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Full text of "Destutt de Tracy, Antoine Louis Claude, comte Élémens d'idéologie"

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THE  LIBRARY 

The  Ontario  Institute 
for  Studies  in  Education 

Toronto,  Canada 


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L  I  B  R  A  R  Y 


JAN  241969 

THE  ONTARiO  INiîlTUTE 

FOR  rT  "ATION 


ÉLÉMENS 

D'IDÉOLOGIE. 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  MME  Ve  COURCIER, 


ÉLÉMENS 

D'IDÉOLOGIE. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

IDÉOLOGIE 

PROPREMENT  DITE. 
Par  M.  DESTUTT  Comte  de  TRACY, 

Pair  de  France ,  Membre  de  l'Institut  de  France  et  de  la 
Société  Philosophique  de  Philadelphie. 

TROISIÈME  ÉDITION. 


PARIS, 


M"  Ve  COURCIER,  IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 

rue  du  Jardinet,  n°  12,  quartier  Saint-Andre'-dcs-Arcs. 
1817. 


Ouvrages  du  même  auteur,  qui  se  trouvent  chez  le 
même  JLibraire. 

ÉLÉMENS  D'IDÉOLOGIE,  4  vol.  in-8°.  Prix:  22  fr.  pour 
Paris ,  et  28  fr.  francs  de  port. 

Chaque  partie  se  vend  séparément,  savoir  : 

ir?  partie.  Idéologie  proprement  dite,  3e  édition,    1817,  5  fr. 

2e  partie.  Grammaire,  seconde  édition,  1817,  5  fr. 

3e  partie.  Logique,  i8o5,6fr. 

4e  et  5e  parties.  Traité  de  la  Volonté  et  de  ses  effets,  i8i5,  6  fr. 


PRINCIPES  LOGIQLES,  ou  Recueil  de  faits  relatifs  à  l'in- 
telligence humaine,  in-8°,  1817,  2  fr. 


AVERTISSEMENT 

De  lJ Édition  de  i8o4. 

Vjette  nouvelle  édition  est  une  simple 
réimpression  de  la  première ,  qui  était 
épuisée.  Cependant  j'y  ai  ajouté  des 
notes  et  des  éclaircissemens  qui  pour- 
ront peut-être  ne  pas  frapper  le  com- 
mun des  lecteurs,  mais  qui  j'espère, 
paraîtront  importans  à  ceux  qui  appro- 
fondissent le  sujet.  Du  reste  l'ensemble 
de  l'ouvrage  est  demeuré  le  même,  car 
je  n'aurais  pu  en  changer  que  la  forme 
ou  le  fond. 

Or,  pour  le  fond  des  idées,  j'avoue 
sincèrement  que  je  crois  être  arrivé  à 
la  vérité,  et  qu'il  ne  me  reste  aucun 
louche  ni  aucun  embarras  dans  l'esprit 
sur  les  questions  que  j'ai  traitées.  Mes 
réflexions  postérieurs ,  mes  travaux 
subséquens,  et  les  conséquences  que  j'ai 
tirées  des  premières  données,  ont  éga- 
lement confirmé  mes  opinions;  et  c'est 


VJ  AVERTISSEMENT. 

avec  une  sécurité  entière  que  je  me  crois 
assuré  de  là  solidité  des  principes  que 
j'ai  établis  après  beaucoup  d'hésitations 
et  d'incertitudes. 

A  l'égard  de  la  manière  dont  je  les  ai 
exposés ,  elle  ne  me  satisfait  pas  aussi 
pleinement.  lLe  ton  de    conversation 
naïve  et  presque  triviale  que  j'ai  pris 
dans  une  partie  de  cet  ouvrage,  ne  m'a 
pas  paru  sans  utilité  alors,  vu  le  moment 
où  j'écrivais,  et  parce  qu'il  s'agissait 
d'une  science  dont  on  s'était  fait  beau- 
coup de  fausses  idées,  et  dont  on  n'avait 
point  encore  de  traité  complet.  J'ai  cru 
cet  excès  de  simplicité  propre  à  faire 
sentir  à  tous  momens,  combien  le  sujet 
que  je  traitais  est  différent  de  ces  mé- 
ditations abstruses  et  vaines  qui  effraient 
et  égarent  en  même  temps  l'imagina- 
tion, et  à  faire  voir  combien  sont  sim- 
ples les  procédés  qui  peuvent  nous  con- 
duire à  une  véritable  connaissance  de 
nos  opérations  intellectuelles.  D'ailleurs 
celte  manière  me  semblait  très-com- 


AVERTISSEMENT.  Vlj 

mode  pour  éviter  de  m'ériger  en  maître 
dans  une  matière  que  je  ne  faisais  qu'é- 
tudier la  plume  à  la  main.  En  effet, 
mon  but  était  bien  moins  de  créer  un 
corps  de  doctrine  que  de  tracer  la 
marche  de  mes  recherches  et  d'en  pré- 
senter les  résultats.  Néanmoins  ce  ton 
familier,  s'il  a  plu  à  quelques  personnes, 
n'a  pas  été  approuvé  généralement  ;  et 
je  ne  crois  plus  qu'il  ait  d'avantages,  au- 
jourd'hui que  les  têtes  sont  plus  meu- 
blées de  ce  genre  de  connaissances,  que 
beaucoup  de  personnes  les  ont  appro- 
fondies et  systématisées,  et  qu'il  ne  s'agit 
plus  que  de  rallier  un  grand  nombre 
d'opinions  toutes  formées,  et  dans  le 
vrai  peu  divergentes  entr'elles. 

Que  l'on  ne  soit  point  étonné  de  m'en- 
tendre  dire  que  les  circonstances  sont 
changées  pendant  undélai  si  court.  Dans 
ce  temps-ci  tout  va  extrêmement  vite 
et  plus  vite  que  nous  ne  pouvons  le 
croire;  et  l'existence  d'une  section  d'ana- 
lyse dans  l'Institut  national,  et  d'une 


yiij  AVERTISSEMENT. 

chaire  de  grammaire  générale  dans  les 
écoles  publiques,  malgré  qu'elle  ait  très- 
peu  duré  ,  a  donné  aux  esprits  une  im- 
pulsion prodigieuse,  et  qui  ne  s'arrêtera 
point. 

Je  crois  donc  que  je  devrais  dès  au- 
jourd'hui changer  le  ton  général  de  cet 
écrit,  vu  sur-tout  qu'il  est  actuellement 
suivi  d'une  seconde  partie  qui  lui  donne 
plus  de  consistance,  et  dans  laquelle  j'ai 
pris  une  marche  plus  ferme  et  plus  ra- 
pide, Mais  cette  amélioration  exigeait, 
de  moi  un  assez  grand  travail.  Or,  je 
pense  que  le  vrai  moment  de  m'y  livrer 
sera  quand  j'aurai  terminé  la  troisième 
partie,  de  l'achèvement  de  laquelle  je 
veux  m'occuper  avant  tout.  Alors  seule- 
ment l'ouvrage  sera  complet.  Je  pourrai 
d'un  coup  -  d'oeil  en  embrasser  l'en- 
semble, juger  de  l'effet  général,  et  ré- 
tablir l'harmonie  entre  les  diverses 
sciions.  Jusque-là  je  continuerai  à  de- 
mander de  l'indulgence  pour  les  défauts 
dedétail,que  je  n'ai  pu  faire  disparaître, 


AVERTISSEMENT.  IX 

m'estimant  très-heureux  si  on  n'a  que 
de  ceux-là  à  me  reprocher. 

Néanmoins,  en  attendant  mieux,  j'ai 
cru  utile  de  supprimer  la  longue  réca- 
pitulation qui  terminait  cette  Idéologie 
dans  la  première  édition,  et  de  la  rem- 
placer par  un  Extrait  raisonné  servant 
de  Table  analytique,  pareil  à  celui  que 
j'ai  mis  à  la  lin  de  la  Grammaire.  Je  le 
crois  bien  plus  propre  à  montrer  l'en- 
chaînement des  idées,  et  à  en  faire  sen- 
tir le  faible  si  elles  étaient  mal  fondées 
ou  mal  suivies.  Or,  c'est-là  mon  princi- 
pal objet,  car  on  ne  peut  désirer  d'être 
approuvé  qu'autant  que  l'on  a  raison. 
Réussir  autrement,  c'est  être  nuisible 
au  lieu  d'être  *utile  5  et  assurément  ce 
n'est  pas  la  peine  de  travailler  pour  ar- 
river à  un  tel  succès. 


TABLE 

DES  CHAPITRES. 


Avertissement,  pagev 

Préface,  xiij 

Introduction,  i 

CHAP.  Ier.      Qu'est-ce  que  penser?  zi 

CHAP.  II.       De  la  Sensibilité  et  des  Sensations ,  28 

CHAP.  III.     De  la  Mémoire  et  des  Souvenirs,     3/ 

CHAP.  IV.      Du    Jugement   et  des  Sensations   de 
rapports ,  4^ 

CHAP.  V.      De  la  Volonté  et  des  Sensations  de 
désirs ,  67 

CHAP.  VI.     De  la  Formation,  de  nos  Idées  com- 
posées ,  74 

CHAP.  VII.   De  l'Existence,  107 

CHAP.  VIII.  Comment  nos  Facultés  intellectuelles 
commencent-elles  à  agir?  i42 

CHAP.  IX.     Des  Propriétés  des  Corps  et  de  leur* 
Relation,  i55 

CHAP.  X.      Continuation  du  précédent.  De  la  me- 
sure des  Propriétés  des  Corps»,   173 


TABLE   DES    CHAPITRES.  XJ 

CHAP.  XI.    Réflexions  sur  ce  qui  précède ,  et  sur 
la  manière  dont  Condillac  a  analysé 

la  pensée,  page  210 

•    \. 

CHAP..  XII.  De  la  Faculté  de  nous  mouvoir, 
et  de  ses  rapports  avec  la  Faculté 
de  sentir,  229 

CHAP.  XIII.  De  l'influence  de  notre  Faculté  de 
vouloir  sur  celle  de  nous  mouvoir, 
et  sur  chacune  de  celles  qui  com- 
posent la  Faculté  de  penser,      23g 

CHAP.  XIV.  Des  effets  que  produit  en  nous  la 
fréquente  répétition  des  mêmes 
actes ,  253 

CHAP.  XV.  Du  perfectionnement  graduel  de  nos 
Facultés  intellectuelles ,  284 

CHAP.  XVI.  Des  Signes  de  nos  Idées  et  de  leur 
effet  principal,  3c2 

CHAP.  XVII.  Continuation  du  précédent".  Des 
autres  effets  des  signes,  355 

Extrait  raisonné  de  l'idéologie,  servant  de 
Table   analytique,  089 

Nota.  Pour  soulager  l'attention,  ces  dix-sept  cha- 
pitres peuvent  être  partagés  en  trois  sections. 

La  première,  composée  des  chapitres  1,  2,  5,  4» 
5,  6,  7  et  8,  contient  la  description  de  nos  facultés 
intellectuelles. 

La  seconde,  composée  des  chapitres  9,  10  et  il, 


Xij  TABLE   DES    CHAPITRES. 

renferme  l'application  de  cette  connaissance  â  la  con-- 
naissance  des  propriétés  des  corps. 

Et  la  troisième,  composée  des  chapitres  12,  i3 
i4,  i5,  16  et  17,  traite  des  effet3  de  la  réunion 
de  notre  faculté  de  sentir  avec  la  faculté  de  nous, 
mouvoir. 


Tin  de  la  Table. 


PRÉFACE 

De  V Édition  de  18 o4. 

J'offre  en  ce  moment  au  public  un 
Ouvrage  qui  m'a  coûté  beaucoup  de 
travail,  et  dont  je  n'attends  pas  un  grand 
succès  pour  moi,  mais  un  peu  d'utilité 
pour  la  science.  Je  le  présente  aux  jeunes 
gens  comme  un  plan  d'étude,  aux  con- 
naisseurs comme  un  mémoire  à  consul- 
ter. Je  dois  rendre  compte  à  ceux-ci  des 
motifs  qui  m'ont  dirigé,  et  de  la  ma- 
nière dont  j'ai  envisagé  mon  sujet. 

On  n'a  qu'une  connaissance  incom- 
plète d'un  animal ,  si  l'on  ne  connaît  pas 
ses  facultés  intellectuelles.  '  L'Idéologie 
est  une  partie  de  la  Zoologie,  et  c'est 
sur-tout  dans  l'homme  que  cette  partie 
est  importante  et  mérite  d'être  appro- 
fondie :  aussi  l'éloquent  interprête  de  la 
nature,  BufFon,  aurait-il  cru  n'avoir  pas 
achevé  son  histoire  de  l'homme,   s'il 


XI V  PREFACE. 

n'avait  pas  au  moins  essayé  de  décrire 
sa  faculté  de  penser.  Je  ne  prononcerai 
pas  que  cette  partie  de  son  ouvrage  n'est 
point  digne  de  son  illustre  auteur;  mais 
j'oserai  assurer  que  c'est  celle  qui  satis- 
fait le  moins  le  lecteur  attentif  et  l'ob- 
servateur scrupuleux.  Il  ne  faut  pas  s'en 
étonner,  puisque  de  tous  les  sujets  qu'il 
a  traités,  c'est  celui  qui  avait  été  le 
moins  étudié  avant  lui.  Et  cela  encore 
devait  être.  L'homme  parsa  nature  tend 
toujours  au  résultat  le  plus  prochain  et 
le  plus  pressant.  Il  pense  d'abord  à  ses 
besoins,  ensuite  à  ses  plaisirs.  Il  s'occupe 
d'agriculture,  de  médecine,  de  guerre, 
de  politique-pratique,  puis  de  poésie  et 
d'arts,  avant  que  de  songer  à  la  philo- 
sophie :  et  lorsqu'il  fait  un  retour  sur 
lui-même  et  qu'il  commence  à  réfléchir, 
il  prescrit  des  règles  à  son  jugement, 
c'est  la  logique  ;  à  ses  discours,  c'est  la 
grammaire;  à  ses  désirs,  c'est  ce  qu'il 
appelle  morale.  Il  se  croit  alors  au  som- 


PREFACE.  XV 

met  de  la  théorie,  et  n'imagine  pas  même 
que  l'on  puisse  aller  plus  loin.  Ce  n'est 
que  long-temps  après  qu'il  s'avise  de 
soupçonner  que  ces  trois  opérations, 
juger,  parler,  et  vouloir,  ont  une  source 
commune  ;  que,  pour  les  bien  diriger, 
il  ne  faut  pas  s'arrêter  à  leurs  résultats, 
mais  remonter  à  leur  origine  ;  qu'en 
examinant  avec  soin  cette  origine,  il 
y  trouvera  aussi  les  principes  de  l'édu- 
cation et  de  la  législation;  et  que  ce 
centre  unique  de  toutes  les  vérités  est 
la  connaissance  de  ses  facultés  intellec- 
tuelles. 

Locke  est,  je  crois,  le  premier  des 
hommes  qui  ait  tenté  d'observer  et  de 
décrire  l'intelligence  humaine ,  comme 
Ton  observe  et  l'on  décrit  une  propriété 
d'un  minéral  ou  d'un  végétal,  ou  une 
circonstance  remarquable  de  la  vie  d'un 
animal  :  aussi  a-t-il  fait  de  cette  étude 
une  partie  de  la  Physique.  Ce  n'est  pas 
qu'avant  lui  on  n'eût  fait  beaucoup 


XV j  PRÉFACE. 

d'hypothèses  sur  ce  sujet,  qu'on  n'eût 
même  dogmatisé  avec  une  grande  har- 
diesse sur  la  nature  de  notre  ame;  mais 
c'était  toujours  en  vue,  non  de  décou- 
vrir la  source  de  nos  connaissances , 
leur  certitude  et  leurs  limites,  mais  de 
déterminer  le  principe  et  la  fin  de  toutes 
choses,  de  deviner  l'origine  et  la  desti- 
nation du  monde.  C'est-là  l'objet  de 
la  Métaphysique.  Nous  la  rangerons 
au  nombre  des  arts  d'imagination  des- 
tinés à  nous  satisfaire,  et  non  à  nous 
instruire. 

Quelques  bons  esprits  ont  suivi  et 
continué  Locke  :  Condillac  a  plus  qu'au- 
cun autre  accru  le  nombre  de  leurs  ob- 
servations, et  il  a  réellement  créé  l'Idéo- 
logie. Mais,  malgré  l'excellence  de  sa 
méthode  et  la  sûreté  de  son  jugement, 
il  ne  paraît  pas  avoir  été  exempt  d'er- 
reurs. C'est  sur-tout  dans  cette  science 
que  l'on  éprouve,  ce  que-  nous  aurons 
lieu  d'observer  dans  la  suite,  que  nos 


PRÉFACE»  XVij 

perceptions  purement  intellectuelles 
sont  bien  fugitives ,  et  que  moins  l'ob- 
jet de  nos  recherches  nous  ramène  sou- 
vent au  témoignage  direct  de  nos  sens  , 
plus  nous  sommes  sujets  à  nous  mé- 
prendre et  à  nous  égarer.  D'ailleurs  les 
ouvrages  théoriques  de  Condillac  ne 
sont  presque  que  des  morceaux  déta- 
chés, des  monumens  de  ses  recherches. 
Il  s'est  pressé  d'appliquer  ses  décou- 
vertes aux  arts  de  parler,  de  raisonner, 
d'enseigner  :  mais  il  ne  s'est  point  oc- 
cupé de  les  réunir,  et  ne  nous  a  donné 
nulle  part  un  corps  de  doctrine  complet 
qui  puisse  servir  de  texte  aux  leçons 
d'un  cours. 

Je  me  suis  proposé  d'y  suppléer.  J'ai 
essayé  de  faire  une  description  exacte 
et  circonstanciée  de  nos  facultés  intel- 
lectuelles, de  leurs  principaux  phéno- 
mènes, et  de  leurs  circonstances  les  plus 
remarquables,  en  un  mot  de  véritables 

élémens  d'Idéologie;  et  sans  m'arrêter 

b 


XViij  PRÉFACE. 

aux  difficultés  de  l'entreprise,  je  n'ai  en- 
visagé que  son  utilité.  Je  n'ignore  pas 
cependant  que,  même  dans  les  sciences 
les  plus  avancées  et  les  plus  connues, 
les  livres  élémentaires  sont  de  tous  les 
plus  difficiles  à  faire.  Dans  un  ouvrage 
de  recherches,  pourvu  que  l'on  dise  des 
vérités,  on  a  rempli  son  but.  Dans  des 
élémenscela  ne  suffit  pas  :  il  faut  encore 
disposer  ces  vérités  dans  un  ordre  con- 
venable, n'oublier  aucune  de  celles  qui 
sont  essentielles,  écarter  toutes  celles 
qui  sont  surabondantes,  faire  que  toutes 
s'enchaînent  et  s'appuient  réciproque- 
ment; enfin,  les  présenter  assez  claire- 
ment pour  qu'elles  soient  entendues  par 
les  personnes  les  moins  instruites;  et 
certes  c'est-là  une  assez  grande  tâche  à 
remplir.  Les  difficultés  sont  bien  plus 
grandes  encore  quand  on  traite  une 
science  comme  celle-ci,  qui  n'a  pas  été 
suffisamment  cultivée.  Souvent,  en  ren- 
dant compte  d'un  fait,  on  s'aperçoit  qu'il 


PREFACE.  XIX 

exige  de  nouvelles  observations,  et, 
mieux  examiné,  il  se  présente  sous  un 
tout  autre  aspect  :  d'autres  fois ,  ce  sont 
les  principes  eux-mêmes  qui  sont  à  re- 
faire, ou,  pour  les  lier  entr'eux,  il  y  a 
beaucoup  de  lacunes  à  remplir  ;  en  un 
mot,  il  ne  s'agit  pas  seulement  d'expo- 
ser la  vérité,  mais  de  la  découvrir.  C'est 
ce  que  j'ai  tâché  de  faire,  sans  me  flatter 
d'y  avoir  toujours  réussi. 

Cependant  il  est  arrivé  de  là  premiè- 
rement, qu'il  y  a  dans  cet  écrit  beaucoup 
plus  d'idées  nouvelles  que  je  n'aurais 
voulu;   je  désirerais  bien  que  toutes 
celles  qui  m'ont  paru  justes  fussent  an- 
ciennes, je  serais  bien  plus  sûr  de  ne 
m'ètre  pas  trompé,  et  j'aurais  bien  plus 
d'espérance  de  les  voir  accueillies  :  secon- 
dement, que  n'ayant  pas  toujours  à 
énoncer  des  vérités  déjà  connues ,  j'ai 
souvent  été  obligé  de  quitter  le  ton  de  la 
narration  pour  prendre  celui  de  la  dis- 
cussion, et  de  donner  à  certains  prin- 

b. . 


SX  PREFACE. 

cipes  un  développement  proportionna 
non  pas  à  leur  importance  ou  à  leur 
difficulté  réelle,  mais  à  la  crainte  de  les 
voir  combattus  et  repoussés,  ce  qui  né- 
cessairement nuit  à  l'effet  de  l'ensemble: 
troisièmement,  qu'assuré  de  trouver 
des  préventions  dans  l'esprit  de  mes 
lecteurs ,  j'ai  quelquefois  été  obligé 
d'aller  au-devant,  et,  pour  cela,  de  dé- 
ranger l'ordre  naturel  des  idées.  Car, 
quoique  Condillac  soutienne  avec  rai- 
son qu'un  auteur  doit  énoncer  claire- 
ment sa  pensée,  ne  dire  que  ce  qui  est 
nécessaire  pour  la  prouver,  et  n'avoir 
aucun  égard  aux  préjugés  dominans,  et 
qu'il  viendra  un  temps  où  on  ne  lui  re- 
prochera pas  d'avoir  bien  écrit,  il  est 
pourtant  vrai  qu'on  ne  peut  pas  tou- 
jours construire,  sans  auparavant  né- 
toyer  le  terrain  :  peut-être  même  ai-je 
trop  négligé  cette  précaution;  du  moins 
est-il  sûr  que  je  l'aurais  prise  plus  sou- 
vent, si  je  ne  m'étais  pas  décidé  à  écrire 


PREFACE.  XX  j 

principalement  pour  les  jeunes  gens, 
que  je  crois  encore  en  général  les  meil- 
leurs juges  en  ces  matières. 

Cet  état  de  la  science  est  encore  cause 
que,  pour  bien  éclaircir  une  difficulté, 
j'ai  quelquefois  été  obligé  de  suivre  une 
idée  plus  loin  qu'il  n'aurait  été  conve- 
nable dans  des  élémens;  et  cela  m'a  en- 
gagé dans  des  considérations  qui  paraî- 
tront trop  fines  et  trop  étendues  pour 
les  jeunes  gens  à  qui  je  m'adresse.  Au 
reste,  je  regarde  ce  dernier  inconvénient 
comme  plus  apparent  que  réel  ;  car,  je 
le  répète,  je  crois  les  jeunes  gens  en  gé- 
néral très-capables  de  comprendre  ces 
matières,  et  beaucoup  plus  disposés  à 
les  saisir  sous  leur  vrai  jour  que  bien 
des  hommes  instruits  qui  ont  des  opi- 
nions toutes  faites,  et  des  habitudes 
acquises. 

De  tout  cela  il  résulte  que  je  ne  peux 
pas  avoir  fait  de  bons  élémens  d'Idéolo- 
gie. Quand  je  considère  à  quel  degré  de 


XXlj  PREFACE. 

perfection  sont  parvenues  les  sciences 
mathématiques ,  combien  il  existe  de 
livres  élémentaires  dans  cette  partie ,  et 
que  j'entends  tous  les  jours  se  plaindre 
qu'il  n'y  en  a  aucun  qui  satisfasse  plei- 
nement les  connaisseurs,  je  ne  saurais 
me  flatter  d'avoir  atteint  ce  but  dès  le 
premier  coup  dans  la  science  que  j'ai 
traitée.  Mais  il  fallait  bien  commencer 
par  quelque  chose.  Mon  ouvrage  est 
une  ébauche  à  perfectionner,  un  cadre 
que  l'on  peut  étendre  et  resserrer,  ou 
même  remplir  différemment,  enfin  un 
point  de  départ  pour  ceux  qui  courront 
la  même  carrière  à  l'avenir  :  c'est  comme 
tel  que  je  le  présente  au  public.  Tout 
ce  que  j'en  espère,  c'est  que  ceux  qui 
écriront  après  moi  se  croiront  obligés  de 
me  discuter;  ce  qui  fera  que  bientôt  ils 
auront  une  langue  commune,  au  moyen 
de  laquelle  on  pourra  les  entendre  tous; 
tandis  que  jusqu'à  présent  chaque  au- 


PREFACE.  Xxiij 

leur  a  la  sienne,  qui  n'est  bien  familière 
qu'à  lui. 

J'avais  encore  un  autre  motif  quand 
j'ai  commencé  à  écrire  ce  petit  Traité. 
Je  voyais  que  les  auteurs  de  la  loi  du  5 
brumaire  an  4,  qui  ontrendu  àlaFrance 
une  instruction  publique  dès  qu'ils  lui 
ont  eu  donné  une  constitution ,  avaient 
établi  une  chaire  de  grammaire  générale 
dans  chaque  école  centrale  :  je  compre- 
nais par  là  qu'ils  avaient  senti  que  toutes 
les  langues  ont  des  règles  communes 
qui  dérivent  de  la  nature  de  nos  facul- 
tés intellectuelles,  et  d'où  découlent  les 
principes  du  raisonnement  ;  qu'ils  pen- 
saient qu'il  faut  avoir  envisagé  ces  règles 
sous  le  triple  rapport  de  la  formation , 
de  l'expression,  et  de  la  déduction  des 
idées ,  pour  connaître  réellement  la 
marche  de  l'intelligence  humaine,  et 
que  cette  connaissance  non-seulement 
est  nécessaire  à  l'étude  des  langues , 
mais  encore  est  la  seule  base  solide  des 


Xxiv  PREFACE. 

sciences  morales  et  politiques  dont  ils 
voulaient  avec  raison  que  tous  les  ci- 
toyens eussent  des  idées  saines,  sinon 
profondes;  qu'en  conséquence  leur  in- 
tention était  que,  sous  ce  nom  de  gram- 
maire générale,  on  fit  réellement  un 
cours  d'idéologie,  de  grammaire,  et  de 
logique,  qui,  en  enseignant  la  philoso- 
phie du  langage,  servît  d'introduction 
au  cours  de  morale  privée  et  publique. 
Mais  la  loi  ne  pouvait  ni  ne  devait  en- 
trer dans  ces  détails.  Les  règlemens 
d'exécution  n'étaient  point  faits;  et  je 
croyais  que  la  plupart  des  citoyens  ne 
savaient  pas  ce  que  l'on  voulait  faire  ap- 
prendre à  leurs  enfans,  que  beaucoup 
de  professeurs  mêmes  ne  se  faisaient  pas 
une  idée  complète  de  l'enseignement 
qu'on  attendait  de  leur  zèle.  D'ailleurs, 
quand  ils  l'auraient  vu  nettement,  ils 
n'avaient  aucun  livre  qui  pût  leur  servir 
constamment  de  guide.  Je  crus  donc 
que  je  ferais  une  chose  utile  de  leur  of- 


PRÉFACE.  XXV 

frir  un  texte  à  commenter,  un  canevas 
à  remplir  ;  et  je  ne  doutais  pas  que  bien- 
tôt, par  l'effet  même  de  leurs  leçons,  les 
cahiers  de  plusieurs  d'entr'eux  ne  de- 
vinssent d'excellens  traités,  aussi  utiles 
à  l'avancement  de  la  science  qu'à  son 
enseignement. 

Sur  ce  point  je  pourrais  bien  m'être 
trompé  :  car  je  vois  qu'à  la  fureur  de 
tout  détruire  a  succédé  la  manie  de  ne 
rien  laisser  s'établir,  et  que,  sous  pré- 
texte de  haïr  les  écarts  de  la  révolution, 
on  déclare  la  guerre  à  tout  ce  qu'elle  a 
produit  de  bon  :  c'est  une  mode  qui  a 
remplacé  nos  anciens  beaux  airs.  Autre- 
fois on  ne  parlait  que  de  réformes ,  de 
changemens  nécessaires  dans  l'éduca- 
tion; aujourd'hui  on  voudrait  la  voir 
comme  du  temps  de  Charleinagne  :  on 
ridiculisait  l'expérience  sous  le  nom  de 
routine;  actuellement  on  croit  donner 
une  haute  idée  de  ses  connaissances  pra- 
tiques en  affectant  du  mépris  pour  les 


XXVJ  PREFACE. 

théories  qu'on  ignore  :  on  soutient  gra- 
vement que  pour  bien  raisonner  il  n'est 
pas  nécessaire  de  connaître  ses  facultés 
intellectuelles,  et  que  l'homme  en  so- 
ciété n'a  nul  besoin  d'étudier  les  prin- 
cipes de  l'art  social.  Il  semble  que  ce 
soit  déjà  un  usage  gothique  parmi  nous, 
que  celui  de  cultiver  sa  raison ,-  et  de 
l'affranchir  du  joug  des  préjugés.  C'est 
ainsi  que  l'on  a  vu  des  hommes,  nova- 
teurs effrénés,  coiffés  d'un  bonnet  rouge, 
accuser  les  philosophes  d'être  des  réfor- 
mateurs timides,  et  des  amis  froids  du 
bien  de  l'humanité,  qui  maintenant  les 
accusent  d'avoir  tout  bouleversé ,  et  en 
conséquence  travaillent  sans  relâche  à 
renverser  encore  les  institutions  utiles 
que  ces  mêmes  philosophes  sont  parve- 
nus à  conserver  ou  à  établir  au  milieu 
des  murmures  et  des  proscriptions  ; 

Et  des  petits  péchés  commis  dans  leur  jeune  âge , 
Vont  faire  pénitence  en  opprimant  un  sage  -, 

constans  dans  ce  seul  point  de  toujours 


PREFACE.  XXVij 

persécuter.  Cependant  j'espère  que  la 
sagesse  du  gouvernement  mettra  un 
terme  à  cette  fureur  hypocrite  ;  qu'il  dira 
aux  fous  qu'il  veut  bien  les  laisser  jeter 
des  pierres  aux  gens  raisonnables,  mais 
qu'il  ne  veut  pas  qu'ils  les  assom- 
ment (1),  et  même  que  son  exemple  leur 
persuadera  qu'ils  ne  doivent  pas  comp- 
ter long-temps  sur  les  applaudissemens 
des  spectateurs.  Je  suis  très-convaincu 
que  cela  arrivera,  et  je  m'en  réjouirai 
dans  ma  solitude.  Mais  comme,  au  mi- 
lieu de  cette  nouvelle  lutte,  on  peut  être 
quelques  années  sans  s'occuper  de  la 
science  que  je  traite,  et  par  conséquent 
de  mon  ouvrage ,  il  est  possible  que , 
quand  on  le  lira,  la  manie  actuelle  soit 
déjà  oubliée  :  c'est  pourquoi  j'ai  voulu 
en  faire  mention  ici,  afin  que  l'on  se  rap- 

(1)  Voyez  la  fable  de  La  Fontaine,  un  Fou  et 
un  Sage. 

C'est  fort  bien  fait  à  toi  ;  recois  cet  e'cu-ci^ 
Tu  fatigues  assez  pour  gagner  davantage. 


XXVilj  PREFACE. 

pelle  un  jour  qu'elle  a  beaucoup  retar- 
dé les  progrès  de  nos  études ,  sans  toute- 
fois refroidir  notre  zèle,  ni  altérer  notre 
tranquillité. 

J'ai  donc  continué  mon  travail,  ayant 
sur-tout  en  vue  les  écoles  publiques,  et 
particulièrement  les  écoles  centrales. 
Je  crois  même  qu'eu  égard  à  l'état  de  la 
science  e  taux  nombreuses  imperfections 
que  je  n'ai  pu  faire  disparaître  de  mon 
ouvrage,  il  a  besoin,  pour  être  vrai- 
ment utile,  d'être  présenté,  commenté, 
peut-être  même  corrigé,  par  un  habile 
professeur  :  car,  quoi  qu'on  en  dise, 
moins  u%e  science  est  avancée,  moins 
elle  a  été  bien  traitée,  et  plus  elle  a 
besoin  d'être  enseignée.  C'est  ce  qui  me 
fait  beaucoup  désirer  qu'on  ne  renonce 
pas  en  France  à  l'enseignement  des 
sciences  idéologiques,  morales,  et  poli- 
tiques, qui,  après  tout,  sont  des  sciences 
comme  les  autres ,  à  la  différence  près 
que  ceux  qui  ne  les  ont  point  étudiées 


PREFACE.  Xxix 

sont  persuadés  de  si  bonne  fois  de  les 
savoir,  qu'ils  se  croient  en  état  d'en 
décider  (1).  Néanmoins  je  ne  renonce 
pas  à  l'espérance  qu'un  bon  esprit  sans 
prévention  puisse  me  lire  avec  fruit, 
même  sans  secours  étranger.  Dans  ce 
cas,  je  le  prie  seulement  de  ne  pas  s'ar- 
rêter au  premier  endroit  qu'il  ne  goû- 
tera pas  ,  mais  d'aller  jusqu'au  bout 
avant  de  me  condamner,  parce  qu'il 
trouvera  souvent  plus  loin  des  déve- 
loppemens  subséquens  qui  éclairciront 
les  difficultés  antérieures.  Avec  cette 
précaution,  je  me  flatte  qu'on  me  com- 
prendra assez  pour  que  je  sois  approuvé, 
si  j'ai  raison,  ou  réfuté  en  connaissance 
de  cause,  si  j'ai  tort.  Ce  dernier  succès 
ne  paraît  pas  très-flatteur  à  obtenir  : 
cependant  il  est  réservé  à  ceux  qui  s'ex- 

(1)  Effectivement  tous  les  hommes  les  savent  plus 
ou  moins,  comme  ils  savent  assez  de  mécanisme  pour 
s'appuyer  sur  une  canne,  et  assez  de  physique  pour 
souffler  le  feu. 


XXX  PREFACE. 

priment  avec  une  précision  rigoureuse  ; 
et  ce  genre  de  mérite  met  bien  sur  le 
chemin  de  trouver  la  vérité. 

Il  me  reste  à  me  justifier  de  publier 
la  première  partie  de  ces  élémens  sans 
la  deuxième  et  la  troisième.  Sans  doute 
il  eût  mieux  valu  ne  les  pas  séparer  ;  et 
je  regrette  vivement  de  n'avoir  pas  pu 
les  donner  ensemble,  parce  que  je  suis 
très-persuadé  que  les  dernières  parties 
eussent  jeté  beaucoup  de  jour  sur  la 
première,  et  donné  beaucoup  d'appui 
à  ma  manière  de  voir.  Cependant  je 
prie   le  lecteur  d'observer   que   cette 
partie  que  je  lui  soumets  en  ce  moment 
renferme  à  proprement  parler  toute  la 
théorie,  et  que  j'ai  voulu  pressentir  son 
jugement  sur  les  principes  avant  de  me 
livrer  aux  applications.  Si  j'étais  assez. 
heureux  pour  recueillir  de  bonnes  cri- 
tiques, et  que  ma  manière  d'analyser 
la  pensée  dût  être  réformée,  nécessai- 
rement ma  Grammaire  et  ma  Logique 


PRÉFACE.  XXX  j 

en  seraient  modifiées,  et  par  là  se  trou- 
veraient tout  de  suite  plus  dignes  de 
l'approbation  des  connaisseurs.  C'est-là 
ce  qui  m'a  décidé;  car  la  perfection  est 
loin  de  nous  :  tout  ce  que  je  souhaite 
est  de  mériter  que  l'on  dise  que  j'ai  fait 
un  peu  de  bien.  Si  j'en  étais  sûr,  je  me 
vanterais  des  excellens  conseils  que 
j'ai  reçus  de  plusieurs  hommes  éclairés 
avec  qui  je  suis  intimement  lié,  et  je 
dédierais  cet  ouvrage  à  un  véritable  ami 
à  qui  je  suis  particulièrement  redevable 
de  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  bon  dans  ce 
que  j'ai  écrit.  Mais  je  me  refuserai  ce 
plaisir,  jusqu'à  ce  que  le  public  m'ait 
jugé,  ne  voulant  point  associer  des  noms 
respectables  à  un  mauvais  succès.  Je 
pense  que  l'on  ne  devrait  jamais  mettre 
d'épître  dédicatoire  à  une  première 
édition. 

Peut-être  en  approuvant  ma  discré- 
tion, jugera-t-on  qu'au  moins  j'aurais 
du  citer  les  auteurs  dont  je  me  suis 


XXXlj  PREFACE. 

quelquefois  approprié  les  idées.  J'avoue 
que  si  je  ne  l'ai  pas  fait,  c'est  que  le  plus 
souvent  je  ne  me  suis  pas  rappelé  à  qui 
j'étais  redevable.  Je  déclare  une  fois 
pour  toutes  qu'il  y  a  dans  cet  écrit  beau- 
coup de  choses  qui  ne  sont  pas  de  moi  ; 
et  je  répète  que  je  voudrais  bien  qu'il 
en  fût  de  même  du  reste,  et  que  le  tout 
ne  fût  qu'un  recueil  de  vérités  déjà  con- 
nues et  convenues  :  je  m'occuperais 
avec  bien  plus  de  confiance  et  de  plaisir 
à  en  tirer  des  conséquences  et  à  en  faire 
des  applications. 


ELEME1NS 


ÉLEMENS 

D'IDÉOLOGIE. 

IDÉOLOGIE 

PROPREMENT   DITE. 


INTRODUCTION. 

J  eunes  gens,  c'est  à  vous  que  je  m'adresse; 
c'est  pour  vous  seuls  que  j'écris.  Je  ne  pré- 
tends point  donner  des  leçons  à  ceux  qui 
savent  déjà  beaucoup  de  choses,  et  les  savent 
bien  :  je  leur  demanderai  des  lumières  au 
lieu  de  leur  en  offrir.  Et  quant  à  ceux  qui 
savent  mal,  c'est-à-dire  qui,  ayant  un  très- 
grand  nombre  de  connaissances,  en  ont  tiré 
de  faux  résultats  dont  ils  se  croient  très-sûrs, 
et  auxquels  ils  sont  attachés  par  une  longue 
habitude,  je  suis  encore  plus  éloigné  de  leur 
présenter  mes  idées  j  car,  comme  Ta  dit  un 

A 


2  IDEOLOGIE. 

des  plus  grands  philosophes  modernes (i)r 
«  Quand  les  hommes  ont  une  fois  acquiescé 
y>  à  des  opinions  fausses,  et  qu'ils  les  ont 
y)  authentiquement  enregistrées  dans  leurs 
y>  esprits,  il  est  tout  aussi  impossible  de 
»  leur  parler  intelligiblement  que  d'écrire 
))  lisiblement  sur  un  papier  déjà  brouillé 
y>  d'écriture.  » 

Rien  n'est  plus  juste  que  cette  observa- 
lion  de  Hobbes.  Peut-être  verrons- nous 
bientôt  ensemble  la  raison  de  ce  fait  ;  mais, 
en  attendant,  vous  pouvez  le  tenir  pour 
très- certain.  Je  serais  même  fort  surpris  si 
votre  petite  expérience  personnelle ,  quel- 
que peu  étendue  qu'elle  soit,  ne  vous  en 
avait  pas  déjà  offert  la  preuve.  En  tout  cas, 
la  première  fois  qu'il  arrivera  à  un  de  vos 
camarades  de  s'attacher  obstinément  à  une 
idée  quelconque  qui  paraîtra  évidemment 
absurde  à  tous  les  autres ,  observez-le  avec 
soin,  et  vous  verrez  qu'il  est  dans  une  dispo- 
sition d'esprit  telle,  qu'il  lui  est  impossible  de 
comprendre  les  raisons  qui  vous  semblent 
les  plus  claires;  c'est  que  les  mêmes  idées 

(i)  Hobbes,  Traité  de  la  Nature  humaine,  tra- 
duction du  baron  d'Holbach. 


INTRODUCTION.  3 

se  sont  arrangées  d'avance  dans  sa  tête  dans 
un  tout  autre  ordre  que  dans  la  vôtre,  et 
qu'elLes  tiennent  à  une  infinité  d'autres  idées 
qu'il  faudrait  déranger  avant  de  rectifier 
celles-là.  Dans  une  autre  occasion  vous  lui. 
donnerez  peut-être  sa  revanche.  Eh  bien, 
mes  amis,  c'est  de  la  même  manière  et  par 
les  mêmes  causes  que  l'on  s'attache  à  un 
faux  système  de  philosophie  et  à  une  fausse 
combinaison  dans  un  jeu  d'enfans. 

C'est  pour  vous  préserver  de  l'un  et  de 
l'autre  que  je  veux,  dans  cet  écrit,  non  pas 
vous1  enseigner,  mais  vous  faire  remarquer 
tout  ce  qui  se  passe  en  vous  quand  vous 
pensez,  parlez,  et  raisonnez.  Avoir  des  idées, 
les  exprimer,  les  combiner,  sont  trois  cho- 
ses différentes,  mais  étroitement  liées  entre 
elles.  Dans  la  moindre  phrase,  ces  trois  opé- 
rations se  trouvent  ;  elle  sont  si  mêlées,  elles 
s'exécutent  si  rapidement,  elles  se  renou- 
yellent  tant  de  fois  dans  un  jour,  dans  une. 
heure,  dans  un  moment,  qu'il  paraît  d'abord 
fort  difficile  de  débrouiller  comment  cela 
se  passe  en  nous.  Cependant,  vous  verrez 
bientôt  que  ce  mécanisme  n'est  point  si 
compliqué  que  vous  le  croyez  peut-être. 
Pour  y  voir  clair,  il  suffit  de  l'examiner  en 

A  2 


4  ÏJ3ÉOLOGÎE. 

détail-  et  déjà  vous  sentez  qu'il  est  néces- 
saire de  le  connaître  pour  être  sûr  de  se 
faire  des  idées  vraies,  de  les  exprimer  avec 
exactitude,  et  de  les  combiner  avec  jus- 
tesse; trois  conditions  sans  lesquelles  on  ne 
raisonne  pourtant  qu'au  hasard.  Étudions 
donc  ensemble  notre  intelligence,  et  que  je 
sois  seulement  votre  guide;  non  parce  que 
j'ai  déjà  pensé  plus  que  vous ,  car  cela  pour- 
rait bien  ne  m'avoir  servi  de  rien,  mais 
parce  que  j'ai  beaucoup  observé  comment 
l'on  pense,  et  que  c'est  cela  qu'il  s'agit  de 
vous  faire  voir. 

On  donne  difïërens  noms  à  la  science 
dont  nous  allons  parler;  mais  quand  nous 
serons  un  peu  plus  avancés,  et  que  vous  au- 
rez une  idée  nette  du  sujet,  vous  verrez  bien 
clairement  quel  nom  on  doit  lui  donner. 
Jusque-là  tous  ceux  que  je  vous  suggérerais 
ne  vous  apprendraient  rien,  ou  peut-être 
même  vous  égareraient,  en  vous  indiquant 
des  choses  dont  il  ne  sera  point  question 
ici.  Étudions  donc,  et  nous  trouverons  en- 
suite comment  s'appelle  ce  que  nous  aurons 
appris  (1). 

(i)  Cette  science  peut  s'appeler  Idéologie,  si  l'on 


INTRODUCTION.  5 

Bien  des  gens  croient  qu'à  votre  âge  on 
n'est  pas  capables  de  l'étude  à  laquelle  je  veux 
vous  engager.  C'est  une  erreur;  et,  pour  le 
prouver,  je  pourrais  me  contenter  de  vous 
citer  mon  expérience  personnelle ,  et  de 
vous  dire  que  j'ai  souvent  exposé  à  des  en- 
fans  aussi  jeunes  qu'aucun  de  vous,  et  qui 
n'avaient  rien  de  remarquable  pour  l'intel- 
ligence, toutes  les  idées  dont  je  vais  vous 
entretenir,  et  qu'ils  les  ont  saisies  avec  fa- 
cilité et  avec  plaisir;  mais  je  vous  dois  quel- 
ques explications  de  plus;  elles  ne  seront 
pas  inutiles  par  la  suite 

Premièrement,  il  n'est  pas  douteux  que 
nos  forces  intellectuelles ,  comme  nos  forces 
physiques,  s'accroissent  et  augmentent  avec 
le  développement  de  nos  organes;  ainsi,  dans 
quelques  années,  vous  serez  certainement 

ne  fait  attention  qu'au  sujet;  Grammaire  générale, 
si  l'on  n'a  égard  qu'au  moyen,  et  Logique ,  si  l'on  ne 
considère  que  le  but.  Quelque  nom  qu'on  lui  donne, 
elle  renferme  nécessairement  ces  trois  parties  ',  car  on 
ne  peut  en  traiter  une  raisonnablement  sans  traiter  les 
deux  "autres.  Idéologie  me  paraît  le  terme  générique, 
parce  que  la  science  des  idées  renferme  celle  de  leur 
expression  et  celle  de  leur  déduction.  C'est  en  même- 
temps  le  nom  spécifique  de  la  première  partie» 


6  IDÉOLOGIE. 

susceptibles  d'une  attention  plus  forte  et 
plus  longue  qu'aujourd'hui,  comme  vous 
serez  capables  de  remuer  et  de  soutenir  des 
fardeaux  plus  lourds. 

Secondement,  il  est  tout  aussi  sur  que 
certaines  facultés  se  développent  avant  d'au- 
tres; et  que,  comme  la  souplesse  du  corps 
précède  sa  plus  grande  vigueur,  de  même  la 
faculté  de  recevoir  des  impressions  et  celle 
de  se  les  rappeler  se  manifestent  avant  la 
force  nécessaire  pour  bien  juger  et  combiner 
ces  sensations  et  ces  souvenirs;  c'est-à-dire 
que  la  sensibilité  et  la  mémoire  précèdent 
l'action  énergique  du  jugement. 

Un  autre  vérité  d'observation  constante , 
c'est  que  toutes  ces  facultés  physiques  ou 
intellectuelles  languissent  dans  l'inaction , 
se  fortifient  par  l'exercice,  et  s'énervent 
quand  on  en  abuse. 

Yoilà  les  faits  :  c'est  toujours  d'eux  que 
nous  devons  partir;  car  ce  sont  eux  seuls 
qui  nous  instruisent  de  ce  qui  est  ;  les  vérités 
les  plus  abstraites  ne  sont  que  des  consé- 
quences de  l'observation  des  faits.  Mais  que 
conclure  de  ceux-ci?  rien  autre  chose,  si 
ce  n'est  que,  dans  tous  les  genres,  il  faut 
exercer  vos  forces  et  ne  pas  les  excéder; 


INTRODUCTION.  7 

qu'actuellement  vos  leçons  doivent  être 
courtes  et  répétées,  et  que,  dans  quelque 
temps,  vous  ferez  en  un  mois  ce  que  vous 
ne  faites  à  cette  heure  qu'en  deux.  Mais 
cela  s'applique-t-il  plus  particulièrement  à 
l'étude  qui  nous  occupe  qu'à  une  autre? 
cela  doit-il  la  faire  écarter  plus  que  toute 
autre?  Non  assurément. 

En  effet,  tout  jeunes  que  vous  êtes,  on 
vous  a  déjà  donné  des  notions  élémentaires 
de  physique  et  d'histoire  naturelle;  on  vous 
a  fait  connaître  les  principales  espèces  de 
corps  qui  composent  cet  univers  ;  on  vous 
a  donné  une  idée  de  leurs  combinaisons, 
de  leur  arrangement,  des  mouvemens  des 
corps  célestes,  de  la  végétation,  de  l'orga- 
nisation des  animaux  ;  et  on  a  bien  fait  de 
vous  mettre  tant  d'objets  divers  sous  les 
yeux,  quoique  vous  ne  soyez  pas  en  état 
de  les  approfondir  ;  cela  vous  a  toujours 
fourni  des  idées  préliminaires  et  des  sujets 
de  réflexion.  Dans  tout  cela,  il  est  vrai, 
beaucoup  de  choses  ont  frappé  vos  sens  et 
réveillé  votre  attention;  votre  mémoire, 
sur-tout,  a  été  exercée;  cependant  votre 
jugement  n'est  pas  demeuré  inactif,  car, 
sans  son  secours,  vous  seriez  restés  dans  un 


8  IDÉOLOGIE. 

véritable  état  d'idiotisme  ;  vous  n'auriez  rien 
compris  à  tout  ce  qu'on  vous  a  dit. 

Ce  n'est  pas  tout;  on  vous  a  aussi  donné 
quelques  leçons  de  calcul;  vous  savez  les 
principes  fondamentaux  de  la  numération  ; 
là  cependant  il  n'y  a  presque  rien  à  voir, 
très-peu  à  retenir  de  mémoire ,  presque  tout 
est  raisonnement;  vous  l'avez  compris  pour- 
tant :  ce  que  nous  avons  à  dire  n'est  pas 
plus  difficile. 

Il  y  a  plus  ;  vous  avez  déjà  commencé 
l'étude  du  latin;  on  vous  a  enseigné  quel- 
ques élémens  de  grammaire;  on  vous  a 
expliqué  la  valeur  des  mots ,  leurs  relations, 
le  rôle  qu'ils  jouent  dans  le  discours  ;  on 
vous  a  parlé  de  substantifs,  d'adjectifs,  du 
verbe  simple  et  des  verbes  composés;  vous 
n'avez  pas  pu  apprendre  l'emploi  de  ces 
signes  sans  connaître  l'usage  des  idées  qu'ils 
représente;  ou  vous  n'avez  rien  compris 
du  tout  à  tout  cela,  ou  vous  savez  déjà,  au 
moins  confusément,  une  grande  partie  de 
tout  ce  qui  va  nous  occuper;  et,  si  je  ne  me 
trompe  beaucoup,  la  manière  dont  nous 
allons  reprendre  toutes  ces  matières  vous 
les  fera  paraître  beaucoup  plus  claires,  d'au- 
tant que  ce  que  nous  en  dirons  ne  sera  pas 


INTRODUCTION.  9 

embrouille  par  les  mots  d'une  langue  qui  ne 
vous  est  pas  encore  familière. 

Enfin,  quand  vous  n'auriez  jamais  en- 
tendu parler  ni  de  physique,  ni  de  calcul, 
ni  de  latin;  quand,  de  votre  vie,  vous  n'au- 
riez reçu  aucune  leçon  expresse;  quand 
vous  ne  sauriez  pas  lire;  quand  vous  n'au- 
riez appris  qu'à  parler,  croyez -vous  que 
vous  y  fussiez  parvenus  sans  faire  un  grand 
usage  de  votre  jugement  ?  Vous  n'avez  peut- 
être  jamais  pris  garde  à  la  multitude  de 
choses  qu'il  faut  qu'un  enfant  étudie  pour 
apprendre  à  parler;  combien  il  faut  qu'il 
fasse  d'observations  et  de  réflexions  pour 
connaître  et  démêler  tous  les  objets  qui  l'en- 
vironnent; pour  remarquer  et  distinguer 
les  voix  et  les  articulations  que  prononcent 
ceux  qui  l'entourent;  pour  s'apercevoir 
que  de  ces  paroles  les  unes  s'appliquent  aux 
objets  et  les  désignent,  les  autres  expriment 
ce  qu'on  en  pense  et  ce  qu'on  en  veut  faire  ; 
pour  parvenir  lui-même  à  répéter  ces  pa- 
roles et  en  faire  une  application  juste ,  et  en- 
fin pour  reconnaître  la  manière  de  les  varier 
et  de  les  lier  entr'ellcs  de  façon  qu'elles 
deviennent  le  tableau  fidèle  de  sa  pensée. 
Pesez  un  peu  toutes  ces  difficultés,  et  vous 


ÎO  IDEOLOGIE. 

verrez  que  ce  n'est  pas  sans  beaucoup  de 
méditations  et  de  raisonnemens  qu'on  par- 
vient à  surmonter  tant  d'obstacles.  Aussi, 
observez  un  enfant  quand  il  vient  de  réussir 
à  distinguer  les  parties  d'un  objet  qu'il  ne 
connaissait  pas,  à  entendre  quelque  chose 
qu'on  lui  dit  et  qu'il  ne  comprenait  pas,  à 
faire  comprendre  son  idée  qu'on  ne  saisis- 
sait pas  ;  voyez  comme  il  est  content,  quelle 
joie  vive  il  manifeste;  celle  d'un  savant  qui 
vient  de  faire  une  découverte  n'est  ni  plus 
grande,  ni  mieux  fondée;  elle  est  absolu- 
ment du  même  genre,  elle  naît  des  mêmes 
motifs,  son  succès  est  du  à  des  efforts  tout 
pareils.  Je  vous  disais,  tout  à  l'heure,  que 
c'est  par  les  mêmes  causes  que  l'on  se 
trompe  dans  les  jeux  et  dans  les  sciences  ; 
eh  bien  !  c'est  par  les  mêmes  procédés  qu'on 
apprend  à  parler,  et  qu'on  découvre  ou  les 
lois  du  système  du  monde,  ou  celles  des 
opérations  de  l'esprit  humain,  c'est-à-dire 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  sublime  dans  nos 
connaissances.  . 

Mes  amis,  plus  vous  aurez  d'expérience  , 
plus  vous  aurez  réfléchi,  et  plus  vous  serez 
convaincus  qu'en  aucun  temps  de  votre  vie 
vous  n'avez  acquis  autant  de  connaissances 


INTRODUCTION.  11 

réelles,  vous  n'avez  fait  des  progrès  aussi 
rapides,  que  dans  les  trois  ou  quatre  pre- 
mières années  de  votre  existence.  Ce  n'est 
pas  que,  comme  je  l'ai  dit,  vous  ne  soyez 
devenus  dans  la  suite  capables  d'un  juge- 
ment plus  ferme,  d'une  attention  plus  sou- 
tenue; mais  c'est  que  jamais  vous  n'aurez 
été  aussi  constamment  occupés  d'appren- 
dre (1).  Le  plaisir  presque  unique  de  la  pre- 
mière enfance  est  de  faire  des  découvertes; 
et,  dans  le  reste  de  la  vie,  on  ne  se  borne 
que  trop  souvent  à  jouir,  tant  bien  que  mal, 
des  choses  que  l'on  connaît  à  peu  près.  Ce 
qui  met  le  plus  de  différence  entre  les  de- 
grés de  lumières  et  de  talens  auxquels  par- 
viennent les  hommes,  c'est  de  conserver 
plus  ou  moins  long-temps,  plus  ou  moins 
vivement  ce  premier  penchant  à  l'investi- 
gation, à  la  recherche  des  vérilés  quelles 
qu'elles  soient. 

(i)  On  peut  ajouter  :  et  jamais  vous  n'aurez  suivi 
une  aussi  bonne  méthode.  L'enfant  part  des  impres- 
sions qu'il  reçoit,  et  il  n'en  infère  que  ce  qu'elles  pa- 
raissent lui  montrer.  Il  peut  être  par  inexpérience  trop 
prompt  à  conclure  ;  mais  du  moins  il  est  préservé,  par 
son  ignorance  même,  de  la  folie  de  vouloir  rien  de- 
viner à  priori  et  par  la  vertu  d'une  maxime  générale 
composée  d'avance. 


12  IDEOLOGIE. 

En  voulez-vous  un  exemple?  Les  exemples 
rendent  les  vérités  plus  sensibles.  Vous  ai- 
mez sûrement  bien  les  chevaux  :  qu'on  vous 
en  donne  un,  et  qu'on  vous  laisse  libres; 
vous  courrez  dessus  des  journées  entières 
sans  vous  embarrasser  de  savoir  ni  com- 
ment il  vit,  ni  comment  il  meurt ,  ni  com- 
ment il  broie  ses  alimens,  ni  ce  qu'ils  de- 
viennent ,  ni  quelle  est  sa  structure  interne  ; 
sans  peut  -  être  seulement  remarquer  en 
quoi  consiste  la  différence  de  ses  mouve- 
mens  au  pas,  au  trot  et  au  galop.  Ce  que 
vous  ferez,  emportés  par  l'attrait  du  plaisir, 
un  homme  plus  âgé  le  fera  dominé  par  ses 
affaires,  ou  par  l'appât  du  gain.  Combien 
de  gens  mènent  des  chevaux  toute  leur  vie 
sans  faire  autant  de  réflexions  peut-être 
pour  les  conduire  que  le  cheval  pour  leur 
obéir  !  Au  contraire ,  donnez  un  cheval  de 
carton  à  un  enfant  :  soyez  assuré  qu'à  l'ins- 
tant même  il  le  tourne  et  retourne  de  tous 
les  sens  ;  il  l'examine  autant  qu'il  est  en  lui; 
bientôt  il  va  l'éventrer  pour  voir  ce  qu'il 
y  a  dedans  :  s'il  le  traîne ,  il  le  regarde  à 
chaque,  instant;  il  veut  deviner  comment 
cela  se  fait  :  vous  voyez  souvent  à  son  pe- 
tit a:r  pensif  qu'il  est  bien  moins  occupé  de 


INTRODUCTION.  l5 

l'effet,  que  de  la  manière  dont  il  se  produit; 
son  plaisir  est  de  chercher;  sa  vraie  passion 
est  la  curiosité;  et  cet  utile  sentiment  serait 
encore  bien  plus  permanent  en  lui,  si  sou 
vent  on  ne  l'en  distrayait  pas  très-mal- 
adroitement, et  bien  plus  fructueux,  si  de 
bonne  heure  on  ne  lui  faisait  pas  abandonner 
sa  logique  naturelle  pour  de  faux  principes. 
Mais  revenons. 

Vous  voyez  donc  que  vous  êtes  très-ca- 
pables de  réflexion  et  de  jugement,  pourvu 
que  la  recherche  vous  plaise,  et  ne  dure 
pas  trop  long-temps.  Si  vous  avez  cru  le 
contraire,  c'est  une  erreur  dont  il  faut  vous 
désabuser. 

il  est  encore  une  chose  qu'il  faut  que 
vous  sachiez,  et  dont  vous  verrez  bien  des 
preuves  par  la  suite  :  c'est  que  l'esprit  hu- 
main marche  toujours  pas  à  pas;  ses  progrès 
sont  graduels;  ensorte  que  nulle  vérité  n'est 
plus  difficile  à  comprendre  qu'une  autre, 
quand  on  sait  bien  tout  ce  qui  est  avant. 
Il  n'y  a  d'inintelligible  pour  nous  que  ce  qui 
est  trop  loin  de  ce  que  nous  savons  déjà  ; 
mais  il  n'y  a  pas  plus  de  distance  entre  la 
vérité  la  plus  sublime  des  sciences  et  celle 
qui  la  précède  immédiatement,  qu'entre 


l4  IDEOLOGIE* 

l'idée  la  plus  simple  et  celle  qui  la  suit, 
comme  dans  les  nombres  il  n'y  a  pas  plus 
loin  de  9g  à  100  que  de  1  à  1.  La  série  de 
nos  jugemens  est  une  longue  chaîne  dont 
tous  les  anneaux  sont  égaux.  Il  n'y  a  donc 
pas  de  science  qui  soit  par  elle-même  plus 
obscure  qu'aucune  autre  :  tout  dépend  de 
l'ordre  que  l'on  sait  y  mettre  pour  éviter 
les  trop  grandes  enjambées,  si  je  puis  m'ex- 
primer  ainsi  :  trouver  cet  ordre,  quand  il 
n'est  pas  encore  connu ,  c'est-là  le  propre 
du  talent,  et  ce  talent  est  le  même  qui  fait 
trouver  des  vérités  nouvelles.  Nous  ver- 
rons quelque  jour  en  quoi  il  consiste  ;  car 
le  bien  connaître  est  le  moyen  de  l'acquérir, 
et  de  se  préserver  de  croire  que  le  génie  qui 
invente  marche  au  hasard. 

Pour  ne  pas  outrer  ce  que  je  viens  de 
dire  sur  l'enchaînement  des  vérités,  il  faut 
cependant  observer  qu'il  y  a  tel  raisonne- 
ment où  la  série  de  nos  jugemens  est  si 
longue,  qu'il  faut  une  attention  peu  com- 
mune pour  la  suivre  toute  entière,  et  qu'il 
y  en  a  tel  autre  formé  de  vérités  qui  tiennent 
à  tant  d'autres ,  que  même ,  en  les  connais- 
sant bien,  il  faut  une  force  de  tête  au-dessus 
de  l'ordinaire  pour  ne  pas  perdre  de  vue 


INTRODUCTION.  1 5 

aucun  des  élémens  qui  les  composent,  ce 
qui  est  cependant  nécessaire  pour  n'en  pas 
tirer  de  fausses  conséquences  :  mais  vous 
ne  trouverez  rien  de  tel  dans  tout  ce  que 
nous  avons  à  dire.  Nous  ne  nous  proposons 
que  d'examiner  avec  soin  ce  que  nous  fai- 
sons quand  nous  pensons,  et  d'en  conclure 
ce  que  nous  devons  faire  pour  penser  avec 
justesse.  Là,  les  faits  sont  en  nous ,  les  ré- 
sultats tout  près  de  nous ,  et  le  tout  est  si 
clair,  que  nous  aurons  peine  à  comprendre 
comment  tant  de  gens  l'ont  si  fort  embrouillé 
en  y  supposant  ce  qui  n'y  est  pas,  et  y 
cherchant  ce  que  nous  n'y  pouvons  trou- 
ver. Ne  vous  effrayez  donc  point  de  cette 
entreprise,  aussi  utile  que  facile,  et  qui, 
j'en  suis  sûr ,  vous  causera  plus  de  plaisir 
que  de  fatigue. 

Mais,  en  terminant  ces  réflexions  préli- 
minaires, je  dois  encore  vous  rappeler  que 
celui  d'entre  vous  qui  a  l'esprit  le  moins 
exercé,  a  pourtant  déjà  une  foule  immense 
d'idées ,  qu'il  en  a  porté  des  millions  de  juge- 
mens ,  et  qu'il  en  est  résulté  une  quantité  pro- 
digieuse de  connaissances  :  tout  cela  est  tel- 
lement innombrable,  dans  toute  la  force  du 
terme,  qu'assurément  il  n'y  a  aucun  de 


l6  IDÉOLOGIE. 

vous  qui  pût  faire  rémunération  complète 
de  toutes  les  idées  qu'il  a  conçues,  de  tous 
les  jugemens  qu'il  a  portés,  et  de  toutes  les 
combinaisons  qu'il  en  a  faites  ;  et  dans  tout 
cela  vous  sentez  bien  qu'il  doit  s'être  glissé 
déjà  un  grand  nombre  d'erreurs;  à  la  vé- 
rité elles  ont  du  moins  un  avantage ,  c'est 
qu'elles  n'ont  pas  encore  ce  caractère  de 
fixité  qu'elles  acquièrent  avec  le  temps. 
Néanmoins  vous  êtes  bien  loin,  pour  me 
servir  de  l'expression  de  Hobbes ,  d'être 
semblables  à  des  feuilles  de  papier  blanc 
sur  lesquelles  on  puisse  écrire  commodé- 
ment et  sans  précaution.  Il  faut  partir  de 
l'état  où  vous  êtes  ;  il  faut  profiter  du  che~ 
min  que  vous  avez  déjà  parcouru;  il  faut  vous 
mettre  en  garde  contre  les  fausses  routes 
dans  lesquelles  vous  pouvez  être  entrés:  c'est 
ce  que  je  crois  avoir  fait  dans  ce  préambule. 
En  le  lisant,  bien  des  gens  penseront 
peut-être  que  moi,  qui  vous  promettais 
tout  à  l'heure  de  vous  enseigner  par  la  suite 
l'art  que  l'on  nomme  méthode,  c'est-à-dire 
l'art  de  disposer  ses  idées  dans  l'ordre  le 
plus  propre  à  trouver  la  vérité  et  à  l'ensei- 
gner, j'ai  commencé  par  manquer  moi- 
même  aux  règles  de  cet  art,  en  vous  par- 
lant 


INTRODUCTION.  1  j 

tant  de  beaucoup  de  choses  dont  je  ne  vous 
fri  point  encore  donné  de  notions  exactes, 
en  me  servant,  pour  vous  en  parler,  de 
beaucoup  de  ternies  dont  la  signification 
précise  n'est  pas  encore  convenue  entre 
nous.  Us  croiront  que  j'aurais  dû  débuter 
par  vous  expliquer  magistralement  ce  que 
c'est  que  faculté ,  pensée ,  intelligence ,  sen- 
sation, souvenir, idée,  attention, réflexion, 
jugement ,  raisonnement,  combinaison ,  etc.; 
et  par  vous  donner  des  définitions  positives 
de  tous  les  termes  scientifiques  que  j'ai  déjà 
employés  et  que  j'emploierai  à  l'avenir,  et 
ils  seront  persuadés  que  de  cette  manière 
j'aurais  été  beaucoup  plus  clair. 

Effectivement,  si  je  m'y  étais  pris  ainsi, 
peut-être  y  auriez-vous  été  trompés  vous-- 
mêmes; peut-être  auriez-vous  cru  dès  l'a- 
bord me  comprendre  parfaitement,  quoique 
dans  le  vrai  il  n'en  fut  rien.  Arous  n'êtes  pas 
encore  assez  avancés  pour  que  je  puisse 
vous  faire  bien  voir  d'où  vous  serait  venue 
cette  confiance  trompeuse;  mais  une  preuve 
qu'elle  n'eut  été  qu'une  illusion ,  c'est  que 
quand  vous  saurez  bien  ce  que  c'est  que 
toutes  ces  choses  que  nous  venons  de  nom- 
mer, quand  par  conséquent  vous  aurez  une 

B 


l8  IDEOLOGIE. 

idée  bien  nette  et  bien  juste  de  la  significa-» 
tion  des  mots  qui  les  expriment,  je  n'aurai 
plus  rien  à  vous  dire,  vous  saurez  la  science 
qui  nous  occupe.  Or,  il  est  bien  évident  que 
c'est  ce  que  je  ne  pouvais  pas  opérer  dans 
un  petit  nombre  de  paragraphes.  Je  n'au- 
rais donc  fait,  avec  toutes  mes  définitions, 
que  prendre  des  mots  qui  n'ont  encore  pour 
vous  qu'un  sens  assez  vague,  et,  sans  vous 
donner  aucune  nouvelle  lumière,  les  rem- 
placer par  d'autres  mots  nécessairement 
tout  aussi  vagues  que  les  premiers.  C'est 
ainsi  que  l'on  s'éblouit,  mais  ce  n'est  point 
ainsi  qu'on  s'éclaire. 

Il  n'y  a  peut-être  pas  un  des  termes  que 
je  viens  de  citer,  dont  vous  ne  vous  soyez 
déjà  servis  mille  et  mille  fois.  Ils  ont  donc 
pour  vous  un  sens  quelconque  j  j'ai  donc  pu 
m'en  servir  en  vous  parlant,  tout  comme 
j'ai  fait  de  termes  plus  usuels,  que  vous  em- 
ployez encore  plus  souvent ,  quoique  cer- 
tainement vous  n'en  sentiez  pas  toujours 
toutes  les  nuances.  J'ai  dû  seulement  ne  pas 
faire  de  ces  mots  un  usage  trop  fin  que  vous 
n'auriez  pas  compris  j  car  ces  termes  scien- 
tifiques ne  réveillent  pas  en  vous  à  beaucoup 
près  autant  d'idées  qu'en  moi,  et  la  signifi- 


INTRODUCTION.  1$ 

cation  que  vous  leur  attachez  est  confuse 
et  indéterminée.  Mais  à  mesure  que  je  vous 
expliquerai  les  choses  qu'ils  expriment,  cette 
signification  deviendra  et  plus  claire,  et  plus 
précise,  et  plus  complète  ;  et  quand  elle 
sera  exactement  la  même  que  celle  que  je 
leur  donne,  nous  serons  au  même  point; 
vous  saurez  la  science  que  nous  étudions  , 
autant  que  moi,  et  comme  moi;  nous  au- 
rons fini.  Commençons  donc  par  dégrossir, 
si  je  puis  m'exprimer  ainsi;  ensuite  nous 
perfectionnerons  successivement   et  gra- 
duellement. 

En  effet,  mon  objet  est  de  vous  faire  con- 
naître en  détail  ce  qui  se  passe  en  vous  quand 
vous  pensez,  parlez,  et  raisonnez  :  il  faut 
donc  qu'auparavant  vous  ayez  pensé ,  parlé, 
et  raisonné,  sans  quoi  il  vous  serait  impos- 
sible de  m'entendre.  Je  parlerais  éternelle- 
ment des  couleurs  à  un  aveugle-né,  et  des 
sons  à  un  sourd  et  muet  de  naissance, 
qu'ils  ne  sauraient  jamais  comprendre  de 
quoi  il  s'agit.  Il  faut  avoir  éprouvé  une  im- 
pression quelconque  ,  il  faut  la  connaître 
déjà  un  peu  pour  pouvoir  en  raisonner  : 
c'est  la  marche  constante  de  l'esprit  humain. 
Il  agit  d'abord  ?  puis  il  réfléchit  sur  ce  qu'il 

B  2 


20  IDEOLOGIE. 

a  fait,  et  il  apprend  par  là  à  le  faire  mieux 
encore.  Il  prend  une  première  connaissance 
d'une  chose,  ensuite  il  la  médite;  enfin  il  la  rec- 
tifie et  la  perfectionne,  et  de  là  il  va  plus  loin. 
Il  m'a  donc  fallu  commencer  par  vous 
parler  de  ce  que  vous  savez  déjà,  de 
ce  que  vous  avez  déjà  fait;  vous  inviter 
à  y  réfléchir ,  et  vous  faire  entrevoir  le 
parti  que  je  prétends  en  tirer,  et  le  but  où 
je  veux  vous  conduire,  sans  rechercher 
d'abord  une  précision  et  une  clarté  par- 
faites. Je  n'ignore  pas  que  la  première  fois 
que  vous  lirez  ces  premières  pages,  sur-tout 
si  vous  lisez  seuls  et  sans  guides,  vous  y 
trouverez  des  choses  que  vous  ne  compren- 
drez pas  parfaitement  :  mais  ce  que  vous  en 
aurez  saisi  suffira  pour  ce  que  nous  allons 
dire,  et  aura  excité  votre  réflexion.  Quand 
nous  aurons  été  plus  loin ,  vous  y  revien- 
drez :  ce  que  nous  aurons  vu  aura  jeté  un 
nouveau  jour  sur  ce  commencement,  qui 
à  son  tour  éclaircira  ce  que  nous  verrons 
après;  et  ainsi  successivement,  jusqu'à  ce 
que  vos  idées  soient  parfaitement  détermi- 
nées :  alors  nous  pourrons  faire  des  défi- 
nitions rigoureuses ,  ou  plutôt  des  descrip- 


CHAPITRE   I.  21 

tions  complètes  j  car  ce  sont  là  les  vraies  dé- 
finitions. 

Entrons  donc  en  matière ,  et  commençons 
par  examiner  ce  que  c'est  que  penser. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Qu'est-ce  que  penser? 

Vous  pensez  tous  :  vous  le  dites  souvent; 
aucun  de  vous  n'en  doute;  c'est  pour  vous 
une  vérité  d'expérience,  de  sentiment,  de 
conviction  intime,  et  je  suis  bien  loin  de  la 
nier.  Mais  vous  êtes-vous  jamais  rendu  un 
compte  un  peu  précis  de  ce  que  c'est  que 
penser,  de  ce  que  vous  éprouvez  quand 
vous  pensez,  n'importe  à  quoi?  Je  suis  bien 
tenté  de  croire  que  non  ;  et  bien  des  hommes 
meurent  sans  l'avoir  fait,  sans  y  avoir  seu- 
lement songé.  Cette  insouciance  si  com- 
mune devrait  bien  nous  surprendre,  s'il 
n'était  pas  vrai  qu'il  n'y  a  que  les  choses 
rares  qui  aient  le  pouvoir  de  nous  éton- 
ner. Essayons  de  faire  ensemble  cet  exa- 
men que  je  vous  soupçonne  de  n'avoir  ja- 
mais fait. 


S3  IDÉOLOGIE, 

Vous  dites  tons,  je  pense  cela,  quand 
vous  avez  une  opinion ,  quand  vous  formez 
un  jugement.  Effectivement,  porter  un  ju- 
ment vrai  ou  faux  est  un  acte  de  la  pensée; 
et  cet  acte  consiste  à  sentir  qu'il  existe  un 
rapport,   une  relation  quelconque,  entre 
deux  choses  que  l'on  compare.  Quand  je 
pense  qu'un  homme  est  bon ,  je  sens  que  la 
qualité  de  bon  convient  à  cet  homme.  Il  ne 
s'agit  pas  ici  de  rechercher  si  j'ai  raison  ou 
tort,  ni  d'où  peut  venir  mon  erreur;  nous 
verrons  cela  ailleurs...  :  penser,  dans  ce  cas, 
c'est  donc  apercevoir  un  rapport  de  conve- 
nance ou  de  disconvenance  entre  deux  idées, 
c'est  sentir  un  rapport. 

Vous  dites  encore,  je  pense  à  notre  pro- 
menade d'hier y  quand  le  souvenir  de  cette 
promenade  vient  vous  frapper,  vous  affec- 
ter :  penser,  dans  ce  cas,  c'est  donc  éprou- 
ver une  impression  d'une  chose  passée  ; 
c'est  sentir  un  souvenir. 

Quand  vous  desirez,  quand  vous  voulez 
quelque  chose ,  vous  ne  dites  pas  aussi  com- 
munément, je  pense  que  j'éprouve  un  de- 
sir,  une  volonté.  Effectivement,  ce  serait 
un  pléonasme ,  une  expression  inutile  :  mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  désirer  et  vou- 


CHAPITRE   I.  23 

loir  sont  des  actes  de  cette  faculté  intérieure 
que  nous  appelons  en  général  la  pensée, 
et  que  quand  nous  desirons  ou  voulons 
quelque  chose ,  nous  éprouvons  une  impres- 
sion interne,  que  nous  appelons  un  désir  ou 
une  volonté  :  ainsi  penser,  dans  ce  cas,  c'est 
sentir  un  désir. 

Vous  vous  servez  encore  moins  de  l'ex- 
pression, je  pense,  quand  vous  ne  faites 
qu'éprouver  une  impression  actuelle  et  pré- 
sente, qui  n'est  ni  un  souvenir  d'une  chose 
passée,  ni  un  rapport  existant  entre  deux 
idées,  ni  un  désir  de  posséder  ou  d'éviter 
un  objet  quelconque.  Quand  un  corps  chaud 
vous  brûle  la  main,  vous  ne  dites  point,  je 
pense  que  je  me  brûle,  maisy'e  sens  que 
je  me  brûle,  ou  mieux  encore,  tout  simple- 
mentje  me  brûle.  Si  vous  êtes  affectés  par 
quelques  douleurs  internes ,  celles  de  la  co- 
lique, par  exemple,  vous  ne  dites  point,  je 
pense  que  je  souffre,  mais  je  souffre.  Ce- 
pendant  le    dérangement   mécanique   qui 
s'opère  dans  votre  main  ou  dans  vos  en- 
trailles est  une  chose  distincte  et  différente 
de  la  douleur  que  vous  en  ressentez;  la 
preuve  en  est  que  si  ces  organes  sont  para- 
lysés ou  gangrenés,  ils  peuvent  éprouver 


$4;  IDÉOLOGIE. 

de  bien  plus  fortes  lésions  sans  que  voua 
vous  en  aperceviez  :  or,  cette  faculté  d'être 
affecté  de  plaisir  ou  de  peine  à  l'occasion  de 
ce  qui  arrive  à  nos  organes,  fait  encore  par- 
tie de  ce  que  nous  nommons  la  pensée  ou 
la  faculté  de  penser.  Penser ,  dans  ce  cas , 
c'est  donc  sentir  une  sensation,  ou  tout 
simplement  sentir. 

Penser,  comme  vous  voyez ,  c'est  tou- 
jours sentir,  et  ce  n'est  rien  que  sentir. 
Maintenant  me  demanderez-vous  ce  que 
c'est  que  sentir?  je  vous  répondrai  :  C'est 
ce  que  vous  savez,  ce  que  vous  éprouvez. 
Si  vous  ne  l'éprouviez  pas ,  ce  serait  bien 
inutilement  que  je  m'efforcerais  de  vous 
l'expliquer  :  vous  ne  m'entendriez  ni  ne 
me  comprendriez.  Mais  puisque  vous  avez 
la  conscience  de  cette  manière  d'être ,  vous 
n'avez  besoin  d'aucune  explication  pour  la 
connaître  j  il  vous  suffit  de  votre  expérience. 
Sentir  est  un  phénomène  de  notre  exis- 
tence, c'est  notre  existence  elle-même  :  car 
un  être  qui  ne  sent  rien  peut  bien  exister 
pour  les  autres  êtres,  s'ils  le  sentent  ;  mais 
il  n'existe  pas  pour  lui-même,  puisqu'il  ne 
s'en  aperçoit  pas. 

Vous  pourriez  avec  plus  de  raison  me  de-. 


CHAPITRE   I.  25 

mander  pourquoi,  penser  étant  la  même 
chose  que  sentir,  on  a  fait  deux  mots  au 
lieu  d'un  ?  Je  vous  dirais  que  c'est  parce  que 
l'on  a  plus  spécialement  destiné  le  mot  sen- 
tir à  exprimer  l'action  de  sentir  les  pre- 
mières impressions  qui  nous  frappent,  celles 
que  l'on  nomme  sensations;  et  le  mot  pen- 
ser à  exprimer  l'action  de  sentir  les  impres- 
sions secondaires  que  celles-là  occasion- 
nent, les  souvenirs,  les  rapports,  les  de- 
sirs,  dont  elles  sont  l'origine.  Ce  partage 
entre  ces  deux  mots  est  mal  vu,  sans  doute; 
il  n'est  fondé  que  sur  les  idées  fausses  qu'on 
s'était  faites  de  la  faculté  de  penser  avant 
de  l'avoir  bien  observée,  et  il  a  ensuite  cau- 
sé d'autres  erreurs.  Mais  malgré  l'obscurité 
que  ce  mauvais  emploi  des  mots  répand  sur 
notre  sujet,  il  est  clair,  quand  on  y  réfléchit , 
que  penser  c'est  avoir  des  perceptions  ou 
des  idées;  que  nos  perceptions  ou  nos  idées 
(je  ferai  toujours  ces  deux  mots  absolument 
synonymes)  sont  des  choses  que  nous  sen- 
tons, et  que  par  conséquent  penser  c'est 
sentir.  Nous  avons  donc  actuellement  une 
connaissance  générale  de  ce  que  c'est  que 
penser.  Il  nous  reste  à  jentrer  daus  les 
détails. 


2$  IDÉOLOGIE. 

Encore  une  fois,  puisque  penser  c'est 
sentir,  si  les  mots  de  notre  langue  étaient 
bien  fails  ou  bien  appliqués ,  nous  devrions 
appeler  cette  faculté  sensibilité ,  et  ses  pro- 
duits sensations  ou  sentimens;  l'expression 
rappellerait  la  chose  même  ;  mais  ne  pou- 
vant changer  l'usage,  nous  le  suivrons,  et 
nous  nommerons  cette  faculté  la  pensée, 
et  ses  produits  des  perceptions  ou  des 
idées.  Nous  conserverons  de  même  tous  les 
autres  termes  reçus;  nous  nous  contente- 
rons de  bien  déterminer  leur  signification. 

On  vous  dira ,  et  peut-être  on  vous  a  déjà 
dit,  que  le  mot  idée  vient  d'un  mot  grec  qui 
signifie  image ,  et  qu'il  a  été  adopté  parce 
que  nos  idées  sont  les  images  des  choses. 
Ce  peut  bien  être  effectivement  là  la  raison 
qui  a  fait  créer  ce  mot,  et  qui  l'a  fait  re- 
cevoir dans  beaucoup  de  langues  ;  mais  cette 
raison  n'en  est  pas  meilleure  ;  car  nos  idées 
sont  ce  que  nous  sentons;  et  assurément 
le  sentiment  de  douleur  que  je  sens,  quand 
je  me  brûle,  n'est  pas  du  tout  la  représen- 
tation du  changement  de  couleur  ou  de 
figure  qui  arrive  à  mon  doigt.  Nous  verrons 
cela  encore  mieux  par  la  suite;  mais,  dès 
ce  moment,  gardons-nous  de  l'erreur  coin- 


CHAPITRE   T.  27 

mune  de  croire  que  nos  idées  soient  la  re- 
présentation des  choses  qui  les  causent. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  nous  avons  déjà  re- 
marqué que  nous  avions  des  idées  ou  per- 
ceptions de  quatre  espèces  différentes.  Je 
sens  que  je  me  brûle  actuellement,  c'est 
une  sensation  que  je  sens;  je  me  rappelle 
que  je  me  suis  brûlé  hier ,  c'est  un  souve- 
nir que  je  sens  ;  je  juge  que  c'est  un  tel 
corps  qui  est  cause  de  ma  brûlure,  c'est  un 
rapport  que  je  sens  entre  ce  corps  et  ma 
douleur;  je  veux  éloigner  ce  corps,  c'est  un 
désir  que  je  sens.  Voilà  quatre  sentimens , 
ou,  pour  parler  le  langage  ordinaire,  quatre 
idées  qui  ont  des  caractères  bien  distincts. 
On  appelle  sensibilité  la  faculté  de  sentir 
des  sensations;  mémoire,  celle  de  sentir 
des  souvenirs;  jugement,  celle  de  sentir 
des  rapports;  volonté,  celle  de  sentir  des 
désirs.  Ces  quatre  facultés  font  certaine- 
ment partie  de  celle  de  penser;  mais  la  cotn- 
posent- elles  toute  entière?  la  faculté  de 
penser  n'en  renferme-t-elle  aucune  autre? 
Quoique  j'en  sois  bien  convaincu,  je  ne  me 
permettrai  pas  de  vous  l'affirmer  encore  ; 
c'est  une  question  que  nous  traiterons  par 
la  suite.  Commençons  par  considérer  ces 


28  IDÉOLOGIE. 

quatre  facultés  Fane  après  l'autre;  si  de 
cet  examen  il  résulte  qu'elles  suffisent  à  for- 
mer toutes  nos  idées,  il  sera  constant  qu'il 
n'y  a  rien  autre  chose  dans  la  faculté  de 
penser;  qu'elles  la  composent  toute  entière. 


CHAPITRE  IL 

De  la  Sensibilité  et  des  Sensations. 

JLa  sensibilité  est  cette  faculté,  ce  pou- 
voir, cet  effet  de  notre  organisation,  ou,  si 
vous  voulez ,  cette  propriété  de  notre  être 
en  vertu  de  laquelle  nous  recevons  des  im- 
pressions de  beaucoup  d'espèces,  et  nous 
en  avons  la  conscience. 

Chacun  de  nous  ne  la  connaît  par  expé- 
rience qu'en  lui-même.  Il  la  reconnaît  dans 
ses  semblables  à  des  signes  non  équivoques, 
mais  sans  jamais  pouvoir  s'assurer  au  juste 
du  degré  de  son  intensité  dans  chacund'eux  : 
il  faudrait  qu'il  pût  sentir  par  les  organes 
d'un  autre.  Elle  se  montre  à  nous  plus  ou 
moins  clairement  dans  les  différentes  es- 
pèces d'animaux,  à  proportion  qu'ils  ont 
plus  ou  moins  de  moyens  de  l'exprimer.. 


CHAPITRE  IL  «29 

Elle  ne  se  manifeste  pas  de  même  dans  les 
végétaux;  mais  aucun  de  nous  ne  pourrait 
affirmer  qu'elle  n'y  existe  pas,  ni  même 
dans  les  minéraux;  personne  ne  peut  être  cer- 
tain qu'une  plante  n'éprouve  pas  une  vraie 
douleur  quand  la  nourriture  lui  manque, 
ou  quand  on  l'ébranche  ;  ni  que  les  parti- 
cules d'un  acide,  que  nous  voyons  toujours 
disposées  à  s'unir  à  celles  d'un  alkali,  n'é- 
prouvent pas  un  sentiment  agréable  dans 
cette  combinaison.  Je  ne  veux  point  par 
cette  observation  vous  induire  à  supposer 
la  sensibilité  par  tout  où  elle  ne  paraît  pas  ; 
car ,  en  bonne  philosophie  ,  il  ne  faut  jamais 
rien  supposer;  mais  je  saisque  noussommes 
dans  une  ignorance  complète  à  cet  égard. 
Quant  aux  motif  que  nous  aurions  de  for- 
mer une  conjecture  plutôt  qu'une  autre  sur 
ce  point,  ils  ne  sont  pas  de  mon  sujet  ;  je  les 
passe  sous  silence. 

Si  nous  ignorons  l'énergie  et  les  limites 
de  la  sensibilité  dans  tout  ce  qui  n'est  pas 
nous ,  du  moins  nous  savons  un  peu  mieux 
par  quels  organes  elle  agit  en  nous.  Je  n'en- 
trerai point  ici  dans  des  détails  physiolo- 
giques; on  a  dû  déjà  vous  donner  une  idée 
générale  de  notre  organisation ,  et  vous  en 


3o  IDÉOLOGIE. 

ferez  quelque  jour  une  étude  plus  appro- 
fondie :  il  me  suffira  de  vous  dire  aujourd'hui 
que  mille  expériences  directes  prouvent  que 
c'est  principalement  par  les  nerfs  que  nous 
sentons.  Ces  nerfs,  dans  l'homme,  sont  des 
filets  d'une  substance  molle,  à  peu  près  de 
même  nature  que  la  pulpe  cérébrale;  leurs 
principaux  troncs  partent  du  cerveau,  dans 
lequel  ils  se  réunissent  et  se  confondent; 
de  là ,  par  une  multitude  de  ramifications 
et  de  subdivisions  qui  s'étendent  à  l'infini, 
ils  se  répandent  dans  toutes  les  parties  de 
notre  corps ,  ou  ils  vont  porter  la  vie  et  le 
mouvement. 

Nous  recevons  par  les  extrémités  de  ces 
nerfs ,  qui  se  terminent  à  la  surface  de  notre 
corps ,  des  impressions  de  différais  genres , 
suivans  les  differens  organes  auxquels  ils 
aboutissent. 

Ceux  qui  tapissent  les  membranes  de 
l'œil  sont  susceptibles  de  certains  ébran- 
lemens  qui  nous  donnent  les  sensations  de 
la  clarté  et  de  l'obscurité ,  et  de  leurs  dif- 
férais degrés ,  celles  des  couleurs  et  de  toutes 
leurs  nuances  :  ce  qui  constitue  le  sens  de 
la  vue. 

Ceux  qui  garnissent  l'intérieur  de  la  bou- 


CHAPITRE   II.  5l 

che,  la  langue,  le  palais,  éprouvent  aussi 
certains  mouvemens  particuliers  qui  nous 
occasionnent  les  sensations  des  saveurs  : 
ce  qui  constitue  le  sens  du  goût. 

Il  en  est  de  même  de  ceux  des  oreilles,  qui 
nous  font  sentir  les  sons,  et  de  ceux  du  nez, 
qui  font  sentir  les  odeurs  :  ce  qui  compose 
les  sens  de  l'ouïe  et  de  l'odorat. 

Remarquez  que  ce  n'est  pas  sans  raison 
que  je  dis  que  ces  quatre  genres  de  nerfs 
éprouvent  des  mouvemens  quelconques  qui 
leur  «ont  propres;  car,  de  quelque  manière 
que  vous  excitiez  ceux  de  l'oreille,  ils  ne 
vous  donneront  jamais  les  sensations  de  la 
vue;  ni  ceux  de  l'œil,  celles  du  goût  ;  etainsi 
de  suite. 

11  n'en  est  pas  de  même  du  cinquième 
sens,  que  nous  appelons  le  tact.  Il  paraît 
être  général  et  commun  aux  nerfs  de  toutes 
les  parties  de  la  surface  de  notre  corps;  du 
moins  il  n'en  est  aucune  qui,  dans  l'occa- 
sion, ne  nous  donne  plus  ou  moins  les  sen- 
sations de  piqûre,  de  brûlure ,  de  chaud,  de 
froid,  celles  qu'excite  l'approche  d'un  corps 
raboteux,  oupoli,  ou  gluant,  ou  mouillé,  etc.. 
Les  organes  mêmes  par  lesquelles  nous  re- 
cevons des  sensations  particulières,  telles 


*>2  IDÉOLOGIE. 

que  les  goûts,  les  sons,  les  saveurs  et  les 
couleurs ,  sont  encore  capables  de  nous 
donner  ces  sensations  plus  générales,  qu'on 
peut  appeler  tactiles.  11  est  vrai  que  ces 
sensations  générales  varient  non-seulement 
d'intensité,  mais  même  de  nature,  dans  les 
différentes  parties  de  notre  corps.  La  même 
blessure  ne  nous  fait  pas  partout  le  même 
genre  de  douleur;  un  léger  frottement  ne 
nous  donne  pas  partout  la  sensation  du 
frissonnement  ou  du  chatouillement;  un  lé- 
ger tiraillement ,  placé  ailleurs  que  dans  le 
nez,  ne  nous  procurerait  pas  ce  léger  spasme 
qui  précède  et  excite  l'éternuement.  On 
pourrait  donc ,  si  on  les  observait  avec  soin, 
établir  des  distinctions  entre  les  sensations 
tactiles  des  diverses  parties  du  corps,  les 
localiser  jusqu'à  un  certain  point,  et  parta- 
ger le  sens  du  tact  en  plusieurs  sens  dif- 
férens;  mais  cela  serait  peu  utile,  et  d'une 
exécution  assez  difficile,  parce  que  ces 
nuances  ne  sont  pas  très -tranchées,  et  pas 
exactement  les  mêmes  dans  les  divers  in- 
dividus. Cependant  cela  était  bon  à  obser- 
ver pour  vous  faire  remarquer,  ce  dont 
vous  verrez  de  fréquentes  preuves  dans 
toutes  vos  études ,  que  toutes  ces  classifi- 
cations 


CHAPITRE  If.  33 

cations  que  font  les  hommes  pour  mettre  de 
l'ordre  dans  leurs  idées,  sont  très-impar- 
faites, et  qu'il  faut  s'en  servir  parce  qu'elles 
sont  commodes ,  mais  ne  jamais  oublier  que 
toujours  elles  confondent  des  choses  très- 
distinctes,  ou  en  séparent  qui  sont  très- 
analogues  entf 'elles. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voilà  le  tableau  assez 
complet  de  celles  de  nos  sensations  qu'on 
peut  appeler  externes,  parce  que  nous  les 
recevons  des  extrémités  de  nos  nerfs,  qui 
sont  à  la  surface  de  notre  corps.  Vous  re- 
marquerez que  je  n'y  ai  point  compris  les 
perceptions  de  grandeur,  de  distance ,  de 
figure,  de  forme,  de  résistance,  de  dureté, 
de  mollesse ,  parce  que  ce  ne  sont  pas  des 
sensations  simples,  de  purs  effets  de  notre 
sensibilité  •  ce  sont  des  idées  composées  dans 
lesquelles  il  entre  des  jugemens;  c'est  ce 
que  je  vous  ferai  reconnaître  quand  je  vous 
expliquerai  la  génération  de  nos  idées  com- 
posées. Continuons. 

Assez  ordinairement,  quand  on  rend 
compte  des  effets  de  la  sensibilité,  on  se 
borne  aux  sensations  externes  que  nous 
venons  d'examiner;  souvent  même  on  leur 
donne  exclusivement  le  nom  de  sensation. 

C 


54  IDÉOLOGIE. 

Cependant,  la  colique,  la  nausée,  la  faim, 
la  soif,  le  mal  d'estomac,  le  mal  de  tête, 
les  étourdissemens,  les  plaisirs  que  causent 
toutes  les  sécrétions  naturelles,  les  douleurs 
que  produisent  leurs  dérangemens  ou  leur 
suppression  sont  bien  aussi  des  sensations, 
quoiqu'elles  nous  viennent  de  l'intérieur  de 
notre  corps;  et,  par  cette  raison,  on  peut 
les  appeler  des  sensations  internes.  Mais  à 
quel  sens  les  rapporterons-  nous?  Osera-t-on 
bien  dire  qu'un  éblouissement  appartient  au 
sens  de  la  vue,  le  mal  de  cœur  au  sens  du 
goût,  ou  le  mal  de  reins  au  sens  du  toucher? 
non,  sans  doute.  Nous  en  parlerons  donc 
sans  les  rapporter  à  aucun  sens,  et  il  n'y 
aura  pas  grand  mal.  Que  cela  vous  prouve 
seulement  l'insuffisance  de  nos  classifica- 
tions. Toutefois,  vous  voyez  que  tout  ébran- 
lement d'un  de  nos  nerfs,  soit  qu'il  soit 
l'effet  du  mouvement  vital,  soit  qu'il  soit 
produit  par  une  cause  étrangère,  est  l'oc- 
casion d'une  sensation,  et  met  en  jeu  notre 
sensibilité. 

C'est  pour  cela  que  toutes  les  fois  que 

nous  faisons  un  mouvement  quelconque 

d'un  de  nos  membres,  nous  en  sommes 

avertis,  nous  le  sentons.  C'est  bien  là  encore 

% 


riiAPrTRR  il.  35 

une  sensation.  Elle  n'a  point  de  nom,  mais 
elle  était  bien  essentielle  à  remarquer.  Nous 
l'appellerons  la  sensation  de  mouvement. 

Enfin,  il  y  a  encore  d'autres  effets  de  la 
sensibilité,  auxquels  on  donne  communé- 
ment plutôt  le  nom  de  sentiment  que  celui1 
de  sensation,  et  qui  pourtant  sont  bien  des 
résultats  de  l'état  de  nos  nerfs,  fort  ana- 
logues à  tous  ceux  dont  nous  venons  de 
Taire  mention;  telles  sont  les  impressions 
que  nous  éprouvons  quand  nous  nous  sen- 
tons fatigués  ou  dispos,  engourdis  ou  agités, 
tristes  ou  gais.  Je  sais  que  l'on  sera  surpris  de 
me  voir  ranger  de  pareils  états  de  l'homme 
parmi  les  sensations  simples,  sur-tout  les 
trois  dernières,  que  l'on  sera  tenté  de  re- 
garder plutôt  comme  des  effets  très-compli- 
qués des  différentes  idées  qui  nous'occupent, 
et  par  conséquent  comme  des  pensées,  des 
sentimens  très- composés.  Cependant,  de 
même  que  souvent  l'on  se  sent  dans  un  état 
d'accablement  et  de  fatigue  sans  avoir  au- 
paravant exécuté  de  grands  travaux,  ou  que 
l'on  éprouve  un  sentiment  d'hilarité  et  de 
bien-être  sans  un  grand  repos  préalable , 
on  ne  peut  nier  qu'il  arrive  aussi  que  très- 
eouvent  nous  ressentons  de  l'agitation,  de* 

C  a 


36  IDÉOLOGIE. 

la  gaîté  ou  de  la  tristesse ,  sans  motif.  J'en 
appelle  à  l'expérience  de  tous  les  hommes , 
et  sur-tout  de  ceux  qui  sont  délicats  et  mo- 
biles. L'état  joyeux  causé  par  une  bonne 
nouvelle,  ou  par  quelques  verres  de  vin, 
n'est-il  pas  le  même?  y  a-t-il  de  la  différence 
entre  l'agitation  de  la  fièvre  et  celle  de  l'in- 
quiétude? ne  confond-on  pas  aisément  la 
langueur  du  mal  d'estomac  et  celle  de  l'af- 
fliction? Pour  moi,  je  sais  qu'il  m'est  arrivé 
souvent  de  ne  pouvoir  discerner  si  le  sen- 
timent pénible  que  j'éprouvais  était  l'effet 
des    circonstances  tristes  dans  lesquelles 
j'étais,  ou  du  dérangement  actuel  de  ma 
digestion.  D'ailleurs,  lors  même  que  ces 
sentimens  sont  l'effet  de  nos  pensées,  ils 
n'en  sont  pas  moins  des  affections  simples, 
qui  ne  sont  ni  des  souvenirs,  ni  des  juge- 
mens,ni  des  désirs  proprement  dits.  Ce  sont 
donc  des  produits  réels  de  la  pure  sensibi- 
lité, et  j'ai  du  en  faire  mention  ici;  en  un 
mot,  ce  sont  de  vraies  sensations  internes 
comme  les  précédentes. 

Il  en  est  de  même  de  toutes  les  passions , 
à  la  différence  que  les  passions  proprement 
dites  renferment  toujours  un  désir.  Dans  la 
haine,  est  le  désir  de  faire  de  la  peine j  dans 


CHAPITRE   II.  5f 

l'amitié,  le  désir  de  faire  plaisir;  et  ces  de- 
sirs  dépendent  de  la  faculté  que  nous  nom- 
mons volonté.  Mais  l'état  doux  ou  pénible 
qu'éprouve  l'homme  qui  aime  ou  hait  un 
autre  homme,  est  une  véritable  sensation 
interne.  Je  crois  que  tout  ceci  est  entendu. 
Voilà  donc  que  nous  avons  passé  en  re- 
vue tous  les  effets  que  l'on  doit  attribuer  à 
la  pure  sensibilité.  Je  crois  bien  que  vous 
n'en  aviez  jamais  fait  un  examen  si  complet 
et  si  scrupleux;  et  peut-être  n'en  sentez- 
vous  pas  encore  beaucoup  l'utilité  ;  cepen- 
dant cela  doit  commencer  à  vous  faire  un 
peu  mieux  démêler  ce  qui  se  passe  en  vous. 
A.  mesure  que  nous  avancerons,  vous  ver- 
rez tout  se  débrouiller  successivement  sous 
vos  yeux,  et  l'ordre  succéder  au  chaos;  et 
vous  y  trouverez  toujours  plus  de  plaisir. 
Mais  c'est  assez  parler  de  la  sensibilité  ; 
passons  à  la  mémoire. 


CHAPITRE  III. 

De  la  Mémoire  et  des  Souvenirs. 

JLa  mémoire  est  une  seconde  espèce  de 
sensibilité.  La  première  consiste  à  être  af- 


58  iim';ologie. 

fecté  d'une  sensation  actuelle  ;  la  seconde  à 
être  affecté  du  souvenir  de  cette  sensation. 
Mais  ce  souvenir  lui-même  est  une  sensa- 
tion; car  c'est  une  chose  sentie,  c'est  une 
sensation  interne,  mais  d'un  autre  genre  que 
celles  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure. 

En  effet,  le  souvenir  d'une  sensation  n'est 
point  la  même  chose  que  la  sensation  même; 
quand  je  me  rappelle  que  j'ai  souffert,  je 
n'éprouve  pas  la  même  affection  que  quand 
je  souffre  actuellement.il  paraît  assez  vrai- 
semblable que,  quand  nous  sentons  une 
sensation ,  le  mouvement  quelconque  qui 
s'opère  dans  nos  nerfs  va  de  la  circonfé- 
rence au  centre;  et  que,  quand  nous  sentons 
un  souvenir,  il  se  porte  du  centre  à  la  cir- 
conférence; ce  qui  aiderait  à  le  croire,  c'est 
que  quand  le  souvenir  est  très -vif,  il  va 
quelquefois  jusqu'à  réveiller  la  sensation 
elle-même  dans  la  partie  où  elle  a  été  sen- 
tie; il  semble  qu'alors,  en  vertu  de  ce  fort 
ébranlement  tendant  du  centre  à  la  circon- 
férence, il  y  ait  une  nouvelle  réaction  de  la 
circonférence  au  centre  qui  reproduise  le 
premier  mouvement.  Mais  ce  ne  sont  là 
que  des  conjectures;  le  jeu  mécanique  de 


CHAPITRE  ni.  5^ 

nos  nerfs  a  échappé  jusqu'à  présent  à  toutes 
les  observations. 

J'ai  dit  que  la  mémoire  consiste  à  sentir 
les  souvenirs  des  sensations  passées  :  en- 
tendez qu'elle  consiste  aussi  à  sentir  les  sou- 
venirs de  nos  jugemens,  de  nos  désirs,  de 
toutes  nos  idées  composées;  et  même  de 
nos  souvenirs  eux-mêmes ,  car  continuel- 
lement il  nous  arrive  de  nous  souvenir 
d'impressions  qui  ne  sont  elles-mêmes  que 
des  souvenirs. 

On  a  excessivement  admiré  cette  faculté 
appelée  la  mémoire  ;  et  certes  ce  n'est  pas 
sans  raison;  mais,  pour  être  juste,  il  aurait 
fallu  commencer  par  s'émerveiller  de  celle 
nommée  sensibilité;  car  s'il  est  très-surpre- 
nant qu'un  être  quelconque  ait  la  propriété 
d'être  affecté  du  souvenir  d'une  impression 
qu'il  a  reçue,  il  ne  l'est  pas  moins  que  cet 
être  soit  capable  d'être  modifié  de  tant  de 
manières  par  l'effet  de  tout  ce  qui  l'approche, 
y  un  et  l'autre  sont  des  résultats  d'une  orga- 
nisation dont  les  ressorts  secrets  sont  im- 
pénétrables pour  nous.  Tout  est  également 
admirable  dans  la  nature,  depuis  la  moindre 
végétation  jusqu'à  la  plus  sublime  pensée. 
Mais  se  borner  à  l'admirer  et  à  la  célébrer, 


40  IDÉOLOGIE. 

c'est  employer  son  temps  d'une  manière 
très-stérile  et  qui  n'apprend  rien.  Vouloir 
la  deviner,  lui  supposer  des  causes  et  des  ori- 
gines ,  est  très-dangereux 5  c'est  une  source 
inépuisable  d'égaremens  et  d'erreurs.  La 
seule  chose  utile  est  d'étudier  ce  qui  est; 
cela  conduit  à  le  connaître  et  à  en  tirer  tout 
le  parti  possible  pour  notre  avantage.  Sui- 
vons donc  nos  recherches. 

On  demande  s'il  est  de  l'essence  de  la  mé- 
moire que,  quand  nous  sentons  un  souvenir, 
nous  sentions  qu'il  est  la  représentation 
d'une  impression  passée,  c'est-à-dire  que 
nous  sachions  toujours  que  c'est  un  sou-r 
venir.  Je  réponds  que  non  ;  car  il  m'arrive 
souvent  d'avoir  une  idée  que  je  crois  nou^ 
velle  pour  moi,  et,  le  moment  d'après,  je 
trouve  que  depuis  long-temps  je  l'ai  écrite 
quelque  part,  preuve  sans  réplique  que  je 
puis  avoir  un  souvenir  sans  avoir  en  même 
temps  la  conscience  que  c'est  un  souvenir. 
C'est-là  une  preuve  de  fait  bien  suffisante,  car 
elle  est  péremptoire  ;  cependant  on  peut  en- 
core y  ajouter  une  preuve  de  raisonnement. 
En  effet,  sentir  une  impression  actuelle  à 
l'occasion  d'une  impression  passée,  c'est-là 
le  propre  de  la  mémoire.  Mais  ensuite  re- 


CHAPITRE   III.  4l 

connaître  que  cette  impression  actuelle  est 
une  représentation  de  l'impression  passée, 
en  est  le  souvenir,  c'est  sentir  un  rapport 
d'identité  ou  de  ressemblance  entre  ces 
deux  impressions.  Or,  sentir  un  rapport  est 
un  acte  du  jugement.  Ce  n'est  donc  pas  un 
effet  de  la  simple  mémoire ,  telle  que  nous 
la  considérons,  séparée  et  distincte  de  toute 
au  Ire  faculté  intellectuelle. On  pourrait  donc, 
tout  au  plus,  demander  si  cet  acte  du  juge- 
ment est  toujours  et  nécessairement  lié  à 
tout  acte  delà  mémoire;  or,  l'exemple  que  je 
viens  de  citer  répond  pleinement  à  cette 
dernière  question. 

Ce  qui  a  jeté  quelques  nuages  sur  ce  point 
d'idéologie ,  c'est  que  quand  nous  avons  le 
souvenir  d'une  sensation  proprement  dite  , 
nous  ne  manquons  jamais  de  reconnaître 
que  ce  n'est  pas  la  sensation  elle-même. 
Quand  je  pense  à  une  douleur  que  j'ai  éprou- 
vée, je  sen%  très-bien,  excepté  dans  des  cas 
fort  rares,  que  ce  n'est  pas  cette  douleur 
elle-même  que  je  ressens.  Mais  quand  il 
s'agit  d'impressions  moins  différentes  entre 
elles  qu'une  douleur  et  un  souvenir,  ce  jn- 
gementnous  échappe  souvent;  et,  quand  il 
a  lieu ,  il  est  un  effet  de  la  faculté  de  juger,  et 


4<î  IDÉOLOGIE. 

non  pas  une  suite  nécessaire  de  celle  de  se 
ressouvenir.  Je  ne  crois  pas  que  cela  puisse 
souffrir  de  contradiction. 

J'aurais  pu,  à  propos  de  la  sensibilité, 
mettre  en  avant  une  question  fort  analogue 
à  celle  que  je  viens  d'élever  au  sujet  de  la 
mémoire;  mais  j'ai  préféré  de  ne  vous  la 
proposer  qu'après  celle-ci,  parce  que  la  so- 
lution en  sera  plus  facile.  On  demande  s'il 
est  de  la  nature  de  la  sensibilité  que  quand 
nous  éprouvons  une  sensation  quelconque, 
nous  reconnaissions  d'où  elle  nous  vient; 
c'est-à-dire  que  nous  la  rapportions  au 
corps  qui  en  est  la  cause ,  ou  au  moins  à 
l'organe  qui  nous  la  transmet.  Prenez  garde 
à  l'état  de  cette  question;  au  fond  elle  n'est 
pas  plus  difficile  que  celle  que  nous  venons 
de  résoudre;  mais  elle  demande  cependant 
un  peu  plus  d'attention,  parce  que  nous  ne 
pouvons  pas  y  répondre  directement  par  un 
exemple  comme  à  l'autre. 

En  effet,  presque  dès  les  premiers  momens 
de  notre  existence,  nous  savons  que  nous 
sommes  environnés  de  corps  qui  agissent 
sur  nous  de  mille  manières;  que  nous  avons 
nous-mêmes  un  corps  et  des  organes  qui 
reçoivent  leurs  impressions;  que  nous  n'a- 


CHAPITRE  III.  43 

vons  aucune  sensation  externe  qui  ne 
vienne  de  l'action  de  ces  corps  sur  ces  or- 
ganes ,  et  que  toutes  nos  sensations  internes 
sont  l'eflet  des  mouvemens  qui  s'opèrent 
dans  l'intérieur  de  ces  mémos  organes. 
Toutes  ces  connaissances  précèdent  en  nous 
tous  les  temps  dont  nous  nous  souvenons  : 
la  preuve  en  est  que  nous  ne  nous  rappelons 
pas  de  les  avoir  acquises.  En  conséquence, 
nous  avons  de  temps  immémorial  l'habitude 
de  rapporter  nos  sensations  à  tout  ce  qui 
les  cause;  et  nous  sommes  bien  tentés  de 
croire  qu'il  est  dans  la  nature  même  de 
toute  sensation  d'indiquer  d'où  elle  nous 
vient,  et  que  c'est-Ià  une  propriété  de  la  sen- 
sibilité. 

A  la  vérité,  les  mouvemens  très-vagues 
des  enfans  dans  le  premier  âge  nous  indi- 
quent qu'ils  éprouvent  des  sensations  pen- 
dant quelque  temps,  avant  de  savoir  doù 
elles  leur  viennent.  Nous-mêmes,  si  nous 
reconnaissons  presque  toujours  quel  est 
l'organe  par  lequel  nousvientune  sensation, 
nous  ne  distinguons  pas  toujours  le  corps 
qui  a  agi  sur  lui,  ni  où  il  est  précisément  : 
enfin  nous  nous  trompons  même  quelque- 
fois sur  l'organe  qui   est  affecté;  il  nous 


44  IDEOLOGIE. 

arrive  de  prendre  l'un  pour  l'autre.  Ces  ob- 
servations indiquent  bien  qu'il  n'est  pas  ab- 
solument de  l'essence  de  la  sensation  de 
faire  connaître  d'où  elle  vient  ni  par  où  elle 
vient;  qu'on  sent  souvent  sans  savoir  cela , 
et  que,  par  conséquent,  ce  ne  sont  pas  deux 
choses  inséparablement  unies.  Cependant 
tous  ces  faits  ne  sont  pas  aussi  décisifs  que 
celui  que  j'ai  allégué  à  propos  de  la  mémoire. 
On  pourrait  essayer  d'expliquer  ceux-ci  par 
les  circonstances  de  notre  organisation.  A 
défaut  de  la  preuve  de  fait,  ayons  donc  re- 
cours à  la  preuve  de  raisonnement ,  qui  nous 
a  déjà  réussi.  Disons  delà  sensibilité  ce  que 
nous  avons  dit  de  la  mémoire. 

Sentir  une  sensation  est  un  acte  de  la  sen- 
sibilité proprement  dite;  et  sentir  que  cette 
sensation  nous  vient  d'un  tel  corps  et  par  tel 
organe,  c'est  sentir  un  rapport  entre  cette 
sensation  et  ce  corps  ou  cet  organe;  c'est  un 
acte  du  jugement.  Ainsi  il  est  évident  qu'il 
n'appartient  pas  à  la  sensibilité  proprement 
dite,  et  que  par  conséquent  l'un  n'est  point 
essentiellement  et  nécessairement  insépa- 
rable del'autre.Concluonsdonc,quoiquecela 
répugne  à  nos  habitudes  les  plus  invétérées, 
qu'il  n'y  a  rien  dans  la  simple- sensation  qui 


CHAPITRE  III.  45 

indique  d'où  elle  vient  ni  par  où  elle  vient; 
et  qu'il  a  pu  y  avoir  un  temps  où  nous  sen- 
tions sans  juger,  sanssa  voir  que  nous  avions 
Un  corps  et  des  organes,  et  sans  connaître 
enfin  que  nous  voyions  par  l'œil,  que  nous 
tâtions  par  la  main,  et  que  ce  que  nous 
voyions  et  touchions  était  d  s  corps. 

Je  dis,  qu'il  a  pu  y  avoir  un  temps,  et  non 
pas  qu'il  y  a  eu  un  temps.  Car  en  conve- 
nantde  la  j  ustesse  du  raisonnement  que  nous 
venons  de  faire,  et  auquel  il  me  paraît  im- 
possible de  se  refuser,  il  est  très-possible  de 
demander  si  ces  deux  facultés  de  sentir  et 
de  juger  ne  naissent  pas  ensemble;  si  elles 
ne  résultent  pas  en  même  temps  de  notre 
organisation;  si  leurs  actes  ne  sont  pas  tou- 
jours simultanés  et  confondus,  ce  qui  pro- 
duirait le  même  effet  que  si  elles  n'étaient 
qu'une  seule  et  même  faculté  :  et  ensuite  on 
peut  demander  comment,  en  supposant 
que  cela  ne  soit  pas  ainsi ,  il  se.  fait  que 
nous  parvenons  à  connaître  que  notre 
corps  existe,  qu'il  en  existe  d'autres,  et  que 
ce  sont  là  les  causes  et  les  moyens  de  nos 
sensations. 

Sans  vouloir  encore  traiter  à  fond  ces 
deux  questions  secondaires,  je  dirai,  à  l'égard 


46  IDEOLOGIE, 

de  la  première,  que  les  faits  allégués  ci- 
dessus  commencent  à  prouver  que  la  fa- 
culté de  juger  ne  se  développe  qu'après 
celle  de  sentir  •  et  que  nous  le  reconnaîtrons 
encore  plus  clairement  dans  le  chapitre  sui- 
vant, où  nous  allons  parler  du  jugement. 

Quant  à  la  seconde  question,  je  vous 
promets  que,  quand  nous  en  serons  là,  je 
vous  montrerai  comment  nous  apprenons 
successivement  et  graduellement  à  con- 
naître que  les  corps  existent,  et  qu  ils  sont 
les  causes  de  nos  sensations;  et  je  me  per- 
suade que  l'explication  que  je  vous  donnerai 
de  ce  phénomène  ne  vous  laissera  rien  à 
désirer.  Mais,  quand  même  je  serais  dans 
l'erreur,  quand  les  explications  que  je  vous 
donnerai  ne  seraient  pas  satisfaisantes,  il 
s'ensuivrait  seulement  que  je  me  suis  trom- 
pé, que  j'ai  mal  vu  la  manière  dont  le  fait 
arrive,  qu'il  faut  la  chercher  de  nouveau* 
Mais  il  n'en  faudrait  pas  conclure  que  la 
sensation  toute  seule  nous  donne  la  con- 
naissance de  ce  qui  la  cause;  car  il  n'en  se- 
rait pas  moins  vrai  que  quand  on  ne  fait 
uniquement  que  sentir,  on  n'apprend  pas 
par  ce  seul  acte  d'où  vient  la  sensation  :  car 
sentir  et  juger  sont  deux  choses  différentes  f 


CHAPITRE   Iir.  47 

qui  sont  quelquefois  séparées.  Voilà  ce  dont 
il  ne  faut  pas  se  départir,  puisque  cela  est 
indubitable.  Il  ne  semble  pas  que  ce  soit 
avoir  fait  un  grand  pas  que  de  s'être  assuré 
d'une  vérité  si  simple  ;  cependant  vous  ver- 
rez dans  la  suite  que  bien  des  philosophes 
s'égarentpour  n'y  pas  faire  assezd'attention, 
et  que  nous ,  nous  en  tirerons  des  consé- 
quences très-importantes. 

