Skip to main content

Full text of "Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes, ou, Mémoires pour servir à l'histoire des égaremens de l'esprit humain par rapport à la religion chrétienne"

See other formats


Google 


This  is  a  digital  copy  of  a  book  thaï  was  prcscrvod  for  générations  on  library  shelves  before  it  was  carefully  scanned  by  Google  as  part  of  a  project 

to  make  the  world's  bocks  discoverablc  online. 

It  has  survived  long  enough  for  the  copyright  to  expire  and  the  book  to  enter  the  public  domain.  A  public  domain  book  is  one  that  was  never  subject 

to  copyright  or  whose  légal  copyright  term  has  expired.  Whether  a  book  is  in  the  public  domain  may  vary  country  to  country.  Public  domain  books 

are  our  gateways  to  the  past,  representing  a  wealth  of  history,  culture  and  knowledge  that's  often  difficult  to  discover. 

Marks,  notations  and  other  maiginalia  présent  in  the  original  volume  will  appear  in  this  file  -  a  reminder  of  this  book's  long  journcy  from  the 

publisher  to  a  library  and  finally  to  you. 

Usage  guidelines 

Google  is  proud  to  partner  with  libraries  to  digitize  public  domain  materials  and  make  them  widely  accessible.  Public  domain  books  belong  to  the 
public  and  we  are  merely  their  custodians.  Nevertheless,  this  work  is  expensive,  so  in  order  to  keep  providing  this  resource,  we  hâve  taken  steps  to 
prcvcnt  abuse  by  commercial  parties,  including  placing  lechnical  restrictions  on  automated  querying. 
We  also  ask  that  you: 

+  Make  non-commercial  use  of  the  files  We  designed  Google  Book  Search  for  use  by  individuals,  and  we  request  that  you  use  thèse  files  for 
Personal,  non-commercial  purposes. 

+  Refrain  fivm  automated  querying  Do  nol  send  automated  queries  of  any  sort  to  Google's  System:  If  you  are  conducting  research  on  machine 
translation,  optical  character  récognition  or  other  areas  where  access  to  a  laige  amount  of  text  is  helpful,  please  contact  us.  We  encourage  the 
use  of  public  domain  materials  for  thèse  purposes  and  may  be  able  to  help. 

+  Maintain  attributionTht  GoogX'S  "watermark"  you  see  on  each  file  is essential  for  informingpcoplcabout  this  project  and  helping  them  find 
additional  materials  through  Google  Book  Search.  Please  do  not  remove  it. 

+  Keep  it  légal  Whatever  your  use,  remember  that  you  are  lesponsible  for  ensuring  that  what  you  are  doing  is  légal.  Do  not  assume  that  just 
because  we  believe  a  book  is  in  the  public  domain  for  users  in  the  United  States,  that  the  work  is  also  in  the  public  domain  for  users  in  other 
countiies.  Whether  a  book  is  still  in  copyright  varies  from  country  to  country,  and  we  can'l  offer  guidance  on  whether  any  spécifie  use  of 
any  spécifie  book  is  allowed.  Please  do  not  assume  that  a  book's  appearance  in  Google  Book  Search  means  it  can  be  used  in  any  manner 
anywhere  in  the  world.  Copyright  infringement  liabili^  can  be  quite  severe. 

About  Google  Book  Search 

Google's  mission  is  to  organize  the  world's  information  and  to  make  it  universally  accessible  and  useful.   Google  Book  Search  helps  rcaders 
discover  the  world's  books  while  helping  authors  and  publishers  reach  new  audiences.  You  can  search  through  the  full  icxi  of  ihis  book  on  the  web 

at|http: //books.  google  .com/l 


Google 


A  propos  de  ce  livre 

Ceci  est  une  copie  numérique  d'un  ouvrage  conservé  depuis  des  générations  dans  les  rayonnages  d'une  bibliothèque  avant  d'être  numérisé  avec 

précaution  par  Google  dans  le  cadre  d'un  projet  visant  à  permettre  aux  internautes  de  découvrir  l'ensemble  du  patrimoine  littéraire  mondial  en 

ligne. 

Ce  livre  étant  relativement  ancien,  il  n'est  plus  protégé  par  la  loi  sur  les  droits  d'auteur  et  appartient  à  présent  au  domaine  public.  L'expression 

"appartenir  au  domaine  public"  signifie  que  le  livre  en  question  n'a  jamais  été  soumis  aux  droits  d'auteur  ou  que  ses  droits  légaux  sont  arrivés  à 

expiration.  Les  conditions  requises  pour  qu'un  livre  tombe  dans  le  domaine  public  peuvent  varier  d'un  pays  à  l'autre.  Les  livres  libres  de  droit  sont 

autant  de  liens  avec  le  passé.  Ils  sont  les  témoins  de  la  richesse  de  notre  histoire,  de  notre  patrimoine  culturel  et  de  la  connaissance  humaine  et  sont 

trop  souvent  difficilement  accessibles  au  public. 

Les  notes  de  bas  de  page  et  autres  annotations  en  maige  du  texte  présentes  dans  le  volume  original  sont  reprises  dans  ce  fichier,  comme  un  souvenir 

du  long  chemin  parcouru  par  l'ouvrage  depuis  la  maison  d'édition  en  passant  par  la  bibliothèque  pour  finalement  se  retrouver  entre  vos  mains. 

Consignes  d'utilisation 

Google  est  fier  de  travailler  en  partenariat  avec  des  bibliothèques  à  la  numérisation  des  ouvrages  apparienani  au  domaine  public  et  de  les  rendre 
ainsi  accessibles  à  tous.  Ces  livres  sont  en  effet  la  propriété  de  tous  et  de  toutes  et  nous  sommes  tout  simplement  les  gardiens  de  ce  patrimoine. 
Il  s'agit  toutefois  d'un  projet  coûteux.  Par  conséquent  et  en  vue  de  poursuivre  la  diffusion  de  ces  ressources  inépuisables,  nous  avons  pris  les 
dispositions  nécessaires  afin  de  prévenir  les  éventuels  abus  auxquels  pourraient  se  livrer  des  sites  marchands  tiers,  notamment  en  instaurant  des 
contraintes  techniques  relatives  aux  requêtes  automatisées. 
Nous  vous  demandons  également  de: 

+  Ne  pas  utiliser  les  fichiers  à  des  fins  commerciales  Nous  avons  conçu  le  programme  Google  Recherche  de  Livres  à  l'usage  des  particuliers. 
Nous  vous  demandons  donc  d'utiliser  uniquement  ces  fichiers  à  des  fins  personnelles.  Ils  ne  sauraient  en  effet  être  employés  dans  un 
quelconque  but  commercial. 

+  Ne  pas  procéder  à  des  requêtes  automatisées  N'envoyez  aucune  requête  automatisée  quelle  qu'elle  soit  au  système  Google.  Si  vous  effectuez 
des  recherches  concernant  les  logiciels  de  traduction,  la  reconnaissance  optique  de  caractères  ou  tout  autre  domaine  nécessitant  de  disposer 
d'importantes  quantités  de  texte,  n'hésitez  pas  à  nous  contacter  Nous  encourageons  pour  la  réalisation  de  ce  type  de  travaux  l'utilisation  des 
ouvrages  et  documents  appartenant  au  domaine  public  et  serions  heureux  de  vous  être  utile. 

+  Ne  pas  supprimer  l'attribution  Le  filigrane  Google  contenu  dans  chaque  fichier  est  indispensable  pour  informer  les  internautes  de  notre  projet 
et  leur  permettre  d'accéder  à  davantage  de  documents  par  l'intermédiaire  du  Programme  Google  Recherche  de  Livres.  Ne  le  supprimez  en 
aucun  cas. 

+  Rester  dans  la  légalité  Quelle  que  soit  l'utilisation  que  vous  comptez  faire  des  fichiers,  n'oubliez  pas  qu'il  est  de  votre  responsabilité  de 
veiller  à  respecter  la  loi.  Si  un  ouvrage  appartient  au  domaine  public  américain,  n'en  déduisez  pas  pour  autant  qu'il  en  va  de  même  dans 
les  autres  pays.  La  durée  légale  des  droits  d'auteur  d'un  livre  varie  d'un  pays  à  l'autre.  Nous  ne  sommes  donc  pas  en  mesure  de  répertorier 
les  ouvrages  dont  l'utilisation  est  autorisée  et  ceux  dont  elle  ne  l'est  pas.  Ne  croyez  pas  que  le  simple  fait  d'afficher  un  livre  sur  Google 
Recherche  de  Livres  signifie  que  celui-ci  peut  être  utilisé  de  quelque  façon  que  ce  soit  dans  le  monde  entier.  La  condamnation  à  laquelle  vous 
vous  exposeriez  en  cas  de  violation  des  droits  d'auteur  peut  être  sévère. 

A  propos  du  service  Google  Recherche  de  Livres 

En  favorisant  la  recherche  et  l'accès  à  un  nombre  croissant  de  livres  disponibles  dans  de  nombreuses  langues,  dont  le  français,  Google  souhaite 
contribuer  à  promouvoir  la  diversité  culturelle  grâce  à  Google  Recherche  de  Livres.  En  effet,  le  Programme  Google  Recherche  de  Livres  permet 
aux  internautes  de  découvrir  le  patrimoine  littéraire  mondial,  tout  en  aidant  les  auteurs  et  les  éditeurs  à  élargir  leur  public.  Vous  pouvez  effectuer 
des  recherches  en  ligne  dans  le  texte  intégral  de  cet  ouvrage  à  l'adressefhttp:  //book  s  .google .  coïrïl 


DES  HERESIES, 

IIES  ERIIEIBS  ET  DES  SCHISMES, 
MÉMOIRES 

pouriimlrik  l'iilatolrc 

DES  ÉGAREMENTS  DE  L'ESPRIT  Hl'MAIÎ^ 

TMll  llAPI'dlIT  A  l.\    llRI.jr.UlS    CIDtliTlENMÎ. 

TOME  PREMIER, 

^i'viû's  f'iniou ,  cnnigiB  aiec  soin  El  su 515 Entés -^e  plnsisuri  afUclEs . 
Par  \.  ûe  PEnnOlilL, 


PARIS, 

A.   BOYKR.    ÉDITEPR, 


DICTIONNAIRE 

DES  HÉRÉSIES, 

DES  ERIIEI'RS  ET  DES  SCIIISIIES, 
MÉMOIRES 

pour  servir  à  l'I 

DES  ÉGAREMENTS  DE  LESPRIT  III'MAJ!^ 

l'VU  riAI-PtlItT  A  LA  _I1EI.IGIIJN  CUIlÉTirNXE. 
TOME  PREMIER. 


DICTIONNAIRE 

DES  HÉRÉSIES, 

DES  ERREURS  ET  DES  SCHISMES. 


■<^: 


PARIS. — TYPOGRAPUIË  UK  COSSON|  RUE  DU  FOUK*iAlNT-GERMAiN,  47. 


DICTIONNAIRE 

DES  HÉRÉSIES, 

DES  ERMimiS  ET  DES  SCHISMES, 

OU 

MÉMOIRES 

Fout  Kn'ii  à  Xhitasi 
r  DES  ÉGABEMENS  DE  L'ESPRIT  HUMAIN 


I 


PAR  RAPPORT  A  LA  RELIGIOH  CKRËTIEHNEl. 

^      TOME  PREMIER.  a/*S£l 


FAR   V.   DE  PEBRODIL. 


PARIS. 

A.  ROYER,  ÉDITEUR, 

!41 ,  place  du  Paliii-Rijal 
184$ 


;cf(.r3^ 


m^ 


Bowle  Ce  Uctfôd 

Gift  of 

Mrs.  E,  D.  Bfiidageo 


•h*  *•  ''" 


PRÉFACE. 


Les  personnes  qui  ont  le  )nalheur  d'êlre  engagées 
dans  les  liens  de  l'hér<?sie,  ou  celles,' plus  ]^a|heureuscs 
encore,  qui,  appartenant  par  leur  naissance  et  leur  édu- 
cation à  l'Église  catholique,  ont  cessé  cependant  de  suivre 
ses  prescriptions  et  d*y  croire,  ne  peuvent  lire  aucun 
livre  avec  plus  de  fruit  que  celui  que  nous  leur  offrons. 

L'ouvrage  de  Pluquet,  véritable  labeur  de  béné- 
dictin et  tel  qu'on  n'en  fait  plus  de  nos  jours,  est  un  ré- 
pertoire de  toutes  les  erreurs  que  les  passions  humaines 
ont  opposées  à  la  vérité  dii  christianisme  :  erreurs  chan- 
geantes, variables,  s'éteignant  et  renaissant  de  siècle  en 
siècle,  d'année  en  année,  de  jour  en  jour  ;  erreurs  hon- 
teuses atteignant  la  dignité  de  l'homme  jusqu^à  le  ra* 
baisser  à  la  condition  de  la  brute  ;  erreurs  insolentes, 
méconnaissant  sa  nature  jusqu'à  l'égaler  à  Dieu  ;  erreurs 
enfin  qui,  en  divers  temps  et  en  divers  lieux,  ont  divi* 
nisé  le  meurtre,  enseigné  la  débauche,  et  plongé  des 
peuples  entiers  dans  des  superstitions,  ici  tellement  atro- 
ces, là  tellement  ridicules,  qu'il  est  impossible  à  un 
homme  de  sens  de  n'en  pas  détourner  la  tête  avec  mé- 
pris et  d^oût. 

D'où  naissent  cependant  toutes  ces  erreurs?  De  l'or- 


a* 


VI  PRÉFACE, 

gueil.  Des  hommes  ambitieux,  jaloux,  atrabilaires,  veu- 
lent se  faire  un  nom  el  primer  sur  tout  ce  qui  les  entoure. 
Les  moyens  qu'ils  emploient  varient  ;  mais  le  but  esi  le 
môme.  Selon  les  temps  où  ils  vivent,  ils  se  servent  de 
rignorance  des  peuples,  de  l'ambition  des  rois  et  des 
grands,  et  remuent,  au  proGt  de  leur  orgueil,  lessentî- 
mens  les  plus  vils  qui  dormentdans  lecœur  de  l'homme. 
Tels  sont  les  chefs  de  secte;  tels  ils  se  montrent  par 
leurs  actions  et  leurs  écrits  dans  l'admirable  travail  de 
Pluquet. 

Le  propre  de  l'hérésie  est  le  changement;  la  foi  dans 
la  religion  catholique  est  immuable. 

Les  hérétiques,  dit  Bossuet  après  Tertullien,  vari<?nt 
dans  leurs  règles,  c'est-à-dire  dans  leurs  confessions  de 
foi  ;  chacun,  parmi  eux,  se  croit  en  droit  de  changer,  de 
modifier  par  son  propre  esprit  ce  qu'il  a  reçu,  comme 
c'est  par  son  propre  esprit  que  l'auteur  de  la  secte  l'a  com- 
posé :  l'hérésie  retient  toujours  sa  propre  nature  en  ne 
cessant  d'innover,  et  le  progrès  de  la  chose  est  semblable 
à  son  origine.  Ce  qui  a  été  permis  à  Valenlin  l'est  aussi 
aux  Yalentiniens  ;  les  Marcionistes  ont  le  même  pouvoir 
que  Marcion  et  les  auteurs  d'une  hérésie  n'ont  pas  plus 
de  droit  d'innover  que  leurs  sectateurs.  Tout  change  dans 
les  hérésies  ;  et  quand  on  les  pénètre  à  fond,  on  les  trouve 
dans  leur  suite  différentes  en  beaucoup  de  points  de  ce 
qu^elles  ont  été  dans  leur  naissance. 

Ce  caractère  de  Thérésie  a  toujours  été  remarqué  par 
les  catholiques  9  et  deux  saints  auteurs  du  huitième 
siècle  ont  écrit  que  :  t  l'hérésie  en  elle-même  est  tou- 
jours une  nouveiiuié,  quelque  vieille  qu'elle  soit;  mais 
que,  pour  se  conserver  encore  mieux  le  litre  de  nouvelle , 
elle  innove  tous  les  jours,  et  tous  les  jours  elle  change  sa 


PRÉFACE.  vn 

doctrine.  Mais  pendant  que  les  hérésies,  toujours  ya- 
riables,  ne  s'accordent  pas  a\ec  elles-mêmes,  et  introdui- 
sent continuellement  de  nouvelles  règles,  c'est-à-dire  de 
nouveaux  symboles;  dans  l'Église,  dit  Tertullien,  la 
règle  de  la  foi  est  immuable  et  ne  se  réforme  point.  C'est 
que  l'Église,  qui  fait  profession  de  ne  dire  et  de  n'ensei- 
gner que  ce  qu'elle  a  reçu,  ne  varie  jamais;  et,  au  con- 
traire, l'hérésie,  qui  a  commencé  par  innover^  innoye 
toujours  et  ne  change  point  de  nature. 

De  là  vient  que  saint  Gbrysostôme,  traitant  ce  précepte 
de  l'apôtre  :  Évitez  les  nouveautés  profanes  dans  vos  dis<> 
cours,  a  fait  cette  réflexion  :  évitez  les  nouveautés  dans 
vos  discours,  car  les  choses  n'en  demeurent  pas  là  ;  une 
nouveauté  en  prtKluit  une  autre ,  et  on  s'égare  sans  fin 
quand  on  a  une  fois  commencé  à  s'égarer. 

Deux  choses  causant  ce  désordre  dans  les  hérésies  : 
l'une  est  tirée  du  génie  de  l'esprit  humain,  qui,  depuis 
qu'il  a  goûté  une  fuis  l'appât  de  la  nouveauté,  ne  cesse 
de  chercher  avec  un  appétit  déréglé  cette  trom^iense  dou- 
ceur  ;  l'autre  est  tirée  de  la  diflérence  de  ce  que  Dieu  fait 
tuyec  ce  que  font  les  hommts.  La  vérité  catholique,  venue 
de  lAea,  a  d'abord  sa  perfection;  l'hérésie,  faiUe  pro- 
duction de  l'esprit  humain,  ne  se  peut  faire  que  par 
pièces  mal  assorties.  Pendant  qu^on  veut  renverser, 
contre  le  précepte  du  sage,  les  anciennes  bornes  posées 
par  nos  pères,  et  réformer  la  doctrine  une  fois  reçue  par 
les  fidèles,  on  s'engage  sans  bien  pénétrer  les  suites  de  ce 
qu'on  avance.  Ce  qu'une  fausse  lueur  avait  fait  hasarder 
au  commencement  se  trouve  avoir  dts  inconvénients 
qui  obligent  les  réformateurs  à  se  réformer  tous  les  jours; 
de  sorte  qu'ils  ne  peuvent  dire  quand  finiront  les  inno* 
vations,  ni  jamais  se  contenter  eux-mêmes. 


viïi  PRÉFACE. 

Mais  tandis  que  les  hérétiques  tournent  ainsi  à  tout 
vent  de  doctrine»  Dieu,  par  une  providence  admirable, 
conserve  pure  et  intacte  la  révélation  qu'il  a  faite  à 
rhomme.  Il  Ta  mise  sous  la  garde  d'une  autorité  ensei- 
gnnnte,  infaillible^  visible  et  perpétuelle.  Cette  autorité» 
il  Ta  placée  dans  l'Église  que  le  Christ  a  fondée  et  s'est 
acquise  par  son  sang  ;  cl  il  a  voulu  expressément  que  le 
fondement  de  cette  Église,  édifice  indestructible,  élevé 
pour  le  salut  des  hommes,  reposât  tout  entier  dans  l'as- 
semblée des  pasteurs,  sous  le  gouvernement  d'un  seul  et 
même  chef  visible  qui  en  animerait  toutes  les  parties.  Il 
a  voulu  que  tous  les  hommes  fussent  soumis  à  cette 
Église. 

Il  a  remis ,  disons-nous,  à  cette  Église,  le  dépôt  de  Isi 
révélation,  et  lui  a  ordonné  de  prêcher  en  son  nom  l'É- 
vangile à  toute  créature,  c'est-à-dire  en  tout  temps  et  en 
tout  lieu,  lui  promettant  son  assistance,  afin  qu'elle  pût 
remplir  perpétuellement  ce  grand  ministère  sans  aflai- 
blissement  et  sans  erreur.  Il  a  voulu  que  pour  preuve 
éclatante  de  cette  assistance  qu'il  lui  promettait ,  et  qui 
jamais  ne  lui  ferait  défaut ,  elle  montrât  aux  hommes 
des  miracles,  des  prophéties,  des  dons  ou  grâces  magni- 
fiques, et  surtout  cette  puissance  féconde,  non-seulement 
d'acquérir  tous  les  jours  de  nouveaux  enfans ,  mais 
encore  de  les  conduire  à  la  plus  haute  sainteté. 

Or,  cette  Église  commencée  dans  Pierre  et  dans  les 
apôtres, semblable  à  une  personne  morale  ,  ayant  duré 
sans  interruption  et  pleine  de  vie  jusqu'à  nous,  forte  des 
promesses  divines ,  durera  encore  toujours  une,  toujours 
infaillible  jusqu'à  la  consommation  du  siècle,  remplis- 
sant tous  les  lieux  et  tous  les  temps ,  portant  sans  cesse 
devant  elle  les  preuves  cl  les  témoignages  du  Très-Haut. 


PREFACE.  IX 

Elle  esl  restée  debout ,  ferme  el  invincible  conlrc  los 
machinations  de  renfer  qcii  lui  avaient  élé  prédile», 
contre  lesgtierresexlériiïurcsqtie  lui  ont  Faites  les  païens; 
el  les  infidèles,  et  contre  les  guerres  civiles  que  des  en- 
fans  ingrats  oni  porK^es  jusque  dans  son  sein,  Seauf(i- 
sanl  à  elle-même ,  ou  plulAt  forio  du  secours  divin  cl 
des  promesses  infaillibles  qu'elle  a  reçues .  elle  esl  aussi 
indépendante  des  faveurs  des  hommes  que  de  leurs  fu- 
reurs. Elle  regarde  les  faveurs  humaines  comme  dos 
moyens  sur  lesquels  elle  ne  s'appuie  pas  ,  et  les  persé- 
séculions  et  la  haine  comme  des  épreuves  qu'elle  no 
craint  pas.  Traversant  les  siècles  de  triomphe  en  triom- 
phe, produisant  sans  cesse  des  fruits  éclatans  de  sainteté, 
je  veux  dire  des  hommes  admirables  qu'elle  orno  de 
toutes  les  vertus  el  de  tous  les  dons  de  la  grâce  ,  elle  ne 
cesse  d'envoyer  au  ciel  de  nouveaux  enfans,  jusqu'au 
moment  où  le  nombre  des  élus  étant  rempli ,  sans  ride 
et  sans  tache,  elle  ira  y  régner  elle-même  d'éternités  en 
éternités , 

Mais  ,  comme  Dieu  a  voulu  que  l'unité  de  son  Ëgiise 
fut  établie  sur  le  principe  d'autorité,  de  môme  les  sectes, 
en  se  séparant  de  celte  autorité  divinement  élablie,  pour 
suivre  la  pensée  indépendante  de  la  raison  individuelle, 
ont  substitué  à  l'autorité  de  rËglise  un  principe  de  dis- 
solution et  de  division.  Ce  principe  une  fois  posé ,  il  est 
arrivé  que  ces  sectes  n'ont  jamais  pu  conserver  entra 
elles  l'unité  de  doctrine,  n'ont  jamais  pu  être  constantes 
que  dans  leur  inconstance  même,  allant  de  nouveauté 
en  nouveauté  ,  d'erreur  en  erreur ,  puhliant  sans  cesse 
dfi nouvelles  confessions  de  foi,  jusqu'à  coque,  divisées 
en  fractions  presque  imperceptibles.on  les  vil  se  consumer 
et  pérird'elles-mêmes,  comme  le  sel  »:dtssouid>uis  l'eau. 


X  PEPFACE. 

C'est  là  ce  qui  est  arrivé  aux  anciennes  sectes  ;  c'est  là  ce 
qui  arrive  de  nos  jours  aux  nouvelles  qui  finissent  danff 
le  naturalisme  ou  le  rationalisme,  cette  dt^rnière  béiésie, 
ainsi  que  Tappelle  Leibnitz.  Si  quelquefois  »  et  pour  un 
temps  plus  ou  moins  court ,  une  sorte  d'unité  paraît 
s'être  établie  entre  les  prolesians  hérétiques  anciens  et 
nio<lernes,  cela  n'a  eu  lieu  que  parce  qu'ils  ont  fait  eux- 
mêmes  l'abandon  de  leur  principe,  sut)Stituant  d'une 
manière  ouverte  ou  cachée  leur  autorité  propre  à  l'au- 
torité de  rÉ^lise  qu'ils  avaient  quittée.  Otez  en  effet 
celte  autorité,  il  faut  que  l'unité  disparaisse;  je  displus» 
il  faut  que  le  principe  d'unité,  et  par  conséquent  l'Église 
elle-même,  cesse  d'être  ;  il  le  (iiut,  car  cette  autorité  une 
fois  ôtée ,  il  ne  reste  que  la  liberté  individuelle  ou  le 
sens  privé  de  chaque  homme.  Le  lien  commun  qui  lie 
au  corps  les  divers  membres  dont  il  est  composé,  ce  lien 
est  rompu ,  en  sorte  que  toutes  ces  sectes  ne  sont  plus 
qu'une  agrégation  tumultueuse  d'individus ,  sans  autre 
lien  entre  eux  qu'un  principe  de  dissolution  et  de  divi- 
sion, en  d^autrcs  termes,  une  unité  native,  qui  n'est 
autre  chose  que  la  privation  essentielle  et  absolue  de  tout 
lien  et  de  toute  unité. 

Et  il  ne  faut  pas  dire,  comme  le  font  les  protestons  ^ 
que  l'autorité  de  l'Écriture  supplée  pour  eux  au  défaut 
de  l'autorité  de  l'Église  catholique;  car ,  outre  qu'ils  ne 
peuvent  connaître  d'une  manière  certaine  le  nombre , 
l'intégrité  ,  l'inspiration  divine  des  livres  sacrés  ou  de 
leurs  diverses  parties  >  si  ce  n'est  par  le  témoignage  et 
l'autorité  de  TÉglise  catholique ,  dont  ils  se  font  gloire , 
pour  parler  leur  langage,  d'avoir  brisé  les  liens,  du  mo- 
ment  qu^à  l'exemple  de  tous  les  protestans  anciens ,  ils 
établissent  pour  principe  fondamental  le  droit  d'ad* 


1- 
I 


J8RÉFAGB.  Xi 

«MM  et  Kjeter  ceux  de  ces  livres  qui  leur  plaisent  ou 
ne  leur  plaisent  pas,  il  est  éivident  qu'ils  présentent 
comme  remède  ce  qui  est  la  source  même  du  mal.  Car , 
comme  Tavait  fort  bien  observé  saint  Augustin ,  les 
liérésies  et  les  dogmes  pervers  »  qui  enchaînent  les  âmes 
et  les  précipitent  dans  l'abime ,  sont  nés  uniquement 
de  ce  que  les  Écritures  qui  sont  bonnes  en  elles-mêmes 
ont  été  mal  interprétées ,  et  de  ce  que  ces  interprétations 
mauvaises  ont  élé  soutenues  avec  audace  et  témérité.  — 
Et  cette  explication  du  saint  docteur  est  d'autant  plus 
frappante  de  vérité  ,  qu'il  n'y  a  pas  eu  une  seule  secte 
d'hérétiques  qui  ne  se  soit  appuyée  dans  ses  erreurs  sur 
quelque  autorité  des  Écritures.  Cependant  y  Dieu  y  par 
une  providence  admirable  y  a  permis  que  des  hérésies  et 
des  sectes  naquissent  du  vivant  même  des  apôlres  »  afm 
que ,  par  la  manière  dont  les  apôtres  se  conduiraient 
avec  les  novateurs  de  leur  temps  y  les  siècles  suivans 
connussent ,  sans  pouvoir  s'y  tromper  ,  quelle  était  la 
source  de  toute  hérésie,  et  comment  l'Église  devait  trai- 
ter les  hérétiques  ou  les  protestans  qui  la  troubleraient 
à  l'avenir,  afin  qu'elle  les  chassât  de  son  sein  et  défendit 
ses  enians  fidèles  contre  leurs  violences  et  leurs  arti- 
.fices;  afin  qu'elle  leur  annonçât ,  s'ils  ne  se  repentaient 
pas,  la  certitude  absolue  de  leur  châtiment  éternel ,  ne 
distinguant  pas  entre  les  hérésies  de  diverses  sortes,  mais 
les  condamnant  toutes  sans  exception.  Quiconque  en 
efiet  est  coupable  de  protestantisme ,  c'e$t-à*dire  de 
protestation  contre  l'Église  que  le  Christ  a  établie  la  dépo- 
sitaire perpétuelle  de  la  révélation,  la  maîtresse  et  l'inter- 
prète, ou,  comme  parle  saint  Paul,  la  colonne  et  le  fonde- 
ment de  la  vérité  ;  quiconque,  dis-je,  est  volontairement 
cou|)ablc  de  ce  crime,  est  digne  aussi  des  feux  de  l'enfer. 


xîi  PRÉFACE. 

Au  reste,  cen'a  pas  été  un  faible  avantage  pour  TÉglise 
catholique  que  de  voir  tant  de  sectes  diverses  naître  et 
périr  autour  d'elle  par  leur  propre  mobilité.  Et,  d*abord, 
les  erreurs  qui  ont  fait  irruption  en  divers  temps  dans  le 
monde  chrétien  ont  été  chaque  fois,  pour  elle,  Tocca- 
sion  d'examiner  plus  attentivement  sa  propre  foi  et  de 
développer  la  vraie  doctrine  en  des  termes  plus  clairs 
et  plus  explicites  ;  ainsi  a  été  mise  de  plus  en  plus* 
dans  tout  son  jour  la  liaison  intime  de  toutes  les  vérités 
qu'elle  professe,  et  la  beauté  du  système  catholique  a 
pîiru  toujours  plus  brillante  après  chacune  de  ces  épreu- 
ves. Et  puis  encore,  ce  combat  de  tous  les  jours  et  de 
tous  les  instans  qu'elle  est  forcée  de  soutenir  contre  les 
hérétiques  rend  sa  vigilance  plus  attentive  et  son  auto- 
rité plus  ferme.  Car ,  de  même  que  la  haine  des  mé- 
chans  éprouve  le  juste  et  donne  à  ses  vertus  un  éclat  plus 
vif,  de  même  aussi  l'Église  apparaît  plus  belle  et  plus 
brillante  au  milieu  des  machinations,  des  artifices,  des 
calomnies,  souvent  môme  des  feux  et  des  glaives  que 
ses  ennemis  tournent  contre  elle.  Ce  n'est  pas  tout  :  la 
stabilité  de  TÉglise,  comparée  à  la  mobilité  des  œuvres 
Immaines  et  à  leur  dissolution ,  la  plupart  du  temps  si 
rapide,  montre  à  tous  les  hommes  où  sont  réellement 
les  promesses  de  Dieu.  Autant  l'Église  catholique  est  fé- 
conde, autant  les  sectes  hérétiques  sont  stériles,  et  la 
main  de  Dieu  se  montre  encore  dans  ce  résultat,  car, 
comme  nous  l'apprenons  de  l'Écriture,  «  si  Dieu  ne  bâ- 
tit point  une  maison ,  ceux  qui  la  bâtissent  travaillent 
en  vain. — Ce  n'est  point  celui  qui  plante  ou  celui  qui 
arrose  qui  est  quelque  chose,  mais  c'est  Dieu  qui  donne 
l'accroissement.  » 

Enfin  un  dernier  avantage  de  cette  différence  eptre 


PBEFACEi  xtii 

l'Église  cathcJique  et  les  diverses  secles,  c'est  d'appren- 
dro  aux  hommes  que  la  foi  est  un  don  gratuit  de 
Dieu  ;  qu'elle  ne  peut  filre  acquise  ni  par  la  science ,  ni 
,par^ûcun  lalent ,  hnbilelé  ou  industrie,  vertus  on  forces 
humaines  que  plusieurs  sectaires  possèdent  au  plus  haut 
degré  ;  elle  leur  apprend  que  personne  ne  doit  présumer 
lie  soi-même  ,  conformément  à  ces  paroles  de  l'apâlre  : 
n  Que  celui  qui  croit  Cire  ferme  prenne  garde  de  tomber,  i 
Dieu.enefiet.aabandonnéles  présomptueux  auxdésirs  de 
leur  cœur,  et,  tandis  qu'ils  se  disaient  sages,  ils  sont 
devenus  insensés,  irëbuchiint  çà  et  la,  sous  la  main  do 
Dieu,  comme  des  hommes  ivres.  Aussi  n'y  a-l-il  rien 
de  si  monstrueux,  soit  dans  la  théorie,  soit  dans  la  pra- 
tique, que  ces  prétendus  sages  n'aient  avancé;  point  de 
contradiction  si  honteuse  dans  laquelle  ils  ne  soient 
lombes;  et  de  là  ressort  cette  vérité,  que  l'humilité  et 
lit  prière  sont  les  seuls  moyens  d'arriver  h  la  foi  et  d'y 
persévérer;  car  Dieu,  nous  dit  l'apôtre  saint  Jacques , 
résiste  aux  superbes  et  tait  grâce  aux  humbles.  Que  si 
quelqu'un  s'étonnait  de  voir  dans  l'hérésie  cl  dans  lo 
schisme  une  si  grande  multitude  d'hommes,  il  doit  ré- 
flécliîr,  et  son  étonnement  cessera,  qu'avant  la  venue 
du  Christ,  Dieu  avait  laissé  toutes  les  nations  marcher 
dans  leurs  voies,  à  l'exception  du  peuple  juif;  mais 
qu'après  le  Christ  toutes  les  nations ,  au  contraire,  ont 
été  appelées  à  la  foi,  et  le  seul  peuple  juif  abandonné 
à  l'aveuglement  de  cœur  et  d'esprit  où  il  est  lui-môme 
tombé. 

En  résumé,  il  y  a  deux  voies  seulement  pour  aller  à 
In  vérité;  ces  deux  voies  sont  l'autorité  et  la  raison  :  la- 
quelle est  la  bonne  ?  Toutes  les  disputes  de  religion  re- 
vimiienl  invinciblement  à  ce  point  :  faut-il,  dans  les 


lit  PRÉFACE. 

matières  religieuses ,  préférer  raatorité  à  la  raison  ^  ou 
la  raison  à  l'autorité?  ou  bien  ^  ce  qui  est  plus  clair  »  faut- 
il  f  dans  ces  matières ,  procéder  par  voie  de  recherche  et 
indépendamment  de  toute  autorité  ;  ou  par  la  voie  de  foi 
el  de  soumission  à  l'autorité  publique  et  légitime  de 
l'Église?  Enfin ,  faut-il  s'en  tenir  à  l'autorité  de  l'Église 
catholique 9  ou^  laissant  de  côté  cette  autorité  ^  faut-il 
donner  à  chaque  homme  le  droit  d'admettre  et  d'inter- 
préter les  Écritures  selon  son  propre  et  privé  sens,  c'est- 
à--dire  de  se  faire  soi-même  sa  religion  sur  des  opinions 
plus  ou  moins  probables?  J'ai  dit  expressément  l'autorité 
de  l'Église  catholique,  parce  que ,  si  on  admet  le  sys- 
tème d'autorité ,  il  est  hors  de  doute  que  cette  Église ,  qui 
est  au-dessus  de  toutes  les  autres  par  son  antiquité,  son 
universalité,  son  unité  et  son  accord,  l'emporte  aussi 
sur  elles  toutes  en  autorité  au  point  qu'aucune  ne  sau- 
rait lui  être  comparée  y  même  de  loin.  Supposons,  au 
contraire,  que  nous  admettions  la  voie  du  sens  privé, 
nom  tombons  aussitôt  dans  toutes  les  absurdités  dont 
nous  avons  plus  haut  donné  le  détail ,  absurdités  qui 
conduisent  l'homme  à  une  perte  totale  de  la  foi,  et  le 
précipitent  dans  le  scepticisme  religieux  le  plus  com- 
plet. En  cet  état,  il  ne  sait  plus  ni  ce  qu'il  doit  croire, 
ni  ce  qu'il  doit  rejeter ,  etvle  plus  ou  moins  de  proba- 
bilité des  dioses  devient  son  unique  règle  de  foi  ;  c'est 
dire  assez  que  toute  foi  est  éteinte.  En  effet,  ce  prin- 
cipe une  fois  admis,  il  devient  permis  de  disputer  sur 
la  religion  de  la  même  manière  que  les  philosophes  de 
la  Grèce  en  disputaient  autrefois.  La  religion  n'est  plus 
q«'un  système  philosophique;  les  sectes  sont  autant 
d'académies  et  d'écoles  philosophiques ,  où  chacun  est 
libre  de  croire  et  de  professer  ce  que  bon  lui  semble. 


PRÉFACE,  XV 

Or,  je  le  demande^  est-il  possible  qu'un  homme  à 
jeun  et  dans  son  bon  sens  se  persuade  que  Dieu  a  donné 
sa  révélation  à  de  telles  conditions;  qu'il  Ta  livrée  sans 
défense  aux  caprices  des  hommes  >  leur  permettant  de 
disputer  sans  règle  sur  le  véritable  sens  de  cette  révéla- 
tion et  sur  son  existence  même»  troublant  et  confondant 
touty  de  manière  à  faire  dégénérer  la  religion  en  pyrrho- 
nisme»  c'est-à-dire  en  une  vaine  question  de  philosophie? 
Dans  ce  système,  le  protestant,  séparé  de  TÉglise  univer- 
selle de  tous  les  siècles,  n'ayant  môme  aucune  société 
avec  les  complices  de  sa  révolte,  dont  chacun  a  le  droit 
de  se  faire  à  soi-même  sa  religion,  le  protestant  est  seul, 
semblable  à  un  écueil  jeté  au  milieu  des  mers  que  les 
flots  et  les  tempêtes  battent  de  tous  côtés. 

Quelle  espérance  donc,  quelle  consolation  sa  religion 
lui  peut-elle  apporter  î, Qu'arrivera- t-il  s'il  se  trompe? 
Quel  jugement  peut-il  attendre  du  Christ  après  sa  mort? 
Tout,  dans  ce  système,  inspire  profondément  la  crainte 
et  l'horreur. 

Au  contraire,  le  catholique  vit  en  pleine  assurance 
sous  le  système  d'autorité;  il  est  en  communication  avec 
l'Église  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux  ;  en  société 
avec  les  apôtres,  les  martyrs,  les  saints  de  tous  les  âges. 
Jamais  la  profession  de  sa  religion  ne  saurait  lui  faire 
courir  aucun  danger,  à  moins,  ce  qui  est  complètement 
absurde,  qu'on  ne  pût  courir  quelque  danger  dans  le 
sein  de  l'Église  catholique  universelle.  Il  se  regarde 
comme  un  membre  de  cette  grande  famille  dont  le  chef 
invisible  est  le  Christ,  qui  nous  a  laissé  son  image  dans 
Pierre  et  les  pontifes  ses  successeurs,  famille  où  tous  les 
biens  sont  communs,  où  un  amour  universel  anime  et 
gouverne  tout>  où  un  ordre  admirable  subsiste  sous  la 


XVI  PRÉFACE. 

main  du  Christ  depuis  le  commencement  jusqu'à  nous , 
où  tous  s'asseoient  à  la  même  table  eucharistique  ;  et  si 
quelques  taches  sont  contractées  par  la  fragilité  humaine, 
il  suffit  d'une  humble  confession  de  ses  fautes,  faite  avec 
repentance  et  sincérité,  pour  en  obtenir  du  plus  tendre 
des  pères  un  pardon  plein  de  consolation  et  de  douceur. 
Le  protestant  est  toujours  seul,  le  catholique  ne  Test 
jamais,  ni  pendant  sa  vie,  ni  à  sa  mort.  Comme  il  a  avec 
tousses  frères  un  même  Dieu,  une  même  foi,  un  seul 
baptême,  un  même  esprit,  il  a  aussi  avec  eux,  chacun 
selon  sa  vocation  ,  une  seule  et  même  espérance.  Il  n'est 
par  même  abandonné  après  sa  mort,  car  il  continue  de 
communiquer,  soit  avec  l'Église  militante  qui  l'aide  de 
ses  suffrages,  soit  avec  l'Église  triomphante  qui  lui  tnd 
les  mains  et  l'appelle  à  elle. 

Ainsi,  ou  aucune  religion,  ou  la  seule  religion  catholi- 
que ;  point  de  terme  moyen,  ou,  si  les  hommes  en  établis- 
sent un,  ce  n'est  qu'une  contradiction  pleine  et  entière. 
Car,  si  Dieu  existe,  si  sa  divine  providence  gouverne 
tout,  la  vérité  de  la  foi  catholique  ressort  invinciblement 
de  l'enchaînement  de  toutes  les  choses  et  de  la  force 
même  de  la  raison.  Cependant,  en  terminant,  nous  en 
appelons  encore  avec  plaisir  au  témoignage  et  à  l'autorité 
du  grand  saint  Augustin,  dont  le  génie  vient  en  aide  à 
notre  faiblesse. 

«Si  la  providence  de  Dieu,  dit-il,  ne  préside  pas  aux 
choses  humaines , il  est  inutile  des'occuper  de  la  religion. 
Mais  si,  au  contraire,  l'aspect  de  cette  nature  qui  nous 
environne,  et  que  nous  devons  croire  sans  doute  émanée 
de  quelque  source  de  parfaite  et  souveraine  beauté;  si  je 
ne  sais  quelle  conscience  inlcrîciirc  cric  aux  meilleurs 
esprits  en  public  et  en  particulier ,  pour  ainsi  dire , 


m 


PREFACE.  wrt  I 

qu'il  faut  chercher  Dieu  et  le  servir,  nous  devons  espère*  1 
que  ce  Dieu  même  aura  établi  une  aulorilé  par  le  secmirK  I 
de  laquelle  nous  puissions  en  toute  sûreté  nous  i^lever  de  ■ 
lljlegré  en  degré  jusqu'à  lui. 
l     Or.cetleaulorité.mettant  decôtéla  raison  dont  nous   ' 
avons  déjà  dit  plusieurs  Toisqu'îl  est  bien  difficile  que  les 
iguorans  fassent  un  usage  légitime,  nous  touche  et  non» 
émeut  en  deux  manières,  en  partie  par  les  miracles,  en 
partie  {lar  la  multitude  de  ceux  qui  lui  sont  soumis 
J'appelle  miracle  tout  ce  qui  est  diflicileou  inaccoutumé, 
de  manière  à  dépasser,  soit  l'altente,  soit  l'inielligence 
du  spectateur  ;  et,  en  ce  genre,  rien  n'est  plus  accommo- 
dé au  géniedu  petipleet  du  vulgaire  que  ce  qui  frappe 
les  sens.  Néanmoins,  en  ce  genre  môme,  il  y  a  deux  sor~ 
lesde  miracles:  les  uns  causent  seulement  de  l'admira- 
tion; tes  autres,  avec  celle  admiration,  inspirent  encora 
la  reconnaissance  et  l'amour. 

Par  exemple,  si  quelqu'un  voit  un  homme  voler,  ce 
spectacle  ne  lui  étant  d'aucune  utilité,  il  s'étonne  seuto- 
ment;  au  contraire,  si  quelqu'un  est  atteint  d'une  mala- 
die grave  et  désespérée,  et  que,  sur  une  seule  parole,  il 
recouvre  immédiatement  la  santé,  l'admiration  quo  sa  ' 
guérison  lui  inspire  le  cède  encore  à  l'amour  et  à  la  re- 
connaissance qu'il  éprouve  pour  celui  qui  l'a  gnéii.  Or, 
CCS  derniers  miraclossont  ceux  quo  les  hommes  ont  vus 
quand  Dieu  lui-même,  fait  homme,  s'est  montré  el» 
;u  parmi  eux.  Les  lépreux  ont  élé  guéris  et  purifiés; 
boiteux,  redressa,  ont  marché;  la  vue  a  été  rendue 
MX  aveugles  et  l'ouïe  aux  sourds.  Les  hommes  do  ce 
temps  ont  vu  le  vin  changé  en  eau,  cinq  mille  personnes 
rassasiées  avec  cinq  pains,  les  mers  traversées  à  pied  sec, 
les  morts  rrsmscilép,  Dp  ci's  UTiracies,  les  uns  éiaicnl  uli- 


XVIII  PRÉFACE, 

les  aux  hommes  par  un  bienfait  évident  et  manifeste  en-^ 
vers  le  corps,  les  autres  par  une  action  secrète  sur  l'esprit, 
et  tous  par  le  témoignage  plein  de  majesté  qu'ils  ren- 
daient de  celui  qui  les  produisait.  C'est  ainsi  que  l'au- 
torité divine  ébranlait  alors  et  appelait  à  elle  les  âmes  des 
mortels  livrés  à  Terreur.  Pourquoi,  me  dites-vous,  ces 
choses  n'ont-elles  plus  lieu  de  nos  jours  ?  Paroe  qu'elles 
ne  nous  toucheraient  plus  si  elles  cessaient  d'être  éton- 
nantes. Le  retour  successif  du  jour  et  de  la  nuit>  la  mar- 
che constante  des  corps  célestes,  le  feuillage  des  arbres  qui 
tombe  et  renaît,  la  force  secrète  et  infinie  des  semences 
confiées  à  la  terre,  la  beauté  de  la  lumière,  la  variété  des 
couleurs  et  des  saveurs,  supposons  que  quelqu'un  avec 
qui  nous  puissions  parler  les  voie  et  les  éprouve  pour  la 
première  fois,  il  demeure  muet  et  terrassé  d'admiration 
devant  ces  miracles  ;  et  nous,  nous  les  méprisons  pres- 
que, non  certes  par  la  facilité  de  les  comprendre,  car  qu'y 
a-t-il  de  plus  incompréhensible  que  les  causes  qui  pro- 
duisent ces  effets,  mais  par  l'habitude  de  les  voir.  Ces 
miracles  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  ont  donc  eu  lieu 
au  moment  le  plus  opportun,  afin  que,  par  eux,  une  mul* 
titude  de  croyans  étant  rassemblés  et  propagés  au  loin, 
l'autorité,  qui  maintient  la  foi,  pénétrât  et  s'établît  dans 
les  mœurs  mêmes.  Les  mœurs  ont  une  si  grande  puis- 
sance sur  l'esprit  des  hommes,  que,  comme  il  arrive  le 
plus  souvent  quand  les  passions  nous  emportent,  il  nous 
est  plus  facile  d'improuver  et  de  délester  ce  qui  est  mau- 
vais, que  de  l'abandonner  en  nous  corrigeant.  Pensez- 
vous  qu'il  importe  peu  à  l'humanité  que  ce  ne  soit  plus 
seulement  un  petit  nombre  de  doctes  parmi  les  doctes  qui, 
disputant  entre  eux  de  la  nature  de  Dieu,  disent  qu'il 
n'est  rien  de  terrestre ,  rien  qui  tombe  sous  les  sens,  et 


PEÉFAGE.  XIX 

qu*il  est  aàiqttemeiit  perceptible  à  Tespril  ;  mafs  que 
cette  grande  vérité  soit  crue  et  prèchée  même  par  le  vul- 
gaire ignorant  des  deux  sexes  dans  tant  de  nations  diffé- 
rentes? Pensez. vous  (({u'il  importe  peu  à  rhumanité  que 
l'esprit  ait  Vaincu  la  siatîère  au  point  que  le  jeûne  ait  été 
porté  jusqu'à  l'abstinence  complète  de  toute  nourriture 
pendant  plusieurs  jours  ;  la  chasteté  jusqu'au  mépris  des 
satisfactions  conjugales  et  paternelles;  la  patience  jus- 
qu'à ne  tenir  aucun  compte  des  croix  et  des  flammes  ;  la 
Ubéralité  jusqu'à  livrer  son  patrimoine  aux  pauvres  ;  en- 
fin, le  mépris  absolu  de  toutes  les  choses  de  ce  monde 
jusqu'au  désir  de  la  mort?  Peu  d'hommes  sans  doute  Tont 
ces  sacrifices,  et  moins  encore  les  font  comme  il  faut; 
mais  la  multitude  voit,  apprend,  applaudit,  aime  enfin  ; 
elle  s'accuse  avec  amertumede  ne  pas  pouvoir  ces  grandes 
choses,  et  cet  aveu  de  sa  faiblesse  n'est  pas  sans  quelque 
aspiration  avantageuse  de  l'âme  vers  Dieu,  sans  quelque 
étincelle  de  vertu. 

Mais  quia  fait  ces  choses?  La  Providence  divine.  Gom- 
ment les  a-t-elles  faites?  Par  les  oracles  des  prophètes, 
par  l'humanité  et  la  doctrine  du  Christ,  par  les  voyages 
des  apôtres,  par  les  opprobres,  le  sang,  les  croix,  la  mort 
des  martyrs,  parla  vie  tout  admirable  des  saints,  et  par 
ces  miracles  innombrables  où  brillent,  selon  l'opportu- 
nité des  temps,  les  vertus  les  plus  éclatantes  et  les  plus 
diverses. 

A  l'aspect  de  ces  secours  divins  si  puissans,  de  ces 
avantages  si  grands  et  si  visibles,  pourrions-nous  hésiter  ' 
à  entrer  dans  le  sein  de  TÉglise,  de  cette  Église  qui,  par 
une  succession  non  interrompue  d'évéques,  depuis  les 
apôlres  jusqu'à  nous,  malgré  les  clameurs  des  hérétiques 
frémissant  autour  d'elle,  et  dont  les  erreurs  ont  étécon- 


XX  PRÉFACE, 

damnées  en  partie  par  la  sagesse  imposante  des  conciles, 
en  partie  par  le  peuple  lui  même,  en  partie  par  l'éclat 
souverain  des  miracles»  a  possédé  et  possède  encore  Tau- 
torité  suprême,  de  l'aveu  du  genre  humain  tout  entier? 
Refuser  à  cette  Église  l'obéissance  qui  lui  est  due  entre 
toutes  les  autres  est  le  comble  de  l'impiété  ou  de  la  pré- 
somption la  plus  insensée.  Car  si,  pour  aller  à  la  sagesse 
et  au  salut,  il  faut  nécessairement  que  la  foi  ouvre  la  voie  à 
la  raison,  comment  l'homme  peut~il  se  montrer  plusingrat 
envers  Dieu  qu'en  refusant  les  secours  que  ce  Dieu  lui 
offre,  c'est-à-dire  en  résistant, à  Tautorité  de  cette  Église 
qu'il  a  fondée  avec  de  tels  soins?  Et  si  chaque  science, 
aussi  simple  et  facile  qu'elle  soit,  exige  cependant  un 
maître  pour  être  enseignée  et  apprise  ,  quoi  de  plus 
orgueilleux  et  de  plus  téméraire  que  de  ne  pas  vouloir 
connaître  les  livres  sacrés  par  leurs  interprètes,  et  de 
condamner  ceux  qu'on  ne  comprend  pas?  G^est  pour- 
quoi, si  la  raison  ou  notre  exhortation  vous  touche,  si, 
comme  je  le  crois,  le  soin  de  votre  salut  vous  est  cher, 
puissicz-vous  m'écouter  en  vous  confiant  avec  foi,  espé- 
rance et  charité  aux  maîtres  légitimes  de  la  chrétienté 
catholique;  en  ne  cessant  de  prier  ce  Dieu  dont  la  bonté 
nous  a  créés,  dont  la  justice  nous  cliàtieet  dunt  la  clé-< 
menée  nous  délivre!  Ainsi  ne  vous  manqueront,  pour 
atteindre  aisément  le  but  vers  lequel  vous  tendez,  ni  les 
enseignemens   ni    les   explications  d'hommes    savans 
et  vraiment  chrétiens,  ni  les  livres  ni  les  bonnes  pensées 
elles-mêmes. 

Ce  tableau  de  la  perpétuité  divine  de  l'Église  catholi- 
que, de  rinvariabilîté  de  ses  dogmes,  fait  mieux  ressor- 
tir tout  ce  qu'il  y  a  d'humain,  c'est-à-dire  de  vain  et  de 
faux,  dans  les  sectes  qui  se  sont  séparées  de  celliî  Église. 


PRÉFACE. 
Encore  ai  ces  sectes  étaient  d'accord  entre  elles!  Mnis 
elles  ne  se  combattent  pas  avec  moins  de  Tureurci  d'opl- 
niâlrelé  les  unes  les  autres  qu'elles  ne  comballent  le  ca- 
tholicisme. La  vérité  est  quelque  chose  en  soi  de  simple 
et  d'indivisible;  on  ne  peut  en  conserver  une  partie  et 
abandonner  l'autre.  Or  c'est  là  évidemment  ce  que  fout 
les  hérétiques,  puisqu'ils  se  divisent  sur  les  points  de  foi 
à  rejeter  ou  à  conserver  ;  en  sorte  qu'en  prennnl  de  cha- 
que hérésie  ce  qu'elle  relient  du  symbole  de  l'Église  ca- 
tholique, on  refait  aisément  ccsymbole  tout  entier. 

A  cette  preuve  si  remarquable  que  In  vérité  religieuso 
est  dans  ce  symbole,  et  que  s'il  y  en  a  ailleurs  quelques 
parcelles.elleshiiappartiennentel  en  ont  été  empruntées, 
la  lecturede  Pluquel  en  ajouie  qui  nesont  pas  moinsfrap- 
pantes,  je  veux  dire  le  caractère  deshérésîarqueset  les  mo- 
tirsquileuronirailenlrepTcndrelcurs  prétendues  rérormes. 

Sans  remonter  plus  haut  que  nos  siècles  modernes  et 
sans  aller  réveiller  les  Donatistes  d'Afrique  dans  leur 
couche  ensanglantée,  ou  les  victimes  innombrables  do 
l'Arianisme  dans  les  trois  parties  du  monde  connu  h  cette 
époque,  ne  suffit-il  pas  de  voir  ce  qu'étaient  un 
Henri  VIII,  un  Luther,  un  Calvin,  pour  être  persuada 
qu'il  est  impossible  que  Jésus-Christ  leur  ait  donné  la 
mission  de  réformer  son  Église? 

La  relJgioncbrélienneest  une  institution  divine  ou  une 
tnslitutionhumaine.il  faut  choisir;  pour  nous ,  qui 
croyons  qu'elle  vient  de  Dieu,  nous  sommes  conséquens 
en  refusant  d'admelire  au  nombre  de  ses  apAtres  des  rois 
lubriques,  cruels,  spoliateurs  ;  des  moines  apostats  ;  des 
professeurs  de  ihéologic  qui  se  changent  on  bourreaux. 
Mais  les  Anglicans,  les  lailhiTiens,  les  Calvinisies,  vonus 
d'uncsourcc  empoisonnée,  sont-ils  bien  conséquens  en 


1 


XXII  PRÉFACE, 

reconnaissant  y  comme  ils  le  disent^  la  divinité  d'une  re- 
ligion qu'ils  prétendent  avoir  été  réformée  par  de  tels 
hommes  et  de  tels  moyens? 

L'ouvrage  de  Pluquet  est  tel  qu'il  le  faut  pour  rame- 
ner à  la  vérité  les  hérétiques  de  bonne  foi.  Ce  n'est  point 
un  livre  de  controverse ,  c'est  fout  simplement  un  ta- 
bleau de  la  vérité  et  de  l'erreur  mises  en  face  par  l'his- 
toire, et  cela  au  moyen  d'un  récit  simple,  sincère,  véri- 
dique.  Il  n'avance  rien  qu'il  ne  l'appuie  d^une  preuve 
irréfragable;  il  cite  partout  ses  autorités;  il  montre  de 
plus  une  impartialité  qui  ne  peut  exister  à  ce  point  que 
dans  le  défenseur  d'une  bonne  cause.  Les  personnes  qui 
prétendent  que  le  catholicisme  est  ennemi  des  lumières 
d'une  civilisation  progressive,  trouveront  presque  à  cha- 
que page  de  cet  excellent  travail  un  démenti  formel  à 
cette  opinion  qu'une  philosophie  sceptique  a  répandue  et 
accréditée  en  France  à  la  fin  du  siècle  dernier,  et  qui  sub- 
siste malheureusement  encore  dans  quelques  esprits. 

L'ignorance,  dit  Pluquet,  est  le  mobile  le  plus  puis- 
sant de  l'hérésie  ;  on  n'est  jamais  si  près  de  douter  et 
d^admettre  le  faux  que  quand  on  n'a  pas  du  vrai  une 
notion  claire  et  distincte.  Aussi  est-ce  à  l'Église  romaine 
qu'on  doit  le  renouvellement  des  études,  non  pas  seule- 
ment religieuses,  mais  même  profanes  ;  c'est  là  un  fait 
historique  hors  de  toute  discussion. 

Sans  doute  cette  Église,  à  qui  Dieu  a  remis  le  dépôt  de 
la  foi,  oppose  aux  lumières  qu'elle  a  développées  elle- 
même  une  barrière  invincible,  lorsque  les  hommes  fiers 
de  ces  lumières  veulent  par  orgueil  s'ouvrir  une  voie  que 
Dieu  leur  a  fermée.  Elle  leur  oppose  ces  paroles  de  l'Écri- 
ture: Hùc  usquevenieset  nonprocedes  ampliàs.  Mais  quelle 
est  cette  voie  interdite  à  l'orgueil  humain  ?  C'est  celle  du 


PRÉFACE.  xxm 

doute  et  de  l'erreur;  en  un  mot,  celle  où  l'ignorance  le 
conduit.  Car  l'ignorance  et  Tabus  des  lumières  n'ont  pas 
pour  l'homme  un  résultat  différent;  ce  résultat  est  tou- 
jours l'erreur. 

Il  y  a,  je  le  sais,  quelque  chose  de  douloureux  pour  no- 
tre orgueil  dans  cette  dernière  réflexion.  Elle  nous  dé- 
montre que,  quand  nous  nous  refusons  à  l'autorité  de 
Dieu  en  matière  de  foi,  nous  tournons  dans  un  cercle  fa- 
tal, et  que,  de  quelque  point  que  nous  partions,  nous  ar- 
rivons toujours  à  l'absurde.  Ainsi,  de  même  qu'au  milieu 
des  ténèbres  du  moyen-âge  un  homme,  appelé  Éon, 
s'imagine  quUl  viendra  Juger  lesvivansetles  morts  parce 
qu'il  entend  chanter  dans  les  ^lises  Per  EU  M  qui  ventur 
ru»  eH;  de  même,  au  milieu  des  dix-huitième  et  dix- 
nenrième  siècles,  un  de  ces  hommes  qu'on  appelle  savans 
asisure  qu'il  y  a  dix-huit  races  d'hommes  différentes  et 
-qu'elles  viennent  d'un  crapaud,  d'un  singe,  etc. — L'une 
de  ces  erreurs  n'est  pas  plus  absurde  et  plus  ridicule  que 
Tautre  ;  et  toutes  deux  ont  cependant  trouvé  des  admira- 
teurs et  des  disciples.  Dira-t-on  que  l'Église  catholique 
est  l'ennemie  des  lumières  ou  la  protectrice  de  l'igno- 
rance, parce  qu'elle  les  condamne  également? 

La  vérité  religieuse  est  en  dehors  de  ce  cercle  fatal  ;  elle 
ne  va  point  d'un  pointa  un  autre  comme  la  faible  raison 
humaine,  mais  die  demeure  immobile  là  où  Dieu  Ta 
placée.  De  ce  lieu  élevé  elle  domine,  elle  éclaire,  elle  ap- 
pelle à  soi  les  hommes  de  bonne  volonté^  ignorans  ou 
savans,  n'importe,  pourvu  que  leur  ignorance  ou  leur 
science  ne  s'enveloppe  point  de  ténèbres  si  épaisses 
que  ses  rayons  divins  ne  puissent  les  dissiper.  Sa  lumière 
douce  et  pénétrante  ne  se  refuse  point  aux  yeux  malades. 


jtxtv  PRIÈFACE, 

mais  il  faul  qu'ils  s'en  laissent  guérir  et  qu^ils  l'aiment 

pour  la  voir  dans  toute  sa  splendeur. 

Est^il  donc  si  difficile  d'aimer  la  vérilé?  Quoi  de  plus 
doux  au  contraire?  Par  quelle  aberration  préférons-nous 
si  souvent  les  ténèbres  à  la  lumière?  Les  ténèbres  sont  si 
tristes!  la  lumière  si  consolante  !  Marchez  à  ma  lumière, 
nous  dit  la  voix  d'un  Dieu  qui  est  mort  pour  nous  :  et 
nous  détournons  la  tète,  nous  embrassons  Terreur,  nous 
nous  enfonçons  dans  la  nuit. 

Deux  mille  ans  se  sont  écoulés  depuis  que  la  lumière 
véritable  brille  au  milieu  du  monde,  et  elle  n'a  pu  encore 
vaincre  les  ténèbres,  tant  les  hommes  lui  ont  opposé  d'or- 
gueil, l'orgueil,  le  père  des  ténèbres  et  de  la  mort,  atta- 
ché au  cœur  de  l'humanité  comme  le  vautour  à  sa  proie. 

Cependant  cet  orgueil,  si  fier  de  ses  œuvres,  que  pro- 
duit-il?Il  faut  le  lire  dans  Pluquet.  En  religion,  des  absur- 
dités; en  morale,  des  maximes  licencieuses;  en  philoso- 
])hie,  des  systèmes  sans  liaison  qui  croulent  les  uns  sur 
les  autres  ;  en  histoire,  des  mensonges  ;  en  politique,  des 
réformes  d'où  naissent  le  meurtre,  le  pillage,  la  dévasta- 
tion; enfin  toujours  et  partout,  le  mal,  rien  que  le  mal  ; 
et  qu'attendie  autre  chose  du  sentiment  pervers  qui  a 
banni  du  ciel  les  anges  mômes  et  creusé  l'enfer? 

V.  DE  Përrodil. 


poua  SERVIE  A  l'histoibe 

DES  ÉGAREMENS 


DE  L'ESPRIT  HUMAIN 


PAR  RAPPORT  A  LA  RELIGION  CHRÉTIENNE. 


IÂBAELARS  (Pierre),  naquit  i  Palais,  en  Bretagne,  vera  la  1 
ftn  de  l'unziëme  siècle  *,  d'une  fumille  noble  :  ses  amours,  ses  I 
malhCiUrs,  aCs  démêlés  littéraires  et  ses  erreura  en  ont  fait  un  1 
liDtnme  célèbre.  , 

Tout  le  monde  connafi  les  égaremens  de  soa  cœur  et  ses  infoh 
tunes  ;  nous  ne  considérons  ici  que  ses  elTurts  pour  l'avancement  ' 
de  l'esprit  humain,  les  cliangemens  i^u'il  fit  dans  la  manière  de 
tnulerla  théologie,  etiesécueils  qu'il  r< 

Depuis  le  renouTclleuient  des  sciences   dans   l'Occident  pu; 

Chtrlemagne,  la  nation  française  s'était  élevée  successiTemeut  ds 

L^' orthographe  !ila  grammaire,  de  la  p'amma ire  aux  belles-lettre»,    ' 

Vît  la  poésie,  i  la  pliilosophie  et  auï  mathématiques  ;  on  avait  eii 

nelque  sorte  suivi  la  route  qu'Alcuin  avait  tracée  *. 

f  La  philosophie  n'avait  alors  que  irob  parties  :  la  logique,  ta 

»  En  1079. 

*  Alcnin,  l'ftani  proposé  de  rétablir  Ees  lettres  en  France,  c 
p^BTrKommander  l'artlio|p-ap1ie  ;  il  composa  ensoile  des  traités  si 

■maire,  sur  la  rhéloHqup,  sur  la  diiilecliqueet  sur  leg  malliémati'  I 

.  Faji»rHisl(^]ilt^iûredcFnince,l.  A, 


2  ABÂ 

morale  et  la  physique;  de  ces  trois  parties,  la  logique  était  pres« 
que  la  seule  qu*OQ  cultivât,  et  elle  renfern^it  la  métaphysique. 

La  logique  Quêtait  qu«  V9lt%  de  ranger  sous  certaines  classes  les 
différons  objets  de  nos  connaissances,  de  leur  donner  des  noms  et 
de  former  sur  ces  noms  des  raisonnemens  ou  des  syllogismes. 

Abaelard  étudia  la  dialectique  avec  beaucoup  d'ardeur  et  même 
avec  succès  ;  il  réforma  celle  d*Arislote,  devint  Toracle  des  éco- 
les et  sa  fit  une  grande  réputation,  parce  qu'alors  le  génie  delà  na- 
tion et  de  presque  tout  TOccident  était  tourné  vers  la  philosophie. 

Lorsqu' Abaelard  eut  embrassé  la  vie  religieuse,  il  s'attacha 
principalement  à  la  théologie,  et  ses  disciples  le  prièrent  de  join- 
dre aux  autorités  qui  prouvent  les  dogmes  de  la  religion  des  ex- 
plications qui  rendissent  ces  dogmes  intelligibles  à  la  raison  ;  ils 
lui  représentèrent  qu'il  était  inutile  de  leur  donner  des  paroles 
qu'ils  n'entendaient  point,  qu'on  ne  pouvait  rien  croire  sans  l'a- 
voir auparavant  entendu,  et  qu'il  était  ridicule  d'enseigner  une 
chose  dont  ni  celui  qui  parlait,  ni  ceux  qui  l'écoutaient,  n'avaient 
point  d'idée  ;  ils  ajoutaient  que  le  Seigneur  lui-même  avait  cen- 
suré ces  maîtres-là,  comme  des  aveugles  qui  conduisaient  d'au- 
tres aveugles  ^. 

Tel  était  le  goût  général  de  la  nation,  et  ce  goût  ne  s'était  pas 
toujours  contenu  dans  de  justes  bornes.  Quelques  philosophes, 
parce  qu'ils  savaient  faire  un  syllogisme,  se  croyaient  en  droit 
d'examiner  et  de  décider  souverainement  de  tout  ;  ils  croyaient, 
en  faisant  un  syllogisme,  approfondir  tout,  éclaircir  même  tous  les 
mystères,  et  ils  avaient  attaqué  le  dogme  de  la  Trinité. 

Abaelard,  déterminé  par  ces  considérations  et  peut-être  par 
son  propre  goût,  entreprit  cP expliquer  les  mystères  et  les  vérités 
de  la  religion,  de  les  rendre  sensibles  par  des  comparaisons,  de 
combattre  par  l'autorité  des  philosophes  et  par  les  principes  de  la 
philosophie  les  difficultés  des  dialecticiens  qui  attaquaient  la  reli- 
gion. 

C'est  l'objet  quMl  se  propose  dans  son  introduction  à  la  théolo-' 
gie  et  dans  sa  théologie  chrétienne  '. 

La  méthode  qu' Abaelard  se  proposait  de  suivre  était  nouvelle 

*■  Ah9fih,  ep.  1,  c  5  Operum,  p.  20. 

>  L'introduction  à  la  théologie  se  trouve  dans  Tédition  des  ouvrages 
d' Abaelard  par  Amboise,  et  sa  théologie  chrétienne  dau  ;le  tome  5  du 
Thésaurus  anecdotorum  du  P.  Martenne. 


ABA 


en  France;  il  ne  douta  pas  qu'elle  ne  fût  dScri^e  par  une  cabale 
d'hommesconnusdepab  souslenomdeCornificieDs;  cesComili— 
ciens  ne  pardonnaient  pas  â  un  homme  de  mérite  la  coasidéralion 
qa'it  obtenait,  el  publiaient  qne  les  sciences  et  les  savans  per- 
draient la  religion  el  l'état. 

Pour  prévenir  les  clameurs  de  ces  hommes  toujours  méprisa- 
bles et  «ouient  en  crédit,  Abaelard  établit  comme  un  principe  in~ 
contestable  qu'il  n'y  a  point  de  connaissance  qui  ne  soit  utile  el 
bonne  en  elle-même,  que  la  philosophie  est  d'une  grande  utilité, 
même  dans  la  théologie,  lorsqu'on  aime  la  vérité  et  qu'on  cher- 
che* la  faire  connaître.  La  philosophie  n'est  contraire  ï  la  reli- 
gion qne  dans  la  bouche  de  ces  sophistes  possédés  de  la  fureur 
de  la  célébrité  :  incapables  de  rien  approfondir,  ils  veulent  parler 
de  tout  et  dire,  sur  tout  ce  qu'ils  traitent,  des  choses  inonles  ;  ils 
cherchent  dans  les  objets,  non  ce  qui  peut  éclairer  utilement, 
mais  ce  qui  peut  étonner  ou  faire  rire;  ces  sophistes,  ou  ces 
bouCTons  de  la  philosophie,  prennent  cependant  te  nom  de  philo- 
Eophes,  et  les  sciences  n'ont  point,  selon  Abaelard,  de  plus  dan- 
gereux ennemis.  Ce  sont  eux  qui  retardi'nt,  en  eOei,  le  progrés 
de  la  lumière,  elquidonnent  du  poids  aux  clameurs  et  aux  calom- 
nies de  l'ignorance  contre  les  sciences  et  contre  la  philosophie. 

Le  vrai  philosophe,  selon  Abaelard,  reconnaît  la  vérité  de  la  re- 
ligion et  tâche  d'en  bien  coonatlre  Tesprit;  mais  s'il  ne  dissipe 
pas  l'obscuril^ïqui  enveloppe  ses  mystères,  il  pense  qu'il  ne  peut 
ni  tout  voir,  ni  tout  comprendre,  et  qu'il  est  absurde  de  rejeter 
nn  dogme  parce  qu'on  ne  le  comprend  pas,  el  lorsque  celui  qui 
nous  l'assure  ne  peut  ni  se  Irooiper  ni  tromper  les  autres. 

C'est  dans  cette  disposition  d'esprit  qu' Abaelard  compose  et 
veut  qu'on  lisesa  théologie*. 

La  théologie  n'a  point,  selon  Abaelard,  de  plus  grand  objet  que 
la  Trinité.  Les  noms  des  trois  personnes  comprennent  l'Être  sou- 
verainement parfait;  la  pntssance  de  Dieu  est  marquée  par  le 
nom  de  Père,  la  sagesse  par  celui  de  Fils,  et  la  charité  de  Dieu 
envers  les  hommes  par  celui  du  Saint-Esprit;  trois  choses,  dit 
Abaelard,  qui  font  le  souverain  bien  et  te  fondement  de  nos  de- 
voirs par  rapport  ï  Dieu. 

La  distinction  de  ces  trois  personnes  est  propre  à  persuader  aui 
hommes  de  rendreà  Dieu  l'adoration  qu'ils  lui  doivent  ;  car  deux 

*  Théo),  christ.,  1.3, 


1 
I 


4  ABA 

dioses  nous  inspirent  du  respect,  savoir  :  la  crainte  et  Tamour» 
La  puissance  et  la  sagesse  de  Dieu  nous  le  font  craindre,  parce 
que  nous  savons  qu'il  est  notre  juge,  qu'il  peut  nous  punir;  et  sa 
bonté  nous  le  fait  aimer,  parce  qu'il  est  juste  d'aimer  celui  qui 
nous  fait  tant  de  bien  ^. 

Les  dialecticiens  attaquaient  principalement  le  dogme  de  la 
Trinité  :  ainsi  ce  mystère  fut  l'objet  principal  qu'Abaelard  traita. 

Jésus-Christ  n'a  fait  que  développer  le  mystère  de  la  Trinité, 
selon  Abaelard.  Il  trouve  ce  mystère  dans  les  prophètes  et  dans  les 
philosophetanciens  ;  il  croit  vraisemblable  que  ceux-ci  ont  connu 
le  mystère  de  l'Incarnation  aussi  bien  que  celui  de  la  Trinité,  et 
qae  Dieu  leur  a  révélé  ces  mystères  en  récompense  de  leurs  ver- 
tus. Abaelard  part  de  cette  idée  pour  louer  les  belles  qualités  des 
philosophes,  la  pureté  de  leurs  mœurs,  l'excellence  de  leur  mo- 
rale, et  croit  qu'on  ne  doit  point  désespérer  de  leur  salut  *. 

Il  passe  ensuite  aux  difficultés  des  dialecticiens,  qu'il  résout  as^ 
sez  bien,  en  expliquant  les  équivoques  qui  en  font  toute  la  force  ; 
il  arrive  enfin  à  une  des  principales  :  c'est  la  nature  de  chaque 
personne,  et  sa  différence,  qu'il  tâche  d'expliquer. 

Le  propre  du  Père,  dit  Abaelard,  est  de  n'être  point  engendré  ; 
le  propre  du  Fils  est  d'être  engendré  et  de  n'être  ni  fait,  ni  créé; 
le  propre  du  Saint-Esprit  est  de  n'être  ni  fait,  ni  engendré. 

Abaelard  remarque  qu'il  n'y  a  point  d'exemple,  dans  les  créa- 
tures, où  l'on  trouve  dans  une  même  essence  trois  personnes  ;  ce 
n^est  que  par  des  analogies  ou  par  des  comparaisons  qu'on  peut 
le  concevoir,  et  il  ne  faut  pas,  selon  ce  théologien,  chercher  dans 
ces  comparaisons  une  ressemblance  parfaite. 

Pour  faire  concevoir  le  mvstère  de  la  Trinité,  il  se  sert  de 
l'exemple  d'un  cachet  composé  de  la  matière  et  de  la  figure  qui  y 
estgravée  :  le  cachet  n'est  ni  la  matière  seule,  ni  la  figure  seule, 
mais  un  tout  composé  de  l'une  et  de  l'autre  ;  et  cependant  le  cachet 
n'est  autre  chose  que  la  matière  ainsi  figurée,  quoique  la  matière 
ne  soit  pas  la  figure. 

11  distingue  la  procession  du  Saint-Esprit  de  la  génération  du 
Verbe,  en  ce  que  le  Verbe,  étant  la  sagesse,  participe  à  la  puis- 
sance du  Père,  parce  que  la  sagesse  est  une  sorte  de  puissance, 


*  Introd«ad  theol,  1.  1.  Theol,  christ.,  1.  1,  c  ?, 
'  Jbid. 


K^' 


i  ABA 

savoif  '•  la  paissance  dedisliiigucrle  bien  du  mal,  de  déterminer 
ce  qu'il  faut  laire  et  ce  qu'il  ne  faut  pas  faire  ■. 

Le  Saiut-£sprit  étauldésigaé  par  le  nom  d'amour,  qui  n'est 
une  puissante,  n'esl  point,  ï  proprement  parler,  la  substance  du 
Père,  quoiqne  le  Saint-Esprit  soil  cependant  d'une  mêmesuliaia 

Abaelard  explique  ensuite  la  coétemiié  des  irois  personnes  par 
l'exemple  de  la  lumière  du  soleil,  qui  existe  dans  le  même  instant 
que  le  soleil  *. 

Après  avoir  eiposé  tl  eipliqué  le  dogme  de  la  Trinité,  il  esa- 
mine  lapuissancedeDieu  et  s'il  peut  faire  autre  cliose  que  ce  qu'il 
a  fait. 

Il  sent  toute  la  difliculté  de  sa  question.  Pour  la  résoudre,  il 
établit  que  la  sagesse  et  la  bonté  de  l'Être  suprême  dirigent  sa 
puissance  ;  il  conclut  de  ce  principe  que  tout  ce  que  Dieu  a  pro- 
duit, sa  sagesse  et  sa  bonté  le  lui  ont  prescrit;  que  s'il  y  a  du 
bien  qu'il  n'ait  pas  fait,  c'est  que  sa  sagesse  ne  lui  permettait  pas 
de  le  faire  ;  de  lï  il  conclut  que  Dieu  ne  pouvait  faire  que  ce  qu'il 
a  fait,  et  qu'il  ne  pouvait  ne  le  pas  faire  '. 

Voilà  les  deux  principaux  ouvrages  théologiques  d'Abaelard  ;  il 
composa  encore  des  explications  sur  l'oraison  dominicale,  sur  le 
symbole  des  apiSlres ,  sur  cetni  de  saint  Athanase  et  sur  quelques 
endroits  de  l'Ecriture  :  il  &t  un  ouvrage  qu'il  iutilula  te  Oui  et  te 
non,  qui  n'est  qu'un  recueil  de  passages  opposil's,  tirés  de  l'Écri- 
ture ,  sur  dilTérentes  matières  *. 

Enfin,  il  fit  un  commenLiire  sur  l'épitre  de  saint  Paul  aux  Ro- 
maioE  :  ce  commentaire  n'est  qu'une  explication  littérale  de  cette 
épllre;  Abaelard  ne  se  propose  que  de  faire  voir  l'enchaîne  ment 
du  discours  de  cctapAtre  ". 

Dfi  erreurs  contenues  dans  lu  ouvrage*  d'Àbatiari. 

Les  ouvrages  théologiques  d' Abaelard   furent  reçus  avec  ap- 
.,  et  il  est  certain  qu'ils  contenaient  de  très  bonnes 
choses  et  des  vues  pi  us  étendues  et  plus  élevées  qu'on  n'en  trouve 
dans  les  théologiens  de  ce  siècle;  mais  ils  contenaient  aussi  des 


<  IbJiI.,  I.  i.  Thcol.  clirisL,  1.  i, 

■  Theol.  christ.,  I.  S.  Introd.adlbeol.,  1.3. 

'  Cet  ouvrage  est  manuscrit  dans  la  bibliutLiquc  deSamt-Germaiii. 

*  Dans  lerecudldesvavresd' Abaelard,  parAmbuise. 


«  ABÂ 

expressions  inusitées,  des  opinions  extraordinaires,  des  compa*» 
raisons  dont  on  pouvait  abuser,  et  même  des  erreurs  réelles. 

Deux  théologiens  de  Reims ,  Âlbéric  et  Lotulphe,  jaloux  de  la 
réputation  d'Al)aelard,  n*envisagèrent  ses  ouvrages  que  par  ces 
endroits  ;  ils  y  virent  des  erreurs  monstrueuses  et  dénoncèrent 
Abaelard  à  Tarchevéque  de  Reims.  On  assembla  un  concile  â 
Soissons  ;  Abaelard  y  fut  cité.  Le  peuple  »  soulevé  par  Âlbéric  et 
par  Lotulphe ,  accourut  en  foule  pour  insulter  Abaelard ,  et  criait 
qu'il  fallait  exterminer  cet  hérétique ,  qui  enseignait  quUl  y  avait 
trois  dieux  ;  effet  bien  sensible  de  Tignorance  et  de  la  mauvaise 
foi  des  accusateurs  d* Abaelard  :  les  expressions  d* Abaelard  ten- 
daient plutôt  au  Sabellianisme  qu'au  Trithéisme  ^. 

Abaelard  ne  comparut  dans  le  concile  que  pour  jeter  son  livre 
au  feu  ;  il  lut  à  genoux  le  symbole  de  saint  Athanase ,  déclara 
qu'il  n'avait  point  d'autre  foi  que  celle  qu'il  contenait ,  et  fut  ren- 
fermé dans  le  monastère  de  saint  Médard  de  Soissons ,  d'où  il 
sortit  peu  de  temps  après  :  lorsqu'il  fut  sorti ,  il  reprit  ses  exer- 
cices théologiques. 

Vingt  ans  après  le  concile  de  Soissons,  Guillaume,  abbé  de 
Saint-Thierri,  crut  trouver  dans  les  livres  d'Abaelard  des  choses 
contraires  à  la  saine  doctrine ,  et  il  en  tira  quatorze  propositions 
qui  expriment  ces  erreurs  *. 

1**  11  y  a  des  degrés  dans  la  Trinité;  le  Père  est  une  pleine 
puissance ,  le  Fils  est  quelque  puissance ,  et  le  Saint-Esprit  n'est 
aucune  puissance  ^. 

2»  Le  Saint-Esprit  procède  bien  du  Père  et  du  Plis,  mais  il 
n'est  pas  de  la  substance  du  Père,  ni  de  celle  du  Fils  *, 

3**  Le  diable  n'a  jamais  eu  aucun  pouvoir  sur  l'homme ,  et  le 

^  Abael.  ép.  1,  c  9,  edit  Amboesii. 
2  En  1139. 

*  Il  est  clair,  par  divers  endroits  de  l'Introduction  et  de  la  Théologie 
chrétienne  d'Abaelard,  qu'il  croyait  que  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit  sont  également  tout-puissans  ;  les  expressions  que  l'on  reprend 
ici  se  trouvent  dans  un  endroit  où  Abaelard  explique  la  différence  delà 
procession  du  Saint-Esprit  et  de  la  génération  du  Verbe,  et  il  avertit  ex- 
pressément qu'il  ne  faut  pas  pour  cela  que  Ton  croie  que  le  Saint-Es- 
prit n'est  pas  tout-puissant.  Voyez  la  Théologie  chrétienne  et  l'Inlro- 
duclion  à  la  théologie. 

*  Abaelard  n'a  péché  ici  que  dans  Texpression,  puisqu'il  reconnaît 
formellement  que  le  Saint-Esprit  estconsubstantid  au  Père* 


■  ABA  r 

nis  de  Dieu  ne  s'est  pas  iDcarn£  pour  délÎTrer  l'homme,  mais 
Bcalement  pour  l'instruire  par  ses  discours  et  par  ses  exemples , 
et  il  n'a  aoufferl,  ni  u'est  mon  ,  que  pour  faire  paraître  el  rendre 
recommandablc  sa  charité  eoTers  nous  *.      * 

4°  Le  Saint-Esprit  est  l'âme  du  monde  *, 

S"  Jésus-Christ,  Dieu  et  Homme,  n'est  pas  la  troisième  per* 
sonne  de  la  Trinité,  ou  l'homme  ne  doit  pas  élre  proprement  ap- 
pelé Dieu  ^, 

6°  Noue  pouTons  vouloir  et  faire  le  bien  par  le  libre  arbitre, 
sanslesecours  de  la  grâce  '. 

7°  Dans  le  sacrement  de  l'autel,  la  forme  de  la  première inb- 
stance  demeure  en  l'air  ''. 

8°  On  ne  tire  pas  d'Adam  la  coidpe  du  péché  originel,  maïs  la 

-9°  Il  n'j  a  point  de  péché  sans  que  le  pécheur  ;  consente  et 
sans  qu'il  méprise  Dieu'. 
10°  La  concupiscence,  la  délectation  et  l'ignorance  ne  produi- 

11°  Les  suggestions  diaboliques  se  font  dans  les  hommes  d'aae 
manière  physique-,  savoir,  par  l'attouchement  de  pierres,  d'her- 
bes el  d'autres  choses  dont  les  démons  savent  la  vertu  ". 

>  Celte  proposition  est  tirée  du  commentaire  sut  l'épltre  auxKomains; 
c'est  l'erreur  des  Pétagieus,  et  Abaelaid  la  râtracta.  Cette  erreur  est  l'é- 
tutée  à  l'article  PALisijtflisuE. 

1  Ilesl  certain  que  ce  u'esl  point  ici  le  sentiment  d'Abaelard.  S'étaiit 
propose  de  trouver  le  dogme  lie  la  Trinité  dans  les  philosophes  païens, 
il  crol  que,  par  1  âme  du  monde,  ils  eoteudajeut  le  Saioi-EapriL 

>  On  ne  peut  nier  qu'Ahaelurd  ne  parle  comme  Neslurius  ;  mais  U 
est  certain  qu'il  ue  recounsiasait  en  Jésus-Christ  qu'une  personne. 

*  Celte  propoùtioa  est  une  erreur  pËtagienue,  et  fut  rëlractée  par 
Abaelard. 

s  Cette  proposition  n'eiprime  qu'une  opinion  Ihéologique.  Guillaume 
de  Sainl-Tbierri,  qui  réfute  celle  propoaiiion  en  preieudant  que  les  ac- 
cidens  existent  dans  le  corps  de  Jésus-Christ,  n'est  pas  conlroin!  aux 
théologiens,  qui  admeltent  les  accidcDS  absolus. 

s  Abaeiardretratia  cette  proportion,  qui  est  pélagienne. 

'  Abacinrd  prétendn'avoir  jamais  avancé  celte  proposition,  et  on  ne 
la  trouve  point  dans  ses  ouvrages. 

'  Aliadard  rétracta  ccllre  proposition. 

■  Cette  proposition  contient  une  opinion  rcrue  parmi  les  physiciens  du 

«le  d'Abaelard  ;  ce  n'est  pas  uneerrenrthéolt^ique. 


^ilÈele  d'Abael 


12>  La  foi  est  1' 

is  qu'oi 


ou  le  jugement  qu' 


13°  Dieu  ne  peut  faire  que  ce  qu'il  h  fait 

11*  J&us-Cbrisl  o'èst  point  descendu  aux  enl 

Cuillaunie  de  Saiut-Thietri  envoya  à  Geofroi ,  évéque  de  Cliar- 
tres,  el  i  saint  Bernard,  abbé  de  Clairvaux,  ces  propositions  el 
l'ouvrage  qu'il  avait  composé  contre  Abaelard. 

L'abbâ  de  Clairvaui ,  h  la  lecture  de  la  lettre  et  de  l'ouvrage  de 
Guillaume  de  Saint-Thierri  contre  Abaelard ,  ne  douta  pas  que  ce 
dcruier  ne  fût  tombé  dans  les  erreurs  qu'on  lui  imputait  ;  il  lui 
écrivit  de  rétracter  ses  erreurs  el  de  corriger  ses  livres, 

Abaelard  ne  déféra  point  aux  avis  de  saint  Bernard  ;  le  lèle  de 
cet  abbé  s'enflamma;  il  écrivit  au  pape,  aux  prélats  de  la  cour 
lie  Borne  et  aux  évêques  de  France  contre  Abaelard. 

Saint  Bernard  peint  Abaelard  sous  les  traitsies  plus  horribles; 
il  mande  au  pape  qu' Abaelard  et  Arnaud  de  Bresse  ont  fait  un 
complot  secret  contre  Jésus-Christ  et  contre  son  Église.  Il  dit 
qu' Abaelard  est  un  dragon  infernal,  qui  persécute  l'ÉgUse  d'une 
manière  d'autant  plus  dangereuse  qu'elle  est  plus  cachée  et  plus 
secrète  :  il  en  veut,  dit-il,  à  l'innocence  des  âmes;  Arius,  Pelage 
et  Nestorins  ne  sont  pas  si  dangereux,  puisqu'il  réunit  tous  ces 
stres  dans  sa  personne,  comme  su  conduite  et  ses  livres  le 
font  connaître:  il  est  le  persécuteur  de  la  foi,  le  précurseur  do 
r  Antéchrist  *. 

est  aisé  de  voir,  par  ce  que  uous  avons  dit  d'Âbaclacd  et  par 
;    l'histoire  de  sa  vie,  que  les  accusations  de  saint  Bernard  sont 
^destituées,  non-seulemetil  de  fondement,  mais  même  d'appa- 
rence, aux  jeux  du  lecteur  impartial,  le  ne  fais  poini  cette  re- 
marque pour  diminuer  la  juste  vénéraLioD  que  l'on  a  pour  cet 
'   illustre  et  saint  abbé;  je  voudrais  inspirer  aux  personnes  qu'un 
lèle  ardent  anime  un  peu  de  défiance  pour  leurs  propres  idées ,  eli 
i  s'il  ilait  possible,  les  rendre  un  peu  plus  lentes  à  condamner.  Si, 


*  On  attaquait  celle  proposition,  parce  qu' 
bijssait  la  eertitude  de  la  fui. 

'  Abaelard  rétracta  celle  erreur.  Saiut  Bemanl,  qui  réfute 
reurs  attribuées  i  Abacluril,  ne  dit  rien  de  celle-ci.  Bern.,  l 

•  Abuelard  rélracla  cette  erreur,  Dom  Gerv 
«ique  toutes  ces  piopuailiuits.  Vied'âbnelard,  I.  3, 1.5,  p, 
issi  sur  le  m&mc  sujet  le  P,  liobiiieau,  HisLdcBrelagiie. 

»  Bernard,  f  p.  330,331,  338,  337. 


qu'elle  aOaU 


ABA  9 

SS^îâ?ïiie  aussi  pure,  maai  é<;lalrée  que  celle  de  saint  Der- 
Dard,  le  zèle  a  été  outré,  combien  ne  devons-nous  pas  nous  dé- 
fier de  notre  zèle ,  nous  qui  sommes  si  éloignés  du  désînléresse- 
raenteldela  charilé  de  saint  Bernard* 

Les  lettres  de  saint  Bernard  rendirent  la  foi  d'Abaelard  sus- 
pecte et  sa  personne  odieuse  dans  presque  toute  l'Ëglise  ;  il  s'en 
plaignit  il  l'archeièque  de  Sens,  et  le  pria  de  faire  venir  saint 
Bernard  au  concile  de  Sens,  qui  était  sur  le  point  de  s'assem- 
bler. 

Saint  Bernard  se  rendit  au  concile ,  produisit  les  propositions 
extraites  des  ouvrages  d'Abaelard,  et  le  somma  de  justifier  ces 
propositions ,  ou  de  les  rétracter. 

Parmi  ces  propositions,  quelques-unes,  comme  nous  l'avons 
TU,  n'eiprimaient  point  les  sentimens  d'Abaelard;  d'autres  pou- 
vaient s'expliquer  et  avaient  été  mal  interprétées  par  les  dénon- 
ciateurs ;  entin ,  il  y  eu  avait  sur  lesquelles  Abaelard  demandait  à 
s'éclairer. 

Hais  saint  Bernard  le  pressa  avec  tant  de  vivacité,  et  Abaelard 
remarqua  tant  de  cbaleor  et  de  prévention  dans  les  esprits,  qu'il 
jugea  qu'il  ne  pourrait  entrer  en  discussion  ;  il  craignit  même 
une  émeute  populaire  :  il  prit  donc  le  parti  d'appeler  à  Rome,  uJi 
il  avait  des  amis ,  et  se  retira  après  son  appel  ' . 

Le  concile  condamna  les  propositions  extraites  des  ouvrages 
d'Abaelard,  sans  parler  de  sa  personne,  et  l'on  écrivit  au  pape 
iiDe  lettre  pour  l'informer  du  jugement  de  ce  concile^. 

Le  pape  répondit  qu'après  avoir  pris  l'avis  des  cardinaux,  il 
avait  condamné  les  capitules  d'Abaelard  et  toutes  ses  erreurs,  et 

'  Olho  Frisingensia,  de  gestis  Fridericî,  c.  i8. 

3  Bércnger,  disciple  d'Abaelard,  dans  son  Apologie  pour  son  maître, 
et  dom  Gervaise,  dans  sa  Vie  d'Abaeliird,  ont  attaqué  la  procédure  du 
concile  :  le  premier  n'est  qu'un  déclnmaleur,  et  dom  Gervaise  ne  prouve 
point  que  les  l'ëres  du  ronciJe  aient  outrepassé  leur  pouvoir.  Les  évB- 
ques  prononcèrent  sur  les  propositions  qu'on  leur  présentait  ;  peut-on 
douter  qu'ils  n'eussent  ce  droit?  Us  n'entendirent  point  les  défenses 
d'Abaelard,  dit-on  ;  mois  était-il  nécessaire  de  l'entendre  pour  juger  A 
les  propositions  qu'on  déférait  au  concile  étaient  conformes  ou  contrai- 
res à  la  foi?  Il  n'eût  été  née Essaire  de  l'entendre  qu'au  cas  que  le  con- 
cile eDt  jugé  la  personne  d'Abaelard.  Vayci  d'Argenlré,  ColIccL  judi- 
cîori  de  nuvis  erroribus,  t,  1,  p.  SI.  Marlenne,  Observation,  ad  tLeul. 
AlwelEirdii  t.  5.  Ihetaur,  anecdot,  Natal,  Alex,  insKc  IS, dissert,?, 


10  ABE 

JQgé  que  les  sectatearsi  ou  défenseurs  àe  (sa  doctrine  devaienl 
être  retranchés  de  la  communion. 

Abaelard  publia  une  profession  de  foi ,  dans  laquelle  il  protes* 
tait  devant  Dieu  qu*il  ne  se  sentait  point  coupable  des  erreurs 
qu*on  lui  imputait  ;  que  s'il  s*en  trouvait  quelqu'une  dans  ses 
écrits,  il  était  dans  la  résolution  de  ne  la  point  soutenir,  et  qu'il 
était  prêt  à  corriger  ou  à  rétracter  tout  ce  qu'il  avait  avancé  mal- 
à-propos  ;  il  condamna  ensuite  toutes  les  erreurs  dans  lesquelles 
on  l'accusait  d'être  tombé ,  et  protesta  qu'il  croyait  toutes  les  vé* 
rites  opposées  à  ces  erreurs. 

Après  avoir  publié  cette  apologie,  Abaelard  partît  pour  Romoi 
passa  par  le  monastère  de  Cluni,  où  Pierre  le  vénérable,  qui  en 
était  abbé,  le  retint  et  le  réconcilia  avec  saint  Bernard  ;  il  y  édi- 
fia tous  les  religieux ,  et  mourut  l'an  1142,  âgé  de  soixante-trois 
ans ,  dans  une  maison  dépendante  de  Gluui ,  où  il  s'était  retiré 
pour  sa  santé  ^. 

ABÉGËD ARIENS  ouABécÉDAiRES,  branche  d'Anabaptistes,  qui 
prétendaient  que,  pour  être  sauvé,  il  fallait  ne  savoir  ni  lire, 
ni  écrire,  pas  même  connaître  les  prémices  lettres  de  l'alphabeti 
ce  qui  les  fit  nommer  Abécédariens. 

Lorsque  Luther  eut  attaqué  ouvertement  l'autorité  de  l'Église, 
de  la  tradition  et  des  Pères,  et  qu'il  eut  établi  que  chaque  parti- 
culier était  juge  du  sens  de  l'Écriture,  Stork,  son  disciple,  ensei- 
gna que  chaque  fidèle  pouvait  connaître  le  sens  de  l'Écriture,  aussi 
bien  que  les  docteurs  ;  que  c'était  Dieu  qui  nous  instruisait  lui-* 
même  ;  que  l'étude  nous  empêchait  d'être  attentifs  à  la  voix  de 
Dieu,  et  que  le  seul  moyen  de  prévenir  ces  distractions  était  de 
ne  point  apprendre  à  lire  ;  que  ceux  qui  savaient  lire  étaient  dans 
un  état  dangereux  pour  le  salut. 

Carlostad  s'attacha  à  cette  secte,  renonça  à  l'université  et  à  sa 
qualité  de  docteiu*,  pour  se  faire  porte-faix  ;  il  s'appela  le  frère  An- 
dré. Cette  secte  fut  assez  étendue  en  Allemagne  K 

Dans  tous  les  temps,  l'ignorance  a  eu  ses  défenseurs,  qui  en  ont 
fait  une  vertu  chrétienne  :  tels  furent  les  Gnosimaques,  les  Gomi- 
ficiens,  au  septième  et  au  douzième  siècle.  Tous  les  siècles  ont 
eu  et  auront  leurs  Gnosimaques  et  leurs  Gomificiens. 

*  Voyez  les  auteurs  cités  ci-dessus» 

s  Osiander,  centur.  16, 1.  2.  Stockman  Lexîci  in  voce  Àbecedârii, 
Voyez  Part.  Carlostad,  Anabaptistes. 


P  ABY  11 

ÂBELONITES,  pajsans  du  diocËse  d'HijiponG,  qui  se  prirent 
de?éuéra[ioD  pour  Abel;  ils  prétendirent  qu'il  fallait  se  marittr 
comme  lui,  mais  qu'il  ne  fallait  point  user  du  mariage;  ainsi  les 
maris  et  leafemaies  demeuraienleueemMe,  mais  ils  taisaient  pro- 
fessian  de  continence  et  adopuieut  un  petit  garçon  et  une  petite 
Me  qui  leur  succédaient  '. 

ABSTINENS,  nom  qu'on  donna  aux  Encraiites,  aux  Manichéens, 
parce  qu'ils  voulaient  qu'on  s'abstînt  du  vin,  du  mariage,  etc. 

ABYSSINS  ou  ÉiaiopiENS,  peuples  de  l'Afrique  qui  sont 
Entjchien  s- Jacobites . 

Il  est  difficile  de  déterminer  le  temps  de  la  naissance  du  cliris- 
tianlsmedansTÉthiopie;  maisileslceitainqu'il  ;  fut  porté  avant 
33S,  puisque  le  concile  de  Nicée,  tenu  cette  même  année,  donne 
ïl'évêqued'Ëthiopie  la  septième  place  après  l'Évéque  de  Séleucie. 

L'Église  d'Âbjssinie  reconnaît  celle  d'Alexandrie  pour  sa  mère, 
et  elle  lui  est  soumise  d'une  manière  si  particulière,  qu'elle  n'a 
pts  même  la  liberté  d'élire  son  évéque  :  cette  coutume ,  qui  est 
aussi  ancienne  que  la  conversion  de  t'Abjsginie ,  est  autorisée 
dans  un  recueil  de  canons  pour  lesquels  les  Abyssins  n'ont  pas 
moins  de  respect  que  pour  les  livres  saints. 

Ainsi ,  l'Abyssinie  a  suivi  la  foi  de  l'Ëglise  d'Alexandrie ,  et 
tes  Éthiopiens  sont  devenus  Monophjsites ou  Eulychiens,  depuis 
que  l'Égjple  a  passé  sous  la  domination  dee  Turcs,  et  que  les 
Jacobites  sa  sont  emparés  du  patriarchat  d'Alexandrie. 

Les  Abyssins  n'ont  donc  point  d'autres  erreurs  que  celles  des 
Cophtes;  ils  croient,  comme  eux,  tout  ce  que  l'Ëglise  romaine 
croît  sur  les  mystères  ;  mais  ils  rejettent  le  concile  de  Chalcé- 
doine ,  la  lettre  de  saint  Léon ,  et  ne  veulent  reconnaître  qu'une 
seulenatureen  Jésus-Christ,  quoiqu'ils  ne  pensent  pas  que  la  na- 
ture divine  et  la  nature  humaine  soient  confondues  dans  sa 
personne  *. 

lisent  sept  sacremens,  comme  les  catholiques;  il  ne  faut  pas 
croire  qu'ils  n'aient  pas  la  conGrniaiion  et  l 'extrême-onction , 
comme  le  pense  M,  Ludolf. 

•  Aug.,  Hier..  86. 

'Perpft.  ili^lafui,  I.S,].  ),  c.  il.  Mcndès,  1.  1,  c.  6.  Luilolr,  tlisl. 
iCthiop.,  1.  3,  c.  8.  Vpjage  ilc  Lubo,  par  LcGraud, 

•  Ludolf,  Hisr.  jïlhiop.,  I.  3,  c.  5,  Nous  ferons  queliiucs  réfluiidiiï 
Hir  cette  prétention  de  M.  Ludolf. 


r 
I 


<1  ABY  

Les  Abyssins  croient  la  présence  réelle  cl  la  transsiftstan- 
tiaiion  ;  les    liturgies  rapportées  par   M.   Ludolf  ne  permel- 

Les  Abyssins  ayant  toujours  reçu  leur  métropolitain  ou  leur  évé^ue 
du  palriarclie  d'Aleianârie,  et  les  Cophles,  ml^me  depuis  les  conquêtes 
des  Samsins,  ayant  conserva  la  conllrmBtion  et  l'eitrËme-onction , 
comme  on  peut  le  toir  dans  l'arlicte  Cophtes,  pourquoi  tes  Âbyssini 
auraient-ils  retranché  la  conGrination? 

M.  Ludoir  s'appuie  sur  Je  témoignage  des  missionnaires  portugais. 

Mais  ces  missionnaires,  pluszÉlfe  qu'éclairés,  ont  été  trompés  appa* 
ranment,  parce  que  ce  sacrement  ne  s'administre  pas  en  Ethiopie 
comme  en  Europe  ;  tes  Abyssins  le  confèrent  apparemment  comme  les 
Cophtes,  Bprùs  lettaptéme,  et  les  missionnaires  portugais  ont  pris  la 
confumation  pour  une  cérémonie  du  baptême,  et  comme  ils  n'ont 
polntvu  administrer  la  conlinnation  aux  adultes,  ils  ont  conclu  que 
les  Ëlhiopiens  ne  connaissaient  point  ce  sacrement. 

C'est  du  même  principe  que  vient  l'erreur  de  ces  missionnaires  sur 
l'eittréme^ncllon  ;  llest  certain  que  les  Caphtcs  ont  conserrécc  sacre- 
ïtieaX  (toyei  leur  artcile)  ;  et  l'on  ne  Toil  pas  pourquoi  les  Abyssins,  qui 
receyaient  d'eux  leurs  mÊtropoli tains,  n'auraient  pas  suivi  la  coutume 
deTËglisecophte. 

Mais  l'eitréme-onctian  ne  s'administre  pas  chez  les  Cophlcs  comme 
chez  les  Latins;  et  d'ailleurs  elle  s'admini^lrc  apK's  laconressionetanx 
personnes  qui  se  portent  bien  comme  aux  malades.  Les  missionnaires, 
qui  n'ont  pointvu  en  Ethiopie  les  cérémonies  qu'on  pratique  dans  l'Ë- 
gliselaline,  el  qui  croyaient  que  l'exlrèDic-onclion  ne  détail  s'adminis- 
trer qu'aux  malades,  ont  pensé  qu'en  elTetles  Abyssins  n'avaient  point 
ce  sacremeiiL 

Cette  conjecture  deviendra,  ce  me  semble,  une  preuve,  s!  l'on  (bit  ré- 
flexion surla  manière  dont  les  Coplites  admiuislrenl  l'exlréme-onclion: 
I  Le  prêtre,  après  avoir  donné  l'absolution  au  pénitent,  se  fait  assister 

■  d'un  diacre.  Il  commence  d'obord  par  les  encensemeni  et  prend  une 

>  lampe  dont  il  bénit  l'huile  et  y  allume  une  miche;  ensuite  il  récite 

■  sept  oraisons,  qui  sont  interrompues  par  autant  de  leçons,  prises  de 

>  l'épltre  de  saint  Jacques  et  d'autres  endroits  de  l'Ëcriture  ;  c'est  le 
D  diacre  qui  lit  ;  enfin,  le  préire  prend  del'huile  bénite  de  la  lampe,  et 

>  en  fuit  une  onction  sur  le  front,  en  disant  ;  Dieu  tous  gui'rissc,  au 
t  nom  du  Père,  et  du  Fils,  etdu  Saint-Esprit  ;  il  fuit  la  même  onelion  à 

>  tous  les  Bssiatans,  de  peur,  diseuMIs,  que  le  malin  esprit  ne  passe  à 

>  quelqu'un  d'eux.  ■  (Nouveaux  mémoires  des  missions  de  la  compa- 
gnie de  Jésus  dans  le  Levant,  t.  S.  Lettre  du  père  du  liemat.  Perpé- 
lulléde  la  foi,  I.  5,1.  5,  c  2. 

Croil-nn  qu'il  fdt  bien  diflicile  que  des  missionn{ilres  qui  n'avaient 


L 


P  ABY 

tent  pas  d'en  douler,  puisqu'elles  rpuprinienl  rotmellcment 
Le  culte  et  l'invacaLion  des  maints,  la  prière  pour  les  maris  et 

pae  eu  le  tempa  d'ëiudier  la  litui^ie  des  Ëilùopieiu  ne  reconnussent 
pas l'eitrËme-onction  aîusi  adminisirëe? 

*  Hist.  lEIbioii.,  1.  I,  c.  5.  M.  Ludolf,  malgré  la  clarlÉ  des  liturgie*, 
prétend  que  les  Abyssins  ne  croient  pas  la  transsubstaolialion,  et  il  se 
fonde  sur  le  témoignage  de  l'Abyssin  Grégoire,  qu'il  a  internée  sur  cet 

M.  Ludoir  lui  demanda  ce  que  voulaient  dire  les  mats  :  flre  changé, 

ttreconvcrli,  et  si  l'on  croyait  que  la  substance  du  pain  et  du  ïiu  fUt 

eonTertieet  ebangéeen  lasubslaiiceducorpset  duBangdeJésus-OirisL 

'         L'Abyssiu,  sans  hésiter  et  sans  demander  aucune  eiplication  des  ter- 

■  nés,  lui  répond  que  les  Abyssins  nereconnaUsent  point  un  pareilchan- 

iLgtmeDt,  Iqu'ils  ne  s'engagent  point  dans  des  questions  si  épineuses, 

qn'au  reste,  il  lui  semble  que  le  pain  et  le  lia  ne  sont  dits  convertis  et 

changé!  que  parce  qu'ils  représentent  le  corps  et  le  sang  de  Jéau»- 

Chriat  et  passent  d'un  usageprorane  A  nn  usage  sacré. 

Faisans  quelques  rélleiions  sur  celte  réponse  de  l'Abfssin, 

1°  L'Abyssin  ne  nie  point  J a  transsubstantiation  ;  il  dit  seulement  qu'il 
lui  paraît  qu'on  ne  la  tonnait  pas,  et  que  les  âbysMns  ne  imitent 
point  des  questions  si  épineuses.  Une  pareille  réponse  peut-elle  halan- 
cCT  raulorilÉ  claire  et  précise  des  liturgies  éthiopiennes?  D'ailleurs, 
puisqu'il  est  cerlaia  que  les  Copbtes  croient  la  présence  réelle,  p 
quoi  les  Abyssins,  qui  ont  reçu  d'eux  leur  patriarche  et  qui  ont  adopta 
tantes  leurs  erreurs,  auraient-iiscbangésarl'eucharistie: 

!•  L'Abyssiu  traite  de  question  épineuse  le  dogme  de  la  Iranssub- 
•tanllatian  et  dit  quelcs  Abyssius  n'agitent  point  de  pareilles  qneslioni) 
cependant  il  ne  rail  it  M.  Ludoiraueunc  question  sur  ce  dogme;  iln' 
aucun  embarras  ;  il  ne  demande  aucune  explication,  aucun  éclairds- 
lement  sur  cette  question  si  épineuse  et  qu'an  n'agite  pointen 

Cette  précipilalion  6  répondre  suppose  qu'il  n'entendait  ni 
tiOD  que  M.  LudolF  lui  Taisait,  ni  la  réponse  qu'il  a  donnée,  ou  qull 
roulait  faire  une  réponse  agrtabie  ù  M.  Ludolf  dont  il  ci 
«enlimeni  sur  la  transsubstantiation. 

3*  On  a  vu  à  Rome  des  Abyssins  qui  assuraient  que  l'Église  d'ËLhio- 
piccroyaitla  transaubslantiation.  M.  Ludolf  prétend  que  leur  témoi- 
^age  est  suspect,  parce  qu'ils  étalent  gagnés  par  la  cour  de  Bomei 
mais  voudra'l-il  quenous  croyions  son  Abyssin  impartial  et  sinctredani 
toutes  ses  réponses,  aprDsqu'ilnousa  ei  posé  lui-même,  dans  sa  préface, 
les  services  qu'il  avait  rendus  et  qu'il  continuait  de  rendre  A  si 
Abyssin? 

"".  LudoIflut-mSnicest-ilbicn  sOr  de  n'avoir  pas  lin  peu  suggéré* 


il 


14  ABY 

le  culte  des  reliques  se  sont  conservés  chez  les  Abyssins ,  comme 
chez  les  Cophtes^. 

De  quelques  pratiques  particulières  aux  Abyssins. 

j»  Les  Abyssins  ont ,  comme  les  Cophtes,  la  cérémonie  du  bap- 
tême de  Jésus-Christ ,  que  M.  Renaudot  et  le  P.  Telles  ont  appa- 
remment prise  pour  la  réitération  du  baptême.  Voyez  Fart. 
Cophtes. 

2*  Ils  ont ,  comme  les  Cophtes ,  la  circoncision  et  quelques 
pratiques  judaïques ,  telles  que  de\  s'abstenir  du  sang  et  de  la 
chair  des  animaux  étouffés  :  il  y  a  bien  de  l'apparence  qu'ils  tirent 
cet  pratiques  des  Cophtes  bien  plutôt  que  des  Mahométans  et 
des  Juifs,  coomie  le  prétend  M.  de  la  Croze  dans  son  Christia- 
nisme d'Ethiopie  K 

Grégoire  ses  réponses  par  ses  conversations  et  peut-être  par  la  manière 
dont  il  l'interrogeait? 

à*'  Enfin,  en  calculant  les  témoignages,  nous  avons  des  Abyssins  éta- 
blis à  Rome  qui  contredisent  Grégoire  et  qui  annulent  par  conséquent 
SdB  témoignage  ;  reste  donc  Tautorité  des  liturgies,  qui  contiennent  le 
dogme  de  la  transsubstantiation.  Voyez  ces  liturgies  dans  la  Perpét.  de 
hifoi,  t.  il,  1.  1,  c.  44. — Liturg.  Orient.,  t.  2. — Le  Grand,  disserl,  42, 
à  ht  suite  du  Voyage  d*Abyssinie,  par  le  P.  Lobo. 

*  M.  Ludolf  reconnaît  tous  ces  points;  mais  il  croit  que  ce  sont  des 
abus  introduits  dans  TÉglise  d*Abyssinie  par  les  prédications  des  évê- 
ques  et  par  d'autres  causes. 

Cette  prétention  n'est  pas  fondée  ;  le  calendrier  des  Abyssins,  donné 
par  M.  Ludolf,  prouve  que  l'Église  d'Abyssinie  a  toujours  invoqué  les 
saints,  honoré  les  reliques  ;  leurs  litui^ies  contiennent  des  prières  pour 
les  morts;  M.  Ludolf  n'oppose  rien  de  raisonnable  à  ces  preuves  :  par 
exemple,  il  dit  que  l'invocation  des  saints  s'est  introduite  parles  prédi- 
cations pathétiques  des  évêques,  et  il  n'y  a  point  en  Ethiopie  d'autre 
évêque  que  l'abuna  ou  métropolitain  ;  d'ailleurs,  on  n'y  prêche  jamais. 

M.  Ludolf  convient  que  les  Abyssins  prient  pour  les  morts,  mais  il 
prétend  qu'ils  n'ont  point  de  connaissance  du  purgatoire.  Cette  prétcn- 
tion  est  encore  fausse  ;  il  est  certain  que  les  Abyssins  ne  nient  point  le 
purgatoire,  et  qu'ils  sont  seulement  divisés  sur  l'état  des  âmes  après  la 
mort,  quoiqu'ils  reconnaissent  que  pour  jouir  de  la  béatitude  éternelle 
il  fout  satisfaire  à  la  justice  divine,  et  que  les  prières  suppléent  à  ce  que 
les  hommes  n'ont  pu  acquitter. 

*  Parmi  les  Cophtes,  les  uns  regardent  l'usage  de  la  circoncision 
comme  une  complaisance  qu'ils  ont  été  forcés  d'avoir  pour  les  mahomé- 


^^  «omt 


II 


ABY  15 

S'Aliiuelah,  auteur  cgjpliBD,  qui  écrivait  il  y  a  enTiroo  qua- 
Ire  cenis  ans,  dit  que  les  Ëthlapieas ,  au  Heu  de  conresser  leurs 
pécliés  aux  prêtres  ,  les  confessaient  tous  les  ans  devant  un  eucen- 
soir  sur  lequel  brûlait  de  l'eDcens ,  et  qu'ils  cropieut  en  obteuir 
ainsi  le  pardon.  Michel,  roâtropalilaln  deDamietle,  jusiifiecelle 
pratique  dans  son  traiié  contre  la  ndceseité  de  la  coDresslon,  el  il 
n'est  pas  étonnant  qu'elle  ait  passé  en  Ethiopie  sous  leg  pairlar* 
clies  Jean  et  Uarie  qui  favorisaient  cet  abus. 

Zanzabo  assurait  uéanmoins  qu'on  se  confessait  en  son  pays 
et,  selon  la  discipline  de  l'Ëglise  d'Alesandrie,  on  devait  le  faire  : 
c'est  surles  règles  qu'onexaminela  véritable  Iraditiond'uneËglise, 
et  nou  pas  sur  les  abus.  Perpétuité  de  la  foi ,  t.  4,  pag.  87, 102. 
D'ailleurs,  la  pratique  de  la  confession  n'est  pas  éteinte  chez 
les  Abyssins  ;  ils  se  confessent  aux  prêtres  et  quelquefois  au  mé- 
tropolitain, et  lorsqu'ils  s'accusent  de  quelque  grand  péché,  le 
métropolitain  se  lave,  reprend  vivement  le  pêcheur,  et  appelle 
ses  lieleurs,  qui  fouettent  de  toutes  leurs  forces  le  pénitent;  alors 
lonl  ce  qui  s'e  trouve  dans  l'église  s'approcbe  du  mélropollialn 
et  obtient  grlee  pour  le  pécheur,  auquel  le  métropolitain  donne 
l'absolution.  Ludolf,  ibid.,  l.  2,  c.  6. 

i°  Le  mariage  est  un  sacrement  chez  les  Abyssins ,  et  voici 
comme  Alvarës  décrit  la  célébration  d'un  mariage  auquel  il  as- 
,  et  qui  fut  faîte  par  l'abuna  ou  métropolitain.  <•  L'époux  et 
t'épouse  étaient  ï  la  porte  de  l'église,  oii  l'on  avait  préparé  une 
espèce  de  lit  ;  l'abuna  les  fit  asseoir  dessus  ;  il  Gt  la  procession 
autour  d'eus,  avec  la  croix  et  l'encensoir;  ensuite  il  imposa 
'  les  mains  sur  leurs  tètes,  et  leur  dit  que,  comme  aujourd'hui 

tons;  les  autres,  comme  une  pratique  purement  civile.  Les  Abjsain^ne 
sont  pas  plus  d'accord  sur  cet  objet:  il  y  en  a  cependant  quilaregardcnl 
comme  une  cérémonie  reliBiense  el  nécessaire  au  salut.  Un  religieux 
abyssin  conta  au  pfreLobo  qu'un  diable  s'tlait  adonné  A  une  fontaine, 
et  tourmentait  eitraordiaairemeut  les  pauvres  rcligieui  qui  allaient  y 
puiser  de  l'eau;  que  Tecla  Aimanal,  fondateur  de  leur  ordre,  l'avait 
converti  ;  qu'il  n'avait  en  de  difficulté  que  sur  le  point  de  la  drcond- 
Bionique  le  diable  ne  voulait  point  être  circoncis;  que  Tecla  Aimanat 
l'avait  persuadé  et  avait  fait  lui-m^nc  celte  opéralien;  que  ce  diable, 
ayant  pris  ensuite  l'habit  religieux,  était  mort  dix  ans  après,  eu  odeur 
de  sainteté. 

I-e  P.  Lobe,  Relation  historique  de  l'Abyssinie,  traduction  de  Le 
GTEUid,  p,  102. 


1 
I 

I 


J 


e  devaient  pins 

r  et  une  même  volonté  ;  et   leur  ayant 

•  mil  un  petit  discours  ,  conforménienl.  à  ces  paroles ,  il  alla  dire 

•  la  messe ,  oii  l'époux  et  l'épouse  assistèreot  ;  ensuite  il  leur 

>  donna  la  bénédiction  nuptiale  '.  > 

>  5*  Le  divorce  est  en  usage  parmi  les  Abyssins  :  un  mari  qui 
s  est  mécontent  de  sa  femme  la  renioie  et  la  reprend  avec  la 

•  même  racililé  ;  l'infidélité  de  la  femme  ou  du  mari ,  la  stérilité 

>  ou  le  moindre  dilVérent  leur  en  fournissent  des  causes  plus  que 

•  légitimes.  Le  divorce  pour  cause  d'adultère  se  renoue  lacilc- 

>  ment  en  donnant  quelque  somme  à  la  partie  oITensée;  le  ma- 

>  TÏaga  ne  se  raccommodait  pas  si  aisément  quand  le  mari  et  la 

>  femme  avaient  eu  querelle  ensemble  ou  s'étaient  battus  :  en  ce 

>  cas  le  juge  leur  permettait  de  se  remarier  ï  d'autres,  et  un 

>  Éthiopien  aime  mieux  épouser  une  femme  séparée  de  son  mari 

>  pour  cause  d'adultère  que  pour  querelle  '.  ■ 

6'  Les  prêtres  se  marient  chez  les  Abyssins ,  comme  dans  tout 
l'Orient ,  mais  avec  cette  restriction  inconnue  parmi  les  Réformés, 
dit  M.  Renaudot,  qu'il  n'a  jamais  été  permis  â  un  prêtre,  ni  aux 
diacres ,  de  se  marier  après  leur  ordination,  et  que  le  mariage  d'un 
religieux  cl  d'une  religieuse  est  regardé  cemme  un  sacrilège  ^. 

7°  Un  autre  abus,  auquel  les  patriarches  d'Alexandrie  ont  liclié 
inutilement  de  remédier,  c'est  la  pluralité  des  femmes  *. 

8°  L'Abyssinie  est  le  pays  du  monde  oti  il  y  a  le  plus  d'ecclé' 


Bs  et  plus  de 


;.  On  ne  peut  chanter 
idu  dans  u 


siastiques,  plus 

vent  dans  plusieurs  -,  ils  chantent  les  psaumes  de  David  ;  ils  les 
ont  tous  fidèlement  traduits  dans  leur  langue  aussi  bien  que  les 
autres  livres  de  l'Écriture  sainte,  ï  l'exception  de  ceux  des  Ma- 
chabécs  qu'ils  croient  néanmoins  canoniques, 

9°  Chaque  monastère  a  deux  églises,  l'une  pour  les  hommes  et 
l'autre  pour  les  femmes. 

Dans  celle  des  hommes,  on  chante  en  ehœur  et  tonjoni-s  de~ 
bout  sans  jamais  se  mettre  à  genoux;  c'est  pourquoi  ils  ont  diver- 
ses commodités  pour  s'appuyer  et  se  » 


I  Treizième  dissertation,  b  la  suite  du  Voyage  du  P.  Lobo,  p.  HS, 
*  Lobo,  loco  cit.,  p.  76.  Thévenol,  in-fol.,  t.-2,  p.  0. 
'  Periiét.  de  la  foi ,  U  â,  I.  i,  c.  lï. 


ABY 


17  1 


Leurs  IngCniineiis  de  musique  consÎ9l«nt  en  de  petits  umboun 
qu'ils  0D[  pendus  au  cou  et  qu'ils  battent  avec  ies  deux  mains. 
Les  principaux  et  les  plus  graves  ecclésiastiques  portunt  ces  in- 
sirumens;  ils  ont  aussi  des  bourdons  dont  ils  frappent  contre  terre 
Sïec  un  mouvement  de  tout  le  corps  ;  ils  commencent  leur  musi- 
que CD  frappant  du  pied  et  jouent  doucement  de  ces  instrumens  ; 
puis,  s'échauSanl  peu  ï  peu,  ils  quittent  leurs  instrumens  et  se 
mettent  â  battre  des  maius,  k  sauter,  à  danser,  k  élever  leur  voix 
de  toute  leur  force;  ii  ta  fin,  ils  ne  gardent  plus  de  mesure  ni  de 
pause  dans  leurs  chants.  Ils  disent  que  David  leur  a  ordonna  de 
célébrer  ainsi  les  louanges  de  Dieu  dans  les  psaumes  où  il  dit  : 
Omnei  gente»,  plaudile  manibai  ;  jubtlale  Dee,  etc.  ' . 

m  Du  gouvernement  ecctèsiasiique  des  Abysi'ms. 

L'Ëglise  d'Âbyssinie  est  gouvernée  par  un  métropolitain  qu'ils 
appellent  abuna,  c'est-à-dire  notre  père  ;  il  n'a  aucun  évêque  au- 
dessous  de  lui ,  il  est  nommé  et  sacré  par  le  patriarcbc  d'Alexan- 
drie,  qui,  pour  tenir  cette  %lise  dans  uneplus  grande  dépendance, 
ne  lui  donne  jamais  de  métropolitain  du  pays. 

Tout  étranger  et  tout  ignorant  que  ce  métropolitain  soit  pour 

l'ordinaire,  il  a  eu  autrefois  tant  d'autorité  que  le  roi  n'était  pas 

reconnu  pour  roi  qu'il  n'eût  été  sacré  par  les  mains  de  l'abuna  ; 

'  ^menl  même  l'abuna  s'est  servi  de  celte  autorité  pour  conser- 

r  la  dignité  royale  il  celui  à  qui  elle  appartenait  de  droit  et 

s'opposer  aux  usurpateurs  '. 

s  rois  ont  fait  leur  possible  pour  obtenir  que  l'on  ordonnât 

nsieura  évéques  dans  l'Abyssiuie;  mais  le  patriarche  d'Alexan- 

F  ^trie  craignait  que,  s'il  y  avait  plusieurs  évéques  en  Etbiopie,  on 

É'en  créSt  ^  la  fin  assez  pour  qu'ils  se  fissent  un  patriarche  ;  il  n'a 

donc  jamais  voulu  consentir  !i  ordonner  en  Ethiopie  d'autres  évâ- 

ques  qne  l'abuna. 

L'abuna  jouit  de  plusieurs  grandes  terres,  et,  dans  ce  pays  oti 
tout  le  monde  est  esclave,  ses  fermiers  sont  exempts  de  toute 
sorte  de  tribut  on  ne  paient  qu'&  lui  seul,  à  la  réserve  des  terres 
qn'il  possède  daus  le  royaume  de  Tigré  :  on  fait  encore  pour  lui 
une  quête  de  toile  et  de  sel  qui  lui  rapporte  beancoup;  il  ne  con- 
naît desupérieur  dans  le  spirituel  que  le  patriarche  d'Alexandrie 

'  Loboihid..  p.  77,  VP. 


■ 

I 


18  ABY 

L^abana  seul  peut  donner  des  dispenses,  et  il  a  souvent  abusé 
de  sa  puissance  à  cetégard^  car  il  est  ordinairement  fort  avare  et 
fort  ignorant. 

Le  Komos  ou  Huguemos  est  le  premier  ordre  ecclésiastique  ; 
c^estce  que  nous  appelons  archiprêtre. 

On  ne  connaît  point  en  Âbyssinie  les  messes  basses  ou  particu- 
lières. 

Il  y  a  dans  FAbyssinie  des  cbanoines  et  des  moines  ;  les  cha- 
noines se  marient,  et  souvent  les  canonicats  passent  aux  enfants. 

Les  moines  ne  se  marient  points  et  ils  ont  un  très-grand  crédit; 
on  les  emploie  souvent  dans  les  affaires  les  plus  importantes  ;  ils 
font  des  vœux.  Voyez  Ludolf,  Lobo,  etc. 

Des  efforts  que  l'on  a  faits  pour  procurer  la  réunion  de  VÉglise 
d* Abyssinie  avec  VÉglise  romaine. 

L*Ég1ise  d*Àbyssinie  était  dans  l'état  que  nous  venons  d*exposer, 
lorsque  les  Portugais  pénétrèrent  par  la  mer  Rouge  jusqu'à  l'E- 
thiopie. La  reine  Hélène,  aïeule  et  tutrice  de  David,  empereur 
d'Ethiopie^  voyant  l'empire  attaqué  par  ses  voisins  et  troublé  par 
des  guerres  intestines,  fit  alliance  avec  les  Portugais  et  envoya  un 
ambassadeur  au  roi  Emmanuel,  qui  en  fit  aussi  partir  un  pour 
l'Ethiopie.  On  commença  aussitôt  à  parler  delà  réunion  de  TËglise 
d'Abyssin  le  à  l'Église  romaine. 

L'empereur  n'y  parut  point  opposé,  et  Bermudes,  médecin  de 
l'ambassadeur  portugais,  fut  nommé  par  le  patriarche  Marc  pour 
lui  succéder. 

Dans  ce  temps,  un  prince  maure,  nommé  Grané  (ou  Gaucher), 
lequel  commandait  les  troupes  du  roi  d'Âdel,  entra  en  Abyssinie  et 
en  conquit  la  plus  grande  partie. 

David,  alarmé  par  la  rapidité  de  ses  conquêtes,  envoya  Jean 
Bermudes  demander  du  secours  aux  princes  chrétiens  ;  Bermudes 
se  rendit  à  Rome,  passa  à  Lisbonne,  obtint  du  pape  le  titre  de 
patriarche  et  du  roi  de  Portugal  du  secours  pour  FAbyssinie. 

Etienne  de  Gama  équipa  une  flotte,  entra  dans  la  mer  Rouge, 
débarqua  sur  les  côtes  d' Abyssinie  quatre  cents  soldats  portugais, 
sous  le  commandement  de  Christophe  Gama,  son  frère,  qui  sauva 
l'Abvssinie  et  remit  la  couronne  sur  la  tète  de  David. 

Après  l'expédition  des  Portugais  contre  les  Maures,  Bermudes 
voulut  obliger  l'empereur  à  prêter  serment  de  fidélité  au  pape  en- 
tre ses  mains. 


ABY  Î9 

Le  zËIe  précipité  de  Bermades  inspira  !i  l'empereur  de  l'éloi- 
gnemeDl  pour  la  religion  catholique  ei  de  la  haine  pour  la  per- 
sonne do  Bermudes  ;  i!  ne  le  traiia  plus  avec  la  coosidéraiion  que 
ce  patriarche  crojait  qu'on  loi  devait.  Le  patriarche  le  sentit  ii- 
Temeni,  el  il  se  plaignit  amèrement  de  ce  que  le  roi  ne  luideinaD- 
dait  pas  sa  bénédicUon  et  ne  l'eDTojait  pas  recevoir  ;  il  prétendait 
que  l'empereur,  en  ne  l'envoyant  paï  recevoir,  violait  en  sa  per- 
sonne le  respect  qa'il  devait  i  J^us-Christ  que  lui,  Bermudes, 
représentait.  ■  Ainsi,  lui  dit  Bermudes,  vous  serez  rejeté,  maudit 
>  et  eicommuDJé,  si  tous  retournez  aux  hérésies  des  Jacobites  et 
B  Dioscorlens  d'Impie.  > 

Le  roi  répondit  que  les  chrétiens  d'tgypte  n'étaient  point  des 
hérétiques,  mais  que  les  catholiques  l'étaient,  puisqu'ils  adoraient 
quatre  dieux,  comme  les  Ariens  ;  et  il  ajouta  que,  si  Bermudes  n'é- 
tait pas  père  spirituel,  il  le  ferait  écarteler. 

Bermudes  iu forma  les  Portugais  de  ses  démêlés  avec  le  roi,  et  ses 
întriguesallumêrenl  la  guerre  entre  le  roi  d'Ethiopie  et  les  Portu- 
gais ses  lihérateurs. 

L'empereur  Claude  se  réconcilia  cepend;int  avec  eax,  maïs  il 
les  craignait;  il  les  dispersa  donc  dans  différentes  provinces, 
etforca  Bermudes  h  sortir  d'Ethiopie. 

Le  pape  et  le  roi  de  Portugal,  inlormésde  ce  qui  se  passait  en 
Ethiopie ,  y  enïojèreot  un  palriarclie  el  deus  évèques  ;  le  patriar- 
che fut  Jean  ^JugnËs  Barreto ,  plus  rccammandable  par  sa  dignité 
et  par  sa  piété  que  par  ses  lumières  ;  les  deux  évoques  furent 
Helchior  Caruegro  et  André  Oviedo. 

Ces  prélats  emmenèrent  avec  eux  dix  Jésuites. 

L'archevêque  demeura  à  Coa,  et  Oviedo,  évéque  d'QierapoIis, 
passa  en  Abyssinic  avec  quelques  Jésuites;  mais  l'empereur  ei 


et  sou  frère  Âdamas ,  qui 

à  la  réunion. 
Oviedo  lui  succéda;  mais  sa 
«sion  plus  heureuse  ;  le  pape 
ec  les  Jésuites,  et  de  passer 


pécha  le  succès  de  leurs  prédica 
lui  succéda,  fut  beaucoup  plus 

Le  patriarche  Barreto  mourut 
nonvelle  dignité  ne  rendit  pas  n 
lui  enjoignit  de  sortir  d'Âbyssln 
ailleura. 

Oviedo  répondit  qu'il  était  prêt  k  obéir,  mais  qu'il  ne  pouvait 
sortir  d'Abyssinie;  que  les  ports  étaient  fermés  par  les  Turcs; 
qu'on  ferait  mieux  de  lui  envoyer  quelque  secours  que  de  lo 
rappeler;  que  s'il  avait  seulement  cinq  cents  soldats  portugais, 
|l  pourrait  faire  revenir  les  Abyssins ,  et  soumettre  beaucoup  de 


I 


»0  ABY  

peuples  idolAires  ;  qu'il  ;  avait  un  grand  nombre  de  Ceniils  du 
eùi£  de  Musambique  et  de  Sofala  qui  ne  demandaient  que  d'^ii'e 
instruits.  Il  reMa  donc  en  Abyssinie  ,  demandant  jusqu'à  sa  mort 
des  troupes  et  des  soldats ,  et  persuadé  que  les  Abyssins  ne  se 
soumettraient  pas  volontairement  k  l'Église  romaine. 

Les  diU'érentesTÉtolutiona  qui  arrivèrent  en  Libio pie  portèrent 
enfin  sur  le  trône  Melascgud ,  qui  prit  le  nom  de  gullan  Se- 
gud. 

Après  la  bataille  qui  le  rendit  maître  de  l'Abj'ssinie  ,  les  pères 
Jésuites  qui  étaient  passés  en  Abyssinie  allèrent  le  féliciter,  et  en 
furent  très-bien  reçus  ;  il  manda  le  père  Paés ,  le  traita  avec  beau- 
coup de  distinction ,  et  dans  une  audience  lui  témoigna  qu'il  vou- 
drait atoir  quelques  troupes  portneaises. 

Le  père  Paés  lui  assura  qu'il  en  aurait  facilement  s'il  Toulaic 
embrasser  la  religion  romaine.  Le  roi  le  promit ,  et  le  père  Paés 
écrivit  au  pape ,  au  roi  de  Portugal  et  au  vice-roi  des  Indes,  trois 
lettres  que  le  sultan  Segud  signa. 

Le  roi  ne  jouit  pas  d'abord  tranquillement  de  l'empire;  il  fal- 
lut éteindre  des  factions  et  arrêter  des  révoltes,  qui  se  formèrent 
pendant  près  de  deux  ans. 

Lorsqu'il  fut  afiermi  sur  le  trfine,  ii  donna  un  édit  par  lequel 
il  défendait  de  soutenir  qu'il  n'y  avnitqu'une  personne  en  Jésus- 
Christ  et  condamnait  â  mort  les  contrevenans. 

Le  métropolitain  vint  trouver  l'empereur,  et  se  plaignit  de  ce 
qu'il  avait  publié  un  édit  sans  le  consulter:  les  gonds  et  le  peu- 
ple murmurèrent ,  les  esprits  s'échauffèrent,  et  l'abuna  fulmina 
nne  excommunication  solennelle  contre  tous  ceux  qui  embrasse- 
raient la  religion  romaine ,  favoriseraient  l'union  aveccette  Église, 
ou  disputeraient  surles  questions  qui  partageaient  l'Ëglise  romaine 
et  l'Église  d'Abjssinie. 

La  hardiesse  du  patriarche  irrita  le  roi;  mais  it  n'osa  le  punir, 
et  se  contenta  de  donner  un  édit  par  lequel  il  accordait  la  liberté 
de  suivre  la  religion  que  les  pères  Jésuites  avaient  établie  par 
leurs  disputes  et  leurs  instructions. 

Le  tnélropolilain  lam^a  une  nouvelle  excommunication  contre 
tous  ceux  qui  diraient  qu'il  y  a  deux  natures  en  Jésus -Chris  t. 

Les  personnes  éclairées  prévirent  bien  que  ces  disputes  pro- 
duiraient de  grands  troubles;  la  mère  du  roi,  les  grands  ,  le  pa- 
triarche, le  clergé,  se  jetèrent  aux  pieds  durai  pour  obtenir  qu'il 

changent  rien  dans  la  religion  ;  mais  ce  prince  fut  inébranta- 


ABY  ai 

ble;  les  esprils  s'aigrirent,  on  s'assembla,  el  l'on  résolut  de 
mourir  pour  la  défense  de  l'aDcienue  religion. 

Les  pères  Jésuites ,  de  leur  cûté,  publiaieaides  liTres,  instmi' 
saieni,  lâchaient  de  détromper  les  Abyssins,  animaient  l'empe- 
reur, et  l'etlioctaient  à  demeurer  Terme  dans  le  parti  qu'il  avait 

Après  une  espèce  d'agitation  sourde  dans  tout  l'empire ,  la  ré~ 
Tolle  éclata  dans  plusieurs  proviaces  :  malgré  ces  révoltes ,  le  rui 
donna  un  èdit  par  lequel  il  défendait  de  travailler  le  samedi;  cet 
édit  produisit  de  nouvelles  révoltes  ,  dont  le  roi  triompha.  Lors- 
qu'il crut  les  esprits  subjugués ,  il  ht  publiquement  profession  de 
la  religion  romaine  ;  et  le  patriarche  Alphonse  Mendês,  qu'il  avait 
demandé  au  pape ,  étant  arrivé ,  l'empereur  se  mit  à  genoux ,  fil 
sur  l'Ërangile  un  serment  de  fidélité  par  lequel  il  promettait  au 
saint  Père,  au  seigneur  Urbain  el  à  ses  successeurs,  une  véritable 
obéissance,  assujéLissant  i  ses  pieds  avec  humilité  sa  personne 
et  son  empire  ;  les  princes,  les  vice-rois,  les  eccléiiastiques  et 
les  clercs  firent  !i  genoux  la  même  protestation. 

On  prêta  ensuite  serment  de  fidélité  à  l'empereur  et  ï.  son  fils  : 
Toici  corameat  Ras  Scella  CtiTtSlot,  frère  de  l'empereur,  prêta  son 
nermenl  :  <  Je  jure  de  reconnaître  le  prince  pour  héritier  de  son 

>  père  k  l'empire;  de  lui  obéir,  comme  un  fidèle  vassal ,  autant 

>  qu'il  soutiendra  et  TavorUera  la  sainte  foi  catholique  ;  sans  quoi 

>  Je  serai  son  premier  et  son  plus  grand  ennemi.  • 

Tous  les  capitaines  de  son  armée  et  son  Gis  aîné  prêtèrent  le 
même  serment,  et  avec  la  même  condition.  Incontinent  après, 
l'empereur  fil  proclamer  dans  toute  son  armée  que  tous  les  peu- 
ples, sous  peine  de  la  vie,  eussent  \  embrasser  la  religion  ro- 
maine, et  l'on  ordonna  de  massacrer  tous  ceux  qui  refuseraient 
d'obéir. 

On  se  souleva  de  toutes  parts ,  et  les  peuples  se  choisirent  des 
rois  on  se  donnèrent  des  chefs  pour  défendre  la  religion  de  leurs 
ancêtres:  le  feu  du  lanatisme  se  communiqua  partout  ;  on  crai- 
gnaildc  sesDuiller  avec  le  parti  de  l'empereur;  ici  des  moines 
et  des  religieuses,  pour  ériter  les  catholiques ,  se  précipitaient 
du  haut  de  ces  rochers  atTreux,  dont  l'aspect  seul  effraie  l'imagi- 
nation la  plus  intrépide  ;  lï ,  les  prêtres  portaient  sur  leurs  têtes 
les  pierres  des  autels,  animaient  les  rebelles,  leur  promettaient  la 
victoire  et  s'olTraient  avec  assurance  aux  tnits  des  soldats. 

Cependant  Hendës, tranquille  et  loul-puissant ,  changeait,  en 


52  ABY 

maître  absolu,  toat  ce  qu'il  désapprouvait  dans  la  religion;  son 
zèle  embrassait  également  et  la  destruction  de  Thérésie  et  la 
conservation  des  biens  de  TËglise. 

Un  préfet  du  prétoire  s*étant  emparé ,  avec  l'agrément  de  l'em- 
pereur, de  quelques  maisons  réclamées  par  des  moines ,  Mendès 
l'excommunia. 

Le  préfet  tomba  en  faiblesse ,  à  la  nouvelle  de  cette  excommu- 
nication ;  la  cour  et  l'empereur  prièrent  Mendès  de  pardonner  au 
préfet,  et  le  fléchirent  enfin. 

Mais  cette  excommunication  offensa  profondément  tous  les 
grands  ;  on  ne  pouvait  souffrir  que ,  pour  quelques  maisons  en 
litige  avec  des  moines ,  et  que  l'empereur  peut  ôter  et  donner  à 
son  gré,  un  pontife  étranger  excommuniât  un  homme  respecta- 
ble par  sa  naissance,  par  ses  services  et  par  ses  vertus. 

Ces  semences  de  haine  furent  fécondées  par  une  continuité  de 
sévérités  et  de  rigueurs  de  la  part  de  Mendès  :  les  courtisans, 
qui  avaient  découvert  son  caractère ,  lui  demandaient  sans  cesse 
de  petites  choses ,  sur  lesquelles  ils  s'attendaient  bien  qu'il  se- 
rait inflexible ,  et  comptaient  par  ce  moyen  le  rendre  odieux  et 
méprisable;  ils  réussirent  du  moins  à  le  rendre  moins  respecta- 
ble aux  yeux  de  l'empereur. 

Cependant  le  nombre  des  révoltés  augmentait  tous  les  jours,  et 
les  avantages  commençaient  à  se  partager  entre  eux  et  les  troupes 
du  roi. 

La  cour  et  l'armée  représentèrent  au  roi  la  nécessité  d'user  de 
quelque  tolérance  envers  les  Abyssins  ;  il  consulta  le  patriarche  y 
qui  y  consentit,  à  condition  cependant  que  ce  ne  serait  que  taci- 
tement, et  non  pas  par  une  loi. 

Le  roi  partit  ensuite  pour  combattre  les  rebelles ,  et  crut  avoir 
besoin  de  faire  connaître  ses  dispositions  pour  la  tolérance  :  il  fit 
publier  dans  son  armée  le  changement  de  quelques  bagatelles  et 
la  permission  de  se  servir  des  livres  anciens ,  pourvu  qu'ils  fus- 
sent revus  et  corrigés  par  le  patriarche. 

Alphonse  Mendès  écrivit  à  l'empereur,  sur  cet  édit ,  et  lui  re- 
mit devant  les  yeux  l'exemple  du  roi  Osias ,  qui  fut  frappé  de  la 
lèpre  pour  avoir  entrepris  une  chose  qui  n'appartenait  qu'aux 
Lévites. 

L'empereur  répondit  que  quand  la  religion  romaine  avait  paru 
dans  son  empire ,  elle  ne  s'y  était  établie ,  ni  par  la  prédication 
des  Jésuites  I  ni  par  aucuns  miracles,  mais  par  ses  lois,  par  ses 


rABY  3«J 

idits  ,  et  parce  qu'il  arait  trouvé  que  les  livres  de  l'Église  d'A-  ■ 


I 


.et  parce  qu'il  a 
bissinie  s'accordaient  assez  blea  avec  ceux  du  l'Ëglisi 

Les  ménagemens  de  l'empereur  ue  calmèrent  point  les  esprits , 
il  fallut  encore  lever  des  armées  :  les  Sdèles  se  batiireui  avec  un 
■ebaraemeat  incroyable,  et  laissèrent  sur  le  champ  de  bataille 
plus  de  bail  mille  morts. 

Les  courtisans  ;  conduisirent  le  roi  el  lui  tinrent  ce  discours  : 

■  Vojez,  seigneur,  tant  deniilliers  d'hommes  morts  ; 
s  point  des  Mahométans  ni  des  Geulils,  ce  sont  noi 

■  notre  sang  et  nos  parens.  Soit  que  vous  vainquïex  ou  que  votU^ 
»  sojez  vaincu,  vous  metteï  le  fer  dans  vos  propres  eniraillesî^ 

■  ces  gens  qui  vous  font  la  guerre  n'ont  rien  à  vous  reprocher  ; 

■  mais  ils  ne  sont  pas  contens  de  la  loi  que  vous  voulez  leur  ioi' 
>  poser.  Combien  de  morts  à  cause  de  ce  changement  de  foi  !  Ces 

■  peuples  ne  s'accommodaient  point  de  la  religion  de  Rome ,  lajs- 

■  sez-leur  celle  de  leurs  pères;  autrement  vou 
•  rojaume,  et  nous  n'aurons  jamais  de  repos  *. 

L'empereur  tomba  dans  une  profonde  mélancolie,  et,  après  di£u 
longs  combats  intérieurs ,  publia  un  édit  qui  doimait  i  tout  le' 
inonde  h  liberté  de  suivre  le  parti  qu'il  voudrait. 

Cet  édit  causa  une  joie  incroyable  dans  tout  le  royaume  ;  la  re- 
lipon  romaine  fut  abandonnée  de  presque  tous  tes  Abyssins;  tout 
menlissail  de  cbants  d'allégressB.  On  fit  des  cantiques  pour  con-^  j 
HTverla  mémoire  de  cet  évènemeni,  on  y  représentait  les  mis-jJ 
sionnaires  comme  des  hyènes  ^  venues  d'Occident  pour  dévorefl 
ka  brebis  de  l'Abyssinie.  y 

Le  patriarche  Menilès  alla  trouver  l'empereur  et  lui  représenta 
qn'une  pareille  liberté  de  conscience  exciterait  des  guerres  ci- 
viles. L'empereur  ne  répondiirien  autre  cbose,  sinon:  Que  puia-je 
pàret  Je  n'ai  plaide  royaume  à  roui. 

Sultan  Segnd  mourut  peu  de  temps  après ,  et  Basilide  son  fils 

[hi  succéda  :ilne  fut  pas  plus  tôt  sur  le  trône,  qu'il  fît  arrêter  lias 

la  Chrittet ,  soa  oacle,  â  cause  du  serment  qu'il  avait  prêté  ; 


de  1 

A 

Aa'M 
ut 


\e  espèce  de  chien  sauvage ,  particulier  à  l'Abjuinfe^l 
tK'S-dDugErcui,  ils  cliîissent  en  troupe  et  atlaquen^'l 
tes  maisons  des  pnsleurs  ou  des  laboureurs,  Voy,  l'Iiiit,  de  Ludolf  et  j 
rabr^é  de  wd  hiMoirc ,  io-lS,  imprimé  ik  Paris. 


24  ABY 

il  ordonna  au  patriarche  Mendès  de  lui  remettre  toutes  les  armes 
à  feu  qu*il  avait,  et  de  se  retirer  incessamment  à  Frémone,  dans 
le  royaume  de  Tigré. 

Mendès  offrit  alors  divers  adoucissemens,  et  Tempereur  n'en 
voulut  aucun;  enfin ,  il  proposa  de  disputer  avec  les  savans  de  la 
nation ,  et  reçut  de  Tempereur  cette  r^onse  :  «  Est-ce  par  des  ar- 
»  gumens  que  vous  avez  établi  notre  foi?  n'est-ce  pas  par  la  vio- 
»  lence  et  la  tyrannie  ?  » 

Le  patriarche  fut  obligé  de  se  retirer  à  Frémone,  et  de  là  il  en- 
voya demander  des  troupes  au  vice-roi  des  Indes;  mais  Tempe- 
reur,  informé  de  son  dessein ,  lui  ordonna  de  sortir  de  ses  États 
et  de  s'embarquer  pour  les  Indes  :  il  fallut  obéir. 

L'empereur  fit  venir  d'Egypte  un  métropolitain ,  et  l'on  chassa 
tous  les  missionnaires  catholiques  de  l'Abyssinie ,  huit  ans  après 
qu'ils  y  étaient  entrés. 

Le  patriarche,  arrivé  aux  Indes,  représenta  au  vice-roi  l'état 
des  catholiques  d'Abyssinie  et  la  nécessité  de  les  secourir  :  il 
proposa  «  d'envoyer  une  armée  navale  par  la  mer  Rouge ,  pour 
»  s'emparer  de  Macun  et  d'Arkiko  ;  d'y  bâtir  une  bonne  citadelle  ; 
»  d'y  entretenir  une  forte  garnison ,  de  gagner  ou  de  soumettre  le 
»  Bharnagas ,  et  de  le  forcer  de  remettre  aux  Portugais  le  frère 
»  du  Négus ,  qu'il  tenait  sous  sa  garde  ;  de  placer  ce  frère  sur  le 
»  trône ,  et ,  par  son  moyen ,  d'exciter  une  guerre  civile  dans 
»  l'Abyssinie. 

»  Le  P.  Jérôme  Lobo  tint  à  peu  près  le  même  discours  à  Rome, 
»  ce  qui  fit  croire  au  pape ,  aux  cardinaux  et  à  tous  ceux  qui  en 
»  eurent  connaissance,  que  les  missionnaires  pourraient  bien  avoir 
»  mêlé  dans  leurs  discours  et  dans  leur  conduite  un  peu  de  cette 
»  humeur  martiale  qui  n'est  que  trop  naturelle  à  la  nation  portu- 
»  gaise. 

»  La  résistance  faite  à  Frémone  et  à  Alfa ,  les  tentatives  et  les 
»  voies  de  fait  pour  tirer  Ras  Scella  Chrislos  de  son  exil,  la 
»  désobéissance,  ou  pour  mieux  dire  la  révolte  de  Zamarien,  ce 
»  zélé  et  ce  grand  protecteur  des  Jésuites,  qui,  s'élant  joint  aux 
>  rebelles  du  mont  Lasta ,  mourut  les  armes  à  la  main  contre  son 
»  roi,  achevèrent  de  persuader  que,  ni  les  catholiques  abyssins, 
»  ni  les  missionnaires,  n'étaient  de  ces  brebis  qui  se  laissent 
»  conduire  à  la  boucherie  sans  se  plaindre. 

»  Le  pape  et  les  cardinaux ,  prévenus  contre  les  Jésuites ,  char- 
»  gèrent  de  celte  mission  les  capucins  français.  Six  entreprirent 


ADA  25 

■  d'y  pénétrer,  furent  reconnus  el  condamnés  à  mort,  sur  leur 

■  seule  qualité  de  missiunnaires  Ulins  :  l'empereur  entretint  même 
D  I  Sennaguen  un  ambassadeur  pour  enipéclier  qu'aucun  Jésuite 
>  ne  passât  en  Abyssïnie  ' .  > 

Cependant  il  y  avait  en  Abjssinle  des  personnes  sincèrement 
attachées  i  l'Église  romaine ,  l'empereur  en  fil  une  recherche 
exacte  et  les  fit  mourir.  Comme  il  craignait  ces  callioliques  ca- 
chés, illicba  de  se  faire  des  alliés,  mit  J'%eme;idanssesintér(^ts, 
et  lui  fît  entendre  qu'il  permettait  l'exercice  de  la  religion  maho- 
mélane;  il  lui  demanda  même  des  docteurs  mabométans. 

Le  projet  du  roi  fut  connu  ;  le  peuple  se  souleva  dans  tout  le 
royaume;  les  moines  furent  les  premiers  i  prendre  les  armes ,  k 
publier  qu'il  fallait  détrôner  le  roi  et  mellre  à  sa  place  un  prince 
capable  de  conserver  et  de  défendre  la  religion. 

Il  n'y  a  point  de  souverain  qui  ait  un  pouvoir  plus  absolu  sur  la 
fortune  et  sur  la  vie  de  ses  sujets  que  l'empereur  d'Abyssinie  ;  ce- 
pendant il  ES  mit  dans  un  moment  en  danger  de  perdre  sa  coa- 
ronne  et  la  vie  :  il  renvoya  le  doclenr  musulman  qu'il  avait  appelé, 
et  depuis  ce  temps  la  religion  cophie  ou  l'Ëuiycbianisme  est  la 
seule  religion  de  l'Âbyssinie  *. 

AD&LBERT  ^  élait  Gaulois  et  naquit  au  commencement  du  hui- 
tième siècle  ;  c'éiail  le  siècle  de  l'ignorance  et  des  ténèbres,  tou- 
jours fécondes  en  superstitieux  et  en  imposteurs;  c'est  le  règne 
de  l'bypocrîsie. 

Adalbert ,  dès  sa  première  jeunesse ,  fut  un  insigne  hypocrite  i^ 
il  se  vantait  qu'un  ange ,  sous  une  forme  humaine ,  lui  avait  ap- 
porté, des  extrémités  du  monde,  des  reliques  d'une  sainteté  ad- 
mirable ,  par  la  vertu  desquelles  il  pouvait  obtenir  tout  ce  qu'il  lui 
demandait.  11  gagna  par  ce  moyen  la  confiance  du  peuple  ,  trouva 

'  Le  Grand ,  suite  de  la  rdalion  du  P.  Loba. 

'  Relation  de  l'Ahyssiuie ,  par  le  P.  Lobo,  trailuile  par  Le  Grandi 
Suite  de  celle  relation. 

Ludoir,  Hist.  d'ËUuopie,  I.  S,  c.  9,  10,  11,  la,  13. 

Telles,  HisL  d'Ethiopie,  dansThéienot,  I.  3,  in-fol. 

Nouvelle  hist.  d' Abyssïnie,  lir^  deLudolf,in-13,  à  Paria,  ISSi, 

La  Croie,  Chrislianlsmc  d'Ethiopie  :  cet  ouimgc  n'est  pas  aans  d^ 
faols;  il  est  beaucoup  moins  cBlimé  que  le  Cliriilianisme  des  Indei  :  < 
que  l'on  a  dil  contre  Ludolf  renferme  la  réfutation  de  la  plupart  de* 
fautes  de  M.  do  La  Croie. 

*  Quelques-uns  le  nomment  Adelbert,  d'aulres  Aldcbert. 


1 


26  ADA 

accès  dans  pliuieurs  maiaons ,  et  attira  k  sa  suite  des  femmes  et 
une  multitude  de  paysans  qui  le  regardaient  comme  un  homme 
d'une  sainteté  apostolique  et  comme  un  grand  faiseur  de  miracles. 

Pour  soutenir  son  imposture  par  une  qualité  imposante ,  il  ga- 
gna,  à  force  d'argent ,  des  évèques  ignorans  qui  lui  conférèrent 
Tépiscopat ,  contre  toutes  les  règles. 

Cette  nouvelle  dignité  lui  inspira  tant  d'orgueil  et  tant  de  pré- 
somption qu'il  osait  se  comparer  aux  apôlres  et  aux  martyrs  ;  il 
refusait  de  consacrer  des  églises  en  leur  honneur,  et  ne  voulait  les 
consacrer  qu'à  lui-même. 

11  distribuait  ses  ongles  et  ses  cheveux  au  petit  peuple ,  qui  leur 
rendait  le  même  respect  qu'aux  reliques  de  saint  Pierre.  Il  faisait 
de  petites  croix  et  de  petits  oratoires  dans  les  campagnes,  près  des 
fontaines ,  et  il  y  faisait  faire  des  prières  publiques ,  en  sorte  que 
le  peuple  quittait  les  anciennes  églises  pour  s'y  assembler,  au  mé- 
pris des  évêques. 

Enfin,  lorsque  le  peuple  venait  k  ses  pieds  pour  se  confesser, 
il  disait:  Je  sais  vos  péchés,  vos  plus  secrètes  pensées  me  sont 
connues ,  il  n'est  pas  besoin  de  vous  confesser  ;  vos  péchés  vous 
sont  remis  ;  allez  en  paix  dans  vos  maisons ,  sûrs  de  votre  absolu- 
tion. Le  peuple  se  levait  et  se  retirait ,  avec  une  pleine  sécurité 
sur  la  rémission  de  ses  péchés  *, 

Adalbert  avait  composé  l'histoire  de  sa  vie  :  il  paraît ,  par  le 
commencement  de  cette  pièce  qu'on  nous  a  conservée,  qu'elle 
n'était  qu'un  tissu  de  visions ,  d*impostures  et  de  faux  miracles. 
Adalbert  s'y  représentait  né  de  parens  simples,  mais  couronné  de 
Dieu  dès  le  sein  de  sa  mère  ;  il  disait  qu'avant  que  de  le  mettre  au 
monde,  elle  avait  cru  voir  sortir  de  son  côté  droit  un  veau,  ce  qui, 
selon  Adalbert,  signifiait  la  grâce  qu'il  avait  reçue  par  le  ministère 
d'un  ange. 

Un  autre  écrit  d' Adalbert  est  une  lettre  qu'il  attribuait  k  Jésus- 
Christ  ,  et  qu'il  supposait  être  venue  du  ciel  par  le  ministère  de 
saint  Michel  :  voici  le  titre  de  la  lettre. 

a  AU  nom  de  Dieu,  ici  commence  la  lettre  de  Notre-Seigneur 
»  Jésus-Christ ,  qui  est  tombée  à  Jérusalem ,  et  qui  a  été  trouvée 
»  par  l'archange  saint  Michel  k  la  porte  d'Ëphrem ,  lue  et  copiée 
»  par  la  main  d'un  prêtre  nommé  Jean ,  qui  Ta  envoyée  à  la  ville 
»  de  Jérémie,  k  un  autre  prêtre  nommé  Talasius,  et  Talasius  Ta 

*  Boniface,  ép«  135. 


ABA 

Anbie ,  ï  on  aotre  prélra  o< 


2T 


\ê  Léoban ,  ei  Léo- 
»  ban  l'a  enToyée  à  la  ville  de  Betbsamie ,  où  elle  a  éit  reçue  par 
»  le  prêtre  Hacarios,  qui  l'a  enïoj^e  à  la  montagne  de  l'archange 

•  Mint  Michel ,  et  la  lettre  est  arrivée,  par  le  mojea  d'un  ange , 

>  â  la  ville  de  Rome ,  au  sépulcre  de  saint  Pierre,  oii  senties  clés 

•  du  royaume  des  cieux  ;  et  les  douze  prêtres  qui  sont  i  Rome  ont 

>  fait  des  veilles  de  trois  jours ,  avec  des  jeûnes  et  des  prières , 

Sur  la  notion  qae  le  concile  de  Rome,  tenu  sous  Zacharie, 
contre  Adalbert,  nous  donne  de  celle  lettre,  c'est  la  même  que 
H.  Baliize  a  fait  imprimer  sur  nu  manuscrit  de  Tamgone ,  dans 
son  appendii  aux  capitulaires  des  rois  de  France;  cette  lettre  ne 
contient  rien  de  mauvais  ni  qui  mérile  qu'on  en  fasse  menlion. 

L'iutilulé  de  la  lettre,  qui  paraît  ridicule  au  premier  coup  d'ceil, 
me  semble  fait  avec  beaucoup  d'adresse  et  de  la  manière  la  plus 
propre  â  séduire  le  peuple  :  celte  suite  d'anges ,  d'archanges ,  de 
prêtres  qui  se  sont  transmis  la  lettre,  qui  l'ont  portée  dans  diD%- 
rentes  contrées ,  et  enfin  h  Rome ,  se  présente  i  la  fois  à  l'imagi- 
Dation  du  peuple;  il  loit  le  mouvenaent  des  anges,  l'étonnement 
des  prêtres  ;  il  se  représente  vivement  tout  ce  jeu  ;  il  s'en  fait  un 
tableau  qui  l'amuse  ;  il  serait  fâché  que  la  lettre  ne  fût  pas  vraie  ; 
il  est  bien  éloigné  de  soupçonner  qu'on  le  trompe. 

e  priËre  d'Adalbert ,  qu'il  avait  composée 

ir  l'usage  de  ses  sectateurs  ;  elle  commençait  ainsi  :  <  Seigneur 

I  IKeu  loul-puissant,  Père  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  ^fpAa 

>  et  Oméga ,  qni  êtes  assis  sur  le  trône  souverain ,  sur  les  Oiéra- 

•  rabins  et  les  Séraphins ,  je  vous  prie  et  vous  conjure,  ange  Uriel, 

•  ange  Baguel ,  ange  Tabuel ,  ange  Uichel ,  ange  laias ,  ange  Ta- 

•  boas,  ange  Sabaoth,  ange  Simiel,  etc.'.  t 

C'était  dans  la  France  orientale  qn'Adalbert  jouait  un  r61e  si 
impie  el  si  extravagant.  Saint  Bonîface ,  qui  travaillait  en  homme 
Traiment  apostolique  i  y  détruire  l'erreur,  fît  condamner  Adalbert 
dans  un  concile  tenu  à  Soissons;  mais  Adalbert,  bien  loin  de  s'y  sou- 
mettre, n'en  fut  que  plus  eotreprenanl. 

Saint  Bonifaee  eni  recours  au  pape,  qui  assembla  un  concile, 
dus  lequel  Adalbert  fat  condamné*. 
1  Depuis  cette  époque ,  l'histoire  ne  parle  point  d'Adalbert  el  ne 


)Conc.,i 


li»  d'octd)rc  7&G  on  7^8. 


r 


ADA 


it  e&rermer  p»  ^H 

in  avuieDt  ruiné     ^M 
mais  les  études      ' 


\a  ippreod  rien,  sinon  que  saiol  Bonirace  le  lit  ei 
ordre  des  princes  Carloman  et  Pépia. 

Les  irruptions  des  Barbares  dans  l'empire  r< 
les  études;  h  religion  seule  les  avait  conservées,  mais  les  études 
ecclésiastiques  se  ressentirent  du  désordre.  Le  mépris  que  les 
Barbares  avaient  pour  les  arts  et  pour  les  sciences,  la  nécessité 
dans  laquelle  étaient  les  ecclésiastiques  de  travailler  le  plus  sou- 
vent pour  vivre,  avaient  rendule  clergé  trés-ignoranl;  les  Barbares 
qui  s'étaient  convertis  avaient  conservé  une  partie  de  leurs  su- 
persiilions  :  le  goût  du  oiervellleus  l'emporta  sur  l'amour  de  la  vé- 
rité, comme  il  arrive  toujours  dans  les  siècles  d'ignorance.  On 
publia  de  tous  calés  des  miracles ,  des  apparitions  d'esprits  ;  la 
piété  crut  quelquefois  pouvoir  en  supposer  pour  le  bien  de  la  re- 
ligion, elil  n'était  pas  possible  que  l'intérêt  ne  profilât  pas  de  ces 
exemples  pour  séduire  le  peuple ,  comme  lit  Adalbert.  Vûye^  le 
troisième  discours  de  M.  Fleurj  sur  l'histoire  ecclésiastique,  et 
le  tome  i  de  l'Histoire  littéraire  de  France. 

ADAMITES,  hérétiques  qui,  dans  leurs  assemblées,  se  met- 
taient nus  comme  Adam  et  Eve  l'étaient  dans  l'état  d'innocence  '. 

Il  parait  qu'il  ;  en  avait  de  dïlTérentes  espèces. 

1"  Carpocraie  et  plusieurs  autres  hérétiques  avaient  enseigné 
que  l'âme  humaine  était  une  émanation  de  l'inlelligence  suprême, 
et  qu'elle  avait  été  renfermée  dans  des  organes  corporels  par  le 
Dieu  créateur. 

Cette  manière  d'envisager  l'homme  inspira  à  leurs  disciples 
nne  haute  idée  d'eux-mêmes,  beaucoup  de  mépris  pour  la  vie,  et 
une  haine  violente  contre  le  Dieu  créateur;  chacun  se  fit  un  de- 
voir de  violer  les  lois  que  le  créateur  donnait  aui  hommes,  et  de 
prouver  qu'il  regardait  l'âme  humaine  comme  une  portion  de  la 
divinité ,  et  toutes  les  actions  de  l'àme  unie  au  corps  comme  des 
actions  que  le  sage  et  le  «hrétien  regardaient  comme  des  mouve- 
mens  indilTérens  en  eux-mêmes  et  qui  ne  portaient  aucune  atteinte 
â  la  dignité  naturelle  de  l'homme. 

Un  caractère  orgueilleux,  alTecté  fortement  de  celte  consé- 
quence, en  Bt  un  principe  auquel  il  rapporta  toute  sa  morale  et 
toute  sa  religion  i  il  ne  vit  plus  de  bien  et  de  mal  dans  le  monde , 
mhlableà  Adamet  àËve,  qui,  dans  l'étal  d'innocence, 
a  connaissaient  pas  le  bien  et  le  mal.  11  se  fit  un  devoir  d'eipri- 


ADA  a» 

mer  cesentimenl  en  imilanl  leur  nudité,  lorsqu'ils  étulËUi  dans  le 
Paradis  lerresire  ;  et  celle  nudité  devinl  le  caractÈre  disiinciif  de 
h  secle  dont  il  fut  le  chef,  et  ses  dieciples  rormèreni  la  secte  dea 
Adamiieg, 

Celte  secte  ne  faisait  point  de  prières,  et  l'on  conçoit  aisément 
que  le  principe  de  l'indififéreDce  des  actions  Lumajnes,  joint  à  la 
haine  qu'ils  portaient  au  Dieu  créateur,  dût,  selon  les  caractëres 
et  les  tempéramens,  produire  des  mœurs  souToni  opposées  entre 
elles,  mais  conformes  au  principe  fondamental  de  la  secte;  les  uns 
étaient  chastes  tandis  que  les  autres  se  livraient  i  toutes  sortes 
de  débauches,  et  ils  avaient  mille  manières  d'i3tre  chastes  ou  vo- 
la plu  eux  ' . 

Toutes  ces  contrariétés  dans  les  mœurs  des  Adamites  n'étaient 
point  des  contradictions  dansia  secte,  et  il  est  étonnant  que  M.  de 
Beausobre  ait  fait  de  ces  contrariétés  un  principe  sur  lequel  il 
élablitqu'ii  n'j  a  pointeu  d'Adamiles.  C'est  sur  ce  même  principe 
qu'il  se  croit  autorisé  à  déclamer  contre  la  fîdéliié  et  l'exactitude 
de  saint  Ëpiphane*. 

2*  C'était  un  usage  chez  les  Grecs,  les  Macédoniens  et  les  Ro- 
mains, de  se  découvrir  la  téie  et  de  se  dépouiller  en  partie,  lors- 
qu'ils demandaient  des  grâces  avec  une  profonde  humilité.  Plu- 
(arque  dit  qu'Auguste,  conjurant  le  sénat  de  ne  pas  le  forcer  i 
accepter  la  dictature,  s'abaissa  jusqu'à  la  nudité. 

Cet  usage  avait  vraisemblablement  passé  chez  les  chrétiens, 
comme  on  le  voit  par  l'exemple  des  Crées  convertis,  dont  saint 
Paul  dit  qu'ils  priaient  et  prophétisaient  la  léte  découverte,  an 
contra'ire  des  Juifs  ^. 

Un  chrétien  fervent  et  pénétré  d'une  humilité  profonde  put 
TOir  cette  manière  de  prier  comme  l'expression  la  plus  naturelle 
de  la  soumission  que  l'homme  doit  ï  Dieu  et  de  l'hommage  intë- 
neur  qu'il  rendait  i  la  ma] esté  divine;  d'ailleurs,  c'était  ainsi 
iju'Adam  et  Eve,  innocens,  avaient  prié  dans  le  Paradis  terrestre. 
On  confit  aisément  qu'avec  une  imagination  vive  et  un  esprit 

■  Ctem.  Alei-i  I.  3  SIrom.,  p.  3i;  I.  I,  p.  333.  Epipli.  Hcr.,  51. 
Aqe.,  Hxr.,  31.  Pbilastr.,  c.  &9,  Isidor.  Ubpa].,  I,  S.  Ongin,,  r,  S.  Da- 
DOMcn,  c  51.  Pseudo-Hyeron.,  in  indîc  Hsres.,  c  là. 

'  fiibl.  Germ.,  I.  2,  an.  1731. 

■  Aieiander  ab  Aleiandro  dierum  gemaliom,  I,  S,  c.  19.  Plulur.i 
Tte  d'AngusLe, 


1 


I 


30  ADA 

faible  on  pût  faire  de  la  nudité  dans  la  prière  un  devoir,  ou  du 
moins  la  regarder  comme  la  manière  de  prier  la  plus  agréable  à 
Dieu. 

L*homme  qui  le  premier  imagina  cette  manière  de  prier  trouva 
des  imaginations  qu*il  échauffa,  et  forma  la  secte  qu'on  appelle  la 
secte  des  Adamites,  parce  qu*elle  s*autorisait  de  l'exemple  d'Adam 
et  d'Eve  ;  il  paraît,  en  effet,  qu'il  y  eut  des  Adamites  de  cette  es- 
pèce. Ils  mettaient,  au  rapport  de  saint  Épiphane,  leurs  habits  bas 
dans  le  vestibule  de  l'église,  et  ils  allaient  ensuite  prendre  leur 
place,  nus  comme  l'enfant  qui  sort  du  sein  de  sa  mère.  Les  supé- 
rieurs ecclésiastiques  étaient  gravement,  chacun  dans  la  place  qui 
convenait  à  leur  rang,  et  faisaient  l'office  nus  ^. 

Les  mœurs  de  cette  secte  furent  d'abord  irréprochables,  et  ils 
excommuniaient  sans  retour  ceux  qui  tombaient  dans  quelque 
faiblesse  contraire  à  l'innocence  qu'ils  professaient;  cette  secte 
ne  tarda  pas  à  se  corrompre. 

3**  Lorsque  la  vie  monastique  se  fut  établie  dans  la  Palestine, 
on  y  vit  des  prodiges  de  pénitence,  de  pauvreté  et  de  toutes  les 
vertus  chrétiennes.  «  Quelques-uns  des  solitaires,  dit  Evagre,  in- 
»  ventèrent  une  manière  de  vivre  qui  semble  être  au-dessus  de 
»  toute  la  force  et  de  toute  la  patience  des  hommes.  Ils  ont  choisi 
»  un  désert  exposé  aux  ardeurs  du  soleil  pour  l'habiter  ;  il  y  a 
»  des  hommes  et  des  femmes  qui  y  étant  entrés  nus ,  excepté  ce 
»  que  la  pudeur  ne  permet  point  de  nommer,  y  méprisent,  dans 
»  toutes  les  saisons ,  ou  les  rigueurs  du  froid ,  ou  l'excès  de  la 
»  chaleur;  ils  dédaignent  d'user  des  alimens  dont  usent  les  au- 
»  très  hommes,  et  se  contentent  de  paître  comme  les  bêtes. 

»  Il  y  en  a  quelques-uns,  quoique  en  petit  nombre,  qui,  quand 
»  ils  se  sont  élevés  par  un  long  exercice  de  vertus  au-dessus  des 
»  passions,  retournent  dans  les  villes,  se  mêlent  dans  la  foule  des 
»  hommes,  et  font  semblant  d'avoir  perdu  l'esprit  pour  mépriser 
»  la  vaine  gloire  que  Gaton  dit  être  la  tunique  que  les  plus  sages 
»  ôlent  la  dernière. 

»  Ils  sont  tellement  accoutumés  à  manger  sans  aucun  senti- 
»  ment  de  volupté,  qu'ils  mangent,  s'il  est  besoin,  dans  les  caba- 
»  rets  et  dans  les  tavernes^  sans  avoir  aucun  égard  ni  aux  lieux, 
»  ni  aux  personnes  ;  ils  entrent  souvent  dans  les  bains  publics  et 
»  se  baignent  indifféremment  avec  toute  sorte  de  personnes  ;  ils 

A  Épiph.,  ibid. 


ADE 

iinéntTaincu  les  passions  et  triomphëde  lanatare,  qu'il 

B  n'j  »  ni  regard,  ni  adouchement  qui  puisse  esciter  en  eus  ai 

>  cun  mouTement  désboonéte.  Ils  sont  des  hommes  qaand  i 

>  sont  parmi  des  hommes,  et  il  semble  qu'ils  soient  comme  des 
•  femmes  parmi  les  femoies  ;  enfin,  pour  tool  dire  en  peu  de 

>  mots,  leur  vertu  suit  des  lois  contraires  à  celles  de  la  nature, 
■  et  s'ils  sont  contraints  d'user  des  clioses  les  plus  nécessaires  à  la 
I  vie,  ils  n'eu  usent  jamais  autant  que  la  nËcessilé  le  de- 
D  mande  *,  ■ 

Ces  hommes  étaient  trop  extraordinaires  et  trop  respectés  pour 
□'aroir  pas  d'imitateurs,  et  il  est  possible  qu'une  fausse  imitatioi 
de  ces  solitaires  ait  mis  la  nudité  en  usage  parmi  leurs  faux  imi 
taleurs,  et  que,  dans  la  suite  des  temps,  ils  se  soient  bornés  i  ci 
trait  de  ressemblance  assez  propre  ï  attirer  ratletition  et  les 
bienfaits  du  vulgaire.  Le  rapport  de  ces  faui  imïtaleurï  des  soli- 
taires de  la  Palestine  avec  les  anciens  Adamites  les  aura  fait  ap- 
peler de  ce  nom,  et  Toilà  encore  une  espèce  d' Adamites  dont 
H.  Beausobre  nous  a  fait  lui-même  connaître  la  possibilité  '. 

Les  Adamites  reparurent  au  quatorfième  siècle.  Ils  sont  plus 
connus  sous  le  nom  deTurlupinset  depauires  frères  ;  on  en  par- 
lera sous  ces  noms.  Un  fanatique,  nommé  Picard,  renouvela  aussi 
cette  secte,  et  ilj  eut  des  Adamites  parmi  les  Anabaptistes.  Voijez 
les  articles  Picard  et  Anabaptistes  *. 

ADELPHE,  philosophe  platonicien,  qui  adopta  les  principes 
its  Gnostiques  comme  des  développe  in  ens  du  platonisme;  il  ra- 
massa plusieurs  livres  d'Alexandre  le  Libjen  et  de  prétendues  ré- 
vélations de  Zoroastre  qu'il  mêla  avec  les  prbcipes  du  platonisme 
et  avec  ceux  des  Gnostiques.  Il  composa  de  ce  mélange  un  corps 
de  doctrine  qui  séduisit  beaucoup  de  monde  dans  le  truisième 
siècle. 

Ce  même  Adelphe  prélendit  avoir  pénétré  plus  avant  que  Pla- 
ton dans  la  connaissance  de  l'Être  suprême.  Plotiu,  qui  était  le 
chef  des  Platoniciens,  le  réfuta  dans  ses  leçons  et  écnvil  contre 

'  Ëvag.,  L  &  delà  trad.  du  présid.  Cousin,  c.  31. 

'  11  parait  qu'en  effet  ces  solitaires  eurent  tic  faut  imitateurs ,  puisque 
le  ringl-nEUVJimc  canon  du  coucile  de  Laodicée  défend  m 
ani  lalqoes  et  aux  prêtres,  mais  aux  mobies  mêmes,  de  se  baigner 


as  AEB 

lui  :  Aupéliiis  fli  quaranie  livres  pour  réfuter  celui  de  Zoitrien,  et 
Porplijre  en  lit  aussi  beaucoup  pour  montrer  que  ce  livre  de  Zo- 
roaslre  était  nouveau  et  compost  par  Ad  el  plie  et  par  ses  disciples. 

Nous  avons  encore  l'ouvrage  de  Plotin  contre  ces  Gnosiiques 
purement  philosophes,  comme  ou  le  voit  par  la  croyance  que 
Plotin  leur  attribue '■ 

AËRIUS  éiaii  moine  ;  il  avait  suivi  le  parti  des  Arieus.  et  il 
Était  l'ami  d'Ensiaihe.  IDuslathe  fut  élu  évoque  de  Consuntino' 
pie,  et  Aérius  devint  son  plus  cruel  ennemi. 

Eustalhe  n'oublia  rien  pour  se  faire  pardonner  par  son  ami  la 
sapériorité  que  lui  donnait  sa  place  ;  il  le  combla  de  marques  d'es- 
limeei d'amitié,  l'ordonna  prêtre  ei  lui  donna  la  conduite  de  son 
bApilal,  mais  il  ne  le  gagna  pas.  Aérius  se  plaignait  sans  cesse 
et  murmurait  contre  son  évoque.  Eustathelemenaça  d'user  de  son 
autorité  pour  lui  imposer  silence  ;  alors  Aérius  attaqua  l'autorité 
d'Euslatbe  et  prétendit  querévèquen'étaiipassupérieurau  prêtre. 

Après  ce  premier  acte  d' in  dépendance,  Aérius  attaqua  tout  ca 
qui  donnait  du  crédit  i  Eustalbe  ou  qui  lui  attirait  de  la  considé- 
ration de  la  part  du  peuple  ;  il  condamna  toutes  les  cérémonies  de 
l'Eglise  et  ia  léléb ration  des  fêtes  dans  lesquelles  t'évgqueparaii- 
Bait  avec  éclat  et  avec  distinction;  il  nia  qu'il  fallût  prier  ponr 
les  morts  et  soutint  que  l'Eglise  n'avait  point  le  pouvoir  de 
prescrire  des  jeûnes. 

Aérius,  après  avoir  formé  ce  plan  de  réforme,  quitta  son  hûpî- 
tal,  enseigna  ses  opinions  et  persuada  beaucoup  d'hommes  et  de 
femmes,  qui  quittèrent  l'Église,  le  suivirent  et  formèrent  la  seclc 
des  Aériens.  Comme  on  les  chassait  de  toutes  les  Eglises,  ils  s'as- 
semblaient dans  les  bois,  dans  des  cavernes,  en  pleine  campagne, 
où  ils  étaient  quelquefois  couverts  de  neige. 

Aérius  vivait  du  temps  de  saint  l^piphane ,  et  sa  secte  subsistait 
encore  du  temps  de  saint  Augustin^. 

Les  Proteslaus  ont  renouvelé  les  erreurs  d' Aérius  :  noua  allons 
leseï 


De  la  siipériBrité  <kt  Mgues  mr  le»  limpla  prêtres. 

L'Église  est  une  société  visible ,  qui  a  son  culte ,  ses  cérémo- 
nies et  ses  lois  î  il  ;  a  donc  nécessairement  des  supérieurs  et  un 


>  An,  370.  Ëpipii.,  Hsr,  70,  Aug.)  Hi^r,  q:i. 


l 


AER  33 

ordre  d'homiufs  auxquels  il  appartieoi  d'ensaigner,  de  prêcher, 
de  fïire  des  lois  el  de  veiller  !i  leur  exéculloo. 

C'est  Jésus-Chrisi  lui-même  qui  a  établi  cet  ordre  dans  l'ÊgUse; 
il  a  chargé  les  apâtres  d'enseigner;  il  leur  a  douoé  le  pouvoir  de 
remettre  les  péchés.  Tout  le  nouveau  Testament  nous  les  repré- 
sente comme  les  ministres  de  Dieu ,  séparés  du  reste  des  fidèles 
et  établis  par  le  Saint-Esprit  pour  gouverner  l'Église  ' . 

Il  j  a  donc  dans  l'Ëgtisd  des  ministres  qui  ont,  de  droit  divin, 
une  vraie  supériorité  sur  les  simples  fidèles. 

Tous  les  ministres  ne  sont  pas  égaux  dans  l'Ëglise;  l'ordre 
hiérarchique  est  composé  d'êvéques ,  de  prêtres  et  de  diacres. 

Les  évéques  sont  les  successeurs  des  apùlres,  et  les  apùtres 
étaient  un  ordre  différent  de  l'ordre  des  prêtres.  Nous  voyons , 
dans  les  actes  des  apûtres  que  saint  Paul  et  saint  Barnabe  éta- 
blissaient des  prêtres  dans  les  villes ,  et  ces  prêtres  n'apparle- 
naieal  point  au  collège  des  apôtres;  on  ne  prend  point  pour  leur 
ordination  les  mêmes  mesures  que  l'on  prend  lorsqu'il  est  ques- 
tion de  choisir  un  apôtre  :  partout  on  parle  des  apôtres  comme 
-  fnn  ordre  dislinguë  des  évêques^. 

I  C'est  au  tribunal  des  évêques  qae  les  prêtres  sont  cités  :  ainsi 
Ljes  évêques  ont,  par  leur  institution  ou  par  leur  ordination  ,  et 
rpar  conséquent  de  droit  divin,  une  supériorité  d'ordre  et  de  jn- 
ridiction  sur  tes  simples  prêtres. 

Dans  tous  les  temps,  l'ordre  des  évêques  a  été  distingué  de  ce- 
lai des  prêtres,  et  cette  distinction  suppose  dans  l'évèque  une 
npériorilé  de  droit  divin  :  on  trouve  celle  distinction  marquée 
formellement  dans  les  lettres  de  saint  Ignace,  dans  Ûrigène,  dans 
TertuUien  '. 

Lesêvfques  avaient  seuls  le  droit  d'ordonner  des  évêques,  des 
prêtres  et  des  diacres,  et  l'on  a  toujours  annulé  les  ordin 
faites  par  les  prêtres. 

L'Ëglise  grecque ,  les  Cophtes ,  les  Nestoriens , 
point  d'accord  avec  l'Ëglise  latine  *. 

'  Prima  Cor.,c  h.  SecundaCor.,  c,  3.  Ad.,  c.  20, 

îAcL.c  li,  V.  10,  clS. 

1  Ignac.  Ep.  ad.  Magnes.,  ad  Eplies.  Orig.  Hom,  i 
Cnron.  Uililîs. 

'  l'erpél.   de  la  foi,  I.  3,  p.  570.  Vot/ec  les  orlicles  NmiobksIjj 
Copnns,  Aiissins,  liCfsujis, 


34  A£R 

Ainsi ,  le  sentiment  qui  refuse  aux  évéques  une  supériorité 
d'ordre ,  de  juridiction  et  d'honneur  sur  les  simples  prêtres ,  est 
contraire  à  la  constitution  de  TÉglise,  à  F  Écriture,  à  la  tradition 
et  à  la  pratique  immémoriale  de  l'Église.  Hamond  et  Péarson  ont 
sur  ce  point  réduit  les  Presbytériens  à  Tabsurde ,  et  M.  Nicole  a 
réfuté  sans  réplique  ce  que  M.  Claude  a  dit  en  leur  faveur  ^. 

Mais  personne  n*a  mieux  réfuté  les  Presbytériens ,  ni  mieux  dé- 
fendu Tépiscopat  contre  Saumaise  et  Blondel ,  que  le  P.  Pétau  : 
Toyez  ses  dogmes  théologiques. 

Gomme  chaque  évéque  en  particulier  n'est  pas  infaillible ,  il  n'a 
pas  sur  les  simples  prêtres  une  autorité  sans  bornes  ou  un  pouvoir 
arbitraire. 

Un  évéque ,  par  exemple ,  n'a  pas  le  droit  d'ordonner  à  ses 
prêtres  de  prêcher  rÂrianisme,  qui  a  été  condamné  par  le  con- 
cile de  Nicée,  ou  de  changer  la  discipline  établie  par  ce  concile 
pour  toute  l'Église  :  il  y  a  donc  dans  TÉglise  une  autorité  supé- 
rieure à  l'évêque,  laquelle  autorité  fait  des  lois  que  Tévéque  est 
obligé  de  suivre,  et  qu'il  ne  peut  obliger  aucun  de  ses  prêtres 
d'enfreindre;  ainsi,  lorsque  l'Église  a  fait  des  lois,  l'évêque  a  le 
pouvoir  de  les  faire  observer  et  de  punir  ceux  qui  ne  les  observent  pas. 

Mais  comme  un  évéque  en  particulier  n'est  point  infaillible ,  il 
peut  se  tromper  sur  T observation  des  lois  ou  sur  leur  application  ; 
il  peut  leur  donner  trop  d'étendue  ;  il  y  a  donc  un  tribunal  oîi  l'on 
juge  si  l'évêque  ne  se  trompe  pas  en  jugeant  que  telle  personne 
n'observe  pas  la  loi ,  ou  s'il  ne  donne  pas  à  la  loi  et  à  son  propre 
pouvoir  trop  d'étendue. 

Ce  tribunal  était  un  tribunal  purement  ecclésiastique;  et  la 
chose  ne  pouvait  être  autrement,  puisque  l'Église  était  une  so- 
ciété purement  religieuse ,  dont  les  lois  n'avaient  aucun  rapport 
avec  les  intérêts  purement  temporels  et  civils. 

L'alliance  deTÉglise  et  de  l'État  n'ayantpoint  changé  la  consti- 
tution et  l'essence  de  l'Église,  il  est  clair  que  la  puissance  ecclé- 
siastique et  la  puissance  civile  sont  différentes  et  non  pas  opposées. 

De  la  prière  pour  les  morts. 

Nous  lisons ,  dans  le  second  livre  des  Machabées,  que  c'est  une 

^  Hamon ,  Dissert.  cent.  Blondel.  Bingham^  Antiquit.  écoles.  Joannis 
Pearsonnii  opéra  posth.  Defensio  episcopatùs  diœcesani ,  auctore  Hcn- 
rico  Mauritio.  Prétendus  Réformés  convaincus  de  schisme,  1.  3,  c,  lOt 


pensée  sainte  ei  salutaire  de  prier  pour  les  morlg,  afin  qu'ils 
soient  délivrés  de  leurs  péchés  '. 

II  j  a  donc  des  péciiés  qui  peuvent  être  remis  dans  l'autre 
monde,  par  le  moyen  des  prières  des  Tivans. 

Les  Protestans,  ne  pouvant  répondre  k  cet  argument,  ont  nié 
qoe  le  second  livre  des  Hachabées  fût  canonique  ;  maïs  ils  l'ont  nié 
sans  raison ,  puisqu'il  a  été  mis  au  nombre  des  litres  canoniques 
par  presque  toutes  les  Églises  chrétiennes,  par  le  décret  d'iono' 
cent  1,  par  le  quatrième  concile  de  Carihage-  Le  doute  de  quel- 
ques Pères  et  de  quelques  Ëglises  particulières  ne  peut  être  op- 
posé au  consentement  général  des  autres. 

Jésus-Christ  déclare,  dans  l'Ëvangile ,  qu'il  j  a  certains  pécIiés 
qui  ne  seront  remis  ni  dans  ce  monde-cï  ni  dans  l'autre  ;  les 
Pères  ont  conclu  de  lï  qu'il  j  en  avait  qui  se  remettaient  dans 
l'autre  monde ,  et  qu'il  fallait  prier  pour  les  morts. 

La  prière  pour  les  morts  a  toujours  été  en  usage  dans  l'Église; 
elle  était  pratiquée  dès  le  deuxième  siècle ,  et  Tertullien  la  met  au 
nombre  des  traditions  apostoliques.  Or,  ces  prières  qu'on  faisait 
pour  les  morts  n'étaient  pas  seulement  pour  la  consolation  des 
vivans,  ou  pour  remercier  Dieu  des  grSces  qu'il  avait  faites  aux 
morts ,  c'était  pour  obtenir  du  soulagement  W  leurs  peines  ^. 

La  dévotion  pour  les  morts  s'augmenta  de  beaucoup  vers  la  fin 
du  dixième  siècle  et  au  commencement  de  l'onzième,  par  taint 
OdHon  et  par  l'ordre  de  Clunî  K 

Celte  dévotion  est  digne  de  la  charité  chrétienne  :  notre  amour 
ponr  Jésus-Cbrist  doit  nous  lier  ï  tout  son  corps  et  nous  faire 
prendre  part  aux  biens  et  aux  maux  de  ses  membres  ;  comme  nous 
devons  donc  nous  intéresser  à  la  gloire  des  saints,  en  noua  réjouis- 
sant de  leurs  triomphes  et  de  leur  bonheur,  nous  devons  aussi 
prendre  part  aux  souffrances  des  justes  qui  ont  encore  à  satisfaire 
la  justice  divine  ;  nous  devons  prier  pour  eux  :  tous  nos  contro- 
versistes  ont  très-bien  traité  cette  question. 

L'erreur  d'Aérius,  sur  la  célébration  des  fêtes  et  sur  les  cérémo- 
nies, a  été  renouvelée  pat  les  Protestans  en  partie,  et  surtout  par 

'L.  !.Macii.,c.  13,  v.  46. 

'  Joan,  6,  ï.  27.  l'erl.  de  Moungam-,  c  10.  Aug.,  Decura  pro  mor- 
luis,  operum,  L  6,  p.  116.  Serai.  3!.  De  terbisaposL,  n.  172,  c  S, 
Cbrj'sost.  Ham.  in  ep.  ad  Philipp,, 


■UïbiUon,  Pis,  i 


c  BenedictiaiiiD,  p.  U9,  n.  38. 


■  S6  AGI 

les  PresbjlérieBs ,  pir  quelques  Anabaptistes,  et  enfla  par  igt 
Kouakres  :  nous  en  parlerons  à- ces  articles.  On  peut  voir,  sur 
cette  matière ,  l'ouvrage  de  Brujeia  intitulé  :  Défense  du  culte  ex- 
térieur. 

AESCniNES  était  un  empirique  d'AlliÈnes  qui  suivit  les  erreurs 
des  Honlaniates  :  il  enseignait  que  les  apôtres  avaient  été  inspirés 
par  le  Saint-Esprit  et  non  par  le  Paraclet  ;  que  le  Paraclet  promis 
avait  dit ,  par  la  bouche  de  Montan ,  plus  de  choses  et  des  choses 
plus  importantes  que  l'Évangile  '. 

AETITJS,  chef  des  Anoméens.  Voyez  cet  article. 

AGAPÈTES.  Ce  mot  signifie  des  personnes  qui  s'aiment;  il  a 
été  donné  i  une  branche  de  Gnostiques  qui  subsistait  vers  la  fin 
du  quatrième  siècle,  en  39S. 

Saint  Jérfime  représente  cette  espèce  de  secte  comme  composée 
principalement  de  femmes  qui  s'attacbaient  les  jeunes  gens  et  qui 
leur  enseignaient  qu'il  n'y  avait  rien  d'impur  pour  les  consciences 

Peut-être  cette  branche  de  Gnostiques  tîra-t-elle  son  nom  d'une 

I  femme  nommée  Agapie,  qui  avait  été  instruite  par  un  nommé 

[  Slarc,  et  quipervertitbeaucuupde  femmes  de  qualité  en  Espagne. 

'       Une  des  maximes  des  Agapètes  était  de  jurer  et  de  se  parjurer 

plutôt  que  de  révéler  le  secret  de  la  secte  ^. 

AGARÉNIENS.  C'est  le  nom  que  l'on  donna  !i  des  chrétiens  qui, 
au  milieu  du  septième  siècle,  renoncèrent  &  l'Evangile  pour  pro- 
fesser l'Alcorau  :  ils  niaient  la  Trinité  et  prétendaient  que  Dieu 
n'avait  point  de  fils  parce  qu'il  n'avait  point  de  femme. 

Ces  chrétiens  apostats  furent  appelés  Agaréniens  parce  qu'ils 
embrassèrent  la  religion  de  Mahomet  et  des  Arabes,  qui  descen- 
dent d'Ismaél ,  fils  d'Agar  ^. 

AGIONITES  ou  Aoiosois.  C'est  une  secte  da  débauchés  qui 
condamnaient  le  mariage  et  la  chasteté ,  qu'ils  regardaient  comme 
une  suggestion  du  mauvais  principe;  ils  se  livraient  k  toutes 
sortes  d'infamies  :  ils  parurent  vers  l'an  694,  sous  Jusiinien  11  et 
sous  le  pape  Sergius  I.  Ib  furent  condamnés  par  le  concile  de 
Gangres  *. 

*  Iltiglus,  Dp  hier. ,  p.  243.  Hofman  Lcxic.  Stockman  Les. 

*  Aug.,  Hœr.  70.  Stockman  Leiic, 
'  Stockinan  Leiic. 
«nid. 


I 


I 


AGN  tm 

AGNOÈTES.  Ce  nom  sigailie  ignorûnl  ;  on  l'a  donné:  1-  aiu  ' 
disciples  de  ThL'opbrone ,  qui ,  Ters  h  fin  du  quairième  siècle , 
prétendit  que  Dieu  ne  connaissait  pas  tout,  qu'il  acquérait  des 
connaissances. 

Cette  erreur  est  absurde ,  il  est  évident  que  l'Être  nécessaire  a 
une  connaissance  inSnie  ;  la  seule  diECculté  contre  la  toute  science 
de  Dieu  se  tire  de  la  liberté  :  les  Socinieus  ont  renouvelé  celte 
erreur.  Voyet  leur  article. 

%•  On  donne  le  nom  d'Agnoètes  !t  ceux  qui  ont  pTélendn  que 
Jésus-Cbrist  ne  saTsit  pas  tout  ;  qu'il  avait  ignoré  le  jour  du  ju- 
gement, et  le  lieu  où  Lazare  était  enseveli. 

Les  erreurs  de  Neslorius  et  d'Euijcb es  avaient  fait  naître  une 
infiuirè  de  questions  sur  la  nature  de  Jésas-Christ,  sur  son  hu- 
manité, sur  sa  diviailé,  sur  la  manière  dentelles  étaient  unies, 
sur  les  elTets  de  cette  union. 

Thémislins,  diacre  d'Alexandrie,  recbercba  gî,  après  celle 
union,  n'j  ayant  qu'une  personne  en  Jésus-Christ,  Jésus^brist 
avait  ignoré  quelque  cbose  :  il  proposa  sa  question  à  Timolbée, 
évéqoe  d'Alexandrie,  qui  lui  dit  que  Jésus-Cbrist  n'avait  rien 
ignoré. 

'  Tbémistius  crut  trouver  le  contraire  dlDS  rEcvilure,  puisque 
Jésus-Cbrist  disait  Ini-méme  que  ni  Iw  anges,  ni  le  Fils ,  mais  le 
Père  seul  savait  le  jour  du  jugemeoL 

Il  ne  parait  pas  que  les  Agnoèles  aient  attribué  celte  igno- 
nnce  il  l'âme  de  Jésns-Christ,  sans  l'attribuer  à  sa  divinité,  car 
ils  ne  paraissent  pas  avoir  fait  celte  distluelion.  Comme  ils  ne 
teconnaissaient  qu'une  personne  en  Jésns-Cbrist,  et  que  Jésus- 
Christ  avait  dit  qu'il  ne  savait  pas  le  jour  du  jugement,  ils  cojt- 
dolîeat  que  Jésiis4!lbrisl  avait  ignoré  quelque  cbose  :  il  parait 
donc  que  Bellarmin  s'est  trompé  sur  les  Agnoèles  '. 

Il  est  aisé  de  s'en  convaincre  en  réfléchissant  sur  l'origine  de 
cette  secte ,  et  par  la  lecture  des  anteurs  qui  en  ont  parlé  *. 

L'erreur  des  Agnoètes  n'a  pour  Tondeuient  que  le  passage  dans 
lequel  Jésus-Christ  dit  que  le  Fils  de  l'IIonune  ne  sait  pas  le  jour 
du  jugement. 

Ce  passage  avait  été  autreHais  te  sujet  d'une  grande  dispute 

entre  les  Ariens  et  les  catholiques,  parce  que  les  premiers  ei^ 

concluaient  que  Jésus-Christ  n'était  pas  Dieu. 

•  Bellarm.,  de  Cbrist.,  I.  i,  c.  I. 

Leonl.,DeKctU,acUprim.  ImJot,  1,  30>einit  c  S.  DamnM 


U  AGN 

Quelques  Pères,  pour  répondre  à  cette  difficulté,  avaient  dit 
que  c^était  en  tant  qu'homme  que  Jésus-Christ  ignorait  le  jour 
du  jugement,  non  quMls  crussent  que  Jésus-Christ,  comme 
honmie,  ait  ignoré  quelque  chose,  puisque,  en  vertu  de  Tunion  hy- 
postadque,  tous  les  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  étaient 
hii  ;  mais  seulement  que  Thumanité  seule ,  considérée  séparé- 
de  la  divinité ,  ne  peut  par  elle-même  et  par  ses  seules  lu- 
mières avoir  cette  connaissance  ^. 

D'autres  Pères  ont  cru  que  le  Fils  de  Dieu  avait  voulu  dire 
ffOL^'A  n'avait  pas  sur  cela  une  science  expérimentale  *. 

D'autres  enfin  disent  que  Jésus-Christ  ignorait ,  en  un  certain 
«ens,  ce  qu'il  ne  jugeait  pas  à  propos  de  nous  découvrir;  il 
ignorait  pour  nous ,  il  voulait  que  nous  l'ignorassions. 

Les  apôtres  avaient  demandé  à  Jésus-Christ  quand  la  fin  du 
monde  arriverait  et  quels  signes  l'annonceraient. 

lésus-Christ  a  répondu  à  la  seconde  partie  de  leur  question , 
éuts  tout  ce  qui  précède ,  parce  qu'il  fallait  que  ces  signes  fus- 
tent  connus  ;  à  l'égard  de  l'heure  et  du  jour  précis,  il  leur  dit 
qae  oe  sont  des  choses  dont  le  Père  s'est  réservé  la  connais- 
sance et  qu'il  ne  veut  découvrir  aux  hommes  ni  par  lui-même  , 
ni  par  les  anges  du  ciel,  ni  par  les  prophètes,  ni  par  le  Fils;  en 
on  mot,  qu'il  veut,  par  ce  secret  impénétrable ,  nous  tenir  dans 
une  vigilance  et  dans  une  attention  continuelle,  et  réprimer 
en  nous  la  vaine  curiosité  et  les  recherches  inutiles  au  sa- 
kt». 

Forbésius  croit  qu'en  effet  l'humanité,  ou  l'âme  de  Jésus-Christ, 
ignorait  le  jour  du  jugement. 

Cette  explication  est  contraire  au  sentiment  des  Pères ,  mais 
ce  n'est  pas  une  hérésie.  L'âme  humaine  de  Jésus-Christ ,  quoi- 
que unie  hypostatiquement  au  Verbe ,  n'est  pas  infinie  ;  elle  peut, 
en  vertu  de  cette  union ,  savoir  tout  ce  qu'elle  désire  savoir  ; 
mais  comme  elle  n'est  pas  infinie ,  elle  ne  voit  pas  tout  à  la  fois  : 
ainsi  Jésus-Christ,  dans  le  temps  qu'il  disait  à  ses  apôtres  qu'il 


^  Athan,,  Serm,  cent  Arîan,  Ambr.  in  Luc,  1.  8,  Greg,  Naz.  Or.,  etc. 

2  Orig.  inMatth.  Epiph.,  Hxr.,  69. 

*  Orig.  Chrys.  Aug.  1.  8,  quaesU  61  ;  1.  1,  De  Trin,  c  12.  De  Genesi, 
contra  Maur.,  c.  23.  iSstius  in  loc.  diff.  scrip.,  p.  /iA2,  inl.  3.  Sent, 
dist.  lA  et  3.  Calmet  sur  S.  Matthieu  et  sur  S.  Marc,  c,  2Âet  13.  Na- 
tal. Alex.,  in  saec  6 ,  dissert.  7. 


ÀGR  39 

ne  savait  pas  le  jour  du  jagement ,  pouyait  ne  pas  faire  attention 
actuellement  au  temps  oîi  le  monde  devait  finir  ^. 

AGONICËLITES  »  c'est  le  nom  de  ceux  qui  prétendaient  qa*on 
devait  prier  debout ,  et  que  c'était  une  superstition  de  prier  à 
genoux  *• 

AGRIGOLA  (Jean  Isleb),  ainsi  nommé  parce  qu'il  était  dlsleb 
ou  Eisleben ,  dans  le  comté  de  Mansfeld ,  compatriote  et  contem- 
porain de  Luther,  fut  aussi  son  disciple  :  il  soutint  d'abord  les 
sentimens  de  son  maître  avec  beaucoup  de  zèle  ;  mais  il  les  aban- 
donna ensuite  et  devint  ennemi  de  Luther. 

Après  mille  variations  dans  sa  doctrine  et  dans  sa  foi ,  après 
mille  rétractations  et  mille  rechutes,  il  renouvela  une  erreur  ^e 
Luther  avait  été  obligé  d'abandonner  ;  il  en  poussa  les  conséquent 
ces,  etdevint  chef  d'une  secte  qu'on  appela  la  secte  des  Anoméen^ 

Luther  avait  enseigné  que  nous  étions  justifiés  par  la  foi ,  et 
que  les  bonnes  œuvres  n'étaient  point  nécessaires  pour  le  salut. 
Agricola  conclut  de  ce  principe  que,  lorsqu'un  homme  avait  la  foi, 
il  n'y  avait  [dus  de  loi  pour  lui  ;  qu'elle  était  inutile ,  soit  pour 
le  corriger,  soit  pour  le  diriger,  parce  qu'étant  justifié  par  la  foi, 
les  œuvres  étaient  inutiles,  et  parce  que,  s'il  n'était  pas  juste  »  il 
le  devenait  en  disant  un  acte  de  foi. 

Agricola  ne  voulait  donc  pas  qu'on  prêchât  la  loi  évangâique» 
mais  l'Évangile;  il  voulait  qu'on  enseignât  les  prinâpes  qui  nous 
portent  à  croire ,  et  non  pas  les  maximes  qui  dirigent  la  eoo* 
duite  *. 

Luther  s'éleva  contre  cette  doctrine  :  Agricola  se  rétracta  plu- 
sieurs fois  et  la  reprit  autant  de  fois ,  parce  que  Luther,  n'aba»- 
donnant  point  ses  principes  sur  la  justification^  et  les  admettant 
avec  Agricola ,  il  ne  pouvait  le  réfuter  solidement ,  ni  le  détrom- 
per, puisque  les  conséquences  d' Agricola  étaient  évidemment  liéet 
aux  principes  de  Latlier  sur  la  justification. 

Gomme  Agricola  rejetait  toute  espèce  de  loi ,  on  zipçeàz  ses 
disciples  Anoméens,  c'est-à-dire  sans  loi. 

AGRiPPlNlENS,  disciples  d' A  grippa,  évêque  de  Garthage, 
qui  rebaptisait  ceux  qui  avaient  été  baptisés  par  les  h^tiqueSa 
y^y.  l'article  REBAmsANS. 

*■  Forbes,  Instit  TheoL,  L  3,  c  21. 

2  Stockman  Lexic. 

'  Stockman  Leiic  Sekendolf,  HisU  Luth*,  1.  3^  $  82. 


40  ALB 

ALBANOIS ,  secte  du  huitième  siècle ,  ainsi  appelée  du  nom 
du  lieu  où  elle  prit  naissance  ;  c'est  l'Albanie  *. 

Ils  soutenaient  qu'il  était  défendu  de  faire  aucun  serment  ;  ils 
niaient  le  péché  originel ,  l'efficacité  des  sacremens  et  le  libre 
arbitre  ;  ils  rejetaient  la  confession  auriculaire  comme  inutile  et 
ne  voulaient  pas  qu'on  excommuniât. 

On  leur  attribue  d'avoir  cru  le  monde  éternel  et  d'avoir  ensei- 
gné la  métempsycose. 

Il  paraît  qu'ils  admettaient  deux  principes  éternels  et  contrai- 
res et  qu'ils  niaient  la  divinité  de  Jésus-Christ.  Ils  condamnaient 
le  mariage. 

Ainsi  y  les  Albanois  étaient  une  branche  de  Manichéens ,  qui 
s^était  renouvelée  dans  l'Albanie,  après  leur  destruction  dans 
l'Orient.  Ces  sectaires  se  dispersèrent  partout ,  et  partout  ils  trou- 
vèrent des  disciples  et  formèrent  des  sectes  :  ils  en  eurent  dans 
une  infinité  d'endroits  en  France. 

L'ignorance  était  alors  profonde  et  presque  générale  ;  le  clergé 
surtout  était  fort  ignorant ,  et  par  conséquent  peu  régulier  ;  car 
il  ne  faut  pas  croire  qu'un  clergé  ignorant  puisse  long- temps 
conserver  des  mœurs  :  il  en  faut  dire  autant  du  peuple. 

Ces  restes  de  Manichéens,  ainsi  répandus  dans  l'Europe,  étaient 
eux-mêmes  fort  ignorans  ;  ils  séduisaient  le  peuple  par  une  ap- 
parence de  régularité  dans  leurs  mœurs  et  dans  leur  conduite  ; 
ils  criaient  contre  les  abus  ,  contre  les  désordres  du  clergé  :  le 
peuple  ignorant  est  toujours  séduit  par  cet  artifice. 

C'est  à  cette  ignorance  du  clergé  et  des  peuples  qu'il  faut  attri- 
buer les  progrès  rapides  de  ces  sectes  qui  inondèrent  l'Europe 
depuis  le  huitième  siècle  ,  qui  ont  allumé  ces  guerres  si  longues 
et  si  cruelles  qui  n'ont  fini  que  dans  le  dernier  siècle.  Voyez  les 
articles  Bogomiles  ,  Tangrelin  ,  Pierre  de  Bruys  ,  Arnaud  de 
Bresse,  Albigeois  ,  Vaudois,  Stadinghs,  Caputiés  ,  Béguards, 
Fraticelles,  Wiclef,  Hussites,  Luther,  Anabaptistes,  Ré- 
forme. 

ALBIGEOIS ,  Manichéens  qui  infectèrent  le  Languedoc  ,  à  la 
fin  du  douzième  siècle. 

L'hérésie  des  Pauliciens  ,  ou  Manichéens  de  Bulgarie  ,  avait 
été  apportée  en  France  par  une  vieille  femme  qui  avait  séduit 
plusieurs  chanoines  d'Orléans  ;  d'autres  Manichéens^,  répandus 

1  Stockman  Le&ic,  iu  voce  Aibauenscs.  Sauder*  Barou^ 


ALB  Ji 

dans  les  ]HOTiiiceE  méridioDales  de  la  France,  y  avaienl  conimu- 
niqué  leurs  erreurs  ;  la  sévérïlé  avec  laquelle  on  les  iraila  et  les 
leeberches  exactes  qu'on  en  fit  rendireDt  les  hérétiques  plus  cir- 
conspects, et  ne  ilétmisïreat  point  l'hérésie. 

Malgré  les  eSbrts  que  l'on  araii  faits  pour  rétablir  les  études 
et  U  discipline  en  France ,  l'ignorance  et  le  désordre  des  micurs 
Paient  extrêmes,  mâme  dans  le  clergé  ;  on  exerçait  les  Todc— 
^ons  ecclésiastiques  sans  science ,  sans  mœurs  et  sans  capciié  ; 
l'usure  était  commune,  et  dans  beaucoup  d'églises  tout  était 
vénal ,  les  saeremens  et  les  bénéfices  :  tes  clercs  ,  les  prêtres  ,  les 
chanoines  et  même  les  évéques  se  mariaieat  publiquement  '. 

Parmi  les  laïques  ,  ce  n'étaient  que  metirlres  ,  que  pillage , 
que  violence;  les  seigneurs  s'emparaient  des  bénéfices,  les  doa- 
naient,  les  Tendaient ,  on  les  léguaient  même  par  testament  '*. 

Le  elei^é  était  l'objet  de  la  haine  et  du  mépris  du  peuple  et 
des  grands. 

Les  Manichéens,  qui  conservaient  contre  le  clergé  une  haine 
implacable  et  un  désir  ardent  de  se  venger  des  rigueurs  qu'on 
snit  exercées  contre  eux  ,  profilèrent  de  ces  dispositions  pour 
attaquer  tout  ce  qui  conciliait  de  la  considération  au  clergé  ;  ils 
■ttaquèreut  donc  les  saeremens ,  les  cérémonies  de  l'élise  ,  les 
préi'ogaliïes  du  clergé,  prétendirent  qu'on  ne  devait  pas  pajer 
la  dtnie,  et  damnèrent  tous  les  ecclésiastiques  qui  possédaient 
des  biens-fonds. 

Le  peuple  ignorant  n'était  retenu  dans  la  soumission  an  clergé 
que  par  la  terreur  des  peines  canoniques ,  il  prêta  facilement  l'o- 
reille aux  insinuations  des  tianicbéens,  et  passa  du  mépris  des 
ministres  à  celui  de  leur  doctrine,  des  cérémonies  et  des  saere- 
mens qu'ils  conféraient. 

Les  Hanicbéens,  au  contraire,  condamnaient  les  richesses  et 
les  dérèglemens  du  clergé;  ils  bornaient  sa  puissance,  ils  étaient 
pauvres ,  ils  aUlchatent  la  régularité  ;  ils  furent  bientôt  regardés 
comme  des  apûtrea.  L'hérésie  manichéenne  éclata  tout  i  coup  en 
France;  elle  eut  une  grande  quantité  de  sectateurs  dans  dilTéren- 
tes  provinces,  et  fut  favorisée  par  beaucoup  de  seigneurs,  qui 
avaient  envahi  les  domaines  de  l'Eglise,  et  que  les  conciles  con- 
ine  d'excommunication  j  il  rendre  les  biens 


42  ALB 

qu'ils  âYaient  «sorpés  :  ainsi,  les  Mamchéens  devinrent  bieniôl 
une  secte  redoutable. 

Les  papes  envoyèrent  dans  les  provinces  méridionales  de  la  France 
des  légats  pour  arrêter  le  progrès  de  cette  erreur.  Saint  Bernard 
y  alla  et  convertit  beaucoup  d*hérétiques  ;  mais  il  ne  communiqua 
point  au  clergé  ses  lumières,  ses  talens,  son  zèle,  et  après  son 
départ  Thérésie  reprit  de  nouvelles  forces  K 

Les  évêques  et  quelques  seigneurs  de  la  province  s'assemUè^ 
rent  à  Lombers ,  où  les  hérétiques  étaient  protégés  par  les  habi** 
tans ,  parmi  lesquels  il  y  avait  plusieurs  chevaliers  :  les  évêques 
disputèrent  contre  les  chefs  des  hérétiques ,  ils  les  convainquirent 
de  renouveler  les  erreurs  des  Manichéens,  et  les  condamnèrent. 

La  condamnation  de  ces  sectaires  n'empêcha  pas  qu'ils  ne  fis- 
sent des  prosélytes  dans  la  Provence ,  en  Bourgogne  et  en  Flan^ 
dre,  où  ils  furent  connus  sous  le  nom  de  Popélicains,  de  Publi- 
cains,  de  Bons  Hommes,  etc. 

Les  archevêques  deNarbonne  et  de  Lyon  en  firent  arrêter  quel- 
ques-uns, et  Ton  brûla  vifs  tous  ceux  qui  ne  voulurent  pas  sa 
convertir  *. 

Quelques  années  après ,  ces  hérétiques  se  multiplièrent  si  pro« 
digieusement  dans  le  Languedoc ,  que  les  rois  d'Angleterre  et  de 
France  envoyèrent  les  prélats  les  plus  éclairés  de  leurs  États  pour 
défendre  la  vérité  de  la  religion;  ils  enjoignirent  aux  seigneurs, 
leurs  vassaux ,  de  donner  main-forte  et  tous  les  secours  nécessaires 
aux  prélats  et  au  légat  que  le  pape  enverrait  pour  les  conversions 
des  hérétiques. 

Le  légat  et  les  évêques  entrèrent  dans  Toulouse  au  milieu  des 
clameurs  insultantes  du  peuple ,  qui  les  traitait  hautement  d'héré- 
tiques ,  d'apostats ,  d'hypocrites  ;  cependant  un  des  prélats  prêcha 
et  réfuta  si  solidement  leurs  erreurs,  que  les  hérétiques,  intimidés 
par  la  force  de  ses  raisons  et  par  la  crainte  du  comte  de  Toulouse, 
n'osèrent  plus  se  montrer  ni  parler  en  public. 

Le  légat  ne  se  contenta  pas  de  ces  avantages  ;  et,  comme  s'il  se 
fût  défié  de  cette  méthode ,  si  conforme  à  l'esprit  de  la  religion ,  il 
fit  des  recherches  pour  découvrir  les  hérétiques ,  et  fit  promettre 
par  serment ,  à  tous  les  catholiques ,  de  dénoncer  les  hérétiques 
qu'ils  connaissaient  et  leurs  fauteurs. 

*  Hisl.  de  Languedoc,  t.  2, 1. 17,  p.  647  ;  I.  3, 1. 19,  p.  2, 
2Ibid.,t,d,  p.  hf  an.  1178, 


ALB  43 

Panni  les  kérétiques  dénoncés ,  on  tronva  nn  nommé  Pierre 
Mauran,  homme  riche  et  que  Ton  regardait  comme  le  chef  des 
hérétiques  ;  on  rengagea ,  par  caresses  et  par  promesses ,  à  com- 
paraître devant  le  légat.  Dans  Tinterrogatoire  qu'on  lui  fit  suhir, 
il  déclara  que  le  pain  consacré  par  le  ministère  du  prêtre  n'était 
pas  le  corps  de  Jésus-Christ  :  les  missionnaires  ne  lui  en  deman- 
dèrent pas  davantage  :  ils  se  levèrent ,  et  ne  purent  s'empêcher  de 
répandre  des  larmes  sur  le  blasphème  qu'ils  venaient  d'entendre 
et  sur  le  malheur  de  celui  qui  l'avait  prononcé  :  ils  déclarèrent 
Mauran  hérétique  et  le  livrèrent  au  comte  de  Toulouse ,  qui  le  fit 
enfermer  :  tous  ses  biens  furent  confisqués  et  ses  châteaux  dé- 
molis. 

Pierre  Mauran  promit  alors  de  se  convertir  et  d'abjurer  ses  er- 
reurs :  il  sortit  de  prison ,  se  présenta  nu ,  en  caleçon ,  devant  le 
peuple  ;  et,  s'étant  prosterné  aux  pieds  du  légat  et  de  ses  collègues, 
il  leur  demanda  pardon^  reconnut  ses  erreurs ,  les  abjura,  et  pro- 
mit de  se  soumettre  â  tous  les  ordres  du  légat.  Le  lendemain  l'é- 
véque  de  Toulouse  et  l'abbé  de  Saint-Sernin  allèrent  prendre  Pierre 
Mauran  dans  la  prison  ;  il  en  sortit  nu  et  sans  chaussure.  L'évê- 
que  de  Toulouse  et  l'abbé  de  Saint-Sernin  ,  en  le  conduisant ,  le 
fustigeaient  de  temps  en  temps  ^  et  l'amenèrent  jusqu'aux  degrés 
de  l'autel ,  où  il  se  prosterna  aux  pieds  du  légat  et  abjura  de  nou- 
veau ses  erreurs  :  on  confisqua  ses  biens ,  on  lui  ordonna  départir 
dans  quarante  jours  pour  Jérusalem  et  d'y  demeurer  trois  ans  au 
service  des  pauvres ,  avec  promesse ,  s'il  revenait ,  de  lui  rendre 
ses  biens,  excepté  ses  châteaux,  qu'on  laissait  démolis  en  mé- 
moire de  sa  prévarication.  11  fut  condamné ,  de  plus ,  à  une  amende 
de  cinq  cents  livres  pesant  d'argent  envers  le  comte  de  Toulouse  ^ 
son  seigneur;  à  restituer  les  biens  des  églises  qu'il  avait  usurpés, 
à  rendre  les  usures  qu'il  avait  exigées ,  à  réparer  les  dommages 
qu'il  avait  causés  aux  pauvres  '. 

Voilà  quel  était  Pierre  Mauran ,  cet  ennemi  si  ardent  du  clergé, 
ce  grand  zélateur  de  la  réforme. 

On  découvrit  encore  quelques-uns  des  principaux  hérétiques , 
que  l'on  convainquit  de  Manichéisme  et  que  l'on  excommunia  :  ce 
fut  là  tout  le  fruit  de  la  mission  ^. 

La  guerre  divisait  alors  les  Seigneurs  de  la  province ,  et  Roger, 

<  Hîst.  de  Languedoc,  t.  3, 1.  19,  p.  48. 
Mbid. 


44  ALB 

vicomte  d'Alby,  ménagea  les  hérétiques ,  quUl  regarda  comme  une 
ressource  contre  Raymond ,  comte  de  Toulouse ,  leur  grand  enne- 
mi :  ils  se  fortifièrent  dans  différens  endroits  de  ses  domaines ,  et 
le  pape  Innocent  III ,  informé  de  leurs  progrès,  envoya  un  légat 
en  Languedoc. 

Ce  légat  éuit  Henri ,  abbé  de  Clairvaux ,  qui  venait  d'être  élevé 
au  cardinalat  et  à  Tévêché  d'Albano  :  deux  ans  avant  il  avait  été 
employé  dans  la  mission  à  la  tête  de  laquelle]  était  le  cardinal 

Ghrysogone. 

Henri,  par  la  force  de  son  éloquence,  persuada  à  un  grand 
nombre  de  catholiques  de  prendre  les  armes  et  de  le  suivre  ;  il 
forma  de  ces  catholiques  un  petit  corps  d'armée ,  s'avança  vers  les 
domaines  du  vicomte  Roger  ^  assiégea  le  château  de  Lavaur  et  le 
prit. 

C'était  le  siège  principal  des  hérétiques ,  et  deux  de  leurs  chefs, 
que  l'on  prit  dans  ce  château,  se  convertirent.  Le  légat  porta  ensuite 
son  armée  en  Gascogne^  où  il  réduisit  les  hérétiques,  autant  par  la 
force  de  ses  prédications  que  par  la  terreur  des  armes.  Après 
avoir  ainsi  terminé  son  expédition  contre  les  hérétiques ,  le  cardi- 
nal légat  convoqua  des  conciles  pour  régler  les  affaires  de  l'Eglise  '. 

Le  cardinal  Henri  n'eut  pas  plus  tôt  terminé  son  expédition  que, 
la  crainte  ne  faisant  plus  d'impression  sur  les  peuples ,  ils  prêtè- 
rent l'oreille,  comme  auparavant,  aux  discours  séducteurs  des 
Manichéens,  et  l'erreur  prit  de  nouvelles  forces^. 

Les  papes  envoyèrent  des  légats  pour  arrêter  le  progrès  de  l'hé- 
résie; mais  les  guerres  qui  divisaient  les  princes,  l'ignorance  du 
clergé,  les  démêlés  des  légats  et  des  évêques  rendirent  les  missions 
contre  les  hérétiques  peu  utiles.  Les  hérétiques  profitèrent  de  cet 
état  de  trouble  ,  ils  prêchèrent  publiquement  leur  doctrine  et  sé- 
duisirent une  grande  quantité  de  chevaliers  et  de  seigneurs. 

Les  légats  s'appliquèrent  donc  à  faire  cesser  les  guerres  qui  dé- 
solaient la  province  de  Languedoc  et  à  réunir  les  seigneurs  entre 
eux  pour  employer  leurs  forces  contre  les  hérétiques.  Le  comte  de 
Toulouse,  qui  refusa  la  paix,  fut  excommunié ,  et  enfin  obligé  de  la 
faire  et  de  promettre  de  ne  plus  favoriser  les  hérétiques  et  de  leur 
faire  la  guerre. 

Mais  le  comte  de  Toulouse  ne  se  comporta  pas,  dans  la  suite, 

*  Hist.  de  Languedoc,  t.  3,  p.  57. 
'  liid.,  an.  1204. 


ALB  43 

e  manière  conforme  au  zèle  des  légau,  el  le  légat  Pierre  de 
Castelnau  reicommunia. 

Ce  légal  fut  assassiné  peu  de  lempâ  après  ;  et  le  pape  soupçon- 
nant ,  non  sans  quelque  vraisemblance ,  le  comte  de  Toulouse  d'a- 
Toireupartanmeurlre,reicDnimuniade  nouveau,  mit  sesdomaines 
en  interdit  et  délia  ses  sujets  du  serment  de  fidcliic ,  attendu  qu'on 
ne  devait  point  garder  la  fol  i  celui  qui  ne  la  gardait  pas  fi  Dieu. 

Le  pape  informa  de  celte  excommunication  le  roi  de  France ,  et 
l'exhorta  il  prendre  les  armes ,  à  dépouiller  de  leurs  biens  le  comte 
de  Toulouse  et  ses  fauteurs. 

L'abbé  de  Ciieaui  et  les  religieux  de  son  ordre  reçurenldu  pape 
ordre  de  prêcher  la  croisade  contre  te  cotnte  de  Toulouse,  et  ils 
la  prêchèrent  daus  tout  te  rojaome  :  le  pape  accordait  aux  croisés 
la  même  indulgence  qu'à  ceux  qui  altaientàla  Terre-Sainte;  ainsi 
l'on  s'empressa  de  se  croiser  contre  le  comte  de  Toulouse. 

Rajmond ,  comte  de  Toulouse,  pour  dissiper  l'orage  prêt  à 
fondre  eut  lui ,  envoya  des  ambassadeurs  ï  Rome  ;  el  enfin ,  après 
bien  des  négociations,  lepapeluipromitderabsoudreeo  cas  qu'il 
fût  innocent;  mais  il  exigea ,  pour  préliminaires ,  que  le  comte 
de  Toulouse  remit  à  son  légat  sept  de  sesforteresses pour  garantie 
de  sa  soumission  an  saint  Siège. 

Innocent  III  envoja  Uilon ,  son  notaire ,  avec  la  qualité  de  légat 
tlatere,  pour  examiner  l'aflaire  de  Rajoiond:  le  légat  assembla  ï 
Honlélimar  un  concile  dans  lequel  Rajmond  comparut  ;  ce  comte 
était  nu  jusqu'à  la  ceinture  et  fit  le  serment  suivant  :  •  L'an  12 
>du  pontiticat  du  seigneur  pape  Innocent  III,  le  18  juin,  Je, 

•  Raymond,  duc  de  Narboone,  jure  sur  les  saints  Évangiles,  en 

>  présence  des  saintes  reliques ,  de  l'Eucharistie  et  du  bois  de  U 

>  vraie  croix,  que  j'obéirai  à  tous  les  ordres  du  pape ,  el  aux  va  1res, 

>  maître  Milan,  notaire  du  seigneur  pape,  et  légat  du  saint  Sit^e 
■  apostolique,  et  de  tout  autre  légat  dusaint  Siège,  touchant  tous 

•  et  chacun  des  articles  pour  lesquels  j'ai  été  ou  je  suis  excommu- 
inié,  soit  parle  pape,  soit  par  son  légat,  soit  par  les  autres,  soit 

•  enfin  de  droit;  en  sorte  que  j'exécuterai  de  bonne  foi  cequime 

•  sera  ordonné,  tant  par  lui-même  quepar  ses  lettres  et  par  ses lé- 

•  gats ,  iQ  sujet  desdits  articles,  mais  principale  ment  les  suivant.  • 
Ces  articles  sont  :  d'avoir  refusé  de  signer  la  paix ,  de  n'avoir 

pas  expulsa  les  hérétiques  ,  de  s'être  rendu  suspect  dans  la  foi  , 
de  n'avoir  pas  rendu  justice  à  ses  ennemis ,  d'avoir  fait  lever  des 
péages  et  des  guidages  indus ,  d'avoir  fait  airéler  quelques  évé^ 


46  ALB 

ques  et  leurs  clercs ,  d^ayoir  envahi  leurs  biens ,  etc.  Le  eoakte 
de  Toulouse  consent  qu'on  dispense  ses  sujets  du  serment  de 
fidélité,  supposé  que  sur  tous  ces  articles  il  refuse  d'obéir  au  pape. 

Seize  barons,  vassaux  du  comte,  promirent  la  même  chose  ; 
ensuite  le  légat  ordonna  au  comte  de  réparer  tous  les  torts  qu'il 
avait  faits ,  lui  défendit  de  lever  des  péages  et  de  se  mêler  des 
affaires  de  l'Église ,  etc. 

Après  que  le  comte  eut  promis  d'observer  toutes  ces  condi- 
tions ,  le  légat  fit  mettre  une  étole  au  cou  du  comte  de  Toulouse, 
et,  en  ayant  pris  les  deux  bouts,  ill' introduisit  dans  l'Église,  ea 
le  fouettant  avec  une  poignée  de  verges  ;  enfin,  après  cette  hu- 
miliante cérémonie ,  il  lui  donna  l'absolution  ^ 

Cependant  l'armée  des  croisés  se  fortifiait  :  on  voyait  arriver 
en  foule  des  Flamands  ,  des  Normands ,  des  Bourguignons,  etc.» 
conduits  par  les  archevêques  de  Reims  ,  de  Sens  ,  de  Rouen  , 
par  les  évéques  d'Autun,  de  Clermont,  de  Nevers,  de  Bayeux,  de 
Lisieux  et  de  Chartres,  et  par  un  grand  nombre  d'ecclésiastiques» 

Parmi  les  seigneurs  séculiers  ,  on  comptait  le  duc  de  Bourgo- 
gne, les  comtes  de  Nevers  ,  de  Montfort,  etc. 

L'abbé  de  Citeaux ,  légat  du  saint  Siège ,  fut  nommé  généra- 
lissime  de  l'armée  *. 

Roger,  vicomte  de  Béziers ,  effrayé  de  cette  terrible  croisade , 
alla  trouver  les  légats  et  leur  déclara  qu'il  était  catholique,  qu'il 
détestait  les  erreurs  des  hérétiques  et  qu'il  ne  les  favorisait 
point  ;  mais  toutes  ses  protestations  furent  inutiles ,  on  ne  le 
crut  point. 

L'armée  des  croisés  grossissait  tous  les  jours  par  les  différens 
corps  que  conduisaient  l'archevêque  de  Bordeaux ,  l'évéque  de 
Limoges ,  etc. 

Les  croisés  prirent  plusieurs  châteaux  et  brûlèrent  plusieurs 
hérétiques  ;  enfin ,  l'armée  des  croisés  arriva  devant  Béziers  et 
somma  tous  les  catholiques  qui  y  étaient  de  livrer  tous  les  héré* 
tiques. 

La  ville  de  Béliers  rejeta  ces  conditions ,  et  les  croisés  l'assied 
gèrent ,  la  prirent ,  massacrèrent  plus  de  soixante  mille  babitans, 
la  pillèrent  et  y  mirent  le  feu  ^. 

*  Hist.  de  Languedoc,  t.  3,  p.  162. 

s  Ibid.,  p.  167. 

»Ibid. 


ALB 


4T 


les  habilans  ,  dit  le  Père 

saccageant  ot  pillaot 


3  passèrent  m  fil  de  l'idée 
•  Benoll ,  sans  distinclioa  d'^ge  ni 
'  partout  ;  ensuite,  ajanl  sperço  sept  mille  bommes  qui  s'êlaieot 

>  retirée  dans  l'église  de  U  Hadeleine,  i  dessein  de  s'y  retran- 
B  cher  ou  d'ériter  h  fureur  des  vainquetirs,  ceux-ci  suitireat 

>  le  premier  mouvement  de  leur  imp^uosilé,  et  cemme  ils  n'é- 
'  taient  commandés  par  aucune  personne  d'autorité ,  ils  se  jctè- 

>  rent   sur  ces  malbeureni    qu'ils   massacrèrent  sans  qu'il  en 
■  échappSl  un  seul  '.  • 

Après  le  sac  de  Béziers,  les  croisés  allèrent  à  Carcassonne  , 
l'assiégèrent  ;  et,  après  une  attaque  et  nne  défense  très-vigoureuse 
et  Irës-meurtrière  ,  ils  obligèrent  les  habîtans  it  rendre  h  ville, 
en  leur  accordant  la  lie  sanve  :  ces  malheureux  haliitans  n'em- 
pottirent  que  leur  chemise ,  et  l'on  retint  le  comte  Aoger,  que 
l'on  enferma  dans  une  p  risou ,  où  il  mourut  peu  de  temps  après. 

Les  babitans,  en  sortant,  déclarèrent  qu'ils  étaient  caûioli- 
qnes,  eïeeplé  quatre  cents,  qui  furenl  arrêtés  et  brûlés  *. 

Tous  les  domaines  de  Roger  furent  donnés  i  Simon  de  Mont- 
fort.  Les  croisés  ,  qui  n'étaient  Tenus  que  pour  gugiter  l'indul- 
genee  ,  se  retirèrent  lorsque  les  quarante  jours  de  serrice  qu'ils 
fiaient  obligés  de  faire  furent  expirés  -,  mais  les  légats  et  Simon 
deHontfort  continuèrent  de  faire  la  guerre  aux  hérétiques  el  i 
teoTS  pro  lecteurs, 

Raymond  ,  comte  de  Toulouse,  s'élail  joint  h  l'année  des  eroi- 
■tei  et  s'était  retiré,  comme  les  autres,  après  la  prise  de  Carcas- 
sonue  ;  maïs  il  était  à  peine  de  retour  k  Toulouse ,  que  l'abbé  de 
Citeaui  el  Rajmond  de  MontTortlui  envoyèrent  des  dépulés  pour 
le  sommer,  aussi  bien  que  les  consuls  de  Toulouse,  de  livrer  aux 
barons  de  l'armée  ,  sous  peine  d'excommunication  ,  tous  les  ha- 
bilaos  que  les  députés  lui  nommeraieni,  et  de  livrer  aussi  leurs 
biens ,  afin  qu'ils  fissent  leur  profession  de  foi  en  préseuce  des 
barons  de  Tannée. 

Kmon  de  Honlfort  menaçait  le  comte  de  Toulouse ,  en  OS  de 
refiis  de  sa  part  d'obéir  à  ces  ordres ,  de  lui  courir  sus  et  de 
porter  la  guerre  jusque  dans  le  cœur  de  ses  Éiiils. 

Malgré  toutes  les  précauûoas  que  Raymond  prit  poar  éviter 
la  guerre ,  malgré  les  promesses  qu'il  fit  de  rechercher  et  de  pu- 


4S  ALB 

nir  les  hérétiques ,  malgré  mille  protestations  d^attachement  k  la 
religion  et  d'horreur  pour  Thérésie,  les  légats  et  Simon  de  Mont- 
fort  tournèrent  contre  lui  les  forces  de  la  croisade. 

Le  comte  de  Toulouse  se  prépara  donc  à  soutenir  la  guerre 
et  se  ligua  avec  dififérens  seigneurs  de  la  proyince. 

L*armée  du  légat  était  tour  à  tour  grossie  et  abandonnée  par 
ces  troupes  de  croisés ,  qui  venaient  de  toutes  les  parties  de  la 
France  pour  gagner  Tindulgence  ,  et  qui  retournaient  prompte- 
meut  chacun  dans  leur  pays,  aussitôt  que  leurs  quarante  jours  de 
service  étaient  expirés  :  ainsi ,  les  succès  des  croisés  n'étaient  nî 
'  continuels,  ni  rapides,  et  ces  alternatives  de  force  et  de  faiblesse 
dans  Tarmée  des  croisés  entretenaient  entre  Simon  de  Montfort 
et  ses  ennemis  une  espèce  d'équilibre  qui ,  pendant  long-temps, 
fit  des  provinces  méridionales  de  la  France  un  théâtre  de  désor- 
dres et  d'horreurs. 

La  facilité  de  gagner  l'indulgence  en  se  croisant  contre  les 
Albigeois  ruinait  les  croisades  de  l'Orient ,  et,  de  leur  côté ,  les 
princes  confédérés  souhaitaient  la  paix ,  et  surtout  le  roi  de 
France,  qui  s'était  joint  aux  croisés.  Le  comte  de  Toulouse  la 
fit ,  en  perdant  une  partie  de  ses  domaines ,  en  promettant  de 
raser  les  murs  de  Toulouse  aussitôt  qu'il  en  recevrait  l'ordre  du 
légat ,  en  jurant  qu'il  rechercherait  les  hérétiques  et  qu'il  les 
punirait  sévèrement. 

On  n'exigea  point  de  Raymond  qu'il  livrât  personne ,  et  la 
guerre  n'eut  d'autre  effet  que  de  le  dépouiller  d'une  partie  de^es 
domaines. 

Raymond  alla  à  Paris  pour  convenir  de  tous  ces  objets,  et,  après 
qu'ils  furent  arrêtés ,  il  fut  introduit  dans  l'église  Notre-Dame  et 
conduit  au  pied  du  grand  autel ,  en  chemise ,  en  haut-de-chaus- 
ses  et  nu-pieds ,  et  là  il  jura  d'observer  tous  les  articles  qu'on  a 
rapportés  et  reçut  l'absolution  *■ . 

Les  princes  confédérés  imitèrent  le  comte  de  Toulouse  et  firent 
la  paix  en  promettant  de  travailler  avec  zèle  à  l'extirpation  de 
l'hérésie. 

Le  légat  assembla  plusieurs  conciles  ,  et  entre  autres  un  à 
Toulouse ,  où  les  évéques ,  de  concert  avec  les  barons  et  les  sei- 
gneurs ,  prirent  des  mesures  contre  les  hérétiques  ;  on  y  admit 
aussi  deux  consuls  de  Toulouse ,  qui  prêtèrent  serment,  sur  l'âme 

'  Hist.  de  Languedoc,  t,  3,  U  2/»,  c.  5  ;  t  â,  p.  i8i&. 


ALB  49 

'9e  toute  11  communauté  ,  d'observer  tous  les  statuts  que  l'on 
Terait  dans  l'assemblée  pour  la  deslrucliun  de  l'Iiérêgie ,  el  l'on 
éUblil  l'iaquisition. 

Les  inquisiteurs  parcoarurenl  toutes  les  villes ,  faisant  eibumer 
les  hérétiques  enterrés  en  lieu  saint  et  brûlant  les  vitaos.  Leur 
zèle  étail;  infatigable  et  leur  rigueur  extrême:  ils  condamnaient 
au  voyage  de  la  Terre-Saiate  ou  excommuniaient  tout  ce  qui  ne 
leur  obéissait  pas  aveuglément.  De  nouveaux  malheurs  succédè- 
rent donc  aux  malheurs  de  la  guerre  :  les  peuples  étaient  partout 
dans  la  consiernalion  qui  annonce  la  révolte  el  la  sédition  ;  dans 
beaucoup  d'endroits  ils  se  soulevèrent;  quelques  inquisiteurs  fu- 
rent massacrés,  et  l'oD  fut  obligé  de  suspendre  l'eiercice  de  l'in- 
quisilion,  que  l'on  rétablit  ensuite. 

On  fut  souvent  obligé  de  meure  des  bornes  au  zèle  des  inquisi- 
teurs, et  cependant  on  brilla  beaucoup  d'hérétiques.  Leur  nombre 
diminua  peu  à  peu  ,  et  l'on  ne  trouve  pas  que  l'on  ait  célébré  d'à  de 
de  foi  depuis  1383.  Les  inquisiteurs  Urent  encore  des  recherches 
et  ne  demandaient  qu'A  brQler;  mais  les  souverains  pontifes, 
informés  de  rirrégulariié  de  leurs  procédures  et  de  l'iniquiié  de 
leurs  sentences ,  leur  impoeèrent  des  lois  sévères  ;  alors  Tinquisi- 
tion  n'excita  plus  de  troubles,  les  hérétiques  devinrent  plus  rares 
et  s'éteignirent  enfin  tout-i-fait. 

Tandis  que  les  inquisiteurs  rechercbaieniavec  tant  d'exactitude 
et  punissaient  avec  tant  de  rigueur  les  hérétiques ,  un  grand  nom* 
bre  de  personnes  s'adonnaient  à  la  magie  et  aux  sortilèges ,  et, 
d'un  autre  côté ,  l'on  vit  les  Pastoureaux  s'attrouper  et  massacrer 
impitoyablement  tous  les  Juifs. 

