l'unité (1).
(1) Ne pouvant attaquer directement la preuve que
je donne du peu d'exactitude qu'il y a à dire qu'en di-
visant l'espace par le temps on trouve la vitesse, on
essaiera peut-être de l'atténuer en disant qu'un effet
semblable a lieu lorsqu'on trouve la densité d'un
corps en divisant son poids par son volume.
Je réponds que ce second exemple confirme encore
mon assertion. En effet, dans celui-ci on suppose que,
la pesanteur étant la même dans toutes les parties de
la matière, le poids d'un corps est proportionnel au
nombre de ses parties matérielles. Considérant le vo-
lume comme un nombre abstrait, on divise par lui le
poids de ce corps, et on trouve combien il pèserait
sur une quantité de volume prise pour unité , et par-
conséquent qu'il est deux ou trois fois plus dense qu'un
autre corps qui pèse deux ou trois fois moins sous le
même volume. Ainsi, on a le rapport de densité de
ces deux corps , mais on n'a la mesure réelle de la den-
sité d'aucun des deux. Pour cela il faudrait connaître
un corps parfaitement dense, savoir ce qu'il pèserait
CHAPITRE X. 189
Je ne prétends pas dire, au reste, que pour
les objets qu'on se propose dans la pratique,
cette manière fût aussi commode que celle
dont on se sert; mais je l'ai exposée avec
détail, afin de bien développer le sens de l'ex-
pression usitée et pour achever de prouver
ma thèse, savoir, qu'on ne peut évaluer un
mouvement, c'est-à-dire déterminer sa vi-
tesse , qu'en le comparant à un mouvement
connu, et que c'est véritablement ce qu'on
fait en rapportant l'espace parcouru au
temps employé; car c'est réellement compa-
rer ce mouvement au mouvement de rota-
tion de la terre, qui, par cette opération, se
trouve devenir la mesure commune de tous
les autres, ou l'unité de mouvement, commç
le temps qu'il emploie, le jour, est l'unité
de durée.
sous pareil volume, prendre ce poids pour unité, et
y rapporter le poids des deux autres corps comme
nous rapportons les divers mouvemens au mouvement
d'un point de l'équateur, quand nous croyons ne les
rapporter qu'à une quantité de durée. On trouve la
même chose dans tous les exemples analogues , car il
sera toujours et éternellement vrai qu'on ne peut me-
surer des quantités quelconques que par une quantité
de même nature qu'elles, prise pour unité.
190 IDEOLOGIE.
Concluons de tout ceci que c'est par senti-
ment que nous connaissons le mouvement;
Que c'est lui qui nous fait connaître l'é-
tendue;
Que l'étendue se mesure par elle-même,
sans intermédiaire , avec une commodité
extrême, à cause de la netteté et de la per-
manence de ses divisions;
Que l'étendue représente parfaitement le
mouvement opéré, puisque cette propriété
des corps ne consiste qu'en ce qu'ils peuvent
être parcourus par le mouvement;
Qu'en conséquence de celte circonstance,
le mouvement rend la durée mesurable
en rapportant ses divisions à celles de l'é-
tendue ;
Que, par la même raison , le mouvement
lui-même devient mesurable; mais que
quand on croit rapporter l'espace qu'il par-
court à la durée, on le rapporte réellement
à l'espace parcouru par un mouvement pris
pour unité;
Que l'unité d'étendue peut être choisie
arbitrairement, quoiqu'il soit très-avanta-
geux qu'elle soit une portion connue de la
circonférence de la terre ;
Mais que l'imité de temps est nécessaire-
CHAPITRE X. 191
ment le temps de la révolution diurne de lu
terre, et Punité.de mouvement le mouve-
ment d'un point de l'équateur pendant cette
révolution.
Concluons enfin que si nous sommes par-
venus à bien démêler l'artifice de la mesure
des effets sensibles de ces trois propriétés
des corps, l'étendue, la durée et la mobilité,
il faut que nous ayons bien reconnu ce
qu'elles sont pour nous, et comment nous
les découvrons.
Jeunes gens pour qui j'écris , vous trou-
verez peut-être que voilà un bien faible ré-
sultat pour une si longue discussion , et qu'il
n'était pas besoin d'un si grand appareil pour
établir un petit nombre de vérités si simples,
fondées sur des faits si constans et si connus.
Cependant, si vous saviez combien on a di-
vagué sur ces notions d'espace, de temps,
de mouvement, d'existence, sur la matière
et ses propriétés, et combien les meilleurs
esprits et les plus grands philosophes ont
accumulé de raisonnemens inintelligibles
et d'hypothèses absurdes sur de pareils su-
jets, vous vous feriez une autre idée de la
facilité avec laquelle nous nous y retrou-
vons, et vous sentiriez vivement quel jour
1Q2 IDÉOLOGIE.
jetterait sur les premiers principes de toutes
les sciences, une analyse complète de nos
facultés intellectuelles, si elle pouvait être
une fois parfaitement bien faite, puisque la
simple ébauche que j'ai essayé d'en tracer
dans cet ouvrage, écarte déjà tant de diffi-
cultés et dissipe tant d'obscurités.
Au reste, on peut tirer beaucoup de con-
séquences précieuses du petit nombre de
vérités que nous venons d'établir.
La première qui se présente, et qui est
principalement relative à la pratique, c'est
qu'il serait très-utile que toutes les mesures
de l'étendue fussent des portions décimales
de l'équateur terrestre, et qu'il serait aussi
très-commode que l'unité de temps, le jour,
fût de même divisé en parties décimales.
Par là ces trois espèces de quantités, si dif-
férentes entr'elles, mais qui ont des relations
si multipliées , l'étendue, le mouvement et la
durée, seraient toujours exprimées par des
quantités décuples ou sous-décuples les unes
des autres; et toutes les comparaisons que
l'on est perpétuellement obligé d'en faire se
réduiraient presque à ajouter ou à retran-
cher quelques zéros ; cela aurait d'ailleurs
le très -grand avantage de rappeler bien
mieux
CHAPITRE X. ig3
mieux les rapports que nous avons recon-
nus entr'elles, et même la nature de cha-
cune d'elles.
Mais un autre sujet de réflexions bien plus
importantes , c'est cette admirable propriété
qu'a l'étendue de pouvoir être partagée en
parties distinctes avec une précision, une
netteté et une permanence qui ne laissent
rien à désirer. C'est à cette circonstance que
doivent leur certitude les sciences qui trai-
tent de l'étendue et de ses effets- car d'abord
il en résulte qu'on peut la mesurer avec la
plus grande sûreté et la plus extrême jus-
tesse ; et de cette perfection de mesure il
arrive qu'on peut la représenter sans altéra-
tion et sans confusion , en en diminuant pro-
digieusement toutes les proportions. C'est-
là l'effet de l'art de lever des plans, et de tous
les genres de dessin. L'étendue est la seule
propriété des corps que l'on puisse exprimer
ainsi sur une échelle de convention plus pe-
tite que la réalité.
De la perfection de ces mesures il arrive
encore que l'on peut en évaluer rigoureuse-
ment et commodément toutes les circons-
tances, c'est-à-dire les rapports et les pro-
priétés des angles, des figures et des lignes
N
ig4 1DLOLOGIE.
qui les coupent ouïes terminent : c'est l'objet
de la géométrie pure. Aussi voyons-nous
que, seule entre toutes les sciences, elle est
d'une certitude absolue, et que toutes les
autres participent plus ou moins à ce pré-
cieux avantage , à proportion qu'elles peu-
vent ramener une plus ou moins grande
partie des sujets qu'elles traitent à être ap-
préciables en parties de l'étendue.
Ainsi le mouvement étant, comme nous
l'avons vu , très-bien représenté par l'éten-
due, tout ce qui concerne sa force, sa direc-
tion, les lois de sa communication, est par-
faitement démontré, et la science qui en
traite est encore d'une certitude géomé-
trique.
Par la même raison , nous connaissons et
mesurons la durée avec exactitude et sans
crainte d'erreur; et tout ce qui, dans les
corps et leurs propriétés, peut s'évaluer en
durée, en mouvement, en étendue, est par-
faitement mesuré et démontré, tandis que
tout ce qui n'en est pas susceptible reste
toujours dans une sorte de vague et d'in-
certitude faute de mesures précises.
Dans un être quelconque, nous pouvons
déterminer avec justesse et sûreté son âge,
CHAPITRE X. 195
qui est la quantité de sa durée; sa figure et
sa position , qui sont des circonstances de
son étendue; son volume, qui est la quan-
tité de cette étendue; son poids, qui est une
tendance au mouvement; sa densité rela-
tive , qui est le rapport entre son poids et
son volume, et tous les effets analogues à
ceux-là ; nous avons pour tout cela des me-
sures précises qui toutes, en dernière ana-
lyse, se rapportent à l'étendue; et tous les
raisonnemens que nous ferons sur l'accrois-
sement, la diminution ou les combinaisons
de ces propriétés, auront facilement le ca-
ractère de la certitude, parce qu'ils porteront
sur des bases fixes; mais il n'en est pas dé
même de certaines autrespropriétés, comme
la couleur, la saveur, la beauté, la bonté et
mille autres pareilles. Comment en fixer la
quantité avec précision ? Cela est impos-
sible. Il y aura donc toujours un certain
vague dans la détermination de leurs élé-
mens et de leurs rapports, et tous les rai*
sonnemens que nous ferons sur les consé-
quences à en tirer demanderont de grands
ménagemens , et ne seront susceptibles de
certitude qu'en les restreignant dans cer-
I96 IDÉOLOGIE.
taines limites, et en ayant égard à une foule
de considérations.
Prenons pour exemple la lumière. Sa vi-
tesse , sa direction , ses réfractions , ses ré-
flexions , la divergence et la coïncidence de
ses rayons, tout cela peut se mesurer rigou-
reusement, et l'on en peut conclure avec
certitude les points où ces rayons doivent
se rencontrer, les effets qu'ils doivent pro-
duire, la grandeur et la position des images
qu'ils doivent former, etc.; mais on ne peut
pas de même apprécier les rapports des cou-
leurs entr'elles. On peut bien dire que l'une
est plus vive que i'autre ; que le bleu et le
jaune réunis font du vert; mais comment
apprécier leurs nuances? comment évaluer
la quantité qu'il faut de deux d'entr'elles pour
en faire une troisième ? Les mesures man-
quent; il y a du vague.
Il en est de même des sons ; la vitesse de
leur propagation, leur direction, leur ré-
flexion, la dispersion ou la concentration de
leur force qui en résulte, se déterminent
avec facilité et sûreté : cela se rapporte aux
propriétés de l'étendue ; mais les rapports
harmoniques de ces sons entr'eux, nous ne
pourrions pas plus les préciser que ceux des
CHAPITRE X. 197
couleurs, si nous n'avions pas découvert
qu'ils sont proportionnels à la longueur des
cordes qui les produisent, à la durée de leurs
vibrations. Par là les voilà ramenés à des
mesures d'étendue, et ils se calculent rigou-
reusement.
La même chose se remarque dans toutes
les parties de la physique. Toutes les fois
que nous pouvons peser ou mesurer, esti-
mer en poids ou en volume un être ou un
effet quelconque, nous avons l'expression
précise de leur quantité, parce qu'elle est
rapportée à l'étendue ; quand nous ne le pou-
vons pas directement , nous y arrivons en-
core si, par un artifice quelconque, nous
faisons que leur existence se manifeste par
quelques mouvemens opérés dans l'étendue.
C'est ainsi que nous évaluons l'électricité
d'un corps par les degrés de l'électromètre;
sa chaleur, par ceux du thermomètre ou du
pyromètre; son humidité, par ceux de l'hy-
gromètre. En effet, les parties des mouve-
mens de ces machines sontbien comparables
entr'elles ; il n'y a pas là d'ambiguité ; la seule
incertitude qui nous reste est de savoir si
ces portions de mouvemens sont bien pro-
portionnelles à la quantité des matières me-
ig8 IDÉOLOGIE.
surées (l'électricité, le calorique et l'eau),
et à leurs autres effets. Prenons un autre
exemple qui rendra ceci encore plus clair.
L'activité d'un médicament ne se mani-
feste que par des mouvemens opérés dans
l'individu vivant qui l'a pris ; mais personne
n'a de mesure juste pour apprécier la vertu
purgative de ce médicament ni son rapport
avec celle d'un autre médicament ; cepen-
dant nous avons une échelle approximative
pour y parvenir, c'est la quantité de volume
ou de poids de chacun d'eux nécessaire pour
produire les mêmes effets; et cette mesure
serait complètement satisfaisante, si les ef-
fets purgatifs, bienfaisans, malfaisans, etc.,
étaient constamment proportionnels aux
quantités relatives à l'étendue auxquelles on
les compare ; alors il en arriverait comme
des valeurs des différentes marchandises,
qui, par elles-mêmes, ne sont pas suscep-
tibles de mesure précise, mais qui, étant
toutes réduites en poids d'un même métal,
sont appréciées avec la plus grande justesse.
Il en est de même dans les objets dont
traitent les sciences morales et politiques.
Nous n'avons point de mesures précises pour
évaluer directement les degrés de l'énergie
CHAPITRE X. 19g
des scnlimens et des inclinations des hom-
mes, de leur bonté ou de leur dépravation,
ceux de l'utilité ou du danger de leurs ac-
tions, de l'enchaînement ou de l'inconsé-
quence de leurs opinions. C'est ce qui tait
que les recherches dans ces sciences sont
plus difficiles et leurs résultats moins rigou-
reux. Cependant les opinions, les actions,
les sentimens des hommes sont suivis d'ef-
fets dont un grand nombre , tels que les va-
leurs que nous venons de prendre pour
exemple, sont appréciables d'après des me-
sures parfaitement exactes; et la juste me-
sure des effetè sert à estimer les causes.
D'ailleurs, dans tous les cas où on n'arrive
pas à une évaluation qui ne laisse rien à dé-
sirer, et où par conséquent il existe une
latitude plus ou moins grande où règne l'in-
certitude, il y a aussi de certaines limites
en-deçà desquelles on est sur qu'est la vérité,
et au-delà desquelles on est certain de tom-
ber dans l'erreur. Ainsi , par exemple , il peut
être impossible de déterminer de combien
tel sentiment individuel ou telle organisa-
tion sociale est préférable-à tel ou telle autre;
mais il est impossible de méconnaître que
l'une conduit à des résultats absolument
200 IDEOLOGIE.
mauvais, et l'autre à des résultats absolu-
ment bons ; or , cela suffit pour qu'on ne
puisse pas dire que ces sciences sont com-
plètement incertaines, sans déclarer que l'on
est soi-même complètement ignorant. Au
demeurant, sans entamer la question du de-
gré de certitude des différentes sciences,
question qui est du nombre de celles pour
la solution desquelles nous manquons de
mesures précises, l'on voit que toutes ces
sciences sont plus ou moins certaines à pro-
portion que les objets dont elles s'occupent
sont plus ou moins réductibles à des quan-
tités appréciables par des mesures parfaite-
ment exactes, et que, de toutes les espèces
de quantités, l'étendue est celle qui possède le
plus éminemment ce précieux caractère (1).
(i) Observez encore, je vous prie, que la possi-
bilité d'appliquer le calcul aux objets des différentes
sciences, est aussi proportionnelle à la propriété qu'ont
ces objets d'être plus ou moins appréciables en me-
sures exactes ; car, pour calculer un effet quelconque ,
il faut l'exprimer en nombres, et pour pouvoir l'ex-
primer en nombres, il faut qu'il soit comparable à une
mesure, à une unité fixe, et que ses différens degrés
soient bien déterminés, sans quoi tous les nombres
qu'on y appliquerait ne signifieraient absolument rien ;
CHAPITRE X. 201
J'ai lu, il n'y a pas long-temps, dans un
ouvrage de métaphysique, estimable à
beaucoup d'égards, cette phrase singulière :
et on ne peut se servir, pour l'évaluer, que des mots
plus, moins, peu, beaucoup , et autres adverbes de
quantité qui n'ont qu'une valeur indéterminée. C'est
ce qui se remarque d'une manière bien pénible dans
la conversation des gens qui ont l'habitude de s'ex-
primer d'une façon inexacte ; ils vous disent qu'un
homme a cent fois plus de talent qu'un autre; c'est
comme s'ils vous disaient seulement qu'il en a beau-
coup plus ; et le moment après ils vous diront qu'un
lieu est prodigieusement plus éloigné qu'un autre: ils
devraient vous dire qu'il est deux, trois, quatre fois
plus loin.
On me dira que , dans les nombres abstraits , l'unité
n'a aucune valeur déterminée , d'accord ; aussi aucun
nombre abstrait n'a-t-il jamais une valeur détermi-
née ; seulement les rapports de chacun d'eux avec le
nombre un sont fixés de la manière la plus précise et
la plus invariable, et cela suffit pour les calculer,
c'est-à-dire pour les comparer; car tous les calcula
que l'on fait sur les nombres abstraits ne sont jamais
que des comparaisons établies entr'eux, et ces nombres
ne prennent une valeur réelle que quand on en donne
une au nombre un; mais pour adapter ces nombres
à un effet quelconque , il faut que les parties de cet
effet soient aussi nettement distinctes entr'elles que
ces nombres le sont entr'eux.
Il demeure donc Yrai que la possibilité d'appliquer
202 IDÉOLOGIE.
Le toucher, ce sens vraiment géométri-
que, etc. On voit que l'auteur a voulu dire
que le toucher est le sens qui nous pro-
ie calcul aux objets d'une science , est proportionnelle
à la propriété qu'ont ces objets d'être plus ou moins
appréciables en mesures exactes; voilà pourquoi la
géométrie jouit éminemment de cet avantage , et
après elle graduellement celles qui traitent plus ou
moins de sujets réductibles en mesures de l'étendue.
Cette remarque nous montre combien est grande
l'erreur de certains écrivains qui croient donner une
grande force à leurs raisonnemens et augmenter beau-
coup la certitude d'une science , en introduisant une
multitude de chiffres et de calculs dans des sujets qui
n'en sont pas susceptibles. S'ils avaient commencé par
trouver le secret de ramener le sujet qu'ils traitent à
des mesures précises, d'étendue, par exemple , sans
doute ils auraient fait un pas immense ; mais sans
celui-là tout ce vain appareil mathématique est char-
latanerie pure.
Nous avons un exemple d'un genre bien différent,
mais qui confirme mon dire, dans les efforts qu'ont
faits nos grands chimistes modernes pour exprimer
en nombres l'intensité de l'affinité de certains acides
pour certaines bases , afin de nous rendre sensible le
jeu des affinités doubles. Ils ont usé des ménagement
les plus adroits dans la détermination des nombres
par lesquels ils ont exprimé les affinités des différera;
acides , afin qu'il arrivât toujours que les sommes re-
présentant les affinités victorieuses fussent supérieure*
CHAPITRE X. 2o3
cure les mesures les plus exactes et les
rapports les plus précis; mais il aurait du
ajouter que cela n'est vrai que lorsqu'il est
employé à la connaissance de l'étendue ; car
les sensations des piqûres, des brûlures,
du froid, du chiud, des frottemens, des
chatouillemens, et bien d'autres sont aussi
des perceptions que nous devons au sens
du toucher; et il n'est pas plus aisé d'éva-
luer l'intensité de ces sensations, et d'établir
des rapports exacts entr'eiles , que lors-
qu'il est question des sensations de cou-
leurs, de saveurs, ou d'odeurs, que nous
à celles des affinités vaincues; et à force de tâtonne-
mens ils sont parvenus à ce que les nombres assignés
aux différens acides ne représentassent pas mal , au
moins dans beaucoup de cas , les degrés de puissance
de ces acides. Mais dans le fait, faute de trouver des
mesures exactes de ces degrés de puissance, ils ne
peuvent pas se servir de ces nombres pour les calculer
rigoureusement; et ils sont trop éclairés pour l'entre-
prendre , et pour croire que l'emploi de ces chiffres
donne un nouveau degré de justesse à leurs belles ob-
servations, et de sûreté à leurs excellens raisonnement.
Une quantité quelconque est donc calculable à pro-
portion qu'elle est réductible directement ou indirec-
tement en mesures de l'étendue, car c'est-là la pro-
priété des êtres la plus éminemment mesurable.
204 IDÉOLOGIE.
devons à d'autres sens. Ce métaphysicien
aurait donc bien fait de remarquer, si tou-
tefois il s'en est aperçu, que ce n'est pas le
toucher qui est un sens vraiment géométri-
que, mais bien l'étendue qui est une pro-
priété éminemment métrique, c'est-à-dire
mesurable : cela aurait eu un sens plus
clair et plus instructif. J'observerai à cette
occasion que, si les mots étaient bien faits,
la science de l'étendue ne s'appellerait pas
géométrie, qui veut dire mesure de la terre,
ce qui ne convient qu'à l'arpentage, mais
bien cosmométrie , puisqu'elle sert à me-
surer le monde entier, ou mieux encore
?nétrie tout simplement, puisque de toutes
les sciences, c'est celle qui jouit le plus
complètement de l'avantage de posséder
des mesures parfaites, et d'en fournir aux
autres.
J'ai beaucoup insisté sur cette propriété
de rétendue, parce qu'elle n'a pas été assez
remarquée jusqu'à présent; qu'on n'a pas
encore fait voir nettement en quoi elle con-
siste; qu'on n'a pas imaginé d'en déduire la
cause du degré de certitude des diverses
sciences, et qu'en général on a été porté à
attribuer ce plus ou moins de certitude à
CHAPITRE X. 205
la manière de procéder de ces sciences
que l'on croyait fort différente , tandis que
nous verrons à l'article de la Logique que la
marche de l'esprit humain est toujours la
même dans toutes les branches de ses con-
naissances, et que la certitude de ses juge-
mens est toujours de la même nature et a
toujours des causes semblables.
Après cette longue digression sur la me-
sure des propriétés des corps , je reviens à
ce que j'ai dit de l'enchaînement de ces pro-
priétés. Je pense que, pour les ranger dans
un ordre réellement méthodique, il faudrait
mettre au premier rang la mobilité, non-
seulement parce quelle est la source de tous
les effets que les corps produisent les uns
sur les autres, et que, nommément dans les
êtres animés, elle est la cause de la faculté
de sentir et de se mouvoir, mais encore
parce que toutes les autres propriétés des
corps sont nécessairement dépendantes de
celle-là , puisqu'elles n'auraient pas lieu sans
elle; ou y sont essentiellement relatives,
puisqu'elles ne nous sont connues que par
le mouvement.
On doit placer ensuite l'inertie et V im-
pulsion, qui n'auraient pas lieu sans la mo-
206 IDÉOLOGIE.
bilité, et ne sont que des circonstances de
son existence.
Après, vient F attraction, qui n'aurait pas
lieu non plus sans la mobilité, mais n'en est
pas une conséquence nécessaire.
Je comprends sous ce nom général d'at-
traction la gravitation céleste, la pesanteur
terrestre, et les affinités chimiques avec
leurs dépendances , l'adhésion , la cohé-
sion, etc. : ces forces internes existantes dans
chaque particule des corps me prouvent
que la matière est essentiellement active ;
et si elle ne l'était pas, je ne comprends pas
comment elle serait mobile, car je ne puis
concevoir d'où viendrait le commencement
d'un mouvement quelconque.
Vient ensuite l'étendue, qui n'est ni une
circonstance ni un effet de la mobilité, mais
qui ne nous est connue que par elle, et
n'existe pour nous que par sa relation avec
le mouvement.
De l'étendue dérivent nécessairement la
divisibilité, la forme ou figure, et l'im-
pénétrabilité, comme aussi laporosité, qui
en est une conséquence générale, mais non
pas nécessaire.
Enfin vient la durée, propriété qui est in-
CHAPITRE X. 207
dépendante de la mobilité, dont la seule sac-
cession de nos sensations nous donne l'idée,
mais que nous ne pouvons mesurer que
par le mouvement, lequel n'est lin-même
constaté que par l'étendue qu'il nous a fait
connaître; ensorte que l'étendue, la durée
et le mouvement se servent réciproque-
ment de mesure, ou plutôt que la mesure
de tous trois s'exprime en parties d'étendue.
Tel est l'enchaînement que j'aperçois
entre les propriétés que nous reconnaissons
dans les corps. Je suis persuadé que si les
physiciens, au lieu de les ranger à peu près
indifféremment, comme ils ont toujours fait,
s'étaient occupés de les classer ainsi dans un
ordre bien systématisé, ils nous auraient
donné des idées plus nettes de ce que les
corps sont pour nous * mais pour cela , il
aurait fallu remonter, comme nous venons
de le faire, à l'origine de nos connaissances.
Aussi l'enseignement de toute science de-
vrait-il réellement commencer par nous
expliquer comment nous connaissons les
objets dont elle traite, ce qui prouve que
l'examen de nos opérations intellectuelles
est l'introduction naturelle à tous les genres
d'études. On me dira peut-être qu'il n'est
208 IDÉOLOGIE.
pas nécessaire de remonter si haut pour
donner des notions exactes des phénomènes
particuliers; cela se peut. Cependant, si je
voulais citer de nombreuses erreurs en phy-
sique provenant de fausses idées métaphy-
siques, les exemples ne me manqueraient
pas; et, même en géométrie, je pourrais
dire que si les géomètres sont mécontens
avec raison de la plupart des définitions de
la ligne droite, et des démonstrations des
propriétés des parallèles, et du peu de liai-
son qu'ont entr'elles plusieurs des pre-
mières vérités de la géométrie, la cause en
est qu'ils ne se sont pas fait une idée nette
de la nature de l'étendue, et de la manière
dont nous la connaissons. S'ils étaient re-
montés jusque-là , ils auraient vu tout dé-
river de l'idée première de la ligne physique
tracée sur un corps par un autre corps qui
se meut d'un des points de ce corps à un
autre, en conservant toujours la même di-
rection ou en en changeant; et toutes leurs
propositions élémentaires sur les lignes
droites, les lignes brisées, les lignes courbes,
les angles et leur mesure, les parallèles et
leurs sécantes , les intersections des cercles
et des sphères, etc., se seraient enchaînées
d'elles-
CHAPITRE X. 209
d'elles-mêmes et liées très-étriotement. A la
vérité je ne puis qu'indiquer ce que j'avance
ici : pour le démontrer, il me faudrait faire
un petit traité de géométrie élémentaire , et
cela m'éloignerait du sujet que je traite;
mais je suis persuadé que les personnes éclai-
rées qui ont réfléchi sur ces matières ne me
dédiront pas. D'ailleurs il n'est pas néces-
saire de démonstrations bien détaillées pour
prouver que quant à l'origine d'une re-
cherche quelconque on laisse un point ob-
scur quel qu'il soit, il n'est pas possible qu'il
n'en résulte quelqu'inconvénient dans un
moment ou dans un autre : or, c'est à cette
assertion que je me borne, et elle me suffit
pour établir la nécessité d'étudier nos fa-
cultés intellectuelles. Revenons donc à cette
étude, qui est notre objet principal, et dont
les autres ne sont que des applications ; et
commençons par nous assurer que nous ne
nous sommes pas égarés jusqu'à présent
dans l'analyse que nous avons faite de ces
facultés. Pour cela, comparons-la avec celle
qui est la plus généralement approuvée.
O
210 IDEOLOGIE.
CHAPITRE XL
Réflexions sur ce qui précède _, et sur la
manière dont Condillac a analysé la
Pensée.
IVJLEsjeunesamis, pour avanceravec sûreté
dans une recherche quelconque, rien n'est
plus utile que de jeter de temps en temps un
coup-d'œil en arrière sur le chemin que
l'on a parcouru; cela est d'autant plus à pro-
pos en ce moment, que nous sommes déjà
plus avancés dans notre carrière que peut-
être vous ne le croyez vous-mêmes.
En effet, après vous avoir donné une idée
générale de la faculté de penser ou sentir,
et du but que je me propose en l'exami-
nant, je vous ai fait remarquer qu'elle con-
siste à sentir des sensations, des souvenirs,
des rapports et des désirs.
Vous avez vu que ces impressions pre-
mières suffisent à former toutes nos idées
les plus compliquées et les plus abstraites,
et à nous assurer de la réalité de notre
existence et de celle de tout ce qui nous
entoure.
CHAPITRE XI. 2il
Je vous ai même expliqué comment ces
facultés élémentaires naissent les unes des
autres, ou plutôt qu'elles ne sont que des
modifications d'une faculté unique, celle de
sentir. C'est ainsi, je crois, qu'il faut en-
tendre le principe de Condillac, que toutes
les opérations, ou, comme il dit souvent,
toutes les facultés de rame ne sont tou-
jours que la sensation transformée; prin-
cipe profond et fécond, qui jusqu'à présent
donnait lieu à beaucoup de discussions,
parce que cette manière de l'énoncer laisse
peut-être quelque chose à désirer.
Je vous ai montré de plus en quoi con-
siste tout ce que nous savons des propriétés
des corps, et que la manière dont je les
considère explique très-facilement la géné-
ration et la nature de plusieurs idées qui ont
toujours beaucoup embarrassé les métaphy-
siciens, et qui n'embarrassent si peu les
autres hommes que parce qu'i's ne se met-
tent pas en peine de savoir ce qu'ils font
quand ils pensent et qu'ils raisonnent; chose
cependant assez nécessaire pour bien pen-
ser et bien raisonner, quelque sujet que l'on
traite.
Quoi qu'il en soit, il résulte de ce petit
O 2
212 IDEOLOGIE.
nombre d'observations, que, si nous ne nous
sommes pas égarés, nous avons déjà une
idée nette de l'instrument universel de
toutes nos découvertes, de ses procédés,
de ses effets, de ses résultats, et du principe
de toutes nos connaissances; ce qui n'était
peut-être pas encore arrivé, et ce qui ne
peut être inutile aux progrès ultérieurs de
l'esprit humain.
Sans doute nous sommes loin d'avoir fait
une histoire complète de l'intelligence hu-
maine ; il faudrait des milliers de volumes
pour épuiser un sujet si vaste, mais du
moins nous en avons fait une analyse exacte ;
et le peu de vérités que nous avons recueil-
lies est, si je ne me trompe, dégagé de toute
obscurité, de toute incertitude, et de toute
supposition hasardée, ensorte que nous pou-
vons y prendre une entière assurance : d'où
il arrive qu'étant certains de la formation et
de la filiation de nos idées, tout ce que nous
dirons par la suite de la manière d'exprimer
ces idées, de les combiner, de les enseigner,
de régler nos sentimens et nos actions, et
de diriger celles des autres, ne sera que des
conséquences de ces préliminaires, et repo-
sera sur une base constante et invariable ,
CHAPITRE XI. 2l5
étant prise dans la nature même de notre
être. Or, ces préliminaires constituent ce que
l'on appelle spécialement l'idéologie ; et
toutes les conséquences qui en dérivent
sont l'objet de la grammaire, de la logique,
de l'enseignement, de la morale privée, de
la morale publique (ou l'art social), de l'édu-
cation et de la législation , qui n'est autre
chose que l'éducation des hommes faits.
Nous ne pourrons donc nous égarer dans
toutes ces sciences qu'autant que nous per-
drons de vue les observations fondamen-
tales sur lesquelles elles reposent.
Il paraîtrait, par ce résumé, que nous
n'avons plus rien à dire sur l'Idéologie pro-
prement dite : et effectivement, si je n'avais
égard qu'à ma feçon de voir, j'aurais bien
peu de choses à ajouter à ce qui précède. Je
me contenterais de vous rappeler que ma
manière de décomposer la pensée satisfaisant
à l'explication de tous les phénomènes qui
sont explicables, vous ne pouvez plus vous
refuser à convenir qu'il n'y a dans toutes
nos idées que des sensations , des souvenirs^
des jugemens et des désirs; et après quel-
ques observations générales sur les rapports
de l'idéologie et de la physiologie , }e vous-
2l4 IDEOLOGIE.
proposerais de passer à l'étude de l'expres-
sion de nos idées.
Mais vous avez pu remarquer que dans
l'établissement de ma théorie idéologique, je
ne me suis occupé que des faits sur lesquels
elle est fondé, sans m'embarrasser des sys-
tèmes des auteurs qui ont écrit sur ces ma-
tières , et sans me mettre en peine d'en dis-
cuter presque aucuns. Or, avant d'aller plus
loin 7 il est bon que vous ayez une idée des
opinions les plus accréditées : pour cela il
suffira que nous examinions celle de Con-
dillac, parce qu'elle est le fond commun de
toutes les autres, qui n'en sont guère que
des variantes.
Vous saurez donc que ce philosophe jus-
tement célèbre, que l'on peut regarder
comme le fondateur de la science que nous
étudions, et qui jusqu'à présent en tient le
sceptre (1), a jugé à propos, d'après Locke ,
(1) Avant Condillac, nous n'avions guère, sur les
opérations de l'esprit humain, que des observations
éparses plus ou moins fautives : le premier il les a
réunies et en a fait un corps de doctrine ; ainsi ce n'est
que depuis lui que l'idéologie estvraiment une science.
Il l'aurait encore bien plus avancée, si, au lieu de dis-
séminer ses principes dans plusieurs ouvrages, il Ici
CHAPITRE XT. 21 5
de partager l'intelligence de l'homme ou sa
faculté de sentir, en entendement et en vo-
lonté; puis il reconnaît comme parties inté-
grantes de l'entendement, l'attention, la com-
paraison, le jugement, la réflexion, l'imagi-
nation, et le raisonnement, auquel il joint
ensuite la mémoire, qu'il partage même quel-
quefois en réminiscence, mémoire propre-
ment dite, et imagination (dans ce cas le
mot imagination n'a pas le même sens que
ci-dessus); enfin, il distingue dans la vo-
lonté le besoin, le malaise, l'inquiétude, le
désir, les passions, l'espérance, et la volonté
proprement dite. On peut voir cette divi-
sion dans sa Logique, part, première, chap.
7 ; dans les leçons préliminaires de son Cours
d'Études, art. 2; dans son Essai sur l'ori-
gine des Connaissances humaines, part, pre-
mière, chap. 2 et 3, et dans plusieurs
avait rassemblés dans un traité unique qui contînt son
système tout entier ; mais , quoiqu'une mort préma-
turée l'ait empêché de rendre cet important service à
la raison humaine, il n'en est pas moins le guide !e
plus généralement suivi par tous les bons esprits de
nos jours, et il a la gloire d'avoir puissamment con-
tribué à les former.
2l6 IDÉOLOGIE.
autres endroits de ses ouvrages : elle n'est
pas partout exactement la même.
Voilà bien des parties distinctes dans
cette seule chose que nous appelons la pen-
sée. Les disciples de Condillac, etCondillac
lui-même, y en ont quelquefois ajouté d'au-
tres, et souvent en ont retranché : ces va-
riations indiquent déjà qu'il y a de l'arbi-
traire dans ces divisions , et qu'elles ne sont
pas manifestement commandées par les
faits ; mais pour en être tout -à -fait cer-
tains , il nous suffit de nous rendre un
compte exact de la signification de tous ces
termes.
Je vois d'abord comme en parallèle et
presque en opposition l'entendement et la
volonté. Je comprends bien que l'on ex-
prime par le mot volonté cette faculté, ce
pouvoir que nous avons de ressentir des
désirs, des penchans pour certaines ma-
nières d'être, et de l'éloignement pour d'au-
tres : c'est aussi l'usage que nous avons fait
de ce terme, et je le crois fondé; mais je ne
vois pas de même pourquoi on grouperait
sous le seul mot entendement des choses
aussi distinctes que sentir, se ressouvenir,
et juger.
CHAPITRE XI. 217
En effet, on peut dire que nos connais-
sances ne consistent proprement que dans
les jugemens que nous portons des impres-
sions que nous recevons ; qu'ainsi, rigou-
reusement parlant , il n'y a de tout cela que
le jugement qui appartienne à l'entende-
ment; et qu'il faudrait ne placer que lui
sous ce titre, tandis que la sensibilité, et
même la mémoire , iraient très - bien se
ranger avec le désir , qui est un effet im-
médiat et nécessaire de l'impression reçue.
D'un autre côté, si on considère que sen-
tir et vouloir sont des modifications sou-
daines , et pour ainsi dire forcées , et que
se ressouvenir et juger portent un caractère
de plus de réflexion , on pourrait ranger la
volonté avec la sensibilité comme en étant
une dépendance, et laisser ensemble sous
un autre nom , la mémoire et le jugement,
et tout ce qui y tient; ce qui produirait en-
core une autre distribution. Peut-être pour-
rait-on encore avec plus de raison observer
que la sensibilité et la mémoire sont les fa-
cultés qui fournissent au jugement et à la
volonté les sujets sur lesquels ils s'exercent;
qu'elles sont intimement liées; et que sous
ce point de vue il convient de les réunir
2l8 IDÉOLOGIE.
comme étant le principe de tout, et de lais-
ser ensemble le jugement et la volonté, les
regardant comme des conséquences.
Enfin, si l'on fait attention que tout désir
quelconque est le produit d'une sorte de dis-
cernement des qualités d'une chose , on trou-
vera que la volonté elle-même appartient à
l'entendement plus que la sensibilité et la
mémoire; et cela produira un nouvel arran-
gement, ou détruira toute division. Il y a
donc, je le répète, bien de l'arbitraire dans
celle adoptée.
Le vrai est qu'il vaut mieux ne pas réu-
nir forcément sous des titres fantastiques
des choses aussi différentes entr'elles que
la sensibilité , la mémoire, le jugement,
et la volonté , et que nous devons les lais-
ser aussi distinctes et séparées dans nos
nomenclatures qu'elles le sont dans le
fait(i).
Si de cette division générale nous passons
(1) On peut conserver la division Entendement et
Volonté ; mais alors il faut ranger sous l'un de ces
mots tout ce qui a rapport à savoir et à connaître, et
sous l'autre tout ce qui est relatif à vouloir et à agir.
Mes trois premiers volumes sont un traité de la pre-
mière partie -} mon quatrième est le commencement
CHAPITRE Xr. 219
aux détails, je vois d'abord Y attention à la
tête des facultés qui composent {'entende-
ment: mais l'attention est-elle donc une fa-
culté particulière? consiste-t-elle dans une
opération de l'esprit distincte de toutes les
autres? je ne le crois pas. Etre attentif à
quoi que ce soit, c'est apporter à une chose
quelconque le soin nécessaire au succès.
L'attention est l'état de l'homme qui veut
surmonter une difficulté ; c'est une manière
d'être , produite par l'énergie de la volonté 5
c'est un effet et non pas une cause ; et je ne
vois là aucune action spéciale : j'aimerais
autant faire une faculté de la tristesse ou de
la fatigue. Mais, dit-on, quand je fais atten-
tion à une sensation, j'en ai la conscience,
et toutes les autres disparaissent. Hé bien !
les autres sont nulles , et vous avez une sen-
sation : voilà tout. Vous auriez de même la
perception d'un souvenir, d'un rapport, ou
d'un désir. Aussi, dit-on, l'attention devient
successivement tout cela. Dans ce cas-là
elle n'est rien par elle - même , et il est
de la seconde , que je n'ai pu terminer, et qui devrait
aussi former trois volumes, comme on peut le Yoir à
la fin de ma Logique.
220 IDEOLOGIE.
inutile d'en parler ; c'est aussi à quoi je
conclus.
Vient ensuite la comparaison : c'est, nous
dit-on, une double attention, une attention
qui se porte sur deux objets à la fois; soit.
J'ai déjà dit ce que je pense de l'attention.
Mais comment comprendre la comparaison
séparée du jugement? Juger n'est-ce pas
sentir un rapport entre deux objets? et
sentir un rapport entr'eux n'est-ce pas les
comparer? aussi ajoute-t-on que nous ne
pouvons comparer deux objets sans les ju-
ger. Pourquoi donc séparer deux choses in-
séparables? Je ne vois toujours laque deux
actions, sentir et juger. La comparaison est
jugement, ou n'est que sensation ; elle n'est
donc rien en elle-même. Passons à la ré-
flexion.
Nous avons déjà vu, chapitre VI, p. 76,
ce que c'est que réfléchir; il est inutile de le
répéter ici : il suffit de remarquer que la
réflexion n'étant qu'un certain usage que
nous faisons de nos facultés intellectuelles ,
elle n'est point elle-même une faculté parti-
culière.
J'en dirai autant de l'imagination , qu'on
fait consister à rassembler dans un seul objet
CHAPITRE XI. 221
fantastique les qualités de plusieurs objets
réels. Cela n'a pas besoin de preuves.
Quant à cette autre imagination qui con-
siste à avoir des souvenirs si vifs, que les
objets semblent actuellement présens, nous
avons déjà observé, au chap. III, qu'elle n'est
que la mémoire, ou l'effet de la mémoire,
qui va jusqu'à réveiller la sensation même.
Elle n'a donc pas besoin d'un nom particu-
lier, non plus que la réminiscence, que l'on
fait consister à avoir des souvenirs et à sen-
tir que ce sont des souvenirs. Celle-là est la
mémoire unie à un jugement.
Reste donc le raisonnement, qui est, dit-
on , une suite de jugemens implicitement ren-
fermés les uns dans les autres. J'en conviens ;
et j'en conclus que ce n'est là qu'une répé-
tition de l'action de juger, et non une faculté
particulière.
Voilà pourtant à quoi se réduisent toutes
ces subdivisions si multipliées de ce qu'on ap-
pelle entendement. Je n'y retrouve jamais,
en les analysant, que des sensations, des
souvenirs et des jugemens; et je suis tou-
jours plus convaincu qu'elles ne sont pro-
pres qu'à embrouiller la matière, en créant
des êtres imaginaires, et en en confondant
222 IDEOLOGIE.
de très-réels. Voyons s'il en sera de même
de la volonté.
On place à la tête des opérations intel-
lectuelles que l'on rapporte à la volonté,
une affection nommée le besoin, que l'on
nous dit être une souffrance. Quand cette
souffrance est faible, on l'appelle malaise;
et quand elle nous prive du repos, on lui
donne le nom ^inquiétude. On nous pré-
sente cela comme trois opérations distinctes,
et l'on fait intervenir la réflexion et l'ima-
gination pour transformer ces opérations
en une quatrième, que l'on appelle le désir.
J'avoue que je ne comprends rien à cette
explication 5 je ne vois encore là que deux
choses , souffrir et désirer ; et ces deux
choses je les connais bien par expérience.
Souffrir, est une manière d'être, un produit
de la sensibilité; c'est l'effet d'une impression
reçue : et cette impression est telle , qu'elle
me fait porter le jugement distinct ou im-
plicite que je dois l'éviter, d'où il suit que
j'en conçois le désir. Dans la puissance de
concevoir des désirs consiste uniquement
ce que j'appelle volonté.
Notre auteur, au contraire, comprend
encore parmi les opérations dépendantes de
CHAPITRE XL 225
la volonté, les passions, l'espérance , la vo-
lonté proprement dite , et jusqu'à la crainte,
la confiance, la présomption.
11 est vrai qu'il nous explique que les
passions sont des désirs devenus habituels,
que l'espérance est le désir joint à un juge-
ment, et que la volonté, dans le sens res-
treint, est encore le désir joint à un autre
jugement. Ainsi ce ne sont pas là des im-
pressions élémentaires , mais des affections
composées, dans lesquelles il n'y a que le
désir qui appartienne réellement à la faculté
appelée volonté.
Pour la crainte, la confiance, la présomp-
tion, etc., ce n'est pas la peine de nous y ar-
rêter : il est trop manifeste que ce sont des
manières d'être, des états de l'homme, ré-
sultant de l'emploi bon ou mauvais de toutes
ses facultés ; et que des résultats si compli-
qués ne peuvent jamais être regardés comme
des élémens.
Je persiste donc à penser que la manière
dont Condillac a décomposé notre intelli-
gence est vicieuse; et que plus on y réflé-
chira, plus on se convaincra que la pensée
de l'homme ne consiste jamais qu'à sentir
224 IDÉOLOGIE.
des sensations, des souvenirs, des jugemens
et des désirs (1).
Au reste, l'examen auquel nous venons de
nous livrer peut nous fournir des réflexions
importantes. La première qui se présente,
c'est que le grand idéologiste dont j'ose ici
combattre quelques idées , a le mérite émi-
nent d'avoir le premier bien reconnu ce que
c'est que penser.
Il dit dans vingt endroits, et nommément
dans ceux que je viens de citer : Les facul-
tés de Vaine naissent successivement de
la sensation. Elles ne sont que la sensation
qui se transforme pour devenir chacune
d'elles. Toutes les opérations de Vame ne
sont que la sensation même qui se trans-
forme différemment, etc. ... Et, ce qui est
plus précis encore, il dit, dans sa Logique ,
chapitre 7 : Toutes les facultés que nous
venons d'observer sont renfermées dans
la faculté de sentir. Assurément c'est bien
(1) Pour l'intelligence complète de cette discussion ,
que j'ai tâché de resserrer, j'invite le lecteur à relire
l'Analyse de la Pensée, par Condillac, dans un des
endroits cités ci-dessus, et sur-tout dans le chap. 7
de la première partie de sa Logique , où elle est le
plus détaillée, et que j'ai eu principalement en vue.
dire,
CHAPITRE XI. 225
dire, non-seulement comme Locke, que
toutes nos idées viennent des sens, mais en-
core qu'elles ne sont que des sensations de
différentes espèces. Cependant cela n'est
pas complètement net, et souvent les ex-
plications subséquentes obscurcissent en-
core ces traits de lumière. J'aurais donc
mieux aimé qu'il dît : Sentir est un phéno-
mène de notre organisation, quelle qu'en
soit la cause ; et penser n'est rien que sentir.
Ce que nous appelons la faculté de penser,
la pensée, n'est autre chose que la faculté
de sentir, la sensibilité prise dans le sens
le plus étendu. Toutes nos idées , toutes
nos perceptions sont des choses que nous
sentons, c'est-à-dire des sensations, aux-
quelles nous donnons differens noms, sui-
vant leurs differens effets et leurs differens
caractères.
Alors, au lieu d'expliquer péniblement
comment la sensation devient mémoire,
jugement, volonté, et mille autres choses,
il aurait dit tout simplement, comme nous,
que notre faculté de sentir ou penser con-
siste à sentir des sensations proprement
dites, des souvenirs, des rapports, des de-
P
aag idéologie.
sirs, et tout ce qu'il aurait jugé à propos dV
distinguer.
Je crois ces deux manières de s'exprimer
bien identiques. Cependant, telle est la con-
séquence de présenter la même idée sous
un aspect ou sous un autre, que quand, par
la suite de mes observations et de mes ré-
flexions, j'ai été conduit à conclure que
foutes nos idées ne sont que des sensations
diverses, et que penser, sentir et exister ne
sont pour nous qu'une seule et même chose,
j'ai cru fermement ne l'avoir pas appris de
Condillac; et peut-être beaucoup de ses sec-
tateurs ne conviendront pas que je dise la
même chose que lui, ni par conséquent que
j'aie raison.
Il y a plus; je suis persuadé que s'il avait
rédigé son propre principe sous la forme
que je lui donne, cet excellent esprit qui lui
a fait éliminer tant d'idées fausses et vagues,
l'aurait amené nécessairement à ne plus re-
connaître dans la pensée toutes ces opéra-
tions parasites qu'il y admet encore, et qui
ne font qu'embrouiller l'analyse qu'il en a
laite, ce qui a été un vrai malheur pour la
science. Au reste, peut-être a-t-il cru s'être
fait entendre suffisamment; peut-être n'a-t-il
CIIAPIIRR XT. 227
pas voulu s'expliquer d'avantage. Quoi qu'il
en soit, je persiste à soutenir qu'à lui seul
appartient l'honneur d'avoir découvert que
penser n'est rien que sentir, et que toutes
nos idées ne sont que des sensations di-
verses dont il ne s' agit que de démêler les
différences et les combinaisons. J'ai débar-
rasse* cette grande vérité de quelques nuages
qui l'obscurcissaient encore un peu; j'en
ai tiré quelques conséquences de plus, et
voilà tout.
La réflexion que nous venons de faire sur
Condillac en amène naturellement une autre
plus directement relative à la science, c'est
qu'il est bien extraordinaire que depuis le
temps que les hommes pensent et cherchent
à se rendre compte de leurs idées, ce soit
une découverte nouvelle de savoir que pen-
ser est la même chose que sentir; et qu'il
est encore plus surprenant que le même
homme qui a été capable d'apercevoir cette
vérité, ait pu ensuite se tromper sur le
nombre et l'espèce des opérations distinctes
qui composent cette faculté de sentir, et des
sortes de sensations réellement différentes
entr'clles que nous lui devons.
II semble en effet, au premier coup-d'œil,
P 2
328 IDEOLOGIE.
que rien au monde ne devrait être plus aisé*
sinon de connaître les causes de la pensée,
du moins d'en observer les effets ; il paraît
que là il n'y a pas même possibilité à l'er-
reur; car de quoi s'agit-il pour chacun de
nous? de se rendre compte de ce qu'il fait
tous les jours, à tous les momens ; d'en exa-
miner les détails, de s'en tracer un tableau
fidèle. 11 n'est question de rien combiner, de
rien inventer, encore moins de rien suppo-
ser. Il n'y a que des faits à recueillir , et ces
faits se passent en nous; chacun est pour
lui-même le champ le plus riche en obser-
vations et le sujet de ses expériences les
plus instructives; enfin tout consiste à savoir
ce que l'on sent. Qui pourrait jamais croire,
s'il n'y était forcé par l'expérience de tous
les siècles et par la sienne propre, que ce
soit là une entreprise dans laquelle aient
échoué les meilleurs esprits? Cependant,
non-seulement la difficulté d'y réussir n'est
que trop certaine, mais même elle est telle,
qu'il faut déjà être fort avancé pour voir
nettement en quoi elle consiste. Tout ce que
nous avons dit jusqu'à présent a pu nous
mettre sur la voie, mais ne suffit pas pour
bien éclaircir l'état de la question; il faut
CHAPITRE Xir. 229
donc que nous considérions encore notre
pensée sous d'autres aspects, et que nous
examinions quelques-uns des principaux
phénomènes qu'elle présente. C'est ce que
nous allons faire dans le chapitre suivant.
CHAPITRE XII.
De la Faculté de nous mouvoir et de ses
rapports avec la Faculté de sentir.
1VJ.es jeunes amis, je vous ai montré quels
sont les élémens de nos idées ; je vous ai ex-
pliqué comment ces élémens forment toutes
nos idées composées, et je vous ai fait voir
en quoi consiste la réalité de l'existence des
êtres que ces perceptions nous font con-
naître; j'ai ajouté à ces explications quel-
ques applications et quelques discussions
qui me paraissent satisfaisantes ; ainsi je
crois avoir rempli la tâche que je m'étais
imposée, de vous apprendre ce que vous
faites quand vous pensez. Cependant, avant
de quitter ce sujet, je crois devoir encore
examiner avec vous quatre objets impor-
tuns, savoir : i° jusqu'à quel point notre
25o IDEOLOGIE.
faculté de penser est dépendante de notre
volonté 5 20 quelles modifications apporte
dans notre pensée la fréquente répétition de
ses actes; 5° ce que, dans l'état actuel de la
raison humaine, la faculté de penser des
hommes en société doit au perfectionne-
ment graduel de l'individu et à celui de l'es-
pèce; 4° l'influence de l'usage des signes sur
ces deux espèces de perfectionnement. Ces
quatre nouvelles manières de considérer nos
facultcsintellectuellesnousapprendrontàles
mieux connaître, et nous donneront la solu-
tion de plusieurs questions, et entr'autres de
celle que nous nous sommes propesée dans
le chapitre précédent, savoir en quoi con-
siste la difficulté que tout homme éprouve
à se rendre compte de ce qui se passe en
lui quand il pense.