Vous  n'avez  vraisemblablement  jamais 
observé  avec  tant  de  scrupules  les  divers 
élémens  de  votre  intelligence,  et  sûrement 
vous  êtes  surpris  que  l'on  découvre  des 
parties  distinctes  dans  des  choses  qui  pa- 
raissent d'abord  aussi  indécomposables;  et 
que  des  choses  qui  semblent  si  simples  don- 
nent lieu  à  tant  de  questions  délicates.  Peut- 
être  aussi  trouvez-vous  ma  marche  un  peu 
lente,  et  mes  recherches  minutieuses;  mais 
soyez  sûrs  qu'on  gagne  bien  du  temps  en 
n'allant  pas  trop  vite,  et  qu'on  ne  connaît 
bien  que  ce  qu'on  a  examiné  en  grand  dé- 
tail. Bientôt  vous  verrez  que  nous  serons 
récompensés  de  notre  patience.  Pour  le 
moment  je  n'ajouterai  rien  au  peu  que  je 
vous  ai  dit  de  la  mémoire  avant  cette  di- 
gression. Il  me  suffit  de  vous  avoir  fait 


48  IDÉOLOGIE. 

connaître  exactement  ce  que  c'est ,  et  en  quoi 
elle  consiste.  Passons  au  jugement.  Quand 
nous  aurons  ainsi  examiné ,  pour  ainsi  dire, 
pièce  à  pièce  toutes  les  parties  de  la  faculté 
de  penser,  nous  les  rassemblerons  pour  les 
voir  agir;  et  c'est  alors  que  nous  ferons  des 
progrès  qui  seront  rapides  sans  cesser  d'être 
sûrs. 


CHAPITRE  IV. 

Du  Jugement  et  des  Sensations  de 
rapports. 

jLjA  faculté  de  juger,  ou  le  jugement,  est 
encore  une  espèce  de  sensibilité  ;  car  c'est 
la  faculté  de  sentir  des  rapports  entre  nos 
idées  ;  et  sentir  des  rapports  c'est  sentir. 
Commençons  par  éclaircir  le  sens  de  ce  mot 
rapport;  c'est  une  expression  si  générale , 
que ,  si  l'on  n'y  prenait  garde,  elle  pourrait 
devenir  un  peu  vague* 

Toute  circonstance,  toute  particularité 
de  chacune  de  nos  idées  peut  être  le  sujet 
d'un  rapport  entre  cette  idée  et  toutes  les 
autres. 

Le  rapport  est  cette  vue  de  notre  esprit, 

cet 


CHAPITRE  IV.  4g 

cet  acte  de  notre  faculté  de  penser  par  le- 
quel nous  rapprochons  une  idée  d'une  autre, 
par  lequel  nous  les  lions ,  les  comparons 
ensemble  d'une  manière  quelconque.  Par 
exemple,  quand  je  juge  qu'un  cheval  court 
bien,  je  n'ai  pas  seulement  présentes  à  l'es- 
prit l'idée  de  ce  cheval  et  l'idée  de  bien 
courir;  je  sensquela  propriété  debien  courir 
appartient  à  ce  cheval.  C'est-là  un  rapport 
entre  cette  action  et  cet  animal.  De  même, 
quand  je  juge  que  Pierre  est  gai,  que  Jacques 
se  porte  bien,  je  ne  sens  pas  seulement 
l'idée  de  Pierre  et  celle  d'être  gai ,  l'idée  de 
Jacques  et  celle  de  se  bien  porter ,  je  sens 
de  plus  que  celle  d'être  gai  convient  à  Pierre, 
que  celle  de  se  bien  porter  convient  à  Jac- 
ques :  ce  sont  là  des  sensations  de  rap- 
ports, ce  sont  des  jugemens.  Vous  trouve- 
rez la  même  chose  dans  tous  les  exemples 
que  vous  voudrez  choisir,  si  vous  les  ana- 
lysez bien  (1). 

(i)  Nous  expliquerons  dans  la  suite  avec  plus  de 
précision ,  que  l'acte  de  juger  consiste  toujours  et  uni- 
quement à  voir  qu'une  idée  est  comprise  dans  une 
autre ,  fait  partie  de  cette  autre,  est  une  des  idées  qui 
la  composent  ou  doivent  la  composer  j  mais  nous  n'a- 
yons pas  besoin  de  cela  actuellement.  Toutefois,  si 

D 


5o  IDÉOLOGIE. 

Par  cette  explication ,  vous  voyez  nette- 
ment en  quoi  consiste  la  faculté  de  juger.  Ne 
me  demandez  pas  comment  il  se  fait  que 
nous  la  possédons;  c'est  vraisemblablement 
ce  que  nous  ne  saurons  jamais.  Il  est  in- 
compréhensible sans  doute  que  nous  soyons 
faits  de  façon  à  être  affectés  du  rapport  de 
deux  sensations  ;  mais  il  ne  l'est  pas  moins 
que  nous  soyons  affectés  de  ces  sensations 
elles-mêmes  et  de  leurs  souvenirs.  On  pour- 
rait même  dire  que  le  jugement  est  une  con- 
séquence nécessaire  de  la  sensibilité;  car, 
dès  qu'on  sent  distinctement  deux  sensa- 
tions ,  il  s'ensuit  assez  naturellement  qu'on 
sent  leurs  ressemblances,  leurs  différences, 
et  leurs  liaisons.  Quoi  qu'il   en  soit,    le 
jugement  est  une  partie  de  la  faculté  de 
penser,  comme  la  sensibilité  et  la  mémoire; 
ce  sont  trois  résultats  de  notre  organisa- 
tion. Tenons-nous-en  là;  ne  cherchons  pas 
à  deviner  des  mystères;  mais  parcourons 
les  différentes  observations  que  nous  avons 
à  faire  sur  la  faculté  de  sentir  des  rapports. 
Remarquons  d'abord  qu'elle  nous  est  bien 

vous  en  êtes  curieux  dès  ce  moment,  voyez  la  Gram- 
maire, chapitre  premier,  de  la  Décomposition  du 
Discours  dans  quelque  langage  que  ce  soit. 


CHAPITRE  IVv  5i 

nécessaire  cette  faculté;  c'est  d'elle  seule  que 
nous  tenons  tout  ce  que  nous  savons;  sans 
elle,  la  sensibilité  et  la  mémoire  ne  nous 
seraient  d'aucune  utilité.  Si  nous  n'avions  pas 
la  faculté  de  sentir  des  rapports,  nous  joui- 
rions et  souffririons  éternellement  par  nos 
sensations  et  nos  souvenirs ,  sans  être  ja- 
mais plus  avancés  que  le  premier  jour  -, 
nous  ne  pourrions  en  tirer  aucuns  résul- 
tais ;  nous  ne  saurions  jamais  ni  d'où  nous 
viennent  ces  sensations ,  ni  comment  elles 
nous  viennent,  ni  quelles  liaisons  elles  ont 
entre  elles,  ni.  en  quoi  elles  se  ressemblent 
ou  différent,  ou  se  tiennent  les  unes  aux 
autres,  ni  par  quels  moyens  nous  pouvons 
nous  les  procurer,  ou  les  éviter;  nous  se- 
rions incapables  de  réunir  deux  idées  pour 
en  former  une  troisième;  nous  ne  saurions 
pas  même  s'il  y  a  des  corps  et  si  nous  en 
avons  un;  en  un  mot,  nous  serions  des 
êtres  toujours  sentans,  mais  absolument  et 
complètement  ignorans  de  tout  ce  qui  nous 
entoure  et  de  nous-mêmes;  car  toutes  nos 
connaissances  ne  sont  que  des  sensations 
de  rapports,  des  jugemens.  Ceci  sera  en- 
core plus  clair  pour  vous  quand  nous  au- 
rons analysé  la  manière  dont  se  forment 

D  2 


02  IDEOLOGIE. 

nos  idées  composées ,  c'est-à-dire  presque 
toutes  nos  idées  ;  mais,  dès  ce  moment, 
vous  devez  le  comprendre,  et  un  exemple 
va  vous  le  rendre  plus  sensible. 

Je  reçois  la  sensation  de  la  couleur  jaune  : 
je  suis  affecté;  mais  cela  ne  m'apprend  rien, 
j'éprouve  seulement  une  certaine  modifica- 
tion accompagnée  de  plaisir  ou  de  peine. 
Ce  n'est  ensuite  que  par  les  sensations  de 
certains  rapports  que  sent  mon  jugement, 
ou,  comme  on  dit,  par  des  jugemens  que 
je  porte,  que  je  sais  que  cette  sensation  me 
vient  par  l'œil  ;  qu'elle  est  causée  par  un 
corps  ;  qu'elle  est  un  effet  de  la  lumière  ;  que 
le  même  corps  qui  me  la  cause,  m'en  cause 
d'autres;  que  je  puis  en  faire  tel  usage,  etc. 
Ainsi,  vous  voyez  que  tout  ce  que  nous 
savons  ne  consiste  que  dans  des  rapports 
entre  les  diverses  choses  que  nous  sentons. 
Voilà  donc  l'utilité  et  les  fonctions  du  juge- 
ment bien  établies. 

Observons  actuellement  que  pour  sentir 
un  rapport  il  faut  déjà  avoir  eu  au  moins 
deux  idées;  ainsi  l'action  de  la  sensibilité 
proprement  dite  précède  nécessairement, 
au  moins  d'un  moment,  celle  du  jugement; 
ces  deux  facultés  ne  peuvent  pas  commen- 


CHAPITRE   IV.  55 

cer  à  s'exercer  précisément  dans  le  même 
instant.  Cela  répond  clairement,  ce  me 
semble,  comme  je  vous  l'avais  promis,  à 
la  première  des  deux  questions  que  nous 
nous  étions  faites  dans  le  chapitre  précé- 
dent (1). 

Ceci  ne  veut  pas  dire,  au  reste,  que  nous 
ne  naissions  pas  doués  de  la  faculté  de  juger 
comme  de  celle  de  sentir.  L'une  et  l'autre 
sont  également  des  résultats  de  notre  orga- 
nisation ;  nous  l'avons  déjà  dit.  Ainsi,  je  n'ai 

(1)  On  pourrait  m'objecter  que  dès  la  première 
sensation  que  nous  éprouvons,  nous  pouvons  la  juger 
agréable  ou  désagréable.  Cela  est  vrai  :  je  crois  même 
que  nous  le  faisons,  et  je  crois  de  plus  que  c'est  le 
soûl  jugement  que  nous  puissions  porter  de  cette  pre- 
mière sensation,  faute  d'autres  termes  de  comparaison. 
Mais  ce  fait  ne  détruit  pas  ce  que  je  viens  de  dire  ;  car 
dans  cette  première  sensation  sont  renfermées  impli- 
citement deux  idées ,  celle  de  notre  faculté  sentante 
et  celle  d'une  affection  qui  la  modifie  ;  et  ce  premier 
jugement  n'est  que  la  perception  du  rapport  que  cette 
affection  a  avec  notre  sensibilité,  de  la  modifier  en 
bien  ou  en  mal.  Cette  perception  de  rapport  peut  donc 
naître  tout  de  suite  de  notre  première  affection  ;  mais 
enfin  elle  ne  saurait  la  précéder,  elle  ne  peut  que  la 
suivre ,  et  cela  suffit  pour  la  vérité  de  ce  que  j'avance . 
Nous  reviendrons  encore  sur  cet  objet  au  chap.  8, 


54  1BÉOLOGTE. 

pas  plus  de  peine  à  concevoir  qu'un  enfant 
qui  vient  de  naître  a  en  lui  la  capacité  de 
sentir  un  rapport ,  qu'à  concevoir  qu'il  a 
celle  de  sentir  une  sensation  ;  mais  je  dis 
qu'il  ne  peut  commencer  à*  user  de  l'une 
qu'après  s'être  servi  de  l'autre.  L'expérience 
prouve  de  plus  que  celle  de  juger  est  la  der- 
nière qui  se  fortifie,  et  on  pourrait  même 
dire  la  dernière  qui  s'éteint.  Nous  verrons 
ailleurs  quelles  circonstances  paraissent  né- 
cessaires pour  qu'elle  commence  à.  agir. 

Remarquons  encore  que  non-seulement 
il  faut  avoir  deux  idées  pour  sentir  un  rap- 
port ,  mais  qu'il  n'en  faut  jamais  que  deux  ; 
car  dans  tout  rapport  il  ne  peut  y  avoir  que 
deux  termes,  savoir,  l'idée  de  laquelle  on  en 
rapproche  une  autre,  et  celle  que  l'on  en 
rapproche  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  le  sujet  et 
l'attribut.  S'il  y  avait  plusieurs  sujets  ou 
plusieurs  attributs,  il  y  aurait  plusieurs 
rapports  et  par  conséquent  plusieurs  ju- 
gemens,  et  non  pas  un  seul.  Le  sujet  et 
l'attribut  peuvent  bien,  à  la  vérité,  être 
chacun  une  idée  extrêmement  complexe, 
c'est-à-dire  composée  d'une  foule  de  parties, 
mais  elle  est  toujours  considérée  comme 
unique  ;  et,  dans  chacun  de  nos  jugemens, 


CHAPITRE    IV.  55 

il  n'y  a  que  deux  idées  ou  deux  groupes 
d'idées  qui  soient  opposés  l'un  à  l'autre. 

Par  exemple,  quand  je  dis,  l'homme  qui 
découvre  une  vérité,  est  utile  à  l'huma- 
nité toute  entière,  je  prononce  beaucoup 
de  mots,  mais  je  n'exprime  qu'un  jugement: 
V homme  qui  découvre  une  vérité,  est  le 
sujet;  est  utile  à  l'humanité  toute  entière > 
est  l'attribut.Cependant,  l'homme,  exprime 
l'idée  d'un  individu  ;  qui,  une  idée  de  rela- 
tion ;  découvre,  l'idée  d'une  action;  une, 
une  idée  de  nombre;  vérité,  l'idée  d'un  pro- 
duit de  notre  intelligence.  Voilà  cinq  idées 
bien  distinctes,  et  chacune  d'elles  est  com- 
posée de  bien  d'autres  ;  mais  à  elles  toutes 
elles  n'en  font  plus  qu'une  ;  car  je  ne  parle 
pas  seulement  de  l'homme,  ou  de  l'homme 
qui  découvre,  mais  de  l'homme  qui  dé- 
couvre une  vérité  :  c'est-là  l'idée  complète 
et  unique,  quoique  très -composée,  dont 
je  vais  en  rapprocher  une  autre.  Il  en  est 
de  même  de  l'attribut  :  est,  exprime  l'idée 
de  l'existence;  utile,  une  idée  de  qualité  ; 
à,  une  idée  de  relation;  l'humanité,  l'idée 
d'une  collection  d'hommes;  tout,  une  idée 
de  qualité;  entière,  une  autre  idée  de  qua- 
lité. Cela  fait  bien  six  idées,  et  toutes  aussi 


56  IDÉOLOGIE. 

composées  que  les  premières.  Mais,  à  elles 
toutes,  elles  ne  font  encore  qu'une  seule 
idée;  car  je  ne  juge  pas  seulement  du  sujet 
qu'il  est,  qu'il  existe,  ou  qu'il  est  utile,  ou 
qu'il  est  utile  simplement  à  l'humanité ,  mais 
qu'il  est  utile  à  l'humanité  toute  entière  ;  ce 
n'est  qu'alors  seulement  que  mon  sens  est 
complet,  et  ce  n'est  qu'un  seul  fait  que  j'af- 
firme en  prononçant  tant  de  mots.  Ainsi, 
comme  je  l'ai  annoncé ,  cette  phrase  si 
longue  n'exprime  qu'un  seul  jugement. 

Dans  celle-ci ,  au  contraire ,  Pierre  et 
Paul  existent;  quoiqu'elle  soit  bien  courte, 
il  y  a  deux  jugemens;  car  il  y  a  trois  termes. 
Je  rapproche  l'idée  d'exister  de  celle  de 
Pierre  et  de  celle  de  Paul,  qui  sont  deux 
idées  distinctes  et  séparées;  ce  n'est  qu'une 
manière  abrégée  de  dire  que  Pierre  existe, 
et  que  Paul  existe  aussi;  ce  qui  fait  deux  ju- 
gemens  tellement  distincts  que  l'un  peut 
être  juste  et  l'autre  faux. 

Il  est  si  vrai  que  le  nombre  des  jugemens 
tient  au  nombre  des  termes,  c'est-à-dire 
au  nombre  des  groupes  d'idées,  et  non  au 
nombre  des  idées  composant  chaque  groupe, 
que  quand  je  dis,  le  genre  humain  existe, 
je  n'exprime  qu'un  seul  jugement;  quoiqu'il 


CHAPITRE  IV.  57 

y  ait  bien  plus  d'idées  renfermées  sous  ces 
mots,  le  genre  humain,  que  sous  ceux-ci, 
Pierre  et  Paul. 

Il  ne  faut  pas  cependant  que  la  forme 
de  l'expression  fasse  illusion.  Par  exemple, 
quand  je  dis,  un  et un  font  deux,  je  ne  pro- 
nonce pas  deux  jugemens;  car  je  ne  dis  pas 
que  un  fait  deux ,  et  que  un  fait  encore  deux  ; 
mais  je  dis  que  un  ajouté  à  un  fait  deux , 
phrase  dans  laquelle  il  n'y  a  qu'un  juge- 
ment :  aussi  n'y  voyez-vous  quedeux  termes. 
Si  l'usage  était  raisonnable,  au  lieu  de  dire 
un  et  un  font  deux,  on  dirait  un  et  un  fait 
deux  comme  on  dit  un  ajouté  à  un  fait  deux  ; 
puisque,  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  il 
n'y  a  réellement  qu'un  sujet  unique;  mais, 
dans  les  langues,  l'usage  est  souvent  absurde, 
parce  qu'elles  ont  été  faites  avant  la  science. 

Concluons  qu'il  ne  peut  jamais  y  avoir 
plus  de  deux  termes  dans  la  sensation  d'un 
rapport,  dans  un  jugement. 

Maintenant  je  dois  aller  au  devant  d'une 
difficulté  qui  pourrait  vous  embarrasser. 
On  vous  a  sûrement  déjà  dit,  en  vous 
parlant  de  grammaire  latine  ou  française, 
qu'une  proposition  était  l'expression  d"uu 
jugement,  et  cela  est  vrai;  mais  on  vous  a 


53  IDÉOLOGIE. 

peut-être  dit  aussi,  car  c'est  assez  l'usage, 
que  toute  proposition  est  composée  néces- 
sairement de  trois  termes,  le  sujet,  l'attri- 
but, et  la  copule  ou  le  lien.  Si  cela  était  vrai, 
cela  impliquerait  contradiction  avec  le  prin- 
cipe que  je  viens  de  vous  démontrer-  car 
comment  se  pourrait -il  qu'il  n'y  eût  que 
deux  termes  dans  un  jugement,  et  qu'il  y 
en  eût  nécessairement  trois  dans  la  propo- 
sition ,  qui  n'est  que  son  expression  fidèle  ? 
Aussi  cela  est-il  faux,  et  voici  comment  on 
a  été  induit  en  erreur. 

On  a  remarqué  que ,  dans  toutes  les 
propositions  quelconques,  le  verbe  être  se 
trouve  ou  explicitementeomme  dans  celle-ci, 
Pierre  est  grand,  ou  implicitement  comme 
dans  cette  autre,  Pierre  marche,  que  l'on 
peut  traduire  ainsi,  Pierre  est  marchant. 
Cette  observation  est  juste  ;  mais  les  gram- 
mairiens, qui  ne  sont  pas  toujours  idéolo- 
gistes,  sont  partis  de  là  pour  imaginer  qu'il 
y  avait  je  ne  sais  quelle  propriété  occulte 
dans  ce  verbe  être,  et  qu'il  était  une  espèce 
de  liaison  nécessaire  entre  le  sujet  et  l'at- 
tribut; ils  l'ont  appelé  lien  ou  copule,  et  ils 
en  ont  fait  un  troisième  terme  de  la  propo- 
sition; mais  le  verbe  être  ne  lie  rien,  et  le 


CHAPITRE   IV.  59 

nom  de  lien  qu'on  lui  donne  est  vide  de  sens. 
Le  verLe  être  se  trouve  dans  toutes  les 
propositions,  parce  qu'on  ne  peut  pas  dire 
qu'une  chose  est  de  telle  manière,  sans  dire 
auparavant  qu'elle  est.  Je  ne  puis  ni  juger, 
ni  exprimer  que  Pierre  existe  grand,  sans 
auparavant  juger  et  exprimer  que  Pierre 
existe.  Mais  ce  mot  est,  qui  est  dans  toutes 
les  propositions,  y  fait  toujours  partie  de 
l'attribut;  il  en  est  toujours  le  début  et  la 
base  ;  il  est  l'attribut  général  et  commun  de 
toutes  les  choses  qui  existent,  ou  dont  on 
parle  comme  existantes.  Il  n'y  a  donc  pas 
trois  termes  dans  la  proposition ,  non  plus 
que  dans  le  jugement  dont  elle  est  l'énoncé. 

D'autres  grammairiens  ont  cru  que  le 
verbe  être  exprimait  l'action  de  l'esprit  qui 
juge,  la  persuasion  de  l'homme  qui  parle. 
Mais  encore  une  lois ,  le  verbe  être  par  lui- 
même  n'exprime  que  l'existence. 

Si  en  outre  il  exprime  l'affirmation ,  ce 
n'est  qu'accidentellement,  c'est  par  la  forme 
qu'on  lui  fait  prendre.  La  preuve  en  est  que 
quand  je  dis,  Pierre  être  bon,  il  n'y  a  pas 
plus  d'affirmation,  pas  plus  de  prononcé  de 
jugement  que  quand  je  dis,  Pierre  bon.  Le 
verbe  n'exprime  l'affirmation  nue  quand  il 


6o  IDÉOLOGIE. 

est  à  un  mode  défini.  C'est  donc  dans  le  mode, 
et  non  dans  le  verbe  même,  qn'est  l'affirma- 
tion :  aussi  une  phrase  n'est  jamais  une 
proposition, un  prononcé  de  jugement,  que 
quand  il  s'y  trouve  un  mode  défini  énoncé 
ou  sous-entendu.  Mais  que  le  verbe  exprime 
ou  non  l'affirmation,  ce  n'est  là  qu'un  acces- 
soire, qui  ne  l'empêche  pas  de  faire  toujours 
partie  de  l'attribut. 

J'ai  donc  eu  raison ,  et  de  vous  dire  qu'il 
n'y  avait  jamais  que  deux  termes  dans  un 
jugement,  et  d'analiser,  comme  je  l'ai  fait 
ci-dessus,  les  énoncés  des  jugemens  que  je 
vous  ai  cités  pour  exemples. 

Comme  la  discussion  à  laquelle  je  viens 
de  me  livrer  porte  sur  un  point  encore  con- 
testé, j'ai  été  contraint  de  l'étendre  un  peu: 
elle  a  du  vous  paraître  longue  ;  et  cependant 
je  crains  que  vous  ne  l'ayez  trouvée  pénible , 
parce  qu'elle  est  prématurée  à  quelques 
égards.  Nous  y  reviendrons  quand  nous 
traiterons  spécialement  de  l'expression  de 
la  pensée;  vous  l'entendrez  plus  complète- 
ment alors,  parce  que  plusieurs  prélimi- 
naires nécessaires  auront  été  expliqués  (i)  : 

(i)  t'oyez  la  Grammaire  ;  cliap.  2  <*t  3. 


CHAPITRE   IV.  6i 

mais  j'ai  dit  anticiper  un  peu;  sans  quoi  ce 
que  l'on  a  pu  déjà  vous  dire  des  principes 
de  la  grammaire  aurait  jeté  quelques  nuages 
sur  la  manière  dont  je  vous  ai  expliqué  les 
sensations  de  rapports.  Cela  doit  commen- 
cer à  vous  montrer  combien  la  science  de 
la  pensée,  et  celle  de  la  parole,  sont  intime- 
ment liées,  combien  elles  "sont  nécessaires 
l'une  à  l'autre,  et  combien  il  est  dangereux 
de  s'occuper  de  la  manière  d'exprimer  les 
idées  avant  d'avoir  étudié  la  manière  dont 
elles  se  forment  en  nous  :  vous  en  verrez 
bien  d'autres  preuves. 

De  ce  qu'il  faut  avoir  à  la  fois  deux  idées, 
et  de  ce  qu'il  n'en  faut  avoir  que  deux  pour 
sentir  une  sensation  de  rapports,  nous  de- 
vons conclure  qu'il  faut  encore  que  ces  deux 
idées  soient  présentes  à  la  pensée  en  même 
temps  d'une  manière  distincte,  et  qu'elles 
ne  s'y  confondent  pas;  car,  si  elles  se  con- 
fondaient ensemble,  elles  ne  feraient  plus  à 
elles  deux  qu'une  seule  idée  complexe, 
comme  celles  que  nous  venons  de  voir,  qui, 
réunies,  ne  forment  qu'un  sujet  ou  un  attri- 
but. Il  n'y  aurait  donc  qu'un  terme  dans  la 
pensée;  il  ne  pourrait  pas  y  avoir  sensation 
de  rapport.  Exemple  :  Pour  que  je  sente  un 


62  IDÉOLOGIE^ 

rapport  entre  la  sensation  de  noir  et  celle  de 
blanc,  il  faut  qu'elles  demeurent  séparées, 
et  qu'elles  ne  se  mêlent  pas  de  manière  à 
former  la  sensation  de  gris;  car  alors  il  n'y 
a  plus  de  terme  de  comparaison.  Retenez 
cette  remarque,  elles  nous  sera  fort  utile 
lorsque  nous  examinerons  quand  et  com- 
ment notre  faculté  de  juger  peut  commencer 
à  agir. 

Faisons  encore,  en  finissant,  une  ré- 
flexion qui  a  échappé  à  beaucoup  de  gram- 
mairiens et  de  logiciens,  et  qui  dissipera 
bien  des  nuages  :  c'est  qu'il  n'y  a  point  de 
jugement  négatif.  Dans  les  propositions  né- 
gatives, la  négation  se  trouve  dans  la  forme 
de  l'expression ,  mais  elle  n'est  pas  dans  la 
pensée.  Par  exemple,  quand  je  dis,  Pierre 
n'est  pas  grand,  on  dit  communément  que 
je  sens,  que  je  porte  un  jugement  négatif, 
que  je  juge  que  l'idée  d'être  grand  ne  con- 
vient pas  à  Pierre.  Cela  n'est  pas  exact;  je 
fais  plus ,  je  sens  positivement  que  l'idée  de 
n'être  pas  grand  lui  convient.  La  négation 
fait  partie  de  l'attribut;  cela  est  si  vrai,  que 
c'est  comme  si  je  jugeais  que  Vidée  d'être 
petit  ou  du  moins  d'être  de  la  taille  corn-* 
mune,  convient  à  Pierre;  ce  qui  est  incon- 


CHAPITRE  IV.  C5 

testablement  un  jugement  positif.  Celte  dis- 
tinction pourra  paraître  minutieuse  :  cepen- 
dant elle  est  très-importante;  car  l'expres- 
sion que  je  combats  jette  du  louche  sur  l'opé- 
ration de  notre  pensée  dans  le  jugement. 
Je  sais,  pour  moi,  qu'elle  m'a  long- temps 
empêché  de  la  comprendre  nettement.  En 
effet,  juger,  c'est  sentir  un  rapport,  c'est  une 
chose  positive  :  or  que  serait-ce  que  sentir 
qu'un  rapport  n'existe  pas?  ce  serait  sentir 
une  chose  qui  n'existe  pas;  cela  implique 
contradiction.  Déplus,  en  adoptant  l'expli- 
cation que  je  rejette ,  on  est  obligé  de  ne  pas 
faire  delà  négation  une  partie  de  l'attribut, 
on  en  fait  une  modification  du  verbe;  et  il 
faut  par  conséquent  faire  du  verbe  un  troi- 
sième terme,  ce  qui  brouille  tout  :  enfin  cela 
conduit  à  méconnaître  une  vérité,  la  base 
de  tout  raisonnement,  et  que  je  vous  prou- 
verai dans  la  suite;  c'est  que  tout  jugement 
consiste  à  reconnaître  que  l'idée  totale  de 
l'attribut  est  comprise  toute  entière  dans 
l'idée  du  sujet,  et  en  fait  partie.  Mais  nous 
verrons  cela  quand  nous  en  serons  à  la  troi- 
sième partie  de  ce  Cours,  à  l'histoire  de  la 
déduction  de  nos  idées  (1).  Pour  le  moment 

(i)  En  attendant,  je  crois  devoir  uue  explication 


64  IDÉOLOGIE. 

retenez  que  tout  jugement  est  positif,  que 
la  négation  n'existe  que  dans  la  forme  de  l'ex- 

provisoire  à  ceux  qui  ont  déjà  étudié  la  matière ,  et 
qui  pourraient  être  surpris  de  cette  dernière  assertion. 
En  effet,  ils  savent  que  l'idée  exprimée  par  l'attribut 
doit  toujours  être  une  idée  plus  générale  que  celle  ex- 
primée par  le  sujet.  On  peut  bien  dire,  un  homme  est 
un  animal;  mais  on  ne  peut  pas  dire,  un  animal  est 
un  homme.  C'est  pour  cela  que  les  anciens  logiciens, 
à  tort  ou  à  raison ,  ont  appelé  l'attribut  le  grand  terme, 
et  la  proposition  dans  laquelle  il  entre  la  majeure,  par 
opposition  au  sujet,  qu'ils  nomment  le  petit  terme,  et 
à  la  proposition  qui  le  renferme ,  qu'ils  nomment  la 
mineure.  Cela  semble  contraire  au  principe  que  je 
viens  d'avancer ,  que  l'idée  totale  de  l'attribut  est  corn-' 
-prise  toute  entière  dans  Vidée  du  sujet;  mais  cette 
contradiction  apparente  va  s'expliquer  et  s'évanouir 
par  une  distinction  très-simple. 

Il  y  a  deux  choses  à  considérer  dans  une  idée,  son 
extension,  ou  le  nombre  des  objets  auxquels  elle  con- 
vient, et  sa  compréhension,  ou  le  nombre  des  idées 
qu'elle  renferme.  Plus  une  idée  est  générale,  plus  elle 
convient  à  un  grand  nombre  d'objets  ;  mais  moins  elle 
retient  des  idées  propres  à  chacun  d'eux  :  et  au  con- 
traire, plus  elle  est  particulière,  plus  est  petit  le 
nombre  des  objets  auxquels  elle  s'applique;  mais  plus 
elle  renferme  des  idées  composantes  de  chacun  d'eux. 
Ainsi,  l'idée  générale  renferme  l'idée  particulière 
dans  son  extension,  et  l'idée  particulière  renferme 
l'idée  générale  dans  sa  compréhension.  En  effet,  dans 

pression, 


CHAPITRE   IV.  65 

pression,  et  qu'elle  fait  toujours  partie  de 
l'attribut. 
Actuellement  que  vous  connaissez  suffi- 

l'idée  à.' animal  sont  compris  tous  les  individus  hommes; 
mais  dans  les  idées  composantes  de  l'idée  homme  est 
comprise  l'idée  d'être  un  individu  de  la  classe  des  ani- 
maux ,  d'être  un  animal. 

Or,  comme  je  soutiens  que  tout  jugement  consiste 
toujours  à  voir  que  l'idée  de  l'attribut  est  une  des  idées 
composantes  de  celle  du  sujet,  est  une  circonstance 
qui  lui  appartient,  je  me  crois  en  droit  de  dire  que 
l'idée  de  cet  attribut,  bien  que  plus  générale,  fait 
partie  de  celle  du  sujet,  quoique  plus  particulière,  et 
que  c'est  pour  cela,  et  pour  cela  seul,  que  nous  pou- 
vons affirmer  l'attribut  du  sujet. 

J'en  ai  d'autant  plus  de  raison  ,  que  dès  que  deux 
idées  sont  comparées ,  dès  qu'elles  sont  la  matière  d'un 
jugement,  elles  ne  diffèrent  plus  que  par  leur  compré~ 
hension  :  elles  sont  toujours  parfaitement  égales  en 
extension.  Quand  l'on  dit  que  l'homme  est  un  animal, 
on  entend  un  animal  de  l'espèce  des  hommes,  et  non 
pas  de  l'espèce  des  singes  ou  de  toute  autre.  De  même 
quand  on  dit,  cet  homme  est  malade,  on  entend  ma- 
lade de  sa  maladie  particulière,  et  non  pas  de  toutes 
les  infirmités  qui  peuvent  mériter  à  un  être  sensible 
le  nom  de  malade.  C'est  toujours  l'extension  du  sujet 
qui  détermine  l'extension  de  l'attribut.  Celle-ci  ne 
peut  jamais  la  surpasser,  puisque  l'attribut  n'est  ja- 
mais dit  que  des  objets  auxquels  s'applique  le  sujet; 

E 


66  IDÉOLOGIE. 

samment  ce  que  c'est  que  la  faculté  de  sen- 
tir des  rapports,  nous  allons  parler  de  celle 
de  sentir  des  désirs. 

mais  elle  doit  l'égaler,  puisque  l'attribut  est  toujours 
dit  de  tous  les  êtres  auxquels  s'étend  le  sujet. 

Cela  nous  fait  voir  pourquoi  l'attribut  doit  toujours 
être  une  idée  au  moins  aussi  générale  que  le  sujet. 
C'est  qu'on  ne  peut  pas  accroître  à  yolonté  l'extension 
d'une  idée  (cela  en  fait  une  autre  idée),  au  lieu  qu'on 
peut  toujours  la  restreindre  de  manière  à  n'être  qu'é- 
gale à  celle  d'une  autre.  On  ne  peut  pas  étendre 
l'idée  d'animal  à  tous  les  êtres,  elle  deviendrait  l'idée 
d'être,  tandis  qu'on  peut  très-bien  la  restreindre  à  ne 
s'appliquer  pour  le  moment  qu'aux  animaux  appelés 
hommes  :  elle  n'est  pas  dénaturée  pour  cela. 

Mais  ces  réflexions  nous  montrent  aussi  bien  claire- 
ment combien  est  fausse  cette  dénomination  de  grand 
ferme  donnée  à  l'attribut  d'une  proposition,  puisque 
les  deux  termes  sont  toujours  égaux  en  extension,  et 
que  c'est  le  sujet  qui,  par  sa  nature,  est  nécessaire- 
ment le  grand  terme  sous  le  rapport  de  la  compré- 
hension. 

C'est-là  la  différence  radicale  entre  l'ancienne  logi- 
que ,  s'appuyant  sur  des  hypothèses  hasardées  et  des 
formules  vaines,  et  la  nouvelle  logique,  fondée  sur 
l'observation  attentive  de  la  formation  de  nos  idées  ; 
entre  la  fausse  conception  de  l'art  syllogistique  et 
l'exposition  vraie  du  mécanisme  naturel  de  nos  dé- 
ductions. 

Au  reste,  on  trouvera,  cette  explication  plus  com- 


CHAPITRE   V.  G7 


CHAPITRE  V. 

De  la  Volonté  et  des  Sensations 
de  désirs. 

V  ous  savez  tous  ce  que  c'est  que  désirer; 
vous  l'avez  éprouvé  :  vous  avez  senti  bien  des 
désirs,  et  de  très-vifs.  On  donne  le  nom  de 
volonté  à  cette  admirable  faculté  que  nous 
avons  de  sentir  ce  qu'on  appelle  des  désirs. 
Elle  est  une  conséquence  immédiate  et  né- 
cessaire de  la  singulière  propriété  qu'ont  cer- 
taines sensations  de  nous  faire  peine  ou  plai- 
sir, et  des  jugemens  que  nous  en  portons; 
car  dès  que  nous  avons  jugé  qu'une  chose 
est  pour  nous  ce  que  nous  appelons  bonne 
ou  mauvaise,  il  nous  est  impossible  de  ne 
pas  désirer  d'en  jouir,  ou  de  l'éviter  :  d'où 
vous  voyez  que  la  seule  façon  d'empêcher  la 
volonté  de  s'égarer,  est  de  rectifier  le  juge- 
ment qui  la  détermine. 

plète  dans  la  Grammaire,  chap.  ier  et  chap.  3 ,  §  4> 
et  sur-tout'dans  la  Logique ,  où  je  me  flatte  qu'elle  ne 
laissera  rien  à  désirer.  Ce  n'était  pas  encore  ici  le 
moment  de  lui  donner  tous  ses  développemens. 

E  2 


68  IDÉOLOGIE» 

La  volonté  n'est,  comme  nos  autres  fa- 
cultés, qu'un  résultat  de  notre  organisation; 
mais  elle  a  cela  de  particulier,  que  nous 
sommes  toujours  heureux  ou  malheureux 
par  elle.  Je  puis  bien  avoir  une  sensation 
ou  un  souvenir  qui  ne  me  fasse  ni  peine  ni 
plaisir.  Lorsque  je  porte  un  jugement,  ce 
€[ui  m'importe ,  à  cause  des  conséquences 
qui  en  résultent,  c'est  de  porter  un  juge- 
ment juste;  du  reste  il  m'est  égal  de  sentir 
tel  rapport  ou  tel  autre;  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
me  sont  par  eux-mêmes  agréables  ou  dé- 
sagréables à  sentir.  Le  désir,  au  contraire  , 
exclut  l'indifférence;  il  est  de  sa  nature  d'être 
une  jouissance  s'il  est  satisfait,  et  une  souf- 
france s'il  ne  l'est  pas;  ensorte  que  néces- 
sairement notre  bonheur  ou  notre  malheur 
en  dépendent  :  et  même,  si  par  erreur  nous 
nous  avisons  de  désirer  des  choses  qui  nous 
soient  essentiellement  nuisibles,  c'est-à- 
dire  qui  nous  conduisent  inévitablement  à 
d'autres  dont  nous  voudrions  être  préser- 
vés ,  il  est  indispensable  que  nous  soyons 
malheureux;  car,  de  quelque  côté  que  la 
Chance  tourne,  il  y  a  un  de  nos  désirs  qui 
n'est  pas  satisfait.  C'est-là  une  propriété  bien 
remarquable  dans  la  volonté. 


CHAPITRE  V.  69 

Elle  en  a  encore  une  autre  bien  incom- 
préhensible et  bien  importante;  c'est  qu'elle 
dirige  les  mouvemens  de  nos  membres  et 
les  opératious  de  notre  intelligence.  L'em- 
ploi de  nos  forces  mécaniques  et  intellec- 
tuelles dépend  de  notre  volonté;  ensorte  que 
c'est  par  elle  seule  que  nous  produisons  des 
effets,  et  que  nous  sommes  une  puissance 
dans  le  monde.  Quand  je  sens  des  sensa- 
tions ou  des  souvenirs,  ce  sont  des  modifi- 
cations que  j'éprouve,  elles  n'affectent  que 
moi  ;  quand  je  porte  des  jugemens  sur  ces 
sensations  et  ces  souvenirs,  que  j'y  sens  des 
rapports,  que  j'y  découvre  des  vérités,  ce 
sont  encore  des  choses  qui  se  passent  en 
moi,  et  n'influent  que  sur  moi;  mais  quand, 
par  suite  de.  ces  jugemens,  je  ressens  des 
désirs,  et  qu'en  conséquence  de  ces-  désirs 
j'agis,  alors  j'opère  sur  tout  ce  qui  m'envi- 
ronne. C'est  donc  ma  volonté  qui  réduit  en 
actes  les  résultats  de  toutes  mes  autres  fa- 
cultés intellectuelles.  le  ne  prétends  pas 
dire  néanmoins  que  toutes  nos  pensées  et 
tous  nos  mouvemens  soient  absolument  vo^ 
lontaires  :  je  sais  que  beaucoup  ont  lieu  à 
notre  insu,  et  même  malgré  nous;  et  j'exa-. 
minerai  quelque  part  jusqu'à  quel  point  cl 


70  IDEOLOGIE. 

suivantquelmode  toutes  nos  facultés  dépen- 
dent de  notre  volonté.  Mais  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  nous  faisons  beaucoup  d'ac- 
tions quand  nous  le  voulons,  et  que,  par 
difïérens  moyens ,  nous  nous  procurons 
aussi,  à  notre  gré,  beaucoup  d'idées,  et 
exécutons  beaucoup  d'opérations  intellec- 
tuelles. 

C'est  sans  doute  la  considération  de  ces 
effets  de  notre  volonté  qui  nous  a  conduits 
à  croire  que  nous  étions  plus  essentielle- 
ment actifs  dans  l'exercice  de  cette  faculté 
que  dans  celui  des  autres  ;  car  si  par  être 
actif  on  entend  seulement  agir,  sentir  une 
sensation,  un  souvenir,  un  rapport,  est  une 
action  tout  comme  sentir;  ainsi  nous  ne 
sommes  pas  plus  actifs  dans  un  cas  que  dans 
l'autre.  Si,  au  contraire,  par  être  actif  on 
n'entend  pas  seulement  agir,  maïs  agir  libre- 
ment, c'est-à-dire  d'après  sa  volonté;  et 
si  par  être  passif  on  entend  agir  forcément 
ou  contre  sa  volonté,  il  n'y  a  peut-être  pas 
une  action  dont  nous  soyons  moins  les 
maîtres  que  de  sentir  ou  de  ne  pas  sentir 
un  désir  :  ainsi,  à  ce  compte,  il  n'y  aurait 
pas  en  nous  une  faculté  plus  passive  que 
celle  de  vouloir.  Mais  cela  rentre  dans  la 


CHAPITRE   V.  71 

question  que  je  viens  de  promettre  d'exa- 
miner ailleurs  :  je  ne  veux  pas  la  traiter  ici, 
parce  qu'elle  exige  des  explications  que  je 
ne  puis  pas  encore  vous  donner,  et  parce 
qu'à  présent  je  n'ai  pour  objet  que  de  vous 
faire  connaître  ce  que  c'est  que  la  volonté. 

Une  autre  conséquence  plus  juste  que 
l'on  tire  généralement  des  effets  de  la  vo- 
lonté, c'est  le  désir  que  nous  avons  tous  que 
la  volonté  des  autres  soit  conforme  à  la 
nôtre,  nous  soit  favorable,  c'est-à-dire  qu'ils 
nous  veuillent  du  bien,  qu'ils  nous  aiment. 
Ce  désir  est  la  source  du  plaisir  que  nous 
goûtons  dans  l'amitié;  il  est  très-raisonna- 
ble ;  car  la  bienveillance  de  nos  semblables 
est  pour  nous  une  grande  source  de  bonheur, 
puisqu'ils  agissent  d'après  leur  volonté. 

Une  suite  encore  très -juste  de  ce  désir 
de  la  bienveillance  est  celui  de  l'estime; 
car  nous  éprouvons  tous  que  nous  sommes 
très-disposés  à  vouloir  du  bien  à  ceux  en 
qui  nous  connaissons  de  bons  sentimens  et 
de  grands  talens. 

Et  enfin,  du  désir  de  la  bienveillance  et 
de  l'estime  des  autres  naît,  avec  beaucoup 
de  raison,  le  bien-être  que  nous  éprouvons 
quand  nous  nous  sentons  animés  de  mou- 


73  IDEOLOGIE. 

vemens  de  bienfaisance ,  et  le  malaise  qui 
nous  tourmente  quand  nous  nous  recon- 
naissons travaillés  de  passions  haineuses , 
bien  que  l'un  et  l'autre  soient  encore  ignorés  ; 
car  nous  voyons  très-bien  en  secret  que, 
si  nous  venons  à  être  connus ,  dans  le  pre- 
mier cas  tous  les  cœurs  viennent  à  nous , 
et  que  dans  l'autre  nous  sommes  rebutés  par 
tous  nos  semblables  ;  et  nous  entrevoyons 
confusément  qu'il  est  impossible  qu'un  jour 
ou  l'autre  nos  dispositions  ne  soient  pas 
aperçues ,  ou  du  moins  soupçonnées.  Aussi 
tous  les  hommes  bons  ont  l'habitude  et  les 
manières  de  la  candeur  et  de  la  sérénité ,  et 
les  méchans  celles  de  la  dissimulation  et 
de  la  défiance  ;  mais  cela  même  les  fait  re- 
connaître. 

Ces  observations,  et  un  grand  nombre 
d'autres  qui  y  tiennent,  demanderaient  à 
être  développées  avec  beaucoup  de  détails; 
mais  cela  composerait  un  traité  de  morale, 
c'est-à-dire  de  l'art  de  régler  nos  désirs  et 
nos  actions  de  la  manière  la  plus  propre  à 
nous  rendre  heureux.  Ce  n'est  point  ici  le 
lieu  d'approfondir  un  pareil  sujet;  je  me 
propose  de  le  traiter  quand  nous  connaî- 
trons complètement  notre  faculté  de  penser 


CHAPITRE  V.  75 

et  toutes  ses  opérations;  l'art  d'employer 
toutes  nos  facultés  de  la  manière  la  plus 
propre  à  nous  conduire  au  bonheur  étant 
la  plus  belle  application  de  la  connaissance 
de  ces  facultés,  et  ne  pouvant  être,  sans 
cette  connaissance ,  qu'une  routine  aveugle 
dénuée  de  principes.  Déjà  vous  voyez  que 
cet  art  consiste  presque  uniquement  à  évi- 
ter de  former  des  désirs  contradictoires, 
puisque  ce  sont  des  sujets  certains  de  cha- 
grins; à  nous  préserver  autant  que  possible 
des  maux  physiques,  puisque  ce  sont  de 
vraies  souffrances  ;  enfin ,  à  obtenir  la  bien- 
veillance de  nos  semblables ,  et  à  nous  con- 
cilier notre  propre  approbation,  puisque  ce 
sont  des  biens  réels. 

Pour  le  moment,  retenez  seulement  que 
de  même  que  sans  la  faculté  déjuger  nous 
ne  saurions  rien,  sans  celle  de  vouloir  nous 
ne  ferions  rien;  que  nos  désirs  dirigent  nos 
actions,  et  sont  la  cause  de  presque  tous 
nos  plaisirs  et  nos  chagrins  ;  et  que ,  puis- 
qu'ils sont  la  suite  nécessaire  des  jugemens 
que  nous  portons  des  choses,  le  seul  moyen 
de  les  bien  régler  est  de  porter  des  juge- 
mens justes  et  vrais.  Maintenant  passons  à 


74  IDÉOLOGIE. 

autre  chose;  voilà  des  préliminaires  suffi- 
sais pour  aller  plus  loin. 

Il  semblerait  que  ce  serait  ici  le  moment 
d'examiner  jusqu'à  quel  point  nos  autres 
facultés  sont  soumises  à  notre  volonté,  et 
comment  notre  volonté  elle-même  est  sus- 
ceptible d'être  influencée  ;  mais  il  faut  au- 
paravant avoir  vu  les  effets  de  ces  diffé- 
rentes facultés.  Je  reviendrai  ailleurs  sur 
ce  sujet. 


CHAPITRE  VI. 

De  la  Formation  de  nos  Idées  composées. 

Jeunes  gens,  nous  voilà  arrivés  à  une 
époque  de  nos  recherches  qui  mérite  que 
vous  vous  y  arrêtiez  un  moment.  Vous  avez 
vu  avec  moi  que  nous  sommes  doués  de 
sensibilité,  de  mémoire,  de  jugement  et  de 
volonté  ;  vous  avez  reconnu  que  sentir  des 
sensations,  sentir  des  souvenirs,  sentir  des 
rapports  et  sentir  des  désirs,  c'est  toujours 
sentir.  Quoique  je  ne  vous  l'aie  pas  encore 
démontré,  je  vous  ai  annoncé  que  ces 
quatre  facultés  composaient  notre  faculté 


CHAPTTRE    VT.  rj5 

de  penser  toute  entière  ;  et  je  crois  qu'en 
examinant  les  opérations  de  votre  esprit, 
vous  éprouvez  l'impossibilité  d'en  décou- 
vrir une  qui  ne  se  rapporte  pas  à  une  de 
celles-là  ;  et  que  cela  commence  à  vous  per- 
suader que  je  ne  vous  ai  pas  trompés  sur 
ce  point.  Je  vous  ai  fait  connaître  avec  pré- 
cision ce  qui  appartient  à  chacune  de  ces 
facultés,  et  ce  qu'il  ne  faut  pas  lui  attribuer; 
j'ai,  pour  ainsi  dire,  mis  sous  vos  yeux  les 
traits  qui  les  caractérisent  et  les  distinguent 
les  unes  des  autres;  ainsi,  à  proprement 
parler,  vous  connaissez  déjà  toute  votre  fa- 
culté de  penser.  Cependant,  ou  je  me  trompe 
fort,  ou  vous  ne  voyez  pas  encore  la  liai- 
son de  tout  cela  avec  toutes  les  idées  qui 
meublent  vos  têtes,  avec  toutes  les  pensées 
qui  occupent  vos  esprits;  votre  raison  et 
votre  conscience  intime  vous  disent  bien 
qu'une  intelligence  humaine  ne  peut  pas  faire 
autre  chose  que  sentir,  se  ressouvenir,  ju- 
ger, vouloir,  et  agir  en  conséquence  ;  et  en 
même  temps  vous  sentez  que  vous  faites 
une  quantité  de  choses  qui  ne  vous  parais- 
sent précisément  aucune  de  celles-là.  Vous 
vous  trouvez  comme  pressés  entre  deux 
expériences  toutes  deux  constantes,  et  qiii 


76  IDÉOLOGIE. 

pourtant  semblent  contradictoires;  tous 
éprouvez  un  embarras  singulier,  et  vous 
ne  savez  pas  encore  comment  vous  avez 
formé  l'idée  Rembarras;  vous  cherchez, 
vous  réfléchissez,  et  vous  ne  savez  pas  préci- 
sément ce  que  c'est  que  réfléchir,  ni  com- 
ment on  réfléchit.  Expliquons-le  en  pas- 
sant; ce  sera  toujours  une  idée  éclaircie ,  et 
cela  se  retrouvera  dans  l'occasion. 

Réfléchir,  être  réfléchissant,  c'est  l'état 
de  rhomme  qui  désire  apercevoir  un  ou 
plusieurs  rapports,  porter  un  ou  plusieurs 
jugemens;  qui,  en  conséquence  de  ce  désir, 
s'efforce  de  se  rappeler  d'abord  des  faits 
entre  lesquels  il  puisse  voir  une  liaison ,  et 
ensuite  d'autres  faits,  pour  s'assurer  si  cette 
liaison  est  bien  réelle,  si  elle  est  constante; 
et  qui  examine  jusqu'à  quel  point  on  peut 
la  généraliser ,  et  enfin  ce  que  l'on  en  peut 
affirmer  sans  se  tromper  ;  voilà  ce  que  c'est 
que  réfléchir.  JJ embarras  est  le  sentiment, 
la  sensation  interne  qu'éprouve  cet  homme 
quand  les  faits  lui  manquent  ou  quand  ils 
ne  lui  reviennent  pas ,  ou  quand  il  ne  voit 
pas  de  liaison  entr'eux,  ou  quand  il  en  aper- 
çoit qui  lui  semblent  contradictoires,  quand 
enfin  il  manque  de  moyens  pour  asseoir  le 


CHAPtTRE  vr.  77 

jugement  qu'il  désire  porter  .Vous,  par  exem- 
ple, si  vous  avez  pris  pour  sujet  de  vos  mé- 
ditations une  pêche  dont  vous  avez  goûté 
hier,  vous  voyez  bien  qu'elle  vous  a  donné 
les  sensations  d'une  belle  couleur,  d'une 
bonne  odeur,  d'un  goût  agréable,  que  vous 
l'avez  sentie  molle  au  toucher ,  que  vous 
vous  ressouvenez  de  tout  cela  :  que  vous  en 
concluez  que  cette  pêche  est  i#ure,  qu'elle 
vous  sera  salutaire,  et  qu'en  conséquence 
vous  desirez  la  manger,  et  que  vous  allez 
la  chercher  ou  une  autre  pareille.  Vous  re- 
connaissez que,  comme  nous  l'avons  dit,  il 
ne  s'agit  là  que  de  sentir  des  sensations, 
des  souvenirs,  des  rapports,  des  désirs,  et 
d'agir  en  conséquence  ■  mais  vous  ne  dé- 
mêlez pas  de  même  comment ,  avec  ces  sen- 
sations, ces  souvenirs  et  ces  rapports,  vous 
vous  êtes  fait  l'idée  complète  de  cette  pêche; 
comment  ensuite  vous  l'avez  étendue  à  tous 
les  fruits  semblables,  et  encore  moins  com- 
ment vous  avez  composé  les  idées  plus  gé- 
nérales encore  de  bonté,  de  beauté,  de  mol- 
lesse ou  de  dureté ,  de  maturité ,  de  salubrité, 
de  similitude,  de  passé,  de  présent  et  d'ave- 
nir. .C'est  qu'effectivement  ces  idées  très- 
composées  ne  sont  pas  les  résultats  d'une 


78  IDÉOLOGIE. 

seule  expérience  ;  il  faut  en  rassembler  plu- 
sieurs ;  et  vous  ne  devinez  pas  l'usage  qu'il 
en  fautfaire.  Cela  vous  jette  dans  une  grande 
perplexité  ;  il  est  bon  que  vous  l'ayez  éprou- 
vée, mais  il  est  temps  de  vous  en  tirer. 

Pour  y  réussir,  il  n'y  a  que  trois  choses 
à  vous  expliquer,  savoir,  comment  nous 
apprenons  que  les  sensations  que  nous  éprou- 
vons sont  causées  par  un  objet  quelconque, 
comment  elles  nous  servent  à  former  l'idée 
complète  de  cet  objet ,  et  comment  nous  ti- 
rons de  plusieurs  de  ces  idées  ce  qu'elles 
ont  de  commun  pour  en  faire  d'autres  idées 
plus  générales.  Il  n'en  faut  pas  davantage 
pour  que  vous  voyiez  naître  toutes  les  idées 
possibles  du  petit  nombre  d'élémens  que 
nous  avons  examinés. 

L'ordre  chronologique  et  généalogique  de 
ces  faits  demanderait  que  je  vous  rendisse 
compte  d'abord  du  premier.  Cependant, 
quoique  le  premier,  et  précisément  parce 
qu'il  est  le  premier ,  il  est  le  plus  difficile  à 
comprendre  •  et  comme  il  pourra  nous  en- 
gager daus  quelques  discussions,  je  le  ré- 
serverai pour  le  chapitre  suivant,  et  trai- 
terai d'abord  des  deux  autres,  qui,  pour 
ainsi  dire,  n'en  font  qu'un.  Retenez  que, 


CHAPITRE  VI.  79 

pour  être  bien  compris,  il  faut  toujours 
partir  du  point  où  sont  les  gens  à  qui  l'on 
parle ,  et  des  idées  qui  leur  sont  les  plus  fa- 
milières. Or,  il  y  a  long- temps  que  vous 
n'en  êtes  plus  à  vos  premières  sensations , 
et  qu'une  longue  habitude  vous  a  fait  perdre 
de  vue  les  premiers  jugemens  que  vous  en 
avez  portés.  Je  ne  dois  donc  pas  me  borner 
à  vous  tracer  historiquement  la  filiation  des 
idées  d'un  homme  qui  part  de  l'impression 
la  plus  simple  et  la  plus  particulière  pour 
arriver  à  l'idée  la  plus  composée  et  la  plus 
générale  •  vous  ne  sauriez  vous  mettre  à  sa 
place  5  vous  ne  pourriez  reconnaître  dans 
ce  tableau  le  portrait  de  ce  qui  s'est  passé 
en  vous;  au  contraire,  vous  avez  déjà  une 
multitude  d'idées  qui  sont  compliquées ,  gé- 
néralisées, combinées  plus  même  que  vous 
ne  le  croyez.  C'est  donc  dans  cet  état  qu'il 
faut  vous  prendre,  ce  sont  ces  idées  qu'il 
faut  examiner;  et  lorsque,  toujours  en  re- 
montant, nous  serons   arrivés  jusqu'à  la 
première,  tout  sera  débrouillé  pour  vous; 
l'ordre  et  l'enchaînement  de  leur  formation 
ne  vous  échappera  plus. 

J'ai  déjà  fait,  dans  mon  Introduction, 
des  réflexions  à  peu  près  semblables,  dont 


8o  IDEOLOGIE, 

celles-ci  ne  vous  paraîtront  peut-être  qu'une 
répétition  inutile  ;  mais  j'aime  à  y  insister  i 
parce  qu'on  en  trouve  l'application  toutes 
les  fois  qu'on  a  une  chose  quelconque  à  ex- 
pliquer, soit  de  vive  voix,  soit  par  écrit,  et 
qu'elles  sont  la  base  de  toutebonne  méthode. 

D'après  ces  principes,  j'ai  commencé  par 
vous  faire  distinguer,  dans  cette  foule  d'idées 
que  vous  avez,  des  sensations,  des  souve- 
nirs, des  jugemens,  et  des  désirs.  C'est  déjà 
une  manière  de  les  classer  et  de  s'y  recon- 
naître :  il  ne  s'agit  plus  que  de  trouver  com- 
ment ces  élémens  se  combinent. 

Supposons  d'abord  que  vous  savez  com- 
ment vous  êtes  parvenus  à  regarder  vos 
sensations  comme  des  effets  des  différens 
êtres  qui  existent  dans  la  nature  :  cela  nous 
est  permis  ;  car  il  n'est  pas  douteux  que  vous 
le  faites  :  et  quand  un  fait  est  certain,  on 
peut,  sans  inconvénient,  en  différer  l'expli- 
cation, et  pourtant  s'en  servir  comme  d'une 
chose  non  contestée.  Il  ne  nous  reste  donc 
plus  qu'à  voir  comment,  par  le  moyen  de 
ces  sensations,  vous  formez  les  idées  indi- 
viduelles des  êtres  qui  les  causent,  et  ensuite 
des  idées   plus  générales,  de  classes,  de 

eenres . 


CHAPITRE   VI.  8l 

genres  et  d'espèces, et  toutes  celles  qui  dé- 
rivent de  celles-là. 

Rappelez-vous  que  dans  le  chapitre  du 
Jugement,  lorsque  je  voulais  vous  prouver 
que  dans  tout  jugement  quelconque  vous  ne 
comparez  jamais  ensemble  que  deux  idées, 
je  vous  citai  cette  proposition,  L'homme 
qui  découvre  une  vérité  est  utile  à  F  hu- 
manité toute  entière,  et  je  vous  montrai 
que  le  sujet  et  l'attribut,  quoique  composés 
tous  deux  de  beaucoup  d'idées  différentes  , 
n'en  formaient  pourtant  chacun  qu'une  seule, 
qui  était  la  résultante  de-  toutes  les  autres. 
Si  vous  aviez  donné  un  nom  unique  à  cha- 
cune de  ces  deux  idées,  elles  seraient  res- 
tées fixées  à  jamais  dans  vos  tètes,  vous 
n'auriez  plus  besoin  de  les  refaire  ;  et  toutes 
les  fois  que  l'occasion  d'employer  l'idée 
d'homme  qui  découvre  une  vérité,  ou  celle 
ftêtre  utile  à  l'humanité  toute  entière,  se 
représenterait  à  vous,  vous  vous  serviriez 
de  ces  deux  noms  comme  de  tous  les  autres 
termes  de  la  langue.  Eh  bien!  c'est  ainsi  que 
de  toutes  les  sensations  que  vous  cause  un 
objet,  et  de  toutes  les  propriétés  que  vous 
lui  découvrez,  vous  faites  un  seul  groupe, 
une  idée  unique,  qui  est  l'idée  de  cet  être, 

F 


%2  IDÉOLOGIE. 

et  que  son  nom  vous  rappelle.  Reprenons 
l'exemple  de  la  pêche  :  supposons  que  vous 
la  voyez  pour  la  première  fois,  et  que  vous 
n'en  ayez  pas  vu  d'autres;  elle  vous  donne 
la  sensation  d'une  certaine  couleur,  d'un 
certain  goût;  vous  reconnaissez  qu'elle  a 
une  certaine  forme,  qu'elle  présente  une 
certaine  résistance  molle  quand  on  la  presse, 
ju'elle  est  portée  sur  un  arbre  fait  d'une 
certaine  manière,  et  situé  dans  tel  en- 
droit. De  toutes  ces  idées,  vous  formez  une 
idée  unique,  qui  est  l'idée  de  cette  pêche, 
et  qui  n'est  d'abord  que  l'idée  de  celle-là,  et 
non  de  toute  autre  pêche  que  vous  ne  con- 
naissez pas  encore.  Dans  cet  état,  cette  idée 
est  individuelle  et  particulière  :  si  vous 
n'avez  l'usage  d'aucune  langue,  le  signe  de 
cette  idée  est  l'individu  lui-même.  Si  vous 
vous  faites  à  vous  même  un  langage  qui  vous 
soit  propre,  vous  donnez  à  votre  idée  le 
nom  ou  le  signe  que  vous  voulez;  mais  ce 
nom  ne  représente  que  l'individu  observé. 
Si  vous  êtes  avec  des  gens  qui  parlent  fran- 
çais, et  c'est  le  cas  où  vous  vous  êtes  trou- 
vés dans  votre  enfance,  ils  vous  disent  que 
cela  s'appelle  ime  pêche:  meàsce  mot  pêche, 
qu'ils  ont  déjà  généralisé,  et  qui  est  pour 


CHAPITRE  VI.  83 

eux  le  nom  commun  à  toutes  les  pêches  ima- 
ginables ,  n'est  encore  pour  vous  que  le  nom 
de  celle  que  vous  voyez  ;  il  est  purement 
individuel ,  comme  le  serait  celui  que  vous 
auriez  créé  arbitrairement  pour  votre  usage. 

Cette  opération  de  l'esprit,  qui  consiste  à 
rassembler  plusieurs  idées  pour  n'en  former 
qu'une  seule,  à  laquelle  on  donne  un  nom 
qui  les  réunit,  bien  que  très-commune  as- 
surément ,  n'a  point  elle-même  de  nom  dans 
la  langue  française  :  on  peut  l'appeler  con- 
craire,  par  opposition  à  abstraire,  nom  que 
l'on  a  donné  à  l'opération  inverse  dont  nous 
allons  parler.  C'est  ainsi  que  l'on  appelle 
termes  concrets  les  adjectifs,  tels  que  pur, 
bon,  etc.,  qui  expriment  une  qualité  consi- 
dérée comme  unie  à  son  sujet,  tandis  que 
l'on  appelle  termes  abstraits  les  mots  pu- 
reté, bonté,  etc.,  qui  expriment  ces  qua- 
lités séparées  de  tout  sujet.  De  même  on  dit 
que  trois  mètres  est  un  nombre  concret ,  et 
que  trois  tout  court  est  un  nombre  abstrait. 
Nous  verrons  bientôt  ce  que  nous  devons 
penser  de  ces  dénominations.  Continuons. 

Voilà  donc  l'opération  par  laquelle  de 
plusieurs  idées  différentes  nous  formons  un 
groupe  qui  est  l'idée  propre  et  individuelle 

F  2 


84  IDÉOLOGIE. 

de  Pètre  qui  en  est  la  cause.  Voyons  ac- 
tuellement celle  par  laquelle  ces  idées  par- 
ticulières, et  propres  à  un  individu  seule- 
ment, deviennent  générales  et  communes  à 
plusieurs.  Revenons  à  l'exemple  de  la  pêche. 
Après  vous  être  formé  l'idée  de  cette  pre- 
mière pêche ,  vous  voyez  d'autres  êtres  qui 
ont  à  peu  près  les  mêmes  qualités  qu'elle, 
qui  ont  avec  elle  beaucoup  de  caractères 
communs,  mais  qui  en  diffèrent  cependant 
à  bien  des  égards ,  car  il  n'y  a  pas  deux 
êtres  absolument  semblables  dans  la  nature. 
Toutes  les  pêches  n'ont  pas  exactement  les 
mêmes  couleurs,  la  même  figure,'  la  même 
grosseur,  le  même  degré  de  maturité;  elles 
différent  au  moins  par  le  lieu ,  par  le  temps 
où  vous  les  voyez.  Vous  négligez  ces  diffé- 
rences, vous  les  écartez,  ou,  comme  on  dit, 
vous  en  faites  abstraction;  vous  ne  consi- 
dérez ces  dernières  pêches  que  par  ce  qu'elles 
ont  de  commun  avec  la  première  que  vous 
avez  observée;  vous  prononcez  que  ce  sont 
encore  des  pêches  :  et  voilà  que  l'idée  dé- 
pêche est  devenue  générale,  et  n'est  plus 
composée  que  des  caractères  qui  convien- 
nent absolument  à  toutes  les  pêches.  Cette 


CHAPITRE   VI.  8i3 

opération  s'appelle  abstraire.  Ce  mot  vient 
de  l'ancien  mot  traire,  qui  n'est  plus  d'usage, 
et  qui  est  synonyme  de  tirer  (1  )  :  abstraire , 
c'est  tirer  de....  Effectivement,  vous  tirez  de 
deux  ou  plusieurs  idées  individuelles  tout  ce 
qui  les  confond ,  en  rejetant  tout  ce  qui  les  dis- 
tingue, et  vous  en  faites  une  idée  commune. 
Il  n'est  pas  inutile  d'observer  ici  que  puis- 
que l'on  a  tiré,  abstrait,  certaines  parties  de 
l'idée  particulière  pour  la  généraliser,  elle 
n'est  plus  exactement  la  même  quand  elle 
est  devenue  générale  que  quand  elle  était 
individuelle.  C'est  sur  cette  remarque  qu'est 
fondé  le  grand  principe  de  logique,  qu'on  ne 
peut  pas  conclure  du  particulier  au  général. 
En  effet,  de  ce  qu'une  pêche  est  gercée,  de 
ce  qu'un  homme  est  malade,  je  ne  peux 
pas  conclure  que  toutes  les  pêches  sont  ger- 
cées ,  que  tous  les  hommes  sont  malades  ; 
car  ce  sont  là  des  circonstances  particulières 
de  l'idée  individuelle  qui  n'ont  pas  été  con- 
servées dans  l'idée  généralisée  ;  au  contraire, 
tout  ce  que  je  pourrai  affirmer  de  l'idée  gé- 
nérale, je  pourrai  l'affirmer  des  individus: 

(1)  Tous   deux  viennent  des  mots  latins  traherer 
abstrahere,  qui  signifient  tirer,  traîner,  arracher. 


86  IDÉOLOGIE. 

car  toutes  les  idées  qui  ont  été  conservées 
dans  cette  idée  générale  doivent  se  retrou- 
ver dans  toutes  les  idées  particulières  dont 
elle  est  abstraite. 

Cette  opération  d'abstraire,  ainsi  que  celle 
de  concraire,  est  d'un  très-fréquent  usage  : 
nous  leur  devons  toutes  nos  idées  compo- 
sées ;  mais  remarquez  bien  la  différence  es- 
sentielle de  leurs  effets.  L'opération  de  con- 
craire nous  sert  à  nous  former  l'idée  des 
êtres  qui  existent,  et  celle  d'abstraire  à  com- 
poser des  groupes  d'idées  dont  le  modèle 
n'existe  pas  dans  la  nature,  etquinéanmoins 
nous  sont  très-commodes  pour  faire  de  nou- 
velles comparaisons  et  apercevoir  de  nou- 
veaux rapports  entre  les  résultats  des  rap- 
ports que  nous  connaissons  déjà.  En  effet, 
une  telle  pêche  existe  réellement,  telles  et 
telles  autres  existent  aussi;  c'est  par  l'opé- 
ration de  concraire  les  sensations  qu'elles 
nous  ont  données  que  nous  avons  formé 
l'idée  de  chacune  d'elles.  Mais  une  pêche  en 
général,  abstraction  faite  des  circonstances 
particulières  qui  distinguent  chacun  de  ces 
individus  pêches,  une  telle  pêche  n'existe 
que  dans  notre  esprit,  et  c'est  par  l'opéra- 
tion d'abstraire  que  nous  en  avons  forme 


CHAPITRE   VI.  87 

l'idée  :  néanmoins  cette  idée  me  sera  très- 
utile  si  je  veux,  par  exemple,  établir  la  dif- 
férence entre  les  pêches  et  les  abricots;  car 
alors  je  n'ai  pas  besoin  de  foire  attention 
à  toutes  les  nuances  qui  différencient  les 
pêches  entr'elles  et  les  abricots  entr'eux; 
je  n'ai  à  considérer  que  ce  qui  est  commun 
à  toutes  les  pêches,  et  ce  qui  est  commun 
à  tous  les  abricots.  Je  vois  que  ces  deux 
groupes  d'idées  sont  différens  en  certains 
points,  et  que  par  conséquent  ces  deux 
classes   d'êtres   diffèrent    constamment   à 
certains  égards.  Nous  traitons  ces  classes 
comme  des  individus,  quoique  dans  le  fait 
il  n'existe  réellement  que  des  individus  iso- 
lés, c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  que  des  êtres 
individuels  qui  nous  causent  des  sensa- 
tions, et  qu'il  n'existe  nulle  part  en  réalité 
une  telle  chose,  qu'une  classe  qui  puisse 
agir  directement  et  immédiatement  sur  nous. 
Cette  opération  d'abstraire  ne  nous  sert 
pas  seulement  à  grouper  des  individus  réels 
pour  les  ranger  par  classes,  à  généraliser 
leur  idée  particulière  pour  en  faire  une  idée 
commune  à  plusieurs  ;  elle  nous  sert  à  en 
fah»e  de  même  de  chacune  de  leurs  qualités, 
c'est-à-dire  de  chacune  des  impressions 


88  IDÉOLOGIE. 

qu'ils  nous  causent  et  de  leurs  circons- 
tances. Ainsi,  nous  sentons  successivement 
que  plusieurs  choses  nous  font  du  bien, 
nous  disons  qu'elles  sont  bonnes.  C'est  déjà 
une  classification,  une  généralisation  que 
ces  expressions  bien  et  bonnes;  car  toutes 
ces  choses  ne  nous  font  pas  le  même  bien, 
ne  nous  sont  pas  bonnes  de  la  même  ma- 
nière. Ainsi,  ce  sont  des  impressions  diffé- 
rentes entr'elles  que  nous  réunissons  sous 
un  même  point  de  vue  par  la  ressemblance 
commune  qu'elles  ont  de  nous  faire  chacune 
un  bien ,  de  nous  être  chacune  ce  que  nous 
appelons  bonne.  Mais  ne  nous  en  tenons 
pas  là;  de  toutes  ces  choses  qui  sont  bonnes, 
nous  extrayons  l'idée  de  bonté,  et  nous  em- 
ployons cette  idée  comme  si  c'était  une 
chose  qui  existât  indépendamment  des  êtres 
dans  lesquels  elle  se  trouve;  de  tout  ce  qui 
est  utile,  nous  extrayons  de  même  l'idée 
futilité;  de  ce  qui   est  beau,   l'idée  de 
beauté.  Ce  sont  ces  termes  et  ces  idées 
qu'on  appelle  plus  communément  termes 
abstraits, idées  abstraites.  Effectivement,  il 
y  a  une  abstraction  de  plus;  mais,  à  parler 
rigoureusement,  tout  nom  généralisé,  toute 
idée  d'un  individu  étendue  à  plusieurs  est 


CHAPITRE  Vr.  3f) 

déjà  un  mot  abstrait ,  une  idée  abstraite  ; 
car,  dans  l'usage  qu'on  en  fait,  il  y  a  déjà 
des  particularités  de  ses  élémens  qu'on  a 
négligées,  et  d'autres  qu'on  a  séparées,  ti- 
rées dehors  pour  ainsi  dire,  enfin  qu'on  a 
abstraites. 

Remarquez  même  que  ces  deux  opéra- 
tions opposées,  concraire  et  abstraire,  se 
trouvent  toujours  réunies,  et  sont  néces- 
saires toutes  deux  dans  la  formation  de 
toute  idée  composée  quelconque;  car  toutes 
les  fois  que  je  forme  une  nouvelle  idée  avec 
divers  élémens  pris  çà  et  là,  si  je  sépare 
chacun  de  ces  élémens  de  circonstances 
que  je  néglige  parce  qu'elles  ne  sont  pas 
nécessaires  à  mon  objet,  si  je  les  abstrais, 
en  même  temps  je  les  réunis ,  je  les  concrais 
pour  en  former  l'idée  nouvelle.  Ainsi  j'ab- 
strais et  je  concrais  en  même  temps,  ou 
plutôt  ce  que  j'abstrais  d'un  côté  je  le  con- 
crais de  l'autre;  c'est  pourquoi  je  n'aime  pas 
beaucoup  ces  mots  abstraire  et  concraire. 
Mais  on  fait  tant  d'abus  des  mots  abstrait 
et  abstraction ,  que  j'ai  voulu  vous  faire 
comprendre  ce  que  l'on  peut  raisonnable- 
ment entendre  par  abstraire  et  par  son 
opposé  concraire. 


go  IDEOLOGIE. 

Ne  nous  servons  plus  ni  de  l'un  ni  de 
l'autre;  ne  séparons  plus  deux  opérations 
intellectuelles  qui,  dans  la  pratique,  n'ont 
jamais  lieu  l'une  sans  l'autre;  et,  sans  nous 
embarrasser  de  vaines  dénominations,  ren- 
dons-nous compte  tout  simplement  de  ce 
que  nous  faisons  quand  nous  formons  nos 
idées  composées. 

Je  suppose  que  j'éprouve  pour  la  pre- 
mière fois  la  sensation  que,  dans  la  suite, 
j'appellerai  le  rouge.  Si  je  ne  sais  ni  d'où 
elle  me  vient,  ni  par  où  elle  me  vient;  si  je 
ne  fais  que  la  sentir  sans  y  mêler  aucun 
jugement ,  c'est  une  pure  sensation  que 
j'éprouve,  c'est  une  idée  simple  que  j'ai  : 
nécessairement  elle  est  individuelle  et  par- 
ticulière. 

Si  à  cette  sensation,  à  cette  pure  im- 
pression, à  cette  idée  simple,  je  joins  la 
sensation  d'un  rapport  entre  un  être  dont 
l'existence  consiste  à  me  causer  cette  sen- 
sation, et  moi,  dont  l'existence  consiste  à 
la  sentir,  cette  idée  de  rouge  n'est  déjà  plus 
une  idée  simple  ;  elle  est  composée  d'une 
sensation  et  d'un  jugement;  mais  elle  est 
encore  individuelle,  c'est-à-dire  particu- 
lière à  ce  seul  fait.  Je  ne  l'ai  pas  étendue  à 


CHAPITRE  VI.  91 

toutes  les  sensations  à  peu  près  pareilles 
que  je  puis  recevoir  de  différons  autres  êtres 
que  je  ne  connais  pas  encore. 

Il  en  est  de  même  de  la  saveur  et  de 
l'odeur  que  peut  me  faire  sentir  ce  même 
corps.  Si  je  ne  fais  que  les  sentir,  ce  sont 
des  idées  simples;  si,  de  plus,  je  juge  d'où 
elles  me  viennent,  ce  sont  des  idées  com- 
posées, mais  toujours  particulières  et  pas 
encore  généralisées. 

Maintenant,  que  je  réunisse  ces  trois 
idées,  d'une  certaine  couleur,  d'une  certaine 
saveur,  d'une  certaine  odeur,  j'en  forme 
l'idée  de  l'être  qui  me  les  cause  ;  idée  déjà 
plus  composée,  mais  toujours  individuelle 
et  particulière;  car  d'autres  êtres  peuvent 
être  capables  de  me  faire  les  mêmes  impres- 
sions, mais  je  ne  les  connais  pas  encore  : 
ainsi  je  n'ai  pas  étendu  cette  idée  sur  eux. 
Que  je  désigne  cette  idée  ou  l'être  qui  me  la 
donne,  ce  qui  est  la  même  chose  pour  moi, 
par  le  mot  fraise,  ce  nom  est  celui  de  cette 
fraise  et  non  des  fraises  en  général,  car  je 
ne  l'ai  pas  encore  généralisé. 

Si  je  ne  connais  cette  fraise  que  par 
ces  trois  effets,  son  existence  à  mon  égard 
n'est  composée  que  de  ces  trois  idées  3  elle 


92  IDÉOLOGIE. 

est,  pour  moi,  un  être  capable  de  me  faire 
sentir  ces  trois  sensations,  et  rien  de  plus; 
car,  remarquez -le  bien,  l'idée  d'un  être 
quelconque  n'est  jamais  pour  nous  que 
l'assemblage  des  propriétés  que  nous  lui 
connaissons;  c'est  ce  qui  fait  que  le  même 
mot  n'a  presque  jamais  exactement  la  même 
signification  pour  aucun  de  ceux  qui  le  pro- 
noncent; il  exprime  pour  chacun  d'eux  plus 
ou  moins  d'idées,  suivant  le  degré  de  con- 
naissance qu'ils  ont  du  sujet.  Quand  j'aurai 
observé  que  cette  fraise  est  de  forme  coni- 
que, qu'elle  vient  à  la  suite  d'une  petite 
fleur  blanche,  qu'elle  est  portée  sur  une 
petite  plante  verte,  qu'elle  est  destinée  à 
reproduire  cette  plante,  etc.,  je  joindrai 
toutes  ces  propriétés  aux  premières  ;  le  mot 
fraise  \as  renfermera  toutes,  et  mon  idée 
de  cette  fraise  sera  plus  composée  ;  au  reste 
elle  ne  cessera  point  encore  d'être  indivi- 
duelle et  particulière;  seulement  elle  sera 
plus  complète. 

Quand  cette  fraise  serait  le  premier  être 
existant  qui  eût  frappé  mes  sens;  quand, 
par  conséquent,  son  idée  serait  la  première 
idée  d'un  pareil  être  que  je  compose,  elle 
me  fournirait,  sans  cesser  d'être  indivi- 


CHAPITRE  VT.  Q,5 

Quelle  et  particulière ,  l'occasion  de  créer 
plusieurs  des  idées  que  nous  exprimons  par 
les  mots  appelés  adjectifs,  et  par  les  sub- 
stantifs nommés  abstraits. 

Par  exemple,  si  j'ai  appelé  le  rouge  une 
des  sensations  qu'elle  m'a  causée,  je  dirai 
que  cette  fraise  est  rouge,  c'est-à-dire 
qu'elle  est  cause,  pour  moi,  de  l'impression 
appelée  le  rouge.Cet  adjectif  est  l'expression 
abrégée  d'un  des  jugemens  que  j'ai  portés 
de  cette  fraise,  d'un  des  rapports  que  j'ai 
remarqués  entre  elle  et  moi;  il  me  sert  à 
exprimer  que  cette  fraise  a  ce  rapport  avec 
moi.  Si,  ensuite,  je  fais  attention  que  ce 
rapport  a  une  cause  dans  la  fraise,  j'appelle 
cette  cause  rougeur  de  la  fraise;  c'est  une 
de  ses  qualités,  une  des  idées  qui  composent 
l'idée  de  cet  être. 

Si  nous  avions  donné  des  noms  particu- 
liers aux  saveurs  et  aux  odeurs  comme  aux 
couleurs,  je  ferais  de  même  à  l'occasion  des 
rapports  que  cette  fraise  a  avec  moi  de  me 
causer  une  certaine  odeur  et  une  certaine 
saveur;  car  tout  rapport  donne  nécessaire- 
ment lieu  à  trois  idées,  celle  du  rapport 
lui-même,  celle  de  son  effet,  celle  de  sa 
cause;  si  le  plus  souvent  nous  ne  formons 


g4  IDÉOLOGIE. 

pas  ces  idées,  ou  si  nous  ne  les  désignons 
pas  distinctement  par  des  noms  particuliers, 
c'est  que  cela  ne  nous  est  pas  utile ,  ou  plu- 
tôt c'est  que  les  noms  particuliers  que  nous 
leur  avons  donnés  d'abord,  nous  les  avons 
étendus  à  d'autres  idées  à  peu  près  sem- 
blables ;  qu'ainsi  ils  sont  devenus  communs 
et  généraux,  et  que  nous  ne  nous  sommes 
pas  embarrassés  de  les  remplacer  par  d'au- 
tresqui  soientrestésparticuliers  etspéciaux. 
Mais  il  n'y  a  pas  un  des  innombrables  rap- 
ports que  chacun  des  êtres  existans  ont  avec 
nous ,  qui  ne  pût  être  la  source  de  trois  idées 
particulières  ,  de  trois  mots  particuliers 
pour  les  exprimer. 

Ainsi ,  par  exemple ,  cette  fraise  a  avec 
moi  les  rapports  de  me  faire  trois  effets; 
l'un  que  j'appelle  me  faire  plaisir ,  l'autre 
que  j'appelle  me  faire  du  bien,  le  troisième 
que  j'appelle  me  faire  ou  me  rendre  service  : 
j'exprime  ces  trois  rapports  en  disant  qu'elle 
est  belle,  qu'elle  est  bonne,  qu'elle  est  utile , 
et  les  causes  de  ces  trois  rapports,  par  les 
mots  beauté,  bonté,  utilité,  qui  représentent 
trois  propriétés  de  la  fraise,  trois  des  idées 
qui  composent  l'idée  de  cet  être.Mais  quand 
j'aurai  généralisé  les  mots  plaisir,  bien ,  ser- 


CHAPITRE   VI'.  g5 

vice,  qui  sont  encore  l'expression  spéciale 
des  effets  particuliers  de  cette  fraise  sur 
moi;  quand  je  les  aurai  étendus  à  d'autres 
effets  produits  par  d'autres  êtres,  effets  qui 
sont  analogues  à  ceux-ci ,  mais  qui  ne  sau- 
raient être  exactement  les  mêmes,  il  ne  me 
reste  plus  de  moyen  d'exprimer  privative- 
ment  le  plaisir  que  me  fait  cette  fraise,  le 
bien  qu'elle  me  cause ,  le  service  qu'elle  me 
rend;  de  dire  la  manière  particulière  dont 
elle  est  belle ,  bonne  et  utile  ;  de  peindre  le 
genre  spécial  de  la  beauté,  de  la  bonté,  de 
l'utilité  qui  lui  sont  propres.Voilà  à  quoi  nous 
sommes  réduits  actuellement  que  toutes  nos 
idées  sont  si  travaillées ,  que  tous  les  mots 
qui  les  expriment  sont  si  généralisés.  Nous 
n'en  avons  plus  pour  exprimer  particuliè- 
rement chaque  chose  ;  il  n'y  a  plus  que  les 
noms  propres  qui  désignent  un  être  à  l'ex- 
clusion de  tout  autre.  Cependant,  vous  de- 
vez sentir  que  tant  que  cette  fraise ,  que  j'ai 
prise  pour  exemple,  est  supposée  le  seul 
être  que  j'aie  examiné ,  non-seulement  son 
nom  est  un  nom  propre  dans  la  force  du 
terme,  mais  toutes  les  idées  qu'elle  m'a 
donné  occasion  de  former  ont  ce  même  ca- 
ractère; elles  sont  uniques  dans  leur  genre, 


§f)  IDÉOLOGIE. 

les  nwts  qui  les  expriment  ne  s'appliquent 
qu'à  un  seul  fait;  et  en  même  temps  vou3 
voyez  que,  sur  ce  seul  être,  j'ai  créé  des 
idées  de  bien  des  espèces.  Nous  trouverons 
facilement  la  manière  dont  ces  idées  parti- 
culières se  généralisent. 

J'ai  beaucoup  insisté  sur  ce  premier  pas 
de  notre  esprit ,  parce  que  si  vous  ne  le  com- 
preniez pas  bien,  vous  n'entendriez  jamais 
l'artifice  de  la  composition  de  nos  idées ,  ni 
celui  du  langage  qui  en  est  l'expression ,  ni 
celui  du  raisonnement.  La  plus  grande  diffi- 
culté que  j'aie  éprouvée  pour  vous  l'expli- 
quer, c'est  que  les  mots  manquent  à  tout 
moment  :  comme ,  par  un  long  usage,  nous 
les  avons  tous  généralisés,  on  ne  sait  com- 
ment s'y  prendre  pour  obliger  l'auditeur 
à  les  prendre  dans  un  sens  restreint  et  in- 
dividuel qu'ils  n'ont  plus  ;  et  malgré  tous  mes 
soins,  je  ne  serai  pas  étonné  de  n'y  être 
pas  complètement  parvenu.  Si  à  une  pre- 
mière lecture  il  vous  était  resté  quelque 
louche,  je  vous  exhorterais  à  en  faire  une 
seconde,  en  tâchant  de  vous  bien  pénétrer 
de  l'intention  que  j'ai  eue,  et  en  vous  re- 
portant sans  cesse  à  la  position  où  est  un 
homme  qui  forme  ces  premières  combinai- 
sons; 


CHAPITÎIE  VI.  97 

sons  5  car  je  ne  puis  pas  faire  que  nousayonS) 
pour  exprimer  les  idées  de  cet  homme, 
d'autres  mots  que  ceux  dont  nous  avons  fait 
depuis  un  tout  autre  usage  que  lui,  et  qui, 
par  conséquent,  ont  une  autre  valeur  pour 
nous  que  pour  lui  :  et,  encore  une  fois,  la 
science  des  idées  est  bien  intimement  liée  à 
celle  des  mots;  car  nos  idées  composées 
n'ont  pas  d'autre  soutien,  d'autre  lien  qui 
unisse  tous  leurs  élémens,  que  les  mots  qui 
les  expriment  et  qui  les  fixent  dans  notre  mé- 
moire. Nous  examinerons  quelque  jour  les 
causes  et  les  conséquences  de  ce  fait;  mais 
en  attendant,  je  puis  parler  d'une  idée  et 
du  mot  qui  la  représente  comme  d'une  seule 
et  même  chose,  car  tout  ce  qui  arrive  à  l'un 
arrive  à  l'autre. 

Voilà  donc  qu'en  conséquence  de  l'exa^ 
men  d'un  seul  être,  j'ai  formé  et  séparé  les 
unes  des  autres  l'idée  de  cet  être ,  celles  de 
ses  rapports,  celles  de  leurs  effets,  celles  de 
leurs  causes  ;  et  toutes  ces  idées  sont  encore 
particulières.  J'ai  créé,  pour  les  exprimer, 
des  mots  que  nous  appelons  un  nom  de  sub- 
stance, des  noms  adjectifs,  des  noms  sub- 
stantifs abstraits;  et  tous  ces  mots  sont 
encore  rigoureusement  des  noms  propres 

G 


98  IDÉOLOGIE. 

d'un  tel  être,  d'an  tel  rapport,  et  d'un  tel 
effet  ou  d'une  telle  qualité.  Voyons  com- 
ment ces  idées  et  ces  noms  vont  se  géné- 
raliser. 

Après  avoir  vu  cette  fraise,  j'en  vois 
d'autres;  je  les  examine  :  elles  lui  ressem- 
blent par  des  qualités  constantes,  communes 
à  toutes;  elles  en  diffèrent  par  des  circons- 
tances variables.  Je  retranche  ces  circons- 
tances variables  et  de  l'idée  de  la  première 
fraise  et  de  celles  des  fraises  que  je  vois  en- 
suite; je  réunis  les  qualités  constantes,  et 
voilà  que  l'idée  et  le  nom  de  fraise  sont  de- 
venus communs  à  bien  des  êtres ,  et  sont 
généralisés  autant  qu'ils  peuvent  l'être. 

Par  la  même  raison,  les  mots  belle,  bonne, 
utile,  rouge;  plaisir,  bien ,  service,  le  rouge  : 
beauté,  bonté,  utilité,  rougeur,  n'expriment 
plus  les  rapports  de  cette  première  fraise 
avec  moi,  leurs  produits  et  leurs  causes, 
mais  les  rapports,  les  effets  et  les  qualités 
des  fraises  en  général  :  ils  sont  déjà  généra- 
lisés aussi,  mais  pas  à  beaucoup  près  autant 
qu'ils  peuvent  l'être;  car  dans  la  suite  je 
les  étendrai  à  bien  d'autres  êtres,  les  uns 
plus,  les  autres  moins,  d'après  mes  obser- 
vations. 


CHAPITRE  VI.  99 

En  effet,  après  avoir  vu  ces  fraises,  je 
vois  une  cerise;  je  fais  l'idée  de  cette  cerise 
comme  j'ai  fait  celle  de  la  première  fraise , 
et  l'idée  générale  de  cerise  comme  l'idée  gé- 
nérale de  fraise. Ces  cerises  sont  aussi,  pour 
moi,  belles,  bonnes,  utiles,  rouges  d'une 
certaine  manière;  mais  cette  manière  n'est 
pas  exactement  la  même   que   celle   des 
fraises.  Si,  au  lieu  de  donner  aux  rapports 
que  je  sens  entre  ces  cerises  et  moi,  des 
noms  particuliers  et  qui  leur  soient  propres, 
je  leur  applique  ces  noms-ci  que  j'ai  déjà 
donnés  aux  rapports  des  fraises  avec  moi,  il 
est  clair  que  je  ne  le  puis  qu'en  écartant  des 
uns  et  des  autres  les  circonstances  qui  les 
différencient,  et  en  ne  conservant  que  celles 
qui  leur  sont  communes.  Par  conséquent, 
chaque  fois  que  je  généralise  davantage  un 
nom,  que  je  l'étends  à  un  plus  grand  nombre 
d'êtres,  je  retranche  beaucoup  des  idées  qu'il 
renfermait  dans  son  sens  plus  restreint  ;  il 
en  exprime  réellement  beaucoup  moins.  A 
proportion  qu'une  idée  devient  plus  géné- 
rale, elle  fait  partie  d'un  plus  grand  nombre 
d'êtres,  mais  elle  est  une  plus  faible  partie 
de  chacun  d'eux. 

C'est  ce  qui  se  voit  bien  clairement  dans 

G  2 


400  IDEOLOGIE. 

la  formation  des  idées  d'espèces,  de  genres, 
de  classes ,  qui  se  composent  tout  comme 
les  précédentes  :  la  seule  différence  est  qu'un 
nom  nouveau  exprime  chaque  degré  de  gé- 
néralisation ,  et  les  fait  remarquer  en  les 
empêchant  de  se  confondre.  Je  vois  un  in- 
dividu, je  reconnais  toutes  les  qualités  qui 
lui  appartiennent,  toutes  les  propriétés  qui 
le  caractérisent,  en  un  mot  toutes  les  im- 
pressions qu'il  me  fait;  je  l'appelle  Jacques. 
Il  est  clair  que  ce  nom  propre  est  l'expres- 
sion del'idée  complètede  cet  individu, c'est- 
à-dire  de  toutes  les  idées  qui  la  compo- 
sent; je  le  réunis  avec  un  certain  nombre 
d'autres  individus,  differens  de  lui  à  beau- 
coup d'égards,  mais  qui  ont  aussi  beaucoup 
de  choses  communes;  j'en  forme  une  classe 
d'individus,  que  je  désigne  par  le  nom  de 
Parisiens;  je  joins  ces  individus  à  d'autres 
qui  ont  moins  de  points  de  ressemblance , 
j'en  forme  une  seconde  classe  plus  étendue, 
que  je  désigne  par  le  mot  de  Français  :  je 
forme  ainsi  successivement  les  mots  et  les 
idées  d'Européen,  d'homme,  d'animal, 
et  >enfin  d'être,  qui  est  le  terme  le  plus 
général  dont  on  puisse  s'aviser,  puisqu'il 
s'étend  ù  tout  ce  qui  existe.  Il  est  clair  que 


CHAPITRE  VT.  IO* 

ces  idées  très-composées  vont  toujours  ren- 
fermant un  plus  grand  nombre  d'individus, 
ce  qui  constitue  leur  extension,  mais  un 
moindre  nombre  de  circonstances  de  clia-t 
cun  d'eux,  ce  qui  constitue  leur  compré- 
hension; car  quand  je  dis  de  Jacques  qu'il 
est  un  être,  je  n'en  dis  qu'une  seule  chose, 
c'est  qu'il  est  capable  de  m'affecter,  sans  dé^ 
signer  du  tout  comment;  je  dis  qu'il  existe, 
et  rien  de  plus;  quand  je  dis  qu'il  est  un  ani^ 
mal,  je  dis  de  plus  que  je  lui  connais  vie  et 
mouvement,  qu'il  se  nourrit,,  qu'il  se  re- 
produit, en  un  mot ,  qu'il  existe  de  toutes  les 
manières  qui  caractérisent  un  animal;  quand 
je  dis  qu'il  est  homme,  je  dis  de  plus  que  je 
sais  qu'il  est  fait  de  telle  ou  telle  manière , 
qu'il  a  telle  qualité  qui  m'a  frappé  ;  quand  je 
dis  qu'il  est  Européen,  Français,  Parisien, 
j'ajoute  toujours  quelque  chose  à  l'idée;  et 
enfin  quand  je  dis  qu'il  est  Jacques,  je  dis 
implicitement  tout  ce  que  je  sais  de  lui,  et 
même  tout  ce  qui  lui  appartient,  quand 
même  je  ne  le  connaîtrais  pas  encore;  car 
je  puis  fort  bien  ignorer  qu'il  est  fort,  qu'il 
est  aimable,  qu'il  est  malade  :  mais  quand  je 
le  saurai,  ce  sera  seulement  de  nouvelles 
idées  que  je  devrai  ajouter  aux  nombreuse* 


102  IDEOLOGTE. 

idées  qui  composent  pour  moi  celle  de 
Jacques.  Cela  rentre  dans  ce  que  j'ai  dit  plus 
haut,  qu'un  nom  signifie  toujours  plus  ou 
moins  de  choses  pour  ceux  qui  le  pronon- 
cent, à  proportion  qu'ils  connaissent  plus 
ou  moins  le  sujet  dont  il  s'agit;  mais  cela 
ne  change  rien  à  la  vérité  que  j'ai  établie, 
que  l'idée  particulière  d'un  individu  ren- 
ferme toutes  les  idées  qui  lui  appartiennent, 
et  que  l'idée  d'un  nom  de  classe  ne  ren- 
ferme que  celles  qui  sont  communes  à  tous 
les  individus  de  la  classe,  et  par  conséquent 
un  nombre  d'idées  d'autant  moindre,  que  les 
individus  sont  plus  nombreux  et  la  classe 
plus  étendue. 

C'est  ainsi  que  des  idées  de  cerise,  de 
fraise,  d'abricot,  etc>  on  fait  l'idée  de  fruit, 
qui  ne  renferme  plus  les  idées  particulières 
à  chacun  de  ces  êtres,  mais  seulement  la 
propriété  qui  leur  est  commune ,  d'être  pro- 
duits d'une  certaine  manière  par  des  végé- 
taux; et  si  je  généralise  encore  plus  le  mot 
fruit)  comme  on  fait  dans  le  sens  méta- 
phorique, en  disant,  par  exemple,  que  la 
science  est  le  fruit  du  travail,  que  les  décou- 
vertes sont  le  fruit  de  la  réflexion,  ce  mot 
fruit  ne  renferme  plus  que  l'idée  d'être  pro- 


CHAPITRE   Vr.  103 

duit  par  un  être  quelconque,  sans  aucune 
désignation  de  cause  ni  de  manière. 

De  même,  des  idées  de  verd,  de  jaune, 
de  rouge,  en  faisant  abstraction  de  leurs  dif- 
férences, je  fais  l'idée  de  couleur,  qui  n'ex- 
prime plus  que  la  qualité  commune  à  ces 
sensations  d'être  senties  par  l'œil  comme  les 
sons  par  l'oreille.  Des  idées  de  couleur  et  de 
son  je  fais  l'idée  plus  générale  de  sensation, 
qui  n'est  que  celle  d'être  sentie,  n'importe 
par  quelle  voie. 

De  même  encore,  en  revenant  aux  ad- 
jectifs cités  ci-dessus,  ce  mot  rouge,  qui 
n'exprimait  d'abord  que  la  manière  d'être 
rouge  de  la  fraise,  ensuite  des  fraises  en  gé- 
néral, puis  des  fraises  et  des  cerises,  de- 
vient petit  à  petit  l'expression  de  ce  que  tous 
les  corps  rouges  ont  de  commun  entr'eux  ; 
la  même  chose  arrive  au  mot  bon.  A  chaque 
degré  de  généralisation  il  y  a  des  différences 
négligées,  le  mot  change  réellement  de  si- 
gnification ;  cela  est  si  vrai ,  qu'il  est  mani- 
feste que  la  bonté  d'un  homme,  la  bonté 
d'un  fruit,  la  bonté  d'un  cheval,  la  bonté  en 
général  né  sont  pas  la  même  chose.  Dans 
ces  quatre  cas,  les  mots  bon  et  bonté  sont 
appliqués  à  trois  idées  individuelles  diiïé- 


104  IDEOLOGIE. 

rentes,  et  à  une  idée  générale.  Les  idées 
changeant,  en  rigueur  les  mots  devraient 
changer  aussi,  comme  les  mots  verd,  jaune, 
rouge  et  couleur;  mais  aucune  langue  n'est 
assez  riche  pour  cela,  parce  que  les  incon- 
véniens  d'une  telle  abondance  surpasse- 
raient ses  avantages.  Cependant  cela  était 
bon  à  remarquer,  pour  que  vous  ne  soyez 
pas  dupes  des  mots ,  et  qu'ils  ne  vous  mas- 
quent pas  la  génération  des  idées  lorsqu'ils 
ne  la  peignent  pas  fidèlement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voilà  que  vous  con- 
naissez comment  se  forment  toutes  celles 
de  nos  idées  que  nous  exprimons  par  des 
substantifs  et  des  adjectifs.  Je  pourrais  vous 
expliquer  de  même  la  formation  de  celles 
qui  sont  représentées  par  les  autres  élémens 
du  discours,  tels  que  les  verbes,  les  prépo^ 
sitions,  etc.  ;  mais  ces  détails  seront  mieux 
placés  quand  nous  étudierons  la  grammaire, 
cJest  à-dire  la  science  de  l'expression  de  nos 
idées.  Qu'il  vous  suffise  pour  le  moment  de 
savoir  qu'elles  dérivent  toutes  de  celles  que 
nous  avons  examinées ,  et  qu'elles  se  for- 
ment par  les  mêmes  moyens.  Vous  voyez 
donc  qu'il  ne  s'agit  jamais  que  de  recevoir 
des  impressions,  d'observer  des  rapports, 


CHAPITRE   VI.  105 

de  les  ajouter,  de  les  retrancher,  de  tes  réu- 
nir, de  les  diviser,  et  d'en  former  de  nou- 
veaux groupes  ;  et  vous  ne  devez  plus  être 
embarrassés  de  comprendre  comment  tant 
de  combinaisons  si  différentes  sont  le  pro- 
duit du  petit  nombre  de  facultés  que  nous 
avons  distinguées  dans  notre  faculté  de  pen- 
ser. C'était  le  seul  but  que  je  me  proposais 
dans  ce  chapitre  :  nous  pouvons  actuelle- 
ment passer  à  un  autre  objet. 

Observons  seulement,  en  finissant,  que 
la  marche  que  nous  venons  de  tracer  à  l'es- 
prit humain  dans  la  formation  de  nos  idées 
composées ,  est  celle  que  suivrait  nécessai- 
rement un  homme  isolé  et  sans  secours , 
qui  formerait  ces  idées  et  leurs  signes  pour 
son  usage  à  lui  tout  seul.  Elle  est  métho- 
dique, mais  elle  est  pénible  et  lente;  aussi 
certainement  cet  homme  ne  composerait 
guère  d'idées ,  et  son  dictionnaire  serait  fort 
court.  Toute  langue  un  peu  riche'  n'a  pu 
être  le  résultat  que  des  efforts  de  beaucoup 
d'hommes  et  de  bien  des  générations  suc- 
cessives. Mais  ce  n'est  pas  par  ce  chemin 
que  tant  d'idées  sont  entrées  dans  nos  tètes, 
à  nous ,  jetés  dès  notre  enfance  au  milieu 
d'hommes  parlant  une  langue  perfectionnée . 


lo6  IDÉOLOGIE. 

Nous  n'avons  pas  créé  ces  idées,  nous  les 
avons  reçues  ;  leurs  signes  ont  d'abord  frappé 
notre  oreille  pêle-mêle  et  au  hasard,  sui- 
vant que  l'occasion  s'en  est  présentée;  nous 
n'avons  eu  qu'à  en  démêler  les  significa- 
tions ,  et  à  les  classer ,  en  profitant  bien  ou 
mal  d'expériences  multipliées  ;  c'est  sur  les 
mots  et  d'après  les  mots,  que  nous  avons 
appris  les  idées.  Cette  opération  est  souvent 
restée  incomplète;  de  là  bien  des  erreurs, 
bien  des  fausses  liaisons ,  une  grande  igno- 
rance de  l'enchaînement  de  certains  résul- 
tats. On  n'en  sera  pas  surpris,  si  l'on  songe 
que  dans  un  petit  nombre  d'années  de  notre 
première  enfance,  nous  mettons  dans  nos 
têtes  la  plus  grande  partie  des  idées  qui  ont 
été  créées  depuis  l'origine  du  genre  humain. 
Quand  on  fait  des  provisions  si  précipitées, 
il  est  difficile  de  les  bien  connaître  et  de  les 
bien  ranger.  Mais  en  voilà  assez  sur  ce  cha- 
pitre :  relisez- le  quelquefois  pour  vous  fa- 
miliariser avec  ces  combinaisons;  et  cepen- 
dant occupons-nous  de  chercher  comment 
nous  apprenons  que  les  sensations  qui  nous 
affectent  sont  causées  par  un  objet  quel- 
conque. 


CHAPITRE  VIT.  IO7 

CHAPITRE  VII. 

De  l'Existence. 

x  enser  ,  c'est  sentir  ;  et  sentir,  c'est  s'aper- 
cevoir de  son  existence  d'une  manière  ou 
d'une  autre;  nous  n'avons  pas  d'autre  moyen 
de  connaître  que  nous  existons.  Aussi,  si 
nous  ne  sentions  rien,  ce  serait  bien  pour 
nous  l'équivalent  de  ne  pas  exister.  Une  sen- 
sation est  donc  une  manière  d'exister,  une 
manière  d'être,  et  rien  de  plus  ;  et  toutes  nos 
sensations  diverses  sont  purement  et  sim- 
plement différentes  modifications  de  notre 
être  :  une  sensation  est  donc  une  chose  qui 
se  passe  uniquement  en  nous.  Il  en  est  de 
même,  à  plus  forte  raison,  des  souvenirs 
de  ces  sensations ,  des  rapports  que  nous 
apercevons  entr'elles,  et  des  désirs  qu'elles 
font  naître. 

Mais  une  pure  sensation  quelconque  a- 
t-elle  par  elle-même  la  propriété  de  nous 
avertir  qu'elle  nous  vient  de  quelque  chose 
qui  n'est  pas  nous?  C'est  une  question  que 
nous  avons  déjà  traitée  dans  le  chapitre  de 
la  Mémoire,  pages  42  et  suivantes;  et  nous 


108  IDÉOLOGIE. 

nous  sommes  décidés  pour  la  négative ,  par 
cette  considération  sans  réplique,  que  sen- 
tir une  sensation,  c'est  sentir  ;  et  que  sentir 
d'où  elle  nous  vient,  c'est  sentir  un  rap- 
port, c'est  juger.  Ainsi,  toute  sensation  que 
nous  rapportons  à  un  être  quelconque  n'est 
déjà  plus  une  pure  sensation,  elle  est  ac- 
compagnée d'un  jugement. 

Nous  nous  sommes  demandé  ensuite  si 
ce  jugement  est  inséparable  de  la  sensation  ; 
et  nous  avons  vu  dans  le  chapitre  du  Juge- 
gement,  pages  62  et  55,  qu'il  en  est  si  peu 
inséparable ,  qu'il  est  même  impossible  que 
la  faculté  de  juger  commence  à  agir  aussitôt 
que  la  faculté  de  sentir. 

Il  nous  reste  donc  à  trouver  comment 
nous  avons  été  conduits  à  juger  que  nos 
sensations  sont  occasionnées  par  des  êtres 
qui  ne  sont  pas  nous ,  et  si  nous  avons  rai- 
son de  porter  ce  jugement.  Nous  appelons 
corps  ces  êtres  auxquels  nous  attribuons 
d'être  la  cause  de  nos  sensations  :  pour  que> 
ce  jugement  soit  juste,  il  faut  premièrement 
que  ces  corps  existent;  secondement,  qu'ils, 
soient  en  effet  les  causes  des  impressions 
que   nous  ressentons.  La  première  chose 
a  examiner  est  donc  celle-ci,  y  a-t-il  des. 


CHAPITRE  VIT.  109 

corps  ?  et  la  seconde ,  comment  le  savons- 
nous?C'est  ce  dont  nous  allons  nous  occuper. 

Vous  êtes  certainement  surpris  d'une  pa- 
reille question  :  il  ne  vous  est  jamais  venu 
en  tête  qu'on  imaginât  de  la  proposer,  et 
qu'il  pût  être  incertain  s'il  y  a  des  corps  et 
si  vous  en  avez  un;  ce  doute  vous  paraît  im- 
pertinent; cependant  je  suis  bien  assuré  qu'il 
vous  est  impossible  de  le  lever^  et  que, 
quelque  inébranlable  que  soit  votre  opinion 
à  cet  égard,  vous  ne  sauriez  en  démontrer 
la  vérité.  Cela  seul  doit  vous  prouver  que 
le  sujet  mérite  d'être  approfondi;  de  plus, 
vous  sentez  que  c'est  la  base  fondamentale 
de .  l'édifice  entier  des  connaissances  hu- 
maines. Car  si  nous  nous  trompons  sur  ce 
point  capital,  si  l'existence  des  corps  est 
une  illusion,  nous  vivons  entourés  de  fan- 
tômes, et  toutes  nos  connaissances  ne  sont 
que  des  chimères.  Or^  en  matière  si  impor- 
tante, il  n'est  pas  permis  de  se  contenter 
d'un  sentiment  confus  et  d'assertions  sans 
preuves. 

Je  sais  qu'un  très-grand  préjugé  en  faveur 
de  la  réalité  de  l'existence  des  corps  est  la 
croyance  générale  de  tous  les  hommes,  qui 
n'en  doutent  pas,  et  n'imaginent  pas  même 


110  IDEOLOGIE. 

qu'on  puisse  en  douter.  Mais,  premièrement, 
cette  croyance  n'est  pas  sans  exception  ; 
car  plusieurs  hommes,  et  de  grands  hommes, 
ont  pensé  et  ont  soutenu  qu'il  n'existe  réel- 
lement rien  de  semblable  à  ce  que  nous  ap- 
pelons des  corps,  et  que  quand  les  corps 
existeraient,  nous  n'avons  en  nous  absolu- 
ment aucuns  moyens  de  les  connaître  : 
d'ailleurs,  quand  même  une  opinion  serait 
parfaitement  universelle,  ce  ne  serait  pas 
encore  une  preuve  sans  réplique  de  sa  jus- 
tesse, car  le  genre  humain  tout  entier  peut 
fort  bien  se  tromper,  et  ce  ne  serait  peut- 
être  pas  la  première  fois  que  cela  lui  fût  ar- 
rivé. Il  faut  donc  en  revenir  à  examiner  si 
l'existence  des  corps  est  réelle,  et  comment 
nous  parvenons  à  la  connaître. 

Avec  un  moment  d'attention  vous  pouvez 
vous  apercevoir  que  non-seulement  la  solu- 
tion de  cette  question  ne  se  présente  pas 
d'elle-même  à  l'esprit  avec  évidence ,  mais 
encore  qu'elle  est  assez  difficile  à  trouver 
quand  on  y  pense.  En  effet  vous  venez  de 
voir  que  toutes  nos  idées  composées  ne 
sont  autre  chose  que  des  combinaisons  de 
nos  sensations,  de  nos  souvenirs,  de  nos 
jugemens,  et  de  nos  désirs.  Il  est  bien  évi- 


CHAPITRE  VII.  111 

dent  que  ces  combinaisons  se  font  en  nous 
sans  aucune  intervention  étrangère  ;  il  ne 
l'est  pas  moins  que  nos  sensations  de  sou- 
venirs, de  jugemens  et  de  désirs  sont  aussi 
des  choses  qui  se  passent  uniquement  dans 
notre  intérieur.  Or,  qu'est-ce  qui  empêche^ 
rait  qu'il  n'en  fût  de  même  de  nos  sensa- 
tions proprement  dites?  et  que,  tandis  que 
nous  croyons  voir,.entendre,  goûter,  sentir, 
toucher  des  êtres  réels  et  distincts  de  nous, 
ces  impressions  ne  fussent  que  des  modifi- 
cations internes  de  notre  faculté  de  sentir, 
des  manières  d'être  produites  en  elle  par 
des  raisons  inconnues,  mais  sans  aucune 
cause  extérieure,  comme  celles  que  nous 
éprouvons  dans  certains  rêves  ou  nous  nous 
croyons  actuellement  frappés  par  des  corps 
qui  bien  certainement  sont  alors  fort  éloi- 
gnés de  nous,  ou  comme  celles  que  nous 
ressentons  même  éveillés ,  dans  certaines 
circonstances,  ainsi  que  nous  en  avons  fait 
la  remarque  aux  chapitres  de  la  Sensibilité 
et  de  la  Mémoire. 

Cette  supposition  n'est  point  absurde. 
Cependant,  si  elle  était  conforme  à  la  vé- 
rité, cette  plume  que  je  crois  tenir,  ce  papier 
sur  lequel  je  crois  en  ce  moment  tracer  ces 


112  IDEOLOGIE. 

mots,  mon  corps  lui-même,  que  je  crois 
sentir  et  par  lequel  je  crois  sentir,  ne  sej 
raient  que  de  vaines  apparences  résultantes 
de  diverses  modifications  arrivées  et  com- 
binées dans  l'intérieur  de  ma  faculté  pen- 
sante quelle  qu'elle  soit  et  quelque  part 
qu'elle  existe;  et,  dans  le  fait,  quand  la 
chose  serait  ainsi,  pourvu  que  ces  modifi- 
cations et  leurs  combinaisons  suivent  les 
mêmes  lois,  qu'elles  soient  internes  ou  ex- 
ternes, qu'elles  viennent  du  dedans  ou  du 
dehors,  tout  va  de  même  pour  moi  qui  les 
éprouve.  Que  vous,  à  qui  je  parle,  soyez 
des  êtres  existans  ou  idéals;  si,  dans  les 
deux  cas,  il  doit  résulter  des  mots  que  je 
profère  que  vous  me  présentiez  les  mêmes 
aspects,  si  je  dois  suivre  les  mêmes  règles 
pour  produire  sur  vous  les  mêmes  effets , 
rien  n'est  changé  pour  moi  ;  et  je  n'ai,  par 
conséquent,  aucun  moyen  de  démêler  ce 
qui  en  est;  je  n'ai  certitude  de  rien  que  des 
effets  que  j'éprouve. 

A  la  vérité,  actuellement  que  nous  sommes 
parvenus  (nous  verrons  quelque  jour  par 
quels  moyens  )  à  nous  comprendre  récipro- 
quement, quand  vous  me  dites  que  vous 
sentez  comme  moi,  quand  je  vous  vois 


CHAPITRE   VII.  110 

agir  spontanément  comme  moi,  quand  vous 
m'assurez  que  c'est  en  vertu  d'impressions 
tout-à-fait  semblables  à  celles  que  je  vous 
dépeins  comme  existantes  en  moi,  quand 
mille  expériences  continuellement  répétées 
et  toujours  convaincantes  me  prouvent  la 
vérité  de  ces  assertions,  il  m'est  bien  diffi- 
cile de  vous  refuser  d'être  des  êtres  sentans 
et  par  conséquent  existans  comme  moi. 
Mais  si  j'étais  le  seul  être  animé  sur  la  terre, 
et  qu'un  génie  d'une  espèce  supérieure, 
supposé  doué  du  talent  de  se  faire  entendre 
à  moi,  vînt  me  dire  que  tout  ce  que  je  crois 
voir  et  entendre,  et  tout  ce  que  je  crois 
faire ,  n'est  qu'une  suite  d'illusions  ;  que  je 
suis  purement  et  uniquement  une  vertu 
sentante,  incapable  de  toute  autre  chose  que 
d'être  affectée  successivement  de  mille  ma- 
nières différentes;  que,  quand  je  me  meus, 
je  crois  me  mouvoir;  que,  quand  je  touche, 
je  crois  toucher  :  il  est  bien  vraisemblable 
que  ce  génie  me  persuaderait  ;  il  l'est  sur- 
tout que,  quand  j'oserais  douter  de  sa  révé- 
lation, je  ne  saurais  pas  lui  en  démontrer  là 
fausseté. 