Que  de  désordres,  de  crimes  et  de  malheurs  ce  siècle  offre  au 
chrétien  qui  réfléchit  !  Cependant  on  était  très-ignorant  ;  il  n'y  a 
point  de  siècle  oti  l'on  ait  lancé  plus  d'excommunications,  brûla 
plus  d'hérétiques  et  moins  cultivé  les  sciences  et  les  aris. 

De  ta  doctrine  dei  AlbigeoU. 
Il  est  certain ,  par  tous  les  monumens  du  temps  des  Albigeois , 
que  ces  hérétiques  étaient  une  branche  de  Manichéens  ou  Cathares  ; 
mais  leur  Manichéisme  n'était  point  celui  de  Uaoès.  Ils  suppo- 
saient que  Dieu  avait  produit  Lucifer  avec  ses  anges;  que  Lucifer 
s'élait  révolté  contre  Dieu;  qu'il  avait  été  chassé  du  ciel  avec  tous 
ses  anges,  et  que,  banni  du  ciel,  il  avait  produit  te  monde  visible 
surlequel  il  régnait. 


1 


it>  ALB 

Dieu ,  poar  rétablir  Tordre ,  ayait  produit  un  second  fils ,  qui 
était  Xésus-Ghrist  :  voilà  pourquoi  les  Albigeois  furent  aussi  appe- 
lés Ariens. 

Il  est  donc  Incontestable  que  les  Albigeois  étaient  de  vrais  Ma- 
nichéens ;  tous  les  autres  contemporains  raltèstent,  et  leurs  inter- 
rogatoires, que  Ton  conserve  encore  en  original ,  en  font  foi  ^. 

11  est  vrai  que  les  Vaudois,  les  Begains  et  quelques  autres  hé- 
rétiques pénétrèrent  dans  le  Langedoc  et  y  furent  condamnés  ;  mais 
il  n'est  pas  moins  certain  que  ces  hérétiques  ont  toujours  été  dis- 
tingués des  Albigeois ,  et  qu'ils  ne  sont  point  appelés  de  ce  nom , 
BEiais  simplement  hérétiques  ^. 

Enfin ,  Guillaume  de  Puylaurent ,  auteur  contemporain  y  dit  que 
les  hérétiques  qui  s'étaient  répandus  dans  le  Languedoc  n'étaient 
pas  uniformes  :  que  les  uns  étaient  Manichéens ,  les  autres  Yau- 
dois,  et  que  ceux-ci  disputaient  contre  les  premiers,  qui  certai- 
Bement  s'appelèr^t  dans  la  suite  Albigeois.  Il  ne  faut  donc  pas 
confondre  toutes  ces  sectes,  comme  fait  M.  Basnage,  et  il  est 
certain  que  les  Albigeois  étaient  de  vrais  Manichéens,  comme 
M.  Bossuet  l'a  dit. 

Que  M.  Basnage  joigne  aux  Yaudois,  aux  Henriciens ,  etc.,  les 
Albigeois ,  pour  en  composer,  dans  ces  siècles ,  une  communion 
étendue  et  visible  qui  tenait  les  dogmes  des  Protestans  ,  c'est  ce 
que  les  catholiques  ont  peu  d'inlérêlà  réfuter.  Nous  croyons  ce- 
pendant devoir  remarquer,  en  passant,  que  Vaido  ne  tenait  ses 
erreurs  de  personne,  et  qu'elles  n'étaient  point  celles  des  Protes- 
tans. 

Nous  ne  craignons  point  d'avancer  que  M.  Basnage  n'a  fait  que 
des  sophismes  pour  disculper  les  Albigeois  de  l'imputation  de 
Manichéisme  ;  toutes  ses  preuves  se  réduisent  à  établir  qu'il  y  avait, 
en  Languedoc ,  des  hérétiques  qui  étaient  opposés  aux  Manichéens, 
et  personne  ne  le  conteste  ;  mais  on  prétend  que  les  hérétiques 
nommés  Albigeois  étaient  Manichéens ,  et  que  ces  Manichéens 
que  M.  Basnage  convient  qui  étaient  dans  le  Languedoc ,  étaient 
en  effet  cette  secte  contre  laquelle  on  forma  la  croisade  et  qui  était 
appelée  la  secte  des  Albigeois  :  c'est  ce  qui  est  évident  par  tous 

^  ffîsL  de  Languedoc,  t.  il,  p.  183;  t.  3,  p.  135,  93,  etc.  Hist.  des 
Albigeois,  par  le  P.  Benoit,  t  2,  pièces  juslificatives. 

^  D'Argentré,  CoUect.  Jud.  Hist  des  crois,  contre  les  Albigeois,  par 
le  P.  Langlois,  jésuite,  Hist.  du  Languedoc,  Hist.  des  Albigeois^ 


AMA  5j 

les  monuiaeBg  Aa  temps ,  par  les  conciles ,  par  les  Interrogatoires 
et  par  la  distinction  qu'on  a  toujours  faite  des  Albigeois  et  des 
Viiudois  :  voilà  à  quoi  se  réduit  la  queatiuu  sur  le  Manichéisme  im- 
puté par  M.  Bossuet  aux  Albigeois,  et  poar  l'éclaircisEement  de 
laquelle  il  était  inutile  d'entasser  tant  de  sopliismes  '. 

Les  Albigeois,  outre  les  erreurs  des  Manichéens,  tenaient  celles 
des  Sacrâmes  taires  ;  et  c'est  sur  cela  qu'on  se  Tonde  pour  avancev 
que  les  Albigeois  étaient  les  précurseurs  des  nouveaux  réformés. 

Les  erreurs  des  Albigeois  n'étaient  pas  l'ouvrage  du  raisonne- 
ment ,  mais  l'eiret  dn  fanatisme ,  de  l'ignorance  et  de  la  haine  con- 
tre les  catholiques  :  elles  sont  réfutées  aut  articles  Manichéisme, 
Calvin,  Luther. 

ALOGES,  hérétiques  du  second  siècle,  que  l'on  croîtqui  niaient 
la  divinité  du  Verbe  :  ils  rejetaient  t'Ëvangile  selon  saint  Jean  et 
l'Apocaljpse  '. 

Si  leur  erreur  était  différente  de  celle  deThéodole  deBysance, 
elle  rentrait  dans  les  principes  de  Sabellius,  qui  niait  que  le  Verbe 
fût  une  personne  distinguée  du  Père ,  ou  dans  le  sentiment  des 
Ariens,  qui,  en  reconnaissant  que  le  Verbe  était  une  personad 
distinjfuée  du  Père,  prètendaienl  qu'il  étal  tune  créature. 

AHAUBI,  était  un  clerc  natif  de  Béne,  village  du  diocèse  de 
Chartres;  il  étudia  i  Paris ,  sur  la  fin  du  douzième  siècle;  il  fit  de 
grands  progrès  dans  l'étude  de  la  philosophie ,  et  enseigna  avM 
réputation  au  commencement  du  treizième  siècle*. 

On  avait  alors  apporté  en  France  les  livres  d'Arislote  ;  tous  lei 
philosophes  arabes  l'avaient  pris  pour  guide  dans  l'élude  de  la  lo- 
gique ,  qui  était  presque  la  seule  partie  de  la  philosophie  que  Ton 
cultivSt. 

Il  était  difficile  de  regarder  Arlstole  comme  un  guide  infaillible 
dans  la  recherche  de  la  vérité ,  sans  supposer  qu'il  avait  fait  de 
grands  progrès  dans  la  connaissance  des  objets  qu'il  avait  eia^ 

AmaurI  passa  doue  de  l'étude  de  la  logique  d'Artstote  h  l'étude 
HiAe  H  métapbjsique  et  de  sa  physique  ;  il  suivit  ce  philosophe  dans 

■  HisL  des  Églises  réform.,  t.  1,  période  A,  c.  9,  p.  103.  Kst,  de 
l'Ég-lise,  t.  ï,  I.  BD,  c.  3,  p.  liOO. 

'  Epîpli.,  Ha:r„  5!.  l'hila^l ,  De  hxr.,  c.  CD.  Aug.,  De  iia.'r.,  c  30. 
Tertull,,De  pTutcr. 

*  Rigord,  ad  au.  1209. 


1 
I 
I 

I 


52  AMA 

la  recherche  qu^il  avait  faite  delà  nature  et  de  Toriginedu  monde. 

Aristote ,  dans  ses  livres  de  métaphysique ,  examine  toutes  les 
opinions  des  philosophes  qui  Font  précédé  ;  il  les  trouve  toutes 
insuffisantes,  et  il  les  réfute  :  il  réfute  Pythagore,  qui  regarde  les 
nombres,  ou  plutôt  les  êtres  simples  et  inétendus,  comme  les  élé- 
mens  des  corps  ;  Démocrite ,  qui  croit  que  tout  est  composé  d'a- 
tomes ;  Thaïes ,  qui  tirait  tout  de  Peau  ;  Anaximandre ,  qui  croyait 
que  rinfini  était  le  principe  et  la  cause  de  tous  les  êtres. 

Après  avoir  réfuté  toutes  ces  opinions,  Aristote  suppose  que 
tous  les  êtres  sortent  d'une  matière  étendue ,  mais  qui  n'a  par 
elle-même  ni  forme ,  ni  figure ,  et  qu'il  appelle  la  matière  pre- 
mière. 

Cette  matière  première  existe  par  elle-même;  le  mouvement 
quiTagite  estnécessaire  comme  elle,  et,  quoique  Aristote  reconnût 
que  les  esprits  sont  des  êtres  immatériels ,  cependant  il  avait  quel- 
quefois semblé  supposer  que  les  esprits  étaient  sortis  de  la  matière. 

Straton ,  son  disciple ,  en  rapprochant  ces  différentes  opinions 
d* Aristote,  avait  cru  que  la  matière  première  suffisait  pour  rendre 
raison  de  l'existence  de  tous  les  êtres ,  et  qu'en  supposant  le 
mouvement  attaché  à  la  matière  première ,  on  trouverait  en  elle 
et  la  cause  et  le  principe  de  tout. 

Long-temps  après  Straton ,  des  philosophes  arabes ,  qui  avaient 
commenté  Aristote,  lui  avaient  attrif)ué cette  opinion,  et  elle  avait 
passé  dans  l'Occident  avec  les  livres  des  Arabes. 

Martin  le  Polonais  rapporte  que  Jean  Scot  Érigène  avait  adopté 
cette  opinion ,  et  qu'il  avait  enseigné  qu'il  n'y  avait  dans  le  monde 
que  la  matière  première  qui  était  tout,  et  à  laquelle  il  donnait  le 
nom  de  Dieu  ^. 

Soit  qu'Amauri  eût  envisagé  le  système  d' Aristote  sous  cette 
face,  soit  qu'il  n'eût  fait  qu'adopter  le  système  de  Straton ,  soit 
qu'il  eût  suivi  les  commentateurs  arabes  et  Scot  Érigène ,  il  crut, 
en  effet,  que  Dieu  n'était  point  différent  de  la  matière  première. 

Après  avoir  enseigné  la  logique  avec  assez  de  réputation, 
Amauri  se  livra  à  l'étude  de  l'Écriture  sainte  ,  et  voulut  l'expli- 
quer. Comme  il  était  fortement  attaché  à  ses  opinions  philoso- 
phiques ,  il  les  chercha  dans  l'Écriture  ;  il  crut  les  y  voir  ;  il  crut 
voir,  dans  le  récit  de  Moïse ,  la  matière  première ,  le  chaos  ;  il  crut 

*  Nicolaus  Trinct.  in  suo  chronico,  t,  8.  Spicileg.,  p,  550,  d'Argen* 
tréy  Collect.  Jud.,  t  1,  p.  128. 


que  cette  maUère  première  éiaiteila  cause  productrice,  et  le  fond 
duquel  tous  les  êtres  étaient  sortis ,  de  la  mauièrc  dont  Uoïse  la 

Toute  la  religion  s'offrait  alors  h  Amauri  eomme  le  développe- 
ment des  [ihénomènes  que  (levaient  présenter  le  mouvement  et  la 
matière  première. 

Ce  Tut  sur  cette  base  qu'Amaurl  bkit  sod  système  de  religion 
chrétienne. 

La  matière  première  pouvait,  par  ses  diiïérentes  formes,  pro- 
duire des  êtres  particuliers,  et  Amauri  reconDïis.s3it  dans  la  ma- 
tière première ,  qu'il  nommait  Dieu  parce  qu'elle  était  l'être 
nécessaire  et  iîiQai  ;  Amauri  reconnaissait,  dis-je,  en  Dieu  trois 
personnes ,  le  Père ,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit ,  auxquels  il  attri- 
buait l'empire  du  monde ,  et  qu'il  regardait  comme  l'objet  de  la 
religion. 

Mais,  comme  la  matière  première  était  dîns  un  m ouve oient  con- 
tinuel et  nécessaire ,  la  religion  et  le  monde  devaient  Rnir,  et  tous 
les  êtres  devaient  rentrer  dans  le  seïu  de  la  matière  première ,  qui 
était  l'être  des  êtres ,  le  premier  être ,  seul  indestructible. 

La  religion,  selon  Amauri,  avait  trois  époques,  qui  étaieut 
comme  les  règnes  des  trois  personnes  de  la  Trinité. 

Le  règne  du  Père  avait  duré  pendant  toute  la  loi  mosaïque. 
Le  règne  du  Fils,  ou  la  religion  cbtétienae ,  ne  devait  pas  du- 
'  ;5  et  les  sacremens  qui ,  selon  Amauri , 
,  ne  devaient  pas  être  éternels. 
0  temps  où  les  sacremens  devaient  cesser,  et 
T  la  religion  du  Saint-Esprit,  dans  laquelle 
t  plus  besoin  de  sacremens  et  rendraicnt.il 
culte  purement  spirituel. 
Cette  époque  était  le  r^ne  du  Saint-Esprit,  i^ne  prédit,  se- 
lon Amauri ,  dans  l'Ëcriturc ,  et  qui  devait  succéder  à  la  religion    i 
chrétienne  comme  la  religion  chrétienne  avait  succédé  à  la  ruli-  J 
gion  mosaïque. 

La  religion  chrétienne  était  donc  le  règne  de  lèsua-Christ  dans 
le  monde,  et  tous  les  hommes,  sous  cette  loi,  devaient  se  regar- 
der comme  des  membres  de  Jésus-Cbrist., 

On  se  souleva  ,  dans  l'Université  de  Paris ,  contre  la  doctrine 
d' Amauri  ;  il  la  défendit ,  et  il  parait  que  son  principe  fundamen--   j 
tal  était  ce  sophisme  de  logique  ; 

e  première  est  un  étru  simple  puisqu'elle  n 


1 


s  toujours 
ea  faisaient  1' 
11  devait  y 
alors  devait 
les  hommes 
l'Être  suprême 


$4  ANA 

Dtéy  si  quantité  9  ni  titsk  de  ce  qui  peut  déterminer  on  être  ;  or, 
ce  qui  B*a  ûi  qnamtîté ,  ni  qualité ,  est  un  être  simple ,  donc  la 
matière  première  est  nn  être  simple. 

La  religion  et  la  théologie  enseignent  que  Dieu  est  un  être 
simple  ;  or,  on  ne  peut  concevoir  de  différence  entre  des  êtres 
simples ,  parce  que  ces  êtres  ne  différeraient  que  parce  qu'il  y  au- 
rait ,  dans  un  de  ces  êtres ,  des  parties  ou  des  qualités  qui  ne  se- 
raient pas  dans  l'autre ,  et  alors  ces  êtres  ne  seraient  plus  simples. 

S'il  n*y  a  ni  ne  peut  y  sToir  de  différence  entre  la  matière  pre- 
mière et  Dieu ,  la  matière  première  est  donc  Dieu  ;  et  de  ce  prin* 
cipe  Amauri  tirait  tout  son  système  de  religion ,  comme  nous  Ta- 

▼Ons  TQ. 

Amauri ,  c(mdamné  par  TUniversité ,  appela  au  pape ,  qui  con- 
firma le  jugement  de  l'Université  ;  alors  Amauri  se  rétracta,  se  retira 
à  Saint-Martin-des-Champs,  et  y  mourut  de  chagrin  et  de  dépit  *. 

U  eut  pour  disciple  David  de  Dinant.  V&yez  cet  article. 

ANABAPTISTES ,  secte  de  fanatiques  qui  se  rebaptisaient  et 
défendaient  de  baptiser  les  enfans. 

De  Vorigine  des  Anabaptistes* 

Luther,  en  combattant  le  dogme  des  indulgences ,  avait  fait 
dépendre  la  justification  de  l'homme  uniquement  des  mérites  de 
Jésus-Christ ,  que  le  chrétien  s'appliquait  par  la  foi. 

Ainsi ,  selon  ce  chef  de  la  réforme ,  les  sacremens  ne  justi- 
fiaient point  ;  c'était  la  foi  de  celui  qui  les  recevait  *. 

Un  des  disciples  de  Luther,  nommé  Stork ,  conclut  de  ces  prin- 
cipes que  le  baptême  des  enfans  ne  pouvait  les  justifier,  et  qu'il 
fallait  rebaptiser  tous  les  chrétiens ,  puisque ,  lorsqu'ils  avaient 
été  baptisés ,  ils  étaient  incapables  de  former  l'acte  de  foi  par  le- 
quel le  chrétien  s'applique  les  mérites  de  Jésus-Christ. 

Luther  n'avait  établi  sa  doctrine  ni  sur  la  tradition ,  ni  sur  les 
décisions  des  conciles ,  ni  sur  l'autorité  des  Pères ,  mais  sur  FË- 
criture  seule  ;  or,  disait  Stork ,  on  ne  trouve  point  dans  l'Écriture 
qu'il  faille  baptiser  les  enfans;  il  faut,  au  contraire,  enseigner 
ceux  qu'on  baptise ,  il  faut  qu'ils  croient. 

Les  enfans  ne  sont  ni  susceptibles  d'instruction ,  ni  capables 

^  Guillem.  Armoricns,  Hist.  de  vitâ  et  gestis  Philip.,  ad  an.  1209. 
D'Argentré,  loc.  cit  S.  Th.  con.  Cent.,  c.  17. 
2  Luth.,  De  captivit.  Babylon.,  p.  75. 


ANA 

fle  former  Racles  de  Toi  sur  ce  qu'on  doit  croire  pour  être  chré- 
tien. Le  liaptôme  des  enfans  est  donc  une  pratique  conlraire  â 
i'Écrilure ,  el  ceux  qui  ont  été  baptisés  dans  l'enrance  u'ont  point 
en  eflel  reçu  le  bapiéme. 

Stork  ne  proposa  d'abord  cette  doclrioe  qtie  comoie  une  coosé* 
<|aence  des  principes  de  Luther  sur  la  justilication  ,  conséquence 
que  Luther  n'afait  point  voulu  développer,  selon  Siork ,  par  mé- 
iiagemenl  ou  par  prudence. 

Le  nonveau  dogme  de  Stork  ne  fut  d'abord  qu'un  sujet  de 
ronversatiou  ;  bienlât  il  se  glissa  dans  les  éi^riles  ;  on  le  mit  dani 
les  thèses  ;  il  eut  des  parlitaus  dans  les  collèges  ;  enfin ,  on  le  pro- 
posa dans  les  prédications. 

Stork,  pour  défendre  son  Bentimenl ,  s'était  anné  de  ce  prin- 
cipe fondamental  de  la  rérnrme,  savoir  :  qu'on  ne  doit  admettre 
comme  révélé  et  comme  nécessaire  au  salut  que  ce  qui  est  contenu 
dans  l'Ecriture  ;  il  condamne  comme  une  source  empoisonnée  les 
Përea ,  les  conciles ,  les  théologiens  et  les  belles-lettres.  L'étude 
des  lettres  remplissait,  selon  Stork  ,  le  cœur  d'orgueil  et  l'ea- 
prit  de  connaissances  profanes  et  dangereuses. 

Parce  moyen  ,  Stork  mit  dans  son  parti  les  iguorans,  les  sols 
el  la  populace ,  qui ,  dans  la  secte  de  Slork,  se  (roovaienl  au  ni- 
veau des  théologiens  et  des  docteurs. 

Luther  n'avait  pas  seulement  enseigné  que  l'Ëariture  était  la 
seule  règle  de  foi  et  que  chaque  fidèle  était  le  juge  du  sens  de 
l'Écriture,  il  avait  insinué  qu'il  recevait  des  lumiéi'es  eitraordi- 
nairea  du  Saint-Esprit.  Il  prétendit  que  leSaint-Esprituerefusait 
point  k  ceux  qui  les  demandaieut  les  lumières  dont  il  était  favo- 
risé; les  fidèles  n'avaient  point,  selon  btork,  d  autre  règle  de 
leur  loi  ou  de  leur  conduite  que  ces  inspirations  et  ces  avertis- 
semens  intérieurs  du  Saint-Esprit. 

Carlosiad,  Hiincer  et  d'autres  Protestant,  jaloux  de  la  puis- 
sance de  Luther,  ou  rebutés  par  sa  diirtlé,  adoptèrent  les  prin^ 
eipes  de  Stork ,  et  les  Anabaptistes  formèrent  dans  Wittemberg 
une  secte  puissante. 

Carlostad  et  Mnncer,  ï  la  léte  de  celte  secte,  coururent  d'église 
en  église ,  abattirent  les  images  et  détruisirent  tous  les  restes  du 
culte  catholique  que  Luther  avait  laissé  subsister. 

Luther  apprit ,  dans  sa  retraite ,  les  progrès  des  Anabaptistes  ; 
il  accourut  â  Wittemberg,  prêcha  contre  les  Anabaptistes ,  et  St 
^itaïuiir  Slork ,  Muncer  et  Carlostad. 


56  ANA 

Garlostad  se  retira  à  Orlemonde ,  d*o{i  il  passa  en  Suisse ,  et  y 
jeta  les  fondemens  de  la  doctrine  des  Sacramentaires. 

Stork  et  Muncer  parcoururent  la  Souabe,  laThuringe,  la  Fran- 
conie ,  semèrent  partou  t  leur  doctrine ,  et  prêchèrent  également 
contre  Luther  et  contre  le  pape  :  celui-<;i,  selon  Stork,  accablait 
les  consciences  sous  une  foule  de  pratiques  au  moins  inutiles  ; 
celui-là  autorisait  un  relâchement  contraire  à  F  Évangile  y  sa  ré- 
forme n*avait  abouti  qu'à  introduire  une  dissolution  semblable 
à  celle  du  Mahométisme.  Les  Anabaptistes  publiaient  que  Dieu 
les  avait  envoyés  pour  abolir  la  religion  trop  sévère  du  pape 
et  la  société  licencieuse  de  Luther  ;  il  fallait ,  pour  être  chré- 
tien ,  ne  donner  dans  aucun  vice  et  vivre  sans  orgueil  et  sans 
faste. 

Les  Anabaptistes  ne  prétendaient  point ,  comme  Luther,  tyran- 
niser les  consciences  ;  c'était ,  selon  eux ,  de  Dieu  seul  que  nous 
devions  attendre  les  lumières  propres  à  nous  faire  distinguer  la 
vérité  de  Terreur,  la  vraie  religion  de  la  fausse.  Dieu  déclarait, 
dans  rÉcriture ,  qu'il  accordait  ce  qu'on  lui  demandait  ;  ainsi , 
selon  Stork  et  Muncer,  on  était  sûr  que  Dieu  ne  manquait  jamais 
à  donner  aux  fidèles  des  signes  infaillibles  pour  connaître  sa  vo- 
lonté ,  lorsqu'on  les  demandait. 

La  volonté  de  Dieu  se  manifestait  en  différentes  manières,  tan- 
tôt par  des  apparitions ,  tantôt  par  des  inspirations ,  quelquefois 
par  des  songes ,  comme  dans  le  temps  des  prophètes. 

Stork  et  Muncer  trouvèrent  une  multitude  d'esprits  faibles  et 
d'imaginations  vives  qui  saisirent  leurs  principes  avidement ,  et 
ils  se  mirent  bientôt  à  la  tête  d'une  secte  d'hommes  qui  ne  raison- 
naient plus,  et  qui  n'avaient  pour  guides  que  les  saillies  et  les  dé- 
lires de  leur  imagination  ou  les  accès  de  la  passion. 

Ces  deux  chefs  sentirent  bien  qu'ils  pouvaient  imprimer  à  leurs 
disciples  tous  les  mouvemens  qu'ils  voudraient;  ils  ne  songèrent 
plus  à  opposer  à  Luther  une  secte  de  controversistes  ,  ils  aspirè- 
rent à  fonder  dans  le  sein  de  l'Allemagne  une  nouvelle  monarchie. 
Quelques-uns  de  leurs  disciples  ne  suivirent  point  les  desseins 
ambitieux  de  leurs  chefs ,  et  tandis  que  Muncer  se  croyait  tout 
permis  pour  établir  son  nouvel  empire ,  ces  Anabaptistes  paciG- 
ques  regardaient  comme  un  crime  la  défense  la  plus  légitime  con- 
tre ceux  qui  attaquaient  leurs  personnes  ou  leurs  fortunes. 
Nous  allons  suivre  les  progrès  et  les  différens  élats  de  celte 
secle. 


■  ANA  57 

iia  AtitUapliiiei  eonquéram  depuit  la  iouvtra'meté  de  Muni.êr 
jasqu'à  sa  mort. 
Une  partie  de  l' Allemagne,  ne  pouvanl  plus  Euppotler  les  Tcxa- 
lions  des  seigneurs  et  des  magistrats ,  «'était  souleTËc  el  avait 
commencé  cette  EédUioD  connue  sous  le  nom  de  guerre  des  pnj- 
sans;  ce  soulèvement  avait ,  pour  ainsi  dire,  ébraalé  tonte  l'Alle- 
magne, qui  gémissait  souE  la  tyrannie  des  seigneurs ,  et  qui  sem- 
blait D'attendre  qo'un  chef. 

Muncer  proiita  de  ces  disposilions  pour  gagner  la  confiance 
du  peuple  ;  -Nous  sommes  tous  frères,  disail-it,  en  parlant 
s  â  la  populace  assemblée,  et  nous  n'avons  qu'un  communpërc 

•  dans  Adaro  (  d'oii  vient  donc  cette  difTcrenee  de  rangs  et 
B  de  biens  que  la  tyrannie  a  introduite  entre  nous  et  les  grands  du 

>  monde?  Pourquoi  gémirons-nous  dans  la  pauvreté  el  seront 

>  nous  accablés  de  maux ,  taudis  qu'ils  nagent  dans  les  délices 

•  N'avons-nous  pas  droit  à  l'égalité  des  biens ,  qui ,  de  leur  na- 
'  ture ,  sont  iàils  pour  être  partagés  sans  distinction  entre  tous 

>  les  Lommes?  Rendex-nous,  riches  du  siècle ,  avares  usurpa- 

•  leurs,  rendez-nous  les  biens  que  vous  retenez  dans  l'injustice; 

•  ce  n'esl  pas  seulement  comme  hommes  que  nous  avons  droit  k 

•  une  égale  distribution  des  avantages  de  la  fortune  ,  c'est  aussi 
comme  chré liens. 

A  la  naissance  de  la   religion  ,  n'a-t-on  pas  vu  les  apbtres 

)ir  égard  qu'ans  besoins  de  chaque  fidèle  dans  la  réparti- 

de  l'argent  qu'on  apportait  k  leurs  pieds?  Ne  verrons-nous 

•jamais  renaître  ces  temps  heureux  !  Et  toi ,  inrorluné  troupeau 

•  de  Jésus-Christ ,  gémiras-tu  toujours  dans  l'oppression ,  sous 

>  les  puissances  ecclésiastiques  <  ! 

•  Le  Tout-Puissant  attend  de  tous  les  peuples  qu'ils  détruisent 

>  la  tyrannie  des  magistrats  ,  qu'ils  redemandent  leur  liberté  les 
»  armes  k  la  main  ,  qu'ils  refusent  les  tributs  et  qu'ils  mettent 

•  leurs  biens  en  commun. 

•  C'est  k  mes  pieds  qu'on  doit  les  apporter,  comme  on  les  cn- 

•  tassait  autrefois  aux  pieds  des  apÛtres:  oui,  mes  frères,  n'avoir 

•  rien  en  propre ,  c'est  l'esprit  du  christianisme  à  sa  naissance , 

•  et  refuser  de  payer  aux  princes  les  imp6ls  dont  ils  nous  acca- 

•  bleni,  c'est  se  tirer  de  la  sen-itude  dont  Jésus-Christ  nous  a 
'  aOranchis^.  ■ 

aLdesAnab.  Slcldan. 

riiial.duLulh, 


58  ANA 

Le  peuple  de  Mulhaosen  regarda  Muncer  comme  un  prophète 
envoyé  du  ciel  pour  le  délivrer  de  l'oppression  ;  il  chassa  les  ma- 
gistrats y  tous  les  biens  furent  mis  en  commun ,  et  Muncer  fut 
regardé  comme  le  juge  du  peuple.  Ce  nouveau  Samuel  écrivit  aux 
villes  et  aux  souverains  que  la  fin  de  l'oppression  des  peuples  et 
de  la  tyrannie  des  souverains  était  arrivée  ;  que  Dieu  lui  avait  or- 
donné d'exterminer  tous  les  tyrans  et  d'établir  sur  les  peuples  des 
gens  de  bien. 

Par  ses  lettres  et  par  ses  apôtres,  Muncer  porta  le  feu  de  la 
sédition  dans  la  plus  grande  partie  de  l'Allemagne  ;  il  fut  bientôt 
à  la  tète  d'vne  armée  nombreuse  qui  commit  de  grands  désordres  : 
de  plus  grands  malheurs  menaçaient  TAllemagne  ,  les  peuples  ré- 
voltés accouraient  de  toutes  parts  pour  se  joindre  à  Muncer. 

Le  landgrave  de  Hesse  et  plusieurs  seigneurs  levèrent  des 
troupes ,  attaquèrent  Muncer  avant  qu'il  fût  joint  par  différens 
corps  de  révoltés  qui  étaient  en  marche  ;  l'armée  de  Muncer  fut 
défaite  ;  plus  de  sept  mille  Anabaptistes  périrent  dans  celte  dé- 
route ,  et  Muncer  lui-même  fut  pris  et  exécuté  quelque  temps 
après  *. 

J^es  Anabaptistes  depuis  la  mort  de  Muncer  jusqu'à  V extinction  de 

leur  royaume  de  Munster, 

La  défaite  de  Muncer  n'anéantit  pas  l'Anabaptisme  en  Allema- 
gne :  il  s'j^entretint  et  même  s'y  accrut  ;  mais  il  ne  formait  plus 
un  parti  redoutable.  Les  Anabaptistes,  également  odieux  aux  ca- 
tholiques ,  aux  Protestans  et  aux  Sacramentaires ,  étaient  décriés 
et  punis  dans  toute  l'Allemagne. 

En  Suisse  ,  ils  soulevèrent  sans  succès  les  citoyens  et  les  pay- 
sans ;  la  vigilance  et  l'autorité  du  magistrat  déconcertèrent  leurs 
projets ,  et  ils  y  furent  traités  avec  tant  de  rigueur  qu'ils  ne  s'y 
perpétuèrent  qu'avec  beaucoup  de  secret.  Dans  plusieurs  cantons» 
on  avait  porté  peine  de  mort  contre  les  Anabaptistes  et  contre 
tous  ceux  qui  fréquentaient  leurs  assemblées ,  et  l'on  en  avait  exé- 
cuté un  grand  nombre. 

Us  étaient  traités  avec  plus  de  rigueur  encore  dans  les  Pays- 
Bas  et  en  Hollande  :  les  prisons  en  étaient  remplies ,  et  les  écha- 
fauds  étaient  presque  toujours  dressés  pour  eux  ;  mais,  quelque 
supplice  qu'on  inventât  pour  inspirer  de  la  terreur  aux  esprits ,  le 
nombre  des  fanatiques  croissait. 

^  Catrou*  Sleidan,  Seckendorf,  ibid. 


ANA  es 

M  en  temps  il  s'életail  parmi  les  Anabapiisiea  des  chefs 
qni  leur  proneilaieD  ides  temps  plus  heureux:  tels  furent  Hosman, 
Tripaaker,  etc. 

Après  eui  parut  Hathisoa ,  boulanger  d'Harlem  ;  il  eDTo;a  dix 
ap6lres  en  Frise  ,  à  Munster,  etc. 

La  religion  réformée  s'ÉLiit  établie  k  Munster,  el  les  ÂDabaplis- 
les  j  avaient  fait  des  prosélyit^s  qui  reçurent  les  noQTeaux  ap&- 
1res.  Tout  le  corps  des  Anabaptistes  s'assembla  la  sait  et  reçut  de 
l'enTojé  de  Uathison  l'esprit  apostolique  qu'il  attendait. 

Les  Anabaptistes  se  tinrent  cachés  jusqu'il  ce  que  leur  nombre 
fût  coDsidérablcmenl  augmenté;  alors  ils  cuurureut  par  le  pajs, 
criant  :  Repenlei-voiis ,  failea  pénitence  et  soyes  baptiiéi,  a/In  que 
la  cetére  de  Di  u  ne  tombe  pas  tur  vaut. 

La  populace  s'assembla  ;  tous  ceux  qui  avaient  reçu  un  second 
baptême  coururent  aussitûl  dans  les  rues,  faisant  le  même  cri; 
plusieurs  pcrsoanesse  joignirent  aux  Anabaptistes  par  simplicité, 
craignant  en  eOet  la  colère  du  ciel  dont  un  les  menaçait ,  et  d'au- 
tres parce  qu'ils  craignaient  d'Être  pillés. 

Le  nombre  des  Anabaptistes  augmenta  eu  deux  mois  de  plu- 
sieurs milliers,  et  les  magistrats  ayant  publié  un  cdit  contre  eux, 
iU  coururent  aux  armes  el  s'emparèrent  du  marché.  Les  bour- 
geois se  postèrent  dans  uu  autre  quartier  de  la  ville  :  ils  se  regar' 
dèrent  les  uns  les  autres  pendant  trois  jours;  eniin  on  convint 
que  chaque  parti  mettrait  bas  les  armes,  eiqne  l'on  se  tolérerait 
mutuellemcut,  nonobstant  la  différence  des  sentiiuens  sur  la  ré- 
Mais  les  Anabaptistes  craignirenlqu'on  ne  les  altaqnSt  de  nuit, 
pendant  qu'ils  .seraient  désarmés  ;  ils  envoyèrent  seerèlement  des 
messagers  en  différens  lieux  avec  des  lettres  adressées  ï  leurs 
adhérens. 

Ces  lettres  punaïent  qu'un  prophète  envoyé  de  Dieu  était  ar- 
rivé il  Muuster,  qu'il  prédisait  des  évënemens  merveilleux,  et 
qu'il  instruisait  les  hommes  des  moyens  d'obtenir  le  salut  :  un 
Dombie  prodigieux  d'Anabaptistes  se  rendit  â  Hunster  ;  alors  les 
Anabaptistes  de  celte  ville  coururent  dans  les  rues,  criant  :  Reii- 
rei-WI»,  méchant,  si  tou»  vimlei  éviter  uae  enliire  4e»ttvetlon  ; 
car  on  auiera  la  télé  à  tout  ceuJ^  gui  refuseront  de  te  faire  rebnp- 
liier.  Alors  le  clei^é  et  les  bourgeois  abandonnèrent  la  ville;  les 
Anabaptistes  pillèrent  les  églises  et  les  maisoni  abandonnées ,  et 
.  brQlèrail  tous  les  livres,  tacepté  la  Bible. 


■ 
■ 


60  ANA 

Pea  de  temps  après ,  la  ville  fut  assiégée  par  Tévéque  de  Muns<« 
ter,  et  Mathison  fut  tué  dans  une  sortie. 

La  mort  de  Mathison  consterna  les  Anabaptistes  ;  Jean  de  Leyde 
on Bécold courut  nu  dans  les  rues,  criant  :  Le  roi  de  Sion  vient; 
après  cette  action ,  il  i  entra  chez  lui ,  reprit  ses  habits ,  et  ne  sor- 
tit plus  ;  le  lendemain ,  le  peuple  vint  en  foule  pour  savoir  la  cause 
de  cette  action, 

Jean  Bécold  ne  répondit  rien ,  et  il  écrivit  que  Dieu  lui  avait 
lié  la  langue  pour  trois  jours. 

On  ne  douta  pas  que  le  miracle  opéré  dans  Zacharie  ne  se  fût 
renouvelé  dans  Jean  Bécold ,  et  Ton  attendit  avec  impatience  la 
fin  de  son  mutisme. 

Lorsque  les  trois  jours  furent  écoulés ,  Bécold  se  présenta  au 
peuple,  et  déclara ,  d*un  ton  de  prophète,  que  Dieu  lui  avait 
commandé  d'établir  douze  juges  sur  Israël.  Il  nomma  donc  des 
juges ,  et  fit ,  dans  le  gouvernement  de  cette  ville ,  tous  les  chan- 
gemens  qu*il  voulut  y  faire. 

Lorsque  Bécold  se  crut  bien  affermi  dans  Tesprit  des  peuples , 
un  orfèvre,  nomme  Tusehocierer,  vint  trouver  les  juges  et  leur 
dit  :  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  Dieu  TÉternel  :  «  Gomme  autre- 
»  fois  j'établis  Saûl  roi  sur  Israël ,  et  après  lui  David ,  bien  qu'il 
»  ne  fût  qu'un  simple  berger,  de  même  j'établis  aujourd'hui  Bé- 
»  cold,  mon  prophète,  roi  en  Sion.  » 

Un  autre  prophète  accourut  et  présenta  une  épée  à  Bécold  ,  en 
disant  :  Dieu  Rétablit  roi,  non-seulement  sur  Sion,  mais  aussi  sur 
toute  la  terre.  Le  peuple,  transporté  de  joie ,  proclama  Jean  Bé- 
cold roi  de  Sion  ;  on  lui  fit  une  couronne  d'or  et  l'on  battit  mon- 
naie en  son  nom. 

Bécold  ne  fut  pas  plus  tôt  proclamé  roi  qu'il  envoya  vingt-six 
apôtres  pour  établir  partout  son  empire.  Ces  nouveaux  apôtres 
excitèrent  des  désordres  dans  tous  les  lieux  où  ils  pénétrèrent, 
surtout  en  Hollande ,  où  Jean  de  Leyde  disait  que  Dieu  lui  avait 
donné  Amsterdam  et  plusieurs  autres  villes  :  les  Anabaptistes  cau- 
sèrent de  grands  désordres  dans  ces  villes,  et  on  en  fit  mourir  un 
grand  nombre. 

Le  roi  de  Sion  apprit  avec  douleur  les  malheurs  de  ses  apôtres; 
le  découragement  se  mit  dans  Munster  ;  bientôt  après  la  ville  fut 
prise  par  l'évêque  ;  Jean  de  Leyde  ou  Bécold  fut  pris  lui-même  et 
tenaillé  en  1536. 
C'est  ainsi  que  finit  le  règne  des  Anabaptistes  à  Munster. 


Det  AMb<9tiifet  conguirans  depuis  l'exlineliM  de  leur  rogame 
de  Mitai  ter. 

Les,  ÂDabapiisli?s  furent  poursuhis  et  observés  soigneusement 
par  tous  les  princes  et  les  magislriits,  qui,  ayant  toujours  devant 
ïesyeuKreieniple  de  Munsicr,  ne  leur  iloonËreut  aucun  rellcho. 
En  Hollande  on  ne  cessa ,  pendant  plusieurs  années,  de  faire  des 
exécutions;  dU  ans  après  la  réduction  de  Hunster,  on  fit  péril 
beaucoup  d'Anahapllites  qui  cherchaient  i  rétablir  leur  parti  ; 
quelques-uns  s'échappèrent ,  mais  le  plus  grand  nombre  moi 
avec  un  catirage  étonnant  :  on  en  vit  qui ,  pouvant  se  saaver,  pri- 
férërenl  de  mourir,  parce  qu'ils  se  trouvaient  dans  un  état  âne 
pouvoir  espérer  de  devenir  meilleurs  par  une  plus  longue  vie. 

Les  Anabaptistes  furent  traités  avec  la  même  rigueur  en  Angle- 
terre, où  cependant  ils  firent  des  prosélytes;  en  Allemagne,  en 
Suisse,  ils  se  reproduisirent  sans  cesse. 

Voilà  quelle  fut  partout  la  destinée  des  Anabaptistes,  dont  le 
principal  dessein  était  de  former  un  rojaume  temporel ,  et  même 
tme  monarchie  universelle,  par  la  destruction  de  toutes  les  puis- 
sances :  dispersés  sur  li  terre  et  hors  d'état  de  rien  entreprendre , 
ils  renoncèrent  au  projet  insensé  de  soumettre  h  terre  à  leurs  o|  ~ 
nions  ;  leur  fanatisme  ne  fut  plus  une  fureur ,  ils  se  réunirent  av 
les  Anabaptistes  purs  et  pacifiques. 

Dei  ÀnabaplisUi  pacifiques. 

L'esprit  de  révolte  et  de  sédition  n'était  pas  essentiel  à  VAna- 
baplUme ,  et  Stork  ne  trouva  pas  partout  des  caractères  tels  que 
celui  de  Muncer  :  quelques-uns  de  ses  disciples ,  au  lieu  de  se  iou- 
lever  contre  les  puissances  séculières ,  entreprirent  de  réunir  les 
Ânabaptiiiles  dispersés  dans  lesdifférentcs  parties  de  l'Allemagne, 
de  se  soustraire  aux  poursuites  des  magistrats  et  de  former  une  so- 
ciété purement  religieuse  :  tels  furent  Hntter ,  Gabriel  et  Menno , 
qui  formèrent  la  société  des  Frères  de  Moravie  et  celle  des  Men- 
nonites. 

§  1.  —  De»  Frères  de  Moravie. 

Dutter  et  Gabriel,  tous  deux  disciples  de  Stork,  achetèrent 
dans  la  Moravie  un  terrain  assez  étendu  et  daus  un  canton  fertile , 
mais  ini'ulie  ;  ils  parcoururent  ensuite  la  Silésie ,  la  Bohême ,  la 
âtyrîe  et  la  Suisse ,  annunçaui  partout  que  Dieu  avait  élu  un  peu- 
ple selon  son  Gceur  ;  que  ce  peuple  était  répandu  dans  les  eoutrées 


I 


M  ANA 

de  riddâtrie;  que  le  moment  de  rassembler  Israël  était  yen»;  qu^l 
fallait  que  les  Trais  fidèles  sortissent  de  TÉgypte  et  passassent  dans 
la  terre  de  promission. 

Lorsque  Hutter  eut  réuni  assez  d*  Anabaptistes  pour  former  une 
société  y  il  fit  un  symbole  et  des  lois. 

Ce  symbole  portait  :  1°  que  Dieu,  dans  tous  les  siècles,  s*était 
choisi  une  nation  sainte  qu'il  ayait  faite  la  dépositaire  du  vrai 
culte  ;  que  la  difiiculté  était  d*en  connaître  les  membres  dispersés 
parmi  les  enfans  de  perdition  et  de  les  réunir  en  corps  pour  les 
conduire  à  la  terre  promise  ;  que  ce  peuple  était  sans  doute  celui 
que  Hutter  rassemblait  pour  le  fixer  en  Moravie  ;  enfin,  que  de  se 
séparer  du  chef  ou  de  négliger  les  lois  du  conducteur  dlsraël,  c'é- 
tait le  signe  d'une  damnation  certaine. 

2°  Qu'il  faut  regarder  comme  impies  toutes  les  sociétés  qui  ne 
mettent  pas  leurs  biens  en  commun  ;  qu'on  ne  peut  pas  être  riche 
en  particulier  et  chrétien  tout  ensemble. 
3»  Que  Jésus-Christ  n'est  pas  Dieu,  mais  prophète. 
4f<*  Que  des  chrétiens  ne  doivent  pas  reconnaître  d'autres  magis- 
trats que  les  pasteurs  ecclésiastiques. 

5"  Que  presque  toutes  les  marques  extérieures  de  religion 
sont  contraires  à  la  pureté  du  christianisme,  dont  le  culte  doit  être 
dans  le  cœur,  et  qu'on  ne  doit  point  conserver  d'images,  puisque 
Dieu  l'a  défendu. 

6®  Que  tous  ceux  qui  ne  sont  pas  rebaptisés  sont  de  véritables 
infidèles,  et  que  les  mariages  contractés  avant  la  nouvelle  régéné- 
ration sont  annulés  par  rengagement  que  l'on  prend  avec  Jésus- 
Christ. 

?•  Que  le  baptême  n'effaçait  le  péché  originel  ni  ne  conférait 
la  grâce;  qu'il  n'était  •  u'un  signe  par  lequel  tout  chrétien  se  li- 
vrait à  l'Église. 

8**  Que  la  messe  est  une  invention  de  Satan,   le  purgatoire 

une  rêverie  et  l'invocation  des  saints  une  injure  faite  à  Dieu  ;  que 

le  corps  de  Jésus-Christ  n'est  pas  réellement  dans  l'Eucharistie. 

Tels  sont  les  dogmes  que  professaient  les  Anabaptistes  réunis 

par  Hutter,  et  qui  prirent  le  nom  de  Frères  de  Moravie. 

Comme  parmi  eux  on  n'accordait  le  baptême  qu'aux  personnes 
d'un  &ge  mûr,  on  demandait  au  prosélyte  s'il  n'avait  jamais  exercé 
de  magistratures  et  s'il  renonçait  à  tout  le  faste  et  à  toute  la 
pompe  de  Satan  qui  les  accompagnent.  On  examinait  ses  mœurs» 
et  il  n'était  jugé  digne  d'être  admis  au  nombre  ^es  Frères  que 


I 


I 
I 


ANA  «I 

fane  voix  uDanime,  on  avait  entendu  le  peuple  nier 
Qa»nteàaptUe!  Alon  le  puslcur  prenait  de  l'eâu,  la  rùpandait 
sur  le  proséljle  en  prononçanl  ces  mots  :  Je  le  baptise,  au  nom 
du  Père,  eldu  Filseidu  Sainl-Eipril. 

Parmi  les  Hultériles,  on  recevait  la  cèaeileui  fois  l'aima,  »  i 
leoips  que  le  cheTavait  marqué  pour  la  communion  publique  ;  c'h  i 
tait  d'ordinaire  dans  on  po^le  ou  dans  nne  salle  qui  servait  de  ré- 
fectoire aux  Frères  que  l'on  a'assembbit  pour  partitiper  aux 
mystères, 

La  cérémonie  commençait  par  ta  lecture  de  l'Évangile  en  lan- 
gue vulgaire  ;  on  faisait  un  sermon  sur  ce  qu'on  avait  lu,  el ,  lia 
fin  du  sermon ,  l'ancien  allait  porter  i  chacun  des  frères  un  mor- 
ceau de  pain  commun  ;  tous  le  recevaient  dans  leurs  mains  qu'ils 
tenaient  étendues  ,  tandis  que  le  prédicateur  expliquait  le  mys- 
tère ;  enfin,  il  prononçait  i  baute  voix  ces  paroles  :  Prenex,  ma 
friret,  manget,  anneneex  la  mort  dit  Seigneur . 

Alors  tous  mangeaient  le  pain;  l'ancien  allait  ensuite  de  rang 
en  rang  avec  sa  coupe,  et  le  prédicateur  disait  :  Buvei,  au  nom 
du  ChritI,  en  mémoire  de  sa  mort.  Tous  buvaient  alors  le  calice  et 
demeuraient  ensuite  dans  nne  espèce  d'extase  dont  ils  n'étaient 
tirés  que  parles  eihorlationa  du  prédicateur,  qui  leur  expliquait 
les  eftets  que  devait  produire  en  eux  le  mystère  auquel  ils  avaient 
dA  participer. 

La  cène  n'était  pas  plus  lâlfiniequ'on  détachait  de  l'assemblée 
de»  apôtres  dans  les  provinces  voisines. 

Les  Anabaptistes  n'avaient  guère  d'autres  exercices  de  religion 
que  la  réception  de  la  cène,  sinon  qu'ils  s'assemblaient  tous  les 
mercredis  et  tons  les  dimanches,  par  pelotons,  en  des  maisons  par- 
ticulières, pour  y  faire  ou  pour  y  entendre  des  sermons  sans  ordri; 
et  sans  {Réparation. 

Les  Frères  de  Moravie  habitaient  toujours  la  campagne,  dans 
des  terres  de  gentilshommes ,  qui  trouvaient  leur  intérêt  S  les 
donner  6  ferme  h  une  colonie  d'Anabaptistes,  qui  rendait  toujours 
■u  seigneur  le  double  de  ce  que  lui  aurait  produit  un  fermier  or- 
dinaire. 

Lorsqu'on  leur  avait  confié  un  domaine,  ils  Venaient  y  demeu- 
rer tons  ensemble  dans  nn  emplacement  séparé  qu'on  enfermait 
de  palissades.  Chaque  ménage  y  avait  sa  liullc,  bStic  sans  urne- 
mens;  mais  en  dedans  elle  était  propre. 

Aa  milieu  de  la  colonie,  on  avait  érigé  des  appartemens  pu- 


J 


64  ANA 

blîcs»  destinés  aux  fonctions  de  la  communauté  ;  on  y  voyait  un 
réfectoire,  où  tous  s'assemblaient  au  temps  du  repas  ;  on  y  avait 
construit  des  salles  pour  travailler  aux  métiers  que  l'on  ne  peut 
exercer  qu'à  couvert  ;  on  y  avait  érigé  un  appartement  où  Ton 
nourrissait  les  petits  enfans  de  la  colonie.  Il  serait  difficile  d'ex- 
primer avec  quel  soin  les  veuves  s'acquittaient  de  cette  fonction. 

Dans  un  autre  lieu  séparé  on  avait  dressé  une  école  publique 
pour  l'instruction  de  la  jeunesse;  ainsi  les  parens  n'étaient  char- 
gés ni  de  la  nourriture,  ni  de  l'éducation  de  leurs  enfans. 

Gommç  les  biens  étaient  en  commun,  un  économe  qu'on  chan- 
geait tous  les  ans  percevait  seul  les  revenus  de  la  colonie  et  les 
fruits  du  travail;  c'était  à  lui  de  fournir  aux  nécessités  de  la  com- 
munauté. Le  prédicant  et  l'archimandrite  avaient  une  espèce  d'in- 
tendance sur  la  distribution  des  biens  et  sur  le  bon  ordre  de  la 
discipline. 

La  première  règle  était  de  ne  point  souffrir  de  gens  oisifs  parmi 
les  Frères.  Dès  le  matin,  après  une  prière  que  chacun  faisait  en 
secret,  les  uns  se  répandaient  dans  la  campagne  pour  la  cultiver  ; 
d'autres  exerçaient  en  des  ateliers  les  métiers  qu'on  leur  avait 
appris  ;  personne  n'était  exempt  du  travail.  Ainsi,  lorsqu'un 
homme  de  condition  s'était  fait  Frère,  on  le  réduisait,  selon  l'arrêt 
du  Seigneur,  à  manger  son  pain  à  la  sueur  de  son  front. 

Tous  les  travaux  se  faisaient  en  silence;  c'était  un  crime  de  le 
rompre  au  réfectoire.  Avant  que  de  toucher  aux  viandes,  chaque 
Frère  priait  en  secret  et  demeurait  près  d'un  quart  d'heure ,  les 
mains  jointes  sur  la  bouche,  dans  une  espèce  d'extase.  On  ne  sor- 
tait point  de  table  qu'on  n'eût  prié  en  secret  un  autre  quart 
d'heure;  après  le  repas,  chacun  reprenait  son  travail. 

Le  silence  était  observé  rigoureusement  aux  écoles  parmi  les 
enfans.  On  les  aurait  pris  pour  des  statues  d'une  même  parure, 
car  tous  les  Frères  et  toutes  les  Sœurs  avaient  des  habits  de  la 
même  étoffe  et  taillés  sur  le  même  modèle. 

Les  mariages  n'étaient  point  l'ouvrage  de  la  passion  ou  de  l'in- 
térêt; le  supérieur  tenait  un  registre  des  jeunes  personnes  des 
deux  sexes  qui  étaient  à  marier  ;  le  plus  âgé  des  garçons  était 
donné,  à  tour  de  rôle,  pour  mari  à  la  plus  âgée  des  filles.  Celle 
des  deux  parties  qui  refusait  de  s'allier  avec  l'autre  passait  au  der- 
nier rang  de  ceux  qui  devaient  être  mariés;  alors  on  attendait 
que  le  hasard  assortît  ces  personnes. 

Le  jour  des  noces  était  célébré  avec  peu  d'appareil  î  seule- 


ANA 

fflent  réeonome  aagineDiait  de  qnelijnes  meis  le  repas  des  n 
ïcaiiï  épouï,  el  ce  seul  joiir-li  olail  pour  eui  un  jour  <!o  fêle  ; 
□D  les  eiemplail  de  travail.  Alors  od  leur  assignail  uoe  haltb 
pnrée  dans  l'endos,  à  cnodlllon  que  la  femnie  se  Irouverail  tous 
iesjoursà  son  poste,  dans  la  salle  des  travaux,  et  que  le  mari  : 
transporterait,  il  l'ordinaire,  U  la  campagne  ou  dans  les  atelie: 
potir  s'acquitter  de  ses  emplois. 

Le  vice  n'avait  point  corrompu  ces  sociétés  ;  on  n'j  voyait  ai 
cune  trace  des  dérègleuiens  que  l'on  reprochait  huï  différentes 
sectes  des  Anabaptistes  :  on  ne  punissait  les  infractions  des  lois 
que  par  des  peines  spirituelles  ,  telles  que  le  retranchement  de  la 
cène,  et   l'on  renvoyait   ilana  le   siècle  ceux  qui  ne   se   eo. 
geaient  pas. 

S'il  arrirait  que  l'emportement  eût  fait  commettre  un  homicide 
qu'il  aurait  été  dangereux  de  laisser  impuni,  comme  on  avait  hor 
reur  de  répandre  le  sang  du  coupable ,  on  avait  imaginé  un  genn 
de  supplice  fort  extraordinaire  :  c'était  de  chatouiller  le  criminel 
jusqu'il  ce  qu'il  mourût. 

Il  s'en  fallait  beaucoup  que  les  Frères  de  Horavie  dépensassent 
tout  ce  qu'ils  gagnaient;  de  l!i  les  richesses  que  les  économes  de 
chaque  colonie  accumulaient  en  secret;  on  n'en  rendait  compte 
qu'au  premier  chef  de  toute  la  secte  :  elle  en  avait  un  qui  n'était 
connu  que  des  Frères ,  et  qu'on  ne  révélait  point  au  publie.  Par 
la  destination  de  ce  chef  ou  de  ce  premier  archimandrite,  on  em- 
ployait le  superflu  des  colonies  au  profit  de  toute  la  secte  :  souvent 
il  arrivait  qu'on  achetait  en  propre  les  terres  qu'on  n'avait  tenues 
qa'ï  ferme. 

S  II.  —  De  la  deilruction  des  Frères  de  Moranie. 

Tout  semblait  conspirer  Si  protégée  les  FrÈres  de  Moravie  ;  la 
noblesse  trouvait  son  compte  à  faire  cultiver  ses  terres  par  des 
Iiommes  infaligahles  et  fidèles.  On  n'avait  point  de  plaintes  1  faire 
d'une  société  dont  tous  les  règlemens  n'avaieni  point ,  ce  semble , 
d'autre  but  que  l'utilité  publique;  cependant  le  zèle  de  la  religion 
l'emporta  dans  le  cœur  de  Ferdinand  sur  l'utilité  temporelle  :  ce 
prince,  dit  le  P.  Catrou,  conçut  qu'à  tout  prendre  il  était  dange- 
Kui  de  voir  sous  son  règne  se  former  une  république  indépen- 
dant* des  magistrats  civils  elconiraire  à  l'obéissance  des  souverains, 
't^'double  intérêt  de  la  religion  et  de  l'I^tal  le  rendit  donc  eunciDî 


66  ANA 

déclaré  des  Huttérites  en  particulier^  comme  il  Tavait  été  des  Ana- 
baptistes en  général. 

Le  maréchal  de  Moravie  reçut  donc  ordre  de  chasser  les  Ana- 
baptistes :  ils  réclamèrent  l'autorité  des  lois  qui  les  avaient  rendus 
possesseurs  légitimes  de  leurs  habitations.  La  noblesse  et  les  villes 
de  Moravie  s'intéressèrent  pour  eux  ;  mais  rien  ne  put  fléchir 
Ferdinand ,  il  envoya  des  troupes  contre  les  Anabaptistes.  Alors^ 
continue  le  P.  Gatrou  »  les  Frères  de  Moravie  abandonnèrent  leurs 
habitations  à  Tavarice  des  soldats;  pour  eux,  sans  donner  la 
moindre  marque  d'indignation  ou  de  révolte ,  ils  quittèrent  la  Mo* 
ravie  par  bandes  pour  se  retirer  dans  un  pays  inhabité ,  inculte  et 
stérile ,  proche  de  la  Moravie. 

La  Moravie  ne  tarda  pas  à  sentir  la  perte  qu'elle  avait  faite  :  on 
se  plaignit  bientôt  de  voir  les  terres ,  autrefois  si  fertiles  et  si 
cultivées  par  l'industrie  des  Anabaptistes ,  devenues  désertes  ou 
négligées  depuis  leur  expulsion. 

Tandis  que  les  Huttérites  étaient  consumés  par  la  faim  dans 
leurs  déserts ,  les  Moraves  soupiraient  après  le  retour  de  ces 
pauvres  exilés  :  bientôt  on  se  plaignit ,  on  murmura ,  et  la  Mora- 
vie était  prête  à  se  soulever.  On  rappela  les  Anabaptistes ,  et  ce 
fut  après  leur  rappel  que  la  discorde  troubla  leurs  colonies  ;  elles 
étaient  gouvernées  par  Hutter  et  par  Gabriel ,  deux  hommes  d'un 
caractère  bien  différent.  Hutter  invectivait  sans  cesse  contre  l'au- 
torité des  magistrats ,  il  prêchait  dans  toute  sa  rigueur  l'égalité 
des  hommes.  Gabriel,  plus  doux,  voulait  qu'on  se  conformât  aux 
lois  civiles  des  pays  où  l'on  était.  Hutter  et  Gabriel  se  brouillèrent 
et  formèrent  deux  sectes  séparées,  qui  s'excommunièrent  :  ainsi 
les  Frères  de  Moravie  furent  partagés  en  Gabriélistes  et  en  Hutté- 
rites. Hutter  et  Gabriel  allèrent ,  chacun  de  leur  côté ,  former  de 
nouveaux  établissemens  ;  leur  projet  était  de  se  rendre  partout 
les  seuls  laboureurs  de  l'Allemagne  et  les  meilleurs  artisans  des 
villes. 

Ainsi ,  dans  les  colonies  des  Anabaptistes  on  trouvait  générale- 
ment de  quoi  fournir  aux  besoins  de  toutes  les  villes.  De  là ,  dit  le 
P.  Gatrou ,  la  ruine  et  les  murmures  des  anciens  habitans  du  pays  ; 
on  s'aperçut  d'ailleurs  que  Hutter,  dans  les  différentes  provinces 
où  il  allait ,  engageait  les  particuliers  à  vendre  leurs  biens  pour 
ses  établissemens  ;  on  l'arrêta  comme  ennemi  de  la  société  ,  et  on 
le  brûla  comme  hérétique. 

Après  la  mort  de  Hutter,  ces  deux  sectes  se  réunirent  ;  mais  la 


I 
I 
I 


ANA  «fl 

diKif^im  se  relâcha ,  le  luie  s'introduisit  dans  les  colonies  et  y 
attira  fous  les  vices. 

Tonte  l'adresse  des  archimandriics  sufliflaît  ï  peine  S  courrir 
les  désordres  des  colonies  ;  on  ne  prêchait  pins  aux  Frères  que 
des  raisons  de  politique  pour  arrêter  le  cours  des  désordres  qu'il 
était  dangereni ,  disaii-oo  ,  de  faire  éclater  au  dehors  :  on  ne  les 
entretenait  presque  plus  de  Dieu  et  de  la  sévérité  de  ses  jugemens. 
Pour  les  mystères  de  la  Trinité  et  de  l'incarnation  du  Verbe,  ils 
paraissaient  entiémnent  oubliés;  on  y  tolérait  toutes  les  sectes 
de  l'ÂnabapIisme ,  Sabbataires,  Clanculaires ,  etc.,  dont  nous 
parlerons  dans  un  article  séparé. 

Gabriel  s'opposa  de  toutes  ses  forces  à  ces  désordres  ;  il  devînt 
odieux  k  la  secte ,  qui  le  fil  chasser  de  Moravie  ;  il  se  relira  en 
Ptdogne ,  et  linit  dans  la  misère  nae  vie  toujours  occupée  de  l'é- 
tablissement et  de  la  gloire  de  sa  secte. 

La  communauté  des  Frères  de  Moravie  ne  laissa  pas  de  subsi- 
ster après  le  départ  de  Gabriel.  Feldhaller,  successeur  de  Gabriel, 
s'appliqua  nniquenrent  à  enrichir  ses  colonies ,  mais  il  n'y  rétablit 
pas  l'ordre  et  la  discipline  primitive  ;  le  mépris  des  pciiples  suivit 
le  dérèglement  des  Anabaptistes ,  et  la  persécution  fut  la  suite  du 
mépris;  enfin,  vers  l'an  1620,  cette  communauté  si  défigurée 
fnl  presque  détruite  :  un  grand  nombre  de  Frères  se  relira  en 
Transylvanie  et  s'y  réooil  avec  les  Sociniena. 

D^uis  que  les  Kouakres  se  sont  établis  en  Transylvanie  et  y 
ont  reçu  toutes  les  sectes  chrétiennes ,  beaucoup  d'Anabaptistes 
de  Moravie  y  ont  passé.  J 

Da  AnabapiiHet  pacifiques  de  Hollande  appelés  Meanonilet.  M 
Deui  frères ,  dont  l'un  se  nommait  Ubbo  et  l'autre  Théodore 
Philippes ,  fils  d'un  pasteur  de  Leuwarde ,  après  avoir  embrassé 
la  secte  des  Anabaptistes,  avaient  été  établis  évêqucs  en  lS3é. 
Ces  deni  frères  n'avaient  jamais  approuvé  ni  les  senlimens  ni  les 
desseins  des  Anabaptistes  de  Huoster  au  sujet  du  royaume  lem- 
portl.  Après  l'extinction  de  ce  royaume ,  ils  ramassèrent  les  restes 
des  Anabaptistes  et  formèrent  le  projet  d'en  faire  une  nouvelle 
eecte  :  ils  communiquèrent  leur  dessein  i  Menno,  curé  dans  ta 
Frise ,  el  l'engagèrent  à  quitter  sa  cure  pour  se  faire  évèque  des 
Anabaptistes. 

Menno,  devenu  l'évéque  des  Anabaptistes ,  travailla  avec  tant 
d'ardeur  et  de  succès  à  Ictablissenieni  de  sa  secte  ,  qu'en  peu  dçj 


68  ANA 

temps  sa  doctrine  fut  reçue  par  un  grand  nombre  de  personnes 
en  Frise ,  en  Westphalie ,  en  Gueldre,  en  Hollande ,  dans  le  Bra- 
bant  et  en  divers  autres  lieux. 

,  Ce  ne  fut  pas  sans  de  grands  obstacles  :  on  publia  des  édits  sé- 
vères contre  les  Mennonites  ,  on  en  brûla  un  grand  nombre  et 
Ton  fit  mourir  un  habitant  de  Harlingen,  en  Frise,  pour  avoir  reçu 
chez  lui  Menno  Simonis. 

Les  Mennonites  se  divisèrent  bientôt  entre  eux  ;  il  s^éleva  de 
grandes  contestations  dans  cette  secte ,  au  sujet  de  l'excommuni- 
cation :  on  tint  un  synode  à  Wismar,  où  Menno  faisait  sa  rési- 
dence. 

Dans  ce  synode,  on  agit  avec  force  et  avec  chaleur  contre  ceux 
qui  transgressaient  les  ordres  ;  on  ordonna  que  le  mari  abandon- 
nerait sa  femme  excommuniée ,  et  semblablement  la  femme  son 
mari ,  et  que  les  parens  d'une  personne  excommuniée  n'auraient 
plus  aucun  commerce  avec  elle. 

Ce  synode  fut  condamné  dans  une  assemblée  qui  se  tint  la 
même  année  à  Meklenbourg^  et  Ton  y  ordonna  que  Ton  ne  pro- 
céderait pas  si  rigoureusement  à  l'égard  des  personnes  jugées  di- 
gnes d'excommunication. 

Ce  différent  causa ,  dans  la  suite  ,  d'autres  schismes  parmi  les 
Anabaptistes  ,  au  sujet  de  plusieurs  questions  qui  furent  agitées 
sur  les  moyens  de  se  servir  du  glaive  charnel  sans  recourir  au 
magistrat ,  et  ces  questions  échauffièrent  si  fort  les  esprits ,  que 
Menno  ayant  excommunié  un  nommé  Gnyper  parce  qu'il  n'était 
pas  dans  ces  sentimens ,  celui-ci  l'excommunia  à  son  tour. 

Cette  division  des  Anabaptistes  augmenta  considérablement 
Tannée  suivante  ,  surtout  à  Embden,  où  il  y  eut  de  grands  dés- 
ordres au  sujet  d'une  femme  dont  on  avait  excommunié  le  mari  : 
cette  femme  n'ayant  pas  voulu  se  séparer  de  son  mari ,  les  uns  pré- 
tendaient qu'il  fallait  l'excommunier,  les  autres  s'y  opposaient. 

On  écrivit  à  Menno ,  qui  répondit  qu'il  ne  consentirait  jamais 
qu'on  usât  d'une  si  grande  rigueur  à  l'égard  de  l'excommunica- 
tion ;  mais  les  Anabaptistes  rigides  le  menacèrent  de  l'excommu- 
nier lui-même ,  et  il  fut  obligé  de  suivre  leur  sentiment. 

C'est  de  ces  divers  sentimens  au  sujet  de  l'excommunication 
que  sont  venues  les  diverses  factions  qui  séparent  encore  aujour- 
d'hui les  Mennonites. 

Les  Anabaptistes  rigides  se  sont  encore  divisés ,  de  sorte  que 
les  uns  sont  plus  rigides  et  les  autres  plus  relâchés  ;  tous  s'ex- 


AÎSA  (i9 

l  réciproqaemenl ,  et  rien  n'a  pu  récoocilier  ces 
diDërens  partis. 

Après  la  mort  de  Menno ,  le  schisme  s'augnieiita  eolro  ses  sec- 
tateurs ,  et  surtout  entre  ceux  de  Flandre  et  de  Suisse  :  pour  le 
faire  cesser,  les  deux  partis  prirent  des  arbitres  et  promirent  de 
s'en  tenir  i.  lenr  jugement  ;  les  Flamands ,  qui  étaient  les  Men- 
Doniles  rigides  ,  furent  condamnés;  mais  ils  accusèrent  les  arbi- 
tres de  partialité ,  rompirent  tout  commerce  avec  les  Mennonites 
mitigés ,  et  ce  fut  on  crime  de  converser,  de  manger,  de  parler 
et  d'avoir  la  moindre  conversation  ensemble ,  même  à  l'article  de 
la  mort. 

Les  Provinces- Unies  s'étani  soustraites  à  la  domination  de 
l'Espagne,  les  Anabaptistes  ne  furent  plus  persécutés.  Guil- 
laume I,  prince  d'Orange ,  ayant  besoin  d'une  somme  d'ai^ent 
pour  soutenir  la  guerre,  la  fil  demander  aux  Metmonites  ,  qui  la 
lui  envoyèrent.  Le  prince  ayant  reçu  la  iomme  et  signé  mie  obli- 
gation ,  il  leur  demanda  quelle  grâce  ils  sonbattaient  qu'on  leur 
accordât  :  les  Anabaptistes  demandèrent  i  être  tolérés ,  et  ils  le 
fhrent  eu  eiTet  après  que  la  révolution  fut  accomplie. 

A  peine  les  ministres  protestaos  jouissaient  de  l'exercice  de 
leur  religion  dans  les  Provinces-Unies,  qu'ils  firent  tous  leurs 
cRbrts  pour  rendre  les  Anabaptistes  odienx   et  pour  les  faire 

Toutes  les  difficultés  qu'ils  essnyèreut  de  la  part  des  Églises 
réformées  et  des  magistrats  du  pajs,  jnsquevers  le  milieu  du  der- 
mier  siècle,  ne  les  empécbèrent  point  de  continuer  leurs  divisions, 
lia  assemblèrent  cependant  un  synode  il  Dordreebt,  en  IG33,  poue 
travailler  ù  se  réunir,  et  il  s'y  flt  une  espèce  de  traité  de  paix  qui 
fut  signé  de  ISl  Mennonites  ;  mai.s ,  quelques  années  après ,  il 
s'éleva  de  nouveaux  schïsmatiqu es  dans  la  secte  de  Menno. 

Le  Mennonisme  a  aujourd'hui  deux  grandes  Lrancbes  en  Hol- 
lande, sous  le  nom  desquelles  tous  les  Frères  sont  compris  :  l'une 
est  celle  des  Waterlandcrs  ,  l'autre  celle  des  Flamands  ;  dans 
ceui-ci  sont  renfermés  les  Mennonites  frisons  et  les  altemanils , 
qui  sont  proprement  la  secte  des  Anabaptistes  anciens ,  plus  mo- 
dérés ,  i  la  vérité,  que  leurs  prédécesseurs  ne  le  furent  en  Alle- 
magne et  en  Suisse. 

Parmi  les  Flamands ,  on  trouve  beaucoup  de  Sociniens. 

En  166i,  l'État  fut  obligé  d'imposer  son  autorité  pour  leur  dé- 
disputer sur  la  divinité  de  Jésus-Christ.  On  It 


1 


I 


70  ANA 

aussi  Galénites  9  du  Dom  de  Galénus  >  médecin  et  fameux  prédi- 

cant  mennonite. 

Outre  ces  branches  du  Mennonisme ,  il  ]f  a  à  Amsterdam  diver- 
ses petites  assemblées  moins  connues  ;  ces  Mennonites  diffèrent 
les  uns  des  autres  en  divers  points  de  peu  dUmportance  :  ces  pe- 
tites assemblées  se  forment  sans  bruit  et  secrètement  dans  quel- 
ques maisons  particulières. 

Les  disputes  que  les  Galénites  eurent  avec  eux  sur  la  divinité 
de  Jésus-Cbrist,  en  1669»  donnèrent  naissance  à  une  nouvelle 
assemblée  des  Mennonites ,  qui  se  sépara  en  protestant  contre  les 
opinions  sociuiennes  ;  ceux-ci  ont  continué  de  s'assembler,  depuis 
ce  temps-là ,  dans  une  église  particulière. 

Les  Mennonites  reconnaissent  donc  la  divinité  de  Jésus-Christ 
et  prétendent  qu*on  ne  doit  obéir  ni  à  FÉglise  y  ni  aux  conciles» 
ni  à  aucune  assemblée  ecclésiastique.  Us  rejettent  le  baptême  des 
enfans;  ils  soutiennent  qu'aucune  Église  ne  doit  être  réputée  la 
vraie  Église  à  Texclusion  des  autres ,  et  que  F  ouvrage  de  la  ré- 
formation ne  saurait  être  regardé  comme  une  entreprise  exécutée 
par  Tautorité  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ.  Ils  ne  croient  pas  que 
les  ministres  et  les  diacres  aient  aucune  autorité  de  droit  divin  ; 
de  là  ils  concluent  que  Texcommunication  n'a  plus  lieu  depuis 
les  apôtres  )  qui  seuls  ont  été  établis  par  Dieu  :  ils  reconnaissent 
la  nécessité  d'obéir  aux  magistrats. 

En  1660,  les  Anabaptistes  allemands  d'Alsace  souscrivirent  à  la 
confession  de  foi  des  Anabaptistes  flamands. 

Les  Anabaptistes  de  Hambourg  ont  la  même  confession  de  foi 
que  les  Anabaptistes  séparés.  Ils  administrent  le  baptême  et  la 
cène  à  peu  pr^  comme  les  Frères  de  Moravie  ^. 

Des  sectes  dévotes  qui  se  sont  élevées  parmi  les  Anabaptistes. 

C'était  un  principe  fondamental  de  l'Anabaptisme  que  Dieu 
instruisait  immédiatement  les  fidèles ,  et  que  le  Saint-Esprit  leur 
inspirait  ce  qu'ils  devaient  faire  et  ce  qu'ils  devaient  croire:  cha- 
que Anabaptiste  prenait  donc  pour  des  vérités  révélées  toutes 
ses  idées,  quelque  étranges  qu'elles  fussent,  et  l'on  vit  une  multi- 
tude de  sectes  d'Anabaptistes  qui  n'avaient  de  commun  que  la 

*  Hîst  Mennonitarum.  Descript.  d* Amsterdam.  Gatrou,  HisL  des 
Anab.  Une  petite  hist.  des  Anabaptistes,  in-i2,  imprimée  à  Amster- 
dam, et  faite  sur  d'excellens  mémoires» 


ANA  Ti 

nfieesrilt  ^baptiser  ceux  qui  avaient  été  baptisa,  et  qai  faisaient 
dépendre  le  salât  de  différentes  pratiqaes.  Telles  furent  : 

1  ■  Les  Adaniites ,  qui ,  au  nombre  de  pins  de  trois  cents,  nnu' 
lèrent  loirt  uns  stir  une  haute  montagne,  pennadës  qu'ils  seraient 
enlevés  au  ciel  en  corps  et  en  Sine. 

2>  Les  Apostoliques ,  qui  pratiquaient  h  la  lettre  l'ordre  que 
Jésnâ4^ist  a  donné  de  prêcher  sur  les  toits  :  ces  Apostoliques 
n'avaient  point  d'autres  chaires  que  la  couverture  des  maisons;  ils 
y  montaient  avec  agilité ,  et  de  là  làisaîent  entendre  leurs  voii  aux 
passans. 

3°  Les  Taciturnes,  au  contraire,  persuadés  que  nous  étions  ar- 
rivés â  ces  temps  fâcheux  prédits  par  sainl  Paul ,  dans  lesquels  la 
porte  de  l'Ëcangile  doit  être  femée ,  se  taisaient  obstinément  lors- 
qn'on  les  interrogeait  sur  la  religion  et  sur  le  parti  qu'on  avait  à 
prendre  dans  ces  temps  si  difficiles. 

4*  Les  Parfaits,  qui  s'étaient  séparés  du  monde  afin  d'accomplir 
il  la  lettre  le  précepte  de  ne  point  se  conformer  au  siècle  :  avoir 
un  air  de  sérénité  ou  de  satisfaction  ,  faire  le  moindre  sourire , 
c'était,  selon  euï,  s'attirer  cette  malédiction  de  Jésus-Christ  : 
Mallieur  i  voui  qui  rieî,  car  vous  plnirertt. 

S'  Les  Impeccables,  qui  crojaieiil  qu'après  la  régénération 
nouvelle  il  était  facile  de  se  préserver  de  tout  péché  ,  et  qui 
croyaient  qu'en  effet  ils  n'en  commettaient  plus;  c'est  pour  cela, 
qu'ils  retranchaient  de  l'oraison  dominicale  ces  mots  ;  pardonnes- 
nmunoioffeiues;iU  n'invitaient  personne  à  prier  pour  eux. 

fi*  Les  Frères  Libertins,  qui  prétendaient  que  toute  servitude 
était  contraire  à  l'esprit  du  christianisme. 

7'  Les  Sabbataires,  qui  croyaient  qu'il  fallait  observer  le  jour 
du  sabbat  et  non  le  dimanche. 

8*  Les  Clanculaires ,  qui  disaient  qu'il  fallait  parler  «i  public 
comme  le  commun  des  hommes  en  matière  de  religion ,  et  qu'il 
ne  fallait  dire  qu'en  cachette  ce  que  l'on  pensait. 

9°  Les  Manifestaires ,  qui  tenaient  des  sontîmens  diamétrale- 
ment opposés  i  ceux  des  Clanculaires. 

10-  Les  Pleureurs,  qui  s'imaginaient  que  les  larmes  étaient 
agréables  à  Dieu  ,  et  dont  touw  !"  occupation  était  de  s'exercer  fc 
acquérir  la  facilité  de  pleurer  ;  ils  mêlaient  toujours  leurs  pleurs 
avec  leur  pain,  et  on  ne  les  rencontrait  jamais  que  les  soupirs  i 
b  bouche. 
-  il*  Les  Réjouis ,  qui  établissaient  pour  principe  que 


1 


72  ANG 

et  la  bonne  chère  étaient  rhonneur  le  pluspârfatt  qu*(m  pût  rendre 
à  Fauteur  de  la  nature. 

12*  Les  Indififérens ,  qui  n'avaient  point  pris  de  parti  en  ma* 
tière  de  religion  et  qui  les  croyaient  toutes  également  bonnes. 

iZ'*  Les  Sanguinaires ,  qui  ne  cherchaient  qu'à  répandre  le  sang 
des  catholiques  et  des  Protestans. 

lé""  Les  Antimariens ,  qui  refusaient  tout  honneur  et  toute 
estime  à  la  Vierge  * . 

ANDRONICIENS,  disciples  d'un  certain  Andronic  qui  avait 
adopté  les  erreurs  des  Sévériens  ;  ils  croyaient  que  la  moitié  su- 
périeure des  femmes  était  l'ouvrage  de  Dieu  et  la  moitié  infé- 
rieure l'ouvrage  du  diable  *. 

Voyez  l'art.  Sévériens. 

ANGÉLIQUES.  Leur  secte  parait  avoir  existé  du  temps  des 
apôtres  ;  il  semble  que  ce  soit  d'eux  que  parle  saint  Paul  dans 
l'épître  aux  Golossîens  :  «  Que  nul  ne  vous  ravisse  le  prix  de  votre 
»  course ,  dit  cet  apôtre ,  en  affectant  de  paraître  humble  par  un 
»  culte  superstitieux  des  anges,  se  mêlant  de  parler  de  choses  qu'il 
»  ne  sait  point ,  étant  enflé  par  les  vaines  imaginations  d'un  esprit 
»  humain  et  charnel  ^.  » 

On  ne  voit  rien ,  ni  dans  la  loi,  ni  dans  les  prophètes ,  ni  dans 
les  pratiques  des  saints  de  l'ancien  Testament ,  sur  le  culte  des 
anges  :  il  est  vrai  que ,  lorsque  les  anges  ont  apparu  et  qu'ils  ont 
parlé  au  nom  de  Dieu  et  comme  le  représentant,  ils  ont  reçu  des 
hommages  et  une  adoration  ;  mais  ce  culte  et  cette  adoration  se 
rapportaient  à  Dieu ,  dont  ils  étaient  les  ministres  et  les  ambas- 
sadeurs *, 

Depuis  le  retour  de  la  captivité ,  les  Juifs  furent  plus  curieux 
de  connaître  les  anges,  de  les  distinguer  par  leurs  fonctions  et  par 
leurs  noms ,  et  peu  à  peu  ils  vinrent  à  leur  rendre  quelque  culte  ^. 

*  Voyez  les  auteurs  cités,  et  Kromayer,  in  Scrutlnio  religionum. 
Panthéon  Anabaptisticum  et  Enthrusiastfcum,  1702,  in-fol.  Les  Uiéo). 
allemands  ont  beaucoup  écrit  sur  TAnabaplisme  :  voyez-les  dans  Stock- 
man,  Lexic,  Haeres. 

^Eplph.,  Haer.,   Zi5. 

*  Ep.  Paul,  ad  Colos,  c.  2,  v.  18. 

A  Exod.,  c.  3,  V.  à  et  5.  Josué,  c  5,  v.  26.  Gènes.,  c.  18,  v.  2, 
^  On  voit,  dans  Philon,  des  discours  sur  la  nature  des  anges,  sur  leurs 
oflices,  sur  la  distinction  des  bons  et  des  méchans.  Josèphe,  et  après  lui 
Porphyre,  asçurentque  les  Esséniens,dan9  leur  pr(»fes$ion,  s'engageaient 


ANG  73 

Cë^iît  Immiia  aime  ï  étendre  les  prérogaiires  de  l'objet  de 
SOD  culte,  &  agrandir  et  à  anoblir  tout  ce  qui  lui  appartient;  ainsi, 
ceux  qui  honoraient  les  anges  relevérenl  beaucoup  la  loi  de  Uoîse, 
parce  que  Dieu  l'avait  donnée  aux  bommes  par  le  ministère  des 
anges;  ils  crurent  que  l'observation  de  celte  loi  était  nécessaire 
■u  salut  ;  enfin ,  ils  crurent  que  Dieu  s'élant  servi  da  ministère 
des  anges  pour  faire  connaître  sa  volonté  aux  bommes ,  c'était  par 
ce  mSme  ministère  que  les  hommes  devaient  faire  passer  leurs 
prières  ï  Dieu ,  dont  la  majesté  était  invisible  et  macceasible  aux 
mortels  ;  eoGo,  ils  jugèrent  que  nous  n'avions  point  de  médiateurs 
plus  puissans  auprès  de  Dieu ,  et  ils  les  croyaient  beaucoup  pins 
propres  k  nous  réconcilier  à  lui  que  Jésus-Christ  '. 

Il  y  avait  des  Angéliques  sous  l'empire  de  Sévère  et  jusqu'à 
l'iD  360;  mais  ils  n'existaient  plus  du  temps  de  saint  Ëpiphane  , 
qui  ne  savait  que  le  nom  de  ces  hérétiques ,  et  qui  ne  savait  ni  en 
quoi  consistait  leur  bérésie ,  ni  d'où  elle  tirait  son  nom  '. 

Saint  AugusUn  croïl  que  les  Angéliques  se  nommaient  ainsi 
{tirée  qu'ib  prétendaient  mener  une  vie  angélique^. 

Théodore!  remarque  que  le  culte  des  anges,  que  les  faux  apA- 

tresavaient  Taïi  recevoir  dans  la  Phrygieet  danslaPisidie  ,j  avait 

jeté  de  si  profondes  racines  ,  que  le  concile  de  Laodicée ,  qui  se 

tînt  en  l'an  3S7  ou  en  367,  leur  défendit  expressément  d'adresser 

L   des  prières  aux  anges  ;  et  encore  aujourd'hui ,  ajoute  Tbéodoret , 

I   «n  voit  chez  eux  des  oratoires  dédiés  i  saint  Michel  ;  mais  le  con- 

'   ciledittimpiemenl  qu'il  ne  faut  pasquelescbrélieosabandonnent 

t  conserver  rellgieusemenl  les  livres  de  leur  secte,  apparemment  les  li- 
vres ncrés  et  les  noms  des  linges,  ce  qui  fait  conjecturer  qu'ils  leur 
rendaient  on  culte.  L'auteur  du  livre  de  la  préiUcation  de  saint  Pierre, 
livre  Irëa  ancien,  cité  par  saint  Clément  d'Alexandrie,  dit  que  les  Juifs 
reoilent  un  culte  religieux  aux  anges  et  aux  arcbauges,  et  mfme  aux 
mois  et  i  la  Inne.  Celse  accusait  les  JuîRi  d'adorrr,  non-seulement  les 
Blfe^  mais  aussi  le  ciel.  M.  Gaulmio,  dans  ses  notes  sur  l'Histoire  de 
Uolsefc.  &,  p.  3D1),  cite  un  livre,  composé  par  le  rabbin  Abraham  Sa- 
lomon,  où  il  y  a  une  oraison  directe  à  l'archange  saint  Midtcl,  (Vuj^fz 
Calmel,  Comment  sur  saint  Pau),  ép.  aux  Col.,  c.  2,  v.  IS;  et  sa  dis- 
sertation sur  les  bons  et  sur  les  nmuiaïs  anges. 

>  Tbéodorei.  Théi^ilact.  Grul.  Menochiuj.  Saint  Clirysosl.,  hom.  7, 
adCoL  3;Slo;:kman,  Lexicou. 

■Epipb.,  Hxr.,  60. 

*  Aug.,  Hxr.,  r.  39, 

1.  T 


74  ANG 

rËglUe  de  Dleui  ni  qu'ils  s'en  aillent,  et  qu'ils  iuToquent  les 
anges  ^  et  qu'ils  fassent  des  assemblées  à  part  ^ 

ANGLETERRE  (schisme  d').  C'est  la  séparation  de  ce  royaume 
âvec  le  saint  Siège,  occasionée  par  le  divorce  de  Henri  Vlll  avec 
Catherine  d'Aragon. 

bu  mariage  de  Henri  VlIIavee  Catherine  d^ Aragon;  de  ses  efforts 
pour  le  faire  casser  h  Rome  et  de  l'opposition  qu*il  y  trouve. 

Heâri  VII  avait  deux  fils,  Arthus  et  Henri  ;  Arthus  épousa  Ga- 
théine  d'Aragon,  fille  de  Ferdinand  et  d'Isabelle,  rois  de  Gastille 
et  d'Aragon. 

Catherine  avait  une  sœur  atnée  mariée  à  Philippe,  duc  de 
Bourgogne  et  comte  de  Flandre. 

Henri  VU  s'était  proposé,  dans  ce  mariage,  d'affermir  l'union 
qu'il  avait  faite  avec  Ferdinand  et  avec  la  maison  de  Bourgogne 
contre  la  France. 

Le  mariage  d'Ârthus  et  de  Catherine  fut  célébré  le  14  novem- 
bre 1501,  et  le  prince  mourut  au  bout  de  quelques  mois. 

L'intérêt  de  l'Angleterre  voulait  que  l'on  entretint  encore  la  li- 
gue centré  la  France  ;  d'ailleurs,  il  aurait  fallu  envoyer  un  douaire 
eonsidéréBle  à  Catherine  et  lui  rendre  deux  cent  mille  ducats  qu'elle 
avait  apportés  en  dot.  Henri  VU  ne  pouvait  se  déterminer  à  lais- 
ser sortir  de  son  royaume  des  sommes  aussi  considérables  ;  il  de- 
manda la  princesse  pour  Henri,  son  second  fils,  devenu  prince  de 
Galles  par  la  mort  d'Arthus,  qui  n'avait  point  laissé  d'enfans. 

Henri  et  Catherine  présentèrent  une  requête  dans  laquelle  ils 
ekposaient  :  qu'à  la  vérité  Catherine  avait  été  mariée  au  prince  Ar- 
thus;  que  peut-être  même  le  mariage  avait  été  consommé;  que 
cependant,  Arthus  étant  mort ,  Henri  et  elle  souhaitaient  de  se 
marier  ensemble  pour  entretenir  une  paix  ferme  entre  l'un  et  l'ati- 
trt  rovaume. 

Le  pape,  par  une  bulle  du  â6  décembre  1501,. leur  permit  de  se 
marier  et  confirma  le  mariage,  en  cas  qu'ils  fussent  déjà  mariés. 

Henri,  prince  de  Galles,  épousa  donc  Catherine,  et  Henri  VII, 
son  père,  dans  l'esprit  duquel  on  avait  jeté  des  scrupules,  fit  faire 
par  son  fils  une  protestation  contre  son  mariage. 

1^  protestation  portait  que  Henri,  prince  de  Galles,  avait  épousé 
la  lenime  d'Arthus  étant  encore  en  bas  âge,  et  qu'étant  njajeur 

*  Culroel,  loc.  cit. 


I 


I 


ANG  75 

ce  mariage;  que,  bien  loin  de  le  confirmer,  il  le  dé- 
ciarail  nul;  que,  ne  pouïani  vivre  sous  un  tel  lieu  avec  Cailierme, 
il  le  ferait  rompre  sulyaol  les  lois,  et  que  sa  prolesUtian  n'e»t 
[loint  t'orcâe,  mais  qu'il  la  faisait  de  bon  cceur  et  dans  une  eiilièro 
liberté. 

Cetie  proleslalion  fut  secrète,  et  les  choses  demeurèrent  dans 
le  même  étal  par  rapport  au  mariage  de  Cathcriae  et  de  lleari, 
prince  de  Galles. 

Après  la  mort  de  Henri  VII,  on  proposa  dans  le  conseil  do 
rompre  le  mariage  de  Henri  VIII  ou  de  le  con&rmer,  et  le  roi  ea 
déclara  pour  ce  dernier  parti  ;  six  seuiaines  après  sou  avènement 
an  Irône,  lienri  épousa  soleDQcllemeat  Cathcriae,  et  six  semaines 
■près  ils  furent  sacrés. 

Henri  VIII  eut  trois  en faus,  deux  princes  qui  moururent  bien- 
tôt après  leur  naissance  ei  une  princesse  qui  vécut. 

La  reine  cessa  d'atoir  des  enfans,  et  Henri,  jugeant  qu'elle 
n'en  aurait  plus,  donna  la  qualité  de  princesse  de  Gulles  à  Marie. 
-  Henri  VIU  vécut  en  bonne  intelligence  avec  Catherine  ;  mais, 
livré  à  la  dissipation  et  aux  plaisirs,  il  avait  cuuGé  le  maniement 
âes  affaires  et  le  gouvernement  de  son  rojaume  h  Thomas  Vol- 
sej,  homme  élevé  de  la  plus  basse  naissance  ï  l'aruhevéchâ 
^York  et  ï  la  dignité  de  cardinal, 


Cbarles-Qi 
Lfonr  lui  d'entretenir  1' 
Iwm  de  Bourgogne,  n'avait 
^  Vols«j;illui  écrivait  toujo 


de  quelle  importance  il  était 

lion  des  Anglais  avec  la  mai. 

légligé  pour  gagner  le  cardinal 


i  lui-même, 
our  être  eu  droit  de 
ii'aprês  la  mort  de  Léi 


toujours 
.  exiger  de 
X  les  suf' 
ir  le  trône 


hii,  il  lui  avait  lait  espéi 

Gagea  des  cardinaux  s'accorderaient  pour  l'élever 

pontifical. 

Léon  X  mourut  plus  lâi  que  Charles-Qtiint  ne  l'avait  espéré,  et 
Volsey  ne  fut  point  pape.  Ses  espérances  furent  encore  trompées 
après  la  mort  d'Adrien  VI,  successeur  de  Léon  X. 

Vulsey  employa  alors  contre  Charles  Quint  tout  le  crédit  qu'il 
avait  employé  contre  la  France  ;  il  jeta  dans  l'esprit  du  confessenr 
do  roi  des  doutes  sur  la  validité  de  son  mariage  avec  Catherine 
d'Aragon.  Le  confesseur,  homme  simple,  Gt  naître  des  scrupules 
dans  l'esprit  du  roi;  Volsey  fut  consulté,  fortifia,  ces  scrupules  et 
négqcia  avec  l'évêque  de  Tarbes,  ambassadeur  de  France,  pour 
bire épouser  à  Henri  Marguerite,  sœur  de  François  I"et  veuve 


76  ANG 

du  ducd*Alençon.  Le  roi  approuva  ce  projet,  et  Volsey  fut  envoyé 
en  France  pour  y  traiter  du  divorce  de  Henri  VIII  et  de  son  ma- 
riage avec  Marguerite  ;  mais  Volsey  était  à  peine  arrivé  à  Calais» 
qu'il  reçut  ordre  de  ne  point  proposer  le  mariage  de  Henri  avec 
la  duchesse  d'ÂIençon.  Des  lettres  particulières  lui  apprirent  que 
le  roi  était  épris  d'Anne  de  Boulen,  fille  du  chevalier  Thomas 
Boulen  et  fille  d'honneur  de  la  reine  ^. 

Anne  de  Buulen  était  promise  à  milord  Percy,  fils  du  comte 
de  Northumberland.  Volsey  eut  ordre  de  faire  rompre  cet  engage- 
ment ;  il  le  rompit,  et  ce  fut  alors  que  Ton  entama  l'affaire  du  di- 
vorce. 

Les  circonstances  paraissaient  favorables  à  Henri  VIII.  Charles- 
Quint  tenait  alors  le  pape  prisonnier  dans  le  château  Saint- 
Ange  ;  il  avait  besoin  de  Henri,  et  ce  prince  lui  offrait  son  crédit 
et  ses  armes. 

Le  pape  ne  doutait  ni  du  besoin  qu'il  avait  de  Henri,  ni  de  la 
sincérité  de  ses  offres,  et  il  n'ignorait  pas  les  services  qu'il  lui 
avait  rendus  ;  mais  il  connaissait  les  bizarreries  et  les  emporte- 
mens  de  Henri  ;  il  savait  que  la  passion  de  ce  prince  était  une 
maladie  que  le  temps  seul  pouvait  guérir  ;  il  jugea  qu'il  fallait  lier 
cette  grande  affaire  et  la  traîner  en  longueur. 

Il  permit  donc  au  roi  d'épouser  telle  femme  qu'il  lui  plairait, 
mais  à  condition  que  l'on  jugerait  auparavant  si  son  premier  ma- 
riage était  valide  ou  non.  Le  pape  nomma,  pour  examiner  la  va- 
lidité du  mariage  de  Henrî  avec  Catherine,  des  commissaires  tels 
que  le  roi  les  demanda  :  ce  furent  les  cardinaux  Volsey  et  Cam- 
pége. 

Campége  employa  tout  auprès  de  Henri  pour  l'engager  à  garder 
Catherine  ;  et,  d'un  autre  côté,  il  conjurait  cette  princesse  de  se 
relâcher  un  peu,  de  prévenir  les  malheurs  qui  menaçaient  l'An- 
gleterre et  peut-être  toute  l'Église,  si  elle  voulait  opiniâtrement 
défendre  son  mariage.  Mais  il  ne  put  rien  obtenir  ni  de  l'un  ni  de 
l'autre;  Henri,  emporté  par  sa  passion,  demandait  un  jugement; 
Catherine,  prévenue  de  son  bon  droit,  souhaitait  la  même  chose, 
et  tous  deux  étaient  persuadés  qu'on  ne  pouvait  les  condamner  '. 
On  expédia  des  lettres  sous  le  grand  sceau  pour  commencer 

*  Bumet,  HIst.  de  la  réf.,  t.  4, 1.  2,  p.  118. 

s  Actes  Qe  Rymer,  t  ià.  Extrait  de  ces  actes,  in-À*,  p.  359.  Le 
Grand,  Hist.  du  divorce;  Hist  de  la  réf«  d^Anglet^re,  loc cit« 


ANG  11 

rinstradion  du  procès,  et  l'on  cita  le  roi  et  la  rcioe  à  compn- 
ratlre:  dans  les  premières  sommalIaTis,  la  reine  produisit  une 
copie  d'nne  dispense  un  peu  plus  ample  que  celle  sur  laquelle  les 
légats  ïooiaient  juger  '. 

Henri  VIIl  s'inscrÏTit  d'abord  en  faux  contre  celle  copie,  el  de- 
irunda  que  l'on  produisit  l'original  ;  mais  il  ëtail  en  Espagne,  et 
l'on  refusa  de  le  confier  i  l'ambassadeur  d'Angleterre.  On  con- 
testa et  l'on  dérendil  l'aulheDlicilé  de  cette  dispense  par  des  rai- 
sons de  jurisprudence  et  de  critique  qui  embarrassé renL  les  com- 
missaires Ils  craignirent  de  prononcer  sur  un  point  si  délicat  ;  ils 
proposèrent  au  pape,  au  lieu  d'évoquer  la  cause,  d'envoyer  une 
décrélale  conforme  à  la  minute  qu'ils  lui  envoyèrenl ,  et  foulè- 
rent que,  pendant  qu'on  défendrait  de  chercher  le  bref,  on  lâche- 
rait de  persuader  i  la  reine  d'enlrer  en  religion  ;  que  c'était  le 
meilleur  moyen  pour  terminer  doucement  ce  procès  et  pour  satis- 
faire un  grand  roi  qui ,  depuis  plusieurs  années ,  sentait  sa  con- 
science déchirée  de  remords,  augmentés  tous  les  jours  par  les 
disputes  des  théologiens  et  des  canonistes  ;  enSn ,  ils  disaient 
tout  ce  qu'on  pouvait  dire  en  faveur  du  roi  '*, 

Le  pape  craignit  que  son  légat  ne  se  laissSi  surprendre  ;  il  lui 
écrivit  que ,  <>  quoiqu'il  voulût  faire  toutes  choses  pour  le  Toi ,  il 

•  ne  pouvait  ni  trahir  sa  conscience,  ni  violer  ouvertement  les 

>  lois  de  la  justice  ;  que  tontes  les  demandes  de  ce  prince  étaient 

1  si  déraisonnables ,  qu'on  ne  pouvait  rien  lui  accorder  que  toute 

>  la  chrétienté  n'en  fùi  scandalisée  ;  que  déjà  l'empereur  et  le  roi 

■  de  Hongrie  avaient  faii  leurs  protestations  et  demandaient  que 

■  la  cause  fût  évoquée  ;  que  l'on  ne  pouvait  leur  refuser  une  chose 

■  si  juste  1  qu'il  ne  s'était  excusé  que  sur  sa  maladie,  leur  ayant 

•  fait  entendre  ï  l'un  et  ï  l'autre  que  sa  santé  ne  lui  permettait 

•  point  d'examiner  leur  requête  et  de  rien  signer  ;  que  néanmoins 

>  il  ne  différait  qu'alin  de  ne  point  aigrir  l'esprit  d'Henri  ;  qu'il 

•  fallait  prolonger  cette  alfaire  le  plus  qu'il  serait  possible.  > 
Telles  étaient  les  dispositions  de  Clément  VII  ii  l'égard  de  l'af- 

faire  du  divorce  de  Henri  VIII ,  qu'il  évoqua  i,  lui  :  Henri  ne  ju- 
gea pas  ï  propos  d'obéir  i  la  citation  ;  le  pape ,  de  son  calé ,  ne 
«Ksa  point  cette  affaire. 

raité  de  Cambrai ,  entre  l'empereur  et  la  France ,  fut  con- 

2  *  Hist.  du  (IItotcc  de  Henri  VIII,  par  Le  Grand,  I.  i,  p.  100,  elc. 
m  9  Blst.  du  divorce  de  Henri  Vit!,  par  Le  Grand,  t.  1,  p.  130. 


Tg  ANG 

plu  le  5  «oAt  15^  ;  les  enfans  de  France  furent  relâchés  Tannée 
saÎTante^  ^empereur  se  rendit  ensuite  à  Bologne ,  y jrégla  les  af* 
faàreê  dltalie;  François  Sforce  fut  rétabli  à  Milan ,  et  la  maison  de 
Médicis  acquit  la  souveraineté  de  Florence  ;  ainsi ,  Henri  se  vit 
tout  d*un  coup  privé  du  secours  de  la  France  et  de  Tespérancede 
pouvoir  causer  une  diversion  à  Tempereur  en  Italie.  11  ne  doutait 
point  que  le  pape  ne  donnât  une  sentence  contre  lui  »  et  qu'il 
n'en  commit  Texécution  k  Tempereur;  et  cependant  il  se  trouvait 
sans  amis  et  sans  alliés. 

D'un  autre  côté,  les  mouvemens  des  Protestans  en  Allemagne 
et  les  préparatifs  des  Turcs  contre  la  Hongrie  empêchèrent  Fem- 
pereur  de  penser  à  TAngleterre ,  et  le  pape  suivait  toujours  son 
premier  plan,  traînait  l'affaire  en  longueur  et  paraissait  disposé  à 
la  terminer  par  des  voies  de  douceur.  Henri  envoya  donc  des  am« 
bassadeurs  au  pape  et  h  l'empereur,  qui  étaient  à  Bologne,  pour 
faire  un  dernier  effort ,  qui  fut  aussi  inutile  que  les  autres. 

Henri  se  fait  déclarer  chef  de  V Église  d'Angleterre  et  fait  casser 
son  mariage;  précaiilions  qu'il  prend  contre  l'empereur  et  con- 
tre le  pape. 

Henri  résolut  de  chercher  dans  ses  propres  États  la  satisfacr 
tiQn  qu'il  ne  pouvait  obtenir  à  Rome.  Ce  parti  avait  ses  difficultés 
et  ses  périls  :  le  roi  ne  pouvait  obtenir  la  cassation  de  son  mariage 
que  du  clergé ,  qui  était  très  attaché  au  saint  Siège.  En  suppo* 
sant  que  le  clergé  se  prêtât  aux  volontés  du  roi  sur  son  divorce , 
il  y  avait  à  craindre  que  le  pape  n'employât  contre  lui  les  censu* 
res ,  dont  les  suites  pouvaient  être  embarrassantes  pour  le  roi , 
par  le  respect  des  peuples  pour  le  pape  et  par  la  terreur  qu'inspi- 
raient ses  anathèmes  :  il  n'ignorait  pas  combien  ces  anathèmes 
avaient  été  funestes  à  Henri  II  et  à  Jean.  11  résolut  donc  de  dé- 
truire dans  les  esprits  les  principes  de  soumission  et  de  respect 
pour  le  saint  Siège ,  de  gagner  le  peuple ,  de  soumettre  le  clergé, 
de  le  mettre  dans  la  nécessité  d'autoriser  son  divorce  et  de  ren- 
dre vains  les  efforts  du  pape  et  de  l'empereur  contre  lui. 

La  doctrine  de  Wiclef  n'était  pas  entièrement  éteinte  en  An- 
gleterre; les  Wicléfites ,  les  Lollards  s'y  étaient  perpétués  secrè- 
tement ,  malgré  les  rigueurs  du  gouvernement  et  les  soins  du 
clergé.  Les  nouveaux  réformateurs  y  avaient  des  prosélytes;  on  y 
avait  porté  leurs  livres ,  et  principalement  ceux  de  Luther. 

A  mesure  que  Ta^ffairedu  divorce  devenait  plus  vive,  ces  enne- 


I 


ANC  7B 

mis  de  l'Égliae  de  Rome  allaquaient  le  pape  avec  plas  de  con- 
fiance; beaucoup  de  caiboliqaes,  opposés  par  esprh  de  patrio- 
tisme i  l'auloriié  du  pape  et  aux  privilèges  du  deigé,  s'uoireut 
ï  eiu;  les  courtisans  les  secondèrent,  ei  lorsque  le  roi  s'aperçut 
que  les  Anglais  a'aiaient  plus  pour  le  pape  cette  Ténération  si  re- 
doutable aux  rois,  il  publia  une  proclamation  qui  défendait  de  re- 
cevoir aucune  bulle  du  pape  qui  tCu  contraire  aux  droits  de  la 
pouronne  :  il  fit  ensuite  impriiuer  et  répandre  dans  le  public  les 
raisons  qu'il  avail  de  demander  la  cassation  de  son  nariage;  il 
assembla  le  parlement,  lui  communiqua  son  dessein  et  sesmoiirs, 
el  les  enioja  à  la  convocation  du  clergé,  qui  décida  que  le  nia- 
tiage  du  roi  était  cooiraire  k  la  loi  naturelle  :  le  roi  n'eu  deman- 
dait pas  davantage  pour  le  présent. 

Depuis  long-iemps  les  peuples  étaient  mécontens;  Henri  pensa 
^e,  pour  les  gagner,  il  leur  fallait  une  victime,  et  eruine  pou- 
Toir  leur  en  donner  de  plus  agréable  que  Volsey. 

Le  procureur  général  du  roi  porta  à  la  cbambre  étollée  une 
accusation  cunire  ce  cardinal  pour  s'être  ingéré  d'exercer  l'auto- 
rité de  légat  du  pape  sans  en  avoir  premièrement  obtenu  des 
lettres  patentes  do  roi  ;  en  quoi  il  avait  violé  les  statuts  des  Pru- 
HKiiri  et  des  PrœinmiTe. 

L'omission  de  cette  formalité  si  esseolielle  fut  te  prétexte  de 
a  ruine  ;  le  roi  lui  ôla  le  grand  sceau,  et,  sur  une  nouvelle  accu- 
latioA  du  procureur  générai ,  il  fut  condamné  ;  ses  biens  furent 
wnfitquéa  au  profit  du  roi  :  il  fut  ensuite  accusé  de  haute  trabi- 
son  ei  mourut  lorsqu'on  le  conduisait  â  Londres  pour  être  mis  à 
b  Tour. 

La  disgrâce  de  Volsey  fut  agréable  au  peuple,  et  le  roi  se  crut 
«n  état  de  formel'  une  entreprise  importante  sur  le  clergé  1  il  fut 
accusé  d'avoir  violé  les  statuts  des  Pravkeuri  et  des  Prmmuiiire, 
ta  reconnaissant  l'auloriië  de  légat ,  que  le  cardinal  Votsey 
l'était  attribuée  sans  avoir  une  couimission  authentique  du  roi. 
Le  clergé  fut  traité  comme  Volsey  ;  tous  ses  biens  furent  confis- 
qnéa  an  profit  du  roi. 

Le  clergé  u'avait  plus  d'appui  ni  de  défenseurs;  le  roi  était 
brouillé  avec  le  pape  et  avait  défendu  de  laisser  entrer  ses  bulles 
dans  le  royaume  :  d'un  autre  c6té  ,  la  nation  anglaise  n'était  pas 
disposée  k  soutenir  les  inlérêls  du  clergé  dont  elle  n'était  pas 
contente,  ni  ï  recevoir  les  ordres  du  pape,  quand  même  il  aurait 
«ula  ûkletvenic  dans  cette  aflâire  ;  ain»,  la  pretiuce ecdésias- 


80  ANG 

tique  de  Cantorbéry  assembla  un  synode,  qui  prit  le  parti  d*offrir 
au  roi  un  présent  de  cent  mille  livres  sterling  pour  sauver  ses 
revenus  ;  en  conséquence ,  quelques-uns  du  corps  furent  chargés 
de  dresser  un  acte  en  forme  de  lettres  patentes ,  par  lequel  la 
convocation  donnait  au  roi  cent  mille  livres  sterling  :  !<>  à  cause 
de  son  grand  mérite;  2<>  pour  lui  témoigner  sa  reconnaissance  des 
avantages  qu'il  avait  procurés  à  TÉglise  par  ses  armes  et  par  sa 
plume  ;  3*  à  cause  de  son  zèle  contre  les  Luthériens ,  qui  s'effor- 
çaient de  ruiner  TÉglise  anglicane ,  dont  le  clergé  reconnaissait 
qu'il  était  le  chef  suprême  ;  é*  dans  Tespérance  que  le  roi  voudrait 
bien  accorder  au  clergé  un  pardon  de  toutes  les  fautes  oîi  il  était 
tombé  par  rapport  aux  statuts  des  Proviseurs  et  des  Prœmunire. 

Lorsque  cet  acte  fut  lu  dans  l'assemblée ,  il  y  trouva  beaucoup 
d'opposition ,  par  rapport  à  la  clause  qui  établissait  le  roi  chef 
suprême  de  l'Église  anglicane  ;  mais  le  roi  fit  dire  à  l'assemblée 
qu'il  rejetterait  l'acte  si  la  clause  de  la  suprématie  en  était  ôtée, 
et  le  clergé  fut  obligé  de  la  passer. 

La  convocation  de  la  province  d'Yorck  imita  celle  de  Cantor- 
béry en  faisant  un  acte  semblable ,  sans  pouvoir  se  dispenser  de 
reconnaître  la  suprématie  du  roi. 

C'est  ainsi  que  Henri  Vlll  extorqua  de  l'Église  d'Angleterre 
la  reconnaissance  de  la  suprématie.  Après  ce  succès ,  il  fit  ses  ef- 
forts pour  engager  la  reine  à  consentir  à  la  cassation  de  son  ma- 
riage ;  mais  ces  efforts  furent  vains  :  il  cessa  de  voir  la  reiîte ,  et 
lui  assigna  une  de  ses  maisons  royales  pour  y  faire  sa  résidence. 

Ce  qui  venait  de  se  passer  dans  le  parlement  et  dans  la  convo- 
cation échauffa  le  zèle  des  réformés  qui  avaient  pénétré  en  An- 
gleterre ;  ils  proposèrent  leur  croyance  avec  plus  de  liberté  ;  les 
disputes  sur  la  religion  devinrent  plus  fréquentes  et  plus  publiques 
qu'elles  ne  l'avaient  été  jusqu'alors. 

Henri  n'avait  pas  changé  de  sentiment  par  rapport  aux  dogmes 
qu'il  avait  crus  jusqu'alors  ;  il  commençait  seulement  à  se  persua- 
der que  la  religion  pouvait  bien  subsister  sans  que  les  États  fus- 
sent soumis  au  pape  :  d'ailleurs ,  il  ne  voulait  pas  que  l'on  crût 
qu'en  secouant  le  joug  du  pape ,  il  voulait  porter  atteinte  à  la  re- 
ligion catholique  et  aux  vérités  que  l'Église  d'Angleterre  avait 
toujours  professées  :  il  ordonna  donc  que  les  lois  contre  les  héré- 
tiques fussent  observées ,  et  l'on  brûla ,  dans  le  cours  de  cette  an- 
née (1531) ,  trois  Protestans. 

Le  parlement ,  assemblé  l'année  suivante,  présenta  une  adresse 


ANG  81 

an  rot  povr  le  prier  de  conseollr  qu'on  triTailUl  ï  corriger  cer- 
tains ibus  qui  s'étaient  intradails  dans  les  iaunonilés  ecclésias- 
tiques. C'était  le  roi  lui-même  qui ,  par  ses  émissaires ,  avait  en- 
gagé le  parlement  k  lui  présenter  celle  adresse ,  afin  de  faire 
sentir  an  clergé  le  besoin  qu'il  aiait  de  la  protection  rojale  et 
pour  le  délemiiDer  à  lui  confirmer  le  titre  de  chef  de  l'Ëglise. 

Sur  cette  adresse  ,  Henri  fil  corriger  quelques  abus  légers;  et, 
afin  que  le  clergé  pftl  espérer  en  lui  nu  proleeleur,  il  fît  abolir, 
par  un  acte  du  parlement,  les  annates,  et  lit  fiier  le  prix  des 
bulles  des  éïécbés  :  il  fut  ordonné ,  par  cet  tcle ,  que  si  le  pape 
refusait  de  donner  des  bulles  ,  oo  s'en  passerait ,  et  que  les  évé- 
qnes  seraient  établis  dans  leurs  sièges  par  d'autres  voies. 

Le  parlement  s'assembla  l'année  suivante  (en  février  1533) ,  et 
fit  un  acte  qui  défendait  de  porter  des  appels  k  la  cour  de  Rome  ; 
alors  Henri  rendit  public  son  mariage  avec  Anne  de  Boolen ,  quoi- 
que son  premier  mariage  ne  fût  pas  encore  dissous  :  cette  publi- 
cation prématurée  était  devenue  nécessaire  ,  parée  que  la  nou- 
velle reine  était  euceinle. 

Cranmer,  devenu  arcbevéque  de  Cantorbéry ,  fit  citer  Catherine 
i,  comparaître  devant  lui;  et  comme  elle  refusa  d'obéir,  il  donna 
ane  sentence  qai  déclarait  nul  le  premier  mariage  du  roi  ;  et  quel- 
ques jours  après  il  en  donna  une  autre  qui  confirmait  le  second 
mariage  du  roi  avec  Anne  de  Boulen  ,  qui  fut  ensuite  couronnée 
le  1"  juin. 

Voiii  quelle  fut  la  conduite  de  Henri  VIII  dans  l'affaire  de  son 
divorce.  Que  l'on  juge ,  par  ces  traits  ,  si  ce  divorce  fut  l'ouvrage 
des  scrupules  de  ce  prince ,  comme  Bumet  s'efforce  de  le  per- 
le suis  bien  éloigné  de  blâmer  la  circonspection  de  cet  auteur 
i  juger  des  motifs  secrets  des  bommes  ;  mais  je  ne  peux  m'empfi- 
cher  de  remarquer  qu'il  ne  fait  usage  de  celte  retenue  que  lors- 
qu'il s'agit  de  juger  les  ennemis  de  l'Église  romaine ,  et  que  lors- 
qu'il s'agit  au  contraire  de  juger  des  motifs  des  catboliqnes,  il 
oublie  toutes  les  maximes  d'équité  et  basarde  sans  scrupules  les 
conjectures  les  plus  injustes  sur  les  motifs  des  actions  des  papes 
on  sur  les  vues  des  évèques  catholiques. 

Aussitôt  que  le  premier  mariage  du  roi  fut  cassé ,  it  en  Gi  in- 
RMner  Catherine  et  iScba  de  l'engager  1  se  soumettre  il  la  aen- 

*  Bist.  de  la  réf.  d'AnsIderrc,  L  1,  I.  3,  p.  IDOctlDl. 


ai  ANG 

tence,  mais  inutilement;  et,  depuis  ce  tempis4à,  Catherine  ue 
fut  plus  reconnue  que  pour  princesse  douairière  de  Galles. 

le  pape  excommunie  Henri  VIII ,  et  l'Angleterre  se  sépare  de 

V Église  de  Rome, 

Sur  rinformaiion  que  le  pape  reçut  de  ce  qui  s'était  passé  en 
Angleterre,  il  cassa  les  deux  sentences  de  Farchevéque  de  Cantor- 
béry ,  et  en  donna  une  comminatoire  contre  le  roi ,  si  »  dans  un 
certain  temps ,  il  ne  rétablissait  toutes  eboses  au  même  état  oii 
elles  étaient  avant  les  deux  sentences  de  Tarcbevéque  ;  mais  le 
roi  et  Tarcbevéque  en  appelèrent  au  futur  concile  général^. 

François  1"  entreprit,  mais  inutilement,  d'arrêter  les  effets  de 
cette  rupture.  Henri  ne  soubaitait  point  sincèrement  de  se  récon- 
cilier avec  le  pape,  qui  n'ignorait  pas  la  mauvaise  foi  de  Henri,  el 
qui  publia  sa  sentence.  Par  cette  sentence ,  le  mariage  de  Henri 
avec  Catherine  était  confirmé  comme  légitime ,  et  il  était  ordonné 
à  Henri  de  reprendre  sa  femme,  sous  de  très-grièves  peines'. 

Cependant  le  parlement  ôta  aux  évêques  la  connaissance  du 
crime  d'hérésie,  sans  néanmoins  diminuer  les  peines  ordonnées 
contre  les  hérétiques.  Par  un  second  acte,  il  fut  ordonné  que  Toq 
examinerait  les  constitutions  ecclésiastiques,  ahn  de  conservet 
celles  qui  seraient  jugées  nécessaires  et  d'abolir  les  autres  ;  et  l'on 
arrêts^  que ,  pour  cet  effet ,  le  roi  nommerait  trente-deux  com- 
missaires ,  tirés  également  du  clergé  et  du  parlement. 

Enfin,  lorsqu'on  reçut  la  nouvelle  de  ce  qui  s'était  passé  à 
Rome ,  le  parlement  confirma  l'abolition  des  annates  el  anéanth 
entièrement  la  puissance  du  pape  en  Angleterre  :  on  régla  la  ma- 
nière dont  on  ferait  à  l'avenir  la  consécration  des  évêques ,  sana 
avoir  recours  au  pape  :  on  abolit  le  denier  de  saint  Pierre ,  et 
toutes  sortes  de  bulles  et  mandats  émanés  delà  cour  de  Rome;  09 
cassa  le  mariage  de  Henri  avec  Catherine  d'Aragon,  et  l'on  cout 
firma  son  second  mariage  avec  Anne  de  Boulen;  enfin,  on  or- 
donna que  tous  les  sujets ,  sans  exception ,  jureraient  l'observa^ 
iion  de  cet  acte,  sous  peine  d'être  déclarés  coupables  de  trahison. 

Le  parlement  se  rassembla  le  23  novembre ,  et  fit  encore  éï^ 
vers  actes  qui  tendaient  k  rompre  tous  les  liens  qui  pouvaient 
çncore  tenir  les  Anglais  attachés  au  pape  ;  on  confirmait  au  roi  le 

^  Extraits  des  actes  de  Rymer^  p,  357. 
2  Ibid.,  p.  372  et  373« 


ANG  Èi 

titre  de  chef  suprême  de  TÉgllse  anglicane,  et  l'on  établissait  en 
sa  faveur  les  annales  que  l'on  avait  ôtées  au  pape  ^. 

Après  la  séparation  du  parlement ,  le  roi  ordonna ,  par  une 
proclamation,  que  le  nom  du  pape  fiit  eCTacé  de  tous  les  livres  où 
il  se  trouvait ,  afin  d*en  abolir  la  mémoire  s'il  se  pouvait  ;  enfin, 
il  obligea  tous  les  évoques  à  renoncer  ^  Fobéissanee  du  pape. 

Effets  du  tehiême  d'Angleterre  par  rapport  àVɧlueet  àtÉlat, 

tlenri  s^aperçut  que  Tétat  où  la  religion  se  trouvait  dépuis 
là  rupture  de  TÂngleterre  avec  Rome  le  rendait  plus  absolu  \ 
les  nns  souhaitaient  que  la  réformation  fût  poussée  plus  loin ,  et 
les  autres  le  craignaient.  Gomme  personne  ne  pouvait  se  persua- 
di^  que  le  roi  demeurât  long-temps  dans  cette  situation ,  chacun 
des  partis  lâcha ,  par  une  complaisance  aveugle ,  d'acquérir  ses 
bonnes  grâces ,  et  il  en  résultait  pour  le  roi  un  degré  d'autorité 
auquel  aucun  de  SCS  prédécesseurs  n'était  jamais  parvenu,  et  qu*il 
n'aurait  pu  Usurper  dans  toute  autre  circonstance  sans  courir  ris- 
que de  se  perdre  ;  mais  les  deux  partis  se  trompèrent  également  : 
Henri  se  tint  dans  le  même  milieu  tout  le  reste  de  sa  vie ,  et  fit 
sentir  â  Tun  et  à  l'autre  les  terribles  effets  de  ce  pouvoir  absolu 
q[il'ils  lui  avaient  laissé  prendre. 

La  suprématie  dont  il  était  revêtu  1c  mettait  en  état  de  faire 
plier  le  clergé ,  qui  n'était  plus  soutenu  comme  autrefois  par  le 
pape.  11  punit  sévèrement  tous  ceux  qui  refusèrent  de  reconnaître 
cette  suprématie,  et  fit  mourir  des  religieux  qui ,  dans  leurs  ser- 
tttons,  s'efforçaient  de  lui  faire  perdre  Taffection  de  ses  sujets. 

Dans  la  suite ,  il  fit  faire  une  visite  générale  des  monastères  e| 
Aitt  \  la  tète  de  cette  commission  Cromwel,  son  vice-gérant,  qui 
commit  lui-même  des  visiteurs.  Ces  visiteurs  prétendirent  décou- 
ifxf  dans  les  monastères  beaucoup  de  désordres,  et  persuadèrent 
aUx  supérieurs  et  aux  prieurs  de  se  soumettre  à  la  clémence  du 
roi  et  de  lui  résigner  leurs  maisons  avec  leurs  revenus  :  quelques- 
uns  prirent  ce  parti. 

\jt  roi  fit  publier  la  relation  de  cette  visite,  afin  d'éteindre  dans 
le  peuple  la  vénération  qu'il  avait  pour  les  religieux ,  en  lui  of- 
frant le  tableau  des  désordres  qu'on  avait  découverts  dans  les  mo- 
nastères et  qui  furent  beaucoup  exagérés  *• 

«  Kxfrails  des  actes  de  Ryiner,  p.  37iU 
s  Ibid.,  p>  375, 


84  ANG 

Cette  relation  fut  suivie  d*uiie  ordonnance  par  laquelle  le  roi , 
en  qualité  de*  chef  de  FÉglise,  permettait  aux  moines  de  quitter 
leurs  maisons ,  et  les  déliait  de  leurs  vœux. 

L*ordonnance  du  roi  ne  produisait  point  Teffet  qu'il  en  atten- 
dait; cependant  il  tenait  toujours  le  clergé  dans  sa  dépendance, 
en  différant  de  nommer  des  commissaires  pour  choisir  les  consti- 
tutions ecclésiastiques  qu'il  était  nécessaire  de  conserver. 

L*autorité  du  pape  était  abolie  par  acte  du  parlement ,  et  néan- 
moins elle  subsistait  encore  dans  les  constitutions  ;  cela  jetait  le 
clergé  dans  un  extrême  embarras,  puisqu'on  plusieurs  cas  il  fallait 
nécessairement  violer,  ou  les  constitutions ,  ou  les  nouvelles  lois  ; 
par-là,  le  clergé  se  voyait  absolument  dépendant  du  roi,  qui  pouvait 
l'attaquer  sur  l'un  ou  sur  l'autre,  comme  il  le  jugerait  à  propos. 

La  reine  Catherine  mourut  dans  le  courant  de  l'année  1536, 
et,  peu  de  mois  après  sa  mort ,  Anne  de  Boulen  fut  condamnée 
par  une  sentence  des  pairs  et  décapitée  ;  Henri  épousa  Jeanne  de 
Seymours ,  et  le  clergé  approuva  ce  second  mariage. 

Le  parlement,  à  la  réquisition  du  roi,  supprima  tous  les  mo- 
nastères qui  avaient  moins  de  deux  cents  livres  sterling  de  revenu, 
et  donna  tous  leurs  biens  au  roi  :  par  ce  moyen ,  le  roi  acquit  un 
revenu  de  trente-deux  mille  livres  sterling  en  argenterie  et  en 
autres  effets. 

La  suppression  des  monastères  déplut  à  beaucoup  d'Anglais  : 
les  grands  et  les  gentilshommes  trouvèrent  fort  mauvais  qu'on  eût 
donné  au  roi  les  biens  des  monastères  supprimés ,  dont  la  plu- 
part avaient  été  fondés  par  leurs  ancêtres  ;  d'ailleurs,  ils  se 
voyaient  privés  de  la  commodité  de  se  décharger  de  leurs  enfans, 
quand  ils  en  avaient  un  trop  grand  nombre ,  et  d'aller,  en  voya- 
geant ,  loger  dans  ces  maisons ,  où  ils  étaient  bien  reçus.  Les 
pauvres  murmuraient  encore  plus  fortement ,  parce  que  plusieurs 
d'entre  eux  vivaient  des  aumônes  qui  se  distribuaient  journelle- 
ment dans  ces  maisons;  enfin,  beaucoup  de  catholiques  regar- 
daient cette  suppression  comme  une  atteinte  portée  à  leur  religion. 

Ce  mécontentement  ne  tarda  pas  à  éclater  ;  le  premier  feu  parut 
dans  la  province  de  Lincoln,  où  un  docteur  en  théologie,  prieur 
d'un  monastère ,  assembla  une  quantité  de  peuple  dont  il  se  fit 
chef,  sous  le  nom  de  capitaine  Câbler,  c'est-à-dire  le  Capitaine 
savetier. 

D'abord  les  révoltés  envoyèrent  au  roi  leurs  griefs ,  d'une  ma- 
nière fort  soumise  ;  ils  reconnaissaient  sa  suprématie  et  décla- 


I 
I 


ANG  am 

nient  qn'ili  étaient  très-con[eas  ([u'il  jouît  des  décimes  ei  des 
premiers  Tniits  des  béaélicei;  mais  ils  le  suppliaient  de  remédier 
i  leurs  griefs  el  de  prendre  conseil  de  sa  noblesse. 

Ces  griers  consistaieDl  en  ce  qu'il  avait  supprimé  un  très- 
grand  nombre  de  monastères;  qu'il  s'était  fait  accorder  par 
le  parlement  de  grands  subsides,  sansancane  nécessité;  qu'il  ad- 
mettait dans  son  conseil  des  gens  d'une  naissance  abjecte,  qui 
n'avaient  en  vue  que  de  s'enrichir,  au  lieu  du  bien  de  l'État; 
que  plusieurs  des  évéqoes  avaient  abandonné  l'ancienne  foi  pour 
suivre  de  nouvelles  doctrines  de  tout  temps  condamnées  par 
l'Église;  qu'après  avoir  vu  le  pillage  de  tant  de  monastères,  ils 
crojaienl  avoir  lieu  de  craiildre  que  les  églises  n'éprouvassent 

Le  roi  envoja  le  duo  de  SulFolk  contre  les  rebelles  avec  une 
armée  peu  considérable,  et  dissipa  la  rébellion  par  une  amnistie. 

La  province  d'Yorct  se  souleva  dans  le  même  temps ,  et  ce 
sonlèvement  était  d'une  bien  plus  grande  conséquence  que  celui 
de  Lincoln.  Celui-ci  semblait  s'être  fait  par  hasard  et  par  un  mou- 
vement soudain;  l'autre  était  la  suite  d'un  dessein  concerté, 
dans  lequel  entrèrent  plusieurs  personnes  de  considération ,  qui 
n'atleadaient,  pour  se  déclarer,  que  de  voir  un  peu  plus  clair 
dans  la  disposition  générale  du  peuple. 

Le  voisinage  de  l'Ecosse,  l'éloignement  de  la  cour,  le  crédit 
dont  les  moines  et  les  ecclésiastiques  y  jouissaient,  rendaient  dan- 
gereux le  soulèvement  de  cette  province.  Les  mécontens  s'assem- 
blèrent en  très-grand  nombre  vers  la  fin  du  mois  d'août  ;  dès 
qu'ils  se  virent  en  force ,  ils  ne  laissèrent  plus  auiL  gentilshommes 
U  liberté  de  demeurer  neutres,  ils  les  contraignirent  de  s'enfuir 
ou  de  se  joindre  i  eux ,  et  de  prêter  serment  qu'ils  seraient  fidè- 
les i  la  cause  pour  laquelle  ils  avaient  dessein  de  combattre  : 
cette  cause  était  proprement  la  religion ,  comme  ils  te  firent  bien 
comprendre  en  mettant  un  cruci&xdans  leurs  drapeaux  et  éten- 
dards; d'ailleurs,  ils  rétablirent  les  religieui  dans  quelques-ans 
de  leurs  monastères  qui  avaient  été  suppriiués. 

Le  roi  leva  des  troupes  el  envoya  le  duc  de  Norfolk  contre  les 
rebelles;  mais  les  forces  du  roi  n'étaient  pas  capables  de  leur 
résister. 

Aske,  leur  chef,  se  rendit  maître  de  llull  et  d'York,  et  obligea 
toute  la  noblesse  de  la  province  ï  se  joindre  i  lui. 

La  révolte  du  Nord  devenait  donc  de  jour  en  jour  plus  sérieuse. 


86  ANé 

et  Ton  Commença  K  craindre  que  le  t>oyauihë  èbiiet*  tîe  suivtt 
rexBihple  des  provinces  du  Nord. 

Des  hasards  imprévus  sauvèrent  plus  d*iine  fois  Farinée  du  roi, 
et  le  duc  de  Norfolk  fut  assez  heureux  poui*  engager  une  négo- 
ciation avec  les  révoltés. 

Les  rebelles  firent  des  propositions  ;  Tafiaii^e  traîna  en  longueur, 
et  le  roi  accorda  une  amnistie  avec  promesse  de  les  satisfaire  sui^ 
letirs  griefs  ;  mais  le  roi ,  sous  différens  prétextes ,  ne  leur  tint 
point  parole,  et  peu  de  temps  après  deux  gentilshommes  du  Nord 
se  mirent  îl  la  tête  de  huit  mille  mécontens  et  allèrent  se  présenter 
devant  Carlisle.  Le  duc  de  Norfolk  déconcerta  les  entreprises  des 
révoltés  et  arrêta  leurs  chefs,  qui  furent  exécutés  avec  plusieurs 
des  rebelles. 

Le  roi,  persuadé  que  les  religieux  fomentaient  les  mauvaises  dis- 
positions du  peuple,  fit  faire  une  visite  dans  les  monastères  qui 
subsistaient  encore;  il  publia  la  relation  de  cette  visite  et  fît  ex- 
poser en  public  de  fausses  reliques  qui  s'étaient  trouvées  dans  les 
lironastères;  il  découvrit  aux  yeUx  du  peuple  les  ressorts  dont 
on  se  servait  pour  donner,  à  des  statues  qui  représentaient  Jé- 
stts-Christ,  la  sainte  Vierge  ou  les  saints,  des  mouvemens  qui 
passaient  pour  surnaturels  dans  Fesprit  de  ceux  qui  en  ignoraient 
la  structure.  Le  roi  fit  brûleries  instrumensde  ces  fraudes  pieu- 
ses, et  ion  brûla  même  les  reliques  de  saint  Thomas  de  Cantor- 
bôtrv. 

Le  pape  ne  pouvait  tolérer  les  égaremens  de  Henri  sans  man- 
quer à  ce  qu'il  devait  à  la  religion.  11  publia  l'excommunication 
qui  avait  été  dressée  et  signée  en  i33o.  Il  lâcha  d'inspirer  à  tous 
les  princes  chrétiens  son  zèle  contre  Henri  VIII  ;  il  offrit  même 
le  royaume  d'Angleterre  au  roi  d'Ecosse* 

L'excotnmunication  lancée  par  Paul  III  ne  produisit  aucun  chan- 
gement en  Angleterre.  A  la  nouvelle  de  cette  excommunication, 
le  roi  exigea  des  évêques  et  des  abbés  un  nouveau  serment  de 
fidélité  par  lequel  ils  renonçaient  à  l'autorité  du  pape. 

Les  nouveaux  réformés  avaient  des  partisans  qui  n'oubliaient  rieil 
pour  gagner  le  roi,  tandis  que  les  catholiques  employaient  toutes 
lettrs  ressources  pour  rendre  les  Protestans  odieux.  Ceux-ci  espé- 
raient que  le  roi  rentrerait  dans  l'obéissance  du  pape;  ceux-là 
tâchaient  de  le  porter  à  adopter  les  principes  de  la  réforme.  Au- 
cun dos  deux  partis  ne  réussit.  Henri  ne  se  réforma  qu'à  demi  et 
ne  se  récoticitia  jamais  avec  Rome.  Comme  il  était  absolu,  i|  ne 


r 


AXG  87 

TOuUitjaDiais  permettre  qv^e  ses  sujets  allassent  plus  loin  que  loi  ; 
et,  d'uB  autre  côté,  il  les  contraignit  d'aller  a?ec  lui  jusqu^Qd  i) 
jugea  qu'il  était  à  propos  de  s'arrêter,  également  sévère  ou  plu- 
tôt impitoyable  contre  ceux  qui  voulaient  le  suivre  et  contre  ceu^ 
^  qui  voulaient  le  devancer. 

Chaque  parti,  dans  Tespérance  de  gagner  (e  roi«  favorisât  tous 
ses  desseins.  Ainsi  le  roi,  malgré  quelques  ennemis,  supprima 
tous  les  monastères  et  s'empara  de  leurs  revenus*  Il  fit  courir  le 
bruit  que  le  royaume  allait  être  envahi  ;  il  visita  les  côtes  et  donna 
des  ordres  pour  que  les  troupes  fussent  prêtes  au  premier  com- 
mandement. Le  but  de  toutes  ces  démarches  était  de  (aire  com- 
prendre au  peuple  que  le  parlement  serait  obligé  d'imposer  d^ 
grandes  taxes  pour  résister  à  cette  prétendue  invasion  ;  mais  que 
le  roi  acquérant  un  revenu  considérable  par  la  suppression  des 
monastères,  il  n'avait  pas  besoin  de  subsides. 

Henri  voulut  faire  voir  qu'en  abolissant  l'autorité  du  pape  et  en 
détruisant  les  monastères  dans  son  royaume,  il  n'avait  pas  changé 
de  religion.  11  fit  porter  une  loi,  intitulée  les  StatutSt  pour  exami- 
ner la  diversité  d'opinions  sur  certains  articles  de  religion. 

C'est  cette  loi  qui  est  plus  généralement  connue  sou?  le  nom  de 
L4n  de  six  articles.  La  peine  du  feu  ou  du  gibet  éu^it  ordonnée  cQlir 
tre  ceux, 

lo  Qui,  de  bouche  ou  par  écrit,  niers^ient  la  transsubstantiatii^; 

â*  Qui  soutiendraient  la  nécessité  de  la  commuiiion  sons  W^ 
deux  espèces  ; 

3*"  Ceux  qui  prétend^iient  qu'il  était  permis  aux  prêtres  dei  ^ 
marier  ; 

4*  Ceux  qui  prétendaient  qu'on  pouvait  violer  le  vobu  de  eha^ 
lefé; 

5<*  Ceux  qui  disaient  que  les  messes  privées  étaient  inutiles; 

6*  Cernt  qni  niaient  la  nécessité  de  la  confession  aurieulaire. 

Le  roi  régnait  donc  sur  la  nation  anglaise  avec  un  pouvoir  ab- 
^lu;  il  déposait  à  son  grêles  évêques  et  les  ecclésiastiques,  fai- 
sait casser  ses  mariages  et  couper  la  tête  à  ses  femmes.  11  avait 
épousé  la  princesse  de  Clèves  et  fait  casser  son  mariage  pour 
épQiiser  Catherine  Howard.  11  obtint  du  parlement  un  acte  par  le- 
quel on  donnait  force  de  loi  à  tout  ce  que  le  roi  déciderait  en  ma- 
tière de  religion;  on  lui  accorda  le  privilège  de  l'infaillibililé 
qu'on  refusait  an  pape,  et  l'on  soumit  à  Henri  Ylll  les  consciences 
^Uei  vie§  de^  Anglais. 


SB  ANG 

Le  roi  fit  assembler  plasieurs  évêques  et  plusieurs  théologiens 
pour  arrêter  les  articles  d*une  profession  de  foi  qui  servit  de  règle 
dans  toute  TAngleterre.  Elle  était  conforme  aux  six  articles  et  ne 
contenait  de  répréhensible  que  la  doctrine  de  la  suprématie  du 
roi  et  le  refus  de  reconnaître  le  pape  pour  chef  de  TEglise.  * 

Le  pouvoir  énorme  dont  on  avaitarmé  Henri  fut  funeste  à  beau- 
coup d* Anglais  ;  il  fit  condamner  à  mort  et  exécuter  plusieurs  per- 
sonnes, les  unes  pour  avoir  nié  la  suprématie  du  roi,  les  autres 
pour  avoir  soutenu  la  doctrine  des  Luthériens,  quelques-uns  pour 
avoir  soutenu  Tautorité  du  pape.  Ce  prince  s'occupait  uniquement 
des  moyens  d'étendre  encore  le  pouvoir  qu'il  s'était  acquis,  et  veil* 
lait  sans  cesse  pour  qu'il  ne  se  fît  point,  dans  la  religion,  d'autres 
changemensque  ceux  qu'il  jugeait  lui-même  utiles  ou  raisonnables. 

Gomme  il  était  d'une  détermination  inflexible  sur  ces  deux  ar« 
ticles  et  que  le  parlement  n'osait  s'opposer  à  ses  volontés,  aucun 
de  ses  ministres  n'avait  la  fermeté  de  le  contredire.  Ainsi  c'était 
lui  seul  qui  réglait  tout,  selon  son  caprice,  son  conseil  ne  faisant 
autre  chose  qu'approuver  ce  qu'il  proposait. 

Il  y  avait  cependant  dans  le  conseil,  comme  dans  tout  le 
royaume,  deux  partis  contraires  par  rapport  à  la  religion  ;  mais 
chacun  avait  toujours  les  yeux  sur  le  roi  pour  connaître  son  incli- 
nation, de  peur  de  s'exposer  à  la  combattre.  Les  partisans  des  nou- 
velles opinions  espéraient  toujours  que  le  roi  pousserait  beau- 
coup plus  loin  la  réforme  qu'il  avait  commencée;  dans  cette 
pensée,  ils  croyaient  qu'il  y  avait  de  la  prudence  à  ne  pas  l'irriter. 
Par  une  raison  semblable,  les  catholiques  n'osaient  s'opposer  di- 
rectement au  roi,  de  peur  que  leur  résistance  ne  le  portât  à  pas- 
ser les  bornes  qu'il  semblait  s'être  prescrites  ;  de  là  résultait  une 
complaisance  aveugle  et  générale  pour  toutes  les  volontés  du  roi 
et  le  pouvoir  excessif  qu'il  avait  acquis  sur  ses  sujets,  dont  il  fit 
un  si  terrible  usage  jusqu'à  sa  mort,  qui  arriva  le  28  ou  le  29  jan- 
vier 1547,  dans  la  cinquante-sixième  année  de  son  âge. 

Il  laissa  trois  enfans  :  Marie ,  fille  de  Catherine  d'Aragon  ;  Elisa- 
beth ,  fille  d'Anne  de  Boulen ,  et  Edouard  VI ,  fils  de  Jeanne  de 
Seymours.  Il  avait  réglé  la  succession  de  ses  enfans  à  la  cou- 
ronne ,  selon  le  pouvoir  que  lui  en  avait  accordé  le  parlement  :  il 
mit  dans  le  premier  rang  Edouard  VI ,  son  fils ,  et  toute  sa  pos- 
térité; en  second  lieu  la  princesse  Marie,  et  en  troisième  lieu 
Elisabeth ,  à  condition  qu'elles  se  marieraient  du  consentement 
des  exécuteurs  de  son  testament.  Après  ses  filles,  il  appelait  à 


ANC 

h  eoniwme  Françoise  Brandon ,  iille  aînée  de  sa  sœur  ei  du  duc 
de  SufTolk,  i  l'esclusion  des  etifans  de  Marj^uerite,  reine  d'Ëcosi-e, 


Dei  prineipe*  et  du  ichitme  de  Henri  Ytll. 

Cranmer  avait  pensé  qu'il  fallait  atlacher  à  la  royauté  la  qiii- 
lité  de  clief  de  l'Eglise  :  il  prélcnduii  que  le  prince  ehrétieii  est 
commis  immédiatement  de  Dieu,  autant  pour  ce  qui  regarda 
radminislralion  delà  religion  que  pour  l'adDiinisIration  de  l'état 
politique;  que,  dans  ces  deux  administrations,  il  doit  y  avoir  des 
ministres  qu'il  établisse  au-dessous  de  lui ,  comme ,  par  exemple, 
le  chancelier  et  le  trésorier,  les  maires  et  les  autres  officiers,  dam 
le  civil  ;  et  les  èvèques  ,  curés,  vicaires ,  etc. ,  qui  auront  titre 
par  sa  majesté  d'enseigner  la  religion;  que  tous  les  n 
tant  de  ce  genre  que  de  tout  autre ,  doivent  être  destinés , 
gnés  et  élus  par  les  soins  et  par  les  ordres  du  prince,  avec 
verses  solennités  qui  ne  sont  pas  de  nécessité,  mais  de  bienséance 
seulement  ;  de  sorte  que  si  ces  charges  étaient  données  par  le 
prince  sans  de  telles  solennités ,  elles  ne  seraient  pas  moins 
données,  et  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  promesse  de  Dieu  que  lagrSee 
soit  donnée  dans  l'établissement  d'un  office  ecclésiastique  que 
dans  rétablissement  d'un  office  politique. 

Après  avoir  ainsi  établi  tout  le  ministère  eeclésiasliqne  sous 
une  simple  délégation  des  princes  ,  sans  même  que  l'ordination  ou 
la  consécration  ecclésiastique  y  fût  nécessaire,  il  va  au  devant 
d'une  objection  qui  se  présente  d'abord  k  l'esprit  :  c'est  à  savoir 
comment  les  pasteurs  exerceraient  leur  autorité  sous  les  princes 
inBdèles;  et  il  répond,  conformément  à  ses  principes,  qu'en  ce 
temps  il  n'y  aurait  pas  dans  l'Eglise  de  vrai  pouvoir  ou  comman- 
dement, mais  que  le  peuple  acceptait  ceux  qui  étaient  présentés  par 
les  apâlres,  ou  antres  qu'il  croyait  ri 
et  dans  la  suite  les  écoutait  comme  u: 
ï  de  bons  conseillers. 

Voilï  ce  que  dit  Cranmer  dans  v 
Toil!i  l'idée  qu'il  avait  de  cette  divir 
a  donnée  il  ses  ministres. 

Il  n'est  pas  besoin  de  réfuter  une  semblable  doctrine,  condam- 


:mplis  de  l'esprit  de  Dieu, 
n  bon  peuple,  prêt  b  obéir 


[ne  assemblée  d'évéqnes ,  Dt 
le  puissance  que  Jésus-Christ 


,  0  ANG 

ôe  psup  les  p((4estaas»  et  dont  M.  Burnet  Im^ê^e  a  rougi  p(H|r 
ranmer. 

Il  est  vrai  que  Cranmer  reconnut  que  les  évéques  élaient  bien 

.'institution  divine  ;  mais  il  prétendait  que  Jésus-Christ  avait  in- 

titué  des  pasteurs  dans  FÉglise  pour  exercer  leur  puissance 

omme  dépendante  du  prince  dans  toutes  leurs  fonctions;  ce  qui, 

it  M.  Bossuet,  est  sans  difficulté  la  plus  inouïe  et  )a  plus  scaa- 

aleuse  flatterie  qui  soitjçunais  tombée  dans  Fesprit  des  hommes  ^. 

Appuyé  sur  ces  principes,  Henri  VIII  donnait  pouvoir  auxév^ 

ues  de  visiter  leurs  diocèses  :  Fexpédition  de  ce  pouvoir  avait  une 

réface  qui  contenait  que  toute  la  juridiction,  tant  ecclésiastique 

ue  séculière,  venait  de  la  puissance  royale ,  comme  de  la  source 

remière  de  toute  magistrature ,  dans  chaque  royaun^e ,  etc. 

11  suffît ,  selop  M.  Bossuet,  d^exposer  de  pareils  principes  poiyr 

;s  réfuter.  H  est  évident  que ,  dans  ces  principes  „  il  faut  quç  ](a 

^  aligion  chrétienne  n*ait  point  une  origine  divine  et  qu^ellç  ne 

.  oit  qu'une  purç  institution  politique ,  dont  les  dogmes  et  le$  ri^ 

.  3nt  déterminés  par  le  pouyoir  séculier. 

.    ANGLICAN E)  (Religion).  C'est  )areligiop  prétendue  réformée, 

.  iUe  qu'elle  est  aiyourd'hvii  établie  et  professée  par  TËglise  augU- 

ane.  Nous  allons  exaipiner  sop  origine,  ^on  progrès  çt  son  état 

ctuel. 

^e  la  religion  reformée  en  Angleterre  depuis  le  schisme  de  Luther 

Jusqu'à  Edouard  VL 

Quatre  cents  ans  avant  Luther,  Wiclef  avait  attaqué ,  en  Angle- 

3rre»  Ts^utorité  du  pape  et  les  dogmes  de  TÉglise  romaine;  il 

'  'était  fait  des  prosélytes  dans  le  peuple ,  parmi  les  magistrats  et 

.  bes  les  grands.  Le  zèle  du  clergé,  soutenu  de  l'autorité  dos  ropk, 

'  vait  arrêté  les  progrès  de  la  séduction  ;  mais  il  était  resté  des  ger- 

.  les  d'erreur  que  la  vigilance  et  la  sévérité  du  ministère  n'^yaiept 

a  détruire,  çtqui  furent  nourris  par  les  contestations  qui  se  renoH- 

alaient  sans  cesse  en  Angleterre  sur  les  droits  du  pape  dans  ce 

'■  iyaume,  sur  les  biens  ecclésiastiques,  sur  les  privilèges  du  clergé. 

Lorsque  le  schisme  de  Luther  éclata ,  les  Wicléfites  et  le^  Lol- 

rds,  dont  les  sentimens  avaient  beaucoup  de  rapport  avec  ceux 

.  a  Luther,  lurent  avidement  ses  livres  et  ceux  des  Protestons  ; 

s  les  traduisirent  en  anglais ,  et  l'on  vit  bientôt ,  dans  Londres , 

»  ■. 

*  Bossuet,  Ilist.  des  variai.,  l.  7.  art,  A4. 


AHG  9) 

il  Cambridge ,  des  sociélés  entières  adopier  les  erreurs 
de  la  réfonne. 

Le  clergé  s'assembla  ;  les  réformateurs  Tureul  recherchas  avec 
soin  et  punis  aveu  sévérité;  mais  on  n'arrâla  pas  l'erreur.  Les 
partisans  des  nouTelles  opiDÎODS  deviureot  plus  clrconspecu, 
plus  dissimulés ,  plus  déDans ,  et  par  conséqueDi  lurent  maies 
en  état  d'être  détrompés  :  ils  répandirent  leurs  opinions  avec 
pbiR  de  précantion ,  et  peut-être  avec  plus  de  succès  ;  ils  per- 
vertireol  beaucoup  de  mondeel  aflaiblirent  tellement  dans  l'esprit 
delà  nation  lerespectet  la  soumission  pour  le  souverain  pontife  et 
pourle clergé,  que  Ihnri  VIII,  dans l'afTaire du  divorce,  fut  en 
él»l  de  braver  les  anstbèmes  du  ppe  et  de  subjuguer  le  clergé. 

Ce  prince  n'était  pas  engagé  dans  les  erreurs  des  Protestans  ; 
mais  le  besoin  qu'il  avait  d'eui  contre  le  clergé  ne  permettait  pas 
qu'il  les  traitit  d'abord  avec  rigueur.  Il  laissa  ce  parti  se  fortifier 
assez  pour  faire  craindre  au  clergé  qu'il  ne  se  déclarSt  pour  la 
réforme ,  et  fit  assez  d'entreprises  sur  le  clergé  pour  faire  espérer 
aui  Protestans  qu'il  embrasserait  leurs  aentîmeua. 

Par  celle  politique ,  la  nation  anglaise  se  trouva  partagée  entre 
la  réforme  et  la  religion  catholique,  et  il  se  forma  deux  partis  que 
le  roi  gouTemait  avec  un  empire  absolu. 

Les  catboliques  étaient  inQniment  plus  nombreux,  et  il  était 
hnporlant  pour  le  roi  qu'on  le  crût  toujours  attaché  ï  la  religion 
ealholique.  Il  renouvela  donc  les  lois  contre  tes  hérétiques,  et  fit 
punir  avec  la  dernière  rigueur  tous  ceux  qui  ne  souscrivaient  pas 
les  six  articles,  et  qui  étaient  attachés  à  la  nouvelle  réforme. 
Veyeî  l'article  précédent. 

■  Hais,  dit  M,  Bossuet,  que  peuvent  sur  les  unnsciences  des 

•  décrets  de  religion  qui  tirent  toute  leur  force  de   l'autorité 

>  royale ,  â  qni  Dieu  n'a  rieu  commis  de  semblable,  et  qui  n'ont 

>  rien  de  politique^  Encore  que  Henri  VIII  les  soutint  par  des 

•  supplices  innombrables  et  qu'il  lit  mourir  cruellement  non-seii- 
■  lement  les  catholiques,  qui  dé  tes  laie  ni  sa  suprématie,  mais 

•  mfme  les  Luthériens  et  les  Zoingliens  ,  qui  attaquaient  aussi 

•  les  articles  de  sa  foi ,  toutes  sortes  d'erreurs  se  glissèrent  in- 
»  sensiblement  dans  l'Angleterre ,  et  les  peuples  ne  surent  plus  ï 

>  quoi  s'en  tenir,  quand  ils  virent  qu'on  avait  méprisé  la  ch  aire 


1 
I 


92  ANG 

Tel  était  Tétat  de  rAngleterre  lorsque  Henri  VIII  mourut.^ 
De  la  ré  formation  ious  Edouard  VL 

Edouard  VI  succéda  à  Henri  VllI,  et  le  comte  de  Hartfort, 
depuis  duc  de  Sommerset ,  fut  déclaré  protecteur  de  tout  le 
royaume  et  gouTemeur  du  jeune  roi. 

Edouard  avait  de  Tinclination  pour  la  réforme ,  et  le  duc  de 
Sommerset  était  Zuinglien  dans  le  cœur;  les  deux  archevêques, 
des  évêques ,  plusieurs  des  principaux  membres  du  clergé ,  beau- 
coup de  grands  et  une  partie  du  peuple,  avaient  embrassé  le  parti 
de  la  réforme. 

Ainsi ,  toute  Tautorité  se  trouva  du  côté  des  Protestans  :  leur 
zèle  ne  tarda  pas  à  éclater  dans  les  entretiens  particuliers  et  dans 
les  sermons  ;  et  Granmer,  qui  avait  dissimulé  son  attachement  à 
la  réforme  sous  Henri  VllI ,  se  joignit  au  protecteur  pour  rétablir 
en  Angleterre  après  la  mort  de  ce  prince. 

IjC  parlement  avait  rendu ,  en  1539,  une  ordonnance  qui  revê- 
tait d'une  pleine  autorité  les  déclarations  de  Henri  YIII  et  qui 
portait  que  les  conseillers  de  son  fils  pourraient ,  durant  la  mino- 
rité,  donner  des  déclarations  qui  auraient  autant  de  force  que 
celles  du  père.  Sur  ce  fondement  on  proposa,  suivant  Texemple 
de  Henri  VIIl ,  d'envoyer  des  visiteurs  dans  tout  le  royaume ,  avec 
des  constitutions  ecclésiastiques  et  des  articles  de  foi  :  on  leur 
distribua  TAngleterre  en  six  parties ,  et  pour  chaque  partie  les 
commissaires  étaient  deux  gentilshommes ,  un  jurisconsulte ,  un 
théologien  et  un  secrétaire.  Le  roi  défendit  aux  archevêques  et  à 
tous  autres  d'exercer  aucune  juridiction  ecclésiastique  tant  que 
la  visite  durerait  ;  et  comme  le  peuple  flottait  entre  des  sentimens 
opposés,  parce  que  les  prédicateurs  prêchaient  une  doctrine  op- 
posée et  se  réfutaient  dans  leurs  chaires ,  Edouard  défendit  aux 
évêques  de  prêcher  hors  de  leurs  sièges,  et  aux  autres  ecclésiasti- 
ques de  prêcher  ailleurs  que  dans  leurs  églises ,  à  moins  qu'ils 
n'en  eussent  la  commission  :  c'était  un  moyen  sûr  pour  distinguer 
les  prédicateurs  qui  appuieraient  la  réforme  de  ceux  qui  y  seraient 
opposés,  et  pour  empêcher  que  ces  derniers  ne  prêchassent  hors 
de  leurs  cures ,  tandis  que  les  autres  obtiendraient  facilement  la 
liberté  de  prêcher  partout  ^ 

Les  visiteurs  furent  chargés  d'ordonnances  ecclésiastiques  pour 

^  Bumet,  t.  3,  p.  62  et  68. 


^  ANG  93 

différais  points  de  discipline  et  pour  l'ubolitlua  des  images  e(  de 
l'autorité  du  pape.  Les  catliuliqaes ,  loio  de  faire  des  eflbrls  pour 
faire  réformer  ce  qui  avait  été  fait  sous  Henri  Vlll ,  bornèrent  leurs 
prétentions  ï  empêcher  qu'on  ne  ftt  de  plus  grands  changetnens; 
pour  cet  effet ,  ils  soutenaient  qu'on  ne  pouvait  rien  décider  par 
rapport  ï  la  religion ,  sous  une  minorité ,  puisqu'on  ne  pouvait 
rien  faire  qu'en  Terlu  de  la  suprématie  du  roi. 

Mais  ceux  qui  gouvernaient  étaient  bien  Soignés  d'admettre 
celle  maxime  qui  pouvait  avoir  des  iniloences  sur  les  autres  af- 
faires du  gouvernement  ;  ils  souleuaient  que  l'autorité  rojale  était 
loujours  la  même,  soit  que  le  roi  fût  majeur,  soit  qu'il  fût  mî- 
tes évéques  de  Londres  ei  de  Winchester  furent  les  seuls  entre 
les  évéques  qui  s'opposèrent  aux  règlemens  que  les  TÎsUenra 
avaient  faits,  et  ils  furent  envoyés  en  prison. 

Le  parlement,  qui  s'assembla  le  4  notembre  1S54,  fit  fers  la 
réformation  quelques  pas  an  delà  de  ce  qui  s'élail  fait  autrefois 
sous  Denri  VIII  :  il  abolit  certains  actes  I^Us  autrefois  sous  les 
Lollards  ;  il  révoqua  la  loi  de  si^  articles ,  et  confirma  la  supré- 
matie du  roi  ;  il  abolit  les  messes  privées  et  Gl  donner  la  commu- 
nion sous  les  deux  espèces.  Le  roi  fut  ensuite  revêtu  du  pouvoir 
de  nommer  aux  évéchés  vacans ,  et  les  élections  furent  abolies  : 
on  resserra  aussi  la  juridiction  des  cours  ecclésiastiques;  et  enfin 
le  parlement  accorda  au  roi  tous  les  fonds  destinés  ï  l'entretien  des 
cbaotres,  tous  ceux  qui  étaient  alTectâsï  l'entretien  des  lampes, 
des  confréries,  etc. 

Le  roi ,  le  protecteur  et  le  parlement  ajant  fait  connaître  de 
cette  manière  combien  ils  étaient  portés  â  établir  la  réforme,  on 
TÏt  arriver  d'Allemagne  en  Angleterre  une  foule  de  Protestans,  et 
le  protecteur  fit  venir  des  théologiens  et  des  prédicateurs ,  aux- 
quels il  donna  des  pensions  et  des  bénéfices.  Tels  furent  Pierre 
Ûanjr,  Bucer,  Okin ,  etc. 

Tout  concourait  donc  ï  l'établissement  de  la  nouvelle  réforme 
en  Angleterre  ;  mais  Craiimer ,  qui  conduisait  cette  entreprise , 
voulait  éviter  l'éclat,  et  saper,  pour  ainsi  dire,  la  religion  catho- 
lique. 

Ou  nomma  des  évoques  ei  des  théologiens  pour  examiner  et 
pour  corriger  les  offices  de  l'bglise,  et  ces  commissaires  firent 
une  liturgie  approchante  de  celle  des  Protestans. 

Le  parlement ,  qui  se  rassembla  le  U  novembre ,  travailla  da 


1 
I 

I 


ANG 

.,  uveau  à  Taffaire  de  la  réformatîoii.  Il  autorisa  U  mariage  dds 
^tres  et  approuva  la  nouvelle  liturgie  ^. 
Les  chaugeinens  qu*OQ  venait  de  faire  et  ceux  qu*on  méditait 
isèrent  de  toutes  parts  du  mécontentement.  Les  chaires  ne  rer 
itissaient  que  de  disputes  :  on  6ta  aux  évéques  le  pouvoir  d^aur 
iser  les  prédicateurs,  et  op  le  réserva  au  roi  et  à  Tarchevêque 
Cantorbéry ,  sous  prétexte  de  calmer  les  esprits  ;  mais  cette 

.    3caution  ne  produisit  point  Teffet  qu'on  eu  attendait.  La  cour 

.  fendit  à  tous  les  prédicateurs  de  prêcher,  et  fit  )ire  dans  Téglise 
i  homélies  que  Ton  avait  fait  composer  pour  les  visiteurs  ^. 

.  Dès  que  la  loi  qui  établissait  l'uniformité  dans  le  service  de 
glise  eut  été  rendue  publique ,  le  roi  ordonna  une  nouvelle  vî- 

.    8  de  son  royaume. 

.  Cependant  la  réforme  rencontrait  de  grands  obstacles  :  les  car 
)liques  attaquaient  avec  force  les  nouveaux  dogmes  de  la 

■  Torme  et  défendaient  avec  beaucoup  d'avantage  la  doctrine  de 
église  catholique ,  et  la  plus  considérable  partie  de  la  nation 
lit  fortement  attachée  à  Tancienne  foi  :  les  réformateurs  ne  sa^ 

•    ient  eux-mêmes  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  principaux  pointa  con- 

.  >tés  entre  les  catholiques  et  les  Protestans  :  ces  derniers  dér 
idaient  très-faiblement  leurs  opinions ,  même  en  supposant  que 

:  ns  les  disputes  ils  aient  employé  les  raisons  que  M.  Burnet 
up  prête  ^. 

,    Nous  avons  réfuté  ces  raisons,  à  l'article  Vigilance  ,  sur  le  péli- 

.  t  des  prêtres  et  sur  les  cérémonies;  à  l'article  Bérengeb»  sur  la 
ésence  réelle  et  sur  la  transsubstantiation. 
Leur  lenteur  à  établir  une  doctrine  suivie  était  donc  la  suite  de 
irs  embarras ,  et  non  pas  l'effet  de  leur  prudence ,  comme  le 
étend  l'historien  de  la  réforme;  mais,  chez  M.  Burnet,  l'igno- 
ace  des  réformateurs  se  change  en  un  doute  sage,  leurs  contra- 
3tions  en  ménagemens ,  leur  fanatisme  en  zèle  apostolique ,  \k 
as  lâche  faiblesse  en  condescendance  louable. 
Depuis  le  règne  de  Henri  VIII ,  une  grande  quantité  d'Anabap- 
tes  s'étaient  réfugiés  en  Angleterre  :  le  conseil  eu  fut  informé  ; 

..  nomma  des  commissaires  pour  les  défsouvrir  et  pour  les  juger.  La 
mmission  était  composée  d'évéques,  de  chevaliers,  de  docr 

*  Actes  de  Rymer,  1. 15.  Abrégé  des  actes  dut  hi  art  &,  p.  i27. 
2  Burnet,  t  3,  p.  203. 


ANG  { 

Umn ,  k  k  t^e  desqnelB  éuit  GraBmef ,  ardiévêqae  de  Cântorbé. 

Oa  tfoavt  ^é  parmi  les  Anabaptistes  lin  grand  nombre  niait 
Trinité ,  la  néeessité  de  la  grâce ,  le  mystère  de  ribcamati( 
Pourquoi  M.  burnet  ne  nous  dit-il  pas  que  ces  erreurs  avaient  ( 
enseignées  par  Okin  et  par  les  théologiens  réformés  ,  que  le  d 
de  Soinmerset  avait  appelés  en  Angleterre  ? 

Plusieurs  personnes  abjurèrent  ces  erreurs  devant  les  commî 
saires  ;  mais  Oli  en  rencontra  d*inflexibles  :  telle  fut  Jeanne  Bo 
cher,  ipie  les  commissaires  livrèrent  au  bras  séculier. 

Le  conseil  pria  le  roi  de  signer  Tordre  pour  Fexécuter;  m: 
ce  prince  le  refusa.  11  allégua,  dit  M.  Bumet,  que  condamr 
des  misérables  au  feu  pour  des  matières  de  conscience ,  c*é( 
donner  dans  la  même  cruauté  que  Ton  reprochait  à  TÉglise  r 
naine. 

Granmer,  archevêque  de  Cantort)éry,  représenta  au  roi  que,  p 
k  Im  de  Moïse ,  les  blasphémateurs  étaient  lapidés  ;  que  la  difi 
rëocè  était  grande  entre  les  erreurs  qui  attaquent  le  fondeme 
eomen^  dans  le  symbole  des  apôtres  et  celles  qui  ne  regarde 
qa»  des  points  de  théologie  ;  que  si  les  dernières  étaient  tolér 
btea»  les  autres  étaient  des  impiétés  contre  Dieu ,  et  qu*il  n*y  av: 
point  de  prince  qui  ne  fût  dans  Tobligation  de  les  punir  en  qu 
Uté  de  lieutenant  da  roi  des  rois.  Tout  de  même  que  les  lieutr 
BÉBS  des  princes  sont  obligés  de  châtier  ceux  qui  offensent  c 
iMiwes  princes. 

Le  foi ,  effirayé  et  non  pas  persuadé ,  signa  Tordre  et  dit  à  Cra 
m»  qw&  s*il  faisait  mal ,  puisque  c*était  par  ses  instructions 
mmn  MQ  autorité ,  c^était  à  lui  à  en  répondre  devant  Dieu  *. 

M.  Bumet  dit  que  Granmer  frémit  si  fort  k  ce  discours  qu*il  i 
j^  ooftsentir  qU*on  exécutât  la  sentence  :  voilà  un  remords  quN 
B^AttlHidait  pas  dans  Granmer  après  le  discours  quMl  avait  tenu  : 
roi ,  et  ce  remords  se  dissipa  vraisemblablement  comme  un  éclai 
etr  Jeanne  Boucher  fui  brûlée. 

8i  nous  étions  aussi  peu  réservés  que  M.  Bnmet  dans  les  jugr 
mens  qtt*il  porte  sur  les  motifs  secrets  des  catholiques ,  que  r 
pourrions-nous  pas  dire  du  frémissement  de  Granmer ,  qui  n*a 
riv«  qtt*après  Textréme  répugnance  du  roi  à  signer  un  ordre  qi 
ee  prince  croit  injuste  et  barbare? 

M.  Bumet  a  pourtant  cru  qu'on  pouvait  justifier  Granmer 

^  Bumet,  L  3,  p.  33/i, 


96  ANG 

c  Nous  pouvons  répondre,  diUl,  queCranmer  n^avaii  as^rément 
9  aucune  disposition  à  la  cruauté,  et  que,  de  la  sorte ,  ce  qu*il  fit 
»  n*eut  pas  un  fondement  si  mauvais  ;  mais  il  faut  aussi  confesser 
»  qu'il  se  laissa  entraîner  par  quelques  maximes,  suivant  lesquel- 


»  les  il  se  gouvernait  ^< 


Voilà  une  apologie  qui  porte  avec  elle  la  preuve  de  Tembarras 
de  M.  Burnet,  et  sa  réfutation. 

Le  supplice  des  Anabaptistes  n'arrêta  pas  la  licence  de  penser  : 
tout  était  dans  une  confusion  étrange  ;  les  peuples  se  soulevèrent 
en  plusieurs  endroits ,  et  les  changemens  faits  dans  la  religion 
n'étaient  pas  sans  influence  dans  ces  soulèvemens. 

Les  troubles  se  calmèrent,  et  Ton  continua  à  établir  la  réforme  ; 
on  déposa  les  évéques  qui  n'étaient  pas  favorables  aux  desseins 
du  gouvernement  ;  on  ajoutait ,  on  retranchait  sans  cesse  aux  li<- 
torgies  et  aux  professions  de  foi. 

La  disgrâce  du  duc  de  Sommerset  ne  changea  rien  dans  le  pro- 
jet d'établir  la  prétendue  réformation  en  Angleterre.  En  1552 ,  le 
comte  de  Warvick,  qui  usurpa  le  gouvernement,  et  qui  faisait  ser- 
vir la  religion  à  ses  desseins  ambitieux ,  trouva  qu'il  était  plus  à 
propos,  pour  se  soutenir,  de  se  conformer  aux  inclinations  du  roi 
et  aux  vœux  de  la  plus  grande  partie  de  la  nation  ,  que  d'entre- 
prendre de  les  contrarier;  ainsi  on  continua  à  déposer  les  évéques 
opposés  à  la  réforme.  On  faisait  sans  cesse  de  nouvelles  profes- 
sions de  foi  ;  on  ajoutait ,  on  retranchait  sans  cesse  quelque  chose 
à  ces  professions  ;  on  changeait  les  liturgies  :  ce  n'étaient  qu'or- 
donnances du  roi  et  du  parlement  pour  obliger  à  croire  telles 
choses,  et  à  n'eu  pas  croire  telles  autres  ;  pour  prescrire  les  rits 
des  ordinations,  rétendue  du  pouvoir  des  évéques  et  des  pasteurs. 
Voilà  ce  que  M.  Burnet  appelle  un  ouvrage  de  lumière,  et  l'état 
où  la  réforme  avait  mis  l'Angleterre  lorsqu'Edouard  VI  mourut , 
Fan  1553. 

La  nouvelle  profession  de  foi  contenait  les  erreurs  desProtes- 
tanssur  la  justification,  sur  l'Eucharistie,  sur  les  sacremens,  sur 
l'Eglise,  sur  TËcrilure,  sur  le  purgatoire,  sur  les  indulgences,  sur 
la  vénération  religieuse  des  images  et  des  reliques ,  sur  l'invoca- 
tion des  saints,  sur  la  prière  pour  les  morts;  on  y  confirmait  la  su- 
prématie du  roi  dans  l'Église,  et  l'on  y  condamnait  les  erreurs  des 
Anabaptistes, 

i  Ibid. 


I 


I 


'  ANG  Hfl 

Poorh  lilargie,  od  ta  rendit  U  plus  semblable  qu'il  (ut  possi- 
ble X  celle  des  Prolestans  :  oq  relrancba  des  églises  les  autels,  les 
images,  les  omeitiens  qui  servaient  dans  la  célébration  de  l'office 
dmo^  on  abolit  l'usage  de  l'huile  dans  reuréme-ODC lion,  etc.  '. 
De  la  TéfoTmatioii  en  Angleterre  tous  la  reine  Marie. 

Après  la  mort  d'Edouard  VI ,  Marie ,  fille  de  Henri  VIII  el  de 
Catherine  d'Aragon,  monta  surletrdne.  Cette  princesse ,  au  mi- 
lieu du  schisme ,  était  restée  inviolablement  atiacliée  au  saint 
Siège ,  qui  avait  dérendu  les  droits  de  sa  naissance  avec  une  Ter- 
uelé  inQexible.  Pendant  le  règne  d'Edouard,  elle  s'opposa  de 
toutes  ses  forces  aux  réforroaieurs ,  dont  les  principaux  diefs 
avaient  eu  tant  de  part  dans  l'affairedu  divorce. 

Lorsqu'elle  fut  monléesur  le  trûne,  elle  se  livra  à  toute  l'ardeur 
de  son  zËle  pour  le  rétablissement  de  la  religion  citholique. 

Il  Tallait,  pour  y  réussir,  renverser  la  religion  protestante ,  ap- 
prouvée par  le  parlement  et  reçue  par  une  grande  partie  de  la 

Cardiner  et  les  principaux  des  catholiques  prétendaient  qu'il 
bilail  remettre  la  croyance  dans  l'état  oCi  elle  était  Â  la  mort  de 
Henri  Vllt,  et  qu'ensuite  on  rétablit  par  degrés  tout  ce  qui  avait 
été  changé  ou  aboli  depuis  la  rupture  avec  Rome. 

La  reine ,  au  contraire ,  avait  du  peu<:liant  â  rentrer  d'abord 
dans  l'unité  de  l'élise  cathulique,  et  considérait  Cardiner  comme 
un  politique  qui  s'accommodait  au  temps. 

Cependant,  pour  paraître  mettre  quelque  prudence  dans  son 
entreprise,  elle  déclara ,  dans  son  conseil ,  qu'encore  qu'elle  lilt 
déterminée  sur  la  matière  de  la  religion,  elle  ne  contraindrait 
personne;  qu'elle  laissailâ  Dieu  le  soin  d'éclairer  ceux  qui  étaient 
dans  l'erreur,  et  qu'elle  espérait  qu'on  reviendrait  dès  que  l'b- 
Tangile  serait  prêché  purement ,  el  par  des  théologleus  ornés  de 
piété,  de  vertus  et  de  lumières. 

Bieot&t  après,  les évéques  déposés  revinrent  dans  leurs  sièges; 
l'évéque  de  Londresse  l'endit  dans  sa  cathédrale,  et  jr  entendit  le 
■ermon  de  son  chapelain.  Comme  ce  prédicateur  exaltait  extrême- 
ment Mn  évi)que ,  et  qu'il  censurait  vivement  ceux  qui  l'avaient 
maltraité ,  l'auditoire  s'émut  ;  ou  lui  jeta  des  pierres  ,  et  on  lui 
tança  on  poignard  avec  tant  de  ruree  ,  que  le  prédicateur  ayant 

■  BuriiH,  1. 3,  p.  &SI). 


étitéle  eôilp,  le  poi|iii)rd  entra  dans  le  bois  de  la  chaife  et  y  ie- 
méutà, 

La  reine)  pour  prévenir  les  désordres  qui  pouvaient  nattre  dé 
rindiscrétion  des  prédicateurs ,  donna  ordre  à  Gardiner  d'expé- 
dier, sous  le  grand  seeau,  des  provisions  de  précliery  aux  théolo- 
giens qu'il  croyait  sages ,  éclairés ,  prudens  et  capables  de  bien 
annoncer  la  parole  de  Dieu. 

Ces  prédicateurs  étaient  en  droit  de  monter  en  chaire  partout 
ob  le  chancelier  les  enverrait^  soit  dans  les  églises  cathédrales, 
soit  dans  les  paroisses. 

Malgré  l'interdiction  des  prédicateurs  ,  la  plupart  des  Protes-* 
tans  continuèrent  â  prêcher;  et  M.  Burnet ,  qui  avait  blâmé  cette 
désobéissance  dans  les  catholiques,  sous  Edouard  YI,  la  canonisé 
dans  les  Protestans ,  sous  Marie  ^. 

Les  étrangers  qui  s'étaient  retirés  en  Angleterre,  sous  Edouard, 
et  ceux  qu'on  avait  appelés,  eurent  ordre  de  sortir  du  royaume. 

La  reine  convoqua  ensuite  le  parlement,  et  retint,  dans  les  let- 
tres de  convocation,  la  qualité  de  souverain  chef  de  V Église  d'An-» 
fleterte»  Elle  fit  réhabiliter  le  mariage  de  Henri  YIII  avec  Cathe- 
rine d'Aragon  (le  1*<^  octobre  1553)  :  on  révoqua  ensuite  les  lois 
qu'Edouard  avait  faites  sur  la  religion,  et  l'on  ordonna  qu'après  le 
20  décembre  toute  forme  de  service  cesserait  en  Angleterre,  hor- 
mis celui  qui  avait  été  en  usage  à  la  fin  du  règne  de  Henri  YIII. 

Pour  assurer  le  succès  de  celte  loi ,  on  renouvela  celle  que  les 
réformateurs  avaient  fait  porter  contre  les  catholiques ,  sous 
Edouard  :  on  déclara  coupables  de  félonie ,  et  par  conséquent  di- 
gnes de  mort,  ceux  qui ,  s'étant  assemblés  au  nombre  de  douze 
ou  davantage  pour  faire  des  changemens  dans  la  religion  établie 
de  droit  public,  ne  se  séparaient  pas,  une  heure  au  plus  tard«  après 
en  avoir  été  requis  par  le  magistrat  ou  par  quelqu'un  autorisé  de 
1a  reine. 

Le  mariage  de  la  reine  avec  Philippe  d'Espagne  occupa  la  cour 
et  occasiona  des  mouvemens  dans  les  provinces  ;  on  les  apaisa , 
et  lorsque  la  tranquillité  fut  rétablie  partout,  la  reine  envoya  or- 
dre auxévéques  de  faire  au  plus  tôt  la  visite  de  leurs  diocèses  ; 
de  faire  observer  les  lois  ecclésiastiques  qui  avaient  eu  cours  du 
vivant  de  son  père  ;  de  cesser  de  mettre  son  nom  dans  les  actes  des 
oflicialités;  de  n'exiger  plus  le  serment  de  suprématie;  de  ne  con- 

*  Burnet,  i.  3,  p.  420, 


ÂSG  » 

MMS  ï  aiicun  liomme  soup(onoé  d'hérésie,  el  de  punir 
les  hérËliquee;  elle  voulait,  déplus,  que  l'oa  cliassil  les  ecclésiae- 
liqu es  mariés,  el  qu'on  les  cuntraignll  de  se  séparer  de  leurs  fêlâ- 
mes ;  enfin,  elle  voulait  que  les  gens  d'alise  ordonnés  suivaoi  le 
cérémonial  d'Edouard  VI,  a'étanl  pus  légitimement  ordonués ,  le 
diocésain  suppléit  ce  qui  manqunil.  Eu  conséquence  de  celle  or- 
donnance, quaire  ëvéques  mariés  Turenl  déposés;  la  noutetie  li- 
lurgie  fut  abolie,  el  ta  messe  rélablie  parioui'. 

Le  parlemenl  cassa  toutes  les  lois  l'allés  contre  le  saint  Siège , 
et  renouvela  loutes  celles  qu'on  avait  fuites  contre  les  hérétiques 
eoiis  Aicbard  II  et  sous  Uenri  IV. 

Le  cardioal  Polus  fut  nommé  légat  en  Angleterre,  cl,  lorsqu'il 
;  fut  arrivé  ,  il  s'opposa  aux  eanseils  violens  de  quelques  minis> 
1res  de  la  reine  ;  il  voulait  que  les  pasleuis  eussent  des  entrailla  s 
de  compassion,  même  pour  leurs  ouailles  perdues ,  et  qu'en  qui- 
lité  de  pères  spirituels ,  ils  regardassent  leurs  enfaus  dans  l'égarc- 
luent  eomiue  des  malades  qu'il  Tant  guérir,  et  non  pas  tuer  ;  il 
remoDlrail  que  la  trop  grande  rigueuc  aigrit  le  mal  ;  qu'on  devait 
mettre  de  la  ditTérence  eulre  un  Ëtat  pur,  oti  un  petit  nombre  de 
docteurs  se  glisse,  et  un  rojaumedoni  le  clergéet  les  séculiers  se 
Irouventplongèsdans  un  alilme d'erreurs;  qu'au  lieu  d'employer 
la  force  pour  les  déraciner,  il  fallait  donner  au  peuple  le  temps 
de  s'en  défaire  par  degrés. 

Le  cbancclier  Gardiner  prétendait,  au  contraire ,  que  pour  ré- 
doire  les  Prolestans  il  ne  fallait  compter  que  sur  la  sévérité  des 
wdonnanccs  portées  contre  les  Lollards. 

La  reine  prit  un  milieu  entre  Polus  et  Gardiner,  ou  plutôt  elle 
suivit  l'un  et  l'autre  en  partie;  elle  eihortu  le  légal  h  iravaillur  à 
laréformedu  clergé,  el  chargea  Gardiner  d'agir  contre  les  héré- 
tiques :  ce  dernier  en  fit  arri^ler  un  assez  grand  nombre,  et  l'on 
en  brûla  une  partie. 

Toute  l'Angleterre  tomba  dans  une  extrême  surprise  ï  la  vue 
de  tant  de  feux  ;  les  esprits  s'aigrirent  à  la  vue  de  ces  terribles 
«ipplices  ;  ceux  qui  penchaient  vers  la  religion  réformée  en  eu- 
rent alors  une  bien  plus  haute  idée  ;  et  la  constance  avec  laquelle 
les  Proiesians  allaient  au  supplice  inspira  delà  vénération  pour 
leur  religion ,  et  de  l' aversion  pour  les  ccdésiastiques  et  pour  les 
cathdiques,  qui  ne  pouvaient  tependanl  les  convertir  véritable- 
ment qu'en  gagnant  leur  confiance. 
^^  »  Onruel,  L  3,  p.  105,  UO. 


I 


iOO  ANG 

Insensiblement  le  feu  des  bûchers  alluma  le  fanatisme  dans  le 
cœur  des  Anglais  ;  les  réformés  professèrent  leur  religion  avec 
plus  de  liberté,  et  firent  des  prosélytes. 

Sur  Tavis  que  Ton  eut  que  TAngleterre  était  pleine  de  livres 
hérétiques  et  séditieux ,  la  reine  donna  Un  édit  qui  portait  que 
quiconque  aurait  de  ces  livres  et  ne  les  brûlerait  au  plus  tôt,  sans 
les  lire ,  sans  les  montrer  à  personne ,  serait  estimé  rebelle ,  et 
exécuté  sur-le-champ  selon  le  droit  delà  guerre;  elle  fit  défendre 
ensuite  de  parler  aux  Protestans  qu'on  conduisait  au  supplice , 
de  prier  Dieu  pour  eux,  et  même  de  dire  :  Dieu  les  bénisse. 

Plus  de  deux  cents  Protestans  périrent  dans  les  flammes,  plus  de 
soixante  moururent  en  prison,  beaucoup  sortirent  d'Angleterre, 
et  un  plus  grand  nombre  dissimula  ses  senti  mens  pour  conserver 
sa  liberté  et  sa  fortune.  Ces  derniers  éprouvèrent  les  plus  cruels 
remords  et  conçurent  une  haine  mortelle  contre  les  catholiques 
qui  les  avaient  réduits  à  ces  extrémités. 

Tandis  que  Ton  recherchait  et  que  Ton  brûlait  les  Protestans, 
les  élémens  et  les  maladies  contagieuses  semblaient  ligués  contre 
TAngleterre  ;  elle  éprouva  des  malheurs,  des  revers  fâcheux  ;  le  peu- 
ple prit  de  Taversion  pour  le  gouvernement.  La  reine  fit  représenter 
aux  communes  le  fâcheux  état  du  royaume  et  le  besoin  qu'elle 
avait  de  leurs  secours  ;  mais  la  chambre  des  communes  était  si 
mal  satisfaite  du  ministère  qu'elle  ne  fit  rien  sur  les  demandes  de 
la  reine.  Cette  princesse,  consumée  de  mélancolie  et  accablée  de 
chagrins,  mourut  le  17  novembre  1558,  âgée  de  quarante-trois 
ans  ;  «  Reine  digne  d'une  mémoire  éternelle,  selon  le  P.  d'Or- 
»  léaus,  si  elle  eût  plutôt  suivi  l'esprit -de  l'Église  que  le  génie  de 
9  la  nation  ;  si,  dans  une  révolution  de  religion,  elle  eût  moins 
»  imité  la  rigueur  de  ses  ancêtres  dans  celle  de  l'État  ;  en  un  mot, 
»  si  elle  eût  plus  épargné  le  sang,  si  elle  se  fût  distinguée  par-là 
»  de  Henri,  d'Edouard  et  d'Elisabeth,  et  si  elle  eût  fait  réflexion 
»  que  les  voies  trop  violentes  d'induire  le  peuple  au  changement 
»  conviennent  à  l'erreur  qui  ne  porte  point  de  grâce,  non  à  la  vé- 
»  ritable  foi  qui  porte  avec^  elle  le  secours  nécessaire  pour  se 
»  faire  volontairement  suivre^.» 

De  la  réformation  sous  Elisabeth. 

Après  la  mort  de  Marie,  Elisabeth,  fille  de  Henri  VIII  et  d'Anne 
de  Boulen,  monta  sur  le  trône  ;  elle  était  née  en  quelque  sorte 

1  Hist.  delà  révoL  d'Angleterre,  t  3,  p.  186, 


ANG  101 

ennemie  de  Rome  et  du  pape  ;  celle  disposition  fut  fortifiée  par 
la  réponse  que  le  pape  fil  au  résident  d* Angleterre  :  le  souverain 
pontife  déclara  «  que  TAngleterre  était  un  fief  de  Rome  ;  qu'Ëli- 
»  sabeth  n^y  avait  aucun  droit,  étant  bâtarde  ;  que  pour  lui  il  ne 

>  ponvait  révoquer  les  arrêts  de  Clément  Y11  et  de  Paul  ID,  ses 
9  prédécesseurs  ;  'que  ç*avait  été  une  insigne  audace  à  elle  de 
»  prendre  possession  de  la  couronne  sans  son  aveu  ;  que  par-là 

>  elle  était  indigne  qu'on  lui  fît  la  moindre  grâce  ;  que  si  toute- 

>  fois  elle  renonçait  à  ses  prétentions  et  qu'elle  en  passât  par  le  ju- 
»  gemoit  du  saint  Siège,  il  lui  marquerait  une  affection  pater- 

>  nelle  et  lui  ferait  tout  le  bien  imaginable,  pourvu  que  la 
»  dignité  du  vicaire  de  Jésus-Christ  ne  fût  pas  blessée  *,  » 

Ûisabeth  prit  la  résolution  de  soustraire  l'Angleterre  à  Tobéis- 
sanoe  de  Rome  à  laquelle  Marie  l'avait  soumise.  Elisabeth  savait 
que  Hmri  Ylll,  son  père,  et  Edouard  YI,  son  frère,  s'étaient  vus 
fort  embarrassés  au  milieu  des  divisions  de  leur  État  ;  que  ces 
Bnèmes  divisions  avaient  été  fatales  à  Marie,  sa  soeur,  qui  n'eut  ja- 
mais le  plaisir  de  voir  son  peuple  ni  lui  aider  à  défendre  Ca- 
laisy  ni  la  secourir  pour  reprendre  cette  place  ;  la  nouvelle  reine 
forma  donc  le  projet,  et  de  se  rendre  indépendante  de  Rome,  et 
d'établir  dans  son  royaume  un  corps  de  doctrine  et  un  culte  qui 
pussent  réunir  tous  ses  sujets  dans  la  profession  d'une  même  re- 

ligipD. 

L'exécution  de  ce  projet  faisait  d'ailleurs,  dans  son  règne,  une 
époque  glorieuse  ;  elle  assurait  la  tranquillité  de  ses  États  etren- 
dbit  sa  puissance  plus  redoutable  aux  étrangers.  Pour  réossir, 
eDe  résolut  de  prendre  un  milieu  dont  tout  le  monde  fût  à  pea 
près  satisfait;  et,  comme  elle  avait  déjà  remarqué  la  facilité  du 
dergé  à  approuver  l'abrogation  de  l'autorité  dû  pape  et  les  chan- 
gemens  de  la  religion,  elle  résolut  de  suivre  la  même  route,  mais 
sans  rien  précipiter. 

Elisabeth  craignait  que  le  pape  ne  l'excommuniât,  qu'il  ne  la  dé- 
posât et  qu'il  n'armât  contre  elle  toute  TKurope.  Il  était  possible 
que  le  roi  de  France  saisit  cette  occasion  d'inquiéter  l'Angle- 
terre, et  que,  secondé  des  Écossais  et  des  Irlandais,  il  y  excitât 
des  troubles  que  les  évêques  et  les  catholiques  d'Angleterre  pou- 
vaient rendre  infiniment  dangereux,  en  irritant  le  peuple  contre 
elle. 

*  Bomct,  L  â,  p.  350. 

9* 


m  ANQ 

Pour  préf  enir  ce  péril,  Elisabeth  fit  sa  paix  $tvec  Henri  tli  roi 
de  France,  appuya  secrètement  les  réformés  de  ce  royayme,  pror 
iégea  les  Écossais  qui  désiraient  la  réformation;,  distribua  de  Far- 
gent  aux  chefs  des  principales  n^aisons  d'Irlande,  affaiblit  secrè- 
tement le  crédit  des  principales  créatures  de  Marie,  fit  reconnaître 
son  droit  à  la  couronne  et  se  fit  reconnaître  par  les  deux  chambres 
du  parlement  pour  la  véritable  reine,  conformément  aux  lois,  di- 
vines et  à  celles  du  pays  ^. 

Le  parlement  confirma  ensuite  les  ordonnances  faites  au  sujet 
de  la  religion,  sous  Tautorité  d'Edouard  VI,  Quatre  jours  après, 
on  proposa  de  rendre  à  la  reine  la  nomination  des  évêques,  selon 
que  son  frère  en  avait  joui  ;  Tordonnance  pour  la  primatie  ecclé- 
siastique passa  dans  la  chambre  des  seigneurs.  Le  18  mars,  on  re- 
nouvela les  lois  de  Henri  YllI  contre  la  juridiction  du  pape  en  An- 
gleterre, et  Ton  abrogea  les  ordonnances  de  Marie  qui  y  étaient 
opposées  ;  on  déclara  que  le  droit  de  faire  les  visites  ecclésiastir 
ques  et  de  corriger  ou  de  réformer  les  abus  était  annexé  pour 
toujours  à  la  couronne,  et  que  la  reipe  et  ses  successeurs  avaient 
le  pouvoir  d'en  remettre  l'autorité  entre  les  mains  des  personnes 
qu'ils  jugeraient  à  propos  d'employer.  Il  fut  encore  résolu  que 
ceux  qui  auraient  des  charges  publiques,  militaires  ou  ecclésias- 
tiques, jureraient  de  reconnaître  la  reine  pour  souveraine  gouver* 
nante  dans  l'étendue  de  ses  États  et  en  toutes  sortes  de  causes  se-*, 
culières  et  ecclésiastiques  ;  que  quiconque  refuserait  de  prêter  ce 
serment  serait  déchu  de  ses  charges  et  incapable  d'en  posséder. 

Le  pouvoir  que  le  parlement  donna  à  la  reine  de  faire  exercer 
sa  primauté  par  des  commissaires  fut  l'origine  d'une  commission 
qui  fit  les  visites. 

Elisabeth,  en  se  soustrayant  à  l'autorité  du  saint  Siège,  voulait 
cependant  concilier,  autant  qu'il  lui  était  possible,  ses  sujets  et 
les  réunir  dans  le  même  culte  ;  elle  établit  des  conférences  entre 

'  ■         •    -y 

les  évêques  catholiques  et  les  théologiens  réformés, 

La  reine  avait  pris  son  parti,  et  les  conférences  n'étaient  éta- 
blies que  pour  gagner  les  catholiques  ou  pour  mettre  du  côté  de 
la  reine  l'apparence  de  la  justice  et  faire  juger  qu'elle  avait  cher- 
ché la  vérité  et  que  les  catholiques  avaient  succombé  dans  l'exa- 
men que  l'on  avait  fait  de  leur  doctrine.  Les  conférences  ne  ra- 
menèrent donc  personne  à'I'Église  catholique  ;  mais  le  parlement 

*  Buniet,  t,  A,  p.  350, 


ANC  tt) 

fit  une  loi  toucLanl  runiformilé  dans  le  service   de  l'Ëglisi 

Les  EÉatices  du  parlemeol  ijlanl  finies,  les  évéques  et  le  reito 

du  dergé  reçurent  ordre  de  venir  prêter  le  Bermcnt  de  Eupréma- 

tJe>  c'est-à-dire  de  veuir  recosnallre  la  primauté  ecclësîtutiqiu 

I  |)e  la  reine  et  de  reoencer  ï  celle  du  fape  :  ils  refusèreat  de  I9 

fltiK;  on  les  mit  en  prisun,  el  ils  fureat  dé|iosés. 

La  reine  fil  faire  des  r^gleioeag  pour  la  tisiie  dos  diocèses, 
des  raandemens  dans  lesquels  elle  alla  plus  loin  qu'Edouard  VI  >. 

Quand  les  commissaires  firent ,  en  I5t)9,  le  rapport  du  succèt 
de  leur  visite,  on  apprit  que  tout  le  royaume  recevait  avec  sou- 
mission les  ordoQuances  du  parlement  et  les  maudemens  de  la 
reine  ;  et ,  par  le  calcul  qui  en  Tut  fait ,  nn  trouva  qu'encore  qu'il 
y  eût  alors  ueuf  mille  quatre  cents  bénéfices  en  ADgleierre,  tout 
embrassait  la  réformaiiou,  à  la  réserve  de  quatorze  évëques,  de 
lix  dojens,  de  douze  archidiacres  ,  de  quinze  principaux  de  coU 
I  \ige,  de  cinquante  L-banoines  et  de  quatre- via  gis  eûtes. 
I  Ainsi,  parle  moyen  du  parlenieul,  Hearï  VIII  établît  en  Angle^ 
Icare  une  religion  mêlée ,  qui  n'était  ni  entièremeut  romaine ,  ni 
entièrement  protestante,  et  qui  tenait  quelque  chose  de  l'une  ot 
de  l'autre;  ce  prince  faisait  à  cet  égard  ce  qu'il  jugeait  â  propos; 
U  ajoutait,  il  retranchait;  et,  comme  s'il  eût  été  infaillible,  il 
s'avait  qu't  faire  connaître  ses  seniimeDS  pour  que  le  parlement 
les  approuvai  et  leur  donnJlforcedeloi. 

Par  la  méye  voie,  les  gouverneurs  d'IiJauard  VI  tirent  cnsscr 
les  lois  de  Qenri  Vlll  qui  leur  déplurent,  et  établirent  la  réforme, 

Uarie  se  servit  du  même  moyen  pour  abolir  11  réforaiation  et 
pour  rétablir  U  religion  catholique  dans  l'état  oii  elle  était  avant 
le  schisme  do  Henri  Vlll;  enfin,  Elisabeth  trouva  la  même  faci- 
lité i  faire  rétablir  la  réformatiun  par  te  parlement. 

Peut-on  dire  que  les  Anglais  aient  ainsi  changé  du  blanc  ay 
noir  volontairement  k  chaque  règne,  selon  qu'il  plabaitk  leuff 
souverains! Non,  sans  doute,  continue  M.  Thoïras;  mais,  dit-il, 
les  sentîmens  du  plus  grand  nombre  des  députés  il  la  chambrf 
basse  étaientchangcs  en  statuts,  qui  étaient  censés  confornies  auf 
lenlimens  de  U  nation  ;  par-lk  ceuï  qui  ne  les  approuvaient  pgf 
étaient  obligés  de  feindre;  et,  sous  les  quatre  règnes  dont  on  vient 
de  parler,  on  vit ,  dans  l'espace  d'environ  trente  ans ,  les  mémei 
personnes  condescendre  ï  quatre  cbangemens  de  rcligioD  couleur 

■  Bumcf,  1. 1|  p.  AD7. 


1 
I 


104  ANG 

tifs ,  selon  qu*il  plaisait  aux  rois  /aux  reines  et  aux  chambres  des 
communes. 

La  plupart  de  ceux  qui  embrassèrent  la  réforme  conservèrent 
leurs  sentimens ,  parce  qu*on  les  avait  forcés  et  qu*on  ne  les  avait 
pas  convaincus  ;  et  si  le  règne  d^Ëlisabeth  n*eût  pas  été  long  et 
qn*un  prince  catholique  fôt  monté  sur  le  trône  d'Angleterre  avant 
la  mort  dé  tous  les  catholiques  anglais,  il  eût  été  facile  d*anéantir 
la  réforme.  De  là  naquirent  tant  de  projets  d'attaquer  TÂngleterre 
•vec  des  forces  étrangères,  ou  par  TÉcosse ,  ou  de  quelque  autre 
côté  :  ceux  qui  formaient  ces  projets  ne  doutaient  nullement  que 
les  catholiques  anglais  ne  se  joignissent  aux  étrangers  ^ 

De  la  réforme  établie  et  fixée  par  Elisabeth, 

Elisabeth ,  pour  affermir  la  réforme ,  résolut  de  publier ,  1*  un 
corps  de  doctrine ,  ainsi  qu'on  l'avait  fait  sous  Edouard  VI  ;  2*  de 
donner  au  peuple  une  nouvelle  version  de  la  Bible  ;  3**  de  faire 
des  règlemens  pour  les  tribunaux  ecclésiastiques. 

Le  corps  de  doctrine  dressé  par  les  évéques ,  sous  Elisabeth  , 
n'est  pas  le  même  que  sous  Edouard. 

Sous  ce  prince ,  les  Zuingliens  et  les  Luthériens  avaient  eu  la 
meilleure  part  au  changement  qu'on  avait  fait  dans  la  liturgie; 
ainsi,  ils  avaient  presque  anéanti  tout  le  culte  pratiqué  sous 
Henri  Vlll. 

Elisabeth ,  élevée  dans  la  haine  du  pape  et  dans  \%  zèle  pour  la 
réforme ,  aimait  cependant  les  cérémonies  que  son  père  avait  re- 
tenues ;  elle  recherchait  l'éclat  de  la  pompe  jusque  dans  le  culte 
divin  ;  elle  estimait  que  les  ministres  de  son  frère  avaient  outré  la 
réforme  dans  le  culte  extérieur,  et  qu'ils  avaient  trop  dépouillé  la 
religion  et  retranché  mal  à  propos  les  ornemens  du  service  divin  ; 
elle  jugea  qu'ils  avaient  resserré  certains  dogmes  dans  des  limites 
trop  étroites  et  sous  des  termes  trop  précis  ;  qu'il  fallait  user 
d'expressions  plus  générales ,  afin  que  les  partis  opposés  y  trou- 
vassent leur  compte  ;  son  dessein  était  surtout  de  conserver  les 
images  dans  les  églises ,  et  de  faire  concevoir  en  des  termes  un 
peu  vagues  la  manière  de  la  présence  de  Jésus-Christ  dans  l'eu- 
charistie :  elle  trouvait  fort  mauvais  que ,  pour  des  explications  si 
subtiles ,  on  eût  chassé  du  sein  de  TËglise  ceux  qui  croyaieiit  la 
présence  corporelle. 

1  Abrégé  des  actes  de  Rymer,  p.|^âA6. 


ANG  105 

La  qualité  de  souverain  cher  de  l'Eglise  lui  déplaisait  encore  ; 
l'atiiorité  lui  on  paraissait  irop  étendue  et  trop  approchante  de  la 
puissance  de  Jésus-Christ  ' . 

La  reine  n'eiécuia  cependant  pas  tout  son  plan  de  liturgie;  elle 
consentit  que  l'on  ôlàl  les  images  ,  et ,  malgré  sa  répugnance , 
elle  conserva  la  suprématie  dans  toute  son  étendue  ;  le  parlement 
s'attribua  conslatn ment  la  décision  sur  lepoinldel'eucharistie,et 
ce  point  essentiel  de  la  réforme  d'Edouard  VI  fut  changé  sous 
Elisabeth  ;  enfin,  on  fixa  les  points  de  la  confession  de  r%lise 
anglicane,  et  cette  confession  fut  approuvée  dans  un  synode  de 
Londres,  tenu  l'an  1563. 

Cette  confession  est  contenue  en  treote-neuf  articles  :  dans  les 
cinq  premiers,  on  reconnaît  l'eiistence  et  les  attributs  de  Dieu,  la 
Trinité ,  l'Incarna  l'ion ,  la  descente  de  Jésus-Cbrîsl  aux  enfers,  sa 
résurrection  et  la  divinité  du  Saint-Esprit. 

Dans  les  sixième,  septième  et  huitième,  on  dit  que  l'Écriture 
sainte  suffit  pour  régler  la  foi  et  le  culte  des  chrétiens  ;  on  j  déter- 
mine le  nombre  des  livres  canoniques  ;  on  ;  retoit  le  symbole  de 
Nicée,  celui  de  saint  A.tbanase  et  celui  des  apâtres. 

Depuis  te  neuvième  jusqu'au  dix-huitième,  on  traite  du  péché 
originel ,  du  libre  arbitre ,  de  la  justification  des  bonnes  œuvres, 
des  œuvres  de  surérogalion ,  du  péclié  commis  après  le  bap- 
tême ,  de  la  prédestination ,  et  de  l'impossibilité  d'être  sans 
pécbé. 

Sur  tous  ces  points,  l'Église  anglicane  lâche  de  tenir  on  milieu 
entre  les  erreurs  des  Proleslans  et  les  dogmes  de  l'Église  catho- 
lique :  on  _v  condamne  te  Pékigianisme  et  le  semi'Pélagiantsme  ; 
mais  on  ne  dit  pas  que  la  concupiscence  soît  un  péché  ;  on  ne  nie 
point  le  libre  arbitre;  on  n'y  condamne  point  les  bonnes  œuvres; 
on  ne  dit  pas  que  les  actions  faites  atant  la  justification  soient  des 
péchés,  mais  que,  ne  se  faisant  pas  par  la  foi  en  Jésus-Christ,  elles 
ne  peuvent  être  agréables  ï  Dieu  ni  mériter  la  grJce  en  aucune 
manière  ;  on  prétend ,  au  contraire ,  que  ces  actions  ne  se  faisant 
pas  comme  Dieu  veut  qu'elles  soient  faîtes ,  elles  participent  de  la 
nature  du  péché. 

On  y  reconnaît  que  Jésus-Christ  seul  est  exempt  de  péché;  qne, 
même  après  le  baptême,  les  hommes  pèchent  et  peuvent  se  récon- 
cilier ;  on  condamne  donc  le  dogme  de  l'inamissibilité  de  la  grâce  : 

>  Burocl,  I.  t,  I.  3, 


I 
I 


106  ANG 

OD  y  enseigne  la  prédestination  gratuite ,  et  Ton  ne  parle  past  de 
la  réprobation  de  Luther  et  de  Calvin. 

Dans  les  dix-neuvième ,  vingtième,  vingt-unième,  vingt- 
deuxième,  vingt-troisième,  vingt-quatrième,  on  parle  de  rÉglise, 
de  son  autorité,  de  ses  ministres ,  des  conciles,  du  purgatoire, 
de  la  nécessité  de  faire  Toffice  en  langue  vulgaire. 

L'Église  est  définie  l'assemblée  visible  des  fidèles,  dans  la* 
quelle  on  enseigne  la  pure  parole  de  Dieu ,  et  dans  laquelle  on  adr 
ministre  les  sacremens  selon  institution  de  Jésus-Christ.  On  n^ 
dit  pas  que  TÉglise  soit  une  assemblée  de  prédestinés  et  une  sq* 
ciété  invisible,  mais  on  déclare  que  TÉglise  romaine  s'est  troBdr 
pée  sur  le  culte  et  sur  le  dogme. 

Cette  Église  visible  n'a  pas  le  droit  d'obliger  à  croira  ce  qnl 
n^est  pas  renfermé  dans  la  parole  de  Dieu  ;  mais  c'est  che^  e\\$ 
qu'il  faut  aller  chercher  la  parole  de  Dieu ,  dont  elle  est  déposi* 
taire  et  conservatrice. 

L'infaillibilité  des  conciles  généraux  y  est  niée ,  aussi  bien  que 
le  purgatoire ,  les  indulgences ,  la  vénération  des  reliques  et  des 
images ,  l'invocation  des  saints  ;  mais  on  les  rejette  comme  inur 
liles ,  contraires  à  la  parole  de  Dieu  :  on  ne  dit  point  que  ces  pra- 
tiques soient  superstitieuses  ou  idolâtres* 

Pour  les  ministres ,  on  croit  qu'ils  ne  sont  véritablement  mîr 
nistres  que  lorsqu'ils  ont  reçu  la  vocation  de  la  part  des  ministres 
que  Dieu  a  établis  pour  choisir  les  prédicateurs  et  pour  leseuseigner^ 

Par  cet  article,  l'Église  anglicane  condamne  les  apôtres  de  la 
réforme;  car  certainement  Luther,  Calvin,  etc.,  n'ont  point  été 
chargés  d'enseigner  par  les  ministres  de  l'Église  visible,  auxquels 
cependant  il  appartenait  de  les  appeler. 

Dans  les  art.  25 ,  26 ,  27 ,  28 ,  29 ,  30 ,  on  parle  des  sacremens, 
de  leur  efiicacité,  du  baptême ,  de  l'eucharistie,  du  sacrifice  de 
la  messe. 

L'Église  anglicane  reconnaît  que  les  sacremens  ne  sont  point 
des  signes  destinés  à  faire  connaître  extérieurement  que  nous 
sommes  chrétiens ,  mais  des  signes  efficaces  de  la  bonté  de  Dieu^ 
par  le  moyen  desquels  il  opère  en  nous  et  confirme  notre  foi^ 

On  ne  reconnaît  que  deux  sacremens ,  le  baptême  et  la  cène , 
dont  l'efficacité  est  indépendante  de  la  foi  ou  de  la  piété  des  mir 
nistres  ;  cependant  on  veut  que  l'élise  veille ,  pour  qu'on  ne 
confie  l'administration  des  sacremens  qu'à  ceux  que  leur  piété  et 
leur  conduite  rendent  dignes  d'un  si  saint  ministèrç. 


ANG 


lût 


L'ËglUe  aDglicane  d^are  que  le  bapléme  n'est  pas  seulement 
le  signe  de  noire  associalion  au  christianisme,  mais  le  signe  par 
lequel  nous  devenons  enfans  de  l'Ëglise ,  et  qui  produit  en  nous 
la  loi  et  la  grâce. 

On  reconnaît  que  la  cène  est  un  vrai  sacrement ,  et  la  commu- 
nion du  corps  et  dn  sang  de  Jésus-Christ.  On  dit  ensuite  que  ce- 
pendant on  ne  mange  Jësus-CLHst  que  spiriiuelIemeDl ,  et  que  le 
moyen  par  lequel  on  mange  le  corps  de  Jésus-Christ,  dans  la  cène, 
est  la  loi;  niais  on  reconnaît  que  l'on  mange  vérilablement  la 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  ;  qu'il  ne  faut  cependant  pas , 
paur  cela,  croire  que  la  nature  du  pain  suit  anéantie ,  ni  admettre 
[■  Iraossubstantialion ,  parce  qu''on  ne  peut  la  prouver  par  l'Ëcri- 
ture,  parce  qu'elle  est  contraire  i  la  nature  du  sacrement  et  est 
une  source  de  superstition, 

On  voit ,  daus  la  manière  dont  l'Église  d'Angleterre  s'explique, 
combien  elle  est  embarrassée  pour  ne  pas  reconnaître  le  dogme 
de  la  présence  corporelle ,  et  avec  quel  soin  elle  a  cherché  des 
expressions  qui  ne  fussent  point  contraires  il  ce  dogme'. 

li'Ëglise  anglicane  se  déclare  pour  la  communion  sous  les  deux 
npëces ,  et  nie  que  l'eucharistie  soit  un  sacrifice- 
Dans  les  articles  trente-deux  jusqu'au  trente-neuvième ,  on  con- 
damne le  célibat  des  ecclésiastiques;  on  reconnaît  dans  Tt^glisa 
le  pouvoir  d'ex(o)nmunier  ;  ou  rejette  la  nécessité  de  la  tradition 
et  l'autorité  que  les  catholiques  lui  attribuent;  mais  on  déclare 
qu'aucun  particulier  n'a  le  droit  de  changer  les  cérémonies  et  le 
culte  établi  parla  Iradilion  ;  les  Églises  particulières  ont  seules  ca 
droit,  encore  faut-il  que  ces  cérémonies  soient  d'institution  pu- 
rement humaine ,  et  que  le  retranchement  qu'on  en  fait  contribua 
i  l'édification  des  fidèles.  On  approuve  la  consécration  des  évêquea 
et  l'ordinalion  des  prêtres  et  des  diacres  selon  le  rituel  d'E- 
douard Vl  ;  enfin ,  on  y  confirme  tout  ce  que  l'on  a  fait  sur  la  su- 
prématie du  souverain  et  contre  le  pape. 

Les  réglemens  et  les  canons  pour  la  discipline  ne  furent  pas 
dressés  sitût;  il  en  parut  quelques-uns  en  ISTt,  et  bien  davan- 
tage l'an  1397  ;  on  en  publia  un  recueil  beaucoup  plus  ampla 
en  16D3  ,  au  commencement  du  règne  de  Jacques  1".  Ce  détail 
appartient  i  l'Iiistoite  de  l'I^glise  anglicane  :  nous  rapporterons 

*  VoS'^i  Corpus  conressionumfidel,  Gcnor,  lO&j,  aii  titre  Coufcs- 


108  ANG 

seulement  ce  que  M.  Buhtet  pense  de  tous  ces  règlemens  :  «  Pour 
»  en  dire  la  vérité ,  on  n*a  pas  encore  donné  toute  la  force  néces- 
»  saire  à  un  dessein  si  important;  les  canons  de  la  pénitence  n*ont 
9  pas  encore  été  rétablis  ;  le  gouvernement  de  TËglise  anglicane 
»  n*est  pas  encore  entre  les  mains  des  ecclésiastiques ,  et  la  ré- 
»  formation  est  imparfaite  jusqu'ici  en  ce  qui  regarde  la  conduite 
»  de  rËglise  et  la  discipline  ^.  » 

Cependant  M.  Burnet  s*efibrce  continuellement  de  nous  repré- 
senter la  réforme  comme  un  ouvrage  de  lumière. 

Nous  avons  réfuté  les  dogmes  de  TËglise  anglicane  sur  la  pré** 
sence  réelle  et  sûr  la  transsubstantiation  ,  à  Farticle  Bérengeb  ; 
son  sentiment  sur  Tinvocation  des  saints,  sur  les  images,  sur  le 
célibat  des  prêtres ,  aux  articles  Vigilance  ,  Iconoclastes  :  nous 
réfutons  son  sentiment  sur  la  faillibilité  des  conciles ,  à  Tarticle 

nÉFORME. 

pes  sectes  que  la  réformation  a  produites  en  Angleterre, 

La  réformation  de  TÂngleterre ,  cet  ouvrage  de  lumière ,  selon 
li.  Burnet,  ne  tarda  pas  à  devenir  un  ouvrage  de  confusion;  plu- 
sieurs Anglais,  qui  avaient  été  fugitifs  sous  le  règne  de  Marie, 
retournèrent  en  Angleterre ,  pleins  de  toutes  les  idées  de  la  ré- 
forme de  Genève ,  de  Suisse  et  de  France  :  ces  Protestans  ne  pu- 
rent s^accommoder  de  la  réforme  d'Angleterre ,  qui ,  à  leur  gré , 
n^avait  pas  été  poussée  assez  loin. 

Ces  réformés  ardens  se  séparèrent  de  TÉglise  anglicane  et 
firent  entre  eux  des  assemblées  particulières ,  auxquelles  on 
donna  d'abord  le  nom  de  conventicuJes,  On  appela  aussi  Presby- 
tériens ceux  qui  s'étaient  ainsi  séparés^  parce  qu'en  refusant  de 
se  soumettre  à  la  juridiction  des  évéques ,  ils  soutenaient  que  tous 
les  prêtres  ou  ministres  avaient  une  égale  autorité,  et  que  l'É- 
glise devait  être  gouvernée  par  des  presbytères  ou  consistoires , 
composés  de  ministres  et  de  quelques  anciens  laïques,  ainsi  que 
Calvin  l'avait  établi  à  Genève. 

11  se  forma  donc  sur  ce  sujet  deux  partis  qui,  au  lieu  d'avoir 
de  la  condescendance  Tun  pour  l'autre,  commencèrent  à  s'inquié- 
ter mutuellement  par  des  disputes  de  vive  voix  et  par  écrit. 

Ceux  qui  adhéraient  à  l'Église  anglicane  trouvaient  fort  mauvais 

*  Burnet,  t  à,  r*  àSi, 


ANfî  109 

qae  des  particuliers  prétendissent  réformer  ce  qui  avait  été  établi 
par  des  synodes  nationaux  et  par  1&  parlement. 

D'un  autre  côté,  les  Presbytériens  ne  trouvaient  pas  moins 
étrange  qu'on  voulût  les  assujétir  à  pratiquer  des  choses  qu'ils 
croyaient  contraires  à  la  pureté  de  la  religion,  et  on  les  nonmia  à 
cause  de  cela  Puritains. 

On  voyait  donc  les  évêques  et  le  parlement  traiter  comme  des 
hérétiques  les  réformés  qui  ne  voulaient  pas  suivre  la  liturgie  éta- 
blie par  Elisabeth,  tandis  qu'une  partie  de  la  nation  anglaise  n'é- 
tait pas  moins  choquée  de  voir  un  ministre  faire  l'office  en  surplis 
que  d'entendre  prêcher  une  hérésie ,  et  traitait  de  superstitions 
idolâtres  toutes  les  cérémonies  que  l'Église  anglicane  avait  con- 
servées. 

Les  partisans  de  la  liturgie  furent  nommés  Ëpiscopaux ,  parce 
qu'ils  recevaient  le  gouvernement  épiscopal  ;  on  les  appela  aussi 
Conformistes,  parce  qu'ils  se  conformaient  au  culte  établi  par  les 
évêques  et  par  le  parlement. 

Les  Presbytériens  s'appelèrent,  au  contraire,  non  Gonformisl«s 
ou  Puritains. 

La  hiérarchie  est  le  point  principal  sur  lequel  ils  sont  divisés. 

Depuis  que  ces  deux  partis  se  sont  divisés  ,  chacun  a  travaillé 
avec  ardeur  à  gagner  l'avantage  sur  l'autre  :  les  différens  partis 
politiques  qui  se  sont  formés  en  Angleterre,  pour  ou  contre  l'auto- 
rité du  roi,  ont  tâché  d'entraîner  dans  leurs  intérêts  ces  deux  par- 
tis ;  et  comme,  dans  l'origine,  les  Presbytériens  ou  les  puritains 
furent  dans  l'oppression ,  parce  que  l'autorité  royale  et  celle  du 
clergé  étaient  réunies  contre  eux  ,  les  Presbytériens  se  sont  atta- 
chés aux  ennemis  de  la  puissance  royale,  comme  les  Ëpiscopaux  se 
sont  attachés  aux  royalistes  :  ces  deux  sectes  ont  eu  beaucoup  de 
part  aux  mouvemens  qui  ont  agité  l'Angleterre  ;  les  Puritains  fu- 
rent la  cause  principale  de  la  révolution  qui  arriva  sous  Char- 
les 1,  et  depuis  ce  temps  ils  font  le  parti  le  plus  nombreux  ^. 

LesSociniens,  les  Anabaptistes,  les  Ariens  profitèrent  delà  con- 
fusion que  produisait  la  réforme  en  Angleterre  pour  s'y  établir  , 
et  ils  y  firent  des  prosélytes  ;  enfin,  les  Kouakres  sont  sortis  du 
sein  même  de  la  réformation  anglicane ,  et  toutes  ces  sectes  sont 
tolérées  en  Angleterre. 

*  Thoiras,  Hist.  d'Angl,  t  8.  Règne  de  Charles  I",  ibid.  Dissert, 
sur  les  wighs  et  sur  les  tories.  R<^vol.  d'Angleterre,  t.  3,  I.  9. 

I.  10 


110  ANT 

Nous  parlerons  plus  amiilemeut  des  Prcsbylériens  et  des  Épis- 
copaux  aux  art.  PaBSBYTéaiEi^,  Épiscopaijx. 

ANOMÉENS  ivoyei  Eunomiens. 

ANTHlASiSTES.  Philaslrlus  parle  de  cette  secte,  sans  savoir 
dans  quel  temps  elle  a  paru  t  ils  regardaient  le  trafoil  comme  un 
crime,  et  passaient  leur  vie  à  dormir. 

ANTHROPOMORPHITES  ou  Aktro^hiess  ,  hérétiques  qui 
croyaient  que  Dieu  avait  un  corps  de  figure  humaine. 

Ils  se  fondaient  sur  un  passage  de  la  Genèse,  dans  lequel  Dieu 
dit  :  Faisons  Thomme  à  notre  image,  et  sur  tous  les  passages  de 
rÉcriture  qui  attribuent  à  Dieu  des  bras,  des  pieds,  etc.  *, 

11  y  eut  de  ces  hérétiques  dès  le  quatrième  siècle  et  dans  le 
commencement  du  dixième  (931). 

Ce  siècle  ignorant  et  grossier  ne  produisait  que  des  erreurs  de 
eette  espèce  :  on  voulait  tout  imaginer,  et  Ton  se  représentait  tout 
sous  des  formes  corporelles:  onue  concevait  les  anges  que  comme 
des  hommes  ailés ,  vêtus  de  blanc ,  tels  qu^on  les  voyait  peints  sur 
les  murailles  des  églises  ;  on  croyait  même  que  tout  se  passait 
dans  le  ciel  à  peu  près  comme  sur  la  terre  :  beaucoup  de  personnes 
croyaient  que  saint  Michel  célébrait  la  messe  devant  Dieu  tous  les 
lundis  f  et  par  cette  raison  ils  allaient  à  son  église  ce  jour^là  plu* 
tôt  que  tout  autre  ^. 

ANTIDICOMAAIANITES  ou  Antihariens:  ce  sont  ceux  qui  ont 
nié  la  vifginité  de  la  mère  de  Jésus-Christ,  et  qui  prétendaient 
qu'elle  avait  eu  plusieurs  enfans  de  Joseph ,  parce  qu'il  est  dit , 
dans  rÉvangile ,  que  Jésus-Christ  avait  des  frères.  Voyez  Helvi- 


BIUS  ^. 


ANTINOMIENS,  c'est-à-dire  ennemis  de  la  loi.  Voyez  Agri- 
COLA,  qui  en  fut  le  chef. 

ANTIOCHE  :  le  schisme  de  celte  ville  dura  près  de  85  ans  ;  en 
voici  Torigine  : 

Les  Ariens  ayant  chassé  Eustathe  d'Anlioche  mirent  h  sa  place 
Eudoxe,  Arien  2élé,  et  beaucoup  de  catholiques  restèrent  attachés 
à  Eustathe. 

Lorsqu'Eusfathe  fut  mort  et  qu*Eudoxe  eut  été  transféré  à  Con- 
staniinople,  il  se  fit  beaucoup  de  brigues  et  de  factions  pour  don- 

*  Nicephor.,  1.  11,  c.  14  ;l.  13,  c.  10.  Itllg.,  De  hser.,  p.  190, 
2  Hisl,  littéraire  (le  France,  l,  i^,,  p,  10, 
>£pipb.|Hier.|  7d, 


J 


A^T  iifi 

néféqne  i  Anlioche;  chaque  parti  ijcliail  de  Taire  élii 
un  liouiDie  qui  lui  Sùi  alUcliÉ  ;  après  bieo  d^s  débals,  lei 
partis  se  réunireDl  en  faveur  de  Méléce;  il  fui  uboi^i  uniiiime- 

Héléce,  dam  ses  seroioDs  ,  condamna  les  senti  oieus  des  Ariens; 
il  fui  exilé,  el  les  AricDs  élurent  en  &a  place  Eusoïas,  Arien  lélé  ; 
alora  les  cailiolïquïs  aitacliésï  Mcliics  se  séparèrent,  el  ûreul 
leurs  assemblées  ù  part  '. 

Anlioche  letruuva  donc  divisé  en  trois  partis  ,  celui  des  catho- 
liques attachés  à  Eustaihe,  qui  ne  voulurent  communiquer,  ni  avec 
les  Ariens,  ni  avec  les  catlioliques  3itaclic.s  à  Méléce,  parce  qu'ils 
regardaient  tel  évêque  comme  élu  par  la  Oiction  des  Ariens  ;  le 
KGond  parti  était  celui  des  catholiques  attachés  à  Uéléce  ,  el  Is 
Iroïuème  àisîl  celui  des  Ariens. 

Ces  trois  partis  avaient  rempli  la  rille  de  divisions  et  de  iroiiT 
blés.  I 

Lorsque  Julien  fut  parvenu  à  l'empire  ,  il  rappela  tous  les  éi^t  I 
ques  exilés  :alorsUéIéce,  Lucifer  de  Cagliari,  Eusèbe  de  Verccîl,  1 
partirent  de  la  Thébalde  pour  revenir  dans  leurs  églises.  ■ 

Eusèbe  de  Verceil  alla  à  Alexandrie,  oii  l'on  assembla  un  coDcilai  I 

Hais  Lucifer  de  Ca)i;llari ,  au  lieu  d'aller  i  Alexandrie,  allaDl 
Anlioche,  ponr  j  rétablir  la  paix  entre  les  Eustathicns  et  les  UA^  l 
Ugmds.  Comme  il  ironva  les  Eusiaihiens  plus  opposés  i  la  rèanioK 
que  les  Méléciens,  il  ordonna  évoque  un  nommé  Paulin ,  qui  élail 
alors  le  chef  des  Eustatliiens,  persuadé  que  les  Uéléciensqui  mar- 
qnaiw  fiiu  de  désir  de  la  paix  se  réuniraient  à  Paulin  ;  mais 
il  se  trotnpa ,  le  parti  de  Uéléce  lui  resta  constamment  attaché , 
M  le  Khiame  continua:  les  évêques  d'Orient  furent  pour  Méléce, 
et  les^T^quca  d'Occidenl  pour  Paulin. 

Celle  dirision  fut  entretenue  par  une  diCTérence  apparente  dans 
la  doctrine  :  les  lléléciens  et  les  évèques  d'Orient  soutenaient 
qu'il  bllait  dire  qu'il  y  avait  en  Dieu  trois  hjpostases,  entendant 
par  le  mot  hgpoilate  la  personne. 

Paulin  el  les  occidentaux  ,  craignant  que  le  terme  d'hjpostai 
ne  lût  pris  pour  nature  ,  comme  il  l' avait  été  aulrefoi 
hieDi  pas  souffrir  que  l'on  dit  qu'il  ;  avait  en  Dieu  U 
Uses,  ein'en reconnaissaient  qu'une. 

Quoique  ce  ne  fût  qu'une  dispute  de  mots,  el  que,  dans  le  fon^  | 

5,  c.  5.  Sul|iîiius.&efer„  I.  lo.  Tbced.)  l  11-  e.  KtM 


112  ANT 

ils  convinssent  de  la  même  doctrine  ,  cependant  ils  parlaient  et 
croyaient  penser  différemment  ^. 

Ce  schisme  commença  à  s'apaiser  par  la  convention  que  Méléce 
et  Paulin  firent  ensemble ,  qu'ils  gouverneraient  conjointement 
rÉglise  d'Ântioche;  que  Tun  des  deux  étant  mort ,  personne  ne 
serait  ordonné  à  sa  place,  et  que  le  survivant  demeurerait  évéque. 

Les  évêques  d'Orient,  sans  avoir  égard  à  cette  convention,  choi- 
sirent ,  après  la  mort  de  Méléce ,  un  nommé  Flavien  :  Paulin  ,  de 
son  côté,  se  donna  un  successeur,  et  ordonna  Evagre  évéque. 

Le  concile  de  Capoue  nomma  Théophile  et  les  évêques  d'E- 
gypte pour  juger  cette  contestation  ;  mais  Flavien  les  refusa,  et, 
après  la  mort  d'Evagre ,  il  eut  assez  de  crédit  auprès  de  l'empe- 
reur pour  empêcher  qu'on  ne  mît  un  évéque  en  sa  place.  Flavien 
demeura  donc  séparé  de  la  communion  des  évêques  d'Occident , 
et  ne  se  réunit  à  eux  qu'en  393. 

ÂNTIT ACTES ,  hérétiques  qui  se  faisaient  un  devoir  de  prati- 
quer tout  ce  qui  était  défendu  dans  l'Écriture. 

Il  y  avait ,  selon  ces  hérétiques  ,  un  être  essentiellement  bon  , 
qui  avait  créé  un  monde  où  tout  était  bon ,  et  dans  lequel  les  créa- 
tures innocentes  et  heureuses  avaient  aimé  Dieu.  Ces  hommes , 
portés  par  le  besoin  ou  par  l'attrait  du  plaisir  vers  les  biens  que 
l'auteur  de  la  nature  avait  répandus  sur  la  terre,  jouissaient  de  ces 
biens  avec  reconnaissance  et  sans  remords  ;  ils  étaient  heureux , 
et  la  paix  régnait  dans  leurs  âmes. 

Une  des  créatures  que  l'être  bienfaisant  avait  produites  était 
méchante  :  le  bonheur  des  hommes  était  pour  elle  un  spectacle  af- 
fligeant, elle  entreprit  de  le  troubler  ;  elle  étudia  l'homme,  et  dé- 
couvrit que  ,  pour  le  rendre  malheureux  ,  il  ne  fallait  qu'intro- 
duire dans  le  monde  quelques  idées  nouvelles.  Elle  établit  donc 
dans  les  esprits  l'idée  du  mal  ,  l'idée  du  déshonnête  ;  elle  défen- 
dit certaines  choses  comme  déshonnêtes ,  en  prescrivit  d'autres 
comme  honnêtes  ;  elle  attacha  une  idée  de  honte  à  ce  que  la  nature 
inspirait  ;  elle  le  défendit  sous  de  grandes  peines  :  par  ces  lois ,  la 
nécessité  de  satisfaire  un  besoin  qui,  dans  l'institution  de  l'auteur 
de  la  nature ,  était  une  source  de  plaisirs  ,  devint  une  source  de 
maux  ;  l'idée  du  crime  se  joignait  toujours  à  l'idée  du  bien  ;  le  re- 
mords suivait  le  plaisir ,  et  l'homme  était  humilié  par  le  retour 
qu'il  faisait  sur  le  bonheur  qu'il  s'était  procuré. 

.  1  Basil,,  epist,  140,  uliùs  272. 


donne  en  général  ï 


>t  dans  la  sub- 


ANT  (18 

L'homme ,  placé  enlre  les  p^ncbans  iju'il  reçoit  de  la  nature  et 
lu  loi  qui  les  condamne ,  mitrmora  contre  son  créateur  ;  le  monde 
fut  rempli  de  désordre  et  de  mallieureux  qui  luttaient  sans  cesse 
contre  la  nature  ,  ou  qui  se  tourmentaient  pour  éluder  b  loi  ou 
pour  la  concilier  avec  les  passions. 

Voilï,  selon  les  Antitactes ,  l'origine  du  mal  et  la  cause  du 
malheur  des  hommes.  Les  Antiiacles  se  faisaient  un  devoir  de 
pratiquer  tout  ce  que  la  loi  défend  ;  ils  croyaient,  par  ce  moyen  , 
se  replacer  pour  ainsi  dire  dans  cet  état  d'innocence  d'oh  l'homme 
n'avait  été  lire  que  par  l'auteur  de  la  loi ,  détruire  l'empire  qu'il 
avait  usurpé  sur  les  hommes,  et  se  venger  de  lui. 

Les  Antitactes  étaient  une  branche  de  Cainites  ;  ils  parurent 
versia  lindu  deuxième  siècle,  vers  l'an  160;  c'étaient  des  hommes 
voluptueux  et  superficiels.  Vojea  l'art.  Caϻit( 

AtSTI-TRIHITAlRES:  c'est  le  nom  que  l'on 
ceux  qui  nient  le  mystère  de  la  Trioilé. 

La  révélation  nous  apprend  qu'il  y  a  trois  | 
le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  lesquelles  e; 
Btance  divine  :  voilà  le  mystère  de  la  Trinité. 

La  réunion  des  trois  personnes  dans  une  seule  et  unique  sub- 
stance  simple  et  indivisible  fait  toute  la  difficulté  de  ce  mystère. 

On  peut  donc  te  nier,  ou  en  supposant  que  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit  ne  sont  point  trois  personnes,  mais  des  noms  dilTé- 
rens  donnés  ù  une  même  chose  ;  ou  en  supposant  que  ces  trois 
personnes  sont  trois  substances  différentes. 

L'abbé  Joachim,  quelques  ministres  sociniens ,  Sherlok ,  TVis- 
Ihoii,  Clark  ont  cru  qu'on  nepouvail,  ni  méconnaître  dans  l'Écri- 
ture qu'il  y  a  trois  personnes  divines,  ni  les  réunir  dans  une  seule 
et  unique  substance,  simple  et  indivisible  ;  ils  ont  doue  cru  que  le 
Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  étaient  trois  substances  différentes. 

Sabeltius ,  Praxée,  Servet,  Sociu  ont  prétendu  que  la  raison  et 
la  révélation  ne  permettant  pas  de  supposer  plusieurs  substances 
divines,  ni  deréunirdansune  seule  substance  simple  trois  person- 
nés  essentiellement  distinguées,  il  fallaitque  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit  ne  fussent  point  des  personnes ,  mais  des  noms  diiïé' 
rena  donnés^  la  substance  divine,  selon  les  effets  qu'elle  produisait. 
~~|Ml  y  a  donc  deux  sortes  d'Anli-lriniiaires  :  les  Trithéites ,  qui 

le  ha^r. ,  sccL  3,  c.  IS. 


«14  ANT 

Biippoiei»t  qtiê  left  trois  personnes  divines  sont  trois  substancts , 
ol  les  Unitaires ,  qui  supposent  que  les  trois  personnes  ne  soni 
que  trois  dénominations  données  à  la  même  substance. 

On  a  réfuté  le  Trilhéisme  ^  Tarticle  de  Tabbé  Joacbim,  et  l'on 
a  fait  voir,  contre  Clark  et  contre  AlVisthon,  que  le  Fils  et  le  Saint* 
Esprit  sont  deux  personnes  divines  et  consubstantieUes  au  Père. 
Voyez  les  art.  Arius»  Macedonius. 

On  a  de  plus  prouvé,  contre  Sabellius  et  contre  Praxée,  que  le 
Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  trois  personnes ,  et  non  trois 
noms  donnés  à  «ne  seule  substance.  On  a  donc  établi  le  mystère 
de  la  Trinité  contre  les  Trithéites  qui  admettent  trois  personnes 
divines,  mais  qui  en  font  trois  substances,  et  contre  les  Unitaires 
qui  n'admettent  qu'une  substance  divine ,  mais  qui  regardent  les 
trois  personnes  eom^ie  trois  noms  différens  donnés  à  cette  sub* 
stance,  pour  distinguer  ses  rapports  avec  les  hommes. 

Les  Trithéites  et  les  Unitaires  >  si  opposés  sur  ce  dogme,  s'ap^ 
puient  cependant  sur  des  principes  eommuns  ,  ils  prétendent  :  1° 
qu'il  est  impossible  que  trois  personnes  existent  dans  une  substance 
simple,  unique,  indivisible  ;  2"  que  quand  il  ne  serait  pas  impossible 
qH'il  j  eût  trois  personnes  dans  une  seule  substance ,  on  ne  pour- 
rait en  faire  l'objet  de  noire  croyance ,  parce  que  nous  ne  pou- 
vons nous  former  une  idée  de  ce  mystère,  ni  par  conséquent  le 
croire. 

C'est  à  l'article  Anti-tri nitaires  qu'appartient  proprement  l'exa- 
men de  ces  deux  difficultés,  dont  les  erreurs  des  Anti-trinitaires 
ne  sont  que  des  conséquences. 

S I.  —  Esl'il  impossible  que  trois  personnes  existent  dans  une  seule 

substance  ? 

On  suppose  une  chose  impossible  lorsqu'on  unit  le  oui  et  le 
non,  c'est-à-  dire  lorsqu'on  affirme  qu'une  chose  e^t  et  n'est  pas 
en  même  temps. 

Ainsi ,  il  est  impossible  que  trois  substances  ne  fassent  qu'une 
substance  ,  parce  qu'alors  cette  substance  serait  unique  et  ne  le 
serait  pas. 

Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  lorsqu'on  suppose  que  trois  personnes 
existent  dans  une  substance,  parce  que  la  personne  et  la  substance 
étant  différenles,  la  multiplicité  des  personnes  n'emporte  point 
la  multiplicité  des  substances ,  ni  l'unité  de  substance  l'unité  de 
personnes. 


ANT  m 

L*unité  de  substance  n*exclut  donc  point  la  multiplicité  des 
personnes ,  et  Ton  ne  réunit  point  le  oui  et  le  non  quand  on  dit 
que  trois  pefsonnes  existent  dans  une  substance. 

Pour  juger  que  deux  choses  sont  incompatibles,  il  faut  connaî- 
tre ces  deux  choses ,  et  les  connaître  clairement  ;  car  le  jugement 
que  Ton  porte  sur  Fincompatibilité  de  deux  choses  est  le  résultat 
de  la  eompararson  que  Ton  fSsiit  de  ces  deux  choses  ;  Ton  ne  peut 
les  comparer  sans  les  connaître ,  ni  les  comparer  assez  pour  les  ju- 
ger incompatibles,  si  on  ne  les  connaît  clairement  toutes  deux 
sous  les  rapports  sous  lesquels  on  les  compare  ;  il  ne  suffit  pas 
#eB  ooMialire  une. 

Avm,  }%  sais  f^adé  à  dire  que  la  rondeur  et  la  quadrature  sont 
iaeompaûble»»  lorsque  j*»i  une  idée  claire  de  la  rondeur  et  de  la 
quadrature  ;  Bfiaisil  est  elaîr  que  je  ferais  une  jugement  téméraire 
et  même  insensé  si  »  connaissait  le  cercle  et  n*ayant  aucune  idée 
du  rouge,  je  jugeais  que  le  cercle  est  incompatible  avec  le  rouge. 
Le  raisonnement  des  Ânti-trinitaires  n*est  pas  moins  yicieux  : 
ils  connaissent  clairement  et  incontestablement  qu*il  y  a  un  être 
nécessaire ,  souverainement  parfait  ;  mais  ils  ne  connaissent  ni 
rimmensité  de  ses  perfections ,  ni  l'infinité  de  ses  attributs ,  et  ils 
n'ont  point  une  idée  claire  de  ce  que  c'est  que  la  personne  en 
Bieu  ;  cependant  il  ^gent  que  les  trois  personnes  et  la  substance 
divine  sont  inconipatibles. 

Ce  vice  règne  dans  tous  les  raisonnemens  des  Anti-trinitai^es , 
et  'û,  est  surtout  remarquable  dans  Tau  leur  des  lettres  sur  h  reli- 
gion essentielle;  comme  ces  lettres  sont  entre  les  mains  de  tout  le 
monde  ,  j'ai  cru  qu'il  ne  serait  pas  inutile  de  faire  quelques  ré- 
flexions sur  les  difficultés  par  lesquelles  il  combat  le  dogme  de  la 
Trinilé«  11  fait  un  parallèle  entre  les  principes  que  la  raison  admet 
comme  évidens ,  sur  la  nature  de  Dieu  ,  et  les  dogmes  renfermés 
dans  le  mystère  de  la  Trinité. 

Vérité*  immuable^,  Dogma  de  la  Trinité, 

1.  1. 

Dieu  est  un.  H  y  a  une  Trinité  en  Dieu. 

II.  II. 

Dieu  est  un  être  simple.  11  y  a  en  Dieu  trois  person- 

nes réellement  distinctes. 


116 


ANT 


III. 


m. 


Dieu  est   exempt  de   toute 
composition. 

IV. 

Dieu  est  indivisible. 


V. 

Dieu  ne  peut  être  engendré. 


VI. 

Dieu  n'a  point  d'origine,  il  ne 
procède  de  personne. 


En  Dieu  on  compte  le  Père, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit. 

IV. 

Le  Père  n'est  pas  le  Fils,  le 
Fils  n'est  pas  le  Saint-Esprit,  et 
le  Saint-Esprit  n'est  ni  le  Père 
ni  le  Fils. 

V. 

Le  Fils  n'est  pas  moins  le 
Dieu  suprême  que  le  Père,  car 
autrement  il  y  en  aurait  deux, 
un  suprême  et  un  subalterne  : 
le  Fils  est  engendré. 

VI. 

Le  Saint-Esprit ,  Dieu  su- 
prême, tout-puissant  comme  le 
Père  et  le  Fils,  procède  du  Père 
et  du  Fils. 


d"  Lorsque  l'auteur  que  l'on  vient  de  citer  dit  que  c'est  une 
première  vérité  de  la  raison  que  Dieu  est^n,  il  veut  dire ,  avec 
tout  le  monde,  qu'il  n'y  a  qu'une  substance  divine;  et  lorsque  les 
orthodoxes  disent  qu'il  y  a  trinité  en  Dieu,  ils  ne  disent  pasqu'il 
y  a  trois  substances  divines  ;  donc  ils  ne  contredisent  pas  cette 
première  vérité. 