Pour réussir dans ces recherches, il faut
agrandir le champ de nos observations. Nous
ïie de von s plus no us borner à examiner notre
iaculté de penser, isolée et abstraite des
autres circonstances de notre existence, il
faut considérer notre individu tout entier et
dans son ensemble. Deux phénomènes prin-
cipaux s'y font remarquer; l'un est cette
capacité, ce pouvoir que nous avons de re-
CHAPITRE XII. 25l
cevoir des impressions, d'avoir des percep-
tions, en un mot, d'éprouver des modifica-
tions dont nous avons la conscience. C'est
ce que nous appelons la faculté de penser ou
de sentir, en prenant ce mot dans le sens
le plus étendu.
L'autre est cette capacité ou ce pouvoir
que nous avons de remuer et de déplacer
les différentes parties de notre corps, et
d'exécuter une infinité de mouvemens tant
internes qu'externes , le tout en vertu de
Forces existantes au-dedans de nous, et sans
y être contraints par l'action immédiate d'au-
cun corps étranger à nous. C'est ce que nous
appelons la faculté de nous mouvoir.
Ces deux phénomènes sont également le
résultat de notre organisation ; nous pou-
vons bien les diviser par la pensée pour
examiner séparément et successivement les
effets de l'un et de l'autre; mais, dans la réa-
lité, ils sont inséparables : le premier, au
moins, ne peut exister sans le second ; car
quoiqu'il soit vrai qu'il s'opère beaucoup de
mouvemens en nous sans que nous en ayons
la conscience, sans qu'ils nous causent la
moindre perception, il est certain que nous
ne pouvons concevoir aucune perception
202 IDEOLOGIE.
produite en nous, même la plus purement
intellectuelle , sans un mouvement quel-
conque opéré dans quelqu'un de nos or-
ganes. Ainsi, à prendre les choses telles
qu'elles sont, nous ne devons regarder l'ac-
tion de penser ou sentir que comme un effet
particulier de l'action de nous mouvoir, et
la faculté de penser que comme une dépen-
dance de la faculté de nous mouvoir. Celle-ci
mérite donc bien de fixer notre attention.
J'ai dit que nous avons le pouvoir de faire
des mouvemens en vertu de forces exis-
tantes au-dedans de nous, et sans y être
contraints par l'action immédiate d'aucun
corps étranger. Je ne prétends pas pour cela
qu'il existe en nous un principe essentielle-
ment actif et vraiment créateur d'une force
absolument nouvelle , indépendante de
toutes celles qui existent dans le monde, en-
sorte qu'en vertu de notre énergie propre
la quantité du mouvement se trouve aug-
mentée d'un moment à l'autre dans l'univers
par notre action. Au contraire, et cela est
essentiel à remarquer, des expériences ri-
goureuses prouvent que quand un homme
se suspend à la corde d'une poulie, il n'agit
sur elle qu'en vertu de son poids et ne peut
CHAPITRE XIT. 253
rien au-delà ; que quand il pousse contre un
mur ou contre un fardeau, il réagit contre
le terrain sur lequel il s'appuie avec une
force égale à celle qu'il applique à la résis-
tance ; qu'il en est de même quand il soulève
un poids ; qu'enfin il n'agit jamais que comme
poids, ou comme ressort, ou comme levier,
à la manière des êtres inanimés, et qu'il ne
crée proprement aucune force nouvelle. Ce-
pendant, il n'est pas moins certain qu'un
corps vivant n'a pas besoin de l'application
immédiate d'un corps étranger pour être
mu, et que bien qu'il lui faille un point d'ap-
pui pour opérer un effet quelconque , et
qu'ainsi son action ne soit qu'une réaction,
il a au -dedans de lui le principe de cette
action.
Il y a plus ; l'expérience prouve aussi que
nos muscles, dans l'état de vie, soulèvent
des poids de beaucoup supérieurs à ceux
qui seraient capables de les déchirer dans
l'état de mort. C'est donc quelque chose que
la vie • c'est elle qui fait aussi que tant qu'un
corps en est doué, il a la force d'assimiler
à sa substance les corps avec lesquels il est
en contact d'une manière convenable, tan-
dis que dès qu'il est mort, ce sont tous les
254 IDEOLOGIE.
élémens qui le composent qui se dissolvent»
se séparent , et vont former de nouveaux
mixtes avec les êtres environnans, suivant
de nouvelles lois d'affinités. Cette force vi-
tale, nous ne savons pas en quoi elle con-
siste; nous ne pouvons nous la représenter
que comme le résultat d'attractions et de
combinaisons chimiques , qui , pendant un
temps, donnent naissance à un ordre de faits
particuliers, et bientôt, par des circonstances
inconnues, rentrent sous l'empire de lois
plus générales, qui sont celles de la matière
inorganisée. Tant qu'elle subsiste, nous vi-
vons, c'est-à-dire que nous nous mouvons
et que nous sentons.
Cette force vitale produit donc la faculté
de faire des mouvemens ; mais comment
s'exécutent ces mouvemens? c'est ce que
nous ignorons. Nous savons bien que les
muscles sont ceux de nos organes qui en
sont les instrumens immédiats, et que quand
une partie quelconque de notre corps se
meut, c'est par l'effet de la contraction du
muscle qui l'attire de ce côté ; nous savons
encore que si ce muscle se raccourcit, c'est
par l'affluence des liqueurs dans les nom-
breux vaisseaux qui l'arrosent, lesquels se
CHAPITRE XII. 235
dilatent et obligent la fibre à se raccourcir.
Mais qu'est-ce qui imprime celte direction
à ces fluides? nous l'ignorons, comme nous
ignorons leur nature, leur origine et le prin-
cipe de la circulation par laquelle ils entre-
tiennent notre vie. Toutefois il reste certain
que, tant que nous sommes vivans, notre
organisation, au moyen de combinaisons la
plupart inconnues, produit beaucoup de
mouvemens apparens, et un bien plus grand
nombre de mouvemens internes, qui n'ont
pour cause immédiate aucun corps étranger
au nôtre ; et que plusieurs de ces mouvemens
produisent en nous le phénomène que nous
appelons sentir, tandis que d'autres ont lieu
sans que nous en ayons la moindre con-
science.
Si de ces premières observations sur la
faculté de nous mouvoir, nous passons à
l'examen de ses rapports avec celle de pen-
ser ou sentir, nous voyons bien que c'est
principalement par nos nerfs que nous sen-
tons; et que toutes les fois que nous avons
une perception quelle qu'elle soit, ce n'est
guère qu'en vertu d'un mouvement quel-
conque opéré dans l'intérieur de ces nerfs
ou de quelqu'un des principaux points dans
336 IDÉOLOGIE.
lesquels ils se réunissent. Mais qui nous dira
quelle est la nature de ce mouvement et en
quoi précisément il consiste? c'est assu-
rément une connaissance à laquelle nul
homme n'est encore parvenu. Tout ce que
nous avons pu faire jusqu'à présent, a été
de remarquer quelques circonstances et
quelques effets de ces mouvemens.
A plus forte raison ne pouvons-nous pas
déterminer la différence du mouvement qui
s'opère dans les nerfs de notre œil lorsque
nous voyons du bleu ou du rouge, ni dans
ceux de notre oreille quand nous entendons
un son grave ou aigu , ni dans ceux de notre
nez quand nous sentons une odeur ou une
autre, ni dans ceux de la peau de notre main
ou d'une autre partie de nôtre corps quand
nous sentons une piqûre ou une brûlure,
une douce chaleur ou un chatouillement
agréable ; mais nous devons croire que toutes
les fois que le même nerf nous procure une
sensation différente, il faut qu'il ait éprouvé
un ébranlement différent et qu'il se passe en
lui et dans l'organe cérébral un mouvement
particulier; et aussi que chacun de ces nerfs
a une manière d'être mu et d'agir sur le cer-
veau qui lui est propre, puisque toutes ou
CHAPITRE XII. 207
presque toutes les impressions produites
par chacun d'eux différent entr'elles plus ou
moins , ensorte qu'aucune ou presqu'aucune
des perceptions qui nous viennent par un
nerf n'est exactement la même que celle que
nous devons à un autre nerf. La preuve en
est qu'aucune de nos différentes sensations,
même de celles qui ont le plus d'analogie en-
tr'elles, ne sont complètement semblables.
Malgré ces différences vraisemblables
entre les divers mouvemens nerveux qui
produisent chacune de nos sensations pro-
prement dites, ils ont ensemble un point de
ressemblance , c'est de partir tous de l'extré-
mité de nos nerfs la plus éloignée du centre
commun, et de se diriger vers ce centre, tan-
dis que ceux qui nous occasionnent les per-
ceptions que nous nommons souvenirs, ju-
gemens, désirs, sont purement internes, et
peut-être même se portent du centre vers
la circonférence.
Raisonnant sur ceux-ci comme j'ai fait
çur les premiers , je suis conduit à croire
que le mouvement quelconque en vertu
duquel j'ai le sentiment d'un souvenir, ne
saurait être le même que celui par lequel je
perçois un j ugement , ni celui-ci le même que
238 IDEOLOGIE.
celui qui me donne le sentiment d'un désir •
et en outre, chaque perception de chacune
de ces classes doit être produite par un mou-
vement particulier. Elles sont trop différen-
tes entr'elles pour être les effets de causes
identiques. Je conçois donc que toutes ces
affections sont les résultats d'autant de mou-
vemens divers qui se passent en moi , et qui
sont si fugitifs et si fins, que je ne puis les
apercevoir que parleurs produits, mes per-
ceptions. On voit par ces réflexions quelle
prodigieuse quantité de mouvemens diffé-
rens s'opèrent en nous, sans compter même
tous ceux, peut être très-nombreux aussi,
qui ne sont la source d'aucune perception.
Je ne pousserai pas plus loin ces obser-
vations sur la faculté de nous mouvoir; elles
sont suffisantes pour l'objet que je me pro-
pose. Il s'agit maintenant de voir quelle est
l'influence de notre volonté sur tous ces
mouvemens et sur les effets qu'ils pro-
duisent.
CHAPITRE XIII, 2JC)
g-- — ■ -t
CHAPITRE XIII.
Zte V influence de notre Faculté de vouloir
sur celle de nous mouvoir, et sur cha-
cune de celles qui composent la Faculté
de penser.
V ous avez vu, chapitre V, combien elle
est importante pour nous cette faculté de
former des désirs, puisqu'elle est la cause
de tous nos plaisirs et de toutes nos peines ,
suivant que ces désirs sont ou ne sont pas
accomplis. Elle n'est pas moins remarquable
par cette heureuse circonstance, que nos
désirs exercent souvent un grand pouvoir
sur nos actions et sur nos pensées. Il est
donc intéressant d'examiner la nature et les
limites de ce pouvoir, et jusqu'à quel point
il s'étend sur nos différentes facultés. Les
réflexions contenues dans le chapitre pré-
cédent nous permettant de ne regarder do-
rénavant l'action de penser que comme une
circonstance qui accompagne souvent celle
de nous mouvoir, nous allons d'abord par-
ler du pouvoir de notre volonté sur celle-ci,
et ensuite nous dirons en peu de mots quelle
24o IDÉOLOGIE.
est son influence sur chacune de nos facultés
intellectuelles.
On peut distribuer tous nos mouvemens
en plusieurs classes , eu égard aux degrés
de dépendance où ils sont de notre volonté.
Ces espèces de tableaux détaillés des phéno-
mènes de notre existence sont d'une grande
utilité pour nous en faire prendre des idées
justes, en nous accoutumant à y remar-
quer des circonstances auxquelles le plus
souvent on ne fait aucune attention.
Beaucoup de nos mouvemens s'exécutent
en nous sans que nous en ayons jamais la
moindre connaissance. De ce nombre sont
presque tous les mouvemens qui entretien-
nent et renouvellent à chaque instant notre
vie; et ce sont par conséquent les plus né-
cessaires à notre existence. Nous étant com-
plètement inconnus, il n'y a pas de doute
que notre volonté n'a sur eux aucun empire.
Il en existe d'autres dont quelquefois nous
avons la conscience, et qui quelquefois aussi
s'exécutent à notre insu. Dans ce dernier cas
ils rentrent dans la première classe ; mais
lors même qu'ils nous sont connus, tantôt
ils sont absolument volontaires , tantôt ils
s'exécutent sans que nous nous en mêlions;
souvent
CHAPITRE XIII. 24l
souvent même ils ont lieu malgré notre vo-
lonté expresse de les empêcher.
Il en est encore que nous faisons toujours
volontairement et d'autres toujours malgré
nous. Enfin, il en est que notre organisation
nous rend constamment impossibles , même
lorsque nous desirons le plus de les faire.
L'empire de notre volonté sur notre faculté
de nous mouvoir, est donc très - différent
dans les differens cas, et souvent resserré
dans des bornes très-étroites. Remarquons
encore, en terminant cette énumération de
nos mouvemens , que ceux qui sont le plus
soumis à notre volonté, tels que ceux qui
consistent dans l'usage ordinaire de nos
membres, sont eux-mêmes le produit d'une
foule d'autres mouvemens internes qui ont
lieu sans notre volonté expresse, ou même
sans que nous le sachions 5 ensorte que ce
n'est proprement que les résultats qui s'o-
pèrent parce que nous le voulons, mais que
les mouvemens qui y préparent s'exécutent
d'eux-mêmes, à quelques nuances près, sui-
vant les cas.
Si de la faculté de nous mouvoir nous pas-
sons à nos facultés intellectuelles, la réflexion
précédente y trouve encore bien plus d'ap-
Q
242 IDÉOLOGIE.
plications. Sans doute, comme nous l'avons
déjà dit, toutes nos perceptions sont des
produits de mouvemens opérés au-dedans
de nous ; mais aucuns d'eux ne se laissent
apercevoir ; et quand nous desirons ré-
veiller en nous telle ou telle perception,
nous sommes assurément bien incapables
de faire avec attention aucun des mouve-
mens internes nécessaires pour la produire.
Ils nous sont même si complètement incon-
nus, que nous n'en ferons aucune mention
ici. Nous allons seulement indiquer en peu
de mots jusqu'à quel point et dans quel sens
on peut dire qu'il dépend de nous d'éprouver
telle ou telle impression, d'exercer telle ou
telle de nos facultés intellectuelles. Com-
mençons par la sensibilité proprement dite.
Il ne dépend pas de nous de ne pas per-
cevoir les sensations, c'est-à-dire de ne pas
sentir les ébranlemens que les corps exté-
rieurs causent dans les organes de nos sens,
ou ceux que les parties mêmes de notre
corps excitent les unes dans les autres par
leur action mutuelle. Il ne dépend pas de
nous davantage de modifier les impressions
qu'elles nous font, c'est-à-dire de trouver
agréables ou désagréables celles qui ne le
CHAPITRE XIIT. 243
sont pas; mais il dépend de nous, jusqu'à un
certain point, d'appliquer tellement notre
attention à quelques-unes de nos percep-
tions , que les autres deviennent comme
nulles pour nous. Cela arrive souvent à tous
les hommes ; il y en a même chez qui ce
pouvoir est porté à un grand degré : ce sont
ceux qui sont occupés de passions violentes
ou de méditations profondes. C'est à quoi se
réduit l'influence de la volonté sur la sensi-
bilité proprement dite.
Quant à la mémoire, nous éprouvons que
le souvenir de certaines perceptions nous
vient souvent, non-seulement sans que nous
le voulions, mais même quoique nous desi-
rions l'écarter; mais nous éprouvons aussi
qu'il nous revient lorsque nous cherchons
à nous le procurer. Ainsi, la mémoire est
tantôt indépendante, tantôt dépendante de
la volonté. Nous verrons dans la suite quels
sont les moyens d'augmenter le pouvoir de
la volonté sur cette faculté; pour le moment
nous nous bornons à l'énoncé des faits.
Usons-en de même à l'égard du jugement.
Le j ugemen t est indépendant de la volonté
en ce sens qu'il ne nous est pas libre, quand
nous percevons un rapport réel entre deux
Q a
S44 IDÉOLOGIE.
de nos perceptions, de ne pas le sentir tel
qu'il est, c'est-à-dire tel qu'il doit nous pa-
raître en vertu de notre organisation, et tel
qu'il paraîtrait à tous les êtres organisés
comme nous , s'ils étaient exactement dans
la même position. C'est cette nécessité qui
constitue la certitude et la réalité de tout ce
que nous connaissons ; car s'il ne dépendait
que de notre fantaisie d'être affectés d'une
chose grande comme si elle était petite,
d'une chose bonne comme si elle était mau-
vaise, d'une chose vraie comme si elle était
fausse, il n'existerait plus rien de réel dans
le monde, du moins pour nous ; il n'y aurait
ni grandeur ni petitesse, ni bien ni mal, ni
faux ni vrai : notre seule fantaisie serait tout.
Un tel ordre de choses ne peut pas même se
concevoir, il implique contradiction. Notre
j ugement est donc bien indépendant de notre
volonté en ce sens ; mais il en dépend en ce
que, comme nous l'avons vu, nous sommes
maîtres, jusqu'à un certain point, de consi-
dérer telle perception et de rappeler tel sou-
venir plutôt que d'autres, et de donner notre
attention plutôt à un de leurs rapports qu'à
un autre. Ainsi c'est à proportion que nous
soumettons notre sensibilité et notre mé-
CHAPITRE XIII. «45
moire à l'action de notre volonté, que celle-ci
devient maîtresse des opérations de notre
jugement.
Enfin, on peut demander, et on demande
souvent , si notre volonté elle - même est
libre, si elle dépend de nous, c'est-à-dire, à
parler exactement, si elle dépend unique-
ment d'elle-même. Il est bon de commencer
par éclaircir cette expression, et par voir
pourquoi nous mettons ainsi notre moi à la
place de notre volonté, et pourquoi nous
nous identifions davantage avec cette fa-
culté qu'avec toute autre, comme si celles
de percevoir des sensations, des souvenirs,
des rapports , délie de faire des mouvemens,
n'étaient pas nous , ne nous appartenaient
pas, ne faisaient pas partie de notre moi
comme celle de former des désirs. La rai-
son en est simple. Jouir et souffrir est tout
pour nous; c'est notre existence toute en-
tière, et nous ne jouissons et souffrons ja-
mais qu'autant que nous avons des désirs
et qu'ils sont accomplis ou non. Nous n'exis-
tons donc que par eux et par la faculté d'en
former. Quand quelque chose se fait contre
notre désir, nous voyons bien que ce n'esÊ
pas nous qui l'opérons. Nos désirs et toutes
2«±6 IDÉOLOGIE.
les actions qui en sont les conséquences*
sont donc toujours la même chose que nous;
et tout ce qui n'est pas eux ou n'en dérive
pas, est étranger à nous, ne fait pas partie
de notre moi. La question proposée se ré-
duit donc à celle-ci : Notre volonté dépend-
elle uniquement d'elle-même? ce qui est la
même chose que de demander , pouvons-
nous vouloir sans cause , et uniquement
parce que nous voulons vouloir? Ainsi pré-
sentée, cette question n'est pas difficile à
résoudre, comme il arrive toujours quand
les questions sont bien posées, c'est-à-dire
que leurs vrais élémens sont bien énoncés;
car pour résoudre une question, il ne s'agit
jamais que de porter un jugement; et quand
les deux idées à comparer sont connues et
présentes, le jugement est tout de suite porté.
Dans le cas actuel, il ne s'agit que de voir s'il
est dans la nature de notre volonté d'entrer
en action sans être mue par rien, si un de-
sir peut naître en nous sans cause : il est
bien clair que non. En effet, si nous consi-
dérons le désir abstraitement, si nous n'y
voyons qu'une perception, nous ne pouvons
le concevoir que comme une conséquence
nécessaire du jugement qu'une perception
CHAPITRE XIII. 247
précédente est pour nous bonne ou mau-
vaise à éprouver, désirable ou non; et ce
jugement, que comme la suite inévitable de
la manière dont nous a affecté cette percep-
tion quand nous l'avons éprouvée. Si, au
contraire, nous regardons nos désirs, ainsi
qu'ils sont en effet, comme les résultats de
certains mouvemens inconnus qui se pas-
sent dans les organes de l'être animé, et qui
lui font éprouver une manière d'être qu'il
appelle désirer, il est certain que tout désir
suit nécessairement du mouvement des or-
ganes qui a la propriété de le produire , et
que ce mouvement des organes n'est pas un
acte de la volonté, mais est lui-même occa-
sionné par d'autres mouvemens antérieurs.
Ainsi, ni sous le rapport idéologique, ni sous
le rapport physiologique, il n'est possible de
concevoir le désir autrement que comme
une suite nécessaire de faits antérieurs; et
en général il ne nous est pas possible de com-
prendre un acte quelconque qui soit son
principe et sa cause à lui-même. Ainsi, ceux
de notre volonté sont forcés et nécessaires
comme ceux de toutes nos autres facultés,
et comme ceux de tous les autres êtres ani-
mes ou inanimés qui existent dans la nat 1 1 re .
248 IDEOLOGIE.
Cette vérité, au reste, ne fait pas que nous
ayons tort d'attribuer à la faculté de vouloir
l'extrême importance que nous y attachons
dans nous et dans les autres, d'en porter les
jugemcns que nous en portons et de nous
conduire comme nous le faisons à son égard.
Nous n'avons pas tort de nous identifier
à notre propre volonté, et de dire indiffé-
remment, il dépend de moi ou il dépend de
ma volonté de faire telle ou telle chose, je
ne suis pas le maître de cela, ou cela ne dé-
pend pas de ma volonté, car comme souffrir
et jouir est tout pour nous, et que nous ne
souffrons et jouissons jamais qu'autant que
notre volonté est accomplie ou contrariée,
elle est bien un être identique avec notre
moi.
Nous n'avons pas tort d'attacher une
extrême importance à la volonté dans les
autres êtres sentans et voulans,et de l'iden-
tifier avec leur moi; et eux, à leur tour,
n'ont pas tort d'y attacher une extrême im-
portance en nous et de l'identifier avec notre
moi; car notre volonté a la puissance de di-
riger presque toutes nos actions, et sur-tout
toutes celles par lesquelles nous influons sur
eux. Ainsi , pour eux, notre volonté ou nous
CHAPITRE XIII. 24g
c'est bien exactement la même chose , ex-
cepté dans certains cas qui forment des
exceptions assez rares.
Ils n'ont pas tort non plus d'attacher une
idée de mérite ou de démérite, un sentiment
d'amour ou de haine à notre volonté éclai-
rée ou stupide, bienveillante ou malveillante
à leur égard ; car si nous n'avons pas le pou-
voir de vouloir uniquement parce que nous
voulons vouloir, nous avons jusqu'à un cer-
tain point, comme nous l'avons dit, celui
d'attacher notre attention à telle ou telle
perception, de multiplier et de rectifier les
jugemens que nous en portons et en vertu
desquels nous avons des volontés. Or, que
nous soyons portés à ces recherches par le
ridicule pouvoir de les désirer sans motifs
ou par des circonstances inconnues, peu
importe à ceux qui ne sont affectés que des
résultats , et qui ne peuvent accorder leur
estime qu'à la justesse qui y brille et leur
amour qu'au bien qui en résulte pour eux.
En effet, une chose quelconque n'est ni esti-
mable ni aimable par la cause qui la produit,
mais par l'effet qui en résulte; et si nous
disons communément que c'est l'intention
seule (c'est-à-dire la volonté) qui fait tout le
fl5o IDÉOLOGIE.
mérite d'une action , et que c'est l'intention
seule dont on peut savoir bon ou mauvais
gré, c'est uniquement parce que, comme
nous l'avons déjà remarqué, nous identifions
avec raison les autres avec leur volonté ,
comme nous nous identifions nous-mêmes
avec la notre; et cette expression ne signifie
autre chose si ce n'est qu'un individu n'est
estimable et aimable qu'à proportion que
sa volonté est éclairée et bienveillante. Or,
cela est tout aussi vrai dans l'hypothèse
que sa volonté est l'effet nécessaire de causes
inaperçues, que dans la supposition absurde
qu'elle est un effet sans cause.
Par la même raison , notre principe ne
détruit point la justice des punitions et des
récompenses; au contraire, il l'établit plus
solidement ; car si notre volonté est déter-
minée nécessairement par desjugemens an-
técédens, il est juste et raisonnable de lui
fournir des motifs de se porter au bien ; au
lieu que si elle naissait sans cause, les puni-
tions et les récompenses n'auraient aucune
influence sur ses déterminations futures, et
les unes ne seraient qu'une vengeance pué-
rile, et les autres que l'expression d'une
reconnaissance inutile.
CHAPITRE Xlir. 25l
Ce sont sans doute les motifs que je viens
de développer qui, aperçus confusément par
tous les hommes, les ont conduits à porter
tous, sur leur volonté et celle de leurs sem-
blables, des jugemens qui sont très-justes au
fond, quoiqu'ensuite l'ignorance des causes
qui déterminent invinciblement cette vo^
lonté , et l'envie de ne pas se croire les
instrumens passifs des circonstances envi-
ronnantes , les aient portés à imaginer que
leur volonté est une création qui se produit
spontanément en eux, et à ne jamais remon-
ter à une cause antérieure de leurs actions
que quand celle-là n'a pas lieu. Concluons
donc que notre volonté n'a pas le pouvoir
de former tel ou tel désir sans motif et par un
acte purement émané d'elle ; mais qu'ayant,
jusqu'à un certain point (quelle que soit la
cause qui la mette en action), le pouvoir
d'appliquer notre attention à une perception
plutôt qu'à une autre, de nous faire retrou-
ver un souvenir plutôt qu'un autre, de nous
faire examiner tel rapport d'une chose plu-
tôt que tel autre, tous actes qui sont les élé-
mens de ses déterminations, elle influe, non
immédiatement, mais médiatement sur sa
direction ultérieure.
252 IDÉOLOGIE.
Je ne traiterai point ici à la manière des
scholastiques la question tant débattue de la
nécessité et de la liberté; je pense, avec
Locke, qu'être libre c'est avoir le pouvoir
d'exécuter sa volonté , et que toutes les fois
qu'on donne un autre sens à ce mot on ne
s'entend plus. Il ne peut donc pas y avoir de
liberté avant la naissance de la volonté ; et
il ne pouvait être question que d'examiner
ce qui fait naître notre volonté. Je pense que
c'est ce que nous avons fait suffisamment.
Je terminerai là ce chapitre, dans lequel,
comme dans le précédent, je me suis borné
à recueillir des faits sans me permettre de
remonter à leurs causes-, qui me sont in-
connues, ni d'en tirer des conséquences qui
auraient été prématurées.
Je sens qu'à la suite de ces observations
je devrais indiquer les moyens de perfec-
tionner notre faculté de nous mouvoir, et
ceux de bien diriger notre faculté de vouloir,
et d'augmenter son influence sur toutes les
autres ; mais il faut auparavant nous être
munis des observations dont nous allons
nous occuper dans le chapitre suivant.
CHAPITRE XIV. 253
CHAPITRE XIV.
Des effets que produit en nous la fré-
quente répétition des mêmes actes.
JM ous venons de passer en revue plusieurs
circonstances importantes de nos différentes
opérations physiques et intellectuelles; mais
il en est encore une qui mérite de fixer toute
notre attention, c'est l'effet que produit sur
chacune de ces opérations sa fréquente ré-
pétition. On appelle habitude la disposition,
la manière d'être permanente qui naît de
cette fréquente répétition : c'est-là le vrai
sens du mot habitude. Il est vrai que dans l'u-
sage ordinaire on confond souvent la cause
et l'effet; et quand on dit, j'ai une telle habi-
tude, j'ai l'habitude de telle chose, je suis
habitué à telle chose, cela veut dire égale-
ment ou que l'on fait souvent cette chose
quelconque, ou que l'on éprouve la dispo-
sition qui résulte de la fréquente répétition
de cette action. Ce manque de précision dans
le langage vient sans doute de ce que peu de
£ens ont réfléchi avec attention sur les habi-
254 IDÉOLOGIE.
tudes et sur leurs causes, car l'inexactitude
des expressions naît toujours de la confu-
sion des idées ; voilà pourquoi les langues
se perfectionnent à mesure que les connais-
sances se débrouillent. Conformons -nous
cependant à l'usage; mais occupons-nous
de nous faire des idées nettes de nos habi-
tudes, et de démêler les effets qu'elles pro-
duisent sur nos différentes facultés, et com-
mençons par la faculté de nous mouvoir,
qui, prise dans son sens le plus étendu, ren-
ferme toutes les autres.
Personne n'ignore que plus nous répétons
souvent le même mouvement, quel qu'il
soit, plus nous l'exécutons avec facilité et
rapidité.C'est d'après cette observation cons-
tante et générale, que, lorsque nous voulons
réussir à faire une action quelconque, nous
nous y exerçons le plus possible , et que ,
quand on veut qu'un ouvrage se fasse très-
vite , on a soin de partager le travail de ma-
nière que chaque ouvrier n'ait qu'un petit
nombre de mouvemens et toujours les
mêmes à exécuter : c'est-là le grand avan-
tage de la division du travail dans les manu-
factures. Ce principe est donc connu de tout
le monde.
CHAPITRE XIV. 255
Mais tout le monde ne remarque pas de
même que plus un mouvement est facile et
rapide, moins il est senti, ensorte que sou-
vent il finit par ne plus donner lieu à aucune
sensation, par être tout-à-fait inaperçu : cela
est pourtant très-vrai.
Une observation non moins juste, à la-
quelle on fait encore plus rarement atten-
tion, c'est que , lorsqu'il s'agit d'un mouve-
ment volontaire, pour parvenir à le faire
avec rapidité , il ne suffit pas que l'organe
moteur immédiat contracte la souplesse
nécessaire pour l'exécuter sans peine , il faut
encore que nous apprenions à former promp-
tementetsans désordre les différens désirs
successifs en vertu desquels le mouvement
doit s'effectuer. C'est une chose qui s'observe
d'une manière très-marquée les premières
fois que l'on s'étudie à produire quelque mou-
vement un peu compliqué. Lorsque je com-
mence à prendre des leçons de danse ou de
clavecin, par exemple, il faut que mon
maître me fasse connaître en détail les dif-
férens mouvemens partiels que mes jambes
ou mes doigts doivent exécuter, et dans
quel ordre je dois les vouloir; il faut qu'il me
les décompose, c'est-à-dire qu'il m'enseigne
2Ô6 IDÉOLOGIE.
chaque jugement et chaque désir particulier
que je dois former, et dans quel ordre ils
doivent se succéder ; il faut que l'opération
intellectuelle devienne aussi facile que l'opé-
ration mécanique; la preuve en est que ce:
n'est que quand la première s'exécute avec
régularité et sans peine , que j'ai ce qu'on
appelle mon pas de danse dans la jambe ou
ma pièce de clavecin dans la main ; et que
si elle éprouve dérangement, confusion ou
hésitation, l'opération mécanique se fera
irrégulièrement et mal. C'est pour cela que
presque toutes nos actions, même celles où
nous paraissons le plus purement machines,
portent, jusqu'à un certain point, l'em-
preinte de l'état où sont nos facultés intel-
lectuelles.
Ajoutons encore une réflexion à celle-ci,
c'est qu'il arrive à ces jugemens et à ces de-
sirs que nous sommes obligés de former
pour faire certains mouvemens, précisé-
ment la même chose qu'à ces mouvemens
eux-mêmes; c'est-à-dire que tant qu'ils sont
pénibles et lents, nous les distinguons tous
et nous en avons une conscience détaillée,
et dès qu'ils ont été répétés assez souvent
pour naître avec facilité et rapidité, ils ont
lieu
CHAPITRE XIV. 257
Heu presque sans que nous nous en aperce-
vions, ou même totalement à notre insu.
C'est ce que nous allons voir plus en détail
en parlant des effets de la fréquente répé-
tition de nos opérations intellectuelles.
Puisque toutes nos opérations intellec-
tuelles, nos perceptions, sont des effets de
mouvemens qui s'opèrent dans nos organes ,
il est nécessaire qu'elles participent aux mo-
difications qu'apporte dans tout mouvement
la circonstance d'être fréquemment répété ;
mais comme les conséquences n'en sont pas
exactement les mêmes pour nos différentes
espèces de perceptions , il faut les considérer
séparément.Commençons par les sensations
proprement dites.
Le mouvement qui a lieu lorsque nous
percevons une sensation, devient plus ra-
pide et plus facile quand il a été fréquem-
ment répété; il doit donc se faire qu'une
sensation souvent éprouvée soit moins vive
pour nous : c'est aussi ce qui s'observe. Elle
ne produit plus en nous ce sentiment de
surprise (1) qui nous excite si vivement les
(1) N'entendez ici par ce mot que la surprise pour
ainsi dire mécanique , et non pus cette espèce de sur-
R
258 IDÉOLOGIE.
premières fois ; plus elle se renouvelle sou-
vent, moins elle attire notre attention; et si
enfin elle est trop fréquente ou trop pro-
longée , elle finit par n'être plus aperçue ,
comme lorsque nous sentons trop long-
temps la même odeur ou le même goût,
ou le même degré de lumière ou de tempé-
rature (i). Quand l'effet contraire arrive,
comme lorsqu'une douleur nous devient
prise réfléchie ou d'admiration qui est l'ouvrage du
jugement, et qui, par conséquent, augmente avec les
connaissances. Nous en parlerons en son lieu.
(i) Je ne serais pas surpris du tout que ce fût là
une des raisons, et peut-être la principale, pour la-
quelle nous n'avons aucune conscience des mouvemens
qui sont nécessaires à l'entretien de notre organisation,
et qui s'opèrent continuellement pendant tout le temps
de notre existence; et je suis très-tenté de croire que,
dans les premiers momens où nous commençons à
bentir , nous avons un sentiment très-marqué , et peut-
être assez distinct, de chacun de ces mouvemens,
qui deviennent insensibles dans la suite. Beaucoup de
faits observés dans les enfans, leurs ris, leurs pleura
sans cause apparente , autorisent cette conjecture, qui
ne répugne pas à la raison. Au reste, je dis un senti-
ment assez distinct, et non pas très-distinct, parce
qu'à cette époque l'action du jugement étant encore
nouvelle et rare, et par conséquent lente et pénible,
elle doit laisser dans la confusion beaucoup d'impres-
CHAPITRE XIV. 25g
plus nsupportable à mesure qu'elle se re-
nouvelle ou se prolonge, c'est toujours parce
qu'elle finit par déranger ou détruire l'or-
gane qu'elle affecte, ou parce que le mou-
vement organique qui la produit, en se ré-
pétant et se prolongeant, met en jeu d'autres
organes sensitifs et y excite des mou vemens
qui n'avaient pas eu lieu d'abord , ce qui ,
dans les deux cas, rend le mal réellement
plus grave, ou plutôt multiplie réellement
les causes de douleur. Il est même à remar-
quer que si nos douleurs deviennent plus
poignantes à la longue, il n'en est jamais de
même de nos plaisirs ; ce qui pourrait tenir
non-seulement à ce que tout plaisir dispa-
raît dès que le sentiment de fatigue survient,
mais encore à ce que, dans l'accroissement
de la douleur par la fréquence ou la durée,
il y entre de l'action de notre jugement, qui
nous irrite contre cet état pénible et nous
le fait trouver plus insupportable.
sions que dans la suite elle démêlerait aisément si on
les sentait encore.
Peut-être aussi, dans le cas de la prolongation con-
tinue, y a-t-il presque cessation du mouvement orga-
nique, l'organe restant dans l'état où l'a mis le com-
mencement de l'impression sensible.
R a
±6o IDEOLOGIE.
Il est donc vrai en général que nos sensa-
tions trop répétées deviennent moins sen-
ties, comme le mouvement sensitif qui les
produit devient plus facile; mais puisque ce
mouvement de l'organe lui devient plus fa-
cile, la sensation doit donc devenir plus facile
aussi, c'est-à-dire n'avoir pas besoin d'an
stimulant aussi fort pour être excitée : c'est
aussi ce qui arrive. ïl est d'observation cons-
tante que la délicatesse de nos sens s'accroît
par l'exercice, même indépendamment de
la part qui doit être attribuée à l'action du
jugement dans ce progrès; et quand le con-
traire a lieu, c'est qu'il y a eu lésion dans
l'organe par le trop grand usage qu'on eu
a fait.
Maintenant, de même que l'observation
attentive de ce qui arrive à nos mouve-
mens en vertu de leur fréquente répétition
nous a conduits à trouver quel devait être
l'effet de la même cause sur nos sensations ,
et à reconnaître que les phénomènes sont
tels que nous avions jugé d'avance qu'ils de
vaient être, de même aussi l'examen que
nous venons de faire de la sensation nous
fait déjà prévoir ce qui arrive à la mé
moire.
CHAPITRE XIV. 261
En effet, quand nous percevons une sen-
sation, le mouvement quelconque opère
dans l'organe affecté en produit un autre
dans le centre nerveux , que nous concevons
comme le siège de la perception, et qui en
est l'organe propre. Quand nous percevons
un souvenir, ce n'est pas ce premier mou-
vement qui recommence; aussi le souvenir
d'une sensation n'est pas la sensation elle-
même. C'est le mouvement de l'organe pro-
pre de la perception qui se renouvelle. Or,
ce mouvement est comme tous les autres;
plus il a eu lieu souvent, plus il se renou-
velle avec facilité et promptitude, et moins
est vive la perception qu'il nous cause; tel
est aussi ce que nous éprouvons. Plus
nous avons eu souvent une perception quel-
conque, plus nous en avons aisément le
souvenir; mais aussi moins ce souvenir
nous frappe et nous émeut. S'il est plus vif
quand la sensation a été longue et profonde,
c'est uniquement parce que son impres-
sion sur les organes a été plus forte ; mais
cela ne tient pas à ce sentiment ÏÏétrangeté
(qu'on me passe ce terme presque syno-
nyme de celui de nouveauté) qui naitdc
la difficulté qu'éprouve l'organe à se plier
262 IDÉOLOGIE.
à un mouvement qu'il n'a pas encore exé-
cuté.
Mais nul de nos mouvemens internes
n'est isolé ; ils se tiennent et s'enchaînent ,
comme tous les mouvemens de la nature ,
par une multitude de rapports et de com-
binaisons; et plus ils se répètent, plus ils
mettent en jeu tous les mouvemens adja-
cens, et les rendent faciles, quoique moins
sensibles. Ainsi plus un souvenir se renou-
velle, plus il réveille aisément tous les sou-
venirs collatéraux , quoiqu'ils deviennent
moins frappans. C'est ainsi que s'établit cette
liaison des idées , phénomène idéologique si
important, dont l'observation a été si juste-
ment vantée, puisqu'elle jette le plus grand
jour sur nos opérations intellectuelles, et
qui n'est lui-même que la liaison mécanique
ou chimique des mouvemens organiques qui
produisent nos idées.
Ce que nous avons dit des sensations et
des souvenirs s'applique complètement et
parfaitement à nos jugemens, non-seule-
ment parce que l'on ne peut juger que ce
que l'on sent, et que tout ce qui arrive aux
matériaux, aux sujets de nos jugemens,
influe nécessairement sur eux, mais encore
CHAPITRE XIV. 263
parce que nos perceptions de rapports elles-
mêmes ne sont, comme nos autres percep-
tions, que des effets de certains mouvemens
dans nos organes; aussi participent-elles à
toutes les modifications qu'éprouve tout
mouvement par l'effet de sa fréquente répé-
tition. Il est manifeste que plus nous avons
porté souvent le même jugement, plus nous
le portons facilement, rapidement, moins
il nous frappe et plus il réveille aisément, et
sans que nous nous en apercevions, tous
ceux qui y tiennent de près. Cela va même
jusqu'à faire toutes ou presque toutes ces
opérations à notre insu , ou du moins sans
que nous en ayons une conscience dis-
tincte.
II doit en être, et il en est de nos désirs
absolument comme de nos jugemens, puis-
qu'ils ne sont comme ceux-ci que des effets
de mouvemens organiques. Plus nous avons
formé un désir, plus nous sommes disposés
à le former, plus la moindre chose l'excite ,
plus il réveille de sentimens environnans.
Mais en général il s'alanguit après la pre-
mière explosion. Si cela n'arrive pas tou-
jours, c'est parce que les opérations qui
l'occasionnent, étant devenues plus faciles
264 IDÉOLOGIE.
par leur fréquence, ou ayant laissé des traces
plus profondes par leur durée, sont répé-
tées plus souvent et à l'occasion de plus de
circonstances diverses. Si enfin au lieu de
diminuer il augmente, on peut et on doit en
dire ce que nous avons dit des sensations ,
dont tout désir émane, et dans lesquelles il
est implicitement renfermé : c'est que par sa
fréquence et sa durée, il met en jeu d'autres
organes sensitifs qui n'agissaient pas d'abord,
ce qui augmente le besoin primitif; ou il rend
plus fréquent le jugement que son accom-
plissement nous est nécessaire , ce qui rend
plus énergique la souffrance de n'y pas par-
venir.
Telle est, je crois, l'histoire exacte et scru-
puleuse des effets qu'une fréquente répéti-
tion ou une durée prolongée produit sur
nos mouvcmens, tant ceux qui ne consis-
tent que dans le déplacement de quelque
partie de notre corps, que ceux qui produi-
sent nos diverses espèces de perceptions ou
opérations intellectuelles. Elle est fondée
sur des observations faites avec soin ; et
parce que du développement délicat de leurs
circonstances les moins aperçues on tire des
raisons diverses, dont les unes sont propres
CHAPITRE XIV. 265
a expliquer un résultat, et les autres un ré-
sultat fort différent, ne vous persuadez pas,
jeunes gens, que cette analyse soit fantas-
tique et inventée seulement pour s'accom-
moder aux faits : avec cette prévention on
trouverait très-mauvaise l'explication du
physicien qui dit : Si la fumée tombe dans le
vide et s'élève dans l'air, c'est toujours la
pesanteur qui en est cause; et pourtant il a
parfaitement raison. Sans doute il vaudrait
mieux qu'il pût vous dire à priori pourquoi
la pesanteur fait tomber un corps grave, et
que je pusse vous montrer les raisons mé-
caniques et chimiques qui font que nos
mouvemens tant sensibles qu'insensibles
s'opèrent de telle ou telle façon , et produi-
sent telle ou telle nuance de perception ;
mais c'est ce que ni lui ni moi ne saurions
faire : tout ce que nous pouvons, c'est d'exa-
miner les différentes façons dont les choses
se passent, et d'y découvrir quelques lois
générales, c'est-à-dire quelques manières
constantes d'agir. Si après cela les faits se
trouvent toujours tels qu'ils devraient être,
en supposant ces lois réelles, cela prouvé
qu'on ne s'est pas trompé en les remarquant ,
et non pas qu'on les a imaginées à plaisir.
n66 IDEOLOGIE.
pour ensuite forcer les faits à s'y accommo-
der; et moins ces lois sont multipliées , et plus
les faits qu'elles expliquent, c'est-à-dire qui
ne les contredisent pas, sont nombreux,
plus on est près du but; car la perfection de
la science serait de voir tous les faits pos-
sibles naître d'une seule cause.
Je crois donc que c'est une loi générale
de tous nos mouvemens, que plus ils sont
répétés, plus ils de viennent faciles et ra-
pides; et que plus ils sont faciles et ra-
pides, Jiioins ils sont perceptibles, c'est-
à-dire plus la perception qu'ils nous cau-
sent diminue, jusqu'au point même de
s'anéantir, quoique le mouvement ait
toujours lieu. Je crois en outre que cette
seule observation, en ayant égard à la ma-
nière particulière dont elle s'applique à cha-
cune de nos facultés , suffit pour nous
rendre raison de tous les effets de la fré-
quente répétition de nos perceptions. Nous
venons déjà de l'appliquer avec succès à nos
perceptions élémentaires; essayons actuel-
lement de la rapprocher de perceptions qui
soient plus composées, et par conséquent
d'habitudes qui seront plus compliquées :
ce vous sera une nouvelle occasion de re-
CHAPITRE XIV. 267
marquer combien il nous est utile et com-
mode d'avoir su ranger la foule immense
de nos idées sous un petit nombre de
classes, ou plutôt d'avoir pu les décomposer
en un petit nombre d'élémens toujours les
mêmes; car nous allons reconnaître dans
les modifications apportées à ces idées par
leur fréquente répétition , le produit des
changemens particuliers qu'elle apporte à
ce petit nombre de perceptions élémen-
taires.
Ne craignons pas de prodiguer les exem-
ples. Un homme vous paraît dans une si-
tuation fâcheuse , et il a l'air content ; il
vous dit qu'on s'habitue à la peine : le
guerrier vous dira de même qu'on se fait au
danger.
Demandez à cet autre , qui montre tant
de répugnance à avaler un breuvage désa-
gréable, s'il a eu autant de peine à s'y ré-
soudre les jours précédens ; il vous dira que
non, mais que chaque jour il lui devient plus
insupportable : cependant s'il est peu sen-
sible à un spectacle agréable , c'est qu'il l'a
beaucoup vu.
S'il ne se rappelle pas qu'on s'est servi
d'une expression singulière, c'est qu'il l'a
268 IDÉOLOGIE.
déjà beaucoup entendue, il n'en est plu*
frappé; pourtant il vous récitera un long pas-
sage d'une langue qu'il ne comprend pas, et
ne s'y trompera pas, uniquement parce qu'il
l'a entendu et répété mille fois.
Si dans la conversation il place à tout mo-
ment le même mot, quoiqu'il ne soit pas
toujours à propos, c'est encore parla même
raison.
Si vous êtes surpris de la vitesse et de la
justesse avec laquelle vous calculez des
chiffres sans presque y penser, vous vous
dites, c'est l'habitude : si vous êtes frappé de
la facilité avec laquelle vous combinez des
notes de musique ou des caractères , et eri
trouvez l'expression , sans songer à la valeur
de chacun d'eux en particulier, sans réflé-
chir sur leurs différens rapports, en pensant
même à autre chose , vous dites encore ,
c'est l'habitude.
Si un homme voit tout de suite dans un
parti qu'on lui propose de prendre , un grand
nombre de conséquences qui ne vous frap-
pent pas, et qu'il sent déjà, quoiqu'il ne
puisse encore ni les démêler ni en rendre
compte , il vous dira que c'est l'effet de Fha-
bitude qu'il a de pareilles affaires : s'il est. à
ciïapithe xrv. «269
Pinstant saisi d'une multitude de beautés ou
de défauts d'un morceau de poésie, ou de
musique, ou d'un tableau, il vous en don-
nera la même raison.
Si vous le voyez vivement touché d'une
marque d'attachement, so}Tez sûr qu'il a l'ha-
bitude des affections tendres; tandis que s'il
est peu sensible à une prévenance à laquelle
il n'a pas droit de s'attendre, c'est qu'il est
trop habitué à en recevoir qui ne l'ont pas
ému.
Au contraire, s'il se montre profondément
révolté d'une légère injustice, ou presque
insensible à une noire trahison, c'est peut-
être dans les deux cas qu'il a déjà beaucoup
souffert des vices des hommes ; l'habitude
qu'il en a l'a cabré ou blasé.
Prenons encore des exemples d'un autre
genre : regardez ce claveciniste , ce danseur,
cet écuyer, ce maître d'escrime; ils exé-
cutent desmouvemens très-difficiles, ils les
font non-seulement avec facilité, mais très-
précisément selon leur volonté, et sans
s'apercevoir de toutes les volontés partielles
qu'ils sont cependant obligés d'avoir pour
arriver aux résultats : les deux derniers, de
plus, jugent avec une promptitude et une sa-
27O IDEOLOGIE.
gacité extrêmes, des mouvemens impercep-
tibles de leur cheval ou de leur adversaire ,
ils les prévoient même , et en tirent d'avance
des conséquences très-éîoignées et très-
fines , dont ils n'ont pas même la conscience ,
et contre lesquelles ils se défendent avec
une justesse admirable; autant d'effets de
l'habitude.
Cependant si un homme répète continuel-
lement un geste sans expression et sans effet,
s'il a un mouvement en apparence absolu-
ment involontaire, uniquement convulsif,
en un mot ce que l'on appelle un tic ,
c'est encore le plus souvent un effet de l'ha-
bitude.
Enfin, si un homme se dégoûte d'une liai,
son qui faisait son bonheur, c'est l'habitude
qui en a flétri les charmes ; et en même temps
si un attachement, un goût l'a entièrement
subjugué, si pour le satisfaire, il agit contre
les lumières mêmes de sa raison, voyant
clairement qu'il a tort, c'est que l'habitude
lui a fait un besoin de ce sentiment ou de ce
plaisir.
Voilà un bien grand nombre d'exemples
d'habitudes : j'en pourrais citer mille autres;
mais je n'ai pas réuni ceux-ci sans choix et
CHAPITRE XIV. 271
au hasard : il y en a à peu près de toutes les
espèces, ils sont tous différens , et plusieurs
même paraissent diamétralement opposés.
Vous y voyez tous les genres de la sensi-
bilité attiédis ou exaltés ; la mémoire engour-
die ou rendue tpès-vive; les mouvemens de-
venus toujours très-faciles, mais tantôt dé-
pendans de la volonté à un point extrême,
tantôt absolument involontaires; des juge-
mensd'une finesse singulière, mais si peu dis-
tincts , qu'on n'en a pas même la conscience ;
la volonté prendre tantôt une direction , tan-
tôt une autre toute opposée, et sa détermi-
nation paraître même quelquefois sans mo-
tifs , ou, ce qui est plus fort, contraire à des
motifs évidens.
Cependant on a raison de dire que ce sont
autant d'habitudes diverses, c'est-à-dire au-
tant de manières d'être, produites par la ré-
pétition fréquente de certains actes : mais il
faut convenir que quand on n'entre point
dans plus de détails, et quand on se borne à
cette explication sommaire , elle n'est pas
très-satisfaisante, et elle n'apprend pas du
tout comment cette fréquente répétition a
pu produire des résultats si opposés. Si, au
contraire, vous rapprochez de ces effets
272 IDEOLOGIE.
compliqués nos observations sur les pro-
priétés de nos mouvemens, tant internes
qu'externes, tant moteurs que sensitifs , et
sur les conséquences de ces propriétés dans
l'exercice de chacune de nos facultés intel-
lectuelles élémentaires , vous démêlerez fa-
cilement les causes prochaines de tous ces
effets; et vous reconnaîtrez qu'il suffit de
faire attention que nos mouvemens fréquem-
ment répétés deviennent faciles, rapides,
et peu sentis, pour trouver la raison très-
plausible de la production de tous ces phé-
nomènes.