Cela  est  si  vrai,  que,  sans  que  ce  génie  ait 
jamais  apparu  à  personne,  et  malgré  toutes 

H 


11 4  IDÉOLOGIE. 

les  lumières  que  fournit  l'état  de  société , 
des  sectes  entières  d'anciens  philosophes , 
hommes  doués  de  beaucoup  de  pénétra- 
tion, après  y  avoir  mûrement  réfléchi ,  ont 
prononcé  qu'il  nous  est  absolument  et  com- 
plètement impossible  d'être  jamais  parfai- 
tement surs  de  rien  ;  et,  à  cet  égard,  la 
démonstration  tant  vantée  de  Diogène,  qui, 
lorsque  Zenon  d'Elée  niait  le  mouvement, 
pour  toute  réponse,  se  promenait  devant 
lui,  ne  me  paraît  pas  du  tout  digne  de  sa 
réputation;  car  il  ne  niait  pas  que  nous  vis- 
sions une  apparence  que  nous  appelons 
mouvement,  mais  il  niait  que  nous  puissions 
être  sûrs  que  cette  apparence  ait  quelque 
réalité  ailleurs  que  dans  notre  pensée.  Cette 
manière  de  résoudre  la  difficulté  ressemble 
beaucoup  à  .celle  d'Alexandre  qui  coupe  le 
noeud  gordien  qu'on  lui  propose  de  dénouer. 
Elle  est  bonne  dans  le  conquérant,  car  elle 
remplit  son  objet;  mais  je  suis  persuadé 
que  le  philosophe  cynique  ne  s'en  fût  pas 
contenté  s'il  eût  pu  s'aviser  d'une  meilleure. 
Aussi,  parmi  les  modernes  encore,  Mal- 
lebranche,  un  de  nos  plus  beaux  génies, 
a  dit  que  les  corps  existent  réellement;  que 
nous  n'en  pouvons  douter,  puisque  Moïse 


tr 


CHAPITRE  VII.  Il5 

nous  a  raconté  les  circonstances  de  leur 
création  ;  mais  que  nous  n'avons  pas  d'autre 
moyen  de  le  savoir,  et  qu'il  est  absolument 
impossible  qu'aucune  de  nos  facultés  intel- 
lectuelles nous  en  procure  une  connaissance 
directe  ;  il  a  même  ajouté  que  ces  corps 
n'existent  que  dans  la  pensée  de  Dieu ,  ce 
qui  est  bien  toujours  n'exister  que  dans 
une  pensée.  Et  Berkeley,  autre  excellent 
esprit,  a  soutenu  que  le  récit  de  Moïse 
bien  entendu  ne  prouve  pas  l'existence  des 
corps,  et  qu'ils  n'existent  réellement  pas. 

Sans  exagérer  le  nombre  des  sectateurs 
de  cette  singulière  opinion,  je  pourrais- 
peut-être  ranger  encore  parmi  ceux  qui 
ont  nié  l'existence  des  corps,  ou  qui  en  ont 
douté,  tous  les  partisans  des  idées  innées, 
quand  même  ils  n'auraient  pas  tiré  expres- 
sément cette  conséquence  de  leur  système; 
car  quand  on  pense  (  et  c'était  l'opinion  gé- 
nérale avant  Locke  )  que  toutes  nos  idées 
existent  en  nous  au  moment  de  notre  nais- 
sance ,  et  que  quand  nous  les  recevons  ou 
les  composons  nous  ne  faisons  que  nous  en 
ressouvenir,  il  ne  paraît  ni  nécessaire,  ni 
morne  naturel  de  supposer  que  ces  impres- 

H  2 


tl6  IDÉOLOGIE» 

sions  soient  causées  en  nous  par  des  êtres 
réellement  existans. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  beau- 
coup de  philosophes,  et  nommément  tous 
ceux  qui  ont  reconnu  que  nos  sensations 
sont  la  source  de  toutes  nos  idées,  ont  cru 
fermement,  comme  le  vulgaire,  que  ces 
sensations  sont  excitées  en  nous  par  l'action 
des  corps  sur  nos  organes,  et  que  ces  corps 
et  ces  organes  sont  des  êtres  bien  réels; 
mais  ils  n'ont  pas  toujours  été  très-heureux 
à  expliquer  comment  nous  apprenons  à 
reconnaître  cette  existence ,  et  pourquoi 
nous  en  sommes  certains;  on  peut  même 
dire  que  cette  question  n'a  encore  jamais 
été  parfaitement  éclaircie. 

Le  plus  souvent  on  s'est  contenté  de  dire 
en  général  que  nos  sensations  ont  la  pro- 
priété de  nous  apprendre  d'où  elles  nous 
viennent,  et  que  dans  la  sensation  la  plus 
simple  est  renfermée  cette  connaissance; 
ce  qui  est  dire  implicitement  que  l'action 
de  sentir,  qui  bien  sûrement  nous  fait  con- 
naître notre  propre  existence,  nous  révèle 
aussi  celle  d'un  autre  être  et  du  rapport  qu'il 
a  avec  nous,  et  que  ce  jugement  ou  le  sen- 
Itmentde  ce  rapport  est  inséparable  de  la 


CHAPITRE  VII.  117 

sensation  simple.  C'est-là  une  assertion  et 
non  pas  une  démonstration. 

Aussi,  quand  on  a  voulu  entrer  dans  les 
détails,  on  a  été  fort  embarrassé  de  détermi- 
ner à  quelles  sensations  en  particulier  pou- 
vait s'appliquer  cette  maxime,  et  à  quelle 
espèce  de  sensations  appartenait  réellement 
ce  tte  propriété  de  nous  apprendre  Fexistence 
des  corps. 

D'abord  personne  n'a  songé  à  dire  que 
cela  convînt  à  aucune  des  sensations  que 
nous  avons  nommées  internes  :  elles  n'ont 
paru  que  de  simples  affections  de  plaisir 
ou  de  peine,  qui  à  elles  seules  ne  pouvaient 
nous  apprendre  que  notre  propre  exis- 
tence. 

Ensuite,  parmi  nos  sensations  externes  , 
on  est  encore  généralement  convenu  que 
celles  de  l'odorat,  de  l'ouïe  et  du  goût,  ne 
pouvaient  nous  faire  connaître  par  elles- 
mêmes  l'existence  des  corps  extérieurs  :  il 
est  trop  visible  que  nous  éprouvons  sou- 
vent des  affections  de  ce  genre  sans  l'inter- 
vention d'aucun  corps  étranger,  et  que 
même,  lorsque  ces  corps  en  sont  les  causes, 
nous  ne  connaissons  pas  le  plus  souvent  d'où, 
elles  nous  viennent. 


Il8  IDEOLOGIE. 

L'article  de  la  vue  a  souffert  plus  de  dif- 
ficulté; la  plupart  des  idéologistes  ont  cru , 
il  est  vrai,  que  quand  des  rayons  de  lumière 
frappent  notre  œil,  il  nous  est  impossible 
de  méconnaître  que  l'objet  qui  nous  renvoie 
ces  rayons  est  la  cause  de  cette  impression, 
et  que,  puisque  ces  faisceaux  de  lumière 
frappent  différens  points  de  notre  œil  les 
uns  à  côté  des  autres,  et  occupent  ainsi  une 
certaine  étendue  dans  notre  organe,  nous 
sommes  forcés  de  les  rapporter  de  même 
les  uns  à  côté  des  autres  dans  une  certaine 
portion  de  l'espace,  et  par  conséquent  de 
reconnaître  que  l'objet  qui  nous  les  envoie 
est  étendu,  est  un  corps. 

Je  ne  peux  pas  ici  discuter  à  fond  cette 
opinion,  parce  qu'il  faudrait  que  vous  con- 
nussiez bien  ce  que  c'est  que  la  propriété 
des  corps  appelée  l'étendue,  dont  ces  phi- 
losophes ne  se  sont  jamais  fait  une  idée  bien 
nette,  et  que  vous  ne  pouvez  le  comprendre 
complètement  qu'après  les  explications  que 
je  vais  bientôt  vous  donner  de  la  manière 
dont  nous  la  connaissons.  Mais  je  puis  dès 
ce  moment  vous  faire  part  des  deux  objec- 
tions générales  que  l'on  fait  à  ceux  qui  pré- 
tendent que  les  impressions  de  la  vue  nous 


CHAPITRE   VIT.  119 

apprennent  nécessairement  l'existence  des 
corps  et  leur  étendue.  Elles  sont  déjà,  sui- 
vant moi,  une  réfutation  sullisante. 

On  leur  a  dit,  premièrement,  les  corps 
ne  frappent  pas  l'œil  plus  immédiatement 
que  le  nez  et  l'oreille;  les  rayons  lumineux 
nous  arrivent  au  travers  de  l'air  comme  les 
ondulations  sonores  et  les  particules  odo- 
rantes; toute  la  différence,  c'est  que  ceux- 
là  ne  nous  arrivent  qu'en  ligne  droite,  tandis 
que  celles-ci  nous  parviennent  par  toute 
sorte  de  chemins.  Or,  ces  particules  odo- 
rantes,  ces  ondulations  sonores  partent, 
comme  les  rayons  lumineux ,  de  chfférens 
points  des  corps;  elles  frappent  difïérens 
points  de  l'oreille  et  du  nez,  comme  ceux-ci 
difïérens  points  de  l'œil  :  cependant ,  vous 
convenez  que  ces  émanations  odorantes  et 
sonores  ne  sont  pas  capables  de  nous  faire 
juger  qu'il  y  a  des  corps,  et  des  corps  éten- 
dus. Il  ne  parait  pas  vraisemblable  que  la 
particularité  de  venir  à  nous  en  ligne  droite 
donne  cette  propriété  aux  rayons  lumi- 
neux. 

Secondement,  on  a  ajouté,  et  ceci  est  pé- 
remptoire,  quand  on  vous  passerait  ce  j,re~ 
mier  point,  vous  n'eu  seriez  pas  plus  avancé; 


120  IDEOLOGIE. 

car  il  est  bien  manifeste  que  le  même  corps 
apparaît  à  notre  œil  de  mille  manières  dif- 
férentes ,  suivant  qu'il  est  éclairé  d'une  ma- 
nière ou  d'une  autre,  vu  de  plus  près  ou  de 
plus  loin,  ou  de  plus  haut  ou  de  plus  bas, 
ou  d'un  côté  ou  d'un  autre  :  or,  laquelle  de 
toutes  ces  manières  d'être  vu  est  la  vraie 
manière  d'être  de  ce  corps?  il  est  clair  que 
la  sensation  visuelle  seule  ne  nous  met  pas 
à  même  de  la  décider  :  elle  ne  nous  ferait 
donc  jamais  connaître  l'existence  réelle  de 
ce  corps ,  quand  même  on  vous  accorderait 
qu'elle  nous  apprend  à  elle  seule  d'où  elle 
nous  vient. 

Il  y  a  quelque  chose  de  plus  singulier  en- 
core dans  le  sens  de  la  vue,  c'est  que  nous 
avons  l'expérience  irrécusable  que  la  sensa- 
tion visuelle  nous  trompe  quelquefois  com- 
plètement; elle  nous  fait  voir  des  corps  où 
il  n'y  en  a  pas;  les  effets  de  la  réfraction  des 
diffërens  milieux  et  ceux  de  la  réflexion  des 
miroirs  nous  font  voir  réellement  les  objets 
où  ils  ne  sont  pas;  ce  bâton  à  demi  plongé 
dans  l'eau  n'est  pas  où  je  le  vois;  ce  beau 
paysage  n'est  pas  dans  ma  glace.  Dans  les 
cabinets  de  physique,  par  l'arrangement  de 
quelques  miroirs  concaves,  on  me  fait  voir 


CHAPITRE   VII.  121 

un  objet  an  milieu  de  la  chambre;  je  passe 
la  main  à  l'endroit  où  cet  objet  paraît  être 
avec  toutes  ses  formes  et  toutes  ses  cou- 
leurs, et  je  m'assure  qu'il  n'y  arien  du  tout 
dans  cet  endroit.  Ce  n'est  pas  ici  le  moment 
d'expliquer  ces  effets;  mais  ils  suffisent 
pour  prouver  qu'un  sens  qui  sur  le  même 
être  nous  fait  continuellement  des  rapports 
diffërens,  et  qui  crée  souvent  pour  nous 
des  êtres  absolument  imaginaires,  n'estpas 
propre  à  nous  assurer  de  la  réalité  de  ceux 
qu'il  nous  montre. 

Reste  donc  les  sensations  tactiles.  Tout 
le  monde  convient  que  ce  sont  celles-là  qui 
nous  donnent  des  connaissances  vraies  de 
l'existence  réelle  des  corps,  et  que  ce  sont 
elles  qui  nous  apprennent  ensuite  à  rap- 
porter à  ces  mêmes  corps  les  impressions 
qu'ils  font  sur  nos  autres  sens,  et  à  nous 
faire  des  idées  justes  de  ces  rapports  :  je  ne 
nie  pas  qu'il  n'en  soit  ainsi;  mais  comment 
cela  se  fait-il?  c'est  ce  qui  mérite  expli- 
cation. 

En  effet,  il  ne  paraît  pas  que  les  sensations 
tactiles  aient  par  elles-mêmes  aucune  pré- 
rogative essentielle  à  leur  nature  qui  les  dis- 
tingue de  toutes  les  outres.  Qu'un  corps 


122  IDEOLOGIE. 

affecte  les  nerfs  cachés  sous  la  peau  de  ma 
main,  ou  qu'il  produise  certains  ébranle- 
mens  sur  ceux  répandus  dans  les  mem- 
branes de  mon  palais,  de  mon  nez,  démon 
œil,  ou  de  mon  oreille;  dans  les  deux  cas 
c'est  une  pure  impression  que  je  reçois,  c'est 
une  simple  affection  que  j'éprouve  ;  et  Ton 
ne  voit  point  de  raison  de  croire  que  l'une 
soit  plus  instructive  que  l'autre,  que  l'une 
soit  plus  propre  que  l'autre  à  me  faire  porter 
le  jugement  qu'elle  me  vient  d'un  être  étran- 
ger à  moi.  Pourquoi  le  simple  sentiment 
d'une  piqûre,  d'une  brûlure,  d'un  chatouil- 
lement, d'une  pression  quelconque  me  don- 
nerait-il plus  de  connaissance  de  sa  cause 
que  celui  d'une  couleur,  ou  d'un  son ,  ou 
d'une  douleur  interne?  il  n'y  a  nul  motif  de 
le  penser.  Tant  que  nous  sommes  immo- 
biles, que  nous  n'agissons  pas  nous-mêmes , 
que  nous  ne  faisons  que  recevoir  passive- 
ment les  impressions  qui  surviennent,  celles 
qui  affectent  notre  tact  ne  nous  éclairent 
pas  plus  que  les  autres.  Voilà  donc  encore 
le  toucher  passif  reconnu  aussi  incapable 
que  les  autres  sens  de  nous  faire  soupçon- 
ner l'existence  des  corps. 
Au  premier  aperçu,  on  sent  confusément 


CIIAP1TRH    VII.  125 

qu'il  ne  doit  pas  en  être  de  même  quand, 
au  contraire,  c'est  nous  qui  agissons,  qui 
nous  mouvons,  qui  allons,  pour  ainsi  dire  , 
chercher  les  impressions;  mais  on  ne  dé- 
mêle pas  toujours  bien  les  raisons  de  la  dif- 
férence. En  effet,  cette  condition  toute  seule 
ne  suffit  pas  encore  pour  nous  éclairer. 

Car  d'abord,  supposons  pour  un  moment 
que  nous  aj^ons  la  faculté  de  nous  mouvoir 
comme  nous  l'avons,  mais  sans  que  les 
mouvemens  de  nos  membres  produisent  en 
nous  aucune  sensation  interne,  sans  que 
nous  les  sentions,  sans  par  conséquent  que 
nous  en  soyons  avertis  et  que  nous  en  ayons 
aucune  conscience.  Dans  cet  état,  je  remue 
mon  bras,  ou  plutôt  mon  bras  remue,  mais 
je  l'ignore.  Il  va  rencontrer  un  corps  résis- 
tant, doué  d'inertie,  mais  je  n'en  sais  rien. 
J'éprouvebien,  si  l'on  veut,  de  la  part  de  ce 
corps,  i'eiïèt  que  nous  nommons  résistance; 
mais  cette  résistance  n'est  point  pour  moi 
une  opposition  à  ce  que  nous  appelons 
mouvement,  puisque  je  ne  sais  pas  ce  que 
c'est  que  le  mouvement,  ni  que  j'en  fais.. 
Bien  loin  de  là  :  elle  n'est  pas  même  à  mon 
égard,  dans  cette  supposition,  la  cessation 
du  sentiment  intérieur  que  nous  cause  le 


124  IDEOLOGIE. 

déplacement  des  parties  de  notre  corps  , 
puisque,  dans  l'hypothèse ,  ce  sentiment  n'a 
pas  lieu,  et  que  nous  nous  mouvons  sans 
rien  éprouver,  sans  être  avertis  de  rien,  sans 
avoir  la  conscience  de  rien.  Etant  ainsi  or- 
ganisé, l'impression  que  je  recevrais  d'un 
corps  résistant  ne  pourrait  donc  consister 
que  dans  une  sensation  de  chaud,  ou  de 
froid,  ou  de  mouillé,  ou  dans  toute  autre 
sensation  uniquement  relative  au  tact  pur 
et  passif.  Elle  serait  une  impression  aussi 
simple  et  aussi  peu  instructive  que  toutes 
les  autres.  Je  n'en  pourrais  encore  rien 
conclure. 

A  la  vérité,  si  vous  ajoutez  à  cette  faculté 
de  nous  mouvoir,  la  circonstance  que  chaque 
mouvement  de  nos  membres  produise  en 
nous  une  sensation  interne,  vous  verrez 
naître  un  nouvel  ordre  de  choses  :  car  dès 
que  je  sens  quelque  chose  quand  mes  mem- 
bres se  meuvent,  dès  que  j'éprouve  une 
certaine  manière  d'être  pendant  qu'ils  se 
meuvent  ,  je  suis  nécessairement  averti 
quand  cette  manière  d'être  commence  et 
quand  elle  cesse.  Rentrons  donc  dans  l'hy- 
pothèse réelle,  et  examinons  soigneusement 
les  effets  qui  en  résultent. 


CHAPITRE   VII.  125 

Non-seulement  nous  nous  mouvons,  mais 
nous  sentons  quelque  chose  quand  cela  ar- 
rive. Quand  un  de  nos  membres  s'agite,  nos 
nerfs  sont  ébranlés ,  nous  recevons  une  sen- 
sation que  nous  avons  nommée  sensation 
de  mouvement.  Quand  le  mouvement  cesse, 
la  sensation  cesse.  C'est  déjà  beaucoup, 
mais  ce  n'est  pas  encore  tout  pour  l'objet 
qui  nous  occupe.  En  effet,  mon  bras  se 
meut,  je  ne  sais  pas  «encore  que  c'est  mon 
bras,  ni  même  que  j'ai  un  bras;  mais  j'é- 
prouve quelque  chose  qui  est  la  sensation 
de  ce  mouvement.  Mon  bras  rencontre  un 
corps  qui  l'arrête ,  ma  sensation  de  mouve- 
ment cesse ,  je  n'éprouve  plus  cette  manière 
d'être;  j'ensuis  averti,  il  est  vrai;  mais  ne 
sachant  pas  qu'il  y  a  des  corps,  je  ne  sais 
encore  rien  du  tout  de  la  cause  de  cet  effet; 
ainsi  me  voilà,  avec  la  faculté  de  me  mouvoir 
et  la  sensation  que  me  cause  le  mouvement, 
tout  aussi  ignorant  qu'avec  les  sensations 
tactiles  passives,  et  toutes  les  autres,  que 
nous  avons  déclarées  insuffisantes  pour  nous 
apprendre  l'existence  des  corps.  Du  moins 
il  n'est  pas  prouvé  que  je  sois  nécessaire- 
ment conduit,  par  ces  changemens  de  ma- 
nière d'être,  à  reconnaître  que  ce  qui  cause 


126  IDÉOLOGIE. 

la  cessation  de  ma  sensation  de  mouvement, 
est  un  être  étranger  à  mon  moi.  J'ai  pensé 
jadis  que  cela  était  ainsi,  mais  je  crois  que 
je  m'étais  trop  avancé. 

Il  faut  donc ,  pour  rendre  cette  découverte 
inévitable,  appeler  encore  à  notre  aide  une 
autre  de  nos  facultés,  et  c'est  la  faculté  de 
vouloir.  Avec  celle-là,  il  ne  nous  manquera 
plus  rien.  Car  lorsque  je  me  meus,  que  je 
perçois  une  sensation  en  me  mouvant,  et 
que  j'éprouve  en  même  temps  le  désir  de 
percevoir  encore  cette  sensation  ;  si  mon 
mouvement  s'arrête,  si  ma  sensation  cesse, 
mon  désir  subsistant  toujours,  je  ne  puis 
méconnaître  que  ce  n'est  pas  là  un  effet  de 
ma  seule  vertu  sentante;  cela  impliquerait 
contradiction,  puisque  ma  vertu  sentante 
veut  de  toute  l'énergie  de  sa  puissance  la 
prolongation  de  la  sensation  qui  cesse. 

A  la  vérité,  si  je  m'aperçois  tout  de  suite 
que  la  cessation  de  cette  sensation  que  je 
désire  continuer,  n'est  pas  un  effet  de  la  puis- 
sance de  ma  vertu  sentante,  de  ma  volonté, 
de  mon  moi,  je  puis  fort  bien  ne  pas  m'a- 
percevoir  si  promptement  qu'elle  est  l'effet 
de  la  puissance  d'un  autre  être,  et  ne  pas 
découvrir  tout  de  suite  l'existence  de  cet 


CHAPITRE   VIT.  127 

autre  être.  Mais  quand  j'aurai  fréquemment 
éprouve  que  très-souvent  cette  sensation 
se  prolonge  autant  que  je  le  veux,  et  que 
dans  d'autres  cas  elle  cesse  subitement  en 
tout  ou  en  partie  malgré  moi,  il  est  impos- 
sible que  plutôt  ou  plus  tard  je  ne  vienne 
pas  à  soupçonner  que  ce  dernier  effet  a  une 
cause,  et  à  faire  de  cette  cause  un  être  qui 
n'est  pas  moi.  Je  puis  et  je  dois  sans  doute 
me  tromper  fréquemment ,  d'abord  sur 
les  circonstances  adjacentes,  et  porter  ce 
jugement  sans  beaucoup  de  discernement. 
Par  exemple,  ne  connaissant  ni  mon  corps 
ni  les  corps  étrangers,  ni  leur  configuration, 
n'ayant  même  aucune  idée  de  forme  ni 
d'étendue,  je  ne  dois  pas  distinguer  quand 
mon  mouvement  est  arrêté  uniquement  par 
la  limite  de  l'extension  possible  à  mes  mus- 
cles et  par  la  disposition  de  mes  articulations 
qui  s'y  refusent,  ou  quand  il  l'est  par  l'oppo- 
sition d'un  corps  tout-à-fait  séparé  du  mien. 
Mais  dans  les  deux  cas  je  porte  un  juge- 
ment également  juste,  en  pensant,  en  sen- 
tant que  la  cessation  de  ma  sensation  de 
mouvement  est  l'effet  d'un  être  différent  de 
ma  volonté. 

Ensuite  dans  tous  les  cas  où  cet  effet  est 


128  IDÉOLOGIE. 

produit,  soit  par  un  corps  absolument  dis- 
tinct du  mien ,  soit  par  un  de  mes  membres 
qui  s'oppose  au  mouvement  d'un  autre,  je 
ne  puis  manquer  à  la  longue  de  remarquer 
que  le  sentiment  de  cette  cessation  de  mou- 
vement est  toujours  accompagné  de  di- 
verses sensations  tactiles,  ou  visuelles,  ou 
auriculaires,  et  quelquefois  olfactives,  et 
de  faire  de  ces  sensations  les  propriétés  de 
l'être  qui  cause,  malgré  ma  volonté,  la  ces- 
sation du  sentiment  de  mouvement  que  je 
voudrais  continuer.  Enfin,  je  ne  puis  man- 
quer non  plus  de  m'apercevoir  que  cette 
cessation  de  mouvement  n'est  pas  toujours 
absolue,  qu'elle  n'éprouve  souvent  que  cette 
modification  que  plus  instruit  j'appellerai 
changer  de  direction,  qu'il  y  a  des  limites  à 
la  puissance  de  cet  être  qui  s'oppose  à  ma 
sensation  de  mouvement,  que  les  confins 
de  sa  puissance  sont  ce  que  nous  nommons 
sa  surface,  que  ce  sont  eux  qui  constituent 
ce  que  nous  appelons  sa  forme  ;  et  que  si  je  ne 
puis  pas  franchir  ces  confins ,  et  passer  au 
travers  de  ce  corps,  je  puis  tourner  autour 
et  le  circonscrire,  et  par  conséquent  déter- 
miner le  mode  d'existence,  ou  ce  que  nous 
appelons  l'étendue  de  cet  être,  qui,  ou  est 

tout- 


CHAPITRE  VIT.  ]  29 

tout-à-fait  étranger  à  mon  moi  sentant  et 
voulant  (ce  sont  les  corps  extérieurs),  ou 
quelquefois  lui  obéit  (c'est  notre  propre 
corps),  mais  toujours  en  est  distinct  et  agit 
sur  lui  de  beaucoup  de  manières. 

Nous  verrons  dans  la  suite  par  quelles 
expériences  successives  nous  distinguons 
le  corps  par  lequel  nous  sentons  et  qui 
obéit  à  notre  volonté,  de  tous  ceux  qui  nous 
sont  entièrement  étrangers;  comment  nous 
démêlons  les  propriétés  de  celui-là  et  de 
tous  les  autres;  dans  quel  ordre  nous  dé- 
couvrons ces  propriétés .  et  quelles  relations 
elles  ont  entr'elles.  Mais  pour  le  moment  il 
nous  suffit  d'avoir  bien  reconnu  que  la  prin- 
cipale de  ces  propriétés ,  la  première  connue 
et  avérée ,  est  celle  de  s'opposer  à  la  conti- 
nuation du  sentiment  que  nous  causent  nos 
mouvemens ,  malgré  que  nous  voulions  le 
prolonger.  Celle-là  est  vraiment  fondamen- 
tale ;  car  elle  nous  assure,  d'une  manière 
certaine  qu'il  y  a  là  un  être  qui  n'est  pas 
nous  :  et  elle  constitue  l'existence  réelle  de 
cet  être.  Cette  existence  devient  pour  nous 
une  conséquence  immédiate  et  nécessaire 
de  notre  sentiment  de  vouloir,  et  de  la  con- 

I 


l5o  IDEOLOGIE. 

trariélé  quïl  éprouve,  deux  choses  dont 
nous  sommes  bien  assurés. 

Il  n'est  pas  du  tout  nécessaire,  pour  la 
vérité  de  cette  conclusion ,  que  nous  puis- 
sions expliquer  d'une  part  ce  que  c'est  que 
ce  sentiment  de  vouloir,  et  comment  il  se 
fait  que  nous  en  soyons  capables;  et  de 
l'autre,  pourquoi  tous  les  êtres  qui  tombent 
sous  nos  sens  sont  doués  plus  ou  moins  du 
pouvoir  de  résister  au  mouvement,  et  en 
quoi  consiste  cette  puissance.  Ce  sont  deux 
faits  incompréhensibles  pour  nous,  et  dont 
les  causes  nous  sont  complètement  incon- 
nues, mais  deux  faits  bien  constans;  et  il 
ne  l'est  pas  moins  qu'être  voulant  et  être 
résistant,  c'est  être  réellement,  c'est  être; 
et  que  l'être  voulant,  quoiqu'ignorant  en- 
core qu'il  y  a  du  mouvement  et  des  êtres , 
quand  il  éprouve  que  souvent  il  peut  à  vo- 
lonté se  donner  la  sensation  qui  résulte  du 
mouvement  de  ses  membres,  et  que  sou- 
vent il  ne  le  peut  pas  quoiqu'il  le  veuille, 
doit,  dans  ce  dernier  cas,  conclure  qu'il  y 
a  des  êtres  résistàns  ;  que  cette  conclusion 
doit  le  conduire  à  une  connaissance  plus 
détaillée  de  ces  êtres,  et  que  tout  lui  prouve 


r 


CHAPITRE   VII.  l5l 

postérieurement  que  cette  première  con- 
clusion est  légitime. 

Cet  effet  de  la  réunion  de  notre  faculté  de 
vouloir  avec  celle  de  nous  mouvoir  et  de  le 
sentir,  étant  une  fois  reconnu  et  avoué,  on 
est  tenté  de  croire  d'abord  que  toutes  les 
autres  sensations  de  l'être  doué  de  volonté, 
peuvent  le  conduire  à  la  connaissance  des 
êtres  qui  causent  ces  sensations,  tout  comme 
celle  de  mouvement  dont  nous  venons  de 
parler.  Cependant  je  ne  le  pense  pas,  parce 
qu'il  y  a  là  une  différence  essentielle  ;  sans 
doute  je  puis  bien  désirer  de  prolonger  ou 
de  renouveler  une  sensation  visuelle,  ou 
tactile,  ou  auriculaire,  ou  olfactive,  tout 
comme  la  sensation  d'un  mouvement;  mais 
si  je  suis  supposé  ignorer  tout,  et  le  mou- 
vement, et  les  êtres,  et  moi-même,  je  ne 
puis  rien  faire  en  conséquence  de  ce  désir  ; 
car  je  ne  puis  pas  le  satisfaire  immédiate- 
ment. Je  ne  saurais  me  donner  directement 
la  sensation  de  telle  odeur,  de  telle  couleur, 
de  tel  son,  ou  telle  autre  impression.  Tout 
ce  que  je  puis,  est  de  faire  un  mouvement 
de  ma  main,  ou  de  mes  yeux,  ou  de  tout 
autre  organe,  pour  me  la  procurer.  Mais 
pour  cela  il  faut  que  je  sache  que  ces  mou- 

I    2 


l52  IDÉOLOGIE. 

vemens  sont  propres  à  produire  cet  effet. 
Or,  qui  me  l'apprendra  d'abord? 

Au  contraire,  pour  la  sensation  directe 
qui  résulte  en  nous  des  mouvemens  de  nos 
membres,  il  n'y  a  pas  lieu  à  ce  ricochet. 
Toute  douleur,  toute  souffrance ,  tout  mal- 
aise seulement,  fait  naître  en  nous  le  désir, 
le  besoin  même  de  nous  remuer,  de  nous 
agiter.  Ce  sentiment  de  mouvement  est  un 
soulagement,  un  vrai  bien-être.  Nous  jouis- 
sons tant  qu'il  dure;  nous  pouvons  ordinai- 
rement le  prolonger  à  volonté.  Quand  il  est 
suspendu  malgré  nous,  ce   n'est  pas  par 
nous.  C'est  donc  par  quelque  chose  qui  n'est 
pas  nous,  et  qui  tantôt  agit  sur  nous,  tan- 
tôt n'y  agit  pas;  et  bientôt  le  mouvement 
lui-même  nous  fait  connaître  ce  quelque 
chose  par  une  multitude  d'expériences  dont 
celle-ci  est  la  base.  Il  n'y  a  là  ni  cascade  ni 
embarras. 

Les  mouvemens  vagues  des  en  fans  nou- 
veau-nés, bien  observés,  me  paraissent 
une  preuve  que  les  choses  se  passent  ainsi 
dans  leurs  têtes.  On  les  voit  souvent  s'agi- 
ter uniquement  pour  le  plaisir  de  remuer. 
C'est  une  satisfaction  pour  eux,  et  ils  sont 
très-fàchés  quand  on  les  en  prive.  On  les 


CHAPITRE  VII.  l55 

voit  aussi  s'agiter  quand  ils  éprouvent  de 
la  douleur;  et  ils  se  dépitent  violemment  si 
quelque  chose  les  en  empêche.  Enfin,  on  les 
voit  s'agiter  encore  lorsqu'ils  désirent  quel- 
que chose,  parce  que  tout  désir  non  satis- 
fait est  aussi  une  souffrance.  Mais  leurs 
mouvemens  n'ont  pas  d'abord  une  direction 
plus  déterminée  dans  ce  dernier  cas  que 
dans  les  deux  autres.  Ils  ne  commencent  à 
prendre  une  tendance  marquée  vers  l'objet 
de  leur  désir,  que  quand  ils  ont  appris  à 
démêler  et  à  distinguer  les  différens  corps, 
à  les  reconnaître  pour  les  causes  des  im- 
pressions qu'ils  reçoivent,  et  à  sentir  que 
ce  n'est  pas  vaguement  telle  impression 
qu'ils  désirent  éprouver,  mais  tel  objet, 
cause  de  cette  impression,  qu'ils  veulent 
posséder  et  dont  ils  veulent  jouir.Or,  je  crois 
qu'ils  n'arrivent  à  ce  degré  de  connaissance 
que  par  la  route  que  nous  avons  indiquée. 

On  pourrait  dire,  il  est  vrai,  qu'indépen- 
damment de  la  sensation  interne  que  cause 
tout  mouvement,  ces  mouvemens  fortuits 
peuvent  leur  faire  rencontrer  par  hasard 
une  sensation  externe  qui  leur  plaise,  une 
sensation  visuelle  par  exemple  ;  que  ces 
mouvemens  peuvent  même  se  trouver  di- 


2  34  IDEOLOGIE. 

rigés  de  manière  à  prolonger  cette  sensation 
prête  à  échapper;  à  suivre,  par  exemple, 
une  lumière  qui  passe  devant  leurs  yeux  ; 
et  que  cette  expérience  répétée  peut  les 
conduire  à  faire  avec  intention  ces  mêmes 
mouvemens  exécutés  d'abord  au  hasard. 
On  pourrait  même  le  soutenir  avec  plus 
d'avantage  des  sensations  tactiles.  Un  enfant 
étend  son  bras  uniquement  pour  l'étendre. 
Il  rencontre  une  chaleur  douce  qui  lui  fait 
plaisir;  il  retire  ce  bras  et  l'étend  de  nou- 
veau, il  retrouve  cette  même  chaleur;  ou 
bien  il  le  laisse  étendu  et  il  ressent  cons- 
tamment cette  sensation  agréable. 

De  cet  effet,  répété  plusieurs  fois,  il  peut 
résulter,  dira-t-on,  qu'il  apprenne  à  étendre 
son  bras  dans  l'intention  d'éprouver  cette 
sensation,  ou  à  le  laisser  dans  la  position 
où  il  l'éprouve  afin  qu'elle  continue.  Je 
n'oserais  pas  affirmer  qu'il  soit  absolument 
impossible  que  cela  arrive;  mais  je  crois 
que  c'est  extrêmement  difficile,  parce  que 
je  ne  vois  pas  quelle  liaison  cet  enfant, 
ignorant  tout,  peut  établir  entre  cette  sen- 
sation qu'il  éprouve  et  le  mouvement  de 
ses  organes  nécessaire  pour  se  la  procurer, 
à  moins  qu'il  ne  s'aperçoive  du  mouvement 


CHAPITRE   TH.  l55 

de  ces  mêmes  organes  ;  et  alors  nous  voilà 
revenus  à  la  nécessité  du  mouvement  senti. 
La  sensation  externe  n'est  plus  que  la  cause 
occasionnelle  de  l'action  de  sa  volonté  j  la 
sensation  interne  du  mouvement  est  seule 
cause  de  la  connaissance  du  moyen  de  se 
procurer  cette  autre  sensation  désirée. 

D'ailleurs,  je  vois  bien  notre  nouveau-né 
arrivé  à  désirer  une  sensation  et  à  savoir, 
dans  quelques  cas,  se  la  procurer  en  com- 
mençant par  s'en  donner  une  autre  qu'il  à 
reconnu  conduire  à  celle-là.  Mais  je  ne  vois 
pas  du  tout  comment  il  parviendrait  à  ap- 
prendre que  la  sensation  qui  est  son  but,  et 
que  celle  qui  est  son  moyen,  sont  causées 
par  des  êtres  distincts  de  son  moi,  et  à  dé- 
couvrir qu'il  y  a  des  corps  et  qu'il  en  a  un. 
Il  me  semble  qu'il  ne  peut  y  réussir  pour 
son  propre  corps  que  par  l'observation  de 
la  souplesse  ou  de  la  rigidité  de  ses  organes; 
et,  pour  les  corps  étrangers  à  lui,  que  par 
l'application  immédiate  de  ces  mêmes  or- 
ganes sur  eux  ;  et  alors  nous  voilà  encore 
revenus,  non-seulement  à  la  nécessité  d'un 
mouvement  senti  et  voulu,  mais  encore  à 
celle  d'un  sentiment  de  résistance  éprouvé; 
à  quoi  il  faut  ajouter  qu'on  ne  saurait  com- 


1$6  IDÉOLOGIE. 

prendre  comment  le  mouvement  d'un  or- 
gane pourrait  être  senti  si  ses  parties  n'é- 
taient pas  douées  d'une  certaine  force  de 
résistance  au  mouvement. 

Il  me  paraît  donc  prouvé,  i°  que  nous 
sommes  très -assurés  de  l'existence  des 
corps,  c'est-à-dire  d'êtres  qui  ne  sont  pas 
notre  moi  sentant  et  voulant,  et  qui  lui 
obéissent  ou  lui  résistent  plus  ou  moins; 
2°  que  c'est  à  la  faculté  de  vouloir,  jointe  à 
celle  de  nous  mouvoir  et  de  le  sentir,  que 
;nous  devons  la  connaissance  de  ces  corps 
et  la  certitude  de  la  réalité  de  leur  existence  5 
5°  que,  pour  que  ces  facultés  produisent  cet 
effet,  il  faut  que  ces  corps  soient  doués 
d'une  certaine  force  de  résistance  au  mou- 
vement. Action  voulue  et  sentie  d'une  part, 
et  résistance  de  l'autre  ;  voilà,  j'ose  n'en  pas 
douter,  le  lien  entre  les  êtres  sentans  et  les 
êtres  sentis  ;  c'est-là  le  point  de  contact  qui 
assure  très-certainement  ceux-là  de  l'exis- 
tence de  ceux-ci,  et  je  ne  leur  en  vois  pas 
d'autre  qui  soit  possible. 

De  cette  vérité,  si  c'en  est  une,  comme 
je  le  crois  très-fermement,  il  résulte  deux 
conséquences  singulières;  l'une,  qu'un  être 
complètement  immatériel  et  sans  organes, 


CHAPITRE  VI  r.  107 

s'il  en  existe,  ce  que  nous  ne  pouvons  savoir, 
ne  peut  absolument  rien  connaître  que  lui- 
même  et  ses  affections,  et  ne  saurait  en  au- 
cune manière  se  douter  de  l'existence  de  la 
matière  et  des  corps  ;  l'autre ,  que  pour  nous 
à  qui  on  a  tant  dit  sans  preuves  que  si  nous 
étions  tout  matière  nous  ne  pourrions  pen- 
serai est  démontré  au  contraire  que,  si  nous 
étions  totalement  immatériels  et  sans  corps, 
nous  ne  pourrions  pas  penser  comme  nous 
faisons,  et  nous  ne  saurions  rien  de  tout.ee 
que  nous  savons.  Peut-être  saurions-nous 
des  choses  toutes  différentes.  Mais  qui  nous 
le  dira?  et  qui  osera  nous  apprendre  com- 
ment nous  serions  si  nous  étions  d'une  ma- 
nière que  nul  de  nous  n'a  pu  ni  éprouver  ni 
observer,  et  dont  nul  de  nous  ne  peut  même 
concevoir  la  possibilité  5  et  d'ailleurs  de  quoi 
cela  nous  servirait-il? 

Tels  sont,  suivant  moi,  les  résultats  in- 
contestables de  l'examen  auquel  nous  venons 
de  nous  livrer.  Maintenant  il  reste  à  voir  s'il 
ne  nous  laisse  pas  encore  quelque  chose  à 
désirer. 

J'avais  un  double  but  à  atteindre.  Je  devais 
faire  voir,  d'une  part,  que  c'est  à  tort  que 
l'on  attribue  à  toutes  nos  sensations  propre- 


l38  IDÉOLOGIE. 

ment  dites,  ou  à  certaines  d'entr'elles,  la 
propriété  de  nous  faire  connaître  les  êtres 
qui  les  causent;  et  de  l'autre,  que  cependant 
nous  avons  un  moyen  certain  de  connaître 
ces  êtres,  et  que  leur  existence  n'est  point 
une  illusion.  Il  s'agissait  de  prouver  aux 
hommes  trop  confians,  que  tant  qu'on  ne 
fait  que  sentir  des  sensations  on  n'est  as- 
suré que  de  sa  propre  existence;  et  aux 
hommes  trop  sceptiques,  que  quand  on  sent 
que  Ton  veut,  que  l'on  agit  en  conséquence, 
et  que  l'on  éprouve  une  résistance  à  cette 
action  sentie  et  voulue,  on  est  certain  non- 
seulement  de  son  existence,  mais  encore 
de  l'existence  de  quelque  chose  qui  n'est 
pas  soi. 

Le  premier  point  sans  doute  n^est  pas 
sans  intérêt  ;  car  de  nous  former  une  idée 
fausse  de  la  nature  de  nos  sensations,  nous 
ferait  rencontrer  beaucoup  d'obstacles  à 
bien  connaître  les  propriétés  des  corps  et 
la  génération  de  cette  connaissance.  Cepen- 
dant, quand  je  serais  dans  l'erreur  à  cet 
égard,  et  quand  nous  aurions  bien  plus  de 
moyens  que  je  ne  crois  d'être  assurés  de 
l'existence  des  êtres  qui  ne  sont  pas  nous, 
l'existence  de  ces  êtres  n'en  serait  que  plus 


CHAPITRE  VII.  l3g 

certaine,  et  le  fondement  de  nos  connais- 
sances ne  serait  pas  ébranlé. 

Le  second  point,  au  contraire,  est  d'une 
toute  autre  importance;  car  s'il  n'était  pas 
vrai  que  quand  je  sens  un  désir,  quand  je 
fais  en  conséquence  de  ce  désir  une  action 
que  je  sens  aussi,  et  quand  j'éprouve  une 
résistance  à  cette  action,  je  suis  certain 
d'une  existence  autre  que  celle  de  ma  facul- 
té de  sentir,  j'aurais,  contre  mon  intention, 
prouvé  que  nous  ne  sommes  jamais  sûrs 
de  cette  seconde  existence,  en  prouvant 
que  tous  autres  moyens  de  la  connaître  sont 
insuffisans;  mais  j'avoue  que  je  n'ai  pas  cette 
inquiétude,  et  que  je  crois  avoir  établi  ce 
second  point  d'une  manière  incontestable; 
car  il  est  bien  constant  que  ma  volonté  c'est 
moi,  et  que  ce  qui  résiste  à  ma  volonté  est 
autre  chose  que  moi. 

Toutefois  l'on  voit  que  pour  que  cette 
résistance  me  soit  connue  pour  être  une 
véritable  résistance,  il  ne  suffit  pas  que 
je  sente  un  désir;  il  faut  que  ce  désir  soit 
suivi  d'une  action,  que  je  sente  cette  action 
aussi  quand  elle  a  lieu,  et  que  tantôt  elle  ait 
lieu  librement,  tantôt  elle  éprouve  une. op- 
position. Voilà  pourquoi,  pour  avoir  con- 


l4o  IDÉOLOGIE. 

naissance  d'autre  chose  que  de  ma  vertu 
sentante,  il  fallait  que  j'eusse  la  faculté  de 
faire  des  mouvemens ,  et  pourquoi  la  pre- 
mière manière  dont  les  êtres  autres  que 
moi  m'apparaissent,  c'est  par  la  propriété 
qu'ils  ont  de  résister  aux  mouvemens  que 
je  fais  faire  à  la  portion  de  matière  qui  obéit 
à  ma  volonté  et  par  laquelle  je  sens. 

Cette  propriété  fondamentale  des  corps 
que  nous  nommons  force  ^inertie  est  donc 
nécessairement  la  première  par  laquelle 
nous  les  apercevons.  Elle  est  la¥  base  de 
toutes  celles  que  nous  leur  connaissons  et 
que  nous  joignons  ensuite  à  celle-là  pour 
former  l'idée  complète  de  chacun  de  ces 
êtres.  Sans  elle  nous  n'aurions  pas  connu 
les  corps  étrangers  à  nous,  ni  même  le  nôtre. 
Nous  ne  nous  serions  pas  seulement  aperçus 
de  nos  mouvemens;  car  c'est  la  résistance 
de  la  matière  de  nos  membres  au  mouve- 
ment, qui  nous  occasionne  cette  sensation 
de  mouvement.  Ainsi ,  si  la  matière  avait 
pu  être  non  résistante,  nous  n'aurions  cer- 
tainement jamais  rien  connu  que  nous,  et 
nous  n'aurions  connu  de  nous  que  notre 
vertu  sentante.  Il  n'est  même  pas  aisé  de 


CHAPITRE  VIT.  l4l 

concevoir  comment  nous  aurions  pu  sentir 
quelque  chose,  quoi  que  ce  soit.  . 

Autrefois  j'ai  été  plus  loin;  j'ai  soutenu 
que  si  nous  ne  connaissions  d'existence  que 
celle  de  notre  vertu  sentante,  si  nous  ne 
connaissions  pas  les  autres  êtres,  nous  ne 
ferions  éternellement  que  sentir  des  impres- 
sions, et  que  nous  ne  parviendrions  jamais 
à  sentir  des  rapports  et  des  désirs;  qu'ainsi, 
dans  cette  supposition,  nous  n'aurions  ni 
jugement  ni  volonté.  Je  suis  très-convaincu 
que  j'avais  tort.  Cependant  cela  mérite  exa- 
men ;  non  pas  assurément  que  je  pense  que 
mes  opinions  aient  assez  d'autorité  pour 
qu'une  erreur  de  ma  part  vaille  la  peine 
d'une  discussion  solennelle,  mais  parce  que 
ceux  qui  auraient  adopté  mon  ancienne 
opinion  me  diraient  :  Vous  avez  prouvé 
autrefois  qu'on  ne  peut  vouloir  que  quand 
on  connaît  les  corps;  vous  montrez  au-: 
jourd'hui  qu'on  ne  peut  connaître  ces  corps 
qu'en  vertu  de  mouvemens  sentis  et  voulus. 
Il  s'ensuit  que  nous  ne  pouvons  jamais  les 
connaître,  et  que  tout  ce  que  vous  aVez  dit 
là-dessus  porte  à  faux.  Ce  raisonnement 
serait  irréplicable.  Aussi ,  quand  j'ai  dit  que 
notre  volonté  ne  peut  naître  tant  que  nous 


# 

l42  IDÉOLOGIE. 

ne  connaissons  pas  l'existence  des  corps, 
j'ai  soutenu  en  même  temps  que  des  mou- 
vemens  involontaires  suffisent  pour  nous 
apprendre  cette  existence.  Aujourd'hui  que 
je  conviens  que  ce  dernier  point  n'est  pas 
prouvé,  et  que  je  pense  que  des  mou- 
vemens  voulus  sont  nécessaires  pour  con- 
naître l'existence  des  êtres  autres  que  nous , 
je  dois  faire  voir  que  nous  pouvons  vouloir 
avant  d'avoir  cette  connaissance.  Ce  sera 
l'objet  du  chapitre  suivant;  ensuite  nous 
reviendrons  à  l'examen  des  diverses  pro- 
priétés des  corps. 

CHAPITRE  VIII. 

Comment  nos  Facultés  intellectuelles 
commencent-elles  à  agir  ? 

Après  nous  être  fait  une  idée  générale  de 
la  faculté  de  penser  ou  de  sentir,  et  des  fa- 
cultés qui  la  composent;  après  avoir  reconnu 
par  quel  emploi  de  ces  facultés  nous  for- 
mons nos  idées  composées,  et  comment 
nous  apprenons  avec  certitude  qu'il  existe 
autre  chose  que  notre  moi,  il  est  temps 
d'examiner  comment  ces  facultés  commen- 


CHAPITRE  VIII.  l43 

cent  à  agir.  Je  vais  d'abord  exposer  com- 
ment je  raisonnais  quand  je  pensais  que  nous 
ne  pouvions  commencer  à  sentir  des  désirs 
qu'après  avoir  porté  le  jugement  que  nos 
sensations  nous  viennent  des  corps. 

Je  disais  :  il  n'est  pas  douteux  qu'on  ne 
peut  avoir  des  souvenirs  et  porter  des  ju- 
gemens  avant  d'avoir  reçu  des  impressions: 
ainsi  la  sensibilité  proprement  dite  est  né- 
cessairement la  première  de  nos  facultés 
intellectuelles  qui  commence  à  agir. 

D'un  autre  côté ,  il  n'est  pas  moins  vrai 
qu'une  sensation  pure  et  simple  ne  nous 
apprend  rien  que  notre  propre  existence. 
Quand  on  ne  fait  uniquement  que  sentir, 
sans  mélange  d'aucune  connaissance,  on  re- 
çoit une  impression  quelconque ,  on  éprouve 
une  certaine  manière  d'être  :  la  vertu  sen- 
tante, l'existence  personnelle  est  modifiée 
d'une  telle  façon,  et  voilà  tout.  Enfin,  il  est 
encore  vrai  que  pour  porter  un  jugement  il 
faut  avoir  à  la  fois  à  comparer  deux  idées , 
et  deux  idées  différentes  l'une  de  l'autre  : 
ainsi  une  première  sensation  ne  peut  donner 
lieu  à  aucun  jugement. 

Maintenant,  qu'à  cette  première  sensation 
il  vienne  s'en  joindre  une  autre,  quelque 


l44  IDÉOLOGIE. 

différente  de  la  première  qu'on  la  suppose 
pour  nous,  qui  connaissons  leurs  circons- 
tances, leurs  propriétés,  les  corps  qui  les 
occasionnent,  les   organes  qui  les  trans- 
mettent; quand  on  ignore  tout  cela,  il  est 
bien  vraisemblable  qu'on  n'est  pas  en  état 
de  séparer  Tune  de  l'autre  ces  deux  sensa- 
tions qu'on  éprouve  en  même  temps  :  faute 
de  moyens  de  les  distinguer,  elles  doivent 
paraître  à  elles  deux  ne  faire  encore  qu'une 
sensation.  Malgré  tout  ce  que  nous  savons 
d'avance,  quelque  chose  d'analogue  à  cela 
nous  arrive  tous  les  jours,  lorsque  les  don- 
nées nous  manquent  pour  juger  :  ainsi,  par 
exemple,  quand  j'éprouve  le  goût  d'un  sel, 
je  ne  distingue  pas  ceux  de  l'acide  et  de  l'ai- 
kali  qui  le  composent;  quand  le  noir  et  le 
blanc  se  mêlent,  j'ai  la  sensation  de  gris,  et 
je  ne  distingue  pas  les  couleurs  compo- 
santes; quand  je  sens  un  pot-pourri  bien 
fait,  je  sens  l'odeur  du  pot-pourri,  et  ne 
discerne  pas  celle  de  chaque  fleur;  quand 
j'entends  un  son,  souvent  je  ne  discerne  pas 
chacun  des  sons  harmoniques  qui  le  com- 
posent; quand  je  suis  poussé  par  une  force , 
j'ignore  si  c'est  une  force  unique  ou  la  ré- 
sultante de  plusieurs  autres;  quand  enfin 


CHAPITRE   VIII.  l45 

je  sens  une  douleur  interne,  il  m'est  impos- 
sible de  dire  si  elle  est  seule  ou  formée  de 
plusieurs,  c'est-à-dire  de  la  lésion  de  plu- 
sieurs points  sentans;  et  si  elle  change  de 
nature,  je  ne  saurais  affirmer  si  ce  n'est 
pas  plusieurs  de  ces  douleurs  compo- 
santes qui  disparaissent,  ou  d'autres  qui 
s'y  joignent. 

Fondé  sur  ces  motifs,  on  peut  et  on  doit 
donc  croire  qu'une  seconde  sensation  ve- 
nant se  joindre  à  la  première,  ne  donnera 
pas  plus  de  prise  qu'elle  à  l'action  du  juge- 
ment, et  que  toutes  celles  qui  surviendront 
se  confondant  de  même  ensemble,  jamais, 
par  l'effet  de  sensations  simultanées,  le  ju- 
gement ne  peut  commencer  à  agir  tant  que 
ces  sensations  sont  de  simples  impressions 
dénuées  de  toute  connaissance  de  leurs 
causes. 

A  la  vérité  ces  sensations  peuvent  bien 
nous  donner  des  souvenirs;  mais  il  est  ma- 
nifeste que  ces  souvenirs  sont  aussi  de 
^simples  impressions,  et  que  s'ils  viennent 
plusieurs  ensemble ,  ils  feront  le  même  effet 
que  les  sensations  dont  ils  sont  les  images, 
ils  se  confondront  de  même  :  ainsi  point  d'ac- 
tion encore  de  la  part  du  jugement. 

K 


ï46  IDÉOLOGIE. 

A  cette  heure,  supposons  qu'à  une  sensa- 
tion simple  actuellement  présente,  vienne 
se  joindre  un  souvenir  d'une  sensation  pas- 
sée, se  confbndra-t-il  avec  elle  ou  non?  Si 
l'on  songe  qu'il  n'y  a  rien  dans  la  nature  de 
la  mémoire  qui  nous  avertisse  qu'un  souve- 
nir est  un  souvenir,  que  nous-mêmes  qui  le 
savons  bien,  il  nous  arrive  pourtant  d'avoir 
des  souvenirs  sans  savoir  que  ce  sont  des 
souvenirs , 'on  n'hésitera  pas  à  prononcer 
qu'un  souvenir  fera  le  même  effet  qu'une 
sensation  actuelle,  qu'il  se  confondra  de 
même  avec  la  première  sensation,  et  qu'il 
n'y  a  encore  rien  à  attendre  de  cette  com- 
binaison pour  la  naissance  de  l'action  du  ju- 
gement. 

On  doit  donc  conclure  que  tant  qu'on  ne 
connaît  pas  les  circonstances ,  les  causes ,  les 
moyens  de  ses  sensations;  tant  qu'on  ignore 
i'existence  des  corps  et  celle  de  ses  propres 
organes,  l'action  du  jugement  ne  saurait 
commencer. 

Or,  on  ne  peut  désirer  qu'en  conséquence* 
d'un  jugement;  on  ne  peut  donc  former  un 
désir  que  quand  on  à  porté  au  moins  un  ju- 
gement :  ainsi  tant  qu'on  n'a  pas  eu  la  sen- 
sation de  mouvement,  on  ne  juge  ni  ne 


CHAPITRE  VIII.  l47 

■désire ,  on  sent  son  existence ,  et  voilà 
tout. 

Mais  qu'un  hasard,  quel  qu'il  soit,  me 
fasse  faire  un  mouvement,  je  le  sens;  qu'une 
douleur  quelconque  me  fasse  remuer  le 
bras,  j'ai  le  sentiment  que  je  me  meus,  j'é- 
prouve la  sensation  de  mouvement;  mon 
bras  rencontre  un  corps,  il  est  arrêté  :  je  ne 
sais  encore  ni  ce  que  c'est  que  ce  corps, 
ni  ce  que  c'est  que  mon  bras;  mais  ma  ma- 
nière d'être  change  :  au  lieu  de  la  sensation 
de  mouvement,  j'éprouve  celle  de  résis- 
tance :  je  ne  puis  les  éprouver  ensemble  ; 
et  elles  sont  trop  opposées  pour  que,  quand 
j'éprouve  l'une  et  que  je  me  rappelle  l'autre, 
je  puisse  confondre  cette  sensation  et  ce 
souvenir.  Je  les  distingue  donc  ;  je  sens 
entr'euxun  rapport  de  différence, je  porte 
un  jugement;  en  conséquence  de  ce  juge- 
ment, j'en  porte  d'autres,  je  forme  des  de- 
sirs,  etc.  Ainsi  c'est  à  cette  époque  que 
commence  le  développement  de  toutes  nos 
facultés,  et  c'est  à  la  seule  sensation  de  mou- 
vement que  je  le  dois. 

On  ne  saurait  nier  que  ce  raisonnement 
ne  soit  très-conséquent  ;  mais  il  part  d'un 
principe  qu'on  ne  peut  établir  par  aucunes 

K  a 


l48  IDÉOLOGIE. 

preuves  directes ,  et  qui  n'est  qu'an  emploi 
abusif  de  deux  idées  généralisées.  On  dit  : 
Une  sensation  pure  et  simple  ne  nous  ap- 
prend rien  que  notre  propre  existence  (1). 
Sans  doute  cela  est  vrai  de  l'action  de  sentir 
en  général,  et  de  l'existence  en  général; 
c'est-à-dire  que  quand  on  ne  fait  rien  que 
sentir,  on  ne  sent  que  sa  propre  existence  : 
c'est  certain.  Mais  une  sensation  réelle  n'est 
pas  l'action  de  sentir  en  générai;  elle  est  un 
fait  particulier;  elle  ne  nous  fait  pas  sentir 
notre  existence  en  général,  mais  une  ma- 
nière d'être  déterminée;  elle  est  opérée  par 
un  certain  mouvement  de  nos  organes  sen- 
tans,  de  nos  nerfs.  Or,  qui  est-ce  qui  pour- 

(0  Si  je  voulais  stipuler  les  intérêts  de  mon  amour- 
propre  ,  je  pourrais  dire  que  ce  principe  hasardé  n'est 
pas  de  moi;  qu'il  se  trouve  dans  le  Traité  des  Sensa- 
tions, de  Condillac,  et  que  je  n'ai  fait  que  le  pousser 
à  l'extrême.  Mais  qu'importe  à  la  science  que  le  germe 
d'une  erreur  soit  de  moi  ou  d'un  homme  plus  habile 
que  moi?  Ce  qui  est  utile,  c'est  de  voir  ce  qui  a  pu 
égarer  cet  homme  habile.  D'ailleurs  ,  si  je  voulais  re- 
jeter sur  lui  une  faute  dans  laquelle  son  autorité  a  pu 
m'entraîner,  je  devrais  commencer  par  lui  restituer 
tout  ce  que  je  lui  dois,  c'est-à-dire  presque  tout  ce 
que  je  sais ,  et  même  ce  qu'il  ne  m'a  pas  appris  direc- 
tement ,  puisqu'il  m'a  mis  sur  le  chemin  de  le  trouver. 


CHAPITRE  Vllf.  l49 

rait  assurer  que  dans  le  mouvement  de  nos 
nerfs  qui  produit  en  nous  l'effet  appelé  une 
telle  sensation ,  il  n'y  a  pas  des  circonstances 
qui  font  que  nous  ne  pouvons  conlbndre  ce 
mouvement  avec  un  autre  mouvement  ana- 
logue, et  qui  produisent  en  nous  la  sensation 
d'un  rapport  de  différence  entr'eux,  c'est- 
à-dire  ce  que  nous  appelons  un  jugement? 
Assurément  personne  n'oserait  prononcer 
que  cela  n'est  pas. 

Au  contraire,  chacun  sait  que  beaucoup 
de  sensations  ont  par  elles-mêmes  la  pro- 
priété de  nous  être  agréables  ou  désagréa- 
bles. Or,  qu'est-ce  que  trouver  une  sensation 
agréable  ou  désagréable ,  si  ce  n'est  pas  en 
porter  un  jugement,  sentir  un  rapport  entre 
elle  et  notre  faculté  sentante?  et  sentir  ce 
rapport  entre  une  sensation  et  nous ,  n'est-ce 
pas  sentir  en  même  temps  le  désir  d'éprou- 
ver cette  sensation  ou  celui  de  l'éviter  ? 
Toutes  ces  opérations  peuvent  donc  se  trou- 
ver et  se  trouvent  réellement  réunies  dans 
un  seul  fait,  dans  la  perception  d'une  seule 
sensation  quelconque  :  j'ai  donc  eu  tort  de 
le  nier,  et  d'avancer  que  nos  facultés  de 
juger  et  de  vouloir  ne  peuvent  commencer 
à  agir  que  quand  nous  ayons  éprouvé  la 


l5o  IDÉOLOGIE. 

sensation  de  mouvement  et  celle  de  résis- 
tance. 

D'ailleurs,  si  on  me  l'accordait,  je  me 
trouverais  avoir  prouvé  une  chose  absurde, 
c'est  que  jamais  nous  ne  pouvons  commen- 
cer à  juger  ni  à  vouloir.  Car  aucun  fait  di- 
rect ne  prouve  que  les  deux  sensations  de 
mouvement  et  de  résistance  doivent  faire 
mieexceptionàlaloi  générale.  Il  n'y  a  même 
pas  sentiment  de  résistance  proprement  dit, 
quand  il  n'y  a  pas  auparavant  sentiment  de 
volonté. Dans  cet  état,  Une  peut  exister  que 
la  sensation  du  mouvement  et  celle  de  sa 
cessation  ;  or,  ces  deux  sensations,  bien  que 
très-opposées,  ne  le  sont  guère  plus  que 
celles  de  blane  et  de  noir,  de  chaud  et  de 
froid;  et  on  ne  paraît  pas  suffisamment  fon- 
dé à  affirmer  des  unes  ce  que  l'on  nie  des 
autres. 

Au  contraire,  un  fait  constant  démontre 
que  le  sentiment  de  vouloir,  que  la  sensa- 
tion d'un  désir,  peut  précéder  en  nous  la 
sensation  de  mouvement;  car  chacun  de 
nous  sait  qu'un  résultat  constant  de  notre 
organisation,  et  probablement  de  celle  de 
tous  les  êtres  sentans,  c'est  qu'une  douleur 
quelconque,  sur- tout  si  elle  est  vive,  nous 


CHAPITRE  VI IL  l5î 

fait  éprouver  le  besoin  de  nous  remuer,  de 
nous  agiter,  très-indépendamment  de  toute 
connaissance  de  l'effet  qui  en  arrivera,  et 
même  malgré  la  certitude  que  l'effet  sera 
nuisible.  Or,  qu'est-ce  que  ce  besoin ,  si  ce 
n'est  un  désir?  il  est  irréfléchi  sans  doute, 
mais  il  n'en  est  pas  moins  un  désir,  et  un 
désir  très-vif.  Il  n'y  a  donc  pas  à  craindre 
que  nous  ne  puissions  pas  désirer  de  nous 
mouvoir  avant  de  savoir  ce  que  c'est  que 
le  mouvement;  et  il  est  très-possible  que  le 
premier  de  tous  les  mouvemens  faits  par 
chacun  de  nous  ait  été  accompagné  de  vo- 
lonté. 

Mille  faits  viennent  à  l'appui  de  ceux-là. 
Cette  manière  d'envisager  les  objets  nous 
met  sur  la  voie  de  comprendre  comment 
certaines  circonstances  de  notre  organisa- 
tion, provenant  de  la  différence  destempé- 
ramens,  des  âges,  des  maladies,  ont  tant 
d'influence  sur  nos  jugemens  et  nos  pen- 
chans,  et  de  concevoir  ce  que  c'est  que  les 
déterminations  instinctives  (1),  qui  autre- 
ment  sembleraient  renverser  toutes   les 


(i)  Ce  sont  des  sensations  qui  renferment  jugement 
et  désir. 


l52  IDEOLOGIE. 

idées  que  nous  nous  faisons  de  la  manière 
d'agir  de  notre  faculté  de  penser.  Mais  nous 
en  parlerons  ailleurs. 

A  cette  heure  concluons  que  ma  nouvelle 
théorie  est  fondée  sur  des  faits  positifs ,  et 
que  la  première  ne  portait  que  sur  un  rap- 
port aperçu  entre  deux  idées  généralisées, 
dont  je  m'étais  servi  sans  m'en  douter, 
comme  si  elles  étaient  deux  êtres  réels.  Cela 
doit  vous  montrer,  jeunes  gens,  combien  il 
est  aisé  et  dangereux  d'abuser  de  pareilles 
idées,  quoiqu'il  soit  utile  et  nécessaire  de 
s'en  servir.Nous  avons  bienfait, sansdoute, 
pour  étudier  notre  faculté  de  sentir,  de  dis- 
tinguer les  différentes  fonctions  que  nous 
avons  pu  reconnaître  en  elle ,  de  considérer 
séparément  la  sensation,  le  souvenir,  le  ju- 
gement, le  désir,  en  général;  mais  il  ne  faut 
jamais  oublier  que  ce  que  nous  avons  ainsi 
séparé  par  la  pensée  se  trouve  souvent  con- 
fondu et  réuni  par  le  même  fait,  et  que  c'est 
toujours  des  faits  réels  dont  il  faut  partir. 
Au  reste  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  ne 
détruit  rien  de  ce  que  nous  avions  établi  pré- 
cédemment au  sujet  de  la  sensibilité,  de  la 
mémoire,  du  jugement,  et  de  la  volonté: 


CHAPITRE  VIII.  l55 

cela  nous  montre  seulement  leurs  effets  sous 
leur  vrai  jour. 

Il  reste  donc  constant  que  nous  ne  voyons 
pas  que  les  sensations  sans  action  nous 
prouvent  certainement  une  autre  existence 
que  la  nôtre  ; 

Que  le  mouvement  sans  volonté  ne  paraît 
pas  suffisant  non  plus  pour  nous  donner 
cette  certitude  j 

Que  la  volonté  peut  précéder  le  mou- 
vement ; 

Que  le  mouvement  volontaire  nous  donne 
seul  un  vrai  sentiment  de  résistance  ; 

Que  le  sentiment  de  quelque  chose  qui 
résiste  à  une  action  que  nous  voulons, 
nous  prouve  invinciblement  la  réalité  d'une 
autre  existence  que  celle  de  notre  vertu 
sentante  ; 

Que  nous  savons  donc  avec  certitude 
qu'il  y  a  des  corps,  et  que  la  première 
propriété  que  nous  leur  connaissons  est  la 
force  d'inertie. 

Voyons  actuellement  comment  celle-là 
nous  fait  découvrir  toutes  les  autres,  et 
nous  fait  composer  certaines  idées  dont  on 
ne  s'est  jamais  bien  rendu  compte,  faute  de 
connaître  la  manière  dont  nous  les  formons: 


l54  IDEOLOGIE. 

ce  sera  la  meilleure  preuve  que  nous  avons 
réellement  trouvé  la  base  de  toute  exis- 
tence réelle,  et  l'origine  de  toute  connais- 
sance certaine. 

Je  dois  convenir  auparavant  que  j'aurais 
pu  arriver  plus  promptement  aux  résultats 
que  nous  venons  de  trouver.  Mais  il  s'agis- 
sait d'opinions  fort  contestées;  }'avais  à  me 
réfuter  moi-même  sur  deux  points  ;  j'ai  cru 
devoir  donner  un  peu  d'étendue  à  leur 
examen,  et  je  suis  persuadé  d'ailleurs  que 
cette  discussion  n'est  pas  sans  utilité  à  d'au- 
tres égards  :  au  reste  on  peut  la  passer  si 
l'on  veut-  mais  alors  il  ne  faut  pas  lire  l'un 
sans  l'autre  les  chapitres  VII  et  VIII.  II 
faut  s'en  tenir  à  ce  résultat ,  que  quand  un 
être  organisé  de  manière  à  vouloir  et  à 
agir  sent  en  lui  une  volonté  et  une  action, 
et  en  même  temps  une  résistance  à  cette 
action  voulue  et  sentie,  il  est  assuré  de  son 
existence  et  de  l'existence  de  quelque  chose 
qui  n'est  pas  lui. 

Voilà  le  lien  entre  notre  ?noi  et  les  autres 
êtres;  c'est  la  volonté  et  l'action  sentie 
réunies.  L'une  sans  l'autre  ne  suffirait  pas. 
Un  être  sentant  et  même  voulant  qui  n'agi- 
rait pas,  ne  pourrait  connaître  que  lui- 


CHAPITRE  IX.  l55 

même,  que  sa  vertu  sentante  et  voulante; 
et  un  être  qui  agirait,  mais  sans  le  vouloir 
ou  sans  le  sentir,  ne  s'apercevrait  pas  en- 
core que  quelque  chose  lui  résiste,  et  par 
conséquent  existe. 


CHAPITRE  IX. 

Des  Propriétés  des  Corps  et  de  leur 
Relation. 

XL  demeure  donc  convenu  que  tant  que 
nous  ne  faisons  que  sentir,  nous  ressou- 
venir, juger,  et  vouloir,  sans  qu'aucune  ac- 
tion s'ensuive ,  nous  n'avons  connaissance 
que  de  notre  existence,  et  nous  ne  nous  con- 
naissons nous-mêmes  que  comme  un  être 
sentant,  comme  une  simple  vertu  sentante, 
sans  étendue,  sans  forme,  sans  parties, 
sans  aucune  des  qualités  qui  constituent  les 
corps. 

Il  demeure  encore  constant  que  dès  que 
notre  volonté  est  réduite  en  acte,  dès  qu'elle 
nous  fait  mouvoir,  la  force  d'inertie  de  la 
matière  de  nos  membres  nous  en  avertit, 
nous  donne  la  sensation  de  mouvement,  ce 
qui  peut-être  ne  nous  apprend  encore  rien 


l56  IDÉOLOGIE. 

de  nouveau;  mais  lorsque  ce  mouvement, 
que  nous  sentons,  que  nous  voudrions  con- 
tinuer, est  arrêté,  nous  découvrons  certai- 
nement qu'il  existe  autre  chose  que  notre 
vertu  sentante.  Ce  quelque  chose  c'est  notre 
corps,  ce  sont  les  corps  environnans,  c'est 
l'univers  et  tout  ce  qui  le  compose. 

Sans  doute  nous  ne  savons  pas  d'abord 
ce  que  c'est;  nous  ne  distinguons  dans  le 
principe,  ni  les  corps  étrangers  à  nous, 
ni  notre  propre  corps;  mais  enfin  nous 
sommes  assurés  que  nous  existons,  et  que 
quelque  chose  existe  qui  n'est  pas  nous. 
Cette  certitude  est  comprise  dans  le  senti- 
ment même  de  résistance. 

La  propriété  de  résister  à  notre  volonté 
est  donc  la  base  de  tout  ce  que  nous  ap- 
prenons à  connaître;  et  nous  ne  la  décou- 
vrons que  par  les  effets  qui  suivent  notre 
volonté,  par  nos  mouvemens.  Cette  pro- 
priété est  la  force  d'inertie  des  corps,  qui  n'a 
lieu  et  ne  se  découvre  que  par  leur  mobilité. 

Si  la  matière  avait  pu  exister  parfaite- 
ment immobile ,  nous  n'aurions  rien  senti  ; 
et  quand  nous  aurions  senti,  nous  n'aurions 
pas  agi,  nous  n'aurions  connu  que  notre 
sentiment.  Si  la  matière  avait  pu  être  par- 


CHAPITRE  IX.  l57 

faitement  mobile,  absolument  non  résis- 
tante (1),  nous  n'aurions  rien  senti  encore, 
puisque  toutes  nos  sensations  sont  le  produit 
de  la  résistance  de  nos  organes  à  l'action 
des  corps,  et  de  la  résistance  de  ces  corps 
à  leur  action  les  uns  sur  les  autres;  et  quand 
nous  aurions  pu  sentir  et  agir,  nous  aurions 
agi  sans  en  être  avertis;  nous  n'aurions  ja- 
mais découvert  l'existences  des  corps  ni 
celle  de  nos  organes. 

Mais  dès  que  nous  pouvons  agir  et  nous 
en  apercevoir,  le  vouloir  et  éprouver  résis- 
tance, l'univers  va  naître  pour  nous.  Sem- 
blable à  ce  point  animé  qu'on  observe  dans 
l'œuf  les  premiers  jours  de  l'incubation,  et 
qui,  imperceptible  d'abord,  se  développe, 
s'accroît,  et  devient  un  animal  parfait,  nous 


(i)  On  peut  regarder  comme  presqu'absolument 
non  résistante  la  matière  de  la  lumière  ,  celle  des 
queues  des  comètes  et  celle  de  la  lumière  zodiacale, 
puisqu'elles  ne  font  aucun  obstacle  sensible  au  mou- 
vement des  corps  célestes  qui  les  traversent.  Voyez 
Y  Exposition  du  Système  du  Monde,  de  M.  Laplace, 
page  286  de  l'édition  in-4°.  Cependant  il  faut  bien 
que  ces  matières  soient  capables  d'une  résistance 
quelconque ,  puisqu'elles  produisent  des  sensation» 
visuelles. 


ï58  IDÉOLOGIE. 

allons  voir  notre  sentiment  s'étendre,  se 
répandre  dans  tous  nos  membres,  s'aper- 
cevoir de  leurs  formes ,  de  leurs  limites , 
de  leurs  fonctions,  découvrir  tout  ce  qui 
l'entoure,  le  juger,  le  connaître,  le  conver- 
tir à  son  usage,  et  le  soumettre  à  sa  volonté. 

La  mobilité  et  Y  inertie  sont  donc  à  notre 
égard  les  deux  premières  qualités  des  corps, 
celles  sans  lesquelles  notre  organisation  ne 
saurait  subsister,  sans  lesquelles  nous  ne 
pouvons  rien  sentir,  nous  ne  pouvons  rien 
connaître,  sans  lesquelles  nous  ne  pouvons 
pas  même  concevoir  ce  que  serait  l'exis- 
tence de  l'univers. 

Observez  cependant  que  ces  deux  pro- 
priétés des  corps  en  nécessitent  une  troi- 
sième ,  c'est  celle  en  vertu  de  laquelle  ces 
corps  en  mouvement  ont  la  puissance  d'a- 
gir sur  les  autres  corps ,  de  les  déplacer  ; 
c'est,  pour  me  servir  des  expressions  de 
d'Alembert  (1),  Cette  force  qu'ont  tous  les 
corps  en  mouvement  de  mettre  aussi  en 
mouvement  les  autres  corps  qu'ils  rencon- 
trent. D'Alembert  reconnaît  bien  cette  force 
pour  être  une  propriété  des  corps  j  mais  il 

(i)  Art.  Corps,  ancienne  Encyclopédie. 


CHAPITRE   IX.  l5(J 

ne  lui  donne  point  de  nom  :  je  l'appellerai  la 
force  d'impulsion;  et,  contre  l'avis  de 
d'Alembert,  je  la  reconnaîtrai  pour  une 
propriété  du  premier  ordre,  c'est-à-dire  gé- 
nérale et  invariable,  et  toujours  existante, 
quoiqu'elle  ne  s'exerce  pas  toujours,  parce 
que,  comme  l'inertie,  elle  se  retrouve  tou- 
jours la  même  dans  tous  les  corps  dans  les 
mêmes  circonstances.  Je  dirai  donc  que 
V impulsion  (prise  ainsi  comme  puissance 
et  non  pas  comme  effet)  est  dans  les  corps 
cette  propriété  par  laquelle,  lorsqu'ils  sont 
en  mouvement,  ils  communiquent  de  leur 
mouvement  aux  autres  corps  qu'ils  rencon- 
trent; de  même  que  V inertie  est  cette  pro- 
priété qui  fait  qu'un  corps  ne  reçoit  jamais 
de  mouvement  d'un  autre  corps  qu'en  le 
dépouillant  d'une  quantité  de  mouvement 
égale  à  celle  qu'il  en  reçoit.  Ce  sont  deux  qua- 
lités correspondantes,  dont  Tune  ne  peut 
exister  sans  l'autre ,  et  ni  l'une  ni  l'autre  n'au- 
rait lieu  sans  le  mouvement. 

La  mobilité,  l'inertie  et  l'impulsion  sont 
donc  trois  propriétés  inséparables.  Nous 
verrons  bientôt  comment  nous  apprenons 
à  calculer  leurs  effets  :  nous  ne  faisons  d'a- 
bord que  les  sentir. 


i6o  IDÉOLOGIE. 

L'idée  de  mouvement  n'est  pas  d'abord 
pour  nous  cette  idée  composée  dont  nous 
nous  rendons  compte ,  en  disant  que  le  mou- 
vement est  l'état  d'un  corps  qui  passe  d'un 
lieu  dans  un  autre.  Un  lieu  est  une  portion 
de  l'espace;  l'idée  de  lieu  dérive  de  celle  d'é- 
tendue, que  nous  n'avons  pas  encore.  Le 
mouvement  n'est  donc  d'abord  pour  nous 
qu'une  sensation  simple ,  une  manière  d'être. 
Je  me  meus,  je  le  sens,  et  voilà  tout. Voyons 
ce  qui  en  arrive. 

Je  m'agite  en  divers  sens,  je  n'éprouve 
aucune  opposition;  tout  ce  que  je  rencon- 
tre, fût-ce  un  fluide  éthéré,  delà  lumière, 
de  l'air  même,  n'est  rien  pour  moi,  puis- 
qu'il ne  me  donne  pas  le  sentiment  de  résis- 
tance à  ma  volonté  :  c'est  le  néant  absolu  ; 
je  ne  sais  pas  même  que  c'est-là  ce  qu'à  tort 
ou  à  raison  j'appellerai  le  vide  quand  je  con- 
naîtrai le  plein;  je  ne  sais  pas  que  je  traverse 
ce  vide,  puisque  j'ignore  qu'il  est  étendu  et 
qu'il  y  a  au  monde  quelque  chose  qui  soit 
étendu. 

Bientôt  le  mouvement  que  je  voudrais 
continuer,  qui  n'est  qu'une  manière  d'être 
que  je  voudrais  prolonger,  cesse  malgré 
moi  ;  ce  qui  l'arrête  n'est  pas  moi ,  mais  c'est 

quelque 


CHAPITRE   IX.  l6l 

quelque  chose,  c'est  un  être,  et  cet  être  est 
un  corps.  J'ignore  sans  doute  que  ce  corps 
est  étendu,  qu'il  a  des  parties,  une  forme, 
une  figure;  il  ne  me  semble  qu'un  point, 
qu'une  vertu  résistante,  comme  je  ne  me 
parais  à  moi-même  qu'une  vertu  sentante  : 
je  sais  seulement  de  lui  qu'il  existe. 

Je  ne  prétends  pas  même  que  ce  soit  dès 
la  première  expérience  que  je  parvienne  à 
ce  faible  résultat  ;  mais  que  ce  soit  après  une 
ou  après  mille,  peu  importe,  il  suffit  que 
j'aie  trouvé  la  route. 

Parmi  ces  nombreuses  expériences,  il  y 
en  aura  sûrement  une  où,  pressant  cet  être 
et  glissant  sur  sa  surface,  je  sentirai  que  je 
me  meus  sans  cesser  de  sentir  cet  être. Dès- 
lors  cet  être  cesse  de  n'être  qu'un  point;  je 
lui  reconnais  des  parties  les  unes  à  côté  des 
autres,  je  juge  qu'il  est  étendu;  car  la  pro- 
priété d'être  étendu  est  bien  en  elle-même 
la  propriété  d'avoir  des  parties  distinctes, 
des  parties  situées  les  unes  hors  des  autres; 
mais  c'est  par  notre  mouvement  que  nous 
la  connaissons  ;  elle  est,  par  rapport  à  nous, 
la  propriété  d'être  touchée  continuement 
pendant  que  nous  faisons  une  certaine  quan- 
tité de  mouvement.  Voilà  donc  Yétendue 

L 


î6*  IDEOLOGIE. 

connue;  c'est  une  nouvelle  propriété  des 
corps  dépendante  de  leur  résistance  au  mou- 
vement, de  leur  existence  par  rapport  à 
nous.  Elle  en  est  une  conséquence  si  immé- 
diate, que,  quand  une  fois  nous  la  connais- 
sons, nous  ne  pouvons  plus  concevoir  rien 
qui  en  soit  totalement  privé.  Nous  pouvons 
bien  supposer  qu'un  corps  est  excessive- 
ment petit,  admettre  que  son  étendue  est 
réduite  autant  que  possible,  même  jusqu'au 
point  d'être  imperceptible  à  nos  sens  ;  mais 
nous  ne  pouvons  l'imaginer  absolument 
nulle,  sans  anéantir  le  corps  lui-même.  Ja- 
mais aucun  être  humain  ne  comprendra 
réellement  comment  existerait  un  être  qui 
n'existerait  nulle  part  et  n'aurait  point  de 
parties.  C'est  s'abuser  soi-même  que  de  se 
persuader  qu'on  comprend  pareille  chose  ; 
j'en  appelle  à  la  conscience  intime  de  tous 
ceux  qui  scruteront  de  bonne  foi  leur  propre 
intelligence. 

Aussi,  quand  j'ai  dit  que  tant  que  nous 
ne  faisons  que  sentir  sans  agir,  nous  ne 
eous  paraissons  à  nous-mêmes  qu'un  point, 
qu'une  vertu  sentante,  et  que,  quand  nous 
sentons  résistance  à  notre  volonté,  l'être 
qui  s'y  oppose  ne  nous  semble  d'abord  qu'un 


CHAPITRE  IX.  l65 

point,  qu'une  vertu  résistante,  je  me  suis 
servi  de  deux  mots    abstraits   que   nous 
sommes  habités  à  employer  comme   des 
êtres  réels,  afin  de  rendre  ma  pensée  pres- 
que sensible.  J'ai  voulu  rendre  manifeste 
que  nous  sentions  uniquement  que  nous 
avions  une  volonté  et  que  quelque  chose 
lui  résistait,  et  que  nous  ne  savions  rien  de 
plus;  mais  je  n'ai  pas  prétendu  établir  que 
nous  crussions  être  un  point  mathématique, 
ni  que  nous  nous  fissions  une  idée  d'une 
vertu  quelconque  existante  sans  apparte- 
nir à  aucun  être  :  cela  est  impossible.  C'est 
pourquoi,  en  même-temps  que  nous  décou- 
vrons la  propriété  d'être  étendu  dans  ce  qui 
résiste  à  notre  volonté,  nous  la  découvrons 
dans  notre  moi  qui  sent;  il  s'étend  et  se  ré- 
pand ,  pour  ainsi  dire ,  dans  toutes  les  parties 
par  lesquelles  il  sent  et  qui  se  meuvent  à 
son  gré.  Nous  apprenons  l'étendue  de  notre 
corps  comme  celle  des  autres  corps,  et  nous 
la  circonscrivons  par  les  mêmes  moyens.  Il 
est  même  vraisemblable  que  c'est  la  pre- 
mière dont  nous  nous  apercevons  ;  car  le 
corps  qui  nous  appartient  ne  diffère  des  au- 
tres, à  notre  égard,  qu'en  ce  que  c'est  par 
lui  que  nous  sentons;  du  reste,  il  fait  comme 

L  2 


l64  IDÉOLOGIE. 

eux  résistance  à  nos  mouvemens  j  et  il  paraît 
bien  que  quand  un  de  nos  membres  s'appuie 
et  frotte  contre  un  autre,  la  double  sensation 
que  nous  recevons  dans  la  partie  qui  se 
meut  et  dans  celle  qui  résiste,  doit  nous 
donner  plus  d'avantage  pour  reconnaître  ce 
qui  arrive  dans  cette  occasion,  que  quand 
il  s'agit  d'un  corps  étranger  qui  ne  nous  rend 
rien.  Cette  conjecture  tirerait  une  nouvelle 
force  de  l'examen  physiologique  de  la  ma- 
nière dont  s'opère  nos  sensations,  et  de  la 
correspondance  qui  existe  entre  les  divers 
organes  de  la  sensibilité  ;  mais  ce  n'est  pas 
ce  dont  il  est  question  actuellement  :  nous  y 
reviendrons  quand  il  en  sera  temps.  Pour 
le  moment  y  il  suffit  d'avoir  expliqué  ce  que 
c'est  que  l'étendue  de  notre  corps  et  des  au- 
tres, et  montré  que  nous  ne  la  connaissons 
que  par  l'effet  combiné  de  la  mobilité  et  de 
l'inertie  des  corps. 

L'étendue,  dans  ce  sens,  est  une  propriété 
des  corps  ;  mais  nous  donnons  souvent  une 
autre  signification  au  mot  étendue.  Lorsque 
nous  en  faisons  le  synonyme  du  mot  espace, 
il  exprime  une  autre  idée;  il  semble  alors 
que  ces  deux  termes,  étendue,  espace,  re- 
présentent un  être  réellement  existant.  Ce 


CHAPITRE   IX.  l65 

n'est  cependant  véritablement  qu'une  idée 
abstraite  dont  nous  sommes  dupes.  Voyons 
comment  nous  la  composons,  c'est  le  seul 
moyen  de  la  connaître  et  de  faire  qu'elle  ne 
nous  égare  plus,  car  toute  illusion  disparaît 
quand  on  se  comprend. 

Je  fais  une  certaine  quantité  de  mouve- 
ment pour  arriver  d'un  point  d'un  corps  à 
d'autres  points  du  même  corp6.  je  dis  que 
ce  corps  est  étendu.  Que  l'on  ôte  ce  corps, 
il  me  faudra  toujours  la  même  quantité  de 
mouvement  pour  aller  du  lieu  où  était  un 
de  ces  points  matériels  à  ceux  où  étaient  les 
autres  5  je  dirai  qu'il  y  a  la  même  étendue , 
le  même  espace  entr'eux;  seulement,  comme 
je  puis  me  mouvoir  en  tout  sens  dans  cet  es- 
pace, ce  que  je  ne  pouvais  faire  avant,  j'a- 
jouterai que  cet  espace  est  vide  au  lieu  d'être 
plein ,  comme  je  dis  d'un  coffre  qu'il  est  plein 
ou  vide  suivant  qu'il  y  a  dedans  quelque 
chose  ou  rien.  Mais  un  coffre  consiste  dans 
les  parois  qui  le  composent,  indépendam- 
ment de  ce  qu'il  renferme ,  et  l'espace  n'a 
point  de  parois.  Or,  qu'on  me  dise  ce  que 
c'est  qu'un  coffre  vide  qui  n'a  point  de  pa- 
rois ,  si  ce  n'est  le  néant  absolu.  Aussi  avons- 
nous  vu  que  tant  que  nous  nous  mouvons 


l66  IDEOLOGIE. 

sans  résistance,  ce  que  nous  rencontrons 
n'est  absolument  rien.  L'espace  est  donc  la 
propriété  d'être  étendue  considérée  séparé- 
ment de  tout  corps  à  qui  elle  puisse  appar- 
tenir :  c'est  une  idée  abstraite  ;  c'est  le  néant 
personnifié  par  la  faculté  que  nous  avons 
de  nous  mouvoir  quand  aucune  chose  ne 
nous  en  empêche,  quand  le  rien  nous  le 
permet  :  nouvelle  preuve  que  c'est  en  nous 
mouvant  que  nous  découvrons  s'il  existe 
quelque  chose  ou  rien  autour  de  nous,  au- 
tour de  notre  faculté  de  sentir  et  de  vouloir. 
En  voilà  assez  sur  l'étendue  :  passons  à 
ses  conséquences.  Plusieurs  propriétés  gé- 
nérales et  communes  à  tous  les  corps  ne 
sont  que  des  dépendances  nécessaires  et 
immédiates  de  celle  d'être  étendu:  il  suffira 
de  les  indiquer.  Telles  sont  celles  d'être  di- 
visible, d'avoir  une  certaine  forme,  d'être 
impénétrable. 

.  Dès  qu'un  être  est  étendu ,  il  est  nécessai- 
rement divisible,  car  puisqu'être  étendu 
c'est  avoir  des  parties  telles  qu'il  faille  faire 
un  mouvement  pour  aller  de  l'une  à  l'autre, 
on  peut  toujours  s'arrêter  au  milieu  de  ce 
mouvement,  et  par  là  se  trouver  entre  une 
de  ces  parties  et  l'autre,  et  par  conséquent 


CHAPITRE   IX.  167 

la  séparer,  la  diviser.  La  divisibilité,  la  pos- 
sibilité d'être  divisé,  résulte  donc  inévita- 
blement de  la  propriété  d'être  étendue. 

Il  n'en  résulte  pas  moins  la  nécessité  d'a- 
voir une  certaine  forme,  ce  qu'on  appelle 
être  figuré.  Aucun  corps  ne  peut  être  étendu 
à  l'infini,  car  il  n'en  existerait  pas  d'autres. 
D'ailleurs ,  nous  ne  pouvons  nous  faire  une 
idée  réelle  de  l'infini  dans  aucun  genre  ;  c'est 
encore  là  une  idée  abstraite  qui  ne  peut  avoir 
aucune  existence  positive;  c'est  celle  d'un 
bâton  qui  n'aurait  qu'un  bout,  ou  même  qui 
n'aurait  pas  de  bouts.  Tout  corps  a  donc  des 
limites.  Nous  appelons  surface  de  ce  corps 
l'assemblage  des  points  qui  le  terminent, 
c'est-à-dire  passé  lesquels  il  ne  nous  em- 
pêche plus  de  nous  mouvoir.  La  disposition 
de  cette  surface  constitue  ce  qu'on  appelle 
la  forme  ou  la  figure  de  ce  corps.  On  em- 
ploie ces  deux  mots  indifféremment,  et  on 
a  tort  ;  on  devrait  appeler  exclusivement 
forme  d'un  corps  la  manière  d'être  étendu 
que  nous  lui  reconnaissons  par  le  tact  en 
nous  mouvant  autour  de  lui,  et  réserver  le 
mot  figure  pour  l'impression  que  cette  forme 
l'ait  sur  notre  œil.  La  même  forme  présente 
plusieurs  figures ,  suivant  qu'elle  est  vue  d'un 


l68  IDÉOLOGIE. 

côté  ou  d'un  autre;  mais  elle  fait  toujours  la 
même  impression  sur  le  tact ,  ce  qui  prouva 
encore  que  c'est-là  sa  vraie  manière  d'être, 
et  que  c'est  la  résistance  à  nôtre  mouve- 
ment qui  nous  fait  connaître  la  manière 
d'être  réelle  des  corps. 

Puisqu'un  corps  est  étendu  ou  n'est  rien , 
il  faut  absolument  qu'il  soit  impénétrable , 
c'est-à-dire  qu'un  autre  corps  ne  puisse  pas 
occuper  la  portion  d'espace  qu'il  remplit,  à 
moins  qu'il  ne  la  lui  cède  ;  car  s'ils  occu- 
paient tous  les  deux  en  même  temps  le  même 
lieu ,  ils  ne  seraient  plus  que  comme  un,  l'un 
des  deux  serait  anéanti,  il  n'y  aurait  pas  co- 
existence. 

Aussi  lorsque  nous  voyons  deux  corps 
s'unir  de  manière  qu'ils  occupent  moins 
d'espace  que  lorsqu'ils  étaient  séparés ,  nous 
en  concluons  qu'un  des  deux  ou  tous  deux 
sont  poreux,  c'est-à-dire  qu'ils  renferment 
entre  leurs  parties  solides  ou  réelles,  des  es- 
paccs  vides  dans  lesquels  se  sont  logées  les 
parties  solides  ou  réelles  de  l'autre  corps. 
C'est  aussi  ce  que  nous  prouve  directement 
l'augmentation  de  poids  à  volume  égal,  qui 
résulte  toujours  de  pareille  union.  Mille  ex- 
périences prouvent  que  tous  les  corps  con- 


CHAPITRE   IX.  169 

nus  sont  poreux  ;  ainsi  la  porosité  est  encore 
une  propriété  générale  des  corps  ;  elle  est 
une  conséquence  de  l'étendue ,  mais  elle  n'en 
est  pas  une  conséquence  nécessaire  ;  car  on 
peut  très-bien  concevoir  un  corps  dont  les 
parties  ne  laisseraient  aucun  intervalle  entre 
elles.  Si  cela  n'arrive  jamais,  il  faut  sans  doute 
qu'il  y  ait  quelque  raison  5  mais  elle  nous  est 
inconnue. 

Les  corps  sont  donc  poreux  ;  mais  ils  pour- 
raient ne  pas  l'être ,  au  moins  suivant  nos 
moyens  de  les  connaître.  Au  contraire,  il 
faut  absolument  qu'ils  soient  étendus  pour 
que  nous  les  connaissions,  puisque  nous  ne 
les  connaissons  que  par  le  mouvement^Dès 
qu'ils  sont  étendus ,  il  est  nécessaire  qu'ils 
soient  impénétrables  ;  et  c'est  cette  impéné- 
trabilité qui  fait  que  l'un  résiste  au  mouve- 
ment de  l'autre,  ce  qui  constitue  l'inertie, 
et  que  l'autre  communique  de  son  mouve- 
ment à  celui-là,  ce  qui  constitue  l'impulsion. 
Tel  est  l'enchaînement  des  propriétés  prin- 
cipales que  nous  découvrons  dans  les  corps, 
à  partir  du  premier  moment  où  nous  sommes 
conduits  nécessairement  à  juger  qu'ils  exis- 
tent. Je  vais  maintenant  expliquer  comment 
nous  apprécions  et  mesurons  les  uns  par  les 


170  IDÉOLOGIE. 

autres  les  effets  sensibles  de  ces  propriétés, 
et  cette  explication  me  fournira  de  nouvelles 
preuves  que  c'est  bien  ainsi  que  nous  appre- 
nons à  les  connaître,  et  que  j'ai  bien  démêlé 
ce  qu'elles  sont  pour  nous. 

Auparavant,  observons  que  ce  que  j'ai  dit 
de  l'inertie  de  la  matière  ne  signifie  pas  du 
tout  qu'elle  soit  essentiellement  passive  et 
qu'elle  ait  besoin, pour  être  mue,  d'un  prin- 
cipe d'action  étranger  à  elle,  ni  même  qu'elle 
ait  plus  de  tendance  au  repos  qu'au  mouve- 
ment. Je  trouve ,  au  contraire ,  que  les  faits 
conduisent  à  une  conclusion  opposée;  car, 
quand  même  on  ne  regarderait  pas  la  pro- 
duction des  êtres  animés  comme  une  dé- 
monstration suffisante  que  l'activité  est  pro- 
pre à  la  matière  et  inhérente  à  sa  nature ,  et 
qu'elle  ne  fait  que  se  manifester  par  l'or- 
ganisation ,  on  ne  peut  au  moins  nier  que 
l'attraction  ne  soit  une  tendance  au  mouve- 
ment existante  à  tous  les  instans  dans  toutes 
les  particules  de  la  matière.  J'entends  ici  par 
le  terme  général  d'attraction,  non-seulement 
la  force  de  gravitation  en  vertu  de  laquelle 
tous  les  corps  célestes  pèsent  les  uns  sur  les 
autres,  et  tous  les  corps  terrestres  pèsent 
vers  le  centre  du  globe ,  mais  encore  toutes 


CHAPITRE  IX.  171 

ces  attractions  particulières  qui  produisent 
les  combinaisons  chimiques,  l'adhésion, la 
cohésion,  etc.  Or,  toutes  ces  forces  tou- 
jours agissantes  et  les  phénomènes  qu'elles 
produisent,  me  montrent  qu'il  n'y  a  nulle 
part  de  repos  absolu  dans  la  nature,  et  qu'il 
n'y  a  même  jamais  de  repos  relatif  que  par 
l'effet  de  forces  contraires  qui  se  balancent; 
d'où  je  conclus  que  ce  n'est  pas  le  repos , 
mais  le  mouvement,  qui  est  l'état  naturel  de 
la  matière  ;  et  si  je  n'avais  craint  de  trop 
choquer  les  idées  reçues,  j'aurais  mis  l'ac- 
tivité à  la  tête  des  propriétés  des  corps,  et 
je  n'aurais  regardé  la  mobilité  que  comme 
une  conséquence  de  l'activité.  Au  reste,  ce 
ne  sont  pas  les  classifications  que  nous  fai- 
sons qui  sont  importantes;  ce  qui  est  essen- 
tiel est  de  bien  voir  les  phénomènes,  et  dans 
le  cas  présent  de  ne  pas  se  faire  une  idée 
fausse  de  l'inertie,  laquelle  ne  consiste  qu'en 
ceci  :  c'est  que  quand  un  corps  reçoit  du 
mouvement,  le  corps  qui  lui  en  donne  en 
perd  une  quantité  égale  à  celle  qu'il  lui  com- 
munique. Passons  à  une  autre  observation. 
La  durée  est  encore  une  propriété  com- 
mune à  tout  ce  qui  existe,  c'est-à-dire  à  tout 
ce  qui  sent  ou  est  senti.  Différente  en  cela 


173  IDEOLOGIE. 

de  toutes  les  autres  propriétés  des  corps, 
elle  pourrait  même  appartenir  à  des  êtres 
sans  étendue,  si  nous  pouvions  en  connaître 
ou  même  en  concevoir  de  tels  (voyez  l'Ex- 
trait raisonné).  Par  cette  raison,  nous  n'a- 
vons pas  besoin  de  connaître  autre  chose 
de  nous-mêmes  que  notre  propre  sentiment 
pour  nous  faire  l'idée  de  durée  :  notre  seule 
existence  suffit.  Je  sens  une  impression  ac- 
tuelle; dès  que  je  puis  porter  le  jugement 
que  je  l'ai  déjà  sentie,  je  puis  prononcer  que 
j'existe  actuellement,  que  j'existais  alors,  et 
que  j'ai  continué  d'exister  dans  l'intervalle. 
Tout  cela  est  compris  dans  l'acte  de  recon- 
naître cette  impression.  Dés  ce  moment  j'ai 
donc  l'idée  de  durée,  qui  n'est  autre  chose 
que  celle  d'une  succession  d'impressions. 
Lorsque  je  connais  d'autres  existences  que 
la  mienne,  quand  j'aperçois  un  objet  et  que 
je  m'assure  que  c'est  bien  le  même  que  j'ai 
déjà  vu,  je  lui  applique  cette  idée  de  durée, 
je  dis  que  cet  objet  a  duré  :  cela  ne  souffre 
pas  de  difficulté.  Mais  si  j'acquiers  ainsi 
Vidée  de  durée,  je  n'acquiers  pas  de  même 
la  possibilité  de  mesurer  cette  durée  ;  car  la 
succession  de  mes  impressions  n'est  ni  assez 
uniforme  ni  assez  invariable  pour  me  servir 


CHAPITRE   X.  175 

de  mesure  ;  d'ailleurs  je  n'ai  aucun  moyen 
pour  constater  les  limites  de  la  durée  de 
chacune.  Je  n'ai  donc  pas  l'idée  de  temps, 
qui  n'est  que  celle  d'une  durée  mesurée  (1). 
Nous  allons  voir  comment  elle  nous  vient, 
en  examinant  comment  nous  mesurons  les 
effets  sensibles  des  propriétés  des  corps. 
Nous  commencerons  par  l'étendue. 


CHAPITRE  X. 

Continuation  du  précédent;  de  la  Mesure 
des  propriétés  des  Corps. 

■lN  ous  l'avons  déjà  dit,  la  propriété  d'être 
étendu  consiste  à  pouvoir  être  touché  con- 
tinuement  par  notre  main  qui  se  meut.  Un 
corps  n'est  étendu  que  parce  qu'il  a  des 
parties  telles,  qu'il  faut  faire  une  certaine 
quantité  de  mouvement  pour  aller  des  unes 
aux  autres.  Mais  comment  évaluons- nous, 
mesurons-nous  la  quantité  de  son  étendue? 
La  manière  en  est  simple  et  directe.  Nous 

(1)  Cette  définition  du  temps,  qui  m'a  été  contestée, 
est  celle  de  Locke.  Essai  sur  l'Entendement  humain, 
liy.  II,  chap.  14. 


iy4  IDÉOLOGIE. 

comparons  cette  étendue  à  une  portion  fixa 
et  déterminée  d'étendue  que  nous  prenons 
pour  terme  de -comparaison ,  c'est-à-dire 
pour  unité;  tels  sont  les  pieds  et  les  mètres, 
et  tous  leurs  analogues,  ainsi  que  toutes  les 
mesures  de  surface  et  de  capacité  ou  soli- 
dité qui  en  dérivent  ;  car  ce  que  nous  appe- 
lons mesurer  la  longueur,  la  surface  ou  la 
solidité  d'un  corps ,  n'est  autre  chose  que 
reconnaître  la  quantité  de  mètres  ou  de  par- 
ties de  mètre  linéaires,  carrés  ou  cubes 
que  contient  ce  corps  ;  et  le  premier  élément 
de  toutes  ces  mesures  est  une  quantité  fixe 
d'étendue  en  longueur,  telle  qu'un  pied  ou 
un  mètre.  Or,  qu'est-ce  pour  nous  qu'un 
pied  ou  un  mètre?  C'est  la  représentation 
constante  de  la  quantité  de  mouvement  que 
notre  main  a  dû  faire  pour  se  porter  depuis 
l'extrémité  de  ce  mètre  qui  a  commencé  à 
lui  faire  éprouver  le  sentiment  de  résistance, 
jusqu'à  l'autre  extrémité  où  elle  a  cessé  d'é- 
prouver cette  résistance.  Concluons  donc 
que  nous  mesurons  l'étendue  par  l'étendue 
même;  mais  n'oublions  pas  que  l'unité  fon- 
damentale de  toutes  ces  mesures  nous  est 
donnée  par  le  mouvement,  et  n'est  autre 
ciiose  que  la  représentation  permanente 


CHAPITRE   X.  175 

d'une  certaine  quantité  de  mouvement.  Pas^ 
sons  à  la  durée. 

La  durée  est,  comme  nous  l'avons  dit,  une 
propriété  commune  à  tout  ce  qui  sent  ou 
est  senti,  et  qui  appartient  à  tous  les  êtres, 
même  indépendamment  de  l'étendue.  Il  s'a- 
git maintenant  de  reconnaître  comment 
nous  la  mesurons.  Sans  doute ,  nous  ne  la 
mesurons  que  par  elle-même  ;  car  mesurer 
une  chose  quelconque ,  c'est  la  comparer  à 
une  quantité  déterminée  de  cette  même 
chose ,  que  l'on  prend  pour  terme  de  com- 
paraison, pour  unité.  Ainsi,  mesurer,  éva- 
luer une  longueur,  un  poids,  une  valeur, 
c'est  trouver  combien  elles  contiennent  de 
mètres,  de  grammes,  de  francs,  en  un  mot, 
d'unités  de  même  genre;  et  on  ne  peut  pas 
évaluer  une  distance  en  grammes,  ni  un 
poids  en  francs,  ni  dire  qu'une  valeur  est 
plus  grande  ou  plus  petite  qu'un  poids  ou 
qu'une  distance ,  et  réciproquement.  Mesu- 
rer la  durée,  c'est  donc  l'évaluer  en  unités 
de  durée.  Mais  nous  avons  déjà  remarqué 
que  la  propriété  des* êtres  appelée  durée, 
bien  différente  en  cela  de  celle  appelée  éten- 
due, ne  nous  donne  par  elle-même  aucun 
moyen  de  constater  d'une  manière  exacte 


I76  IDÉOLOGIE. 

et  durable  les  limites  de  chacune  de  ses  par- 
ties. Ces  parties  sont  fugitives  et  transitoires; 
elles  ne  coexistent  pas  ensemble;  leurs  divi- 
sions ne  sont  marquées  par  rien;  il  n'y  en 
a  par  conséquent  aucune  qui  soit  détermi- 
née avec  assez  de  précision  pour  servir 
d'unité.  Que  faisons-nous  donc  pour  parta- 
ger la  durée  en  temps,  c'est-à-dire  en  quan- 
tités de  durée  mesurées  avec  justesse?  Nous 
avons  recours  au  mouvement;  c'est  lui,  et 
lui  seul,  qui  nous  rend  perceptibles  les  di- 
visions de  la  durée.  Aussi,  prenez-y  garde, 
les  temps  sont  toujours  marqués  par  quel- 
ques mouvemens  opérés;  leurs  subdivisions 
seraient  arbitraires  et  incertaines  si  elles  ne 
se  rapportaient  au  mouvement  de  quelques 
astres  ou  de  quelques  machines.  Nous  me- 
surons donc  la  durée  par  elle-même  comme 
toutes  choses;  mais  c'est  le  mouvement  qui 
nous  la  rend  commensurable. 

Maintenant  il  reste  à  voir  comment  le 
mouvement,  qui  est  en  lui-même  aussi  fugi- 
tif, aussi  transitoire ,  aussi  peu  susceptible 
de  divisions  fixes  et  permanentes  que  la 
durée,  peut  devenir  pour  elle  la  base  et  le 
moyen  d'une  mesure  exacte  ;  car  le  mou- 
vement, sans  doute,  ainsi  que  toute  autre 

chose , 


CHAPITRE   X.  177 

chose,  ne  se  mesure  que  par  lui-même;  et 
s'il  n'est  pas  susceptible  de  divisions  déter- 
minées et  invariables,  comment  peut -il 
servir  d'échelle  et  de  terme  de  comparaison 
pour  évaluer  des  quantités  d'une  autre  es- 
pèce? C'est  que  le  mouvement  s'opère  dans 
l'étendue,  qu'il  parcourt  l'étendue,  qu'elle  le 
représente  et  le  constate.  En  effet,  comment 
voyons -nous  qu'un  jour,  une  heure,  une 
minute,  une  seconde,  sont  écoulés?  c'est 
parce  que  le  soleil,  une  aiguille  de  montre, 
la  verge  d'un  pendule,  ont  parcouru  un  cer- 
tain espace  ;  parce  que  l'eau  d'une  clepsydre, 
le  sable  d'une  horloge,  ont  laissé  vide  une 
certaine  portion  d'étendue.  Ainsi,  par  l'in- 
termède du  mouvement,  les  parties  de  la 
durée  se  trouvent  manifestées  par  les  par- 
ties de  l'étendue ,  et  par  là  elles  participent 
à  l'avantage  inestimable  qu'ont  celles-ci  de 
pouvoir  être  divisées  et  mesurées  de  la  ma- 
nière la  plus  rigoureuse  et  la  plus  invariable. 
Mais,  me  direz-vous,  nous  voyons  bien 
que  c'est  toujours  un  mouvement  opéré 
qui  nous  rend  sensiblel  a  quantité  de  durée 
écoulée,  et  toujours  une  étendue  parcourue 
qui  constate  le  mouvement  opéré;  mais  cela 
ne  suffit  pas  encore  pour  que  l'étendue  soit 

M 


1<7<3  IDEOLOGIE. 

la  mesure  fixe  de  la  durée  ;  il  faudrait  pour 
cela  que  la  même  quantité  d'étendue  par- 
courue répondît  toujours  exactement  à  la 
même  quantité  de  durée  écoulée  ;  et  pour 
que  cela  arrivât,  il  faudrait  que  nous  n'eus- 
sions égard,  dans  la  mesure  du  temps,  qu'à 
un  seul  mouvement  d'une  vitesse  connue  et 
uniforme^ 

Je  réponds  que  c'est  aussi  ce  que  vous 
faites  sans  vous  en  apercevoir.  En  effet, 
prenez-y  garde,  dans  la  mesure  de  la  durée, 
l'unité  c'est  le  jour;  toutes  les  périodes  plus 
longues  sont  des  multiples  de  celle-là ,  toutes 
celles  qui  sont  plus  courtes  en  sont  des  frac- 
tions :  toutes  sont  plus  ou  moins  arbitraires, 
aussi  toutes  varient  à  notre  gré.  L'année 
renferme  plus  ou  moins  de  jours,  suivant 
que  nous  préférons  de  la  rapporter  au  soleil 
ou  à  la  lune  ;  le  jour  seul  est  un  temps  qu'on 
ne  peut  ni  augmenter  ni  diminuer,  parce 
qu'il  est  déterminé  par  la  nature  des  choses 
et  ne  dépend  pas  de  nos  conventions.  Or, 
à  parler  rigoureusement,  qu'est-ce  qu'un 
joAir?  Ce  n'est  pas  le  temps  qui  s'écoule  entre 
deux  levers  du  soleil  dans  les  climats  où  ce 
lever  avance  ou  retarde,  c'est  l'intervalle 
de  deux  levers  du  soleil  dans  les  pays  où  cet 


CHAPITRE  X.  1(79 

intervalle  est  toujours  le  même  ;  c'est  le 
temps  que  la  terre  met  à  tourner  sur  son 
axe;  c'est,  par  conséquent,  le  temps  qu'un 
point  de  son  équateur  emploie  à  parcourir 
la  totalité  de  ce  grand  cercle  de  la  sphère. 
Ainsi  voilà  une  durée,  un  mouvement  et 
une  étendue  qui  sont  toujours  les  mêmes  et 
qui  se  correspondent  toujours  exactement. 
Voilà  la  véritable  unité  qui  peut  servir  et 
qui  sert  de  terme  commun  de  comparaison 
pour  la  mesure  de  ces  trois  espèces  de  quan- 
tité. Il  ne  reste  plus  qu'à  voir  comment  nous 
l'employons  pour  évaluer  chacune  d'elles. 

Pour  l'étendue,  nulle  difficulté,  nous  l'a- 
vons déjà  vu.  Cette  propriété  des  corps  a 
exclusivement  à  toute  autre  le  précieux 
avantage  d'être  susceptible  de  la  division 
la  plus  commode,  la  plus  durable,  la  plus 
précise,  la  plus  distincte,  la  plus  constante, 
la  plus  inaltérable ,  en  un  mot,  la  plus  inac- 
cessible à  toute  cause  d'erreur.  Aussi  rien 
n'est-il  plus  aisé  que  de  la  mesurer  :  on  en 
prend  une  portion  quelconque  et  on  y  rap- 
porte toutes  les  autres.  Il  est  avantageux,  et 
satisfaisant  que  cette  portion  soit  une  frac- 
tion connue  de  la  circonférence  du  globe 
terrestre;  cela  sert  h  pou\uir  \a  retrouver 

M  r> 


l8o  IDÉOLOGIE. 

toujours  si  l'étalon  en  était  perdu;  mais 
quand  elle  serait  de  pure  convention ,  elle 
pourrait  toujours  servir  de  mesure. 

Pour  la  durée,  c'est,  comme  nous  l'avons 
dit,  par  l'intermédiaire  du  mouvement  qu'on 
rapporte  ses  parties  aux  parties  de  l'étendue; 
et ,  dans  tous  les  mouvemens  possibles ,  c'est 
celui  de  la  terre  sur  son  axe  qui  sert  de  type. 
Ainsi  une  heure,  un  siècle,  une  minute, ne 
sont  autre  chose  que  tant  de  milliers  de 
lieues  parcourues  par  un  point  de  l'équateur 
de  la  terre  dans  sa  révolution  diurne.  Que 
les  mouvemens  plus  ou  moins  accélérés  de 
toutes  nos  machines  à  mesurer  le  temps  ne 
vous  fassent  donc  pas  illusion;  l'étendue 
qu'ils  parcourent  sert,  comme  nous  l'avons 
dit,  à  constater  qu'ils  sontfaits;  mais  qu'elle 
soit  plus  ou  moins  grande ,  cela  est  fort  indif- 
férent, parce  qu'elle  ne  sert  pas  directement 
de  mesure,  mais  seulement  à  rapporter  le 
mouvement  qu'elle  constate  à  la  mesure 
commune  de  toute  durée,  le  mouvement  de 
la  terre  sur  son  axe.  C'est  pour  cela  qu'une 
heure  est  également  représentée  et  mesurée 
et  par  l'aiguille  qui  fait  le  tour  du  cadran  pen- 
dant ce  temps ,  et  par  celle  qui  n'en  fait  que 
la  douzième  partie,  et  par  celle  qui  le  par- 


CHAPITRE   X.  l8i 

court  soixante  fois  tout  entier  ;  car  qu'est-ce 
qu'une  heure?  c'est  la  vingt-quatrième  partie 
de  la  révolution  de  la  terre ,  c'est  la  vingt- 
quatrième  partie  de  sa  circonférence  par- 
courue par  un  des  points  de  sa  surface;  ainsi 
tout  mouvement  qui  s'opère  vingt- quatre 
fois  pendant  la  durée  d'un  jour,  marque 
exactement  une  heure,  quel  que  soit  l'es- 
pace qu'il  parcoure.  Peu  importe  la  grandeur 
du  cadran  de  ma  montre  ;  elle  n'est  destinée 
qu'à  m'apprendre  que  chaque  fois  que  telle 
aiguille  en  a  fait  le  tour,  la  terre  a  effectué 
la  vingt-quatrième  partie  de  sa  révolution , 
un  point  de  l'équateur  a  parcouru  tant  de 
millions  de  mètres.  Nous  voyons  donc  com- 
ment la  durée  est  mesurée  par  le  mouve- 
ment, et  comment  il  la  rend  appréciable 
avec  exactitude ,  parce  qu'il  rapporte  à  une 
quantité  invariable  d'étendue  le  temps  qui 
sert  de  terme  de  comparaison  à  tous  les 
autres.  Cela  nous  fait  déjà  apercevoir  aussi 
comment  nous  mesurons  parfaitement  le 
mouvement  lui-même  malgré  ses  innom- 
brables variétés.  C'est  ce  qui  nous  reste  à 
développer. 