2"  Lorsqu'on  dit  que  Dieu  est  un  être  très-simple  ,  on  entend 
que  Dieu  n'est  point  formé  par  l'union  de  plusieurs  parties  ;  et 
lorsqu'on  dît  qu'il  y  a  en  Dieu  trois  personnes  distinctes,  on  ne 
dit  point  que  ces  personnes  composent  la  substance  divine  ;  mais 
on  dit  que  ,  dans  cette  substance  simple ,  il  existe  trois  choses 
qui  sont  analogues  h  ce  que  nous  appelons p^r^onn^  :  le  dogme  de 
la  Trinité  ne  contredit  donc  point  la  simplicité  de  Dieu. 

3*»  La  raison  démontre  que  Dieu  est  exempt  de  composition , 
c'est-à-dire  que  la  substance  divine  ou  l'être  nécessaire  n'est  pas 
formé  par  l'union  de  différentes  parties;  mais  le  Père,  le  Fils  et  le 
Suint-Esprit  ne  sont  point  des  parties  qui  composent  la  substance 
de  l'être  nécessaire  :  ces  trois  personnes  existent  dans  la  substance 
divine; 


ANT 

s  apprend  que  Dieu  est  indivisible ,  parce  que 

mpoi^e  de  parties  ;  or,  le  Père,  le  Fih 

^-■SM  le  Suinl-Espfil  ne  sont  point  des  parties  de  la  subslancc  dl- 

5°  1.3  raison  nous  apprend  que  Dieu  ne  peut  Être  engendi 
c'est-i-dire  que  ,  la  substance  divine  existant  par  elle-roèine , 
lie  peut,  sans  absurdité,  la  supposer  engendrée  ou  produite;  lU 
lorsqu'on  'dil  qu'en  Dieu  il  y  a        ~" 
Père ,  on  ne  dit  ni  que  la  substai 


.     ÇSti 


Fils  qui  est  engendré  par  le 

"ne  soit  produite ,  ni  qu'il 

puisqu'on  dil  que  le  Fils 

çst  coélemel  au  Père  et  engendré,  comme  disent  les  tbéologiens, 

opération  nécessaire  et  immanente  du  Père. 

6*  U  faut  dire  la  même  chose  du  Saint-Esprii. 

Ainsi,  le  dogme  de  la  Trinité  ne  combat  aucun  des  principes  de 
sur  la  nature  et  sur  les  aiiribnis  de  Dieu. 

Hais,  dit  le  même  auteur,  les  trois  personnes  ne  sont-etles  pas 
trois  êtres,  et  trois  êtres  divins?  Si  cela  est,  voilk  trois  dieux  bien 
disUncts. 

Je  réponds  que  ces  trois  personnes  sont  trois  cboses  qui  eiis- 
tent  dans  la  substance  divine ,  et  que  ,  par  conséquent ,  elles  ne 
sont  point  trois  divinités  distinctes. 

Mais,  poursuit  cet  auteur,  quelle  dilTcrence  ;  a-t-il  entre  être 
et  personne  ?  car,  sans  cela,  ce  mot  ne  signifie  rien, 

le  réponds  que  le  mot  être ,  pris  en  général ,  signifie  tout  ce 
qui  est  opposé  au  néant,  et  que,  sons  cette  généralité,  il  embrasse 
les  substances  et  les  alTeclions  des  substances  ;  que  la  personne 
divine  u'est  point  une  substance,  mais  qu'elle  est ,  si  je  peux  par- 
ler ainsi, uneaSection  de  la  substance  divine,  qui  existe  dans  cette 
substance,  et  qui  n'est  ni  un  attribut,  ni  unesimple  relation  de  la 
substance  divine  avec  les  créatures  ,  mais  quelque  chose  d'analo- 
gue ï  ce  que  nous  appelons  une  personne,  parce  que  la  révélation 
nous  le  fait  connaître  sous  ces  traits  et  avec  des  propriétés  que  je 
vois  dans  les  êtres  que  j'appelle  des  personnes. 

Il  ne  Taut  donc  point  supprimer  le  mot  de  personne  lorsqu'on 
parledelaTrJnilé,  commele  prétend  cet  auteur;  s'il  eût  été  moins 
superficiel ,  il  aurait  bien  vu  que  la  suppression  de  ce  nom  n''a- 
planit  point  les  diflicultés,  et  que  les  personnes  divines  sont  repré- 
sentées,  dans  l'Ëcriiure ,  sous  des  traits  qui  ne  peuvent  désigner 
des  attributs  de  la  divinité  ;  on  eu  trouvera  des  preuves  aux  articles 
^AiELucs ,  Praxêe.   m.  le  Clerc  lui-même  reconnaît  que  l'on 


1 

ue     ^^H 

I 


\  13  ANT 

trouve  daos  TËcriture  des  passages  très-difliciles  à  expliquer,  se- 
lon rhypotbèse  des  Sociniens  ^. 

La  suppression  du  mot  personne,  lorsqu'on  parle  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit,  ne  remédie  donc  à  rien  ;  d'ailleurs,  nous 
avons  fait  voir  que  le  dogme  de  la  Trinité  n'est  contraire  à  aucune 
maxime  de  la  raison  :  on  n'a  donc  aucune  raison  pour  supprimer 
ce  mot,  et  on  en  a  d'indispensables  pour  le  conserver,  ou  tout  au- 
tre qui  exprimât  ce  qu'il  exprime. 

Je  ne  suivrai  pas  davantage  cet  auteur,  qui,  pour  prouver  que 
les  personnes  divines  ne  sont  que  des  attributs,  s'appuie  sur  les 
définitions  que  quelques  tliéologiens  donnent  des  personnes  di- 
vines. 

II  n'est  pas  question  ici  de  savoir  comment  les  théologiens  ont 
défini  chaque  personne  divine,  mais  si  l'Écriture  ne  nous  enseigne 
pas  qu'il  y  a  un  Père,  un  Fils  et  un  Saint-Esprit  qui  sont  consub- 
stantiels,  et  qui  ne  sont  ni  dçs  attributs,  ni  des  relations  de  la  di- 
vinité avec  les  créatures,  mais  trois  choses  distinguées,  et  qui  ont 
les  attributs  et  les  'propriétés  que  nous  concevons  sous  l'idée  de 
personne  ;  voilik  la  question  dont  cet  auteur  et  tous  les  Ânti-trini- 
taires  s'écartent  sans  cesse. 

§  IL  —  Le  mystère  de  la  Trinité  peut-il  être  Vohjet  de  notre 

croyance  et  de  notre  foi  ? 

Pour  rendre  possible  la  croyance  d'une  chose,  il  faut  que  nous 
entendions  le  sens  des  termes  dont  on  se  sert  pour  l'expliquer» 
et  qu'elle  n'implique  point  contradiction  avec  celles  de  nos  con* 
naissances  précédentes  que  nous  savons  être  certaines  et  évidentes. 

1«  Il  n'est  possible  que  nous  croyions  une  chose  qu'autant  qu« 
nous  concevons  les  termes  dans  lesquels  elle  est  proposée  ;  car  la 
foi  regarde  seulement  la  vérité  ou  la  fausseté  des  propositions,  et 
il  faut  entendre  les  termes  dont  une  proposition  est  composée 
avant  que  nous  puissions  prononcer  sur  la  vérité  ou  sur  la  iau&* 
seté  de  cette  proposition,  qui  n'est  rien  autre  chose  que  la  conve* 
nanee  ou  la  disconvenance  de  ces  termes  ou  des  idées  qu'ils  ex- 
priment. 

1^  je  n'ai  nulle  connaissance  du  sens  des  termes  employés  dans 
une  proposition,  je  ne  puis  faire  aucun  acte  de  mon  entendement 
à  cet  égard  ;  je  ne  puis  dire  je  crois  ou  )e  ne  crois  pas  une  telle 

^  3ibU  univ«r$«»  t,  10,  p»  2Q«  Vo^i  les  articles  AaubkSiMaçkdqiiws^ 


ANT  MO 

chose  ;  mbn  è^tii  est  parfaitement  dans  le  même  état  oh  \\  était 
auparavant,  sans  recevoir  aucune  nouvelle  détermination  ;  et  si  Je 
A*ai  qu*une  notion  générale  et  conf^ise  des  termes,  je  ne  puis  don- 
ner qu'un  consentement  général  et  confus  !li  la  proposition  \  en 
sorte  que  Tévidence  de  ma  croyance  est  toujours  proportionnée  à 
la  connaissance  que  j'ai  du  sujet  que  je  dois  croire. 

Si  Ton  exige,  par  exemple,  de  moi  que  je  croie  que  A  est  égal  à 
B,  et  que  je  né  sache  ni  ce  que  c'est  que  À,  ni  ce  que  c'est  que 
B,  ni  ce  que  c*est  qu'égalité,  je  ne  crois  rien  de  plus  que  ce  que 
je  croyais  avant  que  cela  me  fût  proposé;  je  ne  suis  capable  d*au< 
cun  acte  de  foi  déterminé.  Tout  ce  que  je  puis  croire,  dans  cette 
occasion,  revient  à  ceci  :  qu'une  certaine  chose  a  un  certain  rap- 
port à  une  antre  chose,  et  que  ce  qu'on  veut  que  je  croie  est  af- 
firmé par  une  personne  d'une  grande  connaissance  et  qui  mérite 
d*étre  crue,  et  que,  par  conséquent,  la  proposition  est  vraie  dans 
le  sens  dans  lequel  cette  personne  l'entend  ;  mais  je  ne  suis  en 
rien  plus  savant  qu'auparavant,  et  ma  foi  n'a  acquis  aucun  degré 
de  connaissance  par  cette  proposition. 

Que  si  je  sais  qu'A  et  B  sont  deux  lignes  égales,  et  que  par  deux 
lignes  égales  on  entend  deux  lignes  qui  ont  une  même  longueur, 
celte  connaissance  ne  peut  produire  qu'une  foi  générale  et  con- 
fase ,  savoir,  qu'il  y  a  une  certaine  ligne  concevable  qui  est  de  la 
même  longueur  qu'une  autre  certaine  ligne;  mais  si  par  A  et  B 
on  entend  deux  lignes  droites  qui  sont  les  côtés  d'un  triangle 
donné,  et  que  je  croie  sans  démonstration,  sur  la  parole  d'un 
mathématicien,  que  ces  deux  lignes  sont  égales,  c'est  un  acte  de 
fol  distinct  et  particulier  par  lequel  je  suis  convaincu  de  la  vérité 
d'une  chose  que  je  ne  croyais  ou  que  je  ne  savais  pas  auparavant. 

2"  Supposons  maintenant  que  je  suis  obligé  de  croire  qu'un  seul 
et  même  Dieu  est  trois  différentes  personnes  ;  je  ne  puis  le  croire 
qu'autant  que  j'entends  les  termes  de  cette  proposition  et  que 
les  idées  qu'ils  expriment  n'impliquent  point  contradiction  :  pour 
faire  donc  un  acte  de  foi  sur  ce  sujet,  il  faut  que  j'examine  quelles 
idées  j'ai  de  Dieu,  de  Vuîiité,  de  Videntité,  de  la  distinctiony  du 
nombre  et  de  la  personne. 

Il  n'en  est  pas  des  noms  de  Père,  de  Fils,  de  Saint-Esprit, 
comme  de  ceux  qui  expriment  les  attributs  de  Dieu  :  ceux-ci  n'ex- 
priment qu'une  idée  incomplète  de  la  divinité  ;  chacun  de  ceux-lù, 
aa  contraire,  signifie  un  être  qui  a  tous  les  attributs  delà  divinité. 

L'idée  que  nous  avons  de  Dieu  est  donc  complète  avant  que 


120  ANT 

nous  lui  donnions  les  noms  de  Père,  de  Fils,  de  Saint-Esprit.  Cha*- 
cun  de  ces  noms  renferme  donc  Tidée  totale  de  la  divinité  et 
quelque  chose  de  plus,  quelque  chose  que  nous  ne  connaissons 
point  par  la  raison  et  qui  fait  toute  la  distinction  qui  est  entre 
ces  personnes. 

Nous  ne  pouvons  concevoir  ni  croire  trois  êtres  infinis,  réelle- 
ment distincts  Tun  de  l'autre,  et  qui  aient  les  mêmes  perfections 
infinies  ;  donc  la  distinction  personnelle  que  nous  pouvons  conce- 
voir dans  la  divinité  doit  être  fondée  sur  quelques  idées  accessoi- 
res à  la  nature  divine,  et  la  combinaison  de  ces  idées  forme  cette 
seconde  notion  qui  est  exprimée  par  le  mot  personne.  Quand,  par 
exemple,  nous  nommons  Dieu  le  Père,  nous  formons,  autant  que 
notre  infirmité  peut  nous  le  permettre,  Tidée  de  Dieu  comme 
agissant  d'une  telle  manière  à  tous  égards  et  avec  telles  relations; 
et  quand  nous  nommons  Dieu  le  Fils,  nous  ne  concevons  que  la 
même  idée  de  Dieu,  agissant  d'une  autre  manière  h  tous  égards 
et  avec  telles  relations  :  il  en  est  de  même  du  Saint-Esprit. 

La  différence  qui  se  trouve  entre  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Es- 
prit vient  donc  de  leur  différente  manière  d'agir  :  c'est  au  Père 
qu'appartient  l'action  qui  caractérise  le  Père,  comme  l'action  qui 
caractérise  le  Fils  appartient  au  Fils  ;  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit  sont  donc  trois  principes  qui  ont  chacun  une  action  qui  leur 
est  propre ,  nous  pouvons  donc  concevoir  ces  trois  êtres  comme 
trois  personnes,  car  le  mot  de  personne  ne  signifie  rien  autre  chose 
qu'un  certain  être  intelligent,  agissant  d'une  certaine  manière, 
qui  existe  en  soi  et  qui  est  incommutable  ^ . 

Nous  avons  donc  idée  des  termes  qui  composent  cette  proposi- 
tion :  Dieu  est  un  en  trois  personnes  ;  il  y  a  en  un  seul  Dieu  trois 
personnes  ,  le  Père ,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit, 

D'ailleurs^  nous  ne  voyons  pas  qu'il  soit  contraire  à  aucune 
des  vérités  que  nous  connaissons  qu'il  y  ait  trois  personnes  en 
Dieu,  comme  nous  l'avons  fait  voir  dans  le  paragraphe  précédent  : 
nous  pouvons  donc  croire  le  mystère  de  la  Trinité ,  ou  former 
sur  ce  mystère  un  acte  de  foi  distinct  et  déterminé. 

Mais ,  dira-t-on ,  concevons-nous  comment  ces  trois  personnes 
peuvent  exister  dans  une  seule  et  même  substance  ,  simple  et  in- 
divisible? et  si  nous  ne  concevons  pas  comment  ces  trois  person- 

*  Voyez  Vossius,  Étymolog.,  au  mot  Persona.  Marlinîi  Lexicon,  au 
même  mot. 


» 


ANT  la' 

I  existent  dans  une  même  substance ,  comment  pouvoDS-soua 
I  effet  elles  y  eiisteni? 

I  que  je  n'ai  pas  une  connaissance  assez  claire  de  la 
personne  divine  ,  ni  une  idée  assez  nette ,  assez  complète  de  la 
substance  divine ,  pour  voir  comment  les  personnes  eiisteni  dans 
celle  snbstance;  mais  pour  croire  qu'elles  y  existent  en  eiïet  il 
sullil  que  je  ne  voie  point  de  répugnance  entre  l'idée  de  la  sub' 
stance  de  l'être  nécessaire  el  l'idée  des  trois  personnes  divines. 
Ne  croyons-nous  pas  que  nous  pensons  ?  el  s3vons~nous  comment 
nous  pensons?  Révoquons-nous  en  doute  l'existence  de  la  ma- 
tière, quoique  nous  ignorions  sa  nature?  Niona-nons  les  effets  de 
l'électricilé ,  ceux  du  tonnerre,  les  phénomènes  de  l'aimant,  le 
monvement?  El  qui  peut  se  Daller  de  connaître  comment  touies 
ces  cboaes  s'opèrent  ? 

Nous  avons  examiné,  aux  art.  Saoellids,  Pbaxée  ,  AniEKS, 
Uacedomde,  les  antres  di&icultés  qu'on  peut  faire  contre  le  mys- 
tère de  laTrinilé;  nous  ne  parlerons  point  de  celle  que  H.  Bajle, 
dans  l'art.  Pirsoti,  propose  comme  une  preuve  démonstrative 
qae  les  mystères  sont  contraires  aux  Tentés  de  la  raison  ;  c'est  un 
sophisme  que  le  plus  faible  logicien  peut  résoudre,  el  que  les 
iLéologiens  traitent  Uop  sérieusement,  aussi  bien  que  M,  la 
Placeiie  ' .  j 

S  ni.  —  Le  dogme  de  la  Trinilé  a  toujours  été  cru  diilinete^ 
ment  dans  fflglise.  S 

Les  Sociniens  ont  prétendu  que  le  dogme  de  la  Trinité  avait 
été  inconnu  aux  premiers  siècles  de  l'Église;  nous  avons  réfuié 
lenrs  raisons  lorsque  nous  avons  parlé  de  la  consubstantialité  du 
Verbe  et  du  Saint-Esprit,  aux  articles  ariens  hodebnes  et  Ma- 

CEDO.-flCS. 

Le  ministre  Jurieu  renouvela  cette  erreur  pour  dégager  les 
Églises  protestâmes  des  conséquences  qui  naissaient  des  variations 
que  M.Bossuelleurreprocba  dans  son  Ilietoire  des  variations  :  ce 
ministre  a  prétendu  que  l'Ëgtise  avait  varié  sur  les  mystères,  et 
que ,  jusqu'au  concile  de  Nicée ,  on  n'a  eu  dans  l'Église  qu'une 
fui  très-informe  sur  la  Trinilé  *. 

'  Bépon»  à  deox  objections  sur  l'origine  du  mal  el  sur  le  n 


1 


ift  ANT 

Nons  avons  prouvé ,  dans  Tarticle  ÂmtS ,  que  là  divinité  et  la 
consubstantialité  du  Verbe  a  toujours  été  crue  ;  nous  avons  ren- 
voyé, pour  les  détails,  au  savant  Bullus,  à  M.  de  Meaui,  etc. 
Nous  observerons  seulement  ici  que  T Église  a  toujours  condamné 
et  ceux  qui  ont  cru  que  le  Père ,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  étaient 
UPois  simples  dénominations  de  la  substance  divine  ,  et  ceux  qui 
les  ont  regardés  comme  trois  substances  distinctes  ;  d*otl  il  suit 
évidemment  que  TÉglise  a  toujours  cru  le  dogme  de  la  Trinité , 
comme  nous  le  croyons. 

Les  difficultés  des  Anii-lrinitaircs  et  des  Sociniens  à  cet  égard 
se  tirent  des  comparaisons  que  Ton  trouve  dans  les  Pères  sur  le 
mystère  de  la  Trinité.  La  nature  de  cet  ouvrage  ne  nous  permet 
pas  de  descendre  dans  les  détails  de  ces  difficultés;  nous  nous 
bornerons  à  rappeler  ce  que  l'illustre  M.  Bossuet  a  dit  h  ce 
sujet  : 

«  Le  langage  humain  commence  par  les  sens  :  lorsque  Thomme 
»  s'élève  k  Tesprit  »  comme  à  la  seconde  région ,  il  y  transporte 
»  quelque  chose  de  son  premier  langage  :  ainsi  Tatlention  de  Tes- 
9  prit  est  tirée  d'un  arc  tendu  ;  aiusi  la  compréhension  est  tirée 
»  d'une  main  qui  serre  et  qui  embrasse  ce  qu'elle  tient. 

»  Quand,  de  cette  seconde  région,  nous  passons  à  la  suprême, 
»  qui  est  celle  des  choses  divines,  d'autant  plus  qu'elle  est  épu- 
»  rée  et  que  notre  esprit  est  embarrassé  à  y  trouver  prise,  d'au- 
»  tant  plus  est-il  contraint  d'y  porter  le  faible  langage  des  sens 
»  pour  se  soutenir,  et  c'est  pourquoi  les  expressions  tirées  des 
»  choses  sensibles  y  sont  plus  fréquentes. 

»  Toutes  les  comparaisons  tirées  des  choses  humaines  sont  les 
»  effets  comme  nécessaires  de  l'effort  que  fait  notre  esprit,  lors- 
9  que ,  prenant  son  vol  vers  le  ciel ,  et  retombant  par  son  propre 
»  poids  dans  la  matière  d'où  il  veut  sortir,  il  se  prend ,  comme  à 
»  des  branches ,  à  ce  qu'elle  a  de  plus  élevé  et  de  moins  impur, 
»  pour  s'empêcher  d'y  être  tout-à-fait  replongé. 

»  Lorsque ,  poussés  par  la  foi ,  nous  osons  porter  nos  yeux  jus- 
»  qu'à  la  naissance  éternelle  du  Verbe ,  de  peur  que ,  nous  replon- 
»  géant  dans  les  images  des  sens  qui  nous  environnent,  et  pour 
»  ainsi  dire  nous  obsèdent ,  nous  n'allions  nous  représenter  dans 
»  les  personnes  divines,  et  la  différence  des  âges,  et  Timperfec- 
»  tion  d'un  enfant  venant  au  monde,  et  toutes  les  autres  bassesses 
»  des  générations  vulgaires,  le  Saint-Esprit  nous  représente  ce 
t  que  la  nature  a  de  plus  beau  et  de  plus  pur,  la  lumière  dans  le 


ANT  12^ 

soleil  oomine  dans  sa  source,  et  la  lumière  dans  le  rayon  comme 
dans  son  fruit  :  là  on  entend  aussitôt  une  naissance  sans  imper- 
fection >  et  le  soleil  aussitôt  fécond  qu*il  commence  d*étre, 
comme  Timage  la  plus  parfaite  de  celui  qui  étant  toujoursj  est 
aussi  fécond. 

>  Arrêtés  dans  notre  chute  sur  ce  bel  objet,  nous  recommen- 
çons de  là  un  vol  plus  heureux ,  en  nous  disant  à  nous-mêmes 
que  si  Ton  voit  dans  le  corps  et  dans  la  matière  une  si  belle 
naissance ,  à  plus  forte  raison  devons-nous  croire  que  le  Fils  de 
Dieu  sort  de  son  Père ,  comme  Véciai  rejaillissant  de  son  éler- 
nelle  lumière ,  comme  une  douce  exhalaison  de  sa  clarté  infinie , 
comme  le  miroir  sans  tache  de  sa  majesté  et  Vimage  de  sa  bonté 
parfaite;  c*est  ce  que  nous  dit  le  livre  de  la  Sagesse  *.  » 
»  Et  si  nos  prétendus  réformés  ne  veulent  pas  recevoir  de  là 
ces  belles  expressions ,  saint  Paul  les  leur  ramasse  en  un  seul 
mot ,  lorsqu'il  appelle  le  Fils  de  Dieu  Véclat  de  la  gloire  et  V^m- 
freinte  de  la  substance  de  son  Père  *,  » 
n  II  n'y  a  rien  qui  démontre  mieux  dans  le  Père  et  dans  le  Fils 
la  même  nature ,  la  même  éternité ,  la  même  puissance  que 
cette  belle  comparaison  du  soleil  et  de  ses  rayons,  qui,  portas  à 
des  espaces  immenses,  sont  toujours  un  même  coi  ps  avec  le  soleil 
et  en  contiennent  toute  la  vertu.  Mais  qui  ne  sent  toutefois  que 
cette  comparaison ,  quoique  la  plus  belle  de  toutes ,  dégénère 
nécessairement  comme  les  autres  ;  e\  si  Ton  voulait  chicaner,  ne 
dirait-on  pas  que  le  rayon ,  sans  se  détacher  du  corps  du  so- 
leil, souffre  diverses  dégradations,  ou,  comme  parlent  les 
peintres,  que  les  teintes  de  la  lumière  ne  sont  pas  également 
vives  ? 

»  Pour  ne  laisser  point  prendre  aux  hommes  une  idée  semblable 
du  Fils  de  Dieu ,  saint  Justin ,  le  premier  de  tous ,  présente  à 
Tesprit  un  autre  soutien  ;  c'est  dans  la  nature  du  feu ,  si  vive  et 
si  agissante ,  la  prompte  naissance  de  la  flamme  d'un  flambeau 
soudainement  allumé  à  un  autre  :  là  se  répare  parfaitement  Tiné- 
galité  que  la  raison  semblait  laisser  entre  le  Père  et  le  Fils; 
car  on  voit  dans  les  deux  flambeaux  une  flamme  égale ,  et  Tup 
allumé  sans  diminution  de  Tautre,  Ces  divisions  et  ces  portions 
qui  nous  offensaient  dans  la  comparaison  du  rayon  ne  parais* 

*  Sapient.,  7,  v.  25,  26, 
»  Hebr.,  1,  3. 


tu  ANT 

»  sent  plus;  saint  Justin  observe  expressément  quMl  n*y  a  ici  ni 
»  dégradation  ou  diminution,  ni  partage  ^. 

»  M.  Jurieu  remarque  lui-même  que  ce  martyr  satisfait  pleine- 
»  ment  à  ce  qu'elle  demandait,  Tégalité.  Il  est  donc  à  cet  égard 
»  content  de  lui ,  et  peu  content  de  TertuUien ,  avec  ses  propor- 
»  tions  et  ses  parties  *. 

»  Mais  s*il  n'était  pas  entêté  des  erreurs  qu'il  cherche  dans  les 

>  Pères ,  il  n'y  aurait  qu'à  lui  dire  que  tout  tend  à  une  même 
»  fin  ;  qu'il  faut  prendre  des  comparaisons ,  non  comme  il  le  fait, 
»  le  grossier  et  le  bas  ;  autrement  le  flambeau  allumé  de  saint 
»  Justin  ne  serait  pas  moins  fatal  à  l'union  inséparable  du  Père 
»  et  du  Fils  que  le  rayon  de  TertuUien  semblait  l'être  à  leur  éga- 
»  lité;  car  ces  deux  flambeaux  se  séparent ,  on  en  voit  brûler  un 
»  quand  Taulre  s'éteint,  et  nous  sommes  bien  loin  du  rayon  qui 
»  demeure  toujours  attaché  au  corps  du  soleil. 

X»  C'est  donc  à  dire ,  en  un  mot ,  que  de  chaque  comparaison  il 
»  ne  fallait  prendre  que  le  beau  et  le  parfait  ;  et  ainsi  on  trouve- 
»  rait  le  fils  de  Dieu  plus  inséparablement  uni  à  son  Père  que  tous 
»  les  rayons  ne  le  sont  au  soleil ,  et  plus  égal  avec  lui  que  ne  le 
»  sont  tous  les  flambeaux  avec  celui  où  on  les  allume ,  puisqu'il 
»  n'est  pas  seulement  un  Dieu  sorti  d'un  Dieu ,  mais ,  ce  qui  n'a 
9  aucun  exemple  dans  les  créatures ,  un  Dieu  seul  avec  celui  d'où 
»  il  est  sorti. 

»  Et  ce  qui  rend  cette  doctrine  sans  difficulté ,  c'est  que  tous 
»  les  Pères  font  Dieu  immuable  ;  ils  ne  le  font  pas  moins  spirituel, 
»  indivisible  dans  son  être ,  sans  grandeur,  sans  division ,  sans 
»  couleur,  sans  tout  ce  qui  touche  les  sens,  et  inapercevable  à 
»  toute  autre  chose  qu'à  l'esprit.... 

»  Qui  est  donc  Dieu  est  Dieu  tout  entier,  ne  dégénère  de  Dieu 
»  par  aucun  endroit.  Tous  les  Pères  sont  uniformes  sur  la  par- 
»  faite  simplicité  de  l'être  divin  ;  et  TertuUien  lui-même ,  qui ,  à 
»  parle^fran chôment ,  corporalise  toutes  les  choses  divines,  parce 
»  qu'aussi  son  langage  inculquant  le  mot  de  corps,  peut  être  si- 
»  gnifié  substance ,  ne  laisse  pas ,  en  écrivant  contre  Hermogè- 
»  nés ,  de  convenir  d'abord  avec  lui ,  comme  d'un  principe  com- 
»  mun ,  que  Dieu  n'a  point  de  parties  et  qu'il  est  indivisible  ;  de 

>  sorte  qu'en  élevant  leurs  idées  par  les  principes  qu'ils  nous  ont 

^  Lib.  adversùs  Trypb. 

2  Tableau  du  Sociniauisme,  let.  6,  p.  229. 


ANT  125 

>  donnés  enx-mém es  , 

>  sUnce  que  l'origine  cooinuDC  du  Fils  eL  du  Suiot-Esprit,  d'un 

■  principe  infmimeni  co  m  muni  cal  if,  cl ,  i  trai  dire,  te  qu'a  dil  le 

■  Fils  en  parlant  du  Suin[-Es|>rit ,  i^  prendra  du  mien ,  o\t  ie  ce 

>  que  j'ai,  de  meo,  comme  je  prends  de  mon  Père,  avec  qui 

•  toutm'est  commun. 

>  11  ne  fallait  donc  pas  imagiuer  dans  la  doctrine  des  PËrca  ce 
ï  moasire  d'inégalitû ,  sous  prclexie  de  ces  expresHons  qu'ils 

>  ont  bien  su  épurer,  et  lien  su  dire  arec  tout  cela ,  que  le  Fils 

>  de  Dieu  était «orfi  parfait  du  parfait  éternel  de  f  Éternel,  Dieu 

■  de  Dieu.  C'est  ce  que  disait  saint  GK'goire ,  appelé  par  excel- 

>  lence  le  faiseur  de  miracles  ;  et  saint  Clémeui  d'Alexandrie  di- 

>  sait  aussi  qu'il  était  le  Verbe  né  parfait  du  Père  parfait.  Il  ae 

>  toi  fait  pas  attendre  sa  perfeciion  d'une  seconde  naissance,  et 

>  son  Père  le  produit  parfait  comme  lui-même;  c'est  pourquoi, 

■  non-seulement  te  Père ,  mais  encore  en  particulier  le  Fili  eil 

•  tout  bon  ,  tout  beau,  par  conséquent  tout  parfait,  etc.  '. 

•  n  est  donc  plus  clair  que  le  jour  que  l'idée  d'inégalité  n'en- 

■  Ira  jamais  dans  l'esprit  des  Pères  ;  au  contraire ,  nous  venons 

>  de  voir  que,  pour  l'éviter,  après  avoir  nommé,  selon  l'ordre,  le 

>  ViiTc  el  le  Fils ,  ils  disaient  exprès,  contre  l'ordre,  le  FiU  et  la 

>  Pire ,  dans  le  desseiu  de  montrer  que  si  le  Fils  est  le  second  , 

■  ce  n'est  pas  en  perfection  ,  en  dignité  ,  en  honneur.  Loin  de  le 

•  faire  inégal ,  ils  le  faisaient  en  tout  et  partout  un  avec  lai,  aaui 
»  bien  que  le  Saint-Esprit  ;  et  aGn  qu'on  prit  l'unité  dans  sa  per- 

>  fection ,  comme  on  doit  prendre  tout  ce  qui  est  attribué  i  Dieu, 

>  ils  déclaraient  que  Dieu  était  une  seule  et  même  ctiose ,  pariai- 

■  tement  une ,  au  deb  de  tout  ce  qui  est  uni  et  au-dessus  de 

>  l'unité  même  *.  > 
Dans  le  reste  de  l'uvertissemciil.  H,  Bossuet  entre  dans  des  dé- 
tails sur  le  concile  de  Nicée  et  sur  les  bévues  de  Jurieu ,  que  ni 
ne  pouvons  suivre,  mais  qu'il  faut  lire  '. 

Nous  n'entrerons  point  dans  les  détails  des  difficultés  que  les 
Socioiens  tirent  de  l'Écriture ,  et  nous  n'entreprendrons  point  de 
réfuter  les  fausses  explications  qu'ils  douncnt  des  passages  de 


I 


'Grej.  Njss.,DevFiaGreg.  Ncoces.  Clem.  ilei,  Pedag.,  J.  5,  fl, 

*  Clem.  Alex.  Pedag.,  3  ;  ulUm.  Strom.,  9.  Pedag.,  1,  c  3. 

*  BoKuct,  avcrtiss.,  6. 


1)6  APE 

rÉcrilure  swr  lesquels  on  fonde  le  dogme  de  la  Trinité.  Les  théo- 
logiens ont  très-bien  réfuté  les  interprétations  sociniennes  :  per- 
sonne n*a  mieux  réussi  que  le  savant  P^  Pétau  y  et  il  peut  »  sur 
e»  point  comme  sur  beaucoup  d'autres ,  tenir  lieu  de  tous  les 
théologiens  ^. 

Les  théologiens  anglais  ont  très-bien  traité  ce  dogme.  Voyez 
entre  autres  les  théologiens  dont  on  a  parlé  dans  les  articles  Arii^ns 

MODERNES  et  MaCEDOMICS.  Voy€Z  surtout  ISAAC  BidIROW  ^. 

Nous  avons  (ait  voir  »  à  Tarticie  ariens  MOfiSRMEa  et  k  l'article 
Macedonius,  que  la  divinité  et  la  consubstantialité  du  Verbe  et  du 
Saint-Esprit  est  enseignée  comme  le  fondement  de  la  religion 
chrétienne  ;  nous  avons  fait  voir,  aux  articles  Sabellius  ,  Praxée  , 
que  FÉglise  a  toujours  condamné  ceux  qui  ont  nié  la  Trinité  ;  de 
là  nous  tirons  trois  conséquences  : 

La  première  »  c'est  que  le  dogme  de  la  Trinité  n'est  pas  une 
croyance  introduite  par  les  Platoniciens,  comme  le  prétendent 
Fauteur  du  Platonisme  dévoilé  et  M.  Le  Clerc  dans  sa  Biblio- 
thèque choisie  et  dans  sa  Bibliothèque  universelle  ^. 

La  seconde  eonséquence  est  que  la  croyance  de  la  Trinité  n'é- 
tait pas  une  croyance  confuse  et  vague,  comme  le  prétend  M.  Le 
Clerc  toutes  les  fois  qu'il  parle  de  ce  mystère. 

l^  troisième  est  que  Fauteur  des  Lettres  sur  la  religion  essen- 
tielle est  opposé  à  toute  Fantiquité  chrétienne  lorsqu'il  dit  qu'il 
(aut  supprimer  les  noms  de  Trinité  et  de  Personnes ,  et  qu'il  re- 
garde ce  dogme  comme  inutile  :  il  n'aurait  pas  pensé  de  la  sorte 
s'il  eût  mieux  connu  l'histoire  de  la  religion  chrétienne  et  son 
essence.  Toute  Féconomie  de  la  religion  chrétienne  suppose  ce 
mystère  ,  et  le  chrétien  ne  peut  connaître  ce  qu'il  doit  à  Dieu  s'il 
ne  sait  pas  comment  les  trois  personnes  de  la  Trinité  concourent 
à  Fouvrage  de  son  salut  :  ce  mystère  ne  nous  a  donc  pas  été  ré- 
vélé pour  être  Fobjet  de  nos  spéculations ,  mais  pour  nous  faire 
mieux  comprendre  Famour  de  Dieu  envers  les  hommes.  Une  pa- 
reille connaissance  est-elle  inutile  pour  remplir  les  devoirs  de  la 
religion  ? 

APELLE,  disciple  de  Marcion,  vers  Fan  14^>  n'admit  qu'ui^ 

*  Pétau,  Dogm.  theol.,  t.  2. 

2  I&aaci  Barrows  opuscula* 

3  Biblloth.  choisie»  art*  crit«  BihL  uiilv,  >  1. 10»  art,  8.  filtrait  de  la 
vie  d'Eusèbe.  '' 


gfttl  prUcifie  étemel  et  nécessaire  :  cVtait  un  seatimeot  auquel 
Apelle  était  resté  attaché  par  une  espèce  d'instinct ,  et  dont  il  dl- 
SMt  lui-même  qu'il  ne  |>ouYait  donner  la  preuve. 

La  difficulté  de  concilier  Torigine  du  mal  avec  ce  principe  bon 
et  tout-puissant  dont  il  reconnaissait  l'existence  le  porta  à  jugor 
que  cet  être  ne  prenait  aucun  soin  des  choses  de  la  terre  ;  qu'il 
^vaii  créé  des  anges,  et  un  ,  entre  autres ,  qu'il  appelait  un  ange 
de  feu»  qui  avait  créé  notre  monde  sur  le  modèle  d'un  autre 
menée  supérieur  et  plus  parfait. 

Mais  comme  ce  créateur  était  mauvais ,  son  monde  s'était  aussi 
tPOHvé  mauvais  :  il  reconnaissait  que  Jésus-Christ  était  fils  du 
Dieu  souverain ,  et  qu'il  était  venu  dans  les  derniers  temps ,  avec 
le  SainWËsprit ,  pour  sauver  ceux  qui  croyaient  en  lui ,  ponr  leur 
dosner  la  connaissance  des  choses  célestes ,  mais  aussi  pour  leur 
faife  mépriser  le  créateur  avec  toutes  ses  œuvres. 

11  se  rapprochait  ainsi  de  Marcion  ;  mais  il  ne  croyait  pas , 
eojwne  lui ,  que  Jésus-Christ  n'eût  pris  qu'un  corps  fantastique  ; 
cependant  »  pour  ne  pas  le  faire  dépendre  du  Dieu  créateur,  il 
disait  que  Jésus-Christ  s'était  formé  son  corps  des  parties  de  tous 
les  cieux  par  lesquels  il  était  passé  en  descendant  sur  la  terre ,  et 
qu'en  remontant  il  avait  rendu  à  chaque  ciel  ce  qu'il  en  avait 
pm. 

Apelle ,  comme  on  le  voit ,  avait  joint  une  partie  des  idées  des 
GtMtiques  aux  principes  généraux  de  Marcion  ;  il  imaginait  que 
les  âmes  avaient  été  créées  au-dessus  des  cieux. 

Lésâmes  n'étaient  points  selon  Apelle,  des  substances  abso- 
lument incorporelles  ;  la  substance  spirituelle ,  ou  Tàme,  était 
mue  ^  un  petit  corps  très-subtil ,  et  cette  extrême  subtilité  l'cle* 
fait  dans  les  eieux. 

l ,  ces  intelligences  pures  et  innocentes  contemplaient  l'Être 
snpîèBie  et  jouissaient  d'une  félicité  parfaite ,  sans  abaisser  leurs 
regards  sur  le  globe  terrestre. 

Le  Dieu  créateur  produisit  des  fruits  et  des  fleurs  dont  le  par- 
fum ,  en  s'élevant,  avait  flatté  les  organes  délicats  des  esprits.cé- 
lestes  ;  ils  s'étaient  abaissés  vers  la  terre  d'où  ce  parfum  s'élevait, 
et  l'Être  créateur,  qui  leur  avait  tendu  ce  piège,  les  avait  envelop- 
pés dans  la  matière,  pour  les  retenir  dans  son  empire. 

Les  âmes  ensevelies  dans  la  matière  s'étaient  agitées,  et  avaient, 
par  leurs  efforts ,  formé  des  corps  semblables  aux  corps  subtils 
qu'ils  avaient  avant  de  descendre  sur  la  terre  :  le  corps  aérien  qu'el- 


128  APE 

les  avaient  dans  le  cîel  avait ,  selon  Apelle ,  été  comme  le  moule 
sur  lequel  les  âmes  avaient  formé  leurs  corps  terrestres. 

Ces  corps  aériens  avaient  deux  sexes  différens  ;  ainsi,  les  âmes 
descendues  du  ciel  et  enveloppées  dans  la  matière  s^étaient  formé 
des  corps  mâles  ou  femelles ,  selon  le  sexe  de  Tâme  qui  Tavait 
(onné. 

Tertullien  nomme  Apelle  le  destructeur  de  la  continence  de 
Marcion^  et  dit  qu^il  se  retira  à  Alexandrie  pour  fuir  son  maître, 
après  avoir  abusé  d'une  femme;  il  ajoute  :  qu'étant  revenu ,  quel- 
que temps  après  ,  aussi  corrompu  ,  à  cela  près  qu'il  n'était  pas 
tout-à-fait  Marcionite  ,  il  était  tombé  dans  les  pièges  d'une  autre 
iemme,  qui  était  devenue  une  prostituée. 

Cette  femme  croyait  avoir  des  apparitions  merveilleuses  et 
ToîrJésus-Ghristsousla  forme  d'un  enfant  ;  d'autres  fois  c'était 
saint  Paul  qui  lui  apparaissait.  On  croyait  qu'elle  faisait  des  mi- 
racles et  qu'elle  vivait  de  pain  céleste  :  un  de  ses  principaux 
miracles  consistait  à  faire  entrer  un  grand  pain  dans  une  bouteille 
V  de  verre  dont  l'entrée  était  fort  étroite,  et  qu'elle  retirait  ensuite 
\^  avec  ses  doigts. 

Apelle  composa  un  livre  des  révélations  et  des  prophéties  de 
Philumène  :  il  rejetait  tous  les  livres  de  Moïse  et  ceux  des  pro- 
phètes, et  croyait  les  révélations  de  Philumène.  Une  de  ses  difli- 
cultés  contre  les  livres  de  Moïse  était  que  Dieu  n'avait  pu  mena- 
cer Adam  de  la  mort  s'il  mangeait  du  fruit  défendu,  puisqu'Adam 
ne  connaissant  pas  la  mort,  il  ne  savait  si  c'était  un  châtiment  *• 

Tertullien  écrivit  contre  Apelle  ;  nous  n^avons  plus  son  ouvrage. 

Rhodon  a  aussi  réfuté  Apelle;  voici  ce  qu'il  en  rapporte:  <  J'ai 
»  eu,  dil-il ,  une  conférence  avec  ce  vieillard,  vénérable  par  son 
»  âge  et  par  le  règlement  extérieur  de  sa  vie  ;  et  comme  je  lui  fis 
»  voir  qu'il  se  trompait  en  beaucoup  de  choses,  il  fut  réduit  à  dire 
»  qu'il  ne  fallait  pas  si  fort  examiner  les  matières  de  religion , 
»  que  chacun  devait  demeurer  dans  sa  croyance;  que  ceux  qui  es- 
»  péraient  en  Jésus  crucifié  seraient  sauvés  pourvu  qu'ils  fissent 
»  de  bonnes  œuvres  ;  que  pour  lui  il  n'y  avait  rien  qui  lui  parut  si 
»  obscur  que  la  divinité. 

»  Je  ne  laissai  pas  de  le  presser,  continue  Rhodon ,  et  de  lui  de- 
»  mander  pourquoi  il  ne  reconnaissait  qu'un  principe ,  et  quelle 

*  Auctor  Âppend.  ad.  Tert,  de  prsscript.  Ambr.,  I.  i ,  deparadiso* 
Origon.,  I.  5,conL  Cels. 


i 


I 


I 


APO  129^ 

il,  lui  qui  niait  la  ïériié  des  prophètes  qui  nous 
assnrenl. 

^pondit  que  les  prophéties  se  cond3n]n.iieDt  elles-niê- 
\,  puisqu'elles  ne  disaient  rien  devrai  ;  qu'elles  étaient  tou- 
■  tes  fausses,  qu'elles  ne  s'accordaient  pas  entre  elles  et  qu'elles 

>  se  contredisaient  les  unes  les  autres  ;  mais  il  m'avoua  ea  même 
»  lemps  qu'il  n'avait  pas  de  raison  pour  montrer  qu'il  n'j  a  qu'un 

>  principe  ;  seulement  qu'il  avait  un  iostincl  ï  suivre  ce  senli- 

>  Je  le  conjurai  de  me  dire  la  vérité;  etil  jura  qu'il  parlait  sin- 
»  cèrement,  qu'il  ne  savait  pas  comme  il  n'j  avait  qu'un  seul  Dieu, 
•  sans  principe,  mais  qu'il  le  croyait  ainsi . 

•  Pour  moi ,  continue  Rhodon,  je  me  moquai  de  son  ignorance 

>  en  condamnant  son  erreur  ,  n'y  ayant  rien  de  si  ridicule  qu'un 
1  homme  qui  se  prétend  docteur  des  autres  sans  pouvoir  alléguer 

>  aucune  preuvede  sa  doctrine  '.  • 
APELLtTES,  nom  des  sectateurs  d'Apelle. 
APHTARTÉDOCÈTES,  étaient  les  disciples  de  Julien  d'Haï j- 

caniasse,  qui  prétendaient  que  le  corps  de  Jésus-Christ  avait 
été  impassible  ,  parce  qu'il  était  incorruptible  :  ils  parurent  vers 
l'an  363  *. 

APOCARITES:  ce  nomsiguiGe  suréminentenbonlé;cettesccte 
parait  une  hranche  de  Uanïchéisme  ;  elle  parut  en  279;  elle  en- 
seignait que  l'âme  humaine  était  une  portion  de  la  divinité '. 

APOLLINAIRE,  évêqnede  Laodicée,  croyait  que  Jésus-Christ 
s'était  incarnéet  qu'il  avait  pris  un  corps  humain,  maïs  qu'il  n'a- 
vait point  pris  d'àme  humaine  ;  du  moins  que  l'àme  humaine  k 
laquelle  le  Verbe  s'était  uni  n'était  point  une  intelligence,  mais 
uae  âmesensitive,  qui  n'avait  ni  raison,  ni  entendement. 

Apollinaireavaitétéun  des  plus  zélés  dérenscurs  de  la  consub- 
Mantialité  du  Verbe ,  il  l'avait  prouvée  contre  les  Ariens  par  une 
iofinîté  de  passages  dans  lesquels  l'Ëcritnre  donne  ii  Jésus-Christ 
tous  les  attributs  de  la  divinité;  il  jugea  qu'une  âme  Humaine  était 
inutile  dans  Jésns-Oirist  ;  aucune  des  opérations  qui  demandent 
de  l'intelligence  et  de  la  raison  ne  lui  parut  en  supposer  la  ué- 

'  Rhodon  apud  Euseb„LSi  e.  13.  Epiph.,  Hsr.,  àl.Aus.iIIier.,23. 

TerL,  DeprxKript.,  c.  30,  31.  Baron.,  ad  an.  146. 
3  Nicephor.,  1.47,  c.  39,  Damasccn. 
n  Lexicou. 


I 


lao  Apo 

cesslté  d^os  Jésus-Christ  ;  la  divinilé  avait  présidé  à  toutes  ses  9C? 
lions  et  fait  toutes  les  fonctions  de  Tâme  ^. 

Mais  Jésus-Christ  avait  éprouvé  des  sentimens  qui  ne  pouvaient 
convenir  à  la  divinité  ;  ainsi  Apollinaire  suppose  en  Jésus-Christ 
une  âme  sensitive  :  cette  opinion  avait  son  fondement  dans  les 
principes  de  la  philosophie  pythagoricienne  «  qui  suppose  dans 
rhomme  une  âme  qui  raisonne  et  qui  est  une  pure  intelligence  » 
incapable  d'éprouver  Fagitation  des  passions ,  et  une  âme  incapa- 
ble de  raisonner  et  qui  est  purement  sensible.  Les  principes  de 
cette  philosophie  ont  été  exposés  plus  en  détail  dans  Texamen  du 
fatalisme. 

Il  est  aisé  de  réfuter  cette  erreur  ;  car  rÉcriture  nous  apprend 
que*Jésus-Cbrist  était  homme ,  qu'il  a  été  fait  semblable  aux 
hommes  en  toutes  choses ,  excepté  le  péché  ^. 

fille  nous  dit  que  Jésus-Christ ,  dans  son  enfance,  croissait  et  se 
fortiQait  en  esprit  et  en  sagesse  ^  »  ce  qui  ne  peut  s'entendre  que 
de  son  âme  raisonnable  :  le  Verbe  ne  pouvait  pas  croître  en  sa- 
gesse, ni  Tâne  animale  en  lumière. 

Cependant  M.  Wisthon  a  embrassé  le  sentiment  d' Apollinaire 
et  dit  que  le  Verbe  a  souffert  ;  M.  Wisthon  souhaite  que  cette 
opinion  soit  reçue  parmi  les  chrétiens,  et  tâche  de  Tappuyer  sur 
des  témoignages  des  Pères  qui  ont  vécu  après  le  concile  de  Ni- 
cée  ;  mais  on  ne  voit  pas  beaucoup  de  gens  qui  adoptent  cette 
étrange  opinion  *, 

On  attribue  à  Apollinaire  d'avoir  soutenu  que  la  divinité  avait 
souffert,  qu'elle  était  morte,  etc.  Mais  ces  erreurs  sont  plutôt  des 
conséquences  qu'on  tirait  des  principes  d'Apollinaire  que  les 
sentimens  de  cet  évéque  :  l'idée  que  les  auteurs  ecclésiastiques 
nous  donnent  d'Apollinaire  ne  permet  pas  de  penser  autrement, 
Apollinaire  a  été  regardé  généralement  comme  le  premier  homme 
de  son  temps  pour  le  savoir,  l'érudition  et  la  piété.  Nous  devons 
donc  avoir  beaucoup  de  défiance  de  nos  propres  lumières  et  uof 
grande  indulgence  pour  les  hommes  qui  se  trompent,  puisque  U 
science,  le  génie  et  la  piété  ne  garantissent  pas  toujours  de  l'erreur. 

Le  temps  auquel  Apollinaire  enseigna  son  erreur  est  incertain  ; 

^  Vincent  Lirin  Commonitt  c  17.  Aug;,|  Pe  )uer.|  e*  5^ 
2  Paul  ad  Hebr.,  4,  15, 
8  Luc,  11.  V.  àO, 
*  Patres  Apost. 


APO  I3f 

î1  florissait  SQirla  fin  du  quatrième  siècle,  souâ  Ittlien.  lion  héi^- 
sîe  fut  d*abord  condamnée  dans  le  concile  d'Alexandrie,  tena  Tan 
362,  sous  saint  Athanase,  après  la  mort- de  Constance  :  ce  concile 
condamna  Terreur  d*  Apollinaire,  sans  le  nommer. 

Le  pape  Damase  condamna  aussi  cette  erreur  et  déposa  Apol- 
linaire ;  enfin  son  sentiment  fut  condamné  dans  le  second  concile 
œcuménique  assemblé  à  Gonstantinople  *• 

L^erreur  d* Apollinaire  fut  combattue  par  saint  Athanase,  par 
les  saints  Grégoire  de  Nazianze  et  de  Nysse ,  par  Théodoret ,  par 
saint  Ambroise  '. 

APOLLINARISTES,  nom  des  sectateurs  d'Apollinaire. 

APOPHANITES,  secUteurs  d*Apophane ,  qui  était  disciple  de 
Manès. 

APOSTOLIQUES  :  c'est  le  nom  que  Ton  donna  à  une  branche 
d'Encratites ,  qui  prétendaient  imiter  parfaitement  les  apôtres. 
Voffez  Apotactiques. 

Ce  nom  fut  aussi  le  nom  générique  que  prirent  toutes  ces  petites 
sectes  de  réformateurs  qui  s'élevèrent  dans  le  douzième  siècle,  et 
qui  étaient  répandues  dans  les  différentes  provinces  de  la  France. 
Voffex  Albigeois,  Yavdois. 

Ces  petites  sectes  avaient  des  erreurs  opposées ,  et  souvent  des 
pratiques  contraires  :  on  assembla  plusieurs  conciles  dans  les- 
quels elles  furent  condamnées. 

On  brûla  beaucoup  d'Apostoliques  dans  différentes  provinces, 
et  ces  sectaires  souffrirent  le  supplice  avec  une  si  grande  con- 
stance, qu'Ervin  ne  pouvait  comprendre  comment  les  membres  du 
démon  avaient  pour  leurs  hérésies  autant  de  constance  que  les 
trais  fidèles  pour  la  vérité  '. 

La  secte  des  Apostoliques  fut  renouvelée  par  un  homme  du  peu- 
ple :  voyez  l'histoire  de  cette  secte  singulière  au  mot  Ségahel.  Il 
y  eut  aussi  des  Anabaptistes  qui  s'appelèrent  Apostoliques.  Vopez 
l'art,  des  sectes  des  AMABAmsTEs. 

^  Epist.  sycod.  Conc.  Alex.  Théodoret,  Hist.,  1.  9,  c.  10.  Conc.  Con- 
itant'n. 

>  Atban.,  ep.  adEpict  1,1.  de  Incarn.  Greg.  Nyss.  con.  Apol.  Theod., 
Dial.  de  incomprehensibili.  Hxret.,  stab.,  1.  5,  v.  13.  Auct,deMyster. 
Incarn. 

*  Demard,  Serm.  in  Cant,  65,  66.  Mabil.  Analec.,  t  3,  p.  ii52« 
D'Argentré,  Collcct  Jud.,  1. 1,  p.  3G«  Natal.  Alexaud.,  sxc.  13, 


1 32  ARA 

APOTACTIQUES,  branche  d'Encratites  ou  Tatianites  qui  aux 
différentes  erreurs  des  Encratites  aj  outaient  la  nécessité  de  renon- 
cer aux  biens  du  monde,  et  qui  regardaient  comme  des  réprouvés 
tous  ceux  qui  possédaient  des  biens.  On  en  vit  vers  la  Cilicie  et 
dans  la  Pamphilie ,  sur  la  fin  du  second  siècle  »  mais  ils  furent  peu 
nombreux.  On  n'en  brûla  aucun  :  on  les  plaignit  d'abord,  ensuite 
on  les  méprisa,  et  la  secte  s'éteignit.  11  n'en  fut  pas  ainsi  des  sec- 
taires du  douzième  siècle  lorsqu'ils  renouvelèrent  cette  erreur 
des  A po tactiques  et  qu'ils  prirent  le  nom  d'Apostoliques;  on  sévit 
contre  eux ,  on  les  brûla ,  et  il  fallut  lever  des  armées  pour  les 
éteindre  en  France.  Voy^;5  Apostoliques,  Albigeois,  Vaddois  *. 

AQU ARIENS ,  nom  donné  aux  Encratites. 

AQUATIQUES,  hérétiques  qui  croyaient  que  l'eau  était  un  prin- 
cipe coéternel  à  Dieu. 

Hermogènes  avait  enseigné  que  la  matière  était  coétemelle  à 
Dieu,  afin  de  pouvoir  imaginer  un  sujet  duquel  Dieu  pût  tirer  le 
monde  visible.  Ses  disciples  voulurent  rechercher  la  nature  de 
cette  matière  qui  avait  servi  de  sujet  à  l'action  de  Dieu  ,  et  ils 
adoptèrent  apparemment  le  système  de  Thaïes,  qui  regardait  l'eau 
comme  le  principe  de  tous  les  êtres.  C'est  ainsi  que  l'esprit  hu- 
main ,  après  s'être  élevé  au-dessus  des  systèmes  des  anciens ,  à 
l'aide  de  la  religion,  y  était  ramené  par  sa  curiosité  et  par  le  pen- 
chant qu'il  a  à  tout  examiner  ^. 

ARA ,  hérétique  qui  prétendit  que  Jésus-Christ  même  n'avait 
point  été  exempt  de  péché  originel  ^. 

ARABES  ou  Arabiens.  C'est  le  nom  qu'on  donne  à  une  secte 
qui ,  dans  le  troisième  siècle ,  attaqua  l'immortalité  de  l'âme , 
sans  cependant  nier  qu'il  y  eût  une  autre  vie  après  celle-ci  ;  ils 
prétendaient  seulement  que  l'âme  mourait  avec  le  corps  et  qu'elle 
ressuscitait  avec  lui  *. 

Il  se  tint  sur  ce  sujet,  en  Arabie,  une  grande  assemblée,  à 
laquelle  Origène  assista  ;  il  y  parla  avec  tant  de  solidité  et  tant 
de  modération  que  ceux  qui  étaient  tombés  dans  l'erreur  des 
Arabiens  l'abandonnèrent  entièrement. 

^  Epîph.,  Hxr.,  61.  Aug.,  Hser.,  àO,  Damascen.,  Hsr,,  61, 

2  Slockman  Lexicon. 

'  Slockman  Lexicon. 

4  Euscb.,  Hist,,  1.  6,  c,  87,  Aug.,  Dehaer.,  c,  38.  Nlcephor.,  Hist., 

!•    0}   C*   AQ* 


Origëoe  a' 


j  n'arréleni  le  pro- 
sort  el  eu  éteignant 


ARC 
it  éclairé  les  Arabiens  sans  les  irriter,  el  ila  s'é- 
9  sincërement  i  jamais  la  rigueur  n'a  éteint  ainsi 
snr-le-cliamp  une  bérésie. 

Les  coups  d'aulorité  font  des  bypocrii 
grËs  (le  l'erreur  qu'en  Ûtant  i  l'esprit  31 
peu  it  peu  toutes  les  lumières. 

Je  crierais  donc ,  si  j'osais ,  ï  tous  ccui  qui  sonl  cbargés  du 
soin  des  imes  :  Eclairez  les  bommes,  traitez  avec  douceur  ccuit,  ] 
qui  se  trompent,  si  voua  voulez  les  convertir  solidement  et  s 
ïDus  vouiez  anéanlif  l'erreur;  avez-vous  oublié  qu'être  dans  l'er- 
reur sur  la  religion ,  c'est  être  tombé  dans  un  précipice , 
être  mallieureui ,  et  que  les  malheureux  méritent  de  l'indulgence 
et  ilu  respect  !  Je  leur  dirais  ;  Tout  homme  qui  répand  une  erreur 
est  de  bonne  foi ,  ou  c'est  un  fourbe  qui  séduit  des  bommt 
sont  de  bonne  foi  et  qui  cherchent  la  vérité. 

Si  l'homme  qui  répand  une  erreur  est  de  bonne  foi,  vt 
convertirez  sûrement  et  sineèremenl  en  l'éclairant;  l'an 
quilefrapperailsans  l'éclairer  le  Qxerait  dans  l'erreur  sans  retour. 

Si  l'homme  qui  répand  une  erreur  est  un  fourbe  qui  séduit  des 
prosélytes  de  bonne  foi ,  vous  arrêtez  i  coup  sûr  le  progrès  1 
séduction ,  en  faisant  voir  qu'il  se  trompe;  l'autorité  que  vous 
emploieriez  contre  ce  séducteur,  sa 
dairemenl  la  fausseté  de  sa  doctrine ,  le  rendrait  plus  cher  ii  son 
parti  ;  vous  ne  seriez  plus  alors  en  état  de  l'éclairer ,  vous  n'au- 
riez plus  pour  ressource ,  contre  ce  parti ,  que  la  rigueur,  les  cliâ- 
limens,  les  supplices. 

Mais  quand  l'usage  que  vous  feriez  de  ces  moyens  n'aurait  au- 
cun inconvénient  et  ne  causerait  aucun  mal ,  produirie7,-vous  un 
autre  eOet  que  celui  quela  persuasion  et  la  douceur  auraient  pro- 
duit? Un  homme  que  vous  voulez  obliger  par  autorité  !i  quitter  , 
ses  senlimens  suppose  au  moins  que  vous  n'êtes  point  en  état  de:  | 
l'éclairer,  ou  que  vous  le  méprisez  trop  pour  daigner  l'éclairt 
le  persuader  :  il  ne  faut  pas  qu'un  pareil  soupçon  puisse  tomber, 
sur  les  successeurs  des  apûtres.  Saiut  Paul  dit  :  Nuusenseignons, 
nous  prouvons,  nous  démontrons. 

AltCllONTlOUES,  seclc  des  Valeotiniens,  dont  Pierre  l'Fr- 
mitefut  le  chef;  celte  secte  parut  vers  l'an  160,  sous  l'empir»  J 
d'A n tu nin-le -Pieux  '. 

'  Aug.,  Hsr,,  c.  20.  Kpipli.,   ïlxT.,  iù,  ThéoJonM,  llxrcl.  Vab. ,  i 

.1,  r.  a. 


l»4  AftI 

ÂRf  ANISMË ,  hci'ésle  d^Ârius ,  qni  consistait  Ik  ïiier  la  consub- 
siattitîalité  du  Verbe  ou  de  la  seconde  personne  de  la  Trinité,  qu'il 
regardait  comme  une  créature. 

Nous  allons  exposer  Torigine  et  le  progrès  de  cette  erreur  jus- 
c|ti*à  la  mort  d'Ârius  ;  nous  considérerons  ensuite  PÂrianisme  de- 
puis la  mort  d'Ârius  jusqu'à  son  extinction.  Nous  le  Terrons  re- 
naître en  Occident  >  dans  le  quinzième  et  dans  le  di)c-huitième 
siècle  :  nous  examinerons  ses  principes,  et  nous  le  réfuterons. 

§  1.  —  De  l'origine  de  l'Arianisme  et  du  progrès  de  cette  erreur 

jusqu'à  la  mort  d*Arius, 

Alexandre ,  évéque  d'Alexandrie  ,  expliquait,  en  présence  de 
ses  curés  et  de  son  clergé ,  le  mystère  de  la  Trinité  ;  il  voulait 
concilier  la  Trinité  des  personnes  avec  Funité  de  Dieu  et  expli- 
quer comment  les  trois  personnes  existaient  dans  une  substance 
unique  et  simple  ;  car  Socrate  rapporte  qu'Alexandre  disait  qu'il 
j  avait  unité  dans  la  Trinité,  et  qu'il  se  servait  pour  cela  d'un  mot 
qui  signifie  non-seulement  unité,  mais  encore  simplicité  :  il  disait 
qu'il  y  avait  monade  dans  la  Trinité ,  ou  que  la  Trinité  était  une 
nonade  ^. 

L'idée  de  simplicité  de  la  monade  et  celle  de  la  Trinité  se  pré- 
sentèrent donc  à  la  fois  à  l'esprit  d'Arius,  qui  assistait  au  dis- 
cours d'Alexandre,  et  comme  les  esprits  étaient  portés,  par 
Alexandre  même,  à  lâcher  de  comprendre  le  mystère  de  la  Tri- 
nité ,  il  s'efforça  de  concevoir  comment  trois  personnes  distinctes 
existaient  dans  une  substance  simple.  11  ne  put  le  concevoir  ;  il 
crut  la  chose  impossible. 

Sabellius ,  en  examinant  le  mystère  de  la  Trinité ,  n'avait  cm 
pouvoir  le  concilier  avec  l'unité  de  Dieu  qu'en  supposant  que  le 
Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  n'étaient  que  trois  noms  donnés  à 
la  Divinité ,  et  non  pas  trois  personnes  ;  il  n'y  avait  pas  long- 
temps que  son  erreur  avait  été  condamnée,  et  elle  avait  encore 
des  partisans.  L'esprit  d'Arius  fut  porté  naturellement  à  compa- 
rer l'explication  d'Alexandre  avec  ce  que  l'Église  avait  défini 
contre  Sabellius  ;  il  crut  qu'on  ne  pouvait  allier  la  simplicité  de 
la  substance  divine  avec  la  distinction  des  personnes  que  l'Église 
enseignait  contre  Sabellius. 

*  Socrate,  1.  1,  c.  A.  Monadon  esse  in  Trinîtale,  ce  qui  ne  veut  pas 
dire  union ,  comme  Ta  traduit  M.  de  Valois,  mais  simplicité.  Voyei 
Pasnoge,  Annales  poliUco-eccIesiastici ,  t.  2,  p.  064. 


On  ne  poavail  »  selon  Ârius ,  distinguer  plusieurs  personnes 
dans  ce  qui  est  simple»  ou  il  fallait  que  ces  personnes,  que  le 
Père  et  le  Fils ,  par  exemple,  ne  fussent  que  diiïérens  norosqu^on 
donnait  à  la  même  chose  selon  qu^elle  produisait  des  effets  dif- 
Hârens  ;  ce  qui  avait  été  condamné  dans  Sabellius ,  et  ce  qui  était 
contraire  à  Tidée  que  TÉcriture  nous  donne  du  Père  et  du  Fils , 
qu*elle  nous  représente  comme  aussi  distingués  entre  eux  que 
Teffet  et  la  cause  :  le  Père  engendre ,  et  le  Fils  est  engendré  ;  le 
Père  n>  point  été  produit,  il  est  sans  principe,  et  le  Fils  en  a 
un ,  il  »  été  produit. 

Ainsi  Arius ,  pour  ne  pas  tomber  dans  Thérésie  de  Sabellius 
qui  confondait  les  personnes  de  la  Trinité»  fit  du  Père  et  du  Fils 
deux  substances  différentes,  et  soutint  que  le  Fils  était  une  créa- 
ture *, 

Alexandre  fit  voir  qu*Arius  n'avait  pas  une  idée  juste  de  la 
personne  du  Verbe  ;  qu'il  était  étemel  comme  le  Père ,  et  non 
pas  produit  dans  le  temps ,  ce  qui  anéantirait  le  dogme  de  la  di- 
vinité du  Verbe. 

Arius,  plein  de  sa  difficulté ,  ne  s'occupa  plus  qu'à  poursuivre 
Alexandre  et  à  prouver  que  le  Verbe  était  une  créature. 

Celte  doctrine  révolta  l'Église  d'Alexandiie  et  devint  Fobjet 
principal  de  la  dispute  :  on  perdit  de  vue  Sabellius  ;  Arius  ne 
s'occupa  plus  qu'à  prouver  que  le  Verbe  n'était  qu'une  créature , 
et  ses  adversaires  à  défendre  contre  lui  Féternité  du  Verbe'. 

Les  sophismes  sont  toujours  séduisans,  lorsqu'ils  attaquent  un 
mystère  ;  Aritis  se  fit  des  partisans  et  causa  des  divisions  dans  le 
clergé  d'Alexandrie. 

Alexandre  crut  qu'en  permettant  à  Arius  et  à  ses  partisans  de 
dbputer  et  de  proposer  leurs  difficultés ,  on  les  détromperait 
mieux  que  par  des  condamnations  et  par  des  coups  d'autorité , 
qui ,  lorsqu'ils  sont  prématurés,  arrêtent  rarement  Terreur,  irri- 
tent toujours,  et  n'éclairent  jamais. 

Lorsqu' Alexandre  crut  que  sa  modération  pouvait  avoir  des 
suites  fâcheuses ,  il  assettibla  un  concile  à  Alexandrie ,  dans  le- 
quel Arius  défendit  sa  doctrine  :  il  prétendit  que  le  Verbe  avait 
été  tiré  du  néant ,  parce  qu'il  était  impossible  qu'il  fût  étemel , 
comme  son  Père ,  de  manière  même  qu'on  ne  pût  concevoir  que 

*  Lettre  d'Anus  à  Eusèbe.  Epiph.,  Uxr.,  69.  Athan.,  t.  i,  p.  635. 
'Socrat.,  1.  1,  C.6. 


186  ARI 

le  Fils  eût  existé  après  son  Père;  n*est-ilpas  clair,  disait-il,  qu*a- 
lors  le  Fils  serait  engendré  et  ne  le  serait  pas  ?  D'ailleurs ,  si  le 
Pèren*a  pas  tiré  le  Fils  du  néant,  il  faut  qu'il  Tait  tiré  de  sa  sub- 
stance, ce  qui  est  impossible. 

L*Écriture ,  disait-il  encore ,  ne  nous  donne  point  une  autre 
idée  du  Verbe  :  le  Verbe  dit  lui-même ,  au  chapitre  huit  des  Pro- 
verbes ,  que  Dieu  Ta  créé  au  commencement  de  ses  voies  :  Dieu 
dit  qu'il  Ta  engendré,  et  cette  manière  de  produire  est  une  vraie 
création ,  puisque  TËcriture  l'applique  aussi  bien  aux  hommes 
qu'au  Verbe ,  comme  on  le  voit  dans  les  passages  où  Dieu  dit 
qu'il  a  engendré  des  fils  qui  l'ont  méprisé  * . 

Les  Pères  du  concile  d'Alexandrie  s'appuyèrent  sur  ces  aveux , 
ou  plutôt  sur  ces  principes  d'Arius ,  pour  le  juger.  Si  le  Verbe , 
disaient-ib ,  est  une  créature ,  il  a  toutes  les  imperfections  des 
créatures,  il  est  sujet  à  toutes  leurs  vicissitudes,  il  n'est  pas  tout- 
puissant  ,  il  ne  sait  pas  tout  ;  car  ces  imperfections  sont  les  apa- 
nages essentiels  d'une  créature,  quelque  parfaite  qu'on  la  sup- 
pose. 

Les  conséquences  étaient  évidentes  »  et  Arius  ne  pouvait  le  mé- 
connaître. 

Après  avoir  ainsi  fixé  la  doctrine  d'Arius ,  les  Pères  du  concile 
en  prouvèrent  la  fausseté  par  tous  les  passages  de  l'Écriture  qui 
attribuent  au  Verbe  l'immutabilité  et  toute  la  science  ;  par  ceux 
qui  disent  expressément  que  tout  a  été  fait  par  lui  et  pour  lui ,  et 
que  rien  de  ce  qui  a  été  fait  n'a  été  fait  sans  lui. 

Ces  derniers  passages  fournissaient  aux  Pères  des  argumens 
péremptoires  ;  car  si  rien  de  ce  qui  a  été  créé  n'a  été  sans  le  Verbe, 
il  est  évident  que  le  Verbe  n'a  point  été  créé,  parce  qu'alors 
quelque  chose  aurait  été  créée  sans  lui ,  puisqu'un  être  en  aucune 
manière  n'est  cause  de  lui-même. 

A  l'évidence  de  ces  preuves  tirées  de  l'Écriture  les  Pères  du 
concile  d'Alexandrie  joignaient  la  doctrine  de  l'Église  univer- 
selle ,  qui  avait  toujours  reconnu  la  divinité  du  Verbe  et  séparé 
de  sa  communion  ceux  qui  l'attaquaient. 

Arius  alors  se  trouva  comme  placé  entre  la  nécessité  de  recon- 
naître la  divinité  du  Verbe  et  l'impossibilité  de  concevoir  un  fils 
coéternel  à  son  père. 

Il  avait  fait  tous  ses  efforts  pour  concevoir  un  fils  coéternel  à 

^  Sozomène,  1.  2. 


AM  fî7 

ion  p^re,  el,  du  seniinienl  de  son  impuissance  h  le  concerolr,  il 
Éuil  passé  i  la  persuasion  âe  l'icn possibilité  eHeclice  qu'un  (ils 
soli  coélernel  à  son  père  ;  il  arait  Hiii  de  celle  impossibilité  la 
base  de  son  senlimeni  :  il  crupit  donc,  d'un  côlé,  qu'il  était  im- 
pussible  que  le  Verbe  fût  coéiernet  !i  son  Père,  et,  de  l'autre,  la 
divinité  dn  Verbe  était  si  clairement  enseignée  dans  t'Ëcrilure  e*. 
par  l'Église,  qu'il  était  impossible  delà  méconnaître. 

Arius  conclut  de  Ik  que  la  création  du  Verbe  et  sa  divinilé 
étaient  deux  vérités  qu'il  fallait  également  croire,  et  il  reconnut 
que  le  Verbe  était  une  créature ,  el  cependant  vrai  Dieu  el  égal  i 
son  Père. 

C'esl  ainsi  que  l'amour- propre  et  la  préoccupation  cbangenl , 
aux  jeux  des  hommes,  les  mystères  en  absurdités,  et  les  con- 
tradictions les  plus  manirestes  en  vérités  évidentes.  Arius  avait 
rejeté  la  Trinité  qu'il  ne  comprenait  pas,  mais  qui  ne  renferme 
point  de  contradiction,  et  il  ne  soupçonnait  pas  qu'il  se  con~ 
tredlt  en  réunissant  dans  le  Verbe  l'essence  de  la  divinilé  et  celle 
lie  la  créature ,  en  supposant  que  le  Verbe  avait  toutes  les  peHec- 
Uons  possibles ,  el  en  souteuinl  qu'il  n'avait  pas  la  première  de 
tontes  les  perfeclions ,  celle  d'etisier  par  soi-même. 

Le  concile  d'Alexandrie  définit  que  le  Verbe  était  Dieu  et  coc- 
lernel  ïson  Père,  condamna  la  doctrine  d'Arius,  et  excommunia 
sa  personne. 

I<e  jugement  du  concile  n'ébranla  point  Arius;  il  continua  Ji 
défendre  son  sentiment,  il  l'exposa  sans  déguisement,  il  envoja 
sa  profession  de  foi  à  plusieurs  évéques ,  les  priant  de  l'éclairer 
s'il  était  dans  l'erreur,  ou  de  le  protéger  el  de  le  défendre  s'il 
ëUit  catholique  '. 

Il  j  a  dans  tous  les  hommes  un  senlimeni  inné  de  compassion 
qui  agit  loujours  en  faveur  d'un  homme  condamné ,  surtout  lors- 
qu'il proleste  qu'il  ne  demande  qu'b  s'éclairer  pour  se  soumettre. 
Arius  trouva  donc  des  protecteurs ,  même  parmi  les  évêqnes  ;  Eu- 
sëbede  Nicométlie  assembla  un  concile  composé  des  évéques  de 
la  province  de  Uitiijuie ,  et  ce  concile  écrivit  des  lettres  circu- 
laires ï  tous  les  évéques  d'Orient  pour  les  porter  i  recevoir  Arius 
ï  la  communion ,  comme  soutenant  la  vérité  ;  ils  écrivirent  aussi 
h  Alexandre  pour  qu'il  admll  Arius  à  sa  communion. 

Alexandre  ,  de  son  calé  ,  écrivit  des  lettres  circulaires  dans 

H  *  Lettre  d'Anus  i  EnsMie.  Eplpli.,  loc.  ciL 


lesquelles  il  censurait  fortement  Eusèbe  de  ce  qiiUl  protégeaii 
Ariiis  et  le  recommandait  aux  cvêques. 

La  lettre  d*Âlexandre  irrita  Eusèbe,  et  ces  deux  évêques  de? 
ifinrent  ennemis  irréconciliables. 

Ârius,  conda^niné  par  Alexandre  et  par  un  concile,  mais  défendu 
psTr  plusieurs  évêques,,  ne  se  représenta  plus  que  comme  un  mal- 
heureux qu*p9  persécutait;  il  répandit  sa  doctrine;  il  intéressa 
méiiiç  le  peuple  en  sa  faveur.  Arius  était  un  homme  d^une  grande 
taille ,  maig.re  et  sec ,  portant  la  mélancolie  peinte  sur  le  visage  ^ 
grave  dans  ses  démarches ,  toujours  revêtu  d*un  manteaîu  ecclé- 
siastique ,  charmant  par  la  douceur  de  sa  conversation  ;  il  était 
ipoète  et  musicien ,  il  fournissait  des  chansons  spirituelles  aux 
/gens  de  travail  et  aux  dévots  ;  il  mit  en  cantiques  ^a  doctrine ,  et, 
I  par  ce  moyen ,  il  la  répandit  dans  le  peuple.  Cest  un  mo^en  que 
;  Valentin  et  Ilarmonius  avaient  employé  avant  Arius  et  qui  a  sou- 
vent réussi  aux  hérétiques.  Apollinaire  remploya  après  Arius,  et 
perpétua  ses  erreurs  plus  par  ce  moyen  que  par  ses  écrits  *. 

Ainsi  le  parti  d'Arius  se  grossit  insensiblement,  et,  malgré  lu 
subtilité  des  questions  qu^il  agitait,  il  intéressa  jusqu^au  peu- 
ple dans  sa  querelle.  On  vit  donc  les  évêques,  le  clergé  et  le  peu- 
ple divisés;  bientôt  les  disputes  s'échauffèrent,  firent  du  bruit, 
et  les  comédiens,  qui  étaient  païens,  en  prirent  occasion  déjouer 
la  religion  chrétienne  sur  leurs  théâtres. 

Constantin  n'envisagea  d'abord  cette  querelle  qu'en  politique, 
et  écrivit  à  Alexandre  et  à  Arius  qu'ils  étaient  des  fous  de  se  di- 
viser pour  des  choses  qu'ils  n'entendaient  pas  et  qui  n'étaient  de 
nulle  importance  ^. 

L'erreur  d' Arius  était  d'une  trop  grande  conséquence  pour  que 
les  catholiques  restassent  dans  l'indifférence  que  Constantin  leur 
conseillait.  Alexandre  écrivit  partout  pour  prévenir  le  progrès  de 
l'erreur  d' Arius  et  pour  en  faire  connaître  le  danger. 

t)'un  autre  côté,  Arius  et  ses  partisans  faisaient  tous  leurs  ef- 
forts pour  décrier  la  doctrine  d'Alexandre.  Les  catholiques  et  les 
Ariens  s'imputaient  réciproquement  les  conséquences  les  plus 
odieuses  qu'ils  pouvaient  tirer  des  principes  de  leurs  adver- 
saires. 

1  Voyez  Ënicsli  Cypriani  Dissert,  de  propagation  hsresium ,  pcr 
cantilenas.  Lond.,  1720,  in-S". 

2  Âpud  Euseb.,  in  vit,  Coust,>  c.  6Â.  ^rat*,  U  i,  C  7» 


AU  119 

Ces  ehoM  conlinitels  éeliauffèKal  les  deux  partis  jusqu'à  la  sé- 
dition ;  il  y  cul  même  des  endroits  où  l'on  renversa  les  al»lue;i  de 
l'empereur,  pjree  qu'il  voulait  qu'on  supportai  \qs  Ai'ieus  ' . 

Les  clirÉtiens  faisaient  alors  uue  partie  uoasidérable  de  l'eiiipiru 
romain.  Consiaptin  sentit  qu'il  ne  pouvait  se  dispenser  de  prendre 
part  i  leurs  querelles,  et  qu'il  fallait  les  calmer.  Il  couToqua  uu 
coDi;i1e  de  toutes  les  provinces  de  l'empire,  et  les  évéques  s'as- 
seraLlêreot  à  Nicce,  l'an  3S5. 

AuEsiiût  que  les  évêques  furent  arrivés  h  NîcËe,  ils  formâreul 
des  afsemblfes  particulières  et  y  appelèrent  Ariu s  pour  s'instruire 


Âprèsl'avuir  entendu,  quelques  évoques  opinaient  1  condam- 
ner toutes  sortes  de  nouveautés  et  i  es  contenter  de  parler  du 
Fils  dam  les  termes  dont  leurs  prédécesseurs  s'Étaient  servis; 
d'autres  croyaient  qu'il  ne  fallait  pas  recevoir  les  expressions  des 
anciens  sans  examen  ;  il  s'en  trouva  dix-sept  qui  favorisaient  les 
nouvelles  explications  d'Arius,  et  qui  dressèrent  uuc  confession 
lie  foi  «Ion  leur  sentiment  ;  mais  ili  ne  l'eurent  pas  plus  loi  lu« 
dons  l'assemblée,  qu'on  s'écria  qu'elle  était  fausse  et  qu'on  leur 
dit  des  injures ,  comme  il  des  gens  qui  voulaient  traliir  In 
fui*. 

On  proposa  de  condamner  les  eipreasions  dont  les  Arieus  se 
servaient  en  parlant  de  Jésus-Christ,  telles  que  sont  celles-ci  ; 
qu'il  auail  ^tétiréëa  néant;  qu'il  y  amit  eu  un  lei»pi  où  U  rt'exis- 
lail  pat.  On  proposa  de  se  servir  des  phrases  méuies  de  l'Lcriture, 
telles  que  celles'i:!  :  Le  FiU  esl  UHiyiieif«<3  nature  ;  il  ett  la  roi- 
ton,  la  paissanee,  la  teiile  sageste  de  uiii  l'ère,  l'éclat  dt  » 
aliiire,  etc. 

Les  Ariens  ayant  déclaré  qu'ils  étaient  prêls  k  admettre  une 
coafession  connue  en  ces  termes,  les  ûvêqucs  orthodoxes  craigni- 
rent qu'ils  n'e.ipliquasseni  ces  paroles  en  un  mauvais  sens;  c'est 
pourquoi  ils  voulurent  ajouter  que  le  Fils  est  de  b  substance  da 
Père,  parce  que  c'est  là  ce  qui  distingue  le  Fils  des  créatures. 

On  demanda  dono  aux  Ariens  s'ils  ne  croyaient  pas  que  le  Fils 
n'est  pas  une  créature,  mais  la  puissance,  la  sagesse  unique  et  l'i- 
mage du  l'ère  en  toutes  choses,  enfin  vrai  Dieu. 

Les  Ariens  crurent  que  ces  expressions  pourraient  convenir  à 


140  ARI 

ridée  quMls  avaient  de  la  divinité  du  Fils  et  déclarèrent  qu'ils 
étaieut  prêts  à  y  souscrire. 

Enfin,  comme  on  avait  remarqué  qu'Ëusèbe  deNicomédié,  dans 
la  lettre  qu'il  avait  lue,  rejetait  le  terme  comubstantiel ^  on 
crut  que  Ton  ne  pouvait  mieux  exprimer  la  doctrine  orthodoxe 
et  exclure  toute  équivoque  qu'en  employant  ce  mot,  d'autant  plus 
que  les  Ariens  paraissaient  le  craindre  ^. 

I.es  orthodoxes  conçurent  la  profession  de  foi  en  ces  termes  : 
c  Nous  croyons  en  un  seul  Seigneur  Jésus- Christ,  Fils  de  Dieu, 
»  Fils  unique  du  Père,  Dieu  né  de  Dieu,  lumière  émanée  de  la 
9  lumière,  vrai  Dieu,  né  du  vrai  Dieu,  engendré  et  non  pas  fait, 
»  consubstantiel  à  son  Père  ^.  » 

Quand  on  disait  que  le  Fils  était  consubstantiel  à  son  Père,  on 
ne  prenait  pas  ce  mot  dans  le  sens  auquel  il  se  prend  lorsqu'on 
parle  des  corps  ou  des  animaux  mortels,  le  Fils  n'étant  consub- 
stantiel au  Père  ni  par  une  division  de  la  substance  divine  dont 
il  eût  une  partie,  ni  par  quelque  changement  de  cette  même  sub- 
stance ;  on  voulait  dire  seulement  que  le  fils  n'était  pas  d'une  au- 
tre substance  que  son  Père. 

Telle  fut  la  décision  du  concile  de  Nicée  sur  l'erreur  d'Ârius  ; 
il  fut  terminé  le  25  août,  et  Constantin  exila  tous  ceux  qui  refu- 
sèrent de  souscrire  au  jugement  du  concile. 

Alexandre,  évêque  d'Alexandrie,  mourut  quelque  temps  après  ; 
on  élut  en  sa  place  Athanase,  diacre  de  son  église,  et  Constantin 
approuva  son  élection. 

11  semble  que  ce  fut  vers  ce  temps-là  que  Constantin  fit  sa  con- 
stitution contre  les  assemblées  de  tous  les  hérétiques,  soit  en 
particulier,  soit  en  public.  Par  la  même  constitution,  l'empereur 
donnait  leurs  chapelles  aux  catholiques  et  confisquait  les  maisons 
dans  lesquelles  on  les  trouverait  faisant  leurs  dévotions.  Eusèbe 
ajoute  que  l'édit  de  l'empereur  portait  encore  que  l'on  se  saisirait 
de  tous  les  livres  des  hérétiques. 

Cet  édit  et  plusieurs  autres  abaissèrent  prodigieusement  le 
parti  d'Arius,  et  presque  toutes  les  hérésies  parurent  éteintes 
dans  l'empire  romain. 

Arius  avait  cependant  beaucoup  de  partisans,  et  parmi  ces  par- 
tisans secrets  un  prêtre  que  Constance,  sœur  de  Constantin,  re- 

^  Ambr.,  I.  3,  De  fide,  c.  ullimd. 
2  Socrat.,  1,  1,  c  8. 


ARI 


141 


commanda  en  mouranl  k  son  frère  comme  un  bomme  extrême- 
ment vertueux  et  fort  atUiclié  nu  service  de  sa  maison.  Ce  prêtre 
acquit  bîeutâl  restime  et  la  contiance  de  Constantin,  et  il  lui  parla 
iI'Ârius  ;  il  le  lui  repr^enia  comme  un  homme  vertaeiix,  qu'on 
persécutait  injustement  et  dont  tes  senlimens  étaient  les  mêmes 
que  ceu;i  du  concile  qui  l'avait  condamné. 

Constantin  Tut  surpris  de  ce  discours  et  témoigna  que,  si  Arius 
voulait  souscrire  au  cuncile  de  Nicéc,  il  lui  permettrait  de  p 
raiire  dcMnl  lui  et  le  renverrait  avec  honneur  i  Alexandrie. 

Arins  obéit  et  présenta  i,  l'empereur  une  profession  de  Toi,  dans 
laquelle  il  déclarait  :  •  qu'il  croyait  que  le  Fils  était  né  du  Père 

■  avant  tous  les  siècles,  et  que  la  raison,  qui  est  Dieu,  avait  fait 

>  toutes  cboses,  tant  dans  le  ciel  que  sur  la  terre.  • 

Si  Constantin  fut  vérilabletiicnt  satisfait  de  cette  déclaration, 
il  fallait  qu'il  eût  cbangé  de  sentiment  ou  qu'il  n'eût  pas  com- 
pris lesjmbolede  Nicée,  ou  que  le  prêtre  arien  eût  en  effet  changé 
les  dispositions  de  Constantin  par  rapport  ï  l'Arianisme. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  il  permit  à  Arius  de  retourner  à  Âleian' 
drie  :  depuis  ce  temps  les  éréques  ariens  rentrèrent  peu  à  peu  ei 
faveur,  et  les  eiilés  furent  rappelés. 

Les  ûditsde  Constantin  contre  les  Ariens  n'avaient  produit  que 
l'apparence  du  calme;  les  disputes  se  ranimèrent  peu  i  pen,  et 
elles  étaient  devenues  fort  vives  lorsque  les  évéques  exilés  furent 
rappelés.  A  force  d'examiner  le  mot  coasubitant'iel ,  il  j  eut  des 
évéques  qui  s'en  scandalisèrent  :  on  disputa ,  on  se  brouilla ,  et 
enfin  l'on  s'attaqua  avec  beaucoup  de  chaleur.  •  Leurs  querelles, 

■  dit  Socrate ,  ne  ressemblaient  pas  mal  k  un  combat  nociume  ; 

>  ceux  qui  rejetaient  le  mot  cousuÉitautkl  croyaient  que  tes  autres 

>  introduisaient  par-lï  le  sentiment  de  Sabellius  et  de  Uoplan ,  et 

•  les  traitaient  d'impies,  comme  niant  l'existence  du  Fila  de 

■  Dieu;  au  contraire,  ceux  qui  s'attachaient  au  molconitiManlift, 

•  croyant  que  les  autres  voulaient  introduire  la  pluralité  des 
(  dieux ,  en  avaient  autant  d'aversion  que  si  on  avait  voulu  réta- 

•  blir  le  paganisme.  Eustallie,  évSqne  d'Antioche,  accusait  Eu- 

•  sèbe  de  Césarée  de  corrompre  la  croyance  de  Nicée;  Eusèbe  le 

■  niait  et  accusait  au  contraire  Euslalbc  de  Sabellianisme  '.  • 

11  est  donc  certain  ,  même  par  le  récit  de  Socrate ,  que  parmi 
les  dârenseurs  d' Arius  il  y  eu  avait  beaucoup  qui  ne  combattaient 


'gocrate,  1.  i 


:.  23, 


143  ABt 

poiul  la  consubsUnliuIilc  du  Verbe ,  el  qui  reieUieul  le  mot  cou- 
êubttantlel ,  non  parce  qu*il  exprimait  que  Jésus-Christ  eiistait 
dans  la  même  substance  dans  laquelle  le  Père  existait ,  mais  parce 
qu*ils  croyaient  que  Ton  donnait  à  cette  expression  un  sens  con- 
traire à  la  distinction  des  personnes  de  la  Trinité ,  et  favorable  à 
Terreur  de  Sabellius ,  qui  les  confondait. 

Pour  juger  la  querelle  d^Eustaibe  et  d*Eusèbe,  on  assembla  un 
-toncile  à  Antioche ,  Tan  329  ;  il  était  composé  d'évêques  qui  n'a* 
valent  signé  le  concile  de  Nicée  que  par  force,  et  Eustathe  y  fui 
condamné  et  déposé  :  on  élut  ensuite  Eusèbe  de  Césarée  pour 
remplir  le  siège  d*Antioche.  La  ville  se  partagea  entre  Eusèbe  el 
Eustathe  :  les  uns  voulaient  retenir  Eustathe ,  et  les  antres  désir 
raient  qu*on  établît  Eusèbe  à  sa  place;  ces  deux  partis  alarmèrent» 
et  Ton  était  sur  le  point  d*en  venir  aux  mains ,  lorsqu'un  officier 
de  Tempereur  arriva ,  fit  entendre  au  peuple  qu*Eustaihe  méritait 
d*étre  déposé,  et  arrêta  la  sédition. 

Eusèbe  de  Césarée  refusa  le  siège  d* Antioche ,  et  Ton  élut 
pour  le  remplir  Euphromius ,  prêtre  de  Cappadoce  :  Eustathe 
fut  exilé. 

Après  la  déposition  d*Eustalhe ,  le  concile  travailla  à  procurer 
le  retour  d'Arius  à  Alexandrie ,  où  saint  Athanase  n'avait  point 
voulu  permettre  qu'il  rentrât.  L'empereur,  à  la  sollicitation  di| 
concile,  ordonna  à  saint  Alhanase  de  recevoir  Arius:  mais  saift( 
Athanase  repondit  qu'on  ne  recevait  point  dans  l'Ëglise  ceux  qu} 
avaient  été  excommuniés. 

L^attachement  de  saint  Athanase  au  concile  de  Nicée  avait  éga- 
lement irrité  les  Méléciens  el  les  Ariens.  Ces  deux  partis  se  réu- 
nirent contre  lui  ;  ils  l'accusèrent  d'avoir  imposé  une  espèce  de 
tribut  sur  l'Egypte ,  d'avoir  fourni  de  l'argent  à  des  séditieux , 
d'avoir  fait  rompre  un  calice ,  renverser  la  table  d'une  église  et 
brûler  les  livres  saints  :  on  l'accusait  encore  d'avoir  coupé  le  bras 
à  un  évêque  mélécien,  et  de  s'en  servir  pour  des  opérations  ma- 
giques. Constantin  reconnut  par  lui-même  la  fausseté  des  deux 
premières  accusations ,  et  renvoya  l'examen  des  autres  aux  évé- 
ques  qui  s'assemblèrent  à  Tyr  Tan  334. 

Les  évêques  de  la  Lybie,  de  l'Egypte,  de  l'Asie  et  de  l'Europe, 
assemblés  à  Tyr,  envoyèrent  ù  Alexandrie  quelques  évêques 
ariens ,  pour  informer  contre  saint  Athanase,  qui  protesta  dès  lors 
contre  tout  ce  que  le  concile  ferait,  et  se  retira  i  Jérusalem  ,  où 
l'empereur  était  alors. 


ARI  14,1 

Lm  évêqucs  assemblés  à  Tyr  reçurent  les  inrorma lions  d*Ê- 
gypie,  et  saint  Athanase  se  trouvant  chargé,  on  le  déposa  pour 
les  crimes  dont  il  était  accusé. 

Après  la  déposition  de  saint  Athanase ,  Tempereur  écrivit  aux 
évèques  de  se  rendre  incessamment  à  Jérusalem  pour  y  faire  la 
dédicacé  de  Téglise  des  Apôtres  :  pendant  cette  cérémonie ,  Eu- 
sébe  de  Gésarée  fit  plusieurs  discours  qui  charmèrent  Temppreur, 

Après  la  dédicace  de  Féglise  des  Apôtres,  les  évéques  assemblés 
à  Jérusalem  reçurent  à  la  communion  Arius  et  Eùzoîus ,  et  cela 
sur  les  recommandations  de  Tempereur,  qui  exila  saint  Athanase 
à  Trêves  et  rappela  Arius  à  Gonstaniinople ,  parce  qu'il  craignait 
que  sa  présence  ne  causât  du  trouble  à  Alexandrie  *. 

Lorsque  Arius  fut  à  Gonstantinople ,  Tempereur  lui  proposa  de 
signer  le  concile  de  Nicée,  et  Ariûs  le  signa. 

LVmpereur,  après  s^être  assuré  de  la  foi  d' Arius ,  ordonna  à 
Aleiandre ,  évéque  de  Gonstantinople ,  de  le  recevoir  à  sa  commu- 
nHm;  mais  Alexandre  protesta  quHl  ne  le  recevrait  point,  et 
Ariys  mourut  pendant  ces  contestations. 

De  Vélat  de  VArianisme  après  la  mort  éTAHuiK 

Constantin,  ayant  été  attaqué  d^une  indisposition  considérable 
el  sentant  que  sa  fin  approchait,  remit  secrètement  ses  dernières 
volontés  entre  les  mains  du  prêtre  arien  que  sa  sœur  lui  avait  re- 
commandé ;  il  lui  enjoignit  de  ne  rémettre  son  testament  qu*à 
Constance ,  et  mourut. 

Par  ce  testament ,  Gonstantin  partageait  Tempire  à  ses  trois 
^ans  :  il  donnait  h  Constantin  les  Gaules ,  TEspagne  et  TAn- 
gleterre  ;  à  Constance  TAsie ,  la  Syrie  et  TËgypte ,  et  à  Constant 
rillyrie ,  Tltalie  et  T Afrique. 

Le  prêtre  arien  remit  fidèlement  à  Constance  le  dépôt  que  Con- 
stantin lui  avait  confié;  et  comme  ce  partage  flattait  son  ambi* 
tiofl ,  il  conçut  beaucoup  d^affection  et  de  considération  pour  ce 
prêtre;  il  lui  donna  du  crédit  et  lui  ordonna  de  venir  le  voir 
souvent. 

Le  crédit  du  prêtre  arien  auprès  de  Tempereur  le  fit  connaître 
de  rimpératrice.  H  forma  des  liaisons  étroites  avec  les  eunuques, 
et  particulièrement  avec  Eusèbe ,  grand  chambellan  de  Constance; 
il  rendit  Eusèbe  arien  et  pervertit  Timpéralrice  et  les  dames  de  la 

t  Socratr,  If  f ,  c  33t 


144  AM 

coar.  Saint  Athanase  dit  qu*alors  les  Ariens  se  rendirent  redou- 
tables à  tout  le  monde ,  parce  qu'ils  étaient  appuyés  du  crédit 
des  femmes. 

Le  poison  de  TArianisme  se  communiqua  bientôt  aux  officiers 
de  la  cour  et  à  la  ville  d*Antiocbe,  oU  Constantin  faisait  ordi- 
nairement sa  résidence ,  et  de  là  se  répandit  dans  toutes  les  pro- 
vinces de  rOrient.  On  voyait  dans  toutes  les  maisons ,  dit  So- 
crate ,  comme  une  guerre  de  dialectique ,  qui  produisit  bientôt 
une  division  et  une  confusion  générale. 

Les  guerres  des  Perses,  la  révolte  des  Arméniens,  les  sédi- 
tions des  armées  suspendirent  d'abord  le  zèle  de  Constance  pour. 
FArtanisme  ;  mais  lorsqu'il  fut  de  retour  à  ("onstantinople ,  il  fit 
assembler  un  concile  composé  d'évéques  ariens,  qui  déposèrent 
Paul ,  évéque  de  Constanlinople,  et  mirent  à  sa  place  Ëusèbe  de 
Nicomédie. 

Après  la  déposition  de  Paul ,  Constance  partit  pour  Antiocbe , 
afin  d*y  faire  la  dédicace  d'une  église  que  Constantin  avait  fait 
construire  ;  il  y  assembla  quatre-vingt-dix  ou  quatre-vingt-dix- 
sept  évêques. 

Eusèbe  et  les  Ariens  profitèrent  de  cette  occasion  pour  éloigner 
saint  Athanase  d'Alexandrie ,  où  il  était  revenu  depuis  que  l'en  < 
trevuedes  trois  empereurs  en  Pannonie  avait  procuré  le  retour  des 
évêques  exilés  :  on  le  déposa  parce  qu'il  était  rentré  dans  son  siège 
de  son  propre  mouvement ,  et  Ton  ordonna  à  sa  place  Grégoire. 
Eusèbe ,  devenu  le  chef  et  l'âme  de  la  faction  arienne ,  fit  faire 
une  formule  de  foi ,  dans  laquelle  on  supprima  le  mot  consubslan" 
tiel ,  et  l'on  envoya  cette  formule  dans  toutes  les  villes. 

Enfin  ,  ils  en  firent  une  troisième ,  plus  obscure  et  moins  ex- 
presse ,  sur  la  divinité  de  Jésus-Christ  ;  sinon  qu'elle  portait  que 
le  Fils  est  Dieu  parfait  ^. 

La  divinité  de  Jésus-Christ  était  donc  un  dogme  bien  constant 
et  bien  universellement  enseigné  dans  TÉgiise ,  puisque  le  parti 
d'Eusèbe ,  extrêmement  éclairé ,  ennemi  violent  des  orthodoxes 
et  tout-puissant  auprès  de  Constance,  n'avait  osé  entreprendre  de 
l'attaquer,  et  reconnaissait  la  divinité  de  Jésus-Christ  en  niant  sa 
consubstantialilé  :  ce  parti  d'Eusèbe  fut  celui  qu'on  nomme  le 
parti  des  demi-Ariens ,  opposé  aux  Ariens ,  mais  qui  se  réunis- 
sait toujours  à  ces  derniers  contre  les  catholiques. 

t  Socralc,  I,  2,  c.  10.  Hilar.  synod. 


ARI  145 

Gusëbe  ,  évSqne  de  Constaatinople ,  moiiral  dans  et  temps  ,  et 
te  peuple  rétablit  Paul  ;  mais  les  Eusébîens  élurent  Hacedouiua , 
et  il  ae  Tornia  un  schisme  et  une  guerre  civile  qui  remplit  Con- 
stanlinople  de  troubles  et  de  meurtres. 

CooBlaDce  envoya  Hermoiièae,  général  de  la  cavalerie,  pour 
chasser  Paul  de  Cousiantinople  ;  mais  le  peuple  se  souleva,  mit  le 
feu  au  logis  d'Hermogëne ,  se  saisit  de  sa  personne ,  l'attacha  à 
une  corde  et  l'assomma,  après  l'avoir  traîné  parla  ville.  Ckinstance 
se  rendit  en  personne  à  Constaatinuple,  punit  le  |>eup1eet  chaasa 
Paul,  qui  se  réfugia  en  Italie  auprès  du  pape  Jules. 

Saint  Athanase  et  beaucoup  d'orlhodoies  s'y  étaient  retiré:;  ;  ils 
étaient  tranquilles  sous  la  protection  de  Coasiaul  qui ,  touche 
des  divisions  qui  troublaient  l'Église ,  écrivit  ï  Constance  pour 
l'engager  ï  convoquer  un  concile  œcuménique  pour  rétablir  la 
paix.  Saint  Athanase  et  les  autres  prélats  prièrent  Comitant  de 
presser  la  tenue  du  concile  ;  saint  Atbanasc  lui  raconta  en  p|pu- 
rant  tous  les  maux  que  les  Ariens  lui  avaient  tait  subir;  il  lui 
parla  de  la  gloire  de  son  père  Constantin,  du  grand  concile  de 
Nicée  qu'il  avait  assemblé,  et  du  soin  qu'il  avait  pris  d'alT^ruiir, 
par  ses  lois ,  ce  qui  avait  été  décidé  par  les  Pères  du  concile ,  un- 
quel  il  avait  assisté  lui-niéine. 

Comme  la  douleur  de  saint  Athanase  éclata  dans  ses  discours  et 
dans  ses  plaintes  ,  il  toucha  profondément  l'empereur,  et  l'excita 
limiter  le  zélé  de  son  père;  de  sorte  qu'aussitét  qu'il  ent  entendu 
saint  Athanase ,  il  écrivit  à  son  frère  Constance  pour  le  porter  à 
conserver  inviol  a  blem  en  t  la  piété  queCongtantln,  leur  père,  leur 
avait  laissée  comme  par  succession,  et  il  lui  représenta  que  ee 
grand  prince,  ayant  alTermi  son  empire  par  la  piété,  avait  exterminé 
les  tyrans  qui  étaient  les  ennemis  des  Romains,  et  soumis  les  Bar- 
bares *. 

Constance  accorda  1  son  frère  h  convocation  d'uu  concile ,  et  les 
évéques  s'assemblèrent ,  de  l'Orient  et  de  l'Occident ,  li  Sardique , 
l'an  347. 

Hais  les  Orientaux  se  retirèrent  bientôt  i  Philippopole,  ville 
de  Thrace,  qui  obéissait  ï  Constance,  parce  que  lesOccidentaui:  n<- 
voulurent  point  exclure  du  coniile  saint  Athanase,  attendu  qu'il 
avait  été  jugé  par  le  cuucita  de  Home  et  déclaré  bnoceni  *. 

■  Socrale,  I.  1,  c  30. 

}  Vie  de  S,  Allian.,  p,  lïST,  llennan,,  I.  1,  t,  5,  C  18. 


148  ABI 

Les  Occidentaux  astembléâ  à  Sardique  dofiservèMttt  le  fiymbote 
de  Nicée  sans  y  rien  changer,  déclarèrent  innoœns  les  évéques 
déposés  par  les  Ariens ,  et  déposèrent  les  principaux  chefs  des 
Ariens. 

Les  Orientaux,  de  leur  côté,  confirmèrent  tout  ce  quUls  avaient 
fait  contre  saint  Athanase  et  contre  les  autres  évéques  oalholî* 
ques ,  retrandièrent  de  leur  communion  ceux  q^i  aTaient  corn*- 
muniqué  arec  les  évéques  déposés ,  et  firent  un«  formule  de  Haï 
dans  laquelle  ils  supprimaient  le  terme  de  cmuuHtmmel  ^, 

Les  évêques  assemblés  à  Sardique  et  à  Pfailippopole  sVft  relo«w 
nèrent  dans  letftrs  sièges  après  la  tenue  de  leur  concile» 

GonsUnt  informa  son  frère  Constance  de  ce  qui  s*était  pasaé  k 
Sardique ,  et  lui  demanda  le  rétablissement  de  saint  Athanase,  de 
Manière  que  Constance  ne  put  le  refuser.  «  J'ai ,  hii  écrivail-H , 
y>  chcE  moi ,  Paul  et  Athanase ,  deux  hommes  qtue  je  t&ais  qtt*<Mi 
j>  persécute  à  cause  de  leur  piété  ;  si  vous  me  prometlez  de  les  i^ 
»  tabliret  de  punir  leurs  ennemis,  je  vous  les renv«ital ;  siiMMi> 
»  j*irai  les  rétablir  moi-même  dans  leurs  sièges.  » 

Peu  de  temps  après.  Constant  fut  attaqué  par  Màgnenee,  I5t 
Uié;  mais  Magnence  fut  à  son  tour  défait  par  Constance ,  t|ifi  4f^ 
vint  maître  de  Tltalie  et  de  tout  ce  que  possédait  Constant. 

Constance  prit  le  succès  de  ses  armes  contre  Magnence  pour 
une  confirmation  de  la  pureté  de  ses  sentimens ,  et  crut  que  Dieu 
appuyait  sa  foi  et  sa  religion  par  les  victoires  qu'il  remportait  ;  il 
assembla  un  concile  dans  les  Gaules ,  fit  de  nouveau  condamner 
saint  Athanase,  et  donna  un  édit  par  lequel  tous  ceux  qui  ne  ie 
condamneraient  pas  seraient  bannis. 

Le  pape  Libère  demanda  à  Constance  la  convocation  d'an  con^ 
cîle  à  Milan ,  et  Tempereur  y  consentit  ;  les  Orientaux  y  étaient 
en  petit  nombre  et  demandèrent  pour  préliminaire  qu'on  signât 
la  condamnation  de  saint  Athanase  ;  les  Occidentaux  s'y  opposè- 
rent :  on  cria  beaucoup  de  part  et  d'autre ,  eft  l'on  se  sépara  sans 
avoir  rien  terminé  :  l'empereur  exila  les  évêques  qui  refusèrent  de 
signer  la  condamnation  de  saint  Athanase ,  et  le  pape  Libère  qui 
refusa  aussi  d'y  souscrire  fut  banni. 

Constance,  fatigué  de  toutes  ces  contestations,  voulut  enfin 
établir  une  paix  générale ,  et  résolut  d'assembler  un  concile  pour 
terminer  toutes  les  disputes  ;  mais  la  difficulté  de  réunir  dans  un 

^  Hilar.i  Fragm*,  2i,  22|  24, 


ABI   *  141 

mtee  lien  les  Orientaux  et  lés  OccidenUiix  fit  qu*U  assembla  les 
uns  à  Séleucie  et  les  autres  à  Rimini. 

11  se  troura  à  Rimini  plus  de  quatre  cents  évêques ,  dont  qua< 
tre-TÎngts  étaient  Ariens. 

Ursace  et  Valons  étaient  du  parti  des  Ariens  ;  ils  présentèrent 
au  concile  une  formule  qu'on  avait  dressée  à  Syrmich ,  avant  que 
de  partir  pour  Séleucie. 

Cette  formule  portait  que  le  Fils  de  Dieu  était  semblable  à  son 
Père  en  substance  et  en  essence  ;  mais  on  y  rejetait  le  mot  eoth» 

Le  concile  de  Rimini  rejeta  cette  formule ,  s*en  tint  au  symbole 
de  Nicée,  et  anatbématîsa  de  nouveau  Terreur  d*Arius.  Ursace  et 
Valens,  n'ayant  pas  voulu  signer  les  anatbèmes  prononcés  contre 
Âriufl  9  furent  eondanmés  du  consentement  unanime  des  évé«' 
^[ses* 

L'empereur  désapprouva  le  concile,  envoya  la  formule  de  Syr^ 
nich  aux  évéques  assemblés  à  Rimini ,  afin  qu'ils  eussent  à  la 
signer,  et  manda  au  gouvernement  de  ne  laisser  sortir  aucun  évé- 
que  qu'il  ne  Teût  signée  :  Tempereur  ordonnait  au  gouverneur 
d'exiler  ceux  qui  refuseraient  d'obéir,  quand  ils  ne  seraient  plufl 
qu'au  nombre  de  quinze. 

I«eft  évéques  assemblés  k  Rimini  résistèrent  plus  de  quatre  mois  ; 
malgré  les  mauvais  traitemens  qu'ils  éprouv&ient ,  ils  n'étaient 
point  vaincus  ;  mais  enfin  ils  parurent  accablés. 

Ursace  et  Valens  profitèrent  de  leur  abattement ,  leur  représen- 
tèrent qu'ils  souffraient  mal  à  propos  ;  qu'ils  pouvaient  finir  leurs; 
maux  et  rendre  la  paix  à  TËglise  sans  trahir  la  foi ,  puisque  la 
fimnule  de  foi  que  l'empereur  proposait  n'était  point  arienne , 
cpi'eUe  exprimait  la  foi  catholique ,  et  qu'elle  ne  différait  de 
edie  de  Nicée  que  par  le  retranchement  du  mot  c&niubsian' 
Ikf ,  dont  elle  exprimait  cependant  le  sens ,  puisqu'elle  portait 
formellement  :  que  le  Fils  est  semblable  en  tout  à  son  Père ,  non-». 
semlemtnt  par  un  accord  de  volonté ,  mais  encore  en  substance  et  en 
têsence. 

Les  évéques,  accablés  de  maux ,  prêtèrent  l'oreille  aux  dis- 
cours de  Valens ,  prirent  toutes  les  précautions  possibles  pour 
prévenir  les  conséquences  que  l'on  pourrait  tirer  du  changement 
qu'ils  faisaient  dans  le  symbole  de  Nicée ,  prononcèrent  haute- 
meRt  f  et  firent  prononcer  de  même  à  Ursace  et  à  Valens  ana- 
thème  k  quiconque  ne  reconnaissait  pas  «  que  Jésus-Christ  était 


148  '    ARI 

»  Dieu  9  vrai  Dieu ,  éternel  avec  le  Père,  »  ou  qui  disait  <  qu*il 
»  y  a  eu  un  temps  où  le  Fils  n'était  point.  » 

En  un  mot,  on  prononçait  anathème  contre  tous  ceux  qui,  con- 
fessant que  le  fils  de  Dieu  est  Dieu ,  ne  disaient  pas  quHl  est  de- 
vant tous  les  temps  qu'on  peut  concevoir,  mais  mettaient  quelque 
chose  avant  lui. 

Après  ces  précautions  ,  les  évêques  assemblés  à  Rimini  signè- 
rent la  formule  que  Valens.et  Ursace  avaient  proposée ,  et  obtin- 
rent la  liberté  de  retourner  dans  leurs  diocèses. 

L'empereur  engagea  les  évêques  de  Séleucie  à  signer  la  même 
formule;  il  prononça  ensuite  peine  de  bannissement  contre  tous 
ceux  qui  refuseraient  de  la  signer  ^. 

Les  Ariens  triomphèrent  après  le  concile  de  Rimini  et  préten- 
dirent que  le  monde  entier  était  devenu  arien  ;  mais  il  est  aisé  de 
voir  combien  ce  triomphe  était  chimérique  ;  les  Ariens  eux-mêmes 
en  étaient  si  persuadés ,  qu'immédiatement  après  le  concile  ils 
changèrent  la  formule  de  Rimini  :  bientôt  après  ils  engagèrent 
Constance  à  convoquer  un  nouveau  concile  pour  réformer  la  for- 
mule de  Rimini  et  déclarer  que  le  Fils  était  dissemblable  au  Père 
en  substance  et  en  volontés  ;  cette  formule  aurait  été  la  dix-neu- 
vième ,  mais  ils  n'osèrent  la  faire  paraître  '. 

La  mort  de  Constance  dérangea  leurs  projets  ;  Julien  »  qui  lui 
succéda ,  haïssait  les  premiers  officiers  de  Constance ,  et  surtout 
Eusèbe  le  chambellan;  il  rappela  tous  les  exilés,  et  permit  à 
tous  les  chrétiens  de  professer  librement  chacun  leur  sentiment  ; 
la  foi  de  Nicée  reprit  alors  son  éclat ,  et  TÂrianisme  perdit  beau- 
coup de  sectateurs. 

Jovien,  qui  succéda  à  Julien,  ne  songea  qu'à  rétablir  la  foi  de 
Nicée  ;  il  rappela  saint  Athanase ,  et  voulait  rendre  la  paix  à  l'É- 
glise ;  mais  la  brièveté  de  son  règne  ne  lui  permit  pas  d'exécuter 
son  projet,  il  mourut  après  avoir  régné  sept  mois  et  vingt 
jours  ^. 

Après  la  mort  de  Jovien,  l'armée  choisit  pour  empereur  Yalen- 
tinien  :  ce  prince  était  sincèrement  attaché  à  la  foi  de  Nicée ,  et 
zélé  pour  la  religion  chrétienne  :  il  n'était  encore  que  tribun  des 
gardes,  et  il  connaissait  toute  l'aversion  de  Julien  pour  les  chré- 

*■  Sozom.,  I.  ày  c.  26. 

2  Ibid.  Socrate,  1.  2.  Athan.,  de  Syn.,  p.  06.  Tillemont,t  6,  p.  521. 

'  Ammiam  Marcel.,  p.  d08«  Socrate,  9»  c  26* 


^ 


ARI  14^ 

tiens  et  util  son  zèle  poni  le  rétablissemeni  du  paganisme  ;  ce- 
pendant Vatcnlmien  ne  craignit  point  de  donner  des  preuves  de 
son  atlachenient  i  la  religion  chrétienne  dans  le  temps  même  que 
Julien  en  donnait  de  son  zftle  pour  le  paganisme  :  Valenlinien  fut 
exilé  ,  et  il  eût  perdn  la  vie  si  Julien  n'eût  craint  de  l'illustrer 
par  son  martyre'. 

11  avait  été  rappelé  deson  eiil.et  Jovienravait  misa  la  tête  de 
la  compagnie  des  écujers  de  sa  garde  ;  après  la  moit  de  Jovicii  , 
Ta rmÈe  avait  proclamé  Valeniinieu  empereur. 

Valeiitinien ,  tribun  des  gardes  ,  avait  mieui  aimé  encourir  h 
disgrâce  de  Julien  et  s' exposer  à  la  mort  que  d'autoriser  une  ac- 
tion qui  pouvait  rendre  sa  foi  suspecte  ;  mais  lorsqu'il  fut  arrivé  W 
l'empire  ,  il  ne  crut  pas  devoir  persécuter  les  ennemis  de  la  reli  ■ 
gion  ;  il  distingua  soigneusement  le  clirctien  de  l'empereur  : 
comme  chrétien,  il  soumit  sa  foi  au  jugement  de  l'Ëglise,  et  sui- 
vit toutes  les  régies  qu'elle  prescrivait  aux  simples  fidèles  ;  comme 
empereur ,  il  crut  n'avoir  point  d'autre  loi  que  le  bonheur  de 
l'empire  *. 

Comme  empereur  et  comme  législateur,  il  se  crut  obligé  de  lonr- 
ner  tous  les  esprits  vers  le  bonlieur  de  l'Étal,  et  pour  cet  effet  de 
protéger  tout  citoven  utile  et  vertueux,  de  quelque  religion  et  de 
quelque  secte  qu'il  Tùl.  Il  donna  des  lois  en  Tavcur  du  clergé 
cliréticn  et  do  paganisme  ;  les  pontifes  païens  furent  rétablis  dans 
leurs  privilèges,  et  il  fut  ordonné  qu'on  leur  rendrait  les  mêmes 
honneurs  qu'aux  comtes  ^. 

oulut  ni  gouverner  l'Eglise  ,  ni  prononcer  sur  ses  dog- 
ir  ses  lois  ,  comme  il  ne  voulut  point  que  le  clergé  prit 
ilTaires  de  l'empire. 

Ainsi ,  lorsque  les  évêques  assemblés  en  Illyrie  lui  envoyèrent 
décision  sur  la  consubstantialité  du  Verbe  et  sur  la  néces- 
sité de  conserver  inviolable  m  eut  le  symbole  du  concile  de  Nicée, 
Yulenlinien  leur  n'^pondil  qu'il  croyait  leur  décision,  et  qu'il  vou- 
lailque  leur  doctrine  fût  enseignée  partout,  de  manière  cependant 
qu'on  n'inquiéilten  aucune  manière  ceux  qui  refuseraient  de  sous- 
crire au  jugement  du  concile ,  afin  qu'on  ne  crût  pas  que  ceux  qui 


u  1.  SoEom.,  1,  6,  C  S,  Théodor.,  nisU  ecclés., 
I.  15,  lit,  7, 1^.  i.  Tillcmont,  1.  S. 


I 


sniTraientlft  doctrine  du  concile  obéissaient  plutôt  k  l*emper6iir 
qo*àDieu^ 

Nous  ne  voyons  point  que  la  tolérance  et  la  protection  accordée 
par  Valentinien  à  toutes  les  sociétés  religieuses  aient  h\i  regar-' 
der  ce  prince  comme  un  hérétique  ou  comme  un  ennemi  de  la  re-* 
ligion,  et  lui  aient  attiré  aucune  dénomination  odieuse;  il  est  même 
représenté  par  les  auteurs  ecclésiastiques ,  comme  un  confesseur, 

Yalens,  qui  gouyernait  TOrienl,  ne  traitait  pas  aussi  bien  les 
catholiques;  ce  prince  ,  Arien  zélé  jusqu^àla  fureur,  exila,  bannit, 
fit  mourir  beaucoup  d^éréques  et  de  catholiques  attachés  à  la  foi 
de  Nîcée ,  et  mit  dans  toutes  les  Églises  du  comté  d*Orient  de$ 
évèques  Ariens.  La  situation  des  affaires  deTempirene  permettait 
pas  à  Valentinien  de  s^opposer  aux  cruautés  de  Valons  ;  ainsi,  sous 
ces  deux  princes,  TArianisme  triomphait  dans  TOrient  j  et  la  foi 
catholique  était  enseignée  dans  tout  TOccident ,  ayec  liberté,  sans 
exercer  aucune  violence ,  et  sans  employer  la  force  contre  les 
Ariens;  TArianisme  y  fut  presque  éteint.  Dans  TOrient ,  au  cou» 
traire,  les  Ariens  avaient  pour  eux  Valons ,  et  contre  eux  la  pluS 
grande  partie  du  peuple ,  qui  demeura  constamment  attaché  à  la 
foi  de  Nicéè  ;  on  vit,  dans  ce  temps  de  persécution,  les  Basile  et 
les  Grégoire  reprocher  à  Valons  ses  injustices ,  et  défendre  avec 
une  fermeté  héroïque  la  consubstantialité  du  Verbe. 

L'Egypte  avait  été  tranquille  ;  saint  Alhanase  mourut ,  et  les 
Ariens  voulurent  y  mettre  un  évêque  arien  :  ils  chassèrent  Pierre, 
que  saint  Alhanase  avait  ordonné  sou  successeur.  Les  catholiques 
voulurent  conserver  Pierre  ;  mais  les  Ariens,  appuyés  par  Valons, 
arrêtèrent,  mirent  aux  fers  et  firent  mourir  ceux  qui  étaient  atta- 
chés à  Pierre;  on  était  dans  Alexandrie  comme  dans  une  vîlle 
prise  d*assaut.  Les  Ariens  s'emparèrent  bientôt  des  églises,  et  l'on 
donna  à  l'évêque  que  les  Ariens  avaient  placé  sur  le  siège  d'A- 
lexandrie le  pouvoir  de  bannir  de  VÊgypte  tous  ceux  qui  reste- 
raient attachés  à  la  foi  de  Nicée  *. 

Tandis  que  T  Arianisme  désolait  ainsi  Fempire,  les  Goths  et  les 
Sarrasins  firent  la  guerre  à  Valons  ;  il  ^'occupa  alors  à  se  défendre 
contre  ces  redoutables  ennemis  ,  et  la  persécution  cessa.  Valons 
marcha  contrôles  Goths;  son  armée  fut  défaite,  il  prit  la  fuite  et 
fut  brûlé  dans  une  maison  où  il  s'était  retiré^. 

4  Ibid.  Théod.,  ibid. 
2Sozom.,I.  6,  c.  20, 
sibid.,  cd9,&0. 


ART  151 

Gratien  Tnl  alors  le  seul  mallrc  de  IVmpire ,  et  suivit  les  maxi- 
mes de  Val  t  mini  en  ,  son  pÈre  :  il  laissa  i  lout  le  tnoiiite  la  liberlâ 
de  professer  la  religion  qu'il  voudrait  embrasser,  excepié  le  Mani- 
chéisme ,  le  Pholinianisme  et  les  sonlimena  d'Eunome;  il  rappela 
iesévêqueschasfés  parles  évÉques  ariens.  Plusieurs  des  conresaeurs 
qui  revinrent  de  leur  exil  témoignèrent  plus  d'amourpour  l'unité 
de  l'Eglise  que  d'allachement  à  leur  dignité  ;  ils  consentirent  qna 
les  Ariens  demeurassent  évêques ,  en  se  réunissant  fi  la  foi  et  à  la 
communion  des  catholiques,  et  les  conjuraient  de  ne  pas  augmeu- 
ter  la  dÎTision  de  celle  Églj*e ,  que  Jésus-Christ  et  les  apûires 
leur  avaient  laissée ,  et  que  les  disputes  et  un  amour  honteux  da 
dominer  avaient  déchirée  en  tant  de  morceaui. 

Celle  modération  des  évêqn  es  catholiques  rendit  odleusks  évê- 
ques ariena  qui  rejetèrent  ces  propositions  ;  et  il  y  eut  des  ville» 
oii  l'on  vitTévéque  arîcn  aliandonoé  de  tout  son  parti,  qui,  gagna 
par  la  douceur  de  l'évéque  catholique  ,  reconnut  h  vérilé  et  pro- 
fessa la  conaubstantialité  du  Verbe  ' . 

L'empire  romain  était  déchiré  au  dedans  par  les  factions,  et  at- 
taqué au  dehors  pat  les  Barbares;  Craiien,  pour  soutenir  le  poids 
de  l'empire,  s'associa  Théodose. 

Ce  prince,  plus  zélé  queCralicn  pour  la  foi  deNicée,  Dl  nue  loi 
par  laquelle  il  ordonnait  k  tous  les  sujets  de  l'empire  de  suivre  la 
loi  qui  était  enseignée  par  le  pape  Damase  et  pir  Pierre  d  Alcvan 
drie:  il  déclarait  que  ces  sujets  seuls  seraient  regardés  comme 
catholiques,  et  que  les  autres  seraient  traités  comme  inDnies, 
comme  hérétiques,  et  punis  de  diverses  peines 

Malgré  ces  lois,  les  Ariens  s'assemblèrent  et  ton'^erN  rent 
même  beaucoup  de  leurs  sièges. 

Saint  Amphiloqne  ,  évéque  d'Icone,  sollicita  foriement  1  empe- 
renr  pour  défendre  elTicacemcnt  les  assemblées  des  Ariens  ;  mais 
Tbéodose  se  refusa  constamment  aui  inspirations  de  son  zèle,  et 
ne  céda  qn'ï  un  pieux  stratagème  <\ae  cet  évéque  employa  pour 
faire  sentir  ù  l'empereur  qu'il  ne  devait  pas  donner  aui  Ariens  la 
liberté  de  s'assembler. 

Arcade,  fils  de  Tbcodosc  ,  venait  d'être  déclaré  Auguste  rsain 
Amphiloque ,  étant  chez  l'empereur,  ne  rendit  \  Arcade  aucune 
marque  de  respect-,  Tbéodose  l'en  avertit ,  et  l'invila  b  venir  sa- 
luer Arcade  :  alors  saint  A mpbiloque  s'approcha  d'Arcade,  et  lui 


152  ARI 

fit  quelques  caresses  »  comme  à  un  enfant ,  mais  il  ne  lui  rendit 
point  le  respect  qu*on  avait  accoutumé  de  rendre  aux  empereurs  ; 
puis,  s^adressant  à  Théodose,  il  lui  dit  que  c'était  assez  de  lui 
rendre  ses  respects,  sans  les  rendre  à  Arcade. 

Théodose,  irrité  de  cette  réponse ,  fit  chasser  Amphiloque,  qui, 
en  se  retirant,  lui  dit  :  «  Vous  voyez,  seigneur,  que  vous  ne  pouvez 
»  souffrir  Tinjure  qu'on  fait  à  votre  fils  ;  que  vous  vous  emportez 
»  contre  ceux  qui  ne  le  traitent  pas  avec  respect  :  ne  doutez  pas 
»  que  le  Dieu  de  Tunivers  n*abhorre  de  même  ceux  qui  blasphè- 
»  ment  contre  son  Fils  unique  ,  en  ^e  lui  rendant  pas  les  mêmes 
»  honneurs  qu'à  lui,  et  qu'il  ne  les  haïsse  comme  des  ingrats  à 
»  leur  Sauveur  et  à  leur  bienfaiteur  ^.  » 

Théodose ,  que  des  raisons  d'État  empêchaient  d'interdire  aux 
Ariens  la  liberté  de  tenir  leurs  assemblées ,  céda  à  l'apologue  de 
saint  Amphiloque,  et  fit  une  loi  pour  défendre  les  assemblées  des 
hérétiques  *» 

Le  parti  des  Ariens  était  trop  puissant  et  trop  étendu  pour 
qu'on  pût  faire  exécuter  ces  lois  avec  exactitude  ;  ils  continuant 
à  s'assembler ,  inquiétèrent  les  catholiques ,  et  ne  devinrent  que' 
plus  entreprenans  :  il  s'était  d'ailleurs  élevé  d'autres  hérésies,  et 
il  y  avait  au  dedans  de  l'empire  une  agitation  sourde ,  mais  vio- 
lente. 

Théodose  entreprit  de  rétablir  le  calme  en  réunissant  tous  ces 
partis;  il  manda  leurs  chefs,  afin  de  les  engager  à  déterminer  avec 
précision  les  points  qui  les  divisaient ,  et  à  convenir  d'une  règle 
commune  qui  pût  servir  à  juger  de  la  vérité  ou  de  la  fausseté  de 
leurs  sentimens.  L'empereur  proposa  à  tous  ces  partis ,  et  surtout 
aux  Ariens  ,  de  prendre  pour  règle  l'Écriture  et  les  Pères  qui 
avaient  précédé  Arius. 

Ce  moyen,  qui  avait  été  suggéré  à  l'empereur  par  un  défenseur 
de  la  consubstautialité ,  ne  fut  pas  du  goût  des  Ariens;  et  l'empe- 
reur, voyant  qu'ils  rejetaient  l'autorité  des  Pères  qui  avaient  pré- 
cédé le  concile  de  Nicée ,  et  que  les  conférences  ne  terminaient 
rien,  demanda  à  chacun  des  chefs  de  donner  par  écrit  la  formule  de 
foi  qu'il  voulait  faire  professer. 

Ainsi,  au  quatii^e  siècle,  les  Ariens  refusaient  de  s'en  rappor- 
ter, sur  la  consubstautialité  du  Verbe,  à  la  doctrine  des  Pères  qui 

^  Sozom.,  I.  7,  c,  6. 
2  Ibid. 


h 


ARI  15S 

avaient  précédi.^  Arius;  et  l'on  vient,  au  dix-sepliëme  sîËcle,  nous 
dire  que  les  Pères  qui  ont  précédé  le  concile  de  Nicée  étaient 
Ariens  ou  ne  connaîssaienl  pas  la  cOQsubstanlîalité  du  Verbe. 
S'il  y  eût  eu  de  l'obscurité  dans  \a  manière  dont  les  Pères  s'eipri- 
maieol  sur  ce  dogme,  les  Ariens,  qui  étaient  lu  moins  aussi  eier- 
ces  que  les  catholiques  dans  l'art  de  la  dispute,  n'auraient-ils  pas 
trouvé  leurs  dogmes  danslesPëres,  aussi  bien  que  les  catholiques? 

Les passagesdesPèresdes  trois  premiers  siècles,  parlesquelson 
prétend  aujourd'hui  combattre  la  consubstantialilé  du  Verbe,  ne 
prouvaient  doncalors  rien  contre  ce  dogme  ;  aurïons-noas  la  pré- 
somption de  croire  que  nous  entendons  mieux  ces  passages  et  la 
doctrine  des  trois  premiers  siècles  de  l'Ëglise  que  les  catholiques 
et  les  Ariens  même  du  troisième  et  du  quatrième  siècle?  Certai- 
nement il  ;  avait  eu  parmi  tes  Ariens  des  hommes  habiles,  et  qui 
avaient  un  grand  intérêt  !i  trouver  leur  doctrine  dans  les  Pères  des 
trois  premiers  siècles ,  surtout  sous  Théodose ,  puisque  ce  prince 
proposait  déjuger  sur  cette  autorité  tous  les  partis. 

Les  cbefede  parlisn'ayant  donc  pu  convenir  sur  rien  dans  leurs 
conrérences,  apportèrent  par  écrit  chacun  leur  formule  de  lui. 
Théodose,  après  les  avoir  examinées,  déclara  qu'il  voulait  qu'on 
suivit  la  formule  de  Nicée,  défendit  les  assemblées  des  héréti- 
ques, chassa  les  uns  des  villes,  nota  les  autres  d'infamie  et  les 
dépouilla  des  privilèges  des  citoyens. 

Ces  lois  ne  furent  cependant  pas  observées  rigoureusement; 
Théodose  les  regardait  comme  des  lois  comminatoires  deslioées  i 
intimider  ses  sujets,  !i  les  porter  ù  la  vérité,  et  non  pas  à  tes  pu- 
nir. 11  renouvela  ces  lois  plus  d'une  fois,  et  en  fit  une  pour  dé- 
fendre de  disputer  en  public  sur  la  religion  ;  enGn  Théodose,  sur 
la  fin  du  quatrième  siècle,  fit  chasser  de  Constantinople  tous 
les  évéques  et  les  prêtres  ariens. 

L'impératrice  Justine,  qui  régnait  dans  l'Italie,  l'illyrie  et  l'A- 
frique, sous  le  nom  du  jeune  Valenlinien,  son  fils,  voulut  réta- 
blir l'Ârianisme  et  défendît,  sous  peine  de  la  vie,  de  troubler 
ceux  qui  feraient  profession  de  suivre  la  doctrine  du  concile  ds 
Rimini;  mais  ses  efforts  furent  sans  succès,  le  ferment  de  l'Aria- 
nisme s'était  usé  ;  il  s'était  élevé  d'autres  hérésies  qui  absor- 
baient une  partie  de  l'esprit  de  faction  et  de  dispute;  tous  ces 
partis  se  resserraient,  pour  ainsi  dire,  et  les  Ariens,  ne  pouvant 
plus  s'étendre,  se  reployèreot  en  quelque  sorte  sur  eux-mêmes, 
etf  pour  donner  de  l'alûnenl  i  l'inquiétude  de  leur  esprit,  agite- 


i 
I 


I 


iU  ARI 

not  entre  eux  de  nouvelles  questions,  se  divisèrent  et  formèrent 
différentes  branches.  Ils  examinèrent,  par  exemple,  si  le  nom  de 
Père  oonvenak  à  Dieu  avant  qu*il  eût  produit  Jésus*Christ.  Les 
uns  soutenant  Faffirmative  et  les  autres  la  négative,  il  se  forma  un 
sehisme  entre  les  Ariens  ;  d'autres  divisions  succédèrent^  eelle^iy 
et  les  partis  se  multipliaient  parmi  les  Ariens.  Ces  partis  ne  corn •> 
muniquèrent  plus  entre  eux  et  se  donnèrent  des  noms  odieux;  ils 
se  rendirent  ridicules,  tombèrent  dans  le  mépris  et  s'éteignirent 
insensiblement.  Après  la  fin  du  quatrième  siècle,  les  Ariens  n'a« 
valent  plus  d'évéques  ni  d'églises  dans  Tempire  romain  *• 

Il  y  avait  néanmoins  encore  quelques  particuliers  ecdésiasti* 
ques  et  laïques  qui  tenaient  la  doctrine  des  Ariens,  mais  ils  ne 
disaient  plus  corps. 

L'Arianisme  subsistait  encore  chez  les  Goths  où  il  avait  eom<* 
mencé  à  s'établir  dès  le  temps  de  Constantin ,  parmi  les  Vandales 
qui  s'emparèrent  de  l'Afrique  et  chez  les  Bourguignons  auxquels 
les  Goths  l'avaient  communiqué. 

Les  Goths  n'eurent  pas  moins  de  zèle  pour  faire  professer  PA- 
rlanisme  que  pour  étendre  leur  empire.  Ils  firent  égorger  la  plu-* 
part  des  évéques  catholiques  et  employèrent  contre  la  religion 
catholique  tout  ce  que  le  fanatisme  peut  inspirer  à  des  Barbares 
qui  ne  connaissaient  ni  l'humanité,  ni  la  justice  '. 

Les  Bourguignons,  qui  s'établirent  au  commencement  du  cin- 
cpiième  siècle  dans  les  Gaules  et  qui  avaient  reçu  la  foi  catholique 
peu  d'années  après,  tombèrent  dans  l'Arianisme  vers  le  milieu  du 
cinquième  siècle. 

Mais  les  Bourguignons  étaient  moins  barbares  que  les  Goths, 
et  des  prélats  illustres  par  leurs  lumières  autant  que  par  leur 
piété,  tels  que  saint  Avite,  combattirent  l'Arianisme  aveo  tant 
de  force  qu'ils  convertirent  Sigismond,  roi  des  Bourguignons,  et 
rétablirent  parmi  ces  peuples  la  religion  catholique  ^. 

Les  Français  embrassèrent  aussi  l'Arianisme,  lorsquMls  renon- 
cèrent à  l'idolfttrie  ;  le  passage  de  l'idolâtrie  à  l'Arianisme  est 
plus  facile  qu'au  dogme  de  la  oonsubstantialité.  Lorsque  Glovis 
fut  converti,  l'Arianisme  s'éteignit  insensiblement  en  France. 

^  Voyez ,  sur  tous  ces  fiaiits,  Socrate,  Sozomène,  Théodoret,  desquels 
je  les  ai  tirés. 
3  Sidonius,  1.  7,  ep.  6,  édition  de Sirmond,  p.  1023. 
>  Adoniis  Chronic.,  ad  an.  A99,  t.  6.  Biblioth,  PP.,  édit,  Lug«|  ia77« 


0(  la  renaitiùnee  de  TAfiaMttM  n  Europe. 

L'ArîanisDie  sortit  du  sein  du  Tanalisuie  allumé  par  ta  rf  (arme  ; 
un  prâdicant  anabaptiste  préleudit  qu'il  élut  petit-fiU  de  Dieu, 
nia  la  diiiaïlé  de  Jésus-Clirlst  et  se  fit  des  disciples  *.  BientÛt 
les  principes  de  la  réforme  conduJsirËDt  des  ihêologieos  h  celle 
erreur. 

L'Écriture  sainte  est,  chez  les  rroteslans,  la  seule  règle  de  foi 
&  laquelle  on  doive  se  soumeiire,  et  chaque  pacticulîer  est  l'inter- 
prète de  l'Écriture  et,  par  cousfqiieiit,  le  juge  des  conlrorerses 
qui  s'élèvent  sur  la  rellgiou. 

Par  ce  principe  fondamenlal  de  la  réforme,  cbaque  pariiculier 
avait  le  droit  de  juger  l'Eglise  catliolique  et  les  réformateurs 
mêmes,  d'eiaminerJes  dogmes  reçus  dans  toutes  les  commuDions 
chrétiennes,  et  de  les  rejeter  s'il  n'y  découvrait  pas  les  caractères 
de  révélaiion  ou  s'il  les  trouvait  absurdes. 

Cette  liberté  fit  bientût  renaître,  parmi  les  Proleslans,  une 
partie  des  anciennes  hérésies  et  l'Arianisme.  On  vit  Capiton  Cel- 
iarius,  d'autres  Luthériens  et  Servet,  guidés  par  ces  principes, 
soumettre  ii  leur  eiauien  particulier  tous  les  dogmes  de  la  reli- 
gion, rejeter  le  rojstère  de  la  Trinité  et  combattre  la  consubstan- 
tialité  du  Terbe.  L'Arianisme  se  répandit  en  Allemagne  et  en 
Pologne,  forma  une  inGnité  de  sectes,  passa  en  IlolUude  el  fut 
porté  en  Angleterre  par  Okin,  par  Bucer,  etc. 

Le  duc  de  Sommerseï,  tuteur  d'Edouard  VI,  les  y  avait  appe- 
lés pour  y  enseigner  la  doctrine  de  Zuingle  ;  mais  Bucer  el  Okin, 
qui  prêchaient  le  Zainglianisme  en  public,  enseignaient  l'Aria- 
nisme  dans  leui's  conversa lioos  et  dans  des  entretiens  particu- 
liers. Quelques-uns  de  leurs  disciples,  plus  zélés  que  leurs  mal- 
Ires,  prêchèrent  publiquemeut  l'Ariauismeet  fureiil  brûlés  par  les 
IpAtres  de  la  réformalion. 

Après  la  niori  d'Edouard  VI,  la  reine  Marie  chassa  loui  les 
I  llrangers  d'Angleterre  :  plus  de  trente  mille  étrangers,  infectés 
de  dilKrentes  hérésies,  sortirenl  de  ee  royaume;  mais  ces  étran- 
gers y  avaient  laissé  le  germe  el  le  ferment  de  l'Arianisme. 

La  reine  Marie,  ajant  entrepris  de  rétablir  en  .Angleterre  ta  r«- 
Sgion  catholique,  employa  contre  les  Proiestans  tout  ce  que  le 
lèle  le  plus  ardent  peut  inspirer  de  sévérité  et  même  de  rigueur  ; 
alors  le  parti  catholique  et  le  parti  protestant  absorbèrent,  pour 

•Art, 


156  ARI 

ainsi  dire,  toutes  les  haines,  tous  les  intérêts  et  presque  loutes  les 
passions.  On  fit  moins  d'attention  aux  Ariens  ;  tout  le  zèle  de 
Marie  se  porta  contre  les  Protestans,  et  Granmer,  archevêque  de 
Gantorbéry,  qui  avait  fait  brûler  les  Ariens,  fut  brûlé  comme  Pro- 
testant. 

Sous  Elisabeth,  les  bûchers  s'éteignirent  ;  elle  rétablit  la  reli- 
gion protestante,  en  tolérant  ceux  qui  ne  Tattaqueraient  pas. 

Cette  espèce  de  calme  fit  reparaître  la  plupart  des  petites  sectes 
aue  l'agitation  violente  du  règne  de  Marie  avait  comme  étouffées  : 
Elisabeth  craignit  que  ces  sectes  n'altérassent  la  tranquillité  pu- 
blique; elle  bannit  du  royaume  les  Euthousiastes,  les  Anabap- 
tistes, les  Ariens. 

Jacques  I*'',  qui  était  savant,  écrivit  contre  eux,  et  brûla  tous 
ceux  qu'il  ne  put  pas  convertir,  de  quelque  qualité  qu'ils  fussent, 
et  quelques  services  quMls  eussent  rendus  à  l'Etat.  Cette  sévérité 
donna  des  victimes  à  l'Arianisme  et  multiplia  les  Ariens  *. 

Les  troubles  et  les  guerres  civiles  qui  désolèrent  l'Angleterre 
sous  Charles  h^  donnèrent  aux  différentes  sectes  beaucoup  de 
liberté. 

Après  la  mort  de  Charles  I",  le  parlement  ne  consistait  pro- 
prement que  dans  une  chambre  des  communes ,  composée  d'un 
très-petit  nombre  de  membres,  ^tous  Indépendans,  Anabaptistes 
ou  attachés  à  d'autres  sectes,  mais  parmi  lesquels  les  Indépen- 
dans  dominaient. 

Les  Indépendans  voulaient  réduire  le  royaume  en  république, 
et  que  chaque  Église  eût  le  pouvoir  de  se  gouverner  elle-même 
et  fût  indépendante  de  l'Église  anglicane  ^. 
;    Sous  le  protectorat  de  Cromwel ,  les  différentes  sectes  qui  s'é- 
taient formées  en  Angleterre  jouirent  de  la  tolérance. 

Conséquemment  au  système  d'indépendance  religieuse  qu'on 
voulait  établir,  un  Arien  fit  paraître  un  catéchisme  qui,  i^elon  lui, 
renfermait  les  points  fondamentaux ,  tirés,  à  ce  qu'il  disait ,  des 
seules  Écritures ,  sans  commentaire ,  sans  glose  et  sans  consé- 
quences. Cet  ouvrage  était  composé ,  disait-il,  en  faveur  de  ceux 
qui  aimaient  mieux  être  appelés  chrétiens  que  du  nom  de  toute 
autre  secte.  Ce  catéchisme  enseignait  l'Arianisme,  et  souleva  les 
orthodoxes;  ils  portèrent  leurs  plaintes  à  Cromwel ,  qui,  malgré 

*  Hist.  d'Ang.,  par  Thoiras.  Abrégé  des  actes  de  Rymer. 
3  Ibid. 


I 


I 


ARI  157 

la  toi  qu'on  allait  faÎM  de  tolérer  tontes  les  secles,  fit  arrêter 
l'aatenr  du  catéchisme,  et  le  lit  enrenuer  dans  un  cachot  oii  il  le 
laissa  périr  de  misËre  ;  mais  il  ne  rechercha  point  les  Ariens , 
qui  se  maintinrent  tacitement  en  Angleterre  sous  Charles  et 
Jacques  11. 

L'Ariasisrae  avait  aussi  fait  des  progrès  en  Hollande  ;  les  Ana- 
baptistes ariens  y  avaient  porlë  leurs  erreurs;  ils  y  avaient  fait 
des  prosélytes  et  ils  s'y  étaient  multipliés  considérablement,  à  la 
faveur  de  la  tolérance  qu'ils  avaient  o{>tenue  à  force  d'argent,  sur 
la  fin  du  seizième  siècle. 

Lorsque  le  roi  Guillaume  résolut  de  convoquer  le  clergé  d'An- 
gleterre, pour  tâcher  de  réunir  les  Proteslans,  le  docteur  Bury 
crut  que  la  meilleure  voie  pour  y  réussir  serait  d'exposer  netlC' 
ment  les  premiers  principes  de  l'Ëvangile,  par  lesquels  on  pour- 
rait juger  de  l'importance  des  controverses  qui  sont  eutre  tes 
Proteslans  :  pour  cet  effet,  il  distingua  les  articles  qu'il  était  né- 
cessaire  de  croire  de  ceux  qu'on  peut  ignorer  ou  nier,  et  pré- 
tendit que,  pourvu  qu'on  reçût  le  fond  des  choses,  on  ne  devait 
pas  chicaner  sur  la  manière,  qui  est  ordinairement  iuconnue. 

Il  réduit  donc  la  croyance  nécessaire  pour  être  cbrélien  aux 
points  les  plus  simples,  et  croit  que,  pour  èlre  chrétien  ,  il  sulQt 
de  croire  que  Jésus-Cbrist  est  le  Fils  unique  de  Dieu:  il  regarde 
la  consuhslantialité  du  Verbe  comme  un  dogme  iuconnu  aux  pre- 
miers chrétiens  ;  il  prétend  que,  du  temps  de  sahit  Justin,  on 
regardait  encore  comme  chrétiens  ceux  qui  croyaient  que  iéeus- 
Cbrist  était  homme,  né  d'homme,  et  que  l'on  parlait  de  ces  gens- 
U  sans  leur  dire  des  injures  ;  mais  que,  depuis  qu'on  veut  dispu- 
ter sur  ces  matières,  la  cbaleur  des  disputes  et  les  partis  qui  se 
S(Hit  formés  dans  l'Ëglise  chrétienne  i  cause  de  cela  ont  fait  pa- 
raître ces  questions  importantes,  t  peu  près  comme  la  peine  que 
l'on  a  i  trouver  les  diamana  et  k  les  polir  les  rend  précieux;  car 
mdn,  dit<il ,  quoiqu'il  s'agisse  de  la  nature  divine,  il  ne  s'ensuit 
pas  que  tout  ce  qu'on  en  dit  soit  important  ' . 

L'université  d'Oxford  condamna  et  Bt  brûler  le  livre  du  d< 
leur  Bury,  et  ce  jugement  lui  créa  des  partisans  *. 


IoqJ 


*  L'Évangile  nu,  etc.,  par  un  véritable  fils  de  l'Église  anglicL 
IflSO,  in-t*.  Cet  ouvrage  est  écrit  en  anglais  ;  ou  en  irouve  un  étirait 
Irès-bien  fall  dans  ta  Blbliolb,  univ.,  I,  19,  p.  39. 


U8  ARI 

Par  ce  moyen  on  disputa  beaucoup  en  Angleterre  sur  la  di- 
vinité de  Jésus-Ghrist|  etTattention  des  personnes  qui  cultivaient 
les  lettres  ou  qui  étudiaient  la  théologie  fut  excitée  et  portée 
sur  cette  importante  matière  ^. 

M.  Loke,  peu  satisfait  des  différens  systèmes  de  théologie  qu^U 
avait  examinés,  étudia  la  religion^  et  suivit  dans  cette  étude  la 
méthode  qu'il  avait  suivie  dans  Tétude  de  Tesprit  humain  :  il  ré- 
solut de  ne  chercher  la  connaissance  de  la  religion  que  dans  TÉ- 
criture  sainte,  à  laquelle  tous  les  Protestans  appelaient  »  et  il  re- 
nouvela le  sentiment  du  d(/cteur  Bury  *. 

Sociu  et  ceux  de  sa  secte  avaient  hardiment  avancé  qu*avant 
le  concile  de  Nicée  les  chrétiens  avaient  des  sentimens  semblables 
aux  leurs  sur  la  personne  du  Fils  de  Dieu. 

Quoique  Ëpiscopius  eût  soutenu  la  divinité  de  Jésus*Ghrist 
contre  Socin ,  il  avait  pourtant  témoigné  qu'il  croyait  que  c'était 
parmi  les  disputes  et  le  trouble  que  les  Pères  de  Nicée  avaient 
dressé  ce  fameux  symbole  qui  porte  leur  nom  ^. 

Zuicker  avait  osé  soutenir  que  les  Pères  de  Nicée  étaient  les 
auteurs  de  cette  doctrine,  et  Gourcelles  avaif  pensé  que  les  raisons 
4e  Zuicker  étaient  solides  et  sans  réplique  *. 

Sandiufi,  qui  avait  embrassé  le  nouvel  Arianisme,  tâcha  de  for- 
tifier le  sentiment  de  Zuicker  en  donnant  une  histoire  ecclésias- 
tique, dans  laquelle  il  exposait  les  sentimens  des  Pères  des  trois 
premiers  siècles  sur  la  divinité  du  Verbe,  et  prétendait  prouver 
qu'ils  avaient  enseigné  une  doctrine  contraire  à  celle  des  ortho- 
doxes ^. 

M.  Bull  réfuta  Zuicker  et  Sandius,  qui  trouvèrent  cependant  des 
défenseurs  en  Angleterre  ^. 

On  vit  dans  ces  écrits  toutes  les  ressources  de  l'érudition  et 
souvent  les  finesses  de  la  logique  employées  à  défendre  ou  à 
attaquer  la  consubstantialité  du  Verbe;  ainsi  le  temps  rendait 

*  L'Évangile  nu,  etc« 

3  Le  Christianisme  raisonnable. 

>  Instit.  theol.,  1.  h,  scct.  2, 

^  Irenicum  Irenicorum,  Curcelleus,  Quatemio  dissert. 

^  Ghrîstoph.  Sandii  Nucleus,  Hist.  eccl.,  in-â**. 

*  ]>efiensio  fidei  Nicaenae,  de  primitive  et  apostolica  traditione,  etc., 
cont,  Zuickcrum.  Recueil  des  œuvres  de  Bail,  parGrabe,  in-fol«,  i703. 
Jugement  des  P^res,  etc.,  opposé  h  la  Défense  de  la  foi  dcNicéCi  m-A% 


ART  159   ' 

ingensIUanent  cette  question  plus  inl^ressanto ,  et  excitait  l'al- 
teotion  des  savans,  des  lliéologieDs  et  des  philosophes. 

M.  Wisiho!),  au  commencement  de  notre  siècle,  eiamîna  ceiia 
question,  et  crut  voir  de  la  différence  entre  la  doctrine  de  l'Église 
des  trois  premiers  siècles  el  celle  de  l'Église  anglicane  sor  la  Tri- 
nité :  il  sentit  combien  ce  point  était  important,  et  rifsotut  d'ap- 
profondir tout  ce  qne  l'aniiquiié  divine  et  ecclésiastique  fournis- 
Miilde  lumière  sur  ce  sojet;  il  lut  deai  fois  te  nouveau  Testament, 
tous  les  aatenrs  ecclésiastiques  et  tous  les  fragmeos,  jusqu'il  la 
lîn  du  second  siècle  ;  il  en  tira  tout  ce  qui  avait  rapport  ï  la  Tri- 
nité, et  pour  qu'il  ne  lui  échappiit  rien  sur  cette  matière,  il  lut 
la  défense  du  concile  de  Nicée,  par  BuUus,  et  compara  avec  les 
auteurs  mêmes  les  extraits  de  BuUus  *. 

M.  WistboQ ,  avant  de  commencer  son  examen ,  avait  jugé  ;  il 
avait  cru  voir  de  la  différence  entre  la  doctrine  des  premiers 
siècles  et  celle  de  l'Église  anglicane  sur  la  Trinité  :  sans  qu'il 
s'en  aperçût,  tout  se  présentait  â  lui  sous  la  face  qui  favorisait  C9 
premier  jugement,  qui  se  cachait  pour  ainsi  dire  k  H.  Wisthon  ; 
et  le  résultat  de  toutes  ses  lectures  fut  l'Arianisme  ,  qu'il  ensei- 
gna dans  son  Christianisme  primitif  rétabli. 

Le  clergé  d'Angleterra  condamna  M.  Wisthon  ;  on  le  sépara  do 
l'Église,  parce  qu'il  en  corrompait  la  doctrine,  et  il  fut  priva 
de  ses  places  ;  mais  le  gonvemement  ne  sévit  point  contre  lui» 
parce  qu'il  ne  violait  poinl  les  lois  de  la  société  civile. 

Quelque  temps  après ,  M.  Clark  lAcba  de  concilier  avec  le  sym- 
bole de  Nicée  la  doctrine  des  Ariens  sur  la  personne  de  Jésus- 
Christ  '. 

La  chambre  basse  du  clergé  porta  ses  plaintes  contre  M.  Clark  : 
j>our  en  arrêter  les  poursuites,  il  envoya  à  l'assemblée  un  écrit  dans 
lequel  il  déclarait  qu'il  croyait  que  le  Fila  était  engendré  de  ioul« 
éternité  :  la  chambre  haute  se  contenta  de  celte  déclaration. 

Sans  une  seconde  édition  de  son  ouvrage,  M.  Clark  retrancha 
tout  ce  qu'il  avait  dit  dans  la  première  pour  accommoder  son 
«yslème  avec  le  symbole  de  Nicée  ,  et  ne  voulut  jamais  aucm  bë- 

■  WisL,  Christianisme  primilif  rétabli. 

'14  ductrinc  de  l'Ecrilure  louchant  la  Trinité,  en  trois  parties,  oft 

l'on  rassemble,  où  l'on  compare,  où  l'on  eipliquc  ks  princtpiiux  pasM- 

Be«  de  la  liturgie  de  l'Ëgltee  anglicane  par  rupport  i,  celle  doctrine. 

.  Lond.,  10-8°,  1712, 


160  ARI 

ncfice  qui  Tobligeât  à  signer  ce  symbole.  Les  théologiens  anglais 
combatlirent  les  sentimens  de  M.  Clark ,  et  ce  docteur  les  défendit*. 

M.  Ghub  se  joignit  à  M.  Clark  pour  combattre  la  consubstau- 
tialité  du  Verbe  ;  il  prétendit  prouver  que  le  Fils  était  un  être  in- 
férieur au  Père ,  qui  seul  était  Dieu,:  M.  Ghub  dédia  son  ouvrage 
au  clergé  '. 

La  reine  Marie  avait  rétabli  en  Angleterre  les  catholiques  et 
fait  brûler  les  Protestans  que  le  règne  d'Edouard  VI  y  avait  pro- 
duits. Elisabeth  rétablit  les  Protestans  »  fit  pendre  les  catholiques 
et  chassa  les  Ariens  ;  Jacques  I'**  adopta  la  réforme,  toléra  les  ca- 
tholiques et  brûla  les  Ariens  :  aujourd'hui  les  Ariens ,  condamnés 
par  rÉglise  anglicane  comme  hérétiques,  ne  sont  ni  recherchés  ni 
punis  par  les  magistrats. 

L'Arianisme  ancien,  dans  son  origine,  était  une  erreur  raison- 
née  :  elle  prit  naissance  au  milieu  des  assemblées  paisibles  du 
clergé  d'Aleiandrie  ;  elle  fut  d'abord  attaquée  et  défendue  avec 
modération;  elle  fit  du  progrès;  les  évêques  s'assemblèrent; 
Arius  fut  condamné ,  il  se  plaignit ,  il  intéressa ,  il  se  fit  des  dé- 
fenseurs ardens,  il  eut  des  adversaires  zélés;  Arius  et  ses  parti- 
sans furent  condamnés  par  TËglise  ;  ils  attaquèrent  son  jugement, 
devinrent  une  faction  :  le  fanatisme  s'alluma  chez  eux,  ils  se  divi- 
sèrent, et  formèrent  une  foule  de  sectes  fanatiques. 

L'Arianisme  moderne ,  au  contraire ,  sorti  du  sein  du  fanatisme, 
fut ,  à  sa  naissance ,  l'erreur  d'une  troupe  d'enthousiastes  qui  ne 
raisonnaient  point  ;  aujourd'hui ,  c'est  une  erreur  systématique , 
que  l'on  prétend  appuyer  sur  l'autorité  de  l'Écriture  et  sur  les 
plus  pures  lumières  de  la  raison. 

Ainsi ,  ce  système  ne  fait  point  actuellement  de  fanatiques ,  mais 
il  séduit  beaucoup  de  monde  parmi  ceux  qui  se  piquent  de  raison- 
ner, et  l'Arianisme  a  fait  tant  de  progrès  en  Angleterre ,  que  de 
nos  jours  on  a  fait ,  pour  le  combattre ,  une  fondation  semblable 
à  celle  que  Boyle  fit  autrefois  pour  combattre  l'Athéisme  ^. 

Les  opinions  anglaises  passent  depuis  long-temps  chez  nous;  les 

*■  Hist  des  ouvrages  considérables  et  des  brochures  qui  ont  paru  de 
part  et  d*autre,  dans  les  disputes  de  la  Trinité,  depuis  1712  jusqu'en 
1720.  Lond.,  iii-8%  1720. 

^  La  suprématie  du  Père,  etc.,  par  Thomas  Chub,  membre  laïque  de 
rÉglise  anglicane. 

*  Madame  Myer  a  fait  une  fondation  de  huit  sermons  contre  TAria- 
nisme.  Voyez  Biblioth.  anglaise,  t.  7. 


ARI  161 

sentimens  de  Loke ,  de  Wislhon ,  de  Clark ,  sur  la  divinité  de  Je  ? 
sus-Christ,  n'y  sont  point  inconnus;  leurs  principes  ont  été 
adoptés  par  Fauteur  des  lettres  sur  la  religion  essentielle ,  et 
sont,  par  ce  moyen,  entre  les  mains  de  beaucoup  de  lecteurs; 
tout  le  monde  lit  le  Christianisme  raisonnable  :  j'ai  donc  cru  qu^a- 
près  avoir  eiposé  Torigine  et  les  progrès  du  nouvel  Arianisme,  il 
n'était  pas  inutile  d'en  combattre  les  principes. 

Les  nouveaux  Ariens  sont  de  deux  sortes  :  les  uns  croient  que 
le  dogme  de  la  consubstantialité  du  Verbe  est  une  question  pro- 
blématique ,  sur  laquelle  l'erreur  n'exclut  point  du  salut  et  ne  doit 
point  exclure  de  l'Église;  les  autres  prétendent,  au  contraire, 
que  la  consubstantialité  du  Verbe  est  une  erreur  dangereuse, 
contraire  à  la  raison ,  à  l'Écriture  et  à  la  tradition  :  tel  était 
M.  "Wisthon ,  qui  fit  à  M.  Clark  des  reproches  amers  sur  ce  qu'il 
avait  déclaré  qu'il  croyait  que  le  Fils  de  Dieu  était  engendré  de 
toute  éternité  ^. 

$  I.  —  Principes  par  lesquels  on  prétend  prouver  que  la  consub- 
stantialité du  Verbe  n'est  pas  un  dogme  fondamental. 

Le  docteur  Bury,  pour  réunir  les  sectes  qui  partageaient  l'An- 
gleterre et  réduire  la  religion  chrétienne  k  des  points  simples  et 
communs  à  toutes  les  sociétés  qui  se  disent  chrétiennes,  recherche 
ce  que  c'est  que  l'Évangile  que  Notre-Seigneur  et  les  apôtres  ont 
prêché. 

Pour  s'instruire  sur  cet  article,  il  n'est  besoin,  selon  Bury,  ni 
de  logique ,  ni  de  métaphysique  ou  d'autres  sciences  ;  il  n'est  pas 
même  nécessaire  de  lire  aucun  système  de  théologie ,  puisque 
Notre-Seigneur  ne  répondit  à  celui  qui  lui  demandait  ce  qu'il 
devait  faire  pour  être  sauvé ,  sinon  :  Qu^ est-il  écrit  dans  la  loi  f 
fu^ff  lisez-vous T  c'est-à-dire  qu'il  ne  faut  que  lire  l'Évangile,  où 
le  saint  est  promis  ,  tantôt  à  la  foi ,  tantôt  à  la  repentance ,  tantôt 
à  Tune  et  à  l'autre  en  même  temps  :  c'est  là  le  fond  de  l'alliance, 
auquel  il  faut  s'attacher. 

Mais  qu'est-ce  que  la  foi?  quel  est  son  objet? 

Elle  en  a  deux  :  la  personne  en  laquelle  nous  croyons ,  et  la 
doctrine  que  nous  recevons. 

Dans  la  foi  que  nous  devons  avoir  en  la  personne  de  Jésus- 

*  Voyez  toute  cette  dispute  dans  la  Biblioth.  anglaise  et  dans  les  Mé- 
moires littéraires  de  la  Grande-Bretagne. 

14* 


ni  AM 

Christ  »  il  y  SI  deux  choses  k  considérer  :  la  première  consiste  | 
savoir  quelle  sorte  de  personne  Notre-Seigneur  veut  que  nous  Iq 
croyions  ;  et  la  seconde ,  de  bien  concevoir  ce  qu*il  entend  pai^ 
croire  en  lui. 

Les  titres  que  Jésus-Christ  prend  ou  que  les  apôtres  lui  donnent 
sont  ceux  de  Fils  de  V Homme ,  celui  qui  doit  venir ^  h  MesHe  ou  le 
Christ,  le  Fils  de  Dieu,  etc. 

Comme  ces  termes,  pris  dans  cette  acception  vague,  peuvent 
convenir  à  d*autres  personnes ,  Jésus-Christ  se  nomme  non-seule^ 
ment  le  Fils  de  Dieu ,  mais  son  Fils  unique  :  ce  titre  est  Fonction 
qu'il  a  reçue  avant  qu*il  vînt  au  monde ,  et  Télève  au-dessus  de 
toutes  les  natures  que  TÉcriture  nomme  dieux. 

Tous  ces  caractères  marquent  une  grandeur  si  immense ,  dit  W 
docteur  Bury ,  qu^après  avoir  fait  nos  efforts  pour  la  découvrir 
entièrement ,  il  ne  nous  reste  autre  chose ,  si  ce  n*est  que  nous 
sommes  convaincus  de  ne  pouvoir  le  comprendre. 

Bien  loin  que  cette  incompréhensibilité  nous  empêche  d'avoic 
en  lui  la  confiance  qu'il  nous  demande ,  c'est  pour  cette  raison 
même  que  nous  croyons  en  lui ,  comme  nous  nous  confions,  pour 
ainsi  dire ,  dans  la  lumière ,  parce  que  cette  même  lumière  »  qui 
éblouit  nos  yeux  lorsque  nous  regardons  fixement  sa  source ,  nous 
découvre  tous  les  objets  sur  lesquels  elle  tombe. 

Voilà  tout  ce  qui  nous  est  nécessaire  pour  croire  en  Jésus- 
Christ  ;  nous  n'avons  pas  besoin  de  connaître  autre  chose  de  sa 
personne  pour  le  croire  et  pour  lui  obéir,  comme  il  u'est  point 
nécessaire  à  un  voyageur  de  connaître  la  nature  du  soleil  pour 
en  tirer  les  usages  dont  il  a  besoin  ;  comme  le  soleil  n'éclaire  pas 
le  monde  pour  s'attirer  les  louanges  des  philosophes,  ainsi  le  so* 
leil  d'en  haut  ne  paraît  à  aucun  autre  dessein  que  pour  apporter  la 
santé  de  l'âme  :  ceux  qui  en  jugent  autrement  le  déshonorent  bien 
davantage  et  nient  plus  véritablement  sa  divinité  que  ne  font  les 
hérétiques ,  puisqu'ils  supposent  nécessairement  quelque  propor^- 
tion  entre  Dieu  et  l'homme. 

11  ne  faut  pas  que  nous  sachions  de  Jésus-Christ  rien  autre 
chose ,  si  ce  n'est  ce  sans  quoi  il  est  impossible  de  croire  en  lui» 

Le  docteur  Bury  prétend  le  prouver  par  la  réponse  que  Notre- 
Seigneur  fit  aux  Juifs  lorsqu'ils  lui  dirent  :  Pourquoi  nous  tiens-tu 
si  long-temps  en  suspens  ?  si  tu  es  le  Christ,  disruous-le  ouvertement. 

Pour  toute  réponse ,  Jésus-Christ  leur  dit  que  Dieu  est  son 
père  :  il  n'entreprend  point  d'exposer  ses  droits  ;  il  ne  leur  dit  rien 


ART  163 

3e  ce  qu'il  avait  éti?  de  toute  éleniîté  en  lui-même ,  mais  de  ca 
qu'il  était  par  rapport  au  inonde  :  il  Bupprinia  te  qui  passait  leur 
intelligence ,  et  se  contenta  de  leur  dire  ce  qui  ëlait  suflisant  pour 
produire  en  eux  une  conviction  salutaire. 

On  ne  doutera  pas  de  ce  sculiment ,  selon  le  docteur  Bury ,  si 
l'on  fait  atlentiou  1  la  simplicité  et  k  l'ignorance  de  ceux  î  qui 
Jésus-Cbrisl  3  d'abord  annoncé  l'Évangile ,  et  à  la  faciliiÉ  avec  la- 
quelle les  apôtres  reeeïaient  au  bapiÈme  ceui  qu'ils  convertis- 
saient; rbisloire  de  l'eunuque  de  la  reine  d'Ethiopie,  et  les  trois 
tnille  personnes  converties  dans  un  seul  sermon  de  saint  Pierre , 
prouvent  qu'il  fallait  savoir  très-peu  de  chose  potir  être  chrâtieOi 
et  que  par  conséquent  ou  ne  parlait  point  de  ta  consubstautlalit 
du  Verbe ,  qui  e^l  une  question  trÈs-didlcile  et  infiniment  au-des- 
sus de  la  portée  de  ceux  k  qui  Jésus-Christ  et  ses  apAtres  annoiicè- 
reuL  d'abord  l'Évangile. 

Enfin ,  selon  le  docteur  Burj ,  du  temps  de  saint  Justin  on  re- 
gardait comme  de  vrais  chréiienB  ceux  qui  pensaient  que  Jésus- 
Clirist  était  liomme ,  né  d'Iiotuuie*. 

U.  Lobe  fit ,  comme  le  docteur  Bury ,  un  élirait  de  tout  ce  que 
Jésus-Christ  et  ses  ap6lres  disent,  dans  l'Évangile  et  dans  les 
Actes ,  à  cens  qu'ils  voulaient  convertir,  et  crut ,  par  ce  moyen , 
avoir  tout  ce  que  les  apôtres  exigeaient  des  chrétiens. 

Dans  cet  ciamen,  M.  Lokeerut  que  la  religion  chrétienne  avait 
pour  base  le  dogme  de  la  rédemption ,  et  conclut  que ,  pour  con- 
naître  la  religion  chrétienne ,  il  rallah  examiner  en  quoi  consistait 
!■  rédemption  du  genre  humain,  c'est-à-dire  l'clat  auquel  le  péché 
d'.ldam  avait  réduit  les  hommes ,  et  comme  Jésus-Christ  rétablis- 
sait le  genre  humain  dans  son  état  primitif. 

Il  crut  trouver  que  l'étal  duquel  Adam  était  déchu  était  un  état 
d'obéissancQ  parfaite ,  ei  désigné  dans  le  nouveau  TestanienI  par 
le  mol  de  justice. 

Peudant  cet  étal  d'obéissance,  Adam  habitait  le  paradis  ter- 
restre i  oji  était  l'arbre  de  vie;  il  en  fut  chassé  après  avoir  désobéi 
à  Dieu ,  cl  perdit  dès  ce  moment  le  privilège  de  riramortalité.  U 
mon  eniniduucdans  le  monde,  cl  voilï  comment  tous  les  hommes 

'  L'Ëvangilc  nu,  où  l'on  fait  voir  :  J*  quel  était  l'Évangile  lorsque 
Nolre-Sdjçncur  tl  ses  apùtres  le  prêchaient  ;  S*  quelles  additions  et  al- 
térations 1rs  $i^lc5  suivans  j  ont  fnilct;  3*  quels  avanlDg;es  et  quch 
t  mut  ecia  a  iiruduils  lOOD,  iii-J-,  p.  iOS.  Cibiiolh,  un,,  I.  10,  p.  301. 


164  ART 

meareut  en  Adam  :  toute  la  postérité  d^Âdam  i  naissante  hors  du 
paradis  terrestre  >  a  dû  être  mortelle. 

Jésus-Clhrist  est  venu  annoncer  aux  hommes  une  loi  dont  Fob- 
servation  ne  les  garantit  pas  de  la  mort ,  mais  elle  leur  procure  le 
bonheur  de  ressusciter,  et ,  après  cette  résurrection ,  de  n'être 
plus  exposés  à  perdre  le  privilège  de  Timmortalité. 

M.  Loke examina  ensuite  quelle  était  cette  loi  à  Tobservation  de 
laquelle  Timmortalité  était  attachée ,  et  qui  faisait  Tessence  du 
christianisme  ;  il  crut  voir  que  Jésus -Christ  et  ses  apôtres  regar- 
daient comme  chrétiens  tous  ceux  qui  croyaient  que  JésM  y  FiU  de 
Marie  y  était  le  Messie,  et  qu'ils  n'exigeaient  rien  de  plus:  il  ré- 
duisit donc  l'essentiel  de  la  religion  chrétienne  à  cet  article  unique. 

Cet  article  emportait  avec  lui  une  entière  soumission  à  ce  que 
Jésus-Christ  avait  enseigné ,  et  une  obligation  étroite  de  pratiquer 
ce  qu'il  avait  commandé  :  cette  disposition  d' esprit  supposait  en- 
core ,  selon  M.  Loke  »  un  grand  désir  de  connaître  ce  que  Jésus- 
Christ  avait  enseigné,  et  de  pratiquer  ce  qu'il  avait  ordonné; 
mais  il  est  clair ,  selon  lui ,  qu'on  ne  sortait  point  de  la  soumis- 
sion qui  faisait  l'essence  du  christianisme ,  lorsqu'on  se  trompait 
sur  les  choses  que  Jésus-Christ  avait  enseignées  ou  ordonnées  ; 
que  f  par  conséquent ,  celui  qui  croyait  que  Jésus-Christ  avait  en- 
seigné qu'il  était  consubstantiel  à  son  Père  devait  croire  la  con- 
substantialité  ;  mais  que  ceux  qui  croyaient  qu'il  avait  enseigné 
qu'il  était  une  créature  devaient  rejeter  la  consubstantialité. 

L'auteur  d'une  dissertation  qui  se  trouve  à  la  fin  du  Christianisme 
raisonnable  prétend ,  par  ce  moyen ,  réunir  toutes  les  sociétés 
chrétiennes ,  puisque  toutes  reconnaissent  que  Jésus ,  Fils  de  Ma- 
rie,  est  le  Messie  *. 

§  11.  —  Fausseté  des  principes  que  Von  vient  d'exposer, 

Jésus-Christ  est  représenté ,  dans  le  nouveau  Testament,  comme 

*  Le  Christianisme  raisonnable  a  été  traduit  en  français  par  M.  Goste, 
et  imprimé  pour  la  première  fois  en  1696. 

Le  docteur  Jean  Edouard  écrivit  contre  le  Cbristianisme  raisonna- 
ble un  livre  intitulé  :  le  Socinianisme  démasqué.  Lond.,  in-8*,  1690. 

M.  Loke  répondit  à  cet  ouvrage  parles  suivans  :  Première  défense  du 
livre  du  Christianisme  raisonnnable  contre  les  imputations  du  docteur 
Edouard,  Lond.,  1696;  et,  dans  la  même  année,|  Seconde  défense,  etc. 
Ces  défenses  se  trouvent  dans  l'édition  du  Christianisme  raisonnable  de 
1715.  On  y'a  joint  une  Dissertation  sur  les  moyens  de  réunir  tous  les 
chrétiens  et  un  Traité  de  la  religion  des  dames. 


■  ARl  tG£ 

le  rédempteur  du  genre  humaiu,  comme  uu  miMialeur  entre  Dieu 
et  les  hommes ,  comme  un  docteur  qui  doit  les  éclairer,  comme  u& 
légblateiir  qui  doit  leur  prescrire  nn  culte  nouveau  ei  une  luorale 
plus  parfaite. 

il  est  évident  que,  pour  remplir  tous  ces  titre!;,  il  ne  suffisait 
pas  que  Jésus-Cbrist  apprit  aux  hommes  qu'il  était  le  Fils  de  Dieu 
ou  le  Messie.  Jésus-Christ,  après  s'être  Tait  connaître  aux  hommes 
comme  le  Messie,  ou  commele  Fils  unique  de  Dieu,  a  doue  ensei- 
gnéaux  hommes  des  vérités  inconoues;  il  leur  a  prescrit  un  culte, 
il  leur  a  douné  des  lois ,  et  il  ne  safSsaitpas ,  pour  être  chrétien  , 
de  croire  que  Jésus,  Fils  de  Uarie,  est  le  Messie  ;  il  rallait  encore 
croire  les  vérités  qu'il  était  Tenu  révéler  aux  hammes ,  et  qui  fai- 
saient l'essence  de  sa  doctrine  et  le  fondement  du  culte  que  Jésus- 
Christ  venait  établir  sur  la  terre. 

Le  principe  rondameuial  de  Burj  et  de  Lotc  est  donc  absolu- 
ment fans  ;  voyons  présentement  si  la  consubstanlialité  du  Verbe 
fait  partie  de  ces  vérités  Tondamentates  :  pour  le  prouver,  je  vais 
faire  voir  ,  1*  que  la  connaissance  de  la  personue  de  Jésus-Christ 
faisait  une  partie  essentielle  du  christianisme;  3*  qu'en  effet  Jésus- 
Christ  a  enseii^né  qu'il  était  cou  substantiel  ï  son  Père- 
dé  la  pfTtonne  et  de  la  nature  de  létat-Chritt 
s  partie  eisenlietle  ie  la  doctrine  que  J.-C.  a  miri- 
hommes. 

C  11  est  clair,  par  tenouveau  Testament,  que  Jésus-Chrislesl  venu 
~  ir  la  terre  pour  faire  coimaltre  aux  hommes  un  Dieu  en  trois 
personnes,  et  que  le  culte  qu'il  a  établi  est  fondé  sur  le  rapport 
de  ces  trois  personnes  divines  avec  le  genre  humain  ;  la  connais- 
sauce  de  ces  personnes  divines  était  donc  essentielle  et  nécessaire 
i  l'homme  pour  être  chrétien  :  ainsi  Jésus-Christ  ne  s'est  pas  fait 
connaître  seulement  sous  la  dénomination  vague  de  fils  de  Dieu  ; 
il  a  fait  connatlre  ani  hommes  quelle  était  la  nature  ou  l'essence 
de  sa  personne ,  s'il  était  coéternel  et  con substantiel  ï  son  Père  ^ 
DU  s'il  n'était  qu'une  simple  créature  :  en  voici  la  preuve. 

1*  Le  culte  que  Jésus-Christ  est  venu  établir  n'est  pas  seule-    . 
ment  un  cuite  eitérieur,  mais  principalement  un  culte  intérieur.      ' 

L'homme  ne  peut  rendre  un  culte  intérieur  que  par  les  juge- 
mens  de  son  esprit  et  parles  mouvemens  de  son  coiur;  il  rend  on 
culte  par  ses  jugemens  lorsqu'il  reconnaît  la  grandeur,  l'excel-   , 
lence  et  U  perfection  d'un  être. 


166  ARt 

Comme  le  culte  que  Jésus-Christ  est  venu  éublir  est  «n  culte 
eu  esprit  et  en  vérité,  il  n'a  pas  voulu  que  les  hommes  jugeassent 
qu'il  n*est  qu'une  créature ,  s'il  est  vrai  qu'il  soit  consubstantiel  à 
son  Père,  ni  qu'on  jugeât  qu'il  est  le  vrai  Dieu  et  coéternel  à  son 
Père,  s'il  est  une  créature  produite  dans  le  temps. 

Les  hommes  ne  pouvaient  donc  rendre,  par  leurs  jugemens,  un 
culte  légitime  à  Jésus-Christ  qu'autant  que  Jésus-Christ  leur  fai- 
sait connaître  s'il  était  consubstantiel  à  son  Père  ,  ou  s'il  n'était 
qu'une  simple  créature.  Jésus-Christ  n'a  donc  pu  se  faire  connattre 
aux  hommes  sous  la  simple  qualité  de  Fils  de  Dieu  ou  de  Messie 
sans  exposer  les  hommes  à  tomber  dans  une  erreur  fondamentale 
sur  sa  personne,  sans  les  exposer  à  le  regarder  comme  une  simple 
créature  quoiqu'il  fût  Dieu ,  ou  à  l'honorer  comme  Dieu  quoi*» 
qu'il  ne  fût  qu'une  simple  créature. 

Il  faut  dire  des  sentimens  de  l'âme  ce  que  nous  venons  de  dire 
des  jugemens  de  l'esprit:  l'homme  rend  un  culte  par  les  mouve* 
mens  de  son  âme ,  c'est-à-dire  par  des  sentimens  de  respect ,  d'a- 
mour et  de  reconnaissance;  ces  sentimens,  par  rapporta  Jésos^ 
Christ,  doivent  être  essentiellement  différens ,  selon  qu'il  est 
consubstantiel  â  son  Père,  ou  seulement  une  créature. 

C'est  une  impiété  d'honorer  comme  une  simple  créature  Jésus* 
Christ,  Fils  de  Dieu  et  vrai  Dieu,  et  c'est  une  idolâtrie  de  l'hono- 
rer comme  vrai  Dieu ,  coéternel  et  consubstantiel  à  son  Père,  s'il 
n'est  qu'une  créature  :  il  était  donc  impossible  que  Jésus-Christ 
venant  pour  apprendre  aux  hommes  à  adorer  Dieu  en  esprit  et  en 
vérité  se  fit  connattre  à  eux  sous  une  dénomination  vague ,  qui 
pouvait  conduire  les  hommes  à  l'idolâtrie  ou  à  l'impiété,  sans  que 
Jésus-Christ  eût  rien  fait  pour  les  garantir  de  ce  crime ,  quoiqu'il 
exigeât  cependant  un  culte. 

2°  Jésus-Christ  est  venu  pour  faire  connaître  aux  hommes  Dieu 
le  Père,  non  sous  la  simple  qualité  de  créateur  et  de  conservateur 
du  monde  ;  il  est  venu  faire  connattre  sa  miséricorde  envers  les 
hommes,  et  leur  apprendre  que,  pour  les  délivrer  delà  mort  et  du 
péchés  Dieu  le  Père  a  envoyé  son  Fils  sur  la  terre  ;  il  était  essentiel 
à  la  religion  chrétienne  qu'elle  fît  connaître  à  l'homme  toute  l'é- 
tendue de  la  bonté  et  de  la  miséricorde  divines  :  il  fallait  donc  faire 
connaître  si  ce  Fils  que  Dieu  a  envoyé  sur  la  terre  pour  la  rédemp- 
tion du  genre  humain  est  une  simple  créature  plus  parfaite  quQ 
les  autres,  ou  une  personne  divine ,  consubstantielle  au  Père, 

Si  Jésus-Christ  n'eût  rempli  envers  les  hommes  que  la  fonction 


AKI  le; 

Wltm  ùm^le  envoyé,  et  qu'il  ne  Tût  venu  que  pour  niveler  iii| 
^eramefi  quelques  ccrâmouies  par  lesquelles  Dieu  voubit  Être  ho- 
noré ,  il  eût  suffi  de  Taire  connaître  aux  hommes  la  vérité  de  si 
Mission;  mais  Jésus-Christ  est  le  médiateur  des  hommes;  il  est  leur 
iprélre ,  il  est  leur  Dieu  ;  ils  lui  doivent  un  culte  qu'ils  ne  peuvent 
li  rendre  sans  couuatlre  sa  personne  et  sans  savoir  s'il  est  vih 
9ieu,  consubstantiel  k  sou  Père,  ou  unecréalure;  carie  culte qM 
les  chrétiens  doivent  â  Jésus-Christ  est  essentiellement  différent 
selon  que  Jèsus-Clirisl  est  vrai  Dieu  ou  une  créature. 

La  consubstantialiié  du  Verbe  est  donc  un  article  EondamentiL 
sur  lequel  il  était  nécessaire  que  Jésus-Christ  inslruislt  ses  di«£ 
pies  ;  car  on  doit  regarder  comme  un  point  fondamental  dans  ui^ 
religion  un  article  sur  lequel  ou  ne  peut  se  tromper  sans  changv 
l'essence  de  la  religion,  etsans  la  connaissance  duquel  on  ne  peut 

I,  rendre  le  culte  qu'elle  prescrit. 
tST  Jéait-Christ  a  fait  cmuiatire  aux  Iwmmet  qu'il  Aait  eontubilan- 
'  liel  à  tan  Père,  et  Voix  n'a  regarûi  comme  chTÛiew  que  c«ito 
*  qui  profaiaient  celle  iérlté. 
Jésus-Christ  a  pris  tons  les  titres  et  tons  les  attributs  de  I'Êub 
Jlopréine:  c'est  un  point  reconnu  par  Wisthon  et  par  Clark, 
Celte  vérité  est  exprimée  dans  le  nouveau  Testament,  en  tant  d^ 
rencontres  et  de  tant  de  manières ,  qu'il  n'j  a  peut-être  ancuii 
point  de  doctrine  qui  j  soit  easeigné  plus  souvent  ou  avec  pli» 
d'étendue  :  or  ,  on  ne  saurait  mieux  juger  de  l'importance  d'un^ 
doctrine,  et  de  la  nécessité  de  la  croire,  que  par  la  fréquente  m^ 
lion  qui  en  est  faite ,  que  par  le  poids  que  l'on  donne  k  cet 
•a  dit,  et  que  parla  diversité  des  tours  pour  le  dire. 

Saint  Jean  pose  en  quelque  sorte  la  divinité  de  Jésus-Chritt 
CMDine  la  base  de  la  religion  et  de  t'Ëvangile  :  •  Au  comnienca- 
•  ineiit,dit-d,éuitleVerhe,etteVerbeéta1lOieu.  > 

Cetapâtre,  qui  vît  naître  l'hérésie  de  Cér'mihe  et  d'Ebîou  q(îi| 
regardaientJésus-Chrisl  comme  un  homme,  leur  opposa  son  Éva»-', 
^le  ,  et  le  commenta  par  les  déclarations  les  plus  précises  etUi' 
plus  formelles  de  l'éternité  ,  de  la  toute-puissance  et  de  l'exi»- 
leaee  nécessaire  de  Jésus-Christ  ;  il  refusa  de  communiquer  avM 
[  (ériothe,  qui  ne  reconnaissait  pas  ladivinité  de  Jésus-Christ;  etlei 
esou  leurs  successeurs  immédiats  retranchèrent  de  l'ÉgliÙ 
iennetousceuxqui  uereconnaissaientpascette grande  véritâ, 
«dififùti  gula  consubstaulialitc  du  Vwbcëtaitdoac,  ^  te 


lés  Aftt 

naissance  du  christianisme ,  un  dogme  dont  la  croyattce  était  né- 
cessaire pour  être  vraiment  chrétien,  et  il  ne  suffisait  pas  de  croire 
que  Jésus,  Fils  de  Marie,  est  le  Messie  ;  car  Ebion  et  Gérinthe  re- 
connaissaient cet  article. 

Mais,  dit-on ,  les  personnes  auxquelles  les  apôtres  annonçaient 
rÉvangile  étaient  ignorantes  ,  grossières ,  et  ne  pouvaient  com- 
prendre le  mystère  de  rincamation. 

Cette  difficulté  tire  toute  sa  force  de  l'ignorance  dans  laquelle 
on  suppose  les  Juifs  sur  la  personne  du  Messie;  et  il  est  faux  que 
les  Juifs  fussent  dans  cette  ignorance. 

Les  Juifs  attendaient  le  Messie  ;  cet  objet  intéressait  tout  le 
monde  ;  les  Juifs  connaissaient  ses  caractères,  ses  titres  et  ses  per« 
fections;  ils  entendaient  les  prophéties  qui  Tannonçaient  dans  le 
sens  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres  leur  donnaient;  en  sorte  qu*il 
n'y  avait  de  différence  que  dans  Tapplication  que  Jésus*  Christ  et 
ses  apôtres  faisaient  des  prophéties  à  Jésus ,  Fils  de  Marie  ;  ainsi, 
pour  convertir  ces  peuples  ,  il  ne  fallait  que  prouver  qu'en  effet 
tous  les  traits  sous  lesquels  les  prophètes  annoncent  le  Messie 
se  réunissaient  dans  Jésus-Christ  ;  et  c'est  ce  qu'il  était  facile  de 
faire  dans  un  sermon. 

Le  Messie  était  le  grand  objet  de  toutes  les  prophéties  ;  et,  par 
le  moyen  des  prédictions  successives  ,  la  lumière,  en  ce  qui  re- 
gardait le  Messie  ,  alla  toujours  en  croissant ,  à  mesure  que  le 
temps  de  sa  manifestation  approchait;  ainsi,  long-temps  avant  la 
naissance  de  Jésus-Christ ,  les  caractères  spécifiques tqui  devaient 
distinguer  le  M  essie  durent  être  fixés  et  connus  parmi  les  Juifs 
dans  le  temps  que  Jésus-Christ  annonça  sa  doctrine,  puisquHl  est 
certain  que  l'attente  du  Messie  était  alors  plus  vive  et  plus  générale 
que  jamais  :  aussi  voyons-nous  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres , 
lorsqu'ils  parlent  du  Messie,  allègueut  les  oracles  de  l'ancien  Tes- 
tament comme  des  oracles  connus  et  entendus  des  Juifs,  et  pris 
par  eux  dans  le  même  sens  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres  leur 
donnaient. 

11  est  certain  que  les  Juifs  ont  regardé  la  parole  ou  le  Verbe 
comme  une  personne  divine  ;  le  commencement  de  l'Évangile  de 
saint  Jean  en  est  une  preuve  (Socin  ne  l'a  pas  contesté  ;  il  pré- 
tend seulement  que  cette  personne  est  un  simple  homme)  ;  or, 
quelle  apparence  y  a-t-il  que  saint  Jean,  qui  était  Juif  et  qui  écri- 
vait principalement  pour  les  Juifs  ,  ait  employé  ce  mot  dans  un 
sens  tout  différent  de  celui  qu'il  avait  dans  sa  nation?  ou  si  c'était 


ABI 

1,  pourquoi  n'a-l-îl  pas  dit  un  mot  pour  ei 
pourquoi  dèbute-t-ïl ,  au  contraire ,  comme  un  hom 
bien  qu'il  esl  entendu ,  et  qui  parle  de  choses  coiiiiues  i  ceux  i 
qui  il  écrit  ? 

Il  est  constant  d'ailleurs ,  par  les  écrivains  juifs,  par  Philoo  et 
parles  paraphrases  chaldaiques,  que  les  anciens  Juifs  regardaient 
le  Verbe  comme  une  personne  divine  ;  or,  il  esl  certain  que  VÈ- 
glise juive  >  cruquele  Verbe  était  le  Messie  *. 

Tous  ces  objets  n'étaient  pas  si  clairs  pour  les  Juifs  qu'il  a  _ 
eût  quelque  oWuritê,  quelque  peine  à  les  entendre,  et  voilï  pour- 
quoi les  Juifs  font  h  Jésus-Christ  des  questions.  Les  Juifs  moder- 
nes se  sont  écartés  de  tous  les  principes  de  l'ancienne  Ëglisi 
datque  ;  ainsi,  il  n'est  pas  étonnant  qu'ils  regardent  le  Messie 
comme  un  simple  homme  ;  mais  il  ne  faut  pas  juger  de  la  croyance 
de  l'imcieime  Eglise  judaïque  par  celle  des  Juifs  depuis  laruiu 
de  Jérusalem  *, 

EnGn,  on  oppose  aux  orthodoxes  un  passage  de  saint  Justin  . 
qui  paraît  supposer  que  la  primitive  Église  n'a  point  regardé  la 
consubstantialité  de  Jésus-CLrist  comme  un  point  fondamental. 

Comme,  depuis  Episcopius,  tous  les  partisans  de  son  sentiment 
répètent  ce  passage,  il  ne  sera  pas  inutile  de  l'ei 
sage  est  tiré  du  dialogue  avec  Trypiion. 

*  -  Hais,  oTrfphon!  [dit  saint  Justin),  il  ne  s'ensuit  pas  que  Jésus 
soit  pas  le  Christ  ou  le  Messie  de  Dieu  ;  quand 

pas  prouver  que  ce  Fils  du  créateur  du  monde  a  existé 

auparavant,  qu'il  est  Dieu,  et  qu'il  est  né  homme  de  lu  Vierge, 

■  pourvu  qu'on  ait  démontré  qu'il  a  été  le  Christ  de  Dieu ,  quoi 
»  qu'il  dût  être  d'ailleurs;  que  si  je  ne  démontre  pasqu'il  a  existé 

•  auparavant ,  et  qu'il  est  né  homme ,  sujet  aux  mêmes  inGrmités 

•  que  nous ,  étant  ohair ,  selon  le  conseil  et  la  volonté  du  Père  , 
>  tout  ce  qu'on  pourra  dire  justement,  c'est  que  j'ai  erré  en  cela , 

■  et  on  ne  pourra  nier  avec  jnstice  qu'il  ne  soit  le  Christ,  quoi- 
'il  paraisse  comme  un  homme ,  né  d'hommes,  et  qu'on  assure 

été  fait  le  Christ  par  élection  ;  car,  mes  cticrs  amis,  il  jen 


^■p'i 


Jugement  de  l'ancienne  Église  judaïque  contre  les  Unitaires,  sur  la 
la  iliïinilé  deuotre  Sauveur.  Lonil.,  1G99.  L'ouvrage  est 
en  aillais;  ou  en  trouve  un  Irés-bon  extrait,  Répub,  des  lettr«9,  1009; 
■raveoitire,  urt  3  ;  décembre,  art,  1, 


ITO  ARI 

»  a  quelques-uns  de  notre  race  qui ,  confessant  qu'il  est  le  Christ, 
»  assurent  pourtant  qu'il  est  homme,  ce  qui  n^est  point  du  tout 
»  mon  sentiment;  et  il  ne  s'en  trouve  pas  beaucoup  qui  le  disent, 
»  les  autres  étant  de  la  même  opinion  que  moi  ;  car  J^us-Ghristne 
»  nous  a  point  commandé  de  croire  les  traditions  et  les  doctrines 
»  des  hommes,  mais  ce  que  les  saints  prophètes  ont  publié.  » 

Ce  passage  de  saint  JusUn ,  loin  d'être  favorable  à  Top  inion  d*E- 
pîscopius ,  la  condamne:  saint  Justin  y  fait  à  Triphon  un  raison- 
nement qu'on  appelle  adhominem  :  il  est  clair  qu*ilyeut  dire  que, 
quand  Tryphon  ne  voudrait  pas  admettre  que  Jésus-Christ  est 
Dieu,  et  reconnaître  la  solidité  des  raisons  qu'il  a  exposées  pour  le 
prouver ,  la  cauSe  des  chrétiens  ne  serait  pas  encore  désespérée, 
pttisqu'il  y  a  quantité  d'autres  preuves  et  un  grand  nombre  de  ca- 
ractères qui  établissent  que  Jésus-Christ  de  Nazareth  est  le  Mes- 
sie prédit  par  les  prophètes ,  ce  qu'il  confirme  par  l'opinion  des 
Ebionites  et  des  autres  hérétiques,  qui,  quoiqu'ils  ne  veuillent  re- 
connaître Jésus-Christ  que  pour  un  simple  homme,  ne  laissent  pas 
d'embrasser  sa  doctrine  comme  celle  du  véritable  Messie. 

Il  est  clair  que  voilà  le  sens  de  saint  Justin ,  et  non  pas  que  la 
divinité  de  Jéstis-Christ  ne  soit  pas  prouvée ,  puisqu'il  assure  ex- 
pressément que  les  prophètes,  etJésus-Christ  lui-même,  ont  ensei- 
gné la  divinité  du  Messie. 

On  prétend  tirer  un  grand  avantage  de  ce  que  saint  Justin ,  en 
parlant  de  ceux  qui  regardent  Jésus-Christ  comme  un  homme,  dit: 
quelques-uns  des  nôtres. 

Mais  cette  manière  de  parler  ne  veut  pas  dire  que  saint  Justin 
cràt  qu'on  pouvait  être  chrétien  sans  croire  que  Jésus-Christ  est 
Dieu  ;  car  saint  Justin  a  pu  dire  de  ceux  qui ,  niant  la  divinité  de 
Jésus-Christ ,  faisaient  profession  du  christianisme ,  ils  sont  des 
nôtres ,  par  opposition  aux  Juifs ,  sans  pourtant  vouloir  les  recon- 
naître pour  véritables  chrétiens  :  c'est  ainsi  que  le  même  saint 
Justin,  dans  sa  seconde  apologie,  parlant  des  disciples  de  Simon , 
de  Ménandre  et  de  Marcion ,  dit  qu'on  les  appelle  tous  chrétiens , 
comme  on  donne  le  nom  de  philosophe  à  diverses  personnes,  quoi- 
qu'elles soient  dans  des  sentimens  tout  opposés  ^. 

^  Judicium  Ecdesiae  catholic»  trium  priorum  saeculorum,  de  neoes- 
sitate  credendi  quôd  Dominus  noster  h-C,  sit  verus  Deus,  as^ertum 
contra  Simonem  episcopum,  auctore  BuUo.  Kecueil  des  ouvrâmes  de 
Bull,  par  Grabe,  lu-fol,  i703t 


Les  Ariens  modernes  reconuaissent  qu'il  n'y  a  qu'une  seule 
cause  suprême  de  toutes  choses ,  laquelle  esl  une  substance  intel- 
ligeote  et  immatérielle ,  sans  composition  et  sans  division,  lU  re- 
connaissent encore  que  l'Écrilute  nous  apprend  qu'il  y  s  trois  per- 
somies  divines,  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit ,  et  que  ces  trois 
personnes  sont  distingoée^;  mais  ils  prétendent  que  de  ces  trois 
personnes  le  Père  seul  esl  la  substance  nécessaire  ,  ou  la  canse 
suprême  qui  a  produit  tout,  et  que  les  autres  personnes  sont  des 
créatures. 

Nous  examinerons ,  i,  l'article  Macéddnius  ,  les  difficultés  qui 
regardent  la  personne  du  Saint-Esprit;  nous  allons  examiner  Ici 
celles  qui  combattent  la  diTinitédu  Fils. 

l'Les  noDVeaux  Ariens  prétendent  que  le  Fils,  procédant  du 
Père,  n'est  pas  indépendant,  et  n'est  par  conséquent  pas  l'Ëlre 
suprême  ou  Dieu ,  puisque  la  nation  de  la  divinité  suprême  ren- 
ferme l'existence  nécessaire  et  indépendante ,  l'exiElence  par  soi- 
même. 

S'ils  conviennent  que  le  Fils  est  appelé  Dieu  dans  l'ilicTiiurB; 
mais  ils  prétendent  que  c'est  moins  pur  rapport!)  son  essence  mé* 
taphjsique  qu'à  cause  des  relations  qu'il  a  avec  les  hommes ,  sur 
lesquels  il  exerce  les  droits  de  la  divinilê. 

3"  Toutes  les  opérations  du  Fds,  soit  dans  la  création  du  monde, 
mil  dans  tout  le  reste  de  sa  conduite ,  sont  des  opérations  de  la 
puissanee  du  Père,  qui  lui  a  été  communiquée,  et  le  Fils  a  toujours 
reconnu  la  suprématie  du  Pcrc ,  ce  qui  prouve  sa  dépendance ,  et 
par  conséquent  qu'il  n'est  pas  Dieu. 

4*  lésus-Christ ,  avant  son  incarnation,  n'avait  point  un  culta 
particulier  ;  tout  le  culte  ae  rendait  an  Père  :  ce  n'est  qu'après  sa 
résurrection  qu'il  a  un  culte ,  encore  n'esl-il  fondé  que  sur  les  rap- 
ports de  Jésus-Christ  avec  les  hommes,  sur  sa  qualité  de  média* 
teur,  de  rédempteur,  d'intercesseur,  et  non  stir  sa  qualité  d'Êlrfl 
suprême,  ou  existant  par  lui-même. 

S*  Si  le  Fils,  ou  la  seconde  personne  à  laquelle  l'Écriture  donne 
le  nom  et  le  litre  de  Dieu ,  était  consulistantiel  au  Père ,  elles  se- 
raient réunies  dans  une  seule  substance  simple ,  et  alors  il  faudrait 
néeesMirement  que  ces  personnes  se  confondissent  et  ne  fussent 
qu8  de  pures  dénominations  extérieures  do  la  subsUnee  divine] 
comme  Sabelli us  le  prétendait. 


1 


172  ARI 

6«  Les  nouveaux  Ariens  demandent  dans  quels  Pères  des  trois 
premiers  siècles  il  est  parlé  de  la  consubstantialité  du  Fils ,  et  sur 
quel  fondement  les  Pères  de  Nicée  se  sont  appuyés  pour  consacrer 
\e  moi  cansttbstarUiel,  qui  a  été  condamné  par  les  Pères  du  concile 
d^Ântioche. 

7*  Ils  demandent  comment  Tégalité  du  Père  et  du  Fils,  qui,  du 
temps  d'Origène,  était  une  erreur  née  de  rinadyertance  d*un  petit 
nombre  d*hommes ,  et  la  génération  du  Fils  qui  était  inconnue  au 
siècle  du  concile  de  Nicée ,  sont  deyenues  des  articles  fondamen-^ 
taux. 

8*  Ils  prétendent  que  les  Pères  qui  ont  précédé  le  concile  de 
Nicée  ont  tous  enseigné  Tinfériorité  du  Fils  au  Père. 

M.  Wisthon  s'appuie  principalement  sur  les  constitutions  apos- 
toliques et  sur  les  épitres  de  saint  Ignace  :  il  a  prétendu  que  les 
constitutions  apostoliques  ont  été  dictées  par  les  apôtres  k  saint 
Clément ,  et  qu'elles  avaient  été  dictées  aux  apôtres  par  Jésus- 
Christ  même,  pendant  quarante  jours ,  depuis  sa  résurrection  ; 
M.  Wisthon  prétend  que,  sans  cela ,  Jésus-Christ  aurait  laissé 
son  Église  sans  corps  de  lois  :  ce  qu'on  ne  peut  penser. 

A  l'égard  de  saint  Ignace ,  il  prétend  que  ce  sont  les  longues 
lettres  qui  sont  l'ouvrage  de  ce  Père,  et  non  pas  les  courtes,  qui, 
selon  lui,  ont  été  tronquées. 

Je  vais  examiner  ces  difficultés  en  détail  et  les  réfuter. 

Le  sentiment  de  Wisthon  et  de  Clark  est  contraire  à  VÉcriture. 

1*  On  prétend  que  le  Fils  étant  engendré  par  le  Père ,  il  n'a  pas 
une  existence  indépendante  ,  et  n'est  par  conséquent  pas  le  Dieu 
suprême. 

Cette  difficulté  n'est  qu'un  sophisme. 

Rien  n'existe  sans  une  raison  qui  le  fasse  exister  :  cette  raison 
est  ou  dans  la  chose  même ,  ou  hors  d'elle  ;  si  cette  raison  est 
dans  la  chose  même,  cette  chose  existe  par  elle-même ,  elle  a  une 
existence  indépendante  ;  si  la  raison  qui  fait  exister  une  chose 
est  hors  de  cette  chose ,  elle  a  une  existence  dépendante ,  elle  est 
produite. 

Si  la  chose  produite  est  une  substance  distinguée  de  la  sub- 
stance de  la  cause  productrice ,  l'être  produit  est  une  créature  ; 
mais  si  la  chose  produite  n'est  pas  une  substance  distinguée  de  la 
cause  productrice ,  si  elle  est  une  production  nécessaire  et  essen- 
tielle 9  alors  elle  n'est  point  une  créature ,  elle  est  coétemelle  » 


AHl  1T> 

GonBubsIâDtielle  i  son  prîiicipi,* ,  pI  son  existence ,  qiioîiiue  Jëpen- 
dante  ,  n'est  poînl  onc  imperreclion  et  ne  la  rédtiU  point  au  rang 
descréutnres;  or,  les  orthodoxes  qui  défendent  la  dmnilé  de 
Jésus-Christ,  en  recunnaissnnt  qu'il  est  engendré  par  le  Père,  aou- 
lientienl  qu'il  est  engendré  nécessairement  et  de  toute  éternité 
par  le  Père  ;  génération  qni  ne  renrerme  ui  postériorité  dans 
l'existenee ,  ni  une  dépendunce  qui  emporte  avec  elle  quelque 
imperfection;  génération  qui,  par  conséquent,  n'enpécbe  pas 
que  le  titre  de  Dieu  suprême  ne  eouTienne  au  Fils. 

Ainsi ,  pour  prouver  que  le  Fils  est  une  créature  ,  il  ne  suffit 
pas  de  prouter  qu'il  a  une  existence  dépendante  ;  il  TalUit  faire 
voir  que  cett«  dépendance  emportait  avec  elle  quelque  imperfec  - 
lion  ;  que  le  Fils  était  une  substance  distinguée  du  Père ,  et  non 
pas  une  personne  existante  dans  la  substance  divine;  qu'il  n'était 
piis  «ne  production  essenlielle  du  Père,  et  par  conséquent  qu'il 
n'était  pas  une  personne  étemelle  comme  lui ,  et  dont  l'existence 
■  sa  source  dans  la  même  nécessité  absolue  qui  fait  exister  le  Père. 

Pour  prouver  que  Jésus-Chrisl  est  nue  créature ,  de  ce  qu'il  a 
une  existence  dépendante ,  il  fallait  prouver  qu'il  ne  pouvait 
£tre  engendré  nécessairement  par  le  Père  dans  la  même  subsiance 
dans  laqudle  le  Père  existe ,  et  qu'il  n'a  pas  les  mêmes  attributs 
qui  naissent  de  l'essence  de  l'être  nécessaire  ;  car  si  le  Fils  est 
engendré  néeessairemenl  et  esseiiiieltement  par  le  Père,  dans  la 
substance  divine  ;  s'il  a  tous  les  attributs  de  l'Être  suprême  et 
nécessaire ,  on  ne  peut  lui  refuser  la  nécessité  d'existence  qoî 
fait  l'essence  de  l'Être  suprême,  quoiqu'il  soit  engendré  par  le 
Père. 

H.  Clark  ,  dans  son  Traité  de  l'existence  de  Dieu  ,  proUTe  qu'il 
j  a  un  être  nécessaire  et  existant  par  lui-même  ou  par  la  nécessité 
de  sa  nature,  parce  qu'il  est  impossible  que  tout  ce  qui  est  soit 
sorti  du  néant  ;  ainsi ,  dans  les  principes  de  ce  théologien ,  la  né- 
cessité absolue  d'exister  n'est  opposée  ï  l'existence  dépendante 
qu'autant  que  l'être  dont  l'existence  serait  dépendante  aurait  été 
tiré  du  néant;  ce  qu'on  ne  peut  pas  dire  de  Jésus-Christ,  car  il  est 
engendré  nécessairement  et  essentiel lemcnt  par  le  Père,  et  par 
conséquent  il  est  éternel  comme  lui  et  n'a  poiniététiré  du  néant: 
l'Écriture  ne  nous  dit-elle  pas  que  rien  de  ce  qui  a  été  bit  n'a  été 
fait  sans  lui  ?  Il  n'a  donc  pas  été  fait ,  il  n'est  pas  une  créature  ; 
on  ne  peut  donc  dire  que  le  Fils  n'est  pas  le  Dieu  suprême  parce 
qu'il  a  une  existence  dépendante. 

15* 


174  AKI 

2°  Il  est  faux  que  le  mot  Dieu,  lorsqu'il  s^appliqueà  JésuSf 
Christ  dans  TÉcriture ,  n'ait  qu'une  signification  relative  aux  fono 
lions  qu'il  exerce  envers  les  hommes.  Le  Fils  n'est-il  pas  nommé 
Dieu ,  de  la  manière  la  plus  absolue ,  dans  cent  endroits  de  l'Écri- 
ture? L'Écriture  ne  donne-t-elle  pas  au  Fils  tous  les  attributs  de 
l'Être  suprême? 

M.  Clark  et^es  partisans  sont  obligés  d'en  convenir  :  il  faut  donc 
concevoir  que  le  Fils  est  consubstantiel  au  Père ,  ou  il  faut  sup- 
poser une  créature  infinie  et  souverainement  parfaite. 

3<»  Le  Fils  ayant  tous  les  attributs  de  TÉôre  suprême  »  on  ne 
peut  dire  que  le  Fils  n'agit  que  par  une  puissance  empruntée  qui 
suppose  qu'il  n'est  qu'une  créature. 

4"  Toute  l'harmonie  de  la  religion  est  fondée  sur  les  rapports 
des  trois  personnes  de  la  Trinité  avec  les  hommes;  il  n'est  donc 
pas  étonnant  que  l'Écriture  nous  fasse  envisager  Jésus-Christ  priQ<« 
cipalement  sous  ces  rapports ,  et  que  le  culte  qu'elle  lui  rend  soit 
fondé  sur  ces  rapports  ;  d'ailleurs ,  il  est  certain  que  les  chrétiens 
doivent  à  Jésus-Christ  un  culte  égal  à  celui  qu'on  rend  au  Père , 
ce  qui  ferait  une  vraie  idolâtrie  s'il  était  vrai  que  Jésus-Christ  soit| 
non  le  Dieu  suprême ,  mais  un  Dieu  subordonné. 

b"^  Puisque  le  docteur  Clark  n'attaque  le  système  commun  que 
parce  qu'il  le  trouve  contraire  k  l'Écriture  et  à  la  raison ,  le  bon 
sens  veut  que  l'on  examine  si  la  raison  et  l'Écriture  trouvent  mieux 
leur  compte  dans  le  système  de  ce  savant  théologien. 

La  moindre  chose  qu'on  doit  attendre  et  que  l'on  peut  exiger 
d'un  homme  qui  rejette  un  sentiment ,  et  qui  le  rejette  à  cause 
des  difficultés  qui  raccompagnent ,  c'est  que  celui  qu'il  embrasse 
ne  soit  pas  sujet  à  des  difficultés  mille  fois  plus  grandes. 

C'est  pourtant  le  défaut  du  système  du  docteur  Clark  :  il  avou^ 
que  Jésus-Christ  a  les  propriétés  infinies  de  Dieu ,  Téternité»  la 
toute-puissance,  la  toute-science,  etc.,  tous  les  attributs,  en  un 
mot,  à  l'exception  de  la  suprématie  :  mais  comment  ces  propriétés 
infinies  peuvent-elles  être  communiquées  à  une  créature  qui  est 
nécessairement  finie  ? 

On  ne  comprend  pas  que  Jésus-Christ  puisse  être  autre  chose 
qu'une  créature  tirée  du  néant  et  finie  comme  les  autres,  s'il  n'est 
pas  consubstantiel  à  son  Père. 

On  comprend  encore  moins  que  l'on  doit  rendre  au  Fils  les 
même  honneurs  qu'au  Père,  si  le  Père  et  le  Fils  ne  participent  pas 
égaleqieol  à  la  même  nature  divine;  cependant  l'Écriture  nous 


4BI  17S 

ordonne  de  rendre  ï  Jésus-ChrUi  le  même  culle  qu'à  son  Père  ', 

Comiue&t  M.  Clark  prouvera-l-il  que,  dunssou  sentîmeiil,  l'É* 
criiurcue  prescrti  pas  un  culle  îdoljireî 

M.  Clark  suppose  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  objet  du  culte  dmn ,  i 
il  suppose  qu'il  hai  adorer  le  Fils  qui  n'est  qu'une  créature  :  il 
suppose  qu'il  n'y  a  qu'un  vrai  Dieu  qui  existe  par  lui-même , 
il  donne  le  titre  de  vrai  Dieu  au  Fils  qui  n'est  qu'une  créulure. 

Voilà  des  dilSculiés  tirées  des  propres  termes  de  M.  Clark  :  le 
dogme  delà  consubstaniialiié  en  cootient-il  de  semblables  * 

Le  dogme  àe  la  eonsubslanliaUlé  ae  eonànil  point  au  SabeUiaaiime. 

Les  personnes  de  h  Trinité  n'étaient ,  selon  Ssbellins,  que  des 
noms  ditrérens  donnés  il  Dieu,  ^lon  les  différentes  relations  sous 
lesqoelles  on  le  considérait  :  ainsi  le  Père  n'était  que  Dieu 
sidéré  comme  faisant  des  décrets  dans  son  conseil  éternel  et 
solvant  d'appeler  les  hommes  au  salut  ;  lorsque  ce  même  Dieu 
descendait  sur  la  terre,  dans  le  sein  d'une  Tiei^e,  qu'il  soulTrail 
et  mourait  sur  la  croix ,  il  s'appelait  Fils  ;  eu&n ,  il  s'appelait  lé 
Slint-Esprît  lorsqu'on  considérait  Dieu  comme  déployant  son 
efficace  elsa  puissance  dansl'âmepourla  conversion  des  pécheurs*. 

Ainsi,  pour  que  le  dogme  de  la  consubstanttalilé  conduisit  au 
Sibellianisme ,  il  fiindraîl  qu'il  Tût  impossible  qu'il  existât  dans  la 
substance  divine  deni  personnes  distinguées,  donl  l'une  Tût  la 
Père  et  l'autre  le  Fils;  car  s'il  est  possible  qu'il  existe  dans  la 
substance  divine  deux  êtres  distingués ,  il  est  évident  qu'on  n'est 
pasSabellieneosupposaot  queleFilseslconsubsianlielï  son  Père. 

Je  demande  présentement  aux  nouveaux  Ariens  s'ils  croient 
qu'il  soit  impossible  que  plusieurs  êtres ,  qui  ne  sont  point  des 
substances  ni  des  parties  de  substance ,  existent  dans  une  sub< 
ïtance  simple? 

Cest  une  contradiction  manireste  que  de  supposer  plusieurs 
substances  dans  une  seule  et  unique  substance  ,  simple  et  sans 
parties;  maie  ■%  n'est  point  une  conlradiclion  de  supposer,  dans 
une  substance  simple ,  plusieurs  cboses  qui  ne  soient  ni  des  sub* 
stances  ni  des  parties  substantielles  de  la  substance  divine. 

■  Joann.)  1,  19,  37.  Marc,  1,  3.  Lac,  i,  iiadHebr.,  1,  10.  Mail.; 
37,  9,  30.  Psabn.,  102,  25.  Zucli.,  11,  33.  Es.,  UQ,  3.  Osée,  1,  7. 

*  Voi/c:  l'cilrail  de  Clark.  Biblioth.  dioîsip,  loc  cit. 

*  l'ugcz  l'article  Sadellius. 


176  ARl 

Nous  ne  savons  pas,  il  est  vrai,  comment  ces  personnes 
existent  dans  une  substance  simple  ;  mais  savons-nous  comment  la 
fticnlté  d^apercevoir,  celle  de  juger  et  de  vouloir,  qui  sont  autant 
de  facultés  bien  distinctes ,  existent  cependant  dans  notre  &me , 
aùi  est  certainement  une  substance  simple? 

Les  attributs  de  TËtre  suprême  sont  donnés  k  Jésus-Christ  si 
clairement  dans  TËcriture ,  quMl  n'y  aurait  qu'une  contradiction 
ou  une  absurdité  manifeste  qui  autorisât  à  douter  de  la  divinité 
de  Jésus-Christ  ;  or,  on  est  bien  éloigné  d'apercevoir  cette  con- 
tradiction ou  cette  absurdité  dans  le  dogme  de  la  divinité  de  Jé^ 
sus-Christ. 

Il  n'y  a  absurdité  ou  contradiction  dans  un  sentiment  que  lors- 
qu'on unit  le  oui  ou  le  non ,  lorsqu'on  affirme  et  que  Ton  nîe  la 
Viéme  chose  ;  or,  personne  ne  peut  faire  voir  que ,  dans  le  dogme 
de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  on  affirme  et  Ton  nie  la  même 
chose,  que  l'on  unisse  le  oui  et  le  non.  La  plupart  de  ceux  qui 
décident  avec  tant  de  hauteur  sur  ces  questions  n'ont  aucune  de 
ces  notions  :  qu'ils  ne  prennent  pas  en  mauvaise  part  si  je  les 
avertis  que  les  Clark  et  les  Wisthon  ont  été  embarrassés  k  dé* 
fendre  leur  sentiment,  et  qu'ils  ne  l'ont  jamais  regardé  comme 
çxempt  de  difficulté. 

Clark  et  Wisthon ,  après  un  examen  sérieux  et  profond  de  la 
doctrine  de  l'Écriture  et  de  celle  des  premiers  siècles  sur  la  divi- 
nité de  Jésus-Christ,  ont  abandonné  î'Arianisme  grossier  qui  fait 
de  Jésus-Christ  une  simple  créature. 

Le  docteur  Clark  reconnaît  expressément  que,  l'Écriture  ne  nous 
gisant  point  de  quelle  manière  le  Fils  dérive  son  être  du  Père  , 
personne  n'a  droit  d'entreprendre  de  le  déterminer,  et  que  l'on 
doit  également  censurer  et  ceux  qui  disent  que  le  Fils  a  été  fait 
de  rien ,  et  ceux  qui  disent  qu'il  est  la  substance  qui  existe  par 
elle-même  :  quelle  distance  entre  les  Clark  et  les  Wisthon,  et  ceux 
qui  décident  aujourd'hui  sans  hésiter  contre  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  *  ! 

La  consttbstantiaUté  du  Verbe  a  toujours  été  un  dogme  fondamental 

dans  V Église  avant  Arius, 

L'Église,  pendant  les  trois  premiers  siècles,  condamnait  éga- 

*  Voyez  Clark,  Doctrine  de  rÉcriture  sur  la  Trinité,  Wisthon,  Chris- 
Uanîsme  rétabli.  Mémoires  historiques  sur  la  vie  du  docteur  Clark,  par 
Wisthon. 


ÀRÎ  177 

iceiiK  qui  adinettaiciil  plusieurs  dieux ,  et  ceux  qui 
Diaienlla  divinité  de  Jésus-CLrisL  L'élise  chriHienne  reconnais' 
Kait  donc  la  divinité  de  Jtisus-Christ,  de  manière  qu'elle  reIran- 
chait  de  sa  conimanion  ceux  qui ,  en  reconnaissant  que  Jésus- 
Chrisl  était  Dieu,  reconnaissaient  plusieurs  dieux;  ainsi  elle 
reconnaissait  que  Jésus-Christ  cUit  Dieu,  et  ne  croyait  pas  plu- 
sieurs substances  divines. 

L'Ëglise  crojait  donc  que  Jésus-Ctirist  élnit  consubsLaniiel  à 
son  Père,  ou  qu'il  existait  dans  la  même  substance  ;  car  il  est  im- 
possible de  reconnaître  que  Jésus-Clirist  est  Dieu  aussi  bien  que 
son  Père ,  et  de  supposer  qu'il  n'y  a  pas  plusieurs  substances  di- 
vines ,  sans  croire  distinctement  que  le  -Tère  et  le  Fils  existent 
dans  la  même  substance  ,  et  par  conséquent  sans  croire  la  con- 
substantialilé  du  Fils  ,  quoiqu'on  n'exprimai  pas  toujours  celte 
croyance  par  le  mot  de  eentubtiaiit'ialité. 

i-  l/Ëglise,  pendant  les  trois  premiers  siècles,  a  rendu  â  Jésus- 
Cbrisl  le  culte  qui  est  dû  au  vrai  Dieu;  elle  a  retranché  de  sa 
commnnion  tout  cenx  qui,  comme  Cériutbe,  Théodole,  etc.,  ont 
nié  la  divinité  de  Jésus-Christ. 

Elle  ne  condamne  pas  avec  moins  de  rigueur  ceux  qui,  comme 
Praiée,  Noët,  Sabellius,  etc.,  ne  contestaient  point  II  divinité  du 
Fils  ,  mais  qui  prétendaient  qu'il  n'était  point  une  personne 
distincte  du  Père. 

L'Églisereconnaîssait  donc  que  Jésus-Christ  était  Dieu,  et  qu'il 
était  distingué  du  Père  :  elle  ne  pouvait  reconnaître  que  Jésus- 
Christ  était  Dieu  et  distingué  du  Père  qu'autant  qu'elle  croyait 
que  le  Père  et  le  Fils  étaient ,  ou  deux  substances  dilTérentes,  on 
deux  personnes  dilTérentes  dans  la  même  substance. 

Il  est  certain  que  l'Ëglïse  a  condamné  tous  ceux  qui  admet- 
taient plusieurs  principes  distingués  et  nécessaires  ;  qu'elle  n'a 
jamais  reconnu  qu'une  substance  étemelle,  inlinie,  eiislanie  par 
elle-même,  et  qu'elle  a  frappé  d'analhème  Harcion  ,  Hermogëne , 
et  tous  ceux  qui  supposaient  plusieurs  substances  infinies  et  né- 
cessaires. 

L'Église  ne  croyait  donc  pas  que  la  personne  du  Fils  fût  une 
substance  distinguée  de  celle  du  Père  ;  l'I^gtise  croyait  donc  que 
le  Fils  existait  dans  la  même  snbstance  dans  laquelle  le  Père  exis- 
tait, et  par  conséquent  elle  croyait  qu'il  était  emuabtînntiel. 

L'erreurde  Sabellius,  de  Nocl,  de  Praxëe,  qui  confondaient  les 
penoDoes  divines;  l'erreur  des  béréti<iues  qui  admettaient  plu- 


178  AM 

sieon  substances  éternelles  et  infinies  ;  rerreur  qui  attaquait  h 
diyinité  de  Jésus-Christ ,  ont  été  condamnées  comme  des  erreurs 
nouvelles;  on  n'a  point  hésité  sur  la  condamnation  :  on  croyait 
donc  bien  distinctement  la  consubstantialité  du  Verbe ,  puisque 
si  Jésus-Christ  n*est  pas  consubstantiel  à  son  Père,  il  faut,  ou  qu'il 
ne  soit  point  Dieu,  et  que  Cérinthe,  Théodote,  elc«»  aient  eu  rai- 
son denier  sa  divinité;  ou  s'il  est  Dieu,  n'étant  point  consubstan- 
tiel, il  faut  qu'il  soit  une  substance  distinguée  de  la  substance  du 
Père ,  par  conséquent  qu'il  y  ait  plusieurs  substances  nécessaires, 
comme  Marcion,  Hermogène  et  les  Manichéens  le  supposaient;  ou 
enfin  si  Jésus-Christ  n'est  ni  une  personne  distinguée  du  Père  et 
consubstantielle  à  lui,  ni  une  substance  distinguée  de  la  substance 
du  Père  ,  il  faut  qu'il  soit ,  comme  le  prétend  Sabellius,  le  même 
Dieu  considéré  sous  des  rapports  dififérens ,  et  non  pas  une  per- 
sonne distinguée  du  Père. 

L'Église  ne  pouvait  donc  condamner  toutes  ces  erreurs  aussi- 
tôt qu'elles  ont  paru,  et  sans  hésiter,  qu'autant  que  le  dogme  de 
la  consubstantialité  était  cru  bien  formellement  et  connu  bien  dis- 
tinctement, quoiqu'il  ne  fût  pas  toujours  exprimé  par  ce  mot. 

L'Église  ,  en  professant  la  consubstantialité  du  Verbe  ,  était 
donc  également  éloignée  du  Sabellianisme  et  du  Trithéisme  ;  el 
M.  le  Clerc  est  tombé  dans  une  méprise  grossière  pour  un  homme 
tel  que  lui ,  lorsqu'il  a  dit  que  les  Pères  qui  n'avaient  pas  pensé 
comme  Arius  reconnaissaient  trois  substances  divines  ^. 

A  la  naissance  de  VArianisme^  V Église  enseignait  distinctenient 

la  consubstantialité  du  Verbe. 

1°  Arius  combattit  d'abord  les  expressions  dont  Alexandre  se 
servait  en  parlant  de  la  Trinité,  et  il  prouvait  que  les  trois  personnes 
divines  n'existaient  pas  dans  une  substance  simple,  parce  qu'elles 
étaient  distinguées  entre  elles,  comme  l'effet  de  sa  cause;  ce  qui, 
selon  Arius,  était  impossible  dans  une  substance  simple. 

Alexandre  prétendit  que  le  sentiment  d' Arius  attaquait  la  divi« 
nité  de  Jésus-Christ.  Arius  n'osa  nier  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
reconnut  qu'il  était  Dieu ,  mais  prétendit  qu'il  était  engendré 
dans  le  temps. 

C'est  une  contradiction  manifeste  que  de  supposer  que  Jésus-' 
Christ  était  produit  dans  le  temps,  et  de  soutenir  qu'il  était  Dieu  ; 

*  Le  Clerc,  Blblioth.  chrél.,  t.  3,  p.  99. 


AHI  J79 

et  il  est  clair  que  les  principes  d^Ârius  le  conduisaient  à  nier  la 
divinité  du  Fils  :  il  n'a  donc  pu  reconnaître  quMl  était  Dieu  que 
parce  qu'il  lui  était  impossible  de  le  nier,  et  par  conséquent  la  di- 
yiniié  du  Fils  était  enseignée  lorsqu* Arias  tomba  dans  Terreur. 

2»  Le  concile  d'Alexandrie  condamna  Arius  sur  cela  même  qu'il 
établissait  des  principes  qui  étaient  opposés  à  la  divinité  du  Verbe; 
condamnation  absurde  si  la  divinité  du  Verbe  eût  été  un  dogme 
Inconnu  à  l'Église. 

3*  Personne  n'attaqua  le  jugement  du  concile  d'Alexandrie 
comme  introduisant  un  nouveau  dogme,  et  les  évéques  qui  pri- 
rent d'abord  le  parti  d' Arius  ne  niaient  point  la  consubstanlialité 
du  Verbe  ;  mais  ,  trompés  par  Arius ,  ils  croyaient  que  le  concile 
d'Alexandrie  avait  décidé  que  le  Fils  n'était  pas  engendré,  et  qu'A- 
rins  n'avait  été  condamné  que  parce  qu'il  soutenait  que  le  FUs 
était  engendré  et  n'était  pas  un  être  existant  sans  géjiération  *. 

Eusèbe  dit  même  que  la  génération  du  Verbe  était  inefifable  ;  ce 
qui  serait  absurde  s'il  avait  cru  que  le  Veribe  fût  une  créature. 
Les  évêques  qui  prirent  d'abord  le  parti  d' Arius  ne  croyaient 
donc  pas  alors  que  le  Verbe  fût  une  créature  ;  ils  n'arrivèrent  à 
cette  erreur  qu'après  qu'ils  se  furent  brouillés  avec  Alexandre. 

4*  L'embarras  des  Ariens  pour  dire  que  le  Fils  n'était  pas  con- 
substantiel  à  son  Père,  leur  mauvaise  foi,  la  multitude  des  formu- 
les de  foi  qu'ib  firent  successivement ,  toutes  leurs  supercheries 
pour  faire  supprimer  le  mot  de  consubstantiel ,  prouvent  que  la 
consubstantialité  du  Verbe  était  enseignée  bien  distinctement  dans 
l'Église ,  et  que  la  doctrine  d' Arius  était  inconnue  ,  nouvelle  et 
odieuse. 

5*  Les  Ariens  se  divisèrent  entre  eux;  les  uns  voulaient  que  le 
Verbe  fût  une  simple  créature ,  et  les  autres  prétendaient  qu'il  ne 
fallait  pas  dire  que  le  Verbe  fût  une  simple  créature. 

Cette  division  était  impossible. si  la  consubstantialité  du  Verbe 
n'eût  pas  été  enseignée  dans  l'Église  ;  car  les  Ariens  étaient  trop 
ennemis  des  catholiques  pour  ne  pas  mettre  Jésus-Christ  au  nom- 
bre des  créatures,  s'ils  l'eussent  osé,  et  s'ils  n'eussent  pas  craint 
de  révolter  les  fidèles,  ou  s'ils  n'eussent  pas  eux-mêmes  tenu  au 
dogme  de  la  consubstantialité. 

6*  11  est  clair,  par  l'histoire  de  l'Arianisme ,  que  l'on  n'arriva 
à  cette  erreur  qu'à  force  de  raisonnemens  et  de  subtilités  i  et  par 

^  Théodoret,  Hist,  ccclés«,  U  i,  c,  5,  6, 


180  ARI 

conséquent  qu*dle  n*étail  pas  la  croyance  du  peuple  chrétien  ni 

celle  de  relise. 

Ounepeut  reprocher  à  rÉglUe  aucune  variation  $ur  le  dogme 

de  la  consubstanlialiié. 

Les  Ariens  modernes  disent  que  le  concile  d* Antioche ,  assem- 
blé soixante  ans  avant  celui  de  Nicée ,  avait  proscrit  le  terme  de 
contubstantielf  que  le  concile  de  Nicée  a  consacré.  Un  même  mot, 
dit  M.  le  Clerc ,  peut-il  avoir  ,  dans  si  peu  de  temps ,  deux  sens 
si  différens  ?  Dira-t-on  que  les  Pères  de  Nicée  ne  savaient  pas  ce 
qui  s^était  passé  à  Antiocbe?  ou  ,  dit  M.  Wisthon,  ont-ils  eu  une 
nouvelle  révélation? 

Je  réponds,  i*  que  ce  canon  du  concile  d^Antioche  sur  lequel 
MM.  Wisthon  et  le  Clerc  fondent  leur  triomphe  paraît  supposé. 

Nous  n*avons  point  les  actes  du  concile  d*Antioche ,  et  nous  ne 
savons  qu^l  condamna  le  mot  consubstanliel  que  parce  que  ce  fait 
a  été  cité  dans  une  lettre  du  concile  d'Ancyre  *• 

Ce  concile  d*Ancyre  était  composé  d^évêques  qui ,  par  amour 
pour  la  paix  ou  pour  plaire  à  Constance  ,  voulaient  conserver  le 
dogme  de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  et  supprimer  le  moi  consub- 
stantiel:  ils  anathématisèrent  donc  la  doctrine  d'Arius  ,  et  con- 
damnèrent le  mot  consubstanliel  ;  ils  informèrent  les  évéques  de 
leur  jugement,  et,  dans  la  lettre  écrite  aunom  du  concile,  il  est  dit 
que  le  concile  d* An tioche  avait  condamné  le  mot  consubstantieL 

Nous  n^avons  de  preuves  de  ce  jugement  du  concile  d* Antiocbe 
que  par  cette  lettre  écrite  par  ordre  des  évéques  du  concile  d^An^ 
cyre*. 

Cette  lettre  porte  que  les  évéques  du  concile  d*Antioche,  après 
la  condamnation  de  Paul  de  Samosate,  écrivirent  une  lettre,  dans 
laquelle  ils  déclaraient  qu*ils  avaient  condamné  Paul  de  Samosate 
parce  qu'il  prétendait  que  le  Fils  et  le  Père  sont  le  même  Dieu. 

Voilà,  selon  Fauteur  de  la  lettre  du  concile  d'Ancyre,  la  raison 
que  les  Pères  du  concile  d*Antioche  apportent  de  leur  jugement 
contre  Paul  de  Samosate. 

Ëusèbe  nous  a  conservé  un  grand  fragment  de  la  lettre  du  con- 
cile d*Antioche,  et  dans  ce  fragment  les  Pères  du  concile  disent 
qu'ils  ont  condamné  Paul  de  Samosate  parce  qu'il  soutenait  que 
le  Fils  est  venu  de  la  terre,  et  n'est  pas  de  Dieu. 

*  Hilar.,  De  synod.,  p.  1196. 


Wf  ARI  181 

Sslnl  miaire ,  saînl  Aihannse  n'avaîenl  poîiil  tu  celle leilre  du 
concile  d'Anlioche,  telle  qu'elle  est  ciiée  dans  la  lettre  du  concile 
d'Aocjre  :  la  condamnation  du  mot  consubstaniiel ,  par  le  concile 
d'Antioche,  n'est  donc  prouvée  que  par  un  auteur  qui  Tivaii  plus 
de  cent  ans  après  ce  concile  ,  et  qui  dc  l'a  point  vne ,  ou  qui  l'a 
falsifiée  ,  puisqu'il  fait  dire  auï  Pérès  du  concile  d'An^oche  le 
contraire  de  ce  qu'ils  disent  dans  le  fragment  qu'Eusèbe  nous  a 
conserrê. 

Onue  trouve,  dans  ce  fragment,  rien  qui  soit  contraire  il  lacon- 
snbstanlialité  :  croira~t-OQ  qu'Eusèbe  n'aii  pas  vu  dans  la  lettre 
du  concile  d'Autiocbe  h  condamnation  du  mot  consubslaatiel , 
pour  la  suppression  duquel  il  se  donna  tant  de  peine?  ou  s'il  l'a 
vue,  cette  condamnation,  dans  la  lettre  du  concile  d'Aiitioche, 
croira-t-OD  qu'il  l'ait  supprimée? 

Les  Ariens,  qui  ont  tout  employé  pour  faire  retrancher  du  sym- 
bole de  Nicée  le  mot  consubsiautiel ,  n'ont  cependant  jamais  osé 
dire  qu'il  eQt  été  condamné  ;  serail'il  possible  qu'ils  eussent 
ignoré  qnele  concile  d'Antîoehe ,  soiianle  ans  avant  Arius  ,  avait 
condamné  ce  mot?  il  paraît  donc  que  le  concile  d'Anlioche  n'a 
pas  en  elfel  condamné  le  mot  consubslaitHet. 

Je  réponds,  2°  que  s'il  est  vrai  que  le  concile  d'Anlioche  a  con- 
damné le  mot  eofimt/ilantiel ,  ce  n'est  pas  dans  le  sens  que  lui  a 
donné  le  concile  de  Nicée ,  puisque  les  Ariens ,  même  après  la 
lettre  du  concile  d'Anlioche ,  n'ont  fait  conire  les  orlhodoies  au- 
cnn  usage  de  ta  condamnation  que  le  concile  d'Anlioche  a  faite 
de  celle  expression. 

En  elTei,  si  Paul  de  Samosaie  s'est  servi  du  mol  eoriMbslaniiel , 
c'était  dans  un  sens  absolument  contraire  an  sens  que  lui  donnait 
le  concilede  Nicée. 

Paul  de  Samosale  qui  mettait  tout  en  usage  poni'  enlever  !i  lé- 
sas-Chrisl  le  nom  etletitre  de  Dieu,  s'il  s'est  servi  du  mot  ccnsub- 
ttanliet,  ne  s'en  est  servi  que  dans  le  sens  qui  suit: 

•  Si  le  Fils  est  consnbslaniiel  au  Père,  comme  vous ,  caihoU- 
>  ques,  le  prétendez,  il  s'ensuivra  que  la  substance  divine  est  cou- 
•  pée  en  deux  parties,  dont  l'une  est  le  Père  et  l'autre  le  Fils,  et 
■  que,  par  conséquent,  il  y  a  quelque  substance  divine  antérieure 
p  au  Père  et  au  Fils,  qui  a  été  ensuite  partagée  en  deux,  > 

l.es  Pères  d'Anlioche  ayant  horreur  d'tuie  pareille  conséquence, 
et  ne  se  mctlant  pas  d'ailleurs  fort  en  peine  des  termes,  pounn 
qu'ils  conservassent  le  fond  de  la  doctrine,  cnirenl  que,  pour  Qier 


lU  A&I 

umi  prétexte  aux  chicanes  de  cet  héréikiue  »  il  faUait  défendre  de 
se  servir  du  mot  coMubstantiel  lorsqu*on  parlerait  de  Jésus* 
Ourist. 

Les  Ariens  étant  venus  ensuite,  et  niant  la  chose  même  qui  était 
exprimée  par  ce  terme  »  savoir  la  divinité  du  Fils ,  les  Pères  du 
concile  de  Nicée  erurent  qu'il  était  à  propos  de  rappeler  Tusage 
d^  mot  dont  les  docteurs  s'étaient  servis  avant  le  concile  d'An* 
tioche,  et  qui  n'avait  été  proscrit  que  pour  ôter  tout  prétexte  aux 
diicanes  de  Paul  de  Samosate. 

£tff  Pères  du  etmeile  de  Nicée  ont  exprimé  clairement  leur  Jugement 
tur  la  doctrine  tTÀrius^  et  n'ont  laine  aucune  équivoque  dans  le 
mot  consubstaniieh 

Gourcelles  et  M.  le  Clerc  prétendent  que  les  Pères  du  concile  de 
Nieée  n'ont  point  pensé  sur  la  consubstantialité  du  Verbe  comme 
nous  prisons  aujourd'hui ,  et  qu'ils  avaient  cru  que  le  Fils  était 
coBSubstantiel  au  Père,  parce  qu'il  était  une  substance  semblable  à 
la  substance  du  Père  *• 

Cette  opinion  de  Courcelles  et  de  M.  le  Clerc  est  destituée  de 
preuves  et  de  fondement. 

Long-temps  avant  le  concile  de  Nicée,  de  simples  fidèles  accu- 
sèrent saint  Denis  d'Alexandrie  de  ne  point  croire  le  Fils  consub- 
stantiel  au  Père  :  le  pape  et  le  concile  de  Rome  reçurent  leurs 
plaintes ,  et  décidèrent  que  le  Fils  était  consubstantiel  au  Père. 

Saint  Denis  se  justifia ,  déclara  qu'on  l'avait  calomnié ,  et  qu'il 
croyait  le  Fils  cousubstantiel  au  Père. 

Cette  expression  paraissait  donc  alors  très-claire,  très-naturelle 
et  très-propre  à  exprimer  la  foi  de  l'Église. 

Eusèbe  lui-même,  dans  la  lettre  qu'il  écrivit  après  le  concile  de 
Nicée ,  avoue  que  les  anciens  Pères  s'étaieot  servis  du  terme  de 
consubstantiel  :  et  saint  Pamphile  fit  voir  qu'Origène  avait  ensei- 
gné en  termes  formels  que  le  Fils  était  consubstantiel  au 
Père». 

Les  efforts  des  Ariens  pour  faire  retrancher  le  mot  consubstantiel 
du  symbole  de  Nicée    prouvent  qu'il  exprimait  très-clairement 

*  Courcdles,  Qaatemio  dissert.  Le  Clerc,  Défenses  des  sentimens  des 
théologiens  de  Hollande,  lettre  8.  BibUoth.  cfarét.,  t  5,  art  d  ;  art. 
crit.  ép.  3,  t.  8. 

<  Théod.»  Hist.  ccdés.,  l  4,  e.  12. 


^P  ARI  183 

^ très-etaclenieDt  la  foi  del'Ëglise;  que  quandily  auraiteiidaDs 
celle  expression  quelque  obscurité,  les  Pères  du  concile  de  Nicée 
l'avaieni  dissipée. 