Citons-en pour preuve un de ceux qui
paraissent les plus incompréhensibles. Un
homme , emporté par une passion violente
qui le domine, agit pour la satisfaire contre
les lumières les plus évidentes de sa raison :
nous contenterons-nous, comme le vul-
gaire, de dire vaguement que c'est l'effet de
la force de l'habitude? cela est vrai, mais
cela n'apprend rien : irons-nous supposer,
avec tant de philosophes, que l'homme est
sous le joug de deux principes qui se font
une éternelle guerre, d'Oromaze et d'Ari-
mane ? ou qu'il a une ame livrée à la concu-
piscence, et une autre plus intellectuelle et
plus
CHAPITRE XIV. 273
plus pure? ou comme on dit, qu'il obéit
tantôt aux appétits de la chair, tantôt aux lu-
mières de l'esprit? Vous sentez le vide et le
néant de toutes ces prétendues explications,
qui ne consistent qu'à redire d'une manière
inintelligible la chose observée. Nous irons
donc plus droit au fait; nous remarquerons
que pendant que cet homme porte avec ré-
flexion quelques jugemens sensés qu'il per-
çoit nettement, précisément parce qu'il les
porte avec peine, il en porte en même temps
un grand nombre d'autres dont il s'aperçoit
à peine, justement parce qu'ils lui sont
extrêmement familiers, et qui, par cette
raison-là même, réveillant une foule d'autres
impressions, l'entraînent en sens contraire.
C'est ce qui faisait dire à une femme de
beaucoup d'esprit : ha raison éclaire et ne
conduit pas : ajoutez, quand les décisions
contraires aux siennes sont devenues
habituelles. Avec cette addition, cette
maxime qui n'est que trop souvent vraie,
mais qui paraît épigrammatique et para-
doxale, se trouve expliquée; et elle nous
apprend combien il est important de rendre
habituels les jugemens justes. C'est-là l'édu-
S
274 IDEOLOGIE.
cation morale toute entière , tant celle des
hommes que celle des enfans.
Voici encore un phénomène qui vient bien
à l'appui de cette explication, car il en dé-
veloppe toutes les circonstances et les jus-
tifie. La lune nous paraît plus grande à l'ho-
rizon qu'au zénit, quoique par la réfraction
et la distance elle fasse réellement dans notre
œil un angle un peu plus petit : la cause de
cela est que les objets terrestres, interposés
entre elle et nous, nous la font juger plus
loin, et que nous pensons, sans nous en
apercevoir, que le corps qui de si loin nous
envoie des rayons qui forment un si grand
angle, doit être bien grand. Lorsque nous
nous sommes bien démontré que la lune
n'est pas plus grande dans un cas que dans
l'autre , l'apparence fausse subsiste toujours :
c'est que le jugement de la grandeur par la
distance présumée, et de la distance par le
nombre des objets interposés, est profon-
dément habituel ; et il l'emporte sur le ju-
gement produit par la démonstration. La
preuve que c'est bien là ce qui se passe ,
c'est que regardez tout de suite cette lune à
l'horizon, au travers d'un tube qui supprime
les objets interposés, vous la voyez sur-le-
CHAPITRE XIV. 275
champ plus petite- tandis que le moment
d'avant, si vous l'avez prise pour la flamme
d'un incendie, comme il arrive quelquefois
à son lever, elle vous a paru plus grande en-
core qu'à l'ordinaire.
Au contraire je vois de loin sur un toit un
objet immobile; d'après la distance présu-
mée je le juge de deux pieds de haut, et c'est
en effet ce qu'il devrait avoir : bientôt cet
objet se meut, je reconnais que c'est un
homme ; à l'instant l'apparence change pour
moi, et je vois réellement cet homme haut
d'environ cinq pieds, tout comme, en dépit
de la diminution des angles, je lui vois tou-
jours environs ses cinq pieds de hauteur,
qu'il soit à dix pieds de distance de moi ou à
vingt. C'est que le jugement qu'un homme
a environ cinq pieds de haut est plus habi-
tuel encore et plus frappant que celui qui
déduit telle grandeur de telle distance dans
un cas particulier.
Si nous avions touché et toisé maintes fois
la lune comme un homme, si sa grandeur
réelle nous était aussi manifestement con?
nue, je ne doute pas que nous nous condui-
rions de même à son égard, et qu'au lieu de
lui voir, comme nous le faisons, des graii-
S a
276 IDÉOLOGIE.
deurs différentes sous le même angle (ou
même plus de grandeur sous un angle plus
petit), nous tomberions dans l'excès con-
traire, et, comme à l'homme, nous lui ver-
rions souvent la même grandeur malgré des
angles visuels considérablement diflerens.
De même lorsque nous sommes dans un
bateau , c'est le rivage qui nous paraît se
mouvoir. Mais si une secousse ou une at-
tention forte nous fait apercevoir que c'est
nous qui cheminons , nous voyons à l'instant
le rivage immobile; et bientôt après il nous
paraît de nouveau se mouvoir, parce qu'il
nous est extrêmement habituel , lorsque
nous voyons du mouvement sans en sentir,
de juger que ce n'est pas nous qui en fai-
sons.
Dans tous ces cas il est manifeste qu'il y
a simultanéité et conflit de jugemens, les
tins aperçus, les autres inaperçus, et que ce
sont toujours les plus habituels qui l'empor-
tent, souvent à tort. C'est bien là, je crois,
Timage des combats de nos passions contre
notre raison , et la preuve que nous avons
saisi tous ces phénomènes sous leur vrai
point de vue.
• Il est vrai que, pour goûter cette manière
CHAPITRE XIV. 277
de voir, il faut consentir à admettre qu'il se
passe en nous continuellement un nombre
prodigieux de mouveniens, et qu'à chaque
instant il s'y exécute presque simultanément
une quantité incroyable d'opérations intel-
lectuelles, dont nous n'avons pas même la
conscience. Cette supposition effraie l'ima-
gination : cependant, jeunes gens, il faut y
accoutumer votre raison, puisque les faits
prouvent que c'est la vérité. En effet, vous
ne pouvez pas douter de la célérité et de la
complication vraiment merveilleuse de tous
les mouveniens qui servent à l'entretien
de votre vie, et de tous ceux que vous
faites lorsque vous vous livrez à certains
exercices.
Réfléchissez à ce qui se passe en vous
quand vous lisez un livre; il n'est pas dou-
teux que quand vous avez appris à lire , il a
fallu que vous ayez une connaissance dis-
tincte et sentie de la figure de chaque lettre,
du son qui la représente isolément, de la
manière de la lier et de la fondre avec les
ta
autres pour former les syllabes et les mots ;
quand vous avez appris la langue dans la-
quelle est écrit ce livre, il a fallu de même
que vous sentiez fortement et péniblement
278 IDÉOLOGIE.
la valeur de chaque mot , et de tous les signes
grammaticaux et orthographiques qui ex-
priment leurs rapports : et quand ensuite
vous lisez ce livre avec rapidité et facilité ,
en croyant ne vous occuper que du sens ,
il est pourtant impossible que tous ces in-
nombrables jugemens ne se fassent pas dans
votre tête à votre insu; il est impossible en-
core que chaque mot exprime pour vous
une idée , sans réveiller en vous une foule
d'idées composantes de chacune de ces
idées composées. Enfin , vous ne sauriez
avoir aucune opinion ni sur la manière dont
le sujet est traité, ni sur la difficulté de la
composition, ni sur le mérite du style, sans
qu'un nombre vraiment prodigieux d'autres
systèmes d'idées ne soit ressuscité en vous
successivement et presque simultanément ;
sans doute vous ne vous en apercevez pas-
mais puisque la chose est indispensable,
elle existe quoiqu'à votre insu. Tous ces
mouvemens , toutes ces opérations dépen-
dant nécessairement les unes des autres, si
une seule avait manqué, la chaîne eût été
rompue ; il faut donc absolument qu'elles se
soient effectuées toutes : seulement elles se
CHAPITRE XIV. 279
sont opérées d'une manière imperceptible
dans la stricte signification du mot.
Il en est de même de l'homme qui écrit
ses idées à course de plume; et il faut en
outre que toutes les opérations intellec-
tuelles nécessaires pour conduire ses doigts
aient lieu aussi; sans ces deux conditions, il
n'exprimerait aucun sens suivi, et ne trace-
rait aucuns caractères distincts.
Nous ne saurions trop nous familiariser
avec ces merveilles de la nature : ce n'est
point du tout le merveilleux qui doit nous
révolter, c'est l'absurde. Qui de nous pourra
jamais comprendre la prodigieuse petitesse
des globules du fluide qui circule dans les
nerfs d'un insecte, ou l'excessive ténuité
des particules odorantes d'un corps qui en
remplit continuellement un grand espace
pendant des années sans perdre une quan-
tité appréciable de son poids? Qui se fera
jamais une idée de l'effrayante multitude
des rayons lumineux qui partent d'un corps
éclairé dont chaque point en renvoie un fais-
ceau tout entier à chacun des points de l'es-
pace? et qui pourra jamais concevoir l'inap-
préciable subtilité des molécules de cette
matière qui se croise et se pénètre, pour
280 IDÉOLOGIE.
ainsi dire, dans tant de milliards de sens
diiïérens , sans se causer le moindre obstacle
ni le plus petit dérangement? Personne ce-
pendant n'est tenté de nier ces faits, parce
qu'ils sont avérés, et parce qu'encore une
fois, qu'une chose soit incompréhensible,
ce n'est point du tout une raison de lui re-
fuser notre assentiment quand son existence
est prouvée. Nous ne sommes fondés à nier
constamment que ce qui est démontré im-
possible, et il n'y a de démontré impossible
que ce qui implique contradiction; du reste
tout est miracle dans ce monde pour nos
faibles moyens de connaître (1).
N'ayons donc aucune peine à convenir
(1) Je ne puis me refuser à citer ici un exemple
bien frappant de ces choses qui paraissent inadmis-
sibles à un premier aperçu , et que des recherches
plus approfondies rendent vraisemblables. Y a-t-il
rien qui étonne plus l'imagination que de concevoir
que les corps les plus denses de notre globe renferment
tant de vide , que les molécules qui les composent
sont aussi éloignées les unes des autres, à proportion de
leur grosseur, que les différentes étoiles qui forment
une nébuleuse le sont entr' elles? Cependant un de nos,
plus grands géomètres ne trouve aucune raison pour
rejeter cette supposition, et voit même plusieurs.
CHAPITRE XIV. 28l
avec nous-mêmes que l'homme est encore
mille fois plus admirable que nous ne nous
en étions cloutés après un examen superfi-
ciel; qu'il s'opère en lui mille et mille fois
plus de choses que nous n'en avions dé-
couvert à un premier aperçu; qu'il n'est
affecté et averti que des effets les plus rares
et les plus grossiers de son organisation (1),
tandis qu'une infinité d'autres échappe à sa
perception; et qu'enfin la propriété qu'il re-
marque dans tous ses mouvemens et dans
toutes ses opérations intellectuelles de de*
venir plus rapides, plus faciles, et moins
sentis à mesure qu'ils sont répétés, que
cette propriété, dis-je, bien avérée, bien
constatée , bien incontestable, est portée
jusqu'à un point incalculable, et qu'elle est
motifs de l'admettre. Voyez Y Exposition du Système
du Monde, de M. Laplace, page 287 de l'édition in-4°.
Si on s'en était toujours tenu aux premières vrai-
semblances, on n'aurait jamais cru le mouvement de-
là terre.
(0 Nous éprouvons aujourd'hui en idéologie ce
qu'on a éprouvé en chimie lors de sa rénovation,
c'est que jusque-là on ne s'était aperçu que des élé-
mens les plus grossiers des êtres analysés, et qu'une
foule d'autres plus subtils avaient toujours échappé à
l'observation.
282 IDÉOLOGIE.
la cause de tous les phénomènes qui nous
apparaissent sous le nom d'habitudes.
Cette manière de considérer les choses ,
que je crois la vraie, nous conduit, non pas
à expliquer, mais à voir avec moins d'éton-
nement et un peu plus d'intelligence, ce que
nous appelons en général fes déterminations
instinctives, et nommément celles de cer-
tains animaux qui, dès le moment de leur
naissance, font des actions qui paraissent
exiger un grand nombre de combinaisons ,
et même quelques connaissance acquises ;
car, soit que nous regardions ces détermi-
nations comme des effets mécaniques et
chimiques de combinaisons qui nous sont
inconnues, soit que nous y voyions les ré-
sultats d'opérations intellectuelles, qui, dans
ces animaux , s'exécuteraient des le premier
moment avec la même incroyable prompti-
tude que la plupart d'entr'elles n'acquièrent
chez nous que par leur fréquente répétition y
il n'y aurait là rien de plus étonnant que tout
ce que nous venons d'observer en nous;
cela ne ferait guère, dans les deux cas, que
nous porler à admettre que la célérité des
mouvemens du fluide nerveux égale la pro-
digieuse vitesse de la lumière : c'est peut-
CHAPITRE XIV. 283
être à quoi l'analogie toute seule aurait du
nous conduire. Là, comme partout, ce ne
sont pas les phénomènes les plus rares, mais
bien les plus communs, qui sont les plus sur-
prenans.
Observez cependant, jeunes gens, que
quoique ces réflexions tendent à diminuer
votre admiration pour ces faits extraordi-
naires qui suivent immédiatement la nais-
sance de certains animaux, cela ne doit pas
vous porter à croire légèrement leur exis-
tence : il en est certainement de très-singu-
liers, qui sont bien constatés; mais la plu-
part de ceux que l'on raconte, même depuis
la plus haute antiquité, mériteraient d'être
observés de nouveau, et soumis à un exa-
men rigoureux , qui peut-être en ôterait
bien du merveilleux; ce serait même rendre
un grand service à la science qui nous oc-
cupe. Au reste, je ne veux point traiter ici
de l'idéologie comparée; je croirai avoir
assez fait si j'ai établi sur des bases solides
l'idéologie de l'homme; le surplus m'éloigne-
rait également et du cercle de mes con-
naissances et de l'objet de mon ouvrage :
je fais des vœux pour qu'un savant profes-
seur, qui a fait preuve de la capacité néces-r
284 IDÉOLOGIE.
saire et de l'étendue d'esprit suffisante (i),
remplisse à cet égard les espérances qu'il
nous a données.
Pour revenir à notre sujet, il reste donc
convenu que nos mouvemens et nos opéra-
tions intellectuelles deviennent plus rapides,
plus faciles et moins sensibles, à proportion
qu'ils ont été plus fréquemment répétés :
G'est-là la source de nos progrès et de nos
erreurs. Il faut actuellement examiner les
uns et les autres.
CHAPITRE XV.
Du Perfectionnement graduel de nos
facultés intellectuelles.
Il est difficile, peut-être même impossible,
de concevoir une sensation, une impression
sensible quelconque existante en nous, sans
(1) M. Draparnaud, professeur de Grammaire gé-
nérale à l'école centrale du département de l'Hérault.
Il est bien fâcheux, au lieu de pouvoir se livrer à
ces espérances, d'avoir à déplorer la perte prématurée
d'un homme aussi intéressant. C'est un grand malheur
pour la science. (IVote de la seconde édition.)
CHAPITRE XV. 285
qu'elle donne lieu à quelque jugement et à
quelque désir, au moins au jugement qu'elle
est agréable ou désagréable, et au désir de
l'éprouver ou de l'éviter : ces perceptions
paraissent faire pour ainsi dire partie de la
sensation elle-même, et en naître nécessai-
rement et presque simultanément.
Mais on peut fort bien imaginer un ordre
de choses tel , que ces sensations , j ugemens ,
ou désirs, n'imprimeraient aucune trace du-
rable en nous, et nous laisseraient, lors
de leur disparition , absolument comme nous
étions avant de les avoir éprouvés. Dans ce
cas , nous n'aurions aucune espèce de mé-
moire; car le souvenir est l'effet d'une dis-
position demeurée dans nos organes après
une perception, disposition en vertu de la-
quelle le mouvement éprouvé se renouvelle
au moins en partie, lorsque quelque cir-
constance l'excite. La preuve en est qu'il n'y
a qu'une impression déjà éprouvée qui puisse
être excitée ainsi. Même lorsque nous fai-
sons ce que nous appelons imaginer, nous
ne créons rien d'absolument neuf, nous ne
faisons que nous rappeler ce que nous avons
déjà éprouvé, et en former de nouveaux
composés. La mémoire est donc le premier
286 IDÉOLOGIE.
résultat de cette capacité qu'ont nos or-*
ganes, de recevoir une disposition perma-
nente à l'occasion dune impression passa-
gère. Elle nous est bien nécessaire cette
faculté de nous ressouvenir; sans elle le
passé ne serait rien pour nous, nous serions
toujours comme au moment de notre pre-
mière sensation, et tout progrès ultérieur
serait impossible.
Mais ces progrès seraient encore bien
faibles, si nous ne retirions d'autre fruit
de l'exercice de nos facultés intellectuelles,
que la possibilité de nous rappeler les im-
pressions reçues, et s'il n'en résultait pas
une beaucoup plus grande facilité dans les
différentes opérations de ces facultés. Heu-
reusement il n'en est pas ainsi; et nous
avons vu que tous nos mouvemens devien-
nent et plus faciles et plus rapides quand ils
ont été souvent répétés, et qu'il en est de
même denos opérationsintellectuelles. Nous
avons vu que cette rapidité et cette facilité
sont susceptibles d'un accroissement incal-
culable , et nous avons eu bien des occasions
de remarquer que toute action que nous fai-
sons pour la première fois, nous paraît d'une
difficulté qui nous surprend nous-mêmes
CHAPITRE XV. 287
dans la suite, quand nous en avons pris
l'habitude , ou , comme on devrait dire ,
quand nos organes ont contracté l'habitude
qui résulte de la fréquente répétition de cette
action. Nous en devons conclure, qu'au
moins dans l'espèce humaine, quand même
l'individu naîtrait avec l'entier développe-
ment de tous ses organes, il n'en serait pas
moins réduit d'abord à un degré bien borné
d'intelligence et de capacité ; tousses mou-
vemens, tous les actes de sa pensée seraient
lents et pénibles : c'est dans tous les genres
que nos commencemens sont faibles. Mes
jeunes amis , méfiez-vous des poètes, et des
philosophes, qui, comme eux, raisonnent
d'après leur imagination, et non d'après les
faits; ce sont d'aimables enchanteurs, mais
de très-dangereux séducteurs. L'âge d'or,
tant vanté, est le temps de la souffrance et
du dénuement; et l'état de nature est celui
de la stupidité et de l'incapacité absolue (1).
(1) Il y a pourtant une cause à ce préjugé universel
du bonheur de l'âge d'or et de la perfection de l'état
de nature, comme il y en a à toutes les erreurs et à
toutes les maladies de l'esprit humain, et la voici.
Pour tout vieillard , le plus beau temps dont il se sou-
vienne est celui de sa jeunesse ; c'est-là pour lui 1»
288 IDÉOLOGIE.
Nous ne tenons de cette nature si admirable ,
c'est-à-dire de notre organisation , que la pos-
sibilité de nous perfectionner, et cela nous
yaffit; mais en sortant de ses mains, non-
seulement nous sommes dans une ignorance
temps par excellence, celui des beaux jours et du
bonheur ; il le vante sans cesse. Elevé dans le respect
de son père , qui faisait de même , il croit facilement
que le temps de la jeunesse de ce père était encore
supérieur, et que celui de lajeunes.se du monde était
au-dessus de tout. La masse des hommes, en général
mécontente de son sort, croit volontiers à cette supé-
riorité des temps antérieurs , qui lui est continuelle-
ment attestée par des gens qui les ont vus. D'ailleurs,
elle remarque qu'ordinairement les hommes un peu
âgés sont les plus sages •, elle se persuade aisément
que les temps où ils sont nés et où ils se sont formés
étaient les plus réellement éclairés , et elle s'accou-
tume ainsi à la folle opinion que tout va dégénérant,
sans s'apercevoir qu'il y a là un véritable renverse-
ment d'idées •, car si les hommes les plus âgés sont en
général les plus éclairés , c'est grâce aux bienfaits de
l'expérience , et la même raison fait que ce sont les
temps les plus récens où il y a le plus de lumière,
puisque ce sont les siècles les plus anciens qui sont
vraiment l'enfance du monde. C'est ainsi qu'une idée
fausse s'accrédite d'âge en âge, et qu'elle devient la
source d'une infinité d'autres dont l'observation atten-
tive de nos facultés doit nous préserver.
complète,
CHAPITRE X\. 389
complète, mais encore nos moyens de con-
naître sont dans nn engourdissement total;
nous n'en possédons, pour ainsi dire, que
le germe; il faut que l'exercice les élabore,
les perfectionne, les développe. Ainsi nous
sommes entièrement les ouvrages de l'art,
c'est-à-dire de notre propre travail; et
nous ressemblons aussi peu aujourd'hui à
l'homme de la nature, à notre manière
d'être originelle, qu'un chêne ressemble à
un gland, et un poulet à un oeuf.
Nous devons donc bien nous garder de
croire que nos facultés intellectuelles aient
toujours été ce qu'elles sont, et que, dans
toutes les circonstances, elles eussent fait
les mêmes progrès; et il serait très-curieux
de démêler, dans l'état où nous les voyons ,
ce qu'elles doivent au perfectionnement de
notre individu et à celui de l'espèce hu-
maine en général : tâchons d'y parvenir.
Nous ne saurions jamais nous considérer
sous trop d'aspects diflerens; c'est le moyen
de nous mieux connaître.
La seule manière de savoir parfaitement
à quoi s'en tenir sur ce point, serait de pou-
voir observer des hommes qui n'auraient
jamais eu de communication avec aucun
T
29O IDÉOLOGIE.
de leurs semblables : car les questions de
fait ne sont pleinement résolues que par
l'expérience ; mais celle-ci n'est pas en notre
pouvoir. L'homme ne naît ni ne vit isolé ; il
ne peut subsister de cette manière, et ne
saurait passer son premier âge sans secours
étrangers : ainsi toujours il a été influencé
par l'état de société ; toujours il a participé
plus ou moins au degré de perfection où
était l'espèce humaine au moment de sa
naissance. Nous avons, à la vérité, quelques
exemples d'enfans et déjeunes gens des deux
sexes qui ont été rencontrés dans des forêts
où ils paraissent avoir existé plus ou moins
de temps seuls. Un savant naturaliste, dans
un petit ouvrage qu'il a publié à l'occasion
du dernier de ces enfans trouvés (1) , en cite
jusqu'à onze, sur lesquels il nous donne des
renseignemens précieux. Mais, d'une part,
ces individus, quelque étrangers qu'ils nous
paraissent à toute société et à tout langage,
(1) Voyez la Notice historique sur le Sauvage de
l'Aveyron et sur quelques autres individus qu'on a
trouvés dans les forêts à différentes époques ; par
P.-J. Bonnaterre , professeur d'histoire naturelle à
l'école centrale du département de l'Aveyron. A Paris,
chez la veuve Pankouke , an 8.
CHAPITRE XV* 291
ont nécessairement vécu avec des hommes ,
au moins dans leur premier Age; et sous ce
rapport, si nous les prenions pour terme de
comparaison, ils nous donneraient une trop
haute idée du degré de perfectionnement
auquel peut atteindre un homme absolu-
ment et totalement livré à lui-même. D'une
autre part, on a remarqué avec beaucoup
de sagacité (1), que presque tous ces enfans
ainsi séquestrés de la société devaient ou
s'être perdus par stupidité, ou avoir été
l'objet de violences qui avaient pu altérer
leur raison, ou avoir été abandonnés et
ogarés exprès par leurs familles, parce que
les vices de leur organisation physique et mo->
raie faisaient désirer d'en être débarrassé;
il a même été prouvé positivement que
plusieurs d'entr'eux étaient dans l'un de ces
cas : ainsi, sous cet aspect, ils pourraient
nous faire tomber dans une erreur contraire
à la première, en nous portant à trop res-
treindre ce développement de l'homme isolé.
D'ailleurs aucun d'eux jusqu'à présent n'a
été observé avec les précautions nécessaires
(1) M. Roussel, physiologiste philosophe, auteu*
du Système physique et moral de la Femme.
T a
2t)2 IDÉOLOGIE.
et les détails suffisans, l'idéologie étant de
toutes les parties de la physique animale ,
celle qui exige les observations les plus scru-
puleuses et les plus circonstanciées. Nous ne
pouvons donc tirer aucune conclusion bien
certaine de ces expériences.
Mais si nous n'avons aucun moyen direct
de savoir jusqu'à quel point de développe-
ment arriverait notre intelligence , par ses
propres forces , nous en avons un bien fa-
cile de reconnaître le terme qu'il lui serait
certainement impossible de dépasser, et
même d'atteindre; nous n'avons qu'à jeter
les yeux sur les hommes qui composent les
sociétés les moins avancées en civilisation.
Car enfin les plus bruts d'entre les sau-
vages doivent beaucoup à leurs semblables;
Hs en ont reçu beaucoup d'idées, de con-
naissances, de traditions, un langage sur-
tout : et nous verrons bientôt combien un
langage, quelque imparfait qu'il soit, est
utile et même nécessaire pour combiner ses
idées. Or, quiconque réfléchira un moment
sur l'énorme différence qu'il y a entre ap-
prendre et inventer, sur-tout pour un être
qui ne sait encore rien, pas même se servir
de son esprit, sentira tout de suite qu'à dis-
CHAPITRE XV. 295
positions égales, l'homme qui n'auraient de
ressources qu'en lui même, resterait encore
bien loin en arrière du faible degré de per-
fectionnement du sauvage le plus stupide (1 ).
Cette simple réflexion suffit pour nous faire
sentir de quel triste état le genre humain est
parti, et nous pouvons juger combien il a
fallu de temps et de peines pour l'amener à
celui oùnous le voyons, puisque nous avons
continuellement sous les yeux des exemples
de l'extrême difficulté avec laquelle on dé-
couvre la vérité qui paraît la plus simple, et
de celle avec laquelle la masse des hommes
reçoit des améliorations qui semblent non-
seulement très-aisées , mais même pour ainsi
dire inévitables.
(i) C'est avec bien de la raison que de l'adjectif
idio, qui signifie propre, particulier, comme dans les
mots idiopathique, idio-électrique , on a fait le mot
idiot pour désigner un homme d'une intelligence très-
bornée ; car tel serait bien effectivement l'état de celui
qui n'aurait que des idées qui lui seraient propres ,
c'est-à-dire qui n'en aurait reçu aucune de ses sem-
blables. Tel serait l'état d'un sourd et muet de nais-
sance à qui on n'aurait absolument jamais rien fait
comprendre par des gestes. Encore aurait-il vu les
actions des autres hommes, qui au moins l'auraient'
fortement excité à penser.
2C)4 IDEOLOGIE.
Observez encore que cette incapacité de
l'homme dans son état primitif, ou, si l'on
veut, dans l'état de nature, ne consiste pas
seulement dans le peu d'étendue de ses con-
naissances, mais principalement dans la
lenteur et la difficulté de ses opérations in-
tellectuelles, au moins de toutes celles qui
ne lui sont pas habituelles. Il n'en fait qu'un
petit nombre, toujours les mêmes, celles
qui sont nécessitées par ses besoins indis-r
pensables. Ces besoins renaissant sans cesse,
les combinaisons d'idées qui s'y rapportent
sont continuellement répétées; elles devien-
nent bientôt très-faciles et très - rapides :
n'étant mêlées à aucune autre, elles s'opè-
rent sans perturbation : elles sont de plus
très-motivées et très-justes, parce qu'elles
ne sont point fondées, sur des ouï-dire ni sur
des idées incomplètes, mais sur l'expé-
rience même de l'individu; elles sont in-
ventées et non apprises : mais toutes les
autres restent dans un engourdissement
total, et par conséquent d'une difficulté ex-
trême.
Tel est l'état de l'homme primitif; tel est
aussi le spectacle que nous offrent les ani-
maux. Privés prcsqu'absolament de moyens
CHAPITRE XV. agS
commodes de communication intellectuelle
avec leurs semblables, réduits à leurs pro-
pres combinaisons, que des inventions in-
génieuses ne facilitentpas comme les nôtres,
ils atteignent plus ou moins vite , mais tou-
jours assez promptement,le degré de déve-
loppement de leur intelligence, sans lequel
ils ne pourraient subsister; mais ils ne le
passent presque plus. Leur instinct est égale-
ment remarquable par sa promptitude à se
former, sa rectitude, sa sûreté % et par son
peu d'étendue et son immutabilité. Ils nous
surprennent continuellement et presque en
même temps par leur finesse et par leur
stupidité. L'esprit des sauvages, proportion
gardée, nous cause les mêmes impressions ,
et a à peu près les mêmes qualités. Ils nous
donnent souvent lieu d'admirer que des
hommes si peu éclairés fassent des combi-
naisons si fines, et que, les faisant, ils soient
tout-à-fait incapables d'en faire d'autres qui
nous paraissent moins difficiles. Dans les
sociétés civilisées, la classe qui a les com-
munications les moins étendues et les moins
variées offre des phénomènes analogues.
Les paysans des campagnes écartées, ceux
des montagnes, sont remarquables par la
296 IDÉOLOGIE.
rectitude d'un petit nombre de combinai-
sons , l'ignorance absolue d'une foule d'au-
tres , et leur incapacité à en faire de nouvelles.
Enfin , dans tous les degrés d'instruction et
de perfectionnement, il est d'observation
que plus un homme est isolé et ne doit ses
connaissances qu'à lui-même, plus ses idées
sont profondes et justes, mais moins elles
embrassent avec succès des objets divers ,
et plus il est incapable de les modifier et de
les étendre. Partout les mêmes causes pro-
duisent les mêmes effets; et la cause géné-
rale du perfectionnement de l'homme et de
l'accroissement de sa capacité, est cette pro-
priété qu'ont ses organes de recevoir une
disposition permanente à l'occasion d'une
impression passagère , et de devenir ca-
pables de faire très-promptement et très-fa-
cilement ce qu'ils avaient d'abord exécuté
avec beaucoup de peine.
Nous ne pouvons comprendre le com-
mencement de rien, pas plus celui du genre
humain que celui du monde ou de toute
autre chose. Peut-être l'homme est-il une
combinaison des élémens qui le composent
qui a passé par des transformations lentes
et nombreuses avant d'arriver à lorgani-
CHAPITRE XV. 297
salion que nous lui voyons : c'est ce que
nous ne pouvons savoir. Mais ce dont nous
sommes surs, c'est que le premier homme,
quand il serait né adulte et aussi bien orga-
nisé que nous, n'en aurait pas moins élé
d'abord dans une ignorance absolue , puisque
nous ne connaissons rien que par nos sen-
sations; et ayant toutes ses facultés dans un
rtat de rigidité que l'exercice seul aura fait
disparaître plus ou moins promptement,
puisque nous éprouvons que tout ce que
nous faisons pour la première fois nous ne
l'exécutons qu'avec peine.
Nous sommes sûrs encore que s'il eût
vécu isolé, il serait resté bien au-dessous du
degré de capacité du sauvage le plus brut,
puisqu'il n'aurait eu l'usage d'aucune langue,
et qu'il n'aurait pu profiter de l'expérience,
de l'exemple, des connaissances, ni des se-
cours d'aucun être semblable à lui.
Nousvoyons avecuneégale certitudeque,
même en supposant les premiers hommes
vivant ensemble, comme ils n'ont pu man-
quer de le faire, leurs premiers progrès ont
dû nécessairement être très-lents, non-seu-
lement parce que, dominés par leurs pre-
miers besoins, ils n'ont pu avoir le temps de
598 IDÉOLOGIE.
réfléchir, non-seulement parce que touslcurs
moyens de recherches étaient informes et
défectueux, mais encore parce que toutes
nos opérations intellectuelles se tenant et
s'enchaînant les unes les autres, il est d'ex-
périence constante que moins on en a fait ,
et moins on est apte à en faire de nou-
velles; et qu'au contraire, arrivé à un cer-
tain degré d'avancement, on est à portée
d'une multitude indéfinie de combinaisons ;
ensorte que notre disposition à nous per-
fectionner croit dans une proportion bien
plus rapide que notre perfectionnement.
Enfin, il est vrai que si les premiers pas.
de l'intelligence humaine sont lents et pé-
nibles, du moins ils sont surs, tandis que
bientôt après elle est continuellement en
danger de s'égarer; i° parce que quand ses
opérations sont devenues faciles et rapides,
un grand nombre d'entr'elles demeurent
inaperçues, et nous avons vu ce qui en ré-
sulte; 20 parce que les signes par lesquels
nous représentons nos idées , et par le moyen
desquels nous les combinons, malgré leur
prodigieuse utilité, sont souvent une cause
d'erreur, comme nous le verrons bientôt ;
3°. parce que, quand la multitude des com-
CHAPITRE XV. 299
binaisons qui s'opèrent en nous et des mou-
vemens internes qu'elles nécessitent, est
devenue vraiment innombrable, il est bien
difficile que ces combinaisons ne se nuisent
pas tout en s'entr'aidant , et qu'il ne s'éta-
blisse pas entr'elles des liaisons vicieuses.
Je suis convaincu même que cette dernière
circonstance est une des causes qui fait
qu'en général c'est chez les nations les plus
éclairées , dans Fàge où l'on combine le plus
d'idées, et dans la classe des hommes qui
ont le plus exercé leur esprit, que l'on
trouve les exemples les plus-fréquens de dé-
mence j et que l'on observe que les hommes
les plus sujets à ce malheur sont ceux qui
se livrent le plus avidement aux impres-
sions qu'ils reçoivent, tandis que ceux dont
l'occupation habituelle est de se rendre un
compte soigneux de leurs pensées en sont
presque entièrement exempts (1).
(1) Cette réflexion m'est suggérée par la lecture du
Traité de Y Aliénation mentale, qu'a publié M. Pinel :
on ne saurait trop en recommander la lecture. En
expliquant comment les fous déraisonnent, il apprend
aux sages comment ils pensent; il prouve que l'art
de guérir les hommes en démence n'est autre cliose
que celui de manier les passions et de diriger les opi.-
5oo IDÉOLOGIE.
Je n'irai pas plus loin en ce moment. Après
avoir montré quel est l'état primitif de l'in-
telligence humaine, et en quoi consiste son
perfectionnement actuel , je n' : aminerai
point jusqu'où il peut s'étendre à l'avenir.
Je renverrai cette discussion à la fin de la
partie logique de cet ouvrage, parce que,
rions des hommes ordinaires; il consiste à former
leurs habitudes. Ce sont les physiologistes philosophes,
comme M. Pinel, qui avanceront l'idéologie. Mais il
n'a pas seulement la gloire d'avoir fait un livre utile,
il a encore celle d'en avoir recueilli les matériaux
par une longue suite de bonnes actions.
Au reste , j'ai vu avec satisfaction que les phéno-
mènes qu'il décrit dans une grande perfection , con-
firment la manière dont j'ai envisagé la pensée , et se
trouvent mieux expliqués sous le rapport idéologique,
par notre façon de considérer nos facultés intellec-
tuelles , que par celles en usage jusqu'à présent.
Tous les hommes commencent par l'idiotisme en-
fantin, finissent par la démence sénile, et ont dans
l'intervalle plus ou moins de manie délirante, suivant
le degré de perturbation de leurs opérations intellec-
tuelles les plus profondément habituelles.
Le traitement moral que M. Pinel emploie pour
guérir les esprits égarés, est, avec raison, précisément
l'inverse des procédés que l'art oratoire emploie pour
ébranler l'imagination et entraîner l'assentiment d^$
hommes.
CHAPITRE XV. 001
pour faire voir que notre faculté de penser
est perfectible indéfiniment, il faut avoir
montré comment elle parvient à découvrir
sûrement la vérité, et que sa marche est la
même dans tous les genres de recherches.
Je m'aperçois même, jeunes gens, que vous
n'avez pas pu bien comprendre ce que je
viens de vous dire des signes par lesquels
nous représentons nos idées, et sentir par-
faitement les motifs de l'importance que j'ai
attachée à leurs avantages et à leurs incon-
véniens, parce que je ne vous en ai pas en-
core entretenu. Mais les réflexions que nous
venons de faire sur les progrès de nos fa-
cultés suivaient si naturellement de ce que
nous avions dit de la fréquente répétition
de leurs opérations, que je n'ai pas dû les en
séparer. Actuellement je reviens aux signes
de nos idées; et quand je vous aurai expli-
qué leur origine, leur usage et leurs pro-
priétés, je crois que nous aurons envisagé
sous toutes ses faces la manière dont se for-
ment nos idées , et que la première partie de
notre cours sera terminée.
502 IDÉOLOGIE.
CHAPITRE XVJ.
Des Signes de nos Idées, et de leur
effet principal.
JEUNBsoEKS)voUSsaveztous<,«elesmots
que nous prononçons sont les signes de nos
idées, et n'ont de valeur que par le rapport
qu'ils ont avec elles; sans cela ils ne seraient
qu'un vain bruit. L'assemblage des mots
dont se sert une nation constitue ce qu'on
appelle une langue : on ne connaît aucune
société d'hommes, quelque peu avancée
qu'elle soit en civilisation , qui n'ait un
langage de cette espèce plus ou moins gros-
sier.
C'est sans doute cette observation, jointe
à l'impossibilité de se rendre raison de la
manière dont les hommes avaient pu conv-
mencer à se faire un langage, et étaient par-
venus à en avoir de si perfectionnés, qui
avait porté Rousseau à croire que ce ne
pouvait être là une invention humaine, et
que la création des langues exigeait néces-
sairement l'intervention de la Divinité, c'est-
à-dire d'un être supérieur à l'homme. Une
CHAPITRE XVf. 5o5
telle idée dans un homme d'un mérite aussi
éminentque le philosophe de Genève, montre
que malgré ce qu'avaient déjà écrit Locke
et Condillac, la théorie de nos langues et
celle de nos opérations intellectuelles étaient
encore des connaissances bien peu répan-
dues; et l'on est tout étonné qu'il y ait à
peine quarante ans de cette époque. L'éton-
nement redouble quand on songe que la lan-
gue la plus belle au jugement des connais-
seurs, la langue grecque, existait dans toute
sa splendeur depuis deux mille ans; qu'une
foule de rhéteurs, métaphysiciens, gram-
mairiens, avaient écrit des ouvrages pleins
de sagacité; que l'art de s'exprimer en prose
et en vers avait été porté maintes fois, dans
diffërens temps et dans diffërens pays, à un
degré de perfection qu'il sera peut- être éter-
nellement impossible de surpasser; et que
Rousseau lui-même est souvent le modèle
d'une éloquence admirable. Assurément rien
ne prouve mieux que la pratique d'un art
peut être portée à un très-haut degré de
perfection, quoique sa théorie soit encore
complètement ignorée : aussi est-ce un
phénomène que l'esprit humain nous montre
constamment dans toutes les branches de
5o4 IDEOLOGIE.
ses connaissances- et tout surprenant qu'il
nous paraît , il est facile de s'en rendre
compte.
En effet, l'homme commence toujours par
observer des faits; mu par ses besoins, il
en tire d'abord des conséquences pratiques ;
il les varie, il les modifie, il les combine, il
en fait mille applications ingénieuses , c'est-là
ce qui constitue l'art ; et il jouit long-temps
de ses succès avant de songer à rapprocher
les uns des autres ces faits principaux, à les
comparer, à examiner leurs rapports, à y
découvrir des lois constantes , et à remonter
par elles à des faits antérieurs moins nom-
breux, dont tous les autres ne soient que des
conséquences. Or, c'est-là en quoi consiste
la théorie : il faut avoir du temps de reste
pour s'en occuper; car, si elle donne de
grands avantages pour l'avenir, elle ne pour-
voit pas aux besoins du moment. Souvent
les fruits utiles qu'elle peut produire sont
impossibles à prévoir; et on ne s'en aperçoit
que quand elle est découverte , quelquefois
même long-temps après.
Ainsi, par exemple, l'homme observe que
le bois flotte sur l'eau , il en profite pour
faire successivement un radeau, un canot,
nager
•c*-1 i
CHAPITRE XVI. 3o5
nager, naviguer, pêcher : il aura déjà des
vaisseaux assez bien construits, il aura déjà
tiré de cette observation mille inventions
utiles avant d'avoir rattaché ce premier fait
à d'autres, avant d'avoir reconnu que c'est
la même cause qui fait que la pluie tombe
et que la fumée monte dans l'air, avant enfin
d'en avoir déduit les lois générales de l'hy-
drostatique.
De même il a des fardeaux à remuer : il
s'aperçoit promptement qu'à l'aide d'un
bâton employé d'une certaine manière il dé-
place des masses que toutes ses forces ap-
pliquées directement ne pourraient ébran-
ler. Il se sert donc du levier, il en varie
l'usage de cent façons fort adroites, avant
de découvrir l'analogie et la liaison de ce fait
avec la force du choc des corps en mouve-
ment, et de s'élever aux principes généraux
de la mécanique. Il ne le peut même pas
sans avoir perfectionné les moyens d'ob-
servation, ceux de calcul, et les méthodes
de raisonnement, c'est-à-dire sans avoir fait
beaucoup d'autres découvertes dans des
genres très-différens.
De même encore, dans le cas qui nous
occupe, un homme fait d'abord un cri, peut-
V
5o6 IDEOLOGIE.
être sans projet ; il s'aperçoit qu'il frappe
l'oreille de son semblable, qu'il attire son
attention, qu'il lui donne une notion de ce
qui se passe en lui; il répète ce cri avec l'in-
tention de se faire entendre; bientôt il en fait
d'autres qui ont une autre expression; il
s'applique à varier ces expressions , à les
rendre plus distinctes, plus circonstanciées,
plus déterminantes ; il modifie ces cris par
des articulations; ils deviennent des mots
auxquels il fait subir diverses altérations
pour indiquer leurs rapports; il en forme
des phrases dont la tournure varie suivant
les circonstances, les besoins, l'objet qu'on
se propose, le sentiment dont on est animé :
voilà une langue. D'observations en obser-
vations s'ur les effets de cette langue, on
parvient au talent le plus exquis pour ex-
primer les idées les plus fines , exciter les
sentimens les plus véhémens et procurer les
plaisirs les plus délicats : on en prescrit
même les règles. Cependant on n'a pas en-
core démêlé jusque dans leur principe les
causes de l'analogie des formes différentes
que cette langue sait prendre, les lois géné-
rales qui les régissent, les ellèls qu'elle pro-
duit dans l'esprit de celui même qui s'en
CHAPITRE XVL 007
sert, ni la théorie de la formation des idées
de celui qui parle et de celui qui entend.
Il en est de même de l'art du raisonnement,
presque identique avec celui de la parole.
Combien de temps on a raisonné , et souvent
parfaitement, sans être remonté jusqu'aux
causes de la certitude et à la saine théorie
de l'art d'y parvenir : elle ne fait que de
naître de nos jours ; elle n'est même encore
ni complète ni exempte d'erreurs.
Il est donc fort naturel que la pratique
souvent très -perfectionnée précède toute
bonne théorie ; cela ne peut pas même être
autrement, car on ne saurait comparer des
faits qu'après les avoir connus, et on ne peut
découvrir les lois générales qui régissent ces
faits, qu'après les avoir comparés entr'eux.
Cela nous explique aussi pourquoi la science
qui nous occupe, celle de la formation des
idées, est si nouvelle et si peu avancée : puis-
qu'elle est la théorie des théories, elle devait
naître la dernière. Ceci, au reste, ne doit pas
faire conclure que les théories en général,
et notamment l'idéologie , soient inutiles ;
elles servent à rectifier et épurer les diverses
connaissances, à les rapprocher les unes des
autres, à les rattacher à des principes plus
V 2
5o8 IDÉOLOGIE.
généraux, et enfin à les réunir par tout ce
qu'elles ont de commun. Mais revenons aux
signes de nos idées, sans lesquels nous n'au-
rions jamais fait de pareils progrès.
JNous l'avons déjà dit, les mots dont nous
nous servons sont les signes de nos idées ;
leur réunion forme une langue, et toutes les
nations connues ont un langage de ce genre,
c'est-à-dire une langue parlée. Cela prouve
que les hommes ont senti unanimement que
de tous leurs moyens de communication
avec leurs semblables , l'organe de la voix
est celui qui leur fournit le plus de ressources
pour exprimer ce qui se passe en eux, et que
dans les autres, l'organe de l'ouïe est celui
qui leur offre le plus d'avantages pour leur
faire éprouver des impressions variées et
distinctes. C'est notre organisation elle-
même qui détermine cette juste préférence;
mais cela ne veut pas dire que nous ne puis-
sions pas avoir des signes d'une autre es-
pèce ; au contraire , il est manifeste que par
nos gestes, par des figures tracées quelcon-
ques, par des mouvemens produits, quels
qu'ils soient, nous pouvons affecter le sens
de la vue de nos semblables ; par des attou-
chcmens, nous pouvons nous adresser à
CHAPITRE XVT. 0<X)
leur tact. Il n'y a que les sens du goût et de
l'odorat sur lesquels nous ne puissions guère
produire des impressions utiles pour cet ob-
jet; encore si nous étions convenus d'atta-
cher certaines idées à telle odeur ou telle
saveur bien distinctes, elles pourraient en
devenir les signes jusqu'à un certain point.
Tout ce qui représente nos idées est donc
un signe, et tout système de signes est une
langue ou un langage, et peut être nommé
ainsi en prenant ces mots dans le sens géné-
rique et non dans le sens spécifique, et en
faisant abstraction de la particularité qu'ils
ont de dériver du nom des organes de la
parole. C'est ainsi qu'il est reçu de dire la
langue hiéroglyphique, le langage d'action
ou celui des gestes, et même le langage des
sourds et muets.
Nous devons donc regarder comme de
vraies langues les assemblages de gestes par
lesquels les pantomimes, les muets, par-
viennent à exprimer, non- seulement des
sentimens très-fins, mais même des idées
très-abstraites. Les gestes du comédien et
de l'orateur , et même ceux des hommes qui
causent le plus simplement, sont aussi une
langue, car ils contribuent à expliquer leurs
3lO IDÉOLOGIE.
pensées; mais une langue qui est surajoutée
à leur langue parlée , qui toujours la modifie,
qui souvent exprime toute autre chose que
ce qu'elle dit, qui quelquefois même la con-
tredit formellement.
Les divers systèmes de mouvemens télé-
graphiques , ceux des signaux dont on fait
usage sur les flottes ou dans les armées, et
dans diverses autres occasions, sont encore
autant de langues plus ou moins riches, plus
ou moins étendues, puisque ce sont des as-
semblages de signes qui représentent les
idées qu'on est convenu d'y attacher , et qui
les transmettent comme feraient les mots
eux-mêmes.
La peinture et tous les genres de dessin
sont une autre classe de langues, sur- tout
quand on s'en sert comme les Mexicains,
dont les annales étaient une suite de tableaux
représentant les évènemens, ou comme nos
architectes, nos naturalistes et nos géomè-
tres. Car qu'est-ce qu'un plan, un dessin ou
une figure de géométrie, si ce n'est une
description abrégée d'un monument, d'une
plante, d'un animal ou d'une certaine com-
binaison de lignes et de surfaces, description
CHAPITRE XVT. DU
qui tient lieu d'une longue suite de mots et
remplit absolument le même objet?
Les hiéroglyphes, symboles, emblèmes,
attributs, etc., etc. , sont encore des langues
ou parties de langues du même genre, car
ce sont des peintures plus ou moins altérées,
ou dont la signification a été transportée du
sens naturel au sens figuré. Quand je dessine
un épi pour exprimer l'abondance, ou un coq
pour rappeler l'idée de vigilance, n'est-ce
pas comme si je prononçais ces mots, abon-
dance, vigilance? Et l'usage détourne que
je fais dans ce cas de la figure du coq et de
celle de cet épi, pour rendre une autre idée
que celles qu'elles réveillent naturellement,
n'est-il pas exactement le même que celui
que nous faisons souvent des mots, comme
lorsque nous disons qu'un homme est le coq
de son village, ou le lien qui unit sa société?
Jeunes gens, remarquez en passant que
cet attrait que nous avons pour employer
les symboles et les emblèmes , est un ves-
tige des temps grossiers où nous ne savions
pas peindre les mots eux-mêmes, ou un effet
du goût qui nous entraîne vers la métaphore
et l'allégorie, goût dépravé qui nuit beaucoup
à la justesse du raisonnement, comme je
5l2 IDEOLOGIE.
vous le démontrerai lorsque nous traite-
rons de la logique. Il vaut toujours mieux
dire tout simplement sa pensée quand on le
peut ; nécessairement elle est rendue avec
plus d'exactitude (1). Mais revenons.
Nous devons encore ranger parmi les lan-
gues de ce genre, les écritures soi-disant
savantes des Chinois , des Japonais et de
quelques autres peuples des extrémités de
l'Asie, car ce sont de vrais hiéroglyphes dé-
générés; leurs caractères peignent directe-
ment les idées qu'on y a attachées comme
toutes les peintures et tous les dessins : ce
sont donc des signes dont l'ensemble forme
une langue.
Observez qu'on n'en peut pas dire autant
de l'alphabet et des caractères alphabéti-
ques; ils ne peignent point les idées, ou du
moins ils ne les peignent pas directement.
Ce sont les sons qu'ils peignent directement;
(1) Ne croyez pas cependant que , par ce.principe,
je prétende condamner toute locution par laquelle,
en exprimant bien une idée principale, on lui donne
une nouvelle force en réveillant d'autres idées qui
ont avec elle plus ou moins de rapport. C'est ce qui se
verra mieux quand nous parlerons des ligures gram-
maticales et oratoin •-.
CHAPITRE XVI. 3i5
c'est aux sons et non pas aux lettres qui les
représentent que les idées sont attachées.
La preuve en est que la même réunion de
lettres peut exprimer une idée dans une
langue et une autre idée dans une autre lan-
gue ; par conséquent elles ne sont pas des
signes proprement dits, et l'alphabet n'est
point une langue, mais seulement l'écriture
commune de toutes les langues parlées;
Voilà pourquoi les caractères alphabétiques
sont si peu nombreux ; il suffit qu'il y en ait
assez pour rendre toutes les intonations et
les articulations de la voix humaine, au lien
qu'il y a autant de caractères chinois que
nous avons de mots, parce qu'il en faut au-
tant que d'idées différentes. Au reste, ceci
sera plus développé quand nous parlerons
de récriture' et de l'orthographe. Conti-
nuons rénumération des diverses espèces
de langues.
Les chiffres et les caractères algébriques
forment encore une langue ou portion de
langue de la même nature que celles dont
nous venons de parler. En effet, les chiffres
ne peignent pas les sons du nom qu'ils por-
tent dans les langues parlées ; ils représente] 1 1
directement l'idée de quantité qu'exprime
5l4 IDEOLOGIE.
ce nom; ils l'expriment comme ce mot lui-
même. De même , quoique l'algèbre emploie
des caractères alphabétiques, ils ne sont pas
là comme lettres, mais comme signes; a ne
représente pas le son a, mais l'idée d'une
quantité connue dont on ne spécifie pas la
valeur; x ne représente pas le son x, mais
l'idée d'une quantité inconnue; et ax ne re-
présente pas le son # armais l'idée de ces deux
quantités multipliées l'une par l'autre, etc.