La  mobilité  est  une  propriété  des  êtres 
qui  diffère  essentiellement  de  la  durée,  en 


182  IDÉOLOGIE. 

te  point  que,  parmi  les  êtres  possibles,  elle 
ne  peut  appartenir  qu'à  ceux  que  nous  ap- 
pelons corps,  c'est-à-dire  à  ceux  qui  sont 
étendus  ;  car  des  êtres  qui  n'auraient  aucune 
étendue,  s'il  nous  était  possible  d'en  conce- 
voir de  tels,  n'occupant  aucun  lieu,  ne  pour- 
raient en  changer. 

Le  mouvement  est  l'exercice  de  la  pro- 
priété appelée  mobilité;  c'est  un  effet  des 
corps  comme  la  couleur  ou  la  saveur;  je  ne 
dis  pas  comme  l'attraction  (1),  l'inertie  ou 
l'impulsion;  car  de  ces  trois  choses, les  deux 
premières  ne  consistent  qu'en  tendance  ou 
en  résistance  au  mouvement,  et  la  troisième 
n'est  que  sa  communication  ;  ainsi  elles  ne 
sont  que  des  dépendances  du  mouvement, 
et  leur  intensité  ne  s'évalue  que  par  le  moyen 
du  mouvement  qu'elles  produisent  ou  em- 
pêchent :  ce  sont  donc  des  sujets  de  consi- 
dérations secondaires.  Mais  ici  c'est  le  mou- 
vementlui-même  qui  nous  occupe.Comment 

(1)  Je  comprends  toujours  sous  ce  mot  générique, 
non-seulement  la  gravitation  céleste  et  la  pesanteur 
terrestre,  mais  encore  toutes  les  attractions  et  affi- 
nités particulières,  en  un  mot,  toutes  les  tendances 
quelconques  d'un  corps  Vers  un  autre. 


CHAPITRE  X.  l8o 

semesure-t>il?  voiià  la  question  qu'il  s'agit 
de  résoudre. 

On  voit  d'abord  que  cet  effet  des  côrftè 
appelé  mouvement, .est  parfaitement  repré- 
senté par  cet  autre  effet  des  corps  appela 
étendue  ;  car  puisque  la  propriété  d'être 
étendu  n'est  pour  nous  que  la  propriété 
d'être  parcouru  par  le  mouvement^  les  par- 
ties de  l'étendue  répondent  très-bien  et  très- 
exactement  aux  parties  du  mouvement  fait 
pour  les  parcourir.  Ainsi  la  quantité  d'éten- 
due parcourue  constate  rigoureusement  la 
quantité  de  mouvement  fait. 

Je  dis  que  l'étendue  constate  et  représenté 
très-bien  les  mouvemens  faits,  mais  non  pas 
qu'elle  mesuré  le  mouvement;  car,  il  ne  iatit 
jamais  l'oublier,  mesurer  une  chose  quel- 
conque, c'est  la  rapporter  à  une  quantité" 
de  cette  même  chose  qui  est  connue  et  dé- 
terminée, et  qui  sert  de  terme  de  comparai- 
son, de  mesure.  Le  mouvement  ne  saurait 
être  excepté  de  cette  règle  générale;  on  ne 
peut  pas  plus,  quoiqu'on  en  dise,  mesurer 
du  mouvement  avec  de  l'étendue  ou  de  la 
durée,  que  celles-ci  avec  des  valeurs  ou  des 
poids.  Mesurer  le  mouvement,  évaluer  son 
intensité,  n'est  et  ne  peut  être  que  le  rap- 


l8<±  IDÉOLOGLE. 

porter  à  un  mouvement  dont  l'énergie  soit 
connue  :  c'est  ce  qu'on  appelle  déterminer 
sa  vitesse. 

X-es  mathématiciens  disent  cependant  que 
la  vitesse  d'un  mouvement  est  le  rapport 
«ntre  l'espace  parcouru  et  le  temps  em- 
ployé ;  mais  on  devrait  leur  demander  d'ex- 
pliquer quel  rapport  ils  peuvent  découvrir 
entre  deux  choses  d'une  nature  aussi  diffé- 
rente, et  par  conséquent  aussi  incommensu- 
rables que  l'étendue  et  la  durée,  et  comment 
il  se  fait  que  ce  rapport  soit  l'expression 
exacte  de  la  mesure  d'une  troisième  chose 
totalement  différente  des  deux  premières. 
Ils  prétendent  qu'ils  trouvent  l'expression 
de  cette  vitesse  en  divisant  l'espace  par  le 
temps;  mais  je  leur  demanderai  comment 
ils  s'y  prennent  pour  diviser  l'une  par  l'autre 
deux  quantités  concrètes  d'espèces  diffé- 
rentes, et  trouver  au  quotient  une  quantité 
d'une  troisième  espèce  ;  car  ils  savent  bien 
qu'on  ne  peut  diviser  une  quantité  concrète 
quelconque  que  de  deux  manières,  ou  par 
une  quantité  de  même  espèce,  ce  qui  donne 
pour  quotient  un  nombre  abstrait  qui  ex- 
prime combien  de  fois  le  diviseur  est  con- 
tenu dans  le  dividende;  ou  par  un  nombre 


CHAPITRE  X.  l85 

abstrait,  auquel  cas  le  quotient  est  un  nom- 
bre concret  de  l'espèce  du  dividende,  et  qui 
y  est  renfermé  autant  de  fois  que  le  diviseur 
contient  l'unité.  Or,  ils  savent  aussi  que  de 
l'étendue  ne  peut  pas  renfermer  de  la  durée , 
et  que  le  nombre  qui  exprimerait  un  rapport 
si  extraordinaire  ne  peut  pas  être  une  quan- 
tité de  mouvement.  Je  n'ai  pas  connaissance 
qu'aucun  d'eux  nous  ait  donné  la  solution 
de  cette  difficulté,  qui  cependant  n'a  pu 
manquer  de  les  frapper.  Nous  allons  facile- 
ment suppléer  à  leur  silence  au  moyen  des 
observations  que  nous  avons  déjà  faites  sur 
l'étendue  et  la  durée. 

En  effet,  nous  avons  vu,  d'une  part,  que 
le  temps  qui  sert  de  mesure  commune  à 
toute  durée ,  et  dont  tous  les  temps  possibles 
ne  sont  que  des  multiples  ou  sous-multiples, 
est  celui  de  la  révolution  diurne  de  la  terre 
sur  son  axe,  et  que  les  limites  et  les  divi- 
sions de  ce  temps  appelé  jour  ne  deviennent 
perceptibles  que  par  le  mouvement  que  fait 
un  point  de  l'équateur  pendant  ce  temps; 
d'une  autre  part,  que  tout  mouvement  est 
très-bien  représenté  par  l'espace  parcouru. 
Rapporter  l'espace  parcouru  par  un  mouve- 
ment à  la  portion  de  durée  qu'il  a  employée. 


186  IDÉOLOGIE. 

c'est  donc  réellement  comparer  ce  mouve- 
ment au  mouvement  connu  d'un  point  de 
Péquateur  pendant  la  révolution  diurne  de  la 
terre. Or,  c'est-là  véritablement  le  mesurer; 
car  mesurer  une  quantité  quelle  qu'elle  soit, 
c'est  toujours  la  comparer  à  une  quantité 
connue  de  même  espèce  qui  sert  de  mesure 
commune.  Voilà  pourquoi  on  peut  dire  sans 
erreur,  quoique  ce  soit  une  très-ma,uvaise 
manière  de  s'énoncer,  que  l'on  a  la  vitesse 
d'un  mouvement  en  divisant  l'espace  par  le 
temps,  locution  vicieuse  que  l'on  exprime 

par  ces  caractères  f  V  =  ^  )  qui,  en  l'abré- 
geant, déguisent  encore  davantage  le  fond 
de  la  pensée. 

Voulez-vous  la  preuve  que  cette  formule 
a  réellement  le  sens  que  je  lui  donne,  quoi- 
qu'elle ne  le  fasse  pas  apercevoir  d'abord? 
Appliquons-la  à  un  cas  particulier.  Suppo- 
sons qu'il  s'agisse  d'un  mouvement  qui  par- 
court dix  mille  mètres  en  six  heures,  vous 
aurez  pour  expression  de  sa  vitesse  cette 

fraction  I0(.o^èt-,  laquelle  ne  signifie  absolu- 
ment rien  ;  ou  si  vous  faites  la  division,  vous 
aurez  le  nombre  i666,()6,  qui  n'est  ni  des 
mètres,  ni  des  heures,  ni  du  mouvement,  et 


CHAPITRE  X.  187 

qui  ne  saurait  exprimer  que  des  heures 
soient  comprises  dans  des  mètres,  car  cela 
est  impossible.  Ainsi  il  n'a  réellement  aucun 
sens;  ainsi  vous  ne  pouvez  rien  conclure  du 
tout  de  ces  deux  expressions  vagues,  si  ce 
n'est  que  ce  mouvement  est  double  d'un 
autre  qui  serait  exprimé  par  cette  fraction 

'"'aTeuT''?  ou  Par  ce  nomDre  853,55,  qui  en 
est  le  quotient.  Vous  aurez  donc,  par  cette 
manière  d'opérer,  le  rapport  de  ces  deux 
mouvemens;  mais  vous  n'aurez  jamais  l'ex- 
pression de  la  valeur  ni  de  l'un  ni  de  l'autre, 
quoique  la  formule  vous  annonce  qu'on 
trouve  la  vitesse  d'un  mouvement  en  divi- 
sant l'espace  par  le  temps. 

Au  contraire,  au  lieu  d'évaluer  le  temps 
en  heures,  exprimez-le  par  l'espace  que 
parcourt  pendant  ces  heures  un  point  de 
l'équateur  terrestre,  vous  aurez  ces  deux 
fractions  _2^^L_  et     ">•"<"""*'•,    (1):  et 

10. 000. 00a  met.  20.000.000  met.    V    '  ' 

(1)  J'observe  que  les  dénominateurs  de  ces  deux 
fractions  ne  sont  exacts  qu'en  supposant  l'équateur 
égal  au  méridien,  ce  qui  n'est  pas  exactement  vrai  ; 
mais  je  n'ai  pas  tenu  compte  de  cette  différence ,  parce 
qu'elle  ne  fait  rien  à  mon  raisonnement,  et  que  je  vou- 
lais avoir  des  nombres  ronds. 


l83  IDÉOLOGIE. 

en  faisant  les  divisions  vous  trouverez  ces 
deux  nombres  abstraits 0,001  et  o,ooo5,qui 
non-seulement  vous  donnent  le  rapport  de 
ces  deux  mouvemens  entr'eux,  mais  encore 
vous  apprennent  la  valeur  réelle  de  chacun 
d'eux,  en  vous  montrant  que  l'un  est  le  mil- 
lième et  l'autre  les  cinq  dix -millièmes  du 
mouvement  d'un  point  de  l'équateur,  qui 
est  la  mesure  commune  ou  l'unité  (1). 

(1)  Ne  pouvant  attaquer  directement  la  preuve  que 
je  donne  du  peu  d'exactitude  qu'il  y  a  à  dire  qu'en  di- 
visant l'espace  par  le  temps  on  trouve  la  vitesse,  on 
essaiera  peut-être  de  l'atténuer  en  disant  qu'un  effet 
semblable  a  lieu  lorsqu'on  trouve  la  densité  d'un 
corps  en  divisant  son  poids  par  son  volume. 

Je  réponds  que  ce  second  exemple  confirme  encore 
mon  assertion.  En  effet,  dans  celui-ci  on  suppose  que, 
la  pesanteur  étant  la  même  dans  toutes  les  parties  de 
la  matière,  le  poids  d'un  corps  est  proportionnel  au 
nombre  de  ses  parties  matérielles.  Considérant  le  vo- 
lume comme  un  nombre  abstrait,  on  divise  par  lui  le 
poids  de  ce  corps,  et  on  trouve  combien  il  pèserait 
sur  une  quantité  de  volume  prise  pour  unité ,  et  par- 
conséquent  qu'il  est  deux  ou  trois  fois  plus  dense  qu'un 
autre  corps  qui  pèse  deux  ou  trois  fois  moins  sous  le 
même  volume.  Ainsi,  on  a  le  rapport  de  densité  de 
ces  deux  corps ,  mais  on  n'a  la  mesure  réelle  de  la  den- 
sité d'aucun  des  deux.  Pour  cela  il  faudrait  connaître 
un  corps  parfaitement  dense,  savoir  ce  qu'il  pèserait 


CHAPITRE   X.  189 

Je  ne  prétends  pas  dire,  au  reste,  que  pour 
les  objets  qu'on  se  propose  dans  la  pratique, 
cette  manière  fût  aussi  commode  que  celle 
dont  on  se  sert;  mais  je  l'ai  exposée  avec 
détail,  afin  de  bien  développer  le  sens  de  l'ex- 
pression usitée  et  pour  achever  de  prouver 
ma  thèse,  savoir,  qu'on  ne  peut  évaluer  un 
mouvement,  c'est-à-dire  déterminer  sa  vi- 
tesse ,  qu'en  le  comparant  à  un  mouvement 
connu,  et  que  c'est  véritablement  ce  qu'on 
fait  en  rapportant  l'espace  parcouru  au 
temps  employé;  car  c'est  réellement  compa- 
rer ce  mouvement  au  mouvement  de  rota- 
tion de  la  terre,  qui,  par  cette  opération,  se 
trouve  devenir  la  mesure  commune  de  tous 
les  autres,  ou  l'unité  de  mouvement,  commç 
le  temps  qu'il  emploie,  le  jour,  est  l'unité 
de  durée. 

sous  pareil  volume,  prendre  ce  poids  pour  unité,  et 
y  rapporter  le  poids  des  deux  autres  corps  comme 
nous  rapportons  les  divers  mouvemens  au  mouvement 
d'un  point  de  l'équateur,  quand  nous  croyons  ne  les 
rapporter  qu'à  une  quantité  de  durée.  On  trouve  la 
même  chose  dans  tous  les  exemples  analogues  ,  car  il 
sera  toujours  et  éternellement  vrai  qu'on  ne  peut  me- 
surer des  quantités  quelconques  que  par  une  quantité 
de  même  nature  qu'elles,  prise  pour  unité. 


190  IDEOLOGIE. 

Concluons  de  tout  ceci  que  c'est  par  senti- 
ment que  nous  connaissons  le  mouvement; 

Que  c'est  lui  qui  nous  fait  connaître  l'é- 
tendue; 

Que  l'étendue  se  mesure  par  elle-même, 
sans  intermédiaire ,  avec  une  commodité 
extrême,  à  cause  de  la  netteté  et  de  la  per- 
manence de  ses  divisions; 

Que  l'étendue  représente  parfaitement  le 
mouvement  opéré,  puisque  cette  propriété 
des  corps  ne  consiste  qu'en  ce  qu'ils  peuvent 
être  parcourus  par  le  mouvement; 

Qu'en  conséquence  de  celte  circonstance, 
le  mouvement  rend  la  durée  mesurable 
en  rapportant  ses  divisions  à  celles  de  l'é- 
tendue ; 

Que,  par  la  même  raison ,  le  mouvement 
lui-même  devient  mesurable;  mais  que 
quand  on  croit  rapporter  l'espace  qu'il  par- 
court à  la  durée,  on  le  rapporte  réellement 
à  l'espace  parcouru  par  un  mouvement  pris 
pour  unité; 

Que  l'unité  d'étendue  peut  être  choisie 
arbitrairement,  quoiqu'il  soit  très-avanta- 
geux qu'elle  soit  une  portion  connue  de  la 
circonférence  de  la  terre  ; 

Mais  que  l'imité  de  temps  est  nécessaire- 


CHAPITRE  X.  191 

ment  le  temps  de  la  révolution  diurne  de  lu 
terre,  et Punité.de  mouvement  le  mouve- 
ment d'un  point  de  l'équateur  pendant  cette 
révolution. 

Concluons  enfin  que  si  nous  sommes  par- 
venus à  bien  démêler  l'artifice  de  la  mesure 
des  effets  sensibles  de  ces  trois  propriétés 
des  corps,  l'étendue,  la  durée  et  la  mobilité, 
il  faut  que  nous  ayons  bien  reconnu  ce 
qu'elles  sont  pour  nous,  et  comment  nous 
les  découvrons. 

Jeunes  gens  pour  qui  j'écris ,  vous  trou- 
verez peut-être  que  voilà  un  bien  faible  ré- 
sultat pour  une  si  longue  discussion ,  et  qu'il 
n'était  pas  besoin  d'un  si  grand  appareil  pour 
établir  un  petit  nombre  de  vérités  si  simples, 
fondées  sur  des  faits  si  constans  et  si  connus. 
Cependant,  si  vous  saviez  combien  on  a  di- 
vagué sur  ces  notions  d'espace,  de  temps, 
de  mouvement,  d'existence,  sur  la  matière 
et  ses  propriétés,  et  combien  les  meilleurs 
esprits  et  les  plus  grands  philosophes  ont 
accumulé  de  raisonnemens  inintelligibles 
et  d'hypothèses  absurdes  sur  de  pareils  su- 
jets, vous  vous  feriez  une  autre  idée  de  la 
facilité  avec  laquelle  nous  nous  y  retrou- 
vons, et  vous  sentiriez  vivement  quel  jour 


1Q2  IDÉOLOGIE. 

jetterait  sur  les  premiers  principes  de  toutes 
les  sciences,  une  analyse  complète  de  nos 
facultés  intellectuelles,  si  elle  pouvait  être 
une  fois  parfaitement  bien  faite,  puisque  la 
simple  ébauche  que  j'ai  essayé  d'en  tracer 
dans  cet  ouvrage,  écarte  déjà  tant  de  diffi- 
cultés et  dissipe  tant  d'obscurités. 

Au  reste,  on  peut  tirer  beaucoup  de  con- 
séquences précieuses  du  petit  nombre  de 
vérités  que  nous  venons  d'établir. 

La  première  qui  se  présente,  et  qui  est 
principalement  relative  à  la  pratique,  c'est 
qu'il  serait  très-utile  que  toutes  les  mesures 
de  l'étendue  fussent  des  portions  décimales 
de  l'équateur  terrestre,  et  qu'il  serait  aussi 
très-commode  que  l'unité  de  temps,  le  jour, 
fût  de  même  divisé  en  parties  décimales. 
Par  là  ces  trois  espèces  de  quantités,  si  dif- 
férentes entr'elles,  mais  qui  ont  des  relations 
si  multipliées ,  l'étendue,  le  mouvement  et  la 
durée,  seraient  toujours  exprimées  par  des 
quantités  décuples  ou  sous-décuples  les  unes 
des  autres;  et  toutes  les  comparaisons  que 
l'on  est  perpétuellement  obligé  d'en  faire  se 
réduiraient  presque  à  ajouter  ou  à  retran- 
cher quelques  zéros  ;  cela  aurait  d'ailleurs 
le  très -grand  avantage  de  rappeler  bien 

mieux 


CHAPITRE  X.  ig3 

mieux  les  rapports  que  nous  avons  recon- 
nus entr'elles,  et  même  la  nature  de  cha- 
cune d'elles. 

Mais  un  autre  sujet  de  réflexions  bien  plus 
importantes ,  c'est  cette  admirable  propriété 
qu'a  l'étendue  de  pouvoir  être  partagée  en 
parties  distinctes  avec  une  précision,  une 
netteté  et  une  permanence  qui  ne  laissent 
rien  à  désirer.  C'est  à  cette  circonstance  que 
doivent  leur  certitude  les  sciences  qui  trai- 
tent de  l'étendue  et  de  ses  effets-  car  d'abord 
il  en  résulte  qu'on  peut  la  mesurer  avec  la 
plus  grande  sûreté  et  la  plus  extrême  jus- 
tesse ;  et  de  cette  perfection  de  mesure  il 
arrive  qu'on  peut  la  représenter  sans  altéra- 
tion et  sans  confusion ,  en  en  diminuant  pro- 
digieusement toutes  les  proportions.  C'est- 
là  l'effet  de  l'art  de  lever  des  plans,  et  de  tous 
les  genres  de  dessin.  L'étendue  est  la  seule 
propriété  des  corps  que  l'on  puisse  exprimer 
ainsi  sur  une  échelle  de  convention  plus  pe- 
tite que  la  réalité. 

De  la  perfection  de  ces  mesures  il  arrive 
encore  que  l'on  peut  en  évaluer  rigoureuse- 
ment et  commodément  toutes  les  circons- 
tances, c'est-à-dire  les  rapports  et  les  pro- 
priétés des  angles,  des  figures  et  des  lignes 

N 


ig4  1DLOLOGIE. 

qui  les  coupent  ouïes  terminent  :  c'est  l'objet 
de  la  géométrie  pure.  Aussi  voyons-nous 
que,  seule  entre  toutes  les  sciences,  elle  est 
d'une  certitude  absolue,  et  que  toutes  les 
autres  participent  plus  ou  moins  à  ce  pré- 
cieux avantage ,  à  proportion  qu'elles  peu- 
vent ramener  une  plus  ou  moins  grande 
partie  des  sujets  qu'elles  traitent  à  être  ap- 
préciables en  parties  de  l'étendue. 

Ainsi  le  mouvement  étant,  comme  nous 
l'avons  vu ,  très-bien  représenté  par  l'éten- 
due, tout  ce  qui  concerne  sa  force,  sa  direc- 
tion, les  lois  de  sa  communication,  est  par- 
faitement démontré,  et  la  science  qui  en 
traite  est  encore  d'une  certitude  géomé- 
trique. 

Par  la  même  raison ,  nous  connaissons  et 
mesurons  la  durée  avec  exactitude  et  sans 
crainte  d'erreur;  et  tout  ce  qui,  dans  les 
corps  et  leurs  propriétés,  peut  s'évaluer  en 
durée,  en  mouvement,  en  étendue,  est  par- 
faitement mesuré  et  démontré,  tandis  que 
tout  ce  qui  n'en  est  pas  susceptible  reste 
toujours  dans  une  sorte  de  vague  et  d'in- 
certitude faute  de  mesures  précises. 

Dans  un  être  quelconque,  nous  pouvons 
déterminer  avec  justesse  et  sûreté  son  âge, 


CHAPITRE   X.  195 

qui  est  la  quantité  de  sa  durée;  sa  figure  et 
sa  position ,  qui  sont  des  circonstances  de 
son  étendue;  son  volume,  qui  est  la  quan- 
tité de  cette  étendue;  son  poids,  qui  est  une 
tendance  au  mouvement;  sa  densité  rela- 
tive ,  qui  est  le  rapport  entre  son  poids  et 
son  volume,  et  tous  les  effets  analogues  à 
ceux-là  ;  nous  avons  pour  tout  cela  des  me- 
sures précises  qui  toutes,  en  dernière  ana- 
lyse, se  rapportent  à  l'étendue;  et  tous  les 
raisonnemens  que  nous  ferons  sur  l'accrois- 
sement, la  diminution  ou  les  combinaisons 
de  ces  propriétés,  auront  facilement  le  ca- 
ractère de  la  certitude,  parce  qu'ils  porteront 
sur  des  bases  fixes;  mais  il  n'en  est  pas  dé 
même  de  certaines  autrespropriétés, comme 
la  couleur,  la  saveur,  la  beauté,  la  bonté  et 
mille  autres  pareilles.  Comment  en  fixer  la 
quantité  avec  précision  ?  Cela  est  impos- 
sible. Il  y  aura  donc  toujours  un  certain 
vague  dans  la  détermination  de  leurs  élé- 
mens  et  de  leurs  rapports,  et  tous  les  rai* 
sonnemens  que  nous  ferons  sur  les  consé- 
quences à  en  tirer  demanderont  de  grands 
ménagemens ,  et  ne  seront  susceptibles  de 
certitude  qu'en  les  restreignant  dans  cer- 


I96  IDÉOLOGIE. 

taines  limites,  et  en  ayant  égard  à  une  foule 
de  considérations. 

Prenons  pour  exemple  la  lumière.  Sa  vi- 
tesse ,  sa  direction ,  ses  réfractions ,  ses  ré- 
flexions ,  la  divergence  et  la  coïncidence  de 
ses  rayons,  tout  cela  peut  se  mesurer  rigou- 
reusement, et  l'on  en  peut  conclure  avec 
certitude  les  points  où  ces  rayons  doivent 
se  rencontrer,  les  effets  qu'ils  doivent  pro- 
duire, la  grandeur  et  la  position  des  images 
qu'ils  doivent  former,  etc.;  mais  on  ne  peut 
pas  de  même  apprécier  les  rapports  des  cou- 
leurs entr'elles.  On  peut  bien  dire  que  l'une 
est  plus  vive  que  i'autre  ;  que  le  bleu  et  le 
jaune  réunis  font  du  vert;  mais  comment 
apprécier  leurs  nuances?  comment  évaluer 
la  quantité  qu'il  faut  de  deux  d'entr'elles  pour 
en  faire  une  troisième  ?  Les  mesures  man- 
quent; il  y  a  du  vague. 

Il  en  est  de  même  des  sons  ;  la  vitesse  de 
leur  propagation,  leur  direction,  leur  ré- 
flexion, la  dispersion  ou  la  concentration  de 
leur  force  qui  en  résulte,  se  déterminent 
avec  facilité  et  sûreté  :  cela  se  rapporte  aux 
propriétés  de  l'étendue  ;  mais  les  rapports 
harmoniques  de  ces  sons  entr'eux,  nous  ne 
pourrions  pas  plus  les  préciser  que  ceux  des 


CHAPITRE   X.  197 

couleurs,  si  nous  n'avions  pas  découvert 
qu'ils  sont  proportionnels  à  la  longueur  des 
cordes  qui  les  produisent,  à  la  durée  de  leurs 
vibrations.  Par  là  les  voilà  ramenés  à  des 
mesures  d'étendue,  et  ils  se  calculent  rigou- 
reusement. 

La  même  chose  se  remarque  dans  toutes 
les  parties  de  la  physique.  Toutes  les  fois 
que  nous  pouvons  peser  ou  mesurer,  esti- 
mer en  poids  ou  en  volume  un  être  ou  un 
effet  quelconque,  nous  avons  l'expression 
précise  de  leur  quantité,  parce  qu'elle  est 
rapportée  à  l'étendue  ;  quand  nous  ne  le  pou- 
vons pas  directement ,  nous  y  arrivons  en- 
core si,  par  un  artifice  quelconque,  nous 
faisons  que  leur  existence  se  manifeste  par 
quelques  mouvemens  opérés  dans  l'étendue. 
C'est  ainsi  que  nous  évaluons  l'électricité 
d'un  corps  par  les  degrés  de  l'électromètre; 
sa  chaleur,  par  ceux  du  thermomètre  ou  du 
pyromètre;  son  humidité,  par  ceux  de  l'hy- 
gromètre. En  effet,  les  parties  des  mouve- 
mens de  ces  machines  sontbien  comparables 
entr'elles  ;  il  n'y  a  pas  là  d'ambiguité  ;  la  seule 
incertitude  qui  nous  reste  est  de  savoir  si 
ces  portions  de  mouvemens  sont  bien  pro- 
portionnelles à  la  quantité  des  matières  me- 


ig8  IDÉOLOGIE. 

surées  (l'électricité,  le  calorique  et  l'eau), 
et  à  leurs  autres  effets.  Prenons  un  autre 
exemple  qui  rendra  ceci  encore  plus  clair. 

L'activité  d'un  médicament  ne  se  mani- 
feste que  par  des  mouvemens  opérés  dans 
l'individu  vivant  qui  l'a  pris  ;  mais  personne 
n'a  de  mesure  juste  pour  apprécier  la  vertu 
purgative  de  ce  médicament  ni  son  rapport 
avec  celle  d'un  autre  médicament  ;  cepen- 
dant nous  avons  une  échelle  approximative 
pour  y  parvenir,  c'est  la  quantité  de  volume 
ou  de  poids  de  chacun  d'eux  nécessaire  pour 
produire  les  mêmes  effets;  et  cette  mesure 
serait  complètement  satisfaisante,  si  les  ef- 
fets purgatifs,  bienfaisans,  malfaisans,  etc., 
étaient  constamment  proportionnels  aux 
quantités  relatives  à  l'étendue  auxquelles  on 
les  compare  ;  alors  il  en  arriverait  comme 
des  valeurs  des  différentes  marchandises, 
qui,  par  elles-mêmes,  ne  sont  pas  suscep- 
tibles de  mesure  précise,  mais  qui,  étant 
toutes  réduites  en  poids  d'un  même  métal, 
sont  appréciées  avec  la  plus  grande  justesse. 

Il  en  est  de  même  dans  les  objets  dont 
traitent  les  sciences  morales  et  politiques. 
Nous  n'avons  point  de  mesures  précises  pour 
évaluer  directement  les  degrés  de  l'énergie 


CHAPITRE   X.  19g 

des  scnlimens  et  des  inclinations  des  hom- 
mes, de  leur  bonté  ou  de  leur  dépravation, 
ceux  de  l'utilité  ou  du  danger  de  leurs  ac- 
tions, de  l'enchaînement  ou  de  l'inconsé- 
quence de  leurs  opinions.  C'est  ce  qui  tait 
que  les  recherches  dans  ces  sciences  sont 
plus  difficiles  et  leurs  résultats  moins  rigou- 
reux. Cependant  les  opinions,  les  actions, 
les  sentimens  des  hommes  sont  suivis  d'ef- 
fets dont  un  grand  nombre ,  tels  que  les  va- 
leurs que  nous  venons  de  prendre  pour 
exemple,  sont  appréciables  d'après  des  me- 
sures parfaitement  exactes;  et  la  juste  me- 
sure des  effetè  sert  à  estimer  les  causes. 
D'ailleurs,  dans  tous  les  cas  où  on  n'arrive 
pas  à  une  évaluation  qui  ne  laisse  rien  à  dé- 
sirer, et  où  par  conséquent  il  existe  une 
latitude  plus  ou  moins  grande  où  règne  l'in- 
certitude, il  y  a  aussi  de  certaines  limites 
en-deçà  desquelles  on  est  sur  qu'est  la  vérité, 
et  au-delà  desquelles  on  est  certain  de  tom- 
ber dans  l'erreur.  Ainsi ,  par  exemple ,  il  peut 
être  impossible  de  déterminer  de  combien 
tel  sentiment  individuel  ou  telle  organisa- 
tion sociale  est  préférable-à  tel  ou  telle  autre; 
mais  il  est  impossible  de  méconnaître  que 
l'une  conduit  à  des  résultats  absolument 


200  IDEOLOGIE. 

mauvais,  et  l'autre  à  des  résultats  absolu- 
ment bons  ;  or ,  cela  suffit  pour  qu'on  ne 
puisse  pas  dire  que  ces  sciences  sont  com- 
plètement incertaines,  sans  déclarer  que  l'on 
est  soi-même  complètement  ignorant.  Au 
demeurant,  sans  entamer  la  question  du  de- 
gré de  certitude  des  différentes  sciences, 
question  qui  est  du  nombre  de  celles  pour 
la  solution  desquelles  nous  manquons  de 
mesures  précises,  l'on  voit  que  toutes  ces 
sciences  sont  plus  ou  moins  certaines  à  pro- 
portion que  les  objets  dont  elles  s'occupent 
sont  plus  ou  moins  réductibles  à  des  quan- 
tités appréciables  par  des  mesures  parfaite- 
ment exactes,  et  que,  de  toutes  les  espèces 
de  quantités,  l'étendue  est  celle  qui  possède  le 
plus  éminemment  ce  précieux  caractère  (1). 

(i)  Observez  encore,  je  vous  prie,  que  la  possi- 
bilité d'appliquer  le  calcul  aux  objets  des  différentes 
sciences,  est  aussi  proportionnelle  à  la  propriété  qu'ont 
ces  objets  d'être  plus  ou  moins  appréciables  en  me- 
sures exactes  ;  car,  pour  calculer  un  effet  quelconque , 
il  faut  l'exprimer  en  nombres,  et  pour  pouvoir  l'ex- 
primer en  nombres,  il  faut  qu'il  soit  comparable  à  une 
mesure,  à  une  unité  fixe,  et  que  ses  différens  degrés 
soient  bien  déterminés,  sans  quoi  tous  les  nombres 
qu'on  y  appliquerait  ne  signifieraient  absolument  rien  ; 


CHAPITRE  X.  201 

J'ai  lu,  il  n'y  a  pas  long-temps,  dans  un 
ouvrage  de  métaphysique,  estimable  à 
beaucoup  d'égards,  cette  phrase  singulière  : 

et  on  ne  peut  se  servir,  pour  l'évaluer,  que  des  mots 
plus,  moins,  peu,  beaucoup ,  et  autres  adverbes  de 
quantité  qui  n'ont  qu'une  valeur  indéterminée.  C'est 
ce  qui  se  remarque  d'une  manière  bien  pénible  dans 
la  conversation  des  gens  qui  ont  l'habitude  de  s'ex- 
primer d'une  façon  inexacte  ;  ils  vous  disent  qu'un 
homme  a  cent  fois  plus  de  talent  qu'un  autre;  c'est 
comme  s'ils  vous  disaient  seulement  qu'il  en  a  beau- 
coup plus  ;  et  le  moment  après  ils  vous  diront  qu'un 
lieu  est  prodigieusement  plus  éloigné  qu'un  autre:  ils 
devraient  vous  dire  qu'il  est  deux,  trois,  quatre  fois 
plus  loin. 

On  me  dira  que ,  dans  les  nombres  abstraits ,  l'unité 
n'a  aucune  valeur  déterminée  ,  d'accord  ;  aussi  aucun 
nombre  abstrait  n'a-t-il  jamais  une  valeur  détermi- 
née ;  seulement  les  rapports  de  chacun  d'eux  avec  le 
nombre  un  sont  fixés  de  la  manière  la  plus  précise  et 
la  plus  invariable,  et  cela  suffit  pour  les  calculer, 
c'est-à-dire  pour  les  comparer;  car  tous  les  calcula 
que  l'on  fait  sur  les  nombres  abstraits  ne  sont  jamais 
que  des  comparaisons  établies  entr'eux,  et  ces  nombres 
ne  prennent  une  valeur  réelle  que  quand  on  en  donne 
une  au  nombre  un;  mais  pour  adapter  ces  nombres 
à  un  effet  quelconque ,  il  faut  que  les  parties  de  cet 
effet  soient  aussi  nettement  distinctes  entr'elles  que 
ces  nombres  le  sont  entr'eux. 

Il  demeure  donc  Yrai  que  la  possibilité  d'appliquer 


202  IDÉOLOGIE. 

Le  toucher,  ce  sens  vraiment  géométri- 
que, etc.  On  voit  que  l'auteur  a  voulu  dire 
que  le  toucher  est  le  sens  qui  nous  pro- 
ie calcul  aux  objets  d'une  science ,  est  proportionnelle 
à  la  propriété  qu'ont  ces  objets  d'être  plus  ou  moins 
appréciables  en  mesures  exactes;  voilà  pourquoi  la 
géométrie  jouit  éminemment  de  cet  avantage  ,  et 
après  elle  graduellement  celles  qui  traitent  plus  ou 
moins  de  sujets  réductibles  en  mesures  de  l'étendue. 

Cette  remarque  nous  montre  combien  est  grande 
l'erreur  de  certains  écrivains  qui  croient  donner  une 
grande  force  à  leurs  raisonnemens  et  augmenter  beau- 
coup la  certitude  d'une  science ,  en  introduisant  une 
multitude  de  chiffres  et  de  calculs  dans  des  sujets  qui 
n'en  sont  pas  susceptibles.  S'ils  avaient  commencé  par 
trouver  le  secret  de  ramener  le  sujet  qu'ils  traitent  à 
des  mesures  précises,  d'étendue,  par  exemple  ,  sans 
doute  ils  auraient  fait  un  pas  immense  ;  mais  sans 
celui-là  tout  ce  vain  appareil  mathématique  est  char- 
latanerie  pure. 

Nous  avons  un  exemple  d'un  genre  bien  différent, 
mais  qui  confirme  mon  dire,  dans  les  efforts  qu'ont 
faits  nos  grands  chimistes  modernes  pour  exprimer 
en  nombres  l'intensité  de  l'affinité  de  certains  acides 
pour  certaines  bases ,  afin  de  nous  rendre  sensible  le 
jeu  des  affinités  doubles.  Ils  ont  usé  des  ménagement 
les  plus  adroits  dans  la  détermination  des  nombres 
par  lesquels  ils  ont  exprimé  les  affinités  des  différera; 
acides  ,  afin  qu'il  arrivât  toujours  que  les  sommes  re- 
présentant les  affinités  victorieuses  fussent  supérieure* 


CHAPITRE   X.  2o3 

cure  les  mesures  les  plus  exactes  et  les 
rapports  les  plus  précis;  mais  il  aurait  du 
ajouter  que  cela  n'est  vrai  que  lorsqu'il  est 
employé  à  la  connaissance  de  l'étendue  ;  car 
les  sensations  des  piqûres,  des  brûlures, 
du  froid,  du  chiud,  des  frottemens,  des 
chatouillemens,  et  bien  d'autres  sont  aussi 
des  perceptions  que  nous  devons  au  sens 
du  toucher;  et  il  n'est  pas  plus  aisé  d'éva- 
luer l'intensité  de  ces  sensations,  et  d'établir 
des  rapports  exacts  entr'eiles ,  que  lors- 
qu'il est  question  des  sensations  de  cou- 
leurs, de  saveurs,  ou  d'odeurs,  que  nous 


à  celles  des  affinités  vaincues;  et  à  force  de  tâtonne- 
mens  ils  sont  parvenus  à  ce  que  les  nombres  assignés 
aux  différens  acides  ne  représentassent  pas  mal ,  au 
moins  dans  beaucoup  de  cas ,  les  degrés  de  puissance 
de  ces  acides.  Mais  dans  le  fait,  faute  de  trouver  des 
mesures  exactes  de  ces  degrés  de  puissance,  ils  ne 
peuvent  pas  se  servir  de  ces  nombres  pour  les  calculer 
rigoureusement;  et  ils  sont  trop  éclairés  pour  l'entre- 
prendre ,  et  pour  croire  que  l'emploi  de  ces  chiffres 
donne  un  nouveau  degré  de  justesse  à  leurs  belles  ob- 
servations, et  de  sûreté  à  leurs  excellens  raisonnement. 
Une  quantité  quelconque  est  donc  calculable  à  pro- 
portion qu'elle  est  réductible  directement  ou  indirec- 
tement en  mesures  de  l'étendue,  car  c'est-là  la  pro- 
priété des  êtres  la  plus  éminemment  mesurable. 


204  IDÉOLOGIE. 

devons  à  d'autres  sens.  Ce  métaphysicien 
aurait  donc  bien  fait  de  remarquer,  si  tou- 
tefois il  s'en  est  aperçu,  que  ce  n'est  pas  le 
toucher  qui  est  un  sens  vraiment  géométri- 
que, mais  bien  l'étendue  qui  est  une  pro- 
priété éminemment  métrique,  c'est-à-dire 
mesurable  :  cela  aurait  eu  un  sens  plus 
clair  et  plus  instructif.  J'observerai  à  cette 
occasion  que,  si  les  mots  étaient  bien  faits, 
la  science  de  l'étendue  ne  s'appellerait  pas 
géométrie,  qui  veut  dire  mesure  de  la  terre, 
ce  qui  ne  convient  qu'à  l'arpentage,  mais 
bien  cosmométrie ,  puisqu'elle  sert  à  me- 
surer le  monde  entier,  ou  mieux  encore 
?nétrie  tout  simplement,  puisque  de  toutes 
les  sciences,  c'est  celle  qui  jouit  le  plus 
complètement  de  l'avantage  de  posséder 
des  mesures  parfaites,  et  d'en  fournir  aux 
autres. 

J'ai  beaucoup  insisté  sur  cette  propriété 
de  rétendue,  parce  qu'elle  n'a  pas  été  assez 
remarquée  jusqu'à  présent;  qu'on  n'a  pas 
encore  fait  voir  nettement  en  quoi  elle  con- 
siste; qu'on  n'a  pas  imaginé  d'en  déduire  la 
cause  du  degré  de  certitude  des  diverses 
sciences,  et  qu'en  général  on  a  été  porté  à 
attribuer  ce  plus  ou  moins  de  certitude  à 


CHAPITRE   X.  205 

la  manière  de  procéder  de  ces  sciences 
que  l'on  croyait  fort  différente ,  tandis  que 
nous  verrons  à  l'article  de  la  Logique  que  la 
marche  de  l'esprit  humain  est  toujours  la 
même  dans  toutes  les  branches  de  ses  con- 
naissances, et  que  la  certitude  de  ses  juge- 
mens  est  toujours  de  la  même  nature  et  a 
toujours  des  causes  semblables. 

Après  cette  longue  digression  sur  la  me- 
sure des  propriétés  des  corps ,  je  reviens  à 
ce  que  j'ai  dit  de  l'enchaînement  de  ces  pro- 
priétés. Je  pense  que,  pour  les  ranger  dans 
un  ordre  réellement  méthodique,  il  faudrait 
mettre  au  premier  rang  la  mobilité,  non- 
seulement  parce  quelle  est  la  source  de  tous 
les  effets  que  les  corps  produisent  les  uns 
sur  les  autres,  et  que,  nommément  dans  les 
êtres  animés,  elle  est  la  cause  de  la  faculté 
de  sentir  et  de  se  mouvoir,  mais  encore 
parce  que  toutes  les  autres  propriétés  des 
corps  sont  nécessairement  dépendantes  de 
celle-là ,  puisqu'elles  n'auraient  pas  lieu  sans 
elle;  ou  y  sont  essentiellement  relatives, 
puisqu'elles  ne  nous  sont  connues  que  par 
le  mouvement. 

On  doit  placer  ensuite  l'inertie  et  V im- 
pulsion, qui  n'auraient  pas  lieu  sans  la  mo- 


206  IDÉOLOGIE. 

bilité,  et  ne  sont  que  des  circonstances  de 
son  existence. 

Après,  vient  F  attraction,  qui  n'aurait  pas 
lieu  non  plus  sans  la  mobilité,  mais  n'en  est 
pas  une  conséquence  nécessaire. 

Je  comprends  sous  ce  nom  général  d'at- 
traction la  gravitation  céleste,  la  pesanteur 
terrestre,  et  les  affinités  chimiques  avec 
leurs  dépendances ,  l'adhésion  ,  la  cohé- 
sion, etc.  :  ces  forces  internes  existantes  dans 
chaque  particule  des  corps  me  prouvent 
que  la  matière  est  essentiellement  active  ; 
et  si  elle  ne  l'était  pas,  je  ne  comprends  pas 
comment  elle  serait  mobile,  car  je  ne  puis 
concevoir  d'où  viendrait  le  commencement 
d'un  mouvement  quelconque. 

Vient  ensuite  l'étendue,  qui  n'est  ni  une 
circonstance  ni  un  effet  de  la  mobilité,  mais 
qui  ne  nous  est  connue  que  par  elle,  et 
n'existe  pour  nous  que  par  sa  relation  avec 
le  mouvement. 

De  l'étendue  dérivent  nécessairement  la 
divisibilité,  la  forme  ou  figure,  et  l'im- 
pénétrabilité, comme  aussi  laporosité,  qui 
en  est  une  conséquence  générale,  mais  non 
pas  nécessaire. 

Enfin  vient  la  durée,  propriété  qui  est  in- 


CHAPITRE   X.  207 

dépendante  de  la  mobilité,  dont  la  seule  sac- 
cession  de  nos  sensations  nous  donne  l'idée, 
mais  que  nous  ne  pouvons  mesurer  que 
par  le  mouvement,  lequel  n'est  lin-même 
constaté  que  par  l'étendue  qu'il  nous  a  fait 
connaître;  ensorte  que  l'étendue,  la  durée 
et  le  mouvement  se  servent  réciproque- 
ment de  mesure,  ou  plutôt  que  la  mesure 
de  tous  trois  s'exprime  en  parties  d'étendue. 
Tel  est  l'enchaînement  que  j'aperçois 
entre  les  propriétés  que  nous  reconnaissons 
dans  les  corps.  Je  suis  persuadé  que  si  les 
physiciens,  au  lieu  de  les  ranger  à  peu  près 
indifféremment,  comme  ils  ont  toujours  fait, 
s'étaient  occupés  de  les  classer  ainsi  dans  un 
ordre  bien  systématisé,  ils  nous  auraient 
donné  des  idées  plus  nettes  de  ce  que  les 
corps  sont  pour  nous  *  mais  pour  cela  ,  il 
aurait  fallu  remonter,  comme  nous  venons 
de  le  faire,  à  l'origine  de  nos  connaissances. 
Aussi  l'enseignement  de  toute  science  de- 
vrait-il réellement  commencer  par  nous 
expliquer  comment  nous  connaissons  les 
objets  dont  elle  traite,  ce  qui  prouve  que 
l'examen  de  nos  opérations  intellectuelles 
est  l'introduction  naturelle  à  tous  les  genres 
d'études.  On  me  dira  peut-être  qu'il  n'est 


208  IDÉOLOGIE. 

pas  nécessaire  de  remonter  si  haut  pour 
donner  des  notions  exactes  des  phénomènes 
particuliers;  cela  se  peut.  Cependant,  si  je 
voulais  citer  de  nombreuses  erreurs  en  phy- 
sique provenant  de  fausses  idées  métaphy- 
siques, les  exemples  ne  me  manqueraient 
pas;  et,  même  en  géométrie,  je  pourrais 
dire  que  si  les  géomètres  sont  mécontens 
avec  raison  de  la  plupart  des  définitions  de 
la  ligne  droite,  et  des  démonstrations  des 
propriétés  des  parallèles,  et  du  peu  de  liai- 
son qu'ont  entr'elles  plusieurs  des  pre- 
mières vérités  de  la  géométrie,  la  cause  en 
est  qu'ils  ne  se  sont  pas  fait  une  idée  nette 
de  la  nature  de  l'étendue,  et  de  la  manière 
dont  nous  la  connaissons.  S'ils  étaient  re- 
montés jusque-là  ,  ils  auraient  vu  tout  dé- 
river de  l'idée  première  de  la  ligne  physique 
tracée  sur  un  corps  par  un  autre  corps  qui 
se  meut  d'un  des  points  de  ce  corps  à  un 
autre,  en  conservant  toujours  la  même  di- 
rection ou  en  en  changeant;  et  toutes  leurs 
propositions  élémentaires  sur  les  lignes 
droites,  les  lignes  brisées,  les  lignes  courbes, 
les  angles  et  leur  mesure,  les  parallèles  et 
leurs  sécantes ,  les  intersections  des  cercles 
et  des  sphères,  etc.,  se  seraient  enchaînées 

d'elles- 


CHAPITRE  X.  209 

d'elles-mêmes  et  liées  très-étriotement.  A  la 
vérité  je  ne  puis  qu'indiquer  ce  que  j'avance 
ici  :  pour  le  démontrer,  il  me  faudrait  faire 
un  petit  traité  de  géométrie  élémentaire ,  et 
cela  m'éloignerait  du  sujet  que  je  traite; 
mais  je  suis  persuadé  que  les  personnes  éclai- 
rées qui  ont  réfléchi  sur  ces  matières  ne  me 
dédiront  pas.  D'ailleurs  il  n'est  pas  néces- 
saire de  démonstrations  bien  détaillées  pour 
prouver  que  quant  à  l'origine  d'une  re- 
cherche quelconque  on  laisse  un  point  ob- 
scur quel  qu'il  soit,  il  n'est  pas  possible  qu'il 
n'en  résulte  quelqu'inconvénient  dans  un 
moment  ou  dans  un  autre  :  or,  c'est  à  cette 
assertion  que  je  me  borne,  et  elle  me  suffit 
pour  établir  la  nécessité  d'étudier  nos  fa- 
cultés intellectuelles.  Revenons  donc  à  cette 
étude,  qui  est  notre  objet  principal,  et  dont 
les  autres  ne  sont  que  des  applications  ;  et 
commençons  par  nous  assurer  que  nous  ne 
nous  sommes  pas  égarés  jusqu'à  présent 
dans  l'analyse  que  nous  avons  faite  de  ces 
facultés.  Pour  cela,  comparons-la  avec  celle 
qui  est  la  plus  généralement  approuvée. 


O 


210  IDEOLOGIE. 


CHAPITRE  XL 

Réflexions  sur  ce  qui  précède _,  et  sur  la 
manière  dont  Condillac  a  analysé  la 
Pensée. 

IVJLEsjeunesamis,  pour  avanceravec  sûreté 
dans  une  recherche  quelconque,  rien  n'est 
plus  utile  que  de  jeter  de  temps  en  temps  un 
coup-d'œil  en  arrière  sur  le  chemin  que 
l'on  a  parcouru;  cela  est  d'autant  plus  à  pro- 
pos en  ce  moment,  que  nous  sommes  déjà 
plus  avancés  dans  notre  carrière  que  peut- 
être  vous  ne  le  croyez  vous-mêmes. 

En  effet,  après  vous  avoir  donné  une  idée 
générale  de  la  faculté  de  penser  ou  sentir, 
et  du  but  que  je  me  propose  en  l'exami- 
nant, je  vous  ai  fait  remarquer  qu'elle  con- 
siste à  sentir  des  sensations,  des  souvenirs, 
des  rapports  et  des  désirs. 

Vous  avez  vu  que  ces  impressions  pre- 
mières suffisent  à  former  toutes  nos  idées 
les  plus  compliquées  et  les  plus  abstraites, 
et  à  nous  assurer  de  la  réalité  de  notre 
existence  et  de  celle  de  tout  ce  qui  nous 
entoure. 


CHAPITRE   XI.  2il 

Je  vous  ai  même  expliqué  comment  ces 
facultés  élémentaires  naissent  les  unes  des 
autres,  ou  plutôt  qu'elles  ne  sont  que  des 
modifications  d'une  faculté  unique,  celle  de 
sentir.  C'est  ainsi,  je  crois,  qu'il  faut  en- 
tendre le  principe  de  Condillac,  que  toutes 
les  opérations,  ou,  comme  il  dit  souvent, 
toutes  les  facultés  de  rame  ne  sont  tou- 
jours que  la  sensation  transformée;  prin- 
cipe profond  et  fécond,  qui  jusqu'à  présent 
donnait  lieu  à  beaucoup  de  discussions, 
parce  que  cette  manière  de  l'énoncer  laisse 
peut-être  quelque  chose  à  désirer. 

Je  vous  ai  montré  de  plus  en  quoi  con- 
siste tout  ce  que  nous  savons  des  propriétés 
des  corps,  et  que  la  manière  dont  je  les 
considère  explique  très-facilement  la  géné- 
ration et  la  nature  de  plusieurs  idées  qui  ont 
toujours  beaucoup  embarrassé  les  métaphy- 
siciens, et  qui  n'embarrassent  si  peu  les 
autres  hommes  que  parce  qu'i's  ne  se  met- 
tent pas  en  peine  de  savoir  ce  qu'ils  font 
quand  ils  pensent  et  qu'ils  raisonnent;  chose 
cependant  assez  nécessaire  pour  bien  pen- 
ser et  bien  raisonner,  quelque  sujet  que  l'on 
traite. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  résulte  de  ce  petit 

O    2 


212  IDEOLOGIE. 

nombre  d'observations,  que,  si  nous  ne  nous 
sommes  pas  égarés,  nous  avons  déjà  une 
idée  nette  de  l'instrument  universel  de 
toutes  nos  découvertes,  de  ses  procédés, 
de  ses  effets,  de  ses  résultats,  et  du  principe 
de  toutes  nos  connaissances;  ce  qui  n'était 
peut-être  pas  encore  arrivé,  et  ce  qui  ne 
peut  être  inutile  aux  progrès  ultérieurs  de 
l'esprit  humain. 

Sans  doute  nous  sommes  loin  d'avoir  fait 
une  histoire  complète  de  l'intelligence  hu- 
maine ;  il  faudrait  des  milliers  de  volumes 
pour  épuiser  un  sujet  si  vaste,  mais  du 
moins  nous  en  avons  fait  une  analyse  exacte  ; 
et  le  peu  de  vérités  que  nous  avons  recueil- 
lies est,  si  je  ne  me  trompe,  dégagé  de  toute 
obscurité,  de  toute  incertitude,  et  de  toute 
supposition  hasardée,  ensorte  que  nous  pou- 
vons y  prendre  une  entière  assurance  :  d'où 
il  arrive  qu'étant  certains  de  la  formation  et 
de  la  filiation  de  nos  idées,  tout  ce  que  nous 
dirons  par  la  suite  de  la  manière  d'exprimer 
ces  idées,  de  les  combiner,  de  les  enseigner, 
de  régler  nos  sentimens  et  nos  actions,  et 
de  diriger  celles  des  autres,  ne  sera  que  des 
conséquences  de  ces  préliminaires,  et  repo- 
sera sur  une  base  constante  et  invariable , 


CHAPITRE   XI.  2l5 

étant  prise  dans  la  nature  même  de  notre 
être.  Or,  ces  préliminaires  constituent  ce  que 
l'on  appelle  spécialement  l'idéologie  ;  et 
toutes  les  conséquences  qui  en  dérivent 
sont  l'objet  de  la  grammaire,  de  la  logique, 
de  l'enseignement,  de  la  morale  privée,  de 
la  morale  publique  (ou  l'art  social),  de  l'édu- 
cation et  de  la  législation ,  qui  n'est  autre 
chose  que  l'éducation  des  hommes  faits. 
Nous  ne  pourrons  donc  nous  égarer  dans 
toutes  ces  sciences  qu'autant  que  nous  per- 
drons de  vue  les  observations  fondamen- 
tales sur  lesquelles  elles  reposent. 

Il  paraîtrait,  par  ce  résumé,  que  nous 
n'avons  plus  rien  à  dire  sur  l'Idéologie  pro- 
prement dite  :  et  effectivement,  si  je  n'avais 
égard  qu'à  ma  feçon  de  voir,  j'aurais  bien 
peu  de  choses  à  ajouter  à  ce  qui  précède.  Je 
me  contenterais  de  vous  rappeler  que  ma 
manière  de  décomposer  la  pensée  satisfaisant 
à  l'explication  de  tous  les  phénomènes  qui 
sont  explicables,  vous  ne  pouvez  plus  vous 
refuser  à  convenir  qu'il  n'y  a  dans  toutes 
nos  idées  que  des  sensations ,  des  souvenirs^ 
des  jugemens  et  des  désirs;  et  après  quel- 
ques observations  générales  sur  les  rapports 
de  l'idéologie  et  de  la  physiologie ,  }e  vous- 


2l4  IDEOLOGIE. 

proposerais  de  passer  à  l'étude  de  l'expres- 
sion de  nos  idées. 

Mais  vous  avez  pu  remarquer  que  dans 
l'établissement  de  ma  théorie  idéologique,  je 
ne  me  suis  occupé  que  des  faits  sur  lesquels 
elle  est  fondé,  sans m'embarrasser  des  sys- 
tèmes des  auteurs  qui  ont  écrit  sur  ces  ma- 
tières ,  et  sans  me  mettre  en  peine  d'en  dis- 
cuter presque  aucuns.  Or,  avant  d'aller  plus 
loin  7  il  est  bon  que  vous  ayez  une  idée  des 
opinions  les  plus  accréditées  :  pour  cela  il 
suffira  que  nous  examinions  celle  de  Con- 
dillac,  parce  qu'elle  est  le  fond  commun  de 
toutes  les  autres,  qui  n'en  sont  guère  que 
des  variantes. 

Vous  saurez  donc  que  ce  philosophe  jus- 
tement célèbre,  que  l'on  peut  regarder 
comme  le  fondateur  de  la  science  que  nous 
étudions,  et  qui  jusqu'à  présent  en  tient  le 
sceptre  (1),  a  jugé  à  propos,  d'après  Locke , 

(1)  Avant  Condillac,  nous  n'avions  guère,  sur  les 
opérations  de  l'esprit  humain,  que  des  observations 
éparses  plus  ou  moins  fautives  :  le  premier  il  les  a 
réunies  et  en  a  fait  un  corps  de  doctrine  ;  ainsi  ce  n'est 
que  depuis  lui  que  l'idéologie  estvraiment  une  science. 
Il  l'aurait  encore  bien  plus  avancée,  si,  au  lieu  de  dis- 
séminer ses  principes  dans  plusieurs  ouvrages,  il  Ici 


CHAPITRE   XT.  21 5 

de  partager  l'intelligence  de  l'homme  ou  sa 
faculté  de  sentir,  en  entendement  et  en  vo- 
lonté; puis  il  reconnaît  comme  parties  inté- 
grantes de  l'entendement,  l'attention,  la  com- 
paraison, le  jugement,  la  réflexion,  l'imagi- 
nation, et  le  raisonnement,  auquel  il  joint 
ensuite  la  mémoire,  qu'il  partage  même  quel- 
quefois en  réminiscence,  mémoire  propre- 
ment dite,  et  imagination  (dans  ce  cas  le 
mot  imagination  n'a  pas  le  même  sens  que 
ci-dessus);  enfin,  il  distingue  dans  la  vo- 
lonté le  besoin,  le  malaise,  l'inquiétude,  le 
désir,  les  passions,  l'espérance,  et  la  volonté 
proprement  dite.  On  peut  voir  cette  divi- 
sion dans  sa  Logique,  part,  première,  chap. 
7  ;  dans  les  leçons  préliminaires  de  son  Cours 
d'Études,  art.  2;  dans  son  Essai  sur  l'ori- 
gine des  Connaissances  humaines,  part,  pre- 
mière,  chap.    2  et  3,  et  dans  plusieurs 

avait  rassemblés  dans  un  traité  unique  qui  contînt  son 
système  tout  entier  ;  mais ,  quoiqu'une  mort  préma- 
turée l'ait  empêché  de  rendre  cet  important  service  à 
la  raison  humaine,  il  n'en  est  pas  moins  le  guide  !e 
plus  généralement  suivi  par  tous  les  bons  esprits  de 
nos  jours,  et  il  a  la  gloire  d'avoir  puissamment  con- 
tribué à  les  former. 


2l6  IDÉOLOGIE. 

autres  endroits  de  ses  ouvrages  :  elle  n'est 
pas  partout  exactement  la  même. 

Voilà  bien  des  parties  distinctes  dans 
cette  seule  chose  que  nous  appelons  la  pen- 
sée. Les  disciples  de  Condillac,  etCondillac 
lui-même,  y  en  ont  quelquefois  ajouté  d'au- 
tres, et  souvent  en  ont  retranché  :  ces  va- 
riations indiquent  déjà  qu'il  y  a  de  l'arbi- 
traire dans  ces  divisions ,  et  qu'elles  ne  sont 
pas  manifestement  commandées  par  les 
faits  ;  mais  pour  en  être  tout -à -fait  cer- 
tains ,  il  nous  suffit  de  nous  rendre  un 
compte  exact  de  la  signification  de  tous  ces 
termes. 

Je  vois  d'abord  comme  en  parallèle  et 
presque  en  opposition  l'entendement  et  la 
volonté.  Je  comprends  bien  que  l'on  ex- 
prime par  le  mot  volonté  cette  faculté,  ce 
pouvoir  que  nous  avons  de  ressentir  des 
désirs,  des  penchans  pour  certaines  ma- 
nières d'être,  et  de  l'éloignement  pour  d'au- 
tres :  c'est  aussi  l'usage  que  nous  avons  fait 
de  ce  terme,  et  je  le  crois  fondé;  mais  je  ne 
vois  pas  de  même  pourquoi  on  grouperait 
sous  le  seul  mot  entendement  des  choses 
aussi  distinctes  que  sentir,  se  ressouvenir, 
et  juger. 


CHAPITRE  XI.  217 

En  effet,  on  peut  dire  que  nos  connais- 
sances ne  consistent  proprement  que  dans 
les  jugemens  que  nous  portons  des  impres- 
sions que  nous  recevons  ;  qu'ainsi,  rigou- 
reusement parlant ,  il  n'y  a  de  tout  cela  que 
le  jugement  qui  appartienne  à  l'entende- 
ment; et  qu'il  faudrait  ne  placer  que  lui 
sous  ce  titre,  tandis  que  la  sensibilité,  et 
même  la  mémoire ,  iraient  très  -  bien  se 
ranger  avec  le  désir ,  qui  est  un  effet  im- 
médiat et  nécessaire  de  l'impression  reçue. 

D'un  autre  côté,  si  on  considère  que  sen- 
tir et  vouloir  sont  des  modifications  sou- 
daines ,  et  pour  ainsi  dire  forcées ,  et  que 
se  ressouvenir  et  juger  portent  un  caractère 
de  plus  de  réflexion ,  on  pourrait  ranger  la 
volonté  avec  la  sensibilité  comme  en  étant 
une  dépendance,  et  laisser  ensemble  sous 
un  autre  nom ,  la  mémoire  et  le  jugement, 
et  tout  ce  qui  y  tient;  ce  qui  produirait  en- 
core une  autre  distribution.  Peut-être  pour- 
rait-on encore  avec  plus  de  raison  observer 
que  la  sensibilité  et  la  mémoire  sont  les  fa- 
cultés qui  fournissent  au  jugement  et  à  la 
volonté  les  sujets  sur  lesquels  ils  s'exercent; 
qu'elles  sont  intimement  liées;  et  que  sous 
ce  point  de  vue  il  convient  de  les  réunir 


2l8  IDÉOLOGIE. 

comme  étant  le  principe  de  tout,  et  de  lais- 
ser ensemble  le  jugement  et  la  volonté,  les 
regardant  comme  des  conséquences. 

Enfin,  si  l'on  fait  attention  que  tout  désir 
quelconque  est  le  produit  d'une  sorte  de  dis- 
cernement des  qualités  d'une  chose ,  on  trou- 
vera que  la  volonté  elle-même  appartient  à 
l'entendement  plus  que  la  sensibilité  et  la 
mémoire;  et  cela  produira  un  nouvel  arran- 
gement, ou  détruira  toute  division.  Il  y  a 
donc,  je  le  répète,  bien  de  l'arbitraire  dans 
celle  adoptée. 

Le  vrai  est  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  réu- 
nir forcément  sous  des  titres  fantastiques 
des  choses  aussi  différentes  entr'elles  que 
la  sensibilité  ,  la  mémoire,  le  jugement, 
et  la  volonté ,  et  que  nous  devons  les  lais- 
ser aussi  distinctes  et  séparées  dans  nos 
nomenclatures  qu'elles  le  sont  dans  le 
fait(i). 

Si  de  cette  division  générale  nous  passons 

(1)  On  peut  conserver  la  division  Entendement  et 
Volonté  ;  mais  alors  il  faut  ranger  sous  l'un  de  ces 
mots  tout  ce  qui  a  rapport  à  savoir  et  à  connaître,  et 
sous  l'autre  tout  ce  qui  est  relatif  à  vouloir  et  à  agir. 
Mes  trois  premiers  volumes  sont  un  traité  de  la  pre- 
mière partie  -}  mon  quatrième  est  le  commencement 


CHAPITRE   Xr.  219 

aux  détails,  je  vois  d'abord  Y  attention  à  la 
tête  des  facultés  qui  composent  {'entende- 
ment: mais  l'attention  est-elle  donc  une  fa- 
culté particulière?  consiste-t-elle  dans  une 
opération  de  l'esprit  distincte  de  toutes  les 
autres?  je  ne  le  crois  pas.  Etre  attentif  à 
quoi  que  ce  soit,  c'est  apporter  à  une  chose 
quelconque  le  soin  nécessaire  au  succès. 
L'attention  est  l'état  de  l'homme  qui  veut 
surmonter  une  difficulté  ;  c'est  une  manière 
d'être ,  produite  par  l'énergie  de  la  volonté  5 
c'est  un  effet  et  non  pas  une  cause  ;  et  je  ne 
vois  là  aucune  action  spéciale  :  j'aimerais 
autant  faire  une  faculté  de  la  tristesse  ou  de 
la  fatigue.  Mais,  dit-on,  quand  je  fais  atten- 
tion à  une  sensation,  j'en  ai  la  conscience, 
et  toutes  les  autres  disparaissent.  Hé  bien  ! 
les  autres  sont  nulles ,  et  vous  avez  une  sen- 
sation :  voilà  tout.  Vous  auriez  de  même  la 
perception  d'un  souvenir,  d'un  rapport,  ou 
d'un  désir.  Aussi,  dit-on, l'attention  devient 
successivement  tout  cela.  Dans  ce  cas-là 
elle  n'est  rien  par  elle  -  même ,  et  il  est 

de  la  seconde ,  que  je  n'ai  pu  terminer,  et  qui  devrait 
aussi  former  trois  volumes,  comme  on  peut  le  Yoir  à 
la  fin  de  ma  Logique. 


220  IDEOLOGIE. 

inutile  d'en  parler  ;  c'est  aussi  à  quoi  je 
conclus. 

Vient  ensuite  la  comparaison  :  c'est,  nous 
dit-on,  une  double  attention,  une  attention 
qui  se  porte  sur  deux  objets  à  la  fois;  soit. 
J'ai  déjà  dit  ce  que  je  pense  de  l'attention. 
Mais  comment  comprendre  la  comparaison 
séparée  du  jugement?  Juger  n'est-ce  pas 
sentir  un  rapport  entre  deux  objets?  et 
sentir  un  rapport  entr'eux  n'est-ce  pas  les 
comparer?  aussi  ajoute-t-on  que  nous  ne 
pouvons  comparer  deux  objets  sans  les  ju- 
ger. Pourquoi  donc  séparer  deux  choses  in- 
séparables? Je  ne  vois  toujours  laque  deux 
actions,  sentir  et  juger.  La  comparaison  est 
jugement,  ou  n'est  que  sensation  ;  elle  n'est 
donc  rien  en  elle-même.  Passons  à  la  ré- 
flexion. 

Nous  avons  déjà  vu,  chapitre  VI,  p.  76, 
ce  que  c'est  que  réfléchir;  il  est  inutile  de  le 
répéter  ici  :  il  suffit  de  remarquer  que  la 
réflexion  n'étant  qu'un  certain  usage  que 
nous  faisons  de  nos  facultés  intellectuelles , 
elle  n'est  point  elle-même  une  faculté  parti- 
culière. 

J'en  dirai  autant  de  l'imagination ,  qu'on 
fait  consister  à  rassembler  dans  un  seul  objet 


CHAPITRE   XI.  221 

fantastique  les  qualités  de  plusieurs  objets 
réels.  Cela  n'a  pas  besoin  de  preuves. 

Quant  à  cette  autre  imagination  qui  con- 
siste à  avoir  des  souvenirs  si  vifs,  que  les 
objets  semblent  actuellement  présens,  nous 
avons  déjà  observé,  au  chap.  III,  qu'elle  n'est 
que  la  mémoire,  ou  l'effet  de  la  mémoire, 
qui  va  jusqu'à  réveiller  la  sensation  même. 
Elle  n'a  donc  pas  besoin  d'un  nom  particu- 
lier, non  plus  que  la  réminiscence,  que  l'on 
fait  consister  à  avoir  des  souvenirs  et  à  sen- 
tir que  ce  sont  des  souvenirs.  Celle-là  est  la 
mémoire  unie  à  un  jugement. 

Reste  donc  le  raisonnement,  qui  est,  dit- 
on  ,  une  suite  de  jugemens  implicitement  ren- 
fermés les  uns  dans  les  autres.  J'en  conviens  ; 
et  j'en  conclus  que  ce  n'est  là  qu'une  répé- 
tition de  l'action  de  juger,  et  non  une  faculté 
particulière. 

Voilà  pourtant  à  quoi  se  réduisent  toutes 
ces  subdivisions  si  multipliées  de  ce  qu'on  ap- 
pelle entendement.  Je  n'y  retrouve  jamais, 
en  les  analysant,  que  des  sensations,  des 
souvenirs  et  des  jugemens;  et  je  suis  tou- 
jours plus  convaincu  qu'elles  ne  sont  pro- 
pres qu'à  embrouiller  la  matière,  en  créant 
des  êtres  imaginaires,  et  en  en  confondant 


222  IDEOLOGIE. 

de  très-réels.  Voyons  s'il  en  sera  de  même 
de  la  volonté. 

On  place  à  la  tête  des  opérations  intel- 
lectuelles que  l'on  rapporte  à  la  volonté, 
une  affection  nommée  le  besoin,  que  l'on 
nous  dit  être  une  souffrance.  Quand  cette 
souffrance  est  faible,  on  l'appelle  malaise; 
et  quand  elle  nous  prive  du  repos,  on  lui 
donne  le  nom  ^inquiétude.  On  nous  pré- 
sente cela  comme  trois  opérations  distinctes, 
et  l'on  fait  intervenir  la  réflexion  et  l'ima- 
gination pour  transformer  ces  opérations 
en  une  quatrième,  que  l'on  appelle  le  désir. 
J'avoue  que  je  ne  comprends  rien  à  cette 
explication 5  je  ne  vois  encore  là  que  deux 
choses  ,  souffrir  et  désirer  ;  et  ces  deux 
choses  je  les  connais  bien  par  expérience. 
Souffrir,  est  une  manière  d'être,  un  produit 
de  la  sensibilité;  c'est  l'effet  d'une  impression 
reçue  :  et  cette  impression  est  telle ,  qu'elle 
me  fait  porter  le  jugement  distinct  ou  im- 
plicite que  je  dois  l'éviter,  d'où  il  suit  que 
j'en  conçois  le  désir.  Dans  la  puissance  de 
concevoir  des  désirs  consiste  uniquement 
ce  que  j'appelle  volonté. 

Notre  auteur,  au  contraire,  comprend 
encore  parmi  les  opérations  dépendantes  de 


CHAPITRE  XL  225 

la  volonté,  les  passions,  l'espérance ,  la  vo- 
lonté proprement  dite ,  et  jusqu'à  la  crainte, 
la  confiance,  la  présomption. 

11  est  vrai  qu'il  nous  explique  que  les 
passions  sont  des  désirs  devenus  habituels, 
que  l'espérance  est  le  désir  joint  à  un  juge- 
ment, et  que  la  volonté,  dans  le  sens  res- 
treint, est  encore  le  désir  joint  à  un  autre 
jugement.  Ainsi  ce  ne  sont  pas  là  des  im- 
pressions élémentaires ,  mais  des  affections 
composées,  dans  lesquelles  il  n'y  a  que  le 
désir  qui  appartienne  réellement  à  la  faculté 
appelée  volonté. 

Pour  la  crainte,  la  confiance,  la  présomp- 
tion, etc.,  ce  n'est  pas  la  peine  de  nous  y  ar- 
rêter :  il  est  trop  manifeste  que  ce  sont  des 
manières  d'être,  des  états  de  l'homme,  ré- 
sultant de  l'emploi  bon  ou  mauvais  de  toutes 
ses  facultés  ;  et  que  des  résultats  si  compli- 
qués ne  peuvent  jamais  être  regardés  comme 
des  élémens. 

Je  persiste  donc  à  penser  que  la  manière 
dont  Condillac  a  décomposé  notre  intelli- 
gence est  vicieuse;  et  que  plus  on  y  réflé- 
chira, plus  on  se  convaincra  que  la  pensée 
de  l'homme  ne  consiste  jamais  qu'à  sentir 


224  IDÉOLOGIE. 

des  sensations,  des  souvenirs,  des  jugemens 
et  des  désirs  (1). 

Au  reste,  l'examen  auquel  nous  venons  de 
nous  livrer  peut  nous  fournir  des  réflexions 
importantes.  La  première  qui  se  présente, 
c'est  que  le  grand  idéologiste  dont  j'ose  ici 
combattre  quelques  idées ,  a  le  mérite  émi- 
nent  d'avoir  le  premier  bien  reconnu  ce  que 
c'est  que  penser. 

Il  dit  dans  vingt  endroits,  et  nommément 
dans  ceux  que  je  viens  de  citer  :  Les  facul- 
tés de  Vaine  naissent  successivement  de 
la  sensation.  Elles  ne  sont  que  la  sensation 
qui  se  transforme  pour  devenir  chacune 
d'elles.  Toutes  les  opérations  de  Vame  ne 
sont  que  la  sensation  même  qui  se  trans- 
forme différemment,  etc. ...  Et,  ce  qui  est 
plus  précis  encore,  il  dit,  dans  sa  Logique , 
chapitre  7  :  Toutes  les  facultés  que  nous 
venons  d'observer  sont  renfermées  dans 
la  faculté  de  sentir.  Assurément  c'est  bien 

(1)  Pour  l'intelligence  complète  de  cette  discussion , 
que  j'ai  tâché  de  resserrer,  j'invite  le  lecteur  à  relire 
l'Analyse  de  la  Pensée,  par  Condillac,  dans  un  des 
endroits  cités  ci-dessus,  et  sur-tout  dans  le  chap.  7 
de  la  première  partie  de  sa  Logique ,  où  elle  est  le 
plus  détaillée,  et  que  j'ai  eu  principalement  en  vue. 

dire, 


CHAPITRE   XI.  225 

dire,  non-seulement  comme  Locke,  que 
toutes  nos  idées  viennent  des  sens,  mais  en- 
core qu'elles  ne  sont  que  des  sensations  de 
différentes  espèces.  Cependant  cela  n'est 
pas  complètement  net,  et  souvent  les  ex- 
plications subséquentes  obscurcissent  en- 
core ces  traits  de  lumière.  J'aurais  donc 
mieux  aimé  qu'il  dît  :  Sentir  est  un  phéno- 
mène de  notre  organisation,  quelle  qu'en 
soit  la  cause  ;  et  penser  n'est  rien  que  sentir. 
Ce  que  nous  appelons  la  faculté  de  penser, 
la  pensée,  n'est  autre  chose  que  la  faculté 
de  sentir,  la  sensibilité  prise  dans  le  sens 
le  plus  étendu.  Toutes  nos  idées ,  toutes 
nos  perceptions  sont  des  choses  que  nous 
sentons,  c'est-à-dire  des  sensations,  aux- 
quelles nous  donnons  differens  noms,  sui- 
vant leurs  differens  effets  et  leurs  differens 
caractères. 

Alors,  au  lieu  d'expliquer  péniblement 
comment  la  sensation  devient  mémoire, 
jugement,  volonté,  et  mille  autres  choses, 
il  aurait  dit  tout  simplement,  comme  nous, 
que  notre  faculté  de  sentir  ou  penser  con- 
siste à  sentir  des  sensations  proprement 
dites,  des  souvenirs,  des  rapports,  des  de- 

P 


aag  idéologie. 

sirs,  et  tout  ce  qu'il  aurait  jugé  à  propos  dV 
distinguer. 

Je  crois  ces  deux  manières  de  s'exprimer 
bien  identiques.  Cependant,  telle  est  la  con- 
séquence de  présenter  la  même  idée  sous 
un  aspect  ou  sous  un  autre,  que  quand,  par 
la  suite  de  mes  observations  et  de  mes  ré- 
flexions, j'ai  été  conduit  à  conclure  que 
foutes  nos  idées  ne  sont  que  des  sensations 
diverses,  et  que  penser,  sentir  et  exister  ne 
sont  pour  nous  qu'une  seule  et  même  chose, 
j'ai  cru  fermement  ne  l'avoir  pas  appris  de 
Condillac;  et  peut-être  beaucoup  de  ses  sec- 
tateurs ne  conviendront  pas  que  je  dise  la 
même  chose  que  lui,  ni  par  conséquent  que 
j'aie  raison. 

Il  y  a  plus;  je  suis  persuadé  que  s'il  avait 
rédigé  son  propre  principe  sous  la  forme 
que  je  lui  donne,  cet  excellent  esprit  qui  lui 
a  fait  éliminer  tant  d'idées  fausses  et  vagues, 
l'aurait  amené  nécessairement  à  ne  plus  re- 
connaître dans  la  pensée  toutes  ces  opéra- 
tions parasites  qu'il  y  admet  encore,  et  qui 
ne  font  qu'embrouiller  l'analyse  qu'il  en  a 
laite,  ce  qui  a  été  un  vrai  malheur  pour  la 
science.  Au  reste,  peut-être  a-t-il  cru  s'être 
fait  entendre  suffisamment; peut-être  n'a-t-il 


CIIAPIIRR   XT.  227 

pas  voulu  s'expliquer  d'avantage.  Quoi  qu'il 
en  soit,  je  persiste  à  soutenir  qu'à  lui  seul 
appartient  l'honneur  d'avoir  découvert  que 
penser  n'est  rien  que  sentir,  et  que  toutes 
nos  idées  ne  sont  que  des  sensations  di- 
verses dont  il  ne  s' agit  que  de  démêler  les 
différences  et  les  combinaisons.  J'ai  débar- 
rasse* cette  grande  vérité  de  quelques  nuages 
qui  l'obscurcissaient  encore  un  peu;  j'en 
ai  tiré  quelques  conséquences  de  plus,  et 
voilà  tout. 

La  réflexion  que  nous  venons  de  faire  sur 
Condillac  en  amène  naturellement  une  autre 
plus  directement  relative  à  la  science,  c'est 
qu'il  est  bien  extraordinaire  que  depuis  le 
temps  que  les  hommes  pensent  et  cherchent 
à  se  rendre  compte  de  leurs  idées,  ce  soit 
une  découverte  nouvelle  de  savoir  que  pen- 
ser est  la  même  chose  que  sentir;  et  qu'il 
est  encore  plus  surprenant  que  le  même 
homme  qui  a  été  capable  d'apercevoir  cette 
vérité,  ait  pu  ensuite  se  tromper  sur  le 
nombre  et  l'espèce  des  opérations  distinctes 
qui  composent  cette  faculté  de  sentir,  et  des 
sortes  de  sensations  réellement  différentes 
entr'clles  que  nous  lui  devons. 

II  semble  en  effet,  au  premier  coup-d'œil, 

P  2 


328  IDEOLOGIE. 

que  rien  au  monde  ne  devrait  être  plus  aisé* 
sinon  de  connaître  les  causes  de  la  pensée, 
du  moins  d'en  observer  les  effets  ;  il  paraît 
que  là  il  n'y  a  pas  même  possibilité  à  l'er- 
reur; car  de  quoi  s'agit-il  pour  chacun  de 
nous?  de  se  rendre  compte  de  ce  qu'il  fait 
tous  les  jours,  à  tous  les  momens  ;  d'en  exa- 
miner les  détails,  de  s'en  tracer  un  tableau 
fidèle.  11  n'est  question  de  rien  combiner,  de 
rien  inventer,  encore  moins  de  rien  suppo- 
ser. Il  n'y  a  que  des  faits  à  recueillir ,  et  ces 
faits  se  passent  en  nous;  chacun  est  pour 
lui-même  le  champ  le  plus  riche  en  obser- 
vations et  le  sujet  de  ses  expériences  les 
plus  instructives;  enfin  tout  consiste  à  savoir 
ce  que  l'on  sent.  Qui  pourrait  jamais  croire, 
s'il  n'y  était  forcé  par  l'expérience  de  tous 
les  siècles  et  par  la  sienne  propre,  que  ce 
soit  là  une  entreprise  dans  laquelle  aient 
échoué  les  meilleurs  esprits?  Cependant, 
non-seulement  la  difficulté  d'y  réussir  n'est 
que  trop  certaine,  mais  même  elle  est  telle, 
qu'il  faut  déjà  être  fort  avancé  pour  voir 
nettement  en  quoi  elle  consiste.  Tout  ce  que 
nous  avons  dit  jusqu'à  présent  a  pu  nous 
mettre  sur  la  voie,  mais  ne  suffit  pas  pour 
bien  éclaircir  l'état  de  la  question;  il  faut 


CHAPITRE   Xir.  229 

donc  que  nous  considérions  encore  notre 
pensée  sous  d'autres  aspects,  et  que  nous 
examinions  quelques-uns  des  principaux 
phénomènes  qu'elle  présente.  C'est  ce  que 
nous  allons  faire  dans  le  chapitre  suivant. 


CHAPITRE  XII. 

De  la  Faculté  de  nous  mouvoir  et  de  ses 
rapports  avec  la  Faculté  de  sentir. 

1VJ.es  jeunes  amis,  je  vous  ai  montré  quels 
sont  les  élémens  de  nos  idées  ;  je  vous  ai  ex- 
pliqué comment  ces  élémens  forment  toutes 
nos  idées  composées,  et  je  vous  ai  fait  voir 
en  quoi  consiste  la  réalité  de  l'existence  des 
êtres  que  ces  perceptions  nous  font  con- 
naître; j'ai  ajouté  à  ces  explications  quel- 
ques applications  et  quelques  discussions 
qui  me  paraissent  satisfaisantes  ;  ainsi  je 
crois  avoir  rempli  la  tâche  que  je  m'étais 
imposée,  de  vous  apprendre  ce  que  vous 
faites  quand  vous  pensez.  Cependant,  avant 
de  quitter  ce  sujet,  je  crois  devoir  encore 
examiner  avec  vous  quatre  objets  impor- 
tuns, savoir  :  i°  jusqu'à  quel  point  notre 


25o  IDEOLOGIE. 

faculté  de  penser  est  dépendante  de  notre 
volonté  5  20  quelles  modifications  apporte 
dans  notre  pensée  la  fréquente  répétition  de 
ses  actes;  5°  ce  que,  dans  l'état  actuel  de  la 
raison  humaine,  la  faculté  de  penser  des 
hommes  en  société  doit  au  perfectionne- 
ment graduel  de  l'individu  et  à  celui  de  l'es- 
pèce; 4°  l'influence  de  l'usage  des  signes  sur 
ces  deux  espèces  de  perfectionnement.  Ces 
quatre  nouvelles  manières  de  considérer  nos 
facultcsintellectuellesnousapprendrontàles 
mieux  connaître,  et  nous  donneront  la  solu- 
tion de  plusieurs  questions,  et  entr'autres  de 
celle  que  nous  nous  sommes  propesée  dans 
le  chapitre  précédent,  savoir  en  quoi  con- 
siste la  difficulté  que  tout  homme  éprouve 
à  se  rendre  compte  de  ce  qui  se  passe  en 
lui  quand  il  pense. 

Pour  réussir  dans  ces  recherches,  il  faut 
agrandir  le  champ  de  nos  observations.  Nous 
ïie  de  von  s  plus  no  us  borner  à  examiner  notre 
iaculté  de  penser,  isolée  et  abstraite  des 
autres  circonstances  de  notre  existence,  il 
faut  considérer  notre  individu  tout  entier  et 
dans  son  ensemble.  Deux  phénomènes  prin- 
cipaux s'y  font  remarquer;  l'un  est  cette 
capacité,  ce  pouvoir  que  nous  avons  de  re- 


CHAPITRE    XII.  25l 

cevoir  des  impressions,  d'avoir  des  percep- 
tions, en  un  mot,  d'éprouver  des  modifica- 
tions dont  nous  avons  la  conscience.  C'est 
ce  que  nous  appelons  la  faculté  de  penser  ou 
de  sentir,  en  prenant  ce  mot  dans  le  sens 
le  plus  étendu. 

L'autre  est  cette  capacité  ou  ce  pouvoir 
que  nous  avons  de  remuer  et  de  déplacer 
les  différentes  parties  de  notre  corps,  et 
d'exécuter  une  infinité  de  mouvemens  tant 
internes  qu'externes ,  le  tout  en  vertu  de 
Forces  existantes  au-dedans  de  nous,  et  sans 
y  être  contraints  par  l'action  immédiate  d'au- 
cun corps  étranger  à  nous.  C'est  ce  que  nous 
appelons  la  faculté  de  nous  mouvoir. 

Ces  deux  phénomènes  sont  également  le 
résultat  de  notre  organisation  ;  nous  pou- 
vons bien  les  diviser  par  la  pensée  pour 
examiner  séparément  et  successivement  les 
effets  de  l'un  et  de  l'autre;  mais,  dans  la  réa- 
lité, ils  sont  inséparables  :  le  premier,  au 
moins,  ne  peut  exister  sans  le  second  ;  car 
quoiqu'il  soit  vrai  qu'il  s'opère  beaucoup  de 
mouvemens  en  nous  sans  que  nous  en  ayons 
la  conscience,  sans  qu'ils  nous  causent  la 
moindre  perception,  il  est  certain  que  nous 
ne  pouvons  concevoir  aucune  perception 


202  IDEOLOGIE. 

produite  en  nous,  même  la  plus  purement 
intellectuelle ,  sans  un  mouvement  quel- 
conque opéré  dans  quelqu'un  de  nos  or- 
ganes. Ainsi,  à  prendre  les  choses  telles 
qu'elles  sont,  nous  ne  devons  regarder  l'ac- 
tion de  penser  ou  sentir  que  comme  un  effet 
particulier  de  l'action  de  nous  mouvoir,  et 
la  faculté  de  penser  que  comme  une  dépen- 
dance de  la  faculté  de  nous  mouvoir.  Celle-ci 
mérite  donc  bien  de  fixer  notre  attention. 

J'ai  dit  que  nous  avons  le  pouvoir  de  faire 
des  mouvemens  en  vertu  de  forces  exis- 
tantes au-dedans  de  nous,  et  sans  y  être 
contraints  par  l'action  immédiate  d'aucun 
corps  étranger.  Je  ne  prétends  pas  pour  cela 
qu'il  existe  en  nous  un  principe  essentielle- 
ment actif  et  vraiment  créateur  d'une  force 
absolument  nouvelle ,  indépendante  de 
toutes  celles  qui  existent  dans  le  monde,  en- 
sorte  qu'en  vertu  de  notre  énergie  propre 
la  quantité  du  mouvement  se  trouve  aug- 
mentée d'un  moment  à  l'autre  dans  l'univers 
par  notre  action.  Au  contraire,  et  cela  est 
essentiel  à  remarquer,  des  expériences  ri- 
goureuses prouvent  que  quand  un  homme 
se  suspend  à  la  corde  d'une  poulie,  il  n'agit 
sur  elle  qu'en  vertu  de  son  poids  et  ne  peut 


CHAPITRE   XIT.  253 

rien  au-delà  ;  que  quand  il  pousse  contre  un 
mur  ou  contre  un  fardeau,  il  réagit  contre 
le  terrain  sur  lequel  il  s'appuie  avec  une 
force  égale  à  celle  qu'il  applique  à  la  résis- 
tance ;  qu'il  en  est  de  même  quand  il  soulève 
un  poids  ;  qu'enfin  il  n'agit  jamais  que  comme 
poids,  ou  comme  ressort,  ou  comme  levier, 
à  la  manière  des  êtres  inanimés,  et  qu'il  ne 
crée  proprement  aucune  force  nouvelle.  Ce- 
pendant, il  n'est  pas  moins  certain  qu'un 
corps  vivant  n'a  pas  besoin  de  l'application 
immédiate  d'un  corps  étranger  pour  être 
mu,  et  que  bien  qu'il  lui  faille  un  point  d'ap- 
pui pour  opérer  un  effet  quelconque ,  et 
qu'ainsi  son  action  ne  soit  qu'une  réaction, 
il  a  au -dedans  de  lui  le  principe  de  cette 
action. 

Il  y  a  plus  ;  l'expérience  prouve  aussi  que 
nos  muscles,  dans  l'état  de  vie,  soulèvent 
des  poids  de  beaucoup  supérieurs  à  ceux 
qui  seraient  capables  de  les  déchirer  dans 
l'état  de  mort.  C'est  donc  quelque  chose  que 
la  vie  •  c'est  elle  qui  fait  aussi  que  tant  qu'un 
corps  en  est  doué,  il  a  la  force  d'assimiler 
à  sa  substance  les  corps  avec  lesquels  il  est 
en  contact  d'une  manière  convenable,  tan- 
dis que  dès  qu'il  est  mort,  ce  sont  tous  les 


254  IDEOLOGIE. 

élémens  qui  le  composent  qui  se  dissolvent» 
se  séparent ,  et  vont  former  de  nouveaux 
mixtes  avec  les  êtres  environnans,  suivant 
de  nouvelles  lois  d'affinités.  Cette  force  vi- 
tale, nous  ne  savons  pas  en  quoi  elle  con- 
siste; nous  ne  pouvons  nous  la  représenter 
que  comme  le  résultat  d'attractions  et  de 
combinaisons  chimiques ,  qui ,  pendant  un 
temps,  donnent  naissance  à  un  ordre  de  faits 
particuliers,  et  bientôt,  par  des  circonstances 
inconnues,  rentrent  sous  l'empire  de  lois 
plus  générales,  qui  sont  celles  de  la  matière 
inorganisée.  Tant  qu'elle  subsiste,  nous  vi- 
vons, c'est-à-dire  que  nous  nous  mouvons 
et  que  nous  sentons. 

Cette  force  vitale  produit  donc  la  faculté 
de  faire  des  mouvemens  ;  mais  comment 
s'exécutent  ces  mouvemens?  c'est  ce  que 
nous  ignorons.  Nous  savons  bien  que  les 
muscles  sont  ceux  de  nos  organes  qui  en 
sont  les  instrumens  immédiats,  et  que  quand 
une  partie  quelconque  de  notre  corps  se 
meut,  c'est  par  l'effet  de  la  contraction  du 
muscle  qui  l'attire  de  ce  côté  ;  nous  savons 
encore  que  si  ce  muscle  se  raccourcit,  c'est 
par  l'affluence  des  liqueurs  dans  les  nom- 
breux vaisseaux  qui  l'arrosent,  lesquels  se 


CHAPITRE   XII.  235 

dilatent  et  obligent  la  fibre  à  se  raccourcir. 
Mais  qu'est-ce  qui  imprime  celte  direction 
à  ces  fluides?  nous  l'ignorons,  comme  nous 
ignorons  leur  nature,  leur  origine  et  le  prin- 
cipe de  la  circulation  par  laquelle  ils  entre- 
tiennent notre  vie.  Toutefois  il  reste  certain 
que,  tant  que  nous  sommes  vivans,  notre 
organisation,  au  moyen  de  combinaisons  la 
plupart  inconnues,  produit  beaucoup  de 
mouvemens  apparens,  et  un  bien  plus  grand 
nombre  de  mouvemens  internes,  qui  n'ont 
pour  cause  immédiate  aucun  corps  étranger 
au  nôtre  ;  et  que  plusieurs  de  ces  mouvemens 
produisent  en  nous  le  phénomène  que  nous 
appelons  sentir,  tandis  que  d'autres  ont  lieu 
sans  que  nous  en  ayons  la  moindre  con- 
science. 

Si  de  ces  premières  observations  sur  la 
faculté  de  nous  mouvoir,  nous  passons  à 
l'examen  de  ses  rapports  avec  celle  de  pen- 
ser ou  sentir,  nous  voyons  bien  que  c'est 
principalement  par  nos  nerfs  que  nous  sen- 
tons; et  que  toutes  les  fois  que  nous  avons 
une  perception  quelle  qu'elle  soit,  ce  n'est 
guère  qu'en  vertu  d'un  mouvement  quel- 
conque opéré  dans  l'intérieur  de  ces  nerfs 
ou  de  quelqu'un  des  principaux  points  dans 


336  IDÉOLOGIE. 

lesquels  ils  se  réunissent.  Mais  qui  nous  dira 
quelle  est  la  nature  de  ce  mouvement  et  en 
quoi  précisément  il  consiste?  c'est  assu- 
rément une  connaissance  à  laquelle  nul 
homme  n'est  encore  parvenu.  Tout  ce  que 
nous  avons  pu  faire  jusqu'à  présent,  a  été 
de  remarquer  quelques  circonstances  et 
quelques  effets  de  ces  mouvemens. 

A  plus  forte  raison  ne  pouvons-nous  pas 
déterminer  la  différence  du  mouvement  qui 
s'opère  dans  les  nerfs  de  notre  œil  lorsque 
nous  voyons  du  bleu  ou  du  rouge,  ni  dans 
ceux  de  notre  oreille  quand  nous  entendons 
un  son  grave  ou  aigu ,  ni  dans  ceux  de  notre 
nez  quand  nous  sentons  une  odeur  ou  une 
autre,  ni  dans  ceux  de  la  peau  de  notre  main 
ou  d'une  autre  partie  de  nôtre  corps  quand 
nous  sentons  une  piqûre  ou  une  brûlure, 
une  douce  chaleur  ou  un  chatouillement 
agréable  ;  mais  nous  devons  croire  que  toutes 
les  fois  que  le  même  nerf  nous  procure  une 
sensation  différente,  il  faut  qu'il  ait  éprouvé 
un  ébranlement  différent  et  qu'il  se  passe  en 
lui  et  dans  l'organe  cérébral  un  mouvement 
particulier;  et  aussi  que  chacun  de  ces  nerfs 
a  une  manière  d'être  mu  et  d'agir  sur  le  cer- 
veau qui  lui  est  propre,  puisque  toutes  ou 


CHAPITRE  XII.  207 

presque  toutes  les  impressions  produites 
par  chacun  d'eux  différent  entr'elles  plus  ou 
moins ,  ensorte  qu'aucune  ou  presqu'aucune 
des  perceptions  qui  nous  viennent  par  un 
nerf  n'est  exactement  la  même  que  celle  que 
nous  devons  à  un  autre  nerf.  La  preuve  en 
est  qu'aucune  de  nos  différentes  sensations, 
même  de  celles  qui  ont  le  plus  d'analogie  en- 
tr'elles, ne  sont  complètement  semblables. 

Malgré  ces  différences  vraisemblables 
entre  les  divers  mouvemens  nerveux  qui 
produisent  chacune  de  nos  sensations  pro- 
prement dites,  ils  ont  ensemble  un  point  de 
ressemblance ,  c'est  de  partir  tous  de  l'extré- 
mité de  nos  nerfs  la  plus  éloignée  du  centre 
commun,  et  de  se  diriger  vers  ce  centre,  tan- 
dis que  ceux  qui  nous  occasionnent  les  per- 
ceptions que  nous  nommons  souvenirs,  ju- 
gemens,  désirs,  sont  purement  internes,  et 
peut-être  même  se  portent  du  centre  vers 
la  circonférence. 

Raisonnant  sur  ceux-ci  comme  j'ai  fait 
çur  les  premiers ,  je  suis  conduit  à  croire 
que  le  mouvement  quelconque  en  vertu 
duquel  j'ai  le  sentiment  d'un  souvenir,  ne 
saurait  être  le  même  que  celui  par  lequel  je 
perçois  un  j  ugement ,  ni  celui-ci  le  même  que 


238  IDEOLOGIE. 

celui  qui  me  donne  le  sentiment  d'un  désir  • 
et  en  outre,  chaque  perception  de  chacune 
de  ces  classes  doit  être  produite  par  un  mou- 
vement particulier.  Elles  sont  trop  différen- 
tes entr'elles  pour  être  les  effets  de  causes 
identiques.  Je  conçois  donc  que  toutes  ces 
affections  sont  les  résultats  d'autant  de  mou- 
vemens  divers  qui  se  passent  en  moi ,  et  qui 
sont  si  fugitifs  et  si  fins,  que  je  ne  puis  les 
apercevoir  que  parleurs  produits,  mes  per- 
ceptions. On  voit  par  ces  réflexions  quelle 
prodigieuse  quantité  de  mouvemens  diffé- 
rens  s'opèrent  en  nous,  sans  compter  même 
tous  ceux,  peut  être  très-nombreux  aussi, 
qui  ne  sont  la  source  d'aucune  perception. 
Je  ne  pousserai  pas  plus  loin  ces  obser- 
vations sur  la  faculté  de  nous  mouvoir;  elles 
sont  suffisantes  pour  l'objet  que  je  me  pro- 
pose. Il  s'agit  maintenant  de  voir  quelle  est 
l'influence  de  notre  volonté  sur  tous  ces 
mouvemens  et  sur  les  effets  qu'ils  pro- 
duisent. 


CHAPITRE   XIII,  2JC) 

g-- —  ■  -t 

CHAPITRE  XIII. 

Zte  V influence  de  notre  Faculté  de  vouloir 
sur  celle  de  nous  mouvoir,  et  sur  cha- 
cune de  celles  qui  composent  la  Faculté 
de  penser. 

V  ous  avez  vu,  chapitre  V,  combien  elle 
est  importante  pour  nous  cette  faculté  de 
former  des  désirs,  puisqu'elle  est  la  cause 
de  tous  nos  plaisirs  et  de  toutes  nos  peines , 
suivant  que  ces  désirs  sont  ou  ne  sont  pas 
accomplis.  Elle  n'est  pas  moins  remarquable 
par  cette  heureuse  circonstance,  que  nos 
désirs  exercent  souvent  un  grand  pouvoir 
sur  nos  actions  et  sur  nos  pensées.  Il  est 
donc  intéressant  d'examiner  la  nature  et  les 
limites  de  ce  pouvoir,  et  jusqu'à  quel  point 
il  s'étend  sur  nos  différentes  facultés.  Les 
réflexions  contenues  dans  le  chapitre  pré- 
cédent nous  permettant  de  ne  regarder  do- 
rénavant l'action  de  penser  que  comme  une 
circonstance  qui  accompagne  souvent  celle 
de  nous  mouvoir,  nous  allons  d'abord  par- 
ler du  pouvoir  de  notre  volonté  sur  celle-ci, 
et  ensuite  nous  dirons  en  peu  de  mots  quelle 


24o  IDÉOLOGIE. 

est  son  influence  sur  chacune  de  nos  facultés 
intellectuelles. 

On  peut  distribuer  tous  nos  mouvemens 
en  plusieurs  classes ,  eu  égard  aux  degrés 
de  dépendance  où  ils  sont  de  notre  volonté. 
Ces  espèces  de  tableaux  détaillés  des  phéno- 
mènes de  notre  existence  sont  d'une  grande 
utilité  pour  nous  en  faire  prendre  des  idées 
justes,  en  nous  accoutumant  à  y  remar- 
quer des  circonstances  auxquelles  le  plus 
souvent  on  ne  fait  aucune  attention. 

Beaucoup  de  nos  mouvemens  s'exécutent 
en  nous  sans  que  nous  en  ayons  jamais  la 
moindre  connaissance.  De  ce  nombre  sont 
presque  tous  les  mouvemens  qui  entretien- 
nent et  renouvellent  à  chaque  instant  notre 
vie;  et  ce  sont  par  conséquent  les  plus  né- 
cessaires à  notre  existence.  Nous  étant  com- 
plètement inconnus,  il  n'y  a  pas  de  doute 
que  notre  volonté  n'a  sur  eux  aucun  empire. 

Il  en  existe  d'autres  dont  quelquefois  nous 
avons  la  conscience,  et  qui  quelquefois  aussi 
s'exécutent  à  notre  insu.  Dans  ce  dernier  cas 
ils  rentrent  dans  la  première  classe  ;  mais 
lors  même  qu'ils  nous  sont  connus,  tantôt 
ils  sont  absolument  volontaires ,  tantôt  ils 
s'exécutent  sans  que  nous  nous  en  mêlions; 

souvent 


CHAPITRE   XIII.  24l 

souvent  même  ils  ont  lieu  malgré  notre  vo- 
lonté expresse  de  les  empêcher. 

Il  en  est  encore  que  nous  faisons  toujours 
volontairement  et  d'autres  toujours  malgré 
nous.  Enfin,  il  en  est  que  notre  organisation 
nous  rend  constamment  impossibles ,  même 
lorsque  nous  desirons  le  plus  de  les  faire. 

L'empire  de  notre  volonté  sur  notre  faculté 
de  nous  mouvoir,  est  donc  très  -  différent 
dans  les  differens  cas,  et  souvent  resserré 
dans  des  bornes  très-étroites.  Remarquons 
encore,  en  terminant  cette  énumération  de 
nos  mouvemens ,  que  ceux  qui  sont  le  plus 
soumis  à  notre  volonté,  tels  que  ceux  qui 
consistent  dans  l'usage  ordinaire  de  nos 
membres,  sont  eux-mêmes  le  produit  d'une 
foule  d'autres  mouvemens  internes  qui  ont 
lieu  sans  notre  volonté  expresse,  ou  même 
sans  que  nous  le  sachions  5  ensorte  que  ce 
n'est  proprement  que  les  résultats  qui  s'o- 
pèrent parce  que  nous  le  voulons,  mais  que 
les  mouvemens  qui  y  préparent  s'exécutent 
d'eux-mêmes,  à  quelques  nuances  près,  sui- 
vant les  cas. 

Si  de  la  faculté  de  nous  mouvoir  nous  pas- 
sons à  nos  facultés  intellectuelles,  la  réflexion 
précédente  y  trouve  encore  bien  plus  d'ap- 

Q 


242  IDÉOLOGIE. 

plications. Sans  doute,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  toutes  nos  perceptions  sont  des 
produits  de  mouvemens  opérés  au-dedans 
de  nous  ;  mais  aucuns  d'eux  ne  se  laissent 
apercevoir  ;  et  quand  nous  desirons  ré- 
veiller en  nous  telle  ou  telle  perception, 
nous  sommes  assurément  bien  incapables 
de  faire  avec  attention  aucun  des  mouve- 
mens internes  nécessaires  pour  la  produire. 
Ils  nous  sont  même  si  complètement  incon- 
nus, que  nous  n'en  ferons  aucune  mention 
ici.  Nous  allons  seulement  indiquer  en  peu 
de  mots  jusqu'à  quel  point  et  dans  quel  sens 
on  peut  dire  qu'il  dépend  de  nous  d'éprouver 
telle  ou  telle  impression,  d'exercer  telle  ou 
telle  de  nos  facultés  intellectuelles.  Com- 
mençons par  la  sensibilité  proprement  dite. 
Il  ne  dépend  pas  de  nous  de  ne  pas  per- 
cevoir les  sensations,  c'est-à-dire  de  ne  pas 
sentir  les  ébranlemens  que  les  corps  exté- 
rieurs causent  dans  les  organes  de  nos  sens, 
ou  ceux  que  les  parties  mêmes  de  notre 
corps  excitent  les  unes  dans  les  autres  par 
leur  action  mutuelle.  Il  ne  dépend  pas  de 
nous  davantage  de  modifier  les  impressions 
qu'elles  nous  font,  c'est-à-dire  de  trouver 
agréables  ou  désagréables  celles  qui  ne  le 


CHAPITRE  XIIT.  243 

sont  pas;  mais  il  dépend  de  nous,  jusqu'à  un 
certain  point,  d'appliquer  tellement  notre 
attention  à  quelques-unes  de  nos  percep- 
tions ,  que  les  autres  deviennent  comme 
nulles  pour  nous.  Cela  arrive  souvent  à  tous 
les  hommes  ;  il  y  en  a  même  chez  qui  ce 
pouvoir  est  porté  à  un  grand  degré  :  ce  sont 
ceux  qui  sont  occupés  de  passions  violentes 
ou  de  méditations  profondes.  C'est  à  quoi  se 
réduit  l'influence  de  la  volonté  sur  la  sensi- 
bilité proprement  dite. 

Quant  à  la  mémoire,  nous  éprouvons  que 
le  souvenir  de  certaines  perceptions  nous 
vient  souvent,  non-seulement  sans  que  nous 
le  voulions,  mais  même  quoique  nous  desi- 
rions l'écarter;  mais  nous  éprouvons  aussi 
qu'il  nous  revient  lorsque  nous  cherchons 
à  nous  le  procurer.  Ainsi,  la  mémoire  est 
tantôt  indépendante,  tantôt  dépendante  de 
la  volonté.  Nous  verrons  dans  la  suite  quels 
sont  les  moyens  d'augmenter  le  pouvoir  de 
la  volonté  sur  cette  faculté;  pour  le  moment 
nous  nous  bornons  à  l'énoncé  des  faits. 
Usons-en  de  même  à  l'égard  du  jugement. 

Le  j  ugemen  t  est  indépendant  de  la  volonté 
en  ce  sens  qu'il  ne  nous  est  pas  libre,  quand 
nous  percevons  un  rapport  réel  entre  deux 

Q  a 


S44  IDÉOLOGIE. 

de  nos  perceptions,  de  ne  pas  le  sentir  tel 
qu'il  est,  c'est-à-dire  tel  qu'il  doit  nous  pa- 
raître en  vertu  de  notre  organisation,  et  tel 
qu'il  paraîtrait  à  tous  les  êtres  organisés 
comme  nous ,  s'ils  étaient  exactement  dans 
la  même  position.  C'est  cette  nécessité  qui 
constitue  la  certitude  et  la  réalité  de  tout  ce 
que  nous  connaissons  ;  car  s'il  ne  dépendait 
que  de  notre  fantaisie  d'être  affectés  d'une 
chose  grande  comme  si  elle  était  petite, 
d'une  chose  bonne  comme  si  elle  était  mau- 
vaise, d'une  chose  vraie  comme  si  elle  était 
fausse,  il  n'existerait  plus  rien  de  réel  dans 
le  monde,  du  moins  pour  nous  ;  il  n'y  aurait 
ni  grandeur  ni  petitesse,  ni  bien  ni  mal,  ni 
faux  ni  vrai  :  notre  seule  fantaisie  serait  tout. 
Un  tel  ordre  de  choses  ne  peut  pas  même  se 
concevoir,  il  implique  contradiction.  Notre 
j  ugement  est  donc  bien  indépendant  de  notre 
volonté  en  ce  sens  ;  mais  il  en  dépend  en  ce 
que,  comme  nous  l'avons  vu,  nous  sommes 
maîtres,  jusqu'à  un  certain  point,  de  consi- 
dérer telle  perception  et  de  rappeler  tel  sou- 
venir plutôt  que  d'autres,  et  de  donner  notre 
attention  plutôt  à  un  de  leurs  rapports  qu'à 
un  autre.  Ainsi  c'est  à  proportion  que  nous 
soumettons  notre  sensibilité  et  notre  mé- 


CHAPITRE   XIII.  «45 

moire  à  l'action  de  notre  volonté,  que  celle-ci 
devient  maîtresse  des  opérations  de  notre 
jugement. 

Enfin,  on  peut  demander,  et  on  demande 
souvent ,  si  notre  volonté  elle  -  même  est 
libre,  si  elle  dépend  de  nous,  c'est-à-dire,  à 
parler  exactement,  si  elle  dépend  unique- 
ment d'elle-même.  Il  est  bon  de  commencer 
par  éclaircir  cette  expression,  et  par  voir 
pourquoi  nous  mettons  ainsi  notre  moi  à  la 
place  de  notre  volonté,  et  pourquoi  nous 
nous  identifions  davantage  avec  cette  fa- 
culté qu'avec  toute  autre,  comme  si  celles 
de  percevoir  des  sensations,  des  souvenirs, 
des  rapports ,  délie  de  faire  des  mouvemens, 
n'étaient  pas  nous ,  ne  nous  appartenaient 
pas,  ne  faisaient  pas  partie  de  notre  moi 
comme  celle  de  former  des  désirs.  La  rai- 
son en  est  simple.  Jouir  et  souffrir  est  tout 
pour  nous;  c'est  notre  existence  toute  en- 
tière, et  nous  ne  jouissons  et  souffrons  ja- 
mais qu'autant  que  nous  avons  des  désirs 
et  qu'ils  sont  accomplis  ou  non.  Nous  n'exis- 
tons donc  que  par  eux  et  par  la  faculté  d'en 
former.  Quand  quelque  chose  se  fait  contre 
notre  désir,  nous  voyons  bien  que  ce  n'esÊ 
pas  nous  qui  l'opérons.  Nos  désirs  et  toutes 


2«±6  IDÉOLOGIE. 

les  actions  qui  en  sont  les  conséquences* 
sont  donc  toujours  la  même  chose  que  nous; 
et  tout  ce  qui  n'est  pas  eux  ou  n'en  dérive 
pas,  est  étranger  à  nous,  ne  fait  pas  partie 
de  notre  moi.  La  question  proposée  se  ré- 
duit donc  à  celle-ci  :  Notre  volonté  dépend- 
elle  uniquement  d'elle-même?  ce  qui  est  la 
même  chose  que  de  demander ,  pouvons- 
nous  vouloir  sans  cause ,  et  uniquement 
parce  que  nous  voulons  vouloir?  Ainsi  pré- 
sentée, cette  question  n'est  pas  difficile  à 
résoudre,  comme  il  arrive  toujours  quand 
les  questions  sont  bien  posées,  c'est-à-dire 
que  leurs  vrais  élémens  sont  bien  énoncés; 
car  pour  résoudre  une  question,  il  ne  s'agit 
jamais  que  de  porter  un  jugement;  et  quand 
les  deux  idées  à  comparer  sont  connues  et 
présentes,  le  jugement  est  tout  de  suite  porté. 
Dans  le  cas  actuel,  il  ne  s'agit  que  de  voir  s'il 
est  dans  la  nature  de  notre  volonté  d'entrer 
en  action  sans  être  mue  par  rien,  si  un  de- 
sir  peut  naître  en  nous  sans  cause  :  il  est 
bien  clair  que  non.  En  effet,  si  nous  consi- 
dérons le  désir  abstraitement,  si  nous  n'y 
voyons  qu'une  perception,  nous  ne  pouvons 
le  concevoir  que  comme  une  conséquence 
nécessaire  du  jugement  qu'une  perception 


CHAPITRE  XIII.  247 

précédente  est  pour  nous  bonne  ou  mau- 
vaise à  éprouver,  désirable  ou  non;  et  ce 
jugement,  que  comme  la  suite  inévitable  de 
la  manière  dont  nous  a  affecté  cette  percep- 
tion quand  nous  l'avons  éprouvée.  Si,  au 
contraire,  nous  regardons  nos  désirs,  ainsi 
qu'ils  sont  en  effet,  comme  les  résultats  de 
certains  mouvemens  inconnus  qui  se  pas- 
sent dans  les  organes  de  l'être  animé,  et  qui 
lui  font  éprouver  une  manière  d'être  qu'il 
appelle  désirer,  il  est  certain  que  tout  désir 
suit  nécessairement  du  mouvement  des  or- 
ganes qui  a  la  propriété  de  le  produire ,  et 
que  ce  mouvement  des  organes  n'est  pas  un 
acte  de  la  volonté,  mais  est  lui-même  occa- 
sionné par  d'autres  mouvemens  antérieurs. 
Ainsi,  ni  sous  le  rapport  idéologique,  ni  sous 
le  rapport  physiologique,  il  n'est  possible  de 
concevoir  le  désir  autrement  que  comme 
une  suite  nécessaire  de  faits  antérieurs;  et 
en  général  il  ne  nous  est  pas  possible  de  com- 
prendre un  acte  quelconque  qui  soit  son 
principe  et  sa  cause  à  lui-même.  Ainsi,  ceux 
de  notre  volonté  sont  forcés  et  nécessaires 
comme  ceux  de  toutes  nos  autres  facultés, 
et  comme  ceux  de  tous  les  autres  êtres  ani- 
mes ou  inanimés  qui  existent  dans  la  nat  1 1  re . 


248  IDEOLOGIE. 

Cette  vérité,  au  reste,  ne  fait  pas  que  nous 
ayons  tort  d'attribuer  à  la  faculté  de  vouloir 
l'extrême  importance  que  nous  y  attachons 
dans  nous  et  dans  les  autres,  d'en  porter  les 
jugemcns  que  nous  en  portons  et  de  nous 
conduire  comme  nous  le  faisons  à  son  égard. 

Nous  n'avons  pas  tort  de  nous  identifier 
à  notre  propre  volonté,  et  de  dire  indiffé- 
remment, il  dépend  de  moi  ou  il  dépend  de 
ma  volonté  de  faire  telle  ou  telle  chose,  je 
ne  suis  pas  le  maître  de  cela,  ou  cela  ne  dé- 
pend pas  de  ma  volonté,  car  comme  souffrir 
et  jouir  est  tout  pour  nous,  et  que  nous  ne 
souffrons  et  jouissons  jamais  qu'autant  que 
notre  volonté  est  accomplie  ou  contrariée, 
elle  est  bien  un  être  identique  avec  notre 
moi. 