Jlsdédarèrenl,  en  effet,  «que  celle  eïpresslon,  le  Fils  e«(  con^ 
>  sul)stantUl  à  son  Pire,  ne  doïl  pas  fitre  prise  dans  le  sens  qu'on 
■  lui  d(»uie  quand  on  parle  des  corps  ou  des  animaux ,  puisque 
s  celle  géuéra^on  ne  se  Tait  ni  par  division,  ni  par  changement , 
»  ni  par  conïersion  de  la  substance  ou  de  la  Tenu  du  Père  ,  ni 

•  d'aucune  aulre  manière  qui  marque  quoi  que  ce  soit  de  passif, 

•  etqueriende  toulcela  ne  saurait  cooTenir  à  une  nature  nonen- 
»  gendrée,  comme  celle  du  Pare;  que  ce  terme  coniuËifanliel  si- 
s  gnifie  seulement  que  le  Fils  de  Dieu  n'a  nulle  ressemblance  avec 

•  les  créatures*.  > 

PeulKto  exprimer  plus  clairement  le  dogme  de  la  consubslan-. 
tialilé,  tel  que  l'élise  l'enseigne  aujourd'hui  ?  et  n'esi-il  pas  évi- 
dent que  si  le  Fils  était  une  substance  diflcrente  du  Père ,  il  fau- 
drait qu'il  eût  été  produit  de  quelqu'une  des  manières  que  le  con- 
cile exclut? 

Hais ,  dit  II.  le  Clerc ,  le  mot  consubstantiel  n'a  jamais  été  em- 
ployé  que  pour  sigoilier  des  individus  de  la  même  espèce:  c'est 
ainsi  que  le  concile  de  Chalcûdoine  dîtque  le  Fils  est  conguèslan- 
tiel  au  Pèi«  selon  ta  divinité,  et  coa substantiel  i  nous  selon 
l'humanité  *. 

Je  réponds  qu'il  est  vrai  que  les  auteurs  profanes  oot  souvent 
employé  le  mot  con substantiel  pour  signifier  des  substances  d'une 
même  espèce  ;  mais  nous  avons  vu  que  ce  mol  avait  aussi  été  em- 
ployé par  les  chréiieus  pour  signifier  des  personnes  diSérenles 
qui  existaient  dans  la  même  substance. 

Ainsi,  devant  et  après  le  concile  de  Nicée,  le  mot  consnb- 
Etantiel  signiQail  ou  des  substances  d'une  même  nature,  ou  des 
personnes  qui  existaient  dans  la  même  substance. 

Il  fut  employé  dans  ce  double  sens  par  le  concile  de  Cbalcé- 
doine  :  dans  te  second,  pour  exprimer  la  consubsunlialité  du  Fîb, 
et  dans  le  premier,  pour  sigaiHcr  que  le  corps  de  Jésus-Chriat 
était  de  la  même  essence  que  le  nAlre. 

Il  fallait  que  M.  le  Clerc  Al  voir  que  le  concile  de  Chalcédoine 
n'avait  pris  le  mot  contubtlaniiel    que    dans  le  premier  sens, 

'  AcI.  Conc.  Nie,  ad.  12. 


1 


184  ABI 

mais  c'est  ce  qui  est  faux  ;  les  Pères  du  concile  de  Nicée  ont 
donc  enseigné  la  consubstantialité,  telle  que  nous  la  croyons.] 

les  mUeur$  eeelésiastiques  qui  ont  précédé  le  concile  de  Nicée  ont 
enseigné  la  consub8tantialité  du  Verbe, 

.  Depuis  le  concile  de  Nicée,  le  dogme  de  la  consubstantialité  du 
Terbe  8*est  enseigné  constamment  dans  TËglise. 

Lc^  Sociniens  ont  pensé  qu*il  était  absurde  de  prétendre  qu*un 
dogme  forgé  dans  ces  derniers  siècles  soit  vrai;  ainsi,  quoiqu'ils 
fassent  peu  de  cas  de  la  tradition  et  des  Pères,  ils  ont  tâché  de 
trouver  une  époque  ayant  laquelle  on  ne  connût  point  la  consub- 
stantialité du  Verbe,  et  ils  ont  placé  cette  époque  avant  le  con* 
cile  de  Nicée. 

.  Socin,  Sandius,  Zuicker,  osèrent  donc  soutenir  que  les  Pères  des 
trois  premiers  siècles  avaient  été  Ariens.  Glarke,Wisthon^  et  leurs 
sectateurs  ont  adopté  ce  jugement  sur  la  doctrine  des  Pères,  "et  les 
Ariens  modernes  prétendent  que  les  Pères  des  trois  premiers  siè- 
cles n*ayant  point  connu  le  dogme  de  la  divinité  du  Verbe,  tel  que 
les  orthodoxes  renseignent  présentement,  il  fallait,  ou  que  Ter- 
reur eût  prévalu  dans  ]e  concile  de  Nicée,  et  que,  par  consé- 
quent ,  il  fallait  remettre  les  choses  au  premier  état  ; 

Ou  qu'il  était  certain  que  les  Pères  du  concile  de  Nicée  avaient 
fait  un  article  de  foi  d'une  chose  sans  laquelle  leurs  prédéces- 
seurs avaient  été  de  vrais  chrétiens  et  de  grands  saints  ;  que,  par 
conséquent,  on  n'était  point  obligé  de  subir  un  joug  qu'il  avait 
plu  au  concile  de  Nicée  de  mettre  sur  les  consciences. 

On  voit  aisément  combien  il  est  important  de  dissiper  les  nua- 
ges qu'on  s'efforce  de  répandre  sur  la  foi  des  Pères  qui  ont  pré- 
cédé le  concile  de  Nicée  :  je  vais  tirer  leur  justification  de  l'his- 
toire même  de  l'Arianisme  et  de  leurs  ouvrages. 

Première  preuve  ^  tirée  de  Vhistoirede  VArianisme. 

Les  Pères  du  concile  d'Alexandrie  opposèrent  aux  Ariens  la 
nouveauté  de  leur  sentiment  et  le  jugement  de  toute  l'antiquité  ; 
mais  Arius  et  ses  sectateurs  refusèrent  de  s'y  soumettre  ^. 

Arius  sentit  cependant  qu'il  était  très-important  pour  lui  de  ne 
pas  enseigner  une  doctrine  contraire  à  toute  l'antiquité ,  et  il  osa 

^  Christianisme  primilif  rétabli,  par  Wislhon, 
2  Théod.,  Hlsl,  ecçlés.,  1.  a,  c  4. 


I 


I 


AîU  185 

soDtemr  qa'it  n'easeignait  que  la  doctrine  qu'il  avait  reçue  des 
aociens,  et  d'Alexandre  mâme. 

Mais  les  Ariens  renoncèrent  bientôt  à  cette  prétention  ;  et 
lorsque  les  évéques  du  concile  de  Hicée  proposèrent  de  juger 
Arius  et  sa  doctrine  par  la  tradition  et  par  les  Pères ,  Euïébe 
prétendit  qu'il  (allait  s'en  rapporter  à  l'Ëcriture ,  sans  s'arrêter  k 
des  traditions  incertaines  et  douteuses  ' . 

Eusëbe  était  assurément  aussi  en  étal  que  nos  Ariens  modernes 
de  décoaTrir,  dans  les  Pères  des  trois  premiers  siècles ,  les  sen- 
timens  d'Arius  ;  cependant  il  récuse  ces  Pères  et  \eul  qu'on  juge 
ÂriuE  sur  la  seule  Écriture. 

Il  était  donc  bien  clair  alors  que  la  doctrine  des  Pères  des  trois 
premiers  siècles  n'était  pas  favorable  k  l'Arianisme. 

Lorsque  Théodose,  vers  la  fin  du  quatrième  siècle,  voulut 
réunir  toutes  les  sectes  dont  l'empire  était  rempli ,  il  assembla 
leurs  chefs. 

Un  défenseur  de  la  foi  de  Nicée  engagea  l'empereur  !t  deman- 
der à  cette  assemblée  si,  dans  t'eiamen  îles  questions ,  on  aurait 
égard  aux  Pères  qui  avaient  vécu  avant  les  divisions  qui  trou- 
blaient le  Christian isme,  ou  si  l'on  rejetterait  leur  doctrine  cl  si 
on  luur  dirait  anatbème. 

L'orthodoxe  qui  avait  donné  le  conseil  était  persuadé  que  per- 
sonne n'oserait  rejeter  la  doctrine  des  Pères ,  et  qu'ainsi  il  ne 
resterait  plus  qu'it  produire  leurs  passages  pour  montrer  L'éter- 
Bité  du  Fils,  ce  qui  était  facile. 

Tous  les  chefs  de  secte  témoiguèrent  beaucoup  de  respect  pour 
les  Pères:  l'empereur,  les  pressant,  leur  demanda  s'ils  voulaient 
les  prendre  pour  juges  des  points  contestés  ;  alors  ils  hésitèrent, 
et  firent  voir  qu'ils  ne  voulaient  pas  être  jugés  sur  la  doctrine  des 
Pères  '. 

Les  Ariens,  malgré  la  clarté  de  l'Ëcriture  sur  le  dogme  de  la 
consubstantjalité  du  Verbe ,  prétendaient  j  trouver  qu'il  n'était 
pas  consubstantiel ,  et  ne  voulaient  poiut  d'autre  règle  de  leur  foi  : 
ces  mêmes  Ariens  rejettent  Tautorité  des  Pères  et  ne  veulent  pas 
qu'on  décide  par  letu^  suffrages  la  question  de  la  consubstantialiié 
du  Verbe.  Les  Ariens  ont  donc  toujours  pensé  que  les  Pères  des 
trois  premiers  siècles  avaient  cru  et  enseigné  h  cousubstantiuliié 

•  Sotom.,l.  1,  c.  17. 


Iê6  ABI 

da  Filfl  :  ils  M  réanissMit  lur  ce  iM>int  avec  le  concile  de  Nicée  i 
et  leur  refus  constant  de  s*en  rapporter  au  jugement  des  Pères  ne 
permet  pas  de  soupçonner  que  les  Pères  du  concile  de  Nicée  se 
soient  trompée  ou  qu'ils  aient  toulu  tromper  les  autres,  lorsqu'ils 
ont  déclaré  que  le  symbole  du  concile  de  Nicée  était  conforme  k 
la  doctrine  de  toute  Tantlquité. 

M.  le  Clerc  prétend  que  les  Pères  du  concile  de  Nicée  n'avaient 
pas  entendu  la  doctrine  de  leurs  prédécesseurs ,  parce  qu'ils  ne 
purent  s'accorder  qu'après  de  longues  contestations  ;  ce  qu'il 
prouve  par  le  témoignage  d'Eusèbe ,  qui  rapporte  que  ce  ne  fbt 
qu'après  bien  des  contradictions  réciproques  que  l'on  forma  le 
jugement  du  concile  *. 

Sur  cette  difficulté  de  M.  le  Clerc,  je  remarque  :  1**  un  grand 
défaut  de  logique  et  de  critique  ;  car  Eusèbe  dit  bien  que  les  Pè- 
res du  concile  de  Nicée  eurent  des  altercations  assez  vives  et  aih- 
sez  longues  ;  mais  il  ne  dit  pas  que  ces  contestations  eussent  pour 
objet  de  déterminer  si  les  P^ês  qui  ont  précédé  le  concile  de 
Nicée  avaient  enseigné  la  consubstantialité  :  c'est  gratuitemeat 
que  M.  le  Clerc  l'assure ,  ou  plutôt  il  l'ajoute  au  récit  d'Eusèbe» 

2*  11  est  certain  que  les  Ariens  ne  voulurent  point  s'en  rap- 
porter au  témoignage  des  Pères  :  M.  le  Clerc  pouvait -il  ignorer 
ce  fait?  et,  s'il  Ta  connu ,  pouvait-il  assurer  que  les  Pères  du 
concile  de  Nicée  avaient  disputé  long-temps  avant  que  de  s'assu- 
rer si  les  Pères  des  trois  premiers  siècles  avaient  cru  le  dogme 
de  la  consubstantialité? 

M.  le  Clerc,  après  avoir  assuré  avec  tant  de  confiance  que  les 
Pères  de  Nicée  n'avaient  pas  entendu  le  sentiment  de  leurs  pré^ 
décesseurs  sur  la  consubstantialité ,  dit  :  «  Mais  supposons  qu'ils 
9  raient  entendu  sans  peine ,  dans  un  temps  où  l'on  avait  une  in- 
»  finité  d'ouvrages  que  nous  n'avons  plus,  plusieurs  secours 
»  dont  nous  sommes  présentement  destitués ,  il  ne  s'ensuit  nulie- 
»  ment  qu'il  nous  soit  fort  aisé  d'entendre  la  doctrine  du  concile 
»  de  Nicée  et  de  ceux  qui  l'ont  précédé  ;  il  Eaudrait  pour  cela 
,  »  avoir  les  mêmes  secours  qu'alors  *.  » 

Si ,  de  l'aveu  de  M.  le  Clerc ,  nous  sommes  privés  des  secours 
nécessaires-pour  connaître  clairement  la  doctrine  des  Pères  qui 
ont  précédé  le  concile  de  Nicée  ;  si  les  Pères  du  concile  de  Nicée 

*  Euseb.,  Vit.  Const.,  c,  7. 

2  Défenses  des  sentimens  des  théol,  de  Holl,  lett,  é« 


I 


ABI  i^ 

avaient  eM  seeonta ,  comuent  M.  le  Clerc  ose-t-il  décider  que  les 
Fëres  du  concile  de  Nicée  o'ont  pas  entendu  les  sentimens  des 
Pères  des  trois  premiers  siècles  ? 

Si  Sandius ,  Courcelles ,  etc.,  étaient  deslilués  des  secours  né- 
cessaires pour  riotelligeDce  exacte  des  Pèras  des  trois  premiers 
siècles ,  pourri ons-Qous  sans  absurdité  préférer  leurs  assertions 
au  témoignage ,  au  jugement  des  Pères  du  concile  de  Nicée ,  qui 
ont  déclaré  que  leurs  prédécesseurs  avaient  enseigné  U  consiïb- 
slaniialiié  du  Verbe? 

Pensera-t-on  que  les  Ariens ,  que  leurs  défenseurs ,  qu'un  Eu- 
sèbe ,  par  exemple ,  ne  lui  pua  en  élat  de  loir  les  fautes  des  Pères 
duconcilede  Nicée  dans  l' in  ter  prétaii  un  qu'ils  donna  le  ni  aux  ou- 
Tnges  des  Pères  qui  les  traient  précédés? 

Cependant  Ëusèbe  ue  leur  reproche  point  de  mal  interpréter 
les  Pères;  il  soutient  qu'on  ne  doit  point  s'en  rapporter  à  leur  ju- 
gement, ce  qui  suppose  évidemment  que  les  PèresdeNicéenese 
Irompaiflnt  point  dans  l'inlerpréiiiiion  des  ouvrages  des  Pères 
BUT  le  dogme  de  la  consubsiaDiialité  '. 

Seconde  preuve,  tirée  des  ouvrage»  mêmes  deâ  Pères. 

[  l.eE  ouvrages  des  Pères  des  trois  premiers  siècles  sont  destinés 
k  instruire  les  Edèles,  â  combattre  les  hérétiques  et  h  défendre 
la  religion  contre  les  Juifs  et  contre  les  Païens. 

S'ils  eiliortent  les  fidèles  ï  ta  vertu ,  c'est  en  leur  mettant  de- 
TSDt  les  yeui  un  Dieu  mort  pour  euï ,  qui  doit  i>tre  leur  juge , 
comme  il  a  été  leur  rédempteur  et  leur  médiateur. 

Lorsque  Cérintbe,  Ebiou,  Tbéodote,  etc. ,  attaquent  la  divinité 
du  Teiix,  saint  Ignace,  saint  Pulycarpe,  saint  Irénée,  saint  Jus- 
tin et  plasieun  antres  écrivains ,  instruila  parles  apôtres  mêmes, 
«Mibatteat  ces  hérétiques,  et  les  confondent  par  l'antorité  de 
Jésns-Cbrisl  et  des  apôtres  *. 

Lorsque  Praiée ,  Noët ,  Sabellius,  attaquent  la  Trinité  et  sou- 
tiennent que  les  personnes  divines  ne  sont  que  des  noms  dilTé- 
mi  donnés  à  la  même  chose,  les  Pères  combattent  celte  erreur, 
Ml'Ëglisela  condamne. 

Les  Pères,  qui  combattent  également  Cérintbe,  qui  niait  que 
Jjfius-Christ  fût  Dieu ,  et  Praiée ,  qui  croyait  qu'il  a'éiail  pas  lue 


),  Hjeron.  adrer,  Helvidium,  c.  S. 


1S8  ARI 

personne  distinguée  du  Père ,  combattent  Hermogène ,  Marcion,  et 
tous  les  hérétiques  qui  admettent  plusieurs  principes  on  plusieurs 
substances  nécessaires  :  ils  prouvent ,  contre  ces  hérétiques,  qn*3 
«si  impossible  qu*il  y  ait  plusieurs  substances  nécessaires ,  plu- 
lieurs  êtres  souverainement  parfaits. 

Ces  Pères  supposaient  donc  :  1**  que  Jésus-Christ  était  vrai 
Dieu  ;  â*"  qu*il  était  une  personne  distinguée  du  Père  ;  3»  que  le 
Père  et  le  Fils  existaient  dans  la  même  substance  ;  et  je  dis  que 
ces  trois  principes  étaient  bien  distinctement  dans  leur  esprit  et 
bien  clabement  enseignés  dans  TÉglise. 

S*ils  avaient  cru  que  le  Père  et  le  Fils  étaient  deux  vrais  dieux 
et  deux  substances  différentes,  ils  n'auraient  pu  soutenir,  contre 
Hermogène,  contre  Marcion ,  contre  Apelle ,  contre  les  Mani- 
chéens, qu'il  n'y  avait  pas  plusieurs  substances  nécessaires  et 
souverainement  parfaites,  sans  tomber  dans  une  contradiction 
qui  ne  pouvait  échapper  à  leurs  adversaires. 

Et  s'ils  avaient  enseigné,  contre  Gérinthe,  contre  Théodote,  etc., 
que  le  Fils  est  un  vrai  Dieu,  mais  qu'il  n'est  pas  consubstantiel  à 
son  Père,  Théodote,  Ârtémon,  etc.,  leur  auraient  reproché  qu'ils 
se  contredisaient,  et  qu'ils  admettaient  plusieurs  êtres  souveraine- 
ment parfaits,  plusieurs  principes  étemels  et  nécessaires,  ce  qu'ils 
avaient  cependant  regardé  comme  une  absurdité,  lorsqu'ils  avaient 
écrit  contre  Hermogène,  Marcion,  etc. 

Dans  quel  degré  d'ignorance  et  de  présomption  ne  faudrait-il 
pas  supposer  les  Pères  qui  seraient  tombés  dans  ces  contradic- 
tions ,  et  les  hérétiques  qui  ne  les  auraient  ni  aperçues,  ni  re- 
levées ? 

Cependant  ces  Pères  des  trois  premiers  siècles  avaient  de  l'éru- 
dition ;  ils  étaient  logiciens  et  bons  métaphysiciens  ;  ils  savaient 
examiner  profondément  et  discuter  avec  exactitude,  et  les  héré- 
tiques n'étaient  ordinairement  pas  des  hommes  médiocres. 

Ce  principe  général  est  applicable  à  tous  les  Pères,  et  en  par- 
ticulier à  TertuUien,  qui  a  si  bien  défendu  la  Trinité  contre  Praxée, 
et  exprimé  si  clairement  la  consubstantialité  du  Verbe,  dans  ses 
ouvrages  contre  cet  hérétique,  et  qui  n'a  négligé  aucune  des  pré- 
cautions nécessaires  pour  prévenir  toute  espèce  d'abus  qu'on 
pourrait  faire  de  ses  expressions.  YoyexVsni.  Praxée,  Hermogène^ 
Marcion. 

Les  Pères  des  trois  premiers  siècles  prouvent,  contre  les  Juifs, 
que  Jésus-Christ  est  le  Messie  prédit,  qu'il  est  Dieu.  Saint  Justin, 


I 


ARl  igg 

Terlullien,  Origène,  etc.,  élablissem  tous  la  diviaiié  de  Jéiius' 
Clirist,  coolru  les  Juifs  <. 

Après  que  saint  Jiutin  a  prouvé  que  Jésus^hrist  rcuiiil  tous  les 
caraciÈres  du  Messie,  et  que  le  Messie  est  vrai  Dieu,  'l'r^plion 
o'esl  plus  embarrassé  que  de  la  diflJcuUé  de  concevoir  comment 
le  Messie,  Fils  de  Dieu  ei  Dieu  lui-même,  a  voulu  se  faire  homme 
el  mourir  pour  les  hommes. 

Dans  toute  celte  dispute,  les  Juifs  oe  reproclieni  point  ï  sïinl 
Justin  de  combattre  le  dogme  de  l'unité  de  Dieu  :  ainsi,  il  est 
clair  que  saint  Jiislin  enseignait  deux  choses :1a  première,  que 
Jésus-Chrisi  était  vrai  Dieu  ;  la  seconde ,  qu'il  n';  avait  point  plu- 
sieurs dieux. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  de  saint  Justin  s'applique  exacle- 
menlïTerlutlieD,  les  Juifs  ne  lui  reprochant  point  de  croire  plu- 

Le  Juif  contre  lequel  Origine  dispute  attaque  la  religion  cliré- 
tienue  parce  qu'il  est  absurde  d'adorer  un  Dieu  morl  cl  humilie  : 
Origène  répond  aux  difficultés  du  Juif  en  supposant  que  Jésus- 
Christ  réunit  la  nature  divine  et  la  nature  humaine ,  et  ne  craint 
point  qu'on  lui  réplique  qu'il  admet  plusieurs  dieux. 

D'ailleurs ,  il  esl  clair  que  toutes  les  difGculléa  que  Celse  tire  de 
l'humiliation  et  des  souffrances  de  Jésus-Christ  tombaient  si  Jé- 
■BS-Christ  n'était  pas  vrai  Dieu  :  cependant  Origène  n'emploie 
point  celte  réponse  si  simple  ;  il  a  recours  au  mystère  de  l'incar- 
■aiion;  il  croyait  donc  la  consubstantialité  du  Verbe. 

iMjMlice  tt  faibteiie  de»  difficullés  ies  Ariens  moderiK*  contre  Ut 
Pérès  dei  troit  premier*  siècles. 

Il  n'y  a  point  de  Pères,  avant  le  concile  de  Nicée,  qui  n'uienl 
enseigné  que  Jésus-Oirist  est  éternel ,  Fils  de  Dieu  êl  vrai  Dieu  ; 
ils  supposent  constamment  la  divinité  de  Jéstis-Chrisl  et  sa  con- 
mfastantialité ,  soit  <iu'ils  combattent  les  hérésies ,  soit  qu'ils  dé- 
fendent la  religion  cotitre  les  Juifs  :  le  culte  qu'ils  rendent  !i  Jésus- 
Christ  a  pour  base  sa  divinité  et  sa  consubstantialité. 

Les  Ariens  modernes  reconnaissent  ces  faits ,  qui  sont  incon- 
testables ;  mais  ils  prétendent  trouver  dans  ces  Pères  des  passages 
qui  sembicut  laire  de  Jésus-Christ  utie  simple  créature;  et,  de 
l'aveu  de  M.  Le  Cleic ,  toute  la  question  sur  cet  objet  se  réduit  k 


L 


tJitlUu,DiiilcuuTrypli,Tert.iuJutlitws,Origeti.caul.  CeU 


IM  ABI 

iftToir  dflsqiMli  de  ces  ptan^ietf  oa  doit  recieiiUr  le  aentioMll 
des  Pères ,  et  québ  sont  les  passages  qui  doiteat  aenrir  d*mtei>- 
prétation  aux  autres  ;  si  oe  sont  les  mots  qui  semblent  dire  que  le 
Fils  de  Dieu  n*est  pas  étemel  qu'il  faut  presser  à  la  rigueur,  «u 
ceux  qui  semblent  assurer  qu*il  Test  ^. 

Cette  question  parait  décidée  par  Texposition  que  nous  Teaoïs 
de  faire  de  la  doctrine  des  Pères  ;  car,  puisque  les  Pères,  dmas 
leurs  ouvrages  contre  les  hérétiques,  supposent  la  consubstan- 
tialité  du  Verbe;  puisque  le  culte  qu'ils  rendent  à  Jésus-dhrirt 
la  suppose ,  il  est  dair  que  le  dogme  de  la  consubstantialité  était 
clairement  et  distinctement  dans  leur  esprit. 

S'ils  avaient  cru  que  Jésus-Christ  fût  une  créature,  ils  auraieM 
eu  une  religion  essentiellement  différente  ;  ils  auraient  employé 
des  principes  essentiellement  différens  contre  les  hérétiques  et 
contre  les  Juifs;  ib  n'avaient  donc  point  dans  l'esprit  que  Jéswi 
Christ  fût  une  créature. 

Les  passages  dans  lesquels  ils  semblent  ne  parler  du  Fils  <ni 
de  Jésus-Christ  que  comme  d'une  simple  créature  ne  contienaeel 
donc  point  le  sentiment  des  Pères,  si  Ton  prend  ces  passages  à  la 
lettre  ;  il  faut  donc  les  interpréter  par  les  passages  dans  lesquds 
les  Pères  enseignent  la  consubstantialilé  du  Verbe. 

Toutes  les  fois  qu'un  homme  établit  un  principe,  et  que  ce  prin- 
cipe fait  la  base  de  tous  ses  écrits  et  la  règle  de  sa  conduite ,  il 
est  injuste  et  absurde  de  juger  que  cet  homme  ne  croyait  pas  oe 
principe  parce  qu'il  lui  est  échappé  quelque  phrase  qui,  prise 
à  la  rigueur,  est  contraire  à  ce  principe. 

L'humanité  ne  comporte  pas  une  exactitude  de  langage  et  d'ex- 
pression assez  grande  pour  qu'on  ne  puisse  pas  trouver,  dans  l'au- 
teur le  plus  systématique ,  des  expressions  et  des  phrases  qui , 
prises  littéralement  et  dans  la  rigueur  grammaticale  ,  ne  parais- 
sent conduire  à  des  conséquences  opposées  à  ses  principes. 

Mais  ce  serait  une  injustice  et  une  absurdité  de  chercher  le 
sentiment  de  l'auteur  dans  ces  expressions ,  et  c'est  ce  que  les 
nouveaux  Ariens  font  par  rapport  aux  Pères  des  trois  premiers 
siècles. 

La  consubstantialité  du  Verbe  est  un  principe  sur  lequel  porte 
la  religion  des  Pères;  ils  ont  combattu  toutes  les  erreurs  qui  l'at- 

^  Le  Clerc,  Défenses  des  sentimens  des  théologiens  de  Hollande,  let- 
tre 3,  p,  76,  Àrs  crlU,  U  3,  ép,  8,  p,  96«  Biblioth.  uniVf »  t.  10,  art.  8. 


uqiuîenl  ;  ils  In  supposent  dans  tous  leun  écrits  ;  et  t'oa  prétend 
qo'ils  ODl  été  Arieus  parct  qu'on  trouve  :laas  leurs  écrits  qael- 
qnes  phrases  qui,  prises  k  la  lettre,  supposent  que  Jésus-Clirist 
est  ou  inTérieur  â  sou  Père ,  ou  une  substance  distinguée  àc  lui  '. 

Que  l'on  eiamine  les  passaj^es  que  &ndius  et  Zuicker  ont  cités; 
je  défie  qu'où  en  trouve  où  les  Pères,  parlant  du  Verbe,  niellent 
en  principe  qu'il  est  une  créature  ouqu'ilest  une  substance  diffé- 
rente  du  Père  :  tous  ces  passages  sont ,  ou  des  comparaisons  des- 
tinées h  eipliquer  le  mystère  de  la  génération  éternelle  du  Fils , 
on  des  explications  que  les  Pitres  donnent  pour  répondre  aux  dif- 
Scultés  qui  les  pressent,  on  eoDu  ce  sont  des  interprétations  de 
quelque  endroit  de  l'Ëeriture. 

Hais  est-ce  dans  tes  passages  qu'il  faut  chercher  la  doctrine 
des  Pères  sur  la  consubstauti alité  du  Verbe?  Peut-on  opposer 
ces  passages  aux  preaves  qui  établissent  que  ces  Pères  ont  en- 
seigné ce  dogme? 

Comme  les  nouveaux  Ariens  citent  en  faveur  de  leur  sentiment 
le  P.  Pétau,  j'ai  cru  devoir  faire  remarquer  qu'il  s'en  faut  beau- 
ooup  que  ee  savant  jésuite  ait  pensé  comme  eui  sur  les  Pères  des 
trais  premiers  siècles. 

Nous  n'avons  qu'une  partie  des  ouvrages  des  trois  premiers 
uèdes  ;  quand,  parmi  ceux  qui  nous  restent,  le  P.  Pétau  iruii- 
lerait  que  quelques-uns  ont  parlé  peu  exactement,  pourrait-on 
fli  conclure  qne  ce  grand  théologien  a  eru  qne  les  Pères  qui  ont 
précédé  le  concile  de  Nicée  étaient  Ariens  ? 

Au  reste,  le  P.  Péta»  ne  préteml  pas  que  ces  Pères  aient  été 
Ariens;  il  dit  seulement  qu'ils  se  sont  exprimés  peu  exaclenieni  ; 
il  reconnaît,  d'ailleurs,  que  ces  Pères  ont  cru  le  dogme  de  la 
comubslantiatité,  et  ce  savant  théologien  a  loî-méme  très-bien 
prouvé  ce  dogme;  les  Ariens  ne  peuvent  donc  réclamer  le  suf- 
frage du  P.  Pétau. 

Il  n'est  pas  possible  d'entreprendre  une  jnsliQcation  détaillée 
des  Pères  des  trois  premiers  siècles  ;  on  la  trouvera  dans  Bullus, 
dans  le  Moine,  dans  H.  Ëossuet,  dans  un  excellent  traité  du  la 
divinité  de  Jésus-Cbvist  ;  c'est  l'ouvrage  d'un  savant  bénédivlîn  '. 

■  Judieîum  Ecclesix  calhoUfa  trium  priomm  sxculorum,  etc.  Dc- 
Teoûn  fidei  uicxns,  dans  le  rfcucîl  des  ouvrages  de  finll,édit.  de Grab., 
iii-fiiL  1703. 

Varia  ttcra,  etc.,  curt  SiqikMii_LolMn&  avoLin^*,  leSS,  kl. 


A 


1^8  AM 

Od  lira  aussi  aVec  plaisir,  sur  celle  malièré,  un  outragé  dé 
M.  Bayle  contre  le  ministre  Jurieu,  qui  ayait  parlé  des  Pères 
des  trois  premiers  siècles  comme  les  Ariens  en  parlent  *. 

M.  Wisthon  a  prétendu  trouver  son  sentiment  dans  les  consti- 
tutions apostoliques  ;  aussitôt  il  a  fait  de  ces  constitutions  un  ou- 
vrage dicté  par  Jésus-Christ  même  aux  apôtres,  pendant  quarante 
jours,  depuis  sa  résurrection  jusqu^à  son  ascension  ;  il  prétend 
même  que,  sans  cet  ouvrage^  TÉglise  chrétienne  n^aurait  pu  sub- 
sister :  ces  constitutions,  selon  M.  Wisthon ,  contiennent  1  Aria- 
nisme.  •  < 

Nous  voyons  encore  ici,  dans  M.  Wisthon,  un  étrange  effet  de 
la  prévention  ;  car,  i<*  il  est  certain  que  les  constitutions  aposto- 
liques ne  contiennent  point  TArianisme;  2**  il  est  encore  plus 
certain  qu'elles  sont  d*un  auteur  du  quatrième  siècle  :  on  trouve 
la  preuve  de  ces  deux  points  dans  les  PP.  apostoliques  de  Gote- 
lier,  édition  de  M.  le  Clerc  ^. 

Pour  les  épîtres  de  saint  Ignace ,  dont  M.  Wisthon  réclame 
Tautorité,  il  est  certain  que  les  passages  qu'il  cite  sont  des  ad- 
ditions faites  par  les  Ariens,  comme  tous  les  savans  Tont  reconnu 
avant  M.  Wisthon,  et  comme  M.  le  Clerc  Ta  fait  voir  en  réfutant 
M.  Wisthon  3. 

La  nature  de  Touvrage  que  Ton  donne  ne  permet  pas  d'entrer 
dans  ces  discussions  ;  je  remarquerai  seulement  que  M.  le  Clerc 
n'était  ni  contraire  aux  Ariens ,  ni  favorable  aux  Pères ,  et  qu'il 
avait  même  prétendu  que  les  Pères  qui  ont  précédé  le  concile  de 
Nicée  étaient  Ariens. 

Conclusion  générale  de  cet  article. 

Ainsi  tout  l'édifice  de  l'Arianisme  moderne  s'écroule  lorsqu'on 
examine  ses  principes  ;  et  ces  grandes  difficultés ,  qu'on  oppose 
avec  tant  de  confiance  aux  défenseurs  de  la  consubstantialité,  sont, 
aux  yeux  de  la  critique ,  des  sophismes.qui  tirent  toute  leur  force 

Sixième  aTertissement  contre  Jurieu,  par  M.  Bossuet.  De  la  divinité 
de  J.-C,  par  D.  Maran,  chez  Colombat;  3  vol.  in-12,  1751,  t.  2. 

^  Janua  cœlorum  rcserata  cunctis  religionibns,  ù  celebri  admodùm 
viro  D.  Petro  Jurieu. 

2  Cotelier,  Judicium  de  constilutionibus  apostolicîs,  t.  d.  PP.  apos- 
tolicorum,  p.  19â. 

*  PP.  aposiolici  de  Cotelier,  édil.  de  le  Clerc,  t.  2.  Bibl.  anc  et 
mod.,  t.  22,  part.  %y  p.  237.  Dup.,  Bibliotb.  des  aut  ecclcs.,  t.  4,  p«  47. 


ABT 


133 


de  l'aboS  qne  l'on  Tiil  d'une  maiîme  eice1lent«  lorsrpi'elle  est 
bien  entendue  :  on  prétend  qu'il  ne  faut  rien  admettre  que  ce  que 
l'on  conçoit  clairement  ;  comme  on  ne  voit  point  clairement  com- 
ment le  Fils  est  consabstantiel  an  Père,  on  se  croit  autorisé  ï 
rejeter  le  dogme  de  la  consubsiantialiié  ;  d'après  ce  principe,  on 
prend  à  la  lettre  tous  les  passages  qui  parlent  de  Jésus-Christ 
comme  d'une  créature  ,  et  l'on  prend  dans  un  sens  métaphorique 
tous  ceuK  qui  e:tpriment  sa  divinité ,  quelque  clairs  que  soient 
ces  passages. 

Mais  ne  conçoît-oo  pas  clairement  qu'il  y  a  des  choses  que 
nous  ne  pouvons  comprendre ,  que  nous  ne  pouvons  concevoir 
clairement ,  et  qui  sont  pourtant  incontestables? 

Ne  eoncevona-nons  pas  clairement  que  lorsqu'une  autorité  în- 
failliblc  nous  assure  ces  cboses  ,  elles  deviennent  aussi  certaines 
que  l'autorité  même  qui  les  atteste ,  quelque  obscures ,  quelque 
inaccessibles  qu'elles  soient  à  la  raison? 

D'après  ce  principe,  que  personne  ne  peut  contester,  n'esi-il 
pas  évident  qu'il  Taui  prendre  ï  la  lettre  les  passages  qui  nous  par- 
lent de  la  consubstantialité  du  Verbe ,  si  ce  dogme  est  évidei»' 
ment  supposé  dans  l'Ëcrilure ,  s'il  Tait  la  base  de  la  religion ,  s'il 
a  été  établi  par  Jésas-Chrlst  et  enseij^né  par  les  apAtres  comme 
le  fondement  de  la  religion  chrétienne  ,  comme  on  l'a  cent  l'ois 
prouvé  aux  Ariens  T 

Tont  le  système  de  la  religion  chrétienne  s'entend  très-bien 
lorsqu'on  l'appuie  sur  la  divinité  et  sur  la  consubstantialité  du 
Verbe  :  l'Arianisme ,  qui  la  nie,  est  au  contraire  plein  d'absur- 
dités et  de  contradictions ,  que  la  sagacité  de  Clarb  et  de  Wistbon 
n'a  pu  sauver. 

L*onhodoxe ,  appuyé  sur  la  révélation  qui  est  certaine  ,  admet 
la  consubstantialité  qu'il  ne  comprend  pas  et  qu'il  ne  conçoit  pas 
clairement,  mais  dans  laquelle  il  ne  voit  point  de  contradiction  , 
et  ce  dogme  lui  développe  admirablement  tout  le  système  de  1> 
religion  chrétienne. 

L'Arieu ,  au  contraire ,  nie  la  divinité  de  Jésus  Christ,  dans  la- 
quelle il  ne  volt  pas  de  contradiction  non  plus  que  l'orthodoïe , 
et  tombe  dans  des  contradictions ,  dans  des  absurdités  sans 
nombre. 

On  conçoit  donc  clairemeni  ,non  la  consubstantialité  du  Verbe, 
mais  la  vérité  de  ce  dogme,  et  l'absurdité  de  l'Arianisme  qui  le 


1 


194  ARM 

Que  le  leetear  équitable  prononce ,  qui  de  rÂrien  ou  de  Tor- 
thodoxe  yiole  la  maxime  qui  porte  que  Thomme  ne  doit  admettre 
qœ  ce  qu^il  conçoit  clairement. 

On  examine,  dans  Tarticle  Aiwi-trinitaires,  les  difficultés'qu*on 
oppose  k  la  consubstantialité  du  Verbe,  et  que  rontiredeTimpos- 
sibilité  de  réunir  dans  une  même  substance  un  Père  et  un 
Fils. 

ARMÉNIENS ,  branche  d'Eutychiens  ou  Monophysites  qui  reje- 
tèrent le  concile  de  Ghalcédoine  et  s'unirent  aux  Jacobites ,  vers 
le  milieu  du  sixième  siècle. 

La  religion  chrétienne  avait  été  portée  dans  FArménie  avant 
Constantin  par  Grégoire ,  surnommé  Tllluminé  ;  elle  s*y  conserva 
dans  toute  sa  pureté  jusqu'au  patriarche  Narsès,  qui,  vers  le  milieu 
du  sixième  siècle ,  tint  un  concile  de  dix  évéques ,  dans  lequel  il 
se  déclara  pour  Thérésie  des  Monophysites ,  soit  qu'il  eût  de  Taf- 
fection  pour  cette  hérésie ,  soit  qu'il  voulût  faire  sa  cour  aux 
Perses ,  qui  cherchaient  à  mettre  de  la  division  entre  les  Grecs  et 
les  Arméniens ,  unis  ensemble  par  leur  commune  opposition  à  l'i- 
dolÀtrie  des  Persans  ^. 

Ce  patriarche ,  qui  donna  naissance  au  schisme  de  sa  nation,  eut 
pour  successeurs  sept  autres  patriarches ,  qui  y  maintinrent  le 
schisme  durant  l'espace  de  cent  douze  ans. 

Pendant  ce  premier  schisme,  les  Arméniens  souffrirent  beau- 
coup de  la  part  des  Perses  :  lorsqu'Héraclius  eut  défait  les  Per- 
ses ,  les  Arméniens  marquèrent  de  la  disposition  à  se  réunir  à  l'É- 
glise catholique  :  on  assembla  un  concile,  qui  condamna  tout  ce 
que  Narsès  avait  fait ,  et  qui  réunit  les  Arméniens  à  l'Église. 

Cette  réunion  dura  105  ans,  mais  le  schisme  se  renouvela  au 
commencement  du  huitième  siècle.  Jean  Agniensis ,  par  ordre 
d'Omar,  chef  des  Sarrasins ,  et  avec  le  secours  du  calife  de  Baby- 
I(me ,  assembla  un  conciliabule  de  quelques  évéques  arméniens 
et  de  six  évéques  assyriens  ;  il  y  fit  définir  qu'il  n'y  avait  qu'une 
seule  nature  en  Jésus-Christ ,  une  volonté  et  une  opération  ;  ainsi 
ils  joignirent  le  Monothélisme  au  Monophysisme. 

On  ordonna  encore ,  dans  un  concile ,  qu'à  l'avenir  on  retran- 

*  Oriens  christianus,  t,  1,  p.  1355.  Narratio  de  rébus  Armenorum^ 
a^d  Conbefis  aocluar.  Biblioth.  PP.,  t.  2.  Asseman,  Biblioth.  Or., 
U  d,  part.  2,  p.  37.  Mémoires  des  missions  de  la  compagnie  de  Jésus 
dans  le  Levant,  u  3. 


^  ABH  tSS 

dtenilTeiD  des  sacrés  mystères  pour  ne  point  marquer  denx  na- 
tures en  Jésus-ChrUt  par  le  mélange  de  l'ein  avec  le  ria. 

Comme  ce  palri3r<.-he  était  aussi  hjpocrile  qu'artificieux,  il  se 
fil  la  réputation  à'iia  saint;  il  u'eal  besoin  pour  cela  que  d'aSecler 
eiilérieuremeni  un  air  mortifié  et  de  Taire  des  ordoniiaDces  s&ié- 
res  ,  dont  une  défendit ,  tous  les  jours  de  jeûne ,  l'usage  du  pois- 
son ,  de  l'buile  d'olÎTe  et  du  vin  ,  aussi  étroitement  que  la  viande 
et  les  œuk  ;  étaient  défesdus. 

Le  schisme  renouvelé  par  ce  patriarche  dura  jusqu'à  la  fin  dn 
ueuTième  siècle  ;  quelques  patriarcjies  tentèrent  la  réunion  et  fo- 
rent chassés  :  Kacik,  vojant  le  ravage  que  les  Turcs  Taisaient  en 
Arménie,  transporta  son  siège  i  Sébaste  pour  se  mettre  soui  11 
protection  des  empereurs  ^recs. 

Ce  Tut  dans  ce  tempa-lï  que  Kacik,  seigneur  arménien,  entre- 
prit de  relever  le  royaume  de  la  petite  Arménie  ;  il  prit  le  tilre 
de  roi  et  conquît  la  Cilicie  et  une  partie  de  la  Cappadoce. 

Léon,  qui  succéda  à  Kacik,  se  trouva  environné  d'infidèles  qui 
menaçaient  de  l'attaquer;  il  eut  recours  aui  Latins  qui  étaient 
alors  puissans  dans  l'Orient  ;  el,  pour  se  les  rendre  favorables,  11 
lâcha  de  gagner  les  bonnes  grâces  du  pape,  qui  était  l'àme  des  ar- 
mées et  des  mouvemens  des  princes  d'Occident.  Il  pria  le  pape 
CéJestin  III  de  lui  envoyer  un  cardinal  pour  faire  la  cérémouie 
de  son  coaronnement  ;  ce  prince  favorisa  beaucoup  les  catholi- 
ques dans  l'Arménie,  et  disposa  ses  sujets  i  la  réunion  avec  l'É- 
glise romaine.  Cette  réunion  n'eut  cependant  pas  lieu  ;  les  efforts 
que  les  patriarches  firent  et  l'opposition  des  schismaliques  causè- 
rent même  du  désordre. 

Ces  divisions  afiaiblirent  considérablement  l'Arménie  ;  et  les 
Tarlares  ,  qui  en  furent  informés ,  firent  une  irruption  dans  ce 
royatune,  s'emparèrent  de  la  Céoi^ie  et  de  la  grande  Arméniet  dé- 
truisirent  la  ville  de  Daun ,  'dans  laquelle  on  comptait  plus  de 
mille  Eglises  el  plus  de  cent  mille  familles. 

Les  successeurs  de  Léon,  après  avoir  sontenu difi'ércntes  atU- 
ques  des  Sarrasins,  el  les  avoir  attaqués  eui-mémes  en  se  réunis- 
sant aux  Tarlares,  convoquèrent  enfin  un  concile  ,  au  commence- 
ment dn  qualonième  siècle.  Dans  ce  concile  on  reconnut  que 
Jésus-Christ  avait  dcui  natures  et  deux  volontés  :  ce  concile  était 
composé  de  vingt-sii  cvcques  ,  de  dix  voriabjets  ou  docteurs  et 
de  sept  abbés. 

Les  Gchismatîques  s'élevèrent  contre  le  synode ,  et  prolefilèrent 


I 


196  ARM 

contre  tout  ce  qui  s*y  était  fait  :  on  prétend  même  qu'ils  firent  as- 
sassiner Hayton  et  Léon  son  fils,  qui  favorbaient  la  réunion. 

Pour  faire  tomber  leur  répugnance ,  le  successeur  de  Léon  III 
fit  assembler  un  nouveau  concile,  qui  confirma  tout  ce  que  le  pré- 
cédent avait  fait;  et  les  Monophysites  s^opposèrent  à  ce  concile» 
comme  ils  s'étaient  opposés  au  concile  précédent. 

On  ne  se  réunit  donc  point,  et  les  Arméniens  monophysites  ne 
cessèrent  point  d'insulter  les  catholiques ,  et  de  leur  susciter  des 
persécutions. 

Quelques  années  après  la  tenue  de  ce  concile ,  Oscin  II  mourut» 
et  les  scbismatiques  rentrèrent  dans  les  dignités  ecclésiastiques. 
Après  la  mort  de  Grégoire,  un  moine  nommé  Giriaque,  passionné 
pour  le  scbisme,  enleva  de  la  ville  de  Sis  la  sainte  relique  de  la 
main  droite  de  Grégoire ,  la  reporta  à  Echmiadzin^  où  il  eut  le 
crédit  de  se  faire  élire  patriarche  par  les  scbismatiques:  c'est  ainsi 
que  recommença  le  schisme  du  patriarche  des  Arméniens ,  qui 
dure  encore  aujourd'hui  ;  car  Sis  a  conservé  jusqu'à  présent  son 
patriarche ,  dont  la  juridiction  s'étend  sur  la  Gilicie  et  sur  la  Sy- 
rie, et  Ëcbmiadzin  a  le  sien. 

Giriaque  ne  jouit  pas  long-temps  de  son  usurpation  ,  et  fut 
chassé  deux  ans  après  son  élection,  en  1447. 

Alors  les  trois  prétendans  au  patriarchat  s'en  mirent  en  posses- 
sion :  un  de  ces  prétendans ,  nommé  Zacharie ,  emporta  la  sainte 
relique  de  la  main  de  saint  Grégoire  dans  l'île  Aghtamor,  oîi  il 
avait  déjà  été  patriarche,  et  y  forma  un  troisième  patriarchat,  ou 
plutôt  renouvela  ce  troisième  patriarchat,  car  cette  division  du 
patriarchat  était  fort  ancienne. 

Ges  .patriarches  causèrent  beaucoup  de  troubles  et  de  dissen- 
sions dans  l'Arménie ,  parce  que  tous  voulaient  avoir  la  main  de 
saint  Grégoire:  comme  les  patriarches  payaient  une  grosse  somme 
au  roi  de  Perse,  pour  l'investiture,  et  un  tribut  annuel  très-con- 
sidérable ,  ils  ne  pouvaient  satisfaire  à  cette  dépense  sans  le  se- 
cours de  la  relique,  qui  produisait  infiniment. 

Gha-Abas,  qui  sut  le  sujet  de  leurs  querelles ,  fit  venir  la  reli- 
que à  Ispaban  ,  et  donna  de  plein  droit  le  patriarchat  à  Melchisé- 
dec,  qui  s'engagea  à  lui  payer  chaque  année  deux  mille  écus  ;  c'é- 
tait beaucoup  plus  que  le  patriarche  ne  pouvait  payer,  et  il 
s*enfuit  à  Gonstantinople. 

Depuis  ce  temps  ,  il  y  a  eu  des  patriarches  qui  ont  désiré  de  se 
réunir  à  l'Église  romaine ,  mais  sans  pouvoir  le  persuader  à  la  na- 


_  ARM  I9T 

f  lion;  cepeadant  les  missionnaires  j  onlcunverti  beaucoup  de  scbis- 
1   naliques,  et  LraTaillent  encore aujourd'buiavec  succès  dia  réunion 
de  l'Église  arménienne  avecl'Église  catholique  *. 

Il  aujourd'hui  divisés  en  Ârménieus  francs  et  Arméniens 
I  lebismaiiques  :  les  francs  sont  ceux  que  le  Père  Barlliélemj,  do- 
'ti  envoyé  par  le  pape  Jean  XXII ,  ramena  i  la  foi  calbolU 
[  que  ;  ils  habitent  sept  Tillages  dans  un  canton  ferille,  nommé 
\  'Mrener-,  il  y  en  a  aussi  quelques-uns  en  Pologne,  sous  un  patrlar- 
se  soumit  au  siège  de  Rome  en  161G  *. 
De  la  erayanee  det  Arniéaieiu  sehiimatiqaei. 
L'erreur  capitale  des  Arméniens  est  de  ne  pas  recoimalire  le 
concile  deCbalcédoioe;  â  celte  erreur  pr&s,  ils  ne  diffèrent,  à  pro- 
prement parler,  de  l'Église  romaine  que  dans  le  rit  ;  ils  ont  tous 
les  sacremens  de  l'Église  romaine. 

II  ;  a  encore  parmi  eux  quelques  erreurs  sur  la  procession  du 
Saint-Esprit  et  sur  l'état  des  ïmes  apr^  la  mort  :  ils  croient  qne 
las  âmes  ne  seront  punies  on  nl'co  m  pensées  qu'au  jour  du  juge- 
ment dernier.  Quelques-uns  croient  aussi  que  Dieu  créa  toutes  les 
Imes  au  commencement  du  monde ,  qne  Jésus-Christ  retira  toutes 
les  imes  de  Uenfer  ,  qu'il  n'y  a  point  de  purgatoire  et  qne  les 
Ames  séparées  des  corps  sont  errantes  dans  la  région  de  l'air. 

Mais  ces  erreurs  n'appartiennent  point  i  l'Église  d'Arménie ,  et 
■ont  des  erreurs  particulières,  qni  se  sont  introduites  cbei  eux  par 
le  commerce  qu'ils  ont  eu  avec  les  étrangers  ;  car  il  n'a  jamais  été 
question  de  ces  erreurs  lorsqu'il  s'est  agi  de  la  réunion  des  Ar- 
méniens avec  l'Église  romaine  ' , 

D'ailleurs ,  les  prières ,  les  cantiques ,  les  hjmnes  les  plus  an- 
ciens de  l'Ëglise  arménienne  sont  contraires  k  ces  erreurs  *  :  on 

'  Etirait  de  la  lettre  du  père  Monuier  sur  l'Armi^nie,  L  3  des  Me- 
mbres des  missions  de  la  compaEide  de  Jésus  dans  le  Le\3ul.  Celle 
iellre  est  Iràs-curieuse  et  Irès-inli^ressante;  on  n'a  rjen  de  mieux  sur 
l'Annéiiic.  Le  P.  Le  Quint  a  bien  Irailé  cette  matière  dans  l'Orii^iis 
diristianus. 

'  La  Turquie  chrétienne  sous  la  puissante  protection  de  Louis-le 
Grand,  par  H.  de  la  Croii  i  à  Paris,  diei  Uériuaul,  leoâ. 

■  Vo]ii!i  les  actes  du  concile  d'ArmËnie  tenu  en  13^3,  (,  7.  CoUecL 
du  P.  Mnrlenne^ 

•  NouTeaui  mémoires,  ibid.  Lettre  de  l'abb*  de  Villefroj,  avec  une 
IradadiourranriiM;  des  eau  tiques  îinnéoieus.  Journal  de  Tréioux,  1731. 

n* 


à 


IM  AKM 

IfVVfedMS  lein  ritads  el  dans  laDs  Efics  Itt  prières  pour  les 
Morts,  lecnhedessamtSyCdiiidardîqiMSy  eavanoly  tovteU 
erojance  de  l*Église  toname,  et  Tob  ixe  F^wqoe  des  diange- 
sens  qû  soot  sirhrés  daas  cette  Eglise. 

L*£gHse  romaine  B^est  donc  coupable  d^avane  des  imiOTaUoBS 
qoe  les  Proteslans  loi  reprochent ,  pidsqae  notts  trooTons  sa 
croyance  dans  une  Église  qni  ne  d^iendait  pas da  pape;  et  cette 
conformité  de  la  croyance  de  rË^^ise  d^Ârménie  avee  la  doctrine 
de  l^É^ise  romaine  n^est  point  un  effet  da  commcfce  des  Armé- 
niens aTec  les  Latins ,  et  dn  besoin  qae  les  Arméniens  eorent  des 
papes  dans  le  temps  des  croisades  y  comme  M.  de  la  Croie  ton- 
drait le  faire  croire  *. 

Cette  croyance  de  l^Ëglise  romaine  est  consacrée  dans  des  ritoels 
et  dans  des  prières  de  TËglise  d* Arménie  beancoop  plus  anciens 
que  le  commerce  des  Arméniens  avec  les  Latins  *. 

11  y  a  cependant  quelques  abus  parmi  les  Arméniens ,  et  qo^ 
qoes  traces  d'opinions  judaïques  :  ils  observent  le  temps  prescrit 
par  la  loi  de  Moïse  pour  la  purification  des  femmes,  ils  8*abstien- 
nent  de  tous  les  animaux  que  la  loi  a  déclarés  immondes ,  dont 
ils  exceptent  la  chair  de  pourceau  ,  sans  pouvoir  dire  la  raison  de 
cette  exception  :  ils  se  croiraient  coupables  de  péché  s'ils  avaient 
mangé  la  chair  d*un  animal  étouffé  dans  son  sang. 

Comme  les  Juifs,  ils  offrent  à  Dieu  le  sacrifice  des  animaux  qu'ils 
immolent  à  la  porte  de  leurs  églises  par  le  ministère  de  leurs  prê- 
tres; ils  trempent  le  doigt  dans  le  sang  de  la  victime  ,  et  en  font 
une  croix  sur  leur  porte. 

Le  prêtre  retient  pour  lui  la  moitié  de  la  victime ,  et  ceux  qui 
Tout  présentée  en  consomment  les  restes  :  ils  font  de  ces  sacrifices 
à  toutes  les  bonnes  fêtes,  pour  obtenir  la  guérison  de  leurs  mala- 
dies ou  d'autres  bienfaits  temporels  ^. 

Dieu,  qui  avait  prescrit  aux  Juifs  leurs  cérémonies  et  leurs  sa- 
crifices ,  leur  avait  promis  des  biens  temporels  s'ils  observaient 
sa  loi  ;  Jésus-Christ  n'avait ,  au  contraire ,  promis  que  des  biens 
spirituels.  Les  Arméniens  ,  pour  jouir  des  avantages  des  deux  al- 
liances Joignaient  à  la  profession  de  la  religion  chrétienne  la  pra- 
tique de  la  loi  judaïque. 

<  Christianisme  d'Ethiopie,  par  la  Croze,  part,  à» 

3  Nouveaux  mémoires,  ibid.  Lettre  de  l'abbé  de  Villefroy,  ibid. 

sibid. 


_  ARM 

Du  gouvernement  ecctétiailique  de»  Arménimu. 

Les  Arméniens  ont  un  patriarche  qui  fait  sa  résidente  à  EciH~ 

llniadziii  ;  il  est  reconnu  par  ions  les  ArmënieDi!  comme  le  cber  & 

l'Église  arménienne  et  du  gouierncmeul  ecclésiastique  ;  il  prend 

"       m  et  la  qualité  de  pasteur  catholique  et  universel  de  toute  la 

Le  patriarclie  est  élu  à  la  pluralité  des  voix  des  Év^ues  qai  se 
,1roaTent  âEchmiadzin;  l'acte  de  son  élection  est  envoyé  à  h  cour 
de  Perse  pour  avoir  l'agrément  du  roi. 
Cet  agrément  s'achète  sous  le  nom  spécieui  d'un  présent  pour 
'  U  majesté  et  pour  ses  ministres  ;  mais  si  l'ambiiion  et  la  partîa- 
,^té  viennent  à  partager  les  suffrages  et  à  causer  une  double 
/Section,  alors  le  patriarcat  est  niis  !i  l'encbére  et  adjugé  au 
Ôffranl  et  dernier  enihérisscur. 

Le  roi  n'attend  pas  toujours  que  l'élection  soii  faite,  il  la  pré- 
Tient  quand  il  veut,  et  même  sans  y  avoir  égard  il  nomme  pour  pl- 
triarcheqniillui  plall. 

Le  patriarche  s'altribue  un  pouvoir  absolu  sur  les  évéques  et 
ifirehevèques  ;  mais  par  lefait  sondroït  est  réduit!)  confirmer  lei 
:,^ections  qui  se  font  par  les  Eglises  particulières  ou  les  nomlnt- 
'ëons  qui  viennent  de  la  part  du  Grand-Seigneur. 

Les  revenus  du  patriarche  sont  ires-considérables  ,  et  monlélll 
tout  au  moins  h  cent  mille  écus,  sans  que,  pour  être  si  riche,  il  en 
soit  plus  magnifique,  car  il  est  habillé  comme  un  simple  moïne,  ne 
mange  que  des  légumes ,  ne  boit  que  de  l'eau  ,  et  vît  dans  un  mo- 
ntstère  comme  les  autres  moines. 

Ce  grand  revenu  du  patriarche  se  lire  en  partie  des  terres  ap- 
partenant ï  son  monasiËre ,  et  en  partie  des  contributions  de 
tout  son  peuple;  et  ce  revenu  est  presque  tout  employé  à  acheter 
delà  protection  ï  la  cour ,  à  entretenir  le  monastère,  â  réparer  et 
ï  orner  les  églises  ,  à  contribuer  aux  frais  de  la  natiun,  et  ii  pajer 
U  tribut  pour  quantité  de  pauvres,  dont  l'indigence  serait  une  oc- 
casion proehaine  d'abandonner  le  christianisme. 

Tous  les  évêques  vivent  comme  le  patriarche,  el  cependant  ces 
hommes  sont  des  schismatlques  ;  ils  forment  des  brigues  et  des  ca- 
bales pour  obtenir  les  dignités  ecclésiastiques. 

Chaque  Église  particulière  a  son  conseil ,  composé  des  anciens 
les  plus  considérables  ;  ce  conseil  élit  l'évéque,  et  prétend  avoir 
droit  de  le  déposer  s'il  n'en  est  pas^conteut,  ca  qui  retient  l'évéque 
dans  une  crainle  coniiouelle. 


1 

h1 


I 


200  ARM 

Il  y  a  encore  dans  TÉglise  d* Arménie  des  vertabjets  ou  doo- 
teurs,  qui  ne  font  point  de  difBcullé  de  prendre  le  pas  sur  les  évê- 
ques  qui  ne  sont  point  docteurs  :  ils  portent  la  crosse  et  ont  une 
mission  générale  pour  prêcher  partout  où  il  leur  platt  ;  plusieurs 
sont  supérieurs  de  monastères,  et  les  autres  courent  le  monde, 
débitant  leurs  sermons  que  les  peuples  écoutent  avec  respect. 

Pour  avoir  et  pour  porter  le  titre  de  vertabjets  il  ne  leur  en 
coûte  que  d^avoir  été  disciple  d*un  vertabjet;  celui  qui  Ta  une 
fois  acquis  le  communique  à  autant  d'autres  de  ses  disciples  qu*il 
le  juge  à  propos  :  lorsqu'ils  ont  appris  le  nom  des  saints  Pères, 
quelques  traits  de  Tbistoire  eccl^iastique,  surtout  ceux  qui  ont 
rapport  à  leurs  opinions  erronées ,  les  voilà  docteurs  consommés. 

Ces  vertabjets  se  font  rendre  un  grand  respect,  et  ils  reçoivent 
assis  les  personnes  qui  les  vont  voir,  sans  excepter  même  les 
prêtres  :  on  s'avance  modestement  vers  eux  pour  leur  baiser  la 
main,  et,  après  s'être  retiré  à  trois  ou  quatre  pas  d'eux ,  on  se  met 
à  genoux  pour  recevoir  leur  avis  :  les  plus  beaux  endroits  de 
le  urs  sermons  sont  des  histoires  fabuleuses  et  tendent  à  entrete- 
tenir  le  peuple  dans  une  quantité  de  pratiques  superstitieuses. 

Les  vertabjets  prêchent  assis,  et,  après  leurs  sermons,  on  fait 
une  collecte  pour  eux.  Les  évêques  qui  ne  sont  pas  vertabjets  sont 
obligés  de  prêcher  debout. 

Ces  vertabjets  observent,  neuf  mois  de  l'année,  le  jeûne  le  plus 
rigoureux,  et  le  célibat  pendant  toute  leur  vie  :  ce  sont  des  am- 
bitieux qui  aiment  à  dominer  et  qui  sacrifient  tout  à  cette  pas- 
sion. C'est  par  cet  extérieur  austère  qu'ils  dominent  sur  le  peuple 
ignorant ,  et  qu'ils  l'entretiennent  dans  son  ignorance  qui  fait  la 
base  du  crédit  et  de  la  puissance  des  vertabjets.  Ils  déclament 
sans  cesse  contre  les  Latins  et  contre  les  missionnaires  qui  pour- 
raient les  éclairer  ;  ils  tiennent ,  autant  qu'ils  peuvent ,  le  peuple 
et  le  clergé  dans  l'ignorance  et  dans  la  superstition. 

La  science  des  prêtres  consiste  à  savoir  lire  couramment  le  mis- 
sel et  à  entendre  les  rubriques  :  toute  leur  préparation  pour  rece- 
voir l'ordre  de  la  prêtrise  se  termine  à  demeurer  quarante  jours 
dans  l'église,  et  on  les  ordonne  le  quarantième;  ce  jour  même  ils 
disent  la  messe ,  qui  est  suivie  d'un  grand  repas ,  pendant  lequel 
la  Papodie ,  c'est-à-dire  la  femme  du  nouveau  prêtre ,  demeure 
assise  sur  un  escabeau ,  les  yeux  bandés ,  les  oreilles  bouchées  et 
la  bouche  fermée ,  pour  marquer  la  retenue  qu'elle  doit  avoir  à 
l'égard  des  fonctions  saintes  auxquelles  son  mari  va  être  employé  : 


ABSl  201 

chaque  fois  qu'un  prèire  doit  dite  la  nies^e ,  il  passe  ta  ouït  dans 
l'élise. 

Lorsque  les  enfaDsonl  appris  à  lire,  leurmalLre  d'écoleles  pré- 
sente ï  l'étéque,  qui  les  orilonoe  dès  rage  de  dix  ou  doute  ans. 

L'évèque  reçoit  douie  sots  pour  chaque  ordonné  '. 

ARUINIUS (Jacques),  naquit^  Ondewaier,  en  liullande,  l'an 
1360 ,  c'esL-â-dire  dans  le  fort  de  la  révolutiuo  ;  il  étudia  dans 
l'UniTersité de  Lejde,  et  fut  ensuite  envojéà  Genève,  l'an  1582, 
aux  dépens  des  magistrats  d'Amsterdam  ,  afin  d'y  perfectionner 
ses  études  :  il  diM'endit  avec  beaucoup  de  chaleur  la  philosophie 
de  Ramus. 

Martin  Ljdius ,  professeur  en  théologie  k  Franêker,  te  chargea 
de  réfuter  unécrildaas  lequel  les  ministres  de  DelTt  cooi  huilai  en  l 
la  doctrine  de  Théodore  de  Bèze  sur  la  prédestination. 

Arminius  examina  l'ouvrage  des  ministres  de  Délit ,  balança  les 
laisoDS,  et  enfin  adopta  les  senlimens  qu'il  s'était  proposé  de 
combattre  :  il  ne  put  concevoir  Dieu  tel  que  Calvin  et  Béze  propo- 
saient de  le  croire ,  c'est-à-dire  ■  prédestinant  les  honiniea  au  pé- 

>  chéet  àladamnatioD,  conune  it  la  vertu  et  ï  la  gloire  éiernelle  ; 

•  il  prétendit  que  Dieu  étant  un  juste  juge  et  un  père  niiséricor- 

>  dieux  avait  fait  de  toute  élernilé  cette  distinction  entre  les 
1  hommes  ;  que  ceux  qui  renonceraient  !i  leurs  péchés  et  qui  niel- 

•  Iraient  leur  conQance  en  Jésus-Christ  seraient  absous  de  leurs 
t  mauvaises  actions,  et  qu'ils  jouiraient  d'uie  vie  Éternelle-,  mais 

>  que  les  pécheurs  seraient  punis;  qu'il  était  agréable  Ji  Dieu 

■  que  tous  les  hommes  renonçassent  â  leurs  péchés,  et  qu'après 

>  être  parvenus  i  la  connaissance  delà  vérité  ils  ;  persévérassent 

•  constamment  ;  mais  qu'il  ne  forçait  personne  :  que  la  doctrine 

>  de  Bèze  et  deCalvîn  faisait  Dieu  auteur  du  péché ,  et  endurcissait 

■  les  hommes  dans  leurs  mauvaises  habitudes  en  leur  inspirant 

>  l'idée  d'une  nécessité  fatale  ^.  • 

Gomar,  professeur  en  théologie  à  Lejde  ,  prit  la  défense  des 
sentimcns  de  Calvin  et  4«  Bêze;  Âruiiuius  et  Gumar  firent  donc 
deux  partis  en  Hollande. 

Nous  exposons ,  ï  l'article  Bollandc ,  combien  ces  divisions 
causèrent  de  désordre  dans  les  Provinces- Coi  es  :  nous  n'examine- 
rons ici  Arminius  et  ses  sectateurs  que  comme  une  sociëlé  de 
théologiens  ei 


t.  1, 1.  IS,  |>.  13Q3. 


202  ARM 

Àrmînias  et  ses  disciples  ne  purent  donc  concîfier  àTec  les  idées 
de  la  bonté  de  Dieu  le  dogme  de  la  prédestination  et  de  la  fatalité 
à  laquelle  Calvin  assujétissait  Thomme;  ils  enseignèrent  que  Dieu 
Toulait  que  tous  les  hommes  fussent  sauvés ,  qu*il  leur  accordât 
une  grâce  avec  laquelle  ils  pouvaient  se  sauver. 

Gomme  tous  les  réformés ,  Ârminius  et  ses  disciples  ne  recon* 
naissaient  point  d'autorité  infaillible  qui  fût  dépositaire  des  véri- 
tés révélées  et  qui  fixât  la  croyance  des  chrétiens  :  ils  regar- 
daient FÉcriture  conime  la  seule  règle  de  la  foi,  et  chaque 
particulier  comme  le  juge  du  sens  de  TÉcriture. 

Ils  interprétèrent  donc  ce  que  FÉcriture  dit  sur  la  grâce  et  sur 
la  prédestination  conformément  aux  principes  d* équité  et  de 
bienfaisance  qu'ils  portaient  dans  leur  cœur  et  dans  leur  carac- 
tère ;  ils  ne  se  fixèrent  pas  dans  la  doctrine  de  TËglise  romaine 
sur  la  prédestination  et  sur  la  grâce  ;  ils  ne  reconnurent  point  de 
choix  y  point  de  prédestination,  et  passèrent  insensiblement  aux 
erreurs  des  Pélagiens  et  des  semi-Pélagiens. 

Gomme  les  Arminiens  croyaient  que  chaque  particulier  était 
juge  naturel  du  sens  de  TËcriture ,  par  une  suite  de  leur  caractère 
et  de  leurs  principes  d'équité ,  ils  ne  se  crurent  point  en  droit  de 
forcer  les  autres  â  penser  et  à  parler  comme  eux;  ils  crurent  qu'ils 
devaient  vivre  en  paix  avec  ceux  qui  n'interprétaient  point  l'Écri- 
ture comme  eux  :  de  là  vient  cette  tolérance  générale  des  Armi- 
niens pour  toutes  les  sectes  chrétiennes ,  et  cette  liberté  qu'ils 
accordaient  à  tout  le  monde  d'honorer  Dieu  de  la  manière  dont 
il  croyait  que  l'Écriture  le  prescrivait. 

Ghaque  particulier  étant  juge  du  sens  de  l'Écriture  et  n'étant 
point  obligé  de  suivre  la  tradition ,  c'est  à  la  raison  à  juger  du 
sens  de  l'Écriture. 

L'Arminien  qui  a  cherché  à  examiner  les  dogmes  du  christia- 
nisme a  donc  rapproché  insensiblement  ces  dogmes  des  idées  que 
la  raison  nous  fournit  ;  il  a  rejeté  comme  contraire  à  l'Écriture 
tout  ce  qu'il  ne  comprenait  pas ,  parce-  que ,  chaque  particulier 
étant  obligé  de  croire  l'Écriture  et  de  Tiaterpréter,  il  ne  pouvait 
croire  que  ce  qu'il  pouvait  comprendre. 

Les  Arminiens ,  en  suivant  scrupuleusement  les  principes  de  la 
réforme  sur  le  juge  des  controverses ,  se  sont  donc  insensible- 
ment réunis  avec  les  Sociniens ,  au  moins  en  partie. 

Par  la  notion  que  nous  venons  de  donner  de  l'Arminianisme,  il 
est  clair  qu'il  ne  peut  avoir  de  symbole  et  de  profession  de  foi 


ARN  208 

L^vî  ooit  Éie,  excepté  la  crojance  de  l'Ëcriture  elle  dogme  ronda*, 
I  mental  de  la  rérorme  :  savoir,  que  chaque  particulier  est  jage  âm' 
l  tôt»  de  l'Écrilitre. 

Brandt,  qui  nous  a  doniiâ  la  proCcssioD  de  lui  des  Arminiens, s 

\  déclare  que  les  Arminiens  ne  prétendent  assujétir  personne  ù  1* 

[•  fecevoîr  telle  qu'il  la  duone  ;  et  elle  est  coaçae  de  manière  que  Ift' 

ettholiqaeet  le  Socinienpouvaienij  trouver  cbacun  leur  dogme*.  ' 

Les  Arminiens  ont  compté  parmi  eux  des  hommes  du  premier 

ordre:  Episcopius,  Courcelles,  Grolius,  le  Clerc. 

Las  Calviniaies  ont  beaucoup  écrit  contre  les  Arminiens,  et 
leur  ont  reproché  d'être  lombes  dans  les  erreurs  des  Socinieua; 
ce  reproche  n'est  pas  sans  rondement,  quoi  qu'en  disent  les  Arui- 
L  niens;  maisce  reproche  u'est  pas  une  réfutation,  elles  Cahinisl^l 
'  n'ont  point  de  principes  à  l'épreuve  des  difiicullés  et  des  rétor->, 
sious  des  Arminiens  :  il  n'appartient  qu'aux  catholiques  de  réfu- 
ter solidemeot  et  sans  retour  l'Arminien,  eu  lui  prouvant  que, 
c'est  à  l'Ëglise  qu'il  appartient  d'interpréter  l'Ëcriture  et  de  nous 
apprendre  ce  que  Jésus-Clirisl  a  révélé. 

Nous  exposons ,  i  l'article  Hollande  ,  l'élal  actuel  des  Armi- 
niens dans  les  Provinces-Unies;  ils  ont  formé  uu  établissement 
considérable  dans  lellolstein,  où  un  grand  nombre  se  relira  pour 
éviter  la  persécution  en  Hollande;  le  roi  de  Danemarek  li 
donna  la  liberté  d'y  bûtïr  une  ville,  qui  esL  devenue  considérable,, 
et  connue  sous  le  nom  Fridéricstad  *. 

Celte  secte  absorbera  vraisemblablemeul  toutes  les  sectes  ré<, 
formées. 

ARNAUD  DE  BRESSE  vint  d'Italie  étudier  en  France  soi 
Abaelard ,  et  retourna  en  Italie ,  où  il  prit  l'habit  monastique  : 
ne  manquait  ni  d'esprit ,  ni  de  talent  pour  la  prédication  ,  el  i 
avaîl  un  désir  ardenl  d'êlre  célèbre. 

H  fallait,  pour  parvenir ï la  célébrité,  se  (aire  un  parti  eu 
dérabte,  donner  no  nomï  une  secleet  attaquer  des  ennemis 
EÎdérables  :  Arnaud  de  Bresse  aiiaqua  les  moines ,  les  clercs 
prêtres,  les  évéques;  il  prêcha  qu'ils  ne  pouvaieni  possédi 
fiefs ,  m  biens-fonds ,  et  que  tous  ceux  qui  en  possédaient  ssrool,' 
damnés. 
Le  peuple  reçnt  avidement  celle  doctrine ,  le  clergé  fui  elTrajé 


204  ARN 

de  son  succès ,  et  le  pape  Innocent  II  chassa  d^llalle  Arnaud  de 
Bresse ,  qui  y  rentra  aussitôt  qu'il  apprit  la  mort  du  pape. 

11  trouva  sur  le  siège  de  saint  Pierre  Eugène  111  »  et  le  pen^ 
sur  le  point  de  se  soulever  contre  le  pape.  Arnaud  de  Bresse  sai- 
sît Toccasion ,  prêcha  contre  le  Saint-Père ,  anima  le  peuplé  et 
proposa  aux  Romains  de  rétablir  Tancien  gouvernement  qui  avtit 
rendir  leurs  ancêtres  les  maîtres  de  la  terre  :  il  enseigna  quHl  Al- 
lait renfermer  Tautorité  du  pape  dans  les  objets  de  la  religion  et 
rétablir  le  sénat. 

Le  peuple ,  séduit  par  cette  chimère ,  insulta  les  grands  sei- 
gneurs et  les  cardinaux ,  les  attaqua  et  pilla  leurs  palais  ^. 

IjB  pape  Adrien  lY  excommunia  Arnaud  de  Bresse  et  ses  adbé- 
rens ,  et  interdit  le  peuple  jusqu'à  ce  qu'il  eût  chassé  de  Rome  ce 
moine  séditieux. 

Los  Romains,  placés  entre  la  crainte  de  l'interdit  et  les  assu- 
rances que  leur  donnait  Arnaud  de  Bresse,  n'hésitèrent  point  à 
prendre  le  parti  de  l'obéissance,  et  les  Arnaudistes  furent  obligés 
de  sortir  de  Rome. 

Ils  se  retirèrent  en  Toscane,  où  ils  furent  bien  reçus  du  peuple, 
qui  considérait  Arnaud  de  Bresse  comme  un  prophète  ^  ;  cq>en- 
dant  il  fut  arrêté  quelque  temps  après  par  le  cardinal  Gérard ,  et 
malgré  les  efforts  des  vicomtes  de  Campanie ,  qui  l'avaient  remis 
en  liberté,  il  fut  conduit  à  Rome  et  condamné  par  le  gouverne- 
ment de  celte  ville  à  être  attaché  à  un  poteau ,  à  être  brûlé  vif 
et  h  être  réduit  en  cendres^  de  crainte  que  le  peuple  n'honorât 
ses  reliques. 

Ainsi ,  la  crainte  de  l'interdit  força  le  peuple  à  faire  brûler  un 
homme  qu'il  honorait  comme  un  .saint;  ce  peuple  avait  cru  Ar- 
naud de  Bresse  lorsqu'il  prêchait  contre  l'autorité  du  pape,  il 
l'abandonna  lorsque  le  pape  employa  cette  même  autorité  contre 
lui  et  contre  Arnaud  de  Bresse. 

ARNAUD  DE  VILLENEUVE,  ainsi  nommé  du  lieu  de  sa 
naissance,  naquit  sur  la  fin  du  treizième  siècle,  selon  la  plupart  des 
auteurs  :  après  avoir  fait  ses  humanités,  il  s'attacha  â  la  chimie; 
il  y  fit  de  grands  progrès ,  et  s'appliqua  ensuite  à  la  philosophie 
et  à  la  médecine. 

*  Otho  Frisingensis,  1.  2,  de  gestis  Friderîci,  c.  20. 
2  Dupin,  Hist.  descontrov.  du  douzième  siècle,  c.  6.  D'Argentré,  Col- 
lect.  jud.,  1. 4,  p.  26.  Natal,  Alex,  in  ssec.  12, 


ARN  205 

Après  STOi'r  palreouni  les  écoIm  de  France ,  il  passa  en  Espa- 
gne pour  y  entendre  les  philosophes  arabes ,  qu'on  estimait  alors 
les  pins  granils  naturalistes.  Il  alla  ensuite  en  Italie  cnnférer  avec 
cei'lains  philosophes  pythagoriciens  qni  étaient  en  grande  répu- 
tation ;  il  forma  ensuite  le  projet  de  passer  en  Grèce  pour  confé- 
rer avec  les  savans  qui  y  restaient ,  mais  les  guerres  qui  déso- 
laient ces  pays  l'en  empêchèrent  ;  il  se  retira  â  Paris ,  oti  il 
enseigna  el  praliqna  la  médecine  avec  beaucoup  de  répulation  '. 

Arnaud  de  Villeneuve,  entraîné  par  sa  curiosité  naturelle,  avait 
eflleuré  presque  toutes  les  sciences,  et  il  s'était  fait  une  réputa- 
tion qni  lui  persuada  qu'il  était  capable  de  tout  ;  il  donna  dans 
plusieurs  erreurs.  Voici  ce  qu'il  soutenait  : 

i'  Lu  nature  humaine  eu  Jésus-Christ  est  en  tout  égale  à  U 
divinité. 

3°  L'ùme  de  Jésns-Clirîst ,  aussitôt  après  son  union ,  a  su  tout 
ce'que  savait  la  divinité. 

3°  Le  déraon  a  perverti  tout  le  genre  humain  cl  fait  pé( 

4"  Les  moines  corrompent  la  doctrine  de  Jésns-Chrisl  ; 
sans  charité,  et  ils  seront  tous  damnés. 

S'  L'étuda  de  la  philosophie  doit  être  bannie  des  écoles ,  et  les 
ihéologiena  ont  très-mal  fait  de  s' 

6°  La  révélation  faite  i  Cyrille  < 

1'  Les  œuvres  de  miséricorde 
In  sacrifice  de  l'aiilel. 

8°  Les  fondations  des  bénéfices  ou  des  messes  sont  inutiles. 

9°  Celui  qui  ramasse  un  grand  nombre  de  gueux  el  qui  fonde 
des  chapelles  ou  des  messes  perpétuelles  encouj'l  hi  damnation 
étemelle. 

10°  Le  prélre  qui  oITrc  le  sacrilice  de  l'autel ,  el  celui  qui  le 
fait  offrir,  n'offrent  rien  du  leur  !i  Dieu. 

H"  La  passion  de  Jésus-Christ  es 
aumônes  que  par  le  sacrifice  de  l'autel. 

12'  Dieu  n'est  pas  loué  par  des  ceii 
messe,  mais  seulement  de  bouche. 

13>  Il  n'y  a,  dans  les  con£litutions  des  papes,  que 
de  l'homme. 


1 


'  U  foi. 
ts  sont 


Il  plus  précieuse  que  l'Ëcriluro 
;ont  plus  agréables  it  Dieu  que 


lieux  représentée  par  les 
s  dans  le  sacrifice  de  la 


I,  Mem„  t.  Si,  p.  83.  PaliriciuA,  Bibllolh.  lai.  medi^  cl  it 


206  ABN 

14*  Dieu  m*ft  point  menacé  de  la  damnadon  étemelle  cenx  qaî 
pèelient ,  mais  seulement  ceux  qui  donnât  maufais  exemple* 

15*  Le  monde  fimra  Fan  1335  *. 

Tontes  ces  propositions  sont  tirées  des  différons  livres  compo- 
sés par  Arnaud  de  Villeneuve  ;  tels  sont  le  livre  intitulé  :  De  fMi- 
«Mtl/  et  de  la  patience  de  Jéeue-Chritt  ;  le  livre  De  la  fin  du 
menai,  de  la  charité,  etc.  ^. 

Nous  ne  voyons  point  si  ces  difiérentes  propositions  étaient 
liées  dans  Arnaud  de  Villeneuve,  et  si  elles  formaient  un  sys- 
tème de  théologie  ;  il  y  a  beaucoup  d*apparence  qu'Arnaud  de 
Villeneuve  était  un  homme  qui  en  voulait  aux  moines  et  aux  ec- 
clésiastiques :  rien  ne  nous  oblige  à  le  supposer  théologien  éclairé  ; 
ainsi  nous  ne  disputerons  pas  à  M.  Ghaufepied  qu'il  ait  été  un  des 
précurseurs  des  nouveaux  réformés  '. 

Arnaud  de  Villeneuve  fonda  en  quelque  sorte  une  secte  connue 
sous  le  nom  d'Amaudistes  ;  cette  secte  fit  quelques  progrès,  sur- 
tout en  Espagne. 

Ainsi ,  ni  les  excommunications ,  ni  les  croisades ,  ni  les  ri- 
gueurs de  rinquîsition,  qui  furent  si  multipliées  dans  le  troisième 
et  dans  le  quatorzième  siècle,  ne  purent  arrêter  la  licence  de  pen- 
ser et  d'écrire ,  ni  celle  des  prédicants  et  des  fanatiques ,  qui  pro- 
duisirent dans  ce  siècle  une  infinité  de  sectes ,  telles  que  les  Bé- 
guards ,  les  Apostoliques ,  les  Frérots ,  les  LoUards,  etc. 

Un  degré  de  lumière  de  plus  aurait  rendu  tous  ces  sectaires 
ridicules  et  les  aurait  fait  rentrer  dans  le  néant. 

Les  quinze  propositions  que  nous  avons  rapportées  furent  con- 
damnées à  Tarragone,  par  Tinquisiteur,  Tan  1317.  Arnaud  de  Vil- 
leneuve, appelé  pour  traiter  avec  le  pape  Clément  V,  était  mort 
dans  le  vaisseau  qui  le  transportait ,  et  fut  enterré  à  Gènes  hono- 
rablement. Tan  1313. 

ARNAUD  DE  MONTANIER ,  natif  de  Puicerda ,  en  Catalogne, 
enseignait  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres  n'avaient  rien  en  propre 
ni  en  commun  ;  que  nul  de  ceux  qui  portent  l'habit  de  saint  Fran- 

*  Nicol.  Emcric,  Direct.  Inguisit.,  282,  édit  1585.  Nîceron,  loc.  dt. 
Cent.  Magd.,  cent,  13,  c.  à,  Hofman  Lexie.  Dup.,  ih  s«c.,p.  A8i« 
Natal.  Alex.,  ssec  13.  D*Argentré,  1. 1,  p.  367. 

s  D^Argentré,  ibid.  Trithem.  chronic«  Hirsaugiensi,  t,  2,  ad  aut  1310^ 
p.  123.  HisL  proT.  Catalauniae. 

»  Frateol.  ELfacb.  Hist.  haur.,  p.  «6»  Fabricias,  Biblîoth.  média  et 
iofim.,  t.  1,  p.  355. 


ART  wr* 

Ht  Fr3n<;ois  descendail  lous  les  ao» 
Il  ordre  paur  les  faire 


enlin ,  que  l'ordre  de  saint  François  durerait 


I 


,ion,  et  se  réiracu  de 
le  fut  pas  sincère ,  et  il 
;  on  le  saisi!  une  se- 
■n  était  l'éTèque, 


I 
I 


le  Iribntial  de  rinqaisi 
ïancé  ;  t»  rélraclation  i 

ses  folles  îmaginatioDS 
coode  fois  dans  le  diocèse  d'Urgel;  Ejmérii 
condamna  Arnaud  de  Montanierâ  une  prison  perpétuelle. 

L'ignorance  ne  garantit  donc  point  de  l'erreur  et  elle  ne  rend 
point  docileii  la  xérité,  ni  soumis  aux  supérieurs  ecclésiastiques. 
Arnaud,  plus  éclairé,  n'eût  ni  débité  ses  extravagances ,  ni  r^isté 
\  ses  sDpérieurg  ;  on  l'aurait  détrompé. 

ARNAUDISTES ,  disciples  d'Arnaud  de  Villeneuve. 

ARTEHAN  ou  ArtemjIS,  hérétique  qui  niait  la  divinité  de 
Jésus-Christ  et  dont  les  principes  étaient  les  mêmes  que  ceux  de 
Théodote  de  Bjsance.  Yùyet  cet  article  '. 

ARTOTYRITES,  branche  de  Hontanistes,  ainsi  appelés  parce 
qu'ils  offraient  dans  leurs  mptèrea  du  pain  et  du  fromage  :  ils  ad- 
neltaieni  anssi  les  femmes  à  la  prêtrise  et  !i  l'épiscopau 

Montan  avait  pris  la  qualité  de  réformateur;  ses  disciples 
avaient  pris  son  esprit ,  ils  cherchaient  sans  cesse  â  perfecliuDner 
la  discipline  de  l'Église  :  de  l!i ,  chaque  Montaniste  qui  imagina 
quelque  manière  nouvelle  d'honorer  Dieu  fit  un  article  fondamen- 
1»1  de  sa  pratique  et  forma  une  secte. 

QnelquesHontanistes,  faisant  rénexionquelespremiersliommes, 
dans  leurs  sacriSces  ,  offraient  t  Dieu  des  fruits  de  la  terre  et  des 
productions  des  brebis ,  crureni  qu'il  fallait  se  rapprocher  de  la 
pratique  des  premiers  patriarches,  et  offrir  i  nieu  du  pain  et  du 
fromage. 

Hontan  avait  associé  i  son  ministère  de  prophète  Priscille  et 
Haiimille  :  les  Artoljrilen  conclurent  de  là  que  les  femmes  pou- 
«ient  être  promues  aux  ordres,  et  ils  admettaient  en  effet  les 
femmes  ï  la  prêtrise  et  i,  l'éptscopat  ;  ils  ne  voulaient  pas  qu'on  ni 
enlre  les  denx  sexes  aucune  différence  pour  le  minislëre  de  la  reli- 
^on ,  puisque  Dieu  n'en  faisait  point  dans  la  communication  de 
Ks  dons  et  des  qualités  propres  ï  conduire  les  fidèles  et  ï  gou- 
Terner  l'Église. 

'Enscb.,  Uisl,  ccclet.,  1.  5,  c  38.  Theodor.iHoreti  Fab.,  1.  l,c,  à. 


208  AUD 

•  La  pénitence  »  la  mortification ,  la  douleur  d*avoir  offensé  Dieu 
étaient»  selon  les  Montanistes ,  les  premiers  devoirs  du  chrétien; 
Fessentiel  du  ministère  était  de  faire  naître  dans  le  cœur  des  diré- 
tiens  ces  sentimens ,  et  il  parait  que  les  Montanistes  croyaient  les 
femmes  plus  propres  à  inspirer  ces  sentimens  aux  hommes ,  et 
plus  capables  de  les  toucher  profondément ,  apparemment  par  la 
facilité  quUls  supposaient  dans  le  sexe  féminin  pour  s*aSecter  vi- 
Tementy  ou  pour  le  paratlre  lors  même  quUl  ne  Test  pas,  et  peut- 
être  par  la  disposition  qu*ils  supposaient  dans  les  hommes  à 
prendre  les  sentimens  des  femmes ,  à  s'attendrir  sur  le  sort  d'une 
femme  affligée  et  à  ressentir  la  douleur  dont  elle  paraît  pénétrée. 

On  Toyait ,  dit  saint  Ëpiphane ,  entrer  dans  leurs  églises  sept 
filles  habillées  de  blanc ,  avec  une  torche  à  la  main ,  pour  faire  les 
prophétesses;  là  elles  pleuraient ,.  déploraient  la  misère  des  hom- 
mes, et,  par  ces  grimaces,  portaient  le  peuple  à  une  espèce  depé« 
nitence  ^. 

ASGITES ,  secte  de  Montanistes  qui  mettaient  auprès  de  leur 
autel  un  ballon ,  le  gonflaient  fortement  et  dansaient  autour.  Ils 
regardaient  ce  ballon  comme  im  symbole  propre  à  exprimer  qu*ik 
étaient  remplis  du  Saint-Esprit  ;  car  c'était  la  prétention  des  Mon- 
tanistes. Violez  l'article  MoNTAN^. 

ASGODRUGITES ,  les  mêmes  que  les  Ascites. 

ASGOPHITES,  espèce  d'Archontiques  qui  brisaient  les  vases 
sacrés  en  haine  des  oblations  faites  dans  TÉglise.  Ils  publièrent 
leurs  erreurs  vers  Tan  173  :  ils  rejetaient  l'ancien  Testament, 
niaient  la  nécessité  des  bonnes  œuvres  et  les  méprisaient  ;  ils 
prétendaient  que,  pour  être  saint ,  il  suffisait  de  connaître  Dieu  ; 
ils  supposaient  que  chaque  sphère  du  monde  était  gouvernée  par 
un  ange  ^. 

ATHOCIENS ,  hérétiques  du  treizième  siècle  qui  croyaient  que 
l'âme  mourait  avec  le  corps  et  que  tous  les  péchés  étaient  égaux  *, 

AUDÉE,  selon  Théodoret,  et  AUDI  E,  selon  saint  Ëpiphane , 
était  de  Mésopotamie ,  et  célèbre  dans  sa  province  par  sa  foi  et 
par  son  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  :  il  écrivait  vers  le  milieu  du 
quatrième  siècle. 

*■  Epipb.,  Hsr.,  â9.  Aug.,  De  haer.,  c.  28. 
>  Aug.,  De  haer. ,  c  62.  Auctor  praedes.,  c  62.  Philastr.,  c  75. 
8  Theod.,  Haeret.  Fab.,  1. 1,  c.  10,  Ittig.,  De  h»r.,  sect.  2,  c  14,  S  2, 
4  Cent.  Magd.,  cenU  13,  s^  $• 


^^^^  AUD  309 

Lorsqu'il  fo;ait  iluns  l'Ëglise  quelque  désordre  ,  il  repreuait 
avec  bauteurles  prêtres  et  même  les  évêqucB:  s'il  voyait  un  [jrélre 
ou  UD  Évêque  attachés  à  l'argent  ou  vivre  dans  la  mollesse ,  il  eu 
parlait ,  se  plaignait ,  et  le  censurait  amèremenl. 

Sa  censure  et  sa  hardiesse  le  reodiceat  enfin  insupportable;  on 
le  contredisait,  on  lui  disait  des  injures,  quelquefois  on  le  mal- 
traitait. 

Le  zèle  pour  le  salut  du  prochain ,  et  sans  doute  le  plaisir  de 
censurer,  le  soutinrent  long-temps  contre  ces  mauvais  Irailc- 
mens  ;  mais  enflu  il  se  sépara  de  l'Église. 

Tels  sont  les  effets  que  produit  ordinairement  l'extrême  vanité 
dans  les  hommes  d'uu  petit  esprit  et  d'une  grande  austérité  de 
mffiurs  ;  et  si  l'on  avait  analysé  les  causes  du  schisme  d'Âudcc  , 
on  aurait  peut-être  trouvé  qu'il  n'était  qu'un  orgueilleux  atrabi- 
laire, sans  science  et  sans  esprit,  quiliaïssaitses  supérieurs,  les 
hommes  et  les  plaisirs. 

La  franchise  audacieuse  qui  attaque  les  supérieurs  a  un  empire 
naturel  sur  les  caractères  faibles  et  sur  les  esprits  inquiets;  ainsi 
Audée  fut  suivi  dans  son  schisme  par  beaucoup  de  monde  ;  uu 
évêque  même  approuva  son  schisme  et  l'ordonna  évêqne. 

Audêe  fut  donc  chef  d'une  secte ,  dont  le  caractère  était  une 
aversion  invincible  pour  toute  espèce  de  condescendance ,  qu'ils 
appelaient  du  nom  odieux  de  respect  humain. 

Ce  fut  par  ce  motif  qu'ils  voulurent  célébrer  la  Pâque  avec  les 
Juifs ,  prétendant  que  le  concile  de  Nicée  avait  changé  la  pratique 
de  l'Ëglise  par  condesceodauce  pour  Conslantiu ,  que  l'on  crut 
flatter  en  laissant  tomber  la  fête  dePàques  au  jour  de  sa  naissance  ' . 

Les  Audiens  suivaient,  pour  la  rémission  des  péchés,  une 
pratique  singulière  ;  ils  avaient  une  partie  des  livres  canoniques , 
et  ils  en  avaient  en  outre  une  grande  quantité  d'apocrjphes , 
qu'ils  estimaient  encore  plus  mystérieux  que  les  livres  sacrés  :  ils 
mettaient  ces  livres  en  deux  rangs,  les  apocryphes  d'un  côté, 
les  livres  sacrés  de  l'autre;  ils  commandaient  aux  pécheurs  de 
passer  entre  ces  livres  et  de  confesser  leurs  péchés ,  apris  quoi 
ils  leur  eu  donnaient  l'absolution. 

Comme  Audée  se  disait  suivre  par  beaucoup  de  personnes  du 
peuple ,  les  évêques  catholiques  le  déférèrent  à  l'empereur,  qui  le 
relégua  eu  Scyibie ,  d'où  étant  passé  bien  avant  dans  le  pays  des 

'  Kpipb.,  HiTcs.,  70,  Théodorel,  Uœret.  Fab„  t,  a,  c.  10. 


210  AUD 

Goths  »  il  y  iostraitit  plusirars  personnes  et  y  étab^  des  émbas* 
tères  »  la  pratique  de  la  virginité  et  les  règles  de  la  vie  solitaiiei 
oe  qui  dura  ju8qa*en  372  »  que  tous  les  chrétiens  ftursnt  rhisgél 
de  la  Gothie  par  la  persécution  d'Athanarlc. 

Saint  Épiphane  semble  dire  qu^Audée  était  mort  avant  cetenps  : 
sa  secte  fut  gouvernée  après  lui  par  divers  évèques  qu'il  andt 
établis  ;  mais  ces  évéques  étant  morts  avant  Tan  377  ,  les  Audiens 
se  trouvèrent  réduits  à  un  très-petit  nombre.  Ils  se  rassemblèrent 
vers  FEuphrate  et  vers  la  Mésopotamie ,  partieulièrement  dniii 
deux  villages  du  territoire  de  Ghaleide  !  beaucoup  de  ceux  qvi 
avaient  été  chassés  de  Gothie  vinrent  demeurer  à  Ghaleide^  et 
ceux  même  qui  s*étaient  répandus  dans  des  monastères  du  n<mt 
Taurus  ou  dans  la  Palestine  et  dans  TArabie  se  rénnireiit  aoi 
Audiens  de  Ghaleide. 

Ils  demeuraient  dans  des  monastères  ou  dans  des  cabanes^  k  la 
campagne  et  auprès  des  villes  ;  ils  ne  communiquaient  point  avec 
les  catholiques ,  parce  que ,  selon  les  Audiens ,  les  catholiques 
étaient  vicieux  ou  communiquaient  avec  les  vicieux  ;  ainsi ,  jamais 
un  Audien  ne  parlait  à  un  catholique ,  quelque  vertueux  et  quel* 
que  saint  quMl  fftt  ;  ils  quittèrent  même  le  nom  de  chrétiens  et 
prirent  celui  d'Audéens  ou  d* Audiens  ^. 

Il  est  clair  qu'Audée,  dans  le  commencement  de  son  schisme  ^ 
n'était  tombé  dans  aucune  erreur  sur  la  foi ,  puisque  ses  ennemis 
ne  lui  en  reprochaient  alors  aucune  :  il  paraît  que ,  dans  la  suite , 
les  Audiens  attribuèrent  à  Dieu  des  mains,  des  yeux ,  des  oreille»-. 
Tbéodoret  et  saint  Augustin  rassurent  après  saint  Épiphane. 

Le  P.  Pétau  croit  que  Tbéodoret  et  saint  Augustin  ont  mal 
entendu  saint  Épiphane ,  parce  que  ce  Père  dit  que  les  Audiens 
avaient  conservé  la  pureté  de  la  foi ,  quoiqu'ils  s'obstinassent  trop 
sur  un  point  de  peu  d'importance ,  ce  qu'on  ne  peut  dire  de  l'ep- 
reur  des  Anthropomorphites  *. 

On  peut  répondre  au  P.  Pétau  que ,  quoique  les  Audiens  attri- 
buassent à  Dieu  une  forme  humaine ,  cependant  ils  étaient  or- 
thodoxes sur  la  Trinité  ;  en  sorte  que  l'erreur  des  Audiens  sur  les 
passages  de  l'Écriture  qui  attribuent  à  Dieu  la  forme  humaine  ne 
paraissait  avoir  rien  changé  dans  leur  foi.  ' 

Saint  Épiphane  ne  trouve  donc  de  répréhensible  en  eux  que 

*  Epipb.,  Hœr.,  70.Theod.,  Haeret  Fab.,  1.  A,  c  10. 
2  Pétau,  Dogm,  theol.,  t.  4, 1.  2,  c  1,  S  8,  9. 


BAC  m 

leur  hardiesse  St  définir  m  qao!  consbuit  la  reasemblance  de 

l'homme  avec  Dieu,  et  non  pas  le  fond  mèine  de  t' explication; 
car  il  est  certain  que  saînl  Ëpipliane  réfute  l'erreur  des  Anlliro- 
pomorptiiles  dans  cet  endroit  même  :  peut-êlre  les  Audieng  ne 
VOjaient-ils  point  les  conséquenceB  de  leur  erreur  sur  cet  article  ; 
peut-être  saint  Épiphane  a-t-il  été  porté  &  interpréter  avec  Indul- 
gence l'eïpHcation  des  Âudiens ,  !i  cause  de  leur  discipline 
Hustëre  ,  dont  il  parait  Taire  grand  cas  ;  ce  qu'il  j  a  de  sûr,  c'est 
qu'il  est  injuste  de  prétendre  prouver,  par  cette  indulgence  de 
saint  Épipliaoe  pour  les  Audiens,  que  ce  Père  favorisait  Tewenr 
des  Anihropomorpbiles ,  puisqu'il  la  réfuie  expressément. 

Les  Audiens  donnèrent  encore  dans  quelques-unes  des  erreurs 
des  Manichéens  :  il  paraît  qu'ils  croyaient  que  Dieu  n'aiail  point 
créé  les  ténèbres,  ni  le  fen,  ni  l'eau;  mais  que  ces  trois  élémens 
n'avaient  point  de  cause  et  étaient  éternels.  Il  parait  aussi  qu'ils 
dégénérèrent  de  leur  première  austérité  et  qu'ils  eurent  dans  la 
suite  des  mœurs  fort  déréglées.  Voijei  Théodorel,  Bœret.  Fait., 
1.  4,  c.  9. 


m 


BACULAIRES,  secte  d'Anabaptistes  qui  s'éleva  en1S2S,  et 
qui  fut  ainsi  appelée  parce  qu'aux  erreurs  générales  des  Anabap- 
tistes elle  ajouta  celle  qui  porte  que  c'est  un  crime  de  porter 
d'antres  armes  qu'un  bStou ,  et  qu'il  n'est  permis  i  personne  de 
repousser  la  force  par  la  force ,  puisque  Jésus-Cbrist  ordonne  aux 
chrétiens  de  tendre  la  joue  &  celui  qui  les  (irappe. 

L'amour  de  la  paix ,  que  Jésus-Chrlsl  était  venu  faire  régner 
sur  la  terre,  devait,  selon  ces  Anabaptistes,  éteindre  toutes  les 
divisions  et  faire  cesser  tous  les  prucès  :  ils  croyaient  qu'il  était 
contre  l'esprit  du  christianisme  de  citer  quelqu'un  en  justice. 

Ainsi ,  l'on  voyait  en  Allemagne  des  Anabaptistes  qui  croyaient 
qoe  Dieu  leur  ordonnait  de  dépouiller  de  leurs  biens  tous  ceux 
qui  ne  pensaient  pas  comme  eux  et  déporter  le  meurtre,  le  feu  , 
la  désolation ,  partout  où  l'on  ne  recevait  pas  leur  doctrine  ,  tan- 
dis que  d'autres  Anabaptistes  se  laissaient  dépouiller  de  leurs 
biens  et  âier  la  vie  sans  murmurer.  Voili  ofi  les  principes  de  la 
réforme  avaient  conduit  les  esprits  ;  et  l'on  prétend  nous  donner 
'a  réforme  comme  un  ouvrage  de  lumière,  commenn parti  néces- 


313  BAG 

siire  pour  dégager  la  vérité  des  ténèbres  dans  lesquelles  rËglise 
romaine  Tavait  ensevelie. 

Les  Baculaires  s'appelaient  aussi  Stéblériens  >  du  moi  Steb^  qui 
signifie  b&ton^. 

BAGÉMIUS ,  était  de  Leipsik  et  vivait  au  miUeu  du  dixHsep- 
tième  siècle  :  la  suite  de  ses  études  le  porta  à  rechercher  les  mo- 
tifii  qui  avaient  pu  déterminer  Dieu  à  créer  des  êtres  distingués 
de  lui. 

Les  théologiens  et  les  philosophes  s'étaient  fort  partagés  sur 
celte  question  :  les  uns  croyaient  que  Dieu  n'avait  créé  le  monde 
que  pour  faire  éclater  ses  attributs;  les  autres,  pour  se  faire 
rendre  des  hommages  par  des  êtres  libres. 

Bagémius  crut  qu'un  être  intelligent  ne  se  portsdt  à  agir  que 
par  amour,  et  qu'il  n'agissait  hors  de  lui-même  que  par  amour 
pour  l'objet  vers  lequel  il  se  portait  ;  il  concluait  de  là  que  c'était 
par  amour  pour  la  créature  que  Dieu  s'était  déterminé  à  la  créer  : 
il  prétendait  rendre  son  système  sensible  par  l'exemple  d'un  jeune 
homme  que  les  charmes  d'une  seule  personne  attachent  et  assu- 
jétissent  à  elle. 

CSomme  les  créatures  n'existaient  point  avant  que  Dieu  se  fût 
déterminé  à  les  créer,  il  est  clair  que  Dieu  n'avait  été  déterminé 
à  aimer  les  créatures  que  par  l'idée  qui  les  représentait  ;  ainsi  Ba- 
gémius ne  faisait  que  renouveler  le  système  de  Platon ,  que  Va- 
lentin  avait  tâché  d'unir  avec  le  christianisme  ^. 

Bagémius  ne  paraît  pas  avoir  fait  secte  :  nous  n'avons  rapporté 
son  erreur  que  pour  faire  voir  qu'il  y  a,  dans  les  opinions  et  dans 
les  erreurs  des  hommes ,  une  espèce  de  révolution  qui  les  fait  re- 
paraître successivement ,  et  que  l'esprit  humain  rencontre  à  peu 
près  les  mêmes  écueils  lorsqu'il  veut  franchir  les  bornes  des  con- 
naissances qui  sont  départies  aux  hommes  :  la  lumière  et  la  cer- 
titude sont  complètes  sur  ce  qu'il  est  nécessaire  ou  important  de 
bien  connaître;  où  la  connaissance  devient  objet  de  ciu*iosité,  la 
lumière  disparaît  ou  s'affaiblit ,  l'incertitude  et  l'obscurité  com- 
mencent ,  c'est  la  religion  des  conjectures  et  l'empire  de  l'opinion 
et  des  erreurs. 

*  Voyez,  à  l'article  Anabaptistes,  leurs  différentes  sectes.  Voyez 
Stockman  Lexicon.  Petrejus  Catal.,  Haer. 

*  Voyez  Vàrûcle  VALEWTiN.On  a  expliqué,  dans  le  t.  i  de  TËxamen 
du  fatalisme,  le  système  de  Platon. 


BAi  213 

La  révélation,  qui  fixe  nos  idées  à  cet  égard,  est  donc  un  grand 
bienlkit  ;  elle  nous  garanlil  de  toutes  ces  erreurs  que  l'esprit  hu- 
main quille  et  reprend  successivement  depuis  qu'il  raisonne, 
livré  i  son  inquiétude  et  â  sa  curiosité  '■ 

BAIANISME,  C'est  le  nom  que  Von  donne  au  s^stëme  théolo- 
gique  renfermé  dans  soixante-seize  propositions  condamnées  pat 
Pie  V,  tirées  en  grande  partie  des  écrits  ou  recueillies  des  leçons 
de  Hicbel  Baj,  plus  comniunémeRl  appelé  Baïus,  quoique  ca 
iLëologicn  ne  soit  poiul  nommé  dans  la  bulle ,  et  que ,  parmi  les 
propositions  condamnées,  il  y  eu  ait  plusieurs,  ou  qui  ne  sont 
point  de  Bay ,  ou  qui  n'ont  point  de  rapport  aux  matières  de  la 

Nous  allons  examiner  les  principes  et  l'origipe  de  ce  système, 
les  eltets  qu'il  produisit ,  la  condamnatiou  de  ce  système  et  les 
sidtes  de  cette  condamnation. 

SI.  —  De  l'origine  el  de»  principes  du  BaianUme. 

Michel  Bay  naquit  en  1513,  ïM;din,  village  de  llaynaul  ;  il  Qt 
ses  éludes  à  Louvain ,  y  enseigna  la  pLilosopLie  ,  el  TuL  reçu  doc- 
leur  en  1550. 11  fut  choisi  l'anoée  suivante  pour  rcmpLir  la  cbuiro 
de  l'Ëcrilure  sainle  *. 

Les  senlimeos  de  Luther,  de  Culvin  el  de  Zuingle  avaient  fait 
beaucoup  de  progrés  en  Flandre  et  dans  les  Paya-Bas  :  les  Pro- 
teslans  ne  reconnaissaient  pour  règle  de  la  foi  que  l'Écriture  ;  ce- 
pendant il  y  avait  des  Pérès  dont  ils  respectaient  l'auiorïté;  ils 
prétendaient  même  ne  suivTC  que  les  senlimens  de  saint  Augustin 
sur  la  grice  et  sur  lu  prédestmation. 

BaFus  forma  le  projet  de  réduire  l'élude  de  la  théologie  prin- 
cipalement  à  l'Ëcriture  et  aux  anciens  Pères  pour  lesquels  les 
hérétiques  avaient  de  la  vénération ,  de  suivre  la  méthode  des 
Pères  dans  la  discussion  des  points  controversés,  et  d'abandon- 
ner celledes  scolasliques,  qui  déplaisait  beaucoup  aux  Protestans. 

Ce  théologien  Gt  donc  une  étude  sérieuse  des  écrits  de  saint 
Augustin  et  le  prît  pour  modèle,  parce  qu'il  le  regardait  comme 
le  plus  exact  dans  les  matières  qu'il  avait  traitées  ^. 

1  Vo3ei  celle  chaîne  d'erreurs  dans  le  L  1  de  l'Examen  du  fatalisme. 
*  Baison.  Michuel  Bay  op.,  aecunda  pari.,  in-4',  p.  191,  Oupin,  BL- 
bliolli-,  seizième  hiùclc. 
>  Lct.  de  Balus  au  canliual  Simoncl,  ùi  1^  fin  de  In  collection  des  ou- 
9  de  Baius,  hi-i:. 


214  BAI 

Bains  s*applU|iui  donc  à  bien  eompreiidfe  It  dactria»  ée  «âat 
AngnstÎD ,  surtout  par  rapport  à  la  grice  ;  car  les  PrélcMaM^ 
comme  nous  TaTOits  dit,  prétendant  ne  smfre  pptb  k  dodriM 
de  saint  Augustin  sur  ces  objets ,  on  ne  poofait  lei  «imbtUie 
plus  efficacement  que  par  la  doctrine  de  ce  Père. 

Saint  Augustin  arait  prouTé,  contre  les  PâagteaSy  la  néeewilé 
de  la  grâce  ;  il  arait  prouTé  cette  ?érité  par  les  passages  de  TÈf" 
criture  qui  nous  enseignent  que  nous  ne  pourons^en  sans  IMeiiy 
que  toute  notre  force  tient  de  lui  »  que  notre  nature  est  corrompoey 
que  nous  naissons  enfans  de  colère. 

Pelage  avait  opposé  à  ces  preures  la  liberté  de  Tbomaie»  qsi 
serait  anéantie  si  la  grâce  lui  était  nécessaire. 

Saint  Augustin  n*aTait  point  attaqué  la  liberté  de  Tbonme  ; 
mais  il  atait  prétendu  qn*il  était  dans  une  impossibilité  tbadve 
de  faire  son  salut  sans  le  secours  de  la  grâce  :  il  avait  enseigné 
qu*  Adam  même  »  sans  le  secours  de  la  grâce ,  n*aurait  pu  persévé- 
rer dans  la  justice  originelle  ;  que,  par  conséquent»  depuis  la 
chute  de  Fhomme»  il  était  non-seulement  impossible  quH  fit  son 
salut  par  ses  propres  forces,  que  le  pécbé  originel  avait  détruites, 
mais  encore  qu*il  lui  fallait  une  grâce  plus  forte  qu*à  Adam. 

Voilà  Tobjet  que  Baïus  envisagea  dans  saint  Augustin  »  il  crût 
que  le  changement  opéré  dans  Thomme  par  le  péché  d*Adam 
donnait  le  dénoûment  de  toutes  les  difficultés  sur  la  liberté  de 
rhomme ,  sur  la  nécessilé  de  la  grâce  ^. 

Saint  Augustin  avait  prouvé  le  péché  originel  et  la  corruption 
de  rhomme,  par  la  concupiscence  à  laquelle  il  est  sujet  dès  le  mo- 
ment de  sa  naissance  ,  par  les  misères  qu*il  souffre,  par  la  mort , 
par  tous  les  malheurs,  qui^  depuis  la  chute  d*Adam,  sont  les  apa- 
nages de  Thumanité.  Saint  Augustin  avait  prouvé  quePhomme n'é- 
tait point  dans  Tétat  où  Adam  avait  été  créé ,  parce  que  sous  un 
Dieu  juste,  sage,  bon,  saint,  Thommene  peut  naître  ni  corrompu, 
ni  msdheureux  *. 

fiaïus  conclut  de  là  que  Fétat  d'innocence,  était  non-seulement 
Tétat  dans  lequel  Dieu  avait  résolu  de  créer  les  hommes,  mais  en- 
core que  la  justice,  la  sagesse,  la  bonté  de  Dieu  n'avaient  pu  créer 
rhomme  sans  les  grâces  et  sans  les  perfections  de  Fétat  d'inno- 
crace  ;  que  k  justice  d'Adam  n'était  point],  à  k  vérité,  essentielle 

*  Voyez  Farticle  PAlaqb. 

s  Ibid.  Voyez  aussi  les  ouvrages  de  saint  Aug*  contre  les  Pélagiens. 


BAI  SIS 

k  l'hoEBD»,  enca  sens  qu'elle  fût  une  propriélâ  de  la  nature  bn- 
maise,  en  sonequesanselle  l'homme  ne  pût  exister;  mais  qu'elle 
lui  était  essentielle  pour  n'êlrc  pas  vicieux,  dépravé  et  iocapable 
de  remplirai  destination, 

Ainsi,  disait  Baïus ,  un  homme  peut  exister  sans  avoir  de  boas 
yeui  ou  sans  avoir  de  bonnes  oreilles  ;  mais  s'il  n'a  que  des  jeuï 
ou  des  oreilles  donticsnerrssoîeatincapables  de  porter  au  cerveau 
les  impressions  des  couleurs  ou  des  sons ,  il  ne  peut  remplir  les 
fonctions  auxquelles  i'homns  eel destiné'. 

Dieu  ne  pouvait  donc  faire  l'homme  tel  qu'il  sst  aujourd'hui, 
c'est-i-dire  avec  la  concupiscence ,  sans  qu'il  eût  un  empire  ab' 
solu  sur  ses  sens;  sans  cet  empire,  l'âme  est  l'esclave  descorps,  et 
c'est  un  désordre  qui  ne  peut  exister  dans  une  créature  qui  sort 
des  mains  de  Dieu*. 

L'homme,  depuis  le  péché  originel,  a  donc  été  privé  de  l'inté- 
gritéde  sa  nature,  il  esll'esclave  delà  concupiscence,  il  n'a  plus 
de  force  que  pour  pécher. 

Cette  doctrine,  selon  Baïus  ,  n'est  point  contraire  au  dogme  de 
la  liberté  :  trois  sectes  l'ont  principalement  attaquée ,  selon  ce 
théologieu  ,  les  Stoïciens,  les  Hauicbéens  el  les  disciples  de  Lu- 
ther, de  Calvin. 

Lespremiers  soumettaient  toutes  les  actions  humaines  audeslin 
qui  produisait  tout  dans  le  monde  ;  les  seconds  supposaient  que 
lanaturehumaine  était  essenliellument  mauvaise  et  vicieuse;  en- 
fin Luther  et  Calvin  enseignaient  que  l'homme  était  sous  la  direc- 
lion  de  la  Providence ,  comme  un  automate  entre  les  muîns  d'un 
machiniste  :  l'homme  ne  faisait  rien  parce  qu'il  était  iucspahle 
d'agir,  etque  Dieu  le  déterminait  dans  toutes  ses  actions  par  une 
puissance  invincible,  mais  encore  parce  qu'il  produisait  immédia- 
tement et  seul  toutes  les  actions  hums' 

Ces  trois  ennemis  de  la  liberté  se  trompaient,  selon  Buîue ,  et 
il  crojrait  son  système  propre  à  réfuter  leurs  erreurs  :  voici  qml 
était  ce  système. 

Dieu  avait  créé  librement  l'homme  ,  et  il  l'avait  eréé  libre. 
Adam  avait  pécbé  librement  ;  aiasi  ilo' était  point  entraîné  par  la 
loi  du  destin. 


1 


I 


'Deprimlbominisjuslilla,  c.  2,  3,  11, 
^^Ibid.,  c.  S,  A,  6,  7. 

rnyrilesiirlicIcsLriHKii,  Calvin, 


316  BAt 

Le  premier  homme  avaitété  créé  jqste,  innocent  et  orné  de  ▼ef' 
toi  ;  ainsi  la  nature  humaine  n'était  point  man^aise ,  comme  letf 
Manidiéens  le  pensaient  :  le  premier  homme,  dans  cet  état,  com' 
mandait  à  ses  sens  et  à  son  corps  ;  tons  les  organes  étaient  somnis 
à  sa  volonté ,  il  pouvait  suspendre  ,  arrêter  les  impressions  des 
corps  étrangers  sur  ses  organes. 

H  a  perdu  par  son  péché  Tempire  qu'il  avait  sur  ses  sens  ;  il  a 
perdu  la  grâce  qui  lui  était  nécessaire  pour  persévérer  dans  la 
justice  ;  il  a  été  entraîné  néeessairement  par  le  poids  de  la  eoB- 
cupiscence  vers  la  créature  ;  il  ne  peut  résister  à  ce  paidiant  *, 

Ce  n'était  donc  pas  Dieu  qui  produisait  les  péchés  de  l'homme, 
comme  Luther  et  Calvin  avaient  osé  l'avancer ,  c'était  l'homme 
lui-même  qui  se  portait  vers  la  créature,  et  qui  s'y  portait  par  son 
propre  poids,  par  sa  propre  inclination ,  et  c'était  en  cela  que  eoB- 
sistait  sa  liberté ,  parce  qu'il  n'était  point  forcé  par  une  cause 
étrangère ,  la  volonté  n'était  point  contrainte  :  l'homme  péebail 
parce  qu'il  le  voulait,  et  il  ne  le  voulait  pas  malgré  lui  ;  il  ohéîsnit 
h  son  penchant  et  non  pas  à  une  cause  étrangère  :  ainsi  il  était 
libre  «. 

L'homme  pouvait  même ,  dans  les  choses  relatives  à  cette  Tie  , 
choisir  et  se  déterminer  par  jugement ,  et  c'est  pour  cela  que  le 
libre  arbitre  n'est  point  éteint  ^. 

Baïus  reconnaît  que  les  docteurs  catholiques  qui  ont  écrit  con« 
tre  les  hérétiques  ne  pensent  pas  ainsi  sur  le  libre  arbitre  ,  et 
qu'ils  le  font  consister  dans  le  pouvoir  de  faire  ou  de  ne  pas  faire 
une  chose,  c'est-à-dire  dans  une  exemption  de  toute  nécessité  ; 
mais  il  croit  qu'ils  se  sont  écartés  du  sentiment  de  saint  Augus- 
tin, qui ,  en  s'attachant  à  l'Évangile,  fait  consister  le  libre  arbitre 
en  ce  que  la  volonté  de  l'homme  n'est  exposée  à  aucune  nécessité 
extérieure,  sans  qu'il  soit  nécessaire  qu'il  ait  le  pouvoir  de  ne  pas 
faire  la  chose  qu'il  fait  ou  de  faire  celle  qu'il  ne  fait  pas  *. 

Telle  est  la  doctrine  que  Baïus  et  Hessels  enseignèrent  à  Lou- 
vain  sur  la  grâce  et  sur  les  forces  de  l'homme:  elle  fut  adoptée 
par  beaucoup  de  théologiens. 

Baïus ,  Hessels  ou  leurs  partisans  avaient  encore  d'autres  opi- 

*  L.  1,  Debonojustitiae. 
2  De  lib.  arbitr. 
s  Ibid.,  c  il. 
«  Ibid.,  c.  8. 


1 


I 


BAI  a 

raloM  diiTérontes  du  Beniîmeni  commun  des  docteurs  sur  le  j 
[  rite  des  œuvres,  sur  la  cODceptioa  de  lu  Vierge,  eic. ,  dont  n 
ne  parlerons  point. 

Dm  effet!  de  la  doclrine  de  Baïiu. 

Lorsque  les  théologiens  de  Louvain  qui  éiaienl  allés  M  coDÙlf.J 
de  Trente  fuTent  de  retour,  ils  furent  ehoqués  des  opinions  àaU 
Baïus  el  du  progrès  qu'elles  avaient  fait.  Quel  est  le  diable  , 
criait  un  de  ces  iliéologiens  ,  quel  est  le  diable  qui  a  inUodi^q 
ces  seutiinens  dans  notre  école  pendant  noire  absence! 

Les  sentimens  de  Baîus  furent  attaqués  par  les  théologiens  dsH 
Pajs-Bas ,  et  surtout  par  les  religieui  de  l'ordre  de  saint  FraoA  I 
sois,  qui  suivaient  les  sentimens  de  Scot,  diamétralement  opposétl 
aux  prineipes  de  Baïus,  sur  les  forces  de  l'homme. 

Scot  reconnaissait  que  riiomme,  par  les  forces  de  la  u; 
pouvaitfaire  quelques  bonnes  actions,  que  Dieu  pouvait  accorder 
ù  ces  œuvres  quelques  ho  nues  grâces ,  que  ces  œuvres  ne  pouvaient 
cependant  mériter  par  elles-mêmes  ,  puisqu'il  n'y  avait  aucune 
proportion  entre  les  œuvres,  qui  n'avaient qu'uu  mérite  naturel, 
et  la  grâce,  qui  était  d'un  ordre  surnaturel. 

Baïus  ne  s'éUît  pas  contenté  de  proposer  son  sentiment ,  il 
avait  attaqué  vivemenllcs  sentimens  qui  lui  était  opposés,  el  leurs 
délenseurs  avaient  cru^qu'ils  étaient  eux-mêmes  attaqués  avec  peu 
de  ménagement  dans  les  leçons  de  llaïus  ;  ils  attaquèrent  k  leur 
tour  les  sentimens  do  ce  théologien,  la  dispute  s'échaulla  ,  el  les 
adversaires  de  Baïus  envoyèrent  k  la  faculté  de  théologie  de  Pa- 
ris dit-huit  propositions  qui  avaient  été  avancées  par  Baïus  ou  par 
ses  disciples,  el  qui  contenaieDi  les  principes  de  la  doctrine  que 
nous  venons  d'exposer  ,  et  de  plus  quelques  opinions  qu'il  est 
inutile  d'examiner ,  tel  est  le  sentiment  qui  soumet  la  sainte 
Tiei^e  ïla  loi  du  pécbé  originel. 

la  faculté  de  théologie  condamna  ces  propositions  ,  Baïus  les 
défendit  pour  la  plupart  ;  et  le  cardinal  de  Granvellc,  gouverneur 
ées  Pays-Bas ,  voyant  que  les  esprits  s'écliautTaient ,  et  craignant 
que  celle  querelle  ne  commît  l'université  de  Louvaia  et  celle  de 
Paris,  obtint  du  pape  un  bref  qui  l'autorisait  dans  tout  ce  qu'il 
jugerait  nécessaire pourrapaiser. 

Le  cardin.il  de  Granvelte  imposa  silence  aux  deux  partis,  et 
écrivit  ï  Philippe  II ,  pour  lui  représenter  combien  il  serait  dan- 
gereux pour  Baïus  et  pour  llessels  ,  el  en  même  tei 


218  BAI 

il  serait  nuisible  k  TËglise  de  donner  occasion,  par  une  conduite 
trop  dure,  de  prendre  un  parti  dont  les  suites  pourraient  être  flh 
eheuses ,  et  il  lui  eonseilla  de  ne  suivre  dans  toute  cette  affiûre 
que  le  parti  de  la  douceur  :  il  louait  beaucoup  la  catholicité ,  la 
science ,  la  piété  de  Baîus  et  de  Hessels. 

Philippe  II  approuva  la  conduite  du  cardinal  de  Grajivélle ,  et 
k  paix  parut  rétablie  dans  Funiversité. 

Les  adversaires  de  Eaîus  ne  tardèrent  pas  à  recommencer  {ai 
hostilités  ;  ils  présentèrent  au  cardinal  de  Granvelle  un  mémoire 
contenant  plusieurs  propositions  qu'ils  attribuèrent  à  ce  docteur , 
et  ils  les  dénoncèrent  comme  étant  presque  toutes  suspectes  d'er- 
reur ou  d*hérésie. 

Le  cardinal  de  Granvelle  communiqua  ces  propositions  à  Balus, 
qui  en  désavoua  une  partie  et  soutint  que  les  autres  étaient  mal 
digérées ,  conçues  en  termes  ambigus  et  susceptibles  d*un  mau- 
vais sens  dont  il  était  fort  éloigné  :  la  contestation  ne  fut  pas 
alors  poussée  plus  loin,  et  Baîus  fut  député  au  concile  de  Trente 
avec  Hessels^. 

Baîus  ,  à  son  retour  du  concile ,  acheva  de  faire  imprimer  ses 
ouvrages  :  les  contestations  se  renouvelèrent  avec  plus  de  cha- 
leur que  jamais ,  et  Ton  tira  des  écrits  de  Baîus  plusieurs  propo- 
sitions que  Ton  envoya  en  Espagne  pour  les  faire  condamner. 
Les  religieux  de  saint  François  députèrent  à  Philippe  II  deux  de 
leurs  confrères,  Tun  confesseur  de  Marie  d'Autriche,  Taulre  très- 
puissant  auprès  du  duc  d' Albe,  ^ûn  de  faire  intervenir  le  roi  dans 
cette  affaire. 

Desjugemens  du  saint  Siège ,  sur  les  propositions  attribuées 

à  Baîus, 

On  avait  extrait  des  écrits  de  Baîus,  de  ses  discours  ou  de  ceux 
de  ses  disciples  soixante-seize  propositions  :  ces  propositions  ne 
sont  presque  que  le  développement  de  ce  que  nous  avons  exposé 
de  la  doctrine  de  Baîus  et  elles  peuvent  se  rapporter  aux  princi-' 
pes  suivans  : 

L'état  de rhomme  innocent  est  son  état  naturel;  Dieu  n'a  pu  le 
créer  dans  un  autre  état  ;  ses  mérites  en  cet  état  ne  doivent  point 
élre  appelés  des  grâces ,  et  il  pouvait  par  sa  nature  mériter  la  vie 
élernelle. 

*  BaïanD.,  p.  35,  194.  Littera  Car.  Granvelle,  quœ  Vesontii,  in  abba- 
Uà  S.  Vinccnlli,  asservulur. 


BAI 


Depais  te  péché ,  toutes  les  œuvres  des  hommes  Fniie) 
grSce  sont  des  pécbés  ;  aÏDsi ,  toutes  les  actions  des  inUdi^les ,  et 
l'inlidélilé  même  négative ,  sont  des  péchés. 

La  liberté  ,  selon  l'Écriture  sainte ,  est  la  délivrance  du  péchi 
elle  esl  compatible  arec  la  nécessité  :  les  mouvemeos  de  cupidité, 
quoique  involontaires,  sont  défendus  par  le  précepte,  et  ils  sont 
un  péché  dans  les  baptisés ,  quand  ils  sont  retombés  en  état  de 


ansU     H 
les,  et       ^^M 


La  charité  peut  se 
core  obienu  la  rémi 
point  remis  par  une  i 
cevoir  le  bapltme  ou  l'absolutio 


dans  un  homme  qui  n'a  pas  en- 
ses  péchés  ;  le  péché  mortel  n'est 


31  l'oi 


i:  les  reçoit  naturelle- 


Personne  nenalt  sans  péché  originel,  et  les  peines  que  la  Vierge 
et  les  saints  ont  souOertes  sont  des  puniUons  du  péché  originel  ou 

On  peut  mériter  la  vie  étemelle  avant  d'être  justifié  :  on  ne  doit 
pas  dire  que  l'homme  salisfait  par  des  œuvres  de  pénitence,  mais 
que  c'est  en  vue  de  ces  actions  que  la  satisfaction  de  Jésus-Christ 
nous  est  appliquée. 

Pie  V  condamna  lesproposilioosqui  contenaient  celle  doctrine: 

•  Nous  condamnons  ces  propositions ,  dit-il ,  à  la  rigueur  et  dans 

■  le  propre  sens  des  termes  de  ceui  qui  les  ont  avancées ,  quoî- 

■  qu'il  y  en  ait  quelques-unes  que  l'on  peut  enquelque  sorte  sou- 
1  tenir,  c'est-â-dire  dans  nu  sens  éloigné  de  l;i  signification  pro- 

•  pre  des  termes  et  de  l'intention  de  ceuï  qui'  s'en  sont  servis  •. 

>  Les  déferiMurs  de  Baluii  lisent  aulremenl  te  prononcé  de  la  bnlle; 
ils  prétendent  qu'il  faut  lire  :  i  Noua  condamnons  ces  propositions 
t  quoiqu'il  y  en  ait  quelques-unes  d'entre  elles  que  l'on  peut  en  quel- 

>  que  sorte  soutenir  ï  la  rigueur  et  dans  le  sens  propre  des  termes  de 

>  ceux  qui  les  ont  avancées,  n 

La  différence  de  ces  deu»  leçons  dépend  d'une  virgule  placée  devant 
DU  après  le  mol  poaiiat,  comme  tout  le  monde  peut  s'en  convaincre  en 
lisant  1c  prononcé  de  la  bulle  en  latin.  oQuasquidemseoleulias,  stricto 

■  coram  nobïs  ciamlne  ponderata-i,  quauquâm  nonnuUai  aliqno  pacio 

•  sustineri  possint,  in  rigorc  et  proprio  verborum  sensu  ab  audoribus 

■  Inlento  damnamus.  i  II  esl  clair  que  la  virgule  qui  est  après  inlt'iilo, 
lAocte  après  poiiint,  fait  un  sens  absolument  dilTérenl, 

Les  défenseurs  de  Bains  ont  prétendu  qu'il  Tout  lire  In  virgule  aprte 
,    intcnlo,  non  pas  aprèsjiOHtnf  ;  nous  ferons  sur  ccUiquelquesniflcxions, 


220  BAI 

Le  cardinal  de  Granvelle ,  charge  de  rexécution  de  la  bulle, 
commit  pour  cela  Morillon ,  son  grand  vicaire ,  lui  enjoignit  de 
procéder  avec  une  charité  vraiment  chrétienne ,  pour  réparer  don* 

1*  Une  censure  dogmatique  a  toujours  pour  objet  le  sens  propre  et 
naturel  des  propositions,  et  la  censure  du  pape  serait  injuste,  informe^ 
absurde,  si  elle  proscrivait  les  soixante-seize  propositions  et  les  livres 
dont  elles  sont  extraites,  seulement  à  cause  d*un  sens  étranger  qu^elles 
n^ont  ni  dans  le  livre,  ni  dans  Tesprit  des  auteurs,  mais  qu^on  peut  leur 
donner. 

2**  Le  cardinal  de  Granvelle,  chargé  de  Taffaire  du  Balanisme  par 
Pie  y,  déclara  que  Baïus  avait  encouru  les  censures  portées  par  la 
bulle,  pour  avoir  défendu  les  propositions  dans  le  sens  des  paroles  de 
Tauteur. 

8**  Grégoire  XIII  obligea  Balus  à  confesser  que  ses  propositions 
étaient  condamnées  par  la  bulle  dans  le  sens  qui!  avait  enseigné  et 
exigea  de  TUniversité  de  Louvain  qu^elle  enseignât  la  contradicldre 
de  toutes  ces  propositions  pour  se  conformer  à  la  bulle. 

à*  Urbain  VIII  fit  imprimer  la  constitution  de  Pie  Y  avec  la  virgule 
après  possint  et  non  pas  après  intenta. 

5"  Le  saint  Siège  exigea  des  Universités  de  Louvain  et  de  Douai  une 
acceptation  pure  et  simple  de  la  bulle  et  voulut  que«  dans  cette  accepta- 
tion, on  déclarât  qu'aucune  despropositionsnepeutêtre  soutenue,  prise 
en  rigueur  et  dans  le  sens  propre  des  paroles. 

6°  Les  défenseurs  de  Baîus  prétendent  que,  dans  la  copie  de  la  bulle 
envoyée  par  le  pape  même  et  déposée  dans  les  archives  de  la  faculté  de 
Louvain  pour  y  servir  d*original,  il  n*y  a  ni  virgules,  ni  distinction 
d^articles,  dont  on  ne  peut  deviner  la  division  que  par  des  lettres  ma- 
juscules qui  paraissaient  à  la  tête  de  chaque  article.  (Dissert,  sur  les 
bulles  contre  Baïus,  p.  58.) 

Dans  cette  supposition  même,  ne  faut-il  pas  s^en  rapporter  sur  le 
sens  de  la  bulle  à  Urbain  VIII  et  à  Grégoire  XIII,  et  aux  principes  delà 
critique  qui  ne  permettent  pas  de  placer  la  virgule  après  intenta 
comme  on  Ta  fait  voir  dans  les  premières  réflexions? 

7®  Dans  les  lettres  que  le  cardinal  de  Granvelle  écrivit  à  Morillon 
pour  Texécution  de  la  bulle,  il  est  clair  que  Ton  croyait  à  Rome  et 
que  le  cardinal  de  Granvelle  pensait  qu'on  avait  condamné  les  livres  et 
les  sentimens  de  Baïus.  (Inter  opéra  Bail,  t.  2,  p.  59.) 

Vayez  PHistoire  du  Baîanisme  ou  de  Thérésie  de  Baïus,  avec  des  no- 
tes historiques,  chronologiques,  etc.,  suivies  d'éclaircissemens,  etc.,  par 
le  père  J.-B.  Duchcsnc,  delà  compagnie  de  Jésus  ;  à  Douai,  in-A",  1731. 

Traité  historique  et  dogmatique  sur  la  doctrine  de  Baïus  et  sur  T^u^ 
torité  des  papes  qui  Tout  condamnée  j  1739,  2  vol,  in-12. 


BAI  331. 

eernent  la  hvle  de  Baius  ;  ce  qui,  dit  le  cardinal,  fera  plus  d'hun- 
neur  à  rtloiveTsilé  et  i  em-mâmes ,  et  leur  procurera  plus  de  ré- 
putnLionque  s'ils  se  coudulsaient  avec  aigreur. 

M orilloD assembla  la  facalié  élroiiede  Louvain  le  l^novembra 
1^0,  publia  la  bulle  de  Pie  V  dans  l'assemblée  de  celle  faculté , 
sans  en  laisser  néanmoins  la  copie  ,  requit  que  les  doclenrs  e 
théologie  la  souscrivissent  et  leur  demanda  s'ils  voulaient  obéi 
k  la  constitution  du  pape  qu'il  venait  rie  leur  préseuler.  Six  doc- 
teurs de  Lonvain  et  Baîus  même  se  soumirent. 

Comme  BaTus  n'était  point  nommé  dons  la  bulle  ,  il  resta  dnn 
l'Universilé  de  Louvain,  el  fut  même  fait  ehanceller  et  conserva 
leur  des  privilèges  de  l'Université  de  Louvain  en  1578. 

La  même  année,  les  querelles  qui  semblaient  apaisées  se  rt 
nonvelèrent  :  d'un  côté,  Baîus  Tut  accusé  de  tenir  encore  les  ei 
reurs  condamnées,  et,  de  l'autre,  on  fît  nalire  un  doule  sur  l'ai 
Ilienticilé  de  la  bulle;  quelques-uns  prétendirent  qu'elle  était 
supposée ,  et  d'autres  qu'elle  était  subreptice. 

Le  roi  d'Espagueappu  ja  la  sollicitation  de  quelques  théologiens 
de  Louvain  auprès  de  Cr^oire  XIII  pour  apaiser  ces  contesta- 
lions  ,  et  le  pape  donna  une  bulle  dans  laquelle  il  inséra  la  bulle 
entière  de  Pie  V,  sans  la  confirmer  expressément,  ni  condamner 
de  nouveau  les  articles  qui  ;r'éiaienL  -contenus  ,  mais  en  déclarant 
seulement  qu'il  avait  trouvé  cette  bulle  dans  les  registres  de  Pie  V 
el  qu'on  devait  y  ajouter  foi. 

Celte  bulle  fut  notifiée  ï  la  faculté  de  Lonvain  par  le  P.  Tulel, 
jésuite,  confesseur  de  Grégoire  XIII,  et  cLargé  de  la  faire  oxé- 

Baîus  déclara  qu'il  condamnait  les  articles  portés  dans  la  bulle  ; 
qu'il  les  condamnait  selon  l'intention  de  la  bulle  et  de  la  manière 
que  la  bulle  les  condamnait. 

Les  docteurs  de  Louvain  firent  la  même  déclaration  ;  Baîus  si- 
gna même  une  déclaration  par  laquelle  il  reconnaissait  qu'il  avait 
soutenu  plusieurs  des  soix3nte.4eize  propositions  condamnées  dans 
la  bulle,  et  qu'elles  étaient  censurées  dans  le  sens  dans  lequel  il 
les  avait  enseignées  :  Baîus  signa  cet  acte  le  U  mars  1 S80,  et  Gré- 
goire Xin  lui  écrivit  ensuite  un  bref  très-obligeant  en  li 
une  copie  de  k  bulle  de  Pie  V  qu'il  avait  demandée. 

Urbain  Vlll  cunGrma  ,  en  lQi2  ,  la  condamoalion  portée 
PieV. 

a  beaucoup  disputé  sur  l'autorilé  de  ces  bulles:  cette  i 
10* 


m  BAI 

cossion  n^âppartieni  pas  à  mon  sojel  #  je  me  contentemi  «TiiidH 
(faer  les  aateors  qui  en  ont  traité  *. 

.  Suite  de*  eoniestationt  étevées  sur  la  doctrine  de  Bafui, 

Malgré  les  précaution»  qne  Ton  ayait  prises  pour  étouffor  Tes» 
prit  de  diyision  entre  k»  théologiens  des  Pays-Bas ,  les  conio»» 
tations  continuèrent  dans  la  fieulté  de  Loutain  :  Baîus  était  ton* 
jonrs  soupçonné  d'attachement  anx  opinions  proscrite»  par  la  bulle 
de  Pie  Y  ;  on  Taccusait  mène  hautement  de  r^user  de  faire  prê- 
ter aux  candidats  le  serment  de  soumission  k  cette  bulle ,  et  d*a- 
Toîr  osé  proposer  qu'on  biffât  cet  article  du  serment  qu'on  nigeait 
d'eux  lorsqu*ils  se  présentaient  aux  grades. 

Ces  accusations  furent  euToyées  au  Père  Tolet ,  jésuite  t  à  qui 
on  adressa  en  même  temps  plusieurs  propositions  qm  coneer- 
naient  la  doctrine  et  la  conduite  de  Bsïus ,  et  ce  jésuite  en  ren?oya 
le  jugement  aux  UniTersités  d'Alcak  et  deSalamanque,  quicen» 
surèrent  les  propositions  de  Balus. 

L'évèque  de  Yereeil ,  nonce  du  pape  en  Flandre,  pour  rétablir 
la  paix  dans  la  faculté  de  LouYain ,  fit  dresser  un  corps  de  doc- 
trine opposé  aux  articles  censurés  par  Pie  Y,  et  toute  la  faculté 
de  Louvain  s'engagea  par  serment  à  le  prendre  pour  règle  de  se» 
senti  mens  *. 

Depuis  ce  corps  de  doctrine ,  on  croyait  la  paix  si  bien  établie 
dans  la  faculté  de  théologie  de  Louvaiu  que  rien  dans  la  suite 
ne  serait  capable  de  la  troubler,  lorsque  la  doctrine  que  deux 
théologiens  jésuites  (Lessius  et  Hamélius)  enseignèrent  sur  la 
grâce  et  sur  la  prédestination  renouvela  toutes  les  disputes. 

Rien  n'était  plus  opposé  aux  sentimens  de  Baïus  que  les  prin- 
cipes de  Lessius.  Ce  théologien  supposait  que  Dieu,  après  le  pé- 
ché d'Adam ,  donnait  à  tous  les  hommes  des  moyens  suffîsans 
contre  le  péché  et  des  secours  pour  acquérir  la  yie  éternelle; 
que  l'Écriture  était  remplie  de  préceptes  et  d'exhortations  pour 
engager  les  pécheurs  à  se  convertir  :  d'où  Lessius  concluait  en- 
core que  Dieu  leur  donnait  un  secours  suiDsant  pour  pouvoir  se 

^  Le  père  Duchesne,  loc.  Cit  cinquième  instruct  pastor.  de 
M.  Languet,  arcb.  de  Sens,  p.  877,  etc.  Instruct.  pastorale  de  M.  de 
Cambrai,  1735.  Traité  historique  cité  ci-dessus.  Diss.  sur  les  bulles  con- 
tre Baïus,  1737,  in-12.  DisserU  sur  les  bulles  contre  Baîus  et  sur  l'état 
de  nature  pure,  par  le  P.  de  Gennes,  1722,  2  vol.  in-i2. 

^Baiana,  ibid.  Dupin,  HisL  du  seizième  siècle. 


BAI  s,8 

convertir,  puisque  Dien  ne  commande  point  des  choses  impossi- 
bles. Lessius  croyait  que  saint  Aogtislin  ne  semblait  pas  exposer, 
selon  l'intention  de  l'Apùire,  ces  paroles  de  l'Épftre  i  Timothée, 
flirt*  veut  que  tous  Us  hommes  toienl  saavét ,  en  disant  que  saint 
Paul  aTait  entendu  que  Dieu  Tcut  que  tous  ceuï  qui  sont  sauTés 
soient  sauvés. 

Lessius  enseignait  que  tous  les  eodroils  de  l'Écriture  sainte 
qui  si gniiient  qu'il  est  impossible  it  certaines  personnes  de  se 
convertir  doivent  êtfe  entendus  de  telle  sorte  que  le  terme  d'im- 
possible signiGe  ce  qui  est  eitrêmement  difficile  :  il  soutenait  que 
celui  qui  ignore  invinciblement  la  foi  est  obligé  d'observer  les 
préceptes  naturels  ,  c'est-ii-dire  le  décalogue  ,  et  qu'il  avait  on 
secours  moral  suffisant  pour  les  accomplir,  parce  que  Dieu  n'oblige 
personne  à  l'impossible  ;  qu'autrement  on  retomberait  dans  les 
erreurs  des  hérétiques  qui  disent  que ,  depuis  le  péché  originel , 
le  libre  arbitre  ponr  le  bien  a  été  perdu  :  il  croyait  que  la  prédes- 
tination à  la  gloire  ne  se  faisait  pas  avant  la  prévision  des  mérites, 
et  disait  que  quand  saint  Augustin  serait  d'une  opinion  contraire 
cela  n'importerait  pas  beaucoup. 

Lessius  enseignait  encore  quelque  chose  concernant  l'Ëcriture 
sainte  opposé  aux  sentimens  des  docteurs  de  Louvain ,  mais  qui 
n'avait  aucun  rapport  au  Baïanisme  :  nous  ne  parlerons  point  de 
cet  objet ,  sur  lequel  on  peut  voir  la  censure  de  la  faculté  de  Lou- 
vain, imprimée  à  Pari»,  16il. 

n  j  avait  dans  la  faculté  de  Louvain  des  théologiens  qui  con- 
servaient toujours  du  penrhanl  pour  les  opinions  de  Baîus  ;  d'ail- 
leurs ,  l'autorité  de  saint  Augustin  était  si  grande  dans  celte  L'n'i- 
versité  que  la  docirioe  de  Lessius  révolta  beaucoup  de  monde,  et 
il  y  a' beaucoup  d'apparence  que  Baïus  profita  de  ces  dispositions 
et  employa  son  crcdii  pour  faire  censurer  la  doctrine  de  Les- 


La  faculté  de  Louvain  censura  en  effet  trente  propositions  ex- 
traites des  livres  de  Lessius  ,  comme  contenant,  pour  la  plupart, 
une  doctrine  entièrement  opposée  à  ce  que  saint  Augustin  a  en- 
seigné en  mille  endroits  de  ses  écrits  louchant  la  grâce  et  le  libre 
arbitre;  elle  déclarait  que  l'autorité  de  saint  Augustin  ayant  tou- 
jours été  extrêmement  respectée  dans  l'Église  par  les  conciles, 
par  les  papes  et  parles  auteurs  ecclésiastiques  les  pins  illustres, 
c'était  outrager  les  uns  et  les  autres  que  de  ne  pas  déférer  â  cette 

Write  ^  enfiff,  que  les  propositions  de  Lessius  renouvelaient  et 


I 


1 


t^' 


224  BAI 

KisosciuieBt  toutes  celles  des  Semi^MlatgieBs  de  Maesdlle  si  an- 
lemelkawat  condamnées  par  le  sadnl  Si^*« 

La  £iciillé  de  LooTain  eoToja  sa  ceosoreà  tontes  les  églises  des* 
Fajs-Bas,  et,  pour  perpétoer  antaot  qn^dle  le  pourrait  ses  seatl- 
Mess  sur  les  matières  oomestées,  elle  institiia  me  leçon  pablifse 
de  théologie  pour  réfuter  les  opinions  de  Lessîns ,  et  chargea  de 
cet  emploi  Jaoqnes  Janson,  ami  sélé  de  Bains  et  maître  de  lan- 
■énins. 

^Université  de  Donaî,  qne  Ton  peut  nommer  la  fille  de  ceDe 
de  Lonvain,  émne  par  Fexemple  de  sa  mère  et  peut-être  enoere 
aussi  ennemie  qa^eQe  des  nouveaux  collèges  des  Jésuites ,  fit  une 
censure  de  leurs  propositions  semblable  à  celle  de  Louvain.  Elles 
avaient  été  envoyées  à  Douai  par  les  archevêques  de  Cambrai  et 
de  Malines  et  par  Tévêque  de  Gand  :  ce  fut  Guillaume  Estîus ,  doc- 
teur de  Louvain  transféré  à  Douai ,  qui-  dressa  cette  censure, 
plus  forte  et  plus  étendue  que  celle  de  Louvain. 

Les  Jésuites  envoyèrent  à  Rome  la  censure  de  Louvain;  ISxte- 
Qttinty  qui  occupait  alors  le  siège  de  saint  Pierre,  dépèefaa  des 
ordres  au  nonce  des  Pays-Bas  pour  accommoder  ce  difirent.  Le 
nonce  se  rendit  à  Louvain  et  fit  assembler  la  faculté  chei  lui  ; 
douze  docteurs  s'y  trouvèrent,  entre  lesquels  étaient  Michel  Baîus, 
Henri  Granius  et  Jean  de  Lens.  Le  nonce ,  après  les  formantes 
ordinaires ,  témoigna  souhaiter  que  la  faculté  réduisît  ce  qui  était 
en  dispute  à  certains  articles  :  de  Lens  le  fit  avec  Granius ,  et  le 
nonce  défendit  aux  deux  partis  de  discuter  de  vive  voix  ou  par 
écrit  sur  ces  matières ,  et  ils  se  soumirent  tous  deux  à  cette  dé- 
fense. Le  nonce  défendit  encore,  sous  peine  d'excommunication, 
à  tous  ceux  qui  embrassaient  les  intérêts  de  la  faculté  ou  des  Jé- 
suites ,  d'en  disputer,  ni  en  public ,  ni  en  particulier,  en  condam- 
nant l'un  ou  l'autre  sentiment,  que  l'Église  romaine,  la  maltresse 
de  toutes  les  Églises ,  n'avait  point  condamné.  11  excommunia  de 
plus ,  en  général ,  tous  ceux  qui  traiteraient  les  dogmes  de  l'un  ou 
de  l'autre  parti  de  suspects ,  scandaleux  ou  dangereux ,  jusqu'à 
ce  que  le  saint  Siège  en  eût  jugé.  Par  cette  ordonnance ,  le  nonce 
permettait  à  Lessius  et  à  Hamélius  d'enseigner  leur  doctrine, 
pourvu  qu'ils  ne  réfutassent  pas  les  sentimens  de  leurs  adver- 
saires ,  et  donnait  aussi  la  même  liberté  au  parti  opposé. 

Cette  même  année,  Louis  Molina ,  jésuite  espagnol,  qui  avait 


«  Hist.  congregat.  de  auxiliis,  K  1,  c.  7.. 


BAI-  225 

été  proresseor  en  ihéolagie  dans  l'uDiversilé  d'Ëbora ,  en  Portu- 
gal ,  publia  son  ouvrage,  inlitulé  :  la  Concorie  de  la  grâce  et  du 
libre  arbitre ,  etc. 

Les  DominicaiDS  de  Valladolid  firent  soaleoir  une  dispute  pu- 
blique en  faveur  de  la  doctrine  opposée  k  celle  de  Holina ,  l'an 
1590;  dès  lors  les  deux  ordres  coinmencferenl  à  s'éclaiifTcr  en 
Espagne  l'un  contre  l'autre.  CléraeniVlll  imposa  silence  auideui 
partis  par  un  bref  du  15  août  1594  :  Philippe  H  donna  de  sem~ 
bbbles  ordres  dans  ses  Ëiats ,  mab  ces  ordres  ne  furent  point 
exécutés,  et  le  pape,  à  la  sollicilaiion  des  deux  partis ,  établit  une 
congrégation  i  Rome  pour  juger  de  celte  affaire,  en  sorte  qu'il 
n'j  eût  plus  désormais  de  contestation  sur  cette  matière  '. 

Ou  trouve  dans  une  histoire  particulière  les  suites  et  tes  elTcts 
de  ces  congrégations ,  qui  n'ont  rapport  qu'aux  Jésuites  et  aux 
Dominicains*. 

Les  disputes  sur  la  grûce  et  sur  In  prédestination  n'avaient  pas 
plus  été  terminées  A  Lonvain  qu'en  Espagne  :  les  partisans  de 
Bains  prétendirent  que  les  propositions  cundauinées ,  prises  eu  un 
certain  sens,  necontenaient  quela  doctrine  de  saint  Augustin;  de 
leur  cûté,  Lessius  et  ses  partisans  prétendirent  que  leurs  seuti- 
mcns  n'étaient  point  contraires  à  la  doctrine  de  saint  Augustin  : 
toutes  les  disputes  des  théologiens  de  Louvain  sur  les  matières 
de  la  grïce  et  de  la  prédestination  se  réduisirent  insensiblement 
ï  savoir  quel  était  le  sentiment  de  saint  Augustin  ;  et  Janson , 
chargé  de  combattre  la  doctrine  de  Lessius ,  s'occupa  à  la  com- 
battre par  les  principes  de  saint  Augustin. 

Lessius  admettait  une  grâce  accordée  il  tous  les  hommes  pour 
se  sauver,  et  dans  tous  les  infidèles  un  secours  moral  pour  rem- 
plir la  loi  naturelle. 

11  devait  naturellement  s'élever  parmi  les  disciples  do  Janson 
quelqu'un  qui  combattit  les  principes  de  Lessius  par  l'autorité  de 
saint  Augustin ,  et  qui  soubaitSt  de  trouver  dans  ce  Père  que 
Dieu  ne  veut  pas  sauver  tous  les  hommes,  qu'il  commande  des 
choses  impossibles,  qu'il  ne  veut  pas  que  tous  les  hommes  soient 

II  j  a  bien  de  l'apparence  que  ce  fut  dans  ms  dispositions  que 
Jansénius  lut  saint  Augustin  ;  il  en  fit  une  étude  proFonde  ,  il  lut 

'  Trad.  de  l'Ëgliu  rom.,  part  à,  p-  iSA,  etc. 

I,  congrcf.  de  auxittjs,  iiuctpre  Âtigi  le  Qlaae, 


1 
I 


idè  BAI 

dix  fois  tous  ses  onirages  et  trente  fois  tous  ses  écrits  contre  les 
Pélagiens  ;  il  y  trouTa  la  doctrine  que  vraisemblablement  il  y  avait 
cherchée*. 

Mais  cette  doctrine  prit  entre  les  mains  de  Janséâitts  tin  ordre 
systématique  qu'elle  n'avait  point  eu  jusqu^alors,  et  ne  s^oftrlt 
que  comme  le  développement  des  vérités  que  saint  Augustin  avait 
défendues  et  éclaircies  contre  les  Pélagiens,  dont  Lessius  et  Mo- 
lina  renouvelaient  les  principes. 

Jansénius  mourut  avant  la  publication  de  son  Ouvrage  qui  pt-* 
rutà  Paris  en  1640. 

Le  cardinal  de  Richelieu ,  qui  avait  haï  Jansénius  pendant  qtt*îl 
vivait ,  voulut  faire  réfuter  son  livre  *.  Il  chargea  de  cette  cond- 
missionlsaac  Habert ,  théologal  de  Paris,  depuis  évéque  deTabres. 

Habert  commença  à  attaquer  Jansénius  par  trois  sermons ,  où  il 
dit  que  le  saint  Augustin  de  Jansénius  était  un  saint  AugnsUn 
mal  entendu,  mal  expliqué,  mal  allégué,  et  maltraita  extrême- 
ment les  Jansénistes. 

Antoine  Arnaud  prit  la  défense  de  Tévéque  d'Ypres  ;  Habert  ré- 
pondit dans  un  ouvrage  qu'il  intitula  :  Défense  delà  fifi;  M.  Ar- 
naud répliqua  par  une  seconde  apologie ,  à  laquelle  H.  Habert  ne 
répondit  point  ;  mais  il  publia  un  ouvrage  où  il  exposait  les  sen- 
timens  des  Pères  grecs  sur  la  grâce. 

Urbain  YIII ,  après  avoir  fait  examiner  avec  soin  le  livre  de 
Jansénius,  le  défendit  comme  renouvelant  quelques-unes  des  pro^ 
positions  de  Baïus ,  qui  avaient  été  condamnées  par  Pie  Y  et  par 
Grégoire  XIll. 

Jansénius ,  dans  le  corps  dé  son  ouvrage ,  attaque  souvent  Mo- 
lina ,  Lessius  et  tous  ceux  qui  pensaient  comme  eux  ;  il  a  mis  à 
la  fin  un  parallèle  de  leurs  opinions  avec  celles  des  Semi-Pélagieùs 
de  Marseille. 

Lessius  et  Molina  étaient  membres  d'une  société  féconde  en  sa<^ 
vans,  en  théologiens  profonds,  qui  avaient  combattu  avec  gloire 
les  erreurs  des  Protestans  ;  Lessius  et  Molma  eurent  dans  leurs 

*  Gomdîî  Jansen.  episcopi  yprensis,  August.,  Synopsb  vit»  auctoris, 
U  If  lib.  jffaemial,  c-lO,  p.  10,  t.  2. 

^  Jansénius  était  auteur  d'un  ouvrage  intitulé,  Mars  Gallicus;  il  sou- 
tenait, dans  cet  ouvrage,  les  intérêts  de  TEspagne  contre  la  France,  avec 
laquelle  elle  était  alors  en  guerre  :  on  dit  que  c^est  là  l'origine  4e  la 
haine  de  ce  cardinal  contre  Jansénius.  Apol.  des  Genstt  p,  iàà* 


e  parmi  tes  doc- 

n  prclendaît 


BAI 

confrères  des  dËfenseurs,  ils  eu  trauvËrent 
leurs  de  Louvain  el  de  Paris. 

On  vit  donc  alors  en  France  deux  partis ,  dont 
défendre  lu  doulrine  de  saint  Augustin  et  combattre  d: 
versaires  les  erreurs  des  Pélagietis  et  des  Seuii-Pélagieus ,  tandis 
que  l'autre  prétendait  défendre  la  liberté  de  l'homme  el  la  bonté 
de  Dieu  contre  les  erreurs  de  Luther  el  de  Calvin. 

Les  esprits  s'échauffèrent  en  France ,  les  docteurs  se  partagè- 
rent ,  et  le  sjndic  de  la  faculté  représenta  ,  dans  l'assemblée  du 
1"  juillet,  qu'il  se  glissait  des  seniimens  dangereux  parmi  les 
bacheliers  et  qu'il  serait  nécessaire  d'examiner  en  particulier 
sept  propositions,  qu'il  récita. 

Les  cinq  premières  regardaient  la  doctrine  de  la  grâce  ;  ce  sont 
celles  qui  ont  tant  fait  de  bruit  dans  la  suite.  La  sixième  et  la 
septième  regardaient  la  pénitence. 

Od  nomma  des  commissaires,  on  dressa  une  censure  des  pro- 
positions ;  soixante  docteurs  appelèrent  de  la  censure  comme  d'a- 
bns  :  le  parlement  défendit  de  rendre  public  le  projet  de  censure 
et  de  disputer  sur  les  propositions  qni  ;  étaient  contenues  jusqu'à 
ce  que  la  cour  eu  eût  ordonné  autrement.  Cet  arrêt  est  du  S  oc- 
tobre  1649. 

Cependant  les  défenseurs  et  les  adversaires  de  Jansénius  met- 
talent  tout  en  usage  pour  faire  prévaloir  leur  sentiment.  Sur  la  fin 
de  l'année  suivante  (16b0),  U.  l'évéque  de  Vabres  écrivit  une 
lettre  laline  où  étaient  renfermées  les  cinq  proposiUans ,  pour 
prier  le  pape  d'en  juger,  et  engagea  divers  prélats  i  la  signer 
pour  l'envoyer  ensuite  à  Rome, 

Innocent  X  flt  eianiiner  les  cinq  propositions,  et  publia,  eo 
1653,  une  bulle,  datée  du  31  mai,  dans  laquelle  il  dit  que  quel- 
ques controverses  étant  nées  en  France  sur  les  opinions  de  Jan- 
sénius et  parti culièremcnl  sur  cinq  propositious ,  il  avait  été  prié 
d'en  juger.  Ces  propositions  sont  : 

1°  Quelques  préceptes  de  Dieu  sont  impossibles  aux  justes,  selon 
leurs  forces  prfeentes,  quoiqu'ils  souhaitent  et  tSclient  de  les  ob- 
server ;  ils  sont  destitués  de  la  grlce  par  laquelle  ils  sont  possibles. 

2*  Dans  l'état  de  la  oatui^e  corrompue  on  ne  résiste  jamais  à  la 
grâce  intérieure. 

3*  Pour  mériter  et  démériter  dans  l'étal  de  nature  corrompue, 
la  liberté  qui  exclut  la  nécessité  n'est  pas  requise  en  l'homme,' 
iMis  il  suffît  d'avoir  la  liberlé  qui  exclut  h  ccwUaiule. 


1 


A**  Les  Semi-t^éiagiens  admettaient  la  nécessité  d*une  gr&ce 
intérieure,  prévenante  pour  chaque  action  en  particulier,  même 
dans  le  comm^cement  de  la  foi ,  et  ils  étaient  hérétiques  en  ce 
qa*ils  prétendaient  que  cette  grâce  fût  de  telle  nature  que  la  vo- 
lonté eût  le  pouvoir  d'y  renoncer  ou  d*y  consentir. 

5<>  C'est  une  erreur  des  Semi-Pélagiens  de  dire  que  Jésus-Christ 
soit  mort  et  qu'il  ait  répandu  son  sang  pour  tous  les  hommes. 

La  première  proposition  est  déclarée  téméraire ,  impie ,  blas- 
phématoire, digne  d'anathème  et  hérétique. 

La  seconde ,  hérétique. 

La  troisième ,  hérétique. 

La  quatrième ,  fausse  et  hérétique. 

La  cinquième,  fausse,  téméraire,  scandaleuse  ;  et  si  elle  est  en- 
tendue dans  le  sens  que  Jésus-Christ  ne  soit  mort  que  pour  le  sa- 
lut des  prédestinés  seulement,  le  pape  la  condamne  comme  impie» 
blasphématoire ,  injurieuse ,  dérogeant  à  la  miséricorde  divine 
et  hérétique. 

Le  même  jour  que  la  bulle  fut  expédiée.  Innocent  l'envoya  au 
roi  de  France  avec  un  bref  ;  il  écrivit  aussi  un  autre  bref  aux  évé- 
ques  de  France. 

Le  9  juillet,  le  roi  fit  une  déclaration  adressée  aux  archevêques 
et  évêques  de  France ,  où  il  est  dit  que  la  constitution  d'Inno- 
cent ne  contenant  rien  qui  fût  contraire  aux  libertés  de  TÉglise 
gallicane,  le  roi  entendait  qu'elle  fût  publiée  partout  le  royaume. 

Trente  évêques,  qui  se  trouvèrent  en  ce  temps-là  à  Paris,  écri- 
virent une  lettre  de  remercîment,  de  concert  avec  le  cardinal  Ma- 
zarin  :  les  mêmes  prélats  écrivirent  ime  lettre  circulaire  aux  au- 
tres évêques. 

Les  défenseurs  de  Jansénius  avaient  toujours  reconnu  dans  les 
propositions  condamnées  un  mauvais  sens  ;  mais  ils  prétendaient 
que  ce  sens  n'était  pas  celui  de  Jansénius. 

Trente-huit  évêques ,  assemblés  à  Paris ,  écrivirent  au  pape  une 
lettre  datée  du  28  mars  1654,  dans  laquelle  ils  marquaient,  «  qu'un 
»  petit  nombre  d'ecclésiastiques  rabaissaient  honteusement  la  ma- 
»  jesté  du  décret  apostolique,  comme  s'il  n'avait  terminé  que  des 
»  controverses  inventées  à  plaisir  ;  qu'ils  faisaient  bien  profession 
9  de  condamner  les  cinq  propositions,  mais  en  un  autre  sens  que 
»  celui  de  Jansénius;  qu'ils  prétendaient,  par  cet  artifice,  selais- 
»  ser  un  champ  ouvert  pour  y  rétablir  les  mêmes  disputes;  qu'afin 
»  de  prévenir  ces  inconvéniens,  les  évêques  soussignés,  assemblés 


ËAÏ  33d 

ni  déclaré,  par  une  leltrc  circulaire  jointe  It  celle 
>  qu'ils  écrivïi eu l  au  pape,  que  ces  cinq  propositions  sont  de  Jan- 

•  séaius,  que  Sa  Sainteté  les  avait  coadamnées  eu  termes  exprès 

■  el  très-clairs  au  sens  de  Jansénius ,  et  que  l'on  pourrait  pour- 
»  suivre  comme  hérétiques  ceux  qui  les  soutiendraient.  • 

Innocent  X  répondit  par  un  bref  du  39  septembre,  dans  lequel 
il  les  remercie  de  ce  qu'ils  avaieoL  travaillé  i  Taire  exécuter  sa 
consiitutioD ,  el  dit  que,  dans  les  cinq  propositions  de  Corneille 
Jansénius,  il  avait  condamné  la  doctrine  contenue  dans  son  li' 

Le  clergé  de  France,  assemblé  â  Paris,  écrivit,  le  â  septembre 
1656  ,  une  lettre  signée  de  tous  les  prélats  el  antres  députés  de 
rassemblée  générale,  où  l'on  représentait  au  pape,  que  ■  les  Jan- 

■  sénisles  i&cbaient  de  réduire  la  controverse  à  la  quesiiao  de  fait, 
I  dans  laquelle  ils  enseignaient  que  l'élise  peut  errer,  et  ren- 
ia daient  ainsi  inutile  le  bref  d'Innocent  X  :  on  prie  Sa  Sainteté 
D  de  confirmer  celte  condamnalioD,  comme  si  la  question  de  droit 

■  el  celle  de  Tait  était  la  même.  • 

La  même  assemblée  du  clergé  reçut  un  bref  d'Alexandre  VU , 
qui  confirmait  la  bulle  d'Innocent  X  et  déclarait  expressément 
que  les  propositions  avait  été  condamnées  dans  te  sens  de  Jausé- 

Le s  défenseurs  de  Jansénius  prétendirent  que  ce  bref  n'obligeait 
personne  S  signer  le  formulaire  ;  quelques  évêques  même  n'en 
cxigeaieut  point  la  signature:  alors  le  roi  pria  le  pape  d'envoyer 
un  formulaire ,  et  le  saint  Père  donna  une  Imlle ,  du  15  février 
1C6Q,  dans  laquelle  ce  formulaire  était  inséré ,  avec  ordre  II  tous 
les  évéques  de  le  faire  signer. 

Moi  N.  me  soumets  !i  la  constitution  apostolique  d'Innocent  X, 
donnée  le  21  mai  de  l'an  1(S65,  et  je  rejette  et  condamne  les  cinq 
propositions  extraites  du  livre  de  Cornélius  Jansénius  ,  intitulé  : 
Aagualinus,  et  dans  le  sens  du  même  auteur,  comme  le  saint  Siège 
apostolique  les  a  condamnées  par  les  susdites  constitutions; 
c'est  ce  que  je  jure  :  ainsi  Dieu  m'aide   et  ses  saints  Evangiles. 

Ce  lormulaire  fut  autorisé  par  une  déclaration  du  roi,  vérifiée  en 
parlement,  el  reçu  de  tous  les  évéques. 

Il  laut  en  excepter  les  évéques  d'Alei,  de  Pâmiez  ,  de  Reauvais 
cl  d'Anvers:  dlvneuf  Évêques  écrivirent  ù  Clément  IX  en  faveur 
des  quatre  évêques;  ils  écrivirent  ensuite  au  roi  pour  lui  repré- 
senter que  •  dans  celle  alTaire  il  ne  s'agissait  nullement  de  la  foi , 

*  ni  des  déclarations  du  roi ,  et  que  lont  le  crime  des  quatre  évé- 


I 


930  BAI 

• 

9  ques  consistait  k  s*étre  opposés  à  une  nouvelle  et  pemidepse 
»  doctrine,  contraire  à  tous  les  principes  de  la  rdi^^ion,  aux  in- 
9  térêts  du  roi  et  à  la  sûreté  de  TÉtat,  par  laquelle  on  voulait  at- 
»  tribuer  au  pape  ce  qui  n'appartient  qu*à  Dieu  seul ,  en  rendant 
»  le  pape  infaillible  dans  les  faits  même  ;  ils  suppliaient  )ç  roi  de 
»  vouloir  ouïr  les  justifications  des  quatre  évéques.  » 

Denis  Talon ,  avocat  du  roi,  porta  ces  plaintes  au  parlement,  et 
dit  qu*il  se  faisait  des  cabales,  des  assemblées  illicites ,  pour  faire 
signer  à  des  évéques  une  lettre  adressée  au  roi,  dans  laquelle  0  y 
avait  des  maximes  capables  de  troubler  la  paix  de  TÉglise  et 
d*airaiblir  Tautorité  des  déclarations  et  des  bulles  enregistrées 
dans  le  parlement  touchant  la  doctrine  de  Jansénius. 

Sur  ces  plaintes ,  le  parlement  défendit  de  faire  imprimer  ni 
débiter  cette  lettre,  ni  aucuns  autres  écrits  semblables,  sous  peine 
d*étre  traité  comme  perturbateur  du  repos  public. 

Les  quatre  évéques  firent  leur  paix  avec  Clément  IX  et  avec 
Louis  XIY,  et  la  distinction  du  fait  et  du  droit  n'eut  plus  lieu  en 
France,  (Voyez  le  Journal  de  Saint-Amour,  pièces  toucJiant  les  qua- 
tre évéques.) 

La  soumission  des  quatre  évéques  semblait  avoir  assoupi  les 
disputes,  lorsqu'en  1701  on  vit  paraître  un  imprimé,  appelé  Cas 
4e  conscience ,  décidé  par  quarante  docteurs  de  la  faculté  de  Pa- 
ris, dont  plusieurs  déclarèrent  dans  la  suite  avoir  été  surpris  pour 
cette  signature. 

On  y  définissait  que  tout  confesseur  pouvait  absoudre  un  pé- 
nitent qui  aurait  signé  purement  et  simplement  la  condamnation 
du  livre  et  des  propositions  de  Jansénius ,  quoiqu'en  signant  il  ne 
crût  point  à  cette  décision  sur  le  fait ,  et  qu'il  n'eût  d'autre  vue 
que  de  garder  là-dessus  un  silence  respectueux.  Cet  imprimé  fut 
condamné  par  M.  de  Noailles^  archevêque  de  Paris,  et  par  le  plus 
grand  nombre  des  évéques  ;  et  tous  ceux  qui  avaient  souscrit  à  la 
décision  du  Cas  de  conscience  se  sont  rétractés,  un  seul  excepté , 
que  la  Sorbonne  a  exclu  de  son  corps. 

Enfin,  Clément  XI  mit  fin  à  toutes  ces  disputes  par  sa  consti- 
tution du  17  juillet  i705,  dans  laquelle,  après  avoir  rapporté  les 
constitutions  d'Innocent  X  et  d'Alexandre  Yll,  il  déclare  que  celui- 
là  ne  rend  pas  Vobéissance  nécessaire  aux  constitutions  des  ponti- 
fes  sur  la  question  présente,  qui  ne  les  reçoit  qu'avec  un  silence  res- 
pectueux. 

Le  clergé,  assemblé  à  Parisl'an  1705,reçut  cettebulle  etl'accepta. 


I 


BAR 

BARDESANE  naquil  en  Sjrie  et  fui  un  des  plus  illustres  dé- 
fenseurs de  la  religion  ohréliennfl;  il  vivail  S'jus  Harc-AurÈle  , 
qni  conquit  la  Mi^sopolamie  l'an  166.  Comme  ce  prince  élalt 
Opposé  an  christianisme,  Apolloiie,  son  TaTori,  voul  ni  engager 
Birdesane  i  renonrer  à  la  foi  ;  mais  Bardesane  répondit  qu'il  ne 
craignait  point  la  mort  et  qu'il  ne  la  pourrait  éTiier  quand  même 
il  Terait  ce  que  l'empereur  demandait  de  lui. 

Cet  lomme  ,  si  distingué  par  ses  lumières  et  par  ses  vertus , 
tomba  dans  l'hérésie  des  Valentiniens;  il  admît  plusieurs  généra' 
lions  d'KoDS  et  nia  la  résurrection. 

Nous  ne  savons  pas  bien  quelle  suile  d'idées  conduisit  Barde- 
sane dans  celte  erreur,  qu'il  ahandonna  dan^^  la  suite ,  mais  dont 
il  ne  se  dégagea  pas  eniièremenL 

Apprenons,  par  cet  exemple  ,  qu'il  n'y  a  peut-être  point  d'er- 
renr  qui  n'ait  un  câté  séduisant  et  capable  d'en  impi>ser  i  la  raison 
éclairée  et  animée  de  l'amour  de  la  vërilé  ;  apprenons  encore , 
par  cet  exemple,  quelle  doit  èlre  noire  indulgence  ponr  ceux  qui 
tombent  dans  l'erreur ,  et  combien  nous  devons  peu  nous  enor- 
gueillir de  l'avoir  évitée. 

La  chute  de  Bardesane  prouve ,  ce  me  semble ,  que  le  Clerc  et 
d'autres  critiques  avec  lui  ont  eu  tort  de  traiter  l'erreur  de  Va- 
lentin  comme   nn  tas  d'absurdités   qui  ne  méritaient  pas  d'être 

Il  est  vrai  que  Bardesane  ne  persista  pas  dans  celte  errenr,  mais 
il  tomba  dans  d'autres  ;  il  cberchail ,  comme  tous  les  pliilosopbea 
cl  les  théologiens  de  son  temps,  la  solution  de  cette  grande  que»- 
lion:  Pourquoi  y  a-i-It  du  mat  daiifle  monde?  et  voici  comment  il 
]a  conçut  ; 

Il  est  absurde  de  dire  que  Dieu  a  fait  le  mal  ;  il  faut  donc  sup- 
poser que  le  mal  a  une  cause  distinguée  de  Dieu  :  celle  cause,  se- 
lon Bardesane,  était  Satan  ou  le  démon ,  que  Bardesane  regardait 
comme  l'cnoeffli  de  Dieu,  mais  non  pas  comme  sa  créature. 

Bardesane  n'avuit  supposé  que  ^lan  n'était  pas  une  créature 
du  Dieu  bon  que  pour  ne  pas  mettre  sar  le  compte  de  l'Être  su- 
prême les  maai  qu'on  voit  dans  le  monde  ;  il  ne  donna  donc  à 
Satan  aucun  des  attributs  de  la  divinité,  cTceplé  d'exister  par 
lui-même  et  il  ne  s'aperçut  pai  qu'un  être  qui  existe  par  lui- 
même  a  toutes  les  perfections  ;  il  admettait  doue  un  principe  du 
de  l'Etre  suprême,  et  ne  reconnaiuail  qu'tu  seul 


\ 


-1 


252  BAS 

*  Par  une  suite  de  celle  opinion,  Bardesane  ne  donnail  k  Satan 
aucune  part  dans  Tadminislralion  du  monde  que  celle  qui  était 
nécessaire  pour  expliquer  Torigine  du  mal. 

Ainsi ,  selon  Bardesane,  Dieu  avait  créé  le  monde  et  Thomme; 
mais  rhomme  qu'il  avait  formé  au  commencement  n*élait  point 
rbomme  revêtu  de  chair  ;  c'était  TÂme  humaine  unie  à  un  corps 
subtil  et  conforme  à  sa  nature. 

C'était  celte  âme  qui  avait  été  formée  à  l'image  de  Dieu  ,  et 
qui,  surprise  par  l'artifice  du  démon ,  avait  transgressé  la  loi  de 
Dieu ,  ce  qui  avait  obligé  le  créateur  à  la  chasser  du  paradis,  et  à 
la  lier  à  un  corps  charnel ,  qui  était  devenu  sa  prison  :  Bardesane 
disait  que  c'étaient  là  les  tuniques  de  peau  dont  Dieu  avait  cou- 
vert Adam  et  Eve,  depuis  le  péché. 

L'union  de  l'âme  à  un  corps  charnel  était  donc  la  suite  de  son 
péché ,  selon  Bardesane,  et  il  en  concluait  :  l""  que  Jésus-Christ 
n'avait  point  pris  un  corps  humain  ;  2°  que  nous  ne  ressuscite- 
rons point  avec  le  corps  que  nous  avons  sur  la  terre ,  mab  bien 
avec  le  corps  subtil  et  céleste  qui  doit  être  l'habitation  d'une  ârae 
pure  et  innocente  ^. 

Bardesane  reconnaissait  l'immortalité  de  l'âme ,  la  liberlé ,  la 
toute-puissance  et  la  providence  de  Dieu  *, 

Ce  philosophe  avait  combattu  le  destin  ou  la  fatalité  dans  un 
excellent  ouvrage  dont  Eusèbe  nous  a  conservé  un  grand  frag- 
ment: il  croyait  que  les  âmes  n'étaient  pas  assujéties  au  destin  , 
mais  il  croyait  que ,  dans  les  corps ,  tout  était  soumis  aux  lois  de 
la  fatalité  ^. 

BâSILIDE  ,  était  d'Alexandrie  et  vivait  au  commencement  du 
second  siècle.  La  philosophie  de  Pythagore  et  de  Platon  était 
alors  extrêmement  en  vogue  à  Alexandrie  :  la  religion  chrétienne 
y  avait  été  annoncée  avec  succès ,  et  les  sectes  séparées  du  chris- 
tianisme y  avaient  pénétré. 

Les  recherches  des  philosophes  avaient  alors  principalement 
pour  objet  l'origine  du  monde,  et  surtout  l'origine  du  mal  dans  le 
monde.  Basilide  regarda  cette  seconde  question  comme  l'objet  le 

^  Origèn.,  Dial.  contr.  Marcion,  sect  3,  p.  70,  71. 

^  Euseb.,  De  praep.  Ëvang.,  1.  6,  c  10. 

*  Euseb.,  Hist.  eccles.,  1.  à,  c  30.  Epiph.,  Haer.,  56.  Photius,  Bib. 
cod.,  223.  Euseb.,  Praep.,  L  6,  c.  10.  Hist  Bardesanis  et  Bardesaais^ 
tarum,  in-4%  1710,  par  Slrunzius.  IlUg.,  De  hser.,  p,  133, 


I 

t 


Mai" 


BAS  23 

plus  intéressant  pour  la  curlosilé  bumaine  ;  il  en  clierulia  l'nplict 
tian  dans  les  livres  dos  philosophes  ,  dans  les  écrits  de  Simon ,. 
dans  l'école  de  Méoandre,  chez  les  chrétiens  mêmes. 

Aucun  oe  le  satisfit  plememeùt  sur  cette  grande  dîSicullé  ;  pour  1 
la  résoudre ,  il  se  forma  lui-même  un  sjslèmp,  composé  des  prin-  ! 
dpes  de  Pylhagore,  de  ceus  de  Simon,  des  dogmes  des  chrétien»  ] 
et  de  la  crojnnce  des  Juifs  '. 

Basilide  supposa  que  le  monde  n'avait  point  été  créé  immédi» 
Icment  par  l'Etre  suprême,  mais  par  des  intelligences  que  l'Ëtra  i 
suprême  avait  produites  :  c'était  ie  système  !i  la  mode  ;  etiadiffi-  < 
COlté  de  concilier  l'origine  du  mal  avec  la  bonté  de  l'Être 
,|)rême  avait  fixé  ï  celte  supposition  presque  toutes  les  sectes  qui 
avaient  entrepris  d'expliquer  rori[;ine  du  monde  et  celle  du  mal. 
l^mon ,  Méoandre,  Saturnin ,  supposaient  tous  un  Être  suprême 
qui  avait  produit  des  intelligences,  et  faisaienl  naître  le  mal  de  l'i 
perfection  de  ces  intelligences  subalternes,  que  chacun  faisait    , 
agir  de  la  manière  la  plus  propre  à  expliquer  la  diUicullé  dont  il  j 
était  le  plus  frappé. 

II  ne  suQjsait  pas  alors  d'expliquer  en  général  commcnlle  mal 
physique  s'était  introduit  dans  le  monde  ;  il  rallaît  rendre  raison  J 
des  désordres  et  de  la  misère  des  hommes  ,  expliquer  en  particu- 
lier l'histoire  des  malheurs  des  Juifs  ,  faire  comprendre  comment 
l'Être  suprême  avait  jeté  des  r^ards  de  miséricorde  sur  le  genre 
humain,  et  envoyé  son  Fils  sur  la  terre  pour  sauver  les  hommes: 
voici  quels  étaient  les  principes  de  Basilide  sur  tous  ces  objets. 

L'Être  iucréé  avait  prodnil,  selon  Dasilide,  rintelligen 
tdltgenœ  avait  produit  le  Verbe  ;  le  Verbe  avait  produit  la  pm-   i 
dence  ;  la  prudence  avait  produit  la  sagesse  et  la  puissance  ;  la  sa- 
gesse et  la  puissance  avaient  produit  les  vertus ,  les  princes  ,  ' 
anges. 

Les  afiges  étaient  de  diO'értins  ordres ,  et  le  premier  de  ces  i 
avait  produit  lepremier  ciel  ;  et  ainsi  de  suite,  jusqu'à  trois  M 
soixante-cinq  *. 

Les  anges  qui  oi^cupenl  le  dernier  des  cieux  ont  fuit  le  monde  ;  n 

n'est  donc  point  étonnant  d'y  «oïr  du  bien  et  du  mal  :  ils  ont'.| 


•  Fragm.,],  d3.  Comment  Basilld.  dansGrab.  Spicileg.PP,  sasculiJ, 
p.  SB.  Clcm.  AlfX,,  I.  S.  Strom.,  p.  508. 
'  Les  principes  philnsopliiiiucs  de  ce  sjsième  sont  exposés  i  l'article 

filHOIl  SlIL'RMN. 


!I34  BAS 

partagé  Teinpire  an  mondé  >  et  le  ptiliée  àèA  âligèS  du  cid  dans 
lequel  se  trouve  la  terre  a  eu  les  Juifs  en  partage  ;  Yoilà  pourquoi 
il  a  opéré  tant  de  prodiges  en  leur  faveur  ;  mais  cet  ange  ambitieux 
a  voulu  soumettre  toutes  les  nations  aux  Juifs  pour  dominer  sur 
le  monde  entier  ;  alors  les  autres  anges  se  sont  ligués  contre  lui , 
et  toutes  les  nations  sont  devenues  ennemies  des  Juife. 

Ces  idées  étaient  conformes  en  partie  à  la  croyance  des  anciens 
Hébreux,  qui  étaient  persuadés  qne  les  différentes  nations  étaient 
cbacune  sous  la  protection  d*un  ange  K 

Depuis  que  Tambition  des  anges  avait  armé  les  nations ,  les 
bommes  étaient  malheureux  et  gémissaient  sous  leur  tyrannie  : 
l'Être  suprême ,  toucbé  de  leur  sort ,  avait  envoyé  son  premier 
Fils,  ou  rintelligence  Jésus  ou  le  Christ,  délivrer  les  bommes  qui 
croiraient  en  lui. 

Le  Sauveur  avait  fait^  selon  Basilide,  les  miracles  que  les  cbré- 
tiens  racontaient  ;  cependant  il  ne  croyait  pas  que  Jésus-Gbrfst  se 
fût  incamé:  c*est  apparemment  la  difficulté  d'allier  Tétat  d'humi- 
liation et  de  douleur,  où  Jésus-Christ  avait  paru  sur  la  terre  qui 
détermina  Basilide  à  soutenir  que  Jésus-Christ  n'avait  que  Tap- 
parence  d'un  homme  ;  que,  dans  la  Passion ,  il  avait  pris  la  figure 
de  Siméon  le  Cyrénéen,  et  lui  avait  donné  la  sienne,  et  qu'ainsi  les 
Juifs  avaient  crucifié  Siméon  au  lieu  de  Jésus-Christ ,  qui  les  re- 
gardait cependant  et  se  moquait  d'eux  sans  qu'on  le  vit  ;  ensuite 
Jésus-Christ  était  monté  aux  cieux  vers  son  Père  ,  sans  avoir  ja- 
mais été  connu  de  personne  '. 

Basilide  croyait  qu'on  ne  devait  pas  soufi'rir  la  mort  pour  Jésus- 
Christ,  parce  que  Jésus-Christ  n'étant  pas  mort ,  mais  Siméon  le 
Cyrénéen,  les  martyrs  ne  mouraient  pas  pour  Jésus-Christ ,  mais 
pour  Siméon^. 

La  dépendance  dans  laquelle  les  hommes  vivaient  sous  les  an- 
ges était  une  difficulté  contre  la  boDté  de  Dieu  :  Basilide  la  résol- 
vait en  disant  que  les  âmes  péchaient  dans  une  vie  antérieure  à 
leur  union  avec  le  corps,  et  que  cette  union  était  un  état  d'expia- 
tion, dont  l'âme  ne  sortait  qu'après  s'être  purifiée  en  passant  suc- 
cessivement de  corps  en  corps  ,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  satisfait  à  la 

*  Deuteron.,  32,  v.  8.  Daniel.,  c  10,  v.  âO,  21.  Fbyez  l'article  Angé- 
liques. 
'EpîplL,Hœr.,  ^4. 
'Irsn.,1. 1,  c  22. 


BAS  235 

justice  divine  qui  nMofllgeait  point  d'autres  châtiment,  et  qui  ne 
pardonnait  cependant  que  les  fautes  involontaires  ^. 

Basilide  croyait  que  nous  avons  deux  âmes;  il  avait  adopté  ce 
sentiment  d'après  les  Pythagoriciens,  pour  expliquer  les  combats 
de  la  raison  et  des  passions  ^. 

Il  s'était  beaucoup  appliqué  à  la  magie ,  et  il  parait  qu'il  était 
fort  entêté  des  rêveries  de  la  Cabale  ;  il  supposait  une  grande 
vertu  dans  le  mot  Àbrasas  ou  Abraxas  :  voici ,  ce  me  semble ,  la 
source  de  cette  singulière  opinion  ,  qui  a  principalement  rendu 
Basilide  célèbre. 

Pythagore,  dont  Basilide  avait  adopté  les  principes,  reconnais- 
sait ,  comme  les  Chaldéens  ses  maîtres ,  l'existence  d'une  in- 
telligence suprême  qui  avait  formé  le  monde  ;  ce  philosophe  vou- 
lut connaître  la  fin  que  cette  intelligence  s'était  proposée  dans  la 
production  du  monde  :  il  porta  sur  la  nature  un  œil  attentif,  pour 
découvrir  les  lois  qu'elle  suit  dans  les  phénomènes^  et  saisir  le  fil 
qui  liait  les  évènemens. 

Ses  premiers  regards  se  portèrent  vers  le  ciel ,  où  l'auteur  de 
la  nature  semble  manifester  plus  clairement  son  dessein.  Il  y  dé- 
couvrit un  ordre  admirable  et  une  harmonie  constante:  il  jugea 
que  l'ordre  et  l'harmonie  constante  qui  régnaient  dans  le  ciel 
n'étaient  que  les  rapports  qu'on  apercevait  entre  les  distances  des 
corps  célestes  et  leurs  mouvemens  réciproques. 

La  distance  et  le  mouvement  sont  des  grandeurs,  ces  grandeurs 
ont  des  parties  ,  et  les  plus  grandes  ne  sont  que  les  plus  petites 
multipliées  un  certain  nombre  de  fois. 

Ainsi  les  distances  ,  les  mouvemens  des  corps  célestes  s'expri- 
maient par  des  nombres,  et  Tintelligence  suprême ,  avant  la  pro- 
duction du  monde  ,  ne  les  connaissait  que  par  des  nombres  pure- 
ment intelligibles. 

C'est  donc,  selon  Pythagore ,  sur  le  rapport  que  l'intelligence 
suprême  apercevait  entre  les  nombres  intelligibles ,  qu'elle  avait 
formé  et  exécuté  le  plan  du  monde. 

Le  rapport  des  nombres  entre  eux  n'est  point  arbitraire  ;  le 
rapport  d'égalité  entre  deux  fois  deux  et  quatre  est  un  rapport 
nécessaire,  indépendant,  immuable. 

*  Clem.  Alex.  Strom.,  1.  à,  p.  369;  1.  5,  p.  398.  Origen.  In  Matth., 
tract  28. 
'  Clem.  Alex.,  I.  2.  Strom.,  p.  299. 


336  BAS 

Puisque  les  rapports  des  nombres  ne  sont  point  arbitraires,  el 
que  Tordre  des  productions  de  Tintelligence  suprême  dépend  du 
rapport  qui  est  entre  les  nombres ,  il  est  clair  qu*il  y  a  des 
nombres  qui  ont  un  rapport  essentiel  avec  Tordre  et  Tharmonie, 
et  que  Tintelligence  suprême,  qui  aime  Tordre  et  Tbarmonîê ,  suit 
dans  son  action  les  rapports  de  ces  nombres,  et  nepeut  s*en  écarter. 

La  connaissance  de  ce  rapport,  once  rapport,  est  donc  la  loi  qui 
dirige  Tintelligence  suprême  dans  ses  productions;  et  comme  ces 
rapports  s'expriment  eux-mêmes  par  des  nombres  ,  on  supposa 
dans  les  nombres  une  force  ou  une  puissance  capable  de  détermi- 
ner Tintelligence  à  produire  certains  effets  plutôt  que  d'autres. 

D*après  ces  idées ,  on  rechercha  quels  étaient  les  nombres  qui 
plaisaient  davantage  à  Têtre  suprême  :  on  vit  qu'il  y  avait  un  so- 
leil, on  jugea  que  Tunité  était  agréable  à  la  Divinité  :  on  vit  sept 
planètes,  on  conclut  encore  que  le  nombre  de  sept  était  agréable 
à  Tintelligence  suprême. 

Telle  était  la  philosophie  pythagoricienne  qui  s'était  répandue 
dans  l'Orient  pendant  le  premier  et  le  second  siècle  du  christia- 
nisme, et  qui  dura  long-temps  après. 

Basilide,  qui  avait  adopté  les  principes  de  la  philosophie  pytha- 
goricienne, chercha,  comme  les  autres,  à  connaître  les  nombres  qui 
étaient  les  plus  agréables  à  Tintelligence  suprême ,  et  remarqua 
que  Tannée  était  composée  de  trois  cent  soixante-cinq  jours ,  que 
le  soleil  formait  ces  jours  par  ses  révolutions  successives  autour 
de  la  terre,  et  recommençait  sa  carrière  lorsqu'il  avait  fait  la  trois 
cent  soixante-cinquième  révolution  :  Basilide  jugea  que  le  nombre 
trois  cent  soixante-cinq  était  le  nombre  qui  plaisait  le  plus  à  Tin- 
telligence créatrice. 

Pylhagore  avait  enseigné  que  Tintelligence  productrice  du 
monde  résidait  dans  le  soleil ,  et  que  c'était  de  là  qu'elle  envoyait 
ses  influences  dans  toute  la  nature  :  Basilide  ,  qui  avait  adopté  la 
philosophie  pythagoricienne,  conclut  que  rien  n'était  plus  propre 
à  attirer  les  influences  bienfaisantes  de  cette  intelligence  que 
l'expression  du  nombre  trois  cent  soixante-cinq  ;  et  comme  on 
exprimait  les  nombres  par  les  lettres  de  Talphabet,  il  choisit  dans 
l'alphabet  les  lettres  dont  la  suite  pourrait  exprimer  trois  cent 
soixante-cinq,  et  cette  suite  de  lettres  forma  le  mot  Abraœas  *. 

*  Les  lettres  du  mot  Abraxas  expriment  en  grec  365.  A  vaut  1,  B  vaut 
2,  Rvaut  400,  X  vaut  60,  S  vaut  200  :  ainsi,  pour  exprimer  en  caractè- 
res grecs  365, 11  fallait  réunir  les  lettres  qui  forment  le  mot  Abraxas» 


BAS  257 

Leinoliiïrii£aiaïaDtlaTertud'aLiirerpuUs3U)int'nilesinUQC(i- 

ces  (le  l'intelligence  productrice  du  momie,  on  fit  graver  ce  [lom 
sur  des  pierres  qu'on  nomma  des  Aùra-xai ,  àoal  les  diJérenE  ca- 
binets de  l'Europe  contiennent  un  nombre  prodigieux. 

Comme  Pjibagore  avait  supposé  que  l' intelligence  produc- 
trice du  monde  résidait  dans  le  suleil ,  on  joignît  an  mol 
Aùraxai  l'image  du  soleil,  pour  expliquer  la  vertu  qu'on  lui  aitri- 

On  était  dors  fort  entêté  de  la  vertu  des  talismans  ;  ainsi  les 
Abraxoê  se  cépandirent  presque  partout,  et,  au  lieu  du  soleil,  ou 
grava  sur  les  Abnum  les  dilTérens  symboles  propres  i  le  carac- 
tériser, et  enfin  les  difiërenles  faveurs  qu'on  eo  attendait,  elqn'oD 
voulait  obtenir,  comme  on  le  voit  par  un  Abraicat  qn'i  repnisenie 
un  homme  monté  sur  un  taureau,  avec  celle  inscription  :  RenelUî 
la  matrice  de  cette  femme  en  ion  lieu ,  voia  qui  r/glei  le  amri  du 

Voilï ,  ce  me  semble ,  d'où  vient  celle  prodïgiense  variété  que 
l'on  remarque  dans  les  Abraxat  dont  le  Père  de  HontfaocoD  nou» 
a  donné  les  effiles  '. 

Comme  les  chrétiens  croyaient  que  lésus-Christ  était  le  Diea 
créateur,  ceux  qui  avaient  adoptéles  principes  de  Pjlbagore  cru- 
rent que  Jésus-Christ  était  dans  le  soleil ,  el,  pensèrent  que  les 
Abraxat  pouvaient  aussi  attirer  sur  ceux  qui  les  portaient  les  gril- 
ces  de  Jésus-Christ;  et,  pour  se  distinguer  des  Basilidiens  et  dei 
autres  cabalistes ,  ils  firent  graver  sa  figure  sur  les  Abraxat  ;  car 
les  chrétiens  crojaieni  aussi  aux  talismans ,  et  du  temps  de  saint 
Chrjsostôme  il  y  avait  des  chrétiens  qui  portaient  des  médailles 
d'Aleiandre-le-Grand ,  persuadés  qu''elles  avaient  une  vertu  pré- 


Le  nombre  des  révolutions  que  le  soleil  Faisaïl  autour  de  la 
terre  semblait  le  terme  que  l'intelligence  créatrice  s'était  prescrit  : 
ce  mot  parut  propre  it  exprimer  l'essence  et  la  nature  de  l'Etre 
suprême,  et  ce  Tut  de  ce  nom  que  Basilide  le  nomma  :  c'est  ainsi 
qu'on  a  Tormé  prîmitivemeat  le  nom  des  hommes  sur  leurs  qua-* 
lités  personnelles. 

Basilide  avait  composé  vingt-quatre  livres  sur  l'Évangile ,  et  îl 
pavait  même  fait  un  Évangile  qui  portait  son  nom;  il  avait  ausïî 


2SS  BEG 

fait  des  prophéties  qii*9  attribuait  à  un  tomme  qui  n^avait  jaBUtu 
existé,  etqaHl  appelait  Barcobas  ou  Barcoph  *. 

Basilide  fut  réfuté  par  Agrippa,  surnommé  Castor;  son  ils  Isi- 
dore lui  succéda.  Voyez  son  article. 

BASILIDIENS,  disciples  de  Basilide:  ils  célébraioit  comme 
une  grande  fêle  le  baptême  de  Jésus-Christ.  11  y  en  avait  encore 
du  temps  de  saint  Épiphane  ;  mais  on  ne  se  donnait  pas  la  peine 
de  les  réfuter,  on  les  chassait  comme  des  énergumènes  *• 

Les  Basilidiens  se  répandirent  en  Espagne  et  dans  les  Gaules,  oà 
ils  portèrent  leurs  Abraxas  ;  la  faiblesse  et  la  superstition  les 
adoptèrent ,  et  les  chargèrent  d^une  infinité  d^emblèmes  différens, 
qui  n'avaient  de  fondement  que  Timagination  de  ceux  qui  les  por- 
taient. De  savans  hommes  y  ont  cherché  les  mystères  du  cbria- 
tianisme ,  mais  leurs  conjectures  ne  sont  adoptées  de  personne  s 
les  critiques  en  ont  prouvé  la  fausseté.  Voyez  Basnage  ,  Hist,  d^ 
Juifs ,  t.  S,  L  3,  ch.  26  ;  Montfaugon  ,  Antiquité  expliquée  ,  L  2. 

Les  Basilidiens  avaient  adopté  une  partie  des  principes  des  Gn« 
balistes  ;  nous  en  parlerons  à  cet  article. 

BEGHARDS  ou  Beguards  ,  faux  spirituels  qui  s'élevèrent  en 
Allemagne  au  commencement  du  quatorzième  siècle. 

Rien  n'avait  plus  contribué  au  progrès  des  Albigeois,  des  Vau- 
dois  et  des  autres  sectes  qui  s'étaient  élevées  dans  le  douzième  et 
dans  le  treizième  siècle ,  quels  régularité  apparente  des  sectaires, 
et  la  vie  licencieuse  de  la  plupart  des  catholiques  et  d'une  partie 
du  clergé. 

On  sentit  qu'il  fallait  leur  opposer  des  exemples  de  vertu ,  et 
faire  voir  que  toutes  celles  dont  les  sectaires  se  paraient  étaient 
pratiquées  par  les  catholiques  ;  et  comme  les  Vaudois  faisaient 
profession  de  renoncer  à  leurs  biens,  de  mener  une  vie  pauvre, 
de  vaquer  à  la  prière ,  à  la  lecture  de  FÉcriture  sainte  et  à  la 
méditation ,  et  de  pratiquer  à  la  lettre  les  conseils  de  l'Évangile, 
on  vit  des  catholiques  zélés  donner  leurs  biens  aux  pauvres ,  tra- 
vailler de  leurs  mains,  méditer  l'Écriture  sainte,  prêcher  contre 
les  hérétiques,  payer  les  dîmes  et  les  impôts,  garder  la  conti- 
nence ,  etc.  Tels  furent  les  pauvres  catholiques ,  les  humiliés,  etc. 

Ces  associations ,  approuvées  et  favorisées  par  les  souverains 
pontifes,  firent  naître  dans  beaucoup  de  catholiques  zélés  le  désir 


*  Grab.  Spidleg.  ssec  2,  p.  88.  Euseb.,  1.  A,  c.  7« 
2  Epiph.,  Haer.,  24.  Damascem,  De  haer.,  c,  24* 


BEG  239 

nouveaux  établissemens  religieux:  on  ne  voyait  que 

de  DDuvelles  sociétés  qui  se  piquaient  toutes  d'une  plus  grande 
perfection  que  les  autres ,  ou  d'une  perreclioa  différenle  :  ce  fut 
dans  ce  siècle  que  se  formèrent  les  quatre  ordres  mendians,  l'or- 
dre de  la  rédemption  des  captifs,  l'ordre  de  sainte  Harie,  celui 
de  la  Merci ,  Tordre  des  Servîtes ,  des  Cétestins,  etc. 

Ou  en  aurait  tu  bien  d'autres  si  le  concile  de  Latran  n'eût  dé- 
fendu d'inventer  de  nouvelles  règles  ou  d'établir  de  nouveaux 
ordres  religieux. 

Cette  émulation  de  se  distinguer  par  quelque  pratique  singu- 
lière de  dévotion  dominait  encore  dans  le  quatorzième  siècle,  et 
l'on  vit  une  multitude  de  particuliers  prendre  différentes  formes 
d'Iiabits,  et  s'assujciir  Si  des  pratiques  particulières ,  conformes  à 
leurs  goûls  ou  aux  idées  qu'ils  s'étaient  formées  de  la  perfection 
du  chrislianisme. 

Par  goût  on  par  politique,  ces  dévols  se  réunirent  et  formèrent 
des  sociétés  particulières  dans  les  dilTérens  endroits  oii  ils  se  ren- 
contrèrent :  on  yit  de  ces  sociétés  en  Allemagne,  en  France  et  en 
Italie,  ob  elles  étaient  connues  sous  le  nom  de  Béguards,  de  Fré- 
roU  ou  de  Fratieeltet,  de  Daldniaiei,  de  Disachei ,  d'Apoiloti- 
quet,  etc. 

Toutes  ces  sectes  se  formèrent  séparément  et  n'avaient  point 
de  chef  commun  :  il  paraît  que  les  Fréreli  et  les  Dulàaigteâ  ont 
en  chacun  un  chef  particulier;  mais  les  Béguards  se  formèrent 
par  la  réunion  de  dilTéreutes  personnes,  hommes  el  femmes,  qui 
prétendaient  vivre  d'une  manière  plus  parfaite  que  les  autres 

U  y  avait ,  selon  les  Béguards ,  un  degré  de  perfection  auquel 
tous  les  cLrétieus  devaient  tendre  ,  el  au  delà  duquel  on  ne  pou- 
vait aller;  car,  sans  cela,  il  faudrait  admettre  dans  la  perfection 
uu  progrès  U  l'infini ,  cl  il  pourrait  y  avoir  des  êtres  plus  parfaits 
que  Jésua-Clirist ,  qui ,  comme  homme ,  n'avait  qu'une  perfection 
bornée. 

Lorsque  l'homme  était  arrivé  an  dernier  degré  de  perfection 
possible  a  l'humanité ,  il  n'avait  besoin  ni  de  demander  la  grâce, 
ni  de  s'exercer  aux  actes  de  vertus  ;  il  était  impeccable,  et  jouis- 
fait  dès  cette  vie  de  la  béatitude  possible. 

Les  Bégaards  tendant  ou  arrivés  i  l'impeccabilitë  formaient 
une  société  do  personnes  qui  s'aimaient  plus  tendrement  que  les 
Mitres  personnes.  Ilss'aperçurent(|u'ilg  tcualeal  encore  b  un  corps 


S40  B£Ô 

qai  n^éuit  pas  ftifinnchi  de  la  tyrannie  des  passions;  ces  pissMM 
étaient  TÎves,  comme  elles  le  sont  toujours  dans  les  sociétés  fa* 
natiques  :  il  fallut  céder  au  torrent  et  chercltfr  un  moyen  pour 
excuser  sa  défaite. 

Ils  distinguèrent,  dans  Tamour,  la  sensualité  ou  la  volupté,  et 
le  besoin  ;  le  besoin  était ,  selon  eux ,  un  ordre  de  la  nature ,  au- 
quel on  pouvait  obéir  innocemment  ;  mais,  au  delà  de  ce  besoin, 
tout  plaisir  dans  Tamour  était  un  crime. 

Ainsi ,  la  fornication  était  un  acte  louable  on  du  moins  inno- 
cent ,  surtout  lorsqu'on  était  tenté;  mais  un  baiser  était  un  pécbé 
énorme. 

Ces  erreurs  furent  condamnées  dans  un  concile  de  Vienne ,  sous 
Clément  Y,  en  1311. 

On  réduisit  leur  doctrine  à  buit  articles ,  qui  suivent  tous  de 
leur  principe  fondamental  :  c'est  que  Thomme,  dans  cette  vie,  peut 
parvenir  au  dernier  degré  de  perfection  possible  à  Fbumanité. 

lo  L*bomme  peut  acquérir  en  cette  vie  un  tel  degré  de  perfec- 
tion, qu'il  devienne  impeccable  et  bors  d'état  de  croître  en  grftce* 
2*  Ceux  qui  sont  parvenus  à  cette  perfection  ne  doivent  plus 
jeûner  ni  prier,  parce  que,  dans  cet  état,  les  sens  sont  tellement 
assujétis  à  l'esprit  et  à  la  raison ,  que  Tbomme  peut  accorder  li- 
brement à  son  corps  tout  ce  qu'il  lui  pluit. 

S*"  Ceux  qui  sont  parvenus  à  cet  état  de  liberté  ne  sont  plus 
sujets  à  obéir,  ni  tenus  de  pratiquer  les  préceptes  de  l'Ëglise. 

4*  L'bomme  peut  parvenir  à  la  béatitude  finale  en  celle  vie,  et 
obtenir  le  même  degré  de  perfection  qu'il  aura  dans  l'autre. 

5'  Toute  créature  inlellecluelle  est  naturellement  bienbeureuse, 
et  l'âme  n'a  pas  besoin  de  la  lumière  de  gloire  pour  s'élever  à  la 
vision  et  à  la  jouissance  de  Dieu. 

6°  La  pratique  des  vertus  est  pour  les  bommes  imparfaits ,  mais 
l'âme  parfaite  se  dispense  de  les  pratiquer. 

7**  Le  simple  baiser  d'une  femme  est  un  péché  mortel ,  mais 
l'action  de  la  chair  avec  elle  n'est  pas  un  péché  mortel. 

8"  Pendant  l'élévation  du  corps  de  Jésus-Christ ,  il  n'est  pas 
nécessaire  que  les  parfaits  se  lèvent  ou  lui  rendent  aucun  res- 
pect, parce  que  ce  serait  une  imperfection  pour  eux  de  descendre 
de  la  pureté  et  de  la  hauteur  de  leur  contemplation  pour  penser 
au  sacrement  de  l'eucharistie  ou  à  la  passion  de  Jésus-Christ  *, 

*  Dupin,  qualonième  siècle,  p.  866.  D'Argculré,  CoUccU  jud.,  U  1, 
p.  876.  Natal,  Alex,  in  ssr.  i4. 


BER  2^1 

Selon  Emeric,  tes  Béguards  avaient  encore  d'autres  erreurs; 
quelques-unes  scuiblent  imagiiifes  pour  justifier  leurs  principes 
contre  les  dillicaltés  qu'on  leur  opposait:  lelle  est  la  proposition 
qui  dit  que  l'âme  n'est  point  essentiellement  la  forme  du  corps  ; 
cette  proposition  parait  avoir  été  avancée  pour  expliquer  l'impec- 
cabilité,  ou  cette  espèce  d'impassibilité  il  laquelle  les  Béguards 
tendaient;  de  l'expliquer,  dis-je,  en  supposant  que  l'ime  pouvait 
se  séparer  du  corps  '. 

La  condamnation  des  Béguards  n'éleignit  pas  leur  secte;  un 
nommé  Berlliold  [a  rétablit  k  Spire  et  dans  diffèrens  endroits  de 
l'Allemagne  '. 

Une  partit'  des  erreurs  des  Béguards  fut  adoptée  par  les  Fré- 
rots ,  par  les  ûulcïiiistes ,  non  qu'ils  les  eussent  reçues  des  Bé- 
guards ,  mais  parce  que  ces  sortes  de  sectes  finissent  toutes  par 
la  débauche.  Les  Frérots  avaient  des  erreurs  qui  leur  étaient  par- 
ticulières. Voyes  leur  article. 

Il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  Béguards ,  dont  nous  venons 
de  parler,  les  Béguins  et  les  Béguines ,  qui  font  le  tiers-ordre. 

BÉRENGER ,  naquit  k  Tours ,  vers  la  fin  du  dixième  siècle  ; 
après  avoir  fait  ses  études  ï  Chartres ,  sous  Fulbert ,  il  retouraa 
&  Tours  et  fut  choisi  pour  enseigner  dans  les  écoles  publiques  de 
Saint-Martin  ;  il  fut  trésorier  de  l'élise  de  Tours ,  et  ensuite  ar- 
chidiacre d'Angers  ,  sans  quitter  sa  place  de  maître  d'école  i 
Tours;  il  attaqua  le  dogme  de  la  transsubstantiation,  abjura  son 
erreur,  la  reprit ,  la  rétracta  plusieurs  fois,  et  mourut  enfia  daoa 


1 


.n  de  l-É 


Teur,  il  faut  noua  rapi   | 
Su  du  neuvième  siècle, 


Pour  bien  connaître  l'origine  lie  son 
peler  les  disputes  qui  s'élevèrent ,  vers 
sur  l'eucharistie. 

Pascliase,  moine  et  ensuite  a^bé  de  CorbiC: 
vers  le  milieu  du  neuvième  siècle ,  pour  l'instruction  des  Saxons, 
n  traité  du  corps  et  du  sang  de  Notre-Seigneur  ;  il  ;  établissait 

it  quels  corps  que    I 


,   le  dogme  de  la  présence  réelle, 

dans  l'encharistie  était  le  n 


isqui 


était  où 


E.  Quoique  Paschase  eût  suivi,  dans  cet  ouvrage  ,  la  doctrine  de 
il  qu'avant  lui  tous  les  catholiques  eussent  cru  que  le 

rluin  iiiquisit,,  part.  S,  quxsl.  7,  p.  afi9. 

n.  in  c'iroo.  hirgangienai,  1,3,  p,  £31.  O'Atlteutré,  lac  ril> 


943  BEE 

corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  étaient  vraiment  présens  dans 
l*eucharistie ,  et  que  le  pain  et  le  vin  étaient  changé  au  corps  et 
au  sang  de  Jésus-Christ ,  on  n'avait  cependant  pas  coutume  de 
dire  si  formellement  que  le  corps  de  Jésus-Christ  dans  Teucha- 
ristîe  était  le  même  que  celui  qui  est  né  de  la  Vierge  ^. 

Ces  expressions  de  Paschase  déplurent^  on  les  attaqua ^  il  les 
défendit ,  et  cette  dispute  fit  du  bruit.  Les  hommes  les  plus  cé- 
lèbres ,  vers  la  fin  du  neuvième  siècle  ,  se  partagèrent  sur  ces 
expressions ,  et  Ton  fit  beaucoup  d'écrits  pour  attaquer  ou  pour 
défendre  les  expressions  de  Paschase  ^  car  on  convenait  sur  le 
dogme. 

Les  disputes  qui  s'élèvent  entre  les  hommes  célèbres  s'agitent 
et  régnent ,  pour  ainsi  dire  ,  long-temps  après  leur  naissance; 
Bérenger,  qui  enseignait  la  théologie  à  Tours ,  examina  les  écrits 
de  Paschase  et  les  difficultés  qu'on  lui  avait  opposées. 

Paschase  disait  que  nous  prenions  dans  l'eucharistie  le  corps  et 
le  sang  de  Jésu^-Christ,  le  même  corps  qui  était  né  diç  la  Yierge; 
que  nous  mangions  ce  corps  ;  que,  quoique  le  pain  restât  en  ap- 
parence, on  pouvait  dire  que  c'était  le  corps  et  le  sang  de  Jésus- 
Christ  que  nous  recevions  dans  le  pain  ;  que  nous  recevions  le 
corps  qui  avait  été  attaché  à  la  croix ,  et  que  nous  buvions  dans 
le  calice  ce  qui  avait  coulé  du  côté  du  Christ  ^. 

Bérenger  voyait  que  le  pain  et  le  vin  conservaient ,  après  la 
consécration ,  les  propriétés  et  les  qualités  qu'ils  avaient  avant  la 
consécration ,  et  qu'ils  produisaient  les  mêmes  effets  ;  il  en  con- 
clut que  le  pain  et  le  vin  n'étaient  pas  le  corps  et  le  sang  qui  était 
né  de  la  Yierge  et  qui  ava)t  été  attaché  à  la  croix  :  il  enseigna 
donc  que  le  pain  et  le  vin  ne  se  changeaient  point  au  corps  et  au 
sang  de  Jésus-Christ  %  mais  il  n'attaqua  point  la  présence  réelle: 

^  Mabillon,  Praef.  in  &  sœc.  Bened.,  paru  2,  c  1,  $  â« 

2  Tract  de  corp.  Domini,  ep«  ad  Frudegard, 

*  Nous  croyons  devoir  observer  id,  contre  Topînion  de  M.  Pluquet, 
mais  d'après  les  monumens  du  temps  et  des  autorités  graves,  que  Bé* 
renger  nia  formellement  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ  dans  Teucha- 
ristie,  et  qu'il  peut  être  regardé  comme  le  chef  des  Sacramentaires.  Il 
est  vrai  qull  affecta  quelquefois  de  tenir  un  Uingage  bien  rapproché  de 
l'orthodoxie  $  Biais  c'était,  ou  pour  mieux  déguiser  le  venin  de  sa  doc- 
trine et  pour  en  imposer  aux  défenseurs  du  dogme  catholique  qui  s'éle- 
vaient avec  force  contre  lui,  ou  par  un  effet  de  cette  inconstance 
8iogulièrçque}uireprocl«l'bl9toire.On  peutconsulter  sur  cet(d)jet  l'His^ 


fiEfi. 

il  reconnaissait  que  l'Ëcriture  et  la  traditioi 


243 


n  ne  permeitaieni  pas 
de  dtiuter  que  l'eiicbaristie  ne  contînt  vraiment  et  réellemenl  le 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ ,  et  qu'elle  ne  fût  même  son  vrai 
corps  ;  mais  11  croyait  que  le  Verbe  s'unissait  au  pain  et  au  vin  •, 
et  que  c'était  par  cette  union  qu'ils  deveDaient  le  corps  et  le  sang 
de  Jésus-Christ,  sans  changer  leur  nature  ou  leur  essence  phy- 
sique ,  et  sans  cesser  d'être  du  pain  et  du  vin. 

11  croyait  qu'on  ne  pouvait  nier  la  présence  réelle ,  et  il  recon- 
naissait que  l'eucharistie  Était  le  vrai  corps  de  Jésus-Christ;  il 
croyait  que  le  pain  et  le  vin  étaient,  aprfes  la  consécration,  ce 
qu'ils  étaient  avant,  et  il  concluait  que  le  pain  et  le  vin  éiaieut 
devenus  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  sans  changer  de  na- 
ture ,  ce  qui  n'était-possible  qu'en  supposant  que  le  Verbe  s'unis- 

Bérenger  enseigna  celte  doctrine  dans  l'âcole  de  Tours  et  sou- 
leva tout  le  monde  ;  on  porta  à  Rome  une  des  lettres  qu'il  avait 
écrites  à  Laocfranc ,  dans  laquelle  il  dérendait  son  sentimenl.  La 
lettre  fut  lue  dans  un  concile  assemblé  par  Léon  IX ,  l'an  lObO  ; 
le  concile  condamna  la  doclrloe  de  Bérenger  et  excommunia  sa 
personne.  Bérenger,  informé  de  sa  condamnation  ,  se  retira  dans 
l'abbaye  de  Preauï,  et  tlcha  d'attirer  dans  son  parti  Guillaume, 
duc  de  Normandie  ;  mais  ce  prince  fit  assembler  les  évéques  de  la 
province,  et  Bérenger  fut  condamné. 

Bérenger  attaquait  un  mystère  incompréhensible  ï  la  raison  ;  il 
opposait  à  la  foi  les  sens  et  l'imagination  ;  il  n'était  pas  possible 
qu'il  ne  se  fil  des  sectateurs  ;  c'est  un  défaut  de  logique  inconce- 
vable dans  des  nommes  tels  que  MM.  Claude  et  de  La  Roque  d'en 
conclure  qu'il  y  avait  dans  l'Eglise  beaucoup  de  personnes  qui 
rejetaient  le  dogme  de  la  transsubstantiation. 

Car,  i'  toute  hérésie  qui  attaque  un  mystère  est  assez  spécieuse 
pour  séduire  au  premier  coup  d'oeil  les  ignorans  et  les  hommes 
superficiels;  et  si  l'on  pouvait  conclure  qu'une  opinion  était  en- 
seignée dans  l'Église  parce  que  celui  qui  l'a  publiée  a  trouvé  des 
sectateurs,  il  faudrait  conclure  que  toutes  les  hérésies  et  toutes 
les  erreurs  ont  toujours  été  enseignées  dans  l'Ëglise ,  parce  qu'en 


galiic! 


toire  de  l'I 

Tourne!]-,  Collet 
[(m.) 
*  Mabillon,  Prxf. 


;,  le  Dictionnaire  de  théologie  de  M.  Bergier, 
res  UiÉofogicns,  (Piate  de  l'éditeur  deBcsan- 


'..  Bcncdîct,  S  3i  P>  4'73, 


244  B£R 

effet  il  n'y  a  point  d'hérésiarque  qui  n'ait  eu  des  sectateurs. 

2°  Tous  les  historiens  témoignent  que  l'opinion  de  Bérenger 
fut  regardée  comme  nouvelle ,  et  les  Protestans  ne  peuvent  citer 
aucun  auteur  ancien  qui  témoigne  en  aucune  façon  que  Bérenger 
ait  trouvé  dans  l'Ëglise  des  personnes  qui  fussent  de  son  senti- 
ment, ni  que  son  erreur  ait  été  soutenue  par  quelqu'un  qui  l'eût 
apprise  d'un  autre  que  de  lui  :  tous  témoignent  qu'il  fut  l'unique 
cause  des  troubles  *. 

L'erreur  de  Bérenger  fut  condamnée  dans  tous  les  conciles  oii 
elle  fut  dénoncée  :  tels  sont  les  conciles  de  Verceil ,  de  Tours  et 
de  Paris. 

Bérenger  comparut  dans  celui  de  Tours  et  y  condamna  son  er- 
reur ;  mais  il  agissait  avec  dissimulation  ,  ou  il  n*avait  pas  été 
pleinement  convaincu  dans  le  concile ,  et  if  était  retombé  dans 
son  erreur,  car  il  l'enseigna  encore  après  le  concile. 

Nicolas  II  assembla  un  concile  dans  lequel  Bérenger  défendit 
ses  opinions;  mais  il  fut  convaincu  par  Abbon  et  par  Lancfranc ; 
il  abjura  son  erreur  et  brûla  ses  écrits. 

Cette  profession  de  foi  paraissait  sincère  ;  mais  Bérenger  ne  fut 
pas  plus  tôt  retourné  en  France,  qu'il  se  repentit  d'avoir  brûlé  ses 
écrite  et  condamné  son  sentiment  :  il  protesta  contre  sa  dernière 
rétractation,  prétendit  qu'elle  lui  avait  été  dictée  par  Humbert 
et  qu'il  ne  l'avait  signée  que  par  crainte  :  il  continua  donc  à  en- 
seigner son  erreur. 

Enfin  Grégoire  VII  tint  un  concile  à  Rome  en  1079 ,  oîi  Béren- 
ger reconnut  et  condamna  encore  son  erreur  :  le  pape  le  traita 
avec  indulgence  et  avec  bonté  ;  il  écrivit  même  en»sa  faveur  à  l'ar- 
chevêque de  Tours  et  à  l'évêque  d'Angers.  Après  ce  concile,  Bé- 
renger se  retira  dans  l'île  de  Saint-Côme,  proche  la  ville  de  Tours, 
et  y  mourut  au  commencement  de  l'année  1088. 

Les  rétractations  et  la  pénitence  de  Bérenger  n'empêchèrent 
pas  que  plusieurs  de  ses  disciples  ne  persévérassent  dans  l'erreur 
de  leur  maître. 

Il  s'en  faut  beaucoup  qu'ils  aient  été  aussi  nombreux  que  l'ont 
prétendu  MM.  Claude ,  la  Roque ,  Basnage  ;  les  historiens  qui 
donnent  à  Bérenger  un  grand  nombre  de  disciples  sont  sur  cela 
contraires  aux  historiens  contemporains. 

Guimond,  archevêque  d'Averse,  auteur  contemporain,   té- 

»  Perpét  delà  fpi,  t.  1,  l  9,c  7,  p.  657, 


BËB  34C 

tnoigne  expressément  que  Bérenger  n'a  jamais  eu  une  seule  buur* 
gade  pour  lui,  et  qu'il  n'élait  suivi  que  par  des  iguorans  :  lou 
ce  qui  nous  reste  de  monumens  historiques  de  ce  temps  est  con- 
forme au  témoignage  de  Guimond;  lui  préférera-l-on  Guillaume 
de  Malmesbury ,  qui  ne  vivait  qu'en  4242,  et  Matthieu  de  West- 
minster, qui  ne  vivait  que  dans  le  qualorziâme  sîËcle  '  ? 

On  trouve ,  il  est  vrai ,  dans  le  douzième  siècle ,  quelques  per- 
sonnes qui  niaient  la  transsubstantiation  ;  mais  on  ne  voit  pas  que 
ces  personnes  soient  des  disciples  de  Bérenger  plulOt  que  des 
Manicliéeus  qui  avaient  reparu  en  France  et  qui  niaient  la  trans- 
substantiation ;  comme  Bérenger.  Les  monumens  historiques  par 
lesquels  nous  counaissons  ces  ennemis  de  la  transsubstantiation 
paraissent  le  supposer  ;  car  on  y  voit  que  ces  hérétiqnes  avaient 
encore  d'autres  erreurs ,  dont  l'historien  dit  qu'il  ne  juge  pas  k 
propos  de  parler;  ce  qui  ne  convient  point  aux  disciples  de  Bé- 
renger ', 

Au  reste  ,  cette  prétendue  perpétuité  de  la  doctrine  de  Béren- 
ger, que  M.  Basnage  se  donne  tant  de  peine  k  établir  depuis  le 
neuvième  siècle  jusqu'à  la  réforme,  n'est  point  cette  perpétuité 
de  la  foi  qui  convient  il  celle  de  la  vraie  Église,  et  qui  fait  le  ca- 
rsctÈre  de  la  vérité. 

Il  n'est  point  étonnant  qu^une  erreur  qui  a  fait  autant  de  bruit 
que  celle  de  Bérenger  se  soit  perpétuée,  et  il  n'y  a  peut-être 
point  d'hérésie  qui ,  depuis  sa  naissance,  ne  trouvât,  à  force  de 
recherches,  d'inductions  et  de  sophismes,  des  sectateurs  dans  les 
siècles  précédens,  aussi  bien  et  mieus  que  les  Prolestans.  San- 
diusn'a-l-ilpastrouvé  des  Ariens  dans  tous  les  sièclesderÉglise^? 

Mais  ce  n'est  pas  une  pareille  succession  qui  caractérise  la  doc- 
trine de  la  vraie  Ëglise;  il  faut:  1°  que  cette  perpétuité  soit  telle 
qu'on  ne  puisse  assigner  une  époque  oii  elle  était  inconnue  d^ins 
l'Église ,  comme  l'erreur  de  Bérenger,  qui ,  Lorsqu'on  lui  opposa 
la  réclamation  de  toute  l'Église  contre  son  erreur,  répondit  que 
toute  l'Église  était  périe  >. 

2"  La  iTuie  Église  étant  une  société  visible  et  devant  être  caiho- 


'  Perpét.  de  la  Toi,  I,  1,  1,  ! 

'  Spicileg.  d'Acheri,  L  î,  p, 

8,  Bnn.  iï6S. 

>  Sandius,  Kist.  ecclcs, 

•  Derengnrius,  apudLancrrimr,  c 


U6  BEB 

liqve ,  e*est-àdire  la  société  religieose  It  plus  étondae  f  gncilq— 
sectaires  obscurs  qai  enseignent  el  perpéts^oft  leurs  Ofrom  m 
secret ,  qui  sont  odieux  à  tons  les  fidèles  et  condamnés  par  tOMli 
rË^ise  f  qui  n*ont  ni  Ë^Use,  ni  ministère ,  ni  jnridîctioB ,  ai  mÊf^ 
tonte  f  peorentrils  représenter  TÉgUse  de  lésas-Christ?  Go  qile  ji 
dis  ici  des  Bérengariens  ne  pent  être  contesté  :  la  Bocpio  61  Wih 
nage  n*ont  pn  pronrer  rien  de  plus  en  leur  f^venr  *« 

Les  Bérengariens  ne  forent  pas  constamm^t  et  n&anfaneflNml 
attachés  à  Ferreor  de  Bérenger  ;  tons  reconnaissaient  qoe  le  polo 
et  le  yin  ne  se  changeaient  point  an  corps  et  aa  sang  de  JéÎHlf- 
Ghrist;  mais  quelqnes-uns  ne  ponraient  conceroir  qao  le  YertM 
s*nntt  an  pain  et  au  vin,  et  ils  conclurent  que  le  pain  et  le  Hhk 
B*étaient  point  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  ^  et  qu'ils  ifé* 
taient  appelés  ainsi  que  par  métaphore  et  parce  qo*ib  représoil* 
talent  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ. 

Ainsi  Bérenger  et  ses  disciples  niaient  la  transsubstantiatkMl  f 
mais  Bérenger  croyait  que  le  pain  deyenait  le  corps  de  Jéiss- 
Ghrist,  et  ses  disciples  croyaient  qu'il  n'en  était  que  la  igore* 

Ce  dernier  sentiment  fut  adopté  par  la  plupart  des  hérésie^-» 
ques  et  des  sectaires  qui  parurent  après  Bérenger^  et  qui  alliez 
rent  cette  erreur  avec  d'anciennes  hérésies  :  tels  farent  Pierire  de 
Bruys,  Henri  de  Toulouse,  Arnaud  de  Bresse,  les  Albigeois, 
Amauri  de  Chartres ,  et,  long-temps  après ,  Wiclef ,  les  LollardSi 
les  Thaborites;  enfin ,  Carlostad ,  Zuingle,  Caltin  ont  renouvelé 
Terreur  des  Bérengariens ,  et  Luther  a  suivi  le  sentiment  de  bé- 
renger et  soutenu  Timpanation. 

Comme  ces  deux  points  sont  un  des  plus  grands  obstacles  à  la 
réunion  des  Églises  réformées ,  nous  croyons  qu'il  est  convenable 
de  les  traiter. 

§  L  — Du  dogme  de  la  présence  réelle. 

Il  n'y  a  point  de  matière  sur  laquelle  on  ait  tant  écrit  ;  l'énu- 
mération  des  ouvrages  composés  sur  l'eucharistie  ferait  seule  un 
ouvrage  :  nous  allons  réduire  Ji  des  points  simples  les  raisons  qui 
la  prouvent  et  les  difficultés  qui  la  combattent. 

Le  dogme  de  la  présence  réelle  est  enseigné  dans  V Écriture. 

Lorsque  Jésus-Christ  institua  l'eucharistie,  il  dit,  en  tenant  du 

*  La  Roque,  Hist  de  l'Euch.,  part  2,  c.  18,  p.  702.  Basnage,  Hist. 
des  Églises  rét,  t  j,  1. 8,  c  5,  p.  105. 


BEB  S4T 

pain  :  Ceci  est  mon  corps  ;  Pt  l'Écriture  ne  hous  parte  jamais  da 
Vf.  sacremeol  que  dan;  des  termes  qui ,  pris  dans  un  sens  naturel 
et  littéral ,  expriment  la  prësencâ  réelle  dit  corps  et  du  saag  de 
Jésus-Christ,  et  non  pas  que  le  pain  el  le  viu  sont  la  figure  du 
corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ, 

Pour  être  autorisé  !i  prendre  les  paroles  de  l'Ëcrilure  dans  le 
sens  figuré  et  à  soutenir  que  l'eucharistie  est  la  figure  dn 
corps  et  du  sang  de  Jésus'Christ ,  il  faudrait,  ou  que  Jésus-Christ 
nous  eAt  avertis  qu'il  ne  prenait  point  dans  Un  sens  naturel  les 
expressions  dont  U  se  servait ,  ou  que  ces  expressions  ,  prises  dans 
le  sens  naturel ,  eussent  exprimé  une  aljsunlilé  si  palpable  et  si 
grossière  que  l'homme  le  plus  ignorant  eût  senti  que  Jésus-Christ 
n'avait  pu  les  prendre  dans  leur  sens  naturel  et  littéral. 

l''U  est  certain  que  Jésus-Christ  n'a  point  préparé  ses  disciples 
h  prendre  dans  un  sens  métaphorique  les  mots  dont  il  se  sert  dans 
l'institution  de  l'eucharistie:  au  coulraire,  Jésus-Christ,  avant 
d'instituer  l'eucharistie ,  avait  dit  ù  ses  apôtres  que  sa  chair  était 
vérilahlemenl  viande,  et  que  sou  sang  était  vraiment  breuvage; 
que  ceux  qui  ne  mangeraient  pas  sa  chair  cl  ne  boiraient  point  son 
sang  n'auraient  point  la  vie  éternelle  ;  il  leur  avait  promis  de  leiir 
donner  ce  pain  ;  les  Juifs,  en  l'entendant,  se  demandaient  com- 
luenl  il  pourrait  leur  donner  sa  cliair  i  manger,  et  Jésus-Christ 
ne  répond  à  leurs  plaintes  qn'en  répétant  que  sa  chair  est  vériiS' 
blemenl  viande  et  son  sang  véritablement  breuvage,  et  que  s'ils 
ne  mangent  la  chair  du  Fils  de  l'homme  et  ne  boivent  son  sang  , 
ils  n'auront  point  la  vie  éternelle. 

Jésus-Christ  promettait  alors  à  ses  disciples  de  leur  donner  sa 
chair  ù  manger,  et  sa  véritable  chair  :  tous  les  ministres  convien- 
nent que,  dans  le  sixième  chapitre  de  l'Ëvangile  selon  saint  Jean, 
il  est  toujours  parlé  de  la  véritable  chair  de  Jésus-Christ. 

I^es  disciples  attendaient  donc  que  Jésus-Christ  leur  donnerait 
Téritablement  sa  chair  à  manger  et  sou  sang  ï  boire;  mais  ib  ne 
savaient  pas  comment  il  exécuterait  cette  promesse. 

Dans  l'institution  de  l'eucharistie,  Jésus-Christ  leur  ordonne  de 
manger  le  pain  qu'il  a  béni ,  et  les  assure  que  ce  pain  est  son 
corps;  ainsi,  loin  d'avoir  averti  les  ap6lres  qu'il  fallait  prendre 
dans  un  sens  métaphorique  les  paroles  de  l'instituiion  de  l'eucha- 
ristie ,  il  les  avait  préparés  a  les  prendre  dans  un  sens  naturel  et 
littéral. 

Ainsi ,  les  allégories  et  le»  images  sous  lesquelles  Jésus-Christ 


24S  B£R 

s'est  quelquefois  représenté  ne  pouvaient  porter  ses  disciples  à 
interpréter  dans  un  sens  métaphorique  les  paroles  de  Tinstitution 
de  Teucharistie. 

Jésus-Christ  avait  promis  à  ses  disciples  de  leur  donner  son 
corps,  son  vrai  corps  à  manger,  et  c'était  à  la  manducation  de  ce 
corps  qu'il  avait  attaché  la  vie  éternelle  ;  ils  étaient  dans  Tattente 
de  Texécution  de  cette  promesse ,  puisque  Jésus-Christ  leur  avait 
annoncé  sa  mort  :  F  importance  de  cette  promesse ,  toujours  pré- 
sente à  leur  esprit ,  ne  leur  permettait  donc  ni  d'en  méconnaître 
l'eiécution  dans  l'institution  de  l'eucharistie ,  ni  de  croire  que 
Jésus-Christ  leur  donnât ,  dans  le  pain  de  l'eucharistie ,  la  figure 
de  son  corps  ;  ils  ne  pouvaient  donc  s'empêcher  de  prendre  les 
paroles  de  l'institution  de  l'eucharistie  dans  leur  sens  propre  et 
naturel;  et  Jésus-Christ,  loin  de  les  avoir  avertis  qu'il  parlait 
d'une  manière  allégorique ,  les  avait  en  quelque  sorte  préparés  à 
prendre  ses  expressions  dans  le  sens  littéral. 

En  se  plaçant  dans  ce  point  de  vue,  qui  est  le  seul  où  l'on  puisse 
envisager  la  question,  on  voit  clairement  que  MM.  Claude  et  Bas- 
nage  n'ont  fait  que  des  sophismes  pour  prouver  que  l'esprit  des 
apôtres  était  assez  préparé  au  sens  figuré  par  la  cérémonie  même 
de  la  Pâque  que  Jésus-Christ  célébrait,  et  par  l'usage  dans  lequel 
il  était  d'employer  des  allégories  et  des  paraboles. 

Jésus-Christ  et  les  évangélistes  n'avertissent  donc  point  que 
les  paroles  de  l'institution  de  l'eucharistie  doivent  se  prendre  dans 
un  sens  figuré. 

Secondement ,  on  ne  peut  pas  dire  que  le  sens  littéral  et  natu- 
rel des  paroles  de  l'institution  de  l'eucharistie  renferme  une  con- 
tradiction sensible  ou  une  absurdité  palpable ,  en  sorte  qu'en 
entendant  ces  paroles  l'esprit  quitte  le  sens  naturel  et  passe  au 
sens  figuré  ;  car  alors  le  dogme  de  la  présence  réelle  ne  serait 
jamais  venu  dans  l'esprit  des  apôtres  et  des  chrétiens ,  mais  en- 
core il  n'aurait  jamais  pu  s'établir,  ou  du  moins  on  aurait  vu  dans 
l'Église  chrétienne  des  réclamations  contre  ce  dogme ,  et  le  plus 
grand  nombre  serait  resté  attaché  au  sens  figuré. 

Cependant,  lorsque  Bérenger  attaqua  le  dogme  de  la  trans- 
substantiation, toute  l'Église  croyait  la  présence  réelle ,  et  les 
Prolestans  n'ont  jusqu'ici  pu  assigner  un  temps  où  elle  ne  fût  pas 
crue ,  ni  un  siècle  où  l'Église  crût  que  l'eucharistie  n'était  que  la  • 
figure  du  corps  de  Jésus-Christ. 

Si  le  sens  figuré  est  le  sens  qui  s'offre  à  l'esprit  lorsqu'on  en- 


tend  les  paroles  de  l'instilalioD  du  i'eucbarisLii?,  pourquoi  Carlas- 
lad  ful-il  abandonné  de  tout  le  monde  lorsqu'il  le  proposa  ? 
Pourquoi  Zningle  a-t-il  été  plus  de  quatre  ans  à  trouver  que  ces 
paroles;  Ceci  est  mon  corps,  devaient  se  rendre  parcelles-ci: 
Ceci  repréêenle  mon  corps  '  ? 

Si  le  sens  Sguré  est  le  sens  qui  s'ofTre  k  l'esprit,  pourquoi  Lu- 
ther el  tous  ses  sectateurs  ont-ils ,  aussi  bien  que  les  catholiques , 
pris  coDstanmient  dans  le  sens  naturel  et  iJLttol  les  paroles  de 
i'itistitulioD  de  l'eucharistie?  Pourquoi  Eucer,  pour  intéresser  les 
princes  protestans  d'Allemagne  en  faveur  des  quatre  villes  impé- 
riales qui  su  iviii  eut  l'opinion  de  Zningle;  pourquoi,  dis-j'e,  Bucer 
fut-il  obligé  de  faire  faire  à  ces  villes  une  conlession  de  fol ,  dans 
laquelle  il  reconnaît  que  Jésus-Christ  donna  \  ses  disciples  son 
vrai  corps  et  son  vrai  sang  il  manger  et  ù  boire  vériiablementî 
Pourquoi, dans  une  lettre  écrite  au  ducdefirunswick-Lunebourg, 
protesta-t-il  qu'il  croyait,  atec  Zuingle  et  OEcolampade,  que  le 
vrai  corps  et  le  vrai  sang  de  Jésus-Christ  étaient  présens  dans  la 

Enfin,  s'il  était  vrai  que  le  sens  figuré  se  présentât  nalurelle- 
menlà  l'esprit,  pourquoi  les  peuples  au iquefô  Bucer  avait  prêché 
le  sens  figuré  reprirent-ils  le  dogme  de  la  présence  réelle  aussi- 
tfiL  que  Bucer  et  Cupilon,  par  ménagement  pour  les  Luthériens , 
cessèrent  de  faire  retentir  conllauellement  W  leurs  oreilles  le  sens 

Hais,  dit-on,  les  apAtres  ne  voyaient-ils  pas  évidemment  qu'en 
mangeant  le  pain  que,  Jésus-Christ  avait  béni  ils  ne  pouvaient 
manger  le  corps  qu'ils  avaient  devant  les  veux? 