Les chiffres et les caractères algébriques
sont donc de vrais signes directs des idées ,
et l'arithmétique et l'algèbre forment une
vraie langue ou portion de langue qui s'a-
dresse à* la vue. Quand on la prononce, il
est vrai qu'elle s'adresse à l'ouïe ; mais cet
effet ne s'opère que par une véritable tra-
duction et non par une simple lecture; aussi
ne suffit-il pas de savoir épeler pour lire une
équation algébrique , car les sons des mots
dont on est obligé de se servir ne sont point
indiqués par la plupart des caractères, et
ce n'est que par hasard qu'ils le sont par
quelques-uns. L'algèbre ne serait pas moins
de l'algèbre si , au lieu des lettres alphabé-
tiques, on employait des figures de conven-
tion auxquelles on serait obligé de donner
CHAPITRE XVI. 3l5
un nom quelconque pour les traduire dans
une langue parlée.
Enfin, on peut regarder comme des lan-
gues ou portions de langues s'adressant
au sens du tact, la collection de certains
attouchemens convenus, au moyen desquels
on se communique au besoin différentes
idées , comme on fait en franc-maçonnerie
et dans d'autres associations mystérieuses,
et comme les enfans font «souvent dans
leurs jeux.
Vous trouverez peut-être, jeunes gens,
que j'ai un peu fait violence à l'usage, en
étendant ces mots langue et langage à
tant de systèmes de signes si difFérens ; j'en
conviens, et je ne vous exhorte pas à m'imi-
ter : il me suffit que vous sentiez que j'y
suis autorisé par la similitude de leurs effets,
et que par conséquent j'ai raison en théorie,
c'est-là l'essentiel ; ensuite, dans la prati-
que, il fout suivre la routine reçue, jusqu'à
ce que la rectification des idées la fasse
changer. Quoi qu'il en soit, si vous ajou-
tez à cette longue liste les langues parlées,
vous aurez, non pas une énuinération com-
plète de tous les systèmes de signes dont
les hommes se servent ou peuvent se servir
5l6 IDÉOLOGIE.
pour représenter leurs idées, car cela n'a
point de bornes, mais des exemples de
tous les diffërens genres auxquels on peut
rapporter ces divers systèmes.
Maintenant, remarquez, je vous prie,
que tous ces langages sont, au moins dans
leurs détails, absolument de convention;
car la peinture même, quand vous la sup-
poseriez assez parfaite, ce qui est impos-
sible dans l'enfance de l'art , pour imiter la
nature de manière à ne laisser rien à desi-
ser, elle parviendrait seulement à donner
une idée exacte et complète de la chose
représentée ; mais il est hors de son pou-
voir de peindre les impressions que fait sur
vous cette chose, ou les motifs qui vous
portent à en tracer l'image; en un mot,
elle ne saurait, pas plus que les autres lan-
gages, exprimer ce qui se passe en vous
qu'à l'aide de quelques signes convenus.
Mais deux personnes ne peuvent faire une
convention quelconque qu'auparavant elles
ne soient déjà parvenues à se comprendre:
il faut donc qu'antérieurement à tout lan-
gage, il y ait en nous un moyen de nous
entendre réciproquement, pour ainsi dire
malgré nous; et ce moyen ne peut être
chapitre xvr. 5l7
qu'un résultat de la nature même de notre
être, qu'un effet nécessaire de notre orga-
nisation. C'est aussi ce qui est, comme nous
allons le voir.
En effet, nous ne pouvons atteindre une
chose que nous desirons qu'en y portant
la main, si nous en sommes près, et en
marchant ou courant vers elle, si nous en
sommes éloignés. Quand nous éprouvons
le besoin du repos, nous sommes forcés de
nous asseoir ou de nous coucher ; la dou-
leur nous arrache certains cris; la joie ou
la surprise nous en inspirent de très-dif-
férens ; nous frappons rudement ce qui
nous irrite; nous caressons avec douceur
ce qui nous plaît, ou du moins nous saisis-
sons avec précaution ce que nous voulons
ménager : tout homme éprouve ces effets
en lui; et quand il les observe dans ses sem-
blables, il ne peut manquer de deviner ce
qui se passe en eux. Voilà donc un com-
mencement de langage inévitable; et nos
actions sont les signes naturels et néces-
saires de nos sentimens et de nos pensées ;
si elles n'en restent pas les signes uniques,
elles en seront toujours les plus irrécusables
et les plus surs.
5l8 IDÉOLOGIE.
C'est donc avec beaucoup de raison que
les idéologistes qui ont entrepris d'expliquer
l'origine et les conséquences de ce premier
langage , lui ont donné le nom de langage
d'action ; il comprend les gestes, les cris,
les attouchemens ; il parle à l'œil, à l'oreille
et au tact; par conséquent il renferme le
germe de tons les langages possibles; et,
s'il est de toutes les langues la moins fine,
la moins riche , et la moins développée , il
demeure toujours la plus énergique et la
plus véhémente, et la seule dont nous con-
servions l'usage dans l'excès de la passion,
et lorsque la violence de nos sentimens
nous prive de la réflexion nécessaire pour
les exprimer par des moyens de pure
convention.
Ce langage naturel et nécessaire, on l'a
rendu artiliciel et volontaire, c'est-à-dire
qu'on a refait avec l'intention de peindre
une pensée ou un sentiment, les mêmes
actions que ce sentiment ou cette pensée
font faire nécessairement ; ensuite , par
l'usage, ce langage d'action est devenu cha-
que jour plus fin, plus varié, et plus cir-
constancié. Cependant, tous les signes qui
le composent ne sont pas également suscep-
CHAPITRE XVI. 019
tiblcs de se perfectionner et d'être modifiés
par des conventions expresses; les attou-
chemens restent toujours à peu près les
mêmes, excepté dans certains cas particu-
liers dont nous avons fait mention ci-dessus.
Mais les gestes sont déjà propres à recevoir
de grands développemens et à former
une vraie langue savante ; et les sons de-
viennent à tel point des signes artificiels,
que, dans l'usage que nous en faisons, il
n'y a plus guère que les interjections qui
soient des restes du langage primitif, en-
core ne nous sont-elles pas toutes données
par la nature, ou ne conservent-elles sou-
vent leur signification originaire qu'extrê-
mement altérée et modifiée • mais, pour
les autres mots, tout ce que peut faire
l'étymologiste le plus sagace, au risque
même de se tromper souvent, est de re-
trouver dans leurs syllabes radicales quel-
ques vestiges de l'impression première
produite par l'objet ou le sentiment qu'ils
représentent, et de légères traces de leur
forme originelle. Néanmoins , on peut dire
avec vérité que tous les langages artificiels
dont nous nous servons ne sont jamais
que le langage naturel prodigieusement
020 IDÉOLOGIE.
étendu et perfectionné- et même que l'on
retrouve toujours dans ceux-ci, quelque
polis qu'ils soient, toutes les espèces de
signes qui composent le premier. Les at-
touchemens ne peuvent en être totalement
bannis ; toujours et éternellement ce sera
un moyen très-sûr de faire comprendre à
un homme que l'on veut qu'il se porte quel-
que part, que de le pousser ou de le tirer
de ce côté. Quoique les sons soient devenus
sans comparaison notre manière de nous
exprimer la plus riche et la plus féconde ,
cependant nous n'avons point renoncé aux
gestes, et ils resteront à jamais plus ou
moins unis aux mots et aux discours comme
un auxiliaire indispensable et un accessoire
nécessaire. Ainsi, malgré que cela puisse
paraître bizarre à un observateur superfi-
ciel, il est constant que, même dans les
sociétés les plus civilisées, tout homme
emploie concurremment, et souvent si-
multanément, trois langues ou systèmes de
signes, savoir, les attouchemens, les gestes,
et les mots , lesquels ne sont que les trois
branches plus ou moins perfectionnées du
langage naturel et primitif, que les idéolo-
gistes ont appelé langage d'action ; car il
n'est
CHAPITRE XVI. 3a 1
n'est pas douteux que quand d'une main
j'entraîne un homme vers un but , que de
l'autre je lui montre ce but, et qu'en même
temps je lui dis d'y aller, je lui exprime de
trois manières différentes la même idée ou
la même volonté, et je m'adresse à trois de
ses sens à la fois, je lui parle réellement
trois langages divers.
On pourrait même dire que chacun de
ces langages se partage encore en plusieurs
dialectes qui se confondent sans que nous
nous en apercevions ; car il est constant
que le même mot ou le même geste a sou-
vent une valeur bien différente, suivant
les circonstances dans lesquelles nous
l'employons et les impressions dont nous
sommes affectés: il exprime donc réelle-
ment des idées qui ne sont pas les mêmes.
Or, à parler rigoureusement, c'est bien
changer de langage que de rendre des idées
différentes par le même signe. Mais ces ré-
flexions nous mèneraient trop loin; elles
seront mieux placées lorsque nous traite-
rons des finesses de l'art de la parole.
Quoi qu'il en soit, telle est l'origine et
l'état actuel des différens systèmes de signes
qui représentent les idées auxquelles on
X
523 IDÉOLOGIE.
îes a attachés. Nous avons appelé langues
ou langages tous ces systèmes de signes
en donnant à ces deux mots leur significa-
tion la plus étendue; et c'est au moyen de
ces langues que nous communiquons avec
nos semblables. Telle a été, sans doute,
l'intention qu'on a eue en les composant :
un homme isolé n'aurait jamais conçu
l'idée de se faire une langue ; il n'en aurait
pas éprouvé le besoin; il n'aurait pas de-
viné que cela pût lui être d'aucun avan-
tage. Cependant la transmission des idées
est bien loin d'être la seule utilité des lan-
gues; elle n'en est pas même la principale.
Elles ont une propriété bien plus précieuse,
quoique bien moins remarquée, et dont
nous avons retiré les plus grands avantages
pendant bien des siècles sans nous en aper-
cevoir. C'est ainsi qu'il arrive souvent à
l'homme en tendant vers un but d'en at-
teindre un autre beaucoup plus important
sans s'en douter ; un homme de génie ar-
rive, qui lui montre ce qu'il a déjà fait et ce
qu'il peut faire encore.
Condiltac est, je crois, le premier qui ait
observé et prouvé que sans signes nous ne
pourrions presque pas comparer nos idées
CHAPITRE XVI. 323
simples, ni analyser nos idées composées;
qu'ainsi les langues sont aussi nécessaires
pour penser que pour parler, pour avoir des
idées que pour les exprimer, et que sans
elles nous n'aurions que des notions très-
peu nombreuses, très-confuses et très-in-
complètes : c'est ce qui lui a fait dire que les
langues étaient des méthodes analytiques
qui guidaient notre intelligence dans ses cal-
culs. C'est-là vraiment un trait de génie qui
ne pouvait naître que de l'étude très-ap-
profondie de l'intelligence humaine, et qui
jette le plus grand jour sur le mécanisme de
nos opérations intellectuelles. Mais, suivant
moi, Condiliac aurait du énoncer différem-
ment sa découverte, et dire que tout signe
est l'expression du résultat d'un calcul exé-
cuté, ou, si l'on veut, d'une analyse faite, et
qu'il fixe et constate ce résultat j ensorte
qu'une langue est réellement une collection
de formules trouvées, qui ensuite facilitent
et simplifient merveilleusement les calculs
ou analyses qu'on veut faire ultérieure-
ment. C'est bien là ce qu'est l'algèbre : aussi
l'algèbre est-elle une langue, et les langues
ne sont elles-mêmes que des espèces d'al-
gèbres.
X 2
3a4 IDÉOLOGIE.
En effet, nous avons vu dans tout le cours
de cet ouvrage, et nommément dans les cha-
pitres II, IV et VI, que notre faculté de
^penser toute entière consiste à recevoir des
impressions , à observer leurs qualités , c'est-
à-dire leurs rapports à nous et leurs rapports
entr'elles ; à les classer ou les réunir de mille
manières différentes d'après ces rapports; à
en former divers groupes qui constituent les
idées que nous avons, soit des êtres indivi-
duels et réels, soit des propriétés et des affec-
tions de ces individus , soit des êtres générali-
sés etabstraits ; et enfin à examiner sous tous
leurs aspects ces idées déjà composées, et à en
tirer de nouvelles vues et de nouveaux sen-
timens. On ne peut pas nier cette vérité qui
est constante.
Mais nous avons observé de plus que nos
idées composées, c'est-à-dire toutes nos
idées, excepté la simple sensation, n'ont
pas d'autre soutien , d'autre lien qui unisse
leurs élémens, que le signe qui les exprime
et qui les fixe dans notre mémoire, et que
par conséquent , sans l'usage de ces signes ,
toutes ces réunions seraient aussitôt dis-
soutes que formées, aussitôt perdues que
trouvées; que nos premières conceptions
CHAPITRE XVI. 525
seraient toujours à refaire, et que noire es-
prit resterait clans une éternelle enfance :
c'est-là encore un fait certain ; néanmoins il
faut le prouver par des exemples, et en in-
diquer les causespar quelques réflexions sur
nous-mêmes.
- La preuve générale que sans les signes
nous ne pouvons presque pas nous rappeler
nos idées ni les combiner, c'est que chacun,
de nous éprouve que, lorsqu'il réfléchit sur
un sujet quelconque, ce n'est pas directe-
ment sur les idées qu'il médite , mais sur les
mots; nous répétons ces mots, nous les.
retournons , nous en faisons divers arran-
gemens, nous sentons les nuances de leur
signification, nous les prononçons tout bas ,
comme pour nous frapper nous-mêmes par
une impression qui ne soit pas purement
intellectuelle. A la vérité, quand l'objet est
présent il tient à un certain point lieu de
son nom, il devient lui-même signe de l'idée
qu'il fait naître ; mais nous fixons toujours
notre attention sur les mots qui expriment
la qualité qu'il s'agit d'examiner en lui, l'effet
qu'elle a produit, la circonstance à laquelle
il faut avoir égard, le but ou tend notre re-
cherche, etc.... On pourrait croire quo.
526 IDÉOLOGIE.
cette manière d'opérer tient au lon^ usage
que nous avons des mots , et que notre es-
prit , accoutumé dès long-temps à se servir
de ce moyen, s'en est fait une nécessité qui
n'est pas réelle : mais un exemple frappant
va nous montrer que ce n'est point là uni-
quement un effet de l'habitude, qu'il y a
autre chose dans ce phénomène, et qu'il est
fondé sur la nature même de l'opération in-,
tellectuelle qui s'exécute.
Nous avons tous l'idée de l'unité, peu im-
porte pour le moment comment nous l'avons
acquise : nous savons que l'adjectif un ex-
prime la qualité d'un être isolé, considéré
séparément de tout autre comme n'étant ni
répété ni divisé. C'est déjà un signe pré-
cieux que ce mot un; il fixe dans nos têtes
une idée qui, sans son secours, demeurerait
très-vague. Si à lui tout seul il ne nous donne
point encore les idées des différens nombres!
à coup sûr sans lui nous ne les aurions ja-
mais ; car tous les nombres possibles ne
sont que l'unité répétée plus ou moins. Le
mot un est donc le germe de toutes les idées
de nombre, et c'est un grand pas que de
l'avoir créé. Cependant supposons que nous
n'avons point d'autre nom de nombre , et
CHAPITRE XVI. 327
essayons avec le seul mot un de faire le plus
simple de tous les calculs, une addition très-
bornée. Pour y réussir, je ne puis faire
autre chose que dédire un plus un, plus un,
plus un, plus un, plus un , plus un ; et ni moi
qui parle, ni vous qui m'écontez, n'avez
aucune idée nette dans la tête. Pourquoi
cela? c'est que rien ne nous indique com-
bien de fois nous avons répété ce mot un,
ni quel rapport il y a entre ce nombre pri-
mitif et le nombre total. Maintenant , que
quelqu'un me compte un plus un, plus un,
plus un, plus un, plus un, et me propose de
retrancher ce nombre du premier ou de l'y
ajouter, que voulez-vous que je fasse ? quel
rapport puis-je saisir entre ces deux nom-
bres? quelle proportion puis-je sentir entre
l'un deux et le reste ou le total demandé ?
Quand je n'ai aucun moyen de déterminer
aucun des termes de la comparaison, évi-
demment je ne puis asseoir un jugement;
j'aurai beau dire un, un, un, un, un, un,
un, moins un, un, un, un, un, un, ou plus
un, un, un, un, un, un, je ne saurai où je
dois arrêter cette fastidieuse répétition ; et
quand, par impossible, je ne retendrais ni
trop ni trop peu, le reste ni le total, je le
528 IDÉOLOGIE.
répète, ne me présenteraient aucune idée
déterminée. Mais, me dira-t-on , vous comp-
terez par vos doigts ou avec des cailloux,
comme l'indique l'étymologie du mot calcul;
d'accord : mais mes doigts ou mes cailloux
sont des signes, chacun d'eux représente le
mot un; l'action de le joindre à la masse, ou
de l'en ôter, constate l'opération que je fais
et sauve du moins une cause d'erreur. Néan-
moins , quoiqu'alors cette masse soit ce
qu'elle doit être, si je n'ai point de nom col-
lectif pour la sommer, je ne pourrai pas en-
core venir à bout de m'en faire une idée
nette, et de juger son rapport avec L'unité
ou avec une autre masse quelconque.
Au contraire, que profitant de la com-
modité du signe un pour réfléchir sur l'idée
un, et étant venu à l'imaginer ajoutée à elle-
même , je m'avise d'appeler deux cette nou-
velle idée, ce second signe fixe dans mon
esprit le résultat de l'opération que j'ai faite,
il me rend présente et sensible l'idée d'un
plus un; bientôt il fait naître celle de deux
plus un, je l'appelle trois: continuant de
même, je conçois trois plus un, je l'appelle
quatre; quatre plus un, je l'appelle cinq;
cinq plus un, je l'appelle six; six plus un, je
CHAPITRE XVI. 529
Rappelle sept ; sept plus un, je l'appelle huit,
et ainsi de suite; et tout cela pour avoir eu
le signe un et m'en être servi à créer le signe
deux. Alors je vois clairement que tous ces
nombres sont à la même distance les uns
des autres, et que cette distance est égale à
l'unité; chacun de ces noms est un point de
repos pour ma pensée ; il fixe le rapport ob-
servé entre l'idée qu'il représente et les
idées antérieures et postérieures; il constate
des comparaisons faites que je ne suis plus
obligé de recommencer, et desquelles je
pars pour en faire d'autres : je n'ai plus be-
soin d'avoir actuellement le souvenir vif de
l'impression que faisaient sur mon œil six
corps rangés à coté les uns des autres, je
vois distinctement que six est entre cinq et
sept; qu'il est cinq plus un, et sept moins
un : qu'on me propose de le retrancher de
sept, je reconnais nettement quil me res-
tera un; si je veux l'ajouter à sept, je puis
le faire partiellement; il m'est aisé de sentir
qu'en disant huit j'ai ajouté un à sept, qu'en
disant neuf j'y ai ajouté deux, qu'en disant
dix j'y ai ajouté trois , qu'en disant dix-un ou
onze j'y ai ajouté quatre, qu'en disant dix-
deux ©u douze j'y ai ajouté cinq, et enfin
OOO IDEOLOGIE.
qu'en disant dix-trois ou treize j'y ai ajouté
six. Voilà donc que je puis calculer, dès que
chacun de ces nombres porte un nom qui
le différencie, et que chacune de ses parties
composantes se trouve exprimée avec pré-
cision par les noms des nombres inférieurs :
car le grand avantage des signes est qu'ils
distinguent les idées qu'ils représentent, et
qu'ils les décomposent réciproquement de
mille manières différentes; trois et deux,
quatre et un décomposent cinq, etc.
Il est bien vrai, et cela provient de la même
cause, que si tous ces nombres se suivaient
long-temps, comme font les seize premiers
dans la langue française, toujours désignés
par des noms qui n'eussent entr'eux ni ana-
logie ni relation, je perdrais bientôt de vue
les rapports mutuels des plus éloignés, c'est-
à-dire la quantité d'unités qui les sépare.
Pourquoi cela? précisément parce que cette
quantité ne me serait plus rappelée par les
noms qui chacun expriment seulement qu'ils
sont séparés de leurs deux voisins par la
quantité un. C'est à ce rapport exprimé que
je serais continuellement obligé d'avoir re-
cours pour retrouver la valeur des distances
plus grandes ; et à chaque opération jaserais
CHAPITRE XV r. 33 1
toujours forcé de compter un à un, comme
je viens de le faire, pour ajouter six à sept,
et découvrir que cela m'amène au nom de
nombre treize. Il n'est pas douteux que je
réussirais par cette voie; car dès que l'on
part d'un point connu, et que tous les inter-
médiaires sont connus aussi, on sait avec
certitude où l'on arrive et en quoi consiste
Je nouveau composé. Mais ce moyen, fort
utile déjà, et qui est uniquement dû à l'ins-
titution de ces premiers signes, serait ce-
pendant encore long et pénible, et par con-
séquent insuffisant pour des opérations
compliquées et étendues; c'est pourquoi
l'esprit de l'homme, qui a besoin de points
de repos, et qui est fatigué de conserver
présente à la fois une chaîne d'idées trop
longue, a imaginé de partager la série des
nombres en différens groupes ; il a fait ces
groupes égaux entr'eux, afin que ce qui est
vrai de l'un soit vrai de l'autre ; il a donné
aux nombres qui les terminent des noms
vingt, trente, qui, comparés à ceux qui les
précèdent et à ceux qui les suivent, aver-
tissent que la période finit et va recommen-
cer. D'un nombre de ces périodes égal à
celui des unités de chacune, il forme une
5o2 IDÉOLOGIE.
période plus grande, et au commencement
de chacune il place un nom qui en avertit.
Pour plus de commodité encore, les noms
de ces dixaines et de ces centaines, vingt,
trente, quarante, deux cents, trois cents,
quatre cents, sont tels, qu'ils établissent
entr'elles les mêmes rapports qui existent
entre les unités simples. C'est ainsi qu'une
idée conduit à une autre quand elle a été
fixée par un signe. Sans tous ces mots, ces
rapports seraient demeurés inaperçus ou
bientôt perdus de vue ; mais une fois déter-
minés et constatés par des noms, je m'en
sers comme de chose convenue, et je puis
combiner tous ces nombres , sans les dé-,
composer, jusque dans leurs élémens pri-.
mitifs à chaque opération.; car ils ont été
suffisamment analysés d'avance. J'opère sur.
trente et quarante , sur trois cents etquatre
cents, comme sur trois et quatre : de là de
nouvelles facilités et une possibilité bien
plus étendue de calculer; facilité, possibilité
qui sont dues uniquement à ce nouvel état
des noms de nombre qui constate des ana-
lyses postérieures. C'est sans doute un grand
perfectionnement; mais observez toutefois
qu'indépendamment de cette amélioration,
CHAPITRE XVI. 535
et par le seul fait de leur institution, je puis
aisément retenir les différences caractéris-
tiques de la valeur des seize premiers noms
de nombre , tandis que je serais bien loin de
pouvoir distinguer de même les idées qu'ils
expriment, si elles n'étaient représentées
que par la répétition continuelle du mot un^
et ce serait bien pis encore si je n'avais pas
même le mot un ; car ce mot est déjà un
signe, et un signe très-utile, comme nous
l'avons observé en commençant.
Au surplus, je n'ai exposé que les pro-
priétés des noms de nombre, et n'ai point
du tout parlé de celles des chiffres, qui sont
d'une utilité incomparablement plus grande.
La prodigieuse supériorité de ceux-ci sur
les premiers tient premièrement à ce que
ce sont des signes permanens , de sorte que
l'impression qu'ils font peut se renouveler
ou se prolonger à volonté; secondement, à
ce qu'ils indiquent une multitude de rapports
entr'eux par leur seule position respective.
Nous examinerons la valeur de la première
de ces circonstances quand nous parlerons
■des écritures, et celle de la seconde quand
nous traiterons de la syntaxe et des cons-
tructions j mais ici il ne s'agissait que de
554 IDÉOLOGIE.
bien faire sentir l'effet des signes en général
sur l'action de la pensée; et si, entre tous
les signes, j'ai choisi les mots, et parmi les
mots les noms de nombre, c'est que c'est le
cas où l'effet en question est le plus frappant.
La raison en est d'abord que de tous les si-
gnes* qui ne sont pas permanens ( circons-
tance particulière qu'il fallait écarter dans
des considérations générales) , les mots sont
ceux qui analysent le mieux nos idées \ en-
suite que de tous les rapports existans entre
nos idées, les rapports de quantité, sont les
plus exactement appréciables, étant tou-
jours composés de la même valeur, celle de
l'unité répétée plus ou moins de fois; ce qui
fait que l'on voit nettement jusqu'où l'on
peut aller avec tel signe ou avec tel autre.
Il n'est donc pas aussi aisé de faire voir
l'effet des mots sur la combinaison des rap-
ports de nos idées, qui ne sont pas des rap-
ports de quantité, c'est-à-dire qu'il n'est pas
possible de marquer avec autant de préci-
sion le point où l'esprit s'arrêterait faute
d'un mot, et celui jusqu'où il va au moyen
de tel mot ou de tel autre. Cependant, nous
savons que toutes nos connaissances sont le
produit de nos jugemens, et que tous nos
CHAPITRE XVI. 355
jugemens sont l'effet de la comparaison de
deux idées; or, il est bien manifeste que deux
idées un peu composées ne seraient jamais
assez présentes à la fois à notre esprit avec
leurs circonstances, pour être comparées
ensemble, si le résultat des jugemens anté-
rieurs qui ont servi à les former n'était fixé
et rendu sensible par les signes qui les ex-
priment. Sans ces signes, ces jugemens sub-
séquens et toutes les connaissances qui en
dérivent n'auraient donc jamais lieu. Repre-
nons pour exemple la proposition que nous
avons déjà citée plusieurs fois : L'homme
qui découvre une vérité est utile à l'hu-
manité toute entière. Il n'y a là que deux
idées comparées, savoir, V homme qui dé-
couvre une vérité, et être utile à l'huma-
nité toute entière. Il serait Irès-commode,
et nous l'avons déjà observé, que chacune
de ces idées fût exprimée par un seul mot.
Si cela était, et que l'une fût représentée
par a, l'autre par b, et l'idée d'affirmation
par c, la phrase se réduirait à a c b, ou, en
conservant le génie de la langue, qui est de
joindre le signe d'affirmation à l'attribut
commun , elle serait a est b, et nous nous
servirions de a comme de tous les autres
556 IDÉOLOGIE.
substantifs, et de b comme de tous les autres
adjectifs. Ces deux mots n'existent pas dans
la langue : elle est pauvre à cet égard ; ce-
pendant elle fournit des ressources. Ne pou-
vant peindre chacune des deux idées dont
il s'agit par un seul signe, on exprime l'une
à l'aide de six mots et l'autre à l'aide de sept.
Ces deux groupes forment chacun un en-
semble, et nous avons dans la tête deux idées
nettes et complètes que nous pouvons com-
parer; mais nous ne les aurions pas sans ces
signes subsidiaires, qui, dans le cas présent,
sont des signes du second ordre par rapport
aux deux qui nous manquent et qu'ils sup-
pléent.
Maintenant examinons ces signes eux-
mêmes qui représentent les idées compo-
santes, nous découvrirons aisément qu'ils
sont de différens genres, qu'ils n'ont pu être
inventés que successivement. On voit bien
qu'il a fallu désigner les choses avant de
donner des noms aux qualités qu'on y re-
marquait ou aux actions qu'on voulait leur
faire éprouver, et exprimer ces actions ou
ces qualités relativement aux choses, avant
de les considérer abstraitement. Ainsi, les
noms des objets existans ont été inventés
les
CHAPITRE XVI. 557
les premiers, les verbes et les adjectifs en-
suite, et les substantifs abstraits postérieu-
rement. A plus forte raison, on sent que les
mots qui expriment des relations très-géné-
rales, comme le relatif qui et la préposition
à, ou des circonstances très-fines, comme
l'article le, sont des créations plus récentes
encore et des productions d'esprits plus
exercés. Il y a plus; nous avons déjà ob-
servé, et ne l'oublions pas, que ces substan-
tifs, ces adjectifs, ces verbes sont d'abord
des noms particuliers et propres à la chose
qu'ils expriment, et qu'ensuite ils ont été
généralisés par des réflexions subséquentes.
En outre, chacun de ces mots principaux,
parles différentes désinences qui constituent
sa déclinaison ou sa conjugaison, exprime
diverses circonstances de nombre, de genre,
de temps, de personne, qui font de chacune
de ses formes une idée distincte. Tout cela
c'est autant de résultats d'analyses succes-
sives, qui graduellement rendent possibles
celles qui les suivent; vous y observez la
même progression et des degrés plus nom-
breux encore que dans la formation du mot
un et dans celle des premiers noms de nom-
bre, puis des noms de dixaiues, de cen-
Y
538 IDÉOLOGIE.
taines, etc. ; et vous reconnaissez que, dans
un cas comme dans l'autre , il n'a d'abord
été possible de faire qu'un petit nombre d'o-
pérations, et que la capacité de combiner et
celle de calculer se sont également accrues
en proportion de la perfection de leurs ins-
trumens.
Pour rendre cette vérité plus frappante
encore, faites un essai bien simple; repré-
sentez-vous où vous en seriez si, pour ex^
primer la proposition que nous avons prise
pour exemple, au lieu d'empioyer les treize
mots qui la composent, vous substituiez à
chacun d'eux la description complète de
toutes les idées partielles qu'ils renferment,
des points de vue sous lesquels on les a
envisagées pour les réunir, et de leurs rela*
lions avec celles comprises sous les autres
mots; il est bien clair qu'il en résulterait un
verbiage épouvantable, au milieu duquel
il vous serait impossible de saisir le sens
général de la proposition. Cependant toutes
ces analyses préliminaires sont faites, il ne
s'agit plus de les découvrir; vous n'auriez
qu'à les retracer , et vous ne le pourriez
même qu'à l'aide de beaucoup de mois que
vous leur devez déjà. Que font donc ces
CHAPITRE XVI. 559
treize mots? rien autre chose que présenter
à votre pensée J d'une manière plus com-
mode , les résultats d'opérations antérieures.
C'est aussi ce que font les caractères algé-
briques, quand à la place d'une expression
très -compliquée on met une simple lettre
à l'aide de laquelle on fait des combinaisons
nouvelles, qui, sans cette abréviation, se-
raient devenues inextricables, sauf ensuite
à aller rechercher l'expression plus détaillée
lorsqu'il en est besoin, comme nous fai-
sons nous-mêmes en parlant quand l'état
de la discussion fait sentir la nécessité d'une
définition ou d'une description plus ou moins
circonstanciée de notre idée.
Nous sommes donc fondés à conclure que
ce que nous avons remarqué des noms de
nombre et des idées de quantité , est vrai
des autres mots et des autres idées, et que
ce que nous avons dit des mots s'applique
plus ou moins à toutes les espèces de signes;
et nous pouvons regarder comme prouvé
que l'effet général des signes est, en consta-
tant des analyses antérieures, de rendre
plus faciles les analyses subséquentes; que
cet effet est exactement celui des caractères
et des formules algébriques; et que, par con-
Y 2
b-LO IDEOLOGIE.
séquent, les langues sont de vrais iustrumens
d'analyse, et l'algèbre n'est qu'une langue
qui dirige l'esprit avec plus de sûreté que
les autres, parce qu'elle n'exprime que des
rapports plus précis et qu'un seul genre de
rapports. Les règles grammaticales font
juste le même effet que les règles du calcul;
dans les deux cas, ce ne sont que des signes
que nous combinons; et, sans nous en
apercevoir, nous sommes conduits par
les mots comme par les caractères algé-
briques (1). Tout ceci était bon à éclaircir,
et je crois qu'il n'y reste plus d'obscurité.
Tel est donc l'effet général et principal
(i) Il y a pourtant, entre la langue algébrique et
les autres langues, une différence singulière dont il
faut saisir la cause avec précision , parce qu'elle met
bien à découvert l'artifice des raisonnemens ordi-
naires et de ceux appelés spécialement calculs, et
qui n'en sont pas moins des raisonnemens comme les
autres.
La langue algébrique ne s'applique qu'à des idées
de quantité , c'est-à-dire à des idées d'une seule espèce,
qui ont entr'elles des rapports très-fixes et très-précis ;
ils sont toujours composés de l'unité ou de ses mul-
tiples ; et elle ne sert à combiner ces idées si dis-
tinctes et si immuables, que sous un seul rapport, celui
de leur augmentation ou de leur diminution , rapport
CHAPITRE XVf. Oil
des signes comme instruirions de la pensée ;
actuellement il faudrait tâcher de trouver
les causes de cet effet. Malheureusement
qui est lui-même une idée de quantité et en a toutes-
les précieuses propriétés.
Par ce moyen, il n'y a jamais ni incertitude, ni
obscurité, ni variation dans la valeur des élémens du
discours de cette langue , et il en résulte un effet tout
particulier, c'est qu'on n'a jamais besoin de songer à
la signification de ces signes pendant tout le temps
qu'on les combine : on est toujours sûr de la retrouver
quand on voudra ; elle n'aura souffert de changemens
qu'en plus ou en moins, et ils auront tous été mar-
qués par les changemens de formes ou de positions
qu'auront éprouvés les signes. Pourvu qu'on ait observé
scrupuleusement les règles de la syntaxe de cette
langue, qui ne sont autre chose que les règles du cal-
cul , on est certain d'arriver à une conclusion juste ,
c'est-à-dire exactement qu'on n'a eu nul besoin de
savoir ce qu'on disait pendant tout le temps qu'on a
raisonné : aussi ne le sait-on jamais. Un calcul algé-
brique ressemble parfaitement et rigoureusement au
discours d'un homme qui commencerait par une pro-
position vraie et finirait par une autre proposition
vraie , et aurait toujours parlé dans l'intervalle d'une
manière inintelligible pour les autres et pour lui-
même, et sans faire de faute de langue ; mais la con-
clusion d'un tel personnage , bien que vraie par hasard-,
342 IDÉOLOGIE.
cela n'est pas très - facile ; il semble même
au premier coup-d'œil que cet effet n'a point
de cause , ou, en d'autres termes, qu'il ne
ne serait pas prouvée, au lieu que celle de l'algébriste
l'est; et voici pourquoi.
Les mots sont bien, comme nous l'avons dit, des
formules qui peignent d'une manière abrégée les ré-
sultats de combinaisons antérieurement faites, et qui
dispensent la mémoire de l'obligation d'avoir ces
combinaisons incessamment présentes dans tous leurs
détails. Ainsi, nous les combinons bien jusqu'à un
certain point indépendamment des idées dont ils sont
les signes , et même cet effet a lieu beaucoup plus
que nous ne croyons , comme nous venons de le voir ;
mais les résultats que ces mots expriment ne sont pas
d'une nature aussi simple ni aussi précise que ceux
que représentent les caractères algébriques ; et les
modifications que nous leur faisons éprouver dans le
discours, soit en joignant un adjectif à un substantif,
soit en donnant un attribut à un sujet, sont bien plus
variées et bien moins mesurables que celles que font
éprouver aux caractères algébriques les signes multi-
plié par, ou divisé par, ou le signe égale, qui équivaut
à l'attribut verbal, ou les coeffîciens , ou les exposans ,
ou les signes radicaux. Ces modifications des carac-
tères algébriques sont toutes appréciables en nombres ;
celles des mots ne le sont pas, et c' est-là une diffé-
rence immense.
D'ailleurs , nous modifions nos substantifs , non-
seulement dans leur compréhension, c'est-à-dire dans-
CHAPITRE XVI. 345
devrait pas exister ; il semble que la diffi-
culté de comparer dos idées consistant uni-
quement dans celle de les bien connaître,
le nombre des idées qu'ils renferment, mais encore
dans leur extension , c'est-à-dire dans le nombre des
objets auxquels nous les appliquons -, et ce qui est
vrai en leur donnant telle extension , ne le serait plus
en leur donnant telle autre. Or, que serait-ce que de
l'algèbre dont les caractères non-seulement ne seraient
pas toujours complètement abstraits, mais même se-
raient concrets, tantôt d'une manière, tantôt d'une
autre, C'est-à-dire s'appliqueraient tantôt à un cer-
tain nombre d'objets, tantôt à un autre? Certaine-
ment on ne pourrait pas suivre le calcul sans songer
à tout moment à ce qu'il, représente : c'est aussi ce
qui arrive dans toutes les autres langues.
De tout cela il suit que nous nous fions bien aux
mots comme à des formules trouvées ; que nous
sommes bien obligés de nous en servir en cette qua-
lité", puisque c'est -là leur seule utilité en tant que
moyens d'analyse; que nous nous en reposons beau-
coup sur eux, souvent même avec trop de confiance;
mais que cependant cette sécurité ne peut jamais être
telle, que nous perdions absolument de vue leur signi-
fication, et que nous ne soyons pas obligés de nous
la rappeler au moins en masse chaque fois que nous
les employons, à chaque modification que nous leur
faisons subir, et à chaque conclusion que nous voulons
en tirer. La preuve en est que quand le souvenir de
cette signification devient trop confus ou inexact, le
544 IDÉOLOGIE.
et celle de les bien connaître dans celle de
se bien rappeler les idées qui les composent
et leurs rapports avec celles qui les avoi-
seul moyen d'éclaircir et de rectifier nos raisonne-
mens , est de substituer la description détaillée de
l'idée au signe qui la représente en abrégé ; et ce
moyen, s'il est bien employé, suffit toujours pour
trouver d'où vient l'équivoque ou l'erreur. Enfin ,
comme l'a dit très-énergiquement M. Maine -Biran,
quand nous nous servons de toutes nos langues (ex-
cepté l'algèbre), nous sommes toujours obligés de
porter à la fois le double fardeau du signe et de
l'idée (*). ÏS'ousy sommes également obligés, même
pour combiner des idées de quantité, quand nous
entreprenons de le faire par le moyen des signes de
nos langues ordinaires, sans employer ceux de l'al-
gèbre. Aussi, alors ne pouvons-nous pas pousser le
calcul jusqu'au degré de complication auquel nous
atteignons à l'aide des signes de l'algèbre. Il y a
plus ; c'est que , même en nous servant de ceux-ci ,
nous ne sommes complètement dispensés de songer
à l'idée que dans les momens où une formule trou-
vée et des règles de calcul démontrées nous guident
mécaniquement ; mais dans tous ceux où il s'agit de
se décider pour une opération plutôt que pour une
autre , de reconnaître le sens et la valeur de l'expres-
(*) Voyez son excellent Mémoire intitulé : Influence de l'habi-
tude sur la Faculté de penser.
C'est, je crois, un des meilleurs ouvrages qui aient jamais été
écrits sur ces matières.
CHAPITRE XVI. 345
sihcnt, toutes ces opérations intellectuelles
doivent être les mêmes, soit que ces idées
soient revêtues d'un signe, soit qu'elles en
sion d'un résultat , de découvrir les propriétés instruc-
tives ou commodes qu'elle peut avoir acquises ou
perdues dans ses différentes transformations, il n'en
est pas de même ; alors le signe ne suffit plus ; il faut
bien remonter à l'idée , et il s'exécute là àes opéra-
tions intellectuelles qui ne consistent ni à multiplier
ni à diviser , qu'aussi les signes algébriques ne peuvent
pas peindre , qu'on ne peut représenter que par ceux
des langues vulgaires, et qui pourtant n'en font pa->
moins partie de la chaîne du raisonnement et en sont
même la partie la plus essentielle. La langue algé-
brique n'est donc pas une langue complète ; elle ne
peint jamais un raisonnement d'un bout à l'autre; elle
est toujours entremêlée de temps en temps de quel-
ques phrases d'une langue ordinaire, à-peu-près
comme dans les intermèdes la danse succède au chant,
qui a appris ce que celle-ci n'aurait pas pu exprimer.
Seulement, dans toutes les parties de la série des idées
où l'algèbre s'applique, elle l'abrège singulièrement,
et par là met l'esprit en état de la suivre beaucoup
plus loin. C'est-là sa véritable utilité.
Mais pourquoi peut-elle sans inconvénient abréger
à cet excès la chaîne d'un raisonnement? cela tient à
la nature des idées de quantité. Pourquoi nous con-
duit-elle ainsi avec une sûreté complète et sans que
nous ayons besoin de savoir ce que nous fanons? c'est
346 IDÉOLOGIE.
soient dénuées. Il paraît que le son du mot
pain et du mot bon ne saurait m'exempter
d'avoir présentes à l'esprit toutes les idées
encore grâce à la nature des rapports de quantité aux-
quels seuls elle est applicable.
C'est donc une grande erreur de croire que l'on
peut transporter la langue algébrique dans d'autres
matières. Pour s'en assurer , il suffit de voir que y
même dans les raisonnemens sur les idées de quan-
tité , il y a des momens où elle ne peut pas servir.
Ce n'est pas moins s'abuser que d'imaginer qu'en
perfectionnant les autres langues il est possible de
leur donner toutes les propriétés de la langue algé-
brique. Sans doute il est possible d'améliorer les signes
dont se composent ces langues et de régulariser leur
syntaxe, et cela serait très-avantageux; mais on ne
peut pas faire que toutes les idées que ces langues
élaborent aient le même degré de fixité et de préci-
sion , et que tous les rapports sous lesquels on consi-
dère ces idées soient également simples et déterminés..
Or, ce n'est que dans ces deux cas que ces langues
peuvent se transformer en langage algébrique, lequel
en définitif n'est autre chose qu'une collection d'abré-
viations dans les termes et d'ellipses dans les phrases.
Enfin , c'est une idée encore plus fausse de vouloir,
par des formes syllogistiques , produire le même effet
qu'avec des formules algébriques et arriver au même
degré de certitude. C'est confondre toutes les notions.
L'un ne répond point à l'autre. Il n'y a rien dans le
CHAPITRE XVI. 347
composant l'idée de pain et l'idée de bon,
pour pouvoir juger si le pain est bon, et
qu'ainsi ces mots ne devraient m'être d'au-
calcul qui soit analogue aux prétendus principes
logiques.
La langue algébrique, répétons-le, est une langue
comme une autre. Ses caractères sont les élémens du
discours. Les règles du calcul sont les lois de sa syn-
taxe , qui enseignent quel u.'age on doit faire de ces
élémens , et quelles modifications on doit leur faire su-
bir pour marquer les liaisons qu'on a établies entr'eux
et les opérations intellectuelles qu'on a exécutées par
leur moyen. C'est- là tout ce qui existe dans toute
langue , et l'acte du raisonnement est le même dans
toutes. Les formes syllogistiques sont une espèce de
superfé ration dont on aurait pu embarrasser les cal-
culs tout comme les autres raisonnemens,si, dans ce
cas , leur inutilité n'avait pas été plus manifeste que
dans les autres. C'est un surcroît de précaution que
l'on a cru propre à guider nos jugemens et à en aug-
menter la sûreté , mais qui réellement ne fait que les
gêner et cacher les causes de leur justesse ou de leur
fausseté.
Le vrai est que , dans tous nos raisonnemens quel-
conques , il ne s'agit jamais que d'idées revêtues de
signes ; ainsi il ne peut pas y avoir d'autres principes
de logique que la connaissance de ces idées et de leurs
signes, c'est-à-dire l'idéologie et la grammaire, ou,
si l'on veut, la connaissance de la valeur de ces signes
isolés et celle du mode de leur liaison , c'est-à-dire
548 IDÉOLOGIE.
cune utilité.Cependant l'expérience est cons-
tamment contraire ; elle montre que ces
signes font en moi une impression qui n'est
le vocabulaire et la syntaxe du langage dont on se
sert. La logique proprement dite est un pur néant,
une idée radicalement fausse , une vraie chimère ,
comme j'espère le faire voir en son lieu.
Je sens combien cette longue discussion est déplacée
ici. Pour qu'elle fût complètement satisfaisante, il
faudrait qu'elle ne vînt qu'après tout ce que nous
avons à dire dans le chapitre suivant, dans la Gram-
maire et dans la plus grande partie de la Logique.
Elle est presque la conclusion de l'ouvrage. C'est pour
cela que je l'avais supprimée dans la première édi-
tion de ce volume ; mais, par réflexion, je l'ai crue
utile pour provisoirement appuyer ce qui vient d'être
dit, en indiquant ce qui suivra. C'est ainsi qu'en trai-
tant ces matières , qui ont été si complètement em-
brouillées et dénaturées , on est toujours froissé entre
la crainte, si l'on suit loin son idée, d'avancer des
choses dont on ne peut pas encore développer toutes
les preuves, et celle, si l'on s'arrête, de laisser sub-
sister des préventions qui résistent aux assertions les
mieux fondées et qui sont la base des autres. C'est ce
qui m'est arrivé continuellement en écrivant ces deux
chapitres des signes , qui cependant me paraissent ici
à leur place naturelle et nécessaire.
Quoi qu'il en soit, concluons qu'en raisonnant nous
sommes conduits par les mots comme par les carac-
tère; algébriques ; que leur utilité est de nous dispense*
CHAPITRE XVI. 349
pas exactement celle de toutes les idées qu'ils
représentent, mais qui en est comme la ré-
sultante, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose
de plus dans l'effet que nous fait un signe
que dans celui que produit en nous l'idée
composée que ce signe exprime ; la preuve
en est que nous faisons, par le moyen de
ce signe , beaucoup de combinaisons ulté-
rieures que nous ne pouvions pas faire avec
l'idée elle-même. Mais, je le répète, il n'est
en partie d'avoir présentes les idées qu'ils représen-
tent; que s'ils ne font pas cet effet aussi complètement
que les caractères algébriques , et s'ils ne le font pas
sans danger comme eux , cela tient uniquement à la
nature des idées représentées ; et que si toutes nos
idées étaient susceptibles d'abréviations et d'ellipses
aussi fortes que les idées de quantité, sans que la
confusion s'y introduisît, nous aurions pour toutes
des langages analogues à l'algèbre , et nous suivrions
nos déductions plus loin et plus sûrement ; comme
aussi si toutes ces idées étaient encore plus fugitives
et moins déterminées , nous serions obligés , dans nos
langues ordinaires , de nous servir de termes moins-
généraux et de locutions plus développées et plus
traînantes , et nous serions encore moins capables de
déductions sûres et étendues. Je crois que l'on doit
commencer à trouver cette manière de voir ju3te et
vraie, et que l'on en sera toujours plus persuadé à
mesure que nous avancerons.
5ÔO IDÉOLOGIE.
pas aisé d'assigner avec précision la cause
de cette différence entre le signe et l'idée ,
et on ne l'a jamais déterminée nettement, au
moins que je sache. Je crois pourtant que
nous allons la trouver tout naturellement
dans une observation que nous avons déjà
faite sur les caractères et les propriétés de
nos opérations intellectuelles et des mou-
vemens internes qui les produisent.
Nous avons remarqué qu'en général ceux
de ces mouvemens dont résultent nos sou-
venirs et nos jugemens, ou perceptions de
rapports, ébranlent moins fortement notre
machine, sont moins nécessairement accom*
pagnes de peine ou de plaisir, et par suite
laissent des traces moins vives, moins dis-
tinctes, moins durables que les mouvemens
purement sensitifs ; qu'en conséquence les
souvenirs et les jugemens sont des percep-
tions plus légères, plus fugitives, et qui pro-
duisent des impressions moins profondes
sur notre organisation que la sensation pro-
prement dite. C'est ce qui fait que les idées
abstraites et éloignées des sens sont celles
que nous avons le plus de peine à fixer et
à ne pas perdre de vue, et que les sujets où
elles se trouvent en plus grand nombre sont
CHAPITRE XVI. 35l
ceux où il nous est le plus difficile d'éviter
l'obscurité et la confusion; c'est ce qui fait
encore que le moindre bruit, la moindre
douleur ou le moindre plaisir actuel, nous
distraient souvent de la méditation la plus
profonde, et nous font perdre de vue le sou-
venir qui nous occupe le plus. En général,
tout prouve que la sensation a une toute
autre énergie que le souvenir et le jugement,
lesquels sont, par leur nature, des percep-
tions légères et transitoires. Maintenant si
nous nous rappelons que toutes nos idées
sont extrêmement composées ; que par con*
séquent toutes sont des assemblages d'une
foule de souvenirs et de jugemens ; que
même, si l'on en excepte les sensations sim-
ples, dont il n'est pas question en ce mo-
ment , elles ne sont toutes , à proprement
parler , que des souvenirs d'impressions re-
çues et de combinaisons opérées, nous en
conclurons qu'elles sont toutes essentielle-
ment fugitives; que, par leur nature même,
elles doivent ne faire que paraître et dispa-
raître, et que le véritable changement qu'y
apporte le geste ou le mot, en un mot le
signe quelconque qui nous les représente ,
en frappant nos sens, est de les associer à
552 IDÉOLOGIE.
une sensation, de les rapprocher du carac-
tère de ce genre de perceptions et de leur
en donner toute l'énergie. De là seul naît, je
pense , la différence qui existe entre les pro-
priétés du signe et celles de l'idée qu'il re-
présente: j'en suis d'autant plus persuadé,
que, si l'on y fait bien attention, on verra
que cette seule circonstance suffit pour ex-
pliquer tous les effets des signes.
En effet, quand une idée est une fois in-
timement liée à une sensation, elle nous
frappe aussi souvent , aussi facilement ,
aussi vivement que cette sensation elle-
même; elle est aussi distincte de toutes les
autres Idées qui sont liées à d'autres sensa-
tions, que ces sensations le sont entr'elles.
Pour ne pas la confondre avec elles, nous
n'avons plus besoin d'en examiner tous les
élémens, d'en rechercher la génération; ce
n'est plus, pour ainsi dire, les rapports très-
déliés de ces idées que nous avons à consi-
dérer, mais les rapports bien plus frappans
de ces sensations. Voilà pourquoi les signes
secourent la mémoire, rendent les habi-
tudes plus fortes, servent de point de repère
à l'esprit; pourquoi ils constatent réelle-
ment les opérations intellectuelles qui ont
eu
CHAPITRE XVI. 555
eu lieu ; pourquoi les idées de classes , de
genres, d'espèces, et toutes les idées gé-
néralisées que nous conservons par leur
moyen, une fois qu'elles sont faites, nous
sont si commodes ; voilà aussi pourquoi il
est si utile et si agréable que les signes aient
de l'analogie avec la chose qu'ils expriment,
et qu'il existe entr'eux des relations corres-
pondantes à celles des idées qu'ils représen-
tent : d'un autre côté l'on voit que la sensa-
tion du signe étant une sorte d'étiquette de
l'idée, à peu près comme les titres de cer-
tains chapitres et de certains paragraphes
qui en expriment le sens en abrégé , et se
mettant pour ainsi dire en nous à la place de
cette idée , elle doit nous en faire perdre de
Vue les détails. De là vient sans doute que
nous avons souvent la conscience du sens
d'un mot sans pouvoir l'expliquer, et que
nous sommes exposés à bien des erreurs
en nous en servant; de là vient apparem-
ment encore qu'il nous arrive souvent d'être
frappés de la vérité d'une proposition long-
temps avant de pouvoir nous en rendre
compte, ou révoltés de la fausseté d'un so-
phisme quoique nous ne puissions pas la dé-
montrer. Il serait facile de multiplier et de
Z
554 IDÉOLOGIE.
développer ces faits, qui tous se présentant
comme des conséquences de notre principe,
le rendraient toujours plus plausible; mais
ceux-ci suffisent, je crois, pour conclure
qu'il est très-probable que la réunion de la
sensation à l'idée est la vraie cause de l'effet
des signes : quoi qu'il en soit, ce qui est
certain c'est que cet effet est le même dans
tous les signes que dans les signes algé-
briques, et qu'il consiste à constater les opé-
rations intellectuelles que nous avons faites,
et à nous donner la facilité d'en faire des
combinaisons qui seraient impossibles sans
ce secours. C'est-là ce qu'il était important
de bien éclaircir.