Nous  n'avons  pas  tort  d'attacher  une 
extrême  importance  à  la  volonté  dans  les 
autres  êtres  sentans  et  voulans,et  de  l'iden- 
tifier avec  leur  moi;  et  eux,  à  leur  tour, 
n'ont  pas  tort  d'y  attacher  une  extrême  im- 
portance en  nous  et  de  l'identifier  avec  notre 
moi;  car  notre  volonté  a  la  puissance  de  di- 
riger presque  toutes  nos  actions,  et  sur-tout 
toutes  celles  par  lesquelles  nous  influons  sur 
eux.  Ainsi ,  pour  eux,  notre  volonté  ou  nous 


CHAPITRE  XIII.  24g 

c'est  bien  exactement  la  même  chose ,  ex- 
cepté dans  certains  cas  qui  forment  des 
exceptions  assez  rares. 

Ils  n'ont  pas  tort  non  plus  d'attacher  une 
idée  de  mérite  ou  de  démérite,  un  sentiment 
d'amour  ou  de  haine  à  notre  volonté  éclai- 
rée ou  stupide,  bienveillante  ou  malveillante 
à  leur  égard  ;  car  si  nous  n'avons  pas  le  pou- 
voir de  vouloir  uniquement  parce  que  nous 
voulons  vouloir,  nous  avons  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  comme  nous  l'avons  dit,  celui 
d'attacher  notre  attention  à  telle  ou  telle 
perception,  de  multiplier  et  de  rectifier  les 
jugemens  que  nous  en  portons  et  en  vertu 
desquels  nous  avons  des  volontés.  Or,  que 
nous  soyons  portés  à  ces  recherches  par  le 
ridicule  pouvoir  de  les  désirer  sans  motifs 
ou  par  des  circonstances  inconnues,  peu 
importe  à  ceux  qui  ne  sont  affectés  que  des 
résultats ,  et  qui  ne  peuvent  accorder  leur 
estime  qu'à  la  justesse  qui  y  brille  et  leur 
amour  qu'au  bien  qui  en  résulte  pour  eux. 
En  effet,  une  chose  quelconque  n'est  ni  esti- 
mable ni  aimable  par  la  cause  qui  la  produit, 
mais  par  l'effet  qui  en  résulte;  et  si  nous 
disons  communément  que  c'est  l'intention 
seule  (c'est-à-dire  la  volonté)  qui  fait  tout  le 


fl5o  IDÉOLOGIE. 

mérite  d'une  action ,  et  que  c'est  l'intention 
seule  dont  on  peut  savoir  bon  ou  mauvais 
gré,  c'est  uniquement  parce  que,  comme 
nous  l'avons  déjà  remarqué,  nous  identifions 
avec  raison  les  autres  avec  leur  volonté , 
comme  nous  nous  identifions  nous-mêmes 
avec  la  notre;  et  cette  expression  ne  signifie 
autre  chose  si  ce  n'est  qu'un  individu  n'est 
estimable  et  aimable  qu'à  proportion  que 
sa  volonté  est  éclairée  et  bienveillante.  Or, 
cela  est  tout  aussi  vrai  dans  l'hypothèse 
que  sa  volonté  est  l'effet  nécessaire  de  causes 
inaperçues,  que  dans  la  supposition  absurde 
qu'elle  est  un  effet  sans  cause. 

Par  la  même  raison ,  notre  principe  ne 
détruit  point  la  justice  des  punitions  et  des 
récompenses;  au  contraire,  il  l'établit  plus 
solidement  ;  car  si  notre  volonté  est  déter- 
minée nécessairement  par  desjugemens  an- 
técédens,  il  est  juste  et  raisonnable  de  lui 
fournir  des  motifs  de  se  porter  au  bien  ;  au 
lieu  que  si  elle  naissait  sans  cause,  les  puni- 
tions et  les  récompenses  n'auraient  aucune 
influence  sur  ses  déterminations  futures,  et 
les  unes  ne  seraient  qu'une  vengeance  pué- 
rile, et  les  autres  que  l'expression  d'une 
reconnaissance  inutile. 


CHAPITRE   Xlir.  25l 

Ce  sont  sans  doute  les  motifs  que  je  viens 
de  développer  qui,  aperçus  confusément  par 
tous  les  hommes,  les  ont  conduits  à  porter 
tous,  sur  leur  volonté  et  celle  de  leurs  sem- 
blables, des  jugemens  qui  sont  très-justes  au 
fond,  quoiqu'ensuite  l'ignorance  des  causes 
qui  déterminent  invinciblement  cette  vo^ 
lonté ,  et  l'envie  de  ne  pas  se  croire  les 
instrumens  passifs  des  circonstances  envi- 
ronnantes ,  les  aient  portés  à  imaginer  que 
leur  volonté  est  une  création  qui  se  produit 
spontanément  en  eux,  et  à  ne  jamais  remon- 
ter à  une  cause  antérieure  de  leurs  actions 
que  quand  celle-là  n'a  pas  lieu.  Concluons 
donc  que  notre  volonté  n'a  pas  le  pouvoir 
de  former  tel  ou  tel  désir  sans  motif  et  par  un 
acte  purement  émané  d'elle  ;  mais  qu'ayant, 
jusqu'à  un  certain  point  (quelle  que  soit  la 
cause  qui  la  mette  en  action),  le  pouvoir 
d'appliquer  notre  attention  à  une  perception 
plutôt  qu'à  une  autre,  de  nous  faire  retrou- 
ver un  souvenir  plutôt  qu'un  autre,  de  nous 
faire  examiner  tel  rapport  d'une  chose  plu- 
tôt que  tel  autre,  tous  actes  qui  sont  les  élé- 
mens  de  ses  déterminations,  elle  influe,  non 
immédiatement,  mais  médiatement  sur  sa 
direction  ultérieure. 


252  IDÉOLOGIE. 

Je  ne  traiterai  point  ici  à  la  manière  des 
scholastiques  la  question  tant  débattue  de  la 
nécessité  et  de  la  liberté;  je  pense,  avec 
Locke,  qu'être  libre  c'est  avoir  le  pouvoir 
d'exécuter  sa  volonté ,  et  que  toutes  les  fois 
qu'on  donne  un  autre  sens  à  ce  mot  on  ne 
s'entend  plus.  Il  ne  peut  donc  pas  y  avoir  de 
liberté  avant  la  naissance  de  la  volonté  ;  et 
il  ne  pouvait  être  question  que  d'examiner 
ce  qui  fait  naître  notre  volonté.  Je  pense  que 
c'est  ce  que  nous  avons  fait  suffisamment. 

Je  terminerai  là  ce  chapitre,  dans  lequel, 
comme  dans  le  précédent,  je  me  suis  borné 
à  recueillir  des  faits  sans  me  permettre  de 
remonter  à  leurs  causes-,  qui  me  sont  in- 
connues, ni  d'en  tirer  des  conséquences  qui 
auraient  été  prématurées. 

Je  sens  qu'à  la  suite  de  ces  observations 
je  devrais  indiquer  les  moyens  de  perfec- 
tionner notre  faculté  de  nous  mouvoir,  et 
ceux  de  bien  diriger  notre  faculté  de  vouloir, 
et  d'augmenter  son  influence  sur  toutes  les 
autres  ;  mais  il  faut  auparavant  nous  être 
munis  des  observations  dont  nous  allons 
nous  occuper  dans  le  chapitre  suivant. 


CHAPITRE  XIV.  253 


CHAPITRE  XIV. 

Des  effets  que  produit  en  nous  la  fré- 
quente répétition  des  mêmes  actes. 

JM  ous  venons  de  passer  en  revue  plusieurs 
circonstances  importantes  de  nos  différentes 
opérations  physiques  et  intellectuelles;  mais 
il  en  est  encore  une  qui  mérite  de  fixer  toute 
notre  attention,  c'est  l'effet  que  produit  sur 
chacune  de  ces  opérations  sa  fréquente  ré- 
pétition. On  appelle  habitude  la  disposition, 
la  manière  d'être  permanente  qui  naît  de 
cette  fréquente  répétition  :  c'est-là  le  vrai 
sens  du  mot  habitude.  Il  est  vrai  que  dans  l'u- 
sage ordinaire  on  confond  souvent  la  cause 
et  l'effet;  et  quand  on  dit,  j'ai  une  telle  habi- 
tude, j'ai  l'habitude  de  telle  chose,  je  suis 
habitué  à  telle  chose,  cela  veut  dire  égale- 
ment ou  que  l'on  fait  souvent  cette  chose 
quelconque,  ou  que  l'on  éprouve  la  dispo- 
sition qui  résulte  de  la  fréquente  répétition 
de  cette  action.  Ce  manque  de  précision  dans 
le  langage  vient  sans  doute  de  ce  que  peu  de 
£ens  ont  réfléchi  avec  attention  sur  les  habi- 


254  IDÉOLOGIE. 

tudes  et  sur  leurs  causes,  car  l'inexactitude 
des  expressions  naît  toujours  de  la  confu- 
sion des  idées  ;  voilà  pourquoi  les  langues 
se  perfectionnent  à  mesure  que  les  connais- 
sances se  débrouillent.  Conformons -nous 
cependant  à  l'usage;  mais  occupons-nous 
de  nous  faire  des  idées  nettes  de  nos  habi- 
tudes, et  de  démêler  les  effets  qu'elles  pro- 
duisent sur  nos  différentes  facultés,  et  com- 
mençons par  la  faculté  de  nous  mouvoir, 
qui,  prise  dans  son  sens  le  plus  étendu,  ren- 
ferme toutes  les  autres. 

Personne  n'ignore  que  plus  nous  répétons 
souvent  le  même  mouvement,  quel  qu'il 
soit,  plus  nous  l'exécutons  avec  facilité  et 
rapidité.C'est  d'après  cette  observation  cons- 
tante et  générale,  que,  lorsque  nous  voulons 
réussir  à  faire  une  action  quelconque,  nous 
nous  y  exerçons  le  plus  possible ,  et  que , 
quand  on  veut  qu'un  ouvrage  se  fasse  très- 
vite  ,  on  a  soin  de  partager  le  travail  de  ma- 
nière que  chaque  ouvrier  n'ait  qu'un  petit 
nombre  de  mouvemens  et  toujours  les 
mêmes  à  exécuter  :  c'est-là  le  grand  avan- 
tage de  la  division  du  travail  dans  les  manu- 
factures. Ce  principe  est  donc  connu  de  tout 
le  monde. 


CHAPITRE  XIV.  255 

Mais  tout  le  monde  ne  remarque  pas  de 
même  que  plus  un  mouvement  est  facile  et 
rapide,  moins  il  est  senti,  ensorte  que  sou- 
vent il  finit  par  ne  plus  donner  lieu  à  aucune 
sensation,  par  être  tout-à-fait  inaperçu  :  cela 
est  pourtant  très-vrai. 

Une  observation  non  moins  juste,  à  la- 
quelle on  fait  encore  plus  rarement  atten- 
tion, c'est  que ,  lorsqu'il  s'agit  d'un  mouve- 
ment volontaire,  pour  parvenir  à  le  faire 
avec  rapidité ,  il  ne  suffit  pas  que  l'organe 
moteur  immédiat  contracte  la  souplesse 
nécessaire  pour  l'exécuter  sans  peine ,  il  faut 
encore  que  nous  apprenions  à  former  promp- 
tementetsans  désordre  les  différens  désirs 
successifs  en  vertu  desquels  le  mouvement 
doit  s'effectuer.  C'est  une  chose  qui  s'observe 
d'une  manière  très-marquée  les  premières 
fois  que  l'on  s'étudie  à  produire  quelque  mou- 
vement un  peu  compliqué.  Lorsque  je  com- 
mence à  prendre  des  leçons  de  danse  ou  de 
clavecin,  par  exemple,  il  faut  que  mon 
maître  me  fasse  connaître  en  détail  les  dif- 
férens mouvemens  partiels  que  mes  jambes 
ou  mes  doigts  doivent  exécuter,  et  dans 
quel  ordre  je  dois  les  vouloir;  il  faut  qu'il  me 
les  décompose,  c'est-à-dire  qu'il  m'enseigne 


2Ô6  IDÉOLOGIE. 

chaque  jugement  et  chaque  désir  particulier 
que  je  dois  former,  et  dans  quel  ordre  ils 
doivent  se  succéder  ;  il  faut  que  l'opération 
intellectuelle  devienne  aussi  facile  que  l'opé- 
ration mécanique;  la  preuve  en  est  que  ce: 
n'est  que  quand  la  première  s'exécute  avec 
régularité  et  sans  peine ,  que  j'ai  ce  qu'on 
appelle  mon  pas  de  danse  dans  la  jambe  ou 
ma  pièce  de  clavecin  dans  la  main  ;  et  que 
si  elle  éprouve  dérangement,  confusion  ou 
hésitation,  l'opération  mécanique  se  fera 
irrégulièrement  et  mal.  C'est  pour  cela  que 
presque  toutes  nos  actions,  même  celles  où 
nous  paraissons  le  plus  purement  machines, 
portent,  jusqu'à  un  certain  point,  l'em- 
preinte de  l'état  où  sont  nos  facultés  intel- 
lectuelles. 

Ajoutons  encore  une  réflexion  à  celle-ci, 
c'est  qu'il  arrive  à  ces  jugemens  et  à  ces  de- 
sirs  que  nous  sommes  obligés  de  former 
pour  faire  certains  mouvemens,  précisé- 
ment la  même  chose  qu'à  ces  mouvemens 
eux-mêmes;  c'est-à-dire  que  tant  qu'ils  sont 
pénibles  et  lents,  nous  les  distinguons  tous 
et  nous  en  avons  une  conscience  détaillée, 
et  dès  qu'ils  ont  été  répétés  assez  souvent 
pour  naître  avec  facilité  et  rapidité,  ils  ont 

lieu 


CHAPITRE  XIV.  257 

Heu  presque  sans  que  nous  nous  en  aperce- 
vions, ou  même  totalement  à  notre  insu. 
C'est  ce  que  nous  allons  voir  plus  en  détail 
en  parlant  des  effets  de  la  fréquente  répé- 
tition de  nos  opérations  intellectuelles. 

Puisque  toutes  nos  opérations  intellec- 
tuelles, nos  perceptions,  sont  des  effets  de 
mouvemens  qui  s'opèrent  dans  nos  organes , 
il  est  nécessaire  qu'elles  participent  aux  mo- 
difications qu'apporte  dans  tout  mouvement 
la  circonstance  d'être  fréquemment  répété  ; 
mais  comme  les  conséquences  n'en  sont  pas 
exactement  les  mêmes  pour  nos  différentes 
espèces  de  perceptions ,  il  faut  les  considérer 
séparément.Commençons  par  les  sensations 
proprement  dites. 

Le  mouvement  qui  a  lieu  lorsque  nous 
percevons  une  sensation,  devient  plus  ra- 
pide et  plus  facile  quand  il  a  été  fréquem- 
ment répété;  il  doit  donc  se  faire  qu'une 
sensation  souvent  éprouvée  soit  moins  vive 
pour  nous  :  c'est  aussi  ce  qui  s'observe.  Elle 
ne  produit  plus  en  nous  ce  sentiment  de 
surprise  (1)  qui  nous  excite  si  vivement  les 


(1)  N'entendez  ici  par  ce  mot  que  la  surprise  pour 
ainsi  dire  mécanique ,  et  non  pus  cette  espèce  de  sur- 

R 


258  IDÉOLOGIE. 

premières  fois  ;  plus  elle  se  renouvelle  sou- 
vent, moins  elle  attire  notre  attention;  et  si 
enfin  elle  est  trop  fréquente  ou  trop  pro- 
longée ,  elle  finit  par  n'être  plus  aperçue , 
comme  lorsque  nous  sentons  trop  long- 
temps la  même  odeur  ou  le  même  goût, 
ou  le  même  degré  de  lumière  ou  de  tempé- 
rature (i).  Quand  l'effet  contraire  arrive, 
comme  lorsqu'une  douleur  nous  devient 

prise  réfléchie  ou  d'admiration  qui  est  l'ouvrage  du 
jugement,  et  qui,  par  conséquent,  augmente  avec  les 
connaissances.  Nous  en  parlerons  en  son  lieu. 

(i)  Je  ne  serais  pas  surpris  du  tout  que  ce  fût  là 
une  des  raisons,  et  peut-être  la  principale,  pour  la- 
quelle nous  n'avons  aucune  conscience  des  mouvemens 
qui  sont  nécessaires  à  l'entretien  de  notre  organisation, 
et  qui  s'opèrent  continuellement  pendant  tout  le  temps 
de  notre  existence;  et  je  suis  très-tenté  de  croire  que, 
dans  les  premiers  momens  où  nous  commençons  à 
bentir ,  nous  avons  un  sentiment  très-marqué ,  et  peut- 
être  assez  distinct,  de  chacun  de  ces  mouvemens, 
qui  deviennent  insensibles  dans  la  suite.  Beaucoup  de 
faits  observés  dans  les  enfans,  leurs  ris,  leurs  pleura 
sans  cause  apparente ,  autorisent  cette  conjecture,  qui 
ne  répugne  pas  à  la  raison.  Au  reste,  je  dis  un  senti- 
ment assez  distinct,  et  non  pas  très-distinct,  parce 
qu'à  cette  époque  l'action  du  jugement  étant  encore 
nouvelle  et  rare,  et  par  conséquent  lente  et  pénible, 
elle  doit  laisser  dans  la  confusion  beaucoup  d'impres- 


CHAPITRE   XIV.  25g 

plus  nsupportable  à  mesure  qu'elle  se  re- 
nouvelle ou  se  prolonge,  c'est  toujours  parce 
qu'elle  finit  par  déranger  ou  détruire  l'or- 
gane qu'elle  affecte,  ou  parce  que  le  mou- 
vement organique  qui  la  produit,  en  se  ré- 
pétant et  se  prolongeant,  met  en  jeu  d'autres 
organes  sensitifs  et  y  excite  des  mou  vemens 
qui  n'avaient  pas  eu  lieu  d'abord ,  ce  qui , 
dans  les  deux  cas,  rend  le  mal  réellement 
plus  grave,  ou  plutôt  multiplie  réellement 
les  causes  de  douleur.  Il  est  même  à  remar- 
quer que  si  nos  douleurs  deviennent  plus 
poignantes  à  la  longue,  il  n'en  est  jamais  de 
même  de  nos  plaisirs  ;  ce  qui  pourrait  tenir 
non-seulement  à  ce  que  tout  plaisir  dispa- 
raît dès  que  le  sentiment  de  fatigue  survient, 
mais  encore  à  ce  que,  dans  l'accroissement 
de  la  douleur  par  la  fréquence  ou  la  durée, 
il  y  entre  de  l'action  de  notre  jugement,  qui 
nous  irrite  contre  cet  état  pénible  et  nous 
le  fait  trouver  plus  insupportable. 

sions  que  dans  la  suite  elle  démêlerait  aisément  si  on 
les  sentait  encore. 

Peut-être  aussi,  dans  le  cas  de  la  prolongation  con- 
tinue, y  a-t-il  presque  cessation  du  mouvement  orga- 
nique, l'organe  restant  dans  l'état  où  l'a  mis  le  com- 
mencement de  l'impression  sensible. 

R  a 


±6o  IDEOLOGIE. 

Il  est  donc  vrai  en  général  que  nos  sensa- 
tions trop  répétées  deviennent  moins  sen- 
ties, comme  le  mouvement  sensitif  qui  les 
produit  devient  plus  facile;  mais  puisque  ce 
mouvement  de  l'organe  lui  devient  plus  fa- 
cile, la  sensation  doit  donc  devenir  plus  facile 
aussi,  c'est-à-dire  n'avoir  pas  besoin  d'an 
stimulant  aussi  fort  pour  être  excitée  :  c'est 
aussi  ce  qui  arrive.  ïl  est  d'observation  cons- 
tante que  la  délicatesse  de  nos  sens  s'accroît 
par  l'exercice,  même  indépendamment  de 
la  part  qui  doit  être  attribuée  à  l'action  du 
jugement  dans  ce  progrès;  et  quand  le  con- 
traire a  lieu,  c'est  qu'il  y  a  eu  lésion  dans 
l'organe  par  le  trop  grand  usage  qu'on  eu 
a  fait. 

Maintenant,  de  même  que  l'observation 
attentive  de  ce  qui  arrive  à  nos  mouve- 
mens  en  vertu  de  leur  fréquente  répétition 
nous  a  conduits  à  trouver  quel  devait  être 
l'effet  de  la  même  cause  sur  nos  sensations , 
et  à  reconnaître  que  les  phénomènes  sont 
tels  que  nous  avions  jugé  d'avance  qu'ils  de 
vaient  être,  de  même  aussi  l'examen  que 
nous  venons  de  faire  de  la  sensation  nous 
fait  déjà  prévoir  ce  qui  arrive  à  la  mé 
moire. 


CHAPITRE   XIV.  261 

En  effet,  quand  nous  percevons  une  sen- 
sation, le  mouvement  quelconque  opère 
dans  l'organe  affecté  en  produit  un  autre 
dans  le  centre  nerveux ,  que  nous  concevons 
comme  le  siège  de  la  perception,  et  qui  en 
est  l'organe  propre.  Quand  nous  percevons 
un  souvenir,  ce  n'est  pas  ce  premier  mou- 
vement qui  recommence;  aussi  le  souvenir 
d'une  sensation  n'est  pas  la  sensation  elle- 
même.  C'est  le  mouvement  de  l'organe  pro- 
pre de  la  perception  qui  se  renouvelle.  Or, 
ce  mouvement  est  comme  tous  les  autres; 
plus  il  a  eu  lieu  souvent,  plus  il  se  renou- 
velle avec  facilité  et  promptitude,  et  moins 
est  vive  la  perception  qu'il  nous  cause;  tel 
est  aussi  ce  que  nous  éprouvons.  Plus 
nous  avons  eu  souvent  une  perception  quel- 
conque, plus  nous  en  avons  aisément  le 
souvenir;  mais  aussi  moins  ce  souvenir 
nous  frappe  et  nous  émeut.  S'il  est  plus  vif 
quand  la  sensation  a  été  longue  et  profonde, 
c'est  uniquement  parce  que  son  impres- 
sion sur  les  organes  a  été  plus  forte  ;  mais 
cela  ne  tient  pas  à  ce  sentiment  ÏÏétrangeté 
(qu'on  me  passe  ce  terme  presque  syno- 
nyme de  celui  de  nouveauté)  qui  naitdc 
la  difficulté  qu'éprouve  l'organe  à  se  plier 


262  IDÉOLOGIE. 

à  un  mouvement  qu'il  n'a  pas  encore  exé- 
cuté. 

Mais  nul  de  nos  mouvemens  internes 
n'est  isolé  ;  ils  se  tiennent  et  s'enchaînent , 
comme  tous  les  mouvemens  de  la  nature , 
par  une  multitude  de  rapports  et  de  com- 
binaisons; et  plus  ils  se  répètent,  plus  ils 
mettent  en  jeu  tous  les  mouvemens  adja- 
cens,  et  les  rendent  faciles,  quoique  moins 
sensibles.  Ainsi  plus  un  souvenir  se  renou- 
velle, plus  il  réveille  aisément  tous  les  sou- 
venirs collatéraux ,  quoiqu'ils  deviennent 
moins  frappans.  C'est  ainsi  que  s'établit  cette 
liaison  des  idées ,  phénomène  idéologique  si 
important,  dont  l'observation  a  été  si  juste- 
ment vantée,  puisqu'elle  jette  le  plus  grand 
jour  sur  nos  opérations  intellectuelles,  et 
qui  n'est  lui-même  que  la  liaison  mécanique 
ou  chimique  des  mouvemens  organiques  qui 
produisent  nos  idées. 

Ce  que  nous  avons  dit  des  sensations  et 
des  souvenirs  s'applique  complètement  et 
parfaitement  à  nos  jugemens,  non-seule- 
ment parce  que  l'on  ne  peut  juger  que  ce 
que  l'on  sent,  et  que  tout  ce  qui  arrive  aux 
matériaux,  aux  sujets  de  nos  jugemens, 
influe  nécessairement  sur  eux,  mais  encore 


CHAPITRE  XIV.  263 

parce  que  nos  perceptions  de  rapports  elles- 
mêmes  ne  sont,  comme  nos  autres  percep- 
tions, que  des  effets  de  certains  mouvemens 
dans  nos  organes;  aussi  participent-elles  à 
toutes  les  modifications  qu'éprouve  tout 
mouvement  par  l'effet  de  sa  fréquente  répé- 
tition. Il  est  manifeste  que  plus  nous  avons 
porté  souvent  le  même  jugement,  plus  nous 
le  portons  facilement,  rapidement,  moins 
il  nous  frappe  et  plus  il  réveille  aisément,  et 
sans  que  nous  nous  en  apercevions,  tous 
ceux  qui  y  tiennent  de  près.  Cela  va  même 
jusqu'à  faire  toutes  ou  presque  toutes  ces 
opérations  à  notre  insu ,  ou  du  moins  sans 
que  nous  en  ayons  une  conscience  dis- 
tincte. 

II  doit  en  être,  et  il  en  est  de  nos  désirs 
absolument  comme  de  nos  jugemens,  puis- 
qu'ils ne  sont  comme  ceux-ci  que  des  effets 
de  mouvemens  organiques.  Plus  nous  avons 
formé  un  désir,  plus  nous  sommes  disposés 
à  le  former,  plus  la  moindre  chose  l'excite , 
plus  il  réveille  de  sentimens  environnans. 
Mais  en  général  il  s'alanguit  après  la  pre- 
mière explosion.  Si  cela  n'arrive  pas  tou- 
jours, c'est  parce  que  les  opérations  qui 
l'occasionnent,  étant  devenues  plus  faciles 


264  IDÉOLOGIE. 

par  leur  fréquence,  ou  ayant  laissé  des  traces 
plus  profondes  par  leur  durée,  sont  répé- 
tées plus  souvent  et  à  l'occasion  de  plus  de 
circonstances  diverses.  Si  enfin  au  lieu  de 
diminuer  il  augmente,  on  peut  et  on  doit  en 
dire  ce  que  nous  avons  dit  des  sensations , 
dont  tout  désir  émane,  et  dans  lesquelles  il 
est  implicitement  renfermé  :  c'est  que  par  sa 
fréquence  et  sa  durée,  il  met  en  jeu  d'autres 
organes  sensitifs  qui  n'agissaient  pas  d'abord, 
ce  qui  augmente  le  besoin  primitif;  ou  il  rend 
plus  fréquent  le  jugement  que  son  accom- 
plissement nous  est  nécessaire ,  ce  qui  rend 
plus  énergique  la  souffrance  de  n'y  pas  par- 
venir. 

Telle  est,  je  crois,  l'histoire  exacte  et  scru- 
puleuse des  effets  qu'une  fréquente  répéti- 
tion ou  une  durée  prolongée  produit  sur 
nos  mouvcmens,  tant  ceux  qui  ne  consis- 
tent que  dans  le  déplacement  de  quelque 
partie  de  notre  corps,  que  ceux  qui  produi- 
sent nos  diverses  espèces  de  perceptions  ou 
opérations  intellectuelles.  Elle  est  fondée 
sur  des  observations  faites  avec  soin  ;  et 
parce  que  du  développement  délicat  de  leurs 
circonstances  les  moins  aperçues  on  tire  des 
raisons  diverses,  dont  les  unes  sont  propres 


CHAPITRE   XIV.  265 

a  expliquer  un  résultat,  et  les  autres  un  ré- 
sultat fort  différent,  ne  vous  persuadez  pas, 
jeunes  gens,  que  cette  analyse  soit  fantas- 
tique et  inventée  seulement  pour  s'accom- 
moder aux  faits  :  avec  cette  prévention  on 
trouverait  très-mauvaise  l'explication  du 
physicien  qui  dit  :  Si  la  fumée  tombe  dans  le 
vide  et  s'élève  dans  l'air,  c'est  toujours  la 
pesanteur  qui  en  est  cause;  et  pourtant  il  a 
parfaitement  raison.  Sans  doute  il  vaudrait 
mieux  qu'il  pût  vous  dire  à  priori  pourquoi 
la  pesanteur  fait  tomber  un  corps  grave,  et 
que  je  pusse  vous  montrer  les  raisons  mé- 
caniques et  chimiques  qui  font  que  nos 
mouvemens  tant  sensibles  qu'insensibles 
s'opèrent  de  telle  ou  telle  façon ,  et  produi- 
sent telle  ou  telle  nuance  de  perception  ; 
mais  c'est  ce  que  ni  lui  ni  moi  ne  saurions 
faire  :  tout  ce  que  nous  pouvons,  c'est  d'exa- 
miner les  différentes  façons  dont  les  choses 
se  passent,  et  d'y  découvrir  quelques  lois 
générales,  c'est-à-dire  quelques  manières 
constantes  d'agir.  Si  après  cela  les  faits  se 
trouvent  toujours  tels  qu'ils  devraient  être, 
en  supposant  ces  lois  réelles,  cela  prouvé 
qu'on  ne  s'est  pas  trompé  en  les  remarquant , 
et  non  pas  qu'on  les  a  imaginées  à  plaisir. 


n66  IDEOLOGIE. 

pour  ensuite  forcer  les  faits  à  s'y  accommo- 
der; et  moins  ces  lois  sont  multipliées ,  et  plus 
les  faits  qu'elles  expliquent,  c'est-à-dire  qui 
ne  les  contredisent  pas,  sont  nombreux, 
plus  on  est  près  du  but;  car  la  perfection  de 
la  science  serait  de  voir  tous  les  faits  pos- 
sibles naître  d'une  seule  cause. 

Je  crois  donc  que  c'est  une  loi  générale 
de  tous  nos  mouvemens,  que  plus  ils  sont 
répétés,  plus  ils  de  viennent  faciles  et  ra- 
pides; et  que  plus  ils  sont  faciles  et  ra- 
pides, Jiioins  ils  sont  perceptibles,  c'est- 
à-dire  plus  la  perception  qu'ils  nous  cau- 
sent diminue,  jusqu'au  point  même  de 
s'anéantir,  quoique  le  mouvement  ait 
toujours  lieu.  Je  crois  en  outre  que  cette 
seule  observation,  en  ayant  égard  à  la  ma- 
nière particulière  dont  elle  s'applique  à  cha- 
cune de  nos  facultés  ,  suffit  pour  nous 
rendre  raison  de  tous  les  effets  de  la  fré- 
quente répétition  de  nos  perceptions.  Nous 
venons  déjà  de  l'appliquer  avec  succès  à  nos 
perceptions  élémentaires;  essayons  actuel- 
lement de  la  rapprocher  de  perceptions  qui 
soient  plus  composées,  et  par  conséquent 
d'habitudes  qui  seront  plus  compliquées  : 
ce  vous  sera  une  nouvelle  occasion  de  re- 


CHAPITRE  XIV.  267 

marquer  combien  il  nous  est  utile  et  com- 
mode d'avoir  su  ranger  la  foule  immense 
de  nos  idées  sous  un  petit  nombre  de 
classes,  ou  plutôt  d'avoir  pu  les  décomposer 
en  un  petit  nombre  d'élémens  toujours  les 
mêmes;  car  nous  allons  reconnaître  dans 
les  modifications  apportées  à  ces  idées  par 
leur  fréquente  répétition ,  le  produit  des 
changemens  particuliers  qu'elle  apporte  à 
ce  petit  nombre  de  perceptions  élémen- 
taires. 

Ne  craignons  pas  de  prodiguer  les  exem- 
ples. Un  homme  vous  paraît  dans  une  si- 
tuation fâcheuse ,  et  il  a  l'air  content  ;  il 
vous  dit  qu'on  s'habitue  à  la  peine  :  le 
guerrier  vous  dira  de  même  qu'on  se  fait  au 
danger. 

Demandez  à  cet  autre ,  qui  montre  tant 
de  répugnance  à  avaler  un  breuvage  désa- 
gréable, s'il  a  eu  autant  de  peine  à  s'y  ré- 
soudre les  jours  précédens  ;  il  vous  dira  que 
non,  mais  que  chaque  jour  il  lui  devient  plus 
insupportable  :  cependant  s'il  est  peu  sen- 
sible à  un  spectacle  agréable ,  c'est  qu'il  l'a 
beaucoup  vu. 

S'il  ne  se  rappelle  pas  qu'on  s'est  servi 
d'une  expression  singulière,  c'est  qu'il  l'a 


268  IDÉOLOGIE. 

déjà  beaucoup  entendue,  il  n'en  est  plu* 
frappé; pourtant  il  vous  récitera  un  long  pas- 
sage d'une  langue  qu'il  ne  comprend  pas,  et 
ne  s'y  trompera  pas,  uniquement  parce  qu'il 
l'a  entendu  et  répété  mille  fois. 

Si  dans  la  conversation  il  place  à  tout  mo- 
ment le  même  mot,  quoiqu'il  ne  soit  pas 
toujours  à  propos,  c'est  encore  parla  même 
raison. 

Si  vous  êtes  surpris  de  la  vitesse  et  de  la 
justesse  avec  laquelle  vous  calculez  des 
chiffres  sans  presque  y  penser,  vous  vous 
dites,  c'est  l'habitude  :  si  vous  êtes  frappé  de 
la  facilité  avec  laquelle  vous  combinez  des 
notes  de  musique  ou  des  caractères ,  et  eri 
trouvez  l'expression ,  sans  songer  à  la  valeur 
de  chacun  d'eux  en  particulier,  sans  réflé- 
chir sur  leurs  différens  rapports,  en  pensant 
même  à  autre  chose ,  vous  dites  encore , 
c'est  l'habitude. 

Si  un  homme  voit  tout  de  suite  dans  un 
parti  qu'on  lui  propose  de  prendre ,  un  grand 
nombre  de  conséquences  qui  ne  vous  frap- 
pent pas,  et  qu'il  sent  déjà,  quoiqu'il  ne 
puisse  encore  ni  les  démêler  ni  en  rendre 
compte ,  il  vous  dira  que  c'est  l'effet  de  Fha- 
bitude  qu'il  a  de  pareilles  affaires  :  s'il  est.  à 


ciïapithe  xrv.  «269 

Pinstant  saisi  d'une  multitude  de  beautés  ou 
de  défauts  d'un  morceau  de  poésie,  ou  de 
musique,  ou  d'un  tableau,  il  vous  en  don- 
nera la  même  raison. 

Si  vous  le  voyez  vivement  touché  d'une 
marque  d'attachement,  so}Tez  sûr  qu'il  a  l'ha- 
bitude des  affections  tendres;  tandis  que  s'il 
est  peu  sensible  à  une  prévenance  à  laquelle 
il  n'a  pas  droit  de  s'attendre,  c'est  qu'il  est 
trop  habitué  à  en  recevoir  qui  ne  l'ont  pas 
ému. 

Au  contraire,  s'il  se  montre  profondément 
révolté  d'une  légère  injustice,  ou  presque 
insensible  à  une  noire  trahison,  c'est  peut- 
être  dans  les  deux  cas  qu'il  a  déjà  beaucoup 
souffert  des  vices  des  hommes  ;  l'habitude 
qu'il  en  a  l'a  cabré  ou  blasé. 

Prenons  encore  des  exemples  d'un  autre 
genre  :  regardez  ce  claveciniste ,  ce  danseur, 
cet  écuyer,  ce  maître  d'escrime;  ils  exé- 
cutent desmouvemens  très-difficiles,  ils  les 
font  non-seulement  avec  facilité,  mais  très- 
précisément  selon  leur  volonté,  et  sans 
s'apercevoir  de  toutes  les  volontés  partielles 
qu'ils  sont  cependant  obligés  d'avoir  pour 
arriver  aux  résultats  :  les  deux  derniers,  de 
plus,  jugent  avec  une  promptitude  et  une  sa- 


27O  IDEOLOGIE. 

gacité  extrêmes,  des  mouvemens  impercep- 
tibles de  leur  cheval  ou  de  leur  adversaire , 
ils  les  prévoient  même ,  et  en  tirent  d'avance 
des  conséquences  très-éîoignées  et  très- 
fines  ,  dont  ils  n'ont  pas  même  la  conscience , 
et  contre  lesquelles  ils  se  défendent  avec 
une  justesse  admirable;  autant  d'effets  de 
l'habitude. 

Cependant  si  un  homme  répète  continuel- 
lement un  geste  sans  expression  et  sans  effet, 
s'il  a  un  mouvement  en  apparence  absolu- 
ment involontaire,  uniquement  convulsif, 
en  un  mot  ce  que  l'on  appelle  un  tic , 
c'est  encore  le  plus  souvent  un  effet  de  l'ha- 
bitude. 

Enfin,  si  un  homme  se  dégoûte  d'une  liai, 
son  qui  faisait  son  bonheur,  c'est  l'habitude 
qui  en  a  flétri  les  charmes  ;  et  en  même  temps 
si  un  attachement,  un  goût  l'a  entièrement 
subjugué,  si  pour  le  satisfaire,  il  agit  contre 
les  lumières  mêmes  de  sa  raison,  voyant 
clairement  qu'il  a  tort,  c'est  que  l'habitude 
lui  a  fait  un  besoin  de  ce  sentiment  ou  de  ce 
plaisir. 

Voilà  un  bien  grand  nombre  d'exemples 
d'habitudes  :  j'en  pourrais  citer  mille  autres; 
mais  je  n'ai  pas  réuni  ceux-ci  sans  choix  et 


CHAPITRE   XIV.  271 

au  hasard  :  il  y  en  a  à  peu  près  de  toutes  les 
espèces,  ils  sont  tous  différens ,  et  plusieurs 
même  paraissent  diamétralement  opposés. 
Vous  y  voyez  tous  les  genres  de  la  sensi- 
bilité attiédis  ou  exaltés  ;  la  mémoire  engour- 
die ou  rendue  tpès-vive;  les  mouvemens  de- 
venus toujours  très-faciles,  mais  tantôt  dé- 
pendans  de  la  volonté  à  un  point  extrême, 
tantôt  absolument  involontaires;  des  juge- 
mensd'une  finesse  singulière,  mais  si  peu  dis- 
tincts ,  qu'on  n'en  a  pas  même  la  conscience  ; 
la  volonté  prendre  tantôt  une  direction ,  tan- 
tôt une  autre  toute  opposée,  et  sa  détermi- 
nation paraître  même  quelquefois  sans  mo- 
tifs ,  ou,  ce  qui  est  plus  fort,  contraire  à  des 
motifs  évidens. 

Cependant  on  a  raison  de  dire  que  ce  sont 
autant  d'habitudes  diverses,  c'est-à-dire  au- 
tant de  manières  d'être,  produites  par  la  ré- 
pétition fréquente  de  certains  actes  :  mais  il 
faut  convenir  que  quand  on  n'entre  point 
dans  plus  de  détails,  et  quand  on  se  borne  à 
cette  explication  sommaire ,  elle  n'est  pas 
très-satisfaisante,  et  elle  n'apprend  pas  du 
tout  comment  cette  fréquente  répétition  a 
pu  produire  des  résultats  si  opposés.  Si,  au 
contraire,  vous  rapprochez  de  ces  effets 


272  IDEOLOGIE. 

compliqués  nos  observations  sur  les  pro- 
priétés de  nos  mouvemens,  tant  internes 
qu'externes,  tant  moteurs  que  sensitifs ,  et 
sur  les  conséquences  de  ces  propriétés  dans 
l'exercice  de  chacune  de  nos  facultés  intel- 
lectuelles élémentaires ,  vous  démêlerez  fa- 
cilement les  causes  prochaines  de  tous  ces 
effets;  et  vous  reconnaîtrez  qu'il  suffit  de 
faire  attention  que  nos  mouvemens  fréquem- 
ment répétés  deviennent  faciles,  rapides, 
et  peu  sentis,  pour  trouver  la  raison  très- 
plausible  de  la  production  de  tous  ces  phé- 
nomènes. 

Citons-en  pour  preuve  un  de  ceux  qui 
paraissent  les  plus  incompréhensibles.  Un 
homme ,  emporté  par  une  passion  violente 
qui  le  domine,  agit  pour  la  satisfaire  contre 
les  lumières  les  plus  évidentes  de  sa  raison  : 
nous  contenterons-nous,  comme  le  vul- 
gaire, de  dire  vaguement  que  c'est  l'effet  de 
la  force  de  l'habitude?  cela  est  vrai,  mais 
cela  n'apprend  rien  :  irons-nous  supposer, 
avec  tant  de  philosophes,  que  l'homme  est 
sous  le  joug  de  deux  principes  qui  se  font 
une  éternelle  guerre,  d'Oromaze  et  d'Ari- 
mane  ?  ou  qu'il  a  une  ame  livrée  à  la  concu- 
piscence, et  une  autre  plus  intellectuelle  et 

plus 


CHAPITRE  XIV.  273 

plus  pure?  ou  comme  on  dit,  qu'il  obéit 
tantôt  aux  appétits  de  la  chair,  tantôt  aux  lu- 
mières de  l'esprit?  Vous  sentez  le  vide  et  le 
néant  de  toutes  ces  prétendues  explications, 
qui  ne  consistent  qu'à  redire  d'une  manière 
inintelligible  la  chose  observée.  Nous  irons 
donc  plus  droit  au  fait;  nous  remarquerons 
que  pendant  que  cet  homme  porte  avec  ré- 
flexion quelques  jugemens  sensés  qu'il  per- 
çoit nettement,  précisément  parce  qu'il  les 
porte  avec  peine,  il  en  porte  en  même  temps 
un  grand  nombre  d'autres  dont  il  s'aperçoit 
à  peine,  justement  parce  qu'ils  lui  sont 
extrêmement  familiers,  et  qui,  par  cette 
raison-là  même,  réveillant  une  foule  d'autres 
impressions,  l'entraînent  en  sens  contraire. 
C'est  ce  qui  faisait  dire  à  une  femme  de 
beaucoup  d'esprit  :  ha  raison  éclaire  et  ne 
conduit  pas :  ajoutez,  quand  les  décisions 
contraires  aux  siennes  sont  devenues 
habituelles.  Avec  cette  addition,  cette 
maxime  qui  n'est  que  trop  souvent  vraie, 
mais  qui  paraît  épigrammatique  et  para- 
doxale, se  trouve  expliquée;  et  elle  nous 
apprend  combien  il  est  important  de  rendre 
habituels  les  jugemens  justes.  C'est-là  l'édu- 

S 


274  IDEOLOGIE. 

cation  morale  toute  entière ,  tant  celle  des 
hommes  que  celle  des  enfans. 

Voici  encore  un  phénomène  qui  vient  bien 
à  l'appui  de  cette  explication,  car  il  en  dé- 
veloppe toutes  les  circonstances  et  les  jus- 
tifie. La  lune  nous  paraît  plus  grande  à  l'ho- 
rizon qu'au  zénit,  quoique  par  la  réfraction 
et  la  distance  elle  fasse  réellement  dans  notre 
œil  un  angle  un  peu  plus  petit  :  la  cause  de 
cela  est  que  les  objets  terrestres,  interposés 
entre  elle  et  nous,  nous  la  font  juger  plus 
loin,  et  que  nous  pensons,  sans  nous  en 
apercevoir,  que  le  corps  qui  de  si  loin  nous 
envoie  des  rayons  qui  forment  un  si  grand 
angle,  doit  être  bien  grand.  Lorsque  nous 
nous  sommes  bien  démontré  que  la  lune 
n'est  pas  plus  grande  dans  un  cas  que  dans 
l'autre ,  l'apparence  fausse  subsiste  toujours  : 
c'est  que  le  jugement  de  la  grandeur  par  la 
distance  présumée,  et  de  la  distance  par  le 
nombre  des  objets  interposés,  est  profon- 
dément habituel  ;  et  il  l'emporte  sur  le  ju- 
gement produit  par  la  démonstration.  La 
preuve  que  c'est  bien  là  ce  qui  se  passe , 
c'est  que  regardez  tout  de  suite  cette  lune  à 
l'horizon,  au  travers  d'un  tube  qui  supprime 
les  objets  interposés,  vous  la  voyez  sur-le- 


CHAPITRE  XIV.  275 

champ  plus  petite-  tandis  que  le  moment 
d'avant,  si  vous  l'avez  prise  pour  la  flamme 
d'un  incendie,  comme  il  arrive  quelquefois 
à  son  lever,  elle  vous  a  paru  plus  grande  en- 
core qu'à  l'ordinaire. 

Au  contraire  je  vois  de  loin  sur  un  toit  un 
objet  immobile;  d'après  la  distance  présu- 
mée je  le  juge  de  deux  pieds  de  haut,  et  c'est 
en  effet  ce  qu'il  devrait  avoir  :  bientôt  cet 
objet  se  meut,  je  reconnais  que  c'est  un 
homme  ;  à  l'instant  l'apparence  change  pour 
moi,  et  je  vois  réellement  cet  homme  haut 
d'environ  cinq  pieds,  tout  comme,  en  dépit 
de  la  diminution  des  angles,  je  lui  vois  tou- 
jours environs  ses  cinq  pieds  de  hauteur, 
qu'il  soit  à  dix  pieds  de  distance  de  moi  ou  à 
vingt.  C'est  que  le  jugement  qu'un  homme 
a  environ  cinq  pieds  de  haut  est  plus  habi- 
tuel encore  et  plus  frappant  que  celui  qui 
déduit  telle  grandeur  de  telle  distance  dans 
un  cas  particulier. 

Si  nous  avions  touché  et  toisé  maintes  fois 
la  lune  comme  un  homme,  si  sa  grandeur 
réelle  nous  était  aussi  manifestement  con? 
nue,  je  ne  doute  pas  que  nous  nous  condui- 
rions de  même  à  son  égard,  et  qu'au  lieu  de 
lui  voir,  comme  nous  le  faisons,  des  graii- 

S  a 


276  IDÉOLOGIE. 

deurs  différentes  sous  le  même  angle  (ou 
même  plus  de  grandeur  sous  un  angle  plus 
petit),  nous  tomberions  dans  l'excès  con- 
traire, et,  comme  à  l'homme,  nous  lui  ver- 
rions souvent  la  même  grandeur  malgré  des 
angles  visuels  considérablement  diflerens. 
De  même  lorsque  nous  sommes  dans  un 
bateau ,  c'est  le  rivage  qui  nous  paraît  se 
mouvoir.  Mais  si  une  secousse  ou  une  at- 
tention forte  nous  fait  apercevoir  que  c'est 
nous  qui  cheminons ,  nous  voyons  à  l'instant 
le  rivage  immobile;  et  bientôt  après  il  nous 
paraît  de  nouveau  se  mouvoir,  parce  qu'il 
nous   est   extrêmement  habituel ,  lorsque 
nous  voyons  du  mouvement  sans  en  sentir, 
de  juger  que  ce  n'est  pas  nous  qui  en  fai- 
sons. 

Dans  tous  ces  cas  il  est  manifeste  qu'il  y 
a  simultanéité  et  conflit  de  jugemens,  les 
tins  aperçus,  les  autres  inaperçus,  et  que  ce 
sont  toujours  les  plus  habituels  qui  l'empor- 
tent, souvent  à  tort.  C'est  bien  là,  je  crois, 
Timage  des  combats  de  nos  passions  contre 
notre  raison ,  et  la  preuve  que  nous  avons 
saisi  tous  ces  phénomènes  sous  leur  vrai 
point  de  vue. 
•    Il  est  vrai  que,  pour  goûter  cette  manière 


CHAPITRE  XIV.  277 

de  voir,  il  faut  consentir  à  admettre  qu'il  se 
passe  en  nous  continuellement  un  nombre 
prodigieux  de  mouveniens,  et  qu'à  chaque 
instant  il  s'y  exécute  presque  simultanément 
une  quantité  incroyable  d'opérations  intel- 
lectuelles, dont  nous  n'avons  pas  même  la 
conscience.  Cette  supposition  effraie  l'ima- 
gination :  cependant,  jeunes  gens,  il  faut  y 
accoutumer  votre  raison,  puisque  les  faits 
prouvent  que  c'est  la  vérité.  En  effet,  vous 
ne  pouvez  pas  douter  de  la  célérité  et  de  la 
complication  vraiment  merveilleuse  de  tous 
les  mouveniens  qui  servent  à  l'entretien 
de  votre  vie,  et  de  tous  ceux  que  vous 
faites  lorsque  vous  vous  livrez  à  certains 
exercices. 

Réfléchissez  à  ce  qui  se  passe  en  vous 
quand  vous  lisez  un  livre;  il  n'est  pas  dou- 
teux que  quand  vous  avez  appris  à  lire ,  il  a 
fallu  que  vous  ayez  une  connaissance  dis- 
tincte et  sentie  de  la  figure  de  chaque  lettre, 
du  son  qui  la  représente  isolément,  de  la 
manière  de  la  lier  et  de  la  fondre  avec  les 

ta 

autres  pour  former  les  syllabes  et  les  mots  ; 
quand  vous  avez  appris  la  langue  dans  la- 
quelle est  écrit  ce  livre,  il  a  fallu  de  même 
que  vous  sentiez  fortement  et  péniblement 


278  IDÉOLOGIE. 

la  valeur  de  chaque  mot ,  et  de  tous  les  signes 
grammaticaux  et  orthographiques  qui  ex- 
priment leurs  rapports  :  et  quand  ensuite 
vous  lisez  ce  livre  avec  rapidité  et  facilité , 
en  croyant  ne  vous  occuper  que  du  sens , 
il  est  pourtant  impossible  que  tous  ces  in- 
nombrables jugemens  ne  se  fassent  pas  dans 
votre  tête  à  votre  insu;  il  est  impossible  en- 
core que  chaque  mot  exprime  pour  vous 
une  idée ,  sans  réveiller  en  vous  une  foule 
d'idées  composantes  de  chacune  de  ces 
idées  composées.  Enfin ,  vous  ne  sauriez 
avoir  aucune  opinion  ni  sur  la  manière  dont 
le  sujet  est  traité,  ni  sur  la  difficulté  de  la 
composition,  ni  sur  le  mérite  du  style,  sans 
qu'un  nombre  vraiment  prodigieux  d'autres 
systèmes  d'idées  ne  soit  ressuscité  en  vous 
successivement  et  presque  simultanément  ; 
sans  doute  vous  ne  vous  en  apercevez  pas- 
mais  puisque  la  chose  est  indispensable, 
elle  existe  quoiqu'à  votre  insu.  Tous  ces 
mouvemens ,  toutes  ces  opérations  dépen- 
dant nécessairement  les  unes  des  autres,  si 
une  seule  avait  manqué,  la  chaîne  eût  été 
rompue  ;  il  faut  donc  absolument  qu'elles  se 
soient  effectuées  toutes  :  seulement  elles  se 


CHAPITRE  XIV.  279 

sont  opérées  d'une  manière  imperceptible 
dans  la  stricte  signification  du  mot. 

Il  en  est  de  même  de  l'homme  qui  écrit 
ses  idées  à  course  de  plume;  et  il  faut  en 
outre  que  toutes  les  opérations  intellec- 
tuelles nécessaires  pour  conduire  ses  doigts 
aient  lieu  aussi;  sans  ces  deux  conditions,  il 
n'exprimerait  aucun  sens  suivi,  et  ne  trace- 
rait aucuns  caractères  distincts. 

Nous  ne  saurions  trop  nous  familiariser 
avec  ces  merveilles  de  la  nature  :  ce  n'est 
point  du  tout  le  merveilleux  qui  doit  nous 
révolter,  c'est  l'absurde.  Qui  de  nous  pourra 
jamais  comprendre  la  prodigieuse  petitesse 
des  globules  du  fluide  qui  circule  dans  les 
nerfs  d'un  insecte,  ou  l'excessive  ténuité 
des  particules  odorantes  d'un  corps  qui  en 
remplit  continuellement  un  grand  espace 
pendant  des  années  sans  perdre  une  quan- 
tité appréciable  de  son  poids?  Qui  se  fera 
jamais  une  idée  de  l'effrayante  multitude 
des  rayons  lumineux  qui  partent  d'un  corps 
éclairé  dont  chaque  point  en  renvoie  un  fais- 
ceau tout  entier  à  chacun  des  points  de  l'es- 
pace? et  qui  pourra  jamais  concevoir  l'inap- 
préciable subtilité  des  molécules  de  cette 
matière  qui  se  croise  et  se  pénètre,  pour 


280  IDÉOLOGIE. 

ainsi  dire,  dans  tant  de  milliards  de  sens 
diiïérens ,  sans  se  causer  le  moindre  obstacle 
ni  le  plus  petit  dérangement?  Personne  ce- 
pendant n'est  tenté  de  nier  ces  faits,  parce 
qu'ils  sont  avérés,  et  parce  qu'encore  une 
fois,  qu'une  chose  soit  incompréhensible, 
ce  n'est  point  du  tout  une  raison  de  lui  re- 
fuser notre  assentiment  quand  son  existence 
est  prouvée.  Nous  ne  sommes  fondés  à  nier 
constamment  que  ce  qui  est  démontré  im- 
possible, et  il  n'y  a  de  démontré  impossible 
que  ce  qui  implique  contradiction;  du  reste 
tout  est  miracle  dans  ce  monde  pour  nos 
faibles  moyens  de  connaître  (1). 

N'ayons  donc  aucune  peine  à  convenir 

(1)  Je  ne  puis  me  refuser  à  citer  ici  un  exemple 
bien  frappant  de  ces  choses  qui  paraissent  inadmis- 
sibles à  un  premier  aperçu ,  et  que  des  recherches 
plus  approfondies  rendent  vraisemblables.  Y  a-t-il 
rien  qui  étonne  plus  l'imagination  que  de  concevoir 
que  les  corps  les  plus  denses  de  notre  globe  renferment 
tant  de  vide ,  que  les  molécules  qui  les  composent 
sont  aussi  éloignées  les  unes  des  autres,  à  proportion  de 
leur  grosseur,  que  les  différentes  étoiles  qui  forment 
une  nébuleuse  le  sont  entr' elles?  Cependant  un  de  nos, 
plus  grands  géomètres  ne  trouve  aucune  raison  pour 
rejeter    cette  supposition,  et  voit  même  plusieurs. 


CHAPITRE  XIV.  28l 

avec  nous-mêmes  que  l'homme  est  encore 
mille  fois  plus  admirable  que  nous  ne  nous 
en  étions  cloutés  après  un  examen  superfi- 
ciel; qu'il  s'opère  en  lui  mille  et  mille  fois 
plus  de  choses  que  nous  n'en  avions  dé- 
couvert à  un  premier  aperçu;  qu'il  n'est 
affecté  et  averti  que  des  effets  les  plus  rares 
et  les  plus  grossiers  de  son  organisation  (1), 
tandis  qu'une  infinité  d'autres  échappe  à  sa 
perception;  et  qu'enfin  la  propriété  qu'il  re- 
marque dans  tous  ses  mouvemens  et  dans 
toutes  ses  opérations  intellectuelles  de  de* 
venir  plus  rapides,  plus  faciles,  et  moins 
sentis  à  mesure  qu'ils  sont  répétés,  que 
cette  propriété,  dis-je,  bien  avérée,  bien 
constatée  ,  bien  incontestable,  est  portée 
jusqu'à  un  point  incalculable,  et  qu'elle  est 

motifs  de  l'admettre.  Voyez  Y  Exposition  du  Système 
du  Monde,  de  M.  Laplace,  page  287  de  l'édition  in-4°. 

Si  on  s'en  était  toujours  tenu  aux  premières  vrai- 
semblances, on  n'aurait  jamais  cru  le  mouvement  de- 
là terre. 

(0  Nous  éprouvons  aujourd'hui  en  idéologie  ce 
qu'on  a  éprouvé  en  chimie  lors  de  sa  rénovation, 
c'est  que  jusque-là  on  ne  s'était  aperçu  que  des  élé- 
mens  les  plus  grossiers  des  êtres  analysés,  et  qu'une 
foule  d'autres  plus  subtils  avaient  toujours  échappé  à 
l'observation. 


282  IDÉOLOGIE. 

la  cause  de  tous  les  phénomènes  qui  nous 
apparaissent  sous  le  nom  d'habitudes. 

Cette  manière  de  considérer  les  choses , 
que  je  crois  la  vraie,  nous  conduit,  non  pas 
à  expliquer,  mais  à  voir  avec  moins  d'éton- 
nement  et  un  peu  plus  d'intelligence,  ce  que 
nous  appelons  en  général  fes  déterminations 
instinctives,  et  nommément  celles  de  cer- 
tains animaux  qui,  dès  le  moment  de  leur 
naissance,  font  des  actions  qui  paraissent 
exiger  un  grand  nombre  de  combinaisons , 
et  même  quelques  connaissance  acquises  ; 
car,  soit  que  nous  regardions  ces  détermi- 
nations comme  des  effets  mécaniques  et 
chimiques  de  combinaisons  qui  nous  sont 
inconnues,  soit  que  nous  y  voyions  les  ré- 
sultats d'opérations  intellectuelles,  qui,  dans 
ces  animaux ,  s'exécuteraient  des  le  premier 
moment  avec  la  même  incroyable  prompti- 
tude que  la  plupart  d'entr'elles  n'acquièrent 
chez  nous  que  par  leur  fréquente  répétition  y 
il  n'y  aurait  là  rien  de  plus  étonnant  que  tout 
ce  que  nous  venons  d'observer  en  nous; 
cela  ne  ferait  guère,  dans  les  deux  cas,  que 
nous  porler  à  admettre  que  la  célérité  des 
mouvemens  du  fluide  nerveux  égale  la  pro- 
digieuse vitesse  de  la  lumière  :  c'est  peut- 


CHAPITRE   XIV.  283 

être  à  quoi  l'analogie  toute  seule  aurait  du 
nous  conduire.  Là,  comme  partout,  ce  ne 
sont  pas  les  phénomènes  les  plus  rares,  mais 
bien  les  plus  communs,  qui  sont  les  plus  sur- 
prenans. 

Observez  cependant,  jeunes  gens,  que 
quoique  ces  réflexions  tendent  à  diminuer 
votre  admiration  pour  ces  faits  extraordi- 
naires qui  suivent  immédiatement  la  nais- 
sance de  certains  animaux,  cela  ne  doit  pas 
vous  porter  à  croire  légèrement  leur  exis- 
tence :  il  en  est  certainement  de  très-singu- 
liers, qui  sont  bien  constatés;  mais  la  plu- 
part de  ceux  que  l'on  raconte,  même  depuis 
la  plus  haute  antiquité,  mériteraient  d'être 
observés  de  nouveau,  et  soumis  à  un  exa- 
men rigoureux ,  qui  peut-être  en  ôterait 
bien  du  merveilleux;  ce  serait  même  rendre 
un  grand  service  à  la  science  qui  nous  oc- 
cupe. Au  reste,  je  ne  veux  point  traiter  ici 
de  l'idéologie  comparée;  je  croirai  avoir 
assez  fait  si  j'ai  établi  sur  des  bases  solides 
l'idéologie  de  l'homme;  le  surplus  m'éloigne- 
rait  également  et  du  cercle  de  mes  con- 
naissances et  de  l'objet  de  mon  ouvrage  : 
je  fais  des  vœux  pour  qu'un  savant  profes- 
seur, qui  a  fait  preuve  de  la  capacité  néces-r 


284  IDÉOLOGIE. 

saire  et  de  l'étendue  d'esprit  suffisante  (i), 
remplisse  à  cet  égard  les  espérances  qu'il 
nous  a  données. 

Pour  revenir  à  notre  sujet,  il  reste  donc 
convenu  que  nos  mouvemens  et  nos  opéra- 
tions intellectuelles  deviennent  plus  rapides, 
plus  faciles  et  moins  sensibles,  à  proportion 
qu'ils  ont  été  plus  fréquemment  répétés  : 
G'est-là  la  source  de  nos  progrès  et  de  nos 
erreurs.  Il  faut  actuellement  examiner  les 
uns  et  les  autres. 


CHAPITRE  XV. 

Du  Perfectionnement  graduel  de  nos 
facultés  intellectuelles. 

Il  est  difficile,  peut-être  même  impossible, 
de  concevoir  une  sensation,  une  impression 
sensible  quelconque  existante  en  nous,  sans 

(1)  M.  Draparnaud,  professeur  de  Grammaire  gé- 
nérale à  l'école  centrale  du  département  de  l'Hérault. 

Il  est  bien  fâcheux,  au  lieu  de  pouvoir  se  livrer  à 
ces  espérances,  d'avoir  à  déplorer  la  perte  prématurée 
d'un  homme  aussi  intéressant.  C'est  un  grand  malheur 
pour  la  science.  (IVote  de  la  seconde  édition.) 


CHAPITRE  XV.  285 

qu'elle  donne  lieu  à  quelque  jugement  et  à 
quelque  désir,  au  moins  au  jugement  qu'elle 
est  agréable  ou  désagréable,  et  au  désir  de 
l'éprouver  ou  de  l'éviter  :  ces  perceptions 
paraissent  faire  pour  ainsi  dire  partie  de  la 
sensation  elle-même,  et  en  naître  nécessai- 
rement et  presque  simultanément. 

Mais  on  peut  fort  bien  imaginer  un  ordre 
de  choses  tel ,  que  ces  sensations ,  j  ugemens , 
ou  désirs,  n'imprimeraient  aucune  trace  du- 
rable en  nous,  et  nous  laisseraient,  lors 
de  leur  disparition ,  absolument  comme  nous 
étions  avant  de  les  avoir  éprouvés.  Dans  ce 
cas ,  nous  n'aurions  aucune  espèce  de  mé- 
moire; car  le  souvenir  est  l'effet  d'une  dis- 
position demeurée  dans  nos  organes  après 
une  perception,  disposition  en  vertu  de  la- 
quelle le  mouvement  éprouvé  se  renouvelle 
au  moins  en  partie,  lorsque  quelque  cir- 
constance l'excite.  La  preuve  en  est  qu'il  n'y 
a  qu'une  impression  déjà  éprouvée  qui  puisse 
être  excitée  ainsi.  Même  lorsque  nous  fai- 
sons ce  que  nous  appelons  imaginer,  nous 
ne  créons  rien  d'absolument  neuf,  nous  ne 
faisons  que  nous  rappeler  ce  que  nous  avons 
déjà  éprouvé,  et  en  former  de  nouveaux 
composés.  La  mémoire  est  donc  le  premier 


286  IDÉOLOGIE. 

résultat  de  cette  capacité  qu'ont  nos  or-* 
ganes,  de  recevoir  une  disposition  perma- 
nente à  l'occasion  dune  impression  passa- 
gère. Elle  nous  est  bien  nécessaire  cette 
faculté  de  nous  ressouvenir;  sans  elle  le 
passé  ne  serait  rien  pour  nous,  nous  serions 
toujours  comme  au  moment  de  notre  pre- 
mière sensation,  et  tout  progrès  ultérieur 
serait  impossible. 

Mais  ces  progrès  seraient  encore  bien 
faibles,  si  nous  ne  retirions  d'autre  fruit 
de  l'exercice  de  nos  facultés  intellectuelles, 
que  la  possibilité  de  nous  rappeler  les  im- 
pressions reçues,  et  s'il  n'en  résultait  pas 
une  beaucoup  plus  grande  facilité  dans  les 
différentes  opérations  de  ces  facultés.  Heu- 
reusement il  n'en  est  pas  ainsi;  et  nous 
avons  vu  que  tous  nos  mouvemens  devien- 
nent et  plus  faciles  et  plus  rapides  quand  ils 
ont  été  souvent  répétés,  et  qu'il  en  est  de 
même  denos  opérationsintellectuelles. Nous 
avons  vu  que  cette  rapidité  et  cette  facilité 
sont  susceptibles  d'un  accroissement  incal- 
culable ,  et  nous  avons  eu  bien  des  occasions 
de  remarquer  que  toute  action  que  nous  fai- 
sons pour  la  première  fois,  nous  paraît  d'une 
difficulté  qui  nous  surprend  nous-mêmes 


CHAPITRE  XV.  287 

dans  la  suite,  quand  nous  en  avons  pris 
l'habitude ,  ou ,  comme  on  devrait  dire , 
quand  nos  organes  ont  contracté  l'habitude 
qui  résulte  de  la  fréquente  répétition  de  cette 
action.  Nous  en  devons  conclure,  qu'au 
moins  dans  l'espèce  humaine,  quand  même 
l'individu  naîtrait  avec  l'entier  développe- 
ment de  tous  ses  organes,  il  n'en  serait  pas 
moins  réduit  d'abord  à  un  degré  bien  borné 
d'intelligence  et  de  capacité  ;  tousses  mou- 
vemens,  tous  les  actes  de  sa  pensée  seraient 
lents  et  pénibles  :  c'est  dans  tous  les  genres 
que  nos  commencemens  sont  faibles.  Mes 
jeunes  amis ,  méfiez-vous  des  poètes,  et  des 
philosophes,  qui,  comme  eux,  raisonnent 
d'après  leur  imagination,  et  non  d'après  les 
faits;  ce  sont  d'aimables  enchanteurs,  mais 
de  très-dangereux  séducteurs.  L'âge  d'or, 
tant  vanté,  est  le  temps  de  la  souffrance  et 
du  dénuement;  et  l'état  de  nature  est  celui 
de  la  stupidité  et  de  l'incapacité  absolue  (1). 

(1)  Il  y  a  pourtant  une  cause  à  ce  préjugé  universel 
du  bonheur  de  l'âge  d'or  et  de  la  perfection  de  l'état 
de  nature,  comme  il  y  en  a  à  toutes  les  erreurs  et  à 
toutes  les  maladies  de  l'esprit  humain,  et  la  voici. 
Pour  tout  vieillard ,  le  plus  beau  temps  dont  il  se  sou- 
vienne est  celui  de  sa  jeunesse  ;  c'est-là  pour  lui  1» 


288  IDÉOLOGIE. 

Nous  ne  tenons  de  cette  nature  si  admirable , 
c'est-à-dire  de  notre  organisation ,  que  la  pos- 
sibilité de  nous  perfectionner,  et  cela  nous 
yaffit;  mais  en  sortant  de  ses  mains,  non- 
seulement  nous  sommes  dans  une  ignorance 

temps  par  excellence,  celui  des  beaux  jours  et  du 
bonheur  ;  il  le  vante  sans  cesse.  Elevé  dans  le  respect 
de  son  père ,  qui  faisait  de  même ,  il  croit  facilement 
que  le  temps  de  la  jeunesse  de  ce  père  était  encore 
supérieur,  et  que  celui  de  lajeunes.se  du  monde  était 
au-dessus  de  tout.  La  masse  des  hommes,  en  général 
mécontente  de  son  sort,  croit  volontiers  à  cette  supé- 
riorité des  temps  antérieurs ,  qui  lui  est  continuelle- 
ment attestée  par  des  gens  qui  les  ont  vus.  D'ailleurs, 
elle  remarque  qu'ordinairement  les  hommes  un  peu 
âgés  sont  les  plus  sages  •,  elle  se  persuade  aisément 
que  les  temps  où  ils  sont  nés  et  où  ils  se  sont  formés 
étaient  les  plus  réellement  éclairés ,  et  elle  s'accou- 
tume ainsi  à  la  folle  opinion  que  tout  va  dégénérant, 
sans  s'apercevoir  qu'il  y  a  là  un  véritable  renverse- 
ment d'idées  •,  car  si  les  hommes  les  plus  âgés  sont  en 
général  les  plus  éclairés ,  c'est  grâce  aux  bienfaits  de 
l'expérience  ,  et  la  même  raison  fait  que  ce  sont  les 
temps  les  plus  récens  où  il  y  a  le  plus  de  lumière, 
puisque  ce  sont  les  siècles  les  plus  anciens  qui  sont 
vraiment  l'enfance  du  monde.  C'est  ainsi  qu'une  idée 
fausse  s'accrédite  d'âge  en  âge,  et  qu'elle  devient  la 
source  d'une  infinité  d'autres  dont  l'observation  atten- 
tive de  nos  facultés  doit  nous  préserver. 

complète, 


CHAPITRE   X\.  389 

complète,  mais  encore  nos  moyens  de  con- 
naître sont  dans  nn  engourdissement  total; 
nous  n'en  possédons,  pour  ainsi  dire,  que 
le  germe;  il  faut  que  l'exercice  les  élabore, 
les  perfectionne,  les  développe.  Ainsi  nous 
sommes  entièrement  les  ouvrages  de  l'art, 
c'est-à-dire  de  notre  propre  travail;  et 
nous  ressemblons  aussi  peu  aujourd'hui  à 
l'homme  de  la  nature,  à  notre  manière 
d'être  originelle,  qu'un  chêne  ressemble  à 
un  gland,  et  un  poulet  à  un  oeuf. 

Nous  devons  donc  bien  nous  garder  de 
croire  que  nos  facultés  intellectuelles  aient 
toujours  été  ce  qu'elles  sont,  et  que,  dans 
toutes  les  circonstances,  elles  eussent  fait 
les  mêmes  progrès;  et  il  serait  très-curieux 
de  démêler,  dans  l'état  où  nous  les  voyons , 
ce  qu'elles  doivent  au  perfectionnement  de 
notre  individu  et  à  celui  de  l'espèce  hu- 
maine en  général  :  tâchons  d'y  parvenir. 
Nous  ne  saurions  jamais  nous  considérer 
sous  trop  d'aspects  diflerens;  c'est  le  moyen 
de  nous  mieux  connaître. 

La  seule  manière  de  savoir  parfaitement 
à  quoi  s'en  tenir  sur  ce  point,  serait  de  pou- 
voir observer  des  hommes  qui  n'auraient 
jamais  eu  de  communication  avec  aucun 

T 


29O  IDÉOLOGIE. 

de  leurs  semblables  :  car  les  questions  de 
fait  ne  sont  pleinement  résolues  que  par 
l'expérience  ;  mais  celle-ci  n'est  pas  en  notre 
pouvoir.  L'homme  ne  naît  ni  ne  vit  isolé  ;  il 
ne  peut  subsister  de  cette  manière,  et  ne 
saurait  passer  son  premier  âge  sans  secours 
étrangers  :  ainsi  toujours  il  a  été  influencé 
par  l'état  de  société  ;  toujours  il  a  participé 
plus  ou  moins  au  degré  de  perfection  où 
était  l'espèce  humaine  au  moment  de  sa 
naissance.  Nous  avons,  à  la  vérité,  quelques 
exemples  d'enfans  et  déjeunes  gens  des  deux 
sexes  qui  ont  été  rencontrés  dans  des  forêts 
où  ils  paraissent  avoir  existé  plus  ou  moins 
de  temps  seuls.  Un  savant  naturaliste,  dans 
un  petit  ouvrage  qu'il  a  publié  à  l'occasion 
du  dernier  de  ces  enfans  trouvés  (1) ,  en  cite 
jusqu'à  onze,  sur  lesquels  il  nous  donne  des 
renseignemens  précieux.  Mais,  d'une  part, 
ces  individus,  quelque  étrangers  qu'ils  nous 
paraissent  à  toute  société  et  à  tout  langage, 

(1)  Voyez  la  Notice  historique  sur  le  Sauvage  de 
l'Aveyron  et  sur  quelques  autres  individus  qu'on  a 
trouvés  dans  les  forêts  à  différentes  époques  ;  par 
P.-J.  Bonnaterre  ,  professeur  d'histoire  naturelle  à 
l'école  centrale  du  département  de  l'Aveyron.  A  Paris, 
chez  la  veuve  Pankouke ,  an  8. 


CHAPITRE  XV*  291 

ont  nécessairement  vécu  avec  des  hommes , 
au  moins  dans  leur  premier  Age;  et  sous  ce 
rapport,  si  nous  les  prenions  pour  terme  de 
comparaison,  ils  nous  donneraient  une  trop 
haute  idée  du  degré  de  perfectionnement 
auquel  peut  atteindre  un  homme  absolu- 
ment et  totalement  livré  à  lui-même.  D'une 
autre  part,  on  a  remarqué  avec  beaucoup 
de  sagacité  (1),  que  presque  tous  ces  enfans 
ainsi  séquestrés  de  la  société  devaient  ou 
s'être  perdus  par  stupidité,  ou  avoir  été 
l'objet  de  violences  qui  avaient  pu  altérer 
leur  raison,  ou  avoir  été  abandonnés  et 
ogarés  exprès  par  leurs  familles,  parce  que 
les  vices  de  leur  organisation  physique  et  mo-> 
raie  faisaient  désirer  d'en  être  débarrassé; 
il  a  même  été  prouvé  positivement  que 
plusieurs  d'entr'eux  étaient  dans  l'un  de  ces 
cas  :  ainsi,  sous  cet  aspect,  ils  pourraient 
nous  faire  tomber  dans  une  erreur  contraire 
à  la  première,  en  nous  portant  à  trop  res- 
treindre ce  développement  de  l'homme  isolé. 
D'ailleurs  aucun  d'eux  jusqu'à  présent  n'a 
été  observé  avec  les  précautions  nécessaires 

(1)  M.  Roussel,  physiologiste  philosophe,  auteu* 
du  Système  physique  et  moral  de  la  Femme. 

T  a 


2t)2  IDÉOLOGIE. 

et  les  détails  suffisans,  l'idéologie  étant  de 
toutes  les  parties  de  la  physique  animale , 
celle  qui  exige  les  observations  les  plus  scru- 
puleuses et  les  plus  circonstanciées. Nous  ne 
pouvons  donc  tirer  aucune  conclusion  bien 
certaine  de  ces  expériences. 

Mais  si  nous  n'avons  aucun  moyen  direct 
de  savoir  jusqu'à  quel  point  de  développe- 
ment arriverait  notre  intelligence ,  par  ses 
propres  forces ,  nous  en  avons  un  bien  fa- 
cile de  reconnaître  le  terme  qu'il  lui  serait 
certainement  impossible  de  dépasser,  et 
même  d'atteindre;  nous  n'avons  qu'à  jeter 
les  yeux  sur  les  hommes  qui  composent  les 
sociétés  les  moins  avancées  en  civilisation. 
Car  enfin  les  plus  bruts  d'entre  les  sau- 
vages doivent  beaucoup  à  leurs  semblables; 
Hs  en  ont  reçu  beaucoup  d'idées,  de  con- 
naissances, de  traditions,  un  langage  sur- 
tout :  et  nous  verrons  bientôt  combien  un 
langage,  quelque  imparfait  qu'il  soit,  est 
utile  et  même  nécessaire  pour  combiner  ses 
idées.  Or,  quiconque  réfléchira  un  moment 
sur  l'énorme  différence  qu'il  y  a  entre  ap- 
prendre et  inventer,  sur-tout  pour  un  être 
qui  ne  sait  encore  rien,  pas  même  se  servir 
de  son  esprit,  sentira  tout  de  suite  qu'à  dis- 


CHAPITRE  XV.  295 

positions  égales,  l'homme  qui  n'auraient  de 
ressources  qu'en  lui  même,  resterait  encore 
bien  loin  en  arrière  du  faible  degré  de  per- 
fectionnement du  sauvage  le  plus  stupide  (1  ). 
Cette  simple  réflexion  suffit  pour  nous  faire 
sentir  de  quel  triste  état  le  genre  humain  est 
parti,  et  nous  pouvons  juger  combien  il  a 
fallu  de  temps  et  de  peines  pour  l'amener  à 
celui  oùnous  le  voyons,  puisque  nous  avons 
continuellement  sous  les  yeux  des  exemples 
de  l'extrême  difficulté  avec  laquelle  on  dé- 
couvre la  vérité  qui  paraît  la  plus  simple,  et 
de  celle  avec  laquelle  la  masse  des  hommes 
reçoit  des  améliorations  qui  semblent  non- 
seulement  très-aisées ,  mais  même  pour  ainsi 
dire  inévitables. 

(i)  C'est  avec  bien  de  la  raison  que  de  l'adjectif 
idio,  qui  signifie  propre,  particulier,  comme  dans  les 
mots  idiopathique,  idio-électrique ,  on  a  fait  le  mot 
idiot  pour  désigner  un  homme  d'une  intelligence  très- 
bornée  ;  car  tel  serait  bien  effectivement  l'état  de  celui 
qui  n'aurait  que  des  idées  qui  lui  seraient  propres , 
c'est-à-dire  qui  n'en  aurait  reçu  aucune  de  ses  sem- 
blables. Tel  serait  l'état  d'un  sourd  et  muet  de  nais- 
sance à  qui  on  n'aurait  absolument  jamais  rien  fait 
comprendre  par  des  gestes.  Encore  aurait-il  vu  les 
actions  des  autres  hommes,  qui  au  moins  l'auraient' 
fortement  excité  à  penser. 


2C)4  IDEOLOGIE. 

Observez  encore  que  cette  incapacité  de 
l'homme  dans  son  état  primitif,  ou,  si  l'on 
veut,  dans  l'état  de  nature,  ne  consiste  pas 
seulement  dans  le  peu  d'étendue  de  ses  con- 
naissances, mais  principalement  dans  la 
lenteur  et  la  difficulté  de  ses  opérations  in- 
tellectuelles, au  moins  de  toutes  celles  qui 
ne  lui  sont  pas  habituelles.  Il  n'en  fait  qu'un 
petit  nombre,  toujours  les  mêmes,  celles 
qui  sont  nécessitées  par  ses  besoins  indis-r 
pensables.  Ces  besoins  renaissant  sans  cesse, 
les  combinaisons  d'idées  qui  s'y  rapportent 
sont  continuellement  répétées;  elles  devien- 
nent bientôt  très-faciles  et  très  -  rapides  : 
n'étant  mêlées  à  aucune  autre,  elles  s'opè- 
rent sans  perturbation  :  elles  sont  de  plus 
très-motivées  et  très-justes,  parce  qu'elles 
ne  sont  point  fondées,  sur  des  ouï-dire  ni  sur 
des  idées  incomplètes,  mais  sur  l'expé- 
rience même  de  l'individu;  elles  sont  in- 
ventées et  non  apprises  :  mais  toutes  les 
autres  restent  dans  un  engourdissement 
total,  et  par  conséquent  d'une  difficulté  ex- 
trême. 

Tel  est  l'état  de  l'homme  primitif;  tel  est 
aussi  le  spectacle  que  nous  offrent  les  ani- 
maux. Privés  prcsqu'absolament  de  moyens 


CHAPITRE    XV.  agS 

commodes  de  communication  intellectuelle 
avec  leurs  semblables,  réduits  à  leurs  pro- 
pres combinaisons,  que  des  inventions  in- 
génieuses ne  facilitentpas  comme  les  nôtres, 
ils  atteignent  plus  ou  moins  vite ,  mais  tou- 
jours assez  promptement,le  degré  de  déve- 
loppement de  leur  intelligence,  sans  lequel 
ils  ne  pourraient  subsister;  mais  ils  ne  le 
passent  presque  plus.  Leur  instinct  est  égale- 
ment remarquable  par  sa  promptitude  à  se 
former,  sa  rectitude,  sa  sûreté %  et  par  son 
peu  d'étendue  et  son  immutabilité.  Ils  nous 
surprennent  continuellement  et  presque  en 
même  temps  par  leur  finesse  et  par  leur 
stupidité.  L'esprit  des  sauvages,  proportion 
gardée,  nous  cause  les  mêmes  impressions , 
et  a  à  peu  près  les  mêmes  qualités.  Ils  nous 
donnent  souvent  lieu  d'admirer  que  des 
hommes  si  peu  éclairés  fassent  des  combi- 
naisons si  fines,  et  que,  les  faisant,  ils  soient 
tout-à-fait  incapables  d'en  faire  d'autres  qui 
nous  paraissent  moins  difficiles.  Dans  les 
sociétés  civilisées,  la  classe  qui  a  les  com- 
munications les  moins  étendues  et  les  moins 
variées  offre  des  phénomènes  analogues. 
Les  paysans  des  campagnes  écartées,  ceux 
des  montagnes,  sont  remarquables  par  la 


296  IDÉOLOGIE. 

rectitude  d'un  petit  nombre  de  combinai- 
sons ,  l'ignorance  absolue  d'une  foule  d'au- 
tres ,  et  leur  incapacité  à  en  faire  de  nouvelles. 
Enfin ,  dans  tous  les  degrés  d'instruction  et 
de  perfectionnement,  il  est  d'observation 
que  plus  un  homme  est  isolé  et  ne  doit  ses 
connaissances  qu'à  lui-même,  plus  ses  idées 
sont  profondes  et  justes,  mais  moins  elles 
embrassent  avec  succès  des  objets  divers  , 
et  plus  il  est  incapable  de  les  modifier  et  de 
les  étendre.  Partout  les  mêmes  causes  pro- 
duisent les  mêmes  effets;  et  la  cause  géné- 
rale du  perfectionnement  de  l'homme  et  de 
l'accroissement  de  sa  capacité,  est  cette  pro- 
priété qu'ont  ses  organes  de  recevoir  une 
disposition  permanente  à  l'occasion  d'une 
impression  passagère ,  et  de  devenir  ca- 
pables de  faire  très-promptement  et  très-fa- 
cilement ce  qu'ils  avaient  d'abord  exécuté 
avec  beaucoup  de  peine. 

Nous  ne  pouvons  comprendre  le  com- 
mencement de  rien,  pas  plus  celui  du  genre 
humain  que  celui  du  monde  ou  de  toute 
autre  chose.  Peut-être  l'homme  est-il  une 
combinaison  des  élémens  qui  le  composent 
qui  a  passé  par  des  transformations  lentes 
et  nombreuses  avant  d'arriver  à  lorgani- 


CHAPITRE   XV.  297 

salion  que  nous  lui  voyons  :  c'est  ce  que 
nous  ne  pouvons  savoir.  Mais  ce  dont  nous 
sommes  surs,  c'est  que  le  premier  homme, 
quand  il  serait  né  adulte  et  aussi  bien  orga- 
nisé que  nous,  n'en  aurait  pas  moins  élé 
d'abord  dans  une  ignorance  absolue ,  puisque 
nous  ne  connaissons  rien  que  par  nos  sen- 
sations; et  ayant  toutes  ses  facultés  dans  un 
rtat  de  rigidité  que  l'exercice  seul  aura  fait 
disparaître  plus  ou  moins  promptement, 
puisque  nous  éprouvons  que  tout  ce  que 
nous  faisons  pour  la  première  fois  nous  ne 
l'exécutons  qu'avec  peine. 

Nous  sommes  sûrs  encore  que  s'il  eût 
vécu  isolé,  il  serait  resté  bien  au-dessous  du 
degré  de  capacité  du  sauvage  le  plus  brut, 
puisqu'il  n'aurait  eu  l'usage  d'aucune  langue, 
et  qu'il  n'aurait  pu  profiter  de  l'expérience, 
de  l'exemple,  des  connaissances,  ni  des  se- 
cours d'aucun  être  semblable  à  lui. 

Nousvoyons  avecuneégale  certitudeque, 
même  en  supposant  les  premiers  hommes 
vivant  ensemble,  comme  ils  n'ont  pu  man- 
quer de  le  faire,  leurs  premiers  progrès  ont 
dû  nécessairement  être  très-lents,  non-seu- 
lement parce  que,  dominés  par  leurs  pre- 
miers besoins,  ils  n'ont  pu  avoir  le  temps  de 


598  IDÉOLOGIE. 

réfléchir,  non-seulement  parce  que  touslcurs 
moyens  de  recherches  étaient  informes  et 
défectueux,  mais  encore  parce  que  toutes 
nos  opérations  intellectuelles  se  tenant  et 
s'enchaînant  les  unes  les  autres,  il  est  d'ex- 
périence constante  que  moins  on  en  a  fait , 
et  moins  on  est  apte  à  en  faire  de  nou- 
velles; et  qu'au  contraire,  arrivé  à  un  cer- 
tain degré  d'avancement,  on  est  à  portée 
d'une  multitude  indéfinie  de  combinaisons  ; 
ensorte  que  notre  disposition  à  nous  per- 
fectionner croit  dans  une  proportion  bien 
plus  rapide  que  notre  perfectionnement. 

Enfin,  il  est  vrai  que  si  les  premiers  pas. 
de  l'intelligence  humaine  sont  lents  et  pé- 
nibles, du  moins  ils  sont  surs,  tandis  que 
bientôt  après  elle  est  continuellement  en 
danger  de  s'égarer;  i°  parce  que  quand  ses 
opérations  sont  devenues  faciles  et  rapides, 
un  grand  nombre  d'entr'elles  demeurent 
inaperçues,  et  nous  avons  vu  ce  qui  en  ré- 
sulte; 20  parce  que  les  signes  par  lesquels 
nous  représentons  nos  idées ,  et  par  le  moyen 
desquels  nous  les  combinons,  malgré  leur 
prodigieuse  utilité,  sont  souvent  une  cause 
d'erreur,  comme  nous  le  verrons  bientôt  ; 
3°.  parce  que,  quand  la  multitude  des  com- 


CHAPITRE  XV.  299 

binaisons  qui  s'opèrent  en  nous  et  des  mou- 
vemens  internes  qu'elles  nécessitent,  est 
devenue  vraiment  innombrable,  il  est  bien 
difficile  que  ces  combinaisons  ne  se  nuisent 
pas  tout  en  s'entr'aidant ,  et  qu'il  ne  s'éta- 
blisse pas  entr'elles  des  liaisons  vicieuses. 
Je  suis  convaincu  même  que  cette  dernière 
circonstance  est  une  des  causes  qui  fait 
qu'en  général  c'est  chez  les  nations  les  plus 
éclairées ,  dans  Fàge  où  l'on  combine  le  plus 
d'idées,  et  dans  la  classe  des  hommes  qui 
ont  le  plus  exercé  leur  esprit,  que  l'on 
trouve  les  exemples  les  plus-fréquens  de  dé- 
mence j  et  que  l'on  observe  que  les  hommes 
les  plus  sujets  à  ce  malheur  sont  ceux  qui 
se  livrent  le  plus  avidement  aux  impres- 
sions qu'ils  reçoivent,  tandis  que  ceux  dont 
l'occupation  habituelle  est  de  se  rendre  un 
compte  soigneux  de  leurs  pensées  en  sont 
presque  entièrement  exempts  (1). 

(1)  Cette  réflexion  m'est  suggérée  par  la  lecture  du 
Traité  de  Y  Aliénation  mentale,  qu'a  publié  M.  Pinel  : 
on  ne  saurait  trop  en  recommander  la  lecture.  En 
expliquant  comment  les  fous  déraisonnent,  il  apprend 
aux  sages  comment  ils  pensent;  il  prouve  que  l'art 
de  guérir  les  hommes  en  démence  n'est  autre  cliose 
que  celui  de  manier  les  passions  et  de  diriger  les  opi.- 


5oo  IDÉOLOGIE. 

Je  n'irai  pas  plus  loin  en  ce  moment.  Après 
avoir  montré  quel  est  l'état  primitif  de  l'in- 
telligence humaine,  et  en  quoi  consiste  son 
perfectionnement  actuel  ,  je  n'  :  aminerai 
point  jusqu'où  il  peut  s'étendre  à  l'avenir. 
Je  renverrai  cette  discussion  à  la  fin  de  la 
partie  logique  de  cet  ouvrage,  parce  que, 

rions  des  hommes  ordinaires;  il  consiste  à  former 
leurs  habitudes.  Ce  sont  les  physiologistes  philosophes, 
comme  M.  Pinel,  qui  avanceront  l'idéologie.  Mais  il 
n'a  pas  seulement  la  gloire  d'avoir  fait  un  livre  utile, 
il  a  encore  celle  d'en  avoir  recueilli  les  matériaux 
par  une  longue  suite  de  bonnes  actions. 

Au  reste ,  j'ai  vu  avec  satisfaction  que  les  phéno- 
mènes qu'il  décrit  dans  une  grande  perfection ,  con- 
firment la  manière  dont  j'ai  envisagé  la  pensée ,  et  se 
trouvent  mieux  expliqués  sous  le  rapport  idéologique, 
par  notre  façon  de  considérer  nos  facultés  intellec- 
tuelles ,  que  par  celles  en  usage  jusqu'à  présent. 

Tous  les  hommes  commencent  par  l'idiotisme  en- 
fantin, finissent  par  la  démence  sénile,  et  ont  dans 
l'intervalle  plus  ou  moins  de  manie  délirante,  suivant 
le  degré  de  perturbation  de  leurs  opérations  intellec- 
tuelles les  plus  profondément  habituelles. 

Le  traitement  moral  que  M.  Pinel  emploie  pour 
guérir  les  esprits  égarés,  est,  avec  raison,  précisément 
l'inverse  des  procédés  que  l'art  oratoire  emploie  pour 
ébranler  l'imagination  et  entraîner  l'assentiment  d^$ 
hommes. 


CHAPITRE   XV.  001 

pour  faire  voir  que  notre  faculté  de  penser 
est  perfectible  indéfiniment,  il  faut  avoir 
montré  comment  elle  parvient  à  découvrir 
sûrement  la  vérité,  et  que  sa  marche  est  la 
même  dans  tous  les  genres  de  recherches. 
Je  m'aperçois  même,  jeunes  gens,  que  vous 
n'avez  pas  pu  bien  comprendre  ce  que  je 
viens  de  vous  dire  des  signes  par  lesquels 
nous  représentons  nos  idées,  et  sentir  par- 
faitement les  motifs  de  l'importance  que  j'ai 
attachée  à  leurs  avantages  et  à  leurs  incon- 
véniens,  parce  que  je  ne  vous  en  ai  pas  en- 
core entretenu.  Mais  les  réflexions  que  nous 
venons  de  faire  sur  les  progrès  de  nos  fa- 
cultés suivaient  si  naturellement  de  ce  que 
nous  avions  dit  de  la  fréquente  répétition 
de  leurs  opérations,  que  je  n'ai  pas  dû  les  en 
séparer.  Actuellement  je  reviens  aux  signes 
de  nos  idées;  et  quand  je  vous  aurai  expli- 
qué leur  origine,  leur  usage  et  leurs  pro- 
priétés, je  crois  que  nous  aurons  envisagé 
sous  toutes  ses  faces  la  manière  dont  se  for- 
ment nos  idées ,  et  que  la  première  partie  de 
notre  cours  sera  terminée. 


502  IDÉOLOGIE. 


CHAPITRE  XVJ. 

Des  Signes  de  nos  Idées,  et  de  leur 
effet  principal. 

JEUNBsoEKS)voUSsaveztous<,«elesmots 
que  nous  prononçons  sont  les  signes  de  nos 
idées,  et  n'ont  de  valeur  que  par  le  rapport 
qu'ils  ont  avec  elles;  sans  cela  ils  ne  seraient 
qu'un  vain  bruit.  L'assemblage  des  mots 
dont  se  sert  une  nation  constitue  ce  qu'on 
appelle  une  langue  :  on  ne  connaît  aucune 
société  d'hommes,  quelque  peu  avancée 
qu'elle  soit  en  civilisation  ,  qui  n'ait  un 
langage  de  cette  espèce  plus  ou  moins  gros- 
sier. 

C'est  sans  doute  cette  observation,  jointe 
à  l'impossibilité  de  se  rendre  raison  de  la 
manière  dont  les  hommes  avaient  pu  conv- 
mencer  à  se  faire  un  langage,  et  étaient  par- 
venus à  en  avoir  de  si  perfectionnés,  qui 
avait  porté  Rousseau  à  croire  que  ce  ne 
pouvait  être  là  une  invention  humaine,  et 
que  la  création  des  langues  exigeait  néces- 
sairement l'intervention  de  la  Divinité,  c'est- 
à-dire  d'un  être  supérieur  à  l'homme.  Une 


CHAPITRE  XVf.  5o5 

telle  idée  dans  un  homme  d'un  mérite  aussi 
éminentque  le  philosophe  de  Genève,  montre 
que  malgré  ce  qu'avaient  déjà  écrit  Locke 
et  Condillac,  la  théorie  de  nos  langues  et 
celle  de  nos  opérations  intellectuelles  étaient 
encore  des  connaissances  bien  peu  répan- 
dues; et  l'on  est  tout  étonné  qu'il  y  ait  à 
peine  quarante  ans  de  cette  époque.  L'éton- 
nement  redouble  quand  on  songe  que  la  lan- 
gue la  plus  belle  au  jugement  des  connais- 
seurs, la  langue  grecque,  existait  dans  toute 
sa  splendeur  depuis  deux  mille  ans;  qu'une 
foule  de  rhéteurs,  métaphysiciens,  gram- 
mairiens, avaient  écrit  des  ouvrages  pleins 
de  sagacité;  que  l'art  de  s'exprimer  en  prose 
et  en  vers  avait  été  porté  maintes  fois,  dans 
diffërens  temps  et  dans  diffërens  pays,  à  un 
degré  de  perfection  qu'il  sera  peut- être  éter- 
nellement impossible  de  surpasser;  et  que 
Rousseau  lui-même  est  souvent  le  modèle 
d'une  éloquence  admirable.  Assurément  rien 
ne  prouve  mieux  que  la  pratique  d'un  art 
peut  être  portée  à  un  très-haut  degré  de 
perfection,  quoique  sa  théorie  soit  encore 
complètement  ignorée  :  aussi  est-ce  un 
phénomène  que  l'esprit  humain  nous  montre 
constamment  dans  toutes  les  branches  de 


5o4  IDEOLOGIE. 

ses  connaissances-  et  tout  surprenant  qu'il 
nous  paraît ,  il  est  facile  de  s'en  rendre 
compte. 

En  effet,  l'homme  commence  toujours  par 
observer  des  faits;  mu  par  ses  besoins,  il 
en  tire  d'abord  des  conséquences  pratiques  ; 
il  les  varie,  il  les  modifie,  il  les  combine,  il 
en  fait  mille  applications  ingénieuses ,  c'est-là 
ce  qui  constitue  l'art  ;  et  il  jouit  long-temps 
de  ses  succès  avant  de  songer  à  rapprocher 
les  uns  des  autres  ces  faits  principaux,  à  les 
comparer,  à  examiner  leurs  rapports,  à  y 
découvrir  des  lois  constantes ,  et  à  remonter 
par  elles  à  des  faits  antérieurs  moins  nom- 
breux, dont  tous  les  autres  ne  soient  que  des 
conséquences.  Or,  c'est-là  en  quoi  consiste 
la  théorie  :  il  faut  avoir  du  temps  de  reste 
pour  s'en  occuper;  car,  si  elle  donne  de 
grands  avantages  pour  l'avenir,  elle  ne  pour- 
voit pas  aux  besoins  du  moment.  Souvent 
les  fruits  utiles  qu'elle  peut  produire  sont 
impossibles  à  prévoir;  et  on  ne  s'en  aperçoit 
que  quand  elle  est  découverte ,  quelquefois 
même  long-temps  après. 

Ainsi,  par  exemple,  l'homme  observe  que 
le  bois  flotte  sur  l'eau ,  il  en  profite  pour 
faire  successivement  un  radeau,  un  canot, 

nager 


•c*-1  i 


CHAPITRE   XVI.  3o5 

nager,  naviguer,  pêcher  :  il  aura  déjà  des 
vaisseaux  assez  bien  construits,  il  aura  déjà 
tiré  de  cette  observation  mille  inventions 
utiles  avant  d'avoir  rattaché  ce  premier  fait 
à  d'autres,  avant  d'avoir  reconnu  que  c'est 
la  même  cause  qui  fait  que  la  pluie  tombe 
et  que  la  fumée  monte  dans  l'air,  avant  enfin 
d'en  avoir  déduit  les  lois  générales  de  l'hy- 
drostatique. 

De  même  il  a  des  fardeaux  à  remuer  :  il 
s'aperçoit  promptement  qu'à  l'aide  d'un 
bâton  employé  d'une  certaine  manière  il  dé- 
place des  masses  que  toutes  ses  forces  ap- 
pliquées directement  ne  pourraient  ébran- 
ler. Il  se  sert  donc  du  levier,  il  en  varie 
l'usage  de  cent  façons  fort  adroites,  avant 
de  découvrir  l'analogie  et  la  liaison  de  ce  fait 
avec  la  force  du  choc  des  corps  en  mouve- 
ment, et  de  s'élever  aux  principes  généraux 
de  la  mécanique.  Il  ne  le  peut  même  pas 
sans  avoir  perfectionné  les  moyens  d'ob- 
servation, ceux  de  calcul,  et  les  méthodes 
de  raisonnement,  c'est-à-dire  sans  avoir  fait 
beaucoup  d'autres  découvertes  dans  des 
genres  très-différens. 

De  même  encore,  dans  le  cas  qui  nous 
occupe,  un  homme  fait  d'abord  un  cri,  peut- 

V 


5o6  IDEOLOGIE. 

être  sans  projet  ;  il  s'aperçoit  qu'il  frappe 
l'oreille  de  son  semblable,  qu'il  attire  son 
attention,  qu'il  lui  donne  une  notion  de  ce 
qui  se  passe  en  lui;  il  répète  ce  cri  avec  l'in- 
tention de  se  faire  entendre;  bientôt  il  en  fait 
d'autres  qui  ont  une  autre  expression;  il 
s'applique  à  varier  ces  expressions ,  à  les 
rendre  plus  distinctes,  plus  circonstanciées, 
plus  déterminantes  ;  il  modifie  ces  cris  par 
des  articulations;  ils  deviennent  des  mots 
auxquels  il  fait  subir  diverses  altérations 
pour  indiquer  leurs  rapports;  il  en  forme 
des  phrases  dont  la  tournure  varie  suivant 
les  circonstances,  les  besoins,  l'objet  qu'on 
se  propose,  le  sentiment  dont  on  est  animé  : 
voilà  une  langue.  D'observations  en  obser- 
vations s'ur  les  effets  de  cette  langue,  on 
parvient  au  talent  le  plus  exquis  pour  ex- 
primer les  idées  les  plus  fines ,  exciter  les 
sentimens  les  plus  véhémens  et  procurer  les 
plaisirs  les  plus  délicats  :  on  en  prescrit 
même  les  règles.  Cependant  on  n'a  pas  en- 
core démêlé  jusque  dans  leur  principe  les 
causes  de  l'analogie  des  formes  différentes 
que  cette  langue  sait  prendre,  les  lois  géné- 
rales qui  les  régissent,  les  ellèls  qu'elle  pro- 
duit dans  l'esprit  de  celui  même  qui  s'en 


CHAPITRE  XVL  007 

sert,  ni  la  théorie  de  la  formation  des  idées 
de  celui  qui  parle  et  de  celui  qui  entend. 

Il  en  est  de  même  de  l'art  du  raisonnement, 
presque  identique  avec  celui  de  la  parole. 
Combien  de  temps  on  a  raisonné ,  et  souvent 
parfaitement,  sans  être  remonté  jusqu'aux 
causes  de  la  certitude  et  à  la  saine  théorie 
de  l'art  d'y  parvenir  :  elle  ne  fait  que  de 
naître  de  nos  jours  ;  elle  n'est  même  encore 
ni  complète  ni  exempte  d'erreurs. 

Il  est  donc  fort  naturel  que  la  pratique 
souvent  très -perfectionnée  précède  toute 
bonne  théorie  ;  cela  ne  peut  pas  même  être 
autrement,  car  on  ne  saurait  comparer  des 
faits  qu'après  les  avoir  connus,  et  on  ne  peut 
découvrir  les  lois  générales  qui  régissent  ces 
faits,  qu'après  les  avoir  comparés  entr'eux. 
Cela  nous  explique  aussi  pourquoi  la  science 
qui  nous  occupe,  celle  de  la  formation  des 
idées,  est  si  nouvelle  et  si  peu  avancée  :  puis- 
qu'elle est  la  théorie  des  théories,  elle  devait 
naître  la  dernière.  Ceci,  au  reste,  ne  doit  pas 
faire  conclure  que  les  théories  en  général, 
et  notamment  l'idéologie ,  soient  inutiles  ; 
elles  servent  à  rectifier  et  épurer  les  diverses 
connaissances,  à  les  rapprocher  les  unes  des 
autres,  à  les  rattacher  à  des  principes  plus 

V  2 


5o8  IDÉOLOGIE. 

généraux,  et  enfin  à  les  réunir  par  tout  ce 
qu'elles  ont  de  commun.  Mais  revenons  aux 
signes  de  nos  idées,  sans  lesquels  nous  n'au- 
rions jamais  fait  de  pareils  progrès. 

JNous  l'avons  déjà  dit,  les  mots  dont  nous 
nous  servons  sont  les  signes  de  nos  idées  ; 
leur  réunion  forme  une  langue,  et  toutes  les 
nations  connues  ont  un  langage  de  ce  genre, 
c'est-à-dire  une  langue  parlée. Cela  prouve 
que  les  hommes  ont  senti  unanimement  que 
de  tous  leurs  moyens  de  communication 
avec  leurs  semblables ,  l'organe  de  la  voix 
est  celui  qui  leur  fournit  le  plus  de  ressources 
pour  exprimer  ce  qui  se  passe  en  eux,  et  que 
dans  les  autres,  l'organe  de  l'ouïe  est  celui 
qui  leur  offre  le  plus  d'avantages  pour  leur 
faire  éprouver  des  impressions  variées  et 
distinctes.  C'est  notre  organisation  elle- 
même  qui  détermine  cette  juste  préférence; 
mais  cela  ne  veut  pas  dire  que  nous  ne  puis- 
sions pas  avoir  des  signes  d'une  autre  es- 
pèce ;  au  contraire ,  il  est  manifeste  que  par 
nos  gestes,  par  des  figures  tracées  quelcon- 
ques, par  des  mouvemens  produits,  quels 
qu'ils  soient,  nous  pouvons  affecter  le  sens 
de  la  vue  de  nos  semblables  ;  par  des  attou- 
chcmens,  nous  pouvons  nous  adresser  à 


CHAPITRE   XVT.  0<X) 

leur  tact.  Il  n'y  a  que  les  sens  du  goût  et  de 
l'odorat  sur  lesquels  nous  ne  puissions  guère 
produire  des  impressions  utiles  pour  cet  ob- 
jet; encore  si  nous  étions  convenus  d'atta- 
cher certaines  idées  à  telle  odeur  ou  telle 
saveur  bien  distinctes,  elles  pourraient  en 
devenir  les  signes  jusqu'à  un  certain  point. 
Tout  ce  qui  représente  nos  idées  est  donc 
un  signe,  et  tout  système  de  signes  est  une 
langue  ou  un  langage,  et  peut  être  nommé 
ainsi  en  prenant  ces  mots  dans  le  sens  géné- 
rique et  non  dans  le  sens  spécifique,  et  en 
faisant  abstraction  de  la  particularité  qu'ils 
ont  de  dériver  du  nom  des  organes  de  la 
parole.  C'est  ainsi  qu'il  est  reçu  de  dire  la 
langue  hiéroglyphique,  le  langage  d'action 
ou  celui  des  gestes,  et  même  le  langage  des 
sourds  et  muets. 

Nous  devons  donc  regarder  comme  de 
vraies  langues  les  assemblages  de  gestes  par 
lesquels  les  pantomimes,  les  muets,  par- 
viennent à  exprimer,  non- seulement  des 
sentimens  très-fins,  mais  même  des  idées 
très-abstraites.  Les  gestes  du  comédien  et 
de  l'orateur ,  et  même  ceux  des  hommes  qui 
causent  le  plus  simplement,  sont  aussi  une 
langue,  car  ils  contribuent  à  expliquer  leurs 


3lO  IDÉOLOGIE. 

pensées;  mais  une  langue  qui  est  surajoutée 
à  leur  langue  parlée ,  qui  toujours  la  modifie, 
qui  souvent  exprime  toute  autre  chose  que 
ce  qu'elle  dit,  qui  quelquefois  même  la  con- 
tredit formellement. 

Les  divers  systèmes  de  mouvemens  télé- 
graphiques ,  ceux  des  signaux  dont  on  fait 
usage  sur  les  flottes  ou  dans  les  armées,  et 
dans  diverses  autres  occasions,  sont  encore 
autant  de  langues  plus  ou  moins  riches,  plus 
ou  moins  étendues,  puisque  ce  sont  des  as- 
semblages de  signes  qui  représentent  les 
idées  qu'on  est  convenu  d'y  attacher ,  et  qui 
les  transmettent  comme  feraient  les  mots 
eux-mêmes. 

La  peinture  et  tous  les  genres  de  dessin 
sont  une  autre  classe  de  langues,  sur- tout 
quand  on  s'en  sert  comme  les  Mexicains, 
dont  les  annales  étaient  une  suite  de  tableaux 
représentant  les  évènemens,  ou  comme  nos 
architectes,  nos  naturalistes  et  nos  géomè- 
tres. Car  qu'est-ce  qu'un  plan,  un  dessin  ou 
une  figure  de  géométrie,  si  ce  n'est  une 
description  abrégée  d'un  monument,  d'une 
plante,  d'un  animal  ou  d'une  certaine  com- 
binaison de  lignes  et  de  surfaces,  description 


CHAPITRE   XVT.  DU 

qui  tient  lieu  d'une  longue  suite  de  mots  et 
remplit  absolument  le  même  objet? 

Les  hiéroglyphes,  symboles,  emblèmes, 
attributs,  etc.,  etc. ,  sont  encore  des  langues 
ou  parties  de  langues  du  même  genre,  car 
ce  sont  des  peintures  plus  ou  moins  altérées, 
ou  dont  la  signification  a  été  transportée  du 
sens  naturel  au  sens  figuré.  Quand  je  dessine 
un  épi  pour  exprimer  l'abondance,  ou  un  coq 
pour  rappeler  l'idée  de  vigilance,  n'est-ce 
pas  comme  si  je  prononçais  ces  mots,  abon- 
dance, vigilance?  Et  l'usage  détourne  que 
je  fais  dans  ce  cas  de  la  figure  du  coq  et  de 
celle  de  cet  épi,  pour  rendre  une  autre  idée 
que  celles  qu'elles  réveillent  naturellement, 
n'est-il  pas  exactement  le  même  que  celui 
que  nous  faisons  souvent  des  mots,  comme 
lorsque  nous  disons  qu'un  homme  est  le  coq 
de  son  village,  ou  le  lien  qui  unit  sa  société? 

Jeunes  gens,  remarquez  en  passant  que 
cet  attrait  que  nous  avons  pour  employer 
les  symboles  et  les  emblèmes ,  est  un  ves- 
tige des  temps  grossiers  où  nous  ne  savions 
pas  peindre  les  mots  eux-mêmes,  ou  un  effet 
du  goût  qui  nous  entraîne  vers  la  métaphore 
et  l'allégorie,  goût  dépravé  qui  nuit  beaucoup 
à  la  justesse  du  raisonnement,  comme  je 


5l2  IDEOLOGIE. 

vous  le  démontrerai  lorsque  nous  traite- 
rons de  la  logique.  Il  vaut  toujours  mieux 
dire  tout  simplement  sa  pensée  quand  on  le 
peut  ;  nécessairement  elle  est  rendue  avec 
plus  d'exactitude  (1).  Mais  revenons. 

Nous  devons  encore  ranger  parmi  les  lan- 
gues de  ce  genre,  les  écritures  soi-disant 
savantes  des  Chinois ,  des  Japonais  et  de 
quelques  autres  peuples  des  extrémités  de 
l'Asie,  car  ce  sont  de  vrais  hiéroglyphes  dé- 
générés; leurs  caractères  peignent  directe- 
ment les  idées  qu'on  y  a  attachées  comme 
toutes  les  peintures  et  tous  les  dessins  :  ce 
sont  donc  des  signes  dont  l'ensemble  forme 
une  langue. 

Observez  qu'on  n'en  peut  pas  dire  autant 
de  l'alphabet  et  des  caractères  alphabéti- 
ques; ils  ne  peignent  point  les  idées,  ou  du 
moins  ils  ne  les  peignent  pas  directement. 
Ce  sont  les  sons  qu'ils  peignent  directement; 

(1)  Ne  croyez  pas  cependant  que  ,  par  ce.principe, 
je  prétende  condamner  toute  locution  par  laquelle, 
en  exprimant  bien  une  idée  principale,  on  lui  donne 
une  nouvelle  force  en  réveillant  d'autres  idées  qui 
ont  avec  elle  plus  ou  moins  de  rapport.  C'est  ce  qui  se 
verra  mieux  quand  nous  parlerons  des  ligures  gram- 
maticales et  oratoin •-. 


CHAPITRE   XVI.  3i5 

c'est  aux  sons  et  non  pas  aux  lettres  qui  les 
représentent  que  les  idées  sont  attachées. 
La  preuve  en  est  que  la  même  réunion  de 
lettres  peut  exprimer  une  idée  dans  une 
langue  et  une  autre  idée  dans  une  autre  lan- 
gue ;  par  conséquent  elles  ne  sont  pas  des 
signes  proprement  dits,  et  l'alphabet  n'est 
point  une  langue,  mais  seulement  l'écriture 
commune  de  toutes  les  langues  parlées; 
Voilà  pourquoi  les  caractères  alphabétiques 
sont  si  peu  nombreux  ;  il  suffit  qu'il  y  en  ait 
assez  pour  rendre  toutes  les  intonations  et 
les  articulations  de  la  voix  humaine,  au  lien 
qu'il  y  a  autant  de  caractères  chinois  que 
nous  avons  de  mots,  parce  qu'il  en  faut  au- 
tant que  d'idées  différentes.  Au  reste,  ceci 
sera  plus  développé  quand  nous  parlerons 
de  récriture'  et  de  l'orthographe.  Conti- 
nuons rénumération  des  diverses  espèces 
de  langues. 

Les  chiffres  et  les  caractères  algébriques 
forment  encore  une  langue  ou  portion  de 
langue  de  la  même  nature  que  celles  dont 
nous  venons  de  parler.  En  effet,  les  chiffres 
ne  peignent  pas  les  sons  du  nom  qu'ils  por- 
tent dans  les  langues  parlées  ;  ils  représente]  1 1 
directement  l'idée  de  quantité  qu'exprime 


5l4  IDEOLOGIE. 

ce  nom;  ils  l'expriment  comme  ce  mot  lui- 
même.  De  même ,  quoique  l'algèbre  emploie 
des  caractères  alphabétiques,  ils  ne  sont  pas 
là  comme  lettres,  mais  comme  signes;  a  ne 
représente  pas  le  son  a,  mais  l'idée  d'une 
quantité  connue  dont  on  ne  spécifie  pas  la 
valeur;  x  ne  représente  pas  le  son  x,  mais 
l'idée  d'une  quantité  inconnue;  et  ax  ne  re- 
présente pas  le  son  # armais  l'idée  de  ces  deux 
quantités  multipliées  l'une  par  l'autre,  etc. 
Les  chiffres  et  les  caractères  algébriques 
sont  donc  de  vrais  signes  directs  des  idées , 
et  l'arithmétique  et  l'algèbre  forment  une 
vraie  langue  ou  portion  de  langue  qui  s'a- 
dresse à* la  vue.  Quand  on  la  prononce,  il 
est  vrai  qu'elle  s'adresse  à  l'ouïe  ;  mais  cet 
effet  ne  s'opère  que  par  une  véritable  tra- 
duction et  non  par  une  simple  lecture;  aussi 
ne  suffit-il  pas  de  savoir  épeler  pour  lire  une 
équation  algébrique ,  car  les  sons  des  mots 
dont  on  est  obligé  de  se  servir  ne  sont  point 
indiqués  par  la  plupart  des  caractères,  et 
ce  n'est  que  par  hasard  qu'ils  le  sont  par 
quelques-uns.  L'algèbre  ne  serait  pas  moins 
de  l'algèbre  si ,  au  lieu  des  lettres  alphabé- 
tiques, on  employait  des  figures  de  conven- 
tion auxquelles  on  serait  obligé  de  donner 


CHAPITRE  XVI.  3l5 

un  nom  quelconque  pour  les  traduire  dans 
une  langue  parlée. 

Enfin,  on  peut  regarder  comme  des  lan- 
gues ou  portions  de  langues  s'adressant 
au  sens  du  tact,  la  collection  de  certains 
attouchemens  convenus,  au  moyen  desquels 
on  se  communique  au  besoin  différentes 
idées ,  comme  on  fait  en  franc-maçonnerie 
et  dans  d'autres  associations  mystérieuses, 
et  comme  les  enfans  font  «souvent  dans 
leurs  jeux. 

Vous  trouverez  peut-être,  jeunes  gens, 
que  j'ai  un  peu  fait  violence  à  l'usage,  en 
étendant  ces  mots  langue  et  langage  à 
tant  de  systèmes  de  signes  si  difFérens  ;  j'en 
conviens,  et  je  ne  vous  exhorte  pas  à  m'imi- 
ter  :  il  me  suffit  que  vous  sentiez  que  j'y 
suis  autorisé  par  la  similitude  de  leurs  effets, 
et  que  par  conséquent  j'ai  raison  en  théorie, 
c'est-là  l'essentiel  ;  ensuite,  dans  la  prati- 
que, il  fout  suivre  la  routine  reçue,  jusqu'à 
ce  que  la  rectification  des  idées  la  fasse 
changer.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  vous  ajou- 
tez à  cette  longue  liste  les  langues  parlées, 
vous  aurez,  non  pas  une  énuinération  com- 
plète de  tous  les  systèmes  de  signes  dont 
les  hommes  se  servent  ou  peuvent  se  servir 


5l6  IDÉOLOGIE. 

pour  représenter  leurs  idées,  car  cela  n'a 
point  de  bornes,  mais  des  exemples  de 
tous  les  diffërens  genres  auxquels  on  peut 
rapporter  ces  divers  systèmes. 