Je  réponds  que  l'esprit  ne  voit  comme  impossible  que  ce  qui 
unit  le  mù  et  le  no»,  c'est-à-dire  qui  assure  qu'une  chose  est  et 
D'est  point  en  même  temps  ;  mais  il  n'y  a  point  contradiction  que 
le  corps  de  Jésus-Christ  se  trouve  sous  les  espèces  du  pain  et  du 
vin  ;  car  il  est  possible  : 

1°Que  le  pain  et  le  vin  deviennent  le  corps  et  le  sang  de  Jésus- 
Christ,  comme  on  le  suppose  dans  le  sentiment  de  l'iuipannion. 

3°  11  est  possible  que  Dieu  formo  dans  la  substance  du  pain  et 

*  Zuingle,  De  verâ  relig.,  p.  309.  Rcsp.  ad  Luther.,  p,  ÙOO.  Ep.  ad 
Poneram,,  p.  S5S.  Perpjt,  de  la  Tui,  1. 2,  1.  1,  c.  3. 
'  [Tospin.,  part.  2,  p,  1S2.  PerpéU  de  la  foi,  c.  &. 


250  BER 

dans  celle  da  Tin  un  corps  humain  auquel  Ykmé  dé  JémiihGliriil 
soit  unie  ,  comme  M.  Yarignon  Ta  imaginé. 

3«  On  ne  voit  point  qn'il  soit  impossible  que  le  corps  àê  léMil* 
Christ  se  trouve  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin ,  commd  II  i*y 
trouve  en  effet,  et  comme  on  le  fera  voir  en  parlant  de  la  triM' 
substantiation. 

Je  réponds ,  en  second  lieu ,  que  les  apMres  ,  conntilsttlif  h 
toute-puissance  et  la  souveraine  vérité  de  Jé8us-€hriÉt,  li*eiireat 
pas  besoin  de  concevoir  la  possibilité  de  ce  quUl  leur  disait  pour 
interpréter  son  discours  dans  un  sens  naturel  et  littéral.  Ils  cnt« 
rent  qu'en  effet  le  pain  était  devenu  le  corps  de  Jésu^-Ghristy 
quoiqu'ils  ne  comprissent  pas  comment  cela  pouvait  se  fiûre. 
L'impossibilité  de  concevoir  le  mystère  de  la  Trinité  a4-il  empê- 
ché de  le  croire  ? 

Le  dogme  de  la  présence  réelle  a  ioujoun  été  emeigné  dent 

l'Église. 

Depuis  la  naissance  de  TËglise ,  la  célébration  de  Feuduiristie 
a  fait  la  partie  la  plus  essentielle  du  culte  des  chrétiens  :  les  Èpb' 
très  s'assemblaient  pour  la  célébrer,  et  ils  en  établirent  la  câé^ 
bration  dans  TËglise  *. 

Dans  la  célébration  de  Teucharistie ,  on  bénissait  du  pain ,  et 
l'on  disait  que  ce  pain  et  ce  vin  étaient  le  corps  et  le  sang  de  Jé- 
sus-Christ :  c'était  sur  cette  présence  du  corps  de  Jésus-Christ 
que  portait  toute  l'importance  de  ce  sacrement  par  rapport  aux 
chrétiens  ;  cette  présence  était  le  fondement  de  leur  respect  pour 
l'eucharistie,  et  rien  n'était  plus  important  que  de  bien  connaître 
le  degré  de  respect  qu'on  devait  à  ce  sacrement,  puisqu'il  donnait 
la  mort  éternelle  s'il  était  reçu  indignement. 

Pour  rendre  à  ce  sacrement  le  respect  qu'on  lui  devait,  et  pour 
le  recevoir  dignement ,  il  fallait  nécessairement  savoir  si  l'on  re- 
cevait Jésus-Christ  réellement ,  si  Ton  recevait  son  corps  et  son 
sang,  si  l'on  n'en  recevait  que  la  figure  et  le  symbole.  Les  apôtres 
et  les  premiers  chrétiens  n'ont  donc  pu  rester  indécis  et  indéter- 
minés sur  la  présence  du  corps  de  Jésus-Christ  dans  Teucharistie; 
ils  ont  cru  la  présence  réelle  ou  l'absence  réelle  du  corps  de  Jé- 
sus-Christ dans  l'eucharistie. 

Toutes  les  sociétés  chrétiennes  séparées  de  l'Ëglise  romaine, 

*■  Act«,  2,  V.  A2,  ad. 


depuis  le  quatrième  siècle  jusqu'à  B^renger,  croient  la  présence 
réelle  du  corps  delésua-Christ  dans  l'eucbaristie  ;  les  Nestoriens, 
les  Arméniens  ,  les  Jacobites ,  les  Copbtes ,  les  Ëihiopiâns ,  les 
Grecs  ,  reeonnaisseDl  encore  aujonrd'hui  la  présence  réelle  du 
corps  de  Jésus-Christ  dans  l'eucbarislie  '. 

Toutes  les  sociétés  catholiques  la  crojaieot  aussi  lorsque  les 
Bérengariens  l' attaque  lent. 

Cette  croyance  étant  générale  cbez  tes  chrétiens  au  temps  de 
Béreoger,  il  faut  nécessairement  qu'elle  soit  aussi  ancienne  que 
l'I^lise  même,  ou  que  toutes  les  Églises  chrétiennes  aient  passé 
de  la  croyance  de  l'ahsence  réelle  à  la  croyance  de  la  présence 
réelle  du  corps  de  Jésus-Cbrist  daos  l'eucliaristie. 

S'il  est  certain  que  l'Églige  u'a  pu  passer  de  h  croyance  de 
l'absence  réelle  à  la  crojance  de  la  présence  réelle  du  corps  de 
Jésus-dirist  dans  l'eucharistie  ,  il  est  démontré  que  la  présence 
réelle  a  toujours  été  enseignée  et  professée  dans  l'Ëglise  depuis 
les  apôtres  jusqu'à  Bérenger  ;  or,  il  est  certain  que  l'Église  u'a 
point  passé  de  la  croyante  de  l'abseoce  réelle  à  la  croyance  de  la 
présence  réelle  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ  dans  l'eu- 
charistie. 

Ce  chaugemenl  dans  la  croyance  des  chrétiens  sur  la  présence 
réelle  du  corps  de  Jésus-Cbriât  n'a  pu  se  faire  qu'en  deux  ma- 
niéres  :  tout  d'un  coup,  ou  par  degrés. 

La  première  supposition  est  impossible,  car  alors  il  faudrait  que 
tous  les  chrétiens,  après  avoir  cru  jusqu'aloi's  que  le  corps  de 
Jésus-Christ  n'était  pas  présent  dans  l'euebaristie  ,  eussent  com- 
mencé tous  ensemble  à  croire  qu'il  yr  était ,  en  sorte  que  s'élant, 
pour  ainsi  dire  ,  endormis  dans  la  croyance  que  l'eucharistie  n'é- 
tait quetaCguredu  corps  de  Jésus-Christ,  ils  se  fussent  réveillés 
persuadés  qu'elle  contenait  réellement  le  corps  et  le  sang  de  Jé- 

II  est  impossible  qu'une  multitude  d'Églises  séparées  de  com- 
munion, dispersées  dans  différentes  parties  de  la  terre ,  ennemies 
et  sans  communications  entre  elles  ,  se  soient  accordées  à  rejeter 
la  croyance  de  l'absence  réelle  du  corps  de  Jésus^brist  dans  l'eu- 
charis^e,  qu'elles  avaient  toujours  crue,  pour  professer  la  pré- 
senceréelle  que  personne  ue  croyait,  el  qu'elles  se  soient  accordées 

'  Voyci  ces  dilTércns  articles,  pb  leur  croyance  sur  reUCluu'istie  est 
examinée  en  particulier. 


Ui  BËE 

sur  ce]  poiot  sans  se  communiquer,  sans  que  ce  changOBenl  énaà 
leur  doctrine  ait  produit  aucune  contestation. 

Si  les  Églises  chrétiennes  ont  passé  de  la  cropnce  de  TaiiMMe 
réelle  du  corps  de  Jésus-Christ  à  la  croyance  de  la  présence  lédiei 
il  faut  donc  que  ce  changement  se  soit  fait  par  degrés ,  et  alond 
faut  nécessairement  quUly  ait  eu  d*abord  un  temps,  saTôir,  à  la 
naissance  de  Topinion,  «  où  elle  n'était  suivie  que  d*un  très-^pe- 
»  tit  nombre  de  personnes  ;  qu'il  y  en  ait  eu  un  autre  où  ce  nùotr 
»  bre  était  déjà  beaucoup  augmenté  et  où  il  égalait  celui  des  ft- 
»  dèles  qui  ne  croyaient  pas  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ 
»  dans  réuchar'istie  ;  un  autre  où  ce  sentiment  s'était  r^idii  mattre 
»  de  la  multitude ,  quoiqu'avec  opposition  d'un  grand  nombre 
»  d'autres  qui  demeuraient  encore  dans  la  doctrine  andenne  ;  d 
»  enfin  un  autre  où  il  régnait  paisiblement  et  sans  oppositioii  9 
»  qui  est  l'état  où  les  Calvinistes  sont  obligés  d'avouer  qu*il  était 
»  lorsque  Bérenger  commença  d'exciter  des  disputes  sur  cette 
».  matière^. 

Dans  tous  ces  cas  ,  il  est  impossible  qu'il  ne  se  soit  pas  élefé 
des  contestations  dans  l'Ëglise  entre  ceux  qui  croyaient  Tabseo^ 
réelle  et  ceux  qui  croyaient  la  présence  réelle.  Les  plus  petits 
changemens  dans  la  discipline ,  les  plus  légères  altérations  dans 
des  dogmes  moins  développés,  moins  connus,  ont  excité  des  con- 
testations dans  rËglise  ;  toutes  les  erreurs,  toutes  les  hérésies  ont 
été  attaquées  dans  leur  naissance  :  comment  la  croyance  de  la  pré- 
sence réelle  aurait-elle  été  enseignée  sans  contradiction  dans  une 
Église  où  Ton  aurait  cru  l'absence  réelle  ?  comment  aurait-on 
changé  tout  le  culte,  toutes  les  cérémonies,  sans  que  personne  s'y 
fût  opposé? 

Cependant,  depuis  les  apôtres  jusqu'à  Bérenger,  où  la  croyance 
de  la  présence  réelle  était  universellement  reçue  dans  l'Église , 
on  ne  trouve  aucune  preuve  que  quelqu'un,  en  publiant  que  Jésus- 
Christ  était  réellement  présent  dans  Teucharistie ,  ait  cru  propo- 
ser une  opinion  dififérente  de  la  croyance  conmiune  de  l'Église  de 
son  temps  ou  de  l'Église  ancienne. 

On  ne  trouve  point  que  jamais  personne  ait  été  déféré  publi- 
quement aux  évéques  et  aux  conciles  pour  avoir  publié ,  de  vive 
voix  ou  par  écrit ,  que  Jésus-Christ  était  réellement  dans  la  bouche 
de  ceux  qui  recevaient  l'eucharistie.  On  ne  trouve  point  qu'aucun 

«  Porpéluiié  de  la  foi,  volume  in-i2,  p,  49. 


BER  aS8 

Père ,  aucun  évèque  ,  aucun  concile  se  BOÎt  mis  en  peine  de  s'op- 
poser â  cette  croyance ,  en  témoigaant  qu'il  y  en  STait  parmi  le 
peuple  qui  se  trompaient  grossiëremeiii  et  daagereusement  eu 
croyant  que  Jésas-CbrisE  était  présent  sur  la  terre  aussi  bien  que 
dans  le  ciel.  On  ne  trouve  point  qu'ancua  auteur  ecclésiastique 
niauctu  prédicateur  sesoit  jamais  plaint  qu'il  s'introduisit  en  son 
temps  une  idolâtrie  pernicieuse  et  damuable  en  ce  que  plusieurs 
adoraient  Jésus-Christ  comme  réellement  présent  sous  les  espè- 
ces du  pain  et  du  vin  *. 

On  dira  peut-être  que  ces  raisons  font  bien  voir  que  la  croyance 
de  la  présence  réelle  ne  s'est  point  introduite  par  la  contestation, 
ni  par  des  personnes  qui  aient  cbangé  elles-mêmes  de  sentiment 
et  prétendu  innover  et  changer  la  créancede  l'Ëj^lise;  mais  que 
cela  ne  prouve  pas  qu'elle  n'ait  pu  s'introduire  d'une  manière  en- 
core plus  insensible  ,  qui  est  que  les  pasteurs  de  l'Église,  étant 
eux-mêmes  dans  la  créance  que  le  corps  de  JésuS'Cbrist  n'était 
qu'en  Sgnre  dans  l'eucharistie,  aient.néanmoins  annoncé  cette  vé- 
rité en  des  termes  si  ambigus  ,  que  les  simples  aient  pris  leurs 
paroles  en  un  sens  contraire  â  la  vérité  et  ù  leur  intention,  et 
soient  entrés  dans  l'opinion  de  la  présence  réelle ,  comme  si  elle 
eùl  été  celle  des  pasteurs. 

Hais  quoiqu'une  équivoque  de  celle  sorte  eût  pu  engager  dans 
l'erreur  un  petit  nombre  de  personnes  simples,  c'est  le  comble  de 
l'absurdité  de  vouloir  faire  croire  qu'elle  ait  pu  tromper  tous  les 
chrétiens  de  la  terre. 

Car  peut-on  imaginer,  sans  extravagance,  que  les  paroles  des 
pasteurs  étant  mal  entendues  par  un  grand  nombre  de  personnes 
de  toutes  les  parties  du  monde ,  aucun  des  pasteurs  ne  se  soit 
aperçu  de  cette  illusion  si  grossière ,  et  ne  les  ait  détrompées  de 
la  fausse  impression  qu'elles  avaient  prise  de  ces  paroles? 

Peut-on  imaginer  que  tous  les  pasteurs  fussent  si  aveugles ,  si 
imprudeas,  que  de  se  servir  de  mots  qui  fussent  d'eux-mêmes  ca- 
pables d'engager  les  peoples  dans  l'erreur,  sans  expliquer  jamais 
ces  équivoques  si  dangereuses  ? 

Que  si  ces  paroles  n'étaient  pas  par  elles-mêmes  sujettes  ï  un 
mauvais  sens,  et  n'étaient  mal  expliquées  que  par  un  petit  nom- 
bre de  personnes  grossières ,  comment  les  lidèles  plus  éclairés,  et 
qui  conversaient  tous  les  jours  avec  les  simples,  ne  découvraienl- 

'  PerpélDî'édc  Jafoi,  \olumein-13,  p.  23, 


r 
I 


ils  pointai  par  qnelqa'une  de  leurs  actions  et  de  leurs  parotës, 
l'etreur  criminelle  dans  laquelle  ils  (étaient  enpgés ,  ce  qui  de- 
vait nécessairement  produire  un  éclaircissement ,  et  ne  pouTait 
manquer  d'être  connu  des  pasteurs ,  qui  dès  lors  auraient  été  obli- 
gés de  déclarer  publiquement  que  1' 
les  et  qu'on  les  avait  prises  dans  un 
i  leuriutention? 

Hais  pourquoi  ces  équÏToques  n'auraient- elles  commeocé  de 
tromper  le  monde  que  vers  le  neuviËme  au  le  dixiÈme  siËcIe  , 
comme  le  prélendenl  les  réformés ,  puisqu'on  ne  s'est  point  servi 
d'autres  paroles  dans  la  célébration  des  mystères  et  dans  la  pré- 
dication de  la  parole  de  Dieu  ,  pour  exprimer  ce  mystère  ,  que  de 
celles  dont  on  se  serrait  auparavant?  et  que  peut-on  imaginer  de 
plus  ridicule  que  de  dire  que  les  mêmes  paroles  aient  été  enten- 
dues uniTersellemenL  d'une  manière  dans  un  certain  temps ,  et 
universellement  d'une  autre  manière  dans  un  autre  tempa ,  sans 
que  personne  se  soit  aperçu  de  cette  mésintelligence  ? 

Tem  1m  Pèrei  ont  atteigne  le  dogme  de  la  prétettee  réelte. 

Les  Pères  tirant  leur  doctrine  sur  l'eucharistie  de  ce  que  les 
apâires  ont  enseigné,  il  ne  l'unt ,  pour  juger  de  leur  sentiment, 
qu'examiner  s'ils  ont  entendu  les  paroles.  Ceci  est  mon  wrps.dans 
un  sens  de  figure  ou  dans  un  sens  de  réalité. 

Il  est  certain. que  l'un  et  l'autre  de  ces  deux  sens  a  des  marques 
et  des  caractères  qui  lui  sont  propres  et  qui  doivent  se  trouver 
dans  les  expressions  des  Pércs ,  qui  n'ont  parié  que  selon  qu'ils 
ont  eu  dans  l'esprit  l'un  ou  l'autre  sens. 

Lorsqu'on  croit  que  les  paroles  de  l'institution  de  l' eucharistie. 
Ceci  est  mon  corps,  expriment  que  le  corps  de  Jésus-Clirist  est 
réellement  présent ,  ou  Les  prend  dans  un  sens  naturel  qui  se  pré- 
sente sans  peine  à  l'esprit  de  tout  le  monde  :  il  Tant  bien  que 
cela  soit  ainsi  dans  les  principes  des  Calvinistes ,  puisqu'ils  pré- 
tendent que  l'Ëglise  a  passé  sans  aucune  contestation  de  la 
croyance  de  l'absence  réelle  à  la  crojauce  de  la  présence  réelle, 
par  le  mojen  de  «ce  paroles  ;  Ceci  ett  mon  cerpi. 

Mais  ces  paroles  ,  prises  dans  leur  sens  naturel,  expriment  une 
chose  incompréhensible  ;  ainsi  le  sens  littéral  et  de  présence 
réelle  est  Tacile ,  et  la  chose  qu'il  exprime  est  très-difficile. 

Lorsqu'on  croit  que  ces  paroles ,  Ceci  ett  mon  corpi ,  sigirifien 


il  la  ligure  de  i 


st  très-difficile  il  décout,** 


vrlr,  et  l'e«prit  le  rejette  naturellement  ;  nous  n'en  TOulona  pour 
preuve  que  ce  que  nous  avons  dit  sur  Carloslad ,  qui  tut  quatre 
ans  persuadé  que  le  corps  de  Jésus-Christ  n'était  pus  réellemeut 
présent  dans  l'eacharistio ,  avant  de  pouvoir  trouver  que  le  sens 
des  paroles ,  C«ci  eit  mon  corps ,  était ,  Ceci  est  la  figure  de  mon 
corpi;  il  est  donc  certain  qae  le  sens  Ijguré  des  paroles  de  Jésus- 
Christ  est  irès-dilficile  et  très- dé  tourné. 

Mais  il  est  certain  qu'il  exprime  une  cboseaisëeà  comprendre: 
c'est  que  le  pain  et  le  vin  sont  les  symboles  du  corps  et  du  sang 
de  Jésus-Christ ,  et  peuvent  produire  dans  l'àme  des  effets  ulu- 
ijiîres ,  ce  qui  n'est  pas  une  cbotie  plus  difficile  à  concevoir  que 
Ja  production  de  la  grâce  par  le  baptême. 

Ainsi ,  le  «ens  des  catholiques  est  très-facile  dans  les  lenoei , 
mais  il  exprime  une  chose  difScile  à  concevoir. 

Le  sens  des  Calvinistes,  au  contraire,  est  oj^osé  aux  règles  du 
langage  ,  et  par  conséquent  très-difficile  à  concevoir,  mois  il  et- 

1°  Les  Pères  n'ont  jamais  entrepris  d'expliquer  le  sens  de  ces 
paroles.  Ceci  esl  mon  corps,  quoiqu'ils  aient  toujours  expliqué 
avec  beaucoup  de  soin  toutes  les  métaphores;  ils  n'ont  jamais  rien 
écrit  pour  empêcher  que  les  fidèles  ne  les  prissent  dans  le  sens 
des  catholiques  ;  ils  ont  donc  cm  que  ces  mots.  Ceci  eU  mon  corpi, 
devaient  se  prendre  dans  un  sens  naturel  et  littéral. 

3"  11  est  certain  que  tous  les  Pères  ont  regardé  l'eucharistie 
comme  un  mystère  incompréhensible,  comme  un  objet  de  foi: 
ils  ont  tous  recours  ï  la  toute -puissance  divine  pour  le  prouver; 
ce  qui  n'a  certainement  pas  lieu  dans  le  sens  des  Calvinisl»  :  il 
n'est  pas  possible  d'en  rapporter  ici  les  preuves  ;  on  les  trouvera 
dans  la  Perpétuité  de  la  foi  '. 

3°  Les  Pères  ont  reconnu  que  l'eucharistie  produisait  la  grlce, 
et  ils  ont  attribué  l'efficacité  de  l'cucbaristie  il  la  présence  réelle 
du  corps  de  Jésus-Christ  :  c'est  encore  nn  point  porté  jusqu'i  It 
démoBslration  dans  la  Perpétuité  de  la  toi  *. 

i'  Les  Pères  ont  toujours  parlé  de  l'eucharistie  comme  d'un 
sacrement  qui  contenait  réellement  le  corps  et  le  sang  de  Jéaua- 
Cbrist. 

5°  Pour  connaître  le  sentiment  des  Pères  sur  la  présence  réelle 


356  BER 

de  Jésas-Christ  dans  reucharistie ,  il  ne  faut  pas  s^attacher  à  un 
petit  nombre  de  leurs  passages;  il  faut  considérer  en  gros  tous  les 
lieux  où  ils  ont  traité  de  cette  matière  :  or,  il  est  certain ,  par  une 
foule  de  passages  et  de  raisons  qui  produisent  une  certitude  com- 
plète, que  les  Pères  des  six  premiers  siècles  ont  pris  les  paroles 
de  rinstitUtion  de  reucharistie  dans  le  sens  naturel  et  littéral;. il 
est  certain  que  le  sens  figuré  ne  leur  est  jamais  venu  dans  l'es- 
prit ,  qu'ils  ont  reconnu  un  véritable  changement  de  la  substance 
du  pain  en  celle  du  corps  de  Jésus-Christ. 

Ainsi ,  quand  on  trouverait  dans  les  Pères  quelques  passages  où 
ils  auraient  donné  à  reucharistie  les  noms  de  signe ,  d'image,  de 
figure ,  on  n'en  pourrait  conclure  qu'ils  n'ont  pas  cru  la  présence 
réeUe  «. 

6*  Les  espèces  du  pain  et  du  vin  restant  après  la  consécration, 
il  n'est  pas  impossible  que  les  Pères  aient,  même  après  la  consécra- 
tion, donné  à  l'eucharistie  le  nom  de  pain  et  de  vin,  car  les  Pères 
ont  exprimé  les  symboles  eucharistiques  par  les  idées  populaires, 
et  non  par  les  idées  philosophiques  ;  et  l'on  voit  clairement  que  c'est 
pour  se  conformer  au  langage  populaire  qu'ils  se  servent  de  ces 
expressions ,  puisqu'ils  assurent  constamment  que  le  pain  et  le  vin 
sont  changés  au  corps  et  au  sang  de  Jésus- Christ. 

7*  Parles  paroles  de  la  consécration ,  la  substance  du  pain  et  du 
vin  est  changée ,  selon  les  Pères  ,  en  la  substance  du  corps  et  du 
sang  de  Jésus-Christ;  mais  on  ne  voit  point  immédiatement  ce 
corps  ;  nos  sens  n'aperçoivent  que  les  espèces  du  pain  et  du  vin  : 
ainsi ,  après  la  consécration ,  les  espèces  du  pain  et  du  vin  sont 
les  signes  ou  le  type  du  corps  de  Jésus-Christ. 

Les  Pères  ont  donc  pu  donner  aux  symboles  eucharistiques  le 
nom  de  signes  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ ,  sans  que 
l'on  puisse  en  conclure  qu'ils  ne  croyaient  pas  la  présence 
réelle*. 

De  la  transsubstantiation ,  contre  Bérenger  et  Luther. 

Par  les  paroles  de  la  consécration  le  pain  et  le  vin  sont  con- 
vertis au  corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ ,  puisque ,  par  ces  pa- 
roles, le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  deviennent  réellement 

*  Ibîd.,  t  2, 1. 1,  c  1. 

2  Perpétuité  de  la  foi,  U  1,  1.  8,  a  2  ;  t,  3,  K  3,  c,  5.  Natal,  Alex., 
Dissert,  i2  lu  sçec,  11, 


1 


I 


BER  UT 

ftésens  dans  l'eucharUtie ,  es  sorte  qae  le  paia  el  le  vin  devien- 
MDt  le  corps  el  le  sang  de  JésuS'CLrist. 

Le  corps  et  le  sang  de  lésus-ChrlsI  auquel  le  pain  eL  le  vin  sont 
changés ,  c'est  le  corps  et  te  sang  qui  a  été  livré  et  répandu  pour 
DOS  pécliés  sur  la  croix,  ce  qu'il  est  absurde  dédire  dupaiu*. 

Ainsi ,  après  les  paroles  de  la  consécration ,  il  n'j  a  plus  danf - 
l'eucharistie  de  pain  et  de  vin  ;  Ils  ont  été  changés  au  corps  et  i 
aang  de  Jésus-Cbrist. 

Ce  changement  de  la  substance  du  pain  et  du  vin  au  corps 
an  sang  de  Jésus-Clirist  est  appelé  transsubstantiation,  et  quù&! 
qu'on  n'ait  eiprimé  ce  changeaient  parle  mot  de  traïusabilantia^ 
(tan  quedansles  derniers  siècles,  cependant  ce  dogme  était  conni 
dans  l'Église  aussi  anciennement  que  celui  de  la  présence  réelle; 
le  quatrième  concile  de  Latran  en  1215,  celui  de  Constance 
en  1414,  ceux  de  Florence  et  de  Trente,  l'ont  défini. 

Tous  les  Pères ,  toutes  les  liturgies  parlent  de  la  conversion  du 
pain  et  du  vin  au  corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ;  toutes  les 
prières  de  la  messe  demandent  que  le  pain  et  le  vin  deviennent 
le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Clirist*. 

Le  mot  traassubslantialion  exprime  trës-bien  ce  cliangement, 
et  l'on  ne  doit  point  désapprouver  l'usage  de  ce  mot  parce  qu'il 
n'est  pas  dans  l'Ëcrilure;  le  mot  de  Trinité  et  le  mot  consubslan- 
tiel  ne  s'y  trouvent  pas,  et  les  Protestans  n'en  condamnent  pas 
l'osage  :  le  concile  de  Latran  a  donc  pu  consacrer  le  mot  irans- 
Gubstantiation ,  comme  le  concile  de  Nicée  a  consacré  le  mot 
eoruuùslaali£l. 

Les  Luthériens  et  les  Calvinistes ,  si  opposés  sur  la  présence 
réelle ,  se  réunissent  contre  la  transsubstantiation  :  ils  ont  com- 
battu ce  dogme  par  une  inHnité  de  sopliismes  de  logique,  de 
grammaire,  etc.,  dans  l'examen  desquels  il  serait  également  inu- 
tile et  ennuyeux  de  descendre ,  et  qu'ils  ont  eux-mêmes  abandon- 
nés pour  la  plupart.  Nous  allons  tlicher  de  réduire  leurs  princi- 
pales dinicullés  ix  quelques  points  simples. 

Première  difficulté- 

Les  Protestans  prétendent  qu'il  est  absurde  de  supposer  que  le 
I    corps  de  Jésus-Christ,  qui  était  un  corps  humain  au  moins  de 

>  UatUi.,  !6.  Marc,  lA.  Luc,  23.  Paul,  ad  Cor.,  SI. 
'  Pcrpéluilé  delà  foi,  t.  3,  I.  0,  p.  58G. 


358  BER 

cinq  pieds ,  soit  contenu  dans  la  plus  petite  partie  senaiMe  4i| 
pain  ou  du  vin  ,  parce  qu'alors  il  faudrait  que  les  parties  de  soa 
corps  se  pénétrassent ,  et  par  conséquent  que  la  matière  perdtt 
son  étendue  et  son  impénétrabilité ,  ce  qui  est  impossible ,  puis- 
que la  toute-puissance  dif  ine  ne  peut  dépouiller  une  chose  de 
son  essence. 

Je  réponds,  1*  que  cette  difficulté  s'évanouit  dans  le  système 
qui  suppose  que  Tétendue  est  composée  de  pointe  inéteodui. 

Je  réponds ,  2"  qu'il  faudrait  tout  au  plus  conclure  de  là  que  ce 
n'est  ni  dans  l'étendue  ni  dans  l'impénétrabilité  que  consisle 
l'essence  de  la  matière,  comme  l'ont  pensé  Descartes  et  Gasseii4if 
mais  dans  quelque  chose  que  nous  ne  connaissons  pas. 

Je  réponds,  3°  qu'il  n'est  pas  prouvé  qu'il  soit  impossible  qu» 
le  corps  d'un  homme  de  cinq  pieds  soit  réduit  à  uq  espace  ^^ 
à  celui  des  espèces  eucharistiques  :  ne  condense-t-on  pas  l'tir  a« 
point  de  lui  faire  occuper  quatre  mille  fois  moins  d'espace  qu'il 
n'en  occupe  dans  un  état  naturel?  Si  l'industrie  humaine  peat 
resserrer  ou  dilater  si  prodigieusement  les  corps ,  pourquoi  Dieu 
ne  pourrait-il  pas  réduire  un  corps  humain  à  la  grandeur  des  es- 
pèces eucharistiques? 

Seconde  difficulté. 

Si  le  pain  et  le  vin  étaient  changés  au  corps  et  au  sang  de  Jésus- 
Christ  dans  l'eucharistie ,  il  faudrait  que  le  corps  de  Jésus-Christ 
se  trouvât  sous  les  espèces  eucharistiques  ;  et  comme  la  consécra- 
tion se  fait  en  même  temps  en  différens  endroits ,  il  faudrait  que 
le  corps  de  Jésus-Christ ,  le  même  corps  qui  est  dans  le  ciel ,  se 
trouvât  en  même  temps  en  plusieurs  lieux ,  ce  qui  est  absurde. 

Je  réponds  qu'il  n'est  point  impossible  qu'un  corps  soit  en 
même  temps  en  plusieurs  lieux  à  la  fois ,  et  que  par  conséquent 
il  n'est  pas  impossible  que  le  corps  de  Jésus- Christ  soit  dans  le 
ciel  et  dans  tous  les  lieux  où  Ton  consacre  :  voici  ma  preuve  : 

Un  corps  en  mouvement  existe  en  plusieurs  lieux  pendant  un 
temps  déterminé  :  un  corps ,  par  exemple  ,  qui  avec  un  degré  de 
vitesse  parcourt  un  pied  dans  une  seconde,  se  trouve  dans  soixante 
pieds  différens  s'il  se  meut  pendant  une  minute. 

Mais  si,  au  lieu  d'un  degré  de  vitesse,  je  lui  en  donnais 
soixante,  il  parcourrait  ces  soixante  pieds  dans  une  seconde,  et 
par  conséquent  se  trouverait  dans  soixante  lieux  différens  pendant 
une  seconde. 


BER  259 

Si ,  aa  lien  de  soixante  degrés  de  vitesse ,  je  lui  en  donnais  cent 
vingt,  il  se  trouverait  dans  ces  soixante  lieux  ou  parties  de  l'es- 
pace dans  une  tierce  ;  ainsi ,  en  augmentant  la  vitesse  i  l'infini , 
il  a'j  3  point  de  peti  te  portion  de  temps  pendant  laquelle  un  corps 
ne  puisse  être  dans  plusieurs  liens  ;  ou ,  si  l'on  veut ,  la  rapidité 
du  mouvement  peut  être  assez  grande  pour  que ,  dans  la  plus  petite 
durée  imaginable,  un  corps  parcoure  un  espace  donné,  et  se 
trouve  par  conséquent  en  plusieurs  licui  pendant  la  plus  petite 
durée  imaginable. 

La  plus  petite  partie  imaginable  du  temps  est  pour  nous  nn  in- 
Etant  indivisible;  ainsi  il  est  possible  que  le  même  corps  soit,  non- 
seulement  par  rapport  à  nous,  mais  réellement  dans  plusieurslieux 
dans  le  même  temps;  pour  cela,  il  ne  faut  que  supposer  la  dislance 
des  tieui  bornée  et  la  vitesse  infinie. 

D'ailleurs,  le  mouvement  n'est,  selon  beancouji  de  philosophes, 
que  l'eiisteace  ou  la  création  successive  d'un  corps  dans  dilTérens 
points  de  l'espace,  et  la  création  est  un  acte  de  la  volonté  divine; 
or,  qui  peut  douter  que  la  volonté  divine  ne  puisse  créer  si  promp- 
lement,  si  rapidement  le  même  corps,  que  dans  le  même  temps  ce 
corps  eïiste  «i  pluaieurs  lieus  ,  quelle  que  soit  la  dislance ,  « 
quelque  courte  qtiesoit  la  durée? 

Il  ne  répugne  donc  point  que  Dieu  fasse  exister  un  corps  dans 
plusieurs  lieux  en  même  temps,  et  que  ce  corps  y  soit  Iraosporié, 
même  sans  passer  par  les  intervalles  qui  séparent  ces  lieui. 

Nous  ne  prétendons  point ,  au  reste,  expliquer  le  mystère  de  la 
transsubstantiation  ,  mais  faire  voir  qu'on  ne  prouve  poini  qu'il 
répugne  à  la  raison;  ce  qui  suffit  pour  faire  tomber  les  difficultés 
des  Pioteslans. 

Traliiéme  difficile. 

Ou  prétend  que  le  dogme  de  la  lransstd>staDtiation  sape  luus 
les  foudemensde  la  religion. 

La  religion  est,  dit-on,  fondée  sur  des  miracles  et  surdes  faits 
qni  De  sont  connus  que  par  le  témoignage  des  sens  ;  ainsi ,  c'est 
ébranler  les  fondemcns  de  la  religion  que  de  supposer  que  le 
témoignage  constant  et  unanime  des  sens  peut  nous  tromper:  c'est 
cependant  ce  que  les  catholiques  sont  obligés  de  reconnaître  dans 
le  dogme  de  la  transsubslanlialion;  car  les  sens  attestent  conslam- 
ment  et  ananimemenl  à  tous  les  hommes  que  l'eucbaristie,  après 
la  consécration ,  est  encore  du  pain  el  du  vin  ;  et  cependaut  le 


260  BER 

dogme  de  la  transubsiantialiou  nous  apprend  qu'il  n*y  a  en  effet 

DÎ  pain,  ni  vin. 

Cette  difficulté  a  paru  triomphante  aux  plus  habiles  Protestans^. 

On  peut  répondre  ,  1*  que  nous  ne  connaissons  les  corps  que 
par  des  impressions  excitées  dans  notre  âme;  que  ces  impressions 
pea?ent  s*exciter  dans  Tâme  indépendamment  des  corps  et  par 
une  opération  immédiate  de  Dieu  sur  nos  âmes  :  il  n'y  a  donc 
point  de  liaison  nécessaire  entre  le  témoignage  de  nos  sens  et 
Fexistence  des  objets  dont  ils  nous  rapportent  Texistence. 

La  certitude  du  témoignage  des  sens  dépend  donc  de  la  certi- 
tude que  nous  avons  que  Dieu  n'excite  point  en  nous  ou  ne  per- 
met pas  que  des  esprits  supérieurs  à  nous  excitent  dans  notre 
âme  les  impressions  que  nous  rapportons  aux  corps. 

Ainsi ,  il  est  possible  que  Dieu  fasse  sur  notre  âme  les  impres- 
sions que  nous  rapportons  au  pain  et  au  vin  ,  quoiqu'il  n'y  eût  ni 
pain  ni  vin  ;  et  celui  qui  le  supposerait  n'affaiblirait  point  la  cer- 
titude du  témoignage  des  sens,  s'il  supposait  que  Dieu  nous  a  avertis 
de  ne  point  croire  nos  sens  dans  cette  occasion  ;  or,  c'est  ce  que 
les  catholiques  soutiennent  ;  car  Dieu  nous  ayant  fait  connaître 
que  ,  par  la  consécration ,  le  pain  et  le  vin  étaient  changés  au 
corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ ,  il  nous  a  suffisamment  avertis 
de  ne  pas  nous  fier  au  témoignage  des  sens  dans  cette  circonstance. 

Mais  cette  circonstance  dans  laquelle  Dieu  nous  avertit  de  ne 
point  croire  nos  sens,  loin  d'affaiblir  leur  témoignage,  le  confirme 
par  rapporta  tous  les  objets  sur  lesquels  Dieu  n'a  point  avertit  les 
hommes  que  les  sens  les  trompent:  tels  sont  l'existence  des  corps, 
la  naissance ,  les  miracles ,  la  passion  ,  la  résurrection  de  Notre- 
Seigneur,  objets  qui  conservent,  par  conséquent,  le  plus  haut  de- 
gré de  certitude,  même  dans  les  principes  des  catholiques  et  du 
dogme  delà  transsubstantiation^. 

On  répond  ,  2*  que  le  témoignage  des  sens  sur  les  symboles  eu- 
charistiques n'est  ni  faux  en  lui-même,  ni  contraire  au  dogme  de 
la  transsubstantiation.  ** 

Nos  sens  nous  attestent  qu'après  la  consécration  il  y  a  sous  nos 

*  Claude,  Réponse  au  second  Traité  de  la  perpétuité  de  la  foi,  pre- 
mière partie,  c  5,  p.  75.  Abbadie,  Réflexions  sur  la  présence  réelle, 
4685,  in-12.  Traité  de  la  religion  réformée,  t.  1,  secL  1.  Tillotson, 
Scrm.,  t  5.  Réflexions  anciennes  et  nouvelles  sur  Teucharistie,  1718, 
Genève. 

î  Perpétuité  de  la  foi,  t,  3, 1.  7,  c.  H, 


yeiH  et  entre  dos  maiug  un  objet  qui  a  toales  les  propriétés  du 
pain  et  du  vin  ;  mais  ils  ne  nous  disent  pas  qu'il  n'a  puse  Tnirc  et 
qa'il  ne  s'est  point  fait  un  changement  iniërjeur  dans  la  substance 
du  pain  et  dans  celle  du  vin  au  corps  et  au  sang  de  Jésna^Christ  : 
ce  changement  n'est  point  du  ressort  des  sens  ;  leur  témoignage 
n'en  dit  rien,  et  n'est  par  conséquent  poiut  contraire  au  dogme 
de  la  transsubstantiation. 

Qu'est-ce  donc  que  les  sens  nous  [lisent  eiuictement  sur  l'eu- 
charislie  après  la  consécration? 

Rien  autre  cbose ,  sinon  qu'il  y  a  devant  nos  yeax  un  objet  qui 
a  les  propriétés  du  pain  et  du  vin  ;  mais  est-il  impossible  que 
Dieu  Tasse  que  les  rayons  de  lumière  qui  tombent  sur  l'espace 
qu'occupaient  le  pain  et  le  vin  soient  réiléchis  après  la  consécra- 
tion comme  ils  l'étaient  avant?  Est-il  impossible  qu'après  l'éra- 
poration  des  parties  insensibles  qui  faisaient  l'odeur  et  le  goiH  du 
pain  et  du  vin,  avant  la  consécration,  cette  odeur  et  ce  guùt  se 
soient  conservés  sans  se  dissiper  ?  est-il  impossible  qu'une  force  de 
répnlsion  répandue  autour  du  sang  de  Jésus-Cbrïst  prenne  la  forme 
des  espèces  eucbarisiiques  et  produise  la  solidité  que  nos  sens  y 
découvrent  f 

Non,  sans  doute,  ces  choses  ne  sont  pas  impossibles;  et,  si  elles 
existaient,  elles  formeraient  un  objet  tel  que  nos  sens  nous  le  re- 
présentent. 

Nos  sens  ne  nous  trompent  donc  point  en  nous  rapportant 
qu'il  y  a  sous  nos  yeui  un  objet  qui  agit  sur  nos  organes  comme 
le  pain  et  le  vin  y  agissent. 

ibis  nous  nous  tromperions  nous-mêmes  en  jugeant  qne  cet 
objet  est  du  pain,  puisque  nos  sens  n'attesteraient  pas  que  ce  na 
peut  être  autre  chose. 

Le  dogme  de  la  IranssubstanUation  ne  suppose  donc  point  que 
nos  sens  nous  trompent  sur  l'existence  des  objets  ,  et  ce  dogme 
n'affaiblit  point  la  vérité  de  leur  témoignage  sur  les  miracles  et 
sur  les  faits  qui  servent  de  preuve  i  la  religion. 

BKftNAKD  DE  TUUKINCE  éisiii  un  ermite  qui  annonça ,  vers 
le  milieu  du  dixième  siècle,  que  la  Gn  du  monde  était  prochaine. 

U  appuyait  son  sentiment  sur  un  paàsagede  l'Apocalypse,  qui 
porte  qu'après  mille  ans  et  plus  l'ancien  serpent  sera  délié ,  et 
que  les  âmes  des  justes  entreront  dans  la  vie  et  régneront  avec 
Jésus-Christ, 

Bernard  de  Thuringe  prétendait  que  ce  serpent  ébtit  l'Aniu- 


263  BER 

christ ,  qua  par  conséquent  Tannée  960  étant  révolue,  U  veamo^  4e 
FAntechrist  était  prochaine ,  et  par  conséquent  la  fin  du  monde. 

Pour  concilier  plus  de  créance  à  son  sentiment ,  Bernard  V^ 
puyait  d*un  raisonnement  ridicule,  mais  qui  fut  conTsincant  piNir 
beaucoup  de  monde  ;  il  prétendit  que,  lorsque  le  jour  de  Tamioii- 
dation  de  la  sainte  Vierge  se  rencontrerait  avec  le  vendredi  saint, 
ce  serait  une  marque  certaine  que  la  fin  du  monde  approchait. 

Enfin,  Termite  Bernard  assurait  que  Dieu  lui  avait  rév^  que 
le  monde  allait  bientôt  finir. 

L^effiroi  que  causa  une  peinture  vive  de  la  fin  du  monde ,  le  pas- 
sage de  TApocal3fpBe,  Tassurance  avec  laquelle  Bernard  annonçait 
que  Dieu  lui  avait  révélé  la  fin  du  monde,  persuadèrent  uee  ina- 
nité de  personnes  de  tout  état  ;  les  prédicateurs  annoncèreat  dans 
leurs  sermons  la  fin  du  monde,  et  jetèrent  Talarme  dans  tous  les 
esprits. 

Une  éclipse  de  soleil  arriva  dans  ce  temps;  tout  le  monde Cfvt 
que  c^n  était  fait ,  que  le  jour  du  dernier  jugement  était  arrivé; 
chacun  fuyait  et  cherchait  à  se  cacher  entre  les  rodiers,  daesdce 
antres  et  dans  des  cavernes. 

Le  retour  de  la  lumière  ne  calma  pas  les  esprits  :  Goberge, 
femme  de  Louis  d'Outremer,  ne  savait  à  quoi  s'en  tenir  ;  elle  enga- 
gea les  théologiens  à  éclaircir  cette  matière ,  et  Ton  vit  paraître 
différens  écrits  pour  prouver  que  le  temps  de  TAntechrist  était 
encore  bien  éloigné. 

Enfin  Ton  vit,  au  commencement  de  Tonzième  siècle,  le  monde 
subsister  comme  au  dixième ,  et  Terreur  annoncée  par  Termite 
Bernard  se  dissipa  ^. 

BERYLLE,  évêque  de  Bostres,  en  Arabie,  après  avoir  gouverné 
quelque  temps  son  église  avec  beaucoup  de  réputation ,  tomba 
dans  Terreur.  Il  crut  que  Jésus-Christ  n'avait  point  existé  avant 
Tincamation  ,  voulant  qu'il  n'eût  commencé  à  être  Dieu  qu'en 
naissant  de  la  Vierge  :  il  ajoutait  que  Jésus-Christ  n'avait  été  Dieu 
que  parce  que  le  Père  demeurait  en  lui,  comme  dans  les  prophè- 
tes :  c'est  Terreur  d'Artemon. 

On  engagea  Origène  à  conférer  avec  Berylle  :  il  alla  à  Bostres , 
et  s'entretint  avec  lui  pour  bien  connaître  son  sentiment;  lorsqu'il 

*■  Martenne,  Amplitsima  collect,  t.  4,  p.  860.  Abbo,  Apologet.  ad 
calcem  codicis  canonum  veteris  Ecclesiae  roman»,  à  Francifloo  PitkKO, 
p.  m*  HisC  liUér.  de  Fr.,  t.  5,  p.  li. 


BOfi  363 

l'«iiibteacDDau,  illeréruU,  et  Berj'lle,  coiiTamcTi  par  les  misons 
d'Origèpe,  abandonDa  sur-le-eliarap  son  erreur  *. 

Tels  sODt  les  drohs  de  la  vérilË  sur  l'esprit  bumain,  loi^qn'elle 
noDE  esl  offerte  par  la  raison,  par  la  douceur  el  par  la  charité  :  ce 
fut  avec  ces  mêmes  moyens  qu'Origène  éteignit  l'erreur  des  Arj- 
bieus,  qui  niaient l'immortaliié  de  rSme;  lezèle  ardent,  impétoeux 
et  sons  lumière  eût  irrité  BerjUe  ;  la  science  et  la  douceur  d'Ori- 
gêne  l'arrachërent  à  l'erreur  et  le  gagnèrent  il  la  vérité. 

BLASTUS  était  Juif;  il  passa  dans  la  secte  des  Valenlïniens ,  et 
ajouta  au  sjSitèiiie  de  Valentin  quelques  pratiques  judaïques  aux- 
quelles il  était  attaché  ;  telle  est  la  célébration  de  la  PiLque  le  14 
de  la  lune  '. 

BOGOHILES:  ce  nom  est  composé  de  deux  moisesclavons,  qui 
signifient  solliciteurs  de  la  miséricorde  divine  ^. 

On  le  donna  k  certains  hérétiques  de  Bulgarie  ,  disciples  d'un 
nommé  Basile,  médecin  qui,  sous  l'empire  d'Alexis  Comnëne, 
renouvela  les  erreurs  des  Pauliciens. 

Les  guerres  des  Barbares  et  la  persécution  des  Iconoclastes 
avaient  presque  éteint  les  éludes  dans  l'empire  grec  ;  elles  s'étaient 
un  peu  relevées  sous  Basile  Hacédunius ,  par  les  soins  de  Photius, 
sous  Léon  le  philosophe  et  sous  ses  successeurs. 

Hais  le  retour  de  l'esprit  humain  h  la  lumière  est  peal-èti'o 
encore  plus  lent  que  ses  premiers  pas  vers  la  vérité  :  on  parlait  et 
l'on  écrivait  mieuï  que  dans  les  siècles  précédens,  mais  la  su- 
perstition et  l'amour  du  merveilleux,  inséparables  de  l'iporance, 
dominaient  encore  dans  presque  tous  les  esprits  :  c'était  toujours 
sur  nn  présage  que  les  empereurs  montaient  sur  le  trdne  ou  en 
descendaient  :  il  y  avait  tonjours  daus  une  tie  quelqpie  calojer 
fameux  par  l'iiustérité  de  sa  vie,  qui  promettait  l'empire  k  un 
grand  capitaine,  et  le  nouvel  empereur  le  faisait  évêqoe  d'un 
grand  siège  ;  ces  prétendus  prophètes  étaient  souvent  de  grands 
imposteurs  ;  car  il  est  didicile  que  les  hommes  igoorans  soient 
long'tenps  ignorans  avec  simplicité,  el  ne  deviennent  pas  impos- 
teurs lorsque  leur  profession  peut  les  conduire  i  la  fortune- 
Dans  ces  siècles  d'ignorance  et  de  superstition ,  quelques  ger- 
mes de  l'erreur  des  Paulicieua ,  qui  subsistaient  encore ,  se  déve- 
loppèrent M  s'allièrent  avec  les  erreurs  des  Hessatiais. 

'  Eu«eb.,  1.  6,  c  SO,  33. 

2  Auclor  sppend.  apudTert,,DeprvscripL,  c,  53> 

'  Oucange,  Glossaire. 


Î64  BON 

Basile  le  médecin  fit  Tassemblage  de  ces  erreurs  :  c'était  an 
vieillard  qui  avait  le  visage  abattu  et  qui  était  vêtu  en  moine  ;  il 
se  fit  d'abord  douze  disciples  qu'il  appelait  ses  apôtres ,  et  qui  jré- 
pandirent  sa  doctrine,  mais  avec  beaucoup  de  soin  et  de  circon- 
spection. 

L'empereur  Alexis  Gomnène  voulut  le  voir,  feignit  de  vouloir 
être  son  disciple ,  et  l'engagea  à  lui  dévoiler  toute  sa  doctrine. 

L'empereur  avait  fait  placer  derrière  un  rideau  un  secrétaire 
qui  écrivait  tout  ce  que  disait  Basile  :  cet  artifice  réussit  à  l'em- 
pereur ;  Basile  lui  exposa  sans  déguisement  toute  sa  doctrine. 

Alors  l'empereur  fit  assembler  le  sénat,  les  officiers  militaires, 
le  patriarche  et  le  clergé  ;  on  lut  dans  cette  assemblée  l'écrit  qui 
contenait  la  doctrine  de  fasile  ;  il  ne  la  méconnut  point ,  il  ofiritde 
soutenir  tout  ce  qu'il  avait  dit ,  et  déclara  qu'il  était  prêt  à  souf- 
frir le  feu ,  les  tourmens  les  plus  cruels  et  la  mort  :  il  se  flattait 
que  les  anges  le  délivreraient. 

On  fit  tout  ce  qu'on  put  pour  le  détromper,  mais  inutilement  ; 
il  lut  condamné  au  feu. 

L'empereur  approuva  le  jugement ,  et,  après  avoir  fait  de  nou- 
veaux efforts  pour  le  gagner,  on  fit  allumer  un  grand  bûcher  au 
milieu  de  l'hippodrome  ;  on  planta  une  croix  de  l'autre  côté  ,  et 
l'on  dit  à  Basile  de  choisir  entre  la  croix  et  le  bûcher  ;  il  préféra 
le  bûcher. 

Le  peuple  demandait  qu'on  fît  subir  le  même  supplice  à  ses 
sectateurs;  mais  Alexis  les  fit  conduire  en  prison,  ou  quelques- 
uns  renoncèrent  à  Terreur  ;  il  y  en  eut  que  rien  ne  put  faire  chan^ 
ger  de  sentiment.  Il  n'est  pas  impossible  que  l'artifice  dont  l'em- 
pereur usa  avec  Basile ,  la  rigueur  avec  laquelle  il  fut  condamné 
et  exécuté ,  n'aient  contribué  à  l'opiniâtreté  de  ses  disciples ,  et 
il  n'est  pas  sûr  que  ceux  qui  abjurèrent  leurs  erreurs  les  aient 
abjurées  sincèrement. 

Un  professeur  de  Wittemberg  a  donné  une  histoire  des  Bogo- 
miles  en  1711  :  on  peut  voir,  sur  cette  secte,  Baronius,  Sponde, 
Eutymius,  Anne  Gomnène  ^. 

BONOSE ,  évêque  de  Sardique ,  attaquait,  comme  Jovinien,  la 
virginité  perpétuelle  de  la  sainte  Vierge ,  prétendant  qu'elle  avait 
eu  d'autres  enfans  après  Jésus-Christ,  dont  il  niait  même  la  divi- 

*  Eutymius,  Panopl.,  part,  2,  tit.  23.  Anne  Gomnène,  Baron,  et 
Spoude,  ad  an.  iliS. 


CAB  36$ 

e  Phoiio  ;  en  sorte  que  les  PLoliniens  furent  nnniméE 
depuis  Bonosiaques.  Il  fui  coadamné  dans  le  concile  de  C^ipoue , 
assemblé  peur  éteindre  le  schisme  d'Antiocbe. 
BROlîSiSTES.  branche  des  Presbyiiriens,  disciples  de  Brown. 

Voyei  PRESBITÉHEENS. 

IIUDOAS  s'appi'hit  aussi  Thérébinle  ;  Il  lut  le  mulire  de  Manés. 
Voffes  cet  article. 


CA.BALE,  ODptutût  Causale,  comme  on  l'écrit  en  hébreu,  sU 
(,iii6e  tradition:  dans  l'usai^e  ordinaire,  il  signiSe  l'art  de  cou- 
nnttre  et  d'exprimer  l'essence  et  les  opérations  de  l'Être  suprême, 
des  puissances  spirituelles  et  des  forces  naturelles,  et  de  déier- 
miiierleur  action  par  des  ligures  symboliques,  par  l'arrangement 
Je  l'alphabet ,  par  la  combinaison  des  nombres  ,  par  le  renvei 
ment  des  lettres  de  l'écriture  et  par  le  mojen  des  sens  cachés  que 
l'on  prétend  j  découvrir. 

Gimmenl  l'esprit  humain  est-il  arrivé  ï  ces  idées?  C'est 
qu'il  ne  faut  pas  chercher  chez  les  Cabalistes ,  et  c'est  ce  qui 
très-obscur  dans  les  auteurs  qui  oui  parlé  de  la  Cabale.  Sans  en- 
trei'  dans  ces  discussious ,  nous  allons  exposer  nos  conjectures  sur 
l'origine  de  la  Cabale  ;  nous  parlerons  ensuite  du  mélange  des 
[irincipes  de  la  Cabale  avec  les  principes  du  christianisme  pai 
les  premiers  hérétiques  et  dans  les  siècles  postérieurs. 

De  l'ûrigiat  de  la  Cabale. 

Je  crois  trouver  l'origine  de  la  Cabale  chez  les  Cbaldéens,  dans 
lu  philosophie  de  Pjibagore  et  dans  celle  de  Platon.  Les  hérésies 
des  trois  premiers  siècles  sont  en  grande  partie  nées  du  mélange 
de  CCS  dilférens  principes  avec  les  dogmes  du  christianisme.  Le 
développement  de  ces  principes  peut  être  agréable  â  ceux  qui 
Bndent  savoir  l'histoire  de  la  religion  et  celle  de  l'esprit  humain. 

^P  De  la  Cabale  iet  Chalàéeiii. 

Les  Clialdéens  avaient  conservé  la  croyance  d'ua  Être  suprême 
qui  «itistait  par  lui-même,  qui  avait  produit  le  monde  et  qui  le 
gouvernait. 
Bien  n'était  plus  intéressant  pour  la  curiosité  humaine  que  la 


^V  M«  CAB  

^^H  connainance  de  cei  Être  et  celle  des  lois  auxquelles  U  ttitt  » 
^^H  mis  le  monde  :  tes  Chaldëens  s'occupèrent  beaucoup  plus  de  ces 
^^H  '  objets  que  les  aulres  peuples ,  d^lermiaés  apparemmenl  par  la 
^^H  beauté  du  climat,  par  la  tranquîUiié  de  leur  vie  et  par  l'esp^e 
^^m  d'inquiétude  qui  Élève  l'esprit  humain  à  ces  objets,  et  dont  les 
^^M  côconstances  étouB'entou  d6ploient  l'activité, 
^^F  Ce  ne  fut  qu'avec  le  secours  de  l'imagination  qu'ils  entrepri- 

rent de  s'élever  k  ces  connaissances,  ou  plut6t  ce  fut  l'imagina- 
tiou  qui  construisit  le  système  de  U  tliéologieet  de  la  cosmogonie 


I 
I 


Comme  l'Être  suprême  était  la  source  de  l'existence  et  de  la 
fécondité,  les  OialdéeuG  crorent  qu'il  était  dans  l'univers  ii  peu 
près  ce  que  li  chaleur  du  soleil  était  par  rapport  à  la  terre;  ils 
se  représentèrent  doue  l'Être  suprême  comme  un  Teu  ou  comme 
une  lumière  ;  mais  comme  la  raison  ne  peroiettait  pas  de  regarder 
Dieu  comme  uo  être  matériel ,  ils  le  conçurent  comme  une  lumière 
inliniment  plus  brillante  ,  plus  active  et  plus  subtile  que  la  lu- 
mière du  soleil  :  c'est  ordinairement  ainsi  que  l'esprit  Lumain 
concilie  la  raison  et  l'imagina  lion. 

Lorsqu'une  fois  les  Cbaldéens  eurent  conçu  l'Être  suprême 
comme  une  lumière  qui  donnait  l'existence,  la  vie,  l'inieUigence 
i  tout,  ils  conçurent  la  création  du  monde  comme  une  émanation 
sortie  de  cette  lumière;  ces  émanations,  eu  s'éloignant  de  leur 
source,  avaient  perdu  de  leur  activité;  par  le  dècroisGemcnt  suc- 
cessirde  cette  activité,  elles  avaient  perdu  leur  légèreté;  elles 
s'étaient  condensées  ;  elles  avaient,  pour  ainsi  dire,  pesé  les  unes 
sur  les  aulres;  elles  étaient  devenues  matérielles,  et  avaient 
formé  toutes  les  espèces  d'êtres  que  le  monde  renferme. 

Ainsi ,  dans  le  système  des  Cliiildécns ,  le  principe  des  émana- 
tions, ou  l'intelligence  suprême  ,  était  environnée  d'une  lumière 
dont  l'éclat  et  la  pureté  surpassent  tout  ce  qu'on  peut  imaginer. 

L'espace  lumineux  qui  environne  le  principe  ou  la  source  des 
émanations  est  rempli  d'intelligences  pures  et  heureuses. 

Immédiatement  au-dessous  du  séjour  des  pures  intelligences 
commence  le  monde  corporel,  ou  i'enipjrée  :  c'est  un  espace  im- 
mense, éclairé  par  la  lumière  qui  sort  immédiatement  de  l'Être 
suprême;  cet  espace  est  rempli  d'un  feu  infiniment  moins  pur 
quels  lumière  primitive,  mais  inQ  ni  ment  plus  subtil  et  plus  raré- 
fié que  tout  le  ciirps. 

An-dessouï  dêl'empjpée,  c'est  l'éther,  on  un  grand  espace  reni- 


CAB  ! 

Tu^ea  plus  grossier  que  l'empyrée,  mais  que  le  feu  de  l'em- 
parée échaulïe. 

Après  l'éther,  sont  les  étoiles  fixes  répandues  dans  ud  espaça 
imnieose,  où  les  parties  les  plus  denses  du  feu  étliéré  se  sont  rap- 
procliées  el  ont  formé  les  étoiles. 

Le  monde  des  ptaiiëtea  suit  le  ciel  des  étoiles  fixes  ;  c'est  l'e^ 
pace  qui  renferme  le  soleil ,  la  lune  et  les  planètes. 

C'est  dans  cet  espace  que  se  trouve  b  dernier  ordre  des  êtrei, 
c'esl-îi-dire  la  matière,  qui  non-seulement   est  destituée  de  toute 
activité,  mais  encore  qui  se  refuse  aux  impressions  et  aux  a 
vemens  de  la  lumière. 

Il  j  avait  donc  entre  l'Être  suprême  et  les  êtres  qui  sont  si 
terre  une  cbalne  d'êtres  intermédiaires  ,  dont  les  perfections  dé- 
croissaient  S)  mesure  que  ces  êtres  étaient  éloignes  du  séjour  de 
r£tre  suprême. 
I  L'intelligence  suprême  aiaît  communiqué  aux  premières  éi 
I  Mitions,  dans  le  degré  le  plus  éminenl ,  l'intelligence ,  la  force  «t 
Ja  fécondité  :  toutes  les  autres  émanations  participaient  moin 
ee«  attributs  à  mesure  qu'elles  s'éloignaient  de  l'intelligence  su- 
prême. 

Comme  les  parties  lumineuses  sont  des  esprits  ,  dans  le  sys- 
tème des  émanations,  les  dilTérens  espaces  lumineux  qui  s'éteo- 
dciit  depuis  la  luue  jusqu'au  séjour  de  l'intelligence  suprême  si>Ht 
remplis  de  dilTérens  ordres  d'esprits. 

L'espace  qui  est  an-dessous  de  la  lune  éclaire  la  terre;  c'eat  \ 
donc  de  cet  espace  que  desceudeut  les  esprits  sur  la  terre. 

Ces  esprits,  avant  de  descendre  au-dessous  de  la  lune,  sont   | 
unis  i  un  corps  éthérien ,  qui  leur  sert  comme  de  véhicule ,  et  ptr   | 
le  mûjen  duquel  ces  esprits  peuvent  voir  et  connaître  les  objets 
que  renferme  le  monde  sublunaire. 

Selon  les  Cbaldéens,  les  âmes  humaines  n'étaient  que  ces  ec> 
prils  qui ,  avec  leurs  corps  éthériens ,  s'unissaient  au  fœtus  b»- 
main.  Le  dogme  de  la  métempsycose  était  une  suite  naturelle  d«    i 
ces  principes ,  et  l'on  supposa  que  les  &raes  uniesau  corps  LnraaÎB 
par  la  volonté  de  l'Être  suprême   j  rentraient  lorsqu'elles  I 
avaient  été  dégagées  par  la  mon. 

L'esprit  humain,  toujours  inquiet  sur  la  destination ,  rechercfai 
la  lin  que  l'Être  suprême  s'était  proposée  en  unissant  des  esprit! 
au  c«rps  humain  :  l'idée  de  la  bonté  de  l'Être  suprême  ,  U  beautA 
du  spectacle  de  Ut  nature ,  le  rapport  de  tout  ce  que  la  terre  pr«* 


368  CAB 

duit  a?ec  le  plaisir  de  riiomme ,  firent  juger  que  Tàme  était  anie 
au  corps  afin  de  la  rendre  heureuse  par  cette  union  ;  et  comme  on 
supposait  la  matière  sans  activité  et  absolument  incapable  de  se 
mouvoir  elle-même,  la  formation  du  corps  humain ,  la  productioa 
des  fruits ,  tous  les  dons  de  la  nature  furent  attribués  à  des  es- 
prits bienfaisans  :  c*étaient  ces  esprits  qui  faisaient  parcourir  au 
soleil  sa  carrière,  qui  répandaient  la  pluie,  qui  fécondaient  It 
terre ,  et  Ton  attribua  à  ces  génies  des  fonctions  et  des  forces  dif- 
férentes. 

Dans  cet  espace  même  qui  est  au-dessous  de  la  lune,  au  mi- 
lieu de  la  nuit  on  voyait  se  former  des  orages,  les  éclairs  sor- 
taient de  Tobscurité  des  nuages,  la  foudre  éclatait  et  désolait  la 
terre  ;  on  jugea  qu*il  y  avait  des  esprits  ténébreux,  des  démons 
matériels  répandus  dans  Tair. 

Souvent  du  sein  de  la  terre  où  tout  est  ténébreux  on  voyait 
sortir  des  flots  de  feu  ;  la  terre  était  ébranlée  par  les  volcans  !  on 
supposa  des  puissances  terrestres  ou  des  démons  dans  le  centre 
de  la  terre;  et  comme  on  supposait  la  matière  sans  activité  et  in- 
capable de  se  mouvoir  par  elle-même,  tous  les  mouvemens  des 
corps,  tous  les  phénomènes  furent  attribués  à  des  génies. 

Les  tonnerres,  les  volcans,  les  orages  semblaient  destinés  à 
troubler  le  bonheur  des  hommes  :  on  crut  que  les  démons  qui 
les  produisaient  étaient  malfaisans  et  haïssaient  les  hommes  ;  on 
leur  attribua  tous  les  évènemens  malheureux,  et  Ton  imagina  une 
espèce  de  hiérarchie  dans  les  mauvais  génies,  semblable  à  celle 
qu'on  avait  supposée  pour  les  bons. 

Mais  pourquoi  Tintelligence  suprême,  qui  était  essentiellement 
lK)nne,  n*accablait-elle  pas  du  poids  de  sa  puissance  cette  foule  de 
génies  malfaisans? 

Les  uus  crurent  qu'il  n'était  pas  de  la  dignité  de  Tintelligence 
suprême  de  lutter  elle-même  contre  ces  génies,  et  qu'elle  en  avait 
remis  le  soin  aux  génies  bienfaisans  ;  les  autres  crurent  que  ces 
génies,  méchans  par  leur  nature,  étaient  indestructibles,  et  que 
l'intelligence  suprême,  ne  pouvant  ni  les  anéantir  ni  les  corri- 
ger, les  avait  relégués  au  centre  de  la  terre  et  dans  l'espace  qui 
est  au-dessous  de  la  lune,  où  ils  exerçaient  leur  empire  et  leur 
méchanceté  ;  que,  pour  soutenir  le  genre  humain  contre  des  en- 
nemis si  dangereux,  si  nombreux  et  si  redoutables,  l'intelligence 
suprême  envoyait  dans  le  monde  terrestre  des  esprits  bienfaisans 
qui  défendaient  sans  cesse  les  hommes  contrôles  démons  matériels. 


CAB  360 

I.es  bons  et  les  niauTsia  génies  avaient  des  funcliuDS  par- 
ticulières el  des  degrés  différens  de  iioissanw  ;  on  leur 
donn»  des  noms  qui  ex  primai  en  l  luurs  fonclloas  et  leurs  puia- 
sanees. 

Puisque  les  esprits  bienraisans  étalent  chargés  de  proléger  les 
hommes  et  de  les  secourir  dau^i  leurs  besoins,  il  fallait  bien  qu'ils 
entendissent  le  langage  des  hommes,  aèa  de  les  secourir  lors- 
qu'ils seraient  appelés.  On  crut  que  les  hommes  avaient  des  gé- 
nies protecteurs  contre  tous  lus  njalheurs,  et  que  chaque  génii; 
avait  son  nom  qu'il suCTisait  de  prononcer  pour  leur  faire  connal' 
Ire  le  besoin  que  l'on  avait  de  leur  secours  ;  ei  pour  l'obtenir  on 
rechercha  les  noms  qui  pouvaient  convenir  aux  génies  bienlui- 
ssats  et  leur  faire  connaître  les  besoins  des  hommes;  et,  comme 
les  noms  ue  sont  que  des  combinaisons  des  letii'es  de  l'alpbabel, 
on  crut,  en  combinant  différemment  ces  lettres,  trouver  les  noms 
des  génies  dont  ou  avait  besoin.  La  prononciation  du  nom  du  gé- 
nie dont  on  avait  besoin  l'iaii  une  espace  d'évocation  ou  de  prif^re 
i  laquelle  on  croyait  que  te  génie  ne  pouvait  résigier  :  el  loiti 
l'origine  de  la  Cabale,  qui  attribuait  à  des  noms  bizarres  la  vertu 
de  faire  venir  les  géulcs,  d'être  en  commerce  avec  eux  et  d'opé- 
rer des  prodiges. 

Ces  mêmes  noms  servaient  quelquefois  k  chasser  les  génies  mal- 
faisans: c'êtaientdesespècesd'exorcismes;  car  oncrojaitqae  ces 
génies  étaient  reloués  dans  le  centre  de  la  terre,  et  qu'ils  ue  fai- 
saient du  mal  que  parce  qu'ils  avalent  Iromjié  la  ligtlanGe  des 
génies  destinés  ïlestenlr  renfermés,  el  s'étalent  échappés  dansVat- 
nosphitre.  On  croyait  que  ces  génies  malfaisaus  ,  lorsqu'ils  enleu- 
daienl  prononcer  le  nom  des  génies  qui  les  tenaient  renfermés 
dans  le  centre  de  la  terre,  s'enfuyaient,  à  peu  près  comme  un  pri- 
sonnier échappé  qui  entend  appeler  ta  garde. 

Comme  on  avait  supposé  dans  le  nom  des  génies ,  ou  dans  les 
signes  qui  exprimaient  leur  l'onction  ,  une  vertu  ou  une  force  qui 
les  obligeait  !i  se  rendre  auprès  des  hommes  qui  les  invoquaient, 
on  cmt  que  le  nom  ou  le  signe  du  génie,  gravé  ou  écrit,  Ëierait, 
pour  ainsi  dire,  le  génie  auprès  de  celui  qui  le  porterait ,  el  o'tHl 
apparemment  l'origine  des  talismans  faits  avec  des  mots  gravés 
ou  avec  des  figures  symboliques. 

Toutes  ces  pratiques  étaient  en    usage  chez  les  Chaldécns 

M  chez  presque  tous  les  Orieutaua  ;    tous  les  monnmcns  de 

H  histoire  de  leur  ibéulogie  <?t  de  leur  iiliilusophie  ]':illeâteut  ot 


CAB 

s  coajectares  sDr  l'origine  de  la  Ca- 


De  la  Cabote  nie  de»  prineipet  4e  Pylbagore. 

Les  philosophes  grecs  nevirent,  pour  la  plupart,  que  dumou- 
remcDt  et  de  la  maliËre  dana  les  phénomènes  que  les  Chaldéens 
attribuaieot  i  des  génies. 

Pjlhagore  reconnal  ,  comine  les  Clialiléens  ses  maîtres ,  l'eiis- 
ence  d'une  inlellîgeace  suprême  qui  avait  formé  le  monde  :  ce  phi- 
losophe pensait  que  l'ordre,  la  régularité ,  l'harmonie  qu'il  dé- 
couvrait dans  le  monde ,  De  pouvait  naître  du  mouvemeot  de  la 
matière;  il  admit  donc  dans  le  monde  une  tnlelligoDcequi  en  avait 
arrangé  les  parties  ;  tons  les  phcnomèncf  de  la  nature  lui  parurent 
suites  des  lois  établies  par  l'intelligence  suprême  pour  la  dis- 
miou  des  mouvemeas  ,  et  les  génies  des  Chaldéens  ilisparu- 
reat  k  ses  jeux  :  il  ne  vit  dans  la  nature  qu'une  intelligenee  8u~ 
préme,  de  la  matière,  du  mouvement. 

.u  milieu  du  magnifique  spectacle  de  la  nature ,  il  aperçut  des 
irrégularités,  des  désordres  qu'on  ne  pouvait  attribuer  à  l'intelli- 
gence suprême,  puisqu'elle  aimait  l'ordre  et  l'harmoDie;  il  en  con- 
clut que  les  désordres  étaient  produits  par  le  mouvement  de  la 
matière  que  l'intelligence  suprême  ne  pouvait  arrêter  ou  diriger^ 
il  en  coDclnt  que  l'intelligence  productrice  du  monde  n'était  pas 
le  principe  du  mouvement ,  et  il  admît  dans  la  nature  de  la  ma- 
tière une  force  motrice  qui  l'agitait ,  et  une  inlelligence  qui  n'a- 
vait produit  ni  la  matière ,  ni  le  mouvement ,  mais  qui  détermi- 
nait la  force  motrice,  et  qui ,  piir  ce  moyen,  avait  formé  les  corps 
et  le  monde. 

Ce  philosophe  voulut  connaître  les  lois  que  l'intelligence  pro- 
ductrice du  monde  suivait  dans  la  disirihution  des  n 
il  vit  que,  sur  la  terre,  la  régularité  des  corps  et  desphéno 
dépendait  des  rapports  qu'avaient  entre  eux  les  mouvcmens  qui 
concouraient  ï  leur  production  ;  il  porta  les  yeux  vers  le  ciel ,  il 
découvrit  que  les  corps  célestes  étaient  placés  il  des  dislances  dif- 
férentes, et  qu'ils  faisaient  leurs  révolutions  en  des  temps  diÏÏérens 

'  Foï« l'Hist,  delà  philosophie  orientale, par  Stanley;  leCommen- 
tan^philolofciquc  de  M.  le  Clerc,  dans  le  second  volume  de  sa  Philoso- 
phie.   Paaii  Berger!  Cabalismus  judalco-christianus.    Willember^v, 


CAB  271 

et  proportionnés  k  leur  dislaace  :  il  conclut  de  ces  observations 
que  l'urdre  et  l'harmonie  di?pendaienl  des  rapports  des  mouve- 
mens  et  des  distances  des  corps  ;  c'était  donc ,  selon  Pjthagore , 
la  connaissance  de  ces  rapports  qui  avait  dirigé  l'intelligence 
productrice  du  inonde  dans  la  distribution  des  mouvemeus. 

La  distanceetle  mouvement  sont  des  grandeurs  ;  ces  grandeurs 
ont  des  parties ,  et  les  plus  grandes  ne  sont  qae  les  plus  petites 
multipliées  un  certain  nombre  de  Tois. 

Ainsi  les  dislances,  les  mouvemeus  des  corps  célestes ,  les  rap- 
ports des  mouvemeus  qui  devaient  concourir  à  la  production  des 
animaux  ou  des  plantes  et  mettre  de  la  proportion  entre  leurs 
parties,  s'exprimaient  par  des  nombres,  et  l'iotelligence  suprême, 
avant  b  production  du  monde,  ne  les  connaissait  que  par  des  nom- 
bres purement  intelligibles. 

C'est ,  selon  Pylhagore ,  sur  le  rapport  que  l'inlelllgence  aper- 
cevait entre  ces  nombres  intelligibles  qu'elle  avait  formé  et  eié- 
en  lé  le  plan  du  monde. 

Les  rapports  des  nombres  ne  sont  point  arbitraires  ;  le  rapport 
d'égalité  entre  deux  fois  deux  et  quatre  est  nécessaire ,  indépen- 
dant, immuable. 

Puisque  les  rapports  des  nonibres  ne  sont  point  arbitraires  el 
que  l'ordre  des  productions  de  t'inlelligence  suprême  dépend  du 
rapport  qui  est  entre  les  nombres,  il  est  clair  qu'il  y  a  des  nom- 
bres qui  ont  un  rapport  essentiel  avec  l'ordre  et  l'barmonie ,  et 
que  l'intelligence  suprême ,  qui  aime  l'ordre  ,  suit ,  dans  la  dis- 
tribution des  mouvemeus ,  les  rapports  de  ces  nombres  etne  peut 

La  connaissance  de  ces  rapports,  ou  ces  rapports  étaient  donc  la 
loi  qui  dirigeait  l'inlelligence  suprême  dans  ses  productions;  et 
comme  ces  rapports  s'exprimaient  eux-mCmes  par  des  nombres , 
on  supposa  dans  les  nombres  une  force  ou  une  puissance  capable 
de  déterminer  l'intelligence  suprême  h  produire  certains  effets 
plutôt  qued'aulres.  D'après  ces  idées,  on  rechercha  quels  étaient 
les  nombres  qui  plaisaient  davantage  !l  l'Être  suprême  ;  et  voilà 
une  espèce  de  Cabale  arithmétique  née  des  principes  de  la  philo- 
Sophie  pythagoricienne  '. 


I 


t  Vayti  Laért.,  I,   8.  Siotiée,  Ecolog.  physic,    c  I.  Jambl., 
aijsièT.  Tbéodoreti  To-ap.,  1. 11.  Eianuen  du  fatalisme,  t.  1,  A  l'ai 
la  |itiîloKiplue  pjlliagcincieune. 


Des 


J7J  CAB 

Delà  Cabale  née  des  principes  de  la  phUoêophU  ie  Flakm, 

,  PlalOQ  crut  qu*il  y  avait  un  Dieu  suprême,  spirituel  et  inYÎsible, 
qu*il  appelait  Têtre  même ,  le  bien  mêmey  le  père  et  la. cause  de 
toutes  choses. 

11  plaçait  sous  ce  Dieu  suprême  un  être  inférieur  qu'il  appelait 
la  raison,  le  conducteur  des  choses  présentes  et  futures,  le  créa- 
teur de  Tûnivers ,  etc.  Enfin  il  reconnaissait  un  troisième  être , 
qu*il  appelait  Tesprit  ou  Tâme  du  monde  :  il  ajoutait  que  le  premier 
était  le  Père  du  second  et  que  le  second  avait  produit  le  troisième  *. 

Le  Dieu  suprême  était  placé  au  centre  du  monde  :  tout  est ,  ^ 
sait'il,  autour  du  roi  de  toutes  choses ,  et  tout  est  à  cause  de  lui  ; 
il  est  la  cause  de  tous  les  biens  ;  les  choses  du  second  ordre  soiit 
autour  du  second  ;  les  choses  du  troisième  sont  autour  du  troi- 
sième. 

Le  créateur,  selon  Platon ,  avait  formé  le  monde  très-parfait, 
en  unissant  une  nature  corporelle  et  une  créature  incorpordie. 

Platon  distinguait  trois  parties  dans  le  monde  :  il  plaçait  dans  la 
première  les  êtres  célestes  et  les  dieux  ;  les  intelligences  éthé- 
riennes  et  les  bons  démons,  qui  sont  les  interprètes  et  les  messa- 
gers des  choses  qui  regardent  le  bien  des  hommes ,  étaient  dans 
la  seconde  ;  enfin  la  troisième  partie  du  monde ,  ou  la  partie  infé- 
rieure du  monde»  renfermait  les  intelligences  terrestres  et  les  âmes 
des  hommes  immortels. 

Les  êtres  supérieurs  gouvernaient  les  inférieurs  ;  mais  Dieu,  qui 
en  est  le  créateur  et  le  père,  règne  sur  tous ,  et  cet  empire  pater- 
nel n*est  autre  chose  que  sa  providence ,  par  laquelle  il  donne  à 
chaque  être  ce  qui  lui  appartient  ^. 

Les  différens  ordres  des  esprits  que  le  monde  renferme  sont 
donc  unis  ;  et  voici  comment  la  philosophie  platonicienne  expli- 
quait leur  union:  les  divisions  du  second  ordre  se  tournaient  vers 
les  premières  intelligences ,  alors  les  premières  intelligences  don- 
naient aux  secondes  la  même  essence  et  la  même  puissance  qu'el- 
les avaient  ;  c'était  par  ce  moyen  que  Tunion  s'entretenait  entre 
les  différons  ordres  d'esprits  que  l'Être  suprême  avait  produits  ^. 

^  Voyez  son  Timée,  sa  seconde  et  sa  sixième  lettre. 

2  Hierocles,  De  providentiâ  apud  Photium. 

'  Jambl.,  De  myster.  i£gypt,  sect,  i,  c.  19.  Ce  n'est  pas  ici  le  sys- 
tème pur  de  Platon,  qui  peut-être  n*en  avait  point;  mais  c'est  le  sen- 
timent auquel  il  parait  avoir  donné  la  préférence  et  auquel  ou  avait 


GAB  2TZ 

Ainsi,  dans  les  principes  de  la  philosophie  platonicienne,  l'es- 
prit humnln  pouvait,  parson  union  aui  différens  ordres  d'csprils, 
s'élever  à  la  plus  haute  perfecliou,  et  il  n'élait  pas  possible  qu'on 
ne  cherchât  avec  ardeur  les  mojeos  de  parvenir  h  celle  union  : 
voilà  donc  encore  une  espace  de  Cabale  qui  devait  naRre  de  la 
philosophie  platonicienne. 

De  l'union  detpriacipet  de  la  Cabale  avec  le  Chritlianitme. 

La  doctrine  desChaldéens  sur  l'origine  du  monde,  surlesdieui, 
sur  les  génies  ;  leur  astrologie  ,  leur  magie  s'étaient  répandues 
dans  tout  l'Orient  ;  elles  avaient  pénétré  chezies  Juifs  et  chez  les 
Samaritains  ;  les  bgypliens  avaient  une  partie  de  leurs  opinions 
et  de  leurs  pratiques. 

Ainsi,  lorsqu' Alexandre  et  ses  successeurs  portèrent  en  Ëgjpte 
et  en  S^^rie  tes  sciences  des  Grecs  ,  les  esprits  étaient  disposés  à 
recevoir  les  idées  de  Pjthagore  et  de  Platon  ,  qui  s'accordaient 
mieni  avec  la  théologie  chaldêenne  et  égyptienne  que  le  syslèmc 
des  autres  philosophes  grecs. 

La  philosophie  de  Pjibagore,  tombée  dansl'oubli  chez  les  Grecs, 
reparut  donc  en  Égjpte  et  dans  l'Orient;  avant  la  naissance  du 
Christianisme ,  on  allia  les  seotimens  de  Pjlhagore  avec  ceux  de 
Platon  ,  et  des  principes  de  ces  deux  philosophes  on  Tonna  un 
sjstème  de  philosophie  et  de  théologie  qui  l'emporta  sur  tous  les 
autres  systèmes  ;  ainsi  la  doctrine  des  génies,  le  système  des  éma- 
nations, l'art  de  commander  aui  génies,  la  science  des  propriétés 
et  des  vertus  des  nombres,  aussi  bien  que  la  magie  ,  étaient  Tort 
en  vogne  dans  l'Orient  â  la  naissance  du  christianisme. 

La  religion  chrétienne  éclairait  l'esprit  humain  sur  les  diflicul- 
lés  dont  il  cherchait  la  solution  dans  les  systèmes  des  philoso- 
phes; elle  apprenait  aui  hommes  qu'un  Etre  tout-puissant  et  sou- 
verainement parrait  avait  produit  tout  par  sa  volonté  ;  qu'il 
avait  voulu  que  le  monde  fût,  et  que  le  monde  avait  existé  ;  qu'il 
j  avait  dans  cet  Être  suprême  trois  personnes  ;  qne  l'homme  avait 
été  créé  innocent ,  qu'il  avait  désobéi  à  Dieu,  et  que  par  sa  déso- 
bëissaiice  il  était  devenu  coupable  et  malheureux  ;  que  son  crime 
et  son  malheur  se  transmettaient  â  sa  postérité  ;  qu'une  des  per- 
sonnes  divines  s'était  unie  à  rtinmanité ,  qu'elle  avait  satisfait 

■jouté  des  idées  étrangères.  Fcyc:  l'Eiameu  du  fatalisme,  sur  la  philo- 


S74  CAB 

&  la  juBlice  divineet  réconcilié  les  liommes  avec  Dieu  ;  qn'uiu  té- 
lieilé  élernelle  était  préparée  aux  hommes  qui  proâieraicot  des 
grâces  du  ftédeaipleur  et  qui  pratique  raient  lea  vertus  dont  il 
était  veau  donner  l'eiempte  sur  la  terre. 

Ces  vérités  étaient  annoncées  et  prouvées  par  les  ap6tres  et 
coniirinées  par  les  miracles  les  plus  éclatans  et  les  plus  certains. 

Les  philosophes  platoniciens  et  pythagoriciens ,  dont  les  prin- 
eipes  avaîeoi  plus  d'analogie  avec  les  dogmes  de  la  religion  chré- 
tienne ,  embrassèrent  le  cliristianisme. 

Hais  la  religion  chrétienne,  en  instruisant  solidement  l'hotume 
sur  tout  ce  qu'il  lui  est  essentiel  de  eonnaitre  pour  éire  vertueux 
et  pour  mériter  le  bonheur  éternel ,  garde  le  silence  sur  tous  les 
objets  qui  ne  peuvenl  qu'intéresser  la  curiosité  ou  satisfaire  la 
vanité.  Elle  n'explique  point  comment  Dieu  a  tout  produit  par  sa 
bonté,  elle  ne  nous  donne  point  d'Idée  de  la  création  ,  et  nous 
ne  pouvons  l'imaginer,  quoique  la  raison  en  voie  clairement  la 
vérité;  la  religion  ne  nous  dit  point  pourquoi  ni  comment  Dieu  a 
créé  le  monde  tel  qu'il  est,  pourquoi  il  y  a  des  imperfections, 
t  il  le  conserve,  comment  il  unit  l'âme  ao  corps  hu- 


La  curiosité  inquiète  voulut  connaître  tous  ces  objets  et  former 
des  systèmes  pour  expliquer  tout  ce  que  la  révélation  n'éclaircis- 
sait  pas.  Les  philosophes  convertis  expliquèrent  donc  les  dogmes 
du  christianisme  par  les  principes  dont  ils  étaient  préoueupési,  et 
de  M  naquirent,  pendant  les  trois  premiers  siècles,  presque 
toutes  les  hérésies. 

Les  philosophes  platoniciens  et  pythagoriciens  voulurent  donc 
allier  les  dogmes  du  christianisme  avec  le  syslème  des  émanations 
et  avec  les  principes  de  la  (^bale  que  nous  avons  exposés  :  tels 
furent  les  Gnosliques ,  Basilide ,  Saturnin ,  Valeutiu ,  Marc ,  Ëu- 
phrate ,  dont  nous  avons  exposé  les  principes  dans  leurs  articles. 

I^s  Juifs  adoptèrent  aussi  les  principes  de  la  Cabale.  Nous 
n'entreprendrons  point  de  fixer  l'origine  de  cet  art  chezeux,mais 
il  est  certain  qu'ils  s'y  appliquèrent  beaucoup  et  qu'ils  préten- 
dirent trouver  dans  les  diOérens  arrangemens  des  lettres  de  l'al- 
phabet hébreu  de  grands  mystères  ;  il  y  en  avait  qui  adoptaient 
le  système  des  émanations ,  et  ils  le  déguisèrent  sous  le  nom  des 
Séphirots  ',  qui  ne  diffèrent  point  en  effet  des  Eons  des  Valenti- 

*  Les  Séphirois  sont  ta  partie  la  jilus  considérable  de  la  Cabale»  J| 


CAS  aie 

I.  lit  (tiétndireiit  mâme  doDUM  ï  ces  cannaissBnces  une  ori- 
gine divine ,  et  appuyèrent  toutes  leurs  opinions  sur  des  Autorités 
qui  reraonlaienl  k  Moïse  ou  même  à  Adam ,  el  c'est  apparemment 
de  là  qu'est  venu  le  mol  de  Cabale,  qui  signilie  tradition.  Il  est 
certain  que  les  Juifs  avaient  une  Iradition ,  mais  il  n'est  pas  moins 
certain  que  les  Cabalistes  ne  l'ont  point  suivie,  ou  qu'ils  l'ont 
tellement  défigurée  que  la  Cabale  des  Juifs  ne  peut  être  d'au- 
cune utilité;  leurs  écrivains  sont  d'une  obscurité  impénétrable, 
et  les  explications  philosophiques  qu'un  en  donne  ne  contiennent 
rien  que  de  trivial  et  qu'on  ne  sache  mieni  d'ailleurs.  Nous 
nous  contenterons  d'indiquer  les  auteurs  qui  en  ont  traité  '. 

Après  la  prise  de  Constant!  no  pie  par  les  Turcs,  les  Grecs  ap- 
portèrent en  Occident  la  philosophie  de  Platon ,  d'Aristoie  et  de 
Pjthagore  :  on  emprunta  des  Sarrasins  des  commentateurs  pour 
les  éclaircir,  et  les  Sarrasins  ,  qui  avaient  reçu  en  grande  partie 
les  sciences  des  philosophes  d'Orieot  et  d'Alexandrie ,  firent  pas- 
ser en  Occident  la  philosophie  de  Platon  et  celle  de  Pjlhagore 
unies  ensemble  el  chargées  d'Idées  éiran{;ères  et  de  pratiques  su- 
{lerslt  lieuses. 

On  n'étudia  pas  les  langues  avec  moins  d'ardeur  que  la  philo- 
sophie :  on  apprit  le  grec,  l'arabe,  l'hébreu ,  et  il  j  eut  des  savans 
qui  prirent  insensiblement  les  idées  des  philosophes  grecs,  arabes 
ou  juifs ,  et  qni  adoptèrent  leurs  idées  cabalistiques  :  tels  lurent 
Reuchlin,  Pic  delà  Mirandole,  George  de  Venise,  Agrippa,  qui 
renouvelèrent  le  système  des  émanations  et  les  rêveries  de  Jo 
Cabale*. 

en  1  dix  :  on  les  représente  queltiueTois  sous  la  figure  d'un  arbre,  parce 
que  quelques-uns  sont  comme  la  racine,  et  les  antres  comme  autant  de 
brtnches  qui  en  naissent  :  ces  dii  Sèpliirols  sont  ta  Couronne,  la  Sa- 
gesse, rintelligence,  la  Force  ou  la  Sévérité,  la  Miséricorde  ouIsMagni- 
Hcence.  la  Beauté,  la  Victoire,  la  Gloire,  le  Fondement,  le  Royaume. 

'  Basnagc,  Hist,  des  Juifs,  t,  S.  Buddaius,  Introducl.  ad  philos.  He- 
braorum.  Loiius  Biga,  Disserl.,  in-d",  170&  Jnannis  Chrlstoph.  Wallii 
Bibliol.  hebnua,  part,  3;  Hamburg.,  in-A',  1731.  Jacobi  RheuTordii 
opéra  phiiulDgica;  Ullrajccl.,  4TS3,  'ui-U°,  Pauli  Berger]  CabatiBm.ju- 
dalco-christianus  ;  Wiltemberg,  17Q7,  iU'4°.  Mém.  de  l'Acad.  des  li^ 
scripL,  t.  9,  p.  37.  Bnicker,  Hist.  philos.,  t.  S. 

1  Joan,  Picî  Mirand.  (^nduaones  cabatistics,  71,  secnndiïm  opinio- 
nem  propriam,  ei  ipsis  Hrhneonim  sapicnt.  fundameotis  cliristianam 
j^i^  confirmoutcs,  Kcuchlin,  De  arte  cabalisticS,  De  vctho  mirifico. 


276  CAI 

Enfin  f  dans  le  dix-septième  siècle ,  il  s^alluma  dans  rAllemagnè 
et  en  Angleterre  une  ardeur  extraordinaire  pour  la  connaissance 
des  langues  orientales  et  pour  le  Rabbinisme.  Gomme  presque 
tous  les  Rabbins  ont  quelque  teinture  de  la  Cabale,  les  auteurs 
qui  les  lurent  adoptèrent  leurs  idées ,  et  il  se  trouva  en  Angle- 
terre et  en  Allemagne  des  savans  qui  firent  des  efibrts  incroyables 
pour  rétablir  la  Cabale  et  pour  trouver  tous  les  dogmes  de  la  re- 
ligion cbrétienne  dans  les  principes  de  la  Cabale  ;  plusieurs  de 
leurs  ouvrages  sont  le  fruit  d'une  érudition  immense  :  tels  furent 
Marc ,  Morus ,  peut-être  Cudworlh ,  Knorius ,  Tauteur  du  livre  in- 
titulé Cabala  denudata,  dans  lequel  on  emploie  une  érudition 
prodigieuse  ;  enfin ,  un  Allemand  nommé  Jonas  Scharroius  écri- 
vit, au  commencement  du  dix- huitième  siècle,  en  faveur  de  la 
Cabale ,  et  prétendit  trouver  une  conformité  parfaite  entre  la  Ca- 
bale, la  philosophie  péripatéticienne  et  la  religion  chrétienne  '. 
Les  principes  des  Cabalistes  modernes  sont  peu'différens  de 
ceux  que  nous  avons  exposés  en  parlant  de  Torigine  de  la  Cabale  ; 
à  regard  de  l'application  qu'ils  font  de  ces  principes  ,  quoiqu'elle 
soit  différente  pour  les  détails  ,  elle  est  cependant  la  même  pour 
le  fond  :  les  explications  de  ces  principes  et  les  conséquences  que 
Ton  en  peut  tirer  sont  si  arbitraires,  et  la  méthode  des  Cabalistes 
est  si  obscure  qu'il  est  également  inutile  et  impossible  de  suivre 
Tcspril  humain  dans  ce  labyrinthe  d'erreurs ,  d'idées  folles  et  de 
pratiques  ridicules ,  parce  qu'elles  ne  tiennent  ordinairement,  ou 
])lutôt  jamais  ,  à  rien  de  raisonnable  ou  d'ingénieux.  Nous  avons 
cilé  les  auteurs  où  l'on  pourra  s'en  convaincre. 

CAINITES  ,  hérétiques  ainsi  nommés  à  cause  de  la  vénération 
(fu'ils  avaient  pour  Caïn  ;  ils  parurent  vers  l'an  159  :  voici  l'origine 
(le  cette  vénération. 

Pendant  le  premier  siècle  et  au  commencement  du  second  ^  on 

s'était  beaucoup  occupé  à  éclaircir  l'histoire  de  la  création  et  à 

expliquer  l'origine  du  mal  ;  on  avait  adopté  tantôt  le  système  des 

émanations,  tantôt  celui  des  deux  principes. 

Quelque  peu  fondée  que  soit  une  hypothèse ,  elle  devient  în- 

Georg.  Venetus,  Deharmoniâtotiusmundi  ;  Promptuarium  rerumtheo- 
log.  Agrippa,  De  occulta  phil.  Voyez  Bruckcr,  Hist.  pliîlos.,  t  4,  pé- 
riod.  2, 1.  2,  part.  1,  c.  A. 

*  Jonae  Conrad!  Scharmii  Inlroductio  in  dialcctiçam  Cabalaeorum  j 
Brunsvigx,  1703,  in-8». 


^  failli 


CAI 

iblement  un  principe  dans  l'esprit  de  beaucoup  de 


l'udoplent  :  on  ne  s'occupe  plus  alors  ï  la  prouver  ou  i  l'êlayer, 
OD  l'emploie  comme  une  lériié  roudamenlalc  pour  expliquer  les 
pliéaainèaes. 

Le  sjslËme  des  émanalions  eL  celui  qui  supposait  un  bon  et  un 
mauvais  principe  passèrent  dans  beaucoup  d'esprits  pour  des  vé' 
rites  incontestables  d'où  l'on  partit  pour  expliquer  les  phéno- 
mènes ,  et  chacun  se  crut  en  droit  de  supposer  plus  ou  moins  de 
génies  ou  de  principes ,  et  de  mettre  duns  leurs  productions,  dans 
leur  puissance  et  dans  leur  manière  d'agir  toutes  les  différences 
qui  lui  paraissaient  nécessaires  pour  expliquer  le  phénomène  qui 
le  frappait  le  plus  ou  que  l'on  avait  négligé  d'expliquer, 

La  plupart  des  sectes  qui  avaicjU  précédé  les  Caînites  avaient 
expliqué  l'origine  du  bien,  et  du  mal  en  supposant  une  intelli- 
gence  bJenraisante  qui  tirait  de  son  sein  des  esprits  heureux  et 
iiinocens,  mais  qui  étaient  emprisonnés  dans  des  organes  maté- 
riels par  le  créateur,  qui  était  malfaisant. 

Ils  n'avaient  point  expliqué  d'une  manière  satisfaisante  pour 
tout  le  monde  d'ob  venait  li  différence  qu'on  observait  dans  les 
esprits  des  liommcs;  ainsi,  parmi  les  sectateurs  du  système  des 
deux  principes,  il  y  eut  quelqu'un  qui  entreprit  d'expliquer  la 
diirérence  des  esprits  et  des  caraclèrea  des  bommes  :  il  supposa 
que  ces  deux  principes  ou  ces  deux  pu'issances  avaient  produit , 
Adam  et  Eve  ;  que  chacun  de  ces  principes  avait  ensuite  pris 
un  corps  et  avait  eu  commerce  avec  Eve  ;  que  les  enfans  qui 
étaient  nés  de  ce  commerce  avaient  chacun  le  caractère  de  la  puis-, 
siince  ï  laquelle  ils  devaient  la  vie  :  ils  expliquaient  par  ce  mojen 
ladilTérencedu  caractère  de  Caïnetd'Âbel,etde  tous  les  hommes. 
Comme  A.bel  avait  marqué  beaucoup  de  soumission  au  Dieu 
créateur  de  la  terre,  ils  le  regardaient  comme  l'ouvrage  d'un 
Dieu  qu'ils  appelaient  Histére. 

Caïn,  au  contraire,  qui  avait  lue  Abel  parce  qu'il  servait  le 
Dieu  créateur,  était  l'ouvrage  de  la  sagesse  et  du  principe  supé- 
rieur  ;  ainsi  Caîn  était ,  selon  eux ,  le  premier  des  sages  et  le  pre- 
mier objet  de  leur  vénération. 

Par  une  suite  naturelle  de  leur  principe  fondamental,  ils  hono- 
raient tous  ceux  qui  étaient  condamnés  dans  l'ancien  Testament , 
Caïn ,  fîsaû  ,  Coré ,  les  Sodomiles ,  qu'ils  regardaient  comme  des 
enfans  de  la  sagesse  et  des  ennemis  du  principe  créateur.  Par  une 
suite  de  leur  principe  ft^damental ,  ils  lionorairnt  Judas.  Judas , 
■  I.  S4 


1 


2TS  CAL 

sekMd  les  Caînites,  sayait  seal  le  mystère  delà  création  des  honiineSy 
et  c'était  pour  cela  qu*il  avait  livré  Jésus-Ghrist ,  soit  qu*il  s'a- 
perçût, disaient  ces  impies ,  qu'il  voulait  anéantir  la  vertu  et  les 
sentimens  de  courage  qui  font  que  les  hommes  combattent  le 
créateur,  soit  pour  procurer  aux  hommes  les  grands  biens  que  la 
mort  de  Jésus-Christ  leur  a  apportés  et  que  les  puissances  amies 
du  créateur  voulaient  empêcher  en  s'opposant  à  ce  qu'il  mourût  : 
aussi  ces  hérétiques  louaient  Judas  comme  un  homme  admirable 
et  lui  rendaient  des  actions  de  grâces^. 

Ils  prétendaient  que,  pour  être  sauvé,  il  fallait  faire  tontes 
sortes  d'actions ,  et  ils  mettaient  la  perfection  de  la  raison  à 
commettre  hardiment  toutes  les  infamies  imaginables  ;  ils  disaient 
que  chacune  des  actions  infômes  avait  un  ange  tutélaire ,  et  ils 
invoquaient  cet  ange  en  la  commettant'. 

Les  Caînites  avaient  des  livres  apocryphes,  comme  l'évangile  de 
Judas,  quelques  autres  écrits  faits  pour  exhorter  à  détruire  les  ou- 
vrages du  Créateur,  un  autre  écrit  intitulé  l'Ascension  de  saint 
Paul  ;  il  s'agit  dans  ce  livre  du  ravissement  de  cet  apôtre,  et  les 
CaTnites  y  avaient  mis  des  choses  horribles. 

Une  femme  de  cette  secte,  nommée  Quintille,  étant  venue  en 
Afrique  du  temps  de  Tertullien ,  y  pervertit  beaucoup  de  monde , 
particulièrement  en  détruisant  le  baptême  ;  on  appela  Quintillia- 
nistes  les  sectateurs  de  cette  femme  :  il  paraît  qu'elle  avait  ajouté 
aux  infamies  des  Caînites  d'horribles  pratiques  ^. 

Philastrius  fait  uue  secte  particulière  de  ceux  qui  honoraient 
Judas  *. 

L^empereur  Michel  avait  une  grande  vénération  pour  Judas  et 
voulut  le  faire  canoniser  ^. 

Hornebec  parle  d'un  Anabaptiste  qui  pensait  sur  Judas  comme 
les  Caînites^. 

On  a  aussi  donné  aux  Caînites  le  nom  de  Judaïtes  ''. 

CALVIN  (Jean)  naquit  à  Noyon ,  au  commencement  du  sei- 

*■  Inen.,  1. 1,  c  35,  aliàs  88. 

2  Théodoret,  Haeret.  Fab.,  1. 1,  c  15,  Tert.,  De  prsescript.,  39.  Iran, 
et  Epiph.,  loc,  cit.  Aug,9  De  haer.,  c.  18. 
>Tert,  DebapU 
*  De  haer.,  c  Sii,  36. 

»  Theoph.  Raynaud,  De  Judà  proditore,  p.  680. 
^  Hornebec  Controvers.,  p.  390. 
7  Ittig^ius,  De  hier.,  scet  2,  J  4, 5. 


CAL 


xiëneûtele; 


319 

u  eoUége  de  la 


partisan  3( 
prétendus 


k  la  défense  da 


■s  premières  éludes  à  Paris ,  i 
Marche ,  et  sa  philosophie  au  collège  de  Montaigu ,  sous  un  Espa 
gnol.  Il  étudia  le  droit  k  Orléans,  sous  Pierre  de  l'Étoile,  el  à 
Bourges,  sous  Alciai;  il  fit  connaissance,  dans  celle  dernière 
ville ,  aTec  Wolmar,  Allemand  de  nalion  el  professeur  en  grec  : 
ce  fol  sous  ce  malire  que  Calvia  apprit  le  grec,  le  sjriaque  et 
l'hébreu. 

Les  sentimens  de  Lullier  et  de  Zuingic  commençaient  â  se  ré- 
pandre en  France  ;  Wolmar,  maitre  et  ami  de  Calvin ,  était  leur 
;  Calvin  adopta  les  sentimens  de  son  maître  el  des 
s  réformateurs.  La  mort  de  son  père  le  rappela  i  Noyon, 
peu  de  temps  ;  il  alla  à  Paris ,  où  il  composa  un  com- 
ir  le  Trailc  de  la  clémence  de  Sénéque  ;  U  se  fit  biei»- 
lâl  connaître  k  ceux  qui  spcrèlement  avaient  embrassé  la  ré- 
fonne,  niais  il  n'imiia  pas  leur  discrétion,  son  zèle  impétueux 
éclata  :  on  voulut  l'arrêter ,  il  sortit  de  Pan 
France,  pour  se  retirer  à  Bàle,  où  il  se  dévoi 
la  réforme. 

On  comprenait  sous  le  nom  de  réformateurs  et  de  réformés 
celle  foule  de  sectaires  Luthériens ,  Cartostadiens ,  Anabaptistes, 
Zuingliens,  Ubtquiiaires  ,  etc.,  qui  remplissaient  l'Âllemagiie  et 
qui  s'étaient  répandus  en  Italie,  en  France,  en  An(;[eterre  eldins 
les  Pays-Bas  :  toute  leur  doctrine  consistait  en  déciamationi 
contre  le  clergé  ,  contre  le  pape ,  contre  les  abus ,  contre  louies 
les  puissances  ecclésiastiques  et  civiles. 

Les  réformés  n'avaient  ni  principes  suivis,  ni  corps  de  doctrine, 
ni  discipline,  ni  symbole. 

Calvin  entreprit  d'établir  la  réforme  sur  des  principes  théolo- 
giques et  de  former  un  corps  de  doctrine  qui  réunit  tous  les 
dogmes  qu'il  avait  adoptés  dans  la  réforme ,  et  dans  lequel  ces 
dogmes  sortissent  de  ceux  du  christianisme,  comme  des  consé- 
quences de  leurs  principes  ;  eu  un  mot ,  11  voulait  former  un  sym- 
bole pour  les  réformés. 

C'était  le  seul  moyen  de  les  réunir  et  de  faire  de  la  réforme  une 
religion  raisonnable  :  c'est  l'objet  qu'il  se  propose  dans  ses  inati- 
lutions  chrétiennes. 

Après  avoir  fait  imprimer  ses  Institutions,  Calvin  passa  en  Ita- 
lie pour  voir  la  duchesse  de  Ferrare ,  fille  de  Louis  XII  ;  mais  le 
duc  de  Ferrare,  qui  craignait  que  le  séjour  de  Calvin  chez  lui  ne 
^  brosillit  aiec  le  pap^i  l'obligea  de  sortir  de  ses  liltats.  Calvin 


1 
I 


I 


380  CAL 

refinl  en  France ,  et  il  en  sortît  bientôt  pour  se  rendre  à  Stras- 
bourg :  il  passa  par  Genève ,  où  Varel  et  Viret  ayaient  commeooéà 
établir  la  religion  protestante  ;  le  magistrat ,  le  consistoire  et  le 
people  engagèrent  Calvin  à  accepter  une  place  de  prédicatear  et 
de  professeur,  Tan  1536. 

Deux  ans  après ,  Calvin  fit  un  formulaire  de  foi  et  on  calé- 
diisme ,  qu*il  fit  recevoir  à  Genève ,  où  il  abjura  solennellement 
la  religion  catholique  :  tout  le  peuple  jura  qu*il  observerait  les 
articles  de  la  doctrine ,  tels  que  Calvin  les  avait  dressés. 

La  réforme  8*était  établie  à  Zurich ,  à  Berne ,  etc.  Un  synode 
de  B«me  décida  ,  1*  que  dans  la  cène  on  ne  se  servirait  point  de 
pain  levé  ;  2*  qu*il  y  aurait  dans  Téglise  des  fonts  baptismaux  ; 
3*  que  Ton  célébrerait  tous  les  jours  de  fêtes  aussi  bien  que  le 
dimanche. 

Le  nouveau  réformateur  avait  condamné,  dans  ses  Institations, 
toutes  les  cérémonies  de  FÉglise  romaine  ;  il  n*en  voulut  conser- 
ver aucune  trace  et  refusa  de  se  conformer  au  décret  du  synode 
de  Berne  :  le  conseil  s*assembla ,  les  ennemis  de  Calvin  firôit  ai- 
sément sentir  au  conseil  que  Genève  avait  dans  Calvin ,  non  pas 
un  réformateur,  mais  un  maître  qui ,  dans  ses  ouvrages ,  récla- 
mait la  liberté  chrétienne  ,  et  qui ,  dans  sa  conduite ,  était  un 
despote  inflexible.  On  chassa  Calvin ,  Farel  et  ses  associés. 

Calvin  se  relira  à  Strasbourg  et  y  fonda  une  église  française, 
qui  fut  bientôt  nombreuse  par  le  concours  des  Proteslans  qui 
abandonnaient  la  France ,  où  ils  étaient  traités  avec  beaucoup  de 
rigueur.  Ce  fut  pendant  son  séjour  à  Strasbourg  qu'il  épousa  la 
veuve  d^un  Anabaptiste  qu'il  avait  convertie. 

Les  talens  de  Calvin  lui  acquirent  h  Strasbourg  beaucoup  de 
considération ,  et  les  Proteslans  de  celte  ville  le  députèrent  à  la 
diète  de  Ralisbonne. 

La  ville  de  Genève  n'était  pas  tranquille  depuis  le  départ  de 
Calvin  ;  il  s'y  était  fait  un  parli  puissant ,  qui  l'emporta  enfin  sur 
ses  ennemis,  et  Calvin  fui  rappelé  à  Genève  trois  ans  après  qu'il 
en  avait  été  chassé. 

Ce  fut  alors  qu'il  prit  à  Genève  un  empire  absolu ,  qu'il  con- 
serva jusqu'à  sa  mort  :  il  régla  la  discipline  à  peu  près  de  la  ma- 
nière qu'on  la  voit  encore  aujourd'hui  dans  les  églises  prétendues 
réformées  ;  il  établit  des  consistoires ,  des  colloques ,  des  synodes, 
des  anciens ,  des  diacres ,  des  surveillans  ;  il  régla  la  forme  des 
prières  et  des  prédica^ons,  U  manière  de  célébrer  la  c^ne ,  de 


CAL  281 

bapiisur,  d'eoicrrer  les  morts.  Il  établit  uni;  jui-ididiuii  cunsisto- 
ri^le  à  laquelle  il  prélendit  pouvoir  donner  le  draîi  de  ( 
el  (le  peines  canoniqnes,  et  même  la  puîssamie  d'e; 
Il  Gl  ensuite  nn  catéchisme  htin  el  français ,  fort  différent  du  pre- 
mier qu'il  avait  fait ,  et  obligea  les  nia^isiiats  el  le  peuple  h  s'en- 
gager pour  toujours  ù  le  conserver. 

La  rigueur  avec  laquelle  Calvin  eierçait  son  pouvoir  sans  bor- 
nes, et  les  droits  de  son  consistoire,  lui  attirèrent  beaucoup  d'en- 
nemis et  causèrent  quelquefois  du  désordre  dans  la  ville  ;  mais 
ses  lalejils  et  sa  fermeté  trinuiphèrent  de  ses  enneuiis.  Il  était  in 
flexible  daus  ses  sentimens ,  invariable  dans  ses  démarches ,  et 
capable  de  tout  sacrifier  pour  le  soutien  d'une  pratique  indiffé- 
rente comme  pour  la  défense  des  prmiiicrcs  vérités  de  la  religion. 
Un  liomme  de  ce  caractère,  avec  de  grands  lalens  et  de  l'austérité 
dans  les  moeurs ,  vient  ù  bout  de  tout ,  et  subjugue  infailliblement 
la  multitude  et  les  caractères  faibles ,  qui  aiment  mieux  k  la  fia  se 
soumettre  à  tout  que  lutter  sans  cesse  contre  la  domination  armée 
de  l'éloquence  et  du  savoir. 

Calvin  ne  jouissait  cependant  pas  tranquillement  de  ses  triom- 
phes ;  à  peine  une  Taction  s'était  éteinte  que  de  nouveaux  enne- 
mis s'élevaient  :  on  attaqua  aa  doctrine.  Boiscc  ,  carme  apostat , 
l'accusa  de  faire  Dien  auteur  du  péché  ;  il  entreprit  de  le  prouver  : 
Calvin  alla  le  visiter  et  s'efforça  de  le  gagner,  mais  inutilement, 
et  Bolsec  commençait  i  se  faire  écouter  avec  plaisir.  Calvin ,  qui 
avait  assisté  secrètement  ï  une  de  ses  conlérences,  parnt  sur  la 
scène  aussitôt  qu'elle  fut  finie,  parla  pour  le  réfuter,  entassa  tous 
les  passages  de  l'Ëcrltnre  et  de  saint  Augustin  qui  paraissaient 
favoriser  son  sentiment  sur  la  prédestination.  Calvin  abusait  de 
ces  passages ,  et  l'emportement  avec  lequel  il  les  débitait  ne  dé- 
truisait point  dans  l'esprit  de  ses  auditeurs  l'impression  qu'a- 
vait faite  l'accusation  de  Bolsec  :  il  engagea  donc  le  magistrat 
h  faire  arrêter  Bulsec  ;  on  le  mit  en  prison,  on  1';  traita  fort  mul, 
sons  prétexte  qu'il  avait  causé  du  scaod^ile  et  troublé  la  paii  de 
l'Ëglise. 

L'apàtre  de  Cenève  poussa  sa  vengeance  ou  ses  précautions 
plus  loin  :  il  écrivit  aux  cantons  suisses  qu'il  fallait  délivrer  la 
terre  de  cet  homme  pernicicui ,  de  peur  qu'il  n'allât  infecter  de 
son  poison  toutes  les  contrées  voisines. 

Un  seigneur  qui  jouissait  d'une  grande  considération  el  que 
Calvin  avait  engagé  daus  lu  réforme  ,  M.  Falais,  justemftwV 'Wi\- 
'IV 


282  CAL 

gné  de  la  conduite  deCaWin,  préyint  les  cantons  contre  let  àe^f 
sdns  de  ce  réformateur,  qui  se  contenta  du  bannissement  de  Bol- 
sec  *9  lequel  fut  banni  de  G^ève  comme  conrainca  de  séditiiMi  et 
de  Pélagianisme. 

Ainsi ,  Ton  était  séditieux ,  ennenû  de  la  tranquillité  pQbtiqne^ 
lorsqu'on  osait  contredire  Calvin  ;  on  était  Pélagien  et  IVm  méri- 
tait la  mort ,  parce  qu'on  croyait  que ,  dans  ses  principes  «  lUea 
était  auteur  du  péché.  Yoilà  le  réformateur  qui  s'est  empiété  • 
avec  fureur  contre  la  prétendue  tyrannie  de  TÉgUse  romaine.  On 
dispute  dans  cette  Église  sur  la  nature  et  sur  l'efficacité  de  la  grke; 
les  partisans  de  la  gr&ce  efficace  par  elle-même  et  de  la  prémo- 
tion  physique  prétendent  que  l'on  ne  peut  nier  leur  senUmeat 
sans  tomber  dans  le  Pélagianisme ,  et  les  théologiens  du  sentiment 
opposé  rejettent  la  grâce  efficace  par  elle-même  et  la  prémotioii 
physique,  parce  qu'ils  croient  qu'elle  fait  Dieu  auteur  du  pédié  ; 
mais  jamais  on  n'a  vu  ces  théologiens  dire  qu'il  fallait  brûler  leori 
adversaires. 

Le  bannissement  de  Bolsec  augmenta  le  nombre  des  ennemis 
de  Calvin  :  on  ne  trouvait  pas  qu'il  se  f(it  justifié  sur  l'odieuse  Jm- 
pntation  de  faire  Dieu  auteur  du  péché  ;  on  parla  ouvertement 
contre  sa  doctrine  sur  la  prédestination  ;  il  y  eut  même  des  pas- 
teurs de  Berne  qui  voulurent  intenter  sur  ce  sujet  un  procès  à  Cal- 
vin ;  Bolsec  y  renouvela  ses  accusations  ,  et  Castalion ,  qu'il  avait 
encore  obligé  de  sortir  de  Genève ,  parce  qu'il  ne  pensait  pas 
comme  lui ,  le  décriait  à  Bâle  ^. 

Servet ,  qui  s'était  échappé  de  la  prison  où  il  était  enfermé  en 
France,  se  sauva  vers  ce  temps  à  Genève;  Calvin  le  fît  arrêter,  et 
fit  procéder  contre  lui  dans  toute  la  rigueur  possible.  Il  consulta 
les  magistrats  de  Bâle ,  de  Berne ,  de  Zurich ,  de  Schafhouse,  sur 
ce  qu'on  devait  prononcer  contre  cet  Anti-trinitaire  ;  tous  répon- 
dirent qu'il  fallait  le  faire  mourir^  et  ce  fut  l'avis  de  Calvin  ;  les 
magistrats  de  Genève  condamnèrent  donc  Servet  à  être  brûlé  vif. 
Comment  des  magistrats  qui  ne  reconnaissaient  point  de  juge  in- 
faillible du  sens  de  l'Écriture  pouvaient-ils  brûler  Servet  parce 
qu'il  y  trouvait  un  sens  différent  de  celui  que  Calvin  ou  eux- 
mêmes  y  trouvaient?  Voilà  quelle  était  la  logique  ou  l'équité  des 
premières  conquêtes  de  la  réforme. 

*  Spond.  ad  an.  1545.  Hist  de  Genève,  t,  2,  p.  33.  Pré(«ce  des  kt- 
tre»  de  Calvin  à  M.  Falais, 
2  An  1552, 


GAX. 

Et  Calvin  ,  et  les  ministres  protestans  qui  avaient  établi  pour 
base  de  la  réforme  que  l'Écriture  était  seule  la  rfgle  de  noire 
foi ,  que  chaque  particulier  était  le  juge  du  seos  de  l'Ëcrïl 
Calvin ,  dis-je ,  et  les  ministres  protestans  faisaient  brûler  Servet 
qui  voyait  dans  l'Écriture  un  sens  diOëreot  de  celui  qu'ils  j 
voyaient  ;  ils  firent  brûler  Servet,  qui  se  trompait,  à  la  vérité,  et 
qui  se  Irompait  grossièrement,  et  sur  un  dogme  fondamenlal,  mais 
qui  pouvait,  sans  crime,  ne  pas  déférer  au  jugement  des  ministres 
et  de  Calvin  ,  puisqu'aucun  d'eux  ni  leurs  consistoires  n'étaient 
infaillibles ,  et  que  ce  n'est  point  à  eux  que  Dieu  a  dit  :  Qui  vous 
écoule,  m'écoute. 

Calvin  osa  faire  l'apologie  de  sa  conduite  envers  Servet,  et  en- 
treprit de  prouver  qu'il  fallait  faire  mourir  les  hérétiques  '. 

Lelio  Socin  et  Casialion  écrivirent  contre  Calvin  ,  et  furent  ré- 
futés à  leur  tour  par  Théodore  de  Béze  *. 

Et  cependant  les  réformateurs ,  les  ministres  se  sont  décbalnés 
contre  les  rigueurs  que  l'on  eierçait  contre  eus  dans  tes  Étals 
catholiques,  oli  l'on  ne  punissait  les  Protestans  que  parce  qu'ils 
étaient  condamnés  par  une  autorité  infaillible,  parl'^lise.  Voilï 
ù  quoi  ne  font  pas  assez  d'attention  ceux  qui  prétendent  excuser 
Calvin  sous  prétexte  qu'il  n'availfait  qu'obéir  au  préjugé  de  son 
siècle  sur  le  supplice  des  hérâiiques  :  d'ailleurs,  il  est  certain  que 
Calvin  aurait  traité  Bolsec  comme  Servet,  s'il  l'avait  osé  ;  cepen- 
dant Bolsec  ne  pensait ,  sur  la  prédestination,  que  comme  pen- 
saient beaucoup  de  théologiens  luthériens.  Ce  n'était  donc  point 
la  nature  des  erreurs  de  Servet  qui  avait  allumé  le  léle  de  Calvin  : 
Bajle  est  beaucoup  plus  équitable  sur  cet  article  que  son  conU- 

Le  supplice  de  Servet  n'arrêta  pas,  à  Genève,  la  licence  de 
penser  :  les  Italiena  qui  avaient  embrassé  les  erreurs  de  Calvin 
s'y  étaient  retirés,  et  y  avaient  formé  une  Église  itiMenne,  où 
Gentilis,  Blandrat,  etc.,  renouvelèrent  l'Arianisme,  15^8. 

Gentilis  fut  mis  en  prison  et  aurait  péri  comme  Servet  s'il  ne  se 
fût  rétracté;  il  sortit  de  Genève,  passa  sur  le  territoire  de 
Berne,  où  il  renouvela  ses  erreurs,  et  eut  la  tête  coupée,  1S66. 

*  Fidelis  etpnsitio  errorum  Micbaelis  Serreti,  cl  brevis  eorumdem  re- 
fulatio,  ubi  docelur  jure  giadii  coer^endos  esse  hEerelicos  ;  an  155A- 
3  De  ha^rclic.  ii  maeislratu  puniendis. 
'  Arl.  BàiE,  noie  F,  Supplément  de  Bajie,  art.  SsnvBT. 


1 


384  CAL 

Okîn  ne  fut  guère  mieux  traité  par  Calvin  qae  Gentilîs  ;  il  parut 
donner  dans  rArianisme,  et  Calvin  le  fit  chasser  de  Genève. 

Calvin  n'était  pas  seolement  occupé  à  affermir  sa  réforme  à 
Genève  ;  il  écrivait  sans  cesse  en  France,  en  Allemagne,  en  Polo- 
gne, contre  les  Anabaptistes,  contre  les  Ânti-trinitaires,  contre 
les  catholiques^. 

Ses  disputes  ne  Tempéchaient  pas  de  commenter  rËcriture 
sainte  et  d*écrire  une  infinité  de  lettres  à  différens  particuliers.  Ce 
chef  de  la  réforme  avait  donc  une  prodigieuse  activité  dans  Tes- 
prit  ;  il  était  d'ailleurs  d*un  caractère  dur,  ferme  et  tyrannique  ; 
il  était  savant;  il  écrivait  purement,  avec  méthode;  personne  ne 
saisissait  plus  finement  et  ne  présentait  mieux  les  côtés  favorables 
d'un  sentiment  ;  la  préface  de  ses  Institutions  est  un  chef-d'œuvre 
d'adresse  ;  en  un  mot ,  on  ne  peut  lui  refuser  de  grands  talens , 
comme  on  ne  peut  méconnaître  en  lui  de  grands  défauts  et  des 
traits  d'un  caractère  odieux. 

11  a  le  premier  traité  les  matières  théologiques  en  style  pur  et 
sans  employer  la  forme  scolastique  ;  on  ne  peut  nier  qu'il  ne  fût 
théologien  et  bon  logicien  dans  les  choses  où  l'esprit  de  parti  ne 
l'aveuglait  pas  :  ses  disputes  contre  Servet,  contre  Gentilis,  contre 
les  Ânti-trinitaires,  contre  les  Anabaptistes,  font  regretter  l'usage 
qu'il  fit  de  ses  talens  :  il  mourut  au  milieu  de  ses  travaux  et  de  l'a- 
gitation ,  le  21  mai  1564.  Ses  ouvrages  ont  été  recueillis  en  neuf 
vol.  in-folio.  Voyez  l'art.  Réforme. 

CALVINISME,  doctrine  de  Calvin;  nous  la  tirerons  de  ses  In- 
stitutions chrétiennes  :  nous  avons  dit,  à  Farticle  Calvin^  commentil 
fut  déterminé  à  composer  cet  ouvrage  ;  il  est  divisé  en  quatre  li- 
vres, dont  nous  allons  exposer  les  principes. 

Premier  livre  des  Institutions, 

La  religion  suppose  la  connaissance  de  Dieu  et  celle  de  l'homme. 

La  nature  entière  exprime  et  publie  l'existence ,  les  attributs, 
les  bienfaits  de  l'Être  suprême  :  le  sentiment  de  notre  faiblesse , 
nos  besoins ,  nous  rappellent  sans  cesse  à  Dieu  ;  son  idée  est  gra- 
vée dans  nos  âmes  ;  personne  ne  peut  l'ignorer:  tous  les  peuples 
reconnaissent  une  divinité;  mais  l'ignorance,  nos  passions,  l'ima- 
gination, se  sont  fait  des  dieux,  et  le  Dieu  suprême  était  inconuu 
presque  dans  toute  la  terre. 

«  Epist.  Gahîu. 


CAL  285 

Il  Tallaît  donc,  pour  conduire  l'honuiie  û  Dieu ,  un  niojeu  plus 

sur  que  le  spectacle  de  la  nature  cl  que  la  raison  humaine  :  lu 

bonté  de  Dieu  l'a  accordé  aux  hommes,  ce  moyen  ;  il  nousa  réïélé 

lui-jiiânie  ce  que  nous  devions  saïoir. 

Depuis  long-iemps  Dieu  n'accorde  plus  aus  hommes  de  révé- 
lation ;  depuis  long-temps  il  n'a  envojé  ni  prophètes,  ni  hommes 
inspirés  :  mais  sa  providence  a  conservé  les  révélations  qu'il  a 
Taitca  aux  hommes,  et  elles  sont  connues  dans  l'Ëcriliire. 

Nous  avons  donc ,  dans  l'ancien  et  dnns  le  nouveau  Testament, 
<t  nécessaire  pour  connaître  Dieu ,  sou  essence  ,  ses 
)5  obligations  envers 


altrihuts,  le  culte  que  nous  lui  dcv 
les  autres  hommes  ^ 


s  appeU.1 


récri- 


ture sainte  est  en  effet  révélé  î  Comment  s; 
vélalion  qu'elle  contient  n'a  pas  été  allérée?  Comment  distin- 
guons-nous les  livres  canoniques  des  apocryphes?  N'est-ce  pas 
ù  rfxjlise  à  fixer  noire  croyance  sur  loua  ces  points  î 

Ici  Calvin  se  met  en  colère  et  se  répand  en  injures  assez  gros- 
sières contre  les  catholiques  :  Ces  hommes  sacrilèges ,  dit-il  ,  ne 
veulent  qu'on  s'en  rapporte  sur  tous  ces  points  ï  eux  que  pour 
donner  à  l'Ëglise  un  pouvoir  illimité ,  et  pour  lui  soumettre  tous 
les  hommes,  toutes  les  puissances,  toutes  les  consciences. 

C'est  ainsi  que  parlecelui  qui  a  faîlhrùlerServet  parce  qu'il  ne 
se  soumettait  pas  k  sou  sentiment,  et  qui,  s'il  l'eût  osé,  aurait  fait 
brûler  Bolsec  parce  que  Bolsec  osait  dire  que  les  senlimens  de 
Calvin  ,  sur  la  prédestination,  faisaient  Dieu  auleurduiiëché. 

Calvin  revient  ensuite  a  sou  objection  :  L'autorité  derbglisc,  dit- 
il,  n'est  qu'un  témoignage  humain,  qui  peut  tromper,  et  qui  n'est 
pas  assez  sûr  pour  tranquilliser  les  consciences  :  il  faut  que  le 
Saiut-Esprit  couHrme  ce  témoignage  extérieur  de  l'Ëglise  par 
un  témoignage  intérieur  ;  il  faut  que  le  même  esprit  qui  a  parlé 
par  les  prophètes  entre  dans  nos  cœurs  ,  pour  nous  assurer  que 
les  prophètes  n'ont  dit  que  ce  que  Dieu  leur  a  révélé  :  c'est  cette 
espèce  d'inspiration  particulière  qui  nous  assure  de  la  vérité  de 


l'Écriture. 

Cette  inspiration  qui  i 


e  que  l'Ëcriture  contient  la  rt 


286  CAL 

▼élation  divine  n'est ,  au  reste  ,  que  pour  les  fidèles  ;  car  divin 
ne  nie  point  que  l'autorité  de  F^lise  ne  soit  le  seul  moyen  et 
vn  moyen  sûr  pour  démontrer  à  Tincrédule  la  dhrinité  de  Ft- 
critore  ^. 

Il  expose  même  assez  bien  les  preuves  de  la  diTimté  de  l*Kcrir- 
tare;  mais  il  prétend  qu'elles  ne  peuvent  produire  une  eertitiide 
complète  sans  le  témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit  *• 

Puisque  l'Écriture  sainte  est  révélée ,  et  que  le  Saint-Eiprit 
nous  instruit  pour  en  connaître  le  sens  et  pour  développer  les 
vérités  qu'elle  contient ,  il  faut  regarder  comme  des  fanatûnies 
et  comme  des  insensés  ces  sectaires  qui  dédaignent  de  lire  l'É- 
criture, et  qui  prétendent  que  le  Saint-Esprit  leur  a  révélé  immé- 
diatement etextraordinairement  tout  ce  qu'il  faut  faire  ou  croife  ; 
comme  si  l'Écriture  n'était  pas  suffisante ,  et  comme  si  saint  Paid 
et  les  apôtres  n'avaient  pas  recommandé  la  lecture  des  prophètes  *. 

Après  avoir  établi  l'Écriture  comme  la  seule  règle  de  notre 
croyance ,  Calvin  recherche  ce  qu'elle  nous  apprend  de  Dieu  ;  il 
voit  d'abord,  qu'elle  oppose  partout  le  vrai  Dieu  au  dieu  des  Gen- 
tils, et  qu'elle  nous  fait  connaître  ses  attributs ,  son  éternité  |  sa 
justice,  sa  bonté,  sa  toute-puissance,  sa  miséricorde,  son  unité. 

L'Écriture  défend  de  représenter  Dieu ,  de  faire  des  images  ou 
des  idoles  ;  rien  n'est  plus  rigoureusement  défendu  dans  l'Écri- 
ture :  de  là  Calvin  conclut  que  les  catholiques,  qui  ont  autorisé  le 
culte  des  images ,  sont  retombés  dans  l'idolâtrie ,  puisque  Dieu 
n'a  pris  tant  de  soin  de  bannir  les  idoles  que  pour  être  honoré 
seul  *. 

Quoique  l'Écriture  nous  apprenne  qu'il  n'y  a  qu'une  divinité , 
on  y  découvre  cependant  que  ce  Dieu  renferme  trois  personnes ,  le 
Père ,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  qui  ne  sont  point  trois  substan- 
ces ,  mais  trois  personnes  :  Calvin  traite  encore  cet  article  en  ha- 
bile homme  ^. 

L'Ecriture  nous  apprend  que  ce  Dieu  en  trois  personnes  est  le 

^  Instit,  1.  i,  c.  7. 

2  Ibid.,  c.  8.  Nous  faisons  voir,  à  l'article  RiFoma,  combien  cette 
voie  est  dangereuse,  fausse  et  contraire  à  l'Écriture. 

3lbid.,c.O. 

*Ibid.,  c.  10,  11,  12.  Les  Iconoclastes,  avant  Calvin,  avaient  pré- 
tendu la  même  chose  ;  les  Calvinistes  en  ont  fait  un  des  principaux  fon« 
démens  de  leur  réforme  ;  nous  les  r(^futons  à  l'article  IcoNQCi«ASTESt 

*Ibîd.,  c.  13, 


CAL  387 

crdaleur  da  monde ,  qu'il  Torma  le  monde  visible,  qu'il  cr^a  les 
anges  elles  hommes:  il  Iraiie  paniculièreuent  de  l'homme,  des 
foucLioDE  de  son  âme,  de  son  èUt  primitif,  de  sa  chute ,  et  de  la 
perle  de  la  liberté  dont  il  jouissait  dans  l'état  d'innocence. 

Toutes  les  créatures  de  Dieu  sont  soumises  i  sa  providence ,  se- 
lon Calvin  :  il  réfute  les  sophismes  des  Ëpicurieos  et  ceux  des  phi- 
losophes partisans  du  hasard  ou  du  destin  <, 

11  trouve  ,  dans  l'Ëcriture,  que  Dieu  a  disposé  tout,  qu'il  pro- 
duit tout  dans  le  monde  moral  (Mimme  dans  le  monde  physique  ; 
que  Dieu  a  fait  sur  le  ciel  et  sur  la  terre  tout  ce  qu'il  a  voulu  ; 
il  en  conclut  que  les  crimesdeshoniniesetleursvertus  sont  l'ou- 
vrage de  sa  volonté  :  ai  Dieu  n'opérait  pas  dans  nos  âmes  toutes 
nos  déterminations ,  l'Écriture  nous  tromperait  donc  lorsqu'elle 
doua  dit  que  Dieu  Ole  la  prudence  aux  vieillards,  qu'il  ôte  le  cœur 
aux  princes  de  la  terre ,  a&n  qu'ils  s'égarent.  Prétendre  que  Dieu 
pehnel  seulement  ces  maux ,  et  qu'il  ne  les  veut  pas ,  qu'il  ne  les 
produit  pas  ,  c'est  renverser  toutes  les  règles  du  langage  et  tous 
les  principes  de  l'interprétation  de  l'Ëcriture  *. 

Second  livre. 

Dans  le  second  livre ,  Calvin  recherche  l'éiat  de  l'homme  sut  lu 
terre  ;  il  trouve ,  dans  l'Ëcriture ,  qu'Adam ,  le  père  de  tous  les 
homnies ,  a  été  créé  dans  im  état  d'innocence ,  qu'il  a  péché,  et 
que  son  péché  s'est  communiqué  ï  toute  sa  postérité  ;  en  sorte  que 
tous  les  hommes  naissant  enfans  de  colère  et  pécheurs ,  toutes  les 
facultés  de  leur  âme  sout  infectées  du  péché  qu'ils  ont  contracté; 
une  concupiscence  vicieuse  est  le  principe  de  toutes  leurs  actions; 
c'est  de  tï  que  naissent  toutes  lenrs  déterminations  K 

L'homme  n'a  point  de  force  pour  résister  !t  la  coucupiscence  ; 
la  liberté  dont  il  s'enorgueillît  est  une  chimère  ;  il  confond  le 
libre  avec  le  volontaire  ,  et  croit  qu'il  choisit  tibremeni,  parce 
qu'il  n'est  pascontraint  et  qu'il  veut  faire  le  mal  qu'il  fait. 

Calvin  fonde  celte  impuissance  de  l'bonune  pour  le  bien  sur 
tous  les  passages  de  l'Ëcriture  obil  est  dit  que  l'homme  ne  peut 

<  Ibid.,  c.  là,  IS,  16,  17. 

^  Ibid.,  c  18.  Les  Prédestina  tiens  l'avaieiii  soutenu  avani  (Inh  in  ; 
nous  les  réfutons. 


28ft  CAL 

aller  k  Dieu  que  par  Jésus-Christ  ;  que  c'est  Dieu  qui  fait  le  bien 

eo  lui  ;  que  sans  Dieu  il  ne  peut  rien  * . 

Puisque  toutes  les  facultés  de  Thomme  sont  corrompues  ,  et 
qa*il  n'a  point  de  force  pour  résister  à  la  concupiseence  Yicieuse 
qui  le  domine  sans  cesse,  il  est  clair  que  rhomme  ne  peut  parlai- 
mème'  produire  que  des  actions  vicieuses,  et  des  péchés.  GtlTÎa 
prétend  encore  prouver  cette  conséquence  par  TËcriture ,  qui  as- 
sure que  les  hommes  se  sont  tous  écartés  du  chemin  de  la  verlo , 
que  leur  bouche  est  pleine  de  malédictions  *. 

Quoique  Thomme  porte  au  dedans  de  lui-même  un  principe  de 
corruption  ,  le  diable  a  cependant  beaucoup  de  part  à  ses  dlésor- 
(Ires,  selon  Calvin  3. 

YoiU  ce  que  pensait  Calvin  sur  Tinfluence  du  diable  par  rap- 
port à  nos  actions  :  un  siècle  après,  Bekker ,  calviniste,  prétendît 
(pie  le  diable  n'avait  aucun  pouvoir  dans  le  monde ,  et  Bekker 
prétendait  entendre  aussi  bien  FËcriture  que  Calvin  *, 

Dieu  n'a  pas  abandonné  l'homme  à  son  malheur  ;  son  Fils  est 
venu  sur  la  terre  pour  racheter  les  hommes ,  satisfaire  pour  eux,' 
Calvin  expose,  dans  tout  le  reste  du  2*  livre,  les  preuves  qui  éta- 
blissent que  Jésus-Christ  est  médiateur  enlre  Dieu  et  les  hommes, 
qu'il  est  Dieu  et  homme  ,  et  qu'il  n'y  a  en  lui  qu'une  personne , 
quoiqu'il  y  ait  dans  cette  personne  deux  natures.  Il  recherche  en 
quoi  consiste  la  médiation  de  Jésus-Christ  ;  comment  il  nous  a 
mérité  la  grâce  :  il  trouve  dans  Jésus-Christ  trois  caractères  prin- 
cipaux ,  qui  peuvent  nous  éclairer  sur  ce  grand  objet  ;  il  trouve , 
dis-je ,  dans  Jésus-Christ ,  la  qualité  de  prophète  ,  la  royauté ,  le 
sacerdoce.  M.  Claude  a  travaillé  sur  ce  plan  ,  dans  son  traité  de 
Jésus-Christ. 

Troisième  Hure. 

Dans  son  troisième  livre,  Calvin  traite  des  moyens  de  profiter 
dos  mérites  de  Jésus-Christ. 

L'Écriture  nous  apprend  que,  pour  participer  aux  grâces  du  ré- 
dempteur, il  faut  nous  unir  à  lui  et  devenir  ses  membres. 

C'est  par  l'opération  du  Saint-Esprit  et  surtout  par  la  foi  qu'il 

*  L.  2,  c.  2. 
2  C.  3. 
*C.  à. 

*  Le  Monde  enchanté. 


^™  CAL'  sm 

nous  conduit  ï  Jésus-Christ  et  que  nous  derenoiis  ses  membres 
Pour  être  uni  à  Jésus-Christ,  il  faut  croire,  et  ce  n'est  ni  la  chair 
ni  le  sang  qui  nous  fait  croire  de  la  manière  nécessaire  pour  être 
membres  de  Jésus-Christ  ;  c'est  un  don  du  ciel ,  selon  Jésus- 
Christ.  Tous  Sles  bienheureui,  dil-il  k  saint  Pierre,  parce  que  C8 
n'est  ni  la  chair  ni  le  sang  qui  vous  ont  révélé  qai  je  suis,  mais  le 
Père  céleste,  etc.  Saint  Paul  dit  que  les  Épbësiens  ont  été  faits 
chrétiens  par  le  Saint-Esprit  de  promission,  ce  qui  prouve  qu'il  y 
3  un  docteur  intérieur  par  le  mouvement  duquel  la  promesse  du 
satui  pénétre  nos  Smes,  et  sans  lequel  cette  pronietse  ne  serait 
qu'un  vain  son  qui  frapperait  nos  oreilles,  sans  toucher,  sans  pé- 
nétrer nos  âmes. 

Le  même  apôtre  dit  que  les  Tliessalonicietis  ont  été  clioisis  par 
Dieu  dans  la  sanctification  du  Saint-Esprit  et  dans  la  foi  de  la  vé- 
rité; d'où  Calvin  conclut  que  saint  Paul  a  voulu  nous  apprendre 
que  la  foi  vient  du  Saint-Esprit  et  que  c'est  par  elle  que  nous 
devenons  membres  de  Jésus-Christ  :  c'est  pour  cela  que  Jésus- 
Christ  promit  à  ses  disciples  de  leur  envoyer  le  Saint-Esprit ,  afin 
qu'ils  fussent  remplis  de  cette  sagesse  divine  que  le  monde  no 
peut  connaître  ;  c'est  pour  cela  que  cet  Esprit  est  dit  suggérer  auï 
apûtres  tout  m  que  Jésus-Christ  leur  a  enseigné  '  ;  c'est  pour  cela 
que  saint  Paul  recommanda  tant  le  mystère  dti  Saint-Esprit,  parce 
que  les  apûtres  et  les  prédicateurs  annonceraient  en  vain  la  v^ 
rite  si  le  Saint-Esprit  n'attirait  à  lui  tous  ceux  qui  lui  ont  Ùé 
donnés  par  son  Père. 

La  foi  qui  nous  unit  à  Jésus-Christ ,  qui  nous  rend  nembre^ 
de  Jésus-Christ,  n'est  puint  seulement  un  jugement  par  lequel 
nous  prononçons  que  Dieu  ne  peut  ni  se  tromper  ni  nous  trom- 
per, et  que  tout  ce  qu'il  révèle  est  vrai  ;  ce  n'est  point  un  juge- 
ment par  lequel  nous  prononçons  qu'il  est  juste ,  qu'il  punit  le 
crime  ;  cette  manière  d'envisager  Dieu  nous  le  rendrait  odieux. 

La  foi  n'est  point  non  plus  un  jugement  par  lequel  nous  pro- 
nonçons, eu  général ,  que  Dieu  est  saint ,  bon ,  miséricordieux  ; 
c'est  une  connaissance  certaine  de  la  bienveillance  de  Dieu  pour 
nous ,  fondée  sur  la  vérité  de  la  promesse  gratuite  de  Jésus- 
Christ,  et  produite  dans  nos  limes  parle  Saint-Esprit;  il  n'ja  point 
de  vrai  fidèle  gans  cette  ferme  persuasion  de  notre  salut ,  appuyée 
sur  les  promesses  de  Jésus-Christ  :  il  faut  que  le  ursi  fidèle , 

'  L.  3,  c.  i. 


3M  CAL 

c(HMM «ÔBt  Paul,  soil  certaio  que  ni  lamoft ,  li  k  idb^  bLIm 
jmlmnnun  j  ne  peuvent  le  séparer  de  la  ohav  de  Jéau»4CAràl: 
telle  eel ,  selon  Calvin ,  la  doctrine  constante  de  œl  apôlie  A. 

Cette  certitude  de  notre  salut  n*eat  point  inoompatiye  tma  àm 
tentations  qui  attaquent  notre  foi  :  il  n'y  a  point  de  foi  pina  ma 
qpB  cette  de  David ,  et  il  se  représente  en  mille  endittta 
duMcelant,  ou  piutèt  comme  tenté  de  manquer  de  oonftanoa. 

Qm  tentations  contre  la  foi  ne  sont  point  dea  dontea;  en 
dea  embairaa  qui  naissent  de  Tobscurité  même  de  la  feî  : 
ypjùÊÊ  pas  asaes  clairement  pour  ne  pas  ignorer  benneoiy  de 
cImmcs  ;  mais  cette  ignorance  dans  le  vrai  fid^e  n*«ffaililit  poûm  an 
persuasion  *. 

La  ferme  persuasion  du  fidèle  sur  son  salut  est  jointe  avee  la 
connaissance  et  Tusage  des  moyens  par  lesquels  Dieu  a  réadhi  de 
sauver  les  hommes  ;  ainsi  le  fidèle  qui  croit  qu'il  sera  sauvé  croit 
qn*il  ne  le  sera  qu'en  fiisant  pénitence  :  la  p^itence  est  donc  né- 
cessairement liée  avec  la  foi ,  comme  Tefiet  et  la  cause  *. 

La  pénitence  est,  selon  Calvin,  la  conversion  du  pécheur  à 
Dieu  y  «produite  par  la  crainte  salutaire  de  ses  jugemena;  oetli 
crainte  est  le  motif  que  les  prophètes  et  les  apôtres  ont  eniplo|é) 
elle  change  la  vie  du  pécheur  ;  elle  le  rend  attentif  sur  sa  conduite, 
sur  ses  sentimens  ;  elle  produit  un  désir  sincère  de  satisfaire  à  la 
justice  divine  ;  elle  produit  la  mortification  de  la  chair,  Famonr 
de  Dieu ,  la  charité  envers  les  hommes  :  c'est  l'idée  que  l'Écri-* 
ture  nous  donne  de  la  pénitence  *. 

les  catholiques  sont  bien  éioignés  de  la  vérité  sur  la  pénitence  ; 
selon  Calvin ,  ils  la  font  consister  dans  la  confession ,  la  satis&o* 
tion.  La  nécessité  de  la  contrition  jetle ,  selon  ce  réformateur,  les 
hommes  dans  le  désespoir  ;  on  ne  sait  jamais  si  elle  a  les  qualités 
ou  le  degré  nécessaire  pour  obtenir  la  rémission  des  péchés  ;  on 
n'est  donc  jamais  sûr  que  les  péchés  sont  remis  ;  incertitude  qui 
détruit  tout  le  système  de  Calvin  sur  le  principe  de  la  justification 
qui  précède  la  pénitence ,  comme  la  cause  précède  son  effet. 

Pour  la  confession,  elle  n'est  point  fondée  sur  l'Écriture,  dit  Calvin  ; 

^  Ce  sont,  au  fond,  les  principes  de  Luther  sur  la  justification  :  nous 
avons  réfuté  cette  erreur  in  Tart.  Luther,  ♦ 

îinstît,].  8,  c.  2. 
»  Inslit.,  I,  3,  c  3. 
Albid.y  c.  3, 


GAL 


c'estoneiaveiitian  hamsbaÎQtTQdaite  pour  Ijranniser  les 

Ertfin  ,  les  catholiques  sont  dans  aoe  erreur  dangerense  lors- 
qu'ils font  dÉpeudre  la  rémission  des  péchés  de  Ix  satisraction , 
puisqn'alors  ils  donnenl  aux  sciions  des  hommes  un  mérite  ca- 
pahle  de  satislaire  i  la  jutitice  divine ,  et  qu'ils  détruisent  la  gra- 
tuité de  U  grâce  et  de  la  miséricorde  de  Oieu  K 

De  ces  priHcipe9>  Calvin  conclut  que  les  indulgences  et  le  pur- 
gatoire, que  les  catholiques  regardent  comme  des  supplémens  îi  la 
salisfacùon  des  pécheurs  convertis  ou  justifiés,  sont  des  inventions 
lui na Inès  qui  anéantissent,  dans  l'esprit  des  chrétiens,  le  pris 
de  la  rédemption  de  Jésus-Christ^. 

Après  avoir  exposé  les  principes  de  la  justification  et  ses  elTets, 
Calvin  expose  la  manière  dont  le  chrétien  doit  se  conduire  après 
sa  justification  ;  il  parle  du  renoncement  à  Boi-îDéme ,  des  adver* 
Bilës ,  de  b  nécessité  de  méditer  sur  l'autre  vie  *. 

Calvin  revient ,  dans  les  chapitres  suivans ,  à  la  justiRcation  ;  il 
étend  et  développe  encore  ses  principes ,  répond  aux  difHcultés, 
attaque  le  mérite  des  œuvres  °. 

Il  parle,  dans  le  dii-nenvième ,  de  la  liberté  chrétienne. 

Le  premier  avantage  de  la  liberté  chrétienne  est  de  nous  af- 
Tranchir  du  joog  de  la  loi  et  des  cérémonies  ;  non  qu'il  raille  abo- 
lir les  lois  de  la  religion ,  dit  Calvin  ;  mais  un  chrétien  doit  savoit 
qu'il  ne  doit  point  sa  justice  â  l'observation  de  la  loi. 

Le  second  avantage  est  de  ne  pas  accomplir  la  loi  pour  obéit  & 
la  loi ,  mais  pour  accomplir  la  volonté  de  Dieu. 

Le  tioisième  avantage  de  la  liberté  cbrétienne  est  la  liberté 
d'user  à  son  gré  des  choses  indiiFérentes.  Calvin  prétend ,  par 
exemple ,  aDrauchir  les  chrétiens  du  joug  de  la  superstition ,  tran- 
quilliser une  inGnité  de  consciences  tourmentées  par  des  scrapulei 
sur  une  infinité  de  lois  qui  ordonnent  on  défendent  des  choses qni, 
par  elles-mêmes ,  ne  sont  ni  bonnes  ni  mauvaises  ". 

*  Calvin  renouvelle  l'erreur  d'Osma.  Fui/ei  cet  article. 

*L.  3,  Inslit.,  c.  A.  Lulher  avait  dit  la  même  chose  avant  Calvin  ; 
nous  7  avons  répondu  à  l'arL  Luther. 

'  Ibid.,  c  B.  C'est  encore  ici  un  sentiment  de  Luther)  nous  l'avont 
réfuté.  Toiiei  cet  anicle. 

'Ibid.,  c.  S,  7,  S,  9,  10. 

^lUd.,  c  11,  11,  jugqn'au  IB,  Lnlher  avait  rail  la  même  chose. 
FojTM  son  artkile. 
^m  *  C'est  l'erreur  d'Audèe,  que  nous  avons  réfutée  A  cet  article 


1 

I 


m  CAL 

Il  parie ,  dans  le  chapilre  vingtième  »  de  U  liécesûlé  de  la 
prière  et  des  dispositions  pour  prier;  il  prétend  qa*oii  ne  doit 
prier  que  Dieu;  il  condamne  Tintercession  des  saints  comme  une 
impiété  ^. 

Après  avoir  examiné  les  causes  et  les  effets  de  la  jusUfiGâtion  » 
il  cherche  pourquoi  tous  les  hommes  n*ont  pas  celle  foi  qui  jnslî* 
fie.  U  en  trouve  la  raison  dans  le  choix  que  Dieu  a  &il  des  éliis 
pour  la  vie  étemelle  et  des  réprouvés  pour  Tenfer  ;  il  cherdie  la 
raison  de  ce  choix  :  il  trouve ,  dans  rÉcriture ,  que  Died  a  aimé 
Jacob  et  qu'il  a  haï  Ésaû  avant  qu'ils  eussent  (ait  ni  bien  ni  mal; 
il  conclut  qu'il  ne  faut  pas  chercher  la  raison  de  cette  préférence 
hors  de  Dieu ,  qui  a  voulu  que  quelques  hommes  fussent  sauvés 
et  d'autres  réprouvés  :  ce  n'est  point  la  prévision  de  leur  impénî- 
tence  ou  le  péché  d'Adam  qui  est  la  cause  de  leur  réprobaticôu 

Dieu  a  voulu  qu'il  y  eût  des  élus  et  des  réprouvés  afin  d^avmr 
dessujets  sur  lesquels  il  pût  manifester  sa  justice  et  sa  miséricorde: 
comme  il  a  préparé  et  donné  aux  prédestinée  la  foi  qui  justifie»  il 
a  aussi  tout  préparé  pour  empêcher  ceux  qu'il  avait  destinés  à  être 
les  victimes  de  sa  vengeance  de  profiter  des  grâces  de  la  rédenp* 
tion  ;  il  les  a  aveuglés,  il  les  a  endurcis  ;  il  a  fait  en  sorte  que  la 
prédication,  qui  a  converti  les  élus,  a  enfoncé  dans  le  crime  ceux 
qu'il  voulait  punir.  Tel  est  le  système  de  Calvin  sur  la  différence 
du  sort  des  hommes  dans  l'autre  vie ,  et  après  la  résurrection,  qui 
est  certaine  *. 

Quatrième  livre. 

Les  fidèles  profitent  donc  des  mérites  de  Jésus-Christ  en- s' unis- 
sant à  lui ,  et  c'est  la  foi  qui  les  unit  à  Jésus-Christ  :  les  fidèles 
unis  à  Jésus-Christ  forment  donc  une  Église  qui  renferme  tons 
les  fidèles,  tous  les  élus,  tous  les  prédestinés  :  ainsi  cette  Église 
est  universelle ,  catholique  ;  c'est  la  société  de  tous  les  saints ,  hors 
de  laquelle  il  n'y  a  point  de  salut ,  et  dans  laquelle  seule  on  re* 
çoit  la  foi  qui  unit  à  Jésus-Christ. 

Mais  toutes  les  Églises  chrétiennes  prétendent  exclusivement  à 
cette  qualité;  comment  distinguer  celle  qui  en  effet  est  la  vraie? 
Quels  sont  ses  caractères ,  quelle  est  sa  police ,  quels  sont  ses 
sacremens? 

^  On  a  condamné  cette  erreur  dans  Vigilance.  Voyez  son  article. 
2  Voilà  le  Prédestinatianisme  le  moins  adouci,  ou  plutôt  un  vrai  Ma- 
DichéisQie, 


CAL  39S 

Voilï  ce  que  Calvin  se  propose  d'enamiaer  dans  le  qualriëme 


lulé  :  Des  moyent  extérieurt 
tiou*  conierve  dans  la  sociéti 


livre  de  ses  InslitutioDS ,  qu'il 
par  lesqaelt  Dieu  nous  a  fait 
de  Jésui-Ckriil. 

Sïinl  Paul  dit  que  Jésus-Christ,  pour  accomplir  lout,  a  donné 
des  apûLres ,  des  propbëles ,  des  évangËlisles  ,  des  pasteurs  ,  des 
docleurs ,  aiiD  qu'ils  iravailleni  ii  la  perfection  des  saints ,  aux 
fonctions  de  leur  ministère,  !k  l'édi&catiou  du  corps  de  Ji^sus- 
Qirist ,  JDBqu'ii 

même  Toi  et  d'une  même  connaissance  du  Fils  de  Dieu ,  à  l'état 
d'uD  homme  parfait,  à  la  mesure  de  l'Sge  et  de  la  plénitude  selon 
laquelle  Jésus-Clirisl  doit  être  formé  en  nous. 

Dieu ,  qui  pouvait  par  un  seul  acte  de  sa  volonté  sanctifier  tous 
les  élus,  a  voulu  qu'ils  fusseni  instruits  par  l'ËglJse  et  dans  l'Ë- 
glise,  et  qu'ils  s'j  perfectionnassent;  il  a  donc  établi  une  Église 
visible ,  qui  conierve  la  prédicaUon  de  sa  doctrine  elles  sacremeus 
qu'il  a  institués  pour  la  sanctification  des  prédestinés. 

Les  nietubres  de  cette  Lglisc  sont  donc  unis  par  la  prédication 
de  la  même  doctrine  et  par  la  participation  des  mêmes  sacremens  : 
l'on  a  vu ,  par  saint  i'uul ,  que  c'est  la  l'essence  de  l'Ëgllse  ;  l'ad- 
minislration  des  sacremens  cl  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu 
sont  donc  les  caractères  et  les  marques  de  la  vraie  Ëglise. 

Par  cette  notion  de  l'Eglise,  puisée  dans  l'Ëcrilure,  dit  Calvin, 
on  voit  qu'elle  renferme  des  pécheurs ,  et  qu'on  peut  ;  enseigner 
des  opinions  opposées  pourvu  qu'elles  ne  détruisent  point  la 
doctrine  de  Jésus-Clirist  et  des  apOtres, 

On  ne  peut  donc  se  séparer  de  cette  Ëglise  parce  qu'on  y  sou- 
tient des  opinions  différentes ,  ou  parce  que  ses  membres  ne  sont 
point  saints  et  parla  ils. 

Par  ces  principes ,  Calvin  fait  voir  que  les  Donatistes ,  les  Ca- 
thares, les  Anabaptistes  ,  etc.,  déchirent  l'unité  de  l'Ëgtise  et  pè- 
chent contre  la  charité  lorsqu'ils  prétendent  que  l'Ëglise  visible 
n'est  composée  que  d'hommes  parfaits  et  de  prédestinés'. 

Mais  lorsqu'une  société  enseigne  des  erreurs  qui  sapent  les 
foodemens  de  la  doctrine  de  Jésus^hrist  et  des  upûtres,  lors- 
qu'elle corrompt  le  culte  que  Jésus-Christ  a  établi ,  alors  il  faut 
se  séparer  de  cette  Église ,  quelque  étendue ,  quelque  ancienne 
qu'elle  soii ,  parce  qu'alors  on  ne  peut  s'y  sauver,  puisqu'on  n'y 

'luatit.,  I,  A,  c,  1. 


293 

Il  parle,  i)aw  la  cliapiUe  vUi|p3 
prière  et  des  dUposiliona  pour  prier; 
juier  que  Dieu;  il  cuadaniDe  l'interc* 
'"•P'*^  '■  rt.mame  n'était  pas  la  tni» 

Après  avoir  examiné  les  c  j„,  lidolâlrie ,  parce  ou  U 

il  cherche  pourquoi  tou-  ,  ;  ^^  ^„i!ége  ,  parce  qu'elle  arait 
fie.  11  eu  irouïe  la  TB'  . ,;,  jj  de  supcrslilions ,  le  cutie  éUUt 
pourlarieétemril         ^-^^^es. 

«isondflcediojï     ^.;0^^  /^gglise  catholique  a  succÉdé  UK 

Jacob  et  qu  U  ■    ^  -^^^js  die  a  corrompu  le  dépflt  de  la  fol  i 

Il  conclut  qu  vl    /^^'t^k  dans  cette  Église ,  dans  loua  les  Usmpl^ 

liore  de  Dieu     ^  <!'J^ràé  le  dépôt  de  la  foi  dans  sa  pureté ,  ifû 

"'■     ^"'■'^      /C^^^  légilÏTae  (iessacremena. 

^"^  '"'        -^^i^Ies  »  relranchis  de  son  sein ,  et  ils  se  Bout  ti^ 

,  /'^'^ta'Hs  ne  pouvaient  plus  aupporier  la  corrupUliB 

''""        'ffiS^  :  l'É»li»  ™m.i™  »■.  d..o  pi.,,  .i  «iHZ 

^''       '^ii^iiiBe,  ni  radrainislration  des  sacremens,  ni  la  piMi> 

?        p/J^i,  pure  parole  de  Dieu  ', 

£^      V^lfisiTa  de  l'Église ,  b  sa  naissance ,  ont  éié  choisis  pu 

Jk      '^isl  nême',  les  apôlres  ont  établi  deux  ordres ,  des  pu- 

^^    y'It  des  diacres  :  personne  n'entrait  dans  le  minlslère  sans  j 

appelé  ,  et  la  vocation  dépendait  du  suffrage  des  autres  mi- 

fCff  et  du  coosenlement  du  peuple  ;  c'était  par  l'imposition  des 

Sm  que  cette  vocation  se  manifestait ,  et  Calvin  veut  qu'on  It 

j^^iye,  parce  qu'il  croit  que  rien  de  ce queles  apôtres  ont  pr»- 

liqué  n'est  indilTérenl  ou  inutile  *. 

'  Calvin  eitmlne  ensuite  les  changemens  que  l'on  a  faits  dans  la 
Mnière  d'appder  les  fidèles  lu  ministère;  il  se  déchaîne  contre 
l'Église  romaine  et  contre  le  pape,  qui,  selon  lui,  ont  changé 
tout  l'ordre  de  l'Église  primitive '> 

Il  attaque  la  primauté  du  pape,  et  recherdie  par  quels  degrés 
ii  est  arrivé  à  U  puiasuice  qu'il  possède  '. 

■  Instlt.,  1.1,  cl.  Calvin  retombe  ici  dans  l'erreur  des  Donalistes, 
de  WicleF,  de  lean  Hus,  de  Luther,  sËlon  la  nature  de  l'Église.  Yoget- 
en  la  Ténilatlon  &  l'article  Rbôan, 

*  Ibid.,  c  8. 

•IUd.,Ci,5. 

*Ibid.,c.  6,  7.  C'eeibienlefonddespriDdpes  des  Gtks  sur  U  pri- 
mauté du  pape)  mais  Calvin  ta  infiniment  plus  loin  qu'mix,  sus  iiqn' 


n  mtDistËre  dans  rËglie 


3et  I 

airoi*   ■ 


CAL 
iî  proUTé  qu'il  doit  y  avi 

'  le  quelle  est  l'aulorili!  de  ce  ministèfe  ■  elle  a  Iroit 

E^Ajctrine ,  la  juridictioD  et  le  pouvoir  de  faire  des  lois. 

«miDÎstère ecclësiaslique  ne  peutenseignercommelBiJociriiifl 

e  ce  qui  est  cddIchu  dans  l'Ëcriture  ;  les  décisioni 

jDciles  ce  peuvent  donc  obligei'  personne ,  et  ces  assemblées 

f  retendent  mal  i  propos  être  infaillibles  dans  leurs  jugemens  *, 

Le  iniDistère  ecclésiastique  peut  faire  des  lois  pour  la  police  de 
l'Église,  pour  entretenir  la  paix,  etc.;  mais  il  ne  peut  faire  sur  Is 
culte  ou  sur  la  discipline  des  lois  qui  obligent  en  conscience ,  et 
Gilïia  traite  comme  une  tyrannie  odieuse  les  lois  que  l'Ëglise 
fait,  par  rapport  k  la  confession  ,  dans  le  culte  et  sur  les  cérémo- 
nies *. 

La  juridiction  de  l'Ëglise  n'a  donc  pour  objet  que  les  mœurs 
et  te  maintien  de  l'ordre  dans  l'Ëgllsc ,  et  cette  juridiction  n'a , 
pour  punir,  que  des  peines  purement  spirituelles ,  que  de  retran- 
cberde  l'Église  par  l'eicommunication  ceux  qui,  après  les  moni- 
tioDs ordinaires,  ne  se  corrigent  pas,  scandalisent  et  corrompent 
les  SdËles.  Sur  cet  objet ,  Calvin  reprocbe  encore  à  l'Ëglise  ro- 
maine d'avoir  abusé  de  son  pouvoir,  surtout  par  rapport  aux  vœux 
monastiques  ^. 

La  vraie  Ëglisc  »  deux  earaclËres,  selon  Calvin:  la  prédication 
de  la  doctrine  de  Jésus-Cbrist ,  et  l'administration  des  vrais  sacre- 
meos;  après  avoir  traité  ce  qui  regardela  prédication  etl'Ëglisei 
il  traite  des  sacremens  *. 

Toutes  les  religions  ont  leurs  sacremens,  c'est-4'direde?signei 
eitérieura  destinés  à  exprimer  les  promesses  ou  les  bienfaits  ds 
ta  divinité.  La  vraie  religion  a  toujours  eu  les  siens  :  tel  était 
l'arbre  de  vie  pour  l'état  d'innocence  ,  l'arc-en-ciel  pour  Pfoé  et 
pour  sa  postérité  ,  la  circoncision  depuis  la  vocation  d'Abraham, 
et  les  sipes  que  Dieu  donna,  au  peuple  juif  pour  conOrmer  I4.| 

rei  près,  cpii  ne  méritent  que  du  mépris  :  nous  avons  réAilé  l'erreurM 
Calvin  sur  le  pnpe  à  l'article  G«tci.  ' 

I  Ibid.,  c.  S,  é.  Les  Danalîstn,  les  Montanistes,  les  Albigeois, 
hérétiques,  en  un  mot,  ont  eu  les  mtmcs  prétentions  ;  nous  en 
roir  la  fausseté  ï  l' article  IXtiORns. 

3  1bid.iclO. 

>IMd.,  c  11,  la,  la.  Vigilnncc,  avant  Calvin,  aiuitollaquéli' 
Il  rbtcondamné.  Voyei  son  arlicle, 

rlafoussclÉ  ilc  ce  seiUiuieut  i  l'arl.  IIlfok 


306  CAL 

promesses  qu*il  lui  avait  faites  et  pour  affermir  la  foi;  uAs  Tarent 
les  signes  donnés  à  Gédéon. 

Le  Seigneur  a  voulu  que  les  chrétiens  eussent  aussi  leurs  signés 
ou  leurs  sacremens ,  c'est-à-dire  des  signes  qui  les  confirmeDtdans 
la  foi  des  promesses  que  Dieu  leur  a  faites. 

Comme  Calvin  attribue  Touvrage  du  salut  à  la  foi,  les  sacremens 
ne  sont  des  moyens  de  salut  qu'autant  qu'ils  contribuent  à  faire 
naître  la  foi  ou  à  la  fortifier.  11  définit  donc  les  sacremens  »  des 
êymboleê  extérieurs ,  par  le$quel$  Dieu  imprime  en  not  eonseUnces 
les  promeêses  de  ta  bienveillance  envers  nous  pour  soutenir  mire 
foi,  et  par  lesquels  nous  rendons^  en  présence  des  anges  et  des 
hommes  y  tésnoignage  de  notre  piété  envers  Dieu. 

Les  sacremens  ne  sont  donc  ni  des  signes  vides  et  inefficaces, 
destinés  à  nous  remettre  devant  les  yeux  les  promesses  de  JésiK- 
Gbrist ,  ni  des  signes  qui  contiennent  par  eux-mêmes  une  vwtn 
cachée  et  secrète  ;  ces  signes  sont  efficaces ,  parce  que ,  lorsque 
ces  signes  nous  sont  appliqués ,  Dieu  agit  sur  nos  âmes* 

Calvin  veut  trouver  ici  un  milieu  entre  les  catholiques  et  les 
Luthériens  ;  il  est  obscur,  embarrassé  ,  et  parait  n'avoir  pas  bien 
entendu  la  doctrine  de  l'Église  romaine  sur  les  sacremens  et  sur 
leur  eflicacilé  :  tantôt  il  lui  reproche  de  se  tromper  sur  les  sa- 
cremens ,  parce  qu'elle  attribue  je  ne  sais  quelle  vertu  secrète  aux 
élémens  des  sacremens ,  qui  opèrent  comme  une  espèce  de  magie; 
tantôt  il  l'accuse  d'exagérer  la  vertu  des  sacremens,  parce  qu'elle 
enseigne  qu'ils  produisent  leur  effet  dans  nos  âmes ,  pourvu  que 
nous  n'y  mettions  pas  d'obstacles  ;  doctrine  monstrueuse,  dit-il, 
diabolique ,  et  qui  damne  une  infinité  de  monde ,  parce  qu'elle 
leur  fait  attendre  du  signe  corporel  le  salut  qu'ils  ne  peuvent  obte- 
nir que  de  Dieu  *. 

De  ce  que  les  sacremens  ne  sont  que  des  signes  par  lesquels 
Dieu  imprime  dans  nos  âmes  les  promesses  de  sa  bienveillance 
pour  soutenir  noire  fui ,  et  par  lesquels  nous  témoignons  notre 
piété  envers  Dieu ,  Calvin  conclut  que  les  catholiques  ont  mal  à 
propos  mis  de  la  différence  entre  les  sacremens  de  l'ancienne  loi 
et  ceux  de  la  nouvelle ,  comme  si  les  sacremens  de  l'ancienne  loi 
n'avaient  fait  que  promettre  ce  que  les  sacremens  de  la  nouvelle 
pous  donnent.  ' 

*  Nous  avons  expliqué  le  sentiment  des  catholiques  et  réfuté  Terreur 
de  Calvin  à  l'arU  Lvthek, 


CAL  397 

llcvBclutqu'ilu'yaquedeux  Eacremeus,  le  baptême  et  la  cène 
]i3rce  qu'il  n'y  a  que  ces  deux  eacrem 
lidéles  et  nécessaires  à  k  conslilution  de  rËglisi 

Le  baplëme  esi  le  signe  de  notre  iniiialion  et  de  notre  entrée 
d.ins  rËglise,  ou  la  marque  extérieure  de  noire  union  avec  Jésus- 
Christ. 

Par  ce  sacrement,  nous  sommesjustifiés,  et  les  mérites  de  la 
rédemption  nojs  sont  appliques  :  Cahin  assure  donc  que  le  ba|w 
léme  n'est  pas  seulement  un  remède  contre  le  péché  originel  et 
contre  les  pécbés  cuiiimis  avant  de  le  recevoir,  mais  encore  con- 
tre tous  ceux  que  l'ou  peut  commettre  après  l'avoir  reçu ,  en  sorte 
que  le  souvenir  de  notre  baptême  les  efface- 
La  vertu  ou  l'elTet  du  baptême  ne  peut  Être  détruit  par  les  pé- 
cbés que  l'on  commet  après  l'avoir  reçu;  ainsi,  un  homme  qui 
a  été  une  fois  justitié  par  le  baptême  ne  perd  jamais  la  justice  *. 
Calvin  prétend ,  par  ce  dogme ,  rassurer  les  consciences  timo- 
rées, les  empêcherde  tomber  dans  le  désespoir,  et  non  pas  lâcher 

Il  attribue  au  baptême  de  saint  Jean  le  même  effet  qu'au  bap- 
tême de  Jésus-Cbrist  et  des  apûtres. 

11  Goadanine  dans  l'administration  du  baptême  tous  les  exor- 
cismes  et  toutes  les  cérémonies  de  l'Église  catholique  ;  il  veut 
qu'on  administre  le  baptême  aux  enfans ,  et  réfute  les  Anabap- 
tistes ,  et  en  particulier  Servet ,  qui  avait  pria  leur  défense  '. 

La  cèue  est  le  second  sacrement  que  Calvin  admet  :  ce  sacre- 
ment n'est  pas  seulement  institué  pour  nous  représenter  la  mort 
et  la  passion  de  Jésus-Christ,  commeZuingle,  OEcolampade,elc., 
le  prétendent ,  mais  pour  nous  faire  participer  réellement  il  la 
cbair  et  au  sang  de  Jésus-Christ.  Calvin  croit  qu'il  est  absurde 
et  contraire  i  l'Ëcriiure  de  ne  reconnaître  dans  l'eucbaristie  que 
la  figure  du  corps  de  Jésus-Christ.  Notre-Seigneur  promet  trop 
expressément  qu'il  nous  donnera  sa  chair  à  manger  et  son  sang  ï 
boire  ;  il  attribue  à  cette  manducation  des  effets  qui  ne  peuvent 
convenir  à  une  simple  représentation. 

Calvin  rejette  donc  le  sentiment  de  Zuingle,  et  croit  que  nous 

'Instil.,LS,c.  11  LesVaudois,  les  Albigeois  avaient  avancé  les  mêmes 
erreurs  ;^ant  Luther  et  Calvin  ;  nous  les  avons  réfutés  à  l'art.  Ldthbb. 

*  Calvin  n'est  encore  ici  que  l'écho  des  hérétiques  qui  l'ont  pricédéi 
Voye!,  l'art.  Ldthib. 

•InitiL,  I.  j,  cl5, 10, 


n%  CAL 

miiigeonf  réeUement  le  corps  et  la  chair  de  Jé8Ud<Ghritt  ;  mni  ee 
B*esl  point  dans  le  pain  que  réside  la  diairet  le  sang  de  Jéaw 
Christ  ;  seulement  lorsque  nous  receyons  les  symboles  eudiârifti* 
qoes»  la  chair  de  Jésus4]lhrist  s'unit  à  nous,  ou  plat6l  Mog 
■OBOies  unis  à  la  chair  de  Jésus-Clbrist  comme  à  son  esprit. 

Il  ne  faut  pas  combattre  cette  doctrine  par  la  difficulté  deceii* 
ccToir  comment  la  chair  de  Jésus-Christ  qui  est  dans  le  cîd  t*iiiiit 
h  bous:  faut-il  mesurer  les  ouvrages  de  Dieu  sur  nos  idées?  Ln 
puissance  de  Dieu  n*est-elle  pas  infiniment  au-dessus  de  noire  ùl* 
teiligence  t 

Calfin  reconnaît  donc  que  nous  mangeons  réellement  le  eorpi 
de  Jésus-Christ;  mais  il  ne  le  croit  ni  uni  au  pain  et  au  Tin^oomnie 
Luther,  ni  existant  sous  les  apparences  du  pain  et  du  ▼!»,  fÊJt  la 
transsubstantiation ,  comme  les  catholiques. 

Ainsi ,  depuis  que  les  prétendus  réformés  se  sont  séparai  de 
rÉglise,  jusqu'à  Calvin,  voilà  déjà  trois  manières  différente!  d'ex- 
pliquer ce  que  TËcriture  nous  dit  sur  le  sacrement  de  reucharifta» 
tie ,  et  ces  trois  explications  opposées  sont  données  par  troii  dMA 
de  parti  qui  prétendent  tous  trois  ne  suivre  que  rÉcritttre ,  et 
qui  prétendent  qu'elle  est  assez  claire  pour  que  les  simplet  Mè* 
les  découvrent  dans  rÉcriture  quels  sont  les  sentimens  vrais  on 
ftiux  sur  les  questions  qui  s'élèvent  par  rapport  à  la  religion  *. 

Les  catholiques  romains  ont,  selon  Calvin,  anéanti  ce  sacremenl 
par  la  messe»  qu'il  regarde  comme  un  sacrilège  ** 

Calvin  reconnaît  que  toutes  les  Églises  chrétiennes,  avant  la 
réformation  prétendue,  reconnaissaient  cinq  autres  sacremens  aveo 
le  baptême  et  la  cène  :  il  attaque  ce  sentiment^  et  prétend  que  cet 
sacremens  ne  sont  que  des  cérémonies  d'institution  humaine 
qu'on  ne  trouve  point  dans  l'Écriture  et  qui  ne  peuvent  être  regar* 
dées  comme  des  sacremens ,  parce  que  les  sacremens  étant  dee 
signes  par  lesquels  Dieu  imprime  ses  promesses  dans  nos  âmes  ^ 
lui  seul  a  le  pouvoir  d'instituer  des  sacremens  ^. 

Dans  le  20*  et  dernier  chapitre,  Calvin  combat  la  doctrine  dee 
Anabaptistes  sur  la  liberté  chrétienne  :  il  fait  voir  que  le  ehrifl« 

1  Instit,  c  17* 

2  Ibid.,  c.  18.  Calvin  n'a  pas  encore  ici  le  mérite  de  la  nqiiveautéi 
nous  avons  exposé,  à  rarticle  Luthbb,  a  doctrine  de  l'Eglise  catho* 
lique. 

»  Ibid.,  c  19.  Voyez  Tart.  Luther. 


t  point  opposé  au  gouvernement  politique  ;  qu'un 
chrétien  peut  être  un  magistral  équitable,  un  roi  puissant  el  bon  ; 
que  les  chréliens  doivent  respecter  le  mnglslrat,  obéir  aux  puissan- 
oes  civiles  el  temporelles;  qu'il  n'appavlinit  poiut  aux  hommes 
privés  de  eensurer  leur  conduite  ;  qu'ils  doivent  une  obéissance 
illimitée  ï  leurs  ordres,  dans  les  ufliiires  temporelles,  et  toutes  les 
fois  qu'ils  ne  commandent  pas  des  chusea  contraires  !i  la  religion  ; 
car  alors  il  faut  se  rappeler  les  paroles  de  saint  Pierre  :  Faul-it 
obéir  aux  hommes  ouï  Ôieu?  Aux  erreurs  dont  nous  venons  de 
donner  le  détail,  Calvin  en  ajoute,  dans  ses  autres  ouvrages,  queU 
ques-uues  qui  ne  méritent  pas  qu'on  s'y  arrête. 


1 


Réfîexim 


:r  te  tyUime  de  Caiiin 


Par  Texpoei lion  que  nous  venons  de  Taire  du  système  théologiqne 
de  Calvin  el  pat  les  notes  que  nous  ;  avons  ajoutées ,  il  esl  clair 
que  les  diurnes  de  l'ii^liae  catholique  que'Calvin  attaque  avaient 
déjà  été  niés  el  combattus  par  dilTérenles  ieclei  ;  toutes  ces  sectes 
avaient  été  coudaninées  à  mesure  qu'elles  s'étaient  élevées ,  el  el- 
les avaient  formé  des  sectes  absolument  séparées  ;  leurs  erreurs 
étaient  parvenues  jusqu'au  seizième  siècle,  ou  par  des  restes  èpars 
de  ces  sectes  ,  ou  par  les  raonumens  de  l'hislolre  ecclésiastique. 
i.e  temps,  qui  presse,  pour  ainsi  dire,  et  qui  rapproche  sans  cesse 
les  erreurs  comme  les  vérités,  avait  rapproché  toutes  lea  erreurs 
des  Iconoclastes,  des  Donallstes,  de  Bérenger,  des  Prédestina  liens, 
de  Vigilance,  etc. ,  dans  les  Albigeois,  dans  les  Vaudois,  dans  les 
Béguards,  dans  les  Fruticelles,  dans  Wiclel',  dans  Jean  (fus,  dan* 
les  Frères  de  Bohême,  dans  Luther,  dans  les  Anabaptistes ,  dans 
Carloslad,  dans  Zuingle,  etc.  ;  mais  elles  n'étaient  que  rapprochées, 
Lulher  en  enseignait  une  partie  et  rejetait  l'autre;  elles  n'étaient 
doncuiréunies,  ni  liées:  Calvin  parut,  il  avait  l'espriiméihodique, 
il  entrepril  de  les  lier  et  d'établir  des  principes  généraux  d'oft  il 
pât  tirer  ces  erreurs  opposées  à  l'Église  romaine  ;  il  établit  pour 
base  de  son  système  que  l'Écriture  est  la  seule  règle  de  notre  foi. 

Nous  avons  vu  comment,  d'après  ce  principe,  it  établit  toute  a3  ' 
doctrine. 

Après  que  Calvin  eut  ainsi  réuni  et  lié  loules  les  erreurs  qui 
entrent  dans  son  système  de  l'éTurine ,  les  catholiques  en  atlaquè- 
r«ni  lesdiHcrentes  parties,  et  les  disciples  de  Calvin  prirent  la  dé- 
fense des  difTérenles  opinions  de  leur  maître  :  chacune  des  erreurs 
deCulvin  redevint,  pour  ainsi  dire,  une  erreur  h  part ,  sur  laquelle 


tM  CAL 

me  foule  de  <idiitroversîste8  des  deux  eonumnÉlomi  &*€•!  efecveèp, 
el  ces  eontrovenes  ont  absorbé,  pendaul  eimr<m  dèoi  otèélet > 
ime  grande  partie  des  efforts  de  Tesinrit  humain  dant  l'&iirèpft. 
Qodle  multitude  innombrable  d'ouvrages  n*a-t-on  pas  éerit  s 
la  présence  réelle,  sur  TÉgUse,  sur  le  juge  des  eontroreriéa , 
la  confession ,  sur  la  prière  pour  les  morts ,  sur  les  indiilgéMMl , 
sur  le  pape?  VajfezYm.  RâroRMATioN* 

La  doctrine  de  €al?in  fut  adoptée  par  les  réformés  déFknee^ 
elle  s'établit  dans  les  Pays-Bas,  en  Angleterre ,  dans  miie  partie 
de  TAllemagne  ;  mais  c'est  surtout  en  France  que  le  Calfiaismé 
fit  de  grands  progrès  et  excita  de  grands  mouvemens ,  bous  eH 
allons  parler  dans  Tart.  Calvinistes.  Nous  parlerons  éà  ses  j^ro- 
grès  dans  les  Pays-Bas  2i  l'art.  Holuinde. 

CALVINISTES ,  disciples  de  Calvin  :  nous  avons  vu  quH  y  im 
eut  dans  presque  toute  l'Europe,  et  surtout  en  France,  ob  ils  eot^' 
tèrent  de  grands  mouvemens  ;  nous  allons  examiner  rorigitté»  te 
progrès  et  la  chute  du  Calvinisme  en  France  ;  mais,  pour  bimi  eoiK 
Battre  les  causes  du  progrès,  il  faut  remonter  jusqu'aux  tMpsqsil 
ont  précédé  la  naissance  du  Calvinisme. 

De  l'état  de  la  France  à  la  naissance  de  la  réforme, 

La  France  n'avait  point  été ,  comme  l'Allemagne ,  l'asile  et  le 
théâtre  des  hérésies  et  du  fanatisme  qui  avaient  troublé  l'Église 
pendant  le  treizième,  le  quatorzième  et  le  quinzième  siècle  :  les 
schismes  qui  s'étaient  élevés  entre  les  papes,  les  démêlés  des  pa-> 
pes  avec  les  rois ,  n'avaient  point  altéré ,  dans  l'Église  de  France, 
les  sentimens  d'attachement,  de  respect  et  de  soumission  légitime 
au  saint  Siège:  on  y  avait  également  condamné  les  excès  des  sec- 
taires et  les  abus  qui  servaient  de  prétexte  à  leur  rébellion. 

Cependant  la  réforme  y  pénétra  insensiblement  et  s'y  établit  avec 
éclat  :  il  est  intéressant  de  connaître  les  causes  de  cet  événement» 

1<*  L'ordre  des  religieux,  et  surtout  celui  àes  quatre  ordres  men^ 
dîans,  s'était  fort  répandu  en  France.  Ces  religieux ,  si  respecta- 
bles et  si  utiles  à  l'Église ,  n'étaient  point  retirés  dans  des  déserts 
et  dans  des  forêts ,  ils  habitaient  dans  les  villes,  et  y  vivaient  des 
dons  de  la  piété  des  fidèles  :  ils  voulurent  travailler  au  salut  de 
leurs  bienfaiteurs;  leur  zèle  actif  établit  des  pratiques  de  dévotion, 
approuvées  par  les  souverains  pontifes  et  propres  à  ranimer  la 
piété;  ils  prêchaient,  ils  confessaient  ;  on  gagnait  des  indulgences 
dans  leurs  églises. 


^  CAL  SOI 

'  Le  zèle  de  quelque^uns  faUaîl  de  temps  en  lempa  des  enire- 
prlses  sur  les  droits  des  curés  :  le  clergé  séculier  s'y  opposait,  ré- 
clamail  les  lois ,  se  plaignait  qu'on  violait  la  disciplipe  ;  les  reli- 
gieux ,  de  leur  cfité ,  s'appujaienl  sur  des  privilèges,  n'oubliaient 
rien  pour  intéresser  le  pape  en  leur  favenr,  et  lui  attribuaient  dans 
l'Ëglise  un  pouvoir  illimité,  surtout  par  rapport  aux  indulgences, 
dontilsexagéraient  quelquefois  la  vertu  ;  enfin,  ils  exaltaient  ex- 
cessivenient  et  souvent  ridiculement  les  vertus  de  leurs  patriar- 
ches ondes  saints  de  leur  ordre,  et  le  pouvoirde  leur  intercession. 

Le  ctergécombattail  cette  doctrine,  et,  parmi  les  ecclésiastiques 
séculiers  ,  il  s'en  trouvait  qui  se  jetaient  dans  l'extrémité  oppo- 
sée, quiniaienila  veriudes  indulgences  et  qui  contestaient  au 
souverain  pontife  ses  prérogatives  les  plus  certaines. 

Ily  avait  donc  en  France  des  personnes  qu'un  tÈle  indiscrète! 
sans  lumifire  avait  jetées  hors  de  ce  sage  milieu  que  tenait  VÉ- 
glise  de  France. 

Ces  querelles  n'avaient  point ,  il  est  vrai ,  troublé  la  France  ; 
la  faculté  de  théologie  ,  qui  veillait  sur  ces  innovations ,  les  con- 
damnait ,  les  réfutait  et  en  arrêtait  le  cours  ;  mais  elles  renais- 
saient de  temps  en  lempa  et  entretenaient  par  conséquent  en 
France  des  esprits  disposés  il  goûter  les  dogmes  de  la  nouvelle 
réforme  sur  le  pape  ,  sur  les  indulgences  ,  sur  l'intercession  des 
saints,  sur  les  pratiques  de  dévotion  '. 

S°  Sur  la  lin  du  quinzième  siècle,  Alexandre  VI  avait  scandalisé 
toute  l'élise  par  ses  mœurs  et  par  son  ambition. 

3°  Jutes  11 ,  son  successeur,  fut  ennemi  impitoyable  de  Louis 
XII  etde  la  France.  Louis  assembla  les  évéques  de  son  royaume, 
et  ;  fit  déclarer  qu'il  était  permis  de  faire  la  guerre  au  pape  pour 
des  choses  temporelles;  ce  prince  fit  assembler  i  Pise  un  concile  où 
Jules fuicitéet  jugé  ennemi  delà  paix,  incorrigible  et  suspens  de 

Louis  mettait  touten  usage  pour  rendre  Jules  odieux  àlaPranee 
et  i  l'Europe ,  et  Jules ,  de  son  cûté,  entraîné  par  son  inclination 
guerrière  et  par  sou  ambition,  secondait  les  intentions  de  ce 
prince  ;  on  voyait  ce  pontife  faire  des  sièges,  livrer  des  batailles, 
monter  à  cheval  comme  un  simple  ofScier,  visiter  les  batteries  et 
les  tranchées ,  animer  les  troupes,  s'exposer  lui-même  au  feu,  Il 


■  Collect.  jud.,  de  novis  errDribu<i,  t.  3.  Hiit.  i 
t.  iO.  Dup.,  quinzième  siècle.  Conlin,  de  Fleiiry, 


ri^llse  gai  lie; 


SOI  CAL 

soaleya  toute  Flulie  contre  Louis,  le  déponOIa  4^  tout  <^  q[U*ii|. 
possédait;  noa  content  de  combattre  ^veç  des  armes t^mporçUciS^ 
on  le  Tit  employer  contre  le  royaume  les  armes  smrUq|lIea  ;  h 
F^nce  vit  ce  pape  excommunier  an  roi  qu^eUe  adorait  ^  in^Urft 
son  royaume  en  interdit  ^  dispenser  ses  sujets  du  sormeilt  de  fid4* 
lîté;  on  vit  ce  pape  ôter  à  la  ville  de  Lyon  le  droÂt  de  tenif  diBfk 
foires  (hmches,  parce  qu*ene  avait  donné  retraite  9U9  évéqaesdll 
concile  de  Pise. 

Ce  n*étaît  point  ici  une  querelle  théologique,  c*étaitb<{liere|le 
du  peuple  et  de  la  cour,  du  citoyen  çt  du  militaire  »  commif  dil 
magistrat.  Toute  la  France  prit  part  à  ce  démêlé,  et  Vom  ne  peut 
douter  qu*il  n*ait  jeté  dans  Tesprit  des  Français  des  idées  contnô,'^ 
res  au  respect  et  à  la  soumission  qu'on  doit  au  saint  Siège:  Tanto- 
rite,  la  pluç  légitime  devient  suspecte  lorsqu*on  en  fait  on  abus 
manifeste ,  et  que  cet  abus  attaque  le  bonheur  ou  la  trasqiûUlti 
des  États. 

4*  Quoiqu^l  s*en  fallût  infiniment  que  FÉglise  ne  fût  telle  que 
les  réformés  le  prétendaient ,  il  est  cependant  sûr  qu*il  y  axaU  dea 
abus  considérables ,  que  le  peuple  ne  les  ignorait  point ,  que  lûtes 
avsût  montré  plus  de  zèle  pour  acquérir  des  terres  que  pour  taré- 
formation  des  mœurs  et  de  la  discipline  ,  et  que  Léon  X  qui  lui 
succéda  ne  montra  pas  plus  de  zèle  pour  la  réforme  que  son  pré- 
décesseur. 

5*  Il  y  avait  aussi  de  grands  abus  dans  les  quêles  qui  se  fai- 
saient à  Foccasion  des  indulgences  ou  de  quelques  reliques  sin- 
gulières :  des  quêteurs  se  répandaient  dans  les  diocèses,  publiaient 
beaucoup  de  faussetés  et  jetaient  le  peuple  dans  Tillusion  et  dans 
la  superstition  ;  les  officiers  de  la  cour  ecclésiastique  suscitaient 
et  allongeaient  les  procès  pour  extorquer  de  Targent  en  mille  ma- 
nières *. 

6°  Dans  le  quinzième  siècle  et  sous  Louis  XII,  la  théologie  et 
le  droit  avaient  été  cultivés  principalement  en  France  ;  au  com- 
mencement du  seizième,  on  s*occupa  beaucoup  de  Tétude  des  lan- 
gues: les  savans  ,  attirés  de  toutes  parts  par  François  I^**,  admis 
dans  sa  familiarité ,  élevés  aux  dignités  de  FÉglise  et  de  FËtat , 
tournèrent  le  génie  de  la  nation,  des  courtisans  et  des  grands,  du 
côté  des  belles-lettres. 

Les  savans,  habiles  dans  Thistoire ,  dans  la  critique  et  dans  la 

*Hist,derÉgl.  gall.,  1. 17. 


CAL  303 

e  des  langues ,  dMaigiiËrent  l'élude  de  la  Lhéologie, 
et  Irailèrenl  les  orades  de  l'école  avec  mépris.  Les  théologiens , 
de  leur  cûlé,  dérendireot  la  méthode  des  écoles  et  décriant  l'é- 
tude des  belles-lettres,  comme  une  élude  fatale  et  dangereuse  à 
la  religion. 

Ce  n'était  pas.ainsi  que  Luther  en  avait  usé  avec  les  gens  de 
lettres,  il  les  avait  comblés  d'éloges  ,  il  s'était  attaché  des  savaoi, 
des  écrivaias  cËlËbres;  ainsi,  lorsque  tes  disciples  de  ce  réforma- 
teur pénétrèrent  en  France ,  ils  trouvèrent  dans  les  geas  de  let- 
très  des  dispositions  favorablea  ï  Luther  et  conlraires  ans  thw- 
logiens. 

Les  hommes  de  lettres,  qui  n'étaient  que  des  théologiens  supet^- 
fîciels  ou  qui  ne  l'étaient  point  du  tout  ,  furent  aisément  séduits 
par  les  sopliismes  des  rérorntés:  un  trait,  une  conséquence  ridi- 
cule imputée  aux  catholiques,  uu  passage  de  l'Écriture  mal  inter- 
prété par  les  commentateurs,  un  abus  repris  et  corrigé  par  Lulhef , 
firent  regarder  la  réforme  comme  le  rétablissement  du  chrisiik- 
nisme. 

si,  lorsque  les  ouvrages  elles  disciples  de  Luther  pénétrè- 

n  France  ,  il  y  avait  dans  presque  tous  les  ordres  de  l'Ëtat 

immes  disposés  ii  admettre  quelques-uns  des  principes  da 

3  réforme,  et  propreaàles  persuader  aux  autres;  ceux  qui  s'écar- 

1   tËreut   de  la  foi  catholique  n'adoptèrent  pas  d'abord  les  mêmes 

points  de  la  réforme  ;  chacun  adoptait  le  point  de  réformaiion  qui 

I  ^iiUaquail  ce  qui  lui  déplaisait  dans  le  dogme  ou  dans  la  discipline 

t  (|e  l'Église  calholique. 

'  De  la  naissance  Se  la  réforme  en  France,  et  de  son  progrét 
jusqu'à  la  naistance  du  Calvinisme. 
Ce  fut  à  Ueaux  que  la  réforme  parut  d'abord  avec  quelqueéclal: 
'SnillaumeBriçonnet.quienéiaitciêqueen  iSSi,  simailles  lettres 
KiM  les  sciences  ;  il  avait  des  vues  de  réforme  pour  le  clergé  ;  il  tira 
e  l'Université  de  Paris  des  professeurs  d'une  grande  réputation  : 
«n  nomme  enlr'autres  le  Fevre  d'Ét3ples,Faret,  Roussel,  Valable. 
L'évéque  de  Meaus  ne  tarda  pas  A  s'apercevoir  que  Farel  él^t 
imbu  des  opinions  nouvelles,  et  il  le  chassa. 
,   Mais  les  partisans  de  la  nouvelle  réforme  avaient  inslri 
fret  quelques  babitans  de  Menus,  el  fait  passer  dans  le  peupla  ] 
^eors  erreurs.  Les  prétendus  réformés  fermèrent  une  seete  ,  et  se 
ïobirenl  pour  ministre  uncardeui  de  laine,  nommé  Jean  le  Clerc, 


I 


804  CAL 

qui,  sans  aotre  mission  ,  se  mit  à  prêcher  et  admimstrer  les  sa* 
cremens  à  cette  assemblée. 

Voilà  la  première  Église  de  la  réforme  en  France:  le  lèle  des 
iioa?eattx  réformés  réunis  dans  leur  prêche  fermenta,  s'édiaolEiy 
8*enflamma  ;  ils  déchirèrent  publiquement  une  bulle  du  pape  qui 
ordonnait  un  jeûne  et  qui  accordait  des  indulgences ,  ib  affidîb- 
rent  k  la  place  des  placards  où  ils  traitaient  le  pape  d*Ântechrisl. 

On  anêta  ces  fanatiques  :  ils  furent  fouettés,  marqués  et  bannis  ; 
lean  le  Clerc  fut  apparemment  de  ce  nombre ,  car  il  se  retira  à 
Metz,  où  son  zèle  devint  furieux^  et  où  il  fut  brûlé  ^. 

Cependant  les  livres  de  Luther ,  de  Carlostad,  de  Zuiûgle ,  de 
If  élanchten  ,  se  multipliaient  en  France  ;  la  faculté  de  théologie 
condamnait  ces  écrits  :  on  assembla  des  conciles  dans  presque  tou- 
tes les  provinces  de  France ,  et  les  sentimens  des  réforme  y  fu- 
rent discutés  avec  beaucoup  d*exactitude  et  condamnés  :  lefÂile- 
ment  rechercjia  avec  beaucoup  de  soin  les  partisans  des  nouvelks 
erreurs,  et  il  en  fit  arrêter  plusieurs. 

François  I"'  suspendit  d*abord  les  effets  du  zèle  du  parlement 
et  rendit  la  liberté  à  plusieurs  partisans  de  la  réforme  ;  mais  enfin 
leurs  attentats  contre  la  religion  catholique,  les  libelles  injurieux 
qu^ils  répandirent  contrôle  roi,  les  instances  de  la  faculté  de  théo- 
logie, et  les  remontrances  réitérées  du  parlement,  déterminèrent 
ce  prince  à  laisser  juger  les  prétendus  réformateurs  selon  la  ri- 
gueur des  lois  portées  contre  les  hérétiques. 

Ce  monarque  ordonna  qu'on  reprît  le  procès  d*un  gentilhomme 
nommé  Berquin,  qu'il  avait  soustrait  aux  poursuites  du  parlement, 
et  qui  attaquait  la  Sorbonne  :  douze  commissaires  nommés  par  le 
roi  revirent  le  procès  intenté  contre  Berquin  ;  il  fut  convaincu 
d*être  dans  les  erreurs  de  Luther,  et  condamné  à  voir  brûler  ses 
livres,  à  avoir  la  langue  coupée,  et  à  élre  enfermé  le  reste  de  ses 
jours.  Berquin  en  appela  au  roi  et  au  pape;  sur  son  appel,  les  ju- 
ges le  condamnèrent  au  feu,  et  il  fut  brûlé  le  22  avril  1529* 

On  alluma  donc  en  France  des  bûchers  contre  les  partisans  des 
nouvelles  erreurs,  et,  des  grandes  procédures,  on  passa  jusqu'aux 
soupçons ,  jusqu'aux  scrupules  '. 

^  Dup.,  seizième  siècle,  1. 1,  c.  2,  %  30.  D.  Duplessis,  Hist  de  l'Égh 
de  Meaux,  1. 1,  p.  321.  Du  Boulay,  Histoire  de  l'Université  de  PariSi 
t.  6,  p.  101.  ; 

2  Hist,  de  r%U  gaUic,  U  18,  U  52,  p.  160, 


CAL 

Souvent  la  plus  petite  aDalogie,  dans  la  conduite  d'un  humiue  , 
avec  les  principes  delà  réforme,  parut  un  motif  su  fCsant  pour 
l'emprisonner,  pour  le  bannir,  pour  le  brûler  '. 

La  vigilance  et  la  sévërilâ  des  tribunaux  qui  poQTsuivaieat 
l'hérésie  n'en  arrêtèrent  pas  les  progrès  :  les  dogmes  de  la  naU' 
velle  réforme  se  perpétuèrent  ï  Paris ,  il  Meaux ,  i  Roi 
curés,  des  religieux,  des  docteurs  en  tbéologïe,  des  docteurs  eu  à 
droit ,  adoptèrent  ces  dogmes  ;  ils  les  enseignèrent  et  les  persua- 
dèrent au  peuple,  aux  magistrats,  aux  bourgeob,  aux  femmes  *. 

Les  livres  de  toute  espèce,  livres  de  piété,  traités  dogmatiques, 
ouvrages  polémiques,  inondèrent  la  France  et  y  allumèrent  le 
fanatisme  :  on  répandit  dans  Paris  des  placards  pleins  de  blasphè- 
mes contre  k  sainte  eucharistie ,  avec  des  iuvectlves  grossières 
contre  tous  les  ordres  du  clergé  ;  on  eut  même  la  hardiesse  de 
faire  aDBcher  ces  libelles  au  château  de  Blois,  0(1  le  r<  ' 
cour  *. 

Cea  placards  se  renouvelèrent  à  Paris ,  el  François  1"  fil  publia  ] 
un  édii  formidable  contre  les  bérétiques. 

Pour  réparer  les  attentats  des  sectaires  contre  la  religion,  le  rai  1 
fil  une  procession  solennelle  dans  Paris,  après  laquelle  on  brùbi  1 
six  des  principaux  complices  des  attentats.  On  inventa ,  pour  les  À 
faire  soutl'rir  davantage ,  une  sorte  d'estrapade ,  au  moyen  de  la- 
quelle ces  misérables  étaient  guindés  en  baut  ;  puis  on  les  faisait 
tomber  dans  le  feu  â  diverses  reprises  jusqu'à  ce  qu'ils  finissent 
leur  vie  dans  ce  terrible  supplice  :  dix-huit  autres  personnes  attein- 
tes du  même  crime  furent  punies  de  la  même  manière;  tous 
éiaienl  Français  '. 

Les  princes  prolestans ,  ave^;  lesquels  François  1"  était  ligué  1 
contre  Cbarles-Quint,  se  plaignirent  de  ce  qu'on  traitait  en  Franea  1 
avec  tant  de  rigueur  des  hommes  qui  n'avaient  d'autre  crime  qu 
de  penser,  sur  lu  religion  ,  comme  les  Protestans  d'Allemagne. 
François  I"  répondit  que  les  personnes  qu'il  avait  fait  brûler 
étaient  noo-seulement  hérétiques  ,  mais  séditieuses  ;  ce  prince  fit 

■  Ërasm.,  Epist 

»  Hist.  de  Paris,  p.  088.  HisI,  des  archev.  de  Rouen,  p.  G05.  HisL  < 
de  Meaux,  t  1,  p.  3S8.  U'Argentré,  t.  2,  p.  S. 

'  HUl.  de  Paris,  p.  990.  Du  Boula;,  l.  6,  p.  2&i.  HisL  de  l'ËgU  J 
fallic,  iMd.  ConL  de  Fleury.  J 

«DuBoulay,  Ibid.,  p.  a&9.  HisL  de I'%1,  galtic,  t.  IB,  p,  aeO.Cont.  ] 
de  V\ear3,  1. 135,  nrU  70,  1, 37,  p.  SIO. 


1 

i 

I 

s 

il 

t 

s 

J 

:■ 


r 


M6  CAL 

même  savoir  aux  princes  proteslâna  qu'il  Mriît  chanuod'feroir 
dans  son  royaume  quelques-uns  rie  leurs  lliéologiens  '. 

Le  cardinal  du  Bellay  enlama  une  espèce  de  néguciation  avec 
Uélanchton  :  ce  ihéoloF^ïen  euvoja  un  mémoire  on  une  espèce  ds 
oonfeBsion  de  foi,  dans  laquelle  les  dogmes  catholiques  qui  pas- 
saienl  pour  Taire  le  plus  de  peine  aux  Luliiériens  se  trouvaient 
modifiés  et  dègaisès  de  manière  que  les  simples  fidèles  auraieet 
pu  regarder  cet  Écrit  comme  quelque  cboïe  d'assez  conforme  ji  la 
véritable  doctrine  de  l'Ëglise  *. 

La  Taculié  de  théologie  fit  voir  la  fausseté  des  e\plicatioDi  de 
Mélancliton  ;  mais  ce  mémoire  s'était  répandu  dans  Paris,  et  il  lé- 
duisit  beaucoup  de  monde  que  la  censure  de  la  Faculté  de  ibëo- 
logie  ne  détrompa  point  \ 

De  ta  naiisance  et  da  progrès  (fw  Calvinisme  en  France  Jusqu'à  la 
mort  ôe  Htnri  IL 

Tel  était  l'étal  de  la  France  lorsque  Calvin  publia  ses  Institu- 
tions: il  donna,  dans  cet  ouvrage,  un  corps  de  doctrine  à  la  ré- 
forme 1  son  ouvrage  se  répandit ,  il  eut  des  partisans,  et  réunit 
bientût  tous  les  réformés  de  France  '. 

Le  roi  ne  perdit  point  de  vue  les  intérêts  de  l'Ëglise  ;  il  multi- 
pliait les  édita  contre  les  sectaires  k  mesure  que  la  liberté  de 
penser  devenait  plus  commune  et  plu9  dangereuse  ». 

On  vit  paraître  une  multitude  de  censures  de  la  Faculté  de  ibéo- 
logie  de  Paris  contre  des  religieux  de  différens  ordres  et  contre 
des  écrits  qu'on  lui  dérérait". 

Le  roi  fit  dresser,  par  la  faculté  de  théologie,  un  formulaire, 
et  défendit,  sous  de  grlëves  peines,  d'enseigner  rien  de  contraire; 
cependant  l'erreur  fallait  du  progrès,  même  parmi  tee  religieux 
ei  dans  la  faculté  de  théologie. 

Cette  faculté  portait  des  sentences  doctrinales  ;  les  tribunaux 
de  la  justice  décernaient  des  punitions  coalro  les  prédiculenra  et 
contre  les  partisans  de  l'hérésie  ' 

'  ConL  de  Flcury,  i 


^  Hial.  de  l'Égl.  (çailic,  ibid.,  p. 
'  D'Argcnlré,  1.  1,  p.  381,  elc,  1 


>  lllït,  de  I'ËeI.  eallic,  I.  13,  p.  33S. 

<ibld. 

'  D'Argcntré,  I.  3,  p.  S38,  nn.  1538,  15i3,  5'i.  Aâ. 


CAL  SOT 

\l  la  vigilance  ne  purent  éteindre  le  fanatisme  de  la 
rérorme  en  France  ;  le  nombre  de  ses  partisans  s'accrut  dans  lei 
Tilles  et  i  la  campagne;  lears  assemblées  commencÈreni  â  devenir 
publiques;  ils  y  clianlaient  les  psaumes  de  Marot,  On  en  arr^ 
plus  de  soixante  ïMeaux,  dont  quatorze  furenlcondamnés  ï  Airs 
brûlés ,  et  allèrent  au  feu  comme  au  triomphe  < . 

Les  erreurs  des  réformés  se  répandirent  à  Laon,  ï  Langres,  k 
Bourges,  â  Angers,  â  AuiuniâTrojes,  ti  Issoudun,  ï  Rouen. 

Tel  était  l'état  oii  François  1"  laissa  la  religion  en  France  :  il 
mourut  en  1S57. 

Henri  II  n'eut  pas  moins  de  lèle  que  son  père;  il  le  signala 
lorsqu'il  fit  son  entrée  à  Paris.  Apr^s  un  magnifique  Journoi ,  un 
combat  naval ,  on  fit  une  procession  solennelle ,  et  le  roi  dtna  & 
Tévêché  ;  il  fut  complimenté  par  tous  les  corps  :  sur  le  soir,  plu- 
sieurs hérétiques  furent  exécutés  dans  ditTérens  quartiers  de  Paris, 
et  le  roi,  retournant  à  son  palais  des  Tourtietles,  en  vit  brûler 
quelques-uns  '. 

Ce  prince  renouvela  tous  les  édits  portés  contre  les  hérétiques  : 
il  défendit  de  vendre  ou  d'imprimer  aucun  livre  sans  l'approba- 
tion de  la  faculté  de  théologie  et  défendit  i  toutes  personnes  non 
lettrées  de  disputer  de  la  religion ,  et  à  qui  que  ce  fût  de  prêter 
aucun  secours  ï  ceux  qui  étaient  sortis  du  royaume  pour  cause 
d'hérésie  *. 

Depuis  eet  édit,  les  bûchera  furent  allumés  partout ,  et  l'nn  ne 
fit  grice  nulle  part  aux  novateurs  :  on  les  fit  brûler  i  Bordeaux , 
à  Ntmes,  k  Paris,  ï  Toulouse,  ï  Saumur,  S  Lyon  :  les  exricu' 
lions  furent  terribles.  Cependant  l'erreur  faisait  tous  les  jours  àt 
nouveaux  progrès,  même  parmi  les  magislrais.  Le  mi  Cla  liux 
magistrats  la  connaissance  du  crime  d'hérésie ,  et  l'attribua  Sut 
juges  ecclésiastiques ,  ordonnant  îi  tous  les  gouverneurs  de  panirj 
sans  égard  pour  leur  appel ,  ceux  qui  seraient  condamnés  par  les 
juges  ecclésiastiques  et  par  les  inquisiteurs  de  la  foi  '. 

Ce  fut  le  cardinal  de  Lorraine  qui  obtint  cette  déclaration  ,  et 
qui  la  porta  lui-même  au  parlement. 


J,  p.  i9G.  DeThou,  1.  fl.édil.  in-i",  t.  1 


'  D'Argf  nlré,  ibid. 
'  Hist.  de  rÉgl.  gallic. 
te  la  Iraducl. 
'  Hisl.  de  I'ÉrI.  Rallie,  I.  18,  p.  497. 
t  Voget  U'Ar^cnlré,  l,  3,  cl  ks  auteurs  cilfs  d-ilcsnis. 


908  CAL 

Le  parlement  représenta  au  roi  que,  par  cet  édit,  il  abandon- 
nait ses  sujets,  et  li?rait  leur  honneur,  leur  réputation ,  leur  îor* 
Urne,  et  même  leur  vie,  à  une  puissance  ecclésiastique;  q«*eft 
supprimant  la  voie  d'appel,  qui  est  Tunique  refuge  de  Tinnoceneei 
il  soumettait  ses  sujets  à  une  puissance  illégitime.  «  Nous  prenons 
encore  la  liberté  d'ajouter,  disent  les  remontrances,  que,  pais* 
que  les  supplices  de  ces  malheureux  qu'on  punit  tons  les  jours 
au  sujet  de  la  religion  n'ont  servi  jusqu'ici  qu'à  faire  détester 
le  crime ,  sans  corriger  l'erreur,  il  nous  a  paru  conforme  aux 
règles  de  l'équité  et  à  la  droite  raison  de  marcher  sur  les  traces 
de  l'ancienne  Église ,  qui  n'a  pas  employé  le  fer  et  le  feu  pour 
établir  et  étendre  la  religion ,  mais  plutôt  une  doctrine  pure  » 
jointe  à  la  vie  exemplaire  des  évèques  :  nous  voyons  donc  que 
Votre  Majesté  doit  s'appliquer  entièrement  à  conserver  la  rdi« 
gion  par  les  mêmes  voies  par  lesquelles  elle  a  été  établie,  puis-* 
qu'il  n'y  a  que  vous  seul  qui  en  ayez  le  pouvoir.  Nous  ne  don» 
tons  point  que  par-là  on  ne  guérisse  le  mal  avant  qu'il  s'étende 
plus  loin ,  et  qu'on  n'arrête  le  progrès  des  opinions  erronées  qui 
attaquent  la  religion  :  si ,  au  contraire,  on  méprise  ces  remèdes 
efficaces ,  il  n'y  aura  point  de  lois  ni  d'édits  qui  puissent  j  sup- 
pléer *.  » 

Ces  remontrances  suspendirent  l'enregistrement  de  Fédit,  mais 
elles  n'arrêtèrent  point  les  poursuites  contre  les  Calvinistes ,  dont 
le  nombre  croissait  tous  les  jours. 

Ils  s'assemblaient  à  Paris  ,  et  leur  aversion  pour  les  catholiques 
augmentait  tous  les  jours  :  un  Calviniste  zélé  témoigna,  dans  une 
de  leurs  assemblées ,  une  grande  répugnaoce  à  laisser  baptiser  par 
un  prêtre  catholique  un  fîls  qui  lui  était  né  :  on  délibéra  sur  son 
embarras,  et  Ton  élut  un  jeune  homme^  nommé  la  Rivière,  pour 
faire  la  fonction  de  pasteur,  et  dès  lors  on  établit  un  consistoire 
sur  la  forme  de  celui  que  Calvin  avait  établi  à  Genève. 

L'exemple  de  la  capitale  entraîna  beaucoup  de  villes  considéra- 
bles :  les  assemblées  devinrent  plus  nombreuses  à  Blois,  à  Tours , 
à  Angers ,  à  Rouen ,  à  Bourges ,  à  Orléans  :  on  dressait  presque 
partout  des  consistoires  ;  la  plupart  des  pasteurs  étaient  des  arti- 
sans ou  des  jeunes  gens  dont  la  hardiesse  faisait  tout  le  mérite. 

Ces  établissemens  ne  se  faisaient  pas  sans  contradiction,  et  l'on 
punissait  dans  tout  le  royaume  les  Protestans  avec  la  dernière  ri- 


*  DcThou,  1.  16,  u  2,  p.  375.  llisl.  dcrÉgl.  gallic,  1. 1,  p.  016. 


CAL  309 

gueur  lorsqu'on  pouvait  les  découvrir.  Lesédils  portés  conlre  eui 
furent  renouvelés,  avec  la  clause,  sans  préjudice  de  la  juridiclioo 
rojate.Le  roi  prononça  peine  de  mort  eon Ire  tous  les  liéréliques  , 
contre  ceux  qui  étaient  allés  k  Geoèfe  depuis  la  défense  que  le 
roi  en  avait  faite  :  on  défendit  ù  tous  les  juges  de  moditier  celte 
peine  '. 

Ainsi,  l'on  punissait  toujours  les  Protesians  ;  mais  le  zèle  coni' 
niençait  ï  se  ralentir  dans  les  parlemens,  et  ils  se  trouvaient  sou- 
vent partagcf  surles  hérétiques  qu'on  leur  dénonçait  *. 

Les  princes  de  la  maison  de  Guise  représentèrent  vivement  an 
roi  te  progrès  de  l'hérésie  et  le  ralentissemeul  du  zèle  dans  les 
parlemens  :  le  roi  eu  témoigna  son  indignation,  se  rendit  au  par- 
lement et  St  arrêter  les  conseillers  qui  osaient  prendre  la  défense 


1 


La  mort  arrêta  les  projets  de  Henri  II  contre  l'hérésie  ;  ce 
prince  lut  tné  au  milieu  des  fêles  et  des  tournois  qu'il  donnait 
!s  de  sa  fille  et  de  sa  sœur  '. 


De  félat  iti  Calviniites  depuis  la  mari  de  Henri  IL 

François  11  succéda  'j.  Henri  11,  son  père  :  lu  reine  mère,  qui 
voulait  gouverner  et  qui  craignait  que  le  roi  de  Navarre  et  le 
prince  de  Condé  ne  s'emparassent  de  l'admiDislrution  de  l'Ëlat, 
s'unit  aux  princes  de  Guise,  et  le  roi  les  chargea  du  gouverne- 
ment du  rojaume. 

La  noblesse,  dont  le  pouvoir  était  fort  grand  dans  les  troubles 

domestiques,  ennuj'ée  des  guerres  passées,  vivait  chez  elle  dans 

le  repos,  sans  se  soucier  des  allaires  de  l'État  :  le  peuple  se 

tentait  de  demander  la  diminution  des  subsides;  du  reste,  il  lui 

importait  peu  qui  dominerait  ï  la  cour  ;  pour  le  clergé,  il  était 

_  dévoué  aux  princes  deGuise,  qui  avaient  marqué  beaucoup  dezèle 

Eiiour  la  religion  catholique  et  qui  étaient  ennemis  irréconciliables 

les  Protesians. 

Pour  s'attacher  davantage  ce  corps  puissant,  messieurs  de 

"  e  firent  reprendre  le  procès  des  conseillers  du  parlemeni 

i  sous  Henri  11,  et  le  conseiller  du  Bourg  fut  exécuté  :  dq 

*  De  Thou,  1.  la,  L  ï,  p.  375.  Uisl.  de  l'Égl.  gftl.,  t,  l,  p,  610. 
'DeThou,  L17,  I,  3,  p.  437. 
>  Ibid.,  p.  (ItiS. 

'  L'ut  less. 


310  CAL 

continua  à  rechercher  tous  ceux  qui,  à  roccâsion  des  <q[iiiiioaf 
nouTelles,  s^assemhlaient  en  secret;  on  en  traîna  un  grand  mn»- 
bre  en  prison  ;  plusieurs  ayant  pris  la  fuite,  on  vendit  leurs  meu- 
bles à  Tencan  ;  tout  Paris  retentissait  de  la  toîx  des  bûssiers  qui 
proclamaient  des  meubles  ou  qui  appelaient  au  ban  les  fiigituk  : 
on  ne  voyait  partout  que  des  écriteaux  sur  des  maisons  od  étaient 
quelquefois  restés  quelques  enfans  que  la  faiblesse  à%  leur  âge 
n^avait  pas  permis  aux  pères  et  aux  mères  d^emmener  avec  eux 
et  qui  remplissaient  les  rues  et  les  places  de  leurs  cris  et  de  leurs 
gémissemens  ;  ces  recherches  rigoureuses  lurent  faites  dans  tout 
le  royaume  *. 

Les  Protestans,  poussés  à  bout  et  devenus  hardis  par  leur  nom- 
bre^ répandirent  contre  les  Guises  et  contre  la  reine  mère  des  li- 
belles et  publièrent  des  mémoires  pleins  d^artifices*. 

Cependant  le  royaume  n^était  agité  d*aucua  trouble,  le  roi  itait 
révéré  et  tou^puissant,  les  gouverneurs  et  les  magistrats  exer- 
çaient une  pleine  autorité,  la  noblesse  et  le  peuple  avaient  ds 
Thorreur  pour  la  sédition  et  pour  la  révolte. 

Tout  était  donc  tranquille  ;  mais  ce  calme  extérieur  eachait  on 
mécontentement  presque  général  parmi  les  grands,  qui  ne  souf- 
fraient qu*avec  peine  le  gouvernement  des  princes  de  Gulsé.  Les 
Protestans,  inquiétés  sans  cesse,  sans  cesse  exposés  à  se  voir 
obligés  de  quitter  leur  patrie,  leurs  amis,  leur  fortune,  à  perdre 
leur  liberté  ou  à  périr  par  des  supplices  terribles,  désiraient  un 
gouvernement  moins  sévère,  et  ne  pouvaient  Tespérertant  que  les 
princes  de  Guise  jouiraient  de  Taulorité;  enfin,  il  y  avait  un 
grand  nombre  de  personnes  à  qui  Tindigence,  des  dettes,  des  cri- 
mes énormes  dont  ils  craignaient  la  punition,  faisaient  souhaiter 
des  mouvemens  et  du  trouble  dans  TÉtat  '• 

Les  mécontens  ont  un  talent  pour  se  distinguer  ;  Une  espëée 
d*instinct  les  porte  Tun  vers  Tautre ,  et  produit  presque  maôhi- 
nalement  entre  eux  la  confiance  et  rattachement  :  tous  les  enne- 
mis des  Guises  se  réunirent,  se  communiquèrent  leurs  désirs  ;  ils 
connurent  leurs  forces  :  le  plus  grand  nombre  ne  pouvait  espérer 
d*adoucissement  sous  le  gouvernement  des  Guises;  ils  formèrent 
le  projet  de  leur  enlever  Tautorité. 

Le  prétexte  fut  que  les  Guises  avaient  usurpé  Tautorité  souve- 

*  De  Thou,  îbid. 
2Ibid.,l.  23. 
3  Ibid. 


CAL  su 

rsioc  sans  le  consentement  des  états  ;  que  ces  princes ,  abusant 
de  la  laiblesse  du  roi ,  s'étaient  rendus  maîtres  des  armées  ;  qu'ils 
dissipaient  les  finances ,  qu'ils  opprimaient  la  liberté  publique  , 
qu'ils  persécutaieiit  des  hommes  innocens,  zélés  pour  la  réforme 
de  l'Ëglise,  et  qu'ils  n'avaient  en  vue  que  la  ruine  de  l'État. 

On  voulut  même  justifier  ces  projets  factieux  par  des  apparences 
de  justice,  par  des  formes  judiciaires;  il  t^e  filïce  sujet  plusieurs 
délibérations  secrËtes  :  on  prit  l'avîs  de  plusieurs  jurisconsultes 
de  France  el  d'Allemagne  et  des  théologiens  les  plus  célèbres 
parmi  les  Protestans ,  qui  jugèrent  qu'on  devait  opposer  la  force 
1  la  domination  peu  légitime  des  Guises ,  pourvu  qu'on  agit  sous 
l'autorité  àes  princes  du  sang ,  qui  sont  nés  souverains  magistrats 
du  royaume  ,  en  pareils  cas ,  el  que  l'on  combattît  au  moins  sous 
les  ordres  d'un  prince  de  la  race  royale  et  du  consentement  des 
ordres  de  l'Ëtat,  ou  de  la  plus  grande  et  de  la  plus  sniue  partie 
de  ces  ordres.  Ils  disaient  aussi  qu'il  n'était  pas  nécessaire  de  com- 
muniquer ces  desseins  au  roi ,  que  l'ûge  et  son  peu  d'expérience 
rendaient  incapable  d'affaires ,  et  qui ,  étant  comme  détenu  captif 
par  les  Cuises,  n'était  pas  eu  état  de  prendre  un  parti  salutaire 
à  ses  peuples. 

Les  auteurs  de  cette  entreprise ,  quels  qu'ils  fussent ,  songèrent 
à  se  choisir  un  chef,  et  l'on  jeta  lesyeux  sur  le  prince  de  Condé , 
disposé  par  son  grand  courage ,  par  son  indigence  el  par  sa  liaine 
contre  les  Guises ,  !i  attaquer  ses  ennemis  plutàt  qu'i  en  recevoir 
des  injures. 

Le  nom  de  cet  illustre  chef  fut  caché:  onmit  à  ta  lête  des  con- 
jurés la  Renaudie,  dit  la  Forêt  ;  c'était  un  gentilhomme  d'une  an- 
ci^tie  famille  du  Périgord ,  brave  et  déterminé ,  qui  avait  eu  un 
long  procès  qu'il  avait  perdu ,  el  pour  lequel  il  avait  été  condamné 
ï  une  grosseaniende  el  banni  pour  un  temps,  à  cause  de  quelques 
titres  faux  qu'il  avait  tournis  dans  le  cours  du  procès  :  la  Renau- 
die  passa  le  temps  de  son  ban  ï  Genève  el  !k  Lausanne ,  ob  il  se 
lit  beaucoup  d'amis  parmi  les  réfugiés. 

Cet  homme,  d'un  esprit  vif  et  insinuant,  parcourut  sous  un 
nom  emprunté  les  provinces  de  h  France ,  vit  tous  les  ProtesEaos, 
s'assurj  de  leurs  dispositions,  et  assembla  les  principaux  à 
Nantes. 

Lb ,  on  dressa  une  formule  de  protestation  par  laquelle  ils 
crojaienl  nietlre  leur  conscience  en  sùrelé  ;  on  lut  les  avis  et  les 
jnrpnnalions  conlre  les  Guises ,  aiusî  que  les  décisions  des  doc< 


leurs  ea  droit  et  en  théologie,  et  Ton  prit  des  nemues  poor 
rexécation. 

Oa  convint  qu^ayant  toutes  choses  un  grand  nomlMre  de  per* 
sonnes  non  suspectes  et  sans  armes  se  rendraient  à  IKois  ;  qie 
Ton  présenterait  au  roi  une  nouvelle  requête  contre  les  Goises, 
et  que  si  ces  princes  ne  voulaient  pas  rendre  compte  de  leur  ad- 
ministration et  s*éloigner  de  la  cour,  on  les  attaquerait  les  aniie& 
k  la  main  ,  et  qu*enfin  le  prince  de  Gondé ,  qui  avait  Ywûn  <pi*oii 
tût  son  nom  jusque-là ,  se  mettrait  à  la  tête  des  conjurés.  Avant 
de  se  séparer,  les  chefs  de  la  conjuration  tirèrent  au  sort  les  pro« 
vinces  dont  chacun  conduirait  les  secours. 

Les  princes  de  Lorraine  ignoraient  la  conjuration  formée  eontre 
eux;  des  lettres  d* Allemagne  la  leur  annoncèrent,  et  ils  ne  la 
crurent  pas  :  un  Protestant ,  chez  lequel  la  Renaudie  logeait  lors- 
qu'il venait  à  Paris,  leur  ouvrit  enfin  les  yeux  ;  ils  connurrat  le 
péril  et  songèrent  k  Téviter  ;  le  roi  quitla  Blois  et  alla  à  An- 
boise. 

Les  conjurés  n'abandonnèrent  point  leur  dessein  ;  ils  se  rai- 
dirent à  Amboise  ;  mais  les  princes  de  Guise  en  firent  arrêter  use 
partie  avant  qu'ils  fussent  réunis ,  et  beaucoup  furent  tués  &k 
chemin ,  entre  autres  la  Renaudie  ;  le  reste  fut  arrêté  ou  se  sauva  ; 
ceux  qu'on  arrêta  avouèrent  la  conjuration ,  et  soutinrent  tous 
qu'elle  n'avait  pour  objet  que  les  ducs  de  Guise  ;  ils  déclarèrent 
que  jamais  ils  n'avaient  conjuré  ni  contre  la  vie  ni  contre  l'au- 
torité du  roi. 

Les  conjurés  furent  jugés  avec  beaucoup  de  célérité  ;  on  en  pen- 
dit la  nuit  aux  créneaux  des  murs  du  château  ;  d'autres  furent 
noyés;  quelques-uns  furent  traînés  au  supplice,  durant  le  jour, 
sans  qu'on  sût  leur  nom.  La  Loire  était  couverte  de  cadavres  ;  le 
sang  ruisselait  dans  les  rues ,  et  les  places  publiques  étaient  rem- 
plies de  corps  attachés  à  des  potences. 

Le  mauvais  succès  de  la  conjuration  d' Amboise  n'abattit  point 
le  courage  des  Protestans  ;  ils  conçurent  qu'ils  n'avaient  point  à 
espérer,  sous  les  princes  de  Guise ,  un  traitement  moins  rigou- 
reux ;  ils  prirent  les  armes  dans  différentes  provinces,  et  trouvè- 
rent partout  des  chefs,  des  mécontens  qui  cherchaient  à  se  venger, 
des  esprits  inquiets  qui  ne  désiraient  que  le  trouble ,  des  soldats 
et  des  officiers  congédiés ,  incapables  de  s'accoutumer  à  une  vie 
tranquille  ;  des  malheureux  que  l'indigence  rendait  ennemis  du 
gouvernement  et  pour  qui  la  guerre  civile  était  avantageuse. 


CAt  3f» 

Cëp^Tde  l'aotorilù  royale  ^toiiDail  ces  s^itions  pariiculières, 
ei  les  personnoa  commises  par  les  princes  de  Cuise  commettaienl 
de  grands  désordres  dans  les  lieux  où  les  Proiestans  s'éiaîeni  ar- 
mùs  pour  le  libre  exercice  de  leur  religion  :  on  pendait  les  mi- 
nistres et  les  Protestans,  sauvent  contre  les  promesses  les  plus 
Tormelles  de  leur  accorder  le  libre  eiercice  de  leur  religion 
pourvu  qu'ils  missent  bas  les  armes. 

Ces  înfidéliiés  et  ces  rigueurs  rendirent  la  haine  des  Proipsianit 
implacable,  et  leur  6lèrent  toute  espérance  d'un  sort  moins  ter- 
rible. 

Le  xèledes  catholiques,  écbaufTû  par  des  intérêts  politiques  et 
par  des  Tues  de  religion ,  prétendait  que  c'était  trahir  l'FIglise 
et  rï:tatque  d'admettre  aucune  espèce  d'adoucissement  dans  les 
luis  portées  contre  les  hérétiques. 

La  France  renfermait  donc  dans  son  sein  deux  partis  puissans 
et  irréconciliables ,  et  tous  deux  armés  pour  la  religion  ;  l'un  ap- 
puyé sur  les  lois  et  soutenu  de  la  puissance  du  souverain  ;  l'autre 
Hiitlammé  par  le  fanaiisuie  et  poussé  par  le  désespoir. 

Tel  était  l'état  de  la  France  à  la  mort  de  Frant;oi5  II. 

De  l'état  dii  Cttlvlnlites  depuis  Vavénetnent  de  Charirs  IX  au  Irôae 
jusqu'au  temps  où  le  prince  de  Coudé  ae  mit  à  leur  télé. 

Charles  IX  succéda  à  François  II ,  et  la  reine  fut  déclarée  ré- 
gente avec  le  roi  de  Navarre. 

La  cour  fut  remplie  de  partis  et  les  provinces  de  troubles  :  on 
K'aitaquait  par  des  paroles  piquantes ,  par  des  invectives ,  par  des 
railleries,  par  des  injures;  on  se  provoquait  par  des  noms  odieux 
de  partis  ;  on  se  traitait  de  papistes  et  de  huguenots  ;  les  prédica- 
teurs soufflaient  le  feu  de  la  division  et  exhortaient  le  peuple  ï 
s'opposer  aus  entreprises  de  l'arairal  de  Coligny ,  qui  osait  pro- 
mettre hautement  qu'il  leraitprécheret  qu'il  établirait  la  nouvelle 
doctrine  dans  tes  provinces  sans  y  causer  aucun  trouble. 

11  j  eut  des  émeutes  populaires  dans  beaucoup  de  provinces  , 
et  l'on  vit  de  vraies  séditions  A  Amiens,  i  Pontoise ,  i  BeauTais. 
Le  roi  envoya  dans  toutes  les  provinces  une  ordonnance  par  la- 
quelle il  défendait  d'employer  les  noms  odieux  de  huguenot  et  de 
pgpitte,  de  troubler  la  sûreté,  la  tranquillité  et  la  liberté  dont 
chacun  jouissait  :  par  la  même  ordonnance  le  roi  voulait  qu'on 
lenlt  en  liberté  ceux  qui  avaient  été  arrêtés  pour  cause  de  rcli- 
t  27 


814  CAL 

gion,  et  permettait  à  tons  eenx  qui  étaient  sertis  en  Wftiûtikt 
pour  la  même  cause  d'y  rentrer. 

Le  parlement  rendit  arrêt  pour  défendre  de  publier  cette  or* 
donnance  :  elle  eut  cependant  son  effet  presque  paitont  ;  dlé 
augmenta  considérablement  le  nombre  des  Protestans  ^  et  raiiâKt 
leurs  assemblées  plus  fréquentes. 

Le  cardinal  de  Lorraine  se  plaignit  que  Ton  abusait  de  TêêSt 
du  roi  ;  que  Ton  poruit  jusqu'à  la  licence  la  liberté  qn*9  aceor- 
dait  ;  que  les  villages ,  les  bourgs ,  lés  Tilles  retentissaient  du 
bruit  des  assemblées ,  toutes  défendues  qu'elles  étaient;  que  tout 
le  monde  accourait  aux  prêcbes  et  s'y  laissait  séduire  ;  que  la  mul- 
titude quittait  de  jour  en  jour  l'ancienne  religion. 

Pour  arrêter  ces  effets  de  la  déclaration ,  le  roi  tînt  uii  lit  de 
justice  et  rendit  Tédit  nommé  l'édit  de  juillet ,  à  cause  du  mois  où 
il  fut  rendu. 

Par  cet  édit ,  le  roi  ordonnait  à  tous  ses  sujets  de  vivre  en  paix 
et  de  s'abstenir  des  injures ,  des  reproches  et  des  mauvais  traita- 
mens  ;  défendait  toutes  levées  de  gens  de  guerre  et  tout  ce  qui 
pourrait  avoir  l'apparence  de  la  faction  ;  enjoignait  aux  prédica- 
teurs ,  sous  peine  de  la  vie ,  de  ne  point  user,  dans  les  sermons, 
de  termes  trop  vifs  et  de  traits  séditieux  ;  attribuait  la  connais- 
sance et  le  jugement  de  ces  objets  en  dernier  ressort  aux  gouver- 
neurs des  provinces  et  aux  présidiaux  ;  ordonnait  de  suivre,  dapi 
Tadministration  des  sacremens,  la  pratique  et  les  usages  de  TË- 
glise  romaine  ;  réservait  aux  juges  ecclésiastiques  la  connaissance 
et  le  jugement  du  crime  d'hérésie  ;  prescrivait  aux  juges  royaux 
de  ne  prononcer  que  la  peine  de  bannissement  contre  ceux  qui  se- 
raient trouvés  assez  coupables  pour  être  livrés  au  bras  séculier. 
Sa  Majesté  déclarait  enfin  que  toutes  ses  ordonnances  subsiste- 
raient jusqu'^  ce  qu'un  concile  général  ou  national  en  eût  autre- 
ment décidé.  On  ajouta  à  Tédit  une  amnistie  générale  et  l'abolition 
de  tout  le  passé  pour  ceux  qui  avaient  causé  des  troubles  au  sujet 
de  la  religion,  pourvu  qu'à  l'avenir  ils  vécussent  en  bons  catho- 
liques et  en  paix. 

La  même  assemblée  indiqua  des  conférences  à  Poissy  sur  les 
matières  de  religion  ;  on  accorda  des  saufs-conduits  aux  ministres 
pour  s'y  rendre.  On  ne  traita  proprement,  dans  ces  conférences, 
que  deux  points,  l'Église  et  la  cène  :  l'article  de  l'Église  était 
regardé  par  les  catholiques  comme  un  principe  général  qui  ren- 
yersait  par  le  fondement  toutes  les  Églises  nouvelles  ;  et,  parmi  les 


CAL 

'  poiDU  [nriiciiliers  coniroversés ,  aucun  ne  paraissait  plus  ess 
tiel  que  celui  de  l'eucbarislic. 

Les  Calvinistes  préseulèrent  à  Vassemblte  une  profession 
foi  fausse,  captieuse,  obscure,  i ni nieiUgib le,  etrefusÈrenidest 
crire  â  la  profc-ssion  de  fui  que  les  catholiques  proposaient  :  a 
ce  colloque  ue  fut  d'aucune  uLitiiË  ;  les  ibéoloi^eDs  protestansy 
nonlièrenl  peu  de  capacité,  mais  beaucoup  d'opiniâtreté  cl 
ponemcDt:  la  pétulance  et  les  discours  de  Bèie  soulevèrent  tous 
les  esprits,  et  déplurent  même  aux  Proiestans, 

Depuis  le  colloque  de  Puissy,  il  s'éleva  tous  les  jours  de  i 
veaux  troubles  ;  Paris  élait  agile  par  des  mouveniens  sédiiieus 
qui  faisaient  craindre  <Ie  plus  grands  malbeurs  ;  pour  les  préve- 
nir ,  le  roi  convoqua  à  Saint-Cerinain  une  nombreuse  assemblée 
de  présidens  elde  conseillers,  députés  de  tous  les  parlemeus  du 
royaume  ;  on  y  dressa  l'édit  qui  eniprunla  son  nom  du  mois  de 
janvier,  auquel  il  fut  publié. 

Cet  édit  portait  que  les  Protesians  rendraient  incessamment  aux 
ecclésiastiques  les  temples ,  les  maisons,  les  terres,  les  dîmes,  les 
offrandes ,  et  généralement  tous  les  bi^  dont  ils  s'étaient  empa- 
rés,  el  qu'ils  les  en  laisseraient  jouir  paisiblement  ;  qu'ils  ne  ren- 
verseront i  l'aienir  ni  les  statues ,  ni  les  croix,  ni  les  images,  et 
qu'ils  ne  feront  rien  qui  puisse  scandaliser  et  troubler  la  Lranquil- 
litépublique;  que  les  cootrevenans  seront  punis  de  mort,  sans  au- 
cune espérance  de  pardon  ;  que  les  Protestans  ne  pourront  faire  i 
dans  l'enceinte  des  villes  aucunes  assemblées  publiques  ou  parti'-  I 
culières,  de  jour  ou  de  nuit,  soit  pour  prêcher,  soit  pour  prier  ,  et 
cela  jusqu'à  ce  que  le  concile  général  ait  décidé  sur  les  points 
contestés,  ou  que  S.  M.  en  ait  aulrenent  ordonné  ;  qu'on  ne  fera 
point  de  peine  aux  Prolestans  qui  assisteront  à  leurs  assemblées, 
pourvu  qu'elles  sefaesent  borsdes  villes  ;  que  les  magistrats  et  les 
juges  des  lieux  ne  pourront  les  inquiéter,  mais  seront  au  con- 
traire obligés  de  les  protéger  et  de  les  mettre  !i  l'abri  des  insalles 
qu'on  pourrait  leur  faire  ;  qu'ils  procâderont  suivant  toute  la  ri- 
gueur des  ordonnances  contre  ceux  qui  auront  excité  quelque 
sédition,  de  quelque  religi ou  qu'ils  soient  ;  que  les  ministres  pro- 
tesians seront  obligés  de  recevoir  lesmagistrats  dans  leurs  asseut- 
blées  ;  que  les  Proiestans  ue  pourront  célébrer  aucun  colloque , 
synode  ,  conférence,  consistoire ,  qu'en  présence  des  magistrats  , 
qu'ils  seront  obligés  d'y  appeler;  que  leurs  statuts  seront  cooiniu- 
Il  magislmt  et  approuva  par  lui;  qu'ils  n'avanceront 


3t6  CAL 

rien  de  contraire  au  symbole  de  Nicée  ;  que  dans  leurs  semions 
ils  s^abstiendront  de  toute  in?ectiTe  contre  les  catholiques  et  con- 
tre leur  rdigion  ^ 

Cet  édit  fut  enregistré  par  le  parlement  uniquement  pour  obfo 
au  roi  :  les  catholiques  ne  voyaient  qu^avec  peine  que  les  Protes« 
tans  jouissaient  du  libre  exercice  de  leur  religion ,  et  il  n^était  pas 
possible  que,  dans  Tétat  où  les  esprits  étaient,  les  catholiques  ou  les 
Protestans  8*en  tinssent  exactement  à  robsenration  de  cet  édit. 
Les  catholiques  Tenfreignirent  les  premiers ,  à  Yassi,  petite  ville 
de  Champagne,  peu  éloignée  de  JoinriUe,  où  les  Protestans  avaient 
acheté  une  espèce  de  grange  dont  ils  avaient  fait  un  temple  et 
où  ils  s*assemblaient. 

Le  duc  de  Guise  passait  par  cette  ville  dans  le  temps  que  les 
Calvinistes  s*assemb]aient;les  gens  du  duc  de  Guise  les  insultèrent; 
les  Calvinistes  répondirent  injure  pour  injure  ;  on  en  vint  aux 
coups  ;  le  duc  accourut  pour  arrêter  le  désordre  ;  en  entrant  dans 
le  temple ,  il  reçut  une  légère  blessure  ;  ses  gens  ayant  vu  covl&t 
le  sang  firent  main  basse  sur  les  Protestans ,  sans  que  les  mena- 
ces etTautorité  du  duc  pussent  les  arrêter:  plus  de  soixante,  tant 
hommes  que  femmes,  furent  tués,  étouffés,  ou  moururent  de  leurs 
blessures  ;  plus  de  deux  cents  furent  blessés. 