Actuellement que nous avons vu quels
sont nos différens langages ou systèmes de
signes représentatifs de nos idées , et en quoi
consiste la propriété fondamentale de ces
signes considérés comme moyen de penser,
nous pouvons examiner avec sûreté les di-
verses circonstances de l'influence de ces
signes sur la pensée : c'est ce que nous allons
faire dans le chapitre suivant.
CHAPITRE XVII. 555
CHAPITRE XVII.
Continuation du précédent Des autres
effets des signes.
V ous voyez donc, mes jeunes amis, que
nos actions sont les signes naturels et
nécessaires de nos idées, puisqu'elles les re-
présentent 5 en masse à la vérité, mais très-
fidèlement, sans que nous en ayons l'inten-
tion , et même quand nous ne le voudrions
pas : c'est ce qu'on appelle le langage d'ac-
tion, parce que tout système désignes est un
langage.
Ces signes naturels et nécessaires devien-
nent artificiels et volontaires, c'est-à-dire
que nous les refaisons avec l'intention de,
faire connaître nos idées à nos semblables ;
et le langage d'action devient la source de
tous les autres, qui, comme lui, s'adressent
au tact, à l'œil, ou à l'oreille, et que nous
pouvons varier à l'infini. Nous en avons in-
diqué plusieurs.
A la longue , ces signes artificiels et vo-
lontaires, sur-tout ceux qui s'adressent à
l'oreille, deviennent très- détaillés et très-
Z 2
556 IDÉOLOGIE.
circonstanciés, et nous les rendons capables
d'exprimer d'une manière distincte des idées
très-peu différentes les unes des autres, et
qui ne sont séparées que par des nuances
très-fines.
Cet effet est dû sans doute à la souplesse
des organes d'où émanent les signes , et à la
délicatesse de ceux auxquels ils s'adressent,
et il est proportionné à ces qualités; mais
il ne se produit que graduellement, et il ne
peut avoir lieu qu'autant que nous combi-
nons .nos premières perceptions, que nous
en formons des idées composées, que nous
percevons entr'elles des rapports qui sont
eux-mêmes de nouvelles idées, que nous
les analysons, les comparons, les modifions,
les envisageons sous toutes leurs faces, en-
fin que nous les soumettons à tous les cal-
culs dont elles sont susceptibles. Or, c'est à
cela même que les signes nous aident très-
puissamment, en constatant les résultats de
chacun de ces Ga'lculs ; et nous avons prou-
vé par des exemples, que sans leurs secours
nous serions arrêtés dès les premiers pas :
ainsi à mesure que les signes se perfection-
nent, et même à chaque nouveau degré de
perfection qu'ils acquièrent, ils sont cause
CHAPITRE XVlT. 557
du perfectionnement des idées qu'ils repré-
sentent, et par conséquent ils ne nous ser-
vent pas moins à former nos idées qu'à les
communiquer.
Enfin, il paraît qu'ils doivent cette pré-
cieuse propriété à ce que l'effet du signe est
d'associer l'idée qu'il représente à la sensa-
tion qu'il produit, et de faire ainsi participer
des perceptions très-fugitives , telles que
nos souvenirs etnosjugemens,aux proprié-
tés de la sensation, qui, par sa nature, est
une perception très -vive, très-forte et très-
distincte.
Voilà, en peu de mots, le résumé de ce
que nous avons dit j usqu'à présent des signes,
de leur origine, de leurs différentes espèces,
de leurs progrès, de leur effet principal et
fondamental, et de la cause vraisemblable
de cet effet. Munis de ces préliminaires,
nous pouvons actuellement entrer dans
quelques détails : ils nous feront encore
mieux sentir l'influence des signes sur l'état
actuel de la raison humaine j et, nous four-
nissant l'occasion de faire usage de nos ob-
servations sur nos opérations intellectuelles
et sur la formation de nos idées, ils nous
procureront de nouvelles preuves que
558 ' IDÉOLOGIE.
nous avons bien trouvé le fil de ce laby-
rinthe.
On demande souvent si nous pouvons
penser sans signes. Cette question me pa-
raît plus curieuse qu'utile; mais puisqu'elle
a été agitée, il ne faut pas négliger de la ré-
soudre; d'ailleurs elle nous mènera à d'au-
tres. Je crois que nous devons d'abord dis-
tinguer entre les signes naturels et les signes
artificiels.
Nous avons vu que nos actions sont les
lignes naturels et nécessaires de nos idées ,
c'est-à-dire que, même malgré nous, elles
manifestent avec plus ou moins de détails
nos pensées et nos sentimens. Je ne connais
pas d'autres signes naturels; car les objets
matériels sont bien les causes de nos per-
ceptions, mais ils ne les manifestent pas,
ils n'en deviennent le signe et la représen-
tation qu'autant que nous les désignons à
cet effet par un cri, par un geste, en un
mot , qu'en vertu d'une institution expresse.
Quand je montre un fruit et ma bouche pour
exprimer cette idée, Je veux manger, le
fruit et ma bouche font partie de mon geste;
à eux seuls ils n'eussent jamais exprimé
mon idée. Les objets matériels peuvent
CHAPITRE XVII. 559
donc devenir signes artificiels et volontaires
plus ou moins imparfaits, mais ils ne sont
pas signes naturels et nécessaires ; il n'y
a de signes naturels de nos idées, que nos
actions.
Demander si nous pouvons penser sans
signes naturels, c'est donc demander si nous
pourrions posséder la faculté de sentir,
d'avoir des perceptions, sans celle d'agir et
de manifester ces perceptions par des ac-
tions. A cela il est impossible de répondre
par une expérience directe ; seulement l'on
peut dire que la faculté de sentir et celle
d'agir étant distinctes, l'on peut concevoir
un ordre de choses tel, que les mouvemens
internes qui produisent nos perceptions au-
raient lieu, quoique nous fussions incapables
de tout mouvement apparent qui les mani-
festât, et que dans ce cas nous penserions
effectivement, mais que nos connaissances
seraient bien bornées. Au reste, cette solu-
tion ne jette aucun jour sur l'exercice de
notre faculté de penser telle qu'elle est, et
ne fournit aucun moyen de déterminer
jusqu'où elle irait sans l'usage des signes,
dans un homme constitué comme nous le
sommes.
56o IDÉOLOGIE.
Demande-t-on , au contraire , si nous
pouvons penser sans signes artificiels et
volontaires ? la réponse dépend du sens que
l'on attache au mot penser. Pour nous, qui
avons donné le nom d'idée ou de perception
généralement à tout ce que nous sentons ,
depuis la plus simple sensation jusqu'à l'idée
la plus composée , et qui avons appelé pen-
ser avoir des perceptions quelconques, et
par là en avons fait le synonyme de sentir,
la question n'en est pas une; car il est
bien manifeste que nous sentons avant
d'avoir des signes artificiels, et que si, pre-
mièrement, nous ne sentions rien, nous
n'aurions ni besoin ni moyen d'instituer au-
cun signe. Aussi quand quelques idéolo-
gistes ont prononcé que les signes sont
absolument nécessaires pour penser, pour
avoir des idées, c'est qu'ils ne comprenaient
pas sous le nom d'idées la simple sensation,
ni sous celui de penser l'action de percevoir
cette sensation ; ils n'appelaient proprement
idées que ce que nous avons appelé idées
composées, et ils ne donnaient le nom de
penser qu'à l'action de combiner nos per-
ceptions premières. Dans ce sens je ne m'é-
loignerais pas beaucoup de leur avis; mais
CHAPITRE XVII. 56l
j'avoue que je n'aime pas cette façon de
s'exprimer, car je ne vois pas ce que peut
être l'action de percevoir une sensation, si
elle n'est pas une des opérations particulières
de la faculté de penser; ni ce que peut être
l'action de penser, si elle n'est pas toujours
celle de sentir, modifiée de mille manières.
Dans notre langage nous devons donc dire ,
sans hésiter, que nous commençons à pen-
ser avant d'avoir des signes artificiels.
Il n'est pas aussi aisé de déterminer pré-
cisément jusqu'où irait notre faculté de pen-
ser si elle n'avait le secours d'aucun de ces
signes, je ne vois même point de moyen de
le savoir avec certitude; mais, d'après tout
ce que nous avons dit précédemment, il n'y
a nul doute que sans les signes toutes les
réunions que nous faisons de nos idées se-
raient aussitôt dissoutes que formées ; que
les rapports que nous remarquons entr'elles
seraient aussitôt évanouis que perçus, et
que par conséquent toutes combinaisons
ultérieures nous deviendraient impossibles,
et nous serions toujours arrêtés dès les pre-
miers pas : nous en avons même la preuve
directe dans l'impossibilité où nous sommes
de faire les moindres calculs sans noms de
562 IDÉOLOGIE.
nombre. Ainsinous pouvons prononceravec
les idéologistes que je citais tout à l'heure,
que sans signes nous ne penserions presque
pas.
La question qui suit celle-là dans l'ordre
naturel des idées, est encore plus délicate;
c'est de savoir jusqu'à quelle classe d'idées
et à quel degré de combinaison peut nous
conduire chaque espèce de signe. Plusieurs
auteurs ont décidé qu'il n'y a que les signes
articulés, les mots, qui puissent nous éle-
ver jusqu'aux idées abstraites : mais je crois
que cet arrêt mérite examen. D'abord nous
avons vu que ces opérations qu'on appelle
abstraire et concraire sont toujours réunies
dans la formation de toute idée composée ,
et que l'une n'est pas plus difficile que l'autre ;
ensuite nous avons observé que toute idée
qui n'est pas individuelle est une idée abs-
traite, car il n'existe dans la nature que des
individus; enfin, nous savons que toute per-
ception de rapport est aussi une idée abs-
traite, car un rapport n'est qu'une vue de
l'esprit et non pas une chose existante par
elle-même. Il faudrait donc, dans ce système^
soutenir que sans les mots nous ne pour-
rions avoir que des idées individuelles, ou
Chapitre xvii. 365
même que nous ne pourrions porter aucun
jugement : or, j'avoue que cette opinion me
semble impossible à défendre, et qu'au con-
traire il me paraît prouvé en rigueur qu'il a
fallu avoir porté beaucoup de jugemens
avant d'avoir créé un seul signe articulé.
D'ailleurs je ne vois pas pourquoi un geste
ou un cri n'exprimeraient pas une idée abs-
traite tout comme un mot : nous en voyons
même tous les jours des exemples; et quoi-
que ces exemples se trouvent dans les gestes
des gens qui ont déjà l'usage des signes ar-
ticulés, ils n'en prouvent pas moins par le
fait que la chose est possible. Je pense donc,
sur la question proposée, que les signes ar-
tificiels , de quelque genre qu'ils soient,
peuvent représenter et constater des idées
de toute espèce, et que le degré de com-
plication des idées qu'ils nous mettent à
même de former, et des combinaisons quïls
nous donnent la possibilité d'en faire , ne dé-
pend pas de la nature même des signes,
mais de leur degré de perfection , qui les
rend capables d'exprimer des nuances plus
ou moins fines, et de constater des analyses
plus ou moins délicates.
Cette dernière observation commence à
564 IDÉOLOGIE.
nous faire entrer plus avant dans notre su-
jet. Il s'agirait actuellement de rechercher
dans tout langage quelconque jusqu'à quel
degré de connaissance nous conduirait cha-
que degré de perfection des signes qui le
composent : mais cette entreprise est évi-
demment impossible à exécuter- il ne fau-
drait rien moins que refaire, depuis leur
origine, tous les systèmes de signes imagi-
nables ; et, quand cela se pourrait, il serait
encore impossible de juger les effets des
différens états de ces systèmes de signes que
nous ne sommes pas habitués à employer.
Les divers degrés de perfection des langues
parlées sont moins difficiles à reconnaître et
à apprécier : nous pouvons, jusqu'à un cer-
tain point, nous représenter ce qae serait
une de ces langues, d'abord si on lui ôtait
toute conjugaison et toute déclinaison ; puis
si on la privait successivement d'articles,
de pronoms, de prépositions, de conjonc-
tions, etc. ; et enfin si, réduite à des substan-
tifs et des verbes invariables, on retranchait
encore de ces mots tous les dérivés et les
composés, et qu'on ne conservât que les
primitifs. Nous ne saurions, il est vrai,
même dans ce cas, répondre encore pleine-
CHAPITRE XVIt. 565
ment à la question proposée, et assigner
avec justesse le degré précis de connais-
vsance auquel nous conduirait cette langue
dans ces différens états; mais nous voyons
clairement qu'après chacun de ces retran-
chemens successifs elle deviendrait toujours
plus difficile à manier, moins capable de nous
guider dans l'acte du raisonnement, moins
propre à rapprocher nos idées les unes des
autres, à les combiner, à les réunir sous
tous les aspects dont nous avons besoin, à
constater des différences légères entr'elles ;
et qu'enfin , dans le dernier état où nous la
mettons, elle ne pourrait plus représenter
que quelques groupes principaux d'idées
fortement distincts entr'eux, et donner lieu
qu'à quelques jugemens très-grossiers et
presque palpables que nous en porterions.
Elle est alors, malgré les avantages des
signes articulés, réellement inférieure à un
système de gestes qui serait perfectionné;
Cependant ce dernier état auquel nous
l'avons réduite est l'état primitif de cette
langue parlée et de toute autre. Un langage
quelconque ne peut jamais avoir plus de
signes que ceux qui l'instituent n'ont d'idées :
il en a d'abord très-peu. Ce petit nombre
366 IDÉOLOGIE.
de signes aide à travailler ce petit nombre
d'idées; il y fait découvrir de nouvelles cir-
constances, de nouvelles vues qui font sen-
tir le besoin de nouveaux signes pour les
exprimer; et ces nouveaux signes servent
à apercevoir de nouvelles combinaisons
qu'il faut encore représenter. C'est ainsi
que le langage satisfait d abord les besoins
de la pensée, puis lui en fait contracter de
nouveaux en favorisant sonaction, et qu'al-
ternativement l'idée fait naître le signe, et
le signe fait naître l'idée. Ce sont ces innom-
brables actions et réactions successives qu'il
faudrait pouvoir saisir pour être en état de
répondre pleinement à la question que nous
nous sommes proposée au commencement
de ce paragraphe : elle est donc absolument
insoluble dans ses détails. Mais nous voyons
bien en masse que les connaissances et les
langages marchent toujours de front; que
le niveau se rétablit à chaque instant entre
l'idée et le signe, et que par conséquent la
langue la plus perfectionnée est toujours
celle employée par les bommes les plus
éclairés ; et si elle n'est pas plus parfaite ,
c'est parce que leurs idées ne sont pas plus
avancées.
CHAPITRE XVH. 567
Je dis que les connaissances et les langues
marchent toujours de front, et que dans
cette marche progressive le niveau se ré-
tablit à chaque instant entre l'idée et le signe.
Cela n'est vrai toutefois qu'autant que le
signe est de nature à se bien prêter à ces
accroissemens et à ces modifications suc-
cessives : or, je crois que c'est une propriété
quin'appartientcomplètementqu'aux signes
articulés; et je suis persuadé que tous les
autres systèmes de signes qui sont étendus,
perfectionnés, raffinés à un certain point 5
si je puis m'exprimer ainsi, ne l'ont point
été par leur vertu propre, par l'action di-
recte des idées sur eux, mais ont été com-
posés par des hommes qui avaient l'usage
des signes articulés , dont l'esprit avait été
développé par ces signes, et qui ont com-
posé d'autres langages sur celui-là et d'après
celui-là (x); en un mot que ces systèmes de
signes ne sont que des traductions d'un sys-
tème de signes articulés, et non pas des
ouvrages originaux composés directement
(1) C'est ainsi que tous les instituteurs des sourds
et muets ont composé leurs systèmes de gestes plus ou
moins bien , suivant leur plus ou moins de connais-
sance de la formation des langues et de celle des idées.
568 IDEOLOGIE.
d'après les idées elles-mêmes. Cette ré-
flexion nous amène naturellement à l'exa-
men des qualités particulièrement propres
aux signes articulés ; examen important ,
puisque ces signes prédominent universelle-
ment dans l'usage ordinaire, qu'évidem-
ment ce sont eux qui ont provoqué, dirigé,
et fixé la marche générale de l'esprit humain
dans ses combinaisons et dans ses recher-
ches , et que leur histoire est en même temps
celle de nos idées et de nos raisonnemens.
Encore une fois, la grammaire, l'idéologie,
et la logique, ne sont qu'une seule et même
chose : je ne connais point de moyen de sé-
parer ces trois sciences dès qu'une fois on
sait ce qu'elles sont.
Le premier avantage des signes articulés
est de marquer, de constater facilement des
nuances très-nombreuses et très-fines , et
par conséquent d'exprimer distinctement
des idées très-multipliées et très -voisines
les unes des autres. Mais cet avantage ne
leur est pas exclusivement propre; je crois
qu'il serait téméraire de prononcer que des
gestes (1) ne sont pas susceptibles de com-
(i) Je ne parle point ici des figures tracées, parce
binais ons
CHAPITRE XVII. 069
binaisons aussi variées et aussi distinctes
que les sons articulés : ainsi, à cet égard, je
ne vois pas à ces derniers une supériorité
assez marquée pour être la cause de la pré-
férence universelle qu'ils ont obtenue.
Je pense qu'elle est due , premièrement ,
à ce qu'il est dans la nature de l'homme de
produire des sons quelconques dès qu'il est
affecté : c'est un effet si nécessaire de notre
organisation, qu'il a lieu même malgré nous;
et ces sons sont tels, qu'ils peignent très-bien
nos diverses affections, ce qui les en rend
les signes naturels les plus certains et les
plus distincts. Secondement, à ce que de
tous les signes artificiels dérivant directe-
ment des signes naturels , les sons sont les
plus commodes à employer; ils n'exigent ni
espace ni liberté de ses membres comme les
gestes et les attouchemens : dans quelque
position que l'on soit, estropié, malade,
agissant, on peut produire ces signes; on
que ce sont des systèmes de signes artificiels secon-
-daires qui n'ont pu être composés que d'après les
signes artificiels primitifs qui dérivent immédiate-
ment des signes naturels.
Ces signes secondaires ne sont que des traductions
des signes primitifs.
Aa
570 IDÉOLOGIE.
les entend de même de jour comme de nuit,
de loin comme de près, sans se déranger,
sans se tourner vers eux, sans s'en occuper,
sans même le vouloir.
Ces deux propriétés qu'ont les sons d'être
les plus naturels et les plus commodes de
tous les signes, font que de tous ils sont
ceux qui nous deviennent les plus profon-
dément habituels par l'usage, et qui se lient
et s'unissent le plus intimement en nous aux
idées qu'ils représentent (1). Or, si nous
nous rappelons ce que nous avons dit et
des effets de l'habitude et de l'effet principal
des signes , nous sentirons que cet avantage
est immense, et suffit seul pour les faire
préférer universellement, et pour que ce
soit eux qui secourent le plus efficacement
les opérations de l'intelligence humaine.
Les sons cependant ont encore une pro-
priété très-précieuse, c'est de pouvoir de-
venir des signes permanens. Au moyen de
(1) Une autre circonstance qui contribue puis-
samment à produire cet effet, c'est l'intime corres-
pondance qui existe entre l'organe vocal et l'organe
auditif.
M. Maine-Biran a eu grande raison d'en faire la
remarque dans l'ouvrage ci-dessus cité.
CHAPITRE XVII. D7I
l'écriture, ils demeurent iixéssous nos yeux
comme les hiéroglyphes , les dessins et tous
les autres signes durables , et peuvent
comme eux réveiller en nous à tout instant
les idées dont ils nous ont affectés passa*-
gérement, et nous rappeler celles que nous
pourrions avoir oubliées et qui servent de
liaison nécessaire aux autres. Voulons-
nous apprécier l'importance de cet effet?
pensons à la différence de l'impression
que dit sur nous un ouvrage en l'en-
tendant lire, ou en le lisant nous-mêmes,
sur-tout si le raisonnement est un peu serré,
ou si le sujet ne nous est pas familier. Je
pourrais bien citer un exemple encore plus
frappant, c'est la différence qu'il y a entre
calculer de tête et calculer par écrit ; mais
dans ce cas, il faut attribuer la plus grande
partie de cette différence à celle qui existe
entre la langue des noms de nombre et la
langue des chiffres; ces derniers représen-
tant par leurs places seules une multitude
de rapports, c'est-à-dire de jugemens que
n'expriment pas les noms même écrits. Je
m'en tiens donc au premier fait; il suffit
pour prouver l'utilité des signes permanens,
à ne considérer même que leur effet actuel ,
Aa 2
572 IDÉOLOGIE.
et sans parler de la propriété qu'ils ont en-
core de conserver pour d'autres temps et
d'autres lieux des suites d'idées qui sans eux
seraient impossibles à perpétuer et à trans-
porter. Les sons, au moyen de l'écriture,
acquièrent donc tous ces avantages , et seuls,
entre tous les signes passagers, ils ont cette
prérogative; car tous les signes quelconques
peuvent bien être traduits, mais nuls, ex-
cepté les sons, ne peuvent être écrits. Pour
que vous entendiez bien ceci, jeunes gens ,
il faut que je vous fasse voir nettement en
quoi consiste l'opération de traduire et celle
d'écrire. J'ai commencé à vous en donner
une idée lorsque je me suis refusé à regarder
les alphabets comme des langues, et les ca-
ractères alphabétiques comme des signes (1);
mais cela ne suffit pas , et c'est ici le lieu de
compléter cette explication.
Traduire est une opération par laquelle
on unit aux signes d'un langage les idées qui
étaient jointes à ceux d'un autre langage; à
une première association elle en substitue
une seconde, et par conséquent elle néces-
site de les avoir toutes deux présentes à la
(1) Voyez page 3i2.
CHAPITRE XVII. 575
fois à l'esprit. Cette opération a lieu toutes
les fois que nous transportons nos idées
d'une de nos langues parlées dans une au-
tre 3 mais elle n'a pas moins lieu quand nous
exprimons des signaux par des gestes , des
gestes par des hiéroglyphes ou autres fi-
gures, ces figures par des mots, ou seule-
ment quand nous substituons un système de
signes de chacune de ces espèces à un autre
système de la même espèce : en général, il
y a traduction dès que nous mettons un
langage à la place d'un autre. Cette opéra-
tion de traduire se fait également dans nos
têtes, soit que nous émettions des idées,
soit que nous les recevions, dès que la lan-
gue dans laquelle nous les recevons ou les
émettons n'est pas celle avec laquelle nous
les formons, celle à laquelle elles sont in-
timement liées en nous. La peine qu'elle
nous coûte est exactement proportionnée
au plus ou moins d'habitude que nous avons
d'associer nos idées aux signes de la langue
dans laquelle ou de laquelle nous traduisons :
si cette seconde langue pouvait nous être
aussi familière que celle dans laquelle nous
pensons, si nos idées pouvaient être égale-
ment liées aux signes de l'une et de l'autre,
574 IDÉOLOGIE,
si enfin nous pensions indifféremment dans
toutes deux, la peine de la traduction serait
nulle, ou plutôt il n'y aurait pas traduction.
Mais je ne crois pas que cette parfaite éga-
lité puisse exister dans une tête humaine; et
si elle a lieu, ce ne peut être qu'entre deux
langues parlées, entre deux systèmes de
signes vocaux : car nous avons vu qu'au-
cune autre espèce de signes ne peut devenir
aussi profondément habituelle que les sons.
L'opération de traduire dérange donc tou-
jours la liaison de nos idées à certaines sen-
sations.
Il n'en est pas de même de l'action de lire
et d'écrire. L'effet de l'écriture est de nous
rappeler un son fugitif par le moyen d'un
signe durable. Si les hommes étaient rai-
sonnables, il n'y aurait qu'un alphabet pour
toutes les langues parlées , et dans cet al-
phab t qu'un caractère pour chaque voix et
chaque articulation : tout le reste n'est qu'un
amas de variantes inutiles. Il n'y a nulle rc-
lation ('irecte entre le caractère et l'idée;
aussi, pour écrire ou lire des mots, abstrac-
tion faile des irrégularités de l'orthographe,
il n'est pas nécessaire d'en comprendre le
sensj il suilit de savoir que tel caractère ré-
CHAPITRE XVII. 576
pond à tel son : dès que cela est connu , la
sensation visuelle réveille le souvenir de la
sensation orale, et voilà tout. C'est, si l'on
veut, une traduction ou plutôt une transla-
tion du signe, mais non pas une traduction
de l'idée; ce qui est bien différent, puisque
cela ne dérange pas la liaison habituelle
entre telle idée et telle sensation , le mot écrit
ne faisant encore une fois que rappeler le
mot prononcé et rien de plus. Vous voyeç
donc que les caractères alphabétiques ou
syllabiques ne sont que des signes de signes ,
et non des signes d'idées, et qu'à parler
exactement , eux seuls méritent le nom
d'écriture. Tous les autres caractères étant
des signes d'idées, forment de vraies langues
qu'on peut traduire dans une langue parlée
comme dans toute autre , mais qu'on ne sau-
rait lire, dans le sens rigoureux du mot; la
preuve en est qu'on ne peut les prononcer
sans les comprendre, tout comme en sens
contraire on ne peut écrire des gestes sans
savoir ce qu'ils signifient.
J'ai donc eu raison d'avancer qu'il n'y a
que les signes vocaux qui puissent être écrits
et lus, et que par conséquent seuls entre
tous les signes passagers, ils ont la propriété
576 IDÉOLOGIE.
de devenir permanens sans cesser d'être
eux-mêmes ; ainsi , outre qu'ils sont très-
variés et très-distincts, ils sont de beaucoup
les plus naturels et les plus commodes à
employer ; ces deux circonstances les ren-
dent habituels à un point dont nulle autre
espèce de signes ne peut approcher r de
plus, ils deviennent permanens quand on le
veut, ce qui accroît beaucoup leur utilité; et
alors ils frappent deux sens au lieu d'un, ce
qui augmente encore extrêmement la force
de leur liaison avec les idées.
En voilà plus qu'il n'en faut , je pense , pour
rendre raison de la préférence universelle
que l'on a donnée aux signes vocaux, pour
montrer quil n'y a aucune comparaison à
faire entre cette espèce de signes et toute
autre, et pour prouver qu'eux seuls ont effi-
cacement secouru l'intelligence humaine ;
et que, dans l'intention de connaître l'in-
fluence des signes sur la formation de nos
idées , ce sont ceux-là , exclusivement à tous
les autres, qu'il nous faut étudier. Nous au-
rons donc tout ce qu'il peut être intéressant
de savoir de i'histoire des signes, en traitant
celle des sons articulés : c'est aussi à quoi je
me bornerai dans la seconde partie de cet
chapitre xvrr. 577
ouvrage, et ma Grammaire ne sera guère
que l'analyse des langues parlées, quoiqu'elle
soit la grammaire de tous les langages. En
examinant les différentes espèces de mots
dont ces langues sont composées, et les lois
de leur formation et de leur réunion , nous
verrons plus en détail comment elles diri-
gentnotre intelligence. En attendant, je crois
que nous pouvons nous en tenir aux ré-
flexions précédentes, et terminer ici ce que
nous avions à dire des effets généraux des
signes et des effets particuliers de certains
signes sur la formation de nos idées : il nous
reste à les considérer comme moyen de
transmettre ces mêmes idées à d'autres.
Quelqu'importante que soit cette seconde
propriété , nous ne nous y arrêterons pas
long-temps ; les conséquences qui en résul-
tent sont si frappantes, qu'il suffira de les in-
diquer, ou plutôt nous n'aurons presque
qu'à recueillir ce que nous en avons déjà dit
en différens endroits. Il est aisé de voir que
cette propriété qu'ont les signes d'être un
moyen de communication avec nos sem-
blables , est l'origine de toutes nos relations
sociales, et par conséquent a donné nais-
sance à tous nos senlimens et à toutes nos
SyS IDÉOLOGIE.
jouissances morales. Il n'est pas moins évi-
dent que sans elle chaque homme serait
réduit à ses forces individuelles pour agir et
p vur connaître ; et nous avons déjà observé
que dans cet isolement forcé il resterait fort
au-dessous des sauvages les plus stupides,
car les plus bruts d'entr'eux doivent encore
beaucoup d'idées à l'état de société; même
les animaux sont, jusqu'à un certain point ,
instruits par leurs semblables, et ne sont pas
tout-à-fait livrés à leur seule expérience per-
sonnelle. Enfin, quand on voudrait beau-
coup étendre la possibilité du développe-
ment intellectuel de chaque individu , au
moins serait-on toujours obligé de convenir
que ses progrès seraient perdus pour l'es-
pèce, et que le genre humain serait con-
damné à une éternelle enfance.
Il n'est donc pas douteux que nous devons
tout ce que nous sommes à la possibilité de
communiquer avec nos semblables ; la seule
chose qui mérite examen , c'est de savoir
comment cette communication d'idées agit
sur nous; mais il n'est peut-être pas si aisé
de s'en rendre raison qu'il le paraît d'abord.
En eflêt, on voit bien au premier coup-d'œil
qu'il est plus facile d'apprendre une ch^se
CHAPITRE XVII. 579
que de l'inventer, et que dès que les hommes
peuvent se transmettre leurs idées les uns
aux autres, ils profitent tous des observa-
tions et des réflexions de chacun d'eux, et
il semble que dès -lors tout est expliqué.
Cependant on sait qu'une idée toute faite
est une chose absolument intransmissible ;
que pour en avoir réellement la conscience,
lorsqu'on entend ou que l'on voit le signe
qui la représente, il faut nécessairement, si
c'est une simple sensation, l'avoir éprouvée ;
la preuve en est qu'on parlerait éternelle-
ment de couleurs à un aveugle-né, qu'il ne
saurait jamais ce dont il s'agit. Si c'est une
idée composée, il faut avoir connu et rap-
proché tous les élémens qui la composent;
il est évident que sans cela nous ne connais-
sons pas la signification d'un mot, et que
c'est ce qu'on nous fait faire plus ou moins
bien quand on nous le définit. Enfin, si cette
idée est un jugement , la proposition qui l'ex-
prime est vide de sens pour nous, n'est qu'un
vain bruit, comme celui d'une langue étran-
gère , si nous ne connaissons pas ses deux
termes, si nous n'avons pas fait sur chacun
d'eux les opérations que nous venons de
décrire , et si ensuite nous ne faisons pas
5SO IDÉOLOGIE.
nous-mêmes l'acte de la pensée qui consiste
à percevoir le rapport énoncé entr'eux.
Tout cela est incontestable, et pourtant,
quand on y songe, on est tenté d'en tirer
une conséquence toute contraire à celle qui
paraissait évidente tout-à-1'heure, et de
croire que les signes émis par un autre ne
nous épargnent aucune difficulté , puisqu'il
faut que, pour les comprendre, notre intel-
ligence fasse les mêmes opérations que pour
former les idées qu'ils expriment. C'est ainsi
que presque tous les phénomènes idéolo-
giques renferment des circonstances si mul-
tipliées et si diverses, que l'on en porte des
jugemens tout différens suivant l'aspect sous
lequel on les a envisagés , et que pour les
connaître réellement il faut les avoir con-
sidérés sous toutes leurs faces. Dans le cas
présent, il y a un milieu à prendre entre les
deux extrêmes; d'une part, il n'est pas dou-
teux que chacun n'a que les idées qu'il s'est
faites, et que personne ne peut penser pour
un autre : mais , de l'autre, il n'est pas moins
certain que chacun agit et réfléchit de son
côté, et qu'il fait part aux autres des impres-
sions que ses actions lui ont procurées et
des combinaisons qu'il en a faites. Les pre-
CHAPITRE XVII. 58l
miers élémens de ces résultats et de ces
combinaisons sont bien connus des hommes
à qui il s'adresse, puisque ce sont les sensa-
tions communes à tous; c'est même à cause
de cela qu'il est compris par eux, et à cet
égard il ne leur apprend rien ; mais les com-
binaisons de ces premiers élémens, les con-
séquences qu'on en peut tirer, les analyses
qu'on en peut faire sont infiniment variées:
la plupart ne pourraient avoir lieu sans cer-
taines circonstances. Il s'en faut donc pro-
digieusement que toutes puissent se présen-
ter à tous; au lieu que, par le bienfait de la
communication des idées, chacun se trouve
agir, réfléchir et choisir pour tous; tout ce
qui est découvert devient un bien commun,
source de nouveaux progrès, et le tout est
exprimé et consigné par les signes qu'on
invente à mesure, et par les associations du-
rables qu'on en fait. C'est ainsi, comme nous
l'avons déjà dit, que, dans les premières
années de notre existence, en recevant les
impressions de tout ce qui nous frappe et
étudiant les signes de tous ceux qui nous
entourent, nous apprenons les quatre-vingt-
dix-neuf centièmes de toutes les idées qui
sont jamais entrées dans la tête des hommes,
582 IDÉOLOGIE.
et nous sommes tout de suite à même d'en
faire des combinaisons innombrables et
nouvelles.
Ces dernières réflexions nous rappellent
celles de ce genre que nous avons faites dans
les chapitres VI, XIV et XV, en parlant de
la formation de nos idées composées, des
effets de l'habitude et du perfectionnement
de nos facultés; car tous ces objets se tien-
nent et toutes les parties de ce traité se cor-
respondent et s'expliquent l'une l'autre. Il
est même nécessaire d'avoir présent à l'es-
prit ce que nous avons dit sur ces sujets,
pour comprendre réellement ce que nous
venons de dire sur les propriétés et les effets
des signes, et ce qui nous reste à dire sur
leurs inconvéniens. C'est par là que nous
allons terminer leur histoire.
Quelque grands que soientles a van ta ges des
signes, il faut convenir qu'ils ontdes inconvé-
niens; et si nous leur devons presque tous
les progrès de notre intelligence, je les crois
aussi la cause de presque tous ses écarts.
D'abord nous avons déjà remarqué que
quand une fois l'usage des signes est intro-
duit entre les hommes, nous n'en inventons
presque plus, nous n'en faisons plus d'après
CHAPITRE XVI r. 585
nos idées propres, nous les recevons tout
faits de ceux qui s'en servent avant nous ,
et nous avons presque toujours la percep-
tion du signe avant celle de l'idée qu'il est
destiné à représenter. A la vérité, ce signe
n'a aucune signification pour nous avant
que nous ayons acquis la connaissance per-
sonnelle de cette idée ; mais lorsque l'idée
est fort composée, et c'est le plus grand
nombre , cette connaissance est souvent
difficile à se procurer; elle exige un travail
long , qui ordinairement reste imparfait.
Nous pouvons rarement y parvenir par des
expériences directes; nous sommes réduits
le plus souvent à des conjectures, à des in-
ductions, à des approximations; enfin, nous
n'avons presque jamais la certitude parfaite
que cette idée, que nous nous sommes faite
souscesigne par ces moyens,soit exactement
et en tout la même que celle à laquelle at-
tachent ce même signe, celui qui nous l'a
appris et les autres hommes qui s'en servent.
De là vient souvent que des mots prennent
insensiblement des significations différentes,
suivant les temps et les lieux, sans que per-
sonne se soit aperçu du changement : ainsi
il est vrai de dire que tout signe est parfait
584 IDÉOLOGIE.
pour celui qui l'invente , mais qu'il a toujours
quelque chose de vague et d'incertain pour
celui qui le reçoit ; or, c'est le cas où nous
sommes presque toujours. C'est donc avec
cette imperfection que nous y attachons nos
idées, et qu'ensuite nous les manifestons.
Il y a plus; je viens d'accorder que tout
signe est parfait pour celui qui l'invente,
mais cela n'est rigoureusement vrai que
dans le moment où il l'invente , car quand
il se sert de ce même signe dans un
autre temps de sa vie, ou dans une autre
disposition de son esprit, il n'est point du
tout sûr que lui-même réunisse exactement
sous ce signe la même collection d'idées que
la première fois ; il est même certain que
souvent, sans s'en apercevoir, il y en a
ajouté de nouvelles , et a perdu de vue quel-
ques-unes des anciennes. Ainsi, lorsque j'ap-
prends le mot amour et celui de mer, sans
avoir ressenti l'un ni vu l'autre , je leur
adapte à chacun un groupe d'idées formé
par conjectures, qui ne peut manquer de
différer de la réalité; lorsqu'ensuite j'ai res-
senti \ amour oX vu la mer, j'assemble sous
ces mots une foule de perceptions réelle-
ment éprouvées, mais je ne suis pas du tout
sûr
CHAPITRE xvir. 585
sur qu'elles soient exactement les mêmes
que celles éprouvées par celui qui m'a ap-
pris ces mots- et enfin, ni moi ni celui-là
même qui m'a enseigné l'usage de ces mots,
ne sommes sûrs qu'au bout d'un certain
temps ils réveillent en nous les mêmes per-
ceptions, dans le même nombre, et avec les
mêmes accessoires; ou plutôt nous sommes
certains que l'âge, les circonstances, les
évènemens, les dispositions morales et
physiques , les effets des habitudes les ont
nécessairement altérés, ensorte que réelle-
ment et inévitablement, le même signe nous
donne d'abord une idée très- imparfaite ou
même tout-à-fait chimérique, ensuite une
idée différente de celle des autres hommes
qui emploient aussi ce signe , et enfin une
idée souvent fort éloignée de celle que nous
y avons attachée nous-mêmes dans un au-
tre moment.
L'observation de ces trois inconvéniens
des signes nous montre, i°. en quoi con-
siste la rectification successive des premières
idées, ou ce qu'on appelle le progrès de la
raison dans les jeunes gens; 20. l'origine de
la diversité et de l'opposition des opinions
des hommes sur les idées exprimées par
Bb
586 IDÉOLOGIE.
certains mots; 3°. la cause de la variation
de ces opinions aux différentes époques de
la vie. Ces phénomènes paraissent inexpli-
cables quand on songe que l'organisation
des hommes est telle , que tous , à tous les
âges, et dans tous les temps, perçoivent
toujours le même rapport de la même ma-
nière dès qu'il est réellement le même et à
leur portée; mais quand on pense que réelle-
ment, et rigoureusement parlant, sans nous
en apercevoir nous avons chacun un lan-
gage différent, que tous nous en changeons
à chaque instant, et que c'est avec ces lan-
gages si mobiles que nous pensons , doit-on
être surpris que nous ne nous entendions pas
nous-mêmes, et que par conséquent nous ne
soyons souvent ni de l'avis des autres ni de
celui qui a été le nôtre ?
Cesinconvéniens des signes sont inhérens-
à leur nature, ou plutôt à celle de nos fa-
cultés intellectuelles; ils rentrent dans tout
ce que nous avons dit des opérations de ces
facultés et des effets de leur fréquente répé-
tition. Ils sont donc impossibles à détruire
totalement; seulement ils s'atténuent à me-
sure que , les idées s'élaborant et se débrouil-
lant, les signes expriment et constatent des
CHAPITRE xvir 587
analyses plus parfaites et plus fines, et sur
lesquelles on varie moins. Mais il existe
beaucoup d'autres défauts dans les signes
tels que nous les employons, qu'ils ne doi-
vent qu'à l'ignorance des temps dans lesquels
ils ont été institués, et dont il serait possible
de les purger : telles sont les anomalies de
leur dérivation, la manière maladroite dont
ils s'enchaînent, leurs liaisons souvent con-
traires à celles des idées qu'ils expriment,
les embarras inutiles qu'ils apportent dans
l'expression de la pensée. Je n'entrerai point
ici dans ces considérations ; elles seront
mieux placées quand nous aurons examiné
en détail les élémens des langues parlées, et
que nous aurons vu l'usage que nous faisons
de nos idées et de leurs signes dans nos dé-
ductions : alors nous pourrons dire quelles
seraient les conditions qui rendraient une
langue parfaite, et comment nous pourrions
en rapprocher celles dont nous nous ser-
vons (1). Actuellement , il me suffit de vous
avoir montré les effets généraux des signes,
ceux particuliers à certaines espèces, et
sur-tout aux langues parlées; de vous avoir
(0 Voyez la Grammaire, chap. 6.
Bb a
588 IDÉOLOGIE.
fait sentir leurs avantages, leurs inconvé-
niens, et qu'ils sont également cause des
progrès de notre intelligence et de ses écarts :
à quoi il faut ajouter cette réflexion, que
c'est par leur influence et par la communi-
cation des idées, dont ils sont l'unique moyen,
qu'il arrive que, quoique toutes nos idées
nous viennent par les sens et soient éla-
borées par nos facultés intellectuelles , la
perfection des sens, et même celle de ces
facultés, est cependant bien loin d'être la me-
sure de la capacité des esprits, comme elle
le serait dans des individus isolés , et qu'au
contraire nous sommes presque entière-
ment les ouvrages des circonstances qui
nous environnent. Je vous laisse à juger,
jeunes gens, de l'importance de l'éducation,
à prendre ce mot dans toute son étendue.
Je m'en tiendrai là; et ce sera aussi la fin de
la première partie de mon ouvrage. Je vais
vous en présenter un extrait raisonné qui ,
en rapprochant les idées , en fera mieux
sentir la liaison, et qui pourra servir de
Table analytique.
FIN.
EXTRAIT RAISONNE
DE L'IDÉOLOGIE,
SERVANT DE TABLE ANALYTIQUE,
PREFACE.
Ju IDÉOLOGIE est une partie de la zoologie.
Locke est, je crois, le premier qui l'ait envisagée sous
cet aspect-, aussi en a-t-il fait une partie de la physique.
Condillac est vraiment le créateur de cette science •
mais il n'en a point donné de traité complet.
Je me suis proposé d'y suppléer. Ceci est un pre-
mier essai, qui ne saurait être exempt de graves im-
perfections.
Tout ce que je désire , c'est qu'on discute la théorie
exposée dans ces élémens.
J'espère aussi qu'ils pourront être utiles à l'ensei-
gnement.
J'ai publié cette première partie, qui traite de la
formation des idées , sans attendre celles qui traite-
ront de leur expression et de leur déduction, afin
d'avoir le temps de recueillir les avis des hommes
éclairés et de modifier mes opinions, s'il y a lieu.
INTRODUCTION.
C'est sur-tout aux jeunes gens que je m'adresse,
parce qu'ils n'ont point encore d'opinions fixées , et
$go EXTRAIT RAISONNÉ
aussi parce qu'ils supportent sans impatience qu'on
les arrête sur des détails que les hommes plus avancés
en âge croient tous connaître , quoique souvent ils ne
les aient pas examinés suffisamment.
Je crois les jeunes gens très-capables d'étudier cette
science, qui n'est pas plus difficile que bien d'autres,
et qui est même nécessaire à la pleine et facile intel-
ligence de beaucoup de choses qu'on enseigne aux
enfans.
Seulement il faut partir de ce qu'ils connaissent,
les prendre au point où ils sont, et sur-tout ne pas
commencer par vouloir leur définir les termes les plus
généraux et les plus abstraits; car quand ils seront
en état de bien comprendre ces définitions, c'est-à-
dire de bien voir toutes les idées comprises dans la
signification de chacun de ces mots , ils sauront com-
plètement la science.
Ce ne doit donc pas être là le début des leçons. La
première chose à faire est de faire remarquer aux
élèves ce qui se passe en eux lorsqu'ils pensent et
qu'ils raisonnent, soit qu'ils jouent, soit qu'ils étudient.
CHAPITRE PREMIER.
Qu'est-ce que penser?
La faculté de penser consiste à éprouver une foule
d'impressions , de modifications , de manières d'être
dont nous avons la conscience , et qui peuvent toutes
être comprises sous la dénomination générale d'idées
ou de perceptions.
Toutes ces perceptions , toutes ces idées j sont des
choses que nous sentons. Elles pourraient êtres nom-
DE L'IDÉOLOGIE. 091
niées sensations ou sentimens, en prenant ces mots
dans un sens très-étendu, pour exprimer une chose
sentie quelconque. Ainsi, penser c'est toujours sentir
quelque chose, c'est sentir.
Penser ou sentir, c'est pour nous la même chose
qu'exister ; car si nous ne sentions rien, nous ne sen-
tirions pas notre existence; elle serait nulle pour nous,
bien qu'elle pût être sentie par d'autres.
De ces idées ou perceptions, les unes sont des sen~
gâtions proprement dites, les autres des souvenirs,
d'autres des rapports que nous apercevons, d'autres
enfin des désirs que nous éprouvons.
La faculté de penser ou d'avoir des perceptions
renferme donc les quatre facultés élémentaires appe-
lées la sensibilité proprement dite, la mémoire, le
jugement et la volonté.
Et si de l'examen de ces quatre facultés il résulte
qu'elles suffisent à former toutes nos idées, il sera
constant qu'il n'y a rien autre chose dans la faculté
de penser.
CHAPITRE II.
De la Sensibilité et des Sensations.
La sensibilité proprement dite est cette propriété
de notre être en vertu de laquelle nous recevons des
impressions de beaucoup d'espèces , appelées sensa-
tions, et en avons la conscience; nous la connaissons
par expérience en nous-mêmes , et nous la reconnais-
sons dans nos semblables et dans les autres êtres par
analogie , à proportion qu'ils nous la manifestent.
5c)2 EXTRAIT RAISONNÉ
Nous ne pouvons ni l'affirmer ni la nier dans ceux
qui n'ont pas de moyens de nous l'exprimer.
Les nerfs sont en nous les organe de la sensibilité.
Leurs principaux troncs se réunissent en différens
points , et sur-tout dans le cerveau , dans lequel ils se
perdent et se confondent.
Par toutes celles de leurs extrémités qui se ter-
minent à la surface de notre corps , nous recevons
les sensations que nous confondons sous le nom géné-
ral de sensations tactiles, mais qu'un examen plus
scrupuleux pourrait faire partager en plusieurs classes;
car chacune d'elles varie suivant les diverses parties
qu'affecte une même cause" ainsi, à proprement
parler, le sens du tact est composé de beaucoup de
sens distincts.
Indépendamment de ces sensations générales, nous
en recevons de particulières par les extrémités des
herfs qui se terminent à certains organes placés aussi
à la surface de notre corps ; ce sont celles de la vue,
de l'ouïe, de l'odorat et du goût. Toutes ensemble
forment ce que nous appelons les sensations externes.
Mais outra ces sensations externes, nous recevons
encore , par les extrémités de nos nerfs qui abou-
tissent aux différentes parties de l'intérieur de notre
corps, une foule de sensations que nous nommons par
cette raison sensations internes.
Telles sont celles qui résultent des fonctions ou de
Ja lésion des différentes parties de notre corps.
Telles sont encore celles que causent les mouve-
mens de nos membres.
Telles sont enfin toutea les affections de plaisir ou
DE L'IDEOLOGIE. D9J
de peine qui résultent de certaines dispositions de
notre individu et des passions qui le modifient.
Toutefois les passions elles-mêmes ne doivent pas
être rangées parmi les sensations simples , parce que
toutes renferment en outre un désir quelconque, et
qu'un désir est un effet de la faculté appelée volonté;
ainsi, dans la passion, est renfermé l'exercice de
deux facultés distinctes, la sensibilité et la volonté.
L'état de souffrance ovj de jouissance dans lequel
elle nous met, appartient seul à la sensibilité propre-
dent dite,
CHAPITRE III.
De la Mémoire et des Souvenirs.
La mémoire est une seconde espèce de sensibilité
particulière, ou une seconde partie de la sensibilité
en général. Elle consiste à être affecté du souvenir
d'une impression éprouvée.
Le souvenir est une sorte de sensation interne, mai»
différente de celle dont nous venons de parler, en ce
qu'il est l'effet d'une certaine disposition demeurée
dans le cerveau , et non celui d'une impression ac-
tuelle dans un autre organe.
Il n'est pas dans la nature de la perception appelée
souvenir, que nous reconnaissions en l'éprouvant qr.a
c'est un souvenir, non plus qu'il n'est dans la nature
de la sensation que nous reconnaissions d'où elle nous
vient et ce qui la cause : ce sont-là des actes du
jugement.
La preuve en est que nous avons souvent des sou-
venirs que nous ne savons pas être des souvenu 'a ,
5g4 EXTRAIT RAISONNÉ
que nous prenons pour des idées nouvelles , et il est
vraisemblable que nous sentons nos premières sensa-
tions sans savoir encore que nous avons des organes
par où elles nous arrivent.
D'ailleurs , quand cela ne serait pas , quand ces
connaissances seraient inséparablement liées à nos
sensations et à nos souvenirs , il n'en serait pas moins
vrai que sentir une sensation est un effet de la sensi»-
bilité, que sentir un souvenir est un effet de la mé-
moire , et qu'y joindre un jugement quelconque est
un effet d'une troisième faculté dont nous allons
parler.
Ce sont-là des distinctions qu'il ne faut jamai-;
perdre de vue sous peine de tout confondre dans l'ana-
lyse de la pensée,
CHAPITRE IV.
Du Jugement et des Sensations de rapports.
La faculté de juger ou le jugement est encore une
espèce de sensibilité ; car c'est la faculté de sentir des
rapports entre nos perceptions.
Ces rapports sont des vues de notre esprit , des
actes de notre faculté de penser, par lesquels nous
rapprochons une idée d'une autre , par lesquels nous
lions ces idées et les comparons ensemble d'une ma-
nière quelconque. Ces rapports sont des sensations
internes du cerveau, comme les souvenirs.
La faculté de sentir des rapports est une consé-
quence presque nécessaire de celle de sentir des sen-
■ sations -, car dès qu'on sent distinctement deux sensa-
tions , il s'ensuit naturellement qu'on sent leurs
de l'idéologie. 3g5
ressemblances, leurs différences , leurs liaisons , etc.;
mais elle en est une conséquence et ne saurait la pré-
céder ni exister sans elle.
De cette faculté viennent toutes nos connaissances;
car si nous ne percevions aucuns rapports entre nos
perceptions, si nous n'en portions aucuns jugemens,
nous ne ferions éternellement qu'être affectés et nous
ne saurions jamais rien.