Maintenant,  remarquez,  je  vous  prie, 
que  tous  ces  langages  sont,  au  moins  dans 
leurs  détails,  absolument  de  convention; 
car  la  peinture  même,  quand  vous  la  sup- 
poseriez assez  parfaite,  ce  qui  est  impos- 
sible dans  l'enfance  de  l'art ,  pour  imiter  la 
nature  de  manière  à  ne  laisser  rien  à  desi- 
ser,  elle  parviendrait  seulement  à  donner 
une  idée  exacte  et  complète  de  la  chose 
représentée  ;  mais  il  est  hors  de  son  pou- 
voir de  peindre  les  impressions  que  fait  sur 
vous  cette  chose,  ou  les  motifs  qui  vous 
portent  à  en  tracer  l'image;  en  un  mot, 
elle  ne  saurait,  pas  plus  que  les  autres  lan- 
gages, exprimer  ce  qui  se  passe  en  vous 
qu'à  l'aide  de  quelques  signes  convenus. 
Mais  deux  personnes  ne  peuvent  faire  une 
convention  quelconque  qu'auparavant  elles 
ne  soient  déjà  parvenues  à  se  comprendre: 
il  faut  donc  qu'antérieurement  à  tout  lan- 
gage, il  y  ait  en  nous  un  moyen  de  nous 
entendre  réciproquement,  pour  ainsi  dire 
malgré  nous;  et  ce  moyen  ne  peut  être 


chapitre  xvr.  5l7 

qu'un  résultat  de  la  nature  même  de  notre 
être,  qu'un  effet  nécessaire  de  notre  orga- 
nisation. C'est  aussi  ce  qui  est,  comme  nous 
allons  le  voir. 

En  effet,  nous  ne  pouvons  atteindre  une 
chose  que  nous  desirons  qu'en  y  portant 
la  main,  si  nous  en  sommes  près,  et  en 
marchant  ou  courant  vers  elle,  si  nous  en 
sommes  éloignés.  Quand  nous  éprouvons 
le  besoin  du  repos,  nous  sommes  forcés  de 
nous  asseoir  ou  de  nous  coucher  ;  la  dou- 
leur nous  arrache  certains  cris;  la  joie  ou 
la  surprise  nous  en  inspirent  de  très-dif- 
férens  ;  nous  frappons  rudement  ce  qui 
nous  irrite;  nous  caressons  avec  douceur 
ce  qui  nous  plaît,  ou  du  moins  nous  saisis- 
sons avec  précaution  ce  que  nous  voulons 
ménager  :  tout  homme  éprouve  ces  effets 
en  lui;  et  quand  il  les  observe  dans  ses  sem- 
blables, il  ne  peut  manquer  de  deviner  ce 
qui  se  passe  en  eux.  Voilà  donc  un  com- 
mencement de  langage  inévitable;  et  nos 
actions  sont  les  signes  naturels  et  néces- 
saires de  nos  sentimens  et  de  nos  pensées  ; 
si  elles  n'en  restent  pas  les  signes  uniques, 
elles  en  seront  toujours  les  plus  irrécusables 
et  les  plus  surs. 


5l8  IDÉOLOGIE. 

C'est  donc  avec  beaucoup  de  raison  que 
les  idéologistes  qui  ont  entrepris  d'expliquer 
l'origine  et  les  conséquences  de  ce  premier 
langage ,  lui  ont  donné  le  nom  de  langage 
d'action  ;  il  comprend  les  gestes,  les  cris, 
les  attouchemens ;  il  parle  à  l'œil,  à  l'oreille 
et  au  tact;  par  conséquent  il  renferme  le 
germe  de  tons  les  langages  possibles;  et, 
s'il  est  de  toutes  les  langues  la  moins  fine, 
la  moins  riche ,  et  la  moins  développée ,  il 
demeure  toujours  la  plus  énergique  et  la 
plus  véhémente,  et  la  seule  dont  nous  con- 
servions l'usage  dans  l'excès  de  la  passion, 
et  lorsque  la  violence  de  nos  sentimens 
nous  prive  de  la  réflexion  nécessaire  pour 
les  exprimer  par  des  moyens  de  pure 
convention. 

Ce  langage  naturel  et  nécessaire,  on  l'a 
rendu  artiliciel  et  volontaire,  c'est-à-dire 
qu'on  a  refait  avec  l'intention  de  peindre 
une  pensée  ou  un  sentiment,  les  mêmes 
actions  que  ce  sentiment  ou  cette  pensée 
font  faire  nécessairement  ;  ensuite ,  par 
l'usage,  ce  langage  d'action  est  devenu  cha- 
que jour  plus  fin,  plus  varié,  et  plus  cir- 
constancié. Cependant,  tous  les  signes  qui 
le  composent  ne  sont  pas  également  suscep- 


CHAPITRE   XVI.  019 

tiblcs  de  se  perfectionner  et  d'être  modifiés 
par  des  conventions  expresses;  les  attou- 
chemens  restent  toujours  à  peu  près  les 
mêmes,  excepté  dans  certains  cas  particu- 
liers dont  nous  avons  fait  mention  ci-dessus. 
Mais  les  gestes  sont  déjà  propres  à  recevoir 
de  grands  développemens  et  à  former 
une  vraie  langue  savante  ;  et  les  sons  de- 
viennent à  tel  point  des  signes  artificiels, 
que,  dans  l'usage  que  nous  en  faisons,  il 
n'y  a  plus  guère  que  les  interjections  qui 
soient  des  restes  du  langage  primitif,  en- 
core ne  nous  sont-elles  pas  toutes  données 
par  la  nature,  ou  ne  conservent-elles  sou- 
vent leur  signification  originaire  qu'extrê- 
mement altérée  et  modifiée  •  mais,  pour 
les  autres  mots,  tout  ce  que  peut  faire 
l'étymologiste  le  plus  sagace,  au  risque 
même  de  se  tromper  souvent,  est  de  re- 
trouver dans  leurs  syllabes  radicales  quel- 
ques vestiges  de  l'impression  première 
produite  par  l'objet  ou  le  sentiment  qu'ils 
représentent,  et  de  légères  traces  de  leur 
forme  originelle.  Néanmoins ,  on  peut  dire 
avec  vérité  que  tous  les  langages  artificiels 
dont  nous  nous  servons  ne  sont  jamais 
que   le   langage  naturel  prodigieusement 


020  IDÉOLOGIE. 

étendu  et  perfectionné-  et  même  que  l'on 
retrouve  toujours  dans  ceux-ci,  quelque 
polis  qu'ils  soient,  toutes   les  espèces  de 
signes  qui  composent  le  premier.  Les  at- 
touchemens  ne  peuvent  en  être  totalement 
bannis  ;  toujours  et  éternellement  ce  sera 
un  moyen  très-sûr  de  faire  comprendre  à 
un  homme  que  l'on  veut  qu'il  se  porte  quel- 
que part,  que  de  le  pousser  ou  de  le  tirer 
de  ce  côté.  Quoique  les  sons  soient  devenus 
sans  comparaison  notre  manière  de  nous 
exprimer  la  plus  riche  et  la  plus  féconde , 
cependant  nous  n'avons  point  renoncé  aux 
gestes,  et  ils  resteront  à  jamais  plus  ou 
moins  unis  aux  mots  et  aux  discours  comme 
un  auxiliaire  indispensable  et  un  accessoire 
nécessaire.  Ainsi,  malgré  que  cela  puisse 
paraître  bizarre  à  un  observateur  superfi- 
ciel, il  est  constant  que,  même  dans  les 
sociétés  les   plus   civilisées,  tout  homme 
emploie  concurremment,  et  souvent  si- 
multanément, trois  langues  ou  systèmes  de 
signes,  savoir, les  attouchemens,  les  gestes, 
et  les  mots ,  lesquels  ne  sont  que  les  trois 
branches  plus  ou  moins  perfectionnées  du 
langage  naturel  et  primitif,  que  les  idéolo- 
gistes  ont  appelé  langage  d'action  ;  car  il 

n'est 


CHAPITRE  XVI.  3a  1 

n'est  pas  douteux  que  quand  d'une  main 
j'entraîne  un  homme  vers  un  but ,  que  de 
l'autre  je  lui  montre  ce  but,  et  qu'en  même 
temps  je  lui  dis  d'y  aller,  je  lui  exprime  de 
trois  manières  différentes  la  même  idée  ou 
la  même  volonté,  et  je  m'adresse  à  trois  de 
ses  sens  à  la  fois,  je  lui  parle  réellement 
trois  langages  divers. 

On  pourrait  même  dire  que  chacun  de 
ces  langages  se  partage  encore  en  plusieurs 
dialectes  qui  se  confondent  sans  que  nous 
nous  en  apercevions  ;  car  il  est  constant 
que  le  même  mot  ou  le  même  geste  a  sou- 
vent une  valeur  bien  différente,  suivant 
les  circonstances  dans  lesquelles  nous 
l'employons  et  les  impressions  dont  nous 
sommes  affectés:  il  exprime  donc  réelle- 
ment des  idées  qui  ne  sont  pas  les  mêmes. 
Or,  à  parler  rigoureusement,  c'est  bien 
changer  de  langage  que  de  rendre  des  idées 
différentes  par  le  même  signe.  Mais  ces  ré- 
flexions nous  mèneraient  trop  loin;  elles 
seront  mieux  placées  lorsque  nous  traite- 
rons des  finesses  de  l'art  de  la  parole. 

Quoi  qu'il  en  soit,  telle  est  l'origine  et 
l'état  actuel  des  différens  systèmes  de  signes 
qui  représentent  les  idées  auxquelles  on 

X 


523  IDÉOLOGIE. 

îes  a  attachés.  Nous  avons  appelé  langues 
ou  langages  tous  ces  systèmes  de  signes 
en  donnant  à  ces  deux  mots  leur  significa- 
tion la  plus  étendue;  et  c'est  au  moyen  de 
ces  langues  que  nous  communiquons  avec 
nos  semblables.  Telle  a  été,  sans  doute, 
l'intention  qu'on  a  eue  en  les  composant  : 
un  homme  isolé  n'aurait  jamais  conçu 
l'idée  de  se  faire  une  langue  ;  il  n'en  aurait 
pas  éprouvé  le  besoin;  il  n'aurait  pas  de- 
viné que  cela  pût  lui  être  d'aucun  avan- 
tage. Cependant  la  transmission  des  idées 
est  bien  loin  d'être  la  seule  utilité  des  lan- 
gues; elle  n'en  est  pas  même  la  principale. 
Elles  ont  une  propriété  bien  plus  précieuse, 
quoique  bien  moins  remarquée,  et  dont 
nous  avons  retiré  les  plus  grands  avantages 
pendant  bien  des  siècles  sans  nous  en  aper- 
cevoir. C'est  ainsi  qu'il  arrive  souvent  à 
l'homme  en  tendant  vers  un  but  d'en  at- 
teindre un  autre  beaucoup  plus  important 
sans  s'en  douter  ;  un  homme  de  génie  ar- 
rive, qui  lui  montre  ce  qu'il  a  déjà  fait  et  ce 
qu'il  peut  faire  encore. 

Condiltac  est,  je  crois,  le  premier  qui  ait 
observé  et  prouvé  que  sans  signes  nous  ne 
pourrions  presque  pas  comparer  nos  idées 


CHAPITRE  XVI.  323 

simples,  ni  analyser  nos  idées  composées; 
qu'ainsi  les  langues  sont  aussi  nécessaires 
pour  penser  que  pour  parler,  pour  avoir  des 
idées  que  pour  les  exprimer,  et  que  sans 
elles  nous  n'aurions  que  des  notions  très- 
peu  nombreuses,  très-confuses  et  très-in- 
complètes :  c'est  ce  qui  lui  a  fait  dire  que  les 
langues  étaient  des  méthodes  analytiques 
qui  guidaient  notre  intelligence  dans  ses  cal- 
culs. C'est-là  vraiment  un  trait  de  génie  qui 
ne  pouvait  naître  que  de  l'étude  très-ap- 
profondie  de  l'intelligence  humaine,  et  qui 
jette  le  plus  grand  jour  sur  le  mécanisme  de 
nos  opérations  intellectuelles.  Mais,  suivant 
moi,  Condiliac  aurait  du  énoncer  différem- 
ment sa  découverte,  et  dire  que  tout  signe 
est  l'expression  du  résultat  d'un  calcul  exé- 
cuté, ou,  si  l'on  veut,  d'une  analyse  faite,  et 
qu'il  fixe  et  constate  ce  résultat  j  ensorte 
qu'une  langue  est  réellement  une  collection 
de  formules  trouvées,  qui  ensuite  facilitent 
et  simplifient  merveilleusement  les  calculs 
ou  analyses  qu'on  veut  faire  ultérieure- 
ment. C'est  bien  là  ce  qu'est  l'algèbre  :  aussi 
l'algèbre  est-elle  une  langue,  et  les  langues 
ne  sont  elles-mêmes  que  des  espèces  d'al- 
gèbres. 

X    2 


3a4  IDÉOLOGIE. 

En  effet,  nous  avons  vu  dans  tout  le  cours 
de  cet  ouvrage,  et  nommément  dans  les  cha- 
pitres II,  IV  et  VI,  que  notre  faculté  de 
^penser  toute  entière  consiste  à  recevoir  des 
impressions ,  à  observer  leurs  qualités ,  c'est- 
à-dire  leurs  rapports  à  nous  et leurs  rapports 
entr'elles  ;  à  les  classer  ou  les  réunir  de  mille 
manières  différentes  d'après  ces  rapports;  à 
en  former  divers  groupes  qui  constituent  les 
idées  que  nous  avons,  soit  des  êtres  indivi- 
duels et  réels,  soit  des  propriétés  et  des  affec- 
tions de  ces  individus ,  soit  des  êtres  générali- 
sés etabstraits  ;  et  enfin  à  examiner  sous  tous 
leurs  aspects  ces  idées  déjà  composées,  et  à  en 
tirer  de  nouvelles  vues  et  de  nouveaux  sen- 
timens.  On  ne  peut  pas  nier  cette  vérité  qui 
est  constante. 

Mais  nous  avons  observé  de  plus  que  nos 
idées  composées,  c'est-à-dire  toutes  nos 
idées,  excepté  la  simple  sensation,  n'ont 
pas  d'autre  soutien ,  d'autre  lien  qui  unisse 
leurs  élémens,  que  le  signe  qui  les  exprime 
et  qui  les  fixe  dans  notre  mémoire,  et  que 
par  conséquent ,  sans  l'usage  de  ces  signes  , 
toutes  ces  réunions  seraient  aussitôt  dis- 
soutes que  formées,  aussitôt  perdues  que 
trouvées;  que  nos  premières  conceptions 


CHAPITRE  XVI.  525 

seraient  toujours  à  refaire,  et  que  noire  es- 
prit resterait  clans  une  éternelle  enfance  : 
c'est-là  encore  un  fait  certain  ;  néanmoins  il 
faut  le  prouver  par  des  exemples,  et  en  in- 
diquer les  causespar  quelques  réflexions  sur 
nous-mêmes. 

-  La  preuve  générale  que  sans  les  signes 
nous  ne  pouvons  presque  pas  nous  rappeler 
nos  idées  ni  les  combiner,  c'est  que  chacun, 
de  nous  éprouve  que,  lorsqu'il  réfléchit  sur 
un  sujet  quelconque,  ce  n'est  pas  directe- 
ment sur  les  idées  qu'il  médite ,  mais  sur  les 
mots;  nous  répétons  ces  mots,  nous  les. 
retournons ,  nous  en  faisons  divers  arran- 
gemens,  nous  sentons  les  nuances  de  leur 
signification,  nous  les  prononçons  tout  bas , 
comme  pour  nous  frapper  nous-mêmes  par 
une  impression  qui  ne  soit  pas  purement 
intellectuelle.  A  la  vérité,  quand  l'objet  est 
présent  il  tient  à  un  certain  point  lieu  de 
son  nom,  il  devient  lui-même  signe  de  l'idée 
qu'il  fait  naître  ;  mais  nous  fixons  toujours 
notre  attention  sur  les  mots  qui  expriment 
la  qualité  qu'il  s'agit  d'examiner  en  lui,  l'effet 
qu'elle  a  produit,  la  circonstance  à  laquelle 
il  faut  avoir  égard,  le  but  ou  tend  notre  re- 
cherche, etc....  On  pourrait  croire  quo. 


526  IDÉOLOGIE. 

cette  manière  d'opérer  tient  au  lon^  usage 
que  nous  avons  des  mots ,  et  que  notre  es- 
prit ,  accoutumé  dès  long-temps  à  se  servir 
de  ce  moyen,  s'en  est  fait  une  nécessité  qui 
n'est  pas  réelle  :  mais  un  exemple  frappant 
va  nous  montrer  que  ce  n'est  point  là  uni- 
quement un  effet  de  l'habitude,  qu'il  y  a 
autre  chose  dans  ce  phénomène,  et  qu'il  est 
fondé  sur  la  nature  même  de  l'opération  in-, 
tellectuelle  qui  s'exécute. 

Nous  avons  tous  l'idée  de  l'unité,  peu  im- 
porte pour  le  moment  comment  nous  l'avons 
acquise  :  nous  savons  que  l'adjectif  un  ex- 
prime la  qualité  d'un  être  isolé,  considéré 
séparément  de  tout  autre  comme  n'étant  ni 
répété  ni  divisé.  C'est  déjà  un  signe  pré- 
cieux que  ce  mot  un;  il  fixe  dans  nos  têtes 
une  idée  qui,  sans  son  secours,  demeurerait 
très-vague.  Si  à  lui  tout  seul  il  ne  nous  donne 
point  encore  les  idées  des  différens  nombres! 
à  coup  sûr  sans  lui  nous  ne  les  aurions  ja- 
mais ;  car  tous  les  nombres  possibles  ne 
sont  que  l'unité  répétée  plus  ou  moins.  Le 
mot  un  est  donc  le  germe  de  toutes  les  idées 
de  nombre,  et  c'est  un  grand  pas  que  de 
l'avoir  créé.  Cependant  supposons  que  nous 
n'avons  point  d'autre  nom  de  nombre  ,  et 


CHAPITRE  XVI.  327 

essayons  avec  le  seul  mot  un  de  faire  le  plus 
simple  de  tous  les  calculs,  une  addition  très- 
bornée.  Pour  y  réussir,  je  ne  puis  faire 
autre  chose  que  dédire  un  plus  un,  plus  un, 
plus  un,  plus  un,  plus  un ,  plus  un  ;  et  ni  moi 
qui  parle,  ni  vous  qui  m'écontez,  n'avez 
aucune  idée  nette  dans  la  tête.  Pourquoi 
cela?  c'est  que  rien  ne  nous  indique  com- 
bien de  fois  nous  avons  répété  ce  mot  un, 
ni  quel  rapport  il  y  a  entre  ce  nombre  pri- 
mitif et  le  nombre  total.  Maintenant ,  que 
quelqu'un  me  compte  un  plus  un,  plus  un, 
plus  un,  plus  un,  plus  un,  et  me  propose  de 
retrancher  ce  nombre  du  premier  ou  de  l'y 
ajouter,  que  voulez-vous  que  je  fasse  ?  quel 
rapport  puis-je  saisir  entre  ces  deux  nom- 
bres? quelle  proportion  puis-je  sentir  entre 
l'un  deux  et  le  reste  ou  le  total  demandé  ? 
Quand  je  n'ai  aucun  moyen  de  déterminer 
aucun  des  termes  de  la  comparaison,  évi- 
demment je  ne  puis  asseoir  un  jugement; 
j'aurai  beau  dire  un,  un,  un,  un,  un,  un, 
un,  moins  un,  un,  un,  un,  un,  un,  ou  plus 
un,  un,  un,  un,  un,  un,  je  ne  saurai  où  je 
dois  arrêter  cette  fastidieuse  répétition  ;  et 
quand, par  impossible,  je  ne  retendrais  ni 
trop  ni  trop  peu,  le  reste  ni  le  total,  je  le 


528  IDÉOLOGIE. 

répète,  ne  me  présenteraient  aucune  idée 
déterminée.  Mais,  me  dira-t-on ,  vous  comp- 
terez par  vos  doigts  ou  avec  des  cailloux, 
comme  l'indique  l'étymologie  du  mot  calcul; 
d'accord  :  mais  mes  doigts  ou  mes  cailloux 
sont  des  signes,  chacun  d'eux  représente  le 
mot  un;  l'action  de  le  joindre  à  la  masse,  ou 
de  l'en  ôter,  constate  l'opération  que  je  fais 
et  sauve  du  moins  une  cause  d'erreur.  Néan- 
moins ,  quoiqu'alors  cette  masse  soit  ce 
qu'elle  doit  être,  si  je  n'ai  point  de  nom  col- 
lectif pour  la  sommer,  je  ne  pourrai  pas  en- 
core venir  à  bout  de  m'en  faire  une  idée 
nette,  et  de  juger  son  rapport  avec  L'unité 
ou  avec  une  autre  masse  quelconque. 

Au  contraire,  que  profitant  de  la  com- 
modité du  signe  un  pour  réfléchir  sur  l'idée 
un,  et  étant  venu  à  l'imaginer  ajoutée  à  elle- 
même  ,  je  m'avise  d'appeler  deux  cette  nou- 
velle idée,  ce  second  signe  fixe  dans  mon 
esprit  le  résultat  de  l'opération  que  j'ai  faite, 
il  me  rend  présente  et  sensible  l'idée  d'un 
plus  un;  bientôt  il  fait  naître  celle  de  deux 
plus  un,  je  l'appelle  trois:  continuant  de 
même,  je  conçois  trois  plus  un,  je  l'appelle 
quatre;  quatre  plus  un,  je  l'appelle  cinq; 
cinq  plus  un,  je  l'appelle  six;  six  plus  un,  je 


CHAPITRE   XVI.  529 

Rappelle  sept  ;  sept  plus  un,  je  l'appelle  huit, 
et  ainsi  de  suite;  et  tout  cela  pour  avoir  eu 
le  signe  un  et  m'en  être  servi  à  créer  le  signe 
deux.  Alors  je  vois  clairement  que  tous  ces 
nombres  sont  à  la  même  distance  les  uns 
des  autres,  et  que  cette  distance  est  égale  à 
l'unité;  chacun  de  ces  noms  est  un  point  de 
repos  pour  ma  pensée  ;  il  fixe  le  rapport  ob- 
servé entre  l'idée  qu'il  représente  et  les 
idées  antérieures  et  postérieures;  il  constate 
des  comparaisons  faites  que  je  ne  suis  plus 
obligé  de  recommencer,  et  desquelles  je 
pars  pour  en  faire  d'autres  :  je  n'ai  plus  be- 
soin d'avoir  actuellement  le  souvenir  vif  de 
l'impression  que  faisaient  sur  mon  œil  six 
corps  rangés  à  coté  les  uns  des  autres,  je 
vois  distinctement  que  six  est  entre  cinq  et 
sept;  qu'il  est  cinq  plus  un,  et  sept  moins 
un  :  qu'on  me  propose  de  le  retrancher  de 
sept,  je  reconnais  nettement  quil  me  res- 
tera un;  si  je  veux  l'ajouter  à  sept,  je  puis 
le  faire  partiellement;  il  m'est  aisé  de  sentir 
qu'en  disant  huit  j'ai  ajouté  un  à  sept,  qu'en 
disant  neuf  j'y  ai  ajouté  deux,  qu'en  disant 
dix  j'y  ai  ajouté  trois ,  qu'en  disant  dix-un  ou 
onze  j'y  ai  ajouté  quatre,  qu'en  disant  dix- 
deux  ©u  douze  j'y  ai  ajouté  cinq,  et  enfin 


OOO  IDEOLOGIE. 

qu'en  disant  dix-trois  ou  treize  j'y  ai  ajouté 
six.  Voilà  donc  que  je  puis  calculer,  dès  que 
chacun  de  ces  nombres  porte  un  nom  qui 
le  différencie,  et  que  chacune  de  ses  parties 
composantes  se  trouve  exprimée  avec  pré- 
cision par  les  noms  des  nombres  inférieurs  : 
car  le  grand  avantage  des  signes  est  qu'ils 
distinguent  les  idées  qu'ils  représentent,  et 
qu'ils  les  décomposent  réciproquement  de 
mille  manières  différentes;  trois  et  deux, 
quatre  et  un  décomposent  cinq,  etc. 

Il  est  bien  vrai,  et  cela  provient  de  la  même 
cause,  que  si  tous  ces  nombres  se  suivaient 
long-temps,  comme  font  les  seize  premiers 
dans  la  langue  française,  toujours  désignés 
par  des  noms  qui  n'eussent  entr'eux  ni  ana- 
logie ni  relation,  je  perdrais  bientôt  de  vue 
les  rapports  mutuels  des  plus  éloignés,  c'est- 
à-dire  la  quantité  d'unités  qui  les  sépare. 
Pourquoi  cela?  précisément  parce  que  cette 
quantité  ne  me  serait  plus  rappelée  par  les 
noms  qui  chacun  expriment  seulement  qu'ils 
sont  séparés  de  leurs  deux  voisins  par  la 
quantité  un.  C'est  à  ce  rapport  exprimé  que 
je  serais  continuellement  obligé  d'avoir  re- 
cours pour  retrouver  la  valeur  des  distances 
plus  grandes  ;  et  à  chaque  opération  jaserais 


CHAPITRE   XV  r.  33 1 

toujours  forcé  de  compter  un  à  un,  comme 
je  viens  de  le  faire,  pour  ajouter  six  à  sept, 
et  découvrir  que  cela  m'amène  au  nom  de 
nombre  treize.  Il  n'est  pas  douteux  que  je 
réussirais  par  cette  voie;  car  dès  que  l'on 
part  d'un  point  connu,  et  que  tous  les  inter- 
médiaires sont  connus  aussi,  on  sait  avec 
certitude  où  l'on  arrive  et  en  quoi  consiste 
Je  nouveau  composé.  Mais  ce  moyen,  fort 
utile  déjà,  et  qui  est  uniquement  dû  à  l'ins- 
titution de  ces  premiers  signes,  serait  ce- 
pendant encore  long  et  pénible,  et  par  con- 
séquent insuffisant   pour  des  opérations 
compliquées  et  étendues;  c'est  pourquoi 
l'esprit  de  l'homme,  qui  a  besoin  de  points 
de  repos,  et  qui  est  fatigué  de  conserver 
présente  à  la  fois  une  chaîne  d'idées  trop 
longue,  a  imaginé  de  partager  la  série  des 
nombres  en  différens  groupes  ;  il  a  fait  ces 
groupes  égaux  entr'eux,  afin  que  ce  qui  est 
vrai  de  l'un  soit  vrai  de  l'autre  ;  il  a  donné 
aux  nombres  qui  les  terminent  des  noms 
vingt,  trente,  qui,  comparés  à  ceux  qui  les 
précèdent  et  à  ceux  qui  les  suivent,  aver- 
tissent que  la  période  finit  et  va  recommen- 
cer. D'un  nombre  de  ces  périodes  égal  à 
celui  des  unités  de  chacune,  il  forme  une 


5o2  IDÉOLOGIE. 

période  plus  grande,  et  au  commencement 
de  chacune  il  place  un  nom  qui  en  avertit. 
Pour  plus  de  commodité  encore,  les  noms 
de  ces  dixaines  et  de  ces  centaines,  vingt, 
trente,  quarante,  deux  cents,  trois  cents, 
quatre  cents,  sont  tels,  qu'ils  établissent 
entr'elles  les  mêmes  rapports  qui  existent 
entre  les  unités  simples.  C'est  ainsi  qu'une 
idée  conduit  à  une  autre  quand  elle  a  été 
fixée  par  un  signe.  Sans  tous  ces  mots,  ces 
rapports  seraient  demeurés  inaperçus  ou 
bientôt  perdus  de  vue  ;  mais  une  fois  déter- 
minés et  constatés  par  des  noms,  je  m'en 
sers  comme  de  chose  convenue,  et  je  puis 
combiner  tous  ces  nombres ,  sans  les  dé-, 
composer,  jusque  dans  leurs  élémens  pri-. 
mitifs  à  chaque  opération.;  car  ils  ont  été 
suffisamment  analysés  d'avance.  J'opère  sur. 
trente  et  quarante ,  sur  trois  cents  etquatre 
cents,  comme  sur  trois  et  quatre  :  de  là  de 
nouvelles  facilités  et  une  possibilité  bien 
plus  étendue  de  calculer;  facilité,  possibilité 
qui  sont  dues  uniquement  à  ce  nouvel  état 
des  noms  de  nombre  qui  constate  des  ana- 
lyses postérieures.  C'est  sans  doute  un  grand 
perfectionnement;  mais  observez  toutefois 
qu'indépendamment  de  cette  amélioration, 


CHAPITRE  XVI.  535 

et  par  le  seul  fait  de  leur  institution,  je  puis 
aisément  retenir  les  différences  caractéris- 
tiques de  la  valeur  des  seize  premiers  noms 
de  nombre ,  tandis  que  je  serais  bien  loin  de 
pouvoir  distinguer  de  même  les  idées  qu'ils 
expriment,  si  elles  n'étaient  représentées 
que  par  la  répétition  continuelle  du  mot  un^ 
et  ce  serait  bien  pis  encore  si  je  n'avais  pas 
même  le  mot  un  ;  car  ce  mot  est  déjà  un 
signe,  et  un  signe  très-utile,  comme  nous 
l'avons  observé  en  commençant. 

Au  surplus,  je  n'ai  exposé  que  les  pro- 
priétés des  noms  de  nombre,  et  n'ai  point 
du  tout  parlé  de  celles  des  chiffres,  qui  sont 
d'une  utilité  incomparablement  plus  grande. 
La  prodigieuse  supériorité  de  ceux-ci  sur 
les  premiers  tient  premièrement  à  ce  que 
ce  sont  des  signes  permanens ,  de  sorte  que 
l'impression  qu'ils  font  peut  se  renouveler 
ou  se  prolonger  à  volonté;  secondement, à 
ce  qu'ils  indiquent  une  multitude  de  rapports 
entr'eux  par  leur  seule  position  respective. 
Nous  examinerons  la  valeur  de  la  première 
de  ces  circonstances  quand  nous  parlerons 
■des  écritures,  et  celle  de  la  seconde  quand 
nous  traiterons  de  la  syntaxe  et  des  cons- 
tructions j  mais  ici  il  ne  s'agissait  que  de 


554  IDÉOLOGIE. 

bien  faire  sentir  l'effet  des  signes  en  général 
sur  l'action  de  la  pensée;  et  si,  entre  tous 
les  signes,  j'ai  choisi  les  mots,  et  parmi  les 
mots  les  noms  de  nombre,  c'est  que  c'est  le 
cas  où  l'effet  en  question  est  le  plus  frappant. 
La  raison  en  est  d'abord  que  de  tous  les  si- 
gnes* qui  ne  sont  pas  permanens  (  circons- 
tance particulière  qu'il  fallait  écarter  dans 
des  considérations  générales) ,  les  mots  sont 
ceux  qui  analysent  le  mieux  nos  idées  \  en- 
suite que  de  tous  les  rapports  existans  entre 
nos  idées,  les  rapports  de  quantité,  sont  les 
plus  exactement  appréciables,  étant  tou- 
jours composés  de  la  même  valeur,  celle  de 
l'unité  répétée  plus  ou  moins  de  fois;  ce  qui 
fait  que  l'on  voit  nettement  jusqu'où  l'on 
peut  aller  avec  tel  signe  ou  avec  tel  autre. 
Il  n'est  donc  pas  aussi  aisé  de  faire  voir 
l'effet  des  mots  sur  la  combinaison  des  rap- 
ports de  nos  idées,  qui  ne  sont  pas  des  rap- 
ports de  quantité,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  pas 
possible  de  marquer  avec  autant  de  préci- 
sion le  point  où  l'esprit  s'arrêterait  faute 
d'un  mot,  et  celui  jusqu'où  il  va  au  moyen 
de  tel  mot  ou  de  tel  autre.  Cependant,  nous 
savons  que  toutes  nos  connaissances  sont  le 
produit  de  nos  jugemens,  et  que  tous  nos 


CHAPITRE  XVI.  355 

jugemens  sont  l'effet  de  la  comparaison  de 
deux  idées;  or,  il  est  bien  manifeste  que  deux 
idées  un  peu  composées  ne  seraient  jamais 
assez  présentes  à  la  fois  à  notre  esprit  avec 
leurs  circonstances,  pour  être  comparées 
ensemble,  si  le  résultat  des  jugemens  anté- 
rieurs qui  ont  servi  à  les  former  n'était  fixé 
et  rendu  sensible  par  les  signes  qui  les  ex- 
priment. Sans  ces  signes,  ces  jugemens  sub- 
séquens  et  toutes  les  connaissances  qui  en 
dérivent  n'auraient  donc  jamais  lieu.  Repre- 
nons pour  exemple  la  proposition  que  nous 
avons  déjà  citée  plusieurs  fois  :  L'homme 
qui  découvre  une  vérité  est  utile  à  l'hu- 
manité toute  entière.  Il  n'y  a  là  que  deux 
idées  comparées,  savoir,  V  homme  qui  dé- 
couvre une  vérité,  et  être  utile  à  l'huma- 
nité toute  entière.  Il  serait  Irès-commode, 
et  nous  l'avons  déjà  observé,  que  chacune 
de  ces  idées  fût  exprimée  par  un  seul  mot. 
Si  cela  était,  et  que  l'une  fût  représentée 
par  a,  l'autre  par  b,  et  l'idée  d'affirmation 
par  c,  la  phrase  se  réduirait  à  a  c  b,  ou,  en 
conservant  le  génie  de  la  langue,  qui  est  de 
joindre  le  signe  d'affirmation  à  l'attribut 
commun ,  elle  serait  a  est  b,  et  nous  nous 
servirions  de  a  comme  de  tous  les  autres 


556  IDÉOLOGIE. 

substantifs,  et  de  b  comme  de  tous  les  autres 
adjectifs.  Ces  deux  mots  n'existent  pas  dans 
la  langue  :  elle  est  pauvre  à  cet  égard  ;  ce- 
pendant elle  fournit  des  ressources.  Ne  pou- 
vant peindre  chacune  des  deux  idées  dont 
il  s'agit  par  un  seul  signe,  on  exprime  l'une 
à  l'aide  de  six  mots  et  l'autre  à  l'aide  de  sept. 
Ces  deux  groupes  forment  chacun  un  en- 
semble, et  nous  avons  dans  la  tête  deux  idées 
nettes  et  complètes  que  nous  pouvons  com- 
parer; mais  nous  ne  les  aurions  pas  sans  ces 
signes  subsidiaires,  qui,  dans  le  cas  présent, 
sont  des  signes  du  second  ordre  par  rapport 
aux  deux  qui  nous  manquent  et  qu'ils  sup- 
pléent. 

Maintenant  examinons  ces  signes  eux- 
mêmes  qui  représentent  les  idées  compo- 
santes, nous  découvrirons  aisément  qu'ils 
sont  de  différens  genres,  qu'ils  n'ont  pu  être 
inventés  que  successivement.  On  voit  bien 
qu'il  a  fallu  désigner  les  choses  avant  de 
donner  des  noms  aux  qualités  qu'on  y  re- 
marquait ou  aux  actions  qu'on  voulait  leur 
faire  éprouver,  et  exprimer  ces  actions  ou 
ces  qualités  relativement  aux  choses,  avant 
de  les  considérer  abstraitement.  Ainsi,  les 
noms  des  objets  existans  ont  été  inventés 

les 


CHAPITRE  XVI.  557 

les  premiers,  les  verbes  et  les  adjectifs  en- 
suite, et  les  substantifs  abstraits  postérieu- 
rement. A  plus  forte  raison,  on  sent  que  les 
mots  qui  expriment  des  relations  très-géné- 
rales, comme  le  relatif  qui  et  la  préposition 
à,  ou  des  circonstances  très-fines,  comme 
l'article  le,  sont  des  créations  plus  récentes 
encore  et  des  productions  d'esprits  plus 
exercés.  Il  y  a  plus;  nous  avons  déjà  ob- 
servé, et  ne  l'oublions  pas,  que  ces  substan- 
tifs, ces  adjectifs,  ces  verbes  sont  d'abord 
des  noms  particuliers  et  propres  à  la  chose 
qu'ils  expriment,  et  qu'ensuite  ils  ont  été 
généralisés  par  des  réflexions  subséquentes. 
En  outre,  chacun  de  ces  mots  principaux, 
parles  différentes  désinences  qui  constituent 
sa  déclinaison  ou  sa  conjugaison,  exprime 
diverses  circonstances  de  nombre,  de  genre, 
de  temps,  de  personne,  qui  font  de  chacune 
de  ses  formes  une  idée  distincte.  Tout  cela 
c'est  autant  de  résultats  d'analyses  succes- 
sives, qui  graduellement  rendent  possibles 
celles  qui  les  suivent;  vous  y  observez  la 
même  progression  et  des  degrés  plus  nom- 
breux encore  que  dans  la  formation  du  mot 
un  et  dans  celle  des  premiers  noms  de  nom- 
bre, puis  des  noms  de  dixaiues,  de  cen- 

Y 


538  IDÉOLOGIE. 

taines,  etc.  ;  et  vous  reconnaissez  que,  dans 
un  cas  comme  dans  l'autre ,  il  n'a  d'abord 
été  possible  de  faire  qu'un  petit  nombre  d'o- 
pérations, et  que  la  capacité  de  combiner  et 
celle  de  calculer  se  sont  également  accrues 
en  proportion  de  la  perfection  de  leurs  ins- 
trumens. 

Pour  rendre  cette  vérité  plus  frappante 
encore,  faites  un  essai  bien  simple;  repré- 
sentez-vous où  vous  en  seriez  si,  pour  ex^ 
primer  la  proposition  que  nous  avons  prise 
pour  exemple,  au  lieu  d'empioyer  les  treize 
mots  qui  la  composent,  vous  substituiez  à 
chacun  d'eux  la  description  complète  de 
toutes  les  idées  partielles  qu'ils  renferment, 
des  points  de  vue  sous  lesquels  on  les  a 
envisagées  pour  les  réunir,  et  de  leurs  rela* 
lions  avec  celles  comprises  sous  les  autres 
mots;  il  est  bien  clair  qu'il  en  résulterait  un 
verbiage  épouvantable,  au  milieu  duquel 
il  vous  serait  impossible  de  saisir  le  sens 
général  de  la  proposition.  Cependant  toutes 
ces  analyses  préliminaires  sont  faites,  il  ne 
s'agit  plus  de  les  découvrir;  vous  n'auriez 
qu'à  les  retracer ,  et  vous  ne  le  pourriez 
même  qu'à  l'aide  de  beaucoup  de  mois  que 
vous  leur  devez  déjà.  Que  font  donc  ces 


CHAPITRE  XVI.  559 

treize  mots?  rien  autre  chose  que  présenter 
à  votre  pensée  J  d'une  manière  plus  com- 
mode ,  les  résultats  d'opérations  antérieures. 
C'est  aussi  ce  que  font  les  caractères  algé- 
briques, quand  à  la  place  d'une  expression 
très -compliquée  on  met  une  simple  lettre 
à  l'aide  de  laquelle  on  fait  des  combinaisons 
nouvelles,  qui,  sans  cette  abréviation,  se- 
raient devenues  inextricables,  sauf  ensuite 
à  aller  rechercher  l'expression  plus  détaillée 
lorsqu'il  en  est  besoin,  comme  nous  fai- 
sons nous-mêmes  en  parlant  quand  l'état 
de  la  discussion  fait  sentir  la  nécessité  d'une 
définition  ou  d'une  description  plus  ou  moins 
circonstanciée  de  notre  idée. 

Nous  sommes  donc  fondés  à  conclure  que 
ce  que  nous  avons  remarqué  des  noms  de 
nombre  et  des  idées  de  quantité ,  est  vrai 
des  autres  mots  et  des  autres  idées,  et  que 
ce  que  nous  avons  dit  des  mots  s'applique 
plus  ou  moins  à  toutes  les  espèces  de  signes; 
et  nous  pouvons  regarder  comme  prouvé 
que  l'effet  général  des  signes  est,  en  consta- 
tant des  analyses  antérieures,  de  rendre 
plus  faciles  les  analyses  subséquentes;  que 
cet  effet  est  exactement  celui  des  caractères 
et  des  formules  algébriques;  et  que,  par  con- 

Y  2 


b-LO  IDEOLOGIE. 

séquent,  les  langues  sont  de  vrais  iustrumens 
d'analyse,  et  l'algèbre  n'est  qu'une  langue 
qui  dirige  l'esprit  avec  plus  de  sûreté  que 
les  autres,  parce  qu'elle  n'exprime  que  des 
rapports  plus  précis  et  qu'un  seul  genre  de 
rapports.  Les  règles  grammaticales  font 
juste  le  même  effet  que  les  règles  du  calcul; 
dans  les  deux  cas,  ce  ne  sont  que  des  signes 
que  nous  combinons;  et,  sans  nous  en 
apercevoir,  nous  sommes  conduits  par 
les  mots  comme  par  les  caractères  algé- 
briques (1).  Tout  ceci  était  bon  à  éclaircir, 
et  je  crois  qu'il  n'y  reste  plus  d'obscurité. 
Tel  est  donc  l'effet  général  et  principal 

(i)  Il  y  a  pourtant,  entre  la  langue  algébrique  et 
les  autres  langues,  une  différence  singulière  dont  il 
faut  saisir  la  cause  avec  précision ,  parce  qu'elle  met 
bien  à  découvert  l'artifice  des  raisonnemens  ordi- 
naires et  de  ceux  appelés  spécialement  calculs,  et 
qui  n'en  sont  pas  moins  des  raisonnemens  comme  les 
autres. 

La  langue  algébrique  ne  s'applique  qu'à  des  idées 
de  quantité ,  c'est-à-dire  à  des  idées  d'une  seule  espèce, 
qui  ont  entr'elles  des  rapports  très-fixes  et  très-précis  ; 
ils  sont  toujours  composés  de  l'unité  ou  de  ses  mul- 
tiples ;  et  elle  ne  sert  à  combiner  ces  idées  si  dis- 
tinctes et  si  immuables,  que  sous  un  seul  rapport,  celui 
de  leur  augmentation  ou  de  leur  diminution  ,  rapport 


CHAPITRE   XVf.  Oil 

des  signes  comme  instruirions  de  la  pensée  ; 
actuellement  il  faudrait  tâcher  de  trouver 
les  causes  de  cet  effet.  Malheureusement 

qui  est  lui-même  une  idée  de  quantité  et  en  a  toutes- 
les  précieuses  propriétés. 

Par  ce  moyen,  il  n'y  a  jamais  ni  incertitude,  ni 
obscurité,  ni  variation  dans  la  valeur  des  élémens  du 
discours  de  cette  langue ,  et  il  en  résulte  un  effet  tout 
particulier,  c'est  qu'on  n'a  jamais  besoin  de  songer  à 
la  signification  de  ces  signes  pendant  tout  le  temps 
qu'on  les  combine  :  on  est  toujours  sûr  de  la  retrouver 
quand  on  voudra  ;  elle  n'aura  souffert  de  changemens 
qu'en  plus  ou  en  moins,  et  ils  auront  tous  été  mar- 
qués par  les  changemens  de  formes  ou  de  positions 
qu'auront  éprouvés  les  signes.  Pourvu  qu'on  ait  observé 
scrupuleusement   les  règles  de  la  syntaxe  de  cette 
langue,  qui  ne  sont  autre  chose  que  les  règles  du  cal- 
cul ,  on  est  certain  d'arriver  à  une  conclusion  juste  , 
c'est-à-dire  exactement  qu'on  n'a  eu  nul  besoin  de 
savoir  ce  qu'on  disait  pendant  tout  le  temps  qu'on  a 
raisonné  :  aussi  ne  le  sait-on  jamais.  Un  calcul  algé- 
brique ressemble  parfaitement  et  rigoureusement  au 
discours  d'un  homme  qui  commencerait  par  une  pro- 
position vraie  et  finirait  par  une  autre  proposition 
vraie ,  et  aurait  toujours  parlé  dans  l'intervalle  d'une 
manière  inintelligible  pour  les  autres  et  pour  lui- 
même,  et  sans  faire  de  faute  de  langue  ;  mais  la  con- 
clusion d'un  tel  personnage ,  bien  que  vraie  par  hasard-, 


342  IDÉOLOGIE. 

cela  n'est  pas  très  -  facile  ;  il  semble  même 
au  premier  coup-d'œil  que  cet  effet  n'a  point 
de  cause ,  ou,  en  d'autres  termes,  qu'il  ne 

ne  serait  pas  prouvée,  au  lieu  que  celle  de  l'algébriste 
l'est;  et  voici  pourquoi. 

Les  mots  sont  bien,  comme  nous  l'avons  dit,  des 
formules  qui  peignent  d'une  manière  abrégée  les  ré- 
sultats de  combinaisons  antérieurement  faites,  et  qui 
dispensent  la  mémoire  de  l'obligation  d'avoir  ces 
combinaisons  incessamment  présentes  dans  tous  leurs 
détails.  Ainsi,  nous  les  combinons  bien  jusqu'à  un 
certain  point  indépendamment  des  idées  dont  ils  sont 
les  signes ,  et  même  cet  effet  a  lieu  beaucoup  plus 
que  nous  ne  croyons  ,  comme  nous  venons  de  le  voir  ; 
mais  les  résultats  que  ces  mots  expriment  ne  sont  pas 
d'une  nature  aussi  simple  ni  aussi  précise  que  ceux 
que  représentent  les  caractères  algébriques  ;  et  les 
modifications  que  nous  leur  faisons  éprouver  dans  le 
discours,  soit  en  joignant  un  adjectif  à  un  substantif, 
soit  en  donnant  un  attribut  à  un  sujet,  sont  bien  plus 
variées  et  bien  moins  mesurables  que  celles  que  font 
éprouver  aux  caractères  algébriques  les  signes  multi- 
plié par,  ou  divisé  par,  ou  le  signe  égale,  qui  équivaut 
à  l'attribut  verbal,  ou  les  coeffîciens ,  ou  les  exposans , 
ou  les  signes  radicaux.  Ces  modifications  des  carac- 
tères algébriques  sont  toutes  appréciables  en  nombres  ; 
celles  des  mots  ne  le  sont  pas,  et  c' est-là  une  diffé- 
rence immense. 

D'ailleurs ,  nous  modifions  nos  substantifs ,  non- 
seulement  dans  leur  compréhension,  c'est-à-dire  dans- 


CHAPITRE  XVI.  345 

devrait  pas  exister  ;  il  semble  que  la  diffi- 
culté de  comparer  dos  idées  consistant  uni- 
quement dans  celle  de  les  bien  connaître, 


le  nombre  des  idées  qu'ils  renferment,  mais  encore 
dans  leur  extension ,  c'est-à-dire  dans  le  nombre  des 
objets  auxquels  nous  les  appliquons  -,  et  ce  qui  est 
vrai  en  leur  donnant  telle  extension ,  ne  le  serait  plus 
en  leur  donnant  telle  autre.  Or,  que  serait-ce  que  de 
l'algèbre  dont  les  caractères  non-seulement  ne  seraient 
pas  toujours  complètement  abstraits,  mais  même  se- 
raient concrets,  tantôt  d'une  manière,  tantôt  d'une 
autre,  C'est-à-dire  s'appliqueraient  tantôt  à  un  cer- 
tain nombre  d'objets,  tantôt  à  un  autre?  Certaine- 
ment on  ne  pourrait  pas  suivre  le  calcul  sans  songer 
à  tout  moment  à  ce  qu'il,  représente  :  c'est  aussi  ce 
qui  arrive  dans  toutes  les  autres  langues. 

De  tout  cela  il  suit  que  nous  nous  fions  bien  aux 
mots  comme  à  des  formules  trouvées  ;  que  nous 
sommes  bien  obligés  de  nous  en  servir  en  cette  qua- 
lité", puisque  c'est -là  leur  seule  utilité  en  tant  que 
moyens  d'analyse;  que  nous  nous  en  reposons  beau- 
coup sur  eux,  souvent  même  avec  trop  de  confiance; 
mais  que  cependant  cette  sécurité  ne  peut  jamais  être 
telle,  que  nous  perdions  absolument  de  vue  leur  signi- 
fication, et  que  nous  ne  soyons  pas  obligés  de  nous 
la  rappeler  au  moins  en  masse  chaque  fois  que  nous 
les  employons,  à  chaque  modification  que  nous  leur 
faisons  subir,  et  à  chaque  conclusion  que  nous  voulons 
en  tirer.  La  preuve  en  est  que  quand  le  souvenir  de 
cette  signification  devient  trop  confus  ou  inexact,  le 


544  IDÉOLOGIE. 

et  celle  de  les  bien  connaître  dans  celle  de 
se  bien  rappeler  les  idées  qui  les  composent 
et  leurs  rapports  avec  celles  qui  les  avoi- 

seul  moyen  d'éclaircir  et  de  rectifier  nos  raisonne- 
mens ,  est  de  substituer  la  description  détaillée  de 
l'idée  au  signe  qui  la  représente  en  abrégé  ;  et  ce 
moyen,  s'il  est  bien  employé,  suffit  toujours  pour 
trouver  d'où  vient  l'équivoque  ou  l'erreur.  Enfin , 
comme  l'a  dit  très-énergiquement  M.  Maine -Biran, 
quand  nous  nous  servons  de  toutes  nos  langues  (ex- 
cepté l'algèbre),  nous  sommes  toujours  obligés  de 
porter  à  la  fois  le  double  fardeau  du  signe  et  de 
l'idée  (*).  ÏS'ousy  sommes  également  obligés,  même 
pour  combiner  des  idées  de  quantité,  quand  nous 
entreprenons  de  le  faire  par  le  moyen  des  signes  de 
nos  langues  ordinaires,  sans  employer  ceux  de  l'al- 
gèbre. Aussi,  alors  ne  pouvons-nous  pas  pousser  le 
calcul  jusqu'au  degré  de  complication  auquel  nous 
atteignons  à  l'aide  des  signes  de  l'algèbre.  Il  y  a 
plus  ;  c'est  que ,  même  en  nous  servant  de  ceux-ci , 
nous  ne  sommes  complètement  dispensés  de  songer 
à  l'idée  que  dans  les  momens  où  une  formule  trou- 
vée et  des  règles  de  calcul  démontrées  nous  guident 
mécaniquement  ;  mais  dans  tous  ceux  où  il  s'agit  de 
se  décider  pour  une  opération  plutôt  que  pour  une 
autre  ,  de  reconnaître  le  sens  et  la  valeur  de  l'expres- 

(*)  Voyez  son  excellent  Mémoire  intitulé  :  Influence  de  l'habi- 
tude sur  la  Faculté  de  penser. 

C'est,  je  crois,  un  des  meilleurs  ouvrages  qui  aient  jamais  été 
écrits  sur  ces  matières. 


CHAPITRE  XVI.  345 

sihcnt,  toutes  ces  opérations  intellectuelles 
doivent  être  les  mêmes,  soit  que  ces  idées 
soient  revêtues  d'un  signe,  soit  qu'elles  en 

sion  d'un  résultat ,  de  découvrir  les  propriétés  instruc- 
tives ou  commodes  qu'elle  peut  avoir  acquises  ou 
perdues  dans  ses  différentes  transformations,  il  n'en 
est  pas  de  même  ;  alors  le  signe  ne  suffit  plus  ;  il  faut 
bien  remonter  à  l'idée ,  et  il  s'exécute  là  àes  opéra- 
tions intellectuelles  qui  ne  consistent  ni  à  multiplier 
ni  à  diviser ,  qu'aussi  les  signes  algébriques  ne  peuvent 
pas  peindre  ,  qu'on  ne  peut  représenter  que  par  ceux 
des  langues  vulgaires,  et  qui  pourtant  n'en  font  pa-> 
moins  partie  de  la  chaîne  du  raisonnement  et  en  sont 
même  la  partie  la  plus  essentielle.  La  langue  algé- 
brique n'est  donc  pas  une  langue  complète  ;  elle  ne 
peint  jamais  un  raisonnement  d'un  bout  à  l'autre;  elle 
est  toujours  entremêlée  de  temps  en  temps  de  quel- 
ques phrases  d'une  langue  ordinaire,  à-peu-près 
comme  dans  les  intermèdes  la  danse  succède  au  chant, 
qui  a  appris  ce  que  celle-ci  n'aurait  pas  pu  exprimer. 
Seulement,  dans  toutes  les  parties  de  la  série  des  idées 
où  l'algèbre  s'applique,  elle  l'abrège  singulièrement, 
et  par  là  met  l'esprit  en  état  de  la  suivre  beaucoup 
plus  loin.  C'est-là  sa  véritable  utilité. 

Mais  pourquoi  peut-elle  sans  inconvénient  abréger 
à  cet  excès  la  chaîne  d'un  raisonnement?  cela  tient  à 
la  nature  des  idées  de  quantité.  Pourquoi  nous  con- 
duit-elle ainsi  avec  une  sûreté  complète  et  sans  que 
nous  ayons  besoin  de  savoir  ce  que  nous  fanons?  c'est 


346  IDÉOLOGIE. 

soient  dénuées.  Il  paraît  que  le  son  du  mot 
pain  et  du  mot  bon  ne  saurait  m'exempter 
d'avoir  présentes  à  l'esprit  toutes  les  idées 

encore  grâce  à  la  nature  des  rapports  de  quantité  aux- 
quels seuls  elle  est  applicable. 

C'est  donc  une  grande  erreur  de  croire  que  l'on 
peut  transporter  la  langue  algébrique  dans  d'autres 
matières.  Pour  s'en  assurer ,  il  suffit  de  voir  que  y 
même  dans  les  raisonnemens  sur  les  idées  de  quan- 
tité ,  il  y  a  des  momens  où  elle  ne  peut  pas  servir. 

Ce  n'est  pas  moins  s'abuser  que  d'imaginer  qu'en 
perfectionnant  les  autres  langues  il  est  possible  de 
leur  donner  toutes  les  propriétés  de  la  langue  algé- 
brique. Sans  doute  il  est  possible  d'améliorer  les  signes 
dont  se  composent  ces  langues  et  de  régulariser  leur 
syntaxe,  et  cela  serait  très-avantageux;  mais  on  ne 
peut  pas  faire  que  toutes  les  idées  que  ces  langues 
élaborent  aient  le  même  degré  de  fixité  et  de  préci- 
sion ,  et  que  tous  les  rapports  sous  lesquels  on  consi- 
dère ces  idées  soient  également  simples  et  déterminés.. 
Or,  ce  n'est  que  dans  ces  deux  cas  que  ces  langues 
peuvent  se  transformer  en  langage  algébrique,  lequel 
en  définitif  n'est  autre  chose  qu'une  collection  d'abré- 
viations dans  les  termes  et  d'ellipses  dans  les  phrases. 

Enfin ,  c'est  une  idée  encore  plus  fausse  de  vouloir, 
par  des  formes  syllogistiques ,  produire  le  même  effet 
qu'avec  des  formules  algébriques  et  arriver  au  même 
degré  de  certitude.  C'est  confondre  toutes  les  notions. 
L'un  ne  répond  point  à  l'autre.  Il  n'y  a  rien  dans  le 


CHAPITRE   XVI.  347 

composant  l'idée  de  pain  et  l'idée  de  bon, 
pour  pouvoir  juger  si  le  pain  est  bon,  et 
qu'ainsi  ces  mots  ne  devraient  m'être  d'au- 

calcul  qui  soit  analogue  aux  prétendus  principes 
logiques. 

La  langue  algébrique,  répétons-le,  est  une  langue 
comme  une  autre.  Ses  caractères  sont  les  élémens  du 
discours.  Les  règles  du  calcul  sont  les  lois  de  sa  syn- 
taxe ,  qui  enseignent  quel  u.'age  on  doit  faire  de  ces 
élémens ,  et  quelles  modifications  on  doit  leur  faire  su- 
bir pour  marquer  les  liaisons  qu'on  a  établies  entr'eux 
et  les  opérations  intellectuelles  qu'on  a  exécutées  par 
leur  moyen.  C'est- là  tout  ce  qui  existe  dans  toute 
langue ,  et  l'acte  du  raisonnement  est  le  même  dans 
toutes.  Les  formes  syllogistiques  sont  une  espèce  de 
superfé  ration  dont  on  aurait  pu  embarrasser  les  cal- 
culs tout  comme  les  autres  raisonnemens,si,  dans  ce 
cas ,  leur  inutilité  n'avait  pas  été  plus  manifeste  que 
dans  les  autres.  C'est  un  surcroît  de  précaution  que 
l'on  a  cru  propre  à  guider  nos  jugemens  et  à  en  aug- 
menter la  sûreté  ,  mais  qui  réellement  ne  fait  que  les 
gêner  et  cacher  les  causes  de  leur  justesse  ou  de  leur 
fausseté. 

Le  vrai  est  que  ,  dans  tous  nos  raisonnemens  quel- 
conques ,  il  ne  s'agit  jamais  que  d'idées  revêtues  de 
signes  ;  ainsi  il  ne  peut  pas  y  avoir  d'autres  principes 
de  logique  que  la  connaissance  de  ces  idées  et  de  leurs 
signes,  c'est-à-dire  l'idéologie  et  la  grammaire,  ou, 
si  l'on  veut,  la  connaissance  de  la  valeur  de  ces  signes 
isolés  et  celle  du  mode  de  leur  liaison ,  c'est-à-dire 


548  IDÉOLOGIE. 

cune  utilité.Cependant  l'expérience  est  cons- 
tamment contraire  ;  elle  montre  que  ces 
signes  font  en  moi  une  impression  qui  n'est 

le  vocabulaire  et  la  syntaxe  du  langage  dont  on  se 
sert.  La  logique  proprement  dite  est  un  pur  néant, 
une  idée  radicalement  fausse ,  une  vraie  chimère , 
comme  j'espère  le  faire  voir  en  son  lieu. 

Je  sens  combien  cette  longue  discussion  est  déplacée 
ici.  Pour  qu'elle  fût  complètement  satisfaisante,  il 
faudrait  qu'elle  ne  vînt  qu'après  tout  ce  que  nous 
avons  à  dire  dans  le  chapitre  suivant,  dans  la  Gram- 
maire et  dans  la  plus  grande  partie  de  la  Logique. 
Elle  est  presque  la  conclusion  de  l'ouvrage.  C'est  pour 
cela  que  je  l'avais  supprimée  dans  la  première  édi- 
tion de  ce  volume  ;  mais,  par  réflexion,  je  l'ai  crue 
utile  pour  provisoirement  appuyer  ce  qui  vient  d'être 
dit,  en  indiquant  ce  qui  suivra.  C'est  ainsi  qu'en  trai- 
tant ces  matières ,  qui  ont  été  si  complètement  em- 
brouillées et  dénaturées ,  on  est  toujours  froissé  entre 
la  crainte,  si  l'on  suit  loin  son  idée,  d'avancer  des 
choses  dont  on  ne  peut  pas  encore  développer  toutes 
les  preuves,  et  celle,  si  l'on  s'arrête,  de  laisser  sub- 
sister des  préventions  qui  résistent  aux  assertions  les 
mieux  fondées  et  qui  sont  la  base  des  autres.  C'est  ce 
qui  m'est  arrivé  continuellement  en  écrivant  ces  deux 
chapitres  des  signes  ,  qui  cependant  me  paraissent  ici 
à  leur  place  naturelle  et  nécessaire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  concluons  qu'en  raisonnant  nous 
sommes  conduits  par  les  mots  comme  par  les  carac- 
tère;  algébriques  ;  que  leur  utilité  est  de  nous  dispense* 


CHAPITRE   XVI.  349 

pas  exactement  celle  de  toutes  les  idées  qu'ils 
représentent,  mais  qui  en  est  comme  la  ré- 
sultante, c'est-à-dire  qu'il  y  a  quelque  chose 
de  plus  dans  l'effet  que  nous  fait  un  signe 
que  dans  celui  que  produit  en  nous  l'idée 
composée  que  ce  signe  exprime  ;  la  preuve 
en  est  que  nous  faisons,  par  le  moyen  de 
ce  signe ,  beaucoup  de  combinaisons  ulté- 
rieures que  nous  ne  pouvions  pas  faire  avec 
l'idée  elle-même.  Mais,  je  le  répète,  il  n'est 

en  partie  d'avoir  présentes  les  idées  qu'ils  représen- 
tent; que  s'ils  ne  font  pas  cet  effet  aussi  complètement 
que  les  caractères  algébriques ,  et  s'ils  ne  le  font  pas 
sans  danger  comme  eux ,  cela  tient  uniquement  à  la 
nature  des  idées  représentées  ;  et  que  si  toutes  nos 
idées  étaient  susceptibles  d'abréviations  et  d'ellipses 
aussi  fortes  que  les  idées  de  quantité,  sans  que  la 
confusion  s'y  introduisît,  nous  aurions  pour  toutes 
des  langages  analogues  à  l'algèbre ,  et  nous  suivrions 
nos  déductions  plus  loin  et  plus  sûrement  ;  comme 
aussi  si  toutes  ces  idées  étaient  encore  plus  fugitives 
et  moins  déterminées ,  nous  serions  obligés ,  dans  nos 
langues  ordinaires ,  de  nous  servir  de  termes  moins- 
généraux  et  de  locutions  plus  développées  et  plus 
traînantes ,  et  nous  serions  encore  moins  capables  de 
déductions  sûres  et  étendues.  Je  crois  que  l'on  doit 
commencer  à  trouver  cette  manière  de  voir  ju3te  et 
vraie,  et  que  l'on  en  sera  toujours  plus  persuadé  à 
mesure  que  nous  avancerons. 


5ÔO  IDÉOLOGIE. 

pas  aisé  d'assigner  avec  précision  la  cause 
de  cette  différence  entre  le  signe  et  l'idée , 
et  on  ne  l'a  jamais  déterminée  nettement,  au 
moins  que  je  sache.  Je  crois  pourtant  que 
nous  allons  la  trouver  tout  naturellement 
dans  une  observation  que  nous  avons  déjà 
faite  sur  les  caractères  et  les  propriétés  de 
nos  opérations  intellectuelles  et  des  mou- 
vemens  internes  qui  les  produisent. 

Nous  avons  remarqué  qu'en  général  ceux 
de  ces  mouvemens  dont  résultent  nos  sou- 
venirs et  nos  jugemens,  ou  perceptions  de 
rapports,  ébranlent  moins  fortement  notre 
machine,  sont  moins  nécessairement  accom* 
pagnes  de  peine  ou  de  plaisir,  et  par  suite 
laissent  des  traces  moins  vives,  moins  dis- 
tinctes, moins  durables  que  les  mouvemens 
purement  sensitifs  ;  qu'en  conséquence  les 
souvenirs  et  les  jugemens  sont  des  percep- 
tions plus  légères,  plus  fugitives,  et  qui  pro- 
duisent des  impressions  moins  profondes 
sur  notre  organisation  que  la  sensation  pro- 
prement dite.  C'est  ce  qui  fait  que  les  idées 
abstraites  et  éloignées  des  sens  sont  celles 
que  nous  avons  le  plus  de  peine  à  fixer  et 
à  ne  pas  perdre  de  vue,  et  que  les  sujets  où 
elles  se  trouvent  en  plus  grand  nombre  sont 


CHAPITRE  XVI.  35l 

ceux  où  il  nous  est  le  plus  difficile  d'éviter 
l'obscurité  et  la  confusion;  c'est  ce  qui  fait 
encore  que  le  moindre  bruit,  la  moindre 
douleur  ou  le  moindre  plaisir  actuel,  nous 
distraient  souvent  de  la  méditation  la  plus 
profonde,  et  nous  font  perdre  de  vue  le  sou- 
venir qui  nous  occupe  le  plus.  En  général, 
tout  prouve  que  la  sensation  a  une  toute 
autre  énergie  que  le  souvenir  et  le  jugement, 
lesquels  sont,  par  leur  nature,  des  percep- 
tions légères  et  transitoires.  Maintenant  si 
nous  nous  rappelons  que  toutes  nos  idées 
sont  extrêmement  composées  ;  que  par  con* 
séquent  toutes  sont  des  assemblages  d'une 
foule  de  souvenirs  et  de  jugemens  ;  que 
même,  si  l'on  en  excepte  les  sensations  sim- 
ples, dont  il  n'est  pas  question  en  ce  mo- 
ment ,  elles  ne  sont  toutes ,  à  proprement 
parler ,  que  des  souvenirs  d'impressions  re- 
çues et  de  combinaisons  opérées,  nous  en 
conclurons  qu'elles  sont  toutes  essentielle- 
ment fugitives;  que,  par  leur  nature  même, 
elles  doivent  ne  faire  que  paraître  et  dispa- 
raître, et  que  le  véritable  changement  qu'y 
apporte  le  geste  ou  le  mot,  en  un  mot  le 
signe  quelconque  qui  nous  les  représente , 
en  frappant  nos  sens,  est  de  les  associer  à 


552  IDÉOLOGIE. 

une  sensation,  de  les  rapprocher  du  carac- 
tère de  ce  genre  de  perceptions  et  de  leur 
en  donner  toute  l'énergie.  De  là  seul  naît,  je 
pense ,  la  différence  qui  existe  entre  les  pro- 
priétés du  signe  et  celles  de  l'idée  qu'il  re- 
présente: j'en  suis  d'autant  plus  persuadé, 
que,  si  l'on  y  fait  bien  attention,  on  verra 
que  cette  seule  circonstance  suffit  pour  ex- 
pliquer tous  les  effets  des  signes. 

En  effet,  quand  une  idée  est  une  fois  in- 
timement liée  à  une  sensation,  elle  nous 
frappe  aussi  souvent ,  aussi  facilement , 
aussi  vivement  que  cette  sensation  elle- 
même;  elle  est  aussi  distincte  de  toutes  les 
autres  Idées  qui  sont  liées  à  d'autres  sensa- 
tions, que  ces  sensations  le  sont  entr'elles. 
Pour  ne  pas  la  confondre  avec  elles,  nous 
n'avons  plus  besoin  d'en  examiner  tous  les 
élémens,  d'en  rechercher  la  génération;  ce 
n'est  plus,  pour  ainsi  dire,  les  rapports  très- 
déliés  de  ces  idées  que  nous  avons  à  consi- 
dérer, mais  les  rapports  bien  plus  frappans 
de  ces  sensations.  Voilà  pourquoi  les  signes 
secourent  la  mémoire,  rendent  les  habi- 
tudes plus  fortes,  servent  de  point  de  repère 
à  l'esprit;  pourquoi  ils  constatent  réelle- 
ment les  opérations  intellectuelles  qui  ont 

eu 


CHAPITRE  XVI.  555 

eu  lieu  ;  pourquoi  les  idées  de  classes ,  de 
genres,  d'espèces,  et  toutes  les  idées  gé- 
néralisées que  nous  conservons  par  leur 
moyen,  une  fois  qu'elles  sont  faites,  nous 
sont  si  commodes  ;  voilà  aussi  pourquoi  il 
est  si  utile  et  si  agréable  que  les  signes  aient 
de  l'analogie  avec  la  chose  qu'ils  expriment, 
et  qu'il  existe  entr'eux  des  relations  corres- 
pondantes à  celles  des  idées  qu'ils  représen- 
tent :  d'un  autre  côté  l'on  voit  que  la  sensa- 
tion du  signe  étant  une  sorte  d'étiquette  de 
l'idée,  à  peu  près  comme  les  titres  de  cer- 
tains chapitres  et  de  certains  paragraphes 
qui  en  expriment  le  sens  en  abrégé ,  et  se 
mettant  pour  ainsi  dire  en  nous  à  la  place  de 
cette  idée ,  elle  doit  nous  en  faire  perdre  de 
Vue  les  détails.  De  là  vient  sans  doute  que 
nous  avons  souvent  la  conscience  du  sens 
d'un  mot  sans  pouvoir  l'expliquer,  et  que 
nous  sommes  exposés  à  bien  des  erreurs 
en  nous  en  servant;  de  là  vient  apparem- 
ment encore  qu'il  nous  arrive  souvent  d'être 
frappés  de  la  vérité  d'une  proposition  long- 
temps avant  de  pouvoir  nous  en  rendre 
compte,  ou  révoltés  de  la  fausseté  d'un  so- 
phisme quoique  nous  ne  puissions  pas  la  dé- 
montrer. Il  serait  facile  de  multiplier  et  de 

Z 


554  IDÉOLOGIE. 

développer  ces  faits,  qui  tous  se  présentant 
comme  des  conséquences  de  notre  principe, 
le  rendraient  toujours  plus  plausible;  mais 
ceux-ci  suffisent,  je  crois,  pour  conclure 
qu'il  est  très-probable  que  la  réunion  de  la 
sensation  à  l'idée  est  la  vraie  cause  de  l'effet 
des  signes  :  quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  est 
certain  c'est  que  cet  effet  est  le  même  dans 
tous  les  signes  que  dans  les  signes  algé- 
briques, et  qu'il  consiste  à  constater  les  opé- 
rations intellectuelles  que  nous  avons  faites, 
et  à  nous  donner  la  facilité  d'en  faire  des 
combinaisons  qui  seraient  impossibles  sans 
ce  secours.  C'est-là  ce  qu'il  était  important 
de  bien  éclaircir. 

Actuellement  que  nous  avons  vu  quels 
sont  nos  différens  langages  ou  systèmes  de 
signes  représentatifs  de  nos  idées ,  et  en  quoi 
consiste  la  propriété  fondamentale  de  ces 
signes  considérés  comme  moyen  de  penser, 
nous  pouvons  examiner  avec  sûreté  les  di- 
verses circonstances  de  l'influence  de  ces 
signes  sur  la  pensée  :  c'est  ce  que  nous  allons 
faire  dans  le  chapitre  suivant. 


CHAPITRE  XVII.  555 

CHAPITRE  XVII. 

Continuation  du  précédent  Des  autres 
effets  des  signes. 

V  ous  voyez  donc,  mes  jeunes  amis,  que 
nos  actions  sont  les  signes  naturels  et 
nécessaires  de  nos  idées,  puisqu'elles  les  re- 
présentent 5  en  masse  à  la  vérité,  mais  très- 
fidèlement,  sans  que  nous  en  ayons  l'inten- 
tion ,  et  même  quand  nous  ne  le  voudrions 
pas  :  c'est  ce  qu'on  appelle  le  langage  d'ac- 
tion, parce  que  tout  système  désignes  est  un 
langage. 

Ces  signes  naturels  et  nécessaires  devien- 
nent artificiels  et  volontaires,  c'est-à-dire 
que  nous  les  refaisons  avec  l'intention  de, 
faire  connaître  nos  idées  à  nos  semblables  ; 
et  le  langage  d'action  devient  la  source  de 
tous  les  autres,  qui,  comme  lui,  s'adressent 
au  tact,  à  l'œil,  ou  à  l'oreille,  et  que  nous 
pouvons  varier  à  l'infini.  Nous  en  avons  in- 
diqué plusieurs. 

A  la  longue ,  ces  signes  artificiels  et  vo- 
lontaires, sur-tout  ceux  qui  s'adressent  à 
l'oreille,  deviennent  très- détaillés  et  très- 

Z    2 


556  IDÉOLOGIE. 

circonstanciés,  et  nous  les  rendons  capables 
d'exprimer  d'une  manière  distincte  des  idées 
très-peu  différentes  les  unes  des  autres,  et 
qui  ne  sont  séparées  que  par  des  nuances 
très-fines. 

Cet  effet  est  dû  sans  doute  à  la  souplesse 
des  organes  d'où  émanent  les  signes ,  et  à  la 
délicatesse  de  ceux  auxquels  ils  s'adressent, 
et  il  est  proportionné  à  ces  qualités;  mais 
il  ne  se  produit  que  graduellement,  et  il  ne 
peut  avoir  lieu  qu'autant  que  nous  combi- 
nons .nos  premières  perceptions,  que  nous 
en  formons  des  idées  composées,  que  nous 
percevons  entr'elles  des  rapports  qui  sont 
eux-mêmes  de  nouvelles  idées,  que  nous 
les  analysons,  les  comparons,  les  modifions, 
les  envisageons  sous  toutes  leurs  faces,  en- 
fin que  nous  les  soumettons  à  tous  les  cal- 
culs dont  elles  sont  susceptibles.  Or,  c'est  à 
cela  même  que  les  signes  nous  aident  très- 
puissamment,  en  constatant  les  résultats  de 
chacun  de  ces  Ga'lculs  ;  et  nous  avons  prou- 
vé par  des  exemples,  que  sans  leurs  secours 
nous  serions  arrêtés  dès  les  premiers  pas  : 
ainsi  à  mesure  que  les  signes  se  perfection- 
nent, et  même  à  chaque  nouveau  degré  de 
perfection  qu'ils  acquièrent,  ils  sont  cause 


CHAPITRE   XVlT.  557 

du  perfectionnement  des  idées  qu'ils  repré- 
sentent, et  par  conséquent  ils  ne  nous  ser- 
vent pas  moins  à  former  nos  idées  qu'à  les 
communiquer. 

Enfin,  il  paraît  qu'ils  doivent  cette  pré- 
cieuse propriété  à  ce  que  l'effet  du  signe  est 
d'associer  l'idée  qu'il  représente  à  la  sensa- 
tion qu'il  produit,  et  de  faire  ainsi  participer 
des  perceptions  très-fugitives  ,  telles  que 
nos  souvenirs  etnosjugemens,aux  proprié- 
tés de  la  sensation,  qui,  par  sa  nature,  est 
une  perception  très -vive,  très-forte  et  très- 
distincte. 

Voilà,  en  peu  de  mots,  le  résumé  de  ce 
que  nous  avons  dit  j  usqu'à  présent  des  signes, 
de  leur  origine,  de  leurs  différentes  espèces, 
de  leurs  progrès,  de  leur  effet  principal  et 
fondamental,  et  de  la  cause  vraisemblable 
de  cet  effet.  Munis  de  ces  préliminaires, 
nous  pouvons  actuellement  entrer  dans 
quelques  détails  :  ils  nous  feront  encore 
mieux  sentir  l'influence  des  signes  sur  l'état 
actuel  de  la  raison  humaine  j  et,  nous  four- 
nissant l'occasion  de  faire  usage  de  nos  ob- 
servations sur  nos  opérations  intellectuelles 
et  sur  la  formation  de  nos  idées,  ils  nous 
procureront    de    nouvelles    preuves  que 


558  '     IDÉOLOGIE. 

nous  avons  bien  trouvé  le  fil  de  ce  laby- 
rinthe. 

On  demande  souvent  si  nous  pouvons 
penser  sans  signes.  Cette  question  me  pa- 
raît plus  curieuse  qu'utile;  mais  puisqu'elle 
a  été  agitée,  il  ne  faut  pas  négliger  de  la  ré- 
soudre; d'ailleurs  elle  nous  mènera  à  d'au- 
tres. Je  crois  que  nous  devons  d'abord  dis- 
tinguer entre  les  signes  naturels  et  les  signes 
artificiels. 

Nous  avons  vu  que  nos  actions  sont  les 
lignes  naturels  et  nécessaires  de  nos  idées , 
c'est-à-dire  que,  même  malgré  nous,  elles 
manifestent  avec  plus  ou  moins  de  détails 
nos  pensées  et  nos  sentimens.  Je  ne  connais 
pas  d'autres  signes  naturels;  car  les  objets 
matériels  sont  bien  les  causes  de  nos  per- 
ceptions, mais  ils  ne  les  manifestent  pas, 
ils  n'en  deviennent  le  signe  et  la  représen- 
tation qu'autant  que  nous  les  désignons  à 
cet  effet  par  un  cri,  par  un  geste,  en  un 
mot ,  qu'en  vertu  d'une  institution  expresse. 
Quand  je  montre  un  fruit  et  ma  bouche  pour 
exprimer  cette  idée,  Je  veux  manger,  le 
fruit  et  ma  bouche  font  partie  de  mon  geste; 
à  eux  seuls  ils  n'eussent  jamais  exprimé 
mon  idée.  Les  objets   matériels  peuvent 


CHAPITRE  XVII.  559 

donc  devenir  signes  artificiels  et  volontaires 
plus  ou  moins  imparfaits,  mais  ils  ne  sont 
pas  signes  naturels  et  nécessaires  ;  il  n'y 
a  de  signes  naturels  de  nos  idées,  que  nos 
actions. 

Demander  si  nous  pouvons  penser  sans 
signes  naturels,  c'est  donc  demander  si  nous 
pourrions  posséder  la  faculté  de  sentir, 
d'avoir  des  perceptions,  sans  celle  d'agir  et 
de  manifester  ces  perceptions  par  des  ac- 
tions. A  cela  il  est  impossible  de  répondre 
par  une  expérience  directe  ;  seulement  l'on 
peut  dire  que  la  faculté  de  sentir  et  celle 
d'agir  étant  distinctes,  l'on  peut  concevoir 
un  ordre  de  choses  tel,  que  les  mouvemens 
internes  qui  produisent  nos  perceptions  au- 
raient lieu,  quoique  nous  fussions  incapables 
de  tout  mouvement  apparent  qui  les  mani- 
festât, et  que  dans  ce  cas  nous  penserions 
effectivement,  mais  que  nos  connaissances 
seraient  bien  bornées.  Au  reste,  cette  solu- 
tion ne  jette  aucun  jour  sur  l'exercice  de 
notre  faculté  de  penser  telle  qu'elle  est,  et 
ne  fournit  aucun  moyen  de  déterminer 
jusqu'où  elle  irait  sans  l'usage  des  signes, 
dans  un  homme  constitué  comme  nous  le 
sommes. 


56o  IDÉOLOGIE. 

Demande-t-on ,  au  contraire ,  si  nous 
pouvons  penser  sans  signes  artificiels  et 
volontaires  ?  la  réponse  dépend  du  sens  que 
l'on  attache  au  mot  penser.  Pour  nous,  qui 
avons  donné  le  nom  d'idée  ou  de  perception 
généralement  à  tout  ce  que  nous  sentons , 
depuis  la  plus  simple  sensation  jusqu'à  l'idée 
la  plus  composée ,  et  qui  avons  appelé  pen- 
ser avoir  des  perceptions  quelconques,  et 
par  là  en  avons  fait  le  synonyme  de  sentir, 
la  question  n'en  est  pas  une;    car  il  est 
bien  manifeste  que    nous   sentons   avant 
d'avoir  des  signes  artificiels,  et  que  si,  pre- 
mièrement, nous  ne  sentions  rien,  nous 
n'aurions  ni  besoin  ni  moyen  d'instituer  au- 
cun signe.  Aussi  quand  quelques  idéolo- 
gistes  ont  prononcé  que  les  signes  sont 
absolument  nécessaires  pour  penser,  pour 
avoir  des  idées,  c'est  qu'ils  ne  comprenaient 
pas  sous  le  nom  d'idées  la  simple  sensation, 
ni  sous  celui  de  penser  l'action  de  percevoir 
cette  sensation  ;  ils  n'appelaient  proprement 
idées  que  ce  que  nous  avons  appelé  idées 
composées,  et  ils  ne  donnaient  le  nom  de 
penser  qu'à  l'action  de  combiner  nos  per- 
ceptions premières.  Dans  ce  sens  je  ne  m'é- 
loignerais pas  beaucoup  de  leur  avis;  mais 


CHAPITRE  XVII.  56l 

j'avoue  que  je  n'aime  pas  cette  façon  de 
s'exprimer,  car  je  ne  vois  pas  ce  que  peut 
être  l'action  de  percevoir  une  sensation, si 
elle  n'est  pas  une  des  opérations  particulières 
de  la  faculté  de  penser;  ni  ce  que  peut  être 
l'action  de  penser,  si  elle  n'est  pas  toujours 
celle  de  sentir,  modifiée  de  mille  manières. 
Dans  notre  langage  nous  devons  donc  dire , 
sans  hésiter,  que  nous  commençons  à  pen- 
ser avant  d'avoir  des  signes  artificiels. 

Il  n'est  pas  aussi  aisé  de  déterminer  pré- 
cisément jusqu'où  irait  notre  faculté  de  pen- 
ser si  elle  n'avait  le  secours  d'aucun  de  ces 
signes,  je  ne  vois  même  point  de  moyen  de 
le  savoir  avec  certitude;  mais,  d'après  tout 
ce  que  nous  avons  dit  précédemment,  il  n'y 
a  nul  doute  que  sans  les  signes  toutes  les 
réunions  que  nous  faisons  de  nos  idées  se- 
raient aussitôt  dissoutes  que  formées  ;  que 
les  rapports  que  nous  remarquons  entr'elles 
seraient  aussitôt  évanouis  que  perçus,  et 
que  par  conséquent  toutes  combinaisons 
ultérieures  nous  deviendraient  impossibles, 
et  nous  serions  toujours  arrêtés  dès  les  pre- 
miers pas  :  nous  en  avons  même  la  preuve 
directe  dans  l'impossibilité  où  nous  sommes 
de  faire  les  moindres  calculs  sans  noms  de 


562  IDÉOLOGIE. 

nombre.  Ainsinous  pouvons  prononceravec 
les  idéologistes  que  je  citais  tout  à  l'heure, 
que  sans  signes  nous  ne  penserions  presque 
pas. 

La  question  qui  suit  celle-là  dans  l'ordre 
naturel  des  idées,  est  encore  plus  délicate; 
c'est  de  savoir  jusqu'à  quelle  classe  d'idées 
et  à  quel  degré  de  combinaison  peut  nous 
conduire  chaque  espèce  de  signe.  Plusieurs 
auteurs  ont  décidé  qu'il  n'y  a  que  les  signes 
articulés,  les  mots,  qui  puissent  nous  éle- 
ver jusqu'aux  idées  abstraites  :  mais  je  crois 
que  cet  arrêt  mérite  examen.  D'abord  nous 
avons  vu  que  ces  opérations  qu'on  appelle 
abstraire  et  concraire  sont  toujours  réunies 
dans  la  formation  de  toute  idée  composée , 
et  que  l'une  n'est  pas  plus  difficile  que  l'autre  ; 
ensuite  nous  avons  observé  que  toute  idée 
qui  n'est  pas  individuelle  est  une  idée  abs- 
traite, car  il  n'existe  dans  la  nature  que  des 
individus;  enfin,  nous  savons  que  toute  per- 
ception de  rapport  est  aussi  une  idée  abs- 
traite, car  un  rapport  n'est  qu'une  vue  de 
l'esprit  et  non  pas  une  chose  existante  par 
elle-même.  Il  faudrait  donc,  dans  ce  système^ 
soutenir  que  sans  les  mots  nous  ne  pour- 
rions avoir  que  des  idées  individuelles,  ou 


Chapitre  xvii.  365 

même  que  nous  ne  pourrions  porter  aucun 
jugement  :  or,  j'avoue  que  cette  opinion  me 
semble  impossible  à  défendre,  et  qu'au  con- 
traire il  me  paraît  prouvé  en  rigueur  qu'il  a 
fallu  avoir  porté  beaucoup   de  jugemens 
avant  d'avoir  créé  un  seul  signe  articulé. 
D'ailleurs  je  ne  vois  pas  pourquoi  un  geste 
ou  un  cri  n'exprimeraient  pas  une  idée  abs- 
traite tout  comme  un  mot  :  nous  en  voyons 
même  tous  les  jours  des  exemples;  et  quoi- 
que ces  exemples  se  trouvent  dans  les  gestes 
des  gens  qui  ont  déjà  l'usage  des  signes  ar- 
ticulés, ils  n'en  prouvent  pas  moins  par  le 
fait  que  la  chose  est  possible.  Je  pense  donc, 
sur  la  question  proposée,  que  les  signes  ar- 
tificiels ,   de  quelque  genre  qu'ils  soient, 
peuvent  représenter  et  constater  des  idées 
de  toute  espèce,  et  que  le  degré  de  com- 
plication des  idées  qu'ils  nous  mettent  à 
même  de  former,  et  des  combinaisons  quïls 
nous  donnent  la  possibilité  d'en  faire ,  ne  dé- 
pend pas  de  la  nature  même  des  signes, 
mais  de  leur  degré  de  perfection ,  qui  les 
rend  capables  d'exprimer  des  nuances  plus 
ou  moins  fines,  et  de  constater  des  analyses 
plus  ou  moins  délicates. 
Cette  dernière  observation  commence  à 


564  IDÉOLOGIE. 

nous  faire  entrer  plus  avant  dans  notre  su- 
jet. Il  s'agirait  actuellement  de  rechercher 
dans  tout  langage  quelconque  jusqu'à  quel 
degré  de  connaissance  nous  conduirait  cha- 
que degré  de  perfection  des  signes  qui  le 
composent  :  mais  cette  entreprise  est  évi- 
demment impossible  à  exécuter-  il  ne  fau- 
drait rien  moins  que  refaire,  depuis  leur 
origine,  tous  les  systèmes  de  signes  imagi- 
nables ;  et,  quand  cela  se  pourrait,  il  serait 
encore  impossible  de  juger  les  effets  des 
différens  états  de  ces  systèmes  de  signes  que 
nous  ne  sommes  pas  habitués  à  employer. 
Les  divers  degrés  de  perfection  des  langues 
parlées  sont  moins  difficiles  à  reconnaître  et 
à  apprécier  :  nous  pouvons,  jusqu'à  un  cer- 
tain point,  nous  représenter  ce  qae  serait 
une  de  ces  langues,  d'abord  si  on  lui  ôtait 
toute  conjugaison  et  toute  déclinaison  ;  puis 
si  on  la  privait  successivement  d'articles, 
de  pronoms,  de  prépositions,  de  conjonc- 
tions, etc. ;  et  enfin  si,  réduite  à  des  substan- 
tifs et  des  verbes  invariables,  on  retranchait 
encore  de  ces  mots  tous  les  dérivés  et  les 
composés,  et  qu'on  ne  conservât  que  les 
primitifs.  Nous  ne  saurions,  il  est  vrai, 
même  dans  ce  cas,  répondre  encore  pleine- 


CHAPITRE   XVIt.  565 

ment  à  la  question  proposée,  et  assigner 
avec  justesse  le  degré  précis  de  connais- 
vsance  auquel  nous  conduirait  cette  langue 
dans  ces  différens  états;  mais  nous  voyons 
clairement  qu'après  chacun  de  ces  retran- 
chemens  successifs  elle  deviendrait  toujours 
plus  difficile  à  manier,  moins  capable  de  nous 
guider  dans  l'acte  du  raisonnement,  moins 
propre  à  rapprocher  nos  idées  les  unes  des 
autres,  à  les  combiner,  à  les  réunir  sous 
tous  les  aspects  dont  nous  avons  besoin,  à 
constater  des  différences  légères  entr'elles  ; 
et  qu'enfin ,  dans  le  dernier  état  où  nous  la 
mettons,  elle  ne  pourrait  plus  représenter 
que  quelques  groupes  principaux  d'idées 
fortement  distincts  entr'eux,  et  donner  lieu 
qu'à  quelques  jugemens  très-grossiers  et 
presque  palpables  que  nous  en  porterions. 
Elle  est  alors,  malgré  les  avantages  des 
signes  articulés,  réellement  inférieure  à  un 
système  de  gestes  qui  serait  perfectionné; 
Cependant    ce  dernier  état   auquel  nous 
l'avons  réduite  est  l'état  primitif  de  cette 
langue  parlée  et  de  toute  autre.  Un  langage 
quelconque  ne  peut  jamais  avoir  plus  de 
signes  que  ceux  qui  l'instituent  n'ont  d'idées  : 
il  en  a  d'abord  très-peu.  Ce  petit  nombre 


366  IDÉOLOGIE. 

de  signes  aide  à  travailler  ce  petit  nombre 
d'idées;  il  y  fait  découvrir  de  nouvelles  cir- 
constances, de  nouvelles  vues  qui  font  sen- 
tir le  besoin  de  nouveaux  signes  pour  les 
exprimer;  et  ces  nouveaux  signes  servent 
à  apercevoir  de  nouvelles  combinaisons 
qu'il  faut  encore  représenter.  C'est  ainsi 
que  le  langage  satisfait  d  abord  les  besoins 
de  la  pensée,  puis  lui  en  fait  contracter  de 
nouveaux  en  favorisant  sonaction,  et  qu'al- 
ternativement l'idée  fait  naître  le  signe,  et 
le  signe  fait  naître  l'idée.  Ce  sont  ces  innom- 
brables actions  et  réactions  successives  qu'il 
faudrait  pouvoir  saisir  pour  être  en  état  de 
répondre  pleinement  à  la  question  que  nous 
nous  sommes  proposée  au  commencement 
de  ce  paragraphe  :  elle  est  donc  absolument 
insoluble  dans  ses  détails.  Mais  nous  voyons 
bien  en  masse  que  les  connaissances  et  les 
langages  marchent  toujours  de  front;  que 
le  niveau  se  rétablit  à  chaque  instant  entre 
l'idée  et  le  signe,  et  que  par  conséquent  la 
langue  la  plus  perfectionnée  est  toujours 
celle  employée  par  les  bommes  les  plus 
éclairés  ;  et  si  elle  n'est  pas  plus  parfaite , 
c'est  parce  que  leurs  idées  ne  sont  pas  plus 
avancées. 


CHAPITRE  XVH.  567 

Je  dis  que  les  connaissances  et  les  langues 
marchent  toujours  de  front,  et  que  dans 
cette  marche  progressive  le  niveau  se  ré- 
tablit à  chaque  instant  entre  l'idée  et  le  signe. 
Cela  n'est  vrai  toutefois  qu'autant  que  le 
signe  est  de  nature  à  se  bien  prêter  à  ces 
accroissemens  et  à  ces  modifications  suc- 
cessives :  or,  je  crois  que  c'est  une  propriété 
quin'appartientcomplètementqu'aux  signes 
articulés;  et  je  suis  persuadé  que  tous  les 
autres  systèmes  de  signes  qui  sont  étendus, 
perfectionnés,  raffinés  à  un  certain  point  5 
si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  ne  l'ont  point 
été  par  leur  vertu  propre,  par  l'action  di- 
recte des  idées  sur  eux,  mais  ont  été  com- 
posés par  des  hommes  qui  avaient  l'usage 
des  signes  articulés ,  dont  l'esprit  avait  été 
développé  par  ces  signes,  et  qui  ont  com- 
posé d'autres  langages  sur  celui-là  et  d'après 
celui-là  (x);  en  un  mot  que  ces  systèmes  de 
signes  ne  sont  que  des  traductions  d'un  sys- 
tème de  signes  articulés,  et  non  pas  des 
ouvrages  originaux  composés  directement 

(1)  C'est  ainsi  que  tous  les  instituteurs  des  sourds 
et  muets  ont  composé  leurs  systèmes  de  gestes  plus  ou 
moins  bien ,  suivant  leur  plus  ou  moins  de  connais- 
sance de  la  formation  des  langues  et  de  celle  des  idées. 


568  IDEOLOGIE. 

d'après  les  idées  elles-mêmes.  Cette  ré- 
flexion nous  amène  naturellement  à  l'exa- 
men des  qualités  particulièrement  propres 
aux  signes  articulés  ;  examen  important , 
puisque  ces  signes  prédominent  universelle- 
ment dans  l'usage  ordinaire,  qu'évidem- 
ment ce  sont  eux  qui  ont  provoqué,  dirigé, 
et  fixé  la  marche  générale  de  l'esprit  humain 
dans  ses  combinaisons  et  dans  ses  recher- 
ches ,  et  que  leur  histoire  est  en  même  temps 
celle  de  nos  idées  et  de  nos  raisonnemens. 
Encore  une  fois,  la  grammaire,  l'idéologie, 
et  la  logique,  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
chose  :  je  ne  connais  point  de  moyen  de  sé- 
parer ces  trois  sciences  dès  qu'une  fois  on 
sait  ce  qu'elles  sont. 

Le  premier  avantage  des  signes  articulés 
est  de  marquer,  de  constater  facilement  des 
nuances  très-nombreuses  et  très-fines ,  et 
par  conséquent  d'exprimer  distinctement 
des  idées  très-multipliées  et  très -voisines 
les  unes  des  autres.  Mais  cet  avantage  ne 
leur  est  pas  exclusivement  propre;  je  crois 
qu'il  serait  téméraire  de  prononcer  que  des 
gestes  (1)  ne  sont  pas  susceptibles  de  com- 


(i)  Je  ne  parle  point  ici  des  figures  tracées,  parce 

binais  ons 


CHAPITRE  XVII.  069 

binaisons  aussi  variées  et  aussi  distinctes 
que  les  sons  articulés  :  ainsi,  à  cet  égard,  je 
ne  vois  pas  à  ces  derniers  une  supériorité 
assez  marquée  pour  être  la  cause  de  la  pré- 
férence universelle  qu'ils  ont  obtenue. 

Je  pense  qu'elle  est  due ,  premièrement , 
à  ce  qu'il  est  dans  la  nature  de  l'homme  de 
produire  des  sons  quelconques  dès  qu'il  est 
affecté  :  c'est  un  effet  si  nécessaire  de  notre 
organisation,  qu'il  a  lieu  même  malgré  nous; 
et  ces  sons  sont  tels,  qu'ils  peignent  très-bien 
nos  diverses  affections,  ce  qui  les  en  rend 
les  signes  naturels  les  plus  certains  et  les 
plus  distincts.  Secondement,  à  ce  que  de 
tous  les  signes  artificiels  dérivant  directe- 
ment des  signes  naturels ,  les  sons  sont  les 
plus  commodes  à  employer;  ils  n'exigent  ni 
espace  ni  liberté  de  ses  membres  comme  les 
gestes  et  les  attouchemens  :  dans  quelque 
position  que  l'on  soit,  estropié,  malade, 
agissant,  on  peut  produire  ces  signes;  on 

que  ce  sont  des  systèmes  de  signes  artificiels  secon- 
-daires  qui  n'ont  pu  être  composés  que  d'après  les 
signes  artificiels  primitifs  qui  dérivent  immédiate- 
ment des  signes  naturels. 

Ces  signes  secondaires  ne  sont  que  des  traductions 
des  signes  primitifs. 

Aa 


570  IDÉOLOGIE. 

les  entend  de  même  de  jour  comme  de  nuit, 
de  loin  comme  de  près,  sans  se  déranger, 
sans  se  tourner  vers  eux,  sans  s'en  occuper, 
sans  même  le  vouloir. 

Ces  deux  propriétés  qu'ont  les  sons  d'être 
les  plus  naturels  et  les  plus  commodes  de 
tous  les  signes,  font  que  de  tous  ils  sont 
ceux  qui  nous  deviennent  les  plus  profon- 
dément habituels  par  l'usage,  et  qui  se  lient 
et  s'unissent  le  plus  intimement  en  nous  aux 
idées  qu'ils  représentent  (1).  Or,  si  nous 
nous  rappelons  ce  que  nous  avons  dit  et 
des  effets  de  l'habitude  et  de  l'effet  principal 
des  signes ,  nous  sentirons  que  cet  avantage 
est  immense,  et  suffit  seul  pour  les  faire 
préférer  universellement,  et  pour  que  ce 
soit  eux  qui  secourent  le  plus  efficacement 
les  opérations  de  l'intelligence  humaine. 

Les  sons  cependant  ont  encore  une  pro- 
priété très-précieuse,  c'est  de  pouvoir  de- 
venir des  signes  permanens.  Au  moyen  de 

(1)  Une  autre  circonstance  qui  contribue  puis- 
samment à  produire  cet  effet,  c'est  l'intime  corres- 
pondance qui  existe  entre  l'organe  vocal  et  l'organe 
auditif. 

M.  Maine-Biran  a  eu  grande  raison  d'en  faire  la 
remarque  dans  l'ouvrage  ci-dessus  cité. 


CHAPITRE   XVII.  D7I 

l'écriture,  ils  demeurent  iixéssous  nos  yeux 
comme  les  hiéroglyphes ,  les  dessins  et  tous 
les  autres    signes    durables  ,    et  peuvent 
comme  eux  réveiller  en  nous  à  tout  instant 
les  idées  dont  ils  nous  ont  affectés  passa*- 
gérement,  et  nous  rappeler  celles  que  nous 
pourrions  avoir  oubliées  et  qui  servent  de 
liaison  nécessaire    aux    autres.   Voulons- 
nous  apprécier  l'importance  de  cet  effet? 
pensons  à  la   différence    de    l'impression 
que  dit  sur  nous   un   ouvrage  en    l'en- 
tendant lire,  ou  en  le  lisant  nous-mêmes, 
sur-tout  si  le  raisonnement  est  un  peu  serré, 
ou  si  le  sujet  ne  nous  est  pas  familier.  Je 
pourrais  bien  citer  un  exemple  encore  plus 
frappant,  c'est  la  différence  qu'il  y  a  entre 
calculer  de  tête  et  calculer  par  écrit  ;  mais 
dans  ce  cas,  il  faut  attribuer  la  plus  grande 
partie  de  cette  différence  à  celle  qui  existe 
entre  la  langue  des  noms  de  nombre  et  la 
langue  des  chiffres;  ces  derniers  représen- 
tant par  leurs  places  seules  une  multitude 
de  rapports,  c'est-à-dire  de  jugemens  que 
n'expriment  pas  les  noms  même  écrits.  Je 
m'en  tiens  donc  au  premier  fait;  il  suffit 
pour  prouver  l'utilité  des  signes  permanens, 
à  ne  considérer  même  que  leur  effet  actuel , 

Aa  2 


572  IDÉOLOGIE. 

et  sans  parler  de  la  propriété  qu'ils  ont  en- 
core de  conserver  pour  d'autres  temps  et 
d'autres  lieux  des  suites  d'idées  qui  sans  eux 
seraient  impossibles  à  perpétuer  et  à  trans- 
porter. Les  sons,  au  moyen  de  l'écriture, 
acquièrent  donc  tous  ces  avantages ,  et  seuls, 
entre  tous  les  signes  passagers,  ils  ont  cette 
prérogative;  car  tous  les  signes  quelconques 
peuvent  bien  être  traduits,  mais  nuls,  ex- 
cepté les  sons,  ne  peuvent  être  écrits.  Pour 
que  vous  entendiez  bien  ceci,  jeunes  gens , 
il  faut  que  je  vous  fasse  voir  nettement  en 
quoi  consiste  l'opération  de  traduire  et  celle 
d'écrire.  J'ai  commencé  à  vous  en  donner 
une  idée  lorsque  je  me  suis  refusé  à  regarder 
les  alphabets  comme  des  langues,  et  les  ca- 
ractères alphabétiques  comme  des  signes  (1); 
mais  cela  ne  suffit  pas ,  et  c'est  ici  le  lieu  de 
compléter  cette  explication. 

Traduire  est  une  opération  par  laquelle 
on  unit  aux  signes  d'un  langage  les  idées  qui 
étaient  jointes  à  ceux  d'un  autre  langage;  à 
une  première  association  elle  en  substitue 
une  seconde,  et  par  conséquent  elle  néces- 
site de  les  avoir  toutes  deux  présentes  à  la 

(1)  Voyez  page  3i2. 


CHAPITRE  XVII.  575 

fois  à  l'esprit.  Cette  opération  a  lieu  toutes 
les  fois  que  nous  transportons  nos  idées 
d'une  de  nos  langues  parlées  dans  une  au- 
tre 3  mais  elle  n'a  pas  moins  lieu  quand  nous 
exprimons  des  signaux  par  des  gestes ,  des 
gestes  par  des  hiéroglyphes  ou  autres  fi- 
gures, ces  figures  par  des  mots,  ou  seule- 
ment quand  nous  substituons  un  système  de 
signes  de  chacune  de  ces  espèces  à  un  autre 
système  de  la  même  espèce  :  en  général,  il 
y  a  traduction  dès  que  nous  mettons  un 
langage  à  la  place  d'un  autre.  Cette  opéra- 
tion de  traduire  se  fait  également  dans  nos 
têtes,  soit  que  nous  émettions  des  idées, 
soit  que  nous  les  recevions,  dès  que  la  lan- 
gue dans  laquelle  nous  les  recevons  ou  les 
émettons  n'est  pas  celle  avec  laquelle  nous 
les  formons,  celle  à  laquelle  elles  sont  in- 
timement liées  en  nous.  La  peine  qu'elle 
nous  coûte  est  exactement  proportionnée 
au  plus  ou  moins  d'habitude  que  nous  avons 
d'associer  nos  idées  aux  signes  de  la  langue 
dans  laquelle  ou  de  laquelle  nous  traduisons  : 
si  cette  seconde  langue  pouvait  nous  être 
aussi  familière  que  celle  dans  laquelle  nous 
pensons,  si  nos  idées  pouvaient  être  égale- 
ment liées  aux  signes  de  l'une  et  de  l'autre, 


574  IDÉOLOGIE, 

si  enfin  nous  pensions  indifféremment  dans 
toutes  deux,  la  peine  de  la  traduction  serait 
nulle,  ou  plutôt  il  n'y  aurait  pas  traduction. 
Mais  je  ne  crois  pas  que  cette  parfaite  éga- 
lité puisse  exister  dans  une  tête  humaine;  et 
si  elle  a  lieu,  ce  ne  peut  être  qu'entre  deux 
langues  parlées,  entre  deux  systèmes  de 
signes  vocaux  :  car  nous  avons  vu  qu'au- 
cune autre  espèce  de  signes  ne  peut  devenir 
aussi  profondément  habituelle  que  les  sons. 
L'opération  de  traduire  dérange  donc  tou- 
jours la  liaison  de  nos  idées  à  certaines  sen- 
sations. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'action  de  lire 
et  d'écrire.  L'effet  de  l'écriture  est  de  nous 
rappeler  un  son  fugitif  par  le  moyen  d'un 
signe  durable.  Si  les  hommes  étaient  rai- 
sonnables, il  n'y  aurait  qu'un  alphabet  pour 
toutes  les  langues  parlées ,  et  dans  cet  al- 
phab  t  qu'un  caractère  pour  chaque  voix  et 
chaque  articulation  :  tout  le  reste  n'est  qu'un 
amas  de  variantes  inutiles.  Il  n'y  a  nulle  rc- 
lation  ('irecte  entre  le  caractère  et  l'idée; 
aussi,  pour  écrire  ou  lire  des  mots,  abstrac- 
tion faile  des  irrégularités  de  l'orthographe, 
il  n'est  pas  nécessaire  d'en  comprendre  le 
sensj  il  suilit  de  savoir  que  tel  caractère  ré- 


CHAPITRE   XVII.  576 

pond  à  tel  son  :  dès  que  cela  est  connu  ,  la 
sensation  visuelle  réveille  le  souvenir  de  la 
sensation  orale,  et  voilà  tout.  C'est,  si  l'on 
veut,  une  traduction  ou  plutôt  une  transla- 
tion du  signe,  mais  non  pas  une  traduction 
de  l'idée;  ce  qui  est  bien  différent,  puisque 
cela  ne  dérange  pas  la  liaison  habituelle 
entre  telle  idée  et  telle  sensation ,  le  mot  écrit 
ne  faisant  encore  une  fois  que  rappeler  le 
mot  prononcé  et  rien  de  plus.  Vous  voyeç 
donc  que  les  caractères  alphabétiques  ou 
syllabiques  ne  sont  que  des  signes  de  signes , 
et  non  des  signes  d'idées,  et  qu'à  parler 
exactement ,  eux  seuls  méritent  le  nom 
d'écriture.  Tous  les  autres  caractères  étant 
des  signes  d'idées,  forment  de  vraies  langues 
qu'on  peut  traduire  dans  une  langue  parlée 
comme  dans  toute  autre ,  mais  qu'on  ne  sau- 
rait lire,  dans  le  sens  rigoureux  du  mot;  la 
preuve  en  est  qu'on  ne  peut  les  prononcer 
sans  les  comprendre,  tout  comme  en  sens 
contraire  on  ne  peut  écrire  des  gestes  sans 
savoir  ce  qu'ils  signifient. 

J'ai  donc  eu  raison  d'avancer  qu'il  n'y  a 
que  les  signes  vocaux  qui  puissent  être  écrits 
et  lus,  et  que  par  conséquent  seuls  entre 
tous  les  signes  passagers,  ils  ont  la  propriété 


576  IDÉOLOGIE. 

de  devenir  permanens  sans  cesser  d'être 
eux-mêmes  ;  ainsi  ,  outre  qu'ils  sont  très- 
variés  et  très-distincts,  ils  sont  de  beaucoup 
les  plus  naturels  et  les  plus  commodes  à 
employer  ;  ces  deux  circonstances  les  ren- 
dent habituels  à  un  point  dont  nulle  autre 
espèce  de  signes  ne  peut  approcher  r  de 
plus,  ils  deviennent  permanens  quand  on  le 
veut,  ce  qui  accroît  beaucoup  leur  utilité;  et 
alors  ils  frappent  deux  sens  au  lieu  d'un,  ce 
qui  augmente  encore  extrêmement  la  force 
de  leur  liaison  avec  les  idées. 

En  voilà  plus  qu'il  n'en  faut ,  je  pense ,  pour 
rendre  raison  de  la  préférence  universelle 
que  l'on  a  donnée  aux  signes  vocaux,  pour 
montrer  quil  n'y  a  aucune  comparaison  à 
faire  entre  cette  espèce  de  signes  et  toute 
autre,  et  pour  prouver  qu'eux  seuls  ont  effi- 
cacement secouru  l'intelligence  humaine  ; 
et  que,  dans  l'intention  de  connaître  l'in- 
fluence des  signes  sur  la  formation  de  nos 
idées ,  ce  sont  ceux-là ,  exclusivement  à  tous 
les  autres,  qu'il  nous  faut  étudier.  Nous  au- 
rons donc  tout  ce  qu'il  peut  être  intéressant 
de  savoir  de  i'histoire  des  signes,  en  traitant 
celle  des  sons  articulés  :  c'est  aussi  à  quoi  je 
me  bornerai  dans  la  seconde  partie  de  cet 


chapitre  xvrr.  577 

ouvrage,  et  ma  Grammaire  ne  sera  guère 
que  l'analyse  des  langues  parlées,  quoiqu'elle 
soit  la  grammaire  de  tous  les  langages.  En 
examinant  les  différentes  espèces  de  mots 
dont  ces  langues  sont  composées,  et  les  lois 
de  leur  formation  et  de  leur  réunion ,  nous 
verrons  plus  en  détail  comment  elles  diri- 
gentnotre  intelligence.  En  attendant,  je  crois 
que  nous  pouvons  nous  en  tenir  aux  ré- 
flexions précédentes,  et  terminer  ici  ce  que 
nous  avions  à  dire  des  effets  généraux  des 
signes  et  des  effets  particuliers  de  certains 
signes  sur  la  formation  de  nos  idées  :  il  nous 
reste  à  les  considérer  comme  moyen  de 
transmettre  ces  mêmes  idées  à  d'autres. 

Quelqu'importante  que  soit  cette  seconde 
propriété  ,  nous  ne  nous  y  arrêterons  pas 
long-temps  ;  les  conséquences  qui  en  résul- 
tent sont  si  frappantes,  qu'il  suffira  de  les  in- 
diquer, ou  plutôt  nous  n'aurons  presque 
qu'à  recueillir  ce  que  nous  en  avons  déjà  dit 
en  différens  endroits.  Il  est  aisé  de  voir  que 
cette  propriété  qu'ont  les  signes  d'être  un 
moyen  de  communication  avec  nos  sem- 
blables ,  est  l'origine  de  toutes  nos  relations 
sociales,  et  par  conséquent  a  donné  nais- 
sance à  tous  nos  senlimens  et  à  toutes  nos 


SyS  IDÉOLOGIE. 

jouissances  morales.  Il  n'est  pas  moins  évi- 
dent que  sans  elle  chaque  homme  serait 
réduit  à  ses  forces  individuelles  pour  agir  et 
p  vur  connaître  ;  et  nous  avons  déjà  observé 
que  dans  cet  isolement  forcé  il  resterait  fort 
au-dessous  des  sauvages  les  plus  stupides, 
car  les  plus  bruts  d'entr'eux  doivent  encore 
beaucoup  d'idées  à  l'état  de  société;  même 
les  animaux  sont,  jusqu'à  un  certain  point , 
instruits  par  leurs  semblables,  et  ne  sont  pas 
tout-à-fait  livrés  à  leur  seule  expérience  per- 
sonnelle. Enfin,  quand  on  voudrait  beau- 
coup étendre  la  possibilité  du  développe- 
ment intellectuel  de  chaque  individu ,  au 
moins  serait-on  toujours  obligé  de  convenir 
que  ses  progrès  seraient  perdus  pour  l'es- 
pèce, et  que  le  genre  humain  serait  con- 
damné à  une  éternelle  enfance. 

Il  n'est  donc  pas  douteux  que  nous  devons 
tout  ce  que  nous  sommes  à  la  possibilité  de 
communiquer  avec  nos  semblables  ;  la  seule 
chose  qui  mérite  examen ,  c'est  de  savoir 
comment  cette  communication  d'idées  agit 
sur  nous;  mais  il  n'est  peut-être  pas  si  aisé 
de  s'en  rendre  raison  qu'il  le  paraît  d'abord. 
En  eflêt,  on  voit  bien  au  premier  coup-d'œil 
qu'il  est  plus  facile  d'apprendre  une  ch^se 


CHAPITRE   XVII.  579 

que  de  l'inventer,  et  que  dès  que  les  hommes 
peuvent  se  transmettre  leurs  idées  les  uns 
aux  autres,  ils  profitent  tous  des  observa- 
tions et  des  réflexions  de  chacun  d'eux,  et 
il  semble  que  dès -lors  tout  est  expliqué. 
Cependant  on  sait  qu'une  idée  toute  faite 
est  une  chose  absolument  intransmissible  ; 
que  pour  en  avoir  réellement  la  conscience, 
lorsqu'on  entend  ou  que  l'on  voit  le  signe 
qui  la  représente,  il  faut  nécessairement,  si 
c'est  une  simple  sensation,  l'avoir  éprouvée  ; 
la  preuve  en  est  qu'on  parlerait  éternelle- 
ment de  couleurs  à  un  aveugle-né,  qu'il  ne 
saurait  jamais  ce  dont  il  s'agit.  Si  c'est  une 
idée  composée,  il  faut  avoir  connu  et  rap- 
proché tous  les  élémens  qui  la  composent; 
il  est  évident  que  sans  cela  nous  ne  connais- 
sons pas  la  signification  d'un  mot,  et  que 
c'est  ce  qu'on  nous  fait  faire  plus  ou  moins 
bien  quand  on  nous  le  définit.  Enfin,  si  cette 
idée  est  un  jugement ,  la  proposition  qui  l'ex- 
prime est  vide  de  sens  pour  nous,  n'est  qu'un 
vain  bruit,  comme  celui  d'une  langue  étran- 
gère ,  si  nous  ne  connaissons  pas  ses  deux 
termes,  si  nous  n'avons  pas  fait  sur  chacun 
d'eux  les  opérations  que  nous  venons  de 
décrire ,  et  si  ensuite  nous  ne  faisons  pas 


5SO  IDÉOLOGIE. 

nous-mêmes  l'acte  de  la  pensée  qui  consiste 
à  percevoir  le  rapport  énoncé  entr'eux. 
Tout  cela  est  incontestable,  et  pourtant, 
quand  on  y  songe,  on  est  tenté  d'en  tirer 
une  conséquence  toute  contraire  à  celle  qui 
paraissait  évidente  tout-à-1'heure,  et  de 
croire  que  les  signes  émis  par  un  autre  ne 
nous  épargnent  aucune  difficulté ,  puisqu'il 
faut  que,  pour  les  comprendre,  notre  intel- 
ligence fasse  les  mêmes  opérations  que  pour 
former  les  idées  qu'ils  expriment.  C'est  ainsi 
que  presque  tous  les  phénomènes  idéolo- 
giques renferment  des  circonstances  si  mul- 
tipliées et  si  diverses,  que  l'on  en  porte  des 
jugemens  tout  différens  suivant  l'aspect  sous 
lequel  on  les  a  envisagés ,  et  que  pour  les 
connaître  réellement  il  faut  les  avoir  con- 
sidérés sous  toutes  leurs  faces.  Dans  le  cas 
présent,  il  y  a  un  milieu  à  prendre  entre  les 
deux  extrêmes;  d'une  part,  il  n'est  pas  dou- 
teux que  chacun  n'a  que  les  idées  qu'il  s'est 
faites,  et  que  personne  ne  peut  penser  pour 
un  autre  :  mais ,  de  l'autre,  il  n'est  pas  moins 
certain  que  chacun  agit  et  réfléchit  de  son 
côté,  et  qu'il  fait  part  aux  autres  des  impres- 
sions que  ses  actions  lui  ont  procurées  et 
des  combinaisons  qu'il  en  a  faites.  Les  pre- 


CHAPITRE  XVII.  58l 

miers  élémens  de  ces  résultats  et  de  ces 
combinaisons  sont  bien  connus  des  hommes 
à  qui  il  s'adresse,  puisque  ce  sont  les  sensa- 
tions communes  à  tous;  c'est  même  à  cause 
de  cela  qu'il  est  compris  par  eux,  et  à  cet 
égard  il  ne  leur  apprend  rien  ;  mais  les  com- 
binaisons de  ces  premiers  élémens,  les  con- 
séquences qu'on  en  peut  tirer,  les  analyses 
qu'on  en  peut  faire  sont  infiniment  variées: 
la  plupart  ne  pourraient  avoir  lieu  sans  cer- 
taines circonstances.  Il  s'en  faut  donc  pro- 
digieusement que  toutes  puissent  se  présen- 
ter à  tous;  au  lieu  que,  par  le  bienfait  de  la 
communication  des  idées,  chacun  se  trouve 
agir,  réfléchir  et  choisir  pour  tous;  tout  ce 
qui  est  découvert  devient  un  bien  commun, 
source  de  nouveaux  progrès,  et  le  tout  est 
exprimé  et  consigné  par  les  signes  qu'on 
invente  à  mesure,  et  par  les  associations  du- 
rables qu'on  en  fait.  C'est  ainsi,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit,  que,  dans  les  premières 
années  de  notre  existence,  en  recevant  les 
impressions  de  tout  ce  qui  nous  frappe  et 
étudiant  les  signes  de  tous  ceux  qui  nous 
entourent,  nous  apprenons  les  quatre-vingt- 
dix-neuf  centièmes  de  toutes  les  idées  qui 
sont  jamais  entrées  dans  la  tête  des  hommes, 


582  IDÉOLOGIE. 

et  nous  sommes  tout  de  suite  à  même  d'en 
faire  des  combinaisons  innombrables  et 
nouvelles. 