Telle  est  l'aventure  qu'on  appelle  le  massacre  de  Yassi  :  ce  fut  une 
affaire  de  pur  hasard,  et  qui  devint  roccasion  d'une  guerre  civile. 

Le  roi  était  alors  à  Monceaux  ;  le  prince  de  Gondé  lui  repré- 
senta le  massacre  de  Yassi  comme  la  désobéissance  la  plus  for- 
melle à  ses  édits,  et  comme  une  rébellion  qui  méritait  le  châtiment 
le  plus  sévère;  il  demandait  sur  toutes  choses  à  la  reine  d'in- 
terdire l'entrée  de  Paris  à  ceux  qui  avaient  encore  les  mains  teintes 
du  sang  innocent. 

Les  Protestans  étaient  bien  éloignés  d'obtenir  ce  qu'ils  deman- 
daient ;  le  duc  de  Guise,  le  connétable  de  Montmorency  et  le  ma- 
réchal de  Saint- André  formaient  un  parti  trop  puissant  :  le  duc  de 
Guise  entra  à  Paris  comme  en  triomphe,  et  le  connétable  alla  dé- 
truire les  prêches  que  les  Protestans  avaient  à  Paris  ou  aux  en- 
virons; la  reine  avait  été  obligée  de  s'unir  au  triumvirat  et  d'a- 
bandonner le  prince  de  Gondé  ,  avec  lequel  elle  s'était  d'abord 
unie  pour  résister  au  triumvirat. 

1  Mém.  de  Gastelnau,  1. 3,  c.  7,  édit.  de  Bruxelles,  1731,  t*  1»  pi  81* 
Add.  de  Laboureur,  ibid.,  p.  7()0.  De  Thou,  1.  20. 


CAL  3 

Le  Lrlumv  irai  avait  poiii'IuilescatLuliqueE;  le  prince  deCoD 
avïil  les  Prolestans.  La  t'ranix  éUil  prlagée  entre  ces  deux  p: 
tiii,  qui  se  baissaient  morlelleinenl,  et  qui  étaieul  arinés. 

Le  triumvirat  résolut  de  faire  diklarer  la  guerre  au  prince 
Condé  el  ï  ceui  de  son  parti. 

Oe  l'étal  des  Cahinisles,  depuis  li  déclaration  de  guerre  dupritiee 
de  Condé  jusqu'à  la  mari  de  Charlet  IX, 

Le  prince  de  Condé  ajanl  appris  le  changement  de  la  reii 
relira  il  Orliians  ,  écrivit  à  toutes  les  Eglises  protestantes  ,  et  pu- 
blia un  nianireste ,  dans  lequel  il  exposait  que  le  but  de  ses  adver- 
saires ,  dans  toutes  leurs  démarches ,  avait  été  d'âier  à  ceux  qui 
voulaient  embrasser  une  doctrine  plus  pure  la  liberté  de  con- 
science que  le  roi  avait  accordée  par  ?es  édils  ;  il  le  prouvait  par 
plusieurs  faits,  et  entre  autres  par  le  massacre  de  Vassi ,  dont 
l'impunité  avait  été  comme  le  signal  de  la  sédition  et  de  la  guerre 
queronvoulailallumerdans  toutes  les  parties  du  royaume:  ildé- 
clarait  qu'il  ne  prenait  les  armes  par  aucun  motir  d'intérêt  parti- 
culier, mais  pour  satisfaire  il  ce  qu'il  devait  i  Dieu,  au  roi  et  à  sa 
chère  patrie,  pour  lirer  le  roi  et  la  famille  royale  de  la  captivité. 

Ou  vit  aussi  paraître  une  copie  du  traité  qu'il  avait  fait  avec  ses 
confédérés  pour  faire  rendre  au  roi  la  liberléde  sa  personne  ,  et  à 
ses  sujets  celle  de  leur  l'onecience. 

Par  ce  même  acte  il  était  déclaré  le  légitime  protecteur  et  dé- 
fenseur du  royaume  de  France ,  et  en  cette  qualité  on  lui  promet- 
tait obéissance ,  à  lui  ou  ï  celui  qu'il  nommerait  pour  remplir  sa 
place  lorsqu'il  ne  pourrait  agir  par  lui-même;  on  s'engageait,  pour 
l'exécution  du  traité ,  de  lui  fournir  les  armes,  les  chevaux ,  l'ar- 
gent et  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  faire  la  guerre;  enlin , 
l'ou  se  soumetiait  ï  toutes  sortes  de  peines  et  de  supplices ,  si  l'on 
manquait  en  quelque  chose  !i  son  devoir.  Ce  traité  fut  fait  eu  1S62. 

Ainsi,  la  moitié  de  la  France  était  arméeconlre  l'autre;  et  après 
beaueoup  de  négociuiions,  dans  lesquelles  les  triumvirs  faisaient 
toujours  entrer  l'extinction  de  la  religion  protestante ,  la  guerru 
commença  entre  les  Prolestans  et  les  catholiques,  et  se  lit  avec 
une  fureur  qui  nous  étonnerait  dans  l'histoire  des  nalioas  les 
jilus  barbares. 

Un  arrêt  du  partemeol  déclara  les  Prolestans  proscrits,  ordonna 
de  les  poursuivre,  et  permit  de  les  tuer.  On  imiigiiie  aisément 
tuub  les  débordiez  qui  suivirent  un  {i:ir('i]  arrcl;  j:imais  un  uu  vli. 


818  CAL 

lâBt  de  représailles  de  vengeance ,  tant  d*actiaiis  tfflnribles  da  U 
part  des  catholiques  et  des  Protestans ,  dans  toutes  les  YÎUeft  d« 
royaume.  La  mort  du  duc  de  Guise  fut  une  suite  de  cette  f«Kiir: 
Poltrot,  qui  Tassassina ,  déclara  que  ce  dessein  loi  avait  été  rag- 
géré  par  Tamiral ,  et  qu^il  y  avait  été  confirmé  par  Bèse  et  per  «s 
autre  ministre;  il  fit  même  entendre  que  les  réformés  ne  s^en 
tiendraient  pas  là  *. 

Le  duc  de  Guise,  en  mourant,  conseilla  à  la  reine  de  faire  la 
paix  ;  on  y  travailla ,  et  le  roi  donna ,  Tan  1563,  le  19  mars,  un 
édit  par  lequel  Sa  Majesté  permettait  aux  seigneurs  hauts  justi- 
ciers le  libre  et  plein  exercice  de  leur  religion  dans  Tétendue  de 
leurs  seigneuries ,  et  accordait  à  tous  les  nobles  la  même  liberté 
pour  leurs  maisons  seulement,  pourvu  qu^ils  ne  demenraasent 
pas  dans  les  villes  ou  dans  des  bourgs  sujets  à  de  hautes  justices» 
excepté  celles  du  roi  :  le  même  édit  ordonnait  que ,  dans  tous  ks 
bailliages  ressortissans  immédiatement  aux  cours  du  parlement V 
on  assignerait  aux  Protestans  un  lieu  pour  y  faire  Texercice  public 
de  leur  religion  ;  on  confirmait  aux  Protestans  la  liberté  de  i&dr 
leurs  assemblées  dans  toutes  les  villes  dont  ils  étaient  les  maîtres 
avant  le  7  mars  1563. 

L^édit  portait  pardon  et  oubli  de  tout  le  passé ,  déchargeait  le 
prince  de  Gondé  de  rendre  compte  des  deniers  du  roi  qu'il  avait 
employés  pour  les  frais  de  la  guerre  ,  déclarait  ce  prince  fidèle 
cousin  du  roi  et  bien  affectiomié  pour  le  royaume,  et  reconnais- 
sait que  les  seigneurs,  les  gentilshommes,  les  officiers  des  troupes, 
et  tous  ceux  enfin  qui  avaient  suivi  son  parti  par  des  motifs  de  re- 
ligion ,  n'avaient  rien  fait ,  par  rapport  à  la  guerre ,  ou  par  rap- 
port à  l'administration  de  la  justice ,  que  par  de  bonnes  raisons 
et  pour  le  service  de  Sa  Majesté. 

Get  édit,  quoique  enregistré  par  tout  le  royaume,  était  plutôt 
une  trêve  qu'une  loi  de  paix  ;  il  fut  mal  observé  ;  Charles  IX  , 
qui  prit  le  gouvernement  du  royaume ,  annula  par  des  interpréta- 
tions la  plus  grande  partie  des  privilèges  accordés  aux  Protestans, 
et  les  parlemens  demandèrent  qu'il  fût  défendu  de  professer  une 
autre  religion  que  la  catholique. 

Les  Protestans  reprirent  donc  les  armes  en  1567  :  la  France 
fut  encore  désolée  par  une  guerre  civile,  qui  ne  finit  que  par  un 
nouvel  édit ,  confirmatif  de  l'éiit  porté  cinq  ans  auparavant  (1563). 

*  De  Thou,  !•  34. 


CAL 

Cet  ëdit  fut  enregistré    au    parlement,    et  la  'guerre    et 

Malgré  ces  apparences  île  paix,  tout  tendu  il  à  la  guerre;  les 
catholiques  disaient  que  les  hu|;ueuots  n'éuient  jamais  contens 
qu'après  avoir  obtenu  de  la  bonté  du  roi  un  édit  de  paci&calioi 
pour  prix  des  maux  qu'ils  avaient  causés,  ils  travaillaient  san 
cesse  à  l'étendre  à  leur  avantage ,  ou  à  l'aflaililir  au  préjudici 
du  roi. 

Les  Proleslans,  de  leur  cdlé,  disaient  qu'ils  avaient  pris  les 
armes  pour  la  religion  et  pour  la  liberté  de  conscience  qu'on  leur 
laissait  en  apparence  par  un  édit,  mais  qu'on  leur  âlait  en  effet, 
puisqu'en  plusieurs  endroits  on  les  fanpécbait  de  s'assembler 
que  le  but  de  la  dernière  paciSeation  n'était  pas  de  rétablir  la  tran- 
quillité dans  le  royaume,  mais  de  désarmer  les  religionna  ires  sous 
préleile  de  pais,  et  de  les  accabler  lorsqu'ils  seraient  désarmés 

La  guerre  recommença  donc  avec  plus  de  fureur  que  jamais  di 
part  et  d'autre,  et  la  Traucc  fut  encore  inondée  du  sang  des  Fran- 
çais, un  an  après  l'édit  de  pacification. 

Le  duc  d'Anjou  ,  frère  du  roi,  commanda  son  armée,  et 
prince  de  Condé  celle  des  Protestans;  il  fut  tué  dans  le  cours 
cette  guerre,  à  la  bataille  de  Jarnac;  le  prince  de  Bé^rn  se  i 
alors  à  la  léle  des  Protestans ,  l'an  laTO. 

On  fit  encore  la  paix,  et  l'on  enregistra  au  parlement,  le  11 
août  1370,  un  édit  qui  accordait  l'amnistie  pour  le  passé,  renou- 
velait tous  les  édits  faits  en  faveur  des  Protestans,  et  leur  accor- 
dait quatre  villes  de  sûreté ,  la  Rochelle ,  MiiuiaubaD  ,  Cognac  et 
la  Charité ,  que  les  princes  de  Navarre  et  de  Coudé  s'obligeaient 
de  remettre  deux  ans  après'. 

C'était  k  la  nécessité  que  l'on  accordait  ces  arrêts ,  et  (e  ro. 
solut  d'abattre  tont-ï-fait  le  parti  protestant  et  de  finir  la  guerra 
en  faisant  périr  tous  les  chefs  de  parti.  Les  mesures  furent  priset 
pour  les  attirer  â  Paria  et  pour  les  faire  périr  avec  tous  les  Pro- 

L'exécution  de  ce  dessein  fut  confiée  au  duc  de  Cuise, 
l'assassinat  de  son  père  rendait  eunemi  irréconciliable  de  l'amiral  : 
la  nuit  du  34  août ,  jour  de  saint  Barlhélemi ,  on  commença  dam 
^r  les  Proleslans. 
redura  sept  jours:  durant  ce  temps,  il  fut  lue  plus  de 
cinq  mille  personnes  dans  Paris,  entre  autres  cinq  k  six  cenli 

»  De  Thou,  1,  i7.  Traduction,  éilil,  ia-li',  I.  5. 


'3)0  C]AL 

gentikhommes  ;  on  n^épargna  ni  les  vielUtrdSy  ni  les  oiluis  »  ni 
les  femmes  grosses  :  les  ans  furent  poignardés»  les  antres  toés  à 
€oaps  d*épèe  et  d*arqaebuses ,  précipités  par  les  fenêtres  »  assoM* 
nés  à  coups  de  crocs ,  de  maillets  ou  de  leTÎers  :  le  détail  de  la 
cruauté  des  catholiques  fait  frémir  tout  lecteur  en  qm  Thmiianilé 
ii*est  pas  absolument  éteinte. 

«  Gomme  les  ordres  expédiés  pour  les  massacrer  avaient  eoam 
»  par  toute  la  France,  ils  firent  d*étrange8  effets,  principa- 
»  lement  à  Rouen,  à  Lyon ,  à  Toulouse.  Gnq  conseillers  du  jpar- 
»  lement  de  cette  ville  furent  pendus  en  robes  rouges  ;  vingt  à 
»  trente  mille  hommes  furent  égorgés  en  divers  endroits ,  el  on 
»  voyait  les  rivières  traîner  avec  les  corps  morts  Thorreiir  et  Tift* 
»  fection  dans  tous  les  pays  qu*elles  arrosaient^.  » 

11  y  eut  des  provinces  exemptes  de  ce  carnage  ;  la  ville  de  li* 
sleux  en  fut  garantie  par  le  zèle  vraiment  chrétien  et  par  la  cha- 
rité de  son  é?éque,  qui  ne  voulut  jamais  permettre  qu*0B  fil 
aucun  mal  aux  Protestans.  11  arriva  de  là  qu'un  grand  n^MDbrs 
d^hérétiques  se  réunit,  dans  son  diocèse,  à  TÉglise  catholi^pM; 
à  peine  y  en  resta-t-il  un  seul  K 

«  Les  nouvelles  du  massacre,  portées  dans  les  pays  étrangers, 
»  causèrent  de  Thorreur  presque  partout  ;  la  haine  de  Thérésie 
>  les  fit  recevoir  agréablement  à  Rome  ;  on  s'en  réjouit  aussi  en 
»  Espagne,  parce  qu'elles  firent  cesser  Tappréheosion  qu'on  y 
•  avait  de  la  guerre  de  France  '.  » 

Après  le  meurtre  de  tant  de  généraux ,  la  dispersion  de  ce  qui 
restait  de  noblesse  parmi  les  Protestans ,  l'effroi  des  peuples  dans 
toutes  les  villes ,  il  n'y  avait  personne  qui  ne  regardât  ce  parti 
comme  absolument  ruiné  ;  un  grand  nombre  alla  à  la  messe  ;  les 
autres  quittèrent  leurs  maisons  et  se  retirèrent  dans  les  diff'érentes 
villes  où  les  Protestans  étaient  les  plus  nombreux  ;  là  les  ministres 
effrayèrent  tellement  les  Protestans  dans  leurs  sermons  et  par  le 
récit  des  massacres,  qu'ils  conclurent  d'un  commun  accord  que, 
puisque  la  cour  avait  conjuré  leur  perte  par  des  moyens  si  bar- 
bares, il  fallait  se  défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  En 
moins  d'un  an  les  affaires  des  Protestans  se  trouvèrent  rétablies , 

1  Bossuet,  Arb.  de  Thist  de  France,  L  17,  L  12,  p.  832.  De  ThoU| 
ibid. 

2  Mézerai,  U  8,  p.  43.  Gallia  christ.  De  Thou,  1.  53. 
^  Bossuet,  ibid. 


tÀL 


an 


a  France  une  quatrième  guerre  entre  les 
f:ilht)liques  et  les  Protestaos. 

Pour  les  accabler  lout  d'un  coup  le  roi  leva  Ipoîa  armteg  :  les 
Proiesmns  firent  tête  partout;  la  Tureur  el  le  désespoir  les  ren- 
daient invincibles ,  et  Charles  IX ,  après  deux  ans  de  guerre  , 
mourut  sans  avoir  pu  les  soumettre  :  il  était  igi;  de  vingt-cinq 
ans,  el  mourut  enlSîj'. 

Des  Calvin'ulet  pendant  le  régne  de  Henri  lU. 

Peu  de  temps  avant  la  mort  de  Charles  IX  ,  Henri  III  avait  été 
élu  roi  de  Pologne  ;  il  revint  en  Frunce  pour  monter  sur  le  Irâne , 
et  trouva  encore  le  rojauuie  déchiré  par  la  guerre  civile ,  qu'il 
termiDU  par  un  cinquiËme  édil  de  pacification.  11  accorda  aux  Pro- 
leslaus  le  libre  eiercice  de  leur  religion  dans  toute  l'étendue  du 
royaume,  sans  eicepiion  de  temps  ni  de  lieu ,  et  sans  aucune 
restriction ,  pourvu  que  les  seigneurs  pariiculiers  n'y  missmit 
point  opposition  ;  il  leur  permit  d'enseigner  par  toute  l'étendue 
du  rovaume ,  d'aduiiuistrer  les  sacreœens ,  de  célébrer  tes  ma- 
riages ,  de  tenir  des  écoles  publiques ,  des  consistoires ,  des  sy- 
nodes ,  h  condition  néanmoins  qu'un  des  odiciers  de  Sa  Majesté  y 
assisterait.  I«  roi  voulait  que ,  dans  la  suite  ,  le^  Proteslans  pus- 
sent posséder  également ,  comme  les  autres  sujets  ,  tons  les  em- 
plois ,  toutes  les  charges  et  dignités  de  l'État  ;  il  leur  accordait 
des  chambres  mi-parties  dans  les  huit  parlemens  du  royaume. 

Enfin  ,  on  accordait  aux  Proleslans  des  villes  de  sAreté ,  Beau- 
caire,  Aigues-Mortes  en  Languedoc,  Issoudun  en  Auvergne,  etc. 

Cet  édit  fut  enregistré  dans  un  lit  de  justice  tenu  le  U  mai  1576. 

Les  catholiques  murmurèrent  Lautenienl  contre  cet  édit  :  les 
ennemis  du  prince  de  Condé,  les  courtisans  méconiens  appuyèrent 
leurs  plaintes  ;  ils  gagnèrent  insensiblement  le  peuple  de  difTé- 
renies  villes ,  ellorsqu'ils  crurent  leur  autoritéalTermie,  ils  for- 
raèreol  enfin  une  ligue  secrète  ,  sous  le  beau  prétexte  de  défendre 
la  religion  contre  tes  entreprises  des  hérétiques,  dont  le  parti 
grossissait  de  jour  en  jour,  et  de  rélormer  ce  que  la  trop  grande 
boulé  du  roi  avait  laissé  de  défectueux  dans  le  gouvernement. 

Paris,  comme  la  capitale,  voulut  donner  l'exemple;  un  parfu- 
meur el  son  fils ,  conseiller  au  Châtok-t ,  furent  les  premiers  el  les 
plus  xélés  prédicateurs  de  celte  union. 

i  Bauuet,  Ibid.,  U  17,  Uc  Tliuu,  toc  cit. 


332  CAL 

Par  la  fonnule  de  Tunion ,  qui  derait  être  signée ,  an  non  de 
la  très-saiote  Trinité ,  par  tous  les  seigneore,  princes,  bârcna, 
gentilshommes  et  bourgeois ,  chaque  particulier  s*engagenit  par 
serment ,  «  à  vivre  et  à  mourir  dans  la  ligue  ponr  rhomiear  et  le 
»  rétablissement  de  la  religion ,  pour  la  conservation  da  vr»  colle 
>  de  Dieu ,  tel  qu^il  est  observé  dans  la  sainte  Église  romaine»  » 

Au  bruit  que  fit  cette  nouvelle  union,  on  commença  à  maltraiter 
les  Protestans  dans  les  provinces  les  plus  voisines  de  la  cour  ;  on 
ne  voyait  que  libelles  séditieux.  La  ligue  fut  signée  par  une  infi- 
nité de  seigneurs ,  et  devint  si  redoutable,  que  le  roi  lîit  obligé  de 
s'en  déclarer  le  chef,  et  dans  la  tenue  des  états  de  iS76  il  fat  ré- 
solu que  Ton  ne  soufirirait  qu'une  religion  dans  le  rojaume* 

La  guerre  recommença  donc,  et  finit  par  un  nouvel  édit  quieoB- 
firmait  celui  qu'on  avait  rendu  trois  ans  auparavant. 

Cependant  les  chefs  de  la  ligue  ou  de  la  faction  ne  se  tenaient 
point  oisifs  ;  ils  avaient  rempli  la  cour ,  la  ville,  tout  le  rojanoM, 
d'émissaires  qui  publiaient  que  les  Protestans  se  préparaient  à  um 
nouvelle  guerre  civile  ;  les  prédicateurs  commencèrent  à  dédamer 
contre  l'hérésie ,  à  gémir  sur  les  malheurs  de  la  rdigion,  prête  à 
périr  en  France  :  ils  annonçaient  ces  malheurs  dans  les  diaires, 
dans  les  écoles,  dans  les  cercles ,  dans  le  tribunal  même  de  la  pé- 
nitence ;  on  l'insinuait  aux  personnes  simples  et  crédules  ;  on  les 
exhortait  à  faire  des  associations  ;  on  recommandait  au  peuple  les 
princes  de  Lorraine  ,  zélés  défenseurs  de  la  religion  de  leurs  an- 
cêtres; on  élevait  jusqu'au  ciel  leur  foi  et  leur  piété  ,  et  souvent 
on  accusait  indirectement  de  dissimulation  et  de  lâcheté  les  per- 
sonnes les  plus  respectables ,  qui  ne  pensaient  pas  comme  les  lî« 
gucurs. 

On  se  proposait,  par  ce  moyen,  d'accréditer  les  princes  de  Guise 
et  de  faire  haïr  et  mépriser  le  roi,  aussi  bien  que  tous  les  princes 
du  sang  royal. 

Le  roi  le  savait  ;  mais,  pour  réprimer  ce  désordre,  il  fallait  agir, 
réfléchir ,  et  l'habitude  de  la  dissipation  l'en  rendait  incapable  : 
livré  à  la  mollesse,  à  l'oisiveté,  il  dissipait  en  profusions  ridicules 
ses  revenus,  et  accablait  les  peuples  d'impôts  ;  il  semblait  qu'il  ne 
réservât  son  autorité  que  pour  faire  enregistrer  des  édits  bursaux , 
et  qu'il  ne  vit  de  puissance  dangereuse  dans  l'Ëtat  que  celle  qui 
pouvait  s'opposer  à  la  levée  des  impôts.  Insensible  à  l'indigence 
et  aux  gémissemens  des  peuples,  il  ne  connaissait  de  malheur  que 
de  manquer  d'argent  pour  ses  favoris  et  pour  ses  puérils  amuse- 


CAt 


333 


mens ,  et  laissait  m  princealoiramE  la  liberiâ  de  tout  eolrepren- 
dre  et  ans  prédicatenrs  celle  de  tout  dire  en  faveur  de  la  ligue. 

Cependant ,  pour  montrer  combien  il  afaii  d'amour  pour  la  re- 
ligion et  de  haine  pour  l'iiércsie  ,  il  résolut  de  miner  les  Proles- 
Uns,  et  de  les  dépouiller  de  leurs  dignités ,  de  leurs  cliarges  et 
de  tonte  l'aulorilé  qu'ils  ayaient  ', 

Il  euTOja  le  duc  d'Épcrnon  au  roi  de  Navarre,  héritier  présomp- 
tif de  la  couronne,  pour  l'engager  à  rentrer  dans  la  religion  ca- 
tboliqne  ;  il  croyait  porter  un  rode  coup  au  parti  protestant  s'il 
pouTait  en  détaclier  ceprïnce. 

Les  catholiques  ,  associés  pour  l'extirpation  de  l'hérésie,  n'in- 
terprétèrent pas  ainsi  celte  démarche  :  comme  ils  haïssaient  mor- 
tellement le  duc  ,  ils  disaient  que  son  vojïge  n'aïait  point  pour 
objet  de  maintenir  la  paix,  de  ramener  le  roi  de  Navarre  i  la  re- 
ligion catholique ,  ni  de  contenir  les  Protestans  dans  le  devoir, 
mais  de  conclure  ou  traité  avec  ce  prince  et  avec  les  hérétiques 
pour  la  ruine  des  catlioliques. 

Leduc  d'Épem  on  rapporta  que  le  roi  deNavarre  était  résolu  de 
persister  dans  la  religion  protestante  ;  d'oti  l'on  concluait  que  ce 
prince  étanlle  plus  proche  héritier  du  rojaume,  après  la  mort  de 
Henri  111  la  France  serait  au  pouvoir  des  hérétiques. 

Ces  bruits,  répandus  par  les  émissaires  de  la  ligne  ,  développè- 
rent partout  l'esprit  de  révolte  contre  un  prince  qui  d'ailleurs  ac- 
cablait ses  sujets  d'imp&ts  et  qui  s'était  rendu  méprisable  par 
une  vie  pen  digne  d'un  roi. 

Le  peuple  murmurait  liautemenl;  les  prédicateurs  déclamaient 
dans  les  chaires  et  ne  cherchaient  qu'à  jeter  la  terreur  dans  les 
esprits  :  on  fît  des  assemblées ,  on  leva  des  troupes  dans  les  cam- 
pagnes, on  nomma  des  chefs  qui  ne  paraissaient  point,  mais  qui  de- 
vaient se  montrer  lorsqu'il  en  serait  temps. 

Ces  nouvelles  arrivèrent  de  toutes  parts  à  la  cour,  et  le  roi  com- 
prit enfin  que  ce  n'était  plus  aux  Prolestans,  mais  aux  Guises  qu'il 
avait  affaire  :  il  défendit  toutes  les  conlëdérations  et  les  lev^s  de 
troupes,  sous  peine  de  lèse-majesté  '. 

Les  ligueurs  ramassèrent  cependant  des  troupes,  formèrent  une 
armée,  et  forcèrent  le  roi  ^  défendre,  dans  l'étendue  du  rojaume , 
)ute  autre  religion  que  la  religion  catholique  et  ro- 


>  DeThou,  1.  76,  U  6,  p.  :jaD. 


\ 


332  <ilAL 


Par  la  formnle  de  Fanion ,  qû  à«m\p^^  %  MwMpmni  ei  an* 
h  Irès-sainte  Trinité ,  pwr  tons  Iw  ■ri'^'^î/aieBl  lœi  ProMtans 
gentilshommes  et  boorgaou ,  cha«r^>i'i  ^^^*^  mêmes  panes 


serment ,  «  à  vifie  et  à  nounr  *-,^x  '^*"*  "°  "®"'  ^^^'^^^  ^'«^ 
»  rétablissement.de  la  religior  ;>jï>  emplois  publics ,  et  mcapables 

»  de  Diea,  tel  qa'U  est^   i:^ 

Au  bruit  que  fitcett^  y^jf^  ^^  "»»*  ®"  ligueurs  avaient  fait 
les  Protestans  dans  '  ><>f>^^  religion  catholique,  le  roi  oubliait 
ne  Toyait  que  Hbf    J^if<^'^'^'^  ^^  »^*^«n*  eolrepris ,  soit  au  d^ 

'   ^  -oyaume  *. 

~'        excom- 

y*y/Mtift^i  c»  ucuri  lit  pressai  cxcvuuuuuc  SOU  der- 

||fBpi|       j^^,  I^^ÎQ  ^^  ^^^  intimider ,  ne  servit  qu*à  les  aigrir  : 

€f  /SSS^  ^^  publier  un  édit  contraire  à  celui  du  roi  ;  tout 
P^  JSi^  armes  dans  le  royaume ,  et  la  guerre  recommença 
^      /jT'a  France». 

yfj^  du  fanatisme  de  la  ligue  était  à  Paris ,  et  Ton  y  pn- 

^an^  le  roi  favorisait  en  secret  les  Protestans,  et  qu'il  y  avait 

éTà^os  Paris  plus  de  dix  mille  Protestans  ou  politiques ,  nom 

€ggx  dont  la  ligue  se  servait  pour  désigner  ceux  qui  étaient  at- 
J^ésau  roi  et  portés  pour  le  bien  public. 

par  ces  discours  on  échaufla  les  bourgeois  et  la  populace;  les 
prédicateurs  se  déchaînèrent  contre  le  roi  de  Navarre  et  contre  le 
roi  même,  qu'ils  accusaient  de  favoriser  ce  prince  hérétique  ;  en- 
fin les  confesseurs  développaient  ce  que  les  prédicateurs  n'osaient 
dire  clairement. 

On  inventa  encore  en  ce  temps-là  beaucoup  de  pratiques  pro- 
pres 5  entretenir  l'esprit  desédition  ;  on  ordonna  des  processions 
dans  toutes  les  églises  de  la  ville,  oii  Ton  parait  les  autels  de  pier- 
reries, de  vases  d'or  et  d'argent,  qui  attiraient  les  regards  du  peu- 
ple ;  enfin  on  conjura  contre  le  roi ,  et  il  fut  obligé  de  sortir  de 
Paris  '. 

On  vit  alors  en  France  l'armée  du  roi,  celle  des  ligueurs  et  celle 
des  Protestans. 

Les  forces  des  ligueurs  augmentaient  tous  les  jours ,  et  le  roi 
s^accommoda  enfin  avec  eux. 

*  DeThou,  I.  81. 
2  Ibid.,  1.  82,  p.  523. 
5  Ibid.,  I,  90,  t.  7,  p.  194. 


[  CA.L  33S 

■      Kn  1S8S,  au  mois  de  juiilel  ,  le  roi  donna  un  édit  par  lequel , 
^.n^â  s'ùlrt:  étendu  fort  au  long  sur  le  zèle  qu'il  avait  toujours  eu 

mr  iiiLin(eiiir  la  religion  et  pour  entretenir  l'union  des  calholi- 

's ,  il  s'obligeait  par  serment  ï  travailler  erCtacemeDl  au  réta^ 

lenient  de  la  religion  dans  son  royaume,  et  ï  l'eitirpation  de 

nés  et  des  hérésies  condamnés  par  les  saints  conciles,  el  ei 

dier  par  le  concile  de  Trente,  s'engageani  k  ne  point  mettre 

•rœes  bas  qu'il  n'eût  absolument  détruit  les  bérétiques. 

Le  roi  déclarait  qu'il  entendait  que  tous  les  princes ,  seigneurs 
et  états  du  royaume,  toutes  les  villes  commerçantes  et  les  univer- 
sités ,  prissent  avec  lui  le  même  engagement ,  et  jurassent  outre   * 
cela  de  ne  reconnaître  pour  roi  qu'un  prince  catholique  '. 

Le  duc  de  Cuise  fut  déclaré  lieutenant-génfral  du  royaume,  el 
l'on  continua  à  Taire  la  guerre  aul  Prolestans. 

Le  roi  s'aperçut  que  toutes  ces  querelles  avaient  porté  la  puis- 
sance du  duc  de  Guise  au  plus  haut  point  ;  il  résolut  de  le  faire 
périr,  et  crut  par  ce  moyen  détruire  la  ligue  ;  Henri  111  le  fil  as- 
sassiner à  Blois. 

Les  ligueurs  devinrent  furieux  à  la  nouvelle  de  l'assassinat  du 
duc  de  Guise;  te  duc  de  Mayenne,  frËre  du  duc  de  Guise,  se  mil  à 
Ieurt£le  ;  la  Surbonne  déclara  que  les  sujets  de  Henri  III  étaient 
déliés  du  serment  de  Ëdélité  ;  le  duc  de  Mayenne  fut  déclaré  lieu- 
tenant-général du  royaume  :  on  leva  des  troupes,  el  la  ligue  fit  la 
guerre  i  Henri  111.  Les  villes  les  plus  considérables  embrassèrent 
les  intérêts  de  la  ligue,  et  Henri  111  fut  obligé  de  se  réunir  au  roi 
de  Navarre. 

Alors  une  foule  d'écrits  séditieux  se  répandit  dans  Paris  et  dans 
toute  la  France;  la  Sorbonne  fît  rayer  le  nom  du  roi  des  prières 
qui  se  font  pour  lui  dans  te  canon  de  la  messe  ;  enlln  elle  excom- 
munia le  roi  *, 

Le  pape  excommunia  aussi  Henri  111  ;  enfin  Jacques  Clément , 
dominicain,  l'assassina  ,  persuadé  qu'il  faisaitune  tBuvre agréable 
&  Dieu  et  méritoire  du  salut  ^. 

Les  prédicateurs  comparèrent  démenti  Judith,  Henri  111  ï 
Holopherne ,  et  la  délivrance  de  Paris  k  celle  de  Béthulie  :  on  im- 
prima plusieurs  libelles  dans  lesquels  l'aseassin  était  loué  comme 

,<  De  Thou,  1.  91,  I.  7,  p.  Î37. 
''lUd.deThou,  I,  65. 
1*  IbU,,  1,  on. 


826  CAL 

un  saint  martyr;  on  vit  l*effigie  de  ce  scélérat  exposée  sur  les  au- 
tels à  la  yénération  publique. 

Deê  Cai»i»i8t€i  depuis  la  mort  de  Henri  IUJuâ^^à  cMê  de 

Henri  IV. 

Henri  111  était  mort  sans  enfons;  la  couronne  appartenait  incon» 
testablement  au  roi  de  Navarre  ;  cependant  Tannée  fut  d*ai>ord  par- 
tagée et  il  ne  fut  reconnu  qu*après  avoir  juré  qu*il  maintiendrait 
la  religion  catholique  et  romaine  dans  toute  sa  pureté ,  qu*il  ne  fe- 
rait aucune  innovation  ni  changement  dans  ses  dogmes  ou  dans  sa 
discipline;  enfin ,  il  renouvela  Tassurance  qu*il  avait  donnée  plu- 
sieurs fois  de  se  soumettre  à  la  décision  d*un  concile  général  ou 
national,  promettant  de  ne  souffrir  dans  toute  rétendue  du  royaume 
Texercice  public  d*aucunè  religion  que  de  la  catholique,  aposto- 
lique et  romaine  ,  excepté  dans  les  places  dont  les  Protestans 
étaient  actuellement  en  possession  en  vertu  du  traité  fait  avec 
Renri  lll. 

Le  duc  de  Mayenne ,  en  sa  qualité  de  lieutenant-général  du 
royaume,  fit  déclarer  roi  le  cardinal  de  Bourbon ,  sous  le  nom  de 
Charles  S. 

Le  parlement  de  Toulouse  donna  un  arrêt  pour  rendre  tous  les 
ans  de  solennelles  actions  de  grâces  à  Dieu  de  la  mort  de  Heuri  lll , 
défendit  sous  de  grièvespeinesde  reconnaître  Henri  de  Bourbon , 
soi-disant  roi  de  France ,  enjoignit  à  tous  les  curés  de  publier  la 
bulle  d^excommunication portée  contre  lui. 

Cependant  le  duc  de  Mayenne  traitait  avec  TEspagne  pour  en 
obtenir  du  secours. 

Le  parlement  de  Rouen  ordonna  de  prendre  les  armes  pour  la 
ligue ,  et  à  Toulouse  on  faisait  pour  eux  des  processions  guerriè- 
res :  un  moine  marchait  au  nûlieu,  et  tenant  un  crucifix  à  la  main, 
tournant  tantôt  d'un  côté,  tantôt  d'un  autre,  il  disait  :  Eh  bien  !  y 
a-t-il  quelqu'un  qui  refuse  de  s^ enrôler  dans  cette  sainte  milice  ? 
S'il  s^en  trouve  d'assez  lâches  pour  ne  pas  se  joindre  à  nous ,  je 
vous  donne  la  permission  de  les  tuer^  sans  crainte  d'être  repris. 

Après  la  procession ,  une  partie  des  ligueurs  alla  à  Tarchevé- 
cTié,  d'oUris  avaient  chassé  le  maréchal  de  Joyeuse;  ils  jetèrent 
de  l'eau  bénite  dans  tous  les  appartemens  et  donnèrent  mille  ma- 
lédiclions  au  roi  ^. 

*  De  Thou,  1,  07. 


GÀL 


337 


Le  pape  eavoya  un  légal  pour  Hontenir  le  zèle  de  la  ligue  ;  e 
Sorbonae,  vapot  que,  parmi  les  ligueurs ,  quelques-uns  avaient 
des  scrupules  sur  leur  rËsistance  au  roi ,  déclara  qu'on  ne  pou- 
vait en  conscience  tenir  le  parti  de  Henri  IV,  ni  lui  payer  d'im- 
pôts ou  de  tributs  ;  qu'uo  hérétique  relaps  ne  pouvait  avoir  droit 
à  la  couronne  ;  que  le  pape  avait  droit  d'excommunier  nos  rois  *. 

Ce  décret  fut  signé  par  le  clergé  et  publié  dans  Paris. 

Le  roi  d'Espagne  fit  savoir  aux  ligueurs  qu'il  viendrait  ï  lear 
secours,  el  îl  ordonna  une  levée  de  deniers  sur  le  clergé  pour 
celte  eipéditioQ  et  pour  empêcber  les  secours  qu'on  envoyait 
d'Allemagne  U  Henri  IV  '. 

Pendant  que  les  ligueurs  faisaient  une  guerre  vive  et  opiniâtre 
contre  Uenri  IV,  le  cardinal  de  Bourbon  ,  proclamé  roi  sous  le 
nom  de  Charles  X ,  mourut.  La  mort  de  ce  cardinal  ne  changea 
rien  dans  le  système  des  ligueurs.  La  Socbonne  déclara  que  Henri 
de  Bourbon  étant  ennemi  de  l'Église  et  hérétique,  il  ne  pouvait 
être  roi,  et  que  quand  il  obtiendrait  dans  le  for  extérieur  une 
absolution,  comme  il  y  avait  à  craindre  que  sa  conversion  ne  fût 
pas  sincère  et  ne  tendit  à  la  ruine  de  la  religion ,  les  Français 
étaient  obligés  d'empêcher  qu'il  ne  montât  sur  le  trûue  des  rois 
très- chrétiens  '. 

La  guerre  continua  donc  entre  Henri  IV  et  les  ligueurs,  cepen- 
dant avec  des  succès  bien  différcDS  :  un  grand  nombre  de  villes  et 
plusieurs  provbces  reconnurent  le  roi.  Une  assemblée  de  prélats 
déclara  nulle  l' excommunication  portée  contre  ceux  qui  étaient 
attachés  ï  Henri  IV  ;  eufin  le  roi  se  fit  instruire ,  abjura  la  reli- 
gion protestante ,  et  fut  sacré  à  Chartres  *. 

Le  parti  de  la  ligue  commeu^^  !i  tomber  ;  Paris  reconnut  le 
roi  ;  la  Sorbonne  lit  un  décret  pour  établir  la  nécessité  d'obéir  à 
Henri  IV. 

H  ne  restait  plus ,  dit  H.  deThou ,  de  tous  les  ordres  religieux, 
que  les  jésuites  et  les  capucins  qui  se  croyaient  dispensés  de  l'o- 
bligation de  se  soumettre  au  roi ,  prétendant  qu'il  fallait  attendre 
que  le  pape  eût  parlé. 

Pour  la  sOrelé  de  Paris ,  on  bannit  beaucoup  de  théologiens  fac- 

*  De  Tbou,  1.  98,  L  7,  p.  e03,  HOà. 
îlbid,,  p.  607, 

■  Ibid.,  p.  6t0. 

•  Ibid.,  1.  99;  I.  iOl,  U  7,  p.  SDO  i  L  8,  I.  lOS. 


328  CAL 

ticux  t  et  le  calme  se  rétablit  :  l'exemple  de  Paris  fut  suivi  par 
beaucoup  de  villes  * . 

La  ligue  résista  cepeudant  encore  quelque  temps  ;  mais  enfin 
Henri  IV  se  réconcilia  avec  le  pape ,  qui  lui  donna  Tabsolution  *. 

Le  duc  de  Mayenne  se  soumit  aussi ,  ei  Henri  lY  jouit  de  tout 
son  royaume. 

Les  Protestans  obtinrent  un  édit  de  pacification  «  semblable  à 
ceux  qu'ils  avaient  déjà  obtenus  quatre  fois. 

Le  temps  avait ,  pour  ainsi  dire ,  usé  le  fanatisme  de  la  nation; 
mais  le  zèle  était  encore  dans  toute  sa  force  cbez  quelque»  catho- 
liques qui  regardèrent  Tédit  de  pacification  comme  un  coup  mor- 
tel porté  à  la  religion  catholique,  et  Henri  lY  comme  son  plus 
cruel  ennemi. 

Henri  IV  n'eut  plus  alors  à  craindre  les  armées  des  ligueurs, 
mais  les  poignards  du  fanatisme ,  qui  afironte  les  périls  et  qui  se 
dévoue  avec  joie. 

Un  voiturier  de  la  Loire,  nommé  Barrière ,  entendit  dire  que 
c'était  une  action  méritoire  de  tuer  le  roi  :  on  lui  assura  que ,  8*il 
mourait  dans  son  entreprise ,  son  âme  élevée  par  les  anges  s^envo- 
lerait  dans  le  sein  de  Dieu ,  où  elle  jouirait  d'une  béatitude  éter- 
nelle :  cet  homme ,  dégoûté  d'ailleurs  de  la  vie ,  forma  le  projet 
d'assassiner  Henri  IV. 

Il  vint  à  Paris ^  agité  cependant  de  remords  et  flottant;  il  y 
trouva  des  directeurs  et  des  théologiens  qui  dissipèrent  ses  crain- 
tes et  levèrent  ses  scrupules  :  il  acheta  donc  un  couteau  et  se 
rendit  à  Melun  pour  y  tuer  le  roi ,  mais  il  fut  arrêté  ;  il  refusa  d'a- 
bord de  nommer  ceux  qui  l'avaient  excité  à  cet  horrible  parricide, 
parce  qu'ils  lui  avaient  dit  qu'il  serait  éternellement  damné  s'il 
les  nommait  ;  mais  il  fut  détrompé  par  un  dominicain ,  et  décou- 
vrit tout  3. 

Jean  Châtel  entreprit  la  même  chose  un  an  après  ;  quatre  ans 
après ,  Ridicoux ,  échauffé  par  les  prédications  et  par  les  éloges 
qu'on  donnait  à  Jacques  Clément ,  forma  le  même  projet. 

Enfin  Ravaillac  l'exécuta  en  1610  et  fit  périr  un  des  meilleurs 
rois  de  la  France  *, 

*  De  Thou,  1.  109. 
2  Ibid.,  1. 113. 

»  De  Thou,  1.  107,  t.  8,  p.  322.  Journal  de  Henri  IV,  t  1,  p,  A15  et 
suiv.  HisL  de  l'Universilé,  t.  6, 
A  De  Thou,  ibid. 


Des  CalviniitM  de  France  depuis  la  mon  de  Henri  1\. 

Après  la  mon  de  flenri-le-Granit ,  la  reine  pensa  à  établir  sim 
autoriiê  ;  les  principaux  ministres  de  l'État ,  à  maintenir  h  leur 
en  appuyant  la  reine  \  les  p^nds  s'efTorcërent  de  surlîr  de  l'abais- 
sement dans  lequel  le  règne  précédent  les  aiait  mis ,  et  les  plus 
habiles  se  serraient  de  la  passion  des  autres  pour  ruiner  t'autoriié 
de  leurs  ennemis  ou  pour  établir  la  leur. 

Le  maréchal  de  llouillon  ,  animé  par  ces  Tues ,  proposait  aux 
Protestans  de  s'assembler  et  de  demander  que  Védit  de  Nantes 
lût  exécuté  en  sou  entier,  tel  qu'il  avait  été  concerté  avec  les  Pro- 
testans. Ils  députèrent  au  roi  pour  le  prier  de  leur  donner  quelque 
satisfaction  sur  vingt-cinq  articles. 

La  cour  traita  leurs  députés  avec  mépris;  le  prince  de  Coudé 
profita  de  leur  mécontentement,  les  engagea  ï  se  déclarer  pour 
lui  ;  enfin  ,  le  connétable  de  Luyne ,  par  ses  traitemens ,  les  déter- 
mina i  reprendre  les  armes. 

On  Tut  encore  obligé  de  fairo  la  paix  et  de  confirmer  l'édlt  de 
Nantes  :  l'édit  de  pacification  Tut  enregistré  le  23  novembre  1632. 

Par  cette  paii ,  on  devait  raser  le  Fort-Louis  qui  était  k  mille 
pas  de  La  Rochelle  ;  cependant,  deux  ans  après,  il  ne  l'était  pas 
encore  ;  les  hostilités  recommencèrent,  et  la  guerre  ne  finit  qu'en 
1629,  par  le  traité  qui  rétablissait  l'édit  de  Nantes  ,  et  d'autres 
édits  qui  rendaient  les  temples  aux  Pratesiana  '. 

Mais  toutes  les  furiificalions  des  places  qu'ils  occupaient  furent 
démolies ,  et  le  parti  calviniste  se  trouva  privé  de  toutes  ses  villes 
de  sûreté,  et  réduit  à  dépendre  de  la  bonne  volonté  pure  du  roi. 

Depuis  ce  temps ,  le  parti  diminua  sensiblement ,  et  Louis  XtV 
annula  l'édit  de  Nantes  et  employa  la  douceur  et  la  sévérité  pour 
réunir  tes  Calvinistes  de  son  royaume  ï  l'Ëglise  romaine  :  beau- 
coup se  convertirent,  mais  plusieurs  milliers  d'hommes,  de 
femmes ,  d'artisans ,  passèrent  dans  les  pays  étrangers.  Selon  plu- 
sieurs ,  plus  de  huit  cent  mille  sortirent  du  royaume  *. 

Pour  bien  apprécier  les  malheurs  que  la  réforme  a  causés  Ji  la 
France ,  it  faudrait ,  ï  la  perte  qu'elle  a  faite  par  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes ,  ajouter  tout  ce  qui  a  péri  dans  les  supplices  et 
dans  les  guerres ,  depuis  le  premier  bûcher  qu'on  alluinu  contre 


aso  CAL 

les  réfonnés  en  France ,  jusqu*à  la  révocation  de  Tédit  de  Nantes  ; 
tous  les  citoyens  qui  sortirent  du  royaume  depuis  le  barniissement 
de  Jean  le  Clerc  jusqu*au  règne  de  Louis  XIY  ;  il  fondrait  évidiier 
tout  le  préjudice  que  reçurent  la  population ,  les  arts,  Iss  qiCBOrSy 
le  progrès  de  la  lumière  dans  un  royaume  od,  pendant  plim  d*iiR 
siècle  et  demi»  les  citoyens,  arm^  et  divises i  se  frift^'Apt  b 
guerre  comme  les  ÂlainSf  les  Huns  et  les  Goths  ravai^t  (aile  à 
TEurope  ;  en  un  mot,  il  faudrait  savoir  tous  les  avantages  qM  lef 
étrangers  retirèrent  de  nos  malheurs. 

Voilà  les  effets  que  produisit  dans  la  France  une  réfiwme  gui 
ne  roidait  ni  la  foi  plus  pure  »  ni  la  morale  plus  parfaite»  qui  t^ 
nouvelait  une  foule  d'erreurs  condamnées  dians  les  preimeis  âè<* 
clés  de  TÉglise ,  dont  les  dogmes  renversaient  les  principes  de  la 
morale  »  qui  niait  la  liberté  de  Thomme ,  qui  jetait  les  lionuBes 
dans  le  désespoir,  ou  leur  inspirait  une  sécurité  funeste  qui  Atait 
tout  motif  pour  la  pratique  de  la  vertu ,  qui  se  séparait  d*iiiia 
Église  à  laquelle  les  Protestans  échirés  sont  forcés  de  reconnaîtra 
qu'on  ne  peut  reprocher  aucune  erreur  fondamentale,  soit  dans  la 
foi  9  soit  dans  la  morale  »  soit  dans  le  culte. 

De  Vétat  des  Calvimtes  en  France  depuis  la  révocation  de  VédU  de 

Nantes. 

Il  resta  en  France  beaucoup  de  Calvinistes  après  la  révocation 
de  redit  de  Nantes.  On  continua  à  les  rechercher,  et  Ton  tâcha  de 
les  engager  de  toutes  les  manières  possibles  à  rentrer  dans  le  sein 
de  rËglise;  on  les  réduisit  au  désespoir  dans  les  Cévennes,  où  ils 
prirent  les  armes ,  animés  par  de  prétendus  prophètes.  Nous  en 
parlerons  à  Tarticle  Cauisars. 

Les  princes  protestans  travaillèrent  en  leur  faveur  à  la  paix  d*U- 
trecht,  et  ils  obtinrent  la  liberté  de  ceux  qui  étaient  en  prison  ou 
sur  les  galères  ;  cependant  le  zèle  ne  se  ralentit  point  à  Tégard 
des  Calvinistes,  et  le  roi  donna  une  déclaration  par  laquelle  il  leur 
défendait  de  sortir  de  ses  Ëtats,  et  aux  réfugiés  d'y  rentrer  sans 
une  permission  particulière  :  les  Protestans  ne  sont  donc  aujour- 
d'hui ni  tolérés  en  France,  ni  bannis  de  ce  royaume;  ils  y  sont 
dans  un  état  de  détention ,  ou  comme  prisonniers. 

On  a  beaucoup  agité ,  depuis  peu,  si  on  devait  leur  accorder 
la  tolérance  civile;  des  citoyens  zélés  ont  jugé  qu'on  le  devait  :  les 
évéques  craignent  la  séduction  des  fidèles  qui  leur  sont  confiés,  et 


C&Hi  331 

s'r  opposent.  Il  a'm  peut-être  pas  de  l'inlérèl  de  l'État  Je  laisse 
inulliplicr  les  ProlesLaDS  en  France  ;  mais  on  les  Iraiiaoi  avec  hu 
inanilé,  avec  charité  <  avec  douceur,  ue  pourrait-on  pas  espère. 
de  les  réunir  à  l'Ëglise?  Voilà  ce  qui  semble  n'avoir  pas  aue: 
entré  dans  les  coDsiJérationR  de  quelques  auteurs  ({ui  ont  écrit 
sur  ces  maliéres. 

CÂUISâRS,  nom  des  fanatiques  des  Cévenoes ,  qui  prophéti- 
saient ei  qui  se  soulevèrent  au  commeaceraent  du  dix-huiiiëme 
siècle  (1703)  :  ils  furent  appelés  CataUart  parce  qu'ils  porlaieol 
BUT  leurs  habits  une  cljemise  qui ,  en  paujis  laDi;;uedoi;ieu  ,  s' 
pelle  camise  ,  ou ,  selon  d'autres ,  à  cause  de  leur  souquenille  de 
toile ,  qui  est  rbabiUcrgent  ordinaire  des  pajsans  des  mouiagnes 
de  ce  pays. 

Depuis  fa  révocaUon  de  l'édit  de  Nantes,  le  Calvinisme  était 
presque éteinten  France;  les  restes  de  ce  parti,  dispersésdans  les 
diH'érentes  provinces  et  obligés  do  se  cacher,  ne  voyaient  aucune 
ressource  humaine  qui  pût  lesreniettre  en  état  defbreer  Louis  XIV 
â  leur  accorder  les  privilèges  et  la  liberté  de  conscience  dont  ils 
avaient  joui  sous  ses  prédécesseurs  ;  il  fallait ,  pour  souteuir  là 
foi  de  ces  restes  dispersés,  des  seeours  extraordinaires,  des  pro- 
diges; ils  éclatèrent  de  toutes  parts  parmi  les  réformés,  pendant 
les  quatre  premières  années  qui  suivirent  la  révocation  de  l'édit 
de  Nantes  ;  on  entendit  dans  les  airs ,  buk  environs  des  lieui  o(i 
ii  y  avait  eu  autrefois  des  temples ,  des  Tuii  si  parfaitement  sem- 
blables aux  chants  des  psaumes ,  tels  que  les  Protestans  les  chan- 
tent ,  qu'on  ne  put  les  prendre  pour  autre  chose  ;  cette  mélodie 
était  céleste,  et  ces  voii  aagéliques  chantaient  lés  psaumes  selon 
la  version  de  Clément  Manit  et  de  Théodore  de  Bèie  ;  ces  voix  fu- 
rent entendues  dans  le  Béara  ,  dans  les  Cévennea,  ï  Vassj,  etc. 
Des  ministres  fugitifs  furent  escortés  par  cette  divine  psalmodie , 
el  mâme  la  trompette  ne  les  abandonna  qu'après  avoir  franchi  kf 
frontières  du  royaume  et  être  arrivés  en  pajs  de  sûreté. 

Le  ministre  iurieu  a  raEsetnblé  avec  soin  les  témoignages  de  ces 
merveilles,  et  en  a  conclu  que,  Dira  l'étant  faitdta  bovchei au  mi- 
lieu dei  airt ,  c'ett  un  reproche  indirect  q»e  Ut  Providence  fait  aux 
Proteitms  de  France  de  l'ilTe  lui  trop  facilement  *. 

1-es  prodiges  el  les  visions  dans  un  parti  opprimé  annoncent 
presque  toujours  des  prophètes  destinés  k  soutenir  la  foi  par  l'es- 

'Letlrc  pastorale  de  Jurieu,  on.  ISSS. 


a89  CÀH 

pénnce  d*uDe  heofwse  liberté  :  dans  tous  les  lieu  oli  Ton  avail 
porté  des  lois  contre  la  prétendue  réforme  pour  en  interdire  r«i:er> 
cice  et  pour  bannir  les  réfiractajres ,  il  s*était  âeté  des  proplièteB 
qui  avaient  annoncé  que  leur  oppression  'finirait. 

Ainsi ,  lorsque  les  édits  sévères  des  empereurs  anéantirent  le 
parti  protestant  dans  les  États  de  la  maison  d^Âutriebe ,  Hbtteruiy 
Drabicius,  Christine  Poniatonia,  Gomménins,  annoncèrent  Indes* 
traction  de  la  maison  d*Âutrîche  par  des  armées  qui  devaient  t8» 
nir  Untôt  du  Nord,  tantôt  de  TOrient  :  GusUve  Adolphe»  Chariei 
Gusuve,  Cromwel ,  Ragotski ,  avaient  été  successivemsnt  pioa» 
pour  Texécution  de  ces  magnifiques  prédictions  ^* 

M.  Jurieu  f  qui  désirait  plus  ardemmen^qu*aucun  Protestant  U 
destruction  de  TÉglise  romaine ,  vit  dans  tous  ces  lanatiqnes  des 
hommes  inspirés  ;  le  concours  de  ces  prophètes  modernes  ne  lui 
permit  pas  de  douter  que  Dieu  n*eût  résolu  de  détruire  le  papisme; 
mais  il  trouvait,  dans  les  prophéties  des  nouveaux  prophètes ,  an 
choses  choquantes  qui  ne  lui  permettaient  pa$  d^mlfermir  êm 
eosur  êur  elles  :  il  résolut  de  sonder  lui-même  les  oracles  divins 
pour  y  trouver  quelque  chose  de  plus  précis  sur  le  triomphe  de 
la  religion  protestante;  il  chercha  cet  éclaircissement  dans  les 
oracles  qui  prédisaient  les  destinées  de  TÉgUse,  dans  TApoca- 
Ijpse ,  et  il  trouva ,  dans  le  seizième  chapitre ,  l'histoire  complète 
de  la  ruine  du  papisme  *, 

Ce  ministre  annonça  donc  à  toute  la  terre  Textinction  de  la  religion 
romaine  et  le  règne  du  Calvinisme  :  Nous  irons  bientôt  porter,  di* 
sait-il ,  la  vérité  jusque  sur  le  trône  du  mensonge ,  et  le  relève- 
ment de  ce  que  Ton  vient  d*abattre  se  fera  d'une  manière  »  f^h^ 
rieuse  que  ce  sera  Fétonnement  de  toute  la  terre. 

Ce  rétablissement  glorieux  des  réformés  devait,  selon  M.  Ju- 
rien ,  se  faire  sans  effusion  de  sang ,  ou  avec  peu  de  sang  de  ré- 
pandu ;  ce  ne  devait  pas  même  être  ni  par  la  force  des  armes ,  ni 
par  des  ministres  répandus  dans  la  France ,  mais  par  Teffusion  de 
respritdeDieu^. 

Des  ministres  protestans  adoptèrent  les  idées  de  Jurieu»  les 
portèrent  dans  les  Cévennes ,  les  persuadèrent  après  s'en  être  con- 

^  Comménius,  Hist.  Reveat  Bayle,  Dict.,  art.  Kottehus,  DaABiaus, 

COXMÉNIUS, 

2  Accomplissement  des  prophéties.  Bnieys,  Hist.  du  fanatisme,  L  1, 
p.  AOO. 

5  Ibid.,  part.  2.  Uoité  de  TÉglise,  préface. 


CÂM  333 

nÎDCus  eux^méuies,  ou  aniniéa  par  les  enneoiU  de  la  France, 
qui  voulaienl  proUter  du  fuDalisme  des  CilviniEles  pour  y  exciter 
uoe  'guerre  civile  ei  de  religion. 

Ud  vieux  Culviolsie ,  nommé  du  Serre ,  choisii  dans  son  voisi- 
nage quiuie  jeunes  garçons  ,  que  leurs  pareua  lai  confiËrent  vo- 
lODliers,  et  il  fil  donner  it  sa  femme  ,  qu'il  ussocia  k  son  emploi, 
pareil  nombre  de  filles. 

Ces  enrans  n'avaient  reçu  pour  première  leçon  du  christianisme 
que  des  sentimens  d'horreur  et  d'aversion  pour  l'Ëglise  romaine, 
lis  aTaienl  donc  une  disposition  naluretle  au  Tanalisme  ;  d'ailleurs, 
îb  étaient  lort  ignorans  ;  ils  étaient  placés  au  milieu  des  monta- 
gnes du  Dauphiné,  dans  un  lieu  couvert  d'épaisses  forfits ,  envi- 
ronné de  rucliers  el  de  précipices ,  éloipés  de  tout  commerce,  et 
pleins  de  respect  pour  du  Serre ,  que  tous  les  Proteatans  du  can- 
ton révéraient  comme  un  des  héros  du  parti  protestant. 

Du  Serre  leur  dit  que  Dieu  lui  avait  donné  son  esprit;  qu'il 
avait  le  pouvoir  de  le  communiquer  à  qui  bon  lui  semblait.et  qu'il 
les  avait  choisis  pnur  les  rendres  prophètes  et  prophétesses , 
pourvu  qu'ils  voulussent  se  préparer  à  recevoir  un  si  grand  don 
de  la  manière  que  Dieu  lui  avuit  prescrite  :  les  enfans ,  enchantés 
de  leur  destination ,  se  soumirent  ï  tout  ce  que  du  Serre  leur  or- 
donna. 

La  première  préparation  k  ta  prophétie  lut  un  jeune  de  trois 
jours ,  après  lequel  du  Serre  les  entretint  d'apparitions ,  de  vi- 
sions ,  d'inspirations  ;  il  remplit  leur  imagination  des  images  les 
plus  eBrajantes  et  des  espérances  les  plus  magnifiques  ;  il  leur  fit 
apprendre  par  cœur  les  endroits  de  l'Apocalypse  oii  il  est  parlé 
de  l'Antéchrist,  de  la  destruction  de  son  empire  et  de  la  déli- 
vrance de  l'Église  :  il  leur  disait  que  le  pape  était  cet  Anté- 
christ, que  l'empire  qui  devait  être  détruit  était  le  papisme ,  et 
que  la  délivrance  de  l'Église  était  le  rétablissement  de  la  préten- 
due réforme. 

Du  Serre  apprenait  en  même  temps  ï  ses  prophètes  ï  accom- 
pagner leurs  discours  de  postures  propres  ù  en  imposer  aux  sim- 
ples; ils  tombaient  ï  la  renverse,  fermaient  les  yeux,  gonilaieni 
leur  estomac  el  leur  gosier,  tombaient  dans  un  assoupissement 
profond,  se  réveillaient  tout  i  coup  ,  et  débitaient  avec  un  ton 
audacieux  tout  ce  qui  s'oSraità  leur  imagination. 

Lorsque  quelqu'un  des  aspirans  au  don  de  prophétie  était  en 
eut  de  bien  jouer  son  râle ,  le  maître  proplièle  assemblait  le  petit 


1 
I 


334  CAM 

troupeau,  plaçait  au  milieu  le  prétendant ,  lui  disait  que  le  temps 
de  son  inspiration  était  venu  ;  après  quoi ,  d^un  air  grave  et  mys- 
térieux ,  il  le  baisait ,  lui  soufflait  dans  la  bouche ,  et  lui  déclarait 
qu'il  avait  reçu  Tesprit  de  prophétie ,  tandis  que  les  autres ,  saisis 
d^étonnement ,  attendaient  avec  respect  la  naissance  du  nouveau 
prophète ,  et  soupiraient  en  secret  après  le  moment  de  leur  instal- 
lation. Bientôt  du  Serre  ne  put  contenir  Tardeur  dont  il  avait  em- 
brasé ses  disciples  ;  il  les  congédia ,  et  les  envoya  dans  leà  lievz 
où  il  croyait  qu'ils  jetteraient  un  plus  grand  éclat. 

Au  moment  de  leur  départ ,  il  les  exhorta  à  communiquer  Iq 
don  de  prophétie  à  tous  ceux  qui  s'en  trouveraient  dignes ,  après 
les  y  avoir  préparés  de  la  même  manière  dont  ils  avaient  ét6 
disposés  eux-mêmes ,  et  leur  réitéra  les  assurances  qu*it  leur 
avait  données  que  tout  ce  qu'ils  prédiraient  arriverait  infailli- 
blement. 

Les  esprits  des  peuples  auxquels  ils  s'adressèrent  étaient  dispo- 
sés à  écouter  avec  respect  les  nouveaux  prophètes  :  leurs  préjui^^ 
la  lecture  des  lettres  pastorales  de  M.  Jurieu ,  la  solitude  dans  la- 
quelle ils  vivaient ,  les  rochers  et  les  montagnes  qu'ils  habitaienti 
leur  haine  contre  les  catholiques  et  l'extrême  rigueur  avec  laquelle 
on  les  traitait ,  les  avaient  préparés  à  écouter  comme  un  prophète 
quiconque  leur  annoncerait  avec  enthousiasme  et  d'une  manière 
extraordinaire  la  ruine  de  la  religion  catholique. 

Deux  des  disciples  de  du  Serre  se  signalèrent  entre  les  autres  :  \^ 
bergère  de  Crest ,  surnommée  la  belle  Isabeau ,  et  Gabriel  Âstiçr, 
du  village  de  Clîen ,  en  Dauphiné. 

La  bergère  de  Crest  alla  à  Grenoble ,  où ,  après  avoir  joué  son 
rMe  quelque  temps,  elle  fut  arrêtée,  et  quelque  temps  apr^ 
convertie  ;  mais  sa  défection  n'éteignit  pas  l'esprit  de  prophétie. 
Les  ^utres  disciples  de  du  Serre  se  répandirent  dans  le  Dauphiué 
et  dans  le  Yivarais ,  et  l'esprit  prophétique  se  multiplia  si  prodi- 
gieusement ,  qu'il  y  avait  des  villages  qui  n'avaient  plus  que  des 
prophètes  pour  habitans  :  on  voyait  ces  troupes  de  deux  ou  trois 
cents  petits  prophètes  se  former  dans  une  nuit ,  prêcher  et  pro** 
phétiser  sans  cesse  en  public ,  au  milieu  des  villages ,  et  écou- 
tés par  une  multitude  d'auditeurs  à  genoux  pour  recevoir  leurs 
oracles. 

Si ,  dans  l'assemblée ,  il  y  avait  de  plus  grands  pécheurs  que 
les  autres ,  les  prédicateurs  les  appelaient  à  eux  ;  ils  tombaient 
dans  des  tourmens  terribles  ^  dans  des  convulsions  i  jusqu*à  ce 


CAM  335 

que  les  (tâcheurs  se  fussent  approchés  d'eux  :  ils  meltaienl  les 
mains  suc  eux ,  el  criaient  sar  leurs  têtes  :  MitéTicorde  et  grâce , 
exhortant  les  pécheurs  ï  la  repentance ,  et  le  public  i  prier  Dieu 
qu'il  leur  pardonnât  ;  si  les  pécheurs  se  repentaient  sincÈrementj 
ils  tombaient  eui-nêmes  par  terre ,  comme  morts  ;  rendus  ï  eux, 
ils  sentaient  une  félicité  inexprioiahle. 

Cette  espèce  de  ministère  n'était  pas  exercé  seulement  par  des 
personnes  d'un  3ge  mùr  et  d'un  caractère  respectable,  mais  par 
(les  bergers  de  quinze  on  seize  ans ,  quelquefois  de  huit  ou  de 
neuf,  qui  s'assemblaient ,  tenaient  consistoire,  et  j  faisaient  faire 
ï  cinquante  on  soixante  pénilens  léparalion  de  leur  apostasie , 
c'est-â-dire  de  leur  retour  à  l'Église  romaine  :  ces  enfans  s'acquit- 
taienl  de  ces  fonctions  avec  une  autorité  de  maître ,  question- 
naient avec  Sérérilé  les  pécheurs ,  leur  dictaient  eux-mêmes  la 
prière  pfr  laquelle  ils  devaient  témoigner  leur  repent^nce ,  et  la 
finissaient  par  une  absolution  exprimée  par  ces  paroles  :  Dieu 
tmu  en  fane  la  grûce. 

Les  accès  de  prophétie  variaient;  la  règle  ordinaire  était  de  lom- 
her,  de  s'endormir,  ou  d'être  surpris  d'un  assoupissement  auquel 
se  joignaient  des  mouvemena  convulsifs  :  les  exceptions  de  la  règle 
furent  de  s'agiter  el  de  propliétiser  en  veillant,  quelquefois  dans 
une  extase  simple ,  souvent  avec  quelques  convulsions. 

Les  prédictions  des  prophètes  du  Daupbiné  étaient  confuses  et 
conçues  en  mauvais  français  ,  d'un  stjle  bas  et  rampant,  souvent 
difficile  ï  ceux  qni  n'étaient  pas  accoutumés  au  patois  du  Viva- 
reîs  et  du  Daupbiné. 

Les  prédications  des  prophètes  du  Daupbiné  étaient  pareilles  à 
leurs  prophéties;  ils  entassaient  à  torlet  à  travers  ce  qu'ils  avaient 
pu  retenir  d'expressions  et  de  passages  de  la  Bible,  et  c'est  ce  que 
leurs  auditeurs  appelaient  de  belles  exliorlationa  qui  leur  arra- 
chaient les  larmes. 

Avant  déparier,  les  prophètes  étaient  quatre  ou  cinq  jourssans 
manger  ,  et  après  ils  ne  prenaient  presque  point  de  nourriture  : 
on  laisail  saigner  les  enfans ,  et  ils  avaient  une  maladie  qui  pré- 
c^ait  le  don  de  prophétie  ;  les  petites  propbétessea  disaient  qu'a- 
vanl  de  tomber  dans  l'assoupissement  léthargique  elles  sentaient 
quelque  chose  qui  s'élevait  peu  ii  peu  depuis  les  pieds  jusqu'il  la 
gorge  ;  lorsqu'elles  étaient  assoupies,  elles  ne  suntiiient  pins  fien  : 
plusieurs  léinuinsunt  assuré  que,  pendant  la  prophOiie,  qui  durait 
UiUut  que  le  sommeil,  on  ne  pouvait  réveiller  le  prophète  ou  la 


336  CAM 

prophélesie  ni  en  let  piquant  avec  une  épingle»  ni  en  les  pinçant 
bien  fort*. 

Ces  fanatiques  étaient  ou  deyinrent  des  fonrbef  ;  on  déeoumt 
de  quelle  manière  ils  dressaient  les  petits  prophètes  »  et  commenl 
ees  prophètes  avaient  des  souffleurs:  ils  furent  convainens  d*i»> 
posture  à  Génère  mèmey  où  deux  prophètes  du  Yifarus  et  d« 
Dauphiné  essayèrent,  en  1689,  de  continuer  leurs  prophéties. 

Ces  prophètes  ayaient  formé  des  attroupemens  dans  le  Dauphiné 
et  dans  le  Vivarais,  qui  furent  dissipés  par  M.  de  Brof^ie,  lieute- 
nant général,  et  par  M.  de  BasyiUe,  intendant  de  la  proYinee. 

Le  feu  du  fanatisme  ne  fût  cependant  pas  éteint,  et  Tesprit  pro- 
phétique se  perpétua  secrètement,  et  entretint  dans  les  GiJfinistes 
Tespérance  du  rétablissement  de  leur  secte  :  les  habitans  de  ees 
provinces  étaient  presque  tous  des  Protestans,  élevés  et  noorrli 
grossièrement.  Ils  roulèrent  toujours  dans  leurs  têtes  ees  idées 
d*inspiraUonque  la  solitude,  leur  manière  de  vivre  et  peut-éire  la 
Me  indiscret  et  dur  des  catholiques  fortifiaient,  en  sorte  que  dans 
ces  contrées  Tenthousiasme  et  le  fanatisme  n'attendaient  pour  agilr 
qu'une  occasion.  L'impuissance  prétextée  ou  réelle  de  payer  la 
capitation  fut  ou  la  cause  ou  Toccasion  qui  fit  éclater  le  fima- 
tisme  et  le  mécontentement  de  ces  peuples  :  ils  se  révoltèrent  ;  les 
prophètes  parurent  aussitôt  sur  la  scène;  les  puissances  qui  étaient 
en  guerre  avec  la  France  les  secondèrent,  et  le  Languedoc  fut  le 
théâtre  d*une  des  plus  cruelles  et  des  plus  horribles  guerres  civi- 
les qu*on  ait  vues. 

Ces  nouveaux  prophètes  furent  les  Gamlsars,  qui  faisaient  profes- 
sion d*étre  ennemis  jurés  de  tout  ce  qui  portait  le  nom  et  le  carac- 
tère de  catholique  romain  ;  c'était  le  premier  article  de  leur  reli- 
gion :  persuadés  qu*il  y  avait  du  mérite  devant  Dieu  à  massacrer  les 
prêtres,  à  piller  et  à  brûler  les  églises,  ils  accompagnaient  ces  désor- 
dres delà  lecture  de  sa  parole,  du  chant  des  psaumes  et  des  prières. 

La  révolte  des  Gamisars  ne  fut  éteinte  qu'en  1709  ;  on  trouvera 
dans  rhistoire  du  fanatisme  de  notre  temps,  par  Brueys ,  tous  les 
désordres  de  cette  rébellion,  dans  les  plus  grands  détails. 

En  1706,  trois  des  prophètes  camisars ,  Manon ,  Page  et  Cava- 
lier, passèrent  en  Angleterre  et  y  prophétisèrent  ;  Marion,  princi- 
pal acteur ,  était  sérieux ,  et  la  fidélité  de  sa  mémoire  le  rendait 

*  Lettre  écrite  de  Genève,  1689.  Cérémonies  religieuses,  t,  A,  p.  154 
et  suivantes.  T.  1*'  des  Lettres  de  Flécbier. 


e  l'Angleterre,  c 


z  de  partisans  pour  attirer 
il  arrêter  ;  ils  subirent  plu- 


P  CAP  337 

capable  d'apprendre  et  déjouer  de  grands  r&les  ;  Cavalier,  le  plus 
jeune  elle  plus  vigoureux,  réussissait  dans  tout  ce  qui  dépendait 
purement  du  corps  ;  il  n'était  pas  aussi  grave  que  Harion  ;  quel- 
quefois, après  la  fin  de  ses  inspirations,  il  ne  pouvait  s'empêcher 
de  rire:  Page  était  sans  esprit.  Aussitâtqu'ils  eurent  prophétisé  ï 
Londres,  M.  Falio, de laSocïélé royale  de  Londres  ,  et  mathémati- 
cien«élÈbre,  se  déclara  leur  protecteur  et  leur  interprète. 

Les  prophètes  de  Marion  ont  été  imprimées  ;  elles  ne  contien- 
nent que  des  invectives  contre  la  corruption  du  siècle,  de  l'Eglise 
et  de  ses  ministres,  des  menaces  ce 
dres,  etc. 

LesCaoïisars  se  firent  bientôt  a: 
Tattention  du  gouvernement,  qui  K 
sieurs  interrogatoires,  dans  lesquels  Page  déclara  qu'il  a' 
plusieurs  hommes  ,  purement  par  l'instigation  du  Saint-Esprit , 
et  qu'il  n'aurait  fait  aucun  scrupule  de  tuer  son  propre  père ,  s'il 
avait  reçu  ordre  de  le  faire. 

Les  prophètes  et  leur  sectaire  Fatio  furent  condamnés  à  une 
amende  de  vingt  marcs  ,  et  attachés  au  carcan  ,  sur  un  théâtre 
dressé  dans  la  place  de  Charrin-Grosse,  le  9  décembre  1707.  Voy. 
Clavis  PROPHETic*  du  sieur  Marion  ;  le  Journal  des  savans ,  1707  , 
et  la  République  des  lettres. 

CAPUTIËS,  fanatiques  qui  firent  une  espèce  de  schisme  civil 
et  religieux  avec  tous  les  autres  hommes,  et  qui  prirent  pour  si~ 
gne  de  leur  association  particulière  un  capuchon  blanc ,  au  bout 
duquel  pendait  une  petite  lame  de  plomb  :  cette  secte  parut  vers 
la  fin  du  douzième  siècle,  l'an  1 166. 

On  avait  vu,  dans  ce  siècle,  le  sacerdoce  et  l'empireen  division, 
l'Église  de  Rome  divisée  par  des  schismes,  des  papes  élus  par  des 
partis  opposés  s'excommunier  réciproqtiement  avec  les  rois  et  les 
Ëtats  qui  suivaient  le  parti  opposé.  Les  papes  avaient  été  en  guerre 
avec  les  empereurs ,  les  rois  et  les  évéques  en  différend  sur  leurs 
droits;  des  hérésies  monstrueuses  et  ridicules  s'étaient  élevées;  ou 
ne  les  avaient  arrêtées  que  par  des  guerres  qui  avaient  rempli  la 
France  et  l'Europe  de  maliieurs  et  de  désordres;  toutes  les  puis- 
sances  parurent  avoir  abusé  de  leur  autorité  ;  un  n'en  vit  plus  de 
légitime ,  parce  qu'on  croyait  que  toutes  ne  reconnaissaient  pour 
loi  que  la  force  ,  et  l'on  se  crut  en  droit  de  s'en  séparer ,  parce 
qu'il  n'y  a  plus  de  société  oii  la  force  est  la  loi  et  la  règle  du  juste. 

Le  spectacle    des  iiiallieurs  dont  l'IIurope  avait  élé  le  lliéSire 
Wi'  I.  89 


338  CAR 

fil  naître  cette  idée  dans  la  tète  d^uii  bûcheron  qui,  par  faBalîaaé 
•u  par  adresse,  et  peutrêtre  par  ces  deux  priBcipea ,  publia  que  la 
aainte  Vierge  lui  avait  apparu ,  lui  avait  donné  son  image  et  celle 
de  son  fils,  avec  cette  inscription  :  Agneau  de  Dieu,  qui  4tez  le$  pé^ 
chéê  du  monde,  donner-nom  la  paix. 

Le  bûcheron  ajouuit  que  la  sainte  Vierge  lui  avait  ordoimé  de 
porter  cette  image  à  Tévêque  du  Puy ,  afin  qu*il  prêchât  que  œux 
qui  voulaient  procurer  la  paix  à  TÉglise  eussent  à  former  ime 
coniédération ,  ou  une  société  qui  porterait  cette  image  avec  des 
capuchons  blancs,  oui  seraient  le  symbole  de  leur  innocence  et  de 
la  paix  qu^ils  voulaient  établir. 

La  sainte  Vierge  ordonnait,  de  plus,  que  les  restaurateurs  delà 
paix  s^obligeassent  par  serment  à  conserver  entre  eux  une  pûx 
immuable  et  à  faire  la  guerre  aux  ennemis  de  la  paix  ^. 

\a  bûcheron  eut  bientôt  des  associés  ;  plusieurs  évéqoes ,  des 
consuls  et  des  hommes  de  tous  états  et  de  tous  les  rangs  arborè- 
rent le  capuchon  blanc,  et  formèrent  une  société  dont  tous  les  mem- 
bres étaient  étroitement  unis  entre  eux,  et  séparés  de  toutes  les 
autres  sociétés ,  avec  lesquelles  elles  étaient  comme  dans  un  état 
de  guerre ,  et  sur  lesquelles  les  Gaputiés  croyaient  être  en  droH 
de  prendre  tout  ce  qui  leur  était  nécessaire. 

La  secte  des  Gaputiés  fit  beaucoup  de  progrès  dans  la  Bourgogne 
et  dans  le  Berry. 

Les  évéques  et  les  seigneurs ,  pour  arrêter  le  progrès  de  cette 
secte,  levèrent  des  troupes  et  la  dissipèrent  bientôt  ^. 

L'abus  de  rautorité  ,  porté  à  un  certain  point ,  ne  produit  pas 
une  seule  secte  de  cette  espèce  ;  on  en  vit  beaucoup  d'autres  dans 
ce  siècle  et  dans  le  suivant:  tels  furent  les  Stadinghs,  lesGircon- 
eellions ,  les  Albigeois ,  les  Vaudois,  les  complots  des  barons  de 
France  pour  s'emparer  des  biens  de  TÉgliseet  la  dépouiller  de  ses 
privilèges,  sous  Innocent  IV,  sous  Innocent  V,  sous  Bon  iface  VHP.. 
CARLOSTAD  ,  prêtre  ou  archidiacre,  et  professeur  en  théolo- 
gie à  Witlemberg ,  fut  d'abord  un  des  plus  zélés  défenseurs  de  la 
doctrine  de  Luther. 

*  Robert  de  Mont,  Append.  ad  corograpliîam  Sigebcrti  apud  Pisto- 
rium,  p  074. 

îLabbe,  Nouv.  bibliot.,  t.  1,  p.  A77.  D'Argentré,  Collect.iud.,  t,4, 
p.  133. 

»  Duchesne,  t,  5,  p.  71A.  D'Argentré,  ibid, 


CAR  339 

Lorsque  Luther  fut obllgii  dese  cacher  dans  la  citadelle  <lc  Wesl- 
Itourg,  Carlusiad  renversa  les  images  ,  abolll  les  messes  privées  , 
établit  la  commuiiion  sous  les  denx  espèces ,  abolit  la  conresston 
auriculaire,  lepréceptedujeâaeetrabstineDce  des  viandes,  donna 
le  premier  aux  prêtres  l'exemple  de  se  marier,  el  permit  aux  moi- 
nes de  sortir  de  leurs  monastères  et  de  renoncer!)  lours  vœux- 
Luther  sortit  de  s»  retraite  pour  s'opposer  aux  iunovations  de 
Carlostad,  et  l'obligea  de  quitter  Witlemberg. 

Carlosiad  se  relira  à  Orlemonde,  ville  de  Thurlnge,  dépendante 
de  l'élecleurde  Saxe  :  I*  ,  Carlostad  bISma  hautement  la  condnilft 
de  Luther ,  qu'il  appelait  le  llaiteur  du  pape  :  ces  disputes  excitè- 
rent du  trouble ,  et  l'électeur  de  Saxe  envoja  Luther  !i  Orle- 
monde pour  les  apaiser. 

Dans  le  chemin,  Luther  prêcha  i  lena  ,  en  présence  de  Carlos- 
tad, et  ne  manqua  pas  de  le  traiter  de  séditieux.  Au  sortir  du  ser- 
mon de  Luther,  Carlostad  vint  le  trouver  h  l'Ourse  noire,  oti  il  lo- 
geait; lï,  après  s'être  excusé  sur  lasédition.CarlostaddéclarakLu- 
ifaer  qu'il  ne  pouvait  souflHr  son  sentiment  sur  la  présence  réelle. 
Luther, avecun  air  dédaigneux,  le  défia  d'écrire  contre  lui,  et 
lui  promit  on  florin  d'or  s'il  l'entreprenait  :  le  défi  (ut  accepté  ; 
Luther  etCarlostadburent  b  la  santé  l'un  de  l'autre;  la  guerre  fut 
déclaréeentre  ces  deni  apAtrea  de  la  réforme.  Carlostad,  en  quit- 
tant Luther,  lui  dit;  Puisïé-je  te  voir  sur  la  roue!  Et  toi,  repartit 
Luther,  puisses-tu  te  rompre  le  cou  avant  de  lortir  de  la  ville  '  ! 

Luther  fut  Ibrt  mal  reçu  h  Orlemonde ,  et  par  les  soins  de  Car- 
lostad fut  presque  assommé.  Luther  s'en  plaignit  A  l'électenr ,  et 
Carlostad  Tut  obligé  de  sortir  d'Orlemonde  :  il  se  retira  en  Suisse,  oh 
Zuingle,  CEcolampade,  prirent  sa  défense:  ce  fut  alors  que  se  ftirmi 
lasectedes  Sa c rameutai res ,  qui  fut  si  opposée  au  Lulhéranîmte. 
Carlostad  avait  adopté  quelques-unes  dea  erreurs  des  Anabap- 
tistes,' il  s'était  déclaré  Abécédarien.  Vnï«  cet  article*. 

CARPOCRATE  ,  vivait  h  peu  près  du  temps  de  Basilide  et  de 
Saturnin  ;  il  supposait ,  comme  eux ,  que  le  monde  avait  été  pro- 
duit par  des  anges  ,  a  il  adopta  tous  les  principes  de  la  magie  ; 
mais  il  entreprit  d'expliquer  d'une  manière  plus  simple  l'origine 
du  mal,  qui  était  l'écueil  contre  lequel  la  faible  raison  de  pres- 
que tous  les  hérétiques  de  cesiëcle  allait  se  perdre. 


340  CAR 

11  panh  qii*il  chercha  dans  les  plûlosophflf  U  idiilkA  de  ee 
grand  prohlème,  et  qa'll  ajusu  la  religioiiaiixpriiiGipeBdes  fdn- 
lofophea  »  au  liea  de  soumettre  les  principes  philiMopliiq«es  à 
b  foi. 

n  supposait,  d*après  les  principes  de  Platon ,  qae  les  âmes  lu- 
naines  étaient  unies  au  corps  parce  quVles  avaient  oublié  Dieu  : 
ilsupposait  que,  dégradées  de  leur  première  dignité»  dl^savaûent 
perdu  le  privilège  des  purs  esprits,  etqu^elles  étaient  descendues 
dans  le  monde  corporel,  où  elles  étaient  soumises  aux  anges  créât» 
teurs  du  monde  corporel. 

Toutes  les  connaissances  dont  ces  Âmes  étaient  douées  dans 
leur  premier  état  s*étaient  effacées;  c*était  là  la  cause  de  igno- 
rance dans  laquelle  tous  les  hommes  naissent:  les  faibles  connais- 
sances auxquelles  ils  s'élèvent  avec  tant  d*efforts  n'ébôent,  sekm 
Carpocrate,  que  des  réminiscences. 

L*âme  de  Jésus-Christ,  qui ,  dans  Tautre  vie ,  avait  moins  ou- 
blié Dieu  que  les  autres  ,  avait  eu  plus  de  facilité  à  sortir  de  Ti- 
gnorance  dans  laquelle  le  péché  plonge  les  hommes  :  ses  eAxrts 
avaient  attiré  sur  lui  les  faveurs  de  FÊtre  suprême  ,  et  JKea  lui 
avait  communiqué  une  force  qui  le  rendait  capable  de  résister  aux 
anges  et  de  remonter  au  ciel  malgré  leurs  efforts*  • 

Dieu  accordait  la  même  grâce  à  ceux  qui  imitaient  Jésus-Christ 
et  qui  connaissaient  qu^ils  étaient  des  esprits  infiniment  supérieurs 
aux  corps. 

Avec  cette  connaissance,  Thomme  s'élevait,  selon  Carpocrate  , 
au-dessus  des  faiblesses  de  la  nature  humaine  ;  son  corps  était 
tourmenté  sans  qu'il  souffirît  :  les  impressions  des  corps  étran- 
gers sur  ses  organes  ne  Tassujétissaient  point  ;  il  souffrait  sans 
faiblesse  ;  il  était  incorruptible  au  milieu  des  plaisirs,  parce  qu'il 
ne  les  regardait  que  comme  des  mouvemens  de  la  matière ,  qu'un 
e^rit  bien  convaincu  de  sa  grandeur  voit  sans  en  dépendre.  Im- 
mobile au  milieu  des  évènemens  qui  agitent  les  hommes  ,  comme 
un  rocher  inébranlable  au  milieu  des  flots,  que  peuvent  contre  cet 
homme  les  anges  créateurs  ? 

C'était  dans  cette  connaissance  de  sa  dignité  que  consistait  la 
perfection  de  l'homme  ;  Jésus-Christ  n'avait  rien  eu  de  plus ,  et 
tous  les  hommes  pouvaient  l'imiter,  ou  même  l'égaler,  et  mériter 
la  gloire  dont  il  jouissait. 

D'après  ces  idées,  les  Carpocratiens  ne  voyaient  plus  d'action 
corporelle  bonne  ou  mauvaise  ,  et  c'était  le  tempérament  ou  l'é- 


CEC 
ducatioD  qui  décidait  leurs  mœurs  ;  elles  ëlaietii 
fort  corrompues,  comme  cek  arrive  dans  loule  secle  qui  n'a  i>oitit 
d'autres  principes  de  morale. 

Il  y  avail  de  ces  Carpocraliens  qui  regardaient  les  plaisirs  les 
plus  honteux  comme  une  espèce  de  conlribulion  que  l'âme  devait 
aux  anges  créateurs,  et  qu'il  fallait  qu'elle  acquittât  pour  recou- 
vrer sa  liberté  originelle:  parce  moyen,  les  actions  les  pins  infi- 
mes devenaient  des  actes  de  vertu  ;  ils  prétendaient  se  conformer 
sur  cela  à  un  passage  de  l'Ëvangile  ,  qui  dit  :  •  Lorsque  vous  sereu 
»  en  voyage  avec  votre  ennemi,  lâcher  de  vous  garantir  de  ses  at- 
>  laques ,  de  peur  qu'il  ne  vous  livre  au  juge,  et  que  le  juge  ne 
»  vous  fasse  conduire  en  prison,  d'oiivons  ne  sorlireï  pas  jusqu'à 
■  ce  que  vans  ayez  payé  jusqu'à  la  dernière  obole.  • 

Les  Carpocratieus  regardaient  les  anges  créateurs  comme  des 
enneuisqui  se  plaisaient  à  voir  les  hommes  rechercher  le  plaisir 
et  s'y  livrer.  Pour  éviter  l'embarras  de  résister  à  leurs  attaques , 
ils  suivaient  tous  leurs  désirs  *. 

Les  Carpocratiens  avaient  leurs  enchantemens  ,  leurs  secrets  et 
leur  magie ,  comme  toutes  les  sectes  qui  attribuaient  la  formation 
du  monde  et  les  évënemens  qui  intéressent  les  hommes  ï  des  gé- 
nies sujets  k  toutes  lespaisious  et  î  toutcstes  faiblesses  humai- 
nes. Ils  marquaient  leurs  sectateurs  ï  l'oreille  :  ils  avaient  excité 
l'indignatioD  des  Païens ,  ei  occasioné  beaucoup  de  calomnies 
contre  les  elirétiens,  que  les  Païens  coorondaienl  avec  ces  sec- 

CATHARES,  ce  mol  signifie  pur.  Les  Mooianisles ,  les  Mani- 
chéens, les  Novaliens, les  Albigeois,  prirent  ce  nom.  YsyesleUTs 
articles. 

CECUS  ASCULAN ,  astrologue  du  duc  de  Calabre  ,  soutenait 
qu'il  se  formait  dans  les  eienx  des  esprits  malins ,  que  l'on  obli- 
geait par  le  moyen  des  constellations  à  faire  des  choses  merveil- 
leuses, et  assurait  que  les  astres  imposaient  une  nécessité  absolue 
aut  corps  et  ant  esprits  sur  la  terre;  en  sorte  que  Jésus-CbrisL  n'a- 
vait élé  pauvre  et  n'avait  souffert  une  mort  honteuse  que  parce 
qu'il  était  né  sons  une  constellation  qui  causait  nécessairement  cet 
eDet  ;  qu'au  contraire  l'Antéchrist  serait  rïciie  et  puissant,  parce 

<  Clem.  Âtei-,  I.  3.  SIrom.,  p,  313.  Fhilastr.,  De  bxr.  Inea,,  1. 1,  e 
SA.  Euseb.,  I.  à,  c.  7.  UisL  eccles,  Ëpiph,,  llmt.  27. 
'Ëuleb.  IrsD,  Epipb.  Ibld, 


u»  cm 

qn^il  naîtrait  sonâ  une  constellation  contraire  :  cet  aatrolo^ 
brûlé  en  i327*. 

CERDON  était  Syrien  d*origine  ,  U  araît  d*abord  adopté  \t$ 
principes  de  Simon  et  de  Saturnin  ;  il  reconnut  oomine  ensFeti»- 
taice  d*an  Être  suprême  <ini  ayait  produit  des  esprits  mobs  piai^ 
fiûts  que  lui  :  ces  esprits  féconds,  comme  le  père  de  toutes  diMes, 
avaient  produit  une  infinité  de  générations  diflérentes,  dont  la 
puissance  toujours  décroissante  avait  formé  le  monde  et  ^odld- 
sait  tous  les  évënemens  sur  la  terre. 

Ainsi,  en  remontant  des  effets  à  leurs  causes,  on  troufait,  pour 
premier  principe  de  tout,  FÊtre  suprême. 

Si  les  phénomènes  que  le  monde  nous  offre  n'étalent  que  des 
déplacemens  de  la  matière,  des  chocs  des  corps ,  des  moutemem^ 
on  concevrait  aisément  que  les  éqianaUons  de  la  cause  preaûère  , 
des  génies  ou  des  forces  motrices,  produisent  tout  dans  le  monde; 
mais  il  j  avait  dans  le  monde  des  esprits  affligés ,  toufmentéi  et 
malheureux. 

D*ailleur8  TÊtre  suprême  était  une  intelligence  infinuneiit  ppf» 
fiiite,  sage,  bienfaisante  ;  comment  trouver  dans  cet  Être  la  cause 
des  malheurs  qui  affligent  les  hommes? 

Simon  et  Saturnin  reconnaissaient  toutes  ces  choses,  sans  avoir 
fait  attention  à  la  difficulté  de  concilier  Fexistence  des  mauvais 
génies  avec  le  système  qui  suppose  que  tout  vient  de  l*Être  su- 
prême par  voie  d*émanation. 

Gerdon  envisagea  le  système  de  Saturnin  par  ce  côté  faible  ,  et 
crut  que  Simon  ,  Saturnin  et  tous  les  partisans  du  système  des 
émanations  s'étaient  trompés  en  faisant  venir  tout  de  TÊtre  su- 
prême: il  jugea  qu*il  fallait  supposer  dans  la  nature  deux  princi- 
pes, Tun  bon  et  Tautre  mauvais  ;  car,  puisqu*il  y  avait  des  génies 
malfaisans,  les  uns  plus  puissans,  les  autres  moins  puissans,  il  (al- 
lait nécessairement ,  en  remontant  à  Torigine ,  arriver  ï  un  prin- 
cipe dans  lequel  on  trouvât  le  premier  germe  du  mal  qui  se  dé- 
veloppe par  la  succession  des  temps,  ce  qui,  selon  Gerdon,  répu- 
gnait à  la  nature  deTÊtre  suprême. 

En  effet,  dans  la  doctrine  de  Simon  et  de  Saturnin ,  TÊtre  su- 
prême, qu^ils  regardaient  comme  le  père  de  toutes  choses ,  s*inté- 
ressail  au  sort  des  hommes  assez  pour  leur  envoyer  son  fils  unique, 
afin  qu*il  détruisit  Tempire  des  mauvais  démons  ;  TËtre  suprême , 

^  Dup.  Bibliot,  quatorzième  siècle.  SpoAd»  ad  VU  U27* 


GEB  343 

qoeToDr^rdaii  oomnie  leprincipe  etia  cause  de  Lou les  choses, 
haïssait  donc  les  méchans  géoies  :  cela  supposé,  comment  les  lais- 
sait-il subsister,  s'il  pouvait  les  délruire  ?  comment  leur  laissait- 
il  faire  le  mal,  s'ils  n'avaient  une  existence  et  une  puissance  indâ- 
pendaaies  de  luiT 

11  fallait  donc,  selon  Cerdon  ,  supposer  dans  le  monde  deux 
principes  nécessairement  indêpeodans  :  nu  bon ,  qui  avait  prodnit 
les  génies  bienfaisans  ;  l'autre  mauTaie,  qui  avaii  produit  les  génies 
malfaisans. 

Cerdon,  qui  n'avait  envîsagâ  la  nature  que  dans  les  rapports  que 
les  phénomËnes  avaient  avec  le  bonheur  des  hommes  ,  ciut  3' 
Iroufé  dans  ces  deux  principes  la  raisun  de  tout  et  l'explication 
de  looi  ce  qu'on  racontail  des  din'érera  états  du  genre  humain,  car 
c'était  li  l'objet  principal  de  presque  tous  les  sjsièmeB  que  l'on 
avait  imaginés  jusqu'alors. 

Puisque  le  bien  et  le  mal  avaient  des  principes  essentiellement 
différens ,  on  attribua  au  bon  principe  tout  ce  qui  élail  bien,  et 
ati  mauvais  tout  ce  qui  était  mal.  Les  esprits  qui  étaient  incapa- 
bles de  plaisir  et  qui  tendaient  sans  cesse  vers  le  bonheur  étaient 
l'ouvrage  de  l'être  bieniaisant.  Le  corps,  an  contraire,  auquel 
ritme  humaine  était  unie,  qui  l'affligeait  en  mille  manières,  était 
l'ouvrage  d'un  mauvais  principe  :  <ie  même,  la  loi  des  Juifs  ne  |>a- 
raissait  II  Cerdon  qu'un  assemblage  de  pratiques  difficiles  et  pé- 
nibles, qui  nepoavaientélre  ordonnées  que  par  un  élre  malfaisant. 

C'était  un  être  malfaisant  qui  avait  ordonné  k  ce  peuple  les 
guerres  cruelles  qu'il  avait  faites  aux  nations  de  la  Palestine  :  le 
Dieu  des  Juifs  dit,  dans  Isale  :  C'est  moi  qui  crée  le  mal. 

Dans  te  christianisme ,  au  contraire,  tout  respire  la  bienfaisance, 
l'indulgence,  Iadnac«ur,  la  miséricorde  ;  ainsi,  la  loi  des  chrétiens 
était  INjuvragedu  bon  principe,  et  le  Christ,  qui  l'avait  annoncée, 
était  véritablemenl  le  Sis  du  bon  principe. 

Ce  principe  bieniaisant  n'avait  point  soumis  son  fils  aux  mal- 
heui%  de  l'humanité  ;  sa  bonté  ne  le  permettait  pas,  attendu  que , 
pour  l'instruction  des  hommes ,  il  suDisait  qu'il  revêtit  les  appa- 
rences de  la  chair  ;  car  alors  la  réalité  des  soulTranc-es  de  Jésus- 
Cbrisl  n'eût  été  qu'un  spectacle  que  le  bon  princi|)e  se  serait 
donné,  ce  qu~ 


'Iran.,!,  i,  cas,  37,  6,  3,c.  â.  TerL,  De  prxscript.,  I.  5t.  Plii- 
last,,  Debsr.,  c.  Ai-  Spiph.,  Hxr.,  Al.  Aug.  Dcluer.,  c  £1.  Tliéodo- 
^fiancLFub.,  U  1,  c  Si. 


844  CER 

Gerdon ,  préveBa  de  ces  idées ,  rejetait  Tancieii  Testament  et 
D^admettait  du  nouveau  que  TÉvangile  selon  saint  Luc  ;  encore  ne 
Tadmettait-il  pas  entier. 

Cerdon  revint  à  TÉglise ,  dit  saint  Irénée,  demanda  pardon  de 
ses  erreurs ,  et  passa  ainsi  quelque  temps ,  tantôt  enseignant  se- 
crètement rhérésie  qu*il  avait  abjurée,  Untôt  Tabjurant  de  nou- 
veau, tantôt  étant  convaincu  de  persister  dans  ses  erreurs,  et  pour 
ce  sujet  séparé  de  la  communion  des  fidèles.  Il  eut  pour  disciple 
Marcion  ,  qui  fut  lui-même  chef  de  cette  secte.  On  peut ,  en  con- 
sultant Tarticle  Marcion ,  voir  les  différentes  formes  que  prit  Ter- 
reur de  Gerdon  ;  c'est  principalement  cet  enchaînement  des  erreurs 
humaines  qui  est  intéressant  dans  Thistoire. 

GÉRINTHE  éuit  un  Juif  d*Antioche ,  qui  s*appliqua  beaucoup 
à  la  philosophie  :  il  était  à  Jérusalem  du  temps  des  apôtres. 

La  philosophie  qui  était  alors  en  vogue  dans  FOrient  était  une 
espèce  d^alliage  des  principes  de  la  philosophie  chaldéenne  avec 
les  idées  pythagoriciennes  et  platoniciennes  :  on  supposait  un 
Être  suprême  qui  avait  produit  des  génies ,  des  puissances  capa- 
bles d'agir  et  de  produire  d'autres  génies,  d'autres  esprits  ;  on  en 
peupla  le  monde ,  on  les  fit  intervenir  comme  des  dieux  de  la 
machine  pour  exprimer  tout. 

Cérinthe  simplifia  ces  principes  pour  les  appliquer  à  l'histoire 
du  monde  :  il  reconnaissait  un  Être  suprême  qui  était  la  source 
de  l'existence ,  et  qui  avait  produit  des  esprits,  des  puissances  ou 
des  génies ,  avec  différens  degrés  de  perfection. 

Parmi  les  productions  de  TÊtre  suprême  était  une  certaine 
vertu  ou  puissance  infiniment  au-dessus  des  perfections  de  l'Être 
suprême;  placée,  pour  ainsi  dire  ,  à  une  distance  infinie  de  lui, 
elle  ignorait  l'auteur  de  son  existence  :  c'était  apparemment  la 
dernière  des  productions  de  l'Être  suprême,  une  espèce  de  force 
motrice  ou  de  forme  plastique  capable  d'arranger  la  matière  et 
de  former  le  monde  ^. 

De  cette  puissance  étaient  sortis ,  avec  le  monde ,  des  anges 
ou  des  génies  terrestres ,  qui  s'étaient  emparés  de  l'empire  du 
monde  et  qui  gouvernaient  les  hommes. 

Un  de  ces  génies  avait  donné  des  lois  aux  Juifs,  et  Gérinthe 

^  Théod.,  UbU,  ].  2,  c.  S.  Irxu^  1.  1,  c  25  ;  L  3,  C  11.  Epiph., 
Haer.,  28. 


CER  34S 

croyait ,  par  ce  niojen  ,  pouvoir  rendre  raison  de  toute  l'histoire 
de  celle  naiioa. 

Jésus-Christ  assurait  qu'il  était  venu  pour  aholir  la  loi  el  pour 
délivrer  les  hommes  de  la  l^raunie  des  mauvais  auges;  il  avait 
prouvé  sa  mission  par  des  miracles;  les  apAtres  les  attestaient,  et 
conllrniaient  eux-mêmes  leurs  témoignages  par  des  miracles. 

Cérinthe  fut  donc  forcé  de  supposer  qu'effectivement  l'Être  su- 
prême s'intéressait  au  sort  des  hommes,  et  qu'il  avait  envojé  son 
lîls  unique  Jésus-Christ  pour  les  éclairer  et  pour  les  sauver. 

Mais  comment  concevoir  que  le  fils  unique  de  l'Être  suprême , 
qui  avait  la  plénitude  de  la  divinité ,  fût  né  de  Marie? 

Rien  n'était  plus  contraire  aux  principes  de  la  philosophie  de 
Cérinthe;  il  regarda  comme  une  absurdité  de  dire  que  le  fils 
unique  de  l'Être  suprême  fût  né ,  eût  souffert. 

Cependant  Jésus-Christ  avait  assuré  qu'il  était  le  Christ ,  le  fils 
de  Dieu, 

Pour  concilier  des  idées  si  opposées  selon  Cérinllie ,  il  dit  que 
Jésus  était  né  de  Joseph  et  de  Marie  comme  les  autres  hommes , 
mais  qu'il  excellait  en  prudence  et  en  justice,  et  que,  lorsqu'il 
fut  baptisé ,  le  Christ  ou  le  Bis  unique  de  Dieu  était  descendu  sur 
lui  sous  la  figure  d'une  colombe ,  lui  avait  révélé  la  connaissance 
de  son  père,  qui  était  encore  inconnu ,  et  par  ce  moyen  l'avait 
fait  connaître  aux  hommes.  C'était  par  la  vertu  de  Christ  que  Jé- 
sus avait  fait  des  miracles;  il  a\-ait  ensuite  été  persécuté  par  les 
Juifs  et  livré  ù  des  bourreaux ,  alors  le  Christ  s'était  séparé  de  lui 
et  avait  remonté  vers  son  Père ,  sans  rien  souffrir  ;  pour  Jésus  ,  il 
avait  été  crucifié,  était  mort  et  avait  ressuscité  '. 

Cérinthe  avait  écrit,  en  faveur  de  sa  doctrine  ,  des  révélalions 
qu'il  prétendait  lui  avoir  été  faites  par  un  ange  :  il  reconnaissait 
la  nécessité  du  baptême  pour  être  sauvé  ;  il  croyait  qu'après  la  ré- 
surrection on  jouirait  pendant  mille  ans  sur  la  terre  de  tous  les 
plaisirs  des  sens  *. 
Faisons,  sur  l'erreur  de  Cérinthe  ,  quelques  réQeiïons. 
!•  Cérinthe  était  grand  ennemi  des  apùtres  et  combattait  vive- 
ment leur  doctrine  :  vivant  de  leur  temps ,  il  était  en  état  de  les 
convaincre,  s'ils  en  eussent  imposé;  cependant  il  reconnaît  que 

■Irsn.,  I.'l,  c  Ï6.  Epiph.,  Hier.,  38.  Aug.,  Dchxr.,  c.  S.TerL,  De 
przseripL,  c  iS, 
'Euidi.,  Uni.  ecclés.,  I.  3,  c,  Iti. 


346  GHA 

Jésuft-dirist  1  fait  des  miracles;  les  mtrades  dé  JésoMIknst 
ayaient  donc  alors  un  degré  de  certitnde  on  d*éndeBet  qui  m 
permettait  pas  d*eii  contester  la  mérité. 

2*  Pour  concilier  ayec  Téut  d'humHtation  sou  leqofll  HsÊ^ 
Christ  a  para  tons  les  attributs  dn  fils  nniciae  deDiaa»  Cérirae 
supposait  en  Jésna-Glirist  deux  êtres  différens ,  Jésm  ftb  die  |fai« 
rie,  et  le  Christ  qai  éuit  descendu  dn  ciel  :  afnsl,  il  est  éddait 
que  Jésus-Christ  arait  enseigné  qu*il  était  le  ffls  udcjue 
et  qu*il  avait  confirmé  cette  doctrine  par  des  mirades ,  de 
nière  que  Cérinthe  n*avait  pu  attaquer  ni  la  doctrine,  ni  les  tti^ 
rades»  puisqu'il  avait  tâché  d>xpliquer  comment  léras  dtehle 
fils  unique  de  Dieu. 

3»  Les  apfttres  chassèrent  Cérinthe  de  l*Église  et  le  reg>idèrep| 
comme  le  corrupteur  de  la  doctrine  de  Jésus-Christ  ;  afaul ,  ^ 
temps  des  apôtres  même,  on  regardait  la  divii^  de  lésuê-Glirist 
comme  un  dogme  fondamental  du  christianisme,  quoiqifen  d||Éi| 
les  Sociniens,  et  après  #ux  Bury,  Loke ,  etc.  *, 

CHâLDEENS  ou  Nestobiens  ub  Strie.  Cest  le  nom  qdi^eii 
donne  aux  Nestoriens  d*Orient ,  pour  les  distinguer  def  ïfêil»- 
riens  d'Occident ,  qui  ne  subsistèrent  dans  Tempire  roniiJn  419 
jusqu'au  septième  siècle. 

L'origine  du  Nestorianîsme  chez  les  Chaldéens  remonte  jusqu'aii 
temps  de  Nestorius.  Ce  patriarche ,  condamné  et  déposé  dans  le 
concile  d'Ëphèse  par  les  évêques  d^Occident ,  fut  absous  et  dé- 
fendu par  les  évêques  d'Orient ,  qui  déposèrent  saint  Cyrille  et 
condamnèrent  ses  anathématismes  ou  ses  ouvrages  contre  Nesto- 
rius :  toutes  les  Églises  d'Orient ,  et  entre  autres  celle  d'Ëdesse , 
suivirent  le  jugement  de  Jean  d'Antioche  et  des  évéques  qui 
avaient  condamné  saint  Cyrille  et  qui  étaient  restés  unis  à  Nes- 
torius. 

11  y  avait  à  Édesse  une  école  chrétienne  pour  l'instruction  des 
Perses,  et  l'on  inspira  à  ceux  qui  vinrent  à  cette  école  une 
haine  violente  contre  saint  Cyrille ,  et  des  dispositions  favorables 
pour  Nestorius  et  pour  sa  doctrine  :  on  y  lisait  ses  ouvrages  et 
ceux  de  Théodore  de  Mopsueste,  dans  lescpels  Nestorius  avait 
puisé  ses  erreurs. 
Ibas  avait  jeté  lui-même  parmi  les  Perses  des  semences  ou  des 

1  Bury,  Christianisme  nu.  Loke,  Christianisme  raisol^lable•  On  a  r6- 
futéces  erreurs  à  Part.  Abibns. 


CttÀ  347 

apparences  de  Nestorianisnie ,  par  le  moven  de  sa  lettre  i  Haris. 

Rabulas ,  éfêque  d'Éilesse ,  se  réconcilia  avec  sainl  Cjrille  et 
cliassa  d'Ëdesse  tous  les  Perses  attachés  d  Nestorius. 

Barsunas ,  un  des  Perses  chassés  par  Rabulas ,  deruiE  é^éque 
de  Nisibe,  en  Perse ,  et  forma  le  projet  d'y  établir  le  Nesioria- 

U  y  avait ,  eolre  les  rois  de  Perse  et  les  empereurs  ram 
une  baine  innée  et  une  défiance  exlrênie  :  tout  ce  qu'on  approu- 
vait dans  un  des  empires  était  odieux  ou  suspect  dans  l'aulri 
celle  aulipadiie  seule  avait  quelquefois  déterminé  les  empereurs 
romains  ou  les  rois  de  Perse  à  favoriser  ou  k  persécuter  un  parti. 

Baraumas  sut  employer  habilement  ces  dispositions  pour  n 
les  catholiques  suspects  et  odieux  à  Pbérose,  qui  régnait  alors 
en  Perse.  Vous  avez ,  lui  dit-il ,  beaucoup  de  cbrétiens  dans 
f  os  Éiuis  ;  ils  sont  fort  attaches  aui  Romains  et  même  ï  leur  em- 
pereur, leur  attaebement  pour  les  Romains  est  formé  parla  reli- 
gion; rattachement  qu'ils  ont  pour  leur  souverain  et  pour  leur 
patrie  u'esl  rien  en  comparaison  des  liaisons  furmées  par  la  reli- 
gion et  par  le  lien  d'ane  même  croyance.  Les  chrétiens  de  vos 
l^lats  sont  donc  les  amis  des  Romains ,  leurs  espions  et  nos  enne- 
mis ;  tous  souliaitent  de  viïre  sous  un  prince  qui  professe  leur  re- 
ligion et  leur  foi  :  voulez-vous  vous  assurer  de  leur  fidélilé, 
rompre  tout  commerce  entre  eux  et  les  Romains  et  inspirer  aux 
chrétiens  vos  sujets  une  haine  implacable  contre  ces  ennemis  de 
tolre  puissance?  semei  entre  eux  des  divisions  de  religion ,  rende* 
tous  les  chréliees  de  vos  États  Neslorîens ,  et  soyez  sûr  que  voua 
n'avez  â  craindre  des  chrétiens  vos  sujets  ni  perlidie  ,  ni  défec- 
lioB  en  faveur  des  Romains.  Les  Nestoriens  font  profession  d'un 
Minebement  particulier  aux  rois  de  Perse ,  et  c'est  cet  article  de 
la  doctrine  des  Kesloriens  qui  l'a  rendue  l'objet  de  la  haine  des 
Romains  et  qui  a  causé  ces  persécutions  barbares  que  les  empe- 
reurs romains  ont  exercées  sur  tous  les  Nestoriens  de  leur  empire  '. 

Pliérose  fut  charmé  du  projet  de  Barsumas ,  et  lui  promit  de 

L'évê^ne  de  Nisibe  associa  ^  son  entreprise  quelques  évèques 
ei  set  compagnons  d'étude ,  convoqua  des  conciles ,  y  fil  recevoir 
le  Mvslorianisme,  Ht  dans  la  discipline  tous  les  cbangemeng  qai 

1  Asseman,  Diiil.  orient,  1. 1,  p.SSl;  I.S,  p,t03)t.  9,  p,  flS.Ibid.| 
,  fWU  3,  C  S,  J  i,  c.  i,  c.  7. 


348  CHA 

pouvaient  plaire  an  roi  de  Perse  ou  (ayoriser  la  licoiee  et  eonci- 
lier  le  clergé  à  son  parti. 

On  permit  aux  moines ,  aux  clercs  et  aux  prêtres  de  se  mari^ 
jusqu'à  sept  fois ,  à  condition  néanmoins  qu*à  la  septième  fois  ils 
ne  pourraient  épouser  qu'une  veuve ,  que  Ton  ne  regardait  que 
comme  la  moitié  d'une  femme  ^ 

Barsumas  trouva  de  l'opposition  et  beaucoup  de  chrétiens 
fortement  attachés  à  la  doctrine  du  concile  d'Éphèse  :  il  obtînt 
donc  de  l'empereur  une  puissante  escorte ,  avec  laquelle  il  porta 
partout  la  terreur  et  la  désolation.  11  n'épargnait  ni  les  évéques, 
ni  les  prêtres ,  ni  les  moines,  ni  les  simples  fidèles  qui  refusaient 
de  souscrire  à  sa  doctrine  :  plus  de  sept  mille  chrétiens  périrent 
dans  l'horrible  mission  de  Barsumas ,  et  un  nombre  infini  d'autres 
prirent  la  fuite ,  abandonnèrent  leurs  églises  et  quittèrent  leur 
patrie  *. 

Tontes  les  églises  des  provinces  que  Barsumas  parcourut  furent 
remplies  par  les  hommes  dévoués  à  ses  fureurs. 

Après  avoir  établi  le  Nestorianisme  par  les  meurtres ,  par  la 
violence  et  par  le  renversement  de  la  discipline ,  Barsumas  fonda 
des  écoles  pour  enseigner  le  Nestorianisme ,  et  mourut. 

Les  Nestoriens  se  créèrent  un  chef,  et  placèrent  Babée  sur  le 
siège  de  Séleucie. 

Babée  était  un  laïque  marié ,  déjà  avancé  en  âge  ,  et  qui  avait 
des  enfans  ;  il  signala  son  entrée  dans  Tépiscopat  par  un  concile, 
où  l'on  fît  une  loi  pour  obliger  les  prêtres  et  les  fidèles  qui  vi- 
vaient dans  le  monde  à  se  marier  ;  le  même  concile  approuva  la 
doctrine  de  Nestorius ,  et  confirma  tout  ce  que  Barsumas  avait 
fait. 

Bientôt  une  multitude  d'écrivains  entreprit  de  justifier  la  doc- 
trine de  Nestorius  et  la  conduite  de  ses  premiers  apôtres  en 
Perse. 

Le  temps ,  l'imposture,  les  sophismes ,  l'audace,  les  brigues  et 
le  crédit  des  Nestoriens  obscurcirent  la  vérité ,  placèrent  sur  tous 
les  sièges  des  évêques  dévoués  à  leurs  intérêts,  et  répandirent  le 
Nestorianisme  dans  la  Syrie ,  la  Mésopotamie ,  la  Ghaldée  et  dans 
toute  la  domination  de  Chosroês ,  qui ,  dans  tous  ses  États ,  ne 
toléra  que  le  Nestorianisme  et  persécuta  cruellement  tous  les  ca- 

*  Assemaa,  t.  3,  part.  2,  c,  6,  J  2. 

2  Asseman,  ibid.,  part,  1,  p,  393  ;  part,  2,  c,  à* 


CHA  349 

leiouturent  poini  embrasser  le  Nestomnisme;  les 

Nesloriens  jouirenl  de  la  même  faveur  sous  les  successeurs  de 
Chosroës,  et  s'aHermirent  dans  toutes  les  ^lises  qu'ils  occu- 

lls  ne  furent  pas  moios  puissaos  sous  l'empire  de  Mahomet, 
d'Omar  et  des  califes ,  qui  subjuguèrent  plusieurs  provinees  de 

Au  milieu  du  septième  siècle ,  le  Nestorlaiiisme  s'était  rj^pandu 
dans  l'Arabie,  l'Égjpte,  laMëdie,  la  Baciriaue,  l'Bircaaie, 
l'Inde ,  etc. 

Lss  Nebtoriens  élalilirent  des  églises  dans  toutes  ces  contrées, 
et  enTojëreui  des  évéques,  des  missionnaires  dans  toute  la  Tarta- 
rie  et  au  Cathaj,  pénétrèrent  jusqu'i  la  Chine,  et  s'étendirent 
dans  toute  la  cûte  du  Ualabar  *. 

Les  ÈTèques  de  Perse  dépendaient  du  patriarche  d'Aniioche; 
lesChaldéensou  Nestnrieas,  après  leur  schisme  ,  se  donnèrent  un 
patriarche,  dont  la  juridiction  s'étendait  sur  toutes  les  Églises 
cbrêtieunes  répandues  daas  les  vastes  régions  où  le  Neslorianisme 
s'était  établi. 

Lorsque  les  Tarlarea  renversèrent  l'empire  des  califes,  ils  ic* 
cordèrent  aux  chrétiens  le  libre  exercice  de  leur  religion ,  et  le 
Neslorianisme  conserva  tous  ses  avantages  sous  l'empire  des  Tar- 
tares. 

Depuis  que  les  Turcs  ont  détruit  l'empire  des  Tactares  dans  la 
Sjrie ,  la  Chaldée ,  la  Perse ,  les  Nestoriens  se  sont  soutenus  ;  mais 
ils  ont  cependant  beaucoup  perdu  d'églises.  Les  révolutions  que 
l'Orient  a  successivement  éprouvées  par  les  guerres  des  Sarrasins, 
lefi  incursions  des Tariares elles  conquêtes  des  Turcs,  ontdéU'uit 
leurs  écoles  ,  interrompu  la  communication  du  patriarche  avec  les 
églises  qui  lui  sont  soumises,  formé  de  tous  les  Nestoriens  de 
rOrieut  des  corps  séparés,  altéré  leurs  dogmes  et  changé  leur 
discipline. 

Les  Nestoriens  devaient  nécessairement  recevoir  leur  évéque 
du  patriarche  ;  ainsi ,  lorsque  l'évéque  d'un  lieu  était  luort ,  il 
(allait  aller  demander  un  autre  évêque  au  patriarche  :  peut-ftre 
l'eitrêsie  dilTicutté  d'envoyer  en  Syrie  des  députés  du  fond  de  la 
grande  Tartane,  pour  avoir  un  évèque ,  aura-t-elle  détenniné  les 

<  Asteman,  L  3,  p.  IID;  iliicl,,  pari.  S.cT,,  ^  ],  p.  87. 


tiO  BAS 

préfres  neslpriens  i  temité  que  lebr  évtqtfé  était  itiiiiitfiféf  ;}(M(- 
me  es(-oe  là  Torigiiie  du  grand  Lama. 

Par  un  concile  tenu  sons  Babée ,  loi  évéques .  iiesfoHàit^  tiod- 
Taient  se  marier  :  peut-être  un  prince  nestorien  Youlut41  unir  la 
sacerdoce  etTempire  ;  peut-être  èstrce  h.  Tori^e  deFempir^dK 
prêtre  léhan?  Je  ne  m'arrête  pas  plus  long-temps  à  ces  eonjècte- 
res,  auxquelles  le  lecteur  accordera  le  degré  dé  Tnûsemblaw^ 
qn^l  voudra. 

Les  voyageurs  ont  trouvé,  dans  la  l^irtarle  et  dans  le  CâÛmj^ 
des  Nestoriens  épars  et  plongés  dans  une  profonde  ignwaaee  :  Ùà 
n*ont  ni  écoles ,  ni  évêques ,  ni  pasteurs  éclairés  ;  ils  toiit  seqle- 
ment  visités  à  peu  près  de  cinquante  ans  en  mquante  a^  par  vsft 
évêque  qui  donne  Tordre  de  prêtrise  à  des  fiuaailles  entités  ^  #t 
même  à  des  enfans  qui  ne  sont  encore  qu*au  berceau^. 

Leur  Église  de  Malabar  était  la  plus  célèbre  ;  mais  die  est  au- 
jourd'hui gouvernée  en  grande  partie  par  des  évêques  attachés  4 
tËglise  romaine  ^. 

De  la  doctrine  des  Chaldéetu, 

1*  Les  Nestoriens  do  Syrie  ou  Ghaldéens  ne  reconnauMant  ^oiat 
Tanion  hypostatique  du  Verbe  avec  la  nature  humaine ,  et  ad- 
metient  en  Jésus-Christ  deux  personnes. 

Cette  erreur  est  clairement  enseignée  dans  leurs  ouvrages ,  les 
auteurs  de  la  Perpétuité  de  la  foi  et  M.  Âsseman  Vont  démontré  ^. 

Ils  citent  pour  cela  des  ouvrages  inconnus  à  MM.  Simon ,  Ged- 
des  et  de  la  Croze ,  qui  ont  par  conséquent  avancé  sans  fondement 
que  Terreur  des  Nestoriens  de  Syrie  est  une  chimère  ou  une  lo- 
gomachie *, 

2*  Us  croient  la  Trinité ,  mais  ils  ont  adopté  Terreur  des  6re<s 

*  Voyage  de  Rnbruqnis,  p.  60«  Description  de  la  Tartarle.  WHL  des 
Huns,  par  M.  de  Guignes. 

<  La  Croie,  Christianisme  des  Indes, 

>  Perpét  de  la  foi,  t  à,  h  i,  c.  5.  Asseman^  Bibfiot  orfOilrf  t.  Bt 
P«^  3»  c.  7,  $hf  p.  910. 

A  Simon,  tradoelîon  du  Voyage  du  P.  Dandini  au  mont  Libast  pw  999, 
Oedées,  traduction  du  Synode  de  Diamper.  Hist.  abrégée  deT^iUse  de 
Malabar. 

Cet  auteur  ne  mérite  pas  toute  la  confiance  que  lui  dôme  M.  de  la 
Croie.  Voyez  sur  cela  la  Perpétuité  de  la  foi,  t,  â,  L  iO»  c,  8  )  tt  5» 
1,  9,  c9etpa89lm. 


CHA  351 

Etir  la  proc£s$ïon  du  SaiM-Eeprit ,  ei  otoiest  qu'il  ne  procède  i)iie 
du  Pète*. 

3*  lis  nietiL  le  péché  originel. 

4°  Ile  croient  que  les  imes  ont  été  créées  arec  le  monde  et 
qu'elles  s'unissent  aui  corps  liumaias  i  mesure  qu'ils  se  formeDl. 

5°  Us  croient  qu'après  la  mort  les  âmes  sont  privées  de  tout 
seutiment  et  reléguées  dans  le  Paradis  terrestre;  qu'au  jour  du 
jugement ,  les  Imes  des  bîeaheureux  reprendront  leurs  coqis  et 
■wnteront  au  ciel ,  tandis  que  les  imes  des  damnés  resteront  sur 
bt^re,  aprèsavoiraussi  repris  leurs  corps. 

6*  Ils  croient  que  le  bonheur  des  saints  consiste  dans  la  vue  d* 
rbBnuQité  de  Jésufi-Chrisl  a  dans  des  réfélalions,  el  non  pu 

7°  lU  pensent  que  les  peines  des  dénions  oi  colles  des  damnés 
Sauront*. 

De  ce  que  l»  CkaWent  ont  de  commun  avec  rÉgti$e  romaine. 

l^ea  Nestoriens  ont  conservé  h  croyance  de  l'^lîse  romaine 
sur  l'eucharistie  et  sur  les  sacrcmens:  on  en  Ironte  des  preuves 
coniaincanles  daus  la  Perpéluilé  de  lo  fbi  et  dans  M.  Assenian  '. 

M.  de  la  Croze  est ,  !i  cet  Égard ,  tombé  dans  des  méprises  con- 
sidérables :  1*  lorsqu'il  a  prétendu  trouver  dans  l'Ëglise  de  Mala- 
bar une  Église  qui ,  n'ayant  eu  aucun  commerce  depuis  dotize 
cents  ans  avec  les  Églises  do  Rome,  de  Consiantiuople,  d'Alexan- 
drie et  d'Aniiocbe ,  consene  la  plus  grande  partie  des  dogmes 
admis  par  les  Proteslans  ,  puisqu'ils  sont  rejetés  on  tout  ou  en 
partie  par  ces  Ëglises  '. 

i'  Lorsqu'il  a  prélendu  qu'il  n'y  a  aucune  secte  dans  le  chris- 
tianisme qui  approche  plus  de  la  vérité  que  celle  des  Nestoriens , 
qui ,  dit-il ,  n'ont  été  décriés  que  par  l'injustice  de  leurs  en- 


I  Assenau,  loc,  cit. 

1  Assemao,  ibiil. 

■Perpél,  de  la  foi,  1,  i,  1, 1,  c,  7;  1. 15,c.  8.  Biblîol,  orient.  d'Asse- 
man,  t.  3,  pArl.  !. 

>  Christ,  des  Indes,  p-éraee,  et  dans  l'ouTrage,  p.  9ii,  3ii,  édîl.  de 
Hollande. 

^  DiveH.  h»L  sur  diren  snjeUi  b  f .  Bccbctclics  Mir  la  religiau  dire- 


363  CIR 

3«  Lorsqu'il  prétend  insinuer  par-là  Tantiqmté  des  pratiques 
des  églises  réformées. 

Eo  effet ,  tous  les  livres  et  tous  les  rituels  des  Ghaldéens  font 
foi  qu'ils  reçoivent  comme  canoniques  tous  les  livres  que  FÉglise 
romaine  reçoit  comme  tels  :  on  y  trouve  la  doctrine  de  la  présence 
réelle ,  et  si  quelques-uns  s'en  sont  écartés ,  ce  n*est  que  dans 
Fexplication  qu'ils  ont  voulu  donner  de  ce  mystère  *. 

Quand ,  au  reste ,  il  serait  vrai  que  l'Église  de  Malabar  D*aurait 
point  eu  cette  croyance ,  on  ne  pourrait  en  conclure  rien  autre 
chose ,  sinon  qu'elle  a  altéré  la  foi  qu'elle  a  reçue ,  puisque  les 
livres  qu'elle  conserve  contiennent  cette  doctrine  et  qu'elle  a  été 
conservée  par  les  Ghaldéens  depuis  leur  séparation  d'avec  rÉ^^ise 
romaine  *. 

Ces  livres  des  Ghaldéens  contiennent  une  preuve  incontestable 
qu'avant  la  séparation  des  Nestoriens  toute  l'Église  enseignait 
ce  que  l'Église  romaine  enseigne  aujourd'hui ,  et  qu'elle  la  regar- 
dait comme  la  doctrine  de  Jésus-Ghrist  et  des  apôtres ,  puisque 
les  Nestoriens  n'ont  osé  la  changer. 

On  trouve  dans  M.  Âsseman  tout  ce  qui  regarde  les  rites,  les 
cérémonies  et  la  liturgie  des  Ghaldéens,  leurs  patriarches ,  leurs 
métropolitains ,  leurs  monastères ,  leurs  écoles  '. 

GHILIASTES,  ou  Millénaires.  Voyez  cet  article. 

GHRISTOMAQUES ,  c'est  le  nom  générique  sous  lequel  saint 
Athanase  comprend  les  hérétiques  qui  ont  erré  sur  la  nature  ou 
sur  la  personne  de  Jésus-Ghrist^. 

GIRGUMGELLIONS  ;  ce  nom  fut  donné ,  dans  le  quatrième  siè- 
cle ,  aux  Donatistes  furieux.  Voyez  l'article  Donatistes.  On  a  aussi 
appelé  de  ce  nom  une  espèce  de  Prédicans  qui  s'élevèrent  en  Al- 
lemagne au  milieu  du  treizième  siècle  (12i8). 

Tout  le  monde  sait  les  longs  démêlés  de  l'empereur  Frédéric 
avec  les  papes ,  et  l'excommunication  lancée  contre  lui  dans  le 
concile  de  Lyon  par  Innocent  IV. 

Pendant  la  chaleur  de  ces  contestations ,  il  s'éleva  en  Allema- 
gne une  société  qui,  sous  prétexte  de  défendre  le  parti  de  l'empe- 
reur, prêchait  que  le  pape  était  hérétique ,  que  les  évéques  et  les 

*  Asseman,  loc,  cit,  S 12. 

2  Ibid.,  S  23. 

»  Asseman,  t  8,  part.  2,  c  il,  12,  lô,  14,  elc 

^  Athan.,  I.  De  décret,  synod.  nlca^n. 


CLE  353 

autres  prélats  éuient  aussi  des  ln^réliiiiies  et  des  slmoniaques  ; 
que  tous  les  prêtres,  6Umt  eu  péchû  uioriel,  n'aTalenl  plus  le  pou- 
voir de  consacrer  IVucharislie ,  qu'ils  étaient  de*  séducteurs;  que 
ni  le  pape,  ni  les  évêques,  ni  aucuu  homme  vÎTaot  n'aviit  le  dru' 
d'interdire  l'oMce  divin ,  et  que  ceux  qui  lo  faisaient  étaient  des 
hérétiques  et  des  trompeurs  ;  que  les  Frères  Mineurs  et  les  Frères 
Prêcheurs  pervertissaient  l'élise  par  leurs  fauBses  prédications  ; 
que,  tiors  la  société  des  Circuuicellions,  personne  ne  vivait  suivant 
l-Évangile. 

Après  avoir  prêché  ces  maiimes,  ils  déclarèrent  ï  leurs  audU 
leurs  qu'ils  allaient  leur  donner  des  indulgences ,  non  pas  telles 
que  celles  que  le  pape  et  les  évéquea  ont  imaginées ,  mais  n 
indulgence  qui  vient  de  la  part  de  Dieu. 

Ces  Circumcellions  firent  beaucoup  de  lori  au  parti  de  Frédé- 
rie,  et  en  détachèrent  plusieurs  callioliqu es  '. 

CLANCULAIRES,  nom  d'une  secte  d'Anabaptistes  qui  disaient 
qu'il  Tatlaii  parler  en  public  comme  le  commun  des  hommes ,  en 
matière  de  religion ,  et  ne  dire  qu'en  secret  ce  que  l'on  pensait. 
Yoyei ,  ï  l'art.  Anabaptistes,  leurs  sectes. 

CLAUDE  DE  TBURIN,  adopta  , 
vième  siècle,  l'erreur  des  Iconoclastes  el  de  Vîgilan 

Quelques  abus  qu'il  remarqua  dans  la  dévotion  des  fidèles  â  cet 
égard  le  portèrent  i  attaquer  la  vénération  des  reliques  et  de 
images. 

Claude  était  un  des  plus  fervens  chrétiens  de  son  siècle  ;  maisi 
manqua  de  justesse,  d'esprit  uu  de  modération ,  par  rapport  a 
culte  des  reliques  et  des  images  :  il  fut  réfuté  par  Dungale,  par 
lonas  d'Orléans ,  et  condamné  dans  le  concile  de  Paris  ,  qui  dé- 
clara qu'il  falbil  retenir  les  images  dansles  églises,  pourl'în: 
tion  du  peuple,  mais  quTI  ne  fallait  ni  les  adorer,  ni  leur  rendre 
un  culte  superstitieux  '. 

CLÉMENT  était  Ëcossais  d'origine.  It  rejetait  lescanons  et  les 
conciles  ,  les  traités  des  Pères  sut  la  religion  el  leurs  explications 
sur  l'Ecriture.  Il  rejetait  les  ouvrages  de  saint  lérOme,  de  saint 
Augustin,  lie  saint  Grégoire,  etc.  Il  soutenait  qu'il  pouvait  être 

<  Dup.,  Ireiiièm G  siècle,  p.  1E>D<  D'Arp;cntrè,  loc,  cil. 
'  Mabillon,  Anual.  ord.  Dened.,  I.  se,  n.  5!,  GQ,  Cl,  Conc,  l. 
p.  1913.  Hist  lilL  de  France,  L  A,  p.  iSS,  A90. 


tu  €LE 

é?è^e  tprèfl  aToir  en  deux  fils  en  adultère;  U  tiiBCÛ^  fa*  o»  cM- 
lieu  pouvait  épouser  la  veuve  de  son  frère;  il  disait  q«e  fémfh 
Christ  descendant  aux  enfers  en  avait  délivré  tous  le»  danméf  , 
Même  les  infidèles  et  les  idolâtres  :  il  avançait  encore  plnai^u» 
erreurs  sur  la  prédestination.  11  fut  condaaâné ,  avec  Adalb«|« 
dans  le  concile  deSoissons,  etdansun  concile  tenu  à  Roni9  S 

Les  savans  anieors  de  rkistoire  littéraire  de  France  pIlliflMM 
relier  ce  Clément  comme  un  de  ceux  qui  travatUèrenl  «m  rém^ 
blissement  des  lettres  sous  Charlemagne ,  et  quî'avait  été  mit^ 
de  Helton,  abbé  du  monastère  de  Ricbenumd,  aa diodkl^  de 
Constance  »  et  depuis  ambassadeur  de  Charirmagna  ^  finiMiltU 
nople  et  évéque  à  B&le. 

On  croit  que  Clément  fut  modérateur  des  études  dû  pahia** 

On  sait,  au  reste,  peu  de  choses  de  lui  :  il  n*es(  pas  impofii)de 
que,  dans  un  siècle  où  Ton  avait  supposé  et  altén^  tant  i^wjngffê 
des  Pères,  un  homme  qui  a  commencé  à  porter  la  lumièiQ  4a  la 
critique  dans  Tétude  de  la  théologie  ait  rejeté  comice  de  nidU  Uh 
torilé  les  ouvrages  des  Pères  et  se  soit  égaré. 

L*erreur  de  Glémait  devait  naturellement  porter  Vesprit  àf^r 
tude  de  la  critique  ;  mais  le  siècle  était  trop  ignorant  pour  ùa» 
Terreur  de  Clément  produisit  cet  effet  :  son  erreur  ne  fut  Ai  ntuei 
ni  dangereuse ,  il  fut  condamné  et  n*eut  ni  défenseurs  ni  dis- 
ciples. 

Que  les  protecteurs  dePignorance  ne  tournent  pas  cet  exemple 
contre  la  science.  Dans  ce  siècle  trop  ignorant  pour  adopter  les 
erreurs  de  Clément,  une  foule  d^imposteurs  abusaient  le  peuple  ; 
les  erreurs  les  plus  absurdes  étaient  prêchées  par  des  fanatiques 
sans  lettres  et  reçues  avidement;  les  mœurs  étaient  aussi  cor- 
rompues que  Tignorance  était  profonde  :  les  désordres  et  la  su- 
perstition croissent  toujours  en  proportion  du  décroissement  de  la 
lumière.  Rapprochez  de  Tartîcle  CLÉHEirr  Fartlde  Adalbert  : 
ces  deux  hommes  furent  condamnés  dans  le  même  concile. 

CLÉOBIUS  ou  Cléobule,  hérétique  contemporain  de  Simon, 
combattit  la  religion  chrétienne  et  fut  chef  de  la  secte  des  Ciéo- 
biens. 

Cléobule  niait  Tautorîté  des  prophètes,  la  toute-puissance  de 
Dieu  et  la  résurrection  ;  il  attribuait  la  création  du  monde  aux 

1  Conc.,  t.  à.  Bonit,  ép.  135* 

sflist.  Uttéraire  de  France,  t.  ft,  p.  8»  15. 


cm  954 

BD^  «t  pi^tenâait  que  JésuB-Christ  n'éutl  pas  aé  d'auâ  Vierge  ' . 

Ainsi  les  apùtres  et  les  premiers  prédicaleurs  de  l'Évangile 
Irouvèrenl  dnns  taule  la  Palestine  des  contradicteurs,  et  ces  con- 
tradicteurs étaient  des  chefs  de  sectes,  âclairés,  exercés  dans  la 
dispute,  babiles  dans  l'art  de  persuader  le  peuple,  anïntcs  par  un 
intérêt  de  système,  si  je  peux  m'exprimer  ainsi,  et  par  l'amour 
de  la  célébrité  qui  était  la  passion  ordinaice  des  cbeTs  de  secte. 

Des  adversaires  de  cette  espèce  opposaient  aux  apAtres  touiea 
les  difficultés  qu'on  pouvait  leur  opposer,  et  n'oublièrent  rien 
pour  [es  rendre  sensibles  et  victorieuses  :  les  faits  qui  servent  da 
base  au  christianisme  furent  donc  alors  discutésaveclaplusscro' 
puleuse  exactitude,  et  l'ou  en  St  l'examen  le  plus  rigoureux. 

Si  les  ap&lres  avaient  été  coupables  de  la  plus  légère  infidélité, 
leurs  ennemis  l'auraieul  manifestée,  et  cette  iuiidélilé  bien  prou- 
vée arrêtait  absolument  le  progrès  d'une  religion  dont  la  morale 
combattait  les  passions  et  proposait  k  la  raison  des  nijslëres  in- 
comprébensibles. 

Jugeons  de  ce^  temps  par  notre  siècle  :  si  lei  passions  et  la 
présomption  transforment  aujourd'hui  en  démonstrations  celte 
foule  de  traits  qu'on  lance  à  tout  propos  contre  la  religion,  ces 
allégories  qui,  exprimées  simplement,  n'offrent  ï  la  raison  qu« 
d'anciennes  et  plates  railleries,  quel  effet  ne  devaient  pas  faire 
sur  les  esprits  les  ennemis  des  apâtres,  s'ils  avaient  pu  leur  repro- 
cher avec  fondement  une  imposture  ou  une  infidélité? 

Cependant  c'est  dans  ce  temps  mèmequeUreligiondirétieniie 
fait  ses  progrès  les  plus  rapides  et  les  plus  éclatans,  et  toutes  les 
sectes  qui  la  combattent  disparaissent  et  s'anéantissent  '. 

L'évidence  des  faits  que  les  apùlres  annonçaient  est  donc  évi- 
demment liée  avec  le  progrès  du  christianisme  et  avec  l'extinc- 
tion de  ces  sectes  qui  l'attaquèrent  à  sa  naissance. 

Nous  avons  donc  sous  nos  yeux  des  faits  subsistao*  qui  sont 
Décetsairement  liés  avec  la  vérité  du  lëmoigaage  des  apàires,  et 
aussi  nécessairement  liée  que  les  monumens  les  plus  autheoliques 
avec  les  faits  les  plus  iacontestables. 

Le  laps  du  temps  et  l'infidélité  des  témoignages  n'ont  pu  alté- 
rer ces  faits  liés  avec  la  vérité  de  la  prédicatinn  des  apâtres  ;  ils 

'  ConstiL  apoat.,  I.  6,  c  8,  Tliéodor,,  Haret.  Fab.,  L  !.  Prajf.  Eu- 
seb.,  HisL  crcles.,  Lé,c  33, 
_     »Tliéodor«,  ibid. 


S68  COL 

Mmtà  réprtmre des flcropales da  sceptîetnM  ei  des  diftcaltés  de 
Cnige.  Ucerthnde  de  ces  faiu  est  pour  nous  égtto  à  eéUe  q«V 
Tsieni  les  contemporaios  des  apôtres. 

GOLARBÂSSE,  célèbre  Yalentinien,  qui  paraît  aymr  ftfipliqaé 
aa  système  de  Valentm  les  principes  de  la  cabale  et  de  Fastralo- 

gie*. 

GOLLUniE,  prêtre  d^Âlexandrie,  curé  d*ane  des  paroiiiesde 
la  même  Tille,  enseigna  non-seolementqae  Dien  n*étût  poialnii- 
teor  da  mal,  mais  encore  qa*il  n*y  avait  point  de  mal  qu  Ttnt  de 

Dieu. 

Saint  Épipbane  dit  que,  pendant  qn^Ârius  prêchait  d*mi  ofrté 
son  impiété,  on  Toyait  d'autres  cnrés,  comme  GoUathe,  Sarma-  . 
tke,  etc.,  prêcher  les  uns  d*une  façon,  les  autres  d*ane  antre»  et 
les  peuples  partageant  leurs  sentimens  aussi  bien  que  lenrs  lonsB- 
ges,  s*appeler  les  uns  Ariens,  les  autres  Golluthiens  *. 

Ce  fut  le  désir  de  la  célâ>rité  qui  produisit  Thérésie  de  CMIn- 
the  :  comme  il  n*était  qu*un  homme  médiocre  et  qu*il  Tinôt  dans 
mu  siècle  éclairé,  il  eut  peu  de  disciples. 

Le  désir  de  commander  est  ordinairement  le  partage  de  la  mé- 
diocrité, et  la  médiocrité  n*emploie  jamais  que  de  petits  moyens. 
Golluthe  se  sépara  d* Alexandre,  son  évêque,  sous  prétexte  que  ce 
prélat  avait  pour  Arius  trop  de  ménagement.  Pour  prendre  ce 
parti,  il  ne  fallait  ni  talent,  ni  lumière,  ni  mérite  ;  mais  c*est  la 
seule  ressource  des  ambitieux  ignorans  pour  faire  du  bruit,  et 
die  a  toujours  produit  cet  effet  dans  les  siècles  ignorans,  mais 
elle  ne  rend  que  ridicule  dans  les  siècles  éclairés.  Golluthe,  après 
s*être  séparé  d* Alexandre,  s*était  fait  évéque  de  sa  propre  auto- 
rité :  le  concile  d'Alexandrie  le  dépouilla  de  son  épiscopat  ima- 
ginaire et  le  réduisit  à  Tétat  de  prêtre. 

C'est  ainsi  que  Golluthe  retomba  dans  Toubli  avec  tous  ces  pe- 
tits brouillons  qui  avaient  voulu  devenir  célèbres  et  former  des 
sectes  ;  dans  les  siècles  ignorans,  ils  auraient  formé  des  schismes 
dangereux  :  Adalbert,  Waldo,  Arnaud  de  Bresse  et  tant  d'autres 
qui  désolèrent  l'Eglise,  ne  valaient  pas  mieux  que  Golluthe  ;  mais 
ils  parurent  dans  un  siècle  où  une  partie  du  clergé,  sans  mœurs 
et  sans  lumière,  voulait  dominer  sur  tout  et  ne  défendait  la  reli- 
gion que  par  des  coups  d'autorité. 

<  Auctor  Append.  ad  Tert,  De  pnescripL,  c  5S. 
>  Epiph.,  Haer.,  69.  PhUastr.,  Hxr. ,  78. 


CON 

COLLYRIDIENS;  c'étaient  des  dévou  à  la  sain»  Vierge, 
lui  rendaioal  un  culie  singulier  ;  ils  lui  oiTraienl  des  gâteaux,  n 
mes  en  grec  Collyrlde»,  d'où  ils  eurent  le  nom  de  Colljridiec 

Des  femmes  étaient  les  prêtresses  de  eelle  cérémonie  ;  elles 
avaient  un  chariot  avec  un  siège  carré  qu'elles  couTraient  d'u 
linge  ;  et,  en  un  certain  temps  de  l'année,  elles  présentaient  u 
pain  et  l'olfraieut  au  nom  de  Marie  :  puis  en  prenaient  tontes  leur 

Saint  Épiphane  a  combattu  cette  pratique  comme  un  acte  d'i- 
dolâtrie ,  parce  que  les  femmes  ne  peuvenl  avoir  part  a 

CONSCIENCIEUX  ;  c'est  le  nom  que  l'on  donna  i,  d'anciens 


pour  règle  et  pour  législateur  que 
fut  renouvelée  dans  le  dix-septième 
aimé  Mathias  Knutzen ,  qui,  de  celte 
Vo^M  l'Examen  du  fatalisme,  t.  1". 
CONSTITUTION  CIVILE  du  clergé 


liérëliques  qui  ne  C' 

siècle  par  un  Allemand  no 
erreur,  passa  à  l'athéisme. 

CONSTITUTIONNELS , 
de  France. 

La  révolution  française,  fille  sanglante  de  la  réfonne  et  du 
philosophisme ,  a  produit  cette  secte  beaucoup  moins  par  le  rai- 
sonnement que  par  la  terreur,  son  arme  favorite.Trois  ou  quatre 
Ëvéques  ambitieux  ou  faibles,  un  nombre  assez  restreint  de  mem- 
bres du  clergé  inférieur,  cédèrent  par  lâcheté  aux  prescriptions  de 
VAuemblée  nationale ,  et  se  séparèrent,  sur  une  question  qui  tou- 
chait aux  doctrines  fondamentales  de  l'Ëglise  catholique  et  ï  sa 
discipline,  de  leurs  frères  et  du  saint  Siège. 

Cette  secte,  qu'on  peut  regarder  sans  injustice  comme  une  vé- 
ritable société  de  schismatiques  et  d'hérétiques ,  niant  plusieurs 
des  vérités  essentielles  du  catholicisme,  est  aujourd'hui  oomplè- 
lement  éteinte ,  et  il  est  évident  que  le  très-petit  nombre  d'adhé- 
rens  qu'elle  conserve  encore  dans  quelques  vieillards  ne  laissera 
point  de  successeurs.  Née  avec  la  tourmente  révolutionnaire ,  elle 
est  passée  avec  elle ,  et  n'est  plus  qu'un  souvenir  historique.  Hais 
ce  souvenir  a  une  valeur  néfaste  dans  un  dictionnaire  des  aberra- 
tions de  l'esprit  humain,  il  est  mêlé,  en  elTel,  aux  scènes  atroces 
des  plus  mauvais  jours  delà  révolution  ;  il  porte  le  stygmateinet 
façahle  des  massacres  de  septembre  ,  des  pompes  du  culte  de  l> 
Raison,  des  folies  de  la  Mère-Lieu,  qui  adorait  dans  Robeepierre 

*F.pi|ih.,Hicr.,7B. 


858  CON 

un  noayeta  Christ ,  de  rabjoraiion  de  ViftqpA  GoM  ai  emMNTts, 
mentaiit  en  chaire  pour  abjurer  publiquement  le  sàjbeidooe,  n» 
connaître  qulls  n'avalent  été  jusque-là  que  des  chariaitanij  et  19 
lifrer  ensuite  aux  excès  de  la  débauche  et  de  la  cruauté. 

Les  Jansénistes  et  les  philosophes ,  déistes  ou  athées ,  oq|  |f$« 
tendu  et  prétendent  encore  que  les  décrets  de  rAssemblép  pàÙév 
nale  éuîent  fondés  sur  le$  libertés  île  l'Êgliie  gà^tie^nêf  «t  ii^ftti- 
quaient  en  rien  les  dogmes  et  la  discipline  de  l'Église  catkoli<i|ifl^ 
Qui  donc  sera  juge  des  points  de  foi?  les  fils  de  Yoltairf  09  Ofnt 
du  Christ  ?  Cest  pousser  la  mauvaise  foi  jusqu'à  l'absurde. 

Du  reste ,  voici  les  ardcles  dans  lesquds  la  ConstUut^ekUgin 
clergé  se  montrait  manifestement  erronée  et  schisamîqi»; 

i*'Elle  créait,  pour  toute  la  France ,  une  circonscrip^OR  Ciiti^ 
rement  nouvelle  d'archevêchés  ou  d'évèchés,  de  mani^  %  ^V^ 
y  en  eût  un  par  département ,  ni  plus  ni  moins  :  c'e8t-)h£n^.q|/(j| 
en  détruisait  plusieurs  anciens ,  qu'elle  en  ibstitoait  à^  mi^ 
veaux  qui  n'avaient  jamais  existé  »  et  qu'elle  cfaangeak  r^jotjno 
juridictionnelle  des  autres ,  l'agrandissant  ou  la  diminvaul  fflllMI 
l'étendue  et  b  circonscription  du  département  àstm  Ieqiu4  ib  M 
trouvaient. 

L'Assemblée  nationale  avait-elle  l'autorité  nécessaire  pour  i!ui4 
un  changement  si  radical  dans  Tétat  dç  TÉgUse  de  France,  alors 
surtout  que  les  membres  du  clergé  qui  se  trouvaient  dans  son  sein 
étaient  unanimes  ou  à  peu  près  pour  s*y  opposer  et  le  condamuer  t 
N'avait-elle  pas  besoin,  pour  légitimer  un  acte  aussi  important»  do 
l'accession  et  du  concours  de  TÉglise  elle-même ,  non-seulemeat 
de  rÉglise  de  France  en  particulier,  mais  encore  de  l'autorité  su- 
prême qui  régit  TÉglise  universelle  ? 

2*  Elle  confiait  la  nomination  des  évêques,  des  curés,  des  vi? 
caires  et  de  tous  les  ministres  du  culte  en  général  aux  élections 
populaires ,  au  mépris  de  l'autorité  de  TËglise  et  des  lois  qui  de-? 
puis  des  siècles  réglaient  celte  matière  et  particulièrement  la  mh 
mination  des  premiers  pasteurs. 

Des  nominations  absi  faites ,  sans  le  consentement  ou  plat&t 
malgré  l'opposition  et  la  condamnation  positive  de  l'autorité  spU 
rituelle ,  pouvaient-elles  être  valides  et  légitimes  ? 

d"»  Elle  imposait  aux  évêques  un  conseil ,  celui  des  vicaire 
épiscopaux ,  et  les  obligeait  à  se  régler  sur  l'avis  de  la  majorité  de 
ce  conseil  dans  l'administration  de  leurs  diocèses.  De  plus,  l'évè- 
que  mourant,  ce  n'étaient  plus  les  chapitres  qui  pourvoyaient  par 


lëtn  âliïg,aéi  DU  gouTernemenL  du  dioctse,  mais  des  hommes 
désignés  par  les  décrels,  les  vicaires  de  l'évéque  défual.  Cela 
D'i>lait-il  pas  destructif  de  l'autorité  épiscopale  Et  des  canons  qui 
étaient  en  TÎgueur  depuis  un  lemps  imméaioml  ?  N'était-ce  pas 
établir  l'organisa  lion  de  l'Ëglise  de  France  sur  les  princip&i  du 
prabylirianime ,  réprouvés  et  anatLématisés  par  le  concile  de 
Trente  en  particulier? 

4*  Les  curés  et  les  Ticaires  nommés  par  des  électeurs  poa- 
vaîent  administrer  leurs  paroisses  el  exercer  toutes  les  fooctiont 
du  ministère  ecclésiastique  en  vertu  du  seul  fail  de  cette  élecLÎOD, 
sans  qu'ils  fussent  obligés  de  la  faire  confirmer  par  l'autorité  ds 
l'évéque  diocésain. 

S°  Les  évèques  élus  devaient  demander  leur  confirmation  au 
métropolitain ,  ou ,  ^  son  défaut ,  à  un  évêque  désigné  à  cet  effet 
par  les  directoires  de  dépariement.  Ils  n'avaient  nul  besoin  de 
s'adresser  au  souverain  pontife  pour  en  obtenir  T  institut  ion  cano- 
nique; seulement  ils  devaient  lui  écrire  en  entrant  en  fonctions 
pour  lui  déclarer  qu'ils  étaient  dans  sa  communion  et  dans  celle 
de  l'ËgUse  catholique. 

6'  Enfin,  tous  les  évèques  et  tous  les  prêtres  qui  avaient  un 
bénéfice  el  qui  refusèrent  de  prêter  le  serment  exigé  par  la  CiniiJi- 
luijon  furent  déclarés  d^ntïMiunniirM,  privés  par  conséquent  de 
toute  autorité  et  juridiction  sur  leurs  diocËses  et  leurs  paroisses , 
et  l'on  pourvut  ï  leur  remplacement  par  la  nouvelle  voie  des  élec- 
tions. 

Or,  rien  de  plus  évident ,  de  plus  mauifeste ,  que  l'opposition 
de  cas  décrels  avec  les  doctrines  fondamentales  de  l'Egliiie  ca- 
tholique elles  canons  qui  forment  sa  discipline. 

1°  Dès  le  commencement,  l'Église  s'est  posée  comme  une 
puissance  spirituelle  divinement  établie  et  indépendante  de  tout 
pouvoir  humain ,  tant  dans  son  enseigoemeni  que  dans  son  gon- 
Tememenl.  Nul  n'est  admis  au  nombre  de  ses  enfans  et  de  ses 
membres,  nul  n'est  compté  parmi  les  fidèlet,  s'il  ne  lui  recon- 
naît cette  indépendance  qui  résulte  immédiatement  de  sa  divins 
origine;  el  quiconque,  dans  la  suite  des  dix-huit  siècles  qui  se 
sont  écoulés  depuis  sa  fondation ,  a  voulu  l'attaquer  sous  ce  rap- 
port, a  ceasé  par-là  même  de  lut  appartenir  ;  elle  l'a  toujours  re- 
jeté de  son  sein  comme  un  apostat,  comme  un  hérétique. 

De  quoi  s'agitil  en  eOei  pour  l'élise,  c'est-ï-dire  pour  las 
pasteursî  De  prêcher  et  de  traosmellre,  en  fidélea  échos,  ' 


I 


860  CON 

rôle  rec*^  àÊOM  Torigme  de  la  bouche  de  lésos-Christ  pir  tes  tp6- 
très;  d^administrer  les  sacremens  aux  fidèles ,  sdon  les  renies 
et  aux  conditions  posées  par  le  Sauveur  ;  de  perptoor  le  nims- 
tère  ecdésiastique  conformément  à  Vordre  qui  leur  en  ftit  donné  ; 
CD  un  mot,  de  gouTcmer  FÉglise  foimée  par  lésusrCSinst  el  les 
apôtres  de  manière  à  conserver  intact  le  dépôt  de  la  foi  et  des 
sœurs  confié  à  leur  sollicitude,  et  d*assurer  par  ce  moyen,  pour 
tous  les  fidèles,  les  espérances  de  la  vie  future  fondées  sur  loi  mé- 
rites et  sur  renseignement  de  Jésus-Christ.  Or,  on  ne  voit  pas  à 
quel  titre ,  sous  quel  prétexte ,  la  puissance  civile  pourrait  inter- 
venir dans  ces  choses-là.  Toute  Tautorité  des  pasteurs  prenant  sa 
source  dans  ces  paroles  et  dans  cette  mission  de  lésus-CSfarist  : 
Allez,  en$eigne%  toutes  les  natUms  et  apprenez- leur  à  ohsertef  imU 
ce  que  le  vous  ai  enseigné,  il  est  évident  que  nul  ne  saurait  avoir 
la  moindre  parcelle  de  cette  autorité ,  s*il  n'a  reçu  lui-même  eetle 
mis^on  divine,  soit  immédiatement  comme  les  apôtres,  soit  m^ 
tHaiement  comme  les  pasteurs  eiivoyés  par  eux  et  par  leurs  suc- 
cesseurs légitimes  au  nom  de  leur  maître.  Tout  pouvoir  coiieer- 
nant  rÉglisedoit  être  divindansson  origine  et  dans  sa  transmîAioii. 
Celui  qui  serait  puremait  humain  sous  ce  double  rapport  ne  serait 
pas  un  pouvoir  véritable,  puisqu'il  serait  uiïe  usurpation  sur 
l'œuvre  même  de  Dieu. 

C'est  pourquoi  il  est  de  foi  que  Jésus-Christ  a  établi  un  ordre 
de  pasteurs  pour  enseigner  et  gouverner  l'Église ,  et  qu'il  leur  a 
donné  à  cet  effet  une  puissance  spirituelle  entièrement  indépen- 
dante de  l'autorité  et  de  la  puissance  temporelle  ;  que  pour  exer- 
cer le  ministère  ecclésiastique  il  ne  suffît  pas  d'avoir  éxé ordonné, 
mais  qu'il  faut  encore  avoir  reçu  la  mission  de  Tautorité  de  l'Église; 
que  les  actes  de  juridiction  exercés  par  des  prêtres  et  par  des  évo- 
ques qui  n'ont  pas  reçu  cette  mission  sont  radicalement  invalides 
et  de  nul  effet  ;  qu'il  existe  une  hiérarchie  spirituelle  instituée 
par  Jésus-Christ;  que  le  pape,  évéque  de  Rome,  a  une  primauté 
d'honneur  et  de  juridiction  à  laquelle  les  évêques,  les  prêtres  et 
les  fidèles  doivent  obéissance  et  soumission  dans  les  limites  tra- 
cées par  les  canons  ;  enfin  que  les  évêques ,  dont  le  pape  est  le 
chef,  sont  établis  pour  gouverner  l'Église ,  qu'ils  sont  supérieurs 
aux  simples  prêtres  de  droit  divin ,  et  par  conséquent  que  l'exer- 
cice de  leur  autorité  dans  l'administration  et  le  gouvernement  de 
leurs  diocèses  ne  peut ,  en  aucune  façon ,  être  assujéti  aux  déli- 
bérations d'un  conseil  composé  de  prêtres  qui  leur  sont  inférieurs. 


■  CON 

Votfeî  le  concile  de  Trenie,  sera.  ^3,  cli.  Â,  cùn.3  ',  sess.  M,  ch.  7jl 
et  la  profesaion  de  foi  pracrile  par  le  même  concile. 

Ces  principes  incontestables  prouvent  que  le  coDeentemeni 
siiif  de  l'Ëglise  et  de  ses  pasteurs  était  nécessaire  pour  légilimeFi.  ' 
en  ce  qui  pouvait  l'être ,  le  nouTcl  ordre  de  choses  décrété  pM;  1 
l'Asseoiblèe  coDStitnante.  Cependant  les  Jansénistes  et  les  Consllt  I 
tutiottueU  sDutenaieot  que  ce  nouvel  ordre  de  choses  avait  lonb  1 
ce  qu'il  Tallait  pour  être  légitime ,  et  qu'il  n'était  contraire  il  an-] 
cun  dogme  essentiel ,  à  rien  de  divin  en  un  mot,  dans  les  dilTéreo*  J 
rëglemens  qu'il  instiinait.  Selon  eux,  l'élection  et  l'élection  pos  1 
pnlaire,  puisqu'elle  se  faisait  par  tout  le  corps  des  âdèles,  avMh 
été  le  mode  primitif  employé  pour  la  nomination  des  évêque 
des  ministres  de  tous  les  ordres  :  témoin  l'élection  de  saint  Ha- 
thias  et  celle  des  sept  diacres  rapportée  tout  au  long  dans  les  jletf* 
des  apôtres  ;  témoin  aussi  toute  l'histoire  ecclésiastique  depuis  le 
commencement  jusqu'il  l'époque  où  le  pontife  romain  et  les  évê- 
ques  s'altribuËrent  dans  ces  nominations  une  part  exclusive  qui 
ne  leur  avait  pas  appartenu  d'abord  ,  que  les  apôtres  n'avaient 
point  revendiquée  et  par  conséquent  n'avaient  pu  leur  transmettre, 
et  qui  devenait  ainsi  une  véritable  violation  du  droit  ancien,  lia    j 
disaient  encore  que  dans  l'origine  el  pendant  une  longue  suite  d^   I 
siècles  la  confirmation  des  évéques  élus  appartenait  ans  métropa>^  J 
litains  et  non  au  souverain  pontife,  et  que  l'Assemblée  consti-i  I 
tuante  ne  faisait  que  détruire  un  alius  et  une  usurpation  en  décré?.  I 
tant  que  désormais,  en  France,  on  ne  s'adresserait  plus  an  pape^  I 
mais  au  métropolitain ,  pour  obtenir  la  confirmation  canonique  ^  ] 
que  plus  d'une  fois  la  puissance  civile  avait  elle-même  réglé  eL  1 
détermbé  l'étendue  juridictionnelle  des  diocèses,  elquerÉglise.  J 
dans  les  premiers  temps ,  n'avait  Tait  qu'adopter  pour  cela  les  ài\  I 
visions  civiles  existantes  ;  enfin,  que  les  Uberléi  de  l'Église  gallir  i 
cane  l'autorisaieut  ï  se  soustraire  en  particulier  au  droit  nonveaih  I 
iniroduitpar  le  concordatdelSIC,  contre  lequel  les  parlement,  I 
l'université  et  les  chapitres  s'étaient  élevés  pendant  long'temps,  1 

Iqaoiqne  sans  succès.  ,   I 

'  Nous  répondrons  en  peu  de  mots  k  chacune  de  ces  objecliona;  I 
I  Et  d'abord  en  ce  qui  concerne  les  élections  de  saint  Matliias  et  I 
des  sept  premiers  diacres ,  il  ne  s'ensuit  pas,  de  ce  qu'ils  ont  étil  1 
introduits  de  celte  manière  dans  le  ministère  évangélique,  que  les  I 
apôtres  et  saint  Pierre  en  particulier  n'aient  pu  faire  seuls  ces^  I 
choii,  et  sani  demander,  sans  attendre  le  eoDsentement  des  ùi^r,  i 
I  1,  31  I 


S69  GON 

1^.  ToQi  les  Mtnto  Pères  el  TËglfee  nnif eneHe  né  Toiil  ptti  «<> 
tendu  aatrement.  Ainsi»  à  mesore que  U  foi  s*étendaii  el  que  1» 
Bonbfe  des  chrétiens  s'augmenuit ,  les  éleeiions  se  rcsBeiiaiént 
dms  un  eerde  pins  étroit  »  et  bientôt  elles  en  Tinrent  à  B*ntoif  . 
yInsUia  <i«e  per  les  membres  do  clergé  des  églises  ptrticalièren 
ei  des  dîTers  diocèses*  El  il  en  dcYsit  être  ainsi  :  dans  les  pré- 
ttlers  temps  »  le  frtn  iém0igiut§e  exigé  par  TÉgliae  pour  celni 
qtt*alle  admet  au  nombre  de  ses  ministres  ne  poufsil  étta  itasdu 
qoe  pair  Tasèonblée  si  peu  nombreuse  »  mais  si  unie  i  de  tous  le» 
idèles;  plus  tard,  au  contraire»  ce  n*éuil  plus  raniteranlité  d«n 
ttembres  de  TÉglise  qui  pouYsit  connallré  les  oattdidau»  iesjii* 
geret  en  rendre  témoignsge,  c*éuient  seulement  cent  an  mUieii 
desquels  ils  Tivaient  »  c*est-è-dire  principalement  et  avant  Umt  l6 
clergé*  Et  d^alUeUrs  ces  premières  élections  n*étaieAtpriles  pnn 
pn9dipiéeif  êM§ée9  et  confirma  ensuite  dans  leurs  résultats  pt^ 
les  pasteurs,  les  évèques ,  les  apôtres?  En  était41  ainsi  des  élec* 
lions  Ordonnées  par  TAssemblée  constituante  et  eiécnlées  snsn 
ooneOuM  auetw  de  la  part  des  pasteurs  légitimes? 

Les  diapitres  des  cathédrales  ont  conservé  long-^temps  dami 
tonte  TÉglise  tin  pouvoir  qu'ils  n'exetcent  plus  que  dans  «n  bien 
petit  nombre  de  diocèses ,  celui  d'élire  Tévéque  diocésain  ;  mais 
ce  sont  les  abus  eux-mêmes  et  les  fôcheux  résultats  de  ces  élec- 
tions qui  ont  amené  avec  le  temps  un  mode  plus  simple  et  com- 
parativement meilleur  de  choisir  des  hommes  ayant  un  bon  té^ 
moignêge^  àonum  habens  testimoiiium.  On  a  attribué  les  concordats, 
et  celui  qui  fut  conclu  en  1516  entre  Léon  X  et  François  I*'  en 
particulier^  à  des  motifs  et  à  des  intérêts  tout  humains.  Mais  il 
n'en  est  pas  moins  vrai ,  pas  moins  évident  pour  qui  lira  Thistoire 
ecclésiastique  avec  attention  et  impartialité  »  que  Tintroduction 
de  ce  nouveau  droit  fut  un  bien  ;  que  les  choix  faits  de  celle  ma- 
nière hsmédièrent  k  la  corruption  et  aux  intrigues  qui  avaient  de- 
puis long-temps  Vicié  les  élections  capilulaires,  et  qu'après  tout , 
il  est  presque  toujours  dans  l'intérêt  comme  dans  la  pensée  des 
souverains  de  ne  confier  les  grandes  dignités  de  l'Église  qu'à  des 
hommes  Vertiieut  et  capables. 

On  peut  également  soutenir  avec  vérité  que  la  confirmation 
des  évèques  par  le  métropolitain ,  qui  fut  en  effet  le  premier  mode 
de  conférer  aux  élus  l'institution  canonique ,  aurait  fini  par  ne 
plus  donner  asses  de  garanties  en  faveur  de  leur  orthodoxie  el 

de  leur  aitschement  k  Tuniié ,  qui  est  l'esseoce  mémo  de  rÉgUsQ 


CON  868 

catholique.  La  central!  sa  lion  devînt  nécessaire  alors  que  les 
mœurs  du  clergé  s'élaieni  si  prodigieascment  relâchées  que  t'am- 
biLîon  avait  pénétré  dans  tous  ses  ran|;s  depuis  la  tiare  jusqu'à 
la  houlette  du  curé  de  campagne  ,  et  que  le  scliisme  avait  divisé 
l'Ëglise  d'une  extrémité  de  l'Europe  i  l'antre.  11  appartenait 
d'ailleurs  ù  l'Ëgliie ,  qui  a  exclusivemenl  le  droit  de  se  gouver* 
ner  elle-même  ,  de  modifier  sa  discipline  sur  cet  article,  comma 
elle  l'a  fait  pour  laur  d'aulres  k  des  époques  difTérentes;  et,  una 
fois  ce  changement  opéré ,  il  ne  se  pouvait  pas  faire  qu'une  as- 
semblée, exclusivement  séculière,  détruisit  légitimement  un 
droit  qui  ne  tombait  pas  sous  sa  juridiction.  Ou  ne  montrera  ja- 
mais, par  aucun  fait  de  l'histoire  ecclésiastique  nou  plus  qua 
par  aucun  dogme  de  la  religion ,  qu'il  appartienne  aux  puissances 
séculiâres  de  réformer  de  cette  manière  la  discipline  de  l'Église. 
Quelques  princes  pieux  et  zélés  ont  entrepris  de  ramener,  en  di- 
vers temps ,  le  clergé  ^  l'esprit  de  son  état  et  au  respect  des  rëglea 
canoniques;  mais  iU  l'ont  toujours  fait  avec  le  concours  du  ulergâ 
lui-même  qui ,  par  son  approbation  et  son  consentement,  a  donna 
force  de  lois  k  des  prescriptions  qui  sans  cela  n'eussent  été  qUQ 
des  règlemens  sans  valeur  ei  sans  efficacité. 

Nous  ne  disons  rien  de  l'article  spécial  de  la  ContHluliev  qui 
aESUJétissait  l'exercice  de  l'autorité  de  l'évêque  il  In  sanction  et  à 
l'approbation  des  hommes  qui  composaient  son  conseil.  Nous  ai- 
mons mieux  renvoyer  le  lecteur  i  la  leasion  S3  du  conoile  ds 
Trente,  où  celle  indépendance,  attaquée  par  les  novateurs,  se 
trouve  décrétée  el  mise  au  rang  des  dogmes  qui  font  partie  de  la 
fui  catholique. 

Reste  l'objection  tirée  des  liberlés  de  l'Église  gallicane. 

On  a  beaucoup  parlé  des  libeTlii  de  l'Égliie  gailicant,  et  au 
milieu  de  tout  ce  qu'on  en  a  dit  en  des  sens  irés-divers,  on  aper- 
çoit clairement  ces  deux  oliosea  :  1°  que  ces  libertés  sont  en  eOet 
quelquechose,  qu'elles  ont  existé  et  qu'elles  existent,  eomrao 
il  existe,  de  temps  immémorial,  des  libertés  pour  les  Eglises  da 
la  plupart  des  Ëtais  particuliers;  et  3°  que  nos  libertés  ont  loni 
jours  été  comprises ,  expliquées  et  appliquées ,  d'une  maniera 
lout-ii-fait  dilTéreole,  parle  clergé  et  par  les  parlement  ou  lea 
représentans  de  la  piiissuoee  civile.  Il  ;  a  pourtant  un  point  com- 
mun dans  lequel  le  clergé  et  les  parlemeos  s'accordaient ,  c'e*t 
que  ces  libertés  consistaient,  comme  le  dit  Bossuet,dantI«itroif, 
dont  a  toujours  joui  l'Église  gallicane,  deutiiwtneT  ^ov  If 


1 
I 


364  COP 

anciens  canons ,  et  partant,  de  n'accepter  que  Uhrement  un  droH 
nouveau  ,  contraire  à  ces  cauons ,  de  ne  s*y  soumettre  que  de  son 
plein  gré ,  de  Tadopter  enfin ,  en  tout  ou  en  partie ,  selon  ses  con- 
venances et  ses  intérêts.  Lorsque,  en  1516,  parut  le  concordat  en- 
tre Léon  X  et  François  P%  les  parlemens ,  Tuniversité  et  une 
partie  du  clergé  le  combattirent  par  des  motifs  exdusi?ement 
fondés  sur  ces  considérations  ;  mais  enfin  il  prévalut,  malgré  cette 
opposition ,  et  en  1789  il  régissait  TËglise  de  France  depois  près 
de  deux  cents  ans. 

Mais  que  pouvaient  avoir  de  commun  avec  ces  libertés  les  pré- 
tentions et  les  règlemens  de  T Assemblée  constituante?  Ces  anciens 
canons ,  n'était-ce  pas  TÉglise  qui  les  avait  faits  ?  L'Église  galli- 
cane les  avait-elle  reçus  primitivement  de  Tautorité  laïque?  De 
quel  droit  cette  autorité  laïque  venait-elle  ,  seule  et  malgré  les 
réclamations ,  malgré  Topposition  de  T Église  universelle,  se  pro- 
nonçant par  la  bouche  de  son  chef,  et  spécialement  par  celle  des 
pasteurs  légitimes  de  FÉglise  gallicane  elle-même ,  la  sonstnire 
à  des  règles  reçues  ,  établies  et  régnant  depuis  si  long-temps , 
pour  lui  rendre,  sans  son  aveu,  et  sans  se  soucier  si  elle  lai  con- 
venait, une  discipline  qu'elle  avait  abandonnée?  N'était-ce  pas 
d'ailleurs  une  amère  dérision  que  l'on  voulût  vendre  libre  l'Église 
gallicane  d'une  liberté  qui  blessait  également  et  les  dogmes  de 
la  religion,  et  la  constitution  générale  de  l'Église ,  qu'elle  réprou- 
vait avec  tant  d'unanimité,  et  qui,  en  définitive^  n'eût  fait  que 
l'asservir  à  la  puissance  civile  *  ? 

COPHTES ,  c'est  le  nom  que  l'on  donne  aux  Égyptiens  chré- 
tiens Jacobites  ou  Monophysites ,  à  l'exclusion  des  autres  habi- 
tans  de  l'Egypte. 

Pour  en  bien  connaître  l'origine  ,  il  faut  remonter  au  temps  de 
Dioscore. 

Dioscore,  patriarche  d'Alexandrie,  fut  le  plus  ardent  promo- 
teur de  l'Eutychianisme  :  l'autorité  que  lui  donnait  sa  place,  ses 
libéralités  qui  le  faisaient  adorer  du  peuple,  l'horreur  qu'il  eut 
l'art  d'inspirer  à  tous  les  Égyptiens  pour  les  ennemis  d'Eutychès, 
qu'il  représenta  comme  des  Nestoriens  ,  répandirent  l'Eutychia- 
nisme dans  toute  l'Egypte. 

Le  concile  de  Chalcédoine  qui  déposa  Çioscore  irrita  tous  les 
esprits  et  alluma  le  fanatisme  dans  toute  l'Egypte  :  la  sévérité  des 

*  Bergier,  Dictionnaire  de  théologie,  U  2,  p.  108. 


COP  365 

lois  (les  empereurs  contrelea  ennciuis  du  concile  de  CliiJcédoiDO 
el  tesariiSces  des  partisans  de  Dlosrorc  donnèreni  de  l'aliment 
au  fanulisme,  et  I'£gjple  fut  remplie  <Ic  troubles,  de  diTisiotis  et 

l.a  puissance  impériale  établit  enfia  dans  toute  l'Egypte  l'au- 
lorité  du  concile  de  Chalcédoine:  od  envoya  de  Constautinople 
des  patriarcbes,  des  évéques,  des  magistrats ,  des  gouverneurs,  et 
les  lîlgyp liens  furent  exclus  de  toutes  les  dignités  civiles,  militai- 
res et  ecclésiastiques. 

On  n'éteignit  pas  le  fanatisme  :  une  partie  des  ennemis  du  con- 
cile de  Chalcédoine  se  retira  dans  la  bauie  Egypte  ;  d'autres  sorti- 
rent  des  terres  de  l'empire  ,  et  passèrent  en  Afrique  cl  cbez  les 
Arabes,  oii  toutes  les  religions  étaient  tolérées  <. 

Ceux  qui  restèrent  en  Egypte  étaient  subjugués  el  non  pas  sou- 
mis; ils  conservaienE  une  baioe  implacable  contre  les  empereurs 
romains;  les  traitemens  rigoureux  des  gouverneurs  et  des  officiera 
de  l'empereur,-  les  humiliations  et  les  outrages  qu'ils  faisaient  es- 
suyer aux  Ëgypliens,  plus  de  cent  mille  Égyptiens  massacrés  dans 
dilférentes  occasions  pouc  avoir  refusé  de  reconnaître  le  concile 
de  Chalcédoine ,  avaient  porté  dans  le  cœur  de  tous  les  Égyptiens 
une  haine  implacable  contre  les  empereurs  et  un  désir  ardent  de 
se  venger  de  leurs  oppresseurs  '. 

Les  patriarches  de  leur  secte  leur  envoyèrent  des  vicaires  pour 
entretenir  ces  dispositions  et  pour  les  soutenir  contre  les  lois  de 
l'empereur. 

Sous  l'empereur  lléraclius,  lepatriarcbe  Benjamin,  du  fond  des 
dcserisdelu  basse  Egypte,  envoyailson  vicaire  A ga thon,  déguisé 
en  tourneur,  consoler  les  Ëgypliens ,  leur  arlmiiiislrer  les  sacre- 
mens,  leur  porter  reucbarislie. 

L'Egypte  renfermait  donc  deux  peuples  qui  se  harssaienl  mor- 
tellement: les  Grecs  ou  les  Romain  s,  qui  occupaient  toutes  les  pla- 
ces, toutes  les  dîgnilês  ,  et  qui  faisaient  la  plus  grande  partie  des 


>  n'ai,  palriarch.  Alex,,  p.  1G4. 

3  Quand  les  {toutomcurs  mai^eaienl,  ils  raisaïent  soutenir  leur  ta- 
ble par  quatre  ^yptiens  et  essuyaient  IcursmaiNs  â  leur  barbe,  nlTroiit 
le  pluï  insuppoHalile  qu^n  pût  leur  faire,  et  qui  eicile  encore  aujour- 
d'hui la  colore  et  la  haine  des  Égyptien*  contre  les  empereurs  romain5. 
Le  souvenir  des  maisacres  commis  pour  feire  recevoir  le  ranùle  de 
Chalcédoine  est  encore  présent  k  leur  espiiL 


aêê  cop 

trompdi;  et  UB  autre  peuple,  savoir,  lesËgyptieM,  qiA  étaient  Un 
fiaîœeDt  plus  Bombreux  et  qui  formaient  la  t)ourgeoi8ie ,  les  la-» 
koureurs,  les  artisans. 

Pendant  que  TÉgypte  était  dans  cet  état ,  les  Sarrasins  conqui- 
rent la  Palestine  et  la  Syrie  :  les  Égyptiens  les  invitèrent  à  Tenir  en 
Egypte ,  firent  un  traité  avee  Ânurou ,  général  d*Omar,  s'unirent 
à  lui  contre  les  Romains  et  ftrent  passer  l'Egypte  sous  la  puisaanee 
des  Sarrasins.  Tous  les  Grecs  ou  Romains  s'enfuirent  et  aJ^anden- 
nèrent  TÉgypte ,  qui  ne  fut  plus  habitée  que  pi^r  les  naturels  et 
par  les  Sarrasins ,  qui  levèrent  une  capitalion  sur  les  Égyptiens 
et  remirent  le  patriarche  Beiyamin  en  possession  de  tous  les  pti-^ 
▼iléges  du  patriarcat. 

Ainsi ,  comme  les  Jaoobites  étaient  presque  tous  Égyptiens  na-r 
tiirels,  ils  perdirent  en  très-peu  de  temps  Tusage  delà  langue  grec- 
qt%f  et  firent  le  service  en  langue  égyptienne,  comme  ils  le  font 
encore  a^)ourd'lltti. 

LesGophtes  sqnt  <]ono  tous  les  Égyptiens  qui,  faisant  profession 
de  la  croyance  des  Jacobites,  sont  soumis  au  patriarche  d'Alexan? 
drieet  îmi  Toffioe  en  langue  du  pays  ^. 

Les  Gophtes  jouirent  d'abord  de  tous  les  privilèges  que  leur 
avait  promis  Âmrou,  général  d'Omar,  auquel  TÉgypte  s'étaitdon- 
née  :  les  Sarrasins ,  d'ailleurs  ,  craignaient  qu'en  traitant  mal  les 
Égyptiens  ils  ne  rappelassent  les  Romains  ;  mais  lorsque  |es  gou- 
verneurs sarrasins  eurent  appris  que  Léon  s'était  révolté  contre 
Justinien,  et  que  les  Romains  déposaient  et  créaient  les  empereurs 
à  leur  fantaisie ,  ils  défendirent  l'exercice  public  de  la  religion 
chrétienne  ^. 

11  fallut  alors  acheter  des  préfets  la  tolérance  qu'on  avait  stipu- 
lée dans  l'accommodement ,  et  les  Sarrasins  devinrent  des  tyrans 
et  des  persécuteurs  impitoyables ,  qui  ne  toléraient  les  chrétiens 
que  pour  en  tker  des  impôts  arbitraires  et  des  contributions  ex- 
cessives. 

Les  Cophtes  se  soutinrent  au  milieu  de  ces  persécutions  ,  et 
malgré  les  schismes  qui  les  divisèrent  ils  se  vantent  même  d'a- 
voir eu  dans  tous  ces  temps  des  martyrs  ,  des  confesseurs  ,  des 
saiqts,  des  miracles ,  et  c'est  par  ces  impostures  qu'ils  entretien- 

m 

*  Rena«^4ot,  Perpét.  de  la  foi,  t  4,^  1.  1,  c.  d.  Hist.  p^triar.  Alex., 
P9r^  2.  Çpnl.  de  BoUan^us,  mois  de  juin,  p.  79,  etc. 
2HisU  patr.  Alex.,  p.  18^ 


COP  Itl 

nent  encore  dans  le  scbûme  le  peuple  Ignoranl  et  crédule  ', 
Les  révoluiîons  arrivées  dans  l'empire  des  califes  n'ont  point 
adouci  le  sort  desCopliles  et  des  (^brétieuE,  qui,  niulgré  lantJ'ub- 
£iades,  se  sont  perpétués  jusqu'à  nos  jours  en  Égyple. 

Il  n'y  a  point  eu  Ëgjple  de  nallan  plus  I yraouisée  que  les  Copb- 
tes,  parce  qu'ils  n'ont  personne  qui  puisse  se  faite  considérer  des 
Turcs  par  son  savoir ,  ou  se  l'aire  craindre  par  son  autorité  ;  ils 
sont  regardés  conunele  rebut  du  uioude.  I^ur  nombre  est  aujour- 
d'hui li'és-peiil  ;  ils  étaient  plus  de  si:i  cent  mille  payant  tribut 
locsqu'Anirou  ât  la  conquête  de  l'Egypte;  ils  oe  sont  pas  au- 
jourd'hui plus  de  quinze  mille  *. 

Nous  allons  esaminer  l'élut  actuel  de  cette  secte  par  rapport  à 
la  religion, 

De  !a  doctrine  de*  Cfpkta. 

Les  Cophtes  rejettent  le  concile  de  Chaluédoine ,  la  lettre  de 
saint  Léou  à  Flavien  ,  et  ne  veulent  point  convenir  qu'il  y  a  deux 
natures  en  Jésus-Christ,  quoiqu'ils  reconnaissent  que  la  diTinilé 
et  rhuuianité  ne  sont  point  confondues  dans  sa  personne  ;  et  si 
l'on  excepte  cette  espèce  de  Monophysisme  ,  ils  n'ont  aucune  er- 
reur particulière  :  ils  conviennent  avec  les  calboliques  et  avec  les 
Grecs  orthodoxes  el  srhismatiques   de  tous  les  autres  points  qui 

11  est  certain  ,  par  tous  les  livres  de«  Cophtes ,  par  leurs  coa- 
Tessionsdu  fui,  parleurs  rituels,  qu'ils  reconnaissent  la  présence 
réelle,  qu'ils  ont  le  culte  des  images,  la  prière  des  morts  et  toutes 
les  pratiques  qui  ont  servi  de  prétexte  au  schisme  des  prétendus 
réformés. 

Celte  t^ise  copbte  est  cependant  séparée  de  l'Eglise  romaine 
depuis  plus  de  douîe  cents  ans  :  tout  ce  que  riîglise  romaine  croit 
et  pratique  aujourd'hui  sur  l'eucharistie ,  sur  les  sacremens ,  sur 
le  purgatoire,  «ur  les  images ,  était  donc  enseigné  et  pratiqué  par 

'  HisL  patr.  Alex.,  p.  133. 

'  Noiivrlle  relalinn  d'un  voyaRC  fait  rn  ÉRjptr  par  Vanslph ,  p.  15, 
p.  Î8S. 

>  Hcnaudot,  Httl.  patr.  Alex.,  p.  356,  porl.  !.  Pcrpét.  de  la  loi,  t.  i, 
I,  4,  c  9.  Itoliand  ,  juin,  I.  5.  Nouveatii  mémoires  de  la  compagnie 
de  Jésus  diius  le  Lcvaul,  I.  t.  Lettre  ttu  pcie  du  Bernât  au  père  fku- 
riao. 


t«8  COP 

rËglîs£ ,  dont  les  Cophtes  raisaieni  parlîe  aussi  bien  que  ri^lise 

latÎDp,  avant  le  schisme  de  Dioscore,  oii  il  f;iut  que  l'Église  cophte 
et  l'Eglise  romaine  aient  fait  cfs  changeineiis  dans  leur  croyance, 
dans  leur  liturgie  et  dans  leur  culte. 

11  est  impossible  que  ces  deux  communion  se  soient  accor- 
dées ou  se  soient  rencontrées  à  faire  dans  leur  doctrine  et  dans 
leur  culte  précisément  les  mêmes  changement  sur  tant  d'objets 
sur  lesquels  elles  n'avaient  ancune  nécessité  de  se  réunir. 

Il  Tant  donc  qu'avant  le  schisme  d'Eutjctiës  l'Ëglise  catholi- 
que ait  enseigné  et  pratiqué  ce  qu'elle  enseigne  et  pratique  au- 
jourd'hui sur  l'eucharistie  ,  sur  le  culte  des  saints ,  sur  la  prière 
des  morts  :  c'est  donc  avant  Eutychês  que  s'est  Fait  le  changement 
dans  la  foi ,  s'il  est  vrai  que  celle  que  les  catholiques  proressent 
aujourd'hui  n'ait  pas  toujours  Été  la  foi  de  l'Église  ;  et  il  est 
certain  que  loulel'Eglise,  avantle  concile  de  Chalcédoine,  crojait 
et  pratiquait  ce  que  l'Eglise  romaine  croit  et  pratique  aujourd'hui 
sur  tous  ces  objets. 

Nousavons  prouvé,  dans  l'article  Nestorics, que  celle  croyance 
était  générale  avant  le  premier  concile  d'Ephèsc  et  même  avant 
1k  concile  de  Nicée,  et  qu'il  était  impossible  que  cette  croyance 
fQl  alors  nonvelle  dans  l'Eglise. 

fd  croyance  de  l'Eglise  romaine  est  donc  ta  croyance  de  l'Ë- 
glise  primitive  ;  pourquoi  donc  les  premiers  réformateurs  s'en 
sont-ils  séparés ,  et  pourquoi  les  Proteslans  de  nos  jours  ne  Ao- 
ireraieut-ils  pas  dans  une  Eglise  qui  ne  croit  que  ce  que  l'élise 
croyait  dans  les  premiers  siècles,  danscessiècles  si  féconds  eu  pro- 
diges de  vertus  et  qui  ont  donnétant  de  martyrs  et  tant  de  saints? 
Comment  H.  Tillolson  opposera-t-il  la  prétendue  diEQculié  de  se 
sauver,  dans  l'Église  romaine ,  pour  justifier  le  schisme  des  Ëgli- 
'  sesréformées? 

Ees  Proiestans  ont  prétendu  que  le  patriarche  Hacaire  avait 
changé  la  litui^ie  des  Cophtes  ,  et  voudraient  prouver,  par  ce 
changement ,  qu'il  est  possible  qu'un  patriarche  ait  établi  une 
nouvelle  doctrine  dans  l'Église  sans  qu'on  s'y  soit  opposé,  et  par 
conséquent  sans  qu'on  puisse  en  marquer  l'époque. 
•  Mais  l'exemple  du  patriarche  Macaire  n'est  pas  propre  à  prou- 
ver leur  prétention  ,  car  les  Cophtes  avaient  beaucoup  d'usages 
qui  n'étaient  point  fondés  sur  la  tradition,  et  le  patriarche  avait 
le  pouvoir  de  les  changer  ,  sans  qu»  ce  changement  causâtdans 
l'Église  cophte  aucune  difficulté;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  ce 


GOP  869 

qui  regarde  t'eucLirisLie  ei  les  sacremens  ;  l«s  pairiarcbes  n'ont 

jamiis  osé  enireprendrtide  faire  sur  ces  objets  aucun  changemeDi, 
ei  les  cbangemens  qu'ils  om  voulu  Taire  sur  des  objets  qui  n'É- 
taient pas  des  poiats  de  liturgie  ont  toujours  excité  des  troubles'. 

Dm  gouvernement  ecclésiastique  de»  CoplUei. 

L'£glise  cophie  a  conservé  le  gouvernement  qu'elle  avait  dans 
son  instituiion  et  s'en  est  éloignée  moins  qu'aucune  antre. 

a  chef  de  l'Église  est  le  patriarche  d'Alexandrie, 
saiul  Marc;  après  lui  sont  les  évéques,  su  nombre 
d'onze  ou  douze  ,  les  prêtres,  les  diacres ,  des  clercs  inrérieurs , 
des  moines  et  des  laïques, 

Le«  éréques ,  les  prêtres  et  les  principaux  de  la  nation  s'assem- 
blent pour  élire  le  patriarche  :  celte  élection  se  fait  au  Caire.  On 
choisit  toujonrs  les  patriarches  parmi  les  moines,  parce  qu'il  faut 
que  le  patriarche  ait  vécu  toute  sa  vie  dans  la  chasteté. 

Les  évéques  sont  dans  une  exti'ême  dépendance  de  l'archevê- 
que; il  les  élit,  peut  les  déposer  et  les  excommunier;  ils  sont  dans 
les  provinces  les  receveurs  des  revenus  du  patriarche ,  lesquels 
revenus  consistent  en  une  dtme  destinée  i  son  entrelien. 

Quoiqu'il  n'y  ait  point  d'obligation  pour  les  prêtres  de  vivre 
dans  la  continence  ,  il  y  en  a  néanmoins  qui  ne  sont  point  mariés 
et  qui  ne  l'ont  point  été. 

Les  Cophlesn'ont  point  d'empressement  pour  l'état  de  prêtrise, 
il  faut  souvent  les  j  forcer  ;  comme  ils  «ont  tirés  du  peuple  qui 
ne  subsiste  que  par  son  travail ,  ils  considèrent  que  ce  nouvel  em- 
ploi leur  emportera  la  plus  grande  partie  du  temps  et  les  empê- 
chera de  faire  leur  métier  ,  quoiqu'ils  soient  chargés  de  pourvoir 
k  l'entretien  d'une  famille ,  l'Église  ne  leur  fournissant  presque 

Souvent  on  voit  des  hommes  qui  sortent  de  h  boutique  à  l'Sge 
de  trente  ans  pour  être  élevés  au  sacerdoce.  Onl-ils  été  jusqu'a- 
lors tisserands ,  tailleurs,  orfÈvres  on  graveurs ,  savent-ils  lire  en 
cophte,  cela  suffit  pour  les  onlocner  prêtres  ,  parce  que  la  messe 
se  dit  et  l'oltlce  se  fait  en  celte  langue  que  la  plupart  d'entre  eni 
n'entendent  pas. 

Les  prêtres  ne  prêchent  jamais,  et  cegiendaoi  ils  sont  Irès-res- 
pectés  du  peuple ,  et  tout  ce  qu'il  j  a  de  plus  considérable  et  di: 

*  Itcoaudol,  loc.  cit.  p.  At6. 


IfO  COP 

plus  distingué  dunfi  la  nation  se  courbe  devant  eux  »  leur  biûie  l| 
piain  et  les  prie  de  la  leur  mettre  sur  la  tête  *■ . 

Dfs  je^n09  de^  Cophtes, 

Les  Cophtes  sont ,  comme  tous  les  chrétiens  d*Orient ,  grands 
observateurs  du  jeûne  :  ils  ent  quatre  carêmes  dans  Tannée;  le  pre- 
mier est  celui  qui  prêche  la  pâque  ;  i)  commence  neuf  jours  étant 
celui  des  Latiqs:  ils  demeurent  sans  boire ,  sans  manger  f  t  saim 
fumer  jusqu^après  roffice,  qui  finit  environ  à  une  heure, 

(4e  second  carême  est  d^  qu^^^nte-trois  jours  pour  le  clergé,  9% 
de  vingt-trois  pour  l^autrea  ;  ce  parême  e^t  avant  la  nativité  de 
Notre^igneur. 

lie  troisième  carême  se  prati(}ue  avant  la  fête  iies  apôtree  saint 
Pierre  et  saint  Paul;  il  ei|t  d'euviron  treize  jours,  et  cammeiicii 
après  la  semaine  de  la  Pentecôte, 

Le  quatrièwf^  çarêRie  est  avant  la  fête  de  rAssomptio»  et  dure 
cpiinsejovr^» 

)1  n*j  a  point  d^Age  prescrit  parmi  eux  pour  jei^neF  i  en  neaan^ 
rait  croire  qu^  inérit^  \h  se  font  de  leurs  qarèmes  el  de  Jeun 
jeûnes. 

De  quelques  pratifjues  particulier  es  aux  Cophtes* 

i«  Les  Cophtes  donnent  le  sacrement  de  rextrême-onction  avee 
celui  de  la  pénitence  :  ils  ne  désavouent  pas  que  saint  Jacques  a 
recommandé  CQ  sacrement  pour  les  malades ,  mais  ils  distinguent 
trois  sortes  de  n^aladie^;  cellçç  du  corps  ;  celles  de  Tâme,  qui  sont 
les  péchés  ;  celles  de  Tesprit ,  qui  sont  les  afflictions  ;  ils  esti? 
ment  que  Fonction  est  utile  pour  toutes  ;  voici  de  quelle  manière 
ils  administrent  ce  ss^çrement. 

Le  prêtre,  après  avoir  donné  Tabsolution  au  pénitent,  se  fait 
assister  d'un  diacre  ;  il  commence  p^r  les  encensemens,  et  prend 
une  lampe  dont  i)  bénit  Thuile,  et  y  allume  une  mèche  ;  il  récite 
ensuite  sept  pr^^isons  et  sept  leçons  tirées  de  Tépître  de  saint  Jac- 
ques ;  puis  il  prend  de  Thuile  de  la  lampe  bénite ,  et  en  fait  une 
onction  sur  le  front,  disant:  Dieu  vous  guérisse,  au  noni  du  Père 
et  du  Fils;  il  fait  une  semblable  onction  à  tous  les  assistans  de 
peur,  dit-il,  que  1^  malin  esprit  ne  passe  %  quelqu'un  d'eux. 

%**  lU  ont  dans  leurs  églises  de  grands  bassins,  ou  des  lavoir^ 

^  Renaudot,  Hist.  patriarch.  Alex.  CoUeot.  lilurgiarum  orientalium* 


DAT  «71 

qu'ils  rempltueni  d'eau  le  jour  da  l'épiphuie  ;  le  prêtre  It  bénit, 
j  plonge  les  enfans,  et  le  peuple  s'y  jelii'  ;  k  la  campai^ne  el  sur 
le  bord  du  NU  ,  la  bénédiction  se  fait  sur  la  rivière  luéme,  u(i  le 
peuple  se  baigne  ensuite  :  cette  coutume  est  aussi  en  usage  clicx 
les  Abyssins. 

Ne  senit-ce  point  celte  cérémonie  qui  avait  fait  juger  que  les 
Cophtes  bonorenlle  Nil  oummeuDediviolté? 

3"  La  dissolution  du  mariage  est  eu  usage  cher,  les  Copliiei  , 
non-seulement  en  cas  d'adultcre,  mais  pour  de  longues  intirmitési 
pour  des  antipathies,  peur  des  querelles  dans  le  ménage ,  et  sou- 
vent pur  dégoût. 

Ia  partie  qui  poursuit  la  dissolutioD  de  son  mariage  s'adresse 
d'abord  au  patriarche  ou  Ooo  évéquc  pour  la  lui  demander,  et  si 
le  patriarclie  ne  peut  le  dissuader,  il  l'ucoorde  ;  si  le  prélat  reruse 
la  dissolution ,  ils  tooL  devant  le  eadi  ou  magistral  turc ,  Tont 
rompre  leur  mariage,  et  en  contractent  un  autre!)  In  turque,  qu'ils 
nomment  mariage  dejutliee. 

i'  Ils  ont  l'usage  de  la  circoncision  ,  qu'ils  ont  prise  des  Malio- 
métans  ou  des  Juifs  ;  mais  elle  poumii  bien  n'Atre  pas  une  cM- 
monie  religieuse,  mais  un  usage  du  pays;  quoiqu'il  en  soit  fait 
mention  dans  leurs  rituels,  il  paraît  qu'ils  n'ont  adopté  cet  usage 
que  pour  plaire  aux  HnhuméUins  :  ils  s'abstiennent  aussi  du  sang 
et  de  la  chair  des  animaux  Euiïoqués  *. 

CYNIQUES  ;  c'est  ainsi  qu'on  appelait  les  pLilosoplies  serU- 
leurs  d'Antislëne,  qui  foulaieut  aux  pieds  tonte  espèce  de  régie  , 
de  mœurs  et  de  bienséance  :  ce  nomPaldonnéauxTurlupIns,  qui 
s'abandonnaient  publiquement  el  sans  remords  aux  plus  hnnleil- 
Hs  débauches. 

CYRÉNAIUUES  {  ils  parurent  vers  l'an  \TS  ,  el  pti^lendirent 
qu'il  ne  fallait  point  prier,  parce  que  Jésus-Christ  avaif  liil  savoir 
les  choses  dont  nous  avions  besoin  ' , 


DAnOES,  chef  des  Messaliens.  Voyez  cet  article. 
D.WID  bF  Dînant  adopta  tes  principes  d'Amauri , 
et  écrivit  pour  tesjustiCer. 


'  Nouïcnui  mémoires  des  m 
[.evsni,  1. 1,  loF,  rli. 
1  Uufuiiui  LcticaUi 


S7J  DAV 

Il  y  arait  alors  en  France  des  restes  de  Cathares  oa  de  ces  Ma- 
nichâens  ?enas  d'Italie  qui  attaquaient  Tantorité  des  ministres 
de  rÉglise ,  les  cérémpnies  et  les  sacremens  :  ils  niairat  la  résur- 
rection, la  distinction  du  Yice  et  de  la  vertu,  etc.  Ils  crurent 
trouver  dans  le  système  d*Âmauri  des  preuves  de  leurs  opinions  ; 
ils  Tadoptèrent:  ils  prétendirent  que  Dieu  le  Père  s*était  incarné 
dans  Abraham ,  Dieu  le  Fils  dans  Jésus-Christ;  que  le  royaume  de 
Jésus-Chrut  était  passé  ;  que  par  conséquent  les  sacremens  étalait 
sans  vertu  et  les  ministres  sans  juridiction  et  sans  autorité  légî- 
time>  puisque  le  règne  du  Saint-Esprit  était  arrivé,  et  que  la  re- 
ligion devait  être  tout  intérieure. 

Delà  ces  sectaires  conclurent  que  toutes  les  actions  corporelles 
étaient  indifférentes.  Les  sectaires,  quf  sont  presque  toujours  des 
hommes  ardens ,  impétueux  et  passionnés,  n*ont  jamais  manqué 
à  tirer  ces  conséquences  des  principes  tels  que  ceux  d*Amaori , 
et  s*en  sont  toujours  servis  pour  se  permettre  sans  scrupule  tous 
les  plaisirs.  Ces  restes  de  Cathares  se  livrèrent  à  toutes  sortes  de 
débauches,  sous  prétexte  que  le  règne  du  Saint-Esprit  était  ar- 
rivé, que  les  actions  corporelles  étaient  indifférentes,  et  que  par 
conséquent  la  loi  qui  en  défend  d'un  certain  ordre  et  qui  en  pres- 
crit d'autres  n*avait  plus  de  force  et  n'obligeait  plus  personne  : 
ils  tombèrent  donc  dans  les  plus  grands  excès ,  et  firent  une  secte 
qui  fut  d'abord  secrète  et  qui  fut  découverte  par  de  faux  prosé- 
lytes. 

Un  orfèvre,  nommé  Guillaume,  était  le  chef  de  cette  secte ,  il  se 
disait  envoyé  de  Dieu  et  prophétisait  qu'avant  cinq  ans  le  monde 
serait  frappé  de  quatre  plaies  :  de  famine  sur  le  peuple ,  de  glaive 
sur  les  princes ,  de  tremblemens  qui  engloutiraient  les  villes ,  et 
de  feu  sur  les  prélats  de  l'Église  ;  il  appelait  le  pape  l'Antéchrist, 
Rome  la  Babylone ,  et  tous  les  ecclésiastiques  les  membres  de 
l'Antéchrist. 

Il  avait  aussi  prédit  que  le  roi  Philippe-Auguste  et  son  fils  ran- 
geraient bientôt  toutes  les  nations  sous  l'obéissance  du  Saint- 
Esprit. 

On  arrêta  quatorze  de  ces  sectaires  ;  ils  furent  conduits  au  con- 
cile qui  se  tenait  alors  à  Paris  ;  on  les  instruisit ,  mais  ils  persé- 
vérèrent dans  leurs  erreurs  ;  dix  furent  brûlés  (dans  le  mois  de 
décembre  1210). 

On  condamna  aussi  la  mémoire  d' Amauri ,  on  l'exhuma ,  et  ses 
os  furent  brûlés. 


DON  373 

Le  concile  de  Paris  condamna  aussi  les  livres  de  b  niÉlaphy- 
siquc  et  <le  U  physique  d'Arislote,  que  l'on  regardait  comme  la 
source  des  erreurs  d'Âmauri  :  ou  brûla  les  ouvrages  de  David  de 
Dinanl. 

Cette   secte   n'était  qu'une  troupe  de  fanatiques   débauchéa 
qu'on  ne  pouvait  regarder  comme  des  rËfurmateurs  :  ila  n'avaient 
aucun  principe  honnSte  ;  o 
déFenseurs  de  la  religion.  < 
secle  s'éteignit*. 

DAVID  GEORGE.  Yoyei  George. 

DËCHÂUSSËS,  hérétiques  qui  prélendaient  que,  pour  éire 
sauvé,  il  fallait  marcher  im-pieds.  {Aaq.,  De  hmi-es.,  Iner.  08.  ) 

DOCËTES ,  hérétiques  qui  niaient  que  Jésus-Cbriat  eût  pris  un 
corps  véritable  *. 

DONàTISTES,  schismatiques  qui  se  séparèrent,  1*  de  la  com- 
munion deCécilien,  parce  qu'il  avaiiéléordonnépar  Félix  d'Ap- 
lunge,  qu'Us  prétendaient  avoir  livré  les  vases  de  l'église  et  les 
livres  sacrés  pendant  la  persécution  ;  2°  de  toute  l'Ëglise ,  parue 
que  toute  l'Eglise  était  restée  unie  de  communion  avec  Cécilien , 
et  non  pas  avec  Majorin  et  avec  Donat ,  successeur  de  Majorin. 

Ce  schisme,  produit  par  une  petite  vengeance  particulière,  trou- 
bla l'Église  pendant  plus  d'un  siècle,  remplit  l'Afrique  de  cala- 
mités et  d'horreurs  ,  épuisa  la  rigueur  et  la  patience  de  trois  em- 
pereurs ,  et  ne  céda  qu'au  temps ,  semblable  à  ces  volcans  que  le 
mineur  imprudent  allume  et  qui  ne  s'éteignent  que  lorsque  le 
feu  a  consommé  le  soufre  et  le  bitume  qu'ils  renfermaient  dans 
leurs  entrailles. 

Il  est  important  de  bien  connaître  l'origine  et  te  progrès  d'un 
pareil  schisme ,  et  de  le  suivre  exactement  dans  ses  effets. 

Du  schitme  des  DonaHsIes  ajianl  Donat. 

La  religion  chrétienne  n'a  point  été  portée  en  Afrique  par  les 
apâtres,  mais  elle  y  lit  de  grands  progrès  dans  le  second  siècle, 
elles  chrétiens,  malgré  les  persécutions,  ;  avaient  beaucoup  d'é- 

is  Dioclétien,  sous 


CelM  dérniiré  )[Mfliéctttt61i  ddralt  tmiMé  lotM^fté  Mèiâlirilts , 
étéqae  dé  Onbagé ,  l\it  niandé  ptt  Malbtieé. 

llénsurius ,  avâtit  qii«  de  partir,  conflsi  leâ  fWHH  Aé  t^églisê  I 
quelques  vieillards  et  donna  le  mémoire  de  ces  vases  à  voie  tielllë 
femme,  afin  que,  8*11  mdtlrélt  dans  son  ^agë,  elle  le  ftarftt  ëon 
auccessetif. 

Mensttrius  ttioiinit  en  effbt  etireVenâtit  h  Gaftha|(è,  ëillhittiM 
nsndit  alorft  la  paît  k  TEglise^. 

Les  évéques  de  la  province  d*Arrique  s*assemblérëlli  i  Csifthigê 
pour  élire  un  successeur  de  Mensuf  ius  ;  Cécillett  fui  êlti  UMIii- 
mement  et  ordonné  par  Félix  d^Âptunge  ^. 

On  remit  à  Gécllien  le  mémoire  des  vases  sâCtés  qùé  Mt  pttàé" 
cesseur  avait  confiés  aux  tieillards,  qui  (iroyaieut  qu*dtt  fgiiol^it 
ce  dépôt  et  qui  conçurent  une  haine  violente  coUiN  Gédlten 
qui  les  obligeait  à  rendis  les  vases  qu*on  leur  avait  Confiés  ^. 

Deux  persotinés  consi(léràble^  dans  le  clergé  de  Canbagé ,  fiô- 
tms  et  CélestiUSy  avaient  aspiré  tdUs  deux  à  l'épiscopat;  ils  Àl^t 
irrités  de  la  préférence  que  Tou  avait  donnée  à  Géctlieii,  6é  joi- 
gnirent aux  vieillards,  et  décrièreut  Gécllien^ 

Pendant  que  Gécillen  n*était  etacore  que  diacre ,  UUddamëpttiâ- 
saute,  nommée  Lucille,  avant  de  recevoir  le  corps  et  le  satig  de 
Notre-Seigneur,  baisait  Tos  d*un  homme  qui  n'était  pas  ebédré 
recotibu  martyr.  Cécilien  avait  blâmé  cette  pratique  et  fkit  une 
réprimande  à  Lucille,  qui ,  depuis  ce  temps-là ,  s*était  séparée  dé 
TÉglise  8. 

Lucille  s*unit  aux  ennemis  de  Gécilien  et  forma  un  parti  contre 
lui  ;  ce  parti  s*accrut ,  s'échaufia ,  résolut  de  perdre  Gécilien  et 
chercha  les  movens  de  faire  casser  sob  ordination. 

Cécilien  avait  été  ordonné  par  Félix  d'Aptunge,  et  l'on  n*âvait 
point  appelé  à  son  élection  les  évéques  de  Niimidie.  Les  ennemis 
de  Cécilien  prétendirent  que  son  ordination  était  nulle ,  et  parce 
qu'on  n'avait  point  appelé  les  évéques  de  Nuraidie ,  et  parce  qu'il 
avait  été  ordonné  par  Félix  d'Aptunge ,  qui  »  pendant  la  persécu- 
tion ,  avait  livré  les  vases  de  TÉglise  et  leâ  livres  saini»« 

*  Optdt.,  1.  1.  Ali*.,  Lilt.  t^etilî,  liv,  â,  i.  81 
2  Jbid. 

'  Optât,,  ibid.  Aug.  in  Parmcn, 
A  ]bid. 
»  Ibid. 


DON 


3TS 


Celle  préTSrimtiQP  iwt,  dans  l'ËgliKecleCarthiiee ,  ci 
espËce  d'apostasie ,  et  l'on  regardait  comme  duU  les  ïauremeus 
doDoés  par  coui.  qui  en  éuienl  coopables. 

Les  enneniia  île  Cëcilien  crurent  donc  avoir  iroufâ  deux  inojenE 
sÙTs  pour  le  perdre  )  iU  appelèrent  les  ëvèques  de  Numidie  ï  Car- 
tilage ,  oti  Luoille  les  traita  magnitîquemeut  :  ils  gVsemblàreM 
comblûs  de  présens,  et  ciiëreai  CécîlieD. 

Le  peuple  ne  permii  pas  i  son  évèque  de  comparallre ,  et  Ceci- 
lien  répondit  aux  députés  des  évèques  de  Numidie  que  si  ceux 
qui  rataient  ordouné  étaient  des  Iradileurs  qui  i|e  |vi  avaient 
poini  en  ellot  donné  d'ordre ,  ou  n'avait  qu'ï  le  réordonner. 

Cécilien  ne  croyait  pas  qu'en  eflel  Félix  d'Aplunge  fùl  Iradl- 
leur  ;  il  ebercliait  par  celte  réponse  k  ouvrir  un  moyen  de  co|ici- 
lîalion ,  et  croyait  arrêter  ses  ennemis  ;  mais  ils  prirent  sa  réponse 
comme  un  aieu  du  crime  de  Félix  d'Aptunge,  déclarèrent  leËiége 
de  Cartbage  vacant ,  procédËrenl  à  une  nouvelle  élection  et  or- 
donnèrent un  nommé  Mitjorin ,  domestique  de  Lucille ,  lequel 
avait  été  lecteur  dans  \si  diaconie  de  Cécilien'. 

Malgré  le  jugement  des  étêqucs  de  Numidie,  toute  l'I^glise  de- 
meurait unie  de  ooinmunion  avec  Cécilien  ;  c'était  à  lui  el  non  i 
Uigorin  que  s'adressaient  les  lettres  de  l'Eglise  d'outre-iner. 

Le  parti  des  agresseurs  est ,  en  quelque  sorte  ,  le  parti  liaïs- 
sant ,  il  est  plus  actif  et  plus  entreprenant  que  le  parti  qui  se  dé- 
fend ;  les  partisans  de  Majorin  écrivirent  à  toutes  les  Eglises  contre 
Cécilien  I  le  caInmniËrent ,  écbauQèrent  les  esprits  et  causèrent 
quelques  émotions  dans  le  peuple. 

Constantin  I  qui  depuis  la  défaite  de  Maxence  régnait  ^ur  l'Italie 
et  sur  l'Afrique,  en  fut  averti  i  il  ordonna  au  prticonsul  de  celle 
province  et  au  préCcidu  prétoire  des'inibrmer  deoeux  qui  trou- 
blaient la  pRii  de  l'Église  et  de  les  en  empêcher. 

Les  partisans  de  Majurin ,  iuroroiés  des  ordres  de  Conslanlin , 
lui  présentèrent  nn  mémoire  dans  lequel  ils  accusaient  Cécilien 
de  plusieurs  crimes. 

Constantin ,  qui  craifjnait  les  suites  d'une  querelle  do  religion 
àfirn  uqs  province  nouvellement  soumise,  aurait  bian  voulu  ne 
mécontenter  Micun  des  deux  partis  :  il  refusa  donc  de  pronupeer, 
et  leur  donna  pour  juges  des  évêques. 

Cécilien  se  rendit  à  Rome ,  avec  dix  évêques  do  son  parti ,  et 

'  OpL,  ibid.  AUE>,  iliid,  fl  iq  Gaud.,  in  Prln),,  in  Cresc^pti 


876  DON 

Donat  deCasesnoîres  8*y  rendit  aussi,  à  la  tète  de  dix  évèqoes  du 
parti  de  Majorin. 

Les  partisans  de  Majorin  ne  purent  pTOu?er  aucun  des  crimes 
qu*il8  reprochaient  à  Gécilien ,  et  cet  évéque  fut  déclaré  innocent. 

En  déclarant  Gécilien  innocent  des  crimes  qu*on  lui  avait  im- 
putés ,  le  concile  ne  condamna  point  les  accusateurs.  Le  pape 
Miltiade ,  qui  avait  présidé  an  concile,  offrit  d*écrire  des  lettres 
de  communion  à  ceux  qui  avaient  été  ordonnés  par  Majorin  et 
de  les  reconnaître  pour  évéques  ;  enfin,  on  avait  arrêté  que  dans 
tous  les  lieux  où  il  se  trouverait  deux  évéques  ordonnés,  Tun  par 
Majorin  et  Tautre  par  Gécilien ,  le  premier  ordonné  serait  mainteno, 
et  qu*on  trouverait  un  évéché  pour  le  dernier  *. 

Le  concile  de  Rome  ne  prononça  ni  sur  le  jugement  du  condle 
de  Garthage ,  ni  sur  Taffaire  de  Félix  d*Âptunge. 

Les  partisans  de  Majorin  prétendirent  que  le  concile  avait  jugé 
avec  précipitation  et  sans  être  suffisamment  informé ,  puisqu'il 
n'avait  point  voulu  prendre  connaissance  de  Tafiaire  de  Félix 
d'Âptunge,  qui  était  cependant,  selon  eux,  le  point  capital  delà 
contestation. 

Gonstantin  fit  assembler  un  concile  plus  nombreux  à  Arles,  où 
Gécilien  fut  encore  déclaré  innocent  et  les  accusations  de  ses  en- 
nemis jugées  calomnieuses.  Le  concile  informa  Tempereur  du 
jugement  qu'il  avait  porté  et  de  Topiniâtreté  des  ennemis  de  Gé- 
cilien *. 

L'empereur  fit  venir  les  évéques  attachés  à  Majorin  ;  ils  se  firent 
bientôt  des  protecteurs  ,  qui  demandèrent  à  l'empereur  qu'il  ju- 
geât lui-même  cette  affaire  :  Gonstantin,  par  lassitude  ou  par  con- 
descendance pour  les  flatteurs  qui  l'obsédaient,  consentit  à  revoir 
lui-même  l'affaire  de  Gécilien  et  de  Majorin ,  et  promit  que  Géci- 
lien serait  condamné  si  l'on  pouvait  le  convaincre  d'un  seul  des 
crimes  dont  on  l'accusait  \ 

Après  cette  révision,  Gécilien  fut  déclaré  innocent,  et  ses  enne- 
mis condamnés  comme  calomniateurs. 

.  Les  ennemis  de  Gécilien  publièrent  que  l'empereur  avait  été 
trompé  par  Hosius ,  qui  lui  avait  suggéré  ce  jugement ,  et  le 
schisme  continua  :  peu  de  temps  après  Majorin  mourut. 

*  Opt,  1. 1.  Collât  Garth.  apud  Âug.  et  Ep.,  AS. 

3  Euseb.,  1. 10,  c.  5. 

3  Aug.  Ep.,  162,  168.  Euseb.,  Vit.  ConsU,  U  1,  c  44. 


Du  tchisme  des  Donalitles  depui»  l'élection  île  Donal  jusqu'à 


Majorin  élant  mort,  les  évâqaes  de  sa  communion  flureni  en  sa 
place  Donat,  non  Donal  de  Casesnolres ,  mais  un  autre  Donat, 
doué  de  grandes  qualités  ;  il  avait  l'esprit  orné  par  une  longue 
étude  desbelles-leltres;  il  Était  Éloquent,  savant,  et  recommanda- 
ble  par  l'intégrité  de  ses  mœurs  el  par  son  désiniéreBsemenl'. 

Il  consacra  tons  ses  talens  à  la  défense  de  son  parti  ;  il  composa 
'  des  ouvrages  pour  le  justiHer,  et  séduisit  beaucoup  de  monde. 

La  plus  grande  partie  de  l'Afrique  regardait  comme  nuls  les  sa- 
cremeus  conférés  parles  hérétiques  et  par  les  pécheurs.  Soixante- 
dix  évéques  avaient,  dans  un  concile  ,  déclaré  Félix  d'Aplunge 
convaincu  d'être  tradilenr.  Cécilien  paraissait  l'avoir  reconnu 
loi-même,  puisqu'il  avait  demandé  à  être  réordonné  :  le  concile 
de  Rome,  qui  avait  confirmé  l'ordination  de  Cécilien ,  n'avait  pas 
voulu  prononcer  sur  te  jugement  des  évèques  de  Nuraidie ,  et  il 
n'avait  pas  pour  cela  voulu  infirmer  l'ordination  de  Cécilien  ;  non 
qu'il  crût  Félix  innocent ,  mais  parce  que  l'Église  latine  regardait 
comme  valides  les  sacremens  conférés  par  les  hérétiques. 

L'innocence  de  Félix  sur  les  crimes  que  te  parti  de  Majorin  lui 
imputait  pouvait  donc  paraître  douteuse ,  et  Cécilien  pouvait  pa- 
raître ordonné  par  nntraditeur. 

Presque  toute  l'Ëglise  d'Afrique  regardait  comme  nuls  les  sa- 
cremens donnés  par  les  hérétiques  el  par  les  pécheurs  :  on  con- 
çoit donc  aisément  qu'un  homme  de  génie,  tel  que  Donat,  pouvait 
donner  aux  raisons  du  parti  de  Majorin  assez  de  vraisemblance 
pour  en  imposer,  et  il  séduisit  en  elTei  beaucoup  de  monde. 

Le  parti  de  Majorin  reçut  en  quelque  sorte  une  nouvelle  exis- 
tence de  son  nouveau  défenseur,  et  prit  son  nom  :  toutes  les  per- 
sonnes attachées  au  parti  de  Donat  se  nommèrent  Donatistes. 

11  est  aisé  d'acquérir  un  empire  absolu  sur  un  parti  auquel  on 
a  donné  son  nom:  Donat  fut  bientôt  l'oracle  el  le  (jran  des  Dona- 
tistes ;  ils  devinrent  entre  ses  mains  des  espèces  d'automates,  aux- 
quels il  donnait  U  direction  et  le  mouvement  qu'il  voulait  *. 

Donat  avait  lu  plus  haute  idée  de  sa  personne ,  et  le  plus  pro- 
fond mépris  pour  les  hommes ,  pour  les  magistrats  et  pour  l'em- 

'Opl-,  1.  3,  Aug.,  Lin.  PcUl. 

^  Opt-,  ibid.  Aug.  in  Crcsccnl.,  in  Parmen, 


I 


pereur  même.  Ses  sectateurs  prirent  tous  ses  sentimens  ;  lesDona- 
tistes  ne  voyaient  que  Donat  au-dessus  d*eux,  et  se  croyaient  nés 
pour  dominer  sur  tous  les  esprits  et  pour  commander  au  genre 
hun^ain. 

he^  Donatiste^  i  animés  par  cette  espèce  4o  fanatise  d*ail%Qlff- 
propre  (|^i  ue  se  montrai^  que  sous  Tappareuce  4u  ^h^  ç|  SjOiv^îe 
yoile  de  la  religion,  sédu^aient  beaucoup  de  mond^  ^  ^\  Çp^sVim- 
tin,  pour  arrêter  le  schisme,  çonÇsqua  leurs  églises  à  $e$  ^ûiWMlsf  • 

Cet  acte  d'autorité  fit  des  Ponatistes  autant  de  furiei^  q^i  ne 
counaissaient  ni  bonnes  ni  lois  :  ils  chassèrent  )eai  catt^Cl^q^e|l  ifi 
plusieurs  églises  çt  qe  voulurent  plus  comn^uxiiiquer  avec.  ^\^. 

Goji^stantin  craignit  les  snites  de  sa  sévérité  ;  il  é^ivi^smxév^ 
ques  d'Afrique  d'user  de  douceur  ayec  les  Donatistesi»  ^t,  ^e  fé^- 
ver  à  Diev^  la  vengeance  contre  ces  furieui^. 

Çoustantiq  hai[ssai^  les  Ponatis^es  et  n'avait  c^ss^  4e  left  traiter 
ayec  rigi^iur  que  par  )a  crs^inte  ()>xçiter  dç^  traites  ^%  VA" 
frique  ^. 

Ûoim  le  sentie ,  et  jugea  qu*it  i^e  po^vs^i^  se  soutenir  centre  (e 
i^èie  des  catholiques  qn'en  insp^ant  à  s^  discipiçs  vi^  cqpvic- 
tion  et  i^e  sécurité  qui  fussent  ^  l'épreuve  de  la  foroe ,  de  l'évi- 
de^ç^  et  de  la  crainte  d^  la  Q^prt. 

Il  opéra  quelques  prestiges,  et  fit  publier  qu'il  savait  fait  des 
miracles  :  on  le  crut ,  et  plusieurs  Donatistçs  se  vautère-nt  aussi 
çl'avoii?  fait  4es  choses  miraculeuses  en  priant  sur  le  tombeau  de 
ceux  de  leur  ço^nfi union. 

Pen  de  temps  après ,  chaque  évoque  prétendit  être  infailiible  et 
içapeccabie  :  on  le  crut ,  et  le  schisme  devint  uq  mal  incurable. 
Les  Donatistes  furent  persuadés  qu'ils  ne  pouvaient  se  perdre  en 
suivant  leurs  évoques  ,  et  lorsqu'ils  étaient  convaincus  par  l'évi- 
dence delà  vérité^  ils  disaient  qu'ils  ne  laissaient  pas  d'être  en  sû- 
reté dans  leur  schisme,  parce  qu'ils  étaient  brebis  et  qu'ils  suivaient 
leurs  évéques,  lesquels  répondaient  d'eux  devant  Dieu  ^. 

De  ce  degré  de  confiance  ou  passa  bientôt  ^  la  persuasion  de 
la  nécessité  de  défendre  le  parti  de  Donat  ;  on  vit  une  foule  de  Do- 
natistes quitter  leurs  occupations,  renoncer  à  l'agriculture  çt 
s'armer  pour  défendre  leur  parti  contre  les  catholiques  :  on  les 
appela  Agnostiques  ou  Combatlc^ns, i^rce  qu'ils étaiçnt,  disait-on , 

1  Eusèbe,  Vit.  Const.,  1.  d,  c.  AS. 
?  Aug.  in  Parmen,,  I.  2,  ç,  10. 


\«a  EoldïU  de  Jésus-CfarUt  contre  le  diable.  Comme  ils  n'avaieB^ 
poini  de  demeure  iixe ,  ei  que  pour  trouver  de  quoi  vivre  il$  aU 
laient  autour  des  maisons  des  pajsans,  on  les  appela  CireojiceltioHi  *, 

lU  élaienl  arméE  de  bStous  ei  non  d'épées ,  pnee  que  Jésus- 
Christ  avait  dérendu  l'épéeï  saint  Pierre  :  avec  ces  bâtons  ils  lirv* 
wiem  les  Qs  d'un  faomme,  et  quand  ils  voulaient  faire  miséricoriîf 
jl  quelqu'un,  ils  l'assommaient  d'un  seul  coup  :  ils  appelaient  cçf 
bâtons  des  Israël  Lies  *' 
.  Pendant  leurs  expéditions  contre  les  catholiques,  ils  cliaotaieU 
ImangeàDieu:  c'était  i^e  signal ,  c'était  ^  cesmots qu'Us  rqmn- 
daient  le  sang  liuiuain  ;  tout  Tuyait  à  leur  approcbei  les  évê(|u«f 
donatistes,  appuyés  de  celte  redoutable  milice,  poriaieutla  déso? 
)atioa  oi|  ils  voulaient  et  cliassaient  les  catholiques  de  leurs 
églises  a. 

Âprâs  la  mort  de  Constanlint  Constant  >  qui  eut  l'Afrique  daui 
ses  domaines ,  j  envoya  Paul  et  Uacaire  porter  des  aumône»  et 
exhorter  tout  le  monde  ^  1^  p^ix .  Mais  Donai  refusa  de  recevoir  les 
■uménesde  Constant  ;  on  rerua  les  portes  de  la  ville  de  ISagal  4 
Macaire;  bienl6lil  fut  attaqué  par  les  Circoncellions,  et  obligé  d« 
faire  venir  des  troupes  ;  les  Circoncelliouf  tirent  léte  aux  troupes 
etc  ombaitireut  avec  acharnement  ;  uiais  ils  lurent  enfin  dissipéf) 
et  Macaire,  irrité,  traita  les  Donatistes  avec  beaucoup  de  rignetiff 

Les  Donatistes  se  plaignirent ,  dirent  qu'on  les  persécutait,  et 
publièrent  qu'on  avait  précipité  Uarculplie  du  haut  d'un  roclier 
et  Douai  daps  unpuils. 

nonatelUarctilphefurent  aussitôt  érigés  en  martyrs,  cllagloiif 
du  martyre  devint  la  passion  dominante  des  Circoncelliuns.  11g- 
n'altaquèrent  pas  seulement  les  catbuljques  :  on  les  voyait  cou^' 
eu  troupe,  attaquer  les  païens  dans  leurs  plus  grandes  létes,  pcmr 
se  faire  tuer;  ils  se  jetaient  sur  les  traits  que  leur  présentaient  \m 
païenfl ,  qui ,  de  leur  côté ,  croyaient  honorer  leurs  dieuï  en  im- 

Quand  ces  occasions  leur  manquaient ,  ils  donnaient  ce  ({u'ila 
avaient  d'argent  alln  qu'on  les  fit  mourir  ;  et  quand  Ils  n'ét3!eti|, 
point  en  état  d'acheter  la  gloire  du  martyre,  ils  allaient  dans  A. 


I.  Litl.,  p,  L  3, 0. 10.  In  Jouk,  honk  11, 


I 


dicmiiiii  H  forçaient  ceux  qu'ils  renconiraienl  de  les  taer,  sons 
peine  d'ttre  toéa  enx-m^e»  s'ils  rerusaient  de  leur  procurer  la 
gloire  du  martyre  '. 

La  séYérilé  de  Hacaire  et  les  bis  de  l'empcrear  devioreot  donc 
inDlile»  contre  les  Circoncellions  el  conlre  les  Donaiisles  ,  et  ne 
puent  les  obliger  ï  commoDiquer  avec  les  callioliques  :  ils  ai- 
maient mieux  se  donner  la  mort  que  faire  im  acte  de  communion 
ttecnn  catholique. 

On  les  TOTsit  tant&t  se  précipiti?r  du  haut  des  inoDUigiies,  tan- 
tôt, craignant  lewr  propre  laiblease  et  qu'on  ne  les  eoBageât  ï  se 
léonir  ani  catholiqnes,  ils  allnmaient  eux-mêmes  un  bùcLer,  s'y 
précipitaient  et  j  monraient  avec  joie. 

Tons  les  joora  la  terre  était  Uinic  du  sang  de  ces  malheureux  ; 
tons  les  jours  on  voyait  des  troupes  d'iiomuies  et  de  Temnies  gra- 
vir les  montagnes  les  pins  escarpées  et  s'ébncer  au  milieu  des 
rochers  et  des  précipices. 

Le  peuple  honorait  leurs  cadavres  comme  l'Lgfise  honore  le 
corps  des  marljrs,  et  célébrait  loue  les  ans  le  jour  de  leur  mort 
comme  une  (été. 

Ils  tâchaient  de  justifier  leur  mon  volontaire  par  l'eiemple  de 
Razias,  et  mouraient  persuadés  qu'ils  allaient  reccToir  la  con- 
ronne  du  martyre  *. 

•Opt,  I.  3.  Théod.,  I.  h,  C.6.  Aug.,Ha!r,  69,  ép.  50. 

'  Raiias  était  un  Juit  extrêmement  lété  pour  sa  rel^ion  :  Nîcanor, 
dans  l'espérance  de  le  pervertir,  envoya  cinquante  soldats  pour  le 
prendre  dans  une  tour  où  il  était  ;  Ratias,  se  voyant  sur  le  pi^t  d'être 
pris,  se  donna  uncoupd'épée,  aimant  mieux  luourir  noblement  que  de 
se  voir  assujéti  au  pécheurs  et  de  souDrir  des  outrages  indignes  de  sa 
naiisaDce  ;  mais  parce  que  dans  la  précipitation  il  ne  s'était  pas  donné 
un  coup  qni  l'e&l  làit  mourir  sur-^e^champ,  lorsqu''îl  vit  tous  les  std- 
dats  entrer  en  foule  par  les  portes,  il  courut  avec  une  fenneté  eilraor- 
dinaire  i  la  muraille,  et  il  se  précipita  du  haut  en  lus  sur  le  peuple, 
tomba  au  milieu  de  la  foule,  se  relcra,  passa  au  travers  du  peuple, 
monta  sur  une  pierre  escarpée,  tira  ses  entrailles  hors  de  son  corps  et 
les  jeta  sur  le  peuple,  invoquant  le  dominateur  de  la  vie  et  de  l'Ame, 
aBn  qu'il  les  lui  rendit  un  jour,  et  mouruL  Machab.,  1.  3,  c  1&,  t.  39 
et  snivan». 

Les  Juifs  mettent  Itaiias  entre  leurs  plus  illustres  martyrs  et  préten- 
dent montrer,  par  son  exemple  et  par  celui  de  Saiil  et  de  Sanuon,  qu'il 
est  de  certains  cas  où  le  meurlre  volonlaire  est  non-seulement  pamis. 


DON 


391 


mûuèrà  force  de  rigueurs,  alTaiblil  beaucoup  le  parti  de  Do- 
nat;  les  Donatistes  ne  conservcrenl  que  quelques  églises,  les  6\è- 
ques  Turent  dispersés.  Douât  mourut  en  exil  et  Masiuiiliea  lui 
succéda. 

Du  schisme  des  Donaihles  depuis  h  mort  de  Dcnat  jusqu'à  son 


Julien,  étant  parvenu  ï  l'empire,  rappela  tous  ceux  qui  avaieiil 
été  bannis  pour  cause  de  religion,  et  il  permit  aux  évâques  dona- 
tistesde  relouruer  dans  leurs  sièges  '. 

Les  Donalistes  voulurent  rentrer  dans  les  églises  dont  les  ca- 
tholiques s'étaient  emparés,  et  l'on  se  badit;  presque  toutes  les 
églises  furent  remplies  d'hommes  mis  en  pièces,  de  femmes  as- 
sommées, d'eafans  massacrés  et  d'avortemens. 

Les  Donalistes,  soutenus  par  les  gouverneurs,  chassèrent  enSn 
les  catholiques  et  devinrent  loul-puissans  en  Afrique  ;  presque  tout 
plia  sous  ce  terrible  parti  :  les  évêques  donatistes  assemblèrent 
un  concile  de  plus  de  trois  cent-dix  évoques  el  mirent  en  péni- 
tence des  peuples  entiers,  parce  qu'ils  ne  s'étaient  pas  séparés  des 
catholiques  '. 

Quelques  années  après,  Rogat,  évèque  dans  la  Mauritanie,  so 
sépara  des  Donatistes,  apparemment  parce  qu'il  désapprouvait  les 
Circonce liions  :  les  Donatistes  virent  cette  division  avec  beau- 
coup de  chagrin,  animërenL  contre  les  Rogatistes  ta  paissaoce  sé- 
culière et  éteignirent  ce  parti. 

mais  mCImc  louable  cl  méritoire  ;  ces  cas  sont  :  1°  la  juste  défiance  cic 
EC3  propres  forces  et  la  crainte  de  succomber  à  la  persécution  ;  !°  lorv 
qu'on  prévoit  que  si  l'on  tombe  entre  tes  mains  des  ennemis  il 
prévaudront  et  en  prendront  occasion  d'insuller  au  Seigneur  et  de  blas- 
phémer son  nom. 

Quelques  théologiens  prétendent  justifier  Razias,  en  disant  qu'il  agit 
par  une  inspiration  particulière  ;  ils  le  justifient  encore  par  l'eiemptc 
de  quelques  vierges  qui  se  sont  tuées  plulùt  que  de  perdre  leur  vii^- 
nilé.  (Lyran.  ïirin.  Serrât,  in-12,  Machab.,  là.)  S.  Augustin  el 
S.  Thomas  ont  soutenu  que  l'action  de  Raiias,  étant  non  approuvée 
mais  simplemeni  racontée  dans  l'Écriture,  on  n'en  peut  rien  conclure 
pour  justiGer  son  action  dans  l'ordre  moral.  Aug,,  ep.  61)  aliis  20a, 
Rib.  coni.  Gaudent,  c.  31.  S.  Th.  prima  sccundx,  art,  5,  ad.  S,  p.  04. 

"Opt.,1,  2. 

<'Opl.,  L  3. 


m  DON 

Ce  iài  durait  ùt  temps  et  au  mîlimi  de«  ealoiiiiiM  4«ii  lei  Do- 
Batistes  chargèrent  TJ^lise,  qoe  Parménien,  lenr  éréque  à  Qi»- 
thagp,  epireprit  de  justifier  par  écrit  le  scjiisme  des  Donatialef; 
il  se  proposait,  dans  son  ouvrage,  de  prouver  que  le  baptême  des 
hérétiques  est  nul  et  qu'ils  sont  exclus  de  TÉf^lise. 

Saint  Oput  réfuta  Parménien  \  le  fainatisme  tombait  parmi  les 
Donatistes,  et  quelques-uns  d^eux  entrevirent  la  vérité. 

Tycone  prouva  la  validité  du  baptéine  dea  hépéliqiias»  condamna 
la  rehaptiaitioii  et  fit  voir  qu'on  devait  tolém  daM  l-Ëgliae  les 

abus  et  les  crimes  qu'on  n0  pouvait  e<^rriger»  et  qu'il  nci  ftUaifcpis 
pour  ()ele  riin^pM  Vmté, 

Parménien  attaqua  lea  principea  de  T^conei  saint  AmnaUn 
féTuta  le  lettre  de  Parménien. 

Gomme  les  Don$iUstes  n*avaient  pour  ptincipes  d'onité  que  b 
fiéçesaité  de  se  soutenir  contre  h^  catholiques,  auasitèt  qu*ils 
fuirent  vepfis  du  crédit,  ils  se  divisèrent  en  une  inultitade  4e 
Motes  et  de  bfancbea  ^ 

Pendant  la  persécution,  les  haines  personnelles  élaiMi  sne^ 
pendues  chea  les  Donatistes  ;  mais  çUes  reprirent  \em  aetifilé 
lorsqu'ils  furent  en  paix. 

PlifKÛen,  devenu  évéqu^  de  CJarthage,  avait  été  souvent  morti- 
fié par  Donat  ;  il  voulut  s'en  venger  sur  le  diacre  Maûmien,  par- 
font de  Don^t,  et  rendit  une  sentence  contre  lui. 

Maximien  se  défendit  ;  plusieurs  évéques  assenibléa  à  Garthage 
cassèrent  la  sentence  de  Primien  ;  ils  examinèrent  sa  conduite, 
ils  le  trouvèrent  coupable  de  crimes  atroces,  le  déposèrent  et  or- 
donnèrent Mai^iwiep  en  sa  place. 

Primien  convoqua  un  concile  de  trois  cent-dix  évéques  qui  le 
déclarèrent  innocent  et  condamnèrent  Maximien  et  tous  ceux  qui 
avaient  eu  part  à  son  ordination.  Primien  informa  les  proconsuls 
du  jugement  du  concile  de  Bagaï,  demanda  l'exécution  des  lois 
de  TÉtat  contre  les  hérétiques,  fit  chasser  de  leurs  églises  tous 
ceux  qui  avaient  été  condamnés  dans  le  concile  quMl  avait  assem- 
blé, et  détruisit  l'Église  de  Maximien.  Les  contestations  de  ces 
deux  partis  durèrent  pendant  le  gouvernement  de  quatre  pro- 
consuls. 

Optât,  éyéque  de  Tamgad^,  tout-puissaipt  auprès  dfJ  GildoP» 
commandant  d'4firî^ue,  sg  seryit  de  tout  i^on  crédit  po\ir  pw§é9*- 

*  Aug.,  ep.  A8. 