Pour percevoir un rapport, pour porter un juge-
ment , ce qui est la même chose , il faut avoir en même-
temps deux idées distinctes ; mais il n'en faut jamais
que deux.
Aussi une proposition, qui n'est autre chose que
l'énoncé d'un jugement, n'a jamais que deux termes,
le sujet et l'attribut. Le verbe est une partie de l'attri-
but ) il n'est pas un troisième terme ; ce n'est pas lui
qui exprime l'acte de l'esprit qui juge; la preuve en
est que quand il est au mode infinitif, il n'y a pas de
^jugement énoncé dans la phrase.
Il n'y a pas de jugement négatif ; tout jugement est
nécessairement positif, puisqu'il est une perception ;
car on ne peut percevoir une chose qui n'est pas.
Aussi n'y a-t-iî pas de propositions réellement
négatives. Celles qui paraissent telles, ne le sont que
par la forme : au fond elles renferment une affir-
mation.
L'affirmation de toute proposition se réduit tou-
jours à celle-ci, que l'idée totale de l'attribut est com-
prise toute entière dans l'idée du sujet et en fait partie ;
car tout jugement ne consiste toujours qu'à sentir
5g6 EXTRAIT RAISONNÉ
qu'une idée est une des idées composantes d'une
autre , en fait partie.
C'est à tort que l'on a appelé l'attribut le grand
terme de la proposition.
A la vérité, il est toujours une idée plus générale
que le sujet, et par conséquent susceptible d'une ex-
tension plus grande ; mais dans l'énoncé d'un jugement,
l'attribut n'étant jamais dit que des objets auxquels
s'applique le sujet, son extension est déterminée par
celle du sujet et réduite de manière à n'être jamais
plus grande qu'elle.
D*autre part, précisément parce que l'attribut est
une idée plus générale , sa compréhension est moins
grande.
Ainsi, il est toujours égal au sujet en extension, et
il lui est toujours inférieur en compréhension (1).
CHAPITRE V.
De la Volonté et des Sensations de désirs.
La volonté est une quatrième espèce de sensibilité;'
c'est la faculté de sentir des désirs.
Nos désirs sont des conséquences de nos autres
perceptions et des jugemens que nous en portons ;
mais ils ont cela de particulier, que nous sommes»
(ï) On aurait pu insister davantage sur ce principe fondamental
qui réduit la faculté de juger, que nous définissons la faculté de
sentir des rapports, a n'être jamais que la faculté de sentir un
seul rapport toujours le même; mais cette vérité sera bien mieux
comprise quand on aura vu comment se forment nos idées com-
posées, et elle viendra encore plus à propos dans la Grammaire ,
et dans la Logique, dont elle constitue à elle seule toute la théorie».
DE L'IDEOLOGIE. 097
toujours heureux ou malheureux par eux , suivant
qu'ils sont accomplis ou non.
Us ont encore une autre particularité remarquable ;
c'est que l'emploi de nos forces mécaniques et intel-
lectuelles dépend en grande partie d'eux, ensorte que
c'est par eux que nous sommes une puissance dans
le monde.
De là vient que nous confondons plus notre moi
avec cette faculté qu'avec toute autre, et que nous
disons indifféremment, cela dépend de moi ou cela
dépend de ma volonté.
De là vient aussi l'importance que nous attachons
à posséder la volonté des autres , à ce qu'elle nous
soit favorable, à ce qu'ils aient pour nous de la bien-
veillance.
Du désir de leur bienveillance naît avec raison le
désir de leur estime, et du désir de leur bienveillance
et de leur estinu naît tout aussi justement le bien-
être que nous éprouvons quand nous nous sentons
animés de mouvemens de bienveillance , et le mal-
aise qui nous tourmente quand nous nous reconnais-
sons travaillés de passions haineuses.
Une autre conséquence des propriétés de la vo-
lonté , c'est qu'il nous est très-important de la bien
régler ; c'est que le moyen d'y parvenir est de rec-
tifier nos jugemens , puisque nos désirs en sont la suite,
et que le but à atteindre est d'éviter de former des
désirs contradictoires , c'est-à-dire des désirs dont l'ac-
complissement nous conduirait à des manières d'être
que nous souhaitons éviter , car dans ce cas notre bon-
heur est impossible.
598 EXTRAIT RAISONNÉ
CHAPITRE VI.
De la Formation de nos Idées composées.
Voilà donc quatre facultés distinctes dans notre
faculté de penser, et quatre espèces différentes parmi
nos perceptions ; et de ces quatre , les trois dernières
sont des conséquences de la première, n'auraient pas
lieu sans elle.
Mais aucune des innombrables idées ou percep-
tions qui sont dans nos têtes ne sont des idées simples,
c'est-à-dire ne sont l'effet d'un seul acte intellectuel ;
toutes sont composées, c'est-à-dire n'ont été formées
que par l'intervention de plusieurs de ces facultés
élémentaires.
Voyons donc comment, avec ces élémens, sensa-
tions, souvenirs, jugemens et désirs, nous formons
toutes nos idées composées.
Quand nous avons éprouvé pour la première fois
une sensation , si nous n'avons fait uniquement que
la sentir, cette sensation a été pour nous une idée
absolument simple, un seul acte intellectuel.
Si nous y avons joint tout de suite le jugement
qu'elle était produite en nous par un tel être, dès-1
lop elle a cessé d'être une idée simple, elle est de-
venue une idée composée de l'action de sentir et de
celle de juger; mais elle a encore été particulière à
un seul fait.
Quand ensuite nous avons éprouvé une sensation
pareille à l'occasion d'autres êtres , le souvenir de
cette sensation est devenu une idée générale et com-
mune à toutes les sensations semblables, dans laquelle
DE L'IDÉOLOGIE. 599
ne sont pas comprises les circonstances de temps et
de lieu , et autres particulières à chacune d'elles.
C'est ainsi que l'idée de rouge n'est plus pour nous
le souvenir de l'impression causée par tel corps rouge,
mais de celle produite également par tous les corps
rouges ; de même que l'idée de bonté n'est plus celle
de la qualité de tel être bon , mais de tous les êtres
bons.
11 en est de même de nos idées des êtres réels :
celles-là sont toujours composées. Nous les formons de
la réunion de toutes les impressions qu'ils nous font.
De la réunion d'une certaine odeur, d'une certaine
saveur, j'ai formé l'idée de la première fraise que j'ai
vue. Aujourd'hui l'idée de fraise est pour moi une
idée généralisée et commune à tous les êtres à peu
près semblables auxquels je l'ai étendue, en écartant
les petites différences qu'il y a entr'eux.
C'est donc en réunissant plusieurs de nos idées
ou perceptions élémentaires, que nous formons nos
idées composées individuelles, et en retranchant de
celles-ci quelques circonstances, que nous les géné-
ralisons.
Ces deux opérations suffisent à former toutes nos
idées composées , et elles ne renferment jamais d'au-
tres élémens que des sensations, des souvenirs, des
jugemens et des désirs.
Il est seulement à remarquer qu'il n'existe réelle-
ment que des individus , et que nos idées générales ne
sont point des êtres réels existans hors de nous , mai*
de pures créations de notre esprit , des manières de
classer nos idées des individus.
4oo EXTRAIT RAISONNE
Il s'ensuit encore que plus une idée est générale*
plus est grand le nombre des individus dont elle est
extraite, ce qui constitue son extension ; mais moins
elle retient des particularités de chacun d'eux , car
elle ne demeure composée que de celles qui leur sont
communes : c'est ce qui compose sa compréhension.
Cela fait que nous pouvons affirmer de chacun de
ces individus tout ce que nous pouvons affirmer de
l'idée générale, tandis que nous ne pouvons pas affir-
mer de celle-ci les circonstance? particulières à chaque
individu qui ne sont pas entrées dans sa formation;
mais cela ne fait pas que ce soit l'idée générale qui
soit la cause de la vérité de l'affirmation ; c'est, au
contraire , des faits particuliers que vient toujours
la certitude.
CHAPITRE VIL
De l'Existence.
Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent est l'his-
toire de nos modifications intérieures, des créations
de notre pensée, abstraction faite de ses relations
avec tous les êtres qui ne sont pas elle, et de la ma-
nière dont elle apprend l'existence de ces êtres.
Il nous reste maintenant à trouver comment nous
avons été conduits à juger que nos sensations sont
occasionnées par des êtres qui ne sont pas nous, et si
nous avons raison de porter ce jugement.
Il n'y a pas de doute que nos sensations internes ne
nous apprennent rien que notre propre existence.
Il en est de même sans contredit des saveurs, des
odeurs et des sons.
de l'idéologie. 4oi
On en doit dire autant des sensations visuelles ;
car, indépendamment de beaucoup d'autres raisons,
comme il est constant que le même être produit sur
notre œil des impressions différentes suivant les cir-
constances, les positions et les distances, il est mani-
feste que ce n'est aucune de ces impressions qui nous
apprend l'existence réelle et permanente do cet être.
Les sensations tactiles que nous éprouvons sans faire
nous-mêmes aucun mouvement, n'ont pas plus de
pouvoir à cet effet que les précédentes; comme elles,
elles nous font bien sentir notre sensibilité , notre
propre existence; mais elles ne sauraient nous ap-
prendre ce qui la met en jeu.
La sensation que nous éprouvons lorsqu'un de nos
membres s'agite fortuitement, paraît, au premier coup-
d'oeil, plus propre à nous instruire sur ce point; car
quand elle cesse par l'effet d'un obstacle, nous en
sommes avertis : cela est vrai ; cependant rien ne nous
indique encore ni pourquoi elle cesse , ni ce qui s'y
oppose, ni si nous avons des membres, ni ce que c'est
que leur mouvement.
Mais si à cette sensation de mouvement nous ajou-
tons la condition qu'elle soit volontaire, qu'elle soit
accompagnée du désir de l'éprouver encore , nous
sommes sûrs, lorsqu'elle cesse, que ce n'est pas de
notre fait. Nous sommes certains en même temps de
l'existence de nous qui voulons et de celle de quelque
chose qui résiste; ou si nous n'apercevons pas dès le
premier instant cette seconde existence, bientôt une
foule d'expériences nous en assure, en nous montrant
que beaucoup d'impressions de différens genres cessent
constamment quand ce sentiment de résistance s'éva-
Ce
402 EXTRAIT RAISONNÉ
nouit, et reparaissent de même dès qu'il se reproduit ;
car alors nous jugeons avec sûreté que ces impressions
sont autant d'effets des qualités de cet être dont la
principale propriété est toujours d'être résistant à
notre désir d'éprouver la sensation de mouvement.
En un mot, quand un être organisé de manière à
vouloir et à agir sent en lui une volonté et une action ,
et en même temps une résistance à cette action voulue
et sentie, il est assuré de son existence et de l'exis-
tence de quelque chose qui n'est pas lui. Action vou-
lue et sentie d'une part, et résistance de l'autre , voilà
le lien entre notre moi et les autres êtres , entre les
êtres sentans et les êtres sentis.
Il suitMe là que si la matière avait été non résis-
tante nous n'aurions pu éprouver aucune sensation, et
quand nous en aurions éprouvé, nous n'aurions pu
connaître que notre propre existence; et que même la
matière étant douée de résistance au mouvement, un
être qui ne ferait point de mouvement , ou qui en
ferait sans le sentir et le vouloir, ne connaîtrait en-
core rien hors de lui.
Enfin, il suit de là encore qu'un être totalement
immatériel et sans organes ne pourrait rien connaître
que lui-même, et que nous, si nous n'étions pas, au
moins en partie, composés de matière, nous ne pour-
rions pas penser comme nous faisons , et nous ne sau-
rions rien de tout ce que nous savons.
CHAPITRE VIII.
Comment nos Facultés intellectuelles commencent-
elles à agir?
Ce chapitre est destiné à réfuter une opinion que
j'ai émise autrefois. Je disais, tant que nous ne con-
de l'idéologie. 4o3
naissons que l'existence de notre moi sentant, toutes
nos perceptions se confondent nécessairement les
unes dans les autres à mesure qu'elles nous arrivent.
Plusieurs simultanées ne nous paraissent qu'une ; nous
n'avons aucun moyen d'en distinguer nettement deux
en même temps. Donc nous ne pouvons porter aucun
jugement, encore moins former des désirs, encore
moins exécuter des mouvemens en vertu de ces désirs.
Tout cela supposé vrai , il s'ensuivrait que si des mou-
vemens volontaires étaient nécessaires pour nous ap-
prendre l'existence d'êtres autres que notre moi , nous
ne l'apprendrions jamais. Aussi , quand je pensais
ainsi je croyais en même temps que des mouvemens
fortuits étaient suffisans pour nous faire découvrir
l'existence des corps.
Aujourd'hui je crois que des mouvemens voulus
peuvent seuls nous conduire à cette connaissance ;
mais en même temps il me paraît prouvé par la théorie
et par les faits , que , par cela seul que nous percevons
une sensation, nous pouvons porter au moins le juge-
ment qu'elle est agréable ou désagréable d'une cer-
taine manière, et par conséquent former le désir de
l'éprouver ou de l'éviter; et qu'ainsi, sans connaître
d'autre existence que celle de notre moi sentant, nous
pouvons concevoir le désir d'éprouver la sensation de
mouvement.
Donc aussi la simple sensation, le seul sentiment
de notre moi sentant d'une certaine manière, la seule
conscience de notre existence sentante , suffit pour
faire naître souvenirs , jugemens et désirs , pour mettre
en action la mémoire, le jugement et la volonté.
Ce 2
4oi! EXTRAIT RAISONNÉ
CHAPITRE IX.
Des Propriétés des Corps et de leur Relation.
Il demeure donc convenu que tant que nous ne fai-
sons que sentir, nous ressouvenir, juger et vouloir
sans qu'aucune action s'ensuive , nous n'avons connais-
sance que de notre existence, et nous ne nous con-
naissons que comme un être sentant , comme une
simple vertu sentante , sans étendue, sans forme, sans
parties , sans aucune des qualités qui constituent les
corps.
Il demeure encore constant que , dès que notre
volonté est réduite en acte, dès qu'elle nous fait
mouvoir, la force d'inertie de la matière de nos mem-
bres, la propriété qu'elle a de résister au mouvement
avant d'y céder, nous en avertit, nous donne une sen-
sation qui peut-être ne nous apprend encore rien de
nouveau ; mais lorsque ce mouvement que nous sen-
tons , que nous voudrions continuer est arrêté , nous
découvrons avec certitude qu'il existe autre chose que
notre vertu sentante. Ce quelque chose c'est notre
corps, ce sont les corps environnans, c'est l'univers
et tout ce qui le compose.
La propriété de résister à notre volonté de nous
mouvoir, est donc la base de tout ce que nous appre-
nons à connaître. Un être qui ne serait pas résistant
du tout , ne pourrait nous donner aucune sensation.
Il serait le néant absolu pour nous.
Cette propriété est la force $ inertie des corps , qui
n'a lieu et ne se découvre que par leur mobilité.
La mobilité et X inertie sont donc à notre égard les
d'eux premières qualités des corps, celles sans les-
DE l'idéologte. 4o5
quelles notre organisation ne saurait subsister, sans
lesquelles nous ne pourrions rien connaître , rien sentir
même , sans lesquelles enfin nous ne pouvons pas
seulement concevoir ce que serait l'existence de
l'univers.
Ces deux propriétés en nécessitent une troisième ,
c'est celle en vertu de laquelle les corps en mouve-
ment ont la puissance d'agir sur les autres , de les dé-
placer; je l'appelle la force d'impulsion.
La mobilité, X inertie et Y impulsion sont donc trois
propriétés inséparables et corrélatives; nous ne fai-
sons d'abord que sentir leurs effets sans savoir ce que
c'est que le mouvement.
Nous apprenons que le mouvement consiste à chan-
ger de place en éprouvant que les obstacles qui s'op-
posent à nos mouvemens ont la propriété d'être senti»
continuement par nous pendant que nous faisons du
mouvement. C'est en cela que consiste la propriété
d'être étendu.
"L'étendue est donc pour nous la propriété d'être
parcouru par le mouvement. Ce qui est senti ainsi est
un être existant, réel. Ce qui ne nous donne aucune
sensation pendant que nous nous mouvons n'est rien ,
est le néant, le vide.
L'idée de Y espace vide ou plein est une idée abstraite
de ces deux-là, l'être et le néant, rapprochées sous le
rapport de leurs relations avec nos mouvemens.
h' étendue est une propriété sans laquelle nous ne
pouvons concevoir aucune existence réelle ; car nous
ne pouvons comprendre comment existerait un être
qui n'existerait nulle part.
De la propriété d'être étendu dérive nécessaire-
4o6 EXTRAIT RAISONNE
ment celle d'être impénétrable , c'est-à-dire de ne
pouvoir céder ?a place sans en occuper une autre •
d'être divisible, c'est-à-dire d'être composé de par-
ties existantes dans des places différentes ; d'avoir
une certaine/orme, c'est-à-dire d'être circonscrit dans
certaines limites.
On ne devrait pas confondre les mots forme et
figure. La forme, que nous reconnaissons par le tact
à un corps, est toujours la même; elle présente à
notre vue différentes figures , suivant les circonstances
et les positions.
La porosité est une propriété générale de tous les
êtres étendus connus , et ne pourrait avoir lieu sans
l'étendue ; mais elle n'en est pas une conséquence
nécessaire.
Observez que l'inertie ne prouve pas que la matière
ait plus de tendance au repos qu'au mouvement; et
quand l'existence des êtres animés ne. suffirait pas pour
prouver qu'elle est essentiellement active, toutes les
attractions, toutes les propensions à des mouvemens
spontanés que nous observons dans les êtres qui , étant
inorganisés, n'ont aucun moyen de nous manifester
leur action interne, devraient nous faire conclure
qu'ils n'ont besoin d'aucune impulsion étrangère pour
être mus.
Observez encore qu'aucune des propriétés ci-dessus
énoncées ne pourrait avoir lieu dans des êtres privé-)
d'étendue.
La durée, au contraire, pourrait appartenir à des
êtres inétendus , si nous pouvions en connaître ou
même en concevoir de tels.
Le seul sentiment de notre existence, la seule suc-
de l'idéologie. 407
cession de nos sensations* suffit pour nous donner
l'idée de la durée ; mais si nous ne connaissions rien
autre chose, nous n'aurions aucun moyen de la me-
surer. Nous ne pourrions avoir l'idée de temps , qui
est celle d'une durée mesurée.
Pour former celle-ci, il faut connaître le mou-
vement et l'étendue ; car nous ne mesurons la durée
que par le moyen du mouvement , lequel est repré-
senté par l'étendue ; et ensuite la durée et l'étendue
combinées nous servent à mesurer le mouvement lui-
même. Nous allons voir dans le chapitre suivant com-
ment cela se fait.
CHAPITRE X.
Continuation du -précédent. De la Mesure des
propriétés des Corps.
Mesurer une quantité quelconque , ce n'est autre
chose que la comparer à une quantité connue d'avance
qui sert d'unité , de terme de comparaison ; c'est voir
combien de fois elle renferme cette unité.
Pour cela , il faut premièrement que cette unité-
soit de même nature que la quantité qu'on lui com-
pare. On ne peut mesurer des mètres par des francs
ni des francs par des grammes; car des mètres ne ren-
ferment pas des francs ni des francs des grammes.
Secondement, il faut que cette unité soit déter-
minée d'une manière précise et constante ; car si le
ternie de comparaison était incertain ou variable ,
tout calcul serait hypothétique et vague.
Il suit de là qu'aucune quantité n'est mesurable
qu'à proportion qu'elle est susceptible de division;»
nettes et durables.
4o8 EXTRAIT RAISONNÉ
L'étendue a éminemment ces qualités. Ses parties
sont distinctes et permanentes; on en prend une por-
tion qu'on appelle une toise ou un mètre; on y rap-
porte toutes les autres : il n'y a jamais de difficulté
à la mesurer.
Il n'en est pas ainsi de la durée ; ses parties sont
en elles-mêmes transitoires et confuses. Nous avons
cependant trouvé moyen de nous faire une unité de
durée, et cette unité c'est le jour. Toutes les autres
périodes sont des multiples ou des sous -multiples
de celle-là.
Mais qu'est-ce qui nous rend sensibles les limites
et les parties de cette unité de durée? C'est un mou-
vement, c'est celui de la terre sur son axe, ou ce sont
d'autres mouvemens que nous rapportons à celui-là.'
Le mouvement cependant est composé , comme la
durée , de parties transitoires et confuses. Cela est
vrai ; mais il est fidèlement représenté par les parties
de l'étendue, puisque la propriété d'être étendu n'est
pour nous que la propriété d'être parcouru par le
mouvement.
La durée est donc mesurée par elle-même comme
toute quantité , mais représentée par le mouvement ,
et le mouvement par l'étendue. Ainsi les parties tran-
sitoires et confuses de la durée sont manifestées par
les parties distinctes et permanentes de l'étendue :
aussi sont-elles mesurées très-rigoureusement.
Il en est de même du mouvement ; il est représenté
par l'étendue ; mais il ne peut être mesuré que par
lui-même , comme toute autre chose. L'étendue par-
courue manifeste le mouvement opéré ; mais pour
mesurer l'énergie de c^ mouvement, ce qu'on appelle-
DE L'mÉOLOGIE. 4«9
sa vitesse, on a recours à la durée ; c'est-à-dire qu'on
le compare au mouvement qui constate toutes les du-
rées , à celui d'un point de l'équateur dans la révo-
lution diurne. C'est-là l'unité de mouvement à laquelle
on les rapporte tous.
Le mouvement comme la durée est donc , ainsi que
toutes les quantités possibles , mesuré par une unité
de son espèce ; mais il est comme elle évalué en par-
ties d'étendue, ce qui fait qu'il est susceptible de
mesures très-précises et très-certaines.
Les effets de plusieurs autres propriétés des corps
sont de même, par divers moyens, rapportés à des
mesures d'étendue, ce qui rend possible de les appré-
cier exactement -, d'autres n'en sont pas susceptibles ,
ce qui réduit à ne les évaluer que par approximation.
En général , remarquez que de toutes les espèces de
quantités , Yétendue est la seule dont les divisions
soient faciles , précises et permanentes , ce qui la rend
la plus éminemment mesurable. De là vient que, seule
entre toutes les autres, elle a la possibilité d'être re-
présentée fidèlement sur une échelle plus petite que
nature. C'est l'objet de l'art du dessin.
De là vient aussi la facilité que l'on a en géomé-
trie d'arriver à la vérité et à la certitude. Les autres
sciences participent plus ou moins à cet avantage , à
proportion que les objets dont elles ti'aitent sont plus
ou moins réductibles en mesures de l'étendue.
Observez encore que la possibilité d'employer le
calcul dans ces sciences, suit exactement la menti
proportion. Les distances entre les nombres étant dé-
terminées avec une précision rigoureuse, on ne peut
les appliquer qu'à des quantités dont les divisions sont
4lO EXTRAIT RAISONNÉ
très-précises aussi. Pour celles qui ne sont suscep-
tibles que d'évaluations approximatives, on ne peut
employer que les mots plus, moins, peu, beaucoup,
et autres adverbes de quantité.
C'est donc à la nature des objets qui varient et non
à celle des opérations intellectuelles , qui sont tou-
jours les mêmes, que les diverses sciences doivent
leurs différens degrés de clarté et de certitude.
Il n'y avait que l'étude approfondie de nos facultés
intellectuelles qui pût nous faire découvrir cette vérité.
CHAPITRE XI.
Réflexions sur ce qui précède , et sur la manière dont
Condillac a analysé la Pensée.
Voilà donc qu'au moyen des quatre facultés élé-
mentaires que nous avons reconnues dans la faculté
de penser, nous avons démêlé nettement,
Comment nous connaissons notre existence,
Comment se forment toutes nos idées composées ,
Comment nous sommes assurés de l'existence des
êtres qui les causent,
Comment nous découvrons les propriétés de ces
êtres ,
Comment nous mesurons leurs effets ,
Et pourquoi les uns sont plus difficiles à apprécier-
et à calculer que les autres.
Nous sommes donc en droit d'assurer que nous
avons bien analysé la pensée et que nous l'avons dé-
composée dans ses véritables élémens. Cependant
montrons encore, par quelques exemples, que certaines
facultés qu'y ont reconnu d'autres analystes, ou ne
DE l'idéologie. 4ll
sont point des facultés , ou sont composées de celles
que nous avons regardées comme élémens primitifs.
U attention , par exemple , c'est l'état de l'homme
qui veut sentir, juger ou agir; c'est un effet de la vo-
lonté ; mais ce n'est point une faculté ni une percep-
tion particulière.
Il en est de même de la comparaison. Comparer
deux idées , c'est les sentir toutes deux ou sentir leur
rapport ; c'est sentir ou juger.
La réflexion, c'est l'état de l'homme qui se sert
de sa sensibilité et de sa mémoire pour arriver à porter
un jugement.
Le raisonnement , c'est la répétition de l'action
de juger.
U imagination , dans le sens d'invention , c'est l'em-
ploi de toutes nos facultés intellectuelles pour former
de nouvelles combinaisons.
L 'imagination, dans le sens de mémoire vive qui
prend ses souvenirs pour des impressions actuelles et
réelles , c'est la mémoire unie à un jugement erroné.
La réminiscence , que l'on fait consister à avoir
des souvenirs et à sentir que ce sont des souvenirs ,
c'est encore la mémoire unie à un jugement, mais à
un jugement vrai.
Enfin , toutes les passions sont de pures affections ,
de simples sensations internes , ou ces sensations unies
à un désir, et quelquefois à un jugement.
Sans multiplier davantage ces citations , concluons
de nouveau que penser n'est rien que sentir, et se ré-
duit à sentir des sensations proprement dites, des
souvenirs , des rapports et des désirs.-
Mais si c'est-là une vérité _, comme j'ose le croire ,
4l2 EXTRAIT RAISONNÉ
comment se fait-il qu'elle ait été méconnue jusqu'à
présent et qu'elle ait été difficile à observer? C'est-là
ce qu'il s'agit de trouver.
CHAPITRE XII.
De la Faculté de nous mouvoir , et de ses rapports
avec la Faculté de sentir.
Ici commence un nouvel ordre de choses. Jusqu'à
présent nous avons examiné la pensée en elle-même,
séparée des autres propriétés de nos individus , et
pour ainsi dire abstraitement. Maintenant il faut la
considérer dans ses relations avec notre organisation,
et sur-tout comme unie à la faculté de nous mouvoir.
C'est par le moyen de nos nerfs que nous sentons ,
c'est par celui de nos muscles que nous nous mouvons.
Comment s'opèrent ces deux effets? Nous l'ignorons.
INous savons bien qu'il ne se produit en nous aucune
force nouvelle, c'est-à-dire que quand nous faisons
un effort quelconque , nous n'agissons contre l'obs-
tacle que comme poids , ou comme ressort, ou comme
levier , à la manière des êtres inanimés ; mais il n'en
est pas moins vrai que , tant que nous vivons , nos
muscles sont capables de soulever des poids dont une
portion suffirait à les faire rompre dans l'état de
mort, et que notre corps assimile à sa substance les
corps avec lesquels il est en contact, tandis qu'après
la mort ce sont tous les élémens qui le composent,
qui se dissolvent et se séparent, et vont former de
nouveaux mixtes avec les corps environnans.
C'est donc quelque chose que la force vitale. Nous
pouvons nous la représenter comme le résultat d'at-
tractions et de combinaisons chimiques qui , pendant
DE L' IDÉOLOGIE. 4l5
un temps, donnent naissance à un ordre de faits par-
ticuliers , et bientôt, par des circonstances inconnues,
rentrent sous l'empire de lois plus générales, qui sont
celles de la matière inorganisée. Tant qu'elle subsiste,
nous vivons , c'est-à-dire que nous nous mouvons et
que nous sentons.
Il s'opère beaucoup de mouvemens en nous sans
que nous en ayon3 la conscience, sans qu'ils nous
causent la moindre perception ; mais nous ne pouvons
avoir aucune perception sans qu'il s'exécute quelques
mouvemens dans nos organes. Ainsi, l'action de sen-
tir est un effet particulier de l'action de nous mouvoir.
Nous en devons conclure que, quoique nous ne
puissions pas déterminer la différence de chacun de
nos mouvemens nervoux , quoique nous ne puissions
en voir aucun, cependant toutes les fois que le même
nerf nous procure une sensation différente , il faut
qu'il ait éprouvé un ébranlement différent, et qu'il
se passe en lui et dans l'organe cérébral un mouve-
ment particulier ; et aussi que chacun de nos nerfs a
une manière d'être mu et d'agir sur le cerveau qui lui
est propre, puisque toutes les impressions produites
diffèrent entr elles plus ou moins. On voit quelle
quantité prodigieuse de mouvemens divers s'opèrent
en nous, sans compter même tous ceux, très-nom-
breux aussi, qui ne sont la source d'aucune perception.
CHAPITRE XIII.
De F influence de notre Faculté de vouloir sur celle
de nous mouvoir et sur chacune de celles qui com-
posent la Faculté de penser.
Tous ces mouvemens sont soumis à notre volonté
à des degrés différent , c'e;t-à-dire sont plus ou moia*
4l4 EXTRAIT RAISONNE
dépendans de ceux qui produisent en nous la percep-
tion d'un désir.
Ceux qui ne sont la source d'aucune perception ,
qui sont absolument inaperçus , sont par cela même
totalement indépendans de notre volonté, c'est-à-dire
de notre désir de les effectuer.
Ceux dont il résulte des sensations internes ou ex-
ternes , nous ne pouvons pas faire qu'ils existent en
nous indépendamment de leurs causes , ni que l'im-
pression que nous font ces causes soit autre qu'elle
n'est ; seulement nous pouvons faire des actions qui
nous mettent dans le cas d'éprouver ou d'éviter cette
impression, et qui la fortifient ou l'atténuent.
Il en est de même de ceux dont résultent des sou-
venirs, à la différence près que souvent, par l'effet de
notre désir, les souvenirs nous viennent.
Ceux dont résultent des jugemens sont dans le
même cas. Un jugement naît nécessairement des
impressions qui en sont l'objet; mais ces impressions,
il est jusqu'à un certain point des moyens de les
éprouver ou de les éviter à volonté.
Quant aux mouvemens dont l'effet est le déplace-
ment de quelques-uns de nos membres, ils sont sou-
vent dépendans de nos désirs, quoique les moyens
par lesquels ils s'opèrent nous soient inconnus.
Enfin, les mouvemens internes dont résultent nos
désirs, ne sont pas soumis à nos désirs eux-mêmes-
Ceux-ci ne peuvent ni faire ni empêcher que ces
mouvemens naissent, ni changer leur effet; mais
comme ils sont le produit d'impressions antérieures
sur lesquelles notre volonté a l'espèce d'action que
nous venons d'observer, il s'ensuit que des désirs pré-
de l'idéologie. 4l5
cédens influent médiatement sur des désirs subsé-
quens. C'est pour cela que nous avons raison d'atta-
cher à la volonté de nos semblables l'importance que
nous lui accordons, et d'employer les moyens dont
nous nous servons pour agir sur elle.
CHAPITRE XIV.
Des effets que produit en nous la fréquente répétition
des mêmes actes.
Une propriété générale et commune à tous ces
mouvemens, c'est qu'indépendamment de l'effet mo-
mentané qu'ils produisent, ils laissent dans nos organes
une disposition, une manière d'être permanente, en
un mot , ce qu'on appelle une habitude.
Cette habitude est telle, que plus les mouvemens
sont répétés, plus ils deviennent faciles et rapides, et
que plus ils sont faciles et rapides, moins ils sont
perceptibles , c'est-à-dire plus la perception qu'ils
nous causent diminue, jusqu'au point même de s'anéan-
tir, quoique le mouvement ait toujours lieu.
L'observation de ce seul phénomène suffit pour
rendre raison de tous les effets qui naissent en nous
de la fréquente répétition des mêmes actes , quoique
ces effets soient très-variés et semblent même quel-
quefois contraires les uns aux autres.
Elle nous fait voir la cause de plusieurs faits qui,
sans elle, paraissent absolument incompréhensibles.
Elle nous explique même pourquoi un homme
dominé par un désir devenu habituel, agit pour le
satisfaire contre les lumières les plus évidentes de sa
raison. C'est que pendant qu'il porte avec réilexion
quelques jugemens sensés qu'il perçoit nettement,,
4l6 EXTRAIT RAISONNÉ
précisément parce qu'il les porte avec peine , il en
porte en même temps un grand nombre d'autres dont
il ne s'aperçoit presque pas , justement parce qu'ils lui
sont extrêmement familiers , et qui , par cette raison-là
même , en excitent une foule d'autres , et l'entraînent
en sens contraire.
Il y a en lui simultanéité et conflit de jugemens,
les uns aperçus , les autres inaperçus , et ce sont tou-
jours les plus habituels qui l'emportent, parce qu'ils
réveillent un bien plus grand nombre d'impressions
adjacentes. Il est vrai que pour goûter cette explica-
tion, il faut consentir à admettre qu'il se passe en nous
en un instant un nombre prodigieux de mouvemens ,
et qu'il s'y exécute presque simultanément une quan-
tité incroyable d'opérations intellectuelles dont nous
n'avons pas même la conscience ; mais mille faits
prouvent qu'il en est ainsi. Par exemple, n'est-il pas
évident qu'il s'opère en un clin-d'œil une multitude
innombrable de mouvemens et de combinaisons ina-
perçues dans l'homme qui lit rapidement un livre
qu'il comprend , et plus encore dans celui qui écrit
ses idées à course de plume? Et d'ailleurs y a-t-il
quelque chose de révoltant à supposer, quand tout
porte à le croire, que le fluide nerveux égale ou sur-
passe le fluide lumineux en subtilité et en vitesse?
Cette manière de voir nous conduit à comprendre
comment se produisent les déterminations instinctives
en général , et nommément celles de certains ani-
maux qui, dès les premiers instans de leur existence ,
font des actions qui paraissent exiger un grand nombre
de combinaisons , et même quelques connaissances
acquises . Pour s'en rendre compte , il suffit de con-
cevoir
DE L'iDEOLOGlE. 4l7
ceyoir que dans ces espèces une foule de combinai-
sons se font dès le premier moment avec la même
incroyable rapidité qu'elles n'acquièrent en nous que
par l'exercice.
Quoi qu'il en soit, il est avéré que, par leur fré-
quente répétition, nos mouveme:;; >t nos opérations
intellectuelles deviennent plus rapides, plus faciles
et moins sensibles , jusqu'à un degré vraiment pro-
digieux.
CHAPITRE XV.
Du perfectionnement graduel de nos Facultés
intellectuelles .
Cette capacité de nos organes de recevoir une dis-
position permanente à l'occasion d'une impression
passagère, est la source de tous nos progrès et de
toutes nos erreurs.
Elle est la cause de tous nos progrès, car sans elle
nous n'aurions absolument aucuns souvenirs.
En effet, on sent bien que si nos perceptions, lors
de leur disparition, nous laissaient absolument comme
nous étions avant de les avoir éprouvées , il nous serait
impossible de nous les rappeler. Or, sans souvenirs,
tout progrès ultérieur serait impossible..
Cependant ces progrès seraient encore bien faibles
sans l'accroissement de facilité qui a lieu dans nos
fonctions. Quand on songe combien toute opération
nouvelle est pour nous pénible et lente, on reconnaît
bien vite que l'homme brut et l'esprit cultivé diffèrent
encore bien plus par l'aptitude à faire des combinais-
sons que par le nombre de leurs connaissances.
Mais cette disposition qui demeure dans no#
4l8 EXTRAIT RAISONNE
organes est aussi la cause de nos erreurs, i° parce que
beaucoup d'opérations intellectuelles s'exécutent à
notre insu , et nous avons vu ce qui en arrive ; 2° parce
que devenant vraiment innombrables, il est difficile
qu'elles ne se causent pas réciproquement des pertur-
bations et qu'il ne s'établisse pas entr'elles des liai-
sons vicieuses. Aussi la démence absolue est-elle plus
fréquente dans les esprits très-exercés et très-actifs.
De tout cela il résulte que quand l'homme naîtrait
avec l'entier développement de ses organes , il n'en
serait pas moins réduit d'abord à un degré bien borné
d'intelligence et de capacité.
Jusqu'à quel point l'individu isolé et livré à lui-
même se perfectionnera-t-il par ses propres forces?
c'est ce qu'il est impossible de déterminer avec préci-
sion •, mais si l'on pense à la prodigieuse différence qu'il
y a entre inventer et apprendre , on peut prononcer
qu'il n'égalerait jamais le sauvage le plus brut, car
celui-là même a déjà beaucoup reçu de ses semblables.
Ceci nous amène naturellement à l'examen de
l'usage des signes. Nous y trouverons de nouvelles
causes de progrès et d'erreurs.
En attendant, concluons que le premier état de la
race humaine, même en la supposant dès l'origine
organisée comme aujourd'hui , a dû être la stupidité
et l'engourdissement , et que ses premiers progrès
n'ont pu être qu'excessivement lents.
CHAPITRE XVI.
Des Signes de nos Idées et de leur effet principal.
La plus précieuse des inventions des hommes , est
cdte d'exprimer leurs idées d'une manière incom-
de l'idéologie. 4ig
parablement plus parfaite qu'aucune autre espèce
d'animaux.
Non-seulement depuis bien long-temps on parle ,
niais encore depuis bien long-temps aussi on a parlé
quelquefois avec une perfection admirable. Cepen-
dant l'origine et les propriétés de3 signes de nos pen-
sées ne sont que très-nouvellement et très-imparfaite-
ment connues. Cela prouve bien qu'un art peut être
porté à un très-haut degré, quoique sa théorie soit
encore ignorée. C'est dans tous les genres que l'homme
est obligé d'agir provisoirement avant de connaître
toutes les causes et tous les moyens, et qu'il agit
souvent très -bien avant de démêler complètement
pourquoi.
C'est ce qui fait que dès long-temps il a maintes
fois raisonné parfaitement, quoique l'Idéologie soit
encore une science nouvelle et naissante. 11 ne s'en-
suit pas qu'elle soit inutile; elle peut conduire àfairs
durement et toujours ce qu'on n'a fait que par hasard
et rarement.
Les signes de nos idées sont de diverses espèces ;
nous en avons qui s'adressent à la vue et au tact ;
nous pourrions en avoir qui affectassent l'odorat et le
goût. Mais les plus généralement usités , parce qu'ils
sont les plus commodes et les plus susceptibles de
perfection, sont ceux qui partent de l'organe vocal et
s'adressent à l'organe de l'ouïe.
Tout système de signes peignant directement les
idées, est une vraie langue ou langage.
Les écritures hiéroglyphiques, symboliques, arith-
métiques , algébriques , sont de vraies langues ; elles
représentent immédiatement les idées.
Dd 2
4iO EXTRAIT RAISONNÉ
Les écritures alphabétiques et syllabiques ne sont
point des langues ; elles ne représentent point immé-
diatement les idées; elles représentent les sons d'une
langue parlée ; elles rendent visuels des signes orals ,
-et rien de plus.
Lire celles-ci, ce n'est que les prononcer; lire les
premières , c'est les traduire.
Un alphabet unique, une orthographe unique, une
langue parlée unique, seraient suflisans et plus com-
modes ; mais eussions-nous une langue parlée uni-
verselle, les langues arithmétique et algébrique au>
raient encore des avantages particuliers qui devraient
les faire conserver, ainsi que les plans et les figures de
géométrie , parce qu'elles n'ont plus ces avantagea
quand elles sont traduites dans une autre langue
quelconque.
Tous nos systèmes de signes, tous nos langages,
sont presqu'entièrement de convention , pour peu
qu'ils soient perfectionnés; mais ils ont tous pour base
commune les actions que nous font faire nécessaire-
ment nos pensées, et qui, par cela même, les manir
festent et en sont les signes naturels.
Le langage d'action est donc le langage originaire ;
il est composé de gestes, de cris, d'attouchemens ; il
s'adresse à la vue , à l'ouïe , au tact.
Dans nos langages perfectionnés, nous employons
toujours plus ou moins ces trois moyens, quoique celui
qui s'adresse à l'ouïe soit prédominant de beaucoup ,
excepté dans les momens où la violence de la passion
nous donne le besoin de produire un effet subit , etnous,
ôte la capacité de faire des combinaisons réfléchies..
Mais l'elfet de tous ces signes n'est pas seulement
DE L'IDÉOLOGIE. 421
de communiquer nos idées. Leur propriété la plus
importante est de nous aider à combiner nos idées
élémentaires , à en former des idées composées et à
fixer ces composés dans notre mémoire.
Nous avons vu que nous n'avons plus dans nos têtes
que des idées abstraites et généralisées, et qu'elles
n'ont pas d'autre soutien dans notre esprit que le signe
qui les représente.
C'est-là un fait dont on peut donner mille preuves',
et entr' autres celle-ci : c'est que sans noms de nombres
nous pourrions à peine avoir nettement l'idée de six.
Or, que l'on songe qu'il n'y a presqu'aucune de nos
idées qui ne soit plus composée que celle de six, et
l'on verra où nous en serions sans les signes, et où
nous en étions avant de les avoir un peu perfectionnés.
La cause de cet effet des signes me paraît être que
nos perceptions purement intellectuelles sont très-
légères , et par là même très-fugitives , parce que les
mouvemens internes par lesquels elles s'opèrent ébran-
lent très-peu le système nerveux; or, le signe en s'y
joignant, les fait participer à l'énergie de la sensation
dont il est la cause. Il constate et fixe le résultat d'opé-
rations intellectuelles dont le sentiment disparaît. Il
devient une formule que nous nous rappelons facile-
ment, parce qu'elle est sensible, et que nous employons
dans des combinaisons ultérieures , quoique nous
ayons oublié le mode de sa formation.
• Ainsi, nous sommes aussi réellement conduits par
les mots dans nos raisonnemens que l'algébriste par se*
formules dans ses calculs. Si le résultat n'est pas corn
plètement le même dans les deux cas , la différence
tient à, la nature des ï<îée$; mais le mécanisme estpareil,
422 EXTRAIT RAISONNÉ
CHAPITRE XVII. •
Continuation du précédent. Des autres effets
des Signes.
Il suit de ce qui précède, non pas que nous ne pou-
vons pas avoir d'idées sans signes, car il est bien évi-
dent que l'idée doit précéder le signe institué pour la
représenter; mais qu'à mesure que nous faisons de nou-
velles combinaisons de nos idées, le nombre de nos
signes augmente, et que plus ils expriment de nuances
délicates, plus nos analyses deviennent fines etparfaites.
Les signes ont aussi la propriété d'accroître beau-
coup les effets bons et mauvais qui résultent en nous
de la fréquente répétition des mêmes opérations in-
tellectuelles.
Tels sont leurs avantages et leurs inconvéniens prin-
cipaux comme moyens de former nos idées.
Comme moyens de communiquer ces idées , ils ont
beaucoup d'autres effets que je ne rappellerai ici que
sommairement.
Il est manifeste que nous leur devons toutes nos re-
lations sociales et la possibilité de jouir de toutes les
connaissances acquises par nos semblables ; mais il ne
l'est pas moins que ces connaissances nous arrivent
souvent bien indigestes et bien désordonnées.
Il est encore certain qu'apprenant le plus souvent
les signes avant de connaître par nous-mêmes les élé-
mens des idées qu'ils représentent, nous composons,
d'abord ces idées d'une manière incomplète ou fausse ;
que, dans un autre temps, nous perdons souvent de
vue quelques»uns des élémens que nous y avons fait
entrer avec raison t et qu'enfin nous ne sommes jamais
DE L'IDÉOLOGIE. 423
complètement sûrs que ceux à qui nous parlons com-
prennent absolument les mêmes combinaisons que
nous sous les mêmes signes ; ensorte qu'en nous en
servant, souvent nous nous abusons nous-mêmes et
nous n'entendons pas les autres.
De là naît en grande partie la rectification graduelle
que nous remarquons dans nos idées pendant le pre-
mier âge, le changement de notre manière d'envisager
les mêmes objets dans les différentes époques de notre
vie , et la différence des opinions des hommes sur les
idées exprimées par certains mots.
Quant aux avantages et aux inconvéniens particu-
liers aux signes vocaux et aux moyens de les amélio-
rer, je ne m'y arrêterai pas. Cette explication sera
mieux placée quand nous traiterons de la Grammaire
et de la Logique, qui ne sont presque qu'une seule et
même chose, puisque c'est toujours des mots que
nous combinons quand nous raisonnons.
Ici je n'ai dû parler des signes qu'eu égard à leur
influence générale sur la formation de nos idées, le
développement de nos facultés et l'accroissement de
nos connaissances. Sans cet examen, notre but n'au-
rait été rempli qu'imparfaitement , au lieu qu'au
moyen de ces considérations , je crois que nous avoi:s
fait une histoire assez complète de la pensée.
En effet , nous avons vu en quoi consiste la faculté
de penser;
Quelles sont les facultés élémentaires qui la com-
posent ;
Comment elles forment toutes nos idées composées;
Comment ellps nous font connaître notre existence,
424 EXTRAIT RAISONNE, etc.
celle des autres êtres, leurs propriétés et la manière
de les évaluer ;
Comment ces facultés intellectuelles se lient aux
autres facultés résultantes de notre organisation ;
Comment les unes et les autres dépendent de notre
faculté de vouloir;
Comment toutes sont modifiées par la fréquente,
répétition de leurs actes ;
Comment elles se perfectionnent dans l'individu et
dans l'espèce •
Et enfin quels secours leur fournit et quels chan-
gemens y apporte l'usage des signes.
C'est bien là, je crois, ce qui constitue l'Idéologie.
Seulement je regrette de ne l'avoir pas liée, plus inti^
mement à la Physiologie ; mais c'aurait été sortir éga-
lement des bornes de mon plan et de celles de me3
connaissances. J'attends tout à cet égard de nos savans
physiologistes philosophes , et sur-tout de M. Cabanis,
dont les travaux précieux jettent un jour tout nouveau
sur ces matières. Pour moi, je me contente qu'aucune
de mes explications ne soit en contradiction avec les
lumières positives que fournit l'observation scrupu-
leuse de nos organes et de leurs fonctions. C'est une
justice que j'espère que l'on me rendra.
Fin de la Table analytique.
EXTRAIT DU CATALOGUE
î>e fev^oubs
OUI SE TROUVENT A ZA LIBRAIRIE MATHÉMATIQUE
ET DE L'INDUSTRIE
iîe BACHELIER, successeur de M»». Ve. COURCIER,
Quai des Augustuis , n°. 55, à Paris.
NOVEMBRE 1826.
ALLIX, Lieutenant-Ge'r.éral. THEORIE DE
L'UNIVERS , ou du la cause primitive du
Mouvement et de sck principaux, effets, 2e.
édi*., i vol. iu-8. , 1818. 5 fr,
ANALYSE DE LA LUMIÈRE déduite des
lois de la mécanique , 1 i'ort. vol. iu-8. avec
plaaehes , 1826. 9 fr.
ANNALES DE L'INDUSTRIE NATIONALE
ET ETRANGERE, ou Mercure technolo
pique, etc , 2^ vol jusqu'en l825. 180 fr.
le prix de Pnbonnement., pour l'année, est
de 3o fr. pour Paris et 36 fr. pour tes dépar-
tement, et q2 fr. pour L'étranger} il paraît
un numéro cliaf/ite mois.
ANNUAIRE présente au Roi par le BUREAU
DES LONGITUDES de Fiance .pour l'an
1826, in-18. (Cet ouvrage paraît tous les
ans. ) 1 fr.
ARAGO f.t BTOT. RECUEIL D'OBSER-
VATIONS. ( Voyez BiOT. ) 21 IV.
ARITHMETIQUE (L')des campagnes, à l'u-
sage des Ecoles primaires, etc., ouvrage
adopté par l'Université, in-12. 1 IV.
BABLOT. CALCUL Dl-S PIEDS DE FER,
suivant leur épaisseur et largeur, réduit an
poids. Nonv, édit. augm. du tarif du poids
du FliRnoNI», à 1 usage des serruriers, ar-
chitectes - (diseurs , qui s. ml souve.it chargés
de faire des devis et marches cooç< rnanl
la serrurerie, à la suite duquel cm trouvera
des tarifs à tant la livre et à tant le cent , etc.,
et de plusieurs. tables. I vol. in-12. 1821.
2 fr, 5o c
BABRON. PRÉCIS DES PRATIQUES DE
L'ART N'A VAL EH FRANCE, en Espagne
et en Angleterre, dominant , pour les (rois
marines , le, ternies techniques des comman-
deniens et des vocabulaires en français, es-
pagniii et anglais; des lali!ej> des dimensions
de la mâture, les proportions de grécnicnl ,
etc., pour chaque espèce de vaisseau de
guerre ou de commerce ; les manœuvres par-
ticulières, les e'volutious, la description des
pavillons de toutes les nations, etc., I vol.
111-8. , 1817, 6 fr. 5o c.
BA1LLOT, Maître Teinturier à Paris. NOU-
VEAU MANUEL DU TEINTURIER, ou
Guide pratique des apprentis et des ouvriers
dans l'art de la Teinture, contenant les di-
verses recettes pour faire toutes sortes de
couleurs sur laine, soie, fils et colon , etc.,
suivi de Part du Teinl uriei-Degidisseur par
Le Normand, professeur d* Technologie,
in-t2, 1819. 3 Jr
BAILLY. HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE*
ANC1ENME ET MODERNE, dans laquelle
on a conserve littéralement le texte , en sup-
primant seulement les calculs abstraits , les
noirs livputlieliques, les digressions scienti-
6ques,ctc; par V. C. , 2 vol. in-8. 10 fr.
EARRUEL, ex-Professeur à l'École Polytech-
nique, TABLEAUX DE PHYSIQUE, ou
Introduction à cette science, à l'nsage des
Elèves ciel Ecole Polytechnique; nouv. édit,
entièrement retondue et augmentée, grand
in-^. , cari , 1806. jçj fr
BASTENA1RE- DAUDENART, ancien ma-
nufacturier, ex - propriétaire et directeur
de la manufacture de porcelaine a fritte de
Saint- \mand-lesEau\. L'ART DE L V
VITRIFICATION, ou TRAITÉ El É-
MENTA1RE, I\HÉORlQUK ET PRA-
TIQUE DE LA FABRICATION DU
VERRE; ouvrage dans lequel sont décrits
avec précision les divers procédés qu'on em-
ploie pour se procurer toutes les espèces
de verres el cristaux colores, laut pour
la formation des vases- que pour les vitraux
et les pierres imitant les pierres pré-
cieuses; ainsi que les manipulations relatives
à celte branche importante de l'industrie
française; suivi d'un Vocabulaire des mots
techniques employés dans cet art, et d'uu
Traité de la dorure sur cristal et sur verre.
I vol. in 8°., avec plancli. 182J. 7 fr.
BERL1NGHIERI. EXAMEN DES OPE-
RATIONS ET DES TRAVAUX Dt CE-
SAR AU SIEGE D'.VLEZIA (œuvre pos-
thume). Lucques, 1812, 3 f r 5oc.