Ces  dernières  réflexions  nous  rappellent 
celles  de  ce  genre  que  nous  avons  faites  dans 
les  chapitres  VI,  XIV  et  XV,  en  parlant  de 
la  formation  de  nos  idées  composées,  des 
effets  de  l'habitude  et  du  perfectionnement 
de  nos  facultés;  car  tous  ces  objets  se  tien- 
nent et  toutes  les  parties  de  ce  traité  se  cor- 
respondent et  s'expliquent  l'une  l'autre.  Il 
est  même  nécessaire  d'avoir  présent  à  l'es- 
prit ce  que  nous  avons  dit  sur  ces  sujets, 
pour  comprendre  réellement  ce  que  nous 
venons  de  dire  sur  les  propriétés  et  les  effets 
des  signes,  et  ce  qui  nous  reste  à  dire  sur 
leurs  inconvéniens.  C'est  par  là  que  nous 
allons  terminer  leur  histoire. 

Quelque  grands  que  soientles  a  van  ta  ges  des 
signes,  il  faut  convenir  qu'ils  ontdes  inconvé- 
niens; et  si  nous  leur  devons  presque  tous 
les  progrès  de  notre  intelligence,  je  les  crois 
aussi  la  cause  de  presque  tous  ses  écarts. 
D'abord  nous  avons  déjà  remarqué  que 
quand  une  fois  l'usage  des  signes  est  intro- 
duit entre  les  hommes,  nous  n'en  inventons 
presque  plus,  nous  n'en  faisons  plus  d'après 


CHAPITRE  XVI r.  585 

nos  idées  propres,  nous  les  recevons  tout 
faits  de  ceux  qui  s'en  servent  avant  nous , 
et  nous  avons  presque  toujours  la  percep- 
tion du  signe  avant  celle  de  l'idée  qu'il  est 
destiné  à  représenter.  A  la  vérité,  ce  signe 
n'a  aucune  signification  pour  nous  avant 
que  nous  ayons  acquis  la  connaissance  per- 
sonnelle de  cette  idée  ;  mais  lorsque  l'idée 
est  fort  composée,  et  c'est  le  plus  grand 
nombre ,  cette  connaissance  est  souvent 
difficile  à  se  procurer;  elle  exige  un  travail 
long ,  qui  ordinairement  reste  imparfait. 
Nous  pouvons  rarement  y  parvenir  par  des 
expériences  directes;  nous  sommes  réduits 
le  plus  souvent  à  des  conjectures,  à  des  in- 
ductions, à  des  approximations;  enfin,  nous 
n'avons  presque  jamais  la  certitude  parfaite 
que  cette  idée,  que  nous  nous  sommes  faite 
souscesigne  par  ces  moyens,soit  exactement 
et  en  tout  la  même  que  celle  à  laquelle  at- 
tachent ce  même  signe,  celui  qui  nous  l'a 
appris  et  les  autres  hommes  qui  s'en  servent. 
De  là  vient  souvent  que  des  mots  prennent 
insensiblement  des  significations  différentes, 
suivant  les  temps  et  les  lieux,  sans  que  per- 
sonne se  soit  aperçu  du  changement  :  ainsi 
il  est  vrai  de  dire  que  tout  signe  est  parfait 


584  IDÉOLOGIE. 

pour  celui  qui  l'invente ,  mais  qu'il  a  toujours 
quelque  chose  de  vague  et  d'incertain  pour 
celui  qui  le  reçoit  ;  or,  c'est  le  cas  où  nous 
sommes  presque  toujours.  C'est  donc  avec 
cette  imperfection  que  nous  y  attachons  nos 
idées,  et  qu'ensuite  nous  les  manifestons. 
Il  y  a  plus;  je  viens  d'accorder  que  tout 
signe  est  parfait  pour  celui  qui  l'invente, 
mais  cela  n'est  rigoureusement  vrai  que 
dans  le  moment  où  il  l'invente ,  car  quand 
il  se  sert  de  ce  même  signe  dans  un 
autre  temps  de  sa  vie,  ou  dans  une  autre 
disposition  de  son  esprit,  il  n'est  point  du 
tout  sûr  que  lui-même  réunisse  exactement 
sous  ce  signe  la  même  collection  d'idées  que 
la  première  fois  ;  il  est  même  certain  que 
souvent,  sans  s'en  apercevoir,  il  y  en  a 
ajouté  de  nouvelles ,  et  a  perdu  de  vue  quel- 
ques-unes des  anciennes.  Ainsi,  lorsque  j'ap- 
prends le  mot  amour  et  celui  de  mer,  sans 
avoir  ressenti  l'un  ni  vu  l'autre ,  je  leur 
adapte  à  chacun  un  groupe  d'idées  formé 
par  conjectures,  qui  ne  peut  manquer  de 
différer  de  la  réalité;  lorsqu'ensuite  j'ai  res- 
senti \  amour  oX  vu  la  mer,  j'assemble  sous 
ces  mots  une  foule  de  perceptions  réelle- 
ment éprouvées,  mais  je  ne  suis  pas  du  tout 

sûr 


CHAPITRE  xvir.  585 

sur  qu'elles  soient  exactement  les  mêmes 
que  celles  éprouvées  par  celui  qui  m'a  ap- 
pris ces  mots-  et  enfin,  ni  moi  ni  celui-là 
même  qui  m'a  enseigné  l'usage  de  ces  mots, 
ne  sommes  sûrs  qu'au  bout  d'un  certain 
temps  ils  réveillent  en  nous  les  mêmes  per- 
ceptions, dans  le  même  nombre,  et  avec  les 
mêmes  accessoires;  ou  plutôt  nous  sommes 
certains  que  l'âge,  les  circonstances,  les 
évènemens,  les  dispositions  morales  et 
physiques ,  les  effets  des  habitudes  les  ont 
nécessairement  altérés,  ensorte  que  réelle- 
ment et  inévitablement,  le  même  signe  nous 
donne  d'abord  une  idée  très- imparfaite  ou 
même  tout-à-fait  chimérique,  ensuite  une 
idée  différente  de  celle  des  autres  hommes 
qui  emploient  aussi  ce  signe ,  et  enfin  une 
idée  souvent  fort  éloignée  de  celle  que  nous 
y  avons  attachée  nous-mêmes  dans  un  au- 
tre moment. 

L'observation  de  ces  trois  inconvéniens 
des  signes  nous  montre,  i°.  en  quoi  con- 
siste la  rectification  successive  des  premières 
idées,  ou  ce  qu'on  appelle  le  progrès  de  la 
raison  dans  les  jeunes  gens;  20.  l'origine  de 
la  diversité  et  de  l'opposition  des  opinions 
des  hommes  sur  les  idées  exprimées  par 

Bb 


586  IDÉOLOGIE. 

certains  mots;  3°.  la  cause  de  la  variation 
de  ces  opinions  aux  différentes  époques  de 
la  vie.  Ces  phénomènes  paraissent  inexpli- 
cables quand  on  songe  que  l'organisation 
des  hommes  est  telle ,  que  tous ,  à  tous  les 
âges,  et  dans  tous  les  temps,  perçoivent 
toujours  le  même  rapport  de  la  même  ma- 
nière dès  qu'il  est  réellement  le  même  et  à 
leur  portée;  mais  quand  on  pense  que  réelle- 
ment, et  rigoureusement  parlant,  sans  nous 
en  apercevoir  nous  avons  chacun  un  lan- 
gage différent,  que  tous  nous  en  changeons 
à  chaque  instant,  et  que  c'est  avec  ces  lan- 
gages si  mobiles  que  nous  pensons ,  doit-on 
être  surpris  que  nous  ne  nous  entendions  pas 
nous-mêmes,  et  que  par  conséquent  nous  ne 
soyons  souvent  ni  de  l'avis  des  autres  ni  de 
celui  qui  a  été  le  nôtre  ? 

Cesinconvéniens  des  signes  sont  inhérens- 
à  leur  nature,  ou  plutôt  à  celle  de  nos  fa- 
cultés intellectuelles;  ils  rentrent  dans  tout 
ce  que  nous  avons  dit  des  opérations  de  ces 
facultés  et  des  effets  de  leur  fréquente  répé- 
tition. Ils  sont  donc  impossibles  à  détruire 
totalement;  seulement  ils  s'atténuent  à  me- 
sure que ,  les  idées  s'élaborant  et  se  débrouil- 
lant, les  signes  expriment  et  constatent  des 


CHAPITRE  xvir  587 

analyses  plus  parfaites  et  plus  fines,  et  sur 
lesquelles  on  varie  moins.  Mais  il  existe 
beaucoup  d'autres  défauts  dans  les  signes 
tels  que  nous  les  employons,  qu'ils  ne  doi- 
vent qu'à  l'ignorance  des  temps  dans  lesquels 
ils  ont  été  institués,  et  dont  il  serait  possible 
de  les  purger  :  telles  sont  les  anomalies  de 
leur  dérivation,  la  manière  maladroite  dont 
ils  s'enchaînent,  leurs  liaisons  souvent  con- 
traires à  celles  des  idées  qu'ils  expriment, 
les  embarras  inutiles  qu'ils  apportent  dans 
l'expression  de  la  pensée.  Je  n'entrerai  point 
ici  dans  ces  considérations  ;   elles   seront 
mieux  placées  quand  nous  aurons  examiné 
en  détail  les  élémens  des  langues  parlées,  et 
que  nous  aurons  vu  l'usage  que  nous  faisons 
de  nos  idées  et  de  leurs  signes  dans  nos  dé- 
ductions :  alors  nous  pourrons  dire  quelles 
seraient  les  conditions  qui  rendraient  une 
langue  parfaite,  et  comment  nous  pourrions 
en  rapprocher  celles  dont  nous  nous  ser- 
vons (1).  Actuellement ,  il  me  suffit  de  vous 
avoir  montré  les  effets  généraux  des  signes, 
ceux  particuliers  à  certaines  espèces,  et 
sur-tout  aux  langues  parlées;  de  vous  avoir 

(0  Voyez  la  Grammaire,  chap.  6. 

Bb  a 


588  IDÉOLOGIE. 

fait  sentir  leurs  avantages,  leurs  inconvé- 
niens,  et  qu'ils  sont  également  cause  des 
progrès  de  notre  intelligence  et  de  ses  écarts  : 
à  quoi  il  faut  ajouter  cette  réflexion,  que 
c'est  par  leur  influence  et  par  la  communi- 
cation des  idées,  dont  ils  sont  l'unique  moyen, 
qu'il  arrive  que,  quoique  toutes  nos  idées 
nous  viennent  par  les  sens  et  soient  éla- 
borées par  nos  facultés  intellectuelles ,  la 
perfection  des  sens,  et  même  celle  de  ces 
facultés,  est  cependant  bien  loin  d'être  la  me- 
sure de  la  capacité  des  esprits,  comme  elle 
le  serait  dans  des  individus  isolés ,  et  qu'au 
contraire  nous  sommes  presque  entière- 
ment les  ouvrages  des  circonstances  qui 
nous  environnent.  Je  vous  laisse  à  juger, 
jeunes  gens,  de  l'importance  de  l'éducation, 
à  prendre  ce  mot  dans  toute  son  étendue. 
Je  m'en  tiendrai  là;  et  ce  sera  aussi  la  fin  de 
la  première  partie  de  mon  ouvrage.  Je  vais 
vous  en  présenter  un  extrait  raisonné  qui , 
en  rapprochant  les  idées  ,  en  fera  mieux 
sentir  la  liaison,  et  qui  pourra  servir  de 
Table  analytique. 

FIN. 


EXTRAIT  RAISONNE 

DE  L'IDÉOLOGIE, 

SERVANT  DE  TABLE  ANALYTIQUE, 


PREFACE. 

Ju  IDÉOLOGIE  est  une  partie  de  la  zoologie. 

Locke  est,  je  crois,  le  premier  qui  l'ait  envisagée  sous 
cet  aspect-,  aussi  en  a-t-il  fait  une  partie  de  la  physique. 

Condillac  est  vraiment  le  créateur  de  cette  science  • 
mais  il  n'en  a  point  donné  de  traité  complet. 

Je  me  suis  proposé  d'y  suppléer.  Ceci  est  un  pre- 
mier essai,  qui  ne  saurait  être  exempt  de  graves  im- 
perfections. 

Tout  ce  que  je  désire ,  c'est  qu'on  discute  la  théorie 
exposée  dans  ces  élémens. 

J'espère  aussi  qu'ils  pourront  être  utiles  à  l'ensei- 
gnement. 

J'ai  publié  cette  première  partie,  qui  traite  de  la 
formation  des  idées ,  sans  attendre  celles  qui  traite- 
ront de  leur  expression  et  de  leur  déduction,  afin 
d'avoir  le  temps  de  recueillir  les  avis  des  hommes 
éclairés  et  de  modifier  mes  opinions,  s'il  y  a  lieu. 

INTRODUCTION. 

C'est  sur-tout  aux  jeunes  gens  que  je  m'adresse, 
parce  qu'ils  n'ont  point  encore  d'opinions  fixées ,  et 


$go  EXTRAIT  RAISONNÉ 

aussi  parce  qu'ils  supportent  sans  impatience  qu'on 
les  arrête  sur  des  détails  que  les  hommes  plus  avancés 
en  âge  croient  tous  connaître ,  quoique  souvent  ils  ne 
les  aient  pas  examinés  suffisamment. 

Je  crois  les  jeunes  gens  très-capables  d'étudier  cette 
science,  qui  n'est  pas  plus  difficile  que  bien  d'autres, 
et  qui  est  même  nécessaire  à  la  pleine  et  facile  intel- 
ligence de  beaucoup  de  choses  qu'on  enseigne  aux 
enfans. 

Seulement  il  faut  partir  de  ce  qu'ils  connaissent, 
les  prendre  au  point  où  ils  sont,  et  sur-tout  ne  pas 
commencer  par  vouloir  leur  définir  les  termes  les  plus 
généraux  et  les  plus  abstraits;  car  quand  ils  seront 
en  état  de  bien  comprendre  ces  définitions,  c'est-à- 
dire  de  bien  voir  toutes  les  idées  comprises  dans  la 
signification  de  chacun  de  ces  mots ,  ils  sauront  com- 
plètement la  science. 

Ce  ne  doit  donc  pas  être  là  le  début  des  leçons.  La 
première  chose  à  faire  est  de  faire  remarquer  aux 
élèves  ce  qui  se  passe  en  eux  lorsqu'ils  pensent  et 
qu'ils  raisonnent,  soit  qu'ils  jouent,  soit  qu'ils  étudient. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Qu'est-ce  que  penser? 

La  faculté  de  penser  consiste  à  éprouver  une  foule 
d'impressions ,  de  modifications ,  de  manières  d'être 
dont  nous  avons  la  conscience ,  et  qui  peuvent  toutes 
être  comprises  sous  la  dénomination  générale  d'idées 
ou  de  perceptions. 

Toutes  ces  perceptions ,  toutes  ces  idées j  sont  des 
choses  que  nous  sentons.  Elles  pourraient  êtres  nom- 


DE   L'IDÉOLOGIE.  091 

niées  sensations  ou  sentimens,  en  prenant  ces  mots 
dans  un  sens  très-étendu,  pour  exprimer  une  chose 
sentie  quelconque.  Ainsi,  penser  c'est  toujours  sentir 
quelque  chose,  c'est  sentir. 

Penser  ou  sentir,  c'est  pour  nous  la  même  chose 
qu'exister  ;  car  si  nous  ne  sentions  rien,  nous  ne  sen- 
tirions pas  notre  existence;  elle  serait  nulle  pour  nous, 
bien  qu'elle  pût  être  sentie  par  d'autres. 

De  ces  idées  ou  perceptions,  les  unes  sont  des  sen~ 
gâtions  proprement  dites,  les  autres  des  souvenirs, 
d'autres  des  rapports  que  nous  apercevons,  d'autres 
enfin  des  désirs  que  nous  éprouvons. 

La  faculté  de  penser  ou  d'avoir  des  perceptions 
renferme  donc  les  quatre  facultés  élémentaires  appe- 
lées la  sensibilité  proprement  dite,  la  mémoire,  le 
jugement  et  la  volonté. 

Et  si  de  l'examen  de  ces  quatre  facultés  il  résulte 
qu'elles  suffisent  à  former  toutes  nos  idées,  il  sera 
constant  qu'il  n'y  a  rien  autre  chose  dans  la  faculté 
de  penser. 

CHAPITRE  II. 

De  la  Sensibilité  et  des  Sensations. 

La  sensibilité  proprement  dite  est  cette  propriété 
de  notre  être  en  vertu  de  laquelle  nous  recevons  des 
impressions  de  beaucoup  d'espèces ,  appelées  sensa- 
tions, et  en  avons  la  conscience;  nous  la  connaissons 
par  expérience  en  nous-mêmes ,  et  nous  la  reconnais- 
sons dans  nos  semblables  et  dans  les  autres  êtres  par 
analogie ,  à  proportion  qu'ils  nous  la  manifestent. 


5c)2  EXTRAIT   RAISONNÉ 

Nous  ne  pouvons  ni  l'affirmer  ni  la  nier  dans  ceux 
qui  n'ont  pas  de  moyens  de  nous  l'exprimer. 

Les  nerfs  sont  en  nous  les  organe  de  la  sensibilité. 
Leurs  principaux  troncs  se  réunissent  en  différens 
points ,  et  sur-tout  dans  le  cerveau  ,  dans  lequel  ils  se 
perdent  et  se  confondent. 

Par  toutes  celles  de  leurs  extrémités  qui  se  ter- 
minent à  la  surface  de  notre  corps ,  nous  recevons 
les  sensations  que  nous  confondons  sous  le  nom  géné- 
ral de  sensations  tactiles,  mais  qu'un  examen  plus 
scrupuleux  pourrait  faire  partager  en  plusieurs  classes; 
car  chacune  d'elles  varie  suivant  les  diverses  parties 
qu'affecte  une  même  cause"  ainsi,  à  proprement 
parler,  le  sens  du  tact  est  composé  de  beaucoup  de 
sens  distincts. 

Indépendamment  de  ces  sensations  générales,  nous 
en  recevons  de  particulières  par  les  extrémités  des 
herfs  qui  se  terminent  à  certains  organes  placés  aussi 
à  la  surface  de  notre  corps  ;  ce  sont  celles  de  la  vue, 
de  l'ouïe,  de  l'odorat  et  du  goût.  Toutes  ensemble 
forment  ce  que  nous  appelons  les  sensations  externes. 

Mais  outra  ces  sensations  externes,  nous  recevons 
encore ,  par  les  extrémités  de  nos  nerfs  qui  abou- 
tissent aux  différentes  parties  de  l'intérieur  de  notre 
corps,  une  foule  de  sensations  que  nous  nommons  par 
cette  raison  sensations  internes. 

Telles  sont  celles  qui  résultent  des  fonctions  ou  de 
Ja  lésion  des  différentes  parties  de  notre  corps. 

Telles  sont  encore  celles  que  causent  les  mouve- 
mens  de  nos  membres. 

Telles  sont  enfin  toutea  les  affections  de  plaisir  ou 


DE   L'IDEOLOGIE.  D9J 

de  peine   qui  résultent  de  certaines   dispositions  de 
notre  individu  et  des  passions  qui  le  modifient. 

Toutefois  les  passions  elles-mêmes  ne  doivent  pas 
être  rangées  parmi  les  sensations  simples ,  parce  que 
toutes  renferment  en  outre  un  désir  quelconque,  et 
qu'un  désir  est  un  effet  de  la  faculté  appelée  volonté; 
ainsi,  dans  la  passion,  est  renfermé  l'exercice  de 
deux  facultés  distinctes,  la  sensibilité  et  la  volonté. 
L'état  de  souffrance  ovj  de  jouissance  dans  lequel 
elle  nous  met,  appartient  seul  à  la  sensibilité  propre- 
dent  dite, 

CHAPITRE  III. 

De  la  Mémoire  et  des  Souvenirs. 

La  mémoire  est  une  seconde  espèce  de  sensibilité 
particulière,  ou  une  seconde  partie  de  la  sensibilité 
en  général.  Elle  consiste  à  être  affecté  du  souvenir 
d'une  impression  éprouvée. 

Le  souvenir  est  une  sorte  de  sensation  interne,  mai» 
différente  de  celle  dont  nous  venons  de  parler,  en  ce 
qu'il  est  l'effet  d'une  certaine  disposition  demeurée 
dans  le  cerveau  ,  et  non  celui  d'une  impression  ac- 
tuelle dans  un  autre  organe. 

Il  n'est  pas  dans  la  nature  de  la  perception  appelée 
souvenir,  que  nous  reconnaissions  en  l'éprouvant  qr.a 
c'est  un  souvenir,  non  plus  qu'il  n'est  dans  la  nature 
de  la  sensation  que  nous  reconnaissions  d'où  elle  nous 
vient  et  ce  qui  la  cause  :  ce  sont-là  des  actes  du 
jugement. 

La  preuve  en  est  que  nous  avons  souvent  des  sou- 
venirs que  nous  ne  savons  pas  être  des  souvenu  'a , 


5g4  EXTRAIT   RAISONNÉ 

que  nous  prenons  pour  des  idées  nouvelles ,  et  il  est 
vraisemblable  que  nous  sentons  nos  premières  sensa- 
tions sans  savoir  encore  que  nous  avons  des  organes 
par  où  elles  nous  arrivent. 

D'ailleurs ,  quand  cela  ne  serait  pas ,  quand  ces 
connaissances  seraient  inséparablement  liées  à  nos 
sensations  et  à  nos  souvenirs ,  il  n'en  serait  pas  moins 
vrai  que  sentir  une  sensation  est  un  effet  de  la  sensi»- 
bilité,  que  sentir  un  souvenir  est  un  effet  de  la  mé- 
moire ,  et  qu'y  joindre  un  jugement  quelconque  est 
un  effet  d'une  troisième  faculté  dont  nous  allons 
parler. 

Ce  sont-là  des  distinctions  qu'il  ne  faut  jamai-; 
perdre  de  vue  sous  peine  de  tout  confondre  dans  l'ana- 
lyse de  la  pensée, 

CHAPITRE    IV. 

Du  Jugement  et  des  Sensations  de  rapports. 

La  faculté  de  juger  ou  le  jugement  est  encore  une 
espèce  de  sensibilité  ;  car  c'est  la  faculté  de  sentir  des 
rapports  entre  nos  perceptions. 

Ces  rapports  sont  des  vues  de  notre  esprit ,  des 
actes  de  notre  faculté  de  penser,  par  lesquels  nous 
rapprochons  une  idée  d'une  autre ,  par  lesquels  nous 
lions  ces  idées  et  les  comparons  ensemble  d'une  ma- 
nière quelconque.  Ces  rapports  sont  des  sensations 
internes  du  cerveau,  comme  les  souvenirs. 

La  faculté  de  sentir  des  rapports  est  une  consé- 
quence presque  nécessaire  de  celle  de  sentir  des  sen- 
■  sations  -,  car  dès  qu'on  sent  distinctement  deux  sensa- 
tions ,   il  s'ensuit   naturellement    qu'on    sent    leurs 


de  l'idéologie.  3g5 

ressemblances,  leurs  différences ,  leurs  liaisons ,  etc.; 
mais  elle  en  est  une  conséquence  et  ne  saurait  la  pré- 
céder ni  exister  sans  elle. 

De  cette  faculté  viennent  toutes  nos  connaissances; 
car  si  nous  ne  percevions  aucuns  rapports  entre  nos 
perceptions,  si  nous  n'en  portions  aucuns  jugemens, 
nous  ne  ferions  éternellement  qu'être  affectés  et  nous 
ne  saurions  jamais  rien. 

Pour  percevoir  un  rapport,  pour  porter  un  juge- 
ment ,  ce  qui  est  la  même  chose ,  il  faut  avoir  en  même- 
temps  deux  idées  distinctes  ;  mais  il  n'en  faut  jamais 
que  deux. 

Aussi  une  proposition,  qui  n'est  autre  chose  que 
l'énoncé  d'un  jugement,  n'a  jamais  que  deux  termes, 
le  sujet  et  l'attribut.  Le  verbe  est  une  partie  de  l'attri- 
but )  il  n'est  pas  un  troisième  terme  ;  ce  n'est  pas  lui 
qui  exprime  l'acte  de  l'esprit  qui  juge;  la  preuve  en 
est  que  quand  il  est  au  mode  infinitif,  il  n'y  a  pas  de 
^jugement  énoncé  dans  la  phrase. 

Il  n'y  a  pas  de  jugement  négatif  ;  tout  jugement  est 
nécessairement  positif,  puisqu'il  est  une  perception  ; 
car  on  ne  peut  percevoir  une  chose  qui  n'est  pas. 

Aussi  n'y  a-t-iî  pas  de  propositions  réellement 
négatives.  Celles  qui  paraissent  telles,  ne  le  sont  que 
par  la  forme  :  au  fond  elles  renferment  une  affir- 
mation. 

L'affirmation  de  toute  proposition  se  réduit  tou- 
jours à  celle-ci,  que  l'idée  totale  de  l'attribut  est  com- 
prise toute  entière  dans  l'idée  du  sujet  et  en  fait  partie  ; 
car  tout  jugement  ne  consiste  toujours  qu'à  sentir 


5g6  EXTRAIT  RAISONNÉ 

qu'une  idée  est  une  des  idées  composantes  d'une 
autre ,  en  fait  partie. 

C'est  à  tort  que  l'on  a  appelé  l'attribut  le  grand 
terme  de  la  proposition. 

A  la  vérité,  il  est  toujours  une  idée  plus  générale 
que  le  sujet,  et  par  conséquent  susceptible  d'une  ex- 
tension plus  grande  ;  mais  dans  l'énoncé  d'un  jugement, 
l'attribut  n'étant  jamais  dit  que  des  objets  auxquels 
s'applique  le  sujet,  son  extension  est  déterminée  par 
celle  du  sujet  et  réduite  de  manière  à  n'être  jamais 
plus  grande  qu'elle. 

D*autre  part,  précisément  parce  que  l'attribut  est 
une  idée  plus  générale ,  sa  compréhension  est  moins 
grande. 

Ainsi,  il  est  toujours  égal  au  sujet  en  extension,  et 
il  lui  est  toujours  inférieur  en  compréhension  (1). 

CHAPITRE  V. 
De  la  Volonté  et  des  Sensations  de  désirs. 

La  volonté  est  une  quatrième  espèce  de  sensibilité;' 
c'est  la  faculté  de  sentir  des  désirs. 

Nos  désirs  sont  des  conséquences  de  nos  autres 
perceptions  et  des  jugemens  que  nous  en  portons  ; 
mais  ils  ont  cela  de  particulier,  que  nous  sommes» 

(ï)  On  aurait  pu  insister  davantage  sur  ce  principe  fondamental 
qui  réduit  la  faculté  de  juger,  que  nous  définissons  la  faculté  de 
sentir  des  rapports,  a  n'être  jamais  que  la  faculté  de  sentir  un 
seul  rapport  toujours  le  même;  mais  cette  vérité  sera  bien  mieux 
comprise  quand  on  aura  vu  comment  se  forment  nos  idées  com- 
posées, et  elle  viendra  encore  plus  à  propos  dans  la  Grammaire , 
et  dans  la  Logique,  dont  elle  constitue  à  elle  seule  toute  la  théorie». 


DE  L'IDEOLOGIE.  097 

toujours  heureux  ou  malheureux  par  eux  ,  suivant 
qu'ils  sont  accomplis  ou  non. 

Us  ont  encore  une  autre  particularité  remarquable  ; 
c'est  que  l'emploi  de  nos  forces  mécaniques  et  intel- 
lectuelles dépend  en  grande  partie  d'eux,  ensorte  que 
c'est  par  eux  que  nous  sommes  une  puissance  dans 
le  monde. 

De  là  vient  que  nous  confondons  plus  notre  moi 
avec  cette  faculté  qu'avec  toute  autre,  et  que  nous 
disons  indifféremment,  cela  dépend  de  moi  ou  cela 
dépend  de  ma  volonté. 

De  là  vient  aussi  l'importance  que  nous  attachons 
à  posséder  la  volonté  des  autres ,  à  ce  qu'elle  nous 
soit  favorable,  à  ce  qu'ils  aient  pour  nous  de  la  bien- 
veillance. 

Du  désir  de  leur  bienveillance  naît  avec  raison  le 
désir  de  leur  estime,  et  du  désir  de  leur  bienveillance 
et  de  leur  estinu  naît  tout  aussi  justement  le  bien- 
être  que  nous  éprouvons  quand  nous  nous  sentons 
animés  de  mouvemens  de  bienveillance ,  et  le  mal- 
aise qui  nous  tourmente  quand  nous  nous  reconnais- 
sons travaillés  de  passions  haineuses. 

Une  autre  conséquence  des  propriétés  de  la  vo- 
lonté ,  c'est  qu'il  nous  est  très-important  de  la  bien 
régler  ;  c'est  que  le  moyen  d'y  parvenir  est  de  rec- 
tifier nos  jugemens ,  puisque  nos  désirs  en  sont  la  suite, 
et  que  le  but  à  atteindre  est  d'éviter  de  former  des 
désirs  contradictoires ,  c'est-à-dire  des  désirs  dont  l'ac- 
complissement nous  conduirait  à  des  manières  d'être 
que  nous  souhaitons  éviter ,  car  dans  ce  cas  notre  bon- 
heur est  impossible. 


598  EXTRAIT   RAISONNÉ 

CHAPITRE  VI. 

De  la  Formation  de  nos  Idées  composées. 

Voilà  donc  quatre  facultés  distinctes  dans  notre 
faculté  de  penser,  et  quatre  espèces  différentes  parmi 
nos  perceptions  ;  et  de  ces  quatre ,  les  trois  dernières 
sont  des  conséquences  de  la  première,  n'auraient  pas 
lieu  sans  elle. 

Mais  aucune  des  innombrables  idées  ou  percep- 
tions qui  sont  dans  nos  têtes  ne  sont  des  idées  simples, 
c'est-à-dire  ne  sont  l'effet  d'un  seul  acte  intellectuel  ; 
toutes  sont  composées,  c'est-à-dire  n'ont  été  formées 
que  par  l'intervention  de  plusieurs  de  ces  facultés 
élémentaires. 

Voyons  donc  comment,  avec  ces  élémens,  sensa- 
tions, souvenirs,  jugemens  et  désirs,  nous  formons 
toutes  nos  idées  composées. 

Quand  nous  avons  éprouvé  pour  la  première  fois 
une  sensation ,  si  nous  n'avons  fait  uniquement  que 
la  sentir,  cette  sensation  a  été  pour  nous  une  idée 
absolument  simple,  un  seul  acte  intellectuel. 

Si  nous  y  avons  joint  tout  de  suite  le  jugement 
qu'elle  était  produite  en  nous  par  un  tel  être,  dès-1 
lop  elle  a  cessé  d'être  une  idée  simple,  elle  est  de- 
venue une  idée  composée  de  l'action  de  sentir  et  de 
celle  de  juger;  mais  elle  a  encore  été  particulière  à 
un  seul  fait. 

Quand  ensuite  nous  avons  éprouvé  une  sensation 
pareille  à  l'occasion  d'autres  êtres ,  le  souvenir  de 
cette  sensation  est  devenu  une  idée  générale  et  com- 
mune à  toutes  les  sensations  semblables,  dans  laquelle 


DE   L'IDÉOLOGIE.  599 

ne  sont  pas  comprises  les  circonstances  de  temps  et 
de  lieu  ,  et  autres  particulières  à  chacune  d'elles. 

C'est  ainsi  que  l'idée  de  rouge  n'est  plus  pour  nous 
le  souvenir  de  l'impression  causée  par  tel  corps  rouge, 
mais  de  celle  produite  également  par  tous  les  corps 
rouges  ;  de  même  que  l'idée  de  bonté  n'est  plus  celle 
de  la  qualité  de  tel  être  bon ,  mais  de  tous  les  êtres 
bons. 

11  en  est  de  même  de  nos  idées  des  êtres  réels  : 
celles-là  sont  toujours  composées.  Nous  les  formons  de 
la  réunion  de  toutes  les  impressions  qu'ils  nous  font. 

De  la  réunion  d'une  certaine  odeur,  d'une  certaine 
saveur,  j'ai  formé  l'idée  de  la  première  fraise  que  j'ai 
vue.  Aujourd'hui  l'idée  de  fraise  est  pour  moi  une 
idée  généralisée  et  commune  à  tous  les  êtres  à  peu 
près  semblables  auxquels  je  l'ai  étendue,  en  écartant 
les  petites  différences  qu'il  y  a  entr'eux. 

C'est  donc  en  réunissant  plusieurs  de  nos  idées 
ou  perceptions  élémentaires,  que  nous  formons  nos 
idées  composées  individuelles,  et  en  retranchant  de 
celles-ci  quelques  circonstances,  que  nous  les  géné- 
ralisons. 

Ces  deux  opérations  suffisent  à  former  toutes  nos 
idées  composées ,  et  elles  ne  renferment  jamais  d'au- 
tres élémens  que  des  sensations,  des  souvenirs,  des 
jugemens  et  des  désirs. 

Il  est  seulement  à  remarquer  qu'il  n'existe  réelle- 
ment que  des  individus  ,  et  que  nos  idées  générales  ne 
sont  point  des  êtres  réels  existans  hors  de  nous ,  mai* 
de  pures  créations  de  notre  esprit ,  des  manières  de 
classer  nos  idées  des  individus. 


4oo  EXTRAIT   RAISONNE 

Il  s'ensuit  encore  que  plus  une  idée  est  générale* 
plus  est  grand  le  nombre  des  individus  dont  elle  est 
extraite,  ce  qui  constitue  son  extension  ;  mais  moins 
elle  retient  des  particularités  de  chacun  d'eux ,  car 
elle  ne  demeure  composée  que  de  celles  qui  leur  sont 
communes  :  c'est  ce  qui  compose  sa  compréhension. 

Cela  fait  que  nous  pouvons  affirmer  de  chacun  de 
ces  individus  tout  ce  que  nous  pouvons  affirmer  de 
l'idée  générale,  tandis  que  nous  ne  pouvons  pas  affir- 
mer de  celle-ci  les  circonstance?  particulières  à  chaque 
individu  qui  ne  sont  pas  entrées  dans  sa  formation; 
mais  cela  ne  fait  pas  que  ce  soit  l'idée  générale  qui 
soit  la  cause  de  la  vérité  de  l'affirmation  ;  c'est,  au 
contraire ,  des  faits  particuliers  que  vient  toujours 
la  certitude. 

CHAPITRE  VIL 

De  l'Existence. 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'à  présent  est  l'his- 
toire de  nos  modifications  intérieures,  des  créations 
de  notre  pensée,  abstraction  faite  de  ses  relations 
avec  tous  les  êtres  qui  ne  sont  pas  elle,  et  de  la  ma- 
nière dont  elle  apprend  l'existence  de  ces  êtres. 

Il  nous  reste  maintenant  à  trouver  comment  nous 
avons  été  conduits  à  juger  que  nos  sensations  sont 
occasionnées  par  des  êtres  qui  ne  sont  pas  nous,  et  si 
nous  avons  raison  de  porter  ce  jugement. 

Il  n'y  a  pas  de  doute  que  nos  sensations  internes  ne 
nous  apprennent  rien  que  notre  propre  existence. 

Il  en  est  de  même  sans  contredit  des  saveurs,  des 
odeurs  et  des  sons. 


de  l'idéologie.  4oi 

On  en  doit  dire  autant  des  sensations  visuelles  ; 
car,  indépendamment  de  beaucoup  d'autres  raisons, 
comme  il  est  constant  que  le  même  être  produit  sur 
notre  œil  des  impressions  différentes  suivant  les  cir- 
constances, les  positions  et  les  distances,  il  est  mani- 
feste que  ce  n'est  aucune  de  ces  impressions  qui  nous 
apprend  l'existence  réelle  et  permanente  do  cet  être. 

Les  sensations  tactiles  que  nous  éprouvons  sans  faire 
nous-mêmes  aucun  mouvement,  n'ont  pas  plus  de 
pouvoir  à  cet  effet  que  les  précédentes;  comme  elles, 
elles  nous  font  bien  sentir  notre  sensibilité  ,  notre 
propre  existence;  mais  elles  ne  sauraient  nous  ap- 
prendre ce  qui  la  met  en  jeu. 

La  sensation  que  nous  éprouvons  lorsqu'un  de  nos 
membres  s'agite  fortuitement,  paraît,  au  premier  coup- 
d'oeil,  plus  propre  à  nous  instruire  sur  ce  point;  car 
quand  elle  cesse  par  l'effet  d'un  obstacle,  nous  en 
sommes  avertis  :  cela  est  vrai  ;  cependant  rien  ne  nous 
indique  encore  ni  pourquoi  elle  cesse ,  ni  ce  qui  s'y 
oppose,  ni  si  nous  avons  des  membres,  ni  ce  que  c'est 
que  leur  mouvement. 

Mais  si  à  cette  sensation  de  mouvement  nous  ajou- 
tons la  condition  qu'elle  soit  volontaire,  qu'elle  soit 
accompagnée  du  désir  de  l'éprouver  encore ,  nous 
sommes  sûrs,  lorsqu'elle  cesse,  que  ce  n'est  pas  de 
notre  fait.  Nous  sommes  certains  en  même  temps  de 
l'existence  de  nous  qui  voulons  et  de  celle  de  quelque 
chose  qui  résiste;  ou  si  nous  n'apercevons  pas  dès  le 
premier  instant  cette  seconde  existence,  bientôt  une 
foule  d'expériences  nous  en  assure,  en  nous  montrant 
que  beaucoup  d'impressions  de  différens  genres  cessent 
constamment  quand  ce  sentiment  de  résistance  s'éva- 

Ce 


402  EXTRAIT   RAISONNÉ 

nouit,  et  reparaissent  de  même  dès  qu'il  se  reproduit  ; 
car  alors  nous  jugeons  avec  sûreté  que  ces  impressions 
sont  autant  d'effets  des  qualités  de  cet  être  dont  la 
principale  propriété  est  toujours  d'être  résistant  à 
notre  désir  d'éprouver  la  sensation  de  mouvement. 

En  un  mot,  quand  un  être  organisé  de  manière  à 
vouloir  et  à  agir  sent  en  lui  une  volonté  et  une  action , 
et  en  même  temps  une  résistance  à  cette  action  voulue 
et  sentie,  il  est  assuré  de  son  existence  et  de  l'exis- 
tence de  quelque  chose  qui  n'est  pas  lui.  Action  vou- 
lue et  sentie  d'une  part,  et  résistance  de  l'autre  ,  voilà 
le  lien  entre  notre  moi  et  les  autres  êtres ,  entre  les 
êtres  sentans  et  les  êtres  sentis. 

Il  suitMe  là  que  si  la  matière  avait  été  non  résis- 
tante nous  n'aurions  pu  éprouver  aucune  sensation,  et 
quand  nous  en  aurions  éprouvé,  nous  n'aurions  pu 
connaître  que  notre  propre  existence;  et  que  même  la 
matière  étant  douée  de  résistance  au  mouvement,  un 
être  qui  ne  ferait  point  de  mouvement ,  ou  qui  en 
ferait  sans  le  sentir  et  le  vouloir,  ne  connaîtrait  en- 
core rien  hors  de  lui. 

Enfin,  il  suit  de  là  encore  qu'un  être  totalement 
immatériel  et  sans  organes  ne  pourrait  rien  connaître 
que  lui-même,  et  que  nous,  si  nous  n'étions  pas,  au 
moins  en  partie,  composés  de  matière,  nous  ne  pour- 
rions pas  penser  comme  nous  faisons  ,  et  nous  ne  sau- 
rions rien  de  tout  ce  que  nous  savons. 
CHAPITRE  VIII. 
Comment  nos  Facultés  intellectuelles  commencent- 
elles  à  agir? 

Ce  chapitre  est  destiné  à  réfuter  une  opinion  que 
j'ai  émise  autrefois.  Je  disais,  tant  que  nous  ne  con- 


de  l'idéologie.  4o3 

naissons  que  l'existence  de  notre  moi  sentant,  toutes 
nos   perceptions  se    confondent    nécessairement   les 
unes  dans  les  autres  à  mesure  qu'elles  nous  arrivent. 
Plusieurs  simultanées  ne  nous  paraissent  qu'une  ;  nous 
n'avons  aucun  moyen  d'en  distinguer  nettement  deux 
en  même  temps.  Donc  nous  ne  pouvons  porter  aucun 
jugement,  encore  moins  former  des  désirs,  encore 
moins  exécuter  des  mouvemens  en  vertu  de  ces  désirs. 
Tout  cela  supposé  vrai ,  il  s'ensuivrait  que  si  des  mou- 
vemens volontaires  étaient  nécessaires  pour  nous  ap- 
prendre l'existence  d'êtres  autres  que  notre  moi ,  nous 
ne  l'apprendrions  jamais.  Aussi ,  quand  je  pensais 
ainsi  je  croyais  en  même  temps  que  des  mouvemens 
fortuits  étaient  suffisans  pour  nous  faire  découvrir 
l'existence  des  corps. 

Aujourd'hui  je  crois  que  des  mouvemens  voulus 
peuvent  seuls  nous  conduire  à  cette  connaissance  ; 
mais  en  même  temps  il  me  paraît  prouvé  par  la  théorie 
et  par  les  faits ,  que ,  par  cela  seul  que  nous  percevons 
une  sensation,  nous  pouvons  porter  au  moins  le  juge- 
ment qu'elle  est  agréable  ou  désagréable  d'une  cer- 
taine manière,  et  par  conséquent  former  le  désir  de 
l'éprouver  ou  de  l'éviter;  et  qu'ainsi,  sans  connaître 
d'autre  existence  que  celle  de  notre  moi  sentant,  nous 
pouvons  concevoir  le  désir  d'éprouver  la  sensation  de 
mouvement. 

Donc  aussi  la  simple  sensation,  le  seul  sentiment 
de  notre  moi  sentant  d'une  certaine  manière,  la  seule 
conscience  de  notre  existence  sentante ,  suffit  pour 
faire  naître  souvenirs ,  jugemens  et  désirs ,  pour  mettre 
en  action  la  mémoire,  le  jugement  et  la  volonté. 

Ce   2 


4oi!  EXTRAIT   RAISONNÉ 

CHAPITRE  IX. 

Des  Propriétés  des  Corps  et  de  leur  Relation. 

Il  demeure  donc  convenu  que  tant  que  nous  ne  fai- 
sons que  sentir,  nous  ressouvenir,  juger  et  vouloir 
sans  qu'aucune  action  s'ensuive ,  nous  n'avons  connais- 
sance que  de  notre  existence,  et  nous  ne  nous  con- 
naissons que  comme  un  être  sentant ,  comme  une 
simple  vertu  sentante ,  sans  étendue,  sans  forme,  sans 
parties  ,  sans  aucune  des  qualités  qui  constituent  les 
corps. 

Il  demeure  encore  constant  que ,  dès  que  notre 
volonté  est  réduite  en  acte,  dès  qu'elle  nous  fait 
mouvoir,  la  force  d'inertie  de  la  matière  de  nos  mem- 
bres, la  propriété  qu'elle  a  de  résister  au  mouvement 
avant  d'y  céder,  nous  en  avertit,  nous  donne  une  sen- 
sation qui  peut-être  ne  nous  apprend  encore  rien  de 
nouveau  ;  mais  lorsque  ce  mouvement  que  nous  sen- 
tons ,  que  nous  voudrions  continuer  est  arrêté ,  nous 
découvrons  avec  certitude  qu'il  existe  autre  chose  que 
notre  vertu  sentante.  Ce  quelque  chose  c'est  notre 
corps,  ce  sont  les  corps  environnans,  c'est  l'univers 
et  tout  ce  qui  le  compose. 

La  propriété  de  résister  à  notre  volonté  de  nous 
mouvoir,  est  donc  la  base  de  tout  ce  que  nous  appre- 
nons à  connaître.  Un  être  qui  ne  serait  pas  résistant 
du  tout ,  ne  pourrait  nous  donner  aucune  sensation. 
Il  serait  le  néant  absolu  pour  nous. 

Cette  propriété  est  la  force  $  inertie  des  corps ,  qui 
n'a  lieu  et  ne  se  découvre  que  par  leur  mobilité. 

La  mobilité  et  X inertie  sont  donc  à  notre  égard  les 
d'eux  premières  qualités  des  corps,  celles  sans  les- 


DE  l'idéologte.  4o5 

quelles  notre  organisation  ne  saurait  subsister,  sans 
lesquelles  nous  ne  pourrions  rien  connaître ,  rien  sentir 
même  ,  sans  lesquelles  enfin  nous  ne  pouvons  pas 
seulement  concevoir  ce  que  serait  l'existence  de 
l'univers. 

Ces  deux  propriétés  en  nécessitent  une  troisième , 
c'est  celle  en  vertu  de  laquelle  les  corps  en  mouve- 
ment ont  la  puissance  d'agir  sur  les  autres ,  de  les  dé- 
placer; je  l'appelle  la  force  d'impulsion. 

La  mobilité,  X  inertie  et  Y  impulsion  sont  donc  trois 
propriétés  inséparables  et  corrélatives;  nous  ne  fai- 
sons d'abord  que  sentir  leurs  effets  sans  savoir  ce  que 
c'est  que  le  mouvement. 

Nous  apprenons  que  le  mouvement  consiste  à  chan- 
ger de  place  en  éprouvant  que  les  obstacles  qui  s'op- 
posent à  nos  mouvemens  ont  la  propriété  d'être  senti» 
continuement  par  nous  pendant  que  nous  faisons  du 
mouvement.  C'est  en  cela  que  consiste  la  propriété 
d'être  étendu. 

"L'étendue  est  donc  pour  nous  la  propriété  d'être 
parcouru  par  le  mouvement.  Ce  qui  est  senti  ainsi  est 
un  être  existant,  réel.  Ce  qui  ne  nous  donne  aucune 
sensation  pendant  que  nous  nous  mouvons  n'est  rien , 
est  le  néant,  le  vide. 

L'idée  de  Y  espace  vide  ou  plein  est  une  idée  abstraite 
de  ces  deux-là,  l'être  et  le  néant,  rapprochées  sous  le 
rapport  de  leurs  relations  avec  nos  mouvemens. 

h' étendue  est  une  propriété  sans  laquelle  nous  ne 
pouvons  concevoir  aucune  existence  réelle  ;  car  nous 
ne  pouvons  comprendre  comment  existerait  un  être 
qui  n'existerait  nulle  part. 

De  la  propriété  d'être  étendu  dérive  nécessaire- 


4o6  EXTRAIT   RAISONNE 

ment  celle  d'être  impénétrable ,  c'est-à-dire  de  ne 
pouvoir  céder  ?a  place  sans  en  occuper  une  autre  • 
d'être  divisible,  c'est-à-dire  d'être  composé  de  par- 
ties existantes  dans  des  places  différentes  ;  d'avoir 
une  certaine/orme,  c'est-à-dire  d'être  circonscrit  dans 
certaines  limites. 

On  ne  devrait  pas  confondre  les  mots  forme  et 

figure.  La  forme,  que  nous  reconnaissons  par  le  tact 

à  un  corps,  est  toujours  la  même;  elle  présente  à 

notre  vue  différentes  figures ,  suivant  les  circonstances 

et  les  positions. 

La  porosité  est  une  propriété  générale  de  tous  les 
êtres  étendus  connus ,  et  ne  pourrait  avoir  lieu  sans 
l'étendue  ;  mais  elle  n'en  est  pas  une  conséquence 
nécessaire. 

Observez  que  l'inertie  ne  prouve  pas  que  la  matière 
ait  plus  de  tendance  au  repos  qu'au  mouvement;  et 
quand  l'existence  des  êtres  animés  ne. suffirait  pas  pour 
prouver  qu'elle  est  essentiellement  active,  toutes  les 
attractions,  toutes  les  propensions  à  des  mouvemens 
spontanés  que  nous  observons  dans  les  êtres  qui ,  étant 
inorganisés,  n'ont  aucun  moyen  de  nous  manifester 
leur  action  interne,  devraient  nous  faire  conclure 
qu'ils  n'ont  besoin  d'aucune  impulsion  étrangère  pour 
être  mus. 

Observez  encore  qu'aucune  des  propriétés  ci-dessus 
énoncées  ne  pourrait  avoir  lieu  dans  des  êtres  privé-) 
d'étendue. 

La  durée,  au  contraire,  pourrait  appartenir  à  des 
êtres  inétendus  ,  si  nous  pouvions  en  connaître  ou 
même  en  concevoir  de  tels. 

Le  seul  sentiment  de  notre  existence,  la  seule  suc- 


de  l'idéologie.  407 

cession  de  nos  sensations*  suffit  pour  nous  donner 
l'idée  de  la  durée  ;  mais  si  nous  ne  connaissions  rien 
autre  chose,  nous  n'aurions  aucun  moyen  de  la  me- 
surer. Nous  ne  pourrions  avoir  l'idée  de  temps ,  qui 
est  celle  d'une  durée  mesurée. 

Pour  former  celle-ci,  il  faut  connaître  le  mou- 
vement et  l'étendue  ;  car  nous  ne  mesurons  la  durée 
que  par  le  moyen  du  mouvement ,  lequel  est  repré- 
senté par  l'étendue  ;  et  ensuite  la  durée  et  l'étendue 
combinées  nous  servent  à  mesurer  le  mouvement  lui- 
même.  Nous  allons  voir  dans  le  chapitre  suivant  com- 
ment cela  se  fait. 

CHAPITRE  X. 

Continuation  du  -précédent.  De  la  Mesure  des 
propriétés  des  Corps. 

Mesurer  une  quantité  quelconque  ,  ce  n'est  autre 
chose  que  la  comparer  à  une  quantité  connue  d'avance 
qui  sert  d'unité ,  de  terme  de  comparaison  ;  c'est  voir 
combien  de  fois  elle  renferme  cette  unité. 

Pour  cela  ,  il  faut  premièrement  que  cette  unité- 
soit  de  même  nature  que  la  quantité  qu'on  lui  com- 
pare. On  ne  peut  mesurer  des  mètres  par  des  francs 
ni  des  francs  par  des  grammes;  car  des  mètres  ne  ren- 
ferment pas  des  francs  ni  des  francs  des  grammes. 

Secondement,  il  faut  que  cette  unité  soit  déter- 
minée d'une  manière  précise  et  constante  ;  car  si  le 
ternie  de  comparaison  était  incertain  ou  variable  , 
tout  calcul  serait  hypothétique  et  vague. 

Il  suit  de  là  qu'aucune  quantité  n'est  mesurable 
qu'à  proportion  qu'elle  est  susceptible  de  division;» 
nettes  et  durables. 


4o8  EXTRAIT  RAISONNÉ 

L'étendue  a  éminemment  ces  qualités.  Ses  parties 
sont  distinctes  et  permanentes;  on  en  prend  une  por- 
tion qu'on  appelle  une  toise  ou  un  mètre;  on  y  rap- 
porte toutes  les  autres  :  il  n'y  a  jamais  de  difficulté 
à  la  mesurer. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  de  la  durée  ;  ses  parties  sont 
en  elles-mêmes  transitoires  et  confuses.  Nous  avons 
cependant  trouvé  moyen  de  nous  faire  une  unité  de 
durée,  et  cette  unité  c'est  le  jour.  Toutes  les  autres 
périodes  sont  des  multiples  ou  des  sous -multiples 
de  celle-là. 

Mais  qu'est-ce  qui  nous  rend  sensibles  les  limites 
et  les  parties  de  cette  unité  de  durée?  C'est  un  mou- 
vement, c'est  celui  de  la  terre  sur  son  axe,  ou  ce  sont 
d'autres  mouvemens  que  nous  rapportons  à  celui-là.' 

Le  mouvement  cependant  est  composé  ,  comme  la 
durée ,  de  parties  transitoires  et  confuses.  Cela  est 
vrai  ;  mais  il  est  fidèlement  représenté  par  les  parties 
de  l'étendue,  puisque  la  propriété  d'être  étendu  n'est 
pour  nous  que  la  propriété  d'être  parcouru  par  le 
mouvement. 

La  durée  est  donc  mesurée  par  elle-même  comme 
toute  quantité ,  mais  représentée  par  le  mouvement , 
et  le  mouvement  par  l'étendue.  Ainsi  les  parties  tran- 
sitoires et  confuses  de  la  durée  sont  manifestées  par 
les  parties  distinctes  et  permanentes  de  l'étendue  : 
aussi  sont-elles  mesurées  très-rigoureusement. 

Il  en  est  de  même  du  mouvement  ;  il  est  représenté 
par  l'étendue  ;  mais  il  ne  peut  être  mesuré  que  par 
lui-même ,  comme  toute  autre  chose.  L'étendue  par- 
courue manifeste  le  mouvement  opéré  ;  mais  pour 
mesurer  l'énergie  de  c^  mouvement,  ce  qu'on  appelle- 


DE   L'mÉOLOGIE.  4«9 

sa  vitesse,  on  a  recours  à  la  durée  ;  c'est-à-dire  qu'on 
le  compare  au  mouvement  qui  constate  toutes  les  du- 
rées ,  à  celui  d'un  point  de  l'équateur  dans  la  révo- 
lution diurne.  C'est-là  l'unité  de  mouvement  à  laquelle 
on  les  rapporte  tous. 

Le  mouvement  comme  la  durée  est  donc ,  ainsi  que 
toutes  les  quantités  possibles ,  mesuré  par  une  unité 
de  son  espèce  ;  mais  il  est  comme  elle  évalué  en  par- 
ties d'étendue,  ce  qui  fait  qu'il  est  susceptible  de 
mesures  très-précises  et  très-certaines. 

Les  effets  de  plusieurs  autres  propriétés  des  corps 
sont  de  même,  par  divers  moyens,  rapportés  à  des 
mesures  d'étendue,  ce  qui  rend  possible  de  les  appré- 
cier exactement  -,  d'autres  n'en  sont  pas  susceptibles , 
ce  qui  réduit  à  ne  les  évaluer  que  par  approximation. 

En  général ,  remarquez  que  de  toutes  les  espèces  de 
quantités  ,  Yétendue  est  la  seule  dont  les  divisions 
soient  faciles  ,  précises  et  permanentes ,  ce  qui  la  rend 
la  plus  éminemment  mesurable.  De  là  vient  que,  seule 
entre  toutes  les  autres,  elle  a  la  possibilité  d'être  re- 
présentée fidèlement  sur  une  échelle  plus  petite  que 
nature.  C'est  l'objet  de  l'art  du  dessin. 

De  là  vient  aussi  la  facilité  que  l'on  a  en  géomé- 
trie d'arriver  à  la  vérité  et  à  la  certitude.  Les  autres 
sciences  participent  plus  ou  moins  à  cet  avantage ,  à 
proportion  que  les  objets  dont  elles  ti'aitent  sont  plus 
ou  moins  réductibles  en  mesures  de  l'étendue. 

Observez  encore  que  la  possibilité  d'employer  le 
calcul  dans  ces  sciences,  suit  exactement  la  menti 
proportion.  Les  distances  entre  les  nombres  étant  dé- 
terminées avec  une  précision  rigoureuse,  on  ne  peut 
les  appliquer  qu'à  des  quantités  dont  les  divisions  sont 


4lO  EXTRAIT  RAISONNÉ 

très-précises  aussi.  Pour  celles  qui  ne  sont  suscep- 
tibles que  d'évaluations  approximatives,  on  ne  peut 
employer  que  les  mots  plus,  moins,  peu,  beaucoup, 
et  autres  adverbes  de  quantité. 

C'est  donc  à  la  nature  des  objets  qui  varient  et  non 
à  celle  des  opérations  intellectuelles ,  qui  sont  tou- 
jours les  mêmes,  que  les  diverses  sciences  doivent 
leurs  différens  degrés  de  clarté  et  de  certitude. 

Il  n'y  avait  que  l'étude  approfondie  de  nos  facultés 
intellectuelles  qui  pût  nous  faire  découvrir  cette  vérité. 

CHAPITRE  XI. 

Réflexions  sur  ce  qui  précède ,  et  sur  la  manière  dont 
Condillac  a  analysé  la  Pensée. 

Voilà  donc  qu'au  moyen  des  quatre  facultés  élé- 
mentaires que  nous  avons  reconnues  dans  la  faculté 
de  penser,  nous  avons  démêlé  nettement, 

Comment  nous  connaissons  notre  existence, 

Comment  se  forment  toutes  nos  idées  composées , 

Comment  nous  sommes  assurés  de  l'existence  des 
êtres  qui  les  causent, 

Comment  nous  découvrons  les  propriétés  de  ces 
êtres  , 

Comment  nous  mesurons  leurs  effets , 

Et  pourquoi  les  uns  sont  plus  difficiles  à  apprécier- 
et  à  calculer  que  les  autres. 

Nous  sommes  donc  en  droit  d'assurer  que  nous 
avons  bien  analysé  la  pensée  et  que  nous  l'avons  dé- 
composée dans  ses  véritables  élémens.  Cependant 
montrons  encore,  par  quelques  exemples,  que  certaines 
facultés  qu'y  ont  reconnu  d'autres  analystes,  ou  ne 


DE  l'idéologie.  4ll 

sont  point  des  facultés ,  ou  sont  composées  de  celles 
que  nous  avons  regardées  comme  élémens  primitifs. 

U attention ,  par  exemple  ,  c'est  l'état  de  l'homme 
qui  veut  sentir,  juger  ou  agir;  c'est  un  effet  de  la  vo- 
lonté ;  mais  ce  n'est  point  une  faculté  ni  une  percep- 
tion particulière. 

Il  en  est  de  même  de  la  comparaison.  Comparer 
deux  idées ,  c'est  les  sentir  toutes  deux  ou  sentir  leur 
rapport  ;  c'est  sentir  ou  juger. 

La  réflexion,  c'est  l'état  de  l'homme  qui  se  sert 
de  sa  sensibilité  et  de  sa  mémoire  pour  arriver  à  porter 
un  jugement. 

Le  raisonnement ,  c'est  la  répétition  de  l'action 
de  juger. 

U  imagination ,  dans  le  sens  d'invention ,  c'est  l'em- 
ploi de  toutes  nos  facultés  intellectuelles  pour  former 
de  nouvelles  combinaisons. 

L 'imagination,  dans  le  sens  de  mémoire  vive  qui 
prend  ses  souvenirs  pour  des  impressions  actuelles  et 
réelles ,  c'est  la  mémoire  unie  à  un  jugement  erroné. 

La  réminiscence ,  que  l'on  fait  consister  à  avoir 
des  souvenirs  et  à  sentir  que  ce  sont  des  souvenirs , 
c'est  encore  la  mémoire  unie  à  un  jugement,  mais  à 
un  jugement  vrai. 

Enfin ,  toutes  les  passions  sont  de  pures  affections  , 
de  simples  sensations  internes ,  ou  ces  sensations  unies 
à  un  désir,  et  quelquefois  à  un  jugement. 

Sans  multiplier  davantage  ces  citations  ,  concluons 
de  nouveau  que  penser  n'est  rien  que  sentir,  et  se  ré- 
duit à  sentir  des  sensations  proprement  dites,  des 
souvenirs  ,  des  rapports  et  des  désirs.- 

Mais  si  c'est-là  une  vérité  _,  comme  j'ose  le  croire , 


4l2  EXTRAIT  RAISONNÉ 

comment  se  fait-il  qu'elle  ait  été  méconnue  jusqu'à 
présent  et  qu'elle  ait  été  difficile  à  observer?  C'est-là 
ce  qu'il  s'agit  de  trouver. 

CHAPITRE  XII. 

De  la  Faculté  de  nous  mouvoir ,  et  de  ses  rapports 
avec  la  Faculté  de  sentir. 

Ici  commence  un  nouvel  ordre  de  choses.  Jusqu'à 
présent  nous  avons  examiné  la  pensée  en  elle-même, 
séparée  des  autres  propriétés  de  nos  individus ,  et 
pour  ainsi  dire  abstraitement.  Maintenant  il  faut  la 
considérer  dans  ses  relations  avec  notre  organisation, 
et  sur-tout  comme  unie  à  la  faculté  de  nous  mouvoir. 

C'est  par  le  moyen  de  nos  nerfs  que  nous  sentons , 
c'est  par  celui  de  nos  muscles  que  nous  nous  mouvons. 
Comment  s'opèrent  ces  deux  effets?  Nous  l'ignorons. 

INous  savons  bien  qu'il  ne  se  produit  en  nous  aucune 
force  nouvelle,  c'est-à-dire  que  quand  nous  faisons 
un  effort  quelconque ,  nous  n'agissons  contre  l'obs- 
tacle que  comme  poids ,  ou  comme  ressort,  ou  comme 
levier ,  à  la  manière  des  êtres  inanimés  ;  mais  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que ,  tant  que  nous  vivons  ,  nos 
muscles  sont  capables  de  soulever  des  poids  dont  une 
portion  suffirait  à  les  faire  rompre  dans  l'état  de 
mort,  et  que  notre  corps  assimile  à  sa  substance  les 
corps  avec  lesquels  il  est  en  contact,  tandis  qu'après 
la  mort  ce  sont  tous  les  élémens  qui  le  composent, 
qui  se  dissolvent  et  se  séparent,  et  vont  former  de 
nouveaux  mixtes  avec  les  corps  environnans. 

C'est  donc  quelque  chose  que  la  force  vitale.  Nous 
pouvons  nous  la  représenter  comme  le  résultat  d'at- 
tractions et  de  combinaisons  chimiques  qui ,  pendant 


DE   L' IDÉOLOGIE.  4l5 

un  temps,  donnent  naissance  à  un  ordre  de  faits  par- 
ticuliers ,  et  bientôt,  par  des  circonstances  inconnues, 
rentrent  sous  l'empire  de  lois  plus  générales,  qui  sont 
celles  de  la  matière  inorganisée.  Tant  qu'elle  subsiste, 
nous  vivons ,  c'est-à-dire  que  nous  nous  mouvons  et 
que  nous  sentons. 

Il  s'opère  beaucoup  de  mouvemens  en  nous  sans 
que  nous  en  ayon3  la  conscience,  sans  qu'ils  nous 
causent  la  moindre  perception  ;  mais  nous  ne  pouvons 
avoir  aucune  perception  sans  qu'il  s'exécute  quelques 
mouvemens  dans  nos  organes.  Ainsi,  l'action  de  sen- 
tir est  un  effet  particulier  de  l'action  de  nous  mouvoir. 

Nous  en  devons  conclure  que,  quoique  nous  ne 
puissions  pas  déterminer  la  différence  de  chacun  de 
nos  mouvemens  nervoux ,  quoique  nous  ne  puissions 
en  voir  aucun,  cependant  toutes  les  fois  que  le  même 
nerf  nous  procure  une  sensation  différente ,  il  faut 
qu'il  ait  éprouvé  un  ébranlement  différent,  et  qu'il 
se  passe  en  lui  et  dans  l'organe  cérébral  un  mouve- 
ment particulier  ;  et  aussi  que  chacun  de  nos  nerfs  a 
une  manière  d'être  mu  et  d'agir  sur  le  cerveau  qui  lui 
est  propre,  puisque  toutes  les  impressions  produites 
diffèrent  entr  elles  plus  ou  moins.  On  voit  quelle 
quantité  prodigieuse  de  mouvemens  divers  s'opèrent 
en  nous,  sans  compter  même  tous  ceux,  très-nom- 
breux aussi,  qui  ne  sont  la  source  d'aucune  perception. 

CHAPITRE  XIII. 

De  F  influence  de  notre  Faculté  de  vouloir  sur  celle 
de  nous  mouvoir  et  sur  chacune  de  celles  qui  com- 
posent la  Faculté  de  penser. 

Tous  ces  mouvemens  sont  soumis  à  notre  volonté 
à  des  degrés  différent ,  c'e;t-à-dire  sont  plus  ou  moia* 


4l4  EXTRAIT  RAISONNE 

dépendans  de  ceux  qui  produisent  en  nous  la  percep- 
tion d'un  désir. 

Ceux  qui  ne  sont  la  source  d'aucune  perception , 
qui  sont  absolument  inaperçus ,  sont  par  cela  même 
totalement  indépendans  de  notre  volonté,  c'est-à-dire 
de  notre  désir  de  les  effectuer. 

Ceux  dont  il  résulte  des  sensations  internes  ou  ex- 
ternes ,  nous  ne  pouvons  pas  faire  qu'ils  existent  en 
nous  indépendamment  de  leurs  causes ,  ni  que  l'im- 
pression que  nous  font  ces  causes  soit  autre  qu'elle 
n'est  ;  seulement  nous  pouvons  faire  des  actions  qui 
nous  mettent  dans  le  cas  d'éprouver  ou  d'éviter  cette 
impression,  et  qui  la  fortifient  ou  l'atténuent. 

Il  en  est  de  même  de  ceux  dont  résultent  des  sou- 
venirs, à  la  différence  près  que  souvent,  par  l'effet  de 
notre  désir,  les  souvenirs  nous  viennent. 

Ceux  dont  résultent  des  jugemens  sont  dans  le 
même  cas.  Un  jugement  naît  nécessairement  des 
impressions  qui  en  sont  l'objet;  mais  ces  impressions, 
il  est  jusqu'à  un  certain  point  des  moyens  de  les 
éprouver  ou  de  les  éviter  à  volonté. 

Quant  aux  mouvemens  dont  l'effet  est  le  déplace- 
ment de  quelques-uns  de  nos  membres,  ils  sont  sou- 
vent dépendans  de  nos  désirs,  quoique  les  moyens 
par  lesquels  ils  s'opèrent  nous  soient  inconnus. 

Enfin,  les  mouvemens  internes  dont  résultent  nos 
désirs,  ne  sont  pas  soumis  à  nos  désirs  eux-mêmes- 
Ceux-ci  ne  peuvent  ni  faire  ni  empêcher  que  ces 
mouvemens  naissent,  ni  changer  leur  effet;  mais 
comme  ils  sont  le  produit  d'impressions  antérieures 
sur  lesquelles  notre  volonté  a  l'espèce  d'action  que 
nous  venons  d'observer,  il  s'ensuit  que  des  désirs  pré- 


de  l'idéologie.  4l5 

cédens  influent  médiatement  sur  des  désirs  subsé- 
quens.  C'est  pour  cela  que  nous  avons  raison  d'atta- 
cher à  la  volonté  de  nos  semblables  l'importance  que 
nous  lui  accordons,  et  d'employer  les  moyens  dont 
nous  nous  servons  pour  agir  sur  elle. 

CHAPITRE  XIV. 

Des  effets  que  produit  en  nous  la  fréquente  répétition 
des  mêmes  actes. 

Une  propriété  générale  et  commune  à  tous  ces 
mouvemens,  c'est  qu'indépendamment  de  l'effet  mo- 
mentané qu'ils  produisent,  ils  laissent  dans  nos  organes 
une  disposition,  une  manière  d'être  permanente,  en 
un  mot ,  ce  qu'on  appelle  une  habitude. 

Cette  habitude  est  telle,  que  plus  les  mouvemens 
sont  répétés,  plus  ils  deviennent  faciles  et  rapides,  et 
que  plus  ils  sont  faciles  et  rapides,  moins  ils  sont 
perceptibles ,  c'est-à-dire  plus  la  perception  qu'ils 
nous  causent  diminue,  jusqu'au  point  même  de  s'anéan- 
tir, quoique  le  mouvement  ait  toujours  lieu. 

L'observation  de  ce  seul  phénomène  suffit  pour 
rendre  raison  de  tous  les  effets  qui  naissent  en  nous 
de  la  fréquente  répétition  des  mêmes  actes ,  quoique 
ces  effets  soient  très-variés  et  semblent  même  quel- 
quefois contraires  les  uns  aux  autres. 

Elle  nous  fait  voir  la  cause  de  plusieurs  faits  qui, 
sans  elle,  paraissent  absolument  incompréhensibles. 

Elle  nous  explique  même  pourquoi  un  homme 
dominé  par  un  désir  devenu  habituel,  agit  pour  le 
satisfaire  contre  les  lumières  les  plus  évidentes  de  sa 
raison.  C'est  que  pendant  qu'il  porte  avec  réilexion 
quelques  jugemens  sensés  qu'il   perçoit  nettement,, 


4l6  EXTRAIT   RAISONNÉ 

précisément  parce  qu'il  les  porte  avec  peine ,  il  en 
porte  en  même  temps  un  grand  nombre  d'autres  dont 
il  ne  s'aperçoit  presque  pas ,  justement  parce  qu'ils  lui 
sont  extrêmement  familiers ,  et  qui ,  par  cette  raison-là 
même ,  en  excitent  une  foule  d'autres  ,  et  l'entraînent 
en  sens  contraire. 

Il  y  a  en  lui  simultanéité  et  conflit  de  jugemens, 
les  uns  aperçus ,  les  autres  inaperçus ,  et  ce  sont  tou- 
jours  les  plus  habituels  qui  l'emportent,  parce  qu'ils 
réveillent  un  bien  plus  grand  nombre  d'impressions 
adjacentes.  Il  est  vrai  que  pour  goûter  cette  explica- 
tion, il  faut  consentir  à  admettre  qu'il  se  passe  en  nous 
en  un  instant  un  nombre  prodigieux  de  mouvemens , 
et  qu'il  s'y  exécute  presque  simultanément  une  quan- 
tité incroyable  d'opérations  intellectuelles  dont  nous 
n'avons  pas  même  la  conscience  ;  mais  mille  faits 
prouvent  qu'il  en  est  ainsi.  Par  exemple,  n'est-il  pas 
évident  qu'il  s'opère  en  un  clin-d'œil  une  multitude 
innombrable  de  mouvemens  et  de  combinaisons  ina- 
perçues dans  l'homme  qui  lit  rapidement  un  livre 
qu'il  comprend ,  et  plus  encore  dans  celui  qui  écrit 
ses  idées  à  course  de  plume?  Et  d'ailleurs  y  a-t-il 
quelque  chose  de  révoltant  à  supposer,  quand  tout 
porte  à  le  croire,  que  le  fluide  nerveux  égale  ou  sur- 
passe le  fluide  lumineux  en  subtilité  et  en  vitesse? 

Cette  manière  de  voir  nous  conduit  à  comprendre 
comment  se  produisent  les  déterminations  instinctives 
en  général ,  et  nommément  celles  de  certains  ani- 
maux qui,  dès  les  premiers  instans  de  leur  existence  , 
font  des  actions  qui  paraissent  exiger  un  grand  nombre 
de  combinaisons ,  et  même  quelques  connaissances 
acquises .  Pour  s'en  rendre  compte ,  il  suffit  de  con- 
cevoir 


DE   L'iDEOLOGlE.  4l7 

ceyoir  que  dans  ces  espèces  une  foule  de  combinai- 
sons se  font  dès  le  premier  moment  avec  la  même 
incroyable  rapidité  qu'elles  n'acquièrent  en  nous  que 
par  l'exercice. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  avéré  que,  par  leur  fré- 
quente répétition,  nos  mouveme:;;  >t  nos  opérations 
intellectuelles  deviennent  plus  rapides,  plus  faciles 
et  moins  sensibles  ,  jusqu'à  un  degré  vraiment  pro- 
digieux. 

CHAPITRE  XV. 

Du  perfectionnement  graduel  de  nos  Facultés 
intellectuelles . 

Cette  capacité  de  nos  organes  de  recevoir  une  dis- 
position permanente  à  l'occasion  d'une  impression 
passagère,  est  la  source  de  tous  nos  progrès  et  de 
toutes  nos  erreurs. 

Elle  est  la  cause  de  tous  nos  progrès,  car  sans  elle 
nous  n'aurions  absolument  aucuns  souvenirs. 

En  effet,  on  sent  bien  que  si  nos  perceptions,  lors 
de  leur  disparition,  nous  laissaient  absolument  comme 
nous  étions  avant  de  les  avoir  éprouvées ,  il  nous  serait 
impossible  de  nous  les  rappeler.  Or,  sans  souvenirs, 
tout  progrès  ultérieur  serait  impossible.. 

Cependant  ces  progrès  seraient  encore  bien  faibles 
sans  l'accroissement  de  facilité  qui  a  lieu  dans  nos 
fonctions.  Quand  on  songe  combien  toute  opération 
nouvelle  est  pour  nous  pénible  et  lente,  on  reconnaît 
bien  vite  que  l'homme  brut  et  l'esprit  cultivé  diffèrent 
encore  bien  plus  par  l'aptitude  à  faire  des  combinais- 
sons  que  par  le  nombre  de  leurs  connaissances. 

Mais    cette    disposition    qui   demeure    dans    no# 


4l8  EXTRAIT  RAISONNE 

organes  est  aussi  la  cause  de  nos  erreurs,  i°  parce  que 
beaucoup  d'opérations  intellectuelles  s'exécutent  à 
notre  insu ,  et  nous  avons  vu  ce  qui  en  arrive  ;  2°  parce 
que  devenant  vraiment  innombrables,  il  est  difficile 
qu'elles  ne  se  causent  pas  réciproquement  des  pertur- 
bations et  qu'il  ne  s'établisse  pas  entr'elles  des  liai- 
sons vicieuses.  Aussi  la  démence  absolue  est-elle  plus 
fréquente  dans  les  esprits  très-exercés  et  très-actifs. 

De  tout  cela  il  résulte  que  quand  l'homme  naîtrait 
avec  l'entier  développement  de  ses  organes ,  il  n'en 
serait  pas  moins  réduit  d'abord  à  un  degré  bien  borné 
d'intelligence  et  de  capacité. 

Jusqu'à  quel  point  l'individu  isolé  et  livré  à  lui- 
même  se  perfectionnera-t-il  par  ses  propres  forces? 
c'est  ce  qu'il  est  impossible  de  déterminer  avec  préci- 
sion •,  mais  si  l'on  pense  à  la  prodigieuse  différence  qu'il 
y  a  entre  inventer  et  apprendre ,  on  peut  prononcer 
qu'il  n'égalerait  jamais  le  sauvage  le  plus  brut,  car 
celui-là  même  a  déjà  beaucoup  reçu  de  ses  semblables. 

Ceci  nous  amène  naturellement  à  l'examen  de 
l'usage  des  signes.  Nous  y  trouverons  de  nouvelles 
causes  de  progrès  et  d'erreurs. 

En  attendant,  concluons  que  le  premier  état  de  la 
race  humaine,  même  en  la  supposant  dès  l'origine 
organisée  comme  aujourd'hui ,  a  dû  être  la  stupidité 
et  l'engourdissement ,  et  que  ses  premiers  progrès 
n'ont  pu  être  qu'excessivement  lents. 

CHAPITRE  XVI. 

Des  Signes  de  nos  Idées  et  de  leur  effet  principal. 
La  plus  précieuse  des  inventions  des  hommes ,  est 
cdte  d'exprimer  leurs  idées  d'une  manière  incom- 


de  l'idéologie.  4ig 

parablement  plus  parfaite  qu'aucune  autre  espèce 
d'animaux. 

Non-seulement  depuis  bien  long-temps  on  parle  , 
niais  encore  depuis  bien  long-temps  aussi  on  a  parlé 
quelquefois  avec  une  perfection  admirable.  Cepen- 
dant l'origine  et  les  propriétés  de3  signes  de  nos  pen- 
sées ne  sont  que  très-nouvellement  et  très-imparfaite- 
ment connues.  Cela  prouve  bien  qu'un  art  peut  être 
porté  à  un  très-haut  degré,  quoique  sa  théorie  soit 
encore  ignorée.  C'est  dans  tous  les  genres  que  l'homme 
est  obligé  d'agir  provisoirement  avant  de  connaître 
toutes  les  causes  et  tous  les  moyens,  et  qu'il  agit 
souvent  très -bien  avant  de  démêler  complètement 
pourquoi. 

C'est  ce  qui  fait  que  dès  long-temps  il  a  maintes 
fois  raisonné  parfaitement,  quoique  l'Idéologie  soit 
encore  une  science  nouvelle  et  naissante.  11  ne  s'en- 
suit pas  qu'elle  soit  inutile;  elle  peut  conduire  àfairs 
durement  et  toujours  ce  qu'on  n'a  fait  que  par  hasard 
et  rarement. 

Les  signes  de  nos  idées  sont  de  diverses  espèces  ; 
nous  en  avons  qui  s'adressent  à  la  vue  et  au  tact  ; 
nous  pourrions  en  avoir  qui  affectassent  l'odorat  et  le 
goût.  Mais  les  plus  généralement  usités ,  parce  qu'ils 
sont  les  plus  commodes  et  les  plus  susceptibles  de 
perfection,  sont  ceux  qui  partent  de  l'organe  vocal  et 
s'adressent  à  l'organe  de  l'ouïe. 

Tout  système  de  signes  peignant  directement  les 
idées,  est  une  vraie  langue  ou  langage. 

Les  écritures  hiéroglyphiques,  symboliques,  arith- 
métiques ,  algébriques ,  sont  de  vraies  langues  ;  elles 
représentent  immédiatement  les  idées. 

Dd  2 


4iO  EXTRAIT   RAISONNÉ 

Les  écritures  alphabétiques  et  syllabiques  ne  sont 
point  des  langues  ;  elles  ne  représentent  point  immé- 
diatement les  idées;  elles  représentent  les  sons  d'une 
langue  parlée  ;  elles  rendent  visuels  des  signes  orals , 
-et  rien  de  plus. 

Lire  celles-ci,  ce  n'est  que  les  prononcer;  lire  les 
premières ,  c'est  les  traduire. 

Un  alphabet  unique,  une  orthographe  unique,  une 
langue  parlée  unique,  seraient  suflisans  et  plus  com- 
modes ;  mais  eussions-nous  une  langue  parlée  uni- 
verselle, les  langues  arithmétique  et  algébrique  au> 
raient  encore  des  avantages  particuliers  qui  devraient 
les  faire  conserver,  ainsi  que  les  plans  et  les  figures  de 
géométrie  ,  parce  qu'elles  n'ont  plus  ces  avantagea 
quand  elles  sont  traduites  dans  une  autre  langue 
quelconque. 

Tous  nos  systèmes  de  signes,  tous  nos  langages, 
sont  presqu'entièrement  de  convention ,  pour  peu 
qu'ils  soient  perfectionnés;  mais  ils  ont  tous  pour  base 
commune  les  actions  que  nous  font  faire  nécessaire- 
ment nos  pensées,  et  qui,  par  cela  même,  les  manir 
festent  et  en  sont  les  signes  naturels. 

Le  langage  d'action  est  donc  le  langage  originaire  ; 
il  est  composé  de  gestes,  de  cris,  d'attouchemens ;  il 
s'adresse  à  la  vue ,  à  l'ouïe  ,  au  tact. 

Dans  nos  langages  perfectionnés,  nous  employons 
toujours  plus  ou  moins  ces  trois  moyens,  quoique  celui 
qui  s'adresse  à  l'ouïe  soit  prédominant  de  beaucoup , 
excepté  dans  les  momens  où  la  violence  de  la  passion 
nous  donne  le  besoin  de  produire  un  effet  subit ,  etnous, 
ôte  la  capacité  de  faire  des  combinaisons  réfléchies.. 
Mais  l'elfet  de  tous  ces  signes  n'est  pas  seulement 


DE   L'IDÉOLOGIE.  421 

de  communiquer  nos  idées.  Leur  propriété  la  plus 
importante  est  de  nous  aider  à  combiner  nos  idées 
élémentaires ,  à  en  former  des  idées  composées  et  à 
fixer  ces  composés  dans  notre  mémoire. 

Nous  avons  vu  que  nous  n'avons  plus  dans  nos  têtes 
que  des  idées  abstraites  et  généralisées,  et  qu'elles 
n'ont  pas  d'autre  soutien  dans  notre  esprit  que  le  signe 
qui  les  représente. 

C'est-là  un  fait  dont  on  peut  donner  mille  preuves', 
et  entr' autres  celle-ci  :  c'est  que  sans  noms  de  nombres 
nous  pourrions  à  peine  avoir  nettement  l'idée  de  six. 
Or,  que  l'on  songe  qu'il  n'y  a  presqu'aucune  de  nos 
idées  qui  ne  soit  plus  composée  que  celle  de  six,  et 
l'on  verra  où  nous  en  serions  sans  les  signes,  et  où 
nous  en  étions  avant  de  les  avoir  un  peu  perfectionnés. 

La  cause  de  cet  effet  des  signes  me  paraît  être  que 
nos  perceptions  purement  intellectuelles  sont  très- 
légères  ,  et  par  là  même  très-fugitives ,  parce  que  les 
mouvemens  internes  par  lesquels  elles  s'opèrent  ébran- 
lent très-peu  le  système  nerveux;  or,  le  signe  en  s'y 
joignant,  les  fait  participer  à  l'énergie  de  la  sensation 
dont  il  est  la  cause.  Il  constate  et  fixe  le  résultat  d'opé- 
rations intellectuelles  dont  le  sentiment  disparaît.  Il 
devient  une  formule  que  nous  nous  rappelons  facile- 
ment, parce  qu'elle  est  sensible,  et  que  nous  employons 
dans  des  combinaisons  ultérieures ,  quoique  nous 
ayons  oublié  le  mode  de  sa  formation. 
•  Ainsi,  nous  sommes  aussi  réellement  conduits  par 
les  mots  dans  nos  raisonnemens  que  l'algébriste  par  se* 
formules  dans  ses  calculs.  Si  le  résultat  n'est  pas  corn 
plètement  le  même  dans  les  deux  cas ,  la  différence 
tient  à,  la  nature  des  ï<îée$;  mais  le  mécanisme  estpareil, 


422  EXTRAIT   RAISONNÉ 

CHAPITRE  XVII.      • 

Continuation  du  précédent.    Des  autres  effets 
des  Signes. 

Il  suit  de  ce  qui  précède,  non  pas  que  nous  ne  pou- 
vons pas  avoir  d'idées  sans  signes,  car  il  est  bien  évi- 
dent que  l'idée  doit  précéder  le  signe  institué  pour  la 
représenter;  mais  qu'à  mesure  que  nous  faisons  de  nou- 
velles combinaisons  de  nos  idées,  le  nombre  de  nos 
signes  augmente,  et  que  plus  ils  expriment  de  nuances 
délicates,  plus  nos  analyses  deviennent  fines  etparfaites. 

Les  signes  ont  aussi  la  propriété  d'accroître  beau- 
coup les  effets  bons  et  mauvais  qui  résultent  en  nous 
de  la  fréquente  répétition  des  mêmes  opérations  in- 
tellectuelles. 

Tels  sont  leurs  avantages  et  leurs  inconvéniens prin- 
cipaux comme  moyens  de  former  nos  idées. 

Comme  moyens  de  communiquer  ces  idées  ,  ils  ont 
beaucoup  d'autres  effets  que  je  ne  rappellerai  ici  que 
sommairement. 

Il  est  manifeste  que  nous  leur  devons  toutes  nos  re- 
lations sociales  et  la  possibilité  de  jouir  de  toutes  les 
connaissances  acquises  par  nos  semblables  ;  mais  il  ne 
l'est  pas  moins  que  ces  connaissances  nous  arrivent 
souvent  bien  indigestes  et  bien  désordonnées. 

Il  est  encore  certain  qu'apprenant  le  plus  souvent 
les  signes  avant  de  connaître  par  nous-mêmes  les  élé- 
mens  des  idées  qu'ils  représentent,  nous  composons, 
d'abord  ces  idées  d'une  manière  incomplète  ou  fausse  ; 
que,  dans  un  autre  temps,  nous  perdons  souvent  de 
vue  quelques»uns  des  élémens  que  nous  y  avons  fait 
entrer  avec  raison  t  et  qu'enfin  nous  ne  sommes  jamais 


DE   L'IDÉOLOGIE.  423 

complètement  sûrs  que  ceux  à  qui  nous  parlons  com- 
prennent absolument  les  mêmes  combinaisons  que 
nous  sous  les  mêmes  signes  ;  ensorte  qu'en  nous  en 
servant,  souvent  nous  nous  abusons  nous-mêmes  et 
nous  n'entendons  pas  les  autres. 

De  là  naît  en  grande  partie  la  rectification  graduelle 
que  nous  remarquons  dans  nos  idées  pendant  le  pre- 
mier âge,  le  changement  de  notre  manière  d'envisager 
les  mêmes  objets  dans  les  différentes  époques  de  notre 
vie ,  et  la  différence  des  opinions  des  hommes  sur  les 
idées  exprimées  par  certains  mots. 

Quant  aux  avantages  et  aux  inconvéniens  particu- 
liers aux  signes  vocaux  et  aux  moyens  de  les  amélio- 
rer, je  ne  m'y  arrêterai  pas.  Cette  explication  sera 
mieux  placée  quand  nous  traiterons  de  la  Grammaire 
et  de  la  Logique,  qui  ne  sont  presque  qu'une  seule  et 
même  chose,  puisque  c'est  toujours  des  mots  que 
nous  combinons  quand  nous  raisonnons. 

Ici  je  n'ai  dû  parler  des  signes  qu'eu  égard  à  leur 
influence  générale  sur  la  formation  de  nos  idées,  le 
développement  de  nos  facultés  et  l'accroissement  de 
nos  connaissances.  Sans  cet  examen,  notre  but  n'au- 
rait été  rempli  qu'imparfaitement ,  au  lieu  qu'au 
moyen  de  ces  considérations  ,  je  crois  que  nous  avoi:s 
fait  une  histoire  assez  complète  de  la  pensée. 

En  effet ,  nous  avons  vu  en  quoi  consiste  la  faculté 
de  penser; 

Quelles  sont  les  facultés  élémentaires  qui  la  com- 
posent ; 

Comment  elles  forment  toutes  nos  idées  composées; 
Comment  ellps  nous  font  connaître  notre  existence, 


424  EXTRAIT   RAISONNE,  etc. 

celle  des  autres  êtres,  leurs  propriétés  et  la  manière 
de  les  évaluer  ; 

Comment  ces  facultés  intellectuelles  se  lient  aux 
autres  facultés  résultantes  de  notre  organisation  ; 

Comment  les  unes  et  les  autres  dépendent  de  notre 
faculté  de  vouloir; 

Comment  toutes  sont  modifiées  par  la  fréquente, 
répétition  de  leurs  actes  ; 

Comment  elles  se  perfectionnent  dans  l'individu  et 
dans  l'espèce  • 

Et  enfin  quels  secours  leur  fournit  et  quels  chan- 
gemens  y  apporte  l'usage  des  signes. 

C'est  bien  là,  je  crois,  ce  qui  constitue  l'Idéologie. 
Seulement  je  regrette  de  ne  l'avoir  pas  liée,  plus  inti^ 
mement  à  la  Physiologie  ;  mais  c'aurait  été  sortir  éga- 
lement des  bornes  de  mon  plan  et  de  celles  de  me3 
connaissances.  J'attends  tout  à  cet  égard  de  nos  savans 
physiologistes  philosophes ,  et  sur-tout  de  M.  Cabanis, 
dont  les  travaux  précieux  jettent  un  jour  tout  nouveau 
sur  ces  matières.  Pour  moi,  je  me  contente  qu'aucune 
de  mes  explications  ne  soit  en  contradiction  avec  les 
lumières  positives  que  fournit  l'observation  scrupu- 
leuse de  nos  organes  et  de  leurs  fonctions.  C'est  une 
justice  que  j'espère  que  l'on  me  rendra. 


Fin  de  la  Table  analytique. 


EXTRAIT  DU  CATALOGUE 


î>e  fev^oubs 


OUI   SE    TROUVENT  A  ZA   LIBRAIRIE    MATHÉMATIQUE 
ET  DE  L'INDUSTRIE 

iîe    BACHELIER,   successeur  de  M»».  Ve.  COURCIER, 
Quai  des  Augustuis ,  n°.  55,  à  Paris. 


NOVEMBRE  1826. 


ALLIX,  Lieutenant-Ge'r.éral.  THEORIE  DE 
L'UNIVERS  ,  ou  du  la  cause  primitive  du 
Mouvement  et  de  sck  principaux,  effets,  2e. 
édi*.,  i  vol.  iu-8.  ,  1818.  5  fr, 

ANALYSE  DE  LA  LUMIÈRE  déduite  des 
lois  de  la  mécanique  ,  1  i'ort.  vol.  iu-8.  avec 
plaaehes  ,  1826.  9  fr. 

ANNALES  DE  L'INDUSTRIE  NATIONALE 
ET  ETRANGERE,  ou  Mercure   technolo 
pique,  etc   ,     2^  vol    jusqu'en    l825.    180  fr. 
le  prix  de  Pnbonnement.,   pour  l'année,  est 
de  3o  fr.  pour  Paris  et  36  fr.  pour  tes  dépar- 
tement, et  q2  fr.  pour  L'étranger}  il  paraît 
un  numéro  cliaf/ite  mois. 

ANNUAIRE  présente  au  Roi  par  le  BUREAU 
DES  LONGITUDES  de  Fiance  .pour  l'an 
1826,  in-18.  (Cet  ouvrage  paraît  tous  les 
ans.  )  1  fr. 

ARAGO  f.t  BTOT.    RECUEIL    D'OBSER- 
VATIONS. (  Voyez  BiOT.  )  21  IV. 
ARITHMETIQUE  (L')des  campagnes,  à  l'u- 
sage   des  Ecoles     primaires,    etc.,     ouvrage 
adopté  par  l'Université,  in-12.  1  IV. 
BABLOT.  CALCUL  Dl-S  PIEDS  DE  FER, 
suivant  leur  épaisseur  et  largeur,  réduit  an 
poids.  Nonv,  édit.  augm.   du  tarif  du  poids 
du  FliRnoNI»,  à  1  usage  des  serruriers,  ar- 
chitectes -  (diseurs  ,  qui  s. ml  souve.it  chargés 
de  faire  des    devis   et    marches   cooç<  rnanl 
la  serrurerie,  à  la  suite   duquel  cm  trouvera 
des  tarifs  à  tant  la  livre  et  à  tant  le  cent ,  etc., 
et  de  plusieurs. tables.    I    vol.    in-12.   1821. 
2    fr,  5o  c 
BABRON.  PRÉCIS  DES    PRATIQUES  DE 

L'ART  N'A  VAL  EH  FRANCE,  en  Espagne 

et  en    Angleterre,  dominant ,    pour  les  (rois 

marines  ,  le,  ternies  techniques  des  comman- 

deniens  et  des  vocabulaires  en  français,  es- 

pagniii  et  anglais;  des  lali!ej>  des  dimensions 
de  la  mâture,  les  proportions  de  grécnicnl , 
etc.,  pour  chaque  espèce  de  vaisseau  de 
guerre  ou  de  commerce  ;  les  manœuvres  par- 


ticulières, les  e'volutious,  la  description  des 
pavillons  de  toutes  les  nations,  etc.,  I  vol. 
111-8.  ,  1817,  6   fr.   5o  c. 

BA1LLOT,  Maître  Teinturier  à  Paris.  NOU- 
VEAU MANUEL  DU  TEINTURIER,  ou 
Guide  pratique  des  apprentis  et  des  ouvriers 
dans  l'art  de  la  Teinture,  contenant  les  di- 
verses recettes  pour  faire  toutes  sortes  de 
couleurs  sur  laine,  soie,  fils  et  colon  ,  etc., 
suivi  de  Part  du  Teinl  uriei-Degidisseur  par 
Le  Normand,  professeur  d*  Technologie, 
in-t2,  1819.  3  Jr 

BAILLY.  HISTOIRE  DE  L'ASTRONOMIE* 
ANC1ENME  ET  MODERNE,  dans  laquelle 
on  a  conserve  littéralement  le  texte  ,  en  sup- 
primant seulement  les  calculs  abstraits ,  les 
noirs  livputlieliques,  les  digressions  scienti- 
6ques,ctc;  par  V.  C. ,  2  vol.  in-8.  10  fr. 
EARRUEL,  ex-Professeur  à  l'École  Polytech- 
nique, TABLEAUX  DE  PHYSIQUE, ou 
Introduction  à  cette  science,  à  l'nsage  des 
Elèves  ciel  Ecole  Polytechnique;  nouv. édit, 
entièrement  retondue  et  augmentée,  grand 
in-^.  ,  cari    ,  1806.  jçj  fr 

BASTENA1RE-  DAUDENART,  ancien  ma- 
nufacturier, ex  -  propriétaire  et  directeur 
de  la  manufacture  de  porcelaine  a  fritte  de 
Saint-  \mand-lesEau\.      L'ART      DE      L  V 

VITRIFICATION,  ou  TRAITÉ  El  É- 
MENTA1RE,  I\HÉORlQUK  ET  PRA- 
TIQUE DE  LA  FABRICATION  DU 
VERRE;   ouvrage  dans  lequel  sont  décrits 

avec  précision  les  divers  procédés  qu'on  em- 
ploie   pour  se   procurer   toutes   les   espèces 

de    verres    el   cristaux    colores,      laut     pour 

la  formation  des  vases- que  pour  les  vitraux 
et  les  pierres  imitant  les  pierres  pré- 
cieuses; ainsi  que  les  manipulations  relatives 
à  celte  branche   importante    de    l'industrie 

française;  suivi  d'un  Vocabulaire  des  mots 
techniques  employés  dans  cet  art,  et  d'uu 
Traité  de  la  dorure  sur  cristal  et  sur  verre. 
I  vol.  in  8°.,  avec  plancli.  182J.  7  fr. 


BERL1NGHIERI.    EXAMEN    DES     OPE- 
RATIONS ET  DES  TRAVAUX  Dt  CE- 
SAR  AU  SIEGE    D'.VLEZIA  (œuvre  pos- 
thume). Lucques,  1812,  3  f r   5oc. 
BERNOULLI    {Jacobi).   L'ART  DE    CON- 
JECTURER à  la   Lolorie,  traduit  du  latin 
par  Vastel ,  in-4-  7  fr-  5o  c- 
BiiRTHOUn.   [o.   L'ART   DE  CONDUIRE 
ET  DE  RÉGLER    LES   PENDULES  ET 
LES  MONTRES,  4e-  édit.,  augmentée  d'une 
planche  ,  el  de  la  manière  de  tracer  la  ligne 
méridienne    du   temps    moyen,     181 1,    vol. 
in-12,  avec  5  pi.                                 2  fr.  00  c. 
Dans   ce  petit  Ouvrage,    destiné   aux   per- 
sonnes qui  n'ont  aucune  connaissance  en  Hor- 
logerie ,  on  trouve  une  Notion  du  mécanisme 
d'une  pendule  et  d'une  montre  ;  les  causes  des 
variations  des  montres  ;  les  règles  à  suivre  pour 
gouverner   soi  même  ses  montres  et   ses   pen- 
dules; des   Tables  d'équation;  la    manière  de 
tracer  une  méridienne;   un  cadran  de  montre 
indiquant  l'équation  du  temps  ,  etc. 
2°.     ESSAIS  SUR  L'HORLOGERIE,   dans 
lequel  on  traiie   de  cet  Art  relativement  à 
l'usage  civil,  à  l'Astronomie  el  à  la  Naviga- 
tion ,suivi  des  éclaircissemenssuri'invention, 
la   théorie,   la  construction  et  les   épreuves 
des   nouvelles  machines  proposées  en  France 
pour  la  détermination  des  longitudes  en  mer 
par  la  mesure  du  temps  ,  avec  38   planches, 
2  vol.  in-4-  {rare.) 
3».     HISTOIRES    DE    LA    MESURE    DU 
TEMPS  par  les  Horloges.  Paris,   1802,   vol. 
in-4.,  avec  23  pi.  gravées.  36  fr. 
40.     TRAITE  DES  HORLOGES  MARINES, 
contenant    la    théorie,    la    construction,    la 
main-d'œuvre   de    ces    machines  ,  el  la   ma- 
nière de  les  éprouver,   suivi  des  éclaircisse- 
nïehs  sur  l'invention,  la  théorie,  la  construc- 
tion et  les  épreuves  des   nouvelles  machines 
proposées  en   Fiance  pour  la  détermination 
des    longitudes    eu    mer   par   la   mesure  du 
temps;  un  gros  volume  in-4-  ,  avec  27  plan- 
ches, 1773.  M  fr; 
5".     ÉCLAIRCISSEMENT  sur  l'invention,  la 
théorie,  la  construction  et  les  épreuves  des 
nouvelles     machines    proposées    en    France 
pour  la  détermination  des  longitudes  en  mer 
par  la  mesure  du  temps,  servant  de  suite   à 
YEsSai   sur    l  Horlogerie    et  au    Traité  des 
Horloges  marines;  etc.  ,  vol.  in-4-  ^  "• 
6°.     LES  LONGITUDES  PAR  LA  MESURE 

DU  TEMPS,  ou  Mélhoue  pour  déterminer 
les  longitudes  en  mer,  avec  le  secours  des 
horloges  marines  ,  suivie  du  Recueil  des 
Tables   nécessaires  au  pilote,   pour  réduire 

les  observations  relatives  à  la  longitude  et  à 
la  latitude,  1  vol.  in-4-  9  '''• 

r».     DE    LA    MESURE    DU   TEMPS,    ou 

J  Supplément  au  Traité  des  horloges  marines 
et  à  l'Essai  sur  l'horlogerie,  contenant  les 
principes  dfl  constructions,  d'exécution  et 
d'épreuves  des  petites  horloges  à  longitu- 
des portatives,  et  l'application  des  mêmes 
principes  de  construction  ,  etc.,  aux  montres 
de  pu  <;he  ,  ainsi  qf«  plusieurs  conslruelioes 
d'horloges  astronomiques,  etc.,  Onze  pi.  en 
taille  douce,  I  vol.  \r-'{.  '8  ir. 


8".  TRAITE  DES  MONTRES  A  LONGITU- 
DES ,  contenant  la  description  et  tous  les 
détails  de  main-d'œuvre  de  ces  machines, 
leurs  dimensions,  la  manière  de  les  éprou- 
ver, etc.,  suivi  l°.  du  Mémoire  instinctif 
sur  le  travail  des  montres  à  longitudes; 
2°.  de  la  description  de  deux  Horloges  astro- 
nomiques: 3°.  de  l'Essai  sur  une  Méthode 
simple  de  conserver  le  rapport  dis  poids  et 
des  mesures,  et  d  établir  une  mesure  univer- 
selle et  perpétuelle,  avec  sept  planches  en 
taille-douce. 

9°.  Suite  du  Traité  des  Montres  à  Longitu- 
des, contenant  la  construction  des  Montres 
verticales  portatives,  et  celle  des  Horloges 
horizontales,  pourservir  dausles  plus  longues 
traversées,  un  volume  in-4  ,  avec  deux 
planches  en  laille-douce.  Prix  de  ces  deux 
Ouvrages  .  réunis  en  un  volume ,  24  fr. 

10°.  Supplément  au  Traité  des  Montres  à 
Longitudes,  suivi  de  la  Notice  des  recher- 
ches de  l'Auteur,  depuis  1762  jusqu'en 
1807.,  12  fr. 

Total  de  cette  Collection;        191  fr.  5o  c. 

BEZOUT.  COURS  COMPLET  DÉ  MATHÉ- 
MATIQUES A  L'USAGE  DE  LA  MA- 
RINE, DE  L'ARTILLERIE,  et  des  Elèves 
de  1  École  Polytechnique  ,  nouvelle  édition, 
revue  et  augmentée  par  M  R.e x nt  \vt>.  Exa- 
minateur des  Candidats  de  l'Ecole  Polytech- 
nique; et  M.  DEROSSEL,  ancien  capitaine 
de  vaisseau,  Directeur  adjoint  du  Uépôl  gé- 
néral des  Cartes ,  Plans  et  Archives  de  la 
Marine.  6  vol.  iu-8.  ,  avec  planches. 

On  verni  séparément  , 

—  ARITHMÉTIQUE  avec  des  nolesfort  éten- 
dues, et  des  Tables  de  Logarithmes  jusqu'à 
10,000,  ele  ,  par  ReynaUD,  dixième  édition, 
l823.  3fr.5oc. 
Le  texte  pur  se  vend  séparément,  2  fr. 
Les  notes.seules  ,                                 2  fr.  l>0  c. 

—  GÉOMÉTRIE,  avec  des  Notes  fort  éten- 
dues, par  le  même,  troisième  édit.,   i8?'j- 

,  f  6  fr. 

Le  texte  pur  se  vend  séparément  ,  l\  Ir. 

Les  no.les  seules,  4  ''■ 

—  ALGÈBRE  et  Application  de  cette  science 
à  l'Arithmétique  et  à  la  Géométrie,  nou- 
velle édition,  avec  des  notes,  par  le  mc>,e ; 
in-8  ,  1822. 
Le  texte  pur  se  vend  séparément  , 

Les  Noies  seules, 

—  MÉCANIQUE,   nouvelle  édition, 

—"TRAITÉ    DE  NAVIGATION, 

édition,  revue  el  augmentée  de  Notes,  et 
d  une  Section  supplémentaire  où  !  01  do  ine 
l'a  manière  de  l'aire  les' Calculs  des  Ohsén  1- 
tions  avec  de  Nouvelles  Tables  qui  lesAicili- 
ie„l  ,  par  M,  de  Rossel  .  Mi  nihré  de  ITnsti- 
tul  el  du  Bureau  des  I  ungitudes.  I  vol.  i"/8., 
avec  10  pi.  ,         °  '''  ■ 

BiOT  et  \RAGO  ,  Membres  de  1  académie 
des  Sciences  et  dd  Bureau  des  Longitudes 
de  France  RECUEIL  D'OBSERVATIONS 
GÉ0DÉS1QUES  ,  ASTRONOMIQUES  ET 
PHYSIQUES,  exécutées  par  ordre  du  Bu- 


6 

4 

Y. 
r. 

4 

Y. 

2     V 

>1. 

10 

Y. 

uiit'i 

le 

3 


reau  des  Longitudes  <!e  France,  rn  Espagne, 
en  Franc»,  en  Angleterre  el  en  Ecosse,  puur 
déterminer  la  variation  de  la  pesanteur  el 
des  degrés  terrestres,  sur  le  prolongemeni 
du  méridien  de  Paris,  taisant  suite  au  troi- 
sième volume  de  la  Base  du  système  nié 
trique,  i  vol.  in-4- «avec  fig.  ,  1821  21  Ir. 
BIOT  TRAITÉ  ÉLÉMENTAIRE  D'ASTRO- 
NOMIE PHYSIQUE  ,  destiné  à  l'enseigne- 
ment dans  les  Collèges,  etc.  ,  3  vol.  iu-8  , 
1810. 

—  PHYSIQUE  MECANIQUE,  par  E.  G. 
FISCHER,  traduite  de  l'allemand  a»ec 
des  Notes  et  un  Appendice  sur  les  anneaux 
colorés,  la  double  refraction  et  la  polarisa- 
tion de  la  lumière,  3e.  édition,  revue  et  con- 
sidérablement augmentée  ,  1  vol.  in-8.  ,  avec 
planches,  1819.  6  fr. 

—  ESSAI  DE  GÉOMÉTRIE ANALYTIQUE, 
appliquée  aux  courbes  et  aux  surfaces  du 
second     ordre,     in  8.,     6e.    édition.     t82ÏS. 

6  fr.  5o  c 

—  TABLES  BAROMÉTRIQUES  portatives, 
donnant  les  différences  de  niveau  par  une 
simple  soustraction  ,  in-8.  I  ir.  5o  c. 

BOISGENETTË.  CONSIDÉR  LTIQNS  SL'R 
LA  MARINE  FRANÇAISE  en  1818,  et  sur 
les  dépenses  de  ce  déparlement,  vol.  in-8, 
18.8.  3fr. 

BOILEAUet  AUDV3ERT.  BARREME  GÉ- 
NÉRAL, ou  Comptes  faits  de  tout  ce  qui 
concerne  les  nouveaux  poids,  mesures  et 
monnaies  de  la  France  ,  suivi  d'un  Vocabu- 
laire des  différens  poids,  mesures  et  mon- 
naies, tant  français  qu'étrangers  ,  compares 
avec  ceux  de  Paris,  I  vol.  de  489  pages  in-8., 
1823.  6'  fr. 

BOR.DA.  TABLES  TRIGONOMETRIQUES 
DECIMALES,  ou  Tables  des  Logarithmes 

des  sinus,  sécantes  et  tangentes,  suivant  la 
division  du  quart  de  cetcle  en  cent  degrés, 
et  précédées  de  la  Table  des  Logarithmes 
des  nombres,  eic  ,  calculées  par  Ch.  Borda, 
rev. ,  augmentées  et  publiées  par  J-B-J. 
Delambre.  Paris,  an  IX,  in-4-  l5  fr. 

BORGNIS,  Ingénieur  et  membre  de  plu- 
sieurs académies.  THAITÉ  COMPLET  DE 
MÉCANIQUE  APPLIQUÉE  AUX  ARTS, 
contenant  l'exposition  méthodique  des  théo- 
ries et  des  expériences  les  plus  utiles  pour 
diriger  le  choix,  l  invention,  la  construc- 
tion el  l'emploi  de  toutes  les  espèces  de 
machines;  ouvrage  divise'  en  dix  Traités 
format  in-4-,  avec  2^p  planches,  dessinée-, 
par  Girard,  dessinateur  à  l'Ecole  Polytech- 
nique', et  gravées   par  Adam,  1818  à   i8">3 

206  fr. 

Chaque  Traité  se  vend  séparément  ,  ainsi  qu  il 
suit  : 

I,  De  In  composition  des  machines ,  conte- 
nant la  classification,  la  description  cl  l'exa- 
men comparai  il  des  organes  mécaniques;  vo- 
lume dcplu^  de  .'j.hi  pages,  avec  tableaux,  sy- 
noptiques et  43  planches  donnant  les  ligures 
de  plus  de   12O0  organes  de!  machines,  1818, 

25  Ir. 

IL  Du  mouvement  des  Fardeaux,  contenant 
la  descr^lion  et  l'examen  des  machines  les 
plus   convenables  pour  transporter  cl  élever 


toute  espèce    de  fardeaux  ;    volume  de  3U 
Pages   et     20    planées  e.avees ,    ,8,8     .-.olr 

II J.  Desmaclkyus  que  l'on  emploie  dans  le, 
constructions  diverses,  ou  Description  des 
Machines  don)  on  fait  usage  dans  les  quatre 
genres  d'Architecture,  civile,  hydraulique 
militaire  et  navale;  vol.  de 336  pag.  avec  26 
planches,  1818.  l    "       2Q  fr 

l\  l'es  Machines  hydrauliques,  ou  Ma- 
chines employées  pour  élever  l'eau  néces- 
saire aux  besoins  de  la  vie,  aux  usages 
de I  Agriculture,  aux  épuisemens  tempo- 
raires el  aux  épuisemens  dans  les  mines,  vo- 
lume.n-4   .avec  27   pi. ,   )8lQ.  2o  fr. 

V  Des  Machcnes  d'Agriculture.  Ce  volume 
décrit  les  inslrumens  et  machines  aratoires 
les  machines  employées  à  récolter  les  pro- 
duits du  sol  et  à  leur  donner  les  préparations 
premières ,  les  moulins  et  les  mécanismes 
qui  servent  a  épurer  le  blé  et  à  bluter  les  fa- 
rines, et  enfin  les  pressoirs,  les  cylindres  les 
pilons  el  autres  machines  employées  à  l'ex- 
traction des  huiles  et  du  vin,  etc.;  volume 
in-4.  avec  28  planches,  1819.  21  fr 

VI  Des  Machines  employées  dans  diverses 
fabrications  ,    contenant    la    description  des 

machines   en  usage  dans  les  grosses  forées  et 
dans  les  ateliers  de  métallurgie,  dans  le^s  pa- 
peteries, dans  les  lanueries,  etc.  ■  vol   in-4 
avec  27  pi.  ,  1819.  2I  7;' 

VIL  Des  Machines  qui  servent  à  confectionner 
les  étoffes  contenant  la  manière  de  préparer 
les  matières  filamenteuses,  animales  et  végé- 
tales, I  examen  comparatif  des  m, .yens  mé- 
caniques employés  dans  les  filai  ures';  la  des- 
cription de-  métiers  avec  leurs  accessoires 
pour  toutes  espèces  d'étoffes,  depuis  les 
plus  simples  jusqu'aux  plus  figurées;  enfin 
la  manière  de  donner  aux  éloffes  les  der- 
niers apprêts  avant  d'être  livrées  au  com- 
merce ;  vol.  in-4  1  avec  44   pl-  ,  1820     3o  fr. 

VIII.  Des  Machines  qui  imitent  ou  facilitent 
les  fondions  vitales  des  corps  animés  suivi 
d'un  appendice  sur  le  machines  de  théâtres 
anciens,  el  sur  les  procèdes  en  usage  dans 
les  théâtres  modernes,  pour  effectuer  les 
changemens  à  vue,  les  vols  directs  et  obli- 
ques et  autres  effets  ;  vol.  in-4.,  avtc  27  pl 

Ï820.  2I  fr; 

IX.  T  II É O  R  I  E  DE  L  A  .M  È C  ANIQ  0 E 
US5CELLE,  ou  Introduction  a  l'étude  de  la 
Mécanique  appliquée  aux  arts  ,  contenant 
les  principes  de  Statique,  de  Dviiainiqin- , 
d'Hydrostatique  cl  d'Hydrodynamique  ap- 
plicables aux  vit  s  industriels  ;  la  théorie  des 
moteurs, des  effets  utiles  des  machines,  des 
organes  mécaniques  intermédiaire;,  el  IV- 
quilifcredea   -upporis,    1    vol.  iu-4.,    1821. 

o  fr. 

X.  DICTIONNAIRE  DE  MÉCANIQUE  W- 
PLIQOEE  AUX  .MiTS,  bontebânl  là  défi- 
nition et  la  description  sommaire  îles  Ajets 
bs  plus  importa»*  ou  les  plus  usités  qui  se 
rapportent  à  celle  science,  avec  I  énonce  de 
leurs  propriétés  essentielles,  suivi  d'indi- 
cations qui  facilitent  la  recherché  des  de 
tails  plus  circonstanciés  1  in-4-,  lb23  l3  fr. 
Sun    Excellence  le    Minisire  d:   (Intérieur 


s'est  fait  rendre  compte  de  ce  ouvrage  ;  et  d'a- 
près le  rapport  favorable  du  Bureau  consul- 
l;ilif  tlos  Arts  et  Métiers  près  son  ministère, 
il  a  ordonne  qu'il  en  serait  acheté  un  nombre 
d'exemplaires  aux  frais  du  Gouvernement, 
pour  e'ire  distribués  aux  écoles  d'applica- 
tion et  de  service  public. 