__4^,  wsn  m 

1er l« raÀfiiiqaeB,  les  HogatUteâ  elles  Haiimianlatcs  :  ilfutap- 
pelé  pendant  rlii  ans  le  gémissemeDi  de  l'Afrique,  elsea  cruaulés 
ne  finitent  que  par  la  mort  de  Gildon,  qui,  ajant  Youlu  se  rendre 
souverain,  fut  défail  ei  s' étrangla. 

Ilanorius,  informé  de  ces  désordres,  donna  Une  loi  qui  con- 
damnait  i  mort  tous  ceux  qui  seraient  DonTaincua  d'avoir  attaqué 
les  églises  ou  de  les  a  toi  r  troublées. 

Les  catholiques  commentèrent  donc  à  assembler  des  conciles, 
ï  Écrirei  !t  prêcher. 

La  protection  accordée  aux  catholiques  ralluma  toute  la  haine 
des  Donaiisies  :  aucune  église  catholique  ne  fut  il  l'abri  de  leurs 
insultes  ;  ils  arrêtaient  dansles  chemina  tous  les  catholiques  qui 
allaient  prêcher  l'union  et  la  paix  ;  leur  tt\i:  barbare  ne  respectait 
pas  même  les  évêquea,  et  les  Circoncellions  répandus  dans  les 
ennipagneB  exerçaient  mille  cruautés  coilli'e  les  catholiques  qui 
osaient  olfrir  la  paix  ei  iuTÎter  les  Donatistes  k  se  réunir. 

U  concile  de  Carthage  députa  i  l'empereur  polir  obtenir  qu'il 
mtt  i  couvert  des  insulles  des  Doualistes  les  catholiques  qui  prê- 
chaient la  vérité  ou  qui  écrivaient  pour  la  défendre- 
Saint  Augustin  et  d'autres  évêqucs  jugèrent  qu'il  ne  fallait  point 
demandera  l'empereur  qu'il  ordonnai  des  peines  contre  les  Dona- 
tistes, Saint  Augustin  crojait  qu'il  ne  fallait  forcer  personne  ù 
embrasser  l'unité;  qu'il  fallait  agir  par  conférence,  combat- 
tre far  des  disputes  et  Taincre  par  des  raisons,  de  peur  de  chan- 
ger des  hérétiques  déclarés  en  catholiques  déguisés. 

liais  le»  Donatistes  avaient  rempli  l'Ëlatde  désordres;  ils  trou- 
blaient la  tranquillité  publique  :  c'étaient  des  assassins,  des  iti- 
cendiaires,  des  séditieux,  et  l'empereur  devait  au  publie  des  lois 
plus  sévères  contre  d'aussi  dangereux  sectaires  ;  ils  n'étaient  dans 
le  cas  ni  de  la  tolérance  civile,  ni  de  la  tolérance  ecclésiasliqae  : 
ainsi  ce  fut  avec  justice  qu'il  ordonna,  sous  les  plus  grandes  pei- 
nes, que  les  schismatiques  rentreraient  dans  l'Ëglise  '. 

La  loi  de  l'empereur  rendit  la  paix  à  l'Église  de  Carthage.  L'an- 
née suivants,  il  exempta  des  peines  enuoui'ues  par  le  schisme 
tous  ceux  qui  reviendraient  il  l'Ëglise  ;  eniin,  trois  ans  après,  il 
)>criuit  aux  schismatiques  le  libre  exercice  de  leur  religion  ;  mals) 
3  la  sullicitalion  dL's  Pères  du  concile  de  Carthage,  l'empereur  ré- 
voqua cet  édit  et  en  donna  un  aulre  par  lequel  il  proscrivît  et 

■  Aug.,  rp.  90,  Co<in  ThcDd-,  10,  Lii,  6,  ],  s,  p.  IDS, 


1 


U*  DON  V 

ordOBU  de  punir  île  mort  les  Lérélîqiies  et  les  schlsma tiques. 

Enfin,  let  Donatisles  et  les  catliollques  dcmaailéreDt  ï  conré- 
Kr,etlloiu>riiu  donna,  l'ao  410,  unédlt  pour  assembler  les  évé- 
qnes  catholiques  et  donjlistes. 

Les  conCËrences  s'ouvrirent  l'aniiée  suivante:  les  évêques  catho- 
liques étaient  deni  cent  qustre'Viugi-un  ei  les  Donatistes  deux 
cent  soiiante-dii-neuf.  On  l'iioisil  de  pari  et  d'autre  sept  Évéques 
pour  disputer. 

Aprte  trois  jours  de  disputes,  le  coiute  Harcellin  prononça  en 
faveur  des  catholiques,  ei,  sur  son  rapport,  l'empereur,  par  une 
loi  de  Tan  412,  imposa  de  (grosses  amendes  aux  Donatistes,  exila 
tous  leurs  éiéques  et  adjugea  tous  les  biens  de  leurs  Églises  aux 
catholiques. 

Ce  coup  de  séT(;rîlé,  semblable  à  la  (bndre  qui  tombe  sur  le 
soufre  et  sur  le  bitume  ,  ranima  la  fureur  des  Donatistes  ;  ils 
coururent  aux  armes,  massaurËreot  les  catholiques,  se  tuèrent 
eui-mémea  et  se  brûlèrent  plutôt  que  de  l'entrer  datis  l'I^lise  ca- 
tholique; mais  la  prudence  et  la  rermetc  du  comte  Uarcellin 
réprimèrent  bienlût  leurs  fureurs  *. 

Les  éïjèques  dotiatistes  publièrent  que  Marcellin  anil  été  ga- 
gné ï  force  d'argent  par  les  catholiques  et  qu'il  n'avait  pas  per- 
mis aux  Donaûstes  de  se  défendre  ;  mais  saint  Augustin  déirubit 
aisément  ces  calomnies. 

Théo dose-le-Je une  renouvela  les  lois  d'Honorius  contre  les  Do- 
nalisles  et  affaiblit  encore  leur  parti.  Peu  de  temps  après,  les 
Vandales  s'emparèrent  de  l'Afrique  et  maltraitèrent  également  les 
catholiques  et  les  Donatistes.  Le  fanatisme  des  Donatistes  s'affai- 
blit considérablement  :  il  se  ranima  cependant  sous  l'empereur 
Maurice;  mais  ce  prince  fit  exécuter  les  lois  portées  contre  les  Do- 
natistes, et  ils  restèrent  dispersés  dans  différens  coins  de  l'Afri- 
que et  ne  firent  plus  un  parti. 

Dei  erreur*  dei  Donatistes. 

Le  schisme  natt  presque  toujours  de  l'erreur ,  ou  il  la  produit. 
Les  Donatistes  s'étaient  séparés  de  l'Église  parce  qu'ils  préten- 
daient que  l'ordination  de  Cécilien  était  nulle ,  attendu  qu'U  avait 

'  CollaL  CarlhaK.,  an.  Ail  habita.  Vid.  Nov.  collecl.  conc.  Ballasif, 
apud.  Aug.  Brelliculus,  CoUaliouiscumDonall9Lisadit.B«iicdicU,  t,  9, 
p.  515. 


DON  S8S 

aé  ordonné pir  Félix,  évéque  d'Âptange,  qui  éuittradîteDr;  ils 
furenl  donc  conduits  natorellement  à  nier  la  validité  des  sacre- 
mens  donnés  par  les  hérétiques  et  par  les  pécheurs. 

De  ce  que  les  aacremens  donnés  par  les  pécheurs  étaient  nuls , 
il  s'ensuivait  que  l'Eglise  était  composée  de  justes  ;  que,  par  con- 
séquent ,  Cécilien  ,  Félix  d'Aptunge  qui  l'avait  ordonné ,  le  pape 
Uiltiade  qui  l'avait  absous ,  et  plusieurs  de  ses  coofrères  ajanl  été 
convaincus  decriœes,  devaient  être  déposés  et  chassés  de  riïglJse; 
que  leurs  crimes  les  avaient  fuit  cesser  d'être  les  membres  de  l'Ë- 
glise  ;  que  tous  ceux  qui  les  avaient  soutenus  et  qui  avaient  com- 
muniqué avec  eux  s'étaient  rendus  complices  <Je  leurs  crimes  en 
les  approuvant ,  et  qu'ainsi ,  non-seulement  l'Ëglise  d'Afrique , 
mais  aussi  toutes  les  Eglises  du  monde  qui  s'étaient  liées  de  corn- 
raunion  avec  les  ïlglises  du  parti  de  Cécilien  ajant  été  souillées, 
elles  avaient  cessé  de  faire  partie  de  la  véritable  Église  de  Jésus- 
Christ,  laquelle  avait  été  réduite  au  petit  nombre  de  ceux  qui 
n'avaient  point  voulu  avoir  de  paît  avec  les  prévaricateurs  et  qui 
s'étaient  conservés  dans  la  pureté. 

Ils  croiraient  donc  que  l'I^glise  n'était  composée  que  de  justes, 
et  qu'ils  étaient  cette  Église. 

Toute  la  dispute  des  catholiques  et  des  Donatisles  se  réduisait 
donc  il  trois  questions  :!■  si  Félix  était  coupable  des  crimes  qu'on 
lui  imputait;  2°  si ,  en  supposant  qu'il  en  fût  coupable,  il  avait  pu 
ordonner  validemeut  Cécilien  ;  3°  si  l'I^glise  n'était  composée  que 
de  justes  et  de  saints ,  ou  si  elle  était  composée  de  bons  et  de 
méchans. 

On  a  vu ,  dans  l'histoire  du  schisme  des  Donatistes ,  qu'ils 
n'avaient  jamais  prouvé  ,  contre  Félix  et  contre  Cécilien ,  aucun 
des  crimes  dont  ils  les  accusaient.  Je  fais  voir,  dans  l'article  Re- 
BAFTisAHs ,  que  les  sacremens  donnés  par  les  hérétiques  et  par  les 
pécheurs  sont  valides  ;  je  vais  examiner  l'erreur  des  Donatistes 
sur  l'Église. 

Les  Donatistes  prétendaient  que  l'Ëglise  n'était  composée  que 
de  justes ,  et  ils  le  prouvaient  par  les  caractères  que  lui  donnent 
les  prophètes  et  par  les  images  sous  lesquelles  ils  l'annoncenl. 

Isaîe  nous  la  représente,  disaicni-ils,  comme  une  ville  sainte 
dans  laquelle  aucun  impur  ou  încirconcis  ne  doit  être  admis  ;  elle 
doit  contenir  un  peuple  saint  ' . 

1  Isole,  SI,  es,  iS, 


1 

I 


Le  Oantiqufl  àei  cantiques  noili  It  peiitl  soilâ  l'cmblgnie  d'une 
femme  sans  défaut  et  ilans  loqiielle  il  n'j  a  rien  ï  reprendre  '. 

Le  nouveau  Teatameni  éuit  encore  plus  clair  et  plus  précis,  se- 
lon les  Donaiisiea  ;  saint  Paul  dit  eipressëmeni  que  Jésus~Cbmt  a 
aimé  aun  Église,  qu'il  l'a  aaociiliée,  qu'elle  est  pure  et  sans 
uclie  *. 

Ils  prétendaient  que  la  vraie  Église  était  composée  d'un  peiil 
noiiilire  de  justes  ;  que  la  grande  étendue  n'était  point  essentielle 
i  U  triie  Église;  qu'elle  atail  été  renfermée  dans  Abraham, 
Isaar  et  Jacob  ;  qu'elle  élsit  désignée  dam  l'Êcrilure  soue  l'em- 
blème d'une  poKe  étroite,  par  laquelle  peude  monde  enlraii,  etc.  ^. 

iisjustinaient  leur  scliisnie  par  l'exempte  d'I^lie,  d'filisée,  qui 
n'avaient  point  communiqué  avec  lesSamaritains;  ils  s'appujaient 
sur  ce  que  Dieu  dit ,  par  la  beuclie  d'Aggée,  qu'il  déleste  une 
nation  souillée  par  le  pèclié,  et  que  tout  ce  qu'elle  offre  est 
souillé  '. 

Les  wttboliquea  firent  voir  que  les  Uonali^teg  étaient  dans  l'er- 
reur sut  la  nature  et  sur  l'étendue  de  l'Ëglise. 

On  prouva  au»  Donatistes  que  l'I^lise  était  représentée  dans 
l'Écriture  eorame  une  société  qui  renrermail  les  bons  et  les  mé- 
cLans;  que  Jésus-Chrisll'availlui-méme représentée  sous  ces  traits. 

Tantôt  c'est  du  filet  jeté  dans  la  mer  et  qui  renferme  toutes 
Mrtes  de  poissons  ;  taBlât  c'est  un  champ  où  l'homme  BBoemî  ■ 
Mraé  de  l'iTraie  ;  d'autres  fois ,  c'est  une  ail-e  qui  renlerme  da  la 
paille  mêlée  iveo  le  bon  grain  ". 

L'ancienne  Eglise  renfermait  les  pécheurs  dans  son  sein  :  Adren 
et  Holse  se  firent  point  de  schisme,  et  eepéndantl'Ëgliae  d'Israël 
coaleuail  des  sacrilèges;  Saûl  et  David  appartenaient  I  l'Ë^liae  db 
Jada  ;  il  j  avait  de  mauTsis  prêtres  et  de  mauvais  Juifs  dans  l'Ëglisé 
jadalque  et  ^aas  la  ibëme  société  dont  Jérémie  «  Isaïe ,  Diaki  i 
Éaéchiel  éUieht  raembKs  '. 

Saint  Jean  ne  se  sépara  point  de  la  communion  des  pétjwurs; 
H  les  regarda  comme  étant  dans  l'Église ,  malgrâ  leurs  pëobée  : 

>  CanL,  c  S. 

'  Ad  Ephea.,  5,  â.  Cor.,  t  H. 

'Aug.,  De  unJtBteeccle*.  Collât,  Carihag.,  t,  S,  edll.  beoedicf,  tol- 
lecL  tialusii, 

*  Aggtel,  c.  3,  V.  di,  15. 

>  Haltb.,  IS,  38. 

'  Aug.  «nu  ep.  Pamen.,  L  2,  c  7,  De  uniU  eceto-j  S.  11. 


BON 

o'«Bt  ridée  que  ssini  Paul  noua  donnsde  l'Église,  ei  leculu,  les 

prières,  les  cérémonies  aussi  anciennes  que  l'ËglIse  même,  sup- 
pusenl  qu'elle  renferme  îles  pécheurs  <. 

Tous  les  endroits  dans  lesquels  l'Église  nous  est  reppéBenlce 
comme  une  société  pure  dont  les  péetieurfi  soni  exclus  dpiveqt 
s'entendre  de  l'Église  Iriomphanie  ,  selon  siiint  Augustin 

Sur  la  lerreelle  eet  une  société  religieuse,  composée  d'hommes 
unis  extérieurement  par  la  communion  des  mêmes  sacreniens,  pitr 
la  suumissioQ  iuil  pasieurs  légitimes ,  et  unis  intérieurement  par 
la  foi ,  respêraocB  et  la  charité. 

On  peut  donc  distinguer  dans  l'Église  une  partie  exlérieure  et 
visible,  qui  est  comme  le  corps  de  l'Église,  et  une  partie  înté- 
rieure  invilible,  qui  est  copmel'àme  de  l'Ëgliae. 

Ainsi ,  si  rpD  ne  considër«  que  la  partie  intérieure  de  l'Église, 
on  peut  dire  que  les  hérétiques  et  les  pécheurs  n'appartiennent 
point  à  l'Ëglise  ;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai  qu'ils  appartiennent 
au  corps  de  l'Église ,  et  c'est  ainsi  qu'il  rallail  expliquer  les  dif- 
féren s  endroits  dans  lesquels  saint  Augustin,  etapris  lui  plusieurs 
ihéologieus,  disent  que  les  pécheurs  ne  sont  point  membres  de 
l'Église. 

Le  uardinal  Bellarmin  a  donné  la  solution  de  toutes  ces  diffi- 
cultés par  la  comparaison  de  rhomme .  qui  est  cumpusâ  d'un 
corps  et  d'une  &me,  et  dont  un  bras  ne  laisse  pas  d'flru  partie, 
quoiqu'il  soit  paralytique. 

Les  catholiques  ne  prouvaient  pas  avec  moins  de  foroe  et  d'é- 
vidence qu'une  société  renfermée  dans  une  partie  de  l'Église  de 
l'Afrique  ne  pouvait  être  la  vraie  Église. 

Tous  les  prophètes  nous  annoncent  que  l'Église  de  Jésus-Clipist 
doit  se  répandre  par  toute  la  terre  ^. 

Jésus-Cbriat  s'applique  lul-mAme  toutes  ces  prophéties;  il  dit 
qu'il  fallait  que  le  Christ  souffrit  et  qu'on  prêchât  en  son  nuiH 
la  pénitence  el  la  rémission  des  péchés  i  toutes  les  naiient,  en 
commençant  par  Jérusalem  *. 

Tous  les  Pères  ,  avant  les  Donatistes,  avaient  pensé  que  l'A- 
glise  de  iésus-Clirist ,  la  \Taio  Église ,  devait  être  ealkolique  ; 

■  Ad.  Rom.,  d,  v.  3^.  Uiebr.,  9,  v.  13.  Ad  Tim.  prima,  c  3. 
}4ug-,  1,  ■,  Itelract.,e.l8. 

•  Genèa.  21.  Isaîi,  â9,  5â.  Malacb,,  i.  Ps,  S,  ^t,  AQ,  ^  ?i, 

*  Luc.  !5,  v.  ii,  47.  Act,  1,  v.  8. 


1 

I 


«BK  DOS 

c'éuit  par  ce  nom  que,  depuis  saint  Polycarpe ,  on  la  dlstia- 

guaildea  sectes  qui  l'étaient  élevées  dans  le  christiaiiisme'. 

ËDËD,  c'était  la  doctrine  de  toute  l'Église  contre  les  Donalisifs  *. 

11  n'est  donc  jamais  permis  de  se  séparée  de  l'Église  calholinue, 
puisqu'elle  esllavraie  Église:  on  peut  toujours  s'y  sauver;  oan'a, 
par  conséquent,  jamais  de  juste  sujet  de  rompre  avec  elle  lu  lien 
de  la  communion ,  et  toutes  les  sociétés  qui  s'en  séparent  sont 
schismaliques. 

Avant  les  disputes  que  Luther,  Zuîngle  et  Calvin  eicii6rcnt 
dans  l'Occident,  l'Ëglise  romaine  était  incontestablement  l'Ëglise 
catholique,  et  tous  ceux  qui  ont  embrassé  la  réforme  éuient 
dans  sa  communion  :  ils  n'ont  donc  pu  s'en  s'éparer  sans  être 
schismatiques  :  car  ils  ne  peuvent  reprocher  ^  l'bglise  catholique 
de  soutenir  un  seul  dogme  qui  n'ait  été  soutenu  par  de  grands 
saints  ;  par  conséquent,  on  a  pu  dans  tous  les  temps  faire  son 
salut  dans  l'Église  romaine  ;  il  n'y  avait  donc,  au  temps  de  Lu- 
ther, deZuingle ,  de  Calvin,  aucune  raison  légitime  de  se  séparer 
de  l'Église  romaine,  comme  les  chefs  de  la  prétendue  réforme 
l'ont  fait. 

L'Ëglise  réformée  n'est  donc  pas  la  vraie  Ëgllse ,  et  ceux  qui 
onl  embrassé  sa  communion  n'ont  aucune  raison  pour  rester  sé- 
parés de  l'Église  romaine. 

Voila  ce  que  le  clergé  de  France ,  à  la  fin  du  siècle  passË ,  ex- 
hortait les  prétendus  réformés  à  examiner,  et  c'est  ce  que  tous 
les  catholiques  devraient  encore  aujourd'hui  les  engager  à  exami- 
ner sans  passion  ;  je  ne  doute  pas  que  cette  méthode ,  proposée 
si  sagement  par  le  clergé,  ne  réunit  beaucoup  de  Proteslans  i. 
l'Église  catholique. 

Mais  il  est  bien  difficile  que  cette  méthode  réussisse  s'ils  haïs- 
sent les  catholiques  ei  s'ils  sont  irrités  contre  eux ,  s'ils  croient 
qu'on  veut  les  tyranniser  et  non  pas  les  éclairer. 

La  question  du  schisme  des  Protestans  a  été  épuisée  par 
H.  Nicole  dans  l'excellent  ouvrage  intitulé  :  Lei  prétenâtu  rifar- 
mé»  cimvaineut  de  tehigme. 

DOSITHÉE,  était  un  magicien  de  Samarie  qui  prétendait  élre 
le  Messie  :  il  est  regardé  comme  le  premier  hérésiarque. 

>  Eusèb.,  Hisl.,  L  d,  c  16,  Gjril.,  Catech,  18,  cbcà  fin.  Ang.  cool. 
Ep.  fundam.,  c.  7.  Cypr.,  De  unit,  eccles. 
*  Ang.  cont  Cracent. 


Les  Samari 

que  la  gloire  du  Messi 


DOS  389 

étaient  aliachés  ï  la  loi  de  Moïse  commo  les 
ils  attendaient  le  Messie. 

3  pouvait  aspirer  !i  rien  de  plus  grand 
et  il  n'était  pas  possible  que,  dans  le» 


is  qui  l'attendaient ,  il  ne  s'élevât  des  ambitieux  qui  ci 
passent  le  litre  et  qui  en  imitassent  les  caractères. 

Le  Messie  avait  été  annoncé  par  les  prophètes  et  devait  signa- 
ler sa  puissance  par  les  miracles  les  plus  éclalans  ;  on  dut  donc 
s'occuper  beaucoup  de  l'art  d'opérer  des  prodiges  ,  et  c'est  peut- 
être  à  ces  ?ues ,  jointes  au  progrès  du  pjthagoricisme  ,  du  plato- 
nisme et  de  la  philosophie  cabalistique,  qu'il  faut  attribuer  le 
goût  de  la  magie,  si  répandu  chez  les  Juifs  et  les  Samaritains 
avant  la  naissance  du  christianisme. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  au  reste ,  de  cette  conjecture ,  il  est  certain 
que  Dosithée  s'était  fort  appliqué  h  la  magie ,  et  qu'il  séduisait 
l'imagination  par  des  prestiges ,  par  des  enchaniemens  et  par  des 
tours  d'adresse. 

Doaithée  annonça  qu'il  était  le  Messie,  et  on  le  cruL 

Comme  les  propbËtes  annonçaient  le  Messie  sous  des  caractè- 
res qui  ne  pouvaient  convenir  qu'ï  Jésus-Christ ,  Dosilbée  chan- 
gea les  prophéties  et  se  les  appropria  :  ses  disciples  souliurent 
qu'il  était  le  Messie  prédit  par  les  prophètes, 

Dosithée  avait  à  sa  suite  trente  disciples,  autant  qu'il  y  avait 
de  jours  au  mois ,  et  n'en  voulait  pas  davantage  ;  il  avait  admis 
avec  ses  disciples  une  femme  qu'il  appelait  la  Lune  ;  il  observait  la 
circoncision  et  jeûnait  beaucoup.  Pourpersuader  qu'il  était  monte 
au  ciel ,  il  se  retira  dans  une  caverne ,  loin  des  yeux  du  monde , 
et  s'y  laissa  mourir  de  faim. 

La  secte  des  Dosithéens  estimait  beaucoup  la  virginité;  entêtée 
de  sa  chasteté ,  elle  regardait  le  reste  du  genre  humain  avec 
mépris  ;  un  Dosiibéen  ne  voulait  approcher  de  quiconque  ne  pen- 
sait et  ne  vivait  pas  comme  lui.  Ils  avaient  des  pratiques  singu- 
lières, auxquelles  ils  étaient  fort  attachés  .*  telle  était  celle  de 
demeurer  vingt-quatre  heures  dans  la  même  posture  où  ils  étaient 
lorsque  le  sabbat  commençait. 

Cette  immobilité  des  Dosithéens  était  une  conséquence  de  la 
défense  de  travailler  pendant  le  sabbat.  Avec  de  semblables  pra- 
tiques ,  les  Dositbéens  se  croyaient  supérieurs  aux  hommes  les 
plus  éclairés ,  aux  cito<fens  les  plus  vertueux  ,  aux  ùmes  les  plus 
bienfaisantes  ;  en  restant  pendant  Si  heures  plantés  debout,  et 


m  ^ 

la  main  dro^a  ou  la  main  gauclie  ftendae  i  iU  croï^ient  pUire  ï 
i)ieu  liîen  aulrcmeiU  (]u'uq  lionime  qui  s'èuit  Aoané  beaucoup  de 
rtouveiutMil  pour  consoler  les  aOligiU  ou  pour  souhger  les  mal- 
lieu  reui- 

Celle  leele  subsista  en  Égjple  jusqu'au  sixième  siètk  ' . 

Un  des  disciples  de  DofiiibÉe  étaui  mort ,  il  p^it  à  «a  |iUce  Sir 
mon ,  qui  surpassa  bienlôt  son  mailrc  el,  devint  cbeT  du  secte  : 
ce  fulSimop  le  Magicien. 

DUALISTKS  ;  c'est  un  nom  que  l'on  a  donoé  ^  ceui  qui  sou- 
tieunem  qu'il  j  a  dans  le  monde  deuï  principes  cle^^nels  ei  né- 
cessaires ,  dont  l'un  produit  tout  le  bien  et  l'autre  tout  le  ainl. 
Yoget  les  ar|.  Mificios,  S(*nès. 

IIUl.CIN,  laïque  né  à  Novare,  en  Lombacdîe,  fut  diaçiplç  de 
St^^arel ,  cl  aprës  la  mprt  de  son  maître ,  devint  clieC  de  sa  secte, 
qui  pnl  le  nom  d'Apostolique.  Voya  l'art,  Sécabel, 


ÉBIONITES;  ce  mot  en  hébreu  signilie  pauvre,  et  fut  donné 
i  une  ïecte  d'bérëliques  qui  avaient  adopté  |es  scntiniens  des 
Naiaréens ,  ï  la  doctrine  desquels  ils  avaient  ajouté  quelques  pra~ 
tiques  et  quelques  erreurs  qui  leur  étaient  particulières.  Les  Na- 
niràens,  p.ir  i'\emii!e,  recevaient  toute  l'tcrîlure  qui  Mail  ren- 
fermée dans  le  canon  des  Juifs;  les  Ébionîtes,  au  eoniraîre, 
rejetaient  tous  las  prophètes ,  ils  avaient  en  horreur  les  Boms  d« 
David  ,  de  Salomen ,  de  Jéréniie ,  d'Éiéchiel  ;  Us  na  recevaient 
pour  Écriture  sainte  que  le  Pentateuque. 

Origène  dislingue  deux  sortes  d'Èbionites  :  lei  uns  crojatent 
que  Jésus-Christ  était  né  d'une  vierge ,  comme  le  CMjaiest  Im 
Nazaréens  ,  et  les  au^«s  pensaient  qu'il  était  né  à  la  manière  de 
tous  les  autres  hoatmes. 

Quelques  Ëbionites  étaient  sobres  et  chastes  ;  d'aulr^s  ne  v^ea- 
valent  p»sonne  dans  leur  secte  qu'il  ne  fût  marié,  même  avant 
l'usage  de  puberté  ;  ils  permettaient  de  plus  la  polygamie  ;  ils  d< 

'  Eus^b.  Ilist.  eccles.,  1.  5,  c.  !2.  Origen.,  Tract.  17,  in  Ualh.,  i.  i, 
conl,  Cebum,  c.  ai,  I.  6,  jv  SSS,  ed>t.  Spenceri.  PerUrvk.,  I.  i,  ç.  S. 
Piiilocal.,  c  1,  n.  as.  Origeq.  Hucl.,  t.  3,  p,  31ft.  f^iotim,  BjUint., ç^ 
S30,  |i.  k66,  edîL  gr.  ;  p,  331,  ediU  {aL, 

Epiplw,  Hœr.  (3.  Hieron  adver^^  Lvcit,ç.  6,  Tef\.,  l»  (««K^pt,, 
t,  44,  PHIaslr.,  pe  l^rea,,  c,  i. 


oc  H( 

laanguitqit  d'aiicuii  animal ,  ni  de  ce  qui  en  venait ,  çomnie  laii, 
teufs,  etc. 

lU  se  servaient ,  aussi  bien  que  les  Nazaréens,  <Ie  l'Ëvangile 
selon  saint  Maiibieu,  mais  ils  l'avaieDl  corrompu  eq  beaucoup 
d'endroits;  iU  en  avaient  ôlé  la  généalogie  (le  Jés(t9-Christ  que 
les  Nazaréens  avaient  conservée. 

Outre  rËvanE'ls  hébreu  selon  saint  Matthieu ,  les  Ëbioniles 
avaient  adopté  plusieurs  autres  livres ,  sous  les  noms  de  Jacques, 
de  Jean  et  des  autres  apStres  ;  ils  se  servaient  aussi  des  voyages 
«le  saint  Pierre. 

Quelques  auteurs  ont  prétendu  qiie  les  Ëbionites  élaieut  une 
branche  de  Nazaréens ,  d'autres  ont  cru  qu'ils  rormaicnl  une  secte 
afasolnuient  différente;  celte  question,  peii  importante  «  peut- 
être  assez  difficile  à  décider,  a  été  eiaminée  par  le  P.  le  Quicn , 
dans  ses  dissertations  sur  saint  Jean  DamasçËne.  Origène,  sain^ 
Jean  Damascèue,  Eusèbe ,  saint  Irénée,  ont  (raitë  de  l'Lérésie 
des  Ëbionites  '. 

Les  Ëbionites  et  les  Nazaréens,  qui  se  divisaient  ainsi  en  diffé- 
rentes sectes  ,  qui  se  contredisaient  dans  leur  croyance  et  dans 
leur  morale,  se  réunissaient  pourtant  sur  un  point  :  fis  reconnais^ 
saient  que  Jésus-Christ  était  le  Bjessie;  il  est  ^ouc  certain  qu'il 
réunissait  les  caractères  sous  lesquels  il  était  annoncé. 

ELCËSAI'CES;  ils  se  nommaient  aussi  Osso:iiens  et  Sastséens. 

C'était  une  secte  de  fanatiques  qui ,  ï  quelques  idé^  de  chris- 
lianisme ,  avaient  joint  les  erreurs  des  Ëhionites,  les  principes  de 
l'astrologie  judiciaire,  les  pratiques  de  U  magie,  l'invocation  des 
démons ,  l'art  des  encbantemens  et  l'observation  des  cérémunies 
judaïques. 

il  ne  faut  cherclier,  chez  ces  hérétiques,  rien  de  suivi ,  rien  de 
lié  ;  ils  n'adoraient  qu'un  seul  Dieu,  ils  s'imaginaient  l'honorer 
beaucoup  en  se  baignant  plusieurs  Tois  par  jour  ;  ils  reconnais- 
saient  un  Christ ,  un  Uessie ,  qu'ils  appelaient  le  grand  roi.  (la  ne 
sait  s'ils  croyaient  que  Jésqs  lût  le  Messie,  ou  s'ils  croyaient  qu6 
ce  filt  un  autre  ,  qui  ne  Tût  pas  encore  venu  ;  ils  lui  donnaient  uoe 
forme  humaine,  mais  invisible,  qui  avait  environ  trenle-liuil  lieifes 

*  Origen.  conL  Cels.  Epip.,  H^r,  30.  Inen.,  1.  I,  c  SO. 

Eusèb.  HisL  ccclcs.,  1.  3,  c  S7.  Panni  les  modernes  dq  n^uE  con- 
sulter le  Clerc.,  UisL  ceci.,  p.  177,  an,  72  ;  Itligius,  Dit^t.  d^  ^{cres. 
saic.  1,  c  6;  leP.  le  Quicn,  Disscrl.  |u^  soiq^  jç^Qpia^ 


sn  EON 

de  liant  ;  ses  membres  éialent  proportionnés  k  sa  taille  ;  ils 
erojaieol  que  le  Sainl-Esprit  étaîl  une  Temme ,  peut-être  parec 
que  le  mol  qui,  en  hébreu,  exprime  le  Saint-Esprit,  est  du  genre 
féminin  ,  peut-être  aussi  parce  que  le  Saint-Esprit  étant  descendu 
sur  Jésus-Cbrist  îi  son  baptême ,  sous  la  forme  d'une  colombe,  et 
ayant  dit  de  Jésus-Christ  qu'il  était  son  fils  bien-aimé,  ils  avaient 
conclu  que  le  Saint-Esprit  était  une  femme,  afin  de  ne  pas  don- 
ner deux  pères  i  Jésus-Christ  ' . 

Sous  l'empire  de  Trajan ,  un  Juif  nommé  Eliaï ,  se  joignit  i  eut 
et  composa  un  livre  qui  contenait,  disail-il,  des  prophéties  et 
une  sagesse  toute  divine  :  les  Elcésaltes  disaient  qu'il  était  des- 
cendu du  ciel. 

Elxaï  était  considéré  par  ses  sectateurs  comme  une  puissance 
révélée  et  annoncée  par  les  prophètes,  parce  que  son  nom  signifie, 
selon  l'hébreu,  qu'il  est  révélé  ;  ils  révéraient  même  ceux  de  sa 
racejusqu'à  l'adoration,  et  selaisaieni  un  devoir  de  mourir  pour 

11  y  avait  encore,  sous  Valens,  deux  sœurs  de  la  famille 
d'Elxaï,  ou  de  la  race  bénite,  comme  ils  l' appel  nient  ;  elles  se 
nommaient  Marthe  et  Martene,  et  elles  étaient  considérées  comme 
des  déesses  par  les  Elcésaftes  ;  lorsqu'elles  sortaient  en  public,  les 
Elcésalles  les  accompagnaient  en  foule  ,  ramassaient  la  poudre  de 
leurs  pieds  et  la  salive  qu'elles  crachaient  ;  on  gardait  ces  choses 
et  on  lesmettaitdans  des  bottes  qu'on  portait  sur  soi ,  et  qu'on  re- 
gardait comme  des  préservatifs  souverains  ^. 

Ha  avaient  quelques  prières  hébraïques,  qu'ils  voulaient  qu'on 
récitSt  sans  les  entendre.  U.  Basnage  a  bien  prouvé  que  les  Elcé- 


ENCRATITES.  Voyez  Tatibb. 

ÉON  DE  L'ÉTOILE,  était  un  gentilhomme  breton,  qui  vivait 
au  douzième  siècle. 

On  prononçait  alors  fort  mal  le  latin ,  et  an  lieu  de  prononcer 
eum ,  comme  nous  le  prononçons  aujourd'hui ,  on  prononçait  ton  : 
ainsi,  dans  le  symbole,  au  lieu  de  chanter  :  P«r  eum  qui  venturu* 
ett  judicare  vwo»  et  moHuoi,  on  chantait  :  Per  ton  qui  venlumi  est 
Jadicare  vives  et  mortuos. 

'■   *  Grab.,  Spidieg;.  PP. 
'   'Epiph.,  Hzr,  10. 
>  BainaEe,  Annales  écdés,,  t.  L 


£0N  3 

Sur  celte  pronoDciaiion  ,  Éon  de  l'Ëioile  s'imagine  que  c'était 
de  lui  qu'il  était  dit  dans  te  symbole  qu'il  viendrait  juger  les  vi- 
vans  et  les  morts  :  cetle  vision  lui  plaît,  son  imagination  a' é- 
cliauffe ,  il  se  persuade  qu'il  est  le  juge  des  vivans  et  des  niuris 
et  par  conséquent  le  fils  de  Dieu  ,  il  le  publie ,  le  peuple  le 
croit ,  s'assemble  et  le  suit  en  foule  dans  les  différentes  provin- 
ces de  la  France ,  dont  il  pille  les  maisons  et  surtout  les  monaa- 

11  donna  des  rangs  à  ses  disciples  :  les  uns  étaient  des  anges, 
les  autres  étaient  des  apôlres  ;  celui-ci  s'appelait  le  jugement,  ce- 
lui-là la  sagesse  ,  un  autre  la  dt^minalion  ou  la  iciertee. 

Plusieurs  seigneurs  envoyèrent  du  monde  pour  arrêter  Ëon  de 
l'Étoile;  mais  il  les  traitait  bien,  leur  donnait  de  l'argent,  et 
personne  ne  voulait  l'arrêter  :  on  publia  qu'il  enchantait  le  monde, 
que  c'était  un  magicien ,  qu'on  ne  pouvait  se  saisir  de  sa  per- 
sonne  ;  celle  imposture  fut  crue  généralement  ;  cependant  l'arche- 
vêque de  Reims  le  fit  arrêter,  et  l'on  crut  alors  que  les  démons 
t'avaient  abandonné.  L'archevêque  de  Reims  te  fit  paraître  de- 
vaut  le  concile  assemblé  ï  Reims  par  Eugène  111  contre  les  er- 
reurs de  (lilbert  de  la  Porée.  On  interrogea  dans  le  concile  Ëon 
de  l'Étoile ,  et  l'on  vit  qu'il  n'était  qu'un  insensé;  on  le  condamna 
a  une  prison  perpétuelle,  aiaisoa  &l  bMei  te  jugement,  la  icience, 
et  quelques  autres  de  ses  disciples  qui  nâ  voulurent  pas  reconnai- 
ire  la  fausseté  des  prétentions  d'Lon  de  l'tloile  '. 

Dans  ce  même  siècle,  oii  une  partie  du  peuple  était  séduite  par 
ÉoH  de  l'Étoile  ,  Pierre  de  Brujs ,  TancheGn  ,  Benri  et  une  foule 
d'autres  fanatiques  enseignaient  différentes  erreurs  et  soulevaient 
les  peuples  contre  le  clei^é:  d'un  autre  cdté  ,  les  théologiens  se 
divisaient  dans  les  écoles,  élevaient  sur  la  théologie  les  questions 
les  plus  subtiles,  et  formaient  des  partis  opposés  et  ennemis  ;  mais 
le  peuple  ne  participait  point  à  leurs  haines,  parce  qu'il  était  trop 
ignorant  pour  prendre  part  à  leurs  querelles. 

Le  peuple,  trop  ignorant  pour  prendre  part  aux  querelles  ihéo- 
logiques,  était  très-ignorant  d'ailleurs  sur  la  religion  ;  car  la  lu- 
mière ou  l'ignorance  du  peuple  sont  toujours  proportionnées  ï  l'i- 
gnorance ou  aux  lumières  du  clergé  :  ce  peuple  ignorant  était 
échauffé  eiséduil  par  le  premier  imposteur  qui  voulait  se  donner 

!C  12.  Dup.  Bibliol., 


il4  EPI 

ito  [mIbo  de  le  iromper ,  cl  jumais  on  ne  manque  de  ces  impos- 
teurs dans  Ira  siècles  d'ignorani^. 

ÊPiPllANE,  GUde  Carpocraie ,  fui  inslruiL  tlaos  U  pliilosopliie 
pltlooicicDiie,  et  crut  j  Irouver  des  principes  propres  i  expliquer 
IViftine  du  mal  et  !i  justifier  la  morale  de  son  père. 

lUuppouitun  principe  éternel,  inSni,  incompréhensible,  el  al- 
liait avec  ce  principe  fondamental  te  système  de  Valenlin. 

Pour  rendre  raison  de  l'origioe  du  mal ,  il  s'éleva  jusqu'auj 
idto  prinilives  du  bien  et  du  mal,  du  juste  elde  l'injuste  ;  il  ju- 
gea que  la  bonté  dans  l'Etresuprème  n'était  point  diiTérenle  de  h 
jusiise.  L'univerE  ,  envisagé  sous  ce  point  de  vue  ,  n'offrait  plui 
k  Kpipliane  rien  qui  fat  contraire  ï  la  lioDlé  de  Dieu. 

Le  soleil  se  lève  également  sur  tous  les  animaux;  la  terre  uQïï 
^lemenlâ  tousses pruductîons et  ses  bienfaits;  tous  peuvent  sa- 
tûfaire  leurs  besoins,  et  par  conaéquenl  la  nature  oITre  W  tous  une 
égale  matière  de  boiiLeur:  loutcequirefpireesl  sur  la  terre  comme 
nae  grande  famille ,  aux  besoins  de  laijuelle  l'auteur  de  la  nature 
pourroit  abondamment  ;  ce  sont  l'ignorunce  et  la  passion  qui,  en 
rompant  cette  éyaliié  et  cette  communauté ,  ont  intnxluit  le  mal 
éans  le  monde  :  les  idées  de  propriété  exclusive  n'entreul  point 
dans  le  plan  de  l' intelligence  suprême  ,  elles  sont  l'ouvrage  des 
hommes. 

Les  bommes,  en  formant  des  lois,  étaient  donc  sarlis  de  l'ordre, 
et  pour  y  rentrer;  il  fallait  abolir  ces  lois  et  rétablir  l'état  d'éga- 
lité dans  lequel  le  monde  avait  été  lormé. 

De  UËpipImne  concluait  que  la  communauté  deslemmea  éUit 
le  rétablissement  de  l'ordre ,  comme  la  communauté  des  fruits  de 
la  terre:  les  désirs  que  nous  recevions  de  la  nature  étaient  nos 
droits,  selon  Ëpiphane,  et  des  titres  contre  lesquels  rien  ne  pou- 
vait prescrire,  11  justifiait  tous  ces  principes  par  les  passage  de 
saint  Paul  qui  disant  qu'avant  la  loi  on  ne  cuoMÙïait  pm\  ïe 
péché ,  et  qu'il  n'j  aurait  point  de  péché  s'il  o'j  nmt  piÙHV  de 
lt>i. 

Avee  ces  priniùpes,  Ëpiphane  justifiait  toute  h  lUwitlç  deiCiu^ 
pocratiena,  et  combattait  toute  celle  de  l'Ëvaugile. 

Ëpiphane  pourut  ïl'Sgede  dix-sept  aua  >  Il  fut  T&fiié  iwnBW 
un  Pieu;  on  lui  coosaçra  un  templ«  1  S^mé,  fille  de  Qépixilmkt 
il  eut  des  autels ,  et  l'on  érigea  une  académie  en  son  nom.  ToQS 
les  premiers joure  iv  mois,  les  Çéphalonieft^  s'î^sofoMaip flt dfi» 
son  temple  pour  célébrer  la  fêle  de  son  apothéose  :  tlf  {i^i  flfTfiiflm 


.     .  EUS  881 

des  HofiAÉëi)  ils  faisaienl  «les  festios  et  chsnuleot  des  hymnes 
en  son  honneur', 

ÉPISCOPADX.  Voget  Pbesbttébiehs. 

ESQUINISTIUS,  secle  de  MonUnUlcs  qui  cunfondaienl  les  per- 
sonnes de  la  Trinité.  Vopet  l'ari.  Moktui.  Ce  senliincni  a  été 
reeilu  célèbre  par  Sabellius.   Vayei  aon  article. 

EUCIllTES  ouEUTYCHITES,  disciples  de  SimoD,  qui  croyaient 
que  les  âmes  étaient  unies  au  corps  pour  s';  liTrer  ï  toutes  sortes 
de  voluptés:  ce  sentiment  était  le  même  que  celui  des  Aniitaclee 
et  des  Caînites.  Voffei  ces  articles  *. 

EtJNOME  ,  éliit  originaire  de  Cappadocc  ;  il  avait  beaucoup 
d'esprit  naturel  :  des  prêtres  ariens,  auxquels  il  s'atlachi,  l'inslrui- 
sireni;  il  adopta  leurs  senlimeDS  et  fut  fait  évêque  de  C^zique  ; 
il  détint  Â  rie  a  zélé,  el,  pour  défendre  l'Arianisme,  retomba  dans 
le  Sabellianisme,  dont  Arius  avait  cru  qu'on  ne  pouvait  se  garaii> 
tir  qu'en  niant  la  divinité  du  Verbe  ^. 

Arius,  ponr  ne  pas  tomber  dans  l'hérésie  de  Sabellius  qui  cnn~ 
fondait  tes  personnes  de  la  Trinité  ,  St  du  Père  et  du  Pils  deux 
personnes  diOSrenles  ,  et  aoulinl  que  le  Fils  était  une  créature. 

ÏA  divinité  deJésus-Cbrist  était  donc  devenue  comme  le  pivot 
de  toutes  les  disputes  des  catholiques  et  des  Ariens. 

Les  catholiques  admettaient,  dans  la  substance  divine,  un  Pérc 
<]ui  n'était  point  engendré,  et  un  Fils  qui  l'était,  et  igui  cependant 
était  con substantiel  et  eoéternel  i  son  Père. 

La  divinité  de  Jésus-Cbrist  était  évidemment  enseJ{;nËe  dans  Vf.- 
criture,  et  les  Ariens  ne  pouvaient  éluder  la  force  des  passages 
que  les  catholiques  leur  opposaient. 

Funome  crut  qu'il  fallait  examiner  ce  du^nie  en  lui-même ,  et 
voir  si  elTectivejnent  on  pouvait  admettre  dans  la  substance  di- 
vine deux  principes,  dont  l'un  était  engendré,  et  l'autre  ne  l'était 
pas. 

Pour  décider  cette  question  ,  jl  partit  d  un  point  reconnu  par 
les  catholiques  et  par  les  Ariens,  savoir,  la  simplicitéde  Dieu. 

Il  crut  qu'on  ne  pouvait  supposer  dans  une  chose  simple  deux 
principes   dont  l'un  était  engendré   et  l'autre  engendrant  :  une 

>Tliéod.,  Ha»%Ll'ab.,Ll,c.  S.  Epiph.,Ha'r.  3Ï.  lrxii.,I.  1.  c.  11. 
Clem.  Alex.  Strom.,  I.  3,  p.  i26.  GralL,  Spicilt^.  PP. 
'  Théodorcl)  HxreL  Fob.,  I.  5,  c  9. 
>  SocnL,  I.  i,  C  13,  Emph.,  ïtmm,  70> 


SM  EUN 

dioM  simple  pouvait ,  selon  ï^unome ,  avoir  différens  rapports, 
mais  elle  ne  pouvait  contenir  des  principes  différens. 

De  ce  principe  ,  Arius  ,  poar  éviter  le  Sabellianisme  qui  con- 
fondait les  personnes  de  la  Trinité,  avait  conclu  que  le  Pèra  et  le 
Fils  étaient  deux  substances  distinguées  ;  comme  d^ailleurs  onne 
pouvait  admettre  plusieurs  dieux,  il  avait  jugé  que  le  Verbe  ou  le 
Fils  n*étaitpas  un  Dieu ,  mais  une  créature* 

De  ce  même  principe,  Eunome  conclut,  non-seulement  qa*on  ne 
pouvait  supposer  dans  Tessence  divine  un  Père  et  un  Fils ,  mais 
qu*onne  pouvait  y  admettre  plusieurs  attributs,  et  que  la  sagesse, 
h  vérité ,  la  justice ,  n'étaient  que  Tessence  divine  considérée 
sous  différens  rapports,  et  n'étaient  que  des  noms  différens  donnés 
à  la  même  chose,  selon  les  rapports  qu'elle  avait  avec  les  objets 
extérieurs  ^. 

Voilà  Terreur  qu'Eunome  ajouta  à  rArianisme;  elle  portait  sur 
un  faux  principe,  en  voici  la  preuve  : 

Une  substance  simple  ne  peut  contenir  plusieurs  principes  qui 
soient  des  substances  ou  des  parties  de  substances  :  c'est  tombef 
dans  une  contradiction  manifeste  que  de  l'avancer  ;mais  on  ne  voit 
pas  qu'une  substance  simple  ne  puisse  pas  renfermer  plusieurs 
choses  qui  ne  soient  ni  des  substances  ,  ni  des  parties  de  sub- 
stances. 

La  substance  divine  étant  infinie,  quel  homme  oserait  dire 
qu'elle  ne  renferme  pas  en  effet  des  principes  différens  qui  ne 
soient  ni  des  substances ,  ni  des  parties  de  substances?  pour  oser 
le  dire,  ne  faudrait-il  pas  voir  clairement  l'essence  de  la  divinité , 
la  comprendre  parfaitement,  et  connaître  Dieu  aussi  parfaitement 
qu'il  se  connaît  lui-même? 

Voilà  pourquoi  les  Pères  qui  réfutèrent  Eunome  ,tels  que  saint 
Basile  ,  saint  Chrysostôme,  lui  opposèrent  l'incompréhensibilité 
de  la  divinité  *. 

Car,  je  penserais  volontiers  comme  Vasquez ,  qu'Eunome  ne 
croyait  pas  connaître  la  substance  divine  autant  que  Dieu  la  con- 
naît lui-même  ,  quoiqu'il  soutînt  qu'il  connaissait  toute  l'essence 
divine  ^. 

C'est  ainsi  que  le  plus  mince  géomètre  pourrait  soutenir  qu'il 

*  Greg.  Nyss.,  OraU  12. 

2  Basil.,  Ep.  16e.  Chrvsosf.,  De  incompreheu,  Dei  nalur\ 

«  Vasquez,  in  primùparl,  DispuS  37,  c.  3* 


EUN  897 

Voit  aussi  bien  que  le  plus  habile  géomètre  le  cercle  qu*il  trace 
et  que  comme  lui  il  le  voit  tout  entier ,  sans  croire  pour  cela 
connaître  aussi  bien  que  Clairaut  toutes  les  propriétés  du  cercle. 

Eunome  reconnaissait,  comme  les  catholiques,  un  Père,  un  Fils 
et  un  Saint-Esprit  ;  mais  il  regardait  le  Fils  et  le  Saint-Esprit 
comme  des  créatures,  et  croyait  que  le  Saint-Esprit  était  une  pro- 
duction du  Fils  :  il  exprimait  cette  croyance  dans  son  baptême  « 
qu'il  donnait  au  nom  du  Père  qui  n'était  point  engendré ,  du  Fils 
qui  était  engendré,  et  du  Saint-Esprit  qui  était  produit  par  le 
Fils. 

11  supprima  les  trois  immersions  :  c'était  une  suite  de  son  sen- 
timent sur  les  trois  personnes  de  la  Trinité  :  il  ne  faisait  plonger 
dans  l'eau  que  la  tête  et  la  poitrine  de  ceux  qu'il  baptisait ,  re- 
gardant comme  infimes  et  comme  indignes  du  baptême  les  par- 
ties inférieures. 

L'erreur  d'Eunome  était  une  spéculation  peu  propre  à  intéres- 
ser le  grand  nombre  :  il  sentit  que ,  pour  se  concilier  des  secta- 
teurs, il  fallait  joindre  à  son  opinion  quelque  principe  de  morale 
commode  ;  il  enseigna  que  ceux  qui  conserveraient  fidèlement  sa 
doctrine  ne  pourraient  perdre  la  grâce ,  quelque  péché  qu*ils 
commissent  *, 

Cette  adresse ,  employée  souvent  par  les  chefs  de  secte  ,  ne 
réussit  pas  toujours  :  la  secte  d'Eunome  fut  absolument  éteinte 
sous  Théodose  *, 

EUNOMIENS,  disciples  d'Eunome  ;  on  les  appelait  aussi  Ano- 
niéens ,  du  mot  Anomiony  qui  signifie  dissemblable ,  parce  qu'ils 
disaient  que  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  différaient  en  tout  du  Père: 
on  les  appelait  aussi  Troglodytes*  Voyez  ce  mot. 

EUNOMKDUPSIGHIENS  ,  branche  des  Eunomiens ,  qui  se  sé- 
parèrent pour  la  question  de  la  connaissance  ou  de  la  science  de 
Jésus-Christ  :  ils  conservèrent  pourtant  ks  principales  erreurs 
d'Eunome. 

Ils  avaient  pour  chef,  selon  Nicéphore ,  un  nommé  Eupsyche  '. 

Ces  Eunomiœupsychiens  sont  les  mêmes  que  ceux  que  Sozomène 
nomme  Eutychiens  ,  et  auxquels  il  donne  pour  chef  un  nommé 

*  Tliéod.,  Haeret.  Fab.,  L  A,  c  3.  Aug.,  De  hsr.  Epiph.,  Hxr.  76. 
Baron  ad  an.  356. 

2  Codex  Thcod.,  1.  8. 

*  Nicéphore,  1.  12,  c.  30. 

I.  S4 


89t  EBN 

Eotyche  :  il  est  pourtant  certain  que  Nicéphore  etSoKomène  pjrfw 
lent  de  la  même  secte,  puisque  Nicéphore  a  copié  Sozomène  ; 
mais  il  y  a  de  l'erreur  sur  le  nom  du  chef  de  la  secte  *. 

M.  de  Valois,  dans  ses  notes  sur  Sozomène,  et  Fronton-du-Duc, 
dans  ses  notes  sur  Nicéphore ,  l'ont  remarqué  sans  dire  celui  qui 

s*est  trompé. 

EUNUQUES  ou  YALÉSIENS ,  hérétiques  qui  se  mutilaient,  et 
ne  permettaient  à  leurs  disciples  de  manger  rien  qui  eût  vie,  jus- 
qu'à ce  qu'ils  fussent  dans  le  même  état. 

Origène,  pour  faire  taire  la  calomnie  qui  répandait  des  bruits 
ficheux  sur  ce  qu'il  recevait  des  jeunes  tilles  à  son  école ,  se  mu- 
tila lui-même,  et  arrêta  par  ce  moyen  tous  les  discours  injurieux 
à  sa  vertu. 

Cette  délicatesse  d'Origène  sur  sa  réputation  fut  prise  par  les 
uns  pour  uu  acte  de  vertu  extraordinaire ,  et  par  les  autres  pour 
un  accès  d'un  zèle  irrégulier  et  bizarre. 

La  sainteté  de  sa  vie  et  Véminence  de  son  mérite  firent  qu'on 
se  partagea  sur  cette  action. 

Démétrius,  patriarche  d'Alexandrie,  admira  l'action  d'Orîgène, 
elle  patriarche  de  Jérusalem  le  consacra  prêtre. 

D'autres  blâmèrent  cette  action  comme  une  barbarie,  et  désap- 
pfouvèrent  que  l'on  eût  élevé  au  sacerdoce  un  sujet  que  sa  mutila- 
tien  en  rendait  incapable. 

Valésius ,  né  avec  une  forte  disposition  à  Tamour  et  placé 
sous  le  climat  brûlant  de  TArabie ,  ne  connaissait  point  de  plus 
grand  ennemi  de  son  salut  que  son  tempérament,  ni  de  moyen 
plus  sage  pour  conserver  sa  vertu  et  assurer  son  salut  que  celui 
qu'Origène  avait  employé  pour  faire  taire  la  calomnie. 

Valésius  se  fit  donc  eunuque,  et  prélendit  que  cet  acte  de  pru- 
dence et  de  vertu  ne  devait  point  exclure  des  dignités  ecclésiasti- 
ques :  on  eut  d'abord  de  Tindulgence  pour  cet  égarement ,  mais 
comme  il  faisait  du  progrès ,  on  chassa  de  rÉglise  Valésius  et  ses 
disciples,  qui  se  retirèrent  dans  un  canton  de  l'Arabie. 

Valésius  n'avait  pour  disciples  que  des  hommes  d'un  tempéra- 
ment impétueux  et  d'une  imagination  vive  ,  qui ,  sans  cesse  aux 
prises  avec  l'esprit  tentateur,  jugèrent  que  leur  pratique  était  le 
seul  moyen  d'échapper  au  crime  et  de  faire  son  salut. 
Les  hommes  qui  sont  animés  d'une  passion  violente,  ou  trans- 

•So2om.,l.  7,  r.  17. 


EUN  399 

portés  par  les  accès  du  tempérament,  ne  supposent  point  dans  les 
hommes  d'autres  principes  ou  d'autres  sentimens  que  celui  qui 
les  fait  agir.  Les  Yalésiens  jugèrent  donc  que  tous  les  hommes 
qui  ne  se  feisaient  point  eunuques  étaient  dans  la  voie  de  perdi- 
tion et  livrés  au  crime. 

Comme  FÉvangile  ordonne  à  tous  les  chrétiens  de  travailler  au 
salut  de  leur  prochain,  les  Valésiens  crurent  qu'il  n'y  avait  pas  de 
moyen  plus  sûr  de  remplir  cette  obligation  que  de  mettre  leur 
prochain,  autant  qu'ils  le  pourraient,  dans  l'état  où  ils  étaient  eux- 
mêmes:  ils  faisaient  donc  tous  leurs  efforts  pour  persuader  aux 
autres  hommes  la  nécessité  de  se  faire  eunuques;  et  lorsqu'ils  ne 
pouvaient  les  persuader,  il  les  regardaient  comme  des  enfans,  on 
comme  des  malades  en  délire  ,  dont  il  y  aurait  de  la  barbarie  à 
ménager  la  répugnance  pour  un  remède  infaillible,  quoique  dér 
sagréable. 

Les  Yalésiens  regardèrent  donc  cottune  un  devoir  indispensa- 
ble de  la  charité  chrétienne  de  mutiler  tous  les  hommes  dont  ils 
pourraient  s'emparer,  et  ils  ne  manquaient  pointa  faire  cette  opér 
ration  à  tous  ceux  qui  passaient  sur  leur  territoire  ,  qui  devint  la 
terreur  des  voyageurs,  qui  ne  craignaient  rien  tant  que  de  s'égarer 
chez  les  Yalésiens. 

C'est  apparemment  pour  cela  que ,  selon  saint  Ëpiphàne ,  09 
parlait  beaucoup  de  ces  hérétiques ,  mais  qu'on  les  connaissait 
peu*. 

Ce  fut  à  l'occasion  de  ces  hérétiques  que  le  concile  de  Nicée 
fit  le  neuvième  canon  ,  qui  défend  de  recevoir  dans  le  clergé  ceux 
qui  se  mutilent  eux-mêmes  *. 

Que  Tesprit  humain  est  étrange  !  Le  concile  qui  faisait  ce  ca- 
non contre  les  Yalésiens  en  fit  aussi  un  contre  les  ecclésiastique^ 
qui  faisaient  des  contrats  d'adoption  par  lesquels  un  prêtre  pre-r 
nait  chez  lui  une  veuve  ou  une  fille  ,  sous  le  nom  de  sœur  ou  4^ 
nièce  spirituelle.  L'institution  de  ces  familles  spirituelles  était 
fondée  sur  l'exemple  de  Jésus-Christ,  qui  se  retirait  chez  Marthe 
et  Madeleine,  et  sur  celui  de  saint  Paul,  qui  menait  avec  lui  une 
femme  sœur. 

Cette  dernière  coutume  s'était  établie  dans  les  premiers  siècles 

^  Epiph.,  Hsr.  56.  Aug. ,  Haer.  37.  Fleory,  Hist  ecclés.,  !•  Il* 
Baron  ad  an  249. 
3  Gonc  Nicsn.  Gollea.  conc  Hist,  du  oonc  de  Nicée,  itHS**,  i  vot 


400  £UP 

de  l'Église;  il  n*éuit  pas  rare  de  voir  des  jeunes  gens  de  Tuii  et 
de  Faulre  sexe  vivre  ensemble^  et,  pour  triompher  plus  glorieuse- 
ment de  la  chair,  se  jeter  au  plus  fort  du  péril,  tandis  que  les  Va- 
lésiens  ne  croyaient  pouvoir  se  sauver  qu*en  cessant  d'être  capa- 
bles de  tentations. 

Nous^  qui  trouvons  avec  raison  ces  deux  sectes  insensées  f  que 
penserons-nous  de  la  tolérance  que  notre  siècle  accorde  à  une  es- 
pèce de  Valésiens  infiniment  plus  barbares  et  plus  justement  mé- 
prisables ,  qui ,  dans  la  mutilation,  n'ont  en  vue  que  la  perfec- 
tion de  la  voix  des  victimes  de  leur  avarice? 

EUPHRâTE  ,  de  la  ville  de  Péra ,  en  Gilicie  ,  admetuît  trois 
Dieux,  trois  Verbes,  trois  Saints-Esprits. 

Parmi  les  philosophes  qui  avaient  recherché  la  nature  du 
monde,  quelques-uns  Pavaient  regardé  comme  un  grandtout  dont 
les  parties  étaient  liées  ,  et  ne  supposaient  dans  la  nature  qu'un 
seul  monde ,  comme  Ocellus  de  Lucanie  Tavait  enseigné ,  et  non 
pas  plusieurs ,  comme  Leucipe ,  Épicure  et  d'autres  philosophes 
le  soutenaient. 

Euphrate  adopta  le  fond  de  ce  système ,  et  n'admit  point  celte 
suite  de  mondes  diflërens  à  laquelle  la  plupart  des  chefs  de 
secte  avaient  recours  pour  concilier  la  philosophie  avec  la  reli- 
gion, ou  pour  expliquer  ses  dogmes:  il  supposait  un  seul  monde, 
et  distinguait  dans  ce  monde  trois  parties,  qui  renfermaient  trois 
ordres  d'êtres  absolument  différens. 

La  première  partie  du  monde  renfermait  l'être  nécessaire  et  in- 
créé ,  qu'il  concevait  comme  une  grande  source  qui  faisait  sortir 
de  son  sein  trois  Pères,  trois  Fils,  trois  Saints-Esprits. 

Euphrate  croyait  apparemment  que  l'être  nécessaire  étant  dé- 
terminé par  sa  nature  à  produire  trois  êtres  différens  ,  le  nombre 
trois  était  en  quelque  sorte  le  terme  de  toutes  les  productions  de 
l'être  nécessaire ,  et  qu'il  fallait  admettre  en  Dieu  trois  Pères , 
trois  Fils,  trois  Saints-Esprits. 

Gomme  Jésus-Christ,  qui  était  Fils  de  Dieu,  était  homme  ,  Eu- 
phrate croyait  que  les  trois  Fils  étaient  trois  hommes. 

La  seconde  partie  du  monde  renfermait  un  nombre  infini  de 
puissances  différentes. 

Enfin  ,  la  troisième  partie  de  l'univers  renfermait  ce  que  les 
hommes  appellent  communément  le  monde. 

Toutes  ces  parties  de  l'univers  étaient  absolument  séparées,  et 
devaient  être  sans  commerce  ;  mais  les  puissances  (Je  la  troi^ièmç 


EUP  401 

partie  avaient  attiré  dans  leurs  sphères  les  essences  de  la  seconde 
partie  du  monde  et  les  avaient  enchaînées. 

Vers  le  temps  d'Hérode,  le  Fils  de  Dieu  était  descendu  du  sé- 
jour de  la  Trinité  pour  délivrer  les  puissances  qui  étaient  tom- 
bées dans  les  pièges  des  puissances  de  la  troisième  partie  du  monde* 
Le  Fils  de  Dieu ,  qui  était  descendu  du  ciel  sur  la  terre,  était  un 
homme  qui  avait  trois  natures,  trois  corps  et  trois  puissances. 

Euphrate  croyait  apparemment  que  le  Fils  de  Dieu  devait  avoir 
ces  trois  essences  ou  ces  trois  natures  pour  remplir  la  fonction  de 
libérateur  des  puissances  qui  étaient  tombées  de  la  seconde  partie 
du  monde  dans  la  troisième  ;  il  croyait  peut-être  encore ,  par  ce 
moyen,  expliquer  pourquoi  Jésus-Christ,  le  Fils,  avait  été  choisi 
pour  être  le  libérateur  des  puissances  tombées  plutôt  que  les  au- 
tres personnes  de  la  Trinité. 

Après  que  les  puissances  de  la  seconde  partie  du  monde  seront 
remontées  à  leur  patrie ,  ce  que  nous  appelons  notre  monde  doit 
périr,  selon  Euphraie  *. 

Le  P.  Hardouin  croit  que  c^est  contre  les  disciples  d*Euphrate 
qu'on  a  fait  le  quarante-huitième  des  canons  attribués  aux  apô- 
tres ,  et  que  le  symbole  attribué  à  saint  Athanase  a  eu  en  vue  ces 
hérétiques  dans  le  verset  où  il  est  dit  qu'il  y  a  un  seul  Père,  et 
non  trois  Pères,  un  seul  Fils,  et  non  trois  Fils  K 

Il  me  semble  qu'Euphrate  et  Adamas  avaient  adopté  le  système 
philosophique  d'Ocellus ,  et  qu'ils  avaient  tâché  de  le  concilier 
avec  le  dogme  de  la  Trinité ,  avec  celui  de  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  et  avec  sa  qualité  de  médiateur  ;  c'était  pour_cela  qu'ils 
avaient  joint  aux  principes  généraux  d'Ocellus  quelques  idées 
pythagoriciennes  sur  la  vertu  des  nombres  ^. 

Combien  ne  fallait-il  pas  que  ces  dogmes  fussent  certains  parmi 
les  chrétiens,  pour  qu'on  ait  entrepris  de  les  concilier  avec  le  sys- 
tème d'Ocellus ,  avec  lequel  ils  n'ont  aucune  analogie  et  auquel 
ils  sont  opposés  ?  Que  répondront  à  cette  conséquente  ceux  qui 
prétendent  que  les  dogmes  de  la  religion  chrétienne  sont  l'ouvrage 
des  Platoniciens  ? 

Euphrate  eut  des  disciples  qui  formèrent  la  secte  des  Péréens 

*  Théodoret,  Haeret  Fab.,  1. 1,  c.  18.  Philaslr. 
2  Hardouin,  De  triplici  baptismo. 

s  Voyez,  sur  la  vertu  attachée  aux  nombres ,  les  arL  Cabale ,  Basi- 
lîdc,  Manès. 

34* 


402  EUS 

ou  Péraliques ,  du  nom  de  la  ville  Péra  dans  laquelle  Euphrate 
enseignait. 

EUPHRONOMIENS,  hérétiques  du  quatrième  siècle,  qtiianis- 
saient  les  erreurs  d*Eunome  avec  celles  de  Théophrone.  Socrate 
dit  que  les  différences  de  système  entre  Eunome  et  Théophrone 
sont  si  légères  qu'elles  ne  méritent  pas  d'être  rapportées  *. 

El^STATHE  :  Baronius  croit  que  c'est  le  nom  d'un  moine  que 
saint  Ëpiphane  appelle  Eutacte.  Eustathe  vivait  dans  le  quatrième 
siècle  *. 

Ce  moine  était  si  follement  entêté  de  son  état ,  qu'il  condam- 
nait tous  les  autres  états  de  la  vie;  il  joignit  à  cette  prétention 
d'autres  erreurs,  qui  furent  déférées  au  concile  de  Gangres.  !•  Il 
condamnait  le  mariage  et  séparait  les  femmes  de  leurs  maris,  sou- 
tenant que  les  personnes  mariées  ne  pouvaient  se  sauver.  2*  Il  dé- 
fendait  à  ses  sectateurs  de  prier  dans  les  maisons.  3*  Il  les  obli- 
geait à  quitter  leurs  biens,  comme  incompatibles  avec  l'espértnce 
du  paradis.  A^  Il  les  retirait  des  assemblées  des  autres  fidèles 
pour  en  tenir  de  secrètes  avec  eux,  et  leur  faisait  porter  un  habil- 
lement particulier.  Il  voulait  qu'on  jeûnât  les  dimanches  ,  et  di- 
sait que  les  jeûnes  ordinaires  de  rÉglise  étaient  inutiles ,  après 
qu'on  avait  atteint  un  certain  degré  de  pureté  qu'il  imaginait. 
5'  11  avait  en  horreur  les  chapelles  bâties  en  Thonneur  des  mar- 
tyrs et  les  assemblées  qui  s'y  faisaient. 

Plusieurs  femmes,  séduites  par  ses  discours,  quittèrent  leurs 
maris ,  et  beaucoup  d'esclaves  s'enfuirent  de  la  maison  de  leurs 
maîtres  :  on  déféra  la  doctrine  d'Eustathe  au  concile  de  Gangres , 
et  elle  y  fut  condamnée  l'an  342  3. 

Rien  n'est  plus  contraire  à  l'esprit  de  la  religion ,  ni  plus 
propre  à  détruire  dans  les  simples  fidèles  la  soumission  à  leurs 
pasteurs  légitimes  que  des  assemblées  telles  que  celles  d'Eu- 
stathe,  et  des  hommes  tels  que  ce  moine  ne  méritent  pas  moins 
d'attirer  l'attention  du  magistrat  que  celle  des  premiers  pasteurs  de 
l'Église. 

EUSTATHIENS.  C'est  le  nom  que  l'on  donna  aux  sectateurs  du 
moine  Eustathe,  dont  on  a  parlé  dans  l'article  précédent. 

^  Socrat.,  L  5,  c  2à» 
s  Baron,  ad  an.  319. 

»  Epiph.,  Hœr.,  AO.  Socrat.,  I.  2,  c.  23.  Sozom.,  i,  3,  c.  3.  Basil., 
ép.  7A  et  82,  Nicéphore,  ).  9,  c  16, 


EUT  403 

EUTYCHES,  était  abbé  d'un  monastère  auprès  de  Constanti- 
nople  :  il  enseigna  que  la  nature  divine  et  la  nature  humaine  s'é 
taient  confondues,  et  qu'après  l'incarnation  elles  ne  formaient 
plus  qu'une  seule  nature ,  comme  une  goutte  d'eau  qui  tombe 
dans  la  mer  se  confond  avec  l'eau  de  la  mer. 

Le  concile  d'Éphèse  et  les  efforts  de  Jean  d'Antioche ,  après  sa 
réconciliation  avec  saint  Cyrille,  pour  faire  recevoir  ce  concile , 
n'avaient  point  éteint  le  Nestorianisme  :  les  dépositions,  les  exils, 
avaient  produit  dans  l'Orient  une  infinité  de  Nestoriens  cachés , 
qui  cédaient  à  la  tempête  et  qfui  conservaient  un  désir  ardent  de 
se  venger  de  saint  Cyrille  et  de  ses  partisans  ;  d'un  autre  côté,  les 
défenseurs  du  concile  d'Éphèse  haïssaient  beaucoup  les  Nestoriens 
et  ceux  qui  conservaient  quelque  reste  d'indulgence  pour  ce  parti. 

11  y  avait  donc  en  effet  deux  partis  subsistans  après  le  concile 
d'Éphèse ,  dont  l'un,  opprimé ,  cherchait  à  éviter  le  parjure  et  à 
se  garantir  des  violences  des  orthodoxes  par  des  formules  de  foi 
captieuses ,  équivoques  et  différentes  de  celles  de  saint  Cyrille  ; 
l'autre,  victorieux,  qui  suivait  les  Nestoriens  et  leurs  fauteurs  dans 
tous  leurs  détours ,  et  s'etforçait  de  leur  enlever  tous  leurs  sub- 
terfuges. 

Le  zèle  ardent  et  la  défiance  sans  lumière  durent  donc ,  pour 
s'assurer  de  la  sincérité  de  ceux  auxquels  ils  faisaient  recevoir  le 
concile  d'Ephèse,  imaginer  différentes  manières  de  les  examiner, 
et  employer  dans  leurs  discours  les  expressions  les  plus  opposées 
à  la  distinction  que  Nestorius  supposait  entre  la  nature  divine  et 
la  nature  humaine  :  ils  devaient  naturellement  employer  des  ex- 
pressions qui  désignassent ,  non-seulement  l'union ,  mais  encorç 
la  confusion  des  deux  natures. 

D'ailleurs ,  l'union  de  la  nature  divine  et  de  la  nature  humaine , 
qui  forme  une  seule  personne  en  Jésus-Christ ,  est  un  mystère ,  et 
pour  peu  qu'on  aille  au  delà  du  dogme  qui  nous  apprend  que  la 
nature  divine  et  la  nature  humaine  sont  tellement  unies  qu'elles 
ne  forment  qu'une  personne  ,  il  est  aisé  de  prendre  l'unité  de  na- 
ture pour  l'unité  de  personne ,  et  de  confondre  ces  deux  natures 
en  une  seule  ,  afin  de  ne  pas  manquer  à  les  unir  et  à  ne  recon- 
naître en  Jésus-Christ  qu'une  personne  et  non  pas  deux  «  comme 
Nestorius.  . 

D'un  autre  côté ,  les  Nestoriens  et  leurs  protecteurs  soufiraient 
impatiemment  le  triomphe  de  saint  Cyrille  et  de  son  parti  ;  ils 
l'accusaient  de  renouveler  l'Apollinarisme  et  de  ne  reconnaître 


404  EUT 

dans  Jésus-Gbrist  qa*une  seule  nature ,  et  ne  pouvaient  manquer  de 
peser  toutes  les  expressions  de  leurs  ennemis ,  de  les  juger  à  la 
rigueur,  de  se  déchaîner  contre  eux  et  de  publier  qu^ils  ensei- 
gnaient Terreur  d'Apollinaire ,  pour  peu  que  leurs  expressions 
manquassent  de  la  plus  grande  exactitude  lorsqu'ils  parlaient  de 
l'union  des  deux  natures  en  Jésus-Christ. 

Ainsi ,  après  la  condamnation  du  Nestorianisme,  tout  était  pré- 
paré pour  l'hérésie  opposée  et  pour  former  dans  l'Église  une  secte 
opiniâtre ,  fanatique ,  dangereuse  ;  il  ne  fallait  pour  la  faire  écla- 
ter qu'un  homme  qui  eût  beaucoup  de  zèle  contre  le  Nestoria- 
nisme ,  peu  de  lumières ,  de  l'austérité  dans  les  mœurs ,  de  l'opi- 
niâtreté dans  le  caractère  et  quelque  célébrité. 

Cet  homme  fut  Eutyches  ;  il  avait ,  comme  tous  les  moines ,  pris 
parti  contre  Nestorius  :  comme  il  était  en  grande  réputation  de 
sainteté  et  qu'il  avait  beaucoup  de  crédit  à  la  cour,  saint  Cyrille 
l'avait  flatté  et  l'avait  engagé  à  servir  la  vérité  de  tout  son  crédit 
auprès  de  l'impératrice  * . 

Eutyches ,  par  cela  même,  avait  conçu  beaucoup  de  haine  contre 
les  Nestoriens  ;  il  paraît  même  qu'il  fut  le  premier  auteur  des  ri- 
gueurs qu'on  exerça  contre  eux  en  Orient  *. 

L'âge  n'avait  point  modéré  son  zèle ,  et  cet  abbé ,  tout  cassé  de 
vieillesse ,  voyait  partout  le  Nestorianisme ,  regardait  comme  en- 
nemis de  la  vérité  tous  ceux  qui  conservaient  pour  les  Nestoriens 
quelque  ménagement  ou  quelque  indulgence ,  et  tâchait  d'inspirer 
à  toutes  les  personnes  puissantes  le  zèle  qui  Tanimait  ^. 

Il  employait,  pour  combattre  le  Nestorianisme,  les  expressions 
les  plus  fortes ,  et  pour  ne  pas  tomber  dans  le  Nestorianisme  qui 
suppose  deux  personnes  dans  Jésus-Christ ,  parce  qu'il  y  a  deux 
natures ,  il  supposa  que  les  deux  natures  étaient  tellement  unies 
qu'elles  n'en  faisaient  qu'une ,  et  confondit  les  deux  natures  en 
une  seule ,  afin  d'être  plus  sûr  de  ne  pas  admettre  en  Jésus-Christ 
deux  personnes ,  comme  Nestorius.  La  passion ,  jointe  à  l'igno- 
rance ,  ne  voit  que  les  extrêmes  ;  les  milieux  qui  les  séparent  et 
où  réside  la  vérité  ne  sont  aperçus  que  par  les  esprits  éclairés , 
attentifs  et  modérés. 

Eutyches  enseignait  donc  à  ses  moines  qu'il  n'y  avait  qu'une 

*  Synod.  Can,  c.  203.  Baluse,  Nova  coUect.  conc,  p,  909, 

2Tiilem.,  t.  45,  p.  482. 

3  Léo,  ép  19.  Théodor.,  ép.  8i,  p.  055, 


EUT  405 

seule  nature  en  Jésus-Christ  ;  il  ne  voulait  pas  que  Ton  dît  que 
Jésus-Christ  était  consubstanliel  à  son  Père  selon  la  nature  divine, 
et  à  nous  selon  la  nature  humaine  ;  il  croyait  que  la  nature  hu- 
maine avait  été  absorbée  par  la  nature  divine  comme  une  goutte 
d^eau  par  la  mer,  ou  comme  la  matière  combustible  jetée  dans 
une  ftumaise  est  absorbée  par  le  feu  ;  en  sorte  qu'il  n'y  avait  plus 
enJésus-Christ  rien  d'humain  et  que  la  nature  humaine  s'était  en 
quelque  sorte  convertie  en  nature  divine  ^. 

L'erreur  d'Eutyches  n'était  donc  pas ,  comme  le  prétend  M.  de 
la  Croze,  une  question  de  nom^. 

Car  Eutyches,  en  supposant  que  la  nature  humaine  avait  été 
absorbée  par  la  nature  divine  et  confondue  avec  elle  de  manière 
qu*elle  ne  faisait  avec  elle  qu'une  seule  nature,  dépouillait  Jésus- 
Christ  de  la  qualité  de  médiateur,  et  détruisait  la  vérité  des 
souffrances,  de  la  mort  et  de  la  résurrection  de  Jésus-Christ , 
puisque  toutes  ces  choses  appartiennent  à  la  nature  humaine  et  à 
la  réalité  d'une  âme  humaine  et  d'un  corps  humam  unis  à  la 
personne  du  Verbe,  et  n'appartiennent  pas  au  Verbe. 

Si  le  Verbe  n'a  pas  pris  notre  nature ,  toutes  les  victoires  qu'il 
a  pu  remporter  sur  la  mort  et  sur  l'enfer  ne  sont  point  une  expia- 
tion pour  nous  ^. 

En  un  mot,  si  la  nature  humaine  est  tellement  absorbée  par  la 
nature  divine  qu'il  n'y  en  ait  en  Jésus-Christ  que  la  nature  divine, 
Eulyches  retombe  dans  l'erreur  de  Cérintbe ,  de  Basilide ,  de  Sa- 
turnin et  desGnostiques,  qui  prétendaient  que  Jésus-Christ  ne  s'é- 
tait point  incarné  et  qu'il  n'avait  revêtu  que  les  apparences  de 
l'humanité  :  voilà  ce  qu'il  est  étonnant  que  M.  de  la  Croze  n'ait 
pas  vu  dans  l'Eutychianisme. 

Eutyches  répandit  son  erreur,  premièrement  dans  les  esprits  de 
ce  grand  nombre  de  moines  qu'il  gouvernait ,  et  ensuite  parmi 
ceux  du  dehors  qui  venaient  le  visiter  ;  il  engagea  dans  son  er- 
reur beaucoup  de  personnes  simples  et  peu  instruites;  elle  se 
répandit  dans  l'Egypte  et  passa  en  Orient,  où  les  Nestoriens 
avaient  conservé  des  protecteurs  et  où  le  zèle  d'Eutyches  lui  avait 
fait  des  ennemis ,  même  parmi  les  personnes  attachées  au  concile 
d'Ephèse.  Les  évêques  d*Orient  attaquèrent  les  premiers  l'erreur 

^  Apud  Tbéodor. ,  Dial.  inconfusus,  conc.  Const.,  act.  3, 
2  Hist  du  christ.  d'Ethiopie,  1.  1,  p.  26, 
>  f,co,  ép.  25,  c,  i,  2.  Théod,,  p,  247, 


406  EUT 

d'Eutydies ,  et  écrivirent  à  l'empereur  sur  cette  nouvelle  hérésie  ^ 
Eusèbe  de  Dorylée ,  qui  avait  été  un  des  premiers  à  s^élever 
contre  Nestorius  et  qui  s'était  alors  lié  avec  Eutyches ,  tâcha  de 
l'éclairer,  mais  inutilement.  Cet  évêque ,  pour  arrêter  le  prof^ 
de  l'erreur,  présenta  contre  Eutyches  une  requête  aux  évéques 
qui  s'étaient  assemblés  à  Gonstantinople  pour  juger  un  différend 
qui  s'était  élevé  entre  Florent ,  métropolitain  de  Lydie ,  et  deux 
de  ses  suflragans. 

Par  celte  requête ,  il  accusait  Eutyches  d'hérésie ,  sans  spéci- 
fier en  quoi ,  s'engageant  à  soutenir  son  accusation ,  et  demandait 
à  Flavien  et  au  concile  ,  par  les  conjurations  les  plus  pressantes , 
qu'on  ne  négligeât  point  cette  affaire  et  que  l'on  fit  venir  Eu- 
tyches. 

Eutyches  refusa  de  comparaître ,  sous  prétexte  qu'il  avait  fait 
vœu  de  ne  point  sortir  de  son  monastère  :  il  envoya  ensuite  deux 
de  ses  moines  dans  les  différens  monastères ,  pour  les  soulever 
contre  Flavien.  Ces  envoyés  disaient  aux  moines  qu'ils  visitaient 
qu'ils  seraient  bientôt  opprimés  par  ce  patriarche  s'ils  ne  s'unis- 
saient à  Eutyches  contre  lui  :  ils  proposaient  d'ailleurs  de  signer 
un  écrit  dont  on  n'a  pas  su  l'objet. 

Le  concile ,  après  avoir  encore  envoyé  sommer  Eutyches  de 
comparaître  ,  le  menaça  de  le  déposer  ;  alors  Eutyches  fit  dire  au 
concile  qu'il  était  malade  et  qu'il  ne  pouvait  sortir.  Enfin  ,  après 
mille  mensonges,  Eutyches  comparut  et  fut  convaincu  d'enseigner 
que  dans  Jésus-Christ  la  nature  divine  et  la  nature  humaine  étaient 
confondues.  Le  concile,  ne  pouvant  détromper  Eutyches  ni  vaincre 
son  obstination,  le  priva  de  la  dignité  ecclésiastique,  de  la  com- 
munion de  rÉglise  et  de  la  conduite  de  son  monastère. 

La  condamnation  d'Eutyches  fut  signée  par  vingt-neuf  évêques. 
Il  est  clair,  par  la  conduite  d'Eutyches  et  par  ses  réponses  dans  le 
concile  de  Constantinople ,  qu'il  soutenait  en  effet  la  confusion 
des  deux  natures  en  Jésus-Christ ,  et  qu'il  ne  fut  point  condamné 
pour  une  logomachie  ou  pour  un  malentendu*. 

Eutyches  avait  beaucoup  de  crédit  à  la  cour  ;  il  présenta  à 
l'empereur  une  requête  pleine  de  calomnies  contre  le  concile  qui 
l'avait  condamné ,  et  demanda  à  être  jugé  par  un  autre  concile. 

*  Isid.  Telus,  I.  1,  ép.  419,  t.  A.  Conc,  p.  iA,  17, 157.  Facund., 

la  O,    C«    O. 

2  Conc,,  t.  4.  Conc.  Consl, 


EUT  40f 

L*emt)ereur  en  conYoqûa  un  à  Éphèse ,  dont  il  rendit  maître  ab- 
solu Dioscote ,  patriarche  d'Âlelandrie. 

Les  évéques  se  rendirent  à  Ëphèse  :  saint  Léon  y  envoya  ses 
légats  ;  mais  lorsque  le  concile  fut  assemblé ,  on  les  récusa  ,  sous 
prétexte  qu'en  arrivant  ils  étaient  allés  chez  Flavien  ,  qui  était  là 
partie  d'Eutycbes  ;  on  éldda  les  lettres  de  ce  pape,  on  refusa 
d'entendre  Eusèbe  de  Dorylée  ,  et  Ton  ouvrit  le  concile  par  la 
lecture  des  actes  du  concile  de  Gonstantinople. 

Lorsqu'on  entendit  la  lecture  des  actes  de  la  séance  dans  la- 
quelle Eusèbe  de  Dorylée  pressait  Eutyches  de  reconnaître  deux 
natures  en  Jésus-Christ,  même  après  l'iocarnation ,  le  concile 
s'écria  qu'il  fallait  brûler  Eusèbe  tout  vif  et  le  mettre  en  pièces , 
puisqu'il  déchirait  Jésus-Christ. 

Dioscore ,  président  du  concile ,  ne  se  contenta  pas  de  ces  cla- 
meurs ;  il  demanda  que  ceux  qui  ne  pouvaient  pas  faire  entendre 
leurs  voix  levassent  leurs  mains  pour  faire  voir  qu'ils  consen- 
taient à  l'anathème  des  deux  natures ,  et  aussitôt  chacun,  levant 
l&s  mains ,  s'écria  :  Quiconque  met  deux  natures  en  Jésus-Christ, 
qu'il  soit  ana thème  ;  qu'on  chasse ,  qu'on  déchire ,  qu'on  massa- 
cre ceux  qui  veulent  deux  natures  ^. 

Après  cela ,  Eutyches  fut  déclaré  orthodoxe ,  et  rétabli  ou  con- 
firmé dans  le  sacerdoce  et  dans  le  gouvernement  de  son  monas- 
tère. 

Dioscore  lut  ensuite  la  défense  que  le  concile  d'Éphèse  faisait 
de  se  servir  d'aucune  profession  de  foi  autre  que  celle  du  con- 
cile de  Nicée ,  et  pria  les  évêaues  de  dire  si  celui  qui  avait  re- 
cherché quelque  chose  au  delà  n'était  pas  sujet  à  la  punition 
ordonnée  par  le  concile  :  personne  ne  contredit  Dioscore  ;  il  pro- 
fita de  cet  instant  de  silence  et  fit  lire  une  sentence  de  déposition 
contre  Flavien  et  contre  Eusèbe  de  Dorylée  *. 

Les  légats  de  saint  Léon  s'opposèrent  à  ce  sentiment  ;  plusieurs 
évéques  se  jetèrent  aux  pieds  de  Dioscore  pour  l'engager  à  sup- 
primer cette  sentence  ;  il  leur  répondit  que  quand  on  devrait  lui 
couper  la  langue,  il  ne  dirait  pas  autre  chose  que  ce  qu'il  avait  dit; 
et,  comme  il  vit  que  ces  évoques  demeuraient  toujours  à  genoux, 
il  fit  entrer  dans  l'église  le  proconsul ,  avec  des  chaînes  et  un 
grand  nombre  de  soldats  et  de  gens  armés.  Tout  était  plein  de 

J  Conc,  t«  à*  Couc  Const* 
2  Ibid« 


4oft  ËtJÏ 

tumulle  :  on  ne  parlait  q^e  de  déposer  et  d*exi1er  tout  ce  qmi 
n^'obéiraît  pas  à  Dioscore  ;  on  ferma  les  portes  de  Féglise,  on  mal- 
traita 9  on  battit  »  on  menaça  de  déposer  ceux  qui  refdsemie&t  de 
signer  la  condamnation  de  Fiavien  ou  qui  proposaient  de  le 
traiter  avec  douceur  ;  enfin ,  un  évèque  dédara  que  FlaYien  el 
Eusèbe  devaient  non-seulement  être  déposés,  mais  il  les  con- 
damna formellement  à  perdre  la  tête  *. 

Flavien  fut  aussitôt  foulé  aux  pieds ,  et  reçut  tant  de  coups 
qu'il  mourut  peu  de  temps  après  *. 

Dioscore  déposa  ensuite  les  évéques  les  plus  respectables  et 
les  plus  éclairés ,  et  rétablit  tous  les  méchans  qui  avaient  été  dé- 
posés. Tbéodoret  fut  condamné  comme  un  hérétique  ;  on  défen- 
dit de  lui  donner  ni  vivres ,  ni  retraite  :  c'est  ainsi  que  se  termina 
le  second  concile  d'Éphèse. 

Théodose  «  séduit  par  Ghrysaphe,  son  premier  ministre»  loua 
et  confirma  par  une  loi  le  brigandage  d'Éphèse. 

Saint  Léon  employa  inutilement  son  crédit  et  ses  talens  pour 
obtenir  de  Théodose  qu'il  assemblât  un  autre  concile  en  Occident, 
pour  j  examiner  l'affaire  de  Flavien  et  d'Eutyches  :  Théodose  ré- 
pondit qu*il  avait  fait  assembler  un  concile  à  Éphèse ,  que  la  chose 
y  avait  été  examinée ,  qu'il  était  inutile  ou  même  impossible  de 
rien  faire  davantage  sur  cet  objet. 

Blarcien ,  qui  succéda  à  Théodose ,  l'an  ^50 ,  entra  dans  d'au- 
tres sentimens ,  parce  que  Pulchérie ,  qui  en  l'épousant  l'avait 
mis  sur  le  trône  ,  avait  beaucoup  de  considération  pour  l'évêque 
de  Rome.  Cet  empereur  assembla  à  Chalcédoine  un  concile  ,  qui 
se  tint  dans  la  grande  église  de  Sainte-Euphémie ,  en  présence 
des  commissaires ,  des  oiïiciers  de  l'empereur  et  des  conseillers 
d'État ,  qui  ne  purent  cependant  empêcher  qu'il  ne  s'élevât  beau- 
coup de  tumulte.  Tout  ce  qui  avait  été  fait  à  Éphèse  fut  anéanti 
à  Chalcédoine  ;  tous  les  évéques  déposés  furent  rétablis ,  et  enfin 
le  concile  fit  une  formule  de  foi. 

Elle  contenait  l'approbation  des  symboles  de  Nicée  et  de  Con- 
slautinople ,  des  lettres  synodiques  de  saint  Cyrille  à  Nestorius  et 
aux  Orientaux  ,  et  la  lettre  de  saint  Léon. 

Le  concile  déclare  que,  suivant  les  écrits  des  saints  Pères,  il 
fait  profession  de  croire  un  seul  et  unique  Jésus-Christ ,  Notre- 

*  Conc,  t.  A.  Conc.  Const. 

2  Zonar.  Niccph   Léo,  ép.  93,  I.  2,  c.  2. 


ÈtJÏ  4o9 

Seigneur,  Fils  de  Dieu  »  pariait  en  sa  divinilé  ei  parfait  en  son 
iiumanilé ,  consubstanliel  à  Dieu  selon  la  divinité  et  à  nous  se- 
lon rhumanité  ;  qu*il  j  avait  en  lui  deux  natures ,  unies  sans  chan- 
gement, sans  division,  sans  séparation;  en  sorte  que  les  pro-^ 
priélés  des  deux  natures  subsistent  et  conviennent  à  une  même 
personne  »  qui  n*est  point  divisée  en  deux ,  mais  qui  est  un  seul 
Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  comme  il  est  dit  dans  le  symbole  de 
Nicée. 

Cette  formule  fut  approuvée  unanimement  *. 

Ainsi  rËglise  enseignait,  contre  Nestorius,  qu*il  n*y  avait 
qii*une  personne  en  Jésus-Christ,  et  contre  Eutyches,  qu'il  y 
avait  deux  natures. 

Si  le  Saint-Esprit  n'a  pas  présidé  aux  décisions  du  concile 
d'Ephèse ,  si  ce  concile  n'était  composé  que  d'hommes  factieux 
et  passionnés,  qu'on  nous  dise  comment  des  hommes  livrés  à  des 
passions  violentes  et  divisés  en  factions  qui  veulent  toutes  faire 
prévaloir  leur  doctrine  et  lancer  l'anathème  sur  leurs  adversaires 
ont  pu  se  réunir  pour  former  un  jugement  qui  condamne  tous  les 
partis ,  et  qui  n  est  pas  moins  contraire  au  Nestorianisme  qu'à 
ï'Eulychianisme?  Nous  ne  ferons  pas  d'autre  réponse  aux  déclama- 
tions de  Basnage  et  des  autres  ennemis  du  concile  de  Chalcédoine  *. 

Le  concile  de  Chalcédoine  étant  fini  au  commencement  de  no- 
vembre 451,  Marcien  fit  une  loi  par  laquelle  il  ordonna  que  tout 
le  monde  observerait  les  décrets  du  concile  :  il  renouvela  et  con- 
firma cet  édit  par  un  second ,  et  fit  une  loi  très-sévère  contre  les 
sectateurs  d'Eutyches  et  contre  les  moines  qui  avaient  causé 
presque  tout  le  désordre. 

Le  concile  de  Chalcédoine  confirma  tout  ce  que  le  concile  de 
Constantinople  avait  fait  contre  Eutyches ,  et  cet  hérésiarque  dé- 
posé, chassé  de  son  monastère  et  exilé,  défendit  encore  quelque 
temps  son  erreur  ;  mais  enfin  il  rentra  dans  l'oubli  et  dans  l'obscu- 
rité ,  dont  il  ne  serait  jamais  sorti  sans  son  fanatisme. 

L'histoire  ne  parle  plus  de  lui  depuis  454.  Ce  chef  Je  parti , 
mort  ou  ignoré ,  eut  cependant  encore  des  partisans  qui  excitè- 
rent de  nouveaux  troubles  :  nous  allons  en  parler  sous  le  nom 
d'Euty  chiens  *. 

'  Lco,  Ép.  éO,  t  4>  Conc. 

3  Basnage,  Hist.  ecclés,,  1.  10,  c.  5,  p.  515. 

)  Tillem.,  1. 15,  p.  722. 


410  EUT 

EUTTGHIANISME,  erreur  d*Eutjches,  qui  enseignait  qu*il  n'y 
aTtit  point  deux  natures  en  Jésus-Christ  et  que  la  nature  hu- 
maine araît  été  absorbée  par  la  nature  d'mne.  Voyez  Euttches. 

EUTYCHIENS ,  sectateurs  de  Terreur  d'Eutycbes.  Nous  avons 
▼u  ce  qu*ils  firent  jusqu'à  la  mort  d*Eutyches;  nous  allons  exa- 
miner ce  qu*ils  firent  depuis  le  concile  de  Ghalcédoine. 

Le  concile  de  Ghalcédoine  ne  donna  pas  tellement  la  paix  à 
rÉglise  qu'il  ne  restât  encore  des  Eu ty chiens  qui  excitèrent  des 
troubles  et  du  désordre  dans  la  Palestine. 

Un  moine ,  nommé  Théodose ,  qui  avait  assisté  au  concile  de 
Ghalcédoine ,  ne  voulut  point  se  soumettre  à  son  jugement ,  et 
engagea  dans  sa  révolte  quelques  autres  moines  avec  lesquels  il 
souleva  la  Palestine  contre  le  concile  de  Ghalcédoine. 

Théodose  et  ses  adhérens  publièrent  que  le  concile  avait  trahi 
la  vérité ,  quMl  autorisait  et  faisait  rentrer  dans  TËglise  le  dogme 
impie  de  Nestorius,  et  qu'il  violait  la  foi  de  Nicée;  qu'il  obli- 
geait à  adorer  deux  Fils ,  deux  Ghrists  et  deux  personnes ,  en  éta- 
blissant la  croyance  de  deux  natures  en  Jésus-Christ  ;  et ,  pour 
appuyer  ces  calomnies,  Théodose  fabriqua  de  faux  actes  du  con- 
cile ,  dans  lesquels  on  lisait  ce  qu'il  avançait  contre  le  concile  de 
Ghalcédoine. 

L'impératrice  Eudoxie ,  veuve  de  l'empereur  Théodose  11 ,  de- 
meurait dans  la  Palestine  ;  elle  s'intéressait  vivement  pour  Dios- 
core ,  que  le  concile  avait  déposé  ,  et  conservait  toujours  de  l'in- 
clination pour  le  parti  d'Eutyches,  pour  lequel  l'empereur 
Théodose  avait  tenu  jusqu'à  la  mort. 

Elle  reçut  chez  elle  le  moine  Tliéodose ,  et  le  favorisa  dans  le 
dessein  qu'il  avait  de  s'opposer  au  concile  de  Ghalcédoine  ;  une 
foule  de  moines  qui  vivaient  des  libéralités  de  l'impératrice  s'u- 
nirent à  Théodose  :  les  simples  et  les  personnes  peu  instruites  cru- 
rent les  calomnies  de  Théodose,  et  toute  la  Palestine  fut  bientôt 
soulevée  contre  le  concile  de  Ghalcédoine ,  et  armée  pour  défen- 
dre ce  moine  séditieux ,  qui  sut  profiter  de  la  chaleur  du  peuple  , 
et  se  fit  déclarer  évêque  de  Jérusalem ,  d'où  il  chassa  Juvénal , 
le  légitime  évêque. 

La  nouvelle  dignité  de  Théodose  rassembla  autour  de  lui  tous 
les  brigands  de  la  Palestine,  et  ce  nouvel  apôtre,  secondé  de 
cette  milice ,  persécuta ,  déposa ,  chassa  tous  les  évéques  qui  n'ap- 
prouvèrent pas  ses  excès. 
Une  foule  de  moines  répandus  dans  loiiles  les  iniaisons  publiaient 


EUT  411 

que  l'empereur  voulait  rétablir  le  Nestorianisine  ;  par  cet  artiQee, 
ils  séduisaient  le  peuple ,  rendaient  Tempereur  odieux  et  e^^cir 
taient  des  séditions  dans  toute  la  Palestine  :  on  pillait ,  on  brûlait 
les  maisons  de  ceux  qui  défendaient  la  foi  du  concile  de  Chalcé- 
doîne  ,  et  qui  refusaient  de  communiquer  avec  Théôdose  :  il  sem- 
blait qu'une  armée  de  barbares  avait  fait  une  irruption  dans  cette 
province. 

Malgré  les  désordres  dont  le  moine  Théodose  remplissait  U 
Palestine ,  les  peuples  étaient  si  étrangement  abusés  par  le  faux 
zèle  de  ce  moine  imposteur,  que  beaucoup  de  villes  venaient 
d'elles-mêmes  lui  demander  des  évéques. 

Dorothée  ,  gouverneur  de  la  Palestine ,  informé  de  ces  désorr 
dres,  accourut  de  T Arabie  où  il  faisait  la  guerre  ;  mais  il  trouva  les 
portes  de  Jérusalem  fermées  par  les  ordres  d'Ekidoxie  :  il  ne  put 
y  entrer  qu'après  avoir  promis  de  suivre  le  parti  que  tous  le$ 
moines  et  le  peuple  de  la  ville  avaient  embrassé. 

Marcien  y  envoya  une  forte  garnison,  chassa  le  moine  Théor 
dose  et  rétablit  la  paix;  les  soldats  furent  logés  chez  les  moines 
et  les  insultaient.  Les  moines  s'en  plaignirent  dans  une  requête 
adressée  à  Pulchérie ,  à  laquelle  ils  parlaient  moins  ep  supplians 
qu'en  séditieux  et  en  ennemis  des  lois  de  l'État  et  de  Dieu  ;  car,  au 
lieu  de  vivre  dans  le  repos  de  leur  profession  et  de  se  rendre  les 
disciples  des  prélats ,  ils  s*érigeaient  en  docteurs  et  en  maîtres 
souverains  de  la  doctrine  et  de  l'Église  ;  ils  osèrent  mêine  soute- 
nir qu'ils  n*étaient  point  coupables  de  tous  les  désordres  qui  s'é- 
taient commis. 

L'empereur  usa  d'indulgence  envers  ces  méchans  moines ,  dé- 
trompa les  peuples  auxquels  ils  en  avaient  imposé  sur  sa  foi,  et  la 
paix  fut  rétablie  ^. 

Le  trouble  ne  fut  pas  moins  grand  en  Egypte  :  Dioscore  avait  été 
déposé  par  le  concile  de  Chalcédoine,  et  saint  Protère  avait  été 
mis  à  sa  place.  Quoique  son  élection  fût  tout-à-fait  conforme  aux 
règles  ,  elle  fut  suivie  d'un  grand  trouble  :  le  peuple  se  souleva 
contrôles  magistrats;  les  soldats  voulurent  arrêter  la  sédition  ;  le 
peuple  devint  furieux  ,  attaqua  les  soldats ,  les  mit  en  Aiite,  les 
poursuivit  jusque  dans  l'Eglise  de  Saint-Jean-Baptiste,  les  y  assié- 
gea, les  força,  et  enfin  les  y  brûla  vifs  ^. 

A  Conc,  t.  à.  Léo,  ép.  87,  Goteller,  Monum.  EccL  graec* 
2  Ëvagr.,  1.  2,  c.  5  ;  1.  3,  c,  3i,  Léo,  ép.  93. 


413  EUT 

Marcîen  punit  sévèrement  le  peuple  d*Âlexandrie ,  et  les  sédî- 
tieox  furent  bientôt  réduits  ;  mais  les  habitans  d'Âle  xandrie  res- 
tère nt  tellement  infectés  des  erreurs  d*Eutjcbes  ,  que  Marcîen 
renouvela,  le  premier  août  455,  toutes  les  rigueurs  qu'il  avait 
ordonnées,  trois  ans  auparavant,  contre  cette  secte. 

Ces  lois  ne  changèrent  point  le  parti  de  Dioscore  ;  cet  éréque  , 
chargé  de  tous  les  crimes,  était  adoré  par  son  parti  pendant  sa  vie, 
et  après  sa  mort  il  fut  honoré  comme  un  grand  saint  ^ . 

Cependant  Tempereur  faisait  recevoir  le  concile  de  Ghalcé- 
doine,  et  tout  y  paraissait  soumis. 

Timothée  et  Elure  persistaient  cependant  toujours  dans  le  parti 
de  Dioscore ,  avec  quatre  ou  cinq  évêques  et  un  petit  nombre 
d'Apollinaristes  et  d'Euty chiens.  Ces  schismatiques  avaient  été 
condamnés  par  TÉglise  et  bannb  par  Marcîen  ;  mais  à  la  mort  de 
cet  empereur ,  ils  soulevèrent  le  peuple  d'Alexandrie  ;  Elure  fit 
massacrer  Protère,  se  fit  déclarer  évêque ,  ordonna  des  prêtres , 
remplit  TÉgypte  de  violences,  gagna  le  patrice  Aspar,  et  se  sou- 
tint quelque  temps*. 

Mais  enfin  saint  Gennade  fit  connaître  la  vérité  à  Tempereur 
Léon,  qui  avait  succédé  k  Marcîen,  et  obtint  un  édit  contre  Elure, 
qui  fut  chassé  d'Alexandrie,  relégué  à  Gangres,  puis  envoyé  dans 
la  Chersonèse ,  parce  qu'il  tenait  des  assemblées  schismatiques  à 
Gangres. 

Après  la  mort  de  Tempereur  Léon  ,  Elure  sortit  de  son  exil , 
et  tâcha,  mais  en  vain  ,  d'obtenir  de  Zenon  que  Ton  assemblât  un 
concile  pour  juger  le  concile  de  Ghalcédoine. 

Basilisque,  qui  s'empara  de  Tempire  et  détrôna  Zenon,  fut  plus 
favorable  à  Elure  :  il  cassa  ,  par  un  édit ,  tout  ce  qui  s'était  fait 
dans  le  concile  de  Ghalcédoine ,  et  ordonna  qu'on  prononcerait 
anathème  contre  la  lettre  de  saint  Léon  ;  il  bannit ,  fit  déposer, 
persécuta  tous  ceux  qui  refusèrent  d'obéir  :  plus  de  cinq  cents 
personnes  souscrivirent  à  la  condamnation  du  concile  de  Ghalcé- 
doine ^. 

Acace,  patriarche  de  Gonstantinople,  s'opposa  à  la  persécution  ; 
le  peuple  s'émut  et  menaça  de  brûler  Gonstantinople ,  si  l'on  fui- 

*  Evagr.,  ibid. 

'  Cotelier,  Monum.  Eccl  grœc,  l»  3,  Balus.  Appcnd.  conc,  t  Â| 
p.  894. 
5  tab.  couc,,  t.  4,  p.  1091, 


EUT  413 

sait  violence  à  Acace.  Basilîsque ,  effrayé ,  révoqua  son  édît ,  en 
donna  un  pour  rétablir  les  évêques  chassés  ou  exilés,  et  condamna 
Nestorius  et  Eutyches. 

Basilîsque  ne  jouit  pas  long-temps  de  Tempire  ;  Zenon  Payant 
recouvré  cassa  tout  ce  que  Basiiisque  avait  fait ,  et  les  troubles 
recommencèrent .  Chaque  parti  déposait  des  évéques,  en  établis- 
sait de  nouveaux  ,  et  les  sièges  les  plus  considérables  étaient  la 
proie  de  Taudace  ou  le  prix  de  Tintrigue ,  de  la  bassesse  et  du 
parjure  *. 

Zenon,  occupé  à  éteindre  les  factions  po\itiques  et  à  résister 
aux  ennemis  de  Tempire,  n*osait  prendre  un  parti  sur  les  divisions 
des  catholiques  et  des  Eutychiens  ;  il  aurait  beaucoup  mieux  aimé 
les  réconcilier  ;  il  Tentreprit. 

Les  catholiques  et  les  Eutychiens  étaient  divisés ,  surtout  par 
rapport  au  concile  de  Chalcédoine:  les  Eutychiens  le  rejetaient 
comme  irrégulier,  comme  renouvelant  la  doctrine  de  Nestorius. 

Les  catholiques  ,  au  contraire ,  voulaient  absolument  que  tout 
le  monde  souscrivît  le  concile  de  Chalcédoine  ,  et  qu'on  le  con- 
servât, comme  nécessaire  contre  TEutychianisme. 

Les  deux  partis  paraissaient  donc  souhaiter  qu*on  enseignât 
Tunion  des  deux  natures  et  que  Ton  reconnût  qu'elles  n'étaient 
point  confondues  :  les  catholiques  voulaient  qu'on  conservât  le 
concile  de  Chalcédoine  >  comme  nécessaire  pour  arrêter  l'Euty- 
chianisme,  et  les  Eutychiens  voulaient  qu'on  le  condamnât,  pour 
arrêter  le  Nestorianisme. 

Zenon  crut  qu'en  anathématisant  Nestorius  et  Eutyches  on 
remplirait  les  prétentions  de  chaque  parti ,  et  que  dès  lors  le 
concile  de  Chalcédoine  ne  serait  plus  nécessaire  aux  catholiques  , 
que  par  conséquent  il  pourrait  leur  en  faire  approuver  la  suppres- 
sion et  réunir  par  ce  moyen  les  deux  partis  ;  c'est  ce  qu'il  es- 
saya dans  son  Hénotique ,  c'est-à-dire  Êdit  d'union  ,  édit  qui  ne 
contenait  aucune  hérésie ,  qui  confirmait  la  foi  du  concile  de 
Chalcédoine  et  condamnait  en  effet  le  Nestorianisme  et  l'Euty- 
chianisme  ^. 

L'édit  de  Zenon  ne  rétablit  point  la  paix  ;  il  fut  souscrit  par 
quelques-uns ,  et  rejeté  communément  par  les  Eutychiens  et  par 
les  catholiques,  comme  n'arrêtant  point  le  progrès  de  l'erreur.  Les 

*  Evngr.,  I.  3,  c  8. 

2  IbiJ.,  !.  2,  c.  !0.  Lco,  Bysanl.,  act.  5,  6, 

35* 


414  EUT 

catboliqaes  ne  voulaient  point  se  départir  de  la  nécessité  de  â- 
gner  le  concile  de  Chalcédoine  «  et  les  Eutjdûens  ne  voulaieni 
point  se  relâcher  sur  la  condamnation  de  ce  concile ,  et  la  deiiiafr> 
daienl  à  I^empereur  * . 

Zenon  cependant  voulait  faire  recevoir  son  édit  d^onion ,  et  dé- 
posa beaucoup  de  métropolitains  et  d^évêqoes  qui  refusèrent  d*j 
souscrire  *. 

Il  se  forma  donc  trois  partis,  et  ces  trois  partis  étaient  fort  ani- 
més lorsqu^Anasiase  succéda  à  Zenon  :  pour  les  calmer,  il  punis- 
sait également  ceux  qui  voulaient  faire  recevoir  le  concile  dedul- 
cédoine  là  où  il  n^élait  pas  reçu,  et  ceux  qui  le  condamnaioit  et 
publiaient  qu*il  ne  fallait  pas  le  recevoir  '. 

(Test  pour  cela  qu^Anaslase  fut  mis  dans  le  troisième  parti , 
qu^on  nommait  le  parti  des  Incertains  ou  des  Hésitans. 

11  y  avait  dans  Tempire  trois  partis  puissans ,  dont  chacun  von- 
bit  anéantir  les  deux  autres.  Anastase,  environné  d^ennemis  puis- 
sans ,  ménageait  ces  trois  partis,  et  surtout  les  catholiques ,  dont 
il  redoutait  le  zèle.  De  Tinquiétude  il  passa  à  la  haine ,  et  ne  se 
vit  pas  plus  tôt  délivré  de  la  guerre  de  Perse  qu*il  se  déclara  plus 
ouvertement  en  faveur  des  Eutychiens;  il  obligea  ceux  qu*il  croyait 
attachés  au  concile  de  Chalcédoine,  et  tous  ses  gardes ,  k  rece- 
voir redit  de  réunion  de  Tempereur  Zenon,  et  choisit  tous  ses  of- 
ficiers parmi  les  Eutychiens. 

Macédonius,  patriarche  de  Constantinople  ,  s'opposa  de  toutes 
ses  forces  aux  desseins  deTempereur.  Le  peuple  adorait  son  évê- 
que  ;  Tempereur  ne  se  croyait  point  en  sûreté  dans  Constantino- 
ple :  il  fit  enlever  Macédonius,  et  mit  à  sa  place  un  nommé  Timo- 
thée,  exila  les  partisans  les  plus  zélés  de  Macédonius,  et  fit  brûler 
les  actes  du  concile  de  Chalcédoine. 

Lorsque  le  prêtre  arrivait  à  Tautel ,  c'était  un  usage  dans  TÉ- 
glise  d'Orient  que  le  peuple  chantât  :  Dieu  saint.  Dieu  fort.  Dieu 
immortel,  et  c'est  ce  qu'on  nommait  le  Trisagion  *. 

Pierre-le-Foulon  avait  ajouté  au  Trisagion  ces  mots  :  Qui  avez 
été  crucifié  pour  nous  ,  ayez  pitié  de  nous. 

Cette  addition ,  qui  pouvait  avoir  un  bon  sens ,  était  employée 

*  Conc,  t.  A. 

2  Ibld. 

3  Evagr.,  1.  3,  c  30. 

*  Pholius,  Bibl.  Cod.,  222. 


l 


EUT  415 

par  les  Euty chiens  et  devint  suspecte  aux  catholiques  ;  ils  jugè- 
rent qu'elle  contenait  la  doctrine  des  Eulychiens  ThéopaschiteS| 
qui  prétendaient  que  la  divinité  avait  souffert. 

Timothée  ne  fut  pas  plus  tôt  sur  le  siège  de  Gonstantinople,  quUl 
ordonna  qu'on  chanterait  le  Trisagion  avec  Taddition  faite  par 
Pierre-le-Foulon  :  cette  innovation  déplut  aux  fidèles  de  Gonstan*- 
tinople  ;  cependant  ils  chantaient  le  Trisagion  avec  Faddition  y 
parce  qu'ils  craignaient  d'irriter  l'empereur. 

Mais  un  jour  des  moines  entrèrent  dans  l'Église ,  et  au  lieu  de 
cette  addition  chantèrent  un  verset  de  psaume  ;  le  peuple  s'écria 
aussitôt  :  Les  orthodoxes  sont  venus  bien  à  propos  !  Tous  les  par- 
tisans du  concile  de  Chalcédoine  chantèrent  avec  les  moines  le 
verset  du  psaume,  les  Eutychiens  le  trouvèrent  mauvais  :  on  inter- 
rompt l'office ,  on  se  bat  dans  l'église ,  le  peuple  sort ,  s'arme  , 
porte  par  la  ville  le  carnage  et  le  feu  et  ne  s'apaise  qu'après  avoir 
fait  périr  plus  de  dix  mille  hommes  ^ . 

Anastase ,  après  la  sédition  ,  songea  plus  sérieusement  que  ja- 
mais à  éteindre  un  parti  si  redoutable,  et  résolut  de  faire  condam- 
ner le  concile  de  Chalcédoine  :  il  mit  tout  en  usage  pour  y  réussir  ; 
il  flatta,  menaça,  persécuta,  et  fit  recevoir  la  condamnation  du  con- 
cile par  beaucoup  d'évêques. 

Après  s'être  assuré  par  ce  moyen  de  leur  consentement ,  il  fit 
assembler  à  Sidon  un  concile,  composé  de  quatre-vingts  évêques» 
qui  condamnèrent  le  concile  de  Chalcédoine,  excepté  Flavien 
d'Antioche  et  un  autre ,  qui  s'opposèrent  k  ce  décret  et  furent 
déposés. 

Flavien  ne  quitta  cependant  pas  Antioche  ;  on  lui  envoya  des 
moines  pour  le  contraindre  à  souscrire  au  concile  de  Sidon  :  ils 
voulurent  user  de  violence  ;  des  moines  orthodoxes  accoururent 
au  secours  de  Flavien,  le  peuple  se  mit  de  la  partie ,  défendit  soa 
évêque ,  fit  main  basse  sur  les  moines  eutychiens,  et  il  y  eut  un 
horrible  carnage  ^. 

L'empereur  était  environné  d'Eutychiens  ;  il  chassa  Flavien  et 

mit  sur  le  siège  d'Antioche  Sévère  ,  Eutychien  ardent  et  célèbre  : 

sous  cet  usurpateur,  les  catholiques  furent  persécutés  dans  tout 

le  patriarcat  d'Antioche. 

Tandis  qu' Anastase  employait  toute  son  autorité  pour  forcer  les 

^  Evagr.,  1.  3,  c  23,  M  ;  Vita  Theodos. 
2Ibid.,c32. 


416  EUT 

catholiques  à  condamner  le  concile  de  Chalcédoine  »  un  de  ses 
généraux ,  nommé  V italien,  se  déclara  le  protecteur  des  catholi- 
ques, leva,  dansTespace  de  trois  jours,  une  armée  formidable, 
et,  sur  le  refus  que  Tempereur  fit  de  rétablir  dans  leurs  sièges 
les  évéques  catholiques  qvCïX  avait  chassés,  s^empara  de  la  Mossie, 
de  la  Thrace ,  défit  les  troupes  de  Tempereur  et  s*avança  devant 
Gonstantinople  avec  son  armée  victorieuse  * . 

Anastase  envoya  une  grande  somme  d'argent  à  Vitalien  »  pro- 
mit de  rappeler  les  évéques  exilés ,  assura  qu'il  convoquerait  un 
concile  pour  terminer  les  difiérends  de  religion ,  et  Vitalien  s'é- 
loigna de  Gonstantinople  et  congédia  son  armée. 

L'empereur  donna  pendant  quelque  temps  l'espérance  qu'il 
exécuterait  ses  promesses ,  s'appliqua  à  se  concilier  le  cœur  du 
peuple  ,  donna  des  charges  à  Vitalien ,  et ,  lorsqu'il  crut  n'avoir 
plus  rien  à  craindre  de  Vitalien ,  fit  de  nouveaux  efforts  pour 
anéantir  l'autorité  du  concile  de  Chalcédoine,  et  mourut  sans 
avoir  pu  réussir  ^. 

Justin  ,  préfet  du  prétoire ,  fut  élu  par  les  soldats  et  succéda 
à  Anastase  :  le  nouvel  empereur  chassa  les  Euty chiens  des  sièges 
qu'ils  avaient  usurpés  ,  rétablit  les  orthodoxes  et  ordonna  que  le 
concile  de  Chalcédoine  serait  reçu  dans  tout  l'empire.  Les  évéques 
catholiques  s'occupèrent  à  réparer  les  malheurs  de  rÉglise  ;  on 
assembla  des  conciles,  on  déposa  les  Eutychiens;  ils  furent  ban- 
nis ,  exilés ,  punis ,  comme  les  catholiques  l'avaient  été  sous 
Anastase. 

Justinien ,  qui  succéda  à  Justin  son  oncle ,  se  déclara  pour  les 
orthodoxes  :  l'impératrice,  au  contraire,  favorisait  les  Eutychiens  ; 
elle  obtint  de  l'empereur  que  l'on  tînt  des  conférences  pour  réu- 
nir, s'il  était  possible ,  les  catholiques  et  les  Eutychiens  ;  la  con- 
férence n'opéra  point  la  réunion  ;  elle  fut  suivie  d'une  nouvelle 
loi  des  plus  sévères  contre  les  Eutychiens,  qui  ne  furent  plus  alors 
que  tolérés. 

Ils  étaient  cependant  encore  en  grand  nombre.  Sévère,  qui,  sous 
Anastase ,  avait  été  patriarche  d'Antioche ,  y  avait  multiplié  les 
Eutychiens  ou  Acéphales,  qui  rejetaient  le  concile  de  Chalcé- 
doine :  il  avait  établi  sur  le  siège  d'Édesse  Jacques  Baradée  ou 
Zanzale ,  qui  en  fut  chassé  par  les  empereurs  romains ,  se  retira 

*  Evagr.,  1.  3,  c.  32. 
2  Ibid. 


EUT  417 

sur  les  terres  des  Perses ,  parcourut  tout  TOrient ,  ordonna  des 
prêtres ,  institua  des  évêques  et  forma  la  secte  des  Jacobites. 

Sévère ,  chassé  d*Antioche  et  obligé  de  se  cacher,  ordonna 
dans  sa  retraite  Sergius  pour  lui  succéder,  et  les  Eutychiens  eu- 
rent toujours  un  patriarche  d'Antioche  caché. 

EnGn  ,  après  la  mort  de  Théodose ,  patriarche  d* Alexandrie 
queTempereur  avait  exilé,  trois  évéques  eutychiens ,  cachés  dans 
les  déserts  de  TÉgypte ,  ordonnèrent  à  sa  place  Pierre  Zéjage  »  et 
perpétuèrent  ainsi ,  presque  secrètement,  leurs  patriarches  jus- 
qu'au commencement  du  septième  siècle. 

De  nouvelles  querelles  théologiques  s'élevèrent  entre  les  moi- 
nes d'Egypte  sur  la  doctrine  d'Origène.  Justinien ,  par  habitude 
ou  par  goût,  s'en  mêla,  et  donna  un  édît  contre  la  doctrine  d'O- 
rigène:  les  partisans  d'Origène^  qui  d'ailleurs  étaient  opposés  au 
concile  de  Chalcédoine  que  les  ennemis  d'Origène  défendaient , 
persuadèrent  à  l'empereur  que  s'il  condamnait  Théodore  de  Mop- 
sueste ,  Théodoret  et  Ibas ,  comme  il  avait  condamné  Origène ,  il 
rendrait  à  l'Église  tous  les  Eutychiens  ,  qui  ne  rejetaient  le  con- 
cile de  Chalcédoine  que  parce  qu'il  avait  approuvé  les  écrits  de 
ces  trois  évêques. 

Justinien  ne  demanda  pas  mieux  que  de  condamner,  et  donna 
un  édit  contre  ces  trois  évêques ,  quoique  morts. 

L'édit  de  l'empereur  produisit  une  longue  contestation  ;  on 
crut  qu'il  portait  atteinte  lu  l'autorité  du  concile  de  Chalcédoine  ; 
il  fallut  un  nouveau  concile  pour  terminer  cette  affaire ,  et  ce  con- 
cile est  le  cinquième  concile  général  de  l'Église  et  le  second 
concile  général  tenu  à  Constantinople. 

Justinien,  qui  avait  fait  condamner  les  trois  chapitres,  à  la 
sollicitation  d'Eusèbe  de  Césarée ,  qui  était  Eutychien  dans  le 
cœur,  tomba  enfin  lui-même  dans  l'Eutychianisme  des  Incorrup- 
tibles ^ 

Il  employa  pour  faire  recevoir  cette  erreur  tous  les  moyens 
qu'il  avait  employés  pour  faire  recevoir  le  concile  de  Chalcédoine; 
mais  la  mort  arrêta  ses  desseins  *. 
Les  Eutychiens  reprirent  donc  un  peu  faveur  sur  la  fin  du  règne 

^  Parmi  les  Eutychiens  il  y  en  avait  qui  soutenaient  que  Jésus-Christ 
avait  pris  un  corps  incorruptible  et  qui  n'était  point  sujet  aux  infir* 
mités  naturelles. 

2  Evagr.,  1.  4,  c.  39,  40,  41»  B^ron,  ^û  î^n,  303,  Pç^jî  çid  ç»n,  qQ5i 


418  FAM 

de  Justinien  et  sous  ses  successeurs,  qui  s'occupèrent  k  les  récoih 
cilîer  avec  les  catholiques ,  et  les  efforts  que  l'on  fit  pour  celte 
réunion  produisirent  une  nouvelle  hérésie ,  qui  était  comme  une 
branche  de  l^Eut^chianisme  et  qui  occupa  tous  les  esprits  :  c'est 
le  Monothélisme. 

L*Eutychianisme  paraissait  donc  absolument  éteint  dans  toute 
les  provinces  de  Tempire  romain. 

Les  conquêtes  des  Sarrasins  le  Grent  reparaître  avec  éclat  dans 
rOrient  et  dans  l'Egypte,  d*oii  il  passa  dans  l'Arménie  et  dans 
TAbyssinie.  Voyez  les  art.  Gophtes  ,  Jacobites,  Arméniens  ,  Abys- 
sins. 

Les  Eutychiens ,  au  milieu  des  troubles  dont  ils  avaient  jrempli 
Tempire ,  agitaient  mille  questions  frivoles ,  se  divisaient  sur  ces 
questions  et  se  persécutaient  cruellement  :  telle  fut  la  question 
qui  s'éleva  sur  Tincorruptibilité  de  la  chair  de  Jésus-Christ  avant 
sa  résurrection.  Le  peuple  d'Alexandrie  se  souleva  contre  son 
évêque ,  qui  avait  pris  le  parti  de  rafiirmative.  Tels  furent  les 
Acéphales  qui  reconnaissaient  deux  natures  en  Jésus-Christ» 
mais  qui  ne  voulaient  pas  souscrire  au  concile  de  Cbalcédoîne  ; 
les  Théopaschites ,  qui  croyaient  que  la  divinité  avait  été  cruci- 
fiée ,  et  qui  avaient  pour  chef  Pierre-le-Foulon. Voyez  Nicéphore^ 
Hist,  ecclés,,  l.  18,  c.  53.  Leont,,  De  sectis  Eutych, 

L'Eutychianisme  a  été  combattu  par  Théodoret,  évêque  de 
Cyr,  dans  vingt-sept  livres  dont  on  trouve  Textrait  dans  la  biblio- 
thèque de  Photius  (cod.  46),  et  dans  trois  dialogues,  intitulés: 
l'Immuable,  Vlnconfus,  V Impassible  ;  ^bt  Gélase,  dans  un  livre 
intitulé  :  Des  deux  natures  ;  par  Vigile  ,  qui  écrivit  cinq  livres 
contre  Nestorius  et  contre  Eutyches  ;  par  Maxence  et  par  Ferrand, 
et  par  beaucoup  d'autres  que  Léonce  indique  dans  son  ouvrage 
contre  les  Eutychiens  et  les  Nestoriens.  Voyez  la  collection  de  Ca- 
nisius,  édit.  de  Basnage,  et  la  bibliot.  de  Photius,  29,  30. 


FAMILLE ,  ou  Maison  d'amodr  ;  c'est  le  nom  que  prit  une  secte 
qui  faisait  consister  la  perfection  et  la  religion  dans  la  charité  et 
qui  excluait  l'espérance  et  la  foi  comme  des  imperfections.  Les 
associés  de  la  Famille  d'amour  faisaient  donc  profession  de  ne 
faire  que  des  actes  de  charité  et  de  s'aimer  ;  c'est  pour  cela  qu'ils 
prétendaient  ne  composer  qu'une  famille,  dont  tous  les  membres 
étaient  unis  par  la  charité. 


FAN  4iâ 

Ils  ftimaienttons  les  hommes  et  croyaient  qa*oii  ne  devait  jamais 
nt  se  quereller  ni  se  haïr  parce  qu*on  atalt  sur  la  religion  des 
opinions  différentes. 

La  charité  mettait ,  selon  ces  sectaires,  Thomme  au-dessus  des 
lois  et  le  rendait  impeccable. 

Cette  secte  avait  pour  auteur  un  certain  Henri  Nicolas ,  de 
Munster,  qui  se  prétendit  d'abord  inspiré  et  qui  se  donna  bientôt 
pour  un  homme  déifié.  11  se  vantait  d*être  plus  grand  que  Jésus-* 
Christ,  qai,  disait-il ,  n'avait  été  que  son  type  ou  son  image. 

Vers  l'an  1540,  il  tâcha  de  pervertir  Théodore  Volkarls  Korn- 
heert  :  leurs  disputes  furent  aussi  fréquentes  qu'inutiles;  car, 
quand  Nicolas  ne  savait  plus  que  répondre  à  Théodore ,  il  avait 
recours  à  l'esprit  qui  lui  ordonnait,  disait-il,  de  se  taire.  Cet  en- 
thousiaste ne  laissa  pas  de  se  faire  bien  des  disciples,  qui,  comme 
lui,  se  croyaient  des  hommes  déifiés. 

Henri  Nicolas  fit  quelques  livres  :  tels  furent  l'Ëvangile  du 
royaume ,  la  Terre  de  paix,  etc. 

La  secte  de  la  Famille  d'amour  reparut  en  Angleterre  au 
commencement  du  dix-septième  siècle  (1604),  et  présenta  au  roi 
Jacques  ube  confession  de  foi  dans  laquelle  elle  déclara  qu'ils 
sont  séparés  des  Brounistes.  Cette  secte  fait  profession  d'obéir 
aux  magistrats,  de  quelque  religion  qu'ils  soient  ;  c'est  un  point 
fondamental  chez  eux  ^. 

FANATIQUE  ;  ce  mot ,  selon  quelques-uns ,  vient  d'un  mot 
grec  qui  signifie  lumière ,  d'où  l'on  a  fait  fanatique ,  pour  signi- 
fier un  homme  illuminé,  inspiré. 

D'autres  prétendent  qu'il  vient  du  mot  fanum,  qui  signifie 
temple;  d'où  l'on  a  fait  fanatique,  pour  désigner  un  homme  qui 
fait  des  extravagances  autour  des  temples  et  qui  prophétise  en  in- 
sensé *. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  étymologies,  le  mot  fanatique  signifie 
aujourd'hui  un  homme  qui,  prenant  les  effets  d'une  imagination 
déréglée  pour  les  inspirations  du  Saint-Esprit,  se  croit  instruit  des 
vérités  de  la  foi  par  une  illumination  extraordinaire ,  et  fait  des 
actions  déraisonnables  et  extravagantes  de  dévotion  et  de  piété. 

^  Stockman  Lexicon,  voce  Familists;  Hist.  de  la  ré£i  des  Pays-BaS| 
pnr  Brandt,  1. 1,  p.  8â. 

2  Voyez  Hofaian  Lexic.  Godefroi,  sur  le  Digest,  1.  21,  tit*  De  cdil* 
cdjct.)  leg»  4»  S  9>  iO.  Vos$lu<ï|  EtymoU  Du  Catige,  GIoss« 


4â0  ^t^h 

Les  fanatiques  ne  forment  donc  point  une  secte  partScalièfe , 
et  il  s*en  trouve  dans  toutes  les  sectes ,  comme  il  y  en  a  dans 
toutes  les  religions. 

Du  mot  fanatique  on  a  fait  fanatisme,  c'estrà-^ire  une  dis- 
position d'esprit  qui  fait  prendre  pour  une  inspiration  divine  les 
fantômes  d'une  imagination  déréglée.  On  voit,  par  cette  définition, 
que  rhistoire  du  fanatisme  n*est  pas  une  des  portions  les  moins 
intéressantes  deThistoire  de  Tesprit  humain  ;  mais  cet  objet  n*ap- 
partient  pas  k  noire  ouvrage  ;  nous  avons  seulement  voulu  expli- 
quer ici  le  mot  fanatisme,  parce  que  nous  nous  en  servons  sou- 
vent. 

FÉLIX ,  évêque  d*Urgcl ,  en  Catalogne ,  enseigna  que  Jésus-» 
Christ ,  selon  Thumanité ,  n'était  que  fils  adoplif  de  Dieu ,  comme 
les  hommes  sont  appelés,  dans  T  Écriture,  en  fans  de  Dieu,  Le  nom 
de  fils  de  Dieu  n'était ,  selon  Félix  d'Urgel ,  qu'une  manière  d'ex- 
primer plus  particulièrement  le  choix  que  Dieu  avait  fait  de  l'hu- 
manité de  Jésus-Christ. 

Les  Sarrasins  ou  les  Arabes ,  après  avoir  battu  plusieurs  fois 
les  troupes  d'Héraclius ,  se  rendirent  maîtres  de  la  Syrie  et  de 
rÉgypte  ;  ils  se  répandirent  ensuite  en  Afrique,  prirent  Carthage, 
se  mirent  en  possession  de  la  Numidie  et  de  la  Mauritanie,  et, 
par  la  trahison  du  comte  Julien ,  s'emparèrent  de  TËspagne. 

Les  Sarrasins ,  maîtres  de  l'Espagne ,  donnèrent  aux  chrétiens 
dos  juges  de  leur  religion ,  comme  l'avaient  pratiqué  en  Asie  les 
califes  ,  qui  avaient  même  admis  des  cvêques  dans  leurs  conseils. 
Les  chrétiens  furent  encore  mieux  traités  dans  la  suite  par  les 
premiers  conquérans. 

L'Espagne  l'ut ,  par  ce  moyen,  remplie  de  chrétiens ,  de  Juifs  et 
de  Mahométans ,  qui  cherchaient  tous  à  se  convertir  et  qui  se  pro- 
posaient des  difficultés. 

Le  principal  article  de  la  croyance  des  Mahométans  est  l'unité 
de  Dieu;  ils  traitent  d'idolâtres  tous  ceux  qui  reconnaissent  quel- 
que nombre  dans  la  divinité  :  ils  reconnaissent  bien  Jésus-Christ 
comme  un  grand  prophète ,  qui  avait  l'esprit  de  Dieu  ;  mais  ils  ne 
peuvent  souflrir  qu'on  dise  que  Jésus-Christ  est  Dieu  et  fils  de 
Dieu  par  sa  nature. 

Les  Juifs  étaient  alors  et  sont  encore  aujourd'hui  dans  les 
mêmes  principes,  quoique  le  Messie  soit  annoncé  par  les  pro- 
phètes comme  le  fils  naturel  de  Dieu. 

Les  Juifs  elles  Mahométans  ait iquaient  donc  les  chrétiens  sur 


FEL  4U 

la  divinité  de  lésas-Christ,  et  prétendaieDt  qu*oii  ne  devait  pas  lui 
donner  le  titre  de  fils  de  Dieu. 

Pour  répondre  à  ces  difficultés  sans  altérer  le  dogme  de  Tunité 
de  Dieu  ,  les  chrétiens  d'Espagne  disaient  que  Jésus-Christ  n*é- 
tait  point  le  fils  de  Dieu  par  sa  nature ,  mais  par  adoption  :  il  pa- 
raît que  celte  réponse  avait  été  adoptée  par  des  prêtres  de  Cor- 
doue ,  et  qu'elle  était  assez  communément  reçue  en  Espagne  ^. 

Élipand ,  qui  avait  été  disciple  de  Félix  d'Urgel ,  le  consulta 
pour  savoir  ce  qu'il  pensait  de  Jésus-Christ  et  s'il  le  croyait  fils 
naturel  ou  fils  adoptif. 

Félix  répondit  que  Jésus-Christ,  selon  la  nature  humaine, 
n'était  que  le  fils  adoptif  ou  nuneupatiff  c'est-à-dire  de  nom  seu- 
lement ,  et  il  soutint  son  sentiment  dans  des  écrits. 

Jésus-Christ  étant,  selon  Félix  d'Urgel,  un  nouvel  homme, 
devait  aussi  avoir  un  nouveau  nom.  Comme  dans  la  première  gé< 
nération ,  par  laquelle  nous  naissons  suivant  la  chair,  nous  ne 
pouvons  tirer  notre  origine  que  d'Adam ,  ainsi  dans  la  seconde 
génération ,  qui  est  spirituelle  ,  nous  ne  recevons  la  grâce  de 
l'adoption  que  par  Jésus-Christ ,  qui  a  reçu  l'une  et  l'autre  :  la 
première  de  la  Vierge  sa  mère ,  la  seconde  en  son  baptême. 

Jésus-Christ  en  son  humanité  est  fils  de  David ,  fils  de  Dieu; 
or,  il  est  impossible  qu'un  homme  ait  deux  pères  selon  la  nature» 
Tun  est  donc  naturel  et  l'autre  adoptif. 

L'adoption  n'est  autre  chose  que  l'élection ,  la  grâce  ,  l'appli- 
cation  par  choix  et  par  volonté ,  et  l'Ëcriture  attribue  tous  ces  ca- 
ractères à  Jésus -Christ^. 

Pour  faire  voir  que  Jésus-Christ  comme  homme  n'est  que  Dieu 
nuncupatif,  c'est-à-dire  de  nom,  il  raisonnait  ainsi,  suivant  le 
témoignage  de  Jésus-Christ  même  :  L'Écriture  nomme  dieux  ceux 
à  qui  la  parole  de  Dieu  est  adressée ,  à  cause  de  la  grâce  qu'ils 
ont  reçue  ;  donc ,  comme  Jésus-Christ  participe  à  la  nature  hu- 
maine ,  il  participe  aussi  à  cette  dénomination  de  la  divinité , 
quoique  d'une  manière  plus  excellente,  comme  à  toutes  les  autres 
grâces. 

Suint  Pierre  dit  que  Jésus-Christ  faisait  des  miracles  parce  que 
Dieu  était  avec  lui  ^. 

^  Alcuin,  ép.  15. 

2  Ibid.,  1.  1,  2,  3,  cont.  Felicem, 

i  Act.  10,  v.  38, 

J.  36 


4if  FKL 

Saint  Pftul  dit  que  Dieu  était  en  Jésus-Christ  se  réconciliant  lé 
monde  ^. 

Ils  ne  disent  pas  que  Jésus-Christ  était  Dieu  *. 

GoÉnme  Dieu,  Jésus-Christ  est  essentiellement  bon;  mais 
comme  homme ,  quoiquUl  soit  bon ,  il  ne  Test  pas  essentielle- 
ment et  par  lui-même  :  s*il  a  été  yrai  Dieu  dès  qu*il  a  été  conçu 
dans  le  sein  de  la  Vierge ,  comment,  dit-il,  dans  Isaîe,  que  Dieu 
Ta  formé  son  serviteur  dans  le  sein  de  sa  mère^? 

Se  peut-il  faire  que  celui  qui  est  vrai  Dieu  soit  serTÎteur  par  sa 
conduite ,  comme  Jésus-Christ  dans  la  forme  d^esclave  ?  Car  on 
prouve  qu'il  est  fils  de  Dieu  et  de  sa  servante ,  non-seulement  par 
(di>éis8ance ,  comme  la  plupart  le  veulent  «  mais  par  sa  nature:  en 
quelle  forme  sera-t-il  éternellement  soumis  au  Père ,  s*il  n*j  a  au- 
cune différence  entre  sa  divinité  et  son  humanité  *  ? 

Jésus-Christ  est  donc  un  médiateur,  un  avocat  auprès  du  Père 
pour  les  pécheurs,  ce  qu'on  ne  doit  pas  entendre  du  vrai  Dieu, 
Biais  de  l'homme  qu'il  a  pris. 

Pour  prouver  toutes  ces  propositions ,  Félix  d'Urgel  citait  plu- 
sieurs passages  de  l'Écriture  et  des  Pères  détournés  de  leur  vrai 
sens  et  tronqués  :  il  se  fondait  principalement  sur  la  liturgie 
d'Espagne ,  dans  laquelle  il  était  dit  souvent  que  le  Fils  de  Dieu 
a  adopté  la  nature  humaine. 

On  répondait  à  Félix  d'Urgel  que  l'Église  était  en  paix  lorsque 
son  sentiment  avait  commencé  à  se  répandre ,  et  que  ce  sentiment 
l'avait  troublée  ;  on  lui  fit  voir  que  son  sentiment  n'était  au  fond , 
quoi  qu'il  pût  dire ,  que  le  Nestorianisme ,  puisque  si  l'on  dis- 
tingue en  Jésus-Christ  deux  fils ,  l'un  naturel  et  l'autre  adoptif , 
il  fallait  nécessairement  que  la  nature  humaine  et  la  nature  divine 
fussent  deux  personnes  en  Jésus-Christ  ;  car  dès  le  premier  instant 
que  Jésus-Christ  s'est  incarné ,  le  Verbe  et  la  nature  humaine  sont 
unis  d'une  union  hypostatique  :  il  n'y  a  dans  le  Verbe  qu'une 
personne ,  et  l'homme  a  tous  les  titres  de  la  divinité  ;  d'où  il  suit 
qu'il  faut  dire  que  le  fils  de  Marie  est  Dieu  par  sa  nature ,  ce  qui 
ne  veut  rien  dire  autre  chose  si  ce  n'est  que  la  même  personne 
qui  est  le  fils  de  Marie  est  fils  de  Dieu  par  la  génération  éter- 

*  Cor.  2,  c.  A,  V.  19, 
2  Aicuin,  ibid. 
»  isaïa-,  AO,  V.  5. 
'*  Alcuin,  1*  6. 


FËL  438 

nelle.  C'est  ainsi  que ,  dans  Tordre  naturel ,  quoique  Tapie  du  fils 
ne  soit  pas  sor^e  du  père,  comme  son  corps,  il  ne  laisse  pas 
d'être  tout  entier  le  propre  fils  de  celui  qui  a  produit  son  corps. 

Si  le  fils  de  la  Vierge  n'est  que  fils  adoptif  de  Dieu ,  de  quelle 
personne  de  la  Trinité  est-il  fils  ?  Sans  doute  de  la  personne  du 
Fils ,  qui  a  pris  la  nature  humaine  ;  il  ne  sera  done  que  le  fils 
adoptif  du  Père  éternel. 

On  se  trompe  lorsqu'on  prétend  prouver  que  Jésus-Christ  n^est 
pas  proprement  Dieu ,  parce  qu'il  est  dit  que  Dieu  était  en  ,lui  ; 
car  il  faudrait  dire  aussi  que  le  Verbe  n'est  point  Dieu ,  ni  le  Père 
même ,  puisque  Jésus-Christ  dit  :  mon  Père  est  en  moi ,  et  je  suis 
dans  mon  Père.  On  fit  voir  que  Félix  d'Urgel  appliquait  mal  les 
passages  des  Pères  ou  qu'il  les  avait  tronqués ,  et  Ton  prouva 
que  tous  étaient  contraires  à  son  sentiment^. 

La  principale  difficulté  de  Félix  d'Urgel  consistait  en  ce  que 
Thomme  n'étant  point  essentiellement  et  par  sa  nature  uni  à  la  di- 
vinité, l'homme  n'était,  en  Jésus-Christ,  fils  de  Dieu  que  par  élec- 
tion et  par  choix. 

Cette  difficulté  n'était  qu'un  sophisme  :  si  Ton  n'a  égard  qu'à 
Télévation  de  la  nature  humaine  à  l'union  hypostatique  du  Verbe, 
on  peut  fort  bien  dire  que  le  fils  de  Marie  est  fils  de  Dieu  par 
grâce  ;  car  c'est  de  la  pure  grâce  du  Verbe  éternel  qu'il  a  voulu 
prendre  à  lui  la  nature  humaine,  et  sans  grâce  jamais  cette  pro- 
position n'eût  eu  lieu  :  L'homme  est  Dieu ,  le  fils  de  Marie  est  fils 
de  Dieu.  Ainsi ,  si  Ton  regarde  le  principe  par  lequel  l'incarnation 
s'est  faite  à  cet  égard ,  le  fils  de  Marie  est  fils  de  Dieu  par  grâce. 

Mais  si  Ton  considère  la  nature  humaine  unie  hypostatiquement 
au  Verbe,  ou ,  pour  me  servir  des  termes  de  Técole,  si  Ton  cour 
sidère  l'union  hypostatique  in  facto  esse ,  il  est  clair  que  le  fils  de 
Marie  est  fils  de  Dieu  par  nature  ;  car,  après  l'incarnation ,  la  sa- 
ture divine  et  la  nature  humaine  ne  faisant  qu'une  personne ,  il 
est  clair  que  la  même  personne ,  qui  est  fils  de  Marie ,  est  fils  de 
Dieu  par  la  génération  éternelle  ^. 

Félix  d'Urgel  fut  condamné  dans  le  concile  de  Ratisbonne  et 

^  Alcuin«  loc.  cit.  Paulin  d'Aquilée.  Benoit  d*Aniane.  Les  lettres  4a 
pape  Adrien  dans  le  concile  de  Francfort,  qui  se  trouvent  dans  les 
Conciles  de  France  du  P.  Sirmond.,  t.  2.  Dans  la  Bibliothèque  des 
Pères,  t.  àt  part  2.  Dans  les  Conciles  du  P.  Labe,  t.  7.  p.  1014* 

2  Voyezl?L  Réfut  deNestorius,  à  son  article, 


4J4  FLA 

abjura  son  erreur,  qu'il  reprît  après  qu'il  fut  retourné  dans  son 
diocèse.  On  le  clla  au  concile  de  Francfort,  dans  lequel  il  fut  dé- 
posé de  Fépiscopat  à  cause  de  ses  fréquentes  rechutes ,  et  relé- 
gué à  Lyon  pour  le  reste  de  sa  vie ,  qu'il  finit  sans  être  détrompé. 
Voyez  le  P.  le  Cointe ,  an  799 ,  n»  1617. 

FLÂGELLANS,  pénitens  fanatiques  et  atrabilaires  qui  se  fouet- 
taient impitoyablement  et  qui  altribuaient  à  la  flagellation  plus 
de  vertu  qu'aux  sacremens  pour  effacer  les  péchés. 

Rien  n'est  plus  conforme  à  l'esprit  du  christianisme  que  la  mor- 
tification des  sens  et  de  la  chair  :  saint  Paul  châtiait  son  corps  et 
le  réduisait  en  servitude.  Cet  esprit  de  mortification  conduisit 
dans  les  déserts  les  pénitens  de  l'Orient ,  où  ils  pratiquaient  des 
austérités  incroyables  :  il  ne  paraît  pas  que  les  flagellations  volon- 
taires aient  fait  partie  des  austérités  que  pratiquaient  les  premiers 
pénitens,  mais  il  est  certain  que  les  flagellations  étaient  employées 
par  les  tribunaux  civils  pour  châtier  les  coupables  *. 

On  regarda  donc  les  flagellations  comme  des  expiations  :  la 
flagellation  de  Jésus-Christ  et  l'exemple  des  apôtres  et  des  mar- 
tyrs firent  regarder  les  flagellations  volontaires,  non-seulement 
comme  des  actes  satisfactoires ,  mais  encore  comme  des  œuvres 
méritoires  qui  pouvaient  obtenir  le  pardon  des  péchés  de  ceux 
qui  exerçaient  sur  eux  celte  mortification  et  de  ceux  pour  lesquels 
ils  les  offraient  à  Dieu  ;  on  cita  des  exemples  de  damnés  rachetés 
par  ces  flagellations  ;  la  superstition  et  l'ignorance  reçurent  avi- 
dement ces  impostures ,  et  les  flagellations  devinrent  fort  fré- 
quentes dans  le  onzième  et  le  douzième  siècle  ;  enfin ,  ces  idées 
produisirent,  sur  la  fin  du  treizième  siècle  (1260),  la  secte  des 
FJagellans ,  dont  un  moine  de  Sainte-Justine  de  Padoue  rapporte 
ainsi  la  naissance. 

Lorsque  toute  l'Italie  ,  dit-il ,  était  plongée  dans  toutes  sortes 
de  crimes  et  de  vices,  tout  d'un  coup  une  superstition  inouïe  se 
glissa  d'abord  chez  les  Pérusiens,  ensuite  chez  les  Romains,  et 
de  là  se  répandit  presque  parmi  tous  les  peuples  d'Italie. 

La  crainte  du  dernier  jugement  les  avait  tellement  saisis,  que 
nobles  ,  roturiers  de  tout  état ,  se  mettent  tous  nus  et  marchent 
par  les  rues  en  procession:  chacun  avait  son  fouet  â  la  main  et  se 
fustigeait  les  épaules  jusqu'à  ce  que  le  sang  en  sortît  ;  ils  pous- 
saient des  plaintes  et  des  soupirs,  et  versaient  des  torrens  de  laç- 

*  Bojlcau,  Ilisl.  des  Flaçellans,  c  9, 


FLA  425 

mes;  ces  exemples  de  pénitence  eurent  d^abord  d^heureuses  sui« 
tes;  on  vit  beaucoup  de  réconciliations  ,  de  restitutions,  etc. 

Ces  pénitens  se  répandirent  bientôt  dans  toute  Tltalie  ;  mais  le 
pape  ne  voulut  point  les  approuver,  et  les  princes  ne  leur  permi- 
rent point  déformer  des  établissemens  dans  leurs  États  *. 

Près  d'un  siècle  après  que  cette  secte  eut  paru  pour  la  première 
fois,  la  peste  qui  se  fit  sentir  en  Allemagne  (au  milieu  du  quator- 
zième siècle) ,  ressuscita  tout  à  coup  la  secte  des  Fiagellans  :  les 
bommes  attroupés  couraient  le  pays  ;  ils  avaient  un  chef  principal 
et  deux  autres  supérieurs,  auxquels  ils  obéissaient  aveuglément  ; 
ils  avaient  des  étendards  de  soie  cramoisis  et  peints,  ils  les  por- 
taient à  leurs  processions  et  traversaient  de  cette  manière  les  vil- 
les et  les  bourgs. 

Le  peuple  s*attroupait  pour  jouir  de  ce  spectacle ,  et  lorsqu'il 
était  assemblé ,  ils  se  fouettaient  et  lisaient  une  lettre  qu'ils  di- 
saient être  en  substance  la  même  qu'un  ange  avait  apportée  de 
l'Église  de  Saint-Pierre  à  Jérusalem  ;  par  laquelle  l'ange  décla- 
rait que  Jésus'Christ  était  irrité  contre  les  dépravations  du  siècle, 
et  que  Jésus-Christ,  prié  par  la  bienheureuse  Yierge  et  par  l'ange, 
de  faire  grâce  à  son  peuple ,  avait  répondu  que  si  les  pécheurs 
voulaient  obtenir  miséricorde ,  il  fallait  que  chacun  sortît  de  sa 
patrie,  et  qu'il  se  flagellât  durant  trente-quatre  jours,  en  mémoire 
du  temps  que  Jésus-Christ  avait  passé  sur  la  terre  :  ils  firent  une 
grande  quantité  de  prosélytes. 

Clément  Yl  condamna  cette  secte  ;  les  évêques  d'Allemagne , 
conformément  à  son  bref,  défendirent  les  associations  des  Fiagel- 
lans et  cette  secte  se  dissipa  *. 

Elle  reparut  dans  la  Misnie,  vers  le  commencement  du  quinzième 
siècle  ,1414. 

Un  nommé  Conrard  renouvela  la  fable  de  la  lettre  apportée  par 
les  anges  sur  l'autel  de  Saint-Pierre  de  Rome  pour  l'institution 
de  la  flagellation  :  il  prétendit  que  c'était  l'époque  de  la  fin  de 
l'autorité  du  pape  et  de  celle  des  évêques,  qui  avaient  perdu  toute 
juridiction  dans  l'Église  depuis  l'établissement  de  la  société  des 
Fiagellans;  que  les  sacremens  étaient  sans  vertu,  que  la  vraie  re- 
ligion n'était  que  chez  les  Fiagellans ,  et  qu'on  ne  pouvait  être 

^  Boileau,  ibid. 

2  D'Argcnlré.  CoUect.  jutl.,  t.  1.  p.  331;  Natal,  Alex.in  sœc.  13  et 
lA  :  Boileau,  ioc.  ciL 

36* 


1126  FOU 

sauvé  qu'en  se  faisant  baptiser  de  leur  sang.  L'inquisiteur  fit  ar- 
rêter ces  nouveaux  Flagellans ,  et  Ton  en  brûla  plus  de  quatre- 
TÎngt-onze  *. 

Si  les  Flagellans  étaient  devenus  plus  forts  que  Tinquisiteur, 
ils  auraient  fait  brûler  Tinquisiteur  et  tous  ceux  qui  n^auraient 
pas  voulu  se  flageller. 

Il  y  a  encore  aujourd*bui  des  confréries  de  Flagellans  ,  qu^il 
faut  bien  distinguer  des  sectaires  dont  nous  venons  de  parler  ;  il 
se  trouve  de  ces  confréries  en  Italie,  en  Espagne  et  en  Allemagne. 
Le  P.  Mabillon  vit  à  Turin,  le  vendredi  saint ,  une  procession  de 
Flagellans  à  gage  :  «  Ils  commencèrent,  dit-il,  à  se  fouetter  dans 
»  rÉglise  cathédrale ,  en  attendant  son  altesse  royale  ;  ils  se 
»  fouettaient  assez  lentement,  ce  qui  ne  dura  pas  une  demi-heure  ; 
»  mais,  d* abord  que  ce  prince  parut,  ils  firent  tomber  une  grêle 
i  de  coups  sur  leurs  épaules  déjà  déchirées  ,  et  alors  la  procès- 
»  sion  sortit  de  Téglise.  Ce  serait  une  institution  pieuse ,  si  ces 
9  gens  se  fustigeaient  ainsi  par  une  douleur  sincère  de  leurs  pé- 
9  chés ,  et  dans  Tintention  d'en  faire  une  pénitence  publique  ,  et 
>  non  pour  donner  au  monde  une  espèce  de  spectacle'.  » 

Gerson  écrivit  contre  les  Flagellans,  et  crut  qu'il  fallait  que  les 
prélats ,  les  pasteurs  et  les  docteurs  réprimassent  cette  secte  par 
leurs  exhortations,  et  les  princes  par  leur  autorité^. 

L'abbé  Boileau  a  attaqué  les  flagellations  volontaires  *. 

Le  P.  Gretzer  en  a  pris  la  défense  ;  M.  Thiers  a  écrit  contre 
l'histoire  des  Flagellans;  cette  réfutation  est  longue,  faible  et  en- 
nuyeuse ^. 

FOURIER  (Charles),  auteur  d'une  théorie  sociale  qui  nie  en 
plusieurs  points  les  dogmes  de  la  religion  chrétienne  et  en  ren- 
verse la  morale.  Les  ouvrages  dans  lesquels  il  a  expliqué  cette 
théorie  sont  assez  volumineux  et  écrits  d'un  style  aussi  singulier 
que  les  doctrines  en  sont  étranges.  Né  à  Besançon  le  7  avril! 772, 
il  a  vécu  dans  l'obscurité;  mais  depuis  sa  mort  il  compte  en 
France  un  assez  grand  nombre  de  partisans. 

*  Contin.  de  Fleury,  t.  21,  p.  206. 
^  Mussum  italicum,  p.  80. 

2  Gerson,  t.  2,  p.  660, 

*  Hist  Flagellantium. 

*  De  spontancâ  disciplinarum  scu  flagellorum  cnice  :  Colonîx, 
4660,  in-42.  Critique  de  l'histoire  des  Flagellans,  par  J.-B.  Tliiers. 


FOU  427 

Les  bouleversemens  successifs  de  notre  ordre  social  ont  produit 
ces  rêveries  décorées  des  grands  noms  de  système  humanitaire, 
égalitaire,  et  dans  lesquels,  sous  prétexte  d'améliorer  le  sort  de 
la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre  de  la  société,  on 
détruit  la  société  elle-même  en  s'efforçanl  de  prouver  que  son 
organisation  actuelle,  qui  s*appuie  évidemment  sur  les  doctrines 
du  christianisme ,  est  ce  qu'on  peut  voir  de  plus  injuste,  c'est-à- 
dire  de  plus  contraire  aux  droits  de  l'humanité  en  général  et  de 
chaque  homme  en  particulier. 

La  maladie  la  plus  incurable  de  l'esprit  humain  est  de  cher- 
cher le  bonheur  parfait  sur  la  terre,  où  il  est  évident  qu'il  n'existe 
pas  et  ne  saurait  exister.  C'est  cette  maladie  que  Fourier  a  flattée, 
et  dont  il  promet  de  guérir  ses  disciples  en  satisfaisant  d'une 
manière  facile  et  légitime  tous  leurs  désirs  de  quelque  nature 
qu'ils  soient. 

Satisfaire  légitimement  tous  les  désirs  que  l'homme  peut  former 
est  extraordinaire  sans  doute ,  mais  y  a-t-il  jamais  eu  quelque 
chose  qui  embarrassât  les  faiseurs  de  systèmes? 

L'homme,  d'après  Fourier,  est  obligé,  par  la  faute  des  lois  civi- 
les, politiques  et  religieuses,  de  lutter  sans  cesse  contre  ses  pas- 
sions, ses  penchans,  ses  appétits  les  plus  naturels.  C'est  Ik  ce 
qui  le  rend  malheureux.  Détruisez  les  lois  politiques  et  civiles, 
ôtez  à  la  religion  ce  qu'elle  a  de  dur  et  de  sévère,  notre  bonheur 
est  assuré. 

La  vertu,  qui  a  consisté  jusqu'ici  tout  entière  dans  le  sacrifice, 
se  trouvera  dans  la  jouissance.  Plus  de  lutte  entre  la  matière  et 
l'esprit.  La  vertu  ne  sera  jamais  contraire  au  bonheur,  ni  le  bon- 
heur à  la  vertu,  et  l'homme  sera  ce  qu'il  doit  être,  ce  qu'il  a  le 
droit  d'être,  tout  à  la  fois  heureux  et  vertueux.  ' 

Mais  comment  Fourier  opérera-t-il  ces  merveilles?  rien  de  plus 
aisé.  Supposez  en  effet  que  la  société  actuelle  est  détruite  de  fond 
en  comble,  que  tous  les  intérêts,  toutes  les  idées,  tous  les  devoirs, 
tous  les  sentimens,  ont  changé  de  nature  et  de  forme;  supposez, 
en  un  mot,  qu'il  ne  reste  rien  de  ce  qui  est  ;  aussitôt  Fourier  s'a- 
vance avec  ses  disciples  organisés  en  phalanges.  11  leur  démontre 
que  le  bonheur  consiste  dans  la  jouissance  de  ce  qu'on  aime,  de  ce 
qu'on  désire,  de  ce  qui  fait  plaisir  ;  que  la  vertu  est  dans  tous  les 
actes  par  lesquels  l'homme  accorde  à  ses  passions  ce  qu'elles  lui 
demandent  ;  que  Dieu  ne  peut  créer  un  besoin,  et  en  refuser  ou 
même  en  ajourner  la  satisfaction  ;  que  le  mariage,  qui  attribue 


428  FRA 

une  femme  à  un  seul  homme,  est  une  institution  absurde ,  révol- 
tante et  tyrannique  ;  que  la  propriété  est  un  vol,  etc.  Aussitôt, 
grâce  à  ses  enseignemens,  une  harmonie  parfaite  et  un  équilibre 
inviolable  s*établissent  :  nul  excès  n'est  possible  ;  dans  chaque 
genre  de  satisfaction,  nul  ne  s'accorde  rien  au  delà  du  vrai  be- 
soin ;  aucune  passion  ne  jouit  aux  dépens  de  celle  d'autrui  ;  et 
comment  cela,  encore  un  coup?  C'est  que  dans  la  société  phalansté- 
rienne  (organisée  par  phalanges  de  deux  k  trois  mille  individus) 
chacun  fait  ce  qui  lui  convient ,  choisit  le  travail  ou  l'occupation 
vers  laquelle  son  penchant  naturel  le  porte.  Ainsi ,  par  exemple, 
les  fonctions  les  plus  viles,  les  plus  méprisables,  les  plus  rebu- 
tantes même  dans  notre  état  social  actuel,  seront  remplies  dans 
la  société  phalanstérienne  avec  goût,  plaisir  et  bonheur  par  ceux 
à  qui  la  nature  aura  donné  les  passions  ou  instincts  qui  s'y  rap- 
portent. Ils  n'auront  pas  même  la  pensée  de  chercher  d'autres 
satisfactions  que  celles-là,  que  dis-je?  ils  seraient  très-facfaés  de 
les  laisser  prendre  à  d'autres.  Ainsi  ils  seront  parfaitement  heu- 
reux en  faisant  ce  qui  rend  aujourd'hui  parfaitement  malheureux. 
Ce  que  c'est  que  de  prendre  les  choses  comme  il  faut  et  du  bon  côté  ! 

A  vrai  dire,  ces  doctrines  bizarres  et  repoussantes  ne  peuvent 
jamais  former  un  corps  de  secte  qui  les  applique  en  grand  ;  elles 
sont  destinées  à  nourrir  l'esprit  d'un  petit  nombre  d'insensés, 
mécontens  de  leur  sort  ;  mais  au  fond  ne  sauraient  pénétrer  dans 
les  masses  au  point  d'être  de  quelque  danger  pour  la  société  et  la 
religion.  Le  devoir  des  gouveruemens  est  cependant  de  veiller 
sur  ces  folies,  et  peut-être  ne  le  font-ils  pas  assez. 

A  l'article  Saint-Simoniens ,  nous  reviendrons  sur  ce  système 
incohérent,  et  non  moins  digne  de  pitié  que  de  mépris. 

FRATRIGELLES  ou  FRÉROTS.  Le  désir  de  se  distinguer  par 
une  sainteté  extraordinaire  n'était  pas  moins  vif  en  Italie  qu'en 
Allemagne ,  où  il  avait  produit  les  Béguards,  vers  le  quatorzième 
siècle.  Quelques  frères  mineurs  obtinrent  de  Célestin  V  la  per- 
mission de  vivre  en  ermites ,  et  de  pratiquer  à  la  lettre  la  règle 
de  saint  François. 

Beaucoup  de  religieux ,  sous  prétexte  de  mener  une  vie  plus 
retirée  et  plus  parfaite,  sortirent  de  leurs  couvens  ;  beaucoup  de 
laïques  les  imitèrent,  et  tous  ces  aspirans  à  une  sainteté  extraor- 
dinaire se  réunirent,  s'appelèrent  frères  ,  et  formèrent  une  secte  ; 
les  Franciscains  s'appelaient  Frères ,  et  les  séculiers  Frérots,  ou 
Fratricelles,  ou  Bisoches. 


FRA  429 

Ces  troupes  de  moines ,  échappés  de  leurs  couvents ,  vivaient 
sans  règle ,  sans  supérieur,  et  faisaient  consister  toute  la  perfec- 
tion chrétienne  dans  un  renoncement  absolu  à  toute  propriété , 
parce  que  la  pauvreté  faisait  le  caractère  principal  de  la  règle  do 
saint  François,  à  laquelle  étaient  singulièrement  attachés  les  frères 
Macerota  et  un  autre  Franciscain  ,  qui  avaient  donné  naissance  à 
cette  secte. 

Les  Fratricelles  se  promenaient  ou  chantaient,  et,  pour  obser- 
ver plus  scrupuleusement  le  vœu  de  pauvreté,  ne  travaillaient  ja- 
mais de  peur  d'avoir  en  travaillant  droit  à  quelque  chose  :  comme 
les  Massiliens ,  ils  disaient  qu'il  fallait  prier  sans  cesse ,  de  peur 
d'entrer  en  tentation  ;  et  si  on  leur  reprochait  leur  oisiveté,  ils  di- 
saient que  leur  conscience  ne  leur  permettait  pas  de  travailler 
pour  une  nourriture  qui  pérît;  ils  ne  voulaient  travailler  que  pour 
une  nourriture  céleste,  et  ce  travail  spirituel  consistait  à  méditer, 
à  chanter,  à  prier  ^. 

Malgré  ce  renoncement  à  tout ,  les  Fratricelles  ne  manquaient 
de  rien  :  une  multitude  d'artisans  ,  de  charbonniers ,  de  bergers, 
de  charpentiers  ,  abandonnèrent  leurs  travaux  ,  leurs  maisons  , 
leurs  troupeaux ,  et  prirent  l'habit  des  Fratricelles.  Tous  les  re- 
ligieux mécontens  de  leur  état,  et  surtout  des  Franciscains,  sous 
prétexte  d'observer  plus  exactement  la  règle  de  saint  François , 
quittèrent  leurs  couvons  et  grossirent  la  secte  des  Fratricelles , 
qui  se  répandit  en  Toscane ,  en  Galabre,  etc. 

Jean  XXII  vit  les  abus  de  ces  associations  ;  il  les  défendit  et 
excommunia  les  Frérots  et  leurs  fauteurs  *, 

Les  Fratricelles  attaquèrent  l'autorité  qui  les  foudroyait ,  et  se 
fondèrent  sur  le  spécieux  prétexte  de  la  pauvreté  évangélique , 
qui  faisait  la  première  obligation  de  l'ordre  de  saint  François  et 
du  christianisme. 

Ils  ne  niaient  point  l'autorité  du  pape  :  ils  prétendaient  seule* 
ment  la  restreindre  ,  et  croyaient  que  son  excommunication  ne 
pouvait  nuire  aux  Frérots  ,  1*  parce  qu'ils  avaient  été  approuvés 
par  Célestin  V,  et  qu'un  pape  ne  pouvait  détruire  ce  que  son  pré- 
décesseur avait  établi  ;  2°  parce  que  leur  société  était  autorisée 
dans  l'Ëvangile,  et  que  le  pape  ne  pouvait  rien  contre  ce  qui  est 
dans  l'Évangile  ;  3*»  enfin,  pour  trancher  la  question  sans  retour, 

*  An.  1294.  D'Argeutré,  Collecf.  iud.  R^ynaldadan,  1317,  n.  56. 

?  im. 


430  FRA 

ils  distinguèrenl  deux  Églises  ;  une  élait  tout  extérieure ,  riche , 
possédait  des  domaines  et  des  dignités  ;  le  pape  et  les  évéques 
dominaient  dans  cette  Eglise»  et  pouvaient  en  exclure  ceux  quHls 
excommuniaient  ;  mais  il  y  avait  une  autre  Église  toute  spiri- 
tuelle, qui  n'avait  pour  appui  que  sa  pauvreté ,  pour  richesses  que 
ses  vertus  ;  Jésus-Christ  était  le  chef  de  cette  Église ,  et  les  Fré- 
rots en  étaient  les  membres  :  le  pape  n'avait  sur  cette  Église  au- 
cun empire ,  aucune  autorité ,  et  ses  excommunications  ne  pou- 
Talent  exclure  personne  de  cette  Église. 

De  ce  principe  les  Frérots  conclurent  que  hors  de  leur  Église 
il  n'y  avait  pas  de  sacremens ,  que  les  ministres  pécheurs  ne  pou- 
vaient les  conférer  :  en  développant  ce  principe  fondamental  de 
leur  schisme,  ils  renouvelèrent  différentes  erreurs  des  Donatistes, 
des  Albigeois  et  des  Yaudois  ^. 

Ils  se  dispersèrent  dans  toute  Tltalie  pour  prêcher  ces  erreurs , 
et  soulevèrent  les  fidèles  contre  le  pape. 

Jean  XXII  écrivit  à  tous  les  princes  contre  les  Frérots,  et  char- 
gea tous  les  inquisiteurs  de  les  juger  rigoureusement  *, 

Pour  se  concilier  les  princes  que  Jean  XXII  excitait  contre  les 
Frérots ,  ces  sectaires  mêlèrent  à  leurs  erreurs  des  propositions 
contraires  aux  prétentions  des  papes  ;  ils  soutenaient  que  le  pape 
n'était  pas  plus  le  successeur  de  saint  Pierre  que  les  autres  évé- 
ques; que  le  pape  n'avait  aucun  pouvoir  dans  les  États  des  princes 
chrétiens ,  et  qu'il  n'avait  nulle  part  aucune  puissance  coactive. 

Le  concours  de  tous  ces  artifices  soutint  quelque  temps  les 
Frérots  contre  l'autorité  du  pape  :  cependant  on  en  brûla  beau- 
coup, mais  ils  réparaient  leurs  pertes  par  de  nouveaux  prosélytes  ; 
et  enfin,  n'ayant  plus  ni  églises,  ni  ministres,  ils  prétendirent  que 
les  Frérots  avaient  tous  le  pouvoir  d'absoudre  et  de  consacrer,  et 
qu'il  élait  inutile  de  prier  dans  les  églises  consacrées. 

Les  Franciscains  unirent  leurs  efforts  aux  ordres  des  papes 
pour  l'extinction  des  Frérots  ;  et  la  secte  des  Frérots ,  après  avoir 
résisté  long-temps  aux  attaques  des  papes ,  se  dissipa  ;  les  restes 
passèrent  en  Allemagne  ,  et  y  subsistèrent  sous  la  protection  de 
Louis  de  Bavière,  qui  haïssait  Jean  XXII,  et  elle  se  confondit  avec 
les  Béguards. 

Le  nom  de  Frérots  fut  donné  indistinctement  à  cette  multitude 

*  Raynald  ad  an,  1318,  n.  A69, 
«  Ibid, 


G  IL  431 

de  sectes  qui  inondèrent  TEurope  dans  le  treizième  siècle  et  au 
commencement  du  quatorzième.  Ces  sectes  tombèrent  dans  les  dé- 
sordres les  plus  horribles  ;  elles  reuouTelèrent  toutes  les  infamies 
des  Gnostiques  et  des  Adamites  ;  elles  prétendaient  que  ni  Jésus- 
Christ  ni  les  apôtres  n'avaient  observé  la  continence ,  et  quMls 
avaient  en  leurs  propres  femmes,  ou  celles  des  autres.  Parmi  ces 
sectaires ,  il  y  en  avait  qui  soutenaient  que  l'adultère  et  l'inceste 
n'étaient  point  des  crimes  lorsqu'on  les  commettait  dans  leur 
secte  *. 

Tel  est  à  peu  près  le  tableau  que  nous  offî*e  tin  siècle  ignorant , 
précédé  par  des  siècles  plus  ignorans  encore,  et  pendant  lesquels 
on  n'avait  épargné  ni  le  sang  ni  le  fer  ;  l'Europe  chrétienne  était 
remplie  d'armées  de  croisés ,  de  bûchers  et  d'inquisiteurs  :  on 
avait  détruit  les  hérétiques ,  et  l'on  s'était  appliqué  k  corriger  les 
désordres  qu'ils  reprochaient  aux  catholiques  ;  on  avait  entrepris 
de  réformer  les  mœurs,  mais  on  n'avait  point  éclairé  les  esprits  ; 
et  la  réformation  dans  les  mœurs ,  laquelle  avait  été  regardée 
comme  un  préservatif  contre  la  séduction  des  Albigeois  et  des 
Vaudois,  avait  conduit  à  toutes  les  erreurs  ,  et  produit  les  Fré  • 
rots,  les  Béguards,  la  secte  de  Ségarel ,  etc. ,  parce  que  cette  ré< 
formation  n'avait  pour  principe  qu'une  piété  sans  lumière. 

FRÈRES  DE  LA  PAUVRE  YIE  ;  c'est  le  nom  que  prenaient  les 
disciples  de  Dulcin  :  ils  s'appelaient  ainsi  eux-mêmes  ,  sous  pré- 
texte qu'ils  avaient  renoncé  à  tout,  pour  ne  vivre  que  de  la  vie 
apostolique. 

FRÉROTS.  Voyez  Fratricelles. 

FRÈRES  POLONAIS  ;  c'est  un  nom  que  les  Sociniens  prirent 
pour  montrer  que  la  charité  régnait  entre  eux ,  et  que  leur  con- 
fraternité était  inviolable. 


GENTILIS  VALENTIN.  Voyez  Sociniens. 
GILBERT  DE  LA  PORRÉE  naquit  à  Poitiers,  dans  l'onzième 
siècle. 


^  D'Argeiilri',  !<iCé  cil. 


4SS  GlL 

prétâtions  de  Porphyre  ,  et  des  catégories  attribuées  à  saint  Au* 

gtistin  *• 

La  logique,  à  laquelle  on  réduisait  presque  toute  la  philosophie, 
n*était  que  Fart  de  ranger  les  objets  dans  de  certaines  classes,  de 
leur  donner  différons  noms,  d'analyser,  pour  ainsi  dire,  ces  noms, 
de  distinguer  les  différentes  qualités  des  objets,  de  marquer  leurs 
différences  et  leurs  rapports. 

Toute  la  philosophie  consistait  à  traiter  de  la  substance,  de  la 
qualité,  des  attributs,  et  de  semblables  abstractions  K 

Cette  méthode  passa  dans  les  écoles  de  la  théologie ,  et  ron 
traita  les  différens  objets  de  la  théologie  selon  les  règles  de  la 
dialectique. 

Les  théologiens  des  siècles  précédens  n'écrivaient  sur  les  véri- 
tés théologiques  que  lorsque  le  besoin  de  défendre  la  vérité  les 
obligeait  à  écrire;  mais  lorsque  la  dialectique  se  fut  introduite 
dans  les  écoles  de  théologie ,  on  traita  les  différens  objets  de  la 
ihéulogie  par  goût ,  pour  son  plaisir,  et  Ton  vit  paraître  une 
foule  de  traités  de  théologie. 

Gilbert  de  la  Porrée  suivit  le  goût  de  son  siècle  ;  il  s^était  beau- 
coup appliqué  à  Tétude  de  la  philosophie  ;  il  avait  ensuite  étudié 
la  théologie  ;  il  avait  même  composé  plusieurs  ouvrages  théolo- 
giques, et  il  avait  traité  les  dogmes  de  la  religion  selon  la  mé- 
thode des  logiciens. 

Ainsi ,  par  exemple ,  en  parlant  de  la  Trinité ,  il  avait  examiné 
la  nature  des  personnes  divines ,  leurs  attributs ,  leurs  proprié- 
tés ;  il  avait  examiné  quelle  différence  il  y  avait  entre  Tessence 
des  personnes  et  leurs  propriétés,  entre  la  nature  divine  et  Dieu, 
entre  la  nature  divine  et  les  attributs  de  Dieu. 

Comme  tous  ces  objets  avaient  des  définitions  différentes,  Gil- 
bert de  la  Porrée  jugea  que  tous  ces  objets  étaient  différens,  que 
Tessence  ou  la  nature  de  Dieu ,  sa  divinité ,  sa  sagesse ,  sa  bonté, 
sn  grandeur  n^est  pas  Dieu ,  mais  la  forme  par  laquelle  il  est 
Dieu. 

Voilà,  ce  me  semble,  le  vrai  sentiment  de  Gilbert  de  la  Porrée  : 
ainsi  il  regardait  les  attributs  de  Dieu  et  la  divinité  comme  des 
formes    différentes,  et  Dieu  ou  TÉtre  souverainement  parfait 

^Ducbesne,  t,  4»  p.  259.  Mabillon ,  Annal.  Bened.,  U  71,  p.  S$. 
Hîst.  littéraire  de  France,  t  9,  p.  A5,  180, 
2  Hist.  lilt ,  r.  7,  p.  130. 


(jîL  438 

liôMme  là  collection  de  ces  formes  :  voilà  l'erpeûr  fondamentale  de 
Gilbert  de  la  Porrée  ;  d'où  il  avait  conclu  que  les  propriétés  des 
personnes  divines  n'étaient  pas  ces  personnes;  que  la  nature  divine 
ne  s'était  pas  incarnée. 

Gilbert  de  la  Porrée  conserva  tous  ces  principes  lorsqu'il  fut 
éluévêque  de  Poitiers,  et  les  expliqua  dans  un  discours  qu'il  fit 
à  son  clergé. 

Arnaud  et  Galon,  ses  deux  archidiacres,  le  déférèrent  au  pape 
Eugène  111 ,  qui  était  alors  à  Sienne,  sur  le  point  de  passer  en 
France  :  lorsqu'il  y  fut  arrivé ,  il  fit  examiner  l'accusation  qu'on 
avait  portée  contre  l'évéque  de  Poitiers.  Ge  prélat  fut  appelé  à 
une  assemblée  qui  se  tint  à  Paris  en  1147,  et  ensuite  au  concile 
de  Reims,  qui  se  tint  l'année  suivante,  et  dans  lequel  on  con- 
damna les  sentimens  de  Gilbert  de  la  Porrée,  qui  rétracta  ses  er- 
reurs et  se  réconcilia  sincèrement  avec  ses  archidiacres.  Quelques- 
uns  de  ses  disciples  persévérèrent  dans  leurs  sentimens ,  mais  ils 
ne  formèrent  point  un  parti.  Ainsi ,  voilà  un  philosophe  qui  re- 
connaît sincèrement  qu'il  s'est  trompé,  et  les  philosophes  ses  dis- 
ciples ne  font  point  une  secte  rebelle  et  factieuse  :  il  en  fut  ainsi 
d'Abaelard,  dans  le  même  siècle  ^. 

L'erreur  de  Gilbert  de  la  Porrée  détruisait,  comme  on  le  voit, 
la  simplicité  de  Dieu,  et  c'est  par  cette  conséquence  que  saint 
Bernard  combattit  ses  principes. 

11  parait  que  cet  évéque  supposait  que  la  substance  de  Dieu  n'a. 
vait  point  par  elle-même  les  attributs  ou  les  propriétés  qui  font  la 
divinité,  mais  que  la  collection  de  ces  attributs  qui  faisaient  la  di- 
vinité était  une  espèce  de  forme  qui  s'unissait  à  la  substance  di- 
vine,  ou  même  qui  ne  lui  était  point  essentielle. 

Ainsi ,  l'Être  suprême ,  ou  l'être  par  soi-même ,  selon  Gilbert 
de  la  Porrée,  n'était  pas  essentiellement  sage,  étemel,  bon,  etc.,  ' 
parce  qu'il  ne  renfermait  point  dans  son  idée  la  collection  des  at- 
tributs qui  faisaient  la  divinité. 

La  substance  de  l'être  nécessaire  n'était  Dieu  que  parce  que  la 
collection  de  ces  attributs  était  unie  à  sa  substance. 

Nous  croyons  donc  qu'on  ne  doit  pas  confondre  l'opinion  des 
Scotistes  avec  l'erreur  de  Gilbert  de  la  Porrée  ;  car  les  Scotisles 

^  Voyez,  sur  Gilbert  de  la  Porrée,  Pétau ,  Dogm.,  Théo).,  t.  4, 1.  2. 
c  8.;  d'Argentré,  GoUect.  jud.;Dup.,  12*  siècle,  c  8;  Natal.  Alex.; 
Hist.  eccles.,  sxc.  12,  art.  9* 

I.  37 


4M  &N0 

croieAt  bien  que  les  attributs  de  Dieu  sont  distingués  de  son  es- 
sence ,  mais  ils  croient  pourtant  qu'Us  naissent  nécessairement  d^ 
cette  essenee ,  comme  de  leur  source  ou  de  leur  principe ,  et  qu^ 
l'existence  par  soi-même  renferme  nécessairement  l'infinité ,  ria- 
(elligeace,  la  bo^  et  toutes  les  perfections. 

ONO^MIQUE  ;  ce  mot  est  composé  de  deux  mots  grencs ,  gno- 
ns, qui  signifie  science ,  et  make,  qui  signifie  destruction,  Og  ap- 
pela de  ce  nom  certains  hérétiques  dji^  sep^ème  siècle ,  qi^  f^u- 
damnaient  les  sciences  et  touites  les  connaissances ,  mjêmi^  i^eQes 
qu'on  acquérait  par  la  lec|.ure  de  l'^Uvjre  ^^\^pQ,  parcç  qjt}^, 
pour  èjtre  sauvé,  il  fallait  bien  vivre ,  et  non  pas  être  s^iv^t  ^. 

GNOSTIQUES  ;  ce  mot  signifie  hon^me  savanit  et  joéjj^r^e. 

Les  premiers  bérétiq\ies  prirent  cie  nonjt ,  parce  qu'ils  se  van- 
taient d'avoir  des  connaissances  et  d^s  lumières  extraordÎAa^es. 

€'est  une  question  parmi  les  savans  de  sayoir  si  Ijbs  Gnpstium^ 
étaient  une  secte  particulière ,  ou  si  l'on  ne  dopnaiit  pas  qç  ii^oopi 
Il  toutes  les  sectes  qui  se  piquaient  d'enseigner  u^e  doct^jj^e  éle- 
vée et  difficile. 

11  est  certain  que  les  Pères  et  les  a.ttteurs  ecclésiastiques  pj^ 
donné  ce  nom  aux  disciples  de  Simon ,  aux  EasiUdieps,  f^. 

Cependant  saint  Épipbane ,  saint  Augustin ,  eto.,  no^j»  parlent 
des  Gnostiques  comme  d'une  secte  particulière  qui  .^v^il;  pris  le 
nom  de  Gnostique  parce  qu'elle  croyait  entendre  mieu^  les  cho- 
ses divines  que  les  autres  sectes.  Saint  ^piphane  surtoujt  parle 
des  Gnostiques  comme  d'une  secte  qu'il  connaît  et  qui  avai^  une 
doctrine  particulière  qu'il  avait  connue  par  la  lecture  des  livres 
que  les  Gnostiques  avaient  composés;  ce  qui  ne  serait  point  con- 
traire à  l'usage  dans  lequel  on  était  de  donner  le  nom  de  Gnos- 
tiques à  ceux  qui  avaient  adopté  quelques-uns  des  principes  des 
Gnostiques  ;  d'ailleurs ,  on  n'oppose  au  sentiment  de  saint  Ëpi- 
phane  aucune  difficulté  réelle. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question ,  nous  allons  tâcher  de  dé- 
mêler quels  étaient  les  principes  généraux  des  Gnostiques  et  com- 
ment ces  principes  adoptés  successivement  par  difiérens  héréti- 
ques ont  pris  différentes  formes  et  produit  des  sectes  différentes  ^, 

*  Damascen.,  De  haer.,  88. 

2  Prima  ad  Tiin.,  6,  v.  20.  Hamond,  Dissertât  de  jure  episcopatûs, 
applique  au\  Gnostiques  un  très-grand  nombre  de  passages  de  saint 
Paul, 


GNO  4%& 

Saint  Paul  ave^tH  Tiniothée  d'éviter  \ei  BOûveamés  profanes , 
et  tout  ce  qu'oppose  mie  science  fatrsseraent  appelée  Gnose,  dont 
quelques-uns  faisant  profession ,  se  sont  égarés  dans  k  foi  ;  de  ne 
point  s'amuser  à  des  fables  et  à  des  généalogies  sans  fin,  qui  ser- 
vent phitôt  à  exciter  des  disputes  qu'à  établir  par  k  foi  le  véri- 
table édifice  de  Dieu. 

Il  paraît ,  par  te  passage'  de  saint  Paul  et  par  saint  Épiphane, 
que  le  caractère  principal  de  la  Gnose  était  d'imaginer  une  foule 
de  générations  d'Éons  ou  de  génies ,  auxquels  ils  attribuaient  k 
production  du  monde  et  tous  les  évèdemens;  voici  vrais^ooMable- 
ment  l'origine  de  leur  sentiment. 

Les  Gnostiques  reconnaissaient  un  Être  suprême  qui  existait 
par  hii-méme  et  qui  donnait  l'existence  à  tous  les  êtres  ;  maïs  ils 
crurent  trouver  dans  le  monde  des  irrégidarités ,  des  désord^es^ 
des  contradictions ,  et  ils  en  conclurent  que  le  monde  n'était  pas 
sorti  immédiatement  des  mains  de  l'Être  suprême  f  souveraine^ 
ment  sage  et  infiniment  parfait.  Il  fallait,  selon  eux,  qu'il  eût  une 
cause  moins  parfaite ,  et  ils  supposèrent  que  l'Être  suprême  avai^ 
produit  un  être  moins  parfait  que  lui. 

Cette  première  production  ne  suffîsah  pas  pour  créer  le  monde, 
car  on  y  voyait  des  mouvèmens  coàtraires  y  et  une  grande  variété 
de  phénomènes  contraires ,  et  qu'on  ne  pouvait  attribuer  à  vAe 
seule  et  même  cause  :  on  imagina  donc  que  cette  première  pro- 
duction avait  donné  l'existence  à  d'autres  êtres. 

Ce  premier  pas  fait,  on  imagina  difiérentes  puissances  dans  le 
monde ,  à  mesure  que  l'on  crut  en  avoir  besoin  pour  expli<|tter 
les  phénomènes  qu'on  observait,  et  l'on  se  forma  de  ces  puissan- 
ces des  idées  analogues  aux  efiets  qu'on  leur  attribuait  :  de  là  vin- 
rent toutes  leis  générations  d'Eons ,  de  génies  ou  d'anges,  tels  que 
le  Nous  ou  l'intelligence,  le  Logos  ou  le  Verbe ,  la  Phronese  ou 
la  Prudence^SophiaeiDynamiSf  ou  la  sagesse  et  la  puissance,  etc. 

C'est  à  peu  près  ainsi  qu'Hésiode  expliquait  le  débrouillement 
du  chaos  et  la  formation  du  monde  par  l'amour,  etc.,  et  c'est  à 
peu  près  ainsi  que  les  Péripatéticiens  imaginaient  des  vertus  eu 
qualités  occultes  pour  tous  les  phénomènes. 

L'objet  principal  des  Gnostiques  n'était  pas  d'expliquer  les 
phénomènes  de  la  nature,  mais  de  rendre  raison  de  ce  que 
l'histoire  nous  apprenait  sur  le  peuple  juif  et  de  ce  que  les  chré- 
tiens racontaient  de  Jésus-Christ. 

Ils  supposèrent  donc  plusieurs  mondes  produits  par  les  anges  ; 


4a«  GNO 

ils  supposèrent  qu'un  de  ces  anges  gouvernait  le  monde  »  et  ib 
imaginèrent  tantôt  plus ,  tantôt  moins  de  mondes  et  d^anges,  et 
leur  attribuèrent  des  qualités  différentes,  selon  qu'ils  imaginaient 
les  choses. 

Ainsi ,  beaucoup  reconnaissaient  deux  principes  ,  Tan  bon  et 
l'autre  mauvais. 

D'autres  disaient  qu'il  y  avait  dix  cieux,  qu'ils  nommaient  k 
leur  fantaisie  ;  le  prince  du  septième  en  remontant  était  Sabahot , 
selon  quelques-uns  d'eux;  c'est  lui ,  disaient-ils,  qui  a  fait  le  dd 
et  la  terre  ;  les  six  cieux  qui  sont  au-dessus  de  lui  et  plusieurs 
anges  lui  appartiennent;  ils  le  faisaient  auteur  de  la  loi  des  Juifs; 
ib  disaient  qu'il  avait  la  forme  d'un  âne  ou  d'un  cochon,  ce  qui 
t  vraisemblablement  servi  de  fondement  au  reproche  que  les  Païens 
fiûsaient  aux  premiers  chrétiens  d'adorer  un  âne  :  on  ne  sait  pour- 
quoi ils  avaient  fait  du  prince  du  septième  ciel  un  âne  ou  un  co- 
chon ;  ce  n'était  vraisemblablement  qu'un  emblème. 

Ils  mettaient  dans  le  huitième  ciel  leur  Barbélo ,  qu'ils  nom- 
maient tantôt  le  père ,  tantôt  la  mère  de  l'univers.  On  assure  que 
ceux  qui  prirent  le  nom  de  Gnostiques  distinguaient  le  créateur 
de  l'univers ,  du  Dieu  qui  s'est  fait  connaître  aux  hommes  par  son 
fils,  qu'ils  reconnaissent  pour  le  Christ  ^. 

Saint  Irénée  assure  que ,  quoiqu'ils  eussent  des  sentlmens  fort 
différens  sur  Jésus->Ghrist ,  ils  s'accordaient  néanmoins  à  nier  ce 
que  dit  saint  Jean  ,  que  le  Yerbe  s'est  fait  chair,  voulant  tous  que 
le  Verbe  de  Dieu  et  le  Christ ,  qu'ils  mettaient  entre  les  premières 
productions  de  la  divinité ,  eût  paru  sur  la  terre  sans  s'incarner, 
sans  naître ,  ni  de  la  Vierge ,  ni  de  quelque  autre  manière  que 
ce  fût. 

Comme  Jésus-Christ  n'était  venu  que  pour  le  salut  des  hommes , 
c'est-à-dire,  selon  les  Gnostiques ,  pour  les  éclairer,  les  instruire, 
ils  ne  lui  faisaient  faire  que  ce  qui  était  nécessaire  pour  cet  objet, 
et  les  apparences  de  l'humanité  suffisaient,  selon  les  Gnostiques, 
pour  remplir  cet  objet. 

Pour  sauver  les  hommes  il  ne  fallait ,  selon  les  Gnostiques ,  que 
les  éclairer  :  leur  corruption  et  leur  attachement  à  la  terre  étaient 
l'effet  de  leur  ignorance  sur  la  grandeur,  sur  la  dignité  de 
l'homme  et  sur  sa  destination  originelle. 

*  Aug.,  Haer.,  c.  6,  Ep.  26,  c.  10,  n.  91.  Epiph.  Haer,  26.  Tert, 
f  pol.,  c.  16.  Iraîn, 


Depuis  que  les  âmes  bumaînes  étaient  encbstnées  dans  des  or- 
ganes corporels,  c'était  par  l'eDtremise  des  sens  qu'on  éclairait 
l'esprit,  el  Jésus-Christ  avait  eu  besoin  de  prendre  les  apparences 
d'un  corps  pour  pouvoir  converser  avec  eui  et  pour  les  instruire; 
mais  il  ne  s'était  point  uni  ï  ce  corps  ranlastique,  comme  noire 
âme  est  unie  au  corps  buoiain  ;  cette  union  eût  dégradé  le  Sau- 
veur, et  elle  n'était  pas  nécessaire  pour  instruire  les  hommes: 
ainsi ,  l'ouvrage  de  la  rédemption  n'était,  de  la  part  de  Jésus- 
Christ,  qu'uD  ministère  d'instruction. 

La  doctrine  de  Jésus-Cbrist  pouvait  élre  enseignée  i  tous  les 
hommes  ,  parce  que  tous  avaient  des  organes  propres  i  écouter  et 
k  entendre  un  homme  qui  parle ,  mais  tous  n'étaient  pas  suscep- 
tibles de  l'instruction  que  Jésus-Christ  arai 

D'après  les  principes  des  Pythagoricien 
les  Gnosliques  distinguaient  dans  la  nature 
matérielle  ou  hyliqae,  la  nature  psnehique 
ture  pneumatique  ou  spirituelle. 

Ils  admettaient  entre  tes  hommes !i  peu  près  les  mêmes  difTc- 
rences ,  et  distinguaient  toute  la  masse  de  l'humanité  en  hommes 
matériels  ou  hyliquei ,  en  hommes  animaux  ou  ptgchiquei ,  et  en 
hommes  spirituels  ou  pnesma  figura. 

Les  premiers  étaient  des  automates  qui  n'obéissaient  qu'aux 
mouvemens  de  la  matière ,  qui  étaient  incapables  de  recevoir  au- 
cune idée ,  de  suivre  un  raisonnement  et  de  s'instruire  :  tout  en 
eu\  dépendait  de  la  matière;  ils  subissaient  toutes  les  viùsailudes 
qu'elle  éprouvait,  et  n'avaient  point  d'autre  sort  qu'elle. 

Les  hommes  animaux  ou  psychiques  n'étaient  pas  intraitables 
comme  les  hommes  matériels  ;  ils  n'étaient  pas  incapables  de  rai- 
sonner, mais  ils  ne  pouvaient  s'élever  au-dessus  des  choses  sen- 
sibles ,  et  jusqu'aux  objets  purement  intellectuels  ;  ils  ne  pou- 
vaient donc  se  sauver  que  par  leurs  actions,  c'est-à-dire  appa- 
remment qu'ils  pouvaient  se  perdre  ou  se  sauver,  selon  que,  par 
leurs  actions,  ils  acquerraient  des  habitudes  qui  les  détacheraient 
de  la  terre  ou  qui  les  ;  attacheraient. 

Les  spirituels  ,  au  contraire ,  s'élevaient  au-dessus  des  sens  et 
h  la  contemplation  des  objets  purement  spirituels;  ils  ne  per- 
daient jamais  de  vue  leur  origine  et  leur  destination  ;  rien  n'était 
capable  de  les  attacher  à  la  terre ,  et  ils  triomphaient  de  toutes 
les  passions  qui  tyrannisent  les  autres  hommes. 

Les  Gnostiques  prétendaient  donc  s'occuper  à  recliercher  A/ias 
37* 


'4S8  6N0 

FÉcriturôdes  «eus  cachés,  des  vérités  sublimes,  et,  par  le  moyen 
de  ces  vérités ,  se  rendre  inaccessibles  airt  {cassions. 

L*esprit  btimain  peut  bien  s'élever  jasqu'i  ces  s^é<^latioiis  ; 
pent^tre  n'èst-îl  pais  împossible  qu'il  s'y  soutienne  un  instant  ; 
mais  cette  sublimité  ne  ^ent  être  son  étot  sur  la  terre.  Chaque 
homme  réunit  les  trois  espèces  d'hommes  dans  lesquels  les  Gnos- 
fiques  divisaient  le  genre  humain  ;  et  le  Gnostiqoe  le  mieux  con- 
vaincu de  sa  perfection  était  en  effet  matériel ,  animal  et  spîritud; 
le  poids  de  son  corps  le  faisait  bientôt  Retomber  sur  la  terre ,  la 
sensibilité  animale  rentrait  dans  ses  droits,  les  passions  renais- 
saient et  s'enflammaient. 

Tous  les  Gnostiques  livraient  donc  la  guerre  ans-  passions ,-  et 
chacun  d'eux ,  pour  les  vaincre,  employait  des  armes  différentes  : 
les  uns  ,  pour  triompher  des  passions ,  se  séparèrent  des  objets 
qui  les  faisaient  naître ,  et  s'interdirent  tout  ce  qui  les  fortifiait; 
les  autres  les  désarmèrent ,  pour  ainsi  dire ,  en  épuisant  leurs 
ressources  ;  ceux-ci ,  pour  les  combattre  avec  plus  d'avasitage, 
voulaient  les  connaftre ,  et,  (»our  les  bien  connattre ,  se  livraient 
i  tous  leurs  mouvemens  et  s'observaient  ;  ceux-làt  les  regardaient 
comme  des  distractions  inopportunes  qui  troublaient  Fhomme 
dans  la  contemplation  des  choses  célestes,  et  dont  il  fallait  se 
débarrasser  en  satisfaisant ,  ou  même  en  prévenant  tous  les  dé- 
sirs :  le  crime  et  Favilissement  de  Thomme  ne  consistaient  point, 
selon  ces  Gnostiques ,  à  satisfaire  les  passions ,  mais  à  les  re- 
garder comme  la  source  du  bonheur  des  hommes  et  conune  sa 
fin. 

On  conçoit  aisément  que  de  pareils  principes  conduisaient  à 
tous  les  désordres  possibles,  et  comment  les  Gnostiques,  en  par- 
tant du  projet  de  la  sublime  perfection ,  tombèrent  dans  la  plus 
honteuse  débauche. 

Les  Gnostiques  prétendaient  allier  les  vérités  et  la  morale  du 
christianisme  avec  ces  principes ,  ou  plutôt  ils  regardaient  ces 
principes  comme  la  perfection  de  Jésus-Christ.  Voici  comment 
un  évèque  gnostique  justifiait  sa  secte.  «J'imite,  disait-il,  ces 
»  transfuges  qui  passent  dans  le  camp  ennemi  sous  prétexte  de 
»  leur  rendre  service,  mais  en  effet  pour  les  perdre.  Un  Gnosti- 
»  que,  un  savant  doit  connaître  tout;  car  quel  mérite  y  a-t-îl  à 
»  s'abstenir  d*une  chose  que  Ton  ne  connaît  pas?  Le  mérite  ne 
»  consiste  pas  à  s'abstenir  des  plaisirs ,  mais  à  en  user  en  maître, 
»  à  tenir  la  volupté  sous  son  empire  lorsqu'elle  nous  tient  entre 


GOM  439 

»  ses  bras  :  pour  moi,  c*est  ainsi  que  j'en  use  y  et  je  ne  Tembrasse 
»  que  pour  Pélouffer  *.  » 

Eufin  il  y  eut  des  Gnostiques  qui ,  en  cherchant  à  connaître  le 
jeu  et  Tempire  des  passions  pour  en  triompiier  et  pour  yivre  en 
purs  esprits ,  tombèrent  insensiblement  dans  une  opinion  con- 
traire et  crurent  que  les  hommes  n'étaient  en  effet  que  des  ani- 
maux ;  que  cette  spiritualité  dont  ils  s'étaient  enorgueillis  était 
une  chimère ,  et  qu'ils  ne  différaient  des  quad^rùpèdes ,  des  rep- 
tiles ou  des  Toïatiles,  que  par  la  configuration  de  leurs  organes  : 
telle  fut  cette  branche  des  Gnostiques  que  Ton  nomma  Èof- 
borites. 

Les  Gnostiques ,  comme  on  vient  de  le  voir,  se  divisèrent  éoi 
différentes  branches ,  qui  prirent  différens  noms ,  tirés  tantôt  du 
caractère  distinctif  de  leur  sentiment,  tantôt  du  chef  de  là  secte  ; 
tels  furent  les  Barbelonites ,  les  Fleriens,  les  Phibéonites ,  les  Zflh 
chéens,  les  BorboriteSy  les  Coddiem ,  les  Lévites,  les  EutuchiieSf 
les  Stratiorites ,  les  OphriteSy  les  Séchiens, 

Quelques-uns  des  Gnostiques  recevaient  l'ancien  et  le  nouveau 
Testament  ;  ils  attribuaient  à  l'esprit  de  vérité  ce  qui  semblait  les 
favoriser ,  et  ce  qui  les  combattait  ils  l'attribuaient  à  l'esprit  de 
mensonge ,  car  ils  voulaient  que  les  prophéties  vinssent  de  diffé- 
rens dieux. 

Ils  avaient  un  livre  qu'ils  disaient  avoir  été  composé  par  Noria^  | 
femme  de  Noé,  un  poème  intitulé  V Évangile  de  la  perfection,^ 
l'Évangile  d'Eve ,  les  Livres  de  Seth,  les  Révélations  d'Adam,  les 
Questions  de  Marie  et  son  accomUement ,  la  Prophétie  de  Bahuba, 
r Évangile  de  Philippe  K 

Le  système  moral  des  Gnostiques  avait  pour  base  fondamen- 
tale le  système  métaphysique  des  émanations ,  c'est-à-dire  ce  sys- 
tème qui  supposait  qu'il  y  avait  un  Être  souverainement  parfait , 
dont  tout  les  êtres  particuliers  sortaient,  comme  la  lumière  sort 
du  soleil.  On  peut  voir  l'exposition  de  ce  système  aux  articles  Ca- 
bales ,  Basilide  ,  Yalentin  ,  Marc. 

Les  Gnostiques  se  sont  perpétués  jusqu'au  quatrième  siècle , 
comme  on  peut  le  voir  dans  saint  Épiphane ,  hérésie  vingt-sixième. 

GOMAR  (  François  ) ,  théologien  protestant  et  professeur  de 
Leyde ,  connu  par  sa  dispute  avec  Arminius. 

*■  Clenu  Alex,,  Strom,,  L  2,  p.  Mi, 

^  Epîpk.,  H»r„  26.  Aug,  Irsen.,  loc  cit. 


440  GOM 

Calvin  avait  enseigné  que  Dieu  prédestinait  également  les  éluâ 
à  la  gloire  et  les  réprouvés  à  la  damnation  éternelle  ;  quMl  pro« 
duisait  dans  Thomme  le  crime  et  la  vertu ,  parce  que  Thomme 
était  sans  liberté  et  déterminé  nécessairement  dans  toutes  ses  ac- 
tions 

Cette  doctrine  ,  enseignée  par  Luther ,  avait  été  attaquée  par 
ses  propres  disciples ,  et,  parmi  les  Protestans ,  il  s^était  toujours 
élevé  quelque  théologien  qui  Tavait  combattue  ;  elle  le  fut  par 
Arminius,  théologien  de  Leyde  et  collègue  deGomar.  Gomarprit 
la  défense  de  Calvin  et  soutint  que  le  sentiment  d'Arminîus  ten- 
dait à  rendre  les  hommes  orgueilleux  et  arrogans,  et  qu*elle  ôtait 
à  Dieu  la  gloire  d'être  Tauteur  des  bonnes  dispositions  de  Tesprit 
et  du  cœur  de  Thomme. 

Avec  ces  déclamations ,  Gomar  mit  dans  ses  intérêts  les  mi- 
nistres ,  les  prédicateurs  et  le  peuple.  Nous  avons  exposé ,  à 
Farticle  Hollande  ,  comment  le  prince  Maurice  prit  parti  pour 
les  Gomaristes  et  profita  de  cette  querelle  pour  faire  périr  Bar- 
nevelt. 

Les  Goiparistes  obtinrent  qu*on  assemblât  un  synode ,  où  Ton 
discuta  les  sentimens  d*Arminius  et  la  doctrine  de  Calvin  :  les  actes 
de  ce  synode  sont  bien  rédigés ,  mais  la  doctrine  de  Calvin  y  est 
extrêmement  changée  :  on  y  abandonne  le  décret  absolu  par  le- 
quel ce  réformateur  prétend  que  Dieu  a  destiné  de  toute  éternité 
la'plus  grande  partie  des  hommes  aux  flammes  étemelles,  et  qu^en 
conséquence  il  les  a  mis  dans  un  enchaînement  de  causes  qui  les 
conduit  au  crime  et  à  Timpénitence  finale. 

On  suppose  dans  ce  synode  que  le  décret  de  damner  a  eu  pour 
motif  la  chute  de  Thomme  et  le  péché  originel  ;  ce  synode  sup- 
pose que  tous  les  hommes  étant  coupables  du  péché  originel  et 
naissant  enfans  de  colère ,  ils  naissent  tous  dignes  de  Tenfer  ;  que 
Dieu ,  par  sa  miséricorde ,  a  résolu  d'en  tirer  quelques-uns  de  la 
masse  de  perdition  et  de  les  faire  mourir  dans  la  justice ,  tandis 
qu'il  y  laisse  les  autres. 

A  l'égard  de  la  liberté,  le  synode  ne  la  nie  pas  ouvertement , 
comme  Luther  et  Calvin  ;  on  reconnaît  dans  l'homme  des  forces 
naturelles  pour  connaître  et  pratiquer  le  bien  ;  mais  on  soutient 
que  ses  actions  sont  toujours  vicieuses  parce  qu'elles  partent  tou- 
jours d'un  corps  corrompu  :  on  reconnaît  que  la  grâce  n'agit  pas 
dans  l'homme  comme  dans  un  tronc  ou  comme  dans  un  auto- 
mate ;  qu'elle  conserve  à  la  volonté  ses  propriétés ,  et  qu*elle  ne 


GOR 

la  force  point  malgré  elle ,  c'est-ti  dire  qu'elle  ne  la  h'n  point 

Toulair  sans  vouloir  '. 

Quelle  élrange  ihêologie  !  dit  M.  Bossuet  ;  n'est-ce  pas  vouloir  9 
tout  embrouiller  que  s'expliquer  si  laiblemeat  sur  le  libreirbi 
On  ne  reprochera  pas  de  semblables  Tariatione  ï  l'Ëglisi 
Iholique  ;  elle  a  toujours  condamné  é|jalemenl  les  Pélagien 
niaient  la  nécessité  de  la  grâce ,  les  semi-Pélagiens  qui  niaient  SI 
gratuité  et  la  prédestination,  les  Prédestin atieiu  qui  n 
liberté  et  qui  prétendaient  que  Dieu  avait  créé  un  certain  nombre 
d'homroea  pour  les  damner,  que  les  réprouvés  n'avaient  point  de 
grâces  pour  se  sauTer,  et  que  Dieu  n'en  accordait  qu'aux  élus. 

Voilà  la  doctrine  de  l'Ëglise  catholique ,  doctrine  sur  laquelle 
elle  n'a  jamais  varié,  quelque  liberté  qu'elle  ait  accordée  aux 
théologiens  pour  expliquer  ces  dogmes;  elle  n'a  jamais  permis  de 
proposer  ou  de  défendre  ces  explications  qu'autant  que  les  théo- 
logiens reconnaissaient  et  soutenaient  qu'elles  ne  combattaient 
point  la  doctrine  de  l'Ëglise  contre  lesPélagiens,  contre  les  semi- 
Pëtagiens  et  contre  les  Prédestina  tiens.  Que  l'on  juge,  après  cela, 
■i  c'est  avec  quelque  fondement  que  Basnage  et  Jurieu  prélen- 
'  dent  que  l'Église  catholique  a  varié  sur  la  prédestination  et  sur 
la  grflce. 

GONSALVE  (Martin),  natif  de  Cuença,  en  Espagne,  préten- 
dit qu'il  était  l'ange  saint  Michel  à  qui  Dieu  avait  réservé  la  place 
de  Lucifer,  et  qui  devait  combattre  un  jour  contre  l'Antecbrist : 
l'inquisiteur,  pour  réfuter  la  vision  de  Martin  Gonsalve ,  âl  périr 
ce  malheureux  dans  les  flammes. 

Il  eut  un  disciple  nommé  Nicolas  le  Calabrois ,  qui  voulut  le 
faire  passer  après  sa  mort  pour  le  Fils  de  Dieu  ;  il  prêcha  que  le 
Saint-Esprit  devait  un  jour  s'incarner,  et  que  Gonsalve  délivre- 
rail  au  jour  du  jugement  tous  les  damnés  par  ses  prière 

Nicolas  le  Calabrois  prêcha  ces  erreurs  h  Barcelone;  il  fut  a 
damné  par  l'inquisiteur  et  mourut  dans  les  flammes. 
Gonsalve  parut  dans  le  quatorzième  siècle'. 
CORTHËE,  disciple  de  Simon  le  Magicien  :  il  ne  Ht  daiujfl 

1  CorpusctSfntngma  conTessouum  fldei,  in-i*;  Histidela  réfbi 
des  Pajs-Bss,  par  Brandi,  I,  S, 

'  Bossuet,  HiiL  deaviriaL,  1.  ià. 

'  Dop.  li"  siècle,  Nalal.  Alei,,  lA  sa;c,  D'Argcrilré,  Collecr.  jud 
I,  1 ,  p.  970,  au.  13^(i, 


'441  GfiE 

doctrine  de  son  iiiaftre  qàe  do  lég^  chsftf^èiilèÂs  i  selon  quèlqaetf 

auteurs. 

Gorthée  est  mis  par  d^àutres  àk  nomli^O  dès  sapi  ^éïnîors  hé- 
rétiques qui ,  après  Fascétisibn  de  Jésus-Chriât  ^  corrom{)fii^nt  lâ 
doctrine  de  rÉgKse  naissante ,  et  dont  on  coniiàtt  plutôt  les  noms 
que  les  dogmes  :  nous  savons  seulement  <|tl'ils  combattaient  le 
culte  que  les  apôtres  et  les  chrétiens  rendaient  à  Jésùs-Ghrîst  ;  et 
qu*ils  niaient  la  résurrection  des  morts  *. 

GOTËSGALQUEouGoDesGALQVE.  Vay.  l'article  PUÊoimmATïÊns, 

GRECS ,  schisme  dès  Grecs  ;  c'est  la  sépàratiot  de  l'Ëglisé  de 
Gonsuntinople  d'avec  l'Église  romaine. 

Pour  être  en  état  de  mieux  juger  du  poids  des  plaintes  dès  Grecs 
contré  l'Église  romàitf e ,  nous  avons  cru  qu'il  était  à  propos  de 
rappeler  en  peu  de  mots  l'origine  de  la  grandetr  dû  pâtf  iàrehe  de 
Ga^tantinople. 

Avant  lai  translation  du  siège  de  Fempire  romaîii  k  ConstàMi- 
nople ,  il  y  avait  dans  l'Ëglise  trois  patriarches  :  le  pàiHarche  de 
Home;  le  patriarche  d'Ântîoche  et  le  patriarche  d'ÂIelàndrié. 
Qtitre  ces  trois  paftriarches ,  il  y  a^ait  trois  diocèses  qui  étaient 
soMnîs  èhàcun  à  un  ptitoat  et  qui  ne  relevaient  d'aucun  patriarche'^ 
ces  trois  diocèses  étaient  :  le  diocèse  d'Asie ,  qui  était  sounCiis  aA 
primaft  d'Éphèse  ;  le  diocèse  de  Thrace ,  qui  était  soumis  au  pri- 
mat d'Héraclée ,  et  le  diocèse  de  Pont ,  qui  était  soumis  au  primat 
de  César ée  *. 

L'Église  de  Gonstantinople  n'avait  point  encore  d'évêc(ue,  ou 
cet  évêque  n'était  pas  considérahie ,  et  il  était  souoiis  au  métro- 
politain d'Héraclée*. 

Depuis  la  traïifslartioh  du  siéjgé  de  Tempire  roàiaiù  à  Gonstanti- 
nople^ les  évêquês  de  cette  ville  devinrent  considérables  et  ob- 
tinrent enfin  le  ring  et  là  juridiction  sur  la  Thrace  ,  sitt  l'Asie  et 
sur  le  Pont*. 

nsensiblement  ils  s'élevèrent  an-dessUs  des  patriarches  d'A- 
lexandrie et  d'Antîoche,  et  prirent  enfin  le  titre  de  pàtflafche 
e^cTAiénrc^é  àvt  un^^ériSiel. 

*  Tbéodor.,  Hâef:,  Fàb.,  1. 1,  c  t  ^  Gonstit.  ApoSt,  I;  6,  c.  (T.  ^té^ 
phore,  Hist.  ecdes.,  L  à,  c.  7.  Ittigius,  De  Uœr.,  sect.  i,  c  1,  S  5, 

2  Pagi.  ad  an.  37.  Oriens  Christ.,  1 1.  Patriarch.,  ConsU,  e.  1. 

*  Panoplia  adverse  sehiana  Grascoruâu 
«Ihid. 


GJIE  443 

Les  papes  s*étaient  opposés  constamment  aux  entreprises  des 
patriarches  de  Gonstantinople,  et  avaient  CQQservjê  tous  leurs  droits 
et  un  grand  crédit  dans  tout  TOrient. 

Photius ,  qui  voyait  que  les  papes  seraient  un  obstacle  inyin- 
cible  aux  prétentions  des  patriarches  de  Constantinople ,  entre- 
prit de  se  séparer  de  TËglisie  latine  ,  prétendant  qu*elle  était  en- 
gagée dans  des  erreurs  pernicieuses  ^. 

Le  projet  de  Photius  n*eut  pas  le  succès  quMI  en  espérait  ;  il 
fut  chassé  de  son  siège ,  et,  après  un  schisme  assez  court,  TÉglise 
romaine  et  FÉglise  grecque  se  réunirent. 

Il  restait  cependant  des  causes  secrètes  de  rupture  entre  les 
deux  Églises  :  les  patriarches  ne  se  relâchaient  point  sur  leurs 
prétentions  au  titre  de  patriarche  universel,  et  les  papes  s'y  op- 
posaient constamment. 

Ainsi ,  les  causes  de  division  que  Photius  avait  imaginées  ne 
pouvaient  manquer  de  faire  renaître  le  schisme ,  pour  peu  qu'il  se 
trouvât  sur  le  siège  de  Constantinople  un  patriarche  ambitieux , 
aimé  du  peuple  et  puissant  auprès  de  Tempereur. 

Ce  patriarche  fut  Michel  Cérularius;  il  vit  que  TÉglise  romaine 
serait  un  obstacle  insurmontable  aux  desseins  ambitieux  des  pa- 
triarches, et  que  pour  régner  absolument  sur  TOrient  il  fallait 
séparer  TÉglise  grecque  de  Tj^glise  latine  :  Photjus  avait  trapé 
cette  rou^  à  Fambition  ifis  patriarches. 

Michel  Cérularius  mit  dafîs  ses  intérêts  révê(}iie  d'Acride,  mé- 
tropolitain de  Bulgarie ,  et  ils  écrivirent  tous  deux  ui^e  lettre  à 
Jean ,  évêque  de  Trani ,  dans  la  Pouille ,  afin  qu'il  la  communi- 
quât au  pape  et  à  FËglise  d'Occident.  Cette  lettre  contient  quatre 
griefs  contre  l'Église  latine  :  1°  qu'elle  se  sert  de  pain  azyme  dans 
la  célébration  des  saints  mystères  ;  2»  que  les  Latins  mangent  du 
fromage ,  des  animaux  et  des  viandes  étou^éeç  ;  3<>  qu'on  jeûne 
les  samedis  dans  l'Église  latine;  4<>  que  les  Latins  ne  changent 
point  Alléluia  dans  le  carême  *, 

Sur  d'aussi  frivoles  prétextes  ,  Michel  Cérularius  fit  fermer  les 
églises  de  Constantinople,  et  ôta  à  tous  les  abbés  et  à  tous  les  re- 
ligieux qui  ne  voulurent  pas  renoncer  aux  cérémonies  de  l'Église 
romaine  les  monastères  qu'ils  avaient  à  Constantinople. 

Léon  IX  répondit  à  cette  lettre,  éleya  beaucoup  la  dignité  d(3 

<  Voyez  Tari.  Photius,  Baron,  Dup.  Oriens  CbrUtt 
2  Ibid. 


444  GÈË 

TËglise  romaine  ,  reprocha  au  patriarche  son  ingratitude  enVerâ 
les  papes,  et  justifia  FÉglise  latine  sur  les  pratiques  que  Michel 
lui  reprochait. 

Soit  que  Cérularius  désirât  effectivement  la  paix,  soit  que  Con- 
stantin ,  qui  avait  besoin  du  pape  et  de  Fempereur  d*Occident 
contre  les  Normands  qui  étaient  sur  le  point  de  s^emparer  de  tout 
ce  qui  lui  restait  en  Italie ,  obligeât  ce  patriarche  à  dissimuler 
pour  quelque  temps,  il  écrivit  au  pape  pour  le  supplier  de  donner 
la  paix  à  TÉglise  ;  Tempereurlui  écrivit  aussi  pour  lui  témoigner 
qu^il  voulait  procurer  la  réunion  des  deux  Églises. 

Le  pape  envoya  des  légats  à  Gonstantinople  ;  Tempereur  les  re- 
çut très-favorablement  ;  le  patriarche  refusa  de  conférer  avec  eux^ 
et  même  de  les  voir. 

Les  légats,  ne  pouvant  vaincre  Tobstination  de  Michel  Cérula- 
rius, Texcommunièrent  publiquement  et  en  présence  de  l'empe- 
reur et  des  grands. 

Le  patriarche ,  irrité  de  cette  excommunication  et  de  Tespèce 
d'approbation  que  l'empereur  y  avait  donnée,  excita  une  sédition, 
et  l'empereur  n'osa  plus  s'opposer  à  l'acte  de  schisme  que  Céru- 
larius méditait  :  ce  patriarche  excommunia  les  légats,  mit  tout  en 
usage  pour  rendre  le  pape  odieux  et  pour  étendre  le  schisme  :  il 
chercha  de  nouveaux  sujets  de  rupture  entre  TÉglise  de  Constan- 
tinople  et  l'Église  romaine,  et  les  plus  légères  différences  dans  la 
liturgie  ou  dans  la  discipline  devinrent  des  crimes  énormes. 

Après  la  mort  de  Constantin ,  l'empire  passa  à  Théodore  ,  et 
ensuite  àMichel  ;  le  schisme  continuait,  mais  l'empereur  ne  le  fa- 
vorisait point.  Michel  VI,  pour  se  rendre  agréable  au  sénat  et  au 
peuple  ,  choisit  parmi  eux  les  gouverneurs  et  les  autres  princi- 
paux officiers  de  l'empire  :  les  ofQciers  de  l'armée,  irrités  de  cette 
préférence,  élurent  pour  empereur  Isaac  Comnène. 

Le  patriarche ,  qui  ne  disposait  pas  à  son  gré  de  Michel ,  vou- 
lut aussi  avoir  un  empereur  qui  dépendit  de  lui ,  fit  soulever  le 
peuple,  feignit  de  le  calmer,  et,  paraissant  céder  à  la  force  et  au 
désir  de  préserver  l'empire  d'une  ruine  entière,  fit  ouvrir  les  por- 
tes de  Constantinople  à  Isaac  Comnène  ;  en  même  temps  il  envoya 
quatre  métropolitains  à  Michel  YI ,  surnommé  Straiioticus ,  qui 
lui  déclarèrent  qu'il  fallait  nécessairement ,  pour  le  bien  de  l'em- 
pire, qu'il  y  renonçât. 

Mais  ,  dit  Michel  aux  métropolitains  ,  que  me  promet  donc  le 
patriarche,  au  lieu  de  l'empire?  Le  royaume  céleste,  lui  répondi- 


ittt  les  méU'Opotiialiis;  sur  cela ,  MicLel  qukta  la  jiôui'pre,  et  m 

Btira  dans  sa  miîsoD  ou  dans  ud  monastère, 

haac,  plein  de  recoonaissaoce,  donna  un  grand  ctédh  au  pia 
[■toitrche  '. 

Cérularius  en  abusa  bientût  :  il  voulut  prendre  une  au 

,  et  menaça  l'empereur,  s'il  ne  suivait  ses  conaeils,  de  lui 
■e  perdre  la  couronne  qu'il  lui  avait  mise  sur  la  tâle.  L'empe- 
reur, quiredouiait  le  pouvoir  de  Cérularius  sur  l'esprit  du  peuple, 
le  fit  arrêter  secrètement ,  l'envoya  en  eiil  o(i  il  mourut,  et  plaça 
sur  le  siège  de  Constantin opie  Constantin  Lichnude,  et  le  schisme 
continua;  maislespapes  entretenaient  cependant  des  liaisons  avec 
tesempereurs  '. 

De  puissans  motifs  atUtcbaient  les  empereurs  de  Coastantino- 
ple  aux  papes  :  on  était  dans  la  fureur  des  croisades,  dont  le  pape 
dirigeait  la  marche,  et  qu'il  pouvait  faire  agir  en  faveur  de  l'em- 
pire d'Orient  ;  d'ailleurs  ,  les  démêlés  des  empereurs  d'Occideot 
et  des  papes  firent  renaître  dans  l'esprit  des  empereurs  d'Orient 
l'espérance  de  recouvrer  un  jour  l'Italie. 

Les  papes  profitèrent  de  ces  dispositions  pour  entretenir  avec 
les  Grecs  des  liaisons ,  et  pour  faire  tomber  la  haine  et  les  préju- 
gés qui  éloignaient  les  Grecs  de  l'Ëglise  romaine. 

Cette  intelligence  des  empereurs  et  des  papes  fut  interrompue 
par  le  massacre  des  Latins  qui  étaient  à  Constantinople  sous  l'em- 
pire d'Andronic,  et  par  la  prise  de  Constantinople  par  les  armées 
des  latins. 

L'empire  se  trouvait  alors  divisé  entie  les  Latins  ,  Théodora 
Lascaris  qui  s'était  retiré  i  Nicée ,  et  les  petils-fils  d'Andronia 
qui  avaient  établi  l'empire  de  Trébisonde. 

Les  latins  avaient  un  patriarche  ï  Constantinople ,  et  Germain , 
patriarche  grec ,  s'était  retiré  à  Nicée. 

Cinq  frères  Hiuenrs,  qui  étaient  missionnaires  en  Orient ,  pro- 
posèrent k  ce  patriarche  de  travailler  i  la  réunion  de  l'Égliu 
grecque  et  de  l'Église  latine:  le  patriarche  Germain  en  rendit 
compte  àl'empereur  Jean  Vaiace,  qui  approuva  le  projet,  et  Ger- 
mainécrititaupape  et  aux  cardinaux. 

Dans  celte  lettre,  le  patriarche  de  Constantinople  qui  aspirait 

un  empire  absolu  sur  toute  l'Église  ,  le  successeur  de  Céruli- 

*  Zouard.,  I.  13,  Cedren,  p.  SOI  ;  Ducange,  Glossar, 
a  Curopalat.  Psellus.  Zonar. 


1 


446  6BE 

rîqs  qui  prétendait  élever  les  empereurs  sur  le  trftne  ei  les  en  fain» 
descendre,  ce  patriarche,  dis-je,  dans  sa  lettre,  reprocha  411  pipe 
son  empire  tyrannique^  ses  exécution^  violentes  et  les  redevan- 
ces qu'il  exigeait  de  ceux  qui  lui  étaient  soumis  :  de  son  c6té,  le 
pape  reprochait  au  patriarche  ripjustÎQ^  de  s^  pré^^nliops ,  Tin- 
gratitude  des  patriarches  envers  rÉglis§  foçoaii^g;  il  comparait  le 
schisfn^  des  Grecs  ani  schisme  de  Samarif^ ,  e^  déclarait  que  les 
deux  glaives  lui  appartenaient. 

Ces  deux  lettres  fpnt  voir  qu'il  y  ^vait  peu  4e  dispositions  sin- 
plires  à  la  paix  entre  le  pape  et  le  patriarche  ;  cependant  le  pape 
^vpyades  religieux,  qui  curent  avec  les  Grecs  des  conférences, 
où  Ton  s'échauffa  beaucoup  de  part  et  d'autre  ,  et  enfin  dans  les- 
quelles op  réduisit  tons  les  sujets  de  controverses  k  deux  points , 
la  procession  du  Saint-Esprit  et  l'usage  du  paiQ  ^izyme  :  on  disputa 
bf^ucoiip  ^ur  ces  deux  poin^,  et  Vq^  se  sépara  sans  s'être  accordé 
sur  quoi  que  ce  soit. 

fliéQ^Qr^  (j^scaris,  qui  sucpéda  à  V^tace,  ne  marqua  pas  beau- 
coup de  désir  pour  la  réunion  des  Gr^cs  et  des  Latins  ;  mais  M i- 
çbeî  Paléologue,  qui  s*empara  de  l'empirç  après  Théodore  Las- 
çaris,  ayant  repris  Constantipople  sur  les  Jjatins,  prévit  que  le  pape 
ne  manquerait  pas  d'armer  contre  lui  les  princes  d'Occident ,  et 
résolut  de  réunir  l'Eglise  Grecque  avec  l'Ëglise  romaine ,  pour  se 
délivrer  de  ces  terribles  croisades  qui  faisaient  trembler  les  em- 
pereurs daps  Gonstantinople  ,  les  sultans  dans  Babylone  et  dans 
le  Caire ,  et  les  Tartares  mêmes  dans  la  Perse. 

Michel  Paléologue  enyoya  donc  des  ambassadeurs  au  pape,  lui 
doDua  les  titres  les  plus  flatteurs ,  et  lui  témoigna  un  grand  dé- 
sir de  voiries  deux  Églises  réunies. 

Urbain  Y,  qui  occupait  le  siège  de  saint  Pierre,  témoigna  une 
grande  joie  des  dispositions  de  Michel  Paléologue  et  du  désir 
qu'il  avait  de  conclure  l'union  des  deux  Églises  :  «  En  ce  cas ,  dit- 
»  il  à  l'empereur,  nous  vous  ferons  voir  combien  la  puissance  du 
»  saint  Siège  est  utile  aux  princes  qui  sont  dans  sa  communion , 
»  s'il  leur  arrive  quelque  guerre  ou  quelque  division  ;  l'Église 
»  romaine^  comme  bonne  mère ,  leur  ôte  les  armes  des  mains ,  et 
9  par  son  autorité  les  oblige  à  faire  la  paix  :  si  vous  rentrez  dans 
»  son  sein,  continue-t-il ,  elle  vous  appuiera ,  non-seulement  du 
»  secours  des  Génois  et  des  autres  Latins ,  mais ,  s'il  est  besoin  , 
»  des  forces  des  rois  et  des  princes  catholiques  du  monde  entier  ; 
»  mais  tant  que  vous  serez  séparé  de  l'obéissance  du  saint  Siège, 


GBË  441 

«  tioiid  ne  pottrc^  icftiffrir  èii  (îoiiàcieiide  i|iié  léS  (MAdis,  M  <]^'' 
»  qu*autres  Latins  que  ce  soit,  tous  donnent  du  secours  *.  > 

La  rédfiiôn  dé  l'Église  ^èéque  et  dé  rËjliâë  làtiiie  dèYitii  ddàc 
un  objet  de  {tôliti^tiè  i  et  Tëttipëreiir  init  tout  éh  usage  podr  là 
procurer.  Aptes  des  diffîëttltéi^  sans  liômbrë ,  réiripërètlr  étirbyà 
au  concile  de  Lyon  des  ambassâderirs,  qui  préseùtè^ettt  ùhê  pro- 
fession- de  foi  telle  qtie  le  pape  l*aTàit  éligéé ,  et  tinë  lettré  de 
vingt-six  métropolitàitïs  d'Asie ,  qui  déclaraient  qu'ils  rèôéYàiéiit 
les  articles  qui  jusqu'alors  âvàieùt  diViéé  les  deiil  Églises  *. 

L'empereur  ctoyait  la  réunion  des  deux  Églises  nécessaire  àù 
bien  de  l'empire;  mais  le  clergé  et  le  peuplé  regardaient  ceité  réu- 
nion comme  le  renvetsethent  de  la  religiola ,  et  copiaient  jpiout' 
rieula  conservation  d'un  empire  où  le  peuple  de^Hiis  si  long-ténjps' 
n'éprouvait  que  des  malheurs,  que  la  religion  seule  àtaii  ^èàdiiâ' 
supportables  par  l'espétâiice  du  bonheur  ctti'ëllé  ptmèi  àût  £.- 
dèles. 

Tout  le  liionde  se  soiilevà  contre  le  projet  dé  U  rénfiiôti ,  et  lé 
trduble  augmenta  par  les  actes  d'autorité  Une  l'éiU{Jërèfiir  em- 
ploya pcrttr  amener  le  clergé,  leà  évêqués  et  lëi^  tfibinëà  â  sclù  lâën- 
timefat. 

1^  despote  d'Épirë  et  le  duc  de  PàttaS  déclsti'èrëiit  ^tf  ils  regar- 
daient comtoie  helvétiques  lé  pàpë,  l'eMpërèùf',  et  tduâ  ceux  c|ui 
étaient  soumis  ati  pape. 

L'empereiït  sfssëinbla  contre  eut  deé  aroblééâ  ,  màiâ  il  iOé  i>iK 
trouver  de  généraux  qui  voulussent  combattre  lèà  èébîstàrâti- 
qûes ,  et  lé  diic  de  Patras  sissembla  ëtfliron  céht  moitiés,  plu- 
sieurs abbés,  huit  évéqùes ,  qui  tinrett  un  conèllé  dàtià  le^tLéf  le 
pape,  l'empérétlt  et  tous  ceui  qui  voitâàieiit  VHiâiHi  furent  anài-^ 
thématisés. 

Michel  n'abandtftîftait  point  le  projet  de  là  téunioli,'  et  âévli^ait 
confie  tous  ceux  qui  s'y  opposaient  *  ihâris  là  éévéHté  ûë  faibit 
qtf  allumet  le  fanatisme.  Goiifàtantiùoplë  était  féta^e  âë  libéflëé 
contre  l'empereur  :  il  fit  publiei^  tine  loi  qui  portait  peiné  ie  iâân 
coiftre  ceux  qui,  ayant  trotÉvé  ttù  libelle  diffàïttatdirè,  àii  llëd  de  le 
brûler,  le  liraient  où  le  lalsse^ietit  lire. 

Cette  loi  tit'arféta  ni  là  lieeàèe ,  tï  là  curiosité  ',  elle  pottà  dihé 
tous  les  cœurs  une  haine  implacable  eoùti^é  Ytitpéftéûtf  et  ti 

*  Fleury,  1.  85,  n.  18. 

>  Reginald  ad  an.  127A>  n.  00. 


448  GUE 

naître  dans  tous  les  esprits  un  grand  mépris  pour  la  msyesté  im- 
périale. 

Ce  fut  dans  ce  temps  de  trouble  qu^arri^èrent  les  nonces  que  le 
pape  ayait  envoyés  en  Orient  y  après  le  concile  de  Lyon ,  pour  y 
consommer  la  réunion,  et  pour  demander  que  les  Grecs  réformas- 
sent leur  symbole ,  et  y  ajoutassent  les  mots  :  FUioque. 

L'empereur  fut  d'autant  plus  étonné  de  cette  nouyelle  demande, 
que  lorsqu'il  s'était  agi  de  la  réunion  des  deux  Églises,  sous  rem- 
pire  de  Yatace ,  le  pape  Innocent  IV  avait  consenti  que  les  Grecs 
continuassent  de  chanter  leur  symbole  suivant  l'ancien  usage  :  il 
comprit  que  s'il  voulait  satisfaire  le  pape,  il  courait  risque  d'une 
révolte  générale  ;  il  refusa  de  faire  dans  le  symbole  le  changement 
que  les  nonces  exigeaient  :  ils  se  retirèrent ,  et  le  pape  excom- 
munia l'empereur  ^. 

L'excommunication  était  conçue  en  ces  termes  :  «  Nous  dénon- 
»  çons  excommunié  Michel  Paléologue,  que  l'on  nomme  empereur 
»  des  Grecs,  comme  fauteur  de  l'ancien  schisme  et  de  leur  héré- 
»  sie,  et  nous  défendons  à  tous  rois,  princes,  seigneurs  et  autres, 
»  de  quelque  condition  qu'ils  soient,  et  à  toutes  les  villes  et  corn- 
»  munautés,  de  faire  avec  lui,  tant  qu'il  demeurera  excommunié, 
»  aucune  société  ou  confédération,  ou  de  lui  donner  aide  ou  con- 
»  seil  dans  les  affaires  pour  lesquelles  il  est  excommunié.  » 

Martin  IV  renouvela  cette  excommunication  trois  fois ,  et  elle 
subsistait  encore  l'an  1282,  lorsque  Michel  mourut,  accablé  de 
chagrin  et  d'ennui. 

Ândronic,  son  fils,  annula  tout  ce  qui  avait  été  fait  pour  l'union  : 
il  fit  assembler  un  concile  à  Constantinople ,  dans  lequel  on  con- 
damna le  projet  de  la  réunion  ;  ce  concile  fut  signé  par  quarante- 
deux  évéques. 

Clément  Y  excommunia  Andronic,  et  le  schisme  continua. 

Michel  ayant  perdu  son  fils  fît  déclarer  empereur  Andronic  le 
jeune,  son  petit-fils,  qui  se  révolta  et  l'obligea  de  quitter  l'empire, 
l'an  1328,  quatre  ans  avant  sa  mort. 

Andronic  le  jeune  laissa  deux  fils,  Jean  et  Manuel ,  dont  l'atné 
fut  déclaré  empereur  à  la  mort  de  son  père;  mais  comme  il  n'a- 
vait alors  que  neuf  ans ,  Jean  Cantacuzène  fut  nommé  son  tuteur, 
et  protecteur  de  Tempire  peqdapt  sa  minorité. 

Cantacuzène  remplit  toutes  les  obligations  de  tuteur  du  prince 

«  L'an  1281, 


GRE 

et  de  protecteur  de  l'empire  ;  mai»  le  patriarche  Joseph,  qui  pré- 
Icndait  que  la  charge  de  tuteur  dti  prince  lui  appartenait,  rendit 
Caniacnzène  suspect  \i  l'impératrice  :  elle  fit  arrêter  les  parena  du 
protecteur,  et  lui  eavoja  ordre  d'abdiquer  sa  charge, 

Canlaouzène  était  ï  la  tête  d'une  armée  qu'il  conduisait  contre 
les  Serviens  :  il  reAiaa  d'obéir  ;  les  ofGciers  l'engagèrent  ï  pren- 
dre la  pourpre  ;  il  fut  proclamé  empereur ,  et  obligea  Jean  Paléo- 
loguc  à  partager  l'empire  avec  lui. 

Les  deui  empereurs  ne  purent  régner  en  paix  ;  la  guerre  s'al- 
lama  entre  etu  ;  ils  appelèrent  ù  leur  secours  les  Serviens ,  les 
Bulgares,  les  Turcs,  etc. 

Durant  ces  troubles,  les  Turcs  passèrent  l'Hellespont  et  s'éta- 
blirent  en  Europe ,  vers  le  milieu  du  quatorzième  siècle.  Amurat 
prit  ensuite  plusieurs  places  fortes  dans  la  Thrace,  et  s'empara 
d'Audrinople ,  dont  il  fit  le  siège  de  son  empire. 

Les  empereurs  grecs  seolireot  alors  combien  ils  avaient  besoin 
du  secours  des  Lalius,  et  ils  ne  cessëreul  de  négocier  pour  pro- 
curer la  réunion  de  l'Égliae  grecque  et  de  l'Eglise  latine  ;  i 
trouvaient  dans  leurs  sujets  une  opiniâtreté  invincible- 
Jean  Paléologue,  pressé  par  les  Turcs,  se  soumit  ï  tout  ce  qu'Ur-  i 
bain  V  exigea  de  lui  ;  mais  il  n'obtint  que  de  faibles  secours  ;  son 
Ris  Manuel  vint  en  Occident  pour  demander  du  secours  contre 
Bajaxet ,  qui  avait  mis  le  siège  devant  Constantin  opte  ;  mais  il 
parcourut  inutilement  l'Ilalie  ,  la  France  ,  l'Allemagne,  l'Angle- 
terre; il  n'obtint  que  du  roi  de  France  Irès-peu  de  secours ,  de  I 
sorte  qu'il  devint  ennemi  des  Latins ,  et  écrivit  c< 
la  procession  du  Saint-Esprit  '. 

Cependant  l'empire  grec  touchait  ï  S3  ruine  :  Jean  Paléologue  1 
fut  obligé  de  recommencer  à  négocier  avec  les  Latins  ;  il 
des  ambassadeurs  ï  l'empereur  Sigismond  et  au  pape  :  il  se  rendit 
même  au  concile  qui  devait  se  tenir  à  Ferrare ,  et  qui  fut  trans- 
féré ï  Florence  :  il  était  accompagné  du  patriarche  Joseph ,  d'un 
grand  nombre  de  prélals  et  de  personnes  considérables.  Après 
plusieurs  conférences  et  beaucoup  de  difficultés,  l'union  fut  enfla  y 
conclue. 

Eji  conséquence  de  cette  union ,  le  pape  avait  promis  à  l'erape-  ] 


is  les  ai 


3t  deux  gal^  I 


itpourla  garde  delà  ville  de  Conslantînople  ;  â"  que  les  galëret  j 
<  Dup.,  lA'  siicle,  p,  Sîi. 


450  GRE 

qdi  porteraient  les  j^èlerinij  JQSC(Q'à  Jértëàlem  irt^etii  ICk>Astaii' 
^fiople  ;  ?<*  ^e  quand  Femfyerear  àiïrait  besotti  âè  viii^gt  galères 
|K>ar  six  mois,  ou  de  dix  pour  un  an,  Te  pape  les  hii  fo^c^mirait  ;  4« 
que  s'il  avait  besoin  de  troupes  de  terre ,  le  pape  sollicitéraîC  for- 
tement les  princes  chrétiens  d'Occident  de  lui  en'fouttiir. 