BERNOULLI {Jacobi). L'ART DE CON-
JECTURER à la Lolorie, traduit du latin
par Vastel , in-4- 7 fr- 5o c-
BiiRTHOUn. [o. L'ART DE CONDUIRE
ET DE RÉGLER LES PENDULES ET
LES MONTRES, 4e- édit., augmentée d'une
planche , el de la manière de tracer la ligne
méridienne du temps moyen, 181 1, vol.
in-12, avec 5 pi. 2 fr. 00 c.
Dans ce petit Ouvrage, destiné aux per-
sonnes qui n'ont aucune connaissance en Hor-
logerie , on trouve une Notion du mécanisme
d'une pendule et d'une montre ; les causes des
variations des montres ; les règles à suivre pour
gouverner soi même ses montres et ses pen-
dules; des Tables d'équation; la manière de
tracer une méridienne; un cadran de montre
indiquant l'équation du temps , etc.
2°. ESSAIS SUR L'HORLOGERIE, dans
lequel on traiie de cet Art relativement à
l'usage civil, à l'Astronomie el à la Naviga-
tion ,suivi des éclaircissemenssuri'invention,
la théorie, la construction et les épreuves
des nouvelles machines proposées en France
pour la détermination des longitudes en mer
par la mesure du temps , avec 38 planches,
2 vol. in-4- {rare.)
3». HISTOIRES DE LA MESURE DU
TEMPS par les Horloges. Paris, 1802, vol.
in-4., avec 23 pi. gravées. 36 fr.
40. TRAITE DES HORLOGES MARINES,
contenant la théorie, la construction, la
main-d'œuvre de ces machines , el la ma-
nière de les éprouver, suivi des éclaircisse-
nïehs sur l'invention, la théorie, la construc-
tion et les épreuves des nouvelles machines
proposées en Fiance pour la détermination
des longitudes eu mer par la mesure du
temps; un gros volume in-4- , avec 27 plan-
ches, 1773. M fr;
5". ÉCLAIRCISSEMENT sur l'invention, la
théorie, la construction et les épreuves des
nouvelles machines proposées en France
pour la détermination des longitudes en mer
par la mesure du temps, servant de suite à
YEsSai sur l Horlogerie et au Traité des
Horloges marines; etc. , vol. in-4- ^ "•
6°. LES LONGITUDES PAR LA MESURE
DU TEMPS, ou Mélhoue pour déterminer
les longitudes en mer, avec le secours des
horloges marines , suivie du Recueil des
Tables nécessaires au pilote, pour réduire
les observations relatives à la longitude et à
la latitude, 1 vol. in-4- 9 '''•
r». DE LA MESURE DU TEMPS, ou
J Supplément au Traité des horloges marines
et à l'Essai sur l'horlogerie, contenant les
principes dfl constructions, d'exécution et
d'épreuves des petites horloges à longitu-
des portatives, et l'application des mêmes
principes de construction , etc., aux montres
de pu <;he , ainsi qf« plusieurs conslruelioes
d'horloges astronomiques, etc., Onze pi. en
taille douce, I vol. \r-'{. '8 ir.
8". TRAITE DES MONTRES A LONGITU-
DES , contenant la description et tous les
détails de main-d'œuvre de ces machines,
leurs dimensions, la manière de les éprou-
ver, etc., suivi l°. du Mémoire instinctif
sur le travail des montres à longitudes;
2°. de la description de deux Horloges astro-
nomiques: 3°. de l'Essai sur une Méthode
simple de conserver le rapport dis poids et
des mesures, et d établir une mesure univer-
selle et perpétuelle, avec sept planches en
taille-douce.
9°. Suite du Traité des Montres à Longitu-
des, contenant la construction des Montres
verticales portatives, et celle des Horloges
horizontales, pourservir dausles plus longues
traversées, un volume in-4 , avec deux
planches en laille-douce. Prix de ces deux
Ouvrages . réunis en un volume , 24 fr.
10°. Supplément au Traité des Montres à
Longitudes, suivi de la Notice des recher-
ches de l'Auteur, depuis 1762 jusqu'en
1807., 12 fr.
Total de cette Collection; 191 fr. 5o c.
BEZOUT. COURS COMPLET DÉ MATHÉ-
MATIQUES A L'USAGE DE LA MA-
RINE, DE L'ARTILLERIE, et des Elèves
de 1 École Polytechnique , nouvelle édition,
revue et augmentée par M R.e x nt \vt>. Exa-
minateur des Candidats de l'Ecole Polytech-
nique; et M. DEROSSEL, ancien capitaine
de vaisseau, Directeur adjoint du Uépôl gé-
néral des Cartes , Plans et Archives de la
Marine. 6 vol. iu-8. , avec planches.
On verni séparément ,
— ARITHMÉTIQUE avec des nolesfort éten-
dues, et des Tables de Logarithmes jusqu'à
10,000, ele , par ReynaUD, dixième édition,
l823. 3fr.5oc.
Le texte pur se vend séparément, 2 fr.
Les notes.seules , 2 fr. l>0 c.
— GÉOMÉTRIE, avec des Notes fort éten-
dues, par le même, troisième édit., i8?'j-
, f 6 fr.
Le texte pur se vend séparément , l\ Ir.
Les no.les seules, 4 ''■
— ALGÈBRE et Application de cette science
à l'Arithmétique et à la Géométrie, nou-
velle édition, avec des notes, par le mc>,e ;
in-8 , 1822.
Le texte pur se vend séparément ,
Les Noies seules,
— MÉCANIQUE, nouvelle édition,
—"TRAITÉ DE NAVIGATION,
édition, revue el augmentée de Notes, et
d une Section supplémentaire où ! 01 do ine
l'a manière de l'aire les' Calculs des Ohsén 1-
tions avec de Nouvelles Tables qui lesAicili-
ie„l , par M, de Rossel . Mi nihré de ITnsti-
tul el du Bureau des I ungitudes. I vol. i"/8.,
avec 10 pi. , ° ''' ■
BiOT et \RAGO , Membres de 1 académie
des Sciences et dd Bureau des Longitudes
de France RECUEIL D'OBSERVATIONS
GÉ0DÉS1QUES , ASTRONOMIQUES ET
PHYSIQUES, exécutées par ordre du Bu-
6
4
Y.
r.
4
Y.
2 V
>1.
10
Y.
uiit'i
le
3
reau des Longitudes <!e France, rn Espagne,
en Franc», en Angleterre el en Ecosse, puur
déterminer la variation de la pesanteur el
des degrés terrestres, sur le prolongemeni
du méridien de Paris, taisant suite au troi-
sième volume de la Base du système nié
trique, i vol. in-4- «avec fig. , 1821 21 Ir.
BIOT TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE D'ASTRO-
NOMIE PHYSIQUE , destiné à l'enseigne-
ment dans les Collèges, etc. , 3 vol. iu-8 ,
1810.
— PHYSIQUE MECANIQUE, par E. G.
FISCHER, traduite de l'allemand a»ec
des Notes et un Appendice sur les anneaux
colorés, la double refraction et la polarisa-
tion de la lumière, 3e. édition, revue et con-
sidérablement augmentée , 1 vol. in-8. , avec
planches, 1819. 6 fr.
— ESSAI DE GÉOMÉTRIE ANALYTIQUE,
appliquée aux courbes et aux surfaces du
second ordre, in 8., 6e. édition. t82ÏS.
6 fr. 5o c
— TABLES BAROMÉTRIQUES portatives,
donnant les différences de niveau par une
simple soustraction , in-8. I ir. 5o c.
BOISGENETTË. CONSIDÉR LTIQNS SL'R
LA MARINE FRANÇAISE en 1818, et sur
les dépenses de ce déparlement, vol. in-8,
18.8. 3fr.
BOILEAUet AUDV3ERT. BARREME GÉ-
NÉRAL, ou Comptes faits de tout ce qui
concerne les nouveaux poids, mesures et
monnaies de la France , suivi d'un Vocabu-
laire des différens poids, mesures et mon-
naies, tant français qu'étrangers , compares
avec ceux de Paris, I vol. de 489 pages in-8.,
1823. 6' fr.
BOR.DA. TABLES TRIGONOMETRIQUES
DECIMALES, ou Tables des Logarithmes
des sinus, sécantes et tangentes, suivant la
division du quart de cetcle en cent degrés,
et précédées de la Table des Logarithmes
des nombres, eic , calculées par Ch. Borda,
rev. , augmentées et publiées par J-B-J.
Delambre. Paris, an IX, in-4- l5 fr.
BORGNIS, Ingénieur et membre de plu-
sieurs académies. THAITÉ COMPLET DE
MÉCANIQUE APPLIQUÉE AUX ARTS,
contenant l'exposition méthodique des théo-
ries et des expériences les plus utiles pour
diriger le choix, l invention, la construc-
tion el l'emploi de toutes les espèces de
machines; ouvrage divise' en dix Traités
format in-4-, avec 2^p planches, dessinée-,
par Girard, dessinateur à l'Ecole Polytech-
nique', et gravées par Adam, 1818 à i8">3
206 fr.
Chaque Traité se vend séparément , ainsi qu il
suit :
I, De In composition des machines , conte-
nant la classification, la description cl l'exa-
men comparai il des organes mécaniques; vo-
lume dcplu^ de .'j.hi pages, avec tableaux, sy-
noptiques et 43 planches donnant les ligures
de plus de 12O0 organes de! machines, 1818,
25 Ir.
IL Du mouvement des Fardeaux, contenant
la descr^lion et l'examen des machines les
plus convenables pour transporter cl élever
toute espèce de fardeaux ; volume de 3U
Pages et 20 planées e.avees , ,8,8 .-.olr
II J. Desmaclkyus que l'on emploie dans le,
constructions diverses, ou Description des
Machines don) on fait usage dans les quatre
genres d'Architecture, civile, hydraulique
militaire et navale; vol. de 336 pag. avec 26
planches, 1818. l " 2Q fr
l\ l'es Machines hydrauliques, ou Ma-
chines employées pour élever l'eau néces-
saire aux besoins de la vie, aux usages
de I Agriculture, aux épuisemens tempo-
raires el aux épuisemens dans les mines, vo-
lume.n-4 .avec 27 pi. , )8lQ. 2o fr.
V Des Machcnes d'Agriculture. Ce volume
décrit les inslrumens et machines aratoires
les machines employées à récolter les pro-
duits du sol et à leur donner les préparations
premières , les moulins et les mécanismes
qui servent a épurer le blé et à bluter les fa-
rines, et enfin les pressoirs, les cylindres les
pilons el autres machines employées à l'ex-
traction des huiles et du vin, etc.; volume
in-4. avec 28 planches, 1819. 21 fr
VI Des Machines employées dans diverses
fabrications , contenant la description des
machines en usage dans les grosses forées et
dans les ateliers de métallurgie, dans le^s pa-
peteries, dans les lanueries, etc. ■ vol in-4
avec 27 pi. , 1819. 2I 7;'
VIL Des Machines qui servent à confectionner
les étoffes contenant la manière de préparer
les matières filamenteuses, animales et végé-
tales, I examen comparatif des m, .yens mé-
caniques employés dans les filai ures'; la des-
cription de- métiers avec leurs accessoires
pour toutes espèces d'étoffes, depuis les
plus simples jusqu'aux plus figurées; enfin
la manière de donner aux éloffes les der-
niers apprêts avant d'être livrées au com-
merce ; vol. in-4 1 avec 44 pl- , 1820 3o fr.
VIII. Des Machines qui imitent ou facilitent
les fondions vitales des corps animés suivi
d'un appendice sur le machines de théâtres
anciens, el sur les procèdes en usage dans
les théâtres modernes, pour effectuer les
changemens à vue, les vols directs et obli-
ques et autres effets ; vol. in-4., avtc 27 pl
Ï820. 2I fr;
IX. T II É O R I E DE L A .M È C ANIQ 0 E
US5CELLE, ou Introduction a l'étude de la
Mécanique appliquée aux arts , contenant
les principes de Statique, de Dviiainiqin- ,
d'Hydrostatique cl d'Hydrodynamique ap-
plicables aux vit s industriels ; la théorie des
moteurs, des effets utiles des machines, des
organes mécaniques intermédiaire;, el IV-
quilifcredea -upporis, 1 vol. iu-4., 1821.
o fr.
X. DICTIONNAIRE DE MÉCANIQUE W-
PLIQOEE AUX .MiTS, bontebânl là défi-
nition et la description sommaire îles Ajets
bs plus importa»* ou les plus usités qui se
rapportent à celle science, avec I énonce de
leurs propriétés essentielles, suivi d'indi-
cations qui facilitent la recherché des de
tails plus circonstanciés 1 in-4-, lb23 l3 fr.
Sun Excellence le Minisire d: (Intérieur
s'est fait rendre compte de ce ouvrage ; et d'a-
près le rapport favorable du Bureau consul-
l;ilif tlos Arts et Métiers près son ministère,
il a ordonne qu'il en serait acheté un nombre
d'exemplaires aux frais du Gouvernement,
pour e'ire distribués aux écoles d'applica-
tion et de service public.
— TRA.1TÉ ÉLÉMENTAIRE DE CON-
STRUCTION APPLIQUÉE A L'ARCHI-
TECTURE CIVILE, contenant Iqs prin-
cipes qui doivent diriger, l". le choix et la
préparation des matériaux; 2°. la configura-
tion cl les proportions des parties qui con-
stituent les édifices en gênerai; 3°. l'exécu-
tion des plans déjà fixes, suivi de nombreuses
applications puisées dans les plus célèbres
monumens antiques et modernes, etc. ,
in-4- d'environ t>5o pages, -et Allas -de 3o
planches, gravées par Adam, I&23. 36 fr.
BOUCHARLAT, Professeur de Mathémati-
ques transcendantes aux Ecoles militaires,
lail sur les renies 3 pour cent , 4 et demi
pour cent et /» pour cent consolidés, sur les
Canaux ; 2° des notions exactes sur tous les
fi>nds étrangers; 3°. les diverses manières de
spéculer, etc. ; 5e. édition , revue et aug-
mentée, conformément aux affaires actuelles
de la Bourse , in-12 , i82f>. 3 fr. 5o c.
BRIANCHON, Capitaine d'artillerie. APPLI-
CATION DE LA THEORIE DES TRANS-
VERSALES. Cours d'opérations géom. sur
le terrain , etc., 18 1 8 , in-8. 1 fr. 8o c.
— MEMOIRE sur les lignes du second ordre.
H7, 111-C
2fr
Docteur des Sciences, etc. THEORIE DES
COURRES ET DES SUREACES du second
ordre , précédée des principes fondamen-
taux de la Géométrie analytique; seconde
édition in-8. p 6 fr.
— ÉLÉM.F.NS DE CALCUL DIFFÉREN-
TIEL ET DE CALCUL INTEGRAL,
3e édition, revue et augmentée, in-8., avec-
planches, 1826. 6fr.
_ ÉLÉMENS DE MÉCANIQUE, in-8.,
avec planches, l8l5. 6 '''
BONNEFOUX, capitaine de frégate, sous-
gouverneur du Collège royal de Marine
d'Àngoulême, SEANCES NAUTIQUES, ou
Exposé des diverses manœuvres du Vaisseau,
in-8., iBz/i , 'fié. 5fr.
BOURDÉ-DE-V1LLEHUET. LE MANOEU-
VRIER , ou Essai sur la Théorie et la Pra-
tique des mouvi mens du navire et des évo-
lution navales; nouv. édit., augmentée,
1°. d'un Appendice du même auteur, con-
tenant les principes fondamentaux de l'arri-
mage des vaisseaux , suivi d'un mémoire sur
le même sujet, par Groignard , ingénieur-
constructeur; 2". des nouvelles Manœuvres
du canon, à bord des vaisseaux du Roi, et
du Mode d'exercice pour les officiers et les
équipages; I fort vol. in-8. . gr. pap. carré
fin, avec 11 pi. grav. en taille-douce, l8'4
6 fr.
— PRINCIPES FONDAMENTAUX de l'arri-
mage des vais^ea >x. {Extrait du Mana-u-
vrier) . in-8 a/ec 3 planches. 3 fr.
BOURDON , Inspecteur de l'Académie de Pn-
Ws.ÉLÉMENSD'ARlTHMETlQUE, 1 vol.
in-8. ,3°. édil., l825, Ouvrage adopté par
l'Université, , 5 fr.
_ ELÉMENS D'ALGÈBRE. 4e édit. consi
durablement angmentée, 1 fort vol. in-8 ,
l825, Ouvrage adopte par t' Université. 7 fr
— TRAITÉ DE TRIGONOMÉTRIE ET
I) \I'IM. !<;\ÏI0N DE L'ALGÈBRE A LA
GÉOMÉTRIE » ''eux et à trois dimensions,
I fort vol. in-8. avec 1 5 planches, Ouvrage
adopté par l'Université , 182^1, 7 h 60 C
BRESSON. DES FONDS PDBLICS français
et étrangers, et des Opération* de la Bourse
île Puris, ou Recueil contenant, l°. le dc-
BUQUOY. (Comte de) Exposition d'un nou-
veau Principe général de DYNAMIQUE,
dont le principe des Vitesses virtuelles n'est
qu'un cas particulier; lu à l'Institut de
France le 28 août i8i5 , in-4- 2 fr.
BURCKHARDT, Membre de l'Institut et du
Bureau fles Longitudes de France. TABLE
DES DIVISEURS POUR TOUS LES
NOMBRES DU Ie'., 2e. ET 3e. MILLION ,
avec les nombres premiers qui s'y trouvent;
grand in-4- . PaP- vè'in , 1817. 36 fr.
Chaque million se vend .séparément , savoir :
le Ie''. million , l5 fr. , et le 2'. et le 3'. cha-
cun 12 fr. 36 fr.
CAGNOLL TRAITÉ DE TRIGONOME-
TRIE, traduit de l'italien, par M. Chom-
pré, 2e. édition, in-^. , 1808. 18 fr.
CM.LET. Tables de Logarithmes, édition
stéréotype, in 8- , x-* ?r-
CAMUS DE MEZI ERES. Traité sur la.
FORCÉ DES BOIS DE CHARPENTE, ouvrage
essentiel pour ceux qui veulent bâtir, et
qui donne les moyens de procurer plus de
solidité aux édifices , de connaître la bonne
et la mauvaise qualité des Bois, de calculer
leur force , etc. , in-8. 6 fr.
CANARD. Professeur de Mathématique;,
transcendantes au Lycée de Mou fin. TRAITE
ELEMENTAIRE DU C VLCUL DES INE-
QUATIONS, in 8. 1868. 6 fr.
CARNOT, Général, Membre de l'Institut et
de la Lé"ion-d'Honncur, etc. DELA DE-
FENSE DES PLACES FORTES, Ouvrage
composé pour l'instruction des Elèves du
• Corps <hi Génie, troisième édition, revue
et considérablement augmentée , avec I l pi.
supérieurement gravées, 1 vol. in-4- , 1S12.
25 fr.
Le même Ouvrage, deuxième édit. , sans
planch., in-8., i3n. 6 fr.
-, MÉMOIRE SUR LA FORTIFICATION
primitive, pour servir de suite au Traité sur
la défense des Places fortes, iu-4. , fig.j
l8a3. 6fd
— GÉOMÉTRIE DE POSITION, in-4.,
papier vélin, l8o3, _ 18 fr.
Le même Ouvrage, grand pap. vél. 36 fr.
_ MÉMOIRE SUR LA RELATION qui
existe entre les distances respectives de cinq
points quelconques pris dans l'espace; suivi
S'un ESSAI SUR LA THEORIE DES
T R A N S V E R S A L ES , iu-4. , 1 806. 5 f r.
— DE LA CORRÉLATION DES FIGURES
DE GEOMETRIE. ànO, in-jB.^. pap. 3 fil
-RÉFLEXIONS SUR LAMÉTAPIIY31QUE
DU CALCUL INFINITÉSIMAL, [n-8. ,
6e" . nouv. édit. , revue al augmentée, i8i3.
b 3fr.5oc.
CARNOT* PRINCIPES DE L'ÉQUILIBRE
«I du Mouvement , in-8. , 180.I. 5 fr.
GHORON, correspondant de l'Institut, clc.
METHODE ELEMENTAIRE DE COM-
POSITION, où Ips préceptes sont soutenus,
d'un grand nombre d'exemples très-clairs
et fort étendus, et a l'aide de laquelle on
peut apprendre soi-même \ COMPOSER
TOUTE ESPECE DE MUSIQOE, traduite
de l'allentand de Allirccbtsbergci -1 Georg. .
Organiste delà Gourde Vienne, Maître de
Chapelle, etc., el enrichie d'une introduc-
tion et d'un grand nombre de no.'cs, par A,
Choron, 2 vol. in-3. , dont un de Musique
l8l4- «2 fr-
CHRISTIAN. Directeur du Conservatoire
desArf set Métiers. TKAITÉ DE MECANI-
QUE INDUSTRIELLE, ou Exposé delà
science de la Mécanique , déduite do l'expé-
rience et de l'observation, principalement
• à l'usage des manufacturiers et des artistes;
3 vol. in-ij., et Atlas de 60 pli doubles.
n5 lr.
GLAIRAUT. ÉLEMENS D'ALGÈBRE,
fi. <:.!il ., ;i vit c 1rs Noies cl des Arldilions très-
étendues, par M. Garnier; précédés duo
Traité d'Arithmétique par Théveneau , et
une Instruction sur les nouveaux poids cl
mi- urcs, ?. v ul. i 08. , 1 801 , 10 fr
_ THÉORIE DELA FIGURE DE LA
TERRE, tirée des principes de l'Hydrnsta
tique-, in-8 , ilcux. édil . , 1808 10 fr
CI.OQUET ( J. B), ex-Professeur de Dessin
à l'Ecole des Mines el à celle de la Brigade
lopographique ai Dépôt des fortifications
NOUVEAU TRAITE ELEMENTAIRE
DEPERSPECTIVE à l'usage des artistes et
des personnes qui s'occupent du Dessin, pré-
cédé (les premières notions de la Géométrie
élémentaire, de la Géométrie descriptive,
de l'Optique et de la-projecli les ombres.
1 vnl. in-^. , et atlas de 8^ pi. , dont plu-
sieurs coloriées, i.S?,3. 3b fr.
CONDOROET. MOYENS FACILES D'AP-
PRENDRE A COMPTER avec facilité;
deux, i .lit., ill-12. [ fr. 25 c.
• CONNAISSANCE DES TEMPS A L'U-
SAGE DES 1STRONOMESET DES NA-
VIGATEURS, publiée- par le Bureau des
Lbngil iules de France, pour les années 1S27
l82» et 1829.
Prix de chaque armée avec Additions, 6 fr. ,
el sans A (billions q fr.
Oh peut se procurer {à Collection corttj lite,
nudes (mitées xéprtrée» de cet Ouvrage , depuis
17<>i pùqu'n ce jour.
COTTE.TABLE DES M LTIERES contenues
dans les Mémoires de l'Académie, pour les
année, ij8t 4 1790, tome X. i/ï fr.
COULOMB, Membre de l'Institut de France.
THÉORIE DES MACHINES SIM-
PLES , en ayant égard au frottement de
leurs parties et a la raideur des cordages,
nouvelle édtt., à laquelle on a ajouté les Mé-
moires suivant du même auteur; — sur les
frottement de la pointe des pivots ; — Re-
rherrbes théoriques et expérimentales sur li
force de torsion el sur l'élasticité des fils
<le métal; — Résultats de plusieurs expé-
riences destinées à déterminer la quantité
d'action que les hommes peuvent fournir
par leur travail journalier, suivant les diffé-
rentes manières dont il- emploient leurs
I i ; — Observations théoriques et expéri-
mentales sur l'effet des moulina a vent et sur
la ligure de leurs ailes; — sur les murs de
revêtement el l'équilibre des voûtes, etc.
vol. in-q. , avec 10 pi. . 1821. l5fr.
COI LOMB RECHERCHES SLR LES
MO\ ENS d'exécuter sous l'eau toutes sortes
de travaux hydrauliques sans employer aucun
épuisement, in- 8., avec planches , 3" édit.
1 fr 80 e.
COUSIN. Traité du CALCUL DïFFEREN-
CIEL ET INTÉGRAL, 2 vol. in-q, 6pl.
2i fr.
— Traiié êle'm. del'MNAT.YSK MATHÉMA-
TIQUE ou d'ALGEBRE , in-8. . qfr.
DABREU. PRINCIPES MATHEMATI-
QUES de feu Josepli-Anaslase de Cunlia,
professeur à l'université de Coïmbre ( com-
prenant ceux de l'Arithmétique, de ta
Géométrie, de l'Algèbre, de son Applicat. à
la Gêomc'trie. et du Calcul différentiel et
intégral, traites d'une manière entièrement
nouvelle), trad. liller.il. du Portugais, in-
S . 181Ô. , 6 1V,
D'ARCET. LELTEVRE et PELLF/nER.
DESCRIPTION de divers procédés pour
extraire la soude du sel marin, v in-^ avec
II pi., représentant d'une manière Irès-dé-
taille'e les plans et élévations des ateliers de
soudière.*, les fours, fourneaux el instrumens
nécessaires à la-manipulation de la soude. 6 fr.
DA1 BUISSON. MÉMOIRE SUR LES BA-
SALTES DE LA SAXE, accompagné
d'Observations sur l'origine des Basaltes en
général, lu à la Classe des Sciences pli\ siqoes
et mathématiques de l'instilut national , an
II, in-8. 2 '»• 5oc.
DECESSART. DESCRIPTION DES TRA-
VAUX HYDRAULIQUES, 2 vol. in-A., 67
pi. 81 IV.
DELAISTRE. Science des ingénieurs, divisée
en trois livres , où l'on traite des Chemins,
des Ponts, des Canaux et îles Aqueducs, 2
vol. in-£., avec un vol. de planches, l825.
/jo IV.
DEL AMBRE, Secrétaire perpétuel de l'Insti-
tut, membre de la Légion d'Honneur, pro-
fesseur d'astronomie au collège royal dé
France, ele TRAITÉ COMPLET D'AS-
TRONOMIE THEORIQUE ET PRATI-
QUE, 3 vol. in-4-, avec 39 pL, l 'î 1 '( 60 fr.
_'\l„eeé du même Ouvrage, ou LEÇONS
ELEMENTAIRES 1> ASTRONOMIE théo-
rique et pratique données au rollége de
France-, 1 v in*-8*,avec 17 pi., t8i3 12 fr.
— HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE AN-
CIENNE, a vol. in-q. , «« '7 r1- . "8'7-
ici II.
— HISTOIRE DE GASTRONOMIE DU
MO\ EN \CK , 1 vol. in-4-i l8"Ji •'
II I en taille«douce. - ■ '■
-HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE MO-
•,
DERNE, 2 vol. m-4., avec 17 pi., |8ai.
DELAMBRE. HISTOIRE DE L'ASTRONoi
MIE DU XVIII'. SIECLE, i.wj. 1826. 3o fr.
DELAMBRE et LEQENDRE. Méthode ana-
lytique pour la DETERMINATION D'UN
ARCDUMt-RIDlEN. in-4 an 7 q fr.
DELAMETHERIE , professeur au collège de
France, ancien rédacteur ou Journal de
physique, etc. CONSIDÉRATIONS SUR
LES ETRES ORGANISES, 2 vol m-8 12 fr
— DE LA PERFECTIBILITÉ ET DE
LA DEGENERESCENCE DES ETRES
ORGANISES, formant le tome III des
Considérations sur les êtres organisés, I vol.
in-8 6 fr
-DE LA NATUREDES ÊTRES EXLSTANS.
ou Principes de la philosophie naturelle , I
vol. iu-8. g fr
— LEÇONS DE MINÉRALOGIE données
au collège de France, 2 vol. in-8., lSt2.
l4 fr.
DELAU. DECOUVERTE DE L'UNITÉ et
généralité de principe , d'idée et d'exposition
de la science des nombres, sou application
positive el régulière à l'algèbre, à la géomé-
trie, et surioul à la pratique, aux dévelop-
pemens et à l'extension du précieux système
décimal. Calculs Ihéori-pratiques , 180Q. I
vol. io-8. 3 fr
DELUC. TRAITE ELEMENTAIRE DE
GEOLOGIE, i„-8, 1809. 5fr
DEMONFERBAND, Professeur de Mathé-
matiques et de Physiq ie au Collège de Ver-
sailles Manuel d'Electricité dynamique,
ou Traité sur l'action mutuelle des conduc-
teurs électriques et des aimans , et sur la
nouvelle ihéoriedu magnétisme, pour faire
suite à tous les Traitésde Physique élémen-
taire , i-8. , 1823 , avec 5 planches. 4 fr
DEP&ASSE, professeur de mathématiques à
Berlin. TABLES LOGARITHMIQUES pour
les nombres, les sinus et les tangentes, dis-
posées dans un nouvel ordre , corrigées et
précédées d une Introduction, traduites de
l'allemand et accompagnées de notes el d'un
avertissement, par llalmu, t8i4 , in-18.
DE\ELEY, professeur de ma; hémafiques, etc.
APPLICATION DE L'ALGEBRE A LA
GEOMETRIE, iu 4., nouvelle édit. , 182^.
i4 fr.
— ELEMENS DE GEOMETRIE, 1 vol. in-8.
6 iv.
DIONLS-DU-SE.IOUR. TRAITE DES MOU-
YEMi-.NS APPABENS DES CORPS C E-
T. ESTES, 2 vol iu-4. 40 fr.
DOUGI. iS , gtnératsir Howard. TRAITÉ
P'ARTILLERIE NAVALE, contenait un
exposé succinct de la théorie du Pendule
ballislique et des Expériences de Hutlon ,
Jes principes fondamentaux de l'Artillerie ,
appliqués particulièrement à l'Artillerie na-
vale; l'Exercice des Louches à feu à bord
des vaisseaux fiançais; la Composition de la
Poudre; la Théorie du Tir a la mer; les
1 ahles de portées des canons el des caronailes,
el des Observations sur la tactique des com-
bats singuliers ; traduit de l'anglais( avec des
notes) par M. Charpentier , ancien élève
de l'Ecole polytechnique . Capitaine au corps
royal de 1 Artillerie de Marine, Chevalier
de 1 ordre royal de la Legion-d'Houneur ,
I vol. in-8. , avec 5 planches , 1826. 7 fr.
DUBOURGUET , ancien officier de marine ,
professeur de mathématiques au collège
- Louis- le-Graud. TRAITÉS ÉLÉMENTAI-
RES DE CALCUL DIFFÉRENTIEL ET
DE CALCUL INTÉGRAL, indépendans
' de toutes nolions de quantités inGnilesimales
et de limites; ouvrage misa la portéedes
commençans, et où se trouvent plusieurs
nouvelles théories el méthodes fort simpli-
fiées d'intégrations, avec des applications
utiles aux progrès des sciences exacics, 2 v.
in-8. Paris, 1810 e( 1811. iÇ fr.
— TRAITÉ DE LA NAVIGATION, on vr âge
approuvé par l'Institut de France , el mis à
la portée DE TOUS LES NAVIGATEURS,
in-4- , 180H, avec fig. 20 fr.
DUBRUN FA L T , Membre Je la Société d En-
couragement pour l'industi ienotionale , etc.,
Traué complet de l'Art de la Distilla-
tion, contenant, dans un ordre méthodi-
que , les instructions théoriques et pratiques
les plus exactes cl les plus nouvelles sur la
préparation des liqueurs alcoholiques avec
les raisins, les grains, les pommes-de-terre ,
les fécules et tous les végétaux sucres ou fa-
rineux, 2 vol. in-8. , fig., 1824 10 fr. 5o c.
DUBRUNFAÛT. ART DE FABRIQUER LE
SUCRE DE BETTERAVES, contenant:
1°. la description des meilleures méthodes
usitées pour la culture et la conservation de
celte racine; 2° l'expo- ition détaillée des pro-
cédés et appareils uliles pour en extraire le
sucre avec de grands avantages. Suivi d'un
essai d'analyse chimique de la betterave ,
propre à éclairer la théorie des opérations
qui ont pour objet d.'< u séparer la matière
sucrée; 1 vol i:;-8; avec pl., 1825 7 fi. :ÎOc.
DTJCOUEDIC. LA RUCHE PYRAMIDALE,
méthode simple et naturelle pour rendre
perpéiuelles les peuplades d'abeilles, et
obtenir de chaque peuplade , à chaque au-
tomne, la récolle duu panier plein de cire
et de miel, sans mouches, sans couvaius ,
outre plusieurs essaims, avec l'art de réta-
blir et d'utiliser, au retour de l'été, les ruches
des essaims dont les peuplades auraient péri
en automne , dans l'hiver ou au prinlemps,
en faisant éclore les œufs restés dans les
alvéoles; cl l.Art de convertir le miel en
sucre blanc inodore, de ffjre l'hydromel . des
sirops, elc. , ouvrage utile aux bain I ans des
campagnes; deux, edit., considérablement
augmentée, et ornée dune gravure, I vol.
iu-8. i8i3. 3 ir.
DDCREST. VUES NOUVELLrS SUR LES
COURANS D'EAU , la navigation intérieure
el la marine, 1 vol. in-8 , l8o3, 5 Ir.
DU l'I > Ch.), mçmbre de l'Institut. VOYAGES
DANSLA GRANDEBREi ACNE entrepris
relativement aux services publics de la
guerre, de la marine el des ponts et chaus-
sées, en 1816, 1817, 1818, 1819, 1S20 et
1821 , présentant le tableau des institutions
et des établissemens qui se rapporteut à
1
1
I. la Force militaire ;
If. la Force navale;
III. aux Travaux civils des ports de com-
nierrc,des roules, des ponts el des canaux;
rr. Section.
IV. Force productive.
Chaque partie se vend séparément»
Ir". partie. Force militaire, 2 vol. in-4- et
atlas ar-érlit., j825. 25fr.
IIe. partie, Force navale. 2 vol. in-4- et
atlas ■?.'. édit , l825. 25 fr.
IIIe. partie , Force COMMERCIALE, I*e. SEC-
MON, 2e. édit.TRAVATJXClVlLl DES PONTS ET
CHAUSSÉES, 2 vol. in-4., et atlas, 1824 27 fr.
IV". partie. Force commerciale extérieure ,
2°. section . paraît rail ans le courant de 1827.
DUPJN. DISCOURS ET LEÇONS SUR L'IN-
DUSTRIE, le Commerce /la Marine, et sur
les Sciences appliquées aux Arts. avol. in-8 ,
l825. 10 f. 5oc.
— DEVELOPPEMENS DE GEOMETRIE.
I vol.in 4°- 1 8 1 3 . l5 fr
— APPLICATIONS DE GEOMETRIEET
DE MÉCHANIQUE A LA MARINE, aux
Ponts et Chaussées, etc. in-4. < !^22- '•* f>"
_ GEOMETRIE ET MECANIQUE DES
ARTS ET DESBI AUX-ARTS, Cours nor-
mal à l'usage des ouvriers el des artistes, des
sous-chefs el des chefs d'ateliers el de manu-
factures , professé au Conservatoire royal des
A+ts et Métiers par l'auteur : 3 vol. ii:-8
18 fr, el 24 IV liane de port.
i<* volume. GÉOMÉTRIE , ou des Formes
nécessaires à 1 Industrie. , 6 ir
2"'' volume. MACHINES ÉLÉMENTAI-
RES nécessaires à l'Industrie. 6 fr.
3"1'. volume. FORCES MOTJUCESnéces-
saires à'I'Industrie. 6 fr.
—ESSAI HJSTORIQUEsur les services et les
travaux scientifiques de G. Monge , etc.,
in-8, 1819. 4 ,r- 5#c-
— le même, \n-!\ avec portrait parfaitement
ressemblant. ( 7 fr. 5o c.
— ESSAIS SUR DEMOSTÏIENES et sur son
éloquence, contenant une traduction des
Harangues pour Olyntl.e, avec le leste en
regard ; des considérations sur les beautés
dis pensées el du style de l'Orateur aï hé—
nien . in-8., l8l4- 4 ^T%
— LETTRE A MTLADY MORGAN, sur
Shakespeare , in-8. . i8;8. 2 fr 5o c
— SYSTEME de l'administration britannique
en 1842. considérée sous les rapports des
finances , de l'industrie , du commerce et de
la navigation, d'après un exposé ministériel,
in-8. , 1822. 3 fr.
— OBSERVATIONS sur la puissance de l'An-
gleterre et sur celle de la Russie au sujet du
parallèle établi par M. De Pradt entre ces
puissances, deuxième édition, in-8., 1824 ,
I fr. 5o c.
DUPUIS. MÉMOIRE EXPLICATIF DU ZO-
DIAQUE chronologique et mythologique,
ouvrage contenant le tableau comparatif des
maisons de la lune chez les dillereiis peuples
de l'Orient , el eeliii de, j. 1 11 s anciennes ob-
servations qui s'y lient, d'api es les Egyptiens,
les Chinois, les Perses, les Arabes, les
Ghaldéens et les Calendriers grecs, in-4-i
i8o(>. 6 fr.
DUVERNE , voyes TR rnOOI.D.
ÉCOLE DE LA MIMATURE, ou l'Art
d'apprendre à peindre sans maître, nouvelle
édition revue , corrigée et augmentée. 1 vol.
in-12, fig. 1816. , 3 fr.
* ÉPURES A L'USAGE DE L'ÉCOLE
BOYÀIE POLYTECHNIQUE, contenant
102 planches gravées in-fuL, (sans texte),
sur la géométrie descriptive, la charpente ,
la coupe des pierres, la perspective et les
ombres Prix en feuilles, 2r-\ fr.
EUCLIDE. OEUVRES EN GREC, LATIN
ET FRANÇAIS , d'après un manuscrit très-
ancien, qui était resté inconnu jusqu'à nos
jours; p*r Pcyrard, traducteur des OEuvreS
d'Arcbimède , ouvrage approuvé par l'Aca-
démie dessciences, 3 vol. iu-4- , 1 81 4 » '817
et 1818. 9° fr.
Les mêmes , papier vélin. 120 fr.
Les mêmes, tirées sur papier grand-raisin fin,
120 fr.
Les mêmes , sur papier grand-raisin vélin.
180 fr.
Il ne reste plus que quelques exemplaires de
ces trois derniers papiers.
EULER. ÉLEMENS D'ALGEBRE, nouvelle
édit , 1807, 2 vol in-8. 12 fr.
La première partie conlient l'analyse déter-
minée , revue et augmentée de notes par
M. Garnier, La deuxième partie contient l'a-
nalyse indéterminée, revue et augmentée de
notes par M. Lagrange, sénateur, membre de
l'Institut, etc.
— LETTRES à une Princesse d'Alle-
magne, sur divers sujets de PHYSIQUE
ET DE PHILOSOPHIE. Nouv. (dit., con-
forme à l'édition originale de Saint-Péters-
bourg, revue et augmentée de I'Eloge
d'Eulf.r par CoOflorcet, et de diverses
Nu les par M. Labey, docteur ès-Scieuces de
l'Université, Instituteur à l'Ecole Polytech-
nique , etc. , 2 forts vol. in-8. de 1 180 pag. ,
imprimés eu caractère neufdit Cicéro eros-
cett, et sur papier carré fin avec le portrait
de l'auteur , 1812, broch. l5 fr.
EVANS 1 Oliver ). MANUEL DE L'INGE-
NIEUR MÉCANICIEN, Constructeur de
machines à vapeur, traduit de l'anglais par
Doolitlle , in-8. , avec 7 pi. , 2'. édit , l825.
5 fr.
EXERCICES et Manoeuvres du canon à bord
des vaisseaux du Roi, et Règlement sur le
mode d'exercice des officiers et des équipa-
ges; nouvelle édition, augmentée de Nou-
vi lhs Manœuvres des deux bords , et de
plusieurs Tables de Poinla^e, extraites de
Churucca, par un officier de marine , AN il-
laumez); I vol. in-8., l8l5, 2 fr.
FAVIÉR, Ingénieur en elirf des Ponts el
Chaussées. EXAMEN DES CONDITIONS
DU MODED'ADJl DICATION DES! B ï-
VAUX PUBLICS, suivi déconsidérations
sur l'emploi de ce mode et de celui de régie,
br. in-8., 1824. ' tr-5oc-
FISCHER , Membre honoraire de l'Académie
des Sciences de Berlin, etc PHYSIQUE
MÉCANIQUE, traduite' -le l'allemand, avec
des Noies cl un Appendice sur les anneaux
colora; , la doiiblt réfraction et la polaxistlioa
8
de la lumière, p*r M. BIOT , membre de
d* l'Institut, trois, éctit., revue et considé-
rablement augmentée, I vol. in-8., avec pi.,
181Q. . . , 6 1V.
FORMAIT. TRAITE ELEMENTAIRE DE
LA MATURE DES VAISSEAUX, à l'usage
«les élèves de la Marine; seconde édit-;
augmentée d'un giand nombre de Notes el
de Tables; par M. Villaumez, capitaine de
vaisseau : suivi d'un \ppeu lice contenant un
Mémoire sur le Système de construction d( s
Mâts d'assemblage en usage dans lès Porta
de Hollande, et sur les Modifications que Ton
propose d'y apporter; par M. Rolland , ins-
pecteur-adjoint du Génie maritime; I vol.
in-A- , avec 2.r> pi., l825. 18 fr.
FOUKCROY. TAISLEAUX SYNOPTIQUES
DE CHIMIE, in-f'ol. cari. 9 fr.
FRANCOEUR Professeur de la Faculté des
Sciences de Paris. ex-Examinateur des Can-
didats de l'École Polytechnique , etc.URA-
NOGRAPHIB, ou Traité élémentaire d'As-
tronomie, à l'usage dis personnes peu ver-
sées dans les mathématiques, des Géogra-
phes, des Marins, des Ingénieurs, accompa-
gnée île planisphères, troisième édition,
revue et considérablement augm. , 1 vol.
in-8., 1821", avec planches ,<){>■
— TIU1TE ÉLÉMENTAIRE DE MECA-
NIQUE, cinquième édition , in-8. l825.
5 fr. 5oc.
— ÉLÉMEKS T)E STATIQUE , in-8., 3 fr.
— COURS COMPLET DE MATHEMATI-
QUE PURES, dédié à S. M. Alexandre
1er, Empereur de .toutes les Russies ;
Ouvrage destiné aiu Elèves des Ecoles Nor-
male et Polytechnique, et aux Candidats qui
se disposent à y être admis , 2e. édit. , revue
et considérabl. augiii.,» vol. in-8., avec pi. ,
18.9. i5fr.
FR v. \ , Commissairc-Ordonnateurdes Guerres,
Memhre de la Léginn-d'Hoaneur., etc. ES-
SAI SUP. L'ORIGINE DES CORPS OR-
GANISÉS ET INORGANISES, ei sur
quelques phénomènes de Physiologie animale
et végétale, 1 Vol in-8 , 1S17. , 5 fr.
GARNIER. TR \1TÉ D'ARITHMETIQUE ,
à l'usage des Elèves de tout âge, 2e. édit.;
in-8. . i3o3. 2 fr. 5oc.
— ÉLEMENS .D'ALGEBRE â l'usage des
Aspirans à l'Ecole Polytechnique, 3e. édit. ,
in-8, revue, , et augmentée , 1811. (i fr.
— Suite de c?s El émeus ,2'". partie. ANALYSE
ALGÉBRIQUE, nouvelle édition considé-
rablement augmentée ; in-8. , 181^. 7 fr.
— GÉOMÉTRIE ANALYTIQUE, on appli-
cation de I Mcèbre à la Géométria, seconde
édition, revue el augm , I vol. in-8. avec
14 pi., t8i3. fi (Y.
— LES RECIPROQUES de la Géométrie,
suivi d'un Recueil de Problèmes el de Théo-
rèmes, et de !.i construction des Tables tri-
gonométriques , in-8., 2e. édition , considé-
rablement augmentée, ï8io.
_ ELEMENS 1)1. GÉOMÉTRIE, contenant
li . deux Tm lomctries , les élcmens de la
Polygonométrie ci du levé des Plans, el
l'Introduction à la Géométrie descriptive, 1
vol. in-8 avec pi. , 1812. 5 IV.
GARNIER. LEÇON DE STATIQUE à l'usage
des Aspirans à l'Ecole Polytechnique, 1 vol.
in-8. avec douze pi., i8ti. 5 fr.
— LEÇONS DE GA LCUL DIFFÉRENT! KL,
3e. édit. , l vol. in-8. avec 4 pi- , I S f I. 8 IV.
GARNIER. LEÇONS DE CALCUL INTE-
GRAL. I vol. in-8 avecdeuxpl., 1812.71V.
_- TRISECTION UE L'ANGLE , suivie do
Recherches ai. ah, tiques sur le même sujet. ,
in-8., 1809.* 2 fr. 5o c.
— DISCUSSION DES RACINES des Équa-
tions déterminées du premier degré à plu-
sieurs inconnues, et élimination entre deux
équations de degrés quelconques à deux
inconnues, 2e. edit., I vol. in-8. I fr. 80 c.
GARNIEli. Ingénieur des Mines ., ancien Eleva
de l'École Polylerlmir/ue. TRAITÉ SUR
LES PUITS ARTÉSI KNS , ou sur les diffé-
rentes espèces de Terrains dans lesquels on
doit rechercher des eaux souterraines. Ou-
vrage contenant la description des procédés
qu'il faut employer pair ramener une par-
tie de ces causa ia surface du sol, à laide
de la sonde du mineur ou du tontamier ; se-
conde édition , revue et augmentée, avec 25
planches, in-4 , 1826. 16 fv.
GALLON. Recueil de Machines approuvées
par l'Académie , 7 vol. in-4- , avec 9^5 plan-
ches. l5o fr.
— Le 7e rolum? se vend séparément. 36 fr.
GAUSS. RECHERCHES ARITHMETI-
QUES, traduites par M. l'ouiel- Dclisle,
Elève de l'Ecole Polytechnique et Professeur
de Mathématiques à Orléans, I vol. in-4-,
1807. 18 IV.
GICQUEL-DESTOUCIIES . Capitaine de
Vaisseau. TABLES COMPARATIVES des
principales Dimensions des lîùliaiens de
guerre français el anglais d t. tous rangs, de
leur Mâture, Grécmcnt, Artillerie, etc.,
d'après les derniers règlement, avec plu-
sieurs-au très Tables relatives à un Système
de mâture proposé comme plus 'convenable
que celui actuel, aux bâlimens de guerre
français; ouvrage utile aux officiers delà
Marine royale , in-4- 9fr-
GILBERT, Ingénieur de Marine. ESSAI SUR
L'ART DE LA NAVIGATION PAR LA
"VAPKUR, 1 vol. in-4- avec trois grandes
planches , 18 !o. 5 fr.
GIRARD, Ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées, Directeur du Canal de l'Ourcq
el des eaux de Paris, elc. RECHERCHES
EXPERIMENTALES SUR L'EAC ET LE
VENT, considérés comme forces motrices
applicables aux moulins et autres machines
à mouvement circulaire, traduit de l'anglais
de Smeaton, in-/)., avec planches. 9 f*"-
_ PENIS GÉNÉRAL DU CANAL DE
L'OURCQ, 2e. édition, in-(j. , avec une
grande carte , 1820. 6 IV.
GOUD1N (OEuvres de M. B. ). contenant un
Traité sur les PROPRIETES COMMU-
NES A TOUTES LES COURBES, un
Mémoire sur les ECLlj'SES DE SOLEIL.
nouv. édil . , in-'|. , 7 fr 5o c.
HACHETTE. ex-Professèar â l'Ecole Poly-
technique. PROGRAMMES D'IJN COURS
DE PHYSIQUE , ou Précis des levons sur
ifls
les principaux pJir'iiom«ne* t]<*Tn nature, et
sur quelques applications des Mal liémal iques
à l.i Phvsique, in-8., i8of). 5 fr, 5» r.
HACHETTE TR UTÉELEMENTAIREDES
AI V CHINES, nouvelle édit considérabl. aug-
mentée, I vol. in-/]., avec 32 planches, iS")-
2.r> fr
— Correspondance de l'Ecole Polytechnique ,
tome 111 , 3e. n°. [\ fr.
HAGEAU, inspecteur divisionnaire nu corps
des ponts et chausse'es. DESCRIPTION du
canal de jonction de la Meuse au Ilhin , etc. ;
181Ç), 1 vol. in-'j. , grand papier, et allas
composé de 2t pi. sur demi-feuille grand-
aigle. 70 fr.
HATCHETT. EXPÉRIENCES NOUVEL-
LES el Observations sur les différens AL-
LIACES DE L'OR, leur pesanteur spécifi.
que; etc., traduite de l'anglais par Lèrat,
contrôleur du monnayage à Paris, avec îles
^'•(c-; , uar Guyton-Morvcau , in-q 9 fr.
IlAUY. Membre de l'Académie Royale des
Sciences, Professeur de minéralogie au Jar-
din du Roi. etc., etc. TRAITÉ DES CA-
RACTERES PHYSIQUES DES PIERRES
PRECIEUSES , pour servir à leur détermi-
nation lorsqu'elles ont e'te' taillées, l vol.
in-8., 1817, avec trois planches en taille-
donce. 6 fr.
Cet Ouvrage renferme une description des
Minéraux qui fournissent les pierresprécieûses ,
suivie d'un expose' des caractères qui servent à
les déterminer lorsqu'elles sont taillées, avec
des notions théoriques sur les propriétés d'où
dérivent ces caractères; on y a joint les figures
des inslrumcns desline's à leur détermination .
et l'on y indique avec tous les détails couvena-
bles la manière d'en faire usage.
L'Ouvrage est terminé par un Appendice où
sont décrites toutes les diverses substances qui,
sans tenir un rang parmi les pierres précieuses,
sont employées dans la Bijouterie,
— TABLEAU COMPAR iTIFDES RESUL-
TATS DE LA CRISTALLOGRAPHIE et
de l'analyse chimique, relativement à la
classification des Minéraux, vol. in-8.
5 fr. 5o c.
Cet Ouvrage est divisé en deu\ parties, donl
la première présente le Tahleau de la Méthode
niinéralogiqué de 1' Luteur, perfectionnée d'a-
près les découvertes modernes, avec la synony-
mie des savans étrangers les plus célèbres La
seconde renfermcle Recueil des analyse! dis
minéraux faites depuis un certain nombre
d'années, par les plus habiles chimistes, avec
des observations sur ces mêmes analyses el snr
difTérens points de philosophie niinéralogiqué.
— TRUTE DE MINÉRALOGIE, précédé
d'unTRAITE DECR1STALLOGRAPHIE,
2''. édition revue, corrigée et considérable-
ment augmentée; t> vol. m-8. el deux allas-,
ensemble 204 [il. entaille-douce, 1822 et
i8a3. pu fr.
Ces deux, Ouvrages se vendent séparément,
savoir :
Traité de Minéralogie, 4 vol. in-8. et aUas
de 120 planches iu-^. ^0 fr
Traité de Cristallographie ,2 vol. in-8. et
allas de 84 planches iu-q. 3o fr.