—  TRA.1TÉ  ÉLÉMENTAIRE  DE  CON- 
STRUCTION APPLIQUÉE  A  L'ARCHI- 
TECTURE CIVILE,  contenant  Iqs  prin- 
cipes qui  doivent  diriger,  l".  le  choix  et  la 
préparation  des  matériaux;  2°.  la  configura- 
tion cl  les  proportions  des  parties  qui  con- 
stituent les  édifices  en  gênerai;  3°.  l'exécu- 
tion  des  plans  déjà  fixes,  suivi  de  nombreuses 
applications  puisées  dans  les  plus  célèbres 
monumens  antiques  et  modernes,  etc.  , 
in-4-  d'environ  t>5o  pages,  -et  Allas -de  3o 
planches,  gravées  par  Adam,  I&23.  36  fr. 
BOUCHARLAT,  Professeur  de  Mathémati- 
ques transcendantes   aux  Ecoles    militaires, 


lail  sur  les  renies  3  pour  cent  ,  4  et  demi 
pour  cent  et  /»  pour  cent  consolidés,  sur  les 
Canaux  ;  2°  des  notions  exactes  sur  tous  les 
fi>nds  étrangers;  3°.  les  diverses  manières  de 
spéculer,  etc.  ;  5e.  édition  ,  revue  et  aug- 
mentée, conformément  aux  affaires  actuelles 
de  la  Bourse  ,  in-12  ,  i82f>.  3  fr.  5o  c. 

BRIANCHON,  Capitaine  d'artillerie.  APPLI- 
CATION DE  LA  THEORIE  DES  TRANS- 
VERSALES. Cours  d'opérations  géom.  sur 
le  terrain  ,  etc.,  18 1 8  ,  in-8.  1  fr.  8o  c. 

—  MEMOIRE  sur  les  lignes  du  second  ordre. 


H7,  111-C 


2fr 


Docteur  des  Sciences,  etc.  THEORIE  DES 
COURRES  ET  DES  SUREACES  du  second 
ordre ,  précédée  des  principes  fondamen- 
taux de  la  Géométrie  analytique;  seconde 
édition  in-8.  p    6  fr. 

—  ÉLÉM.F.NS  DE  CALCUL  DIFFÉREN- 
TIEL ET  DE  CALCUL  INTEGRAL, 
3e  édition,  revue  et  augmentée,  in-8.,  avec- 
planches,  1826.  6fr. 

_  ÉLÉMENS    DE    MÉCANIQUE,    in-8., 

avec  planches,    l8l5.  6  ''' 

BONNEFOUX,  capitaine  de  frégate,  sous- 
gouverneur  du  Collège  royal  de  Marine 
d'Àngoulême,  SEANCES  NAUTIQUES,  ou 
Exposé  des diverses  manœuvres  du  Vaisseau, 
in-8.,  iBz/i  , 'fié.  5fr. 

BOURDÉ-DE-V1LLEHUET.  LE  MANOEU- 
VRIER ,  ou  Essai  sur  la  Théorie  et  la  Pra- 
tique des  mouvi  mens  du  navire  et  des  évo- 
lution navales;  nouv.  édit.,  augmentée, 
1°.  d'un  Appendice  du  même  auteur,  con- 
tenant les  principes  fondamentaux  de  l'arri- 
mage des  vaisseaux  ,  suivi  d'un  mémoire  sur 
le  même  sujet,  par  Groignard  ,  ingénieur- 
constructeur;  2".  des  nouvelles  Manœuvres 
du  canon,  à  bord  des  vaisseaux  du  Roi,  et 
du  Mode  d'exercice  pour  les  officiers  et  les 
équipages;  I  fort  vol.  in-8. .  gr.  pap.  carré 
fin,  avec  11  pi.  grav.  en  taille-douce,   l8'4 

6  fr. 

—  PRINCIPES  FONDAMENTAUX  de  l'arri- 
mage  des  vais^ea  >x.  {Extrait  du  Mana-u- 
vrier) .  in-8    a/ec  3  planches.  3  fr. 

BOURDON  ,  Inspecteur  de  l'Académie  de  Pn- 
Ws.ÉLÉMENSD'ARlTHMETlQUE,  1  vol. 
in-8.  ,3°.  édil.,  l825,  Ouvrage  adopté  par 
l'Université,  ,  5  fr. 

_  ELÉMENS D'ALGÈBRE.  4e  édit.  consi 
durablement  angmentée,  1  fort  vol.  in-8  , 
l825,  Ouvrage  adopte  par  t' Université.  7  fr 

—  TRAITÉ  DE  TRIGONOMÉTRIE  ET 
I)  \I'IM. !<;\ÏI0N  DE  L'ALGÈBRE  A  LA 
GÉOMÉTRIE  »  ''eux  et  à  trois  dimensions, 
I  fort  vol.  in-8.  avec  1 5  planches,  Ouvrage 
adopté  par  l'Université ,   182^1,      7   h    60  C 

BRESSON.  DES  FONDS  PDBLICS  français 
et  étrangers,  et  des  Opération*  de  la  Bourse 
île  Puris,  ou  Recueil   contenant,    l°.  le  dc- 


BUQUOY.  (Comte  de)  Exposition  d'un  nou- 
veau Principe  général  de  DYNAMIQUE, 
dont  le  principe  des  Vitesses  virtuelles  n'est 
qu'un  cas  particulier;  lu  à  l'Institut  de 
France  le  28  août   i8i5  ,  in-4-  2  fr. 

BURCKHARDT,  Membre  de  l'Institut  et  du 
Bureau  fles  Longitudes  de  France.  TABLE 
DES  DIVISEURS  POUR  TOUS  LES 
NOMBRES  DU  Ie'.,  2e.  ET 3e. MILLION  , 
avec  les  nombres  premiers  qui  s'y  trouvent; 
grand  in-4- .  PaP- vè'in  ,  1817.  36  fr. 

Chaque  million  se  vend  .séparément ,  savoir  : 
le  Ie''.  million  ,  l5  fr. ,  et  le  2'.  et  le  3'.  cha- 
cun 12  fr.  36  fr. 
CAGNOLL    TRAITÉ    DE    TRIGONOME- 
TRIE,   traduit  de   l'italien,    par  M.   Chom- 
pré,  2e.  édition,  in-^.  ,  1808.  18  fr. 
CM.LET.    Tables     de   Logarithmes,    édition 
stéréotype,  in  8-      ,                                       x-*  ?r- 
CAMUS    DE   MEZI ERES.  Traité    sur    la. 
FORCÉ    DES    BOIS    DE    CHARPENTE,    ouvrage 
essentiel    pour    ceux    qui    veulent  bâtir,   et 
qui  donne    les   moyens  de  procurer  plus   de 
solidité  aux  édifices ,  de   connaître  la  bonne 
et  la  mauvaise  qualité  des  Bois,  de  calculer 
leur  force  ,  etc. ,  in-8.  6  fr. 
CANARD.      Professeur      de     Mathématique;, 
transcendantes  au  Lycée  de  Mou  fin.  TRAITE 
ELEMENTAIRE  DU  C  VLCUL  DES  INE- 
QUATIONS, in  8.   1868.  6  fr. 
CARNOT,  Général,   Membre  de  l'Institut  et 
de   la   Lé"ion-d'Honncur,  etc.   DELA  DE- 
FENSE DES  PLACES  FORTES,  Ouvrage 
composé  pour    l'instruction   des    Elèves    du 
•  Corps  <hi   Génie,  troisième  édition,  revue 
et  considérablement  augmentée  ,  avec    I  l   pi. 
supérieurement  gravées,   1  vol.  in-4- ,   1S12. 

25  fr. 
Le     même     Ouvrage,     deuxième   édit.  ,    sans 
planch.,  in-8.,    i3n.  6   fr. 

-,  MÉMOIRE  SUR  LA  FORTIFICATION 
primitive,  pour  servir  de  suite  au  Traité  sur 
la  défense  des  Places  fortes,  iu-4. ,  fig.j 
l8a3.  6fd 

—  GÉOMÉTRIE    DE   POSITION,    in-4., 

papier  vélin,  l8o3,  _  18  fr. 

Le  même  Ouvrage,  grand  pap.  vél.  36  fr. 
_  MÉMOIRE  SUR  LA  RELATION  qui 
existe  entre  les  distances  respectives  de  cinq 
points  quelconques  pris  dans  l'espace;  suivi 
S'un  ESSAI  SUR  LA  THEORIE  DES 
T  R  A  N  S  V  E  R  S  A  L  ES  ,  iu-4. ,  1 806.         5  f  r. 

—  DE  LA  CORRÉLATION  DES  FIGURES 
DE  GEOMETRIE.  ànO,  in-jB.^.  pap.  3  fil 

-RÉFLEXIONS  SUR  LAMÉTAPIIY31QUE 


DU   CALCUL    INFINITÉSIMAL,    [n-8. , 

6e" .  nouv.  édit. ,  revue  al  augmentée,  i8i3. 

b  3fr.5oc. 

CARNOT*  PRINCIPES  DE  L'ÉQUILIBRE 
«I  du  Mouvement ,  in-8.  ,  180.I.  5  fr. 

GHORON,  correspondant  de  l'Institut,  clc. 
METHODE  ELEMENTAIRE  DE  COM- 
POSITION, où  Ips  préceptes  sont  soutenus, 
d'un  grand  nombre  d'exemples  très-clairs 
et  fort  étendus,  et  a  l'aide  de  laquelle  on 
peut  apprendre  soi-même  \  COMPOSER 
TOUTE  ESPECE  DE  MUSIQOE,  traduite 
de  l'allentand  de  Allirccbtsbergci  -1  Georg.  . 
Organiste  delà  Gourde  Vienne,  Maître  de 
Chapelle,  etc.,  el  enrichie  d'une  introduc- 
tion et  d'un  grand  nombre  de  no.'cs,  par  A, 
Choron,  2  vol.  in-3.  ,  dont  un   de  Musique 

l8l4-  «2  fr- 

CHRISTIAN.  Directeur  du  Conservatoire 
desArf  set  Métiers.  TKAITÉ  DE  MECANI- 
QUE INDUSTRIELLE,  ou  Exposé  delà 
science  de  la  Mécanique ,  déduite  do  l'expé- 
rience et    de   l'observation,  principalement 

•  à  l'usage  des  manufacturiers  et  des  artistes; 
3  vol.    in-ij.,   et    Atlas    de   60  pli   doubles. 

n5  lr. 
GLAIRAUT.     ÉLEMENS      D'ALGÈBRE, 

fi.  <:.!il .,  ;i vit  c  1rs  Noies  cl  des  Arldilions  très- 

étendues,  par  M.  Garnier;  précédés  duo 
Traité  d'Arithmétique  par  Théveneau ,  et 
une  Instruction  sur  les  nouveaux  poids  cl 
mi-  urcs,  ?.  v ul.  i 08.  ,  1 801 ,  10  fr 

_  THÉORIE  DELA  FIGURE  DE  LA 
TERRE,  tirée  des  principes  de  l'Hydrnsta 
tique-,  in-8  ,  ilcux.  édil .  ,  1808  10  fr 

CI.OQUET  (  J.  B),  ex-Professeur  de  Dessin 
à  l'Ecole  des  Mines  el  à  celle  de  la  Brigade 
lopographique  ai  Dépôt  des  fortifications 
NOUVEAU    TRAITE    ELEMENTAIRE 

DEPERSPECTIVE  à  l'usage    des   artistes  et 

des  personnes  qui  s'occupent  du  Dessin, pré- 
cédé  (les  premières  notions  de  la  Géométrie 
élémentaire,  de   la   Géométrie  descriptive, 

de  l'Optique  et  de  la-projecli les  ombres. 

1   vnl.    in-^.  ,   et   atlas  de  8^   pi. ,    dont    plu- 
sieurs coloriées,  i.S?,3.  3b  fr. 
CONDOROET.  MOYENS   FACILES   D'AP- 
PRENDRE  A    COMPTER    avec  facilité; 

deux,  i  .lit.,  ill-12.  [  fr.  25  c. 

•  CONNAISSANCE  DES  TEMPS  A  L'U- 
SAGE DES  1STRONOMESET  DES  NA- 
VIGATEURS, publiée- par  le  Bureau  des 
Lbngil  iules  de  France,  pour  les  années  1S27 
l82»  et    1829. 

Prix  de  chaque  armée  avec  Additions,  6  fr.  , 

el  sans  A  (billions  q  fr. 

Oh  peut  se  procurer  {à  Collection  corttj  lite, 

nudes  (mitées  xéprtrée»  de  cet  Ouvrage ,  depuis 

17<>i  pùqu'n  ce  jour. 

COTTE.TABLE  DES  M  LTIERES  contenues 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie,  pour  les 
année,   ij8t  4  1790,  tome  X.  i/ï  fr. 

COULOMB,  Membre  de  l'Institut  de  France. 
THÉORIE  DES  MACHINES  SIM- 
PLES ,  en  ayant  égard  au  frottement  de 
leurs  parties  et  a  la  raideur  des  cordages, 
nouvelle  édtt.,  à  laquelle  on  a  ajouté  les  Mé- 
moires suivant  du  même  auteur;  — sur  les 
frottement  de  la   pointe   des  pivots  ;  —  Re- 


rherrbes  théoriques  et  expérimentales  sur  li 
force  de  torsion  el  sur  l'élasticité  des  fils 
<le  métal;  — Résultats  de  plusieurs  expé- 
riences destinées  à  déterminer  la  quantité 
d'action  que  les  hommes  peuvent  fournir 
par  leur  travail  journalier,  suivant  les  diffé- 
rentes  manières    dont   il-    emploient    leurs 

I  i  ;  — Observations  théoriques  et  expéri- 
mentales sur  l'effet  des  moulina  a  vent  et  sur 
la  ligure  de  leurs  ailes;  —  sur  les  murs  de 
revêtement  el  l'équilibre  des  voûtes,  etc. 
vol.  in-q.  ,  avec  10  pi. .  1821.  l5fr. 

COI  LOMB  RECHERCHES  SLR  LES 
MO\  ENS  d'exécuter  sous  l'eau  toutes  sortes 
de  travaux  hydrauliques  sans  employer  aucun 
épuisement,  in- 8.,  avec  planches  ,  3"  édit. 

1  fr    80  e. 

COUSIN.  Traité  du  CALCUL  DïFFEREN- 
CIEL  ET  INTÉGRAL,   2  vol.  in-q,  6pl. 

2i  fr. 

—  Traiié  êle'm.  del'MNAT.YSK  MATHÉMA- 
TIQUE ou  d'ALGEBRE  ,  in-8.       .      qfr. 

DABREU.  PRINCIPES  MATHEMATI- 
QUES de  feu  Josepli-Anaslase  de  Cunlia, 
professeur  à  l'université  de  Coïmbre  (  com- 
prenant ceux  de  l'Arithmétique,  de  ta 
Géométrie,  de  l'Algèbre,  de  son  Applicat.  à 
la  Gêomc'trie.  et  du  Calcul  différentiel  et 
intégral,  traites  d'une  manière  entièrement 
nouvelle),  trad.  liller.il.  du  Portugais,  in- 
S   .  181Ô.  ,  6  1V, 

D'ARCET.  LELTEVRE  et  PELLF/nER. 
DESCRIPTION  de  divers  procédés  pour 
extraire   la   soude  du  sel  marin,  v    in-^    avec 

II  pi.,  représentant  d'une  manière  Irès-dé- 
taille'e  les  plans  et  élévations  des  ateliers  de 
soudière.*,  les  fours,  fourneaux  el  instrumens 
nécessaires  à  la-manipulation  de  la  soude.  6  fr. 

DA1  BUISSON.  MÉMOIRE  SUR  LES  BA- 
SALTES DE  LA  SAXE,  accompagné 
d'Observations  sur  l'origine  des  Basaltes  en 
général,  lu  à  la  Classe  des  Sciences  pli\  siqoes 
et  mathématiques  de  l'instilut  national  ,  an 
II,  in-8.  2  '»•    5oc. 

DECESSART.  DESCRIPTION  DES  TRA- 
VAUX HYDRAULIQUES,  2  vol.  in-A.,  67 
pi.  81  IV. 

DELAISTRE.  Science  des  ingénieurs,  divisée 
en  trois  livres ,  où  l'on  traite  des  Chemins, 
des  Ponts,  des  Canaux  et  îles  Aqueducs,  2 
vol.  in-£.,  avec  un  vol.   de  planches,  l825. 

/jo  IV. 

DEL  AMBRE,  Secrétaire  perpétuel  de  l'Insti- 
tut, membre  de  la  Légion  d'Honneur,  pro- 
fesseur d'astronomie  au  collège  royal  dé 
France,  ele  TRAITÉ  COMPLET  D'AS- 
TRONOMIE THEORIQUE  ET  PRATI- 
QUE, 3  vol.  in-4-,  avec  39 pL,  l 'î  1  '(    60  fr. 

_'\l„eeé  du  même  Ouvrage,  ou  LEÇONS 
ELEMENTAIRES  1>  ASTRONOMIE  théo- 
rique et  pratique  données  au  rollége  de 
France-,  1  v  in*-8*,avec  17  pi.,  t8i3    12  fr. 

—  HISTOIRE  DE  L'ASTRONOMIE  AN- 
CIENNE,  a  vol.  in-q.  ,  ««  '7  r1-  .  "8'7- 

ici     II. 

—  HISTOIRE  DE  GASTRONOMIE  DU 
MO\  EN   \CK  ,   1  vol.  in-4-i  l8"Ji  •' 

II I  en  taille«douce.  -  ■  '■ 
-HISTOIRE  DE  L'ASTRONOMIE  MO- 


•, 


DERNE,   2  vol.  m-4.,  avec   17  pi.,  |8ai. 

DELAMBRE.  HISTOIRE  DE  L'ASTRONoi 
MIE  DU  XVIII'.  SIECLE,  i.wj.  1826.  3o  fr. 

DELAMBRE  et  LEQENDRE.  Méthode  ana- 
lytique pour  la  DETERMINATION  D'UN 
ARCDUMt-RIDlEN.  in-4      an  7  q  fr. 

DELAMETHERIE  ,  professeur  au  collège  de 
France,  ancien  rédacteur  ou  Journal  de 
physique,  etc.  CONSIDÉRATIONS  SUR 
LES  ETRES  ORGANISES,  2  vol  m-8  12  fr 

—  DE  LA  PERFECTIBILITÉ  ET  DE 
LA  DEGENERESCENCE  DES  ETRES 
ORGANISES,  formant  le  tome  III  des 
Considérations  sur  les  êtres  organisés,  I  vol. 
in-8  6  fr 

-DE  LA  NATUREDES  ÊTRES  EXLSTANS. 
ou  Principes  de  la  philosophie  naturelle  ,  I 
vol.  iu-8.  g  fr 

—  LEÇONS  DE  MINÉRALOGIE  données 
au  collège  de  France,    2  vol.   in-8.,    lSt2. 

l4  fr. 

DELAU.  DECOUVERTE  DE  L'UNITÉ  et 
généralité  de  principe  ,  d'idée  et  d'exposition 
de  la  science  des  nombres,  sou  application 
positive  el  régulière  à  l'algèbre,  à  la  géomé- 
trie, et  surioul  à  la  pratique,  aux  dévelop- 
pemens  et  à  l'extension  du  précieux  système 
décimal.  Calculs  Ihéori-pratiques  ,  180Q.  I 
vol.  io-8.  3  fr 

DELUC.  TRAITE  ELEMENTAIRE  DE 
GEOLOGIE,  i„-8,  1809.  5fr 

DEMONFERBAND,  Professeur  de  Mathé- 
matiques et  de  Physiq  ie  au  Collège  de  Ver- 
sailles Manuel  d'Electricité  dynamique, 
ou  Traité  sur  l'action  mutuelle  des  conduc- 
teurs électriques  et  des  aimans  ,  et  sur  la 
nouvelle  ihéoriedu  magnétisme,  pour  faire 
suite  à  tous  les  Traitésde  Physique  élémen- 
taire ,  i-8.  ,  1823  ,  avec  5  planches.        4  fr 

DEP&ASSE,  professeur  de  mathématiques  à 
Berlin.  TABLES  LOGARITHMIQUES  pour 
les  nombres,  les  sinus  et  les  tangentes,  dis- 
posées dans  un  nouvel  ordre  ,  corrigées  et 
précédées  d  une  Introduction,  traduites  de 
l'allemand  et  accompagnées  de  notes  el  d'un 
avertissement,    par    llalmu,    t8i4  ,    in-18. 

DE\ELEY,  professeur  de  ma;  hémafiques,  etc. 
APPLICATION  DE  L'ALGEBRE  A  LA 
GEOMETRIE,  iu  4.,  nouvelle  édit.  ,  182^. 

i4  fr. 

—  ELEMENS  DE  GEOMETRIE,  1  vol.  in-8. 

6  iv. 

DIONLS-DU-SE.IOUR.  TRAITE  DES  MOU- 
YEMi-.NS  APPABENS  DES  CORPS  C E- 
T. ESTES,  2  vol   iu-4.  40  fr. 

DOUGI.  iS  ,  gtnératsir  Howard.  TRAITÉ 
P'ARTILLERIE  NAVALE,  contenait  un 
exposé  succinct  de  la  théorie  du  Pendule 
ballislique  et  des  Expériences  de  Hutlon  , 
Jes  principes  fondamentaux  de  l'Artillerie  , 
appliqués  particulièrement  à  l'Artillerie  na- 
vale; l'Exercice  des  Louches  à  feu  à  bord 
des  vaisseaux  fiançais;  la  Composition  de  la 
Poudre;  la  Théorie  du  Tir  a  la  mer;  les 
1  ahles  de  portées  des  canons  el  des  caronailes, 
el  des  Observations  sur  la  tactique  des  com- 
bats singuliers  ;  traduit  de  l'anglais(  avec  des 


notes)  par  M.  Charpentier  ,  ancien  élève 
de  l'Ecole  polytechnique  .  Capitaine  au  corps 
royal  de  1  Artillerie  de  Marine,  Chevalier 
de  1  ordre  royal  de  la  Legion-d'Houneur  , 
I  vol.  in-8.  ,  avec  5  planches  ,   1826.  7  fr. 

DUBOURGUET  ,  ancien  officier  de  marine  , 
professeur  de  mathématiques  au  collège 
-  Louis- le-Graud.  TRAITÉS  ÉLÉMENTAI- 
RES DE  CALCUL  DIFFÉRENTIEL  ET 
DE  CALCUL  INTÉGRAL,  indépendans 
'  de  toutes  nolions  de  quantités  inGnilesimales 
et  de  limites;  ouvrage  misa  la  portéedes 
commençans,  et  où  se  trouvent  plusieurs 
nouvelles  théories  el  méthodes  fort  simpli- 
fiées d'intégrations,  avec  des  applications 
utiles  aux  progrès  des  sciences  exacics,  2  v. 
in-8.  Paris,  1810  e(   1811.  iÇ  fr. 

—  TRAITÉ  DE  LA  NAVIGATION,  on vr âge 
approuvé  par  l'Institut  de  France  ,  el  mis  à 
la  portée  DE  TOUS  LES  NAVIGATEURS, 
in-4-  ,   180H,  avec  fig.  20  fr. 

DUBRUN  FA  L  T  ,  Membre  Je  la  Société  d  En- 
couragement pour  l'industi  ienotionale ,  etc., 
Traué  complet  de  l'Art  de  la  Distilla- 
tion, contenant,  dans  un  ordre  méthodi- 
que ,  les  instructions  théoriques  et  pratiques 
les  plus  exactes  cl  les  plus  nouvelles  sur  la 
préparation  des  liqueurs  alcoholiques  avec 
les  raisins,  les  grains,  les  pommes-de-terre  , 
les  fécules  et  tous  les  végétaux  sucres  ou  fa- 
rineux, 2  vol.  in-8.  ,  fig.,  1824        10  fr.  5o  c. 

DUBRUNFAÛT.  ART  DE  FABRIQUER  LE 
SUCRE  DE  BETTERAVES,  contenant: 
1°.  la  description  des  meilleures  méthodes 
usitées  pour  la  culture  et  la  conservation  de 
celte  racine;  2°  l'expo- ition  détaillée  des  pro- 
cédés et  appareils  uliles  pour  en  extraire  le 
sucre  avec  de  grands  avantages.  Suivi  d'un 
essai  d'analyse  chimique  de  la  betterave  , 
propre  à  éclairer  la  théorie  des  opérations 
qui  ont  pour  objet  d.'<  u  séparer  la  matière 
sucrée;  1  vol   i:;-8;  avec  pl.,  1825     7  fi.  :ÎOc. 

DTJCOUEDIC.  LA  RUCHE  PYRAMIDALE, 

méthode  simple  et  naturelle  pour  rendre 
perpéiuelles  les  peuplades  d'abeilles,  et 
obtenir  de  chaque  peuplade  ,  à  chaque  au- 
tomne, la  récolle  duu  panier  plein  de  cire 
et  de  miel,  sans  mouches,  sans  couvaius , 
outre  plusieurs  essaims,  avec  l'art  de  réta- 
blir et  d'utiliser,  au  retour  de  l'été,  les  ruches 
des  essaims  dont  les  peuplades  auraient  péri 
en  automne  ,  dans  l'hiver  ou  au  prinlemps, 
en  faisant  éclore  les  œufs  restés  dans  les 
alvéoles;  cl  l.Art  de  convertir  le  miel  en 
sucre  blanc  inodore,  de  ffjre  l'hydromel  .  des 
sirops,  elc.  ,  ouvrage  utile  aux  bain I ans  des 
campagnes;  deux,  edit.,  considérablement 
augmentée,  et  ornée  dune  gravure,  I  vol. 
iu-8.  i8i3.  3  ir. 

DDCREST.  VUES  NOUVELLrS  SUR  LES 
COURANS  D'EAU  ,  la  navigation  intérieure 
el   la  marine,   1  vol.  in-8   ,   l8o3,  5  Ir. 

DU  l'I  >  Ch.),  mçmbre  de  l'Institut.  VOYAGES 
DANSLA  GRANDEBREi  ACNE  entrepris 
relativement  aux  services  publics  de  la 
guerre,  de  la  marine  el  des  ponts  et  chaus- 
sées, en  1816,  1817,  1818,  1819,  1S20  et 
1821  ,  présentant  le  tableau  des  institutions 
et  des  établissemens  qui  se  rapporteut  à 


1 


1 


I.  la  Force  militaire  ; 
If.  la  Force  navale; 

III.  aux  Travaux  civils  des  ports  de  com- 
nierrc,des  roules,  des  ponts  el  des  canaux; 

rr.  Section. 

IV.  Force  productive. 

Chaque  partie  se  vend   séparément» 

Ir".  partie.  Force  militaire,  2  vol.  in-4-  et 

atlas  ar-érlit.,  j825.  25fr. 
IIe.  partie,  Force  navale.  2  vol.  in-4-  et 

atlas  ■?.'.  édit  ,  l825.  25  fr. 
IIIe.  partie  ,  Force  COMMERCIALE,  I*e.  SEC- 
MON,  2e.  édit.TRAVATJXClVlLl  DES  PONTS  ET 
CHAUSSÉES,  2  vol. in-4.,  et  atlas,  1824  27  fr. 
IV".  partie.  Force  commerciale  extérieure  , 
2°.  section  .  paraît  rail  ans  le  courant  de  1827. 

DUPJN.  DISCOURS  ET  LEÇONS SUR  L'IN- 
DUSTRIE, le  Commerce /la  Marine,  et  sur 
les  Sciences  appliquées  aux  Arts.  avol.  in-8  , 
l825.  10  f.  5oc. 

—  DEVELOPPEMENS  DE  GEOMETRIE. 
I  vol.in  4°-    1 8 1 3 .  l5  fr 

—  APPLICATIONS  DE   GEOMETRIEET 

DE  MÉCHANIQUE  A  LA  MARINE,  aux 
Ponts  et  Chaussées,  etc.  in-4.  <  !^22-  '•*  f>" 
_  GEOMETRIE  ET  MECANIQUE  DES 
ARTS  ET  DESBI  AUX-ARTS,  Cours  nor- 
mal à  l'usage  des  ouvriers  el  des  artistes,  des 
sous-chefs  el  des  chefs  d'ateliers  el  de  manu- 
factures ,  professé  au  Conservatoire  royal  des 
A+ts  et  Métiers  par  l'auteur  :  3  vol.  ii:-8 
18  fr,  el  24  IV  liane  de  port. 
i<*  volume.  GÉOMÉTRIE  ,  ou  des  Formes 

nécessaires  à  1  Industrie.      ,  6  ir 

2"''  volume.  MACHINES  ÉLÉMENTAI- 
RES nécessaires  à  l'Industrie.  6  fr. 

3"1'.  volume.  FORCES  MOTJUCESnéces- 

saires  à'I'Industrie.  6  fr. 

—ESSAI  HJSTORIQUEsur  les  services  et  les 

travaux  scientifiques     de    G.    Monge  ,   etc., 

in-8,  1819.  4  ,r-  5#c- 

—  le  même,  \n-!\  avec  portrait  parfaitement 
ressemblant.         (  7  fr.  5o  c. 

—  ESSAIS  SUR  DEMOSTÏIENES  et  sur  son 
éloquence,  contenant  une  traduction  des 
Harangues  pour  Olyntl.e,  avec  le  leste  en 
regard  ;  des  considérations  sur  les  beautés 
dis  pensées  el  du  style  de  l'Orateur  aï  hé— 
nien  .  in-8.,    l8l4-  4  ^T% 

—  LETTRE  A  MTLADY  MORGAN,  sur 
Shakespeare ,  in-8. .  i8;8.  2  fr   5o  c 

—  SYSTEME  de  l'administration  britannique 

en  1842.  considérée  sous  les  rapports  des 
finances  ,  de  l'industrie  ,  du  commerce  et  de 
la  navigation,  d'après  un  exposé  ministériel, 
in-8.  ,   1822.  3  fr. 

—  OBSERVATIONS  sur  la  puissance  de  l'An- 
gleterre et  sur  celle  de  la  Russie  au  sujet  du 
parallèle  établi  par  M.  De  Pradt  entre  ces 
puissances,  deuxième  édition,   in-8.,  1824  , 

I    fr.   5o  c. 
DUPUIS.  MÉMOIRE  EXPLICATIF  DU  ZO- 

DIAQUE  chronologique  et  mythologique, 
ouvrage  contenant  le  tableau  comparatif  des 
maisons  de  la  lune  chez  les  dillereiis  peuples 
de  l'Orient  ,  el  eeliii  de,  j.  1 11  s  anciennes  ob- 
servations qui  s'y  lient,  d'api  es  les  Egyptiens, 
les    Chinois,    les     Perses,     les    Arabes,    les 

Ghaldéens  et  les  Calendriers  grecs,  in-4-i 
i8o(>.  6  fr. 


DUVERNE  ,  voyes  TR  rnOOI.D. 

ÉCOLE  DE  LA  MIMATURE,  ou  l'Art 
d'apprendre  à  peindre  sans  maître,  nouvelle 
édition  revue ,  corrigée  et  augmentée.  1  vol. 
in-12,   fig.  1816.  ,     3  fr. 

*  ÉPURES  A  L'USAGE  DE  L'ÉCOLE 
BOYÀIE  POLYTECHNIQUE,  contenant 
102  planches  gravées  in-fuL,  (sans  texte), 

sur  la  géométrie  descriptive,  la  charpente  , 
la  coupe  des  pierres,  la  perspective  et  les 
ombres     Prix  en  feuilles,  2r-\  fr. 

EUCLIDE.  OEUVRES  EN  GREC,  LATIN 
ET  FRANÇAIS  ,  d'après  un  manuscrit  très- 
ancien,  qui  était  resté  inconnu  jusqu'à  nos 
jours;  p*r  Pcyrard,  traducteur  des  OEuvreS 
d'Arcbimède ,  ouvrage  approuvé  par  l'Aca- 
démie dessciences,  3  vol.  iu-4-  ,  1 81 4  »  '817 
et  1818.  9°  fr. 

Les  mêmes  ,  papier  vélin.  120  fr. 

Les  mêmes,  tirées  sur  papier  grand-raisin  fin, 

120  fr. 
Les    mêmes ,    sur    papier    grand-raisin    vélin. 

180  fr. 
Il  ne  reste  plus  que  quelques  exemplaires  de 
ces  trois  derniers  papiers. 
EULER.  ÉLEMENS  D'ALGEBRE,  nouvelle 
édit  ,  1807,  2  vol    in-8.  12  fr. 

La  première  partie  conlient  l'analyse  déter- 
minée ,  revue  et  augmentée  de  notes  par 
M.  Garnier,  La  deuxième  partie  contient  l'a- 
nalyse indéterminée,  revue  et  augmentée  de 
notes  par  M.  Lagrange,  sénateur,  membre  de 
l'Institut,  etc. 

—  LETTRES  à  une  Princesse  d'Alle- 
magne, sur  divers  sujets  de  PHYSIQUE 
ET  DE  PHILOSOPHIE.  Nouv.  (dit.,  con- 
forme à  l'édition  originale  de  Saint-Péters- 
bourg, revue  et  augmentée  de  I'Eloge 
d'Eulf.r  par  CoOflorcet,  et  de  diverses 
Nu les  par  M.  Labey,  docteur  ès-Scieuces  de 
l'Université,  Instituteur  à  l'Ecole  Polytech- 
nique ,  etc.  ,  2  forts  vol.  in-8.  de  1 180  pag.  , 
imprimés  eu  caractère  neufdit  Cicéro  eros- 
cett,  et  sur  papier  carré  fin  avec  le  portrait 
de   l'auteur  ,  1812,  broch.  l5  fr. 

EVANS  1  Oliver  ).  MANUEL  DE  L'INGE- 
NIEUR MÉCANICIEN,  Constructeur  de 
machines  à  vapeur,  traduit  de  l'anglais  par 
Doolitlle  ,  in-8.  ,  avec  7  pi.  ,  2'.  édit  ,  l825. 

5  fr. 

EXERCICES  et  Manoeuvres  du  canon  à  bord 
des  vaisseaux  du  Roi,  et  Règlement  sur  le 
mode  d'exercice  des  officiers  et  des  équipa- 
ges; nouvelle  édition,  augmentée  de  Nou- 
vi  lhs  Manœuvres  des  deux  bords  ,  et  de 
plusieurs  Tables  de  Poinla^e,  extraites  de 
Churucca,  par  un  officier  de  marine  ,  AN  il- 
laumez);   I    vol.   in-8.,   l8l5,  2    fr. 

FAVIÉR,  Ingénieur  en  elirf  des  Ponts  el 
Chaussées.  EXAMEN  DES  CONDITIONS 
DU  MODED'ADJl  DICATION  DES!  B  ï- 
VAUX  PUBLICS,  suivi  déconsidérations 
sur  l'emploi  de  ce  mode  et  de  celui  de  régie, 
br.  in-8.,  1824.  '  tr-5oc- 

FISCHER  ,  Membre  honoraire  de  l'Académie 
des   Sciences  de   Berlin,    etc    PHYSIQUE 

MÉCANIQUE,  traduite' -le  l'allemand,  avec 
des  Noies  cl  un  Appendice  sur  les  anneaux 
colora;  ,  la  doiiblt  réfraction  et  la  polaxistlioa 


8 


de  la  lumière,  p*r  M.  BIOT ,  membre  de 
d*  l'Institut,  trois,  éctit.,  revue  et  considé- 
rablement augmentée,  I  vol.  in-8.,  avec  pi., 
181Q.  .      .      ,  6  1V. 

FORMAIT.  TRAITE  ELEMENTAIRE  DE 
LA  MATURE  DES  VAISSEAUX,  à  l'usage 
«les  élèves  de  la  Marine;  seconde  édit-; 
augmentée  d'un  giand  nombre  de  Notes  el 
de  Tables;  par  M.  Villaumez,  capitaine  de 
vaisseau  :  suivi  d'un  \ppeu  lice  contenant  un 
Mémoire  sur  le  Système  de  construction  d(  s 
Mâts  d'assemblage  en  usage  dans  lès  Porta 
de  Hollande,  et  sur  les  Modifications  que  Ton 
propose  d'y  apporter;  par  M.  Rolland  ,  ins- 
pecteur-adjoint du  Génie  maritime;  I  vol. 
in-A- ,  avec  2.r>  pi.,  l825.  18  fr. 

FOUKCROY.  TAISLEAUX  SYNOPTIQUES 
DE    CHIMIE,   in-f'ol.    cari.  9  fr. 

FRANCOEUR  Professeur  de  la  Faculté  des 
Sciences  de  Paris.  ex-Examinateur  des  Can- 
didats de  l'École  Polytechnique ,  etc.URA- 
NOGRAPHIB,  ou  Traité  élémentaire  d'As- 
tronomie, à  l'usage  dis  personnes  peu  ver- 
sées dans  les  mathématiques,  des  Géogra- 
phes, des  Marins,  des  Ingénieurs,  accompa- 
gnée île  planisphères,  troisième  édition, 
revue  et  considérablement  augm.  ,  1  vol. 
in-8.,  1821",  avec  planches  ,<){>■ 

—  TIU1TE  ÉLÉMENTAIRE  DE  MECA- 
NIQUE,   cinquième   édition ,    in-8.     l825. 

5  fr.  5oc. 

—  ÉLÉMEKS  T)E  STATIQUE  ,  in-8.,     3  fr. 

—  COURS  COMPLET  DE  MATHEMATI- 
QUE PURES,  dédié  à  S.  M.  Alexandre 
1er,  Empereur  de  .toutes  les  Russies  ; 
Ouvrage  destiné  aiu  Elèves  des  Ecoles  Nor- 
male et  Polytechnique,  et  aux  Candidats  qui 
se  disposent  à  y  être  admis  ,  2e.  édit.  ,  revue 
et  considérabl.  augiii.,»  vol.  in-8.,  avec  pi.  , 
18.9.  i5fr. 

FR  v.  \  ,  Commissairc-Ordonnateurdes  Guerres, 
Memhre  de  la  Léginn-d'Hoaneur.,  etc.  ES- 
SAI SUP.  L'ORIGINE  DES  CORPS  OR- 
GANISÉS ET  INORGANISES,  ei  sur 
quelques  phénomènes  de  Physiologie  animale 
et  végétale,  1  Vol   in-8  ,  1S17.      ,  5  fr. 

GARNIER.  TR  \1TÉ  D'ARITHMETIQUE  , 
à  l'usage  des  Elèves  de  tout  âge,  2e.  édit.; 
in-8.  .  i3o3.  2  fr.  5oc. 

—  ÉLEMENS  .D'ALGEBRE  â  l'usage  des 
Aspirans  à  l'Ecole  Polytechnique,  3e.  édit.  , 
in-8,  revue, ,  et  augmentée  ,  1811.        (i  fr. 

—  Suite  de  c?s  El  émeus  ,2'".  partie.  ANALYSE 
ALGÉBRIQUE,  nouvelle  édition  considé- 
rablement augmentée  ;  in-8.  ,  181^.  7  fr. 

—  GÉOMÉTRIE  ANALYTIQUE,  on  appli- 
cation de  I  Mcèbre  à  la  Géométria,  seconde 
édition,    revue    el    augm    ,     I    vol.   in-8.  avec 

14  pi.,  t8i3.  fi  (Y. 

—  LES  RECIPROQUES  de  la  Géométrie, 
suivi  d'un  Recueil  de  Problèmes  el  de  Théo- 
rèmes, et  de  !.i  construction  des  Tables  tri- 
gonométriques ,  in-8.,  2e.  édition  ,  considé- 
rablement augmentée,  ï8io. 

_  ELEMENS  1)1.  GÉOMÉTRIE,   contenant 

li  .  deux  Tm lomctries  ,  les  élcmens  de  la 

Polygonométrie  ci  du  levé  des  Plans,  el 
l'Introduction  à  la  Géométrie  descriptive,  1 
vol.  in-8   avec  pi. ,  1812.  5  IV. 


GARNIER.  LEÇON  DE  STATIQUE  à  l'usage 
des  Aspirans  à  l'Ecole  Polytechnique,  1  vol. 
in-8.  avec  douze  pi.,  i8ti.  5  fr. 

—  LEÇONS  DE  GA  LCUL  DIFFÉRENT!  KL, 

3e.  édit.  ,  l  vol.  in-8.  avec  4  pi-  ,  I  S f  I.     8  IV. 

GARNIER.  LEÇONS  DE  CALCUL  INTE- 
GRAL. I  vol.  in-8   avecdeuxpl.,  1812.71V. 

_-  TRISECTION  UE  L'ANGLE  ,  suivie  do 
Recherches  ai. ah,  tiques  sur  le  même  sujet.  , 
in-8.,  1809.*  2  fr.  5o  c. 

—  DISCUSSION  DES  RACINES  des  Équa- 
tions déterminées  du  premier  degré  à  plu- 
sieurs inconnues,  et  élimination  entre  deux 
équations  de  degrés  quelconques  à  deux 
inconnues,  2e.  edit.,  I  vol.  in-8.     I  fr.  80  c. 

GARNIEli.  Ingénieur  des  Mines .,  ancien  Eleva 
de  l'École  Polylerlmir/ue.  TRAITÉ  SUR 
LES  PUITS  ARTÉSI  KNS  ,  ou  sur  les  diffé- 
rentes espèces  de  Terrains  dans  lesquels  on 
doit  rechercher  des  eaux  souterraines.  Ou- 
vrage contenant  la  description  des  procédés 
qu'il  faut  employer  pair  ramener  une  par- 
tie de  ces  causa  ia  surface  du  sol,  à  laide 
de  la  sonde  du  mineur  ou  du  tontamier  ;  se- 
conde édition  ,  revue  et  augmentée,  avec  25 
planches,  in-4  ,  1826.  16  fv. 

GALLON.  Recueil  de  Machines  approuvées 
par  l'Académie  ,  7  vol.  in-4- ,  avec  9^5  plan- 
ches. l5o  fr. 
—  Le  7e  rolum?  se  vend  séparément.    36  fr. 

GAUSS.  RECHERCHES  ARITHMETI- 
QUES, traduites  par  M.  l'ouiel-  Dclisle, 
Elève  de  l'Ecole  Polytechnique  et  Professeur 
de  Mathématiques  à  Orléans,  I  vol.  in-4-, 
1807.  18  IV. 

GICQUEL-DESTOUCIIES  .  Capitaine  de 
Vaisseau.  TABLES  COMPARATIVES  des 
principales  Dimensions  des  lîùliaiens  de 
guerre  français  el  anglais  d t. tous  rangs,  de 
leur  Mâture,  Grécmcnt,  Artillerie,  etc., 
d'après  les  derniers  règlement,  avec  plu- 
sieurs-au  très  Tables  relatives  à  un  Système 
de  mâture  proposé  comme  plus 'convenable 
que  celui  actuel,  aux  bâlimens  de  guerre 
français;  ouvrage  utile  aux  officiers  delà 
Marine  royale ,  in-4-  9fr- 

GILBERT,  Ingénieur  de  Marine.  ESSAI  SUR 
L'ART  DE  LA  NAVIGATION  PAR  LA 
"VAPKUR,  1  vol.  in-4-  avec  trois  grandes 
planches ,  18  !o.  5  fr. 

GIRARD,  Ingénieur  en  chef  des  Ponts  et 
Chaussées,  Directeur  du  Canal  de  l'Ourcq 
el    des  eaux    de  Paris,  elc.    RECHERCHES 

EXPERIMENTALES  SUR  L'EAC  ET  LE 
VENT,  considérés  comme  forces  motrices 
applicables  aux  moulins  et  autres  machines 
à  mouvement  circulaire,  traduit  de  l'anglais 
de  Smeaton,  in-/).,  avec  planches.  9  f*"- 

_  PENIS  GÉNÉRAL  DU  CANAL  DE 
L'OURCQ,  2e.  édition,  in-(j.  ,  avec  une 
grande  carte  ,  1820.  6  IV. 

GOUD1N  (OEuvres  de  M.  B.  ).  contenant  un 
Traité  sur  les  PROPRIETES  COMMU- 
NES A  TOUTES  LES  COURBES,  un 
Mémoire  sur  les  ECLlj'SES  DE  SOLEIL. 
nouv.  édil .  ,  in-'|.  ,  7   fr   5o  c. 

HACHETTE.  ex-Professèar  â  l'Ecole  Poly- 
technique. PROGRAMMES  D'IJN  COURS 
DE   PHYSIQUE  ,  ou   Précis  des  levons  sur 


ifls 


les  principaux  pJir'iiom«ne*  t]<*Tn  nature,  et 
sur  quelques  applications  des  Mal  liémal  iques 
à  l.i  Phvsique,  in-8.,  i8of).  5  fr,  5»  r. 

HACHETTE  TR  UTÉELEMENTAIREDES 
AI  V CHINES,  nouvelle  édit  considérabl.  aug- 
mentée,  I  vol.  in-/].,  avec  32  planches,  iS")- 

2.r>  fr 

—  Correspondance  de  l'Ecole  Polytechnique , 
tome  111  ,  3e.  n°.  [\  fr. 

HAGEAU,  inspecteur  divisionnaire  nu   corps 
des    ponts  et  chausse'es.  DESCRIPTION  du 
canal  de  jonction  de  la  Meuse  au  Ilhin  ,  etc.  ; 
181Ç),     1    vol.    in-'j. ,  grand   papier,    et    allas 
composé  de  2t   pi.  sur  demi-feuille  grand- 
aigle.  70  fr. 
HATCHETT.     EXPÉRIENCES    NOUVEL- 
LES  el    Observations   sur  les    différens    AL- 
LIACES DE  L'OR,  leur  pesanteur  spécifi. 
que;  etc.,   traduite  de  l'anglais  par  Lèrat, 
contrôleur  du  monnayage  à  Paris,  avec  îles 
^'•(c-;  ,  uar  Guyton-Morvcau ,  in-q  9  fr. 
IlAUY.    Membre    de    l'Académie     Royale    des 
Sciences,  Professeur  de  minéralogie  au  Jar- 
din du  Roi.  etc.,  etc.  TRAITÉ  DES  CA- 
RACTERES PHYSIQUES  DES  PIERRES 
PRECIEUSES  ,  pour  servir  à  leur  détermi- 
nation   lorsqu'elles  ont    e'te'    taillées,    l   vol. 
in-8.,  1817,   avec  trois  planches   en  taille- 
donce.  6  fr. 
Cet  Ouvrage  renferme  une  description   des 
Minéraux  qui  fournissent  les  pierresprécieûses , 
suivie  d'un  expose'  des  caractères  qui  servent  à 
les  déterminer   lorsqu'elles  sont    taillées,  avec 
des  notions  théoriques  sur   les    propriétés  d'où 
dérivent  ces  caractères;  on  y  a  joint  les  figures 
des  inslrumcns  desline's  à  leur  détermination  . 
et  l'on  y  indique  avec  tous  les  détails  couvena- 
bles  la  manière  d'en  faire  usage. 

L'Ouvrage  est  terminé  par  un  Appendice  où 
sont  décrites  toutes  les  diverses  substances  qui, 
sans  tenir  un  rang  parmi  les  pierres  précieuses, 
sont  employées  dans  la  Bijouterie, 

—  TABLEAU  COMPAR  iTIFDES  RESUL- 
TATS DE  LA  CRISTALLOGRAPHIE  et 
de  l'analyse  chimique,  relativement  à  la 
classification      des     Minéraux,     vol.     in-8. 

5  fr.  5o  c. 
Cet  Ouvrage  est  divisé  en  deu\  parties,  donl 
la  première  présente  le  Tahleau  de  la  Méthode 
niinéralogiqué  de  1'  Luteur,  perfectionnée  d'a- 
près les  découvertes  modernes,  avec  la  synony- 
mie des  savans  étrangers  les  plus  célèbres  La 
seconde  renfermcle  Recueil  des  analyse!  dis 
minéraux  faites  depuis  un  certain  nombre 
d'années,  par  les  plus  habiles  chimistes,  avec 
des  observations  sur  ces  mêmes  analyses  el  snr 

difTérens  points    de    philosophie  niinéralogiqué. 

—  TRUTE  DE  MINÉRALOGIE,  précédé 
d'unTRAITE  DECR1STALLOGRAPHIE, 
2''.  édition  revue,  corrigée  et  considérable- 
ment augmentée;  t>  vol.  m-8.  el  deux  allas-, 
ensemble  204  [il.  entaille-douce,  1822  et 
i8a3.  pu  fr. 
Ces   deux, Ouvrages   se   vendent  séparément, 

savoir  : 

Traité  de  Minéralogie,  4  vol.  in-8.  et  aUas 

de  120  planches    iu-^.  ^0  fr 

Traité  de  Cristallographie  ,2  vol.  in-8.  et 
allas  de  84  planches  iu-q.  3o  fr. 


TLA UY.  TRAITÉ  ÉLÉMENTAIRE  DR  PI1Y- 
SIQUE,  troisième  édition, considérablement 
augmentée,  adoplc  par  le  Conseil  nival  d« 
Pli,  itruction  publique,  ]  oui-  l'eus,  ignement 
dans  les  collèges,  2  vol  in-8  avec  fg  pi., 
1821.  ,&lr- 

HISTOIRE  ET  MÉMOIRES- -DE  L'ACÀ.- 
DEMIE    ROV  ME  DES  SCIENCES   DE 

PARIS  ,  167  vol.  in-4.  ,  rel.  <5oo  lr. 

Chaque  volume,    depuis    (666  jusqu'à    1790 
(  !e  dernier  de   cette   collection),   se   vend 
séparément,  20  fr. 
Table  des   matières  contenues  dans  les  Mémoi- 
re- de  l'Académie,  10  vol.  ;  chaque  vol.  l5  fr. 

—  Savans  étrangers.  II  vol.;  chaque  vol.  20  fr. 

—  Prix  ,  tomes  7,  8elc),  ensemUe.         <<>  ''"• 

—  Machines,  7  vol.  ^f 

—  Le  tome  7e  ,  séparément.  •>"  'r- 
HOMASSEL-,    Elève   gagnant    maîtrise    ,   et 

ex-Cbefdes  teintures  de  la  Manufacture  des 
Gphelins.  COURS  THEORIQUE  ET  PRA- 
TIQUE SUR  L'ART  DE  LA  TEINTURE 

eu  laine,  soie,  fil,  coton,  fabrique  d  In- 
dienne en  grand  et  petit  teint  ,  suivi  île 
l'Art  du  Teinturier-DégraisseUT  et  du  Blan- 
chisseur, avec  les  expériences  faites  sur  les 
végétaux  colorans,  3e.  édit.,  1818,  I  vol. 
in  S.  5fr- 

Cet   Ouvrage  est  le   plus   élémentaire  et  le 

meilleur  qui  ait   encore  pain  sur  la  teinture. 

♦INSTRUCTION  DU  CONSEIL  DE  SALU- 
BRITÉ, SUR  LA  CONSTRUCTION  DES 
LATRINES  PUBLIQUES  et  sur  l'assainis- 
sement des  Eusses  d'aisaneesî  précédé  .du 
Rapport  remis  à  Monsieur  le  Dauphin,  Par 
un  membre  de  la  Société.  Imprimé  r ar  ordre 
du  Conseil  générai  de  la  Société  royale  des 
Prisons;  in-4.,  lt525'  avcc  de  lrès-granae8 
planches.  J     "• 

HUTTON.  NOUVELLES  EXPÉRIENCES 
D'ARTILLERIE  faites  pendantles  années 
1787,  8^,89  el  9'>  ou  l'on  «I''lcrmlnc  la 
force  de  la  poudre,  la  vitesse  initiale  des 
boulets  de  canon,  les  portées  des  pièces  à 
différentes  élévations,  la  résistance  que  1  air 
oppose  au  mouvement  des  projectiles,  les 
effets  des  différentes  longueurs,  des  diffé- 
rentes charges  >-\r  poudre,  etc., etc.;  trad. 
de  l'anglais,  par  O.  Terquem  ,  prof,  de  ma- 
thématiques aux  écoles  royales ,  ei  bibliothé- 
caire au  dépôt  central  de  l'artillerie,  etc., 
1826',   in-4   avcc  phinch.  lo  'r- 

JANVIER  .  horloger  ordinaire  du  Roi.  MA- 
NUEL CHRONOMÉTRIQUE,  ou  Précis 
de  ce  qui  concerne  le  Temps ,  ses  divisions, 
ses  mesures,  leurs  usages,  etc.  ,  vol.  111-12, 
avec     5     planches    gravées    par     Leblanc  , 

1821.  ,  4 fr- 

JOURNAL  DE  L'ECOLE  POLYTECHM- 
Ql  !'.  ,  par  MM  .  Lagrange,  Laplace,  Monge, 
Prony,  Fourcroy  ,  Bcrlliollel  ,  Vaaquelin, 
Lacroix,  Hachette,  Poisson  ,  Sganiin  ,  Guy- 
lou-.Morveau,  Barruel,  Legendre;  Haiiy , 
Malu  - 

La  Collection  jusqu'ils  En  i8a3.  contient  i<) 

Cahiers    in-4-  wniermés   en    iS,    ave,    des 

planches.  tagfr. 

Chaque  Cahier  séparé  se   vend  6  fr. 


10 


t 


Excelle  les  17*.  et  tçy\  ,  qui  coûtent  châ- 
tiai g  fr. 
El  le  iS".                                       7    fr.  bo  c. 
Nota.  Il  n'pxiste  pas  de  g'   Cahier  propre- 
ment dit  ;   on  prend  la  Théorie  des    Fondions 
analytiques   de    Lagrange  :  nouvelle    édition, 
l8ï3,  pour  former  ce  ge.   Cahier.  Prix.    |5  fr, 
JOURNAL  DE  PHYSIQUE,  DE  CHIMIE 
D'HISTOIRE    NATURELLE     ET     DES 
ARTS,    96    vol.  in-4  ,   avec   beaucoup    de 
planches.                                                    ijool'r 
Chaque  volume  se  vend  séparément       18  IV. 
—  et  chaque  n".  4  fr 
JUVIGNY.   MOYEN    DE  SUPPLÉER   p\R 
L'ARITHMETIQUE    A     L'EMPLOI    DE 
L  ALGEBRE   dans   les   questions   d'intérêts 
composés,  d'annuités,  d'amorlissemens ,  ele  , 
terminé    par    une    application    spéciale    du 
mémo  procédé  à  l'extinction  de  la  dette  publi- 
que, in-8.,  1825.                   ,                     2fr. 
LABEY,    ex-professeur  à  l'Ecole-Polylechni- 
que.    TRAITE    DE     STATIQUE",    .vol. 
«-8.                                        ,               3  fr.  5o  c 
LA   CAILLE.    LEÇONS   ELEMENTAIRES 
DE  MATHEMATIQUES  ,  augmentées  par 
Marie.  ,  avec   des   Note;  par  M.  Lahey,  Pro- 
fesseur de  Mathématiques  et  Examinateur 
des  Candidats   pour  l'Ecole   Polytechnique; 
Ouvrage  adopté  par  l'Université  ,  pour  len- 
seignement  dans  les  Lycées,  etc.,  in-8.,  fig., 
■8 II.                                                          6  fr.  5o  c. 

—  LEÇONS  D'OPTIQUE  ,  augmentées  d'un 
TRAITE  DE  PERSPECTIVE;  nouvelle 
édition,  in-8.,  1808.  5  fr 

LACROIX,  Membre  de  l'Institut  et  delà  Lé- 
gion-tTHonneur.  etc.  TRAITÉ  DU  CAL- 
CUL.D1EFERENTIEL  ET  DU  CALCUL 
INTEGRAL  ;2e.  édition,  revue,  corrigée  et 
considérablement  augmentée,  3  vol.  in-4-, 
avec  18  pi.  66  fr. 

Le  troisième   volume  se  vend  séparément  , 

26  fr. 
L'Auteur   a    fait    des    changement   et   aug- 
mentations considérables  à  cette  nouvelle  édi- 
tion ,  qu  il  a   revue  avec  le  plus  grand  soin. 

—  COURS  DE  MATHÉMATIQUES  à  l'u- 
sage de  l'Ecole  centrale  des  Quatre  Na- 
tions ,  Ouvrage  adopté  .par  le  Gouverne- 
ment peur  les  Lycées,  Écoles  secondaires  , 
Collèges,  etc.,  9  vol.  in-8.  38  fr.  5o  c. 
Chaque  volume  du  Cours  de  M.  Lacroix  se 

vend  séparément ,  savoir: 

—  Traité  élémentaire  d'Arithmétique,  17e.  édi- 
tion ,   1826.  2  fr. 

—  Elémens  d'Algèbre,  14e-  édit.  ,  ]825,  4  fr. 

—  !  h  nous  de  Géométrie,  i3°.  édit  ,  IÎ425.  4  fi . 

—  Traité  élémentaire  de  Trigonométrie  recti- 
ligne  et  sphérique,  cl  l'Application  de  l'Ai 
gèbre  à  la  Géométrie.  7e.   édit.,   1822.   4   fr. 

—  Complément  des  Éléinens  d'Algèbre,  5e. 
■  dit  ion,  1825.  4  fr. 

—  Complément  des  Élémens  de  Géométrie  , 
OU  EléjneiU  <le  Géométrie  descriptive  ,  5e. 
édition  ,   1822.  3  fr, 

—  Traité  élémentaire  de  Calcul  différentiel  et 
de    Calcul    intégral,     3e.    édition,     1820. 

7  fr.  5o  c. 

—  Essais  sur  l'Enseignement  en  général ,  cl  sur 
"dm  dus  Mathématiques    «u  particulier  ,  nu 


Manièro^ptudier  et  d'enseigner  les  Malhé- 
mathiques  ,  1  vol    in-R.,  seconde  édition,  re- 
vue et  augmentée,  1816.  5  fr. 
-TRAITÉ  ÉLÉMENTAIRE  DU  CALCUL 
DES  PROBABILITES  ,  in-8.  ,  2'.  édition  , 
avec  une  planche,  1822.                              5  fr. 
LAGRANGE,  Sénateur,  Grand  Officier  de  la 
Légion-d'Honneur,  Membre   de  l'Institut  et 
du  Bureau  (h-s  Longitudes   de  France,   etc 
LEÇONS  SUR  LE  CALCUL  DES  FONC- 
TIONS; nonv.  édiliou  ,   revue,  corrigée  et 
augmentée,  in-8.                                   6  fr.  5o  c. 
Elles  contiennent  des  formules  et  des  métho- 
des nouvelles. 

—DE  LA  RÉSOLUTION  DES  ÉQUATIONS 
NUMERIQUES  de  tous  les  degrés,  avec  des 
Notes  sur  plusieurs  points  de  la  Théorie  des 
équations  algébriques,  in-4  i  3e.  édition, 
revue  et  corrigée.  Ouvrage  adopté  par  l'U- 
niversité pour  renseignement  dans  les  Ly- 
cées, etc.,  1826.  i5  fr. 
Celte  3e.  édition  est  précédée  d'une  analyse 
de  cet  ouvrage  .par  M.  Pomsox  de  [Institut. 

—  THEORIE  DES  FONCTIONS  ANALYTI- 
QUES ;  nouvelle  édition  ,  revue  ,  corrigée 
et   augmentée   par  l'Auteur,    in-/k.  ,    i8l3. 

i5.fr. 

-MECANIQUE  ANALYTIQUE;  nouvelle 
édition  ,  revue  et  augmentée  par  l'Auteur  , 
2  vol    in-4.,  l8jl  et  i8i5  36  fr. 

[L  Auteur  a  fait  des  augmentations  considé~ 

rutiles  à  cette  nouvelle  édition.) 

—  Le  tome  second  se  vend  séparément  ,  pour 
ecux  qui  ne  l'ont  pas  retiré.  18  fr. 
Lagrahgc  a  publié  un  grand  nam'irc  fie  Mé- 
moires d,ans  la  collection  des  Mémoires  de 
l'  -/endémie  des  Sciences  ;  quelques-uns  se  ven- 
dent séparément- 

LAGRIVE.  MANUEL  DE  TRIGONOMÉ- 
TRIE PRATIQUE  ,  revu  par  les  Professeurs 
du  Cadastre  ,  MM.  .'.eynaud  ,  Harros,  Plau- 
zol  el  Boson,  et  augmenté  des  Tables  des 
Logarithmes  à  l'usage  des  Ingénieurs  du  Ca- 
dasi  re,  1  vol    in-8.  7  fr. 

LALANDE.  Membre  de  l'Institut,  Directeur 
de  l'Observatoire.  TABLES  DES  LOG  \- 
R  ITHMESpour  les  nombres  et  lessinus,  etc., 
revues  par  .Revnaud  .  Examinateur  des  Can- 
didats de  l'EcoicPolvIechniquc.  PRÉCÉDÉS 
DKLATRIGONOMÉTRIERECTILIGNE 
SPHERIQUE,  par  le  même;  I  vol.  in-18, 
avec  planches  ,  1818.  3   fr. 

Les  Tables  de  Logarithmes  de  LALANDE 

seules  ,  sans  la  Trigonométrie  de  M.  Reyuaud  , 

se  vendent  séparément.  2  fr. 

-HISTOIRE  CÉLESTE  FRANÇAISE,  i„-4. 

r5  fr. 

-  BIBLIOGRAPHIE  ASTRONOMIQUE  , 
in-4-       .  3o  fr. 

LAME,  Elève  Ingénieur  au  Corps  royal  des 
Mines.  Examen  des  différentes  méthodes 
employées  pour  résoudre  les  PROBLEMES 
DE  GÉOMÉTRIE;    in-8.,  avec  pi. ,  1818. 

2  fr.  5o  c 

LANCELIN.  INTRODUCTION  A  l.'ANA- 
.LYSE  DES  SCIENCES  ,  ou  de  la  Généra- 
tion des  fondemens  et  des  instrument  de  nos 
connaissances , 3  vol.  in-8.,  i8o3.         i5  fr. 

LANZ  et   BETANCOURT.  ESSAI   SUR  LA 


11 


COMPOSITION    DES    MACHINES  ,   a«." 
édition , revue ,  corrige'c  el  considérablement 

augmentée,  vol.  in— 4-  avec   '3  S1'-  F1  î  '^'9 
b  if>  I,. 

L\PEYP,OUSE  (de).  TRAITÉ  SUR  LKS 
MINES  ET  LKS  FOP.GES  .lu  comte  de 
Foix  ,  in-8.,  avec  6  grandes  planches.       6  fr. 

LAPLACE  f M.  le  marq.  de  |,  Pair  Je  France, 
Grand-'  'fllcier  de  la  Légion- d'Honneur , 
Membre  de  l'Institut,  du  Bureau  des  Longi- 
tudes de  France,  des  Sociétés  royales  de 
Londres,  deGollingue.  etc.  TKAITEDE 
MECANIQUE  CÉLESTE,  5  vol.  in-4, 1798 
à  1825.  92lr- 

—  Le  même  ,  grand  papier  vélin.  18"  fr. 
Le  4*   vol.  de  cet   ouvrage,  qui  consent  de 

plus   la    Théorie  •!■■  faction  capillaire  el  un 

Supplément  faisant  suite  au  deuxième  livre  de 

la  Mécar.ii/ue  céleste  .se  \enii  séparément, 21  fr. 

Chaque  Suppl.  ,  séparément.  3  fr.  5o  c. 

—  Le  même  ,  grand  papier  velin.  J2  lr. 

—  MÉCANIQUE  CELESTE,  toro.  V,  in-4-, 
!825.  .  26  lr- 

_  IMPOSITION  DU  SYSTEME  DU  MON- 
DE.;")1', édition,  revue  el  augmentée  par 
l'Auteur,  in-4-,  1824.   avec  pnrl  rail ,     (5  fr. 

—  Le  même  ouvrage,  2  vol.  in-8  ,  sans  porl., 
1824  '2  ''■ 

—  TBÉORTE  analytique  DES  PROBABILI- 
TES ,   I  vol.  in-4-,  troisième  édition  ,  1820 
avec  le  4e-  supplément.  27  fr.  5o  C 

—  Quatrième  Supplément  à  la  Théorie  des 
Pndialiililés  ,  182:"),   séparément.      2  fr    5o  C. 

—  ESSU.  philosophique  SUR  LKS  PROBA- 
BII  ITÉS,  5e.  édition,  revue  et  augmentée, 
in  8.,  1825.  4  fl- 

—  PRÉCIS  DEL'HISTOIRE  D'ASTRONO- 

Ml        1  vol.  in-8  ,  1821,  3(V. 

LAROUYRAYE     de).   L'ART  DES   COM- 

B  \TS  SUR    MER  ,  dédié  au  Duc  d'AngOU- 

léme  ,  i:i  4-  avec   H-,       «  9  ''  ' 

LASALLE.TRAlTEÉLEMENTAlRED'rt*. 

DROGRAPHIE  appliquée  a  toutes  le- -par- 
lies  du  pilotage  ,  etc.  1  vol.  in-8.  ,  avec  pi  , 
1817.  6lV- 

LEI-ÈYKK,  Géomètre  en  chef  du  Cadastre. 
NOU V  E  \ U  TRAITE  DE  1  .'A  R  PENTAGE, 
à  l'usage  des  personnes  qui  se  destinent  à  lé- 
tal d'arpenteur,  au  levé  des  plans  et  aux 
opérations  i\u  nivellement  .  quatrième  édi- 
tion entièrement  refondue  et  augmentée  d'un 
Traile  de  Géodésie  pratique  ,  ouvrage  conte- 
nant tout  ce  qui  est  relatif  à  l'arpentage  , 
l'aménagement  des  bois  el  la  division  des 
propriétés;  ce  qu'il  faut  connaître  pour  les 
grandes  opérations  geodésiques  et  le  nivelle- 
ment ,  2  vol.  in-8.  avec  29  pi  nouvellement 
gravées,  donl  une  coloi .  pour  les  teinte, 
convenlionelles,  1826  ,  lb  fr 

—  MANUEL  DU  TRIGONOMETRE  ,  ser- 
vant de  Guide  aux  jeunes  Ingénieurs  qui  se 
désignent  aux  opérations  geodésiques;  suivi 
de  diverses  solutions  de  Géométrie  prati- 
que, de  quelques  Notes  el  de  plusieurs  Ta- 
bleaux ,  I  vol-  in-8.  ,  avec  planches  ;    1819. 

5  fr. 

LEFRANÇOIS.  ESSAIS  DE  GÉOMÉTRIE 
ANALYTIQUE  ,  2e.  édition  ,  revue  et  aug- 
mentât ,  i  vol.  in-8.,  1824.  2  IV.  5o-e 


LV.GENDP.E,  .Membre  Je  lins!  1!  ut  el  delà 
Légion-dTIonneHr ,  Conseiller  titulaire  de 
r:  oiyer  ité.  ESSAIS  SUR  LA  THEORIE 
NOMBRES  ,  2"  éditic*  ,  revue  et  con- 
sidérablemenl  augm.,  in-4-,  1808 ,  avec  deux 
Supplémens  ,  imprimés  en  1816  et  en  l82.5. 

24  fr. 
Le  Siipplémenl  imprimé  en  1816  se  vend  sé- 
parément .  3  'r. 
Celui  imprimé  en  l825.                          ,     3  fr. 

—  Nouvelle  Méthode  pour  la  DETER- 
MINATION DES  ORBITES  DES  CO- 
MÈTES  ,  avec  deux  Supplément  contenant 
divers  perfeoiioonemens  de  ces  Méthodes  et 
leui  application  aux  deux  Comètes  de  i8of>, 
1806.  iii-'j..  m  ff. 
Le  deuxième  Supplément,     1820,    se   vend 

séparément .  4  "• 

-  EXERCICES  DU  CALCUL  INTEGRAL 
sur  divers  ordres  de  transcendantes  et  sur 
les  quadratures,  irvol.  in-q-  avec  les  supplé- 
mens.   181  1   à  1819.  72  fr. 

LEGENDRE  et  DELAMBRE.  Méthode  ana- 
lytique pour  la  dctermiualion  d'un  aie  du 
méridien  .  in-4.  '■' 

LE  NORMAND,  professeur  de  teclmo'ogie.  etc. 
NOUVEAU  MANUEL  DE  L'ART  DU  DE- 
GB  USSEUR,  etc.  ou  Inslruction  sur  les 
mo\ens  d'enlever  soi  même  toutes  sortes  de 
taches;  3e.  edit.,  revue,  corrigée  et  aogincu  • 
tée  duo  .Ip-pentliee  sur  la  manière  de  blan- 
chir le  papier  et  d'enlever  les  taches  d'encre, 
de  graisse,  de  cire  ou  d'huile  sur  les  livres 
et  estampes,  etc.,  1  vol.  in-12,  avec  une 
planche,  1826.  3  fr. 

—  L'ART  DU  DISTILLATEUR  des  eaux-de- 
ùe  et  des  esprits ,  2  vol.  in-8. ,  fig. ,    1817. 

18  fr. 
LEPAUTE  •     Horloger     du     Roi.     TRAITE 
D'HORLOGERIE,  contenant    tout    ce   qui 
est   nécessaire  pour  hien  connaître  et   pour 
régler    les   pendules    el   lis  montres,    la  des- 
cripliou  des  piec.es  d'horlogerie  les  plus  uti- 
les, etc.,  vol.  in-4-,  avec  17  pi.  ?.\  fr. 
L1IUILLIER  .  membre  de  la  Société  (TEnoou- 
rarement  de  Boue,,.   QUELQUES    11 
NOUVELLES  SUR  L'ART  D'EMPLON  EU 
L'EAU  comme  m< ■  des  roues  hydrauli- 
ques, in-8  ,  l823.  tig.                        2  i'r   ÛO  c. 
L'IIUILLIER  ET  PETIT.  DICTIONNAIRE 
DESTEKMES  DE  MARINE  ESPAGNOLS 
ET  FRANÇAIS,  in-8  8  fr. 
LIBES,    Professeur    de    Physique    au    Lycée 
Cbarlemagne  à  Paris,  èlc.  'HISTOIRE  PHI- 
LOSOPHIQUE  DES   PROGRES    DE   LA 
PHYSIQUE,   4  vo1-  'n-8.,  181 1  et  1 S 1 4  - 

20  fr. 
Le  quatrième   volume   se  vend  séparé 

-  J  5  IV. 
— TMAITÉ  COMPLET  ET  ÉLÉMENT  \  IRE 

DE  PHYSIQUE,  présenté  dans  un  ordre 
nouveau,  d'après  'es  découvertes  modernes; 
deuxième  édition  ,  revue,  corrigée  et  con- 
sidérablement augmentée  ,  3  vol.  in-8.,  avec 
6g.,  i8.3.  18  fr. 

(  Tous   les  Journaux  oui  fait  le  /dus  grand 

éloge  de  cet  deux  Ouvrages  ) 

MAGRÉ.   LE  PILOTE  AMÉRICAIN,  eon- 


12 


tenant  la  description  des  côles  orientales  de 
l'Amérique  du  nord,  depuis  le  fleuve  Saint- 
Laurent  jusqu'au  Mississipi,  et  Irad.  de 
l'anglais,    el  publié  par   ordre  du    ministre 

(  de  la   marine,  1826,  in-8.  5  IV. 

"AIALUS,  Lieutenant-Colonel  au  Corps  du 
Génie  .  Membre  de  l'Institut  d'Egypte 
THKOKIE  DELA  DOUBLE  REFRAC- 
TION DE  LA  LUMIERE  dans  les  Substan- 
ces cristallisées,  in-q.,  avec  t>1  12  fr. 

MARCHAND.  VOYAGE  AUTOUR  DU 
MONDE  en  1790,  1791  et  1792,  3  vol. 
in-4, ,  atlas.  A8  fr 

MARCEL  DE  SERRES.  ESSAI  SUR  LES 
MtTS  et  les  Manufactures  d'Autriche  , 
1814  ■  3  vol.  in-8  ,  avec  3j  planrl,.,      21    fr. 

MARIE  et  LA  CAILLE  LEÇONS  ELEMEN- 
TAIRES DE  MATHÉMATIQUES,  cinq, 
édition,  suivie  de  Notes  et  Additions  par 
M.  Labey,  1811.  Ouvrage  adopte' par  l'Uni- 
versité, in-8.  6fr.5oc. 

MARIE,  Professeur  de  lîatlicmatiquvs  el  de 
Topografliie.  PRINCIPES  DO  DESSIN 
ET  DU  LAVIS  DE  LA  CARTE  TOPO 
GRAPHIQUE  ,  présentés  d'une  manière 
élémentaire  et  méthodique  ,  avec  tous  les 
développement  nécessaires  aux  personnes 
qui  n'ont  pas  l'habitude  du  Dessin,  ace  infpa- 
gne's  de  9  modèles  ,  dont  huit  sont  e  >loiiés 
avec  soin;  1   vol.  in-q\,  ôblong.,   182.5.  t5  IV. 

MASCHEROM.  PROBI  ÈMES  DE  GÉOMÉ- 
TRIE, résolus  de  différentes  manières,  tra- 
duit de  l'italien  ,  1  vol.  in-8.  ,  18  >3.         3  fr, 

MAUDUJT,  Professeur  de  Mathématiques  au 
Collège  de  France  à  Paris.  LEÇONS  '  El E- 
MENTAIRES  D'ARITHMÉTIQUE  ,  ou 
Principes  .1  Analyse  numérique,  iu  8.,  nouv 
édition  ,  48o3.  5  |, 

—  LEÇONS  DE  GÉOMÉTRIE  THÉORI- 
QUE ET  PRATIQUE,  nouvelle  édition, 
revue,  corrigée  el  augmentée,  2  vol.  in-8.. 
1817,  avec  17  p|.  lofl. 

MAYNIEL,  Chef  de  bataillon  au  corps  du 
Génie  ,  .sous-directeur  des  fortifications 
TRAITE  EXPERIMENTAL.  ANALYTI- 
QUE ET  PRATIQUE  DE  LA  POUSSÉE 
DES  TERRES  ET  DES  MURS  DE  REVE- 
TEMENT, contenant  :  1».  l'Exposition  et 
la  Discussion  des  expériences  anciennes  et 
nouvelles  sur  la  poussée  des  terres  ;  2  \  l'Ex- 
position et  la  Discussion  des  diverses  théories 
sui  la  poussée  des  terre-,  :  3".  la  Comparai- 
son des  nouvelles  expériences  sur  la  théorie 
de  Coulomb,  généralisée,  el  application  de 
celle  théorie;  q°.  Traité  pratique  sur  la 
poussée  des   terres    et    des    murs    de    révèle- 

ment  ;  suivi  d'un  Appendicosurle  frolfemenl 
des  vannes  dans  leurs  coulisses,  1808,  I  vol 
ïn"4  .12  fr- 

MECANIQUE  ET  DESCRIPTION  DE  M  \- 
C11INES  RELATIVES  A  L'AGRICULTU- 
RE ET  A  V  \  \  RTS  (  recueil  de) ,  par  Pcr- 
son  .  m  /(  .  avec  18  pi.  IO  rr 

MELANGES  D'AIN  W.YSE  ALGÉBRIQUE 
ET  DE  GEOMETRIE,  par  de  Slainville  , 
1  vol.  n,-8.,  i8ir>,  avecpl.  7  ii-.5o  c. 

MAZURE  -  DUHAMEL  ,    Conservateur   de 

l'Ohteivaloin  de  la  Hlarine  et  .Professeur  à 

CMcoltde Navigation  à  Toulon.  MÉMOIRE; 


EUR  L'ASTRONOMIE  NAUTIQUE,  \«-'A. 

avec  1  pi.  et  tableaux.  7  fr.  5o  c. 

MÉMOIRES  DE  L'INSTITUT, 
Sciences  physiques    el   mathématiques. 

Tôm.     1 ,8fr. 

2 2$ 

3.  ....  « ,8 

4-  -  .  •• i* 

5 20 

6 20 

7  ou    1806     .............      2^ 

8  ou  1807 .     20 

9  ou    1808 2rt 

10  ou   1809 20 

*  Il     OU    l8lO  ,    2  vol 22 

*  12    OU     l8l  1  ,    2    vol 2.r> 

*  »3    OU     )8irî,   2    vol.    ......       23 

*  14  ou  i8t3,  1814,  i8i5,  iT.  .     18 

*  Acad.  des  Se  ,  1816,   loin.   I.   .      18 

*  1817 ,  2.    .     20 

*  1818,  3.  .    a:> 

*  1819    et     1820  ,     3o 

Savant  étrangers. 


Ton 


Tôt 


Toni. 


Base  du 
2* 

!r\; 

L\  par  Biot  «t  Arago   .   .    .   .   . 
Science  morale  *t  politique. 


36 
18 


système  métrique. 


littérature  el  Peaux-Arts. 


18 
18 
18 


20 


Littérature  ancienne. 

Tom.  *  I    et  2 • /12 

*  3.  et  4 /|2 

,      *  5.  cl  6 ,48 

MEMOIRES  SUR  LA  TRI00N0ME1  RIE 
sphérique,  par  uu  Officier  de  l'État-Ma- 
jor, elr.,  in-8.,  I    fr.  -r>o  e. 

MOLLET,  ex-Doyen  de  laFaculté  desSciences 
de  Lyon,  etc.  GN0M0N1QUE  GRAPHI- 
QUE, ou  Méthode  simple  et  facile  pour 
tracer  les  Cadrans  solaires  sur  loules  sortes 
de  plans  et  sur  les  .surface-  de  la  sphère  , 
el  du  cylindre  droil  ,  sans  aucun  calcul  ,  et 
en  11e  faisant  usrtge  que  de  la  règle  cl  du 
compas ,  deuxième  édit  ,  suivie  de  la  Gno- 
monique  analytique,  etc.,  I  vol,  in-8  ,  1820, 
avec  S  planches.  2  fr.  5o  c. 

MONGE,  G.)  anrien  Sénateur,  Membre  de 
l'Institut.  GEOMETRIE  DESCRIPTIVE; 
l\" .  édit.,  augmentée  d'une  Théorie  des  Om- 
bres et  de  ia  perspective,  extraite  des  pa- 
piers de  l'Auteur,  par  M.  RRISSON,  ancien 
Élève  de  l'École  Polytechnique,  Ingénieur 


13 


en  i'-hff  des  Pontiot  Chaussées,  !  vol.  in-q\, 
■vec  i8pl  ,  1820.       ,     ,  12  h. 

MONGE.  TRAITE  ELEMENTAIRE  DK 
ST  VTIQUE,  à  l'usage  îles  Ecoles  de  la  Marine, 
in-8.,  o'1'.  édition,  revue  par  M.  Ilaclielle, 
ex-IWlitnteur  del'Ecole  Polytechnique.  Ou- 
irag  adopte'  par  l'Université  pour  I  ensei- 
gnement dans  les  Lycées.  3  IV.  2J  e. 


NOËL 

ap,.l 


MONTKIRO-DA-ROCIIA  ,  Commandeur  de 
l'Ordre  du  Chris! ,  Directeur  de  L'Observa- 
toire de  l'Université  de  Coïmbre ,  etc.  ME- 
MOIRES SOB  L'ASTRONOMIE  PRATI- 
QUE, traduits  du  portugais?»  U.  deMello, 
in-4, 1808.  7fr.5oc. 

Cet  ouvrage,  dont  les  Journaux  .rientin- 
ques,  et  surtout  le  Bureau  des  Longitudes, 
ont  rendu  un  compte  très-avantageux  ,  con- 
tient indépendamment  des  autres  Mémoires  , 
un  Traité  sur  les  Eclipses  sujettes  aux  paral- 
laxes .  le  plus  complet  et  le  plus  simple  qui  ait 
paru  jusqu  ici. 

WOM'GKHY  (dr\  Capitaine  de  frégate 
RÈGLES  DE  POINTAGE  a  bord  des  vais- 
seaux, ou  Remarques  sur  ce  qui  est  prescrit 
à  cet  égard,  dans  les  exercices  de  loi"  a 
181  I  :  suivies  de  Notes  sur  diverses  branches 
d'artillerie  en  général  ,  et  en  particulier  de 
l'artillerie  de  la  Marine,  1  vol.  in  8.  5  fr. 
—  MEMOIRE  SUR  LES  PETARDS  1- 'U  >T- 

TANS  el  sur  les  mines  flottantes,  ou  ma- 
chines infernales  maritimes,  br.  iu  o.  . 
18(0.  ,  ,  2fr- 

*  -  TRAITE  DES  FUSEES  DE  GUERRE  , 
nommées  autrefois  Roeliel les,  et  maintenant 
Fusées  à  la  Congrève  ,  in-8.,    182J  ,    ligures. 

(j  fr. 
MONTUCLA.  HISTOIRE  DES  MATHEMA- 
TIQUES .  dans  laquelle  on  rend  compte  de 
leurs  progrès  depuis  leur  origine  jusqu'à 
nos  jours  ;  où  l'on  expose  le  Tahleau  et  le 
développement  des  principales  découvertes 
dans  toutes  les  parties  'les  Mathématiques, 
les  contestations  qui  se  sont  élevées  entre  les 
Mathématiciens,  el  les  principaux  traits  de 
la  vie  des  plus  célèbres.  Nouvelle  édition  , 
considérablement  augmentée,  et  prolongée 
jusque  vers  V époque  actuelle,  achevée  cl 
publiée  par  Jérôme  de  Lalande,  t\  vol.  111-4  - 
avec  figures.  00  Ir 

Il  resie  encore  quelques  exemplaires  des  lom. 
II!  et  FV,  qui  *e  vendent  séparément  desdeux 
•premiers  vol.  4°  '*'■ 

Cet  ouvrage  est  ce  qui  existe  de  plus  com- 
plet Jusqu'à  préseui  eu  cette  partie, 
*MOREL(  ira]  PRINCIPE  ACOUSTIQUE 

nouveau  el  universel  de  la  Théorie  musicale, 
ou   la    Musique    expliquée,  I  vol.  avec  pi.  , 

1816.  .  7  fl- 

NEWTON.  ARITHMETIQUE  UNIVER- 
SELLE, Ira. Unie  eu  français  par  M.  ban- 
deux,  avec  des  noies  explicatives,  2  vol. 
in-4- ,  >4  planches.  4°  'r' 

NICHOLSON.    DESCRIPTION    DES    MA- 
CHINES A  YAl'Kl  R,  el  détail  des  princi- 
îangemens  qu'elles  ont  éprouves  de 
de  leur  invention ,  et  desame 


AlSÂBBI    Kf.ÉMEKTAIliE    raisonne'»-    et 
je',-  ,   1  vol    in-8.,  18  u.  5  fr. 

Minii;.  RECUEIL  COMPLET  DETA«LES 
UTILES  A  LA  NAVIGATION.  (  r„>. 
Violaine  ).  iA 

NOUVELLE     THÉORIE     DES    PARAL- 
LELES avec  un  appendice  euiiieuani  la  ma- 
nière de  perfectionner  la  théorie  des  paral- 
lèle «le  A    M  .  Legeodre,  in-8.  2  IV. 
OBEINHI  IM    d'    ,  ancien  sous-directeur  des 
fortifications,  etc.  BALISTIQUE,  indication 
de  quelques  expériences  propres  .1  compléter 
la  théorie  du  mouvement  des  Projectiles  de 
1'  Vrtillerie,  etc.  Strass  un  g,  18:4.  m-8.,  avec 
3  pi.                  ,                     .                                6'  fr. 
PA1X1IANS,  Elève  de  l'Ecole  Polytechnique, 
Chef  de  bataillon  au  Corps   royal  d'Artille- 
rie. et«  NOUVELLE  FORCE  M  LBITIME 
et  application  de  cette  force  à  quelques  par- 
ties du  service  de  l'armée  de   terre-,  ou  Issai 
sur  lé  ta  t  actuel  des  moyens  de  la    force  ma- 
rilime;    sur  une  espèce  nouvelle  d'artillerie 
de  mer  qui  détruirait  proiuplemeut  b  s  vais- 
seaux de  haut   bord  ;    sur  la  conslruction  de 
navires    à   voiles    cl    à   vapeur,  de  grandeur 
modérée,    qui,    armés   de    cette    artillerie  , 
donneraient  une  marine  moins  coûteuse   et 
plus  puissante  que   celle   existante,    el  sur  la 
foreeque  le  système  des  bouches  à  feu  proposé 
offrirait  à  terre   pour  les  batteries  de  siège  , 
de   plaee  ,    de  côtes  et    de    campagne;    in-4- 
avec  7  planches,  1822.                               18  Ir. 
—EXPÉRIENCES  FAITES  PAR   LA  MA- 
RINE FRANÇAISE,  sur  une  arme  nouvelle, 
changemens  qui  paraissent  devoir  eu  résul- 
ter   dans  le   système    naval  ,    el    examen  de 
quelques  questions  relatives  à  la  Marine,  à 
l'Artillerie,  à   l'attaque  el  à  la  défense   des 
Côtes  et  des  Places,  in-8.  1825.  3  fr. 
PARTSOT.  TRAITE  DU  CALCUL  CONJEC- 
TURAL, on  l'Art  de  raisonner  sur  les  choses 
futures  et  inconnues ,  in-q.,  1810.          i5  fr. 
PAUCTON.  TRAITÉ  DK  METROLOGIE, 
ouTraitédes  Mesures,  Poids  et  Monnaies  des 

anciens  el  des  modernes  ,  in-q.  18  IV. 

PERSON.  RECUEIL  DE  MECANIQUE  ET 
DESCRIPTION  DE  MACHINES  RELA- 
TIVES   \    L'AGRICULTURE    ET   AUX 

ARTS,   in  4.  ,  av.  «g* S  pi.,  1802.  IO  IV. 

PERTUS1ER,    officier  d'artillerie  de  la  garde 


royale 


LA    FORTIFICATION    ordonnée 


paux 


puis  l  epoq 

lioratious  qui  les  ont  l'ail  parvenir  à  leur  étal 

actuel  de  perfection.  Ouvrage  traduit  de  I  an- 
glais, I  vol.  in-8.  avec  8  pi  ,  1820'.  5  fr. 


d'après  les  principes  de  la  Statique  et  de  la 
Balistique  modernes ,  etc.  1822,  in-8.  avec 
atlas.  2J  Fr. 

Cet  ouvrage   n'a  été  tiré  qu'à  400  exemp.  , 
i?.3  seulement    ont  été  livres  au  commerce. 

La    Moldavie    el     !.l    Val.lrliie,    cl     de    l'iu- 

llnence  publique  des  Grecs  du  Fanai*  in-8., 
18 '.2.  3fr. 

POINSOT,  Membre  de  l'Institut  et  de  U  l.é- 
gion-d'Honueur,  Inspecteur-général  de  l'U- 
niversité, Kx.11ni11.1i eue  d'admission  .1  l'Ei  ola 
Polytechnique  él  a  l'Ecole  spéciale  militaire 
de  Saint-Cvr,  etc.  TRAITE  ■tEMEN- 
TAIRE  DE'STATIQI  E,  adopte  pour  l'Iu- 

struclion  publique,   iu-S   ,  -j'  •     édit.  ,   l8n, 

.11  ec  pi.  ■*  'r> 

—  MÉMOIRE   SUR    L'APPLICATION    DE 


u 


L  ALGEBRE  A  LA  THEORIE  DES  NOM- 
BRES, in-4.,  1819.  3  IV. 
POINSOT.    RECHERCHES    SUR    L'ANA- 
L\'SE   DES  SECTIONS  ANGULAIRES, 

«n-4.,     l825.  5  fr. 

ISSON,  Membre  de  l'Institut,  Professeur 
à  l'Ecole  Polytechnique,  cic.  TR  îlTEDE 
MÉCANIQUE,  2  vol.  ia  8.,  avec  8  pi.,  181 1. 

12  fr. 

*P0MMIÉS.  MANUEL  DE  L'INGÉNIEUR 
DU  CADASTRE,  contenant  les  connais- 
sances théoriques  et  pratiques  utiles  aux 
Géomètres  en  chef  et  à  leurs  collaborateurs, 
pour  exécuter  le  levé  gênerai  du  plan  des 
communes  de  France,  conformément  aux 
instructions  du  Ministre  des  Finances  sur  le 
cadastre  de  Fiance;  précédé  d'un  Traite  de 
Trigonométrie  recliligne,  par  A.  A  .  Reynaud, 
vol.  in-^. ,   1808.  12  fr. 

PONCELET,  ancien  élève  de  l'École  Polytech- 
nique, capitaine  au  corps  royal  du  Génie. 
TRAITÉ  DES  PROPRIÉTÉS  PROJEC- 
TILES DES  FIGURES, ouvrage  ulileàceux 
qui  s'occupent  des  applications  de  la  Géo- 
métrie descriptive,  et  d'opérations  géométri- 
ques sur  le  terrain,  in-4.  1  1822.  16  fr, 

POULLET-DELISLE,  Professeur  de  mathé- 
thématiques  au  Lycée  d'Orléans.  APPLICA- 
CATION  DE  L'ALGEBRE  A  LA  GÉOMÉ- 
TRIE, m-8.  ,  1806.  ,  5fr. 

—RECHERCHES  ARITHMETIQUES,  trad. 
du  latin  de  GAUSS,  in  4.  18  fr. 

PRONY,  Membre  de  l'Institut.  LEÇONS  DE 
MÉCANIQUE  ANAL\TIQUE,  données  à 
l'ÉCOLE  POLYTECHNIQUE,  2  vol.  in- 
q.,  i8i5.  3ofr. 

Le  même  ouvrage, 2  vol.  in-4-,  grandpapier, 

36  fr. 

—  Et  les  autres  ouvrages  du  même  auteur. 
PROUST.    Recueil   de   Mémoires   relatifs  à  la 

poudre  à  canon;  extrait  du  Journal  de  Phy- 
sique ,  in-4-  18  lr. 
PUISSANT ,  Officier  supérieur  ,  Chef  des 
études  à  l'Ecole  <!'A  pplicatiou  des  Ingénieurs 
Géographes,  ele  RECUEIL  DE  DIVERSES 
PROPOSITIONS  DE  GÉOMÉTRIE,  ré- 
solues ou  démontrées  par  l'analyse,  3%  édit., 
augmenter  d  un  précis  sur  le  LEVE  DES 
PLANS,  in-8.,  avccfl     1824.  7  fr. 

—  TRAITE  DE  GEODESIE,  ou  exposition 
des  Méthodes  trigouo  métriques  et  astronomi- 
ques, applicables,  soità  la  mesut  edëla  Terre, 
soit  à  la  confection  il  11  canevas  des  caries  et  des 
Plans  lopographiques,  2^.  éd.,  2  vol.  in-4-, 
formant  ensemble  plus  de  800  p.  ,  avec  l3 
pi.,  1819.  3o  fr. 

—MÉTHODE  GÉNÉRALE,  pour  obtenir  le 
résultat  moyen  dans  une  série  d'observations 
astronomiques  lai  les  avec  le  cercle  répétiteur 
de  Borda,  in-/|  .  18?.  1.  6  fr. 

—TRAITÉ  DE  TOPOGRAPHIE  ,  d'Arpen- 
tage et  d(  Nivelleini  :i  ,  2e.  édit. ,  considéra- 
bleroiq^   augmentée,    1  vol.    in-4.,  nvr'   9 

pi.  gravées  par  M.  A 'la in.  20  fr. 

—  OBSERVATIONS  sur  les  difTénoi .  s  ma- 
nière; d'exprimer  le  relief  du.  terrain,  y. 
édition  ,  1821».  iu-8. 

QUARTIER  DE  RÉDUCTION  et  ajtro'nomi: 


que  en  usage  dans  la  Marine,  en  feuille.  60c. 
collé  sur  carton.  I  fr.  5o  c. 

RAMSDEN.  DESCRIPTION  D'UNE  MA- 
CHINE pour  diviser  les  iosirumeus  île  ma- 
thématiques, traduit  de  l'anglais  par  La- 
lande,   I  770,  in-4-,  grand  papier  ,  fif         6  fr. 

RAVIINET  ,  sous-chrf  à  la  divisio:  enerale 
desPonlt-el-Chaiissées  Dictionna^  '. hydro- 
graphique de  LA  Ff.ANCE,  contenant  la  des- 
cription des  rivières  et  canaux  Ilot  tables  et 
navigables  dépendans  du  domaine  public  , 
avec  un  tableau  synoptique,  indiquant  le 
système  général  de  la  navigation  intérieure  ; 
ouvrage  couronné  par  1  Académie  royale  des 
Sciences;  suivi  de  la  Collection  complète  des 
Tarifs  des  Droits  de  Navigation  ;  2  vol.  in-8. 
avec  une  très-grande  Carie  de  la  Navigaiion 
intérieure,  publiée  par  la  Direction  des 
Ponls-et-ChaiiNScrs.  i5  fr. 

Le   tome  deuxième,   contenant  le.  lois,  rè- 

glemens  ,    etc   ,     relatifs  à   la   Navigation,     se 

vend  séparément.  8  fr. 

REKOUL.  (  An  toi  ne- Joseph  )  TABLES  NOU- 
VELLES DEVENUS,  d'après  la  Théorie 
de  M    deLaplace,   et  d'après  les  Elemens  de 


M. 


Linde 


1.1-q. 


1811. 


5fr. 


—  NOTES  SUR  LA  NAVIGATION  DE  BE- 
ZOUT,  in-8.  3  fr. 

RF.VNAUD,  Examinateur  des  Candidats  de 
l'Ecole  Polytechnique  .  ARITHMETIQUE, 
à  l'usage  des  élèves  qui  se  destinent  à  l'Ecole 
Polytechnique  et  à  l'Ecole  Militaire,  12e. 
édition,  augmentée  d'une  Table  des  Loga- 
rithmes des  nombres  entiers  ,  depuis  un  jus- 
qu'à dix  mille  ,  I  vol    in-8.,  1824.  3  fr.  5o  c. 

—  TRAITÉ  D'ALGÈBRE,  a  l'usage  des  élèves 
qui  se  destinent  à  l'Ecole  Polytechnique  et  à 
lécole  spéciale  Militaire,  I  vol.  in-8.,  5e. 
édit.;    lb*2I.  5  fr    5o  c. 

—  ALGEBRE,  ancienne  édit.,  2e.  section,  1 
vol.  in-8. ,   1810.  5  fr, 

—  TRAITA  DE  L'APPLICATION  DE 
L'ALGÈBRE  A  LA  'GEOMETRIE  ET 
DE  TRIGONOMETRIE,  à  l'usage  desélèves 
qui  se  destinent  à  l'Ecole  Polytechnique  ;  1 
vol.  in-8.  avec  10  pi  ,   1819.  6  fr. 

_  COURSÉLÉMENTAIREDEMATHÈMA- 
TIQUES,  DE  PHYSIQUE  ET  DE  CHI- 
MIE, à  l'usage  des  élèves  qui  se  destinent  à 
subir  les  examens  pour  le  Baccalauréat  ès- 
leltres,  I  vol.  in-8.  ,   l82rj-  6  fr. 

—  TRIGONOMÉTRIE  RECTILIGNE  ET 
SPHERIQUE,  3*>  édit.,  suivie  desTA BLES 
DES  LOGARITHMES  dés  nombres  cl  des 
lignes  trigonométriques  de'LALANDE,  iu- 18 
avec  fig.,1818.  i  Fr 
Les  Tables  de   Logarithmes  del.ALANDE 

seules  ,  sans  la   Trigonométrie,  se  vendent  se  - 
parémi  ni  '■'•  fr. 

—  ARITHMÉTIQUE  à  l'usage  des  Ingénieurs 
du  Cada;  ire,  in-8.  5  fr. 

<UEL  cic  1*1  hgenieur  du  Cadastre;   par 
MM.  Po'inmfés  cl  Ri  yi  aud,  1  \-&.  12  fr. 

—TRAITE  DE  TRIGONOMETRIE  do  La- 
rive,    dvéc    les     notes   de    Reynaud  ,    in-4. 

7  ''• 

—  et  DUHAMEL.  PROBLEMES  ET  DEVE- 
LOI'PEMÉNS  sur   les  diverses  parties  des 


mjllie'matiquos,   in-8.     avec  il    pi.,    1823 

fi  fr. 

REYNXLD.  NOTES  SUR  L'ARITIIMl.TI- 

..  i!M  BEZOUr,  u"   édit.;  in-8  ,  1S23 

a  li\  5:i  c: 

—  SUR   LA  ÔEOMÉTRIE,   iu  8.  ,    1825. 

4 f'-- 

—  SUN   L'/LGEBRE,    el    application    de 
l'Algèbre-S  la  Géométrie  ;    in-8.,   loVl.q  fr 

RIVAKD.  Tli'.ITF  1)1-:  LA  SPHÈRE  ET 
DU  CALENDRIER;  7".  édit,  (faite sur  !.. 
6'c.  donnée  par  M.  Lalande  j ,  revue  et  aug- 
mentée de  notes  el  addil  ,  par  M.  Puissant  , 
officier  supérieur;  1  vol.  in-8.,  avec  3  pi 
bien  gravées,  1816.  4  'r 

ROMME,    Associé    de     l'Institut    de     France. 

TABLEAUXDES  VENTS,  DES  MAREES 
ET  DES  COUR ANS  qui  oui  éié  observés 
sur  toutes  les  mers  du  glche,  avec  des  ré- 
flexions sur  ces  phénomènes,  2  vol  in-8., 
1817.  12  fr. 

RUGGIERI.  ÉLEMENS  DE  PYROTECH- 
NIE  divisés  en  cinq  parties:  la  l'e.  ronlenaiit 
le  Traité  des  matières;  la  2e.  les  feux  de 
terre,  d'air  et  d'eâu  :  la  3°.,  les  feux  d'aéros- 
tation  ;  la  Ae,  ,  les  feux  de  théâtre  et  les  feux 
de  guerre  j  suivis  d'un  Vocabulaire  el  de  la 
Descriplionde  quelques  feux  d'artifices,  ele  ; 
2e.  édit>  revue,  corrigée  el  augmentée  de 
nouvelles  découvertes  el  inventions  faites  par 
fauteur,  telles  <iue  les  beaux  feux  verts,  ba- 
guelles  détonantes  pour  eviler  la  cliule 
dangereuse  des   fusées  volantes ,  ele.  ,   I  vol 

in-8   avec  39  pi. ,  1821.  9  f''- 

— PYROTECHNIEM1LITAIRE,  1812,  1  vol. 

in-8.  avec  pi  6  fr. 

SÉGUIN. MANUEL  D'ARCHITECTURE, ou 
Principes  des  Opérations  priniilives  de  cet 
Art,  où  l'on  expose  des  M  cl  h  odes  abrégées  la  ni 
pour  1  évaluai  ion  des  surfaces  el  solides  circu- 
laires que  pour  le  développement  des  cour- 
bes, et  pour  l'extraction  des  racines  carrées 
et  cubiques,  par  de  nouvelles  régies  fort 
simples.  Cet  ouvrage  est  terminé  par  une 
table  des  carrés  et  'les  cubes,  dont  les  racines 
commencent  par  l'unité  et  vont  jusqu'à  dix 
mille,  in-8  .  aved  1 0  pi .  6  fr. 

—TABLES  DES  NOMBRES  CARRÉS  ET 
CUBIQUES,  el  dés  racines  de  ces  nombres, 
depuis  Un  jusqu'à  dix  nulle.  3  fr. 

3ERVOIS.  SOL1  TIONS  PEU  CONNUES 
de  difl'éreus  problèmes  île  Géométrie  prali- 
qur,   1  vol.  in-8.  2  fr.  5o  c. 

SGANZ1N,  Inspecteur  général  des  Pouls  el 
Chaussées,  etc.  PROGB  tMMES  ni)  RE- 
SUMES DES  LEÇONS  D'UN  COMts  i>h 
CONSTRUCTION,  avec  des  applications 
tirées  principalement  de  I'  \rl  de  l'Ingénieur 
des  Ponts  el  Chaussées ,  3°.  édition  revue 
cl  considérabl.  aug.,  1  vol.  in-4  ,  1821  avec 
i»pl.  ,  i5  fr. 

SIMONIN  TRAITE  D'ARITIIMÉTIOUE 
DECIM  U.E  ,   1  vol.  in-8.  a  IV. 

S"5  l.\  ESTRE.  Tl!  I  II  E  D'  VRITHMETI- 
QUK  'u  iage  des  Pen  lionnal  -  el  des  Écoles 
Chrétiennes,  3".  édit.,  1822.  £>  fr. 

SIMMENCOURT.  TABLEAUX  DES  MON- 
NAIES de  change  et  des  monnai. \.  réelle», 
des  poids  et  mesures ,  des  cours  des  changes 


cl    des  usages  commerciaux  des  principales 
villes  du  monde,  ou  Répertoire  du  bananier, 

in-4-  ■  >K'7-  3  fr. 

SINGER  George  .  ELEMENS  D'ELECTRI- 
CITE ET  DE  0  W.V  FNISME,  traduit  de 

l'anglais    par  TU  1 1.1.  \  1  h  ,    Professeur   au 

•    l.oiiis-le-ljraiid  ,    1    fort   vol.    in-8., 

i8i(>.  8fr. 

SMEATON.  (KoyeaGlRARO.) 

SOULAS.  LA  FEVE1-.  DES  PLANS  ET 
L'ARPENTAGE  REND!  S  FACILES  , 
précédés  de  notions  élémentaires  de  Trigo- 
nomélrie  recliligue  à  l'usage  des  employés 
au  Cadaslre  de  la  France,  deuxième  édition, 
revue  et  corrigée,  1  vol.  in-8.,  1820,  avec 
8  pi.  3  fr. 

STAINVILLE  (  De  \  Répétiteur  à  l'Ecole 
Polytechnique.  MELANGES  D'ANALYSE 
ALGEBRIQUE  ET   DK   GÉOMÉTRIE, 

I  vol.  in-8.    de  60O  pages,    iS  1 5  ,  avec  3   pi. 

ST1RL1NG.  ISAACI  NEWTON)  ENDME^ 
RATIO  LINEARUM  TERTf  I  ORDINIS, 

sequilor  illustratio  ejusd.  Iraclalûs,  in-8. 
7  fr.  5o  c. 

SUZANNE,  Docteur  ès-Sciences  ,  Professeur 
de  Mathématiques  au  Lycée  Charli  magne  à 
Pari.,  eic.  DK  LA  MANIÈRE  D'ÉTUDIER 
LES  MATHEMATIQUES;  Ouvrage  destiné 
à  servir  de  guide  aux  jeunes  gens,  à  ceux 
surtout  qui  veulent  approfondirceltescience, 
ou  qui  aspirent  à  élre  admis  à  1  Ecole  Nor- 
male OU  a  l'Ecole  Polytechnique,  3  vol.  in-8.. 
avec  fig. 

Chaque  partie  se  vend  séparément  :   savoir  , 

—  fe.  Partie.  PRÉCEPTES  GÉNÉRAUX 
ET  ARITHMÉTIQUE,  seconde  édition, 
considérabl.  aug.,  in-8.  6  fr 

—  2e.  Partie.  AI.GÈBRE  ,  épuisée  ,  in-8.  ne 
se  vend  plus  séparément. 

—  3e.  Partie.  GÉOMÉTRIE,  in-8.  6  fr.  5o  c. 
TEDENAT  ,     Recteur     de    l'Académie     de 

Nîmes.  Ferons  élémentaires  D'ARITHME- 
TIQUE ot  D'ALGÈBRE,  in-8  5  fr. 

— Leçons  élémentaires  de  GÉOMÉTRIE,  in-8. 

.')  fr. 

—  Leçons  élémentaires  d'APPLICATION  DE 
L'ALOÈiiRE  A  LA  GEOMETRIE,  el  Cal- 
culs différentiel  cl  inle'gr.,  2  M)l.  in-8    ,    lofr. 

THEVENEAU,.COURS  D'ARITHMETIQUE 
à  l'usage  des  Ecoles  centrales  et  du  Commer- 
ce ,  in-8.  3  fr. 

THIOl  T  aîné,  maître  horloger  à  Paris. 
TRAITE  D'HORLOGERIE  MÉCANI- 
QUE ET  PRATIQUE,  approuvé  par  l'Acad. 
royale  des  Se.,  a  vai  m-').,  avec9i  pi    36  IV. 

!  DGOLD  (  Thomas)  ,  Ingénieun  .-ï v  •  I  . 
Membre  de  l'institution  des  Ingénieurs  ci- 
vils. ESSAI  PRATIQUE  SJLR  i.\  FORCE 
1)1  FER  COULÉ  ET  IPA  UT  R  ES  MÉ- 
TAUX, destiné  à  l'usage  des  ingénieur 
mailles  de  forges  ,  des  architectes  .  de.  !,n- 
deurs,  el  de  tous  ce  i\  qui  s  occupent  de  h» 
eonstruclionde  machines,  des  bâtiment,  etc., 
contenant  des  règles  pratiques,  des  laide. 
et  des  exemples ,  le  1  «.■  «i  (   fondé  sur  une  suit. 

d'expériences  nouvelles,  il  i^e  table  étendue 

des  propriétés  de  divers  ruaneViaux  ;  traduit 
de  l'anglais,  sur  la   deuxième  édition,    pat 


16 


T.  Diverse,    i    vcd.  in-8.   avec    plaiich., 
1826.  ,  7 lr- 

TRI  DOOLD.  PRINCIPES  DE  L'ART  DE 
CHAUFFER  ET  D'AERER  LES  EDIFI- 
CES PUBLICS,  les  Maisons  d'habitation, 
les  Manufactures,  les  Hôpitaux  ,  les  Serres 
etc.,  et  de  construire  les  Eoye-rs,  les  Chau- 
dières, les  Appareils  pour  la  vapeur,  les 
Grilles.  les  Étrtves,  démontrés  parle  Calcul 
et  appliqués  à  la  Pratique;  avec  des  remar- 
ques sur  la  nature  de  la  Chaleur  et  de  la 
Lumière,  et  plusieurs  Tables  utiles  dans  la 
Pratique  ;  trad.  de  l'anglais  sur  la  2e.  édit.  , 
psr  Th.  DljVERNE.  I  vol.  iu-8.  ,  avec  planch. 
1825.      _  7  ir- 

TRAITÉ  PRATIQUE  surlescheminsenfcr 

et  sur  les  voitures  destinées  à  les  parcourir  ; 
Principes  d'après  lesquels  on  peut  évaluer 
leur  force,  leurs  proportions  et  la  dépense 
qu'ils  nécessitent;  ainsi  que  leur  produit 
annuel  ;  conditions  à  remplir  pour  les  rendre 
utiles,  économiques  et -durables  ;  théorie  des 
.chariots  à  vapeur,  des  machines  slatinunai- 
res  ,  et  de  cetles  où  l'on  emploie  le  gaz.  Leur 
effet  utile  et  les  frais  qu'elles  occasionent. 
Orné  de  planches,  et  contenant  beaucoup  de 
tables,  in-8.  1826.  ,  5  lr. 

TREUIL.  Professeur  à  l'Ecole  militaire  de 
Sainl-Cyr.  ESSAIS  DE  MATHEMATI- 
QUES, contenant  quelques  détails  soi  l'A- 
rithmétique,  l'Alsèhre  ,  la  Géométrie  et  la 
Statique,  in-8  ,  1819.  ,  2  f  r 

*  VALLÉE  ,  ancien  élève  de  l'Ecole  Polytech- 
nique, Ingénieur  au  Corps  royal  des,lJonls- 
et  Chaussées.  TRAITE  DE  LA  GEOME- 
TRIE DESCRIPTIVE,  dédié  à  M.  MON- 
GE.  (  Ouvrage  sur  lequel  l'Institut  de 
France  a  fait  un  rapport  très-avantageux.)  2e. 
édit  ,  I  vol.  in-q.,  avec  un  atlas  de  67  pi.  , 
1825.         .  20  fr. 

■"—TRAITE  DE  LA  SCIENCE  DU  DESSIN, 
contenant  la  théorie  générale  des  ombres  , 
la  perspective  linéaire  ,  la  théorie  des  images 
d'optique  ,  et  la  perspective  aérienne  appli- 
quée au  lavis  :  pour  faire  suite  à  la  Géomé- 
trie descriptive,  1  vol.  in-4  ,  avec  uu  atlas  de 
56  pi.,   182t.  ,  20  fr. 

VASTEL  ARITHMETIQUE  DU  JEU  DE 
BOSTON  ,  ou  Chances  Bostoniennes,  in- 12. 
1  lr.  5o  c. 
VAN-BEEK.  De  l'influence  que  le  fer  des  vais- 
seaux exerce  sur  la  boussole  ,  et  un  moyen 
d'estimer  la  déviation  que  l'aiguille  éprouve 
de  ce  chef,  trad.  du  hollandais;  par  M.  l.ip- 
kins,  in-8.  2  '•'.  5o  c 

VIOLAINE.  RECUKIL  DES  TABLES 
UTILES  A  LA  NAVIGATION,  traduit  de 
l'anglais  de  John  William  N.jkie,  professe ui 
d'Hydrographie  à  Londres;  précédé  d'un 
ABRECE  DE  Ni  \  IG  ATION  PRATIQUE, 
contenant  ce  qui  est  nécessaire  et  indispen- 
sable à  toutes  les  «lasses  de  marins  ;  enrichi 
déplus,  d'un  VOCUBULA1RE  des  termes 
les  plus  usités  dans  la  MARINE;  le  tout  ex- 
trait nés  11  ic- il  leurs  A  11  leurs  français,  anglais 
espagnols,  etc;  recueilli,  mis  en  ordre  et 
augmente'  df»  Remarques  et  Observations 
nouvelles,  par  P.  A.  Violaine,  ex-Commis- 


saire de  Marine,  Professeur  de  Mathémati- 
ques ut  de  Navigation,  etc.,  1  vol.  in,8. , 
i8i5.  g  fr 

VOIRON.  HISTOIRE  DE  L'ASTRJJV  J:{E 
depuis  |-»8l  jusqu'à  iStl,  pour  servir  ne 
suite  à  l'Histoire  de  l'Astronomie  de  Bailly, 
in-4.,  '?»•■  12  le. 

(Cet  ouvrage  est  indispensable  aux  personnes 
qui  possèdent  les  5  volumes  de  l'Astronomie  de 
Baiilv.) 

Wl LLAUMEZ, vice-amiral. DICTIONXUBE 
DES  TERMES  DE  M\R1NE,  nouvelle  éd. 
revue  et  augmentée,  1825,  vol.  in-8,  avec  pi. 
dessinées  et  gravées  par  Bau-ean.  12  lr. 

—  Le   même,  avec  167  pavillons.  l5  fr. 

Les  1J7  pavillons  coloriés  se  vendent  séparé- 
ment 3  fr. 

MÉLANGES. 

CESTUTT-TRACY,  Pair  de  France  ,  Grand- 
Officier  de  la  Lcgion-dTIonneur,  Membre  de 
1  Institut,  etc  ELEMENS  D'IDEOLOGIE, 
Douvelle  édit.  ,  4  vol.  in-8.  22  lr. 

Cltutjuc  volume  se  vend  séparément ,  savoir  : 
Ioéologie    proprement  dite,  in-8., 
3e.  édit  ,1817.  5  fr. 

Grammaire,    iu-8.  ,  2e.  édit. ,  1817. 
Mr. 
Logique,  2e.  édit.,  1818.  6  fr. 

Traité  le  LA  volonté,  et  de  ses 
effets,  4e-  et  5e.  parties,  2e.  édit., 
in  8.,    1818.  6' lr. 

DUTENS.  Analyse  raisonnée  des  PRINCIPES 
FONDAMENTAUX  DE  L'ECONOMIE 
POLITIQUE,  in  8.,  1804.  3fr 

FLORE  NATURELLE  ET  ÉCONOMIQUE 
DES  PLANTES  QUI  CROISSENT  AUX 
ENVIRONS  DE  PARIS,  au  nombre  de 
plus  de  400 genres  et  de  1400  espèces,  conte- 
nant l'euumeration  de  ces  piaules,  rangées 
suivant  le  système  de  Jussieu,  et  par  ordre 
alphabétique  ,  leurs  noms  triviaux  ,  leur 
synonymie  française,  leurs  descriptions,  les 
endroits  où  se  trouvent  la  plus  rares.,  leurs 
propriétés  pou  ries  aliincus,  les  médicauicns, 
l'art  vetei inaire,  les  arts  et  métiers  ,  et.l'or- 
neraént  des  jardins;  ouvrage  élémentaire 
dune  utilité  première,  et  également  propre 
aux  différentes  classes  de  citoyens,  2''.  édit,, 
augmentée  de  la  Flore  naturelle  et  de  24  pi. 
soigneusement  gravées j  par  une  Société  de 
Naturalistes,  2  vol.  in-8.  de  pies  de  10OO  p. 

HISTOIRE  DES  INSECTES  NUISIBLES 
ET  UTILES  A  L'HOMME,  aux  bestiaux., 
à  l'agriculture",  au  jardinage  et  aux  ails, 
avec  ta  Méthode  de  détruire  les  nuisibles  et 
multiplier  les  utiles,  5e.  edit.,  2\ol.  in-12, 

an  t.  fi  r. 


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gie proprement  dite 


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Destutt  de  Tracy 

Elémens  d'idéologie 
prement  dite 


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