Le  décret  d'union  ne  contenait  aucuue  erreur  ;  iF  ne  changeait 
rien  dans  la  discipline  des  Grecs  ;  il  n'altérait  en  rien  la  morale  ; 
on  y  reconnaissait  la  primauté  du  pape  ,  qu'aucune  Église  n^avait 
jamais  contestée  :  l'union  procurait  d'ailleurs  un  secours  de  la  plus 
grande  importance  pour  l'empire  de  Gonstantinople;  cependant  le 
clergé  ne  voulut  ni  accéder  au  décret,  ni  admettre  aux  fonctions 
ecclésiastiques  ceux  qui  l'avaient  signé. 

Bientôt  on  vit  contre  les  partisans  de  l'union  une  conspiration 
générale  du  clergé,  du  peuple,  et  surtout  des  moines,  qui  gouver- 
naient presque  seuls  les  consciences ,  et  qui  soulevèrent  tous  lés 
citoyens,  et  jusqu'à  h  plus  vile  populace  :  ce  soulèvement  géné- 
ral engagea  la  plupart  de  ceux  qui  avaient  été  k  Florence  à  se 
rétracter  ;  on  attaqua  le  concile  de  Florence,  et  tout  l'Orient  con- 
damna l'union  qui  s'y  était  faite. 

L'empereur  voulut  soutenir  son  ouvrage  ;  on  le  menaça  de  l'ex- 
communier ,  s'il  continuait  de  protéger  l'union  et  dé  communi- 
quer avec  les  Latins  :  tel  était  l'état  d'un  successeur  de  Constan- 
tin-le-Grand. 

Taudis  que  les  Grecs  se  déchiraient  ainsi ,  Amurat  et  Maho- 
met II  s'emparaient  des  places  de  l'empire  et  préparaient  la  con- 
quête de  Gonstantinople  ;  mais  le  schisme  et  le  fanatisme  comp- 
tent pour  rien  la  destruction  des  empires,  et  les  Grecs  regardaient 
comme  le  comble  de  l'impiété  d'hésiter  entre  la  perte  de  Pempire 
et  le  schisme. 

L'indifférence  des  Latins  pour  l'état  de  l'empire  grec  n'est  pas 
moins  inconcevable  que  le  fanatisme  des  Grecs.  Mahomet  II  sut 
en  profiter;  il  assiégea  Gonstantinople,  et  s'en  rendit  mattre *, 

De  Vétat  de  V Église  grecque  depuis  la  prise  de  Constantinople. 

Après  la  prise  de  Gonstantinople  par  Mahomet ,  le  patriarche 
George  se  réfugia  en  Italie,  et  les  chrétiens  qui  restèrent  à  Gon- 
stantinople interrompirent  l'exercice  public  de  la  religion.  Maho- 

^  Ducas,  c.  31, 


6RE  Uï 

met  en  fat  informé ,  et  lenf  eràamta  dtf  se  cbtoîsîr  ttH  pgh^téhë  ^ 
on  élut  Gennade.  Le  sultan  le  fit  venir  au  palais  ,  lui  donna  ttùt 
crosse  et  un  cheval  blané  y  sor  le^el  Geiiinade  se  rendH  à  TégHse 
des  Apètres ,  oowdnit  par  leè  évéqués  et  par  ks  premiers  officiers 
du  sultan. 

Lorsqne  Gennadèfut  arrité,  le  patriarche  d*Héraelée  Finstàlla 
dans  la  chaire  patriarcale ,  lui  mit  la  nfain  snr  k  tété  et  laf  crosse 
en  main  *. 

Le  patriarche  de  Gonstantin'oplé  s'élit  encore  a«rjonr<f  hni  de 
la  même  manière  ;  mais  Télection  n'a  auicnne  fo^ce  sans  Tagrè* 
ment  du  Grand-Seigiietir,  à  ^  le  patriarche  va  denrander  si  con- 
firmation. 

Les  brigues  des  ecclésiastiqnes  grecs ,  et  les  disputes  <|ni  arri- 
vent très-souvent  entre  eux  pour  le  patriarcat ,  ont  câr^é'de  grands 
désordres  dans  leur  Église  ,  car  pour  obtenir  cette  dignité  étài- 
nénte  il  ne  tant  qxxé  de  Pargent  :  les  ministres  de  la  Porte  dépo- 
sent et  chassent  les  j^aftrîarc^ff,'  pour  peu  qtfoh  leur  ofiGre  dfé  Far- 
gent  pour  en  placer  un  ai^re. 

Les  patriarches  ne  se  maintiennent  doné  stfT  le^  siège  <!pi*an 
moyen  des  somnties  immenses  qctih  donnent  iiii.  visîrs ,  <^i  ôm 
soin  de  susciter  de  tenip^  èh  temps  cfûelifcte  compétiteur,  afin  d'av 
voir  un  prétexte  ^our  demander  de  Fargent  anf  pàtriàrehe. 

Le  patriarche,  pour  payer  ces  contributions ,  lève  de  fosses 
taxes  sur  les  évéques,  qui  les  lèvent  eûi-m'émé^  sttt  leâ  fidèk^v  et 
dont  ils  retiennent  une  partie;  en  sorte  (pie  les  éVêqnes  étïx-mè'- 
mes  seraient  très-fâchés  que  le  patriarche  de*  Gonlstantinoplê  ^$- 
sédât  paisiblement  son  Église  K 

Les  patriafrches  d'Antioèhe  et  de  Jérusalem  sent  si  patihnre?, 
qu'à  peine  ^ûvetf(-3s  s'entrétenit,  et  ils  ont  peu  de  considération. 

L'ÉgKsegrecquen^est  pas  renfermée  dans  ces  troi^ [Matriarcats:; 
les  Grecs  ont  uà  patriarche  à  Alelandrie ,  et  léis  Moscovites  soùt 
encore  aujourd^hiin  attachés  afux  erreurs  et  an  schisme  (fes  Grècs^: 
voyez  Fart.  Mosgovtte». 

Les  évêques ,  aussi  bien  que  l'es  patriarche^  ,  Ate  peuvent  entrer 
en  fonction  sans  une  commission  ou  baratz  du  Grand-Seigneur  ; 
c'est  en  vertu  de  cette  côthihissîon  que  les  couvents  sôntprotégéif^ 

^  Oriens  christ.,  t  1,  p.  ât^. 

3  Hlst.  de  Fétat  présent  de  FÉglise  grecque,  par  Ricaut,  €•  3|  p.  9i. 
Oriens  Christ.,  loc  cit. 


453  GRE 

qu*ils  subsistent  :  voici  comment  ces  commissions  ou  haraiz  soi^ 
conçues  : 
€  L'ordonnance,  le  décret  de  la  noble  et  royale  signature  du 
grand  état  et  du  siège  sublime  du  beau  seing  impérial  qui  force 
tout  Tuniters,  qui,  par  l'assistance  de  Dieu  et  par  la  protection 
du  souverain  bienfaiteur,  est  reçu  de  tous  côtés,  et  auquel  tout 
obéit,  comme  il  s'ensuit. 

»  Le  prêtre  nommé  André  SafQano  ,  qui  a  entre  ses  mains  ce 
bienheureux  commandement  de  Tempereur ,  est,  par  la  vertu  de 
ces  patentes  du  grand  état ,  créé  évoque  de  ceux  de  File  de 
Schio,  qui  font  profession  de  suivre  le  rit  latin. 
>  Le  prêtre  ayant  apporté  son  ancien  baratz  pour  le  faire  re- 
nouveler ,  et  ayant  payé  à  notre  trésor  royal  le  droit  ordinaire 
de  six  cents  aspres,  je  lui  accorde  le  présent  baratz  comme  une 
perfection  de  félicité. 

»  C'est  pourquoi  je  lui  commande  d'aller  être  évêque  dans  l'tle 
de  Schio,  selon  leur  ancienne  coutume  et  leurs  vaines  et  inuti- 
les cérémonies ,  voulant  et  ordonnant  que  tous  les  chrétiens  de 
cette  île,  tant  grands  que  petits,  prêtres,  religieux  et  autres 
faisant  profession  du  rit  latin,  reconnaissent  ledit  André  Saffîano 
pour  leur  évêque;  que,  dans  toutes  les  affaires  qui  relèveront  de 
lui  et  appartiendront  à  sa  charge,  on  s'adresse  à  lui,  sans  se  dé- 
tourner des  sentences  légitimes  qu'il  aura  rendues;  que  de 
même  personne  ne  trouve  à  redire  que  selon  ses  vaines  et  inuti- 
les cérémonies  il  établisse  ou  dépose  des  prêtres  ou  des  person- 
nes religieuses,  comme  il  jugera  qu'ils  l'auront  mérité  ;  qu\au- 
cun  prêtre,  aucun  moine,  ne  présume  de  marier  qui  que  ce  soit 
sans  la  permission  de  cet  évêque ,  et  tout  testament  qui  sera  fait 
en  faveur  des  pauvres  églises ,  par  quelque  prêtre  mourant, 
sera  bon  et  valide;  que  s'il  arrive  que  quelque  femme  chré- 
tienne de  la  juridiction  de  cet  évêque  quitte  son  mari ,  ou  qu'un 
mari  quitte  sa  femme,  personne  que  lui  ne  pourra  ni  accorder 
le  divorce,  ni  se  mêler  de  cette  affaire;  enfin  il  possédera  les 
vignes ,  jardins,  prairies,  etc.  *.  j» 
Les  prêtres  séculiers  tirent  leur  principale  subsistance  de  la 
charité  du  peuple  ;  mais  comme  cette  vertu  est  extrêmement  re- 
froidie, le  clergé,  pour  subsister,  est  presque  contraint  de  vendre 
les  mystères  divins ,  dont  il  est  le  dépositaire  :   ainsi  on  ne  peut 

«  Ricaut,  ibid. 


GRE  J63 

.r  one  abiolulion,  ni  être  admis  à  la  confessîoD ,  ni  faire 
baptiser  ses  eofaos ,  ni  entrer  dans  l'élal  de  m»riage,  ni  se  séparer 
de  9»  remme,  ni  obtenir  l'eicommunication  coDtrean  autre,  ou  la 
communion  pour  les  malades ,  que  l'on  ne  soîl  convenu  du  prix, 
ei  les  prêtres  font  leur  marché  le  meilleur  qu'ils  peuvent  '. 

Des  jeûnes  de»  Gr«*. 

Les  Grecs  ont  quatre  grands  jeûnes  ou  carêmes  :  le  premier 
commence  lelS  novembre,  ou  quarante  jours  avant  Noël  ;  le  se- 
cond est  notre  carême  ;  le  troisième  est  le  jeûne  qu'ils  appellent 
le  jeune  des  sainls  apAtres  et  qu'ils  observent  dans  la  pensée  que 
les  apâtres  se  préparèrent  par  la  prière  et  par  le  jeûne  il  annoncer 
l'Évangile  ;  il  commence  dans  la  semaine  après  la  Pentecôte  et 
dure  jusqu'à  la  saint  Pierre  ;  le  quairiÈme  commence  le  premier 
août,  el  dure  IS jours. 

Jlja,  outre  ces  carêmes,  d'autres  jeûnes,  et  ils  observent  tous 
ces  jeûnes  avec  beaucoup  d'exactitude;  ils  eslimenlque  ceux  qui 
violent  sans  nécessité  les  lois  de  l'abstinence  se  rendent  aussi  cri- 
minels que  ceui  qui  commettent  un  vol  ou  un  adultère  ;  l'éduca- 
tion et  l'habitude  leur  donnent  une  si  haute  idée  de  ces  jeûnes, 
qu'ils  ne  croient  pas  que  le  christianisme  puisse  subsister  sans 
leur  observation.  Ils  croient  qu'il  vaut  mieux  laisser  mourir  un 
homme  que  de  lui  donner  un  bouillon  de  viande.  Après  que  le  ca- 
r£mc  est  passé,  ils  s'abandonnent  entièrement  à  la  joie  et  au  di- 
vertissement. 

De  la  doctrine  de  f  Église  grecque. 

L'Église  grecque  professe  tous  les  dogmes  que  l'Église  latine  j 
professe  ;  on  en  trouvera  des  preuves  convaincantes  dans  diiTércuB  i 

MU.RicautetSmîih  «connaissenicetleconlormité  de  croyance  ^ 
des  Grecs  avec  celle  des  Latins  :  le  dernier  reconnaît  qu'il 
imme  les  Latins,  sept  sacremens,  maïs  il  prétend  que  les  Grecs  j 

*  Ricaul,  ibld. 

'  Pelri  Arcudii  concordia  Eccleslœ  orientalis  et  oecIdcntalU)  Alla- 
I,  de  Eccleiix  occïdenlalis  et  orienlalis  perpétua  consensione.  Cen- 

ra  orientât]*  Ecclesisc ,  tie  pniKipuis  noslri  sœculi  hxrcticorum  dog- 
iBalibun.  Perpei.  de  la  Toi,  i.  5,  1.  S.  Iticuut,  lue,  cil,  Stuilb,  De  slatv   1 
"  iilierno  Ecclcsiîc  grîPca', 


1 
I 


454  GttË 

se  tout  écartés  de  la  doctrine  dé  rânciemië  %l!sé  grèc(iîf  « ,  et 
qu'ils  ont  pris  les  idées  des  Latins  sur  tes  objets. 

M.  Smith  avance  ces  choses  sans  ittttité  pteû^rë  et  c!ontrëk  tA^ 
rite:  1"  parce  que  les  liturgies  grecijucs  supposeiit  que  les  sept 
sacremens  Cdnfèrent  la  grâce  ;  9"  parce  que  les  Père^  grecs  qui 
ont  précédé  le  schisme  parlent  des  sept  sacremens  comme  TÉglise 
latine;  3"  parce  que  Photius  et  Gérularius  n'ont  jamais  reproché 
aux  Latins  de  différence  avec  FÉglise  grecque  sur  les  sidremens, 
ce  qu'ils  n'auraient  pas  manqué  de  faire  s'il  y  en  avait  m  quel-^ 
qn'nne  :  pensera-t*on  que  des  gens  qui  se  séparaient  dé  FËglise 
latine  parce  qu'elle  jeûnait  les  samedis  et  parce  qà'dllcf  ne  chan-^ 
taltpasil/l^ltiia pendant  le  carême,  pensera-t-on,  dis-je,  que  ceê 
schismatiques  eussent  manqné  de  reprocher  à  l'Église  rcrtnainé  ëâ 
doctrine  sur  les  sacremens ,  si  l'Église  grecque  n'avait  pAS  eu  snf 
cet  objet  la  même  doctrine  ?  N'aurait-on  vu  MCiUnè  dispute  HAtte 
les  Grecs  et  les  Latins  sur  cet  objet  ?  à*"  enfin ,  lés  Gtëc&  moi- 
nes, qui  admettent  sept  sacremens  comme  les  Ljttîns,  sbti  poèr- 
tant  demeurés  dans  le  schisme  ;  ils  y  persévèrent  :  ce  n'est  donc 
point  par  complaisance  pour  les  Latins  qne  les  Gl-^cs  ârdmettent 
sept  sacremens ,  comme  M.  Smith  l'a  prétendu. 

Le  point  de  conformité  entre  l'Église  grecque  et  l'Église  ro- 
maine qui  a  fait  le  plus  de  difficulté^  c'est  la  croyance  de  là  pré- 
sence réelle  et  de  la  transsubstantiation. 

L'auteur  de  la  Perpétuité  de  la  foi  avait  avancé  qu'au  temps  àè 
Béranger  et  depuis  toutes  les  Églises  chrétiennes  étaient  tttAts 
dans  la  croyance  de  la  présence  réelle  ;  M.  Claude  nia  ce  fait  et 
soutint  que  la  transsubstantiation  était  inconnue  à  toute  la  terre , 
à  la  réserve  de  FÉglise  romaine,  et  que  tï  les  Grecs,  ni  lels  Ar- 
méniens ,  ni  les  Jacobites ,  ni  les  Éthiopiens,  ni  en  général  a£tcnns 
chrétiens,  hormis  ceux  qui  se  soumettaient  au  pape,  ne  croyaient 
ni  la  présence  réelle,  ni  la  transsubstantiation  *. 

L'autenr  de  la  Perpétuité  de  la  foi  répondit  à  M.  Claude,  qui 
défendit  les  preuves  qu'il  avait  données  sur  la  croyance  des  Grecs, 
et  l'auteur  de  la  Perpétuité  de  la  foi  réfuta  la  réponse  de  M.  Claude  '. 

Enfin,  les  savans  auteurs  de  la  Perpétuité  de  la  foi  portèrent 

^  Réfutation  delà  réponse  d'un  ministre,  à  la  suite  de  ce  qu^on  ap- 
pelle communément  la  petite  perpétuité  de  la  foi ,  p.  464*  Claude, 
rép.  la  Perpét,  a«  part.,  c  8.  Rép.  M.  Claude,  1. 1.  c  6,  etc. 

a  Perpét,  de  la  foi,  t.  i,  1,  2,  3,  A,  La  créance  de  l'Église  grecque 


Q^E  455 

jusqu^à  la  démonstration  la  conformité  de  la  croyance  de  TÉgUse 
grecque  avec  TÉglise  latine  sur  la  présence  réelle ,  en  produisant 
une  foule  d'attestations  des  archcTéques,  des  évéques,  des  abbés 
et  des  moines  grecs ,  soit  en  particulier,  soit  dans  les  synodes  te- 
nus par  le  patriarche.  Le  Père  Paris,  chanoine  régulier  de  Sainte- 
Geneviève,  prouva  très-bien  la  même  chose,  ainsi  qiieM.Simon. 

M.  Claude  ne  fut  point  convaincu  par  ces  attestations,  et  il 
écrivit  au  chapelain  de  Tambassadeur  d  Angleterre  pour  s*assurer 
de  la  vérité  de  ces  attestations.  M.  Gonel ,  chapelain  de  T ambas- 
sadeur, lui  répondit  que  les  Grecs  croyaient  la  présence  réelle  ; 
mais  il  se  consola  de  cet  aveu  forcé  en  reprochant  aw^  Grecs  beau- 
coup d'ignorance  *• 

M.  Smith ,  chapelain  du  chevalier  Harvey,  à  Constantinople , 
en  1668,  reconnaît  la  même  chose ,  et  prétend  que  cette  confor- 
mité de  la  croyance  actuelle  des  Grecs  n'est  pas  un  triomphe  pour 
les  catholiques,  puisque  la  croyance  de  la  présence  réelle  est  un 
dogme  que  les  Grecs  ont  pris  dans  les  écoles  des  Latins  ^. 

Mais  comment  M.  Smith  nous  persuadera-t-il  que  la  croys^nce 
de  la  présence  réelle  est  chez  les  Grecs  l'effet  de  la  séduction  des 
Latins ,  lui  qui  nous  apprend ,  dans  le  même  endroit ,  que  les 
Grecs  sont  si  attachés  à  la  doctrine  et  aux  coutumes  de  leurs  an- 
cêtres qu'ils  regardent  comme  un  crime  le  plus  léger  changement 
dans  ce  qui  regarde  l'eucharistie ,  et  qui ,  en  conséquence  de  cet 
attachement,  ont  conservé  l'usage  du  pain  fermenté  dans  l'eucha- 
ristie? 

Groira-t-on  que  les  Latins  aient  pu  faire  passer  les  Grecs  de  la 
croyance  de  l'absence  réelle  à  la  croyance  de  la  présence  réelle , 
sans  que  ce  changement  ait  causé  aucune  contestation  chez  les 
Grecs ,  qui  n'avaient  point  eu  commerce  avec  les  Latins  ?  Pour- 
quoi ,  lorsque  le  patriarche  Cyrille ,  séduit  et  gagné  par  les  Pro- 
testans ,  proposa  aux  Grecs  la  croyance  de  Calvin  ;  pourquoi,  dis- 
je,  tous  les  Grecs  se  soulevèrent-ils  contre  lui  ? 

Mais ,  dit  M.  Smith ,  cette  croyance  est  si  moderne  chez  les 
Grecs  que  le  mot  metotniosis,  qui  signifie  tranuubftantiationf  est 

défendue  par  le  P.  de  Paris,  2  vol.  in-i2,  Hist.  crit.  de  la  créance  des 
nations  du  Levantt 

*  Mémoires  littéraires  de  la  Grande-Bretagne,  t.  9,  p.  13i.  Créance 
de  rÉglise  orient.,  par  Simon. 

2  3milli,  loc.  cit.,  p.  102, 


456  &ilË 

un  mot  qu*on  ne  trouve  que  chez  les  Crées  modeméé ,  et  incôoSft 
même  au  temps  de  Gennade ,  qui  fut  patriarche  après  la  prise  de 
Gonstantinople. 

On  conyieut  que  le  mot  melomiosis  ne  se  trouve  ni  dans  les  Pè- 
res  ni  dans  les  liturgies,  ni  dans  les  symboles;  mais  la  chose  qu*il 
signifie  s^y  trouve:  il  en  est  de  ce  mot  comme  du  mot  omausianf 
que  rÉglise  a  employé  pour  signifier  plus  clairement  la  divinité  du 
Verbe ,  et  pour  exprimer  mieux  qu*il  existait  dans  la  même  sub- 
stance dans  laquelle  le  Père  existait. 

A  regard  de  Gennade ,  il  s'est  servi  du  mot  metousiosis,  et  ce« 
pendant  ce  Gennade  était  un  des  plus  grands  ennemis  des  Latins. 
Ges  deux  points  ont  été  prouvés  par  Simon  et  par  M*  Tabbé  Renau- 
dot,  qui  ont  très-bien  relevé  les  méprises  de  H.  Smith,  surtout  à 
regard  de  Gyrille  Lucar,  dont  les  Galvinistes  ont  tant  vanté  la 
confession  ou  profession  de  foi  *. 

Gyrille  Lucar  était  natif  de  Gandie  ;  il  avait  eu  des  relations  as- 
sez étroites  avec  les  Galvinistes  ;  il  avait  adopté  leurs  sentimens.  A 
force  d'intrigues  (pour  ne  rien  dire  de  plus),  Gyrille  se  fit  nommer 
patriarche  de  Gonstantinople  ;  alors  il  fit  une  confession  de  foi 
toute  calviniste  *. 

Hottinger  fit  imprimer  cette  profession  de  foi ,  et  triompha  ; 
mais  les  Luthériens,  et,  parmi  les  Galvinistes,  Grotius  et  Aubertin, 
ne  la  regardèrent  point  comme  la  confession  de  foi  de  TÉglise 
grecque ,  mais  comme  la  confession  de  foi  de  Gyrille  seul  ;  et  il 
est  certain  que  ce  patriarche  ne  la  communiqua  point  à  son  clergé, 
et  qu'elle  fut  réfutée  parles  Grecs  et  rejetée  comme  contenant  une 
doctrine  contraire  à  la  croyance  de  TËglise  grecque. 

Gyrille  lui-même  l'avait  si  peu  donnée  comme  la  confession  de 
l'Église  orientale,  qu'en  l'envoyant  il  déclare  qu'il  déteste  les  er- 
reui's  des  Latins  et  les  superstitions  des  Grecs,  et  prie  M.  Léger 
d'attester  qu'il  meurt  dans  la  foi  de  Galvin  3. 

Est-ce  ainsi  que  parlerait  un  patriarche  de  Gonstantinople  qui 
aurait  proposé  à  son  Église  la  confession  de  foi  qu'il  envoyait? 
Dcclarerait-il  qu'il  déteste  les  erreurs  des  Grecs ,  s'il  était  vrai 
que  cette  profession  eût  été  approuvée  par  l'Église  grecque  ?  Les 

^  Perpétuité  de  la  foi,  t.  4,  1.  5,  c.  1,  p,  345,  Simon,  Créance  de 
rÉglise  orient. 
2  Perpétuité  de  la  foi,  t.  1,  1.  A,  c  6,  p.  299. 
*  Holting.,  Analect.,  p,  303. 


GRE  J3Î 

Calviûstes  peuvent-iU  drer  de  celte  confession  aucun  araniai^e, 
sinon  de  prouver  que  Cjrille  était  Calviniste  et  avait  une  doctrine 
opposé*  Ji  celle  de  son  EgUsef 

Cyrille  de  Bërée,  qui  succéda  à  Cyrille  Lucar,  pour  réparer 
riioaneur  de  l'Église  grecque ,  ilétrie  eu  quelque  Borte  par  l'apos- 
tasie de  son  prédécesseur  et  par  la  proression  de  fui  qu'il  avait 
ruussemeni  publiée  sous  le  nom  de  l'Église  grecque ,  assembla  un 
concile  o<i  se  trouvèrent  les  palriarchesde  Jérusalem  et  d'Alexan- 
drie, avec  vingt-trois  des  plus  célèbres  évêques  de  l'Orient  et 
tous  les  ofticiers  de  l'Ëglise  de  Coustantinople.  On  eiamina,  dans 
ce  synode,  la  confession  de  foi  de  Cyrille  Lucar,  et  on  prononça 
anathème  ï  sa  personne  et  ï  presque  tous  les  points  de  sa  confes- 
sion, et  surtout  sur  ce  qu'il  avait  enseigné  que  le  pain  et  le  vin  ne 
sont  point  changés  au  corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ  par  la  bé- 
nédiction du  prêtre  et  l'avènement  du  Suint-lCsprit  '. 

Cyrille  de  Bérée  fut  chassé  quelque  temps  après  par  Parlhénius, 
qui  se  fit  reconnaître  patriarche  de  Constantinople;  jamais  homme 
n'eut  moins  d'intérêt  de  maintenir  les  décrets  de  Cyrille  de  Bérée 
que  Parthénius  ;  il  avait,  au  contraire,  un  grand  intérêt  il  le  faire 
passer  pour  un  hérétique ,  aGn  de  jusiiSer  l'expulsion  de  ce  pa- 
triarche :  cependant,  aussitôt  que  Parthénius  fut  établi  sur  le  siège 
patriarcat,  il  assembla  un  concile  de  vingt-cinq  évéques,  entre  les- 
quels était  le  métropolitain  de  Moscovie  ,  et  là ,  après  qu'on  eut 
examiné  de  nouveau  les  articles  de  Cyrille  Lucar,  ils  furent  con- 
damnés par  le  jugement  de  tous  les  évéques ,  comme  ils  l'avaient 
été  dans  le  concile  assemblé  par  Cyrille  de  Bérée. 

Que  l'on  juge,  après  cela ,  ai  Cyrille  Lucar  est  regardé  par  lei 
Grecs  comme  un  martyr,  ainsi  que  le  soutiennent  UU.  Claude , 
Smith,  Aymon,  etc.  *. 

Enlin  Dosiibée,  patriarche  de  Jérusalem,  et  plusieurs  métropo- 
litains ,  évêques  et  autres  ecclésiastiques  de  la  communion  grec- 
que, étaient  assemblés  ù  Bethléem  il  l'occasion  de  la  dédicace 
d'une  nouvelle  église  ;  M.  de  Nointel ,  ambassadeur  de  France  k 
Constaniinople,  lil  proposer  à  cette  assemblée  d'examiner  la  vérité 
des  preuves  que  UH.  de  Port-Royal  avaient  données  dans  la  Ptr- 
péluiU  de  la  foi  sur  la  conformité  de  la  croyance  des  Grecs  et  des 
.a  par  rapport  à  la  transsubstantiation.  Le  patriarche  de  ié- 

I  Perpétuité  de  la  fui,  I.  1,  I.  i,  c,  T. 
L*  Vose:  \Vl  Perpil.  t'elafoii  t.  1,  I.  l;l.  i,  I.  9. 


1 
I 


4&8  G&E 

nisalem  et  les  autres  prélats  reconnurent  que  la  eonfessioik  de  foi 
de  Cyrille  Lucar  ne  contenait  point  la  doctrine  de  TÉglise  d*Orient, 
et  condamnèrent  la  doctrine  des  Calvinistes  *. 

Les  plus  habiles  Protestans,  tels  que  Smith,  Àlliz,  reconnais- 
saient Tauthenticité  de  ce  synode,  que  Ton  ne  peut  regarder 
comme  une  assemblée  de  Grecs  latinisés,  puisque  Dosithée  était 
un  des  plus  grands  ennemis  des  Latins  '• 

L'examen  du  concile  de  Jérusalem  feit  une  grande  partie  du 
gros  in-8«  qu'Aymon  a  fait  sous  le  titre  imposant  de  Monumem 
authentiqua  de  la  religion  dei  Grecs. 

Cet  ouvrage  n'est  que  la  répétition  de  ce  que  Mil.  Claude , 
Smith,  etc.,  ont  dit,  et  que  lili.  Simon,  Renaudot,  le  P.  de  Pa- 
ris Génovésain  avaient  déjà  réfuté  >• 

Quelque  peu  dangereux  que  soit  Vouvrage  du  sieur  ÂynM>n ,  H 
a  été  réfuté  dans  un  ouvrage  fait  exprès  par  M.  Tabbé  Renaudot, 
que  nous  avons  indiqué. 

De  l'autorité  du  clergé  tur  le  peuple. 

Les  Grecs  ont  un  respect  extraordinaire  pour  le  clergé;  ils  se 
soumettent  à  leurs  ecclésiastiques,  soit  dans  les  choses  spirituelles, 
soit  même  dans  les  temporelles  :  le  métropolitain  décide  sur  toutes 
leurs  contestations,  conformément  à  ce  que  dit  saint  Paul  :  a  Quand 
»  quelqu'un  de  nous  a  un  différend  avec  un  autre,  ose-t-il  bien 
»  aller  en  jugement  devant  les  iniques  et  non  point  devant  les 
»  saints?  » 

La  crainte  de  Texcommunication  est  le  plus  puissant  motif  pour 
les  faire  obéir;  elle  fait  une  si  forte  impression  sur  leur  esprit, 
que  les  pécheurs  obstinés  et  eudurcis  tressaillent  lorsqu'ils  en- 
tendent une  sentence  qui  les  sépare  de  l'unité  de  TËglise ,  qui 
rend  leur  conversion  scandaleuse,  et  oblige  les  fidèles  k  leur  re- 
fuser même  ces  secours  de  charité  que  le  christianisme  et  l'hu- 

'  On  trouve  les  extraits  de  ce  concile,  Perpétuité  de  la  foi,   t.  3, 
1.  8,  c.  16  ;  Toriginal  fut  envoyé  au  roi  Louis  XIV,  et  déposé  dans  la 
bibliothèque  du  roi,  où  il  fut  volé  par  le  sieur  Aymon.  Voyez  la  dé* 
feiise  de  la  Perpétuité  de  la  foi  contre  les  calomnies  d*un  livre  intitulé: 
Monumeus  authentiques,  in-8°.  Cet  ouvrage  est  de  Tabbé  Kenaudot«  , 

^  Smith  Miscellanea.  Allix,  notes  sur  Nectaire. 

*  Nous  avons  déj^  indiqué  ces  ouvrages. 


GRE  459 

manité  commandent  de  donner  généralement  à  tous  les  hommes. 

Ils  croient ,  entre  autres  choses ,  que  le  corps  d'un  excommu^ 
nié  ne  peut  jamais  retourner  dans  ses  premiers  principes  que 
la  sentence  d'excommunication  n'ait  été  levée  :  ils  croient  qu'un 
démon  entre  dans  le  corps  des  personnes  qoi  sont  mortes  dans 
l'excommunication  et  qu'il  le  préserve  de  k  corruption  en  l'ani^ 
mant  et  en  le  faisant  agir  à  peu  près  comme  l'âme  anime  et  fait 
agir  le  corps.  Ils  pensent  que  ces  morts  excommuniés  mangent 
pendant  la  nuit ,  se  promènent ,  digèrent  et  se  nourrissent  :  ils 
ont  sur  cela  toutes  les  histoires  qu'on  raconte  des  vampires. 

Les  Grecs  mettent  si  souvent  l'excommunication  en  usage , 
qu'il  semble  qu'elle  devrait  avoir  perdu  sa  force  et  devenir  mé- 
prisable; cependant  la  crainte  de  l'excommunication  ne  s'est 
point  affaiblie  ^  et  la  vénération  des  Grecs  poilr  les  arrêts  de  leur 
Église  n'a  jamais  été  plus  grande  :  ils  sont  entretenus  dans  cette 
soumission  par  la  terreur  qu'inspirent  les  termes  de  la  sentence 
d'excommunication ,  par  la  nature  des  effets  qu'ils  sont  persua- 
dés qu'elle  produit,  effets  dont  les  prêtres  grecs  les  entretiennent 
sans  cesse  et  dont  personne  ne  doute  *.  . 

C'est  par  cette  terreur  que  le  clergé  retient  irrévocablement  le 
peuple  dans  le  schisme  f  et  qu'il  lève  sur  lai  les  contributions 
qu'il  est  obligé  de  payer  aux  visirs  :  ce  clergé  schismatique  a 
donc  un  grand  intérêt  à  entretenir  le  peuple  dans  one  ignorance 
profonde  et  dans  la  terreur  des  démons  :  voilà  les  fondemens  dé 
leur  excessive  autorité. 

De  quelque»  opinions  et  tuperstilions  des  Grecs. 

Lorsque  les  Grecs  posent  les  fondemens  d'tili  édifice ,  le  prétfè 
bénit  l'ouvrage  et  les  ouvriers  ;  après  qu'il  est  parti ,  ils  tuent  uù 
coq  ou  un  mouton  et  enterrent  le  satïîg  sou^  lâ  |iremiéte  pierre; 
ils  croient  que  cela  attire  le  bonheur  sur  la  maistffi. 

Quand  ils  veulent  du  mal  à  quelqu'un ,  ils  prennent  ta  mesute 
de  la  longueur  et  de  la  largeur  de  son  corps  avec  du  fil  ou  avec  uii 
bâton ,  et  la  portent  à  un  maçon  ou  à  un  menuisier,  qui  va  poser 
les  fondemens  d'une  maison  ;  ils  lui  donnent  de  l'argent  pour  en- 
fermer cette  mesure  dans  la  muraille  ou  dans  la  menuiserie ,  et 
ne  doutent  pas  que  leurs  eiinemis  ne  meurent  lorsque  le  fil  oti  le 
bâton  seront  pourris. 

^  Ricaut,  État  présent  de  l'Église  grecque. 


460  GRE 

Ils  croient  fortement  que,  le  15  août,  jour  de  rAssomption , 
toutes  les  rîyières  du  monde'  se  rendent  en  Egypte  :  la  raison  de 
cette  opinion  est  qu'ils  remarquent  que  yers  ce  temps  toutes  les* 
rivières  sont  basses,  à  la  réserve  du  Nil  qui  inonde  alors  TÉgypte  : 
ils  croient  que  les  débordemens  du  Nil  sont  une  continuelle  béné- 
dictibn  du  ciel  sur  TÉgypte ,  en  récompense  de  la  protection  dont 
le  Sauveur  du  monde  et  sa  mère  y  jouirent  contre  la  persécution 
d*Hérode. 

Les  Grecs,  aussi  bien  que  tous  les  peuples  du  Levant,  croient 
encore  aux  talismans.  Les  sauterelles  font  de  grands  ravages  à 
Alep  ;  on  y  voit  des  oiseaux  que  les  Arabes  nomment  êmirmûr^ 
qui  mangent  et  détruisent  beaucoup  de  ces  sauterelles;  les  Grecs 
ont,  pour  attirer  ces  oiseaux,  une  espèce  de  talisman  ;  ils  envoient 
chercher  de  Teau  d'un  lac  de  Samarcande ,  et  ils  croient  que  cette 
eau  a  la  vertu  d'attirer  lesmirmor:  voici  comment  Ricaut  raconte 
cette  cérémonie. 

La  procession  commence  à  la  porte  de  Damas,  qui  est  au  midi  ; 
chaque  religion  et  chaque  secte  y  assiste  avec  les  marques  d'une 
dévotion  extraordinaire,  suivant  ses  propres  usages,  et  faisant 
porter  à  sa  tète  l'enseigne  de  sa  communion  ;  ainsi  l'on  voit  suc- 
cessivement paraître  la  Loi ,  l'Évangile  et  l'Alcoran  :  chacun 
chante  des  hymnes  à  sa  façon  ;  les  mahométans  y  sont  avec  plus 
d'éclat  que  les  autres  ;  ils  ont  environ  cent  belles  bannières  de 
leur  prophète,  portées  par  des  schaighs ,  qui ,  à  force  de  hurler, 
jettent  Técume  par  la  bouche  et  deviennent  furieux. 

Dans  une  de  ces  processions ,  il  y  eut  une  dispute  entre  les 
chrétiens  et  les  juifs  pour  la  préséance  ;  les  juifs  la  prétendaient 
par  droit  d'ancienneté;  mais  les  mahométans  jugèrent  en  faveur 
des  chrétiens  parce  qu'ils  étaient  plus  gens  de  bien  que  les  juifs, 
et  qu'ils  payaient  plus  qu'eux  pour  l'exercice  de  leur  religion. 

L'eau  ne  peut  passer  sous  aucune  arcade;  ainsi,  lorsqu'on  est 
arrivé  à  Alep,  on  tire  cette  eau  par  dessus  les  murailles  du  châ- 
teau, et  de  là  on  la  pose  dévotement  dans  la  Mosquée  ^. 

Des  points  de  doctrine  ou  de  discipline  qui  servent  de  prétexte  au 

schisme  des  Grecs, 

Trois  points  principaux  séparent  aujourd'hui  les  Grecs  des  I<a- 
tins  :  1»  ils  condamnent  l'addition  que  l'Église  latine  a  faite  au 

^  l^icaut,  ihid, 


GRE  46f 

symbole  de  Gonstanlinople,  pour  exprimer  que  le  Saint-Esprit 
procède  du  Père  ;  2»  ils  ne  veulent  pas  reconnaître  la  primauté 
du  pape  ;  3°  ils  prétendent  qu^ou  ne  peut  consacrer  avec  du  pain 
azyme.  Nous  avons  réfuté  le  premier  chef  à  l'article  Macédonius  ; 
nous  allons  faire  quelques  réflexions  sur  les  deux  autres. 

De  la  primauté  du  pape. 

L'Église  est  une  société  ;  elle  a  des  lois ,  un  culte ,  une  disci- 
pline ,  des  ministres  pour  les  enseigner,  un  ministère  pour  les 
faire  observer,  un  tribunal  pour  juger  les  controverses  qui  s'élè- 
vent sur  la  foi ,  sur  la  morale  et  sur  sa  discipline  :  telle  est  l'Église 
que  Jésus-Christ  a  instituée. 

Il  faut ,  dans  une  société  telle  que  l'Église ,  un  chef;  et  Jésus- 
Christ,  en  fondant  son  Église ,  lui  donna  pour  chef  saint  Pierre  et 
ses  successeurs. 

Les  Pères  et  les  conciles  ont ,  dans  tous  les  temps ,  reconnu 
cette  vérité ,  et  l'on  en  trouve  la  preuve  dans  tous  les  théolo- 
giens. 

11  n'est  pas  moins  certain  que  l'évéque  de  Rome  est  le  succes- 
seur de  saint  Pierre  et  que  c'est  à  ce  successeur  qu'il  a  transmis  la 
primauté  de  l'Église.  Tous  les  Pères  le  reconnaissent ,  et  dans 
tous  les  temps  on  s'est  adressé  à  l'évéque  de  Rome  comme  au 
chef  de  l'Église  :  il  en  a  exercé  les  fonctions  par  lui-même  ou 
par  ses  légats  dans  tous  les  siècles  ;  on  en  trouve  la  preuve  dans 
les  conciles  généraux  et  dans  la  condamnation  de  toutes  les  hé- 
résies. 

Les  Grecs  eux-mêmes  n'ont  jamais  contesté  cette  primauté  avant 
le  schisme  :  l'histoire  ecclésiastique  fournit  mille  exemples  de 
l'exercice  de  la  primauté  du  pape  sur  le  siège  de  Constantinople. 
Saint  Grégoire  dit  expressément  :  «  Qui  doute  que  l'Église  deCon- 
»  stantinople  ne  soit  soumise  au  siège  apostolique?  L'empereur  et 
»  l'évéque  de  cette  ville  l'annoncent  sans  cesse  *.  »  ^ 

Les  papes  ont  même  exercé  cette  primauté  sur  Photius,  comme 
on  peut  s'en  assurer  dans  son  article. 

La  primauté  du  pape  était  également  reconnue  dans  le  patriar- 
cat d'Antioche ,  d'Alexandrie  et  de  Jérusalem.  Timothée ,  arche- 
vêque d'Alexandrie,  fut  repris  par  le  pape  Simplicius  de  ce  qu'il 

<  Greg.,  Ép.,p.  941. 

39* 


462  ORE 

avait  réeité  le  nom  de  Dioscore  dans  les  dypik|ttes ,  et  Timothée 
en  demanda  pardon  au  pape  ^ . 

Lorsque  Gérularius  se  sépara  de  TÉglise  d'Occident ,  il  fit  tous 
ses  efiorts  pour  engage  Pierre  d^Antioche  dans  son  schisme  ;  mais 
Pierre  soutint  la  primauté  du  pape  contre  Gérulariu»  ^. 

Toute  rÉglise  d'Afrique  reconnaissait  aussi  la  primauté  du 
pape  ;  on  le  Toit  par  rkistoire  des  Donatistes  et  par  celle  des  Pé- 
lagiens  :  saint  Grégoire  fournit  mille  exemples  d'actes  de  primauté 
exercés  sur  TAfrique  ^. 

Les  premiers  réformateurs ,  dans  le  commencement  de  leurs 
contestations,  reconnaissaient  la  primauté  èa  pape.  Jean  Ha», 
condamné  par  Farchevéque  de  Prague,  en  appek  au  sïège  apos^ 
tolique  ;  Jérôme  de  Prague  approuva  te  jugement  àa  concile  de 
Constance  sur  les  articles  de  Wiclef  et  de  Jean  Hus  *. 

Luther,  au  commencement  de  son  schisme ,  traitait  de  calom- 
niateurs ceux  qui  l'avaient  voulu  décrier  auprès  de  Léon-  X  :  Je 
tte  jette  à  vos  pieds ,  dit-il ,  danis  la  disposition  d'écouter  Jésus- 
€&risl  qur  pairie  piarvous  K 

Il  le  prie  de  l'écouter  comme  une  brebis  commise  à  ses  soins; 
îk  preiestie  qu'il<  recomiaft  le  suprême  pouvoir  de  l'Église  romaine, 
et  il  aroue  que  de  tous  lés  temps  les  papes  ont  eu  le  premier  rang 
dems  TÉgrise  ®. 

Zuingle  avoue  qu^il  était  nécessaire  qu'il  y  eût  un  chef  dans 
rÉglise  \ 

M élanchton  consentit  qu'on  laissât  au  pape  son- autorité,  et  il* re- 
connaissait qu'elle  pouvait  être  utile  *. 

Henri  Vlll,  roi  d'Angleterre,  défendit  d'abord  contre  Luther  h 
primauté  du  pape  et  de  FÉglise  romaine.  Léon  X  hii*  avait  donné 
le  titre  de  défenseur  de  la  foi  ®. 

Grotius  prétend  que  l'évêque  de  Rome  doit  présidter  sur  toute 

^  Conc,  t  A,  p.  1031. 
^  Benery,  Pandect.,  t.  1,  p.  154. 

»  Ibid,  t.  2,  p.  561,  611,  694,  916,  976  ;  t,  4,  p.  142  ,  1186,  1198. 
Traité  de  raulorité  des  papes,  1. 1, 1,  1,  c.  3, 4^ 
*  Conc,  U  12,  p.  164, 
«Luth., Op.,  t.  1,  p.l01. 
«  Ibid,  p.  285,  t.  7,  p.  4. 
7Z'uingle,0p.,  t.  1,  p.  27. 
8  Ibid.,  t.  4,  p.  825. 
^  Raynald,  ad  au.  1521,  ii.  74. 


GRE  469 

rÉglise;  Texpérience  a ,  selon  Im,  eonfinné  qs'im  elKef  éuitfié- 
eessaire  dans  FËglise  pour  5  cdnserrer  TicAhè  :  il  assure  que  Mé^ 
lanchtou  et  Jacques  1«%  roi  de  la  Grande-dretagne,  ont  reconnu 
cette  vérité. 

Gretius  se  fait  jxvm  dilBcuhié ,  et  dît  :  Mais  le  pape  ue  peut- il 
pas  abuser  de  son  pouvoir  ? 

11  ne  faut  pas  lui  obéir,  répond  Grotius ,  lorsque  ses  comman- 
démena  sont  contre  les  canons;  mais  il  ne  faut  pas  pour  cela  nier 
son  autorité  ni  refuser  de  lui  obéir  lorsque  ses  comKiandemens 
sont  justes  :  si  on  avait  fait  attention  à  ce  que  nous  venons  de  dire, 
contînue-t-il,  nous  aurions  une  Église  réformée  et  unie^. 

Le  clergé  de  France  et  toutes  les  universités  du  royaume  re- 
connaissent la  même  vérité,  sans  cependant  croire  que  le  pape 
soit  infaillible  ou  quHl  ait  aucun  pouvoir  sur  le  temporel  des  rois. 
La  primauté  du  pape  dans  l'Église  est  une  primauté  d'honneur 
et  de  juridiction  ;  c'est  à  lui  de  faire  observer  les  canons  de  TÉ- 
glise  par  tout  le  monde ,  de  convoquer  des  concfles  et  d'excom- 
munier ceux  qui  refusent  d'y  comparaître. 

Quoique  les  décisions  du  pape  ne  soient  pas  infiaillibles ,  elles 
doivent  cependant  être  d'un  grand  poids ,  et  elles  méritent  beau>- 
coup  de  respect.  Le  pape  peut  faire  de  nouvelles  tois  générales 
et  les  proposer  à  l'Église;  mais  elles  n'ont  force  de  loi  que  par 
l'acceptation  :  le  clergé  de  France  reconnatt  que  ces  droits  sont 
l'apanage  de  la  primauté,  et  que  le  pape  a  cette  primauté  de  droit 
divin  :  je  ne  sais  comment  on  a  pu  reconnaître  la  primauté  et 
contester  ce  dernier  point  *. 

Le  clergé  de  France  reconnaît  encore  que  le  pape  est  métropo- 
litain et  patriarche  dans  son  diocèse ,  qu'il  a  des  prérogatives  par- 
ticulières et  une  puissance  temporelle  sur  ce  qu'on  nomme  Fétat 
ecclésiastique  ;  mais  on  reconnaît  qu'il  a  acquis  ce»  choses  et 
qu'il  ne  les  a  pas  de  droit  divin  ;  qu'il  est  inférieur  au  concile 
œcuménique  ,  qui  peut  le  déposer  ;  qu'il  ne  peut  déposer  les  évê- 
ques,  ni  absoudre  les  sujets  du  serment  de  fidélité  envers  le 
roi  *. 
Les  théologiens  ultramontains  ont  bien  d'autres  idées  de  la  pri- 

«  Grot.,  t.  5,  p.  617,  641,  648. 

2  Voyez  BeW^rm.,  De  summo  pontif.  Melchior  Ganus,  De  loc  theol., 
!•  6.  Dupin,  Diss.  de  antiqu  Ecles,  disciplinA,  Defensio  deri  gallicani, 
^  Defens.  cleri  gallicani. 


464  GRE 

mauté  du  pape;  on  a  recueilli  tous  les  ouvrages  faits  pour  défen-* 
dre  les  prétentions  de  la  cour  de  Rome ,  et  cette  collection  com- 
pose vingt-un  volumes  in-folio  ^ . 

Ces  prétentions  ont  été  fortement  combattues  par  les  théolo* 
giens  français  :  il  suffit  de  lire  la  défense  du  clergé  de  France. 

De  l'usage  du  pain  azyme  dans  Veucharistie, 

Les  Pères  ont  tous  reconnu  que  Jésus-Christ  se  servit  du  pain 
azyme  dans  la  dernière  cène  en  instituant  Teucharistie  :  nous 
n*examinons  point  ici  si  Jésus-Christ  fit  en  effet  la  dernière  cène 
avec  les  Juifs ,  ou  s'il  prévint  le  temps  des  azymes  ;  nous  concluons 
seulement ,  du  témoignage  unanime  des  Pères ,  quUls  ont  cru 
qu*on  pouvait  consacrer  Feucharistie  avec  du  pain  azyme. 

Cependant  Texemple  de  Jésus-Christ  n'a  pas  été  une  loi  qui  ait 
obligé  nécessairement  TÉglise  à  se  servir  de  pain  azyme  dans  la 
consécration  de  Feucharistie,  Jésus-Christ  ne  s'en  étant  servi  que 
par  occasion ,  à  cause  qu'il  n'était  pas  permis  aux  Juifs  d'user 
d'autre  pain  pendant  la  Pâque ,  et  il  y  a  beaucoup  d'apparence 
que  les  apôtres  se  sont  servis  indifféremment  de  pain  levé  et  de 
pain  azyme. 

Il  paraît  que  les  saints  Pères,  qui  ont  établi  les  premiers  la  dis- 
cipline dans  l'Église,  étant  persuadés  que  Noire-Seigneur  s'était 
servi  de  pain  azyme  dans  l'institution  de  l'eucharistie,  ont  ordonné 
qu'on  s'en  servirait  à  la  messe  pour  garder  Tuniformité,  et  que  les 
Grecs,  au  contraire,  croyant  n'être  point  obligés  de  s'arrêtera  une 
chose  qui  ne  venait  que  d'une  pratique  de  la  loi  judaïque ,  avaient 
mieux  aimé  se  servir  du  pain  levé. 

11  n'est  pas  bien  aisé  de  décider  si  chaque  Église  a  toujours  été 
dans  l'usage  où  elle  est  encore  aujourd'hui;  mais  il  est  certain 
que  l'usage  du  pain  azyme  est  très-ancien  dans  l'Église  latine , 
qu'il  y  était  généralement  établi  avant  le  schisme  de  Photius  ,  et 
qu'on  n'avait  jamais  blâmé  l'Église  latine  ^. 

On  ne  trouve  rien  daos  l'Écriture,  ni  dans  la  tradition ,  ni  dans 
les  Pères ,  ni  dans  les  liturgies ,  qui  condamne  l'usage  du  pain 
azyme.  11  est  certain ,  d'ailleurs ,  que  le  pain  azyme  peut  être  la 
matière  de  l'eucharistie  aussi  bien  que  le  pain  levé;  enfin,  l'Église 

*  Bibliol.  pontificia. 

2Mabillon,  loco  citato*  Giampinl,  Conjectura  de  perpeiuo  azymo- 
rum  usu,  Rom.,  in-4% 


HEM  465 

latine,  en  conservant  le  pain  azyme ,  ne  condamne  point  les  Grecs 
qui  se  servent  de  pain  levé  :  ainsi',  Fasage  de  TËglise  latine ,  par 
rapport  au  pain  azyme ,  ne  pouvait  être  une  cause  légitime  pour 
se  séparer  de  sa  communion  ^. 

Les  Grecs  modernes  ont  écrit  pour  justifier  leur  schisme.  Scy- 
ropule,  porte-croix  de  TÉglise  de  Gonstantinople,  a  fait  une  his- 
toire du  concile  de  Florence ,  dans  laquelle  il  se  déchaîne  contre 
rËglise  romaine.  M.  Greygthon ,  chapelain  du  roi  d'Angleterre , 
Ta  traduite  en  latin ,  avec  des  notes ,  et  y  a  mis  une  longue  pré- 
face :  le  traducteur  surpasse  son  auteur  en  invectives  contre  TË- 
glise  romaine  ;  il  a  été  réfuté  par  M,  Alassi ,  garde  de  la  biblio- 
thèque vaticane. 

M.  AUix  a  aussi  traduit  du  grec  la  réfutation  que  Nectaire  a  faite 
de  Tautorité  du  pape ,  sous  ce  titre  :  Beatissimi  et  sapientistimi 
magnœ  et  sanctœ  urbis  Jérusalem  patriarchœ  domini  Nectarii  re- 
fUtatio  thesium  de  papœ  imperio,  quas  ad  ipsum  altulerunt  fratres 
qui  Hyerosolymœ  agunt  :  t»-8°,  1702. 

Le  P.leQuien,  sous  le  nom  de  Stephanus  de  Altimura,  a  réfuté 
Nectaire ,  dans  le  livre  intitulé  :  Panoplia  advenus  schisma  Grœ- 
eorum:  Paris,  tn-4<'. 

H 

HËLYIDIUS  était  un  Arien  qui  avait  à  peine  la  première  tein- 
ture des  lettres  ;  il  fit  un  livre  contre  la  virginité  de  la  sainte 
Vierge  :  il  prétendait  prouver,  par  TÉcriture,  que  Jésus-Christ  avait 
eu  des  frères  :  les  sectateurs  de  cette  erreur  furent  appelés  Anti- 
dicomnrianites  ^. 

HEMATITES  :  saint  Clément  nomme  ces  hérétiques ,  sans  ex- 
pliquer quelle  était  leur  hérésie  *. 

Spencer  a  cru  que  ces  hérétiques  étaient  ainsi  appelés  parce 
qu*ils  mangeaient  des  viandes  suffoquées  ou  consacrées  aux  dé- 
mons; d^autres  pensent  quMls  ont  eu  ce  nom  parce  qu*ils  ofiraient 
du  sang  humain  dans  la  célébration  des  mystères  ^. 

^  AUatius  in  Robert,  Creygthonis  apparatum  ;  Sirmond,  Disquisît.  de 
azymo;  Bona.,  1.  1,  c.  23.  Liturgiarum.  Mabill.  Praef.  in  saec,  8, 
Ordinis  Benedict.  Lupus ,  t.  3.  Scbol.  in  decr.  conc  de  actis  Leonis 
papae,  9,  c.  7.  Natal.  Alex,  in  «se.  il  et  12. 

2  Hyeron.  cont.  Helvid.  Aug.,  Hxr.  84*  Epipb.,  Haer.  78* 

s  Oem.  Alex.,  I.  7  Slrom. 

4  Spencer,  Pissert,  ad  ^ct»,  cap.  i5,  v,  20* 


'466  HEN 

HENRY  DE  BRUYS  était  un  ermite  qui  adopta  ^  au  eommea- 
oement  du  onzième  siècle ,  les  erreurs  de  Pierre  de  Bruys.  Voyez 
cet  article. 

Il  niait  que  le  baptême  fût  utile  aux  enfans;  il  condanmait  Tu- 
sage  des  églises  et  des  temples ,  rejetait  le  culte  de  la  croix  »  dé- 
fendait de  célébrer  la  messe  et  enseignait  qu*il  ne  fallait  point  prior 
pour  les  morts. 

11  ayait  reçu  cette  doctrine  de  Pierre  de  Bruys  »  qui  Tayait  pré- 
ohée  en  Provence  et  qui  en  avait  été  chassé  à  cause  de  ses  dérè- 
glemens.  La  violence  que  Pierre  de  Bru]fs  avait  employée  pour 
établir  sa  doctrine  ne  lui  avait  pas  réussi  ;  il  avait  été  brûlé  à 
Saint-Gilles. 

Henri,  pour  se  faire  des  partisans ,  {urit  la  route  de  Vinaiikuation 
et  de  la  singularité  :  il  était  encore  jeune  ;  il  avait  les  cheveux 
courts  et  la  barbe  rase;  il  était  grand  et  mal  habillé  ;  il  marehail 
fort  vite  et  pieds  nus ,  même  dans  la  plus  grande  rigueur  de  Thi- 
ver  ;  son  visage  et  ses  yeux  étaient  agités  comme  une  mer  ora- 
geuse ;  il  avait Tair  ouvert,  la  voix  forte  et  capable  d'épouvanter; 
à  vivait  d'une  manière  fort  différente  des  autres  ;  il  se  retirait 
ordinairement  dans  les  cabanes  des  paysans ,  demeoniH  le  jour 
sous  des  portiques ,  couchait  et  mangeait  dans  des  lieux  élevés 
et  à  découvert  :  il  acquit  bientôt  la  réputation  d'un  grand  saint  ; 
les  dames  publiaient  ses  vertus  et  disaient  qu'il  avait  l'esprit  de 
prophétie  pour  connaître  l'intérieur  des  consciences  et  les  péchés 
les  plus  secrets. 

La  réputation  de  Henri  se  répandit  dans  le  diocèse  du  Mans  ; 
on  le  supplia  d'y  aller,  et  il  y  envoya  deux  de  ses  disciples  qui 
furent  reçus  du  peuple  comme  deux  anges.  Henri  s'y  rendît  en- 
suite ,  fut  reçu  avec  les  plus  grands  honneurs  et  obtint  de  Févé- 
que  la  permission  de  prêcher  et  d'enseigner. 

On  courut  en  foule  à  ses  prédications ,  et  le  clergé  exhortait  le 
peuple  à  y  aller. 

Henri  avait  une  éloquence  naturelle  et  une  voix  de  tonnerre  ; 
il  eut  bientôt  persuadé  qu'il  était  un  homme  apostolique ,  et 
lorsqu'il  fut  sûr  de  la  confiance  du  peuple ,  il  enseigna  ses  er- 
reurs. 

Ses  sermons  produisirent  un  effet  que  l'on  n'attendait  pas  :  le 
peuple  entra  en  fureur  contre  le  clergé  et  traita  les  prêtres ,  ks 
chanoines  et  les  clercs  comme  des  excommuniés  :  on  refusait  de 
rien  vendre  à  leurs  domestiques  ;  on  Youlait  abattre  leurs  maisonS} 


HEH  48T 

[hUw  iMirs  biens  et  les  lipîder  ou  les  pendre,  Quelque»-uiii  forent 
irninéa  dans  la  boue  et  battus  cniellemeni. 

Le  chapitre  du  Hans  défendit  à  Henri ,  soua  peine  d'eiCDuunu- 
nicadoD,  de  prêcber  ;  mais  ceux  qui  lui  uotifièreni  celte  sentence 
furent  maltraitas,  el  il  continua  ses  prédications  jusqu' 
de  l'évêque  Hildebert ,  qui  était  allé  ï  Rome. 

Ce  ne  fut  point  en  réfutant  les  erreurs  de  Henri  que  Hildebert 
arrêta  le  désordre  ;  il  conduisit  ce  prédicant  devant  le  peupli 
lui  demanda  de  quelle  profession  il  était  :  Henri,  qui  n'entendait 
pas  ce  mot,  ne  répondit  point  ;  Hildebert  lui  demanda  alors  quelle 
chaire  il  avait  dans  l'Ëglise  ;  Heari  répondit  qu'il  était  diacre. 

Hildebert  lui  demanda  s'il  avait  assisté  ï  l'oflice  ;  Henri  répon- 
dit que  non  ;  eh  bien  1  dit  l'évêque,  récitons  les  hymnes  qu'on 
chante  à  Dieu  ce  matin  ;  Henri  répondit  qu'il  ne  savait  point  l'of- 
fice qu'on  disait  chaque  matin  :  alors  l'évfique  commença  i  chan- 
ter les  hifinoes  ï  la  sainte  Vierge.  Henri  ne  les  savait  pas;  il  de- 
vint interdit  et  confus  :  il  confessa  qu'il  ne  savait  rien ,  mais  qu'il 
s'était  étudié  è  faire  des  discours  au  peuple.  Hildebert  lui  défen- 
dit de  prêcher,  et  lui  ordonna  de  sortir  de  son  diocèse.  Henri 
quitta  le  Mans  et  passa  dans  le  Fijrigord ,  parcourut  le  Langue- 
doc et  la  Provence,  oh  il  se  fit  quelques  disciples. 

Le  pape  Eugène  111  envoya  dans  ces  provinces  un  légat,  et  saint 
Bernard  s'y  rendit  pour  garantir  le  peuple  des  erreurs  et  du  fa- 
natisme qui  désolaient  ces  provinces.  Henri  prit  la  fuite  ;  mais  îl 
fut  arrêté  et  mis  dans  les  prisons  de  l'archevêché  de  Toulouse, 
oh  il  mourut  <. 

Voilï  encore  un  des  patriarches  des  réformateurs,  et  c'est  par 
Henry  de  Bruys  que  M.  Basnage  prouve  la  perpétuité  de  la  doc- 
trine des  Proteslans  sur  la  nécessité  de  ne  prendre  que  l'Ëcriture 
pour  règle  de  la  foi ,  indépendamment  de  la  tradition^. 

HlilNRlCIENS ,  disciples  de  Henri  de  Bruys  ;  ils  se  répandirent 
dans  les  provinces  méridionales  ,  se  confondirent  avec  les  Albi- 
geois et  finirent  avec  eux.  Voyez  l'art.  Albigeois  ,  dans  lequel  on 
a  traité  des  causes  du  progrès  que  firent  les  prédicans  qui  s'élevè- 
rent dans  le  onzième  siècle. 

HËRACLÉON  adopu  le  système  de  Valeniin  ;  il  y  fit  quelques 
changemens  ;  il  se  donna  beaucoup  de  peine  pour  ajuster  î  ce 

■  Coffridui,  1.  3.  De  vill  S.  Bernard-,  c  5,  D'Argcntcé,  t.  1,  p.  15. 
'  Bisnage,  Hist,  des  Ëglises  réf.,  1, 1,  jiériod,  1,  e.  0,  p.  4A5, 


1 
I 


468  HËR 

système  la  doctrine  de  rÉvangile  et  fit  pour  cela  des  cominéuiai- 
res  très-étendus  sur  rÉvangile  de  saint  Jean  et  de  saint  Luc. 

Plusieurs  auteurs  ecclésiastiques  avaient  déjà  entrepris  d'ex- 
pliquer rÉcriture  sainte  ;  tout  y  paraissait  précieux,  et  Ton  croyait 
que  tous  les  mots  contenaient  des  vérités  importantes  et  utiles  ; 
on  avait  cherché  des  sens  cachés  dans  les  choses  les  plus  simples 
en  apparence ,  et  Ton  avait  employé  cette  méthode  pour  expliquer 
les  endroits  difficiles  à  entendre  dans  leur  sens  naturel  et  littéral. 

Avec  cette  méthode ,  Héracléon  crut  pouvoir  concilier  le  sys- 
tème valentinien  avec  rÉvangile ,  et  se  donna  une  peine  infinie 
pour  tirer  de  TÉvangile  des  sens  allégoriques  qui  continssent  le 
système  des  Éons. 

Héracléon  était  un  Valentinien  entêté  de  son  système ,  et  il  se 
donna  une  peine  infinie  pour  le  trouver  dans  TÉcriture  ;  il  adopte 
les  allégories  les  plus  forcées  ;  il  a  recours  à  des  explications  qui 
ne  sont  fondées  ni  sur  la  tradition,  ni  sur  la  raison  :  il  fallaitdonc 
qu'Héracléon  ne  pût  nier  Tautorité  de  TÉcriture  et  qu'il  fût  bien 
convaincu  qu'un  système  qui  n'était  pas  conforme  à  l'Évangile  ne 
pouvait  être  vrai  :  Héracléon  est  donc  une  preuve  que  les  personnes 
qui  avaient  le  plus  d'intérêt  à  nier  la  divinité  de  l'Écriture  sainte 
n'osaient  l'entreprendre ,  et  nous  avons  dans  Héracléon  un  témoin 
qui  avait  examiné  et  discuté  les  preuves  de  la  divinité  de  l'Écriture. 

Héracléon,  à  la  faveur  de  ces  explications,  fit  recevoir  par  beau- 
coup de  chrétiens  le  système  de  Yalentin ,  et  forma  la  secte  des 
Héracléonites. 

Origène  a  réfuté  les  commentaires  d'Héracléon ,  et  c'est  d'Ori- 
gène  que  Grabbe  a  extrait  les  fragmens  que  nous  avons  des  com- 
mentaires d'Héracléon  ^. 

Ces  commentaires ,  comme  on  l'a  déjà  remarqué ,  ne  sont  que 
des  explications  allégoriques,  destituées  de  vraisemblance,  tou- 
jours arbitraires,  et  souvent  ridicules. 

HERMIAS  était  de  Galatie  ;  il  adopta  l'erreur  d'Hermogène  sur 
l'éternité  du  monde,  et  crut  que  Dieu  lui-même  était  matériel , 
mais  qu'il  était  une  matière  animée  plus  déliée  que  les  élémens 
des  corps. 

Le  sentiment  d'Hermias  n'était  que  le  système  métaphysique 

*  Philostorg.,  De  hseres.,  c.  41.  Auctor.  Append.  apud  Tert.,  c  &9. 

Aug.,  Dehser,,  c.  16.  Epiph.,  Hger.  36.  Grabbe,  Spicileg,  secundi  sae- 

culi,  p.  80. 


HER  46B 

des  Stoloiens,  avec  lequel  il  tàcla  d'alliec  les  dogmes  du  chris- 

11  faisait  sortir  l'âme  de  la  terre ,  et  croyait  que  le  mal  venait 
tant&t  de  Dieu ,  et  taatût  de  la  terre  ;  il  pensait  que  le  corps  de 
Jésus-Cbrist  n'était  pas  dans  le  ciel ,  et  qu'après  la  résurrection  il 
avait  mis  daos  le  soleil  le  corps  dont  il  avait  été  revêtu  sur  la 
terre,  ce  qui  tient  au  mépris  que  les  Stoïciens  avaient  pour  le 

Hermias  avait  donc  des  principes  philosophiques  qui  le  por- 
taient à  regarder  la  résurrection  comme  un  Tait  contraire  â  l'idée 
de  la  grandeur  el  de  la  perfection  du  Fils  de  Dieu  ;  cependant 
Heroiias  ne  nie  point  h  résurrection  ;  il  suppose  seulement  que 
JésuB'Christ  a  déposé  son  corps  dans  le  soleil . 

Herœias  ne  pouvait  donc  alors  révoquer  en  doute  la  résurreclioD 
<le  Jésus^brist,  et  certainement  Hermias  n'était  pas  homme  à  se 
rendre  !i  de  mauvaises  preuves  ;  comment  donc  ose-t-on  aujour- 
d'hui regarder  la  résurrection  de  Jésus-Christ  comme  un  fait  cru 
légëremeut,  adopté  sans  examen,  et  Eeulement  par  les  premiers 
chrétiens  ! 

Hermias  crojait ,  comme  les  Stoïciens ,  que  les  Smes  humaines 
étaient  composées  de  feu  et  d'esprit  ;  il  rejetait  le  baptême  de  l'É- 
glise ,  fondé  sur  ce  que  saint  Jean  dit  que  Jésus-Christ  baptisa 
dans  le  feu  et  par  l'esprit. 

Le  monde  était ,  selon  Hermias  ,  l'enfer,  et  la  naissance  conti- 
nuelle des  enfans  élailla  résurrection  :  c'est  ainsi  qu'il  prétendait 
concilier  les  dogmes  de  la  religion  avec  les  principes  du  StoE- 

Hennias  eut  des  disciples  ,  qui  prirent  le  nom  d'Hermialites  : 
ils  étaient  retirés  dans  la  Galaiie ,  oti  ils  avaient  l'adresse  de  faire 
des  prosélytes  ' , 

IILRUOCf^NE,  après  avoir  étudié  la  philosophie  stoîcieime,    I 
embrassa  la  religiou  chrétienne,  et  réunit  les  principes  de  la  phi- 
lusephie  des  Stoïciens  avec  les  dogmes  du  christianisme  :  son  hé-    { 
résie  consistait  U  supposer  l'exisLence  d'une  niaiiérc  incréée,  sans 
mouvement,  sans  principe ,  coéieroelle  il  Dieu  ,  et  dont  il  avait 
formé  le  monde. 

Il  y  a ,  pour  loul  homme  qui  étudie  un  sysltme  une  dlfficullé 
principales  laquelle  il  rapporte  toutes  les  autres,  ou  qui  l'cuipé- 

>  Philastr.,  Deluer.,  c.  95,  ii, 


1 


47è  H£R 

che  de  l«s  sentir  dans  tonte  leur  force  :  si  vous  présentez  \  s<a 

esprit  une  idée  qui  résolve  cette  difficulté,  il  Tadmetsans  réserve 
et  sans  restriction,  et  tontes  les  diUBoultés  disparaissent  k  cet  in- 
stant. 

Mais  iorsqne  cette  prennère  impression  ,  qui  tient  nn  peu  de 
Tenthonsiasme  ,  est  affaiblie ,  les  difficiles  renaissent  ;  on.sent 
ifu^cna  avait  donné  trop  de  généralité  k  ses  principes ,  et  ^'iis  ont 
besoin  de  modifications  ;  alors  il  se  fait  naturellement  un  retonr  de 
req[>rit  vers  ses  pnemiers  sentîmens ,  «fa^on  allie  le  miens  qn'on 
peut  avec  les  principes  -«(u^on  vient  d*acquérir  :  c"^  ainsi  qnffer- 
anagène  allia  les  princ^es  du  christianisme  a'^sc  cen  des  Stoï- 
ciens^ 

Les  Stoïciens  reoonn&îssaîent  dans  le  inonde  nn  Être  snprême 
et  infiniaiient^afrfkit  ;  mais  cet  être ,  selon  eux ,  était  itneÂme  im- 
mense ,  mél^  et  <M>nfondne  avec  la  matière  ,  emprisonnée  dans 
«ne  infinité  de  corps  différens,  et  soumise  à  raveugleimpétnosité 
des  élémens.  Hermogène  avait  été  Irappé  de  dette  -drfBcnlté, 
CMHie  on  le  voit  par  le  livré  i|ne  T^rtiAlien  a  .écrit  loemne  hii. 

Les  chrétiens,  au  contraire  ,  enseignaient  qu'un  esprit  éternel , 
fsistant  par  'lui-même ,  souverainement  pafrMt  et  distingué  du 
monde,  avaitpar  sa  seule  volonté  produit  tout  :  c^était  par  la  pa- 
role toute^puissante  de  cet  esprit  que  le  chaos  et  tontes  les  créa- 
tures étaient  sorties  du  néant  ;  il  avait  commandé  qne^out  ce  qui 
est  fax,  et  tout  avait  été. 

Hermogène  fut  épris  de  la  beauté  ^e  cette  idée  ;  il  n'hésita  pas 
entre  le  dogme  de  Tâme  universelle  et  la  religion  chrétienne , 
qu'il  adopta  sans  restriction. 

Mais,  en  réfléchissant ,  il  crut  voir  que  la  religion  chrétienne 
n^expliquait  pas  comment  cet  être  étant  souverainement  bon  et  le 
maître  absolu  de  la  nature ,  il  y  avait  du  mal  dans  le  monde  :  il 
conclut  que  les  chrétiens  donnaient  trop  d'étendue  à  la  puissance 
de  cet  Être  suprême  ;  toutes  les  idées  des  Stoïciens  sur  rétemilé 
de  la  matière  et  sur  l'explication  des  désordres  qu'on  voit  dans 
le  monde  se  réveillèrent  ;  il  crut  qu'il  fallait  chercher  la  cause  de 
l'origine  du  mal  dans  la  matière,  qui ,  étant  étemelle  et  incréée, 
résistait  à  la  bonté  de  l'Être  suprême. 

C'était,  selon  Hermogène,  dans  cette  matière  qu'on  trouvait  la 
cause  de  tous  les  maux  :  toutes  les  sensations  qui  nous  affligent , 
les  passions  qui  nous  tyrannisent  ;  ont  leur  source  dans  la  ma- 
tière;  tous  les  monstres  sont  des  effets  de  Findocilité  de  la  ma^ 


H£R  471 

tîère  et  de  sa  résistance  inflexible  aux  lois  que  VÉtre  suprême  a 
établies  pour  la  génération  des  corps. 

SI  la  matière  n'est  pas  éternelle  et  incréée  »  disait  Hermogène, 
il  faut  que  Dieu  ait ,  ou  tiré  le  monde  de  sa  propre  substance»  ce 
qui  est  absurde  »  puisqu'alors  Dieu  serait  divisible  ;  ou.  <|UL'iI  Tait 
tiré  du  néant,  ou  qu*il  Tait  formé  d'une  matière  coétemelle  à  loi. 

On  ne  peut  dire  que  Dieu  ait  tiré  le  monde  du  néant  ;  car  Dieu 
étant  essentiellement  bon ,  il  n'eût  point  tiré  du  néant  un  monde 
plein  de  malheurs  et  de  désordres  ;  il  eût  pu  les  empêcher  s'il  l'a- 
vait tiré  du  néant  ^  et  sa  bonté  ne  les  eût  pas  sou£Garts  dans  H 
monde* 

Il  faut  donc  ^ue  Dieu  ait  formé  le  monde  avec  une  matière 
coétemelle  à  lui ,  et  qu'il  ne  l'ait  formé  qu'en  travaillant  sm?  un 
fonds  indépendant  de  lui. 

L'Écriture»  srionHermogène»  ne  disaU  nulle  part  <{v;e  (i^eii  e^ 
fait  la  matière  de  rien  ;  au  contraire ,  dîsait-il  »  elle  nou^  lepr^ 
sente  Dieu  formant  le  monde  et  tous  les  corps  d'une  m^tiê^e 
préexistante,  informe ,  invisible;  elle  dit  :  IKeu.  fit  le  ciel  çt  ^  terçe 
dans  leur  principe,  tuprincipio» 

Ce  principe  dans  lequel  Dieu  forma  le  del  et  \a  ten^e  n'é^t 
que  la  matttèîre  préexistante  et  éternelle  com^  Diei^:  Vidée  dip  la 
création  de  la  matière  n'est  exprimée  nulle  part  dagns  rËcrilwpci. 

Cette  matière  informe  était  agitée  par  ua  Q(iouveme[it  yaSIH^  9 
sans  dessein  et  sans  objet  ;  Dieu  nous  est  représenté,  dans  VÉerî- 
ture ,  comme  dirigeant  ce  mouvement  j,  et  le  modifiant  de  (&  9»a« 
nière  nécessaire  four  produire  les  corps ,  les  pUnte^»  \f^  ai^ 
maux. 

La  matière  étant  éternelle  et  incréée,  et  son  sckouve^ei^^étaiH 
une  force  aveugle ,  elle  ne  suit  pas  scrupuleusement  h^  (ois  que 
Dieu  lui  prescrit ,  et  sa  résistance  produit  les  désordres  dans  le 
monde. 

L'imagination  d'H^rmogè^e  fut  sa^isfsâte  de  cette  hypothèse , 
et  il  crut  que  »  pOH?  expliqua  l'origine  du  mal ,  il  fallait  réu9ir 
les  principes  des  Stoïcien»  sur  la  nature  de  la  mati^e  et  ceux  des 
chrétiens  sur  la  puissance  productrice  du  monde. 

RéfitUUion  dtt  uiUime^i  d'Hermogène^ 

TertuUien  prouve,  contre  Hermogène  :  l**  qu'on  ne  pouvait  faire 
de  }a  matière  un  être  étemel  et  incréé  sans  l'égaler  à  Dieu ,  puis- 


I 


ii  toutes  Tes 


IIER 

par  elle-niOme  ,  elle  aurait 
qu'Hennogène  luî-mËmc  n'osait  avouer. 
D  fait  voir  qu'Hermogène  ne  donne  aucune  idée 
Ile  mslière  coéiernelle  i  Dieu  ;  qu'il  la  dit  tantôt 
tantôt  incorporelle  ;  qu'il  regarde  le  mouvement , 
un  être  dlGTërent  de  la  matière  ,  tantât  comme  U 
,  quoique  le  mouvement  ne  aoil  qu'un  accidept  de 


r  son  hjpo- 


47Ï 

qn'ayant  t' 
perfection  g,  c 
TerluUi 
distincte  de  c 
corporelle ,  e 
tantôt  comme 
matière  mèm 
la  matière. 

3-  Terlullien  fait  voir  qu'Hermogène  ne  peut 
thèse,  rendre  raison  de  l'origine  du  mal  dans  le  mande  :  cette  ma- 
tière sur  laquelle  vous  prétendez  que  Dieu  a  travaillé,  dît-il,  g 
un  mouiement  vague  et  indilTéreni  à  toutes  sortes  de  délermi. 


Si  la  détermination  du  mouvement  de  la  matière  est  êtemetlB 
et  nécessaire  comme  elle,  Dieu  n'a  pu,  ni  le  modifier,  ni  le  chaa^ 
ger;et  sile  mouvement  de  la  matière  n'est  qu'un  déplacement  va- 
gue et  indilTérent  à  toutes  sortes  de  déterminations  ,  elle  n'avait 
par  sa  nature  aucune  détermination  au  mal,  aucune  opposilîun  au 
bien,  et  tout  le  mal  vient  de  l'intelligence  qui  l'a  mise  en  œuvre  ; 
par  conséquent  Hermogène  n'eiplique  point  l'origine  du  mal. 

4*  TertuUien  fait  voir  qu'Hermogène  a  mal  expliqué  le  récit  de 
Hoïse,  etqu'ilabusede  l'équivoque  du  mot  principe,  itiprinvipio, 
dont  la  Cenèse  se  sert. 

Le  mot  principe  ,  dit  TertuUien ,  peut  désigner,  ou  l'ordre  de 
l'existence  des  eboses  ,  ou  la  puissance  qui  les  fait  exister,  ou  le 
sujet  duquel  on  les  tire.  Le  mot  prineipium,  dans  Moïse,  ne  sert 
qu'à  exprimer  le  commencement  de  l'existence  ■-  In  priiicipio  Deux 
feâtoxium  et  terram,  sigaifie,  au  commencement  Oieafit  le  ciel  il 
la  terre,  et  non  pas  ,  comme  le  Iruduisait  Hermogène ,  D(eu  fit  le 
ciel  et  la  terre  dans  un  pfintipe  qui  était  la  matière;  car  lorsque  te 
mot  prineipium  est  employé  pour  eiprimer  le  sujet  ou  lu  matière 
avec  laquelle  on  forme  une  chose ,  on  ne  dit  pas  que  la  chose  est 
formée  dans  ce  principe,  mais  qu'elle  est  faite  de  ce  principe;  on 
ne  dit  pas  qu'on  a  fait  une  médaille  dans  l'argent,  mais  avec  de 

Moïse,  dans  la  Genèse ,  se  propose  de  donner  l'histoire  de  l'o- 
rigine du  monde  :  pour  remplir  cet  objet,  il  fallait  nécessiiireiuent 
que  Moïse  nous  Ht  l'énumâration  des  principes  qui  ont,  pour  ainsi 
dire,  concouru  â  celle  production  ;  il  faillit  que ,  dans  son  récit , 
Moïse  nous  narlât  de  Dieu  ,  qui  est  le  principe  actif  ou  ta  cause 


HER  47» 

{iToduclrïce  do  monde  qui  esi  l'eQet  de  son  acLîon  ,  et  de  U  ma- 
tière qui  a  été  le  sujet  duquel  il  a  tiré  le  monde.  Si  Moïse  eût 
pensé  que  Dieu  avait  tiré  le  monda  d''uiie  matière  qui  lui  était 
caéternelle  ,  il  nous  aurait  parlé  de  celle  matière  ;  cependaut  il 
D'en  parle  point  ;  elle  n'existait  donc  pas  avant  la  créiilion  ia 
monde,  et  elleaété  tirée  du  néant,  selon  lerécildeHoïse. 

Mais,  répliquait  Hermogëne  ,  Moïse  dit  qu'avant  que  Dieu  eût 
formé  le  ciel  et  la  terre ,  elle  était  inrorme ,  invisible,  ce  qui  sup- 
pose sa  préexistence,  et  qu'elle  est  éternelle  et  incréée. 

Vousn'opposez  ici  qu'une  chicane,  dit  Tertullien  ;  vous  préten- 
dez prouver  la  préeiistence  et  réternilé  de  la  matière ,  parce  que 
Moïse  dit  que  la  terre  était:  mais  ne  peut-an  pas  dire  d'une  chose 
qu'elle  est,  aussitôt  qu'elles  reçu  l'eïisience? 

Ces  mots ,  la  matière  était ,  ue  supposent  que  l'existence  de  la 
matière,  et  non  pas  la  raison  pour  laquelle  elle  existe  ;  ainsi  rien, 
dans  le  récit  de  Moïse  ,  n'autorise  le  sentiment  d'Hermogène  sur 
l'éternité  de  la  matière. 

Mais  enfin,  disait  Hermogène,  l'Ëcriture  ne  dit  nulle  part  que  la 
matière  a  été  tirée  du  néant. 

L'Écriture  nous  dit  qu'elle  a  eu  un  commencement ,  répond 
Tertullien ,  et  par  conséiquent  qu'elle  a  été  tirée  du  néant  ;  si  le 
monde  avait  été  tiré  d'une  matière  préexistante  ,  l'Écriture  naos 
l'aurait  dit ,  comme  elle  nous  le  dit  de  toutes  les  autres  produc- 
tions :  lorsque  Moïse  nous  raconte  la  production  des  plantes  ,  il 
les  tire  de  la  terre  ;  lorsqu'il  raconte  celle  des  poissons,  il  les  lire 

L'endroit  même  de  Moïse  qu'Hermogène  cite  en  sa  faveur 
anéautit  tous  ses  principes  ;  car  Moïse  ,  dans  ce  passage,  dît  que 
la  terre  était  informe,  imparfaite,  ce  qui  ne  peut  convenir  qu'à  un 
être  prodait  et  lire  du  néant. 

A  l'égard  deladiISculté  d'Hermogène  sur  la  permission  du  mal , 
en  supposant  que  te  monde  a  été  créé  par  un  Être  tout-puissant , 
Tertullien  répondait  que  le  mal  qui  est  dans  le  monde  n'est  ron- 
Iraire  ni  ï  la  bonté ,  ni  il  la  loute-puissance  de  Dieu ,  puisqu'il  y 
aura  un  temps  où  tout  sera  dans  l'ordre  *. 

Cette  réponse  est  victorieuse,  surtout  contre  Hermogène,  qui 
reconnaissait  l'autorité  de  l'Ëcriture  et  de  la  révélation. 

Ceux  qui  attaquent  la  bonté  de  Dieu  sans  savoir  quel  est  le 

'  TerL  coul.  Hennogen. 


474  HES 

plan  que  TÊtre  suprême  s^est  proposé  dans  la  création  du  inonde 
ne  peuvent  opposer  que  des  ^ophismes . 

M.  le  Clerc  n*a  pas  rendu  justice  à  Tertullien  sur  la  manière  dont 
il  réfute  Hermogène  ;  il  parait  même  que  M.  le  Clerc  n*a  pas  assea 
bien  pris  le  sens  des  difBcultés  d*Hermogène,  qui  n^attaquaientpas 
directement  la  possibilité  de  la  création ,  mais  qui  portent  abso- 
lument sur  r impossibilité  de  concilier  la  permission  du  mal  avec  la 
création  *. 

TertuUien  s'est  sagement  renfermé  dans  ces  bornes ,  et  n*a  pas 
établi  la  nécessité  de  la  création,  dont  on  ne  doutait  pas,  puisque 
Tertullien  traite  d*opinion  nouvelle  le  sentiment  qui  suppose  la 
matière  éternelle  ;  ce  qui ,  pour  le  dire  en  passant ,  hïi  voir  ce 
qu'on  doit  penser  de  la  vérité  ou  de  Térudition  de  ceun  qui  assu- 
rent avec  tant  de  confiance  que  la  création  était  Inconnue  aux  pre- 
miers siècles. 

On  prétend  qu'Hermogène  croyait  que  le  corps  de  Jésus-Christ 
était  dans  le  soleil,  et  que  les  démons  se  dissoudraient  un  jour  et 
rentreraient  dans  le  sein  de  la  matière  première. 

HERM06ËN1ËNS ,  disciples  d'fierm6gène;il  y  en  eut  plusieurs* 
deux  des  plus  célèbres  furent  Hermias  et  Séleucùs ,  qui  firent  des 
sectes  particulières.  Voyez  leurs  articles. 

HÉSICaSTES,  moines  grecs,  qui  enseignèrent  leQuiétisme, 
vers  le  milieu  de  Tonzième  siècle. 

Siméon  le  jeune,  abbé  de  Xérocerce  avait  porté  fort  loin  les 
exercices  de  la  vie  contemplative;  il  avait  donné  des  maximes  pour 
s'y  perfectionner ,  et  ses  moines  priaient  et  méditaient  sans  cesse. 

Comme  la  gloire  céleste  était  Tobjet  de  tous  leurs  vœux ,  elle 
était  le  sujet  de  toutes  leurs  méditations  ;  ils  s'agitaient ,  tour- 
naient la  tête,  roulaient  les  yeux,  et  faisaient  des  efforts  incroya- 
bles pour  s'élever  au-dessus  des  impressions  des  sens ,  et  pour  se 
détacher  de  tous  les  objets  qui  les  environnaient,  et  qui  leur  sem* 
blaient  attacher  l'âme  à  la  terre  :  tous  les  objets  se  confondaient 
alors  dans  leur  imagination  ;  ils  ne  voyaient  rien  distinctement; 
tous  les  corps  disparaissaient ,  et  les  fibres  du  cerveau  n'étaient 
plus  agitées  que  par  ces  espèces  de  vibrations  qui  produisent  ces 
couleurs  vives  qui  naissent  comme  des  éclairs ,  lorsque  le  cerveau 
est  comprimé  par  le  gonflement  des  vaisseaux  sanguins. 

Les  disciples  de  Siméon,  dans  la  ferveur  de  leurs  méditations, 

*  Le  Clerc,  Hist,  eccles.,  an.  158. 


HES  475 

prirent  ces  laeurspour  une  lumière  céleste,  et  les  regardèrent 
èomme  un  rayon  de  la  gloire  des  bienheureux  ;  ils  croyaient  que 
c*était  en  regardant  le  nombril  que  cette  lumière  s^offrait  à  eux. 

On  blâma  ces  yisionnaires.  Siméon ,  sibbé  de  Saint-Mammas  , 
prit  leur  défense,  et  traita  comme  des  hommes  charnels  et  terres- 
très  les  ennemis  des  Hésicastes ,  qui  jouirent  dé  la  liberté  d«  se 
procurer,  par  leur  méditations ,  les  Tisions  qui  les  rendaient  heu- 
reux. 

Au  commencement  du  quatorzième  siècle ,  Grégoire  Palamas , 
moine  du  mont  Âthos ,  qui  ayait  quitté  la  fortune  et  les  honneurs 
pour  la  YÎe  monastique ,  adopta  les  règles  qoie  Siméon  le  jetm 
avait  prescrites,  et  les  accrédita. 

11  écrivit  sur  la  nature  de  cette  lumière  que  les  contemplatifs 
apercevaient  à  leur  nombril  :  il  prétendit  qu^elle  n*était  point  dif- 
férente de  la  lumière  qui  avait  paru  sur  le  Thabor  ;  que  cette  lu- 
mière était  incréée  et  incorruptible,  quoiqu'elle  ne  fût  pas  Tes- 
sence  de  Dieu  ;  c'était  une  opération  de  la  divinité,  sa  grâce,  sa 
gloire ,  sa  splendeur,  qui  sortaient  de  son  essence. 

Un  moine,  nommé  Barlaam,  attaqua  le  sentiment  des  Hésicas- 
tes sur  la  nature  de  la  lumière  qui  avait  paru  sur  le  Thabor,  et 
prétendit  que  cette  lumière  n'était  point  incréée;  que  le  sentiment 
de  Palamas  semblait  admettre  plusieurs  divinités  subordonnées , 
et  émanées  de  la  divinité  substantielle. 

On  assembla  un  concile  pour  décider  cette  question  qui  com- 
mençait à  faire  du  bruit,  et  Ton  condamna  Bariaam. 

Acyndinus ,  autre  moine ,  entreprit  la  défense  de  Barlaam  ;  on 
assembla  un  concile  pour  juger  Acyndinus  ;  il  fut  convaincu  d'éti'e 
du  sentiment  de  Barlaam ,  et  de  croire  la  lumière  dû  Thabor  ude 
lumière  créée;  on  condamna  Acyndinus  etBarlaam;  on  imposa  si- 
lence sur  ces  contestations ,  et  Ton  défendit^  sous  peine  d'excott- 
mucation ,  d'accuser  les  moines  d'hérésie. 

Les  Hésicastes  ou  Palamites  ne  crurent  pas  devoir  se  borner  à 
cette  victoire;  ils  remplirent  Gonstantînople  de  leurs  écrits  contre 
Barlaam ,  répandirent  leur  doctrine,  persuadèrent  ;  et  Gonstanti- 
nople  fut  remplie  de  Quiétistes  qui  priaient  sans  cesse,  et  qui,  les 
yeux  baissés  sur  le  nombril ,  attendaient  toute  la  journée  la  lu- 
mière du  Thabor.  Les  maris  quittèrent  leurs  femmes  pour  se  li- 
vrer sans  distraction  à  ce  sublime  exercice ,  et  les  Hésicastes  leur 
donnaient  la  tonsure  monacale  :  les  femmes  se  plaignirent,  et  les 
Quiétistes  remplirent  Gonstantinoplede  trouble  et  de  discorde. 


476  HOL 

Le  patriarche  ordonna  aux  Hésicastes  de  se  contenir  ;  ils  ne  dé- 
férèrent ni  à  ses  avis,  ni  à  ses  ordres  ;  il  les  chassa  de  la  ville,  as- 
sembla un  concile  composé  du  patriarche  d*Antioche  et  dje  plu- 
sieurs éyéques  :  ce  concile  condamna  Grégoire  Palamas,  ses 
opinions  et  ses  sectateurs. 

Ceci  se  passa  sous  rimpératricç  Anne ,  pendant  Texil  de  Can- 
tacuzène  ;  mais  lorsque  Cantacuzène  se  lut  rendu  maître  de  Cons- 
tantinople,  Timpératrice  Anne  et  Jean  Paléologue,  voulant  se  servir 
de  Palamas  pour  faire  leur  paix,  le  firent  absoudre  dans  un  synode 
qui  condamna  le  patriarche  Jean  :  ce  patriarche  étant  mort,  Can- 
tacuzène fit  élire  à  sa  place  Isidore  ,  sectateur  zélé  des  opinions 
des  Hésicastes. 

Les  Barlaamites  se  séparèrent  de  la  communion  d'Isidore: 
pour  rétablir  la  paix  entre  ces  deux  partis ,  les  deux  empereurs 
Cantacuzène  et  Jean  Paléologue  firent  assembler  un  concile  com- 
posé de  vingt-cinq  métropolitains ,  de  quelques  évêques ,  de  plu- 
sieurs prêtres  et  moines  :  on  cita  à  ce  concile  les  ennemis  de  Pala- 
mas ;  on  examina  leurs  accusations  et  les  réponses  de  Palamas  ; 
on  traita  ensuite  de  la  lumière  du  Thabor.  Quelques  jours  après, 
on  se  rassembla  pour  traiter  à  fond  quelques  questions  qui  re- 
gardaient Fessence  et  Topération  divine.  L'empereur  proposa  lui- 
même  toutes  ces  questions ,  on  rapporta  tous  les  passages  des 
Pères,  pour  les  expliquer  ;  on  examina  avec  le  même  soin  la  doc- 
trine de  Barlaam  ;  on  reçut  la  profession  de  foi  des  moines  du  mont 
Athos,  et  Ton  condamna  Barlaam ,  Acyndinus ,  et  tous  ceux  qui 
croyaient  que  la  lumière  du  Thabor  était  créée  ;  ce  concile  fut 
tenu  vers  Tan  1345  *. 

Le  nombre  des  ouvrages  composés  pour  et  contre  les  Hésicastes 
est  très-considérable  ;  ils  sont  encore  pour  la  plupart  manuscrits  ; 
il  y  en  avait  beaucoup  dans  la  bibliothèque  deCoissin  ^. 

HOLLANDE,  nous  nous  proposons  de  donner,  dans  cet  arti- 
cle ,  rhistoire  de  l'origine  et  de  rétablissement  du  Calvinisme 
dans  les  Provinces-Unies. 


^  Dupin,  ià*  siècle,  p.  322.  Natal.  Alex,  in  ssec.  ià»  Panoplia  adver- 
8ÙS  schisma  Graecorum,  centuria  13,  c  3,  p.  381.  Fabricius,  Bibl. 
graec,  t.  10,  p.  àH.  Allatius,  etc. 

2  Voyez  le  catalogue  de  la  bibliothèque  de  Coissin, 


De  la  riformat'toa  dans  le»  Paiis-Bas  depuis  Luiher  jasqn'à  la  for 
vialioa  de  la  ligue,  connue  triui  le  nota  de  CompromU. 

La  doctrine  de  Luther  se  répandit  dans  les  Pajs-Bas  vers  l'a 
1521.  Cbarles-Quint  fit  publier  un  placard,  et  numma  deuxinqjl- 
slleurs  qDi  firent  arrêter  tous  ceux  qu'ils  crurent  engagés  dans  le^ 
opinions  de  Lutber  :  plusieurs  auguslins  d'Anvers  Tureut  etnpri- 
sonnÉs,  et  deui  furent  brûlés  :  leur  supplice  donna  de  la  célébritô 
aux  erreurs  pour  lesquelles  ils  étaient  morts ,  et  Cbarles-Quint 
ajouta  â  ne  premier  placard  plusieurs  édils,  par  lesquels  tous  les 
hérétiques  étaient  condamnés  à  perdre  la  tète  ,  les  relaps  à  être 
brûlés,  et  les  femioes  k  être  enterrées  vives  :  oo  accordait  la  vie  à 
ceux  qui  se  convertissaient ,  pourvu  qu'ils  ne  Tussent  pas  relaps 
ou  emprisouués  '. 

Ce  inéuieédit  défendait,  sous  peine  de  mortel  de  conBscation  de 
biens,  de  recevoir  cbez  soi  aucun  hérétique  :  toutes  les  personnes 
soupçonnées  d'hérésie  étaient  exclues  des  emplois  bonorables,  et, 
pour  mieux  découvrir  les  bérétiques  ,  on  promettait  la  moitié  de 
leurs  biens  aux  accusateurs,  pourvu  qu'elle  n'excéditpasla  somme 
de  cent  livres  de  Flandres  *. 

Les  Anabaptistes  qui  désolaient  l'Allemagne  pénétrèrent  alon 
(tans  les  Pajs-Bas,  et  l'on  punit  les  Anabaptistes  avec  encore  plus 
de  rigueur  que  les  Luthériens. 

Le  fanatisme  s'alluma  bientût ,  etl'on  vil  les  Anabaptistes  et  lea 
Luthériens  courir  au  supplice  avec  joie  ,  et  se  disputer  la  gloire 
d'aller  au  bûcher  ou  sur  l'écbafaud  ucec  moins  de  regret  et  plus 
de  constance  :  on  vit  des  réformés  arracher  aui  prêtres  l'hostie 
pendant  l'élévation,  la  briser  et  la  fouler  aux  pieds  pour  la  gloire 
de  Dieu ,  el  pour  Taire  voir  qu'elle  ne  conlenail  pas  Jésus-Christ. 
Les  auteurs  de  ces  attentats  ne  Tuynient  point  après  les  avoir  com- 
mis :  ils  attendaient  Troidemeui  qu'on  les  arrêtât ,  et  souffraient, 

VoiU  quel  était  l'état  des  Pajs-ltas ,  lorsque  Cbarles-Quinl  ré' 
signa  l'Espagne  à  Philippe  son  fils. 

Philippe  confirma  tous  les  édils  de  son  père  contre  les  héréti- 
ques ,  el  fit  punir  avec  la  même  rigueur  les  Luthériens  el  les  Ana- 
bap  listes. 

>  HisL  de  la  réforme  des  Pitjrs-Bas,  parBrti)<ll,  t,  1, 1,  I, 


1 


478  HOL 

Les  exécutions  multiplièrent  les  hérétiques,  et  Ton  vit  en  plu- 
sieurs lieux  des  communautés  entières  de  ProtestauBts  qui  entr»^ 
prirent  d'enlever  ceux  que  Fou  Gooduisait  au  suppVke  ^ . 

Philippe,  pour  arrêter  plus  sûrement  le  progrès  de  Thérésie , 
Toulut  établir  Finquisition  dans  les  Pays-Bas  ,  comme  elle  Tétait 
en  Espagne. 

Un  de  ses  ministres  lui  représenta  que  sa  sévérîté  pourrait  lui 
faire  perdre  les  Pays-Bas ,  ou  du  moins  quelques-unes  des  pro- 
Tinces,  et  Philippe  répondît  qu*il  aimait  mieux  être  dépouillé  de 
tous  ses  États  que  de  les  posséder  imbus  d^hérésies. 

Ce  fut  dans  ce  même  temps  que  parut  la  bulle  de  Pbuf  tV  pour 
Térection  de  trois  nouveaux  évôchés  dans  les  Pays-6as  :  la  bulle 
marquait  expressément  que  les  nouveaux  évéques ,  assistés  de 
leurs  chapitres ,  feraient  la  fonction  d*inquisiteurs  dans  leurs  dio- 
cèses. 

La  fondation  des  nouveaux  évéchés  n^avait  pu  se  faire  qu'en 
leur  assignant  des  terres  et  des  revenus  ;  on  les  prit  sur  des  ab- 
bayes et  sur  d'autres  communautés  religieuses.  Les  abbés  et  les 
communautés  en  murmurèrent ,  se  plaignirent ,  et  firent  si  bien 
valoir  leurs  droits  qu'on  fut  enfin  oblige  de  composer  avec  eux 
et  de  leur  laisser  une  bonne  partie  de  ce  qu'ils  possédaient. 

Les  magistrats  d'Anvers ,  de  Louvain ,  de  Ruremonde,  de  De- 
venter,  de  Groningue  ,  de  Lewarde  ,  sentant  bien  que  leur  auto- 
rité serait  affaiblie  par  celle  des  évéques ,  s'opposèrent  aussi  avec 
vigueur  à  la  bulle ,  et  trouvèrent  le  moyen  d'empêcher  les  évé- 
ques d'entrer  dans  leurs  villes  ou  les  en  firent  chasser. 

Cette  opposition  des  catholiques  aux  desseins  de  la  cour  de 
Rome  augmenta  le  courage  des  nouveaux  sectaires  ;  ils  parlèrent 
avec  plus  de  liberté  contre  Rome  :  beaucoup  de  personnes  crurent 
ne  voir  en  eux  que  des  citoyens  zélés  et  des  ennemis  de  l'oppres- 
sion, leur  nombre  s'accrut  considérablement,  et  enfin,  en  1 559»  ils 
firent  paraître  une  profession  de  foi  en  trente  sept  articles  ,  qui 
étaient  presque  tous  opposés  à  la  doctrine  de  l'Église  romaine  et 
conformes  à  celle  de  Genève  ;  c'est  pourquoi  les  sociétés  qui  la  re- 
çurent prirent  le  titre  d'Églises  réformées  '. 


*  Histoire  de  la  réforme,  par  Brandt,  U 1,  L  4,  p.  96,  an.  1515. 
2  Ibid.,  1. 1,  L  5,  p.  106. 


HOL  47è 

I>u  Calviniimeett  Hollande  depuis  la  ligue  jusqu'à  la  prise  d'armes 

par  le  prince  d'Orange. 

La  crainte  de  f  inquisition  avait  tellement  alarmé  les  esprits , 
que  la  noblesse  fit  secrètement  une  ligue  pour  en  empêcher  réta- 
blissement ,  et  que  les  plus  zélés  catholiques  entrèrent  dans  ce 
projet  comme  les  autres  :  cette  ligue  fut  connue  sous  le  nom  de 
Compromis. 

La  noblesse  confédérée  ne  put  agir  avec  tant  de  secret  que  la 
bruit  confus  de  leurs  desseins  ne  vînt  aux  oreilles  de  la  gouver- 
nante :  Philippe  ,  pour  calmer  les  esprits,  envoya  de  Madrid  un 
arrêt  qui  condamnait  aux  galères  les  Prédicans,  les  écrivains  pro- 
testans,  et  tous  ceux  qui  les  recevaient  dans  leurs  maisons  ou 
qui  permettaient  qu^ils  y  fissent  leurs  assemblées. 

Les  ministres  s^assemblèrent  dans  les  bois  ou  dans  la  campa- 
gne ;  ils  prêchaient,  et  après  les  prédications  on  chantait  quel- 
ques psaumes  :  ces  assemblées  étaient  quelquefois  composées  de 
sept  à  huit  mille  personnes  ^. 

Le  bruit  de  ces  assemblées  si  publiques  et  si  nombreuses  fit 
comprendre  à  la  princesse  Marguerite,  gouvernante  des  Pays-Bas, 
que  les  Protestans  et  les  mécontens  étaient  beaucoup  plus  nom- 
breux qu^elIe  ne  Tavait  cru  :  elle  manda  aux  magistrats  d'Anvers 
de  chasser  tous  les  Français  et  d*empêcher  absolument  les  as- 
semblées *. 

Les  magistrats  publièrent  un  placard  qui  défendait  les  assem- 
blées publiques  »  et  ils  reçurent  une  requête  qui  leur  représentait 
que  le  nombre  des  réformés  s^était  tellement  augmenté,  qu'il  ne 
leur  était  plus  possible  de  s'assembler  en  secret  ;  que  les  ma- 
gistrats étaient  donc  suppliés  de  permettre  ces  assemblées,  en 
assignant  des  lieux  qui  leur  fussent  propres;  que  cette  liberté 
attirerait  dans  les  Pays-Bas  un  nombre  infini  de  Français  et 
d'Allemands. 

La  gouvernante  fit  publier  un  placard  qui  commanda  de  nou- 
veau à  tous  les  ofQciers  de  dissiper  les  assemblées  et  de  faire 
pendre  sans  miséricorde  tous  les  prédicateurs  réformés. 

C'était  manquer  de  parole  à  la  noblesse  confédérée ,  à  laquelle 
on  avait  promis  d'attendre  la  réponse  de  Philippe,  et  qui  s'était 

^  Histoh'e  de  la  réformei  par  Brandt»  t,  i,  1»  6,  pt  130* 
2  Ibid»,  p.  iH. 


4s6  HÛL 

dallée  qu*on  h'entreprendrail  rien  que  l*oii  n*eût  assemblé  les 
étais^généraux:  ce  placard  fil  donc  an  très-mauTais  effet  ;  on  en 
murmura,  on  se  plaignît  ouvertement;  plusieurs  villes,  même 
celle  d'Anvers,  refusèrent  de  le  publier  dans  les  formes  ;  les  pré- 
dications publiques  devinrent  plus  fréquentes ,  non  sans  causer 
du  désordre,  surtout  à  Anvers,  où  la  sédition  fut  sur  le  point  d*é- 
claier  et  où  Ton  ne  put  empêcher  les  Protestans  de  s'assembler  : 
leur  exemple  donna  du  courage  ,aux  réformés  ;  on  vit  presque 
aussitôt  établir  des  églises  prétendues  réformées  à  Lille,  à 
Tournai,  à  Yalenciennes,  dans  les  provinces  d'Utrecht  et  de  Hol- 
lande. 

Le  fanatisme  des  Protestans ,  augmenté  par  ces  succès  ,  pro- 
duisit de  nouveaux  désordres:  ils  s'attroupèrent  dans  le  district  de 
Saint-Omer,  pillèrent  le  couvent  des  religieuses  de  Woleverghem, 
y  brisèrent  les  images  et  tout  ce  qui  était  destiné  au  service  di- 
vin ;  l'esprit  iconoclaste  se  répandit  subitement  dans  la  plupart 
des  provinces  et  l'on  pilla  plus  de  quatre  cents  églises  en  trois 
jours.  On  voyait  tant  de  voleurs  et  de  femmes  débauchées  qui  se 
mêlaient  dans  la  foule,  et  tout  le  reste  était  si  peu  de  chose,  qu'on 
était  également  irrité  de  la  fausse  dévotion  des  uns  et  de  l'inso- 
lence des  autres. 

Voilà  les  premiers  fondateurs  de  la  réforme  en  Hollande  ;  une 
populace  qui,  sous  prétexte  d'un  zèle  ardent  pour  la  religion,  s'a- 
bandonnait aux  plus  grands  excès  et  foulait  aux  pieds  les  lois 
divines  et  humaines. 

Le  parti  des  réformés  grossissait  par  ces  émeutes  ;  il  osa  faire 
ses  exercices  publiquement  dans  quelques-unes  des  plus  grandes 
villes:  il  s'empara  même  de  plusieurs  églises  *. 

Des  progrès  aussi  rapides  étonnèrent  la  duchesse  de  Parme  ; 
elle  promit  que  l'inquisition  serait  abolie ,  qu'on  réglerait  les  af- 
faires de  la  religion  et  que  l'on  demanderait  au  roi  la  tenue  des 
élats. 

Le  roi  d'Espagne  avait  des  desseins  bien  contraires;  il  comptait 
se  servir  de  ces  circonstances  pour  établir  dans  les  Pays-Bas  une 
autorité  despotique ,  et,  pour  y  réussir ,  il  se  proposait  de  perdre 
le  prince  d'Orange  et  les  comtes  d'Egmont  et  d'Horn. 

Une  lettre  qui  contenait  ce  projet  tomba  entre  les  mains  du 
prince  d'Orange ,  qui  la  communiqua  à  ses  principaux  amis,  qui 

*  Histoire  de  la  réforme,  par  Bran  1»,  t.  d,  I.  7,  p.  Vô9, 


HOL  ^8l 

se  réuDiFent  et  Ërent  aa  roi  des  représentations  am  h  nécessita 
de  tolérer  les  secUires  en  les  répriinunl  ;  ils  punirent  donc  les 
nouveaux  Iconoclastes  et  se  rendirent  odieux  aux  r6formés,  san^ 
se  réconcilier  avec  les  catholiques ,  que  l'impiâLé  des  prétendus 
réformés  aTsiteitrèoienientirrilés  *. 

Il  y  avait  donc  trois  partis  en  Hollande  :  les  catholiques  ennemis 
de  l'inquiaition  et  déreoseurs  des  privilèges  de  la  naijon  ;  les  ca- 
iboliques  dévoués  k  la  cour  d'Espagne,  et  qui  voulaient  tout  sa- 
crifier pour  la  ruine  des  réformés  ;  et  entin  des  Proleslans  fana- 
tiques qui  voulaient  se  maintenir  et  éteadre  leur  préteodue 
réforme. 

Les  Églises  rèfarméesdemandàrent  du  secours  aui  princes pro- 
testanad'Allemague;  mais  ceux-ci  exigèrent  que  les  réfonués  des 
Pays-Bas  signassent  la  confession  d'Ausbourg,  ce  que  les  réfor- 
més refusèrent  absolument.  Les  Luthériens  et  les  Calvinistes  des 
Pays-Bas  firent  donc  deux  sectes  séparées  ;  elles  s'excommuniè- 
rent, elles  Luthériensse  réunirentavec  les  catholiques  contre  les 
réformés  d'Anvers  ,  qui  avaient  pris  les  armes  pour  soutenir  leur 
cause.  Les  catholiques  profitèrent  de  ces  divisions,  et  l'on  ôla  aux 
religionnaires  leurs  prêches  et  les  lieux  qu'ils  avaient  usurpés 
sur  les  catholiques, 

La  cour  d'Espagne  crut  alors  h  ligoe  hors  d'état  d'agir  ;  elle 
evigea  des  seigneurs,  des  nohies  et  des  magistrats,  de  jurer  qu'ils 
soutiendraient  la  religion  catholique  et  romaine ,  de  punir  les  sa- 
crilcges  cl  d'extirper  les  hérésies;  enfin  on  voulut  s'assurer  des 
peuples ,  et  l'an  contraignit  tout  le  monde ,  de  quelque  qualité 
qu'il  fût,  à  prendre  les  mêmes  engagemens. 

Les  réformés  ,  pour  résister  il  la  tempête  qui  s'élevait  conire 
eux.  s'imposèrent  volontairement  des  taxes,  établirent  un  caissier 
général,  levèrent  des  troupes,  s'emparèrent  de  Bois-le-Duc  el  s'y 
fortifièrent.  Ils  furent  moins  heureux  A  Utrecht  el  à  Flei^singue  : 
le  parti  qui  avait  Ifnté  celte  dernière  expédition  fut  défait  par 
les  catholiquesd' Anvers,  et  les  réformés  de  celte  ville,  sur  la  nou- 
velle de  la  défaite  de  leui-s  frères,  courureut  aux  armes:  la  ville  (ut 
remplie  de  meurtres  et  de  désordres,  que  le  prince  d'Orange  n'ar- 
rêta qu'en  armant  contre  les  Calvinistes  ,  les  catholiques  et  les 
Luthériens. 
Le  roi  d'Espagne  se  rendit  ensuite  maître  absolu  dans  Valen- 

1  Hisioirc  de  la  rèrormc,  par  Brandi. 


I 
I 


489  HOt 

ciennes,  dans  Cambrai,  dans  Maestricht,  Hassdt,  Bois4e-Dnc»  etc., 
et  traita  les  réformés  avec  la  dernière  rigueur  :  les  ministres  fa- 
rent  pendus,  etFon  trancha  la  tète  à  beaucoup  de  réformés  ^. 

Le  prince  d^Orange,  qui  Toyait  que  Forage  qui  désolait  les  Pro- 
testans  fondrait  sur  lui ,  songea  à  les  réunir  avecles  Luthériens» 
mais  inutilement  ;  il  se  retira  en  Allemagne,  et  Ton  continua  à  sé- 
Tir  contre  les  Protestans.  Un  nombre  prodigieux  de  familles  aban- 
donna les  Pays-Bas  ;  les  gibets  forent  remplis  de  corps  morts,  et 
r Allemagne  de  réfugiés. 

Ce  fut  dans  ce  temps  que  le  roi  d'Espagne  envoya  le  duc  d'Albe 
dans  les  Pays-Bas ,  à  la  tête  de  douze  cents  hommes  de  cavalerie 
et  de  huit  mille  hommes  d*infanterie.  1567, 1568. 

Ce  duc  entra  dans  Bruxelles ,  et,  après  avoir  distribué  ses  trou- 
pes dans  les  villes  voisines ,  il  fit  arrêter  les  comtes  d*Hom  et 
dflgmont  et  plusieurs  personnes  considérables.  La  nouvelle  de 
cet  emprisonnement  jeta  la  terreur  dans  tous  les  esprits  ;  plus  de 
vingt  mille  habitans  abandonnèrent  précipitamment  leur  patrie. 
En  vain  la  duchesse  de  Parme  voulut  prévenir  la  désertion  par 
des  édits  qu'elle  fit  publier  :  on  ne  Técouta  pas ,  et  de  son  côté  le 
duc  d'Albe  ne  reUcha  rien  de  sa  sévérité  ;  il  établit  même  une 
nouvelle  cour  de  justice,  sous  le  nom  de  conseil  des*  tumultes. 

Ce  conseil  posa  pour  maxime  fondamentale  ,  <  que  c'était  un 
»  crime  de  lèse-majesté  de  faire  des  remontrances  contre  les  nou- 
»  veaux  évêchés,  contre  Tinquisition  et  contre  les  lois  pénales , 
»  ou  de  consentir  à  l'exercice  d'une  nouvelle  religion,  ou  de  croire 
»  que  le  saint  office  soit  obligé  d'avoir  égard  aux  privilèges  et  aux 
»  chartes  ,  ou  de  dire  que  le  roi  est  lié  à  ses  peuples  par  des 
»  promesses  et  par  des  sermons.  » 

Le  conseil  était  composé  d'Espagnols ,  qui  avaient  pour  chef 
Jean  de  Yargas  ,  qui  s'annonça  dans  le  public  par  ce  raisonne- 
ment :  «  Tous  les  habitans  de  ces  provinces  méritent  d'être  pen- 
»  dus ,  les  hérétiques  pour  avoir  pillé  les  églises,  et  les  calholi- 
»  ques  pour  ne  les  avoir  pas  défendues  ^.  » 

La  gouvernante  se  retira,  et  laissa  toute  l'administration  au  dac, 
qui  fit  mourir  beaucoup  de  monde  :  dix-huit  cents  personnes  péri- 
rent en  peu  de  temps  par  les  mains  du  bourreau ,  et  l'on  ordonna 
de  punir  comme  hérétiques  dans  toute  la  rigueur  tous  les  ha- 

*  Histoire  de  la  réforme,  par  Brandt,  1.  8. 
«Ibid.,t.  i,  I,  8,  p.  164. 


excepté  les  personnes  dont  le  conseil  des 


Du  Calvinisme  dans  len  Payê-Baf  iepuh  la  prise  d'an 
prince  d'Orange  jutqu'à  la  paei/tcalien  de  Caad. 

Les  peuples  soupiraient  après  un  libérateur ,  et  n'eu  voyaient 
point  d'autre  que  le  prince  d'Orauge  ;  ce  fat  donc  !>  lui  que  l'on 
s'adressade  tous  côtés,  et  on  le  détermina  à  secourir  sa  patrie. 

Les  princes  protestaus  d'Altcmague  lui  permirent  de  lerer  des 
troupes;  tous  les  Proiestans  loi  roarnirent  de  l'argent;  les  églises 
de  Londres,  de  Clèves ,  etc.,  lui  en^ojèrent  des  sommes  considé- 
rables ;  il  leva  une  armée  et  déclara  les  raisons  qui  le  détermi- 
naient à  prendre  les  armes  :  «  En  conservant  le  respect  dû  au 
■  souverain  des  Pays-Bas ,  on  voulait  maintenir  les  aJiciens  pri- 
'  viléges,  abolir  les  lois  pénales,  rétablir  (a  paix  de  l'Ëtat  et  dé- 
>  livrer  les  provinces  do  joug  espagnol.  > 

Le  commandement  généralde  l'armée  lut  donnéau  comte  Louis, 
qui  marcha  dans  la  Gueldre ,  prit  Werde  et  Dam ,  el  gagna  une 
bataille. 

La  bonté  et  la  douleur  que  le  duc  d'Albe  ressentit  de  cette  dé- 
faite irritèrent  sa  férocité  (laturelle  ;  il  bannit  le  prince  d'Oramee, 
son  frère  Louis ,  et  confisqua  leurs  biens.  Les  comtes  d'F^mnut 
et  <le  llom  périrent  sur  un  écbafaud  ,  avec  plus  de  vin^  gentils- 
hommes ou  barons. 

Précédé  de  ces  flots  de  sang ,  te  duc  se  mit  en  campagne  et  livra 
bataUle  au  comte  Louis ,  qui  lut  défait.  Les  rélormês  et  les  Ana- 
baptistes furent  traités  avec  la  dernière  rigueur  ;  cinquante  per- 
sonnes  furent  décapitées  dans  la  seule  ville  de  Valencieunes,  pen- 
dant l'espace  de  trois  jours;  dans  moins  d'une  année,  le  duc 
d'.4lbe  rendit  désertes  plus  de  cent  mille  maisons  et  peupla  tons 
les  États  voisins  des  sujets  de  son  maître  '. 

Le  gouvernement  n'ignorait  point  les  suites  de  sa  rigueur,  mais 
il  en  était  peu  touché  ;  il  Ht  publier  un  placard  pour  extirper 
l'hérésie.  Pour  mieux  découvrir  les  hérétiques,  le  duc  d'Albe 
envoyait  des  espions  dans  toutes  les  rues,  afin  qu'ils  observassent 
l'air  et  la  contenance  du  peuple,  et  l'on  continua  I  punir  avec  la 
dernière  rigueur  les  réformés  et  les  Anal>aptistes. 


*  Histoire  de  la  réforme,  par  Brandt,  t,  J  i  U  Si  I 


iienipar 


484  HOL 

Ainsi  les  réformés,  les  Anabaptistes  et  les  catholiques  gémis- 
saient sous  le  joug  espagnol  et  souhaitaient  une  révolution.  Tous 
les  partis  se  réunirent  enfin  contre  le  duc  d^Albe  ,  et  le  prince 
d*Orange  se  rendit  maître  de  beaucoup  de  villes ,  où  la  nouvelle 
religion  fut  permise  et  exercée  ;  mais  en  beaucoup  d'endroits  on 
fit  des  capitulations  expresses  en  faveur  de  Tancienne  religion , 
et  partout  les  ordres  du  prince  défendaient  de  faire  violence  à  qui 
que  ce  fût  pour  les  affaires  de  la  conscience  et  de  molester  les 
catholiques  en  aucune  façon. 

Le  duc  d'Albe  fut  rappelé  en  Espagne ,  où  il  se  vanta  d*avoîr 
livré  au  bourreau  plus  de  dix-huit  mille  hérétiques  ou  rebelles , 
sans  couipter  ceux  qui  avaient  péri  dans  la  guerre.  Vargas ,  qui 
Tavait  accompagné,  ajoutait  que  Ton  perdait  les  Pays-Bas  par  un 
excès  d'indulgence  :  la  miséricorde,  disait-il ,  est  dans  le  ciel ,  la 
justice  est  sur  la  terre  ^. 

Dom  Louis  de  Requesens  lui  succéda  et  se  proposa  de  réparer 
par  sa  douceur  les  maux  qu'avait  produits  la  barbare  sévérité  du 
duc  d'Albe.  Mais  les  choses  étaient  dans  un  état  où  les  esprits  ne 
pouvaient  être  ni  intimidés  par  la  sévérité ,  ni  gagnés  par  la  dou- 
ceur ;  les  états  de  Hollande  s'occupèrent  à  donner  quelque  forme 
au  projet  de  la  liberté. 

Ils  commencèrent  par  un  acte  qui  semblait  y  être  contraire  , 
car,  étant  assemblés  à  Leyde,  ils  défendirent  l'exercice  public  de 
la  religion  catholique  romaine;  c'était  donner  atteinte  aux  fré- 
quentes promesses  du  prince  d'Orange ,  à  la  capitulation  de  plu- 
sieurs villes,  aux  résolutions  de  la  Haye  et  à  la  confiance  qu'il 
fallait  établir  entre  les  différens  partis  qui  étaient  engagés  dans 
la  même  querelle  :  ces  considérations,  quelque  fortes  qu'elles 
fussent ,  cédèrent  à  la  nécessité  où  l'on  se  trouva  de  mettre  un 
mur  de  séparation  entre  les  Espagnols  et  les  provinces  :  on  ôta 
peu  après  les  églises  aux  catholiques  ;  on  les  exclut  des  charges 
et  de  la  magistrature  ;  on  leur  laissa  néanmoins  la  liberté  des 
assemblées  particulières ,  et  la  religion  qu'on  professait  à  Genève 
et  dans  le  Palatinat  devint  la  religion  dominante  de  ces  provinces. 
Les  Luthériens  et  les  Anabaptistes  jouirent  de  la  même  tolérance 
que  les  catholiques  *. 

*  Histoh'e  de  la  réforme,  par  Brandt.  1. 1, 1. 10,  p.  220, 
?  ï|)id.,  1. 1, 1.  10, 


Du  Calvinisme  dans  let  Pai/i-Bas  depai»  la  paeificalion  de  Gand 
Jusqu'à  la  (ùTfngtion  àe  la  république  de  Hollande. 

Dom  Louis  de  Requesens  mourut  peu  de  temps  après  que  le 
duo  d'Âlbe  lui  eut  remis  le  gouvernement.  Après  sa  mort ,  l'armée 
espagnole  se  débanda  par  peloums  et  se  mît  à  piller  de  luus  cb- 
lés  :  les  soldats ,  abandounés  à  leur  propre  fureur,  firent  tant  de 
ravages  et  commirent  tant  de  désordres  dans  le  Brabaut  et  dans 
la  Flaudre ,  que  le  conseil  d'Ëtai  les  proclama  traîtres  et  rebelle» 

l^a  dédaralion  du  conseil  n'arrèla  pas  les  désordres,  et  il  se  fit 
un  traité  d'alliance  entre  les  Étais  de  Brabanl,  de  Flandre,  d'Ar- 
tois ,  de  Hainaut  et  leurs  associés  d'une  pari ,  et  les  Ëlats  de  Hol- 
lande ,  de  Zélande  et  leurs  confédérés  d'autre  part. 

Selon  cet  accord  ,  on  se  pardonnait  réciproquement  toutes  les 
injures  passées;  on  s'uuissail  pour  chasser  les  Espagnols  el  les 
étrangers ,  après  quoi  l'on  se  proposait  d'obtenir  la  convocation 
des  états-généraux,  à  la  décision  desquels  les  uns  et  les  autres 
promettaient  de  se  soumettre  :  en  attendant ,  les  Hollandais  et  les 
Zélandais  s'engageaient  ï  n'entreprendre  rien  contre  la  religion 
catbolique  bors  leur  juridiction,  les  lois  pénales  étant  néanmoinB 
suspendues  dans  toutes  les  provinces  de  la  confédération. 

Le  prince  d'Orange ,  confirmé  dans  les  emplois  d'amiral  et  de 
gouverneur  de  Hollande  ,  de  Zâlande  et  de  Bommel ,  devait  com- 
mander en  chef  les  forces  alliées  jusqu'à  l'entière  expulsion  des 
Espagnols. 

Tel  est  le  traité  que  l'on  nomma  la  pacification  de  Gand,  traité 
que  les  états  firent  approuver  par  les  théologiens  et  par  les  uni- 
versités catholiques,  par  les  jurisconsultes,  par  les  curés,  parles 
évêques ,  par  les  abbés. 

Don  Juan  d'Autriche  arriva  alors  pour  prendre  le  gouvernement  1 
des  Pays-Bas;  il  entreprit,  mais  inutilement,  de  rompre  la  paci- 
fication de  Gand  ;  il  l'enfreignit  et  fut  déclaré  enuemi  du  pajs. 

La  province  d'Utrecbt  se  joignit  aux  autres  provinces ,  &  condi- 
tion que  la  religion  catbolique  serait  maintenue  à  l'exclusion  de  J 

L'année  suivante ,  une  grande  partie  des  seigneurs  des  Pajs-    I 
Bas  redoutèrent  la  puissance  du  prince  d'Orange ,  et  ils  oSriretir  I 

*  An  1577.   Bistoircdela  réforme,  pnrBrandt,  I.  H. 


486  HOL 

le  gouvernement  à  rarchiducMathias,  qui  vînt  en  prendre  posses- 
kk»  en  Vft9. 

Ce  nouveau  gouverneur  établit  le  prince  â*Orange  son  stathou- 
der  général ,  et  ils  promirent  tous  deux ,  par  serment ,  de  miûn- 
tenir  la  pacification  de  Gand,  d*entretenir  la  tranquillité  publique» 
et  surtout  de  ne  permettre  pas  que  Ton  entreprît  rien  au  préjudice 
de  la  religion  catholique. 

Les  réformés ,  enflés  du  tour  que  les  choses  prenaient ,  donnè- 
rent un  exemple  remarquable  de  Tinsolence  de  Torgueil  humain 
dans  la  prospérité  :  ceux  d'Amsterdam  firent  soulever  la  popu- 
lace ,  s'emparèrent  de  Thôtel-de- ville,  chassèrent  les  moines  et  les 
prêtres ,  brisèrent  les  images ,  s'emparèrent  des  églises  et  rédui- 
sirent les  catholiques  à  n'avoir  des  assemblées  que  dans  leurs  mai- 
sons particulières  ;  encore  cette  indulgence  déplaisait-elle  à  quel- 
ques réformés. 

Ils  commirent  des  désordres  à  peu  près  semblables  à  Harlem. 

Les  réformés  de  Flandre  et  de  Brabant  n'étaient  pas  assez  forts 
pour  y  faire  des  exploits  de  cette  nature ,  mais  ils  se  donnèrent  de 
grandes  libertés  :  ils  prêchèrent  et  administrèrent  la  communion 
publiquement ,  en  plusieurs  endroits ,  sans  aucun  égard  k  la  dé* 
fense  qu'on  en  avait  faite  peu  avant.  Elnfin,  ils  demandèrent 
l'exercice  public  de  leur  religion ,  et  cette  démarche  fut  approu- 
vée par  le  synode  national  assemblé  à  Dordrecht,  qui  adressa  une 
requête  à  l'archiduc  pour  obtenir  le  libre  exercice  de  la  religion 
protestante. 

L'archiduc  et  le  conseil  d'État^  en  réponse  à  cette  requête, 
formèrent  un  projet  de  paix  religieuse ,  qu'ils  communiquèrent 
aux  provinces ,  en  leur  laissant  une  entière  liberté  de  l'adopter  ou 
de  le  rejeter. 

Ce  projet  de  paix  religieuse  laissait  à  tout  le  monde  une  par- 
faite liberté  de  conscience ,  rétablissait  la  religion  catholique  dans 
tous  les  lieux  où  elle  avait  été  abolie  »  si  dans  ces  villes  il  y  avait 
cent  personnes  qui  la  demandassent  :  il  portait  que ,  dans  les 
autres  lieux ,  on  suivrait  la  pluralité  des  voix ,  et  que  ce  serait  la 
même  chose  pour  la  religion  réformée^  dans  les  lieux  où  elle  n'a- 
-  vait  point  encore  été  établie;  que  personne  n'entrerait  dans  les 
églises  d'une  communion  différente  pour  y  donner  du  scandale,  et 
^  que  l'élection  des  magistrats  et  des  officiers  se  ferait  par  la  dif- 
férence du  mérite  et  non  par  celle  de  la  religion. 

Ce  projet  ne  fît  qu'irriter  les  Protestans  et  les  catholiques  ; 


HOL  487 

ceux-ci  ne  voulurent  rien  accorder  aux  Protestans ,  et  ceux-là  , 
non  contens  d*une  simple  tolérance  ,  entreprirent  d*obtenir  pa^r 
la  force  ce  quUls  ne  pouvaient  prétendre  par  justice  ;  ils  s'abau; 
donnèrent  à  leur  fanatisme  partout  où  ils  se  trouvèrent  les  plus 
forts ,  de  sorte  que  les  mêmes  personnes ,  qui  auparavant  agis- 
saient de  concert  contre  les  Espagnols ,  leurs  enneipis  communs , 
tournèrent  leurs  armes  les  unes  contre  les  autres  avec  un  acharne- 
ment incroyable ,  et  ce  projet  de  paix  alluma  dans  toutes  les  pro- 
vinces une  guerre  intestine  aussi  cruelle  que  celle  qu* elles  avaient 
soutenue  contre  TEspagne^. 

Les  peuples  d'Artois ,  du  Hainaut  et  les  habitans  de  Douai 
s^associèrent  pour  maintenir  la  religion  romaine,  Fautorité  du 
roi  et  la  pacification  de  Gand ,  et  pour  s'opposer  à  la  paix  reli- 
gieuse. 

Le  prince  d'Orange  crut  qu'il  était  nécessaire  d'opposer  une 
ligue  à  celle  des  catholiques  ;  il  unit  les  pays  de  Gueldre ,  de 
Zupbten  ,  de  Hollande,  deZéiande,  d'Utrecht  et  des  Ommelandes 
de  Frise ,  qui  sont  entre  i'Ems  et  le  Lawers. 

L'union  se  fit  à  Utrecht,  le  10  janvier  1579,  en  déclarant  au 
préalable  qu'on  ne  voulait  point  enfreindre  la  pacification  de  Gand. 
Cette  confédération  ,  que  l'on  appela  l'union  d'Utrecht,  et  qui 
a  produit  la  république  des  Provinces-Unies ,  fut  bientôt  après 
fortifiée  par  la  jonction  de  la  Frise ,  du  Brabant  et  d'une  partie 
de  la  Flandre. 

L'acte  de  confédération  portait  :  «  Que  les  confédérés  s'unis- 
»  saient  à  perpétuité  pour  ne  faire  qu'un  seul  et  même  État  ;  que 
»  chaque  province  serait  néanmoins  indépendante  des  autres  et 
»  souveraine  chez  soi  quant  à  son  gouvernement  particulier,  et 
»  que  par  conséquent  chacune  établirait  chez  elle  tel  gouverne- 
»  ment  ecclésiastique  et  maintiendrait  telle  religion  qu'il  lui  plai- 
»  rait  ;  on  témoignait  même  qu*on  était  disposé  à  recevoir  dans  la 
»  confédération  les  provinces  qui  ne  voudraient  tolérer  que  la 
»  religion  romaine ,  pourvu  qu'elles  se  soumissent  aux  autres  ar- 
V  ticles.  » 

La  pacification  de  Gand,  la  paix  religieuse  et  l'union  d'U- 
trecht ne  calmèrent  point  les  esprits  ;  les  tumultes  recommencè- 
rent à  Anvers ,  à  Gand  ,  etc.,  (^  les  ecclésiastiques  furent  mal- 
traités.  Â  Utrecht,  à  Bruges,  à  Bois-le-Duc  et  en  plusieurs 

*•  Histoire  delà  réforme,  par  Brandt,  1, 11, 12, 


4S8  HOL 

autres  endroits ,  les  réformés  oe  furent  ni  plus  soumis ,  ni  plus 
sages ,  et  enfin  ce  que  Ton  craignait  arriva  :  F  Artois ,  le  Hainaut 
et  les  autres  peuples  wallons  firent  leur  paix  avec  Philippe  II  et 
se  remirent  sous  son  autorité.  Cette  désunion  fut  Teffet  des  infrac- 
tions que  les  réformés  faisaient  presque  partout  au  traité  de  Gand 
et  de  leurs  fréquentes  perfidies  envers  les  catholiques  romains  :  ils 
insultaient  les  prêtres ,  Jes  curés  ,  pillaient  les  églises,  brisaient 
les  images ,  chassaient  les  catholiques  de  leurs  églises. 

Quoique  la  république  fût  opprimée  par  les  Espagnols  «  affai- 
blie par  la  séparation  des  Wallons  et  déchirée  par  les  catholi- 
ques ,  par  les  Luthériens  et  par  une  infinité  de  sectes  d* Ana- 
baptistes, quelques  ministres  réformés  suscitèrent  encore  des 
disputes  flàcheuses  au  sujet  de  la  police  ecclésiastique  :  les  uns 
voulaient  que  le  magistrat  eût  la  principale  part  dans  le  choix 
des  ministres ,  d^autres  voulaient  que  ce  choix  dépendît  du  con- 
sistoire. 

Au  milieu  de  ces  tumultes  et  de  ces  querelles,  les  ministres 
s^assemblèrent  et  donnèrent  à  FÉglise  réformée  de  Hollande  la 
discipline  que  Calvin  avait  établie  à  Genève. 

Malgré  cette  discipline,  les  églises  réformées  de  Hollande  fu- 
rent agitées  par  mille  divisions  intestines,  et  surtout  par  les  efforts 
qu^elles  firent  pour  se  soumettre  les  magistrats  et  pour  empêcher 
qu'on  n'accordât  aux  autres  religions  la  tolérance  qu'elles  avaient 
d'abord  demandée  pour  elles-mêmes  aux  catholiques,  comme  une 
justice*. 

Enfin ,  les  disputes  du  clergé  et  des  magistrats  s'apaisèrent  ;  les 
magistrats  eurent  égalité  de  voix  avec  les  ministres  dans  les  élec- 
tions ,  et  l'élection  n'avait  lieu  qu'après  l'approbation  du  bour- 
guemestre. 

Tandis  que  la  république  était  agitée  par  ces  divisions  intérieures, 
elle  était  attaquée  au  dehors  par  des  puissances  étrangères ,  et  le 
prince  d'Orange  défendait  sa  liberté  avec  toutes  les  ressources 
que  fournit  le  courage  et  le  génie  ;  la  Hollande  était  sur  le  point 
de  le  déclarer  comte  de  cette  province ,  lorsqu'il  fut  tué  d'un  coup 
de  pistolet,  par  un  Bourguignon,  àDelft,  le  10 juillet  1584. 

La  mort  du  prince  d'Orange  jeta  la  république  dans  la  conster- 
nation ;  les  Provinces-Unies  s'offrirent  à  Henri  111 ,  roi  de  France, 
qui  n'était  en  état  ni  de  recevoir  ce  peuple ,  ni  de  les  secourir,  à 

*  Histoire  de  la  réforme,  par  Brandi,  1. 13,  14, 


HOL  46b 

cause  des  affaires  que  la  Ligne  lui  suEcitail  dans  son  propre 
royaume  :  ils  s'adressèrent  ensuite  fi  Elisabeth ,  reine  d'Ânglc- 
terre ,  qui  refusa  la  souveraineté ,  mais  qui  accorda  des  secours 
aux  Provinces-Unies ,  il  condition  qu'elle  placerait  des  garnisons 
anglaises  dans  les  villes  qui  senties  clés  de  la  Hollande  el  de  ta 
Zélunde. 

Le  comte  de  Leycestre  commandait  les  Anglais,  et,  !i  l'aide  des 
ministres ,  il  augmenta  le  trouble  et  la  cournsion  :  on  eut  recours 
au  prince  Maurice,  tib  du  prince  d'Orange  tué  !i  Délit,  qui  sou- 
tint par  soD  courage  et  par  son  bonheur  l'état  chancelant  des  PrO' 
vi nces- Unies  ;  on  le  fit  stathouder  d'Utrecbt,  de  Gueldre,  de 
Zuphten,  de  Hollande  et  de  Zélande;  il  remporta  de  si  grands 
avantages  sur  les  Espagnols  qu'il  donna  aux  confédérés  le  temps 
de  respirer. 

Henri  111  avait  été  assassiné ,  et  Henri  IV  conquérait  sur  la 
Ligue  le  rojaume  de  France  ;  Philippe ,  aveuglé  par  la  haine  qu'il 
portait  il  ce  prince ,  s'unit  aux  ligueurs,  el  envoya  le  duc  de  Parme 
en  France.  Les  Hollandais  devinrent  plus  hardis  ;  leur  puissance 
égala  bientét  leur  courage.  Après  s'être  tenus  long-temps  sur  la 
défensive,  trop  heureux  d'abord  de  pouvoir  résister  i  leurs  en- 
nemis, ils  commencèrent  ù  les  attaquer,  et  leur  enlevèrent  enfin 
les  provinces  voisines  ;  la  victoire  les  suivit  presque  tonjours  sur 
mer  et  sur  terre ,  dans  les  sièges  comme  dans  les  batailles  '  ;  ils 
firent  de  nouvelles  lois ,  réglèrent  l'administration  de  leurs  finan- 
ces, Eouliurenila  guerre  pendant  quatorze  ans  contre  l'Espagne, 
se  liguèrent  contre  elle  avec  l'Angleterre  el  avec  la  France,  et 
parviurenl  enlin  à  un  degré  de  puissance  qui  les  mil  eu  état  de 
feire  reconnaître  par  toute  l'Europe  pour  une  naiion  libre  sur  I 
quelle  l'Elspagne  n'avait  rien  à  prétendre. 

Des  lecUt  qui  te  formèrent  en  Hollande  depuis  que  le  CeMnitm 
fut  la  religion  nalionale. 

Les  Provinces-Unies,  soulevées  contre  l'Espagne  el  contre   , 
l'inquisition,  devinrent  l'asile  de  toutes  les  sectes   chrétiennes 
condamnées  par  les  lois  de  l'Espagne  et  de  l'inquisition  :  les  Etats 
de  Hollande  leur  accordèreni  leur  protection ,  et  les  Anabaptistes 
furent  traités  avec  beaucoup  d'humanité.  Les  tliéologiens  protea- 

'  En  16i8.  Toyei  de  Thou,  I,  10.  Traité  de  Munster.  Rial.  du  liaîUi 
de  Wrsiphalic,  ' 


1 


490  HOI' 

tans  atuquèrent  dans  leurs  sonnons  et  dans  levrs  écritft  Viidd^ 
gence  des  magistrats  ;  ils  soutinrent  que  les  magistrats  ne  peo- 
Taient  accorder  la  liberté  de  conscience,  et  qu'ils  éuient  obligea 
de  punir  les  hérétiques.  Voilà  quelles  étdent  les  prétention  da 
clergé  protestant  contre  les  Sociniens,  cwitre  les  Anabaptia* 
tes,  etc.,  au  milieu  des  malheurs  de  la  guerre,  et  malgré  1m 
alarmes  que  causaient  aux  Provinces-Unies  les  efforta  de  FEs- 
paguft,  efforts  qui  pouvaient  faire  rentrer  les  Protestans  sons  one 
domination  dont  ils  n'étaient  sortis  que  parée  qu'elle  ne  toiérail 
pas  les  hérétiques. 

Dans  le  temps  que  les  théologiens  protestans  s'efforçaient  d'ar* 
mer  le  peuple  et  les  magistrats  cgutre  les  Socinôens ,  les  Àni^p« 
tistes ,  les  Luthériens ,  etc.,  ils  se  divisaient  entre  eux  sur  la 
grâce ,  sur  la  prédestination ,  sur  le  mérite  des  œuvres ,  et  leun 
disputes  produisirent  des  divisions ,  des  (actions  et  une  gueire  de 
religion. 

Calvin  avait  nié  la  liberté  de  l'homme  et  soutenu  que  Dieu  ne 
prédestinait  pas  moins  les  hommes  au  péché  et  à  la  damnation 
qu'à  la  vertu  et  au  salut.  Cette  doctrine,  que  beaucoup  de  Pro- 
testans avaient  condamnée  dans  Luther,  avait  été  attaquée  dann 
Calvin  lors  même  qu'il  régnait  à  Genève  ;  elle  trouva  des  adver- 
saires plus  redoutables  dans  les  Pays-Bas  et  parmi  les  réformés , 
qui  prétendirent  que  la  doctrine  de  Calvin  sur  la  prédestination 
n'était  pas  un  point  fondamental  de  la  réforme. 

Arminius ,  ministre  d'Amsterdam  et  professeur  à  Leyde,  se  dé- 
clara contre  la  doctrine  de  Calvin  :  ce  ministre  croyait  que  Dieu 
«  étant  un  juste  juge  et  un  père  miséricordieux ,  il  avait  fait  de 
»  toute  éternité  cette  distinction  entre  les  hommes ,  que  ceux  qui 
j»  renonceraient  à  leurs  péchés  et  qui  mettraient  leur  confiance  en 
»  Jésus-Christ  seraient  absous  de  leurs  péchés ,  et  qu'ils  joui- 
»  raient  d'une  vie  éternelle  ;  mais  que  les  pécheurs  endurcis  et 
»  impénitens  seraient  punis  :  qu'il  était  agréable  à  Dieu  que  tous 
»  les  hommes  renonçassent  à  leurs  péchés,  et  qu'après  être  par- 
»  venus  à  la  connaissance  de  la  vérité ,  ils  y  persévérassent  con- 
»  stamment,  mais  qu'il  ne  forçait  personne  *.  » 

«  Gomar  prit  la  défense  de  Calvin ,  et  soutint  que  Dieu ,  par 
»  un  décret  étemel ,  avait  ordonné  que,  parmi  les  hommes ,  les 
»  uns  seraient  sauvés  et  les  autres  damnés;  d'où  il  s'ensuivait 

*  Hist.  de  la  réforme  des  Pays-Bas,  t.  i,  p,  864. 


aw  m 

•  tfM  1m  ans  étaient  attira  ft  la  jnstice ,  et  qu'ainsi  ^tant  atiîréa 
D  ils  ne  pouvaient  pas  tomber,  mais  que  Dieu  permettait  que  tous 

•  les  autres  restassent  dans  (a  comiptioD  de  la  oature  humaine  et 

•  dans  leurs  ioiquités.  > 

Gomar  ne  se  contenta  pas  de  défendre  son  sentiment,  il  pu- 
blia qu'Arminius  ébranlait  les  fondemens  de  la  Réforme ,  qu'il 
introduisait  le  papisme  et  le  jésuiiisme. 

La  plupart  des  ministres  et  des  prédicateurs  combattirent  Ar- 
minius ,  qui  trouTs  cependant  des  défenseurs  :  les  écoles  s'intê- 
ressËrent  dans  cette  contestation;  des  écoles  elle  passa  dans  les 
chaires,  et  tout  le  peuple  en  fut  instruit.  Quelques  prédicateurs 
se  plaignirent  avec  empLirtement  de  ce  qu'on  révoquait  en  doute 
la  vérité  de  la  confession  de  foi  qui  avait  été  sceUée  du  sang  d'un 
si  grand  nombre  de  martyrs'. 

Les  états  de  Hollande  prirent  connaissance  de  ces  disputes,  et 
s'elforcërent  de  les  apaiser,  mais  inutilement;  les  deux  partis 
s'écbauDëreut ,  intriguèrent,  cabalërent,  et  les  deux  sectes  de- 
vinrenldeuiiactioDs;  maiscdle  de  Gomar  prit  bient&t  le  dessus, 
et  les  Arminiens  présentèrent  une  remontrance  aux  états  de  Hol- 
lande, dans  laqucdle  ils  se  juatiliaienldes  imputations  des  Goma- 
risies ,  qui  publiaient  qu'ils  voulaient  faire  des  changemens  dans 
la  religion.  Hs  prétendaient  qu'il  fallait  examiner  la  confession  de 
foi  et  le  catéchisme,  après  quoi  ils  rendirent  compte  de  la  doc- 
trine de  leurs  adversaires  et  de  la  leur.  Celte  remontrance ,  pré- 
sentée par  les  Arminiens ,  les  lit  nommer  Keniontrans. 

Les  Gomoristes  présentèrent  une  remontrance  opposée,  et  fu- 
rent appelés  contre-Aemontrans  *. 

Les  états  imposèrent  silence  snr  les  matières  eontrOTersées 
entre  les  Arminiens  et  les  Gomaristes,  et  les  exhortèrent  à  vivre. 
en  paix;  mais  ce  parti  ne  fut  pas  approuvé  par  toutes  les  villes, 
et  les  ministres  continuèrent  a  déclamer  contre  les  Arminiens  et 
à  les  rendre  odieux. 

Dès  le  commencement  de  la  réformation ,  plusieurs  bourgeois 
d'Amsterdam,  et  même  quelques  magistrats  de  cette  ville,  avaient 
rejeté  h  doctrine  de  Calvin  touchant  la  prédestination  et  quel- 
ques autres  dogmes  de  ce  tbéologien  ;  leurs  descendans  se  décla- 

'  Histoire  delà  réforme  des  Pays-Bas,  p.  885,  389. 
'  Nous  avons  exposé  les  principes  tliéologiciues  de  ces  deux  sectes 
MU  aiildei  AuuKtns  elOoiua. 


I 
I 


49Û  HOL 

• 

rèreot  pour  les  opinions  des  Remontrons  :  quelques  mmiibres  de 
rÉglise  wallone  se  joignirent  k  eux ,  et  s'assemblèrent  en  particu- 
lier. Les  Remontrans ,  excités  par  leur  exemple  et  las  des  in?ec- 
tives  des  ministres  gomaristes ,  formèrent  aussi  des  assemblées 
dans  la  province  de  Hollande.  La  populace  les  atUqua,  brisa  la 
chaire  du  prédicateur,  et  eût  démoli  la  maison  si  on  ne  l'eût  dis- 
persée. Le  dimanche  suivant  on  pilla  la  maison  d'un  riche  bour- 
geois remontrant,  dans  la  même  ville;  les  Remontrans  de  Hol- 
lande et  d*Utrecht ,  prévoyant  la  tempête ,  formèrent  entre  eux 
une  union  plus  étroite  par  un  acte  particulier. 

Le  magistrat  fut  donc  alors  forcé  de  prendre  part  dans  cette 
querelle  théologique  ,  et  les  prédicateurs ,  ne  se  bornant  pas  à 
instruire ,  mais  soufflant  le  feu  de  la  sédition ,  les  magistrats  ren- 
dirent un  édit  qui  ordonnait  aux  deux  partb  de  se  tolérer. 

Cet  édit  souleva  tous  les  Gomaristes ,  et  Ton  craignit  de  voir  re- 
nouveler les  séditions  :  le  grand  pensionnaire  Bamevelt  proposa 
aux  états  de  donner  aux  magistrats  de  la  province  le  pouvoir  de 
lever  des  troupes  pour  réprimer  les  sè^tkux  et  pour  la  sûreté  de 
leur  ville. 

Dordrechty  Amsterdam ,  trois  autres  villes  fiavorables  aux  Go- 
maristes ,  protestèrent  contre  cet  avis  ;  néanmoins  la  propositiou 
de  Barnevelt  passa ,  et  les  états  donnèrent  un  décret  en  confor- 
mité le  4  août  1617. 

Le  prince  Maurice  de  Nassau  haïssait  depuis  long-temps  Bar- 
nevelt; il  crut,  à  la  faveur  des  querelles  de  religion,  pouvoir 
anéantir  son  autorité  ;  il  prétendit  que  la  résolution  des  états  pour 
la  levée  des  troupes,  ayant  été  prise  sans  son  consentement,  dé- 
gradait sa  dignité  de  gouverneur  et  de  capitaine  général.  De  pa- 
reilles prétentions  avaient  besoin  d'être  soutenues  du  suffrage  du 
peuple  :  le  prince  Maurice  se  déclara  pour  les  Gomaristes,  qui 
avaient  mis  le  peuple  dans  leur  parti ,  et  qui  étaient  ennemis  jurés 
de  Barnevelt. 

Le  prince  Maurice  défendit  aux  soldats  d'obéir  aux  magistrats  ; 
il  engagea  les  états  généraux  à  écrire  aux  magistrats  des  villes 
pour  leur  enjoindre  de  congédier  les  troupes  levées  pour  la  sûreté 
publique  ;  mais  les  états  particuliers ,  qui  se  regardaient  comme 
souverains,  et  les  villes  qui,  à  cet  égard,  ne  croyaient  devoir 
recevoir  des  ordres  que  des  états  de  leurs  provinces ,  n'eurent 
aucun  égard  aux  lettres  des  états  généraux. 
Le  prnce  traita  cette  conduite  de  rébellion,  et  convint  avec 


HOL  49d 

les  états  généraux  qu'il  marcherait  lui-même  avec  les  troupes  qui 
étaient  à  ses  ordres  pour  obtenir  la  cassation  de  ces  soldats  levés 
irrégulièrement  y  quM  déposerait  les  magistrats  arminiens»  et 
qu'il  chasserait  les  ministres  attachés  à  ce  parti. 

Le  prince  d'Orange  exécuta  le  décret  des  états  généraux  avec 
toute  la  rigueur  possible  :  il  déposa  les  magistrats ,  chassa  les 
Arminiens,  fit  emprisonner  tout  ce  qui  ne  ploya  pas  sous  son 
autorité  tyrannique  et  sous  sa  justice  militaire  ;  il  fit  arrêter  Bar- 
nevelt ,  un  des  plus  illustres  défenseurs  de  la  liberté  des  Pro- 
vinces-Unies ,  et  lui  fit  trancher  la  tête. 

Barnevelt  avait  aussi  bien  servi  les  Provinces-Unies  dans  son 
cabinet  que  le  prince  d'Orange  à  la  tête  des  armées  ;  la  liberté 
publique  n'avait  rien  à  craindre  de  Barnevelt  ;  cependant  il  fut 
immolé  à  la  vengeance  du  prince  d'Orange,  qui  pouvait  anéantir 
la  liberté  des  provinces,  et  qui  peut-être  avait  formé  le  projet 
d'une  dictature  qui  aurait  trouvé  dans  Barnevelt  un  obstacle  in- 
vincible*. 

Les  Gomaristes,  appuyés  du  crédit  et  de  la  puissance  du  prince 
d'Orange,  firent  convoquer  un  synode  à  Dordrecht ,  où  les  Armi- 
niens furent  condamnés,  et  où  l'on  confirma  la  doctrine  de  Calvin 
sur  la  prédestination  et  sur  la  grâce  ^. 

Appuyés  de  l'autorité  du  synode  et  de  la  puissance  du  prince 
d'Orange ,  les  Gomaristes  firent  bannir,  chasser,  emprisonner  les 
Arminiens  :  après  la  mort  du  prince  Maurice ,  ils  furent  traités 
avec  moins  de  rigueur,  et  ils  obtinrent  enfin  la  tolérance  en 
1630. 

Ainsi ,  le  Calvinisme  est  la  religion  dominante  en  Hollande,  et 
celle  dont  on  fait  profession  publique  dans  toutes  les  villes  et 
bourgs  des  sept  Provinces-Unies;  mais  ceux  de  la  confession 
d'Ausbourg  et  les  Remontrans  ou  Arminiens  ont  plusieurs  tem- 
ples ;  les  Anabaptistes,  dont  le  nombre  est  fort  augmenté  depuis 
l'expulsion  de  ceux  qui  étaient  dans  le  comté  de  Berne ,  ont  aussi 
leurs  assemblées;  les  Sociniens -sont  aussi  tolérés  en  Hollande, 
et  se  sont  joints  pour  la  plupart  aux  Anabaptistes  ou  aux  Armi- 
niens. 

Les  Puritains  et  les  Rouakres  ont  aussi  leurs  assemblées  en 
Hollande. 

*  Voyez  du  Maurier,  le  Yasser,  le  Clerc. 

*  Voyez  les  articles  Comar,  Arminius. 

I.  42 


494  HUS 

Les  catholiques  romains  sont  tolérés  en  BoAande  »  ils  ont  leurs 
cbipeUes  particulières  ;  ils  sont  beaucoup  plus  répandus  dans  les 
campagnes  et  dans  les  villages  que  dans  les  villes. 

Enfin  les  Juifs  ont  en  Hollande  plusieurs  synagogues,  deux  à 
Amsterdam ,  une  à  Rotterdam ,  etc. 

On  a  beaucoup  blâmé  la  tolérance  des  Provinces  -  Unies  ; 
M.  Basnage  a  prétendu  la  justifier  ^. 

HUS  (Jean  de),  ou  JEAN  DE  HUSSINETS,  communément 
JEAN  HUS ,  fut  ainsi  nommé ,  selon  la  coutume  de  ce  temps4à , 
du  nom  d^une  ville  ou  d'un  village  de  Bohême ,  dont  il  était  ori- 
ginaire :  il  fit  ses  études  dans  FUniversité  de  Pragiae ,  y  prît  le 
degré  de  mattre  es  arts,  devint  doyen  de  la  faculté  de  théologie,  et 
fut  fait  recteur  de  Tuniversité  au  conmiencement  du  quinzième 
siècle  *. 

Le  quatorzième  siècle  avait  produit  une  foute  de  sectes  qui 
s^étaient  déchaînées  contre  la  cour  de  Rome  et  contre  le  clergé  ; 
elles  s^étaient  élevées  contre  Fautorité  des  papes,  elles  avaient 
attaqué  celle  de  FÉglise. 

Les  ennemis  du  clergé  de  Rome  et  de  FÏJ^lise  n'étaient  pas 
seulement  des  fanatiques  et  des  enthousiastes ,  c*étaient  des  reli- 
gieux ,  des  théologiens ,  des  hommes  savans ,  tels  que  Jean  d*0- 
liva,  Marelle  de  Padoue,  Wiclef,  et  tous  ces  Franciscains  qui 
écrivirent  pour  prouver  que  les  Franciscains  ne  pouvaient  possé- 
der rien  en  propre ,  quMls  n^avaient  pas  même  la  propriété  de  leur 
soupe ,  et  qui  attaquèrent  Fautorité  du  pape  qui  les  avait  con- 
damnés. 

Leurs  ouvrages  s'étaient  répandus  partout ,  et  ceux  de  Wiclef, 
surtout ,  avaient  été  portés  en  Bohême. 

L'état  dans  lequel  le  clergé  était  presque  partout  donnait  du 
poids  à  ces  écrits  séditieux  :  on  voyait  le  clergé  comblé  de  ri- 
chesses et  plongé  dans  Fignorance  n*opposer  à  ses  ennemis  que 
le  poids  de  son  autorité  et  son  crédit  auprès  des  princes  ;  on 
voyait  des  antipapes  se  disputer  le  siège  de  saint  Pierre ,  s'ex- 
communier réciproquement ,  et  faire  prêcher  des  croisades  contre 
les  princes  soumis  à  leurs  concurreus. 

Ce  spectacle  et  la  lecture  des  livres  des  ennemis  de  FËglise 

^  Stoup.Helig.,  des  Hoil,  Hist.  des  Proviuces-Uniesi  par  Basnagej 
1. 1,  p.  135. 
2  En  UOdé 


HUS  49f| 

firent  nattre  dans  beaucoup  d'esprlls  le  dâsir  d'une  réCormaiion 
dans  la  discipline  el  dans  te  clergé.  Jean  Hus  la  recommaDda 
comme  le  seul  remède  aux  maux  de  l'Ëglise;  il  osa  même  la  prè- 
ciieret  s'élever  contre  l'ignorance,  contre  les  mœurs  et  cooireles 
richessea  du  clergé,  qu'il  regardait  comme  la  cause  primilive  de 
tous  les  vices  qu'on  lui  reprochait. 

I!  recommandait  la  lecture  des  livres  des  sectaires,  qu'il  croyait 
Irès-proprea  !i  faire  sentit  la  oécessilé  de  celte  réforme,  par  la 
hardiesse  areo  laquelle  ils  peignaient  les  désordres  do  clergé  ;  i] 
fallait,  selon  Jean  Hus,  permettre  la  lecture  des  livres  des  héré- 
tiques, parce  qu'il  y  aïait  des  Térilés  qu'on  trouvait  mieui  déve- 
loppées ou  plus  fortement  exprimées  cbex  eux  ;  eetle  perraUsioo 
n'était  pas  dangereuse,  pourvu  qu'on  réfutît  solidement  les  er- 

Jean  Hus  n'avait  encore  adopté  aucune  des  erreurs  de  Wiclef  ; 
sa  hardiesse,  le  succès  de  ses  prédicalious,  la  lecture  des  livres 
de  Wiclef ,  indisposèrent  une  infinité  de  monde  contre  le  clergé  : 
on  fut  alarmé  du  progrès  de  sa  doctrine  ;  on  le  cita  ï  Rome,  et 
on  le  chassa  de  Prague  ;  on  condamna  ensuite  tes  livres  de  Wi- 
clef; on  punit  sévèrement  tous  ceux  qui  les  gardaient,  et  l'on  en 
brûla  plus  de  deux  cents  volumes  '. 

Jean  Hus  prit  la  défense  de  Wiclef;  il  ne  justifiait  pas  ses  er~ 
rcurs,  il  les  condamnait  ;  mais  il  prétendait  prouver  par  l'autorilë 
des  Pères,  par  celle  des  papes,  par  les  canons  et  par  la  raison) 
qu'il  ne  Tallait  point  brûler  les  livres  des  hérétiques,  et  eu  parti- 
culier ceux  de  Wiclef,  ï  la  vertu  et  au  mérite  duquel  l'Univeraité 
d'Oxford  avait  rendu  des  témoignages  authentiques. 

•  L'essence  de  l'hérésie,  disail-U,  consiste  dans  l'opiniâtreté 
ï  de  la  rêsistaDCe  i,  la  vérité  :  qui  sait  si  Wiclef  ne  s'est  p»B  r»- 
•>  peati  7  Je  ne  prétends  pas  qu'il  n'a  pas  été  hérétique,  mais  je 
I  ne  me  crois  pas  en  droit  d'assurer  qu'il  l'a  été.  > 

Celait,  selon  lui,  penser  trop  avantiigeusement  des  aophJsnes 
des  hérétiques  et  en  donner  une  trop  haute  idée  aux  fidèles,  qm 
de  les  défendre  comme  des  ouvrages  qui  séduisent  inTaillibleiiiMit 
ceux  qui  osent  les  lire.  Instruisez  te  peuple,  disait-il,  mettei-le  en 
état  de  voir  le  faux  des  principes  des  hérétiques  ;  qu'il  soil  aSHi 
instruit  pour  comparer  leur  doctrine  avec  l'Ëcriture  ;  par  ce 


496  HUS 

moyen  il  distinguera  facilement  dans  les  livres  des  Kérétiques  ce 
qui  est  conforme  à  rÉcrîture  de  ce  qui  lui  est  contraire  ;  c'est  le 
moyen  le  plus  sûr  d'arrêter  Terreur. 

Jean  Hus  commençait  donc  à  établir  TÉcriture  comme  la  seule 
règle  de  la  foi,  et  les  simples  fidèles  comme  juges  compétens  des 
controyerses  de  la  foi  ;  car  il  n'adoptait  point  les  erreurs  de  Wiclef 
sur  la  transsubstantiation,  sur  l'autorité  de  l'Église ,  sur  le 
pape,  etc.  Il  prétendait  seulement  avec  lui  que  les  rois  avaient 
le  pouvoir  d'ôter  à  l'Ëglise  ses  possessions  temporelles,  et  que  les 
peuples  pouvaient  refuser  de  payer  la  dîme  *. 

Après  la  mort  de  l'archevêque  Sbinko,  Jean  Hus  revint  à  Pra- 
gue, et  ce  fut  alors  que  Jean  XXIll  donna  sa  bulle  pour  prêcher 
une  croisade  contre  Ladislas,  roi  de  Naples. 

Dans  cette  bulle,  «  le  pape  priait,  par  l'aspersion  du  sang  de 
»  Jésus-Christ,  tous  les  empereurs  et  princes  de  la  chrétienté, 
»  tous  les  prélats  des  églises  et  tous  les  monastères ,  toutes  les 
»  universités  et  tous  les  particuliers  de  l'un  et  de  l'autre  sexe, 
»  ecclésiastiques  et  séculiers,  de  quelque  condition,  grade,  di- 
»  gnité  qu'ils  soient,  de  se  tenir  prêts  à  poursuivre  et  à  exterminer 
»  Ladislas  et  ses  complices,  pour  la  défense  de  l'état  et  de  l'hon- 
»  neur  de  l'Église,  et  pour  la  sienne  propre.  » 

Le  pape  accordait  à  ceux  qui  se  croiseraient  la  même  indulgence 
qu'à  ceux  qui  s'étaient  croisés  pour  la  terre  sainte  :  il  promettait 
les  mêmes  grâces  à  ceux  qui,  ne  combattant  pas  en  personne,  en- 
verraient à  leurs  dépens,  selon  leurs  facultés  et  leur  condition, 
des  personnes  propres  à  combattre  ;  il  mettait  les  uns  et  les  au- 
tres, avec  leurs  familles  et  leurs  biens,  sous  sa  protection  et  sous 
celle  de  saint  Pierre,  commandant  aux  diocésains  de  procéder 
par  censures  ecclésiastiques,  même  jusqu'à  employer  le  bras  se-  - 
culier  contre  ceux  qui  voudraient  molester  les  croisés  dans  leurs 
biens  et  dans  leurs  familles,  sans  se  mettre  en  peine  d'aucun  appel. 
La  bulle  promet  pleine  rémission  des  péchés  aux  prédicateurs 
et  aux  quêteurs  des  croisades  ;  elle  suspeod  ou  annule  toutes  les 
autres  indulgences  accordées  jusqu'alors  par  le  saint  Siège ,  et 
traite  Grégoire  Xll,  concurrent  de  Jean  XXlll,  d'hérétique,  de 
schismatique  et  de  fils  de  malédiction  *. 

*  Voyez  Joannls  Hus  hist  et  monum. 

*  Ces  bulles  sont  dans  la  collection  des  ouvrages  de  Jean  Has ,  t,  l, 
p.  m,  édition  de  Nuremberg. 


HtlS 


Jean  Uus  attaqua  ceue  bulle  et  les  indulgences  qu'ellt;  proniei- 
tail;  il  praieala  qn'il  était  prèl  â  se  rétracter  si  on  lui  TaisaU 
voir  qu'il  se  trompait;  qu'il  ne  prétendait  ni  défendre  Ladislas, 
ni  soutenir  Grégoire  XII,  ni  attaquer  l'aulorllé  que  Dieu  avait 
donnée  au  pape,  mais  s'opposer  ï  [''abus  de  cette  autorité. 

Après  ces  protes talions,  Jean  Hus  eouiinl  que  la  croisade 
donnée  par  Jean  XXIII  est  contraire  ï  la  charité  évangélique, 
parce  que  la  guerre  entraîne  une  infinité  de  désordres  et  de  oial- 
lieurs,  parce  qu'elle  esi  ordonnée  â  des  cbrctiens  coolre  des 
chrétiens;  parce  que  ni  les  ecclésiastiques,  ni  les  évêques,  ni  les 
papes  ne  peuvent  faire  la  guerre,  surtout  pour  des  iniérêts  tem- 
porels ;  parce  que  le  royaume  de  Naples  étant  on  royaume  chré- 
tien et  faisant  partie  de  l'Ëgtise,  la  bulle  qui  met  ce  royaume  en 
interdit  et  qui  ordonne  de  le  ravager  ne  protège  UTie  partie  de 
l'Eglise  qu'en  détruisant  l'autre  ;  que  si  le  pape  avait  le  pouvoir 
d'ordonner  la  guerre,  il  fallait  que  le  pape  fût  plus  éclairé  que 
Jésus-Christ,  ou  que  la  vie  de  Jésus-Christ  fût  moins  précieuse 
que  la  dignité  et  les  prérogatives  du  pape,  puisque  Jésus-Christ 
n'avait  pas  permis  à  saint  Pierre  de  s'armer  pour  lui  sauver  la  vie- 
Jean  Hus  n'attaqua  ni  le  pouvoir  que  les  prêtres  ont  d'absou- 
dre, ni  la  nécessité  du  sacrement  de  pénitence,  ni  même  le  dogme 
des  indulgences  pris  en  lui-même,  mais  il  en  condamna  l'abus; 
il  disait  qu'il  croyait  qu'on  l'expliquait  mal  aux  fidèles,  et  qu'ils 
comptaient  trop  sur  ces  indulgences;  il  croyait,  par  exemple, 
qu'on  ne  pouvoit  accorder  des  indulgences  pour  une  contribution 
aux  croisades. 

Il  prétend  qu'on  n'abuse  pas  moins  du  pouvoir  de  punir  que  du 
pouvoir  de  pardonner,  et  que  le  pape  excommuniait  pour  des  cau- 
ses trop  légères,  pour  ses  intérêts  personnels.  Par  exemple,  Jean 
Uns  prétend  qu'une  pareille  excommunication  ne  sépare  point  les 
fidèles  du  corps  de  l'élise,  et  que,  puisque  le  pape  peut  abuser 
de  son  pouvoir  lorsqu'il  inflige  des  peines,  c'est  aux  fidèles  k  voir 
et  à  juger  si  l'excommunication  est  juste  ou  injuste,  et  que 
s'ils  voient  clairement  qu'elle  est  injuste,  ils  ne  doivent  point  la 
craindre  '^ 

Ce  principe  portait  un  coup  mortel  ï  l'auiorilé  des  papes  et  k 
celle  du  clergé,  autorité  que  Jean  Hus  regardait  comme  un  obsta- 
cle invincible  à  la  réforme  qu'il  souhaitait  qu'on  établit. 

<  DJspul.  JoannssNusadvertùsindulgenliaspapalcB,  loccil.,  p.  m. 


498  UUS 

Il  poru  tous  ses  efforts  ^ers  cet  objet,  et,  pour  affermir  les 
consciences  contre  la  crsdnte  de  Texcommunication,;  il  entreprit  de 
faire  Toir  que  Texcommunication  injuste  ne  séparait  en  effet  per- 
sonne de  rÉglise  ;  c'est  ce  qu'il  se  propose  d'étaUir  dans  son 
Traité  de  FÉglise. 

La  base  de  ce  traité,  c'est  que  l'Église  est  un  corps  mystique 
dont  Jésus-Christ  est  le  chef,  et  dont  les  justes  et  les  prédestinés 
sont  les  membres  :  comme  aucun  des  prédestinés  ue  peut  périr, 
aucun  des  membres  de  l'Église  n'en  peut  être  séparé  par  aucune 
puissance;  ainsi  l'excommunication  ne  peut  exclure  du  salut 
étemel. 

Les  réprouvés  n'appartiennent  point  à  cette  Église  ;  Us  n'eu  sont 
point  les  wais  membres  :  ils  sont  dans  le  corps  de  rÉgHse,  parce 
qu'ils  participent  à  son  culte  et  à  ses  sacremens,  mais  ils  ne  sont 
pas  pour  c^a  du  corps  de  l'Église,  comme  les  humeurs  vicieuses 
sont  dans  le  corps  humain  et  ne  sont  point  des  parties  du  corps 
humain. 

Le  pape  et  les  cardinaux  conuposen^  iojac  \t  corps  de  l'Ëgllse, 
et  le  pape  n'en  est  point  le  ch^C. 

Cependant  le  pape  et  les.  évèques^  qui  sont  les  successeurs  des 
apôtres  dans  le  ministère,  ont  le  pouvoir  de  lier  et  de  délier  ;  mais 
ce  pouvoir  n'est,  selon  Jean  Hus,  qu'un  pouvoir  ministériel  qui 
ne  lie  point  par  lui-même  ;  car  le  pouvoir  de  lier  n'a  pas  plus 
d'étendue  que  le  pouvoir  de  délier,  et  il  est  certain  que  le  pouvoir 
de  délier  n'est  dans  les  évêques  et  dans  les  prêtres  qu'un  pouvoir 
ministériel,  et  que  c'est  Jésus-Christ  qui  délie  en  effet,  puisque, 
pour  justifier  un  pécheur,  il  faut  une  puissance  infinie  qui  n'ap- 
partîenl  qu*à  Dieu  :  de  là  Jean  Hus  conclut  que  la  contrition  suf- 
fit pour  la  rémission  des  péchés,  et  que  l'absolution  ne  remet  pas 
nos  péchés,  mais  les  déclare  remis. 

Le  pape  et  les  évêques  abusent,  selon  Jean  Hus,  de  ce  pouvoir 
purement  ministériel,  et  l'Église  ne  subsisterait  pas  moins  quand 
il  n'y  aurait  ni  pape  ni  cardinaux. 

Les  chrétiens  ont  dans  l'Écriture  un  guide  sûr  pour  se  conduire  : 
il  ne  faut  pourtant  pas  croire  que  les  évêques  n'aient  aucun  droit 
à  l'obéissance  des  fidèles  :  sans  doute  les  fidèles  doivent  leur  obéir, 
mais  celle  obéissance  ne  doil^pas  s'étendre  jusqu'aux  ordres  ma- 
nifeslement  injustes  et  contraires  à  l'Écriture ,  car  l'obéissanoe 
que  les  fidèles  doivent  est  une  obéissance  raisonnable. 

Tous  ces  sujets  sont  traités  avec  assez  d'ordre  et  de  méthode 


nus 

par  Jean  Hus  :  on  y  trouve  des  invectives  grossières';  c'élait  le 
ton  du  siècle,  et  les  livres  de  Jean  Bas  ont  servi  de  répertoire 
»m  réformateurs  qui  l'ont  suivi. 

Tels  sont  les  principes  tbëolagiques  sur  lesquels  Jean  Qus  fon- 
dail  la  résistance  qu'il  Taisait  aui  ordres  des  papes  et  le  plan  de 
réforme  qu'il  voulait  établir  dans  l'Église,  en  resserrant  sa  puis- 
sance et  donoant  aux  simples  SdËles  une  liberté  qui  anéantissait 
en  etTet  l'autorité  de  l'Église  ^ 

Ces  principes  étaient  soutenus  par  des  déclauutioDS  violentes 
et  pathétiques  contre  les  richesses,  contre  les  tnœws,  contre  l'i- 
gnorance du  clergé,  et  surtout  contre  l'autor'té  qu'il  eierçaii  sur 
les  fidèles;  par  des  peiulureft  lives  des  malheurs  du  christia- 
nisme, par  U  régularité  de  la  vie  de  Je;.n  dus.  Ce  théologien  de- 
vint l'oracle  d'une  partie  du  peuple  ;  ses  disciples  attaquèrent  les 
indulgences  et  se  déchaînèrent  contre  le  clergé,  tandis  que  les 
prédicateurs  des  indulgences  s'efforçaient  de  décrier  Jean  Hus  et 
ses  sectateurs ,  qui  insultèrent  les  prédicateurs  des  indulgences 
et  publièrent  que  Le  pape  était  l'Anlechrisl. 

Le  magistrat  en  fît  arrêter  quelques-uns,  leur  fît  trancher  la 
léte  :  cet  acte  de  rigueur  ne  causa  point  de  révolte;  mais  les  dis- 
ciples de  Jean  Hus  enlevèrent  les  corps,  et  honorèrent  ces  morts 
comme  des  martyrs. 

Cependant  les  disciples  de  Jean  Hus  se  multipliaient,  et  le  toi 
de  Bohême  donna  un  édit  par  lequel  il  retranchait  aux  ecclésias- 
tiques de  mauvaises  mœurs  leurs  dîmes  et  leurs  revenus.  Autorisés 
par  cet  édit,  les  Hassitee  en  déféraient  tous  les  jours  quelqu'un  de 
ce  caractère,  et  le  clergé  devint  l'objet  d'une  espèce  d'inquisition. 

Plusieurs  ecclésiastiques,  pour  n'être  pas  déftouillés  de  leors 
bénéfices,  se  rangèrent  du  parti  des  Qussites,  et  le  zèle  des  catho- 
liques contre  les  Uussites  commençait  k  a'aflàiblir*. 

Conrard,  archevêque  de  Prague,  pour  ranimer  le  zèle,  j,eta  un 
Interdit  sur  la  ville  de  Prague  et  sur  tous  les  lieux  uîi  Jean  Ilus 
séjournait;  il  déleadit  d'j  prêcher  et  d'y  làire  l'oUice  divin  pen- 
dant tout  le  temps  de  son  séjour,  et  même  quelques  jours  après  ^. 

Jean  Hus  sortit  de  Prague  ;  mais  on  continua  d'j  lire  ses  ou- 
vrages, et  il  composa  des  écrits  violens  et  injurieux  centre  l'élise 

1  Joan.  Hus,  De  EcclesiA  milllanle. 
'  Coclit,,  HisL  Hussil,,  J.  1,  p.  62. 
^  Jbid.  LenfanE,  conc  de  Pkc,  t.  3,  p.  237. 


I 
I 


600  HUS 

de  Rome  :  tels  sont  son  Ânatomie  des  membres  de  rÀntecbrist» 
son  Abomination  des  prêtres  et  des  moines  charnels,  de  rabolition 
des  sectes  ou  sociétés  religieuses,  et  des  conditions  humaines. 

Ces  écrits,  de  TaTeu  de  M.  Lenfant,  sont  aussi  opposés  au  goût 
de  notre  siècle  qu'au  caractère  évangélique  ^ . 

Tous  ces  ouvrages  de  Jean  Hus  étaient  reçus  avidement  par  le 
peaple  ;  il  se  forma  une  secte  redoutable  qui  partageait  la  Bohême 
et  qui  résistait  au  magistrat  et  au  clergé. 

Lorsque  le  concile  de  Constance  fut  assemblé,  un  professeur  en 
théologie  et  un  curé  de  Prague  y  dénoncèrent  Jean  Hus. 

Le  roi  de  Bohême  voulut  que  Jean  Hus  y  allât,  et  Ton  demanda 
un  sauf-conduit  à  TeiLi  tireur  Sigismond. 

Lorsque  Jean  Hus  fut  arrivé,  il  eut  des  conférences  avec  quel- 
ques cardinaux  ;  il  protesta  qu*il  ne  croyait  enseigner  ni  hérésie, 
ni  erreur,  et  que  si  on  le  convainquait  d*eu  enseigner^  il  Jes  ré« 
tracterait  :  cependant  il  continuait  à  enseigner  ses  sentimens 
avec  beaucoup  d'obstination  et  d'ardeur. 

Ainsi  Jean  Hus  ne  promettait  point  d'obéir  au  concile  ni  d'ac  - 
quiescer  à  son  jugement ,  il  ne  promettait  de  lui  obéir  qu'autant 
qu'on  le  convaincrait  :  il  le  dit  lui-même  dans  une  lettre,  dans  la- 
quelle il  assure  qu'il  n'a  jamais  promis  que  conditionnellement  de 
se  soumettre  au  concile,  et  qu'il  a  protesté,  en  plusieurs  audiences 
particulières  comme  en  public,  qu'il  voulait' se  soumettre  au 
coDcile  quand  on  lui  ferait  voir  qu'il  a  écrit,  enseigné  et  répandu 
quelque  chose  contraire  à  la  vérité^. 

11  y  avait  beaucoup  d'apparence  que  Jean  Hus  ,  qui  était  fort 
opiniâtre  dans  ses  sentimens  et  qui  était  flatté  de  se  voir  à  la  tête 
d'un  parti  auquel  il  avait  insinué  qu'il  était  inspiré ,  il  y  avait , 
dis-je ,  bien  de  l'apparence  que  Jean  Hus  n'obéirait  pas  au  con- 
cile, et  que,  malgré  son  jugement ,  il  continuerait  à  répandre  une 
doctrine  contraire  à  FËglise  et  à  la  société  civile  :  on  crut  donc 
devoir  s'assurer  de  sa  personne. 

Le  consul  de  Prague,  qui  avait  accompagné  Jean  Hus ,  réclama 
aussitôt  le  sauf-conduit  accordé  par  Sigismond  ;  mais  en  arrêtant 
Jean  Hus  on  ne  crut  pas  violer  le  sauf-conduit,  et  en  effet  on  ne  le 
violait  pas.  ^. 

*  Dans  la  collection  des  ouvrages  de  Jean  Hus. 

2  Jean  Hus,  lettre  d  5.  Lenfant,  Hist.  du  conc  de  Const.,  1.  i,  p.  307. 

2  Voici  le  sauf-conduit,  tel  que  le  rapporte  M.  Lenfant, 

«  Sigismond,  par  la  grâce  de  Dieu,  etc.  A  tous,  Salvt,  etc.  Nous  re- 


HtS  5 

On  donna  des  commissaires  â  Jeaii  llus,  eL  l'un  iiiuduisii  uu 
concile  Ireotc  articles,  tirés  des  livres  même  du  Jean  Hus ,  qui 
cuulieiinenl  loute  sa  doctrine,  telle  qu'on  l'a  euposée. 

Après  avoir  vérifié  les  propositions  esiraites  des  livres  même 
de  Jean  Hus,  letoncile  déclara  que  beaucoup  decesproposîtions 
étaient  erronées,  d'autres  scandaleuses,  d'autres   oOTensant  les 


■  commandons,  d'une  pleine  affection,  lionomblc  liumme  maitre  lean 
f  HuB,  bachelier  en  UiËolDgie  et  maître  ti  arts,  porteur  des  présentes, 
B  allant  de  Bohême  au  concile  de  Constance,  lequel  nous  avons  pria 
I  sous  nuire  protection  et  sauvegarde,  et  sous  celle  de  l'empire,  dË- 
•  nraut  que,  lorsqu'il  arrivera  chci  vous,  vous  le  receviez  bieo  et  le 

>  traitiei  fatorablemenl,  lui  roumissant  tout  ce  qui  lui  sera  ntcessaire 

■  pour  hâter  cl  assurer  son  voyage,  tant  par  eau  que  par  lerre,  sans 
I  rien  prendre  ni  de  lui,  ni  des  siens,  aui  cuIrÂcs  et  aux  sorties, 
u  pour  quelques  droits  quece  soit,  et  de  le  laisserlibremeut  et  sûrement 
I  passer,  demeurer,  s'arrêter  et  retourner,  en  le  pourvoyaut  mtme  de 

>  bons  passeports,  pour  l'Iiooncur  et  le  respect  de  la  majeslâ  impériale. 
K  Donné  1  Spire,  le  18  octobre  l^li,  > 

VoilA  le  rondement  sur  lequel  on  prétend  que  le  concile  de  Constance 
B  manqué  de  foi  à  Jean  Hus  :  je  Cerai  sur  celje  accusation  quelques 
réflewoos, 

1*  Jean  Hus  n'était  point  en  droit  de  se  dispenser  d'obéir  !i  la  dta- 
llon  du  concile  de  Constance,  puisqoe  le  roi  de  Bohême  cl  l'emperrur 
le  lui  ordonnaient ,  d'aeeord  avec  le  concile  M.  Lenfant  en  confient, 
Hist.  du  conc.  de  Con»l.,  t.  1,  p.  37. 

Si  Jean  Hus  était  obligé  d'obéir  à  la  citation,  il  était  donc  soumis  au 
jugement  du  concile  :  or,  il  est  absurde  de  citer  un  homme  à  un  Irl- 
buual  auquel  il  est  nalurellcment  soumis,  et  de  lui  promettre  qu'il  ne 
sera  point  obligé  d'obéir  au  jugement  de  ce  tribunal  j  il  n'y  a  donc 
point  d'apparence  que  rintenliondeSIgismond  ait  été  de  prendre  lean 
Hua  sous  sa  prolecliou  en  cas  qu'il  fût  condamné  par  le  concile. 

S'  Le  sauf-conduit  ne  dil  point  que  l'on  ne  pourra  arrêter  Jenn  Hus, 
quelque  jugement  que  le  concile  porte  sur  sa  ducirine  cl  sur  sa  pur- 
sonne;  il  n'est  donné  que  pour  la  route  depuis  Prague  jusqu'il  Con- 
stance, dans  laquelle  il  <!tail  diflicltc  de  vojager ,  surtout  pour  Jean 
Hus,  qui  avait  un  grand  nombre  d'ennemis  en  Allemagne,  depuis  qu'il 
avait  1^1  ûler  aux  Allemands  les  privil^es  dont  ils  jouissaient  dans 
l'Universilé  de  Prague,  de  laquelle  tons  les  Allemands  l'étaienl  retirés. 

3°  Jean  Hus  lui-même  ne  croyait  point  que  le  sauF-condult  qu'il 
avait  demandé  et  obtenu  lui  assurât  l'impunité  de  sa  résislanee  aa 
ici  quefûl  lejugciuculducouuile;  ouïe  voit  par  les  lettres 


grand  nombre  téméraires  eisécGÎ 

Léréiiques  el  condamnées  par  les  Pères  et 


SOS 

oreilles  pieuses, 

par  les  conciles. 

Après  la  dégradalion  de  Jean  Hus  ,  l'empereur  s'en  k 
comme  avocat  et  comme  défenseur  de  l'Église,  et  le  remit  aa  n^ 
gisuat  de  CoDsiaoce  :  on  n'oublia  rien  pour  l'engager  à  reconii 

qu'il  3Tsit<!crites  avant  que  de  partir  pour  Prague:  ildlldans  cesletires 
qu'il  s'allend  A  trouter  dans  le  concile  plus  d'ennemïa  que  Jésus-Cbri5l 
n'en  Irouia  dans  Jérusalem.  Dans  celte  mftmelclCre,  Jean  Bus  demande 
à  KS  amis  le  secours  de  leurs  prières,  afin  que  s'il  est  condamné, 
il  gloriQe  Dieu  par  une  fin  chrétienne  ;  il  j  parle  de  son  retour  comme 
d'une  chose  fort  incertaine. 

Esl^ce  Ift  le  langage  d'un  homme  qui  croit  avoil  un  sauf-conduit  qui 
le  mci  à  l'abri  des  suites  du  jugement  du  concile?  Voyet  Lentanl, 
Hiit.  du  eonc.  de  Coml.,  t,  1,  p.  39,  AO. 

4"  M.  LenFant  prétend  que  Jean  Hus  n'a  demandé  le  saur-conduit 

que  pour  Constance,  et  non  pas  pour  le  voyage  de  Prague  ï  Constance. 

Mais  je  demande  pourquoi  le  sauf-conduit  ne  parle  ^itit  du  séjour 

de  Jean  Hus  à  Constance,  si  ce  n'était  pour  son  s^our  dans  celte  ville 

qu'il  l'avait  demandé  P 

M,  Leofant  reconnaît  lui-même  que  Jean  Hus  avait  sur  sa  route  une 
infmilé  d'ennemis  :  pourquoi  Jean  Hus  n'aurait-il  pas  craint  d'être 
insulté  par  CCS  ennemis,  lorsqu'il  allait  &  Constance? 

Jean  Hus,  pour  se  dispenser  d'obéir  à  la  citation  de  Jean  XXlll, 
atanl  le  concile  de  Conslancc,  ne  s'était  Tonde  que  sur  la  difljculté  du 
voyage  et  sur  le  peu  de  sCUïté  des  clicniins  :  pourquoi  celte  même 
diUiculté  n'eût-elle  pas  encore  été  le  motir  pour  lequel  il  demanda  un 
sauf-cou  du  il  ? 

En  un  mot,  si  Jean  Hus  n'a  demandé  son  sauf-conduit  que  pour  son 
retour  de  Conslancc  à  Prague,  ou  pour  son  séjour  ù  Constance,  pour- 
quoi n'en  esE-ilfiùt  aucune  mention  dans  le  sauf-cDoduit?  pourquoi oe 
sauf-conduit  ne  par1e-l-il  que  du  voyage  de  Prague  âConalaoce? 

Ainsi  rien  ne  prouve  que  le  sauf-conduit  accordé  i  Jean  Hu»  ft 
une  assurance  ou  une  promesse  qu'un  ne  l'araéterait  pas  à  Conslanee 
supposé  que  sa  doctrine  fdl  condamnée  par  le  concile,  el  qu'on  ne  le 
jugerait  pas  selon  les  lois,  s'il  refusait  d'obéir  au  concile. 

5'  Les  Bohémiens,  dans  leurs  lettres  au  concile,  après  la  déletUioB 
de  Jean  Hus,  ne  se  plaignent  pas  deoe  qu'on  l'a  arrêté,  mais  de  et 
qu'on  l'a  arrêté  sans  l'eatendre,  ce  qui  e!t  contraire  au  saur-cou diût, 
attendu,  disent  ces  Jetircs,  que  le  roi  de  Bohême  a vail  demandé  im 
sauf-conduit  en  conséquence   duquel  Jean  Hu»  devait  être  c 


HUS 
il  fut  InQeiible , 


fitlS 

(eu  sans  remords 


disciples;  ils  prirent 
es  Euîles  du  supplice 


Ire  ses  tTreurs  ;  mais  il  fut  InOeiible ,  et  jilla  a 

Le  supplice  de  Jean  Rus  souleva  tous  : 
les  armes  et  désolèrent  la  Bohême.  Voyt 
de  Jean  Hus,  h  l'arlicle  IIdssites. 

IIUSSITES  ,  secUteurs  de  lean  Hus  :  il  s'en  était  fait  un  grand 
nombre  ,  en  Bohème  et  dans  la  Foméranie ,  avant  le  concile  de 
Constanue,  qui  les  excommunia  tous. 

Pendant  que  Jean  Hus  était  ï  Constance,  un  docteur  saxon  alla 
trouver  un  curé  de  Prague ,  nommé  Jacobel,  et  lui  dit  qu'il  était 
surpris  qu'un  homme  aussi  savant  que  lui  et  aussi  saint  ne  se  l'ùl 
pas  aperçu  d'une  grande  erreur  qui  s'était  glissée  dan»  l'Église 
depuis  long-temps,  savoir,  leretranchementde  la  coupe  dans  l'ad- 
ministration de  l'eucharisiifl ,  retranchement  qui  était  contraire 
au  commandement  de  Jésus-Christ,  qui  dit  :  •  Si  vous  ne  mangez 
>  la  cliairduFils  del'honime,  et  Si  vous  ne  buvez  son  sang,  vous 

lacobel ,  ébloui  par  ce  sophisme  ,  prêcha  la 
les  deux  espèces,  afficha  des  thèses 
seule  espèce. 

On  était  alors  dans  le  Tort  des  querelles  de  Jean  Hus  ;  le  peuple 
et  l'Église  de  Prague  étaient  dans  une  agitation  violente  et  dans 
une  espèce  d'anarchie  qui  rend  les  esprits  avides  de  nouveautés. 

publiquement,  et  n'était  soumis  au  concile  qu'après  avoh*  été  con- 
vaincu d'enseigner  une  doctrine  contraire  jl  l'Ëcriture,  car  les  Bohé- 
miens reconnaissent  que  dans  ce  cas  le  roi  avait  soumis  Jean  Hus  au 
ju|;eœentel  i  la  décision  duoondle.  Voseï  Rajnsld,  ad  an.  tAll>. 

0'  Jean  Bui  avait  obtenu  un  sauf-conduit  pour  venir  rendre  au 
concile  raison  de  u doctrine;  les  lettres  des  Bohémiens  le  disent  ei- 
presséfflent  :  cependant  Jean  Hus,  au  lieu  de  se  renAirmer  dans  ces 
bornes,  continuait  à  dogmatiser  et  à  répandre  ses  erreurs;  le  sauf- 
conduit  n'autorisait  cerlaïneiuent  pas  cette  licence;  linsi  le  concile,  en 
le  Taisant  arrêter,  même  avant  de  l'avoir  convaincu  d'erreur,  u«  violait 
point  la  foi  du  sauf-condulL 

T  Jean  Rus  avait  voulu  fuir  de  Constance;  or,  le  sauf-Gondull  ne 
Iji  accordait  pas  la  liberté  de  fuir,  et  Wenceslos  ne  l'avait  pas  deman- 
dée. Voyez  Raynald,  ad  an.  1415,  n"  31, 

'  Lenfant,  loc.  ciL  Halid  Alex,  in  »a;c.  15,  Dupin.  in  sax,  15.  Raj- 
nald,  ad  an.  UlSetaulv, 


.S04  BUS 

Jacobel  fut  secondé  par  un  de  ses  confrères  ;  le  sophisme  qui  les 
avait  séduits  séduisit  le  peuple  ,  et  ces  deux  curés  donnèrent  la 
communion  sous  les  deux  espèces. 

Le  clergé  s'opposa  à  cette  innovation  ;  on  chassa  Jacobel  de  sa 
cure,  et  Tarchevêque  l'excommunia  ;  mais  Texcommunication  n'é- 
tait plus  un  frein.  Jacobel,  persuadé  par  Jean  Hus  qu^une  excom- 
munication injuste  ne  doit  point  empêcher  de  faire  son  devoir,  ne 
prêcha  qu'avec  plus  de  zèle ,  et  le  clergé  de  Prague  déféra  la  doc- 
trine de  Jacobel  au  concile  de  Constance. 

Jean  Hus  était  à  Constance;  ses  disciples  le  consultèrent,  et  non- 
seulement  il  approuva  la  doctrine  de  Jacobel,  mais  encore  il  écri- 
vit en  faveur  de  la  communion  sous  les  deux  espèces  *, 

Les  Hussites  adoptèrent  donc  le  sentiment  de  Jacobel ,  et  la 
nécessité  de  communier  sous  les  deux  espèces  s'incorpora  pour 
ainsi  dire  avec  le  Hussitisme. 

Les  théologiens  catholiques  combattirent  l'innovation  de  /aco> 
bel,  et  le  concile  deConstance  la  condamna. 

Jacobel  et  les  Hussites  ne  déférèrent  point  au  jugement  du 
concile,  et  la  communion  sous  les  deux  espèces  fit  de  grands  pro- 
grès en  Bohême  et  en  Moravie,  favorisée  en  quelques  endroits  par 
les  seigneurs  et  par  le  peuple ,  traversée  ailleurs  par  les  uns  et 
par  les  autres. 

Elle  trouva  de  redoutables  adversaires  dans  le  territoire  de  Bé- 
chin  :  les  curés  et  leurs  vicaires  chassaient  à  main  armée  les  prê- 
tres qui  donnaient  la  communion  sous  les  deux  espèces  ,  comme 
autant  d'excommuniés.  Quelques-uns  de  ces  prêtres  se  retirèrent 
sur  une  montagne  voisine  du  château  de  Béchin  :  là  ils  dressè- 
rent une  tente  en  forme  de  chapelle ,  y  firent  le  service  divin ,  et 
communièrent  le  peuple  sous  les  deux  espèces;  ils  appelèrent  cette 
montagne  Thabor,  peut-être  à  cause  de  la  tente  qu'ils  y  avaient 
dressée  pour  y  faire  le  service  ;  car  le  mot  Thabor,  en  bohémien, 
signifie  tente  ou  camp  *, 

On  vit  bientôt  sur  cette  montagne  un  concours  prodigieux  de 
peuple  qui  communiait  sous  les  deux  espèces,  et  les  partisans  de 
cette  pratique  se  nommèrent  Thaborites. 

Le  supplice  de  Jean  Hus  ,  l'excommunication  lancée  contre  ses 
disciples,  le  retranchement  de  la  coupe  ,  avaient  soulevé  beau- 

*  Lcnfiint,  Hist.  du  coiic.  de  CoiisL,  t.  1,  p.  271. 
2  Supplrnipjit  î\  la  guerre  do?  Hussites, 


i 


k 


?K«i 


HirS  505 

Mvi^ile  inDiidc  ;  les  Ilussiiee,  ardens  et  passionnî-s,  se  servirent  du  J 
ces  mêmes  moiifs  pour  animer  le  peuple  contre  le  clergé. 

Ils  appuyaient  la  nécessité  de  la  communion  sous  les  deux  n 
pËccs  sur  UD  passage  de  l'Ecriture,  sur  U  parole  même  de  Jésus- 
Christ,  qoi  disait  qu'an  n'aurait  point  la  vie  si  l'on  ne  buvait  m 
«ang  :  le  sophisme  que  les  Haesites  fondaient  sur  ce  passage  & 
duisit  un  évêque  de  Nicopolis,  qui  conféra  les  ordres  et  le  sacer-  | 
doce  i  plusieurs  Hussites,  et  le  peuple  regarda  le  retranchement 
de  la  coupe  comme  une  pratique  qui  damnait  les  chrétiens,  < 
communion  sous  les  deux  espèces  comme  nécessaire  ausaliil. 
clergé  ,  qui  refusait  la  communion  sous  les  deui  espèces ,  devint 
odieux  ,  et  les  Hussites  qui  la  donnaient  furent  révérés  comme 
des  apAtres  qui  voulaient  le  salut  du  peuple  et  qui  étaient  per- 
sécutés pour  lui  :  tout  était  donc  disposé  pour  un  schisme  en  00- 

l.e  concile  de  Conslarice  n'ignorait  point  l'état  de  la  Bohême , 
et  Martin   V  voulait  ordonner  une  croisade  contre  ce  royaume  { 
nuis  Sigismond  le  dissuada ,  et  le  pape  prit  le  parti  d'écrire  aux  1 
Bohémiens  et  de  leur  envoyer  un  légat. 

Les  choses  étaient  dans  un  état  oti  les  écrits ,  les  lettres  e' 

qu'allumer  le  feu.  Jean  Oaminique,  cardinal  de  1 
i.  Sixte,  écrivit  au  pape  que  la  langue  et  la  plume  étaient  désor--  1 
nais  inutiles  contre  les  Hussites ,  et  qu'il  ne  fallait  plus  balancer  I 
,b  prendre  les  armes  contre  des  hérétiques  opiniïtres. 

Le  cardinal  de  S.  Sixte  n'avait  pas  peu  contribué  â  mettre  let  ' 
losïs  dans  cet  étut  par  la  rigueur  qu'il  employa  contre  les  llus- 
tes  ;  un  prêtre  et  un  séculier  qu'il  fit  brûler  furent  comme  le  si- 
goal  de  la  sédition  ;  les  catholiques  et  les  Hussites  prirent  les 

chambellan  de  Wenceslas  et  sectateur  passionné  de  b  J 
doctrine  des  Hussites,  courut  la  campagne,  pilla  tesmouasières,  I 
)kassa  les  moines  ,  s'empara  des  richesses  des  églises ,  et  rornit;! 

projet  de  bâtir  une  ville  sur   la  montagne  de  Thabor  ,  et  d'i 
lire  une  place  forte,  qui  fâi  comme  le  cbef-lieu  des  Hussites. 
Les  Hussites  devinrent  donc  une  secte  guerrière  ,  ignorante  # 
inatique,dans  laquelle  se  jetèrent  toutes  les  sectes  révoltées  a 
ftre  l'Église  de  Rome. 

insinuèrent  leurs  erreurs  ,  et  les  iniroduisira 
elle/  les  Hussites  retirés  il  Thabor  ;  mais,  ï  Prague  et  dai 
lieux  de  la  Bohème ,  les  Hussites,  excepté  la  t 


t 


606  HCS 

nion  sous  les  deux  espèces  et  les  erreurs  de  Jean  Hus ,  ne  s*é- 
taient  poin^  écuries  de  la  croyance  de  TÉglise  romaine  ;  ainsi  les 
Hussites  se  trouvèrent  divisés  en  deux  secies  principales  >  pres- 
que dès  leur  origine. 

Les  Hussites  du  Thabor»  qui  étaient  des  espèces  de  bandits  et 
des  soldats  ,  adoptèrent  les  erreurs  de  quelques  Yaudois  ou  de 
quelques  Sacramentaires  réfugiés  chez  eux,  qui  condamnaient  les 
cérémonies  de  TEglise ,  et  formèrent  la  secte  des  Thàborites  :  au 
contraire,  tous  ceux  qui  restèrent  attachés  aux  cérémonies  de  TË- 
l^ise  romaine  se  nommèrent  Galixtins ,  parce  qu'ils  donnaient  le 
calice  au  peuple  ^. 

Ces  deux  sectes  eurent  des  démêlés  fort  vife ,  et  ne  purent  se 
réunir  sur  les  articles  de  leur  confession  de  foi  ;  mais  ils  se  réu- 
nissaient lorsqu'il  était  question  d'attaquer  TËglise  romaine,  et  ce 
fut  par  cette  union  qu'ils  firent  de  grand  progrès. 

Du  progrès  des  Hussites. 

Avant  que  les  divisions  des  Hussites  eussent  éclaté,  Sigîsmond 
avait  fait  assembler  les  garnisons  qu'il  avait  en  Bohème  ,  pour 
•^opposer  aux  assemblées  des  Hussites:  les  Hussites  s'attroupèrent 
en  force  ;  il  y  eut  plusieurs  combats  sanglans  entre  les  troupes 
de  Sigismond  et  les  Hussites. 

Zisca  écrivit  à  tous  les  Hussites  pour  les  exhorter  à  prendre  les 
armes,  et  fit  de  Thabor  une  ville  et  une  place  forte  :  il  dressa  peu 
à  peu  ses  Hussites  à  la  discipline  militaire  ^  entra  dans  Prague , 
où  les  Hussites,  animés  par  la  présence  de  ce  chef,  pillèrent  et 
ruinèrent  plusieurs  monastères  et  massacrèrent  beaucoup  de  moi- 
nes et  de  catholiques  ;  Zisca  lui-même  tua  un  prêtre  ,  après  l'a- 
voir dépouillé  de  ses  habits  sacerdotaux  ;  de  là  il  conduisit  les 
Hussites  à  la  maison  de  ville,  où  il  savait  que  les  sénateurs  étaient 
assemblés  pour  prendre  des  mesures  contre  les  Hussites. 

Onze  des  sénateurs  s'échappèrent  ;  les  autres  furent  pris  ou 
jetés  par  les  fenêtres  avec  le  juge  et  quelques  citoyens  ;  la  popu- 
lace en  fureur  reçut  leurs  corps  sur  des  lances,  sur  des  broches  et 
sur  des  fourches ,  tandis  que  Jean  de  Prémontré  animait  le  peu- 
ple, en  lui  montrant  un  tableau  où  le  calice  était  peint. 

Le  lendemain  les  Hussites  mirent  tout  à  feu  et  à  sang  dans  les 
monastères.  Les  magistrats  n'avaient  pas  prévu  ces  malheurs , 

*  Lenfant,  Conc.  de  Bôle,  t.  2,  p.  132,  142. 


HUS  507 

lorsque  quelque  temps  avant  ils  avaient  fait  couper  la  tête  à  plu- 
sieurs Hussites  dans  la  cour  de  Thôtel-de-ville. 

La  nouvelle  de  ces  désordres  consterna  Wenceslas  ;  il  fut 
frappé  d'apoplexie ,  et  mourut. 

La  reine  Sophie  fît  quelques  tentatives  inutiles  contre  Zisca  ;  et 
Sigismond,  occupé  en  Hongrie  contre  les  Turcs,  ne  put  rétablir 
Tordre  en  Bohême.  Zisca  continua  ses  ravages  et  fortifia  Thabor. 
La  ville  d'Aust  était  au  pied  de  cette  montagne.  Zisca  craignant 
que  le  seigneur  de  cette  ville ,  qui  était  catholique  zélé  et  fort 
animé  contre  les  Hussites  ,  n'inquiétât  les  Thaborites ,  surprit  la 
ville  d'Aust,  dans  une  nuit  de  carnaval ,  pendant  Fabsence  du 
gouverneur  et  tandis  que  tout  y  était  enseveli  dans  le  sommeil 
ou  livré  à  la  débauche.  La  ville  fut  prise  avant  qu'on  sût  qu'elle 
était  attaquée;  les  habitans  furent  tous  passés  au  fil  de  l'épée,  et 
la  ville  réduite  en  cendres  :  de  là  Zisca  vola  à  Sedlitz,  qu'il  sur- 
prit et  qu'il  traita  comme  il  avait  traité  la  ville  d'Aust.  Ulric , 
seigneur  de  ces  deux  villes,  fut  tué  dans  la  dernière. 

II  y  avait  à  Prague  une  grande  quantité  de  Hussites ,  mais  ils 
n'avaient  pas  conservé  l'exercice  libre  de  la  communion  aous  les 
deux  espèces:  les  Thaborites  leur  proposèrent  de  s'unir  à  eux  pour 
se  rendre  maîtres  de  Prague  ,  détruire  le  gouvernement  monar- 
chique ,  et  faire  de  la  Bohême  une  république  :  on  accepta  ces  of- 
fres, les  Galixtins  et  les  Thaborites  réunis  assiégèrent  Wisrade, 
et  la  prirent  d'assaut  *• 

Zisca  se  serait  rendu  maître  de  la  ville  ,  si  les  ambassadeurs  de 
l'empereur  n'eussent  engagé  les  Hussites  à  accepter  une  trêve  de 
quatre  mois,  à  condition  qu'il  y  aurait  pour  tout  le  monde  liberté 
de  communier  sous  une  ou  deux  espèces  et  qu'on  ne  troublerait 
personne  ni  dans  l'un  ni  dans  l'autre  usage  ;  que  les  Hussites  ne 
chasseraient  point  les  religieux  et  les  religieuses ,  et  qu'ils  ren- 
draient Wisrade. 

Sigismond,  après  cette  trêve,  tint  une  diète  à  Braun  ou  Br%m  : 

de  là  il  écrivit  à  la  noblesse  et  aux  magistrats  de  Prague  de  s'y 

rendre;  ils  s'y  rendirent,  et  demandèrent  la  liberté  de  conscience. 

Ces  conditions  ne  furent  pas  du  goût  de  l'empereur  ;  il  déclara 

qu'il  voulait  gouverner  comme  Charles  lY  avait  gouverné.  ' 

Charles  lY  avait  publié  des  édits  sévères  contre  les  hérétiques; 
les  catholiques  triomphèrent ,  et  les  Hussites  consternés  allient, 

^  Wisrade,  forteresse  séparée  de  la  Yille  de  Prague  par  la  Moldave, 


508  HUS 

les  uns  à  Tbtbor  auprès  de  Zisca  »  les  autres  à  Sadomits  auprès 
de  Hussinets ,  seigneur  puissant  et  Hussite  zélé. 

L'empereur  ne  crut  pas  devoir  entrer  dans  Prague  ;  il  alla  k 
Breslauy  en  Silésie,  et  y  signala  son  séjour  par  des  exécutions 
sanglantes  :  il  fitécarteler  un  Thaborite  de  Prague  qui  prêchait  la 
communion  sous  les  deux  espèces.  Dans  le  même  temps ,  le  nonce 
du  pape  fit  publier  et  afficber  à  Breslau  la  croisade  de  Martin  Y 
contre  les  Hussites. 

Lorsque  les  Bohémiens  apprirent  cette  nouvelle ,  ils  firent  tous 
serment  de  ne  recevoir  jamais  Sigismond  pour  roi ,  et  de  défendre 
la  communion  sous  les  deux  espèces  jusqu'à  la  dernière  goutte  de 
leur  sang.  Les  hostilités  recommencèrent  à  la  ville  et  à  la  cam- 
pagne ;  ils  écrivirent  des  lettres  circulaires  à  toutes  les  villes  du 
royaume,  pour  les  exhorter  à  n*y  pas  laisser  entrer  Sigismond ,  et 
Ton  vit  une  guerre  ouverte  entre  Teropereur  et  les  Hussites. 

L*empereur  mit  sur  pied  une  armée  de  plus  de  cent  mille 
hommes ,  qui  fut  battue  partout  où  elle  voulut  pénétrer  en  Bo- 
hême ;  elle  fit  le  siège  de  Prague ,  et  le  leva  après  y  avoir  perdu 
beaucoup  de  monde.  Le  duc  de  Bavière ,  qui  était  dans  cette  ar- 
mée f  en  parle  en  ces  termes  ^  à  son  chancelier  :  <  Nous  avons 
»  attaqué  les  Bohémiens  cinq  fois ,  et  tout  autant  de  fois  nous 
»  avons  été  défaits  avec  perte  de  nos  troupes ,  de  nos  armées ,  de 
»  nos  machines  et  instrumens  de  guerre,  de  nos  provisions  et  de 
»  nos  valets  d'armée  ;  la  plus  grande  partie  de  nos  gens  a  péri  par 
»  le  fer,  et  l'autre  par  la  fuite  ;  enfin ,  par  je  ne  sais  quelle  fata- 
»  lité,  nous  avons  tourné  le  dos  avant  d'avoir  vu  l'ennemi.  » 

Sigismond,  après  avoir  désolé  la  Bohême  et  perdu  la  plus 
grande  partie  de  son  armée ,  licencia  ce  qui  lui  restait  de  troupes. 
Zisca  fut  donc  maître  de  la  Bohême  ;  il  y  mit  tout  à  feu  et  à 
sang,  et  ruina  tous  les  monastères  :  son  armée  grossissait  tous 
les  jours,  et  pour  éprouver  la  valeur  de  ses  troupes,  il  les  mena 
à  la  petite  ville  de  Rziezan,  qui  avait  une  forteresse;  il  emporta 
l'une  et  l'autre,  et  brûla  sept  prêtres.  De  là  il  se  rendit  h  Pra- 
chaticz,  la  somma  de  se  rendre  et  de  chasser  tous  les  catholi- 
ques ;  les  habiuns  rejetèrent  ces  conditions  avec  mépris  :  Z'sca 
fit  donner  l'assaut,  prit  la  ville,  et  la  réduisit  en  cendres. 

Les  Thaborites  de  Prague  et  des  villes  qui  s'étaient  liguées 
avec  les  Hussites  avaient  à  leur  têle  des  généraux  d'une  valeur 

4  Lenfant,  Guerre  des  Hussites, 


HUS  509 

et  d'une  habileté  reconnues  »  qui  rayageaient  les  terres  des  sei- 
gneurs catholiques  ;  et  Sigismond,  pour  ne  point  céder  à  Zisca  et 
aux  Hussites  en  barbarie,  infestait  tous  les  environs  de  Guttem- 
berg  de  ses  hussards ,  et  mettait  tout  à  feu  et  à  sang  autour  de 
Breslau. 

11  reçut  une  armée  de  Moravie,  et  voulut  rentrer  dans  Prague  ; 
mais  son  année  fut  détruite,  et  il  fut  lui-même  obligé  de  prendre 
la  fuite. 

Les  Hussites  et  les  catholiques  formèrent  donc  alors  comme 
deux  nations  étrangères  qui  ravageaient  la  Bohême  et  qui  exer- 
çaient Tune  sur  Tautre  des  cruautés  inouïes  et  inconnues  aux  na« 
tions  barbares. 

Sigismond  se  forma  encore  une  nouvelle  armée ,  et  fut  encore 
défait  par  Zisca,  et  obligé  de  se  retirer  en  Hongrie. 

11  y  avait  plusieurs  années  que  Zisca  était  aveugle,  et,  malgré 
sa  cécité ,  les  forces  de  Tempire  n'étaient  pas  capables  de  l'arrê- 
ter. Sigismond  voulut  traiter  avec  lui  ;  il  lui  envoya  des  ambassa- 
deurs, lui  offrit  le  gouvernement  de  la  Bohême,  avec  les  conditions 
les  plus  honorables  et  les  plus  lucratives ,  s'il  voulait  rame- 
ner les  rebelles  à  l'obéissance. 

La  peste  fit  échouer  ces  négociations  ;  Zisca  eu  fut  attaqué,  et 
mourut  ^. 


1  Son  corps  fut  transféré  à  Czaslau ,  ville  considérable  de  Bohême,  et 
cnleiTë  dans  la  cathédrale  de  cette  ville  :  c'est  une  fable  que  Tordre  que 
Von  raconte  qu'il  donna  en  mourant  de  faire  un  tambour  de  sa  peau  ; 
Théobald  témoigne  qu'on  lisait  encore  de  son  temps  cette  épitaphe  : 
»Cy  gist  Jean  Zisca,  qui  ne  le  céda  à  aucun  général  dans  Part  militaire , 
»  rigoureux  vengeur  de  l'orgueil  et  de  l'avarice  des  ecclésiastiques, 
»  ardent  défenseur  de  la  patrie.  Ce  que  fit  en  faveur  de  la  république 
»  romaine  Appius  Claudius  l'aveugle,  par  ses  conseils,  et  Marcus  Furius 
»  Camillus  par  sa  valeur,  je  l'ai  fiiit  en  faveur  de  ma  patrie  :  je  n'ai 
«jamais  manqué  à  la  fortune,  et  elle  ne  m'a  jamais  manqué  ;  tout 
9  aveugle  que  j'étais,  j'ai  toujours  bien  vu  les  occasions  d'agir;  j'a| 
9  vaincu  onze  fois  en  bataille  rangée  ;  j'ai  pris  en  main  la  cause  des 
»  malheureux  et  celle  des  indigens  contre  des  prêtres  sensuels  et  char- 
»  gés  de  graisse,  et  j'ai  éprouvé  le  secours  de  Dieu  dans  cette  entre- 
»  prise.  Si  leur  haine  et  leur  envie  ne  l'avait  empêché,  j'aurais  été  mis 
»  an  rang  des  plus  illustres  personnages;  cependant,  malgré  le  pape, 
9  mes  os  reposent  dans  ce  lieu  sacré.  » 

La  massue  de  Zisca  était  attachée  &  l 'épitaphe.  Balbin  raconte  que 

43* 


510  HUS 

Après  la  mort  de  Zîsca ,  son  armée  se  partagea  en  trois  corps  : 
les  UDS  prirent  pour  chef  Procope  Raze ,  surnommé  le  Grand  : 
Tautre  partie  ne  voulut  point  de  chef,  et  ces  Hussites  se  nommè- 
rent Orphelins;  et  un  troisième  corps  de  cette  armée  prit  le  nom 
d'Orébiies ,  et  se  nomma  des  chefs. 

Cette  division  des  Hussites  n*empèdia  pas  qu'ils  ne  s'unissent 
étroitement  lorsqu'il  s'agissait  de  la  cause  commune  :  ils  appe- 
laient la  Bohème  la  terre  de  promission ,  et  les  Allemands ,  qui 
étaient  limitrophes ,  ils  les  appelaient ,  les  uns  les  Iduméens ,  les 
autres  les  Moabites»  ceui-ci  les  Amalécites,  ceux-là  les  Philis- 
tins. 

Ces  trois  corps  de  Hussites  traitèrent  en  effet  toutes  les  pro- 
vinces voisines  de  la  Bohème  comme  les  Israélites  avaient  traité 
les  peuples  de  la  Palestine. 

Le  pape  renouvela  ses  exhortations  et  ses  instances  pour  une 
croisade  contre  les  Hussites ,  et  l'Allemagne  mit  sur  pied  une  ar- 
mée de  cent  mille  hommes.  Les  impériaux ,  Bialgré  la  supériorité 
de  leur  nombre,  furent  défaits,  et  les  Hussites  continuèrent  leurs 
ravages. 

On  prêcha  contre  les  Hussites  une  troisième  croisade ,  et  les 
armées  des  croisés  furent  encore  taillées  en  pièce. 

Le  pape  etTempereur,  voyant  qu'il  était  impossible  de  réduire 
les  Bohémiens  par  la  force ,  proposèrent  des  conférences  et  des 
moyens  d'accommodement  ;  on  les  invita  au  concile  de  Bâle ,  on 
leur  donna  un  sauf-conduit  tel  qu'ils  le  souhaitèrent ,  et  les  dé- 
putés des  Hussites  se  rendirent  à  Bâle,  au  nombre  de  trois  cents, 
à  la  tête  desquels  étaient  le  fameux  Procope,  élève  de  Zisca,  Jean 
de  Rokisane ,  prêtre ,  disciple  de  Jacobel ,  et  quelques  Hussites 
de  considération. 

Les  Hussites  réduisirent  leurs  prétentions  à  quatre  chefs: 
1<>  que  l'eucharistie  fût  administrée  aux  laïques  sous  les  deux  es- 
pèces ;  2**  que  la  parole  de  Dieu  pût  être  prêchée  librement  par 

Ferdinand  I*'  demanda  un  jour  à  qui  appartenait  cette  massue,  et 
qu*aucun  des  courtisans  n*osant  le  lui  dire,  un  plus  hardi  répoiktit  que 
c'était  la  massue  de  Zisca  :  Tempereur  sortit  sur-le-champ  de  Téglifie 
et  de  la  ville ,  et  s'en  alla  à  une  lieue  de  là ,  quoiqu'il  eût  résolu  de 
passer  la  journée  à  Czaslau  ;  il  fuyait  en  disant  :  Celle  mauvaise  bète, 
toute  morte  qu'elle  est  depuis  cent  ans,  fait  encore  peur  aux  vivans. 
(  Voyez  la  Guerre  des  Hussites,  t.  i,  p.  207.  ) 


\ 


HUS  511 

ceux  à  qui  il  appartient,  c*e6t-à-dire  par  tous  les  prêtres;  S»  que 
les  ecclésiastiques  n'eussent  plus  de  biens  ni  de  domaines  tempo- 
rels ;  4°  que  les  crimes  publics  fussent  punis  par  les  magistrats. 

On  raisonna  beaucoup  sur  ces  articles  ;  mais  les  disputes  pu- 
bliques et  les  conférences  particulières  furent  inutiles  :  les  Hus- 
sites  ne  se  départirent  point  des  quatre  articles ,  et  le  concile  ne 
voulut  point  les  accorder.  Les  députés  des  Hussites  retournèrent 
donc  en  Bohême ,  et  les  hostilités  continuèrent  ;  mais  les  Thabo* 
rites  éprouvèrent  des  revers,  les  deux  Procopes  furent  défaits  et 
tués.  Les  Tbaborites ,  affaiblis  par  la  perte  de  ces  deux  généraux 
et  par  plusieurs  défaites ,  eurent  moins  d'éloignement  pour  la 
paix  ;  le  concile  envoya  des  députés  qui  iirent  avec  les  Bohémiens 
un  traité  par  lequel  on  convint  que  les  Bohémiens  et  le»  Moraves 
se  réuniraient  à  TËglise,  et  se  conformeraient  en  tout  à  ses  rites, 
à  Texception  de  la  communion  sous  les  deux  espèces,  que  Ton 
permettait  à  ceux  chez  qui  elle  était  en  usage  ;  que  le  concile  dé- 
ciderait si  cela  devait  se  pratiquer  suivant  le  précepte  divin  ^  et 
qu'il  réglerait  par  upe  loi  générale  ce  qu'il  jugerait  à  propos  pour 
l'utilité  et  pour  le  salut  des  fidèles  ;  que  si  les  Bohémiens  persis- 
taient ensuite  à  vouloir  communier  sous  les  deux  espèces ,  ils  en- 
verraient une  ambassade  au  coucile,  qui  laisserait  aux  prêtres  de 
Bohême  et  de  Moravie  la  liberté  de  communier  sous  les  deux 
espèces  les  personnes  parvenues  à  Tâge  de  discrétion ,  qui  le  sou- 
haiteraient, à  condition  qu'ils  avertiraient  publiquement  le  peuple 
que  la  chair  de  Jésus-Christ  n'est  pas  seule  sous  l'espèce  du  pain, 
ni  le  sang  seul  sous  l'espèce  du  vin,  mais  que  Jésus-Christ  est 
tout  entier  sous  chaque  espèce. 

L'empereur  convint  aussi  de  laisser,  par  forme  de  gages,  les 
biens  des  églises  à  ceux  qui  en  étaient  en  possession ,  jusqu'à  ce 
qu'ils  fussent  retirés  pour  un  certain  prix. 

Les  Bohémiens,  deleurcôié,  accordaient  le  retour  des  reli- 
gieux et  des  catholiques ,  à  condition  néanmoins  que  les  monas- 
tères qui  avaient  été  démolis  ne  seraient  point  rétablis.  On  laissa 
la  disposition  des  églises  de  Bohême  au  pape ,  et  on  donna  six 
ans  aux  Orphelins  et  aux  Tbaborites  pour  se  résoudre  à  accéder 
au  traité. 

L'empereur  Sigismond  fit  ensuite  son  entrée  à  Prague ,  où  il 
mourut  l'année  suivante,  1437,  et  Albert  d'Autriche,  qui  avait 
épousé  sa  fille,  fut  élu  roi  de  Bohême,  mais  il  ne  survécut  que 
deux  ans  à  son  élection. 


515  HUS 

Après  la  mort  d*  Albert  d'Autriche ,  les  Bohémiens  se  choisirent 
deux  gouverneurs ,  en  attendant  la  majorité  de  Ladîslas ,  fils  d'Al- 
bert,  à  qui  Pogebrac  succéda. 

Pogebrac  acheva  de  détruire  le  parti  des  Thaborites ,  mais  il 
maintint  Tusage  de  la  communion  sous  les  deux  espèces ,  qui  de- 
vint ordinaire  dans  la  plupart  des  églises  de  Bohême ,  sans  qu'on 
prit  la  précaution  d'avertir  le  peuple  qu'il  n'y  avait  point  de  né- 
cessité de  l'observer. 

Quoique  Pogebrac  eût  ruiné  le  parti  des  Thaborites ,  il  resta 
néanmoins  plusieurs  personnes  imbues  de  leurs  opinions;  ces 
Bohémiens  se  séparèrent  des  Galixtins ,  et  formèrent  une  nouvelle 
secte  connue  sous  le  nom  de  Frères  de  Bohême.  Voyez  cet  article  ^ 
Tels  furent  les  effets  et  la  fin  de  la  guerre  des  Hussites  :  elle  fut 
allumée  par  le  bûcher  qui  consuma  Jean  Hus ,  par  les  rigueurs 
des  légats ,  par  les  armées  que  Sigismond  envoya  contre  les  Hus- 
sites »  par  le  sang  qu'il  répandit.  Elle  attira  sur  la  Bohême  tous 
les  fléaux  de  la  colère  de  Dieu  ;  elle  fit  de  ce  royaume  et  d'une 
partie  de  l'Allemagne  un  désert  inondé  de  sang  humain  et  cou- 
vert de  sang  et  de  débris;  elle  finit  sans  corriger  les  abus  contre 
lesquels  on  avait  pris  les  armes  et  prêché  les  croisades. 

Aurait-on  causé  plus  de  maux  à  la  Bohême  et  à  l'Église  si, 
après  la  condamnation  de  Jean  Hus  et  de  sa  doctrine,  l'empe- 
reur, au  lieu  d'envoyer  ses  troupes  contre  les  Ilussites  qui  s'ns- 
semblaient  pour  communier  sous  les  deux  espèces  ;  si ,  dis-je , 
cet  empereur  eût  fait  passer  en  Bohême  des  théologiens  habiles 
et  modérés  qui  eussent  instruit  les  peuples  et  combattu  avec  les 
armes  de  la  religion  ,  de  la  charité  et  de  la  raison ,  les  erreurs 
des  Hussites? 

D^s  erreurs  de  Jean  Hus  et  des  Hussites, 

Les  erreurs  principales  de  Jean  Hus  et  des  Hussites  regardent 
e  pape,  dont  ils  attaquent  la  primauté;  l'Élise,  qu'ils  compo- 
sent des  seuls  élus  ou  prédestinés;  la  comn^nion  sous  les  deux 
espèces ,  qu'ils  regardent  comme  nécessaire  au  salut. 

Nous  avons  réfuté,  dans  l'article  Grecs  ,  l'erreur  de  Jean  Hus 
sur  la  primauté  du  pape. 

Son  erreur  sur  la  nature  de  l'Église  avait  été  avancée  par  les 
Donatistes,  par  les  Albigeois,  par  les  Vaudois,  par  Wiclef;  elle 

*  Sur  Thisloire  des  Hussites,  voyez  les  auteurs  cités,  Fleury,  Dupîn,  elc. 


HUS  513 

fut  après  lui  adoptée  par  les  Protestans  ;  c'est  Tasilc  de  toutes  les 
sociétés  séparées  de  TËglise  romaine  :  on  a  réfuté  celte  erreur 
à  Tarticle  Donatistes. 

Il  nous  reste  à  parler  de  la  communion  sous  les  deux  espèces, 

Les  catholiques  reconnaissent  que ,  durant  plus  de  mille  ans  , 
rÉglise  d'Occident,  aussi  bien  que  celle  d'Orient,  administrai^ 
même  aux  laïques  la  communion  sous  les  deux  espèces  *. 

Cette  pratique  n'était  cependant  pas  si  générale  qu'en  plusieurs 
occasions  on  ne  donnât  la  communion  sous  une  seule  espèce  ;  la 
communion  du  vieillard  Sérapion  et  celle  des  malades,  les  com- 
munions domestiques,  la  messe  du  vendredi  saint,  sont  une 
preuve  Incontestable  de  cette  vérité:  on  ne  réservait  alors ,  comme 
on  ne  réserve  encore  aujourd'hui ,  que  le  corps  sacré  de  Jésus- 
Christ  ;  cependant  il  est  certain ,  par  tous  les  auteurs ,  que  le 
célébrant ,  tout  le  clergé  et  le  peuple ,  communiaient  dans  ces 
saints  jours,  qu'ils  ne  communiaient,  par  conséquent,  que  sous 
une  espèce.  On  ne  voit  point  l'origine  de  cette  pratique ,  qui 
était  générale  au  huitième  siècle. 

11  est  même  certain  que,  dans  l'office  ordinaire  de  l'Église ,  les 
fidèles  avaient  la  liberté  de  communier  sous  une  ou  sous  deux 
espèces  :  le  décret  du  pape  Gélase,  pour  la  communion  sous  les 
deux  espèces ,  en  est  une  preuve  :  «  Nous  avons  découvert  que 
»  quelques-uns,  prenant  seulement  le  corps  sacré ,  s'^ibstiennent 
»  du  sacré  calice ,  lesquels ,  certes ,  puisqu'on  les  voit  attachés  à 
»  je  ne  sais  quelle  superstition ,  il  faut,  ou  qu'ils  prennent  les 
»  deux  parties  de  ce  sacrement ,  ou  qu'ils  soient  privés  de  l'une 
»  et  de  l'autre*.  » 

Ainsi,  le  pape  Gélase  n'ordonne  de  prendre  la  communion  sous 
les  deux  espèces  que  pour  s'opposer  au  progrès  de  je  ne  sais 
quelle  superstition ,  ce  qui  suppose  évidemment  la  liberté  de  com- 
munier sous  une  seule  espèce  avant  la  naissance  de  cette  supersti- 
tion et  lorsqu'elle  sera  éteinte.Yoilà  une  conséquence  que  toutes  les 
subtilités  de  MM.  de  La  Roque  et  du  Bourdieu  ne  peuvent  éluder  '. 

<  Mabillon,  Prxf.  in  3  saec  Benedict.,  Observ.  10,  p.  130.  Bossuet, 
Delà  commun,  sous  les  deux  espèces.  Perpét.  de  la  foi,  t.  5,  1.  3. 
Boileau,  Hist.  de  la  communion.  Traité  de  reucharlstle,  à  la  fin. 

2  Décret.  Grat.  deconsecr.,  ôU\.  2.  Ep.  ad  Major,  et  Joan. 

*  La  Roque,  Hîst.  de  Teuch.,  V  |)art.,  c,  12,  p.  ?/|4.  DuBourdîeU| 
Rép.,  c  13. 


514  HUS 

La  pratique  de  donner  la  communion  sous  une  seule  espèce 
s'établit  et  devint  générale  dans  rOccident ,  sans  qu'il  y  ait  eu  sur 
cela  aucune  contestation,  aucune  opposition  ;  on  ne  croyait  donc, 
en  aucune  Église  d'Occident,  qu'il  fût  nécessaire  de  communier 
sous  les  deux  espèces ,  lorsque  Jacobel  entreprit  de  rendre  le  ca- 
lice aux  simples  fidèles. 

Était-il  permis  à  un  simple  curé  de  changer  une  discipline  éU- 
blie  généralement?  le  pouvait-il  faire  contre  la  défense  du  concile 
de  Constance?  Il  n'aurait  été  autorisé  à  ce  changement  qu'autant 
qu'il  serait  évident  que  la  communion  sous  les  deux  espèces  est 
nécessaire  au  salut,  ou  il  faut  anéantir  tout  principe  de  subordi- 
nation dans  l'Église. 

Mais  peut-on  dire  qu'il  est  évident  que  la  communion  sous  les 
deux  espèces  est  nécessaire  au  salut ,  et  qu'on  ne  reçoit  pas  le  sa- 
crement de  l'eucharistie  lorsqu'on  communie  sous  une  seule  espèce 

Dans  Tadministration  des  sacremens  on  est  obligé  défaire,  noa 
tout  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  (autrement  il  faudrait  donner  l'eu- 
charistie après  souper) ,  mais  seulement  ce  qui  appartient  k  la 
substance  du  sacrement  :  or,  on  ne  saurait  trouver  dans  l' eucha- 
ristie aucun  efiet  essentiel  du  corps  distingué  du  sang  ;  ainsi  la 
grâce  de  Tun  et  de  l'autre,  au  fond  et  dans  la  substance ,  ne  sau- 
rait être  que  la  même. 

En  effet  Jésus-Christ,  en  instituant  le  sacrement  de  l'eucharistie, 
dit  à  ses  apôtres  :  Prenez  et  mangez ^  ceci  est  mon  corps;  or,  le 
corps,  le  sang,  ràoie,  la  divinité  de  Jésus-Christ  sont  insépa- 
rables; car  Jésus-Christ  lui-même  dit,  en  saint  Jean,  qu'il  a 
donné  son  corps  vivant  dans  reucharislie  :  or,  il  ne  peut  être  vi- 
vant qu'il  ne  soit  uni  avec  le  sang,  l'âme,  la  divinité ,  sous  chaque 
espèce  ;  les  catholiques ,  en  donnant  la  communion  sous  une  seule 
espèce,  ne  changent  donc  point  la  substance  du  sacrement. 

Ce  changement  dans  l'administration  de  l'eucharistie  ne  touche 
as  plus  la  substance  du  sacrement  que  le  changement  qui  s'est 
ait  dans  l'administration  du  baptême  touche  la  substance  du  bap- 
tême ,  changement  que  les  Protestans  ont  pourtant  adopté.  Tout 
ce  qu'ils  diront  pour  justifier  le  changement  de  l'administration  du 
baptême ,  les  catholiques  le  diront  en  faveur  du  retranchement  de 
la  coupe. 

Enfin,  le  retranchement  de  la  coupe  touche  si  peu  la  sub- 
stance du  sacrement ,  que  les  Protestans  eux-mêmes  ont  fait  un 
décret  pour  administrer  l'eucharistie  sous  la  seule   espèce  da 


l 


HYB  515 

pain  à  ceux  qui  ont  une  aversion  insurmontable  pour  le  yin  ^. 

En  vain  prétendrait-on  que  Teucharistie  étant  destinée  à  nous 
rappeler  la  mémoire  de  la  mort  et  de  la  passion  de  Jésus-Christ , 
on  ne  reçoit  qu'imparfaitement  ce  sacrement  lorsqu'on  ne  reçoit 
que  le  pain  ;  car  le  pain  eucharistique  nous  rappelle  la  mort  de 
Jésus-Christ ,  comme  la  communion  sous  les  deux  espèces  ;  et  s'il 
faut  conserver  Tusage  du  calice  parce  qu'il  nous  rappelle  mieux  la 
passion  de  Jésus-Christ,  il  faudrait  aussi  donner  la  communion 
après  souper ,  parce  que  cette  circonstance  nous  rappellerait  en- 
core mieux  la  mort  de  Jésus-Christ. 

Les  Luthériens  ont  renouvelé  la  communion  sous  les  deux  es- 
pèces ,  et  le  concile  de  Trente  a  condamné  celte  innovation  :  c'est 
un  des  obstacles  les  plus  considérables  à  la  réunion  des  églises 
luthériennes ,  et  il  y  avait  sur  cela  une  espèce  de  négociation 
entre  M.  Bossuet  et  M.  Leibnitz ,  dont  on  trouve  le  détail  dans 
les  œuvres  posthumes  de  M.  Bossuet  '. 

Il  est  certain  que  la  communion  sous  les  deux  espèces  ayant  été 
en  usage  et  n'étant  contraire  ni  à  la  nature  du  sacrement ,  ni  à 
l'institution  de  Jésus-Christ ,  l'Église  peut  rendre  le  calice  aux 
simples  fidèles;  mais  comme  le  retranchement  du  calice  a  pris 
naissance  dans  les  inconvéniens  qui  résultaient  de  la  communion 
sous  les  deux  espèces ,  il  n'appartient  qu'à  TÉglise  de  rétablir  la 
communion  sous  les  deux  espèces;  elle  seule  a  droit  déjuger  si 
les  inconvéniens  qui  naissent  du  retranchement  du  calice  sont 
plus  grands  que  ceux  qui  naissent  de  la  discipline  actuelle ,  et  si 
elle  doit  se  relâcher  sur  cet  article. 

HYDROPARASTES ,  nom  donné  aux  Encratiques  qui  n'of- 
fraient que  de  l'eau  dans  l'eucharistie. 


1 


Bossuet,  Traité  de  la  communion  sous  les  deux  espèces  ;  Bellarm., 
Natal.  Alex. ,  ont  traité  à  fond  cette  question,  et  tous  les  théologiens 
après  eux. 
*T.  l,p,  20A. 


FIN  DU    TOM£  PBEMIEB. 


BiBiioTnÈfE  chrétiesim  du  w  mm, 

i  t'oUGI  DO   CLr.RGÏ  ET  DEl  CBISÏ  BU   11CI:1DK, 

Formât  crand  ia-18,  papier  jésus  snperfîn,  satiaé,,^ 
Pi'ix  de  cliaque  volume ,  broché  :  5  fr.  SOcJ 

Momeaelaturo  des  Ouvrag«i  pànu. 


(Kui'i'Z)  de  Miiil  Friincoiii  île  Sakn,  cou 
lenfnt  l'iulroduclioii  a  la  vie  Ùivotc 
un  ChoïK  de  set  laires  spiriiuellra  e 
le  Traité  de  l'utnour  de  Dieu,  prtté- 
Uéesd'unenalicesurMiiectsestCTÎls; 
psr  V.  DU  PunnoDiL 3  vnl. 

IM'.ttvrHipiri'uclUidcfViicliin,  contcnanl 
ion  Trailc  ilc  l'itistence  de  Dieu  et  ut 
Lettres  sur  la  religion;  nouvelle  édition, 
rangée  daiis  un  meillenr  ordre  et  jirOcâ- 
dëe  d'un  discourïpréliminaire  ;  pur  M.  de 
liEHOCDb 3  vol. 

CrainoHi  funiires  de  Bosscei,  rtÉi'HiEH, 

UisSILLON,  MtSQilUOII,    UaVBUtLOCE   ct 

L»Hci<  prteËdHt  d'eiutli's  historiiiiei 
..tarées  orateurs,  par  A,  Kt^iuiEnT:UV'- 
Slndes  lillârdrcs  sar  IVnisgn  fanâbrr, 
KlrLjkUUFRietdGiHiUcesbiograpbiinies, 

■r  Di;>e«ui.T S.  toI. 

pivlHlté  tic  Jittu-Chriat  awwittée  far 
t  prepUltM,  d^monlrte  par  te)  iaaii' 
ilîilia,  prûuvct  far  {'aceompliuemenl 
a  prUietioii»  dt  JitM-Ckrui,  ct  i-e- 
\t  par  Ut  fils»  grands  platoaophfi 
nieers  ;  ouvrage  suiii  de  l'hisloire 
_...  inieelUocello  desconverwonsira 
as  célèbres!  RarM-deGii.voDDï,  îvol. 
7ie  de  Jéiin-Christ  «u  point  de  nue  de 
pteiente,  par  Jean  Kulin.  docleor  de  la 
■eullé  de  tliénldg^c  de  TubinguE:  tra- 
duite de  l'allemand,  par  f.  Î(bttui»nt, 
pour  faire  suite  II  ta  Itaiioii  du  ekrinUa- 


Hçlionneirc  lUi  liMsiei,   ou  Mémoires 

ir  m-'-Dlr  à  l'IiUloire  dri   égaremfai 

JjffttprXl  ftnimriii  parrapport  à  la  re- 


KjK'B  clirclinne;  par  PlvqwtJ 
vTuge  continua  josqu'A  no»  jotui 
V.  de  pEDRonn.  ••..._ 
Béfmae  du  tkriitlaniiraejiar  ta  pM 
prtimla't  flSeUt  de  l'Égtàe  Mnll 
pkilotapha,  la  paimi  et  (m  Juifi, 
dueiions  publiées  par  H.  de  Hm 

Le  Chemin  du  sanctuaire  iiienlri  li 
qui  aupirenl  au  sacerdoa,  ou  Jl_ 
dt»  ecrlriiaillqad ,  traduit  de  rifl 

du  n.  P.  fOBESTIDA  C*HPI,    de  lÔ] 

pagaie  di!  Jiisus,  par  un  ilireclmr  i 
minaire;  ouvrage  nt<prouir<i  parlai 
gr^Blion  de  l'Iudet.  .  .  '' 
UKitlioni  li  Dieu,  ouTiag«  m 
dinaire  de  la  winir  au»f  »  ,- 
d'une  notice  sur  Bnnuei  i  par  V,  ai 


iTii  par  la  i 


DUcauri  jiir  Ui  raf^iitmtralmti 
et  la  religion  Hoilii,  ]in    — 
par  XlcoLAS  Vt^SDiiM)i,A 
potoDios,  docleur  en  Iht 
du  collëge  anglaîa,  el  p 


de  l'èglîie  c 

Rigle  gÈoénile  rie  là  i  ,    , 

Vèion,  MatiiaesilerKftfiscaarlsl 
des  hommes  pnrM   -'■"  "  ■    - 

Ln  Couffmoia  dt  S.  .iBjpufte  4J 
irtque  d'Ifippoiui,  (elle  latin  «1 M 
Traduclion  de  M.  Lionct  m  ftifd 
Nouvelle  Ëdilii>n,  re 


Patl»/-1llMl«VMt  S.  Ojilm, 


il 


I-