TLA UY. TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE DR PI1Y-
SIQUE, troisième édition, considérablement
augmentée, adoplc par le Conseil nival d«
Pli, itruction publique, ] oui- l'eus, ignement
dans les collèges, 2 vol in-8 avec fg pi.,
1821. ,&lr-
HISTOIRE ET MÉMOIRES- -DE L'ACÀ.-
DEMIE ROV ME DES SCIENCES DE
PARIS , 167 vol. in-4. , rel. <5oo lr.
Chaque volume, depuis (666 jusqu'à 1790
( !e dernier de cette collection), se vend
séparément, 20 fr.
Table des matières contenues dans les Mémoi-
re- de l'Académie, 10 vol. ; chaque vol. l5 fr.
— Savans étrangers. II vol.; chaque vol. 20 fr.
— Prix , tomes 7, 8elc), ensemUe. <<> ''"•
— Machines, 7 vol. ^f
— Le tome 7e , séparément. •>" 'r-
HOMASSEL-, Elève gagnant maîtrise , et
ex-Cbefdes teintures de la Manufacture des
Gphelins. COURS THEORIQUE ET PRA-
TIQUE SUR L'ART DE LA TEINTURE
eu laine, soie, fil, coton, fabrique d In-
dienne en grand et petit teint , suivi île
l'Art du Teinturier-DégraisseUT et du Blan-
chisseur, avec les expériences faites sur les
végétaux colorans, 3e. édit., 1818, I vol.
in S. 5fr-
Cet Ouvrage est le plus élémentaire et le
meilleur qui ait encore pain sur la teinture.
♦INSTRUCTION DU CONSEIL DE SALU-
BRITÉ, SUR LA CONSTRUCTION DES
LATRINES PUBLIQUES et sur l'assainis-
sement des Eusses d'aisaneesî précédé .du
Rapport remis à Monsieur le Dauphin, Par
un membre de la Société. Imprimé r ar ordre
du Conseil générai de la Société royale des
Prisons; in-4., lt525' avcc de lrès-granae8
planches. J "•
HUTTON. NOUVELLES EXPÉRIENCES
D'ARTILLERIE faites pendantles années
1787, 8^,89 el 9'> ou l'on «I''lcrmlnc la
force de la poudre, la vitesse initiale des
boulets de canon, les portées des pièces à
différentes élévations, la résistance que 1 air
oppose au mouvement des projectiles, les
effets des différentes longueurs, des diffé-
rentes charges >-\r poudre, etc., etc.; trad.
de l'anglais, par O. Terquem , prof, de ma-
thématiques aux écoles royales , ei bibliothé-
caire au dépôt central de l'artillerie, etc.,
1826', in-4 avcc phinch. lo 'r-
JANVIER . horloger ordinaire du Roi. MA-
NUEL CHRONOMÉTRIQUE, ou Précis
de ce qui concerne le Temps , ses divisions,
ses mesures, leurs usages, etc. , vol. 111-12,
avec 5 planches gravées par Leblanc ,
1821. , 4 fr-
JOURNAL DE L'ECOLE POLYTECHM-
Ql !'. , par MM . Lagrange, Laplace, Monge,
Prony, Fourcroy , Bcrlliollel , Vaaquelin,
Lacroix, Hachette, Poisson , Sganiin , Guy-
lou-.Morveau, Barruel, Legendre; Haiiy ,
Malu -
La Collection jusqu'ils En i8a3. contient i<)
Cahiers in-4- wniermés en iS, ave, des
planches. tagfr.
Chaque Cahier séparé se vend 6 fr.
10
t
Excelle les 17*. et tçy\ , qui coûtent châ-
tiai g fr.
El le iS". 7 fr. bo c.
Nota. Il n'pxiste pas de g' Cahier propre-
ment dit ; on prend la Théorie des Fondions
analytiques de Lagrange : nouvelle édition,
l8ï3, pour former ce ge. Cahier. Prix. |5 fr,
JOURNAL DE PHYSIQUE, DE CHIMIE
D'HISTOIRE NATURELLE ET DES
ARTS, 96 vol. in-4 , avec beaucoup de
planches. ijool'r
Chaque volume se vend séparément 18 IV.
— et chaque n". 4 fr
JUVIGNY. MOYEN DE SUPPLÉER p\R
L'ARITHMETIQUE A L'EMPLOI DE
L ALGEBRE dans les questions d'intérêts
composés, d'annuités, d'amorlissemens , ele ,
terminé par une application spéciale du
mémo procédé à l'extinction de la dette publi-
que, in-8., 1825. , 2fr.
LABEY, ex-professeur à l'Ecole-Polylechni-
que. TRAITE DE STATIQUE", .vol.
«-8. , 3 fr. 5o c
LA CAILLE. LEÇONS ELEMENTAIRES
DE MATHEMATIQUES , augmentées par
Marie. , avec des Note; par M. Lahey, Pro-
fesseur de Mathématiques et Examinateur
des Candidats pour l'Ecole Polytechnique;
Ouvrage adopté par l'Université , pour len-
seignement dans les Lycées, etc., in-8., fig.,
■8 II. 6 fr. 5o c.
— LEÇONS D'OPTIQUE , augmentées d'un
TRAITE DE PERSPECTIVE; nouvelle
édition, in-8., 1808. 5 fr
LACROIX, Membre de l'Institut et delà Lé-
gion-tTHonneur. etc. TRAITÉ DU CAL-
CUL.D1EFERENTIEL ET DU CALCUL
INTEGRAL ;2e. édition, revue, corrigée et
considérablement augmentée, 3 vol. in-4-,
avec 18 pi. 66 fr.
Le troisième volume se vend séparément ,
26 fr.
L'Auteur a fait des changement et aug-
mentations considérables à cette nouvelle édi-
tion , qu il a revue avec le plus grand soin.
— COURS DE MATHÉMATIQUES à l'u-
sage de l'Ecole centrale des Quatre Na-
tions , Ouvrage adopté .par le Gouverne-
ment peur les Lycées, Écoles secondaires ,
Collèges, etc., 9 vol. in-8. 38 fr. 5o c.
Chaque volume du Cours de M. Lacroix se
vend séparément , savoir:
— Traité élémentaire d'Arithmétique, 17e. édi-
tion , 1826. 2 fr.
— Elémens d'Algèbre, 14e- édit. , ]825, 4 fr.
— ! h nous de Géométrie, i3°. édit , IÎ425. 4 fi .
— Traité élémentaire de Trigonométrie recti-
ligne et sphérique, cl l'Application de l'Ai
gèbre à la Géométrie. 7e. édit., 1822. 4 fr.
— Complément des Éléinens d'Algèbre, 5e.
■ dit ion, 1825. 4 fr.
— Complément des Élémens de Géométrie ,
OU EléjneiU <le Géométrie descriptive , 5e.
édition , 1822. 3 fr,
— Traité élémentaire de Calcul différentiel et
de Calcul intégral, 3e. édition, 1820.
7 fr. 5o c.
— Essais sur l'Enseignement en général , cl sur
"dm dus Mathématiques «u particulier , nu
Manièro^ptudier et d'enseigner les Malhé-
mathiques , 1 vol in-R., seconde édition, re-
vue et augmentée, 1816. 5 fr.
-TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE DU CALCUL
DES PROBABILITES , in-8. , 2'. édition ,
avec une planche, 1822. 5 fr.
LAGRANGE, Sénateur, Grand Officier de la
Légion-d'Honneur, Membre de l'Institut et
du Bureau (h-s Longitudes de France, etc
LEÇONS SUR LE CALCUL DES FONC-
TIONS; nonv. édiliou , revue, corrigée et
augmentée, in-8. 6 fr. 5o c.
Elles contiennent des formules et des métho-
des nouvelles.
—DE LA RÉSOLUTION DES ÉQUATIONS
NUMERIQUES de tous les degrés, avec des
Notes sur plusieurs points de la Théorie des
équations algébriques, in-4 i 3e. édition,
revue et corrigée. Ouvrage adopté par l'U-
niversité pour renseignement dans les Ly-
cées, etc., 1826. i5 fr.
Celte 3e. édition est précédée d'une analyse
de cet ouvrage .par M. Pomsox de [Institut.
— THEORIE DES FONCTIONS ANALYTI-
QUES ; nouvelle édition , revue , corrigée
et augmentée par l'Auteur, in-/k. , i8l3.
i5.fr.
-MECANIQUE ANALYTIQUE; nouvelle
édition , revue et augmentée par l'Auteur ,
2 vol in-4., l8jl et i8i5 36 fr.
[L Auteur a fait des augmentations considé~
rutiles à cette nouvelle édition.)
— Le tome second se vend séparément , pour
ecux qui ne l'ont pas retiré. 18 fr.
Lagrahgc a publié un grand nam'irc fie Mé-
moires d,ans la collection des Mémoires de
l' -/endémie des Sciences ; quelques-uns se ven-
dent séparément-
LAGRIVE. MANUEL DE TRIGONOMÉ-
TRIE PRATIQUE , revu par les Professeurs
du Cadastre , MM. .'.eynaud , Harros, Plau-
zol el Boson, et augmenté des Tables des
Logarithmes à l'usage des Ingénieurs du Ca-
dasi re, 1 vol in-8. 7 fr.
LALANDE. Membre de l'Institut, Directeur
de l'Observatoire. TABLES DES LOG \-
R ITHMESpour les nombres et lessinus, etc.,
revues par .Revnaud . Examinateur des Can-
didats de l'EcoicPolvIechniquc. PRÉCÉDÉS
DKLATRIGONOMÉTRIERECTILIGNE
SPHERIQUE, par le même; I vol. in-18,
avec planches , 1818. 3 fr.
Les Tables de Logarithmes de LALANDE
seules , sans la Trigonométrie de M. Reyuaud ,
se vendent séparément. 2 fr.
-HISTOIRE CÉLESTE FRANÇAISE, i„-4.
r5 fr.
- BIBLIOGRAPHIE ASTRONOMIQUE ,
in-4- . 3o fr.
LAME, Elève Ingénieur au Corps royal des
Mines. Examen des différentes méthodes
employées pour résoudre les PROBLEMES
DE GÉOMÉTRIE; in-8., avec pi. , 1818.
2 fr. 5o c
LANCELIN. INTRODUCTION A l.'ANA-
.LYSE DES SCIENCES , ou de la Généra-
tion des fondemens et des instrument de nos
connaissances , 3 vol. in-8., i8o3. i5 fr.
LANZ et BETANCOURT. ESSAI SUR LA
11
COMPOSITION DES MACHINES , a«."
édition , revue , corrige'c el considérablement
augmentée, vol. in— 4- avec '3 S1'- F1 î '^'9
b if> I,.
L\PEYP,OUSE (de). TRAITÉ SUR LKS
MINES ET LKS FOP.GES .lu comte de
Foix , in-8., avec 6 grandes planches. 6 fr.
LAPLACE f M. le marq. de |, Pair Je France,
Grand-' 'fllcier de la Légion- d'Honneur ,
Membre de l'Institut, du Bureau des Longi-
tudes de France, des Sociétés royales de
Londres, deGollingue. etc. TKAITEDE
MECANIQUE CÉLESTE, 5 vol. in-4, 1798
à 1825. 92lr-
— Le même , grand papier vélin. 18" fr.
Le 4* vol. de cet ouvrage, qui consent de
plus la Théorie •!■■ faction capillaire el un
Supplément faisant suite au deuxième livre de
la Mécar.ii/ue céleste .se \enii séparément, 21 fr.
Chaque Suppl. , séparément. 3 fr. 5o c.
— Le même , grand papier velin. J2 lr.
— MÉCANIQUE CELESTE, toro. V, in-4-,
!825. . 26 lr-
_ IMPOSITION DU SYSTEME DU MON-
DE.;")1', édition, revue el augmentée par
l'Auteur, in-4-, 1824. avec pnrl rail , (5 fr.
— Le même ouvrage, 2 vol. in-8 , sans porl.,
1824 '2 ''■
— TBÉORTE analytique DES PROBABILI-
TES , I vol. in-4-, troisième édition , 1820
avec le 4e- supplément. 27 fr. 5o C
— Quatrième Supplément à la Théorie des
Pndialiililés , 182:"), séparément. 2 fr 5o C.
— ESSU. philosophique SUR LKS PROBA-
BII ITÉS, 5e. édition, revue et augmentée,
in 8., 1825. 4 fl-
— PRÉCIS DEL'HISTOIRE D'ASTRONO-
Ml 1 vol. in-8 , 1821, 3(V.
LAROUYRAYE de). L'ART DES COM-
B \TS SUR MER , dédié au Duc d'AngOU-
léme , i:i 4- avec H-, « 9 '' '
LASALLE.TRAlTEÉLEMENTAlRED'rt*.
DROGRAPHIE appliquée a toutes le- -par-
lies du pilotage , etc. 1 vol. in-8. , avec pi ,
1817. 6lV-
LEI-ÈYKK, Géomètre en chef du Cadastre.
NOU V E \ U TRAITE DE 1 .'A R PENTAGE,
à l'usage des personnes qui se destinent à lé-
tal d'arpenteur, au levé des plans et aux
opérations i\u nivellement . quatrième édi-
tion entièrement refondue et augmentée d'un
Traile de Géodésie pratique , ouvrage conte-
nant tout ce qui est relatif à l'arpentage ,
l'aménagement des bois el la division des
propriétés; ce qu'il faut connaître pour les
grandes opérations geodésiques et le nivelle-
ment , 2 vol. in-8. avec 29 pi nouvellement
gravées, donl une coloi . pour les teinte,
convenlionelles, 1826 , lb fr
— MANUEL DU TRIGONOMETRE , ser-
vant de Guide aux jeunes Ingénieurs qui se
désignent aux opérations geodésiques; suivi
de diverses solutions de Géométrie prati-
que, de quelques Notes el de plusieurs Ta-
bleaux , I vol- in-8. , avec planches ; 1819.
5 fr.
LEFRANÇOIS. ESSAIS DE GÉOMÉTRIE
ANALYTIQUE , 2e. édition , revue et aug-
mentât , i vol. in-8., 1824. 2 IV. 5o-e
LV.GENDP.E, .Membre Je lins! 1! ut el delà
Légion-dTIonneHr , Conseiller titulaire de
r: oiyer ité. ESSAIS SUR LA THEORIE
NOMBRES , 2" éditic* , revue et con-
sidérablemenl augm., in-4-, 1808 , avec deux
Supplémens , imprimés en 1816 et en l82.5.
24 fr.
Le Siipplémenl imprimé en 1816 se vend sé-
parément . 3 'r.
Celui imprimé en l825. , 3 fr.
— Nouvelle Méthode pour la DETER-
MINATION DES ORBITES DES CO-
MÈTES , avec deux Supplément contenant
divers perfeoiioonemens de ces Méthodes et
leui application aux deux Comètes de i8of>,
1806. iii-'j.. m ff.
Le deuxième Supplément, 1820, se vend
séparément . 4 "•
- EXERCICES DU CALCUL INTEGRAL
sur divers ordres de transcendantes et sur
les quadratures, irvol. in-q- avec les supplé-
mens. 181 1 à 1819. 72 fr.
LEGENDRE et DELAMBRE. Méthode ana-
lytique pour la dctermiualion d'un aie du
méridien . in-4. '■'
LE NORMAND, professeur de teclmo'ogie. etc.
NOUVEAU MANUEL DE L'ART DU DE-
GB USSEUR, etc. ou Inslruction sur les
mo\ens d'enlever soi même toutes sortes de
taches; 3e. edit., revue, corrigée et aogincu •
tée duo .Ip-pentliee sur la manière de blan-
chir le papier et d'enlever les taches d'encre,
de graisse, de cire ou d'huile sur les livres
et estampes, etc., 1 vol. in-12, avec une
planche, 1826. 3 fr.
— L'ART DU DISTILLATEUR des eaux-de-
ùe et des esprits , 2 vol. in-8. , fig. , 1817.
18 fr.
LEPAUTE • Horloger du Roi. TRAITE
D'HORLOGERIE, contenant tout ce qui
est nécessaire pour hien connaître et pour
régler les pendules el lis montres, la des-
cripliou des piec.es d'horlogerie les plus uti-
les, etc., vol. in-4-, avec 17 pi. ?.\ fr.
L1IUILLIER . membre de la Société (TEnoou-
rarement de Boue,,. QUELQUES 11
NOUVELLES SUR L'ART D'EMPLON EU
L'EAU comme m< ■ des roues hydrauli-
ques, in-8 , l823. tig. 2 i'r ÛO c.
L'IIUILLIER ET PETIT. DICTIONNAIRE
DESTEKMES DE MARINE ESPAGNOLS
ET FRANÇAIS, in-8 8 fr.
LIBES, Professeur de Physique au Lycée
Cbarlemagne à Paris, èlc. 'HISTOIRE PHI-
LOSOPHIQUE DES PROGRES DE LA
PHYSIQUE, 4 vo1- 'n-8., 181 1 et 1 S 1 4 -
20 fr.
Le quatrième volume se vend séparé
- J 5 IV.
— TMAITÉ COMPLET ET ÉLÉMENT \ IRE
DE PHYSIQUE, présenté dans un ordre
nouveau, d'après 'es découvertes modernes;
deuxième édition , revue, corrigée et con-
sidérablement augmentée , 3 vol. in-8., avec
6g., i8.3. 18 fr.
( Tous les Journaux oui fait le /dus grand
éloge de cet deux Ouvrages )
MAGRÉ. LE PILOTE AMÉRICAIN, eon-
12
tenant la description des côles orientales de
l'Amérique du nord, depuis le fleuve Saint-
Laurent jusqu'au Mississipi, et Irad. de
l'anglais, el publié par ordre du ministre
( de la marine, 1826, in-8. 5 IV.
"AIALUS, Lieutenant-Colonel au Corps du
Génie . Membre de l'Institut d'Egypte
THKOKIE DELA DOUBLE REFRAC-
TION DE LA LUMIERE dans les Substan-
ces cristallisées, in-q., avec t>1 12 fr.
MARCHAND. VOYAGE AUTOUR DU
MONDE en 1790, 1791 et 1792, 3 vol.
in-4, , atlas. A8 fr
MARCEL DE SERRES. ESSAI SUR LES
MtTS et les Manufactures d'Autriche ,
1814 ■ 3 vol. in-8 , avec 3j planrl,., 21 fr.
MARIE et LA CAILLE LEÇONS ELEMEN-
TAIRES DE MATHÉMATIQUES, cinq,
édition, suivie de Notes et Additions par
M. Labey, 1811. Ouvrage adopte' par l'Uni-
versité, in-8. 6fr.5oc.
MARIE, Professeur de lîatlicmatiquvs el de
Topografliie. PRINCIPES DO DESSIN
ET DU LAVIS DE LA CARTE TOPO
GRAPHIQUE , présentés d'une manière
élémentaire et méthodique , avec tous les
développement nécessaires aux personnes
qui n'ont pas l'habitude du Dessin, ace infpa-
gne's de 9 modèles , dont huit sont e >loiiés
avec soin; 1 vol. in-q\, ôblong., 182.5. t5 IV.
MASCHEROM. PROBI ÈMES DE GÉOMÉ-
TRIE, résolus de différentes manières, tra-
duit de l'italien , 1 vol. in-8. , 18 >3. 3 fr,
MAUDUJT, Professeur de Mathématiques au
Collège de France à Paris. LEÇONS ' El E-
MENTAIRES D'ARITHMÉTIQUE , ou
Principes .1 Analyse numérique, iu 8., nouv
édition , 48o3. 5 |,
— LEÇONS DE GÉOMÉTRIE THÉORI-
QUE ET PRATIQUE, nouvelle édition,
revue, corrigée el augmentée, 2 vol. in-8..
1817, avec 17 p|. lofl.
MAYNIEL, Chef de bataillon au corps du
Génie , .sous-directeur des fortifications
TRAITE EXPERIMENTAL. ANALYTI-
QUE ET PRATIQUE DE LA POUSSÉE
DES TERRES ET DES MURS DE REVE-
TEMENT, contenant : 1». l'Exposition et
la Discussion des expériences anciennes et
nouvelles sur la poussée des terres ; 2 \ l'Ex-
position et la Discussion des diverses théories
sui la poussée des terre-, : 3". la Comparai-
son des nouvelles expériences sur la théorie
de Coulomb, généralisée, el application de
celle théorie; q°. Traité pratique sur la
poussée des terres et des murs de révèle-
ment ; suivi d'un Appendicosurle frolfemenl
des vannes dans leurs coulisses, 1808, I vol
ïn"4 .12 fr-
MECANIQUE ET DESCRIPTION DE M \-
C11INES RELATIVES A L'AGRICULTU-
RE ET A V \ \ RTS ( recueil de) , par Pcr-
son . m /( . avec 18 pi. IO rr
MELANGES D'AIN W.YSE ALGÉBRIQUE
ET DE GEOMETRIE, par de Slainville ,
1 vol. n,-8., i8ir>, avecpl. 7 ii-.5o c.
MAZURE - DUHAMEL , Conservateur de
l'Ohteivaloin de la Hlarine et .Professeur à
CMcoltde Navigation à Toulon. MÉMOIRE;
EUR L'ASTRONOMIE NAUTIQUE, \«-'A.
avec 1 pi. et tableaux. 7 fr. 5o c.
MÉMOIRES DE L'INSTITUT,
Sciences physiques el mathématiques.
Tôm. 1 ,8fr.
2 2$
3. .... « ,8
4- - . •• i*
5 20
6 20
7 ou 1806 ............. 2^
8 ou 1807 . 20
9 ou 1808 2rt
10 ou 1809 20
* Il OU l8lO , 2 vol 22
* 12 OU l8l 1 , 2 vol 2.r>
* »3 OU )8irî, 2 vol. ...... 23
* 14 ou i8t3, 1814, i8i5, iT. . 18
* Acad. des Se , 1816, loin. I. . 18
* 1817 , 2. . 20
* 1818, 3. . a:>
* 1819 et 1820 , 3o
Savant étrangers.
Ton
Tôt
Toni.
Base du
2*
!r\;
L\ par Biot «t Arago . . . . .
Science morale *t politique.
36
18
système métrique.
littérature el Peaux-Arts.
18
18
18
20
Littérature ancienne.
Tom. * I et 2 • /12
* 3. et 4 /|2
, * 5. cl 6 ,48
MEMOIRES SUR LA TRI00N0ME1 RIE
sphérique, par uu Officier de l'État-Ma-
jor, elr., in-8., I fr. -r>o e.
MOLLET, ex-Doyen de laFaculté desSciences
de Lyon, etc. GN0M0N1QUE GRAPHI-
QUE, ou Méthode simple et facile pour
tracer les Cadrans solaires sur loules sortes
de plans et sur les .surface- de la sphère ,
el du cylindre droil , sans aucun calcul , et
en 11e faisant usrtge que de la règle cl du
compas , deuxième édit , suivie de la Gno-
monique analytique, etc., I vol, in-8 , 1820,
avec S planches. 2 fr. 5o c.
MONGE, G.) anrien Sénateur, Membre de
l'Institut. GEOMETRIE DESCRIPTIVE;
l\" . édit., augmentée d'une Théorie des Om-
bres et de ia perspective, extraite des pa-
piers de l'Auteur, par M. RRISSON, ancien
Élève de l'École Polytechnique, Ingénieur
13
en i'-hff des Pontiot Chaussées, ! vol. in-q\,
■vec i8pl , 1820. , , 12 h.
MONGE. TRAITE ELEMENTAIRE DK
ST VTIQUE, à l'usage îles Ecoles de la Marine,
in-8., o'1'. édition, revue par M. Ilaclielle,
ex-IWlitnteur del'Ecole Polytechnique. Ou-
irag adopte' par l'Université pour I ensei-
gnement dans les Lycées. 3 IV. 2J e.
NOËL
ap,.l
MONTKIRO-DA-ROCIIA , Commandeur de
l'Ordre du Chris! , Directeur de L'Observa-
toire de l'Université de Coïmbre , etc. ME-
MOIRES SOB L'ASTRONOMIE PRATI-
QUE, traduits du portugais?» U. deMello,
in-4, 1808. 7fr.5oc.
Cet ouvrage, dont les Journaux .rientin-
ques, et surtout le Bureau des Longitudes,
ont rendu un compte très-avantageux , con-
tient indépendamment des autres Mémoires ,
un Traité sur les Eclipses sujettes aux paral-
laxes . le plus complet et le plus simple qui ait
paru jusqu ici.
WOM'GKHY (dr\ Capitaine de frégate
RÈGLES DE POINTAGE a bord des vais-
seaux, ou Remarques sur ce qui est prescrit
à cet égard, dans les exercices de loi" a
181 I : suivies de Notes sur diverses branches
d'artillerie en général , et en particulier de
l'artillerie de la Marine, 1 vol. in 8. 5 fr.
— MEMOIRE SUR LES PETARDS 1- 'U >T-
TANS el sur les mines flottantes, ou ma-
chines infernales maritimes, br. iu o. .
18(0. , , 2fr-
* - TRAITE DES FUSEES DE GUERRE ,
nommées autrefois Roeliel les, et maintenant
Fusées à la Congrève , in-8., 182J , ligures.
(j fr.
MONTUCLA. HISTOIRE DES MATHEMA-
TIQUES . dans laquelle on rend compte de
leurs progrès depuis leur origine jusqu'à
nos jours ; où l'on expose le Tahleau et le
développement des principales découvertes
dans toutes les parties 'les Mathématiques,
les contestations qui se sont élevées entre les
Mathématiciens, el les principaux traits de
la vie des plus célèbres. Nouvelle édition ,
considérablement augmentée, et prolongée
jusque vers V époque actuelle, achevée cl
publiée par Jérôme de Lalande, t\ vol. 111-4 -
avec figures. 00 Ir
Il resie encore quelques exemplaires des lom.
II! et FV, qui *e vendent séparément desdeux
•premiers vol. 4° '*'■
Cet ouvrage est ce qui existe de plus com-
plet Jusqu'à préseui eu cette partie,
*MOREL( ira] PRINCIPE ACOUSTIQUE
nouveau el universel de la Théorie musicale,
ou la Musique expliquée, I vol. avec pi. ,
1816. . 7 fl-
NEWTON. ARITHMETIQUE UNIVER-
SELLE, Ira. Unie eu français par M. ban-
deux, avec des noies explicatives, 2 vol.
in-4- , >4 planches. 4° 'r'
NICHOLSON. DESCRIPTION DES MA-
CHINES A YAl'Kl R, el détail des princi-
îangemens qu'elles ont éprouves de
de leur invention , et desame
AlSÂBBI Kf.ÉMEKTAIliE raisonne'»- et
je',- , 1 vol in-8., 18 u. 5 fr.
Minii;. RECUEIL COMPLET DETA«LES
UTILES A LA NAVIGATION. ( r„>.
Violaine ). iA
NOUVELLE THÉORIE DES PARAL-
LELES avec un appendice euiiieuani la ma-
nière de perfectionner la théorie des paral-
lèle «le A M . Legeodre, in-8. 2 IV.
OBEINHI IM d' , ancien sous-directeur des
fortifications, etc. BALISTIQUE, indication
de quelques expériences propres .1 compléter
la théorie du mouvement des Projectiles de
1' Vrtillerie, etc. Strass un g, 18:4. m-8., avec
3 pi. , . 6' fr.
PA1X1IANS, Elève de l'Ecole Polytechnique,
Chef de bataillon au Corps royal d'Artille-
rie. et« NOUVELLE FORCE M LBITIME
et application de cette force à quelques par-
ties du service de l'armée de terre-, ou Issai
sur lé ta t actuel des moyens de la force ma-
rilime; sur une espèce nouvelle d'artillerie
de mer qui détruirait proiuplemeut b s vais-
seaux de haut bord ; sur la conslruction de
navires à voiles cl à vapeur, de grandeur
modérée, qui, armés de cette artillerie ,
donneraient une marine moins coûteuse et
plus puissante que celle existante, el sur la
foreeque le système des bouches à feu proposé
offrirait à terre pour les batteries de siège ,
de plaee , de côtes et de campagne; in-4-
avec 7 planches, 1822. 18 Ir.
—EXPÉRIENCES FAITES PAR LA MA-
RINE FRANÇAISE, sur une arme nouvelle,
changemens qui paraissent devoir eu résul-
ter dans le système naval , el examen de
quelques questions relatives à la Marine, à
l'Artillerie, à l'attaque el à la défense des
Côtes et des Places, in-8. 1825. 3 fr.
PARTSOT. TRAITE DU CALCUL CONJEC-
TURAL, on l'Art de raisonner sur les choses
futures et inconnues , in-q., 1810. i5 fr.
PAUCTON. TRAITÉ DK METROLOGIE,
ouTraitédes Mesures, Poids et Monnaies des
anciens el des modernes , in-q. 18 IV.
PERSON. RECUEIL DE MECANIQUE ET
DESCRIPTION DE MACHINES RELA-
TIVES \ L'AGRICULTURE ET AUX
ARTS, in 4. , av. «g* S pi., 1802. IO IV.
PERTUS1ER, officier d'artillerie de la garde
royale
LA FORTIFICATION ordonnée
paux
puis l epoq
lioratious qui les ont l'ail parvenir à leur étal
actuel de perfection. Ouvrage traduit de I an-
glais, I vol. in-8. avec 8 pi , 1820'. 5 fr.
d'après les principes de la Statique et de la
Balistique modernes , etc. 1822, in-8. avec
atlas. 2J Fr.
Cet ouvrage n'a été tiré qu'à 400 exemp. ,
i?.3 seulement ont été livres au commerce.
La Moldavie el !.l Val.lrliie, cl de l'iu-
llnence publique des Grecs du Fanai* in-8.,
18 '.2. 3fr.
POINSOT, Membre de l'Institut et de U l.é-
gion-d'Honueur, Inspecteur-général de l'U-
niversité, Kx.11ni11.1i eue d'admission .1 l'Ei ola
Polytechnique él a l'Ecole spéciale militaire
de Saint-Cvr, etc. TRAITE ■tEMEN-
TAIRE DE'STATIQI E, adopte pour l'Iu-
struclion publique, iu-S , -j' • édit. , l8n,
.11 ec pi. ■* 'r>
— MÉMOIRE SUR L'APPLICATION DE
u
L ALGEBRE A LA THEORIE DES NOM-
BRES, in-4., 1819. 3 IV.
POINSOT. RECHERCHES SUR L'ANA-
L\'SE DES SECTIONS ANGULAIRES,
«n-4., l825. 5 fr.
ISSON, Membre de l'Institut, Professeur
à l'Ecole Polytechnique, cic. TR îlTEDE
MÉCANIQUE, 2 vol. ia 8., avec 8 pi., 181 1.
12 fr.
*P0MMIÉS. MANUEL DE L'INGÉNIEUR
DU CADASTRE, contenant les connais-
sances théoriques et pratiques utiles aux
Géomètres en chef et à leurs collaborateurs,
pour exécuter le levé gênerai du plan des
communes de France, conformément aux
instructions du Ministre des Finances sur le
cadastre de Fiance; précédé d'un Traite de
Trigonométrie recliligne, par A. A . Reynaud,
vol. in-^. , 1808. 12 fr.
PONCELET, ancien élève de l'École Polytech-
nique, capitaine au corps royal du Génie.
TRAITÉ DES PROPRIÉTÉS PROJEC-
TILES DES FIGURES, ouvrage ulileàceux
qui s'occupent des applications de la Géo-
métrie descriptive, et d'opérations géométri-
ques sur le terrain, in-4. 1 1822. 16 fr,
POULLET-DELISLE, Professeur de mathé-
thématiques au Lycée d'Orléans. APPLICA-
CATION DE L'ALGEBRE A LA GÉOMÉ-
TRIE, m-8. , 1806. , 5fr.
—RECHERCHES ARITHMETIQUES, trad.
du latin de GAUSS, in 4. 18 fr.
PRONY, Membre de l'Institut. LEÇONS DE
MÉCANIQUE ANAL\TIQUE, données à
l'ÉCOLE POLYTECHNIQUE, 2 vol. in-
q., i8i5. 3ofr.
Le même ouvrage, 2 vol. in-4-, grandpapier,
36 fr.
— Et les autres ouvrages du même auteur.
PROUST. Recueil de Mémoires relatifs à la
poudre à canon; extrait du Journal de Phy-
sique , in-4- 18 lr.
PUISSANT , Officier supérieur , Chef des
études à l'Ecole <!'A pplicatiou des Ingénieurs
Géographes, ele RECUEIL DE DIVERSES
PROPOSITIONS DE GÉOMÉTRIE, ré-
solues ou démontrées par l'analyse, 3% édit.,
augmenter d un précis sur le LEVE DES
PLANS, in-8., avccfl 1824. 7 fr.
— TRAITE DE GEODESIE, ou exposition
des Méthodes trigouo métriques et astronomi-
ques, applicables, soità la mesut edëla Terre,
soit à la confection il 11 canevas des caries et des
Plans lopographiques, 2^. éd., 2 vol. in-4-,
formant ensemble plus de 800 p. , avec l3
pi., 1819. 3o fr.
—MÉTHODE GÉNÉRALE, pour obtenir le
résultat moyen dans une série d'observations
astronomiques lai les avec le cercle répétiteur
de Borda, in-/| . 18?. 1. 6 fr.
—TRAITÉ DE TOPOGRAPHIE , d'Arpen-
tage et d( Nivelleini :i , 2e. édit. , considéra-
bleroiq^ augmentée, 1 vol. in-4., nvr' 9
pi. gravées par M. A 'la in. 20 fr.
— OBSERVATIONS sur les difTénoi . s ma-
nière; d'exprimer le relief du. terrain, y.
édition , 1821». iu-8.
QUARTIER DE RÉDUCTION et ajtro'nomi:
que en usage dans la Marine, en feuille. 60c.
collé sur carton. I fr. 5o c.
RAMSDEN. DESCRIPTION D'UNE MA-
CHINE pour diviser les iosirumeus île ma-
thématiques, traduit de l'anglais par La-
lande, I 770, in-4-, grand papier , fif 6 fr.
RAVIINET , sous-chrf à la divisio: enerale
desPonlt-el-Chaiissées Dictionna^ '. hydro-
graphique de LA Ff.ANCE, contenant la des-
cription des rivières et canaux Ilot tables et
navigables dépendans du domaine public ,
avec un tableau synoptique, indiquant le
système général de la navigation intérieure ;
ouvrage couronné par 1 Académie royale des
Sciences; suivi de la Collection complète des
Tarifs des Droits de Navigation ; 2 vol. in-8.
avec une très-grande Carie de la Navigaiion
intérieure, publiée par la Direction des
Ponls-et-ChaiiNScrs. i5 fr.
Le tome deuxième, contenant le. lois, rè-
glemens , etc , relatifs à la Navigation, se
vend séparément. 8 fr.
REKOUL. ( An toi ne- Joseph ) TABLES NOU-
VELLES DEVENUS, d'après la Théorie
de M deLaplace, et d'après les Elemens de
M.
Linde
1.1-q.
1811.
5fr.
— NOTES SUR LA NAVIGATION DE BE-
ZOUT, in-8. 3 fr.
RF.VNAUD, Examinateur des Candidats de
l'Ecole Polytechnique . ARITHMETIQUE,
à l'usage des élèves qui se destinent à l'Ecole
Polytechnique et à l'Ecole Militaire, 12e.
édition, augmentée d'une Table des Loga-
rithmes des nombres entiers , depuis un jus-
qu'à dix mille , I vol in-8., 1824. 3 fr. 5o c.
— TRAITÉ D'ALGÈBRE, a l'usage des élèves
qui se destinent à l'Ecole Polytechnique et à
lécole spéciale Militaire, I vol. in-8., 5e.
édit.; lb*2I. 5 fr 5o c.
— ALGEBRE, ancienne édit., 2e. section, 1
vol. in-8. , 1810. 5 fr,
— TRAITA DE L'APPLICATION DE
L'ALGÈBRE A LA 'GEOMETRIE ET
DE TRIGONOMETRIE, à l'usage desélèves
qui se destinent à l'Ecole Polytechnique ; 1
vol. in-8. avec 10 pi , 1819. 6 fr.
_ COURSÉLÉMENTAIREDEMATHÈMA-
TIQUES, DE PHYSIQUE ET DE CHI-
MIE, à l'usage des élèves qui se destinent à
subir les examens pour le Baccalauréat ès-
leltres, I vol. in-8. , l82rj- 6 fr.
— TRIGONOMÉTRIE RECTILIGNE ET
SPHERIQUE, 3*> édit., suivie desTA BLES
DES LOGARITHMES dés nombres cl des
lignes trigonométriques de'LALANDE, iu- 18
avec fig.,1818. i Fr
Les Tables de Logarithmes del.ALANDE
seules , sans la Trigonométrie, se vendent se -
parémi ni '■'• fr.
— ARITHMÉTIQUE à l'usage des Ingénieurs
du Cada; ire, in-8. 5 fr.
<UEL cic 1*1 hgenieur du Cadastre; par
MM. Po'inmfés cl Ri yi aud, 1 \-&. 12 fr.
—TRAITE DE TRIGONOMETRIE do La-
rive, dvéc les notes de Reynaud , in-4.
7 ''•
— et DUHAMEL. PROBLEMES ET DEVE-
LOI'PEMÉNS sur les diverses parties des
mjllie'matiquos, in-8. avec il pi., 1823
fi fr.
REYNXLD. NOTES SUR L'ARITIIMl.TI-
.. i!M BEZOUr, u" édit.; in-8 , 1S23
a li\ 5:i c:
— SUR LA ÔEOMÉTRIE, iu 8. , 1825.
4 f'--
— SUN L'/LGEBRE, el application de
l'Algèbre-S la Géométrie ; in-8., loVl.q fr
RIVAKD. Tli'.ITF 1)1-: LA SPHÈRE ET
DU CALENDRIER; 7". édit, (faite sur !..
6'c. donnée par M. Lalande j , revue et aug-
mentée de notes el addil , par M. Puissant ,
officier supérieur; 1 vol. in-8., avec 3 pi
bien gravées, 1816. 4 'r
ROMME, Associé de l'Institut de France.
TABLEAUXDES VENTS, DES MAREES
ET DES COUR ANS qui oui éié observés
sur toutes les mers du glche, avec des ré-
flexions sur ces phénomènes, 2 vol in-8.,
1817. 12 fr.
RUGGIERI. ÉLEMENS DE PYROTECH-
NIE divisés en cinq parties: la l'e. ronlenaiit
le Traité des matières; la 2e. les feux de
terre, d'air et d'eâu : la 3°., les feux d'aéros-
tation ; la Ae, , les feux de théâtre et les feux
de guerre j suivis d'un Vocabulaire el de la
Descriplionde quelques feux d'artifices, ele ;
2e. édit> revue, corrigée el augmentée de
nouvelles découvertes el inventions faites par
fauteur, telles <iue les beaux feux verts, ba-
guelles détonantes pour eviler la cliule
dangereuse des fusées volantes , ele. , I vol
in-8 avec 39 pi. , 1821. 9 f''-
— PYROTECHNIEM1LITAIRE, 1812, 1 vol.
in-8. avec pi 6 fr.
SÉGUIN. MANUEL D'ARCHITECTURE, ou
Principes des Opérations priniilives de cet
Art, où l'on expose des M cl h odes abrégées la ni
pour 1 évaluai ion des surfaces el solides circu-
laires que pour le développement des cour-
bes, et pour l'extraction des racines carrées
et cubiques, par de nouvelles régies fort
simples. Cet ouvrage est terminé par une
table des carrés et 'les cubes, dont les racines
commencent par l'unité et vont jusqu'à dix
mille, in-8 . aved 1 0 pi . 6 fr.
—TABLES DES NOMBRES CARRÉS ET
CUBIQUES, el dés racines de ces nombres,
depuis Un jusqu'à dix nulle. 3 fr.
3ERVOIS. SOL1 TIONS PEU CONNUES
de difl'éreus problèmes île Géométrie prali-
qur, 1 vol. in-8. 2 fr. 5o c.
SGANZ1N, Inspecteur général des Pouls el
Chaussées, etc. PROGB tMMES ni) RE-
SUMES DES LEÇONS D'UN COMts i>h
CONSTRUCTION, avec des applications
tirées principalement de I' \rl de l'Ingénieur
des Ponts el Chaussées , 3°. édition revue
cl considérabl. aug., 1 vol. in-4 , 1821 avec
i»pl. , i5 fr.
SIMONIN TRAITE D'ARITIIMÉTIOUE
DECIM U.E , 1 vol. in-8. a IV.
S"5 l.\ ESTRE. Tl! I II E D' VRITHMETI-
QUK 'u iage des Pen lionnal - el des Écoles
Chrétiennes, 3". édit., 1822. £> fr.
SIMMENCOURT. TABLEAUX DES MON-
NAIES de change et des monnai. \. réelle»,
des poids et mesures , des cours des changes
cl des usages commerciaux des principales
villes du monde, ou Répertoire du bananier,
in-4- ■ >K'7- 3 fr.
SINGER George . ELEMENS D'ELECTRI-
CITE ET DE 0 W.V FNISME, traduit de
l'anglais par TU 1 1.1. \ 1 h , Professeur au
• l.oiiis-le-ljraiid , 1 fort vol. in-8.,
i8i(>. 8fr.
SMEATON. (KoyeaGlRARO.)
SOULAS. LA FEVE1-. DES PLANS ET
L'ARPENTAGE REND! S FACILES ,
précédés de notions élémentaires de Trigo-
nomélrie recliligue à l'usage des employés
au Cadaslre de la France, deuxième édition,
revue et corrigée, 1 vol. in-8., 1820, avec
8 pi. 3 fr.
STAINVILLE ( De \ Répétiteur à l'Ecole
Polytechnique. MELANGES D'ANALYSE
ALGEBRIQUE ET DK GÉOMÉTRIE,
I vol. in-8. de 60O pages, iS 1 5 , avec 3 pi.
ST1RL1NG. ISAACI NEWTON) ENDME^
RATIO LINEARUM TERTf I ORDINIS,
sequilor illustratio ejusd. Iraclalûs, in-8.
7 fr. 5o c.
SUZANNE, Docteur ès-Sciences , Professeur
de Mathématiques au Lycée Charli magne à
Pari., eic. DK LA MANIÈRE D'ÉTUDIER
LES MATHEMATIQUES; Ouvrage destiné
à servir de guide aux jeunes gens, à ceux
surtout qui veulent approfondirceltescience,
ou qui aspirent à élre admis à 1 Ecole Nor-
male OU a l'Ecole Polytechnique, 3 vol. in-8..
avec fig.
Chaque partie se vend séparément : savoir ,
— fe. Partie. PRÉCEPTES GÉNÉRAUX
ET ARITHMÉTIQUE, seconde édition,
considérabl. aug., in-8. 6 fr
— 2e. Partie. AI.GÈBRE , épuisée , in-8. ne
se vend plus séparément.
— 3e. Partie. GÉOMÉTRIE, in-8. 6 fr. 5o c.
TEDENAT , Recteur de l'Académie de
Nîmes. Ferons élémentaires D'ARITHME-
TIQUE ot D'ALGÈBRE, in-8 5 fr.
— Leçons élémentaires de GÉOMÉTRIE, in-8.
.') fr.
— Leçons élémentaires d'APPLICATION DE
L'ALOÈiiRE A LA GEOMETRIE, el Cal-
culs différentiel cl inle'gr., 2 M)l. in-8 , lofr.
THEVENEAU,.COURS D'ARITHMETIQUE
à l'usage des Ecoles centrales et du Commer-
ce , in-8. 3 fr.
THIOl T aîné, maître horloger à Paris.
TRAITE D'HORLOGERIE MÉCANI-
QUE ET PRATIQUE, approuvé par l'Acad.
royale des Se., a vai m-')., avec9i pi 36 IV.
! DGOLD ( Thomas) , Ingénieun .-ï v • I .
Membre de l'institution des Ingénieurs ci-
vils. ESSAI PRATIQUE SJLR i.\ FORCE
1)1 FER COULÉ ET IPA UT R ES MÉ-
TAUX, destiné à l'usage des ingénieur
mailles de forges , des architectes . de. !,n-
deurs, el de tous ce i\ qui s occupent de h»
eonstruclionde machines, des bâtiment, etc.,
contenant des règles pratiques, des laide.
et des exemples , le 1 «.■ «i ( fondé sur une suit.
d'expériences nouvelles, il i^e table étendue
des propriétés de divers ruaneViaux ; traduit
de l'anglais, sur la deuxième édition, pat
16
T. Diverse, i vcd. in-8. avec plaiich.,
1826. , 7 lr-
TRI DOOLD. PRINCIPES DE L'ART DE
CHAUFFER ET D'AERER LES EDIFI-
CES PUBLICS, les Maisons d'habitation,
les Manufactures, les Hôpitaux , les Serres
etc., et de construire les Eoye-rs, les Chau-
dières, les Appareils pour la vapeur, les
Grilles. les Étrtves, démontrés parle Calcul
et appliqués à la Pratique; avec des remar-
ques sur la nature de la Chaleur et de la
Lumière, et plusieurs Tables utiles dans la
Pratique ; trad. de l'anglais sur la 2e. édit. ,
psr Th. DljVERNE. I vol. iu-8. , avec planch.
1825. _ 7 ir-
TRAITÉ PRATIQUE surlescheminsenfcr
et sur les voitures destinées à les parcourir ;
Principes d'après lesquels on peut évaluer
leur force, leurs proportions et la dépense
qu'ils nécessitent; ainsi que leur produit
annuel ; conditions à remplir pour les rendre
utiles, économiques et -durables ; théorie des
.chariots à vapeur, des machines slatinunai-
res , et de cetles où l'on emploie le gaz. Leur
effet utile et les frais qu'elles occasionent.
Orné de planches, et contenant beaucoup de
tables, in-8. 1826. , 5 lr.
TREUIL. Professeur à l'Ecole militaire de
Sainl-Cyr. ESSAIS DE MATHEMATI-
QUES, contenant quelques détails soi l'A-
rithmétique, l'Alsèhre , la Géométrie et la
Statique, in-8 , 1819. , 2 f r
* VALLÉE , ancien élève de l'Ecole Polytech-
nique, Ingénieur au Corps royal des,lJonls-
et Chaussées. TRAITE DE LA GEOME-
TRIE DESCRIPTIVE, dédié à M. MON-
GE. ( Ouvrage sur lequel l'Institut de
France a fait un rapport très-avantageux.) 2e.
édit , I vol. in-q., avec un atlas de 67 pi. ,
1825. . 20 fr.
■"—TRAITE DE LA SCIENCE DU DESSIN,
contenant la théorie générale des ombres ,
la perspective linéaire , la théorie des images
d'optique , et la perspective aérienne appli-
quée au lavis : pour faire suite à la Géomé-
trie descriptive, 1 vol. in-4 , avec uu atlas de
56 pi., 182t. , 20 fr.
VASTEL ARITHMETIQUE DU JEU DE
BOSTON , ou Chances Bostoniennes, in- 12.
1 lr. 5o c.
VAN-BEEK. De l'influence que le fer des vais-
seaux exerce sur la boussole , et un moyen
d'estimer la déviation que l'aiguille éprouve
de ce chef, trad. du hollandais; par M. l.ip-
kins, in-8. 2 '•'. 5o c
VIOLAINE. RECUKIL DES TABLES
UTILES A LA NAVIGATION, traduit de
l'anglais de John William N.jkie, professe ui
d'Hydrographie à Londres; précédé d'un
ABRECE DE Ni \ IG ATION PRATIQUE,
contenant ce qui est nécessaire et indispen-
sable à toutes les «lasses de marins ; enrichi
déplus, d'un VOCUBULA1RE des termes
les plus usités dans la MARINE; le tout ex-
trait nés 11 ic- il leurs A 11 leurs français, anglais
espagnols, etc; recueilli, mis en ordre et
augmente' df» Remarques et Observations
nouvelles, par P. A. Violaine, ex-Commis-
saire de Marine, Professeur de Mathémati-
ques ut de Navigation, etc., 1 vol. in,8. ,
i8i5. g fr
VOIRON. HISTOIRE DE L'ASTRJJV J:{E
depuis |-»8l jusqu'à iStl, pour servir ne
suite à l'Histoire de l'Astronomie de Bailly,
in-4., '?»•■ 12 le.
(Cet ouvrage est indispensable aux personnes
qui possèdent les 5 volumes de l'Astronomie de
Baiilv.)
Wl LLAUMEZ, vice-amiral. DICTIONXUBE
DES TERMES DE M\R1NE, nouvelle éd.
revue et augmentée, 1825, vol. in-8, avec pi.
dessinées et gravées par Bau-ean. 12 lr.
— Le même, avec 167 pavillons. l5 fr.
Les 1J7 pavillons coloriés se vendent séparé-
ment 3 fr.
MÉLANGES.
CESTUTT-TRACY, Pair de France , Grand-
Officier de la Lcgion-dTIonneur, Membre de
1 Institut, etc ELEMENS D'IDEOLOGIE,
Douvelle édit. , 4 vol. in-8. 22 lr.
Cltutjuc volume se vend séparément , savoir :
Ioéologie proprement dite, in-8.,
3e. édit ,1817. 5 fr.
Grammaire, iu-8. , 2e. édit. , 1817.
Mr.
Logique, 2e. édit., 1818. 6 fr.
Traité le LA volonté, et de ses
effets, 4e- et 5e. parties, 2e. édit.,
in 8., 1818. 6' lr.
DUTENS. Analyse raisonnée des PRINCIPES
FONDAMENTAUX DE L'ECONOMIE
POLITIQUE, in 8., 1804. 3fr
FLORE NATURELLE ET ÉCONOMIQUE
DES PLANTES QUI CROISSENT AUX
ENVIRONS DE PARIS, au nombre de
plus de 400 genres et de 1400 espèces, conte-
nant l'euumeration de ces piaules, rangées
suivant le système de Jussieu, et par ordre
alphabétique , leurs noms triviaux , leur
synonymie française, leurs descriptions, les
endroits où se trouvent la plus rares., leurs
propriétés pou ries aliincus, les médicauicns,
l'art vetei inaire, les arts et métiers , et.l'or-
neraént des jardins; ouvrage élémentaire
dune utilité première, et également propre
aux différentes classes de citoyens, 2''. édit,,
augmentée de la Flore naturelle et de 24 pi.
soigneusement gravées j par une Société de
Naturalistes, 2 vol. in-8. de pies de 10OO p.
HISTOIRE DES INSECTES NUISIBLES
ET UTILES A L'HOMME, aux bestiaux.,
à l'agriculture", au jardinage et aux ails,
avec ta Méthode de détruire les nuisibles et
multiplier les utiles, 5e. edit., 2\ol. in-12,
an t. fi r.
an 7
5ir.
Je distribue gratis mon catalogue général,
aux personnes i/iu m'en Joui la demande par
letli es nj/iauc/ties.
PARIS. -IMPRIMERIE DE FA1N",
RVE RACINE, St° 4-
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Destutt de Tracy
Elémens d'idéologie - Idéolo-
gie proprement dite
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Destutt de Tracy
Elémens d'idéologie
prement dite
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- Idéologie pro-
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